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Full text of "Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIIe siècle d'après beaucoup de documents inédits par le P. Camille de Rochemonteix"

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LES    JÉSUITES 


ET     LA 


NOUVELLE-FRANCE 


MAÇON,  PKOTAT  FREKES ,  IMPRIMEUKS 


LES    JÉSUITES 


ET      LA 


NOUVELLE-FRANCE 


AU    XVIU   SIECLE 


D  APKËS     BEAUCOUP     DE     DOCUMENTS     INEDITS 


Le     p.     Camille     de     ROC  HE  MONTE  IX 

de   la   Compagnie  de  Jésus 


Avec     Portraits     et     Cartes 


TOME    SECOND 


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PARIS 
LETOUZEY    et    ANÉ,    ÉDITEURS 

17,     RUE    DU    VIEUX-COLOMBIER,     17 

189G 


''OSTON  COLLEGE  LIBRARV 
-HESTNUT  HILL,  MASS. 


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LES    JESUITES 


ET     LA 


NOUVELLE-FRANCE 

AU    XVIP    SIÈCLE 
LIVRE    PREMIER 

(Suite.) 


CHAPITRE     HUITIÈME 

Etat  de  la  Colonie  Française  vers  1040.  —  Les  Iroquois  ;  leur  situa- 
tion g-éog-raphique,  leur  organisation  sociale.  —  Ils  font  la  guerre 
aux  Hurons,  aux  Algonquins  et  aux  Français.  —  Prise,  captivité  et 
délivrance  du  P.  Jogues  ;  ses  compagnons  de  captivité,  René  Gou- 
pil, Guillaume  Couture,  Ahasistari,  Totiri,  etc.  —  Le  P.  Bressani  : 
sa  captivité  et  sa  délivrance.  —  Grand  conseil  aux  Trois-Rivières, 
où  la  paix  se  conclut.  —  Le  P.  Jogues  et  Bourdon  chez  les 
Iroquois.  —  Troisième  voyage  du  P.  Jogues,  chez  les  Agniers  ;  sa 
mort  et  celle  de  son  compagnon,  Jean  Lalande.  —  Reprise  des  hos- 
tilités. 

Nous  avons  laissé  Québec  en  1639,  et  Montréal  en  1642. 
A  Québec,  le  chevalier  de  Montmagny  a  succédé  à  Cham- 
plain,  le  collège  des  Jésuites  est  ouvert,  Fhopital  est 
fondé,  et  le  séminaire  pour  les  filles  sauvages  grandit  sous 
la  direction  de  Mère  Marie  de  l'Incarnation.  Sillerj  se 
développe,  et  les  sauvages  qui  viennent  s'y  fixer  mettent  en 
culture  les   terres  environnantes.   Ghampflour    commande 

Jés.  et  Nouu-Fr.  —  T.  II.  1 


—  2  — 

aux  Trois-Rivières  et  s'y  fait  respecter  des  sauvages.  A 
Montréal,  Chomede}^  de  Maisonneiive  a  protégé  sa  bour- 
gade naissante  d'une  enceinte  fortifiée  ;  ses  quarante  colons 
sont  en  même  temps  soldats,  défricheurs  et  manœuvres. 
Les  Jésuites  desservent  les  chapelles  de  Québec,  de  Sillery, 
de  Montréal  et  des  Trois-Rivières.  Les  Français  ne  sont 
pas  nombreux  :  on  en  compte  trois  cents  environ,  et 
cependant  la  Compagnie  de  Richelieu  est  fondée  depuis 
plus  de  quinze  ans. 

En  la  formant,  le  grand  Cardinal  avait  mis  au  premier 
plan,  la  conquête,  Tévangélisation  et  le  peuplement  de  la 
Nouvelle-France  ;  le  profit  commercial  devait  être  le 
moyen  et  la  résultante  de  son  entreprise  coloniale.  Tout 
son  système  est  là.  Mais  les  Associés,  soit  par  incurie,  soit 
par  impuissance,  soit  par  d'autres  motifs  qu'il  ne  nous 
convient  pas  d'apprécier,  s'éloignèrent  peu  à  peu  de  l'ob- 
jectif de  Richelieu  :  ils  firent  passer  au  premier  plan  l'inté- 
rêt commercial  et  reléguèrent  au  second  la  question  colo- 
niale. 

Plus  occupés  des  profits  à  retirer  que  des  obligations  à 
remplir,  ils  se  partagent  de  vastes  seigneuries,  ils  exportent 
du  royaume  à  destination  de  la  colonie  des  marchandises 
exemptes  de  tous  impôts  et  subsides,  ils  débarquent  les 
produits  du  Nouveau-Monde  dans  les  ports  de  la  Métro- 
pole ;  ils  jouissent,  à  l'exclusion  de  tous  autres  Français, 
du  monopole  du  commerce,  qui  leur  est  assuré  par  la 
charte  royale.  Mais  l'exploitation  du  domaine  français 
extra -Européen  est  négligée  ;  les  émigrants  ne  se 
recrutent  pas.  Le  gouverneur  n'a  même  pas  les  forces 
suffisantes  pour  faire  respecter  par  les  Iroquois  le  drapeau 
de  la  France  et  protéger  contre  leurs  attaques  les  parcelles 
de  terre  mises  en  culture  aux  environs  de  Québec,  de  Sil- 
lery et  des  Trois-Rivières. 


—  3  — 

Deux  grands  partis  se  divisaient,  à  cette  époque,  les 
vastes  régions  canadiennes  :  d'un  côté,  la  peuplade  sauvage 
des  Iroquois  ;  de  l'autre,  les  Français  et  leurs  alliés,  les 
Hurons  et  les  Algonquins. 

Nous  connaissons  les  alliés  des  Français,  et,  dans  le  cours 
de  notre  récit,  nous  avons  donné  quelques  renseignements 
sur  les  Iroquois^.  Ces  renseignements  sont  insuffisants; 
car,  de  toutes  les  races  barbares  du  Nouveau-Monde,  ces 
sauvages  tiennent  sans  contredit  la  première  place  dans 
l'histoire  du  xvii^  siècle  de  l'Amérique  du  Nord. 

Ambitieux,  agressifs,  patients  et  féroces,  ils  étaient  plus 
rusés  et  plus  habiles  que  les  Hurons,  d'une  stature  plus 
haute  et  plus  carrée,  d'une  force  plus  résistante.  Intrépides 
au  combat,  les  armes  à  feu  des  Européens  ne  les  firent  pas 
broncher.  «  Ils  tinrent  ferme  au  sifflement  des  balles  et  au 
bruit  du  canon,  comme  s'ils  les  eussent  entendus  toute 
leur  vie  ;  ils  n'eurent  pas  l'air  d'y  faire  plus  d'attention  qu'à 
un  orage.  Fins  politiques  autant  que  guerriers  indomptables, 
ils  s'aperçurent  vite  de  la  rivalité  entre  les  Français  et  les 
Anglais,  et  ils  firent  alliance  avec  ces  derniers  qu'ils  n'ai- 
maient pas,  contre  les  premiers  qu  ils  estimaient,  mais  qui 
s'étaient  unis  aux  Algonquins  et  aux  Hurons.  Cependant 
ils  ne  voulaient  pas  le  triomphe  complet  d'un  des  deux  par- 
tis étrangers"^,  »  dans  la  crainte  d'être  un  jour  chassés  de 
leur  pays  ou  réduits  en  servitude  par  le  parti  vainqueur. 

1.  ((  Leur  noiix  propre  était  Af/onnosionni,  C.  A.  D.,  faiseurs  de 
cabanes.  Le  premier  nom  qui  leur  a  été  donné  par  les  Français,  vient 
du  mot  Iliro,  par  lequel  ils  finissaient  ordinairement  leurs  discours  et  qui 
équivaut  à  J'ai  dit;  et  du  mot  Kouâ,  ou  de  joie  ou  de  tristesse,  selon 
qu'il  était  prononcé  long-  ou  court,  »  (Garneau,  1. 1,  p.  88.)  —  Consulter 
Ferland.i.  I,  p.  93;  —Lafifaii,  t.  1,  pp.  101  et  102,  etc.;  —Charle- 
voix,  t.  I,  p.  271. 

2.  Voyage  en  Amérique,  par  Chateaubriand,  chap.  :  Les  Ilurons  et 
les  Iroquois. 

Voir  sur  les  Mœurs  des  Iroquois  :  Lafitau,  Mœurs  des  sauvages,  de 


_  4  — 

Ils  habitaient  au  sud  du  lac  Ontario^,  dans  l'état  de 
New-York,  du  Genesée  à  la  rivière  Richelieu'^.  Divisés  en 
cinq  cantons,  indépendants  les  uns  des  autres  et  pouvant 
faire  la  paix  et  la  guerre  séparément,  ils  se  rencontraient 
cependant  dans  un  même  accord,  du  moins  à  la  première 
moitié  du  xvn^  siècle,  quand  il  s'agissait  de  l'intérêt 
commun.  Ils  sacrifiaient  tout  à  l'honneur  et  au  salut  de  la 
nation. 

Le  canton  des  Agniers^,  sur  les  bords  de  la  rivière 
Mohawk,  du  côté  du  lac  Champlain,  à  quelques  lieues 
d'Orange^,  colonie  hollandaise,  comptait  trois  villages  : 
Ossernenon^,    le   plus  important   de  tous,   entouré    d'une 

tous  les  anciens  écrivains,  le  plus  satisfaisant,  dit  Parkman  dans 
l'introduction  des  Pionniers  français  ;  —  Charlevoix,  t.  i^'^  et  3®, 
passim  ;  — La  ligue  des  Iroqiiois,  de  Lewis-Morgan  ;  —  les  Notes  sur 
les  Iroquois,  de  Schoolcraft;  —  les  Relations  des  Jésuites  au  Canada, 
passim;  —  l  Histoire  générale  des  Voyages,  t.  XV;  —  La  Potheric^ 
et  enfin  La  Ilontan,  dont  le  témoig-nage  doit  être  contrôlé. 

1.  Le  lac  Ontario  a  porté  différents  noms  :  lac  Saint-Louis,  lac 
Frontenac,  lac  des  Iroquois,  lac  Catarakoui  et  lac  Skanadaris. 

2.  Appelée  rivière  des  Iroquois.  —  Charlevoix,  t.  I,  p.  144,  dit  : 
«  Champlain  entra  dans  une  rivière  qui  fut  longtemps  nommée  la 
rivière  des  Iroquois,  parce  que  ces  sauvages  descendaient  ordinaire- 
ment par  là,  pour  faire  leurs  courses  dans  la  colonie,  et  qui  porte 
aujourd'hui  le  nom  de  Sore/.  » 

3.  Agniers.  On  trouve  aussi  Aniei^s,  Agnéchronnons,  Agnongher- 
rono/is ,  Annierronons ,  Anniengehronnons.  Cette  nation  était 
appelée  Maquois  et  Maquas  par  les  Hollandais,  et  Mohawks  par  les 
Anglais.  En  1643,  elle  comptait  7  à  800  guerriers;  en  1661,  de  3  à 400. 
En  1646,  on  lui  donna  le  nom  de  Mission  des  Martyrs. 

4.  Orange  on  fort  Orange,  aujourd'hui  Alhany.  On  l'appelait  aussi 
Renselaerswich.  —  V.  Vie  du  P.Jogues,  parle  P.  Martin,  p.  344  et  suiv. 

5.  Ossernenon,  appelé  aussi  Agnié,  Aniégué ,  Oneougiouré 
(2^  voyage  du  P.  Jogucs),  Osserion,  Ossenrei^on,  Asserua  (J.  Megapo- 
lensis,  ministre  des  Hollandais),  Carenay  (Vanderdonk,  1656),  Gan~ 
dawague,  Cahniaga,  Gannaouague,  Gaanaouagué,  Andarague, 
Andaouague.  En  1646,  le  P.  Jogues  le  nomme  S'*^  Trinité;  en  1673, 
il  est  appelé  S.  Pierre. 


triple  palissade,  Andagaron^  Tionnontogen-.  D'une  audace 
présomptueuse  et  d'une  violence  rare,  les  Agniers  furent 
souvent  la  terreur  des  autres  cantons;  ils  furent  les  plus 
hostiles  à  la  France,  les  plus  rebelles  à  toute  proposition 
de  paix. 

Plus  loin,  dans  la  direction  de  l'Ouest,  en  tirant  légè- 
rement vers  le  lac  Ontario,  près  du  lac  Oneida^,  se 
trouvaient  les  Oneiouts^,  nation  la  plus  faible  de  toutes  et 
la  moins  nombreuse,  dont  le  seul  village  important  s'ap- 
pelait Oneioute  ^. 

Au  delà,  vers  le  couchant,  sur  un  agréable  monticule, 
se  dressait  le  village  d'Onnontagué  6,  capitale  des  tribus 
irocjuoises,  où  se  tenaient  d'ordinaire  les  assemblées  géné- 
rales des  cinq  cantons.  Les  Onnontagués'^  étaient  la  tribu 
la  plus  puissante;  ils  n'avaient  que  trois  villages,  Onnon- 
tagué  ou  Onondaga,  Cassoneta  et  Touenho,  tous  bien 
jDCuplés  et  protégés  par  de  fortes  palissades. 

Toujours  vers  l'Occident,  dans  une  vaste  plaine 
bordée  de  magnifiques  forêts,  entre  les  lacs  Caiuga^  et 
Seneca,  on  voyait  trois  villages,  admirablement  situés, 
Goiogoiien*^,  Onnontaré  et  Tiohero  :  c'est  le  pays  des  Goio- 


1.  Andaf/aron,  ou  Gandayaro,  Ca/iar/e/'o  (  Vaiulerdonk),  Gannn</ar<). 

2.  Tionnontoguen  (gen),  ou  Tionnonteyo  et  Teonnon for/en,  —  Il 
est  parlé  quelquefois  d'un  quatrième  village,  (hsa?\i(jiié  (chaussée 
du  castor),  ou  Oiogiié,  Osahrah-ka  (Marcoux),  lieu  remarquable  pour 
la  pèche,  dont  la  position  n'est  pas  bien  déterminée. 

3.  Oneida,  ou  Goienho,  Oneiyuta  (pierre  levée). 

4.  Ofieiouts,  ou  Onneioutheronnom^^   Onneoutchoueronnons. 

5.  Oneioute,  ou  Onnieoule,  Oneiote. 

6.  Onnontagué,  ou  Onnontae,  Onondaga. 

7.  Onnonfagués ,  ou  Onnonlagueronnons,  Onnondaeionnons , 
Onnontaeronnons. 

8.  Cayuga,  autrefois  Tiohero. 

9.  Goiogoen,  Oiogoucn  ou  Oyogouin. 


—  6  — 

gouins ',  le  plus  beau  que  f  aie  vu  dans  V Amérique^  dit  le 
P.  Rafîeix.  Les  chevreuils  y  abondent;  les  cjg-nes,  les 
outardes  et  le  saumon  en  sont  la  richesse. 

Enfin,  à  douze  lieues  environ  du  lac  Ontario,  vivaient  les 
Tsonnontouans-,  disséminés  dans  les  quatre  gros  bourgs  de 
Tontiacton^,  Gannouata^,  Gandagan -^  et  Gannagaro  6. 

Les  Iroquois,  colonie  de  Hurons,  étaient,  comme  eux, 
sédentaires,  livrés  à  la  culture  des  terres.  Jamais  ils  ne 
transportaient  leurs  villages  d'un  lieu  à  un  autre,  leur 
génie  agricole  ayant  trouvé  le  moyen  de  remuer  et  de 
féconder  le  sol  sans  l'épuiser.  Mêmes  notions  religieuses 
que  chez  les  Hurons,  mômes  mœurs,  mêmes  usages,  mêmes 
lois,  mêmes  habitudes  de  vie  :  les  différences  sont  peu 
sensibles. 

La  forme  de  gouvernement  est  aussi  la  même  dans  les 
grandes  lignes  ;  mais  elle  se  rapproche  davantage  des 
peuples  civilisés  ;  elle  fonctionne  avec  plus  de  netteté,  de 
précision  et  de  vigueur.  «  Tous  les  villages,  dit  Lafîtau, 
se  gouvernent  par  eux-mêmes,  et  comme  s'ils  étaient  indé- 

1.  Goiogoens  (faiseurs  de  canots),  Oiogoens  ou  Oiogoenohronnons. 

2.  Tsonnontouans,  ou  Sonnontouans,  Sojinontouehroiinons,  Entouo- 
7'onnons  (Cliamplain)  ;  Sénécas  par  les  Anglais. 

Ce  canton,  le  plus  populeux  de  tous,  comptait  en  1672  de  douze  à 
treize  mille  âmes,  et  en  1061  il  fournit  près  de  douze  cents  guerriers. 
La  mission  de  la  Conception  fut  établie  à  Tontiacton,  celle  de  Saint- 
Michel  à  Gannouata  et  celle  de  Saint-Jacques  à  Gannagaro. 

Les  Tuscaroras,  nation  dn  nord  de  la  Caroline  que  les  Anglais 
détruisirent  en  grande  partie,  en  1713,  pour  venger  la  mort  de 
quelques-uns  des  leurs,  demandèrent  asyle  aux  Iroquois  vers  cette 
môme  époque  et  formèrent  un  sixième  canton. 

3.  Tontiacton,  ou  Tonhailon,  Totiacton,  Tontacton  (mémoire  de 
Denonville,  1687). 

4.  Gannouata,  ou  Gannondata,  Gannongaroe,  Gandong araghue . 

5.  Ganclagan,  ou  Gaenteca,  Gandachiragon. 

6.  Gannagaron  ou  Gannagaro. 


pendants  les  uns  des  autres.  On  A^oit  dans  chacun  la 
même  distribution  des  familles,  les  mêmes  lois  de  police, 
le  même  ordre  ;  en  sorte  que  qui  en  voit  an  les  voit  tous  ^  » 
Chaque  village  est  partagé  en  trois  tribus  (ou  familles), 
qui  portent  chacune,  en  signe  distinctif,  le  nom  d'un  ani- 
mal. Chaque  tribu  a  son  chef,  ses  Agoianders,  ses  anciens, 
ses  guerriers  ;  leur  réunion  compose  le  corps  administratif 
du  village.  Le  pouvoir  est  héréditaire;  la  succession  se  con- 
tinue par  les  femmes.  Si  la  ligne  du  chef  vient  à  manquer, 
la  plus  noble  matronne  de  sa  tribu  choisit  un  nouveau  chef. 
Uarhre  est  tombée  disent  les  sauvages,  et  //  est  ainsi 
redressé.  Si  Télu  est  trop  jeune,  on  lui  donne  un  tuteur, 
qui  exerce  l'autorité  au  nom  du  mineur.  La  cérémonie  de 
l'élection  et  de  l'installation  s'accomplit  au  milieu  des  fes- 
tins, des  danses  et  des  chants. 

L'autorité  du  chef  s'étend  sur  tous  les  membres  de  sa 
tribu  :  il  conseille,  il  engage,  il  prie,  il  ne  commande  pas. 
L'obéissance  est  entièrement  libre  :  l'inférieur  obéit,  parce 
qu'il  le  veut  et  non  pas  parce  que  le  supérieur  ordonne. 
Grande  cependant  est  l'autorité  du  chef,  grand  le  respect 
dont  on  l'entoure.  Toutefois,  de  peur  qu'il  ne  se  rende 
absolu,  la  tribu  lui  donne  des  adjoints  (Agoianders),  qui 
partagent  avec  lui  la  souveraineté.  Dans  chaque  tribu, 
chaque  famille  en  fournit  un  ;  il  est  nommé  par  les 
femmes  qui  choisissent  souvent  une  femme  pour  les  repré- 
senter. 

Le  conseil  des  Agoianders  est  le  conseil  suprême.  Ses 
délibérations  sont  portées  en  appel  au  conseil  des  Anciens, 
qui  prononce  en  dernier  ressort.  Le  nombre  des  vieillards 
n'est  pas  déterminé,  chacun  ayant  droit  d'entrer  dans  ce 
conseil,  quand  il  a  atteint  la  limite  d'âge  exigée  et  la  matu- 

\.  Mœurs  des  sauvages,  t.  I,  p.  465. 


—  8  — 

rite  de  la  prudence.  Le  conseil  des  Anciens  est  le  modéra- 
teur entre  les  A^oianders  et  le  corj^s  des  guerriers  ou  des 
jeunes  gens  en  état  de  porter  les  armes. 

Des  orateurs,  choisis  par  chaque  tribu,  exposent 
devant  ces  conseils  les  affaires  soumises  à  leurs  délibéra- 
tions; ils  font  une  étude  particulière  des  annales  de  la 
nation,  des  usages,  de  la  politique  et  de  l'éloquence.  Si  les 
archives  faisaient  défaut,  leur  mémoire  surprenante,  aidée 
de  signes  mnémoniques,  suppléait  à  tout  ^. 

xVucun  membre  des  trois  conseils  ne  se  regarde  comme 
individuellement  lié  par  la  délibération  des  conseils,  la 
liberté  particulière  n'étant  jamais  sacrifiée  à  la  liberté 
générale  ;  personne  cependant  ne  refusait  ordinairement 
des'j  soumettre. 

Les  intérêts  généraux  des  cinq  nations  se  traitent  dans 
une  diète,  tenue,  à  l'entrée  de  la  nuit,  ou  sur  la  lisière  du 
bois,  ou  dans  la  cabane  de  l'un  des  chefs,  ou  dans  une  vaste 
salle  affectée  aux  réunions  publiques.  La  diète  se  compose 
de  tous  les  membres  des  divers  conseils.  La  discussion 
épuisée,  on  procède  au  vote.  C'est  dans  ces  assemblées 
générales  que  se  discutaient  le  plus  souvent  la  guerre,  la 
paix  et  les  ambassades,  tandis  que  les  affaires  civiles  et 
criminelles  se  traitaient  devant  les  conseils  privés  des 
Agoianders  et  des  xVnciens. 

La  guerre  était  le  thème  le  plus  ordinaire  des  délibéra- 
tions de  la  Diète;  elle  faisait,  avec  les  ambassades,  le  fond 
de  la  politique  iroquoise.  Une  fois  décidée,  on  la  dénonçait. 
Des  guerriers,  peints  en  noir  de  la  tête  aux  pieds,  se  glis- 
saient, à  la  faveur  des  ténèbres  de  la  nuit,  sur  les  terres 
ennemies,  et  parvenus  aux  premières  cabanes,  ils  suspen- 


1.  Les     Pionniers     français,     par     F.      Parkman,     introduction, 
p.  XLVII. 


.   -  9  - 

daient  à  un  arbre,  à  un  poteau,  dans  un  endroit  apparent, 
un  casse-tête  peint  en  rouge.  Cet  usage  se  pratiqua  long- 
temps, puis  on  y  renonça.  ((  Les  Iroquois  ne  pensant  qu'à 
accabler  leurs  ennemis,  ne  visèrent  aussi  qu'à  les  sur- 
prendre et  à  tomber  sur  eux  lorsqu'ils  y  penseraient  le 
moins  ' .    » 

La  hache  levée  -,  on  proclamait  la  guerre  dans  tous  les 
villages  de  la  nation.  Le  chef  des  guerriers  de  chaque 
canton  convoquait  tous  ses  hommes  et  les  invitait  à  le 
suivre.  On  pouvait  refuser  le  service.  Le  guerrier  qui 
l'acceptait,  remettait  à  son  chef  un  petit  morceau  de  bois 
peint  en  rouge  et  marqué  d'un  sceau  particulier.  C'était  le 
signe  de  sa  volonté  très  arrêtée  de  prendre  part  à  l'expé- 
dition, un  engagement  privé  qui  le  liait  irrévocablement. 
Désormais,  s'il  recule,  il  sera  traître  ou  lâche. 

Aussitôt  on  s'engage  dans  une  file  de  cérémonies  supers- 
titieuses, propres  à  enflammer  les  courages  et  à  donner  à  la 
guerre  un  caractère  sacré.  On  commence  par  le  jeûne,  qui 
dure  deux  ou  trois  jours.  Le  chef  se  renferme  dans  l'étuve 
pendant  ce  temps,  et  là  il  jeûne,  il  sue,  il  consulte  les 
songes.  Le  troisième  jour,  les  combattants,  barbouillés  de 
noir  et  de  rouge,  la  poitrine  découverte,  les  bras  nus,  se 
réunissent  en  armes  autour  du  chef  dans  la  cabane  du 
conseil,  pour  prendre  part  au  grand  festin  de  la  guerre.  Les 
chiens  sont  és-orsrés,  offerts  à  Areskoui,  le  dieu  des  combats, 
et  jetés  dans  d'immenses  chaudières.  «  Ils  sont  la  matière 
principale  du  sacrifice,   »  dit  Lafitau*^. 

A  la  fin  du  repas,  le  chef  se  lève,  et  d'une  voix  forte  il 
prie  :  «  Je  t'invoque,  ô  Dieu  de  la  guerre,  afin  que  tu  me 

\.  Mœurs  des  sauvages,  t.  II,  p.  174. 

2.  La  hache  est  le  symbole  de  la  guerre.  Lever  la  hache,  c'est 
déclarer  la  guerre. 

3.  T.  II,  p.  189. 


-10-. 

sois  favorable  dans  mon  entreprise,  que  tu  aies  pitié  de  moi 
et  de  toute  ma  famille;  j'invoque  aussi  tous  les  esprits  bons 
et  mauvais,  tous  ceux  qui  sont  dans  les  airs,  sur  la  terre  et 
dans  la  terre,  afin  qu'ils  me  conservent  et  ceux  de  mon 
parti,  et  que  nous  puissions,  après  un  heureux  voyage, 
retourner  dans  notre  pays  ^.    » 

Les  assistants  répondent  :  ho!  oh!  cri  d'approbation  et 
de  prière;  et  le  chef  entonne  la  chanson  de  mort.  Elle  ren- 
ferme le  plus  souvent  des  détails  atroces  :  «  Que  la  rage 
suffoque  mes  ennemis!  Puissé-je  les  dévorer  et  boire  leur 
sang  jusqu'à  la  dernière  goutte!  J'enlèverai  des  chevelures  ; 
je  boirai  dans  le  crâne  de  mes  ennemis.  Je  leur  couperai 
les  doigts  avec  les  dents  ;  je  leur  brûlerai  les  pieds  et  ensuite 
les  jambes.  Je  laisserai  les  vers  se  mettre  dans  leurs  plaies  ; 
je  leur  enlèverai  la  peau  du  crâne;  je  leur  arracherai  le 
cœur  et  je  le  leur  enfoncerai  dans  la  bouche^.  »  Les  guer- 
riers redisent  ces  chants  de  mort  et  de  vengeance. 

La  danse  de  VAtlioiiront  commence.  Le  chef  frappe  un 
des  poteaux  de  la  cabane  et  se  met  à  danser.  Après  lui, 
chaque  guerrier  en  fait  autant  :  c'est  la  déclaration  y^u/jZ/g-fze 
de  l'engagement  pi^ivé  qu'il  a  pris  de  suivre  son  chef,  de 
combattre  à  ses  côtés.  Tout  se  termine  par  la  danse  guer- 
rière, danse  générale  où  les  combattants  exécutent,  chacun 
à  leur  façon,  tous  les  mouvements  d'une  troupe  en  marche 
ou  au  combat  :  ils  poussent  des  cris  de  mort,  des  hurle- 
ments de  vengeance;  ils  imitent  les  travaux  d'un  siège,  les 
attaques  d'une  palissade  ;  ils  font  des  marches  et  des  contre- 
marches; ils  brandissent  leurs  casse-têtes  ou  leurs  haches, 
ils  manient  leurs  arcs  et  agitent  leurs  couteaux,  ils  fran- 
chissent des  fossés,  ils  semblent  se  jeter  à  la  nage.  Rien  ne 

1.  Lafitau,L  II,  p.  190. 

2.  Chateaubriand,  Voyage  en  Amérique,  ch.  :  La  guerre; — Histoire 
générale  des  voyages,  t.  XV;  —  Charlevoix,  t.  III,  lettre  XIV. 


—  11  — 

manque  à  cette  pittoresque  et  effrayante  pantomime,  simu- 
lacre infernal  d'une  guerre  sauvage  i . 

Ces  festins,  ces  danses,  ces  chants  exaltent  leur  ardeur 
martiale  ! 

Avant  le  départ,  on  interroge  les  Jongleurs,  on  consulte 
les  songes,  on  prend  son  manitou.  Et  le  guerrier,  rassuré  à 
si  peu  de  frais,  part,  convaincu  qu'il  n'a  rien  à  craindre, 
que  la  victoire  est  à  lui.  «  L'imagination  enflammée  par  le 
récit  des  exploits  de  ses  ancêtres,  il  brûle  de  se  distinguer 
comme  eux  dans  les  combats  2.    » 

A  l'époque  où  notre  récit  est  arrivé,  la  population  iro- 
quoise  s'élevait  à  vingt-cinq  mille  âmes  environ  et  comptait 
de  deux  mille  à  deux  mille  cinq  cents  guerriers.  C'était 
peu,  mais  leur  situation  géographique  les  protégeait  contre 
toute  attaque  du  dehors;  eux-mêmes  avaient  l'accès  facile, 
à  l'Ouest  et  au  Nord,  sur  l'Ohio,  le  Mississipi  et  les  grands 
lacs,  et  à  l'Est,  parla  rivière  Richelieu,  sur  le  Saint-Laurent 
et  ses  affluents  du  Nord.  Avec  leurs  légers  canots,  ils  pou- 
vaient se  transporter  rapidement  sur  tous  les  noints  où  ils 
espéraient  surprendre  l'ennemi. 

Cet  ennemi  —  les  Murons,  les  Algonquins  et  les  Fran- 
çais, —  qui  leur  était  bien  supérieur  en  nombre,  ne  jouissait 
pas  de  la  même  puissance  de  cohésion,  d'entente  et  de 
discipline.  Puis,  ils  avaient  au  Sud  une  barrière  de  défense 
dans  la  colonie  hollandaise,  établie  à  Manhatte  ^.  Ils  lui 
procuraient  de  riches   pelleteries,  et  ils  en  recevaient  en 

1.  Lnfifaii,  t.  II,  p.  190.  —  Chateaubriand,  Voyage  en  Amérique^ 
ch.  :  La  guerre. 

2.  Garneau,  t.  I,  p.  92. 

3.  Les  Hollandais  colonisaient  alors  le  haut  de  la  vallée  de  l'Hudson, 
aux  environs  du  Fort-Orange,  aujourd'hui  Albany,  au  nord  de 
Manhatte.  Ils  appelaient  Manhatte  la  Nouvelle  Amsterdam  et  la  contrée 
qu'ils  occupaient  (dans  l'état  de  New-York),  la  Nouvelle  Belgique. 


—  12  — 

échange  des  armes  à  feu,  des  munitions  de  guerre  et  de 
chasse,  ce  qui  leur  assurait  une  grande  supériorité  sur  les 
autres  tribus  sauvages.  Aussi  devinrent-ils  en  peu  de  temps 
la  première  puissance  militaire  de  l'Amérique  du  Nord. 

Sûrs  désormais  d'eux-mêmes,  fiers  de  leur  génie  guerrier, 
ils  ne  gardèrent  plus  de  bornes.  On  les  voyait  s'embusquer 
sur  les  bords  du  Saint-Laurent  et  à  l'embouchure  des 
rivières,  pour  y  attaquer  les  canots  et  les  vaisseaux  de 
passage,  chargés  de  pelleteries.  Ils  rodaient  autour  de 
Québec  et  des  Trois-Rivières,  ils  s'avançaient  au  cœur 
même  du  pays  des  Algonquins,  ils  remontaient  la  rivière 
d'Ottawa  jusqu'à  l'île  des  Allumettes,  attaquant  partout  les 
campements  mal  gardés,  surprenant  leurs  ennemis,  les 
massacrant  ou  les  emmenant  prisonniers.  Ils  allaient 
enlever  les  travailleurs  sous  le  canon  de  Québec.  Les 
Hurons,  qui  descendaient  chaque  année  à  Québec  pour  la 
traite,  les  rencontraient  souvent,  et,  chaque  fois,  c'était 
une  lutte  sanglante,  où  la  victoire  tournait  d'ordinaire  à 
l'avantage  des  Iroquois.  «  Ils  venaient  en  renards,  dit  Char- 
levoix,  ils  attaquaient  en  lions  et  fuyaient  en  oiseaux;  ils 
agissaient  le  plus  souvent  à  coup  sûr  ^ .   » 

Lorsque  Champlain  rentra  à  Québec,  après  la  paix  de 
Saint-Germain,  il  vit  du  premier  coup  la  gravité  de  la 
situation.  Il  n'y  avait  pas  à  se  faire  illusion,  il  fallait  y 
apporter  un  prompt  remède,  si  l'on  ne  voulait,  croyait-il, 
compromettre  l'avenir  de  la  colonie.  Pour  cela,  il  avait 
besoin  de  cent  vingt  soldats  ;  il  les  demanda  à  Richelieu. 
«  Avec  cette  troupe  guerrière,  qui  serait  accompagnée  de 
deux  à  trois  mille  sauvdges  de  guerre,  nos  alliés,  on  se 
rendrait  dans  un  an,  écrivait-il  en  1633,  maître  absolu  de 

1.  Histoire  de  la  Nouvelle-France,  t.  III,  p.  202. 


—  13  — 

tous  ces  peuples  ^  »  L'année  suivante,  il  écrivait  encore  : 
«  Six  vingts  hommes  de  France,  bien  équipés,  avec  nos 
alliés  les  sauvages,  suffiraient  pour  exterminer  les  Iroquois 
ou  pour  les  faire  venir  à  la  raison  ',    » 

Ces  cent  vingt  soldats,  il  ne  les  obtint  pas.  Le  Cardinal, 
engagé  dans  la  guerre  contre  la  maison  d'Autriche,  ne 
pouvait  venir  au  secours  de  la  colonie  française.  Le  succes- 
seur de  Ghamplain,  Huault  de  Montmagny,  ne  fut  pas  plus 
heureux  auprès  du  ministre,  et,  impuissant  à  attaquer,  il 
prit  le  parti  de  se  tenir  sur  la  défensive.  Cette  sage  et  pru- 
dente conduite  parut  aux  Iroquois  le  signe  manifeste  d'une 
grande  faiblesse.  Jusque  là  ils  avaient  conçu  une  haute  idée 
de  la  valeur  militaire  des  Français;  mais  de  ce  jour  cette 
idée  se  modifia  et  fit  place  à  une  autre  bien  différente,  j)arce 
qu'ils  ne  comprenaient  pas  les  motifs  réels  de  l'attitude 
effacée  et  expectante  du  gouverneur.  Leur  audace  s'accrut 
de  cette  faiblesse  apparente  ;  bientôt  elle  ne  connut  plus 
de  bornes. 

En  1G41,  le  P.  Vimont,  supérieur  de  Québec,  écrivait  à 
son  Provincial^,  à  Paris  :  «  La  Nouvelle-France  se  va 
perdre  si  elle  n'est  fortement  et  promptement  secourue  :  le 
commerce  de  ces  Messieurs  (les  Cent-Associés),  la  colonie 
des  Français,  et  la  religion  qui  commence  à  florir  parmi 
les  sauvages,  sont  à  bas,  si  on  ne  dompte  les  Iroquois.  Si 
on  n'a  ce  peuple  pour  amy  ou  si  on  ne  l'extermine,  il  faut 
abandonner  à  leurs  cruautés  tant  de  bons  néophytes,  il  faut 
perdre  tant  de  belles  espérances^.   »  Puis  il  ajoutait  :  «  Les 

1.  Lettre  du  15  août  1633,  au  cardinal  de  Richelieu  (Minist.  des- 
aff.  étrangères,  à  Paris,  fol.  101). 

Consulter  sur  les  démarches  que  fît  Champlain  pour  avoir  des 
soldats,  le  Mercure  français,  t.  XIX,  pp.  841  et  suiv. 

2.  18  août  1634  (Min.  des  aff.  étr.,  fol.  Ii7). 

3.  P.  Jacques  Dinet. 

4.  Relation  de  1641,  p.  58. 


Iroqilois  sont  venus  à  un  tel  point  d'insolence  qu'il  faut 
voir  perdre  le  pays,  ou  y  apporter  un  remède  prompt  et 
efficace  K   » 

L'année  suivante,  il  exprime  les  mêmes  craintes  :  »  Les 
Iroquois,  vrai  fléau  de  notre  Eglise  naissante,  perdent  et 
consomment  nos  néophytes  avec  les  armes  et  le  feu;  ils  ont 
juré  une  cruelle  guerre  à  nos  Français;  ils  bouchent  tous 
les  passages  de  notre  grande  rivière,  empeschent  le  com- 
merce de  ces  messieurs  et  menacent  de  ruiner  tout  le 
pays-.    » 

Ces  paroles  sont  l'expression  de  l'opinion  générale  de  la 
colonie.  «  La  crainte  des  Iroquois  a  tellement  abattu  les 
cœurs,  qu'on  ne  vit  que  dans  les  appréhensions  de  la 
mort  2.  »  Il  n'y  a  de  sûreté,  et  elle  n'est  pas  complète,  qu'au 
fort  de  Québec.  Les  Algonquins,  chrétiens  et  catéchumènes, 
qui  s'étaient  fixés  aux  Trois-Rivières,  se  sont  enfuis  épou- 
vantés. «  Plusieurs,  dit  Marie  de  l'Incarnation,  sont  allez 
en  leurs  pais,  et  les  autres  se  sont  réfugiez  ici  y>  (à  Québec)  ^. 
Les  Iroquois  n'ont  pas  encore  découvert,  vers  la  fin  de  1642, 
la  colonie  établie  à  Montréal  au  printemps  de  cette  même 
année;  mais,  les  hostilités  commenceront  l'année  suivante, 
et,  suivant  l'expression  de  l'historien  de  Villemarie,  «  on 
ne  sera  plus  en  assurance  dès  qu'on  aura  franchi  le  seuil  de 
sa  porte  ^.  »  La  voie  entre  le  pays  des  Hurons  et  Québec, 
fréquentée  chaque  année,  à  l'époque  de  la  traite,  après  les 
grands  froids  d'hiver,  par  des  flotilles  de  trente,  cinquante 
et  même  cent  canots,  est  aujourd'hui  si  peu  sûre  que  les 
convois  de  marchandises  deviennent  de  plus  en  plus  rares. 

1.  Relation  de  1641,  p.  38. 

2.  Relation  de  1642,  p.  2. 

3.  Ihicl. 

4.  De  Québec,  16  sept.  1641.  Y.  Lettres. 

5.  Histoire  du  Montréal,  par  M.  Dollier  de  Casson  de  1642  à  1643. 


—  15  — 

Les  canots  sont  arrêtés  et  pris,  les  pelleteries  et  tous  les 
objets  de  fabrique  française  enlevés,  les  correspondances 
des  missionnaires  saisies  et  détruites.  A  Sainte-Marie  des 
Hurons,  l'inquiétude  est  grande,  parce  que  les  expéditions 
de  Québec  se  font  rarement  et  n'arrivent  pas  toujours  à 
destination.  Les  missionnaires  en  sont  réduits  à  écraser  les 
raisins  du  pays  pour  obtenir  le  vin  nécessaire  au  Saint-Sacri- 
fîce  de  la  messe,  et  à  faire  des  hosties  avec  im  peu  de  fro- 
ment récolté  dans  leur  jardin.  Ajoutons  que  depuis  le 
Saguenay  jusqu'à  l'île  des  Allumettes,  les  meilleurs  terrains 
de  chasse  sont  souvent  visités  par  l'ennemi;  la  famine,  les 
maladies  de  toutes  sortes  et  la  peste  sont  les  premières 
conséquences  de  ces  incursions  et  des  razzias;  la  mortalité, 
qui  s'en  suit,  jointe  aux  ravages  de  la  guerre,  est  effrayante 
parmi  les  Algonquins  et  les  Montagnais.  Le  supérieur  de 
la  mission  écrit  en  1644  au  Provincial  de  Paris,  Jean 
Filleau  :  <(  Là  où  l'on  A-oyait  il  y  a  huit  ans,  quatre-vingt 
et  cent  cabanes,  à  peine  en  voit-on  maintenant  cinq  ou 
six;  et  tel  capitaine,  qui  commandait  pour  lors  à  huit  cents 
guerriers,  n'en  compte  plus  à  présent  que  trente  ou  qua- 
rante, et  au  lieu  des  flottes  de  trois  ou  quatre  cents  canots, 
nous  n'en  voyons  plus  que  de  vingt  ou  trente  K   » 

La  colonie  française  déploie  cependant  un  courage  et  une 
énergie  que  rien  ne  lasse.  Montmagny  à  Québec,  Champ- 
flours  aux  Trois-Rivières,  Maisonneuve  à  Montréal,  don- 
nent à  tous  l'exemple  de  la  bravoure.  Ce  dernier,  poursuivi 
un  jour  par  une  bande  d'Iroquois,  qui  veulent  le  prendre 
vivant,  recule  pas  à  pas,  le  pistolet  au  poing,  la  face  à 
l'ennemi,  tue  raide  le  premier  qui  l'approche,  et  parvient,  à 
force  de  sang-froid,  à  gagner  le  fort  de  Montréal.  Ses 
hommes    le    considèrent    avec    raison    comme    un    héros. 

1.  Relation  de  1644,  p.  3. 


—  16  — 

Montmagny,  qui  a  reçu  du  cardinal  de  Richelieu  (1642)  un 
'fenfort  de  quarante  soldats,  sort  de  Québec  et  se  dirige 
vers  la  rivière  des  Iroquois,  pour  y  élever  à  l'embouchure 
le  fort  Pùchelieui.  C'est  par  là  que  les  Agniers  opéraient 
leurs  descentes  sur  le  Saint-Laurent.  On  espérait  les  arrê- 
ter. Le  fort  ne  rendit  pas  tous  les  services  qu'on  en  atten- 
dait :  L'ennemi  débarquait  à  quelques  milles  en  amont, 
portait  ses  canots   à  travers  la  forêt  et  les  lançait   sur  le 


grand  fleuve. 


Montmagny  avait  quitté  Québec  sur  la  fin  de  juillet  de 
16i2.  Quelques  jours  après,  le  1''''  août,  douze  canots 
hurons  partaient  des  Trois-Rivières  et  remontaient  lente- 
ment le  Saint-Laurent,  chargés  de  provisions  et  ayant  à 
bord  une  quarantaine  de  personnes.  Parmi  les  passagers  se 
trouvaient  le  P.  Isaac  Jogues,  deux  donnés  de  la  Mission, 
René  Goupil  et  Guillaume  Couture,  une  jeune  Huronne, 
Thérèse  Oïouhaton-,  élève  des  Ursulines  de  Québec,  et 
quelques  Hurons  baptisés  et  fervents  chrétiens,  Joseph 
Téondéchoren ,  Charles  Tsondatsaa,  Etienne  Totiri,  Paul 
Ononhoraton,  enfin  Eustache  Ahasistari  -K  Les  autres 
étaient  des  Hurons  qui  venaient  de  faire  la  traite  à  Québec 
et  retournaient  dans  leur  pays. 

1.  Dans  la  note  3,  p.  85  de  la  Vie  du  P.  Isaac  Jogues,  le  P.  Martin 
dit  :  a  Richelieu,  aujourd'hui  Sorel  ou  William  Henri.  Ce  fort  ne  doit 
pas  être  confondu  avec  un  fort  du  même  nom  bâti  par  Champlain  en 
4634,  dans  File  de  Sainte-Croix,  soixante  kilomètres  plus  haut  que 
Québec,  et  qui  ne  fut  pas  conservé  longtemps.  »  Cette  note  n'est  pas 
très  exacte.  L'îlot,  situé  en  face  de  Deschambault,  où  Champlain  bâtit 
un  petit  fort,  s'appelait  Vislet  de  Richelieu,  en  sauvage  Kaouapassi- 
niskakhi.  [Relations  de  1635,  p.  13.) 

2.  Thérèse  Oïouhaton,  du  bourg-  d'Ossossané,  élève  depuis  deux 
ans  des  Ursulines  de  Québec.  V.  la  Vie  du  P.  Jogues,  par  le  P.  Mar- 
tin, 4°  édition,  note  C,  pp.  315  et  suiv.,  et  p.  84. 

3.  Vie  du  P.  Jogues,  pp.  84  et  85. 


—  17  — 

René  Goupil,  chirurgien,  et  Couture,  menuisier,  étaient,  dit 
Jérôme  Lalemand,  «  incomparables  clans  leur  genre  et  très 
propres  pour  ce  pavs-ci'.  »  L'un  et  l'autre  s'étaient  dévoués 
corps  et  âme  à  la  mission.  On  pouvait  attendre  beaucoup 
de  la  mâle  vertu  de  ces  jeunes  hommes,  que  l'esprit  de 
sacrifice  et  le  zèle  des  âmes  avaient  seuls  conduits  au 
Canada. 

Totiri,  capitaine  huron,  du  bourg  de  Saint- Joseph , 
embrassa  un  des  premiers  le  christianisme  et  convertit  la 
moitié  de  sa  cabane  en  chapelle.  Les  païens  voulurent  la 
détruire  et  forcer  auparavant  leur  capitaine  d'en  sortir. 
«  J'en  sortirai,  répondit  le  fier  chrétien,  cpiand  les  Pères 
qui  nous  instruisent  quitteront  eux-mêmes  la  bourgade,  et 
ce  sera  pour  les  suivre  en  quelques  lieux  qu'ils  aillent.  Je 
suis  plus  attaché  à  eux  qu'à  ma  patrie  et  à  tous  mes  parents, 
car  ils  nous  portent  les  paroles  d'un  bonheur  éternel.  Mon 
âme  ne  tient  pas  à  mon  corps  ;  un  moment  peut  les  séparer, 
mais  jamais  on  ne  me  ravira  la  foi~.   » 

Vicieux  et  joueur  avant  sa  conversion,  Téondéchoren, 
devenu  chrétien,  fut,  par  la  beauté  et  la  fermeté  de  sa  vertu, 
l'étonnementde  ses  compatriotes.  «  Que  t'ont  fait  les  Robes- 
Noires,  lui  disaient-ils,  pour  l'avoir  changé  de  la  sorte?  — 
Ils  m'ont  arraché  tout  ce  qui  était  mauvais  en  moi.  (Croyez 
vous-mêmes  comme  il  faut  à  la  j^rière,  et  vous  l'éprouverez 
mieux  que  je  ne  puis  vous  le  dire^.    » 

Tsondatsaa,  jongleur  émérite,  fils  d'un  capitaine  de  vil- 

d.  Relation  de  1643;  —  Le  P.  Isaac  Jogiies,  par  le  P.  Marliii, 
p.  83. 

•2.  Vie  du  P.  Isaac  Jogues,  par  le  P,  Martin,  note  B,  pp.  311  et 
suiv.;  —  Relation  de  1641;  —  Relation  de  1644,  pp.  86,  91,  97;  — 
Relation  de  1646,  pp.  57  et  59. 

3.  Relation  de  1641,  eh.  III,  pp.  63  suiv.;  —  Relation  de  1642,  pp. 
65  et  68;  —  de  1652,  p.  8;  —  Vie  du  P.  Isaac  Jogues,  par  le  P.  Mar- 
tin, note  D,  pp.  320  et  suiv.  —  On  écrit  aussi  Théondéchoren. 

Jés.  cL  Noui>.-Fr.  —  T.  II.  2 


—  18  — 
lage,  fut  baptisé  à  Sillery,  où  il  eut  pour  parrain  le  Gou- 
verneur, qui  lui  donna  son  nom  de  Charles.  Revenu  au 
pays,  il  réunit  dans  un  grand  festin  tous  les  capitaines  et  les 
anciens,  et,  après  le  repas,  il  leur  dit  :  «  Vous  voyez  un 
homme,  qui,  depuis  qu'il  vous  a  quittés  est  devenu  chré- 
tien, et  avec  tant  de  résolution  qu'il  est  décidé  à  mourir 
mille  fois  plutôt  que  de  renoncer  à  sa  religion.  Mes  biens, 
ma  vie  et  mon  courage  sont  à  vous,  pom'vu  que  vous 
n'exigiez  rien  de  moi  qui  soit  contre  Dieu.  »  Jamais  il 
ne  dévia  de   cette  ligne  de  conduite  i. 

Le  plus  célèbre  de  tous  était  Ahasistari,  le  premier  guer- 
rier de  sa  nation  ;  nul  n'avait  pris  part  à  plus  de  combats  et 
ne  comptait  plus  de  hauts  faits.  Chose  merveilleuse  !  11  avait 
couru,  depuis  sa  plus  tendre  jeunesse,  les  dangers  les  plus 
graves.  Aucun  de  ses  compagnons  d'armes  n'y  avait  échappé  ; 
quant  à  lui,  la  mort  semblait  le  fuir.  Ce  fut  là  le  point  de 
départ  de  sa  conversion.  En  16 il,  il  disait,  avant  le  bap- 
tême, à  un  missionnaire  de  Sainte-Marie  :  «  Avant  que 
vous  fussiez  dans  le  pays,  je  m'estais  vu  échappé  de  mille 
périls  où  mes  compagnons  demeuraient;  je  vo^^ais  bien  que 
ce  n'estait  pas  moi  qui  me  tirais  de  ces  dangers.  J'avais  cette 
pensée  que  c[uelque  génie  plus  puissant  qui  m'estait  inconnu, 
me  j^restait  un  secours  favorable.  Quoy  que  les  Hurons 
attribuent  à  leurs  songes  les  causes  de  tout  leur  bonheur, 
j'étais  convaincu  que  tout  cela  n'estait  que  sottise,  mais  je 
n'en  sçavais  pas  davantage.  Lorsque  j'ai  entendu  parler  des 
grandeurs  du  Dieu  cpie  vous  prêchez,  et  de  ce  que  J.-C.  a 
fait  estant  sur  la  terre,  je  l'ai  reconnu  pour  celui  qui 
m'avait  conservé,  et  me  suis  résolu  de  l'honorer  toute  ma 
vie.  Allant  en  guerre,  soir  et  matin,  je  me  recommandais  à 

1.  Tsondatsaha  ou  Sondatsaa.  —  Relation  de  1641,  p.  21  ;  —  Rela- 
tion de  1642,  pp.  12,  62  et  63;  —  Relation  de  1644,  p.  83;  —  Vie  du 
P.  Isaac  Jo(/ues,  par  le  P.  Martin,  note  E,  pp.  327  et  suiv. 


—  19  — 

luy;  c'est  de  luy  que  je  tiens  toutes  mes  victoires;  c'est  en 
luy  que  je  croy;  et  je  vous  demande  le  baptême,  afin 
qu'après  ma  mort  il  ait  pitié  de  moji.  » 

Dans  la  simplicité  de  ce  récit,  quelle  élévation  de 
pensée! 

Téondéchoren,  Ahasistari  et  Etienne  Totiri  avaient 
escorté  le  P.  Jogues,  à  son  retour  du  pays  des  Sauteurs,  de 
Sainte-Marie  des  Hurons  à  Québec  ,  où  son  Supérieur,  à 
bout  de  ressources,  l'envoyait  chercher  des  objets  de  pre- 
mière nécessité.  La  mission  offrait  de  grands  périls,  toutes 
les  voies  de  communication  étant  sévèrement  surveillées 
par  les  bandes  iroquoises  ;  mais  les  périls  n'effrayaient  pas 
l'apôtre,  qui  semblait  les  chercher  avec  une  sorte  de  passion. 
«  Quelque  temps  avant  son  départ  des  Hurons,  il  se  trou- 
vait seul,  à  genoux,  devant  le  Saint-Sacrement;  il  sup- 
pliait le  Seigneur  de  lui  accorder  la  faveur  et  la  grâce  de 
souffrir  pour  sa  gloire.  Une  voix  se  fit  alors  entendre,  qui 
lui  dit  au  fond  de  son  âme  :  Ta  prière  est  exaucée;  ce  que 
tu  m'as  demandé,  je  te  l'accorde  ;  sois  courageux  et  cons- 
tant 2.  )) 

Le  courage  et  la  constance  !  il  n'en  manquait  pas.  Ces 
deux  vertus  faisaient  le  fond  de  cette  nature,  chétive  d'appa- 
rence, riche  de  qualités  naturelles  et  de  dons  d'en  haut. 
On  le  confondait  facilement  avec  Charles  Garnier,  tant  les 
analogies  étaient  frappantes  entre  ces  deux  hommes.  D'un 
tempérament  grêle  et  délicat,  plutôt  maladif,  il  cachait  sous 
des  dehors  peu  séduisants  une  âme  forte  et  intrépide.  A 
le  voir,  avec  la  tête  légèrement  penchée  et  les  yeux  à  demi 

1.  Relation  de  1642,  pp.  58  et  59.  —  Les  Relations  l'appellent  A/iat- 
sidari.  —  Vie  du  P.  Isaac  Jogues,  par  le  P.  Martin,  note  F,  pp.  337 
et  suiv. 

2.  Relation  de  1644,  p.  17. 


—  20  — 

fermés  dans  l'attitude  de  la  prière,  on  l'aurait  cru  timide, 
craintif  et  embarrassé  ;  et  cependant  il  déploya,  dans  les 
situations  les  plus  difficiles,  une  hardiesse  qui  frisait  l'audace, 
un  calme  et  un  sang-froid  qu'on  trouverait  difficilement  ail- 
leurs à  ce  degré.  Aucun  missionnaire  ne  fut  plus  infatigable 
que  lui,  ni  doué  de  plus  d'activité.  Le  Canada  a  compté  peu 
d'apôtres  de  cette  trempe,  et  Dieu  sait  s'il  y  en  eut,  à  cette 
époque,  de  fortement  trempés  ! 

Le  protestant  Parkman  ne  tarit  pas  d'éloges  sur  ce  beau 
caractère,  où  tout  est  grand  sans  effort,  et  il  ajoute  :  «  Il 
avait  fait  des  études  complètes  et  il  eût  pu  prétendre  à  une 
renommée  littéraire  i.  »  N'exagère-t-il  pas  les  aptitudes 
littéraires  du  Jésuite  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  celui-ci  avait  fait 
de  brillantes  études  au  collège  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
à  Orléans,  sa  ville  natale.  Plus  tard,  le  professeur  d'huma- 
nités lut  sur  le  théâtre  du  collège  de  Rouen,  à  la  rentrée 
scolaire,  un  poème  latin  qui  fît  quelque  bruit-. 

L'amour  passionné  des  âmes  le  conduisit,  jeune  encore, 
à  l'âge  de  dix-sept  ans,  au  noviciat  des  Jésuites  de  Paris.  Il 
désirait  alors  être  envoyé  et  mourir  sous  le  ciel  brûlant  de 
l'Ethiopie.  11  en  parla  au  recteur  du  noviciat,  le   P.  Louis 

1.  The  Jesuits  in  Noi^th  America,  ch.  VIII  et  XV. 

2.  Vie  du  P.  Jogues,  4°  édition,  par  le  P.  Martin,  chap,  I;  —  La 
Vie  du  P.  Isaac  Jogues,  d'Orléans,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  înission- 
naire  chez  les  Hurons  et  martyr  chez  les  Iroquois,  par  M.  Jean- 
Baptiste-Pierre  Forest,  prêtre  d'Orléans;  à  Orléans,  1792.  Manuscrit 
consei*vé  aux  archives  de  l'école  Sainte-Geneviève,  rue  Lhomond, 
14  his,  Paris  ;  —  Vita  Pat  ris  Isaaci  Jogues,  manuscrit  de  la  Bibliothèque 
publique  d'Orléans,  fonds  Desnoyers,  H.  3155.  M.  846,  vie  composée 
de  neuf  chapitres;  — Novum  Belgium,  du  P.  Jogues,  donné  par 
M.  Shea  ;  — Isaac  Jogues,  premier  missionnaire  de  New- York,  dans 
la  collection  des  Précis  historiscjues ,  littéraires  et  scientifiques  de 
Bruxelles,  l*'''  avril  1853,  79*^  livraison;  —  Alegambe,  Mortes  illus- 
tres, et  Andrade,  Varones  ilustres,  t.  IV,  pp.  838-841  ;  —  Parkman, 
The  Jesuits  in  North  America,  chap.  XV.;  —  \J Univers,  journal, 
14  avril  1885. 


—  21  — 

Lalemant,  qui  lui  répondit  :  «  Mon  Frère,  vous  ne  mourrez 
pas  ailleurs  qu'au  Canada  ^  » 

Ces  paroles,  prophétiques  ou  non,  devaient  se  vérifier  à 
la  lettre.  Douze  ans  après  son  entrée  dans  la  Société,  il 
mettait  le  pied  sur  la  terre  canadienne. 

Le  l^*"  août  1642,  il  remontait,  comme  nous  l'avons  dit, 
le  Saint-Laurent,  en  compagnie  d'une  troupe  de  Hurons. 
Pour  éviter  le  courant,  les  canots  longeaient  le  bord  du 
fleuve,  et,  le  2,  ils  avaient  atteint  l'extrémité  du  lac  Saint- 
Pierre,    quand    ils   tombèrent    dans    une    embuscade    de 

1.  Le  P.  Isaac  Jogues,  né  à  Orléans,  le  10  juin  1607,  fît  ses  études 
au  collège  des  Jésuites  de  cette  ville,  et  entra  dans  la  Compagnie  de 
Jésus,  au  noviciat  de  Paris,  le  24  octobre  1624.  Après  son  noviciat, 
il  fut  envoyé  au  collège  royal  de  la  Flèche  pour  y  faire  ses  études 
philosophiques  (1626-1629).  Ensuite,  il  est  professeur  à  Rouen,  de 
cinquième  (1629-1630),  de  quatrième  (1630-1631),  de  troisième  (1631- 
1632),  de  seconde  (1632-1633);  de  Rouen,  il  va  à  Paris  faire  sa  théo- 
logie au  collège  de  Clermont  (1633-1636).  Il  part  pour  le  Canada 
en  1636  et  arrive  à  Québec  le  2  octobre.  (Arch.  gén.  S.  J.)  Dès  le 
noviciat,  le  P.  Jogues  montra  ce  qu'il  devait  être  un  jour,  un  apôtre. 
Voici  ce  que  raconte  de  cette  époque  de  la  vie  du  futur  missionnaire, 
le  P.  Vimont,  supérieur  de  la  mission  du  Canada,  qui  le  connaissait 
particulièrement.  La  lettre  est  adressée  au  général  Vitelleschi,  et 
datée  de  Québec,  oct.  1642  :  «  Tyrocinii  biennium  exegit  Parisiis; 
quo  tempore  cùm  omnium  virtutum  studio  haud  segnis  incubuit,  tùm 
prœcipuè  excitando  in  se  majori  in  dics  zelo  animarum,  adeô  ut 
ï*.  Ludovicus  Lalemant,  quo  tune  moderatore  utebatur,  non  dubitavit 
ei  sœpè  prsedicere  nullibi  unquam  eum,  quam  in  Canadensi  regione 
esse  moriturum,  quamquam  hoc  tempore  religiosi  adolescentis  vota 
aliô  spectabant;  quippè  vixdum  herbescente  in  Canada  segete,  jam 
albescere  ad  messem  ^thiopicse  regiones  videbantur  ;  in  hoc  tam 
ubere  agro  operam  collocare  actutùm  gestabat.  Philosophiœ  tùm 
forte  dabat  operam  in  Flexiensi  collegio  cum  impatiens  morœ,  tum 
superiores  per  litteras,  tum  superos  flagrantissimis  precibus  atque 
acerbissimis  iisque  assiduis  corporis  afflictationibus  super  eà  re  sol- 
licitare  cœpit.  Verùm  omni  spe  sibi  ereptâ  ^thiopicse  profectionis, 
in  Canadam  atque  missionem  huronicam  studia  convertit.  »  (Arch. 
gen.  S.  J.)  —  Voir  le  P.  Isaac  Jogues,  par  le  P.  Martin,  p.  5. 


—  22  — 

soixante-dix  Iroquois.  Les  Hurons,  épouvantés,  laissent 
canots,  armes  et  bagages,  sautent  à  terre  et  disparaissent 
dans  la  profondeur  de  la  forêt.  Seuls,  les  Français,  les 
néophytes  et  les  catéchumènes  Hurons,  en  tout  quinze, 
soutiennent  le  combat.  La  lutte  était  inégale.  La  plupart 
sont  faits  prisonniers,  ainsi  qu'une  dizaine  de  fuyards. 
Goupil,  Téondéchoren,  Tsondatsaa,  Totiri,  Ononhoraton  et 
la  jeune  Thérèse  sont  du  nombre.  Eustache  Ahasistari  et 
Guillaume  Couture  étaient  parvenus  à  se  sauver  et  s'étaient 
cachés  dans  le  bois;  le  P.  Isaac  Jogues  n'avait  pas  été 
aperçu  et  semblait  hors  d'atteinte  sur  les  bords  du  fleuve  ^. 

Ici  se  passe  une  scène  de  grandeur  généreuse  et  de 
dévouement  chrétien,  que  l'historien  a  le  devoir  de 
raconter. 

Le  P.  Jogues  avait  suivi  toutes  les  péripéties  du  combat; 
il  en  connaît  l'issue  :  presque  tous  ses  enfants  sont  pri- 
sonniers. Il  se  dit  aussitôt  :  «  Pourrais-je  abandonner  ce 
bon  René  Goupil,  les  autres  Hurons  captifs,  et  ceux  qui 
A^ont  bientôt  le  devenir,  dont  plusieurs  ne  sont  jDas  encore 
baptisés?  »  Et  n'écoutant  que  son  cœur  d'apôtre,  il  va  se 
constituer  prisonnier-.  Eustache,  de  son  côté,  apprend  que 


1.  Relation  de  1642,  p.  47;  —  Le  P.  Isaac  Jogues,  ch.  V,  pp.  83  et 
suiv.;  —  Brève  relatione,  d'Alcuiii  missioni  del  P.  F. -G.  Bressani, 
parte  3^,  cap.  2  :  Del  P.  Isaac  Jogues.  Les  deux  chapitres  consacrés 
au  P.  Jogues  (parte  3^,  cap.  2  et  3),  par  le  P.  Bressani  dans  «  Brève 
relatione  »  ne  sont  que  la  traduction  très  libre  de  la  lettre  latine 
adressée  par  le  P.  Jogues,  en  1652,  au  R.  P.  Provincial,  à  Paris. 

2.  Historise  S.  J.  à  P.  Juvencio,  pars  VI,  Liber  Xlll,  res  gestce  per 
Societatem  Jesu  in  America  septentrionali  :  ((  Poterat  P.  Isaacus 
captare  latebras  et  hosteni  ancipiti  prœlio  distractum  eludere.  Ceteris 
fugientibus  constitit  in  ipso  pugnae  loco  et  ab  iroquœis,  dùm  fugaces 
persequuntur,  quasi  prsetermissus  et  ignoratus,  addubitavit  aliquam- 
diù  quid  consilii  caperet.  Demum  apud  se  statuit  christianos  ab  hoste 
ca|)tos,  ac  prœsertim  Goupilium,  qui  deducendum  ipsum  ad  Hurones 
susceperat,  non  deserere.   Igitur  ultrô  se    barbaris  obtulit  ejusdem 


—  23  — 

son  Père  est  au  pouvoir  des  ennemis.  Il  revient  sur  ses  pas 
et  se  livre  à  eux.  «  Mon  Père,  dit-il  au  P.  Jogues  en  se 
jetant  dans  ses  bras,  je  t'avais  juré  de  vivre  et  de  mourir 
près  de  toi;  nous  voilà  réunis!  »  Guillaume  Couture  était 
jeune,  ardent,  agile.  A  peine  en  dehors  de  tout  danger,  il 
se  retourne  et  ne  voyant  pas  le  P.  Jogues,  il  se  dit  : 
«  Comment  ai-je  bien  pu  l'abandonner  et  le  laisser  seul 
exposé  à  la  rage  des  Iroquois?  »  Aussitôt  il  retourne  au 
lieu  du  com])at  et  prend  sa  place  parmi  les  captifs  ^ 

Ces  trois  hommes  savaient  à  quels  tourments  la  férocité 
des  vainqueurs  destinait  les  vaincus.  Le  dévouement 
l'emporta  sur  toute  considération  personnelle. 

Guillaume  est  dépouillé  de  ses  vêtements  et  frappé  à 
coups  de  bâtons.  On  lui  arrache  les  ongles,  on  lui  broie  les 
doigts  avec  les  dents,  on  lui  perce  la  main,  on  lui  scie 
l'index  droit  avec  l'écaillé  d'un  coquillage.  Aucun  trait  du 
visage  ne  trahit  la  douleur,  tant  l'àme  est  ferme  et  résignée-. 


cum  ceteris  captivis  fortunœ  socium.  Miratus  Iroqufeus,  cui  tradita 
captivorum  ciistodia,  tam  insolcntem  in  tanto  pcriculo  fiduciam,  cunc- 
tari  primo,  demum  postulantcm  cctcris  addere.   »  (Mss.). 

i.  Le  P.  haac  Jogues,  4''  édit.,  par  le  P.  Martin,  pp.  90-97.  —  On 
lit  dans  VHistorîœ  S.  J.  à  P.  Juvencio,  p.  VI,  1.  XIII  :  «  Costurœus, 
juvenis  Gallus,  setate  viribus  que  pollens,  née  militise  rudis,  irruentes 
barbaros  non  sustinuerat  modo,  verum  etiam  repulerat,  cœso  ex  eorum 
ducibus  fortissimo,  cujus  nece  dùm  attoniti  trépidant,  conjecerat  se 
in  dcnsum  nemus.  Jam  evaserat,  cum  abesse  P.  Isaacum  respexit. 
Ubi  tereliqui,  mi  Pater,  exclamât!  Rursuspcrplexumitcr  sylvœ  revol- 
vens,  ad  amicum  et  hostes  properat.  Audit  inconditos  clamores  et 
insanos  orantiumululatus;  nec  diu  moratus,  Patremvidet  constrictum 
cum  reliquo  captivorum  agmine.  Ruit  in  medios  et  ejus  genibus  ad- 
volvitur.  (Mss.) 

2.  Le  P.  J.  Jogues,  p.  95.  —  Historiœ  S.  J.,  p.  VI,  1.  XIII  :  «  Bar- 
bari,  ut  juvenem  conspexerunt  ira  et  furore  sestuantes,  ob  ducem 
suum  ab  eo  interfectum,  invadunt  catervatim,  spoliant,  et  arreptis 
manibus  ungues  mordicus  avellunt  digitosque  comminuunt.  Unus 
etiam  manum  mediam  adacto  gladii  mucrone  perforavit.  » 


.     -■■  ■'-■■■■■■      _  24  - 

Finalement,  après  avoir  enduré  toutes  les  tortures  de  la 
faim  et  du  feu,  il  est  envoyé  à  Tionnontogen,  village  des 
Agniers,  et  confié  à  une  famille  dont  le  chef  a  péri  à  la 
guerre  K  11  eût  pu  s'enfuir,  et  le  P.  Jogues  le  lui  conseillait  : 
«  Mon  Père,  lui  répondit  Guillaume,  taschez  vous-même 
de  vous  sauver;  si  tost  que  je  ne  vous  verrai  plus,  je  trou- 
verav  les  moyens  d'évader.  Vous  sçavez  bien  que  je  ne 
demeure  dans  cette  captivité  cpie  pour  l'amour  de  vous  ; 
faites  donc  vos  efforts  de  vous  sauver,  car  je  ne  puis  penser 
à  ma  liberté  et  à  ma  vie,  que  je  ne  vous  voye  en  assu- 
rance -.   » 

Eustache  endura  des  traitements  encore  plus  atroces. 
Arrivé  chez  les  Agniers,  au  bourg  d'Andagaron,  il  est 
soumis  aux  mêmes  tourments  que  Guillaume;  puis  on  lui 
arrache  la  chevelure,  on  lui  coupe  les  deux  pouces,  et  par 
les  deux  plaies  on  fait  pénétrer  dans  les  chairs  jusqu'aux 
coudes  un  bâton  pointu,  durci  au  feu;  enfin,  après  avoir 
brûlé  lentement  toutes  les  parties  de  son  corps,  on  lui 
tranche  la  tête  avec  un  couteau.  Le  P.  Jogues  était  présent 
et  l'encourageait  :  ((  Souviens-to}',  lui  disait-il,  qu'il  y  a 
une  autre  vie  que  celle-cy  ;  souviens-toy  qu'il  y  a  un  Dieu 
qui  voit  tout  et  qui  sçaura  bien  récompenser  les  angoisses 
que  nous  souffrons  à  son  occasion.  »  «  Je  m'en  souviens 
très  bien,  répond  le  néophyte,  et  je  tiendrai  ferme  jusques 
à  la  mort  3.    » 


1.  «  Lorsque  les  Iroquois  laissent  la  vie  à  un  prisonnier,  ils  le 
donnent  à  une  famille  dont  un  membre  a  péri  à  la  guerre,  afin  qu'il 
tienne  sa  place,  et  il  est  entièrement  à  la  disposition  du  chef,  qui  a 
sur  lui  droit  de  vie  et  de  mort.  Aucun  autre  n'oserait  le  frapper  dans 
l'enceinte  du  village.  »  [Vie  du  P.  Joguefi,  par  le  P.  Martin,  p.  125.) 

2.  Relation  de  1643,  p.  76. 

3.  Relation  de  1647,  p.  21. 


BOSTON  COLLEGE  L(BRAR\ 
_    25    —  ^^^"^^UT  HILL,  MASS. 

Totiri,  Charles  Tsondatsaa  et  Téondéclioren  parvinrent 
à  briser  leurs  liens  et  à  s'échapper.  Paul  Ononchoraton,  le 
neveu  d'Eustache,  périt  d'un  coup  de  hache;  et  la  jeune 
Thérèse,  forcée  d'épouser  un  guerrier  iroquois,  ne  se  laissa 
jamais  ébranler  dans  ses  convictions  religieuses.  Douze  ans 
plus  tard,  un  missionnaire  l'ayant  rencontrée  à  Onnontagué, 
écrivait  sur  son  journal  :  «  Mon  Dieu  !  quelle  douce  conso- 
lation de  rencontrer  tant  de  foi  en  des  cœurs  sauvages 
vivant  dans  la  captivité  sans  autres  secours  que  le  ciel! 
Dieu  fait  des  apôtres  partout...  Nous  sommes  redevables  à 
la  piété  de  cette  Huronne  du  premier  baptême  d'adulte  fait 
à  Onnontagué^.    » 

René  Goupil  ne  tarda  pas  à  suivre  dans  la  mort  le  brave 
capitaine  Ahasistari.  Comme  tous  les  prisonniers,  il  souffrit 
grandement  de  la  faim,  du  feu,  de  tous  les  mauvais  trai- 
tements que  peuvent  inventer  des  sauvages  ;  mais  la  douleur 
n'arrêtait  pas  son  zèle.  Ce  jeune  homme  cherchait  dans  la 
captivité  toutes  les  occasions  de  répandre  la  foi.  Un  jour, 
un  vieillard  chez  lequel  il  habitait,  le  vit  tracer  le  signe  de 
la  croix  sur  le  front  de  son  petit-fîls,  et  les  Hollandais  lui 
avaient  appris  que  ce  signe  ne  pouvait  qu'attirer  de  grands 
malheurs.  «  Va!  Tue  ce  chien  de  Français,  »  dit  le  vieillard 
à  son  neveu.  Le  soir,  René  Goupil  se  promenait  dans  le  bois 
avec  le  P.  Jogues.  Le  neveu  s'approche  de  lui  et  décharge 
sur  sa  tête  un  violent  coup  de  hache.  Le  P.  Jogues  perdait 
dans  ce  jeune  donné  un  ami  dévoué,  le  plus  cher  de  ses 
compagnons  de  captivité.  Il  fut  tué  le  29  septembre  1642, 
après  avoir  prononcé  les  vœux  c[ui  le  liaient  d'une  manière 
définitive  à  la  Compagnie  de  Jésus  '^. 

\.  Relation  de  1654,  ch.  VI  :  Voyage  du  P.  Simon  Le  Moyne  dans 
le  païs  des  Iroquois. 

2.  Relation  de  1647,  p.  25.  —  Notice  sur  René  Goupil,  par  le  P. 
Jog-ues,  dans  la  Vie  du  P.  Jogues,  p.  335. 


—  26  — 

Nous  n'avons  encore  rien  dit  des  horribles  traitements 
infligés  au  missionnaire.  Son  martyre,  qui  dura  douze  mois, 
fut  de  tous  le  plus  long  et  le  plus  cruel  ' .  Bressani  en  donne 
les  raisons  dans  sa  Relation  ahréfjée  :  «  Lesiroquois,  dit-il, 
regardaient  le  prêtre  comme  leur  ennemi,  non  en  sa  qualité 
d'Européen ,  puisqu'ils  sont  amis  des  Hollandais ,  mais 
parce  que  nous  sommes  amis  et  protecteurs  des  sauvages 
Hurons  que  nous  travaillons  à  convertir  et  avec  lesquels  ils 
ne  veulent  pas  la  paix...  En  outre,  ils  haïssent  notre  sainte 
Foi,  qu'ils  croient  et  qu'ils  appellent  un  sortilège...  Ils  ont 
surtout  en  horreur  le  signe  de  la  croix,  parce  que  les 
Hollandais  leur  ont  fait  croire  que  c'était  une  vraie  supers- 
tition '^.   » 

Le  supplice  du  P.  Jogues  commença  le  jour  même  où  il 
se  constitua  prisonnier.  Nous  n'entrerons  pas  dans  des 
détails  que  le  lecteur  trouvera  ailleurs  longuement  décrits 
par  les  acteurs  de  cette  scène  sauvage  et  par  les  lettres 
des  Hollandais  établis  à  Orange.  Qu'il  nous  suffise 
d'indiquer  quelques  excès  de  férocité  auxquels  se  portèrent 
les  bourreaux.  Dès  le  premier  jour,  ils  lui  arrachent  les 
ongles  des  doigts  jusqu'à  la  racine,  ils  lui  mâchent  les  deux 
index  avec  les  dents  et  ils  le  frappent  si  violemment  à  coups 
de  bâtons  et  de  massue  cpi'il  tombe  à  demi  mort.  Ils  le 
ramassent,  le  mettent  sur  leurs  canots  et  le  conduisent  au 
pays  des  Agniers,  en  remontant  la  rivière  Richelieu  jusqu'au 
lac  Ghamplain.  En  route,  ils  le  traitent  comme  un  esclave, 
ils  s'en  servent  comme  d'une  bête  de  somme  pour  porter 
leurs  fardeaux.  Chez  les  Agniers,  on  le  promène  avec  ses 
compagnons    de  bourgade    en  bourgade,    d'Ossernenon   à 

d.  Le  P.  Jogues  fut  pris  le  2  août  1642  et  il  quitta  le  village  Iroquois, 
où  il  était  captif,  le  31  juillet  1643,  d'après  ce  qu'il  en  écrivit  lui-même 
au  P.  Charles  Lalemant,  le  30  août  1643.  V.  la  Relation  de  1643,  p.  7o. 

2.  Brève  relatione,  p.  46. 


—  27  — 

Andagaron,  d'Andagaron  à  Tionnontogen ,  en  le  livrant 
partout  à  la  risée  publique  sur  une  estrade  improvisée  au 
milieu  du  bourg.  Là,  chacun  se  donne  le  plaisir  de  le 
caresser,  comme  disent  les  Iroquois.  On  lui  arrache  la  barbe 
et  les  cheveux,  on  lui  scie  le  pouce  gauche,  on  lui  fait  plu- 
sieurs fois  subir  la  bastonnade  entre  deux  haies  de  sauvages. 
Ses  chairs  sont  tailladées  et  déchiquetées  avec  les  ongles 
jusqu'aux  os,  et  les  enfants,  pour  faire  leur  apprentissage 
de  cruauté,  enfoncent  des  poinçons  dans  les  chairs  endo- 
lories et  jettent  sur  le  corps  nu  du  prêtre  des  charbons 
ardents  et  des  cendres  brûlantes.  Avec  des  cordes  faites 
d'écorces  d'arbre,  ils  le  suspendent  par  les  bras  à  deux 
poteaux.  «  L'excès  de  mes  douleurs  fut  alors  si  grand,  dit 
le  patient,  que  je  conjurai  mes  bourreaux  de  relâcher  un  peu 
mes  liens;  mais  Dieu  permit  avec  raison  que  plus  mes 
instances  étaient  vives,  plus  ils  s'efforçassent  de  les 
resserrer.  »  La  nuit  ne  lui  apportait  pas  de  repos;  les 
femmes  et  les  enfants  venaient  le  tourmenter  de  toutes 
manières  ^ . 

La  gangrène  finit  par  se  mettre  dans  les  plaies,  si  bien 
qu'il  devint  bientôt  un  objet  d'horreur.  Les  sauvages 
poussent  la  raffinerie  de  la  cruauté  jusqu'à  suspendre  à 
propos  les  tortures,  et  à  laisser  la  victime  vivre  plus  long- 
temps afin  de  souffrir  plus  longuement;  sans  quoi  il  serait 
impossible  de  s'expliquer  comment  le  P.  Jogues  ne  suc- 
comba pas  à  la  violence  et  à  la  continuité  de  ses  tourments. 

Pendant  deux  mois,  après  le  meurtre  de  Goupil,  il  s'at- 
tendait chaque  jour  à  être  assommé;  et  ce  n'est  que  par 
une  protection  spéciale  de  la  Providence  qu'il  échappa  à  la 
massue  de  ses  bourreaux.  Il  servait  alors  d'esclave  au  sau- 

1.  Le  P.  Isaac  Jogues,  par  le  P.  Martin,  ch.  YI;  —  Brève  relatione, 
del  P.  Bressani,  parte  3»  ,  oop.  2. 


—  28  — 

vage,  qui  lui  coupa  le  pouce  ^.  Pendant  l'hiver,  on  le  confia 
tantôt  à  une  famille,  tantôt  à  une  autre.  Il  suivait  ses 
maîtres  à  la  chasse,  portant  sur  ses  épaules  leurs  sacs  de 
blé ,  la  viande  fumée  et  le  bois  ;  la  nuit ,  il  couchait  le 
plus  souvent  en  plein  air,  à  demi  vêtu.  Gomment  ne 
mourut-il  pas  de  fatigue  et  de  froid  ? 

Au  retour  du  printemps,  l'esclave  alla  avec  ses  maîtres  à  la 
pèche.  Le  jour,  on  le  traitait,  dii-il,  comme  une  bête  de  somme  \ 
on  l'employait  aux  besognes  les  plus  dures  et  les  plus  révol- 
tantes; le  soir,  on  lui  donnait  un  peu  de  liberté,  et  il  en  pro- 
fitait pour  se  retirer  sur  la  colline  A^oisine  et  y  goûter  dans 
le  calme  de  la  solitude  quelques  moments  de  paix.  Il  gravait 
sur  l'écorce  d'un  arbre  le  signe  sacré  de  la  croix,  et,  à 
genoux,  les  yeux  pleins  de  larmes,  il  méditait  sur  les 
exemples  du  Sauveur,  il  parcourait  en  esprit  toutes  les 
stations  du  calvaire.  Quand  il  se  croyait  seul,  il  fredonnait 
un  chant  liturgique,  et  par  des  sentiers  détournés  il  revenait 
à  la  cabane  de  ses  maîtres.  Il  se  gardait  bien  d'entrer;  on 
l'eut  jeté  à  la  porte.  Il  s'étendait  sur  la  terre  ou  il  s'asseyait 
sur  le  vieux  tronc  d'un  arbre,  et,  brisé  de  fatigue,  souvent 
dévoré  par  la  faim,  il  s'endormait  dans  la  pensée  de  Dieu 
et  attendait  le  réveil  des  sauvages  pour  reprendre  son  labeur 
d'esclave.  «  Que  de  fois  alors,  dit-il.  J'ai  versé  des  larmes 
au  souvenir  de  Sion,  non  seulement  de  la  Sion  triomphante 
dans  les  cieux,  mais  de  celle  qui  glorifie  Dieu  sur  terre! 
Que  de  fois,  bien  que  sur  une  terre  étrangère,  fai  chanté 
le  cantique  du  Seigneur  et  j'ai  fait  retentir  les  forêts  et  les 
montagnes  des  louanges  de  leur  auteur!  Que  de  fois  j'ai 
gravé  le  nom  de  Jésus  sur  les  arbres  élevés  de  la  forêt'-!  » 


4.  Consulter  sur  ce  qui  suit  :  Relation  de  1647,  ch.  V  et  VI; 
Brève  relalione,  ibid.  ;  —  Le  P.  Isaac  Jogues,  par  le  P.  Martin,  ibid. 
2.  Brève  relalione,  parte  3^  ,  cap.  2. 


—  29  — 

Dans  ces  jours  de  liberté  relative,  il  eût  pu  facilement 
prendre  la  fuite.  11  ne  le  fit  pas,  bien  qiiil  fût  condamné 
à  une  vie  plus  pénible  que  mille  morts  K  «  J'ai  résolu  de 
vivre  et  de  mourir  sur  cette  croix,  dit-il.  Qui  pourrait,  en 
ell'et,  en  mon  absence,  consoler  et  absoudre  les  captifs 
français?  Qui  rappellerait  aux  chrétiens  Hurons  leurs 
devoirs?  Qui  prendrait  soin  de  régénérer  les  enfants  dans 
les  eaux  du  baptême,  de  pourvoir  au  salut  des  adultes 
moribonds,  et  d'instruire  ceux  qui  sont  en  santé-?  » 

Dieu  bénit  un  si  grand  zèle.  «  Sans  compter  les  pri- 
sonniers Français  et  Hurons,  que  j'ai  aidés,  consolés  et 
confessés,  j'ai  régénéré,  dit-il,  depuis  ma  captivité,  dans  les 
eaux  sacrées,  soixante-dix  personnes,  enfants,  jeunes  gens 
et  vieillards  de  cinq  nations  et  de  langues  différentes  3.   » 

Dans  la  poitrine  de  cet  apôtre  battait  un  cœur  français. 
Malgré  la  surveillance  dont  il  était  l'objet,  il  put  se  rendre 
compte  des  forces  des  Iroquois  et  pénétrer  leurs  desseins  ; 
et,  au  risque  d'être  découvert  et  brûlé  vif,  il  écrivit  au 
chevalier  de  Montmagny,  gouverneur  du  Canada  :  «  Crai- 
gnez sans  cesse  et  partout  les  embûches  de  ces  hommes, 
car  des  bandes  de  guerriers  quittent  chaque  jour  le  village 
pour  aller  à  la  guerre  et  il  n'est  pas  à  croire  que  le  fleuve 
(le  Saint-Laurent)  soit  débarrassé  de  ces  sauvages  avant  la 
fin  de  l'automne^.  Ils  sont  ici  au  nombre  de  sept  cents, 
possèdent  trois  cents  fusils  dont  ils   se   servent  avec  une 

1.  Brève  relafione,  ibid. 

2.  Ihld. 

3.  Ibid. 

4.  Cette  lettre,  écrite  de  chez  les  Agiiiers,  est  du  30  juin  1643.  Le 
P.  Jogues  en  avait  déjà  écrit  trois  autres  qui  ne  parvinrent  pas  à 
destination.  Celle-ci  était  partie  en  latin,  partie  en  français,  partie  en 
huron,  afin  qu'elle  fût  inintelligible  pour  les  ennemis,  si  elle  tombait 
entre  leurs  mains. 


—  30  — 

grande  adresse  et  connaissent  plusieurs  chemins  pour 
arriver  à  la  station  des  Trois-Rivières.  Le  fort  Richelieu 
arrête  bien  un  peu,  mais  n'empêche  pas  tout  à  fait  leurs 
excursions.  Une  nouvelle  bande  vient  de  se  mettre  en 
campagne...  Ils  n'en  veulent  pas  moins  aux  Français 
qu'aux  Algonquins...  Voici,  autant  que  je  peux  le  deviner, 
le  dessein  des  Iroquois  :  prendre  tous  les  Hurons,  s'il  leur 
est  possible  ;  faire  périr  les  chefs  avec  une  grande  partie 
de  la  nation,  et  former  avec  les  autres  un  seul  peuple  et  un 
seul  pays^  » 

Cet  apôtre  au  cœur  français  n'avait  qu'une  pensée,  en 
écrivant  cette  lettre  :  rendre  un  service  signalé  à  la  Colo- 
nie française  et  à  ses  alliés,  les  Hurons  et  les  Algonquins. 
Quant  à  lui,  il  veut  être  oublié  et  traité  comme  une  quan- 
tité négligeable.  «  Ne  tenez,  dit-il  au  gouverneur,  aucun 
compte  de  ma  personne,  et  qu'aucune  considération  ayant 
rapport  à  moi  ne  vous  empêche  de  prendre  toutes  les 
mesures  qui  vous  paraîtront  plus  propres  à  procurer  la 
plus  grande  gloire  de  Dieu...  Je  forme  la  résolution  de 
jour  en  jour  plus  arrêtée,  de  rester  ici  aussi  longtemps 
qu'il  plaira  à  Notre-Seigneur,  et  de  ne  pas  chercher  à  con- 
quérir ma  liberté,  quand  même  il  s'en  offrirait  des  occa- 
sions. Je  ne  veux  pas  priver  les  Français,  les  Hurons  et 
les  Algonquins  des  secours  qu'ils  reçoivent  de  mon  minis- 
tère-. » 

Après  avoir  lu  cette  lettre,  le  supérieur  de  Québec  écri- 
vait à  son  Provincial  de  France  :  «  Elle  est  composée 
d'un  stile  plus  sublime  que  celuy  qui  sort  des  plus  pom- 
peuses écoles  de  la  rhétorique-'.  »  Cette  lettre,  écrite  d'une 

1.  Vie  du  P.  Jogues,  par  le  P.  Martin,  p.  179. 

2.  Ihid. 

3.  Relation  de  1643,  p.  G7.  Elle  est  du  P.  Vimont  et  adressée  au 
P.  Jean  Filleau,  à  Paris. 


—  31  — 

main  mutilée,  est,  en  effet,  dans  sa  belle  et  calme  simpli- 
cité, l'expression  la  plus  pure  qui  se  puisse  voir  d'une  âme 
élevée,  admirable  de  patriotisme. 

Ce  service  ne  fut  pas  le  seul  que  le  prisonnier  des  Iro- 
quois  rendit  à  ses  compatriotes.  On  sait  que  le  Gouverneur 
avait  élevé,  quelques  jours  après  la  prise  de  Jog-ues  et 
de  ses  compagnons,  le  fort  Richelieu,  à  l'embouchure  de 
la  rivière  des  Iroquois.  Ceux-ci  voulurent,  dès  le  mois 
d'août  1642,  renverser  cette  barrière,  qui  gênait  leurs 
marches  vers  le  Saint-Laurent;  mais  leurs  bandes  furent 
héroïquement  repoussées,  et  pendant  près  d'un  an  ils 
n'osèrent  pas  diriger  contre  le  fort  une  nouvelle  attaque. 
Au  mois  de  juillet  1643,  une  troupe  d'Iroquois  se  décida 
enfin  à  agir,  et  un  jeune  Huron,  Iroquisé,  qui  faisait  par- 
tie de  l'expédition,  offrit  au  Jésuite,  s'il  voulait  écrire  au 
commandant  de  Richelieu,  de  lui  porter  sa  lettre.  Cette 
offre  cachait  un  piège  ;  le  Jésuite  accepta  néanmoins,  a  Je 
connaissais  fort  bien,  dit-il,  les  dangers  où  je  m'exposais; 
je  n'ignorais  pas  que  s'il  arrivait  quelque  disgrâce  à  ces 
guerriers,  on  m'en  ferait  responsable  et  on  en  accuserait 
mes  lettres  ;  je  prévoyais  ma  mort,  mais  elle  me  semblait 
douce  et  agréable,  employée  pour  le  bien  public  et  pour  la 
consolation  de  nos  Français  et  des  pauvres  sauvages  qui 
écoutent  la  parole  de  Notre-Seigneur.  Mon  cœur  ne  fut 
saisi  d'aucune  crainte  à  la  vue  de  tout  ce  qui  en  pourrait 
arriver,  puisqu'il  y  allait  de  la  gloire  de  Dieu'.  » 

Le  P.  Jogues  se  trouvait  en  ce  moment  sur  les  bords  de 
l'Hudson ,  près  du  fort  d'Orange ,  où  ses  maîtres  se 
livraient  à  la  pèche  depuis  plusieurs  semaines.  C'était  au 
mois  d'août  1643.  Il  demande  du  papier  à  un  Hollandais 
et  il   écrit    au    commandant  de    Richelieu    d'être   sur  ses 

1.  Relation  de  1643,  p.  75. 


—  32  — 

gardes.  Le  Huron  prend  la  lettre,  et,  arrivé  au  fort,  il  se 
présente  en  qualité  de  parlementaire  et  la  remet  au  com- 
mandant. Celui-ci  la  lit  et,  pour  toute  réponse,  il  envoie 
une  décharge  de  canon  aux  Iroquois,  qui  s'enfuient  à  la 
hâte,  laissant  aux  mains  des  Français  un  canot,  des  arque- 
buses, de  la  poudre  et  du  plomba 

Honteux  et  furieux  de  l'insuccès  de  leur  entreprise,  ils 
reviennent  sur  leurs  pas,  résolus  de  brûler  vif  le  mission- 
naire. 

Les  Hollandais  apprennent  leurs  mauvais  desseins  ; 
ils  préviennent  le  P.  Jogues  et  s'offrent  à  lui  pour  procu- 
rer son  évasion.  L'apôtre  hésite  et  demande  à  réfléchir  ;  il 
voulait  examiner  devant  Dieu  ce  qu'il  convenait  de  faire  en 
la  circonstance.  La  nuit  entière  se  passe  à  prier,  à  se 
rendre  un  compte  exact  de  sa  propre  situation.  Par  suite 
de  l'échec  des  Iroquois  et  de  leurs  fâcheuses  dispositions  à 
son  égard,  la  situation  d'aujourd'hui  n'était  plus  la  même 
que  celle  d'hier  ;  la  grande  raison  qui  l'avait  empêché 
jusqu'ici  de  songer  à  son  évasion  n'existait  plus,  attendu 
que  désormais  son  ministère  ne  pourrait  être  d'aucune 
utilité.  Dans  ces  conditions,  ne  valait-il  pas  mieux  accepter 
les  offres  des  Hollandais  et  revenir  au  pays  des  Hurons, 
pour  convertir  les  payens  à  la  foi  et  affermir  les  chrétiens 
dans  leur  croyance?  L'apôtre  le  pensa  ainsi,  et,  au  lever 
du  jour,  il  fît  part  de  sa  résolution  au  commandant  hollan- 
dais du  fort,  qui  parvint  à  le  soustraire  aux  recherches 
des   sauvages  -.  Un  mois  plus  tard,  le  martyr  s'embarquait 


1.  Relation  do  1643,  p.  75. 

2.  Voir  les  détails  de  son  évasion  dans  la  i?e/ci^/c»/z  de  1643,  ch.  XIV, 
p.  74;  —  Relation  de  1647,  ch.  VII,  p.  33.  —  Narré  de  la  prise  du 
P.  Jogues,  par  le  P.  Buteux. 

Les  nombreux  récits  sur  la  prise  du  P.  Jogues,  sa  captivité  et  son 
évasion  portent  le  caractère  d'une  entière  sincérité,  dit  le  protestant 


—  33  - 

à  la  Nouvelle-Amsterdam^,  et,  le  jour  de  Noël  16i3,  il 
abordait  sur  les  côtes  de  la  Basse-Bretagne,  près  de  Saint- 
Pol  de  Léon-. 

La  nouvelle  de  son  arrestation  et  de  sa  longue  captivité 
avait  produit  à  Québec  la  plus  douloureuse  impression. 
Toute  la  colonie  avait  aussi  ressenti  vivement  les  tourments 
horribles  infligés  à  Goupil  et  aux  trois  chrétiens  Hurons, 
Eustache,  Paul  et  Etienne;  il  y  eut  un  moment  de  stupeur, 
quand  on  apprit  leur  mort. 

Au  pays  des  Hurons,  la  douleur  fut  plus  grande  encore  ; 
car  la  mission  perdait,  dans  le  P.  Jogues,  qu'elle  n'espé- 
rait plus  revoir,  un  de  ses  meilleurs  ouvriers  ;  dans  René 
Goupil,  un  de  ses  donnés  les  plus  dévoués  et  les  plus 
généreux,  et  dans  les  trois  Hurons,  martyrs  de  la  cruauté 
iroquoise,  les  j)lus  fermes  appuis  de  son  église  naissante, 
les  prémices  de  sa  foi.  Ne  recevant  aucun  secours  de  Québec, 
d'où  lui  venait  la  majeure  partie  de  ses  approvisionnements, 
elle  vivait  dans  une  immense  détresse  ;  elle  envisageait 
l'avenir  avec  inquiétude,  mais  sans  découragement.  A 
Québec,  les  courages  n'étaient  pas  non  plus  défaillants, 
quoique  la  tristesse  fût  générale.  Et  plusieurs   tentatives 

Parkmaii  ;  ils  se  corroborent  entre  eux  et  sont  appuyés  par  le  témoi- 
gnage des  prisonniers  hurons  qui  purent  s'échapper  et  les  lettres  des 
Hollandais  établis  à  Renselaerswich.  Le  pasteur  hollandais,  Jean  Mega- 
polensis,  qui  traita  le  P.  Jogues  avec  les  plus  grands  égards  pen- 
dant son  évasion,  a  aussi  écrit  sur  les  tortures  que  ce  Père  endura. 
Tous  les  historiens  modernes  et  les  Pères  Tanner  (Societas  milifans), 
du  Creux  [Hisfoi^ia  Canadensis)  et  Charlevoix  ont  tiré  en  partie 
leurs  renseignements  sur  le  P.  Jogues  des  Relations  du  Canada  et  de 
la  Brève  relatione  du  P.  Bressani. 

1.  Aujourd'hui   New-York, 

2.  Voir  aux  Pièces  Justificatives  n°  1,  le  récit,  par  le  P.  Jouvency 
(Res  gestge  in  Americae  septentrionalis  parte,  quœ  Canada  dicitur), 
de  la  captivité  du  P.  Jogues. 

Jés.  et  Nouu.-Fr.  —  T.  II  3 


—  3i  — 

furent  faites,  après  la  prise  du  P.  Jogues,  pour  rétablir  les 
relations  avec  Sainte-Marie  des  Hurons.  Toutes  échouèrent, 
les  issues  étant  trop  bien  gardées  par  les  ennemis. 

Les  Iroquois,  que  l'expérience  rendait  tous  les  jours  plus 
habiles  dans  la  guerre  de  surprises,  avaient,  en  effet,  changé 
de  tactique,  et  divisé  leurs  forces,  dès  1648,  en  dix  bandes 
de  guerriers,  destinées  à  envelopper  toute  la  Colonie  fran- 
çaise comme  dans  un  immense  réseau.  Les  deux  premières 
bandes  stationnaient  au  portage  des  Chaudières^  ;  la  troi- 
sième restait  au  pied  du  Lonc/  sault;  la  quatrième,  au  des- 
sus de  Montréal;  la  cinquième,  dans  File  même  de  Mon- 
tréal ;  la  sixième,  dans  la  rivière  des  Prairies;  la  septième, 
dans  le  lac  Saint-Pierre;  la  huitième,  près  des  Trois- 
Rivières  ;  la  neuvième,  près  du  fort  Richelieu  ;  la  dixième 
devait  envahir  le  territoire  des  Hurons  et  porter  partout  le 
fer  et  le  feu  2. 

«  Les  positions  prises  par  les  Iroquois  étaient  si  bien  choi- 
sies, dit  le  P.  Lalemant,  qu'ils  pouvaient  voir  l'ennemi  de 
quatre  à  cinq  lieues  sans  être  aperçus  eux-mêmes,  et  ils 
n'attaquaient  que  quand  ils  étaient  les  plus  forts  ^\  »  On  est 
étonné  de  trouver  dans  une  tribu  sauvage  cet  art  straté- 
gique ;  mais  elle  offre  un  grand  exemple  du  développement 
auquel  peut  parvenir  une  nation,  fîère  de  son  indépendance 
et  de  sa  liberté. 

La  nouvelle  organisation  des  forces  iroquoises  avait  un 
double  but  :  d'abord  affaiblir  les  Français  par  des  attaques 
continuelles  et  imprévues,  empêcher  toute  communication 
entre  les  forts  de  Richelieu,  de  Montréal,  des  Trois-Rivières 
et  de  Québec,  ruiner  le  commerce  des  Européens  avec  les 

1.  Près  de  l'ancienne  Bytown,  qui  a  changé  son  nom  en  celui 
d'Ottawa,  capitale  de  la  Confédération  canadienne. 

2.  Relation  de  1644,  p.  42. 

3.  Relation  de  1644. 


—  35  — 

peuples  cVen  haut;  ensuite  isoler  les  Ilurons,  pour  les 
battre  plus  facilement  et  les  détruire.  Le  premier  objectif 
était,  pour  l'instant,  le  moins  important. 

Le   second,    celui  que  le  P.  Jogues   avait  si  nettement 
indiqué   au   chevalier   de  Montmagny,   fut  poursuivi  avec 
une  précision  et  une   rigueur  implacables.    Les  Tsonnon- 
touans,  aidés  d'une  farte  bande  d'Oneiouts,   tombèrent  à 
l'improviste,    dès    1643,    sur     les    bourgades    huronnes   et 
semèrent,  partout  où  ils  passèrent,  la  désolation  et  la  mort. 
«   La    désolation    est    extrême    dans    ce   pays,    écrivait  le 
P.   Lalemant...  La  guerre  y  a  continué  ses   ravages  ordi- 
naires pendant  Tété.    Presque  tous  les   jours,   de   pauvres 
femmes  se  sont  trouvées  assommées  dans  leurs  champs  ;  les 
bourgs  ont  été  dans  des  alarmes  continuelles,  et  toutes  les 
troupes  qui  s'étaient  levées  en  bon  nombre  pour  aller  don- 
ner la  chasse  à  l'ennemi  sur  les  frontières,  ont  été  défaites 
et  mises  en  déroute,  les  captifs  emmenés  à  centaines  ;  et 
souvent  nous  n'avons  point  eu  d'autres  courriers  et   por- 
teurs de  ces   funestes  nouvelles,  que  de  pauvres  malheu- 
reux échappés  du  ^milieu  des  flammes,  dont  le  corps  demi 
brûlé  et  les  doigts  des  mains  coupés,  nous  donnaient  plus 
d'assurance  que  leur   parole   même,   du  malheur    qui    les 
avait  accueillis  eux  et  leurs  camarades.  Ce  fléau  du  ciel  en 
était  d'autant  plus  sensible  qu'il  était  accompagné  de  celui 
de  la  famine,  universelle  parmi  toutes  ces  nations  à  plus 
de  cent  lieues  à  la  ronde.  Le  blé  d'inde,  qui  est  ici  l'unique 
soutien  de  la  \ie,  y  était  si  rare  que  les  plus  accommodés 
à  peine  avaient-ils  pour  ensemencer  leurs  terres  ;  plusieurs 
ne  vivaient  que  d'un  peu  de  gland,  de  potirons  et  de  ché- 
tives  racines  qu'ils  allaient  souvent  chercher  bien  loin  en 
des  lieux  de  massacre  et  qui  n'étaient  battus  que  des  pas 
de  l'ennemi...  Mais  la  plus  forte  épine  que  nous  ayons,  est 


—  36  - 

que  les  ennemis  de  ces  peuples,  ayant  le  dessus  par  le  moyen 
des  arquebuses,  qu'ils  ont  de  quelques  Européens,  nous 
sommes  maintenant  comme  investis  et  assiégés  de  tous  cotés, 
sans  pouvoir  soulag-er  la  misère  d'une  infinité  de  peuples 
qui  vivent  encore  dans  l'ignorance  du  vrai  Dieu,  ni  rece- 
voir même  du  secours  de  la  France  qu'avec  des  peines 
incroyables  ^  » 

Cette  lettre,  écrite  de  Sainte-Marie  des  Hurons,  est 
datée  du  dernier  jour  de  mars  16i4. 

Un  mois  plus  tard-,  le  P.  Vimont,  supérieur  de  Québec, 
chargeait  le  P.  Bressani  de  porter  aux  missionnaires 
Hurons  des  lettres  et  plusieurs  paquets^.  Ils  n'avaient  rien 
reçu  depuis  trois  ans. 

François-Joseph  Bressani,  né  à  Rome  le  6  mai  1612, 
était  entré  dans  la  Compagnie  de  Jésus  à  l'âge  de  quatorze 
ans,  après  sa  première  année  de  philosophie^.  Les  épreuves 
du  noviciat  et  ses  études  philosophiques,  puis  sa  théologie 
terminées,  il  occupa,  tour  à  tour  et  avec  succès,  les  chaires 
de  littérature,  de  philosophie  et  de  mathématiques.  On  le 
destinait  à  l'apostolat  des  grandes  villes  ;  il  préféra  l'apos- 
tolat des  sauvages  du  Nouveau-Monde.  Arrivé  à  Québec  en 
16i2,  il  y  commença  sa  vie  d'apôtre,  auprès  des  Français, 

1.  Relation  de  1644,  pp.  lOo,  106  et  107. 

2.  27  avril  1644, 

3.  Relation  de  1644,  p.  4i. 

4.  Le  P.  Bressani  entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  au  noviciat 
de  Rome,  le  15  août  1626.  Après  le  noviciat, il  termine  sa  philosophie 
au  collège  Romain  (1628-1630).  Il  est  professeur  à  Sezze  de  cinquième 
(1630-1631),  de  quatrième  (1631-1632),  et  à  Tivoli  de  troisième  (1632- 
1633);  il  fait  trois  ans  de  théologie  au  collège  Romain  (1633-1636)  et 
une  quatrième  année  au  collège  de  Clermont,  à  Paris  (1 636-1637).  Après 
sa  troisième  année  de  probation  faite  à  Paris,  il  enseigne  la  rhéto- 
rique, la  philosophie  et  les  mathémathiques,  et  il  part  pour  le  Canada, 
en  1642.  (Arch.  gén.  S.  J.) 


—  37  — 

et  la  continua,  aux  Trois-Rivières,  auprès  des  Algonquins. 
Il  se  formait,  il  s'essayait  à  de  plus  rudes  labeurs  ;  il  se 
préparait  par  le  travail  et  la  prière  à  une  destinée  qui  lui 
avait  été  prédite.  Avant  de  quitter  la  France,  une  grande 
âme,  éclairée  de  Dieu,  lui  avait  dit  ce  qui  lui  arriverait  un 
jour  ^ 

Le  P.  Bressani  partit  des  Trois-Rivières  le  27  avril, 
accompagné  de  six  sauvages  chrétiens  et  d'un  jeune  Fran- 
çais, montés  sur  trois  canots.  Le  troisième  jour,  il  tomba 
dans  une  embuscade  d'Iroquois,  non  loin  du  fort  Richelieu. 
Tous  sont  faits  prisonniers;  les  lettres  sont  saisies  et  déchi- 
rées, et  toutes  les  provisions,  destinées  aux  missionnaires 
Hurons,  capturées. 

Un  brave  Huron,  Bertrand  Sotrioskon,  avait  été  tué  en 
se  défendant.  Les  Iroquois  lui  coupent  par  morceaux  les 
bras  et  les  jambes,  ils  les  font  bouillir  avec  le  cœur  dans  la 
marmite;  ils  les  dévorent,  puis  ils  se  mettent  en  route 
et  remontent  la  rivière  Richelieu  jusqu'au  canton  des 
Agniers.  Iroquois  et  prisonniers  s'arrêtent  au  village 
d'Ossernenon. 

Comme  Jogues,  Bressani  a  raconté  ses  propres  souffran- 
ces. Son  récit,  modèle  de  pureté  littéraire  et  de  simplicité, 
est  inséré  dans  sa  Brève  relatione,  pid^liée  de  son  vivant  à 
Macérata  et  dédiée  au  cardinal  de  Lugo.  En  le  lisant,  on 
éprouve  je  ne  sais  quel  sentiment  d'horreur  et  de  dégoût 
mêlé  à  une  profonde  et  religieuse  sympathie.  Rien  de  plus 
émouvant  que  cette  narration,  où  les  plus  douloureuses 
péripéties  se  mêlent  aux  plus  belles  luttes  intérieures  et 
aux  sentiments  les  plus  élevés.  Nous  ne  donnerons  pas  ici 

1.  Biographie  du  P.  Bressani,  par  le  P.  Martin,  pp.  i3  et  suiv.,  dans 
la  «  Relation  abrégée  de  quelques  missions  des  Pères  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus  dans  la  Nouvelle-France  »,  traduction  de  Brève  rela- 
tione du  P.  François-Joseph  Bressani. 


—  38  — 

tous  les  détails  de  cette  dure  captivité  :  il  faudrait  pour 
cela  transcrire  toutes  les  lettres  du  P.  Bressani.  Celui  qui 
les  écrit  n'a  plus  qu'un  doigt  entier  à  la  main  droite,  et  le 
sang,  qui  coule  de  ses  plaies  ouvertes,  salit  son  papier. 
L'encre  est  faite  de  poudre  à  fusil  délayée  et  la  terre  lui 
sert  de  table  i. 

((  Je  ne  raconterai  pas,  dit-il,  tout  ce  que  j'eus  à  souffrir 
pendant  le  voyage,  du  fort  Richelieu  à  Ossernenon.  Il  suffit 
de  dire  que  nous  avions  à  porter  nos  bagages  dans  les  bois, 
par  des  chemins  non  frayés,  où  on  ne  trouve  que  des  pierres, 
des  ronces,  des  trous,  de  l'eau  et  de  la  neige;  celle-ci 
n'avait  pas  encore  entièrement  disparu.  Nous  étions  nu- 
pieds,  et  nous  restions  à  jeun  quelquefois  jusqu'à  trois  ou 
quatre  heures  de  l'après-midi,  et  souvent  pendant  la  journée 
entière...  Le  soir  venu,  j'étais  chargé  d'aller  chercher  le 
bois  et  l'eau,  et  de  faire  la  cuisine  quand  il  y  avait  des 
provisions.  Lorsque  je  ne  réussissais  pas  ou  que  je  compre- 
nais mal  les  ordres  que  je  recevais,  on  n'épargnait  pas  les 
coups. 

«  Le  quatrième  jour,  qui  était  le  Lj  de  mai,  nous  nous 
trouvâmes  vers  trois  heures  et  avant  d'avoir  rien  pris,  sur 
les  bords  d'une  rivière  où  étaient  réunis  pour  la  pêche 
quatre  cents  sauvages.  Ils  vinrent  au  devant  de  nous  et  à 
deux  cents  pas  de  leurs  cabanes,  ils  enlevèrent  tous  nos 
vêtements  et  me  firent  marcher  en  tête.  Les  jeunes  gens 
formaient  une  haie  à  droite  et  à  gauche,  tous  armés  d'un 
bâton,  à  l'exception  du  premier,  qui  tenait  un  couteau. 
Quand  je  voulus  m'avancer,  celui-ci  me  barra  le  passage,  et 
saisissant  ma  main  gauche,  il  la  fendit  avec  son  couteau, 
entre  l'annulaire  et  le  petit  doigt  ;  il  le  fît  avec  tant  de 
force  et  de  violence  que  je  crus  qu'il  voulait  m'ouvrir  la 

i.  Lettre  an  R.  P.  Général.  Dn  pays  des  Iroqnois,  lo  jnillet  1G44. 
{Brève  relationc,  p.  31.) 


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main  entière.  Les  autres  commencèrent  alors  à  me  frapper 
avec  leurs  bâtons,  et  ils  ne  cessèrent  que  quand  je  fus 
arrivé  au  théâtre  qu'ils  avaient  préparé  pour  nous  tour- 
menter. Il  nous  fallut  monter  sur  ces  écorces  grossières, 
élevées  de  neuf  palmes  au  dessus  de  terre ,  de  manière  à 
donner  à  la  foule  le  loisir  de  nous  voir  et  de  se  moquer  de 
nous.  J'étais  tout  couvert  du  sang  qui  coulait  de  toutes  les 
parties  de  mon  corps,  et  le  vent,  auquel  nous  étions  expo- 
sés, était  assez  froid  pour  le  geler  immédiatement  sur  ma 
peau...  Un  capitaine,  me  voyant  transi  de  froid,  me  rendit 
la  moitié  d'une  vieille  soutane  d'été  en  lambeaux  :  c'était 
assez  pour  me  cacher,  mais  non  pour  me  réchauffer... 

«  On  nous  retint  quelque  temps  dans  ce  lieu,  entière- 
ment à  la  discrétion  et  à  l'indiscrétion  des  jeunes  gens  et 
des  enfants,  qui  me  piquaient,  me  frappaient,  m'arrachaient 
les  cheveux  et  la  l^arbe,  etc.. 

«  Le  soir  venu,  les  capitaines  criaient  à  pleine  A^oix 
autour  des  cabanes  :  réunissez-vous,  jeunes  gens,  et  venez 
caresser  nos  prisonniers.  Ils  accouraient  et  se  réunissaient 
dans  une  grande  cabane.  Là,  on  m'enleva  le  lambeau  de 
vêtement  qu'on  m'avait  donné,  et  dans  cet  état  de  nudité, 
ceux-ci  me  piquaient  avec  des  bâtons  aigus  ,  ceux-là  me 
brûlaient  avec  des  tisons  ardents  ou  des  pierres  rougies  au 
feu;  d'autres  se  servaient  de  cendres  brûlantes  ou  de  char- 
bons enflammés.  Ils  me  faisaient  marcher  autour  du  feu  sur 
la  cendre  chaude,  sous  laquelle  ils  avaient  planté  en  terre 
des  bâtons  pointus...  Puis  ils  passaient  environ  un  quart 
d'heure  à  me  brûler  un  ongle  ou  un  doigt.  Il  ne  me  reste 
maintenant  qu'un  seul  doigt  entier,  et  encore  ils  en  ont 
arraché  l'ongle  avec  les  dents.  Un  soir,  ils  m'enlevaient  un 
ongle,  le  lendemain  la  première  phalange,  le  jour  suivant 
la  seconde.  J'étais  obligé  de  chanter  pendant  ce  supplice. 
Ils  ne  cessaient  de  me  tourmenter  jusqu'à  une  heure  ou 


—  40  — 

deux  heures  de  la  nuit.  Ils  me  laissaient  alors  ordinaire- 
ment lié  à  terre  et  sans  abri.  Je  n'avais  pour  lit  et  pour 
couverture  qu'un  morceau  de  peau,  la  moitié  trop  petit. 
J'étais  même  souvent  sans  aucun  vêtement,  car  ils  avaient 
déjà   déchiré  le  morceau  de  soutane  qu'on  m'avait  donné... 

«  Nous  partîmes  de  là  le  26  mai,  et,  après  plusieurs 
jours  de  marche,  nous  arrivâmes  au  premier  village  de  la 
nation,  à  Ossernenon,  Ici,  notre  réception  ressembla  à  la 
première  et  fut  encore  plus  cruelle  ;  car  outre  les  coups  de 
poing  et  les  coups  de  bâton  que  je  reçus  dans  les  parties  les 
plus  sensibles  du  corps,  ils  me  fendirent  encore  une  fois  la 
main  gauche  entre  le  doigt  du  milieu  et  l'index,  et  leur 
bastonnade  fut  telle  que  je  tombai  à  terre  demi-mort. 
Comme  je  ne  me  relevais  pas  parce  que  j'en  étais  incapable, 
ils  continuaient  à  me  frapper  surtout  sur  la  poitrine  et  sur 
la  tête.  J'aurais  certainement  expiré  sous  leurs  coups,  si  un 
capitaine  ne  m'eût  pas  fait  traîner  à  force  de  bras  sur  un 
théâtre  formé  décorées  comme  le  premier.  Là,  ils  me  cou- 
pèrent le  gros  doigt  de  la  main  gauche  et  fendirent  l'index. 
Le  soir,  un  sauvage  me  fît  entrer  dans  sa  cabane.  Nous 
fûmes   tourmentés   dans   cette   circonstance   avec   plus   de 

cruauté    et    d'audace    que  jamais Ils   disloquèrent   les 

doigts  des  pieds  et  me  percèrent  un  pied  avec  un  tison.  Je 
ne  sais  ce  qu'ils  n'essayèrent  pas. 

((  Après  avoir  satisfait  à  leur  cruauté,  ils  nous  envoyèrent 
dans  un  A-illage,  à  neuf  ou  dix  mille  plus  loin.  Ici  on  ajouta 
aux  tourments  dont  j'ai  parlé,  celui  de  me  suspendre  par 
les  pieds,  tantôt  avec  des  cordes,  tantôt  avec  des  chaînes 
que  leur  donnaient  les  Hollandais.  Pendant  la  nuit,  je 
restais  étendu  sur  la  terre  nue,  et  attaché,  selon  leur  cou- 
tume, à  plusieurs  piquets,  par  les  pieds,  les  mains  et  le 
cou.  Pendant  six  ou  sept  nuits,  les  moyens  qu'ils  prirent 
pour  me  faire  souffrir  sont  tels  qu'il  ne  m'est  pas  permis  de 
les  décrire. 


«  Après  un  pareil  traitement,  je  devins  si  horrible  que 
tout  le  monde  s'éloignait  de  moi  ;  on  ne  m'approchait  que 
pour  me  tourmenter...  J'étais  couvert  d'insectes,  sans  pou- 
voir m'en  délivrer  ni  m'en  défendre.  Les  vers  naissaient 
dans  mes  plaies.  J  étais  devenu  un  fardeau  pour  moi-même, 
de  sorte  cpie,  si  je  n'avais  consulté  que  moi,  j'aurais 
regardé  la  mort  comme  un  gain...  Je  la  désirais  et  je 
l'attendais,  mais  non  sans  éprouver  une  vive  horreur  du 
feu...  Cette  mort  ne  vint  pas.  Le  19  juin,  contre  mon 
attente,  je  fus  donné  à  une  vieille  femme,  afin  de  remplacer 
son  aïeul,  tué  autrefois  par  les  Hurons;  au  lieu  de  me 
brûler  selon  les  désirs  et  l'avis  de  tous,  elle  me  racheta  de 
leurs  mains,  au  prix  de  quelques  grains  de  porcelaine  i.    » 

La  vieille  Iroquoise  trouva  son  nouveau  parent  trop 
infirme  et  trop  maladroit  pour  lui  rendre  des  services.  Elle 
le  vendit  aux  Hollandais  pour  une  somme  de  deux  cent 
cinquante  à  trois  cents  francs.  Sa  captivité  avait  duré  quatre 
mois.  Les  Hollandais  le  firent  conduire  à  La  Rochelle,  où 
il  arriva  au  mois  de  novembre  16i4~. 

Dans  sa  lettre  au  R.  P.  Général,  Mutio  Vitelleschi,  le 
P.  Bressani  faisait  cette  réflexion  à  la  suite  de  l'énuméra- 
tion  de  ses  horribles  tourments  :  «  Je  n'aurais  jamais  cru 
que  l'homme  eût  la  vie  si  dure  !  »  On  s'étonne,  en  effet, 
qu'il  ait  pu  résister  à  un  si  douloureux  martyre.  Ce  qui 
étonne  encore  plus,  c'est  la  parfaite  liberté,  c'est  la  sérénité 
de  l'âme  dans  la  douleur.  «  Quoique  je  fusse  à  chaque 
instant  à  deux  doigts  de  la  mort  ,  mon  esprit ,  dit-il,  a 
toujours  conservé  la  même   liberté  et  je  pouvais  donner  à 


1.  Brève  relatione,  part.  II,  cap.  II.  —  Nous  avons  donné  la  tra- 
duction du  P.  Martin,  Relation  abrégée^  pp.  116  et  suiv. 

2.  Voir  aux  Pièces  jui^li/icatives,  n°  II,  le  récit  de  la  captivité  du 
P.  Bressani,  fait  par  le  P.  Jouvancy  et  extrait  de  son  ouvrage  inédit  : 
<(  Res  gestœ  in  Americse  Septentrionalis  parte  quœ  Canada  dicitur.  » 


—  42  — 

chaque  action  une  attention  complète.  Mon  corps  était  clans 
un  abattement  extrême;  je  pouvais  à  peine  ouvrir  les  lèvres 
pour  réciter  un  Notre  Pcre^  tandis  qu'intérieurement  je 
m'occupais  avec  la  plus  entière  lilDcrté...  Dieu  me  fît  la 
grâce  d'arrêter  en  moi  jusqu'au  premier  mouvement  d  indi- 
gnation contre  mes  l)ourreaux  et  de  m'inspirer  même  des  sen- 
timents de  compassion  pour  eux...  Je  n'étais  pas  insensible 
à  la  douleur;  je  la  sentais  vivement.  Mais  j'avais  intérieu- 
rement une  telle  force  pour  la  supporter,  que  j'étais  étonné 
de  moi-même,  ou  plutôt  de  l'abondance  de  la  grâce,  et  je 
croyais  me  trouver  dans  le  même  état  que  David,  lorsqu'il 
disait  :  Au  milieu  de  nies  tribulations  vous  avez  dilate'  mon 
cœur  K  J'estime  plus  cette  grâce  que  celle  de  ma  déli- 
vrance '.  » 

Cette  page  est  le  plus  beau  j^anégyrique  du  P.  Bressani  : 
l'apôtre  et  le  religieux  s'y  révèlent  dans  leur  perfection. 

On  raconte  que  la  reine-régente,  Anne  d'Autriche,  ayant 
entendu  le  récit  de  la  captivité  et  de  la  délivrance  du 
P.  Jogues,  dit  aux  dames  de  la  cour  :  «  On  fait  tous  les 
jours  des  romans  qui  ne  sont  que  mensonges.  En  voici  un 
qui  est  une  vérité,  et  où  le  merveilleux  se  trouve  joint  à 
l'héroïsme  le  plus  admirable.  »  Elle  eut  pu  dire  la  même 
chose  du  martyre  du  P.  Bressani;  et  aucune  parole  ne  sau- 
rait résumer  en  termes  plus  vrais  le  long  et  douloureux 
supplice  de  ces  deux  hommes. 

Le  séjour  en  Europe  du  P.  Bressani  ne  fut  pas  de  longue 
durée.  La  Nouvelle-France,  arrosée  de  son  sang,  restait 
toujours  l'objet  de  ses  désirs;  il  j  revint  l'année  suivante. 
Le  P.  Jogues  l'avait  précédé  depuis  un  an,  n'ayant  d'autre 

1.  In  tribiilatione  dilastasti  me.  (Ps.  VI,  2.) 

2.  Lettre  à  ses  amis,  datée  de  Tîle  de  Rhé,  16  novembre  164-4. 
{Brève  relatione,  pp.  46  et  suiv.) 


—  43  — 

ambition  que  de  vivre  et  de  mourir  sur  la  terre  de  ses  pre- 
miers travaux  et  de  ses  sanglantes  douleurs.  Il  semblait 
même,  à  l'entendre  parler,  qu'elle  eût  un  attrait  de  plus, 
depuis  qu'il  y  avait  souffert.  Tous  deux  aA'aient  les  mains 
mutilées  ;  c'était  un  empêchement  canonique  pour  la  célé- 
l)ration  des  Saints-Mystères.  Leur  piété  s'alarmait  juste- 
ment d'une  privation,  qui  devenait  pour  le  prêtre  le  plus 
g-rand  des  sacrifices.  Les  Pontifes  de  Rome  levèrent  l'ob- 
stacle. Urbain  VIII  répondit  au  P.  Isaac  Jogues  :  ((  Il  serait 
indig-ne  de  refuser  à  un  martyr  de  Jésus-Christ  de  boire  le 
sang-  de  Jésus-Christ  ^  »  Innocent  X  baisa  avec  respect  les 
cicatrices  du  P.  Bressani  et  lui  dit  affectueusement  :  «  Vous 
avez  été  mutilé  pour  la  pul)lication  de  l'Evang-ile  ;  vous  ne 
devez  pas  être  privé  de  l'honneur  d'offrir  le  Saint-Sacri- 
fîce  -.  » 

Quand  ce  dernier  rentra  k  Québec  vers  le  milieu  de  I()i5, 
un  grave  événement  s'accomplissait,  d'où  l'on  semblait 
attendre  beaucoup  pour  la  pacification  de  la  Nouvelle- 
France.  Iroquois,  Hurons,  Algonquins,  Montagnais,  Atti- 
kamègues  et  Français,  réunis  aux  Trois-Rivières,  y  traitaient 
de  la  paix. 

Le  gouverneur  de  Montmagny  avait  provoqué  cette 
réunion.  Ses  alliés  étaient  en  partie  démoralisés.  Lui- 
même  ne  pouvait  faire  la  loi  aux  Iroquois  ni  punir  leur 
audace;  il  avait  à  peine  assez  de  soldats  pour  faire  res- 
pecter les  postes  français.  Le  commerce  et  l'agriculture 
étaient  en  souffrance  par  suite  de  la  guerre.  Il  n'y  avait 
de  sécurité  nulle  part.  Toute  la  colonie  souhaitait  la  paix, 
pourvu  qu'elle  se  fît  sans  compromettre  l'honneur  et  la 
dignité  de  la  France. 

1.  Indignum  essct  Christi  martyrem,  Christi  non  libcre  sanguincm. 

2.  Histoire  de  V Hôtel-Dieu  de  Québec,  p.  53. 


Un  fait,  assez  insisnifîant  en  soi,  fournit  au  GouA^er- 
neur  le  moyen  d'entrer  en  négociation  avec  Tennemi. 
Il  retenait  prisonniers  quelques  guerriers  iroquois,  dont 
l'un  était  un  chef  agnier.  11  renvoya  ce  dernier  dans 
son  pa^'s  et  le  chargea  de  dire  aux  Cantons,  que  s'ils  vou- 
laient sauver  la  vie  aux  autres  captifs,  il  fallait  envoyer 
sans  délai  des  ambassadeurs  avec  pleins  pouvoirs  pour 
conclure  la  paix. 

La  Confédération  iroquoise  s'affaiblissait  de  jour  en  jour, 
malgré  ses  succès,  à  cause  des  pertes  considérables  que  la 
guerre  causait  dans  les  rangs  des  soldats.  Aussi  un  parti 
puissant,  surtout  dans  le  canton  des  Agniers,  demandait 
ou  à  enterrer  la  hache  de  guerre  '  ou  à  la  jeter  dans  la 
rivière  '^. 

La  démarche  du  gouverneur  produisit  l'effet  désiré.  Deux 
mois  après,  le  chef  agnier,  accompagné  de  deux  ambassa- 
deurs du  même  canton,  se  présentait  au  commandant  des 
Trois-Rivières,  M.  de  Champflour,  et  demandait  une 
audience  au  grand  Ononthio  ^'.  C'est  ainsi  que  les  tribus 
indiennes  appelaient  M.  de  Montmagny.  A  la  tête  de 
l'ambassade  se  trouA  ait  un  grand  capitaine,  parleur  infati- 
gable, Kiotsaeton,  le  plus  fourbe  et  le  plus  rusé  sauvage  de 
son  canton.  Guillaume  Couture^,  qu'on  avait  rendu  à  la 
liberté,  était  avec  les  députés,  vêtu  à  l'iroquoise. 

1.  Faire  une  paix  définitive. 

2.  Suspendre  les  hostilités  pour  un  temps.  7?e7)rV/îer  la  hache,  c'est 
recommencer  la  guerre. 

3.  Ononthio,  grande  Montagne,  interprétation  du  nom  de  Mont- 
magny. Ce  fut  le  nom  donné  depuis  par  les  tribus  sauvages  à  tous 
les  gouverneurs  du  Canada. 

4.  Couture  alla  très  jeune  au  Canada,  et  travailla  d'abord  dans  la 
mission  huronne.  On  le  voit  dès  1640  sur  la  liste  des  donnés.  Dans 
le  catalogue  des  emplois,  il  figure  tantôt  comme  menuisier,  tantôt 
avec  la  simple  indication  ad  miiIta,  preuve  de  l'utilité  de  ses  services. 
Il  fut  négociateur  de  la  paix  avec  les  Iroquois,  ce  qui  lui  valut  la  fin 


Le  12  juillet,  l'audience  eut  lieu  sous  une  tente  dressée 
dans  la  cour  du  fort.  A  une  extrémité,  siég-eait  le  gouver- 
neur, ayant  à  ses  côtés  le  commandant  de  Ghampflour,  le 
P.  Vimont,  le  P.  Jogues  et  tout  l'état-major  en  grande 
tenue.  En  face,  à  l'autre  extrémité,  se  tenaient  les  Algon- 
quins. Les  Français  et  les  Hurons  avaient  pris  place  à 
droite  et  à  gauche  de  la  vaste  salle.  x\u  milieu,  l'ambas- 
sade iroquoise  avait  étalé  ses  présents,  quatorze  colliers  de 
porcelaine. 

Kiotsaeton  se  lève,  regarde  le  soleil,  prend  l'un  après 
l'autre  les  colliers,  explique  longuement  le  sens  de  chacun, 
les  offre  au  gouverneur,  et,  après  avoir  parlé,  chanté,  gesti- 
culé comme  un  pitre  pendant  près  de  trois  heures,  il 
demande  que  les  niiarjes  se  dispersent  et  que  le  soleil  de  la 
paix  luise  sur  tout  le  pays.  Sa  harangue  se  termine  par  une 
danse  à  laquelle  prennent  part  tous  les  sauvages.  Le  lende- 
main, grand  festin  oflert  par  le  gouverneur  aux  amis  et 
aux  ennemis. 

Le  14,  nouvelle  réunion  sous  la  grande  tente.  M.  de  Mont- 
magny  répond  par  quatorze  présents  à  ceux  des  Iroquois;  et 
les  articles  du  traité  de  paix  sont  arrêtés.  Piescaret,  capitaine 
des  Algonquins  de  l'île,  présente  aux  ambassadeurs  quel- 
ques peaux  de  castor  et  leur  dit  au  nom  de  sa  nation  : 
((  Voici  une  pierre  que  je  mets  sur  la  fosse  de  ceux  qui 
sont  morts  aux  derniers  combats,  afin  qu'on  ne  remue  plus 

de  sa  captivité.  Laissé  libre  de  rompre  son  contrat  comme  donné,  il 
se  maria  et  fut  la  souche  d'une  nombreuse  famille.  Il  ne  mourut 
qu'en  1702  à  Tàge  de  quatre-vingt-quatorze  ans.  (17e  du  P.  Jorjues, 
p.  261.) —  Dans  une  consulte  tenue  par  les  Pères  Jésuites  à  Québec, 
le  26  avril  1646,  le  mariage  de  Couture  fut  approuvé  :  «  Le  mariag-e 
de  Cousture,  approbatum  omnium  consensu,  »  [Journal  des  Jésuites, 
P-43.) 

V.  le  Dictionnaire  généalogique  des  familles  canadiennes,  par  l'abbé 
Cyprien  Tang-uay,  t.  I,  p.  147. 


__  46  — 

leurs  os,  et  qu'on  perde  la  mémoire  de  ce  qui  leur  est 
arrivé,  sans  plus  jamais  songer  à  la  vengeance.  »  Noël 
Negahamat,  capitaine  Montagnais,  se  lève  à  son  tour  et 
offre  cinq  grandes  peaux  d'élans  :  «  Voilà,  dit-il  aux  Iro- 
quois,  de  quoy  vous  armer  les  pieds  et  les  jambes,  de  peur 
que  vous  ne  vous  blessiez  au  retour,  s'il  restait  encore 
quelque  pierre  au  chemin  que  vous  avez  applany.  » 

Trois  coups  de  canon  annoncent  la  fin  de  la  séance  et  la 
conclusion  de  la  paix. 

Le  lendemain ,  les  ambassadeurs  montent  sur  leurs 
canots  et  regagnent  leur  paj  s. 

La  tâche  n'était  pas  terminée.  La  paix  était  conclue  avec 
les  Agniers;  mais  les  autres  cantons  tenaient  toujours  la 
hache  levée;  et  la  plupart  des  chefs  des  nations  alliées  de 
la  France  ignoraient  ce  qui  venait  de  se  passer  aux  Trois- 
Rivières.  Avant  le  départ  des  Iroquois,  il  fut  convenu  que 
les  ambassadeurs  feraient  ratifier  le  traité  par  Tasseml^lée 
générale  des  Cantons  confédérés  et  que  le  gouverneur  le 
soumettrait  èi  l'approbation  des  capitaines  Hurons  et  Algon- 
quins, absents  lors  de  la  réunion  des  Trois-Rivières. 

Une  seconde  réunion  pour  la  confirmation  de  la  paix  fut 
fixée  au  mois  de  septembre.  Jusque  là  tout  acte  d'hostilité 
était  absolument  interdit. 

Ce  fut  pour  toute  la  colonie  française  une  lieure  de  vrai 
soulagement,  de  joie  indicible,  quand  elle  apprit  la  conclu- 
sion de  la  paix.  Ses  alliés  ne  furent  pas  moins  heureux.  De 
l'embouchure  du  Saint-Laurent  à  l'Ottawa,  de  l'Ottaw^a  au 
lac  Huron,  on  remarquait  dans  les  guerriers  comme  une 
lassitude  générale  ;  tout  le  monde  semblait  fatigué  de  la 
guerre,  et  l'on  appelait  de  ses  vœux  ce  jour  où  la  paix 
régnerait  dans  les  soml)res  et  sanglantes  forêts  du  Nouveau- 
Monde.  Les  missionnaires  la  désiraient  plus  que  personne, 


—  47  — 

espérant  à  sa  faveur,   faire  mieux  connaître  et  révérer  le 
nom  adorable  de  Jésus-Christ. 

Soixante  canots  hurons,  chargés  de  pelleteries,  profi- 
tèrent de  ce  moment  de  paix  pour  descendre  à  Québec,  et 
le  P.  Lalemant,  nommé  supérieur  général  de  la  mission,  en 
remplacement  du  P.  Yimont,  vint  prendre  possession  de 
ses  nouvelles  fonctions.  Avant  de  quitter  Sainte-Marie  des 
Hurons,  il  avait  remis  l'autorité  entre  les  mains  du 
P.  Ragueneau. 

Le  20  septembre  eut  lieu  la  grande  assemblée  générale 
pour  la  confirmation  de  la  paix,  sous  la  présidence  du 
gouverneur  de  Québec.  A  la  lin  de  la  séance,  le  chef  de 
l'ambassade  iroquoise  se  leva,  fixa  quelque  temps  le  soleil, 
et  dit  :  «  Ononthio,  tu  as  dissipé  tous  les  nuages;  l'air 
est  serein,  le  ciel  paraît  à  découvert,  le  soleil  est  brillant. 
Je  ne  vois  plus  de  trouble,  la  paix  a  tout  mis  dans  la  calme  ; 
mon  cœur  est  en  repos,  je  m'en  vais  content.  »  La  paix 
fut  signée  i. 

Mais  quelle  certitude  pouvait-on  avoir  à  Québec  de  sa 
sincérité?  Les  négociateurs  iroquois  avaient-ils  agi  en  toute 
franchise?  Représentaient-ils  la  Confédération  des  cinq 
nations,  ou  seulement  le  canton  des  Agniers?  La  paix 
qu'ils  avaient  signée  ne  cachait-elle  pas  un  piège?  A  en 
juger  par  les  Relations,  le  doute  et  la  crainte  troublaient  le 
cœur  des  Jésuites,  qui  savaient  par  une  longue  expérience 
tout  ce  qu'il  y  a  dans  la  nature  sauvage  de  ruses,  de  faus- 
seté, de  caprices  et  de  méchanceté.  Le  gouverneur  ne  sem- 
])lait  pas  ajouter  plus  de  foi  que  les  missionnaires  aux  décla- 
rations pacifiques  des  ambassadeurs  agniers,  déclarations 

1.  Voir,  pour  tout  ce  qui  précède  sur  la  paix,  la  Relation  de  1646, 
ch.  VII,  VIII,  IX,  X  et  XI  ;  et  le  Cours  cVhistoire,  par  Ferland,  t.  I, 
ch.  IV,  p.  330. 


—  48  — 

qu'ils  renouvelèrent  solennellement,  l'année  suivante,  aux 
Trois-Rivières  K 

Il  importait  cependant,  dans  l'intérêt  de  la  colonie  et  de 
la  propagation  de  l'Evangile,  de  maintenir  le  traité  de  paix. 
Pour  y  aider,  M.  de  Montmagny  eut  la  pensée  d'envoyer 
une  ambassade  chez  les  Iroquois,  avec  mission  de  leur 
témoigner  sa  satisfaction  et  sa  joie  de  voir  enfin  la  bonne 
harmonie  si  heureusement  rétablie  -. 

Cette  ambassade  demandait  un  homme  d'un  courage 
éprouvé,  au  courant  des  usages  iroquois  et  possédant  à 
fond  leur  langue.  Elle  n'était  pas  sans  dangers  auprès  de  ces 
sauvages  aussi  crédules  qu'inconstants,  et  dont  le  tomahawk 
était  médiocrement  respectueux  des  immunités  diplomati- 
ques 3.  Le  gouverneur  jeta  les  yeux  sur  le  P.  Jogues  et 
communiqua  son  projet  au  P.  Jérôme  Lalemant^.  Celui-ci 
l'approuva  sans  hésiter^,  car  il  voyait,  à  côté  de  la  mission 
diplomatique,  une  mission  d'un  ordre  supérieur;  il  espérait 
que  l'ambassadeur  jésuite  parviendrait  peut-être  à  poser 
sur  cette  terre  des  martyrs^  les  fondements  d'un  futur 
centre  d'apostolat. 

1.  22  février  1646  {Relafion  de  1646,  p.  60). 

2.  Relation  de  1646,  p.  14. 

3.  Ihid.,  ci  Au  Paj/s  des  Iliirons,  par  le  P.  Rouvier,  p.  120. 

4.  Relation  de  1646,  p.  14. 

5.  Nous  lisons  dans  le  Journal  des  Jésuites,  commencé  en  1645  par 
le  P.  Jérôme  Lalemant  :  ((  26  avril  1646.  Je  tins  consulte  pour  le 
voyage  du  P.  Jogues  aux  Annier.  Les  consulteurs  étaient,  P.  Yimont, 
P.  de  Quen,  P.  Deudemare,  P.  P.  Pijart  :  omnium  consensu  appro- 
hata  profeclio.  » 

6.  «  Quand  je  parle  d'une  mission  iroquoise,  écrit  le  P.  Lalemant 
{Relation  de  1646,  p.  14),  il  me  semble  que  je  parle  d'un  songe,  et 
néanmoins  c'est  une  vérité  ;  c'est  à  bon  droit  qu'on  lui  fait  porter  le 
nom  des  Martyrs  ;  car,  outre  les  cruautés  que  ces  barbares  ont  déjà 
fait  souffrir  à  quelques  personnes  amoureuses  du  salut  des  âmes, 
outre  les  peines  et  les  fatig'ues  que  ceux  qui  sont  destinez  à  cette 
mission  doivent  encourir,  nous  pouvons  dire  avec  vérité  qu'elle  a 


—  49  — 

Le  P.  Jogues  desservait  alors,  depuis  quelques  mois,  la 
chapelle  de  Montréal.  C'est  là  que  vint  le  chercher  le  désir 
de  son  supérieur. 

Gomme  le  fait  remarquer  son  historien,  si  bien  domptée 
que  soit  la  nature  dans  le  cœur  des  saints,  elle  nV  meurt 
jamais  entièrement.  Irrésistiblement  gouvernée  par  une 
volonté  que  la  grâce  fortifie,  elle  garde  en  face  du  sacrifice 
ses  répugnances  et  ses  tressaillements  ^  Le  P.  Jogues 
l'éprouva  à  la  réception  du  message  du  P.  Lalemant.  Il  y 
eut  au  cœur  de  ce  vaillant  apôtre  un  premier  mouvement 
de  terreur  involontaire.  Et  comment  en  eût-il  été  autre- 
ment? Le  souA^enir  des  affreux  tourments  qu'il  avait  endu- 
rés chez  les  Agniers  était  si  récent  !  Et  la  mission  qu'on  lui 
confiait  était  peut-être  une  nouvelle  voie  du  calvaire,  le 
chemin  du  martyre  î 

«  Mais  lui  qui  avait  soutenu  le  poids  de  la  guerre,  dit 
le  P.  Lalemant,  n'était  pas  pour  reculer  dans  la  paix-.  »  Le 
2  mai  lGi6,  il  écrit  à  son  supérieur  :  <(  Groiriez-vous  bien 
qu'à  la  lecture  des  lettres  de  votre  Révérence,  mon  cœur  a 
^té  comme  saisi  de  crainte  au  commencement...  La  pauvre 
nature  qui  s'est  souvenue  du  passé  a  tremblé  ;  mais  Xotre- 
Seigneur,  par  sa  bonté,  y  a  mis  et  y  mettra  le  calme 
encore  davantage.  Oui,  mon  Père,  je  veux  tout  ce  que 
Notre-Seigneur  veut,  au  prix  de  mille  vies.  Oh  I  que  j'au- 
rais de  regret  de  manquer  une  si  ])onne  occasion!  Pour- 
rais-je  soulfrir  la  pensée  qu'il  a  tenu  à  moi  que  quelques 
âmes  ne  fussent  sauvées  !  J'espère  que  sa  bonté,  qui  ne  m'a 

déjà  été  empourprée  du  sang  d\ni  martyr,  car  le  Français  (René 
Goupil)  qui  fut  tué  aux  pieds  du  P.  I.  Jogues,  perdit  la  vie  pour 
avoir  fait  exprimer  le  signe  de  notre  créance  à  quelques  petits 
enfants  iroquois.  » 

1.  Au  pays  des  Hurons,  p.  127. 

2.  Relation  de  1646,  p.  14. 

Jés.  et  Nouc.-Fr.  —  T.  II,  4 


—  50  — 

jamais  abandonné  dans  les  autres  rencontres,  m'assistera 
encore  :  lui  et  moi  nous  sommes  capables  de  passer  sur 
le  ventre  de  toutes  les  difficultés  qui  se  pourraient  oppo- 
ser i.  » 

Il  termine  sa  lettre  par  cette  demande  :  «  Il  faudrait  que 
celui  qui  viendra  avec  moi  fût  bien  vertueux,  capal)le  de 
conduite,  courageux,  et  qu'il  voulût  endurer  quelque  chose 
j^our  Dieu  '-.  » 

Le  Gouverneur  lui  donna,  en  elfet,  un  compagnon 
tel  qu'il  le  désirait,  Jean  Bourdon,  «  homme  éner- 
gique, plein  de  bon  sens  et  de  ressources,  dévoué  à  son 
pays  d'adoption  et  toujours  prêt  à  lui  rendre  service.  Tour 
à  tour  ingénieur,  arpenteur,  légiste,  soldat,  ambassadeur, 
découvreur,  conseiller,  ce  Français  se  montra  toujours 
digne  des  fonctions  qui  lui  furent  confiées  ;  avant  tout,  il 
était  honnête  homme  et  bon  chrétien •'^.  » 

Le  16  mai,  les  deux  ambassadeurs  s'embarquent  aux 
Trois-Rivières,  accompagnés  de  quatre  Agniers  et  de  deux 
Algonquins,   et  porteurs  de  nombreux  présents.   Le   jour 

1.  Vie  du  P.Jofjues,  p.  253. 

2.  Relation  de  J647;  —  Vie  du  P.  Jogues,  p.  255. 

3.  Cours  d'histoire,  t.  I,  p.  342.  —  Jean  Bourdon,  né  à  Rouen, 
arriva  au  Canada  en  1633  ou  1634.  Il  s'occupa  activement  de  décou- 
vertes sur  la  côte  du  Labrador  et  dans  la  baie  des  Esquimaux 
(P.  Martin).  —  L'abbé  Gosselin,dans  un  article,  publié  sous  ce  titre  : 
Les  Normands  au  Canada  [Revue  catholique  de  la  Normandie^ 
15  novembre  1892),  étudie  plusieurs  Normands,  qui  émigrèrent  au 
Canada  dans  la  première  moitié  du  xvii°  siècle.  Le  premier  person- 
nage qu'il  étudie  est  Jean  Rourdon.  M.  l'abbé  Sauvage  en  parle  éga- 
lement dans  la  Seriiaine  religieuse  de  Rouen,  26  novembre  1892.  Ces 
articles  renferment  plus  d'une  erreur  sur  quelques  détails  de  l'histoire 
de  la  Nouvelle-France.  Quant  à  Jean  Bourdon,  il  était,  d'après  l'abbé 
Sauvage,  ingénieur  et  architecte  ;  à  son  arrivée  au  Canada, 
août  1634,  il  fut  attaché  à  la  personne  du  Gouverneur,  et  joua  un 
grand  rôle  dans  l'organisation  du  pays  et  de  la  ville  de  Québec  ;  il 
traça  aussi  la  première  carte  du  Canada  français. 


—  51  — 

de  la  Fête-Dieu,  ils  touchent  à  rextrémité  Nord  du  lac 
Andiatarocté,  que  le  P.  Jogues  nomme  Saint-Sacrement  ^  ; 
ils  passent  à  Ossaragué-,  où  le  missionnaire  revoit  la  jeune 
Thérèse,  la  console  et  la  fortifie  ;  enfin  ils  arrivent  à  Osser- 
nenon,  la  veille  de  la  Sainte-Trinité '^ 

Le  10  juin,  assemblée  générale  des  capitaines  et  des 
anciens  du  canton  des  Agniers,  à  laquelle  assistent 
quelques  Iroquois  Onnontagués. 

Le  P.  Jogues  se  lève,  et,  au  milieu  d'un  profond  silence, 
il  exprime,  au  nom  d'Ononthio  et  de  tous  les  Français, 
la  joie  immense  et  universelle  qu'a  excitée  dans  la  colonie 
la  paix  conclue  entre  les  Iroquois,  les  Français,  les 
Hurons  et  les  Algonquins.  «  Le  feu  du  conseil  est  allumé 
aux  Trois-Rivières,  ajoute-t-il  ;  il  ne  s'éteindra  plus^.  »  Le 
discours  fini,  il  donne  et  reçoit  en  retour  beaucoup  de  pré- 
sents, et  la  paix  est  de  nouveau  confirmée. 

Paix  apparente  !  L'ambassadeur  ne  se  fait  aucune  illu- 
sion sur  l'avenir  de  cette  harmonie  de  surface.  Il  ne  tarde 
pas,  en  effet,  à  s'apercevoir  que  les  Agniers  seuls  ont 
signé  la  paix,  et  uniquement  avec  les  Français  ;  sa  convic- 
tion intime  est  qu'ils  la  rompront  à  la  première  occasion 

1.  Aujourd'hui  lac  Georges.  —  Le  général  Johnson  remplaça  par  le 
nom  de  Georges,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  Saint-Georges, 
patron  de  l'Angleterre,  le  nom  chrétien  de  Saint-Sacrement.  Ce  fut  en 
souvenir  de  George  IV  d'Angleterre.  Le  romancier  Cooper  a  fait  du 
lac  George  le  théâtre  de  plusieurs  de  ses  romans.  Le  lac  a  trente- 
quatre  milles  de  long,  et  sa  largeur  varie  d'un  à  quatre  milles  ;  il  est 
semé  d'îles.  Pendant  plus  d'un  siècle,  il  fut  la  grande  voie  de  com- 
munication entre  le  Canada  et  le  fleuve  Hudson.  V.  En  Canot  de 
papier,  par  N.  H.  Bishop,  traduit  par  Iléphell,  pp.  39-41. 

2.  Chaussée  du  Castor,  lieu  de  pèche  fréquenté  par  les  Iroquois. 
C'est  le  4<^  village  des  Agniers,  dont  on  ne  connaît  pas  au  juste  l'em- 
placement. 

3.  Le  P.  Jogues  donna  alors  à  ce  village  le  nom  de  Sainte-Tri- 
nité. 

4.  Relation  de  1646,  pp.  15  et  16. 


—  52  — 

et  au  moindre  prétexte.  Il  apprend  aussi  que  les  autres 
cantons  font  toujours  la  guerre  à  leurs  ennemis  et  qu'une 
bande  de  guerriers,  postée  en  ce  moment  sur  les  rives  de 
l'Ottawa,  guette  au  passage  les  Hurons  descendant  à  Qué- 
bec i. 

Il  visite  à  la  hâte  les  cabanes  pour  confesser  les  prison- 
niers chrétiens  et,  le  seize  du  même  mois,  il  reprend  avec 
son  escorte  la  route  des  Trois-Rivières. 

L'impression  n'était  pas  et  ne  pouvait  pas  être  favorable 
sur  les  dispositions  pacifiques  de  la  confédération  -  ;  mais 
l'accueil  personnel  qu'il  avait  reçu,  principalement  de  la 
famille  du  Loup,  la  plus  considérable  de  la  nation,  l'avait 
profondément  touché.  Il  vit  là  une  indication  de  la  miséri- 
cordieuse Providence  de  Dieu  et  <(  il  ne  songea,  écrit  le 
P.  Lalemant,  qu'à  renouer  un  second  voyage  pour  s'y  en 
retourner,  et  surtout  auparavant  l'hiver,  ne  pouvant  souffrir 
d'être  si  longtemps  absent  de  son  épouse  de  sang.  Il  fît  si 
bien  qu'il  en  trouva  l'occasion  sur  la  fin  de  septembre,  et 
partit  des  Trois-Rivières  le  24  de  ce  mois  (1646),  en  compa- 
gnie d'un  jeune  homme  français,  de  quelques  Iroquois  et 
autres  sauvages  3.  » 


i.  Relation  de  1646,  p.  il. 

2.  Le  P.  Jogiies  écrivait,  au  retour  de  son  ambassade,  à  un  Jésuite 
de  France  :  «La  paix  a  été  conclue  au  grand  contentement  des  Fran- 
çais. Elle  durera  ce  qu'il  plaira  à  Notre-Seigneur.  »  {Vie  du  P.  Jogues, 
p.  272.) 

3.  Relation  de  1646,  p.  17.  —  Au  sujet  du  retour  du  P.  Jogueschez 
les  Iroquois,  le  Journal  des  Jésuites  dit  (an  1646)  :  ((  Le  9  juillet  je 
(P.  Lalemant)  tins  consulte  pour  le  retour  aux  Iroquois  du  P.  Jogues. 
Le  P.  Le  Jeune,  le  P.  Vimont  et  le  P.  Jogues  y  estaient.  Il  fut  conclu 
que,  si  autre  chose  n'arrivait,  il  n'y  irait  point  liyverner,  et  se  tien- 
drait à  Montréal  et  aux  Trois-Rivières;  que  si  quelque  occasion  belle 
se  présentait  d'y  aller,  il  ne  la  fallait  pas  refuser.  «Le  même  Journal 
ajoute,  au  mois  de  septembre  :  ((  Le  P.  Jogues  devait  partir  le  24 
pour  son  hyvernement  aux  Iroquois,  avec  Lalande,  Otrihouré,  Huron 


—  53  — 

Avant  de  s'embarquer,  il  eut  comme  un  vague  pressenti- 
ment de  ce  qui  devait  bientôt  lui  arriver.  Il  écrivait  à  un 
Jésuite  de  France,  dépositaire  des  secrets  de  son  âme  : 
((  Le  cœur  me  dit  que  si  j'ai  le  bien  d'être  employé  dans 
cette  mission,  iho  et  non  redito,  j'irai  et  je  ne  reviendrai 
pas  ;  mais  je  serais  heureux  si  Notre-Seigneur  voulait  ache- 
ver le  sacrifice  là  où  il  l'a  commencé,  et  que  le  peu  de 
sang  répandu  en  cette  terre  fût  comme  les  arrhes  de  celui 
que  je  lui  donnerais  de  toutes  les  veines  de  mon  corps  et 
de  mon  cœur^  » 

Ces  graves  pressentiments  ne  devaient  pas  tarder  à  se 
réaliser.  En  route,  on  prévient  les  voyageurs  qu'un  revire- 
ment subit  de  l'opinion  publique  s'est  produit  chez  les 
Agniers  ;  les  sauvages,  effrayés,  refusent  d'aller  plus  loin  et 
abandonnent  le  P.  Jogues,  qui  se  met  au  gouvernail  et  con- 
tinue sa  marche  sur  la  rivière  des  Iroquois  avec  le  jeune 
donné,  Jean  Lalande,  chrétien  de  marque,  natif  de  Dieppe-. 


yroquisé  et  deux  ou  trois  autres  Hurons  qui  allaient  voir  leurs  parents 
captifs.  »  D'après  la  Relation  de  1646,  p.  17,  le  P.  Jogues  partit,  en 
effet,  des  Trois-Rivières,  le  24  septembre.  • 

Le  21  septembre,  trois  jours  avant  son  départ,  le  P.  Jogues  écrivit 
à  Nantes,  au  P.  André  Castillon,  jésuite,  une  lettre  intéressante 
qu'on  trouvera  aux  Pièces  Justificatives,  n°  111. 

1.  Relation  de  1647,  p.  37. 

2,  M,  N.-E.  Dionne  dit  dans  an  article  intitulé  :  Figures  oubliées 
de  notre  histoire  [Revue  Canadienne,  juin  1888,  p.  389)  :  a  Le  Jour- 
nal des  Jésuites  mentionne  la  mort  tragique  de  deux  donnés,  Lalande 
et  Robert  Le  Coq,  surnommé  Le  Bon.  Le  24  septembre  1G4G,  le 
P.  Jogues  partit  pour  passer  Thiver,  amenant  Jean  de  Lalande  et 
Le  Coq,  comme  compagnons  de  voyage  et  de  dangers.  Le  P.  Jogues 
et  Lalande  furent  massacrés  par  ces  barbares.  Le  Coq  échappa  à  la 
fureur  de  ces  monstres.  Mais  le  20  août  1650,  il  fut  pris  près  des 
Trois-Rivières,  par  les  sauvages  de  la  même  tribu  et  massacré  sans 
miséricorde.  »  Le  Coq,  d'après  le  Journal  des  Jésuites,  p.  142,  fut 
en  effet  massacré  en  août  1650  :  (c  Le  22  arriva  la  nouvelle  delà  mort 
de  Robei-t  Le  Coq...,  proche  des  Trois-Rivières;  mais  le  Journal  ne 


—  54  — 

Le  revirement  de  l'opinion  était  réel.  Comment  était-il 
donc  survenu? 

Sa  mission  diplomatique  terminée,  le  P.  Jog-ues 
avait  confié  à  son  hôte,  au  moment  de  repartir  pour  les 
Trois-Rivières,  une  petite  caisse  renfermant  divers  objets 
à  son  usage  personnel.  Ayant  alors  la  pensée  bien 
arrêtée  de  venir  se  fixer  dans  ce  pays  sur  la  fm  de 
l'automne,  il  voulut  ainsi  s'éviter  la  peine  d'un  nouveau 
transport.  Toutefois,  comme  il  connaissait  la  nature 
inquiète  et  soupçonneuse  des  barbares,  il  eut  soin  d'ouvrir 
la  malle  et  de  leur  montrer  tout  ce  qu'elle  contenait  ;  puis 
il  la  referma.  Or,  quelque  temps  après,  une  maladie  con- 
tagieuse, qui  lit  beaucoup  de  victimes,  s'abattit  sur  la 
contrée,  et  des  vers  détruisirent  presque  complètement  la 
récolte.  La  désolation  était  grande;  on  consulta  les  Jon- 
gleurs, on  étudia  les  songes,  et,  faute  de  mieux,  on  finit 
par  découvrir  que  la  malle  du  P.  Jogues  était  ensorcelée, 
qu'elle  était  l'unique  cause  des  maux  qui  désolaient  la 
nation.  Des  Hurons  et  des  Algonquins,  prisonniers  chez 
les  Iroquois,  les  confirmèrent  dans  cette  croyance^. 

Aussitôt  deux  partis  se  forment  parmi  les  Agniers  :  le 
parti  de  l'Ours  réclame  la  guerre,  le  parti  du  Loup  et  de  la 
Tortue  prêche  pour  le  maintien  de  la  paix.  Le  premier,  celui 
de  l'action  et  de  la  violence,  devait  prévaloir.  Il  lève  la 
hache,  et,  divisé  en  deux  bandes,  il  se  dirige  sur  Montréal. 
L'une  d'elles  rencontre  le  P.  Jogues  et  son  compagnon  près 
du  lac  Saint-Sacrement. 


dit  pas  qu'il  accompagna  le  P.  Jogues  chez  les  Iroquois;  il  ne  parle, 
p.  65,  que  de  Lalande  :  «  Le  P.  Jogues  devait  partir  le  24  (septembre) 
pour  son  hyvernement  aux  Iroquois  avec  Lalande.  » 

1.  Relation  de  1647,  chap.  VIII,  pp.  36  et  suiv.  ;  —  Parkman,  The 
Jesuifs  in  Norlh  America,  cap.  XVIII  ;  —  Le  P.  Isaac  Jogues,  par  le 
P.  F.  Martin,  ch.  XIII,  pp.  267  et  suiv. 


—  55  — 

On  se  jette  sur  eux,  on  les  dépouille,  et,  k  coups  de 
poing  et  de  bâton,  on  les  conduit  à  Ossernenon.  «  Vous 
mourrez  demain,  leur  disait-on  ;  mais  ne  craignez  pas,  vous 
ne  serez  pas  brûlés.  Vos  têtes  tomberont  sous  nos  haches 
et  nous  les  planterons  sur  les  pieux  qui  entourent  notre  village , 
pour  les  montrer  longtemps  à  ceux  de  vos  frères  que  nous 
prendrons.  »  Le  P.  Jogues  essaye,  à  plusieursreprises,deleur 
faire  comprendre  la  gravité  de  leur  conduite.  Il  est  venu  à 
eux,  dit-il,  sur  la  foi  des  traités,  en  pleine  paix,  sur  l'invi- 
tation formelle  qui  lui  en  a  été  faite  par  les  chefs  de  la 
nation. 

Les  représentations  de  la  victime  ne  font  qu'exaspérer 
les  bourreaux.  Un  sauvage  lui  coupe  des  morceaux  de 
chair  sur  les  bras  et  sur  le  dos,  et  les  dévore  en  disant  : 
«  Voyons  si  cette  chair  blanche  est  une  chair  de  manitou  I  » 
Le  patient  le  regarde  et  lui  répond  avec  un  grand  calme  : 
«  Non,  je  ne  suis  qu'un  homme  comme  vous  tous.  Mais  je 
ne  crains  ni  la  mort  ni  les  tourments.  Pourquoi  me  faites- 
vous  mourir?  Je  suis  venu  dans  votre  pays  pour  cimenter 
la  paix,  affermir  la  terre  et  vous  montrer  le  chemin  du 
ciel  ;  et  vous  me  traitez  comme  une  bète  fauve  !  Craignez 
les  châtiments  du  maître  de  la  vie.  » 

La  division,  cependant,  existait  dans  le  canton.  Les 
familles  du  Loup  et  de  la  Tortue  voulaient  sauver  la  vie 
des  prisonniers  et  invoquaient  le  traité  de  paix  signé  avec 
les  Français,  à  la  demande  des  ambassadeurs  iroquois;  la 
famille  de  l'Ours  réclamait  la  mort  dans  les  termes  les  plus 
violents.  Pour  ne  pas  créer  une  haine  irréconciliable  entre 
les  trois  familles,  il  fut  convenu  qu'on  en  référerait  à  une 
assemblée  générale  des' anciens  et  des  capitaines  du  canton, 
et  l'assemblée  se  réunit  le  18  octobre  à  Tionnontogen,  la 
plus  considérable  des  bourgades  des  Agniers.  Là,  le  parti 
de  la  paix  l'emporta  :  on  décida  de  remettre  les  captifs  en 
liberté. 


—  5G  — 

Mais,  pendant  que  l'assemblée  délibérait,  quelques  sau- 
vages de  la  famille  de  l'Ours  formèrent  le  complot  de  se 
débarrasser  eux-mêmes,  de  leur  autorité  privée,  des  deux 
prisonniers  français.  Le  P.  Jogues  priait  dans  sa  cabane, 
quand  on  vint  l'inviter  à  prendre  son  repas  chez  le  capi- 
taine de  ces  sauvages.  Il  se  lève  et  s'y  rend  sans  défiance; 
et  au  moment  où  il  franchit  le  seuil  de  la  cabane,  un  Indien, 
caché  derrière  la  porte,  lui  fend  la  tête  d'un  violent  coup 
de  hache.  Le  lendemain,  Lalande  subit  le  même  sort  ^  On 
trancha  la  tête  des  deux  martyrs  et  on  les  plaça  sur  des 
pieux  de  la  palissade  d'enceinte,  la  face  tournée  vers  le 
chemin  par  où  ils  étaient  venus.  Le  corps  fut  jeté  à  la 
rivière . 

Lorsque  les  députés  de  Tionnontogen  apportèrent  a  Osser- 
nenon  la  décision  de  l'assemblée,  le  crime  était  consommé. 
Ils  blâmèrent  les  assassins  ;  mais  là  se  bornait  le  droit  de 
répression-. 

1.  ((.Jean  Lalande,  de  Dieppe,  voyant  les  dangers  où  il  s'engageait 
dans  ce  périlleux  voyage,  protesta,  à  son  départ,  que  le  désir  de  servir 
Dieu,  le  portait  en  un  pays  où  il  s'attendait  bien  d'y  rencontrer  la 
mort.  »  [Relation  de  1647.  p.  39.)  Il  était  donné  de  la  Compagnie 
(Journal  des  Jésuites,  p.  196). 

2.  Voir,  pour  tout  ce  qui  concerne  le  martyre  du  P.  Jogues  :  Rela- 
tion de  la  Nouvelle-France,  année  1647,  ch.  VIII  ;  —  Lettre  de  Labatie, 
datée  du  fort  d'Orange,  à  M.  Lamontagne,  30  oct.  1646,  insérée  dans 
la  Vie  du  P.  Jogues,  par  le  P.  Martin;  —  Lettre  de  Guillaume  Kieft, 
gouverneur  de  Manhatte,  à  M.  de  Montmagny,  datée  du  fort  d'Ams- 
terdam en  la  Nouvelle-Belgique,  14  nov.  1646;  —  Lettre  du  P.  de 
Quen  au  R.  P.  Lalemant;  —  Récit,  ms.  du  P.  Buteux;  —  Vie  du  P. 
Jogues,  par  le  P.  Martin;  —  Histoire  de  la  Nouvelle-France,  par  le 
P.  de  Charlevoix,  p.  274  et  suiv.,  t.  I;  —  Cout\^  dliistoire,  pp.  343  et 
344;  —  I^ettres  de  la  Mère  Marie  de  V Incarnation,  p.  419  et  suiv.  ;  — 
The  Jesuits  in  North  America,  cap.  XVIII;  —  Bressani,  Rreve  rela- 
tione,  parte  3»  ,  cap.  III;  —  Tanner,  Societ.  Jesu  usque  ad  sanguinem 
militans,  p.  510;  —  Alegambe,  Mortes  illustres,  p.  616;  —  Cassani, 
Vai^ones  ilustres,  t.  I,  p.  601  ;  —  Ferland,  Cours  d'histoire,  1.  III,  ch. 
III;  —  Bancroft,  History  of  the  United  States,  t.  II,  pp.  790  et  suiv.; 


—  57  — 

Le  P.  Jogues  fut  assassiné  le  18  octobre  1646,  au  villag-e 
d'Ossernenon  K 

Dans  la  lettre  que  nous  avons  citée  plus  haut,  le  P. 
Jogues  formait  le  vœu  d'être  inséparablement  uni  à  Notre- 
Seigneur.  Ce  vœu  était  exaucé;  il  le  fut  peut-être  plus  tôt 
qu'il  ne  le  pensait,  pas  plus  qu'il  ne  le  désirait,  car  son 
cœur  avait  toujours  aspiré  à  soutfrir  et  à  mourir  pour  le 
nom  sacré  de  Jésus-Christ  2. 

En  apprenant  sa  mort,  la  colonie  et  les  missionnaires  le 
resrardèrent  comme  un  martvr  de  la  foi.  «  Nous  avons 
respecté  cette  mort,  écrit  le  P.  Lalemant,  comme  la  mort 
d'un  martyr.  Quoique  nous  fussions  ici  séparés  les  uns  des 
autres  quand  nous  l'avons  apprise,  plusieurs,  sans  pouvoir 
se  consulter,  n'ont  pu  se  résoudre  à  célébrer  pour  lui  la 
messe  des  trépassés.  Mais  ils  ont  présenté  l'adorable  sacri- 
fice en  actions  de  grâces  des  bienfaits  que  Dieu  lui  avait 
élargis.  Les  séculiers  qui  l'ont  connu  plus  particulièrement, 
et  les  maisons  religieuses,  ont  aussi  respecté  cette  mort, 
et  se  sont  trouvés  portés  à  l'invoquer  plutôt  qu'à  prier  pour 
son  âme. 

«  En  effet,  c'est  la  pensée  de  plusieurs  hommes  doctes 
(et  cette  pensée  est  plus  que  raisonnable),  que  celui-là  est 

—  Faillon,  Histoire  de  la  Colonie  française  au  Canada,  t.  II,  pp.  60, 
61,  65  et  66;  —  Shea,  History  of  the  cafholic  missions  amoncj  ihe 
indian  tribes,  p.  497  ;  —  Vi/a  P.  Isaaci  Jor/ues,  ms.  de  la  Bibliothèque 
d'Orléans;  — Isaac  Jogues,  dans  les  Précis  hislo/^iques,  1°ï"  avril  18oo. 
L'assassin  du  P.  Jogues  fut  fait  prisonnier  par  les  Algonquins  et 
condamné  à  mort.  Avant  de  mourir,  il  se  convertit  et  raconta  toutes 
les  circonstances  des  derniers  moments  du  missionnaire  ;  son  récit 
est  de  tout  point  conforme  à  celui  des  Hurons,  prisonniers  des 
Agniers,  qui  parvinrent  à  s'échapper.  (Lettres  de  Marie  de  Vlncar- 
nation,  p.  436;  —  Relation  de  1647,  ch.  VIII.) 

1 .  Relation  de  1 668,  p.  6.  La  Relation  appelle  ce  village  Gandaoùac/in'. 

2.  Relation  de  1647,  ch.  VIII  ;  —  Lettres  de  la  M.  Marie  de  Vlncar- 
nation,  p.  421. 


—  58  — 

Yraiment  martyr  devant  Dieu,  qui  rend  témoignage  au  ciel 
et  à  la  terre,  et  qui  fait  plus  d'état  de  la  foi  et  de  la  publi- 
cation de  l'Evangile  que  de  sa  propre  vie,  la  perdant  dans 
les  dangers  où  il  se  jette  pour  Jésus-Christ,  protestant 
devant  sa  face  qu'il  veut  mourir  pour  le  faire  connaître. 
Cette  mort  est  la  mort  d'un  martyr  devant  les  anges.  Et 
c'est  dans  cette  vue  que  le  P.  Joguesarendu  sa  vie  à  Jésus- 
Christ  et  pour  Jésus-Christ. 

«  Je  dis  bien  davantage  :  non  seulement  il  a  embrassé 
les  moyens  de  publier  l'Evangile,  qui  l'ont  fait  mourir, 
mais  encore  on  peut  assurer  qu'il  a  été  tué  en  haine  de  la 
doctrine  de  Jésus-Christ. 

«  En  effet,  les  Algonquins,  les  Hurons  et  ensuite  les 
Iroquois,  à  la  persuasion  de  leurs  captifs,  ont  eu,  et  quelques- 
uns  ont  encore  une  haine  et  une  horreur  extrême  de  notre 
doctrine,  disant  qu'elle  les  fait  mourir  et  qu'elle  contient 
des  sorts  et  des  charmes  qui  causent  la  destruction  de  leurs 
blés  et  qui  engendrent  des  maladies  contagieuses  et  popu- 
laires, dont  maintenant  les  Iroquois  commencent  à  être 
affligés.  C'est  pour  ce  sujet  que  nous  avons  pensé  être 
massacrés  en  tous  les  endroits  où  nous  avons  été,  et  encore 
ne  sommes-nous  pas  de  présent  hors  d'espérance  de  posséder 
un  jour  ce  bonheur. 

«  Or  tout  ainsi  qvi'on  reprochait  jadis  en  la  primitive 
Eglise  aux  enfants  de  Jésus-Christ  qu'ils  causaient  des 
malheurs  partout,  et  qu'on  en  massacrait  quelques-uns  j^our 
ce  sujet,  de  même  sommes-nous  persécutés  parce  que  par 
notre  doctrine,  qui  n'est  autre  que  celle  de  Jésus-Christ, 
nous  dépeuplons,  à  ce  qu'ils  disent,  leurs  contrées,  et  c'est 
pour  cela  qu'ils  ont  tué  le  P.  Jogues.  On  le  peut  donc  tenir 
pour  martyr  devant  Dieu  ^    » 

i.  Relation  de  1647,  p.  38.  —  On  sait  que  le  troisième  concile 
plénier  de  Baltimore  a  signé  un  postulatum  au  Saint-Siège  pour  faire 


J^VLIL  C         Ji 


o^c^Acef 


L'auteur  du  Cours  dliistoire  termine  le  récit  de  la  mort 
de  ce  vaillant  apôtre  par  un  portrait  d'une  merveilleuse 
ressemblance  :  «  11  était,  dit-il,  d'une  simplicité  et  d'une 
douceur  admirables  dans  le  commerce  ordinaire  de  la  vie; 
cependant,  s'agissait-il  de  l'accomplissement  d'un  devoir, 
il  se  montrait  ferme  et  inébranlable.  Dans  les  occasions 
importantes,  avant  de  se  décider  à  prendre  un  parti,  il  exa- 
minait l'affaire  longuement  et  devant  Dieu;  sa  décision  une 
fois  prise,  il  la  suivait  sans  bruit,  avec  une  grande  simpli- 
cité, mais  aussi  avec  la  force  et  la  persévérance  que  la 
conscience  du  devoir  peut  seule  inspirer.  Ondcssonk  ^^  lui 
disaient  les  Agniers,  tu  fais  V enfant  quand  on  te  commande 
quelque  chose,  mais  tu  fais  bien  le  maître  quand  tu  veux. 
Tu  te  feras  tuer;  tu  parles  trop  hardiment.  Tu  es  prison- 
nier dans  notre  pays,  tu  es  seul  de  ton  partie  et  tu  nous 
tiens  tête.  Que  ferais-tu  si  tu  étais  en  liberté  parmi  tes  gens'-? 
Il  s'étonnait  quelquefois  lui-même  de  la  hardiesse  avec 
laquelle  il  les  reprenait.  Comme  il  avait  fait  par  avance  le 
sacrifice  de  sa  liberté  et  de  sa  vie,  il  se  montrait  élevé  au 
dessus  de  toute  crainte,  et  par  son  courage  et  sa  noble  fran- 
chise il  forçait  les  plus  intelligents  de  ces  barbares  à  le 
respecter.  Lors  de  sa  mort,  le  P.  Jogues  n'avait  que  qua- 
rante-huit ans  •^.    » 

Cette  mort  devint  le  signal  de  la  rupture  de  la  paix  et  de 
la  reprise  des  hostilités.  Pour  ne  pas  se  brouiller  ni  créer 
au  sein  de  la  nation  des  haines  irréconciliables,  les  trois 
grandes  familles  des  Agniers,  l'Ours,  le  Loup  et  la  Tortue 

introduire  la  cause  de  la  Béatification  du  P.  Isaac  Jogues,  de  René 
Goupil  et  de  la  Vierge  iroquoise  Catherine  Tegakouita,  morte  en 
odeur  de  sainteté  dans  la  mission  du  Sault-Saint-Louis. 

1.  C'est  le  nom  que  les  Iroquois  donnaient  au  P.  Jogues. 

2.  Relation  de  1647,  p.  41. 

3.  Cours  criiistoire,  p.  344. 


—  60  — 

finirent  par  voter  la  guerre,  malgré  les  ^protestations  de 
quelques  capitaines  influents  comme  Le  Berger  i  et  Kiot- 
saeton.  C'était  la  minorité  qui  imposait  ses  volontés  à  la 
majorité.  Les  autres  cantons  n'avaient  pas  désarmé.  A 
partir  de  ce  jour,  la  lutte  sera  plus  chaude  que  jamais;  nous 
allons  assister  à  une  guerre  d'extermination. 

Dès  le  mois  de  novembre,  les  guerriers  entrent  en  cam- 
pagne. A  Montréal,  ils  surprennent  et  massacrent  des 
Hurons  et  deux  colons,  qui  n'étaient  pas  sur  leurs  gardes, 
se  croyant  en  pleine  paix  -.  Ils  pillent  et  livrent  aux  flammes 
le  fort  Richelieu,  laissé  sans  monde,  au  dire  de  Dollier  de 
Gasson  ^\  Aux  environs  des  Trois-Rivières,  ils  rencontrent 
Piescaret,  leur  plus  redoutable  ennemi,  qui  vient  à  eux, 
comme  à  des  amis,  en  chantant  un  chant  de  paix]  ils  le 
transpercent  d'un  coup  d'épée  et  le  scalpent^.  Aux  Trois- 
Rivières,  ils  pénètrent,  jDcndant  le  Saint-Sacrifice  de  la 
messe,   dans   deux   maisons,  un   peu   écartées  du   fort,  et 

1.  Le  Berger  avait  été  fait  prisonnier  par  les  Algonquins  et  mis  en 
liberté  par  M.  de  Montmagnv.  Ilfut  si  touché  de  ce  procédé  qu'il  jeta 
sa  hache  au  feu  en  s'écriant  :  ((  Voilà  ma  fureur  vaincue  ;  je  mets  bas 
les  armes;  je  suis  votre  ami  pour  toujours.  »  Il  tint  parole.  A  Osser- 
nenon,  il  fit  tous  ses  efforts  pour  sauver  le  P.  Jogues.  N'ayant  pu 
empêcher  la  rupture  de  la  paix,  il  refusa  de  prendre  les  armes.  Plus 
tard  il  se  fit  chrétien,  et  mourut  en  France.  Kiotsaeton,  le  chef  de 
l'ambassade  de  1644,  traita  de  perfidie  criminelle  fassassinat  du 
P.  Jogues  et  devint,  par  son  franc  parler,  suspect  à  la  famille  de 
l'Ours. 

2.  Relation  de  1647,  pp.  3  et  74. 

3.  Histoire  du  Montréal,  1646,  1647. 

4.  Relation  de  1647,  p.  7;  —  Mémoire  de  N.  Perrot,  p.  108.  — 
Piescaret  était  le  plus  illustre  des  chefs  algonquins  et  la  terreur  des 
Iroquois.  Nicolas  Perrot  raconte  dans  son  Mémoire  ses  exploits  et  ses 
aventures,  qui  tiennent  de  la  légende.  [Mémoire  imprimé  par  le  P. 
Tailhan,  pp.  107  et  108.)  Consulter  sur  ce  capitaine,  qui  se  convertit 
et  devint  bon  chrétien,  tout  en  conservant  sa  rudesse  sauvage  :  i?e/a- 
tioji  de  1647,  pp.  68  et  72;  — Relation  de  16o0,  p.  43;  — Charlevoix, 
t.  I,  pp.  266  et  277;  —  Cou/^s  d'histoire,  p.  334,  etc.. 


-  61  — 

emportent  tout  ce  qui  s'y  trouve,  habits,  couvertures, 
arquebuses,  poudre,  plomb,  etc.  i;  puis,  partagés  en  deux 
bandes,  ils  vont  à  la  recherche  des  Algonquins,  en  ce 
moment  à  la  chasse,  les  uns  au  Nord,  les  autres  au  Sud  du 
Saint-Laurent.  Ils  massacrent  les  vieillards,  les  femmes  et 
les  enfants;  ils  tuent  le  capitaine  Jean-Baptiste  Manitou- 
nagouch,  vaillant  chrétien,  filleul  du  commandant  dAille- 
boust,  et  Bernard  Ouapmangouch,  un  des  chefs  algonquins 
les  plus  braves  et  les  plus  adroits.  Pour  tourner  en  dérision 
le  mystère  sacré  de  la  croix,  ils  étendent  un  enfant  de 
quatre  à  cinq  ans  sur  une  écorce,  à  laquelle  ils  clouent  ses 
mains  et  ses  pieds  avec  des  bâtons  aigus".  Puis  ils 
emmènent  prisonniers  plusieurs  capitaines,  tous  les  guer- 
riers et  les  jeunes  gens,  à  l'exception  de  cinq  qui  par- 
viennent à  s'échapper 3.  Il  n'y  avait  parmi  les  captifs  que 
des  néophytes  et  des  catéchumènes.  Arrivés  chez  les 
Agniers,  ils  sont  distri])ués  dans  tous  les  villages,  et  là 
battus^  brûlés,  bouillis  et  rôtis ^.  Dans  l'horreur  des  tour- 
ments, ils  montrent  un  courage  héroïque  et  meurent  tous 
en  chrétiens.  Des  femmes,  trainées  en  captivité,  qui  ont 
trouvé  le  moyen  de  s'enfuir,  apportent  ces  nouvelles  aux 
Trois-Rivières  ^. 

1.  Journal  des  Jésuites,  p.  79  ;  —  Lettres  de  la  M.  Marie  de  V Incar- 
nation, p.  422;  —  Relation  de  1647,  p.  4. 

2.  Relation  de  1647,  pp.  4,  5  et  6  ;  —  Lettres  de  la  Mère  Marie  de 
rincarnation,  pp.  422,  423,  424. 

3.  Ihid. 

4.  Lettres  de  la  Mère  Marie  de  V Incarnation,  p.  424. 

5.  Ihid.,  p.  425.  —  Parmi  les  captives  se  trouvait  Marie,  femme  de 
Jean-Baptiste  Manitounagouch,  qui,  après  deux  mois  d'aventures  les 
plus  extraordinaires,  arrive  à  Villemarie  et  de  là  est  conduite  aux 
Trois-Rivières  (V.  Lettres  de  Marie  de  V Incarnation,  p.  425).  Une 
autre  Algonquine,  prisonnière  des  Iroquois,  était  attachée,  pendant 
la  nuit,  par  les  mains  et  par  les  pieds  à  quatre  piquets.  Elle  parvient 
à  se  défaire  de  ses  liens,  casse  la  tête  d'un  coup  de  hache  à  un  Iro- 


—  62  — 

L'audace  des  Iroquois  grandit  à  tel  point  qu'ils  songent 
à  enlever  d'assaut  Trois-Rivières.  Le  plan  est  arrêté,  les 
positions  sont  prises,  quand  surviennent  inopinément  deux 
cents  Hurons,  qui  les  battent,  les  mettent  en  fuite,  s'em- 
parent de  leurs  armes  et  de  leurs  bagages  et  font  un  grand 
nombre  de  prisonniers  ^ . 

Cette  victoire  n'empêche  pas  l'épouvante  de  se  répandre 
chez  les  nations,  situées  au  nord  du  Saint-Laurent,  de 
Tadoussac  à  l'Ottawa,  des  Laurentides  au  grand  fleuve.  Elles 
n'osent  plus  descendre  à  Québec  ni  aux  Trois-Rivières  pour 
vendre  leurs  pelleteries  et  se  faire  instruire  ~.  Les  colons 
s'éloignent  peu  des  forts,  de  crainte  d'être  surpris  et  mas- 
sacrés. Les  sauvages  de  Sillery  n'osent  sortir  de  l'enceinte 
fortifiée  pour  aller  à  la  chasse  ou  à  la  pêche  ;  et  pour  les 
mettre  à  l'abri  d'un  coup  de  main,  au  temps  de  la  moisson 
et  des  semailles,  le  gouverneur  fait  construire  un  fort  au 
milieu  des  champs  '^, 

Quoique  la  situation  soit  grave,  le  courage  des  mission- 
naires et  des  Français  ne  faiblit  pas.  Le  supérieur  de  Québec 
écrit  à  la  date  du  20  octobre  1647  :  «  Il  ne  faut  pas  s'ima- 
giner que  la  rage  des  Iroquois  et  la  perte  de  plusieurs  chré- 


quois,  couché  près  de  la  porte  de  la  cabane,  et  s'enfuit,  sans  vête- 
ments. On  se  met  à  sa  poursuite,  mais  inutilement.  Après  trente-cinq 
jours  de  fatigues,  de  privations,  de  souffrances  de  toutes  sortes,  elle 
arrive  aux  Trois-Rivières  [Lettres  de  la  M.  Marie  de  V Incarnation^ 
p.  429). 

1.  Lettres  de  la  M.  Marie  de  V Incarnation,  p.  438;  —  Journal  des 
Jésuites,  p.  113. 

2.  Lettres  de  la  M.  M.  de  l'Incarnation,  p.  431.  —  Nie.  Perrot  fait 
remarquer  dans  son  Mémoire,  que  les  tribus  algonquines  cherchèrent 
à  se  réunir  pour  combattre  l'ennemi  commun  ;  mais  le  peu  d'union 
qui  régnait  entre  les  Algonquins  rompit  toutes  leurs  mesures  et  fît 
avorter  tous  leurs  projets  [Mémoire,  p.  79). 

3.  Journal  des  Jésuites,  p.  88;  —  Relation  de  1647,  pp.  7  et  8. 


—  63  — 

tiens  et  de  plusieurs  catéchumènes  soient  capables  d'évacuer 
le  mystère  de  la  croix  de  Jésus-Christ,  ny  d'arrêter  l'effi- 
cacité de  son  sang-.  Nous  mourrons,  nous  serons  pris,  nous 
serons  brûlés,  nous  serons  massacrés,  passe.  Le  lit  ne  fait 
pas  toujours  la  plus  belle  mort.  Je  ne  vois  icv  personne 
baisser  la  tête;  au  contraire,  on  demande  de  monter  aux 
Hurons,  et  quelques-uns  protestent  que  les  feux  des  Iroquois 
sont  l'un  de  leurs  motifs  pour  entreprendre  un  voyage  si 
dangereux  1.   » 

Ces  hommes  qui  allaient  si  hardiment  aux  feux  des 
Iroquois  s'appelaient  Joseph  Bressani,  Adrien  Daran, 
Gabriel  Lalemant,  Jacques  Bonnin  et  Adrien  Grêlon,  tous 
prêtres;  Nicolas  Noirclair,  Frère  coadjuteur.  Ils  étaient 
accompagnés  de  vingt-cinq  à  trente  Français,  qui  «  entre- 
prenaient un  voyage  si  long,  si  rude  et  si  dangereux,  dit  la 
Relation  de  1648,  par  amour  du  salut  des  âmes  et  non  dans 
l'espoir  d'un  lucre  passager  -.  »  Quant  aux  missionnaires, 
ajoute  la  Relation^  la  joie  paraissait  si  grande  sur  leurs 
visages,  qu'on  eût  dit  qu'ils  allaient  tous  prendre  possession 
d'une  couronne  et  d'un  empire  •^.   » 

Ils  partirent  au  mois  d'août  1648^,  au  risque  d'être  pris 
et  massacrés  en  route  par  les  Iroquois.  Hélas!  Ils  n  allaient 
pas  prendre  possession  d'une  couronne  et  d'un  empire;  ils 
allaient  assister  à  la  dernière  heure  d'une  tribu  agonisante, 
à  la  dispersion  des  tristes  débris  de  la  nation  huronne  ! 

1.  Relation  de  1647,  p.  8. 

2.  Relation  de  1048,  p.  14. 

3.  Ibicl. 

4.  Journal  des  Jésuites,  p.  113. 


CHAPITRE  NEUVIÈME 

Cession  de  la  traite  aux  colons. —  Règlements  de  1647  et  de  1648. — 
M.  d'Ailleboust,  gouverneur  de  Québec.  —  Prise  de  la  bourgade 
de  Saint-Joseph  par  les  Iroquois  ;  mort  du  P.  Daniel.  —  Destruc- 
lion  des  bourgs  de  Saint-Ignace  et  de  Saint-Louis  ;  supplice  des 
PP.  de  Brébeuf  et  G.  Lalemant.  —  Découragement  des  Hurons  ; 
leur  dispersion.  —  Abandon  et  incendie  de  Sainte-Marie.  —  Les 
Ilurons  et  les  missionnaires  à  l'ile  de  Saint-Joseph.  —  Prise  du 
])ourg  de  Saint-Jean;  mort  des  PP.  Garnier  et  Chabanel.  —  Les 
Hurons  à  Fîle  d'Orléans.  —  Derniers  débris  de  cette  nation. 

Pour  ne  pas  interrompre  la  suite  de  notre  récit,  nous 
avons  omis  quelques  événements  qui  doivent  trouver  place 
ici  à  cause  de  leur  importance. 

La  mort  de  Louis  XIII  et  celle  de  son  ministre,  le  cardi- 
ned  de  Richelieu,  ne  modifièrent  en  rien  les  dispositions  du 
g-ouvernement  de  la  métropole  en  faveur  de  la  colonie 
canadienne.  La  reine  rég-ente,  Anne  d'Autriche,  se  déclara 
hautement  sa  protectrice  ;  et  un  de  ses  premiers  actes  fut 
de  remettre  au  baron  de  Renty,  directeur  de  la  compagnie 
de  Montréal ,  une  (jraiide  somme  d'arc/enf  pour  aider  à 
V Église  naissante  du  Canada^.  Elle  donna  encore  à  Mont- 
réal deux  petites  pièces  de  fonte  2,  au  nom  du  jeune  roi,  son 
fils.  Enfin  elle  envoya  à  Québec  une  compagnie  de  soixante 
soldats,  levés  et  équipés  à  ses  frais,  avec  ordre  de  les  dis- 
tribuer dans  les  divers  postes   du  pays  -^   Le  sieur  de  la 

1.  Vie  de  M.  de  Renty,  par  le  P.  J.-B.  Saint-Jure,  édit.  de  1833, 
p.  228. 

2.  Arcli.  du  Min.  des  Affaires  étrangères,  Amérique,  de  1592  à  1660 
fol.  164. 

3.  Histoire  du  Canada,  par  M.  Belmont. 

Jés.  et  Noui'.-Fr.  —  T.  II.  5 


—  66   — 

Barre,  hypocrite  qui  cachait  sous  les  dehors  de  la  vertu 
une  vie  d'immoralité,  arriva  à  Québec  avec  ce  renfort  ^  dans 
le  courant  de  l'été  (1644),  et  vingt-deux  de  ces  soldats,  à 
peine  débarqués,  furent  dirigés  sur  Sainte-Marie  des  Hurons 
où  leur  seule  présence  arrêta  l'invasion  iroquoise  et  préserva 
le  pays  d'une  ruine  totale.  L'année  suivante,  immédiate- 
ment après  la  conclusion  de  la  paix,  ils  rentrèrent  à  Québec, 
chargés  de  pelleteries,  dont  le  prix  pouvait  s'élever  de 
trente  à  quarante  mille  francs-. 

Nous  signalons  ce  dernier  fait,  parce  qu'il  se  rencontre 
pour  la  première  fois  dans  les  annales  de  la  colonie  et  qu'il 
marque  un  changement  profond  dans  l'administration  des 
affaires  commerciales.  En  effet,  la  compagnie  des  Cent- 
Associés  venait  de  céder  la  traite  aux  habitants,  moyennant 
une  redevance  annuelle  et  en  faisant  peser  sur  eux  toutes 
les  charges  que  l'édit  de  sa  fondation  lui  avait  imposées  ^. 
Ces  habitants ,  réunis  en  communauté  à  Québec,  aux  Trois- 
Rivières  et  à  Villemarie,  avaient,  dans  chacun  de  ces  forts, 
un  procureur  syndic,  chargé  de  leurs  intérêts. 


La  cession  de  la  traite  aux  colons  fut  le  point  de  départ 
d'autres  changements  dans  le  gouvernement  général  de  la 
colonie.  On  créa  un  conseil,  composé  du  gouverneur  g-éné- 


1.  Il  fut  renvoyé  en  France  en  164o  à  cause  de  son  inconcluite. 

2.  Journal  c/e.s  Jésuites,  p.  9.  —  L'église  paroissiale  de  Québec  et 
la  résidence  des  Pères  Jésuites  avaient  été  brûlées  le  14  juin  1640;  et 
depuis  cette  époque  les  offices  se  célébraient  dans  la  maison  des 
Cent-Assocics  ;  aussi,  les  habitants  donnèrent,  sur  ces  trente  à  qua- 
rante mille  francs,  six  mille  livres  aux  Jésuites  pour  construire  le 
presbytère,  sauf  à  eux  d'y  ajouter  si  bon  leur  semblait  ;  et  le  produit 
de  douze  cent  cinquante  castors  fut  appliqué  à  la  construction  de 
l'ég-lise.  {Journal  des  Jésuites,  p.  9,  et  Arch.  du  Séminaire  de  Québec, 
catal.  des  bienfaiteurs  de  Notre-Dame-de-Recouvrance.) 

3.  Cours  d'histoire,  p.  338. 


—  67  — 

rai,  siég-eant  à  Québec,  du  supérieur  de  la  mission  ^  et  du 
gouverneur  particulier  de  Yillemarie.  Ce  conseil  réglait,  à 
la  pluralité  des  voix,  les  afîaires  concernant  la  police,  le 
commerce  et  la  guerre  -.  Le  général  de  la  flotte  ainsi  que  les 
syndics  pouvaient  y  prendre  part  ;  mais  les  syndics  n'avaient 
voix  délibérative  que  pour  les  objets  relatifs  à  leur  commu- 
nauté particulière,  et  le  général  de  la  flotte  pour  les  affaires 
relevant  directement  de  son  autorité.  Le  o^ouverneur  o'énéral 
présidait  le  conseil  ;  sa  voix,  en  cas  de  conflit,  devenait 
prépondérante -^  Plus  tard  (16i8),des  modifications  considé- 
rables furent  faites  à  ce  règlement,  le  nombre  des  membres 
du  conseil  fut  porté  à  cinq,  et  même  à  sept,  quand  les  gou- 
verneurs particuliers  de  Montréal  et  des  Trois-Rivières  se 
trouvaient  à  Québec  le  jour  de  la  réunion^*. 

Le  conseil  des  trois  venait  à  peine  d'être  organisé,  lorsque 
M.  de  Montmagny  fut  rappelé  en  France  et  remplacé,  le 
20  août  16i8,  dans  sa  charge  de  gouverneur  général  "^^  par 
M.  d'Ailleboust. 

M.  de  Montmagny  partit,  emportant  les  justes  regrets  de 

1.  On  lit  dans  le  Journal  des  Jcsiiifes,  p.  93,  G  août  JKUT  :  '<  Con- 
sulte sur  le  règlement  venu  de  France  qui  portait  rétablissement 
d'un  conseil  de  trois,  dont  le  supérieur  (des  Jésuites)  était  l'un.  Je 
fis  (P.  Lalemant)  consulte  pour  savoir  si  j'y  devais  consentir.  Le 
P.  Vimont,  le  P.  Deudemare  et  le  P.  Le  Jeune  y  estaient.  11  fut 
conclu  que  ouy,  qu'il  le  fallait  faire.  »  —  Le  supérieur  des  Jésuites 
fit  partie  du  conseil  jus(|u'à  la  création  d'un  évèché  à  Québec,  et  le 
P.  Jérôme  Lalemant  fut  le  premier  Jésuite,  mem])re  du  conseil. 

2.  Ferland,  Cours  dliistoire  du  Canndn,  t.  I,  p.  Xj~ .  —  Le  <(  Règle- 
ment pour  établir  un  bon  ordre  et  police  au  Canada  »  fut  donné  par 
le  Roi,  en  son  conseil,  le  27  mars  1647  (Ibid.,  p.  350);  il  fut  publié  au 
Canada  le  11  août  {Ihid.,  p.  358), 

3.  Ferland,  Ibid.,  pp.  357  et  358. 

4.  Cette  nouvelle  organisation  du  conseil  eut  lieu  au  commence- 
ment de  l'administration  de  M.  d'Ailleboust.  Le  nouveau  règlement 
royal  est  du  5  mars  16'i8.  V.  Ferland,  pp.  3G3  et  suiv. 

5.  Journal  de  Jésuites,  p.  115. 


—  68  — 

toute  la  colonie  ^  «  Depuis  douze  ans  qu'il  était  chargé 
des  affaires  du  Canada,  il  avait  appris  à  en  connaître  les 
besoins  et  les  ressources  ;  il  savait  quels  dangers  l'on  avait 
à  redouter,  quelles  espérances  l'on  pouvait  nourrir,  quelles 
mesures  étaient  les  plus  convenables  pour  les  circonstan- 
ces. Ayant  reçu  des  mains  de  Champlain  la  colonie  nais- 
sante, il  l'avait  gouvernée  et  protégée  avec  toute  l'affection 
d'un  père.  Suivant  soigneusement  la  marche  tracée  par 
son  prédécesseur,  il  s'attacha  à  asseoir  la  petite  colonie 
sur  les  seules  bases  solides  d'un  état,  la  religion  et  l'hon- 
neur. Avec  des  ressources  très  faibles,  M.  de  Monmagny 
réussit  à  conjurer  les  dangers  qui  menacèrent  la  colonie, 
gurtout  du  côté  des  Iroquois.  Pendant  tout  le  cours  de  son 
administration,  il  ne  cessa  de  montrer  une  prudence  et  un 
courage  qui  inspiraient  de  la  confiance  aux  colons  et 
tenaient  les  sauvages  dans  le  respect.  Il  possédait  à  un 
haut  degré  la  persévérante  énergie,  qui  ne  se  lasse  jamais 
devant  les  difficultés  toujours  renaissantes.  Après  avoir 
lui-même  fait  les  honneurs  d'une  réception  officielle  à  son 
successeur,  il  déposa  l'autorité  entre  ses  mains  et  l'assista 
de  ses  conseils  2.  » 

1.  Belah'on  do  1648. 

2.  Couru  dliistoire  de  Forland,  p.  362. —  Le  P.  deCharlevoix  fait  de 
M.  de  Montmag-ny  un  portrait  de  tout  point  semblal)le  à  celui  qu'en 
donne  ra])bé  Ferland.  Ce  dernier  semble  même  s'inspirer  du  P.  de 
Charlevoix,  quand  il  ne  le  copie  pas.  M.  Fabbé  Faillon,  un  peu  trop 
occupé  peut-être  de  faire  Félog-e  des  membres  de  la  société  de  Mont- 
réal et  de  ceux  qui  commandèrent  à  cette  époque  à  Villemarie,  loue 
avec  exagération  M.  d'Aillelioust  au  détriment  de  INI.  de  Montmag^ny, 
auquel  il  ne  rend  pas  assez  justice  dans  17//s/of re  de  la  Colonie  fran- 
çaise, t.  II,  cil.  VII,  passim. 

Dans  une  lettre  du  P.  Jacques  Buleux,  adressée  au  P.  Vincent 
Caraffe ,  g^énéral  de  la  Compagnie  de  Jésus,  et  datée  des  Trois- 
Rivières,  19  octobre  1643,  M.  de  ^Montmagny  est  appelé  Vir  pietatis 
insignis  ;  par  sa  fermeté  il  contient  chacun  dans  le  devoir,  ajoute  le 
Père  :  Continet  in  officio  provinciœ  aut  potins  regionis  prorex  (Arch. 
gen.  S.  J.). 


—  69  — 

«  M.  d'Ailleboust,  dit  Gharlevoix,  était  un  homme  de 
bien,  rempli  de  religion  et  de  bonne  volonté  i.  »  Il  avait 
commandé  à  Montréal,  en  l'absence  de  M.  de  Maisonneuve, 
et  achevé  les  fortifications  de  Yillemarie.  Il  connaissait  le 
pays,  il  l'aimait,  et  il  ne  mancj[uait  pas  des  cjualités  qui, 
dans  les  temps  ordinaires,  font  les  bons  gouverneurs. 
Malheureusement  pour  lui,  il  fut  promu  au  gouvernement 
en  chef  du  Canada  à  une  heure  des  plus  critiques,  au 
moment  où  la  guerre  se  rallumait  plus  vive  que  jamais 
entre  les  Iroquois  et  les  Hurons. 

Résolus  de  frapper  un  coup  décisif,  les  Tsonnontouans 
avaient  concentré  une  grande  partie  de  leurs  forces  dans  la 
tribu  des  Neutres  et,  six  semaines  avant  l'installation  de 
M.  d'Ailleboust,  ils  avaient  franchi  la  frontière  qui  sépare 
les  Aondironnons  '  de  la  nation  huronne.  Ce  rapide  coup 
de  main  avait  pour  but,  d'abord  de  faire  échouer  un  traité 
d'alliance  qui  se  préparait  entre  les  Hurons,  les  Onnonta- 
gués  et  les  Andastes;  ensuite  de  surprendre  les  Hurons, 
afin  d'en  faire  un  massacre  général  -K  Les  missionnaires 
n'étaient  pas  plus  sur  leurs  gardes  que  les  sauvages. 

La  mission  comptait  alors  dix-huit  Pères,  dont  trois 
résidant  à  Sainte-Marie,  trois  employés  chez  les  Algon- 
quins, quatre  dans  la  nation  du  Petun  et  huit  dans  les 
diverses    résidences    de    la  contrée   huronne  ^.    Ces   Pères 

1.  Histoire  de  In  Xouvclle-Fr.mce^  l.  I,  p.  2(S2. 

2.  Ou  nation  neutre. 

3.  Relntion  de  JG48,  pp.  47  et  49. 

4.  Voici,  cVaprès  le  catalogue  de  1048,  le  nom  des  Pères  employés 
alors  à  la  mission  huronne  :  P.  Paulus  Ragueneau,  super.,  lingute 
huronica^  peritus  ;  P.  Franciscus  de  Mercier,  procur.,  agit  cum  barba- 
ris  undi(jue  domum  adventantibus  ;  ling.  hur.  peritus  ;  P.  Petrus 
Chastelain,  pra^f.  spir.,  ling.  hur.  peritus;  P.-J.  de  Brebeuf,  ling. hur. 
per..,  algonquinea^  nonniliil  sciens  ;  P.  Cl.  Pijart,  operarius  apud 
hurones   et  algonquineos   adjacentes  ;    PP.   Ant.   Daniel,   Simon   le 


—  70  — 

avaient  à  leur  service  quatre  Frères  coadjuteurs,  vingt-quatre 
français  dévoués,  domestiques,  donnés  ou  soldats  i. 

Depuis  la  mort  du  P.  Joignes,  un  grand  mouvement  de 
conversion  s'était  opéré  dans  tous  les  centres  d'apos- 
tolat, et  la  ferveur  des  néophytes  se  montrait  partout 
ardente  et  sincère  '  !  Le  P.  Ragueneau,  supérieur  de  la  mis- 
sion •%   voulut  s'en    rendre  compte  par  lui-même  et   fit  la 


Moyne,  Car.  Garnier,  ojxM'arii  ai)iKl  liuroiios  ;  P.  Rcmi.  Méiiard,  apiul 
hur.,  liii^uu^  algoiuj.  aliquid  sciciis  ;  P.  Fr.  du  PcM'oii ,  apud  hui".  ; 
P.  Nat.  Chal)anol,  vacal  liiigua^  hur.  ;  P.  Leoiiardus  Garroau,  apud 
Alg'on({.,  vacat  lingiur  hur.;  P.  Jos.  Poncct,  utriuscpic  hng"uœ>  aUquid 
scit  ;  P.  Jos.  Chaumonot,  apud  Iluroiîos  ;  P.  Adrianus  Grêlon,  a})ud 
Hurones  ;  PP.  A(h-ianus  Daron ,  Jacohus  Bounin  et  Amaljihs  du 
Frétât.  (Catal.  Prov.  Franciic  m  Arch.  Rom.).  —  Ces  trois  derniers 
Pères  ne  se  trouvent  pas  sur  \c  catalogue  de  l()48. 

1.  Relation  de  1G48,  p.  48;  —  Rclntum  1G49,  p.  0.—  Le  P.  Poucet 
créa  à  Fautomnc  de  1645  une  mission  algoncpiine  (hins  File  de  Sainte- 
Marie.  En  1649,  le  nomhre  des  Français  est  de  trente-huit.  [Doc. 
inéd.,  XII,  p.  232.) 

2.  u  De})uis  notre  dernière  Relation  (1647),  nous  avons  baptisé  près 
de  treize  cents  personnes  ;  mais  ce  qui  nous  console  le  plus,  c'est 
de  voir  la  ferveur  de  ces  bons  néophytes.  »  (Relation  de  1648, 
p.  47.) 

3.  Le  P.  Paul  Ragueneau,  né  à  Paris  le  18  mars  1608,  entra  au 
noviciat  des  Jésuites,  à  Paris,  le  21  août  1626,  après  avoir  fait  deux 
ans  de  rhétorique  et  trois  ans  de  philosophie  au  collège  de  Clermont. 
Il  fit  son  noviciat  sous  le  P.  Guy  Le  Meneust,  et  le  noviciat  terminé, 
il  fut  envoyé  à  Bourges,  où  il  professa  la  cinquième  (1628-1620),  la 
quatrième  (1629-1630),  la  troisième  (1630-1631),  et  les  humanités 
(1631-1632)  ;  il  suivit  ensuite  dans  ce  collège,  })endant  quatre  ans, 
les  cours  de  théologie  (1632-1636),  tout  en  faisant  Foffice  de  sur- 
veillant au  pensionnat.  Le  28  juin  1636,  il  arrive  à  Québec,  et  en 
1638,  il  est  chez  les  Ilurons.  En  1645,  il  devient  supérieur  de  la 
mission  huronne.  —  Plusieurs  dates  varient  dans  les  catalogues. 
Ainsi  un  catalogue  fait  naître  le  P.  Ragueneau  en  1607,  et  un  autre 
le  fait  arriver  le  28  juin  1638  au  Canada,  après  avoir  enseigné  un 
an  la  philosophie  à  Amiens.  —  A  Bourges,  il  fut  le  i)rofesseur  du  grand 
Condé,  en  quatrième,  troisième  et  humanités.  —  Dans  L'Education 
du  grand   Condé,  d'après   des   documents   inédits,  I,    Le  Collège  de 


—  71   — 

visite  de  toutes  églises  huronnes.  A  son  retour,  il  écrivit 
au  P.  Jérôme  Lalemant  :  «  Je  n'eusse  jamais  cru  pouvoir 
voir  après  cinquante  ans  de  travail,  la  dixième  partie  de  la 
piété,  de  la  vertu  et  de  la  sainteté,  dont  partout  j'ai  été 
témoin  dans  les  visites  que  j'ai  faites  de  ces  Eglises  K  »  Les 
plus  ferventes  étaient  celles  de  la  Conception,  de  Saint- 
Joseph,  de  Saint-Ignace  et  de  Saint-Louis.  Le  P.  Chau- 
monot  dirigeait  la  Conception;  le  P.  Daniel,  Saint-Joseph; 
le  P.  de  Brébeuf  et  le  P.  Gabriel  Lalemant,  Saint-Ignace 
et  Saint-Louis.  Au  bourg  de  Saint-Jean,  chez  les  Pétuneux, 
le  P.  Garnier,  aidé  du  P.  Chabanel,  avait  formé,  au  prix 
des  plus  grands  sacrifices,  une  mission  de  foi  et  de  vertu  ; 
et  à  quelques  lieues  de  là,  à  Saint-Mathias,  les  Pères 
Léonard  Carreau  et  Adrien  Grêlon  instruisaient  une  chré- 
tienté, peu  nombreuse  encore,  mais  docile  et  zélée.  Dans 
ces  églises,  aussi  bien  que  dans  les  bourgades  de  moindre 
importance,  à  Saint-Michel,  à  Saint-Jean-Baptiste,  à  Sainte- 
Elisabeth  et  à  Saint-Erançois-Xavier,  les  progrès  de  la  foi 
étaient  considérables.  «  Ils  ont  surmonté  nos  espérances, 
écrivait  le  P.  Ragueneau;  la  plupart  des  esprits,  même  autre- 
fois les  plus  farouches,  se  rendent  si  dociles  et  si  souples  à 
la  prédication  de  l'Evangile,  qu'il  paraît  assez  que  les  anges 
y  travaillent  bien  plus  que  nous  -.  » 

Tel  était,   vers   le   milieu  de  l'année  1648,  l'état   de  la 
mission  huronne,  lorsque  le  4  juillet,  au  lever  du  soleil,  le 

Bourges,  —  janvier  1630  à  octobre  1632  —  le  P.  H.  Chérot  dit  : 
«  Ce  jeune  professeur  n'était  pas  prêtre.  Encore  dans  la  force 
juvénile  de  ses  vingt-deux  ans  et  dans  la  ferveur  de  sa  récente  entrée 
en  religion,  il  consacrait  à  M.  le  Duc  les  prémices  d'une  ardeur  que 
ne  devait  point  éteindre  un  quart  de  siècle  d'apostolat  dans  les 
sauvages  missions  du  Canada  »  (p.  14). 

1.  Relation  de  1649,  p.  7. 

2.  Relation  de  1649,  p.  6. 


—   72  — 

cri  :  Aux  aj^nes !  retentit  k  Saint-Joseph,  bourg*  d'envi- 
ron quatre  cents  familles,  le  plus  rapproché  de  la  frontière. 
Le  P.  Daniel  venait  d'achever  le  Saint-Sacrifice  de  la 
messe,  et  les  fidèles,  réunis  dans  la  chapelle,  récitaient  les 
prières  du  matin.  Les  ennemis,  qu'on  ne  savait  pas  en 
campagne,  avaient  fait  leurs  approches  la  nuit  et  atta- 
quaient les  palissades.  L'alarme  dans  le  bourg  est  générale: 
les  uns  fuient  épouvantés,  les  autres  marchent  hardiment 
au  combats  Ces  derniers  étaient  malheureusement  peu 
nombreux,  car  l'élite  des  guerriers  se  trouvait  à  la  chasse. 

Pendant  qu'on  se  bat  sur  les  joalissades,  le  P.  Daniel 
parcourt  les  cabanes,  confère  le  baptême  aux  catéchumènes 
et  absout  les  néophytes.  Puis,  il  revient  à  la  chapelle,  où 
se  sont  réfugiés  en  grand  nombre,  vieillards,  femmes  et 
enfants,  pour  y  recevoir,  les  uns  une  absolution  g-énérale 
et  les  autres  le  baptême  par  aspersion  ~. 

Des  guerriers  viennent  apprendre  la  fatale  nouvelle  :  les 
palissades  sont  renversées,  les  Iroquois  sont  dans  l'enceinte, 
ils  mettent  tout  à  feu  et  sang,  ils  s'avancent  vers  la  cha- 
pelle. On  entendait,  en  effet,  leurs  hurlements  effroyables. 
<(  Fuj^ez,  mes  frères,  dit  le  P.  Daniel  à  ses  chrétiens,  fuyez 
et  portez  avec  vous  votre  foi  jusqu'au  dernier  soupir.  Pour 
moi,  je  dois  rester  ici,  tandis  que  j'y  verrai  quelque  îime 
à  gagner  pour  le  ciel;  et  y  mourant  pour  vous  sauver,  ma  vie 
ne  m'est  plus  rien;  nous  nous  reverrons  dans  le  ciel  •^.  »  Et 
leur  montrant  le  chemin  par  où  ils  peuvent  encore  s'échapper  : 
«   Fuj'ez  par  là,  ajoute-t-il,  la  route  est  libre  ^.  » 


1.  Cours  d'histoire,  p.  371. 

2.  Lettre  latine  du  P.  Ragucncau  au  R.  P.  Général,  1630,  (Archives 
gen.  S.  J.) 

3.  Relation  de  1649,  p.  4. 

4.  u  Capescite  fugam  quà  parte  liber  adliuc  est  exitus.  )>  {Lettre 
lat.  du  P.  Raguerieau  au  R.  P.  Général,  1649.) 


—  73  — 

Pour  lui,  afin  de  retarder  la  marche  de  rennemi  et  de 
donner  à  ses  chrétiens  le  temps  de  s'enfuir,  il  sort  de  la  cha- 
pelle parle  coté  opposé  et  marche  seul  au  devant  des  Iroquois. 
Ceux-ci,  étonnés,  s'arrêtent  un  instant.  Revenus  bientôt  d'un 
premier  moment  de  surprise,  ils  l'accablent  d'une  grêle  de 
flèches  et  l'achèvent  d'un  coup  de  feu  ;  puis  ils  se  précipi- 
tent sur  ce  corps  inanimé,  ils  le  dépouillent,  ils  lavent 
leurs  mains  dans  son  sang,  et,  après  avoir  mis  le  feu  à  la 
chapelle,  ils  jettent  au  milieu  des  flammes  le  cadavre  défi- 
guré du  serviteur  de  Dieu^.  Cette  victime  héroïque  de  la 
charité  mourut,  le  nom  de  Jésus  sur  les  lèvres  :  sa  mort 
sauva  du  massacre  quelques  centaines  de  Hurons,  qui 
allèrent  en  partie  chercher  un  refuge  à  Sainte-Marie,  auprès 
des  missionnaires. 

Les  vainqueurs  sortirent  de  Saint-Joseph,  emmenant 
près  de  sept  cents  prisonniers,  dont  ])eaucoup  furent  tués 
en  chemin.  Avant  de  partir,  ils  avaient  mis  le  feu  à  toutes 
les  cabanes;  et  de  là  ils  se  rendirent  à  Saint-Michel  qu'ils 
livrèrent  également  au  pillage  et  à  l'incendie  -. 

Le  P.  Daniel  fut  le  premier  Jésuite  qui  reçut  la  couronne 
du  mart3^re  au  pays  des  Ilurons.  Il  y  travaillait  depuis 
quatorze  ans,  et  il  avait  passé  les  neuf  dernières  années  de 
son  apostolat  dans  les  bourgades  les  plus  exposées  à  l'en- 
nemi-^  C'était  un  missionnaire  comme  on  en  voit  peu,  dit 
son  supérieur  dans  une  lettre  intime  au  Général  de  la  Com- 
pagnie'^. Humble,  obéissant,  cViine  union  parfaite  avec  Dieu, 
d'une  patience  à  toute  épreuve,  cFun  courar/e  qui  ne  reculait 

1.  Relation  de  1G49,  pp.  4  et  5  ;  —  Brève  rehtione,  cap.  IV,  p.  lOIi; 

—  Epistola  P.  Ragucncau  ad  R.  P.  Gcncralem,  1650,  ms.;  — Creuxim^, 
pp.  525,  526  et  527  ;  —  Narrntio  hisforica  à  P.  G.  Gobât,  p.  21  et  soq.; 

—  Aleg-ambc,  Mortes  illustres,  p.  642. 

2.  ïhid. 

3.  Lettre  du  P.  Ragueneau,  l°i"  mars  1649,  au  R.  P.  Vincent  CarafTe. 
[Docume/its  inédits,  XII,  p.  233.) 


—  7i  — 

devant  aucun  obstacle,  il  était  grandement  estimé  des  Pères 
et  aimé  des  sauvages.  Il  n  avait  pas  de  désir  plus  ardent  que 
de  donner  sa  vie  pour  son  troupeau  ^.  Il  apparut  deux  fois, 
après  sa  mort,  rayonnant  de  gloire,  au  P.  Ghaumonot.  Une 
autre  fois,  les  Pères  étant  réunis  en  conseil,  à  Sainte- 
Marie,  pour  traiter  des  affaires  de  la  mission,  il  se  montra 
au  milieu  d'eux,  les  guidant  de  ses  conseils  et  les  animant 
de  l'esprit  divin  dont  il  était  rempli  ^. 

1.  Le  P.  Antoine  Daniel,  né  à  Dieppe  le  27  mai  1601,  entra  au 
noviciat  des  Jésuites  à  Rouen,  le  1*"'  octobre  1621,  après  avoir  fait 
deux  ans  de  philosophie  et  un  an  de  droit.  Le  noviciat  terminé,  il 
professa  à  Rouen  la  sixième  (1623-1624),  la  cinquième  (1624-1625), 
la  quatrième  (1625-1626),  et  la  troisième  (1626-1627).  Après  sa  théo- 
logie (1627-1630)  au  collège  de  Clermont,  à  Paris,  il  enseigna  à  Eu 
les  humanités  (1630-1631)  et  exerça  ensuite  dans  ce  même  collège 
les  fonctions  de  ministre  jusqu'à  son  départ  pour  le  Canada  en  1634. 
Il  était  le  frère  du  capitaine  Daniel,  qui  aborda  au  cap  Breton  avec 
le  P.  Yimont  et  y  construisit  le  premier  fort  français,  en  1629. 

Voir  sur  la  vie  du  P.  Daniel  :  Relations  de  la  Nouvelle-France,  de 
1633,  p.  30;  — de  1634,  p.  88;  — de  1635,  pp.  25  et  37;  — de  1636,  pp. 
27,  69-75,  82;  —  de  1637,  pp.  55-71,  89,  103,  119;  —  de  1639,  p.  53; 
—de  1640,  pp.  90-95  ;—  de  1641,  pp.  67,  81  ;—  de  1642,  p.  82  ;  —  de 
1644,  p.  99;  —  de  1649,  pp.  3  et  suiv.;  — Tanner,  Societ.  Jesu  iisque 
ad  sanguinem  milifans,  p.  531;  —  Charlevoix,  t.  I,  p.  290;  t.  II, 
pp.  3  et  suiv.;  —  Cassani,  Varones  ihisfres,  t.  I,  p.  634;  —  Ferland, 
Cours  dliistoire,  pp.  268,  283,  371  et  suiv.;  —  Bancroft,  History  of 
the  United  States,  pp.  763,  795  ;  —  Parkman,  The  Jesuits  in  North 
America;  —  Théoph.  Raynaud,  Opéra,  t.  XVII,  p.  340,  2*^  col.;  — 
Nadasi,  4  juL,  p.  12;  —  Drews,  Fasti  Soc.  Jesu,  4^  jul.,  p.  254. 

Nous  donnons  aux  Pièces  Justificatives,  n°  IV,  deux  documents  iné- 
dits :  1)  Une  lettre  du  P.  Paul  Ragueneau  sur  la  mort  du  P.  Daniel, 
adressée  au  R.  P.  Claude  de  Lingendcs,  provincial  de  France,  et 
datée  de  la  résidence  de  Sainte-Marie  des  Hurons,  le  l^^'  mai  1649 
(Arch.  de  l'école  Sainte-Geneviève,  Paris.)  —  2)  Une  lettre  du  même 
au  R.  P.  Général,  Vincent  Caraffe,  datée  du  1*^''  mars  1649.  (Arch. 
gén.  S.  J.)  Cette  dernière  a  été  traduite  en  français  par  le  P.  Carayon 
[Documents  inédits,  XII,  pp.  233  et  suiv.). 

2.  Epistola  P.  Ragueneau  ad  R.  P.  Generalem ,  l^r  mars  1649. 
(Arch.  gen.S.J.);  —  Traduction  française  [Doc.  inéd.,  XII,  pp.  242); 
—  Le  P.  Ragueneau    parle  également    des    trois   apparitions    dans 


—  75  — 

Le  triomphe  des  Iroquois  ne  s'arrêta  pas  là  ;  mais,  en 
habiles  tacticiens,  ils  se  gardèrent  bien  de  poursuivre  l'en- 
nemi, car  ils  savaient  que  celui-ci  se  fortifierait  partout  et 
qu'il  serait  impossible  de  le  déloger  de  ses  positions.  Ils 
avaient  aussi  tout  à  craindre  d'être  écrasés  par  le  nombre. 
Ils  rentrent  donc  dans  leur  pays,  poussant  devant  eux 
comme  un  troupeau  des  centaines  de  prisonniers  ;  ils  orga- 
nisent en  secret  une  nouvelle  expédition  et,  au  mois  de 
mars  (1649),  ils  arrivent,  à  travers  les  bois,  inaperçus  et 
au  nomlire  de  plus  de  mille,  au  cœur  même  de  la  contrée 
huronne.  Les  vaincus,  trompés  par  des  apparences  de  paix, 
dormaient  dans  une  fatale  sécurité  ;  et  beaucoup  d'entre 
eux  chassaient  au  loin  l'orignal.  Le  16  mars,  à  la  première 
lueur  du  jour,  les  Tsonnontouans  et  les  Agniers  qui  font 
campagne  ensemble,  s'approchent  de  Saint-Ignace,  où  tout 

sa  Rclntioii  do  1649,  p.  ;i  ;  le  même  fait  est  rapporté  dans  la 
Coniiuuatioii  de  In  vie  du  P.  Chaumonot^  p.  84,  dans  Creuxius, 
p.  527,  et  dans  Narrai io  historien,  p.  31.  —  Bressani,  dans  son  Brève 
relnfione,  p.  107,  dit  :  a  Après  sa  mort,  il  ne  cessa  pas  de  porter 
intérêt  à  son  troupeau  ;  on  en  donnera  peut-être  un  jour  la  preuve.  » 
L'historien  fait  ici  allusion  aux  apparitions  du  serviteur  de  Dieu. 
La  Mère  Marie  de  Tlncarnation  écrivait  en  1649  aux  Ursulines 
de  Tours  :  ((  Ce  saint  martyr  apparut  peu  de  temps  après  sa  mort  à 
un  Père  de  la  Compagnie  (P.  Chaumonot)  et  de  la  mission.  Celui-ci 
l'ayant  reconnu,  lui  dit  :  Ah!  mon  cher  Père,  comment  Dieu  a-t-il 
permis  [que  votre  corps  ait  été  si  indignement  traité  après  votre 
mort,  que  nous  ?i\yyons  pu  recueillir  vos  cendres?  Le  saint  martyr 
lui  répondit  :  Mon  très  cher  Père,  Dieu  est  grand  et  admirable  !  Il  a 
regardé  mon  opprobre  et  a  récompensé  en  grand  Dieu  les  travaux 
de  son  serviteur;  il  m'a  donné  après  ma  mort  un  grand  nombre 
d'âmes  du  purgatoire,  pour  les  emmener  avec  moi  et  accompagner 
mon  triomphe  dans  le  ciel.  Il  est  encore  apparu  dans  un  conseil, 
comme  y  présidant  et  y  inspirant  les  résolutions  qu'on  devait  pren- 
dre pour  la  gloire  de  Dieu.  »  {Lettres  hisf.,  p.  441.)  Elle  ajoute  :  a  Le 
corps  du  P.  Daniel  fut  tellement  réduit  en  cendres,  qu'on  n'a  trouvé 
aucuns  restes.  »  (//)/(/,,  p.  44o}.  Consulter  aussi  le  Societn  hnilitnns 
du  P.  Tanner,  p.  533. 


—  76  — 

repose  encore,  pénètrent  sans  résistance  dans  le  bourg,  et 
tuent  ou  prennent  les  habitants  éveillés  en  sursaut.  Le 
village  n'est  bientôt  qu'un  monceau  de  ruines  K 

Trois  hurons,  échappés  à  la  hache  des  envahisseurs, 
courent  au  village  de  Saint-Louis ,  distant  d'une  lieue, 
pour  prévenir  du  désastre  auquel  ils  viennent  d'assister. 
C'est  là  que  se  trouvaient  en  ce  moment  le  P.  de  Brébeuf 
et  le  P.  Gabriel  Lalemant^. 

Les  capitaines  font  aussitôt  sortir  les  femmes  et  les 
enfants  et  ils  engagent  les  deux  missionnaires  à  les  suivre  : 
«  Votre  présence,  leur  disent-ils,  ne  peut  nous  être  d'aucun 
secours.  Vous  ne  savez  manier  ni  le  casse-tète  ni  le  mous- 
cpiet-^.  »  —  «  Il  y  a  quelque  chose  de  plus  nécessaire  que  les 
armes,  répond  le  P.  de  Brébeuf;  ce  sont  les  sacrements;  et 
nous  seuls  pouvons  les  administrer.  Notre  place  est  au 
milieu  de  vous  4.  »  Frappé  de  ce  dévouement,  Etienne 
Annaothalia,  capitaine  de  foi  robuste,  dit  à  un  infidèle 
désespéré  qui  parle  de  fuir  :  «  Pourrions-nous  abandonner 
ces  deux  Pères,  qui  exposent  leur  vie  pour  nous?  L'amour 
qu'ils  ont  de  notre  salut,  sera  la  cause  de  leur  mort... 
Mourons  avec  eux  et  nous  irons  de  compagnie  au  cieH\    » 

Les  deux  apôtres  se  partagent  aussitôt  la  l^esogne  ;  le 
P.  Lalemant  baptise  les  catéchumènes  et  le  P.  de  Brébeuf 
confesse  les  néophytes.  Il  ne  restait  dans  la  place  que 
quatre-vingts  guerriers  et  quelques  vieillards  infirmes.  Les 
Iroquois  arrivent.  Un  premier  et  un  second  assaut  sont 
vaillamment  repoussés;  mais  attaqués  par  un  millier  d'assail- 

1.  Relation  de  1649,  p.  10;  —  Brève  relalione,  p.  108. 

2.  Ibid. 

3.  Brève  relatione^  p.  109. 

4.  Brève  relatione,  p.  109. 

5.  Relation  de  1649,  p.  M. 


—  77  — 
lants  de  divers  cotés  k  la  fois,  les  Hurons  finissent  par 
succomber.  Ils  sont  tués  ou  pris,  le  feu  est  mis  aux 
cabanes  et  les  deux  missionnaires,  saisis  dans  l'exercice  de 
leurs  fonctions  sacerdotales,  sont  dépouillés  de  leurs 
habits  et  conduits  à  Saint-Ignace  avec  les  autres  prison- 
niers.  Ils  marchaient  en  tête  des  captifs. 

Avant  d'arriver  au  bourg-,  ils  traversent  une  longue  et 
double  rangée  de  sauvages,  qui  les  accablent  de  coups  de 
bâton  sur  les  épaules,  sur  les  reins,  sur  les  jambes  et  sur 
le  visage  ^  C'est  la  première  station  du  Calvaire. 

Dans  le  village,  on  avait  dressé  des  poteaux  pour  y  atta- 
cher les  victimes.  A  la  vue  de  ces  instruments  de  supplice, 
le  P.  de  Brébeuf  s'adresse  aux  chrétiens  captifs  :  «  Mes 
enfants,  leur  dit-il,  levons  les  yeux  au  ciel  dans  le  plus 
fort  de  nos  douleurs;  souvenons-nous  que  Dieu  est  le 
témoin  de  nos  souftrances  et  sera  bientôt  notre  grande 
récompense.  Mourons  dans  cette  foi  et  espérons  de  sa 
bonté  l'accomplissement  de  ses  promesses.  J'ai  pitié  plus 
de  vous  que  de  moi  ;  mais  soutenez  avec  courage  le  peu  qui 
reste  de  tourments,  ils  finiront  avec  vos  vies  ;  la  gloire  qui 
les  suit  n'aura  jamais  de  fin.  »  —  «  Échon^  lui  répon- 
dent les  néophytes,  notre  esprit  sera  dans  le  ciel,  lorsque 
nos  corps  soutïriront  en  terre.  Prie  Dieu  pour  nous  qu'il 
nous  fasse  miséricorde;  nous  l'invoquerons  jusqu'à  la 
mort.  »  Tous  restèrent  fidèles  jusqu'au  dernier  soupir. 

En  approchant  du  poteau  où  doit  se  consommer  leur 
sacrifice,  les  deux  missionnaires  s'agenouillent,  et,  comme 
saint  André,  ils  baisent  avec  transport  leur  croix  bénie. 
«  C'est  maintenant,  s'écrie  le  P.  Lalemant,  que  nous 
sommes  donnés  en  spectacle,  au  ciel,  aux  anges  et  aux 
hommes  3.  » 

1.  Relation  de  1649,  p.  13. 

2.  C'est  le  nom  que  les  sauvages  donnent  au  P.  de  Brébeuf. 

3.  Vie  du  P.  de  Brébeuf,  par  le  P.  Martin,  p.  273. 


—  78  — 

Suivons  séparément  ces  deux  victimes  dans  la  Ionique 
suite  de  leurs  tourments.  C'est  sur  elles  principalement  que 
s'acharnent  les  bourreaux,  Dieu  le  permettant  ainsi,  comme 
étant  les  plus  pures  et  les  plus  agréables  à  sa  divine 
Majesté.  Et  puis,  il  y  avait  parmi  les  ennemis,  des  Hurons 
ii'oquisés^,  autrefois  chrétiens,  aujourd'hui  apostats,  qui 
tenaient  à  récompenser  le  prêtre,  par  un  surcroît  de  cruauté, 
du  bien  qu'il  leur  avait  fait  ;  ils  voulaient  peut-être  effacer 
en  eux  le  caractère  ineffaçable  du  baptême,  en  se  montrant 
j)lus  ardents  que  les  Iroquois  eux-mêmes  à  tourmenter  les 
deux  serviteurs  de  Dieu. 

Le  P.  de  Brébeuf  est  attaché  au  poteau.  Là,  on  enfonce 
dans  ses  chairs  des  alênes  brûlantes,  on  promène  sur  ses 
membres  des  charbons  embrasés,  on  suspend  à  son  cou  un 
collier  de  haches  roug-ies  au  feu  2.  Ferme  comme  un  rocher 
et  impassible  sous  la  violence  des  tourments,  l'apotre, 
oublieux  de  ses  souffrances,  élève,  comme  le  Christ  sur  la 
croix,    sa  voix   la  plus    forte,    et  s'adressant   tantôt   aux 

i.  Relation  de  1649,  p.  14. 

2.  Dans  un  document  inédit  sur  la  mort  des  Pères  de  Brébeuf  et 
Lalemant,  trouvé  par  M,  D.  Brymner  et  inséré  dans  les  Archives  du 
Canada,  année  1884,  p.  LXX,  note  E,  le  F.  coadjuteur,  Christophe 
Régnant,  compagnon  des  deux  Pères  et  auteur  du  document,  dit  : 
<(  Voici  la  façon  que  j'ai  vu  faire  ce  collier  de  haches.  Ils  font  rougir 
six  haches,  prennent  une  grosse  hart  de  bois  vert,  passent  les  six 
haches  par  le  gros  bout  de  la  hart,  prennent  les  deux  bouts 
ensemble  et  puis  le  mettent  au  cou  du  patient.  Je  n'ai  point  vu  de 
tourment  qui  m'ait  plus  ému  de  compassion  que  celui-là.  Car  vous 
voyez  un  homme  tout  nu,  lié  au  poteau,  qui  ayant  ce  collier  au  cou 
ne  saurait  en  quelle  posture  se  mettre,  car  s'il  se  penche  en  avant, 
celles  de  dessus  les  épaules  pèsent  davantage  ;  s'il  se  veut  pencher 
en  arrière,  celles  de  son  estomac  lui  font  souffrir  le  même  tourment  ; 
s'il  se  tient  tout  droit,  les  haches  ardentes  de  feu  appliquées  égale- 
ment des  deux  côtés  lui  causent  un  double  tourment.  »  (Lettre  adres- 
sée aux  Jésuites  de  Caen,  en  1678.) 


—  79  — 

Hurons  chrétiens,  tantôt  à  ses  bourreaux,  il  encourage  les 
premiers  et  leur  montre  la  couronne  du  ciel,  il  menace  les 
seconds  de  la  justice  divine  et  des  feux  de  l'enfer.  Devant 
tous,  il  prêche  Jésus-Christ. 

Tant  de  liberté,  jointe  à  une  telle  force  d'àme,  étonne  les 
bourreaux  et  les  exaspère.  Pour  l'empêcher  de  parler  et  de 
prêcher,  ils  lui  coupent  les  lèvres,  la  langue  et  le  nez,  ils 
lui  fendent  la  bouche  jusqu'aux  oreilles,  ils  enfoncent  un 
fer  rouge  dans  son  gosier,  ils  mettent  dans  sa  bouche  des 
charbons  enflammés.  «  Mais  l'invincible  missionnaire,  dit 
Charlevoix,  paraît  avec  un  visage  si  assuré  et  un  regard  si 
ferme  qu'il  semble  encore  donner  la  loi  à  ses  ennemis  i.  » 

Ceux-ci  inventent  de  nouvelles  tortures.  On  lui  arrache 
les  cheveux,  on  enlève  la  peau  de  sa  tête  en  forme  de  cou- 
ronne, on  coupe  sa  chair,  morceau  par  morceau,  et  on  lui 
dit  avec  une  sanglante  ironie  :  ((  Tu  as  dit  aux  autres 
que  plus  on  souffrait  dans  cette  vie,  plus  la  récompense  de 
l'autre  vie  serait  grande.  Remercie-nous  donc  puisque  nous 
embellissons  ta  couronne'-.  » 

A  l'instigation  d'un  îluron  renégat,  et,  en  hnine  du  hap- 
tême'^\  on  verse  par  trois  fois  sur  sa  tête  et  sur  ses  épaules 
de  l'eau  bouillante  :  «  Vah  !  lui  disent-ils,  nous  te  bapti- 
sons, afin  que  tu  sois  bienheureux  dans  le  ciel  ;  car  sans  un 
bon  baptême,  on  ne  peut  être  sauvé ^.  » 

Enfin,  on  entoure  son  corps  d'écorces  enduites  de  résine, 
auxquelles  on  met  le  feu,  afin  de  griller  lentement  le  mar- 
tyr, toujours  calme  et  serein  dans  la  douleur.  L'intrépidité 
du  héros  aurait  pu  se  communiquer  à  ses  compagnons.  Les 
bourreaux  le  craignent  et  décident  d'en  finir  avec  lui.  Un 

1.  Ilisloire  de  la  Nouvelle-France,  t.  I,  p.  293. 

2.  Brève  relatione,  p.  11. 

3.  Ibixl. 

4.  Relation  de  1649,  p.  14. 


—  80  — 

chef  lui  ouvre  le  côté,  arrache  le  cœur  et  le  dévore,  tandis 
que  les  sauvages  boivent  le  sang-  qui  découle  de  la  plaie. 

Le  P.  de  Brébeuf  expira  le  mardi  seize  mars,  vers 
quatre  heures  du  soir,  à  l'âge  de  cinquante-six  ans. 

((  Dans  toute  l'histoire  du  Canada,  on  ne  rencontre  pas 
de  plus  grande  figure',  )>  dit  Ferland  ;  et  u  la  vérité  qui 
ressort  de  sa  vie  sublime,  ajoute  le  protestant  Parkman,  est 
que  ce  missionnaire  recelait  un  cœur  de  saint  et  de  héros  ■^.  » 
Ces  dernières  paroles  résument  parfaitement  la  merveil- 
leuse et  sainte  existence  du  P.  de  Brébeuf.  Nous  avons 
décrit  ailleurs  son  beau  caractère  et  ses  travaux.  Religieux 
d'une  mortification  d'anachorète,  il  jeûnait  souvent,  allait 
revêtu  d'un  cilice  aux  pointes  de  fer,  veillait  la  plus  grande 
partie  de  ses  nuits,  et,  le  reste  du  temps,  il  s'étendait  sur 
une  écorce  ou  sur  la  terre  nue.  Homme  d'oraison  et  de 
prière,  il  vivait  uni  à  Dieu  par  la  pensée  et  par  le  cœur,  il 
avait  de  fréquentes  apparitions  de  Notre-Seigneur,  de  la 
Sainte-Vierge,  de  Saint-Joseph,  des  anges  et  des  saints. 
Jésus-Christ  se  montrait  surtout  à  lui  portant  sa  croix. 
Trois  jours  avant  le  martyre,  le  maître  révéla  à  son  servi- 
teur, le  moment  et  les  circonstances  de  sa  mort;  le  P.  de 
Brébeuf  en  prévint  ses  frères,  avec  des  transports  de  joie-^. 

Il  ne  désirait  rien  tant  que  de  verser  son  sang  pour  Jésus- 
Christ.  Dès  1G39,  il  avait  fait  ce  vœu  :  «  Je  fais  vœu  de  ne 
jamais  manquer  à  la  grâce  du  martA're,  si  dans  votre  misé- 
ricorde, ô  mon  Dieu,  vous  l'offrez  à  votre  indigne  servi- 
teur... Si  les  occasions  de  mourir  pour  vous  se  présentent, 
je  ne  les  éviterai  pas;  et  lorsque  le  coup  de  mort  me  sera 

1.  Cours  cVIIisioire,  p.  376.] 

2.  Les  Jésuites  dans  V Amérique  du  A^orc/,  traduction  de  la  comtesse 
de  Clermont-Tonnerre,  p.  2\l,nofe. 

3.  Relation  de  4649,  ch.  V;  —  Lettres  de  Marie  de  l'Incarnation, 
oct.  1649  ;  —  Brève  relatione,  p.  112  et  suiv. 


...s 


J'^f'y^^'if'ye.    Pl^ic'l^       J^nC      7e.;/ 


—  81  — 

donné,  je  l'accepterai  d'un  cœur  joyeux  et  triomphante  » 
Son  supérieur  lui  avait  ordonné  de  consigner  par  écrit  ses 
nombreuses  visions,  g-râces  et  révélations,  «  du  moins  celles 
dont  il  pouvait  se  souvenir,  dit  le  P.  Ragueneau,  car  la 
multitude  en  était  telle  qu'il  n'eut  pu  les  relater  toutes.  » 
Puis  le  supérieur  ajoute  :  «  Je  ne  trouve  rien  de  plus  fré- 
quent dans  ses  mémoires,  que  l'expression  de  son  désir 
de  mourir  pour  Jésus-Christ  :  Sentio  me  vehcmentcr  impelli 
ad  nioriendum  pro  christo-.  » 

Son  compagnon  de  martjre,  le  P.  Gabriel  Lalemant,  n'avait 
ni  la  même  vigueur  physique,  ni  la   même  force  morale. 

1.  Relation  de  1649,  p.   10. 

2.  Relation  de  1649,  p.  18.  —  Consulter  sur  la  sainte  vie  et  la  mort 
du   P.    de    Brél)cuf  :   Relafionti  de   la  Nouvelle-France,  de    1626,  de 
14332,  etc...  surtout  de  1649,  ch.  IV,  intitulé  :  De  f heureuse  mort  du 
P.  Jean  de  Rréheuf  et  du  P.  G.  Lalemant;  —  Bressani,  Rreve  rela- 
tione,  cap.  V,  pp.    107    et    suiv.  ;    —    Alegambe,   Mortes    illustres^ 
pp.  644-652;  —  Creuxius,  Ilistoriœ   Canadensis,  pp.   158,  161,  539, 
542;     —     Tanner,    Sociefas    Jesu      militans,    p.      533;    —    Cassani, 
Varones  ilustres,  pp.  572  et  suiv.  ;  —  P.   Martin,   Vie  du  P.  de  Rré- 
heuf ;  —  Marie  de  ITncarnation,  Lettres,  pp.  440  et  suiv.  ;  —    Char- 
levoix,  t.  I,  p.  290  ;  t.  II, pp.  13  et  suiv.; —  Ferland,  Cours  d'histoire, 
t.  I,  ch.  7,  pp.  374  et  suiv.  ;  —  Narratio  historica  eorum  quœ  Socie- 
tas   Jesu    in  nova   Franciâ  fortiter   e<:;'it  et   passa  est,  à  P.  Géorgie 
Gobât,  S.  J.  ;  —  Chroniques  de  l'ordre  des  Carmélites  de  la  reforme 
de  Sainte-Thérèse  depuis  leur  introduction  en  France,  Troyes,  1861, 
t.  IV,  pp.  21  et  suiv.  ; —  La  vie  de  la  mère  Catherine  de  Saint- Augus- 
tin,  par  le  P.  Ragueneau,  Paris,  1671.  —  D'après  ce  qui  est  dit  dans 
sa  vie,  la  Mère  Catherine  de  Saint- Augustin  fut  visitée  souvent  par 
le  P.   de  Brcbeuf,  qui,  après  son    martyre,  assista  particulièrement 
cette  religieuse,  et  la  dirigea  dans  les  voies  de  Dieu.  On  trouvera 
encore  d'autres  détails  sur  ce  missionnaire  dans  VAnn.  dier.  mem., 
du  P.  Nadasi;  les  Fasti,  du  P.  Drews;  le  Menologio,  du  P.  Patri- 
gnani  ;  les  The  Jesuits  in  North  America,  de  Parkman,  ca^D,  XVI,  et 
Vllistory  ofthe  United  States,  de  G.  Bancroft,  vol.  II,  pp.  783,  785  et 
797.  —  Voir  aux  Pièces  Justificatives,  n»  V,  une  lettre  du  P.  Garnier 
(27  avril  1649)  au  R.  P.  Pierre  Boutard,  sur  la  mort  des  PP.  G.  Lale- 

et  J .  de  Brébeuf . 
Jés.  et  Nouv.-Fr.  —  T.  IL  6 


—  82  — 

D'une  complexion  très  délicate,  d'une  nature  impressionnable 
et  sensible  à  l'excès,  il  ne  semblait  pas  fait  pour  les  pénibles 
travaux  de  l'apostolat  parmi  les  sauvages  de  l'Amérique  du 
Nord  ;  aussi,  malgré  ses  vives  instances,  ses  supérieurs  lui 
refusèrent-ils  cette  mission  pendant  seize  ans.  Les  refus 
ne  le  découragèrent  pas.  Dès  le  noviciat,  il  s'était  engagé 
par  vœu  à  aller  au  Canada  ;  chaque  année,  il  renouvela  ses 
engagements  et  sa  demande.  Il  se  disait  avec  raison  que  la 
grâce  de  Dieu  peut  opérer  des  merveilles  dans  un  cœur  où 
réside  la  bonne  volonté,  et  donner  au  corps  et  à  l'âme  une 
vaillance  qui,  par  droit  de  naissance,  n'appartient  ni  à  l'un 
ni  à  l'autre^. 

Depuis  sept  mois  seulement  il  était  chez  les  Hurons,  et 
le  Seigneur  le  trouva  prêt  pour  le  sacrifice  ! 

Le  martyre  dvi  P.  de  Brébeuf  dura  trois  heures  ;  le  sien, 
une  23artie  du  jour  et  une  nuit.  Lié  au  poteau,  il  eut, 
comme  le  P.  de  Brébeuf,  les  membres  brûlés  et  rôtis  : 
alênes  et  collier  de  haches  rougies,  tisons  ardents,  baptême 
d'eau  bouillante,  on  mit  tout  en  œuvre  pour  le  tourmenter. 
Gomme  le  P.  de  Brébeuf,  il  fut  grillé  à  petit  feu  dans  une 
écorce  de  sapin,  il  eut  le  nez  et  la  langue  coupés,  la  bouche 
fendue  ;  et,  pour  l'empêcher  de  prier  et  de  parler,  on  lui 
introduisit  jusqu'au  fond  de  la  gorge  des  charbons  brûlants. 
Comme  le  P.  de  Brébeuf,  il  vit  ses  chairs  enlcA^éespar  lam- 
beaux et  mangées,  son  crâne  déchiqueté. 

1.  Relation  do  1649,  p.  16  :  ((  Sa  complexion  était  très  délicate  et 
son  corps  n'avait  point  de  force.  )>  —  Brève  j^elatione,  p.  111  :  «  Dî 
debolissima  complessione.  »  —  Marie  de  V  Incarnat  ion  :  «  C'était 
riiomme  le  plus  faible  et  le  plus  délicat  qu'on  eût  pu  voir  » 
{Lettres,  p.  441).  —  On  trouve  dans  les  u  Chroniques  de  l'ordre  des  Car- 
mélites de  la  réforme  de  Sainte-Thérèse,  »  t.  IV,  pp.  21  et  suiv.,  des 
détails  très  intéressants  sur  le  jeune  Gabriel  Lalemant  et  sa  famille, 
et  une  lettre  sur  son  martj're  adressée  par  le  P.  Joseph  Poncet,  son 
cousin,  à  la  Mère  Anne  du  Saint-Sacrement,  prieure  du  Carmel  et 
sœur  du  P.  Gabriel. 


—  83  — 

Quels  supplices  pour  un  homme  faible  et  délicat  î 
La  cruauté  des  barbares  lui  en  ménageait  cependant  de 
plus  terribles,  sans  doute  parce  qu'ils  espéraient  triompher 
de  sa  faiblesse,  à  force  de  tourments,  et  l'obliger  à  deman- 
der grâce  à  ses  ennemis  ^ . 

Son  martyre  avait  commencé,  d'après  les  uns  avec  celui 
du  P.  de  Brébeuf,  d'après  les  autres  à  six  heures  du  soir;  il 
se  prolongea  toute  la  nuit  jusqu'à  neuf  heures  du  matin,  et 
rien  ne  lui  fut  épargné  de  tout  ce  que  j^eut  inventer  la  plus 
habile  férocité  -. 

Sur  toute  la  longueur  latérale  de  la  cuisse  gauche  on  lui 
fait  une  large  entaille  jusqu'à  la  profondeur  de  l'os,  et,  dans 
cette  blessure,  on  glisse  lentement  le  tranchant  d'une  hache 
rougie  au  feu.  Sur  la  cuisse  droite,  on  pratique,  à  une  égale 
j^rofondeur,  une  double  incision,  en  forme  de  croix,  et  avec 
le  fer  on  brûle  peu  à  peu  les  chairs  vives '^.  Au  milieu  de 
ses  douleurs  inénarrables,  le  patient  levait  souvent  les  yeux 
au  ciel,  pour  demander  courage  et  persévérance  au  Dieu  de 
toute  force  ;  les  bourreaux  lui  arrachent  les  yeux  et  mettent 
à  la  place  des  charbons  ardents.  Nous  n'en  finirions  pas  de 
raconter  les  horribles  tourments  auxquels  ils  soumirent  le 
jeune  missionnaire. 

Une  grande  partie  de  la  nuit,  ils  l'abandonnent  aux 
mains  des  jeunes  gens,  avec  permission  de  le  torturer  sui- 
vant leur  caprice,  pourvu  qu'ils  ne  lui  enlèvent  pas  com- 
plètement la  vie,  car  un  condamné  ne  devait  pas  mourir 
entre  le  coucher  et  le  lever  du  soleil.  Longues  et  doulou- 


4.  Relation  de    1649,  ch.  IV;  —  Brève  i^elatione,  ch.  V;  — Lettres 
de  la  Mère  Marie  de  r Incarnation,  pp.  444  et  suiv. 

2.  Chi^oniques  de  Vordre  des  Carmélites  :  Lettre  du  P.  Poncet  à  la 
mère  Anne  du  Saint-Sacrement. 

3.  Ibid. 


—  84  — 

reuses  heures  pendant  lesquelles  la  victime  épuisée  reste 
le  jouet  sans  défense  de  ces  petits  sauvages  ^  !  Quand  ses 
mains  étaient  libres,  quand  les  liens,  qui  l'attachaient  au 
poteau,  se  relâchaient  un  peu,  le  patient  se  jetait  à  genoux, 
joignait  les  mains,  et,  le  regard  en  haut,  il  priait;  mais  les 
barbares  croyant  trouver  là  le  secret  de  son  inexplicable 
force,  l'obligeaient  à  coups  de  bâtons  ou  de  cordes  à  se 
relever  et  à  baisser  les  bras.  «  Il  n'y  eut,  dit  le  P.  Rague- 
neau,  aucune  partie  de  son  cor23s,  dejDuis  les  pieds  jusqu'à 
la  tête,  qui  ne  fut  grillée  et  dans  laquelle  il  ne  fut  brûlé 
tout  vif-.   » 

Un  historien  a  dit  qu'au  fort  de  la  douleur  il  jetait  des 
cris  capables  de  percer  les  cœurs  les  plus  durs  et  qu^il 
paraissait  quelquefois  hors  de  lui-même^;  un  autre,  plus 
soucieux  peut-être  de  l'effet  d'un  mot  ou  d'une  phrase  que 
de  l'exactitude  historique,  a  parlé  de  plaintes  déchirantes 
qui  fendaient  rame;  il  a  écrit  que  le  Jeune  religieux  se 
tordait  dans  d'intolérables  douleurs^.  Si  l'on  s'en  rapporte 
aux  correspondances  des  missionnaires  de  Sainte-Marie  des 
Hurons  et  aux  récits  du  temps,  il  est  bien  évident  que  ces 
expressions  sont,  à  tout  le  moins,  empreintes  d'une  réelle 
exagération  '^.  On  s'explique  du  reste  que  la  violence  inouïe 

1.  Au  pays  des  Ilurons,  p.  79. 

2.  Relation  de  1649,  p.  15. 

3.  Histoire  de  la  Nouvelle-France,  par  le  P.  de  Charlevoix,  p.  295. 

4.  Marie  de  r Incarnation,  par  Vahhé  Casgrain.  Introduction,  p.  45. 

5.  Relation  de  1649,  p.  14  :  u  Dans  le  plus  fort  de  ces  tourments, 
le  P.  G.  Lalemant  levait  les  yeux  au  ciel,  jettant  des  soupirs  à  Dieu 
qu'il  invoquait  à  son  secours.  »  —  Le  P.  Poncet,  dans  sa  lettre  à  la 
mère  Anne  du  Saint-Sacrement,  dit  qu'il  n'a  pas  de  paroles  de  plainte, 
qu'il  ne  fait  que  prier  et  jeter  des  œillades  au  ciel.  —  Rressani,  p.  110  : 
«  La  loro  Constanza  fù  maravigliosa,  massime  quella  del  Padre  Bre- 
beuf.  Mai  diede  un  minimo  segno  di  dolore,  mai  apri  la  bocca  per 
gridare...  »  —  Narratio  historica,  p.  110:  «  Invictus  héros  lumina 
vultumque  cœlo  tendebat  atque  ad  Deum  precabatur,  suspiria  imo 


des  tourments  ait  arraché  des  gémissements  involontaires 
à  une  nature  frêle  et  sensible,  qu'elle  l'ait  mise  par  instants 
malgré  elle  comme  hors  d'elle-même.  Mais  l'âme  resta  tou- 
jours  inébranlable  et  le  cœur  uni  à  Dieu.  «  Nous  savons, 
écrit  le  P.  Poncet,  à  la  date  du  18  mai  1649,  qu'au  lieu  de 
sentiments  de  colère  et  d'indignation  contre  ses  bourreaux, 
ou  de  paroles  de  plainte  que  la  nature  eut  dû  lui  arracher, 
son  esprit  était  tellement  en  Dieu  qu'il  ne  faisait  autre  chose 
que  prier  et  jeter  des  œillades  vers  le  ciel,  et  joindre  les 
mains  avec  une  grande  ferveur...  Après  avoir  passé  un  soir, 
une  nuit  et  une  matinée  sans  relâche  au  milieu  des  plus 
cruels  tourments,  cependant,  avant  de  mourir,  sa  force 
d'esprit  et  sa  foi  étaient  si  vigoureuses,  que,  nonobstant  ses 
plaies,  il  se  mit  à  genoux  pour  embrasser  son  poteau  et 
faire  à  Dieu  sa  dernière  offrande  ^ .  »  Vers  les  neuf  heures 
du  matin,  un  sauvage  fatigué  de  le  voir  souffrir  si  long- 
temps, lui  fracassa  le  crâne  avec  sa  hache,  le  17  mars  1649. 
Le  P.  Gabriel  Lalemant  avait  trente-neuf  ans  -. 


ex  corde  ducta  jactabat.  —  Tanner,  Societas  milifana  :  «  Deum  suspi- 
rans  vocabat  in  opem  (p.  539).  —  Enfin  Marie  de  l'Incarnation,  Lettres 
historiques,  p.  442:  «  Il  avait  les  yeux  élevés  au  ciel,  souffrant  tous 
ces  outrages,  sans  faire  aucune  plainte  et  sans  dire  mot. 

1.  Lettre  du  P.  Antoine-Joseph  Poncet,  missionnaire  aux  Hurons, 
à  un  de  ses  frères  en  France.  Sainte-Marie  des  Hurons,  18  mai  1649. 

2.  Relation  de  16i9,  p.  15.  —  Consulter  sur  le  martyre  du  P.  G. 
Lalemant  :  Relation  de  1649,  ch.  IV;  —  Brève  relatione,  p.  dll,  cap. 
V;  —  Marie  de  l'Incarnation,  lettres  d'oct.  1649;  —  Gabat,  Narratio 
historica;  —  Creuxiiis,  p.  538  et  suiv.  ;  —  Tanner,  Societas  militans, 
p.  534  et  suiv..  ;  —  P.  J.  Poncet,  lettre  à  la  mère  Anne  du  Saint-Sacre- 
ment, Chroniques  de  Tordre  des  Carmélites  ;  —  Vie  du  P.  de  Brébeuf, 
parle  P.  Martin  ;  —  Au  pays  des  Hurons,  par  le  P.  Rouvier  ;  —  Histoire 
de  la  Nouvelle-France,  par  le  P.  de  Charlevoix;  —  Archives  du 
Canada,  1884,  p.  LXX  et  suiv.;  —  Georges  Bancroft,  t.  IV,  c,  XX, 
pp.  783-797;  —  Parkman,  The  Jesuits  in  North  America,  cap.  XVI; 
—  Chroniques  de  Tordre  des  Carmélites,  t.  IV. 


—  86  — 

Après  sa  mort,  on  trouva  dans  ses  papiers  un  précieux 
manuscrit,  où  lui-même  avait  exposé  les  raisons  de  son 
ardent  désir  de  la  mission  du  Canada;  et  dans  cet  écrit,  on 
lisait  ces  admirables  paroles  :  Quoniam  ego  in  flar/ella 
paratus  sinn,  hic  ure,  hic  seca,  ut  in  œternum parcasK  Ces 
paroles  devaient  se  vérifier  à  la  lettre  pendant  son  long- 
martyre  au  bourg-  de  Saint-Ignace.  Il  fut  flagellé,  brûlé; 
on  lui  coupa  les  chairs.  Est-il  téméraire  d'ajouter  avec  son 
supérieur,  quil  vit  dans  le  repos  des  saints  et  qiiil  y  vivra 
éternellement'^'^. 

Neveu  des  Pères  Charles  et  Jérôme  Lalemant,  fils  de 
Jacques  Lalemant,  avocat  au  Parlement  de  Paris,  il  montra 
jeune  encore  de  singulières  aptitudes  pour  les  lettres  et  les 
sciences.  Sa  famille  fondait  sur  lui  de  légitimes  espérances. 
Elles  se  réalisèrent,  mais  d'une  façon  tout  autre  qu'elle 
ne  l'espérait.  <(  Sous  ses  faibles  dehors,  dit  un  de  ses  histo- 
riens, il  cachait  une  âme  ardente,  généreuse  dans  laquelle 
fermentait  un  insatiable  désir  de  se  sacrifier  3.  »  Le  sacrifice, 
il  vint  le  chercher  dans  la  Compagnie  de  Jésus.  Là,  succes- 
sivement professeur  de  grammaire,  de  littérature,  de  philo- 
sophie et  de  sciences,  puis  préfet  des  études,  il  sentait 
d'année  en  année,  de  jour  en  jour,  croître  en  lui  sa  soif 
d'immolation  pour  le  salut  des  sauvages.  Il  était  à  Bourges, 
cjuand  une  lettre  de  son  Provincial  l'avertit  de  son  prochain 
départ.  Sa  mère  vivait  encore  et  deux  de  ses  sœurs  avaient 
revêtu  l'habit  de    Sainte-Thérèse.    L'aînée   gouvernait,   en 

1.  <(  Puisque  je  suis  prêt  h  être  flagellé,  brûlez,  retranchez  ici-bas, 
afin  de  pardonner  devant  réternité.  »  [Relation  de  1649,  p.  16).  — 
L'écrit  trouvé  parmi  les  papiers  du  P.  Lalemant  a  été  imprimé  dans 
cette  Relation,  ch.  IV. 

2.  Relation  de  1649,  p.  15. 

Z.  Au  parjs  des  Huilons,  par  le  P.  Bouvier,  p.  62. 


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e^nve^-n^  ^ f. ,  J^j^,, 


—  87  — 

qualité  de  prieure,  le  couvent  de  Paris.  Quand  le  P.  Gabriel  ^ 
vint  lui  faire  ses  derniers  adieux,  elle  lui  remit  quelques 
reliques  de  martyrs,  providentielle  annonce  du  genre  de 
gloire  qui  attendait  le  jeune  Jésuite  de  l'autre  côté  de 
l'Océan.  Sa  mère,  femme  forte  et  de  devoir,  l'embrassa  et 
le  bénit.  L'une  et  l'autre  se  disaient  qu'elles  auraient 
bientôt  un  martyr  au  ciel;  elles  ne  se  trompaient  pas. 

La  mère,  en  apprenant  l'héroïque  mort  du  P.  Gabriel, 
remercia  Dieu  de  la  grâce  insigne  qu'il  avait  accordée  au 

1.  Le  P.  Gabriel  Lalemant  naquit  à  Paris  le  10  octobre  1610,  Son 
père  mourut  assez  jeune  laissant  la  mère  chargée  de  six  enfants. 
Bruno,  Fainé  des  garçons,  entra  chez  les  Chartreux,  le  cadet  devint 
maître  des  requêtes;  les  trois  sœurs  se  firent  religieuses.  Anne  du 
Saînf-Sacremenf,  l'aînée  des  trois,  qui  devint  prieure  du  Carmel  de 
Pnris,  aimait  particulièrement  le  P.  Gabriel,  le  plus  jeune  de  la 
famille.  C'est  avec  elle  qu'il  correspondait  ordinairement.  On  a  con- 
servé quelques-unes  de  ses  lettres  à  cette  sœur.  Après  la  mort  du 
P.  Gabriel,  sa  mère  se  consacra  à  Dieu  et  mourut  religieuse  récollette. 

Gabriel  entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  au  noviciat  de  Paris,  le 
24  mars  1630,  après  avoir  fait  deux  ans  de  rhétorique  et  trois  ans  de 
philosophie.  Au  sortir  du  noviciat,  il  professa  à  Moulins  la  quatrième 
(1632-1633),  la  troisième  (1633-1634),  et  la  seconde  (1634-1 63oj,  puis  il 
fit  quatre  ans  de  théologie  (1635-1639)  à  Bourges,  où  il  fut  en  même 
temps  employé,  en  qualité  de  prœfrrfiis  morw/;i,au  pensionnat.  Après 
sa  théologie,  la  failîlesse  de  sa  santé  obligea  ses  supérieurs  de  l'envoyer 
passer  quelque  temps  au  collège  royal  de  la  Flèche,  où  il  surveilla  les 
pensionnaires.  De  là,  il  alla  professer  la  philosophie  à  Moulins  (1641- 
1644),  et  enfin  il  devint  préfet  du  collège  de  Bourges  (1644-1646). 
Le  13  juin  1646,  il  s'embarqua  à  la  Rochelle  pour  le  Canada  avec  les 
Pères  Claude  Quentin,  procureur  de  la  mission,  Adrien  Daran  et 
Amable  du  Frétât,  et  le  F.  coadjuteiir,  Pierre  Masson.  A  Québec,  il 
trouva,  pour  supérieur  de  la  mission,  le  P.  Jérôme  Lalemant,  son 
oncle,  qui  l'employa  près  de  deux  ans  à  divers  ministères  aposto- 
liques, à  QuéJDCc,  à  Sillery  et  aux  Trois-Rivièrcs.  Le  6  août  1648,  il 
arriva  à  Sainte-Marie  des  Hurons,  et  fut  donné  comme  compagnon 
au  P.  de  Brébeuf.  En  six  mois,  il  fit  tant  de  progrès  dans  la  langue 
huronne,  dit  le  P.  Ragueneau,  que  nous  ne  doutions  pas  que  Dieu 
voulût  se  servir  de  lui  en  ce  pays  pour  l'avancement  de  sa  gloire  [Bêla- 
fions  de  1649,  p.  17).  La  Providence  en  décida  autrement. 


—  88  — 

fils  et  à  la  mère;  au  fils,  mort  victime  de  sa  foi  et  de  sa 
charité  ;  à  la  mère  qui  comptait  un  martyr  parmi  ses  enfants. 
La  sainte  prieure  du  Carmel,  prévenue  par  le  P.  Jérôme 
Lalemant  des  derniers  moments  de  son  frère  aimé,  se  jeta 
à  genoux  et  chanta  le  Magnificat.  Le  reste  de  sa  vie  fut  un 
cantique  d'actions  de  grâces. 

Cependant,  quelques  Hurons  chrétiens,  échappés  des 
mains  des  Iroquois  et  qui  avaient  été  témoins  de  tout  ce  qui 
s'était  passé  à  Saint-Louis  et  à  Saint-Ignace,  apportèrent 
à  Sainte-Marie  la  nouvelle  du  martyre  des  Pères  et  ses 
moindres  particularités  i.  Le  Frère  Malherbe,  accompagné 
de  quelques  Français,  se  rendit,  aussitôt  après  le  départ 
des  ennemis,  au  bourg  de  Saint-Ignace  et  transj^orta  les 
corps  des  deux  victimes  à  la  Résidence,  où  on  les  ensevelit, 
le  21  mars,  «  avec  tant  de  consolation  et  des  sentiments  si 
tendres,  dit  le  P.  Ragueneau,  que  je  n'en  sçache  aucun 
parmi  nous  qui  ne  souhaitât  une  mort  semblable  plutôt 
que  de  la  craindre  -.    » 

1.  Brève  relatione,  p.  110;  —  Relation  de  1649,  ch.  III  et  IV. 

2.  Relation  de  1649,  p.  lo.  On  a  trouvé,  il  y  a  quelques  années,  dans 
un  coin  de  l'ancienne  chapelle  de  Chicoutlmi,  un  manuscrit  contenant 
la  notice  nécrologique  du  Frère  coadjuteur,  François  Malherbe;  cette 
notice  dit  que  ce  religieux  se  rendit  à  Saint-Ignace,  en  compagnie  de 
quelques  Français  et  trouva  les  corps  de  deux  missionnaires  au  pied 
du  poteau  où  on  les  avait  martyrisés.  M^"  N.-E.  Dionne  a  inséré 
(Revue  canadienne,  juin  1888,  pp.  386-387)  dans  les  Figures  oubliées 
de  notre  histoire  une  courte  notice  sur  ce  Frère,  qu'il  dit  être  une  des 
figurés  les  plus  remarquables  parmi  les  Frères  coadjuteurs  de  cette 
époque  au  Canada  :  a  II  avait  prononcé  ses  vœux  le  15  août  1665. 
D'abord  engagé,  il  fit  preuve  de  vocation  religieuse  chez  les  Hurons, 
où  il  avait  suivi  les  PP.  de  Brébeuf  et  G.  Lalemant;  après  le  martyre 
de  ces  deux  missionnaires,  il  transporta  (à  Sainte-Marie)  sur  ses 
épaules  les  corps  grillés  et  rôtis  de  ces  religieux.  A  sa  mort,  arrivée 
le  12  avril  1696,  il  était  parvenu  à  l'âge  de  60  ans  et  3  mois,  dont  il 
avait  passé  42  dans  la  Compagnie.  Il  séjourna  pendant  13  à  14  ans  à 
la  mission   Saint-Charles  du  lac   Saint-Jean,  à  l'embouchure   de  la 


—  89  — 

Avant  de  les  déposer  dans  la  tombe,  chacun  voulut  voir 
et  toucher  leurs  plaies^  ;  on  embrassait  avec  respect 
les  g-lorieuses  cicatrices  de  ces  héros;  au  lieu  de  prier 
pour  eux,  on  reg-ardait  au  ciel,  demeure  de  ceux  qui 
ont  ici-bas  vaillamment  combattu,   et  on  leur   demandait 

Métabetchouane,  consacrant  une  grande  partie  de  son  temps  à  voyager 
de  Chégoutimy  au  lac  Peokouagamy  (Saint-Jean).  Ce  fut  lors  d'une 
de  ces  excursions  pénibles,  durant  l'hiver  de  1686,  qu'il  faillit  mourir 
de  faim  et  de  froid.  Le  chef  Montagnais  de  Chégoutimy,  Louis  Kesta- 
bistichit,  le  trouva,  après  de  longues  recherches,  et  l'apporta  sur  ses 
épaules,  gelé  et  presque  mourant...  11  le  ramena  ensuite  à  Québec  en 
canot  d'écorce.   » 

1.  Brève  relafione,  p.  110.  —  Le  F.  Régnant,  témoin  oculaire,  écri- 
vait aux  Jésuites  de  Caen  :  «  Nous  trouvâmes  les  corps  des  deux 
Pères  à  Saint-Ignace,  mais  un  peu  écartés  l'un  de  l'autre.  On  les 
rapporta  à  notre  cabane  et  on  les  exposa  sur  des  écorces  de  bois,  où 
je  les  considérai  à  loisir  plus  de  deux  heures  de  temps,  pour  voir  si  ce 
que  les  sauvages  nous  avaient  dit  de  leur  martyre  et  de  leur  mort 
était  vrai.  Je  considérai  premièrement  le  corps  du  Père  de  Brébeuf 
qui  faisait  pitié  à  voir,  aussi  bien  (pie  celui  du  Père  Lalemant.  Le 
Père  de  Brébeuf  avait  les  jambes,  les  cuisses  et  les  bras  tous  décharnés 
jusqu'aux  os.  J'ai  vu  et  touché  quantité  de  grosses  ampoules,  qu'il 
avait  en  plusieurs  endroits  de  son  corps  (provenant)  de  l'eau  bouil- 
lante que  ces  barbares  lui  avaient  versée  en  dérision  du  Saint  Baptême. 
J'ai  vu  et  touché  la  plaie  d'une  ceinture  d'écorce  toute  pleine  de  poix 
et  de  résine  qui  grilla  tout  son  corps.  J'ai  vu  et  touché  les  brûlures 
du  collier  des  (de)  haches  qu'on  lui  mit  sur  les  épaules  et  sur  l'esto- 
mac. J'ai  vu  et  touché  ses  deux  lèvres,  ({u'on  lui  avait  coupées  à  cause 
qu'il  parlait  toujours  de  Dieu,  pendant  (ju'on  le  faisait  souffrir.  J'ai 
vu  et  touché  torts  les  endroits  de  son  corps,  qui  avait  reçu  plus  de 
deux  cents  coups  de  bâton.  J'ai  vu  et  touché  le  dessus  de  sa  tête 
écorchée.  J'ai  vu  et  touché  l'ouverture  que  ces  l)arbares  lui  firent 
pour  lui  arracher  le  cœur.  Enfin  j'ai  vu  et  touché  toutes  les  plaies  de 
son  corps,  comme  les  sauvages  nous  l'avaient  dit  et  assuré. 

Nous  ensevelimes  ces  précieuses  reliques  le  dimanche  21*^  jour  de 
mars  1649  avec  bien  de  la  consolation.  J'eus  le  bonheur  de  les  porter 
en  terre  et  de  les  inhumer  avec  celles  du  Père  Gabriel  Lalemant. 
Lorsque  nous  partîmes  du  pays  des  Hurons,  nous  levâmes  les  deux 
corps  de  terre  et  nous  les  mîmes  à  bouillir  dans  de  forte  lessive.  On 
gratta  bien  tous  les  os,  et  on  donna  le  soin  de  les  faire  sécher.  Je  les 


—  90  — 

pour  les  mêmes  luttes  l'héroïsme  qu'ils  avaient  si  généreu- 
sement déployé.  C'est  qu'en  effet,  les  missionnaires  s'atten- 
daient chaque  jour  à  une  attaque  des  ennemis,  et  Sainte- 
Marie  ne  semblait  pas  en  mesure  d'opposer  une  résistance 
sérieuse. 

Jusque  là,  la  Résidence  se  trouvait  protégée  par  une 
quinzaine  de  bourgades,  placées  entre  elle  et  les  Iroquois. 
Maintenant,  cette  barrière  n'existe  plus,  les  Hurons  ayant 
abandonné  leurs  A-illages,  dans  un  moment  de  frayeur  et 
d'affolement,  et  les  ayant  incendiés,  afin  que  l'ennemi  ne 
puisse  pas  s'y  réfugier  et  s'y  fortifier.  «  Il  en  résulte  pour 
nous,  écrivait  le  P.  Ragueneau,  que  notre  Résidence  se  trouve 
au  point  le  jilus  avancé  et  à  la  vue  des  Iroquois  ^,  »  et,  pour 
se  défendre,  elle  n'avait  que  huit  soldats,  vingt-trois  donnés 
et  sept  domestiques  2. 

Il    ne    fallait   pas    compter    sur    les   guerriers    Ilurons, 

mettais  tous  les  jours  dans  un  petit  four  de  terre  que  nous  avions, 
après  l'avoir  un  peu  chaufîé.  Et  étant  en   état  de  les  serrer,  on  les 
enveloppa  séparément  dans  de  TétofTe  de  soie,   puis  on  les  mit  en 
deux  petits  coffres,  et  nous  les  apportâmes  à  Québec,  où  ils  sont  en    . 
grande  vénération. 

(Lettre  adressée  de  Québec  aux  Jésuites  de  Caen,  en  1678.  Archives   i 
du  Canada,  1884,  LXXI.) 

«  On  conserve,  chez  les  Dames  hospitalières  de  Québec,  le  crâne  du 
P.  de  Brébeuf,  enchâssé  dans  le  socle  d'un  buste  d'arg-ent,  qui  fut 
envoyé  en  Canada  par  la  famille  de  l'illustre  martyr.  »  (Note  de 
M.  Tabbé  Casgrain;  Marie  de  rincarnaiion,  p.  46.) 

1.  Lettre  du  P.  Ragueneau  au  R.  P.  Général,  Vincent  Caraffe. 
Sainte-Marie  des  Hurons,  1'^'"  mars  1649.  [Documents  in('dits,  XII, 
p.  233.) 

2.  Carayon,  Doc.  inckl.^  XII,  pp.  233  et  234.  En  1648,  il  n'y  avait  à 
Sainte-Marie,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  24  Français. 
Les  autres  montèrent  l'année  suivante  au  pays  des  Hurons  avec  les 
Pères  Daran,  Bonin  et  du  Frétât. — \oïr  aux  Piècesjustificatives,  n^IV, 
la  lettre  déjà  citée  du  P.  Ragueneau  au  P.  Vincent  Caraffe,  l*"" 
mars  1649. 


—  91  — 

qui  se  précipitaient  à  leur  ruine  tête  baissée ,  comme 
emportés  par  cette  fatale  pensée,  que  leur  nation  était 
destinée  à  périr.  Bien  supérieurs  en  nombre  aux  Iroquois, 
ils  auraient  pu  se  rallier,  les  poursuivre  et  les  rejeter  au 
delà  du  Niagara;  ils  n'en  firent  rien,  ils  ne  songèrent  qu'à 
fuir  et  à  chercher  un  asyle  au  loin  chez  les  peuplades 
sauvages,  leurs  alliées.  Chaque  jour,  surtout  depuis  la 
prise  de  Saint-Ig-nace  et  de  Saint-Louis,  ils  arrivaient  par 
centaines  à  Sainte-Marie,  sans  chefs,  sans  organisation, 
désunis,  démoralisés,  paralysés  par  la  peur,  brisés  par 
les  maladies,  mourant  de  misère  et  de  faim.  Ils  restaient 
là  quelques  jours,  les  uns  pour  s'y  reposer  et  s'y  nourrir, 
les  autres  pour  s'y  fortifier  dans  la  grâce  des  sacrements, 
d'autres  aussi  j)our  se  faire  instruire  et  recevoir  le  baptême. 
En  16i8,  les  Pères  donnèrent  ainsi  l'hospitalité  à  plus  de 
six  mille  sauvages,  et  à  plusieurs  mille  encore  dans  les  six 
premiers  mois  de  l'année  suivante'.  On  a  dit  que  le  san(j 
des  martyrs  est  une  semence  de  chrétiens.  Cette  parole,  qui 
avait  commencé  à  se  réaliser  après  la  mort  du  P.  Jogues, 
se  vérifia  à  la  lettre  la  dernière  année  de  la  mission  huronne  ; 
car,  depuis  la  mort  du  P.  Daniel  jusqu'au  milieu  de  1019, 
les  missionnaires  administrèrent  le  sacrement  du  baptême 
à  plus  de  deux  mille  sept  cents  personnes-. 

Parmi  ces  milliers  de  Hurons,  qui  traversèrent  Sainte- 
Marie,  en  route  pour  une  patrie  meilleure  et  plus  sûre, 
trois  cents  familles,  presque  toutes  chrétiennes,  se  réfu- 
gièrent   dans  l'île  de  Saint-Joseph  ^.    D'autres    bandes    se 

1.  Rolniion  de  l()40,  ch.  VI.  pp.  25  et  suiv. 

2.  ((  Sans  compter  ceux  qui  furent  baptisés  à  la  Brèche  et  ceux  qui 
ont  été  faits  chrestiens  es  autres  endroits.  »  [Relation  de  1649,  p.  31.) 
—  Voir  aussi,  dans  les  Documents  inédits,  XII,  la  lettre  du  P.  Rague- 
neau  au  R.  P.  Vincent  (^araffe,  p.  233. 

3.  Ile  du  lac  Huron,  aujourd'hui  Charity  ou  Christian  Island,  près 
de  Penetanguishene.  — Voir  :  1°  La  lettre  latine,  13  mars  1650,  dii 


—  92  — 

dispersèrent  de  dillerents  côtés  :  les  unes  se  retirèrent  à 
Michillimakinac,  à  l'entrée  du  lac  Michigan;  les  autres,  à 
Sainte-Marie,  aujourd'hui  île  Manitoualine  ^  ;  d'autres  enfin, 
dans  quelques  îles,  voisines  de  Sainte-Marie  et  alors 
inconnues  des  Iroquois. 

Toutefois,  ces  fugitifs  étaient  loin  de  constituer  la  majorité 
de  la  nation  huronne .  Les  habitants  de  Saint-Michel  et  de  Saint- 
Jean-Baptiste  en  appelèrent  à  la  générosité  du  vainqueur  et 
furent  incorporés  dans  le  canton  des  Tsonnontouans,  où 
ils  formèrent  le  village  de  Saint-Michel  -  et  devinrent  le 
premier  novau  du  christinianisme  dans  la  confédération 
iroquoise.  Les  missionnaires  les  y  retrouveront  vingt  ans 
plus  tard  et  rencontreront  parmi  eux  des  prodiges  de  foi  et 
de  vertu.  D'autres  bandes  fugitives  demandèrent  asile  et 
protection  aux  Neutres  ^  et  aux  Eriés  ^  ;  elles  furent  peut- 
être  les  plus  malheureuses  de  toutes,  car  elles  disparurent 
dans  la  ruine  totale  de  ces  deux  pays,  dont  les  guerriers 
furent  battus  quelque  temps  après  par  les  Iroquois,  et  les 
habitants  massacrés  ou  dispersés.  Les  Andastes  ^  recueilli- 

P.  Raguencau  au  P.  Vincent  Carafîe,  aux  Pièces  Justificatives,  n°  VI; 
2°  la  traduction  de  cette  lettre  dans  les  Doc.  inécL,  XII,  du  P.  Carayon, 
pp.  247  et  suiv.  ;  —  la  Relatio/i  de  1650,  ch.  I  et  II,  pp.  2  et  suiv. 

1.  Appelée  par  les  sauvages  Ekaentoton.  On  dit  aussi  Manitoalets 
ou  Maiiitoualin.  C'est  une  grande  île  du  lac  Huron,  nommée  par 
Perrot  île  des  Outaouais,  et  habitée  primitivement  par  les  Ondaouao- 
uats  (Outaouais  proprement  dits),  cheveux  relevés. 

2.  En  sauvage,  Gandongarne,  Gannogarae,  Gannongai^ae. 

3.  La  ruine  des  Attionandaronk  ou  Nation  neutre,  commencée  en 
1650,  fut  complétée  en  1651.  [Relations  de  16o0  et  de  1651.) 

4.  Ou  Nation  du  Chat,  Errieronnons.  —  Les  Eriés  disposaient  de 
200  guerriers,  très  habiles  à  manier  Tare.  Ils  lançaient  huit  à  dix 
flèches  pendant  que  les  Iroquois  tiraient  un  coup  d'arquebuse.  Ils 
furent,  ainsi  que  les  Hurons  qu'ils  avaient  recueillis,  détruits  par  les 
Iroquois,  vers  1656.  [Relation  de  1656). 

5.  Ou  Andastaeronnons,  h  cent  cinquante  lieues  environ  des  Hurons, 
vers  le  Sud. 


—  93  — 

rent  aussi  de  nombreux  débris  de  Tinfortunée  nation.  Enfin, 
beaucoup  de  Hurons  se  réfugièrent  dans  les  montagnes  de 
la  nation  du  Petun  ^  C'est  là  aussi  que  se  retirèrent  quel- 
que temps  les  néophytes  de  la  Conception,  suivis  du 
P.  Chaumonot,  leur  dévoué  pasteur;  les  guerriers  du  bourg, 
presque  tous  chrétiens,  avaient  été  défaits,  tués  ou  faits 
prisonniers  par  les  Iroquois^. 

Pendant  ce  temps,  que  devenait  la  résidence  de  Sainte- 
Marie,  découverte  de  tous  côtés  depuis  l'abandon  des  bour- 
gades huronnes  et  l'incendie  de  Saint-Ignace  et  de  Saint- 
Louis  ?  Quelques  missionnaires  seulement  s'y  trouvaient 
réunis,  occupés  nuit  et  jour  auprès  des  Hurons  fugitifs  :  les 
Pères  Ragueneau,  Le  Mercier,  Chastelain,  Daran,  Bonin  et 
Amable  du  Frétât.  Les  autres  vivaient  dispersés  dans  les 
missions  encore  debout  des  Pétuneux  ^  et  des  Algonquins  ^; 
quek[ues-uns  avaient  accompagné  leurs  néophytes  dans 
l'exil,  errant  avec  eux  sur  les  lacs  et  les  fleuves  et  à  travers 
des  forets  inconnues^. 

1.  Mission  des  Apôtres,  dont  les  deux  villages  les  plus  importants, 
Saint-Jean  et  Saint-Mathias,  étaient  évangélisés  par  quatre  Jésuites, 
comme  nous  l'avons  déjà  dit. 

2.  Autobiographie  du  P.  (Ihaumonol,  pp.  48  et  49.  —  V.  pour  tout 
ce  qui  précède  :  Relation  de  lOIJO,  paiisim  :  —  Brève  relatione,  par.  III, 
cap.  8;  —  Xari^atio  historien;  — Précis  historique  sur  la  mission 
huronne,  par  le  P.  Martin,  Appendice,  p.  309,  dans  la  Relation  abrégée 
du  P.  Bressani;  —  Relation  de  16i-9,  p.  28.  —  Les  Ilurons  du  bourg 
de  la  Conception  ne  séjournèrent  pas  longtemps  dans  les  montagnes 
de  la  nation  de  Petun;  une  lettre  du  P.  Chaumonot  du  !<='■  juin  {Rela- 
tion de  1649,  p.  28),  datée  de  Pile  de  Saint-Joseph,  nous  apprend 
qu'il  se  rendit  avec  ses  néophytes  dans  cette  île. 

3.  Pères  Garnier  et  Noël  Chabanel,  au  village  de  Saint-Jean  ; 
Pères  Léonard  Garreau  et  Adrien  Grêlon,  à  Saint-Mathias. 

4.  Pères  Claude  Pijart,  René  Ménard,  Joseph  Poucet. 

5.  Pères  S.  Le  Moyne,  du  Peron  et  Chaumonot.  Nous  lisons  dans 
la  Relation  abrégée  du  P.  Bressani,  p.  281  :  «  Plusieurs  d'entre  nous 
suivirent  les  fugitifs  sur  les  rochers  de  la  mer   douce  et  dans  les 


—  94  — 

Or,  clans  les  premiers  jours  du  mois  de  juin  (1649),  douze 
capitaines  Hurons,  venant  de  l'île  de  Saint- Joseph,  se 
présentèrent  à  Sainte-Marie  et  demandèrent  à  conférer  avec 
le  supérieur  de  la  mission  et  les  autres  missionnaires.  «Nous 
venons  à  vous  au  nom  de  notre  peuple  désolé,  leur  dirent- 
ils  ;  nous  voulons  nous  réunir  et  former  un  établissement 
nouveau  sur  l'île  que  vos  Pères  ont  appelée  Saint-Joseph  ;  j 
mais  votre  aide  nous  est  indispensable.  Ayez  pitié  de  notre 
misère  ;  sans  vous,  nous  serons  la  proie  de  l'ennemi;  avec 
A^ous ,  nous  nous  estimerons  trop  forts  pour  ne  pas  nous 
défendre  avec  courage  ;  ayez  compassion  de  nous  et  de 
pauvres  enfants  chrétiens  ;  tous  ceux  qui  restent  infidèles  sont 
résolus  d'embrasser  notre  Foy.  Vous  ferez  de  cette  île  une  île 
de  chrétiens.  »  Le  P.  Ragueneau,  qui  nous  donne  dans  sa 
Relation  le  résumé  des  harangues  des  capitaines^,  ajoute  : 
«  Aj)rès  avoir  parlé  plus  de  trois  heures  entières,  avec  une 
éloquence  aussi  puissante  pour  nous  fléchir,  que  l'art  des 
orateurs  en  pourrait  fournir  ^au  milieu  de  la  France,  ils 
firent  montre  de  dix  grands  colliers  de  porcelaine  et  nous 
dirent  que  c'était  là  la  voix  de  leurs  femmes  et  enfants  ~.  »    I 

Les  Jésuites  avaient  bien  l'intention  d'abandonner  Sainte- 
Marie,  où  leur  séjour  devenait  désormais  inutile  3,  et  où 
leurs  hommes  pouvaient  au  premier  jour  être  surpris  et 
massacrés  par  les  ennemis;  mais  ils  auraient  préféré  fixer 
le  nouveau  siège  de  la  mission  à  l'île  Manitoualine,  où  i 
la  pêche  semblait  plus  abondante  qu'à  Saint-Joseph,  et 
le   sol    plus   propre    à    la    culture.    Cette ^  île    avait   aussi 


forêts  à  plus  de  trois  cents  milles  de  distance,  afin  de  les  consoler  et 
de  cultiver  la  foi,  à  peine  naissante  dans  leurs  cœurs.  »  —  V.  Rela- 
tion de  1649,  du  ch.  VI  à  la  fin  de  la  Relation,  et  Relation  de  1650. 

1.  i?eZa^io/i  de  1649,  p.  27. 

2.  Ihid. 

3.  Relation  de  1649,  ch.  VI. 


\ 


—  95  — 

ravantage  inappréciable  de  se  trouver  en  communication 
plus  immédiate,  par  la  rivière  des  Français  et  l'Ottawa, 
avec  les  établissements  de  Montréal,  des  Trois-liivières  et 
de  Québec.  Toutefois,  incapables  de  résister  aux  raisons  et 
aux  touchantes  invitations  des  députés  Hurons,  ils  renon- 
cèrent à  leur  premier  projet  et  décidèrent  de  transporter  la 
résidence  de  Sainte-Marie  à  File  de  Saint-Joseph  K 

Le  jour  du  départ  est  fixé  au  14  juin-.  On  embarque  sur 
un  petit  navire  et  un  large  radeau  toutes  les  provisions 
en  réserve  à  Sainte-Marie,  puis  les  objets  du  culte,  tout  le 
mobilier,  même  le  bétail  et  la  volaille  ;  on  met  le  feu  à  la 
résidence,  à  tous  les  bâtiments  et  aux  palissades,  et  les 
Pères,  suivis  des  donnés,  des  domestiques  et  des  soldats, 
quittent  sur  le  soir  cette  demeure  bénie  où  ils  laissent  de  si 
chers  souvenirs.  En  moins  d'une  heure  l'incendie  consume 
le  résultat  de  dix  années  de  labeur,  d'efforts  persévérants  -K 

A  peine  dans  l'île  de  Saint-Joseph,  tous  les  Français  se 
mettent  à  l'ouvrage.  On  abat  des  arbres  dans  la  foret,  on 
creuse  des  fossés,  on  élève  des  palissades  d'enceinte,  on 
construit  des  cabanes,  on  bâtit  en  maçonnerie  un  fort, 
qui  mesure  cent  vingt-trois  pieds  entre  les  angles  des 
deux  bastions  sud,  et  soixante-dix  pour  la  muraille  reliant 
entre  elles  ces  deux  ^défenses.  On  retrouve  encore  sur  la  rive 
sud-est  de  l'île,  dans  l'enceinte  de  la  bourgade,  les  ruines 
des  bastions  et  de  la  muraille,  l'emplacement  de  la  chapelle 
et  de  la  maison  des  missionnaires,  le  tout  en  parfaite  res- 
semblance avec  les  descriptions  que  nous  en  ont  laissées  les 


1.  Relation  de  1649,  ch.  VI. 

2.  Relation  de  1650,  p.  3.  —  Dans  la  Relation  de  1649,   p.  30,  on 
dit  que  Sainte-Marie  fut  abandonnée  le  15  mai;  c'est  une  erreur. 

3.  Relation  de  1650,  p.  3. 


—  96  — 

Relations  et  correspondances  du  temps  K  La  nouvelle  rési- 
dence reçut  le  nom  de  Sainte-Marie  en  souvenir  de  celle 
qu'on  venait  de  quitter  sur  le  continent. 

Les  travaux  furent  poussés  avec  tant  d'activité  que  le 
fort  fut,  au  commencement  de  l'hiver,  à  l'abri  de  toute 
attaque.  Les  terres  furent  également  défrichées  et  ense- 
mencées. Encouragés  par  les  Français,  les  Hurons  se  mon- 
traient ardents  au  travail  ;  leur  vie  était  exemplaire,  leur 
piété  admirable.  Le  13  mars  1650,  le  P.  Ragueneau  écrivait 
au  supérieur  général  delà  Comj^agnie,  à  Rome  :  «  Jamais  nous 
n'avons  recueilli  de  si  grands  fruits  de  nos  travaux;  jamais 
la  Foi  n'a  poussé  de  si  profondes  racines  dans  les  cœurs  ; 
jamais  le  nom  chrétien  n'a  été  plus  glorieux  qu'au  milieu 
des  ruines  de  cette  malheureuse  nation.  L'année  dernière 
nous  avons  baptisé  plus  de  trois  mille  sauvages.  Nous 
touchons  du  doigt  la  vérité  de  cette  parole  de  l'apôtre  : 
Flagellât  Deus  omnem  filiiim  qucm  recipit-.  » 

Le  fort  de  Sainte-Marie  se  terminait,  quand  des  courriers 

1.  Relation  de  1650; —  Lettre  du  P.  Ragueneau  au  R.  P.  Vinccnti 
Caraffe,  à  Rome;  13  mars  1650  {Pièces  justificatives,  n"  YI,  et  Docu- 
ments inédits,  XII,  p.  247.)  —  Creuxius,  pp.  557  et  suiv. 

«  Le  P.  Félix  Martin  qui  a  visité  les  lieux  consacrés  par  les  travaux 
et  les  souffrances  des  anciens  missionnaires,  a  publié  des  détails  d'un 
grand  intérêt  sur  le  pays  des  Hurons,  dans  les  notes  qu'il  a  jointes  à 
sa  traduction  de  l'ouvrage  du  P.  Rressani.  »  {Cours  cF histoire, -p.  380.] 
—  C'est  au  mois  de  juin  1845  que  le  P.  Martin  visita  les  ruines 
du  fort  Sainte-Marie  dans  File  de  Saint-Joseph.  <(  Elles  se  dessinent 
encore  très  bien,  dit-il,  sur  ce  sol  aujourd'hui  solitaire.  »  {Relation 
abrégée  du  P.  Bressani,  p.  333.) 

2.  <(  Neque  enim  hactenus  laborum  nostrorum  fructus  major  cxtitit; 
nunquam  altius  descendit  fides  in  pectora,  neque  hic  usquam  christia- 
num  nomen  fuitillustriusquam  inter  ruinas afflictœgentis.Numeramus 
hoc  posteriore  anno,  baptisatos  barbaros  supra  tria  millia.  Verissime 
ut   nobis   dictum   appareat  effatum  illud  apostoli  :  Flagellât  Dem 

omnem  filium  quem  recipit.  »  (Epist.   ad   R.  P.  V.  Carafa,  prsepos. 
generalcm  S.  J.,  Roma^,   13   mart.   1650,  ex  domo  Sanctœ-Mariœ 
insulâ  Sancti-Josephi,  apud  Hurons.  V.  Pièces  Justicatives,  n°  VI.) 


—  97  — 

apportèrent  au  P.  Ragueneaula  nouvelle  d'un  nouveau  mal- 
heur qui  venait  de  fondre  sur  la  mission.  Les  Iroquois,  après 
avoir  ravagé  tout  le  pays  des  Hurons,  massacré,  fait  prison- 
niers, ou  mis  en  fuite  tous  ses  habitants,  avaient  pénétré,  au 
cœur  de  l'hiver,  dans  les  montagnes  de  la  nation  du  Petun 
et  s'étaient  avancés  à  une  faible  distance  de  la  bourgade 
de  Saint- Jean. 

Hommes  de  main  et  de  courage^,  les  guerriers  du 
bourg  les  attendent,  plusieurs  jours,  de  pied  ferme  ;  et  ne 
les  voyant  pas  paraître,  ils  vont  courageusement  à  leur 
rencontre.  C'était  une  imprudence.  Les  Iroquois,  qui 
surveillaient  l'ennemi,  font  un  immense  détour  pour  cacher 
leur  marche,  et  pendant  qu'on  les  cherche  au  loin,  ils 
forcent  les  portes  et  se  précipitent  dans  le  bourg  en  pous- 
sant des  hurlements  épouvantables.  Vieillards,  femmes  et 
enfants  s'enferment  dans  les  cabanes  et  dans  l'église,  quel- 
ques-uns prennent  la  fuite.  Partout,  c'est  l'épouvante  et  le 
désordre  ^ 

Le  P.  Garnier,  alors  occupé  à  instruire  des  catéchu- 
mènes dans  une  cabane,  court  à  l'église.  «  Nous  sommes 
perdus,  mes  frères,  leur  dit-il;  priez  Dieu,  et  prenez  la  fuite 
par  où  vous  pourrez  échapper.  Portez  votre  foi  avec  vous 
le  reste  de  votre  vie  et  que  la  mort  vous  trouve  songeant 
à  Dieu  3.  »  Les  néophytes  le  pressent  de  s'enfuir  avec  eux; 
il  refuse,  la  place  du  prêtre  étant  au  milieu  de  ceux  qui 
ont  besoin  de  son  ministère.  Il  leur  donne  à  tous  une  abso- 
lution générale  et  se  rend  dans  les  cabanes  pour  y  baptiser 
les  enfants  et  les  catéchumènes  et  préparer  les  chrétiens  à 
bien  mourir^. 

4.  Relation  de  1630,  ch.  III,  p.  8. 

2.  Ibid. 

3.  IbicL,  p.  9. 

4.  Ihid. 

Jés.  et  Noui'.-Fr.  —  T.  II.  ^ 


—  98  — 

Pendant  ce  temps,  les  ennemis  promenaient  partout 
l'incendie  et  la  mort.  Deux  l^alles  l'atteignent  et  le  ren- 
versent baignant  dans  son  sang.  Quoique  frappé  à  mort,  le 
missionnaire  recueille  ses  forces,  et,  afin  de  mourir  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions  apostoliques,  il  se  traîne  vers  un 
chrétien,  mortellement  blessé  à  quelques  pas  de  lui.  Un 
Iroquois  l'aperçoit  et  lui  assène  deux  coups  de  hache  sur 
les  deux  tempes.  Le  martyr  n'était  âgé  que  de  quarante- 
quatre  ans  ^ 

L'œuvre  de  destruction  ne  dura  pas  longtemps.  Les 
assaillants,  craignant  un  retour  oifensif  de  la  part  des 
guerriers  absents,  avaient  hâte  de  quitter  le  bourg  ;  ils  en 
sortirent  le  soir  même  de  cette  journée  fatale,  7  décem- 
bre 1649. 

Lorsque  les  guerriers  y  rentrèrent  deux  jours  après,  ils 
ne  trouvèrent  que  des  ruines  fumantes,  des  cadavres  horri- 
blement mutilés  ou  calcinés.  Ce  fut  une  heure  d'indicible 
douleur.  Assis  à  terre,  sur  les  ruines  de  ce  qui  fut  une  bour- 
gade, ils  restent  là  un  jour  entier,  semblables  à  des  statues 
de  bronze,  silencieux,  immobiles,  la  tête  penchée  et  les 
yeux  fixés  sur  le  sol.  Pas  un  cri,  pas  une  larme;  car  les 
pleurs  et  gémissements  sont  indignes  d'un  homme,  disent 
les  sauvages^. 


1.  Relation  de  1650,  p.  9;  —  Brève  relatione,  part.  3^,  cap.  VI,  p. 
114;  —  Creuxius,  Historia  Canacl.,  1.  VII,  pp.  564  et  suiv.;  —  Ale- 
gambe,  Mortes  illusti^es,  pp.  659  et  suiv.;  —  Tanner,  Societas  Jesu 
militans,  p.  539  ;  —  Cassani,  Varonefi  ilustres,  t.  I,  p.  649; —  Char- 
levoix,  Histoire  de  la  Nouvelle-France,  t.  II,  pp.  23  et  24  ;  —  Mère 
Marie  de  rincarnation.  Lettres,  p.  132;  —  Ferland,  Cours  d''histoire, 
1.  III,  eh.  VIII,  p.  384;  —  Shea,  History  of  the  Catholic  missions, 
p.  193  ;  —  Parkman,  The  Jesuits  in  North  Ajnerica,  cap.  XXVIII;  — 
Pièces  Justificatives,  n°  VI  :  Lettre  du  P.  Ragueneau  au  P.  V.  CaratTe  ; 
—  P.  Carayon,  Doc,  XII,  p.  248. 

2.  Relation  de  1650,  ch.  III,  p.  10. 


—  99  - 

Prévenus  la  veille  par  les  fugitifs,  les  Pères  Garreau  et 
Grêlon,  qui  ha])itaient  au  village  de  Saint-Mathias,  étaient 
venus  recueillir  les  précieux  restes  clu  saint  missionnaire. 
Ils  le  trouvent  sous  un  amas  de  cendres,  dépouillé  de  ses 
vêtements,  le  corps  tout  en  sang,  la  tête  ouverte  des  deux 
côtés,  le  visage  défiguré.  Ils  l'enveloppent  de  leurs  habits 
et  l'ensevelissent  dans  une  fosse  creusée  au  milieu  des 
débris  de  la  chapelle  ' . 

Le  P.  Garnier  écrivait  à  son  frère,  en  France,  le  2o  avril 
de  la  même  année,  cinq  semaines  après  la  mort  du  P.  de 
Brébeuf  et  du  P.  Lalemant  :  «  Bénissez  Dieu  pour  moi  de 
ce  qu'il  me  donne  des  frères  martyrs  et  des  saints  qui  aspi- 
rent tous  les  jours  à  cette  couronne.  Priez-le  qu'il  me  fasse 
la  grâce  de  le  servir  fidèlement  et  d'accomplir  le  grand 
ouvrage  qu'il  a  mis  entre  mes  mains,  enfin  de  consommer 
ma  vie  à  son  service.  Véritablement,  je  me  regarde  doréna- 
vant comme  une  hostie  qui  est  à  immoler"-.  »  Comme  ses 
Frères  qui  l'ont  précédé  dans  la  gloire  sanglante,  il  espère,  il 

1.  Relation  de  IGiJO,  cli.  III,  p.  0  ;  — Brève  relafiofie,  part.  III,  cap.  0  ; 
—  C?^euxiiis,  pp.  oG3  el  suiv. 

Les  Pères  Garreau  et  Grêlon  apprirent  par  les  haljitants  de  Saint- 
Jean,  réfugiés  à  Saint-Matliias,  une"  partie  des  tragiques  événements 
accomplis  le  7  déceml^re  dans  leur  bourg-,  et  aussi  le  zèle  et  le  dévoue- 
ment du  P.  Garnier,  qui  refusa  de  s'enfuir,  pour  administrer  le  sacre- 
ment de  pénitence  aux  néophytes  et  le  baptême  aux  catéchumènes  et 
aux  enfants.  Mais  les  derniers  moments  du  P.  Garnier  furent  racontés 
par  une  chrétienne,  Marthe  Teendiotrahwi,  qui  fut  frappée  d'un  coup  de 
hache  à  la  tète,  à  côté  clu  missionnaire,  quand  celui-ci  fut  blessé  par 
deux  Ijalles.  Laissée  pour  morte,  elle  fut  relevée  par  les  guerriers  de 
Saint-Jean,  à  leur  retour  à  la  bourgade,  et  vécut  encore  trois  mois. 
Elle  mourut  des  suites  de  sa  blessure  à  Sainte-Marie,  dans  l'île  de 
Saint-Joseph.  Le  P.  Ragueneau,  qui  l'assista  à  ses  derniers  moments, 
lui  fit  conhrmer,  avant  sa  mort,  la  vérité  de  son  récit  sur  le  martyre 
du  P.  Garnier.  {Brève  relniione,  p.  115;  —  Relation  de  1650,  p.  9.) 

2.  A  son  frère  Henry  de  Saint-Josepli,  carme,  à  Paris.  (Ms.  de 
recelé  Sainte-Geneviève,  14  bis,  rue  Lhomond,  Paris.) 


—  100  — 

souhaite  mourir  martyr.  C'était,  du  reste,  la  sainte  aspira- 
tion de  tous  les  missionnaires  des  hurons  :  «  Ils  sont  prêts  à 
tout,  écrivait  leur  supérieur  :  croix,  dangers,  tortures,  rien 
ne  les  eifrave  ;  la  mort  même,  ils  la  désirent  K  » 

Le  P.  Garnier  la  désirait  plus  que  personne.  Le 
12  août  10 19,  il  écrivait  à  son  frère  :  ((  Si  ma  conscience  ne 
me  convainquait  de  mon  infidélité  au  service  de  mon  bon 
Maître,  je  pourrais  espérer  C[uelque  faveur  approchant  de 
celle  qu'il  a  faite  à  nos  bienheureux  martyrs...  Mais  sa  jus- 
tice me  fait  craindre  que  je  ne  demeure  toujours  indigne  de 
cette  couronne  (du  martyre).  Toutefois,  j'espère  cjue  sa  bonté 
me  fera  la  grâce  de  l'aimer  un  jour  de  tout  mon  cœur,  et  cela 
me  suffît.  C'est  ce  que  je  vous  prie  de  lui  demander  pour 
moi;  et,  quand  il  me  l'aura  donné,  il  m'importe  peu  de 
quelle  mort  je  mourrai  ~.  » 

Cette  grâce  du  martyre  qu'il  désirait  tant,  et  dont  il  se 
<;rovait  indigne,  leSeisrneurla  lui  accorda.  «  11  avait  fait  vœu 
de  défendre  jusqu'à  sa  mort  le  dogme  de  l'immaculée- 
Conception;  «  il  mourut  la  veille  de  cette  auguste  fête,  pour 
aller  la  solenniser  plus  augustement  dans  le  ciel  ^.  » 


i.  Paralum  ha])ent  pcclus  ad  omnia  :  non  criices,  non  poriciila, 
non  crucialus  ullos  cxhorrent.  Mori  habcnt  invotis.  »  (Epist.  ad  R.  P. 
Gcncr.  Vincentium  Carafa,  13»  mart.  1650;  —  Pièces  jiistificnfives. 
n"  VI.) 

2.  Lettre  manusc.  à  son  frère,  Henry  de  Saint-Joseph,  religieux 
carme,  à  Paris.  (Arch.  de  l'école  Sainte-Geneviève,  14  /)/s,  rue  Lho- 
mond,  Paris.) 

3.  Relation  de  1650,  p.  10;  —  V.  sur  le  P.  Garnier,  la  même  Bela- 
tion,  pp.  10  et  suiv.;  —  Brève  reJntione^  part.  III,  cap.  VI. 

On  lit  dans  les  Lettres  spirituelles  de  Marie  de  l'Incarnation,  p.  132  : 
<(  Il  faudrait  un  gros  livre  pour  décrire  la  vie  de  ce  Révérend  Père.  Il 
était  éminemment  humble,  doux,  obéissant  et  rempli  de  vertus 
acquises  par  un  grand  travail.  On  avait  du  plaisir  à  voir  1-a  suite  de 
ses  vertus  dans  la  pratique.  II  était  dans  un  continuel  colloffue  et 
devis  familier  avec  Dieu.    » 


—  101  — 

Le  lendemain  de  ce  martyre,  un  autre  Jésuite,  Noèl 
Chabanel,  mourait  de  la  main  d'un  Iluron  apostat.  Sur 
Tordre  de  son  supérieur,  il  venait  de  quitter  Saint-Jean,  et, 
en  compagnie  de  quelques  Hurons,  il  se  rendait  au  nouveau 
fort  de  Sainte-Marie.  Dans  la  nuit  du  7  au  8  déceml^re,  les 
voyageurs  s'arrêtent  dans  la  forêt  et  s'endorment.  Le  Père 
seul  veillait.  Vers  minuit,  il  entend  un  bruit  de  pas,  des 
voix  confuses  ;  il  éveille  ses  compagnons.  C'était  l'armée 
iroquoise  qui  revenait  victorieuse,  traînant  à  sa  suite  un 
petit  noml)re  de  captifs.  Les  Hurons,  épouvantés,  prennent 
la  fuite;  mais  lui,  trop  fatigué  pour  les  suivre,  il  reste  avec 
un  seul  Huron  :  <(  Peu  importe  que  je  meure,  leur  dit-il  ; 
cette  vie  est  peu  de  chose.  Le  bonheur  du  Paradis  est  le 
seul   vrai    ])ien,  et   les   Iroquois  ne   peuvent  l'enlever  K    » 

Ceux-ci  passent  sans  l'apercevoir;  et  le  lendemain  à  raul)e 
du  jour,  il  se  remet  en  route  avec  son  compagnon.  Bientôt 
ils  se  trouvent  arrêtés  par  une  rivière.  Bressani  ajoute  : 
((  Nous  ne  savons  ce  que  le  Père  est  devenu  ensuite,  s'il  a 
été  tué  par  les  ennemis,  s'il  s'est  perdu  (hins  les  l)()is,  s'il  est 
mort  de  froid  ou  de  faim,  ou  s'il  a  été  massacré  par  le  Iluron, 
de  qui  nous  tenons  les  dernières  nouvelles  et  qui  était 
revêtu  de  ses  dépouilles.  Mais  on  peut  croire  facilement  que 
ce  Huron  lui  donna  la  mort,  car,  peu  auparavant,  il  s'était 
vanté  qu'il  tuerait  un  Jésuite^.  »  La  Relation  de  Kl-^iO  n'est 
pas  mieux  renseignée,  bien  qu'elle  exprime  les  mêmes 
soupçons  2.  Ces  soupçons  n'étaient  que  trop  fondés.  Le 
Huron  était  un  apostat  ;  on  pouvait  tout  attendre  d'un  sau- 
vage renégat.  Et  de  fait,  il  linit  par  avouer,  bien  plus  tard, 
qu'il  avait  assommé  le  missionnaire  en  haine  de  la  foi, 
parce  (jue  depuis  que  lui  et  sa  famille  avaient  embrassé  le 

!.  Brève  rclalione,  part.  III,  ch.  VII;  —  Relntion  de  lOoO,  cli.  IV. 

2.  Brève  relatioiie,  p.  120. 

3.  P.  16. 


—  102  — 
christianisme,   les  malheurs  n'avaient  cessé  de  fondre  sur 


Le  P.  Chabanel,  encore  dans  la  force  de  Tàge,  pouvait 
rendre  de  grands  services  aux  missions  indiennes,  d'autant 
plus  qu'il  ne  manquait  ni  de  talent  ni  d'une  certaine  culture 
littéraire.  Il  avait  enseigné,  en  France,  plusieurs  années, 
les  humanités  et  la  rhétorique.  Mais,  rarement,  on  vit  une 
nature  plus  rebelle  aux  langues  sauvages  ;  après  avoir 
étudié  quatre  ou  cinq  ans  la  langue  huronne,  à  peine  pou- 
vait-il se  faire  comprendre-.  De  plus,  tout,  dans  la  vie  du 
missionnaire,  révoltait  ses  instincts  :  nourriture,  logement, 
coucher,  voyages,  dangers.  Aussi  eut-il,  dans  les  premières 
années  de  son  séjour  chez  les  Hurons,  de  cruels  moments 
de  découragement  et  de  tristesse  3.  Ne  pouvoir  enseigner  les 


1.  ((  Une  note  autographe  du  P.  Paul  Ragueneau  ajoutée  au  précieux 
manuscrit  de  1652,  et  affirmée  sous  serment,  ne  laisse  aucun  doute  sur 
ce  point.  Ce  missionnaire  dit  ({u'il  tient  de  témoins  très  dignes  de 
foi,  les  détails  suivants.  Ce  Huron  apostat,  nommé  Louis  Honareen- 
hax,  a  fmi  par  avouer  qu'il  avait  donné  la  mort  au  P.  Noël  en  haine 
de  la  foi,  parce  que  depuis  que  lui  et  sa  famille  avaient  embrassé  la 
foi,  il  vovait  que  tous  les  malheurs  avaient  fondu  sur  eux.  La  mère, 
qui  se  nommait  Geneviève,  ayant  partagé  depuis  ce  moment  Timpiété 
de  son  fils,  fut  aussi  enveloppée  dans  le  même  châtiment.  Deux  ans 
s'étaient  écoulés  après  ce  crime,  que  tous  les  mcm])res  de  cette  très 
nombreuse  famille,  en  recevaient  leur  part.  Les  Iroquois  furent  les 
instruments  de  la  vengeance  divine.  Les  uns  périrent  dans  les  flam- 
mes, les  autres  par  le  fer,  et  la  jeunesse  des  deux  sexes  fut  réduite 
à  un  triste  esclavage.  »  (Note  du  P.  Félix  Martin,  Relation  ahréfjée 
du  P.  Bressani,  p.  27()). 

2.  On  lit  dans  la  Rein f ion  de  1650,  p.  17  :  «  Après  les  trois,  les 
quatre,  les  cinq  ans  d'études  pour  apprendre  la  langue  des  sauvages, 
il  s'y  voyait  si  peu  avancé,  qu'à  peine  pouvait-il  se  faire  entendre 
dans  les  choses  les  plus  communes.  » 

3.  Relation  de  1650,  p.  17  :  «  Son  humeur  estait  si  éloignée  des 
façons  d'agir  des  sauvages  qu'il  ne  pouvait  quasi  rien  agréer  en 
eux;  leur  veïie  lui   estait   onéreuse,   leur   entretien,    et   tout  ce  qui 


—  103  — 

sauvages,  ni  se  faire  comprendre  d'eux;  avoir  horreur  ou 
peur  de  tout,  quelle  épreuve  pour  un  apôtre!  Souvent  il  se 
dit  :  Ne  ferais-je  pas  mieux  de  rentrer  en  France  où  je  me  ren- 
drais plus  utile  qu'ici?  J'y  trouverais  une  existence  conforme 
à  mes  goûts,  des  emplois  en  rapport  avec  mes  talents.  J'y 
vivrais,  du  reste,  d'une  vie  dévouée  et  religieuse.  Dieu  ne 
demande  pas  de  tous  les  mêmes  sacrifices,  le  même  degré 
de  mortification  et  de  dévouement.  S'il  me  voulait  dans  ce 
pays,  il  me  donnerait  les  moyens  d'y  être  utile  et  la  grâce 
de  surmonter  les  répugnances  invincibles  que  je  rencontre, 
malgré  moi,  en  tout  et  partout.  Toutes  ces  pensées,  qui  agi- 
taient son  âme,  influaient  sur  sa  santé  ;  et  ses  frères  s'aper- 
çurent fort  bien  qu'il  se  faisait  en  lui  un  douloureux  travail. 
Ceux  qui  le  connaissaient  plus  intimement,  lui  prodiguèrent 
encouragements  et  consolations  ;  ils  lui  disaient  que  le  temps 
adoucirait  tout,  qu'il  finirait  par  se  faire  à  tout,  qu'il  appren- 
drait assez  de  huron  pour  travailler  utilement  au  salut  des 
âmes;  ils  ajoutaient  que  le  Seigneur  ^jermettait  cette  péni- 
ble tentation  pour  l'éprouver  et  l'épurer. 

C'était  bien,  en  effet,  une  tentation,  et  d'autant  plus 
grave  qu'elle  se  présentait  au  religieux  sous  l'apparence 
du  l^ien.  Fidèle  à  la  devise  de  Saint-Ignace,  tout  pour  la 
plus  fjraiide  gloire  de  Dieu,  il  se  demandait  et  il  pouvait  se 
demander  s'il  ne  procurerait  pas  plus  de  gloire  à  son  divin 
Maître  en  France  qu'au  Canada.  Il  faut  aA  oir  passé  par  cet 
état  pour  comprendre  les  violents  orages  d'une  âme  qui 
cherche  alors  où  est  le  devoir,  où  se  trouve  du  moins  le 
mieux,  et  qui,  au  milieu  de  tiraillements  en  sens  contraires, 
ne  sait  que  faire  ni  décider. 


venait  de  ce  costé  là.  Il  ne  pouvait  se  faire  aux  vivres  du  pays,  et  la 
demeure  des  missions  estait  si  violente  à  toute  sa  nature,  qu'il  y 
avait  des  peines  extraordinaires  :   toujours  coucher  à   plate  terre...  » 


I.e  P.  Chabanel,  arrivé  chez  les  Hurons  au  mois  craoùt 
1644,  resta  trois  ans  dans  cette  lutte  mortelle,  se  deman- 
dant s'il  était  bien  à  la  place  où  la  Providence  le  voulait, 
souffrant,  priant,  et  ne  trouvant  ni  dans  la  lumière  de  la 
grâce  divine,  ni  dans  la  raison  éclairée  de  la  foi,  la  solution 
de  son  doute  et  le  calme  de  sa  pensée  i . 

Un  jour,  cependant,  c'était  le  20  juin  16i7,  il  entend  au 
fond  de  sa  conscience  une  voix  qui  le  presse  d'en  finir  avec 
tant  de  fluctuations  cruelles.  Et  s'élevant,  par  un  violent 
et  généreux  effort,  au  dessus  de  toutes  les  considérations 
naturelles,  il  s'engage  par  vœu  à  vivre  et  à  mourir  dans  là 
mission  du  Canada.  Ce  vœu  est  trop  beau  pour  ne  pas  être 
rapporté  ici-  :  «  Jésus-Christ,  mon  Sauveur  qui,  par  une 
disposition  admirable  de  votre  paternelle  providence,  avez 
voulu  que  je  fusse  le  coadjuteur  des  saints  apôtres  de  cette 
vigne  des  Hurons,  quoique  j'en  sois  tout  à  fait  indigne,  me 
sentant  poussé  du  désir  d'obéir  au  Saint-Esprit,  en  tra- 
vaillant à  avancer  la  conversion  à  la  foi  des  barbares  Hurons  : 
Je  fais  vœu,  moi,  Noël  Chabanel,  étant  en  la  présence  du 
très  saint  Sacrement  de  votre  corps  et  votre  sang  précieux, 
qui  est  le  tabernacle  de  Dieu  avec  les  hommes,  je  fais  vœu 
de  perpétuelle  stabilité  en  cette  mission  des  Hurons  ; 
entendant    toutes  choses    selon  l'interprétation  des  Supé- 

1.  Relation  de  IGoO,  p.  17. 

2.  Domine  Jesu  Christe,  qui  me  Apostolorum  sanctorum  hujus  vincœ 
huronicœ  adjutorem,  licet  indignissimum  admirabili  dispositione  tuse 
paternse  Providentiœ  voluisti,  Ego  Natalis  Chabanel  impulsus  desi- 
derio  serviendi  spiritui  sancto,  in  promovendâ  barbarorum  huronum  ad 
tuam  fidem  conversione,  voveo  coram  sanctissimo  sacramento  pre- 
tiosi  corporis  et  sangiiinis  lui,  Tabernaculo  Dei  cum  hominibus, 
perpetuam  stabililatem  in  hâc  missione  huronicâ  :  omnia  intelligendo 
juxta  Societatis  et  Superiorum  ejus  interpretationem  et  dispositio- 
nem  ;  obsecro  te  igitur,  suscipe  me  in  servum  hujus  missionis  perpe- 
tuum,  et  dignum  effîce  tani  excelso  ministerio.  Amen. 

Vigesima  Die  Junii  1647. 


—  105  — 

rieurs  de  la  Compagnie  et  selon  qu'ils  voudront  dis- 
poser de  moi.  Je  vous  conjure  donc,  mon  Sauveur,  qu'il 
vous  plaise  me  recevoir  pour  serviteur  perpétuel  de  cette 
mission,  et  que  vous  me  rendrez  digne  d'un  ministère  si 
sublime.  Le  30  juin  i6i7,  fête  du  Saint-Sacrement'.  » 

On  Ta  dit  :  les  croix  sont  partout;  quand  on  les  fuit,  on 
les  trouve.  Les  plus  heureux  sont  ceux  qui  les  emljrassent. 
Le  vœu  prononcé  parle  P.  Ghabanel  ne  mit  pas  un  terme 
aux  épreuves  et  aux  croix.  Comme  par  le  passé,  il  éprouva 
les  mêmes  difficultés  dans  l'étude  de  la  langue  liuronne, 
les  mêmes  répugnances  pour  la  vie  torturante  du  mission- 
naire ;  mais  il  ne  regarda  plus  en  arrière  ;  de  ce  jour,  il 
embrassa  sa  croix  avec  générosité,  et,  sous  l'action  de  la 
grâce  d'en  haut,  il  en  vint  à  souhaiter  martijrium  sine  san- 
fjuine-,  et  aussi  le  martyre  du  sang.  «  Je  supplie  tous  les 
Pères  de  notre  Province,  écrivait-il  à  son  frère  en  France  ^ 
de  se  souvenir  de  moi  au  Saint-Autel,  comme  d'une  victime 
destinée  peut-être  au  feu  des  Iroquois  :  Ut  mercar  tôt  sanc- 
torum  patrocinio  victoriam  in  tani  forli  certaminc  ''.  » 

1.  Cette  traduction  du  vœu  se  trouve  dans  la  Rclalion  de  lOoO, 
p,  18.  _  On  lit  dans  les  Lettres  spirituelles  de  Marie  de  rincarnation, 
p.  192  :  ((  Le  R.  P.  Clia])anel,  un  de  ceux  ({ui  ont  été  massaerés  cette 
année,  avait  naturellement  une  si  grande  aversion  de  vivre  dans  les 
cabanes  des  sauvages  qu'elle  ne  le  pouvait  être  davantage;  pour  ce 
sujet  on  l'en  avait  voulu  souvent  exempter  afin  de  Venvoyer  aux 
autres  missions  où  il  n'eût  pas  été  engagé  à  cette  sorte  de  vie.  Mais 
par  une  générosité  extraordinaire,  il  fit  vœu  d'y  persévérer  et  d  y 
mourir  s'il  plaisait  à  Dieu  de  lui  faire  cette  miséricorde.  » 

2.  Relation  de  1650,  pp.  17  et  10  :  u  ^lartyre  sans  efi'usion  de 
sang.  »  —  Brève  relatione,  p.  122. 

3.  Son  frère,  Pierre  Ghabanel,  était  religieux  de  la  Compagnie,  dans 
la  province  de  Toulouse. 

4.  Relation  de  1650,  p.  10  :  «  Afin  que  par  l'entremise  de  tant  de 
saints,  je  remporte  la  victoire  dans  ce  rude  combat.  »  —  Brève  rela- 
tione,  p.  122. 


-  106  — 

Lorsque  son  supérieur  renvoya  dans  la  nation  du  Petun, 
peu  de  temps  avant  sa  mort,  le  P.  Noël  dit  à  un  de  ses 
frères,  au  moment  de  partir  :  ((  Que  ce  soit  tout  de  bon 
cette  fois  que  je  me  donne  à  Dieu  et  que  je  lui  appar- 
tienne. »  Puis  il  ajouta  :  c(  Je  ne  sais  ce  qu'il  y  a  en  moi 
et  ce  que  Dieu  veut  disposer  de  moi;  mais  je  me  sens  tout 
changé  en  un  point.  Je  suis  fort  appréhensif  de  mon  natu- 
rel ;  toutefois,  maintenant  que  je  vais  au  plus  grand  danger 
et  qu'il  me  semble  que  la  mort  n  est  pas  éloignée,  je  ne 
sens  jîlus  de  crainte.  Cette  disj^osition  ne  vient  pas  de 
moi^.  »  Elle  venait  certainement  de  Dieu,  qui  le  préparait 
ainsi  à  la  suprême  immolation. 

Au  bourg  de  Saint-Jean,  où  il  travaille  sous  la  direc- 
tion du  P.  Garnier ,  il  ne  montre  plus  ni  timidité,  ni 
crainte  ;  s'il  se  défie  de  sa  propre  faiblesse,  il  attend  tout 
de  la  puissance  divine;  il  ne  fuit  pas  la  souffrance,  il  ne 
recule  pas  devant  la  peine,  il  n'a  pas  peur  de  la  mort. 
Il  écrit  alors  à  son  frère  :  «  Je  tâche  de  faire  mon  msirtyre 
dans  V ombre,  Martijrem  in  iinihrà...  Et  peu  s'en  est  fallu 
que  Votre  Révérence  n'ait  eu  un  frère  martyr  ;  mais,  hélas! 
il  faut  devant  Dieu  une  vertu  d'une  autre  trempe  que  la 
mienne  pour  mériter  l'honneur  du  martyre  -.  »  Il  le  mérita 
cependant,  et  ce  martyre  ressembla  à  ce  martyre  dans 
V ombre  qu'il  rencontrait  jour  et  nuit  dans  sa  vie  d'apôtre 
et  que  l'œil  de  Dieu  seul  voyait.  L'ombre  du  mystère  envi- 
ronna ses  derniers  moments  sur  la  terre  ;  mais  <(  sa  mort, 
dit  avec  raison  l'historien  de  la  Nouvelle-France,  pour 
n'avoir  point  eu  autant  d'éclat  aux  yeux  des  hommes,  n'en 
fut  peut-être  pas  moins  précieuse  devant  Celui  qui  nous 
juge  suivant  les  dispositions  de  notre  cœur,  et  ne  nous 
tient  pas  moins   compte  de  ce  que  nous  avons  voulu  faire 

1.  liclaiion  de  IGoO,  p.  18;  —  Brève  relatione,  pp.  121  et  122. 

2.  Relation  de  16o0,  p.  18. 


—  107  — 
pour  lui,  que  de  ce  que  nous  avons  réellement  fait  et  souf- 
fert ».  » 

La  nouvelle  de  la  glorieuse  mort  des  deux  apôtres  et  de 
la  destruction  du  l)ourg  de  Saint-Jean  arriva  sur  la  fin  de 
décembre  à  l'île  de  Saint-Joseph  et  y  causa  une   immense 

douleur. 

Là  aussi  le  deuil  était  grand  et  la  consternation  générale. 
Des  milliers  de  sauvages,  presque  tous  chrétiens,  s'y  étaient 
réfugiés  auprès  des  missionnaires,  sans  se  demander  s'ds 
trouveraient  de  quoi  vivre  sur  ce  sol,  où  la  terre  n'a  pas 
encore  été  remuée.  De  leur  côté,  les  Jésuites  voyaient  avec 
bonheur  se  grouper  autour  de  leur  modeste  chapelle  ces 
nombreux  enfants  de  tout  âge  qu'ils  avaient  enfantés  à 
Jésus-Christ  dans  ces  dernières  années.   Personne  ne  sem- 


i.  Charlevoir,  t.  I,  j).  208. 

Consulter  sur  le  P.  Noël  Chabanel  :  Relafion  de  IGoO,  ch.  IV;  — 
Brcve  rehtione,  part.  III,  cap.  VII;  Mrmoirc  louchnnl  la  mort  et  los 
vcrfufi  des  Pères  :— Ahréf/ê  de  la  vie  du  P.  Chnhanel,  ms.  de  1652; 
-Creuxius,  Uist.  Can.,  pp.  ;>7:3  cl  suiv.;  -  Aleo-ambe,  3/or/r.s- 
illustres,  p.  660;  —  Tanner,  Societas  Jesu...  militnns,  pp.  542-!)'^:]  ;  — 
Cassani,  Vnrones  ilustres,  p.  6oO  ;  -  Lettre  du  P.  Raguencau,  13  mars 
1650,  au  R.  P.  Vincent  Carafîe  [Pièces  Justificatives,  n»  VI,  et  Doc//- 
me/iLm'f/.,  XII,pp.  247etsuiv.);-Parkman,  The  JesuHs  in  North 
America,    cap.    XXVIII;   —  Sliea ,    lîist.  of  the    CathoUc    missions, 

pp.  193  et  suiv. 

Le  P.  Noël  Chabanel,  né  le  2  février  1613,  dans  le  diocèse  de 
Mende,  entra  le  9  février  1630  au  noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
à  Toulouse.  Elève  de  philosophie  à  Toulouse  (1632-1634),  puis  profes- 
seur, au  collège  de  cette  ville,  de  cinquième  (1634-1635),  de  quatrième 
(1635-1636),  de  troisième  (1636-1637S  d'humanités  (1637-1638),  de 
rhétorique  (1638-1639),  il  fit,  enfin,  à  Toulouse  même,  deux  ans  de 
théologie  (1639-1641),  et  fut  de  là  envoyé  à  Rhodez  pour  y  enseigner 
encore  la  rhétorique  (1641-1642).  Après  avoir  fait  sa  troisième  année 
de  probation  (1642-1643),  il  partit  pour  le  Canada  en  1643,  et  arriva  à 
Quél)cc  le  15  août  de  la  même  année.  Il  resta  à  Québec  un  an,  et  de 
là  monta  à  Sainte-Marie  des  Hurons.  Il  mourut  le  8  décembre  1649. 


—  108  — 

blait  ou  ne  voulait  prévoir  les  tristes  conséquences  d'une 
pareille  ag-glomération. 

Les  premiers  arrivés  dans  Tile  avaient,  il  est  vrai,  ense- 
mencé la  terre;  mais  la  récolte,  suffisante  pour  l'entretien 
de  quelques  familles,  ne  pouvait  nourrir  plusieurs  milliers 
de  bouches.  Elle  fut  vite  épuisée.  Faute  de  mieux,  la 
plupart  des  émigrés  A-écurent,  durant  l'été,  de  racines,  de 
fruits  sauvages  et  de  quelques  poissons  ;  et  ce  régime,  tout 
maigre  qu'il  était,  ne  parut  pas  nuire  sensiblement  à  la 
santé  de  ces  Indiens,  accoutumés  dès  l'enfance  à  supporter 
les  plus  dures  privations.  L'hiver  venu,  ces  ressources 
manquèrent;  dès  lors,  ce  fut,  dans  toutes  les  cabanes,  la 
misère  noire. 

Les  Jésuites  avaient  apporté  au  fort  Sainte-Marie  une 
provision  assez  considérable  de  blé  d'Inde;  de  plus,  ils 
avaient  recueilli  dans  les  bois  de  l'île  et  mis  en  réserve 
beaucoup  de  glands  et  de  racines.  Ils  connaissaient  de 
longue  date  le  caractère  imprévoyant  du  sauvage,  et 
ils  savaient  qu'à  un  moment  donné  ils  seraient  forcés 
de  venir  à  son  secours  pour  ne  pas  le  voir  mourir  de  faim. 

Malheureusement,  les  ressources  dont  ils  disposaient 
étaient  bien  peu  de  chose  pour  une  population  si  nom- 
breuse. Ils  les  mirent  à  sa  disposition,  en  ne  gardant  que 
le  strict  nécessaire  pour  sustenter  vaille  que  vaille  les  donnés, 
les  domestiques,  les  soldats  et  les  religieux  ^  «  Nous  nous 
efforçons  de  subvenir  charita])lement,  écrit  le  P.  Rague- 
neau,  aux  besoins  extrêmes  de  nos  pauvres  chrétiens.  Il  n'y 
en  a  guère  qui  ne  vivent  de  nos  aumônes.  Si  bien  qu'on  nous 


1.  «  Nihil  ut  no])is  reliqui  faceret,  quo  possemus  nos  iitcum({ue 
sustentare.  »  (Epist.  P.  Ragneneau  ad  R.  P.  Vinc.  Carafa,  d3  mart. 
1630.  —  Le  Père  dit  dans  cette  lettre  :  <(  Gallinas  decem,  par  unum 
porcorum,  boves  duos  totidemque  vaccas,  quantum  scilicet  servandaî 
proli  sit  satis,  reservavimus.  »  Pièces  Jusfi/icntivcs,  n"  YI. 


—  109  — 

appelle  publiquement  les  Pères  de  la  patrie ,  et  de  fait  ^ 
nous  le  sommes...  Pour  l'avenir,  nous  comptons  sur  la 
Providence;  à  chaque  jour  suffit  son  mal...  Nous  avons 
pour  toute  nourriture  un  peu  de  blé,  des  raisins  et  des 
herbes,  et  de  l'eau  pour  boisson.  Les  peaux  de  bêtes  nous 
servent  de  vêtements...  Cependant,  quand  tout  viendrait  à 
nous  manquer,  nous  espérons  qu'avec  la  grâce  de  Dieu,  le 
courag-e,  la  confiance  et  la  patience  ne  nous  manqueront 
pas.  Je  puis  le  promettre  au  nom  de  tous  les  Pères  qui  sont 
ici^  » 

Dans  cette  même  lettre,  le  P.  Ragueneau  ajoutait  : 
((  Nous  avons  deux  sujets  de  crainte  :  d'un  coté,  les  Iro- 
quois,  nos  ennemis;  de  l'autre,  le  manque  prochain  de 
vivres.  Nous  ne  voyons  pas  trop  comment  nous  pourrons 
obvier  à  ce  dernier  inconvénient  -.  » 

De  fait,  il  fut  impossible  d'y  obvier.  Les  provisions  des 
Pères  finirent  par  s'épuiser;  et,  la  terre  étant  couverte  de 
neige,  les  fleuves  et  les  lacs  étant  changés  en  glace,  on  ne 
trouva  nulle  part  aucune  ressource.  La  famine  commença. 
«  C'était  un  spectacle  horrible,  de  voir  au  lieu  d'hommes,  des 
squelettes  de  moribonds,  semblables  aux  ombres  de  la  mort 

l.<(  Christianorum  pauportati  ac  miseriis  misericorditorsiil)vcnimus. 
Vix  ut  ullus  restct  in  vicis,qiu  auxilio  nostro  non  vivat...  Sic  acleo  ut 
palpent  en  pal  rÎPB  puhlïcè  iam  vocemur,  et  ommino  simus.  De  future, 
Dominus  providebit  ;  sufficit  enim  diei  malitia  sua...  Arcenda^  fami, 
partim  frumenta,  partim  radiées  atque  herbse  sufficiunl  ;  nulle  utiniur 
potu,  nisi  a(juœ  frigidœ.  Vix  ullo  vestitu,  nisi  ferarum  pellibus,  quas 
natura  sine  arte  prœbet...  Si  tamen  omnia  desint,  Dec  adjuvante, 
nunquam  deerunt  animi,  nunquam  spes  décrit,  nunquam  patientia. 
IIoc  polliceri  certè  possum  de  omnibus,  quotquot  hic  degunt, 
Patribus.  »  (Ibicl.) 

2.  ((  Tamen  duœ  res  sunt  undè  multum  timemus  huic  missioni  ne 
ruinam  trahat  ;  alterùm,  ab  hostibus  Iroquœis;  alterum,  à  defectu 
annonce  ;  neque  enim  nobis  apparet,  undè  huic  malo  ol)viam  iri 
possit.  »  [Ihid.) 


—  110  — 

plutôt  qu'il  des  corps  vivants,  aller  et  venir,  et  prendre  pour 
se  nourrir  les  choses  les  plus  répugnantes  à  la  naturel  »  — 
«  On  déterre  les  cadavres  et  les  frères  se  nourrissent  de  la 
chair  de  leurs  frères,  les  mères  de  la  chair  de  leurs  fils,  et  les 
enfants  de  celle  de  leurs  pères  et  mères.  Cet  affreux  spectacle 
s'est  vu  plus  d'une  fois  ;  nos  sauvages  n'ont  pas  moins  de 
répulsion  pour  ces  horribles  mets  que  les  Européens  ;  mais 
la  faim  ne  réfléchit  pas-.   » 

La  famine  ne  va  jamais  seule  ;  elle  marche  accompagnée 
ou  suivie  des  maladies  contagieuses.  Ces  deux  fléaux  firent 
un  nombre  incalculable  de  victimes  3. 

Il  ne  manquait  plus  que  la  guerre  pour  achever  de  détruire 
cette  malheureuse  nation,  et  elle  ne  tarda  pas  à  venir.  La 
faim,  dit-on,  fait  sortir  les  loups  des  bois.  Aussitôt  que  les 
glaces  commencèrent  à  fondre  et  la  terre  à  se  découvrir, 
les  Hurons,  poussés  par  la  faim,  sortirent  du  fort  Sainte- 
Marie  pour  aller  à  la  pêche.  «  Mais  là  où  ils  espéraient 
trouver  la  vie,  ils  ne  rencontrèrent  que  l'esclavage  ou  la 
mort.  Ils  tombèrent  entre  les  mains  des  Iroquois,  qui  leur 
faisaient  partout  lâchasse,  surtout  pendant  la  nuit^.  »  Pour 
comble  de  misères,  if  fallait  monter  la  garde  jour  et  nuit, 
parce  que  les  Iroquois  s'étaient  portés  en  nombre  sur  l'île 
et  épiaient  le  moment  favorable  de  pénétrer  dans  le  fort 
et  d'en  massacrer  tous  les  halntants  ■'. 

1.  Brève  rehifione,  p.  124,  et  la  traduction  du  P.  Martin,  p.  283. 

2.  «  Efîossa  passim  è  sepulchris  cadavera  ;  necfratribus  modo  fratres, 
sed  ipsis  etiam  matribus  filii,  filiisque  parentes  sui  pabulum  non 
semel  dedère  :  inhumanum  quidem,  nostrisque  barbaris  liaudinsuctum 
minus  quam  Europœis;  sed  nihil  in  cibo  discernunt  dentés  familici.  » 
{Epist.  P.  Ragueneau  ad  R.  P.  Vinc.  Carafa,  13  mart.  1650)  —  Docu- 
inents  inédits,  XII,  p.  248;  —  Relation  de  1650,  eh.  YIII. 

3.  <(  Funestâ  famé  et  contagiosâ  lue  Hurones  nostri  miscrè 
pereunt.  »  [Ibicl.) 

4.  Brève  relatione,  p.  124;  —  Relation  de  1650,  ch.  VIII. 

5.  Relation  de  1635,  ch.  VIII. 


PAUL  RAGUENEAU.SJ. 

Professeur  du  Grand  Condé 

à  Bourses 


—  111  — 

La  situation  était  devenue  intenable.  Aussi,  à  l'arrivée  du 
printemps,  deux  capitaines  Hurons  vinrent  trouver  le  supé- 
rieur des  Jésuites  et  lui  dirent  au  nom  de  tous  les  chefs  : 
«  Cette  nuit,  dans  un  conseil,  on  a  pris  la  résolution 
d'abandonner  cette  île.  La  plupart  veulent  se  retirer  dans 
les  bois,  afin  d'y  vivre  solitaires,  loin  de  leurs  ennemis. 
Quelques-uns  ont  l'intention  de  fuir  à  six  grandes  journées 
d'ici;  les  autres  iront  s'unir  à  nos  alliés,  les  Andastes  ; 
d'autres,  enfin,  vont  se  jeter  entre  les  bras  de  l'ennemi, 
où  ils  ont  beaucoup  de  leurs  parents  c{ui  les  désirent...  Toi 
seul,  mon  frère,  peux  nous  donner  la  vie,  si  tu  veux  faire 
un  coup  hardi.  (Choisis  un  lieu  où  tu  puisses  nous  rassem- 
bler et  empêche  cette  dispersion.  Jette  les  yeux  du  côté  de 
Québec  pour  y  transporter  les  restes  de  ce  pays  perdu. 
N'attends  pas  que  la  famine  et  que  la  guerre  nous  tuent 
jusqu'au  dernier.  Tu  nous  portes  dans  tes  mains  et  dans 
ton  cœur.  La  mort  t'en  a  ravi  plus  de  dix  mille  \  si  lu  dif- 
fères davantage,  il  n'en  restera  plus  un  seul  et  alors  tu 
auras  le  regret  de  n'avoir  pas  sauvé  ceux  que  tu  aurais  pu 
retirer  du  danger  et  t'en  ouvrent  les  moyens.  Si  tu  écoutes 
nos  désirs,  nous  ferons  une  Eglise  à  l'abri  du  fort  de 
Québec.  Notre  foi  n'y  sera  pas  éteinte  '.  » 

Ces  paroles,  dictées  par  un  sentiment  très  élevé  de  foi, 
émurent  profondément  le  P.  Ragueneau.  Elles  présentaient 
du  reste  la  seule  solution  possible  et  raisonnable  aux 
graves  difficultés  du  moment  ;  elles  indiquaient  le  seul  vrai 
mo^^en  de  sauver  les  restes  dispersés  de  l'Eglise  et  de  la 
nation  huronne.  Le  supérieur  des  Jésuites  et  ses  confrères 
l'adoptèrent,  après  mûre  discussion,  à  l'unanimité-;  cène 

\.  Brève  relatione,  p.  12");  —  Relatio?i  ahrérjée^  p.  28G  ;  — Relation 
de  1G30,  p.  24. 

2.  «  Ayant  entendu  le  discours  de  ces  capitaines,  j'en  fis  le  rapport 
à  nos  Pères,  dit  le  P.  Rag-ueneau.  L'affaire  était  trop  importante  pour 


—  112  — 

fut  pas  sans  un  grand  saignement  de  cœur.  Pouvait-on 
s'éloigner  sans  regrets,  sans  une  douleur  poignante,  d'une 
terre  si  longtemps  stérile  et  aujourd'hui  féconde ,  d'un 
sol  arrosé  pendant  seize  ans  de  la  sueur  des  apôtres,  rougie 
du  sang  de  cinq  martyrs  ^  !  Et  puis,  en  abandonnant  ce 
poste  de  l'Ouest,  n'allait-on  pas,  peut-être,  fermer  derrière 
soi  pour  toujours  la  porte  au  christianisme  vers  les  nations 
innombrables  de  l'Occident? 

Ordre  est  donné  à  tous  les  missionnaires,  absents  de 
Sainte-Marie,  de  s'y  rendre  au  plus  tôt;  et  le  40  juin  1650, 
les  missionnaires,  leur  personnel  et  trois  cents  Hurons 
chrétiens-  s'embarquent  en  sdence  sur  une  longue  fde  de 


la  conclure  en  peu  de  jours.  Nous  redoublons  nos  dévotions;  nous 
consultons  ensemble,  mais  plus  encore  avec  Dieu  ;  nous  faisons  des 
prières  de  quarante  heures,  pour  reconnaître  ses  saintes  volontés  ; 
nous  examinons  cette  afl'aire  quinze,  seize  et  vingt  fois.  Il  nous  semble 
de  plus  en  plus  que  Dieu  avait  parlé  par  la  bouche  de  ces  capitaines... 
Ce  fut  le  sentiment  si  général  de  tous  nos  Pères  que  je  ne  pus  y 
résister.  »  [Relation  de  1650,  p.  25.) 

1.  IJM.,  p.  20. 

2.  «  En  partant  pour  Québec,  le  P.Ragueneau  laissa  au  fort  Sainte- 
Marie  plusieurs  familles  qui  devaient  le  suivre  dans  Tautomne  de 
1650;  mais  des  circonstances  imprévues  les  empêchèrent  de  tenir 
leur  promesse.  »  [Couj^s  dliistoire,  p.  385.)  —  Parkman  {Améinque  du 
Nord,  ch.  XXX),  prétend  ({ue  \e  plus  grand  nombre  des  Hurons  pré- 
féra rester  dans  l'île  de  Saint-Joseph.  Quoi  qu'il  en  soit,  à  l'automne, 
les  Iroquois  élevèrent  un  fort  sur  la  terre  ferme,  en  face  de  Sainte- 
Marie,  mais  à  l'insu  des  Hurons.  Un  capitaine  chrétien,  Etienne 
Anahotaha,  parvint,  à  force  de  ruses,  à  attirer  une  trentaine  de  guer- 
riers iroquois  au  fort  de  Sainte-Marie,  et  là  ils  furent  massacrés.  Les 
autres  Iroquois,  épouvantés,  reprirent  précipitamment  le  chemin  de 
leur  pays  ;  puis  ils  revinrent  en  forces  pour  attaquer  les  Hurons,  qui 
quittèrent  Saint-Joseph  au  printemps  de  1651  et  allèrent  se  fixer  dans 
l'île  d'Ekaentoton.  {Relation  de  1651,  ch.  II.) 

II  n'entre  pas  dans  le  plan  de  cette  histoire  de  raconter  les  migra- 
tions diverses  des  Hurons.  Ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  de  leur 


—  113  — 

barques,  longent  la  cote  orientale  de  la  baie  Géorg^ienne  et 
entrent  clans  la  rivière  des  Français.  Les  bords  du  lac 
Nipissing'  sont  déserts  '  ;  les  xVlg-onquins  ont  quitté  lile  des 
Allumettes;  les  rives  de  l'Ottawa,  jadis  si  peuplées  et  si 
vivantes,  présentent  aujourd'hui  la  triste  image  de  la  mort'-. 
Les  Iroquois  ont  passé  partout  et  partout  ils  ont  laissé  les 
traces  de  la  plus  cruelle  désolation  ;  partout  ils  ont  fait  la 
solitude. 

A  mi-chemin,  la  caravane  rencontre  quarante  Français, 
vingt  Hurons  et  le  P.  Bressani,  qui  montaient  de  Québec, 
ignorant  encore  les  malheurs  irréparables  de  la  nation 
huronne,  la  mort  violente  de  la  plupart  de  ses  enfants  et  la 

dispersion  et  ce  que  nous  en  disons  ici  suffit  pour  le  but  que  nous 
nous  proposons.  On  trouvera  du  reste  d'amples  renseig-nemcnts  sur 
la  destinée  de  ce  peuple  dans  les  ouvrages  suivants  :  liehiliotDi  de 
1654,  1600,  1067,  1670,  1671,  1672,  etc.;  — Mémoire  sur  les  mœurs, 
coutumes  et  religions  des  sauvages  de  l'Américjue  septentrionale, 
chap.  XIV  et  XV,  et  Nofcs  du  P.  Tailhan  sur  ces  deux  chapitres  do 
ce  Mémoire  ;  —  Ilis/oire  de  F  Amérique  du  Nord,  par  de  la  Potherie, 
t.  Il,  chap.  Vil.  —  La  nation  du  Petun,  protégée  par  ses  montagnes, 
se  maintint  plus  longtemps  dans  son  pays  que  le  peuple  Iluron;  mais 
elle  fut  aussi  obligée  de  le  ([uitter.  Elle  se  réfugia  d'abord  à  Michilli- 
makinak,  puis  dans  Pile  huronne  placée  à  l'entrée  de  la  baie  des 
Puans,  dans  le  Michigan-Ouest  et  le  Wisconsin  actuels,  etc.  {Mémoire 
de  Perrot,  loc.  cit.;  —  Belnlions  de  1654,  IV,  p.  9  ;  —  de  1658,  p.  21  ; 
—  de  1600,  pp.  12  et  127;  —  de  1663,  pp.  20  et  21  ;  —de  1667,  pp.  9, 
13,  14,  15  et  17;  —  de  1670,  pp.  86  et  87  ;  —  de  1671,  p.  39;  —  de 
1672,  pp.  35  et  36,  etc.;  —  Ilis/oire  de  la  NouvcUc-Frnnre,  j)ar  le  P. 
de  Charlevoix,  III,  p.  279.) 

1.  Les  Nipissings  s'enfuirent  vers  le  Nord,  par  crainte  des  Iro- 
quois. {De  la  Potherie,  t.  II,  pp.  51,  52  et  53;  —  Mémoire  de  Perrot, 
loc.  cit.) 

2.  Les  Outaouais  se  retirèrent  dans  'Pile  huronne  avec  les  gens  du 
Petun;  puis  on  les  trouve  à  Chagouanigon,  à  Michillimakinak,  dans 
l'île  Manitouline,  etc.  (De  la  Potherie,  liv.  II,  pp.  31-53  ;  —  Relation 
de  1667,  p.  17;  —  de  1670,  pp.  86  et  87  ;  —  de  1671,  p.  39;  —  de 
1655  p.  21  ;  —  de  1661,  p.  12  ;  —  de  1664,  p.  3  ;  —  Mémoire  de  Perrot, 
loc.  cit.) 

Jés.  ci  Noiw.-Fr.  —  T.  II.  8 


—  114  — 

dispersion  des  survivants  ^  Tousse  joignent  à  la  caravane 
et  reviennent  sur  leurs  pas.  On  atteint  Montréal  où  les 
llurons  refusent  de  s'établir,  File  étant  trop  exposée  aux 
incursions  des  ennemis'.  Enfin,  le  28  juillet,  on  débarque 
à  Québec  3. 

Ce  fut  pour  la  colonie  française  une  lourde  charge  que 
l'arrivée  de  ces  sauvages,  dénués  de  tout,  n'ayant  ni  de 
quoi  se  nourrir,  ni  de  quoi  se  loger,  ni  de  quoi  se  procurer 
par  l'échange  un  peu  de  blé  ou  quelques  pois.  Cent  d'entre 
eux  furent  secourus  et  entretenus  par  les  Ursulines,  les 
Hospitalières  et  les  familles  françaises  les  plus  aisées  ;  les 
autres  restèrent  à  la  charge  des  Jésuites  ^  qui,  pour  fournir  à 
tant  de  dépenses,  renvoyèrent  en  France  quelques-uns  de 
leurs  ouvriers  ''.   Un  mois  après  l'arrivée   de  ces  Hurons  à 

1.  Le  P.  Rag-ueneau  raconte  que  la  troupe  du  P.  Bressani  s'était 
laissée  surprendre  par  les  Iroquois,  quelques  jours  auparavant,  sur 
la  rivière  des  Outaouais.  Les  Français  et  Hurons,  campés  sur  les 
bords  de  la  rivière,  dormaient  paisiblement,  quand  dix  guerriers 
ennemis  s'approclièrent  en  silence  et  firent  sur  eux  une  décharge  qui 
leur  tua  sept  hommes.  Le  P.  Bressani  cria  aux  armes,  et  reçut  trois 
blessures  ;  mais  les  alliés,  réveillés  par  ses  cris,  se  précipitèrent  sur 
les  Iroquois,  en  tuèrent  six  et  firent  deux  prisonniers.  {Belation  de 
1650,  p.  27.) 

2.  Relation  de  IGoO,  p.  28. 

3.  Ibid. 

4.  Belation  de  16o0,  p.  28. 

5.  On  lit  dans  la  Relation  de  16o0,  p.  49  :  «  Les  Pères  que  j'ai 
laissés  pour  les  emplois  des  missions  et  fonctions  de  Québec  et  de 
ses  apartenances,  sont  au  nombre  de  dix-neuf  ou  vingt.  Le  reste  a 
repassé  en  France  par  les  premiers  vaisseaux  et  par  ce  dernier 
(2  novembre  1650)  au  nombre  de  huit.  »  (Lettre  du  P.  Jérôme  Lale- 
mant  au  B.  P.  de  Lingendes,  provincial  de  la  province  de  France  ; 
Paris,  mois  de  décembre). 

On  lit,  à  ce  sujet,  dans  le  Journal  des  Jésuites  :  23  août,  départ 
pour  la  France  des  Pères  Pierre  Pijart,  Grêlon  et  François  du  Peron; 
—  21  septembre,  départ  des  Pères  de  Lyonne,  Bonin,  Daran  ;  — 
2  novembre,  départ  des  Pères  Jérôme  Lalemant  et  Bressani. 

D'après  le  même  journal,  on  renvoya  en  France  les  Frères  eoadju-- 


—  115  — 

Québec,  le  P.  Ragueneau  écrivait  :  «  Par  les  chemins  nous 
les  avons  nourris  ;  dans  leur  propre  pays,  Dieu  nous  four- 
nissait les  moyens  de  soulager  une  partie  de  leurs  misères; 
nous  avons  répandu  pour  eux  notre  sang  et  nos  vies  ;  pour- 
rions-nous après  cela  leur  refuser  ce  qui  est  hors  de  nous, 
qui  puisse  être  en  notre  pouvoir?  Ils  viennent  tous  les  jours 

/eurs  Claude  Loyer  et  Nicolas  Xoircler  (21  septembre),  et  François 
Liégeois  (2  novembre),  quatre  donnés,  Bernard  et  Rolant(21  septem- 
bre), Joseph  Molère  et  Christoplie  Renant  (2  novembre). 

Les  Pères  J.  Lalemant,  du  Peron  et  de  Lyonne  revinrent  plus 
tard  au  Canada. 

Le  P.  Bressani  rentra  dans  sa  province,  en  Italie,  et  mourut  à 
Florence  le  9  septembre  1672. 

Le  P.  Jacques  Bonin,  né  à  Ploermcl  (Morbihan),  le  1*^''  septembre 
1617,  était  entré  dans  la  Compagnie  à  Paris,  le  10  juin  1634. 
Après  ses  trois  ans  de  philosophie  à  la  Flèche  (1636-1639),  il  professa 
à  Quimper  la  cinquième  (1639-1640),  la  troisième  (1640-1841),  et  les 
humanités  (1641-1642),  et  après  une  seconde  année  d'enseignement 
des  humanités  à  Rennes  (1642-1643),  il  fit  sa  théologie  au  collège  de 
Clermont,  à  Paris  (1643-1647).  En  .1647,  il  part  pour  le  Canada.  Le 
19  septembre  1650,  Marie  de  l'Incarnation  écrivait  à  son  fds  :  u  Le 
P.  Bonnin  est  un  des  plus  fervents  missionnaires  qui  se  puissent  ren- 
contrer; c'est  pour  cela  qu'on  a  bien  eu  de  la  peine  à  le  laisser  partir 
(pour  la  France).  Mais  comme  il  est  très  capable  pour  les  emplois 
de  la  prédication,  qu'il  avait  quittés  pour  obéir  à  l'attrait  de  Dieu, 
qui  l'appelait  à  la  conversion  des  Murons,  on  le  renvoie  dans  l'exer- 
cice de  ses  premières  fonctions,  en  attendant  que  les  affaires  de  cette 
église  se  rétablissent.  Vous  connaitrez  aussitôt  que  ce  n'est  pas  un 
homme  du  commun  ;  mais  je  l'honore  plus  de  ce  qu'il  est  un  grand 
serviteur  de  Dieu  que  pour  tous  ses  grands  talents.  »  {Lettres  histo- 
riques, p.  449.)  Il  mourut  à  la  Martinique  le  4  novembre  16o9. 

Le  P.  Adrien  Daran,  coadjuteur  spirituel  de  la  Compagnie,  naquit 
à  Rouen  le  9  septembre  161i3,et  entra  au  noviciat  des  Jésuites, à  Paris, 
le  7  septembre  1633.  Après  deux  ans  de  philosophie  au  collège  de 
Clermont,  à  Paris  (1637-1639),  il  enseigna  la  cinquième  à  Xevers 
(1639-1640),  fit  une  année  de  morale  à  Rouen  (1640-1641),  fut  de  nou- 
veau professeur,  à  Alençon,  de  cinquième  (1641-1642),  de  quatrième 
(1642-1646)  ;  puis  il  fit  une  seconde  année  de  morale  à  Rouen  (1646- 
1647)  et  partit  pour  le  Canada.  Rentré  en  France,  il  fut  envoyé  à 
Alençon  (1630-1631),  et  de  là  à  Vannes,  où  il  mourut  en  1670,  après 


—  116  — 

quérir  chez  nous  la  portion  qu'on  leur  distribue  ;  ils  se  sont 
bâtis  eux-mêmes  leurs  cabanes  ;  ils^  tâcheront  par  leur  tra- 
vail de  chercher  quelque  partie  de  leur  nourriture.  Si  après 
nous  être  épuisés,  nous  nous  voyons  dans  l'impuissance  de 
continuer  nos  charités,  et  qu'ils  meurent  ici  de  famine 
proche  de  nos  Français,  au  moins  aurons-nous  cette  conso- 
lation qu'ils  y  mourront  chrétiens  ^.  » 

Un  mois  plus  tard,  le  29  septembre,  la  Mère  Marie  de 
Saint-Bonaventure,  religieuse  hospitalière  de  Québec,  écri- 
vait à  Paris  :  <(  Voici  quatre  cents  de  ces  pauvres  Hurons 
réfugiés  à  Kébec,  et  cabanes  auprès  de  la  porte  de  notre 
hôpital  où  ils  viennent  à  la  Sainte-Messe  tous  les  jours.  Je 
n'ai  jamais  rien  vu  de  si  pauvre  et  de  si  dévot;  une  petite 
sagamité,  c'est-à-dire  un  potage  de  pois  ou  de  blé  d'inde, 
les  passe  pour  un  jour,  et  encore  bien  heureux  d'en  avoir  et 
bien  heureux  d'avoir  moyen  de  leur  en  donner.  Notre  petite 
salle  de  malades  est  aussi  23leine  de  pauvres  soldats  fran- 
çais, blessés  au  combat  des  Iroquois -.  » 

L'hôpital  de  ces  religieuses  fut  toujours,  mais  cette  année 
principalement  «  un  asyle  assuré  pour  les  j^auvres,  tant 
français  que  sauvages;  elles  y  rendirent  tout  le  cours  de 
l'année,  et  aux  uns  et  aux  autres,  toutes  les  charités  pos- 
sibles, au  dessus  de  leurs  forces,  quoiqu'au  dessous  de  leur 
courage...  Elles  faisaient  plus  qu'elles  ne  pouvaient...  Elles 


avoir   exercé  les  divers  emplois   de   missionnaire,    de   ministre   du 
collège  et  de  directeur  de  la  Congrégation  des  Artisans. 

Le  P.  Adrien  Grêlon,  né  à  Périgueux  en  1617,  entra  au  noviciat  de 
la  Compagnie  de  Jésus  à  Bordeaux  le  5  novembre  1635  et  arriva 
au  Canada  le  14  août  1647.  Il  est  mort  en  France  en  1697. 

1.  Relation  de  1650,  p.  28. 

2.  Relation  de  1650,  p.  51.  —  Dans  cette  lettre  il  est  parlé  de  quatre 
cents  sauvages,  parce  que  les  Hurons  avaient  hiverné  à  Québec  en 

1649   et    d'autres  encore  vinrent    s'unir   aux    exilés  amenés  par  les 
Jésuites  de  File  de  Saint-Joseph. 


—  117  — 

se  passaient  de  fort  peu,  aimant  mieux  tout  souffrir  que  de 
se  plaindre,  ou  de  manquer  aux  pauvres,  qu'elles  préfé- 
raient à  leurs  propres  besoins  i .    » 

Les  Ursulines  ne  se  montrèrent  ni  moins  g-énéreuses,  ni 
moins  dévouées.  Ruinées  par  les  énormes  dépenses  qu'avait 
nécessitées  l'érection  de  leur  monastère,  elles  se  condam- 
nèrent avec  bonheur  aux  plus  dures  privations  dans  le  but 
de  secourir  les  sauvages  qui  venaient  frapper  à  la  porte  du 
cloître.  Marie  de  l'Incarnation  écrivait  :  ((  En  qualité  de 
dépositaire,  c'est  moi  qui  distril)ue  la  nourriture  et  les 
vêtements  à  ceux  dont  nous  sommes  chargées,  ce  qui  est 
pom^  moi  un  sujet  d'intarissables  consolations-.  »  Mais  ce 
ministère  de  charité  ne  dura  pas  longtemps;  dans  la  nuit 
du  29  décembre,  l'incendie  dévora  le  monastère  des  Ursu- 
lines, et  les  Hospitalières,  dont  rien  ne  lassait  l'infatigable 
générosité,  mirent  aussitôt  leur  maison  à  la  disposition  des 
filles  de  Sainte-Ursule. 

Telle  fut  donc,  au  mois  de  janvier  lôrjl ,  la  situation  réelle 
de  Québec  :  les  Ursulines,  réduites  à  la  dernière  misère  et 
forcées  d'implorer  la  charité  publique  3;  le  nombre  des 
Hurons  allant  chaque  jour  grossissant;  et,  pour  nourrir  les 


1.  Relation  de  1651,  p.  3. 

2.  Histoire  de  la  Mère  Marie  de  l' Incarnation,  par  ral)bé  Gasgrain, 
p.  368. 

3.  Après  trois  semaines  de  séjour  à  riIôtel-Dicu,  elles  s'installèrent 
dans  la  maison  de  Madame  de  la  Peltrie,  au  nombre  de  treize,  sans 
compter  quelques  pensionnaires.  Là,  elles  occupaient  deux  chambres, 
qui  servaient  en  même  temps  de  dortoir,  de  réfectoire,  de  cuisine, 
de  salle  d'infirmerie,  de  tout.  (Relation  do  1651,  p.  3;  —  Lettres  spiri- 
tuelles de  Marie  de  rincarnation,  p.  138;  —  Les  Ursulines  de  Québec, 
t.  I,  pp.  170  et  suiv.)  «  Elles  firent  des  emprunts,  avec  lesquels  elles 
commencèrent  la  reconstruction  de  leur  maison,  et,  moins  de  dix-huit 
mois  après  Fincendie,  elles  prirent  possession  de  leur  nouvelle 
demeure.  »  [Cours  d'histoire,  t.  I,  p.  390.) 


—  118  — 

religieuses  et  les  exilés,  peu  ou  point  de  ressources  dans 
la  colonie  française.  Sans  doute  que  la  charité  était  plus 
grande  encore,  au  dire  de  Marie  de  rincarnation,  que  la 
pauvreté  du  pays;  toutefois,  la  charité  a  des  bornes,  et  les 
moins  regardants  ne  peuvent  les  franchir,  même  avec  la 
meilleure  volonté  du  monde  i.  Pour  coml^le  d'infortune,  les 
Augustines  avaient  à  peine  reçu,  l'année  précédente,  la 
moitié  des  aumônes  qu'on  leur  envoyait  chaque  année  de 
Paris-.  Les  Jésuites  se  trouvaient  dans  le  même  cas;  aussi 
le  P.  J.  Lalemant  était-il  allé  en  France-''  exposer  le  triste 
état  de  Québec  et  faire  appel  à  la  charité  :  mais  son  retour 
ne  pouvait  s'elfectuer  au  plus  tôt  qu'au  printemps^.  L'in- 
cpiétude  envahit  la  colonie,  malgré  la  puissance  de  sa  foi 
et  de  ses  espérances.  Aurait-il  pu  en  être  autrement? 

Le  départ  des  Hurons  de  Québec  vint  diminuer,  sinon 
dissiper,  l'angoisse  générale  et  les  préoccupations  d'avenir. 

1.  Marie  de  rincarnation  écrivait  à  son  fils  le  3  septembre  1651  : 
<(  Nos  Révérends  Pères  nous  ont  secourues  de  toute  Tétendue  de  leur 
pouvoir,  jusqu'à  nous  envoyer  les  étoffes  qu'ils  avaient  en  réserve 
pour  se  faire  des  habits,  afin  de  nous  revêtir.  Il  nous  ont  encore 
donné  des  vivres,  du  linge,  des  couvertures,  des  journées  de  leurs 
frères  et  de  leurs  domestiques;  enfin,  sans  leur  extrême  charité, 
nous  serions  mortes  de  faim  et  de  misère.  M.  le  gouverneur  d'Aille- 
boust  et  Madame  sa  femme  nous  ont  aussi  assistées.  Enfin  nous  avons 
été  l'objet  de  la  compassion  et  de  la  charité  de  tous  nos  amis.  La 
compassion  est  passée  même  jusqu'aux  pauvres  :  l'un  nous  offrait 
une  serviette,  l'autre  une  chemise,  l'autre  un  manteau.  Un  autre  nous 
donnait  une  poule,  un  autre  des  œufs,  et  un  autre  d'autres  choses... 
Vous  savez  la  pauvreté  du  pays,  mais  la  charité  y  est  encore  plus 
grande.  »  [Letti^es  historiques,  \).  i^^.)\ .  aussi  le  Journal  des  Jésuites, 
30  décembre  1650  et  2  janvier  1651,  p.  147. 

2.  Relation  de  1650,  p.  51. 

3.  Il  partit^de  Québec  le  2  novemi^re  1650.  [Journal  des  Jésuites, 
p.  144.) 

4.  La  colonie  ne  reçut  que  le  13  octobre  1651  les  secours  qui 
auraient  dû  arriver  au  printemps.  [Relation  de  1651,  p.  1.) 


—  119  — 

C'était  une  charge  de  moins  pour  les  colons  français  et  poui' 
les  hospitalières. 

A  la  pointe  de  l'île  d'Orléans,  aujourd'hui  nommée  l'anse 
du  Fort,  les  Jésuites  avaient  acquis  un  assez  vaste  terrain  î. 
Sur  la  fin  de  mars,  ils  y  conduisent  les  Ilurons,  qui  bientôt 
y  sont  rejoints  par  d'autres  familles  de  la  nation,  établies 
aux  Trois-Rivières  et  à  Beauport.  Le  P.  Chaumonot  est 
chargé  de  cette  colonie  -. 

Le  village  s'élève  rapidement  dans  un  site  admirablement 
ciioisi,  près  d'une  anse  du  Saint-Laurent,  où  les  canots  peu- 
vent facilement  aborder.  Autour  de  la  chapelle  et  de  la 
maison  du  missionnaire  se  dressent  de  nombreuses  cabanes 
sur  le  modèle  des  anciennes  demeures  huronnes.  De  fortes 
palissades  protègent  de  tous  cotés  le  nouvel  éta])lissement  ; 
et  les  exilés,  qui  trouvent  là  une  seconde  patrie,  lui  donnent 
le  nom  de  Sainte-Marie,  en  souvenir  des  lieux  qu'ils  ont 
été  forcés  d'abandonner -^ 

Pendant  que  le  village  s'élève,  on  travaille  à  la  culture 
de  la  terre.  «  Nous  finies  abattre  du  l^ois  aux  Hurons  et 
faire  des  champs,  dit  le  P.  Chaumonot.  Sans  parler  des 
Français  que  nous  employâmes  à  ce  travail,  en  les  payant, 

1.  «  Eléonore  do  Grandmaison,  veuve  du  sieur  Chavigny  de  Bcr- 
chcreau,  vendit  (aux  Jésuites)  pour  un  étaljlisscment  de  Ilurons,  une 
partie  des  terres  cultivées  de  son  fief,  aujourd'hui  connu  sous  le  nom 
de  fief  Beaulieu  ou  Gourdeau.  La  maison  de  Noël  Bowen,  écuyer, 
occupe  aujourd'hui  le  milieu  de  remplacement  du  fort  des  Ilurons.  » 
[dours  cV/iisfoire,  t.  I,  p.  388,  noie.)  — Le  contrat  de  vente  fut  passé 
le  19  mars  16Si.  [Journal  des  Jésuites,  p.  149.) 

2.  «  Le  printemps,  je  les  (Ilurons)  conduisis  à  Tile  d'Orléans  (à 
une  lieue  et  demi  au  dessous  de  Québec)  sur  les  terres  que  nous  y 
avions.  »  [Autobiographie  du  P.  Chaumonot,  p.  50).  —  On  lit  dans 
le  Journal  des  Jésuites,  p.  140  :  <(  25  mars  1651,  le  P.  Chaumonot, 
Eustache  et  Lapierre  vont  demeurer  à  File  d'Orléans.  » 

3.  Cours  dliistoire,  par  l'abbé  Ferland,  t.  I,  p.  388;  —  Relation  de 
1652,  p.  10. 


—  120  — 

nous  eng-ageâmes  aussi  les  sauvages  à  s'aider  eux-mêmes. 
Voici  comment.  Ils  n'avaient  rien  de  quoi  subsister,  et  tous 
les  jours  nous  leurs  donnions  par  aumône  du  pain  et  de  la 
sagamité,  c'est-à-dire  du  potage  fait  avec  des  j^ois,  du  riz 
ou  du  blé  d'inde,  et  assaisonné  avec  de  la  viande  ou  du 
poisson.  Leur  part  de  ces  vivres  était  plus  grande  ou  plus 
petite  à  proportion  qu'ils  avaient  plus  ou  moins  travaillé. 
D'abord  quelques-uns  murmurèrent,  s'imaginant  que  nous 
profitions  de  leur  travail  ;  mais  lorsqu'ils  virent  qu'après 
les  avoir  nourris  et  habillés  à  nos  dépens,  depuis  leur  arrivée 
à  Québec,  nous  ne  nous  retenions  pas  un  seul  pouce  des 
terres  nouvellement  défrichées  à  nos  frais,  qu'au  contraire 
nous  les  partagions  également  à  toutes  leurs  familles,  ils 
nous  charo-èrent  de  bénédictions.  Ils  nous  remerciaient,  non 
seulement  des  champs  que  nous  leur  donnions,  mais  même 
de  ce  que  nous  les  avions  fait  travailler.  Aussi,  dès  la  seconde 
année,  ils  commencèrent  à  recueillir  là  autant  de  blé  d'inde 
qu'ils  avaient  coutume  d'en  recueillir  dans  leur  pays  ^.    » 

1.  ((  ^lais,  la  première  année,  il  a  fallu  les  nourrira  nos  frais.  Pour 
cela  seul  nous  n'en  avons  pas  été  quittes  à  huit  mille  livres,  donnans 
avec  plaisir  ce  qu'on  nous  envoie  de  France.  Mais  c'est  uiie  charité 
bien  placée,  puisqu'elle  n'a  d'autre  but  que  le  salut  des  âmes,  »  [Reln- 
tion  du  P.  Ragueneau,  28  oct.  1651).  —  La  Relation  de  1652,  p.  10, 
dit  :  «  Les  Hurons  ont  recueilli  cette  année  (la  seconde)  une  assez 
bonne  quantité  de  blé  d'inde  ;  tous  néanmoins  n'en  auront  pas  suffi- 
samment pour  leur  provision.  Nous  les  secourrons  comme  nous  avons 
secouru  les  autres,  des  charités  que  l'on  nous  enverra  de  France.  » 
—  Le  P.  Mercier,  supérieur  de  la  mission,  écrivait  encore  en  1654  : 
((  Il  fallut  les  nourrir,  hommes  et  enfants,  les  deux  premières  années  ; 
il  fallut  leur  bâtir  une  église  et  un  réduit;  il  a  fallu  leur  fournir  des 
chaudières  et  des  haches,  et  même  de  quoi  se  couvrir  à  la  plus  grande 
partie  des  familles.  Nous  avons  été  obligés  de  continuer  (depuis  lors) 
cette  dépense  pour  ({uantité  de  pauvres,  de  malades  et  de  personnes 
invalides  :  en  un  mot,  nous  leur  servons  de  pères,  de  mères  et  de 
tout.  Les  frais  vont  à  l'excès  pour  le  nom])re  de  cinq  à  six  cents  per- 
sonnes ;  mais  la  charité  des  saintes  âmes  (de  France)  qui  ont  voulu 
contribuer  à  ce  grand  entretien  est  encore  plus  excessive.  »  [Rela- 
tion de  1654,  pp.  20  et  21.) 


—  121  — 

La  colonie  liuronne,  composée  d'abord  de  quatre  cents 
personnes  environ,  s'éleva  bientôt  au  chillre  de  six  cents; 
et  le  P.  Chaumonot  en  fit  une  chrétienté  modèle,  qui  rap- 
pelait un  peu  les  édifiantes  réductions  du  Paraguay. 

Outre  les  prières  que  chacun  faisait  en  particulier  soir  et 
matin  dans  sa  cabane,  les  Hurons  assistaient  encore  aux 
prières  publiques  récitées  à  l'ég-lise.  Les  jours  ouvriers  ne 
se  distinguaient  des  dimanches  et  des  fêtes  que  par  le 
nombre  des  communions  et  la  récitation  à  haute  voix  du 
chapelet^.  Trois  fois  par  jour,  la  cloche  appelait  séparément 
les  fidèles  à  la  chapelle,  d'abord  les  congréganistes,  puis 
ceux  qui  ne  l'étaient  pas,  et  enfin  les  enfants  au  dessous  de 
quatorze  à  quinze  ans.  Ceux-ci,  au  sortir  de  la  chapelle,  se 
rendaient  à  la  maison  du  missionnaire,  pour  y  entendre 
une  leçon  de  catéchisme.  Les  hommes  et  les  femmes,  les 
filles  et  les  garçons  étaient  toujours  séparés  aux  réunions 
pieuses-.  L'auteur  de  laBelafion  de  16oi  raconte  avec  beau- 
coup de  détails  les  divers  exercices  de  dévotion  et  hi  ferveur 
persévérante  des  néoph^^tes,  et  en  particulier  des  congré- 
ganistes  du  fort  Sainte-Marie  ■'. 

Mais  il  était  dans  la  destinée  de  ce  peuple,  depuis  l'ère 
de  ses  premières  défaites  par  les  Iroquois,  de  ne  plus  trouver 
de  demeure  fixe.  Ceux  qui  s'étaient  réfugiés  au  Nord,  à 
l'Ouest  et  au  Midi  de  la  contrée  huronne  errèrent  de  pays 
en  pays,  sans  pouvoir  poser  nulle  part  leur  tente  d'une 
manière  définitive.  A  peine  établis  dans  un  endroit,  un 
besoin  impérieux  de  changement  ou  la  force  des  événements 

1.  Leur  principale  prière  était  le  chapelet  qu'on  leur  faisait  réciter 
en  leur  langue.  La  récitation  du  chapelet  et  le  chant  de  quelques 
cantiques  en  langue  sauvage  remplaçaient,  le  dimanche,  le  chant  des 
vêpres. 

2.  Relation  de  1054,  p.  21. 

3.  IhixL,  ch.  IX  et  X. 


—  122  — 

les  poussait  ailleurs.  Peut-être  la  main  vengeresse  de  Dieu 
punissait-elle  ainsi  de  sa  longue  résistance  à  renseignement 
de  l'Évangile  cette  malheureuse  nation,  douée  sans  doute 
de  quelques  bonnes  qualités,  mais  féroce,  perfide,  dissi- 
mulée, immorale,  peu  fidèle  à  la  parole  donnée,  portée 
d'instinct  au  vol. 

Le  seigneur  voulait  peut-être  aussi,  en  dispersant  cette 
tribu  dans  les  forêts  du  Nord  et  du  Midi  et  à  l'Ouest 
des  grands  lacs,  montrer  la  lumière  de  la  vérité  aux  sau- 
vages qui  ne  la  connaissaient  pas  ;  il  voulait  encore  préparer 
les  voies  aux  prédicateurs  qu'il  devait  bientôt  leur  envoyer. 
Car,  on  ne  peut  le  nier,  il  se  trouva,  parmi  ces  exilés, 
beaucoup  de  chrétiens;  les  missionnaires  eurent  lieu  de  s'en 
apercevoir  dans  l'avenir. 

Des  auteurs  ont  prétendu  cju'un  grand  nombre  de  Hurons 
embrassèrent  le  christianisme  soit  par  calcul,  soit  par  peur, 
soit  pour  plaire  aux  Bohcs-Noij'es.  Cette  affirmation  est 
exagérée;  on  n'a  qn  k  lire  les  Eclations y^ouy  s'en  convaincre. 
Ce  qu'il  y  a  de  vrai  et  de  certain,  c'est  que  dans  les  trois 
dernières  années  avant  la  dispersion,  il  y  eut  beaucoup  de 
conversions  vraiment  sincères,  quel  qu'ait  pu  en  être  le 
motif.  La  vie  de  ces  convertis  et  la  mort  admirable  de  la 
plupart  d'entre  eux  en  sont  le  plus  éclatant  témoignage  K 

1.  Benjamin  Suite,  dans  Vllisfoii^e  des  Cnnndiens-Frnnrais,  t.  III, 
p.  21,  dit  :  ((  Prise  dans  son  ensemble,  cette  race  n'était  susceptible, 
ni  d'être  amenée  à  la  vie  européenne,  ni  d'être  imbue  de  notre  foi 
religieuse.  Honneur  aux  missionnaires  qui  ont  tout  sacrifié  pour  le 
salut  de  son  âme  !  Honneur  aussi  aux  Français  qui  ont  travaillé  à 
rendre  son  existence  terrestre  moins  misérable!  Quant  aux  résultats, 
ils  furent  nuls  ou  à  peu  près,  si  ce  n'est  que  par  l'intervention  géné- 
reuse et  persistante  des  Jésuites,  nous  avons  contrebalancé  avec 
avantage  l'influence  des  Anglais  parmi  ces  barbares.  »  Certes,  ce 
témoignage  est  à  recueillir  de  la  part  d'un  adversaire,  souvent  peu 
scrupuleux,  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Le  point  où  se  trompe  l'histo- 
rien, est  celui-ci  :  Les  résultats  furent  nuls  ou  ù  peu  près.  Ils  ne  furent 


—  123  — 

Les  llurons  de  l'île  d'Orléans,  dont  la  vie  fut  moins  tour- 
mentée que  celle  de  leurs  compatriotes  des  régions  occi- 
dentales, n'échappèrent  cependant  pas  à  cette  loi  inéluc- 
table du  changement  qui  semblait  faire  partie  de  leur 
destinée  à  tous.  Obligés  d'abandonner  cette  île  par  la 
crainte  des  Iroquois,  ils  se  divisèrent  :  les  nations  de  FOurs 
et  du  Rocher  demandèrent  la  paix  k  Tennemi,  et  allèrent 
habiter,  la  première  chez  les  Agniers,  la  seconde  chez  les 
Onnontagués  ^  ;  la  nation  de  la  Corde  préféra  rester  avec  les 
Français  et  se  fixa  à  Québec  au  dessus  du  fort,  au  nombre 
environ  de  cent  cinquante  personnes-.  Elle  ne  devait  pas  y 

pas  aussi  considérables  que  les  Jésuites  Tauraient  souhaité  et  que 
leurs  travaux  le  méritaient  ;  c'est  là  ce  qui  ressort  de  la  lecture  des 
Relations.  Mais  que  ces  résultats  aient  été  nuls  ou  à  peu  près,  c'est 
une  assertion  absolument  fausse,  qui  ne  s'appuie  sur  aucun  docu- 
ment historique.  Que  d'enfants,  que  d'adultes  baptisés  avant  de 
mourir,  pendant  les  seize  ans  d'apostolat  des  Pères  chez  les  llurons  ! 
Que  de  guerriers,  que  de  femmes,  morts  on  vrais  chrétiens  pendant 
les  trois  années  qui  précédèrent  la  dispersion  totale  de  ce  peuple  ! 
Sans  compter  les  néophytes,  qui  refusèrent  de  suivre  les  six  cents 
exilés  de  l'ile  d'Orléans,  que  de  fervents  convertis  parmi  ces  der- 
niers !  En  vérité,  ces  résultats  sont  loin  d'être  nuls  et  ils  sont  consignés 
tout  au  long-  dans  les  Relations. 

1.  Relation  de  1657,  ch.  III. — Le  20  mai  1656,  les  Iroquois  attaquèrent 
à  l'improvistc  80  Hurons  qui  travaillaient  dans  les  champs  de  l'île 
d'Orléans;  ils  en  tuèrent  plusieurs  et  emmenèrent  les  autres  prison- 
niers, à  la  vue  des  habitants  de  Québec,  qui  auraient  voulu  les 
défendre.  Le  nouveau  gouverneur,  M.  de  Lauson,  s'y  opposa,  montrant 
en  cela  plus  de  prudence  que  d'énergie  [Cours  dliistoire,  p.  430);  le 
P.  de  Charlevoix  blâme  la  conduite  du  gouverneur,  t.  I,  p.  324.  Les 
Hurons  furent  blessés  de  cette  conduite  et  en  conservèrent  un  pénible 
souvenir  contre  les  Français.  L'année  suivante,  au  printemps,  la 
nation  de  l'Ours  suivit  les  Agniers  [Relat.  de  1657,  ch.  YI)  clans  leur 
pays,  où  elle  fut  traitée  en  esclave  (Relat.  de  1658,  p.  13);  la  Nation 
du  Rocher  se  rendit  à  Onnontagué,  où  elle  eut  beaucoup  à  souiïrir 
de  la  perfidie  des  ennemis  [Relat.  de  1657,  ch.  VII  et  XXII). 

2.  Parkman  [Jésuites  dans  V Amérique  du  Nord,  p.  352,  trad.  de 
Madame  G.  de  Clermont-Tonnerre)  dit  à  tort  :  Sept  cents  âmes.  La 
Relation  de  1657  donne  le  chiffre  de  cent  cinquante  (ch.  VI).  Ils  étaient 
situés  au  côté  nord  de  la  place  d'Armes. 


—  124  — 

demeurer  long-temps.  Onze  ans  plus  tard  (1668),  ces  Hurons 
s'établissent,  sous  la  conduite  du  P.  Chaumonot,  sur  la  côte 
Saint-Michel,  près  de  Québec,  où  ils  fondent  la  mission  de 
Notre-Dame  de  Fove^.  Quelques  années  après,  nous  les 
trouvons  à  quelque  distance  delà,  à  Y  Ancienne  Lorette^-\ 

1.  «  Quand  la  paix  fut  enfin  conclue  avec  les  Iroquois,  après  Texpé- 
dition  du  marquis  de  Tracy,  les  Hurons  se  transportèrent  à  une  lieue 
et  demie  de  la  ville,  et  fondèrent  là,  en  1667,  la  mission  de  N.-D.  de 
Foye,  Ce  nom  lui  fut  donné  à  Toccasion  d'une  statue  de  la  Sainte- 
Vierge,  envoyée  par  les  Jésuites  belges  pour  être  honorée  dans  une 
Mission  sauvage.  Elle  était  faite  avec  le  bois  du  chêne  au  milieu 
duquel  on  avait  trouvé  la  statue  miraculeuse  de  N.-D.  de  Foye,  près 
de  Dinan  dans  le  pays  de  Liège.  Cet  endroit  est  aujourd'hui  appelé 
village  de  Sainie-Foye.   >>  (P.  Martin,  Relation  abrégée,  appendice.) 

V.  la  Relation  de  1669,  ch.  VIII;  —  de  1670,  p.  22;  —de  1671,  p.  7; 
— ^de  1672.  p.  2;  — Relations  inédites,  t.  1,  pp.  149  et  29o;  —  Vie  du 
P.  Chaumonot.  New- York,  18o8,  p.  87;  —  La  triple  couronne  de  la 
B.  V:  Mère  de  Dieu,  par  le  P.  Poiré,  S.  J.,  traité  I,  ch.  XII.  —  La 
mission  de  N.-D.  de  Foye  avait  d'abord  été  consacrée  à  la  Sainte- 
Vierge  sous  le  titre  de  son  Annonciation. 

2.  «  Le  29  décembre  1673,  les  Hurons'^durent  encore  s'éloigner  de 
Sainte-Foye.  Ce  n'étaient  plus  les  craintes  que  leur  inspirait 
riroquois,  mais  le  besoin  de  se  rapprocher  du  bois  et  d'avoir  des 
terres  plus  étendues.  Ils  trouvèrent  à  une  lieue  et  demie  plus  loin,  un 
air  pur,  un  terrain  avantageux  et  des  eaux  abondantes.  Les  mission- 
naires disposèrent  avec  symétrie  toutes  les  cabanes  autour  d'une 
place  quarrée,  au  milieu  de  laquelle  s'élevait  la  maison  de  Dieu.  Le 
P.  Chaumonot  joignit  à  l'église  une  chapelle  en  l'honneur  de  la  très 
Samtc  Vierge,  parfaitement  semblable  pour  la  forme,  les  matériaux, 
les  dimensions  et  l'ameublement  à  la  célèbre  Casa  Santa  de  Lorette 
en  Italie.  C'est  ce  qui  valut  au  village  le  nom  de  N.-D.  de  Lorette, 
connu  aujourd'hui  sous  le  nom  d'Ancienne  Lorette.  Il  est  à  regretter 
qu'en  reconstruisant  cette  église,  il  y  a  quelques  années,  on  n'ait  pas 
respecté  davantage  les  proportions  et  les  détails  qui  donnaient  à  cet 
ancien  édifice  un  caractère  historique  et  pieux,  que  la  grandeur  et  la 
richesse  du  temple  nouveau  ne  peuvent  pas  compenser.  »  (P.  Martin, 
ihid.) 

V.  Relation  de  ce  qui  s'est  passé  de  plus  remarquable  aux  missions 
des  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  la  Nouvelle-France ,  les 
années  1673  à  1679,  par  le  R.  P.  Claude  Dablon.  Québec,  Cramoisy, 


—  125  — 

ot  enfin,  vers  le  commencement  du  xvm^  siècle,  à  la  Jeune 
Lorette  ',  pays  sauvage,  couvert  de  forêts  et  traversé  par  la 
rivière  tortueuse  du  Saint-Charles,  courant  à  travers  un 
ravin  profond,  des  plus  accidentés. 

C'est  là  que  les  touristes  vont  encore  visiter  ce  qui 
reste  de  cette  nation  célèbre.  «  Nouveau  débarqué, 
raconte  M.  de  Lamothe,  je  ne  pouvais  laisser  échapper 
l'occasion  qui  m'était  olferte  de  rencontrer  des  rejetons 
de  la  race  indigène .  Je  savais  qu'à  Lorette,  à  dix  milles 
(seize  kilomètres)  environ  de  Québec,  vivait  une  petite 
colonie  de  Hurons,  descendants  des  quelques  familles 
échappées  à  la  destruction  de  toute  leur  nation  par  les 
Iroquois.  Je  partis  à  la  recherche  de  ces  hommes  rouges, 
débris  presque  ignorés  d'une  catastrophe,  cjui  date  pourtant 
de  deux  siècles  à  peine...  Le  village  de  la  jeune  Lorette 
vaut  d'ailleurs  par  lui-même  les  frais  d'une  promenade. 
C'est  une  grosse  paroisse  canadienne-française  de  trois  mille 
habitants,  agréablement  située  au  milieu  d'un  pays  acci- 
denté. Une  jolie  rivière  aux  eaux  brunes,  comme  toutes 
celles  qui  prennent  leur  source  dans  les  sapinières  du  Nord, 
traverse  son  territoire  et  se  précipite  dans  la  plaine  par 
une  pittoresque  cascade.  Cette  rivière  franchie,  nous  nous 
trouvons  tout  à  coup  transplantés  sans  transition  en  pays 


1860,  pp.  258  et  suiv.;  —  Relations  inédites,  t.  I,  pp.  205  et  suiv.  ;  — 
Vie  du  P.  C/iaunionot,  pp.  90  et  suiv.;  —  Relations  inédites,  t.  II, 
pp.  71  et  suiv.,  181  et  suiv,  ;  —  Les  vœux  des  Hurons  à  N.-D.  de 
Chartres;  Chartres,  chez  Noury-Coquard,  1858. 

La  Relation  de  1671  parle  de  150  Hurons  établis  à  N.-D.  de  Foye  ; 
la  Relation  du  P.  Dablon  (Relations  inédites,  t.  II,  p.  71)  donne  le 
chiffre  de  300  âmes  à  Lorette. 

1.  Le  P.  de  Charlevoix,  t.  III,  ^^  lettre,  p.  81,  raconte  un  voyage 
fort  intéressant  qu'il  fit  en  1721  à  la  Jeune  Lorette.  —  On  verra  plus 
loin  les  raisons  qui  forcèrent  les  Jésuites  à  quitter  l'ancienne  Lorette. 


—  126  — 

indien.  Devant  nous  s'olïre  un  hameau  dont  les  habitations 
présentent  un  contraste  frappant  avec  les  habitations  cana- 
diennes que  nous  venons  de  laisser  sur  l'autre  rive.  Une 
sorte  de  hangar  fait  de  poutres  mal  équarries,  à  la  toiture 
basse,  aux  larges  ouvertures;  pour  tout  meuble  un  lit  de 
camp  dressé  le  long  des  parois  ;  au  centre  la  place  du  foyer, 
dont  la  fumée  s'échappe  par  une  ouverture  pratiquée  dans 
le  toit,  non  sans  avoir  rempli  le  local  de  ses  acres  senteurs... 
Le  Huron  reste  encore  iîdèle,  dans  les  dispositions  et  l'amé- 
nagement de  sa  cabane,  à  quelques-unes  des  traditions 
qu'observaient  ses  ancêtres. 

((  Il  y  a  à  Lorette  soixante  ou  soixante-dix  familles  de 
Hurons  ou  d'individus  réputés  tels  dans  les  évaluations 
officielles.  Sont-ce  bien  les  descendants  authentiques  et 
sans  mélange  des  terribles  guerriers  du  xvn^  siècle?...  11 
ne  paraît  pas  qu'il  existe  à  Lorette  un  seul  individu  de 
race  indigène  pure.  Depuis  deux  cents  ans,  les  alliances 
contractées  avec  les  Canadiens  ont  tellement  modifié  le 
type  original  de  ces  Indiens,  qu'on  ne  retrouve  plus  parmi 
eux  les  caractères  physiques  si  tranchés  de  la  race  rouge... 
En  revanche,  tous,  riches  ou  pauvres,  conservent  avec  un 
soin  jaloux  les  traditions  de  la  tribu  et  le  costume  de  guerre 
des  ancêtres,  qu'ils  revêtent  encore  dans  les  occasions 
solennelles  L . .  Hommes  et  femmes  paraissent  vivre  assez 

1.  Dans  son  ouvrage  A  w  Canada,  M.  Georges  Démanche  dit,  p.  52  : 
((  Leur  costume  est,  sauf  les  jours  de  fête,  le  costume  des  blancs; 
leur  langue  n'est  plus  parlée,  par  quelques-uns  d'entre  eux,  que 
comme  une  langue  morte;  leurs  noms,  dans  la  vie  réelle,  sont  ceux 
qui  sont  répandus  partout  :  Vi?icenf,  Bastien,  etc.  ;  et  ce  n'est  que 
dans  les  rares  fêtes  indiennes  encore  existantes  qu'ils  arborent  leur 
nom  de  guerre  ainsi  que  leur  coiffure  à  plumes.  L'un  des  chefs  de  la 
tribu  cumulait  naguère  ses  fonctions  de  grand  sachem  avec  celles  de 
notaire  !  La  maison  du  chef  actuel  est  meublée  à  Teuropéenne  ;  dans 
son  salon  se  trouve  un  piano  à  l'usage  de  la  fille  de  la  maison,  et  sur 
ce  piano,  dos  sonates  de  Mozart  et  les  partitions  en  vogue.  »  {Au 
Canada,  Hachette,  1890.) 


—  127  — 

à  l'aise  du  produit  des  bois  de  leur  réserve  et  de  leur  petite 
industrie  locale.  Ils  fabriquent  à  demeure  de  larges 
raquettes...  Ils  font  aussi  des  paniers  en  bois  de  bouleau, 
des  mocassins,  des  ouvrages  en  plume,  des  costumes 
indiens,  des  calumets  en  bois,  des  tomahawks  et  toutes 
sortes  d'autres  armes  indigènes  qu'ils  disposent  en  trophées 
dans  leurs  habitations  et  qu'ils  vendent  aux  étrangers  ou 
aux  marchands  de  curiosités  ^    » 

Chrétiens,  civilisés,  ces  derniers  descendants  de  la  race 
huronne,  qui  ont  contracté  avec  les  blancs  des  alliances 
répétées,  ont  subi  une  métamorphose  complète  au  contact 
des  missionnaires  et  des  Français.  Aujourd'hui,  comme 
par  le  passé,  ils  restent  fidèles  à  leur  foi  et  au  souvenir  de 
leurs  premiers  apôtres. 

1.  Cinq  mois  chez  les  Français  (F Amérique,  par  II.  de  Lamothe. 
Paris,  Hachette,  1880,  pp.  GO  et  suiv. 

Dans  ses  notes  sur  le  Mémoire  de  Nicolas  Perrot,  le  P.  Tailhaiidit 
à  la  page  311  :  «  Les  Hurons,  réfugiés  à  Lorette,  près  de  Québec, 
ont  servi  la  France  jusqu'à  la  fin  avec  un  dévouement  et  un  courage 
à  toute  épreuve.  Aujourd'liui  encore,  ils  sont  Français  par  la  langue 
et  par  la  religion.  D'après  le  dernier  recensement  du  Canada  (1861), 
on  compte,  à  la  Nouvelle-Lorette,  201  Hurons,  tous  catholiques;  ce 
([ui  n'a  pas  empêché  certains  revues  d'annoncer,  en  18()2,  la  mort  du 
dernier  d'entre  eux.  )> 


CHAPITRE     DIXIEME 

Les  Iroquois  attaquent  les  Français.  —  M.  de  Maisonneuve  va  cher- 
cher du  secours  en  France.  —  Négociations  du  gouvernement  de 
Québec  avec  les  Colonies  anglaises  ;  le  P.  Druillettes  et  Jean-Paul 
Godefroy  à  Boston.  —  Le  gouverneur,  M.  d'Ailleboust,  remplacé 
par  M.  de  Lauson.  —  Dangers  et  alarmes  de  la  Colonie  française. 
—  Mort  de  Plessis-Bochart.  —  Le  P.  Poncet  fait  prisonnier  par  les 
Iroquois.  —  Marguerite  Bourgeois.  —  Mort  du  P.  Garreau.  —  Les 
Iroquois  demandent  la  paix  ;  dt^ivrance  du  P.  Poncet.  —  Le  P.  Le 
Moyne  chez  les  Onnontagués  et  les  Agniers.  —  Première  mission 
des  Onnontagués  :  PP.  Dablon,  Chaumonot,  Le  Mercier,  Mesnard, 
Frémin,  Ragucneau  ;  succès  des  missionnaires.  —  Garnison  fran- 
çaise à  Gannentaha.  —  Conspiration  des  Iroquois.  —  Fin  de  la 
première  mission  iroquoise.  —  Les  Jésuites  au  Canada  en  I608; 
leurs  ennemis  ;  état  de  la  Colonie  et  de  la  mission. 

Le  lecteur  n'a  pas  oublié  ces  quelques  lig-nes  que  le 
P.  Jogues  écrivait  de  la  bourgade  d'Ossernénon  au  gouver- 
neur de  Québec,  M.  de  Montmagny  :  «  Le  dessein  des  Iro- 
quois est  de  j)i'endre  tous  les  Hurons,  de  faire  périr  les 
chefs  avec  une  grande  partie  de  la  nation,  et  de  former  avec 
les  autres  un  seul  peuple  et  un  seul  pays.  » 

Une  partie  de  ce  programme  est  accomplie  :  les  I lurons 
sont  dispersés,  beaucoup  ont  succombé  sous  la  hache  du 
vainqueur,  les  autres  ont  demandé  grâce  à  l'ennemi  et  se 
sont  constitués  prisonniers.  Libres  du  côté  des  Hurons,  les 
Iroquois  vont  désormais  diriger  toutes  leurs  forces  contre 
les  restes  des  Algonquins  et  des  Hurons  et  contre  les  habi- 
tations françaises^.  Leur  haine  contre  les  Français  a  autant 
la  religion  pour  motif  que  la  politique.  Aussi  les  Indiens 

1.  Relation  de  1650,  pp.  28  et  29. 

Jés.  et  Noiw.-Fr.  —  T.  11.  9 


—  130  — 

convertis  des  Trois-Rivières  disaient-ils  :  a  C'est  pour  com- 
battre les  ennemis  de  la  jDrière  que  volontiers  nous  exposons 
nos  vies  ;  et,  si  nous  mourons  en  combattant,  nous 
cro^^ons  mourir  pour  la  défense  de  la  foi^  » 

Conduits  par  un  chef,  connu  sous  le  nom  de  Bâtard  Fla- 
mand, homme  fort  bien  fait,  subtil  et  vaillant,  né  d'un 
Hollandais  et  d'une  Iroc/uoise-,  les  Ag-niers  se  répandent 
23artout,  par  bandes  plus  ou  moins  nombreuses,  dans  les 
bois,  dans  les  vallées,  dans  les  moindres  accidents  de  ter- 
rain, sur  le  Saint-Laurent  et  ses  affluents,  guettant  les 
colons  qui  travaillent  aux  champs,  les  chasseurs  qui  par- 
courent la  forêt,  les  pécheurs  qui  jettent  leurs  fdets,  les 
habitants,   indiens  ou  français,  qui   s'éloignent   des   forts. 

C'est  une  vraie  chasse  à  l'homme.  A  peu  de  distance  des 
Trois-Rivières,  ils  attaquent  une  soixantaine  de  Français  et 
ils  en  tuent  plusieurs^;  le  poste  est  lui-même  serré  de  si 
près  que  les  habitants  attribuent  leur  salut  à  un  miracle^. 
Ils  rôdent  autour  de  Québec  et  de  l'île  d'Orléans,  étudiant 
les  lieux  et  cherchant  à  surprendre  quiconque  s'aventure  en 
dehors  de  l'enceinte  fortifiée^.  Montréal,  plus  rapproché  de 
Fennemi,  a  plus  à  souffrir  :  «  C'est  une  merveille,  écrit  le 
P.  Ragueneau,  que  les  Français  n'aient  pas  été  exterminés 
par  les  surprises  fréquentes  des  troupes  iroquoises  ^.  » 


1.  Relation  de  I60I,  p.  8. 

2.  Lettres  historiques  de  M.  de  l' Incarnation,  p.  515. 

3.  Relation  de  1650,  p.  29. 

4.  Relation  de  1651,  p.  2;  —  Journal  des  Jésuites,  août  1651. 

5.  Cours  (Vhisfoire,  t.  I,  p.  398;  —  Relation  de  1651,  pp.  2  et 
suiv.  ;  —  Journal  des  Jésuites,  année  1651. 

6.  Relation  de  1651,  p.  2;  —  Dollier  de  Casson,  1650-1651;  — 
Lettres  Jiistoriques  de  Marie  de  rincarnation,  p.  467  ;  —  Vahhé  Fait- 
Ion,  t.  II,  p.  122. 


~  131  — 

Dans  cette  situation  alarmante,  M.  de  Maisonneuve^ 
gouverneur  de  Villemarie,  part  pour  la  France,  afin  de  se 
procurer  des  recrues,  d'exciter  la  foi  et  le  patriotisme  des 
sociétaires  de  Notre-Dame  de  Montréal.  Le  gouverneur  de 
Québec,  M.  d'Ailleboust,  qui  n'a  pas  de  secours  à  attendre 
de  la  Métropole,  où  la  guerre  de  la  Fronde  parah^se  le 
bon  vouloir  de  Mazarin,  tourne  ses  regards  du  côté  des 
Anglais  et  sollicite  leur  alliance. 

Les  Anglais,  au  nombre  de  quarante  mille,  comptaient 
alors  dans  le  Massachusets  quatre  colonies,  celles  de  Bos- 
ton, de  Plymouth,  de  Gonnecticut  et  de  New-Haven,  for- 
mant une  confédération  sous  le  nom  de  Colonies  unies  de  la 
Nouvelle-Angleterre  K  Boston  avait  dems  son  ressort 
quarante  bourgs  ou  villages;  Plymouth,  vingt  ;  Gonnecticut  2, 
dix.  New-Haven  3  semblait  la  moins  importante  des  quatre 
colonies.  Une  assemblée, dite  Gourdes  Commissaires  ^laquelle 
se  réunissait  à  Boston,  décidait  de  la  paix,  de  la  guerre  et 
des  alliances  ;  chaque  colonie  s'y  faisait  représenter  par 
deux  députés.  Quand  il  n'y  avait  pas  unanimité  dans  les 
décisions,  une  proposition  ne  pouvait  être  adoptée  qu'à   la 


1.  Pour  tout  ce  qui  suit,  consulter  le  récit  que  le  P.  Druillettes  a 
fait  de  sou  voyage  dans  la  Nouvelle-Angleterre,  intitulé  :  «  Narré  du 
voyage  faict  pour  la  mission  des  Abnaquiois  et  des  connaissances 
tirez  de  la  Nouvelle-Ang-leterre  et  des  dispositions  des  magistrats  de 
cette  République  contre  les  Iroquois,  es  années  I60O  et  1651,  par  le 
R.  P.  Gabriel  Dreuillette,  de  la  Compagnie  de  Jésus.  —  Imprimé 
par  Shea  d'après  la  copie  de  l'original  déposé  parmi  les  papiers  du 
Bureau  des  biens  des  Jésuites,  à  Québec.  » 

2.  Le  P.  Druillettes  écrit  Kenetigout.  Maurault  dans  son  Histoire 
des  Ahénakis,  p.  132,  dit,  note  (2),  à  propos  de  ce  nom  :  «  De  Kuna- 
teguk,a\a  rivière  longue,  d'où  les  Anglais  ont  fait  le  mot  Gonnecticut.  » 

3.  Le  P.  Druillettes  dit  :  New-Haven  ou  Kouinopiers  et  Kouinopeia. 
Maurault,  ihid.,  note  (3),  ajoute  :  ((  Kouinopeia  de  Kinnipiia,  la 
grande  eau.  C'était  le  pays  des  sauvages  Kinnipiaks.  » 


—  132  — 

condition  d'être  votée  par  les  députés  de  trois  colonies. 
Les  affaires  intérieures  de  chaque  colonie  se  réglaient  dans 
la  colonie  elle-même  par  une  législature  particulière,  com- 
posée du  gouverneur  et  des  principaux  habitants.  Chaque 
colonie  avait  à  sa  tête  un  gouverneur,  indépendant  des 
autres  ;  et  toutes  avaient  à  Londres  un  même  agent  général, 
dont  la  mission  était  de  surveiller,  de  défendre  et  de  pro- 
mouvoir leurs  intérêts  ^ 

En  1647,  la  Cour  des  Commissaires  avait  manifesté  le 
désir  de  nouer  avec  les  Français  du  Canada  des  relations 
commerciales.  Ces  avances  n'aboutirent  à  aucun  résviltat, 
on  ne  sait  trop  pourquoi.  Deux  ans  plus  tard,  les  Anglais 
revinrent  à  la  charge  :  «  ils  proposaient  une  alliance  éter- 
nelle entre  les  deux  colonies,  indépendamment  de  toutes  les 
ruptures  qui  pourraient  survenir  entre  les  deux  couronnes-.  » 
Le  conseil  de  Québec  décida  à  l'unanimité  de  donner  suite 
à  cette  proposition,  à  la  condition  toutefois  que  les  deux 
colonies  s'uniraient  pour  faire  la  guerre  aux  Iroquois  ;  et  il 
chargea  le  P.  Druillettes  de  se  rendre  dans  le  Massachusets, 
afin  d'en  conférer  avec  les  gouverneurs  anglais  et  de  son- 
der leurs  dispositions. 

Le  P.  Druillettes  venait  de  passer  plusieurs  hivers  dans 
les  cabanes  enfumées  des  Oumamiouek  et  des  Papinachois, 
à  trois  ou  quatre  cent  milles  des  habitations  françaises^. 
((  Aucun  missi  onnaire  ne  travaillait  alors  avec  plus  de  fruit 
dans  le  Canada,  parce  que  le  ciel  l'avait  rendu  puissant  en 
œuvres  aussi  bien  qu'en  paroles.  Les  sauvages  qui  l'accom- 
pagnaient dans  ses  courses,  ne  parlaient  que  des  merveilles 
opérées  par  son  moyen,  ce  qui  joint  aux  vertus  éminentes 
qu'ils  lui  voyaient  pratiquer,  lui  rendait  facile  tout  ce  qu'il 

1.  Narré  du  voyage,... 

2.  Charlevoix,  t.  I,  pp.  296  et  suiv. 

3.  Cours  cVhistoire,  t.  I,  p.  395. 


—  133  — 

entreprenait  pour  la  gloire  de  Dieu.  Les  Français  avaient 
la  même  opinion  de  sa  sainteté  et  de  son  pouvoir  auprès 
du  Seigneur!.  »  Il  parlait  les  langues  sauvages  aussi  bien 
que  les  indigènes  ;  et  il  avait  parcouru  une  première  fois 
les  contrées  2,  où  le  gouvernement  de  Québec  l'envoyait 
en  mission  extraordinaire. 

Muni  d'un  passeport  et  congé  de  M.  d'Ailleboust,  il  part 
le  premier  septembre  1650,  accompagné  de  Noël  Negaba- 
mat,  chef  des  Algonquins  chrétiens  de  Sillery,  et  de  Jean 
Guérin,  homme  de  foi  et  de  dévouement,  attaché  au  service 
des  missionnaires'^.  11  remonte  la  Chaudière,  descend  le 
Kénebec  et  arrive  à  Narantsouak  (aujourd'hui  Norridg- 
wock)^,  premier  bourg  des  Abénakis,  d'où  il  se  rend  à 
Koussinoc,  puis  à  Boston  et  enfin  à  Plymouth. 

On  était  au  mois  de  décembre.  Le  froid,  la  neige,  la  glace, 
rien  ne  l'arrête.  Avant  la  fin  du  mois,  il  avait  terminé  sa 
mission,  et,  après  avoir  passé  l'hiver  au  milieu  des  catéchu- 
mènes Abénakis,  il  rentre  à  Québec  dans  les  premiers  jours 
de  juin.  Le  major  général,  Gibbons  ;  le  gouverneur  de  Boston, 
Dudlev,  et  Bradfort,  gouverneur  de  Plvmouth,  lui  avaient 
fait   un  accueil  des   plus  courtoise   Tous  trois,    ainsi  que 

\.  Charlevoix,  t.  I,  p.  310. 

2.  Nous  avons  parlé  au  ch.  IV  du  voyage  du  P.  Gabriel  Druillettes, 
en  août  1646,  chez  les  Abénakis.  Sa  Relation  de  1647  raconte  ce 
voyage. 

3.  Narré  de  voyage....,  p.  2. 

4.  Ibicl.,  p.  2. 

5.  Le  major  général  Gibbons  (Le  P.  Druillettes  l'appelle  Gebin, 
p.  7)  voulut  que  le  missionnaire  logeât  chez  lui  :  <c  II  me  reçut,  dit  le 
P.  Druillettes,  p.  7,  comme  vray  ambassadeur  du  Gouverneur  (de 
Québec)  et  me  donna  une  clef  d'un  département  en  sa  maison  où  je 
pouvais  en  toute  liberté  faire  ma  prière  et  les  exercices  de  ma  reli- 
gion, et  me  pria  de  ne  point  prendre  d'autre  logis  pendant  que  je 
séjournerais  à  Boston.  » 


—  J34  — 

Winthrop,  gouverneur  de  Connecticut,  lui  semblaient  favo- 
rables, non  seulement  au  traité  de  commerce,  mais  à  une 
alliance  offensive  et  défensive.  Il  ne  connaissait  pas  suffi- 
samment les  dispositions  de  la  colonie  de  NeAv-Haven  ;  il 
avait  tout  lieu  de  croire  qu'elles  n'étaient  pas  hostiles.  Du 
reste,  il  ne  se  prononçait  pas  sur  le  résultat  définitif  des 
négociations  engagées,  les  traités  et  les  alliances  dépendant 
uniquement  de  la  Cour  des  Commissaires,  qui  ne  s'était  pas 
encore  réunie^. 

Cette  réunion  devait  se  tenir  incessamment.  Le  Conseil 
de  Québec  pria  le  P.  Druillettes  de  repartir  de  suite 
avec  le  conseiller,  Jean  Godefroy,  et  d'aller  à  Boston,  pour 
exposer  aux  députés  de  la  Cour  les  avantages  du  traité  de 
commerce  et  d'alliance  perpétuelle  entre  les  deux  colonies  ^ 
A  son  arrivée,  il  trouva  les  dispositions  des  Anglais  com- 
plètement modifiées.  Tous  acceptaient  le  traité  de  commerce  ; 
la  majorité  refusait  de  signer  une  ligue  offensive  et  défen- 
sive. Le  gouverneur  de  Pljmouth,  qui  ne  voulait  pas  cou- 
rir le  risque  d'attirer  sur  sa  colonie  les  armes  des  Iroquois, 
avait  déterminé  les  commissaires  à  voter  dans  ce  sens.  Il 
fut  impossible  aux  ambassadeurs  de  Québec  de  faire  reve- 

4.  Narré  de  vogaçje...  passim.  —  Dans  ce  voyage,  le  P.  Druillettes 
visita,  à  Roxburg,  le  ministre  Eliot,  appelé  par  les  Anglais  Tapôtre 
des  sauvages.  Celui-ci  «  retint  le  missionnaire  chez  lui,  à  cause  que 
la  nuit  le  surprenait,  et  le  traita  avec  respect  et  affection,  et  le  pria 
de  passer  l'hiver  avec  lui.  »  [Narré  du  voyage,  p.  11.) 

2.  Ferland,  Cours  d'histoire,  t.  I,  p.  395  ;  —  Collection  de  jnanwi- 
ct^its,  contenant  lettres,  mémoires,  etc.,  à  la  Nouvelle-France, 
recueillis  aux  Archives  de  la  Province  de  Québec...,  Québec,  1883. 
Vol.  I,  p.  127  :  lettre  du  conseil  de  Québec  aux  commissaires  de  la 
Nouvelle-Angleterre,  Québec  20  juin  16S1  ;  —  ihid.,  p.  128  :  Nomina- 
tion de  M'"  Godefroy  pour  traicter  avec  les  commissaires  de  la  Nou- 
velle-Angleterre. 

Le  P.  Druillettes  est  appelé  dans  ces  deux  documents,  Braillettes 
et  Bruilleites. 


—  135  — 

nir  la  Cour  sur  sa  décision,  elles  négociations  furent  rom- 
pues ^ . 

Or,  pendant  que  ces  négociations  se  poursuivaient  à 
Boston,  M.  d'Ailleboust  était  relevé  de  son  commandement 
et  remplacé  par  M.  de  Lauson,  membre  de  la  Compagnie 
des  Cent-Associés,  dont  il  avait  été  le  premier  intendant. 
Ce  fut  le  nouveau  gouverneur  qui  supporta  les  fâcheuses 
conséquences  de  l'insuccès  des  deux  députés  auprès  de  la 
Cour  des  Commissaires.  Il  débarqua  à  Québec  le  13  octobre 
1651. 

M.  de  Lauson  était  sans  doute  un  homme  pieux,  droit, 
doué  des  meilleures  intentions.  L'historien  de  la  Nouvelle- 
France  lui  rend  ce  témoignage  -,  et  ce  témoignage  est 
confirmé  par  les  lettres  confidentielles  des  missionnaires, 
adressées  à  Rome.  Toutes  louent  sa  probité,  sa  A^ertu,  sa 
vie  exemplaire,  son  grand  zèle  pour  les  choses  de  Dieu  et 
pour  la  conversion  des  sauvages.  Mais  là  s'arrête  l'éloge. 
Les  mêmes  lettres  ajoutent  :  il  n'a  pas  d'expérience,  iï 
manque  de  décision,  il  est  mal  conseillé  et  n'est  pas  suffi- 
samment secondé  clans  son  administration;  de  plus,  il  est 
trop  âgé,  il  est  gêné  dans  ses  affaires,  il  a  beaucoup  d'enfants 
qu'il  faut  établir;  il  prend  la  direction  de  la  colonie  dans 
un  état  déploral)le,  et  il  n'a  pas  les  qualités  voulues  pour 
maîtriser  les  situations  difficiles  ^. 

1.  Narré  du  voyage  fait  par  le  P.  Druillcttcs  ;  —  Histoire  de  là 
Nouvelle-France,  t.  I,  pp.  310  et  suiv.  ;  —  Cours  d'hisfoire,  t.  I, 
pp.  391  et  suiv.  ;  —  Ilist.  of  Massachusetts  Bay^  t.  I  ;  —  Registres  de 
la  colonie  de  Massachusets  ;  —  Records  of  the  Colony  of  Plymouth, 
Jime  5'h  1651  ;  —  Histoire  des  Ahénakis,  par  Maurault,  p.  153  ;  —  Rela- 
tionsdc  1651,  pp.  14  et  15  ;  de  1652,  ch.  VII,  p.  22,  et  ch.  VIII,  p.  26. 

2.  T.  I,  p.  309. 

3.  Archives  générales  S.  J.  :  Lettre  du  P.  Ragueneau  au  R.  P. 
Général,  G.  Nickel,  oct.  1653;  —  Le  même  au  même,  9  sept.  1654  : 
«  D.     de    Lauson    vir    antiquœ     probitatis ,     pietatis    eximiœ,    rari 


—  136  — 

Qu'attendre  d'un  tel  gouverneur,  qui  ne  pouvait  en  outre 
compter,  ni  sur  les  Hurons  et  les  Algonquins,  tremblant  de 
peur  à  la  seule  vue  des  Iroquois;  ni  sur  les  Anglais, 
escomptant  à  l'avance  l'échec  des  Français  et  ne  demandant 
pas  mieux  que  de  les  voir  quitter  le  Canada;  ni  sur  Mazarin, 
tout  occupé  de  la  guerre  européenne  et  de  la  Fronde,  et 
gémissant  de  ne  pouvoir  secourir  les  domaines  d'outre- 
mer; ni  sur  les  colons,  braves  sans  doute  et  décidés,  mais 
trop  inférieurs  en  nombre  aux  ennemis,  et  disséminés  sur 
les  rives  du  Saint-Laurent  depuis  Montréal  jusqu'à 
Tadoussac  ? 

L'année  même  de  son  élévation  au  gouvernement  de  la 
Nouvelle-France,  M.  de  Lauson  prit  à  cœur  de  réformer  le 
département  de  la  justice  ;  c'est  de  lui  que  datent  les  charges 
de  grand  sénéchal,  de  lieutenant  général  civil  et  criminel, 
de  lieutenant  particulier  et  de  procureur  fiscal.  Mais,  cette 
même  année,  la  situation  de  la  colonie  s'aggrave  d'une 
manière  effravante.  Aux  Trois-Rivières,  le  ^rouverneur  de 
la  place,  du  Plessis-Bochart,  est  tué  dans  une  sortie  contre 
les  Iroquois  avec  quinze  de  ses  hommes;  plusieurs  Français, 
et  des  plus  vaillants,  Norman  ville,  Francheville  et  autres, 

excmpli...;  »  —  Lettre  du  Père  Le  Mercier  au  même,  28  sept.  1654  : 
«  Zelum  animarumsiug-ularem...  Magnus  animus  ad  christianam  rem 
magis  ac  magis  promovendam  ;  »  —  Lettre  du  P.  Poucet  sfti  même, 
31  juillet  16oo  :  «  Dum  cle  Lauson,  hominem  domesticœ  rei  penuriâ 
laborantem  et  liberorum  multorum  aleudorum  collocandorumquc 
difficultate  pressum,  rerum  gerendarum  praxeos  omnique  adminis- 
tratorum  opéra  et  studio  destitutum...  ;  »  etc.,  etc.. 

On  lit  dans  Ferland,  t.  I,  p.  401  :  a  Des  raisons  particulières,  tout 
aussi  bien  que  des  motifs  d'intérêt  public,  avaient  porté  M.  de  Lauson 
h  se  rendre  au  Canada.  Ayant  plusieurs  fils,  il  désirait  s'y  créer  pour 
pour  eux  des  établissements  ;  et  dans  cette  vue  il  s'était  fait  concéder 
la  seigneurie  de  Lauson,  l'ile  de  Montréal,  qu'il  céda  à  la  Compagnie 
de  Montréal,  et  la  seigneurie  de  la  Citière  qui  s'étendait  d'abord  de 
la  rivière  Saint-François,  près  du  lac  Saint-Pierre,  jusqu'au  dessus 
du  lac  Saint-Louis.  » 


—  137  — 

sont  faits  prisonniers  K  Le  P.  Buteux  tombe  frappé  de 
deux  balles  à  la  poitrine,  et  son  corps  est  jeté  dans  la 
rivière  Saint-Maurice 2.  Le  P.  Poncet  est  surpris  avec  un 
Français  au  Cap-Rouge,  près  de  Québec,  et  emmené  en 
captivité  3.  La  petite  garnison  de  Montréal,  harcelée  nuit 
et  jour,  ne  parvient  à  se  maintenir  qu'à  force  d'audace  et 
de  courage.  Les  moissons  sont  en  partie  détruites,  les  habi- 
tations éloignées  des  postes  incendiées,  le  commerce 
suspendu.  «  Le  magasin  de  Montréal,  écrit  le  P.  Le  Mer- 
cier, n'a  pas  acheté  un  seul  castor  depuis  un  an^.  »  Cinq 
cents  Agniers  assiègent  Trois-Rivières;  ils  s'en  seraient 
emparés  sans  l'héroïque  résistance  du  nouveau  commandant 
Boucher  et  l'habile  manœuvre  du  français  Bellepoire  \ 

1.  Ferland,  Cours  crhisfoirc,  t.  I,  pp.  40o  et  406. 

2.  V,  sa  mort  ch.  IV. 

3.  Ferland,  t.  I,  p.  411. 

4.  Relation  de  1653,  p.  28.  —  On  trouve  aux  Archives  nationales, 
à  Paris,  registre  E  1702,  fol.  3,  un  arrêt,  signé  Séguier,  Mole,  etc... 
qui  accorde  aux  habitants  de  Québec,  sur  leur  requête,  un  délai  pour 
payer  leurs  créanciers.  Il  est  dit  dans  cet  arrêt  :  «  Sur  la  requête 
présentée  au  Roy  en  son  conseil  par  les  manans  habitants  et  commu- 
naulté  de  Québec  en  la  Nouvelle-France,  contenant  que  depuis  deux 
ans  en  ça,  la  guerre  a  été  si  forte  en  ce  pays  et  particullièrement 
contre  les  Iroquois  qui  les  tenaient  assiégés  jusques  dans  leurs  mai- 
sons, qu'elle  en  a  causé  la  ruyne  et  la  désolation  toute  entière,  de 
manière  que  les  Hurons  et  les  Algonquins  qui  en  faisaient  et  compo- 
saient une  partie  ont  été  contraints  de  l'abandonner  après  que  la 
pluspart  d'entre  eux  y  ont  été  faictz  prisonniers,  ce  quy  non  seulement 
a  ruyné  le  commerce  de  la  pellettcrie,  mais  encore  a  tout  à  fait  préju- 
dicié  à  l'establissement  de  la  foy  et  rclligion  crestienne  qui  commen- 
çait à  s'augmenter  en  ces  contrées  par  l'assistance  des  Reverendz 
perres  Jesuistes  et  des  aumosnes  que  l'on  recevait  de  France,  et 
encore  par  un  surcroistde  malheur  lorsque  les  supplians  estaient  sur 
le  point  de  traitter  de  quelque  accommodement  avec  les  Iroquois,  les 
Anglais  se  seraient  saisis  et  emparés  de  plusieurs  forts  appartenant 
aux  Français,  ce  qui  les  a  mis  en  une  telle  perplexité  qu'ils  sont 

presque  tous  résolus  d'abandonner  le  pays »  Fait  à  Paris  le  23 

février  1655. 

5.  Ferland,  t.  I,  p.  409. 


—  138  — 

Telle  est  la  gravité  de  la  situation  que  Marie  de  rincarna- 
tion  écrit  aux  Ursulines  de  Tours,  le  12  août  1653  :  «  Les 
ennemis  ont  tant  fait  de  ravages  en  ces  quartiers,  qu'on  a 
cru  quelque  temps  qu'il  fallait  repasser  en  France  i.  »  Elle 
ajoute  quelques  lignes  plus  bas  :  «  Nous  attendons  le 
secours  que  M.  de  Maisonneuve,  gouverneur  de  Montréal, 
amène  de  France,  où  il  est  allé  exprès  -.  » 

M.  de  Maisonneuve  débarquait,  en  effet,  à  Québec  quel- 
ques semaines  plus  tard  -^^  avec  une  recrue  de  plus  de  cent 
hommes,  que  la  Compagnie  de  Montréal  s'engageait  à 
nourrir  et  à  loger  pendant  cinq  ans.  Sur  le  même  vaisseau 
se  trouvaient  le  P.  Jérôme  Lalemant  et  une  jeune  fille  de 
Troyes,  Marguerite  Bourgeois,  qui  devait  bientôt  fonder  à 
Villemarie  un  institut  nouveau,  voué  à  l'enseignement,  sous 
le  nom  de  Congrégation  de  Notre-Dame  de  Montréal  ^. 

Cette  recrue,  sur  laquelle  Québec  et  Trois-Rivières 
comptaient  pour  leur  défense,  ne  profita  ni  à  l'un  ni  à 
l'autre  de  ces  deux  forts,  elle  était  destinée  à  Villemarie^; 
et  le  malheur  redouté  par  Marie  de  l'Incarnation,  l'abandon 
du  Canada,  serait  immanquablement  arrivé,  si  la  Provi- 
dence, touchée  des  prières  qui  s'élevaient  au  ciel  de  toutes 
parts,  n'avait  ménagé  à  la  Nouvelle-France  une  paix  momen- 

J .   Lettres  historiques,  p.  504. 

2.  Ibid.  ;  —  Consulter  pour  tout  ce  qui  précède  :  BeIatio?is  de  1651, 
1652  et  1653;  —  Lettres  de  Marie  de  VLicarnation,  de  1651  à  1654; 
—  Histoire  de  la  Nouvelle-France,  t.  I,  p.  309  et  suiv.  ;  —  Dollier  de 
Casson,  année  1650-1 651,  1652  et  1653;  —Histoire  de  la  Colonie  fran- 
çaise, 2«  partie,  ch.  VII,  VIII  et  IX;  —  Cours  d'histoire,  t.  I,  ch.  IX, 
p.  398  et  suiv. 

3.  D'après  les  écrits  autographes  de  la  sœur  Bourgeois,  M.  de 
Maisonneuve  arriva  à  Québec  le  jour  de  la  Saint-Maurice*  22  sep- 
tembre 1653. 

4.  Histoire  de  la  Colonie  française,  t.  II,  pp.  176  et  suiv. 

5.  Hjid.,  p.  181. 


—  139  — 

tanée.  Les  Ag-niers  la  demandèrent  au  moment  où  il  semblait 
impossible  d'arrêter  leurs  succès  et  leurs  dévastations^. 
Les  Onnontag-ués  s'unirent  à  eux  et  vinrent  à  Québec  prier 
le  gouverneur  d'enterrer  la  hache  de  guerre. 

Personne  ne  se  faisait  illusion  sur  la  sincérité  des  propo- 
sitions pacifiques  d'une  nation,  qui  offrait  souvent  la  paix, 
sans  déposer  les  armes  ;  on  savait  que  l'événement  le  plus 
insignifiant  pouvait  faire  échouer  les  négociations,  et  que, 
la  paix  conclue,  il  suffisait  d'un  brouillon,  d'un  jongleur  ou 
d'un  capitaine  mal  disposé  pour  déterminer  tout  un  peuple 
à  déchirer  le  traité  le  plus  solide  en  apparence.  Le  songe 
d'un  halluciné  pouvait  faire  déterrer  la  hache.  Néanmoins, 
la  gravité  de  la  situation  ne  permettait  pas  de  refuser  la 
paix;  elle  fut  acceptée,  à  la  condition  que  le  P.  Poncet 
serait  d'abord  rendu  à  la  liberté  '^.  Il  avait  déjà  subi  le 
supplice  des  prisonniers  :  les  Agniers  lui  avaient  arraché 
des  ongles  et  coupé  un  doigt  ;  il  avait  enduré  la  bastonnade 
au  milieu  de  deux  longues  files  d'hommes  et  de  femmes; 
et,  depuis  lors,  il  vivait,  au  pays  des  Agniers,  dans  la 
cabane  d'une  vieille  Iroquoise  ^. 

Les  Agniers  le  ramenèrent  à  Québec^,   où   les  Onnon- 

1.  FerlancI,  t.  I,  p.  411. 

2.  Relation  de  1653,  pp.  23  et  19  ;  —  Histoire  de  la  Colonie  française, 
p.  169. 

3.  Relation  de  1653,  pp.  9-17. 

4.  Ibid.,  p.  24.  —  Les  Agniers  ayalit  dépouillé  le  P.  Poncet  de  sa 
soutane,  la  vendirent  aux  Hollandais,  qui,  à  leur  tour,  la  revendirent 
très  cher  aux  Iroquois  [Relation  de  1657,  p.  36).  — Le  missionnaire 
quitta  le  pays  des  Ag-niers  le  26  oct.  1653,  conduit  par  quelques  Iro- 
quois et  habillé  en  Hollandais.  11  entra  à  Québec  le  5  novembre.  Voir  : 
1)  Relation  de  1653,  pp.  10,  14  etsuiv.  ;  —2)  Lettre  50«,  24  sept.  1654, 
de  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  p.  508;  —  3)  Mémoires  de  M.  d'Allet. 
Ce  dernier  dit  que  le  feu  était  déjà  allumé  pour  brûler  le  P.  Poncet, 
lorsqu'on  le  détacha  du  poteau  auquel  on  l'avait  lié  ;  et  on  le  donna  à 
une  vieille  femme  en  remplacement  d'un  Iroquois  qui  avait  été  tué. 


—  140  — 

tag-ués  les  attendaient,  afin  de  sig-ner  ensemble  le  traité  de 
paix  avec  les  Français.  C'était  au  mois  de  novembre  1653. 
Sm^  l'assm^ance  donnée  par  les  ambassadeurs  iroquois  de 
laisser  désormais  croître  Vherhe  dans  les  sentiers  de  la 
guerre,  M.  de  Lauson  accepta  leurs  propositions  de  paix, 
et  promit  aux  Onnontagués  d'envoyer  le  P.  Simon  Le  Movne 
pour  visiter  leur  canton  et  déliA^rer  les  prisonniers. 

Né  à  Beauvais,  le  22  octobre  I60i,  LeMoyne  ^  était  entré 
dans  la  Compagnie  de  Jésus,  à  Rouen,  à  l'âge  de  dix-huit 
ans.  Dès  son  arrivée  au  Canada  (1638),  il  fut  attaché  à  la 
mission  huronne  2,  où  il  déploya  beaucoup  d'activité  et  de 
zèle,  d'abord  chez  les  Arendahronons  ^^  puis  à  Saint- Joseph 
des   Attiguenonghec'^. 

D'humeur  enjouée  et  d'un  tempérament  robuste,  il  se 
pliait  facilement  à  tous  les  caprices  des  sauvages,  à 
leurs  habitudes.  11  connaissait  leur  caractère,  leurs 
mœurs  et  ce  singulier  code  de  courtoisie  que  nul  ne 
pouvait  enfreindre  sans  encourir  l'indignation  publique. 
Seul,  le  P.  Chaumonot  le  surpassait  dans  la  connaissance 
de  la  langue  huronne-iroquoise,  dont  il  avait  fait  une  étude 
spéciale.  11  mimait  à  merveille,  et  ce  n'était  pas  un  mince 
talent  aux  yeux  des  sauvages,  la  voix,  les  gestes,  les  poses 
des  orateurs  indiens.  11  n'était  pas  jusqu'à  leur  style  figuré, 

1.  Le  P.  Simon  Le  Moyne,  entré  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  au 
noviciat  de  Rouen,  le  10  décembre  1622,  fit,  après  son  noviciat,  ses 
trois  années  de  philosophie  (1624-1627)  au  collège  de  Clermont  à 
Paris;  puis  il  enseigna  à  Rouen  la  grammaire  et  les  humanités  (1627- 
1632),  et  fut  de  là  envoyé  à  la  Flèche,  où  il  étudia  quatre  ans  la  théo- 
logie (1632-1636).  De  1636  à  1637,  il  professe  de  nouveau  les  huma- 
niés  à  Rouen,  et  il  fait  dans  cette  même  ville  sa  troisième  année  de 
probation.  Le  30  juin  1638,  il  est  au  Canada. 

2.  Relation  de  1638,  p.  30;  —  de  1639,  p.  53. 

3.  Relation  de  1640,  p.  90. 

4.  Relation  de  1641,  p.  67;  —  de  1642,  p.  76;  —  de  1644,  p.  87. 


—  141  — 

aux  tournures  pittoresques  qu'il  n'employât  avec  élégance 
et  facilité.  Il  avait  aussi  appris,  dans  ses  longs  entretiens 
avec  le  P.  Bressani,  l'histoire  généalogique  des  tribus  iro- 
quoises,  les  prouesses  des  grands  capitaines  des  cinq 
cantons,  le  nom  des  familles  et  des  personnages  connus, 
l'organisation  sociale  de  ce  peuple,  mélange  étonnant  de 
barbarie  et  de  civilisation  i . 

A  défaut  du  P.  Ghaumonot,  retenu  auprès  des  Hurons 
dans  l'ile  d'Orléans,  le  choix  du  P.  Le  Moyne  était  tout 
indiqué  en  qualité  d'ambassadeur  au  pays  des  Onnontagués, 
où  nul  Européen  n'avait  encore  pénétré.  Il  part  le  2  juillet 
1654  2;  à  Montréal,  un  jeune  Français  se  joint  à  lui.  Le  30, 
ils  sont  au  lac  Ontario,  et,  à  peine  ont-ils  mis  le  pied  sur 
la  terre  iroquoise  qu'ils  se  voient  entourés  d'une  bande 
nombreuse  de  Hurons  captifs,  restés  fidèles  à  leur  foi  reli- 
gieuse. 

Jusqu'au  bourg  d'Onnontagué,  le  voyage  du  mission- 
naire est  un  vrai  triomphe.  «  Dans  les  chemins,  dit-il,  ce 
ne  sont  qu'allans  et  venans,  qui  me  viennent  donner  le 
bonjour.  L'un  me  traite  de  frère,  l'autre  d'oncle,  l'autre  de 
cousin  ;  jamais  je  n'eus  une  parenté  si  nombreuse.  A  un 
quart  de  lieue  du  bourg,  je  commençai  une  harangue,  qui 
me  donna  bien  du  crédit  :  je  nommais  tous  les  capitaines, 
les  familles  et  les  personnes  considérables,  et  d'une  voix 
traînante,  en  ton  de  capitaine.  Je  leur  disais  que  la  paix 
marchait  avec  moi,  que  j'écartais  la  guerre  dans  les  nations 
plus  éloignées^  et  que  la  joie  m'accompagnait.  Deux 
capitaines  me  firent  leur  harangue  à  mon  entrée,  mais  avec 
une  joie  et  un  épanouissement  de  visage,   que  jamais  je 

1.  Arch.  (loin.,  r.  de  Sèvres,  35,  Paris;  — Elogia  defunctorum  prov. 
Franc,  in  Arch.  gen.  S.  J. 

2.  Relation  de  10o4,  p.  il  et  suiv. 


—  142  — 

n'avais  vu  dans  les  sauvages.  Hommes,  femmes  et  enfants, 
tout  était  dans  le  respect  et  dans  Tamour  K   » 

Le  10  août,  grande  assemblée  composée  d'Onnontagués, 
d'Oneiouts,  de  Tsonnontouans  et  d'Agniers -.  Le  P.  Le  Moyne 
parle  pendant  deux  heures,  en  se  promenant,  comme  un 
acteur  sur  un  théâtre^,  souvent  interrompu  par  les  accla- 
mations puissantes  des  sauvages  4.  Un  capitaine  Onnon- 
taerrhonnon  lui  répond  :  «  Ecoute,  Ondessonk^;  cinq 
nations  entières  te  parlent  par  ma  bouche;  j'ai  dans  mon 
cœur  les  sentiments  de  toutes  les  nations  iroquoises,  et  ma 
langue  est  fidèle  à  mon  cœur.  Tu  diras  à  Ononthio  :  Nous 
voulons  reconnaître  Celui  dont  tu  nous  a  parlé,  qui  est  le 
maître  de  nos  vies,  qui  nous  est  inconnu...  Nous  vous 
conjurons  de  choisir  sur  les  rivages  de  notre  grand  lac,  une 
place  qui  vous  doive  être  avantageuse,  pour  y  bâtir  une 
habitation  de  Français.  Mettez-vous  dans  le  cœur  du  pays, 
puisque  vous  devez  posséder  notre  cœur.  Là  nous  irons 
nous  faire  instruire,  et  de  là  vous  pourrez  vous  répandre 
partout.  Ayez  pour  nous  des  soins  de  Pères,  et  nous  aurons 
pour  vous  des  soumissions  d'enfants*^.    » 

1.  Relation  de  1654,  p.  13. 

2.  IbicL,  p.  13. 

3.  Ihid.,  p.  16. 

4.  IhUL,  p.  16. 

5.  Nom  sauvage  du  P.  Le  Moyne. 

6.  Ibid.,  p.  16.  —  Voir  sur  ce  qui  précède  /a  lettre  30'^,  pp.  SOS  et 
suiv.,  de  la  mère  Marie  de  l'Incarnation;  —  Creuxius,  p.  705  et  suiv.  ; 
—  Ferland,  t.  I,  p.  418;  —  Baiicroft,  t.  II,  p.  798.  —  Le  P.  Le  Jeune, 
fixé  définitivement  à  Paris  depuis  quelque  temps,  écrit  le  8  déc.  1654, 
à  la  première  annonce  de  ces  bonnes  nouvelles,  au  R.  P.  Général, 
Goswin  Nickel  :  Navium  appulsus  ex  nova  Franciâ  in  Galliam,  ut  nos, 
ità  et  Paternitatem  vestram  nova,  uti  spero,  lœtitià  afficiet.  Iroquaei, 
antiqui  hostes  nomiiiis  gallici,  imô  et  à  quibusdam  annis,  nominis 
christiani,  non  modo  pacem  nobiscum  inierunt,  sed  et  à  Prorege 
nova3  Franciœ  et  à  supcriore  missionis,  enixè  precati  sunt,  Galli  ut  in 
medio  regionis  illorum  arcem  fuudarent,  et  eô  quidam  ènostrismitte- 


-   143  — 

Touché  de  ces  heureuses  dispositions,  qui  paraissaient 
sincères  et  qui  Tétaient  alors,  le  P.  Le  Moyne  revient  à 
Québec  ^  pour  exposer  a  son  supérieur  l'état  des  esprits,  et 
il  se  remet  aussitôt  en  route,  sur  le  désir  du  Gouverneur, 
pour  se  rendre  chez  les  Agniers  et  s'assurer  des  sentiments 
de  ce  canton  à  Tégard  des  Français  et  de  leurs  alliés  '-. 

Pendant  qu'il  remonte  la  rivière  Richelieu,  les  Pères 
Chaumonot  et  d'Ablon  s'engagent  dans  la  rivière,  nommée 
aujourd'hui  Oswégo,  et  arrivent  à  Onnontagué,  où  ils 
fondent  une  résidence'^,  à  la  grande  satisfaction  des  Onnon- 
tagués  et  des  Hurons  captifs.  Ces  derniers  connaissaient  de 
longue  date  le  P.  Chaumonot,  qui  avait  déjà  fait  parmi  eux 

rentur,  qui  vitce  autorem  et  reparatorem  totam  g-eiitem  edocorent. 
Hœc  sane  est  mutatio  dexterœ  Excelsi,  eo  mag-is  grata  quô  minus 
cxpectata.  Sic  idcô  factum  iri  primo  vere  scribunt  Patres,  postu- 
lantquc  à  R.  Provinciali  nostro  sex  Patres  et  duos  Fratres  sibi  mittau- 
tur  in  auxilium.  Quatuor  superiori  anno  desidcraverant  ;  nullus  missus 

est Paternitatem  vestram  obtestor  precorque  ex  inlimis  medullis 

ut  Provincialibus  rescribendum  curct  omnem  moveant  lapidcm  ut 
mittant  operarios.  (Arch.  gen.  S.  J.) 

1.  Relation  de  1654,  p.  19.  D'après  la  Relation^  il  est  à  Qué])ec,  le 
M  sept.  16o4. 

2.  Relation  de  16oo,  p.  5. 

3.  IbicL,  pp.  3,  4  et  5  ;  —  A^utobiographie  du  P.  Chaumonot, 
pp.  51  et  52  ;  —  Marie  de  Tlncarnation,  Lettres  historiques,  12  oct. 
1665  :  «  Les  RR.  PP.  d'Ablon  et  Chaumonot  sont  ceux  sur  qui  le 
sort  est  tombé.  Ils  s'estiment  heureux  d'avoir  été  choisis  pour  cette 
entreprise,  et  il  ne  se  peut  dire  avec  combien  de  zèle  et  de  ferveur  ils 
s'abandonnent  aux  hazards  qui  en  peuvent  arriver.  Car  sans  parler 
des  dangers  de  mort  où  la  férocité  de  ces  peuples  les  peut  jeter,  ils 
vont  endurer  des  travaux  qui  ne  sont  pas  imaginables  aux  personnes 
qui  ne  savent  pas  ce  que  c'est  que  d'être  dans  un  pays  barbare 
dénué  de  tous  les  secours  dont  les  Européens  semblent  ne  se  pouvoir 
passer.  Cependant  ces  braves  ouvriers  de  l'Evangile  y  volent  comme 
s'ils  allaient  en  Paradis,  et,  quand  il  s'agit  de  gagner  des  âmes  à 
J.-C,  c'est  en  cela  qu'ils  mettent  leur  bonheur,  s'oubliant  eux-mêmes 
et  tous  les  intérêts  de  la  nature.  » 


—  144  — 

un  dur  apprentissage  de  la  vie  du  missionnaire.  ((  Il  savait 
si  bien  allier,  dit  Ferland,  le  langage  poétique  et  figuré  des 
sauvages  aux  ressources  que  lui  fournissait  son  instruction 
classique,  qu'il  jetait  ses  auditeurs  dans  l'admiration  i.  » 

Son  compagnon  faisait  ses  premiers  pas  dans  la  carrière 
apostolique -. 

Né  à  Dieppe  en  1619,  encore  dans  la  vigueur  de  Tâge,  il 
venait  réaliser,  dans  les  forêts  du  Nouveau-Monde,  au  milieu 
des  barbares,  un  des  plus  chers  désirs  de  ses  jeunes  années. 
La  vocation  apostolique  avait  germé  dans  son  cœur  sur  les 
bancs  de  l'école  ;  et  c'est  dans  la  pensée  de  se  rendre  plus 
utile  aux  Indiens  qu'il  avait  appris  à  jouer  de  plusieurs 
instruments  de  musique;  il  en  jouait  même  fort  bien^\  au 
dire  du  P.  Chaumonot.  Quand  il  s'agit  de  gagner  les 
âmes  à  Jésus-Christ,  la  charité  est  industrieuse. 

Le  missionnaire  du  Paraguay  avait  eu  recours  à  ce  moyen, 
pour  attirer  les  sauvages,  qui,  à  son  approche,  le  fuyaient 
comme  un  enchanteur,  saisis  d'une  frayeur  étrange.  Ne 
sachant  comment  arriver  à  eux,  il  imagina  de  remonter  le 
fleuve  sur  des  j^irogues  avec  des  catéchumènes,  tous  chan- 
tant des  cantiques  de  leur  voix  la  plus  douce.  Entraînés 
par  ces  chants,  les  sauvages  descendaient  de  leurs  mon- 
tagnes sur  les  bords  du  fleuve,  afin  de  mieux  entendre  ;  peu 
à  peu  ils  mêlaient  leurs  voix  aux   voix  des  chrétiens  ;  puis 

1.  Cours  cFIiistoire,  p.  423. 

2.  Le  P.  Claude  Dablon  ou  crAblon,  né  à  Dieppe  le  21  janvier  1619 
[alias,  février  1618),  entra  au  noviciat  des  Jésuites,  à  Paris,  le  17  sep- 
tembre 1639,  après  avoir  fait  deux  ans  de  philosophie.  Le  noviciat 
terminé,  il  se  rendit  à  la  Flèche,  où  il  consacra  un  an  à  l'étude  de  la 
philosophie,  et  cinq  ans  (1642-1647)  à  renseignement  de  la  grammaire 
et  des  humanités.  De  1647  à  1651,  il  étudie  la  théologie,  puis  de  1651 
à  1653  il  enseigne  les  humanités  et  la  rhétorique  dans  ce  même  col- 
lège. De  1653  à  1654,  nous  le  trouvons  à  Eu;  c'est  de  là  qu'il  part 
pour  Québec,  où  il  arrive  en  1655  (Arch.  gen.  S.  J.,  catal.) 

3.  Autobiographie,  Y>'  S2. 


—  145  — 

subjugués  par  l'accueil  aimable  et  les  chaudes  paroles  de 
l'apôtre,  ils  tombaient  à  ses  pieds  et  laissaient  couler  sur 
leur  front  l'eau  régénatrice  du  baptême. 

Si  nous  en  croyons  les  récits  des  voyageurs,  les  sauvages 
du  Canada  n'étaient  pas  aussi  sensibles  à  la  musique  que 
ceux  du  Paraguay;  l'arc  et  la  flèche  n'échappaient  pas  de 
leur  main,  aux  doux  accents  d'une  belle  voix  ;  ils  ne  se 
jetaient  pas  dans  les  eaux  du  fleuve  pour  suivre  à  la  nage 
la  pirogue  enchantée,  où  des  voix  redisaient  en  chœur  les 
louanges  de  Dieu  et  les  merveilles  de  la  création.  Cepen- 
dant ces  natures  énergiques  et  dures  écoutaient  avec  plaisir 
les  sons  mélodieux  d'un  chant,  les  accords  que  la  main  de 
l'artiste  sait  tirer  de  la  lyre.  On  le  vit  bien  à  Onnonta- 
gué,  où  le  P.  d'Ablon  forma  un  chœur  de  jeunes  lîlles, 
dans  le  but  d'attirer  les  Indiens  à  la  chapelle.  Ils  accou- 
raient nombreux  pour  les  entendre  ;  et  c'était  pour  eux 
((  grande  merveille,  écrit  le  P.  Chaumonot,  quand  le 
P.  d'Ablon  jouait,  d'entendre  son  bois  qui  parlait  et  qui 
avait  l'esprit  de  redire  tout  ce  que  les  enfants  avaient 
dit».  » 

Le  P.  d'Ablon,  qui  ne  parlait  pas  l'iroquois,  fut  pour  le 
P.  Chaumonot  un  puissant  auxiliaire  :  il  attirait  les  sau- 
vages et  les  charmait  ;  son  confrère  les  ravissait  par  sa 
parole  imagée  et  les  instruisait  ;  tous  deux,  en  s 'aidant 
mutuellement,  faisaient  tant  de  bien  «  que  leur  chapelle 
d'écorce  ne  désemplissait  point.  Ils  ne  pouvaient  trouver 
de  temps  pour  dire  la  messe  et  leur  office  que  celui  de  la 
nuit-.  »  Les  Hurons  captifs,  fidèles  à  leur  foi,  avaient  pré- 

1.  Autobiographie,  p.  52. 

2.  Lettres  historiques,  p.  530,  —  La  Mère  ^larie  de  rincarnatioa 
dit  dans  sa  lettre  du  14  août  1656  :  «  Le  R.  P.  ChaLimonot  commença 
à  parler  de  la  foi  et  à  enseigner  à  faire  des  prières  publiquement.  Il 
fut  écouté  et  admiré  de  tous,  en  sorte  qu'on  le  tenait  pour  un  homme 
prodigieux.  » 

Jés.  et  Nouv.-Vr.  —  T.  11.  10       > 


—  146  — 

paré  ce  mouvement  vers  l'Evangile.  Dans  le  courant  de  la 
semaine,  païens,  catéchumènes  et  néophytes,  se  réunis- 
saient chaque  jour,  et,  plusieurs  fois  par  jour,  dans  la 
petite  chapelle,  pour  la  prière  et  les  instructions.  En  dehors 
des  exercices,  les  missionnaires  visitaient,  dans  les 
cabanes,  les  enfants  et  les  malades.  Les  dimanches  et  les 
fêtes,  on  faisait  le  catéchisme  partout  où  il  semblait  pos- 
sible de  réunir  les  Indiens,  à  la  chapelle  ou  dans  les  cabanes. 
Les  travaux  des  missionnaires  sont  couronnés  de  tels 
succès,  qu'ils  croient  le  moment  venu  d'établir  dans  le  pa^s 
un  poste  français  conformément  au  désir  que  les  Onnontagués 
en  ont  exj^rimé  au  P.  Le  Moyne.  «  Le  P.  d'Ablon  part  aussi- 
tôt avec  quelques  Onnontag-erononset  Sonontouaeronons,  dit 
la  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  et  après  bien  des  fatigues,  ils 
arrivent  à  Québec,  au  temps  de  la  Passion  (1656).  Ils  font  leur 
demande  à  Monsieur  le  Gouverneur  et  au  R.  P.  Supérieur, 
qui  ayant  appris  les  beaux  commencements  de  cette  mis- 
sion, et  les  grandes  merveilles  que  Dieu  y  avait  opérées  en 
si  peu  de  temps,  conclurent  qu'il  la  fallait  fortifier  par  le 
secours  d'un  plus  grand  nombre  de  missionnaires.  Alors 
le  P.  dWhlon,  qui  est  un  homme  vraiment  apostolicpie,  fit 
de  si  puissants  efforts  pour  cette  glorieuse  entreprise  qu'en 
peu  de  temps  cinquante-cinq  Français,  y  compris  quatre 
Pères  et  trois  frères,  furent  prêts.  Ils  partirent  de  Québec 
en  mai  avec  un  zèle  et  une  ferveur  non  pareille i.  »  Dupuy, 


1.  Lettres  historiques^  14  août  1656,  p.  531.  —  Les  Pères  qui 
furent  envoyés  chez  les  Iroquois  sont  :  Le  Mercier,  Mesnard,  d'Ablon 
et  Frémin.  Le  P.  Chaumonot  s'y  trouvait  déjà,  et  le  P.  Le  Moyne 
était  en  ambassade  chez  les  Agniers.  Les  Frères  coadjuteurs  qui 
accompagnèrent  les  missionnaires  sont  Ambroise  Broard,  Joseph 
Boursier  et  un  troisième  dont  nous  n'avons  pu  trouver  le  nom 
[Relation  de  1657,  p.  9).  Le  P.  Ragueneau  alla  les  rejoindre  plusieurs 
mois  plus  tard  (Relation  de  1657,  p.  54). 


—  147  — 

commandant  du  fort  de  Québec,  était  à  la  tête  de  l'entre- 


prise ^ 


A  cinq  lieues  d'Onnontagué,  près  du  lac  Gannentaha, 
sur  les  bords  de  la  rivière  Oswégo,  se  trouvait  une  émi- 
nence,  qui  dominait  tout  le  pays  environnant.  Loin  des 
habitations  iroquoises  et  entouré  de  palissades,  ce  lieu 
pouvait  offrir  à  une  garnison  toute  sécurité  ;  il  avait  une 
communication  facile  avec  Montréal  par  l'Oswégo  et  le  lac 
Ontario  ;  il  était  entouré  de  bois,  de  lacs  et  de  prairies.  Les 
forêts  étaient  giboyeuses,  le  lac  Gannentaha  abondait 
en  poissons,  et,  à  une  petite  distance  de  là,  le  P.  Le  Moyne 
avait  découvert  des  sources,  dont  il  avait  lui-même  tiré  un 
très  beau  sel-. 

Du  consentement  des  chefs  Onnontagués,  le  comman- 
dant Dupuy  choisit  cet  emplacement  pour  y  établir  le  poste 
français  ;  il  l'entoure  de  palissades,  il  construit  des  habita- 
tions, il  élève  la  chapelle;  et  bientôt  le  fort  Sainte-Marie 3 
de  Gannentaha  rappelle  Sainte-Marie  des  Hurons.  Les 
Hurons  et  les  Iroquois  s'y  rendent  de  toutes  parts  pour 
visiter  la  maison  des  Européens  ;  les  relations  semblent  des 
plus  cordiales 4.  Pendant  qu'un  P.  Jésuite  instruit  les 
curieux  qui  se  présentent  au  fort,  puis  les  catéchumènes  et 
les  néophytes,  les  autres  missionnaires  se  répandent  de 
village  en  village,  dans  les  cantons  d'Onnontagué,  d'On- 
neyouth,  de  Goyogoùen  et  de  Tsonnontouan^.  Partout,  ils 

1.  Relation  de  1657,  ch.  IV  et  V;  —  Ferland,  t.  I,  1.  III,  ch.  X. 

2.  Ces  sources  sont  à    Salina,   près  du  lac   Ondaga.  —  V.   Cours 
dliistoire,  p.  419  ;  —  Relation  de  1654  ;  —  Lettres  historiques  de  M.  de 
l'Incarnation;  —    Relation    de    1656,    p.    14;  —   Relation  de    1657 
ch.  IV,  V,  XI. 

3.  Relation  de  1657,  p.  18. 

4.  Relation  de  1657,  ch.  XIII. 

5.  Relation  de  1657,  ch.  V,  pp.  18  et  19.  —  Bancroft  dit,  en  parlant 
de  cette  mission,  au  ch.  XX  du  volume  IV  de  son  Histoire  des  Etats- 


—  148  — 

prêchent  l'Evangile,  et  la  parole  divine  ne  tombe  pas  sur 
une  terre  inféconde.  Marie  de  l'Incarnation  écrit  de  Québec 
le  15  octobre  1637  :  «  J'ai  appris  depuis  trois  jours  que 
le  progrès  de  l'Évangile  est  grand  dans  les  missions  iro- 
quoises.  Le  R.  P.  Mesnardseul  a  baptisé  à  Onneyouth  et  à 
Goyogoiien  quatre  cens  personnes.  Les  autres  mission- 
naires en  ont  baptisé  à  proportion  dans  les  lieux  de  leur 
mission  1.   » 

Ces  commencements  présageaient  de  belles  espérances  -  ; 
mais  une  vague  défiance  restait  au  fond  du  cœur  des  mis- 

Unis  :  u  Dans  une  assemblée  générale  de  la  tribu,  on  débattit  la 
question  de  savoir  si  l'on  adopterait  le  christianisme  pour  religion. 
La  chai>elle  d'Onnontagué,  devenue  trop  petite  pour  la  foule  des 
adorateurs,  fut  agrandie.  Les  Goyogouins  désirèrent  aussi  avoir  un 
missionnaire  et  reçurent  en  cette  qualité  l'intrépide  René  Mesnard.. 
Une  chapelle  s'érigea  dans  leur  village,  avec  des  nattes  en  guise  de 
tapisseries  ;  et  là,  les  images  du  Sauveur  et  do  la  Vierge,  sa  mère, 
furent  exposées  à  l'admiration  des  enfants  du  désert.  Les  Onneyouts 
prêtèrent  également  l'oreille  au  missionnaire  ;  et,  avi  commencement, 
de  1657,  Cliaumonot  pénétra  dans  le  pays  plus  fertile  et  plus  peuplé 
des  Tsonnontouans.  Les  prêtres  de  la  Compagnie  de  Jésus  prêchèrent 
leur  foi  depuis  le  Mohawk  jusqu'au  Genesee,  en  prenant  Onnontagué' 
pour  station  centrale.  » 

1.  Lettres  historiques,  p.  533;  —  Relation  de  1657,  ch.  XIV,  XV^ 
XVI,  XVll,  XVIII. 

2.  Les  lettres  des  missionnaires  au  R.  P.  Général  sont  toutes  a 
l'espérance,  de  1655  à  1657.  Aussi,  le  Général,  Goswin  Nickel,  répond 
au  P.  Vimont,  le  25  déc.  1656  :  «  Lsetamur  mirum  in  modum  insignes 
duas  modo  aperiri  missiones,  in  quibus  virorum  apostolicorum  desu- 
det  industria,  scripsimusque  ad  P.  Provincialem  ut  mittat,  si  fieri 
potest,  sex  operariorum  subsidium  quod  postulatur.  »  —  Le  25  déc. 
1656  au  P.  Ragueneau  :  «  Gratulor  vobis  missionem  illam  insignenu 
hoc  anno  susceptam  apud  Iroquœos  superiores,  ubi  magnus,  ut  ait 
Rev»  Va  litteris  suis  25  Julii,  aperiturcampus  labori  nostrorum.  »  — 
Le  8  janvier  1657,  au  P.  Le  Mercier  :  <f  Magnam  certe  animi  conso- 
lationem  accepimus  ex  ultimis  Rœ  V»  litteris  29  Aug.  1656,  ad  nos. 
datis,  ex  quibus  nobis  innotuit  quam  avide  cœleste  semen  acceperit 
Iroquensis  terra,  calido  adhuc  PP.    Nostrorum  sanguine  irrigata.  i> 


—  149  — 

sionnaires.  Ils  connaissaient  trop  le  naturel  instable  et 
changeant  des  nations  iroquoises,  leur  impressionnabilité 
crédule,  pour  se  laisser  aller  à  d'agréables  illusions,  que 
pouvaient  dissiper  le  premier  accès  de  mauvaise  humeur, 
un  songe,  une  fantaisie.  Et  puis,  si  l'ensemble  de  la  popu- 
lation les  accueillait  ou  paraissait  les  accueillir  favorable- 
ment, ils  étaient  entourés  de  traîtres  et  de  fourbes^,  de 
Hurons  apostats  qui  semaient  sur  la  Robe  noire  les 
calomnies  les  plus  odieuses,  de  capitaines  et  de  sorciers, 
ennemis  des  Européens  et  hostiles  aux  enseignements  de 
la  Foi-.  Beaucoup  n'admettaient  pas  le  précepte  qui  défend 
la  pluralité  des  femmes  et  la  dissolution  du  mariage.  «  Si 
la  polygamie  est  interdite,  disaient-ils,  le  pays  ne  se  peu- 
plera pas'.  )> 

11  ne  faut  donc  pas  se  figurer  que  le  bien  se  fit  s'ans 
difficulté,  que  l'Evangile  se  propageât  sans  péril.  «  Nous 
marchons,  écrivait  un  missionnaire,  la  tête  levée,  au  milieu 
des  dangers,  au  travers  des  injures,  des  huées,  des 
calomnies,  des  haches  et  des  couteaux,  avec  lesquels  on 
nous  poursuit  assez  souvent  pour  nous  mettre  à  mort. 
Nous  sommes  presque  tous  les  jours  à  la  veille  d'être  mas- 
sacrés :  quasi  morientes ,  et  cccc  vivimus...  Si  Dieu,  qui 
nous  a  amenés  en  cette  Barbarie,  nous  y  fait  égorger,  qu'il 
soit  béni  à  jamais  !  C'est  Jésus-Christ,  c'est  son  Evangile, 
c'est  le  salut  de  ces  pauvres  âmes,  qui  nous  tient  et  nous 

—  Le  12  nov.  1637,  au  P.  Ragueneau  :  <(  Ut  video  ex  litteris  Rœ  V® 
22  Junii  proxime  elapsi,  Queheco  ad  me  datis,  messis  multa  est  apud 
Iroqu8eos,ad  quos  Ra  V»  ex  obedientiâ  properavit;  sed  operarii  pauci. 
Scripsi  ad  omnes  Galliœ  provinciales,  et  prsesertim  ad  Provincialem 
Franciœ,  ut  requirant  aliquot  bonos  operarios  quos  mittant  in 
subsidium.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

1.  Relation  de  1637,  p.  56. 

2.  Relation  de  1657,  passim. 

3.  Autobiographie  du  P.  Chaumonot,  pp.  54  et  55. 


—  150  — 

arrête   presque   au    milieu   des    flammes.    Nos  yeux   sont 
accoutumés  à  voir  brûler  et  manger  les  hommes  K  » 

Ces  ouvriers  intrépides  ne  furent  ni  massacrés,  ni  brû- 
lés, ni  mangés.  Peu  s'en  fallut  cependant,  comme  nous 
allons  le  voir. 

Les  Agniers  se  montraient  peu  satisfaits  de  l'établisse- 
ment des  Français  au  centre  même  des  nations  iroquoises  ; 
ils  y  voyaient  un  danger  permanent  pour  leur  commerce 
avec  les  Anglais  et  les  Hollandais.  Les  Hollandais  et  les 
Anglais,  de  leur  côté,  n'avaient  pas  appris,  sans  une  pro- 
fonde irritation,  l'existence  de  ce  nouveau  poste  :  ils  crai- 
gnaient qu'il  ne  les  empêchât  un  jour  d'étendre  leurs 
relations  commerciales  à  l'ouest  et  au  nord  des  grands 
lacs,  et  n'assurât  peut-être  à  la  France,  dans  un  avenir  peu 
éloigné,  la  domination  des  pays  au  sud  de  l'Erié  et  de 
l'Ontario,  et  la  liberté  des  communications  avec  les  peu- 
plades sauvages  de  l'Occident.  Aussi,  tout  en  dissimulant 
les  mobiles  secrets  de  leurs  agissements,  excitèrent-ils  les 
Agniers  contre  les  Français.  Les  Agniers  se  laissèrent 
d'autant  plus  facilement  persuader  que,  malgré  leurs  pro- 
testations pacifiques,  ils  n'avaient  jamais  déposé  les  armes. 
Fourbes  et  hypocrites,  ils  ne  demandaient  généralement  la 
paix  que  pour  éviter  un  échec,  ou  pour  préparer  un  coup 
de  main,  à  la  faveur  de  la  paix. 

En  ce  temps-là,  par  exemple,  pendant  que  le  P.  Le 
Moyne  visitait  leur  pays  en  qualité  d'ambassadeur  et  était 
reçu  à  Ossernenon  avec  toutes  les  démonstrations  de  joie, 
trois  cents  guerriers  de  ce  canton  attaquaient,  à  la  pointe 
de  Sainte-Croix,  à  douze  lieues  de  Québec,  les  Onnontagués 
et  les  Français  se  rendant  à  Onnontagué,  sous  le  prétexte 

1.  Relation  de  1657,  p.  56. 


—   loi   — 

qu'ils  les  avaient  pris  pour  des  Hurons^  Ils  avaient  solen- 
nellement promis  au  même  missionnaire  de  respecter  les 
Hurons  et  les  Algonquins  au  dessous  des  Trois-Rivières  ; 
et  cependant,  quelques  mois  plus  tard,  ils  surprenaient  les 
Hurons  dans  l'île  d'Orléans  et  ils  en  emmenaient  plus  de 
soixante  prisonniers  2.  Un  autre  jour^  ils  rencontrèrent  le 
F.  Liég-eois,  qui  construisait  un  petit  fort  dans  les  champs, 
près  de  Sillery,  et  le  mirent  à  mort''\  Ils  blessèrent  aussi 
d'un  coup  d'arquebuse,  sur  l'Ottawa,  le  P.  Léonard  Gar- 
reau  qui  se  rendait  avec  le  P.  Druillettes  et  trois  Français, 
sur  une  flottille  outaouaise,  chez  les  nations  situées  autour 
du  lac  Michigan.  Ces  deux  apôtres  avaient  appris  des 
Outaouais,  qui  venaient  de  ces  pays,  des  renseignements 
précieux  sur  les  Sioux,  les  Assiniboines  et  les  Cris,  et  ils 
allaient  leur  porter  les  lumières  de  la  Foi.  Le  P.  Garreau 
vint  mourir  à  Montréal  des  suites  de  sa  blessure  ^. 

1.  Cours  cl  histoire,  pp.  427  et  429. 

2.  Relation  de  1657,  p.  5  ;  —  Cours  d'histoire,  p.  430. 

3.  Journal  des  Jésuites,  p.  196.  —  Nous  en  avons  parlé  au  ch.  III; 
M""  N.-E.  Dionne  consacre  deux  pages  intéressantes  à  la  mémoire  de 
ce  religieux,  qui  rendit  les  plus  grands  services  à  la  mission  cana- 
dienne (Revue  Canadienne,  juin  1888,  Des  figures  oubliées  de  notre 
histoire,  §  II.  Frères  Jésuites,  pp.  384-386). 

4.  Cours  d'histoire,  p.  431  ;  —  Relation  de  I606,  p.  40-44;  —  Rela- 
tion particulière  de  la  mort  du  P.  Léonard  Garreau,  tué  par  les  Iro- 
quois  en  la  mission  du  Canada,  extraite  d'une  lettre  du  R.  P.  Claude 
Pijart,  supérieur  de  la  Résidence  de  la  Compagnie  de  Jésus,  à  Montréal 
(Arch.  de  fécole  Sainte-Geneviève,  à  Paris,  Canada,  cahier  2). 

Le  P.  Léonard  Garreau,  né  à  Saint-Yrieix  (dioc.  de  Limoges),  au  mois 
de  septembre  1610,  entra  chez  les  Jésuites  le  27  sept.  1628,  et  fit  sa 
profession  des  quatre  vœux,  le  21  juin  1648.  Après  son  noviciat,  il 
professe  la  5*^  à  Poitiers  (1630-1631),  puis  il  suit  les  cours  de  philo- 
sophie à  Pau  (1631-1634),  il  professe  à  Agen  la  4°  (1634-1635),  les 
Humanités  (1635-1636),  encore  les  humanités  à  Bordeaux  (1636-1637) 
et  enfin  la  rhétorique  (1637-1638).  De  Bordeaux,  il  se  rend  à  Pau,  pour 
y  faire  une  première  année  de  théologie  (1638-1639),  et  au  mois 
d'octobre  1639,  il  part  pour  Rome  où  il  suit  trois  ans  les  cours  de 


—  152  — 

Ces  faits  et  bien  d'autres  montrent  assez  que  les  Agniers 
ne  cessaient,  en  pleine  paix,  de  faire  la  guerre  et  la  chasse 
à  l'homme.  La  haine  qu'ils  avaient  vouée  aux  Français  et 
aux  misérables  restes  des  Hurons,  leurs  alliés,  grandit 
encore,  quand  ils  virent  les  premiers  s'établirent  dans  leur 
propre  pays,  chez  les  Onnontagués;  et  ils  s'efforcèrent  par 
tous  les  moyens  en  leur  pouvoir,  sans  toutefois  découvrir 
leur  jeu,  d'amener  les  Onnontagués  eux-mêmes  à  les  chasser 
de  leur  canton  ou  à  les  massacrer. 

Il  existait  alors  dans  ce  canton  une  jeunesse  folle, 
inquiète  et  sans  discipline,  supportant  impatiemment  la 
paix  et  désireuse  de  la  rompre  surtout  depuis  la  défaite 
et  la  dispersion  des  Eriés^.  Gela  lui  était  facile,  les  traités 
n'enchaînant  pas  la  liberté  individuelle.  Les  Agniers  la 
poussèrent  à  prendre  les  armes.  Les  jeunes  capitaines, 
auxquels  pesait  l'inaction  et  qui  voulaient  s'illustrer  comme 
leurs  pères  dans  les  combats,  firent  cause  commune  avec 
les  jeunes  gens;  peu  à  peu  le  feu  de  la  guerre  envahit  les 
autres  nations,  à  l'insu  des  Français  et  des  missionnaires; 

théologie  (1639-1642).  Après  sa  troisième  année  de  probation  à  Rouen 
(1642-1643),  il  s'embarque  en  1643  pour  le  Canada.  Ces  détails  sont 
tirés  des  archives  génér.  S.  J.  (Catal.  Prov.  Franc).  Arrivé  à  Québec 
{Relation  de  1643,  p.  5)  en  1643,  il  monte  Tannée  suivante  au  pays 
des  Hurons  {Relaf.  de  1644,  p.  49)  et  est  employé  à  la  mission  du 
Saint-Esprit  chez  les  Nipissings  (Belaf.  de  1646,  p.  80);  plus  tard, 
après  la  dispersion  de  la  nation  huronne,  nous  le  retrouvons  à  l'île 
d'Orléans  (Belat.  de  1652,  p.  10);  enfin,  désigné  pour  accompagner 
un  parti  d'Outaouais,  il  fut  blessé  par  les  Iroquois  [Relat.  de  1656, 
pp.  40  et  41)  et  vint  mourir  à  Montréal  le  2  septembre  1656.  Il  avait 
été  blessé  le  30  du  mois  d'août.  —  Consulter  :  Creuxius,  1.  X,  pp.  795 
et  suiv.  ;  — Relations  de  1643,  1644,  1646,  1652  et  i6D()  ;  —  Charlevoix, 
t.  II,  pp.  67  et  suiv. 

1.  Les  Onnontagués  et  les  autres  cantons  de  l'Ouest  avaient  engagé 
depuis  trois  ans  contre  les  Eriés  une  guerre  d'extermination.  On  en 
trouvera  la  raison  à  la  page  30  de  la  Relation  de  1656.  Cette  même 
Relation,  p.  18,  raconte  la  défaite  des  Eriés  par  les  Iroquois.  —  V.  la 
Relation  de  1654,  p.  10. 


—  i:>3  — 

et,  une  fois  qu'il  eût  échauffé  les  esprits,  les  Agniers  convo- 
quèrent les  anciens  de  la  Confédération  à  un  conseil  secret. 
C'était  en  1658.  Douze  des  leurs  avaient  été  faits  prisonniers 
par  les  colons  français,  et  dix  gardés  à  Québec  comme 
otages;  trois  jeunes  Agniers  étaient  aussitôt  partis  d'Osser- 
nenon  pour  réclamer  leur  élargissement.  Le  conseil  secret 
décida  qu'on  ferait  main  basse  sur  les  Français  de  Gannen- 
taha  et  sur  les  missionnaires,  aussitôt  que  les  prisonniers 
de  Québec  seraient  en  liberté;  et  que,  dans  le  cas  où  Onon- 
thio  refuserait  de  rendre  les  captifs,  on  tuerait  une  partie 
des  Français  et  offrirait  les  autres  en  échange.  Les  mêmes 
résolutions  furent  prises  dans  une  assemblée  tenue  à 
Onnontagué  ^ . 

Quelques  mois  avaient  suffi  pour  opérer  une  révolution 
radicale  dans  l'esprit  des  populations  iroquoises,  tant  ce 
peuple  était  mobile,  inconstant  et  capricieux'-.  Et  le  complot, 
ourdi  dans  l'ombre  contre  la  garnison  de  Gannentaha  et 
contre  les  Jésuites,  aurait  certainement  réussi,  si  quelques 
chefs,  amis  des  missionnaires,  n'avaient  prévenu  ces  der- 
niers. Il  n'y  avait  pas  un  instant  à  perdre.  Comme  la  fuite 
était  le  seul  moyen  d'échapper  à  la  mort,  et  qu'il  importait 
de  profiter  de  la  débâcle  des  glaces,  les  Français  construi- 
sirent en  cachette,  dans  les  premiers  jours  de  mars,  des 
canots  et  des  bateaux,  et  la  veille  du  jour  fixé  pour  le 
départ,  ils  eurent  recours,  afin  de  ne  pas  donner  l'éveil,  à 
un  singulier  stratagème  ^. 

1.  Voir,  pour  tout  co  qui  précède  :  Relations  de  1057  et  do  1658; 
—  Journal  des  Jésuites,  années  1657  et  1658;  —  Lettres  historiques 
de  Marie  de  rincarnation,  p.  535  et  suiv.  ;  —  Cours  d'histoire,  pp. 
428,  440  et  suiv,  ;  —  Histoire  de  la  Nouvelle-France,  livre  huitième, 
années  1657  et  1658. 

2.  Le  P.  Le  Jeune  explique  ce  revirement  dans  le  ch.  I'^'  de  la  Rela- 
tion es  années  1657  et  1658,  publiée  à  Paris  en  1659. 

3.  Relation  de  1658,  ch,  II  :  Lettre  du  P.  Ragueneau  au  P.  Procureur 
des  missions  de  la  Compagnie  de  Jésus  en  la  Nouvelle-France. 


—  15i  — 

Un  jeune  Français,  adopté  par  un  chef  sauvage,  feignit 
d'avoir  un  songe  par  lequel  il  était  averti  de  faire  un  festin 
à  tout  manffer  s'il  ne  voulait  mourir  bientôt.  v(  Tu  es  mon 
fils,  répondit  le  chef,  je  ne  veux  pas  que  tu  meures;  prépare 
le  festin  et  nous  mangerons  tout.  »  Les  Iroquois  et  quelques 
Français  y  furent  invités;  personne  n'y  manqua,  et  ceux-ci 
firent  de  la  musique  pour  charmer  les  convives.  Le  repas- 
se  continua  bien  avant  dans  la  nuit'.  Pendant  ce  temps, 
les  Français,  qui  ne  prenaient  point  part  au  festin,  portaient 
à  la  rivière  bateaux  et  provisions,  ne  laissant  au  fort  que 
les  chiens  et  les  coqs.  Quand  tout  fut  prêt,  le  jeune  amphi- 
tryon dit  à  ses  convives  :  «  C'est  assez,  j'ai  pitié  de  vous; 
cessez  de  manger,  je  ne  mourrai  point.  Je  vais  faire  jouer 
la  musique  pour  vous  endormir.  Dormez,  et  ne  vous  éveillez 
que  demain,  quand  on  fera  l'appel  pour  la  prière.  »  Ils 
s'endormirent,  en  effet,  d'un  profond  sommeil,  et  les 
Français  en  profitèrent  pour  se  retirer  en  silence  et  rejoindre 
leurs  compagnons  sur  l'Oswégo-. 

Le  soleil  était  déjà  sur  l'horizon, quand  les  sauvages  se 
réveillèrent  et  vinrent  rôder  autour  de  l'habitation  française. 
Ils  n'entendirent  que  les  aboiements  des  chiens,  et  ne 
voyant  sortir  personne  dans  la  matinée,  ils  finirent  par 
enfoncer  les  portes.  La  garnison  était  déjà  loin,  à  l'abri  de 
toute  atteinte.  Le  20  avril  1658,  elle  entrait  au  fort  de 
Québec,  amenant  avec  elle  les  missionnaires'^.  «  Ces  mis- 
sionnaires, dit  la  Relation  de  1658,  voyant  que  leur  mort  et 
leur  captivité  serait  plus  nuisible  que  profitable  à  la  colonie 
française,   »   et   qu'elle  serait   inutile  à  l'église   iroquoise,. 


1.  Bolation  de  16o8,  pp.  6  et  7. 

2.  MfTP  Marie  de  V  Incarnat  ion,  Lettre  56",  p.  535;  —  Relation  de 
4658,  ch.  II  et  VIII;  —  Ferinnd,  t.  I,  pp.  440-442. 

3.  Ihid. 


—  155  — 

prirent  le  parti  le  plus  sage,  celui  de  se  retirer  pour  le 
moment,  sauf  à  revenir  en  des  temps  plus  tranquilles  et 
plus  favorables  1. 

Ainsi  se  terminait  la  première  mission  iroquoise,  inau- 
gurée près  de  trois  ans  auparavant  sous  les  plus  heureux 
auspices  ;  et  avec  elle  s'achevait  l'enfance  de  la  colonie 
française,  et  cette  première  époque,  époque  héroïque,  de 
l'évangélisation  des  peuplades  indiennes  dans  l'Amérique 
septentrionale. 

Un  âge  nouveau  commence  pour  la  colonie  et  pour  l'Eglise 
du  Canada.  L'administration  civile,  le  gouvernement  mili- 
taire, la  direction  religieuse,  tout  va  se  modifier,  se  trans- 
former. Nous  entrons  dans  une  ère,  qui  ne  ressemble  en 
rien  à  la  période  de  trente  à  trente-cinq  ans  que  nous  venons 
de  traverser.  Mais,  avant  de  raconter  les  événements  de 
l'ère  nouvelle,  il  importe  de  jeter  un  coup  d'œil  d'ensemble 
sur  le  passé,  et  de  voir,  dans  un  résumé  rapide,  la  route 
parcourue  jusqu'à  ce  jour  et  l'état  de  la  France  d'Outre-Mer 
à  l'époque  où  nous  sommes  arrivés. 

Quatre  postes  principaux  s'échelonnent  sur  le  Saint- 
Laurent,  de  son  embouchure  à  Montréal  :  Tadoussac, 
Québec,  Trois-Rivières  et  Villemarie.  C'est  là  que  les  sau- 
vages apportent  chaque  année  les  produits  de  leurs  chasses 
qu'ils  échangent  contre  les  produits  européens.  A  Tadoussac, 
il  existe  un  fort,  où  s'abritent  une  centaine  de  trafiquante 
français,  et  une  petite  église  en  pierre,  sous  le  vocable  de  la 
Sainte-Croix,  construite  par  les  Jésuites,  où  les  Montagnais 
et  les  peuplades  du  Nord  se  rendent  en  foule,  pendant  la 
belle  saison,    pour  y   faire  la  traite,  et,   en  même  temps^ 

1.  Relation  de  1658,  p.  6. 


—  156  — 

pour   s'y  faire  instruire  et  y    recevoir   les    sacrements   de 
Baptême,   de  Pénitence  et  d'Eucharistie  ^ 

Québec  compte  quatre  églises  en  pierre,  celles  de 
la  paroisse,  des  Jésuites,  des  Ursulines  et  de  l'Hôtel-Dieu-; 
un  pensionnat  pour  les  garçons,  construit  et  dirigé  par  les 
Jésuites,  «  dontles  études  littéraires  sont  florissantes,  et  où 
l'éducation  est  sur  le  même  pied  que  dans  les  établisse- 
ments d'Europe  ^^;  »  un  pensionnat  pour  les  jeunes  filles, 

1.  u  Ecclcsia  est  sanclœ  Crucis  adportum  Tadouccnsem,  30  circiter 
leucis  Quebeco  distantem.  Hœc  ccntum  circiter  animas  numerat  :  ci 
prseest  unus  aut  altcr  è  Societate  Jesu  sacerdos  pcr  œslatem.  »  (Epist. 
D'  do  Laval  ad  summum  Pontificem,  22  oct.  166i.)  —  «  Tadoussaci 
ecclcsia  est  lapidea  quam  Patres  Socictatis  Jesu  extruxere  neophytis 
suis,  illuc  œstate  totâ  confluentibus.  »  [Relafio  missionis  (^anadensis 
ab  eodem  D"»  de  Laval,  1060.) 

2.  Quebeci  sunt  ecclcsia  primaria  et  parochialis  sub  titulo  Imma- 
culatœ  Conceptionis,  lapidea  ;  secunda  Patrum  Societalis  Jesu,  lapidea  ; 
tertia  monialium  ursulinarum  lapidea  ;  quarta,  monialium  hospitalium, 
lapidea.  ilhid.).  L'église  paroissiale  de  Québec,  Notre-Dame  de  Recou- 
vrance,  avait  été  brûlée  avec  la  Résidence  des  Pères  Jésuites,  le 
14  juin  1640.  La  nouvelle  église,  dédiée  à  rimmaculée-Conception, 
fut  commencée  en  1647  et  livrée  au  culte  en  1657.  [Journal  des  Jésuites, 
passim.)  Les  Jésuites  construisirent  à  leurs  frais  le  presbytère  sur 
leur  propre  terrain.  [Journal  des  Jésuites,  pp.  226  et  227,  note.) 

3.  Le  pensionnat,  construit  parles  Jésuites,  vers  1635,  devint  la  proie 
des  flammes  en  1640.  Il  fut  reconstruit  en  1650.  —  ha  Relation  de 
1651  dit  ({u'un  modeste  pensionnat  fut  placé  sous  la  direction  d'un 
honnête  laïïjue,  qui  apprenait  aux  enfants  à  lire  et  à  écrire  et  qui 
leur  enseignait  le  plain-chant.  Le  P.  Ragueneau,  auteur  de  cette  i?e/a- 
tion,  ajoute  :  «■  Ce  séminaire,  où  les  enfants  sont  en  pension,  est 
proche  de  l'église  et  du  collège  où  ils  viennent  en  classe  et  où  ils  se 
forment  au  bien.  Il  y  avait  donc  à  cette  époque  un  séminaire  qui 
servait  de  pensionnat  et  un  collège  ( Relation  de  1651,  p.  4).  A  l'occa- 
sion de  cette  fondation,  M.  B.  Suite  écrit  (t.  lîl,  p.  27)  :  «  A  Québec, 
on  commença,  sous  la  direction  de  Martin  Boulet,  parait-il,  une  école 
pour  les  enfants  des  Français...  Il  était  temps  que  l'on  se  mît  à  songer 
un  peu  à  la  population,  qui  seule  pouvait  faire  la  force  du  pays.  »  Cet 
historien  oublie  dans  le  3*^  vol.  ce  qu'il  a  écrit  dans  le  second  : 
((  Déjà  les  Pères  Lalemant  et  de  Quen  avaient  commencé  une  école 


—  157  — 

tenu  par  les  religieuses  ursulines  ;  un  hôpital,  où  les  sœurs 
hospitalières  reçoivent  et  soignent  avec  un  égal  dévouement 
les  Français  et  les  sauvages;  un  tribunal,  comprenant  le 
sénéchal,  le  lieutenant  général,  civil  et  criminel,  et  le  lieute- 
nant particulier,  civil  et  criminel;  enfin  un  conseil,  com- 
posé des  gouverneurs  de  Québec,  de  Montréal  et  des  Trois- 
Rivières,  du  supérieur  des  Jésuites  et  de  trois  principaux 
habitants  de  la  colonie. 

Cependant  Québec  n'est  encore,  bien  que  les  historiens  lui 

pour  les  fils  des  Français  (1035)...  Les  enfants  des  familles  françaises 
trouvèrent  dans  le  collège  des  Jésuites  Féducation  qui  a  fait  d'une 
notable  partie  des  anciens  Canadiens  des  hommes  aptes  à  remplir 
tant  et  de  si  belles  carrières  qu'on  s'en  étonne  aujourd'hui.  »  Il  oublie 
aussi  de  citer  ce  qui  est  écrit  dans  la  Relation  de  1636  :  <(  Nous  avons 
commencé  d'enseigner  dès  l'année  passée  :  le  P.  Lalemant  et  puis  le 
P.  de  Quen  ont  instruit  nos  petits  français,  et  moi  quelques  petits 
sauvages  (p.  4)...  J'espère,  si  nous  pouvons  avoir  du  logement,  de 
voir  trois  classes  à  Kébec  :  la  première  de  petits  français,  qui  seront 
peut-être  20  ou  30  escoliers;  la  seconde  de  quelques  Hurons;  la  troi- 
sième de  Montagnais  »  (p.  35).  Et  p.  44,  il  dit  que  des  personnes 
venues  de  France  n'auraient  Jamais  passé  VOcéan,  si  elles  n'avaient 
su  qu'il  y  avait  à  Québec  des  personnes,.,  capables  d'instruire  leurs 
enfants  en  la  vertu  et  la  connaissance  des  lettres,  —  Nous  savons  par  les 
Catalogues  (jui  contiennent  le  personnel  de  la  Résidence  de  Québec 
que  le  P.  Davost  est  nommé  officiellement  professeur  des  petits 
français  (prœc.  puer,  gallic.)  en  1037,  1038,  1639,  1640,  1641  et  1642, 
en  remplacement  des  PP.  Lalemant  et  de  Quen.  Après  l'incendie  du 
collège  en  1640,  les  Pères  durent,  jusqu'en  1650,  réunir  quelque  part 
les  enfants  pour  l'enseignement  des  lettres,  bien  que  les  Belations 
n'en  parlent  pas.  En  effet,  le  18  octoln-e  1651,  les  élèves  reçoivent  le 
gouverneur,  M.  de  Lauson,  latina  oratione  et  versibus  gallicis  [Journal 
des  Jésuites,  p.  163).  Evidemment,  ces  élèves  n'ont  pas  appris  le  latin 
et  le  français  en  un  an;  leur  instruction  est  le  fruit  de  plusieurs 
années.  Ce  qui  nous  confirme  dans  cette  persuasion,  c'est  ce  mot  que 
nous  écrivait,  le  31  janvier  1892,  le  directeur  des  Archives  générales 
de  la  Compagnie  : 

((  Nihil  invenio  de  loco,  in  quo  nostri  Patres  docebant  post  incen- 
dium  coUegii  anno  1640,  Quebeci.  Sed  dabant  scholas  primorum  ele- 
mentorum,  ut  Catologi  nostri  indicant.  »  fei^ 


—  158  — 

•donnent  le  nom  de  ville,  qu'un  bourg-  de  sept  à  huit  cents 
âmes,  divisé  en  haute  et  basse  ville.  Le  long  de  la  rivière 
se  trouvent  les  comptoirs,  les  magasins  et  les  habitations 
privées;  et  sur  la  hauteur,  le  fort,  les  édifices  publics,  les 
communautés,  la  maison  des  Cent-Associés  et  l'église 
paroissiale.  La  place  d'armes  s'étend  entre  le  fort  et  la 
maison  des  Cent-Associés;  et  au  nord  de  la  place  d'armes, 
au  dessus  du  fort,  on  a  établi,  à  l'intérieur  des  remparts, 
cent  cinquante  Hurons,  qui  s'étaient  fixés,  quelques  années 
auparavant,  sur  l'île  d'Orléans  K 

Trois-Rivières,  beaucoup  moins  important  que  Québec, 
était,  après  ce  dernier  poste,  le  plus  ancien  de  la  Nouvelle- 
France.  Il  V  avait  une  église  en  bois,  bâtie  par  les  Jésuites 
et  à  leurs  frais,  sous  le  vocable  de  l'Immaculée-Conception  ^  ; 

i.  Le  20  août  1658,  le  P.  Ragueneau  écrivait  au  R.  P.  Général,  à 
Rome  :  hi  monte  Regio  universim  200,  sive  viri  sive  feminœ  ;  neque 
enim  plures  sont  illic  incolœ.  [Apud  Tria  flumina,  duo  Patres  illic 
sufficiunt  pro  300  ad  summum  viris  et  feminis,  tum  etiam  pueris. 
Quebeci  et  in  circumjacentibus  villis  (Sillery,  Reaupré,  etc.)  vix  1200 
animée  numerantur.  (Arch.  g'en.  S.  J.)  Le  même  Père  écrivait,  huit  ans 
auparavant,  au  Général  Piccolomini,  le  8  oct.  1650  :  Colleg-ium  Que- 
becense  decem  habet  è  nostris  Patribus,  coadjutores  septem,  domes- 
ticos  perpétues  duodecim,  sex  item  famulos,  quibus  solis  stipendia 
solvuntur.  Quehecum  urbs  vocatur;  ut  verius  tamen  dicam,  prœter 
arcem,  nostramque  et  duas  monalium  domos,  vix  quidquam  occurrit 
ad  aspectum,  quod  speciem  habeat,  non  urbis  dicam,  sed  ne  vici 
quidem  ignobilis.  Triginta  circiter  domos  Gallorum,  hùc  illùc  nullo 
ordine  sparsos,  videre  est.  Alii  Quebeco  distant  longissime  ad  unam, 
duas,  imo  ad  quinque  et  decem  leucas;  disjuncta  procul  Mapalia, 
circa  ripas  magni  fluminis,  cui  à  8*°  Laurentio  nomen  est.  Vix  sexentse 
omnino  animée,  senes  ac  pueri,  viri  ac  mulieres,  œtatis  omnis.  Diebus 
festis,  satis  fréquentes  in  sacram  sedem  conveniunt,  nonnulli  tamen 
rarissime,  qui  longius  nimirùm  Quebeco  distant.  Quo  sanè  fit  ut 
quoniam  parochi  hic  vices  gerimus,  necesse  sit  unum  è  nostris 
Patribus  identidem  concursare  in  hœc  loca  adeô  disjuncta,  nulli  ut 
opéra  nostra  desit  et  auxilium  spirituale.  (Arch.  gen.  S.  J.) 

1.  Journal  des  Jésuites,  pp.  136,  137,  etc. 


—   159  — 

une  résidence,  fondée  en  1634,  par  le  P.  Le  Jeune,  et  une 
mission  florissante,  surtout  à  la  belle  saison,  quand  les 
Algonquins  et  les  Outaouais  apportaient  au  fort  leur  car- 
«•aison  de  pelleteries. 


Villemarie,  grâce  à  l'association  de  Xotre-Dame  de  Mo 


n- 


tréal,  avait  déjà,  après  quinze  ans  d'existence,  outre  sa 
modeste  église  en  bois,  un  Hôtel- Dieu,  à  peu  de  distance 
du  fleuve,  fondé  par  M*^*'  Mance  et  desservi  par  elle  et 
quelques  pieuses  filles  d'un  grand  dévouement  ;  une 
école,  encore  à  l'état  primitif^  pour  les  petits  garçons  et  les 
petites  filles,  où  la  sœur  Bourgeois  déployait  toute  l'activité 
de  son  zèle  et  préparait  les  éléments  de  l'importante  congré- 
gation enseignante  de  Notre-Dame  de  Montréal  *.  La  popu- 
lation de  ce  poste  pouvait  être  alors  de  deux  cents  âmes; 
et  ((  ce  petit  peuple  vivait  en  saints,  tous  unanimement,  et 
dans  une  piété  et  une  religion,  telles  que  sont  maintenant 
de  bons  religieux  2.  »  Les  murs  de  Notre-Dame  de  Bon- 
Secours  s'élevaient  rapidement  :  le  P.  Le  Moyne  en  avait 
posé  la  première  pierre. 

En  dehors  de  ces  centres  principaux  de  population  fran- 
çaise, il  existait  encore  deux  missions  :  celle  de  Sillery, 
dont  l'église  était  fréquentée  par  les  colons  français,  fixés 
ça  et  là  autour  de  la  résidence  des  Pères,  par  les  sauvages 
sédentaires 3  et  les  Montagnais    errants;   celle  de  Miscou, 

1.  Les  servantes  de  Dieu  en  Canada,  par  C.  de  Laroche-Héron. 
Articles  :  Hôtel-Dieu  de  Montréal  et  Congrégation  de  X.-D.  de 
Montréal. 

2.  Annales  de  THôtel-Dieu  de  Montréal. 

3.  Le  P.  Ragueneau  au  G^i  Piccolomini,  8  oct.  1630  :  Residentia 
Sylleriana  S'^  Michaelis  haud  procul  Quebeco  distat,  ad  tria  circiter 
Millaria.  Hœc  algonquinorum  sedes  est,  quos  Iroqœi,  tôt  cladibus, 
atque  hoc  anno  recens  sic  delevere,  vix  ut  centum  adhuc  restent  in 
vivis  ;  tristes  omnino  atque  exiguse  reliquise  gentis  olim  et  numerosae 
et  florentissimse  ;  sed  quibus  tamen  christiana  fides  sapiat,  miseris 
licet  atque  afflictis.  (Arch.  gen.  S.  J.) 


—  IGO  — 

où  se  trouvaient  «  bon  nombre  de  Français,  plus  ou  moins 
sédentaires,  attirés  là  par  le  commerce,  la  chasse  et  surtout 
la  pêche  1  ».  Cette  dernière  mission  comprenait  le  district  de 
Miscou,  Richibouctou  et  le  Cap-Breton.  «  Le  district  de 
Miscou,  dit  la  Relation  de  1659,  est  le  plus  peuplé,  le 
mieux  disposé  et  où  il  y  a  le  plus  de  chrétiens  ;  il  com- 
prend les  sauvages  de  Gaspé,  ceux  de  Miramichi  et  ceux 
dé  Nepig-igoùet.  »  La  résidence  des  missionnaires  et  la  cha- 
pelle étaient  situées  dans  l'île  de  Saint-Louis,  auprès  des 
habitations  françaises  ;  de  là  les  Jésuites  rayonnaient  sur 
le  vaste  territoire  qui  s'étend  depuis  Gaspé  jusqu'au  Cap- 
Breton'-. 

Toutes  ces  églises,  Québec,  Trois-Rivières,  Montréal, 
Tadoussac,  Sillery  et  Miscou  étaient  gouvernées  par  les 
Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Ils  y  exerçaient  seuls 
toutes  les  fonctions  curiales  :  ils  offraient  le  Saint-Sacri- 
fice, ils  administraient  les  sacrements,  ils  instruisaient  le 
peuple,  ils  catéchisaient  les  enfants  et  les  préparaient  à  la 
première  communion.  On  rencontrait  dans  les  environs  de 
Québec,  au  Château-Richer,  à  Beaupré,  sur  le  coteau 
Sainte-Geneviève,  des  habitations  solitaires  que  s'étaient 
construites  les  colons  sur  la  terre  à  eux  concédée  par  le 
seigneur  du  lieu 3.  Les  Jésuites  n'abandonnaient  pas 
cette  portion  dispersée  du  troupeau  :  «  [ils  allaient  aussi 

1.  Vie^de  M(/r  de  Laval,  t.  I,  p.  145. 

2.  Relation  de  1659,  p.  7. 

3.  «  Le  système  de  colonisation  consistait  non  seulement  à  distri- 
buer des  terres  aux  émig-rants  autour  de  Québec,  mais  encore  à 
concéder  d'immenses  étendues  de  terrains  à  titre  de  tenure  seigneu- 
riale à  ceux  qui,  par  leur  fortune  et  leur  situation,  paraissaient  en 
état  de  créer  eux-mêmes  des  centres  de  population...  Les  Seigneurs, 
concessionnaires  sous-concédaient  à  leur  tour  des  portions  de  terrains 
moyennant  une  rente  perpétuelle  très  minime.  »  (La  France  aux- 
Colonies,  par  M.  Rameau,  2*'  partie,  pp.  14  et  15.) 


—  161  — 

souvent  que  possible,  avec  leurs  chapelles  portatives,  célé- 
brer une  ou  deux  messes  le  dimanche  dans  quelques-unes 
des  habitations  les  plus  convenables,  et  quelquefois  à  de 
grandes  distances  pour  procurer  l'avantag-e  des  sacrements 
aux  colons  dispersés  cà  et  là  sur  les  rives  du  grand 
fleuve  1 .  » 

Dans  sa  Relation  adressée  au  Souverain  Pontife  sur  son 
vicariat  apostolique,  Mgr  de  Laval  disait  en  parlant  de  ces 
Pères  :  «  Ils  me  sont  d'un  grand  secours,  tant  pour  la 
desserte  des  Français  que  pour  celle  des  sauvages.  Tou- 
jours prêts  à  entendre  les  confessions  et  à  annoncer  la 
parole  divine,  ils  enseignent  le  catéchisme  aux  enfants  et 
aux  ignorants,  et  forment  tout  le  monde  à  la  piété,  en  par- 
ticulier comme  en  public.  Ils  visitent  avec  une  égale 
attention  les  gens  du  peuple  et  ceux  de  la  haute  société, 
exercent  les  œuvres  de  miséricorde  et  répandent  partout 
de  nombreuses  aumônes...  Ils  ne  reçoivent  rien  pour  l'admi- 
nistration des  sacrements'-.    » 

1.  V7e  de  Mgr  de  Laval,  p.  244.  —  V.  la  note  1  de  la  page  158,  — . 
Le  7  nov.  16o2,  le  P.  Le  Mercier  écrivait  de  Québec  au  Général 
Nickel  :  Hic  animo  quieli  et  lœti  vivimus,  minime  quidem  otiosi  ;  nam 
et  audienis  confessionibus,  etpiis  pcr  domos  et  pagos  excursionibus, 
concionibus  habendis,  erudiendis  in  scholâ  pueris,  ac  docendse 
publiée  in  templo  doctrinœ  eg-regiam  Patres  nostri  omnes  operam 
navant.  (Arcli.  g-en.  S.  J.) 

2.  Relatlo  missionis  Canadensis,  16G0  :  a  Patres  Societatis  Jesu 
mihi  auxilio  sunt,  tum  apud  Gallos,  quamcumque  in  partem  mittere 
eos  velim,  iisque  ad  omnia  ministeria  uti,  tum  apud  barbares,  quos 
hactenus  soli  excoluere,  et  quorum  ling-uas  soli  intellig-unt  et  perfectè 
loquntur  (Mandements,...  des  Evoques  de  Québec,  publics  par 
Mgr  IL  Têtu  et  Tabbé  C.-O.  Gagnon,  t.  I,  p.  24)...  Confessionibus  et 
divini  verbi  prsedicationi  vacant,  catechismum  pueros  et  rudiores 
docent,  publiée  et  privatim  omnes  ad  pietatem  informant,  plebeios 
œquè  ac  primarios  religiosè  visitant,  misericordiae  opéra  exercent, 
multisque  eleemosynis  pauperibus  subveniunt  Gallis  œquè  ac  barba- 
ris...  Nihil  recipiunt  ex  administratione  sacramentorum.  »  (Ihid 
p.  25.) 

Jés.  et  Noiiv.-Fr.  —  T,  II.  \i 


—  162  — 

Le  même  prélat  écrivait,  vers  la  même  époque,  au  Géné- 
ral de  la  Compagnie,  Goswin  Nickel  :  <.<.  J'ai  vu  ici  et  j'ai 
admiré  les  travaux  de  vos  Pères  ;  ils  ont  réussi,  non  seu- 
lement auprès  des  néophytes  qu'ils  ont  tirés  de  la  barbarie 
et  amenés  à  la  connaissance  du  seul  vrai  Dieu,  mais  encore 
auprès  des  Français,  auxquels  par  leurs  exemples  et  la 
sainteté  de  leur  vie,  ils  ont  inspiré  de  tels  sentiments  de 
piété,  que  je  ne  crains  pas  d'affirmer  en  toute  vérité,  que 
vos  Pères  sont  ici  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ,  partout 
où  ils  travaillent  ^ .  » 

Ces  religieux  n'accomplissaient  pas  seulement  le  ministère 
paroissial  avec  zèle,  par  la  puissance  de  l'exemple,  par  la 
parole  et  par  l'administration  vigilante  des  sacrements,  ils 
veillaient  aussi  avec  efficacité  àla  conservation  dubon  ordre  et 
des  bonnes  mœurs  ;  au  grand  mécontentement  de  plusieurs,  et 
quelques  historiens  leur  en  font  un  reproche  2,  ils  détournèrent 
de  la  traite  des  hommes  actifs  et  intelligents,  et  leur  con- 
seillèrent de  s'adonner  de  préférence  à  la  culture  de  la 
terre,  croyant  par  là  seconder  le  sage  développement  de  la 
Colonie. 

Quelques-uns  furent  victimes  de  leur  dévouement  pour 
les  Français  avec  lesquels  ils  avaient  identifié  leur  vie.  A 
Saint-Charles  de  Miscou,  le  P.  Turgis  est  atteint  du  mal 
de  terre  en  soignant  les  malades,  et  y  succombe.  Son 
compagnon,  le  P.  du  Marché,  frappé  comme  lui,  est  con- 
traint par  la  violence  de  la  maladie  de  repasser  en  France  3. 

d.  Documents  inédits,  XII,  p.  2S8. 

2.  Voir  surtout  Garneau  et  B.  Suite. 

3.  Le  P.  Charles  du  Marché,  né  à  Paris  au  mois  de  mars  1602, 
entra  au  noviciat  de  Rouen  le  18  septembre  1621.  Après  avoir  étudié 
un  an  la  rhétorique  à  Rennes  (1623-1624),  trois  ans  la  philosophie  à 
la  Flèche  (1624-1627),  deux  ans  la  théologie  au  même  collège  (1627- 
1629),  il  fut  nommé  surveillant  au  pensionnat  de  Clermont  (1629- 
1630),  puis   professeur   de  5^  à  Nevers  (1630-1631),  de  5°,  de  4°  et 


—  163  — 

Le  P.  de  Noue  est  surpris  par  une  tempête  de  neige,  en 
allant  desservir  les  Français  du  fort  Richelieu,  et  est 
trouvé  mort  à  g'cnoux,  les  veux  levés  vers  le  ciel.  Aux 
Trois-Rivières,  les  Pères  Le  Jeune  et  Buteux  se  font  les 
infirmiers  des  Français,  presque  tous  victimes  du  mal  de 
terre  1  ;  nuit  et  jour  ils  sont  au  chevet  des  malades.  La 
petite  vérole  s'abat  sur  Québec,  durant  l'automne  de  1639, 
et  fait  de  grands  ravages  parmi  les  sauvages  et  les 
Français-'^  les  religieuses  hospitalières  tombent  aussi 
malades  d'épuisement  et  de  privations  ;  et,  pendant  ce 
temps,  jusqu'au  rétablissement  de  ces  infirmières  dévouées, 
les  missionnaires  se  chargent  de  l'hôpital  3.  C'était  le  zèle 
de  la  religion  catholique,  c'était  l'amour  patriotique  qui 
animait  ces  dévouements,  qui  inspirait  ces  sacrifices. 

Sans  doute  que  les  Jésuites  ne  firent  alors  auprès  des 
Français  que  ce  que  d'autres  ordres  religieux,  tous  guidés  par 
le  même  esprit  de  charité  et  par  le  même  patriotisme, 
auraient  fait  à  leur  place  ;  peut-être  même  que  ces  ordres 
auraient  mieux  réussi.  Il  n'en  reste  pas  moins  vrai 
que  la  Providence  s'est  servie  des  prêtres  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus  pour  être,  pendant  près  de  trente  ans,  à 
l'exclusion  de  tous  autres  religieux  et  en  l'absence  du 
clergé^  séculier,  les  pasteurs  et  les  pères,  les  guides  et  les 

de  3*^  à  Quimper  (1631-1634),  surveillant  au  pensionnat  de  la  Flèche 
(1634-1635),  enfin  en  1635,  il  est  à  Notre-Dame  des  Ang-es,  près  Qué- 
bec [Relation  de  1635,  p.  33),  d'où  il  se  rend  à  Miscou  [Relation  de 
1637,  p.  102;  —  de  1647,  p.  76);  il  revint  de  là  en  France.  (Arch. 
gen.  S.  J,,  catal.) 

1.  Relation  de  463i,  pp.  91  et  suiv. 

2.  Relation  de  1640,  p.  39. 

3.  Le  P.  de  Quen  mourut  en  1659  en  visitant  et  soig'nant  à  l'hôpi- 
tal de  Qué])ec  les  Français,  victimes  de  fièvres  pestitentielles,  appor- 
tées par  le  vaisseau  venu  de  France  le  7  septembre.  «  Le  P.  de 
■Quen,  dit  Marie  de  Flncarnation  {Lettres  historiques,  57^),  par  sa 
grande  charité  a  pris  ce  mal  et  en  est  mort.  » 


—  164  — 

amis  des  colons  français  établis  sur  les  bords  du  Saint- 
Laurent  ;  et  cette  mission  providentielle,  ils  l'ont  remplie 
avec  empressement,  avec  édification,  avec  un  désintéresse- 
ment complet.  C'est  le  témoignage  que  leur  rendent  les 
contemporains  ^  ;  c'est  le  jugement  que  porte  sur  eux 
Mgr  de  Laval,  dans  ses  lettres  ((  au  Souverain  Pontife,  au 
Roi  très  chrétien  et  à  la  Reine  sa  mère,  aux  illustrissimes 
seigneurs  de  la  Congrégation  de  la  Propagande  et  à  un 
grand   nombre   d'autres  personnes-.    »    Tout  le  monde  ne 

1.  Voir,  par  exemple,  les  lettres  de  Marie  de  rincarnation,  les 
Annales  des  Ursulines  et  des  Religieuses  hospitalières  de  Qué- 
bec, etc..  Le  gouverneur  des  Trois-Rivières,  Pierre  Boucher,  un 
des  premiers  habitants  de  la  Nouvelle-France,  écrivait  en  1663,  dans 
son  Histoire  véritable  et  naturelle  :  «  Nous  avons  icy  les  Pères 
Jésuites  qui  prennent  un  grand  soin  d'instruire  le  monde  ;  de  sorte 
que  tout  y  va  paisiblement,  on  y  vit  beaucoup  dans  la  crainte  de 
Dieu  ;  et  il  ne  se  passe  rien  de  scandaleux,  qu'on  n'y  apporte  aussitôt 
remède  :  la  dévotion  est  grande  dans  tout  le  pays.  »  Et  ailleurs  : 
«  Les  Pères  Jésuites  secondent  ses  desseins(de  Mgrde  Laval),  travail- 
lant dans  leur  zèle  ordinaire  infatigablement  pour  le  salut  des  Fran- 
çais et  des  sauvages.  »  (Edit.  de  1882,  Montréal,  pp.  9  et  154.) 
V.  également  les  Voya(jes  de  Champlain,  les  lettres  officielles  et 
intimes  de  Mgr  de  Laval. 

2.  Lettre  de  Mgr  de  Laval  au  Général  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
à  Rome  (Documents  inédits,  XII,  p.  259.)  — ■  Le  Général  Nickel 
répondit  à  la  lettre  de  Mgr  de  Laval,  le  12  janvier  1600  :  Magnâ  cum 
animi  voluptate  legi  litterasillustmœ  ac  rêver™*»  Domiii*  Vestrse  mense 
augusto  proximè  elapso  ad  me  datas.  His  enim  ità  suum  ergà  Socie- 
tatem  nostram  afîectum  testatur,  ut  nostri  omnium  muneris  sit  tan- 
la?  benevolentiae  et  charitati  pro  viribus  respondere.  Gratias  ago 
<]uam  maximas  possum  illust™'»  Dominni  Yestree  quod  tam  bénévole 
scripserit  ad  summun  Ponlificem  et  ad  regem  christianissimum 
aliosque  de  laboribus  Patrum  nostrorum,  qui  vineam  Domini  suis 
istic  laboribus excolunt.Animatihaud  dubiè  exemplisillust^œ  Domina'* 
Vestrœ,  Conantur  suse  vocationi  respondere  et  animarum  salutem  non 
imprigrè  promovere.  Gaudeo  mirificè  quod  illust"^»  Dominai V  «isatis- 
faciunt,  eosque  ipsius  paternse  charitati  commendo,  Deum  enixè 
precatus  ut  pro  bono  Ecclesiœ  suam  valetudinem  diù  servet.  (Arch. 
gen.  S.  J.) 


—  163  — 

pensait  sans  doute  pas  comme  cet  évèque,  il  FaYoïie  lui- 
même  :  «  Car  vous  avez  ici,  dit-il  au  général  GosAvin 
Nickel,  des  envieux  ou  des  ennemis  qui  s'indignent  contre 
vous  et  contre  moi  ;  mais  ce  sont  de  mauvais  juges  qui  se 
réjouissent  du  mal  et  n'aiment  point  les  triomphes  de  la 
vérité  1 .  » 

La  race  de  ces  hommes ,  dont  se  plaint  le  prélat,  n'a  pas 
disparu  ;  elle  se  retrouve  dans  des  écrivains,  natures  hon- 
nêtes, nourries  de  préventions  et  de  préjugés,  qui  n'ont  ni 
des  doctrines  certaines,  ni  des  opinions  entières,  qui  ont 
assez  de  sincérité  pour  voir  et  exposer  bien  les  faits,  et  pas 
assez  de  liberté  d'esprit  pour  en  découvrir  les  caiises  avec 
certitude,  pour  en  saisir  les  rapports  avec  justesse"-;  elle 
se  reconnaît  aussi  dans  des  historiens,  qui  semblent  sacri- 
fier de  parti  pris  la  justice  et  la  vérité  à  des  sentiments  et 
à  des  calculs  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  qualifier  :  ils  vou- 
draient faire  croire  que  les  colons  français  nont  pas  été 
évangélisés,  que  l'œuvre  bienfaitrice  des  Jésuites  dans  la 
Colonie,  de  1G32  à  1660,  est  une  légende  historique  ;  et,  à 
force  d'afiirmations  osées  sans  preuves,  ils  en  viennent  à 
dire  que  V Histoire  de  la  Nouvelle-France  est  un  livre  de 
prières,  qu'il  y  a  de  tout  dans  ce  travail,  excepté  l'histoire 
de  la  Nouvelle-France  ;  ce  qui  n'empêche  pas  ces  historiens 
de  citer  et  d'analyser,  dans  la  plus  grande  partie  de  leurs 
ouvrages,  des  écrivains  de  conscience  et  d'érudition,  comme 
Ferland  et  Charlevoix^. 

1.  Lettre  de  Mgr  de  Laval  au  Général  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
[Documents  inédits,  XII,  p.  259.) 

2.  Article  de  Moreau  [Correspondant,  18o4)  sur  Yllisfoirc  du 
Canada,  par  F.-X.  Garneau. 

3.  Notre  dessein  n'est  pas  de  faire  de  la  polémique,  mais  de 
raconter  les  faits  tels  ({u'ils  nous  ont  été  livrés  par  les  relations  et  les 
correspondances  de  l'époque.  Aussi,  nous  renvoyons  le  lecteur,  qui 
voudrait   s'édifier   sur    la    manière   dont    tel   écrivain   écrit  à    notre 


—  166  — 

Cependant,  si  les  Jésuites  avaient  des  envieux  et  des  enne- 
mis dans  la  Colonie  française,  ils  comptaient  plus  d'amis 
encore.  Les  gouverneurs  et  la  population  avaient  confiance 
en  eux.  Le  gouvernement  canadien  les  emj^loyait  dans  les 
circonstances  difficiles,  ici  pour  ménager  une  alliance,  là 
pour  assurer  l'exécution  d'un  traité,  ailleurs  pour  représen- 
ter leurs  intérêts  en  France.  En  1641,  le  gouverneur, 
M.  deMontmagny,  et  les  pj^iiicipaux  Français  de  la  colonie 
condamnent  le  P.  Le  Jeune  d^ entreprendre  le  voyage  de 
Paris  pjoiir  le  bien  public  et  commun^  \  à  deux  reprises, 
le  P.  Druillettes  est  envoyé  à  Boston  par  le  Conseil  et  le 
gouverneur  de  Québec,  pour  y  conclure  un  traité  d'al- 
liance avec  les  Anglais;  le  P.  Jogues  va  chez  les  Agniers, 
à  la  demande  de  M.  de  Montmagny,  dans  le  but  d'afïermir 
la  paix,   que  ces  barbares  cherchent  à  rompre;  le  P.   Le 

époque  riiisloirc  du  xvii°  siècle  au  Canada,  aux  «  Histoires  de 
M.  Suite;  Protestation  par  J.-C.  Taché-Montréal,  4883  ».  S'il  nous 
était  permis  d'ajouter  un  mot  à  cette  Protestation,  nous  dirions 
volontiers  que  la  cause  des  missionnaires  du  Canada,  de  1632  à  1660, 
doit  être  excellente,  puisque  YJIistoire  des  Canadiens  français  est 
forcée  de  recourir  au  pamphlet  pour  la  combattre. 

1.  BelationdciQ^i,  p,  1.  — M.Gosselin  [Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I, 
p.  314)  écrit  :  «  Le  P.  Le  Jeune  fut  envoyé  en  1660  (en  France)  pour 
solliciter  (le  secours),  et  Mgr  de  Laval  avait  tant  de  confiance  dans 
rheureuse  issue  de  ce  voyage  qu'il  écrivait  cette  même  année  au 
Souverain  Pontife  :  On  attend  de  France,  l'année  proc/iaine,  impuis- 
sant renfort  de  soldats  contre  les  Iroquois.  »  Ce  passage  est  complè- 
tement inexact.  Le  P.  Le  Jeune  rentra  le  30  oct.  1649  en  France,  où 
il  exerça  les  fonctions  de  procureur  général  de  la  mission  du 
Canada.  Sa  correspondance  avec  le  Général  de  la  Compagnie  et  les 
Catalogues  de  FOrdre  en  font  foi.  Il  mourut  à  Paris  le  17  août  1664. 
Quant  à  son  voyage  de  4641  en  France,  fait  à  la  demande  du  gouver- 
neur et  des  principaux  habitants,  on  en  verra  le  but  dans  une  lettre 
inédite  (Pièces  Justificatives,  n°  VII)  du  P.  Charles  Lalemant  au 
P.  Etienne  Charlet,  assistant  de  France  à  Rome.  On  verra  aussi  par 
cette  lettre  que  le  P.  Ch.  Lalemant  n'approuvait  pas  entièrement  les 
projets  de  son  confrère. 


—  167  — 

Movne  est  chargé  d'aller  négocier  la  paix,  à  Onnontagué 
d'abord,  puis  à  Ossernenon,  dans  l'intérêt  de  la  colonie; 
cinq  fois  il  visite  les  Iroquois  en  qualité  d'ambassadeur,  la 
dernière  fois  il  est  saisi  et  condamné  à  mort  ;  des  ordres 
sont  donnés  pour  lui  fendre  le  tête.  Mais  le  martyre  ne 
l'épouvantait  pas,  habitué  qu'il  était  à  faire  le  sacrifice  de 
sa  vie  chaque  fois  que  le  gouverneur  l'envoyait  en  mission 
chez  les  Agniers  et  les  Onnontagués.  Il  échappe  cependant 
à  la  mort  ;  et,  après  de  longs  mois  passés  en  captivité,  il 
revient  à  Montréal  avec  dix-huit  Français  dont  il  a  obtenu 
la  liberté  ^ 

«  Les  missionnaires  ont  encore  été  depuis  Champlain, 
dit  Moreau,  les  instruments  les  plus  actifs  et  les  plus  utiles 
de  la  colonisation.  Nous  leur  avons  dû  nos  plus  importantes 
découvertes...  Souvent  ils  ont  réussi,  par  l'ascendant  qu'ils 
avaient  pris  sur  les  sauvages,  à  détourner  la  guerre  qui 
menaçait  la  colonie;  et  toujours  ce  sont  eux  qui  nous  ont 
concilié  les  amitiés  les  plus  fidèles,  les  plus  inaltérables 
dévouements  des  tribus  indigènes'^.    »  De  Quen  remonte  le 

1.  Relations  de  16G1  et  de  1662;  —  Histoire  de  la  Nouvelle-France, 
t.  I,  pp.  352-359;  —  Cours  d'Histoire,  t.  I,  ch.  XIII,  p.  469  ;  —  Lettres 
de  Marie  de  Vlncarnation,  61"^  et  62'^.  —  Le  P.  Jérôme  Lalemant 
écrivait  le  25  déc.  1662  au  Général,  P.  Oliva  :  Ex  missionibus  dux 
siint  majoris  niomenti....  De  altéra  missione,  etsi  non  tam  remotâ, 
magis  tanien  anxii  eramus  utpote  cùm  qui  illic  inerat  Pater  Simon 
Le  Moyne,  in  niedio  inimicorum  nostrorum  versaretur,  oui  proindè 
non  immerito  non  parum  timebamus  ;  sed  quœ  Dei  gratia  est,  heri 
ad  nos  rediit  salvus  et  incolumis,  cuni  iis  qui  apud  illos  captivi  tene- 
bantur  Galli  octodecim,  quorum  vitam  et  libertatem  periculo  proprige 
vitse  recuperavit.  Hoc  unum  spectabant  qui  hoc  à  nobis  officium 
expetierant.  Sed  aliud  habebat  in  consilio  Deus,  ut  scilicet  per  prse- 
dictuni  Patrem,  multorum  salutem  operaretur  :  occasione  enim 
cujusdam  morbi  popularis,  infantes  multos  baptisavit,  quorum  major 
pars  in  cœlum  evolavit;  provisum  et  adultis  moribundis,  captivis 
quamplurimis,  olim  dum  liberi  essent,  baptisatis.  (Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  Correspondant,  année  1854,  p.  354. 


—  168  — 

Saquenay  en  1652  et  découvre  le  lac  Saint-Jean,  appelé  en 
montagnais  Pacouagami  '  ;  Jogues  et  Raimbault  arrivent 
les  premiers  au  Sault  Sainte-Marie  ;  Champlain  et  les 
Récollets  abordent,  avant  les  Jésuites,  au  pays  des  Hurons, 
mais  les  Jésuites  fouillent  dans  tous  les  sens  cette  immense 
péninsule  qui  forme  aujourd'hui  la  section  orientale  du 
Michigan  et  qui  était  habitée,  dans  la  première  moitié  du 
xvii^  siècle,  par  les  Hurons,  les  gens  du  Petun  et  la  nation 
Neutre  ;  Brébeuf  et  Chaumonot  descendent  jusqu'à  la  rivière 
du  Niagara  -  ;  Le  Moyne  est  le  premier  Français  qui  visite 
les  Onnontagués,  et,  après  lui,  Ménard  et  Chaumonot 
prêchent  la  foi  depuis  le  Mohawk  jusc{u'au  Genesée,  dans 
toutes  les  belles  vallées  de  la  partie  occidentale  de  l'état  de 
New- York  ;  Druillettes  remonte  la  rivière  encore  inexplorée, 
la  Chaudière,  jusqu'aux  sources  du  Kenebec,  il  descend  le 
Kenebec  jusqu'à  son  embouchure  ^^  il  évangélise  les  Abé- 
nakis,  puis  il  va  passer  plusieurs  hivers  chez  les  Onma- 
miouck  et  les  Papinachois  dans  les  régions,  au  nord  du 
Saint-Laurent,  c[u'aucun  Européen  n'a  parcourues  avant 
lui^;  Buteux,  vers  la  même  époque,  remonte  le  Saint- 
Maurice  et  se  rend  chez  les  Attikamègues,  peuplade  timide 

1.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  p.  168;  —  Relation  de  J652,  pp.  16-20. 

2.  Le  P.  Ragueneau  est  le  premier  écrivain  qui  ait  mentionné  la 
cataracte  de  Niagara.  Dans  la  Relation  de  1648,  il  écrit  ce  qui 
suit  :  <(  De  la  même  nation  Neutre,  tirant  vers  le  Midi,  on  trouve  un 
grand  lac,  quasi  de  deux  cents  lieues  de  tour,  nommé  Erié,  qui  se 
forme  de  la  décharge  de  la  mer  Douce,  et  qui  va  se  précipiter  par 
une  chute  d'eau  d'une  effroyable  hauteur,  dans  un  troisième  lac 
nommé  Ontario.  »  [Note  de  Ferland,  t.  I,  p.  387.) 

3.  <(  Le  P.  Gabriel  Druillettes  fut  le  premier  Européen  qui  entreprit 
le  long  et  pénible  voyage  du  Saint-Laurent  aux  sources  du  Kenebec; 
puis,  descendant  ce  fleuve,  jusqu'à  son  embouchure,  dans  un  canot 
d'écorce,  il  continua  sa  course  en  pleine  mer  le  long  de  la  côte.  » 
(Bancroft,  Historij  of  the  U.  S.,  t.  IV,  c.  XX.) 

4.  Relations  de  1648,  ch.  VII;  —  de  16S0,  ch.  XII. 


—  169  — 

et  docile  qu'il  a  soumise  à  la  foi  ^  ;  la  plupart  des  tribus 
algonquines  et  montai^naises  reçoivent  la  visite  de  la  Robe 
noire  ;  et  pendant  que  les  Jésuites  du  vaste  bassin  du  Saint- 
Laurent  s'engagent  dans  le  Saguenay,  le  Saint-Maurice, 
rOttawa,  rOswégo,  le  Richelieu  et  la  Chaudière,  et  vont, 
soit  comme  ambassadeurs,  soit  comme  apôtres,  chez  des 
nations  où  nul  Français  n'a  pénétré,  les  Pères  de  Miscou  et 
du  Cap-Breton  parcourent  toute  la  côte  orientale  de  l'Acadie, 
à  la  recherche  d'âmes  à  convertir  2. 

On  ne  peut  le  nier,  ces  découvertes  importantes,  ces 
excursions  aventureuses,  ces  relations  intimes  et  fréquentes 
avec  les  sauvages  contribuèrent  grandement  aux  progrès 
de  la  colonie  française;  elles  étendirent  ses  limites  et 
ouvrirent  de  nouvelles  routes  à  son  commerce. 


1.  Relation  de  1651,  pp.  20-26. 

2.  L'écrivain  des  États-Unis,  le  protestant  BancPoft,a  écrit  :  <(  Les 
Jésuites  furent  les  premiers  d'entre  les  Européens  à  découvrir  la  i)lus 
grande  partie  de  l'intérieur  du  Continent  et  à  former  des  établis- 
sements sur  les  côtes  du  Maine.  Ils  explorèrent  soigneusement  le 
Saguenay,  découvrirent  le  lac  Saint-Jean  et  parcoururent  le  pays 
entre  Québec  et  la  baie  d'Hudson...  Cinq  ans  avant  ([u'Elliot  de  la 
Nouvelle-Angleterre  eût  adressé  un  seul  mot  aux  sauvages  ({ui  se 
trouvaient  à  moins  de  six  mille  de  Boston,  les  missionnaires  français 
plantaient  la  croix  au  sault  Sainte-Marie,  d'où  ils  ])ortaient  leurs 
regards  vers  les  pays  des  Sioux  et  la  vallée  du  Mississipi.  »  {Hi^torij 
of  fhe  U.  S.) 

Garneau  n'est  pas  moins  affirmatif  :  «  De  Québec,  les  Jésuites  se 
répandirent  parmi  toutes  les  peuplades  sauvages,  depuis  la  baie 
d'Hudson  jusque  dans  les  pays  qu'arrosent  les  eaux  du  Mississipi. 
Un  bréviaire  suspendu  au  cou,  une  croix  à  la  main,  ils  devançaient 
souvent  nos  plus  intrépides  voyageurs.  On  leur  doit  la  découverte 
de  plusieurs  vastes  contrées...  (Histoire  du  Canada,  t.  I,  }).  223.) 

Bancroft  dit  encore  dans  son  histoire  :  «  L'histoire  des  travaux  des 
missionnaires  se  rattache  à  l'origine  de  toutes  les  villes  célèbres  de 
l'Amérique  française;  pas  un  cap  n'a  été  doublé,  pas  une  rivière  n'a 
été  découverte,  sans  qu'un  Jésuite  en  ait  montré  le  chemin  (Jlistory 
of  the  U.  S.) 


—  170  — 

De  plus,  l'autorité  que  les  Pères  conquirent  sur  les  Indiens 
par  leur  caractère  et  leurs  services  fut  une  des  principales 
forces  du  gouvernement  de  la  Nouvelle-France  ^  ;  il  n'y  a 
que  les  jug-es  prévenus  et  passionnés  à  affirmer  le  contraire; 
les  esprits  droits  et  élevés  leur  ont  de  tout  temps 
rendu  cette  justice  d'avoir  fait  servir  leur  ascendant  incom- 
parable au  grand  intérêt  colonial.  Enfin,  la  conversion  des 
sauvages  ne  fut  pas  seulement  à  leurs  yeux  un  moyen 
excellent  de  sécurité  et  de  prospérité  pour  la  colonie,  elle 
fit  de  ces  mêmes  sauvages,  suivant  l'expression  d'un  écri- 
vain, autant  de  barrières  entre  les  Français  et  les  Anglais  2. 
Tant  que  les  Indiens  convertis  furent  fidèles  à  leur  foi,  ils 
restèrent  attachés  à  la  cause  française,  et  le  Canada,  avec 
le  secours  de  ces  puissants  alliés,  résista  Adctorieusement  à 
toutes  les  agressions  britanniques.  Mais  «  quand  ces  bar- 
rières eurent  été  affaiblies  sur  un  point,  abaissées  sur  un 
autre,  quand  les  colonies  anglaises,  au  moyen  de  la  traite 
et  de  l'eau-de-vie,  eurent  pu  faire,  pour  ainsi  dire,  des 
trouées  dans  cette  longue  ligne  de  défense,  il  ne  lui  fut  plus 
possible  que  d'illustrer  sa  défaite  par  l'éclat  de  son  cou- 
rage 3.  »  M.  Garneau,  qui  n'est  pas  un  ami  des  Jésuites, 
félicite  Champlain  «  d'avoir  assuré  à  son  pays  la  possession 
des  ruineuses  contrées  de  la  Nouvelle-France  sans  le  secours 
23resque  d'un  seul  soldat  et  par  le  seul  moyen  des  mission- 
naires et  d'alliances  contractées  à  propos^.  »  Par  la  propa- 
gation du  catholicisme  au  sein  des  peuplades  indiennes,  les 
Jésuites  firent  donc  de  la  bonne  politique  française,  et  la 
meilleure  sans  nul  doute. 


1.  ((  La  force  entière  de  la  colonie  reposait  dans  les  missions. 
(Bancroft,  Hislory  of  ihe  U.  S.) 

2.  Correspondant,  4854,  p.  361. 

3.  Ibicl.,  p.  362. 

4.  Histoire  du  Canada,  t.  I. 


—  171  — 

Faut-il  ajouter,  dans  un  ordre  de  choses  moins  élevé, 
que,  grâce  à  leurs  relations  en  France  et  aux  amis  de  la 
Compagnie,  ils  obtinrent  pour  la  colonie  des  ressources  que 
sans  eux  elle  n'eût  jamais  trouvées?  Ces  ressources  per- 
mirent d'élever  des  chapelles,  de  bâtir  un  collège  à  Québec^, 
de  secourir  beaucoup  de  malheureux,  de  contribuer  au 
développement  de  l'œuvre  coloniale  et  des  missions  sau- 
vages. 

Ces  missions  n'étaient  pas  seulement  un  moyen  de 
sécurité  et  de  prospérité  pour  la  colonie,  elles  étaient 
encore  le  but  assigné  par  le  gouvernement  du  roi  aux 
efforts  de  la  colonisation.  Sans  doute  que  nos  princes  et 
les  navigateurs  avaient  en  vue,  en  fondant  l'établissement 
colonial  du  Canada,  l'accroissement  de  la  puissance  fran- 
çaise, l'honneur  des  découvertes  et  les  profits  du  commerce, 
mais  l'œuvre  évangélique  eut  une  aussi  grande  place  dans 
leurs  pensées  et  leurs  espérances.  Toutes  les  commissions 
royales  en  font  foi.  C'est  même  pour  aider  à  la  propagation 
de  l'Evangile  parmi  les  Indiens  qu'un  arrêt  du  Conseil  du 
Roi  du  27  mars  1647  «  lit  donner  la  somme  de  cinq  mille 
livres  pour  la  nourriture  et  entretien  des  Jésuites  qui  tra- 
vaillaient à  la  conversion  des  sauvages  de  l'Amérique  septen- 
trionale'-.    »  C'est  dans  le  désir  cV assister  les  pauvres  sau- 

1 .  La  fondation  du  collège  des  Jésuites  attira  au  Canada  des  colons  : 
«  L'établissement  du  collège,  dit  le  P.  Le  Jeune,  sert  beaucoup  poul- 
ie bien  du  pays  :  aussi  quelques  personnes  très  honnêtes  nous  sçavent 
fort  bien  dire  que  jamais  elles  n'eussent  passé  l'Océan  pour  venir  en 
la  Nouvelle-France,  si  elles  n'eussent  eu  connaissance  qu'il  y  avait 
des  personnes  capables  de  diriger  leurs  consciences,  de  procurer 
leur  salut  et  d'instruire  leurs  enfants  en  la  vertu  et  en  lacognoissance 
des  lettres.  »  (Relation  de  1636,  p.  44.)  —  On  sait  que  les  Jésuites  ne 
contribuèrent  pas  peu  à  faire  venir  au  Canada  les  Hospitalières  et  les 
Ursulines;  nous  en  avons  parlé  longuement  au  ch.  II  de  ce  livre. 

2.  Collection  de  documents  relatifs  à  l'histoire  de  la  Nouvelle- 
France,  t.  I,  p.  131. 


—  172  — 

vages  et  les  conduire  au  salut,  que  Tarrét  de  juillet  1651 
«  alloua  de  nouveau  la  dite  somme  aux  Pères  et  leur 
accorda,  entre  autres  faveurs,  celle  de  s'establir  danstouttes 
les  isles  et  dans  tous  les  endroits  de  la  terre-ferme-  que  bon 
leur  semblerait  pour  y  exercer  leurs  fonctions  sans  estre 
troublez  i .    » 

Sans  rien  sacrifier  de  ce  qu'ils  devaient  à  la  pojDulation 
française  en  A'ertu  de  leurs  fonctions  ecclésiastiques,  tout 
en  faisant  pour  elle  plus  que  ne  leur  imposait  le  devoir  de 
leurs  charges,  les  Jésuites  regardèrent  cependant  les  mis- 
sions sauvages  comme  leur  œuvre  principale,  et  cela  dès 
leur  arrivée  au  Canada.  Voilà  pourquoi  nous  les  avons  vus 
s'y  consacrer  entièrement,  avec  un  zèle  et  un  dévouement 
auquel  leurs  ennemis  eux-mêmes  rendent  hommage.  Plu- 
sieurs d'entre  eux,  Jogues,  Daniel,  Brébeuf,  Gabriel  Lale- 
mant,  Garnier,  Chabanel,  Garreau,  Buteux,  ont  généreu- 
sement donné  leur  vie  dans  ce  laborieux  ministère;  les 
autres  ont  pu  dire  avec  Tapôtre  :  «  J'ai  fait  un  grand 
nombre  de  voj^ages  et  j'ai  couru  divers  périls  :  périls  sur 
les  rivières,  périls  de  la  part  des  payens,  périls  dans  les 
déserts,  périls  sur  la  mer,  périls  parmi  les  faux-frères.  J'ai 
souffert  toutes  sortes  de  peines  et  de  fatigues,  les  veilles 
fréquentes,  la  faim,  la  soif,  le  froid,  la  nudité.  »  Tous  ont 
conquis  le  respect,  la  confiance  et  l'affection  des  indigènes 
par  les  ardeurs  d'une  charité  vraiment  héroïque.  Et  quand 
la  guerre  vint  chasser  les  Hurons  de  leur  malheureuse 
patrie,  les  missionnaires  s'appliquèrent  à  recueillir  les  restes 
dispersés  de  la  nation  ;  ils  les  aidèrent  à  fonder  un  établis- 
sement, d'abord  dans  la  petite  île  de  Saint-Joseph,  puis  à 
l'extrémité  de  l'île  d'Orléans.  Les  Algonquins,  les  Mon- 
tagnais,  les  Acadiens,  les  Abénakis  et  les  Iroquois  reçurent 

1.    Collection  de  documenfii...,  t.  I,  p.  130. 


—  173  — 

aussi  les  preuves  les  plus  marquées  du  dévouement  aposto- 
lique des  relii^'ieux  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Nous  l'avons 
raconté  en  son  lieu.  Et  partout,  dit  l'historien  de  la  Nou- 
velle-France, «  leur  dévouement  héroïque  et  humhle  tout 
à  la  fois  a  étonné  le  philosophe  et  conquis  l'admiration  des 
prolestants  ^.  »  Ce  témoignage  est  précieux  dans  la  bouche 
de  Garneau. 

Les  travaux  de  ces  missionnaires  furent-ils  couronnés  du 
succès  qu'ils  méritaient?  Non,  s'il  faut  en  croire  les  ennemis 
de  ces  religieux.  Mais  ces  religieux  parlent  différemment. 
Le  P.  Jérôme  Lalemant,  dont  personne  n'a  jamais  suspecté 
ni  la  droiture,  ni  l'honnêteté,  ni  la  valeur,  écrivait  en  1650 
à  son  F^rovincial,  immédiatement  après  la  dispersion  défini- 
tive de  la  tribu  huronne  :  «  Arrivant  au  pays,  il  y  a  douze 
ans,  je  n'y  rencontrai  qu'une  seule  famille  huronne  chré- 
tienne, et  deux  ou  trois  qui  composaient  l'église  algonquine 

1.  Histoire  du  Canada,  par  Garneau.  —  Les  Annalistes  du  Canada 
au  xvii"  siècle,  et,  depuis,  la  plupart  des  historiens  de  la  Nouvelle- 
France  ont  rendu  justice  à  la  vertu  et  au  dévouement  des  mission- 
naires de  la  Compaf^nie  de  Jésus.  Aucun,  parmi  eux,  ne  s'était  avisé 
de  dire  que  les  Jésuites  avaient  été  au  Canada  ((  pour  y  mener  une 
vie  larg-e,  épicurienne,  jusqu'à  garder  de  la  glace  pour  rafraîchir  leur 
vin  l'été  ».  Aucun  n'avait  écrit  que  la  Société  n'envoyait  dans  cette 
mission  que  «  de  saints  idiots  ou  des  membres  compromis  ».  Cette 
trouvaille  et  beaucoup  d'autres  de  la  même  valeur  ont  été  faites  par 
Michelet.  Les  lecteurs  friands  de  ces  morceaux  d'histoire,  si  agréa- 
blement inventés,  n'ont  qu'à  ouvrir  le  t.  XVII,  pp.  180  et  suiv.de  son 
Histoire  de  France;  ils  trouveront  là  les  particularités  les  plus 
curieuses,  pour  ne  pas  dire  les  insanités  les  plus  étranges,  sur  les 
missionnaires  canadiens.  Ils  y  apprendront  aussi  que  les  Relations  du 
Canada  étaient  envoyées  en  France  de  mois  en  mois  (!)  —  M.  Eugène 
Réveillaud,  dans  un  travail  qu'il  appelle  Histoire  du  Canada  et  des 
Canadiens  français,  n'a  trouvé  rien  de  mieux  que  de  reproduire 
comme  vrai  le  portrait  des  Jésuites  par  Michelet  (p.  97)  ;  il  ne  faut 
pas  demander  à  cet  historien ,  quand  il  parle  des  Jésuites ,  autre 
chose  qu'une  copie  fidèle  des  sottes  inventions  de  leurs  ennemis. 


—   174  — 

et  montagnese;  et  voilà  qu'au  bout  de  ce  temps,  sortant 
du  pavs^,  à  peine  y  laissa}^ -je  aucune  famille  huronne, 
algonquine  ou  montagnèse,  qui  ne  soit  entièrement  chré- 
tienne-.   » 

Il  est  vrai  que  ces  trois  nations  étaient  alors  bien  moins 
nombreuses  qu'en  1638.  La  g-uerre,  la  famine,  les  maladies 
les  avaient  décimées  ;  les  Hurons  en  particulier  étaient 
réduits  à  quelques  centaines  d'âmes,  et,  huit  ans  plus  tard, 
en  1638,  on  en  comptait  à  peine  cent  cinquante  à  Québec; 
le  reste  vivait  en  captivité  chez  les  Iroquois,  ou  dispersé  çà 
et  là  chez  les  peuplades  sauvages  de  l'Occident.  Quoi  c[u'il 
en  soit  du  nombre  de  ces  nations,  voici  ce  qu'écrivait,  en 
1660,  Mgr  de  Laval  sur  la  conversion  des  sauvages  de  la 
Nouvelle-France:  «  Jusqu'ici  les  nations  barbares,  ap23elées 
à  la  Foi,  ont  procuré  plus  d'habitants  à  l'église  triomphante 
qu'à  l'église  militante.  A  peine  une  famille,  un  bourg,  une 
nation,  avaient-ils  embrassé  le  christianisme,  que  beaucoup 
de  chrétiens  périssaient  de  maladies  pestilentielles,  de  la 
faim  ou  des  horreurs  de  la  guerre.  Ainsi  le  ciel  s'est  enrichi 
des  dépouilles  de  la  mort.  Partout  le  travail  des  mission- 
naires a  été  fructueux  ;  mais  ils  semblent  n'avoir  cultivé  le 
champ  du  Seigneur  que  pour  remplir  d'élus  ses  greniers 
célestes '^    » 

Les  Jésuites  avaient  donc  envoyé  au  ciel,  depuis  leur 
retour  au  Canada  en  1632,  beaucoup  d'enfants  et  d'adultes 
sauvages;  mais  relativement  à  ces  élus,  l'église  de  la  terre 
ne  devait  compter  que  peu  de  fidèles  en  1658  :  les  uns 
sédentaires,  à  Sillery,  à  Québec  et  à  Montréal,  c'était  le 

1.  Le  P.  Jérôme  rentrait  en  France  pour  y  chercher  du  secours. 

2.  Relation  de  1650,  p.  48. 

3.  Lettre  de  Mgr  de  Laval  aux  illustrissimes  et  révérendissimes 
seig-neurs  de  la  Propagande,  à  Rome,  aussitôt  après  son  arrivée  au 
Canada.  (Arch.  de  la  Propagande,  à  Rome;  vol.  236,  p.  18.) 


—  175  — 

petit  nombre;  les  autres  errants,  beaucoup  plus  nombreux, 
composés  de  Montagnais ,  d'Algonquins ,  d'Abénakis  et 
d'Acadiens.  Il  serait  difficile  d'évaluer,  même  approxima- 
tivement, le  nombre  de  ces  chrétiens  errants,  les  Relations 
ne  donnant  aucun  chiffre  précis.  On  sait  seulement  que 
plusieurs  centaines  se  rendaient  chaque  année  à  Tadoussac 
pour  y  accomplir  leurs  devoirs  religieux;  d'autres  venaient 
à  Sillery,  aux  Trois-Rivières  et  à  Montréal,  à  l'époque  de 
la  traite  des  pelleteries  et  s'y  fortifiaient  l'âme  par  la 
réception  des  sacrements  ;  enfin  les  missionnaires  de  Miscou 
avaient  des  néophytes  un  peu  partout  dans  la  vaste  étendue 
de  leur  mission,  plus  fervents  que  nombreux,  croyons-nous. 
Si  l'on  ajoute  à  cette  population  chrétienne  les  néophytes 
que  la  crainte  des  Iroquois  et  l'éloignement  retenaient  loin 
des  postes  français  et  c[ue  les  Jésuites  visitaient  chaque 
année,  on  s'expliquera  cette  parole  de  Mgr  de  Laval,  dans 
sa  Relation  officielle  de  1660  :  «  Les  barbares  convertis  au 
christianisme,  répandus  çà  et  là,  en  grand  nombre,  hommes 
et  femmes,  font  connaître  l'évangile  autour  d'eux  i.    » 

Avant  de  terminer  ce  chapitre,  il  nous  semble  utile  de 
revenir  sur  une  autre  parole  du  même  prélat  au  Général 
de  la  Compagnie  de  Jésus,  Goswin  Nickel  :  Vous  avez  ici 
des  envieux  ou  des  ennemis,  qui  s'indignent  contre  vous  et 
contre  moi-.  Les  Jésuites  étaient  en  bonne  compagnie  avec 

1.  «  Silvestres  barbari  christiaiii,  hue  atque  illuc  sparsi  plcrique 
per  silvas,  perque  invia  loca,  mac/no  numéro  viri  et  feminse  fîdem 
suani  circumferunt.  Nonnulli  semel  in  amios  singulos  eo  conveniunt 
ubi  doceri  possint  et  Ecclcsise  sacrameiitis  ronovari.  Alii  vix  post 
multos  aiiiios  id  possunt,  tum  quia  iter  est  invium  longiusque  distant 
ad  quingenta  et  amplius  leucas  ;  tum  quia  Iroquœorum  hostiummetus 
iter  omne  infectum  reddit.  Apud  hostes  Iroquseos  multi  omnino  sunt 
neophyti  christiani,  viri  ac  feminœ,  prœcipuè  Huroncs...  »  {Mande- 
ments des  évéqiies  de  Québec,  t.  I,  pp.  19  et  20.) 

2.  Documents  inédits,  XII,  p.  259. 


—  176  — 

leur  évéque  ;  mais  ils  avaient  des  envieux  et  des  ennemis, 
gens  intéressés  et  peu  recommandables,  qui  constituaient 
une  infime  minorité  très  remuante  ' .  Ils  avaient  des  envieux 
qui  ne  voyaient  pas  sans  déplaisir  et  jalousie  leur  grand 
ascendant  sur  les  sauvages,  la  religieuse  ailection  que  leur 
témoignait  la  colonie  française,  le  respect  et  la  vénération 
dont  les  entouraient  les  premiers  gouverneurs,  les  missions 
importantes j  et  le  plus  souvent  périlleuses,  que  l'autorité 
coloniale  confiait  à  leur  zèle  et  à  leur  dévouement. 

Ils  avaient  des  ennemis,  et  cela  se  comprend;  car  il  n'y 
a  qu'un  j^as  de  l'envie  à  la  haine,  et  les  jaloux  le  fran- 
chissent d'ordinaire  sans  le  moindre  embarras.  Et  puis, 
étant  ce  qu'ils  sont,  comment  les  Jésuites  n'auraient-ils 
pas  eu  d'ennemis?  La  Compagnie  de  Jésus  a  toujours  eu  ce 
singulier  pri Allège  de  compter  de  chauds  amis  à  sa  droite, 
et  des  ennemis  déclarés  à  sa  s^auche.  Elle  avait  alors  au 
Canada  quelques  ennemis  ;  elle  en  avait  beaucoup  plus  à  la 
Métropole,  et  ceux-ci  se  faisaient  l'écho  des  plaintes  et  des 
calomnies  de  ceux-là. 

On  reprochait  aux  missionnaires  de  faire  la  traite. 
Nous  avons  dit  plus  haut  ce  qu'il  faut  penser,  ce  que  les 
Cent- Associés  pensaient  eux-mêmes  de  cette  calomnieuse 
accusation-. 

i.  Le  P.  Ragucneau  écrivait  de  Quél)cc,  le  20  août  1658,  après  le 
départ  des  Jésuites  de  Montréal  :  «  Amaniur  in  monte  regio 
universim  ab  omnibus  ;  apud  tria  flumina  amamur  etiam  nisi  à 
perpaucis,  qui  qua?runt  nimium  quœ  sua  sunt  ;  Quebeci  et  in 
cincumjacentibus  villis  amamur  à  plerisque.  »  (Arch.  gen.  S.  J.  ; 
lettre  au  R.  P.  Général,  Goswin  Nickel). 

2.  Le  3  septembre  1658,  le  P.  de  Quen  écrivait  au  R.  P.  Général  : 
('  Improbant  in  nobis  sordidam  nescio  quam  negociationem  pellium. 
Falsum  est.  Pellibus  enim  utimur  in  hâc  mundi  parte  ad  commercium 
velut  pecunià  communi,  ab  omnibus  liujus  regionis  incolis  usitatâ,sine 
quibus  vix  habcmus  quse  sunt  ad  vitani  conservandam  necessaria, 
neque  mercedem  famulis  solvere  possumus.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

Le  Général,  qui  n'ignorait  pas  que  les  missionnaires  ne  faisaient 


—  177  — 

On  leur  reprochait  de  ne  pas  franciser  les  sauvages,  de 
crainte  de  perdre  l'ascendant  exclusif  qu'ils  avaient  pris  sur 
eux  '.  Nous  avons  répondu  ailleurs  à  ce  reproche  immérité. 
Les  Jésuites  disaient  à  leurs  contradicteurs  :   ce  que  vous 

aucun  commerce,  leur  recommandait  d'en  éviter  même  l'apparence, 
afin  de  ne  pas  donner  prise  aux  calomnies  de  leurs  ennemis.  Il 
écrit  au  Provincial,  à  Paris,  le  21  janvier  1658  :  Ex  litteris  13  Dec. 
Rfe  ^^n  ^  molcstum  audivi  missionem  canadensem  turbari  ah  adver- 
sariis  nostris,  quibus  ut  omnis  justœ  querelœ  pra^scindatur  occasio, 
Ra  Va  nostris  interdicat  omni  génère  distractionis  pellium  casto- 
rearum  quse  sapiat  vel  speciem  mercaturae.  »  —  De  son  côté,  le 
P.  Renault,  Provincial  de  Paris,  répond  au  Général  :  Monebimus 
Patres  missionis  (^anadensis  ut  a])stineant  vel  ab  omni  specie 
Mercatura'  })ellium  Castorearum.  (Arch.  gen.  S.  J.)  —  Cette 
recommandation  ne  devait  pas  met  Ire  un  frein  à  la  calomnie,  comme 
nous  le  verrons  dans  la  suite. 

1.  «  11  a  paru  jusqu'à  présent,  dit  Colbert  dans  ses  Instructions  à 
M.  de  Bouteroue  du  o  avril  1008,  que  la  maxime  des  Jésuites  n'a 
point  été  d'appeler  les  liabitants  naturels  du  pays  en  communauté 
de  vie  avec  les  Français,  soit  en  leur  donnant  des  terres  et  des 
ha])itations  communes,  soit  par  l'éducation  de  leurs  enfants  et  par 
les  mariages.  Leur  raison  a  esté  qu'ils  ont  cru  conserver  ])lus 
})urement  les  principes  et  la  sainteté  de  nostre  religion  en  tenant  les 
sauvages  convertis  dans  leur  forme  de  vivre  ordinaire  qu'en  les 
appelant  parmi  les  Français.  )>  Colbert  condamne  cette  conduite 
comme  préjudiciable  à  l'État  et  à  la  religion.  Mais  l'avenir  montra 
ou  que  les  Jésuites  avaient  bien  fait  d'agir  ainsi  ou  qu'ils  n'avaient 
pu  agir  autrement.  Du  reste,  la  raison  que  donne  Colbert  de  leur 
conduite  n'était  pas  la  seule,  si  elle  existait  réellement.  La  princi- 
pale était  que  les  Français  auraient  perdu  beaucoup  au  point  de  vue 
moral  et  religieux,  dans  cette  vie  commune  avec  les  sauvages,  dans 
ces  unions  des  deux  races,  surtout  les  premières  années  de  notre 
éta])lissement  au  Canada.  L'errement  de  Colbert  était  assez  répandu 
en  France,  oi^i  l'on  s'imaginait  qu'il  suffisait  d'un  peu  de  bonne 
volonté  pour  amener  les  sauvages  à  vivre  avec  les  Français,  à 
contracter  des  alliances  avec  eux,  cà  faire  élever  leurs  enfants  avec 
les  petits  Européens  ;  mais  au  Canada,  les  hommes  sérieux  et 
expérimentés,  ceux  qui  connaissaient  le  pays,  ({ui  n'avaient  pas  de 
parti  pris  et  ne  cherchaient  que  le  bien  de  FEglise  et  de  FÉtat, 
pensaient  tout  autrement,  et  les  faits  montrèrent  qu'ils  n'avaient  pas 
tort. 

Jés.  et  Nouf.-Fr.  —  T.  II.  12 


—  178  — 

voulez  est  impossible  ;  nous  avons  fait  un  essai  et  Texpé- 
rience  nous  a  montré  que  personne  ne  francisera  les 
Indiens.  Les  contradicteurs,  intéressés  à  convaincre  leurs 
adversaires  ou  de  mensonges  ou  de  mauvais  vouloir, 
s'obstinèrent.  Mgr  de  Laval,  l'abbé  de  Queylus,  les 
Jésuites  eux-mêmes  firent  de  nouvelles  tentatives  de 
francisation  \  et  les  tentatives  échouèrent  pitoyablement  i. 

On  reprochait  aux  missionnaires  de  sacrifier  les  intérêts 
de  la  colonie  à  l'évangélisation  des  Indiens.  A  entendre 
leurs  ennemis,  les  Jésuites  ont  déployé  dans  cette  œuvre 
d'évang'élisation  im  zèle,  un  dévouement  et  un  courage  au 
dessus  de  tout  éloge  ;  mais  en  revanche,  ils  se  sont  peu 
occupés  des  Français,  ils  ont  négligé  l'éducation  des 
enfants,  ils  n'ont  pas  rendu  dans  les  paroisses  confiées  à 
leur  direction  les  services  qu'on  était  en  droit  d'attendre  de 
pasteurs  vigilants.  Le  lecteur  a  pu  voir  par  tout  ce  que 
nous  avons  dit  quelques  pages  plus  haut  et  dans  le  cou- 
rant de  cette  histoire,  jusqu'à  quel  point  cette  accusation 
s'écarte  de  la  vérité.  Les  contemporains,  Ghamplain, 
Boucher,  Marie  de  l'Incarnation,  Mgr  de  Laval  et  autres 
ont  rendu  sur  ce  point  justice  aux  Jésuites,  et  les  œuvres 
de  ces  derniers  ont  une  éloquence  qui  parle  assez  en 
leur  faveur.  Les  premières  générations  françaises  vraiment 
chrétiennes  du  Canada  ont  été  moins  ingrates  envers  eux 
que  certains  historiens  de  nos  jours,  héritiers  des  haines 
de  quelques  esprits  malveillants  d'alors,  de  ces  hommes 
dont  Mgr  de  Laval  écrivait  :  «  Ce  sont  de  mauvais 
juges  qui  se  réjouissent  du  mal  et  n'aiment  point  les 
triomphes  de  la  vérité...  Ils  n'aiment  pas  les  religieux  de  la 
Compagnie,  ou  par  jalousie,    ou   parce  que  les  Pères   ne 

1.  Voir  le  t.  I,  1.  I,  ch.  V,  de  cette  histoire. 


—  179  — 

favorisent  en  aucune  manière  ceux  qui  ont  trop   d'attache 
aux  biens  temporels  i.  » 

On  leur  reprochait  de  fjùner  les  consciences,  attendu  qu'ils 
avaient  seuls  la  direction  des  âmes.  L'intendant  Talon 
renouvellera  plus  tard  cette  accusation,  et,  pour  obvier  aux 
graves  inconvénients  de  la  tyrannie  exercée,  d'après  lui, 
sur  les  fidèles  par  les  Jésuites,  il  demandera  à  Golbert  de 
«  faire  passer  au  Canada  quatre  bons  religieux  (Récollets) 
qui  ne  contraignent  et  ne  géhennent  pas  les  consciences  ~.  » 
Marie  de  l'Incarnation  répondait  ainsi,  en  1638,  à  cette 
accusation  :  ((  Les  personnes  qui  disent  que  les  Jésuites 
gênent  les  consciences  en  ce  pays,  se  trompent,  je  vous 
assure  ,  car  l'on  y  vit  dans  une  sainte  liberté  d'esprit.  Il  est 
A^^ai  cju'eux  seuls  ont  la  conduite  des  âmes,  mais  ils  ne 
gênent  personne  ;  et  ceux  qui  cherchent  Dieu,  et  qui  veu- 

4.  Relatio  missionis  caiiadciisis,  1660;  —  Documents  inédi/s,  XII, 
p.  259.  —  Dans  un  arrêt  du  31  mars  1665,  signé  Seguier,  Colbert 
(Archives  nationales,  registre  E  1717,  fol.  281),  qui  ordonne  que  les 
créanciers  du  Canada  remettent  leurs  titres  à  M.  Talon,  on  voit  que 
les  «  habitants  du  Canada  étaient  constituez  en  de  grandes  dettes, 
qui  ne  procédaient  la  plus  part  que  d'intérêts  excessifs,  aucuns  ayant 
emprunté  à  trente  et  quarante  pour  cent.  » 

Nous  savons  aussi  qu'on  accusait  les  Jésuites  de  «  maintenir  parmi 
les  fidèles  une  trop  grande  sévérité  de  vie  ».  (Instructions  de  Colbert  à 
Bouteroue;  Saint-Germain,  5  avril  1668.)  S'ils  avaient  été  moins 
sévères  et  moins  exigeants,  on  les  eût  sans  doute  accusés  de  relâ- 
chement. Leur  sévérité,  si  sévérité  il  y  eut,  obtint  du  moins  ce 
résultat  très  important  que  la  Nouvelle-France  vit  s'élever,  sous 
leur  ferme  direction,  une  robuste  génération  de  chrétiens,  aux 
mœurs  pures  et  aux  convictions  religieuses  profondes.  Aussi,  <(  sur 
six  cent  soixante-quatorze  enfants,  dit  Ferland  {Notes  sur  les 
registres  de  N.-D,  de  Québec,  p.  39),  qui  furent  baptisés,  depuis 
Tan  1621  inclusivement,  jusqu'à  l'année  1661  exclusivement,  on  ne 
compte  qu'un  seul  enfant  illégitime  ». 

2.  Mémoire  adressé  à  Colbert  en  1669  (Arch.  des  Colonies,  Min.  de 
la  marine,  carton  de  la  Nouvelle-France,  n.  I.) 


—  180  — 

lent  vivre  selon  ses  maximes,  ont  la  paix  dans  le  cœur.  Il 
pourrait  néanmoins  arriver  de  certains  cas  où  Ton  aurait 
besoin  de  recourir  à  d'autres  ;  et  c'est  pour  cela  en  partie 
que  l'on  souhaite  ici  un  évêquei.  »  L'année  même  où 
Marie  de  l'Incarnation  écrivait  cette  lettre  à  sonfds,  l'abbé 
de  Queylus  dirigeait  la  paroisse  de  Quéfcec,  aidé  de  deux 
ecclésiastiques  séculiers  ;  or  très  peu  de  pénitents  s'adres- 
saient à  eux,  et  le  plus  souvent  il  n'y  en  avait  que  trois  ou 
quatre,  tandis  qu'on  se  portait  en  foule  au  confessionnal 
des  Jésuites.  «  Preuve  évidente,  écrivait  le  P.  Rag-ueneau  à 
son  Général,  que  ceux-ci  étaient  faussement  accusés  de 
faire  peser  sur  les  consciences  un  joug  intolérable  2.  » 

On  leur  reprochait  encore,  non  seulement  de  s'opposer 
au  commerce  de  l'eau-de-vie,  mais  d'éloigner  des  colons  de 
la  traite  des  pelleteries.  Les  deux  reproches  ne  manquent 
pas  de  fondement  :  ils  reposent  sur  des  faits  parfaitement 
exacts.  Les  religieux  avaient-ils  tort  d'agir  ainsi  ?  Leur 
conduite  n'était-elle  pas  dictée  par  des  raisons  très  sages 
et  très  pertinentes?  Toute  la  question  est  là.  Eh!  bien, 
il  faut  l'avouer,  ils  s'imaginaient  avec  beaucoup  d'autres, 
favoriser  le  grand  et  permanent  intérêt  de  la  colonie, 
c'est-à-dire  la  culture  de  la  terre,  en  détournant  de  la  traite 
exclusive  des  pelleteries  des  hommes  actifs  et  intelligents  ; 

1.  Lettre  à  son  fils.  Québec,  24  août  IG08  [Lettres  spirituelles, 
p.  198.) 

2.  Le  P.  Ragiieneau  écrivait  de  Québec  au  R.  P.  Général,  à  Rome, 
le  20  août  1658  :  «  Amamur  Quebeci  à  plerisque,  quod  liâc  hieme 
maxime  innotuit,  cum  D^u*  de  Queylus  et  cum  eo  sacerdotes  duo 
seculares  parochiam  occuparent  :  perpauci  enim  ac  perssepè  vix  très 
aut  quatuor  ad  eos  acccdebant  confessionis  causa,  cum  in  ecclesiam 
nostram  omnes  confluèrent.  Quod  eô  dico  Paternitati  vestrœ  ut 
intelligat  quam  falsô  jactatum  fuerit  ab  iis  qui  Societati  nostrœ 
infesti  sunt,  conscientias  hic  premi  intolerabili  jugo  Patrum 
nostrorum.  )>  (Arch.  gen.  S.  J.) 


—  181  — 

car  ils  augmentaient  ainsi  le  nombre  des  véritables  colons. 
Et  ceux  qui  sont  au  courant  de  l'histoire  ne  peuvent 
ignorer  que  les  marchands  de  pelleteries  ne  négligeaient 
pas  seulement  le  défrichement  du  sol  ;  ils  le  contrariaient  ; 
ils  lui  refusaient  opiniâtrement  toute  satisfaction  K  En 
dehors  de  ces  intérêts  matériels,  une  autre  pensée  plus 
élevée  guidait  les  Jésuites,  quand  ils  conseillaient  à  des 
colons  de  s'adonner  de  préférence  à  l'exploitation  des 
terres  :  ils  voyaient  de  leurs  propres  yeux  à  quels  désordres 
moraux  entraînait  la  traite  ;  ils  savaient  que  le  commerce 
des  pelleteries  conduisait,  par  une  pente  insensible  et 
irrésistible,  au  commerce  de  Feau-de-vie,  que  le  second 
était  nécessaire  au  premier,  une  des  conditions  indispen- 
sables, du  moins  la  plus  importante,  de  son  développement. 
Nous  parlerons  dans  la  suite  de  la  traite  de  l'eau-de-vie. 
Pour  le  moment,  n'est-il  pas  permis  de  dire  que  les 
Jésuites  devaient  à  leur  conscience  de  restreindre  par  les 
moyens  en  leur  pouvoir,  par  leurs  conseils  et  leurs  exhor- 
tations, un  commerce  dont  ils  connaissaient  les  déplorables 
résultats  ? 

Enfin  une  dernière  accusation,  la  plus  grave  de  toutes, 
reprochait  aux  missionnaires  de  sortir  des  limites  de  leurs 
fonctions  sacerdotales,  de  s'éloigner  des  règles  de  leur 
Institut,  en  prenant  une  part  trop  active   et  immédiate  à 

i.  Le  Correspondant^  18o4,  p.  364. 

Garneau,  dans  son  Histoire  du  Canada,  dit  à  la  page  147  du  t.  I, 
l'*^  édition  :  ((  Toutes  les  Compag-nics  (marchandes)  se  ressemblent 
en  un  point  ;  c'est-à-dire  qu'elles  ne  faisaient  rien  ou  presque  rien 
pour  le  Canada.  Elles  n'avaient  pas  fait  défricher  un  seul  arpent  de 
terre  ;  et  il  est  constant  qu'elles  regardèrent  en  Canada  comme  en 
Acadie  l'établissement  du  pays  comme  destructif  de  la  traite.  » 
Et  p.  305  :  ((  Les  traitants,  fidèles  au  système  qu'ils  ont  suivi  dans 
tous  les  temps  et  dans  tous  les  lieux,  faisaient  tous  leurs  efforts 
pour  entraver  les  établissements  et  décourag'er  les  colons.  » 


—  182  — 

tout  ce  qui  concernait  les  intérêts  de  la  colonie.  Colbert 
signalait  ce  grief  dans  ses  instructions  à  l'intendant  de  la 
Nouvelle-France  :  «  Les  Jésuites,  dont  la  piété  et  le  zèle 
ont  beaucoup  contribué  à  attirer  dans  ce  pays  les  peuples 
c[ui  y  sont  à  présent,  y  ont  pris  une  autorité  qui  passe  au 
delà  des  bornes  de  leur  véritable  possession,  qui  ne  doit 
regarder  que  les  consciences  i.  »  Leur  autorité  était  grande, 
en  effet  ;  ils  ne  l'avaient  pas  prise,  elle  était  venue  à  eux. 
Il  y  avait  parmi  eux  des  hommes  de  valeur  et  de  gouver- 
nement, des  esprits  distingués  ;  à  cette  époque,  personne 
dans  la  colonie  ne  les  égalait  en  intelligence  et  en  savoir  ; 
ils  dirigeaient  la  conscience  des  gouverneurs,  des  magis- 
trats, de  tous  les  habitants  ;  on  les  consultait  avant  de 
prendre  une  décision  importante  ;  on  demandait  leur  avis 
sur  les  lois  et  les  règlements,  et  ils  provoquaient  eux- 
mêmes  les  mesures  les  plus  sages  contre  le  libertinage, 
l'ivrognerie  et  les  désordres  de  toutes  sortes  ;  ils  jouissaient 
d'un  ascendant  considérable  sur  les  sauvages  ;  les  missions 
les  plus  difficiles,  d'un  haut  intérêt  pour  la  colonie,  leur 
étaient  confiées  ;  ils  étaient  chargés  de  la  direction  des 
communautés  de  femmes,  de  l'instruction  du  peuple,  de 
l'éducation  des  enfants  et  de  l'évangélisation  des  sauvages; 
enfin,  un  édit  royal  avait  nommé  le  supérieur  de  Québec 
membre  de  droit  du  conseil  supérieur.  Il  ne  faut  pas 
s'étonner,  après  cela,  de  la  grande  influence  qu'avaient 
les  Jésuites  dans  la  Nouvelle-France  ;  c'est  le  contraire  qui 
serait  surprenant. 

Cette  influence  même  ne  devait-elle  pas  être  la  source 
féconde  de  jalousies  et  de  haines  ?  N'explique-t-elle  pas 
suffisamment  les  plaintes  des  uns  et  les  griefs  des  autres? 


1.  Instruction  au  sieur  Talon,  s'en  allant  intendant  de  la  Nouvelle- 
France.  Paris,  27  mars  1665. 


—  183  — 

Il  n'en  fallait  pas  tant  pour  faire  partir  en  guerre  les 
envieux,  les  jaloux,  les  ambitieux  et  les  affamés.  Les 
Jésuites  étaient  en  même  temps  conseillers  et  directeurs, 
on  faisait  remonter  jusqu'à  eux  la  responsabilité  des  mesures 
qui  déplaisaient,  des  lois  et  des  règlements  qui  refrénaient  la 
licence  ;  membres  du  conseil  souverain,  on  leur  attribuait 
l'initiative  de  toutes  les  décisions  où  l'on  trouvait  à  redire. 
Ceux  qui  les  mettaient  ainsi  en  cause,  étaient,  bien 
entendu,  leurs  ennemis  ;  les  mécontents  et  les  jaloux,  ceux 
qui  ne  peuvent  supporter  nulle  part  l'action  du  prêtre,  et 
qui  voyaient  partout  la  main  ténébreuse  d'un  Jésuite.  Ces 
hommes  d'opposition  étaient  peu  nombreux,  mais,  gens 
turbulents,  ds  faisaient  beaucoup  de  bruit  ;  et  leurs 
j)laintes,  retentissant  au  delà  des  mers,  trouvaient  un  écho 
à  la  cour  du  roi,  au  cabinet  du  ministre  Colbert. 

Cependant,  nous  l'avouerons  bien  volontiers,  il  eût  été 
préféra])le  que  le  supérieur  de  la  mission  du  Canada  ne 
siégeât  pas  au  conseil  souverain  ;  cette  haute  fonction, 
sans  être  incompatible  avec  le  ministère  sacerdotal,  pou- 
vait en  certains  cas  être  plutôt  préjudiciable  au  ])ien 
spirituel  de  la  colonie.  Le  conseil  était  saisi  de  toutes  les 
questions  de  l'ordre  administratif,  religieux,  militaire, 
judiciaire  et  temporel.  Le  prêtre  était  donc  appelé  à  émettre 
son  avis  sur  toutes  ces  questions.  Etant  donnée  son  influence 
sur  le  gouverneur  et  sur  les  autres  conseillers,  n'y  avait-il 
pas  là  un  inconvénient  et  un  danger  ?  Les  Pères  du  Canada 
ne  furent  pas  éloignés  de  penser  ainsi,  puisqu'ils  se  deman- 
dèrent, dans  une  consulte  tenue  le  6  août  lGi7,  s'ils 
accepteraient  la  charge  de  conseiller.  //  fut  conclu  que  ouy^ 
quil  le  fallait  faire,  dit  leur  Journal  ^    »  En  outre,  nous 

1.  Journal  (/es  Jrsiiites,  p.  03,  —  Nous  avons  vu,  au  ch.  IX,  p.  G7, 
note  1,  que  le  P.  Jérôme  Lalemant  fut  le  premier  Jésuite,  membre 
du  conseil  de  Québec.  Obligé  d'aller  en  France  en  1650,  il  partit  de 


—  184  — 

savons  par  plusieurs  letti-es  inédites,  conservées  aux 
Archives    générales  de  la  Société,  et  écrites  de  Québec  au 

Québec  le  2  novembre  et  nomma  le  P.  Ragucneau  vice-recteur  du 
collège  et  supérieur  de  la  mission.  Ce  dernier  entra  au  conseil,  au 
mois  de  noveml^re  IGoO  et  en  sortit  le  0  août  IGo.'],  remplacé  par  le 
P.  Le  Mercier.  Quatre  Jésuites  seulement  firent  })arlie  de  ce  conseil  : 
J.  Lalemant,  P.  Ragueneau,  F.  Le  Mercier  et  J.  de  Quen.  Parmi 
eux,  le  P.  Rag-ueneau  seul  y  a  occupé  une  grande  place,  beaucoup 
trop  grande,  à  notre  avis.  Les  Pères  écrivirent  à  leur  Général  que  le 
vice-recteur  se  mêlait  lieaucoup  des  affaires  publiques  du  pays  et 
des  intérêts  j)rivés  des  colons  :  (lircn  piihlica  pari  ter  et  privât, i 
externorum.  11  continua  à  s'en  occuper,  même  n'étant  plus  supé- 
rieur. 11  exerçait  surtout  une  influence  considéral)le  sur  le  gouver- 
neur, M.  de  Lauson,  dont  il  obtenait  tout  ce  qu'il  voulait.  Les  Pères 
qui  se  plaignirent  avec  plus  de  vivacité  —  leurs  lettres  existent  aux 
Archives  générales  de  la  Société  —  sont  Poncel,  Vimont,  de  Quen 
et  Le  Mercier.  Aussi  le  Général  Nickel  ordonna-t-il  au  Provincial  de 
Paris  d'éloigner  le  P.  Ragueneau  de  Québec  :  »  Dabimus  operam 
apud  R.  P.  Provincialem  ut  recenti  malo  op|)ortuno  efficacique 
remedio  occurratur  (Epist.  P.  G.  Nickel,  i)raq).  gen.  S.  J.  ad 
P.  Yimont,  10  Januar.  16oG).  »  Le  Provincial  transmit  cet  ordre  au 
P.  de  Quen,  supérieur  de  Québec,  lequel  écrivit  au  Général, 
octobre  4656  :  P.  Paulum  Ragueneau,  (juando  quidem  ea  erat 
P.  Provincialis  voluntas,  ut  è  collegio  Quel)ecensi  amoveretur,  ad 
residentiam  Triuni  Fluniinum  misi,  iniquo  licet  ferente  animo 
Domino  de  Lauson,  hujus  regionis  prorege.  Vir  est,  fateor,  ingenuus, 
singularis  virtutis  P.  Ragueneau,  sed  sœculariljus  negotiis  plus  a^quo 
implicatus  quam  Societatem  nostram  decet  et  multarum  in  nos 
querelarum  causa  et  odiorum.  Cessabunt  odia,  si  al)  ejusmodi 
negotiis  sese  expédiât  et  in  missionem  remotissimam  mittatur.  » 
Le  P.  de  Quen  avait  raison.  Le  P.  Ragueneau  est  un  des  Jésuites  les 
plus  intelligents  que  le  Canada  ait  possédés  ;  d'une  vertu  éprouvée 
et  d'un  grand  cœur,  il  avait  cette  faiblesse  —  personne  n'est  parfait 
en  ce  monde  —  de  vouloir  se  mêler  des  choses  politiques,  de 
l'administration  civile  et  des  intérêts  matériels  des  colons,  plus  qu'il 
ne  convenait  à  un  religieux.  De  là,  beaucoup  de  plaintes,  dont  ses 
frères  eurent  à  souffrir.  On  l'envoya  en  1656  aux  Trois-Rivières,  et, 
de  là,  chez  les  Iroquois.  Le  P.  Ragueneau  accepta  l'ordre  de  son 
supérieur  avec  une  simplicité  et  un  entrain  qui  témoignent  d'une 
âme  très  élevée.  Ses  lettres  sont  noml^reuses  aux  Archives  générales 
de  la   Compagnie  :  pas  un  mot  qui   trahisse   le  moindre   méconten- 


—  185  — 

R.  P.  Général  de  la  Compag^nie  de  Jésus  ^,  que  plusieurs 
Pères  auraient  préféré  voir  leur  supérieur  en  dehors  du 
conseil.  Sans  doute  qu'il  y  rendait  service  à  la  colonie  et  à 
la  religion  ;  mais  ce  service,  n'aurait-il  pu  le  rendre,  sans 
être  conseiller,  par  des  avis  motivés,  adressés  au  gouver- 
neur et  aux  autres  membres  du  conseil  ?  Et  ainsi,  que  de 
plaintes  intéressées  n'aurait-on  peut-être  pas  évitées  !  Ce 
sentiment,  que  nous  exprimons  en  toute  liberté,  ne  saurait 
infirmer  en  rien  le  bien  que  les  supérieurs  de  Québec  firent 
dans  cette  charge,  ni  incriminer  leur  conduite;  il  justifie 
encore  moins  les  clameurs  de  leurs  ennemis,  et  contre  eux 
et  contre  les  missionnaires  du  Canada. 

Terminons  ce  chapitre,  et,  avec  lui,  cette  période  que 
lord  Elgin  appelle,  dans  une  dépêche,  lâge  héroïque  du 
Canada.  La  population  française  n'était  pas  nombreuse; 
elle  ne  possédait  tout  au  plus  que  deux  mille  habitants, 
tandis  que  l'émigration  anglaise,  fixée  dans  le  Massachusetts, 
s'élevait  au  delà  de  quarante  mille.  L'accroissement 
hâtif  de  la  colonie  anglaise  eut  de  funestes  conséquences 
au  point  de  vue  moral  et  religieux.  Il  n'en  fut  pas  ainsi  de 
la  colonie  française,  qui,  en  se  recrutant  lentement  de 
familles  choisies,  conserva  ses  principes  de  religion  et  de 
moralité  ;  de  telle  sorte  que  la  faute  justement  reprochée 
alors  au  gouvernement  de  la  Métropole  de  n'avoir  pas  activé 
davantage  la  colonisation,  devint  elle-même  un  grand  bien 
pour  le  pays.  01)ligés  de  vivre  du  travail  de  leurs  mains  et 
d'être  jour  et  nuit  sur  le  qui-vive  pour  ne  pas  être  surpris 
par  l'ennemi,  habitués  à  une  vie  de  privations  et  de  souf- 
frances,  ces   colons  très  peu   nombreux,    qui    faisaient    en 

tcmont.   Dans   toutes,  mémo   calme,  même   sérénité,  même  dignité; 
dans  toutes,  on   reconnaît   riiomme    de  valeur   et   le  vrai  religieux. 
Aucun  Jésuite  du  Canada  n"a  écrit  autant  et  mieux  <|ue  lui. 
1.  Le  P.  Goswin  Nickel. 


—  186  — 

même  temps  le  double  métier  de  soldats  et  d'ouvriers, 
acquirent  une  énergie  et  un  courage  incomparables.  Enfin, 
guidés  et  portés  au  bien  par  des  prêtres  zélés  et  instruits, 
édifiés  et  encouragés  par  des  chefs  croyants  et  d'une  conduite 
irréprochable,  éloig-nés  des  puissantes  séductions  du  vice 
et  des  faciles  entraînements  du  mauvais  exemple,  ils 
contractèrent  ces  habitudes  chrétiennes  et  morales,  qu'ils 
devaient  transmettre  à  leurs  descendants  dans  toute  leur 
pureté,  leur  vigueur  et  leur  simplicité.  La  justice  des 
Canadiens-Français  a  rapporté  aux  Jésuites  une  grande  part 
de  l'honneur  de  ces  beaux  résultats.  Quelques  historiens 
veulent  aj^peler  cela  légende;  l'histoire,  nous  l'espé- 
rons, conservera  ses  droits  et  ne  permettra  pas  que 
l'iniquité  triomphe  de  la  vérité. 

Le  pays  était  mûr  pour  une  organisation  définitive  du 
pouvoir  civil  et  militaire,  pour  l'établissement  d'un  évêché 
et  du  clergé  séculier.  Un  nouvel  ordre  de  choses  ya  com- 
mencer ;  la  colonie,  après  trente  ans  de  luttes  et  d'elforts, 
est  sortie  du  provisoire.  Mazarin  touche  à  sa  fin  et  Colbert 
arrive  au  pouvoir.  Quelle  sera  la  place,  quel  sera  le  rôle 
des  Jésuites  dans  la  nouvelle  colonie?  C'est  ce  que  nous 
verrons  dans  la  suite  de  cette  histoire. 


LIVRE     SECOND 

DEPUIS    l'érection    DU    VICARIAT    APOSTOLIQUE    (1658) 
jusqu'à    la    fin    du    XVII^    SIÈCLE    ET    AU    DELA 


LIVRE    SECOND 

DEPUIS    l'érection    DU    VICARIAT    APOSTOLIQUE     (1658) 
jusqu'à    la    FIN    DU    XYII^    SIECLE    ET    AU    DELA 


CHAPITRE     PREMIER 

Pouvoirs  spirituels  des  Jésuites  au  Canada.  —  L'érection  d'un  évé- 
clié  à  Québec  demandée  par  l'assemblée  générale  des  évèques  de 
France  :  Messieurs  Legauffre  et  de  Queylus.  —  Le  conseil  des 
affaires  ecclésiastiques  propose  des  Jésuites  pour  réVéché  de  Qué- 
bec. —  Prétentions  de  l'archevêque  de  Rouen  sur  le  territoire  de  la 
Nouvelle-France.  —  Le  supérieur  du  collège  de  Québec  et  l'abbé 
de  Queylus  nommés  grands  vicaires.  —  L'abbé  de  Queylus,  curé 
de  Québec  ;  ses  démêlés  avec  les  Jésuites  ;  son  départ  pour 
Montréal.  —  M.  d'Argenson,  gouverneur  de  Québec. 

Le  P.  Charles  Lalemant  écrivait  de  Rouen,  le  2  no- 
vembre 1633,  au  P.  Charlet,  assistant  de  France  à  Rome  : 
«  Avec  le  temps,  il  faudra  un  évesque  au  Canada  ;  car,  pour 
maintenant,  ceux  qui  sont  là  ne  dépendent  d'aucun  éves- 
ché  ;  et  les  enfants  tant  des  Français  que  des  sauvages  bapti- 
zés  ne  peuvent  être  confirmés  ^  » 

Le  P.  Lalemant  disait  vrai  :  «  Avec  le  temps,  il  faudra 
un  évesque  au  Canada.  »  Pour  le  moment,  la  présence  du 
Prélat  semblait  inutile,  la  Colonie  française  se  trouvant 
peu  nombreuse,  et  les  missions  sauvages  n'étant  pas  encore 
organisées.  Au  reste,  les  missionnaires  jouissaient  de  pou- 

1.  Archives  générales  de  la  Compagnie. 


—  190  — 

voirs  spirituels  très  étendus,  qu'ils  avaient  reçus  du  Souve- 
rain Pontife,  par  l'entremise  du  R.  P.  Général  et  des  Pro- 
vinciaux. Ces  pouvoirs,  dont  l'authentique  se  trouve  aux 
Archives  de  la  Société,  furent  renouvelés  et  accordés 
au  général  Mutins  Vitelleschi,  le  17  septembre  1629,  par  le 
pape  Urbain  YIII  ^  Etendus  aux  pays  au  delà  des  mers,  à 
toutes  les  régions  de  l'Orient  et  de  l'Occident,  ils  furent 
rédigés,  en  1637,  sous  une  forme  nouvelle,  comprenant 
vingt-huit  articles.  Cette  même  année.  Sa  Sainteté  confirma 
de  son  autorité  pontificale  ces  articles  qui  avaient  été  j^réa- 
lablement  soumis  à  une  longue  étude,  puis  approuvés  en 
congrégation  générale,  en  présence  de  douze  cardinaux  et 
de  quatre  prélats -. 

Toutefois,  les  missionnaires  des  Indes  avaient  des  privi- 
lèges particuliers,   que  le  P.   Petau  supplia  le  Saint-Père 

1.  Ces  pouvoirs  datés  du  17  septembre  1629  se  trouvent,  pp.  128- 
129,  t.  I,  dans  la  ((  Colleccion  de  Bulas,  Brèves  y  otros  documentos 
relativos  a  la  Igiesia  de  America  y  Filipinas  por  el  P.  F.  J.  Ilernaez, 
S.  J.  ;  Bruselas,  1879.  »  On  lit  dans  la  bulle  adressée  au  R,  P.  Géné- 
ral :  «  Quibuscumque  presbyteris  dictée  Societatis,  quos  tu,  Fili 
Prœposite,  seu  pro  tempore  existens  prsepositus  Generalis  istius 
Societatis  Jesu  perse  velaliosad  id  elegeris,  seu  elegerit,in  quibusvis 
Orientis,  Brasilise,  Peru,  nova?  Hispanise,  et  aliis  ultramarinis  regio- 
nihus  insulisque  Oceani  maris  ac  occidentalihus  partibus  degenti- 
bus...  » 

2.  Anno  1(337,  sub  Urijano  Vlll,  regulœ  seu  formula?  facultatum  pro 
missionariis  in  variis  mundi  partibus  reformatse  sunt,  et  post  longum 
studium  stabilitœ,  et  denium  in  congregatione  generali  coramSS.  duo- 
decim  cardinalibus  in  eâ  prœsentibus  et  quatuor  Prselatis  corapro- 
batœ,  et  post  à  SS.  D.  N.  firmatse  (Arch.  gen.).  Suivent  les  facultés 
en  28  articles,  accordées  pour  quinze  ans  :  «  Ad  annos  quindecim 
tantum  concessœ  intelligantur.  —  On  lit  encore  à  la  suite  de  ces 
facultés  :  u  Innocentius  Papa  X  ad  quindecim  iterùm  annos  concessit 
proxime  venturos  :  Feria  V  20  Februarii  1648.  P.  Hieronymus  Lale- 
mant,  superior  missionis  seu  residentise  PP.  Societatis  in  Canada 
indiarum  novœ  Gallise  eas  facultates  accepit  secundùm  novam  for- 
mam,  cum  catalogum  facultatum  transcripsit  ad  verbum  et  punctim.  » 


—  191  — 

de  vouloir  bien  accorder  aux  Jésuites  du  Canada'.  Le  Pro- 
vincial de  Paris,  le  P.  Etienne  Binet,  écrivit  pour  le  même 
objet  au  Général  de  l'Ordre,  et  celui-ci  adressa  dans  ce  sens 
une  supplique  au  Souverain  Pontife-.  Les  privilèges  furent 
accordés. 

Munis  de  ces  divers  pouvoirs,  les  Jésuites  administrèrent 
seuls  le  domaine  royal  d'outre-mer,  en  attendant  que  la 
Nouvelle-France  fût  dotée  d'un  évèché  et  d'un  clergé  sécu- 
lier^. Ils  attendirent  plus  de  vingt  ans. 

1.  «  Sanclitatis  tiisp  pedilDus  afîusi  petimus  ut  nascentihuicocclesia^ 
Canadensi,  ([ua^  Indis  pridem  altributa  sunt,  bénéficia  impertiri 
digneris.  »  (D.  Petavii  Epistolarum  libri  1res.  Parisiis,  S.  Cramoisy, 
1652,  p.  264.) 

2.  La  supplique  du  R.  P.  Général,  rédigée  en  italien,  est  conservée 
aux  Archives  de  la  Société.  Elle  est  du  mois  d'août  1638.  L'année  sui- 
vante, le  P.  Général  au  P.  Binet  :  «  Spero  me  a  summo  pontifice  pro 
Canadensibus  aliquid  propediem  habiturum.  »  Ces  pouvoirs  furent 
renouvelés  par  un  décret  de  la  Propagande  le  7  août  1631,  sur  la 
proposition  qui  en  fut  faite  par  le  cardinal  Barberini  :  a  Idem  fuit 
decretum  circa  Canadam  vel  novaniGalliam,  ut  vocant.  »  (Arcli.  gen.) 

Le  pape  Urbain  VIII  avait  renouvelé  pour  vingt  ans,  à  la  date  du 
17  septembre  1629,  pro  iilrâque  indiâ  aliisqne  locis  Oceaiii,  les  pou- 
voirs accordés  aux  Jésuites  par  ses  prédécesseurs.  Innocent  X  les 
renouvela  pour  vingt  ans  le  premier  mars  1649.  (Juris  Pontificii  do 
propagandâ  fide,  vol.  I.) 

3.  L'abbé  Ferland  {Cout\^  cVhisf.,  t.  I,  p.  277)  est  dans  le  vrai  quand 
il  dit  que  les  Jésuites  reçurent  leurs  pouvoirs  de  Rome.  M.  Paillon, 
au  contraire,  a  cru  bon  tVuf/îrmer,  sans  se  donner  la  peine  de  prou- 
ver le  fait,  que  «  ces  religieux  s'adressèrent  avant  le  départ,  à  Tar- 
chevêque  de  Rouen  pour  obtenir  des  pouvoirs  »  (t.  I,  p.  280).  Le 
respect  nous  oblige  de  taire  les  motifs  qui  ont  empêché  cet  écrivain 
d'être  véridique  ;  mais  le  lecteur  les  devinera  facilement,  en  lisant 
V Histoire  de  la  Colonie  française  et  les  Remarques  (manuscrites)  sur 
la  huile  de  Mgr  de  Laval.  —  Après  avoir  affirmé  sans  preuves  que  les 
Jésuites  demandèrent  leurs  pouvoirs  à  l'archevêque  de  Rouen,  M.  Pail- 
lon conclut  :  la  juridiction  de  l'archevêque  de  Rouen  sur  le  Canada 
n'étant  pas  certaine,  les  pouvoirs  par  lui  conférés  aux  Jésuites  ne 
l'étaient  pas  non  plus.  Cette  conclusion  est  exacte  :  posilo  absurdo, 


—  192  — 

Cependant  le  clergé  de  France,  réuni  en  assemblée  g'éné- 
rale,  au  couvent  des  Augustins  à  Paris,  lit  une  première 
démarche  en  faveur  de  cette  institution,  le  25  mai  1646.  Dans 
la  séance  de  ce  jour,  Mgr  de  Grasse  «  représenta  à  la  Compa- 
gnie que  c'était  une  chose  digne  de  la  piété  et  de  la  dignité 
du  clergé  de  France  de  travailler  à  la  perfection  d'un  si  reli- 
gieux dessein,  afin  que  l'Fglise  que  Dieu  avait  assemblée  au 


sequitur  cjuodlihet.  —  En  outre,  ajoute  cet  auteur,  il  n'intervint 
jamais  de  Rome  aueun  acte  officiel  qui  validât  les  pouvoit^s  dont  usaient 
les  PP.  Jésuites.  Pourquoi  un  acte  serait-il  intervenu,  puisque  les 
Jésuites  reçurent  leurs  pouvoirs  de  Rome  et  non  de  Rouen?  Cet 
auteur  aurait  bien  du  nous  dire  si  jamais  il  intervint  de  Rome  un  acte 
qui  validât  les  pouvoirs  dont  usèrent  les  premiers  Sulpiciens  du  Canada, 
qui  reçurent  certainement  de  Rouen,  et  unitjuement  de  Rouen,  leurs 
pouvoirs.  —  Ajoutons  que  la  thèse  soutenue  par  M.  Paillon  contre 
les  Jésuites  porte  une  atteinte  grave  et  injuste  à  la  réputation  de 
ces  religieux  et  de  rarclievèque  de  Rouen.  Voilà,  en  effet,  un  archevêque 
qui  confère  des  pouvoirs,  à  partir  de  1632,  sans  savoir  s'il  a  juridic- 
tion sur  le  Canada  !  Voilà  des  prêtres,  bons  théologiens,  profès  de 
leur  ordre,  qui  vont  demander  des  pouvoirs  à  un  archevêque  dont  la 
juridiction  n'est  pas  établie,  qui  n'a  pas,  d'après  eux,  le  Canada  sous 
sa  dépendance  (Lettre  du  P.  Ch.  Lalemant,  citée  plus  haut,  2  nov. 
1633)  !  Voilà  des  religieux,  et  parmi  eux  des  hommes  vraiment 
pieux,  tels  que  Jogues,  Rrébeuf,  Le  Jeune,  de  Noue,  Daniel,  etc., 
qui  exercent  pendant  des  années  des  pouvoirs,  dont  la  validité  est 
douteuse,  et  qui  n'ont  pas  assez  de  bon  sens  et  de  conscience  pour 
les  faire  valider  à  Rome  !  En  vérité,  M.  Paillon  traite  lestement  rar- 
clievèque et  les  missionnaires  ;  il  compte  par  trop  sur  la  naïve  cré- 
dulité des  lecteurs.  —  Si  M.  l'abbé  Casgrain  n'avait  pas  accepté  sans 
contrôle,  avec  une  précipitation  fâcheuse,  les  assertions  de  l'abbé 
Paillon,  il  n'aurait  pas  trouvé  les  Jésuites  dans  une  position  mal  défi- 
nie {Opinion  publique  de  Montréal,  5  nov.  1883),  il  ne  leur  aurait  pas 
donné  une  leçon,  à  tout  le  moins  inutile,  de  théologie.  Peut-être  aussi 
n'aurait-il  pas  approuvé  cette  supposition  passablement  déplacée  de 
l'abbé  Paillon  dans  les  Remarques  sur  la  bulle  de  Mgr  de  Laval  : 
a  La  clause  que  Québec  fut  dans  le  diocèse  de  Rouen  —  clause 
insérée  dans  la  bulle  de  Mgr  de  Laval  (elle  n'y  est  pas  ;  voir 
Pièces  Justificatives  n»  Vlll)  —  aura  apparamment  été  insérée  à 
la  bulle  sur  la  demande  des  RR.  PP.  Jésuites,  afin  de  justifier  par 


—  193  — 

pays  du  Canada,  avec  tant  de  merveilles,  ne  demeurât  pas 
plus  longtemps  privée  d'un  évêque  qui  la  gouvernât.  »  Puis  il 
ajouta  :  «  L'établissement  d'un  évêque  en  Canada  ayant 
jusqu'ici  été  reculé  à  cause  de  la  guerre  qui  était  entre  les 
deux  plus  puissantes  nations  du  pays,  maintenant  que  la 
paix  établit  la  sûreté  et  le  commerce  entr 'elles,  il  n'y  a 
plus  de  sujet  de  différer.  Les  Français  qui  sont  habitués  en 
€es  quartiers,  désirent  ardemment  la  consolation  d'un  pas- 
teur qui  les  régisse  dans  l'ordre  de  la  Hiérarchie,  et  leur 
administre,  et  à  leurs  enfants,  le  sacrement  de  la  confirma- 
tion ;  les  Infidèles  qui  se  convertissent,  en  ont  particuliè- 
rement besoin,  pour  être  fortifiés  en  la  Foi  qu'ils  ont 
embrassée.  Messieurs  de  la  Compagnie  de  Montréal  sont 
disposés  à  contribuer  de  leur  part,  tout  ce  qu'ils  pourront 
pour  la  subsistance  de  l'évêque  qui  serait  nommé  et  de  son 
clergé  ' .  » 

Mgr  Godeau,  évêque  de  Grasse,  ne  met  pas  les  Jésuites 
parmi  ceux  qui  désiraient  l'envoi  d'un  évêque  au  Canada. 
Cela  se  comprend  :  ami  des  Jansénistes-,  il  n'aimait  pas 
leurs  adversaires,  et  en  faisant  le  silence  sur  les  mission- 
naires du  Canada,  il  laissait  assez  voir,  sans  le  dire,  que  ces 
religieux  n'approuvaient  ni  l'institution  d'un  évêché  à  Qué- 

là,  et  d'une  manière  authentique,  la  juridiction  qu'ils  avaient  exercée 
au  Canada,  depuis  la  reprise  du  pays  par  les  Français.  »  \J apparem- 
ment avec  tout  ce  qui  suit  est  du  plus  haut  comique,  et  nous  dispense 
de  toute  réilexion.  Ne  serait-il  pas  plus  sage  de  faire  jouer  aux 
Jésuites  un  rôle  moins  ridicule?...  Ces  derniers  ne  demandèrent  pas 
seulement  à  Rome  les  pouvoirs  dont  ils  avaient  besoin  au  Canada, 
mais  même  les  dispenses  qui  pouvaient  être  utiles  aux  Français. 
Nous  possédons  une  copie  de  la  supplique,  datée  de  1632  et  adressée 
au  Souverain  Pontife. 

i.  Collection  des  procès-verbaux  des  assemblées  générales  du 
clergé  de  France,  t.  III,  années  1645  et  1646,  p.  379. 

2.  Mémoires  du  P.  Rapin,  par  L.  Aubineau,  t.  I,  p.  132;  t.  II, 
p.  384,  et  t.  III,  passim. 

Jés.  et  Nouu.-Fr.  —  T.  If.  13 


—  194  — 

bec,  ni  l'établissement  d'un  clergé  séculier.  La  vérité  est^ 
comme  les  événements  se  chargèrent  de  le  montrer,  que  le 
temps  n'était  pas  encore  venu  de  fonder  un  évêché  dans  la 
Nouvelle-France.  Marie  de  l'Incarnation  écrivait,  en  effet,  le 
11  octobre  1646  :  «  On  parle  de  nous  doi\ner  un  évêque  en 
Canada.  Pour  moi,  mon  sentiment  est  que  Dieu  ne  veut 
pas  encore  d'évêque  en  ce  pays,  lequel  n'est  pas  assez  bien 
établi.  D'ailleurs,  nos  Révérends  Pères  y  ayant  planté  le 
christianisme,  il  semble  qu'il  y  ait  de  la  nécessité  qu'ils  le 
cultivent  encore  quelque  temps,  sans  qu'il  y  ait  personne 
qui  puisse  être  contraire  à  leurs  desseins  ^  » 

Les  associés  de  Montréal  n'étaient  pas  de  cet  avis.  Eta- 
blis depuis  trois  ans  seulement  à  Villemarie,  et  désirant 
faire  nommer  évêque  un  de  leurs  membres,  ils  travaillèrent 
dès  1645  à  faire  ériger  l'évéché  de  Québec  et  jetèrent  les 
veux  sur  M.  Legauffre  pour  occuper  ce  siège  épiscopal.  Ce 
choix  était  excellent.  Thomas  Legautfre,  autrefois  maître 
des  comptes  à  Paris,  aujourd'hui  prêtre  et  coadjuteur  du 
P.  Bernard,  la  Providence  des  prisonniers,  des  malades  et 
des  pauvres,  était  un  homme  d'un  grand  zèle  et  d'une 
haute  vertu,  qui  avait  donné  trente  mille  livres  pour  la 
fondation  du  nouvel  évêché.  Mazarin  approuva  ce  choix, 
les  Jésuites  y  applaudirent.  Mais  Dieu  renversa  en  quelques 
jours  tous  ces  beaux  desseins.  M.  LegaulFre  mourut  pen- 
dant une  retraite  qu'il  faisait  sous  la  direction  du  P.  Hays- 
neuve-,  et  il  ne  fut  pas  remplacé. 

Pourquoi  ne  fut-il  pas  remplacé?  Mgr  Godeau  en  donna 
la   raison  dans   l'assemblée  de  1655  du  clergé  de  France  : 


1.  Lettres  spirituelles,  1.  42^ 

2.  Lettres  spirituelles  de  Marie  de  rincarnation,  lettre  42^  —  His- 
toire de  la  Colonie  Française,  t.  II,  pp.  47  et  suiv.  —  Vie  de  Mgr  de 
Laval,  par  Tabbé  Gosselin,  t.  I,  ch.  V1I%  p.  93. 


—  195  -- 

«  Sur  la  fin  de  TAssemblée,  tenue  à  Paris  en  Tannée 
4645,  dit-il,  Mgr  le  cardinal  Mazarin  v  étant  entré, 
je  me  suis  servi  de  cette  occasion  pour  représenter 
la  nécessité  d'établir  un  évèque  dans  la  Nouvelle - 
France...  Mais  depuis  ce  temps-là  les  guerres  arrivées 
entre  les  Hurons  et  les  Iroquois  dans  le  Canada,  et  les 
troubles  de  la  France  ont  empêché  l'exécution  de  ce  des- 
sein ^  »  Ces  paroles  justifient  pleinement  les  Jésuites  qui 
prétendaient,  à  l'époque  de  la  première  assemblée  du 
clergé  de  France,  que  le  temps  n'était  pas  encore  venu,  à 
cause  de  l'état  précaire  où  se  trourait  la  colonie,  de 
créer  un  évêché  à  Québec-.  M.  Faillon  est  également  forcé 

4.  Assemblées  générales  du  clergé  de  France,  t.  IV,  p.  368. 

2.  Histoire  de  la  Colonie  Française,  pp.  47  et  suiv.  ;  —  Vie  de  Mgr 
de  Laval,  par  Fabbé  Gosselin,  pp.  95  et  suiv.  —  Dans  le  chapitre  VII 
du  tome  F'",  M.  Gosselin  ne  fait  que  résumer  ou  copier  M.  Faillon, 
sans  omettre  les  réflexions  désagréables  de  ce  dernier  contre  les 
Jésuites,  ses  insinuations  injustes,  sa  manière  de  présenter  les  choses 
toujours  en  faveur  des  associés  de  Montréal.  Citons  deux  exemples 
seulement.  —  1)  D'après  M.  Faillon,  «  il  est  bien  probable  que,  sans 
les  efforts  de  la  Compagnie  de  Montréal,  on  n  aurait  point  songea 
donner  un  évêque  à  ce  pays,  et  qu'il  en  aurait  été  du  Canada  comme 
de  la  Martinique  et  des  autres  îles  françaises...  »  Si  cet  historien  ne 
nous  avait  pas  habitués  aux  assertions  gratuites,  pour  ne  rien  dire 
de  plus,  il  y  aurait  de  quoi  étonner  dans  ces  quelques  lignes,  que 
M.  Gosselin  n'a  pas  osé  reproduire.  On  n'aurait  pas  songea  donner 
un  évêque  au  Canada!  Est-ce  que,  plus  de  vingt-cinq  ans  avant  les 
efforts  de  la  Compagnie  de  Montréal,  \o  P.  Biard  n'avait  pas  proclamé 
la  nécessité  du  gouvernement  de  Févèque  et  des  prêtres  séculiers 
[Relation  de  1616,  p.  21)?  M.  Faillon  cite  lui-même  ses  paroles,  t.  II, 
p.  52.  Est-ce  que  le  P.  Lalemant  n'écrivait  pas,  dès  1633,  au  R.  P. 
Général,  par  Fentremise  du  P.  Charlet,  assistant  de  France  à  Rome, 
qu'âDec  le  temps  il  faudrait  un  évêque  au  Canada,  car  ceux  qui  étaient 
là  ne  dépendaient  d'aucun  évêque?  —  2)  Le  11  octobre  1646,  la  Mère 
Marie  de  l'Incarnation  écrivait  :  Pour  moi,  mon  sentiment  est  que 
Dieu  ne  veut  pas  encore  d' évêque  en  ce  pays;  et  elle  donnait  deux 
raisons  de  son  sentiment  à  elle  :  d'abord  le  pays  n'est  pas  assez  établi  ; 
ensuite,  il  y  a  de  la  nécessité  que  les  Pères  cultivent  le  christianisme 


—  19G  — 

d'en  convenir  :  ((  Si  Ton  considère,  dit-il,  ce  qui  eut  lieu 
immédiatement  après  (la  mort  de  M.  Legauffre),  savoir  que 
la  paix  avec  les  Iroquois  fut  rompue  au  bout  d'une  année 

encore  quelque  temps  sans  quil  y  ait  personne  qui  puisse  être  contraire 
à  leui^s  desseins  [Lettre  spirituelle  47'').  C'est  son  sentiment  quelle 
exprime,  et  nous  partageons  sa  manière  de  voir.  Mais  l'historien  de 
Mgr  de  Laval  part  de  là  pour  écrire  ce  qui  suit,  p.  96  :  ((  Ces  der- 
nières paroles  de  Marie  de  Flncarnation  font  suffisamment  entendre 
que  les  Jésuites,  outre  la  raison  avouée  qu'ils  alléguaient  pour  s'opposer 
à  la  nomination  du  nouvel  évêque,  à  savoir  que  le  temps  n'en  était 
pas  encore  venu,  en  avaient  une  autre  qu'ils  ne  donnaient  pas,  c'est 
qu'ils  craignaient  que  ce  nouvel  évèque  n'eût  des  vues  différentes 
des  leurs.  »  M.  Gosselin  renchérit  ici  sur  son  maître,  M.  Faillon,  en 
mettant  sur  le  compte  des  Jésuites,  et  en  l'exagérant,  le  sentiment 
personnel  de  Marie  de  l'Incarnation.  En  outre,  comment  les  Jésuites 
pouvaient-ils,  après  la  mort  de  M,  Legauffre,  s'opposer  à  la  nomina- 
tion d'un  nouvel  évèque,  de  crainte  quil  n'eût  des  vues  différentes  des 
leurs,  puisque,  de  l'aveu  même  de  M.  Gosselin  (p.  99),  «  tout  le  monde 
était  d'accord  qu'il  fallait  que  le  nouvel  évêque  fût  agréable  aux 
Jésuites,  alors  seuls  chargés  de  toutes  les  missions  du  Canada?  »  Ne 
pourrait-on  pas,  avec  raison,  émettre  l'idée  que  certai/is  se  montrèrent 
très  empressés  à  demander  un  évêque,  pour  faire  nommer  un  de  leurs 
amis,  et  écarter  ainsi  la  nomination  d'un  Jésuite,  nomination  qu'ils 
redoutaient  par  dessus  tout?  Les  Jésuites  n'avaient  pas  la  même 
ambition  pour  leur  Ordre  :  ils  le  prouvèrent  assez  en  refusant 
l'épiscopat,  comme  on  le  verra  plus  loin,  en  1650.  Déjà,  au  mois 
d'octobre  1648,  le  P.  Vimont  ayant  écrit  au  R.  P.  Général  qu'il  n'y 
avait  pas  lieu  de  hâter  la  nomination  d'un  évêque,  à  cause  des  grands 
troubles  et  des  guerres  survenus  au  Canada,  le  général  Piccolimini 
lui  répondit  le  20  janvier  1649  :  «  De  episcopo  non  est  quod  moneat 
Ria  Va  ut  lente  festinem  ;  ea  enim  cura  non  ad  me  pertinet,  et  optan- 
dum  id  munus  ah  societate  procul  esse.  «  (Arch.  gen.  S.  J.)  —  Inutile 
de  relever  les  inexactitudes  de  détail,  qui  ne  sont  pas  rares  dans 
Faillon,  de  la  p.  48  à  la  p.  53;  citons  seulement,  pour  mémoire,  cette 
phrase  de  la  p.  48  :  «  Le  P.  Georges  Delahaye,  qui  prenait  soin  alors 
de  la  mission  du  Canada.  Le  P.  Delahaye  fut,  en  effet,  consulté, 
d'après  ce  que  rapporte  Marie  de  Flncarnation  [Lettre  spirituelle  67", 
p.  80),  mais  il  ne  prenait  nul  soin  de  la  7nission  de  ce  pays;  il  était 
supérieur  de  la  maison  professe  de  Paris.  C'est  le  P.  Le  Jeune  qui 
était  procureur  à  Paris  de  la  mission  de  la  Nouvelle-France,  et  le 
P.  Charles  Lalemant  secondait  ses  généreux  efforts  pour  la  prospérité 
de  cette  mission. 


—  197  — 

et  que  la  g-uerre  avec  ces  barbares  réduisit  la  Colonie 
française  aux  dernières  extrémités,  on  conviendra  en 
effet  qu'un  évêque  n'était  pas  encore  devenu  nécessaire  ^  » 
Cependant  le  gouvernement  de  la  Métropole  ne  renonça 
pas  à  ce  projet;  il  se  contenta  d'en  ajourner  l'exécution  à 
de  meilleurs  jours.  Ce  qui  le  prouve,  c'est  que  l'année  sui- 
vante (16i7)  le  Roi  déclare,  dans  les  articles  dressés  pour 
l'établissement  du  Conseil  de  Québec,  que  le  supérieur  des 
Jésuites  fera  partie  de  ce  Conseil,  «  en  attendant,  dit  l'arrêt, 
qu'il  y  ait  un  évêque  au  Canada.  » 

Les  Cent-Associés,  piqués  au  vif  par  la  démarche  pré- 
maturée de  la  Société  de  Montréal,  s'avisèrent  aussi  de 
faire  du  zèle.  En  1650,  les  directeurs  de  cette  Compagnie 
prièrent  la  Reine-mère,  Anne  d'Autriche,  d'obtenir  de 
Rome  l'érection  de  l'évêché,  et  ils  proposèrent  pour  ce 
siège  le  P.  Charles  Lalemant.  La  Reine-mère,  qui  s'inté- 
ressait plus  que  personne,  à  l'avenir  religieux  du  Canada, 
porta  la  demande  des  Directeurs  au  Conseil  des  affaires 
ecclésiastiques.  Le  P.  Paulin,  confesseur  du  Roi,  y  assis- 
tait. Trois  noms  furent  discutés  :  Lalemant,  Ragueneau  et 
Le  Jeune,  tous  trois  Jésuites.  Ragueneau  avait  déployé 
dans  les  missions  huronnes  les  plus  hautes  qualités  du 
supérieur  dévoué,  prévoyant  et  organisateur.  Le  Procureur 
de  la  mission  à  Paris  écrivait  de  lui  :  «  C'est  un  ouvrier 
intelligent  et  industrieux-.  »  L'auteur  du  répertoire  du 
clergé  canadien  est  encore  plus  louangeur  :  «  Aucun  mis- 
sionnaire peut-être,  dit-il,  ne  contribua  davantage  au 
progrès  du  christianisme  en  Canada  et  ne  mérita  mieux  le 
titre  d'apôtre'^.  » 

1,  Histoire  de  In  Colonie  Française,  t.  II,  p.  53. 

2,  Epistola  P.  Pauli  Le  Jeune  ad  R.  P.  Gencralem,  antc  Kal.  Jan- 
narii  an.  1654  :  «  Pater  iste  egreg^ius  est  et  industrius  operarius  in 
vinea  Domini.  »  (Arch.  g-en.  S.  J.) 

3,  Répertoire ,  \).  33. 


—  198  - 

Mais  on  a  dit  avec  raison  que  tel  brille  au  second  rang, 
qui  s'éclipse  au  premier.  Devenu  recteur  de  Québec  et  supé- 
rieur des  missions  du  Canada,  en  remplacement  du  P.  Jérôme 
Lalemant,  il  mécontenta  les  missionnaires  comme  supérieur 
en  s'immisçant  trop  dans  les  affaires  civiles  et  administra- 
tives de  la  colonie,  et  comme  membre  du  conseil,  il  déplut, 
toujours  par  le  même  motif,  à  un  assez  grand  nombre  de 
colons. 

En  revanche,  il  fut  l'ami  et  le  conseiller  intime  du  gou- 
verneur, M.  de  Lauson,  dont  il  dirigeait  la  conscience; 
situation  très  délicate,  dont  il  ne  sut  pas  tirer  bon  parti  ^ 
pour  le  bien  général  de  la  colonie.  Il  se  laissa  sans  doute 
entraîner  par  un  amour  excessif  du  bien  public,  par  le  désir 
très  légitime  de  fortifier  la  foi  dans  les  âmes,  d'assurer  à 
l'église  la  première  place  dans  l'administration  coloniale; 
il  n'en  fit  j^as  moins  fausse  route  ^.  Sa  fonction  de  membre 
du  conseil  peut  excuser  en  partie  ses  excès  de  zèle,  elle  ne 
les  justifie  pas  complètement. 

Charles  Lalemant,  que  ses  aventures  sur  mer  ont  rendu 
célèbre,  n'avait  ni  le  talent  ni  les  défauts  de  son  confrère. 
La  vie  dure  du  missionnaire  à  la  recherche  des  âmes  n'allait 
pas  à  son  tempérament;  s'il  ne  reculait  jamais  devant  les 
ordres  de  l'obéissance,  les  supérieurs,  qui  savaient  ses  répu- 

1.  Lettre  du  P.  Barthélémy  Vimont  au  R.  P.  Général,  Goswiii 
Nickel,  16  oct,  1652  :  <(  Yerum  est  quod  superior  (P.  Ragueneau) 
videtur  se  plurimum  implicere  cum  Domino  Gubernatore  et  aliis  viris 
consiliariis  hujusce  regionis  ad  omnia  plene  gerenda  negotiorum. 
Undè  oriuntur  clamores  aliqui  contra  ipsum  et  contra  nos.  Sed  videtur 
eum  cogère  aliqua  nécessitas  ad  stabiliendam  coloniam  et  tuendum 
religionis  statum  »  (Arch.  gen.  S.  J.).  —  En  1655,  le  P.  Poncet 
écrivait  aussi  au  même  P.  Général  :  «  P.  Ragueneau  nimis  se 
immiscet  in  rébus  gubernii,  quarum  rerum  notitiam  non  habet... 
Gubernator  est  plenè  ad  manum  Patris,  et  indè  odia  in  Societatem 
suscitantur.  »  [Ibid.).  D'autres  lettres  confirment  ce  qui  est  dit  dans 
celles-ci. 


—  199  — 

g-nances,  ne  le  condamnèrent  pas  à  vivre  au  milieu  des  sau- 
vag-es.  Il  resta  à  Québec,  et  là  il  se  conquit  les  sympathies 
de  tous  les  colons,  sans  en  excepter  les  coureurs  de  bois, 
qui  faisaient  pour  lui  ce  que  personne  n'obtenait  d'eux  i.  Le 
P.  Le  Jeune,  son  supérieur  au  Canada,  comprit  que  ce  Père 
rendrait  plus  de  services  à  la  mission,  en  qualité  de  pro- 
cureur général  à  Paris,  que  dans  ses  fonctions  de  directeur 
-des  consciences  et  de  régent  à  Québec;  il  le  renvoya  en 
France-.  A  Paris,  il  devint  l'ami  le  plus  écouté  des 
•directeurs  de  la  Compagnie  de  la  Nouvelle-France;  il  se 
répandit  même  très  vite  dans  la  société  parisienne,  et 
■se  lia  d'amitié  avec  le  prince  de  Conti.  Actif,  aimable, 
fidèle  à  ses  amis,  très  dévoué,  il  sut  remplacer  ce  qui 
lui  manquait  du  côté  de  la  science,  par  une  éducation 
•distinguée  et  un  grand  savoir-faire.  On  ne  l'aimait 
pas  à  la  Cour  à  cause  de  sa  liaison  avec  le  prince  de 
"Conti;  on  l'accusait  même  de  favoriser  la  Fronde.  Le 
P.  Paulin  l'avait  en  aversion;  Anne  d'Autriche  redoutait 
son  influence;  Mazarin  le  faisait  espionner.  Le  P.  Lalemant 
était  alors  supérieur  de  la  maison  professe  de  Paris.  Le 
Tellier  prévient  Colbert  qu'il  a  besoin  d'être  surveillé,  et 
'Colbert  lui  répond  :  «  Son  Eminence  (le  cardinal  Mazarin) 
m'ordonne  de  vous  écrire  que  vous  preniez  la  peine  de  vous 
informer  du  Père  Le  Mérac  ou  de  quelque  autre  Jésuite, 
si  on  ne  .pourrait  pas  trouver  quelque  expédient  pour  faire 
changer  avec  bienséance  le  P.  Lalemant.  En  ce  cas.  Son 
Eminence  en  écrira  au  Père  Général  ^.  »  Trois  jours  plus 
tard,  il  écrit  encore  :  «  Son  Eminence  a  été  assurée  par  le 
P.  Paulin  qu'il  (le  P.  Lalemant)  ne  ferait  rien  contre  les 

1.  Voiries  Relafions  de  1632,  1633,  1634,  1635  et  1636,  passmi. 

2.  Relations  de  1638,  p.  31  ;  —  de  1640,  p.  37. 

3.  Correspondance  de  Colbert  avec  Le  Tellier,  Compiègne,  12  juin 
1650,  t.  I,  p.  12. 


—  200  — 

instructions  et  le  bien  du  service  du  Rov,  et,  pour  plus  de 
précaution,  elle  vous  j^rie  de  le  faire  éclairer  de  près  par 
quelqu'un  de  vos  amis  de  cette  Compagnie  ^.   » 

Evidemment,  cette  candidature  ne  devait  pas  être  agréable 
à  la  Reine-mère,  et  elle  ne  le  fut  pas,  en  effet.  Cependant, 
on  ne  l'écarta  pas.  Peut-être  trouvait-on  là  Y  expédient 
recherché  d'éloigner  avec  bienséance  de  Paris  le  dangereux 
supérieur. 

Le  candidat  préféré  de  la  Reine-mère  était  le  P.  Le 
Jeune-,  des  trois  le  plus  complet  incontestablement.  Son 
caractère  manquait  de  souplesse  ;  on  sentait  en  lui  l'homme 
de  tête  et  de  volonté  ;  le  cœur  se  montrait  moins  ou  n'appa- 
raissait qu'à  travers  la  constance  du  dévouement.  Le  pro- 
testant converti  ne  se  défît  jamais  de  sa  première  éducation. 
Dur  envers  lui-même,  il  éprouvait  une  certaine  peine  à 
comprendre,  dans  ses  rapports  avec  les  inférieurs,  la  néces- 
sité des  ménagements.  Son  administration  à  Québec  se 
ressentit  plus  d'une  fois  de  la  raideur  native  de  son  carac- 
tère. Moins  doux  que  ferme,  il  ne  sut  pas  assez  mélanger 
dans  une  juste  mesure  ces  deux  éléments  constitutifs  d'un 
parfait  gouvernement  :  la  force  et  la  suavité.  Toutefois,  des 
qualités  de  premier  ordre  rachetaient  ce  défaut  :  intelli- 
gence, savoir,  sens  pratique,  connaissance  des  hommes  et 
des  choses,  amour  du  devoir  et  du  sacrifice,  constance 
persévérante,  il  possédait  tout  cela  à  un  haut  degré,  au 
dire  de  ses  contemporains.  A  notre  avis,  ce  fut  le  mission- 
naire le  mieux  doué  de  la  Nouvelle-France  au  xvii^  siècle. 
Jérôme  Lalemant  et  Paul  Ragueneau  se  rapprochèrent  le 

4.  Lettre  du  15  juin  1650.  (Ihid.).  —  Voir  dans  la  a  Première  Jeu- 
nesse de  Louis  XIV,  par  le  P.  H.  Chérot;  Desclée,  1692,  »  une  lettre 
du  Paulin,  datée  de  Paris,  15  décembre  1652,  pp.  133-435. 

2.  Histoire  de  la  Nouvelle-France,  par  le  P.  de  Charlevoix,  t.  I, 
p.  339. 


—  201   — 

plus  de  lui  par  l'ensemble  de  leurs  qualités,  ils  ne  l'éga- 
lèrent pas.  Anne  d'Autriche  l'estimait  particulièrement  et 
le  consulta  souvent.  Ce  fut  lui  qu'elle  recommanda  à  Rome. 
Ce  qui  n'empêcha  pas  le  Conseil  des  choses  ecclésiastiques  de 
proposer  les  trois  candidats  et  de  renvoyer  aux  Pères  de  la 
Compagnie  de  Jésus  pour  le  choix  de  Vun  des  trois.  Les 
directeurs  de  la  Compagnie  de  la  Nouvelle-France  ne  s'en 
tinrent  pas  là  :  ils  écrivirent  au  Général  de  l'Ordre  une 
lettre  collective,  où  ils  demandaient  pour  évêque  un  Jésuite, 
et  de  préférence  le  P.  Charles  Lalemant  ^ 

Goswin  Nickel,  alors  vicaire  général  de  la  Compagnie, 
les  refusa  tous  trois,  par  cette  raison  que  la  règle  de  l'Ordre 
interdisait  aux  religieux  l'accès  des  dignités  ecclésiastiques. 
Le  P.  Lalemant  et  le  P.  Le  Jeune,  avisés  de  ce  qui  se 
passait,  s'étaient  déjà  excusés  de  ne  pouvoir  accepter  l'épis- 

1.  Lettre  des  directeurs  de  la  Compagnie  de  la  Nouvelle-France 
au  R.  P.  Général;  Paris,  juin  1651.  —  Le  P.  Carayon  a  fait  imprimer 
cette  lettre  dans  ses  Documentai  inédits,  XII,  p.  25o.  —  Le  P.  Goswin 
Nickel  y  répondit,  de  Rome,  le  31  juillet  1651  :  Canadensis  vestra 
Societas,  Illustrissimi  Domini,  opus  est  plénum  non  modo  liberalitatis 
magnificse,  sedetiam  christianœ  pietatis,  quandoscopus  ejus  est  quod 
in  cœlo  terrisque  est  maximum,  major  Dei  gloria  salusque  barba- 
rorum.  Si  quid  autem  ad  illud  contulerunt  PP.  Nostri  de  suis  labo- 
ribus,  ne  vitœ  quidem  ipsi  parcentes,  sicut  commemoratis,  fecerunt 
omninô  illi  quod  facere  debuerunt,  ut  dignum  vocatione  suà  probarent 
animum,  Deoque  crcatori  suo  fidèle  praîstarent  obsequium,  pro  quo 
mori  lucrum.  Jam  verô  quod  vos  charitatis  ardore  incensi,  cogitatis 
de  procurando  errantibus  ovibus  magno  pastore  seu  episcopo  per 
autoritatem  regii  consilii  stabilito,  qui  sit  unus  è  Societate  nostrâ, 
1.  E.,  Pater  Carolus  Lalemant,  domus  professa^  parisiensis  praepositus, 
in  hoc  profecto  eximiœ  ergà  nos  voluntatis  signum  certum  agnosci- 
mus;  credo  autem  vobis  esse  notam  satis  instituti  nostri  rationem  et 
arctam  votorum  obligationem. 

Vos  itaque  facile  videbitis  quod  Deo  gratins  vestrteque  nobilissimae 
associationifuerit  commodiùs.  Intereà  vero  Deum  precaborutcopiosâ 
vos  benedictione  impartiatur,  compensans  largissimè  temporalia 
aeternis  et  terrena  cœlestibus.  (Arch.  gen.  S.  J.) 


—  202  — 

copat;  ils  étaient  du  reste  absolument  opposés  à  la  nomi- 
nation d'un  religieux  d'un  ordre  quelconque,  et  le  P. 
Lalemant  écrivait  au  P.  Charlet,  assistant  de  France  à 
Rome,  Aq  prendre  garde  qu  aucun  religieux  n'eût  cette 
charge  ^ . 

Le  Conseil  des  choses  ecclésiastiques  et  les  directeurs  de 
la  Compagnie  de  la  Nouvelle-France  n'insistèrent  pas,  parce 
que  la  France  était  à  cette  époque  trop  bouleversée  par  les 
agitations  des  Frondeurs;  l'affaire  de  l'évêché  de  Québec  en 
resta  là  jusqu'à  de  meilleurs  jours. 

Depuis  quatre  ans,  du  reste,  la  situation  des  missionnaires 
du  Canada  s'était  profondément  modifiée  au  point  de  vue 
de  la  juridiction  ecclésiastique.  Nous  avons  vu  qu'en  1632 
et  les  années  suivantes,  ils  avaient  reçu  les  pouvoirs  de 
Rome  directement,  qu'on  leur  avait  même  communiqué  les 
facultés  accordées  par  les  souverains  pontifes  aux  Indes 
Orientales.  Comme  le  Canada  ne  dépendait  d'aucun  évêché, 
ils  n'avaient  demandé  V approbation  à  aucun  évêque.  Or, 
en  1647,  des  lettres  venues  de  France  leur  apprirent  que 
Mgr  l'archevêque  de  Rouen  prétendait  avoir  droit  de  juri- 
diction sur  les  pays  de  l'Amérique  septentrionale. 

D'où  venait  cette  prétention ,  et  que  s'était-il  passé  ? 
Chose  curieuse!  L'assemblée  générale  du  clergé  de  France, 
commencée  le  26  mai  1645  et  terminée  le  28  juillet  1646, 
ne  contient  nulle  trace  de  cette  juridiction  nouvelle.  N'était- 
ce  cependant  pas  le  lieu  et  l'occasion  de  parler  d'une  ques- 
tion de  cette  importance?  Et,   l'assemblée  dissoute,  voici 

1.  Archives  génér.  de  la  Compagnie.  —  M.  de  la  Tour  dit  dans  la 
Vie  de  Mgr  de  Laval,  pp.  10  et  H  :  ((  La  reine  Anne  d'Autriche  avait 
offert  cet  évêché  (de  Québec)  aux  Jésuites  comme  plus  propres  que 
d'autres  à  y  maintenirle  bien  qu'ils  avaient  heureusement  commencé; 
mais  ils  le  refusèrent,  parce  que  leur  institut  les  exclut  de  toutes  les 
dignités  ecclésiastiques.   » 


—  203  — 

que  Mgr  de  Harlay  se  d'clare  TOrdinaire  de  la  Nouvelle- 
France. 

Sur  quoi  s'appuvait  donc  cette  prise  de  possession  du 
territoire  canadien?  Sur  ces  faits  très  simples.  Beaucoup  de 
<?olons  sortaient  du  diocèse  de  Rouen,  et  rembarquement 
pour  le  Canada  se  faisait  soit  au  Havre,  soit  à  Dieppe.  D'un 
autre  côté,  les  missionnaires,  qui  partaient  de  l'un  de  ces 
ports ,  demandaient  à  l'archevêché  les  pouvoirs  pour  la 
traversée  ;  il  est  probable  aussi  que  les  prêtres  séculiers  ^ , 
qui  vinrent  partager  les  travaux  des  Jésuites  de  Québec, 
de  1634  à  1648,  firent  voile  de  l'un  ou  l'autre  de  ces  ports 
et  se  munirent,  avant  le  départ,  auprès  de  l'autorité  diocé- 
saine, des  pouvoirs  spirituels  pour  l'exercice  de  leur  minis- 
tère sacerdotal  ;  et  ainsi  l'archevêque  de  Rouen,  Primat  de 
Normandie,  s'habitua  peu  à  peu  à  regarder  le  Canada 
comme  partie  intégrante  de  son  domaine.  Ce  fut  Mgr  de 
Harlay,  qui  lit  le  premier  acte  d'autorité  sur  la  Nouvelle- 
France  ;  et  son  successeur  alla  jusqu'à  soutenir  que  le  seul 
fait  d'avoir  envoyé  au  Canada  des  prêtres  de  son  diocèse, 
mettait  ce  pays  sous  sa  dépendance'-. 

Cette  prise  de  possession  ne  pouvait  être  correcte  :  un 
diocèse  ne  s'agrandit  pas  ainsi.  Pour  que  les  pays  d'outre- 
mer, nouvellement  acquis,  vinssent  faire  partie  du  terri- 
toire administré  par  l'archevêque  de  Rouen,  une  concession 
du  siège  apostolique  eût  été  nécessaire;  et,  dans  le  cas 
présent,  il  n'y  eut  aucun  bref,  aucune  parole,  aucun  acte 

1.  Citons,  parmi  ces  prêtres,  M.  Jean  Le  Sueur  de  Saint-Sauveur, 
qui  arriva  à  Québec  le  8  août  1634;  M.  Gilles  Nicolet,  qui  vint  à 
Québec  en  1635;  M.  Antoine  Faulx,  qui  est  au  Canada,  en  août  1641, 
•et  retourna  en  France  en  1644;  M.  René  Chartier,  arrivé  à  Québec  le 
15  août  1643  ;  M.  Guillaume  Vignal,  qui  débarqua  à  Quél)oc  le  13 
sept.  1648. 

2.  Histoire  de  la  Colonie  Française ,  t.  11,  p.  329.  —  M.  Gosselin, 
•dans  la  Vie  de  Mr/r  de  Laval,  p.  130. 


—  204  — 

positif  de  Rome  autorisant  le  Primat  de  Normandie  à 
étendre  sa  jm^idiction,  en  dehors  de  son  diocèse,  sur  le 
continent  américain.  C'est  ce  que  fît  savoir  la  Propagande  à 
Mgr  de  Harlay  par  l'entremise  de  M.  de  GuelFier,  conseiller 
d'Etat,  résident  de  France  à  Rome^.  Les  droits  de  l'arche- 
vêque de  Rouen  n'étaient  fondés  sur  aucun  titre,  et  si  les 
raisons  qu'il  alléguait  pour  les  affirmer  eussent  été  valables, 
les  évêques  de  Nantes,  de  la  Rochelle,  de  Rayonne  et 
d'autres  ports  de  départ,  auraient  pu  faire  valoir  les  mêmes 
raisons  pour  s'arroger  les  mêmes  droits-.  De  là  conflit  de 
juridiction. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  grave  question,  aujourd'hui 
résolue,  mais  enveloppée  alors  d'obscurités,  grâce  aux 
empiétements  de  l'église  gallicane,  il  reste  un  fait  certain, 
c'est  qu'en  France,  dès  1647,  beaucoup  de  personnes  consi- 
déraient le  Canada  comme  relevant  directement,  au  spirituel, 
de  l'autorité  archiépiscopale  de  Rouen.  Il  semble  même  que 
le  gouvernement  pensait  ainsi,  puisqu'il  défendit  à  Rome 
les  prétentions  de  Mgr  de  Harlay  3.  Au  Canada,  on  pro- 
fessait une  doctrine  différente,  à  en  juger  par  le  Journal 
des  Jésuites,  qui  déclare  «  que  jusques  en  l'an  1647  on 
n'avait  eu  raport  à  aucun  évêque  pour  le  gouvernement 
spirituel   de  ce   pays  ^   ». 

\.  Histoire  delà  Colonie  française,  t.  II,  p.  329. 

2.  L'abbé  de  la  Tour  dit  dans  ses  mémoires  sur  la  vie  de  Mgr  de 
Laval  :  «  L'archevêque  de  Rouen  n'avait  pour  lui  que  des  pouvoirs 
accordés  à  plusieurs  missionnaires  lors  de  leur  départ,  ce  qu'il  appe- 
lait possession,  et  ce  que  les  évêques  de  Lizieux,  de  Saint-Malo,  de 
Vannes,  de  Nantes,  de  Mallezais  (La  Rochelle),  de  Bordeaux,  de 
Rayonne,  avaient  aussi  bien  que  lui,  puisqu'ils  avaient  également 
donné  des  pouvoirs  aux  missionnaires  qui  étaient  partis  de  divers 
ports  de  mer  situés  dans  tous  ces  diocèses;  ce  qui  n'avait  pu  incor- 
porer à  son  église  des  terres  nouvellement  découvertes.  » 

3.  Faillon,  t.  Il,  p.  333  :  Lettres  patentes  de  Louis  XIV. 

4.  P.  196. 


—  205  — 

Un  événement  de  peu  d'importance  en  soi,  quoique 
très  significatif  dans  la  matière  qui  nous  occupe,  est 
une  preuve  nouvelle  de  l'indépendance  de  l'Eg-lise  du 
Canada  à  cette  époque;  il  prouve  du  moins  qu'elle 
croyait  ne  pas  relever  de  l'archevêché  de  Rouen.  «  M.  l'abbé 
de  Quelus,  raconte  Charlevoix,  était  venu  à  Québec,  muni 
d'une  provision  de  grand-vicaire  de  l'archevêque  de 
Rouen;  mais  comme  la  juridiction  de  ce  prélat  sur  la 
Nouvelle-France  n'était  fondée  sur  aucun  titre,  et  que 
les  évêques  de  Nantes  et  de  la  Rochelle  avaient  les 
mêmes  prétentions  que  lui  ;  l'abbé  de  Quelus  ne  fut  point 
reconnu  en  qualité  de  grand-vicaire  et  s'en  retourna  en 
France  ^  »  Ceci  se  passait  en  1644,  et,  l'année  suivante,  le 
clergé  de  France  se  réunissait  en  assemblée  générale.  Si  la 
juridiction  de  Mgr  de  Harlay  sur  le  Canada  eût  alors  existé 
réellement,  il  n'aurait  pas  manqué  de  porter  plainte  contre 
le  supérieur  de  Québec,  rebelle  à  son  autorité  et  refusant 
de  reconnaître  son  grand  vicaire.  Il  n'en  fallait  pas  tant, 
on  le  sait,  pour  soulever,  en  ce  temps-là,  les  protestations 
de  Fépiscopat  français  contre  les  privilèges  des  religieux, 
contre  leur  esprit  ou  prétendu  esprit  d'insubordination.  Or, 
il  n'est  trace  nulle  part,  dans  les  procès-verbaux  de 
l'assemblée  générale,  non  seulement  d'une  protestation, 
mais  même  d'une  plainte  du  Primat  de  Normandie,  contre 
Facte  d'autorité  du  supérieur  de  la  mission. 

Aussi  très  grand  fut  l'étonnement  des  missionnaires, 
lorsqu'ils  apprirent  que  ce  prélat  considérait  le  Canada 
comme  relevant  de  sa  juridiction.  L'inquiétude  vint  bientôt 
se  mêler  à  la  surprise,  et  cela  se  comprend.  Car,  dans  la 
persuasion  où  ils  vivaient  depuis  plus  de  quinze  ans,  que 
le  territoire  de  la  Nouvelle-France  n'était  soumis  à  aucun 

1.  Histoire  générale  de  la  Nouvelle-France,  t.  I,  p.  340. 


—  206  — 

évêque,  jamais  ils  n'avaient  fait  approuver  les  pouvoirs- 
reçus  de  Rome.  Ils  avaient  exercé  les  fonctions  ecclésias- 
tiques, légitimé  les  mariages,  admis  les  religieuses  à  la 
profession,  sous  l'autorité  immédiate  du  Souverain-Pontife. 
Et  en  cela  ils  avaient  agi  avec  la  plus  parfaite  correction  ; 
il  ne  leur  était  A^enu  à  l'idée  ni  d'agir  ni  de  pouvoir  agir 
autrement.  Les  lettres  de  France  troublèrent,  bien  entendu, 
cette  quiétude  très  légitime  ;  elles  soulevèrent,  bien  à  tort, 
dans  les  esprits  de  quelques  timorés  des  doutes  sérieux  sur 
la  validité  de  certains  mariages  et  des  professions  reli- 
gieuses. 

Puis,  que  faire  désormais?  Fallait-il  ne  rien  changer  à 
la  conduite  du  passé,  ou  se  soumettre  franchement  à  la 
juridiction  de  l'archevêque  de  Rouen?  Avant  toute  décision., 
il  y  avait  une  question  de  fait  à  résoudre  :  les  territoires 
conquis  et  possédés  par  la  France  dans  l'Amérique  septen- 
trionale dépendaient-ils  du  diocèse  de  Rouen  ?  Les  éléments 
d'information  manquaient  pour  se  prononcer  sur  cette 
question  préalable.  Le  P.  Vimont  fut  donc  chargé  d'aller 
se  renseigner  en  France  et  de  consulter  ensuite  les  théolo- 
giens de  l'Ordre  1. 

Ce  qu'il  apprit  à  Paris  sur  la  question  de  fait  n'apporta 
pas  grande  lumière  dans  son  esprit  ;  tout  se  réduisait  à 
ceci,  que  Mgr  de  Harlay  avait  manifesté  son  autorité  spi- 
rituelle par  plusieurs  actes  de  juridiction.  Mais  ce  pouvoir 
était-il  réel  ?  n'était-il  pas  usurpé  ?  A  notre  avis,  le 
P.  Vimont  eût  mieux  fait  d'interroger  la  Propagande  sur 

i.  Le  15  octobre  1647,  le  P.  Vimont  écrivait  de  Québec  au  R.  P.. 
Général  :  «  Quia  res  eget  consilio  et  ope  veteris  nostrse  Francise 
statuit  P.  Superior,  negocio  cum  consultoribus  deliberato, 
mittere  me  in  Galliam,  prsesertim  cum  sint  pleraque  alia  de  quibus. 
hic  dubitamus  et  quœ  cum  P.  Provinciali  consultanda  sint.  Brevi,. 
Deo  dante,  navem  conscendemus  in  Galliam  navigaturi.  »  (Arch^ 
gen.  S.  J.) 


—  207  — 

ce  point  capital,  de  demander  à  Rome  s'il  existait  un  acte 
pontifical  autorisant  l'ag-randissement  du  domaine  spirituel 
de  l'archevêque  de  Rouen.  Par  là  on  eût  peut-être  évité 
les  diflicultés  que  fit  naître  dans  l'avenir  la  reconnaissance 
des  prétendus  droits  du  Prélat.  Mais,  à  Paris,  les  Pères 
pensèrent  qu'il  y  aurait  de  graves  inconvénients  à  se  livrer 
à  cette  espèce  d'enquête  et  qu'il  était  préférable  d'accepter 
le  fait  accompli.  Etant  donné  du  reste  les  pouvoirs  très 
amples  que  les  missionnaires  tenaient  directement  du  Saint- 
Siège,  les  théologiens  ne  voyaient  pas  quelles  fâcheuses 
conséquences  pourrait  avoir,  au  point  de  vue  du  ministère, 
l'approbation  de  l'archevêque,  en  supposant  qu'elle  ne  fût 
pas  valide. 

Cette  opinion  avait  sa  raison  d'être.  En  conséquence, 
dit  le  Journal  des  Jésuites ,  «  après  avoir  consulté  Rome, 
les  principaux  Pères  de  nostre  Compagnie  de  la  mai- 
son professe  et  du  collège,  le  sens  le  plus  commun  fut 
qu'il  fallait  s'adresser  et  attacher  à  M.  de  Rouen i.   »  Cette 

1.  P.  186,  —  Le  P.  Vimont  consulta  Rome,  en  effet  ;  mais  il  n'at- 
tendit pas  la  réponse  du  Général,  et  comme  les  Pères  de  la  maison 
professe  de  Paris  et  ceux  du  collèg-e  de  Clermont  furent  d'avis  qu'il 
fallait  s'attacher  à  M,  de  Rouen,  il  écrivit  de  suite  au  P.  Pingeolet 
pour  obtenir  de  Sa  Grandeur  les  lettres  de  grand  vicaire.  Le 
R.  P.  Général  ne  croyait  pas,  comme  bien  d'autres,  à  l'autorité  que 
s'arrogeait  Mgr  de  Rouen  sur  le  Canada.  Aussi  écrivit-il,  le 
28  décembre  1648,  au  P.  Etienne  Charlet,  provincial  de  Paris  : 
Fertur  Patrem  Vimont  vicariatum  nescio  quem  ab  illustrissimo 
Rothomagensi  episcopo  patentibus  litteris  accepisse.  )>  (Arch.  gen. 
S.  J.)  Il  écrit  encore  le  18  janvier  :  «  Non  intelligimus  cur 
Patres  Canadenses  cum  haberent  ab  Innocentio  X  facultatem  admi- 
nistrandi  omnia  sacramenta  etiam  parochialia  in  diœcesibus  ubi  non 
erunt  episcopi  vel  ordinarii  aut  eorum  vicarii,  vel  in  parochiis  ubi 
non  erunt  parochi  vel  ubi  erunt  de  eorum  licentiâ,  tamen  confugerint 
ad  archiepiscopum  rothomagensem  ut  ab  eo  juridictionem  accipe- 
rent.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

Enfin,  dans  une  autre  lettre,  il  s'exprime  ainsi  sur  les  raisons  que 


—  208  — 

décision  prise,  le  P.  Vimont  pria  le  P.  Pingeolet,  recteur 
du  collège  de  Rouen,  d'obtenir  de  Sa  Grandeur  des  lettres 
de  Vicaire  général  pour  le  supérieur  des  Jésuites  de  Québec. 
Sa  Grandeur  les  accorda  volontiers,  et  deux  ans  après,  le 
30  avril  1649,  «  elle  envoya  une  patente  bien  ample,  adres- 
sée au  R.  P.  assistant,  par  laquelle  elle  étaJ^lissait  le  supé- 
rieur de  la  mission  son  vicaire  général  avec  toutes  les 
précautions  possibles  pour  le  bien  de  la  Compagnie  L  » 

11  faut  croire  que  les  missionnaires  ne  se  montrèrent  pas 
très  fiers  de  leur  nouvelle  dignité,  puisqu'ils  «  ne  jugèrent 
pas  à  propos  de  faire  encore  éclater  beaucoup  au  dehors 
cette  affaire-  j),  et  cela  pendant  cinq  ans.  Et  puis,  le  Géné- 
ral de  la  Compagnie  n'avait  pas  approuvé  la  démarche  du 
P.  Yimont  à  Rouen;  il  ne  croyait  pas  à  l'autorité  de  l'ar- 
chevêque sur  le  Canada.  L'archevêque  lui-même  ne  parais- 
sait pas  très  sûr  de  la  légitimité  de  sa  juridiction,  telle- 
ment il  procédait  avec  mystère  et  timidité,  intervenant  le 
moins  possible  et  sans  bruit. 

Son  successeur  et  neveu,  Mgr  François  de  Harlay  de 
Champollion,  sortit  de  cette  prudente  réserve;  il  affirma 
hautement  ses  prétentions,  en  faisant  publier  dans  la  Nou- 
velle-France le  jubilé  du  Souverain-Pontife,  Innocent  X. 
«  Cette  publication,  sous  son  nom  et  autorité,  dit  le 
Journal  des  Jésuites,  est  le  premier  acte  qui  ait  paru  notoi- 
rement dans  le  pays  3.  » 

Tarchevêque  de  Rouen  met  en  avant  pour  prouver  son  autorité  spi- 
rituelle sur  le  Canada  :  ((  Rationes  illustrissimi  archiepiscopi  rotho- 
magensis  nullius  hic  momenti  judicantur  (Romce,  28  feb.  ;  Arch. 
gen.  S.  J.) 

1.  Journal  des  Jésuites,  p.  186.  —  On  trouvera  aux  Pièces  justifica- 
tives, no  IX,  ces  lettres  de  grand  vicaire,  conservées  aux  Archives 
génér.  de  la  Société. 

2.  Journal  des  Jésuites,  p.  186. 
3.  Ihid.,  p.  185. 


-  209  — 

Au  reçu  du  mandement  de  rarclievéque,  les  Jésuites 
furent  passablement  embarrassés,  car  les  fidèles  ignoraient 
que  le  Canada  relevât  du  diocèse  de  Rouen.  Quelques  per- 
sonnes et  les  religieuses  avaient  seules  été  mises  au  cou- 
rant de  cette  affaire.  Aussi  le  supérieur,  honoré  de  la 
fonction  de  grand  vicaire,  consulta-t-il  le  gouverneur  avant 
de  j)ublier  le  mandement,  afin  de  dégager  sa  responsabi- 
lité. Le  gouverneur  fut  d'avis  qu'on  devait  lire  le  mande- 
ment et  proclamer  le  Jubilé,  ce  qui  eut  lieu  le  jour  de 
l'Assomption  (1653);  le  P.  Lalemant  profita  de  la  circons- 
tance j^our  annoncer  à  la  grand'messe  que  Mgr  de  Harlav 
avait  pleine  et  entière  autorité  sur  la  nouvelle  Colonie 
française^.  A  partir  de  ce  jour,  sa  juridiction  fut  reconnue 
et  acceptée  de  tous.  Nous  verrons  plus  loin  que  le  Saint- 
Siège  ne  l'admettait  pas. 

Deux  ans  après  cet  événement,  qui  plaçait  officielle- 
ment l'Eglise  du  Canada  sous  le  gouvernement  spirituel  du 

1.  Pour  justifier  sa  conduite,  le  P.  J.  Lalemant,  vice-supérieur 
depuis  le  6  août  (Journal  des  Jésuites,  p.  185),  expose  longuement 
(Jbid.,  pp.  185-187)  les  raisons  qui  le  firent  agir.  On  lit,  entre  autres, 
celles-ci  :  «  Son  nepveu  successeur  en  sa  charge  (François  de  Ilarlay 
de  ChampolHon)  envoya  une  semblable  patente  à  celle  de  son  oncle 
au  R.  P.  assistant,  qui  nous  fut  icy  apportée  avec  le  mandement  pour 
la  publication  du  Jubilé...  On  a  de  plus  h  noter  que  le  susdit  nepveu 
successeur,  estant  coadjuteur  de  son  oncle,  donna  lettre  démissoire 
au  sieur  Gendron  pour  recevoir  les  Ordres  Pan  16o2  ;  et  ce  en  consi- 
dération qu'il  estait  son  sujet  pour  avoir  demeuré  environ  10  ans  en 
ce  pays  ;  le  même,  depuis  la  mort  de  son  oncle,  a  donné  un  autre 
mandat  pour  faire  inquisition  sur  la  vie  et  sainte  mort  de  nos  Pères  ; 
de  sorte  que  tout  cela  mis  ensemble  a  fait  juger  que  la  chose  estait 
venue  à  sa  maturité  pour  la  faire  dorénavant  paraistre  et  esclater 
au  dehors  quand  besoin  serait;  ce  qui  s'est  fait  nunc  primum  par  la 
publication  susdite  du  Jubilé  soubs  le  nom  et  authorité  de  mondit 
seign.  Archevesque  de  Rouen,  qui  fut  qualifié  notre  prélat  ce  jour  là 
15  d'aoust,  en  la  présence  de  M.  le  Gouverneur  et  de  tout  le  peuple 
assemblé  pendant  la  grande  messe.  »  [Ibid.,  p.  187). 

Je  s.  et  Noia--Fr.  —  T.  IL  14 


—  210  — 

Primat  de  Normandie,  rassemblée  générale  du  clergé 
de  France  se  tenait  au  couvent  des   Augustins,  à  Paris  ^ 

Les  directeurs  de  la  Société  de  Montréal,  qui  désiraient 
beaucoup  avoir  au  Canada  pour  évêque  un  membre  de  la 
Congrégation  de  Saint-Sulpice,  saisirent  aussitôt  l'assem- 
blée de  cette  double  question  :  l'établissement  à  Québec 
d'un  siège  épiscopal,  et  la  nomination  à  cet  évêché  d'un 
prêtre  sulpicien.  Ils  prièrent  même  Mgr  Godeau  de  proposer 
et  de  faire  nommer  l'abbé  de  Queylus.  C'est  dans  la  séance 
du  10  janvier  (1657),  présidée  par  le  cardinal  Mazarin,  que 
l'évêque  de  Vence  désigna  cet  abbé  comme  ayant  toutes  les 
qualités  requises  pour  les  hautes  fonctions  de  l'épiscopat. 
En  outre,  persuadé  que  ni  le  Roi  ni  Mazarin  n'accepteraient 
un  évêque  hostile  ou  simplement  peu  sympathique  aux 
Jésuites,  il  ajouta,  de  son  propre  chef  ou  sur  la  recom- 
mandation des  Associés,  que  la  personne  de  l'abbé  de 
Queylus  était  agréable  aux  Pères  Jésuites,  avec  lesquels  il 
faut  qu'un  évêque  soit  de  bonne  intelligence  pour  l'avan- 
cement de  l'Evangile  en  ces  quartiers-là  ^  ». 

Cet  hommage  rendu  à  la  bonne  intelligence  entre  l'abbé 
et  les  Jésuites  avait  son  prix  :  il  servait  merveilleusement 
les  desseins  de  Mgr  Godeau.  Par  malheur,  les  Jésuites 
n'agréaient  pas  M.  de  Queylus-^.  Mgr  Godeau  avait  sôigneu-  ■ 

1.  (c  Cette  assemblée,  communément  appelée  de  4653,  dura  19  mois, 
moins  deux  jours.  Elle  commença  le  25  octobre  1655  et  finit  le  23  mai 
4657.  »  (Procès-verhaux,  p.  1,  t.  IV.) 

2.  Procès-verbal  de  l'assemblée  de  4655,  t.  IV,  p.  369. 

3.  M.  Tabbé  Paillon,  t.  II,  p.  275,  dit  :  «  Il  paraît  que  les  Pères 
Jésuites  avaient  d'abord  agréé  la  personne  de  M.  de  Queylus  ;  mais 
peu  après...  ils  songèrent  à  proposer  eux-mêmes  un  sujet  à  la 
Reine.  »  Si  les  Jésuites  avaient  agréé  M.  de  Queylus  le  10  janvier 
pour  proposer  quelques  jours  après  à  sa  place  l'abbé  de  Laval,  ils 
auraient  fait  preuve  d'une  bien  grande  légèreté.  Tout  ce  qui  s'est 
passé  au  Canada,  avant  et  après  l'assemblée  de  4655,  ne  donne-t-il 
pas  un  démenti  à  cette  parole  de  Mgr  de  Vence  que  la  personne  de 


—  211   — 

sèment  caché  le  nom  de  son  candidat  à  l'assemblée  jus- 
qu'au 10  janvier  ;  il  s'était  contenté,  le  9  août  de  l'année 
précédente,  d'attirer  l'attention  des  prélats  sur  la  nécessité 
de  l'érection  d'un  évêché  à  Québec,  puis  il  leur  avait  dit 
«  qu'il  avait  un  abbé  qui  voulait  bien  accepter  ce  poste,  et 
aller  sacrifier  parmi  les  sauvages  son  bien  et  sa  personne  ; 
mais  qu'il  ne  pouvait  pas  encore  le  nommer^.  »  Aussitôt  que 
les  Jésuites  connurent  le  candidat  de  l'évêque  de  Vence  et  de 
l'assemblée,  ils  proposèrent,  dans  ce  même  mois  de  janvier, 
à  la  nomination  du  roi  l'abbé  François  de  Laval  de  Monti- 
^ny.  Cette  proposition  fit  échouer  la  candidature  de  l'abbé  de 
Queylus,  et  les  associés  de  Montréal,  après  cet  échec,  ne 
songèrent  plus  qu'à  faire  partir  pour  Montréal  les  quatre 
ecclésiastiques  de  Saint-Sulpice,  désignés  par  M.  Olier  : 
Gabriel  Souart,  prêtre  de  Paris  ;  Dominique  Galinier, 
prêtre  deMirepoix;  d'Allet,  diacre  de  Paris,  et  enfin  M.  de 
Queylus,  leur  suj^érieur  2. 


M.  de  Queylus  était  agréable  aux  PP.  Jésuites,  et  à  celle  de  M.  Paillon, 
que  les  Jésuites  avaient  cF abord  agitée  la  personne  de  M.  de  Queylus? 
M.  Gosselin  l'a  si  bien  compris  qu'il  s'est  sépare  sur  ce  point  et  de 
Mgr  Godeau  et  de  M.  Paillon  :  «  Les  Jésuites,  dit-il,  soit  qu'on  ne  les 
eût  pas  consultés  d'avance,  soit  qu'on  les  eût  mal  compris,  jugèrent 
qu'il  valait  mieux  avoir  pour  évoque  un  homme  de  leur  choix.  »  (T.  I, 
p.  98.)  ^ 

Sur  Fabbé  de  Queylus  et  les  Jésuites,  le  lecteur  peut  consulter 
M.  Paillon,  t.  II,  ch.  XII,  §  5,  6,  7,  8,  9,  10,  11,  12,  et  du  §  23  au  §  31 
inclusivement;  et  M.  Gosselin,  qui  suit  presque  toujours  pas  à  pas 
M.   Paillon,  t.  I  de  la  Vie  de  Mgr  de  Laval,  p.  98  et  p.  111  et  suiv. 

1.  Procès  verbal,  t.  IV,  p.  369.  —  Mgr  Godeau,  sacré  évêque  de 
Grasse  en  1636,  avait  uni  Vence  à  Grasse  en  1644;  mais  à  partir  de 
1653,  il  ne  retint  plus  que  Vence. 

2.  On  lit  dans  la  Vie  de  M.  Olier,  par  l'abbé  Paillon,  t.  III,  p.  411  : 
«  La  Compagnie  de  Montréal  s'était  efforcée  depuis  vingt-un  ans  de 
défricher  et  de  peupler  le  pays...  Mais  cette  compagnie  ayant  perdu 
la  plupart  de  ses  membres  les  plus  opulents...  ;  de  plus,  se  voyant 
chargée  de  dettes  énormes ,  résolut  de  substituer  à  sa  place  les 


—  212  — 

M.  de  Quejlus  se  fit  nommer,  avant  de  partir,  officiai  et 
grand  vicaire  de  l'archevêque  de  Rouen  pour  la  Nouvelle- 
France.  Il  emporta  avec  lui  ses  lettres  patentes^. 

Les  Sulpiciens  s'embarquèrent  à  Saint-Nazare  le  17  mai 
1657  ;  à  la  fin  de  juillet,  ils  arrivaient  à  Québec. 

M.  l'abbé  de  Quejlus-  eut  beaucoup  d'amis,  et  ses  admi- 
rateurs ne  lui  ont  pas  épargné  les  éloges.  D'après  M.  Pail- 
lon, son  panégyriste,  c'est  un  ecclésiastique  pieux,  dévoué,  '% 
instruit,  détaché  des  biens  du  monde  3.  Le  récollet,  Chrestien 
Le  Clercq,  rend  de  lui  le  même  témoignage^.  Golbert  et 
l'intendant  Talon  louent  son  désintéressement,  sa  piété  et 
son  zèle\  Ce  portrait  est  flatté,  disent  quelques-uns;  à  notre 

ecclésiastiques  du  séminaire  de  Saint-Sulpice.  Les  Associés^ 
remirent  donc,  par  contrat  du  9  mars  1663,  File  de  Montréal  entre  les- 
mains  du  séminaire  de  Saint-Sulpice.  » 

1.  Ces  lettres  patentes  sont  conservées  à  Tarchevèché  de  Rouen,, 
reg.  in-foL,  depuis  le  26  mars  1657,  fol.  7.  Elles  sont  du  22  avrir 
1657.  Voir  aux  Pièces  Justificatives,  n"  X. 

On  trouve  dans  ce  même  registre  la  lettre  de  Mgr  Tarchevêque  de 
Rouen  conférant  les  pouvoirs  aux  Sulpiciens  à  leur  départ  pour  le 
Canada.  Elle  est  également  datée  du  22  avril  1657.  Les  trois  Sulpiciens 
nommés  dans  cette  lettre  sont  MM.  de  Queylus,  Souart  et  Galinier. 

2.  Ou  Caylus  de  Thubière  de  Lery  {Faillon,  t.  H,  p.  272). 

3.  Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  Il,  p.  272,  et  p.  289.  —  Vie 
de  M.  Olier,  t.  II,  pp.  442  et  suiv. 

4.  Premier  établissement  de  la  Foi,  t.  II,  p.  19. 

5.  Correspondance  de  Colhert,  passim.  —•  Mgr  Godeau  fait  uni 
éloge  semblable  de  Fabbé  de  Queylus  devant  l'assemblée  de  1655,, 
t.  IV,p.  369. 

On  nous  a  envoyé  de  Québec  différents  manuscrits,  parmi  lesquels 
se  trouvent  :  1)  une  notice  sur  l'abbé  de  Queylus  extraite  d'un  ms^ 

du  séminaire  de  Montréal,  intitulé  -.Catalogue  historique 2)  une  vie 

de  M.  de  Queylus,  par  M.  Grandet,  celle-là  môme  que  M.  Failloa 
dit  exister  à  Paris,  dans  sa  Vie  de  M.  Olier  de  1841.  Nous  devons- 
dire  que  ces  deux  documents  fourmillent  d'erreurs  ;  aussi  M.  Pail- 
lon lui-môme,  qui  leur  emprunte  ici  et  là  quelques  détails,  ne 
les  reproduit  pas  en  entier.  Ces  notices  relèvent  souvent  de  la  fan- 


—  213  — 
avis,  il  est  vrai,  mais  pas  achevé.  Personne  n'est  parfait 
«n  ce  monde  ;  il  manque  à  ce  portrait  quelques  traits,  qui 
auraient  mieux    donné   la    physionomie    de    l'homme.  Le 
caractère  n'était  pas  à  la  hauteur  de  ses  vertus.  La  suscep- 
tibilité  était  grande  en   lui,  l'impressionnabilité  extrême. 
D'un  tempérament  violent  et  emporté,  il  ne  savait  pas  le 
maitriser.    Faut-il   dire    que    ses    démêlés    avec   Mgr    de 
Laval  et  avec  les  missionnaires  ne  donnent  pas  une  haute 
idée   de   son  humilité?  L'ambition,    malgré   le   soin    qu'il 
prend  de  la  cacher,  perce  à  travers  beaucoup  de  ses  actes. 
Il  voulait  être  le  premier  au    Canada,   soit  comme  grand 
vicaire,  soit  comme  évêque  ;  nous  ne  lui  en  faisons  pas  un 
reproche,    nous    constatons  un    fait.    Toutefois,    ce    désir 
fut-il  contenu  dans  de  sages  limites?  Et,  pour  le  satisfaire, 
ne  se  laissa-t-il  pas  aller  à  des  actes  d'humeur  et  d'insou- 
mission,   qu'il  fut   sans   doute,   après    coup,    le  premier  à 
regretter?  Ce  sont  là  des  ombres  au  tableau;   le  tableau 
n'en  conserve   pas  moins  ses  beautés.  Mais    ces   ombres, 
C|u'on  n'a  pas  assez  fait  ressortir,  expliquent  les  événements 
qui  vont  suivre. 

On  se  rappelle  que  l'abbé  de  Queylus  était  venu  à 
Québec  vers  I6i4,  muni  de  lettres  de  grand  vicaire  de 
l'archevêque  de  Rouen  et  que  les  Jésuites  avaient  refusé  de 
le  reconnaître.  Ce  refus,  bien  que  motivé,  l'avait  profondé- 

taisie.  M.  Grandet,  prêtre  très  pieux  de  Saint-Sulpice,  né  à  Angers  le 
30  juillet  1646,  a  laissé  une  Histoire  manuscrite  du  séminaire  cF Angers, 
laquelle  a  été  publiée  en  1893  par  l'abbé  G.  Létourneau,  et  beaucoup 
d'autres  manuscrits  d'un  grand  intérêt.  Mais  la  bonne  foi  de  cet 
ecclésiastique  a  été  assez  souvent  surprise  là  où  il  n'a  pas  vu  par  lui- 
même;  ses  appréciations  sur  certains  personnages  doivent  donc 
être  contrôlées.  Tels  récits  et  notices  biographiques  sont  remplis 
d'erreurs  ;  les  dates  sont  souvent  inexactes.  C'est  ce  que  nous  avons 
nous-mème  constaté  par  la  lecture  des  manuscrits  de  ce  prêtre,  qui 
fut  le  troisième  supérieur  du  séminaire  d'Angers. 


—  214  — 

ment  blessé.  11  avait  vu  aussi  avec  déplaisir  l'échec  de  sa 
candidature  à  l'épiscopat  et  la  préférence  donnée  par  les 
Pères  à  l'abbé  de  Montigny.  Nous  ne  dirons  pas  avec 
M.  Vigier'  qu'il  n'avait  pu  digérer  ces  a/fronts;  l'expres- 
sion n'est  pas  respectueuse.  Ces  incidents  avaient  néanmoins- 
laissé  au  fond  de  son  cœur  un  souvenir  pénible,  dont  l'his- 
torien doit  tenir  compte  dans  l'appréciation  des  faits.  De 
leur  côté,  les  missionnaires  durent  ressentir  une  certaine 
g-éne,  en  voyant  débarquer  à  Québec  celui  qu'ils  avaient 
forcé  de  repasser  en  France  quelques  années  auparavant. 

Cependant,  au  début,  ni  l'abbé  ni  les  Jésuites  ne  laissèrent 
rien  paraître  de  leurs  sentiments  réciproques.  Le  P.  de 
Quen  g-ouvernait  alors  la  mission  de  la  Nouvelle-France. 
C'était  un  religieux  d'une  bonté  pleine  de  suavité,  un  mis- 
sionnaire qui  ne  reculait  jamais  devant  la  besogne;  l'amour 
des  âmes  le  rendait  entreprenant.  11  ne  puisait  pas  la  pas- 
sion du  sacrifice  dans  sa  volonté,  car  sa  volonté  était  faite 
de  faiblesse,  mais  dans  son  cœur  et  en  Dieu.  Moins  bien 
doué  encore  du  côté  de  l'intelligence  que  de  la  volonté,  il 
inspira  de  sérieuses  craintes  à  ses  amis,  quand  ils  le  virent 
prendre  en  main  le  gouvernement  de  la  mission.  Comment 
allait-il  l'administrer? 

Un  tel  supérieur  avait  peut-être  ce  qu'il  faut  pour 
calmer  par  son  aimable  douceur  les  vifs  ressentiments  de 
l'abbé  de  Queylus.  Malheureusement,  il  ne  possédait  pas  les 
qualités  supérieures  de  raison  éclairée  et  de  fermeté  pru- 
dente et  sage,  qui  eussent  été  si  nécessaires  dans  la  situa- 
tion nouvelle  où  allait  se  trouver  la  mission  -. 

1.  Notes  manuscrites  sur  l'abbé  de  Queylus. 

2.  «  Patrom  Joannem  de  Quen  superiorem  verè  bonum  habemus 
et  suavem  in  gubernando  ;  optandum  fuisset  ut  his  temporibus  et 
ingenio  fortior  et  prudentior  extitisset  et  queni  naturœ  dona  magis 
commendarent.  »  (Epist.  P.  Ragueneau  ad  R.  P.  Generalem,  20  Aug. 
1658,  Arch.  gen.  S.  J.) 


—  215  — 

A  la  nouvelle  de  l'arrivée  de  Tabbé  de  Queylus,  le  P.  de 
Quen,  n'écoutant  que  son  cœur,  accourt  au  devant  de  lui  à 
Fîle  d'Orléans  et  le  conduit  à  Québec;  il  lui  fait  visiter  la 
résidence,  l'église,  Sillery. 

Peu  de  jours  après,  M.  de  Quevlus  lui  rend  sa  visite,  et, 
dans  le  courant  de  la  conversation,  il  lui  montre  ses  lettres 
de  grand  vicaire.  Le  P.  de  Quen,  qui  n'avait  eu  aucun  avis 
de  sa  révocation,  aurait  pu  faire  observer  qu'il  se  démettrait 
volontiers  de  sa  charge  aussitôt  après  avoir  reçu  un  ordre 
officiel  de  l'archevêque  de  Rouen  ;  qu'en  attendant  il  était 
de  son  devoir  de  continuer  ses  fonctions  de  a  icaire  général, 
d'autant  plus  que  les  lettres  patentes  accordées  à  M.  de 
Queylus  n'annulaient  pas  les  pouvoirs  donnés  antérieure- 
ment au  supérieur  des  Jésuites.  Elles  n'en  parlaient  pas^. 

Par  amour  de  la  paix,  le  P.  de  Quen  préfère  se  retirer, 
sans  calculer  les  conséquences  de  sa  déférente  bonté,  ou 
plutôt  de  sa  faiblesse-.  Nous  devons  dire  cependant  qu'il 


1.  Voir  aux  Pièces  Justiflcativen,  n°  X. 

2.  Il  est  à  regretter  que  l'abbé  Faillon  ait  été  chercher  dans  la 
Morale  pratique  des  Jésuites  parle  docteur  Arnauld,  presque  tous  ses 
renseignements  sur  les  démêlés  de  M.  de  Queylus  avec  les  Jésuites. 
Il  eût  pu  puiser  à  source  plus  pure.  Il  ne  pouvait  ignorer  que  l'œuvre 
d'Arnaud  a  été  frappée  de  la  censure  de  la  congrégation  de  l'index 
et  qu'un  arrêt  du  Parlement  de  Paris  l'a  condamnée.  M.  Faillon  prétend 
que  le  docteur  Arnauld  n'a  fait  que  reproduire  le  Mémoire  de  M.  d'Allet, 
le  secrétaire  et  V aller  ego  de  M,  de  Queylus.  Si  cela  est,  nous  devons 
dire  que  ce  Mémoire  ne  fait  pas  honneur  à  M.  d'Allet  :  il  suffit  de  le 
lire  en  entier  pour  voir  que  c'est  un  pamphlet;  aussi  M.  Faillon  se 
garde-t-il  de  le  citer  jusqu'au  bout.  Nous  aimons  mieux  croire  qu'on 
l'attribue  à  faux  au  secrétaire  de  M.  de  Queylus.  M.  Tross,  comme  nous 
l'avons  déjà  dit,  a  cherché  aux  Archives  nationales,  à  l'endroit  indiqué 
par  M.  Faillon,  les  Mémoires  de  d'Allet;  mais  ces  cartons,  dit-il,  ne 
contiennent  pas  de  Mémoires  de  M.  d'Allet.  (V.  ses  notes,  pp.  59  et  60). 
M.  Faillon,  il  est  vrai,  renvoie  assez  facilement  à  des  sources  qui 
n'existent  pas  ;  aussi  faut-il  accepter  ses  renseignements  sous  bénéfice 


—  216  — 

réserva  ses  droits  jusqu'à  plus  ample  informé.  C'était  déjà 
trop  d'avoir  remis  entre  les  mains  de  M.  de  Que^^lus  l'exer- 
cice de  l'autorité  dont  il  était  dépositaire  depuis  plus  d'un 
an». 

M.  de  Queylus  ne  se  fait  pas  prier;  il  entre  immédia- 
tement en  fonction,  et  le  premier  acte  de  son  administration 
est  de  maintenir  dans  sa  charge  le  P.  Poncet,  qui  desservait 
l'ég-lise  paroissiale  de  Québec.  Il  le  fait  avec  Tag-rément  du 
P.  de  Quen,  qui  se  réserve  d'une  façon  expresse,  en  qualité 
de  supérieur  religieux,  le   droit  de  déposer  son  inférieur, 


d'inventaire.  En  dehors  d'Arnauld  et  de  d'Allet  (ce  qui  est  la  même 
chose),  il  cite  aussi  à  l'appui  de  son  récit  sur  M.  de  Queylus  et  les 
Jésuites,  tantôt  Dollier  de  Casson,  tantôt  Belmont,  qui  ne  sont  venus 
que  plus  tard  au  Canada,  et  par  conséquent  n'ont  pas  été  témoins  ocu- 
laires. M.  Dollier  a  écrit  sur  l'arrivée  des  Sulpiciens  à  Québec  et 
leurs  difficultés  avec  les  Jésuites  des  pages  si  invraisemblables  que 
M.  Paillon  ne  les  a  pas  reproduites.  M.  B.  Suite  n'a  pas  eu  les  mêmes 
scrupules  (t.  III,  ch.  XI).  Nous  devons  du  reste  dire  que  les  récits 
des  sulpiciens  se  ressemblent  tous  pour  le  fond. 

Il  est  à  regretter  aussi  que  M.  Gosselin  n'ait  rien  trouvé  de  mieux, 
dans  Vie  de  Mgr  de  Laval,  que  d'abréger  M.  Faillon. 

V.  Paillon  ;  Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  II,  p.  276  à  p.  283, 
et  p.  289  et  suiv.  ;  —  Gosselin  :  Vie  de  Mgr  de  Laval,  p.  111  et  suiv. 

M.  Paillon  dit  à  la  page  281  :  <(  Les  lettres  de  grand  vicaire  du 
recteur  de  Québec  portaient  cette  clause  expresse  que,  dès  qu'il  y 
aurait  en  Canada  des  ecclésiastiques  séculiers  munis  des  mêmes 
pouvoirs,  le  recteur  ne  ferait  plus  usage  des  siens.  »  Nous  voulons 
croire  que  M.  Paillon  n'a  jamais  lu  les  pouvoirs  accordés  aux  Jésuites 
par  Mgr  de  Rouen,  sans  quoi  il  n'eût  jamais  écrit  une  pareille  faus- 
seté. Il  n'y  a  rien  de  tel  dans  les  lettres  patentes.  V.  aux  Pièces  Justi- 
ficatives, 11°  IX. 

1.  On  lit  dans  une  lettre  manuscrite  du  P.  de  Quen  au  R.  P.  Général, 
3  sept.  16o8  :  «  Verum  est  me  noiuisse  ullum  actum  (potestatis  vicarii 
generalis)  exercere  ab  eo  die,  quo  D^us  abbas  de  Queylus  significavit 
mihi  suaslitteras,  ne  malum  aliquod  indè  oriretur  ;  potestatem  tamen 
ac  jus  nec  debui  nec  potui  deponere,  nisi  prius  mihi  certum  fieret 
revocatum  esse  ab  illust™"  Dqo  archiepiscopo  Rhotomagensi  qui  hoc 
mihi  concessorat...   )>  (Arch.  gen.  S.  J.) 


—  217  — 

quand  il  le  jugera  à  propos,  et  de  le  remplacer  par  un  autre 
<le  son  choix'. 

Après  cet  acte  d'autorité,  il  part  pour  Montréal  avec  ses 
trois  ecclésiastiques  dans  les  premiers  jours  d'août;  et  le 
42  du  même  mois,  le  P.  Claude  Pijart,  préposé  depuis 
sept  ans  âi  la  desserte  de  la  cure  de  Villemarie,  résigne  ses 
fonctions  pastorales  entre  les  mains  de  M.  Gabriel  Souard. 
Le  3  septembre,  il  est  à  Québec,  où  son  supérieur,  le  P.  de 
Quen,  lui  confie  l'administration  de  Téglise  paroissiale  en 
remplacement  du  P.  Poncet.  Il  v  avait  à  peine  cinq  semaines 
que  ce  dernier  avait  été  confirmé  dans  sa  charge  curiale 
par  le  nouveau  grand  vicaire.  Que  s'était-il  passé  depuis? 

Comme  nous  l'avons  dit  ailleurs,  le  P.  Poncet  était  un 
religieux  actif,  dévoué,  entreprenant,  d'une  nature  impres- 
sionnable, prime-sautière.  Dans  les  missions  huronnes,  il 
montra  de  rares  qualités  apostoliques,  bien  qu'il  exerça 
souvent  la  patience  de  ses  supérieurs  par  son  esprit  d'indé- 
pendance, qui  frisait  parfois  l'insoumission  ~.  La  captivité 
et  les  souffrances  qu'il  endura  chez  les  Iroquois  modifièrent 
singulièrement  cette  nature  de  feu,  jDassablement  exubé- 
rante. Sans  rien  perdre  de  son  zèle,  il  devint  susceptible, 
soupçonneux,  irascible,  d'humeur  chagrine.  Ses  lettres  au 

1.  «  Inter  nos  (D^um  al)bateni  de  Qucylus  et  me)  convenimus 
liberam  mihi  semper  esse  potestatem  deponendi  P.  Poncetum  ab  eo 
munere  etaliumejus  loco  constifcuendi,  prout  nécessitas  requircret,  et 
aliomittendi  ;  et  haec  est  instituti  nostri  ratio.  »  [Ep.  P.  de  Quen,  ibid.) 

2.  Le  P.  Vimont  écrit  au  g-énéral  Carafîa  le  15  oct.  1646  :  «  Pater 
J.  Poncet  quoad  obedientiam  maie  se  gessit  ab  eo  tempore  quo  ver- 
satur  in  bac  missione.  »  (Arch.  gen.  S.  J.).  —  Le  22 janvier,  le  général 
lui  répond  :  <(  Vel  meo,  si  opus  est,  nomine,  P.  Poncet  ad  obedientiam 
excitandus  est  omni  ope;  clarèque  admonendus  fore  ut  in  Galliam 
remittatur  nisi  brevi  ac  seriô  emendet  quae  secùs  in  eo  notantur,  cen- 
senturque  à  vobis  obstari  fructui  quem  ab  illo  istic  societas  spera- 
bat.   »  (Ihid.) 


—  218  — 

R.  P.  Général,  de  1655  à  1657,  indiquent  un  état  d'esprit 
assez  inquiétant  :  il  est  mécontent  de  tout  et  de  tous,  il 
dépeint  tout  ce  qu'il  voit  sous  les  plus  sombres  couleurs; 
aujourd'hui  il  veut  partir  du  Canada  et  être  envoyé  dans, 
une  autre  mission  ;  un  mois  après,  il  demande  à  rester  où 
il  est  ^  Il  est  déliant,  dissimulé  :  c'est  un  malade  à  guérir^ 
et  le  P.  de  Quen,  en  médecin  charitable,  entreprend  sa 
guérison. 

Nommé  supérieur  de  Québec,  il  lui  confie  la  direction  de 
la  cure.  Il  se  figurait  qu'il  n'avait  affaire  qu'à  un  esprit 
chagrin  et  mécontent,  qu'il  le  remettrait  sur  pied  à  force  de 
soins  affectueux  et  vigilants.  L'excellent  cœur  du  P.  de 
Quen  se  révélait  ici  une  fois  de  plus,  au  détriment  peut-être 
de  la  prudence  et  du  bien  de  la  colonie. 

Le  P.  Poncet  avait  besoin  de  calme  et  de  repos,  et  aussi 
d'une  leçon  :  il  eût  fallu  le  renvoyer  en  France.  A  peine  à 
la  tête  de  la  paroisse,  il  échappe  le  plus  possible  à  la  sur- 
veillance de  son  supérieur,  il  dirige  et  administre  à  sa  façon,. 
et  sa  façon  est  loin  d'être  la  bonne  -. 

C'est  sur  ces  entrefaites  que  M.  de  Queylus  le  confirme 
dans  sa  charge  de  curé.  Il  lui  remet  aussi,  avec  ordre  de 
la  lire  en  chaire,  la  bulle  d'indulgence  accordée  par 
Alexandre  VII  à  l'occasion  de  son  exaltation  au  souverain 
Pontificat.  Le  P.  Poncet,  qui  croit  sans  doute  n'avoir  plus- 
de  comptes  à  rendre  de  son  administration  paroissiale  qu'au 
nouveau  grand  vicaire,  porte  la  bulle  à  la  connaissance 
des  fidèles,  sans  prévenir  son  supérieur  religieux.  Il  y  avait 
là  un  esprit  d'indépendance,  ou  un  manque  de  jugement, 

i.  Lettres  du  31  juillet  1655  au  R.  P.  Général;  —  du  11  août  1655; 
—  du  27  sept.  1655;  —  du  9  sept.  1656.  (Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  Le  P.  Vimont  écrivait  au  R.  P.  Général,  le  6  septembre  1658  : 
«  Pater  Poncet,  cujus  in  parseciâ  malè  regendâ  et  ludendo  superiore 
detegebam  malum  usum...   »  (Arch.  gen.  S.  J.) 


I 


—  219  — 

qui  pouvait  amener  de  graves  inconvénients,  dans  la  situa- 
tion nouvelle  où  se  trouvait  le  gouvernement  religieux  du 
pays.  Aussi,  le  P.  de  Quen,  après  avoir  pris  l'avis  de  son 
conseil,  fait  ce  qu'il  aurait  dû  faire  dès  le  principe,  à  l'arrivée 
de  l'abbé  de  Queylus  ^  ;  il  enlève  la  direction  de  la  paroisse 
au  P.  Poncet  et  la  confie  au  P.  Claude  Pijart,  qui  venait 
d'administrer  Villemarie,  à  la  satisfaction  de  ses  paroissiens, 
pendant  plusieurs  années. 

Malgré  ses  défauts  saillants  et  ce  grand  esprit  d'indépen- 
dance qui  le  conduisaient  parfois  à  de  déplorables  écarts,  le 
P.  Poncet  ne  manquait  ni  de  piété,  ni  de  zèle.  Il  accepte  en 
religieux  son  changement,  et,  comme  la  mission  iroquoise 
s'annonçait  cette  année  riche  des  plus  belles  espérances,  il 
demande  avec  instances  d'être  envoyé  à  Onnontagué.  De 
graves  raisons,  sa  santé  surtout,  pouvaient  motiver  un 
refus  ;  mais  on  crut  devoir  accéder  à  ses  désirs.  Ce  fut  une 
imprudence,  dont  rien  ne  faisait  prévoir  les  conséquences 
fâcheuses. 

En  se  rendant  à  Onnontagué,  le  P.  Poncet  s'arrête  à 
Montréal.  L'abbé  de  Queylus  lui  fait  raconter  les  divers 
incidents  qui  ont  amené  son  remplacement;  et,  sous  le 
faux  prétexte  d'une  violation  de  ses  droits  de  grand  vicaire, 
peut-être  aussi  parce  qu'il  trouvait  l'occasion  favorable  de 
lever  le  masque,  il  empêche  le  Père  de  continuer  sa  route  ~, 

1.  C'est  par  déférence  pour  Tabbé  de  Queylus  que  le  P.  de  Quen 
avait  laissé  le  P.  Poncet  dans  sa  charge,  d'après  ce  qu'il  écrit  au  R. 
P.  Général  :  «  Jam  ab  anno  superiore  parochumconstitueram  P.  Pon- 
cetum;  ea  tamen  fuit  nostra  in  Dnum  Queylus  l)enig'nitas,  ut  quod 
postulavit  hâc  in  parte  libentor  conccsserimus,  nec  P.  Poncetum  ab 
officio  parochi  deposuerimus.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  Le  3  septembre  1658,  le  P.  de  Quen  écrit  au  R.  P.  Général  : 
«  Queritur  Dominus  Abbas,  quod  Patrem  J.  Poncetum  ab  officio  parochi 
deposuerim,  cujus  vices  gerere  ipse  Dominus  de  Queylus  voluerat.  Me- 
minisse  débet  Dominus  Abbas  nullam  ei  me  hâc  in  re  fecisse  injuriam, 
quando  quidem  ità  inter  nos  convcneramus.  Meliori  jure  de  Domino- 


—  220  — 

le  ramène  à  Québec,  renvoie  le  P.  Pijart  de  sa  cure  et 
prend  lui-même  la  direction  de  la  paroisse.  C'était  la  guerre 
ouverte  déclarée  aux  Jésuites.  Le  P.  Poncet,  cause  invo- 
lontaire de  la  rupture  entre  ces  religieux  et  le  grand  vicaire, 
comprend  aussitôt  l'étendue  de  son  étourderie  et  la  situation 
très  délicate  où  il  s'est  mis  imprudemment.  Il  demande  à 
rentrer  en  France,  et  part  le  18  septembre  par  le  premier 
vaisseau  * . 

Nous  sommes  entré  dans  les  menus  détails  qui  précèdent, 
donnant  à  chacun  sa  part  de  responsabilité,  afin  de  détruire 
la  ridicule  légende,  insérée  dans  la  Morale  pratique^  puis 
reproduite  dans  VHistoire  de  la  Colonie  Française  et  dans 
la  Vie  de  Mgr  de  Laval-,  laquelle  fait  de  M.  de  Queylus 
un  aimable  grand  vicaire,  et  du  P.  Poncet,  un  martyr. 

Abbate  conqucrer  ego,  qiiod  dictiim  Patrem  ab  incaepto,  jussu  meo, 
itinere,  Qucbccum  reduxerit  penè  reluctantem,  falsas  causatus  rationes, 
scilicet  ut  rationem  muneris  sui  redderet,  et  ut  iterùni  eidem  officio 
restitueret  ad  delendam  sibi  illustrissimoque  archiepiscopo  Rotho- 
magensi  à  me  illatam  per  depositionem  Patris  Ponceti  injuriam.  Nulli 
enim  injuriam  facio  utens  jure  meo  stansque  promissis  ;  aliundè 
vero  non  tencbatur  P.  Poncetus  Domino  Abbati  rationem  reddere  sed 
mihi.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

1.  On  lit  dans  la  même  lettre  :  «  Gratiam  hanc  petiit  à  me  P.  Pon- 
cetus ut  in  Galliam  remitterem  potius  quam  ad  barbaras  gentes  : 
acquievi  ejus  petitioni.  Verum  etsi  nolentem  remisissem  in  Galliam, 
et  rectè  eum  remisissem  ne  molestiam  sanè  magnam,  quam  nobis 
creaverat  hùc  appellens  Dominus  Abbas,  augeret.  Necesse  erat  hinc 
ipsum  discedere,  Patrum  omnium  consultorum  judicio,  ad  sedandam 
excitatam  in  nos  tempestatem.   »  [Ihid.) 

2.  Cette  légende,  partout  la  même,  inventée  par  M.  de  Queylus  ou 
par  son  secrétaire,  M.  d'Allet,  ou  plutôt  par  les  deux,  a  été  reproduite 
dans  VHistoire  du  Montréal,  par  DoUier  de  Casson  ;  dans  la  Morale 
pratique  du  docteur  Arnauld,  dans  la  Colonie  Française  par  M.  Paillon, 
pp.  281  et  suiv.,  dans  la  Vie  de  Mgr  de  Laval  (t.  I,  ch.  VIII,  p.  109  et 
suiv.)  par  M.  Gosselin,  qui  copie  l'abbé  Paillon,  enfin  dans  les  Cana- 
diens français,  par  B.  Suite,  t.  III,  ch.  XI.  Elle  a  paru  d'abord  dans 
la  Morale  pratique.  On  se  demande  comment  et  pourquoi  certains 
historiens  ont  été  la  chercher  en  si  beau  lieu,  et  se  sont  évertués  à 
lui  donner  l'allure  d'une  histoire  vraie. 


—  221  — 

L'auteur  de  la  Colonie  Française^  après  avoir  rapporté  à 
sa  façon,  sur  le  témoignage  d'Arnauld,  les  événements  que 
nous  venons  de  raconter,  ajoute  par  manière  de  conclusion  : 
«  Si  cette  nouvelle  administration  (de  M.  de  Queylus)  put 
occasionner  d'abord  quelque  froissement  entre  les  ouvriers 
évangéliques,  malgré  les  intentions  jmres  dont  les  uns  et 
les  autres  étaient  animés,  il  est  certain  que,  de  part  et 
d'autre,  ils  s'eftorcèrent  d'entretenir  entre  eux  la  bonne 
harmonie.  »  Cette  façon  expéditive  de  passer  sous  silence 
les  actes  arbitraires  de  l'abbé  de  Quevlus  est  peut-être  dans 
les  règles  de  la  charité;  elle  n'est  pas  conforme  à  la  justice. 

Jusqu'ici,  en  effet,  cet  historien  s'est  attaché  à 
donner  le  beau  rôle  à  son  héros,  rôle  plein  de  tact 
et  de  modération,  défiant  la  plus  ombrageuse  critique; 
tandis  que  les  missionnaires  sont  accusés  d'avoir  failli 
à  leur  devoir,  d'avoir  empiété  sur  les  pouvoirs  du 
grand  vicaire.  Il  va  jusqu'à  trouver  la  conduite  du  P.  de 
Quen  très  dure,  injuste  même  à  l'égard  de  son  subordonné, 
le  P.  Poucet^  La  vérité  historique  ainsi  faussée,  M.  Paillon 
se  montre  bon  prince  ;  il  se  contente  de  dire  que  <(  le  supé- 
rieur des  Jésuites  et  M.  de  Queylus,  une  fois  celui-ci  installé 
curé  de  Québec^  se  préviennent  et  se  visitent  mutuellement 
pour  cimenter  entre  eux  l'union  et  la  paix-.  »  Pas  un  seul 
mot  de  ce  que  nous  lisons  dans  les  Annales  des  Ursulines 
de  Québec  :  «  Pendant  le  peu  de  temps  que  l'abbé  de 
Queylus  fut  à  Québec,  il  donna  bien  de  V exercice  surtout  à 
nos  RR.  PP.  Jésuites,  pour  lesquels  il  ne  paraissait  pas 
avoir  bonne  volonté.  Il  détourna  aussi  M.  Vignal,  qui  était 
chapelain  et  confesseur  de  notre  communauté,  et  l'engagea 
de  monter  à  Montréal,  en  quoi  il  nous  desservit  beaucoup  •^.  » 

1.  T.  TI,  p.  290. 

2.  T.  II,  p.  292. 

3.  Les  Ursulines  de  Québec,  t.  I,  p.  219. 


—  222  — 

Cet  exercice  que  labbé  donna  aux  RR.  PP.  Jésuites  ne 
manque  pas  de  variété.  Il  leur  interdit  de  dire  la  messe,  de 
prêcher  et  de  confesser  dans  l'ég-lise  paroissiale;  il  leur 
défend  de  remplir  les  fonctions  du  ministère  sacerdotal  en 
dehors  de  la  chapelle  du  collège  i  ;  il  les  attaque  souvent 
dans  ses  sermons  au  peuple,  il  se  permet  de  les  comparer 
aux  Pharisiens  2;  il  les  accuse  d'avoir  abusé  de  leurs 
pouvoirs  de  grand  vicaire  ;  il  prétend  que  les  mariages  faits 
par  eux  sont  nuls  ;  il  leur  intente  un  procès  pour  se  faire 
remettre  leur  résidence  qu'ils  ont  bel  et  bien  construite  à 
leurs  frais  et  sur  leur  terrain,  ou  pour  les  obliger  à  lui  en 
bâtir  une  3  ;  enfin  il  adresse  au  Général  de  la  Compagnie  de 
Jésus  un  long  mémoire,  où  il  entasse  les  plus  odieuses 
accusations^   contre    le    supérieur    de  la    mission    et    les 

1.  ((  Coiiatus  est  interdicere  nos  ab  omnibus  functionibus  nostris 
extra  ecclesiam  nostram,  nexus  potestate  prius  ab  ipso  accepta.  » 
(Epist.  P.  do  Quen,  3  sept.  1658  ;  Arch.  gen.  S.  J.) 

Parfois  cependant  il  se  fait  remplacer  par  les  Pères,  ou  bien  il 
leur  permet  de  dire  la  messe  hors  de  chez  eux.  Journal  des  Jésuites, 
années  1657  et  1658. 

2.  Journal  des  Jésuites,  p.  222.  -  u  Sœpè  nos  in  concionibus  malè 
excepit,  non  sine  auditorum  stomacho.  »  (Epist.  P.  de  Quen,  ihid.) 

3.  Ihid.,  p.  226.  Les  Jésuites  avaient  reçu  de  la  communauté  de 
Québec  une  somme  de  6.000  livres  pour  la  construction  de  leur 
résidence.  Mais  ils  préférèrent  rendre  cette  somme  et  construire  à 
leurs  frais  sur  leur  propre  fonds.  (Voir  la  note,  tirée  des  archives  de 
la  fabrique  de  Notre-Dame  de  Québec  et  insérée  dans  le  Journal 
des  Jésuites,  p.  226.)  —  Le  3  sept.  1658,  le  P.  de  Quen  écrivait  au 
Général  G.  Nickel  :  a  Dominus  abbas  de  Queylus  litem  in  nos  inten- 
tavit  ut  domum  ipsi  sedificaremus.  Lite  cecidit,  et  quidem  juste.  » 
(Arch.  gen.  S.  J.) 

4.  Le  R.  P.  Général,  G.  Nickel,  répondit,  de  Rome,  à  M.  l'abbé  de 
Queylus,  le  18  février  1658  : 

«  Accepi  litteras  Ven^i^  Dnis  V=^  18  sept^ns  ad  me  datas  quibus 
ahqua  de  Patribus  nostris  mecum  expostulat,  qui  in  missione 
Canadensi  versantur,  quasi  ipsi  minus  déferrent.  Certus  sum  Patres 
nostros  nunquam  impedivisse  ne  episcopus  istuc  transmittatur, 
nihil  enim  habuit  ab  ortu   suo  societas  nostra  sibi  gravius   quam  ut 


—  223  — 

missionnaires.  A  l'en  croire,  le  P.  de  Quen  aurait  maltraité 
le  P.  Poncet,  il  l'aurait  même  jeté  en  prison  ^  ;  les  Jésuites 
se  livreraient  au  commerce  des  pelleteries -,  ils  vivraient 
autrement  qu'en  France,  leur  obéissance  ne  serait  ni  simple, 
ni  prompte  3;  l'autorité  du  grand  vicaire  serait  méconnue. 


îllustrissimos  ecclesiœ  prselatos  humilibus  obsequiis  demereatur 
illisque  in  saluteni  animarum  inserviat,  nullâ  alià  sibi  proposità 
mercede  quam  majoris  simimi  numinis  gloria.  Quod  si  quid  istic 
■contigisset  quod  hujus  intentionis  puritati  tantisper  adversaretur, 
huic  ego  statim  pro  miineris  mei  ratione  prospicerem  ;  verùm  nihil 
prius  statuere  possum  quam  super  his  nostros  etiam  Patres 
audierim.  Unum  addo  Patrem  Josephum  Poncetum  aliosque  socie- 
tatis  nostrœ  missionarios  juxtà  institutum  nostrum  nuUi  loco  esse 
«ffixos,  sed  semper  eos  in  superiorum  suorum  dispositione  esse  ut 
mittantur  in  hanc  vel  illam  mundi  plagam  ubi  majus  Dei  obsequium 
€t  animarum  auxilium  speratur  ;  et  licet  non  possimus  ordinariam 
habere  juridictionem,  possumus  tamen  delegatam  ut  in  Indiis 
<iliisque  locis.  Cseterum  Illustrissima  D.  V»  satis  intelligit  non  posse 
promoveri  barbarorum  conversionem,  nisi  omnes  in  eumdem  finem 
uno  animi  consensu  conspirent  :  plus  enim  destrueretur  uno  die 
quam  multorum  annorum  spatio  })romoverint  primi  missionarii,  qui 
pro  Xti  evangelio  posuerunt  animas  suas,  et  nascentem  sanè 
ecclesiam  non  tantum  sudoribus  suis  sed  sanguine  liberaliter  irriga- 
runt.  Nec  mirari  débet  D.  Va  si  P.  Joannes  de  Quen,  missionis 
Canadensis  superior,  prsedictum  patrem  removerit  ab  officio  paro- 
chiali,  cum  Paulus  III  Felic.  record,  edicto  an.  1649.  xv  Kal.  nov. 
nolit  superiorem  quemquam  è  suis  subjectis  deputare  ad  ullum 
€cclesiœ  ministerium  et  si  quos  iis  deputare  contingeret,  nihilo- 
minùs  sub  ordinis  correctione  existant,  et  cum  expedire  judicabunt 
■eosdem  romovere  possint.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

1.  ((  Scribit  P^  Y"^  Dominus  de  Queylus  me  pariim  humaniter  erga 
P.  Poncetum  habuisse,  me  in  carcerem  ipsum  conjecisse.  Quam 
sit  hoc  parum  veritati  consentaneum  satis  advertit  P.  V.,  cum  iste 
agendi  modus  non  sit  in  societate  usitatus.  »  (Epistola  P.  de  Quen, 
3  sept.  1658,  ad  R.  P.  Generalem  ;  arch.  gen.  S.  J.) 

2.  «  ...  Improbat  sordidam  in  nobis  nescio  quam  negociationem. 
Dico  hoc  falsum  esse  ;  absit  verbo  injuria...  »  (Ibid.) 

3.  «  Scribit  Dominus  Abbas  nostrorum  qui  hic  degunt  aliam  esse 
vivendi  rationem  ab  eâ  quam  tenent  in  Gallià  Jesuitœ,  neque  parem 
hic  esse   in  obediendo    simplicitatem  et  alacritatem,    quasi   nos    de 


—  224  — 

Chose  étrange  !  Il  se  plaint  au  P.  Général  du  P.  Vimont 
sur  différents  points,  et  sur  ces  mêmes  points  il  en  fait 
l'éloge  dans  ses  lettres  au  Provincial  de  Paris  ^ 

Le  Général,  Goswin  Nickel,  envoya  le  Mémou^e  de 
Fabbé  de  Queylus  au  P.  de  Quen-,  qui  y  répondit  le 
3  septembre  1658  par  une  lettre  restée  inédite,  et  qui  jette 
un  jour  nouveau  sur  les  événements  de  cette  époque.  On  ne 
connaissait  ces  événements  que  par  le  Journal  des  Jésuites^. 
qui  en  dit  fort  peu  de  chose,  et  par  la  Morale  pratique,  qui 

laxioris  vitse  et  inobedicnlise  vitio  perstringeret.  Hoc  sanè  quam  falsà 
et  inique  scriptum  sit  utraque  clamât  Gallia  vêtus  et  nova.  Novit 
etiam  P.  V.  nihil  esse  nobis  charius  hic,  quam  superiorum  obedire- 
mandatis.  Seg-nem  hâc  in  virtute  hic  adhùc  nullum  vidi  ;  strenuos. 
omnes  et  promptos  ad  solum  nutum  superioris,  vel  in  rébus  difficil- 
limis  video,  et  in  regularum  omnium  observatione  observantissimos. 
Parcat  Deus  Omnip.  ei  qui  talia  scripsit  de  nobis.  »  (Epist.  P.  de 
Quen,  ibid.) 

\.  «  Me  ut  audio,  apud  vestram  Paternitatem  Abbas  vituperavit,  et 
nunc  mira  scribit  in  Galliam  ad  meam  laudem  in  iisdem  rébus  qua& 
vituperabat.  Est  ingenium  ejusmodi  hominum,  qui  religiosos  perse- 
quuntur  ;  bene  aut  maie  dicant  isti  homines,  idem  illis,  dummodo 
religiosos  oppugnent.  »  (Epistola  Patris  B.  Vimont  ad  R.  P.  Gene- 
ralem,  6  sept.  1658;  Archiv.  gen.  S.  J.) 

2.  Voici  la  lettre  du  P.  Général  qui  accompagnait  l'envoi  du  mé- 
moire :  ((  Mittimus  ad  R.  V.  exemplar  litterarum  quas  Dominus  Abbas 
de  Queylus  18  sept,  proxime  elapsi  ad  nos  dédit.  In  his  advertet  R.  V.. 
quid  iste  in  nostris  reprehendat.  Rescripsimus  ad  ipsum  nihil  posse 
a  nobis  prius  statui  quam  audiverim  R.  V.  aliosque  PP.  qui  in 
missione  Canadensi  versantur.  Quare  mittat  ad  nos  accuratam  de 
omnibus  informationem,  ut  si  forte  ille  easdem  aliasve  similes  nobis 
querelas  ingereret,  haberemus  quœ  illi  ad  singula  accusationis  capita 
respondeamus.  »  (Romœ,  18  jan.  1658,  ad.  P.  J.  de  Quen;  Arch. 
gen,  S.  J.) 

Le  P.  de  Quen  répondit  à  cette  lettre  le  3  sept.  1658,  et  le 
P.  Général  lui  accusa  réception  de  son  mémoire  justificatif,  le 
16  déc.  d658  :  «  Binas  R.  V.  litteras  accepi  eadem  Die  3  sept,  datas, 
quibus  nobis  exponit  statum  missionis  simulque  respondet  ad 
capita  accusationis  Domini  Abbatis  de  Queylus.  Quod  ad  Dominum 
Abbatem  spectat,  spero  fore  ut  illustmus  Episcopus  ecclesise  Cana- 
densi destinatus  cuncta  suo  adventu  componat.  »  (Arch.  gea.  S.  J.) 


—  225  — 

en  dit  beaucoup  de  mal,  au  grand  désavantage  des  Jésuites 
et  pour  le  plus  grand  bien  de  l'abbé.  La  réponse  du 
P.  de  Quen  nous  a  servi  de  guide  jusqu'ici  ;  elle  est  en  tout 
conforme  à  ce  que  rapportent  les  lettres  des  consulteurs  ^  de 
la  mission,  lesquelles  se  conservent  aux  Archives  générales 
de  la  Compagnie.  Ces  consulteurs  sont  tous  des  hommes 
dignes  de  foi,  des  religieux  exemplaires  :  ils  s'appellent 
Barthélémy  Vimont,  Claude  Pijart,  Paul  Ragueneau, 
Pierre  Chastelain,  François  Le  Mercier,  et  enfin  Jérôme 
Lalemant,  qui  reviendra  de  France  à  Québec  quelques 
mois  après  les  tristes  démêlés  entre  ses  confrères  et 
M.  de  Quejlus,  et  dont  les  lettres  adressées  à  Rome-  ne 
seront  qu'une  confirmation  du  récit  circonstancié  du  P.  de 
Quen  et  des  consulteurs. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  le  supérieur  de  la  mission 
avait  consenti,  par  amour  de  la  paix  et  pour  le  bien  de  la 
religion,  à  se  dessaisir  de  ses  fonctions  de  grand  vicaire  en 
faveur  de  M.  de  Quejlus,  à  la  réserve  de  ses  droits  jusqu'à 
sa  révocation  officielle  par  l'archevêque  de  Rouen.  Quelques 
jours  après,  il  écrivit  au  P.  de  Brisacier  3,  recteur  du  collège 

i.  Lettres,  datées  de  Québec,  qui  se  trouvent  aux  archives  géné- 
rales, et  que  nous  avons  copiées  :  lettre  du  P.  Vimont,  0  sept.  1058, 
au  R.  P.  Goswin  Nickel  ;  —  lettres  du  P.  Claude  Pijart  au  même, 
26  août  1658  et  31  sept.  1659;  —  lettres  du  P.  Ragueneau  au  même, 
l^''  sept.  1657  et  20  août  1658;  —  lettre  du  P.  Chastelain  au  même, 
6  août  1658  ;  —  lettres  du  P.  Le  Mercier  au  même,  20  août  1658  et 
16oct.  1659. 

2.  Les  lettres  du  P.  Lalemant  au  R.  P.  Général  sontdu  16sep.  1659 
el  du  8  sept.  1661. 

3.  Le  17  déc.  1657,  le  R.  P.  Général  écrivait  au  P.  de  Quen  : 
«  Forte  ipse  archiepiscopus  Rothomagensis  ad  quem  scripsit 
Rêva  Va  et  Cum  quo  aget  Rector  rothomagensis,  P,  Joannes  Rrisa- 
€ier,  nomine  vestro,  improbavit  quœ  omnia  fecit  Abbas  de  Queylus.  » 
(Arch.  gen.  S.  J.) 

Le    R.    P.    Général    écrivit    aussi    le    même   jour    au    P.    Annal, 
confesseur    du  roi,  à   Paris  :  <(  Accepi  litteras   Patris  J.  de    Quen, 
Je's.  et  Nouv.-Fr.  —  T.  II.  15 


—  226  — 

de  Rouen  et  le  pria  de  s'informer  à  l'archevêché  si  Sa  Gran- 
deur lui  avait  retiré  ses  pouvoirs  de  vicaire  général.  La 
réponse  de  Mgr  de  Harlay  arriva  à  Québec  le  1 1  juillet  1658. 
«  Pour  terminer,  y  est-il  dit,  les  différents  qui  sont  inter- 
venus entre  le  S''  abbé  de  Queylus  et  le  vénérable  supé- 
rieur des  Jésuites  de  la  maison  de  Québec,  tous  deux  nos- 
grands-vicaires  dans  la  partie  de  notre  diocèse  appelée  la 
Nouvelle-France  ;  en  attendant  qu'il  y  soit  plus  amplement 
pourvu  par  notre  autorité,  nous  avons  ordonné  que  le  S"^ 
abbé  de  Queylus  exercera  dorénavant  et  du  jour  de  la 
présente  ordonnance  le  vicariat  que  nous  lui  avons  donné ^ 


supcrioris  missionis  Canadcnsis  20  sept,  proximè  elapsi  ad  me 
datas,  quibus  mihi  significat  Illust.  archicpiscopum  Rothomagensem 
misisse  ad  novam  Franciam  œstate  prœterita  Abbatem  de  Queylus. 
pro  suo  vicario  generali,  qui  statim  nostros  vexare  cœpit,  velle  se, 
ait  omnia  quœ  hactenus  illic  gesta  essent  per  nostros  examinare  ;. 
abuti  nos  potestate  et  juridictione  vicarii  generalis,  matrimonia 
quœ  à  nostris  parochi  vices  agentibus  celebrata  essent  nulla  esse, 
non  posse  nos  baptisare  sine  sua  facultate  ;  de  nostris  disponere- 
suum  esse,  ità  ut  patrem  J.  Poncet  à  superiore  missum  aliô,  revocarit 
Quebecum,  ut  ab  eo  parœcise  administrationis  rationem  exigeret.. 
His  malis  remedium  non  aliud  vidcmus  quam  ut  episcopi  quem  rex 
christianissimus  destinavit  Canadensi  ecclesiae  profectionem  omnL 
quâ  poterit  ratione  maturet  reverentia  vestra.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

Le  même  jour  encore,  le  R.  P.  Nickel  écrivait  au  P.  de  Brisacier, 
recteur  du  collège  de  Rouen  :  «  Scripsit  ad  me  20  Sept,  hujus  anni 
Pater  J.  de  Quen,  superior  missionnis  Canadensis,  vexari  se  et  suos. 
ab  abbate  de  Queylus,  proximâ  œstate  illùc  misso  ab  illust.. 
archiep.  Rothomagensi,  ut  vicarii  sui  generalis  officio  fungeretur,. 
asserente  matrimonia  per  nostros  parochorum  vices  agentes  cele- 
brata nulla  esse,  eos  abuti  potestate  et  juridictione  vicarii  generalis. 
quam  obtinuerant,  posse  se  de  nostris  ad  libitum  disponere,  aliaque 
quœ  non  parùm  nascentem  hanc  ecclesiam  pertubarunt.  Cresceret  \ 
in  dies  malum  nisi  archiepu*  illusmus  pro  suo  zelo  et  pietate  mature 
prospiciat.  Videbit  R^  Y»  an  posset  ab  eo  impetrare  ut  vel  illius. 
Abbatis  potcstas  revocaretur,  vel  ità  ageret  cum  nostris  ut  non  ad 
destructionem  sed  ad  œdificationem  novam  Franciam  adierit.  »  (Arch. 
f^en.  S.  J.) 


—  227  — 

suivant  tous  les  pouvoirs  qu'il  contient,  dans  l'étendue  de 
Tîle  de  Montréal  ;  comme  aussi  le  supérieur  des  Jésuites  de 
la  maison  de  Québec  exercera  les  mêmes  pouvoirs  que  nous 
lui  avons  accordés,  sans  que  ni  l'un  ni  l'autre  des  deux 
grands  vicaires  puissent  rien  entreprendre  dans  les  deux 
différents  territoires  sans  le  consentement  l'un  de  l'autre.  » 
Cet  acte  est  fait  et  signé  à  Paris  le  30  mars  1658  K 

Le  lecteur  aura  sans  doute  remarqué  ces  expressions  : 
((  Pour  terminer  les  différents  intervenus  entre  M.  de  Queylus 
etle  supérieur  des  Jésuites,  tous  deux  nos  grands-vicaires^-  ». 
Le  P.  de  Quen  n'avait  donc  j^as  été  réA^oqué"^?  Rien 
n'indique,  du  reste,  cette  révocation  dans  les  lettres 
patentes  accordées  à  l'abbé  à  la  date  du  22  avril  1657. 
L'archevêque  se  borne  à  donner  au  nouveau  grand  vicaire 
les  pouvoirs  les  plus  étendus,  sans  retirer  ces  mêmes 
pouvoirs  à  l'ancien  :  ce  sont  deux  puissances,  indépendantes 
l'une  de  l'autre,  agissant  parallèlement,  et  relevant  toutes 
deux  directement  de  leur  supérieur  commun,  le  primat  de 
Normandie  '*.  Si  M.   de  Queylus  se  fût  fixé  à  Montréal,  dès 

1.  Archevêché  de  Rouen,  reg-.  fol.  40. 

2.  M.  Faillon  a  eu  grand  tort  d'omettre  ces  expressions  à  la 
page  300,  t.  II. 

3.  Le  P.  de  Quen  interprète  ainsi  Yacte  de  l'archevêque  dans  une 
lettre  du  3  sept.  16o8  au  R.  P.  Général  :  «  Illustrissimus  archie- 
piscopus  rothomagensis  misit  ad  me  litteras,  quibus  confirmai 
vicarii  generalis  Quebeci  et  in  aliis  locis  adjacentibus,  jam  à  multis 
annis  ab  ipso  concessam  nobis  pofestatem.  Scripsit  et  ab  Dominum 
Abbatem  de  Queylum  epistolam,  quœ  constituit  illum  vicarium 
generalem  in  insula  montis  regalis  tantum.  »  (Arch.  gcn,  S.  J.) 

4.  Pièces  Justificatives,  n»  X.  —  Quand  nous  disons  leur  supérieur 
commun,  nous  n'entendons  pas  pour  cela  accorder  à  l'archevêque  de 
Rouen  une  autorité  spirituelle  que  de  fait  il  n'avait  pas  sur  le 
Canada,  et  que  Rome  ne  reconnut  pas,  comme  nous  le  verrons 
bientôt.  Nous  parlons  d'après  les  idées  reçues  alors  :  à  celte  époque, 
on  croyait,  bien  à  tort,  que  la  Nouvelle-France  était  soumise  à 
l'archevêché  de  Rouen,  et  le  Primat  de  Normandie  le  croyait  plus 
que  personne. 


—  228  — 

son  arrivée  au  Canada,  s'il  n'eût  pas  affiché  la  prétention 
d'être  seul  grand  vicaire  ;  si,  pour  parvenir  à  ses  fins,  il 
n'eût  pas  forcé  le  sens  de  ses  lettres  patentes^  la  paix  reli- 
gieuse n'aurait  pas  été  troublée,  comme  elle  le  fut,  dans  la 
Nouvelle-France,  sur  la  fin  de  1657  et  dans  la  première 
moitié  de  l'année  suivante  ^ . 

Le  huit  août  de  cette  dernière  année,  dit  le  Journal  des 
Jésuites,  le  supérieur  de  Québec  fit  signifier-  sa  patente  de 
grand  vicaire  à  M.  l'abbé  ;  et  ce  dernier  retourna  définiti- 
vement à  Montréal,  mais  avec  peine,  quinze  jours  après  la 
signification  3. 

M.  Gosselin  écrit  à  l'occasion  de  ce  départ  cette  unique 
phrase  peu  probante  :  «  Il  dut  laisser  des  regrets  à  Québec 
chez  bon  nombre  de  personnes^.  »  M.  Faillon  en  dit  plus 
long,  mais  avec  peu  d'assurance  :  <.<  Il  pai^aît  que  son  admi- 
nistration était  assez  généralement  estimée  et  aimée ^...  Il 

1.  A  Rome,  on  n'approuvait  pas  la  conduite  de  M.  de  Queylus. 
Le  R.  P.  Général  écrivit  au  P.  Annat,  le  25  fév.  1658  :  «  Speramus 
fore  ut  brevi  summus  Pontifex  annuat  Votis  Christmi  régis  (il  deman- 
dait au  pape  la  nomination  de  l'abbé  de  Laval  comme  évêque  de 
Québec)  eôque  libentiùs  quo  modus  agendi  Abbatis  de  Queylus 
passim  improbatur.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  P.  258. 

3.  Ihid.,  p.  259.  —  Le  P.  Vimont  écrivait  au  R.  P.  Général  le  6  sept. 
1658  :  ((  Dominus  de  Queylus  discessit  tandem  hinc,  hinc  segre.  )> 
On  lit  encore  dans  une  lettre  du  P.  de  Quen  au  Général,  3  sep.  1658  : 
«  Augusto  mense  profectus  est  D.  Abbas  ad  insulam  montis  regalis, 
ut  in  eo  loco  vicarii  generalis  munere  fungatur  de  mandato  illust. 
archiep.  Rothomagensis.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

4.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  115. 

5.  Histoire  de  la  Colonie,  p.  293.  —  M.  Faillon  semble  citer  à 
l'appui  le  témoignage  de  la  Mère  Juchereau  qui  ne  dit  rien  de  cette 
administration  estimée  et  aimée  ;  elle  nous  apprend  seulement  que 
l'abbé,  homme  de  qualité,  d'une  rare  vertu  et  d'un  mérite  distingué, 
aimait  beaucoup  les  sœurs  hospitalières.  {Histoire  de  V Hôtel-Dieu  de 
Québec,  pp.  HO  et  114.) 


—  229  — 

se  faisait  aimer  non  seulement  des  personnes  de  considé- 
ration, mais  aussi  du  peuple,  envers  lequel  il  se  montrait 
libéral  ^..  //  paraît  que  son  départ  fît  naître,  quoique  sans 
raison,  des  inquiétudes  de  conscience,  et  douter  si  Ton 
pouvait  s'adresser  aux  Jésuites  pour  l'administration  des 
sacrements  -.    » 

Le  gouverneur,  M.  d'Argenson,  grand  ami  de  l'abbé 
de  Queylus,  est  plus  net  et  davantage  dans  le  vrai  :  «  Le 
départ  de  M.  de  Queylus  a  un  peu  alarmé  notre  pays, 
d'autant  que  ce  qu'il  y  avait  de  prêtres  séculiers  ont  quitté, 
à  la  réserve  de  deux  autres  3.  »  Cette  lettre  est  du 
3  septembre.  Deux  jours  après,  il  écrit  :  «  Je  ne  puis  pas 
bien  vous  dire  ce  qu'on  pourrait  faire  pour  dissiper  les 
inquiétudes  de  conscience  qu'on  s'est  imaginées  '*.  »  Le 
départ  de  M.  de  Queylus  a  donc  un  peu  alarmé  le  pays,  il 
a  fait  imaginer  des  inquiétudes  de  conscience.  Les  personnes 
ainsi  alarmées  ei  inc[uiètes  éioieni-çWes  nombreuses?  Il  est 
à  croire  que  non,  puisque  peu  de  personnes  se  confessaient 
à  l'abbé  et  aux  prêtres  séculiers,  et  qu'au  dire  de  M.  d'Ar- 
genson  lui-même,  les  Confessionnaux  des  Pères  étaient  fort 


i.  Histoire  de  la  Colonie  française,  p.  298.  —  M.  Faillon  renvoie 
comme  preuve  au  Journal  des  Jésuites,  21  oct.  dGo7  ;  or,  il  n'est  ques- 
tion en  cet  endroit  que  du  discours  prononcé  par  l'abbé  contre  les 
Jésuites,  et  de  la  défense  que  les  Français  doivent  organiser  contre 
les  Iroquois.  Il  renvoie  également  aux  Lettres  de  Marie  de  l'Incar- 
nation, 1658,  qui  ne  disent  mot  de  l'abbé. 

2.  M.  Faillon  a  raison  de  dire  il  parait  et  de  ne  pas  affirmer  ;  car 
il  donne  de  singulières  preuves  des  inquiétudes  de  conscience  que  le 
départ  de  l'abbé  fit  naître.  Les  voici  :  plusieurs  profitèrent  des 
derniers  jours  de  sa  présence  à  Québec  pour  faire  baptiser  leurs 
enfants  ;  d'autres,  après  son  départ,  firent  ondoyer  leurs  enfants,  au 
lieu  de  les  porter  de  suite  à  l'église.  (T.  II,  p.  302.) 

3.  Lettre  citée  par  M.  Faillon,  t.  II,  p.  301. 

4.  Ibid.,  p.  302. 


—  230  — 

fréquentés^.  Il  ne  dit  rien  du  confessionnal  de  Tabbé,  ni 
de  celui  des  prêtres,  ce  qui  est  très  significatif.  Un  fait  à 
remarquer  :  le  gouverneur,  qui  regrette  le  départ  de  l'abbé 
et  des  prêtres,  qui  est  du  parti  de  M.  de  Queylus  et 
partisan  résolu  du  clergé  séculier,  se  confesse  à  un  Père 
Jésuite-.  Pour  diriger  la  conscience  de  quelques  fidèles, 
pour  calmer  leurs  alarmes  et  dissiper  leurs  inquiétudes,  il 
restait  à  Québec  deux  ecclésiastiques  séculiers^  :  en  vérité, 
n'était-ce  pas  suffisant?  Ajoutons  qu'ils  se  nourrissaient  de 
craintes  bien  imaginaires,  pour  ne  rien  dire  de  plus,  ceux 
qui  doutaient  (y  en  avait-il  ?)  si  Von  pouvait  s'adresser  aux 
Jésuites  pour  l'administration  des  sacrements^.  Est-ce  que 
Vacte  archiépiscopal  du  30  mars  n'accordait  pas  les  mêmes 
pouvoirs  à  M.  de  Queylus  et  au  supérieur  de  la  mission? 

Les  correspondances  inédites  des  missionnaires  ne 
tiennent  pas  sur  le  départ  de  Tabbé  le  même  langage  que 
l'historien  de  la  Colonie  française.  Nous  leur  faisons  deux 
emprunts  à  titre  de  document  :  «  Tout,  dit  le  P.  de  Quen, 
est  à  la  paix  à  Québec,  où  nous  avons  repris  la  direction 
de  la  cure  et  où  nous  exerçons  les  fonctions  de  grand 
vicaire  à  la  grande  satisfaction  de  tout  le  monde ^...  »  — 

1.  Lettre  de  M.  dWrg-enson  à  M.  de  Morangis,  5  sept.  d658,  citée 
par  M.  Paillon,  t.  II,  p.  293.  —  Nous  avons  vu,  dans  le  chapitre 
précédent,  que  M.  de  Queylus  avait  à  peine  quelques  pénitents. 

2.  <(  Unum  è  nostris  patribus  habet  pro  confessario.  »  (Epistola 
P.  de  Quen  ad  R.  P.  Generalem,  3  sept.  1658  ;  Arch.  g^en.  S.  J.) 

3.  Lettre  de  M.  d'Argenson,  citée  par  M.  Paillon,  t.  II,  p.  301. 

4.  M.  Paillon,  t.  II,  p.  302. 

5.  «  Pacata  sunt  jam  omnia  Quebeci,  ubi  parochi  vices  agimus  et 
generalis  vicarii  munus  singulari  omnium  gratulatione.  »  (Epistola 
ad  R.  P.  Generalem,  3  sept.  1658.) 

Le  R.  P.  Général  répond  à  la  lettre  du  P.  de  Quen,  le  16  déc. 
1658  :  «  Pacem,  quam  recessus  Domini  Abbatis  de  Queylus  attulit 
vobis,  haud  dubiè  confirmabit  adventus  episcopi,  qui  societatem 
peculiari  benevolantiâ  complectitur.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 


—  231  — 

«  Nous  vivons   ici  dans  la  paix,  dit  encore   le  P.  Pijart, 
depuis  le  départ  de  l'abbé  de  Queylus  pour  Montréal  i.  » 

Les  missionnaires  se  maintinrent-ils  toujours,  pendant  la 
courte  durée  de  l'administration  de  M.  de  Queylus,  dans  les 
bornes  de  la  modération  et  de  la  charité  ?  Leurs  lettres 
l'afTirment.  «  Nous  avons  supporté,  écrit  le  P.  de  Quen, 
tous  ses  agissements  avec  calme  et  modestie,  comme  il 
convient,  sans  cependant  jamais  rien  céder  de  nos  droits  ~  .» 
Malgré  ce  témoignage  qu'ils  se  rendent  à  eux-mêmes, 
nous  ne  voudrions  pas  affirmer  qu'ils  se  montrèrent  tous 
irréprochables.  Ils  étaient  hommes,  et  plusieurs  purent  bien 
oublier,  dans  la  vivacité  de  la  lutte,  les  lois  de  la  prudence 
et  de  la  charité.  Un  fait   certain,  et  ce  fait  seul  les  justi- 

1 .  «  Vivimus  hic  quicli  ex  quo  Dominus  Abbas  de  Queylus  mandalo 
Domini  archiepiscopi  Rothomagensis  aliô  abiit.  »  (Epist.  ad  R.  P. 
Generalem,  26  Aug.  1658.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

L'abbé  de  Latour  dit  dans  la  Vie  de  Mgr  de  Laval  :  <(  La  qualité 
de  grand  vicaire  et  ses  coups  d'autorité  ne  firent  pas  fortune  ;  à 
Fexception  de  ceux  qui  étaient  venus  avec  lui,  personne  ne  voulait 
le  reconnaître,  malgré  les  ordonnances  qu'il  publia  et  les  censures 
qu'il  fumina...  Ses  démarches  déplurent  quelquefois  et  aliénèrent  les 
esprits.  »  Cit.  par  M.  Vigier  dans  sa  Notice  historique  sur  l'abbé. 

2.  (c  Pacificè  omnia  et  modeste,  ut  decet,  tulimus  ;  de  jure  tamen 
nostro  nihil  remisimus.  »  (Ep.  P.  de  Quen  ad  R.  P.  Generalem, 
3  sept.  16o8.) 

Le  R.  P.  Général  avait  exhorté  le  P.  de  Quen  à  la  patience,  le 
47  déc.  1657  :  ((  Accepi  litteras  R"-  V«p  20  Sept,  hujus  anni  ad  me  datas 
quibus  significat  abbatem  qui  ab  illust™»  archiepiscopo  Rothoma- 
gensi  vicarii  generalis  potestatem  ol)tinuit  volais  non  levem  molestiam 
creare.  Patienter  illam  ferre  débet  R"*  V^  usque  dum  per  Episcopum 
quem  rex  Christ^us  brevi  à  suâ  Sanctitate  obtinebit,  omnibus 
medeatur.  »  (Arch.  gen.  S.  J.)  —  11  lui  écrit  aussi  d'avoir  espoir  et 
d''agir  avec  prudence  :  «  R-"^  \''^  non  débet  statim  ad  primam  exortam 
procellam  persecutionis  cuncta  desperare,  sed  difficultatibus  pro 
suâ  prudentiâ  obstare,  et  expectare  tranquillitatem  quam  Deus 
Canadensi  ecclesiaî  suœ  brevi,  uti  speramus,  rcstiluet  per  episcopum 
societati  nostraj  benevolum,  quem  expectat  R*^  V*.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 


—  232  — 
fierait,  c'est  que  l'abbé  de  Queylus,  dans  son  mémoire 
adressé  au  R.  P.  Général,  ne  leur  reproche  ni  une  jiarole 
peu  charitable  ni  un  acte  irrévérencieux.  Le  supérieur  de 
Québec  a  lésé  ses  droits  en  remplaçant  sans  son  autorisation 
le  P.  Poncet  par  le  P.  Pijart  ;  et  c'est  tout.  Le  reste,  comme 
nous  l'avons  vu,  est  une  suite  d'accusations  sans  fonde- 
ment, qui  ne  concernent  en  rien  les  rapports  de  Fabbé  avec 
les  Pères.  On  a  cependant  reproché  au  P.  Pijart  d'avoir 
accusé  l'abbé,  dans  une  lettre  privée,  cVêtre  violent  et  de 
faire  aux  Jésuites  une  guerre  plus  fâcheuse  que  celle  des 
IroquoisK  M"'*^  d' Ailleboust ,  femme  du  gouverneur, 
trouva  cette  lettre,  se  permit  de  la  lire  et  la  montra  au 
grand  vicaire,  qui  en  conçut  une  grande  irritation.  La 
violation  du  secret  épistolaire  était  blâmable  ;  peut-on  en 
dire  autant  d'une  communication  confidentielle,  que  l'indis- 
crétion d'une  femme  a  livrée  à  la  publicité  ? 

Cependant  la  paix,  qui  régnait  à  l'église  de  Québec, 
n'était  pas  sans  mélange.  M.  de  Lauson  avait  quitté  le 
Canada  avant  la  fin  de  son  commandement -,  laissant,  pour 
le  remplacer,  son  fils,  M.  de  Gharny,  auquel  succéda 
bientôt  M.  d'Ailleboust,  un  des  membres  de  la  Société  de 
Montréal.  Celui-ci  semblait  n'être  là  que  le  lieutenant  du 
vicomte  d'Argenson. 

Pierre  de  Voyer,  vicomte  d'Argenson,  d'une  famille  de 
robe,  avait  été  nommé  en  1657  gouverneur  général  du 
Canada,  grâce  à  l'appui  de  M.  de  Lamoignon,  alors  premier 
président.  Il  n'arriva  à  Québec  que  le  11  juillet  1058  3. 

1.  Journal  Jes  Jésuites,  p.  222. 

2.  «  Dominus  de  Lauzon,  calumniis  et  clamoribus  oppressas,  coac- 
tiisest  ante.finem  suœ  gubcrnationis  in  Galliam  remeare  ;  et  de  facto 
navem  conscendit  mag^no  omnium  Gallorum  et  neophytoriim  gaudio.  » 
(Epist.  P.  Vimont  ad  R.  P.  Generalem,  28  Aug.  1656  ;  Arch. 
gen.S.  J.) 

3.  Journal  des  Jésuites,  p.  237. 


—  233  — 

Ag-é  de  32  ans,  célibataire,  intellig-ent,  brave,  bon 
catholique  ^  sage  au  possible,  selon  l'expression  d'Aubert 
de  la  Chesnaye  ^,  on  en  disait  monts  et  merveilles  avant 
son  arrivée  ^.  Ce  n'était  pas  un  ami  des  Jésuites  de  France, 
ni  de  ceux  du  Canada  ;  ses  sentiments  à  leur  égard  s'éloi- 
gnaient beaucoup  de  la  justice  et  de  la  vérité.  En  revanche, 
il  estimait  et  aimait  particulièrement  l'abbé  de  Queylus^. 
On  le  reçut  à  Québec  avec  enthousiasme  :  beaucoup  espé- 
raient qu'il  rachèterait  Israël^. 

A  peine  installé,  le  gouverneur,  qui  a  peu  vécu  et  peu 
vu,  se  figure,  comme  tous  ceux  que  la  fortune  a  portés 
d'emblée  au  pouvoir,  qu'il  peut  se  passer  avantageusement 
du  conseil  des  sages  et  de  l'expérience  des  vieux.  11  éloigne 

i.  <(  Appiilit  ad  nos  hoc  anno  novus  prorex,  annos  natus  32,  non 
uxoratus,  vir  sane  ingeniosus,  strenuus,  virtute  prœditus.  »  (Epist. 
P.  de  Quen  ad  R.  P.  Generalem,  3  sept.  1058  ;  Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  Mémoires  de  M.  Aubert  de  la  Chesnaye. 

3.  ((  Dnus  d'Argenson,  gubernator  noster  novus  magnas  spes  etiam 
adhuc  absens  dederat.  »  (Ep.  P.  Vimont  ad  R.  P.  Generalem, 
6  sept.  1658  ;  Arch.  gen.  S.  J.) 

4.  ((  Novus  prorex  non  est  noster.  Addictus  est  Domino  Abbati  de 
Queylus.  »  (Epistola  P.  de  Quen,  ihid.)  —  «  Novus  gubernator,  qui 
suprà  nos,  niliil  ad  nos,  ita  sanè  se  gessit  in  componendis  rébus  Do- 
mini  de  Queylus  nobiscum,  ità  locutus  est,  ut  satis  appareat  malè  ipsum 
affectum  esse  erga  Patres  nostros,  eaque  de  nobis  sentire,  tùm  qui 
hic  sumus,  tùm  qui  in  Gallia,  qua3  sint  omninô  procul  à  vero  et 
iniqua  sint.  »  (Epist.  P.  Ragueneau  ad  R.  P.  Generalem,  20  Aug.  1658  ; 
Arch.  gen.  S.  J.) 

M.  Paillon  dit  dans  son  Histoire,  t.  II,  p.  466  :  »  Ce  gouverneur 
était  parti  de  France  sans  avoir  jamais  témoigné  d'inclination 
particulière  pour  les  Révérends  Pères  Jésuites,  (juoique  le  conseiller 
d'Etat,  son  frère,  professât  pour  eux  le  plus  entier  dévouement.  Ce 
dernier  en  conçut  même  quelque  peine  et  s'en  ouvrit  confidem- 
ment  à  M.  de  Laval,  avec  lequel  il  avait  des  liaisons  particu- 
lières. » 

5.  «  Novum  hoc  anno  Gubernatorem  habuimus  è  Gallià,  Dominum 
d'Argenson  :  sperabant  nonnulli  quoniam  ipse  redempturus  esset 
Israël.  »  (Epist.  P.  Ragueneau  ad  R.  P.  Generalem.  20  Aug.  1658; 
Arch.  gen.  S.  J.) 


—  23i  — 
■de  lui  les  anciens  conseillers,  et  s'entoure  d'hommes  nou- 
veaux,   d'une    jeunesse    présomptueuse,     dont    il     prend 
conseil  K 

Un  mois  après  son  arrivée,  l'enthousiasme  du  premier 
jour  s'est  changé  en  froid,  si  bien  que  le  P.  Ragueneau 
écrit  à  Rome  :  «  Je  n'espère  rien  de  l'avenir  ;  je  crains  la 
ruine  des  Français  ;  j'ai  peur  d  une  guerre  horrible.  Ce  qui 
augmente  mes  terreurs,  c'est  le  caractère  du  nouveau 
gouverneur-.  » 

Vers  la  même  époque,  le  P.  Vimont  écrit  également  : 
«  M.  d'Argenson  ne  paraît  satisfaire  ni  les  sauvages,  ni 
les  Français,  ni  les  Religieux.  L'expérience  le  changera 
peut-être  et  lui  ouvrira  les  yeux.  Mais  il  me  semble  plus 
probable  pour  le  moment,  que  sans  un  miracle  de  la 
Providence,  l'œuvre  de  la  colonisation  tombera  plutôt 
qu'elle  ne  s'élèvera  ^.  » 

Enfin,  le  P.  de  Quen  dit  au  P.  Général  :  «  Nous  avons 
tout  à  redouter  de  l'union  de  l'abbé  et  du  gouverneur  ;  car 
l'union  fait  la  force.  Mais  si  Dieu  est  pour  nous,  qui  sera 
contre  nous.'  Tout  notre  espoir  est  en  lui  ^  .» 

Si  le  ciel  s'était  rasséréné  après  le  départ  de  M.  de 
•Quejlus,   il  n'était  cependant  pas  sans  nuages  ;   on  décou- 

1.  ((  Suo  genio  res  agit;  utitur  juvenum  consiHo.  »  (Epist.  P.  de 
•Quen  ad  P.  Generalem,  6  sept.  1638  ;  Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  ((  Mihi  sanè  sperare  non  licet  ;  timeo  ruinam  Gallorum,  et  ab 
Iroquseis  bella,  horrida  hella.  Timorem  hune  auget  meum  ingenium 
novi  Gubernatoris...  »  (Epist.  P.  Ragueneau,  ihid.) 

3.  ((  Neque  barbaris,  neque  Gallis,  neque  personis  religiosis  satis- 
facere  videtur  Dominus  d'Argenson.  Experientia  forte  illum  mutabit 
•et  aperiet  oculos...  Quidquid  sit,  major  est  prol)abilitas,  sine  Dei 
miraculo,  destructionis  quam  œdificationis.  »  (Epist.  P.  Vimont, 
ibid.) 

4.  «  Ab  utroque  nobis  timendum  ;  vis  unita  fortior  est.  Verùm 
si  Deus  pro  nobis,  quis  contra  nos.  In  eo  tota  spes  nostra  est.  » 
{Epist.  P.  de  Quen,  ibid.) 


—  235  — 

Trait  des  points  noirs  à  Fhorizon.  M.  d'Argenson  ne  tarda 
pas,  en  effet,  à  déclarer  la  guerre  aux  missionnaires,  guerre 
sourde  et  hypocrite,  d'autant  plus  dangereuse  que  ceux-ci 
ne  pouvaient  se  mettre  en  garde  ni  se  défendre.  Ils  appre- 
naient par  l'un  et  par  l'autre  le  travail  souterrain  qui  se 
faisait  contre  eux,  soit  à  Québec,  soit  aux  Trois-Rivières  ; 
on  s'efPorçait  de  démolir  leur  autorité,  de  détacher  d'eux  les 
fidèles.  Les  choses  en  vinrent  bientôt  à  ce  point  que  les 
Jésuites  finirent  par  craindre,  et  non  sans  raison,  que  le 
gouverneur  et  l'abbé  ne  surprissent  la  bonne  foi  de  l'arche- 
vêque de  Rouen  et  n'obtinssent  des  lettres  patentes  modi- 
fiant de  nouveau  l'administration  religieuse  du  Canada^. 

L'avenir  s'annonçait  plein  de  périls,  et  les  Pères  se 
demandaient  avec  inquiétude  par  quel  moyen  ils  échap- 
peraient à  ses  menaces.  «  Il  n'y  a  qu'un  moyen  de  sortir  de 
là,  écrit  le  P.  Ragueneau  ;  c'est  la  nomination  d'un  évêque 
qui  ne  soit  pas  l'ennemi  de  la  Compagnie-.  » 

1.  «  Spes  est  adversariis  nostris  mulationis  procurandse.  Quid 
facilius  esse  iis  potest,  quam  ut  securis  nobis  nihilque  opinantibus 
mandatum  aliquod  novum  obtincant  ab  archiepiscopo  Rothomagensi, 
•qui  susdeque  omnia  subvertat.  »  (Epist  P.  Ragueneau  ad  P.  Gene- 
ralem,  20  Aug.  1658  ;  Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  «  Ut  opiiior,  nullus  erit  finis,  donoc  episcopus  advcnerit,  qui 
societati  nostrse  iniquus  non  sit,  nostrorumque  Patrum  opéra 
utatur.  »  {Ihid.) 

Le  P.  de  Quen,  comme  tous  les  Pères,  pensait  ainsi  ;  il  désirait  la 
nomination  d'un  évèque  et  il  ajoutait  :  «  Expediret  paucos,  hîc 
sacerdotes  seculares  degere.  »  (26  Aug,  1658.)  —  Nous  avons  vu 
plus  haut  qu'il  resta  deux  prêtres  à  Québec  après  le  départ  de  l'abbé 
•de  Queylus. 

Le  P.  Général  partageait  l'avis  des  missionnaires  du  Canada, 
comme  nous  le  voyons  par  sa  réponse  du  mois  de  déc.  1658  au 
P.  de  Quen  :  «  Doleo  quidem  quod  novis  hisce  turbis  evangelii 
cursus  impediatur  ;  sed  quoniam  unica,  ut  scribit  R*  V-"^,  est  via 
medendi  his  incommodis,  nostram  omnem  operam  hic  adhibemus,  ut 
optatus  vobis  episcopus  quantocitius  opéra  christianissimi  régis 
obtineatur,  qui,  ut  spero,  cuncta  componct.  »  (Arch.  gen.  S.  J.)  — 


—  236  — 

Marie  de  Flncarnation,  qui  pensait  en  1646  que  le  pays 
n  était  pas  encorde  assez  fait  pour  demander  la  présence  d'un 
évêque,  est  aujourd'hui  de  l'avis  du  P.  Ragueneau  : 
((  M.  de  Bernières  me  mande,  dit-elle,  et  le  R.  P.  Lale- 
mant  me  confirme  que  l'on  veut  nous  envoyer  pour 
évêque  M.  de  Montigny,  qu'on  dit  être  un  g-rand  serviteur 
de  Dieu.  Ce  serait  un  g-rand  bien  pour  ce  pays  d'avoir  un 
supérieur  permanent  ;  et  il  est  temps  que  cela  soit^  pourvu 
qu'il  soit  uni,  pour  le  zèle  de  la  religion,  avec  les  RR.  PP. 
Jésuites  1.  » 

//  était  temps,  en  effet.  Les  uns  et  les  autres  réclamaient 
un  évêque,  mais  ^Dour  des  motifs  différents  :  ceux-ci  pour 
mettre  fin  aux  agissements  de  l'abbé  et  du  gouverneur, 
ceux-là  pour  détruire  ou  diminuer  l'influence  des  Jésuites, 
tous  les  hommes  d'ordre  et  de  foi  pour  endiguer  le  vice 
qui  commençait  à  se  répandre  -,  et  pour  établir  d'une  façon 
stable  la  paix  religieuse,  troublée  pendant  les  quelques 
mois  d'administration  de  M.  de  Queylus.  Ces  derniers  espé- 
raient aussi  que  la  présence  d'un  évêque  pourrait  seule 
prévenir  le  mal,  qui  naîtrait  inévitablement,  à  un  moment 
donné,  du  conflit  des  deux  autorités  ecclésiastiques.  Faut-il 
ajouter  que  des  Français  peu  recommandables,  qui  étaient 
parvenus  à  se  glisser  dans  la  colonie  à  la  faveur  des 
troubles   religieux,  faisaient   entendre   leur  note    dans   ce 

n  lui  fait  savoir  qu'il  écrit  au  P.  Annat,  pour  que  celui-ci  hâte  le 
départ  de  l'évèque  :  «  Scribo  ad  P.  Fr.  Annat  ut  maturet  adventum 
episcopi  quem  rex  christianissimus  ecclesiœ  Canadensi  destinavit.  » 
Il  espère  que  l'arrivée  de  Févèque  mettra  fin  aux  dissensions  : 
((  Controversias  Domini  Abbatis  de  Queylus  componet,  ut  spero, 
adventus  lllust.  episcopi,  qui  Canadensi  ecclesiœ  destinatur.  »  (Arcli. 
gen.  S.  J  :  Epist.  ad  P.  Ragueneau,  16  déc.  1658.) 

1.  Lettres  spirituelles,  42"  let.,  p.  80. 

2.  On  lit,  pp.  10  et  11,  dans  le  Mémoire  sur  la  vie  de  Mgr  de 
Laval,  par  l'abbé  de  La  Tour  :  ((  Le  vice  commençait  à  se  répandre  ; 
il  fallait  une  autorité  supérieure  pour  en  arrêter  le  cours.  » 


—  237  — 

concert  général?  Ils  attendaient  d'un  nouveau  régime, 
d'une  organisation  nouvelle,  une  plus  grande  liberté  dans 
le  commerce  de  l'eau-de-vie,  une  plus  grande  facilité  de 
mœurs. 

M.  d'Argenson  était  le  premier  à  reconnaître  qu'un 
évêque  ajusterait  facilement  toutes  choses^  «  puisque,  disait- 
il,  nous  voyons  qu'il  est  désiré  de  tous  ;  chacun  est  bien  dis- 
posé à  le  recevoir  ;  pour  moi,  je  le  crois  très  avantageux  au 
pays  1 .  » 

M.  de  Gueffîer,  agent  de  France  à  Rome,  à  cette  époque, 
ne  fut  donc  que  l'écho  des  ardents  désirs  de  toute  la  colonie 
française  au  Canada,  quand  il  supplia  le  Saint-Père 
d'envoyer  au  plus  tôt  un  évêque  dans  la  Nouvelle-France  : 
«  D'après  ce  qu'on  a  mandé  au  Roy,  disait-il  à  Sa  Sainteté, 
Sa  Majesté  craint  que,  faute  de  secours,  la  religion  va  se 
perdre  au  Canada  -.  » 

Ce  secours  va  lui  être  donné. 

1.  Lettres  de  M.  d'Argenson,  5  sept.  l6o8  et  14  oct.  1658  ;  cité  par 
M.  Paillon,  t.  II,  p.  303. 

2.  Cité  par  M.  Paillon,  t.  II,  p.  321. 


CHAPITRE    SECOND 


Mgr  de  Laval  :  élève  aux  collèges  de  la  Flèche  et  de  Clermont^ 
membre  de  la  Société  des  bons  amis  à  Paris,'  désigné  pour  un 
vicariat  apostolique  au  Tonkin,  nommé  vicaire  apostolique  au 
Canada  et  évêque  de  Pétrée.  —  Son  arrivée  à  Québec  ;  le  P.  Jérôme 
Lalemant,  grand  vicaire.  —  L'évoque  de  Pétrée  et  M.  de  Queylus. 
—  M.  d'Argenson  et  les  questions  de  préséance.  —  M.  d'Avaugour 
et  la  traite  del'eau-de-vie.  —  Colbert  et  les  Jésuites.  —  Organisa- 
tion du  vicariat  apostolique  et  du  gouvernement  de  la  Nouvelle- 
France.  —  M.  de  Mésy  et  son  administration.  —  MM.  de  Courcelles, 
de  Tracv  et  Talon. 


Nous  avons  dit,  au  chapitre  précédent,  que  les  Jésuites^ 
proposèrent  à  la  Cour  pour  le  nouvel  évêché  de  Québec 
M.  Fabbé  de  Laval  de  Montigny. 

Né  le  30  avril  1622  au  château  de  Montio^ny-sur-Avre, 
dans  le  diocèse  de  Chartres,  l'abbé  François  de  Laval  de 
Montigny  appartenait  à  l'illustre  maison  de  Montmorency. 
Al'âg-e  de  neuf  ans,  à  la  rentrée  d'octobre  de  1631,  il  fut 
envoyé  au  collège  royal  de  la  Flèche,  pour  y  commencer 
le  cours  de  ses  études  littéraires.  Ce  collège,  fondé  par 
Henri  IV,  comptait  alors  quatorze  cents  élèves,  parmi  les- 
quels trois  cents  pensionnaires,  l'élite  de  la  noblesse  de 
France. 

Le  P.  Claude  Noirel  dirigeait  ce  grand  établissement,  et 
le  P.  Louis  Milquin  exerçait  les  fonctions  de  principal  au 
pensionnat.  Noirel  fut  bientôt  remplacé  par  l'ami  de  Des- 
cartes, le  mathématicien  Etienne  Noël,  qui  lui-même  eut 


—  240  — 

pour  successeur  le  théologien  Cellot^  Tous  trois  furent  les 
supérieurs  du  jeune  François. 

Là,  pendant  ses  dix  années  d'études  littéraires  et  philo- 
sophiques, il  vit  passer  bien  des  Pères,  dont  il  fit  la  connais- 
sance :  Jacques  Nouët  et  Etienne  de  Champs-,  plus  tard 
ses  conseils  et  ses  amis  ;  Pierre  Pijart  et  Gabriel  Lalemant, 
ses  surveillants,  tous  deux  missionnaires  au  Canada 
quelques  années  après,  le  second,  martyr  de  sa  foi  et  de 
son  dévouement  ;  René  de  Gamache,  le  fondateur  du  collège 
de  Québec  ;  Claude  d'Ablon,  Jacques  Buteux,  Jacques  de 
la  Place,  Simon  Le  Moyne,  Charles  Turgis,  Jacques  Bonin, 
Jean  Dolbeau,  scholastiques  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
alors  étudiants,  les  uns  de  philosophie,  les  autres  de  théo- 
logie, qui,  à  quelques  années  de  là,  devaient  parcourir  en 
apôtres  les  profondes  forêts  de  l'Amérique  septentrionale. 

Plusieurs  de  ses  professeurs  de  la  Flèche  ont  laissé  un 
nom  justement  célèbre  dans  l'histoire  du  xvii*^  siècle.  Jean 
de  Rienne,  dont  il  suivit  les  enseignements  de  physique  et 
de  mathématiques,  a  écrit  sur  la  Lumière  et  sur  V Algèbre  \ 
c'est  le  fruit  de  quarante  ans  de  professorat^.  Jean-Baptiste 
de  la  Barre  devient  un  des  bons  prédicateurs  de  son  temps. 
Le  plus  célèbre  de  tous,  c'est  François  Vavasseur,  poète 
distingué,  le  meilleur  humaniste  de  cette  époque^,  «  un  de 
ces  esprits  critiques  et  vigoureux  qui  trouvent  à  mordre, 
même  sur  de  bons    ouvrages  et  qui  ne  laissent  rien  pas- 

1.  Le  P.  Noirel  fut  recteur  du  collège  de  1630  à  1637  ;  le  P.  Noël, 
de  1637  à  1640;  et  le  P.  Cellot,  d'octobre  1640  à  1643. 

V.  la  Bibliothèque  des  Ec/nvains  de  la  Compagnie  de  Jésus,  articles  : 
Etienne  Noël  et  Louis  Cellot. 

2.  Bibliothèque  des  Écrivains...  articles  :  J.  Nouet  et  Et.  de 
Champs.  * 

3.  Bibliothèque  des  Ecrivains...  art.  :  /.  de  Biennes. 

4.  L'abbé  d'Olivet,  Histoire  de  V Académie,  I,  p.  322.  — Bibliothèque 
des  Ecrivains,  art.  :  F.  Vavasseur. 


—  211  — 

ser^  »  Il  enseig-na  la  rhétorique  à  François  de  Laval.  Au 
sortir  des  études  classiques,  François  entra  en  philosophie  ; 
Jean  de  la  Croix,  professeur  de  logique,  lui  ouvrit  les 
portes  de  ce  froid  sanctuaire  -. 

Au  pensionnat,  le  P.  Bagot  était  charg-é  de  la  Cong-rég-a- 
tion,  qui  n'admettait  dans  ses  rangs  que  les  élèves  d'hu- 
manités, de  rhétorique,  de  philosophie  et  de  théologie,  et, 
par  exception,  quelques  écoliers  de  troisième  d'une  vertu 
et  d'un  mérite  reconnus.  Depuis  huit  ans  qu'il  occupait,  à 
la  Flèche,  avant  l'admission  du  jeune  François,  les  chaires 
de  philosophie  et  de  théologie,  il  n'avait  cessé  de  diriger 
cette  congrégation,  d'où  sortit  toute  une  phalange 
d'hommes  illustres  en  tout  genre.  Plusieurs  seront  plus 
tard,  à  Paris,  l'ornement  de  la  grande  Congrégation  des 
I  externes,  l'élite  des  œuvres  de  dévouement.  Malheureuse- 
ment il  fut  enlevé  à  ce  poste  au  mois  d'août  163i,  et 
envoyé  au  collège  de  Clermont,  à  Paris,  où  il  devait  rem- 
plir les  mêmes  fonctions  qu'au  pensionnat  Henri  IV^. 

1.  Port-Royal,  par  Sainte-Beuve,  t.  III,  p.  450. 

2.  Voici  la  liste  des  professeurs  de  François  de  Laval,  ù  la  Flèclie, 
année  par  année. 

Septième,  1631-1G32;  professeur,  Un  F.  coadjuteur 

Sixième,  1632-1633;  —  P.  Nie.  Le  Marchant 

Cinquième,  1633-1634  ;  —  item 

Quatrième,  1634-1635  ;  —  P.  Claude  Siron 

Troisième,  1635-1636  ;  —  item 

Humanités,         1636-1637;  —  P.  J.  B.  de  la  Barre 

Rhétorique,         1637-1638  ;  —  P.  Fr.  Vavasseur 

Logique,  1638-1639  ;  —  P.  J.  de  la  Croix 

Physique,  1639-1640;  —  P.  J.  de  Riennes 

Mathématiques,  1640-1041  ;  —  P.  de  Riennes. 

M,  Gosselin  {Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  35)  se  trompe  ([uand  il 
dit  que  François  de  Laval  alla  faire  à  Paris  sa  philosophie.  A  la 
Flèche,  les  cours  de  grammaire  commençaient  en  septième;  la  philo- 
sophie durait  trois  ans,  comme  au  collège  de  Clermont  à  Paris. 

3.  Ribliothèque  des  Écrivains,  art.  :  Jean  Ragot. 

Jés.  et  Nouu.-Fr.  —  T.  IL  16 


—  242  — 

Pierre  Meslant,  qui  le  remplaça  auprès  des  théologiens 
et  des  Gongrég-anistes,  ne  resta  pas  au  dessous  de  sa  tâche.  Il 
avait  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  s'emparer  de  l'âme 
et  de  l'intelligence  des  enfants;  puis  sa  nature  sympathique 
subjuguait  facilement  les  cœurs,  a  II  serait  difficile,  écrivait 
son  Provincial,  le  P.  Filleau,  de  trouver  dans  l'histoire  de 
la  Compagnie,  une  perfection  supérieure,  peut-être  même 
comparable  k  la  sienne.  »  A  vingt-deux  ans,  il  faisait  ce 
A^œu  qu'il  garda  inviolable  jusqu'au  dernier  jour  :  «  Je  fais 
vœu  de  chercher  toujours  et  en  tout  le  plus  grand  honneur 
de  Dieu  et  sa  plus  grande  gloire  i.  »  D'un  esprit  très  ouvert, 
brillant  et  profond  en  même  temps,  il  fut  devenu  une  des 
gloires  de  son  ordre,  si  Dieu  n'eût  brisé  sa  vie,  dans  la 
plénitude  de  toutes  ses  facultés,  à  l'âge  de  quarante-deux 
ans.  L'intarissable  poète  du  Collège  Henri  IV,  Jean 
Chevalier,  chanta  sur  tous  les  tons  de  la  muse  latine  les 
vertus  et  les  qualités  de  ce  compagnon  d'armes,  de  ce  reli- 
gieux ami  ;  Pierre  Mesland  était  mort,  en  se  rendant  à  pied 
de  la  Flèche  à  Rouen,  chez  les  Bénédictins  de  Bernav.  Il 
laissa  dans  son  collège,  où  personne  n'enseigna  plus  long- 
temps que  lui,  d'unanimes  regrets. 

Ce  fut  lui  qui  reçut  au  nombre  des  Congréganistes  Fran- 
çois de  Laval,  et  qui,  plus  que  personne,  fit  pénétrer  au 
plus  profond  de  son  âme  et  de  son  cœur  les  plus  nobles 
sentiments  de  foi  et  de  charité.  Si  les  germes  de  l'éduca- 
tion morale  et  religieuse  sont  dus  à  l'action  première  du 
P.  Bagot,  ils  grandirent  et  se  développèrent  sous  l'heu- 
reuse  influence   du    P.    Mesland,    qui     pendant   cinq   ans 


1.  Vie  manuscrite  du  P.  Mesland',  Arch.  de  l'école  Sainte-Gene- 
viève, rue  Lhomond  14,  his,  Paris.  —  Bibliothèque  des  Écrivains  de 
la  Compagnie  de  Jésus,  par  les  PP.  de  Backer,  article  :  Pierre  Mes- 
land. 


—  243  — 

(1634-1639)  conduisit  dans  les  voies  du  ciel  son  docile 
pénitent.  Il  avait  reconnu  vite  toutes  les  richesses  cachées 
dans  cette  nature  d'enfant,  droite,  ferme  et  élevée,  et  il 
s'était  attaché  à  lui  comme  les  saints  s'attachent  à  tout  ce 
qui  porte  une  empreinte  mieux  marquée  du  passage  de 
Dieu. 

Le  P.  François  Pinthereau,  qui  lui  succéda,  continua 
avec  amour  l'œuvre  des  deux  premiers  directeurs.  Tout 
le  monde  connaît  ce  controversiste  distingué,  l'adversaire 
déchiré  du  Jansénisme  1. 

Sa  philosophie  terminée,  François  de  Leival  se  rendit  à 
Paris,  au  collège  de  Clermont,  pour  y  étudier  la  théologie, 
dont  le  cours  durait  quatre  années  entières  comme  à 
la  Flèche.  Ce  collège,  rouvert  en  1618  par  Louis  Xlll  et 
appelé  plus  tard  Louis-le-Grand,  comptait  plus  de  deux 
mille  élèves,  et  le  pensionnat  réunissait  tous  les  beaux 
noms  de  France,  les  fils  des  plus  hauts  personnages  de  la 
Cour.  C'était  le  pensionnat  à  la  mode.  Tout  s'y  faisait  avec 
autrement  de  luxe  qu'à  Henri  IV;  précepteurs,  laquais  et 
domestiques  y  affluaient,  au  service  des  jeunes  seigneurs. 
François  s'installa  au  quartier  des  théologiens,  car  les  lils 
de  famille  ne  dédaignaient  pas  alors  de  suivre  les  cours  de 
théologie,  d'approfondir  les  questions  ardues  de  la  somme 
de  Saint-Thomas'-. 


1.  Bibliothèque  des  Écrivains  de  la  Compagnie  de  Jésus,  par  les 
PP.  de  Bracker,  article  :  Pinthereau,  François.  Le  P.  Pinthereau  prit 
la  direction  de  François  de  Laval,  au  début  de  la  seconde  année  de 
philosophie,  c'est-à-dire  au  mois  d'octobre  1639. 

2.  M.  Gosselin  prétend  dans  la  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  36, 
que  François  retrouva,  en  arrivant  à  Paris,  le  P.  Bagotet  ses  anciens 
condisciples  Pallu,  Chevreuil,  de  Maizerets,  Bourdon,  etc..  Nous 
devons  dire  ici  avec  regret  que  le  ch.  II  et  une  grande  partie  du 
ch.  III  sont  absolument  fantaisistes.  Le  P.  Bauot  était  alors  à  Borne 


—  244  — 

Le  P.  Julien  Havneufve,  l'aimable  et  pieux  ascète  dont 
les  méditations  ont  été  traduites  en  plusieurs  langues,  gou- 
vernait cet  établissement,  le  plus  important  de  cette 
époque.  On  avait  eu  soin  de  réunir  autour  de  lui  les  illus- 
trations de  la  théologie  scholastique  et  de  la  morale,  Denis 
Petau,  Claude  Boucher,  Philippe  Labbe,  Denys  Augeri. 
Denis  Petau,  le  plus  célèbre  de  tous,  attirait  au  pied  de 
de  sa  chaire  beaucoup  d'auditeurs,  et  de  toutes  les  classes 
sociales. 

C'est  sous  ces  illustres  maîtres  qu'étudia  pendant  quatre 
ans  François  de  Laval.  Dans  cette  maison,  il  connut 
encore  Jacques  Sirmond,  «  la  plus  haute  et  la  plus  modeste 
science  de  ce  temps-;  »  Antoine  Sirmond-^,  son  neveu; 
Simon  le  Bossu,  qui  se  fit  un  nom  dans  l'ascétisme  et  la 


et  la  plupart  de  ceux  que  cet  historien  nomme  comme  ayant  été  éle- 
vés à  la  Flèche,  n'y  parurent  jamais.  Par  exemple,  Mgr  Fallu  fit  ses 
études  à  Tours,  Boudon  et  Ango  de  Maizerets,  à  Rouen.  Boudon  sui- 
vit le  cours  de  théologie  de  Clermont  en  qualité  d'externe  ;  il  eut  donc 
alors  peu  ou  point  de  rapports  avec  Mg-r  de  Laval.  Le  P.  Bagot,  autour 
duquel  M.  Gosselin  fait  tourner  toute  la  première  éducation  de  Fran- 
çois de  Laval,  ne  Ta  connu,  en  définitive,  que  de  neuf  à  douze  ans,  et 
à  la  fin  de  sa  théologie.  11  fut  son  préfet  des  classes  au  collège  de 
Clermont  pendant  un  ou  deux  ans.  — Pierre  de  Conti,  condisciple  de 
Molière,  était  encore  en  rhétorique  en  1641-1642.  {Le  Moi/ne,  par  le 
P.  Chérot,  p.  lo.)  —  Les  erreurs  de  détail  sont  si  nombreuses  dans 
les  premiers  chapitres  de  la  Vie  de  Mgr  dp  Laval  par  M.  Gosselin, 
que  nous  renonçons  à  les  signaler. 

1.  Voir  dans  \a  Bibliothèque  des  Ecrivains  Farticle  qui  a  été  consa- 
cré à  ces  religieux  par  les  PP.  de  Bracker.  Le  P.  Petau  fut  profes- 
seur de  théologie  scholastique  en  1641,  1642  et  1643,  ainsi  que  le 
P.  Boucher.  Au  mois  d'octobre  1644,  ils  furent  remplacés  par  les 
Pères  François  Pinthereau  et  D.  Auger.  Le  P.  François  Haireau,  pro- 
fesseur de  morale  en  1641   et  1642,  fut  remplacé  parle  P.  Philippe 

Labbe. 

2.  Manifeste  apologétique...  Paris  1644...  —  Bibliothèque  dcK 
Écrivains...  Article  :  Jacques  Sirmond. 

3.  Bibliothèque  des  Écrivains...  Article  :  Antoine  Sirmond. 


—  2i5  — 

prédication*;  Pierre  Rover,  Etienne  de  Baiiny,  Louis  Mai- 
rat,  J.  B.  Saint-Jure;  enfin  Pierre  Le  Movne,  sur  qui 
Boileau  a  versifié  cette  dou]:)le  injustice,  parodie  de  deux 
vers  de  Corneille  sur  le  cardinal  Richelieu  : 

Il  s'est  trop  élevé  pour  en  dire  du  mal  ; 
Il  s'est  trop  égaré  pour  en  dire  du  bien-. 

Claude  Boucher  dirigeait  la  Congrégation  des  pensionnaires 
des  classes  supérieures,  et,  quand  il  la  quitta  en  16i3,  il  en 
confia  le  gouvernement  spirituel  à  son  collègue,  Denys 
Petau.  Le  P.  Bagot,  de  retour  de  Rome  où  il  venait  d'exer- 
cer les  fonctions  de  rcv'iscur  cfénéral  des  livres,  prenait, 
cette  même  année,  au  collège  de  Clermont,  la  direction 
des  hautes  études. 

Inutile  de  dire  que  François  fut  un  des  membres  les  plus 
fervents  de  la  Congrcr/ation  des  pensionnaires,  un  des  étu- 
diants les  plus  remarquables  et  les  plus  appliqués  du  cours 
de  théologie.  Aussi  Mgr  Servien,  évoque  de  Baveux,  écrira- 
t-il  bientôt  du  jeune  étudiant  devenu  prêtre  :  «  Il  était 
licencié  en  droit  canon  de  l'Université  de  Paris,  très  versé 
dans  les  lettres,  tant  sacrées  que  profanes^.  » 


1.  Bibliothèque  des  Ecrivains...  Article  :  Simon  Le  Bossu. 

2.  Étude  sur  la  vie  et  les  œuvres  du  P.  Le  Moyne,  par  le  P.  H. 
Chérot  ;  Paris,  1887,  p.  424.  —  Le  P.  Filleau,  provincial  de  Paris, 
écrivait,  le  G  janvier  1645,  au  Général  Mulius  Vitelleschi,  au 
sujet  des  Pères  du  collège  de  Clermont  :  Ilœc  laus  est  à  multis  jam 
aniiis  Collegii  parisiensisquod  anti([uiores  et  eminentiores  etiamdoc- 
trinâ  et  meritis,  prseeant  aliis  omnibus  virtutis  exemplo,  exercitatione 
et  studio,  quod  hodiè  excellenter  faciunt  omnium  anti({uissimus 
P.  Jacobus  Sirmon,  86  annos  natus,  P.  Petrus  Roverius,  P.  Stepha- 
nus  Bauny,  P.  Ludovicus  Mairatius,  P.  Dyonisius  Petavius, 
P.  Johannes  Baptista  Saint-Jure,  P.  Johannes  Bagotius,  etc.  »  (Arch. 
gen.  S.  J.) 

3.  17e  de  Mgr  de  Laval,  par  Tabbé  Gosselin,  t.  I,  p.  48. 


—  2i6  — 

Au  mois  d'août  1645,  François  de  Laval  terminait  sa 
théologie,  et,  au  lieu  de  diriger  ses  pas  vers  la  carrière 
sacerdotale,  comme  tous  ses  maîtres  le  croyaient  et  comme 
il  le  désirait  lui-même  ardemment,  il  se  Aoit  forcé  d'im- 
primer à  sa  vie  une  autre  direction.  Deux  de  ses  frères 
venaient  de  tomber  au  champ  d'honneur,  à  un  an  de  dis- 
tance jour  pour  jour,  l'aîné  à  la  bataille  de  Fribourg-  (3  août 
1644),  et  le  cadet  à  la  bataille  de  Nordlingen  (3  août  164r3). 
Ces  deux  pertes  douloureuses  et  les  vives  instances  de  Mgr 
de  Péricard,  évéque  d'Evreux,  lui  dictent  son  devoir.  Il 
renonce  au  canonicat  de  la  cathédrale  d'Evreux  dont  on 
l'avait  pourvu  à  l'âge  de  quinze  ans,  et  il  rentre  dans  sa 
famille  pour  remplacer  ses  deux  frères  auprès  de  Madame 
de  Montigny . 

Mais  la  Providence,  toujours  impénétrable  dans  ses  des- 
seins de  miséricorde,  avait  sur  lui  d'autres  vues.  Aucune 
puissance  humaine  ne  put  en  empêcher  la  réalisation. 
L'évéque  d'Evreux  est  frappé  subitement  d'une  maladie 
mortelle  au  moment  où  il  ne  s'y  attend  pas.  Ce  coup 
imprévu  était-il  un  avertissement  de  Dieu,  une  leçon? 
Avant  de  paraître  au  tribunal  de  la  divine  Majesté,  le  pré- 
lat se  demande,  dans  la  sincérité  de  sa  conscience,  s'iln'apas 
eu  tort  de  détourner  de  sa  vocation,  par  ses  conseils  et  ses 
vives  instances,  François  de  Laval,  son  cousin.  Mu  par  le 
repentir,  il  le  mande  auprès  de  son  lit  de  mort,  et  là,  de  sa 
voix  mourante,  il  l'exhorte  à  obéir  à  la  voix  de  Dieu,  qui 
l'appelle  à  lui  dans  la  vie  sacerdotale;  il  le  nomme  même 
archidiacre  de  l'église  d'Evreux.  Il  rendit  le  dernier  sou- 
pir le  22  juillet  1646. 

Aucune  parole  ne  pouvait  être  plus  agréable  à  François 
que  celle  de  l'évéque  mourant,  l'invitant  à  se  consacrer  au 
service  de  l'Eglise.  Il  renonce  aussitôt  à  son  droit  d'aînesse, 
à  ses  titres   à  la  seigneurie  de  Montigny,  en  faveur  de  son 


—  247  — 
frère,  Jean-Louis  de  Laval,  et  il  part  pour  Paris,  où  il  prend 
sa  licence  en  droit  canon  et  reçoit  l'onction   sacerdotale, 
le  23  septembre  1647. 

L'année  même  de  son  retour  k  Paris,  un  fait,  insignifiant 
en  soi,  mais  qui  ne  fut  pas  sans  importance  pour  le  bien 
de  l'Église,  venait  de  s'accomplir  dans  la  célèbre  congré- 
gation des  Externes^  du  collège  de  Clermont.  Le  P.  Bour- 
din,  dont  on  connaît  les  luttes  philosophiques  avec  Des- 
cartes, dirigeait  depuis  assez  longtemps  cette  congrégation, 
lorsque  ses  travaux  et  son  âge  l'obligèrent  de  la  confier  à 
d'autres  mains  vers  la  fin  de  1645.  Sa  retraite  fut,  du  reste, 
le  salut  de  l'œuvre,  car  il  l'avait  conduite  ou  l'avait  laissée 
aller  peu  à  peu  à  la  routine  et  à  reffacement.  On  ne  possède 
pas  généralement  tous  les  talents  :  professeur  de  sciences 
distingué  pour  l'époque,  le  P.  Bourdin  resta,  comme  direc- 
teur de  congrégation,  au  dessous  de  sa  tâche. 

Ce  fut  le  P.  Jean  Bagot  qui  lui  succéda  -,  et  qui  donna 
à  cette  pieuse  institution  un  éclat  qu'elle  n'avait  jamais 
eu  avant  lui,  qu'elle  n'eut  jamais  après. 

Ce  religieux  est  bien  connu  des  Annalistes  du  xvii*"  siècle  ^. 

1.  Elle  était  appelée  la  grande  congrégation.  La  petite  congrégation 
se  recrutait  surtout  parmi  les  élèves  de  rhétorique,  de  seconde  et  de 
troisième. 

2.  Nous  disons  que  le  P.  Bagot  succéda  au  P.  Bourdin,  car  le  P. 
Mathurin  Moreau,  professeur  de  théologie,  resta  quelques  mois  à 
peine  à  la  tête  de  la  congrégation,  après  la  retraite  du  P.  Bourdin. 

3.  Le  P.  Jean  Bagot,  né  le  H  juillet  1591,  entra  dans  la  Compagnie 
de  Jésus,  à  Nancy,  une  première  fois  le  2  janvier,  et  une  seconde  fois 
le  8  juin  1611.  Ces  dates  sont  prises  dans  les  Catalogues  de  la  C><* 
(Arch.  gen.).  C'est  donc  à  tort  que  quelques  écrivains  ont  fixé  la  date 
de  sa  naissance  à  1580,  et  d'autres  à  1590  (les  Vies  des  saints  de  Bre- 
tagne, par  Dom  Lobineau,  nouvelle  édit.  par  l'abbé  Tresvaux,  t.  IV, 
p.  34t;  —  Vie  de  M.  Bourdon,  par  Collet,  prêtre).  Il  naquit  à  Rennes, 
et  non  à  Saint-Brieux,  comme  le  croit  l'abbé  Tresvaux  (V7es  des  saints 


—  248  — 

D'un  caractère  très  décidé,  d'une  grande  patience  et  aussi 
d'une  ténacité  de  Breton  peu  ordinaire,  il  avait,  dès  l'âge 
de  vingt  ans,  montré  ce  qu'on  pouA  ait  attendre  de  son 
indomptable  nature,  tempérée,  disent  les  contemporains, 
par  une  merveilleuse  suavité  et  une  grande  simplicité  de 
mœurs,  deux  qualités  fort  rares  dans  un  tempérament  de 
fer  et  de  feu. 

Né  à  Rennes  en  1691,  il  fait  de  brillantes  études  litté- 
raires, puis  trois  ans  de  philosophie,  et,  un  beau  jour,  sur 
le  refus  de  son  Père  de  le  laisser  entrer  dans  la  Compagnie 
de  Jésus,  il  s'enfuit  d'Orléans,  où  il  suivait  les  cours  de 
droit,  et  se  retire  à  Nancy,  au  noviciat  des  Jésuites,  où  on 
l'admet  le  2  janvier  1611  '.  Grande  colère  à  Rennes,  à  cette 
nouvelle  !  Le  fugitif  est  arraché  du  no^dciat,  ramené  chez 


de  Bretagne,  ibid.,  note)  ;  car  nous  lisons  dans  les  Littera^  anniiœ 
S.  J.,  anni  1611,  p.  116:  «  Parens...  morabatur  Rhedonibus,  armo- 
ricœ  clarâ  et  principe  civitate.  »  Dans  les  Scriptores  Provincice  Fran- 
cise S.  J.,  1670,  le  P.  Rybeyrete  dit  :  «  J.  Bagot,  Rhedonensis.  » 
Le  même  Père  le  fait  entrer  dans  la  Compagnie,  bien  à  tort,  en  1609; 
les  Catalogues  disent  formellement  1611.  —  Après  le  noviciat,  il 
professe  successivement  à  Verdun  la  5*^,  la  4°  et  la  3^  (1613-1616);  il 
fait  sa  théologie  à  Clermont  (1616-1620);  il  enseigne  la  philosophie 
à  Rennes  (1620-1622),  puis  à  la  Flèche  la  philosophie  (1622-1626)  et 
la  théologie  (1626-1634),  enfin  à  Paris  la  théologie  (1634-1639).— 
Envoyé  à  Rome,  au  mois  d'octobre  1639,  comme  re viseur  général 
des  livres,  il  en  revient  en  août  1643  et  est  nommé  au  collège  de 
Clermont  préfet  des  classes  supérieures,  charge  qu'il  garde  jusqu'au 
12  mai  1653,  date  de  sa  nomination  comme  supérieur  de  la  maison 
professe  de  Paris.  Remplacé  en  mai  16o6  par  le  P.  Jacques  Renault, 
il  resta  dans  cette  maison  jusqu'à  sa  mort,  qui  arriva  le  23  août  1664. 
(Cat.  Prov.  Francité;  arch.  gen.  S.  J.) 

1.   ((  Emenso  philosophise  curriculo Aureliam    mittitur  ad  jus 

civile  perdiscendum.  Ibi  dat  litteras  in  patriam,  quibus  contendit 
sibi  ut  liceret  in  religiosà  familiâ  Deo  vivere...  Pater nihil  respondet, 
hic  iterum  scribit  et  dùm  rursus  tacetur,  continuum  Patris  silentium 
tacitam  rei  concessionem  interpretatus,  dat  se  in  viam,  Nanceium 
venit,  atque  in  tirocinium  admittitur.  »  (Annuse  litterœ,  1611,  p.  116). 


—  249  — 

lui,  tansé  d'importance'.  Tout  est  mis  en  œuvre  pour  le 
faire  renoncer  à  sa  vocation,  prières,  menaces,  persécutions 
de  toutes  sortes.  Quelques  membres  du  clergé  et  le  Par- 
lement interviennent  ~  :  rien  n'y  fait.  Exaspéré,  son  Père 
le  chasse  de  chez  lui;  il  ne  trouve  d'asile  nulle  part,  pas 
même  chez  sa  sœur  '^.  Puis ,  revirement  complet  :  aux 
rigueurs  et  aux  mauvais  traitements  succèdent  les  pleurs, 
les  tendresses,  toutes  les  caresses  de  Fairection  paternelle 
et  maternelle^.  Le  jeune  homme  est  lancé  dans  toutes  les 
fêtes,  dans  les  distractions  les  plus  séduisantes  •'...  Des  amis 
avaient  conseillé  ce  système  d'attaque,  bien  plus  fatal  à 
une  vocation  que  la  lutte  ouverte  et  déclarée.  Ils  en  furent 
pour  leurs  frais  d'invention.  Après  quelque  temps  de  fêtes, 
Jean  se  jette  aux  genoux  de  son  Père  pour  lui  demander 
l'autorisation  de  rentrer  au  noviciat,  et,  sur  son  refus,  il 
s'échappe  une  seconde  fois  et  revient  à  Nancy  ^. 

Le  noviciat  terminé,  il  professe  trois  ans  la  grammaire  à 
Verdun,  il  étudie  quatre  ans  la  théologie  au  collège  de 
Clermont,  et  de  Paris  il  est  envoyé  à  Rennes,  où  il  a  eu 
tant  à  lutter  et  à  soulfrir,  pour  y  enseigner  la  philosophie 


1.  Annuœ  lUlerse,  1611,  pp.  116-1  18.  Les  lettres  de  Nancy  racontent 
au  long-  tout  ce  que  les  parents  firent  pour  ramener  Jean  à  Rennes, 
et  la  façon  dont  il  fut  reçu. 

2.  IbUl.,  p.  118. 

3.  «  Post  dies  aliquot,  iterùm  hélium,  itcrùm  machina'  admoven 
tur;  sed  cum  se  in  pristino  animi  proposito  cxhihuisset,  ita  odiosus 
parenti  factus   est,  ut  domo    ejiceretur...   Foiis,    cum    neque   apud 
sororem  nccpie  apud  patruum  ol)  i)alerna'   iracundia*  melum  locum 
inveniret  ullum...   »  (//>/(/.,  p.  110.) 

4.  ((  Revocatus,  lacrymis  compositaque  ad  animi  teneritudinem 
voce  oi)})ugnatur...   »  [Ibid.') 

5.  «  Joci,  voluptas  et  lautitiœ  proponunlur »  [Ibid.,  p.  120.) 

6.  Elogia  defunct.  Prov.  Francise  in  Arch.  rom.;  — Scriptores  Prov. 
Francise  S.  J.,  à  P.  II.  Ryheyrete,  \).  407;  —  Anniix  lifferœ  novit. 
Nanc,  1611. 


—  250  — 

dans  ce  même  collèg-e  des  Jésuites,  témoin  jadis  pendant 
six  ans  de  ses  succès  littéraires  et  philosophiques  i.  Les 
sentiments  de  sa  famille  à  son  ég-ard  avaient  bien  changé  : 
le  religieux  avait  triomphé  de  l'irritation  de  tous  les  siens 
par  ses  ailectueuses  et  aimables  attentions;  la  beauté  et  la 
ferme  générosité  de  son  caractère  firent  du  persécuté  une 
petite  idole. 

En  1622,  il  est  au  Collège  royal  de  la  Flèche,  où,  pendant 
onze  ans,  il  se  livre  avec  succès  à  l'enseignement  de  la 
philosophie  et  de  la  théologie;  de  là  il  vient  à  Paris,  pour 
y  succéder,  dans  la  chaire  de  théologie,  à  deux  hommes, 
Denis  Petau  et  Jacques  Sirmon  dont  la  réputation  est 
devenue  Euroi^éenne.  S'il  n'a  pas  la  valeur,  la  puissante 
envergure  de  ses  devanciers,  il  ne  s'en  fait  pas  moins 
remarquer  par  l'étendue  et  la  profondeur  de  son  ensei- 
gnement-. Les  contemporains  sont  unanimes  à  louer  son 
grand  savoir,  sa  piété  peu  ordinaire  et  sa  simplicité  pleine 
de  dignité  3.  Le  Général  de  la  Compagnie,  Mutins  Vitel- 


1.  Dans  les  Vies  des  saints  de  Bretagne,  t.  IV,  p.  343,  on  dit  que 
les  Jésuites  ne  possédaient  pas  alors  d'établissement  en  Bretagne. 
C'est  une  erreur.  L'année  même  où  le  P.  Bagot  entra  dans  la  Com- 
pagnie, il  y  avait  à  Rennes,  au  collège,  28  religieux  de  Tordre,  10 
prêtres,  6  professeurs,  5  scholastiques  et  7  frères  coadjuteurs 
(Annuœ  litterœ,  1611,  p.  81).  Le  collège  avait  été  ouveM  en  1604-1(305 
(Catal.  Prov.  Franciœ  in  Arch.  rom.).  Or,  comme  les  parents  habi- 
taient Rennes,  il  est  plus  que  probable  que  Jean  suivit  les  cours  de 
cette  école,  la  plus  importante,  à  cette  époque,  dans  la  province. 
Elle  était  du  reste  la  seule  qui  professât  trois  ans  la  philosophie,  et 
les  Catalogues  de  la  Compagnie  disent  formellement  que  Jean  Bagot 
entra  au  noviciat  de  Nancy,  après  avoir  consacré  trois  ans  à  l'étude 
de  cette  science. 

2.  Rybeyrete  dit  de  lui  :  «  Philosophiam  theologiamque  scholas- 
ticam  pluribus  annis  docuit  magnâ  nominis  et  doctrinœ  famà.  »  — 
Dans  YEIogia  defunct.  Provincise  Francise  (Arch.  rom.),  on  lit  : 
((  Magnâ  cum  laude  docuit.  » 

3.  Lettre  circulaire  du  P.  J.-B.  Ragon  à  la  mort  du  P.  Jean  Bagot, 
u  de  Paris  ce  23  d'aoust  1664  »  (Arch.  dom.  ;  collect.  Rybeyrete)  ;  — 


—  231  — 

Icschi,  cherchait  alors  un  réviseur  des  livres  et  un  théo- 
logien; au  mois  de  septembre  1639,  il  l'appelle  à  Rome,  et, 
quatre  ans  plus  tard,  il  le  renvoie  au  collège  de  Clermont, 
où  ce  Père  gardera  plus  de  onze  ans  la  direction  générale 
des  études  des  classes  supérieures. 

Ce  n'était   pas  une    sinécure   que  la    charge   de   Préfet 

Bourdon  dans  La  ine  cachée  en  Dieu  (2*=  part.,  ch.  II)  en  fait  ce  p)or- 
trail  :  «  Le  P.  Bagot,  Fun  des  savants  hommes  de  notre  siècle,  mais 
beaucoup  plus  savant  dans  la  science  des  saints  que  dans  celle  de 
récole...  »  Puis  il  parle  longuement  de  ses  vertus  et  de  ses  mérites. 
—  T7e.s  des  saints  de  Bretagne,  p.  340  :  «  Sa  réputation  de  sagesse  et 
de  piété  fut  cause  qu'on  jeta  les  yeux  sur  lui  pour  l'important  emploi 
de  confesseur  de  Louis  XIV.  L'humble  religieux  fut  si  peu  flatté  de 
ce  choix,  qu'il  se  démit  le  plus  tôt  possible.  —  Le  P.  Charles  Paulin, 
confesseur  du  roi,  étant  mort  le  12  avril  1653,  «  le  lendemain,  dit  le 
P.  Chérot  {La  première  jeunesse  de  Louis  XIV,  p.  177),  Louis  XIV 
s'adressa  à  un  confrère  du  défunt,  le  P.  Jean  Bagot,  et  communia  à 
Saint-Germain-l'Auxerrois,  la  paroisse  du  Louvre.  » 

M.  Bénigne  Vachet,  prêtre  des  missions  étrangères,  fait  aussi  un 
grand  éloge  du  P.  Bagot,  dans  ses  «  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 
générale  des  missions  et  aux  archives  du  séminaire  de  Paris  ».  Il  dit 
que  sa  science  était  singulière,  qu'il  a  été  un  des  savants  de  son  temps 
et  Vun  des  plus  grands  théologiens  (p.  26);  il  loue  ses  éminentes 
vertus  et  ses  belles  qualités,  de  la  p.  26  à  la  p.  30.  Ces  Mémoires, 
composés  au  xvii''  siècle  et  imprimés,  il  y  a  quelcpies  années,  chez 
V.  Goupy,  à  Paris,  se  trouvent  très  difficilement.  Ils  contiennent,  à 
côté  de  beaucoiqi  d'erreurs,  des  renseignements  intéressants  et 
curieux.  L'auteur,  né  à  Dijon  en  1641,  entra  au  séminaire  des  Mis- 
sions-Étrangères quelques  années  seulement  après  sa  fondation,  et 
partit  pour  Siam  le  13  avril  1669.  Il  passa  les  trente  dernières  années 
de  sa  vie,  de  4690  à  1720,  à  écrire  ses  Mémoires  et  quelques  notices 
biographiques  sur  plusieurs  de  ses  confrères.  Ces  notices  manuscrites, 
au  nombre  de  treize,  se  trouvent  à  la  Bibliothèque  Mazarine  dans  un 
volume  in-4  intitulé  (Bibl.  Maz.,  n°  298o)  :  «  Vies  de  plusieurs  mis- 
sionnaires envoyés  dans  Flnde  et  la  Chine,  par  l'abbé  Vachet.  »  A  la 
fm  de  la  seconde  notice  consacrée  à  M.  Martincau,  on  lit  cette  note 
d'une  autre  main  que  celle  qui  a  écrit  la  notice  :  «  Nota  que  M.  Mar- 
tincau était  parti  de  Siam  en  1695,  près  de  huit  mois  avant  la  mort  de 
M.  de  Metellopolis,  et  que  M.  Vachet,  auteur  de  ces  vies  des  mission- 
naires, brouille  et  confond  tout  à  son  ordinaire.  » 


—  252  — 

général  dans  un  collègue,  où  Ton  ne  comptait  pas  moins  de 
mille  étudiants  dans  les  cours  de  philosophie  et  de  théo- 
logie. Cependant,  tout  en  conservant  cette  charge,  le  P. 
Bagot  accepte,  au  mois  d'octobre  1646,  la  direction  de  la 
Congrégation  des  Externes  ^ .  Cette  Congrégation  va  devenir 
entre  ses  mains  une  puissance. 

Il  ne  faudrait  pas  juger  de  cette  pieuse  réunion  par  les 
associations  similaires  de  notre  époque.  Elle  admettait 
parmi  ses  membres,  outre  les  étudiants  d'élite  de  philosophie 
et  de  théologie,  tous  externes,  des  prêtres,  des  religieux, 
des  gentilshommes,  des  magistrats,  jusqu'à  des  prélats;  et 
ces  fervents  congréganistes  se  réunissaient,  une  ou  deux 
fois  par  semaine,  dans  une  chapelle  du  collège  de  Clermont, 
aujourd'hui  Lycée  Louis-le-Grand. 

A  peine  le  nouveau  directeur  a-t-il  pris  possession  de  sa 
charge,  qu'il  se  fait  autour  de  son  confessionnal  un  concours 
extraordinaire  de  pénitents.  La  science  et  la  piété,  unies 
dans  un  caractère  droit,  ferme,  plein  d'élan,  sans  écart  ni 
exagération,  ont  le  don  d'attirer  les  âmes.  Celles-ci  savent 
d'instinct  surnaturel  cj[ue  là  elles  trouveront  tout  à  la  fois 
la  voie,  la  lumière  et  l'impulsion. 

Le  P.  Bagot  devient  vite,  comme  nous  dirions  aujourd'hui, 
le  confesseur  à  la  mode  des  plus  fervents  chrétiens  de  la 
société  parisienne,  des  prêtres,  des  évêques.  Toutefois,  la 
jeunesse  des  écoles  formait  le  groupe  le  plus  compact,  et 
aussi  le  plus  intéressant  de  sa  direction  2.  Il  savait  qu'on 
peut  beaucoup  obtenir  d'un  jeune  homme  bien  doué,  dont 

4.  Catal.  Prov.  Francise  in  Arcli.  gcn.  S.  J. 

2.  Elogia  defunct.  Prov.  Franciœ  in  Arch.  gcn.  S,  J.; —  La  vie 
cachée  en  Dieu,  par  Bourdon,  2^  part.,  ch.  II;  —  Mémoires  de  B. 
Vachct,  pp.  26-29  ;  —  Vie  nouvelle  de  H. -M.  Boudon^par  Mgr  Mathieu, 
archevêque  de  Besançon,  2«  partie,  pp.  33  et  suiv.  ;  —  Lettres  sur  la 
Conçjrégation  des  missions  étrangères,  \)nv  i .-Y .-O.  Lu(|uct,  prêtre, 
p.  8." 


—  253  — 

les  tristesses  et  les  déboires  de  la  vie  n'ont  pas  comprimé 
les  élans  du  cœur,  ni  tari  la  source  des  généreuses  illusions, 
des  espérances  pures. 

Autre  est  l'apostolat  auprès  des  chrétiens  déjà  avancés 
dans  l'existence;  autre  l'apostolat  auprès  de  ceux  qui,  le 
cours  des  études  terminé,  cherchent  l'orientation  de  leur 
vie,  et,  en  attendant,  ne  demandent  qu'à  se  dévouer.  Ces- 
derniers,  ])ien  et  fortement  dirigés,  sont  l'appui  et  le  ressort 
le  plus  puissant  des  œuvres  charitables  dans  une  ville  I 

C'est  à  eux  principalement  c{ue  le  P.  Bagot  fit  appel,  à 
Paris,  pour  ses  œuvres  de  bien.  Elles  ne  manquaient  pas. 
Hôpitaux,  prisons,  mansardes  du  pauvre,  ateliers  de 
l'ouvrier,  tout  cela  était  à  visiter,  à  consoler,  à  instruire,  à 
soulager.  Puis,  il  y  avait  les  élèves  externes  du  collège  de 
Clermont  et  des  autres  établissements  scolaires,  à  maintenir 
dans  le  devoir,  à  éloigner  du  mal  '. 

Nombreux  furent  les  congréganistes  qui  répondirent  à 
l'appel  du  zélé  directeur.  Parmi  eux"'  se  trouAaient  François 
Pallu,  de  Tours  •^;  Vincent  de  Meurs,  de  Tonquédec  en 
Bretagne  '*  ;  Bernard  Gontier,  de  Dijon  ;  Ango  de  Maizerets  ^  et 
Luc  Fermanel  ^',  de  Rouen  ;  Henri-Marie  Boudon,  de  la  Fère  ; 

1.  La  vie  de  M.  Henri-Marie  Boudon,  par  Collet,  cL  la  Xouvelle  vic^ 
par  Mgr  Mathieu,  passini. 

2.  Cette  liste,  qui  est  très  iucomplète,  se  trouve  aux  Archiver  natio- 
nales (M.  204)  dans  un  manuscrit  intitulé  :  «  Mémoire  de  l'origine  du 
séminaire  des  missions  pour  les  pays  étrangers.   » 

3.  François  Pallu,  né  à  Tours  en  1625,  oncle  du  P.  Martin  Pallu,, 
Jésuite,  fit  ses  études  au  collège  de  sa  ville  natale,  dirigé  par  les  Pères 
de  la  Compagnie  de  Jésus. 

4.  Vincent  de  Meurs,  docteur  en  théologie,  naquit  eu  1G28. 

5.  Jean-Baptiste-Bernard  Gontier,  élève  des  Jésuites  de  Dijon.  — 
Ango  de  jMaizerets  ou  des  Mezerets,  né  à  Bouen,  où  il  fit  ses  études 
chez  les  Jésuites.  (Voir  son  éloge  dans  la  Vie  de  Mgr  de  Laval,  par 
l'abbé  Gosselin,  t.  Il,  pp.  23'*  et  suiv.) 

G.  Luc  Fermanel,  né  en  1629  à  Rouen,  où  il  étudia  chez  les  Jésuites, 
se  lia  alors  d'une  étroite  amitié  avec  II. -M.  Boudon,  son  condisciple. 


—  254  — 

Pierre  de  la  Motte-Lambert  et  son  frère,  Nicolas  Lambert 
de  Boissière,  de  Lisieux  ^  ;  Jacques  de  Bourges,  de  Paris'-; 

Prêtre  le  15  octobre  1658,  il  signa  l'acte  d'association  qui  donna 
naissance  au  séminaire  des  missions  étrangères.  Cet  acte,  outre  son 
nom,  porte  ceux  d'Armand  Poitevin,  de  Michel  Gazil,  de  Vincent  de 
Meurs,  de  François  Bézard  et  de  Nicolas  Lambert  (Arch.  nat.,  m.  213). 
D'abord  procureur  du  séminaire  et  des  missions,  il  fut  e^u  supérieur 
de  la  Congrégation  le  12  janvier  1674  et  réélu  en  1677.  Il  mourut  le 
26  avril  1688.  —  On  sait  que  les  premiers  évèques  des  missions 
étrangères,  Mgrs  Pallu,  de  La  Motte-Lambert  et  Cotolendi  décidèrent 
avant  de  s'embarquer  pour  rExtrême-Orient  de  fonder  une  compagnie 
de  commerce  pour  les  mers  de  l'Inde  et  de  la  Chine  ;  et,  la  résolution 
prise,  ils  s'occupèrent  de  se  procurer  les  navires  nécessaires  pour 
commencer  l'entreprise.  Ce  fut  le  père  de  M.  Fermanel,  grand  com- 
merçant à  Rouen,  qui  fit  construire  en  Hollande  les  bâtiments  de 
commerce.  On  conserve  à  la  Bibliothèque  nationale  (Franc,  n°  15796, 
fol.  276-278)  les  conventions  passées  entre  les  sociétaires  :  c  Compa- 
gnie de  la  Chine  pour  la  propagation  de  la  foy  et  l'establissement  du 
commerce  dans  l'empire  de  la  Chine,  les  royaumes  du  Tonkin  et  de 
la  Cochinchine  et  isles  adjacentes...  Pour  l'exécution  de  ce  dessin, 
l'on  a  fait  choix  de  la  personne  du  sieur  L.  Fermanel,  marchand  bour- 
geois, demeurant  à  Rouen,  auquel  est  donné  pouvoir  de  faire  bâtir  et 
construire,  en  Hollande  ou  ailleurs,  deux  vaisseaux...  ;  les  faire  armer 
et  équiper,  etc..  ;  de  faire  élection  d'un  tel  nombre  d'officiers  et  de 
mariniers  qu'il  jugera  nécessaire...;  comme  aussi  de  s'assurer  d'une 
ou  de  deux  personnes  étrangères,  expertes  au  commerce  de  la  Chine, 
auxquelles  sera  donné  pouvoir  de  vendre  et  débiter  les  marchandises 
qui  y  seront  portées,  et  d'acheter  dans  le  pays  celles  qui  seront 
propres  à  être  apportées  pour  le  bien  et  le  profit  de  la  société...  » 
Suivent  les  articles  de  la  convention.  Mgr  Luquet  [Lettres  sur  la 
Congrégation,  p.  23)  prétend  que  M.  Pallu  émit  le  premier  la  grande 
pensée  de  rétablissement  de  cette  compagnie  de  commerce,  qu'il  com- 
posa à  cette  occasion  un  mémoire  extrêmement  remarquable  (ihid., 
note),  et  il  ajoute  :  «  C'est  peut-être  une  des  règles  les  plus  parfaites 
qu'on  puisse  proposer,  pour  sanctifier  les  opérations  commerciales  » 
[ibid.,  note). 

d.  Pierre  de  La  Motte  devint  évêque  de  Berythe,  et  son  frère 
Nicolas,  parti  comme  missionnaire  en  1666,  mourut  en  mer  près  des 
côtes  de  Guinée. 

2.  Jacques  de  Bourges,  né  en  1630,  fit  ses  études  au  collège  de 
Clermont.  Il  accompagna  en  Cochinchine  Mgr  Pierre  de   la  Motte, 


—  255  — 

François  Bézard,  de  Pezenas  ^  ;  Sain,  de  Tours;  Bernard 
Picquet,  de  Paris-;  Joseph  Duchesne ,  de  Périgueux^; 
Ignace  Cotolendi,  d'Aix'*;  Louis  Chevreuil,  de  Rennes^; 
enfin  Michel  Gazil,  Poictevin  ^,  Jean  Dudouy  ~,  Thiery ,  Thier- 
sant^,  de  Ghameçon^,  Louis  Bulteau  et  Pajot  de  la  Cha- 

évêquc  de  Bérythe  et  vicaire  apostolique  de  la  Cochinchine.  Il  devint 
en  1679  évèque  d'Héliopolis  et  vicaire  apostolique  du  Tonkin.  Il 
mourut  le  19  août  1714. 

1.  F.  Bézard,  né  en  1622,  fit  ses  études  théologiques  au  collège  de 
Clermont.  Il  entra  au  séminaire  des  Missions-Étrangères,  fut  élu 
assistant  en  1664  et  supérieur  le  9  décembre  1670.  II  mourut  le 
6  mars  1681. 

2.  Bernard  Picquet  (ou  Pi(|ues),  docteur  de  Navare,  proposé  en 
1653  pour  être  nommé  vicaire  apostolique  de  la  Cochinchine  et 
évêque,  ne  fut  pas  sacré,  et  accepta  la  cure  de  Saint-Josse,  à  Paris. 

3.  Joseph  Duchène,  docteur  en  Sorbonne,  devint  évèque  de  Bérythe, 
partit  en  1679  pour  la  Cochinchine  et  mourut  à  Siam  le  17  juin  1684. 

4.  Ignace  Cotolendi,  né  le  24  mars  1630,  devint  évèque  de  Métello- 
polis  et  vicaire  apostolique  de  la  Chine.  Mort  le  16  août  1662,  au 
village  de  Paracol,  près  de  Mazulipatam. 

5.  Louis  Chevreuil,  né  vers  1628,  fut  élevé  à  Rennes,  au  collège  des 
Jésuites.  Nommé  provicaire  de  Mgr  Cotolendi,  il  mourut  à  Siam  le 
10  novembre  1693. 

6.  Michel  Gazil,  né  en  1629,  reçut  les  ordres  mineurs  en  1653  et  la 
prêtrise  en  1655.  Il  fut  choisi  en  16()2  pour  être  un  des  procureurs  des 
vicaires  apostoliques  des  Indes.  Elu  en  1668  supérieur  du  séminaire 
des  Missions-Étrangères,  il  donna  sa  démission  en  1670  et  mourut  le 
14  janvier  1679. —  Poictevin  devint  «  grand  vicaire  des  affaires  de 
Mgr  l'évêque  du  Canadas,  M.  de  Laval  »  (Arch.  nat.,  M.  204). 

7.  Jean  Dudouy  ou  Dudouyt  devint,  avec  Ango  de  Maizerets,  un  des 
auxiliaires  les  plus  utiles  de  l'évêque  de  Québec,  Mgr  de  Laval.  Il 
arriva  au  Canada  en  1662,  fut  nommé  grand  vicaire  en  1671,  et  envoyé 
en  France  })our  y  obtenir  le  renouvellement  des  défenses  de  la  vente 
de  l'eau-de-vie,  il  y  mourut  le  15  janvier  1688.  M.  Gosselin  (t.  I, 
p.  382,  et  t.  II,  pp.  226  et  suiv.)  en  fait  grand  éloge. 

8.  ^I.  Thiersant  devint  aumônier  de  la  reine,  et  Thiéry,  curé  de 
Tours. 

9.  M.  de  Chameçon  ou  Foissy  de  Chamesson  accompagna  au  Tonkin 
Mgr  d'Héliopolis,  et,  quoique  laïc,  il  rendit  de  grands  services  aux 
missions  {Histoire  de  rétablissement  du  Christianisme  dans  les  Indes 
Orientales,  par  Seryès,  Paris,  1803). 


—  25G  — 

pelle  ^   L'histoire   de   la    Société    des   Missions-Etrang-ères 
nous  a  conservé  tous  ces  noms  -. 

M.  de  Laval,  dès  son' arrivée  à  Paris  en  IGiG,  se  lie  avec 
la  plupart  de  ces  jeunes  gens  et  confie  au  P.  Bagot  la 
direction  de  sa  conscience.  Le  directeur  ne  pouvait  ren- 
contrer une  âme  plus  docile  et  plus  droite,  un  cœur  plus 
élevé;  Laval  fut  de  toutes  les  œuvres,  un  des  plus  zélés. 

Cependant,  la  route  d'un  jeune  homme  de  vingt  à  trente 
ans,  est  bordée  de  précij^ices;  on  a  beau  se  tenir  sur  ses 
gardes,  on  risque  souvent  de  faire  un  faux  pas.  Pour  se 
mettre  davantage  à  l'abri  du  péril,  cpielques-uns  des  jeunes 
gens  que  nous  venons  de  nommer  résolurent,  en  1650, 
d'habiter  ensemble  ;  ils  espéraient  ainsi  se  soutenir  mutuel- 
lement et  vivre  d'une  vie  plus  parfaite.  Ils  n'étaient  que 
cinc{  :  Laval,  Pallu,  Gontier,  Fermanel  et  Boudon.  Les 
deux  premiers  avaient  déjà  reçu  la  prêtrise.  Ils  louèrent  plu- 
sieurs chambres  à  l'auberge  de   la   Base  blanche,  près  du 


1.  Louis  Bulteau,  né  en  162o  à  Rouen,  docteur  en  Sorbonne,  devint 
curé  à  Rouen.  —  Pajot  de  la  Chapelle  exerça  longtemps  Toffice  de 
procureur  des  missions.  Il  était  laïc,  d'après  ce  que  nous  lisons  dans  le 
manuscrit  M.  204  (Arch.  nat.)  :  «  Les  trois  évèques  avant  de  partir 
(pour  les  Indes)  nommèrent  six  procureurs,  pour  avoir  soin  de 
recevoir  leurs  pensions  et  revenus,  leur  envoyer  des  ouvriers, 
recevoir  leurs  lettres  et  leur  faire  réponse,  dont  trois  étaient  ecclé- 
siastiques, sçavoir,  M.  de  Meurs,  M,  Fermanel  et  M.  Gazil,  et  trois 
laïques,  sçavoir,  M.  le  président  de  Garibal,  M.  le  comte  d'Argenson, 
et  de  la  Chapelle  Pajot,  directeur  de  THospital  général.  »  M.  de  la 
Chapelle  demeura  jusqu'en  1674  dans  une  maison  de  la  rue  de  Saint- 
Étienne  des  Grez,  où  s'étaient  retirés,  en  1662,  plusieurs  de  ceux  qui 
habitaient  rue  Saint-Dominique.  En  1674,  il  s'établit,  rue  du  Bac,  au 
séminaire  des  Missions-Étrangères  (Arch.  nat.,  M.  204). 

2.  Les  noms  que  nous  venons  de  citer  se  trouvent  aux  Archives 
nationales  (cartons  M.  204;  —  M.  203;  —  MM.  516).  Le  manuscrit 
M.  204  est  intitulé  :  Origine  du  séminaire  des  missions  étrangères. 


—  257  ~ 

,  collèg-e  de  Glermont,  où  ils  restèrent  jusqu'à  Tannée  sui- 
vante, inséparables  dans  les  œuvres,  fidèles  aux  mêmes 
exercices  de  piété,  à  la  môme  rè^le.   Mais  le  lieu  était  bien 

Jmal  choisi  pour  une  pareille  réunion;  ils  ne  tardèrent  pas 
à  s'en  apercevoir,  u  Comme  c'est  l'ordinaire  dans  les 
auberges,  disent  les  Mémoires  de  Béniçjne  Vachet ,  on 
recevait  à  la  Rose  blanche  toutes  sortes  de  gens;  il  s'v  en 
rencontra  d'humeurs  bien  différentes  et  quelquefois  de 
vicieux  ^ .    » 

Au  mois  d'octobre  1650,  les  cinq  associés  louent  au 
faubourg-  Saint-Marcel,  dans  la  rue  Copeaux,  une  maison 
assez  vaste  pour  s'y  loger  avec  ceux  de  leurs  amis,  désireux 
d'embrasser  leur  genre  de  vie.  Il  s'en  présenta  une  douzaine 
dès  le  début  -.  D'autres  vinrent  bientôt  se  joindre  à  la  petite 
communauté,  si  bien  qu'il  fallut  chercher  un  local  plus 
considérable,  et  la  réunion  se  transporta  dans  la  rue  Saint- 
Dominique,  au  faubourg  Saint- Jacques  3. 

Dans  ces  divers  établissements,  quelle  existence  réglée, 
vraiment  monacale  !  Les  chroniques  du  temps  ne  tarissent 
pas  d'éloges  sur  ce  groupe  de  jeunes  gens.  Travailleurs 
infatigables  et  chrétiens  décidés,  ils  placent  au  premier 
rang  de  leurs  obligations,  le  travail,  la  pratique  austère 
de  la  vertu,  la  piété  :  puis  viennent  les  œuvres  de  dévoue- 
ment'\    Presque   tous   sortent  des   collèges   des   Jésuites; 

d.  Mémoires  pour  servir...,  p.  10. 

2.  Mémoire  pour  servir...,  p.  12.  M.  Vachct  cite,  parmi  les  nou- 
veaux, Ango  de  Maizerets,  de  Meurs,  Gazil,  Chevreuil  et  Dudouyt.  — 
La  rue  Copeaux  était  àTendroil  où  passe  aujourd'hui  la  rue  Laccpède. 
(Note,  p.  13,  de  M.  Launay,  dans  YHistoire  générale  des  Missions- 
Étrangères,  t.  I.) 

3.  Mémoire  pour  servir...,  pp.  16  et  17  ;  —  Origine  du  séminaire 
des  missions  étrangères  (Arch.  nat.,  M.  202)  ;  —  Vie  de  M.  Boudon, 
par  Collet;  —  Vie  nouvelle  de  II.-M.  Boudon,  pp.  41-44. 

4.  Ibid.  —  Dans  une  lettre  au  R.  P.  Général,  5  déc.  i6:j3,  le 
P.  Bagotditdc  ces  congréganistes  :  «  Omnes  sunt  indolis  ad  pietateni 

Jés.  et  Noiw.-Fr.  —  T.  II,  \-j 


—  258  — 

ceux  qui  ne  doivent  pas  aux  Pères  la  formation  de  leur 
intellig-ence,  leur  doivent  l'éducation  du  cœur,  le  sens  des 
choses  de  Dieu^. 

Le  P.  Bagot  les  guidait  tous,  et  avait  plus  à  faire  pour 
les  modérer  que  pour  les  activer.  On  les  appelait  la  Société 
des  bons  amis.  Leur  zèle  opéra  tant  de  bien  que  l'envie  et 
la  haine  s'émurent  ;  on  essaya  de  les  écraser  sous  le  ridi- 
cule, et  on  publia  contre  eux  un  libelle  diffamatoire,  inti- 
tulé Contra  Bagotianos,  lequel  fut  répandu  à  profusion  à 
Paris  et  dans  la  province  -. 

Cette  Société  des  bons  amis  ressemblait  plus  à  une  com- 
munauté religieuse  qu'à  une  réunion  de  jeunes  gens, 
tellement  l'union  était  intime,  la  vie  de  prière,  de  travail  et 
de  charité,  réglée  dans  les  moindres  détails.  L'unique 
ornement  de  la  salle  où  ils  se  réunissaient  pour  leurs 
exercices  de  piété,  était  un  tableau  représentant  les  cœurs 
de  Jésus  et  de  Marie,  avec  cette  inscription  :  Cor  Jesii, 
cor  Mariœ,  cœtûs  nostri  fjloria'^ . 


aptissimse...  In  iisdcm  sedibus  iisdcm  studiis  simiil  vacant  aut  etiam 
aliis  pietatis  offîciis  quai  in  sodalitio  parthenico  commendantur  ; 
neminem  in  suum  contubernium  admittunt  nisi  palam  profiteatur  so 
Societatis  studiosissimum,  ejusque  tam  doctrinœ  quam  moribus 
addictissimum.  Quot(|uot  Nostri  eos  noriint,  et  amare  et  admirari.  » 
(In  Arch.  rom.) 

1.  P.  Bagot,  dans  la  même  lettre  :  «  A  teneris  annis  in  nostris 
gymnasiis  atque  sodalitiis  ad  pietatem  fuerunt  instrncti.  )> 

M.  Gosselin  {Vie  de  Myr  de  Laval,  t.  I,  p.  36),  écrit  :  ((  La  plupart 
des  anciens  condisciples  de  François  de  Laval,  Fallu,  Chevreuil,  de 
Maizerets,  Boudon,  etc.,  étaient  eux-mêmes  à  Paris  ;  la  congrégation 
de  La  Flèche  se  trouvait  donc  au  complet.  »  Inutile  de  dire  que  tout 
cela  est  inexact.  Pallu  fut  élevé  à  Tours,  Chevreuil  à  Rennes,  de 
Maizerets  et  Boudon  à  Rouen. 

2.  Vie  nouvelle  de  M.  II.-M.  Boudon,  pp.  43  et  suiv.  ;  —  Etudes 
religieuses  de  la  Compagnie  de  Jésus,  XLVI.-18,  p.  275. 

3.  Vie  nouvelle  de  H.-M.  Boudon,  pp.  43-48  ;  —  Mémoire  pour 
servir...,  par  B.  Vachet,  pp.  13-15,  17  et  suiv. 


—  259  — 

Les  membres  de  cette  Société  si  miie  n'avaient  cependant 
ni  la  même  éducation,  ni  la  même  fortune,  ni  le  même 
caractère,  ni  le  même  tempérament.  Ils  s'étaient  rencontrés- 
et  aimés  dans  une  même  et  ardente  aspiration  vers  les- 
réalités  du  monde  d'au  delà  ;  et,  dans  les  voies  diverses  où 
s'engag-ea  leur  avenir,  ils  restèrent  fidèles  à  l'inébranlable 
affection  de  leurs  années  de  jeunesse. 

Henri-Marie  Boudon  était  l'âme  de  cette  Société.  Né  à 
la  Fère,  en  Picardie,  le  14  janvier  1624,  et  élevé  au  collège 
des  Jésuites  de  Rouen,  où  il  avait  eu  comme  condisciple 
Luc  Fermanel,  il  était  venu  à  Paris  au  mois  d'octobre  1642, 
pour  y  suivre  les  cours  de  philosophie  et  de  théologie  au 
collège  de  Clermont.  Logé  pauvrement  rue  de  la  Harpe,  il 
se  voyait  obligé  de  mendier  son  pain  de  chaque  jour  ; 
mais  ses  talents  supérieurs  et  sa  vertu  peu  commune 
imposaient  à  tous  le  respect  et  l'admiration.  Quand  Fran- 
çois de  Laval  fît  sa  connaissance,  en  1646,  il  fut  frappé  de 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  grand  et  de  beau  dans  cette  nature, 
où  la  pauvreté  dignement  supportée  ne  faisait  que  donner 
un  reflet  de  plus  à  l'éclat  de  la  sainteté.  Il  s'attacha  à 
Boudon  et  lui  donna  l'hospitalité  ^  dans  sa  propre  maison 
jusqu'au  jour  où  ils  allèrent  habiter  ensemble  à  la  Rose 
blanche.  C'est  Henri  Boudon  qui  avait  eu  le  premier 
l'idée  de  cette  réunion,  c'est  lui  qui  mit  en  rapport  l'abbé 
de  Laval  avec  Jean  de  Bernières-Louvignv,  le  baron  de 
Renty,  le  P.  Nicolas  de  Condé,  Claude  Le  Glay,  dit  le  bon 

1.  Henri-Marie  Boudon  avait  douze  ans  quand  il  se  rendit  à  Rouen 
pour  y  suivre,  comme  externe,  les  cours  du  collège  des  Jésuites.  En 
six  ans,  il  fit  toutes  ses  études  littéraires,  et  il  alla  à  Paris  en  1642 
pour  faire  trois  ans  de  philosophie,  et  quatre  ans  de  théoloo-ie  au 
collège  de  Clermont.  François  de  Laval  le  recueillit  chez  lui,  en  ^648. 
[Vie  de  Boudon,  par  Collet,  et  la  Vie  nouvelle,  par  Mgr  Mathieu.)  — 
Quand  Fabbé  de  Laval  fut  nommé  vicaire  apostolique  de  la  Nouvelle- 
France,  il  se  démit  de  son  archidiaconé  d'Evreuxen  faveur  de  Boudon. 


—  260  — 

Lorrain,  le  Frère  Fiacre,  et  beaucoup  d'hommes  de  bien 
et  d'action,  devenus  les  amis  du  mendiant  de  la  rue  de  la 
Harpe  1. 

La  Société  des  bons  amis  fixa  à  ce  point  l'attention 
générale  qu'on  se  demanda  avec  raison  si  la  Providence  ne 
les  préparait  pas  à  l'accomplissement  d'un  grand  dessein. 
Quant  à  eux,  ils  n'avaient  pour  lors  aucun  but  déterminé  : 
ils  travaillaient,  ils  priaient,  ils  se  dévouaient,  et,  dans 
cette  vie  très  remplie  de  chaque  jour,  ils  attendaient 
l'heure  des  manifestations  divines.  Cette  heure  sonna  sur 
la  fm  de  1652.  Voici  à  quelle  occasion  ! 

Le  premier  prédicateur  de  la  Foi  au  Tonkin,  et  l'un  des 
plus  remarquables  missionnaires  de  la  Cochinchine,  le 
P.  Alexandre  de  Rhodes,  avait  été  délégué  à  Rome  par 
les  Jésuites  de  ces  contrées  lointaines,  avec  la  mission  de 
recruter  en  Europe  des  ecclésiastiques,  qui  consentissent  à 
partager  les  périls  de  leur  laborieux  apostolat  2. 


1.  Vie  de  H.-M.  Boudon,  par  Collet  ;  —  Vie  nouvelle...,  passim. 

2.  Le  P.  de  Rhodes  raconte  lui-même  {Somînaii^e  des  Voyages  et 
Missions  du  P.  A.  de  Rhodes  ;  Paris,  1653,  3«  partie,  pp.  79  et  80)' 
que  ce  fut  par  commission  expresse  de  ses  confrères  «  qu'il  vint  à 
Rome,  principalement,  dit-il,  pour  trouver  moyen  de  secourir  ces 
belles  églises,  en  leur  procurant  des  évêques  et  en  leur  donnant  de 
nouveaux  ouvriers  évangéliques.  »  Dans  ses  Voyages  et  Mis'iions 
(Paris,  1854,  3'^  partie,  p.  337),  il  affirme  encore  que  «■  ses  supérieurs 
renvoyèrent  en  Europe  dans  le  but  de  représenter  au  Saint-Père 
Fextrême  besoin  où  étaient  les  chrétiens  d'Orient  d'avoir  des 
évêques,  aux  princes  chrétiens  la  grande  pauvreté  des  ouvriers  qui 
travaillaient  en  ces  missions,  et  au  R.  P.  Général  de  la  Compagnie 
les  grandes  espérances  qu'il  y  avait  de  convertir  tous  ces  royaumes, 
si  l'on  y  envoyait  des  prédicateurs  qui  leur  annonçassent  l'évangile.  » 
—  <(  Mes  supérieurs,  ajoute-t-il,  me  donnèrent  ces  trois  commissions, 
dont  je  me  suis  chargé  très  volontiers.  » 

Dans  sa  Relation  du  voyage  de  Vévêque  de  Bérythe  (p.  7),  M.  de 
Bourges,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  confirme  le  récit  du 
P.  de  Rhodes  :  Il  vint  en  Europe,  «  chargé,  dit-il,  de  représenter  au 


—  261   -— 

Le  P.  de  Rhodes  quitte  le  Tonkin  en  16i7,  il  traverse  la 
Perse,  il  arrive  à  Rome,  où  il  assiste,  en  qualité  de  procureur, 
à  trois  congrég-ations  générales  de  son  ordre,  il  entretient  du 
but  de  son  voyage  les  généraux  Piccolomini,  Gottifredi  et 
Nickel^,  et,  pendant  les  trois  ans  qu'il  passe  dans  la  ville 

S.  Siège  l'état  des  églises  naissantes  du  Tonkin  et  de  la  Cochin- 
chine,  et  le  besoin  qu'elles  avaient  du  secours  des  évèques.  » 

Les  affirmations  du  P.  de  Rhodes  et  le  témoignage  de  M.  de 
Bourges  n'ont  pas  empêché  Mgr  Luquet  d'insinuer  dans  ses  Lettres 
sur  la  Congrégation  des  Missions  {Xote,  pp.  xxxii  et  xxxiii  et  pp.  4-6) 
que  le  P.  de  Rhodes  s'était  rendu  à  Rome  en  secret,  à  Tinsu  dg  ses 
supérieurs  et  même  contre  l'intention  de  la  Compagnie.  11  appuie  son 
insinuation  du  mémoire  adressé  à  Rome  en  1693  par  Mgr  de  Métel- 
lopolis,  dans  lequel  on  lit  ces  paroles  :  «  P.  Al.  de  Rhodes,  vir  verè 
apostolicus,  cum  videret  crebras  in  regionibus  illis  persecutiones 
fieri,  nec  diu  servari  posse  religionem  nisi  ipsorummet  indigenarum 
ope,  qui  sacerdotio  initiati,  facile  inter  suos  latitare  possint  ;  Pater 
inquam  Alexander  Clam  Lusitanis  patrihus  Romam  ahiit...  »  On 
comprend  les  motifs  qui  ont  déterminé  Mgr  de  Métellopolis  à 
s'écarter  de  la  vérité  historique  ;  mais,  pourquoi  M.  Luquet,  après 
avoir  cité  les  paroles  peu  conformes  à  la  vérité,  clam  lusitanis 
patrihus,  de  Mgr  de  Métallopolis,  n'a-t-il  pas  apporté  le  témoignage 
du  P.  de  Rhodes,  qui  affirme  le  contraire?  «  Mon  supérieur  (le 
provincial  portugais),  dit  le  P.  de  Rhodes,  me  donna  commission 
d'aller  à  Rome  principalement  pour...  »  Pounjuoi  a-t-il  passé  sous 
silence  les  paroles  de  M.  de  Bourges,  chargé  de  représenter  ...?  Que 
la  loyauté  est  (qualité  rare  ! 

Dans  un  livre  récent  {Histoire  générale  de  la  Société  des  Mis'^ions- 
Etrangères,  par  A.  Launay,  de  la  même  Sociéléi,  il  est  })ien  dit  ({ue  le 
P.  de  Rhodes  «  vint  en  Europe  demander  au  Souvei'aiu  Pontife  des 
évoques  pour  le  Tonkin  et  la  Cochinchine  »,  mais  on  a  soin  de  taire 
qu'il  était  envoyé  dans  ce  but  par  ses  confrères,  et  particulièrement 
par  son  provincial  (t.  I,  p.  8).  —  M.  Vachet  écrit' avec  franchise  dans 
ses  Mémoires,  p.  45  :  u  Les  Jésuites  des  Indes  considérant  ([u'à 
la  Cochinchine,  au  Tonkin  et  à  la  Chine,  il  y  avait  déjà  plusieurs 
milliers  de  chrétiens,  crurent  ({u'il  était  à  propos  de  députer  au 
Saint-Siège  l'un  des  leurs  ([ui  serait  le  mieux  informé  de  l'état  de 
ces  missions.  » 

i.  Le  P.  de  Rhodes  {Voyages,  ch.  XIX)  arriva  à  Rome  le  27  juin 
1649,  et  y  séjourna  pour  les  affaires  de  sa  mission  juscpi'au  11  sep- 


—  262  — 

éternelle,  il  fait  connaître  à  tous  publiquement  et  aux 
cardinaux  en  particulier  le  dessein  qui  Tamène  des  extré- 
mités de  l'Orient,  il  expose  au  Souverain  Pontife  de  vive 
A^oix  et  dans  un  long*  mémoire  les  pressants  besoins  des 
églises  d'Asie,  la  nécessité  d'y  fonder  un  clergé  indigène 
•et  des  évêchés  indépendants  de  la  couronne  de  Portugal. 
Innocent  X  applaudit  au  zèle  du  vaillant  missionnaire,  il 
loue  son  plan  d'apostolat,  il  veut  le  sacrer  premier  évéque 
du  Tonkin  et  n'y  renonce  que  sur  le  désir  de  l'apôtre  ;  les 
généraux  de  la  Compagnie  l'encouragent  et  approuvent  son 
entreprise;  enfin,  le  11  septembre  1652,  le  Jésuite,  fort 
des  approbations  du  Saint-Père,  sort  de  Rome  sur  l'ordre 
de  son  Général  pour  se  rendre  en  France  i,  où  il  espère 
trouver  ce  qu'il  est  venu  chercher  de  si  loin,  ce  qu'il 
n'a  rencontré  nulle  part,  ni  en  Italie,  ni  ailleurs,  une 
phalang-e  d'apôtres  pour  le   Tonkin    et  la    Cochinchine -. 

tcmbre  1652.  Le  P.  Vincent  CarafTe,  général  de  la  Compagnie,  était 
mort  trois  semaines  avant  l'arrivée  du  P.  de  Rhodes,  le  8  juin  1649. 
Son  successeur,  le  P.  Piccolomini,  élu  le  21  décembre  1649,  mourut 
le  17  juin  1651,  et  fut  remplacé,  le  21  janvier  1652,  par  le  P.  Gotti- 
fredi,  qui  mourut  deux  mois  après  son  élection.  Le  P.  Goswin  Nickel 
fut  nommé  à  sa  place  le  17  mars  1652. 

1.  Le  P.  Bagot  écrit  au  P.  Général  dans  la  lettre  déjà  citée  du 
5  déc.  1653  :  «  Cum  primùm  hic  à  Paternitafe  vesfrâ  missus^ 
missionis  illius  res  promoturus,  P.  Alexander  de  Rhodes  advenit, 
tam  libris  istic  (Romse)  primùm  italico,  dein  hic  (Parisiis)  gallico 
idiomate  editis,  quam  voce  et  coram  in  publicis  privatisque  congres- 
sibus  docuit  quanta  in  illis  oris  seges  jam  ad  messem  albesceret, 
quamque  multos  illa  operarios  idoneos  postularet.  »  —  M.  Launay,  p.  9, 
dit  que  le  Pape  donna  l'ordre  au  P.  de  Rhodes  de  chercher  des 
sujets  ;  il  ne  parle  pas  du  P.  Général.  —  P.  13,  le  même  auteur  ajoute  : 
<(  Le  P.  de  Rhodes  vint  à  Paris,  cherchant  toujours  des  évoques, 
selon  l'ordre  qu'il  en  avait  reçu  du  Souverain  Pontife.  »  C'est  tou- 
jours le  P.  de  Rhodes,  qui  agit  indépendamment  de  ses  supé- 
rieurs, ce  qui  est  absolument  contraire  à  l'histoire. 

2.  On  trouve,  rue  Monsieur,  15,  Paris,  un  manuscrit  in-4o  inti- 
tulé :  «  Memorie  intorno  aile  missioni...  estratte  d'Ail'  Archivio  délia 


—  263  — 

((  J'ai  cru  que  la  France,  écrit-il  lui-même,  étant  le  plus 
pieux  royaume  du  monde,  me  fournirait  plusieurs  soldats 
qui  aillent  à  la  conquête  de  tout  l'Orient  pour  l'assujettir  à 
Jésus-Christ,  et  particulièrement  que  j'y  trouverais  des 
évêques  qui  fussent  nos  Pères  et  nos  Maîtres  en  ces  églises. 
Je  suis  sorti  de  Rome  à  ce  dessein,  après  avoir  baisé  les 
pieds  au  Pape  ^ .  » 

A  Paris,  le  P.  de  Rhodes  reçoit  le  même  accueil,  les 
mêmes  encouragements  qu'à  Rome,  auprès  des  Pères  de 
Lingendes,  provincial  de  France,  Charles  Lalemant,  supé- 
rieur de  la  maison  professe,  Charles  Paulin,  confesseur  de 
Louis  XIV,  et  Jean  Bagot,  directeur  de  la  grande  Congré- 
gation-. 

S.  Congrcg'"*'  de  Proparji'anda  fide  per  ordine  délia  S.  M.  di 
Clémente  XI  da  Niccolô  Fortefi^uerri  Segrct''"  délia  d*"*  Cong"'^  et  dal 
medesimo  dcdicale  alla  santità  di  Papa  Bencdctlo  XIII.  »  Or,  on  lit 
dans  ce  manuscrit,  à  propos  de  la  mission  du  P.  de  Rhodes  : 
«  (P.  Rodes)  incomincio  egli  subito  a  cerchre  prima  in  Napoli,  e  poi 
in  Roma  Ecclesiastici  di  gran  fervorè,  accioche  consa  grati  vescovi 
si  volessei'o  transj)ortàre  nella  Cina.  Ma  in  duo  citlà  cosi  i^randi 
non  rilrovarono  ne  pur'uno  ;  onde  si  transferi  a  Pari^n.  » 

1.  Voyages  et  Missions  du  P.  A.  de  Rliodes  ;  Lille,  1S84  ;  p.  310,  — 
L'abbé  Gosselin  {Vie  de  M(/r  de  Lnr.d,  t.  I,  p.  'M)  fait  venir  à 
tort,  une  première  fois,  le  P.  de  Rhodes  à  Paris,  entre  IGii  et 
1643. 

2.  La  correspondance  de  ces  Pères  avec  le  Général  se  conserve 
aux  Archives  générales  de  la  Compagnie.  Elle  montre  :  1"  que  le 
P.  de  Rhodes  n'agissait  })as  indéi)endammenL  de  la  (Compagnie, 
mais  })lulôt  qu'il  agissait  de  concert  avec  le  P.  (Général  et  les 
supérieurs  de  Paris  ;  2°  que  le  Provincial  de  Paris,  le  Supérieur  de 
la  maison  professe,  les  consulteurs  et  le  Général  s'intéressaient  à  la 
mission  du  P.  de  Rhodes  et  travaillaient  à  l'exécution  de  son  grand 
dessein,  lequel  consistait  à  trouver  des  évècpies  et  des  })rètres  pour 
les  Indes  Orientales.  —  Le  P.  Bertrand  traite  longuement  cette 
question  dans  Y  Histoire  de  In  mission  du  Mnduré  (t.  I,  p.  193  et  suiv.). 
—  C'est  le  27  janvier  1653  que  le  P.  de  Rhodes  arriva  à  Paris,  et, 
aussitôt  après  son  arrivée,  le  31  janvier,  il  obtenait,  par  l'entremise 
du   P.    Paulin,    une    audience   du    roi.    Au    sortir    de    l'audience,    il 


—  26i  — 

A  peine  arrivé,  il  se  met  à  prêcher,  suivant  ses  exprès 
sions,  «  la  grande  croisade  contre  tous  les  ennemis  de  la  foi 
qui  sont  dans  le  Japon,  dans  la  Chine,  dans  le  Tonkin, 
la  Cochinchine  et  la  Perse...  ^  »  Aussitôt  une  infinité  de 
lettres  liii  arrivent  des  cinq  provinces  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  en  France  ;  les  Pères  lui  demandent  de  les  enrôler 
dans  la  glorieuse  milice.  Ils  s'adressent  à  leurs  supérieurs, 
ils  écrivent  au  Général  pour  solliciter  cette  faveur.  On 
en  choisit  vingt,  qui  doivent  se  tenir  prêts  à  partir,  au 
premier  signal,  avec  l'apôtre  du  Tonkin  \ 

Le  but  principal  de  l'apôtre  n'était  pas  atteint  ;  il  voulait 
sans  doute  emmener  avec  lui  aux  extrémités  de  l'Orient  les 
frères  de  Saint-François-Xavier,  il  désirait  davantage 
établir  une  hiérarchie  ecclésiastique  complète  dans  les 
chrétientés  de  l'Asie  ;  et  pour  cela  il  lui  fallait  des  évéques 
et  des  prêtres.  En  trouver,  n'était  pas  chose  facile;  depuis 
trois  ans  qu'il  était  en  Europe,  il  n'y  avait  pas  réussi.  Et 
puis,  il  importait  que  les  évêques  choisis  fussent  indépen- 
dants de  la  couronne  de  Portugal  ;  par  conséquent,  ils 
devaient  avoir  ou  on  devait  leur  assurer  hors  de  ce  royaume 
des  titres  et  des  revenus  ;  des  ressources  étaient  également 
nécessaires  pour  la  fondation  et  l'entretien  des  séminaires 
destinés  au  recrutement  du  clergé  indigène  ^ 

Ce  n'était  pas  là  une  mince  entreprise,  et,  pour  la   con- 

ccrit  au  P.  Général  :  ((  Torlia  jam  lux  prœteriit  ex  quo  Parisios 
appuli,  et  nuiic  ex  Régis  chrislianissimi  palatio  redeo,  in  quo  sumniâ 
benevolentià  fui  exceptus  tùm  à  Rege,  tum  à  Reginà,  qui  me  in 
multis  interrogarunt  benignissimè  ;  ad  interrogata  satisfacere 
coactus  sum,  Spero  W  Patris  Paulini  operà  quidquid  speramus 
habifuros,  sicuti  ejusdem  operiÀ  fuimus  introducti  apud  Regem.  » 
(Arch.  gen.  S.  J.) 

1.  Voyages  du  P.  de  Bhode^i...  Lille,  1884,  p.  319. 

2.  IbkL,  p.  320. 

3.  Histoire  de  la  mission  du  Mnduré,  t.  I,  191  et  192;  cli.  IV, 
pp.  321  et  suiv. 


—  26")  — 

duire  à  bonne  fin,  le  missionnaire  ne  néglig-e  rien.  Le 
5  décembre  1653,  le  P.  Bagot  écrivait  au  Général,  Goswin 
Nickel  :  ((  Depuis  que  le  P.  Alexandre  de  Rhodes  est  arrivé 
ici,  envoyé  par  votre  Paternité  pour  y  travailler  au  bien 
des  églises  d'Asie,  il  n'a  cessé,  soit  par  les  livres,  soit  par 
les  prédications,  soit  par  les  entretiens,  d'enseigner  que  sur 
ces  terres  lointaines  les  épis  étaient  mûrs  pour  la  moisson 
et  qu'on  demandait  de  nombreux  et  bons  ouvriers  pour  la 
cueillir  ^ .  » 

C'est  le  P.  Bagot  lui-même  qui  lui  fait  trouver  ses 
ouvriers.  La  Société  des  bons  amis  habitait  encore,  en  1652, 
à  la  rue  Copeaux-. 

Le  P.  Bagot  invite  l'apôtre  à  dîner  avec  eux.  Celui-ci 
accepte  volontiers,  et  là,  dans  cette  réunion  intime,  dans 
ce  cercle  choisi,  il  se  laisse  aller  à  tous  les  élans  de  son 
zèle  :  il  raconte  avec  émotion  le  triste  état  de  ses  chré- 
tientés, ses  travaux  et  ceux  de  ses  frères,  les  luttes  et  les 
sacrifices  des  missionnaires,  leurs  espérances  ;  il  expose  le 
but  de  son  voyage  en  l^urope,  la  nécessité  d'un  clergé 
indigène.  Ces  paroles  ne  devaient  pas  tomber  sur  une  terre 
ingrate  ou  mal  préparée. 

En  sortant  de  là,  le  P.  de  Rhodes  dit  au  P.  Bagot  :  «  J'ai 
trouvé  dans  ces  jeunes  gens  des  dispositions  plus  parfaites 
que  celles  que  j'ai  cherchées  dans  les  séminaires  et  les 
autres  lieux  de  l'Europe  •^.  »  D'après  Bénigne  Vachet,  il 
aurait  ajouté  :  «  Voilà  les  gens  que  Dieu  me  destine  ^  !  »  If 

\.  Voir  à  la  paj^'O  262  la  note  i . 

2.  Quelques  auteurs  disent  à  tort  ({ue  la  Socu'h'»  de>i  bons  amis 
habitait  à  la  rue  Saint-Dominique,  quand  le  P.  de  Rhodes  vint  à 
Paris.  Ce  n'est  qu'en  16oo  qu'elle  se  transporta  dans  cette  rue,  en 
quittant  Timmeuble,  devenu  trop  petit,  de  la  rue  Copeaux. 

3.  17e  de  II.-M.  Boiidon,  par  Mg-r  Mathieu,  Besançon,  1837, 
p.  34. 

4.  Mrmoirrs  pour  servir  à  l'histoire  générale  des  Missions  et  aux 
Archives  du  Séminaire  de  Paris.  Paris,  V.  Goupy,  p.  15. 


—  266  — 

ne  se  trompait  pas.  Interrogés  s'ils  consentiraient  à  le 
suivre,  ils  répondent  tous  et  avec  enthousiasme  d'une 
manière  affirmative.  La  même  proposition  avait  déjà  été 
faite  à  des  prêtres,  auxquels  le  P.  de  Rhodes  s'était  ouvert 
de  ses  projets  dans  des  conférences  privées,  et  plusieurs 
avaient  semblé  vouloir  répondre  à  son  appel,  dans  un  pre- 
mier moment  d'entraînement  ;  mais  l'heure  de  l'exécution 
venue,  le  cœur  leur  manqua. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  des  congréganistes  du  P.  Bagot  K 
Ce  dernier  se  voit  même  obligé  de  modérer  leur  ardeur  : 
«  Messieurs,  leur  dit-il,  l'on  ne  va  pas  si  vite  dans  des 
matières  d'une  si  haute  importance.  Il  n'appartient  qu'à 
Dieu  de  vous  éclairer.  C'est  pourquoi  je  suis  d'avis  que 
nous  fassions  une  retraite  de  dix  jours  ;  je  la  ferai  avec 
vous  pour  demander  au  Père  des  lumières  de  vous  faire 
connaître  son  adora])le  volonté  -.  »  La  retraite  se  fait,  et  les 
congréganistes  n'en  sortent  que  plus  fervents  et  plus 
décidés.  Ils  ont  vu  que  Dieu  les  veut  aux  Indes  ;  ils  ont 
résolu  d'y  aller,  pour  y  être  apôtres''. 

1.  Le  P.  Bagot  écrit  au  P.  Général,  dans  sa  lettre  du  5  décembre 
1653  :  ((  De  iisdeni  missionihus  inter  plerosque  ecclesiasticos 
collationes  habitœ  sunt  ;  et,  ut  contingere  solet,  non  pauci  exardes- 
cere  visi  sunt.  Enim  vero  cum  res  seriô  urgeri  cœpit,  et  qui  militise 
illi  adco  sanctœ  nomen  dare  vellent  rogati  sunt,  cœteris  ferè 
omnibus  animo  deficientibus,  illi  nostri  (Parthenici)  P.  Alexandre 
de  Rhodes  sese  magna  animi  alacritate  obtulerunt,  » 

Neuf  mois  auparavant,  le  14  février  1653,  le  P.  de  Rhodes  avait 
écrit  de  Paris  au  P.  Général  :  u  Multos  hic  reperi  perdivites  ac  pios 
qui  missiones  nostras  adjuvare  cupiunt,  non  solùm  Persicam^  cui  à 
Paternitate  vestrâ  sum  nddicfiis,  sed  etiam  Sinicam,  Tonchinensem 
et  Concincinicam,  atque  ad  hoc  cogitant  vigcnti  minimum.  )>  (In 
Arch.  rom.) 

2.  Bénigne  Vachot,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire,..,  p.  48. 

3.  Le  P.  Bagot  au  P.  Général,  5  déc.  1653  :  »  Re  Deo  obnixè 
commendatâ,  et  eorum  confessariis  aliisque  viris  pietatis  pruden- 
tia^que  eximiœ  communicatâ,  visum  est  expedire  ut  in  negotio  tam 
novo,  pro  voluntate  Dei  seriùs  explorandâ,   illi  exercitia  Societatis 


—  267  — 

Mais,  comment  exécuter  cette  résolution?  Quelle  voie 
prendre  pour  arriver  au  but?  Quelques  jeunes  gens  dési- 
rent s'enrôler  sous  le  drapeau  de  Saint-Ignace  et  partir 
immédiatement  avec  le  P.  de  Rhodes.  Le  P.  de  Rhodes, 
consulté,  répond  qu'on  peut  les  admettre  en  qualité  de 
novices  dans  la  Compagnie,  et  leur  faire  faire  en  route  leur 
noviciat.  Les  exemples  de  ce  genre  ne  sont  pas  rares,  dit-il, 
dans  l'histoire  des  missions  de  l'ordre  i.  A  Rome,  le 
Général  ne  partage  pas  cet  avis  ;  il  exige  quatre  ou  cinq 
mois  de  noviciat  à  Paris,  avant  le  départ  2. 

La  mesure  était  sage,  et,  comme  on  songeait  surtout  à 
établir  aux  Indes  une  hiérarchie  ecclésiastique,  comme,  à 
cet  effet,  on  voulait  emmener  d'Europe  des  évêques  et  des 
prêtres,  le  P.  Bagot  conseille  aux  jeunes  candidats  à  la 
Compagnie  de  Jésus  de  s'unir  de  préférence  aux  évèques 
qui  seront  envoyés  au  Tonkin,  en  Chine  et  en  Cochinchine. 
Ce  conseil  est  suivi,  car  ils  désiraient  avant  tout  consacrer 
leur  vie  au  salut  des  âmes  ^. 

spiriLualia  apud  nostros  faccreiit.  Iiidr  vei'o  iii  consilio  propositoqiie 
confirmati,  do  cjus  excqucndi  ralione  soriù  cogitatum  est.  » 

4.  Le  P.  Bagot  au  P.  Général,  5  déc.  1653  :  «  Consultus  P.  de  Rhodes 
suggessitnullam  sibi  commodiorem  (rationem)  videriquam  si,  insocie- 
tatemadmissi,  novicialum  in  ilinere  peragerenl.  Quod  cum  nobisnovum 
ac  inusitatum  vixque  sperandum  vidcrctur,  addidit  illi  non  déesse 
exempla  in  historiis  missionum  lam  Indicarum  ({uam  Anglicarum,  in 
quibus  nonnulli  ipso  in  carcere  admissi  dicunlur.  Tum  verô  ecclesias- 
tici  illi  exultare,  cumomnes  jampridem  loti  socielati  essent  devoli,  et 
quominus  in  eam  ingressum  petcrcnt  pudore  quodani  aut  simili  causa 
fuissent  impediti  ;  id  verô  se  percipere  velu t  votorum  suorum  summam,  » 

2.  Ibid.  :  <r  Tenlatum  illud  est  à  R«  P.  Assistente  Galliœ  per 
litleras.  Tùni  à  P.  Alexandro,  ti^im  à  me  rogatus,  ut  Paternitatis 
vestrœ  super  re  animum  exploraret  ;  hune  animum  ab  eo  consilio  non 
omninô  alienum  esse  significavit,  spemque  fecit  voti  obtinendi,  si 
illi  quatuor  aut  quinque  menses  an  te  discessum  in  domo  tyrocinii 
agerent.  » 

3.  Le  P.  Bagot  écrit  dans  une  autre  lettre  :  «  Addo  has  litteras 
lis  quas  P.  Al.  de  Rhodes  scribit  Paternitati  vestrœ  pro  admittendis 


—   268  — 

Les  évèques  étaient,  à  ce  moment,  arrêtés  dans  la 
pensée  du  P.  Ba^ot,  et  tous  faisaient  partie  de  la  Société 
des  bons  amis.  C'étaient  François  Pallu,  François  de  Laval 
et  Bernard  Picquet  (ou  Piques),  le  premier,  chanoine  de 
Saint-Martin  de  Tours,  le  second,  archidiacre  d'Evreux, 
le  troisième,  docteur  de  Sorbonne  ;  tous  trois,  prêtres.  Le 
Père  donne  leur  nom  au  P.  Alexandre  de  Rhodes  ^,  et,  sur 

in  societatom  nonnullis  qui  se  missioni])us  Sinarum  dcvovent. 
R.  P.  Assistons  jam  niihi  significavit  Patornitati  vestrœ  gratam  esse 
illorum  petitionem  ;  quia  vero  sperantur  episcopi  eô  miltendi  ex 
Galliâ,  quolquot  rei  statum  notuni  habenl,  arbitrantur  satius  esse  si 
illi  tanquam  comités  episcorum  hinc  proficiscantur  ;  ne  Paternitati 
vestrse  sim  molestus,  R.  P.  Assistentcm  de  re  totâ  plenius  certum 
facio,  et  precor  ut  Paternitati  veslrœ  quas  scril)o,  communicet.  »  — 
Dans  la  longue  lettre  écrite  au  P.  Assistant,  le  P.  Bagot  dit  qu'il 
conseilla  aux  jeunes  candidats  d'accompagner  en  Asie  les  évêques 
qui  y  seraient  envoyés  et  de  s'attacher  à  eux,  en  leur  faisant 
comprendre  :  «  Nihil  ferè  promoveri  posse  nisi  mittantur  episcopi 
qui  indigenas  ad  ecclesiastica  munera  idoneos  sacris  initiarent, 
Japonicam  ecclesiam  extremum  jam  spiritum  agere  et  miserum  in 
modum  mori,  ([uia  excluso  externis  aditu,  nulli  ferè  sunt  in  eâ 
sacerdotes,  qui  si  ex  indigenis  assumpti  fuissent,  cxterno  subsidio 
déficiente,  ecclesiam  illam  conservarenl...  >y  (ïn  Arch.  rom.) 

1.  Le  P.  de  Rhodes  regardait  déjà  sa  mission  comme  terminée, 
puisqu'il  écrit  au  P.  Général,  le  29  août  16o3  :  «  Ego  cum  reliquis 
sociis  è  nostrà  societate,  per  oceanum,  quantociùs  fieri  poterit, 
navem  conscondam  ut  Armusiam  petam  ;  sed  mihi  aliqui  socii 
desunt  ut  complcatur  vigenti  operariorum,  pro  quibus  abundè  nobis 
hic  omnia  parantur,  et  ipsa  regina  christianissima  jam  octo  millia 
francorum  largita  est  pro  illis.  (Arch.  gen.  S.  J.)  —  Dans  une  lettre 
du  14  février  1653  au  môme,  il  avait  dit  :  Via  Armudâ  cogito  in 
Persicam  iendere.  (Ibicl.)  Toutefois,  il  ne  put  partir  aussitôt  qu'il 
l'aurait  voulu,  comme  nous  le  voyons  par  une  lettre  adressée  au 
P.  Général,  le  24  oct.  1653  :  Significavi  P'  Yfp  causas  cur  visum 
fuerit  Patribus  nostris  ut  adhùc  in  Gallià  commorarer  usque  ad 
mcnsem  martium  ;  (piarum  prima  fuit  et  prœcipua  quia  Roma 
promittuntur  Episcopi  pro  Tonchinensi  et  Concincinicâ  missionibus  ; 
viri  autem  primarii  qui  id  curant  rogaverunt  superiores  nostros  ut 
illos  episcopos  à  me  expectari  juberent,  quia,  si  ego  abirem  prior, 
illi  longum       incognitum   iter  arripere  non  auderent  ;  altéra  quoque 


—  269  — 

la  demande  de  ce  dernier,  le  nonce  du  Saint-Siège,  à  Paris, 
Mgr  Bagni,  les  propose  au  cardinal  Antoine,  préfet  de  la 
Propagande,  comme  très  dignes,  sous  tous  rapports, 
d'être  promus  à  l'épiscopat  en  Chine,  au  Tonkin  et  en 
Cochinchine  ' . 

Il  semble  que  Rome  n'accepta  alors  que  deux  des 
candidats  proposés,  puisqu'elle  exigea,  avant  de  procéder 
à  leur  nomination,  qu'on  assurât  en  France  les  revenus 
nécessaires  à  deux  évèchés.  Les  fonds  sont  aussitôt  trou- 
vés et  déposés,  car  beaucoup  de  dames  et  de  messieurs  de 
l'aristocratie  parisienne  s'intéressaient  particulièrement  à 
cette  fondation  2. 

Les  évêques  étaient  désignés,  et  les  missionnaires  qui 
devaient  les  accompagner  aux  Indes,  la  plupart  encore 
laïques,  étaient  noml)reux,  tous  dans  la  ferveur  de  l'âge  et 
l'ardeur  du  dévouement.  Se  croyant  sûrs  de  leur  départ, 
ils  adressent  au  R.  P.  Général,  par  l'entremise  du 
P.  Bagot,  une  double  requête  :  la  première  concernant 
leurs  biens,  la  seconde,  leur  vocation.  La  lettre  du  P.  Bagot, 
qui  porte  à  Rome  ces  requêtes,  est  du  5  décembre  1653  : 
«  Les  évêques  désignés  elles  missionnaires,  écrit-il,  deman- 
dent d'abord  qu'on  leur  donne  le  P.  Alexandre  de  Rhodes 
pour   guide   de  leur  voyage  et   pour  chef  de   la  mission  ; 

causa  fuit,  (juia  navijj^alio  i)er  oceanum  nondum  crat  parala.  (Ibid.) 
—  Le  P.  de  Rhodes  profila  de  ce  retard  pour  aller  à  Rome  présenter 
les  évêques  proposés. 

\.  Le  P.  Bagot  au  P.  Général,  o  déc.  1653  :  «  Actum  eà  de  re  est 
cum  illustrissimo  nuncio  apostolico  ;  tentati  istic  (RomcTj  animi, 
spes  facta  favoris  eminentissimi  Antonii,  qui,  congregationis  de  fide 
propagandâ  pra-ses,  multum  posse  dicitur.  »  —  Lettres  sur  la 
Congrégation,  p.  H. 

2.  P.  Bagot  au  même,  5  déc.  16:5:3  :  «  Istinc(Romœ)  oblatœ  quœdam 
conditiones  quas  hic  (Parisiis)  viri  illi  primarii  ultrô  acceperunt,  ac 
pro  diiohus  episcopis  sustenfandis  necessarios  proventus  perpétues 
consignatâ  pecuniâ  fundarunt.  » 


—  270  — 

ensuite  que  nos  procureurs  qui  seront  charg-és  en  Europe 
des  fonds  appliqués  à  nos  missions  des  Indes,  se  chargent 
aussi  de  l'administration  de  leur  fortune  et  de  leurs  revenus, 
ou  du  moins  qu'ils  leur  fassent  parvenir  leurs  revenus  comme 
ils  le  font  pour  les  Jésuites  i.  »  Rien  de  plus  juste  que  cette 
demande  :  «  Elle  me  paraît  très  équitable,  et  je  ne  puis 
m'empêcher  d'v  accéder  »,  répondit  le  P.  Général,  le 
5  janvier  1654  -. 

La  seconde  requête  présentait  plus  de  difficulté.  «  Les 
missionnaires,  dit  le  P.  Bag-ot,  désirent  être  soumis  à  votre 
Paternité,  à  la  Compagnie  et  à  ses  supérieurs,  en  qualité 
de  catéchistes  ou  même  de  serviteurs,  ou,  si  vous  l'agréez, 
à  titre  de  coadjuteurs  ;  ils  espèrent  que  leur  conduite  leur 
méritera  d'être  admis  un  jour  dans  la  Compagnie.  Quant  aux 
évêques  désignés,  qui  ne  peuvent,  à  cause  de  leur  situation, 
exprimer  le  même  désir  que  les  missionnaires,  ils  prient 
votre  Paternité  de  leur  permettre  de  se  lier  à  la  Société 
par  le  vœu  qui  y  rattache  les  prélats  tirés  de  son  sein  ;  ils 
sont  prêts,  au  cas  où  ils  seraient  chassés  d'un  royaume, 
d'aller  où  les  supérieurs  croiront  devoir  les  envoyer  pour 
exercer  leurs  fonctions  2.  »  Le  Général  Nickel  répondit,  à  la 

1.  Le  P.  Bagot  au  R.  P.  Général,  o  déc.  1653  :  «  Flagitant  tam 
episcopi  designati  quam  comités  ut,  sicut  alii  nostri,  P.  Alexaiidrum 
vise  ac  missionis  ducem  habeant  ;  deindè  ut  Europse  procuratores 
nostri missionum  illarum,  qui  liis  destinatos  proventus  administrabunt, 
suas  quoque  facultates  et  proventus  curent,  aut  certè  sibi  traditas 
eâdem  opéra  ac  nostrorum  redditus  transmittant.  » 

2.  Rome,  5  janvier  1654  :  «  Quse  petitiones,  cum  œquitalis  plcnis- 
simœ  videantur,  iis  non  possum  non  accedere.  )> 

3.  P.  Bag-ot,  lettre  du  5  déc,  1653  :  «  Optant  isti  ecclesiastici  (comités) 
eodem  modo  Paternitati  vestree  ac  societati,  hujusque  superioribus 
commendari  ac  subjici,  quo  illi  quorum  in  historiâ  Sinensi  sermo  est, 
catechistse  atque  adeô  famuli  domestici,  nec  enim  titulum  hune  aut 
onus  detrectant,  aut  certè,  si  placet,  adjutores  habeantur  ;  sperant 
ideô  fore  ut  illic  ità  superioribus  faciant  satis  ut  tandem  omninô  in 
societatem  admittantur.  )> 


—  271  — 

même  date,  que  les  missionnaires  pouvaient  être  certains 
de  la  bienveillante  protection  de  la  Compagnie  i.  »  La 
sagesse  lui  interdisait  d'en  dire  plus  long,  cela  se  comprend  ; 
car  il  cherchait  avant  tout  à  réaliser  le  plan  du  P.  de 
Rhodes.  Puis  il  ajoute  :  ((  Pour  ce  qui  regarde  le  vœu  que 
les  évoques  désirent  faire,  ils  peuvent  l'émettre  s'il  leur 
semble  expédient  devant  le  seigneur  ;  mais  il  faut  leur  faire 
bien  comprendre  que  ce  n'est  qu'un  vœu  simple  et  de 
dévotion,  qui  n'est  accepté  ni  par  la  Compagnie  ni  par 
nous-.  » 

Les  événements  que  nous  venons  de  raconter  s'étaient 
passés  dans  le  courant  de  l'année  1653.  Mais  les  circon- 
stances modifièrent  sensiblement,  les  années  suivantes,  les 
positions  acquises  jusque  là. 

Dans  les  entreprises  pour  la  gloire  de  Dieu,  il  arrive 
souvent  qu'au  moment  où  tout  semble  prospérer,  un 
obstacle  imprévu  survient,  qui  détruit  les  plus  belles 
espérances...  Le  P.  de  Rhodes  avait  enfm  recruté  sa  milice 
apostolique,  après  beaucoup  de  démarches  et  de  laborieux 
efforts  ;  celle-ci,  de  son  coté,  ardente  de  zèle,  pleine  de 
courage  et  de  confiance,  n'attendait,  pour  dire  adieu  à  la 
France  et  voguer  vers  l'Extrême-Orient,  que  la  consé- 
cration de  ses  évêques  et  la  bénédiction  du  Souverain- 
Pontife  ;  et  voilà  que  l'ambassadeur  de  Portugal,  à  Rome, 
soulève  la  plus  vive  opposition,  à  la  nouvelle  de  la  nomina- 

1.  Lettre  du  5  janvier  :  <(  Certi  siiit  de  patrocinio  ac  tutelà 
societatis.  )>  Le  P.  Général  ne  fait  aucune  allusion  aux  emplois  que 
les  missionnaires  s'oiTraient  à  remplir.  Il  y  a,  dans  ce  silence,  une 
prudente  réserve  que  les  circonstances  commandaient. 

2.  Ihicl.  u  Poterunt  quideni  ejusmodi  votum,  si  ità  ipsis  in  Domino 
visum  fuerit,  emittere  ;  verum  agendum  omnino  ut  intelligant  esse 
illud  votum  simplex  quod  neque  à  societate  neque  à  nobis  accep- 
tetur.  )) 


—  272  — 

tion  des  évoques  français  :  «  Redoutant  de  voir  la  France 
s'introduire  à  leur  suite  en  Extrême-Orient,  enlever  au 
Portugal  les  débris  de  ses  colonies,  détruire  le  reste  de  son 
influence  et  ruiner  son  commerce^,  »  il  prétend  que  la 
nouvelle  institution  porterait  une  atteinte  grave  aux  droits 
de  son  souverain. 

On  sait  que  le  pape  Martin  V,  en  récompense  des 
services  rendus  à  la  religion  par  la  couronne  de  Portugal, 
avait  accordé  à  ses  souverains  des  droits  particuliers  en 
Asie,  «  et  de  nombreuses  faveurs  temporelles  et  spirituelles, 
dont  l'ensemble  constituait  ce  qu'on  a  appelé  le  patronage 
du  Portugal'-.  »  C'est  en  vertu  de  ces  droits  et  de  ces 
faveurs  que  l'ambassadeur  de  Jean  IV  et  d'Alphonse  VI 
s'opposa  à  la  nomination  de  trois  prêtres  français  aux 
évêchés  du  Tonkin,  de  la  Chine  et  de  la  Cochinchine. 

En  présence  de  cette  opposition,  et  pour  ne  pas  irriter 
un  puissant  adversaire,  dont  il  importait,  pour  le  bien  des 
églises  d'Asie,  de  ménager  les  susceptibilités.  Innocent  X 
eut  recours  à  une  des  grandes  forces  de  la  cour  romaine  : 
il  temporisa...  Malheureusement,  la  mort  devait  le  sur- 
prendre et  l'empêcher  de  terminer  l'œuvre  si  bien  com- 
mencée par  les  Pères  Bagot  et  de  Rhodes  :  il  mourut  le 
7  janvier  1G53,  au  moment  où  il  espérait  une  conclusion 
prochaine  des  négociations 3. 

Un  mois  auparavant,  le  P.  de  Rhodes  s'était  embarqué 
à  Marseille  pour  la  Perse,  où  ses  Frères  devaient  bientôt 
le  rejoindre  par  la  voie  de  Lisbonne,  sur  les  vaisseaux 
portugais.  On  l'y  attendait  impatiemment,  depuis  qu'on 
savait    que   le    Général   Nickel   l'avait    chargé    de   fonder 


1.  Histoire  générale  de  la  Société  des  M.-É.,  t.  I,  p,  18. 

2.  Ibid.,  pp.  15  et  16. 

3.  Lettres  sur  la  Congrégation...^  p.  12. 


—  273  — 

cette  mission  dont  l'apôtre  avait  lui-même  conçu  le  projet 
en  traversant  cette  contrée.  Du  reste,  sa  présence  n'était 
plus  nécessaire  en  Europe,  depuis  qu'il  y  avait  trouvé  des 
évêques  et  des  prêtres.  La  solution  des  difficultés,  qui 
retardaient  leur  départ,  ne  dépendait  pas  de  lui  ;  sa  pré- 
sence même  pouvait  gêner  les  pourparlers  entre  les  cours 
de  Rome  et  de  Lisbonne,  car  on  n'ignorait  pas,  dans  cette 
dernière,  la  vigoureuse  campagne  qu'il  avait  menée  contre 
le  patronage  portugais^.   Enfin,   pour  le  cas  où  quelqu'un 

1.  Dans    V Histoire    de    la    mission    du    Madnré,    t.    I,    p.    299,    le 
P.    Bertrand   dit,  note   1    :   (^  Dès  Tan    16o2,  longtemps    avant    son 
arrivée   en  France,   le   P.   de    Rhodes   avait   été   destiné  à  fonder  la 
mission    de    Perse   (Lettre    du    P.    de   Rhodes    au    R.    P.    Général, 
14  fév.    1653),    dont  lui-même  avait    conçu  le  projet  en  traversant 
cette  contrée  ;  rexccution  fut  quelque  temps  suspendue  ;  mais  quand 
le  P.  Général  eût  perdu  Tespérance  de   voir  se  réaliser  de  sitôt  le 
projet  du  Tong-King-,  il   dut   naturellement   hâter  Texpédition  de  la 
Perse,  vu  que  les  missionnaires   destinés  à  cette  entreprise  atten- 
daient depuis  long-temps,  le  moment  du  départ...  »  Par  cette  note, 
le  P.  Bertrand  répond  à  une   assertion   aussi  gratuite  que  peu  chari- 
table de  M.  Luquet,  prétendant  qu'on  avait  écarté  les  PP.  de  Rhodes 
et   Bagot,    «  qui   avaient   témoigné  jusqu'alors   le  plus  de  zèle  pour 
faire  réussir  (le  projet  de  création  des  évêchés  en  Asie).  On  nomma, 
ajoute  M.  Luquet,  le  P.  de  Rhodes  supérieur  des  missions  de  Perse, 
avec  ordre  de  partir  sans  délai,  et  le  P.  Bagot  fut  envoyé  hors  de 
Paris  ))  (p.  13).  Ce  que  cet  auteur  dit  du  P.  Bagot  n'a  pas  plus  de 
fondement.    Nommé   supérieur   de  la  maison  professe  de   Paris,   le 
12   mai   1G53,  ce   Père  resta  dans  sa  charge   le  temps  voulu  par  les 
constitutions,    c'est-à-dire    jusqu'au  mois   de  mai    1656,    où    il    fut 
remplacé  par  le  P.  Renault.  Remplacé,  il  ne  fut  pas  envoyé  hors  de 
Paris  ;  il  resta,  en  qualité  de  P.  spirituel,  de  confesseur,  etc.,  à  la 
maison   professe   qu'il  habita  jusqu'à   sa  mort.  (Arch.  gen.  S.  J.)  — 
Désirant  isoler  l'action  des  Pères  de  Rhodes  et  Bagot  de  l'influence 
de  la   Compagnie,  M.  Luquet  n'a   pas  reculé  devant  des  inventions 
coupables,  jusqu'à  vouloir  faire  croire   à  un  blâme    du    P.    Général 
contre  ces  deux  Pères. 

Le  P.  Général  avait  d'abord  décidé  que  le  P.  de  Rhodes  partirait 
pour  la   Perse  avec  vingt  Pères  Jésuites.   Mais   le  roi  de  Portugal 
ayant  offert  le  passage  gratuit  sur  ses  vaisseaux  aux  missionnaires, 
Jés.  etNouv.-Fr.  —  T.  II  18 


—  274  — 

des  évêques  désignés  viendrait  à  manquer,  le  P.  Bagot 
n'était-il  pas  là  pour  indiquer  un  remplaçant  dans  la 
Société  des  bons  aniis'l  Quoi  qu'on  en  ait  dit,  il  pouvait 
partir  sans  le  regret  cl  avoir  échoué  ^^  avec  la  ferme 
persuasion  que  l'Annam  aurait  bientôt  sa  hiérarchie 
ecclésiastique. 

C'est  ce  qui  arriva,  en  efTet.  La  mort  d'Innocent  X 
retarda  les  négociations,  elle  ne  les  interrompit  pas  :  elles 
aboutirent  moins  de  quatre  ans  plus  tard,  vers  le  milieu  de 

le  R.  P.  Nickel  accepta  les  offres  du  monarque  pour  vingt-cinq  de 
ses  religieux,  parmi  lesquels  onze  Français  ;  et  comme  il  n'eût  pas 
été  prudent  de  faire  embar({uer  à  Lisbonne  le  Père  de  Rhodes,  qui 
était  accusé  d'avoir  violé  les  droits  du  patronage  portugais,  il  le  fit 
partir  avec  une  autre  troupe  de  missionnaires.  (Arch.  gen.  ;  — 
Mission  de  la  Cochinchine  et  du  Tonkin,  p.  71,  note.) 

1.  Cette  assertion  très  gratuite  de  M.  Launay  (Hist.  générale  de 
la  Société  des  M.-E.,  p.  21)  a  pour  ])ut  de  montrer  que  le  P.  de 
Rhodes  ne  fut  pour  rien  dans  la  fondation  de  la  Société.  11  ne  nous 
appartient  pas  de  contredire  cet  auteur  sur  un  point  si  délicat  ;  c'est 
du  reste  l'opinion  de  quelques  modernes,  et  on  en  devine  assez  les 
motifs  secrets.  Les  contemporains  professaient  une  opinion  contraire. 
Vingt-deux  ans  après  la  fondation  de  la  Société,  le  6  janvier  1685, 
Fénelon  disait,  dans  son  discours  sur  l'Epiphanie,  prononcé  dans 
l'église  même  des  Missions-Étrangères  :  ((  Il  ne  sera  pas  effacé  de  la 
mémoire  des  justes  le  nom  de  cet  enfant  d'Ignace  qui,  de  la  même 
main  dont  il  avait  rejeté  l'emploi  de  la  confiance  la  plus  éclatante, 
forma  une  petite  Société  de  prêtres,  germes  bénis  de  cette  commu- 
nauté. »  —  H. -M.  Boudon  est  du  même  avis,  dans  le  Chrétien 
inconnu,  1.  II,  ch.  I.  — Le  P.  Bertrand,  t.  I,  pp.  192  et  193,  écrit  cette 
phrase  très  significative  :  ((  La  part  qu'eut  le  P.  de  Rhodes  dans 
l'origine  de  cette  congrégation  est  un  fait  trop  bien  constaté  par  les 
historiens  de  l'époque,  pour  qu'on  ait  pu  le  révoquer  en  doute.  » 
M.  B.  Vachet  écrit  dans  ses  Mémoires,  p.  26  :  «  C'est  par  ses  avis 
(du  R.  P.  Bagot)  qu'on  s'est  uni  ensemble  et  qu'on  a  commencé  le 
grand  ouvrage  des  missions  étrangères...  C'est  lui  qui  a  travaillé  au 
choix  que  l'on  a  fait  des  premiers  évêques  de  la  Chine  et  du 
Canada...  C'est  lui  dont  la  Providence  s'est  servie  pour  l'accomplis- 
sement de  ses  desseins...  »  Ihid.,  Sur  le  rôle  du  P.  de  Rhodes,  v.  les 
pp.  15,  16,  45,  etc.. 


—  275  — 

1058,  sous  le  pontificat  d'Alexandre  VII.  Un  seul  des  pre- 
miers évêques  désig-nés,  M.  Fallu,  fut  nommé  vicaire  aposto- 
lique du  Tonkin,  et  deux  autres  membres  de  la  Société  des- 
bons  amis,  MM.  Pierre  de  la  Mothe-Lambert  et  Gotolendi, 
reçurent  en  partage  les  vicariats  apostoliques  de  la 
Gochinchine  et  de  la  Chine  ^ . 

Cette  importante  afîaire,  qui  avait  conduit  en  Europe  le 
P.  de  Rhodes,  était  enfin  terminée.  S'il  n'eut  pas  le 
bonheur  d'assister  à  sa  conclusion,  il  eut,  avec  le  P.  Bagot, 
l'honneur  de  l'avoir  préparée,  d'avoir  trouvé  et  présenté 
au  Souverain-Pontife  -  des  évêques  et  des  prêtres,  animés 


1.  Histoire  générale  de  la  Société  des  M.-É.,  p.  34  ;  —  Mémoires  de 
B.  Vachet,  p.  54. 

Dans  une  lettre  datée  du  mois  de  juillet  1653,  quelques  hommes 
religieux  (A.  Launay,  p.  18)  supplièrent  le  Souverain-Pontife  de 
créer  des  évoques  in  partibus  et  de  les  députer  en  Asie  au  nom  du 
siège  apostolique.  Ils  croyaient  que  la  nomination  d'évêques  avec  le 
titre  de  vicaires  apostoliques,  c'est-à-dire  d'évêques  dépendant 
du  Souverain-Pontife,  tournerait  les  difficultés  que  le  Portugal 
pourrait  susciter,  si  on  créait  des  évêques  avec  les  pouvoirs  et  le  titre 
d'ordinaire.  Cette  démarche  fut  faite  avant  le  départ  pour  Rome  du 
P.  de  Rhodes  et  des  six  membres  de  la  Société  des  bons  amis.  Le 
Saint-Siège  tint  néanmoins  compte  de  la  supplique,  signée  par 
Henri,  archevêque  nommé  de  Reims,  Vincent  de  Paul,  Duplessis, 
Colombet  et  autres.  V.  Vllistoire  générale  de  la  Société,  pp.  18-20. 

2.  Mémoires  de  B.  Vachet,  p.  48  :  «  Le  P.  de  Rhodes  était 
tous  les  jours  chez  eux  (à  la  rue  Copeau),  et  enfin,  après  plusieurs 
conférences,  pour  bien  prendre  toutes  les  mesures  possibles,  l'on 
convint  de  députer  six  de  l'assemblée  pour  se  rendre  à  Rome 
aussitôt  ou  un  peu  après  lui,  et  qu'il  les  présenterait  au  Souverain- 
Pontife,  après  l'avoir  instruit  de  tout  ce  qui  s'était  passé  sous  ses 
yeux  à  Paris,  et  des  rares  qualités  de  ces  messieurs.  Le  pape, 
désabusé  de  ses  préventions  contre  les  Français,  les  reçut  très 
favorablement.  Il  écouta  avec  une  attention  merveilleuse  la  petite 
harangue  que  lui  fit  M.  de  Pallu  au  nom  de  tous,  et  il  leur  promit 
une  issue  favorable  de  cette  affaire,  après  qu'ils  se  furent  engagés  à 
n'être  point  à  charge  au  Saint-Siège,  et  à  donner  dans  Rome  une 


—  276  — 

d'un  vrai  zèle  apostolique,  n'ayant  d'autre  ambition  que 
d'étendre  dans  l'Extrême-Orient  le  règne  de  Jésus-Christ. 
Sans  ces  évoques  et  ces  prêtres,  tous  pénitents  du 
P.  Bagot,  membres  les  plus  actifs  de  sa  congrégation,  tous 
attirés  vers  l'Asie  à  la  voix  de  l'apôtre  du  Tonkin  et  sur  les 
conseils  de  leur  directeur,  la  Société  des  missions  étran- 
gères aurait-elle  atteint  le  but  pour  lequel  elle  fut 
suscitée  ? 

De  1660  à  1662,  les  trois  vicaires  apostoliques  partirent 
de  France,  accompagnés  de  leurs  anciens  amis  de  la  rue 
Copeau  et    de  la  rue  Saint-Dominique,  MM.  de  Bourges, 

caution  solvable  pour  fonder  les  trois  vicariats  avant  de  partir  pour 
les  missions...  »  —  A  la  page  49,  M.  Vachet  raconte  qu'on  fit  partir  le 
P.  de  Rhodes  secrètement  à  Rome,  sans  dire  adieu  à  ces  messieurs. 
Il  eût  été  plus  exact  de  dire  que  la  présence  à  Rome  du  P.  de  Rhodes 
n'était  pas  de  nature  à  faciliter  les  négociations  entre  le  pape  et 
l'ambassadeur  de  Portugal.  Ce  qu'il  avait  pu  faire,  il  l'avait  fait, 
trouver  des  évêques  et  des  missionnaires,  et  les  présenter  au 
Souverain-Pontife  :  le  reste  ne  pouvait  être  résolu  que  par  voie 
diplomatique.  En  outre,  on  réclamait  sa  présence  en  Perse.  Aussi, 
sur  le  conseil  du  P.  Général,  il  quitta  Rome,  et  pour  ne  pas  éveiller 
l'attention  du  public,  il  ^ugea  plus  sage  et  plus  prudent  de  partir 
sans  bruit  pour  Paris  et  d'y  attendre  la  solution  des  difficultés 
soulevées  à  Rome  par  l'ambassadeur  de  Portugal. 

Cette  solution  se  faisant  attendre,  le  P.  Bagot  écrivit  le  23  mai  1654 
au  R.  P.  Général  :  «  Cum  moras  longiores  hic  nectat  P.  Alexander 
spe  habendorum  episcoporum,  quos  ipse  per  Persidem  abducat 
versus  Tonquinum,  Patres  consultores  Paternitatem  vestram  rogant, 
ut,  quia  istic  (Romse)  est  ubi  de  episcopis  illis  agitur  videtque  quid 
sperari  possit,  statuât  quamprimum  quid  tum  ille  pater  tum  alii  ad 
missiones  Lusitanicas  destinati  facturi  sint  et  quandonam  disces- 
suri.  »  (Arch.  gen.  S.  J.)  —  Le  P.  Général,  persuadé  que  l'affaire 
des  évêques  français  traînerait  en  longueur,  conseilla  au  P.  de 
Rhodes  de  partir,  ce  qu'il  fit  vers  la  fin  d'août  :  a  Abiit  (Parisiis)  ante 
octo  dies  P.  Alexander  de  Rhodes  )>,  écrit  le  4  sept.  1654  au 
P.  Nickel,  le  P.  Pierre  Le  Cler,  procureur  des  missions  du  Tonkin, 
de  la  Chine  et  de  la  Cochinchine.  Le  16  novembre,  il  s'embarqua  à 
Marseille. 


—  277  — 
Chevreuil  et  de  Chameçon  :  ils  se  dirigèrent  vers  TExtrême- 
Orient  par  la  voie  de  Marseille. 

Pendant  ce  temps,  de  1653  à  1658,  qu'étaient  devenus 
l'abbé  de  Laval  et  l'abbé  Picquet,  proposés  l'un  et  l'autre, 
comme  nous  l'avons  vu,  pour  des  sièges  épiscopaux  en 
Asie  ?  Ce  dernier,  persuadé  peut-être  que  le  projet  de  la 
création  des  évêchés  n'aboutirait  jamais,  accepta  la  cure 
de  Saint-Josse,  à  Paris.  Quant  à  l'abbé  de  Laval,  il 
attendit,  partageant  sa  vie  entre  la  solitude  et  les  bonnes 
œuvres,  une  partie  de  l'année  à  l'ermitage  de  Caen,  chez 
M.  de  Dernières  1,  le  reste  du  temps,  à  Paris,  avec  ses 
compagnons  d'apostolat. 

Au  début  de  l'année  1557,  il  en  était  là,  attendant 
toujours  la  solution  des  difficultés  pendantes  entre  les 
cours  de  Rome  et  de  Lisbonne,  quand  Mgr  Godeau,  évêque 
de  Vence,  proposa  le  10  janvier  à  l'assemblée  générale  du 
clergé  de  France,  réunie  à  Paris,  l'abbé  de  Queylus  pour 
le  siège  épiscopal  de  la  Nouvelle-France.  Cette  candidature 
ne  plaisait  pas  et  ne  pouvait  plaire  aux  Jésuites  de  cette 
mission  :  le  lecteur  a  vu  plus  haut  pourquoi.  Aussi 
songèrent-ils  à  lui  en  opposer  une,  qui  leur  fût  agréable  : 
ils  sondèrent  l'abbé  de  Laval,  qui,   sans  être  découragé, 

1.  Jean  de  Bcrnières-Louvigny,  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
était,  à  Caen,  un  des  membres  les  plus  assidus  de  la  Congrégation 
des  Messieu?'S,  dirigée  par  les  Pères  Jésuites.  Il  avait  fait  construire 
dans  la  cour  extérieure  du  couvent  des  Ursulines,  dont  la  sœur 
Jourdaine  de  Sainte-Ursule  était  supérieure,  un  bâtiment  qu'on 
appelait  Ermitage.  Le  P.  Chrysostôme  de  Saint-Lô,  un  des  directeurs 
les  plus  éclairés  de  son  temps,  en  avait  tracé  le  plan.  C'est  là  que 
Jean  de  Dernières  vivait  avec  quelques  amis  d'une  haute  piété. 
D'autres  y  passaient  quelque  temps  pour  s'y  recueillir,  comme  le 
P.  Eudes,  H. -M.  Boudon,  le  baron  de  Renty,  Dudouyt,  de  Maizerets, 
de  Mésy,  etc..  C'est  là  que  l'abbé  de  Laval  allait  chaque  année  prier 
et  s'édifier. 


—  278  — 

souffrait  cependant  de  ne  pas  trouver  encore,  aux  extré- 
mités de  l'Asie,  un  aliment  à  son  activité  dévorante  et  à 
■son  besoin  de  sacrifices.  La  Nouvelle-France  lui  offrait  un 
^aste  champ  d'apostolat  ;  il  y  avait  beaucoup  à  souffrir  au 
imilieu  des  sauvages  de  l'Amérique  septentrionale,  sous 
leur  rude  climat  ;  et  puis,  là  comme  en  Asie,  il  importait 
•d'établir  au  plus  tôt  la  merveilleuse  hiérarchie  catholique  ; 
l'abbé  accepta  les  ouvertures  des  Jésuites  de  Paris. 

Ces  Jésuites  étaient  Louis  Cellot,  provincial  ;  Jacques 
Renault,  supérieur  de  la  maison  professe  ;  Paul  Le  Jeune  ', 
procureur  de  la  mission  du  Canada  ;  Jérôme  Lalemant, 
ancien  recteur  de  Québec  ;  François  Annat,  confesseur  du 
Roi  ;  Charles  Lalemant  et  Jean  Bagot,  directeur  et  ami  de 
l'abbé.  Tous  savaient  que  nul  choix  ne  pouvait  mieux 
convenir  au  Canada.  Ils  le  proposèrent  au  roi  qui  l'agréa 
avec  empressement,  et,  dès  le  mois  de  janvier"^,  il  écrivit  à 
Sa  Sainteté  la  lettre  suivante  : 

d.  M.  Gosseliii  (t.  I,  p.  99,  note  2,  Vie  de  Mgr  de  Laval),  dit: 
•((  Il  est  possible  que  le  P.  Le  Jeune  ait  connu  Mgr  de  Laval  écolier 
•à  la  Flèche...  »  Cela  n'est  pas  possible,  attendu  que  le  P.  Le  Jeune 
■quitta  la  Flèche  en  1618  et  n'y  revint  plus  ;  les  Cafalof/iiefi  de  la 
province  de  France  sont  précis  sur  ce  point.  En  outre,  la  correspon- 
dance des  Pères  de  Paris,  désignés  dans  le  texte,  ne  permet 
pas  de  douter  que  le  P.  Bagot  eut  le  premier  l'idée  d'opposer 
la  candidature  de  l'abbé  de  Laval  à  celle  de  M.  de  Queylus,  et 
qu'il  sonda  ra])])é  à  ce  sujet.  L'idée  ayant  été  agréée  par  les  autres 
Pères,  le  P.  Annat  fut  chargé  d'en  parler  au  roi.  et  le  P.  Le  Jeune  à 
la  reine. 

2.  Nous  disons  :  dès  le  mois  de  janvier.  En  effet,  voici  ce  que 
M.  de  Gueffier,  notre  chargé  d'affaires  à  Rome,  écrit  le  26  février 
1657  à  Monseigneur  le  comte  de  Brienne  :  «  Au  mesme  temps  du 
receu  de  votre  susdite  dépesche  (la  lettre  de  M.  de  Gueffier  assigne 
à  cette  dépèche  la  date  du  26  janvier  :  Tay  receu  l'honneur  de  votre 
dépesche  du  26  Janvier)  j'ai  eu  aussy  celle  dont  il  a  plu  au  Roy 
m'honnorer  par  laquelle  Sa  Majesté  me  commande  de  faire  auprès  de 
Sa  Sainteté  toutes  les  instances  que  je  jugeray  nécessaires  pour 
avancer    le   bon  œuvre   qu'elle    désire    de    l'érection    d'un    évesché 


—  279  — 

((  Très  Sainct  Père,  ceux  qui  soubz  la  protection  de 
cette  couronne  ont  entrepris  de  porter  la  foy  ez  pays 
septentrionaux  de  l'Amérique,  ont  si  heureusement  réussis 
dans  leurs  pieux  desseings,  par  les  bénédictions  qu'il  a  plu 
k  la  divine  bonté  de  donner  à  leur  travail,  qu'ils  se  croyent 
oblig-ez  de  demander  l'establissement  d'un  évesque  et  d'un 
siège  épiscopal,  afin  que  les  âmes  converties  puissent 
recevoir  les  sacrements  qui  ne  peuvent  estre  conférés  que 
par  ceux  qui  en  ont  le  caractère.  Sur  quoy  ils  ont  eu 
recours  à  nous  pour  demander  à  Vostre  Sainteté  ce  qu'ils 
jugent  absolument  nécessaire  ;  et  nous  aA'ant  fait  com- 
prendre les  advantages  qui  en  reviendront  à  notre  sainte 
religion,  nous  supplions  Votre  Sainteté  de  vouloir  donner 
la  dernière  perfection  à  cette  Eglise  naissante  ;  et,  d'autant 
que  la  conduitte  en  doit  être  commise  à  une  personne  de 
piété,  de  savoir  et  zelle  pour  les  advantages  de  l'Église, 
nous  avons  cru  ne  pouvoir  jetter  les  yeux  sur  un  sujet 
plus  digne  de  cet  emplo}^  que  le  P.  François  de  Laval 
de  Monti2:nA %  dont  les  vertus  l'ont  rendu  si  fort  recomman- 
dalde,  qu'il  a  esté  recherché  de  plusieurs  endroits  d'aller 


dans  les  pais  soptenlrionaiix  do  rAméi'i({ue  appelez  mainte- 
nant la  Nouvelle-France.  »  (V.  aux  Pii'ces  j'iifid/icntives,  n°  XI.)  Or, 
on  voit  dans  la  suite  de  cette  lettre  de  M.  de  Gueffier  qu'à  cette 
époc[ue,  26  janvier,  le  roi  avait  déjà  écrit  au  pape  pour  le  même 
objet. 

M.  Faillon  (Ilii^foire  de  In  Colonie  Franraitie^  t.  II,  314,  note  (*)  dit 
que  la  lettre  du  roi  au  pape  se  trouve  aux  Archives  du  ininisfère  des 
affaires  étrangères  :  !«  dans  le  volume  Rome,  1044,  trois  derniers 
mois  de  cette  année  ;  2°  dans  le  volume  Borne,  1658,  Supplément, 
vol.  193,  p.  122,  Nous  n'avons  pas  trouvé  cette  lettre  dans  Rome, 
i6iA.  On  sait  ({ue  M.  Faillon,  en  supposant  qu'elle  avait  été  écrite 
en  1644,  en  avait  fait  un  singulier  usage  dans  la  17e  de  M,  Ollier, 
édit.  1841,  t.  II,  p.  441.  Plus  tard,  il  reconnut  [Histoire  de  la  Colonie 
Française,  t.  II.  p.  315,  note)  que  la  date  de  cette  lettre  était  le 
commencement  de  l'année  1657. 


—  280  — 

travailler  à  la  Vigne  du;  Seigneur.  Et  sans  que  Dieu  Ta 
voulu  réserver  pour  la  Nouvelle-France,  il  fut  party  pour 
le  Tonkin,  ainsy  qu'il  en  avait  esté  conjuré  par  ceux  qui  y 
ont  annoncé  l'Évangile.  Mais  comme  il  fîst  faire  des 
prières,  affîn  qu'il  pleut  à  la  divine  bonté  de  luy  donner  les 
lumières  nécessaires  pour  cognoistre  ce  qui  estait  de  sa 
volonté,  il  se  sentit  poussé  par  des  mouvements  secrets 
d'aller  plus  tost  dans  un  pays  sauvage  et  rigoureux  comme 
la  Nouvelle-France  où  l'on  ne  trouve  que  difficilement  les 
choses  nécessaires  à  la  vie  que  dans  un  autre  plus  com- 
mode et  plus  civilisé  tel  que  luy  parut  celuy  qu'on  luy 
proposait  récemment.  Vostre  Sainteté  aura  esté  sans  doute 
informée  des  bonnes  qualitez  de  l'âme  de  ce  bon  prestre  ; 
nous  espérons  qu'elle  sera  d'autant  mieux  disj)osée  à  s'en 
servir  pour  fonder  une  Eglise,  qu'il  a 'a  pas  moins  de  zelle 
pour  la  gloire  de  Dieu  qu'en  ont  eu  ceux  qui  l'ont  précédé 
dans  son  employ,  dont  le  soing  et  le  travail  a  appelé  à  la 
caornoissance  de  Dieu  des  nations  entières,  et  leur  ont  faict 
recevoir  agréablement  le  joug  de  l'Evangile.  Nous  eussions 
pu  proposer  à  Vostre  Sainteté  plusieurs  personnes  qui 
eussent  pu  avancer  ce  bon  œuvre,  si  nous  n'avions  jugé 
celle  dudit  de  Laval  leur  devoir  être  j^référée  par  les 
témoignages  que  nous  ont  rendus  de  son  insigne  piété  des 
personnes  très  éclairées  ;  en  sorte  que  ma  cognoissance 
estant  fortifiée  de  la  leur,  nous  avons  lieu  de  croire  qu'il 
serait  difficile  de  commettre  le  soing  d'un  si  vaste  pays,  à 
quelqu'un  qui  peut  s'en  mieux  acquitter  que  lui...  ^  » 

1 .  Nous  avons  cru  devoir  donner  presque  en  entier  cette  lettre  de 
Louis  XIV  au  pape  Alexandre  VU,  parce  que  M.  l'abbé  Paillon,  et, 
après  lui,  ^1.  Tabljé  Gosselin  ne  Font  pas  reproduite  exactement. 
(V.  Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  II,  p.  315;  —  Vie  de 
Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  99.)  —  Le  lecteur  trouvera  cette  lettre  aux 
Archives  du  îninistère  des  affaires  étrangères  :  Rome,  vol.  195, 
an.  1668,  Supplément ,  fol.  122. 


—  281  — 

Cette  lettre  demandait  deux  choses,  à  la  prière  des 
Jésuites,  d'abord  la  création  d'un  évêché  à  Québec,  ensuite 
la  nomination  à  cet  évêché  de  ral)l)é  de  Laval,  proposé  déjà 
pour  le  vicariat  apostolique  du  Tonkin. 

Les  lenteurs  de  la  Cour  romaine  sont  connues.  Ici, 
comme  dans  toutes  les  alTaires  importantes,  elle  procéda 
lentement.  Le  roi  de  France  n'éparg-na  cependant  aucune 
démarche  pour  faire  réussir  et  réussir  vite  son  dessein^.  11 
réclame  la  médiation  auprès  du  Pape  des  cardinaux 
Calonne ,  Aquaviva,  Brancaccio,  Ludovisio ,  Carpegna, 
Ginetti;  il  écrit  à  l'assistant  des  Jésuites  de  France,  le 
P.  Le  Cazre,  et  au  cardinal  Bichi,  l'intermédiaire  de  la 
Cour  de  France  auprès  du  Saint-Siège;  il  ordonne  à  son 
chargé  d'affaires,  M.  de  Gueffîer,  de  faire  toutes  sortes  cVins- 
tanees.  La  reine  et  le  comte  de  Brienne,  ministre  d'Etat, 
écrivent  à  ce  dernier  dans  le  même  sens.  Les  Jésuites,  de 
leur  côté,  se  remuent  à  Rome  et  à  Paris'-. 

1.  M.  Fabbé  Paillon  (Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  II,  pp.  313 
et  sLiiv.)  raconte  longuement  cette  interminable  négociation,  à  l'aide  de 
la  correspondance  de  M.  de  Gueffîer,  notre  chargé  d'affaires  à  Rome, 
avec  monseigneur  le  comte  de  Brienne.  M.  Gosselin  (t.  I,  pp.  103  et 
suiv.)  suit  et  abrège  M.  Paillon.  Nous  renvoyons  le  lecteur  à  ces  deux 
historiens.  Toutefois,  comme  ces  messieurs  ne  donnent  pas  complè- 
tement cette  correspondance,  qu'elle  est  même  reproduite  parfois 
assez  inexactement  dans  la  Colonie  Française,  nous  Tinsérons  en 
entier  aux  Pièces  justificatives,  n»  XI.  La  correspondance  de 
M.  de  Gueffîer  se  trouve  à  Londres,  au  Britisti  Muséum,  dans  deux 
vol.,  Ilarley  4541  A  et  B.  Nous  l'avons  fait  copier  et  collationner 
avec  soin.  A  la  suite  de  cette  corres])ondancc,  nous  avons  fait  impri- 
mer d'autres  documents  inédits,  et  en  particulier  quelques  lettres 
des  RR.  pp.  Généraux  Goswin  Nickel  et  Paul  Oliva,  à  Mgr  de  Laval. 
Elles  se  trouvent  sous. le  n»  XII. 

2.  Pièces  justificatives,  n»  XI,  — -Le  Général,  Goswin  Nickel,  écrit 
au  P.  Cellot,  provincial  de  Prance,  le  17  décembre  1657  :  Doleo 
quod  nostri  in  nova  P'rancià  turbentur  per  sacerdotes  sœculares,  nec 
video  aliud  remedium,  ut  scribo  ad  patrem  J.  de  Quen,  quam  celé- 


—  282  — 

Ces  démarches  nombreuses  et  fort  pressantes^  ne  par- 
viennent pas  à  accélérer  le  mouvement  très  lent  de  la  Cour 
romaine.  A  toutes  les  instances  elle  répond  par  des 
demandes  d'explications  ou  de  suppléments  d'informa- 
tions 2. 

M.  de  Guefïier  accuse  le  secrétaire  de  la  Propagande, 
dont  il  n'est  pas  satisfait  :  «  Il  ne  reste  plus,  dit-il,  qu'à 
proposer  l'affaire  à  la  Propagande,  à  quoi  l'on  n'a  pas  pu 
jusqu'ici  disposer  le  secrétaire  de  la  dite  Congrégation'^.  » 
M.  de  Laval  était  le  candidat  des  Jésuites,  et  la  Propa- 
gande goûtait  peu  les  Jésuites,  encore  moins  leurs  candidats 


rem  adventum  cpiscopi  societali  nostrœ  bencvoli,  qucm  Rex  chris- 
tianissimus  illis  rogionibus  destinavit.  Quarc  R»  V»  agat  eâ  de  rc  cum 
pâtre  Fr.  Annat,  et  quà  poterit  ratione  cam  promoveat.  Nos  hic  epis- 
copi  destinât!  institutionem  omni  quo  poterimus  modo  pro  viribus 
promovebimus.  (Arch.  gen.  S.  J.) 

1.  Le  général  G.  Nickel  au  P.  Le  Jeune,  à  Paris,  24  déc.  1657  : 
Quod  spectat  ad  episcopum  in  novam  Franciam  transmittendnm,  id 
certè  efficaciùs  prœstabitur  per  Regem  Christoi«m  qui  urget,  quam 
per  nos.  Si  tamen  privatim  sese  offerat  occasio  agendi  cum  summo 
Pontifice,  non  prœtermittemus  illi  nécessita tem  exponere  occurrendi 
quamprimum  nascentibus  malis  (Arch.  gen.  S.  J.).  —  Le  même  au 
même,  H  février  1658  :  Desperare  non  débet  tam  citô  R^  V*  res 
Canadensis  missionis,  cum  Deo  non  dcsint  média  quam  plura  quibus 
hujus  nascentem  ccclesiam  tueatur.  Episcopum  certè  illùc  transmit- 
tendum  s//*e;H;c  hic  urget  apud  summum  Pontificem  Rex  Christ^""'' ; 
nos  intereà  si  quid  in  eo  negotio  promovendo  possumus  apud  suam 
Sanctitatem,  iJlud  non  patiemur  desiderari.  (Arch.  gen.  S.  J.)  — •  Le 
même  au  P.  Annat,  à  Paris;  Rome,  25  février  1658  :  Si  Ra  Va  cum 
pâtre  P.  Le  Jeune  et  P.  H.  Lalemant  strenue  promovet  negotium 
episcopi  ad  missionem  Canadenscm  destinati,  ut  suis  ad  18  Jan.  datis 
significat,  nos  hic  pariter  in  hune  fmem  operam  omnem  adhibemus, 
et  speramus  fore  ut  brevi  summus  Pontifex  votis  annuatChristi"  régis, 
eôque  libentiùs  quo  modus  agendi  Abbatis  de  Queylus  passimimpro- 
baturet  rationes  illustrissimi  archiepiscopi  rothomagensis  nullius  hic 
momenti  judicantur.  (Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  Pièces  justificatives^  n°  XI. 

3.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  118. 


—  283  — 

pour  les  missions.  Faut-il  croire  ce  que  raconte  l'historien  de 
Mgr  de  Laval,  que  les  Associés  de  Montréal  n'avaient  pas 
perdu  tout  espoir  de  faire  triompher  la  candidature  de 
M.  de  Queylus,  qu'on  se  remuait  pour  sa  nomination,  que 
des  influences  considérables  l'appuyaient  fortement  à 
Rome  et  paralysaient  ainsi  les  efforts  et  les  démarches  de 
la  Cour  de  France  en  faveur  de  l'abbé  de  Montignyï? 

Quelles  que  soient  les  raisons  de  la  lenteur  de  la  Cour 
pontificale,  plus  de  quinze  mois  s'écoulèrent  entre  l'envoi 
de  la  lettre  de  Sa  Majesté  au  Souverain  Pontife  et  l'expé- 
dition des  bulles  nommant  l'abbé  François  de  Laval  de 
Montigny  évêque  de  Pétrée  et  vicaire  apostolique  du 
Caifada.  Elles  ne  furent  envoyées  en  France  que  dans  les 
premiers  jours  de  juillet-  ;  et  le  8  décembre  1658,  le  nonce 
du  Pape  consacra  le  nouvel  évêque  dans  l'église  de  l'abbaye 
de  Saint-Germain-des-Prés,  au  grand  mécontentement  de 
l'archevêque  de  Rouen. 

t.    Vie  (le  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  118. 

2.  Ilml.,  p.  119  ;  —  Faillon,  t.  II,  2°  partie,  ch.  XIII.  —  M.  Faillon 
dit  à  la  page  329  :  <(  II  esta  remarquer qircn  rinstituant  vicaire  apos- 
tolique, elle  (la  bulle)  disait  en  propres  termes  que  Québec  était 
situé  dans  le  diocèse  de  Rouen.  »  Pas  un  mot  de  vrai  dans  cette 
assertion.  Voir  la  bulle  aux  Pièces  Jm^ti/icalives,  n°  VIII,  —  M.  Faillon 
a  voulu  justifier  cette  assertion  dans  une  note  intitulée  :  «  Remarques 
sur  la  huile  de  Mgr  de  Laval  pour  l'évéché  de  Pétrée.  Là,  il  prétend 
qu'il  y  a  eu  plusieurs  bulles.  Pourquoi  ne  produit-il  pas  la  bulle,  où 
il  est  dit  que  Québec  était  dans  le  diocèse  de  Rouen?...  Ajoutons  que 
la  correspondance  de  M.  de  Gueffier  prouve  surabondamment  qu'il 
n'y  a  eu  qu'une  bulle.  Du  reste,  si  Rome  avait  commis  l'imprudence 
de  dire  que  Québec  dépendait  du  diocèse  de  Rouen,  le  gouvernement 
français  ne  se  serait-il  pas  appuyé  sur  cette  clause  contre  la  Cour 
romaine,  qui  ne  voulut  jamais  reconnaître  cette  dépendance?  N'y 
aurait-il  pas  du  moins  fait  allusion?  Dans  les  longs  pourparlers  entre 
Rome  et  Paris  sur  cette  dépendance,  jamais  on  ne  découvre  la 
moindre  trace  de  cette  phrase  que  Québec  était  dans  le  diocèse  de 
Rouen.  Contentons-nous  de  dire,  pour  la  justification  de  l'abbé  Fail- 
lon, que  la  mémoire  lui  a  fait  défaut. 


—  284  — 

Nous  n'avons  pas  à  raconter  ici  quels  orages  soulevèrent 
à  l'archevêché  de  Rouen  la  nomination  du  vicaire  aposto- 
lique et  sa  consécration.  Ce  travail  est  fait^,  et  il  n'entre 
pas  dans  notre  sujet  de  le  résumer  ou  de  le  reproduire. 
Ce  qu'il  importe  seulement  de  savoir,  c'est  que  Mgr  de 
Harlay  voulut  interdire  à  Mgr  de  Laval  l'exercice  de  ses 
fonctions  éj^iscojDales  dans  le  Canada  et  qu'il  fît  défendre 
par  le  Parlement  de  Rouen  à  tous  les  officiers  du  royaume 
et  à  tous  les  sujets  du  roi  de  le  recevoir  et  de  le  reconnaître 
comme  vicaire  apostolique '-. 

Louis  XIV  ne  suivit  pas  l'archevêque  dans  cette  voie  ; 
son  ministre  blâma  l'intervention  maladroite  et  inconve- 
nante du  Parlement,  et  lui-même,  par  lettres  patentes 
du  27  mars  1 G59 ,  ordonna  «  que  le  sieur  de  Laval  de 
Montign}' ,  évêque  de  Pétrée ,  fût  reconnu  par  tous  ses 
sujets  dans  l'étendue  de  la  Nouvelle-France,  pour  faire 
les  fonctions  épiscopales  »  ;  mais,  d'un  autre  côté,  il  voulut 
que  «  ces  fonctions  épiscopales  se  fissent  sans  préjudice 
des  droits  de  la  juridiction  de  l'ordinaire,  c'est-à-dire  de 
V archevêque  de  Rouen  ;  et  cela  en  attendant  l'érection  d'un 
évêché,  dont  le  titulaire  serait  sull'ragant  de  l'archevêque^.  » 

Rome  ne  pouvait  admettre  les  prétentions  de  Mgr  de 
Harlay  sur  les  pays  conquis  de  la  Nouvelle-France  ;  elle  fît 
donc  savoir  parle  chargé  d'affaires,  M.  de  Gueffîer,  qu'elle 
ne  reconnaissait  pas  ses  prétendus  droits,  que  ces  droits 
ne  reposaient  sur  aucun  fondement  solide  ^.  En  même  temps, 
elle  représenta  au  cardinal  Mazarin  que  la  Cour  de  France 
«  voulait  imposer  des  lois  au  Pape  dans  une  matière  pure- 

1.  Faillon,  ch.  III,  2-^  partie,  t.  II. 

2.  Pièces  Justificatives,  n'^  Xll. 

3.  Faillon,  t.  II,  p.  333  :  Lettres  patentes  du  Roy  pour  rétablisse- 
ment d'un  vicaire  apostolique  au  Canada. 

4.  Pièces  Justificatives,  n°  XI. 


—  285  — 

ment  ecclésiastique  »,  déclarant  suffragant  de  V archevêque 
de  Rouen  l'évêché  qu'on  devait  ériger  au  Canada  ^  »  ;  elle 
blâma  cette  réserve  de  la  lettre  royale  sans  préjudice  des 
droits  de  la  juridiction  de  l'ordinaire,  et  ces  autres  paroles 
de  la  même  lettre  :  Nous  avons  accepté  le  vicaire  aposto- 
lique du  consentement  irrévocable  de  V arcJievêcjue  de 
Rouen-.  Mais  ces  représentations  et  ce  blâme  ne  modi- 
fièrent en  rien  la  manière  de  voir  du  Gouvernement  fran- 
çais. Mazarin  maintint  les  prétentions  de  Mg-r  de  Harlay, 
et  Mgr  de  Harlay  se  sentant  soutenu  par  le  ministre  conti- 
nua à  se  croire  et  à  se  dire  YOrdinaire  des  pays  compris 
dans  l'Amérique  septentrionale  3.  Cette  situation  mal  défi- 
nie créera  des  difficultés  à  tous,  à  Mgr  de  Laval,  à  M.  de 
Que}' lus,  aux  Jésuites  et  aux  Canadiens  français,  comme 
nous  le  verrons  bientôt. 

Muni  des  lettres  patentes  du  roi  et  d'une  lettre  de 
recommandation  adressée  par  la  Reine  mère  à  M.  d'Argen- 
son,  gouverneur  de  Québec '%  Mgr  de  Laval  ne  songe  plus 
qu'à  partir  pour  le  Canada.  Il  demande  et  fait  demander  au 
Général  de  la  Compagnie  d'emmener  avec  lui,  comme 
supérieur  de  la  mission  de  la  Nouvelle-France,  le 
P.  Jérôme  Lalemant,  alors  recteur  du  collège  Henri  IV  de 
la  Flèche^,  et  le  jour  de   Pâques,    13   avril  1659,  il  s'em- 


1.  Faillon,  t.  II,  p.  334. 

2.  Ihid. 

3.  Ihid. 

4.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  pp.  132  et  134;  —  Histoire  de  la  Colo- 
nie F  française,  t.   II,  pp.  330  et  suiv. 

5.  La  consécration  n'avait  pas  encore  eu  lieu,  que  Mgr  de  Laval 
demanda  au  P.  Général,  par  Lentremise  du  P.  Le  Jeune,  que  le 
P.  Jérôme  Lalemant  fût  mis  à  la  tète  de  la  mission  du  Canada. 
Celui-ci  avait  été  ftommé,  au  mois  de  septembre,  recteur  du  Collège 
royal  de  la  Flèche  ;  le  P.  Le  Jeune  transmit  le  31  octobre  au  Général 


—  286  — 

barque  à  la  Rochelle  avec  ce  Père,  trois  prêtres,  Jean 
Torcapel,  Philippe  Pèlerin  et  Charles  de  Lauzon-Gharny, 
enfin  un  jeune  homme  tonsuré,  Henri  de  Bernières. 

Le  16  septembre   de  la   môme    année,  le  P.   Lalemant 
écrit  à  son  Général,  Goswin  Nickel  :  «  Nous  sommes  arri- 


Nickel  le  désir  de  Sa  Grandeur.  Le  R.  P.  Nickel,  qui  désirait  ne  pas 
éloigner  de  la  Flèche  le  P.  Lalemant,  répondit  au  P.  Le  Jeune  le 
9  déc.  1638  :  Intelligo  ex  litteris  B.^  V®  31  oct.  datis  gratum  fore 
illust°  Dom°  de  Laval  de  Montigny,  ecclesiœ  Canadensis  futuro  epi- 
scopo,  si  pater  IL  Lalemant  missionibus  novœ  Franciœ  prœûceretur. 
Ignorabat  scilicet  jamesse  Colleg-ii  Flexiensis  rectorem  constitutum; 
cumque  res  intégra  non  sit,  dabit  nobis  veniam  illusti^s  episcopus, 
si  minus  hâc  in  re  possim  suis  votis  satisfacere.  Non  deerunt  alii  quo- 
rum ope  et  studio  uti  posset,  ipseque  Patribus  nostris  imprimis 
commendabo  ut  quibus  poterunt  officiis  ejus  benevolentiam  deme- 
reantur.  (Arch.  gen.  S.  J.)  —  Mgr  pria  le  P.  Renault,  provincial  de 
Paris,  d'insister,  et  le  P.  Général  répondit  à  celui-ci,  le  21  décembre  : 
«  Libenter  concedo  illustrissimo  Dom'ï  de  Montigny  P.  II.  Lalemant, 
quem  secum  in  novam  Franciam  deducat,  futurum  totius  missionis 
superiorem.  »  Il  recommandait  en  même  temps  au  Provincial  de  ne 
communiquer  cette  décision  au  P.  Lalemant  qu'à  l'époque  du  départ 
de  Mgr  pour  le  Canada.  La  réponse  du  Général  n'était  pas  parvenue 
au  P.  Renault,  que  Mgr  lui-même  écrivait  au  R.  P.  Nickel  pour  le 
même  objet,  le  3  janvier  1659,  Le  R.  P.  Nickel  lui  répondit  par  le 
plus  prochain  courrier  :  Redditaj  mihi  sunt  litterœ  illustre  ac  reve- 
rend''e  Domni^  V«e  3  Januarii  datse,  quibus  postulat  tibi  nostrum  con- 
cedi  patrem  IL  Lalemant  pro  missione  Canadensi.  Ubi  à  Pâtre  pro- 
vinciali  intellexi  eam  esse  mentem  lllust.  Dom»^  V»  ,  ut  pater 
H.  Lalemant  transiret  ad  novam  Franciam,  statim  ad  eum  rescripsi 
me  liberrimè  annuere  quam  sihi  'ipse  vocal  gratiam  ;  jam  concessam 
adeô  non  revoco.  (Arch.  gen.  S.  J.)  —  Mgr  avait  fait  à  Paris  la  con- 
naissance du  P.  Lalemant  et  l'appréciait  beaucoup.  Il  partageait  l'avis 
du  P.  Le  Jeune  que  la  présence  de  ce  missionnaire  était  nécessaire  au 
Canada  dans  les  circonstances  difficiles  où  se  trouvait  le  pays.  Voici  ce 
qu'en  disait  le  P.  Le  Jeune  au  R.  P.  Nickel,  le  31  octobre  1658  : 
u  Dicam  ingénue  neminem  ad  id  munus  Saperioris  aptiorem  videri, 
in  eo  potissimum  statu  in  quo  res  sunt  positœ.  Vir  est  fortis,  stre- 
nuus,  prudens  piusque.  Sive  spectetur  D^us  Abbas  de  Queylus,  sive 
prorex,  sive  Dominus  episcopus,  sive  nostri,  nemo  est  profectô  qui 
majori  prudentiâ  possit  omnia  temperare.  (Arch.  gen.  S.  J.) 


—  287  — 
vés  à  Québec   le   16  juin,   après  une  heureuse  navigation. 
Mgr  a  été  reçu  comme  un  ange  de  Dieu  L  » 

Les  lettres  des  missionnaires  ne  tarissent  pas  d'éloges  sur 
le  nouvel  évèque.  C'est  un  ange  de  modestie,  un  prélat  d'un 
courage  remarquable',  un  pasteur  pieux^,  un  homme  vrai- 
ment sainte  selon  le  cœur  de  Dieu,  c{ui  cherche  non  ses 
intérêts,  mais  ceux  de  Jésus-Christ  ;  un  évèque  d'un  zèle  à 
la  fois  agissant  et  prudent,  aimant  sincèrement  les  néo- 
phytes J.  On  ne  pouvait  mieux  désirer;  on  ne  pouvait  faire 
un  meilleur  choix  pour  la  bonne  administration  de  l'église 
naissante  de  la  Nouvelle-France  "^^ 

Le    gouverneur  de  Québec^,    Marie    de    l'Incarnation 8, 

1.  «  Flexiâ  discessi  10  Aprilis.  Rupellam  13  appuli  die  sancto 
Paschœ.  Eodem  die  vêla  fecimus  in  comitatu  Illustrissimi  Episcopi 
Petraîœ.  Quebecum  pervenimus  ad  1(3  Junii,  felici  plane  viarum  suc- 
cessu.  Istic  receptus  est  Illustmus  Episcopus  tanquam  Angélus  Dei.  » 
(Arch.  gen.  S.  J.  ;  Epist.  P.  Lalemant  ad  R.  P.  Generalem.) 

V.  la  Relation  de  1659  :  Lettre  première. 

2.  ((  Verè  Angélus  apparet  corporis  et  animi  modestià,  sed  simul 
egregiâ  fortitudine.  »  (Epist.  P.  J.  Lalemant  ad  R.  P.  Generalem, 
16  sept.  1659;  Arch.  gen.  S.  J.) 

3.  «  Dédit  hoc  anno  mense  Junio  Roma  Pastorem,  virum  sane 
pium.  »  (Ep.  P.  de  Quen  ad  R.  P.  Generalem,  6  sep.  1659.  Arch.  gen. 
S.  J.) 

4.  ((  Adventus  Rev"ii  atquc  lUustmi  Domini  Episcopi  Petrœaî,  viri 
omnino  sancti  >....  (Epist.  P.  Le  Mercier  ad  R.  P.  Generalem,  16  oct. 
1659.  Arch.  gen.  S.  J.) 

5.  a  Vicarius  apostolicus  vir  est  secundum  cor  Dei,  qui  non  quœrit 
quœ  suasunt  sedquœJesu  Christi,  zelo  œquè  efficax  et  prudens,  neo- 
phytorum  amantissimus.  »  (Epist.  P.  Ragueneau  ad  R.  P.  Generalem, 
7  oct.  1659  ;  Arch.  gen.  S.  J.) 

6.  «  Vix  ut  alium  credam  magis  idoneum  reperiri  potaisse,  qui 
spes  omnium  et  desideria  impleat.  »  [Ihid.);  —  «  Ejusmodi  est  ut 
nihil  desiderari  videatur  eorum  quœ  necessaria  sunt  ad  bonam  et 
rectam  hujusccclesiœ  nascentis  gubernationem.  »  (Epist.  P.  de  Quen 
ad  R.  P.  Generalem,  6  sept.  1659;  Arch.  gen.  S.  J.) 

7.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  166. 

8.  Lettres  spirituelles  et  Lettres  historiques,  pp.  203  et  545. 


-  288  — 

M.  Boucher,  gouverneur  des  Trois-Rivières  ^  ;  la  sœur 
Juchereau,  religieuse  de  l'Hôtel-Dieu  de  Québec-,  et  la 
sœur  Morin^,  religieuse  de  l'Hôtel-Dieu  de  Montréal, 
tracent  de  Mgr  de  Laval  le  même  portrait  que  les  Jésuites  ; 
c'est  un  prélat  d'une  grande  piété,  d'un  zèle  admirable, 
d'une  haute  vertu,  tel  que  l'église  du  Canada  pouvait  le 
désirer. 

Le  choix  du  nouveau  supérieur  paraît  être  également 
du  goût  de  tout  le  monde.  Le  retour  du  P.  Jérôme  Lale- 
mant  est  un  bien  pour  tout  le  pays,  dit  la  Mère  de  l'Incar- 
nation^. Les  Jésuites  le  voient  revenir  avec  reconnais- 
sance, presque  avec  enthousiasme.  C'est  que  son  absence 
avait  causé  un  grand  vide  parmi  eux.  Personne  ne  l'avait 
remplacé  depuis  son  départ  pour  la  France,  car  de  tous 
ceux  qui  restaient  au  Canada,  nul  ne  possédait  au  même 
degré  le  don  du  commandement  et  de  l'administration  ^,  la 

1.  Histoire  véritable...  Montréal,  1882,  p.  9. 

2.  Histoire  de  rHôtel-Dieu,  p.  116. 

3.  Annales  de  V Hôtel-Dieu  de  Montréal. 

4.  Lettres  historiques,  p.  541. 

5.  Le  P.  J.  Lalemant  avait  le  don  du  commandement  à  un  haut 
degré.  On  lui  reprochait,  parait-il,  une  sévérité  excessive  ;  mais  Tàge, 
l'expérience  et  la  vertu  l'avaient  corrigé  :  «  Quod  si  nimiœ  severitatis 
insimulatus  fuerit ,  dit  le  P.  Le  Jeune  (Epist.  ad  P.  Generalem , 
31  oct.  1658),  id,  œtas,  experientia  et  virtus  emendarunt.  »  Il  exigeait 
surtout  de  ses  inférieurs  une  obéissance  prompte,  et  il  était  le  pre- 
mier à  donner  l'exemple  de  cette  vertu.  Le  P.  Le  Jeune  cite,  à  ce 
sujet,  un  fait  qui  mérite  d'être  rapporté.  Il  écrit  au  R.  P.  Général,  le 
25  avril  1659,  douze  jours  après  le  départ  du  P.  Lalemant  à  la  Rochelle 
pour  le  Canada  :  Existimavi  meas  esse  partes  significare  P^^  V» 
quam  prompto  et  quam  alacri  animo  ejus  obtemperaverit  mandatis 
R.  P.  H.  Lalemant,  collegii  Flexiensis  rector.  Feriâ  quintâ  in  Cœnâ 
Domini,  hoc  est  die  Jovis,  decimo  aprilis,  acceptis  mane  V^  Pater- 
nitatis  litteris,  eo  ipso  die  ante  octavam  horam  matutinam  reliquit 
collegium  et  urbem  Flexiensem,  Rupellam  contendens.  Eam  attigit 
sabbato  sancto,  et  postridiô  qui  erat  dccimus  tertius  aprilis  Resur- 


—  289  — 
valeur  intellectuelle  et  morale.  Sans  doute  que  la  mission 
comptait,  ainsi  que  récrivait  le  P.  Lalemant^,  des  religieux 
vraiment  pieux,  obéissants,  réguliers,  dévoués  et  même 
intelligents,  tels  que  Ghaumonot,  d'Ablon,  Ragueneau,  Le 
Quen,  Le  Mercier,  Le  Moyne,  Druillettes  et  Claude  Pijart, 
mais  elle  n'avait  pas  un  homme  pour  tirer  parti  de  ces  pré- 
cieux éléments.  Aussi  force  est  de  constater,  pendant  les 
trois  années  d'absence  du  P.  Lalemant,  une  certaine  timi- 
dité d'action,  une  diminution  d'élan  et  d'enthousiasme,  un 
commencement  de  paralysie  dans  les  œuvres.  On  marche, 
on  se  traîne,  on  n'est  pas  enlevé;  la  grande  époque  de  1635 
à  1650  se  perd  déjà  dans  un  lointain  obscur.  Plus  de  mis- 
sions :  celle  des  Iroquois,  entreprise  depuis  trois  ans  avec 
succès,  vient  de  se  terminer  misérablement.  Tout  se  réduit 
à  deux  résidences,  celles  de  Québec  et  des  Trois-Rivières. 

rcclioni  dominicfe  dicatus,  cxpleto  de  more  sacro,  ad  navim  ob  ventum 
contrarium  à  quibusdam  diebus  siibsistentem  anchoris ,  evolavit. 
Dominus  episcopus  Pelreensis,  qui  jam  aliquot  ante  diebus  conscen- 
derat  ventumque  expectabat  propitium,  Patrem  excepit  tanquam  è 
cœlo  missum.  lis  verô  cum  gaudio  consalutantibus,  ventus  qui  primo 
quidem  Domini  episcopi  ac  postmodum  Patris  Ilieronymi  adventum 
operiri  videl)atur,  ab  eâ  cœli  parte  perflare  cœpit  quam  dudùm  nautœ 
vehementissimè  expectabant.  (Arch.  gen.  S.  J.) 

Le  P.  Lalemant  aimait  à  ce  point  l'obéissance,  que  rien  n'aurait 
pu  lui  faire  enfreindre  celte  vertu.  Il  aurait  voulu  ne  jamais  quitter 
le  Canada  ;  ses  supérieurs  l'obligèrent  néanmoins,  à  la  sollicitation 
de  ses  parents,  de  revenir  en  France  en  1656.  Or,  quand  il  fut  question 
de  lui  faire  accompagner  Mgr  de  Laval,  le  P.  Le  Jeune  voulut  savoir 
de  lui  si  l'opposition  de  ses  parents  serait  un  obstficle  à  son  départ, 
au  cas  où  le  P.  Général  songerait  à  le  renvoyer  à  Québec. 

«  Volui  ex  eorescire,  ditle  P.  Le  Jeune  au  Général  Goswin(31  oct. 
1658),  nùm  indè  (ex  suis  consanguineis)  pararetur  obex  ejus  profec- 
tioni,  si  forte  mitteretur  iterùm  undè  exivit.  »  Le  P.  Lalemant  lui 
répondit  en  souriant,  subridens  :  «  Quasi  verô  me  caro  et  sanguis 
morari  possint  quominus  exequar  superiorum  mandata!  »  (Arch.  gen. 
S.  J.) 

1.  ((  Nostros  hic  suo  more  religiosè  viventes  reperi.  »  (Epist.  P.  J. 
Lalemant  ad  R.  P.  Generalem,  16  sept.  1659;  Arch.  gea.  S.  J.) 
Jés.  et  Nouc.-Fr.  —  T.II.  19 


—  290  — 

Sillery  n'a  plus  de  néophytes  ni  de  catéchumènes,  parce 
que  la  peur  des  Iroquois  les  a  forcés  de  se  réfugier  à  Québec 
ou  de  s'enfuir  au  loin,  vers  le  Nord,  au  milieu  des  bois;  par 
suite,  tous  les  Pères,  un  seul  excepté,  ont  dû  quitter  cette 
résidence  ^  Il  existe  donc  un  réel  découragement  parmi  les 
missionnaires;  ils  souffrent,  ils  se  plaignent,  ils  tournent 
leurs  regards  vers  la  France,  et  ils  demandent,  sans  oser 
l'espérer,  le  retour  de  celui  qui  seul  peut  appliquer  le 
remède  au  mal'^. 

Le  P.  Lalemant  revient  à  Québec,  et  aussitôt  le  P.  Druil- 
lettes  écrit  au  R.  P.  Général  :  «  Tous  tant  que  nous  sommes 
ici,  nous  remercions  votre  paternité  de  nous  avoir  rendu  ce 
Père  et  de  l'avoir  placé  à  la  tète  du  collège  de  Québec  et  de 
la  mission.  Tout  le  monde  le  désirait,  et  il  est  le  seul  qui 
puisse  satisfaire  tout  le  monde  •^.    »  D'Ablon,  Le  Mercier, 

1.  ((  Ad  duas  residentias  sou  domicilia  nostros  rcperi  redactos  et 
reductos  :  Quebensem  scilicet  et  triuni  Fluminum  ;  Syllerii  enim 
residentia,  cum,  jam  sylvestres  nulles  sive  néophytes  seu  catechu- 
menos  propter  quos  instituta  est,  habeat,  ipsis  in  varia  dispersis  aut 
Quebeci  collectis,  in  illâ  degunt  unus  tantum  Pater  et  unus  Frater 
cum  domesticis  aliquibus,  Quebecum  subinde  adventantibus  à  que 
unâ  tantum  aut  altéra  leucâ  distant.  »  (Epist.  P.  J.  Lalemant  ad  R. 
P.  Generalem,  16  sept.  1639;  Arch.  gên.  S.  J.) 

2.  Les  lettres  envoyées  à  Rome  de  1650  à  1659  sont  Texpression  de 
ce  découragement  et  de  ces  plaintes  ;  mais  en  même  temps  elles  nous 
montrent  des  religieux,  tous  hommes  de  Dieu,  qui  ne  demandent 
qu'à  se  sacrifier,  à  se  dévouer  pour  le  salut  des  âmes.  (Arch.  gen. 
S.  J.) 

3.  «  Nos  omnes,  quotquot  hic  sumus,  gratias  agimus  Paternitati 
vestrœ  ob  Patrem  Hieronymum  Lalemant  no])is  redditum,  prœposi- 
tum  huic  Collegio  et  missioni.  Is  est  plané  qui  omnium  votis  expec- 
tatus  potest  omnibus  satisfacere.  »  (Epist.  P.  Druillettes  ad  R. 
P.  Generalem,  20  oct.  1659;  Arch.  gen.  S.  J.) 

((  Me  sperare  meliora  certe  jubet  felix  atquc  insperatus...  reditus 
P.  Lalemant.  »  (Epist.  P.  Le  Mercier  ad  R.  P.  Generalem,  16  oct. 
1659;  Arch.  gen.  S.  J.) 

((  Gratias  ago  Paternitati  vestrœ  quod  P.  Hier.  Lalemant,  sœpè  ad 
id  munus  à  me  exoptatum,  superiorem  miserit.  »  (Epist.  P.  Cl.  Pijart 
ad  R.  P.  Generalem;  Arch.  gen.  S.  J.) 


—  291  — 

Pijart  expriment  les  mêmes  remerciements.  «  Votre  Pater- 
nité, dit  le  P.  d'Ablon,  est  venu  à  propos  à  notre  secours 
dans  notre  g-rande  affliction  ;  elle  a  relevé  nos  courages  en 
nous  renvoyant  le  P.  Lalemant...  Je  ne  puis  dire  avec  quelle 
joie  nous  l'avons  reçu^.    » 

La  réception  du  vicaire  apostolique  à  Québec  fut  aussi 
brillante  qu'elle  pouvait  l'être  dans  une  ville  qui  sortait  à 
peine  de  terre,  et  où  s'élevaient  çà  et  là,  en  dehors  des 
édifices  publics,  du  collège  et  des  communautés  religieuses, 
des  habitations  très  modestes  et  quelques  baraques.  Le 
gouverneur,  les  Jésuites,  les  élèves,  tous  les  Français  et 
les  néophytes  vont  au  devant  du  pasteur  sur  le  quai  de  la 
basse  ville"-.  On  le  conduit  en  procession  à  l'église  parois- 
siale, et  de  là  au  collège,  sa  première  résidence,  où  les 
écoliers  représentent  dans  la  cha])el]e  une  pièce  en  son 
honneur  3. 

Mgr  devait  habiter  tour  à  tour  chez  les  Jésuites,  à  l'hô- 
pital, au  couvent  des  Ursulines,  de  nouveau  chez  les  Jésuites, 

1.  «  Rébus  noslris  afllictissimis  oi)[)ortunè  coiisuluit  Paternilas 
vestra,  et  animos  nostros  crexit  per  Ilicronymum  Lalemant,  quem 
fegrè  dimisit  Flexia,  et  optare  vix  ausifuissemus  hic  preesentemhabere 
superiorcm.  Quo  simus  gaudio  complexi  dici  non  potest,  nam  is  est 
autliorilatc  suà  et  virtule,  et  suavi  simul  et  efficaci  moderamine  domi 
forisque,  qui  omnibus  faciat  satis.  »  (Epist.  P.  d'Ablon  ad  R.  P.  Gene- 
ralem,  9  oct.  1659;  Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  <(  Placuit  Dec  ut...  ingenti  omnium  gaudio  exceptus  fuerim; 
me  plebs  eiïusa.  me  christianissimi  régis  prorex,  me  religiosœ  domus 
ipsi({ue  adeo  Patres  Societatis  Jcsu,  ([ui  huic  vinete  Domini  jam  multos 
antc  annos  allaborant,  me  ad  unum  omnes  excepere  ut  pastorem 
suum  summique  Pontificis  vicarium.  »  (Epist.  Domini  de  Laval  ad 
illustrissimos  et  reverendissimos  Dominos  S»  Congr.  Prop.  de  fide, 
1569;  Arch.  de  la  Propagande,  vol.  2o6,  p.  18.) 

V.  Relation  de  1059,  lettre  première;  —  Marie  de  l'Incarnation, 
Lettres,  p.  540;  —  Journal  des  Jésuites,  p.  258. 

3.  Journal  des  Jésuites,  p.  261. 


—  292  — 

et  enfin  dans  nne  pauvre  maison  louée,  à  Fenclroit  où  s'élève 
aujourd'hui  le  presbytère  de  Québec.  Le  supérieur  de  la 
mission  remet  entre  ses  mains  la  direction  de  la  paroisse, 
dont  l'administration  est  confiée  à  M.  Torcapel  ^  ;  quelque 
temps  après,  la  paroisse  des  Trois-Rivières  sera  ég-alement 
administrée  par  le  clergé  séculier  \  et  les  Jésuites,  fonda- 
teurs de  ces  deux  paroisses,  recevront  en  partage  le  lot 
qu'ils  désirent,  celui  qu'ils  préfèrent  à  tout,  les  missions 
sauvages.  Nous  y  reviendrons  dans  le  chapitre  suivant. 

Quelque  chaude  que  fut  la  réception  faite  à  Mgr  de  Laval, 
ce  serait  une  erreur  de  croire  qu'elle  fut  un  signe  manifeste 
du  rapprochement  des  esprits.  Deux  partis  divisaient  la 
colonie,  assez  peu  dessinés  à  la  surface,  au  fond  nettement 
séparés  :  D'un  côté,  la  majorité,  formée  des  missionnaires, 
des  communautés  de  femmes  et  de  tous  les  colons  sincè- 
rement dévoués  à  l'Eglise  et  au  représentant  du  siège  apos- 
tolique; de  l'autre,  le  gouverneur  qui  subissait  bien  plus 
qu'il  n'agréait  l'évèque  de  Pétrée,  tout  en  reconnaissant  ses 
éminentes  qualités,  l'al^bé  de  Queylus  qui  désirait  vivement 
rester  le  grand  vicaire  de  l'archevêque  de  Rouen  et  garder 
ainsi  son  indépendance  à  Montréal,  enfin  les  amis,  peu 
nombreux  du  reste,  de  l'un  et  de  l'autre,  et  un  groupe  de 
catholiques  douteux  et  de  commerçants,  qui  ne  s'accom- 
modaient guère  de  la  présence  d'un  prélat  très  charitable  et 

1.  ((  Le  jour  de  la  Circoncision,  1660,  Mgr  monta  en  chaire,  et  dit 
que  pour  juste  reconnaissance  des  services  que  les  Jésuites  l'espace 
de  30  ans  avaient  rendus  à  la  paroisse,  dont  ils  avaient  eu  le  soin  et 
la  conduite,  les  vêpres  et  le  sermon  ce  jour-là  ne  se  diraient  à  la 
paroisse,  mais  que  processionnellement  on  viendrait  chez  eux  les 
dire  tous  les  ans;  ce  qui  fut  commencé  cette  année...  »  (Journal  des 
Jésuites,  p.  272).  —  M.  Torcapel  fut  nommé  curé  de  Québec  le  13  août 
1659;  la  faiblesse  de  sa  santé  le  força  de  rentrer  en  France  Tannée 
suivante. 

2.  Journal  des  Jésuites,  p.  3o2. 


—  293  — 

très  ferme,  incapable  de  transiger  avec  son  devoir  et  sa 
conscience. 

Mgr  de  Laval  connaissait  ce  double  courant,  où  s'agitaient 
les  deux  fractions  inégales  de  la  Colonie  française;  cette 
division  le  préoccupait  grandement,  sans  toutefois  abattre 
son  inébranlable  courage.  L'attitude  que  prendrait  M.  de 
(  Kieylus  lui  causait  un  sujet  plus  grave  encore  de  préoccu- 
pations, le  bruit  courant  k  Québec  c[ue  cet  abbé  susciterait 
des  troubles  ^  Ces  préoccupations  se  compliquaient  aussi, 
les  premiers  jours  de  son  arrivée,  de  l'état  d'incertitude  des 
communautés  religieuses  et  des  fidèles  les  mieux  pensants, 
qui  se  demandaient  à  quelle  autorité  il  fallait  o])éir.  <(  A 
peine  Mgr  de  Laval  fut-il  débarqué ,  est-il  dit  dans  V Histoire 
de  r Hôtel-Dieu  de  Québec,  qu'il  y  eut  plusieurs  discussions 
pour  sçavoir  à  qui  les  communautés  obéiraient,  et  nous 
nous  trouvâmes  assez  embarrassés,  car  M.  l'abbé  de  Queylus 
avait  des  pouvoirs  de  Mgr  l'archevêque  de  Rouen,  qui  avait 
été  reconnu  jusqu'alors  pour  le  supérieur  du  pays  :  bien 
des  personnes  disaient  qu'il  était  au  dessus  de  ^Igr  de 
Laval,  qui  n'était  que  vicaire  apostolique  2.    » 

Il  faut  avouer  que  cette  situation  générale  des  esprits 
ne  laissait  pas  d'être  inquiétante.  M.  de  Queylus  n'allait-il 
pas  s'en  emparer  à  son  profit?  Il  semble  que  Mgr  le  crai- 
gnait, si  on  en  juge  du  moins  par  ce  qu'il  écrivait  à  cette 
époque  à  la  congrégation  de  la  Propagande  :  «  Je  vous 
demande  cette  seule  grâce,  disait-il;  si  quelqu'un  voulait 
troubler  ici  l'union  des  âmes,  usez  de  toute  votre  autorité 
pour  l'en  empêcher;  car  l'esprit  de  Jésus-Christ  n'est  pas  là 

1.  ((  Timor  et  riimor  crat  fore  ut  qui  se  vicarium  Archiepiscopi 
Rhotomagcnsis  diccbat  Abbas  de  Queylus  graves  in  Episcopum 
turbas  excitarct.  »  (Epist.  P.  J.  Lalemant,  16  sept.  1659,  ad  R.  P. 
Gcneralem.  Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  P.  117. 


—  294  ~ 

où  il  n'y  a  pas  l'esprit  de  charité;  et  sans  l'esprit  de  J.-G. 
nos  travaux,  notre  zèle,  tous  nos  efforts  par  conséquent 
resteraient  sans  résultats  i.   » 

Cependant  une  démarche  de  l'abbé  vint  dissiper  pour 
quelque  temps  les  inquiétudes  très  fondées  de  Sa  Grandeur. 
Au  commencement  du  mois  d'août,  sept  semaines  après 
l'arrivée  du  vicaire  apostolique,  il  descendit  enfin  à  Québec 
et  ((  promit  toute  amitié  au  représentant  du  Saint-Siège] 
il  alla  jusqu'à  protester  que  quelque  lettre  et  pouvoir  qui 
luy  serait  envoyé,  il  ne  l'accepterait  pas  2.  »  En  ce  moment 
il  ignorait,  au  dire  du  P.  Lalemant,  les  difficultés  qui 
avaient  surgi  en  France  entre  l'archevêque  de  Rouen  et 
l'évêque  de  Pétrée  au  sujet  du  vicariat  apostolique,  et  la 
prétention  de  l'archevêque  de  maintenir  son  grand  vicaire 
de  Montréal  dans  ses  mêmes  fonctions  ;  c'est  pourquoi  il 
fit  sa  soumission  entière -^ 

Cette  soumission  fut-elle  le  signal  de  celle  de  tous  les 
fidèles?  Ces  paroles  de  Marie  de  l'Incarnation  porteraient 
à  le  croire  :  ((  Cet  abbé,  écrit-elle  à  son  fils,  est  descendu 
de  Montréal  j^our  saluer  notre  prélat;  il  était  établi  grand 
vicaire  en  ce  lieu  là  par  Mgr  l'archevêque  de  Rouen;  mais 
aujourd'hui  tout  cela  n'a  plus  lieu  et  son  autorité  cesse'*.  » 
De  fait,  les  communautés  religieuses   de  femmes,  jusque  là 


i .  ((  Hanc  unani  gratiam  à  vobis  postulo  ut  si  quis  unquam  uiiionem 
animarum  velit  interturbare,  hune  auctoritas  vestra  reprimat;  ubi 
enim  deest  spiritus  eharitatis  ibi  et  Christi  spiritus,  sine  quo  frustra 
esset  omnis  labor,  omnis  nostra  industria  omnesque  adeô  conatus 
nostri.  »  (Epist.  Domini  de  Laval  ad  Illmo^  et  Rev™°*  Dominos  S. 
Cong.  de  Prop.  fide  ;  Arch.  de  la  Prop.,  à  Rome.) 

2.  Journal  des  Jésuites,  p.  264. 

3.  ((  Cum  pra?dictus  vicarius  nesciens  quid  pro  se  actum  esset  in 
Galliâ,  in  omnibus  ipsi  [Domino  de  Laval)  se  subjecit.  »  (Epist.  P.  J. 
Lalemant  adR.  P.  Generalem,  16  sept.  16d9.  Arch.  gen.  S.  J.) 

4.  Lettres  historiques,  p.  542. 


—  295  — 

hésitantes,  reconnurent  définitivement  la  juridiction  du 
vicaire  apostolique ,  «  et  leur  exemple  s'étendit  bientôt  à 
tout  le  pays  K  »  M.  d'Argenson,  dont  les  instructions 
qu'il  avait  reçues  de  la  Cour  étaient  formelles  sur  ce 
point',  ne  contribua  pas  peu  à  la  soumission  de  l'abbé 
d'abord,  puis  à  celle  de  toute  la  colonie  -K 

Tout  semblait  marcher  au  gré  des  désirs  de  Mgr  de 
Laval.  Si  l'union  des  cœurs  n'était  pas  faite,  l'unité  de 
juridiction  était  reconnue  et  acceptée.  C'était  un  grand  pas 
en  avant.  Pourquoi,  un  mois  à  peine  après  la  louable 
démarche  de  l'abbé  de  Queylus,  un  événement  que  Monsei- 
gneur redoutait,  vint-il  jeter  le  trouble  dans  cette  heu- 
reuse harmonie? 

L'archevêque  de  Rouen,  on  l'a  vu  plus  haut,  avait  main- 
tenu ses  prétentions  sur  la  Nouvelle-France,  malgré  les 
remontrances  et  les  observations  de  la  Propagande.  En 
vertu  de  ses  prétendus  droits,  il  soutenait  que  le  Saint-Siège 
ne  pouvait  envoyer  au  Canada,  sans  son  consentement, 
des  vicaires  apostoliques,  ni  rien  y  établir  touchant  le  fjoii- 
vernemcnt  de  cette  église;  et  comme  Mgr  de  Laval,  qui 
dépendait  directement  et  unicpiement  de  Uome,  qui  avait 
pour  lui  l'approbation  du  roi,  crut  devoir  passer  outre,  il 
se  promit  de  lui  faire  de  l'opposition  par  tous  les  moyens 
en  son  pouvoir'*.  Son  premier  acte  dans  cette  voie  fut  de 


1.  Vie  (le  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  183.  —  V.  Ilktoire  de  la  Colonie 
Française,  t.  II,  p.  339. 

2.  Lettres  patentes  du  roi  en  date  du  27  mars  lGo9. 

3.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  p.  184. 

4.  Mgr  de  Laval  écrivait  à  la  fin  de  1659  aux  cardinaux  de  la  Pro- 
pagande :  ((  Haud  scio  an  satis  resciverint  illustrissimœ  dominationes 
vestrœ  quantis  conatibus  egerit  in  Gallià  Dominus  Archiepiscopus 
rothomagensis  ut  se  opponeret  voluntati  Beatissimi  Patris  Nostri, 
qui  me  vicarium  suum  apostolicum  hue  mittebat.  Contendit  nimirum 


—  296  — 

renouveler  à  M.  de  QucaIus  ses  pouvoirs  de  grand  vicaire, 
et  il  obtint  du  roi,  le  H  mai  1659,  des  lettres  patentes 
autorisant  cet  abbé  à  continuer  ses  mêmes  fonctions  à 
Montréal,  sans  préjudice  néanmoins  de  l'autorité  du  vicaire 
apostolique.  C'était  créer  deux  juridictions  spirituelles  au 
Canada,  indépendantes  l'une  de  l'autre,  préjudiciables  l'une 
à   l'autre;    c'était    élever  autel    contre  autel*. 

A  peine  Louis  XIV  eut-il  accordé  à  Mgr  de  Harlay 
les  lettres  patentes  demandées  pour  le  grand  vicaire  de 
Montréal,  qu'il  comprit  la  grandeur  de  sa  faute  et  les 
tristes  conséquences  cj[ui  en  résulteraient.  Aussitôt  par  deux 
nouvelles  lettres,  adressées,  le  14  mai,  l'une  à  M.  d'Argen- 
son,  l'autre  à  Mgr  de  Laval,  il  dérogea  à  celles  du  onze. 
La  lettre  au  gouverneur  portait  :  «  Quelque  lettre  que  j'aie 
accordée  à  l'archevêque  de  Rouen,  mon  intention  n'est  pas 
c[ue  lui  ni  ses  grands  vicaires  s'en  prévalent,  jusc^u'à  ce 
c|ue,  par  l'autorité  de  l'Eglise,  il  ait  été  déclaré  si  cet 
archevêque  est  en  droit  de  prétendre  que  la  Nouvelle -France 
soit  de  son  diocèse  -.   » 

Toutes  ces  lettres  n'arrivèrent  à  Québec  que  le  8  sep- 
tembre. M.  de  Queylus,  qui  avait  formellement  promis  de 
ne  pas  reprendre   ses  fonctions  de  vicaire  général,  même 

juridictionem  hujus  ccclesiœ  Canadensis  suam  uiiius  esse,  ratus  hîc 
nihil  posse  Supremum  Pontificem  tum  ut  vicarios  constituât  aposto- 
licos,  tum  ut  quidquam  statuât  quod  spectet  ad  i-egimen  hujus 
ecclesise;  fuique  monitus  ante  discessum  meum  (è  Gallià),  mira  eum 
sibi  polliceri  ut  sese  mihi  opponat  eaque  infringat  omnia  qusecumque 
hic  possem  statuere.   »  (Arch.  de  la  Propagande,  à  Rome.) 

1.  Mgr  de  Laval  écrivait  le  22  oct.  1661  au  souverain  pontife  : 
<(  Sic  nimirum  fieret  ut  altare  contra  altare  in  hac  nostrâ  canadensi 
ecclesiâ  erigeretur.   »  (Arch.  de  la  Propagande,  à  Rome.) 

Voir  aux  Pièces  Justificatives,  n°  XII,  quelques  pièces  concernant 
Topposition  de  Tarchevêque  de  Rouen. 

2.  Histoire  de  la  Colonie  F/^anraise,  t.  II,  p.  341,  extrait  de  la  lettre. 
—  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  186,  lettre  citée  en  entier. 


—  297  — 

s'il  recevait  de  nouvelles  lettres  patentes,  «  se  voyant  nanti  de 
pouvoirs  de  Monseigneur  de  Rouen  et  de  la  lettre  du  roi  du 
11  juin,  leva  le  masque  et  voulut  se  faire  reconnaître  grand 
vicaire  de  Mgr  de  Rouen  '.  »  Il  ignorait  que  Mgr  de  Laval 
possédât  des  lettres  annulant  ses  pouvoirs;  celui-ci  les  lui 
montra,  le  gouverneur  lui  communiqua  également  les  ordres 
c{u'il  avait  reçus  du  roi;  de  sorte  que,  dit  le  Journal  des 
Jésuites,  il  fut  contraint  de  désister'-.  Ce  désistement  n'était 
ni  franc  ni  irrévocable  :  le  22  octobre,  il  partit  pour  la 
France  ^  afin  de  faire  trancher  ce  qu'il  appelait  la  question 
de  juridiction. 

Le  départ  de  M.  de  Queylus  n'était  sans  doute  pas  pour 
déplaire  à  Mgr  de  Laved;  mais  il  y  avait  tout  à  craindre 
de  ses  intrigues  à  Paris  et  à  Rome.  Mgr  le  pensait  du 
moins;  aussi  écrivit-il  au  roi,  au  pape,  aux  éminentissimes 
cardinaux  de  la  Propagande  pour  les  mettre  en  garde.  Il 
leur  recommande  surtout  de  ne  délivrer  aucune  lettre, 
aucun  écrit  dont  puisse  se  prévaloir  l'abbé  contre  l'autorité 
du  vicaire  apostolique;  en  outre,  il  supplie  Sa  Majesté  de 
lui  défendre  de  retourner  au  Canada,  ce  qui  a  lieu  le 
27  février  1660  :  «  Je  vous  écris  cette  lettre,  dit  le  roi  à 
M.  de  Queylus,  pour  vous  dire  que  mon  intention  est  que 
vous   demeuriez  dans  mon  rovaume;   vous  défendant  très 


1.  Journal  des  Jésuites,  p,  264.  —  M.  crArgensoii  prétend  dans  une 
lettre  du  21  oct.  1659  que  <(  l'abbé  s'est  bien  comporté;  car  il  s'est 
contenté  de  s'expliquer  de  toutes  choses  avec  M.  de  Pétrée  ;  et  après 
il  n'a  voulu  faire  éclater  aucune  marque  de  son  pouvoir  ».  [FaUlon, 
t.  II,  p.  342.)  Ce  témoigne  d'un  ami  peut  être  en  partie  exact;  mais 
l'avenir  montra  que  l'abbé  avait  bien  levé  le  masque. 

2.  Journal,  p.  264. 

3.  Le  P.  Vimont  s'embarqua  sur  le  même  vaisseau,  et  ne  revint 
plus  au  Canada.  {Journal  des  Jésuites,  p.  267.)  —  Vie  de  Mgr  de  Laval^ 
t.  I,  p.  188. 


—  298  — 

expressément  cVen  partir  sans  nia  permission  expresse^.  » 
La  défense  était  formelle.  L'abbé  essaye  de  la  faire  lever, 
mais  inutilement.  Le  supérieur  de  Saint-Sulpice,  M.  de 
Bretonvilliers,  intervient  sans  être  plus  heureux;  et  cepen- 
dant il  signe  une  déclaration  par  laquelle  il  promet  que  ses 
ecclésiastiques  résidant  ou  devant  résider  dans  la  suite  à 
Montréal,  ne  reconnaîtront  d'autre  juridiction  que  celle  du 
vicaire  apostolique. 

Le  refus  du  roi  d'obtempérer  aux  désirs  de  MM.  de  Bre- 
tonvilliers et  de  Queylus,  ne  décourage  pas  ce  dernier.  Il 
part  pour  Rome  à  l'insu  du  nonce  de  Paris,  et,  à  Rome,  il 
s'adresse  à  la  Daterie,  k  l'insu  de  la  Propagande.  Il  mène 
son  affaire  rapidement,  sans  bruit;  il  s'y  prend  si  bien  cju'il 
obtient  de  la  Daterie  une  bulle  qui  d'abord  autorise  l'érec- 
tion à  Montréal  d'une  cure  indépendante  du  vicariat  aposto- 
lique, qui  ensuite  donne  au  supérieur  de  Saint-Sulj^ice  à 
Paris  le  droit  de  présentation  k  cette  cure,  et  k  l'archevêque 
de  Rouen  le  droit  de  nomination  -. 


1.  Archives  de  rarchevèché  de  Québec.  Lettre  citée  par  M.  Gos- 
seliii,  t.  I,  p.  191. 

Nous  devons  dire  que  M.  Gosselin,  qui  a  suivi  M.  Faillon,  à  peu 
près  pas  à  pas,  jusqu'à  ce  moment,  Tabandonne  définitivement  le 
jour  où  commence  la  révolte  de  Tabbé  contre  Mgr  de  Laval.  Il  aurait 
dû,  dans  l'intérêt  de  la  vérité,  l'abandonner  plutôt,  à  savoir,  à  l'époque 
des  démêlés  de  M.  de  Queylus  avec  les  Jésuites.  Une  chose  surtout 
étonne  le  lecteur,  c'est  qu'à  la  page  188,  t.  I,  M.  Gosselin  attaque 
vivement  et  avec  raison  le  prétendu  Mémoire  de  M.  d'Aile t  inséré 
dans  la  Morale  pratique  d' Arnaud,  et  qu'il  n'ait  pas  cru  en  devoir  dire 
un  mot  à  la  page  112  et  aux  pages  suivantes;  et  cependant  en  cet 
endroit,  il  résume  M.  Faillon,  qui  a  presque  tout  puisé  dans  la  Morale 
pratique,  3°  partie,  ch.  XII.  Il  est  vrai  qu'aux  pages  112  et  suiv.  il 
s'agit  des  missionnaires,  tandis  que  plus  tard  il  est  question  de 
Mgr  de  Laval  et  de  M.  de  Queylus. 

2.  Le  21  oct.  1661,  Mgr  de  Laval  écrit  aux  cardinaux  de  la  Propa- 
gande :  «  Ad  nos  relatum  est  Dominum  Abbatem  de  Queylus  istinc 
rcducem  ol^tinuisse  erectionem  ecclesiœ  hic  parochialis,  cujus  prœ- 


—  299  — 

Muni  de  cette  bulle,  il  se  fait  présenter  pour  la  cure  de 
Montréal  par  M.  de  Bretonvilliers  et  nommer  par  Mgr  de 
Harlay;  et,  au  mépris  de  la  défense  royale,  il  s'embarque 
pour  Québec,  où  il  arrive  incognito  au  commencement  du 
mois  d'août  1G6I.  Là,  son  premier  soin  est  de  se  rendre  à 
la  résidence  de  Mgr  de  Laval,  et  de  lui  communiquer  la 
bulle  de  la  Daterie  apostolique  et  un  mandat  de  l'archevêque 
de  Rouen  qui  charge  l'évéque  de  Pétrée  de  présider  à 
l'installation  du  curé  de  Montréal. 

Qu'on  juge  de  l'étonnement  de  Mgr  !  Tout,  en  efPet, 
a  lieu  de  l'étonner  :  le  retour  de  l'abbé,  la  bulle  de  la 
daterie,  la  création  d'une  paroisse  indépendante,  la 
reconnaissance  des  droits  de  l'archevêque  de  Rouen  sur  le 
Canada.  En  présence  de  faits  si  étranges,  la  pensée  lui 
vient  que  la  bulle  a  dû  être  obtenue  d'une  manière  subrep- 
tice.  En  conséquence,  il  refuse,  jusqu'à  plus  ample  informé, 
de  mettre  l'abbé  en  possession  de  sa  cure.  Il  le  supplie  de 
ne  pas  monter  à  Yillemarie  ;  aux  prières,  qui  restent 
inefficaces,  il  joint  la  défense,  puis  la  menace  de  suspense  ^ 

sontatio  conccssa  fuorit  superiori  seminarii  Sancti  Sulpicii,  quod  est 
in  su])urbio  Parisiciisi,  iiistitutio  vero  rcservata  fuerit  archiepiscopo 
rothomagensi,  tanquam  ordiiiario  harum  Canadiœ  rcgionum.  »  (Arch. 
de  la  Propagande,  mss.) 

1.  Voici  la  lettre  que  Mgr  de  Laval  écrivit,  le  22  octobre  1661,  au 
Pape  Alexandre  Vil,  et  qui  contient  tout  ce  que  nous  venons  de 
raconter  sur  le  voyage  en  France  et  à  Rome  de  M.  de  Queylus  et  sur 
son  retour  au  Canada  :  (c  Scripseram  Superiore  anno  de  Abbate  de 
Queylus,  vereri  me  ne  i)acem  hujus  ecclesiœ  domeslicam  intertur- 
baret  occasione  praetensie  juridictionis  archiepiscopi  Rothomagensis, 
cujus  se  vicarium  esse  sic  semper  prœsumpsit  ut  auctoritatis 
apostolicœ  vix  ulla  ratio  haberetur.  Impeditus  idcirco  fuerat 
christianissimi  régis  imperio,  ne  hùc  ad  nos  remearet  ecclesiam 
hanc  nostram  scissurus.  Sed  mutato  statim  consilio  Romam  profectus 
est  istucque  sic  res  egit  suas  ut  à  sanctitate  vestrà  obtinuisse  dicatur 
ercctionem  parochialis  ecclesia^  apud  montem  regium,  cujus  prœ>scn- 


—  300  — 

Rien  ny  fait.  M.  de  Queylus,  dont  "^X Histoire  de  la 
Colonie  Française  porte  si  haut  la  vertu  et  la  piété,  part 
furtivement  en  canot  pour  Montréal,  dans  la  nuit  du  5  au 
6  août  ;  et  le  vicaire  apostolique,  qui  a  épuisé  tous  les 
moyens  d'action  sur  cet  esprit  égaré  ou  révolté,  a  recours 
définitivement  aux  armes  spirituelles  et  prononce  contre 
lai  les  censures  ecclésiastiques. 

tatio  conccssa  fiicrit  Supcriori  scminarii  Sancti  Siilpicii  in  siiburbio 
parisicnsi,  cujus  vcro  promotio  archicpiscopo  Rotliomagcnsi  fuerit 
reservata.  Sic  nimirum  intcllexi  ex  maiidato  quodam  archicpiscopi 
Rothomagcnsis  ad  me  transmisse,,  quo  mihi  ipse  facultatem  facit 
tanquam  ordinarius  loci  à  sanctâ  scde  constitutus,  ut  parochum 
nominem  in  monte  rcgio  Abbatem  de  Queylus  ;  rîec  cnim  alius 
nominari  posset,  quin  hoc  ipso  fundatio  parochiœ  foret  irrita  uti 
constat  ex  contracta  fundationis  quem  de  industrie  sub  hâc  dicta 
conditione  fabricavere  ;  sed  videlicet  aliundè  ad  me  rescriptum  fuit 
subreptitias  esse  illas  litteras  Romœ  obtentas  à  Domino  Aljbate  de 
Queylus,  neque  vero  eam  esse  mentem  Sanctitatis  vestrse  ut 
archiepiscopus  Rolhomagensis  juridictionem  hic  habeat  ullam,  quœ 
sanè  componi  nequaquam  potest  cum  juridictione  meà  vicarii 
apostolici  :  qua^^cumque  enim  à  me  statui  possent,  si  mihi  reniteretur 
seque  mihi  opponeret  vicarius  archicpiscopi  Rothom.,  qui  juridic- 
tionem hic  suam  hal^eret,  eadem  irrita  et  frustra  à  me  statuta 
contenderet,  uti  hoc  anno  contigit.  Rogo  itaque  sanctitatem  vestram 
ut  abs  te  rite  inteliigam  quse  sit  vera  mens  tua  super  ea  contentione. 
Satis  enim  intelligo  autorilatem  hic  omnem  sedis  apostolicœ 
meam([ue  vicarii  apostolici  pessum  datum  iri,  si  archiepiscopus 
Rothom.  juridictionem  hic  habeat.  Id  enim  vero  hoc  prœsenti  anno 
nuper  expertus  sum  dùm  hùc  Quebecum  appulit  Abbas  de  Queylus 
auctoritate  hàc  sua  vicarii  archicpiscopi  Rothom.  fretus,  qui  nec 
precibus  meis  uUis,  neque  prohibitionil)us  iteratis  acquievit.  IIuc  è 
Galliâ  penetrarat  occultis  arti])us  contra  prohibitionem  régis 
christianissimi.  voluerat  illudere  subreptitiis  Htteris,  sed  jussus  est  à 
rege  sine  morà  in  GaUiam  redire,  redditurus  rationem  inobedientiœ 
suaî,  et  à  prorege  nostro  coactus  est  obsequi  impcriis  regiis  :  nunc 
vereor  ne  in  Galliâ  redux  nova  omnia  moliatur  novisque  artibus  et 
expositione  falsâ  rerum  nostrarum  obtineat  aliquid  è  curiâ  Romanâ 
quo  pacem  hujus  Canadensis  ecclesiœ  interlurbet.  Eodem  nimirum 
spiritu  agunlur  inobcdlenlise  et  divisionis,  quos  secùm  è  Galliâ 
adduxit  socios  sacerdotes,  qui  montem  regium  occupant...  »  (Arch. 
de  la  Propagande,  à  Rome  ;  mss.) 


—  301   — 

M.  Faillon  s'apitoie  sur  le  sort  de  l'al^bé  ;  il  le  peint 
comme  une  victime  de  Mgr  de  Laval.  En  vérité,  de 
pareilles  victimes  sont-elles  si  à  plaindre  ? 

Cependant,  on  avait  appris  à  la  cour  le  départ  mvsté- 
rieux  pour  le  Canada  de  M.  de  Queylus,  et  le  roi,  fort 
mécontent,  avait  donné  ordre  au  gouverneur  de  le  faire 
repasser  immédiatement  en  France.  L'ordre  lui  fut  signifié 
à  Montréal,  et,  le  22  octobre,  il  s'embarqua  avec  M.  Bou- 
cher, gouverneur  des  Trois-Rivières  ^ 

Louis  XIV  avait  ignoré  jusqu'à  ce  jour  les  agissements 
de  l'al^bé  à  Rome  et  l'existence  de  la  bulle  de  la  Daterie 
apostolique.  Une  lettre  de  Mgr  de  Laval  lui  apprit  tout  ce 
qui  s'était  passé,  et  il  fît  aussitôt  parvenir  à  la  chancellerie 
romaine,  et  par  son  ministre  et  par  le  nonce  de  Paris ^ 
l'expression  de  ses  très  justes  plaintes.  Ces  plaintes  furent 
écoutées,  comme  cela  devait  être  :  le  Saint-Siège  fit  savoir 
à  l'abbé  qu'il  ne  devait  s'attribuer  aucun  droit  dans  la 
colonie  de  Montréal  ;  il  empêcha  aussi  l'exécution  de  la 
bulle  de  la  Daterie.  Et  ainsi  se  termina  la  déplorable  lutte 


4.  Le  8  sept.  1661,  le  P.  Lalemant  écrivait  au  R.  P.  Chrystophe 
Lehorror,  vicaire  général  S.  J.,  à  Rome  :  «  Quid  de  œmulo  Abbate  de 
Queylus  futurum  sit  nondum- scimus.  IIuc  venit,  post  dies  duos 
discessit  de  nocte,  ad  suum  moiitem  reg-alem  pervenit,  nequicquam 
opponente  se  illustrissimo  Petraensi  episcopo.  Eo  convolavit  novus 
gubernator  statim  à  suo  hùc  adventu  ;  habet  ipse  in  mandatis  à 
regc  ut  in  Galliam  redire  compellat.  Nondum  indè  rediit  gubernator, 
atque  adeô  quid  futurum  sit,  nondum  scimus.  Tanta  contra  jus 
fasque  propositi  in  Abbate  tenacitas,  aliquid  infrà  gratiam  sapit  et 
bonos  omnes  maie  officit;  arbitrantur  tamen  illi  officium  se  prœstare 
Deo.  Faxit  Deus  !   » 

Dans  un  P. -S.,  il  ajoute  :  «  Ex  quo  liœc  à  me  scripta  sunt,  rediit 
ad  nos  novus  Gubernator  (M.  d'Avaugour)  ex  monte  regali,  ubi, 
significatà  Abbati  prsefato  christianissimi  régis  voluntate,  efTecit  ut 
ad  nos  redirct  navem  propemodùm  conscensurus  ad  reditum  in 
Galliam.  »  (Arch.  gen.  S.  J.)  —  Journal  des  Jésuites,  p.  303. 


—  302  — 

en£^ai4'ée   par  M.   de   Quevlus    contre   l'autorité    du   vicaire 
apostolique  K 

Cette  lutte,  qui  sortait  un  peu  du  cadre  de  cette  histoire, 
nous  ne  pouvions  l'omettre,  car  elle  nous  révèle  dans  le 
caractère   de  celui  qui  la  souleva,  certaines   particularités 

l.  Mgr  de  Laval  ne  reçut  qu'en  1665  la  nouvelle  officielle  de  la 
mesure  définitive  prise  contre  Fabbé  de  Quevlus  par  la  Propagande 
et  le  Souverain-Pontife.  Voici  ce  qu'il  écrivit  au  Préfet  de  la  Propa- 
gande le  7  des  Calendes  de  noveml^re  1665  : 

«  Eminentissimc  Domine,  litterte  Eminentiœ  vestra?  Augusto 
mense  anni  1663  datœ  nonnisi  post  biennium  ad  nos  perlatœ  sunt  : 
quibus  benevolum  sacrœ  congregationis  in  nos  animum  jampridcm 
mihi  notum,  satis  superque  intellexi.  Nihil  itaque  est  quod  nos 
deinceps  anxios  teneat  circa  parochias  hic  instituendas  nobis 
inconsultis,  cum  visum  fuerit  sacrœ  congregationi  Abbatem  de 
Quevlus  suo  nomine  aut  Sanctissimi  monere,  ne  quid  sil)i  hujusmodi 
arrogaret  in  Colonia  montis  Regalis,  et  de  facto  nihil  ab  eo  tempore 
auditum  quod  in  eâ  re  ullrà  moliretur,  »  (Arch.  de  la  Propagande,  à 
Rome  ;  mss.) 

Plus  tard,  en  1668,  M.  de  Quevlus  revint  au  Canada,  après  la 
renonciation  définitive  de  l'archevêque  de  Rouen  à  toute  prétention 
sur  l'église  du  Canada.  —  L'archevêque  n'y  renonça  cependant  tout 
à  fait,  dit  M.  Gosselin  (t.  I,  p.  203,  note),  que  lorsque  Québec  fut 
érigé  en  évèché.  Colbert  lui  écrivit  alors  qu'il  ne  voyait  aucun  moyen 
de  forcer  la  congrégation  consistoriale  à  mettre  Québec  dans  l'arche- 
vêché de  Rouen,  a  Le  pape,  dit-il,  prétend  que  vous  n'avez  pu 
acquérir  aucun  droit  de  ce  côté.  »  Il  invitait  cependant  l'archevêque 
à  faire  un  mémoire  sur  ce  sujet.  Le  mémoire  fut  fait  et  envoyé  par 
Colbert  à  l'abbé  Bourlemont,  à  Rome,  avec  ordre  de  le  présenter 
au  Saint-Siège  et  au  cardinal  Rospigiiosi.  «  S'ils  résistent,  disait 
Colbert,  n'insistez  pas  ;  acceptez  l'évêché  relevant  du  Saint-Siège, 
jusqu'à  ce  qu'il  y  ait  un  archevêché  au  Canada.  »  Les  prétentions  de 
l'archevêque  de  Rouen  ne  furent  pas  maintenues  par  les  l^ulles  de 
l'évêché  de  Québec.  »  (Arch.  du  Canada,  Rapport  de  ]M.  l'abbé  Ver- 
reau,  1874.) 

Voi?'  sur  tout  ce  qui  à  rapport  aux  démêlés  du  vicaire  apostolique 
et  de  l'abbé  :  1°  La  Vie  de  Mgr  de  Laval,  par  M.  Gosselin,  t.  I,  p.  Il, 
ch.  IV  ;  —  2"  Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  II,  p.  II,  p.  336  et 
suiv.,  pp.  472  et  suiv. 


—  303  — 

que  son  panégyriste,  M.  Paillon,  a  soig-neusement  dissi- 
mulées, et  qui  expliquent  assez  son  attitude  et  ses  procédés 
à  l'égard  des  missionnaires  pendant  ses  quelques  mois 
d'administration  à  l'église  paroissiale  de  Québec. 

Mgr  de  Laval  ne  sortait  d'une  difficulté  que  pour  lutter 
contre  une  autre.  Les  démêlés  qu'il  eut  avec  le  gouverneur, 
M.  d'Argenson,  pour  être  moins  graves  que  les  précédents, 
eurent  cependant  leur  importance  dans  une  colonie  nais- 
sante, où  l'organisation  ecclésiastique  était  à  ses  débuts.  Ce 
furent  des  questions  de  préséance  qui  les  divisèrent.  Elles 
se  rencontrèrent  un  peu  partout,  à  l'église  et  hors  de  l'église  : 
à  l'église,  où  le  gouverneur  A^oulait,  contrairement  aux 
décisions  de  l'évêque,  avoir  son  banc  dans  le  chœur,  et 
être  encensé  immédiatement  après  l'officiant  ;  hors  de 
l'église,  où  il  revendiquait  la  première  place  et  le  premier 
salut  dans  toutes  les  réunions  jDubliques  et  privées 
auxc[uelles  il  assistait  avec  Sa  Grandeur. 

Aux  ^processions,  il  voulait  encore  faire  passer  les  corps 
civils  avant  les  marguilliers  ;  et  Monseigneur  s'y  opposait, 
parce  que  ces  derniers  sont,  dans  le  gouvernement  de 
l'église,  les  aides  de  l'évêque  et  les  administrateurs  laïques 
des  biens  ecclésiastiques  ^  M.  d'Argenson  était  marguillier 
d'honneur  avant  l'arrivée  du  vicaire  apostolique,  et,  en 
cette  qualité,  il  assistait  aux  délibérations  du  conseil  de 
fabrique  ;  Monseigneur  supprima  ce  titre  honorifique.  Le 
gouverneur  offrait  le  pain  bénit  dans  le  courant  de  la  messe 
au  son  des  fifres  et  des  tambours  ;  Monseigneur  décida  qu'à 
l'avenir  la  bénédiction  et  l'offrande  du  pain  se  feraient  avant 
V Introït  -. 

1.  Conc.  de  Trente,  sess.  XXII,  De  rcformatione,  cap.  IX. 

2.  Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  II,  pp.  466  et  siiiv.  ;  —  Vie 
de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  1.  II,  ch.  V. 


—  304  — 

Il  Y  en  aurait  trop  long  sur  ce  sujet',  s'il  fallait  tout 
raconter,  et  si  ces  questions  de  préséance  entraient  dans  le 
tracé  de  cette  histoire.  Nous  n'avons  pas  à  donner  non  plus 
notre  opinion  personnelle  sur  ces  démêlés,  ni  à  décider 
qui  des  deux  avait  raison,  de  Tévèque  ou  du  gouverneur, 
ni  à  dire  si  «  Monseignevir,  dans  son  désir  de  prévenir  des 
abus  et  de  mettre  tout  dans  un  ordre  parfait,  ne  montra  pas 
un  peu  trop  de  zèle  et  ne  dépassa  pas  quelquefois  la 
mesure  -  »  ;  si  M.  d'Argenson,  l'ami  de  M.  de  Queylus,  ne 
chercha  pas  à  créer  des  difficultés  au  vicaire  apostolique  et 
à  rendre  sa  situation  intenable,  sous  le  spécieux  prétexte 
de  défendre  les  droits  de  l'autorité  civile. 

Si  nous  avons  signalé  plusieurs  sujets  de  conflit  entre 
les  représentants  du  pouvoir  religieux  et  du  pouvoir  civil, 
c'est  parce  que  l'historien  de  Mgr  de  Laval  a  jugé  à  propos 
d'y  mêler  les  missionnaires  et  de  leur  prêter  un  rôle,  qui 
ne  fut  certainement  pas  le  leur. 

«  Ce  qui  a  lieu  de  nous  surprendre,  dit-il,  c'est  que  les 
Jésuites,  au  lieu  de  se  prononcer  franchement  sur  cette 
question  du  droit  de  préséance  de  l'évêque  sur  le  gouver- 
neur, prirent  le  parti,  pour  ne  pas  se  compr omettre^  de 
n'inviter  à  dîner  ni  le  gouverneur  ni  l'évêque-^;  et,  au 
catéchisme  solennel,  qui  se  donnait  dans  leur  chapelle, 
sous  forme  d'action  ou  de  dialogue,   de  ne  faire  saluer  ni 


1.  Par  exemple,  ^Igi'  voulait  que  le  gouverneur  ne  communiât 
qu'après  les  acolythes,  qu'il  ne  reçût  également  qu'après  eux  les 
cierges,  les  rameaux,  etc..  {Journal  des  Jésuites,  1659,  Noël.) 

2.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  II,  p.  225. 

3.  Le  Journal  des  Jésuites  dit  (2  déc.  1059,  p.  269)  :  «  Personne 
ne  fut  invité  au  réfectoire  pour  disner,  dont  la  raison  principale  est 
que  d'inviter  l'évesque  sans  le  gouverneur  aut  contra,  cela  ferait 
jalousie,  et  l'un  ne  veut  pas  quitter  à  l'autre  pour  le  premier  rang.  » 
Pourquoi  M.  Gosselin  ne  cite-t-il  pas  ce  passage  et  se  permet-il 
d'écrire  :  pour  ne  pas  se  compromettre^^. 


—  305  — 

run  ni  l'autre  par  les  élèves,  au  commencement  et  à  la  fin 
de  l'action  ^.  C'était  faire  preuve  de  plus  (F/iahilete'  que  de 
courage'-.    » 

M.  Gosselin  fait  d'un  trait  de  plume  le  procès  des 
Jésuites  ;  il  ne  prend  même  pas  la  peine  de  se  demander 
si  la  sagesse  ne  dictait  pas  leur  conduite  ;  si  leur  réserve 
n'était  pas  plutôt  de  nature  à  les  compromettre  auprès  du 
Prélat,  leur  ami  dévoué,  sans  nul  espoir  de  leur  conquérir 
les  bonnes  g-râces  de  M.  d'Argenson,  leur  ennemi  3. 

1.  On  lit  dans  le  Journal  des  Jésuites  (février  1661,  p.  291)  :  a  Huit 
jours  après,  cette  petite  action  s'estant  renouvelée  où  Mons.  le  gouver- 
neur et  Mons.  l'évesque  estaient,  et-  M.  le  Gouverneur  ayant 
tesmoigné  n'y  vouloir  assister  en  cas  qu'on  y  saluast  Mons.  Févesque 
devant  luy,  on  luy  fit  trouver  bon  que  les  enfants  eussent  les  mains 
occupées  pour  ne  saluer  ny  l'un  ny  l'autre,  ce  qui  s'entend  du 
prologue  et  de  l'épilogue  ;  ce  qui  fut  signifié  et  commandé  aux 
enfants...  »  M.  Gosselin  n'aurait-il  pas  mieux  fait  de  citer  ce 
passage,  au  lieu  d'accuser  les  Jésuites  de  plus  d'habileté  que  de 
courage  ? 

2.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  p.  214. 

3.  M.  d'Argenson  était  venu  de  France,  dans  des  dispositions  peu 
favorables  aux  Jésuites.  Ces  dispositions  ne  firent  que  s'accentuer  au 
Canada.  Que  leur  reprochait-il"?  «  11  serait  bien  à  souhaiter,  écrivait-il 
de  Québec  le  7  juillet  1660  [Papiers  d'Argenson),  que  toutx  ceux  de 
la  maison  du  P.  Lalemant  suivissent  ses  sentiments  ;  ils  ne  se  mesle- 
raient  pas  de  censurer  plusieurs  choses  comme  ils  font  et  laisse- 
raient le  gouvernement  des  affaires  à  ceux  que  Dieu  a  ordonné  pour 
cela.  »  11  faiblit  bien  trouver  quelque  sujet  d'accusation  contre  ces 
religieux,  pour  justifier  son  injustifiable  animosité  contre  eux. 
Mgr  de  Laval  qui  les  connaissait  bien,  entreprit  de  modifier  les  sen- 
timents du  gouverneur  à  leur  égard  ;  mais  il  n'y  réussit  pas,  comme 
il  appert  par  une  lettre  qu'il  écrivit  de  Québec,  le  20  octobre  1659,  à 
M.  d'Argenson,  frère  du  Gouverneur.  «  J'ai  reçu,  dit-il,  dans  mon 
entrée  dans  le  pays  de  Monsieur  votre  frère  toutes  les  marques  d'une 
bienveillance  extraordinaire  ;  j'ay  fait  mon  possible  pour  la  recon- 
gnoistre  et  luy  ay  rendu  tous  les  respects  que  je  dois  à  une  personne 
de  sa  vertu  et  de  son  mérite  joint  à  la  qualité  qu'il  porte  ;  comme 
son  plus  véritable  ami  et  son  fidelle  serviteur,  j'ay  creu  estre  obligé 
de  luy  donner  un  advis  important  pour  le  bien  de  l'église,  et  quy  luy 

Jés.  et  Noiu'.-Fr.  —  T.  IL  20 


—  306  — 

L.  P.  Lalemant,  supérieur  de  la  mission,  pouvait  être 
un  homme  prudent  ;  à  coup  sûr,  on  ne  l'accusa  jamais  d'un 
manque  de  courag-e  ;  il  passait  aux  yeux  de  tous,  même  du 
gouverneur,  pour  une  personne  d'un  grand  mérite  et  d'un 
sens  achevé^.  Ce  portrait  serait  singulièrement  flatté,  il  faut 
l'avouer,  si  la  conduite  de  ce  religieux  avait  été,  dans  ces 
circonstances  difficiles,  celle  d'un  homme  qui  ne  veut  pas 
se  compromettre,  habile  mais  peu  courageux.  Il  était  si 
loin  d'avoir   peur  de   se   montrer,    de  se  pjrononcer  fran- 

devait  estre  utile  s'il  Tcust  pris  dans  la  même  disposition  que  je  suis 
asseuré  que  vous  Tauriez  receu  :  c'estait  seul  à  seul  à  cœur  ouvert 
avec  marques  assez  évidentes  que  ce  que -je  luy  disais  estait  vrai, 
veu  qu'il  estait  fondé  sur  des  sentiments  que  j'avais  veu  moi-mesme 
paraistre  en  diverses  assemblées  publiques  ;  cependant  il  ne  fist  que 
trop  congnoistre  qu'il  ne  trouvait  auqunnement  bon  que  je  lui 
donnasse  cet  advertissement,  et  me  voulut  faire  embrasser  le  party 
de  ceux  qui  avaient  tout  sujet  de  se  plaindre  de  son  procédé  envers 
eux,  mais  que  je  ne  prétendais  auqunnement  justifier  n'en  ayant 
aucune  plainte  de  leur  part  pour  luy  faire  et  d'ailleurs  estant  assez 
désintéressés;  vous  pouvez  bien  juger  quels  sont  ceux  dont  je  veux 
parler  (les  Jésuites)  sans  vous  les  nommer,  puisque  vous  même  qui 
avez  une  affection  sincère  et  bien  réglée  pour  ces  dignes  ouvriers 
évangéliques  m'avez  avoué  que  vous  aviez  douleur  de  le  voir  partir 
(le  Gouverneur)  dans  les  sentiments  où  il  estait  à  leur  égard,  sans 
beaucoup  de  fondement  du  moins  suffisamment  recongneu  pour 
lors  ;  ce  que  je  luy  dis  avoir  sceu  de  vous  pour  ne  rien  omettre  de 
ce  que  je  me  persuadais  qui  estait  capal)le  de  lui  faire  avouer  une 
vérité  qui  n'estait  que  trop  apparente,  ce  qui  devait  un  peu  calmer 
son  esprit  sembla  l'aigrir,  et  se  fascha  de  ce  que  vous  m'aviez  fait 
cette  ouverture  ;  je  ne  scais  depuis  ce  qu'il  a  pensé  de  moy,  mais  il 
me  semble  que  je  luy  sois  suspect  et  qu'il  aye  cru  que  f  embrasse  la 
cause  de  ces  bons  serviteurs  de  Dieu  à  son  préjudice  ;  mais  Je  puis 
bien  asseurer  quils  nont  pour  luy  que  des  sentiments  de  respect  et 
que  la  plus  forte  passion  que  j'aye  est  de  le  voir  dans  une  parfaite 
union  et  intelligence  avec  eux.  » 

1.  Lettre  de  M.  d'Argenson  du  7  juillet  1660  :  ((  De  toutes  ces 
contestations  que  j'ay  eu  avec  M.  de  Pétrée,  j'ay  toujours  faist  le 
R.  P.  Lalemant  médiateur;  c'est  une  personne  d'un  si  grand  mérite 
et  d'un  sens  si  achevé,  que  je  pense  qu'on  ne  peult  rien  y  adjouter.  » 


—  307  — 

hement  sur  les  questions  de  préséance,  qu'il  écrivait  à  son 
rénéral,  à  Rome,  de  recommander  à  tous  les  mission- 
aires  de  répondre  à  la  grande  bienveillance  de  Monseigneur 
oiir  la  Compagnie  de  Jésus  par  tous  les  offices  possibles^. 
Toutefois  ralîection  très  marquée  de  l'évéque  pour  les 
*ères  ne  leur  faisait  perdre  de  vue  ni  la  prudence  ni  la 
harité.  Le  devoir  de  leur  profession  leur  conseillait  d'éviter 
out  ce  qui  pouvait  être  une  occasion  d'augmenter  l'acuité 
les  rapports  entre  les  deux  autorités,  comme  les  invitations 
L  dîner  et  aux  séances  littéraires  ;  ce  devoir,  ils  le  rem- 
)lirent,  et  l'évéque  ne  blâma  jamais  cette  réserve,  dont  il 
omprenait  fort  bien  la  sagesse.  Cependant,  si  quelqu'un 
vait  le  droit  de  se  plaindre,  n'était-ce  pas  lui?  Quant  au 
gouverneur,  il  ne  j^ouvait  qu'approuver  cette  conduite  ;  et 
le  fait,  lui,  qui  se  montra  toujours  également  injuste  et 
nvers  les  missionnaires  et  envers  le  vicaire  apostolique'^  il 
hoisit  en  toute  rencontre  comme  médiateur '^>  entre  lui  et 
Monseigneur,  le  P.  Lalemant,  dont  il  ne  pouvait  s'empê- 
her  de  reconnaître  le  grand  mérite  et  le  sens  élevé. 

Ce  gouverneur,    auquel   il    serait   puéril   de   refuser   de 
)elles   qualités  \    ne   donna    pas    ce    cju'on    attendait     de 


1.  <c  Illustoius  Petraoïisis  cpiscopus,  vir  sanctitatis  eximia%  qui 
.olam  divini  nominis  gioriam  spectat  et  fidei  apud  Jjarbaros  dilata- 
ionem,  nosfros  omnes  patcrno  afToctu  complectitur.  Vestra  Pater- 
litas  suis  commendet  ut  quibus  valcant  officiis  tantœ  benevolentiœ 
•espondeant.  »  (Epist.  P.  J.  Lalemant  au  R.  P.  G.  Nickel,  7  janvier 
1661.  Arcli.  gen.  S.  J.) 

2.  ((  Gubernalor  fuit  semper  no])is  iniquior  et  Societati  nostn» 
ît  Domino  Petraensi  episcopo.  »  (Epist.  P.  Ragueneau  ad  R.  P.  Gene- 
-alem,  15  sept.  1661.  Arch.  gen.  S.  J.) 

3.  Lettre  du  7  juillet  1660. 

4.  Marie  de  Plncarnation  fait  le  plus  bel  éloge  de  ce  gouverneur 
dans  ses  Lettres  historiques,  p.  567.  Elle  reconnaît  cependant, 
3ommc     les     Pères    Jésuites,    dans     leurs     lettres    confidentielles 


—  308  — 

sa  piété  et  de  sa  bravoure.  Dès  le  début,  il  fit  fausse  route  ; 
par  ses  préférences  et  ses  préventions,  il  troubla  le  bun 
accord  qui  avait  toujours  régné  dans  la  colonie  entre  le 
pouvoir  civil  et  le  pouvoir  ecclésiastique.  N'avait-il  pas 
mieux  à  faire  que  de  se  quereller  avec  son  évèque  ou  de  se 
mettre  en  opposition  avec  les  relig-ieux,  en  face  des  Iroquois 
dont  la  puissance  et  l'audace  grandissaient  chaque  jour? 
En  1G59,  les  Français,  comme  on  l'a  déjà  vu,  sont 
forcés  d'abandonner  nuitamment  le  poste  de  Gannen- 
taha,  afin  de  ne  pas  être  massacrés  par  les  Onnontagués. 
L'année  suivante,  une  des  plus  agitées  de  cette  époque  si 
tourmentée,  l'armée  iroquoise,  plus  forte  qu'elle  ne  l'a 
jamais  été,  se  montre  à  l'embouchure  de  la  rivière  de 
Richelieu.  Son  dessein  est  de  surprendre  (Québec,  puis 
d'attaquer  Trois-Uivières  et  Montréal.  Ce  plan  aurait  peut- 
être  réussi,  sans  la  vaillance  de  dix-sept  colons  de  Ville- 
marie,  guidés  par  Daulac  *,  soldat  d'énergie  et  de  décision. 
Ces  héros  se  confessent,  communient,  et  jurent  de  ne 
jamais  demander  quartier,  de  se  soutenir  fidèlement  les  uns 
les  autres-.  Le  i^^  mai,  ils  s'enferment  dans  un  petit  fort 
formé  de  pieux  plantés  en  terre,  au  pied  du  saut  des  Chaudiè- 
res, sur  la  rivière  des  Outoauais  ;  et  là,  ils  attendent  de  pied 
ferme  l'ennemi.  Quarante  Hurons  et  six  Algonquins  les  y 
rejoignent.  C'était  une  troupe  bien  peu  nombreuse  contre 
des  centaines  diroquois;  et  les  Français,  qui  ne  comptaient 
pas  sur  les  Hurons  et  les  Algonquins,  n'avaient  pas 
approvisionné    le  fort.  Pendant  sept  jours,  ils  soutiennent 

adressées  au  R.  P.  Général,  «  le  défaut  de  personnes  de  conseil... 
et  le  défaut  d'intelligence  qu'il  avait  avec  les  premières  puissances  du 
pays  ». 

1.  Dolard  dans  les  Relations  des  Jésuites  ;  Daulard  dans  quelques 
actes  publics. 

2.  Ferland,   t.   I,   pp.  455   et  suiv.  —  Relation  de  1660,  p.  14;  — 
Lettres  historiques  de  Marie  de  Flncarnation,  pp.  449  et  suiv. 


—  309  — 

f  victorieusement  les   continuels  assauts  de  l'ennemi.  Mais, 
après  cette  vigoureuse  résistance,  les  Hurons,  torturés  par 
jla  faim  et  la  soif,  passent  au  nombre  de  trente  à  l'armée 
des  assiégeants.    En    même    temps,     cinq    cents    Agniers 
débouchent  des  profondeurs  de  la  foret.  Aussitôt  un  dernier 
'effort  est  tenté.  Tous  ces  sauvages  se  ruent  sur  les  palis- 
sades pour  les  rompre  à  coups  de  haches.  Rien  ne  décou- 
jrage  les  Français.  Une  lutte  désespérée  s'engage,  sanglante, 
]  meurtrière  ;  les  cadavres  s'amoncèlent  autour  du  fort  ;  ils 
jsont    si    nombreux     qu'ils    servent    aux    assaillants    pour 
I  escalader  le  rempart  et   pénétrer   dans  la  place.  Tous  les 
l'assiégés,    à  l'exception  de   quatre  Français    et    de  quatre 
I  Hurons   faits   prisonniers,    tombent  les  armes  à  la   main. 
\  Un  prisonnier  évadé   a  porté  à  dix-huit  cents  les  Iroquois 
i  qui  ont  pris  part  au  siège  K 

I      Cette  lutte  héroïque  force  l'ennemi  à  rentrer  dans  ses 

j  cantons,  mais  elle   ne  met  pas  fin  à  la  guerre.  La  guerre 

'recommence    en   1()()1.    Au    commencement    de   Tété,    les 

Iroquois    ont     déjà    pris     ou    tué    vingt-trois    Français    à 

[Montréal,    quatorze    aux    Trois-Uivières,    d'autres    à    Ta- 

[doussac,  à  la  cote  de  Beaupré  et   dans  l'île  d'Orléans.  Le 

sénéchal,  Jean  de  Lauson,  et  quelques  Français  sont  tués 

en  combattant  à  la  hauteur  de  la  rivière  MaheusU^.  Deux 

prêtres  de    Saint-Sulpice,  MM.  Le  Maistre  et  Vignal,  sont 


1.  LcUrcii  historiques,  p.  iiol  ;  —  FerlaruI,  p.  457. 

2.  Voir  sur  ces  événements  :  Belafions  de  1660  et  1661  ;  — 
Lettres  historiques,  o8%  59%  60%  61'';  —  Ferland,  t.  I,  p.  467.  — 
Le  P.  Lalemant  au  R.  P.  Chrvstophe  Lehorrer,  vicaire  général  de  la 
Compagnie,  à  Rome;  Québec,  8  sept.  1661  :  (^^  Timor  quem  time- 
bamus  accidit  nol)is  ;  ad  70  enim  et  ampliùs  ex  nostris  Galiis  vel 
occidere  vel  captivos  al)duxere  barbari  nostri,  et  inter  eos  quos 
occiderunt,  fuit  nobililatis  princeps  seneschallus  vulgô  dictus.  » 
(Arch.  gen.  S.  J.) 


—  310  — 

pris  à  l'île  de  Montréal   :   le  premier  a  la  tête  coupée,  le 
second  est  rôti  et  mangé i. 

Tous  ces  événements  retentissent  douloureusement  au 
cœur  de  la  colonie.  «  La  persécution  des  Iroquois,  écrit 
Marie  de  l'Incarnation,  tient  tout  le  pays  dans  des  appré- 
hensions continuelles-.  »  A  Québec,  où  l'alarme  est  grande, 
les  communautés  de  l'Hotel-Dieu  et  des  Ursulines  se 
retirent  chaque  soir  avec  les  pensionnaires  dans  une  partie 
du  collège,  qui  n'est  pas  occupée,  pour  se  mettre  à  l'abri 
d'un  coup  de  main.  «  Des  redoutes  sont  élevées  sur  les 
points  les  plus  exposés  ;  et  des  piquets  d'hommes  armés 
sont  placés  tous  les  soirs  dans  les  couvents,  qu'on  fortifie 
non  seulement  pour  protéger  les  religieuses,  mais  encore 
pour  y  jirotéger  quelques  familles,  car  toutes  ne  pouvaient 
se  loger  au  fort  Saint-Louis''.  » 

Ainsi  se  vérifiaient  ces  paroles,  qu'on  dirait  j^rophétiques, 
écrites  par  le  P.  Ragueneau  au  R.  P.  Général,  le  20  août 
16^)8  :  «  Je  n'espère  rien  de  l'avenir  ;  je  crains  la  ruine  des 
Français  ;  j'ai  i^eur  d'une  guerre  horrible.  Ce  qui  augmente 
mes  terreurs,  c'est  le  caractère  du  nouveau  gouverneur^.   » 

Pour  surcroît  de  malheur  «  une  maladie  universelle  se 
communique  comme  une  espèce  de  contagion  dans  toutes 
les  familles...  L'on  n'avait  jamais  tant  veu  mourir  de 
personnes  au  Canada  que  cette  année  1061  '  ». 

1.  M.  Vignal  avait  été  chapelain  dos  Ursulines  et  vicaire  de 
M.  de  Queylus  à  Québec.  Il  quitta  Quéljec  avec  Tabbé  en  1658,  passa 
en  France  et  en  revint  Sulpicien,  le  7  septembre  1659,  avec 
M.  Tabbé  Le  Maistre.  Il  fut  blessé  le  25  octobre  1661  dans  Flle-à-la- 
Pierre.  M.  Le  Maistre  fut  tué  le  29  août  1661. 

2.  Lettres  historiques^  p.  564.  —  ((  Bellum  nobis  valdè  lal)oriosum 
est  cum  Iroquteis.  »  (P.  Chastelain  au  R.  P.  Général  ;  Québec,  18  sept. 
1661.  Arch.  gen.  S.  J.) 

3.  Ferland,  t.  I,  p.  453. 

4.  Voir  p.  23  i. 

5.  Lettres  historiques,  p.  564. 


—  3H  — 

Il  aurait  fallu  des  hommes  pour  résister  aux  bandes 
iroquoises  et  les  détruire  ;  et  la  colonie  diminuée  par  la 
guerre  et  la  maladie  avait  à  peine  de  quoi  se  défendre  dans 
ses  forts.  Le  P.  Le  Jeune,  procureur  de  la  mission  à 
Paris,  fut  prié  d'obtenir  du  gouvernement  de  prompts 
secours.  Il  adressa  dans  ce  sens  une  supplique  au  roi  : 
«  Voicy,  lui  disait-il,  votre  Nouvelle-France  aux  pieds  de 
Votre  Majesté...  La  Reine,  votre  très  honorée  mère,  dont  la 
bonté  est  connue  au  delà  des  mers,  a  empesché  jusques  à 
présent  la  ruine  entière  du  Canada  ;  mais  elle  ne  l'a  pas 
mis  en  liberté.  Elle  a  retardé  sa  mort,  mais  elle  ne  luy  a 
pas  rendu  la  santé,  ny  les  forces.  Ce  coup  est  réservé  à 
Votre  Majesté  ^  » 

Louis  XIV  entendit  les  soupirs  et  les  sanglots  de  la 
pauvre  affligée' ,  selon  l'expression  du  suppliant  ;  il  promit 
des  troupes.  Cette  promesse  releva  le  courage  des  colons, 
qui  supportèrent  vaillamment  les  attaques  continuelles  de 
l'ennemi,  dans  l'espérance  d'un  meilleur  avenir.  Mais  on 
célébrait  alors  à  Versailles  des  fêtes  magnifiques  en 
l'honneur  de  la  naissance  du  dauphin  ;  le  cardinal  Mazarin 
mourait  à  Vincennes,  laissant  vacante  auprès  du  roi  la  place 
de  premier  ministre  ;  et  le  roi,  au  milieu  des  réjouissances 
de  la  cour  et  des  graves  embarras  d'un  gouvernement 
personnel  hardiment  inauguré,  n'eut  guère  le  temps  de 
songer  à  hi  petite  colonie  de  la  Nouvelle-France.  «  De  son 

1.  Relation  de  lG61,pp.  1  et  2. —  Marie  de  rhicarnation  écrivait  lo 
2  septembre  i660  :  u  Plusieurs  des  plus  honnêtes  gens  de  ce  pays 
sont  partis  pour  aller  en  France  ;  et  particulièrement  le  R.  P.  Le 
Jeune  y  va  pour  demander  du  secours  au  roy  contre  nos  ennemis.  » 
—  Il  y  a  une  erreur  au  sujet  du  P.  Le  Jeune,  qui  n'alla  pas  en  France 
en  1660,  mais  en  1649.  Parti  de  Québec  le  31  octobre  1649  {Journal 
des  Jésuites,  p.  130),  il  fut  nommé  procureur  de  la  mission  du  Canada 
en  16d0  et  ne  quitta  plus  la  France. 

2.  Ibid,  p.  1. 


—  312  — 

côté,  la  Compagnie  des  Gent-Associés  ne  s'occupait  presque 
plus  du  pays,  si  ce  n'est  pour  réclamer  fortement  le  millier 
de  castors  qu'on  ne  lui  pavait  point  '.  » 

M.  d'Argenson  devait  ressentir  plus  que  personne,  à 
cause  des  responsabilités  de  sa  haute  situation,  tout  ce  qu'il 
y  avait  d'affligeant  et  de  douloureux  dans  les  malheurs  et 
les  cruelles  inquiétudes  où  se  débattait  la  colonie.  Impuis- 
sant à  remédier  au  mal,  fatigué  d'esprit  et  de  corps,  mal 
ou  pas  conseillé,  toujours  en  lutte  avec  le  pouvoir  ecclé- 
siastique, il  demanda  à  être  relevé  de  ses  fonctions  et  fut 
remplacé,  le  19  septembre  IGGl,  parle  baron  d'Avaugour^. 
S'il  ne  réussit  pas  mieux  dans  son  gouvernement,  il  ne 
faut  pas  l'attribuer  à  l'absence  de  qualités  administratives, 
ni  à  un  défaut  de  courage  ou  de  vertu,  car  ce  gentilhomme 
n'était  pas  sans  mérites  et  sa  piété  était  sincère^.  Ce  qui 
lui  manqua,  ce  furent  les  conseils,  une  vue  nette  de  la 
situation,  un  esprit  dégagé  de  préventions  et  de  préjugés, 
peut-être  aussi  une  certaine  largeur  d'idées  et  de  sen- 
timents. 

Tout  autre  était  le  caractère  du  baron  d'Avaugour. 
«  Homme  de  résolution  et  d'une  grande  droiture,  il  s'en 
piquait  trop  et  ne  savait  pas  se  replier^.  »  Raide  et 
inflexible,  cassant  et  impérieux,  entêté  comme  pas  un,  il 
se  faisait  un  point  d'honneur  de  ne  pas  revenir  sur  une 
décision  prise.  <(  Il  a  servi  longtemps  en  Allemagne 
pendant  que  vous  y  étiez,  écrivait  Colbert  à  M.  de  Tracy  ; 
vous    devez  avoir   connu    ses  talents  aussi  bien    que  son 


1.  Fer l and,  t.  I,  p.  466. 

2.  Lettres  historiques,  p.  567. 

3.  On  trouve  dans  les  Papiers  dWrgenson  des  lettres  de  ce  gou- 
verneur où  son  caractère  se  révèle  admirablement. 

4.  Charlevoix,  t.  I,  p.  350. 


—  313  — 

caractère  bizarre  et  quelque  peu  impraticable  ' .  »  Sa  vie  de 
quarante  ans  ati  milieu  des  camps  l'avait  mieux  préparé  à 
être  chef  d'armée  que  gouverneur  ;  il  était  plus  homme 
d'épée  que  de  plume '.  Au  demeurant,  il  y  avait  en  lui  la 
foi  robuste  du  charbonnier,  agissante,  peu  éclairée.  On  le 
reçut  à  Québec  avec  enthousiasme,  car  on  connaissait  sa 
l^ravoure  et  l'on  comptait  sur  la  vigueur  de  son  bras. 

A  peine  débarqué,  il  visite  tous  les  postes,  il  se  ren- 
seigne sur  l'ennemi,  il  étudie  toutes  les  ressources  dont  le 
pavs  dispose,  et,  dans  sa  rude  franchise,  il  avoue  qu'il  ne 
s'explique  pas  comment  M.  d'x\rgenson  a  pu  préserver  la 
colonie  de  la  ruine  avec  si  peu  de  soldats,  et  qu'il  s'en 
retournera  en  France,  sans  même  attendre  d'être  rappelé, 
si  on  ne  lui  envoie  pas,  l'année  prochaine,  les  troupes 
promises-^.  En  outre,  pour  hâter  cet  envoi  ou  l'assurer,  il 
députe  à  Paris  le  gouverneur  des  Trois-Rivières,  Pierre 
Boucher,  un  des  hommes  le  plus  au  courant  des  choses  du 
(Canada,  lequel  est  admirablement  reçu  du  roi  et  revient 
l'année  suivante,  le  27  oct.  1662,  avec  deux  cents  colons 
et  cent  soldats^.  Trois  mois  avant  l'arrivée  à  Québec  de  ce 
secours  inattendu,  Mgr  de  Laval  était  parti  pour  la  France, 
accompagné  du  P.  Ragueneau  ^ 

Le   but    de   ce    voyage   est   connu.    Le   P.    Ragueneau, 

1.  The  old  Rogime  in  Canada^  hy  Francis  Parkman,  p.  120.  — 
Consulter  sur  le  baron  Dubois  d'Avaugour  :  Lachenaye,  Mémoire  sur 
le  Canada  ;  Avaug-our,  Mémoire,  4  août,  1663. 

2.  Nous  donnons  aux  Pièces  Justificatives,  n°  XIV,  la  lettre  qu'il 
écrivit,  le  13  octobre  1661,  au  grand  Condé.  On  jugera  de  Thomme 
parle  style.  Cette  lettre  se  trouve,  au  château  de  Chantilly,  dans  les 
«  Papiers  de  Condé,  série  P,  t.  XXV,  fol.  162  ». 

3.  Lettres  historiques,  p.  367;  — Relation  de  1661,  pp.  10  et  11. 

4.  Jou/vial  des  Jésuites,  p.  313. 

b.  Ihid.,  p.  310;  —Lettre  64s  p.  574,  de  Marie  de  rincarnalion. 
—  Mg-r  de  Laval  et  le  P.  Ragueneau  s'embarquèrent  à  Quéi^ec  pour 
la  France,  d'après  le  Journal  des  Jésuites,  le  12  août  1662. 


—  314  — 

membre  du  conseil  de  Québec,  aimé  et  estimé  du  grand 
Condé,  allait  implorer  la  protection  de  son  ancien  élève  en 
faveur  de  la  colonie  ^  ;  et  Mgr  voulait  se  plaindre  lui-même 
au  roi  de  l'étrange  conduite  du  nouveau  gouverneur,  qui, 
en  protégeant  la  vente  de  Teau-de-vie,  compromettait 
gravement  l'avenir  religieux  de  la  Nouvelle-France  2. 

La  question  de  la  venté  de  l'eau-de-vie  est  une  de  celles 
qui  ont  le  plus  passionné  le  Nouveau-Monde  au  xvii^  siècle. 
Avant    la    prise   de   Québec    par    les    Anglais    (1629),    on 


1.  Le  P.  Ragucneau  avait  été  nommé  membre  du  conseil  le 
!•'•'  octobre  4661  {Journal  des  Jésuites,  p.  302),  par  M.  d'Avaiigour. 
Celui-ci  annonça  cette  nomination  au  grand  Condé  le  13  octobre 
4661  :  «  J'ay  mis  a  la  teste  d'un  conseil  général  pour  le  cervisse  du 
roy  et  le  bien  du  peis  le  révérend  père  Ragnaust  {sic),  lequel  a 
l'honneur  d'estre  connu  de  vostre  altesse,  et  avec  trois  autres  tous 
les  jours  il  deslibere  des  afaires  publiquesi  Par  son  mérite,  jay  creu 
ne  pouvoir  rien  de  mieux.  Sy  locasion  s'en  offre,  je  suplie  votre 
altesse  d'octoriser  cette  conduite,  et  d'estre  tout  persuadé  que  (ce 
sont)  les  Jesuistes  qui  ont  le  plus  travaié  (travaillé)  pour  le  peis.  » 
{Papiet^s  de  Condé,  sér.  P,  t.  XXV,  fol.  462.)  —  Aussitôt  installé 
membre  du  conseil,  le  P.  Ragueneau  écrivit,  le  42  octobre  1661,  au 
grand  Condé,  pour  lui  demander  son  puissant  secoures  contre  les  Iro- 
quois.  Voir  cette  lettre  aux  Pièces  Justificatives,  n°  XIV.  —  Le 
P.  Ragueneau,  une  fois  en  France,  y  fut  retenu  par  ses  supérieurs, 
en  qualité  de  procureur  de  la  mission  de  la  Nouvelle-France,  en 
remplacement  du  P.  Le  Jeune. 

2.  Lettre  politique,  63°,  p.  572,  de  Marie  de  l'Incarnation.  — - 
Après  son  voyage,  de  retour  à  Québec,  Mgr  de  Laval  écrivait  aux 
cardinaux  de  la  Propagande,  le  26  octobre  4663  :  «  Tandem  salvus 
et  incolumis  lias  oras  appuli,  redux  è  Gallià  quo  ecclesiarum 
nostrarum  sollicitudo  me  compulerat  ;  ut  scilicet  rei  christianse  per 
Gubernatoris  incuriam,  ut  minimum  dicam,  dilabenti,  succurrerem.  » 
(Arch.  de  la  Propagande,  à  Rome,  vol.  256,  p.  55.)  —  Le  P.  G.  Druil- 
lettes  avait  écrit  de  Québec  au  R.  P.  Général,  l'année  précédente, 
47  sept.  1662  :  <(  Dictus  Gubernator  cbriositati  velut  habenas 
laxavit  ;  sed  illustrissimus  noster  episcopus,  qui  eâ  potissimùm  de 
causa  in  Galliam  redivit,  àrege  impetrabit,  ut  speramus,  opportununi 
huic  malo  remedium.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 


—  315  — 

n'avait  jamais  entendu  parler  des  désordres  causés  chez  les 
sauvages  par  les  boissons  enivrantes.  Les  Anglais  intro- 
duisirent les  premiers  dans  le  pays  ce  lléau  destructeur, 
qu'ils  vendaient  aux  sauvag^es  en  échange  des  fourrures 
apportées  par  les  chasseurs  algonquins  ;  et  les  sauvages, 
entraînés  par  un  irrésistible  j^enchant,  buvaient  sans 
mesure,  pour  le  plaisir  de  s'enivrer,  et,  dans  l'ivresse,  ils 
devenaient  pires  que  des  bètes  féroces. 

En  rentrant  à  Québec,  les  Français  marchèrent  sur  les 
traces  des  trafiquants  anglais,  et  ils  continuèrent  de  vendre 
aux  Indiens  des  spiritueux,  malgré  les  prohibitions  les  plus 
expresses  des  gouverneurs  Champlain  ^  Montmagny^^ 
d'Ailleboust  '^,  Maisonneuve  ^,  malgré  l'édit  du  roi  du 
7  mars  1057  et  les  défenses  sous  peine  de  péché  de  M.  de 
Queylus^  et  des  missionnaires. 

Le  P.  Le  Jeune  et  le  P.  Vimont  n'ont  pas  d'expressions 
assez  énergiques  pour  peindre  les  affreux  ravages,  les 
conséquences  terribles  des  liqueurs  fortes.  Païens  et 
néophytes  se  livrent  aux  plus  déplorables  excès  d'immo- 
ralité et  de  barbarie.  Aux  chants  de  joie  succèdent  toujours 
les  plus  honteux  débordements,  des  cris,  des  hurlements, 
des  altercations,  des  luttes  sanglantes.  Le  sang  se  mêle 
aux  libations.  Les  pères  égorgent  leurs  enfants,  les  maris 
tuent  leurs  femmes.  Les  femmes  s'enivrent  comme  les 
hommes  et  ressemblent  alors  à  de  vraies  furies.  Rien  de 
plus  horrible  qu'une  cabane  de  sauvages,  au  réveil  du 
matin,  quand  ils  reviennent  à  eux  défigurés,  abattus, 
entourés    parfois    des   cadavres    de   leurs  parents   ou    de 

1.  Relation    de  1G33,  p.  32. 

2.  Relation  de  1643,  p.  36. 

3.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  288. 

4.  Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  III,  pp.  31  et  suiv. 
t).  Journal  des  Jésuites,  p.  233. 


—  316  — 

leurs  amis,  le  désordre  j^artoiit,  la  honte  sur  les  vi- 
sages K 

Cependant  ni  ces  scènes  d'org-ie  et  de  sang,  ni  les 
défenses,  ni  les  ordonnances,  ni  les  menaces  des  plus 
graves  châtiments  ne  parviennent  jamais  à  mettre  un 
frein  à  Favarice  et  à  la  cupidité  des  trafiquants.  Ils  étaient 
peu  nombreux,  l'inlime  minorité,  tous  âpres  au  gain, 
ennemis  des  Jésuites,  qui  contrariaient  fort  leur  commerce 
illicite.  Ils  n'avaient  c[u'un  but  :  obtenir  de  riches  fourrures 
à  vil  prix,  au  prix  de  quelques  bouteilles  d'eau-de-vie  ;  et 
pour  y  parvenir,  ils  faisaient  la  contrebande  un  peu  partout, 
sur  les  bords  du  Saint-Laurent,  ordinairement  loin  des 
postes  français.  Il  faut  le  dire,  ces  vendeurs  d'eau-de-vie 
devinrent  plus  nombreux  et  plus  audacieux  à  l'époque  où 
s'inaugura  au  Canada  la  lutte  religieuse  entre  M.  de 
Queylus  et  les  missionnaires  ;  et  quand  Mgr  de  Laval 
arriva  à  Québec,  le  désordre  avait  j^ris  de  telles  propor- 
tions qu'il  crut  devoir  recourir  aux  foudres  de  l'Eglise  - 
jîour  empêcher  un  commerce,  qui  nuisait  aux  intérêts 
moraux  et  religieux  des  colons  français,  opposait  une 
barrière  insurmontable  à  la  conversion  des  Indiens,  et 
replongeait  les  néophytes  dans  toutes  les  horreurs  du 
paganisme. 

Cependant,  avant  d'agir,  il  tint  avec  les  Jésuites,  et  dans 
leur  collège   et   à  l'évêché,  de  longues  conférences  3,  dans 

1.  Relation  de  1633,  p.  32  ;  —  Relation  de  1642,  p.  43;  —  Relation 
de  1643,  p.  36  ;  —  Relation  de  1660,  p.  34  ;  —  Lettres  historiques  de 
Marie  de  rincarnation,  Lettre  63^,  pp.  571  et  572.  —  Vie  de 
Mgr  de  Laval,  par  ral)])é  Gosseliii,  l.  I,  ch.  IX,  pp.  279  et  suiv.  ;  — 
Mémoire  sur  la  Vie  de  M.  de  Laval,  premier  évèqiie  de  Québec  (par 
Fabbé  Bertrand  de  Latour)  ;  Colog-ne,  1761,  1.  V,  pp.  68  et  suiv. 

2.  Lettre  63*^,  de  la  Mère  Marie  de  rincarnation,  p.  572. 

3.  D'après  le  Journal  des  Jésuites,  p.  268.  la  première  conférence 
eut  lieu  le  26  ou  27  nov.  1659.  —  Ibid.,  p.  269,  réunion  le  4  déc.  au 
collège,  le  5  déc.  à  Févèché. 


—  317  — 

lesquelles  cette  question  fut  sérieusement  examinée  :  Est- 
il  permis  d'excommunier  ceux  qui  vendent  de  Teau-de-vie 
aux  sauvag-es,  lesquels  ne  boivent  que  pour  s'enivrer  ou 
avec  l'arrière-pensée  de  commettre  quelque  mauvais  coup 
pendant  l'ivresse  ?  La  réponse  à  cette  question  ne  pouvait 
faire  aucun  doute  pour  personne  :  elle  fut  définitivement 
arrêtée  dans  le  sens  de  raiFirmative. 

Fort  de  l'approbation  des  Pères  et  des  membres  de  son 
clergé,  Mgr  monta  en  chaire,  le  6  mai  16G0,  jour  de 
l'Ascension',  et,  dans  un  discours  patriotique,  où  il 
expliqua  la  grièveté  de  la  faute  commise  par  les  traitants, 
il  fulmina  la  sentence  d'excommunication  ipso  facto  contre 
ceux  qui  oseraient  à  l'avenir  se  livrer  à  ce  honteux  trafic  des 
boissons  alcooliques.  Cette  mesure  énergique,  soutenue 
dans  la  chaire  et  au  confessionnal  par  le  zèle  des  prédi- 
cateurs et  des  confesseurs,  produisit  le  plus  salutaire  effet. 
Le  P.  Lalemant  écrivait  quelques  mois  plus  tard  :  «  Les 
désordres  n'ont  plus  paru  depuis  l'excommunication,  tant 
elle  a  été  accompagnée  des  l)énédictions  du  ciel-.  » 

Le  baron  d'Avaugour,  en  prenant  possession  du  gouver- 
nement de  la  colonie,  se  rangea  du  côté  de  l'évèque  dans 
sa  campagne  contre  les  traitants  européens.  Il  donna  des 
ordres  sévères  contre  la  vente  de  Feau-de-vie  aux  sauvages 
et  tint  la  main  k  leur  exécution  ;  il  ne  recula  même  pas 
devant  la  peine  de  mort  ^. 

Cette  ferme  attitude  de  l'autorité  religieuse  et  de  l'auto- 
rité civile  reçut  l'approbation  de  tous  les  honnêtes  gens  : 
à  Québec,  à  Villemarie  et  aux  Trois-Rivières,  ce  ne  fut 
qu'un  concert  unanime  de  félicitations  de  la  part  des  vrais 
catholiques,  c'est-à-dire,  de  la  grande  majorité  des  colons. 

1.  Journal  dos  Jésuiles,  p.  282. 

2.  Relation  de  16G0,  p.  33. 

3.  Mémoire  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  p.  80. 


—  318  — 

Les  néophytes  applaudirent  ég-alement,  car  ils  voyaient  avec 
une  profonde  tristesse  l'ivrognerie  se  propager  parmi  eux, 
bien  qu'ils  n'eussent  pas  assez  de  courage  pour  refuser  la 
lic[ueur  de  feu,  ni  pour  se  tenir  dans  les  limites  de  la 
tempérance  chrétienne. 

Un  grand  bien  était  donc  déjà  obtenu,  lorsqu'un  incident 
de  peu  d'importance  en  soi  vint  détruire  en  quelques 
instants  le  fruit  de  deux  années  de  rigueurs  salutaires. 

Une  femme  de  Québec  est  surprise  en  contravention  et 
conduite  aussitôt  en  prison  par  ordre  du  gouverneur.  A  la 
j)rière  de  ses  parents  et  de  ses  amis,  le  P.  Lalemant  se 
décide  à  intercéder  pour  elle.  Il  va  trouver  M.  d'Avaugour, 
qui  le  reçoit  fort  mal  et  lui  répond  brusquement  :  «  Puisque 
la  traite  de  l'eau-de-vie  n'est  pas  une  faute  punissable  pour 
cette  femme,  elle  ne  le  sera  désormais  pour  personne  K  » 

Le  P.  de  Gharlevoix,  qui  raconte  aussi  cet  incident,  le 
termine  par  cette  réflexion  fort  juste  :  «  Un  peu  jolus  de 
sang-froid  lui  aurait  fait  répondre  au  supérieur  qu'il  faisait 
son  devoir,  en  implorant  sa  clémence  pour  cette  femme  ; 
et  que,  pour  lui,  le  sien  l'obligeait  de  faire  justice.  Mais  il 
ne  consulta  '  que  sa  mauvaise  humeur  et  sa  droiture  mal 
entendue  ;  et  ce  qu'il  y  eut  de  pis,  c'est  qu'il  se  fît  un 
point  d'honneur  de  ne  point  rétracter  l'indiscrète  parole 
qui  lui  était  échappée'-.  »  Le  caractère  du  gouverneur  se 
retrouve  tout   entier  dans  ce  fait. 

Les  trafiquants  apprennent  vite  que  le  gouverneur  laisse 
pleine  liberté  à  la  traite.  Cette  liberté  devient  bientôt 
licence  :  l'eau-de-vie  se  distribue  à  profusion,  les  sauvages 
s'enivrent,  les  néophytes  apostasient.  Les  Indiens  convertis, 
qui  ont  le  courage  de  résister  à  ce  déplorable  entraînement, 

1.  Mémoire  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  p.  80. 

2.  Histoire  de  la  Nouvelle-France,  t.  I,  p.  361. 


—  319  — 

s'enferment    les   uns    à    Sillery,    les   autres  au  cap  de  la 
Madeleine'.   L'évêque,  les  Jésuites,    les  prêtres  séculiers^ 
tout  ce  qu'il  y  a  de  personnes  respectables  dans  la  colonie, 
même   les    capitaines    des    sauvages,    ont   beau   faire   des 
représentations    au   baron    d'Avaugour    et  le   supplier  de 
faire  exécuter  ses  ordonnances  sur  la  traite,  rien  ne  peut 
fléchir  ce  caractère  raide,  absolu  et  entêté  -  ;  et  le  désordre, 
toléré   ou  favorisé,    prend    en  peu  de  temps  à  Québec  les 
proportions   les   plus   effroyables.    Marie    de   l'Incarnation 
écrit  à  son  fils  le  10  août   1662   :   «  Il  y  a  en  ce  pays  des 
Français    si    misérables   et    sans    crainte   de   Dieu,    qu'ils 
perdent   tous    nos    nouveaux   chrétiens    leur   donnant    des 
boissons  très  violentes,  comme  de  vin  et  d'eau-de-vie  pour 
tirer    d'eux  des    castors.    Ces    boissons   perdent   tous   ces 
pauvres  gens,  les  hommes,  les  femmes,  les  garçons  et  les 
filles  même  ;  car  chacun  est  maître  dans  la  cabane  quand  il 
s'agit  de  manger  et  de  boire,  ils  sont  pris  tout  aussitôt  et 
deviennent  comme  furieux.  Ils  courent  nus  avec  des  épées 
et  d'autres  armes,  et  font  fuir  tout  le  monde  ;  soit  de  jour 
soit  de  nuit,  ils  courent  dans  Québec  sans  que  personne  les 
puisse  empêcher.   Il  s'ensuit  de  là  des  meurtres,  des  vio- 
lements,    des    brutalités     monstrueuses     et    inouïes.     Les 
Révérends  Pères  ont  fait  leur  possible  pour  arrêter  le  mal 
tant  du  côté  des  Français   que  de  la  part    des   sauvages  ; 
tous  leurs  efforts  ont  été  vains  3.  » 

La  supérieure  des  Ursulines  ajoute  :  «  Mgr  notre  Prélat 

i.  Relation  de  1663,  p.  8  ;  —  Coings  (r/iisfoire,  t.  I,  p.  481. 

2.  Mémoire  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  p.  81. 

3.  Lettres  historiques,  p.  571.  — Le  P.  Lalemant  écrit  dans  la 
Relation  de  1663,  p.  7  :  «  Je  ne  veux  pas  décrire  les  malheurs  que  les 
désordres  (de  Tivrognerie)  ont  causés  à  cette  église  naissante.  Mon 
encre  n'est  pas  assez  noire  pour  les  dépeindre  de  leurs  couleurs... 
C'est  tout  dire  que  nous  perdons  en  un  mois  les  sueurs  et  les 
travaux  de  dix  et  vin^t  années.  )> 


—  320  — 

a  fait  tout  ce  qui  se  peut  imaginer  pour  arrêter  le  cours  du 
trafic  des  boissons  comme  une  chose  qui  ne  tend  à  rien  moins 
qu'à  la  destruction  de  la  foi  et  de  la  religion  en  ces 
contrées.  Il  a  employé  toute  sa  douceur  ordinaire  pour 
détourner   les   Français    de    ce    commerce  i.    » 

Ce  moyen  n'ayant  produit  aucun  résultat,  l'évéque  remet 
en  vigueur  contre  les  traitants  l'excommunication  ipso  facto, 
portée  en  lëGO  et  suspendue  l'année  suivante-.  Cette 
mesure,  commandée  par  les  circonstances,  jette  les  trali- 
C[uants  dans  une  fureur  indescriptible,  et  devient  le  signal 
d'une  persécution  dont  se  ressentiront  longtemps  l'évéque  et 
ses  prêtres,  surtout  les  Jésuites.  On  prétend  que  les  Jésuites 
troublent  injustement  les  consciences,  on  refuse  à  l'autorité 
religieuse  le  droit  de  frapper  de  censures  les  vendeurs  d'eau- 
de-vie,  et  «  on  ne  tient  aucun  compte  des  foudres  de  l'Eglise 
sous  prétexte  que  l'Église  n'a  point  de  pouvoir  sur  les  affaires 
de  cette  nature  ^'  »  ;  on  accuse  les  missionnaires  d'exercer 
sur  le  prélat  une  influence  absolue  et  de  le  pousser  dans 
une  voie  de  sévérité  outrée,  très  préjudiciable  à  la  religion 
et  à  l'avenir  de  la  colonie.  Des  libelles  diffamatoires  cir- 
culent de  main  en  main.  Tout  cela  est,  il  est  vrai,  l'œuvre 
seulement  de  quelques  Français,  qui  ne  sont  venus  au 
Canada  que  dans  le  but  de  s'enrichir  et  qui  ne  veulent  pas 
être  entravés  dans  l'exercice  du  prétendu  droit  de  trafiquer 
librement,  même  au  détriment  de  la  foi  et  de  la  moralité 
des  indigènes. 

Le  gouverneur,  témoin  de  tout,  ferme  les  yeux  et  laissé 
faire,  si  toutefois  son  silence  et  son  inaction  n'encouragent 
pas  les  coupables.    «   Les  Français  méprisent  les  remon- 

1.  Lettres  îiisforiques,  p.  571. 

2.  Ihid.,  p.  572;  —  Mémoire  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  pp.  81 
et  82. 

3.  Lettres  historiques,  p.  572. 


—  321  — 

trances  du  Prélat,  dit  Marie  de  rincarnation,  parce  qu'ils 
sont  maintenus  par  une  puissance  séculière  qui  a  la  main 
forte  ^ .  » 

En  présence  de  tant  de  maux,  Mgr  de  Laval  «  a  pensé 
mourir  de  douleur,  on  le  voit  seichersur  le  pied  -.  »  Désolé, 
découragé,  ne  sachant  comment  arrêter  les  désordres  qui 
vont  chaque  jour  grandissant,  il  s'embarque  pour  la 
France,  comme  nous  l'avons  dit,  afin  d'exposer  au  roi  la 
triste  situation  où  se  trouve  la  Nouvelle-France  par  la  faute 
du  baron  d'Avaugour-^ 

Des  lettres  nombreuses  et  des  mémoires  avaient  précédé 
son  arrivée.  Les  trafiquants  y  formulaient  d'une  manière 
plus  vive  encore  les  mêmes  plaintes  et  les  mêmes  revendi- 
cations que  dans  les  liJ^elles  répandus  dans  Québec  :  ils  se 
plaignaient  avec  amertume  de  ce  qu'ils  appelaient  la 
sévérité  intolérable,  le  gouvernement  oppressif  du  clergé  ; 
ils  réclamaient  la  liberté  de  vente  des  spiritueux  comme  un 
droit  et  sous  le  spécieux  prétexte  du  bien  public  et  de 
l'intérêt  général  du  commerce  ;  ils  prétendaient  que  l'auto- 
rité religieuse  s'aventurait  sur  le  terrain  de  l'autorité  civile 
et  se  substituait  à  elle  en  frappant  d'excommunication  les 
traitants  européens  ;  ayant  tout  intérêt  à  ménager  Mgr  de 
Laval,  que  le  roi  et  la  reine-mère  estimaient  particuliè- 
rement, ils  s'en  prenaient  aux 'Jésuites,  et,  par  une  tactique 
habile,  ils  faisaient  remonter  jusqu'à  eux  la  responsabilité 
de  tous  les  actes  épiscopaux  ;  à  les  entendre,  la  Compagnie 
voulait  dominer  seule  sur  la  Nouvelle-France,  elle  dirigeait 
l'évêque,  instrument  passif  entre  ses  mains,  elle  faisait  et 
défaisait    les     gouverneurs,     elle     terrorisait     toutes     les 

1.  Lettres  historiques,  p.  572. 

2.  Ibid, 

3.  Mémoire  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  p.  83. 

Jés.  et  Nouv.-Fr.  —  T.  II.  21 


—  322  — 

consciences  par  de  continuelles  menaces  d'excommunication. 
Le  secrétaire  du  beiron  d'Avaugour,  Péronne  de  Mazé,  vint 
à  Paris  justifier  la  conduite  de  son  maître  et  appuyer  les 
réclamations  des  trafiquants  i. 

Ces  réclamations,  on  le  pense  bien,  produisirent  une 
vive  impression  dans  l'entourage  du  roi,  sur  les  ministres 
et  seigneurs  de  la  cour,  tous  naturellement  ombrageux, 
fort  disposés  à  voir  partout  les  empiétements  du  pouvoir 
ecclésiastique  sur  le  pouvoir  civil  ;  et  longtemps  cette 
impression,  mélange  singulier  de  préventions  et  de  craintes, 
sera  partagée  par  les  gouverneurs  qui  se  succéderont  à 
Québec.  Même  l'esprit  clairvoyant  et  très  libéral  de  Golbert 
ne  sut  pas  être  assez  indépendant  pour  démêler'  les  motifs 
secrets,  passablement  intéressés,  des  adversaires  déclarés 
de  Févêque  et  des  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus.  «  Il 
pensa  un  instant  qu'il  fallait  autoriser  la  vente  de  l'eau- 
de-vie  aux  Indiens  pour  obtenir  leur  alliance,  et  que  les 
funestes  résultats  de  la  traite  étaient  exagérés  par  le  clergé 
canadien  2.  » 

Six  ans  plus  tard,  il  se  demandera  encore  qui  a  raison 
du  clergé  ou  des  trafiquants  au  sujet  de  la  traite  des 
boissons  :  «  Le  commerce  du  vin  et  des  eaux-de-vie  avec 
les  sauvages,  dit-il  dans  ses  instructions  à  M.  de  Bou- 
teroue,  a  esté  un  sujet  de  perpétuelle  contestation  entre 
Févêque  de  Pétrée  et  les  Jésuites,  et  les  principaux  habi- 
tants et  ceux  qui  trafiquent  en  ce  pays-là.  L'évêque  et  les 
Jésuites  ont  prétendu  que  ces  boissons  enivraient  les 
sauvages,  qu'ils  n'y  pouvaient  prendre  aucune  modération, 
et  que  l'ivresse  les  rendait  paresseux  à  la  chasse  et  leur 

1.  Journal  des  Jésuites,  p.  310. 

2.  Le  Canada  sous   la   domination    française,    par    L.    Dussieux, 
2°  édit.,  p.  68. 


—  323  — 

donnait  toute  sorte  de  mauvaises  habitudes  tant  pour  la 
religion  que  pour  Testât.  Les  principaux  habitants  et  les 
trafiquants  au  contraire  prétendent  que  l'envie  d'avoir  des 
boissons,  qui  sont  troquées  chacunes,  oblige  les  sauvages 
d'aller  à  la  chasse  avec  plus  d'application.  Il  faut  bien 
ex'aminer  ces  deux  sentiments,  et  que  l'intendant  en  donne 
son  avis  raisonné  au  Roy  i.  » 

Golbert  dit  encore  au  même  intendant  :  «  A  l'égard  du 
spirituel^  les  avis  de  ce  pays-là  portent  que  l'évêque  de 
Pétrée  et  les  Jésuites  y  établissent  trop  fortement  leur 
autorité  par  la  crainte  des  excommunications,  et  par  une 
trop  grande  sévérité  de  vie  qu'ils  veulent  maintenir  ~.  » 

Les  Jésuites,  bien  entendu,  sont  représentés  par  le 
grand  ministre  comme  jouissant  d'une  autorité  exagérée  et 
abusive  :  «  Ceux  qui  ont  fait,  dit-il,  les  relations  les  plus 
lidèles  et  les  plus  intéressées  de  ce  pays  ont  toujours  dit 
qjie  les  Jésuites,  dont  la  piété  et  le  zèle  ont  beaucoup 
contribué  à  y  attirer  les  peuples  qui  y  sont  à  présent,  y  ont 
pris  une  autorité  qui  passe  au  delà  des  bornes  de  leur 
véritable  possession,  qui  ne  doit  regarder  que  les  con- 
sciences. Pour  s'y  maintenir,  ils  ont  été  bien  aises  de 
nommer  l'évêque  de  Pétrée  pour  y  faire  les  fonctions 
épiscopales,  comme  étant  dans  leur  entière  dépendance  ;  et 
même  jusqu'ici,  ou  ils  ont  nommé  les  gouverneurs  pour  le 
Roy  en  ce  pays-là,  ou  ils  se  sont  servis  de  tous  les  moyens 
possibles  pour  faire  révoquer  ceux  qui  avaient  été  choisis 
pour   cet   employ    sans   leur  participation  3.   » 

Golbert  ne  donne-t-il  pas  aux  Jésuites  une  importance 
qu'ils  n'ont  pas  ?  Ceux-ci  méritent-ils  tant  d'honneur  et  tant 
de   blâme?...    Ces  relations  qu'il  dit  les  plus  fidèles  et  les 

1.  Saint-Germain,  5  avril  1668. 

2.  Ibid. 

3.  Instruclion  au  sieur  Talon.  Paris,  27  mars  1665. 


—  324  — 

plus  désintéressées  avaient  fortement  impressionné  le 
ministre;  et  cet  ancien  élève  des  Jésuites  de  Reims',  qui 
avait  confié  l'éducation  de  ses  enfants  aux  Pères  de  cette 
Société-,  eut  beaucoup  de  peine  à  se  défaire,  si  jamais 
il  s'en  défit  complètement,  de  ses  appréciations  peu  bien- 
veillantes en  certains  points  sur  les  missionnaires  de  la 
Nouvelle-France.  Il  appartenait  à  l'école  qui  entend  sou- 
mettre le  spirituel  au  temporel,  l'autorité  religieuse  à 
l'autorité  civile,  et  il  trouvait  C{ue  l'influence  de  la  Com- 
pagnie au  Canada  était  trop  prépondérante  et  trop  absor- 
bante. Cette  idée  perce  dans  toutes  les  instructions  qu'il 
donne  et  qu'il  donnera  dans  la  suite  aux  gouverneurs  géné- 
raux. 

C'est  dans  ces  circonstances  que  Mgr  de  Laval  arrive  à 
Paris.  Ses  ennemis^  d'outre-mer  avaient  prévenu  la  Cour 
contre  lui  et  surtout  contre  les  religieux,  qui  le  gouver- 
naient, disait-on.  Aussi  «  a-t-il  bien  du  démêlé  en  France, 

1.  Lettre  de  Tabbé  Nicolas  Colbert,  citée  par  P.  Clément,  I,  xxiv. 

2.  Le  20  août  1662,  Colbert  écrivait  au  Général  de  la  Compagnie, 

Goswin  Nickel    :   «  Vous  prévenez  par  des   remerciements   les 

actions  de  grâces  que  j'ai  à  vous  rendre  du  soin  que  vos  Pères 
prennent  de  l'éducation  de  mes  enfants  et  de  leur  inspirer  des  sen- 
timents conformes  à  leurs  devoirs...  Sa  Majesté,  qui  connaît  parfai- 
tement le  mérite  et  le  caractère  de  ceux  qui  composent  cette  Société 
si  célèbre,  et  qui  d'ailleurs  est  bien  persuadée  du  progrès  qu'elle  fait 
dans  toutes  les  parties  du  monde,  et  pour  la  religion  et  pour  les 
bonnes  mœurs,  n'a  pas  besoin  d'être  sollicitée  pour  lui  donner  sa 
protection  royale  en  toutes  occasions.  Pour  moi,  je  m'estimerais 
infiniment  heureux  si  je  pouvais  dans  quelques-unes  vous  faire 
connaître  par  mes  très  humbles  services  avec  combien  de  passion  et 
de  respect  je  suis...  n 

Le  6  novembre  1671,  il  écrivait  au  Général,  Paul  OU  va  :  «  ...  La 
parfaite  connaissance  que  j'ai  des  grands  services  que  votre 
Compagnie  rend  continuellement  à  l'Église,  joint  à  la  reconnaissance 
de  l'éducation  de  mes  enfants...  »  {Lettres,  etc.,  de  Colbert,  par 
P.  Clément,  t.  VII,  pp.  22  et  57.) 


—  325  — 

écrit  Marie  de  rincarnation,  au  sujet  des  boissons  qu'on 
donnait  aux  sauvages  K  »  Cependant,  Louis  XIV,  qui 
professait  pour  lui  la  plus  haute  estime,  et  qui  jeune 
encore  avait  Tesprit  plus  dégag-é  de  préjugés  que  ses 
ministres  et  les  gens  de  son  entourage,  le  reçoit  avec  la 
plus  grande   bienveillance    et  l'écoute    avec   attention. 

Le  26  octobre  1663,  l'évêque  de  Pétrée  rend  compte  à  la 
Proj)agande,  en  ces  quelques  lignes,  du  succès  de  son 
entrevue  :  «  Le  roi  très  chrétien  m'a  reçu  avec  une  extrême 
bonté,  et  m'a  accordé  tout  ce  que  je  lui  ai  demandé  ~.  »  Parmi 
ses  demandes  figuraient  l'interdiction  de  la  traite  de  Teau- 
de-vie  et  le  remplacement  du  baron  d'Avaugour.  La  traite 
est  défendue,  M.  d'Avaugour  rappelé,  et  le  chevalier  de 
Mésy  nommé  gouverneur,  à  la  demande  de  Monseigneur 
qui  l'a  connu  à  Caen  et  qui  fait  grand  cas  de  sa  piété  et  de 
ses  qualités  administratives  •^.  Nous  verrons  bientôt  si  ce 
choix  fut  heureux. 


d.  Lettres  historiques,  p.  589. 

2.  <(  Excepit  me  rcx  christianissimus  bénigne  admodùm  ac 
postulatis  omnibus  meis  acquievit.  »  (Arch.  de  la  Propagande,  à 
Rome,  vol.  256,  p.  55.) 

M.  de  Latour  dit  également  dans  son  Mémoire  sur  la  vie  de  M.  de 
Laval,  p.  83  :  «  Mgr  parla  au  Roy  avec  tant  de  zèle  apostolique  qu'il 
finit  par  être  écouté  et  qu'il  obtint  tout  ce  qu'il  demanda.  » 

On  lit  dans  Véloçje  funèbre  de  Mgr  :  «  Il  eut  le  bonheur  de 
voir  la  droiture  de  ses  intentions  reconnue,  la  vérité  triompher 
du  mensonge  et  la  traite  de  Teau-de-vie  défendue  avec  sévérité.  » 

La  Sorbonnc  approuva,  en  1662,  la  conduite  de  Mgr  au  sujet 
de  la  vente  des  boissons,  et  elle  jugea  très  sages  et  très  Justes  les 
mesures  qu'il  avait  cru  devoir  prendre.  Voir  Mandements  des  évêques 
de  Québec,  t.  I,  p.  41. 

Consulter  sur  le  voyage  de  Mgr  en  France  l'abbé  Gosselin ,  t.  I, 
2«  partie,  ch.  XII. 

3.  «  Novum  gubernatorem  rex  his  regionibus  prœfecit,  qui  rem 
christianam  pietate  suà  sustentet  promoveatque.  »  (Arch.  de  la 
Propagande  ;  loc.  cit.) 


—  326  — 

Sa  mission  terminée.  Monseigneur  repart  pour  le  Canada 
avec  le  nouveau  gouverneur,  deux  prêtres,  Louis  Ango  de 
Maizerets  et  Hugues  Pommier,  trois  jeunes  ecclésiastiques, 
le  P.  Rafeix,  jésuite,  des  soldats  et  des  colons.  Le  com- 
missaire du  roi,  Gaudais-Dupont,  les  accompagne,  chargé 
par  Sa  Majesté  de  prendre  possession  au  nom  de  la  cou- 
ronne des  pays  de  l'Amérique  septentrionale. 

A  son  retour  à  Québec,  le  prélat  écrit  au  préfet  de  la 
Propagande  :  «  Me  voicy  enfin  arrivé  en  nostre  Eglise  après 
un  long  et  fascheux  voyage  de  plus  de  trois  mois  sur  mer, 
dans  un  A^aisseau  plein  de  malades  et  de  morts  au  nombre 
de  plus  de  quarante,  sans  que  toutefois  Dieu  aye  permis 
que  je  fusse  du  nombre.  Je  le  prie  que  ce  soit  pour  sa 
gloire  ^.  » 

Une  grande  et  consolante  nouvelle  Tatttendait  à  son 
débarquement  sur  la  terre  canadienne.  Le  scandaleux  trafic 
des  liqueurs  spiritueuses  avait  cessé  comme  par  enchan- 
tement, sous  l'impression  de  terreur  produite  par  un 
événement  que  l'esprit  de  foi  de  la  population  regarda 
comme  un  avertissement  d'en  haut.  «  Le  ciel  et  la  terre  nous 
ont  parlé  bien  des  fois  depuis  un  an,  »  disait  le  P.  Lalemant 
dans  la  Relation  de  1663.  Il  faisait  allusion  aux  violents 
tremblements  de  terre  qui  ébranlèrent  tout  le  Canada  et 
jetèrent  ses  habitants  dans  la  consternation.  La  première 
secousse  arriva  le  5  février  1663 -;  les  autres  se  succé- 
dèrent pendant  six  mois  presque  sans  interruption.  Sur 
plusieurs  points,  le  sol  fut  bouleversé.  On  n'eut  cependant 
à  déplorer  la  perte  de  personne  ■'. 

Ces   convulsions  de  la  nature    ne  devaient  pas    laisser 

1.  Arcli.  de  la  Propagande,  vol.  2o6,  p.  61. 

2.  Relation  de  1663,  p.  3. 

3.  Relation  de  1663,  ch.  II,  p.  3. 


—  327  — 

indifférente  la  population  française,  ni  les  sauvages. 
«  Quand  Dieu  parle,  dit  le  P.  Lalemant,  il  se  fait  bien 
entendre,  surtout  quand  il  parle  par  la  voix  des  tonnerres 
ou  des  Terre-tremble,  qui  n'ont  pas  moins  ébranlé  les 
cœurs  endurcis  que  nos  plus  gros  rochers,  et  ont  fait  de 
plus  grands  remuements  dans  les  consciences  que  dans 
nos  forêts  et  sur  les  montagnes  i.  »  Les  vendeurs  d'eau-de- 
vie  comprirent  la  voix  terrible  de  Dieu  et  suspendirent  la 
traite  ;  les  néophytes  apostats  revinrent  à  l'église. 

Il  importait  de  profiter  de  ce  changement  radical  dans 
l'esprit  des  colons  français  et  des  dispositions  bienveillantes 
du  nouveau  gouverneur,  pour  commencer  la  réalisation 
des  projets  que  Sa  Grandeur  avait  soumis  au  roi  et  que  le 
roi  avait  approuvés.  Sans  perdre  de  temps,  l'évêque  de 
Pétrée  se  met  à  l'œuvre.  Il  fonde  le  séminaire  de  Québec 
qu'il  confie  aux  prêtres  des  Missions-Etrangères  de  Paris  ''  ; 
le  petit  séminaire  s'élèvera  plus  tard,  et  recueillera  les 
enfants  qui  se  destinent  à  la  vie  sacerdotale.  Les  écoliers 
fréquenteront  les  classes  des  Pères  Jésuites  ^.  Sur  la  côte 
de   Beaupré,    on    crée    une    institution   pour    les   fils    des 

1.  Relation  de  1663,  p.  7. 

2.  Mgr  de  Laval  écrivait,  le  24  oct.  166S,  aux  cardinaux  de  la 
Propagande  :  ((  Seminarium  sacerdotum  instituimus  hic,  quod 
Seminario  Parisiensi  ad  missiones  extraneas,  quod  jam  ab  cminen- 
tissimo  cardinali  legato  robur  accepit,  aggreganduni  putavi.  »  (Arch. 
de  la  Propagande,  vol.  256,  p.  63.)  — Au  mois  d'octobre  J666,  il  dit  au 
préfet  de  la  Propagande  :  a  Ad  quod  Seminarium  constitucndum 
miserunt  operarios  ex  Europà,  qui  Seminarium  parisiense  pro 
missionibus  extraneis  moderantur.  )>  (Arch.  de  la  Propagande, 
vol.  256,  p.  78.) 

3.  <c  Plurimi  ex  indigenis  Gallis  in  Seminario  Quebecensi  nostris 
impensis  erecto  instituuntur  ;  optimœ  sunt  indolis,  pietatem  amant, 
disciplinarum  capaces  existunt,  philosophiam  atque  theologiam 
edocentur,  »  (Lettre  de  Mgr  de  Laval  aux  cardinaux  de  la  Propa- 
gande, en  1671.  — Arch.  de  la  Propagande.) 


—  328  — 

paysans  :  elle  a  pour  but  de  leur  enseigner  les  éléments 
de  la  erammaire  et  du  calcul  et  de  les  former  à  dilîérents 
métiers,  surtout  à  Tagriculture.  Le  pays  est  divisé  en 
paroisses  avec  des  curés  amovibles  et  appartenant  au 
séminaire,  qui  reçoit  toutes  les  dîmes,  se  charg-e  de  la 
subsistance  des  prêtres  et  s'oblige  à  les  assister  en  santé  et 
en  maladie. 

Québec,  Montréal  et  Trois-Rivières  sont  les  paroisses 
principales  ;  d'autres  paroisses  d'une  moindre  impor- 
tance s'établissent  successivement  ici  et  là,  aux  envi- 
rons de  Québec,  sur  les  bords  du  Saint-Laurent^.  La 
colonie  de  Villemarie  passe  des  mains  de  la  Compaynie  de 
Montréal  à  celles  de  la  Société  de  Saint-Sulpice  '"  ;  l'abbé 
Gilles  Perot  bâtit  l'ég-lise  paroissiale,  MM.  Souard  et  de 
Queylus  fondent  le  séminaire  ;  déjcà  les  religieuses  hospita- 
lières de  Saint- Joseph,  créées  à  la  Flèche  par  M.  de  la 
Dauversière,  ont  pris  la  direction  de  l'Hôtel- Dieu,  élevé  par 
M"^  Mance  avec  l'aide  de  M'"^  de  Bullion,  et  Marguerite 
Bourgeois  organise  pour  l'éducation  des  petites  filles  la 
CoïKjrégation  de  Notre-Dame  ^.    . 

Ainsi  l'église  du  Canada  prend  peu  à  peu  une  forme 
régulière;  mais,  si  l'on  en  croit  M.  Gosselin,  l'œuvre 
capitale  de  l'évêque  de  Pétrée,  c'est  le  séminaire  ;  il  en 
parle  même  avec  un  tel  enthousiasme,  pour  ne  rien  dire  de 
plus,  qu'il  semble  perdre  de  vue  la  vérité  historique. 

Il  manquait  un  couronnement  à  l'édifice  religieux,  encore 
de  modeste  apparence,   que  Mgr  de  Laval  venait  d'élever 

i.  MgT  écrit,  en  octo])re  16G6,  au  Saint-Père  :  «  ...  Ut  provi- 
deatur  parochiis  quœ  circumquaque  exurgunt.  »  (Arch.  de  la 
Propagande,  vol.  256,  p.  80.) 

2.  Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  III,  ch.  XXII,  pp.  58 
et  suiv. 

3.  Ibid.,  passim. 


—  329  — 

dans   la   Nouvelle-France.   Il    n'y    avait   pas    crévéque   de 
Québec. 

Le  24  octobre  1665,  le  vicaire  apostolique  écrit  au  préfet 
de  la  Propagande,  à  Rome  :  «  Je  supplie  votre  éminence  de 
me  vouloir  continuer  son  allection,  employant  sa  faveur  et 
crédit  tant  envers  Sa  Sainteté  qu'envers  Messeig-neurs  les 
Cardinaux  de  la  Congrégation  qui  vous  reconnaît  pour  son 
chef,  à  ce  qu'il  leur  plaise  ériger  en  titre  d'évêché,  cette 
Eglise,  selon  l'instance  et  la  poursuite  qu'en  fait  le  Roy 
auprès  de  Sa  Sainteté  ;  pour  lequel  dessein  Sa  Majesté 
nous  a  mis  un  a])baye  en  main,  qu'il  désire  être  affectée 
à  sa  fondation  ^  » 

1.  Arch.  de  la  Propagande,  vol.  2o6,  p.  61.  —  Le  26  oct.  1663, 
Mgr  de  Laval  avait  écrit  aux  cardinaux  de  la  Propagande  : 
«  Abbatiam  mihi  rex  christianissinius  credidit,  ad  subsidium 
Canadensis  episcopatûs,  quem  si  summus  pontifex  erigat  quam- 
primum  stal^iliatque,  rem  fccerit  profecto  ecclesiarum  haruni  bono 
maxime  conducentem  ac  omnium  judicio  pêne  neccssariam.  Ideoque 
oro  vos  etiam  atque  etiam  obtestorque,  Eminenlissimi  Domini,  ut 
pro  vestrà  pietate  ac  religionis  zelo,  id  à  sanctitate  sua  exoretis 
exécution!  quam  citissimè  mandari.  »  (Arch.  de  la  Propagande, 
vol.  256,  p.  5o.) 

L'année  suivante,  26  oct.  1664,  il  adresse  la  même  supplique  aux 
cardinaux,  puis  il  ajoute  :  «  Hujus  ereclionis  titularis  episcopatûs 
ex  parte  Sanctitatis  suae,  et  vestrà,  tum  ex  parte  Régis,  qui  ad  hoc 
Abbatiam  jam  mihi  commisit,  promptum  felicemque  spero  exitum  ; 
est  enim  sensus  omnium  ])enè  sentientium  istud  ad  Dei  gloriam 
multum  conducere  et  ad  ecclesiœ  hujus  stabilimentum.  »  (Arch.  de  la 
Propagande,  vol.  2156,  p.  57.) 

Le  24  oct.  1665,  il  écrit  sur  le  même  sujet  au  Souverain-Pontife  : 
«  Unum  est  quod  multi  putant  ad  multa  profuturum,  si  videlicet 
placeret  Sanctitati  vestrœ  episcopatum  hic  fixum  staluere  ;  prsecisa 
enim  ex  hoc  spes  esset  nonnuUorum,  qui  spe  mutationis  varia 
moliuntur.  Audio  regem  christianissimum  istud  apud  Sanctitatem 
vestram  urgere.  Liceat  mihi  dicere  quod  sentio,  periculum  aliquod 
esse  in  mora.  Creata  est  enim  societas  qusedam  mercatorum  in 
Galliâ,  quœ  omnia  sibi  usurpare  posse  videtur,  saccrdotes  quos 
voluerit  mittere,  parochias  creare,  parochos  nominare  et  de  rébus 


—  330  — 

MgT  de  Laval  avait,  en  effet,  dans  son  voyage  en  France, 
supplié  Louis  XIV  de  s'intéresser  à  la  création  d'un 
évêché  à  Québec.  Louis  XIV  était  entré  dans  ses  vues  ;  il 
lui  avait  promis  de  le  proposer  pour  ce  nouveau  poste,  il 
avait  même  assigné  au  futur  évêché  les  revenus  de  l'abbaye 
de  ^laubec.  Restait  à  obtenir  du  Souverain-Pontife  l'érec- 
tion de  ce  siège  épiscopal.  Le  28  juin  1664,  Louis  XIV 
adresse  une  supplique  à  Sa  Sainteté,  le  pape  Alexandre  VII  ^  ; 
Monseigneur  en  fait  autant  de  son  côté,  il  écrit  aussi  au  Géné- 
ral des  Jésuites  de  plaider  sa  cause  auprès  du  Saint-Père  -  ; 
il  expose  aux  cardinaux,  dans  une  série  de  lettres  très 
pressantes,  les  motifs  de  la  supplique  royale  ^. 

Malheureusement,  les  cours  de  Rome  et  de  Paris,  qui 
voulaient  l'une  et  l'autre  ce  nouveau  siège,  différaient  sur 
les  conditions  :  en  France,  on  exigeait  que  l'évêque  de 
Québec  relevât  de  l'archevêché  de  Rouen,  jusqu'à  ce  que  le 

ecclesiasticis  multa  statucre,  pi\Ttextu,  piito,  qiiod  nullus  sit  hic 
ordinarius  ;  ex  quo  fit  ut.  is  sit  omninô  neccssariiis  ut  obviam  multis 
hujusmodi  incommodis  eatur.  )>  (Arch.  de  la  Propagande, 
vol.  256,  p.  67.) 

1.  Histoire  delà  Colonie  Française,  t.  III,  p.  427. 

2. Voir  aux  Pièces  Justificatives  le  n**  XIII. 

3.  Quelques-uns  de  ces  motifs  se  trouvent  dans  les  notes  qui 
précèdent.  En  voici  d'autres  plus  graves. 

Dans  une  lettre  d'octobre  1666  à  Sa  Sainteté,  Mgr  dit  :  «  Quœ 
omnia  creavi  nutare  videntur  et  ruinam  minari  antequam  sint, 
defectu  scilicet  fundamenti  stabilis,  hoc  est  episcopi  titulum  habentis. 
Quaecumque  enim  ab  alio  proficiscuntur  statuta  et  décréta,  ea 
nonnisi  caduca,  transitoria,  et  ad  nutum  revocabilia  existimantur,  et 
ab  iis  infringenda  qui  dominatum  aliquem  superiorem  in  nos  habere 
se  putant  aut  fingunt,  ad  quos  ex  condicto  sit  recursus  ;  undè  bella 
et  lites.  Plura  non  addam,  facile  enim  intelliget  Sanctitas  Yestra  quo 
îsta  pertineant.  Très  sunt  anni  cum  ex  Gallia  rediens,  diploma 
regium  mecum  attuli,  quo  jubebantur  populi  décimas  solvere. 
Detrectarunt  id  prœstare  habitatores,  prsetexentes  nullum  hic  esse 
cpiscopum,  neque  consequenter  parochum  cum  titulo...  »  (Arch.  do 
la  Propagande,  vol.  256,  p.  80.).  —  Pièces  Justificatives,  n°  XII. 


—  331  — 

Souverain-Pontife  y  pût  établir  une  métropole  et  plusieurs 
diocèses  ;  à  Rome,  on  désirait  qu'il  dépendît  immédia- 
tement du  siège  apostolique  ^ .  Il  fallut  des  années  pour 
arriver  à  une  entente.  Enfin,  après  de  nombreuses  négo- 
ciations, Taccord  se  fit  sur  cette  base  :  le  roi  recevra  le 
droit  de  nomination  à  l'évêché  de  Québec,  et  févêché 
relèvera  immédiatement  du  Saint-Siège.  Une  bulle  '  du 
pape  Clément  X  confirma  cet  accord  en  1674  et  transféra 
l'abbé  de  Montigny,  François  de  Laval,  du  siège  de  Pétrée 
au  nouvel  évêché  de  Québec.  Le  diocèse  de  la  Nouvelle- 
France  était  fondé. 

Pendant  que  Mgr  de  Laval  organisait  ce  diocèse  et  le 
dotait  d'une  église  cathédrale,  de  cures,  d'un  grand  et  d'un 
petit  séminaire,  d'une  école  pour  les  fils  des  paysans, 
Golbert  établissait  au  Canada  un  nouveau  système  adminis- 
tratif et  faisait  rentrer  dans  le  domaine  royal  les  terres  de 
l'Amérique  septentrionale.  Gaudais-Dupont  prit  possession 
de  ce  domaine  au  nom  du  roi  ;  puis  il  reçut  le  serment  de 
fidélité  des  habitants  et  régla  la  justice  et  les  fonctions 
judiciaires. 

De  ce  nouvel  ordre  de  choses,  nous  ne  dirons  que  ce  qui 
est  nécessaire  à  l'intelligence  de  cette  histoire.  La  Compa- 
gnie des  Cent-Associés  est  dissoute,  et  tous  ses  droits  sur 
le  Canada  sont  remis  à  la  Couronne  en  1063.  Par  une 
ordonnance  de  la  même  année,  un  conseil  souverain  est 
établi  à  Québec,  composé  du  gouverneur,  de  l'évêque,  de 
l'intendant,  de  plusieurs  conseillers  et  d'un  procureur  du 
roi.  Le  gouverneur,  première  autorité  de  la  colonie,  a  la 
direction  des  forces  militaires  et  des  affaires  extérieures. 

i.  Pièces  Justificatives,  n"*  XII  et  XIII. 

2.  Cette  bulle  est  imprimée  dans  les  Mandements  des  évécjues  de 
Québec.  Québec,  1887,  t.  I,  p.  82.  Elle  est  datée  du  !«'•  octobre  1674. 


—  332  — 

L'intendant  est  chargé  de  l'administration  du  pays  :  police^ 
finances,  marine,  commerce,  routes,  approvisionnements 
sont  sous  sa  direction,  ainsi  qu'une  partie  de  l'adminis- 
tration de  la  justice.  Organisé  à  l'exemple  de  nos  parle- 
ments et  investi  des  mêmes  jDrérogatives,  le  conseil 
souverain  a  le  droit  d'enregistrer  les  édits,  ordonnances, 
déclarations  et  lettres  patentes  du  roi,  pour  leur  donner 
force  de  loi.  Il  juge  en  appel  et  en  dernier  ressort  les  causes 
civiles  et  criminelles.  Trois  tril^unaux  subalternes  sont 
établis  à  Québec,  Trois-Rivières  et  Montréal.  L'autorité 
suprême  du  gouverneur  général  est  sagement  contrôlée  par 
l'intendant,  qui  examine  les  mesures  du  gouverneur  et  en 
fait  rapport  au  ministre  d'Etat,  avec  lequel  il  communique 
directement. 

C'est  ainsi  que  la  Nouvelle-France  prend  une  nouvelle 
forme,  entre  dans  une  ère  nouvelle  :  elle  s'organise  en 
diocèse  sur  le  modèle  de  ceux  de  France,  elle  adopte  les 
principes  d'administration  qui  existent  dans  la  mère-patrie, 
tout  un  système  administratif  et  judiciaire  qui  la  régira 
jusqu'à  la  conquête  des  Anglais.  Le  roi  subvient  aux 
dépenses  les  plus  considérables  ;  il  poye  les  troupes  et  les 
emjjloyés  supérieurs,  il  subventionne  le  clergé,  il  bâtit  les 
églises,  il  aide  les  congrégations  religieuses  et  les  hôpi- 
taux 1  ;  la  propriété  est  soumise  au  régime  féodal  et  des 
seigneuries  sont  octroyées  aux  personnes  dont  on  veut 
récompenser  les  services. 

Le  chevalier  de  Mésy  est  chargé  d'inaugurer  la  nouvelle 
administration  avec  le  titre  de  gouverneur  et  lieutenant 
général  en  Canada,  Acadie,  Terre-Neuve  et  autres  pays  de 
la  France  septentrionale.  Il  devait  sa  nomination  à 
Mgr  de  Laval,   qui  avait  fait  sa  connaissance  chez  M.  de 

d.   Colbcri  el  le  Canada,  p.  30. 


—  333  — 

Bernières,  à  FErmitage  de  Gaen,  et  était  devenu  son  ami  ; 
les  Jésuites  ne  le  connaissaient  pas,  et  c'est  bien  à  tort  que, 
dans  ses  Instructions  à  Talon,  Golbert  leur  attribue  le 
choix  de  ce  gouverneur  ^  Il  faisait  profession  (Vctrc  dévot  -, 
dit  le  ministre,  et  il  l'était  réellement,  du  moins  il  l'était 
devenu,  car  il  avait  été  dans  sa  jeunesse  un  homme  de  peu 
de  conduite  ^.  M.  de  Bernières  l'avait  f/ar/né  à  Dieu  ^.  Il 
était  major  de  la  ville  et  du  château  de  Gaen,  quand  le  roi 
lui  proposa  le  g-ouvernement  de  la  Nouvelle-France  ;  et 
lui  Faccepta  ((  dans  la  seule  vue  de  s'y  sanctifier,  en 
procurant  la  gloire  de  Dieu,  le  service  du  roi  et  le  bien  de 
la  colonie  ^.  » 

Les  débuts  de  son  administration  contrastèrent  singu- 
lièrement avec  le  gouvernement  du  baron  d'Avaugour. 
Une  grande  union  existe  entre  lui,  l'évêque  et  les  autres 
membres  du  conseil  '•.  Un  arrêt,  en  conformité  de  celui  du 
Gonseil  d'Etat  donné  le  7  mars  1G57,  défendait  de  vendre 
aux  sauvages  des  boissons  enivrantes,  sous  peine,  la 
première  fois,  de  trois  cents  livres  d'amende,  et,  en  cas  de 
récidive,  du  fouet  ou  du  bannissement.  L'année  suivante 
et  le  15  juillet  1663,  la  défense  est  renouvelée,  d'abord, 
sous  peine,  pour  les  contrevenants,  de  la  confiscation  de 
tous  leurs  biens  et  du  bannissement,  puis,  sous  peine  de 
cinq  cents  livres  d'amende  et  de  telle  autre  punition  que  le 
conseil   jugera    à    propos  ''.    Québec   est    appelé   ville  ;    le 

1.  Instructions  à   Talon.  Paris,  27  mars  106o. 

2.  Ibkl. 

3.  Vieille  chronique  citée  par  Y  Union  libérale  de  Québec, 
2  nov.  1889. 

4.  Lettres  historiques,  p.  590. 

5.  Lettre  de  M.  de  Mésy,  du  28  février  1664,  citée  par  M.  Failloii, 
t.  III,  p.  67. 

6.  Lettres  historiques,  p.  589. 

7.  Archives  de  la  Marine,  Gouverneurs,  de  1663  à  1679. 


—  334  — 

Canada,  province  ou  royaume  ;  un  maire  et  des  échevins 
sont  élus  ;  le  gouverneur  se  montre  très  pieux  et  très 
sage  ^ 

«  Tout  cela  sonne  gros  et  commence  bien,  dit  Marie  de 
l'Incarnation  après  avoir  raconté  les  heureux  débuts  du 
nouveau  régime  ;  mais  il  n'y  a  que  Dieu  qui  voie  quelles 
en  seront  les  issues  ~,  » 

Ces  issues  que  Dieu  seul  voyait,  ne  furent  pas  celles  que 
ces  beaux  commencements  semblaient  présager.  Il  était 
dans  la  destinée  de  Mgr  de  Laval  de  rencontrer  partout  des 
obstacles  à  l'accomplissement  de  son  œuvre  ;  cette  fois,  ils 
vinrent  du  côté  où  ils  n'auraient  jamais  dû  exister,  du 
chevalier  de  Mésy,  l'ami  et  le  protégé  de  l'évêque  ;  si  bien, 
dit  la  Mère  Juchereau,  <(  que,  par  une  sorte  de  fatalité, 
M.  de  Laval  ne  fut  pas  longtemps  à  se  repentir  de  son 
choix  3.  » 

Il  serait  trop  long  et  en  dehors  de  notre  sujet  de  raconter 
comment  le  gouverneur  changea  brusquement  de  conduite 
vis-à-vis  du  vicaire  apostolique,  et  par  quelles  mesures 
arbitraires  et  violentes  il  jeta  le  trouble  dans  la  colonie  et 
dans  toutes  les  branches  de  l'administration  civile.  Ce 
qu'il  importe  de  savoir,  c'est  que  «  diverses  passions  de 
colère  et  d'avarice  qu'il  avait  cachées  dans  le  commen- 
cement éclatèrent  en  lui  ^  »  ;  voici  à  quelle  occasion. 

L'édit  de  création  d'un  conseil  souverain  à  Québec 
portait  que  le  gouverneur  et  l'évêque  devaient  nommer 
conjointement  et  de  concert  les  conseillers,  le  procureur  et 
le  greffier.  Ces  officiers  publics  pouvaient  être,  au  bout  de 

1.  Lettres  historiques,  p.  589. 

2.  Ibicl.,  p.  590. 

3.  Histoire  de  riIôtel-Dieu  de  Québec,  p.  171. 

4.  Instructions  de  Colbert  à  Talon.  Paris,  27  mars  1665. 


—  335  — 

chaque  année,  changés  ou  continués  par  le  gouverneur  et 
Tévêque,  toujours  conjointement  et  de  concert.  Selon  la 
teneur  de  cette  clause,  M.  de  Més}^  et  MgT  de  Laval 
nommèrent,  en  1()()3,  membres  du  conseil,  MM.  de  Vil- 
lera}^,  de  la  Fer  té,  d'Auteuil,  le  Gardeur  de  Tillv  et 
Damours  ;  procureur  général,  Jean  Bourdon,  et  greffier, 
Peuvret  de  Mesnu.  C'étaient  des  hommes  de  probité, 
jouissant  de  l'estime  de  tous  ;  Sa  Grandeur  les  connaissait^ 
elle  les  indiqua  au  gouverneur,  qui  les  agréa. 

Tout  alla  bien  dans  les  commencements  :  parfaite  entente 
entre  tous  les  membres  du  conseil,  entre  l'autorité  civile 
et  l'autorité  religieuse.  Peu  à  peu  le  gouverneur 
conçut  un  violent  chagrin  ne  n'avoir  pas  dans  la  colonie 
l'autorité  absolue  des  anciens  gouverneurs,  d'être  obligé  de 
partager  le  pouvoir  avec  le  vicaire  apostolique,  enfin  de  se 
voir  privé,  par  les  changements  apportés  à  l'administration 
du  Canada,  d'une  assez  forte  partie  du  traitement  que  la 
Compagnie  des  Cent-Associés  payait  à  ses  prédécesseurs. 
Les  intrigants  qui  avaient  aigri  le  baron  d'Avaugour,  ne 
manquèrent  pas  de  faire  sentir  au  chevalier  de  Mésy 
l'infériorité  de  sa  situation,  et  à  force  d'habileté  et  de 
flatterie,  ils  parvinrent  à  le  pousser  dans  une  voie  où  il 
devait  bientôt  trouver  l'abîme. 

Un  beau  jour,  il  demande  au  conseil  de  lui  assurer  un 
traitement  égal  à  celui  des  autres  gouverneurs  ;  le  conseil 
refuse.  Outré  de  cet  échec,  il  exclut  successivement  du 
conseil,  de  sa  propre  autorité,  MM.  de  Villeray,  de  la 
Ferté,  d'Auteuil  et  Bourdon,  comme  coupables,  prétendait- 
il,  «  d'avoir  voulu  se  rendre  maîtres  du  conseil,  contre  les 
intérêts  du  roi  et  du  public,  dans  le  but  de  favoriser  des 
particuliers  ;  d'avoir  formé  et  fomenté  des  cabales,  contrai- 
rement à  leur  devoir  et  au  serment  de  fidélité  qu'ils  avaient 


—  336  — 

prêté  au  roi  '.  »  Cet  abus  de  pouvoir  accompli,  il  prie 
l'évêque  «  de  se  joindre  à  lui  pour  faire  une  assemblée  du 
peuple,  à  l'effet  de  choisir  d'autres  officiers  -.  »  <(  Ni  ma 
conscience,  ni  mon  honneur,  répond  l'évêque,  ni  le  respect 
et  l'obéissance  que  je  dois  aux  volontés  du  roi,  ni  la 
fidélité  et  l'affection  c[ue  je  dois  à  son  service,  ne  me 
permettent  (de  procéder  à  la  nomination  d'autres  conseillers 
ou  officiers),  jusqu'à  ce  que,  dans  un  jugement  légitime, 
les  personnes  inculpées  aient  été  convaincues  des  crimes 
dont  on  les  accuse  •''.  » 

Cette  réponse  ne  déconcerte  pas  le  gouverneur.  Le 
19  septembre  1GG4,  à  la  fin  delà  première  année  du  conseil, 
il  remplace  lui-même,  sans  consulter  l'évêque,  les  conseil- 
lers qui  lui  déplaisent  par  des  conseillers  de  son  choix.  Puis, 
les  vexations  de  toutes  sortes  se  succèdent  :  M.  Bourdon 
reçoit  l'ordre  de  repasser  en  France,  M.  de  Maisonneuve 
€st  destitué  de  sa  charge  de  gouverneur  de  Montréal  et 
remplacé  par  M.  de  Pezart  de  la  Touche  ;  la  vente  de 
l'eau-de-vie  aux  sauvages,  interdite  quelques  mois  aupa- 
ravant, est  permise  ou  du  moins  tolérée.  «  A  son  de 
tambour  réitéré,  il  fait  publier  en  ville  une  pancarte 
d'injures  contre  M.  l'évêque  et  autres  ''.  »  A  la  tête  de  ses 
gardes  et  de  la  garnison  du  fort,  il  investit  la  maison  du 
vicaire  apostolique,  peut-être  pour  l'intimider,  si  toutefois 
il  n'obéit  pas  à  d'autres  sentiments  plus  coupables  ^. 

Le  roi  avait  autorisé  Monseigneur  à  prélever  la  dîme  sur  les 

1.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  t.  I,  p.  439. 

2.  Ibid. 

3.  Ihid.,  p.  440;  —  Cours  dliisfoire,  t.  II,  p.  22. 

4.  Journal  des  Jésuites,  5  oct.  1664,  p.  329.  —  Voir  dans  The  old 
régime  in  Canada  hy  Francis  Parkman,  pp.  413  et  414  :  1.  Ordre  de 
M.  de  Mésy  de  faire  sommation  à  Tévèque  de  Pétrée,  13  février 
1664;  2.  Réponse  de  Téveque  de  Pétrée,  16  février  1664. 

5.  Vie  de  Mgr  de  Laval,  par  de  Latour,  p.  120. 


—  337  — 
colons  pour  l'entretien  des  prêtres  séculiers  et  la  bâtisse 
des  églises.  Cette  dîme  ',  fixée  d'abord  à  la  treizième  partie 
des  récoltes,  puis  réduite  au  ving-tième  pendant  six  ans, 
avait  été  un  sujet  de  plaintes  et  de  récriminations  de  la 
part  des  colons,  qui  trouvaient  la  charge  beaucoup  trop 
lourde  pour  leurs  revenus.  M.  de  Mésy,  au  lieu  de  prendre 
la  défense  de  Mgr  de  Laval  et  de  faire  exécuter  l'ordon- 
nance royale  sur  le  payement  de  la  dîme,  «  écrit  à  la  cour 
en  faveur  des  habitants  et  déclare,  dit  Latour,  qu'elle 
ruinera  et  fera  déserter  la  colonie  -.  »  Il  appuie  ensuite  la 
résistance  des  colons. 

Tous  ces  actes  arbitraires  du  gouverneur,  son  attitude 
hostile  vis-à-vis  du  clergé  et  des  missionnaires  ^  ne  décou- 
ragent pas  la  patiente  fermeté  ni  la  bonté  miséricordieuse 
de  l'évoque  de  Pétrée.  «  Aux  injures  et  à  l'insolence,  il 
oppose  le  silence  et  la  résignation.  Il  prie  beaucoup  et  fait 

1.  Les  Jésuites  eurent  à  la  payer  comme  tout  le  monde.  Ils  le  firent 
en  cédant  à  Mgr  la  moitié  de  la  somme  qui  leur  était  allouée  pour 
leurs  missions  par  le  trésor  public  :  «  Voluntariè  patimur  ut  ex 
quinque  millibus  librarum  pensionis  annuœ,  quas  nobis  Rex  aliàs  ex 
lisco  publico  attribuit,  bis  mille  quingentos  ipse  habcat  episcopus, 
({uas  nos  ipsi  illi  in  singulos  annos  numeramus,  juxla  Patris 
J.  Renault  felicis  mémorise  Provincialis  beneplacitum.  )>  (Epist. 
P.  J.  Lalemant  ad  P.  Generalem  ;  Quebeci,  20  Jul.  1064.  Arch. 
gen.  S.  J.) 

2.  Mémoire  sur  la  vie  de  M.  de  Laval,  t.  I,  p.  158. 

3.  A  cette  époque,  20  juillet  1664,  le  P.  J.  Lalemant  écrit  au 
R.  P.  Général  :  «  Quod  externos  spectat,  graves  inter  Gubernatoreni 
et  illust.  episcopum  intercessere  contentiones,  quœ  me  in  despera- 
tioneni  adduxcrunt  pacis  illius  optatissimse,  quœ  inter  hujusmodi 
sublimilates  esse  deberet.  Erat  enim  Gubernator  episcopi  operâ 
régi  cognitus  et  probatus  et  ad  eum  gradum  erectus.  Hœc  est 
rémora  multorum  bonorum  quœ  alioqui  prœstari  possent.  Pacifiée 
(|uantuni  in  nobis  est  cum  utroque  vivimus,  et  sine  alterutrius 
ofTensione  ;  efTugere  tamen  non  possumus,  quin  suspicetur  Guber- 
nator nos  in  partes  Illust.  episcopi  inclinare  ;  ex  quo  videtur  in  nos 
commoveri  et  minus  bene  sentire  et  velle.  »  (Arch.  gen.  S.  J.) 

Jés.  et  Noui'.-Fr.  —  T.  II.  .22 


—  338  — 

prier  pour  son  ancien  ami.  Avis  charitables,  représentations 
bien  motivées,  sévères  réprimandes,  il  n'épargne  rien  j^our 
le  ramener  clans  la  voie  du  devoir  ;  mais,  par  tous  ces  bons 
procédés,  il  ne  réussit  qu'à  l'irriter  davantage  '.  » 

Cet  esprit  avait  plus  que  des  travers,  il  était  mal 
équilibré.  La  colère,  la  moindre  contrariété  lui  faisaient 
perdre  la  tête.  C'est  là  la  meilleure  excuse,  si  elle  en  est 
une,  d'une  administration,  où  l'arbitraire  le  dispute  à 
l'incohérence. 

Un  jour,  après  un  démêlé  avec  l'évêque,  il  écrit  aux 
Jésuites,  pour  leur  demander  ce  qu'il  doit  faire,  car  «  il  ne 
sait,  dit-il,  comment  concilier  ses  obligations  envers 
l'évêque  et  envers  le  roi  -.  »  Le  P.  Lalemant  se  charge  de 
la  réponse  ;  et,  comme  il  soupçonne  un  piège  dans  la 
demande  du  gouverneur,  il  se  contente  de  lui  répondre  : 
«  Le  différend  entre  les  deux  autorités  est  tout  à  la  fois  du 
ressort  du  tribunal  de  la  conscience  et  de  celui  du  civil  ; 
pour  le  premier,  il  faut  s'en  rapporter  au  confesseur  ; 
quant  au  second,  ce  n'est  pas  à  des  religieux  de  juger  de 
quel  côté  est  le  tort  ^.  » 

Cette  réponse,  très  peu  compromettante,  satisfît-elle 
M.  de  Mésy  ?  Il  est  probable  que  non,  car  il  entendait  bien 
s'en  servir  comme  d'une  arme  à  double  tranchant  et  contre 
l'évêque  et  contre  les  religieux  ;  aussi  avait-il  prié  les 
Pères  de  mettre  leur  avis  au  bas  de  sa  demande  et  de  lui 
renvoyer  sa  lettre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'en  fit  après  cela  ni  plus  ni  moins 
la  guerre  aux  Jésuites  ;  bien  qu'il  se  confessât  à  eux,  il 
ne  pouvait  leur  pardonner  ni  leur  influence,  ni  leur  atta- 

1.  M.  Gosselin,  t.  I,  pp.  447  et  448. 

2.  Ibid.,  p.  441. 

3.  Archives  de  la  Marine,  Canada,  t.    I,  de  1636  à  1669,  dernier 
jour  de  février  1664.  Lettre  citée  par  M.  Faillon,  t.  III,  p.  98. 


—  339  — 

chement  à  Mgr  de  Laval  ;  sur  les  faux  rapports  de  ses 
conseillers  intimes,  il  les  regardait  comme  les  chefs  de 
l'opposition  qu'il  rencontrait  et  dans  le  clergé  et  dans  les 
fidèles.  Il  eut  même  soin,  dans  les  Mémoires  qu'il  adressa  à 
Colbert  pour  sa  défense,  d'insister  sur  le  grand  crédit  dont 
ils  jouissaient  dans  la  colonie;  et  ces  Mémoires,  il  faut 
l'avouer,  nuisirent  passablement  à  la  cause  des  mission- 
naires. «  Bien  des  gens  se  persuadèrent,  dit  Charlevoix, 
que  les  plaintes  du  gouverneur  n'étaient  pas  sans  fonde- 
ment :  on  jugea  de  ce  qui  était  par  ce  qui  pouvait  être,  et 
on  conclut  que  des  personnes  qui  avaient  un  si  grand  crédit, 
devaient,  naturellement  parlant,  mettre  tout  en  usage  pour 
le  conserver,  et  pouvaient  bien  en  abuser  quelquefois  ^  » 

Les  Mémoires  justificatifs  de  M.  de  Mésv  se  plaignaient 
aussi  de  Mgr  de  Laval  et  de  ses  prêtres.  «  Mais  en  récri- 
minant, dit  Charlevoix,  il  ne  s'était  pas  disculpé,  et 
l'évêque  de  Pétrée  avança  contre  lui  des  faits  dont  il  ne  se 
purgea  point  -.  »  Les  dépositions  du  conseiller  de  Villeray 
et  du  procureur  général  Bourdon  furent  encore  plus  écra- 
santes. De  telle  sorte  que  le  conseil  du  roi  se  décida  à 
rappeler  le  gouverneur  et  à  le  remplacer  par  Daniel  de 
Rémi,  seigneur  de  Gourcelles.  En  même  temps,  Louis  XIV 
nomma  Jean  Talon  intendant  de  la  Nouvelle-France,  et  il 
donna  ordre  au  marquis  de  Tracy,  lieutenant  général  de 
ses  armées,  de  se  rendre  au  Canada  et  d'y  rester  tout  le 
temps  nécessaire  pour  soumettre  et  réduire  à  l'impuissance 
les  Iroquois.  Tous  trois  étaient  en  outre  chargés  de  faire  une 
enquête  sur  la  conduite  de  M.  de  Mésy  •^. 

Le  jugement  de  Dieu  prévint  celui  des  hommes.  Avant 
leur    arrivée,    M.    de    Mésy    tomba    gravement    malade. 

1.  Iliafoire  de  la  Nouvelle-France,  t.  I,  p.  377. 

2.  Ibicl. 

3.  Instructions  de  Colbert  à  Talon,  27  mars  1665. 


—  340  — 

Il  se  fit  aussitôt  transporter  à  l'hôpital,  et  sentant  sa 
dernière  heure  venir,  il  appela  Monseigneur,  le  pria 
d'entendre  sa  confession,  se  réconcilia  sincèrement  avec 
lui,  et  mourut  dans  la  nuit  du  5  au  G  mai  1065,  après  avoir 
reçu  tous  les  sacrements  de  l'Eglise  ^ . 

Avant  de  mourir,  il  avait  écrit  cette  lettre  au  marquis 
de  Tracv,  alors  en  route  pour  le  Canada  :  «  J'aurais  eu  une 
consolation  très  grande,  si  votre  arrivée  en  ce  pays  avait 
précédé  ma  mort,  afin  de  vous  entretenir  des  affaires  de  la 
colonie,  dont  j'ai  fait  connaître  au  Rov  les  particularités  les 
plus  importantes.  Mais   Dieu  ayant  disposé  de   mes  jours 
pour  m'appeler  à  lui,  j'ai  prié  M.  de  Tilly  de  vous  donner 
les  éclaircissements,  avec  les  écrits  de  ce  que  j'ai  envoyé 
au  roi  l'année  dernière,   et  de  ce   qui  s'est  passé  ensuite 
entre  M.    l'évêque   de   Pétrée,   les  Pères   Jésuites  et  moi. 
Vous  éclaircirez  bien  mieux  que  je  n'ai  pu  le  faire  ce  que 
j'ai  mandé  touchant  leur  conduite  dans  les  affaires  tempo- 
relles. Je  ne  sais  néanmoins  si  je  ne  me  serai  point  trompé, 
en  me  laissant  trop  légèrement  persuader  ;  et  je  remets  à 
votre  prudence  et  à  l'examen  que  vous  en  ferez  la  définition 
de   cette   affaire.   C'est  pourquoi,   si   vous  trouvez   quelque 
défaut  dans   mes   procédés,    je    vous    conjure    de  le    faire 
connaître  au  roi,  afin    que  ma  conscience   n'en  puisse  être 
charo'ée,   mon  intention  n'ayant  jamais   été    autre    que   de 
servir  fidèlement  Sa  Majesté   et  de  maintenir  l'autorité  de 
la  charité  dont  elle  m'a  fait  la   faveur  de  m'honorer  en  ce 
pays  '^  » 

Cette  letti^e  était  un  commencement  de  réparation,  une 

1.  Journal  des  Jésuites,  pp.  330  et  331  ;  —  Faillon,  t.  III,  pp.  100, 
101  et  102  ;  —  Gosselin,  t.  I,  pp.  449  et  4o0. 

2.  Reo-istre  des  jugements  et  délibérations  du  conseil,  fol.  21.  — 
Voir  Faillon,  t.  III,  p.  101  ;  —  Ferland,  t.  II,  p.  33  ;  —  Gosselin, 
t.  I,  p.  4i9. 


—  341  — 

atténuation  du  mauvais  effet  produit  à  la  cour  par  les 
Mémoires  de  M.  de  Mésy  contre  Tévéque  de  Pétrée,  les 
Jésuites  et  les  Prêtres.  ((  Ces  Mémoires,  dit  encore  Char- 
levoix,  firent  naître  des  soupçons,  dont  quelques  personnes 
eurent  dans  la  suite  bien  de  la  peine  à  revenir  K  »  Parmi 
ces  personnes,  il  faut  citer  Colbert,  qui  consentit  à  révoquer 
(le  Mésy,  «  sauf  à  prendre  de  bonnes  précautions  pour 
donner  des  bornes  à  la  puissance  des  ecclésiastiques  et  des 
missionnaires  -.  »  Dans  ce  but,  il  donna  cette  instruction  à 
Talon,  le  27  mars  IGGo,  au  moment  de  l'envoyer  au 
Canada  en  qualité  d'intendant  :  «  Il  est  absolument 
nécessaire  de  tenir  dans  une  juste  balance  l'autorité 
temporelle  qui  réside  en  la  personne  du  roi  et  en  ceux  qui 
le  représentent,  et  la  spirituelle  qui  réside  en  la  personne 
du  s^  Evesque  et  des  Jesuittes,  de  manière  touttes  fois  que 
celle-cy  soit  inférieure  k  l'autre.  » 

Cette  politique  prévaudra  désormais  dans  la  Nouvelle- 
France  ;  elle  sera  la  règle  de  conduite  des  gouverneurs  et 
des  intendants,  la  source  féconde  de  beaucoup  de 
conflits. 

1.  T.  I,  p.  377.  —  Les  accusations  calomnieuses  contre  les  Jésuites 
étaient  si  graves,  que  le  P.  Le  Mercier,  supérieur  des  missions  de 
la  Nouvelle-France,  présenta  une  requête  à  MM.  de  Tracy,  de 
Courcelles  et  Talon,  à  leur  arrivée  au  Canada,  les  suppliant  «  très 
huml)lement  de  faire  rechercher  de  la  vérité  des  choses  qui  ont  esté 
escrites  à  leur  desavantage  par  ledit  sieur  de  Mésy  à  Sa  Majesté,  à 
ce  que  la  vérité  connue,  il  leur  plaise  en  informer  et  éclairer  qui  il 
appartient,  de  les  (les  Jésuites)  purger  du  ])lasme  qu'on  leur  y 
donne.  »  Voir  cette  requête  aux  Pièces  Justificatives,  n°  XV. 

M.  de  Tracy  conseilla  au  P.  Le  Mercier  de  ne  pas  poursuivf^e  cette 
affaire,  attendu  :  «  1°  que  les  accusations  portées  contre  les  Pères  sont 
dans  une  lettre  escrite  au  Hoy,  qu'on  suppose  estre  secrette  ; 
2«  qu'eux  (MM.  de  Tracy,  de  Courcelles  et  Talon)  ont  escrit  à 
Sa  Majesté  avantageusement  pour  la  justification  des  Pères.  » 
\Ihi(l.).  —  Cette  requête  est  conservée  aux  Aixhives  nationales^ 
carton  M.  242. 

2.  P.  de  Charlevoix,  t.  I,  p.  378. 


CHAPITRE    TROISIEME 

Les  missions  sauvages  confiées  aux  Jésuites.  —  Le  P.  Ménard  chez 
les  Outaouais.  —  Le  P.  Allouez  au  lac  Supérieur  et  à  la  baie  des 
Puants    :    missions  du   Saint-Esprit  et  de  Saint-François-Xavier. 

—  Les  Pères  d'Ablon  et  Marquette  à  Saintc-Marie-du-Saut.  — 
Grande  réunion  des  sauvages  au  Saut,  et  prise  de  possession  par 
les  Français  des  pays  d'en  haut.  —  Les  Pères  d'Ablon  et 
Druillettes  à  Nekouba  ;  le  P.  Nouvel  au  lac  Saint-Barnabe,  chez 
les  Papinachois  ;  le  P.  Albanel  et  Denys  de  Saint-Simon  à  la  baie 
d'Hudson.  —  Expéditions  de  MM,  de  Courcelles,  Sorel,  de  Tracy 
contre  les  Agniers.  —  Régiment  de  Carignan.  —  L'intendant 
Talon.  —  La  paix  et  ses  bienfaits  :  commerce,  agriculture,  industrie, 
population,  paroisses,  écoles,  missions.  — Retour  au  Canada  des 
Récollets  et  de  M.  de  Queylus.   —  Les  Jésuites  chez  les  Iroquois. 

—  Etablissements  à  la  prairie  de  la  Madeleine  et  au  Saut-Saint- 
Louis. 


Nous  avons  dit,  au  chapitre  précédent,  que  dans  l'orga- 
nisation du  vicariat  apostolique,  Mgr  de  Laval  avait 
confié  à  ses  prêtres  et  aux  Sulpiciens  la  desserte  des 
paroisses,  et  aux  Jésuites  Tévangélisation  des  sauvages. 

Ces  derniers  seuls  comprenaient  et  parlaient  la  langue 
des  indigènes,  ils*  connaissaient  leurs  mœurs,  leurs  lois, 
leurs  habitudes  de  vie  ;  ils  savaient  par  quels  moyens 
arriver  à  leurs  âmes  en  dépit  des  résistances  que  rencon- 
traient les  saintes  et  austères  doctrines  de  l'évangile  ; 
enfin,  à  force  de  dévouement  et  de  patience,  ils  avaient 
conquis  sur  eux  une  influence  incontestée.  En  outre, 
l'œuvre  des  missions  plaisait  davantage  à  ces  conquérants 
avides  de  sacrifices,  bien  mieux  faits  pour  les  luttes  contre 
le  paganisme  et  la  barbarie  que  pour  l'administration  des 
églises  paroissiales  ou  la  direction  et  la  surveillance  des 


—  34i  — 

intérêts    de    la     colonie    au    sein     du    grand    conseil    de 
Québec. 

Ces  conquérants,  qui  avaient  montré  tant  d'héroïsme, 
des  qualités  d'apôtres  incomparables  au  pays  des  Hurons 
et  chez  les  Iroquois,  semblaient  n'être  plus  que  l'ombre 
d'eux-mêmes,  depuis  que  les  fureurs  de  la  guerre  avaient 
anéanti  leurs  missions  et  les  retenaient  captifs  dans  les 
forts  de  Québec,  de  Montréal  et  des  Trois-Rivières.  Cette 
captivité  leur  pesait  lourdement,  et  leurs  lettres  de  cette 
époque  au  R.  P.  Général  révèlent  un  état  général  de 
souffrance,  le  regret  de  ne  plus  vivre  au  milieu  des  sau- 
vages, loin  des  postes  français. 

Il  était  donc  naturel  que  Mgr  de  Laval  leur  confiât  la 
charge  des  missions^.  Ils  l'acceptèrent  avec  joie  et  recon- 
naissance comme  le  plus  beau  lot  de  l'héritage  de  Dieu  en 
ces  vastes  contrées  du  Nouveau-Monde.  «  Il  n'y  a  pas  de 
nation  si  barbare  ni  si  éloignée,  écrivait  Mgr  de  Laval,  où 
ils  ne  brûlent  de  porter  leur  zèle  et  leurs  travaux  aposto- 
liques -.  » 

1.  Gosselin^  t.  I,  p.  247. 

2.  «  Ad  Lucra  anima rum  sunt  impigri  ;  ncque  ulla  gens  est  tam 
barbara  tamque  remota,  quo  eorum  sollicitudo  et  cura  apostolica  non 
se  extendat.  »  [Relai.  missionis  Canaclensis,  an.  1360).  —  En  confiant 
aux  Jésuites  la  charge  des  missions,  Mgr  conféra  en  même  temps  à 
chacun  de  ceux  qui  y  étaient  envoyés  le  titre  de  grand  vicaire. 
C'est  ce  que  nous  apprend  une  lettre  du  P.  J.  Lalemant,  adressée 
de  Québec,  en  janvier  1668,  au  R.  P.  Général  :  ((  lllust.  Episcopus 
nos  universim  et  singulos  de  Societate  ad  missiones  euntcs  titulo 
vicariorum  suorinn  generaliinn  verbo  et  scripto  cohoncstat,  subji- 
ciens  nobis  in  suis  functionibus,  si  quos  contingat  nobiscum  concur- 
rere  ex  sacerdotibus  ssecularibus.  »  (Arch.  gen.  S.  J.).  —  On  lit 
encore  dans  une  lettre  adressée  cette  même  année,  l"""  sept.  1668, 
au  R.  P.  Général  par  le  P.  Le  Mercier  :  <.<.  Episcopus  omnibus  et 
singulis  Patribus  nostris,  qui  Iroquœis  ad  fidem  instituendis  vacant, 

•litteras  dédit,  quibus  omnibus  constet   eos  esse    suos  inibi  vicarios 


—  345  — 

A  l'arrivée  du  vicaire  apostolique  au  Canada,  il  y  avait 
vseize  prêtres,  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus,  dispersés 
dans  les  stations  qu'ils  occupaient  alors,  à  Québec,  aux 
Trois-Rivières,  à  Sillerj  et  à  Miscou. 

Le  P.  Chaumonot  évangélisait  les  Ilurons  réfugiés  à 
Québec  ;  le  P.  Albanel,  les  Algonquins  à  Tadoussac  et 
aux  environs  ;  les  Pères  Richard  et  de  Lvonne,  les  tribus 
sauvages  depuis  Gaspée  jusqu'à  la  partie  de  l'Acadie 
occupée  par  les  x\nglais.  Cette  dernière  mission  devait 
passer  c[uelques  années  après,  comme  on  Ta  déjà  vu,  des 
mains  des  Jésuites  à  celles  des  fds  de  Saint-François,  ces 
apôtres  dévoués  de  la  presqu'île  acadienne  ^ 

Le  nouveau  mouvement  vers  les  missions  lointaines,  sous 
le  vicariat  de  Mgr  de  Laval,  date  de  1660.  Le  29  octobre 

générales.  »  (Arch.  gen.  S.  J.).  —  Ces  deux  lettres  expliquent  pour- 
quoi quelques  missionnaires  mettent  après  leur  nom  le  titre  de  grand 
vicaire.  On  trouvera  aux  Pièces  Justificatives,  n°  XVI,  le  modèle  des 
Lettres  de  vicaire  général  accordées  par  Mgr  de  Laval  à  chaque 
missionnaire.  Toutefois,  le  Général  de  la  Compagnie  défendit  aux 
missionnaires  du  Canada  d'user  de  leurs  pouvoirs  de  grand  vicaire 
à  l'égard  des  ecclésiasti({ues  n'appartenant  pas  à  la  Compagnie.  Les 
Jésuites  se  conformèrent  à  cet  ordre,  comme  nous  l'apprend  une 
lettre  du  P.  Le  Mercier,  26  août  1670  :  Quoad  Patentes  attinet 
missionariis  nostris  ab  illust.  episcopo  concessas,  quandô  ita  juhet 
Paternitas  vestra,  illis  omnino,  prout  hactenùs  fecerunt,  patres 
nostri  non  utentur  (juoad  illam  partem  (pix  Juridictionem  in  externos 
continet.  (Arch.  gen.  S.  J.) 

1.  Personnel  de  la  mission,  en  1659.  A  Québec  :  P.  J.  Lalemant, 
sui)érieur  du  collège  et  de  la  mission  ;  Pères  Ragueneau,  ministre, 
Yimont,  Le  Mercier,  d'Ablon,  Chastelain,  Chaumonot,  Albanel, 
Claude  Pijart,  Allouez.  —  A  Sillery  :  Druillettes  et  Bailloquet.  — 
Aux  Trois-Rivières  :  Ménard,  Frémin  et  Le  Moine.  —  A  Miscou  :  de 
Lyonne  et  Richard. 

Le  P.  Lalemant,  arrivé  avec  ^Igr  de  Laval  au  mois  de  juin,  fut 
nommé  supérieur  le  6  août  1659  et  entra  en  charge  le  8  septembre. 
Le  P.  de  Quen,  son  prédécesseur,  mourut  un  mois  plus  tard,  le 
8  octobre.  Le  P.  Yimont  partit  pour  la  France,  le  22  octobre. 


—  346  — 

de  cette  année,  Févêque  écrivait  au  pape  Alexandre  Vil  : 
((  Cet  été,  un  prêtre  de  la  Compagnie  de  Jésus  est  parti 
pour  une  mission,  éloignée  de  plus  de  cinq  cents  lieues  de 
Québec.  Ce  pays  est  habité  de  nations  innombrables  qu^ 
n'ont  jamais  entendu  parler  de  la  foi  catholique.  Sept 
Français  se  sont  joints  à  cet  apôtre,  eux  pour  acheter  des 
castors,  et  lui  pour  conquérir  des  âmes.  Il  aura  beaucoup 
à  souffrir  et  tout  à  craindre  de  l'hiver,  de  la  faim,  des 
maladies  et  des  sauvages.  Mais  l'amour  de  Jésus-Christ  et 
le  zèle  des  âmes  triomphent  de  tout^.  » 

Ce  prêtre  est  le  P.  René  Ménard,  supérieur  de  la  rési- 
dence des  Trois-Rivières.  En  revenant  de  Montréal  à 
Québec,  au  mois  d'août,  Mgr  avait  rencontré  une  flottille 
de  soixante  canots,  montée  par  plus  de  trois  cents 
Outaouais,  qui  remontait  le  fleuve,  après  avoir  laissé  ses 
pelleteries  aux  Trois-Rivières.  Au  milieu  des  sauvages,  il 
ajDerçoit  le  P.  Ménard  et  lui  dem.ande  où  il  va.  Sur  sa 
réponse  qu'il  se  rend  au  lac  Supérieur  et  même  au  delà,  si 
la  gloire  de  Dieu  l'exige,  l'évêque  manifeste  quelque  éton- 
nement  et  de  l'inquiétude.  Le  missionnaire,  en  effet,  âgé 
de  cinquante-cinq  ans,  mais  déjà  brisé  par  les  travaux,  les 
pénitences  et  des  fatigues  excessives,  marchait  courbé 
comme  un  vieillard. 

Le  P.  Ménard  comprend  la  pensée  inquiète,  le  regard 
étonné  de  Mgr,  et  lui  dit  avec  un  pieux  abandon  :  «  Que 
dois-je  faire.  Monseigneur?  »  «  Mon  Père,  lui  répond 
celui-ci,  toute  raison  semble  vous  retenir  ici  ;   mais  Dieu, 

1 .  «  Unus  è  Societate  Jesu  sacerdos  hàc  sestate  itor  suscepit  in 
missionem  longinquam  quingentis  (?)  et  amplius  ultra  Quebecum 
leucis  ad  gentes  numerosissimas  quse  do  fide  Christianâ  nihil 
hactenùs  edoctœ  simt.  Septem  cum  eo  Galli  socios  se  adjunxero,  hi 
quidem  pelles  Castoreas  mercaturi,  ille  animas.  Teleranda  multa, 
metuenda  omnia  ab  hyeme,  à  famé,  à  morbis,  ab  liostibus,...  Sed 
nimirùm  amor  Christi  omnia  vincit  zelusque  animarum.  »  (Arch.  de 
la  Propagande,  vol.  256,  p.  24.) 


—  347  — 

plus  fort  que  tout,  vous  veut  en  ces  quartiers-là'.  »  Ces 
paroles  sont  pour  le  missionnaire  comme  la  voix  de  Dieu, 
une  force  et  une  consolation.  «  Que  de  fois,  écrit-il  dans- 
son  journal,  je  les  ai  repassées  dans  mon  esprit  au  milieu 
du  bruit  de  nos  torrents  et  dans  la  solitude  de  nos  g-randes 
forêts  -  !   » 

Il  incline  la  tête  sous  la  bénédiction  épiscopale,  et  se 
remet  en  route  avec  les  sauvages,  à  la  grâce  de  Dieu  I  II 
n'emportait  avec  lui  ni  sac  de  voyage,  ni  cadeaux  pour  les 
Indiens,  ni  vivres.  Il  allait,  accompagné  du  fidèle  domes- 
tique, Jean  Guérin,  là  où  l'esprit  du  Seigneur  le  poussait, 
sans  trop  savoir  où,  convaincvi  seulement  qu'il  ne  revien- 
drait pas  de  cette  lointaine  expédition  2.  Avant  de  quitter 
Trois-Rivières,  le  27  août,  il  adressait  ces  quelques  lignes 
d'adieu  à  un  de  ses  amis  :  «  Je  vous  escris  probablement  le 
dernier  mot,  que  je  souhaite  être  le  sceau  de  notre  amitié 
jusques  à  l'éternité...  Dans  trois  ou  quatre  mois  vous 
pourrez  me  mettre  au  Mémento  des  morts,  vu  le  genre  de 
vie  de  ces  peuples,  mon  âge  et  ma  petite  complexion  ; 
nonobstant  quoi,  j'ai  senti  de  si  puissants  instincts,  et  j'ai 
vu  en  cette  affaire  si  peu  de  nature,  que  je  n'ai  pu  douter 
qu'ayant  manqué  à  cette  occasion,  je  n'en  dusse  avoir  un 
remords  éternel.  Nous  avons  été  un  peu  surpris,  pour  ne 
pouvoir  pas  nous  pourvoir  d'habits  et  d'autres  choses  ; 
mais  celui  qui  nourrit  les  petits  oiseaux  et  habille  les  lis 
des  champs,  aura  soin  de  ses  serviteurs  ;  et  quand  il  nous 
arriverait  de  mourir  de  misère,  ce  serait  pour  nous  un 
grand  bonheur  ^.  » 

1.  Relation  de  1G64,  p.  2  ;  —  Charlevoix,  t.  I,  p.  356  ;  —  Gosselin, 
t.  I,  p.  274. 

2.  Relation  de  1664,  p.  2. 

3.  Journal  des  Jésuites,  août  1660  ;  —  Relation  de  1660,  chap.  VI, 
pp.  28  et  29. 

4.  Relation  de  1660,  p.  30. 


—  348  — 

Au  mois  d'octobre,  il  atteignait  le  lac  Supérieur  après 
six  semaines  d'un  pénible  voyage,  où  les  Outaouais  le 
traitèrent  comme  un  esclave,  l'obligeant  à  ramer  toute  la 
journée  et  à  traîner  dans  les  portages  de  lourds  fardeaux, 
male-ré  sa  faiblesse  extrême  et  ses  infirmités.  Les  tour- 
ments  de  la  faim  furent  horribles  :  les  voyageurs  se  virent 
forcés  de  piler  des  ossements  humains  qu'ils  trouvèrent 
sur  la  route  près  de  cabanes  abandonnées  ;  ils  les  firent 
bouillir  et  les  aA^alèrent  en  guise  de  sagamité. 

L'hiver  arrivait.  Le  Jésuite  hiverna  avec  les  Outaouais 
dans  une  baie  du  rivage  méridional  du  lac,  à  laquelle  il 
donna  le  nom  de  Sainte-Thérèse,  et  pendant  huit  mois  son 
industrieuse  et  persévérante  charité  s'elforça  de  gagner  à 
Jésus-Christ  cette  race  immorale  et  stupide,  grossière 
entre  toutes,  insensible  aux  sublimes  beautés  de  la  morale 
évangélique.  D'après  son  journal,  le  résultat  de  ses  efforts 
fut  23resque  nul  ;  seules,  quelques  âmes  prédestinées 
écoutèrent  sa  voix  :  ((  Dans  le  reste  des  barbares  il  ne 
trouva  qu'opposition  à  la  Foy,  à  cause  de  leur  grande 
brutalité  et  de  leur  infâme  polygamie  ^ .  » 

Il  n'y  avait  rien  à  espérer  de  cette  nation  dégradée.  Le 
P.  Ménard  le  comprit  par  une  longue  et  dure  expérience, 
et,  à  1  exemple  de  l'apôtre  saint  Paul,  il  résolut  de  porter 
à  d'autres  peuplades,  plus  dignes  de  le  recevoir,  le  flambeau 
sacré  delà  foi. 

Quelques  familles  indiennes,  débris  de  la  tribu  huronne, 
habitaient  alors  à  l'extrémité  occidentale  du  lac  Supérieur, 
sur  la  rive  méridionale,  à  la  pointe  Chagouamigon.  Dans 
l'été  de  1661,  il  fait  ses  adieux  aux  Outaouais  et  part  avec 
un  armurier  français  et  quelques  Hurons  pour  aller  évan- 

1.  Relation  de  1663,  p.  20. 


—  3i9  — 

géliser  les  restes  de  cette  tribu,  à  laquelle  il  avait  consacré 
jadis  pendant  dix  ans  les  prémices  de  son  apostolat  dans 
l'Amérique   septentrionale. 

Les  Français,  qui  avaient  hiverné  avec  lui  à  la  baie  de 
Sainte-Thérèse,  «  mettent  tout  en  œuvre  pour  le  détourner 
de  ce  voyage  ;  ils  Tassurent  qu'il  est  de  cent  lieues  au 
moins,  que  les  chemins  sont  affreux,  et  que,  dans  l'épui- 
sement où  il  est,  il  y  a  grande  imprudence  à  s'y  engager. 
Il  leur  répond  qu'il  ne  peut  finir  plus  glorieusement  sa 
course,  qu'en  cherchant  à  gagner  des  âmes  à  Jésus- 
Christ  ^  ;  »  et  malgré  leurs  prières  et  leurs  représentations^ 
il  se  sépare  d'eux  et  de  ses  néophytes,  le  cœur  attendri, 
l'âme  forte  :  «  Adieu,  mes  chers  enfants,  leur  dit-il  en  les 
embrassant;  je  vous  dis  le  grand  adieu  pour  ce  monde,  car 
vous  ne  me  reverrez  plus.  Je  prie  la  bonté  divine  que  nous 
nous  réunissions  dans  le  ciel  '^.  » 

Il  ne  devait  plus,  en  effet,  revoir  ses  chers  enfants.  Après 
quelques  semaines  de  marche,  les  vivres  étant  épuisés, 
les  Hurons,  sous  prétexte  d'aller  en  chercher,  abandonnent 
près  d'un  lac  le  Père  et  l'armurier  français.  Ceux-ci  les 
attendent  pendant  quinze  jours,  mais  inutilement.  Dévorés 
par  la  faim,  u  ils  raccommodent  un  petit  canot  qu'ils 
trouvent  au  milieu  des  broussailles,  y  jettent  leurs  paquets 
et  s'embarquent  pour  continuer  leur  voyage.  Un  jour,  vers 
la  mi-août,  le  P.  Ménard  était  descendu  à  terre,  pendant 
que  son  compagnon  conduisait  le  canot  à  travers  un  rapide 
dangereux.  Arrivé  à  l'autre  bout  de  ce  passage  difficile  3,  » 
l'armurier  attend  le  missionnaire,  qui  ne  paraît  pas.  11  le 
cherche,  il  l'appelle  en  vain.  Découragé,  il  remonte  sur  son 
canot  qu'il  laisse  aller  au  courant  de  la  rivière,  et,  deux 

1.  Charlevoix,  t.  I,  p.  357. 
■2.  Relation  de  1GG3,  p.  21. 
3.  Ferhmd,  t.  I,  p.  493. 


—  350  — 

jours  après,  il  arrive  à  un  village  huron,  d'où  il  envoie  un 
jeune  sauvage  à  la  recherche  du  Père.  Au  bout  de  quelques 
heures,  le  Huron  revient,  effrayé,  dit-il,  par  la  rencontre 
des  ennemis. 

Qu'était  devenu  le  P.  Ménard?  Etait-il  mort  de  faim  et 
de  fatigue?  Avait-il  été  assassiné?  On  sait  seulement  que, 
peu  de  temps  après  sa  disparition,  on  découvrit  un  Saki, 
portant  des  objets  qui  avaient  appartenu  à  la  Robe  noire; 
et  à  quelques  années  de  là,  au  dire  de  Nicolas  Perrot,  a  on 
trouva  chez  les  Sioux  son  bréviaire  et  sa  soutane,  C[u'ils 
exposaient  dans  les  festins  et  auxquels  ils  vouaient  leurs 
mets  ^ 

Depuis  cinq  ans,  c'était  la  seconde  tentative  infructueuse 
d'évangélisation  des  peuplades  sauvages  de  l'Ouest  -.  La 
première  avait  échoué  au  début  par  la  mort  du  P.  Garreau, 


1.  Cours  criiisfoire  du  Canada,  t.  I,  p.  493;  —  Charlevoix,  t.  I, 
p.  357;  —  N.  Perrot,  pul)lié  par  le  P.  Tailhan,  pp.  84-92. 

Voir  sur  le  P.  Ménard  :  Jlelalioii  de  1660,  eh.  VI;  —  Relation  de 
1661,  eh.  III  ;—Ihid.,  p.  41  ;— Relation  de  1663,  ch.  VIII  ;  —  Relation 
de  1664,  ch.  I  ;  —  1665,  p.  9  ;  —  P.  Renati  Ménard  vita  et  mors  (Arch. 
gen.  S.  J.);  —  Patricjnani,  Mcnologio,  10  Agosto,  p.  98;  —  Nadasi, 
Annus  dier.  Memorab.,  10»  Aug,,  p.  93;  — Drews,  Fasti  S.  J.,  10* 
Aug.,  p.  306;  —  Brasseur  de  Bourbourg,  Histoire  du  Canada,  t.  I, 
pp.  75,  94,  95;  —  Marie  de  rincarnation,  pp.  533,  569;  —  Shea, 
History  of  the  Catholic  Missions  aniong  the  indian  tribes...,  p.  356. 

«  Jean  Guérin,  le  fidèle  compagnon  du  P.  Ménard,  avait  été  laissé 
chez  les  Outaouais  ;  il  y  demeura,  remplissant  une  partie  des  fonctions 
du  missionnaire,  instruisant,  exhortant,  baptisant.  L'année  suivante, 
il  fut  tué  par  la  décharge  accidentelle  d'un  fusil.  »  (Ferland,  t.  I, 
p.  494.) 

2.  Ces  peuplades  ne  comprenaient  pas  seulement  les  Hurons  et 
les  Outaouais  chassés  de  leurs  pays  par  les  Iroquois  et  réfugiés  soit 
sur  les  bords  du  lac  Supérieur,  soit  au  delà  du  grand  lac,  mais  les 
Outagamis,  les  Sakis,  les  Mascoutins,  les  Miamis,  les  Amikoués,  les 
Sioux,  les  Illinois,  les  Kilistinons  ou  Cris,  etc.. 


—  351  — 

frappé  d'une   balle,   dans   une  embuscade    dlroquois,    au 
dessus  de  Montréal  ^ 

La  mort  de  ces  deux  apôtres  ne  découragea  pas  leurs 
frères.  Le  8  août  1665,  le  P.  Claude  Allouez  s'embarque 
sur  l'Ottawa,  désireux  de  continuer  l'œuvre  du  P.  Ménard 
et  de  fonder  dans  l'Ouest  une  mission  sauvage.  Allouez, 
c|u'on  surnommera  plus  tard  V apôtre  de  toutes  les  nations 
des  Outaouais,  était  admirablement  taillé  pour  cette 
lointaine  entreprise.  Arrivé  depuis  peu  de  temps  au 
Canada,  il  rappelait  par  la  sincérité  de  ses  vertus  et  les 
élans  de  son  zèle  les  plus  vaillants  ouvriers  de  l'époque 
héroïque  des  missions  huronnes. 

Né  en  1622  dans  le  Forest,  au  village  de  Saint-Didier,  il 
fît  ses  études  littéraires  au  Puy,  au  collège  de  la  Compagnie 
de  Jésus.  François  Régis,  que  le  pape  Clément  XI  éleva 
plus  tard  au  rang  des  Bienheureux,  remplissait  alors  la 
ville  de  la  renommée  de  son  nom  et  du  bruit  de  ses  conver- 
sions et  de  ses  miracles.  Professeur  de  grammaire  de  1625 
à  1628  -,  il  consacrait  les  dimanches  et  les  fêtes  à  l'instruc- 
tion religieuse  des  enfants  et  des  pauvres  delà  campagne; 
il  n'avait  pas  encore  reçu  la  prêtrise.  Devenu  prêtre,  il 
revint  au  Puy  en  1634,  après  plusieurs  années  d'absence  : 
le  P.  Le  Jeune  venait  de  rouvrir  la  mission  du  Canada,  et 
Régis  désirait  si  ardemment  aller  le  rejoindre  qu'il  écrivit  à 
son  général,  Mutins  Yitelleski  :  «  Je  me  sens  un  si  véhé- 
ment désir  de  passer  au   Canada,   pour  m'y  consacrer  au 

1.  N.  Pcrrot,  p.  84,  paraît  être  «  le  seul  qui  rejette  sur  un  Français 
l'assassinat  du  P.  Garreau.  Les  relations  des  Jésuites  se  taisent  sur 
cette  circonstance  assez  peu  flatteuse  pour  Famour  propre  national.  » 
Le  P.  Tailhan  penche  pour  Fopinion  de  Perrot  dans  sa  note  I  sur  le 
chap.  XV,  p.  228. 

2.  Régis  arriva  au  Puy  au  mois  d'octobre  1625  et  en  partit  au  mois 
d'octobre  1628. 


—  3o2  — 

salut  des  peuples  sauvag-es  qui  l'habitent,  que  je  croirais 
manquer  à  la  vocation  divine,  si  je  ne  vous  manifestais  pas 
les  sentiments  que  Dieu  m'inspire  à  cet  égard.  Je  vous  les 
expose  aujourd'hui  et  je  vous  supplie  très  instamment 
d'exaucer  mes  vœux  malgré  mon  indignité  i.  »  Le  Général 
ne  refusa  pas  son  consentement,  mais  il  ajourna  la  réalisa- 
tion des  projets  de  Régis  :  «  J'aurai  égard,  lui  dit-il,  à  vos 
pieux  désirs,  lorsque  le  temps  les  aura  un  peu  plus  mûris. 
Il  faut,  en  attendant  l'ordre  de  la  Providence,  que  vous 
affermissiez  ces  bons  sentiments  par  l'oraison  et  par  la 
pratique  des  vertus  nécessaires  au  ministère  évangélique  '-.  » 
Régis  n'insista  pas  :  Dieu  avait  d'autres  desseins  sur  lui,  il 
l'appelait  à  être  l'apôtre  du  Velay,  du  Vivarais  et  des 
Cévennes. 

Alloviez  commençait  sa  classe  de  quatrième,  quand  le 
religieux  inaugura  au  Puy  ces  ferventes  prédications  qui 
devaient  remuer  si  profondément  la  ville.  Il  assista  à  ses 
sermons  et  à  ses  catéchismes,  il  lui  révéla  les  secrets  de  sa 
conscience,  ses  généreuses  aspirations  ;  il  le  consulta  sur 
son  avenir,  sur  l'appel  à  l'apostolat  qu'il  entendait  au  fond 
de  son  âme.  On  sait  que  les  paroles  d'un  saint  tombant  sur 
un  cœur  de  jeune  homme  bien  préparé  v  laissent  d'ordinaire 
une  empreinte  que  ni  le  temps  ni  les  vicissitudes  de  l'exis- 
tence ne  parviennent  pas  toujours  à  effacer;  souvent  elles 
impriment  à  toute  la  vie  sa  direction  et  une  puissance  mer- 
veilleuse d'expansion.  Les  paroles  de  Régis  produisirent 
sur  Allouez  une  si  pénétrante  impression  qu'il  semble  que 
l'âme  du  maître  passa  toute  entière  dans  le  docile  disciple. 

Au  sortir  de  sa  rhétorique,  le  2o  septembre  1639,  Claude 

1.  Le  Puy,  lo  décembre   1634.  Voir  la  Vie  de  J.-F.  Régis,  par  le 
P.  Daubenton,  p.  82. 

2.  Rome,  30  janvier  1635  {Vie  de  J.-F.  Régis,  p.  83). 


—  353  — 

Allouez  entre  au  noviciat  des  Jésuites  à  Toulouse,  avec  son 
frère  Ignace,  un  autre  disciple  de  François  Régis.  Dès  cette 
époque,  il  pense  aux  missions  lointaines,  surtout  à  celles 
du  Canada.  L'apostolat  chez  les  sauvages  est  une 
faveur,  et  cette  faveur,  il  devait  l'attendre  longtemps.  ïl 
étudie,  après  le  noviciat,  un  an  la  littérature,  trois  ans  la 
philosophie,  quatre  ans  la  théologie;  il  enseigne  sept  ans 
la  grammaire,  les  belles-lettres  et  la  rhétorique;  enlîn  il 
consacre  trois  ans  soit  à  l'étude  de  sa  propre  perfection,  soit 
au  laborieux  ministère  de  la  prédication  ^.  Il  désespérait 
déjà  de  voir  ses  vœux  s'accomplir  et  il  se  résignait  sous  la 

1.  Le  P.  Claude-Jean  Allouez  (on  écrit  encore  Allouetz,  Aloez, 
enfin,  dans  les  Lettres  historiques  de  Marie  de  rincarnation,  Dallois), 
né  à  Saint-Didier  dans  le  Velay,  le  6  juin  1622,  entra  au  noviciat  de 
la  Compagnie,  à  Toulouse,  le  25  septembre  1639,  et  fit  ses  vœux  de 
profès  à  Rliodez,  le  18  octobre  1057.  Au  sortir  du  noviciat,  il  étudia 
la  rhétorique  un  an  (1641-1642),  la  philosophie  à  Billom  (1642-1645); 
il  enseigna  à  Billom  la  grammaire  (1645-1649),  les  Humanités  (1649- 
1650),  la  rhétorique  (1650-1651);  puis  il  fit  sa  théologie  à  Toulouse 
(1651-1655)  et  sa  troisième  année  de  probation  à  Rhodez  (1655-1656); 
enfin,  nommé  prédicateur  h  Rhodez,  il  y  resta  jusqu'à  son  départ 
pour  Québec,  où  il  arriva  le  11  juillet  1658. 

Le  P.  Carayon,  XIII,  p.  211,  le  fait  naître  en  1620,  et  Margry,  t,  I 
p.   59  (Découvertes  et  établissements...),  en    1613.  C'est  une  double 
erreur.  Les  catalogues  de  la  Compagnie  (Arch.  gen.  S.  J.,  indiquent 
le  5  juin  1622. 

Consulter  sur  le  P.  Allouez,  sur  sa  vie  et  ses  travaux  :  Relations 
de  la  Nouvelle-France,  de  1664  à  1672;  —  Relations  inédites  de  la 
Nouvelle-France,  t.  I,  p.  125  et  suiv.  ;  t.  II,  pp.  20,  306  et  suiv.  ;  — 
Relation  abrégée  du  P.  Bressani,  trad.  par  le  P.  Martin;  appendice, 
p.  315;  —  Lettres  historiques  de  M.  de  l'Incarnation,  pp.  621,  627, 
638,  648,  650,  670;  —  Charlevoix,  t.  I,  pp.  292,  293  et  suiv.,  397,  398, 
405,438,  439,  447,  448,  449  etc.;  —  Cours  d'histoire,  t.  II,  passim; 
—  Elogia  defunctorum  Prov.  Toi.  (Arch.  gen.  S.  J.);  —  Shea, 
History  of  the  Catholic  Missions,  p.  413;  —  Bancroft,  Ilistonj  of 
the  United  States,  t.  II,  p.  803  ;  —  Brasseur  de  Bourbourg,  Histoire 
du  Canada,  t.  I,  p.  120  et  suiv.;  —  Ribliothèque  des  écrivains  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  par  de  Backer,  art.  Allouez;  —  Margry,  Décou- 
vertes..., t.  I,  p.  65;  —  A''.  Perrot,  p.  128,  etc. 

Jés.  et  Nouv.-Fr.  —  T.  II.  23 


—  354  — 

main  de  Dieu  qui  le  retenait  en  France,  quand  une  lettre 
du  P.  Rochette,  provincial  de  Toulouse,  datée  du  3  mars 
1657,  lui  est  remise  à  Rhodez  :  elle  l'autorisait  à  partir  pour 
la  Nouvelle-France. 

((  A  cette  nouvelle,  lisons-nous  dans  un  de  ses  écrits 
trouvés  après  sa  mort,  je  laissai  la  lettre  du  R.  P.  Provin- 
cial, et  je  me  dis  souvent  à  moy-mesme  :  c'est  le  Seig-neur 
qui  me  fait  une  si  grande  grâce;  j'en  suis  dans  Festonne- 
ment  et  l'admiration...  c'est  ici  un  coup  de  sa  droite  qui 
m'a  exalté  par  la  plus  sublime  de  toutes  les  vocations. 
Seigneur,  je  suis  à  vous  :  secondez-mov  dans  cette  divine 
entreprise,  afin  que  je  me  sauve  et  me  sanctifie  moy  mesme 
en  travaillant  au  salut  et  à  la  sanctification  du  prochain  ^.  » 

Seigneur,  je  suis  à  vous  !  Toute  la  carrière  apostolique 
du  P.  Allouez,  laquelle  dura  les  trente-trois  années  de  son 
divin  maître,  fut  la  réalisation  complète  de  ce  beau  senti- 
ment, de  cette  donation  entière  de  lui-même  au  Seigneur. 
Un  an  après  sa  mort,  son  supérieur,  le  P.  d'Ablon,  écrivait 
au  P.  Jacques  le  Picart,  provincial  de  Paris  :  «  Depuis 
son  arrivée  en  Canada  jusqu'à  sa  mort,  il  a  toujours  esté 
intrépide  dans  les  dangers  et  infatigable  dans  les  travaux 
pour  la  conversion  des  âmes  -.    )> 

D'une  taille  moyenne,  solidement  bâti  comme  les  mon- 
tagnards de  son  pays,  dur  à  la  besogne,  habitué  aux  froides 
températures,  d'une  volonté  ferme  et  persévérante,  pru- 
dent, judicieux,  instruit,  d'un  caractère  entreprenant,  calme 
à  la  surface,  très  chaud  au  fond,  le  P.  Allouez  semblait 
prédestiné  aux  missions  de  la  Nouvelle-France  ^.  Dans  ses 

1.  Margry,  Découvertes...,  t.  I.  p.  6o. 

2.  Ibid.,\.  62. 

3.  Vires  firmœ,  ingenium  bonum,  judicium  boniim,  prudentia 
multa,  tenax  in  propositis,  profectus  in  litteris  et  in  theologia  magnus, 
talentum  ad  missiones  eximium  (Catal.  2us  Prov.  Franciœ,  in  arch. 
gen.  S.J.). 


—  355  — 

papiers,  il  traçait  ainsi  le  portrait  du  missionnaire  cana- 
dien :  ((  Les  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus  qui  passent 
de  l'ancienne  France  à  la  Nouvelle  doivent  y  être  appelés 
par  une  spéciale  et  forte  vocation.  Il  faut  qu'ils  soient  des 
gens  morts  au  monde  et  à  eux-mêmes,  des  hommes  aposto- 
liques et  des  saints  qui  ne  cherchent  que  Dieu  et  le  salut 
des  âmes.  Il  faut  qu'ils  aiment  d'amour  la  croix  et  la  morti- 
fication, qu'ils  ne  s'épargnent  point,  qu'ils  sachent  supporter 
les  travaux  de  la  mer  et  de  la  terre,  et  qu'ils  désirent  plus 
la  conversion  d'un  sauvage  qu'un  empire.  Il  faut  qu'ils 
soient  dans  les  forêts  du  Canada  comme  autant  de  pré- 
curseurs de  Jésus-Christ,  et  que,  dans  des  petits  Jean- 
Baptiste,  ils  soient  autant  de  voix  de  Dieu,  lesquelles  crient 
dans  les  déserts  pour  appeler  les  sauvages  à  la  connaissance 
du  Sauveur.  Enfin,  il  faut  qu'ils  aient  mis  tout  leur  appuy, 
tout  leur  contentement,  tous  leurs  trésors  en  Dieu  seul,  à 
qui  seul  appartient  de  choisir  ce  qu'il  veut  pour  le 
Canada  K  »  En  adressant  ces  lignes  au  Provincial  de  Paris, 
le  P.  d'Ablon  ajoutait  :  «  Voilà  comment  le  P.  Allouez, 
de  sainte  mémoire,  s'est,  sans  y  penser,  dépeint  luy-mesme 
par  ses  propres  paroles,  qu'il  n'avait  écrites  que  pour  sa 
consolation  particulière  2.    » 

Il  fallait  à  la  mission  du  Canada  des  apôtres  de  cette 
trempe,  car  «  la  Nouvelle-France,  dit  encore  Allouez,  est 
le  pays  du  monde  le  plus  propre  à  concevoir  le  sens 
littéral  de  ces  paroles  du  Sauveur  :  Voilà  que  je  vous 
envoie  comme  mon  Père  m'a  envoyé,  en  vous  envoyant 
comme  des  brebis  au  milieu  des  loups.  En  effet,  il  nous 
envoie  dans  de  vastes  forêts  parmi  des  sauvages  cruels,  qui 
s'entre-mangent  les  uns  les  autres.  Qu'en  devons-nous  donc 


1.  Margry,  Découvertes...,  t.  I,  p.  71. 

2.  Ibid.,  p.  72. 


—  356  — 

attendre  sinon  des  coups  de  dents  ou  des  effets  encore  plus 
horribles  delà  Barbarie  K  » 

Claude  Allouez  part  de  France  pour  le  Canada  avec  le 
gouverneur,  M.  d'Argenson.  A  Québec  et  aux  Trois- 
Rivières,  il  fait  l'apprentissage  de  la  vie  du  missionnaire; 
il  apprend  en  même  temps  les  langues  algonquine  et 
huronne.  En  1665,  il  se  dirige  par  FOttawa  vers  les 
contrées  qui  avoisinent  le  lac  Supérieur.  Ce  n'est  pas  sans 
peine  qu'il  parvient  à  s'embarquer  :  l'année  précédente,  les 
Outaouais,  qui  remontaient  dans  leur  pays  après  la  traite, 
avaient  refusé  de  le  recevoir  sur  leurs  canots.  Cette 
année,  même  opposition  :  «  Un  des  plus  considérables  de 
cette  nation,  dit  Allouez,  me  déclare  sa  volonté  et  celle  de 
ses  peuples,  en  termes  arrogants  et  avec  menace,  de 
m'abandonner  en  quelque  île  déserte,  si  j'ose  les  suivre  -.  » 

Ces  menaces  ne  Teffrayent  pas.  Il  monte  sur  une  barque 
avec  quelques  trafiquants  français,  et  suit  les  Outaouais. 
En  route,  la  barque  se  brise.  Les  Français  sont  recueillis 
sans  difficulté  par  les  canots  indiens  ;  quant  à  lui,  après 
s'être  fait  recevoir  à  force  de  supplications  dans  une 
barque,  il  est  bientôt  déposé  et  laissé  seul  sur  la  rive 
déserte  du  fleuve.  Abandonné  des  hommes,  il  s'adresse  à 
Dieu,  et  un  capitaine  Outaouais  venant  à  passer,  prend 
pitié  de  lui,  l'embarque,  lui  met  un  aviron  en  main  et  le 
fait  ramer  sans  trêve  ni  merci.  «  Mais  cet  homme,  animé 
de  saintes  espérances,  dit  le  protestant  Bancroft,  ne 
redoutait  ni  la  faim,  ni  la  nudité,  ni  le  froid,  ni  les  fatigues 
et  la  lassitude  de  jour  et  de  nuit  3.  » 

Le   1'^'^   septembre,  il   atteint  les  rapides  entre  les   lacs 

1.  Margry,  Découvertes...^  t.  I,  p.  69. 

2.  Relation  de  1667,  p.  5. 

3.  Ilistorij  of  the  United  States,  vol.  II,  p.  803. 


—  3o7  — 

Supérieur  et  Huron  ;  puis  il  pénètre  dans  le  lac  Supérieur, 
long-e  la  rive  méridionale,  s'arrête  à  la  baie  Sainte-Thérèse^ 
et  de  là,  suivant  les  traces  du  P.  Ménard,  il  traverse  plus 
heureusement  que  lui  le  portage  de  Kecwaiwona  *,  et 
arrive  à  la  pointe  Chag-ouamigon,  à  Textrémité  sud-ouest 
du  grand  lac. 

A  Chagouamigon,  il  v  avait  deux  gros  bourgs,  habités, 
l'un  par  les  Hurons  de  la  nation  du  Petun,  qui,  chassés  par 
les  Iroquois  de  leur  pays,  s'étaient  réfugiés  à  Michillima- 
kinac,  puis  à  l'entrée  de  la  baie  des  Puants  et  enfin  à 
l'extrémité  occidentale  du  lac  Supérieur  ;  l'autre  par  les 
Algonquins ,  compagnons  d'exil  des  Hurons ,  qui  appar- 
tenaient aux  trois  tribus  des  Outaouais  Sinagaux,  Outaouars 
Kiskakous  et  Outaouais  Keinouché  '^.  Ces  Algonquins, 
après  avoir  abandonné  les  îles  huronnes,  où  ils  s'étaient 
d'abord  retirés,  et  après  avoir  erré  des  années  dans  le 
Michigan-Ouest  et  le  Visconsin  actuels,  habitaient  depuis 
1660  la  pointe  Chagouamigon,  où  ils  se  livraient  à  la 
chasse  et  à  la  pêche. 

Allouez  élève  entre  les  deux  bourgs,  sur  les  bords  du 
lac,  une  petite  chapelle  d'écorce,  où  les  Hurons,  autrefois 
convertis  à  la  foi  chrétienne  par  Tillustre  martyr,  Charles 
Garnier,  viennent  s'instruire,  se  confesser,  et  reprendre  les 
pratiques  religieuses  qu'ils  ont  abandonnées  dans  l'exil. 
Il  confère  le  baptême  à  plus  de  cent  enfants  c[ui  ne  l'ont 
pas  encore  reçu  '^ 

Les  Algonquins  se  montrent  plus  rebelles  aux  pressantes 
exhortations  du    missionnaire.    «    Ces   peuples,    est-il    dit 


1.  Kcweenaw  ou  Quioacounan. 

2.  Belatioji  de  1667,  p.   17.  Cette  Relation   les  appelle  Outaoûacs 
Kiskakoumac,  Outaoûsinagouc.  —  Perrot,  p.  241. 

3.  Relation  de  1667,  p.  16. 


—  358  — 

dans  son  journal,  sont  fort  peu  disposés  à  la  Foy,  parce- 
qu'ils  sont  les  plus  adonnez  à  lidolatrie,  aux  superstitions, 
aux  fables,  à  la  polygamie,  à  l'instabilité  des  mariages,  et  à 
toute  sorte  de  libertinage,  qui  leur  fait  mettre  bas  toute 
honte  naturelle.  Tous  ces  obstacles  n'ont  pas  empêché  que 
je  ne  leur  aie  prêché  le  nom  de  Jésus-Christ,  et  publié 
l'évangile  dans  toutes  leurs  cabanes  et  dans  notre  cha- 
pelle, qui  se  trouvait  pleine  depuis  le  matin  jusques  au 
soir,  où  je  faisais  de  continuelles  instructions  sur  nos 
mystères  et  sur  les  commandements  de  Dieu  K  »  En  deux 
ans,  le  Père  baptise  une  centaine  d'enfants  et  quelques 
adultes  -. 

Son  zèle  ne  s'étend  pas  seulement  aux  Hurons  et  aux 
Algonquins.  Des  Outagamis,  des  Sakis,  des  Illinois,  des 
Christinaux  ou  Gascons  du  Canada,  des  Sioux  orientaux  ou 
Nadouessioux,  les  Pouteouatamis  et  les  Chippaouais  ou 
Sauteurs  se  rendent  à  Ghagouamigon,  les  uns  par  curio- 
sité pour  voir  la  robe  noire,  les  autres  pour  s'instruire  ^  ; 
tous  entendent  la  parole  de  Dieu.  Le  Jésuite,  qui  parle 
six  langues  ^.  se  fait  comprendre  de  tous,  excepté  des 
Sioux,  avec  lesquels  il  traite  par  interprètes  "\ 

Après  la  défaite  des  Hurons,  les  Nipissings  s'étaient 
retirés  en  grand  nombre  sur  les  bords  du  lac  Alimibegong, 
entre  le  lac  Supérieur  et  la  baie  d'Hudson  *'.  «  Depuis  près 
de  A'ingt  ans,   ils  n'avaient   veu   ny   pasteur,  ny   entendu 

1.  Relation  de  1667,  p.  17. 

2.  Ibid. 

3.  Relation  de  1667,  p.  18,  23  ;  —  Charlevoix,  t.  I,  p.  397. 

4.  Lettres  historiques  de  M.  de  rincarnation,  p.  648. 

5.  Relation  de  1667,  eh.  IX,  X,  XI,  XII,  XIII  et  XIV. 

6.  Le  lac  Alimibegong-  ou  Népigon  se  décharge  dans  le  lac 
Supérieur.  Relations  de  1658,  p.  20;  —  de  1667,  p.  24;  —  de 
1670,  p.  93. 


—  359  — 

parler  de  Dieu...  Leur  bourgade  était  composée  de  sau- 
vages, la  pluspart  idolâtres  et  de  quelques  anciens  chré- 
tiens... Vingt  faisaient  profession  publique  de  christia- 
nisme ^.  »  Le  P.  Allouez  va  les  visiter  ;  il  reste  quinze 
jours  au  milieu  d'eux,  instruisant,  confessant  et  baptisant, 
et  revient  à  son  poste  de  Ghagouamigon,  auquel  il  donne 
le  nom  de  pointe  du  Saint-Esprit.  Ce  fut  la  première 
résidence,  la  première  mission  de  l'Ouest. 

Dans  son  Histoii^e  des  Etats-Unis^  Bancroft  raconte 
avec  enthousiasme  sa  merveilleuse  fondation,  puis  il 
ajoute  :  «  Après  avoir  résidé,  près  de  deux  ans,  principa- 
lement sur  la  rive  méridionale  du  lac  Supérieur,  et  avoir 
attaché  son  nom  d'une  façon  impérissable  aux  découvertes 
pjrof/ressives  faites  dans  F  Ouest,  Allouez  revient  à  Qué- 
bec -  »,  portant  avec  lui  des  échantillons  de  cuivre  qu'il  a 
trouvés  sur  les  bords  du  lac.  La  moisson  était  mûre,  mais 
il  n'avait  pas  d'ouvriers  pour  la  cueillir  ;  et  puis  il  voulait 
avoir  un  Jésuite  à  poste  lixe  à  Ghagouamigon,  afin  de  pou- 
voir se  transporter  plus  librement  dans  de  nouvelles 
régions  et  découvrir  d'autres  peuples,  sans  négliger  par  de 
fréquentes  absences  la  mission  du  Saint-Esprit,  où  la  Foi 
grandissait  avec  les  conversions.  Il  ne  reste  que  deux  jours 
à  Québec,  à  peine  le  temps  de  se  reposer,  et  repart  accom- 
pagné du  P.  Louis  Nicolas  et  d'un  domestique. 

D'un  talent  médiocre,  d'une  intelligence  peu  cultivée,  le 
P.  Nicolas  '^   n'avait  pas   été   élevé   sur   les  genoux  d'une 

1.  Relation  de  1667,  pp.  24  et  26. 

2.  Bancroft,  vol.  II,  p.  80o. 

3.  Né  à  Aubenas  (Ardèche),  le  24  août  1634,  le  P.  Nicolas  entra 
dans  la  Compagnie  de  Jésus,  h  Toulouse,  le  16  sept.  1654.  Après  le 
noviciat,  il  professe  à  Saint-Flour  quatre  ans,  et  au  Puy  en  Velay 
un  an,  les  classes  de  grammaire  (4656-1661).  Il  suit  de  1661  à  1663 
le  cours  de  philosophie  à  Tournon,  et  part  en  1664  pour  le  Canada. 


•     —  360  — 

duchesse.  Il  joig-nait  à  la  rudesse  native  du  montagnard 
une  brusquerie  d'allures  assez  vive,  qui  ne  le  fit  pas  goûter 
des  gentlemen  français.  En  revanche,  il  ne  reculait  jamais 
devant  la  besogne,  fut-elle  pénible;  sa  robuste  constitution 
pouvait  se  faire  à  tout;  si  son  zèle  n'était  pas  toujours 
réglé  ni  éclairé,  du  moins  il  n'en  manquait  pas.  On  crut 
qu'il  conviendrait  au  P.  Allouez  dans  cette  mission  du 
Saint-Esprit,  «  où  l'on  vivait  d'écorces  d'arbres  une  partie 
de  l'année,  une  autre  partie  d'arrestes  de  poisson  broyées, 
et  le  reste  du  temps  de  poisson  ou  de  bled  d'Inde  i.  »  En 
outre,  dans  ce  pays,  il  fallait  compter  sur  soi  pour  vivre, 
et  non  sur  la  générosité  des  sauvag-es.  Le  missionnaire 
devait  construire  sa  cabane  de  ses  propres  mains,  aller 
chercher  sa  nourriture  dans  les  rivières  et  dans  les  bois, 
ou  se  la  procurer  par  des  échanges,  quand  il  pouvait 
obtenir  des  trafiquants  français  quelques  menus  objets 
chers  aux  Indiens.  Le  P.  Nicolas  était  apte  à  tout  cela. 

Il  fut  donné  au  P.  Allouez,  qui  le  laissa  à  la  pointe  du 
Saint-Esprit,  et  prit  lui-même  la  direction  du  Sud. 

Arrivé  à  la  baie  des  Puants,  il  y  fonde  la  mission  de  Saint- 
François-Xavier.  De  là  il  rayonne  sur  les  contrées  environ- 
nantes; il  parcourt  en  apôtre  le  village  des  Ousakis  et  les 
bourgs  des  Pouteouatamis,  des  Outagamis  ou  Renards,  des 
Miamis-,  des  Sakis-^,  des  Mascoutins^  et  des  Malomines ''. 

—  Les  renseignements  que  les  archives  générales  nous  fournissent 
sur  ce  missionnaire  sont  très  précis  :  «  Magnus  zelus  animarum  et 
virtute  probata,  viribus  firmis,  ingenium  valde  médiocre,  prudentia 
exigua,  profectus  in  litteris  et  in  theologia  parvus,  incompositi 
mores  quoad  exteriorem  hominem,  prœcipites  et  fréquentes  nimium 
in  agendo  motus,  c{uil)us  Gallis  non  probatus.  » 
i.  Relation  de  1607,  p.  20. 

2.  Ou  Miamiak,  Miamioïiek,  Oumiamis  et  Oumamis. 

3.  Ou  Sacks,  Ousakis. 

4.  Ou  Maskoulens  et  Mackoutens. 

5.  Ou  Maloumines,  ]\Ianomines,  Maroumines,  Folles-Avoines. 


—  361  — 

Dans  tous  les  endroits  où  il  s'arrête,  il  visite  les  cabanes» 
il  ori^anise  des  réunions,  il  proche,  il  baptise  les  enfants  et 
les  adultes  en  danger  de  mort.  Pour  le  moment,  c'est  la 
semence  de  l'évangile  qu'il  jette  un  peu  partout  sur  ces 
terres  infidèles  ;  plus  tard,  quand  l'heure  de  la  miséricorde 
aura  sonné,  cette  semence  grandira  et  fructifiera  K 

Allouez  ne  passe  que  six  mois  dans  cette  mission,  où  les 
Pères  Druillettes  et  André  viennent  de  Québec  le  rem- 
placer et  continuer  l'œuvre  qu'il  a  à  peine  ébauchée  ;  de  la 
baie  des  Puants,  il  se  dirige,  par  ordre  de  son  supérieur, 
vers  le  Saut-Sainte-Marie  -. 

Ce  supérieur  était  le  P.  d'Ablon,  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  et  qui  venait  de  fonder  au  pied  du  rapide,  entre  les 
lacs  Supérieur  et  Huron,  la  résidence  de  Sainte-Marie, 
centre  de  toutes  les  missions  de  l'Ouest.  Il  habitait  là  avec 
le  P.  Marquette,  ce  découvreur  bien  connu  des  géographes, 
qui  est  encore  au  delà  de  l'Atlantique  l'objet  d'une  sorte  de 
culte . 

L'abbé  de  Gallinée,  prêtre  de  Saint-Sulpice,  décrit 
ainsi  cette  résidence  dans  le  récit  de  son  voyage  au  Saut  : 
((  Nous  arrivâmes  le  25  mai  (1670)  à  Sainte-Marie  du 
Saull,  qui  est  le  lieu  où  les  R.  P.  Jésuites  ont  fait  leur 
principal  establissement  pour  les  missions  des  Outaouacs 
et  des  peuples  voisins.  Ils  ont  eu  depuis  l'an  passé  deux 
hommes  à  leur  service,  qui  leur  ont  basty  un  fort  joly  fort, 
c'est-à-dire  un  quarré  de  pieux  de  cèdres  de  douze  pieds  de 
haut  avec  une  chapelle  et  une  maison  au  dedans  de  ce  fort, 
en  sorte  qu'ils  se  voient  à  présent  en  estât  de  ne  dépendre 
des  sauvages  en  aucune  manière.  Ils  ont  un  fort  grand 
désert  bien   semé  où   ils   doivent   recueillir  une   partie   de 

1.  Relation  do  1G70,  pp.  92  et  siiiv. 

2.  Relation  de  1070,  p.  101. 


—  362  ^ 

leur  nourriture  ;  ils  espèrent  même  y  manger  du  pain  avant 
qu'il  soit  deux  ans  d'icy  *.  » 

Les  Pères  d'Ablon  et  Marquette,  arrivés  en  1668  chez 
les  Outaouaîs,  s'étaient  établis  en  cet  endroit,  parce  que 
chaque  année,  du  printemps  à  la  naissance  de  l'hiver,  les 
Sauteurs,  peuple  errant  de  ces  contrées,  s'y  réunissaient 
en  grand  nombre  pour  la  pèche  de  l'atticameg,  poisson 
blanc  très  délicat,  qu'on  trouve  en  abondance  dans  la  rivière 
de  Sainte-Marie  ;  ils  espéraient  encore,  en  se  fixant  dans 
cette  contrée  fertile,  rendre  les  sauvages  sédentaires  et  les 
amener  peu  à  peu  au  défrichement  et  à  la  culture  du  sol  -. 

Cinq  ans  avaient  suffi  aux  Pères  Allouez,  d'Ablon  et 
Marquette,  cet  illustre  ti^iauivirat,  comme  les  appelle  Ban- 
croft  3,  pour  fonder  les  trois  missions  du  Saint-Esprit ,  de 
Saint-François-Xavier  et  de  Sainte-Marie,  là  où  aucun  mis- 
sionnaire n'avait  pénétré  avant  eux.  Ils  avaient  porté  le 
nom  sacré  du  vrai  Dieu  du  Saut  à  Chagouamigon  et  de 
Chao'ouamisron  à  la  baie  des  Puants;  ils  avaient  vu  ou 
visité  toutes  les  nations  qui  s'étendent  du  pays  des  Illinois 

1.  Margry,  Découvertes...,  t.  I,  p.  1(>1. 

2.  Relations  de  1G69,  p.  17-20  ;  —  de  1670,  p.  78-86,  87-92.  —  «  La 
moisson  est  si  abondante  à  Sainte-Marie  du  Sault,  écrivait  le 
P.  Marquette  en  1669,  qu'il  ne  tient  qu'aux  missionnaires  de  baptiser 
tous  ceux  qui  sont  là  au  nombre  de  deux  mille  ;  mais  l'on  n'a  pas 
osé  jusques  à  cette  heure  se  fier  à  ces  esprits  qui  sont  trop  condes- 
cendants de  peur  (ju'ils  ne  continuent  après  le  baptême  dans  leurs 
superstitions  ordinaires.  On  s'applique  surtout  à  les  instruire  et 
à  baptiser  les  j7iorihoncls,  qui  sont  une  moisson  plus  assurée.  » 
{Relat.  de  1669,  p.  20.)  —  Cette  sévérité  dans  l'administration  du 
baptême  n'a  pas  empêché  M.  de  Galinée,  sulpicien,  d'écrire 
l'année  suivante  sur  cette  même  mission  de  Sainte-Marie-du-Saut, 
où  les  Jésuites  l'avaient  reçu  avec  toute  la  cJiarité  possible  :  ((  Les 
Pères  ont  une  pratique  qui  me  semble  assez  extraordinaire,  qui  est 
qu'ils  baptisent  les  adultes  hors  du  danger  de  mort...  »  (Margry, 
t.  I,  p.  162.) 

3.  Bancroft,  vol.  Il,  p.  805. 


—  363  — 

au  lac  Supérieur  ;  ils  avaient  parcouru  dans  toute  sa  lon- 
gueur la  baie  des  Puants  et  le  nord  du  lac  Michigan;  du 
lac  Michigan  ils  avaient  pénétré  dans  le  lac  Iluron  pour  se 
rendre  de  là  à  Sainte-Marie-du-Saut.  Enfin,  en  1670, 
d'Ablon  et  Allouez  s'embarquaient  sur  un  canot,  arrivaient 
au  fond  de  la  baie  des  Puants,  descendaient  chez  les  Mascou- 
tins  et  allaient  évangéliser  les  Illinois  au  sud-ouest  du  lac 
Michigan  '. 

Ces  vastes  régions  s'ouvraient  à  l'activité  française  en 
même  temps  qu'à  la  Foi  chrétienne.  La  France  arborait  son 
drapeau  partout  où  le  missionnaire  plantait  la  croix.  Les 
protestants  eux-mêmes  ont  rendu  aux  Jésuites  ce  témoi- 
gnage d'avoir  été  les  apôtres  du  Christ  et  de  la  France  dans 
les  pays  cVen  haut,  comme  on  disait  alors;  dans  le  Far- 
West,  comme  disent  aujourd'hui  les  pionniers  Américains. 
«  Toutes  les  traditions  de  cette  époque,  écrit  l'historien 
protestant  des  États-Unis,  témoignent  en  faveur  des  mis- 
sionnaires de  la  Compagnie  de  Jésus.  L'histoire  de  leurs 
travaux  est  liée  à  l'origine  de  toutes  les  villes  célèbres  de 
l'Amérique  française;  et  il  est  de  fait  qu'on  ne  pouvait 
doubler  un  seul  cap  ni  découvrir  une  rivière  que  l'expédi- 

1.  Relation  de  1671,  pp.  42-47.  —  Les  Illinois  habitèrent  d'abord 
le  Far-West.  En  ayant  été  chassés  par  leurs  ennemis,  ils  se  réfu- 
gièrent sur  les  rivages  du  lac  Michigan  ou  Mlchlc/anon,  auquel  ils 
laissèrent  leur  nom.  Les  Iroquois  les  forcèrent  encore  à  quitter  ce 
pays,  et  ils  se  retirèrent  au  delà  du  Mississipi,  à  rexception  cepen- 
dant d'une  des  nations  illinoises,  qui  élut  domicile  dans  le  voisinage 
des  Mascoutins.  Peu  à  peu  les  autres  nations  repassèrent  le  Mississipi 
et  s'étendirent  sur  un  immense  territoire,  borné  au  nord  par  la 
rivière  des  Renards,  le  Visconsin,  le  lac  Michigan  et  la  rivière  Saint- 
Joseph;  à  l'ouest  et  au  sud,  par  la  rivière  des  Miamis  et  l'Ohio;  à 
l'ouest,  par  la  rive  occidentale  du  Mississipi  qu'ils  occupaient  en 
certains  points  {Nie.  Perrot,  cdit.  par  le  P.  Tailhan,  p.  220  et  suiv.; 
—  Relations  de  1670,  p.  91;  —  de  1671,  pp.  24,  2o,  47,  49;  —  de 
16o8,  p'.  21;  —de  1660,  p.  12;  —  de  1667,  p.  21;  ) 


—  364  — 

tion  n'eût  à  sa  tète  un  Jésuite  K  »  Le  professeur  d'histoire 
à  l'école  militaire  de  Saint-Gyr,  L.  Dussieux,  ne  refusait 
pas  à  ces  religieux  le  même  tribut  d'admiration.  Dans  le 
petit  livre  où  il  résume  ses  belles  leçons  de  1850  sur  les 
luttes  héroïques  de  la  France  au  Canada,  il  écrit  ces  quelques 
lig-nes,  qui  sembleraient  une  exagération  de  la  part  d'un 
autre  historien  :  «  Les  Jésuites  allèrent  prêcher  la  foi  aux 
nations  qui  habitaient  les  rives  du  lac  Supérieur  et  commen- 
cèrent à  avoir  les  premiers  aperçus  sur  la  géographie  des 
parties  centrales  et  occidentales  de  l'Amérique  du  Nord... 
La  géographie,  le  commerce  et  la  politique  française  fai- 
saient d'immenses  progrès  à  la  suite  de  la  foi.  On  ne  saurait 
trop  insister  sur  ces  grands  travaux  des  Jésuites  et  sur 
leurs  résultats  '-.    » 

Plus  loin,  le  même  historien  ajoute  :  «  L'intendant  Talon 
sut  mettre  à  profit,  pour  l'augmentation  de  la  puissance  de 
la  France,  les  progrès  et  les  découvertes  des  missionnaires 
dans  les  pays  d'en  haut.  11  avait  formé  le  dessein  de  prendre 
possession  de  toutes  les  terres  au  Nord  et  à  l'Ouest  du 
Canada.  Les  peuples  qui  habitaient  ces  régions  étaient  de 
race  algonquine  et  fort  préparés  par  les  missionnaires  à 
notre  alliance  ■^.    » 

Pour  exécuter  son  dessein,  l'intendant  conçut  le  projet 
de  convoquer  toutes  les  nations  sauvages  du  Nord  et  de 

4.  Ilistonj  of  the  United  States,  vol.  II,  chap.  XX. 

2.  Le  Canada.  2*^  édit. ,  p.  65,  —  La  carte  des  lacs  Supérieur, 
Huron  et  Micbigan,  faite  à  cette  époque  par  les  missionnaires  des 
Outaouais,  a  été  insérée  dîfns  la  Relation  de  1670.  V.  la  Cartographie 
succincte  de  la  Nouvelle-France,  par  Harrisse,  n°  201.  —  Comme  on 
peut  le  voir  dans  la  Cartographie  succincte  {n°  202,  p.  194),  et  dans 
la  Cartographie  de  la  Nouvelle-France,  de  M.  G.  Marcel  (n°  7,  p.  8), 
les  Jésuites  firent  aussi  une  carte  de  la  Nouvelle  découverte  faite  en 
Vannée  4672,  carte  continuée  par  Marquette. 

3.  Ihid.,  p.  69. 


—  365  — 

l'Ouest  à  la  résidence  des  Pères,  à  Sainte-Marie-du-Saut, 
comme  étant  un  point  central  et  de  facile  accès,  et  là,  dans 
une  grande  assemblée  générale,  de  leur  proposer  de  se 
mettre  sous  le  protectorat  de  la  France.  L'idée  ne  man- 
quait ni  de  grandeur,  ni  d'à  propos.  Mais  comment  prévenir 
toutes  ces  peuplades  dispersées  et  leur  faire  accepter  cette 
réunion?  Talon  jeta  les  yeux  sur  un  voyageur  capable  de 
mener  à  bien  l'entreprise,  Nicolas  Perrot,  homme  d'esprit 
et  habile,  très  jeune  encore,  puisqu'il  avait  à  peine  vingt- 
sept  ans,  et  qui  s'était  enrôlé,  comme  engagé^  au  service 
des  missionnaires.  L'engagement  ne  dura  pas  longtemps, 
assez  cependant  pour  lui  permettre  de  visiter  la  plupart 
des  peuplades  indigènes  et  d'apprendre  leurs  langues.  En 
1670,  il  avait  quitté  le  service  des  Jésuites,  tout  en  res- 
tant leur  ami  dévoué  et  il  se  livrait  au  commerce  des  pel- 
leteries ;  mais  ce  «  n'était  j^as  un  trafiquant  vulgaire, 
uniquement  préoccupé  de  ses  intérêts  et  de  ceux  de  ses 
commettants.  Dès  le  commencement  de  sa  carrière,  il 
comprit  combien  il  importait  à  la  colonie  et  à  la  France  de 
voir  toutes  les  nations  de  l'Ouest  unies  entre  elles  contre 
riroquois,  l'ennemi  commun  ^  ;  »  et,  dans  toutes  ses 
courses  chez  les  nations  situées  à  l'ouest  des  grands  lacs, 
il  ne  perdit  jamais  de  vue  ce  but  élevé  -.  Les  sauvages 
.l'estimaient  et  il  exerçait  sur  eux  la  plus  heureuse 
influence. 

Au  printemps  de  1670,  Perrot  descendit  à  Montréal  avec 
une  flottille  de  trente  canots  indiens,  par  la  rivière  des 
Français,  le  lac  Nipissing  et  FOttawa.  Talon  le  voit  et 
charge  cet  infatigable  explorateur  de  préparer  la  grande 
assemblée  du   Saut-Sainte-Marie  ;  l'intendant    ne   pouvait 


1.  Note  du  P.  Tailhan  sur  le  Mémoire  de  Perrot,  p.  2G0. 

2.  Ibid.^  pp.  260  et  suiv. 


-  36G  — 

s'adresser  à  un  agent  plus  habile  et  plus  actif.  Perrot 
passe  l'hiver  (1670-1671)  chez  les  Amikoués,  au  bord  du 
lac  Huron,  d'où  il  expédie  des  courriers  au  Nord  et  à 
l'Ouest,  pour  inviter  les  tribus  à  se  trouver,  le  mois  de 
juin  suivant,  au  Saut,  où  le  Gouverneur  général  devait 
envoyer  un  de  ses  capitaines  avec  mission  de  leur  faire  con- 
naître ses  volontés. 

Ce  capitaine  était  M.  de  Saint-Lusson,  désigné  pour 
j)rendre  possession  du  pays  des  Outaouais,  au  nom  du 
roi  de  France.  Le  14  juin^,  plus  de  quatorze  nations  se 
rendent  à  la  réunion  des  contrées  les  plus  éloignées. 
D'Ablon,  Druillettes,  André,  Allouez  et  Perrot  y  assistaient, 
ce  dernier  en  qualité  d'interprète  -. 

Sur  une  éminence  qui  domine  la  bourgade  des  Sauteurs, 
les  Français  plantent  d'un  côté  la  croix,  de  l'autre  un 
poteau  surmonté  des  armes  de  France.  M.  de  Saint-Lusson, 
entouré  des  missionnaires  et  des  Français,  se  place  près 
de  la  croix,  et  les  sauvages  se  pressent  autour  d'eux, 
attentifs,  étonnés.  Après  le  chant  du  Vexilla  i^egis  et  de 
Vexaudiat,  qui  se  mêle  au  bruit  sourd  des  vagues  bondis- 
santes de  la  rivière  Sainte-Marie,  le  P.  Allouez  se  lève, 
et   dans  un  discours  algonquin,   pittoresque  et  imagé,   il 

1.  Un  acte  de  la  prise  de  possession  des  pays  des  Outaouais  est 
conservé  aux  archives  de  la  marine.  A  la  fin  de  l'acte  on  lit  :  «  fait 
à  Sainte-Marie-du-Sault  le  14^  jour  de  juin,  Fan  de  grâce  1671.  » 
C'est  donc  par  erreur  que  la  Relation  de  1671,  p.  26,  indique  le 
4  juin.  C'est  aussi  par  erreur  que  Perrot,  p.  127,  assigne  pour  date  à 
cette  cérémonie  l'année  1669.  Peut-être  est-ce  le  copiste  qui  s'est 
trompé.  Enfin,  Perrot  dit  que  le  P.  Marquette  assista  au  conseil;  il 
se  trompe,  car  le  Père  était  alors  avec  les  Hurons  et  les  Outaouais, 
qui  n'arrivèrent  au  Saut  qu'après  la  réunion.  Du  reste,  le  nom  du 
P.  Marquette  ne  figure  pas  parmi  les  signataires  du  procès-verbal. 

Voir  sur  cette  réunion  :  Perrot,  p.  126,  chap.  XX,  et  la  note, 
p.  290;  —  Relation  de  1671,  p.  26  et  suiv. 

2.  Procès-verbal  de  la  réunion  (Ministère  de  la  marine). 


—  367  — 

célèbre  d'abord  les  i^-randeurs  du  Christ,  lîls  de  Dieu,  puis 
il  redit  la  puissance  du  roi  de  France,  et  s'ell'orce  de  per- 
suader aux  sauvages  qu'il  ne  peut  rien  leur  arriver  de 
plus  avantag-eux  que  de  mériter  la  protection  d'un  tel 
monarque  ;  qu'ils  l'obtiendront  s'ils  le  reconnaissent  pour 
leur  grand  chef.  Un  immense  cri  d'approbation  répond  au 
discours  de  l'orateur.  M.  de  Saint-Lusson  lit  la  commission 
qu'il  a  reçue  du  Gouverneur,  Perrot  l'explique  ;  les  sau- 
vages reconnaissent  le  roi  de  France  pour  leur  père  ;  tout 
le  pays  est  mis  sous  la  protection  de  Sa  Majesté,  et  la 
cérémonie  se  termine  par  le  Te  Deiim  et  un  beau  feu  de 
joie  1. 

Bancroft  termine  par  cette  réflexion  le  récit  de  cette 
prise  de  possession  des  j^ays  d'en  haut  :  «  C'est  ainsi  que 
la  puissance  de  la  France  et  sa  foi  religieuse  se  manifes- 
taient hautement  en  présence  des  antiques  races  de  l'Amé- 
rique et  au  cœur  de  notre  continent.  Mais  cette  ambition 
hardie  des  serviteurs  d'un  monarque  guerrier  était  condam- 
née à  ne  laisser  aucune  trace  durable  -.  »  Hélas  !  un  siècle 
ne  s'était  pas  écoulé,  et,  de  la  domination  française  dans 
cette  partie  de  l'Amérique  du  Nord,  il  restait  à  peine  le 
souvenir  de  cette  pacifique  conquête,  préparée  et  obtenue 
par  les  soins  et  les  travaux  des  missionnaires. 

Pendant  que  ces  événements  s'accomplissaient  dans 
l'Ouest,  que  les  apôtres  de  l'Evangile  annonçaient  le  Christ 
et  portaient  le  nom  de  la  France  aux  sauvages  des  pays 
d'en  haut,  d'autres  Jésuites  parcouraient  à  l'Est  le  terri- 
toire canadien  entre  le  Saint-Laurent  et  la  baie  d'Hudson, 
dans  l'espoir  de  découvrir  de  nouveaux  peuples  à  évangéli- 

1.  Relation  de  1671,  pp.  26,  27  et  28;  —  Perrot,  ch.  XX,  p.  126,  et 
notes  sur  le  ch.  XX,  p.  290  et  siiiv. 

2.  Hlstory  of  the  United  States,  vol.  II,  p.  807. 


—  368  — 

ser  ou  pour  porter  les  secours  de  la  religion  aux  tribus  qui 
les  réclamaient  instamment. 

On  a  Yu  que  déjà  en  1641  le  P.  de  Quen  avait  visité  le 
lac  Saint-Jean,  que,  dix  ans  plus  tard,  le  P.  Buteux  s'était 
rendu  par  le  Saint-Maurice  chez  les  Attikamègues,  à  la 
hauteur  des  terres,  où  la  rivière  MataAvin  prend  sa  source. 
Depuis  lors,  les  voyages  s'étaient  ralentis  ;  les  missionnaires 
ne  s'étaient  pas  aventurés  dans  l'intérieur  des  terres,  et  les 
timides  peuplades  du  Nord,  au  lieu  de  descendre  à  Québec 
et  aux  Trois-Rivières,  où  elles  craignaient  de  rencontrer 
les  Iroquois,  allaient  trafiquer  à  Tadoussac,  poste  français 
plus  éloigné  de  l'ennemi. 

Un  jour    cependant    (1660)   on   apprend    qu'un    Algon- 
quin,  qui  a   voyagé  dans  les  environs    de    la    baie   James 
et  V   a  rencontré  beaucoup  de   ses  compatriotes    fugitifs, 
est  revenu  au  Saint-Laurent  par  le  Saguenay,  chargé  de 
présents  pour  le  Gouverneur  de  la  Nouvelle-France.  Cette 
nouvelle  inspire  à  deux  Jésuites  entreprenants  le  désir  de 
marcher  à  la  découverte  de  la  Mer  du  Nord  —  c'est  ainsi 
qu'on  appelait  la  baie  d'Hudson  —  par  le  même  chemin.  Au 
■commencement  de  juin  de  Tannée  1661,  les  Pères  d'Ablon 
«t  Druillettes  s'engagent  dans  le  Saguenay  sur  une  flottille 
de  quarante  canots,  montés  par  les  Indiens  ;  ils  dépassent 
Chicoutimi  et  arrivent  sur  les  bords  du  Saint-Jean,  magni- 
fique lac,   long  de  quinze  lieues   et  large  de  dix,  alimenté 
par  plus  de  douze  rivières  et  situé  vers  le  49*^  de  latitude 
nord.   Aucun  Français  ne  s'était  encore  avancé  au  delà  de 
ce     pays,     dont    les    missionnaires,     dans    leurs     récits, 
signalent  la  beauté  ravissante,  l'excellence  des  terres  et  la 
douceur  relative  du  climat.  Dans  les  premiers  jours  de  juil- 
let, ils  sont  à  Nekouba,  source  de  la  rivière  du  même  nom, 
qui  se  décharge  dans  le  lac  Saint- Jean,  et  de  là  ils  écrivent 
au  P.  Jérôme  Lalemant  :  ((  Nekouba  est  un  lieu  célèbre,  à 


—  369  — 

cause  crune  foire  qui  s  y  tient  tous  les  ans,  à  laquelle  tous 
les  sauvages  d'alentour  se  rendent  pour  leur  petit  com- 
merce ^.  Nous  avons  passé,  pour  Avenir  ici,  par  des  forêts 
capables  d'elïraver  les  voyageurs  les  plus  assurés,  soit  pour 
la  vaste  étendue  des  grandes  solitudes,  soit  pour  l'âpreté 
des  chemins  également  rudes  et  dangereux...    » 

La  foire  se  tenait  à  Nekouba,  à  l'arrivée  des  Pères  ;  aussi 
plusieurs  nations  s'y  trouvaient-elles  réunies.  «  Nous  avons 
vu,  dit  la  même  lettre,  des  peuples  de  huit  ou  dix  nations, 
dont  les  unes  n'avaient  jamais  ni  vu  de  Français,  ni  entendu 
parler  de  Dieu  ;  les  autres,  qui  ayant  été  baptisées  autre- 
fois à  Tadoussac  ou  au  lac  Saint-Jean,  gémissaient  depuis 
plusieurs  années  après  le  retour  de  leurs  pasteurs.  Nous 
avons  donc  la  consolation  d'avoir  fait  entendre  TEvano-ile 
à  diverses  nations,  dont  plusieurs  enfants  ont  été  baptisés, 
plusieurs  adultes  instruits,  plusieurs  .pénitents  réconciliés 
par  le  sacrement  de  confession-  ».  Les  missionnaires,  après 
quelques  jours  de  repos,  se  disposaient  à  continuer  leur 
route,  mais  les  sauvages  qui  les  accompagnent  refusent 
d'aller  plus  loin,  à  la  nouvelle  que  les  Iroquois  ont  battu 
la  nation  des  Écureuils  et  se  dirigent  vers  la  mer  du  Nord. 
Force  est  de  rentrer  à  Tadoussac  ^. 

Pendant  ce  temps,  le  P.  Bailloquet  descendait  le  Saint- 
Laurent  jusqu'à  l'embouchure  du  fleuve,  et,  s'enfonçant 
dans  les  terres,  dans  la  direction  du  nord-est,  il  visitait  les 
u  Papinachois,  les  Bersiamites,  la  nation  des  Monts  jDelés, 
les  Oumamiouek  et  autres  alliées  de  celle-ci  ^.  » 


1.  Belallon  de  1661,  scct.  I,  p.  13  et  suiv. 

2.  Ibid. 

3.  Ibid.,  sect.  II,  p.  21. 

4.  Ibid.,  p.  29;  —  Charlevoix,  t.  I,  p.  3ol. 

On  lit  dans  Charlevoix  :  «  Il  trouva  partout  des  sauvages,  à  qui  il 
ne  manquait,  pour  être  de  bons  "chrétiens,  que  d'être  instruits;  il  en 
Je  s.  et  Noiw.-Fr.  —  T.  IL  •       24 


—  370  — 

Tadoussac  restait  le  centre  de  toutes  les  missions  orga- 
nisées dans  ces  vastes  contrées,  au  nord  du  grand  fleuve. 
C'est  laque  les  Indiens  venaient  se  faire  instruire  et  recevoir 
les  sacrements  depuis  les  bords  de  la  baie  d'Hudson  jusqu'à 
l'île  d'Anticosti  ;  c'est  de  là  que  partaient  les  missionnaires 
pour  porter  aux  tribus  sauvages  les  lumières  et  les  conso- 
lations de  la  Foi. 

En  1664,  tandis  que  le  P.  Druillettes  visite  les  peu- 
plades errantes  du  Saguenay,  le  P.  Henry  Nouvel  s'avance, 
à  travers  mille  dangers,  jusqu'au  lac  Manikouagan,  auquel 
il  donne  le  nom  de  Saint-Barnabe  K  L'année  suivante,  il 
revient  sur  les  bords  du  même  lac  continuer  son  œuvre 
d'évangélisation,  puis  il  passe  l'hiver  au  lac  Saint-Jean 
sous  la  tente  des  chasseurs,  et,  l'été  suivant,  au  milieu  des 
Papinachois  -.  Il  combinait  un  voyage  à  la  mer  du  Nord  ; 
il  avait  réuni  de  nombreux  renseignements  en  vue  de  cette 
excursion  apostolique  ;  mais  l'année  du  départ,  le  con- 
ducteur, un  capitaine  Oumamiois,  de  la  vallée  d'IIudson, 
ne  paraît  pas  au  lieu  du  rendez-vous  ^. 

Sous  sa  direction,  la  mission  de  Tadoussac  devient  si  fer- 
vente, que  Marie  de  l'Incarnation  écrit  le  I^^  septembre 
1668  :  «  Les  nations  du  Nord  sont  les  sauvages  les  plus 
soumis  et  les  plus  dociles  pour  nos  saints  mystères  que 
l'on  ait  encore  rencontrés.  Il  y  a  peu  de  temps  que  le 
P.  Nouvel  en  amena  cinq  cents  à  Tadoussac  qui  témoi- 
gnèrent une  extrême  passion  de  voir  Monseigneur  notre 
prélat.  Si  tôt  que  sa  Grandeur  en  fut  avertie,  elle  partit 
pour  les  aller  visiter  et  les  féliciter  de  leur  soumission  à  la 

baptisa  plusieurs,  et  surtout  quantité  d'enfants  moribonds,  et  laissa 
une  moisson  bien  préparée.  )>  (Ibid.) 

1.  Relation  de  1604,  p.  14. 

2.  //j»/.,p.  20. 

3.  Relation  de  1664,  pp.  19  et  20  ;  —  Relation  de  1665,  eh.  VI,  p.  13. 


—  371  — 
foi;  et  pour  ne  pas  perdre  une  occasion  si  favorable,  elle 
donna  le  sacrement  de  confirmation  à  ceux  qui  se  trou- 
vèrent disposés  pour  le  recevoir.  D'autres  Pères  vont 
joindre  le  P.  Nouvel  pour  accompagner  les  sauvages  dans 
les  bois  durant  leurs  chasses  et  dans  leur  hivernement  K  » 

Toutefois,  le  rêve  des  missionnaires  était  de  visiter  les 
peuplades  de  la  baie  d'Hudson,  de  découvrir,  comme  ils 
disaient,  la  mer  du  Nord;  et  plusieurs  fois  ils  essayèrent 
de  le  réaliser,  sans  y  réussir,  les  Indiens  refusant  toujours 
de  les  conduire. 

Une  circonstance  imprévue  leur  permit  enfm  de  mettre 
leur  projet  à  exécution.  On  sait  que  Sébastien  Cabot  péné- 
tra le  premier  dans  la  Méditerranée  de  l'Amérique  du 
Nord.  Après  lui,  l'infortuné  Henri  Hudson  s'en  ouvrit  la 
route  en  1610  et  y  laissa  son  nom.  Les  voyages  vers  cette 
nouvelle  mer  se  succédèrent  ensuite  à  des  intervalles  assez 
rapprochés  :  les  navigateurs  anglais,  Button,  Fox,  James, 
et  le  français  Jean  Bourdon  y  vinrent  par  le  détroit  d'Hud- 
son et  explorèrent  la  baie  jusqu'au  rétrécissement  de  l'ex- 
trémité méridionale,  auquel  le  nom  de  baie  James  est  resté 
attaché.  Le  but  de  presque  tous  ces  voyages,  entrepris  par 
mer,  était  la  recherche  d'un  passage  de  l'Atlantique  au 
Pacifique  par  le  nord  du  nouveau  continent.  Aussi  les 
explorateurs  ne  songèrent-ils  pas  à  y  créer  des  établisse- 
ments commerciaux.  Et  cependant  il  y  avait  là  un  champ 
à  exploiter  pour  la  traite  des  pelleteries. 

Deux  transfuges  français,  Chouard  des  Groselliers  et 
Radisson,  devaient  avoir  le  triste  honneur  de  découvrir  cette 
riche  exploitation  à  l'Angleterre  ;  ils  offrirent  à  Rupert, 
neveu  de  Charles  P^,  d'ouvrir  au  commerce  anglais  ces  pa'ys 
nouveaux.  Rupart  accepta  l'ofPre,   et,  en   1068,  il   envoya 

1.  Lettres  historiques,  p.  028;  —  Relation  de  IG'38,  pp.  22  et  24. 


—  372  — 

dans  la  baie,  sous  la  conduite  des  deuxtransfug-es,  plusieurs 
navires,  qui  rapportèrent  des  cargaisons  de  peaux  de  castor. 
La  Compagnie  de  la  baie  d'Hudson  fut  aussitôt  fondée,  et 
le  fort  Rupert  élevé  à  l'eml^ouchure  de  la  rivière  Nemiscau. 

Grande  fut  l'émotion  religieuse  et  patriotique  à  Québec, 
à  la  nouvelle  de  ces  derniers  événements,  qui  portaient 
une  si  grave  atteinte  à  la  prédication  de  l'Evangile  et  au 
commerce  de  la  colonie.  Talon  revenait  de  France,  où 
l'avaient  appelé  les  affaires  du  gouvernement  colonial.  11 
apprend  p^v  des  Algonquins  «  que  deux  vaisseaux  Euro- 
péens cabannent  assez  près  de  la  baie  d'Hudson  ^  »  et  aussi- 
tôt il  prend  une  mesure  énergique  :  «  il  y  fait  passer  par 
terre  quelques  hommes  de  résolution,  pour  inviter  les 
Kilistinons,  qui  sont  en  grand  nombre  dans  le  voisinage 
de  cette  baie,  de  descendre  à  Québec  -  »,  afin  d'y  trafiquer 
directement  avec  les  Français  ;  puis  il  les  charge  de  planter 
le  drapeau  national  sur  cette  terre  encore  inconnue  des 
colons  et  d'en  prendre  possession  au  nom  du  roi  de 
France.  Ces  hommes  de  résolution  étaient  le  P.  Charles 
Albanel,  Denys  de  Saint-Simon  et  un  autre  Français. 

Charles  Albanel,  autrefois  missionnaire  à  Tadoussac, 
V  avait  connu  les  Kilistinons.  Il  parlait  facilement  leur 
langue  et  savait  comment  manier  leur  naturel  défiant.  En 
outre,  cet  industrieux  enfant  de  l'Auvergne  possédait  deux 
qualités  très  utiles  à  cette  longue  et  périlleuse  entreprise, 
la    ténacité    persévérante     de     ses     compatriotes     et    une 


ardeur  infatigable. 


11  y  avait  cependant  en  lui  plus  du  découvreur  que  du 
missionnaire  ;  il  aimait  plus  à  voyager  qu'à  convertir,  à 
voir  des  nations   nouvelles    qu'à  les  évangéliser.   C'est  le 

1.  Lettre  à  Colbert;  Québec,  10  novembre  1(370.  [Marcjnj,  I, 
p.  84). 

2.  Ihid. 


—  373  — 

type  du  voyageur,  ce  n'est  pas  le  modèle  de  l'apôtre,  ni  du 
religieux.  Ses  supérieurs  n'eurent  pas  à  se  louer  de  lui,  les 
premières  années  de  son  séjour  à  la  Nouvelle-France.  Il 
iinit  par  comprendre  sa  sul^lime  mission,  et  le  chercheur 
d'aventures  devint  ce  qu'il  aurait  dû  toujours  être,  un 
chercheur  d'âmes.  S'il  n'a  rien  perdu  en  1G70  de  son  goût 
prononcé  pour  les  voyages,  il  est  du  moins  alors  convaincu 
que  l'apostolat  est  le  premier  but  du  missionnaire'. 

Le  22  août  1()70,  il  s'embarque  sur  le  Saguenay  avec 
Saint-Simon,  un  Français  et  six  sauvages.  Contraint  d'hi- 
verner sur  les  bords  du  lac  Saint-Jean,  il  se  remet  en 
route  au  mois  de  juin  de  l'année  suivante,  traverse  le  lac 
des  Mistassins,  descend  la  rivière  Nemiscau  et  arrive  le 
1*^^  juillet  sur  les  bords  de  la  grande  baie,  au  village  de 
Miscoutcnagechit^  oi\  les   sauvages,   qui  avaient  demandé 

1.  Le  P.  Charles  Albanel,  né  en  Auvergne  en  1616,  entra  au  novi- 
ciat des  Jésuites  le  16  sept.  1633,  après  son  cours  de  philosophie.  Au 
sortir  du  noviciat  il  professa  la  grammaire,  les  humanités  et  la  rhé- 
torique dans  différents  collèges,  àCahors,  à  Carcassonne,  à  Mauriac 
et  à  Aurillac  ;  puis  il  fit  sa  théologie  à  Tournon.  Le  23  août  1649  il 
arrivait  au  Canada.  —  Le  P.  Lalemant  écrit  sur  lui  au  R.  P.  Général, 
le  20  juillet  1664  :  «  Veteranum  illum  operarium,  optimi  ingenii 
naturalis,  et  qui  potens  est  verbo  et  sermone  apud  barbaros  sed  vità 
non  satis  religiosà.  »  Il  avait  déjà  écrit  le  8  sept.  4661  :  «  Si  unum 
excipias.  P.  Carolum  Albanel,  vivunt  omnes  nostri  patres  religiosè, 
eximii  omnes  et  omni  génère  virtutis  egregii.  »  A  partir  de  1668,  le 
P.  Albanel  est  entré  dans  la  vraie  voie  du  missionnaire,  et  le 
26  août  1670,  le  P.  Le  Mercier  peut  écrire  au  R.  P.  Oliva  qu'il  en  est 
pleinement  satisfait,  puis  il  ajoute  :  «  Hiemavit  cum  sylvestribus 
christianis,  quos  Montanenses  vocant,  quibus  tetrâ  lue  correptis  mira 
charitate  adfuit,  cum  bonà  a'dificatione  gallorum  quibuscum  erat.  » 
(Arch.  gen.  S.  J.) 

Consulter  sur  les  travaux  de  ce  missionnaire  :  Relations  de  1651, 
1666,  1669,  1670  et  1672;  —  Relations  inédites,  t.  I,  Journal  du  P.  de 
Crépieul,  p.  320  ;  t.  11,  pp.  4,  5,  46  et  suiv.  ;  —  Lettres  historiques, 
p.  672;  —  Charlevoix,  pp.  477  et  478;  —  Découvertes...,  Margry , 
t.  I,  p.  92. 


—  374   - 

un  missionnaire  pour  les  évangéliser  ^,  le  reçoivent  avec 
de  grandes  démonstrations  de  joie.  Dans  les  endroits  oi^i  il 
passe,  ((  il  fait  des  actes  de  prise  de  possession,  suivant  les 
ordres  qu'il  en  a  ;  il  les  signe  avec  le  sieur  de  Saint-Simon 
et  les  fait  aussi  signer  par  les  chefs  de  dix  ou  douze  nations 
sauvages,  qu'il  avait  eu  la  précaution  de  rassembler,  pour 
être    témoins  de  cette   cérémonie  -.  » 

Le  5  juillet  il  repart  pour  Québec,  où  il  débarque  les 
premiers  jours  d'août,  «  après  un  voyage  extrêmement 
difficile  »  de  deux  cents  portages  et  de  quatre  cents  rapides. 
«  Jusques  ici,  dit  le  P.  All)anel,  on  avait  estimé  ce  voyage 
impossi])le  aux  Français,  qui  après  l'avoir  entrepris  déjà 
par  trois  fois,  et  n'en  ayant  pu  vaincre  les  obstacles,  s'étaient 
vus  obligés  de  l'abandonner  dans  le  désespoir  du  succès. 
Ce  qui  paraît  impossible,  se  trouve  aisé  quand  il  plait  à 
Dieu.  La  conduite  m'en  était  due,  après  dix -huit  ans  de 
poursuites  que  j'en  avais  faite,  et  j'avais  des  preuves  assez 
sensibles  que  Dieu  m'en  réservait  l'exécution...  Je  n'ai  pas 
été  trompé  dans  mon  attente,  j'en  ai  ouvert  le  chemin  en 
compagnie  de  deux  Français  et  de  six  sauvages  'K  » 

L'année  suivante,  cet  intrépide  voyageur,  âgé  de 
cinquante-sept  ans,  se  remettait  en  route  pour  la  baie 
d'Hudson,  dans  le  seul  désir  d'y  prêcher  Jésus-Christ.  Sur 
ce  voyage,  le  P.  d'Aiglon  écrivait  au  Provincial  de  France 
ces  quelques  lignes,  qui  n'étaient  pas  originairement  des- 
tinées à  la  publicité  :  «  Il  a  hiverné  en  chemin  à  plus  de 
cent  lieues  d'ici,  mais  ce  n'a  pas  été  sans  beaucoup  souf- 
frir.  Car  outre  la  famine   et  les  autres   misères    qui   sont 

1.  Les  sauvages  de  la  baie  criludson  avaient  envoyé  en  1661  des 
députés  à  Québec  pour  obtenir  des  missionnaires.  En  1671,  une  nou- 
velle députation  vint  faire  la  même  demande. 

2.  Charicvoix,  t.  I,  p.  478. 

3.  Relation  de  1672,  p.  56. 


—  373  — 

ordinaires  en  ces  sortes  dhivernements ;  après  avoir 
dépensé  tout  ce  qu'il  avait  porté  pour  vivre,  s'en  servant 
pour  gag-ner  et  conserver  ses  sauvages  ;  après  avoir  été 
longtemps  couché  sur  terre  sans  pouvoir  remuer  à  cause 
d'une  chute  fâcheuse,  il  a  été  abandonné  des  sauvages  qui 
le  devaient  conduire,  et  des  Français  qui  le  devaient  accom- 
pagner. Nonobstant  tout  cela,  ayant  de  plus  appris  que  les 
Anglais  s'étaient  rendus  par  mer  dans  l'endroit  même  où 
il  allait,  qu'ils  s'y  étaient  fortifiés,  et  menaçaient  de  le 
tuer  s'il  se  hasardait  à  y  venir,  nonobstant  tout  cela, 
dis-je,  il  n'a  pas  laissé  de  poursuivre  son  chemin,  ne  s'ap- 
puyant  que  sur  la  Providence  '.    » 

Pendant  plus  de  deux  ans,  on  n'entendit  pas  parler  de 
lui  ;  il  courut  même  le  bruit  qu'il  avait  été  tué  par  les  sau- 
vages ~.  Ce  furent  les  Anglais  qui  le  firent  prisonnier  et  ne  le 
rendirent  à  la  liberté  qu'en  1G7G.  Grand  honneur  pour  un 
apôtre  de  souffrir  pour  la  foi  !  Il  ne  tira  pas  de  ce 
second  voyage  le  fruit  qu'il  en  attendait,  les  Anglais  ne 
l'ayant  pas  laissé  libre  d'exercer  son  apostolat.  Au  premier 
voyage,  il  avait  administré  le  baptême  à  deux  cents  sau- 
vages, enfants  ou  adultes  ;  il  avait  gagné  à  Jésus-Christ 
tous  les  capitaines  et  les  principaux  chefs,  et  il  avait  pu 
constater  avec  l^onheur  que  les  deux  grands  obstacles  à  la 
propagation  de  la  foi  parmi  les  Indiens,  la  superstition  et 
l'immoralité,  n'offriraient  pas,  chez  ces  nations  du  Nord, 
une  résistance  sérieuse  aux  triomjihes  de  l'Evangile-^. 

On  peut  se  demander  si  ce  voyage  fut  aussi  satisfaisant 
au  point  de  vue  commercial  qu'au  point  de  vue  religieux. 

1.  Relations  inédites  de  la  Nouvelle-France,  t.  II,  p.  4.  Lettre 
du  P.  d'Ablon  au  R.  P.  Pinette,  provincial  de  France;  Québec, 
24  oct.  1674. 

2.  Relations  inédites,  II,  p.  46. 

3.  Relation  de  1672,  p.  o6. 


—  37G  — 

Sans  doute  que  les  députés,  envoj^és  par  T intendant  du 
Canada  pour  prendre  possession  au  nom  de  la  France  de 
toutes  les  terres  septentrionales,  remplirent  consciencieuse- 
ment leur  mission.  Toutefois  les  changements  survenus 
dans  le  gouvernement  colonial,  par  suite  du  rappel  de 
Talon  et  de  son  remplacement  à  Québec,  occasionnèrent  de 
regrettables  délais  dans  Toccupation  par  un  poste  français 
de  cette  partie  de  l'Amérique  du  Nord.  Les  Anglais  en 
profitèrent  pour  agir  en  maîtres  dans  ce  pays,  et  accaparer 
la  plus  grosse  part,  sinon  la  part  tout  entière,  de  la 
troque  des  pelleteries  ;  ils  construisirent  même  plusieurs 
forts  destinés  à  maintenir  leur  domination  sur  la  grande 
baie.  De  cette  situation  il  devait  sortir,  comme  on  le  verra 
bientôt,  une  lutte  ardente  et  opiniâtre  entre  les  deux 
nations  rivales  de  France  et  d'Angleterre  ;  et  leur  rivalité 
pour  posséder  la  baie  d'Hudson  lit  couler  plus  d'une  fois  le 
sang  sur  ces  contrées  du  Nord,  où  le  P.  Albanel  et  Denys 
de  Saint-Simon  avaient  arboré,  après  tant  d'efforts,  en 
présence  des  principaux  capitaines  des  tribus  sauvages,  le 
drapeau  aux  fleurs  de  lis  de  Louis  XIV. 

L'œuvre  de  la  propagation  delà  Foi  et  de  l'influence  fran- 
çaise dans  la  région  du  bassin  inférieur  du  Saint-Laurent, 
au  sud  des  lacs  Erié  et  Ontario,  ne  faisait  pas  les 
mêmes  rapides  progrès  qu'au  Nord  et  au  Nord-Ouest 
de  la  Nouvelle-France.  Au  sein  de  cette  confédération 
redoutable  des  cinq  nations  Iroquoises,  où  leur  ministère 
avait  dû  cesser  en  1658,  les  Jésuites  essayèrent  plus  d'une 
fois,  depuis  l'établissement  du  vicariat  apostolique,  de 
reprendre  le  cours  brusquement  interrompu  de  leurs  mis- 
sions ;  et  chaque  fois  ils  en  furent  empêchés  par  l'impla- 
cable hostilité  de  ce  peuple  de  guerriers. 

En    1660,   des   députés  d'Onnontagué   et  de  Goyogouen 


—  377  — 

ramenèrent  à  Montréal  quatre  prisonniers  français, et  deman- 
dèrent en  échange  l'élargissement  de  huit  de  leurs  compa- 
triotes '. 

Le  chef  de  l'ambassade,  Garakontié,  le  plus  célèl^re 
capitaine  des  Onnontagués,  grand  ami  autrefois  des 
missionnaires,  était  chargé  de  proposer,  outre  l'échange 
des  prisonniers,  la  paix  avec  les  deux  cantons,  à  la  condi- 
tion toutefois  que  la  Robe  noire  irait  habiter  dans  leur 
pays  :  «  Sans  cela,  dit-il,  point  de  paix,  et  la  vie  de  vingt 
français  captifs  à  Onnontagué  est  attachée  à  ce  voyage  -.  » 

Le  gouverneur  ne  se  crut  pas  autorisé  à  répondre  à  cette" 
proposition  ;  il  renvoya  l'alTaire  au  vicomte  d'Argenson, 
qui  voulut  l'examiner  en  présence  des  habitants  de  Québec, 
tant  elle  lui  semblait  grave  à  cause  de  la  perfidie  si  connue 
des  Iroquois,  de  leur  manque  absolu  de  toute  loyauté. 
Fallait-il  accorder  aux  ambassadeurs  un  missionnaire 
Jésuite?  N'était-ce  pas  le  livrer  sûrement  à  la  mort  3? 
«  Jamais  les  Jésuites,  dit  Ferland,  n'avaient  hésité  à  se 
rendre  dans  les  lieux  où  leur  présence  pouvait  produire 
quelque  bien  ;  la  crainte  des  insultes,  des  mauvais  trai- 
tements, de  la  mort,  ne  les  arrêtait  point  quand  ils  avaient 
reçu  l'ordre  d'aller  travailler  à  la  gloire  de  Dieu.  Mais  les 
autorités  entrevoyaient  de  nouvelles  trahisons  derrière  les 
belles  promesses  des  Iroquois  ;  on  craignait  que  ces  rusés 
politiques  ne  se  servissent  du  missionnaire  comme  d'un 
otage,  au  moyen  duquel  ils  pourraient  imposer  des  condi- 
tions. Malgré  ces  justes  appréhensions,  la  crise  était  si 
violente  pour  la  colonie,  qu'on  pria  le  supérieur  des 
Jésuites  d'envoyer  un  de  ses  religieux  au  secours  des  pau- 

1.  Relation  de  1(3G1,  p.  7. 

2.  Ihid.,  p.  8. 

3.  Ibid.,  pp.  8  et  9. 


—  378  — 

vres  prisonniers.  Pour  la  cinquième  fois,  le  P.  Simon 
Le  Movne  eut  l'honneur  d'être  appelé  à  exposer  sa  vie  dans 
les  cantons  iroquois  K  » 

Le  21  juillet  16G1,  le  P.  Le  Moyne  part  gaiement  de 
Montréal  avec  les  députés  iroquois,  heureux  d'aller  rendre 
les  Français  à  la  liberté  et  d'apporter  les  consolations  de  la 
foi  aux  Hurons  chrétiens,  captifs  depuis  près  de  douze  ans. 
Il  espérait  aussi  déposer  les  semences  de  la  vérité  reli- 
gieuse au  cœur  des  Onnontagués  et  des  Goyogouins  2. 

1.  Cours  dlùstoire  du  Canada,  t.  I,  p.  470.  —  Voir  :  Relation  do 
lOGl,  section  1,  p.  8  ;  —  Lettres  historiques  de  Marie  de  rincarna- 
tion,  lettre  LXI  ;  —  Découvertes,  Margry,  t.  I,  p.  40. 

2.  Mgr  de  Laval  écrivait  aux  cardinaux  de  la  Propagande,  le 
21  octobre  1661  :  ((  Unus  (è  Societate  Jesu)  versus  meridiem  medios 
inter  liostes  Iroquseos  niissus  est  periculoso  exitu  atque  incerto, 
quibus  nimirum  barbaris  nulla  fides.  Vénérant  ad  nos  très  hostium 
legati,  quatuor  quos  habe])ant  captivos  gallos  nobis  reddituri  ut  octo 
socios  suos  quos  captivos  habebamus  vicissim  ipsis  reponeremus; 
speni  faciebant  certam,  si  unus  è  missionariis  nostris  iter  vellet 
suscipere  apud  Iroquœos  fore  ut  non  vacuus  rediret,  eidem  reddendos 
utique  vigenti  alios  gallos  et  amplius  illic  captivos,  simulque  omnes 
redituros  ante  hiemeni  ;  addebant  multos  illic  vivere  christianos 
Hurones  captivos,  qui  sacerdotem  optarent  à  quo  docerentur,  multos 
Iroquœos  (jui  doceri  etiam  percuperent  ;  idipsum  prescribebant  ad 
nos  captivi  illic  galli,  sancteque  affirmabant  segetes  albas  hic  esse  ad 
messem.  In  spem  contra  spem,  in  Deo  fidentes,  sacerdotem  unum 
illùc  misimus  qui  ad  nos  quidem  non  rediit.  »  (Arch.  de  la  Propa- 
gande, vol.  2o6,  p.  26.)  —  Le  8  sept.  1661.  le  P.  J.  Lalemant  écrivait 
au  P.  Chrystophe  Lehorrer,  vicaire  général  de  la  Compagnie,  à 
Rome  :  «  Cursum  missionum  nostrarum  extendimus  ;  ad  Austrum 
apud  barbaros  ipsos  hostes  nostros,  tôt  proditionibus  reos  et  infâmes, 
missus  est  P.  Simon  Le  Moyne,  veteranus  illarum  regionum 
missionarius.  Isti  enim  cum  ex  captivis  gallis  ad  viginti  selegissent, 
({uibus  à  flammis  parcerent,  miserunt  qui  dicerent  liberos  dimit- 
tendos,  si  ex  vestibus  nigris  (hoc  est  ex  nostris)  aliquis  ad  ipsos 
rediret,  rem  christianam  promoturus.  Hoc  à  nobis  effïagitanfe 
(juhernatore  et  populo,  non  fuit  integrum  non  acquiescere,  animo 
pra^sertim  subserviendi  consiliis  et  judiciis  Dei  inscrutabilibus,  qui 


—  379  — 

Il  fait  son  entrée  à  Onnontagué  en  vrai  triomphateur, 
entre  deux  haies  d'hommes,  de  femmes  et  d'enfants.  Est-ce  de 
bon  augure?  Quelques  mois  après,  neuf  Français  sur  ving^t 
sont  mis  en  lil^erté  et  conduits  à  Montréal  ;  les  autres  et  le 
Jésuite  restent  prisonniers  à  Onnontag-ué.  Le  P.  Le  Moyne 
ne  s'en  plaignit  pas  :  «  Il  soullVait  volontiers  ses  chaînes 
pour  rompre  celles  des  Français  *.  »  Cependant,  après  les 
plus  persévérants  eiforts,  grâce  surtout  à  l'habileté  et  au 
tact  intelligent  de  Garakontié,  il  peut  délivrer  les  autres 
Français  et  les  ramener  lui-même  à  Québec  dans  le  cou- 
rant de  l'été  de  16G2  ^'. 

II  ne  devait  pas  survivre  longtemps  à  cette  dernière 
ambassade  au  pays  des  Iroquois.  Les  privations,  les  mau- 
vais traitements,  les  fatigues  de  l'apostolat  au  mijieu  de 
périls  sans  nombre,  avaient  altéré  sa  robuste  santé.  II 
n'avait  échappé  à  la  mort  que  par  une  protection  spéciale  de 
hi  Providence,  les  sauvages  ayant,  dès  son  arrivée,  décidé 
de  le  tuer  et  donné  des  ordres  pour  lui  fendre  la  tète  ^.  Il 
mourut  au  cap  de  la  Madeleine,  le  jour  de  la  fête  de  son 
patron,  le  24  novembre  1665  ^. 

La  mort  de  ce  vaillant  apùtre  fut  une  perte  pour  la  mis- 
sion ;  les  sauvages  firent  son  éloge  dans  leur  langue  imagée. 
En  présence  du  marquis  de  Tracy,  dans  une  audience  solen- 

hâc  occasione  forte  uti  voluit  ad  salutem  alicujus  prœdestinati  ;  ad 
hanc  igitiir  periculosam  provinciam  libenti  animo  ex  obedientià 
convolavit  prœdictus  Pater  à  nobisque  disccssit  21  Jiilli.  »  (Arch. 
i>'cii.  S.  J.) 

1.  Belafion  de  1G62,  p.  14. 

2.  Relation  de  1662,  eh.  V,  p.  11  et  ch.  VI,  p.  13. 

3.  Ibid.,  p.  13.  —  Pour  tout  ce  qui  précède  sur  Fambassade  du 
P.  Le  Moyne,  consulter  :  Relit  ion  de  1661,  ch.  II,  section  I  et  II  ;  — 
Relation  de  1662,  ch.  IV,  V  et  VI  ;  —  Lettres  historiques,  lettres  LXI 
et  LXII  ;  —  Ferland,  1.  I,  ch.  XIII,  p.  469  ;  —  Charlevoix,  t.  I, 
pp.  349  et  352 

4.  Journal  des  Jésuites,  p.  339. 


._  380  — 

nelle  qui  lui  fut  accordée  à  Québec,  Garakontié  s'adressa  au 
Père  et  lui  dit  au  nom  des  Onnontag-ués  :  <(  Ondessonk  (c'était 
le  nom  sauvage  du  P.  Le  Moyne),  m'entends-tu  du  pays  des 
morts,  oii  tu  es  passé  si  vite?  C'est  toi  qui  as  porté  tant  de 
fois  ta  tête  sur  les  échafauds  des  Agniers  ;  c'est  toi  qui  as 
été  courageusement  jusque  dans  leurs  feux  en  arracher 
tant  de  Français  ;  c'est  toi  qui  as  mené  la  paix  et  la  tran- 
quillité partout  où  tu  passais,  et  qui  as  fait  des  fidèles 
partout  où  tu  demeurais.  Nous  t'avons  vu  sur  nos  nattes 
de  conseil  décider  de  la  paix  et  de  la  guerre  ;  nos  cabanes 
se  sont  trouvées  trop  petites  quand  tu  y  es  entré,  et  nos 
villages  même  étaient  trop  étroits  quand  tu  t'y  trouvais, 
tant  la  foule  du  peuple  que  tu   y   attirais  par  tes  paroles 

était  grande Nous  te  pleurons,  parce  qu'en  te  perdant, 

nous  avons  perdu  notre  Père  et  notre  Protecteur  K  » 

Cependant  le  moment  arrivait  où  un  grand  coup  allait 
être  frappé  contre  les  plus  redoutables  ennemis  des  Fran- 
çais. C'était  l'heure  choisie  par  Dieu  pour  l'établissement 
de  missions  durables  dans  chacun  des  cantons  de  la  confé- 
dération iroquoise. 

Nous  avons  dit,  à  la  fin  du  chapitre  précédent,  que  le  Roi 
avait  nommé  M.  de  Courcelles  gouverneur  général  du 
Canada,  et  le  marquis  de  Tracy  commandant  en  chef  des 
forces  militaires.  Celles-ci  se  composaient  d'un  côté  des 
Canadiens-Français,  de  l'autre  de  quelcjues  compagnies  du 
régiment  de  Carignan  sous  la  conduite  du  colonel  de 
Salières.  Les  officiers  et  les  soldats  de  ce  régiment  s'étaient 
distingués  à  la  bataille  de  Saint-Gotthard,  gagnée  en 
Hongrie  (1664)  contre  les  Turcs.  Leur  indomptable  courage 
avait   décidé    la   victoire.    De  retour  de    Hono^rie,   on  les 


'o' 


1.  Relation  de  1666,  p.  o. 


—  381  — 

embarqua  pour  la  Nouvelle-France  <(  sur  une  escadre,  qui 
portait  aussi  MM.  de  Gourcelles  et  Talon,  un  grand  nombre 
de  familles,  quantité  d'artisans,  des  engagés,  les  premiers 
chevaux  qu'on  ait  vus  en  Canada,  des  bœufs,  des  moutons, 
en  un  mot,  une  colonie  plus  considérable  que  celle  qu'on 
venait  renforcer  ' .  » 

Le  marquis   de  Tracy  -  joignait  au  titre  de  lieutenant- 

1.  Charlevoix,  t.  I,  p.  381. 

2.  Pendant  son  séjour  dans  TAmérique  méridionale,  à  Cayenne,  à 
Saint-Domingue  et  à  la  Guadeloupe,  Alexandre  de  Prouville,  marquis 
de  Tracy,  s'était  montré  le  protecteur  et  Tami  des  Jésuites,  mission- 
naires en  ces  pays.  Le  Général  des  Jésuites  l'en  remercia,  le  20  jan- 
vier 1665,  par  une  lettre,  où  il  lui  recommandait  en  même  temps  ses 
relig-ieux  de  la  Nouvelle-France  :  Intellexi  ex  litteris  Patrum 
nostrorum,  qui  in  America  mei^iclionali  versantur  peculiaria  officia 
(|U£e  ipsis  excellentia  vestra,  pro  suà  ergà  societatem  nostram 
benevolentià,  pra^stitit.  Pro  his  ut  officii  mei  et  debitœ  gratitudinis 
ratio  exigit  humillimas  gratias  ago,  simulque  rogo  enixè  ut  eosdem 
Societatis  nostrœ  operarios,  qui  saluti  animarum  incumhunt  in 
AmericH  Septenfrionali  paris  benevolentise  significatione  persequi 
velit.  Spero  illos  habituros  esse  in  Excellentia  vestrâ  peritissimâ 
defensorem  ac  protectorem.  Cum  enim  illi  laboribus  suis  nihil  aliud 
quœrant  quam  divini  laudis  laudem,  animarum  salutem  ac  piissimi 
Reo-is  X°i'  gloriam,  probèque  noverim  Excellentiam  vestram  eumdem 
linem  spcctare,  persuasum  habeo  locum  favoris  inventuros  esse 
apud  eum  cui  eàdem  voluntatum  consiliorumque  ratione  consentiunt. 
Non  decrunt  illi  certissimè  debitis  Excellentiœ  vestrse  officiis.  (Arch. 
gen,  S.  J.).  —  Les  Jésuites  du  Canada  se  montrèrent,  en  effet,  vis- 
à-vis  du  vice-roi,  pleins  de  déférence  et  de  gratitude,  comme  celui- 
ci  le  fit  savoir,  cette  année  même,  à  leur  Général,  et  le  Général  lui 
répondit,  le  'ô  janvier  16G()  :  «  Non  satis  esse  duco,  quod  intclligam 
Patres  nostros,  qui  in  nova  Franciâ  versantur,  quibuscumque 
possunt  humilis  obsequii  significationilnis  probare  gratitudinem  suam 
Excellentiœ  vestrœ,  nisi  ipsis  ego  quoque  adjungar.  »  —  Le  mar- 
(juis  de  Tracy  fit  plus  que  de  protéger  les  missionnaires,  il  écrivit 
au  roi  pour  les  laver  des  reproches  dont  les  calomnies  de  ^1.  de  Mésy 
avaient  cherché  à  les  noircir.  Le  P.  Oliva  l'en  remercie  dans  la  même- 
lettre  :  Audio  de  Patribus  nostris  tam  amanter  tamque  bénévole 
Excellentiam  vestram  esse  sollicitam,  ad  Parisiensem  usque  Chris- 
tianissimi    reo-is    aulam,   ut  minime   memores    acceptœ   gratiœ    tani 


—  382  — 

général  des  troupes  celui  de  vice-roi,  et  Ton  doit  avouer 
que  ce  dernier  ne  déplaisait  pas  à  ce  gentilhomme  qui 
aimait  le  luxe,  l'étalage  en  tout.  A  Québec,  il  ne  sortait 
jamais  sans  être  précédé  de  vingt-quatre  gardes  et  de 
quatre  pages,  sans  être  suivi  de  six  laquais  aux  livr<^'es 
royales  et  de  plusieurs  ofiiciers  richement  vêtus.  C'était 
une  faiblesse  bien  pardonnable  dans  un  grand  seigneur 
doué  des  plus  belles  qualités  personnelles,  homme  de  bien, 
chrétien  convaincu,  soldat  d'expérience  et  de  courage, 
administrateur  plein  de  verdeur  et  d'activité,  quoique 
septuagénaire.  La  population  française  et  les  sauvages  le 
reçurent  avec  enthousiasme  et  le  saluèrent  comme  un 
sauveur  ^ 

Sa  mission  était  de  réduire  les  Iroquois  ;  dès  son  arriA^'e, 
il  se  prépare  à  la  remplir.  Il  fait  construire  trois  forts  sur 
la  rivière  qui  conduit  aux  Agniers  :  celui  de  Sorel  sur 
l'ancien  fort  de  Richelieu,  et  ceux  de  Saint-Louis  (plus 
tard  Ghambly)  et  de  Sainte-Thérèse.  Dans  la  suite,  on  bâtit 
encore  les  forts  de  Saint-Jean  et  de  Sainte-Anne  (ou  de 
Lamothe^  '-. 

Les  Agniers  et  les  Onneiouts,  les  deux  nations  les  plus 
rapprochées  de  la  rivière  Richelieu  et  les  plus  hostiles  à  la 
France,  s'inquiétaient  assez  peu  des  préparatifs  de  guerre 
des  Français  ;   accoutumés  depuis  longtemps  à  faire  trem- 


insig'iiis  futuri  simus,  iiisi  lUust.  Magnitudinis  vestrœ  multa  magnaque 
in  nos  promerita  libentissimè  ubique  et  linguis  et  animis  prœdi- 
cemus.  (Ai'ch.  gen.  S.  J.) 

1.  Relation  de  1665,  chap.  I  et  II. 

2.  Le  fort  de  Sainte-Thérèse  fut  construit  par  le  colonel  de 
Salières  et  celui  de  Sainte-Anne  par  Lamotte-Cadillac.  Sorel  donna 
son  nom  au  fort  élevé  sous  sa  direction,  et  Chambly  bâtit  le  fort 
Saint-Louis  au  pied  d'un  courant  connu  aujourd'hui  sous  le  nom  de 
rapides  de  Chambly.  (V.  Ferlaml,  t.  II,  ch.  III  et  IV.) 


—  383  — 

bler  leurs  ennemis,  ils  se  croyaient  invincibles,  ils  ne 
s'imaginaient  pas  que  des  troupes  européennes  osassent 
jamais  porter  la  guerre  dans  leurs  cantons.  Leur  confiance 
était  peut-être  augmentée  par  le  voisinage  des  Anglais, 
qui,  après  plusieurs  incidents,  étaient  parvenus  à  enlever 
aux  Hollandais  la  Nouvelle-Belgique,  devenue  aussitôt  la 
Nouvelle-Angleterre  '.  Les  Iroquois,  placés  entre  les 
Anglais  et  les  Français,  n'étaient-ils  pas  portés  à  se  croire 
forts  de  toute  l'animosité  qui  divisait  les  deux  plus  grandes 
nations  de  l'Europe? 

A  peine  les  forts  Sorel,  Ghambly  et  Sainte-Thérèse  sont- 
ils  construits  que  M.  de  Courcelles,  emporté  par  son 
caractère  chevaleresque,  obéissant  peut-être  aussi  à  un 
puéril  sentiment  de  vanité,  décide  d'aller  attaquer  les 
Iroquois  dans  leur  propre  pays,  au  cœur  même  de  l'hiver. 
Avait-il  consulté  le  lieutenant-général?  Il  est  probable 
que  non.  Il  se  flattait  d'avoir  facilement  raison  de  l'ennemi 
avec  quelques  centaines  de  soldats,  et  n'était  pas  fâché  de 
jouir  seul  de  la  gloire  de  l'avoir  vaincu  et  réduit  à  l'im- 
puissance. 

Par  malheur  pour  lui,  il  ne  se  rendait  aucunement 
compte  de  la  situation.  Il  ne  connaissait  ni  le  canton  des 
Agniers,  où  il  prétendait  descendre,  ni  les  chemins  qui  y 
conduisent.  Ses  troupes  ne  faisaient  que  d'arriver  de 
France,  et  elles  n'étaient  habituées  ni  aux  rigueurs  du  froid 
du  Canada,  ni  aux  longues  marches  en  raquettes  sur  les 
rivières  et  à  travers  les  bois.  Et  puis,  les  soldats  ne  pou- 
vaient emporter  des  vivres  que  pour  quelques  jours  ;  le 
reste  du  temps,  il  fallait  se  nourrir  du  produit  de  la  chasse, 

I.  Après  roccupation  de  la  Nouvelle-Belgique  par  les  Anglais, 
^Manhatte  reçut  le  nom  de  Nouvelle-York,  et  Orange  celui  d'Albany. 
Le  territoire  compris  entre  THudson  et  la  Delaware  s'appela  Nou- 
veau-Jersey. 


—  384  — 

et  la  chasse  est  un  art  en  ces  contrées,  à  cette  époque  de 
l'année. 

Mais  le  gouverneur,  impatient  d'agir,  ne  veut  pas  voir 
les  difficultés,  ni  entendre  les  observations.  Sur  la  lin  de 
janvier  16GG,  il  quitte  le  fort  Sainte-Thérèse,  sans  même 
attendre  les  Algonquins  qui  doivent  lui  servir  de  guides, 
ses  soldats  n'ayant  môme  pas  le  nombre  suffisant  de 
raquettes  et  de  couvertures.  Le  P.  Rafeix  suivait  les  troupes 
en  qualité  d'aumônier.  En  route,  le  gouvei'neur  s'égare 
et  arrive  à  quelques  milles  d'Orange,  croyant  tomber  en 
plein  pays  iroquois.  Prévenu  de  son  erreur  par  un  mar- 
chand hollandais,  il  revient  sur  ses  pas  et  se  voit  forcé  de 
rentrer  au  fort  Sainte-Thérèse,  après  avoir  eu  plusieurs 
officiers  tués  ou  blessés  par  les  Agniers,  et  avoir  perdu  une 
soixantaine  de  soldats,  morts  de  faim  et  de  misères.  S'il 
n'eût  rencontré  au  retour  les  guides  algonquins,  qui  lui 
procurèrent  des  vivres,  pas  un  homme  ne  serait  revenu 
vivant  ^ . 

L'humiliation  de  M.  de  Gourcelles  était  grande,  son 
irritation  le  fut  plus  encore.  Blessé  dans  son  amour-propre, 
et  n'ayant  pas  le  courage  de  supporter  la  responsabilité  de 
ses  imprudences  et  de  son  impardonnable  précipitation,  il 
ne  trouva  rien  de  mieux  que  de  charger  les  Jésuites  de  ses 
propres  torts,  de  les  accuser  d'avoir  empêché  les  Algon- 
quins de  lui  porter  secours.  En  vérité,  on  ne  se  serait 
guère  attendu  à  trouver  les  Jésuites  en  cette  affaire.  Ils 
protestèrent  bien  haut  contre  cette  inique,  ou  plutôt,  contre 

1.  Mémoire  de  M.  de  Salière  des  choses  qui  se  sont  passées  au 
Canada  les  plus  considérables  depuis  qu'il  est  arrivé.  (Arch.  de  la 
Biblioth.  nat.,  fonds  français,  vol.  4569,  fol.  98...)  ;  —  Charlevoix, 
t.  I,  p.  385  ;  —  Relation  de  1060,  pp.  0-8  ;  —  Gosselin,  t.  I,  p.  477  ; 
—  Gaimeau,  t.  I,  1.  IV,  ch.  I  ;  —  Faillon,  t.  III,  3«  partie,  1.  I  ;  — 
Histoire  du  Montréal,  par  Dollier  de  Casson,  de  1665  à  1666  ;  — 
Journal  des  Jésuites,  janvier,  février  et  mars  1606. 


—  385  — 

cette  sotte  accusation,  et  personne  n'y  ajouta  foi,  si  ce 
n'est  peut-être  l'intendant  Talon,  qui  était  assez  porté  à 
voir  dans  les  événements  désagréables  la  main  ténébreuse 
de  ces  religieux  ^.  Gomme  le  fait  observer  un  historien, 
quel  intérêt  pouvaient-ils  bien  avoir  «  à  faire  échouer  une 
expédition  qui  devait  être  toute  à  l'avantage  de  leurs 
missions  sauvages  2?  )>  En  outre,  ajoute  B.  Suite,  —  et  on 
peut  l'en  croire  quand  il  parle  des  Jésuites,  —  «  les 
Algonquins  étaient  commandés  par  Godefroy  de  Norman- 
ville,  un  Ganadien  qui  ne  cédait  ni  aux  religieux  ni  aux 
autres  influences  'K  » 

Gependant,  le  premier  moment  de  mauvaise  humeur 
passé,  M.  de  Gourcelles  finit  par  rendre  justice  aux  Jésuites 
indignement  calomniés,  il  leur  rendit  sa  confiance  dont  ils 
n'avaient  jamais  démérité,  et,  dans  l'avenir,  àl  ne  fut  pas  une 
seule  fois  question  entre  eux  de  ce  léger  nuage  ^. 

Le  gouvernement  colonial  ne  pouvait  rester  sous  le  coup 
de  la  piteuse  expédition  du  mois  de  janvier.  En  juillet,  le 
capitaine  Sorel  reçoit  l'ordre  de  marcher  contre  les  Agniers. 
A  vingt  lieues  des  villages  ennemis,  il  rencontre  les 
députés  de  ce  canton,  porteurs  de  paroles  de  paix;  il  se 
laisse  fléchir,  et  les  conduit  lui-même  à  Québec,  avec 
quelques  Français,  prisonniers  des  Iroquois,  au  lieu  de 
mettre  une  fois  pour  toutes  à  la  raison  cette  tribu  perfide 
et  les  Ouneiouts,  ses  voisins  ^. 

Gomme  toujours,  la  paix  n'était  pas  sincère,   et  l'expé- 

1.  Journal  des  Jésiiifes,  p.  343,  mars  1666. 

2.  Gosselin,  t.  I,  p.  478. 

3.  Suite,  t.  IV,  p.  86. 

4.  Gosselin,  t.  I,  p.  479  ;  —  Journal  des  Jésuites,  mars  1666. 

5.  Journal  des  Jésuites,  juillet  et  août  1666  ;  —  Relation  de 
1666,  p.  7. 

Jcs.  et  Noui'.-Fr.  —  T.  IL  25 


—  386  — 

dition  dut  être  reprise  en  automne.  Le  marquis  de  Tracy 
voulut  la  commander  en  personne,  malgTC  son  grand  âge. 
Elle  se  composait  de  six  cents  soldats  du  régiment  de  j 
Carignan,  de  six  cents  Canadiens-Français  et  d'une  cen- 
taine de  sauvages,  Hurons  et  Algonquins  ;  en  tout,  treize 
cents  hommes.  Deux  Jésuites,  les  Pères  Albanel  et  Raffeix, 
et  deux  ecclésiastiques,  MM.  du  Bois  d'Esgrisettes  et 
Dollier  de  Casson,  suivaient  les  troupes. 

Le  3  octobre,  départ  du  fort  de  Sainte-Anne.  Les  quatre 
villages  des  Agniers  n'offrent  aucune  résistance  :  les  habi- 
tants les  ont  abandonnés  à  l'approche  des  Français,  et  se  sont 
enfuis  effra^^és  dans  la  profondeur  des  forêts.  Tracv  livre  sans 
pitié  les  bourgades  aux  flammes  et  détruit  toutes  les  provi- 
sions qu'il  ne  peut  emporter  ;  il  y  en  avait  «  en  si  grande 
quantité,  dit  l'annaliste,  qu'elles  auraient  suffi  pour  nourrir 
la  colonie  pendant  deux  ans.  »  Peut-être  eût-il  été  préfé- 
rable de  profiter  de  l'épouvante  générale  des  Iroquois  pour 
porter  dans  tous  les  cantons  le  fer  et  la  flamme  ;  mais 
l'hiver  avançait  et  le  commandant  jugea  plus  sage  de  ne  pas 
poursuivre  ce  premier  succès  ;  «  il  ne  voulait  pas  s'exposer 
à  trouver,  en  revenant,  les  rivières  gelées,  et,  sur  ses 
derrières,  un  ennemi  pour  le  harceler  *.  »  Du  reste,  le  but 
de  son  expédition  était  en  partie  atteint  :  les  Agniers 
étaient  humiliés  sinon  détruits,  et  cette  leçon  était  de 
nature  à  les  tenir  pour  longtemj^s  en  respect.  Puis,  l'audace 
et  la  hardiesse  des  Français  avaient  montré  à  toute  la 
nation  confédérée  qu'on  pourrait  facilement  l'atteindre 
malgré  son  éloignement,  et  qu'elle  avait  à  craindre,  à  la 
première  révolte,  de  se  voir  infliger  le  terrible  châtiment 
des  Agniers  '^ 

1.  Vicomte  de  Laslic,  p.  dSO. 

2.  B.    Suite   dit   en  parlant   de  cette  dernière   expédition,    t,    IV, 
p.  87  :  (c  Cette  expédition  est  absolument  ridicule,  n'en  déplaise  aux 


—  387  — 

Consternés,  en  effet,  à  la  vue  de  leurs  villag-es  incendiés, 
pressés  d'ailleurs  par  l'horrible  famine,  les  Agniers 
demandèrent  sincèrement  la  paix  ;  les  autres  cantons  sui- 
virent leur  exemple,  et  la  paix,  signée  cette  même  année 
1666,  dura  dix-huit  ans.  Dix-huit  ans  de  paix  !  C'était 
chose  inouïe  pour  le  Canada  K 

Pendant  ces  dix-huit  années,  le  ciel  ne  fut  sans  doute  pas 
sans  nuages  ;  des  lueurs  sinistres  troublèrent  de  temps  à 
autre  l'horizon  assombri  ;  mais  la  tranquillité  relative  et  si 
longtemps  attendue,  dont  jouit  le  Canada  jusqu'en  1684, 
permit  de  sortir  détinitivement  du  statu  quo^  du  moins  de 
progresser  plus  vite  qu'on  ne  l'avait  encore  fait,  de  fonder 
au  septentrion  et  à  l'occident  de  nouvelles  et  florissantes 

historiens.  Il  ne  s'y  fit  que  des  bévues,  ajoutées  à  celles  de  la  cam- 
pagne précédente  (de  M.  de  Courcelles).  »  Cet  historien'  est  le  seul  à 
penser  ainsi.  Il  ne  faut  pas  s'étonner  de  ce  langage  ;  on  sait  qu'il  ne 
manque  aucune  occasion  d'attaquer  la  France  et  de  traiter  les  Fran- 
çais comme  de  simples  Jésuites  ;  la  justice  et  la  vérité  historique 
sont  le  cadet  de  ses  soucis. 

V.  sur  l'expédition  du  marquis  de  Tracy  :  «  Relation  de  1G66,  p.  8  ; 
—  Journal  des  Jésuites,  septembre,  octobre  et  novembre  1666  ;  — 
Histoire  du  Montréal,  de  16^66  à  1667  ;  —  Lettres  historiques,  70^, 
73%  74%  75*^  ;  —  Lettres  spirituelles,  {"i",  p.  19o  ;  —  Lettre  de  Mgr  de 
Laval  au  pape,  15  oct.  166G,  voL  256,  fol.  80  ;  —  Faillon,  t.  III, 
3®  p.,  ch.  II  ;  —  Charlevoix,  t.  I,  p.  385  et  suiv.  ;  —  (iosselin, 
t.  I,  2^^  p.,  ch.  XXI.  —  Le  P.  Oliva  félicite  de  ses  succès  le  marquis 
de  Tracy  dans  la  lettre  suivante  du  8  janvier  1667  :  Ubi  perlatus 
primùm  ad  nos  fuit  nuper  à  Patribus  Nostris  Canadensibus  felix 
nuncius  fugati  hostis  importunissimi,  nihil  habui  antiquius  quam  ut 
Dom"'  Vestrse  eventum  hune  fortunatissimum  gratuler.  Accedit 
insuper  nova  causa  scribendi,  al)  justo  videlicet  gratitudinis  noslrse 
sensu  petita.  Cum  enim  accepi  non  cessare  Excellentiam  vestram 
cum  Societate  nostrà  ipsis  in  locis  agere  liberaliter  et  beneficentis- 
simè,  gratitudinem  ipse  testari  meam  repente  ut  debui  sic  pariter  et 
magno  animo  volui,  paucis  id  quidem  et  jejunis  verbis,  sed  quse 
arcanos  mentis  sensus  atquc  omni  ex  parte  sinceros  produnt.  (Ârch. 
gen.  S.  J.) 

1.  Ibid.  ;  —  Garneau,  t.  I,  p.  195  ;  —Lettres  historiques,  76^ 


—  388  — 

missions,  d'explorer  des  régions  inconnues  et  d'y  planter  le 
drapeau  de  la  France,  d'affermir  et  d'étendre  les  bases  de 
la  prospérité  matérielle  et  commerciale  du  pays,  de  donner 
enfin  à  la  Nouvelle-France  l'organisation  religieuse  et  j^oli- 
tique,  qu'elle  conservera  l'espace  de  plus  d'un  siècle,  en  la 
soumettant  toutefois  à  des  perfectionnements  successifs. 

La  plupart  des  historiens  ont  raconté  avec  force  détails 
les  progrès  accomplis  pendant  cette  période  relativement 
longue  de  paix  et  de  tranquillité  ;  il  serait  donc  superflu  de 
redire  ce  qui  a  été  exposé  ailleurs  avec  une  consciencieuse 
exactitude.  Seulement  il  ne  sera  pas  inutile,  pour  l'intelli- 
gence des  événements  qui  vont  suivre,  de  résumer  ici  les 
faits  les  plus  marquants. 

Talon  est  le  principal  et  le  plus  intelligent  promoteur 
de  tous  les  progrès.  Représentant  du  ministre  Golbert,  il 
réalise  avec  une  remarquable  hauteur  de  vue,  un  merveil- 
leux sens  pratique,  les  grandes  idées  de  son  chef  sur  la 
Nouvelle-France.  «  Depuis  que  Talon  est  ici  en  qualité 
d'intendant,  écrit  Marie  de  T Incarnation,  le  pays  s'est  plus 
fait  et  les  affaires  ont  plus  avancé  qu'elles  n'avaient  fait 
depuis  que  les  Français  y  habitent  ^  »  Les  Jésuites,  qui 
n'ont  pas  toujours  eu  à  se  louer  de  ses  procédés,  lui 
rendent  le  même  témoignage  :  «  Il  n'a  point  cessé,  dit  leur 
supérieur,  d'appliquer  tous  ses  soins  pour  le  bien  universel 
du  pays'-.  » 

Ces  témoignages  sont  l'expression  de  la  plus  pure  vérité. 
Grâce  à  son  zèle  éclairé  et  infatigable,  une  impulsion  puis- 
sante est  donnée  à  l'agriculture,  à  l'industrie  et  au  com- 
merce. On  défriche  les  terres,  on  cultive  le  lin,  le  chanvre, 
l'orge,  le  blé,  les  plantes  légumineuses  ;   on  organise  des 

1.  Lettres  historiques,  p.  634.  —  De  Qu6J3ec,  1668. 

2.  Relation  de  1668,  p.  2. 


—  389  — 

pèches  sur  les  rives  du  Saint-Laurent  ;  on  élève  du  bétail, 
on  exploite  les  forets,  on  construit  des  vaisseaux^,  on  fait 
venir  de  France  des  instruments  de  labour,  toutes  sortes 
d'outils  pour  les  divers  métiers-. 

Des  ing'énieurs  découvrent  des  mines  de  fer  à  Gaspé,  à 
la  baie  Saint-Paul  et  près  des  Trois-Rivières.  On  signale  au 
delà  de  Montréal  des  mines  de  plomb  et  de  charbon.  Les 
Jésuites  trouvent  une  ardoisière  à  cinq  lieues  du  lac  du 
Saint-Sacrement^  ;  ils  apprennent  parles  Outaouais  l'exis- 
tence de  mines  de  cuivre  au  lac  Supérieur  et  envoient  à 
Québec  plusieurs  échantillons  de  ce  métal  ^.  Les  soldats 
du  régiment  de  Carignan  ayant  apporté  de  l'argent  mon- 
nayé, l'argent  circule  dans  le  pays  sans  mettre  fin  cependant 
aux  échanges  ni  diminuer  le  taux  du  numéraire,  dont  la 
valeur  est  un  quart  de  plus  qu'en  France^. 

Des  établissements  se  forment  pour  la  fabrication  des 
chapeaux,  des  souliers,  la  préparation  des  cuirs  et  des 
draps  ;  des  tanneries  s'établissent  à  Québec  et  à  Montréal, 
ainsi  que  des  moulins  à  eau,  des  fabriques  de  savon  et  de 
potasse,  des  manufactures  de  cordes,  de  toile  à  voile,  de 
serges.  Les  écoles  apprennent  à  liler  aux  femmes  et  aux 
jeunes  filles.  Pour  supprimer  la  consommation  du  vin  et 
des  liqueurs  fortes,  maintenir  par  conséquent  la  tempérance 
et  encourager  l'agriculture,  on  bâtit  à  Québec  une  première 

1.  Lettre  de  Colbert  à  Talon,  11  février  1671.  [Collection  de  manus- 
crits, t.  I,  p.  205.) 

2.  Lettres  historiques,  81%  84«  ;  —  Relations  de  16G7,  eh.  I  ;  —  de 
1608,  ch.  I. 

3.  ((  Je  passai  une  belle  ardoisière  que  nous  avons  trouvée  à  cinq 
lieues  du  lac  Saint-Sacrement...  Elle  est  toute  semblable  à  celles 
que  j'ai  vues  dans  les  Ardennes  de  notre  France.  »  [Relation  de 
1668,  p.  5.) 

4.  Relation  de  1670,  p.  83-86. 

5.  Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  111,  p.  247. 


—  390  — 

brasserie.  En  quelques  années,  le  pays  apprend  k  manu- 
facturer lui-même  les  objets  de  première  nécessitée 

On  fixe  deux  jours  de  marché  par  semaine  à  Québec  et  à 
Montréal  pour  soustraire  les  colons  à  l'inconA'énient 
d'acheter  aux  revendeurs.  Talon  envoie  à  La  Rochelle  des 
bois  de  mâture  et  de  construction  pour  la  marine  royale  ; 
il  fait  transporter  sur  le  marché  des  Antilles  du  merrain, 
des  planches,  une  grande  variété  de  poissons,  des  pois,  des 
huiles  de  loup  marin  et  de  marsouin'. 

Louis  XIV  révoque  le  privilège  de  la  Compagnie  des 
Indes  occidentales,  dix  ans  après  sa  création,  et  prend  à 
sa  charge  toutes  les  obligations  de  la  Compagnie  et 
autres;  en  même  temps  il  donne  la  liberté  au  commerce,  à 
la  culture  et  à  l'industrie.  A  ce  régime  de  liberté,  il  y  a 
toutefois  une  exception  capitale  :  pas  de  navires,  pas  de 
marchandises,  pas  de  négociants  étrangers  à  la  Colonie, 
pas  de  marchandises  coloniales  vendues  directement  par 
les  particuliers  aux  étrangers.  C'est  le  pacte  colonial  du 
XYii*'  siècle. 

Des  chemins  s'ouvrent  d'une  localité  à  l'autre.  Aux  envi- 
rons de  Québec  se  forment  les  villages  de  Bourg-Royal, 
de  Bourg-la-Reine,  de  Bourg-Talon  ;  ici  et  là,  le  long  du 
Saint-Laurent,  sur  plus  de  80  lieues  de  paj's,  se  dressent 
de  nouvelles  bourgades,  de  nouvelles  habitations  3.  La 
population  française,  en  dépit  des  recommandations  de 
Colbert  et  des  instructions  de  l'intendant,  s'éparpille  et 
se  fixe  dans  des  localités  isolées,  partout  où  la  traite  peut 

1.  Lettres  historiques,  81*^  et  suiv,  ;  —  Relation  de  1667,  ch.  I  ;  — 
de  1668,  ch.  I;  —de  1670,  p.  2;  —Faillon,t.  III,  pp.  242,  243,  etc...  ; 
—  Ferland,  t.  II,  pp.  59,  60. 

2.  IhicL 

3.  Ferland,  pp.  58,  69  et  70  ;  —  Relation  de  1667,  ch.  I  ;  —  Faillon, 
t.  III,  pp.  220-224,  p.  234. 


—  391  — 

se  faire  facilement,  où  la  chasse  semble  plus  abondante. 
Le  fort  de  Catarakoui,  commencé  par  M.  de  Courcelles, 
continué  et  terminé  par  M.  de  Frontenac,  s'élève  sur  la 
rive  septentrionale  du  lac  Ontario  :  ce  poste  avancé,  centre 
de  commerce  assez  important,  est  destiné  principalement 
à  fortifier  la  paix  en  maintenant  les  Iroquois  dans  le  res- 
pect dû  à  la  puissance  militaire  de  la  France. 

L'activité  n'est  pas  moins  grande  à  Montréal  que  dans 
les  autres  parties  de  la  Colonie  française.  L'humble  bour- 
gade se  développe  sur  les  flancs  de  la  montagne,  elle 
s'enrichit  du  Séminaire  de  Saint-Sulpice,  d'établissements 
publics,  d'habitations  j^rivées  ;  elle  devient  un  gros  bourg, 
d'autres  diraient  une  petite  ville.  Ses  colons,  gens  de 
travail,  vigoureux  soldats  et  bons  chrétiens,  achètent  des 
concessions  aux  Sulpiciens,  seigneurs  de  l'île,  et  s'éta- 
blissent au  coteau  Saint-Louis,  au  pied  du  courant  de  la 
rivière  Saint-Pierre,  à  la  Longue-Pointe,  à  la  Pointe-aux- 
Trembles,  à  Lachine  K 

Dans  toute  la  Colonie,  de  Gaspé  et  de  Tadoussac  au 
lac  Ontario,  du  fort  Sorel  au  lac  Saint-Sacrement,  règne 
une  fiévreuse  activité,  bienfait  de  la  paix,  «  Le  roi  ayant 
donné  tout  pouvoir  à  M.  Talon,  écrit  Marie  de  l'Incarna- 
tion, celui-ci  fait  de  grandes  entreprises  sans  craindre  la 
dépense  '-'.  » 

La  paix  de  Bréda,  conclue  en  1G67,  vient  encore  contri- 
buer à  la  prospérité  générale  de  la  Colonie.  L'Acadie  est 
rendue  à  la  France;  et  Plaisance,  au  sud-ouest  de  Terre- 
Neuve,  devient  un  poste  important  et  le  principal  comptoir 
des  Français. 

On  a   dit  que  la  colonisation  d'un   pays    est    en  raison 

1.  Faillon,  t.  III,  p.  220. 

2.  Lettres  historiques,  p.  042;  —  Relations  de  1007  et  1008,  ch.  I. 


—  392  — 

directe  du  nombre  des  colons.  Quoique  cette  formule 
ne  soit  pas  entièrement  exacte ,  il  convient  d'avouer 
cependant  que  plus  le  nombre  des  colons  est  grand,  plus 
grand  aussi  et  plus  rapide  est  en  général  le  développement 
agricole,  commercial  et  industriel.  La  paix  avec  les  Iro- 
quois  fut  le  signal  d'un  heureux  mouvement  d'immigration  ^ 
au  Canada.  Il  aurait  pu,  il  aurait  dû  être  plus  accentué  ;  H 
au  risque  de  froisser  les  susceptibilités  de  certains  histo- 
riens par  trop  optimistes,  nous  ne  craignons  pas  de  dire 
qu'il  fut  très  faible,  surtout  comparé  à  l'accroissement 
merveilleux  des  possessions  anglaises.  Mais,  par  rapport 
au  passé,  il  se  fit  après  la  paix  un  accroissement  considé- 
ra])le  de  population  de  la  Nouvelle-France,  du  moins  pen- 
dant plusieurs  années.  En  arrivant  au  Canada  en  1063, 
Talon  n'y  avait  guère  compté  que  trois  mille  âmes  ;  trois 
ans  plus  tard,  le  recensement  donne  un  chiifre  de  plus  de 
six  mille  habitants,  y  compris  les  soldats  congédiés.  «  C'est 
une  chose  prodigieuse,  dit  la  Mère  Marie  de  l'Incarnation, 
de  voir  combien  le  pays  se  peuple  et  se  multipliç  i.  »  La 
Colonie  se  recrute  d'un  assez  grand  nombre  de  familles  et 
d'engagés  venus  de  France  et  d'un  millier  d'hommes  envi- 
ron du  régiment  de  Carignan.  «  Ces  soldats  étaient  en 
général  animés  du  désir  de  travailler  au  triomphe  de  la 
foi;  ils  laissèrent  à  leurs  enfants  les  traditions  les  plus 
pures.  Ce  sont  eux  et  leurs  descendants  qui  ont  fait  de 
si  grandes  choses  en  Amérique.  Ils  ont  conquis  un  conti- 
nent, et  ces  sauvages  qu'ils  ont  soumis,  ils  se  les  sont  atta- 
chés par  les  liens  d'une  sincère  affection.  Pendant  un  siècle, 
ils  ont  repoussé  les  attaques  des  colonies  voisines,  et  ces 
adversaires  qu'ils  ont  tenus  en  échec,  ils  ont  conquis  leur 
admiration,  au  point  de  devenir   à  leurs   yeux   des    héros 

1.  Lettres  historiques,  lettre  LXXXIII^. 


—  393  — 

légendaires,  et  d'être  chantés  et  célébrés  par  leurs  plus 
grands  écrivains  :  Fenimore  Cooper,  ^^^•lshing•ton  Irving, 
Longfellow,  Bancroft  et  Parkman  K  » 

Afin  de  pourvoir  au  mariage  des  nouveaux  colons,  Col- 
bert  fait  passer  au  Canada,  pendant  plusieurs  années,  des 
orphelines  élevées  aux  frais  du  roi  à  Thùpital  général  de 
Paris  et  des  filles  de  la  campagne  recrutées  principalement 
dans  le  diocèse  de  Rouen,  toutes  «  de  bonne  famille  et  de 
bon  exemple,  ayant  une  santé  capable  de  résister  au  climat 
et  aux  plus  rudes  travaux  ''.  » 

A  ce  peuple  de  colons,  les  marques  d'encouragement  ne 
manquent  pas.  Les  premières  années  de  leur  établissement^ 
les  uns  reçoivent  des  secours  en  argent,  des  vivres,  des 
terres,  des  instruments  de  travail,  même  des  chevaux; 
d'autres,  des  gratifications  de  différentes  sortes,  suivant 
leurs  besoins  et  leurs  situations  ;  d'autres  encore,  surtout 
les  officiers  et  les  colons  qui  se  sont  distingués  par  leur 
valeur  et  par  leur  mérite,  des  lettres  de  noblesse  et  des 
concessions  seigneuriales.  Le  roi  veut  que  la  colonie  arrive 
à  se  soutenir  par  ses  propres  ressources,  et,  dans  ce  but, 
il  encourage  les  bonnes  volontés,  il  récompense  les  sacri- 
fices et  les  dévouements.  Après  la  suppression  de  la  Com- 
pagnie des  Indes  occidentales,  il  prend  à  sa  charge  les 
obligations  de  cette  Compagnie  :  traitement  des  fonction- 
naires,   entretiens    des     ecclésiastiques,    sul)ventions    aux 

1.  (lolhert  et  le  Canada,  p.  40. 

2.  Histoire  de  la  Colonie  Française,  t.  III,  p,  208  et  suiv. 

V,  sur  raccroissement  de  la  population  à  cette  époque  :  Relation 
de  1GG7,  pp.  2  et  3  ;  —  de  1668,  pp.  2  et  3  ;  —  Lettres  historiques,  de 
1667  à  1670,  passim  ;  —  Paillon,  t.  III,  3«  p.,  ch.  IV  ;  —  Colhert  et  le 
Canada,  pp.  30  et  34  ;  —  Rameau,  Les  Canadiens,  2*=  p.,  pp.  28  et 
suiv.  ;  —  Ferland,  t.  II,  ch.  V. 


—  39i  — 

écoles,  aux  hôpitaux  et  aux  missions,  frais  du  culte,  secours 
pour  l'érection   et  la  réparation  des  églises  et  chapelles  K 

La  nouvelle  organisation  civile,  inaugurée  en  1663, 
se  perfectionne  et  se  complète  en  prenant  pour  base  le 
fonctionnement  des  institutions  de  la  mère  patrie,  et  y 
superposant  les  exigences  locales,  les  nécessités  indivi- 
duelles et  les  besoins  coloniaux.  Dans  chaque  paroisse,  les 
colons  composent  une  communauté,  qui  a  une  forme  régu- 
lière d'administration.  Les  particuliers  en  état  de  porter  les 
armes  sont  tous  soldats  et  forment  le  corps  de  la  milice  ; 
cette  milice  a  ses  chefs  désignés  par  le  gouverneur.  Outre 
ces  chefs  militaires,  on  trouve  dans  les  paroisses  les  plus 
importantes  des  oiïiciers  de  justice  qui  jugent  en  première 
instance,  des  oiïiciers  municipaux,  un  syndic  ou  procureur 
fiscal.  On  peut  appeler  de  la  sentence  d'un  juge  au  Conseil 
souverain  de  Québec.  Les  droits  seigneuriaux  obligent  les 
colons  à  payer  pour  leurs  terres  certaines  redevances  aux 
seigneurs. 

Les  postes  avancés,  en  face  de  l'ennemi,  sont  commandés 
par  des  officiers  auxquels  on  octroie  souvent  des  seigneu- 
ries, en  récompense  de  leurs  services  signalés;  en  général, 
ce  sont  des  officiers  sans  fortune,  dont  la  vie  s'est  passée 
sur  les  champs  de  bataille,  soldats  de  bravoure,  français 
de  dévouement. 

L'augmentation  rapide  de  la  population  ne  devait  pas 
être  favorable  à  la  moralité  publique  ;  la  conséquence  fut 
une  sévère  et  parfois  terrible  répression.  On  se  montrait 
particulièrement  impitoyable  pour  les  crimes  et  délits  de 
nature  à  compromettre  la  paix  si  laborieusement  acquise 

l.  Faillon,  t.  III,  pp.  220-225,  pp.  236-24i,  p.  241  note  et  2o4, 
enfin  ch.  YI  delà  3*^p.,/3ass/m  ;  —  Relations  do  1007  et  1008,  loco  cit.  ; 
—  Lettres  historiques^  loco  cit. 


—  395  — 

avec  les  sauvages.  C'est  ainsi  que  M.  de  Courcelles  con- 
damne à  mort  trois  français,  coupables  d'avoir  jeté  à  l'eau 
un  Iroquois  pour  lui  enlever  ses  fourrures  '. 

Cependant  les  intérêts  économiques  du  Canada  et  l'oro^a- 
nisation  des  diverses  branches  de  l'administration  colo- 
niale ne  faisaient  pas  oublier  le  fondement  de  toute 
société  durable,  la  religion,  ni  l'école,  cet  engin  social,  de 
tous  peut-être  le  plus  puissant  et  le  plus  efficace. 

Nommé  définitivement  évêque  de  Québec,  Mgr  de 
Laval  fait  bâtir  des  églises,  modestes  pour  la  plupart,  dans 
les  lieux  où  il  v  a  beaucoup  de  fidèles;  outre  Québec,  il 
érige  en  paroisses,  Villemarie,  Trois-Rivières,  La  Chine,  la 
Pointe-aux-Trembles,  Port-Royal,  La  Magdeleine  et  autres 
bourgades  -  ;  et,  dans  ces  paroisses,  s'établissent  peu  à  peu 
les  confréries  de  la  Sainte-Famille,  de  la  Sainte- Vierge,  du 
Scapulaire  ou  de  Sainte-Anne.  C'est  le  P.  Chaumonot  qui 
fut  le  fondateur  de  l'association  de  la  Sainte-Famille.  La 
congrégation  des  hommes,  sous  le  vocable  de  la  Sainte 
Vierge,  avait  été  fondée  à  Québec,  dès  1657,  par  les 
Jésuites,  et  conserva  toujours  la  piété  et  le  zèle  des  pre- 
miers temps  •'. 

Marie  de  l'Incarnation  écrivait  le  17  octobre  1668  : 
«  La  moisson  est  grande  ;  Dieu  envoie  aussi  des  ouvriers 
en  proportion  ^*.  »  En  effet,  le  nombre  des  prêtres 
augmente  en  peu  d'années  dans  une  belle  proportion  :  à  la 
translation  des  reliques  de  saint  Flavien  et  de  sainte  Féli- 
cité (1666),  on  compte  «  quarante-sept  ecclésiastiques  en 
surplis,  chapes,  chasubles  et  dalmatiques  ^.  » 

1.  Lettres  historiques,  p.  640. 

2.  Mandements  des  évèqiies,  t.  I,  p.  50, 

3.  Autohiogrnphie  du  P.  Chaumonot,  pp.  58-06. 

4.  Lettres  historiques,  p.  632. 

5.  Lettres  historiques,  13"  lettre  ;  —  Journal  des  Jésuites,  p.  348. 


—  396  — 

Les  Récoliets  absents  du  Canada,  depuis  la  prise  de  Qué- 
bec (1629),  Y  rentrent  en  1670  et  reprennent  sur  les  rives  du 
Saint-Laurent,  où  les  premiers  ils  ont  planté  la  croix,  le  cours 
de  leurs  beaux  travaux  apostoliques  ;  Talon,  leur  protec- 
teur et  leur  ami,  les  ramène  lui-même  de  France  et  les 
rétablit  dans  leur  ancienne  maison,  qui  n'est  plus  qu'une 
ruine,  et  sur  leurs  anciennes  terres,  occupées  déjà  par 
divers  particuliers  et  par  les  religieuses  hospitalières  de 
Québec  K 

Les  Sulpiciens  de  Montréal  voient  aussi  leur  com- 
munauté s'augmenter  :  aux  premiers  venus  viennent  se 
joindre  successivement,  dans  un  but  d'apostolat,  Dollier 
de  Gasson,  ancien  ca^^itaine  de  cavalerie  de  l'armée  de 
Turenne,  Gilles  Pérot,  Frémont,  Jean  Gavelier,  frère  du 
découvreur  Gavelier  de  la  Salle,  Michel  Barthélémy,  François 
de  Salignac  de  la  Motte-Fénelon,  frère  de  l'archevêque   de 

1.  Lettres  Iiistoriques,  p.  647  ;  —  Archives  de  la  Préfecture  de 
Versailles,  lettre  autographe,  10  nov.  1670;  —  Pièces  et  documents 
sur  la  tenure  seigneuriale,  pp.  346  et  357  ; —  Margry,  Découvertes..., 
t.  I,  p.  89;  —  Archives  de  la  marine  à  Paris,  Mémoires  généraux  sur 
le  Canada,  1667;  Registre  des  ordres  du  roi,  fol.  132,  15  mai  1669; 
Registre  des  expéditions  concernant  les  compagnies  des  Indes, 
1670,  fol.  38  et  39;  —  Premier  estahlissement  de  la  foi...,  par  le 
P.  Le  Clercq,  t.  II,  pp.  86,  87  et  88. 

Les  Récollets  arrivèrent  au  nombre  de  six,  conduits  par  le 
R.  P.  Allart,  leur  Provincial.  Le  R.  P.  Le  Mercier,  supérieur  des 
Jésuites  au  Canada,  annonça  en  ces  termes  au  P.Etienne  Deschamps, 
provincial  de  Paris,  le  retour  à  Québec  des  Pères  Récollets  :  «  Les 
RR.  PP.  Récollets  que  M.  Talon  a  amenez  de  France,  comme  un 
nouveau  secours  de  missionnaires  pour  cultiver  cette  église,  nous 
ont  donné  un  surcroît  de  joie  et  de  consolation  ;  nous  les  avons  reçus 
comme  les  premiers  apôtres  de  ce  païs,  et  tous  les  habitants  de 
Québec  pour  reconnaître  l'obligation  que  leur  a  la  Colonie  Française, 
qu'ils  y  ont  accompagnée  dans  son  premier  établissement,  ont  été 
ravis  de  voir  ces  bons  religieux  établis  au  même  lieu,  où  ils  demeu- 
raient, il  y  a  plus  de  quarante  ans,  lorsque  les  Français  furent 
chassés  du  Canada  par  les  Anglais,  n  (Relation  de  1670,  p.  2.) 


—  397  — 

Cambrai,  Claude  Trouvé,  de  Bréhant  de  Gallinée,  Lascaris 
d'Urfé,  et  Antoine  d'Allet,  l'ancien  secrétaire  de  Fabbé 
de  Queylus. 

M.  de  Queylus  est  le  supérieur  de  cette  Société 
d'hommes  choisis  K  Désireux  de  vivre  au  Canada,  et  bien 

1.  On  a  beaucoup  parlé  des  difficultés  qui  s'élevèrent  au  Canada 
entre  les  Jésuites  et  les  Sulpiciens,  à  la  suite  des  démêlés  entre 
l'abbé  de  Queylus  et  les  Pères.  Ces  difficultés  furent  réelles,  mais  le 
tort  ne  vint  pas,  comme  nous  Tavons  vu,  du  côté  où  M.  Paillon  veut 
bien  le  mettre  ;  et  si  elles  se  continuèrent  après  l'arrivée  de  Mgr  de 
Laval,  la  faute  n'en  fut  pas  encore  aux  Jésuites.  Nous  ne  reviendrions 
pas  sur  ce  sujet,  si  l'histoire  était  plus  juste  à  leur  égard.  L'abbé 
de  Queylus  fut  la  cause  de  ces  rapports  pénibles.  Le  P.  Le  Jeune 
l'écrivait  de  Paris  au  Général  :  «  Non  ignorât  Paternitas  Vestra  quan- 
tœ  difficultatesexortœ  sint  inler  Congregationem  sacerdotumecclesise 
sancti  sulpicii  et  Patres  nostros  Canadenses  propter  Dominum  Abba- 
tem  de  Queylus  qui  plurimùm  negotii  nostris  facessivit  Kebeci, 
multasque  in  istis  regionibus  turbas  excitavit.  »  M.  de  Queylus  était 
un  des  Sulpiciens  les  plus  remarquables,  istius  societatis  sacerdos 
non  postremus  (P.  Le  Jeune,  ibid.),  et  à  ce  titre  son  influence  sur  ses 
confrères  était  grande.  Aussi  tous  les  Sulpiciens  de  Villemarie 
épousèrent-ils  sa  querelle,  plus  ou  moins  vivement,  d'après  ce  que 
nous  apprend  une  lettre  du  P.  Lalemant  au  Général,  datée  de  Qué- 
bec, 12  février  1668  :  «  Jam  septem  numéro  sacerdotes  S.  Sulpicii  in 
montis  regalis  semiiiario  numerantur,  alii  septem  de  novo  ex  Galliâ 
adveniunt,  quorum  dux  et  antesignanus  Abbas  de  Queylus,  episcopa- 
tûs  Quebensis  aliàs  candidatus,  ({ui  aliquot  an  le  annos  hùc  veniens 
et  rediens  multis  nobis  titulis  molestus  fuit.  li  omnes  non  alio 
animo  sunt  quam  liactenùs  fuerunt,  qui  a  negotio  nobis  facessendo 
nunquam  désistant,  »  Il  importait  de  faire  cesser  cette  situation,  de 
créer  des  rapports  bienveillants  entre  les  deux  sociétés,  alors  divi- 
sées, mais  faites  pour  s'entendre.  Le  Général  recommande  au 
P.  Le  Mercier,  recteur  de  Québec,  de  ne  rien  négliger  pour  cela,  et 
le  P.  Le  Mercier  lui  répond,  le  4<^'"  sept.  1668  :  (c  Affirmare  possum 
Palernitati  vestrœ  nihil  nos  prœtermissuros  esse  quod  ad  charitatem 
erga  sacerdotes  S,  Sulpicii  servandam  conferre  possit.  »  —  Le  Géné- 
ral écrit  dans  le  même  sens  au  P.  de  Champs,  provincial  de  Paris,  et 
l'invite  à  chercher  le  moyen  de  remédier  à  ce  mal,  de  mediis  quihus 
hiiic  malo  iretiir  obviam  (12  février  1669)  ;  il  fait  la  même  recomman- 
dation au  P.  Ragueneau,  procureur  de  la  mission  du  Canada  :  ((  Inve- 


—  398  — 

résolu  de  ne  plus  se  soustraire  à  la  dépendance  due  k  son 
évêque,  il  a  obtenu  de  Mgr  de  Laval  l'autorisation  de  reve- 
Inir  à  Yillemarie.  Monseigneur  le  reçoit  avec  une  alTection 
toute  paternelle,  le  nomme  grand  vicaire  et  exprime  hau- 
tement la  satisfaction  que  lui  cause  son  retour.  Aimable 
vengeance  d'un  saint  évêque,  qui  a  oublié  à  ce  point  le 
passé,  qu'aucun  nuage  ne  semble  s'être  jamais  interposé 
entre  le  prélat  et  Tabbé  î 

Les  Jésuites,  de  leur  côté,  reçoivent  de  France  de  nou- 
veaux sujets,  à  mesure  que  les  missions  se  multiplient 
et  que  les  œuvres  se  fondent  :  de  1600  à  1670,  vingt- 
trois  nouveaux  religieux  arrivent  au  Canada,  et,  parmi 
eux,  des  missionnaires,  dont  le  nom  restera  :  Henri  Nouvel, 
Julien  Garnier,  Pierre  Rall'eix,  Louis  Nicolas,  Thierry 
Beschefer,  Jacques  Bruyas,  Etienne  de  Carheil,  Jacques 
Marquette,  Pierre  Millet,  Jean  de  Lamberville,  François 
de  Crépieul  et   Antoine  Dalmas.  La  plupart   de  ces  noms 


niât  1^1  Va  aliquod  aliiid  remcdium  quam  patientiam,  humilitatem  ac 
charitatem  nostrorum,  qiiod  omnium  adversariorum  telis  opponere 
debent;  agat  de  eâ  re  cum  Provinciali,  et  diligenter  simul  inquirite 
quibus  viis  hujus  abalionationis  progressas  impediri  efficaciter  atque 
in  benevolentiam  mutuam  conimutari  possit  (12  février  1669).  »  —  Le 
P.  Ragueneau  et  le  P.  de  Champs  cherchèrent,  ils  firent  des 
démarches  ;  mais  leurs  efforts  n'aboutirent  pas  de  sitôt.  Les  difficul- 
tés ne  cessèrent  définitivement  qu'après  le  retour  en  France  de 
^l.  de  Queylus.  Le  25  octobre  1678,  le  P.  d'Ablon  écrivit  au 
P.  Claude  Boucher,  assistant  de  France  à  Rome  :  «  Nous  sommes 
dans  la  plus  parfaite  union  qui  puisse  estre  avec  MM .  les  ecclésias- 
tiques de  Saint-Sulpice,  à  Montréal.  M.  Tronson,  supérieur  de  ceux 
de  Paris,  m'en  a  escrit  une  lettre  de  réjouissance  et  de  civilité.  » 
Tous  les  détails  qui  précèdent,  et  d'autres  qu'il  est  inutile  de  donner 
ici,  sont  tirés  des  Archives  générales  de  la  Compagnie  de  Jésus.  11 
ne  faut  pas  les  oublier,  quand  on  lit  VHisioire  du  Montréal,  par  Dol- 
lier  de  Casson,  le  Bâcit  de  ce  qui  s  est  passé  de  plus  remarquable 
dans  le  voyage  de  MM.  Dollier  et  Gallinée,  etc.. 


—  399  — 

reviendront  souvent  sous  notre  plume  dans  la  suite  de 
cette  histoire  K 

Avec  la  paix,  l'éducation  morale  et  religieuse  prend 
aussi  de  nouveaux  accroissements.  Nous  ne  redirons  pas 
ici  ce  que  nous  avons  écrit  longuement  ailleurs  sur  le 
collège  des  Jésuites  à  Québec,  où  un  cours  régulier 
d'études,  y  compris  la  philosophie  et  la  théologie,  est 
sérieusement  organisé,  ni  sur  le  petit  séminaire,  ni  sur 
rinstitution  de  Saint-Joachim  au  cap  Tourmente,  à  la  fois 
ferme  modèle  et  école  des  arts  et  métiers. 

Les  jeunes  filles  sont  comme  les  garçons  l'objet  de  soins 
particuliers.  xVux  Ursulines,  sept  religieuses  de  chœur 
et  deux  converses  sont  employées  tous  les  jours  à 
l'instruction  des  filles  françaises  ;  et,  si  nous  en  croyons 
la  Mère  Marie  de  l'Incarnation,  ces  petites  filles  n'ont 
pas  le  caractère  commode,  elles  exercent  fortement  la 
patience  de  leurs  maîtresses  :  «  Trente  filles,  écrit-elle  à 
son  fds,  nous  donnent  plus  de  travail  dans  le  pensionnat 
que  soixante  ne  font  en  France-...  S'il  n'y  avait  pas  des 
Ursulines  pour  les  élever  et  les  cultiver,  elles  seraient 
pires  que  des  sauvages  •'.  »  Mgr  de  Laval  apprécie  beau- 
coup l'éducation  donnée  par  ces  vaillantes  institutrices  ; 
au  dire  de  la  supérieure,  //  en  est  ravi  ''.  Elles  ont  des  pen- 
sionnaires, des  externes,  et  quelques  sauvagesses.  Ces 
dernières  vivent  avec  les  pensionnaires.  Mais  quelles  diffi- 
cultés pour  les   franciser  !  «  A  vous   parler  franchement, 

1.  Citons  encore  les  Pères  Charles  Simon,  Claude  Bardi,  confes- 
seur du  marquis  de  Tracy,  Jean  Pierron,  Louis  de  Beaulieu,  Philippe 
Pierson,  Jean  Blanchet,  Louis  André,  Guillaume  Mathieu  et  Vaillant 
de  Gueslis.  Jacques  Robaud  mourut  en  soignant  les  malades  sur  le 
v^aisseau  qui  le  conduisait  au  Canada  en  1670. 

2.  Lettres  spirituelles^   p.  2o8. 
:3.  IbicL,  p.  276. 

4.  Ihid.,  p.  2o9. 


écrit  Marie  de  Flncarnatioii  à  son  fils,  le  17  octobre  16G8, 
cela  me  paraît  très  difficile.  Depuis  tant  d'années  que  nous 
sommes  établies  dans  ce  pays,  nous  n'en  avons  pu  civiliser 
que  sept  ou  huit,  qui  aient  été  francisées  ;  les  autres  qui  sont 
en  grand  nombre  sont  toutes  retournées  chez  leurs  parents, 
quoique  très  bonnes  chrétiennes.  La  vie  sauvage  leur  est 
si  charmante,  à  cause  de  sa  liberté,  que  c'est  un  miracle 
de  les  pouvoir  captiver  aux  façons  d'agir  des  Français 
qu'ils  estiment  indignes  d'eux,  qui  font  gloire  de  ne  point 
travailler  qu'à  la  chasse  ou  à  la  navigation,  ou  à  la  guerre  ^.  » 
Le  témoignage  d'une  personne  de  cette  haute  raison 
€t  de  cette  longue  expérience  ne  réduit-il  pas  à  leur  juste 
valeur  les  utopies  de  certains  ministres  de  France,  de  gou- 
A'erneurs  et  d'intendants  du  Canada,  qui,  sans  aucune  con- 
naissance pratique  de  la  situation,  s'imaginaient  volontiers 
que  la  Francisation  des  sauvages  était  chose  très  simple, 
qu'il  suffisait  pour  cela  d'un  peu  de  bonne  volonté  de  la 
part  des  instituteurs  et  institutrices,  que  le  mauvais  vou- 
loir des  Jésuites  ou  un  zèle  malentendu  avaient  seuls 
«ntravé  cette  grande  œuvre  de  civilisation  ? 

A  Montréal,  les  Sul23iciens  forment  deux  établissements 
séparés,  deux  institutions  à  part,  de  l'école  de  Marguerite 
Bourgeois,  où  se  réunissaient  dans  le  princi2:)e  les  garçons 
et  les  jeunes  filles  -.  L'école  de  M'^^  Bourgeois,  deve- 
nue l'Institut  de  Notre-Dame,  organise  un  pensionnat 
de  demoiselles  et  une  congrégation  d'externes  ^^  tandis  que 
l'abbé  Souart,  d'abord  curé  de  Villemarie,  puis  maître 
•d'école,  prend  la  direction   des  garçons  ^.  Les  petites  sau- 


1.  Lettres  historiques,  p.  633. 

2.  Faillon,  t.  III,  p.  264. 

3.  Ibid.,p.  265. 

4.  Ibid.,  p.  264. 


—  401  — 

vagesses  à  Notre-Dame,  et  les  petits  sauvag-es  au  sémi- 
naire de  Saint-Siilpice,  apprennent  à  lire,  à  écrire,  à 
parler  français  K 

Talon ,  dans  ses  dépêches  à  Golbert ,  ne  tarit  pas 
d'éloges  sur  le  zèle  que  déploie  M.  de  Queylus  pour 
l'éducation  des  indigènes  ;  il  supplie  le  ministre  d'envoyer 
«  quatre  lignes  qui  marquent  à  M.  de  Quevlus  et  à  sa 
communauté  avec  quel  agrément  le  roi  apprend  le  zèle 
qu'ils  témoignent  pour  le  christianisme  et  le  service  de 
Sa  Majesté  ~.  »  De  fait,  ils  en  témoignaient  beaucoup,  sur- 
tout pour  la  francisation  des  sauvages  ;  mais  leur  panégy- 
riste, M.  Paillon,  est  forcé  d'avouer,  et  cet  aveu  est  pré- 
cieux dans  sa  bouche,  que  «  le  caractère  des  enfants, 
naturellement  impatients  de  toute  discipline,  rendait 
inefficaces  les  soins  qu'on  prenait  de  leur  éducation  ^  ».  Les 
Sulpiciens  pensèrent  qu'ils  réussiraient  mieux,  qu'ils 
obtiendraient  peut-être  d'excellents  résultats,  en  séparant 
les  petits  sauvages  des  Français.  Ils  les  éloignèrent  donc 
de  Villemarie  et  les  placèrent  «  au  dessus  de  La  Chine,  à 
Gentilly,  sur  le  bord  du  fleuve  Saint-Laurent  '\  »  Louis  XIV 
ne  fut  pas  plus  content,  paraît-il,  des  Sulpiciens  que  des 
Jésuites,  les  premiers  n'ayant  pas  eu  plus  de  succès  que 
les  seconds  dans  l'éducation  à  la  française  des  enfants  des 
Indiens  ^  ;  et  cependant  les  éloges  et  les  encouragements 
ne  firent  pas  défaut  à  M.  de  Queylus  et  à  ses  collabora- 
teurs, et  leur  zèle  pour  la  francisation  des  sauvages  fut 
autrement    apprécié   que    celui    de    Mgr    de  Laval   et    des 


\.  Paillon,  t.  III,  pp.  270,  272  et  273. 

2.  IbicL,  p.  274. 

3.  Ihid.,  p.  277. 

4.  Ibicl.,p.  281. 

5.  Ihid.,  p.  279. 

Jes.  cl  Aou.  .-Fr.  —  T.  I  .  -'* 


—  402  — 

Jésuites  par  l'intendant   du  Canada  et  par  le  ministre  de 
France  K 

Le  17  octobre  1G68,  Marie  de  l'Incarnation  écrivait 
encore  à  son  fils  :  «  Depuis  que  nous  jouissons  du  bonheur 
de  la  paix,  nos  missions  fleurissent  et  prospèrent  avec 
beaucoup  de  bénédiction.  C'est  une  chose  merveilleuse  de 
voir  le  zèle  des  ouvriers  de  l'Évangile.  Ils  sont  tous  partis 
pour  leurs  missions  avec  une  ferveur  et  un  courage  qui 
nous    donnent   sujet   d'en   espérer  de   grands  succès  '-.    » 

Nous  avons  raconté,  au  commencement  de  ce  chapitre, 
les  progrès  et  les  découvertes  des  missionnaires  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus  au  nord  du  Saint-Laurent  et  dans  les  pays 
d'en  haut  ;  ils  ne  furent  pas  les  seuls  ni  les  plus  importants 
pendant  cette  heureuse  période  de  tranquillité  ou  de 
suspension  d'armes.  Les  missions,  les  voyages,  les  explo- 
rations géographiques  vont  se  multiplier,  principalement 
du  côté  de  l'Occident.  Terminons  ce  chapitre  par  le  résumé 
de  ces  divers  travaux,  accomplis  le  long  du  Saint-Laurent, 
chez  les  Iroquois  et  dans  la  région  des  grands  lacs.  Le 
chapitre  suivant  nous  conduira  jusqu'au  Mississipi,  aux 
confluents  du  Missouri  et  de  l'Arkansas,  enfin  jusqu'à 
l'embouchure  du  Père  des  eaux. 

Deux  Sulpiciens,  MM.  de  Fénelon  et  Trouvé  fondent 
une    mission     à    Kenté,    sur    la    rive    septentrionale     du 

1.  Faillon^  ch.  VI,  §  X  et  suiv.  —  On  trouve  aux  Archives  de  Saint- 
Sulpice,  dans  les  manuscrits  ayant  appartenu  à  M.  labbé  Paillon, 
carton  R.,  I,  sur  le  Canada,  un  Mémoire  d'un  Sulpicien  de  Montréal 
contre  les  Jésuites,  dans  lequel  ceux-ci  sont  accusés  de  ne  pas  vouloir 
mêler  les  sauvages  aux  Français,  de  les  laisser  dans  Tignorance,  etc. 
Ce  mémoire  contient  d'autres  accusations  formulées  d'une  manière 
assez  violente.  Après  Fessai  infructueux  de  ses  confrères  pour  la 
francisation  des  sauvages,  est-il  téméraire  de  penser  que  l'auteur 
du  Mémoire  n'a  exprimé  que  ses  idées  personnelles  ? 

2.  Lettres  historiques,  p.  632. 


_  403  — 

lac  Ontario  '.  Un  autre  Sulpicien,  M.  d'Urfé.  établit  une 
autre  mission  à  la  baie  qui  porte  son  nom  -.  MM.  Dol- 
lier  de  Gasson  et  de  Gallinée  ^  vont  en  1669,  en  compa- 
gnie de  Cavelier  de  la  Salle,  à  la  recherche  du  fameux  pas- 
sage qui  devait  conduire  alors  à  la  Chine  et  au  Japon. 
Arrêtés  en  route  par  des  difficultés  imprévues,  abandonnés 
par  leur  compagnon  de  route,  ils  traversent  F  Ontario, 
rÉrié,  le  lac  Huron,  montent  au  Saut-Sainte-Marie,  et 
rentrent  à  Villemarie,  après  avoir  pris  possession  au  nom 
du  Roi  des  f)ays  qu'ils  ont  parcourus. 

Trois  ans  auparavant,  les  Jésuites  s'établissaient  de  nou- 
veau, à  la  demande  des  ambassadeurs  iroquois,  sur  la 
terre  des  martyrs,  au  sud  de  l'Ontario.  En  1668,  ils  y 
comptaient  cinq  missions,  une  dans  chaque  canton  : 
Sainte-Marie  à  Tionnontoguen,  chez  les  Agniers;  Saint- 
François-Xavier,  à  Onneyouth;  Saint-Jean-Baptiste,  à 
Onnontagué  ;  Saint-Joseph,  à  Goyogouen,  et  Saint-Michel, 
à  Tsonnontouan.  Six  missionnaires  évangélisent  tout  ce 
pays,  du  lac  Saint-Sacrement  au  lac  Erié  :  Jean  Pierron, 
Jacques  Frémin,  Etienne  de  Garheil,  Jacques  Bruyas, 
Julien  Garnier  et  Pierre  Millet  ^. 

Les  plus  illustres,  ceux  du  moins  qui  ont  converti  le 
plus  d'indigènes  ou   laissé  un  souvenir  plus  durable  dans 

1.  Faillon,  t.  III,  p.  193  et  suiv.  —  Ces  deux  ecclésiastiques  abor- 
dèrent à  Kenté  le  28  octobre  1668  ;  —  Relation  de  1668,  pp.  20  et  31. 

2.  Faillon,  t.  III,  p.  283. 

3.  Relation  de  M.  de  Gallinée,  imprimée  par  Margry,  t.  I,  p.  112, 
Découvertes...  Le  voyage  de  MM.  DoUier  et  de  Galinée  eut  lieu  en 
1669-1670.  M.  Paillon  consacre  le  ch.  VII  du  t.  III,  à  décrire  ce 
voyage;  pp.  284-306. 

4.  Relation  de  1668,  ch.  II,  III,  IV  et  V  ;  —  de  1 669,  ch.  I,  II,  III,  IV 
et  V;  —  de  1670,  ch.  V,  VI,  VII,  VIII  et  IX  ;  —  de  1671,  seconde 
partie,  pp.  13-24.  —  Le  P.  Le  Mercier,  recteur  de  Québec,  écrit  au  R.  P. 
Oliva,  général  de  la  Compagnie  de  Jésus,  1«^  sept.  1668  :  «  Inter  ope- 
rarios,  très  selegimus  Patres  J.  Garnier,  st.  de  CarheiletP.  Millet,  Iro- 
quœis  ad  fidem  erudiendis  daturos   operam.  Pater  Julianus  Garnier, 


—  404  — 

les  annales  du  Canada,  sont  Pierron,  Fremin,  de  Carheil 
et  Bruyas,  quatre  figures  bien  dillerentes,  quatre  ouvriers 
n'ayant  rien  de  commun  par  le  caractère,  le  tempérament 
et  le  savoir,  mais  tous  d'une  vertu  supérieure,  d'un  grand 
ascendant  sur  l'esprit  des  sauvages. 

Pierron  est  une  de  ces  natures  à  aptitudes  variées,  dont  la 
science  est  j^lus   étendue  que  profonde  '.  Elève  brillant  de 

trium  linguarum  peritus,  alg-onquinœ  scilicet,  huronicœ  et  iroquen- 
sis,  13*  die  Mail  prœsentis  anni,  opportunâ  occasione  data,  cum  uno- 
ex  strenuis  œquè  ac  piis  domesticis,  qui  se  ad  vitam  societatis  obse- 
quio  dederunt,  profectus  est  ad  missionem  Sancfi  Fr.  Xavcrii  apud 
eos  iroqua^os  qiios  vocant  Onneiout,  socius  futurus  patris  J.  Bruyas 
viri  plané  apostolici,  postmodum  vicinœ  missionis  SanctiJ.  Baptistœ, 
in  quâ  excolendà  très  olim  posuimus  annos,  curam  habituri  (Onnon- 
tagué),  Pater  St.  de  Carheil  nuperrimè  solvit  hoc  portu,  ultra  etiam 
pervecturus  ad  populos  Oiogoiienronnon  (Goyogouen),  quœ  est 
quarta  iroqua?orum  natio,  cui  à  S.  Josepho  nomen  est.  Pater  Joannes 
Pierron,  missionarius  apud  Iroqua^os  Anniegerronon  (missio  à 
Sanctâ  Maria)  indè  hùc  missus  à  P.  Jacobo  Firmin,  istis  missionibus 
prapposito,  ut  illustrissimo  ac  Reverendissimo  episcopo  nobisquo 
palàm  faceret,  quis  sit  inibi  rei  christianœ  status,  qua?  spes  airulgeant 
fidei  latins  amplificandœ.  »  (Arch.  gen.  S.  J.",. 

1.  Jean  Pierron,  né  à  Dun-sur-Meuse  le  28  septembre  1631,  entra 
au  noviciat  des  Jésuites  à  Nancy  le  21  novembre  1650  et  fit  sa  pro- 
fession des  quatre  vœux  au  Canada  le  4  mars  1668.  Après  son  novi- 
ciat, il  fait  trois  ans  de  philosophie  (16b2-1655)  à  Pont-à-Mousson, 
puis  il  professe  un  an  la  grammaire  dans  ce  collège,  deux  ans 
(1656-1658)  la  troisième  et  un  an  (1658-1659)  les  humanités  à  Reims, 
un  an  (1659-1660)  les  humanités  et  un  an  (1660-1661)  la  rhétorique  à 
Verdun.  Envoyé  de  nouveau  à  Pont-à-Mousson,  il  y  étudie  la  théo- 
logie quatre  ans  (1661-1665).  De  1665  à  1667,  il  professe  encore  la 
rhétorique  à  Metz,  et  en  1667  il  part  pour  le  Canada.  Les  Catalogi 
triennales  (Arch.  gen.  S.  J.)  font  de  lui  ce  portrait  :  «  Vires  firmse, 
ingenium  et  judicium  bona,  prudentia  magna,  profectus  in  scientia 
multus,  talentum  habetad  missiones,  ad  Concionandum,  ad  multa.  » 

Voir  sur  la  vie  et  les  travaux  du  P.  Pierron  ;  Catal.  soc.  prov. 
camp.  (Arch.  gen.S.J.);  —  Elogium  defunct.  Prov.  Camp.  (Arch. 
gen.)  ;  —  Journal  des  Jésuites  de  Québec,  passiin  ;  —  Relations  de 
1667,  p.  28  ;  —  de  1668,  p.  13,  32  ;  —  de  1670,  pp.  23-44,  45,  46,  76  ; 
—  Belations  inédites,  t.  II,  pp.  8,  12,  44,  100;  —  Lettres  de  M.  de 
r Incarnation,  pp.  274,  624,  637. 


-  405  — 

lettres  et  de  sciences,  étudiant  de  théologie  assez  subtil,  pro- 
fesseur estimé  de  grammaire,  de  littérature  et  de  rhétorique, 
il  dessinait  encore,  paraît-il,  assez  proprement.  Avec  cela,  il 
ne  manquait  ni  d'entrain,  ni  de  feu  sacré  ;  et,  dès  les  plus 
jeunes  années,  la  pensée  lui  était  venue  de  consacrer  sa  vie 
à  la  conversion  des  peuplades  sauvages  de  l'Amérique.  Un 
jour,  il  apprend  que  le  P.  Maunoir  et  M.  de  Xobletz  font 
merveille  en  Bretagne,  à  l'aide  de  tableaux  représentant  les 
principaux  mystères  de  la  Foi.  Cette  méthode  d'enseigne- 
ment lui  paraît  très  propre  à  fixer  l'attention  des  esprits 
mobiles  et  obtus,  à  leur  faire  mieux  saisir  la  vérité  reli- 
gieuse ;  et  dans  le  dessein  de  l'introduire  plus  tard  dans 
les  forêts  du  Nouveau-Monde,  il  dessine,  il  peint,  il  copie 
des  modèles  de  grands  maîtres  ;  pendant  son  cours  de 
régence  et  en  théologie,  il  donne  à  la  peinture  toutes 
ses  heures  libres.  Il  ne  passa  jamais  maître,  croyons-nous  ; 
il  ne  fut  même  qu'un  peintre  médiocre;  mais  pour  le  but 
qu'il  se  proposait,  il  n'avait  pas  besoin  d'être  un  Raphaël. 
Arrivé  à  Québec  le  27  juin  1007,  il  est  de  suite  envoyé 
au  pays  des  Agniers;  et,  deux  ans  après,  Marie  de  l'Incar- 
nation écrit  à  son  fils  :  (^  Le  P.  Pierron  qui  seul  gouverne 
les  villages  et  les  bourgs  des  Agnerronnons,  a  tellement 
gagné  ces  peuples  qu'ils  le  regardent  comme  un  des  plus 
grands  génies  du  monde.  Il  a  eu  de  très  grandes  peines  à 
les  réduire  à  la  raison,  à  cause  des  boissons  que  les 
Anglais  et  les  Flamands  leur  donnent.  Comme  le  Père 
a  divers  vices  à  combattre,  il  a  aussi  besoin  de  diffé- 
rentes armes  pour  les  surmonter.  Il  s'en  trouvait  plu- 
sieurs qui  ne  voulaient  pas  écouter  la  parole  de  Dieu, 
et  qui  se  bouchaient  les  oreilles  lorsqu'il  les  voulait 
instruire.  Pour  vaincre  cet  obstacle,  il  s'est  avisé  d'une 
invention  admirable,  qui  est  de  faire  des  figures  pour  leur 
faire  voir  des  yeux  ce  qu'il  leur  prêche  de  parole.  Il  instruit 


—  400  — 

le  jour,  et  la  nuit  il  fait  des  tableaux,  car  il  est  assez  bon 
peintre.  Il  en  a  fait  un  où  l'enfer  est  représenté  tout  rempli 
de  dénions  si  horribles,  tant  par  leurs  figures  que  par  les 
châtiments  qu'ils  font  souffrir  aux  sauvages  damnés,  qu'on 
ne  peut  les  voir  sans  frémir.  Il  y  a  dépeint  une  vieille 
Iroquoise  qui  se  bouche  les  oreilles  pour  ne  point  écouter 
un  Jésuite  qui  la  veut  instruire.  Elle  est  environnée  de 
diables  qui  lui  jettent  du  feu  dans  les  oreilles,  et  qui  la 
tourmentent  dans  les  autres  parties  de  son  corps.  Il  repré- 
sente les  autres  vices  par  d'autres  figures  convenables  avec 
les  diables  qui  président  à  ces  vices-là,  et  qui  tourmentent 
ceux  qui  s'y  laissent  aller  durant  leur  vie.  Il  a  aussi  fait  le 
tableau  du  Paradis,  où  les  anges  sont  représentés  qui 
emportent  dans  le  ciel  les  âmes  de  ceux  qui  meurent  après 
avoir  reçu  le  saint  baptême  ;  enfin,  il  fait  ce  qu'il  veut  par 
le  moyen  de  ses  peintures.  Tous  les  Iroquois  de  cette  mis- 
sion en  sont  si  touchés,  qu'ils  ne  parlent  que  de  ces  matières 
dans  leurs  conseils,  et  se  donnent  bien  de  garde  de  se 
boucher  les  oreilles  quand  on  les  instruit.  Ils  écoutent  le 
Père  avec  une  avidité  admirable,  et  le  tiennent  pour  un 
homme  extraordinaire.  On  parle  de  ces  peintures  dans  les 
autres  nations  voisines,  et  les  autres  missionnaires  en 
voudraient  avoir  de  semblables,  mais  tous  ne  sont  pas 
peintres  comme  lui.  Il  a  baptisé  un  grand  nombre  de 
personnes  K   » 

Le  P.  Fremin  -,  supérieur  de  toutes  les  missions  iro- 
quoises,   n'avait  ni  l'esprit  ingénieux  de   son   confrère,   ni 

1.  Lettres  historiques^  pp.  637  et  638. 

2.  P.  Jacques  Frémiii.  né  à  Reims  le  12  mars  1628,  entra  au 
noviciat  de  la  Compag^nie,  à  Paris,  le  21  novembre  1646,  et  fit  ses 
vœux  de  coadjuteur  spirituel,  à  Québec,  le  15  août  1660.  Après  son 
noviciat,  il  alla  professer  la  grammaire  à  Alençon.  A  Moulins,  il  est 
ordonné  prêtre  en  1655,  puis  il  part  pour  le  Canada.  En  1656,  il  est 


—  407  — 

son  talent  de  peintre.  D'une  intelligence  médiocre  et  peu 
cultivée,  il  ne  s'était  pas  fait  un  bien  lourd  bagage  théolo- 
gique pendant  la  seule  année  qu'il  étudia  la  morale.  Cinq 
ans  de  professorat,  à  Alençon,  dans  les  classes  de  gram- 
maire, lui  permirent  cependant  de  combler  le  grand  déficit 
des  études  grammaticales  de  son  enfance.  S'il  n'était  ni 
théologien,  ni  littérateur,  s'il  n'était  pas  heureusement 
doué  du  côté  de  l'esprit,  en  revanche  il  brillait  par  un  bon 
sens  et  une  force  de  persévérance  très  rares,  il  possédait  à 
un  haut  degré  les  maîtresses  vertus  de  l'apôtre,  la  piété,  la 
patience  et  le  courage.  Avec  cela,  il  avait  de  telles  allures 
militaires  qu'on  le  prenait  pour  un  ancien  capitaine  de 
cavalerie.  Peu  de  Jésuites  ouvrirent,  comme  lui,  à  un  si 
grand  nombre  d'enfants  les  portes  du  paradis  ;  dans  le 
courant  de  son  apostolat  de  trente-cinq  ans,  il  en  baptisa, 
dit-on,  près  de  dix  mille.  Il  n'y  avait  qu'une  voix  sur  sa 
sainteté.  On  raconte  qu'après  sa  mort  il  apparut  au 
P.  Chaumonot  et  lui  dit  très  distinctement,  au  moment  où 
celui-ci  prononçait  ces  paroles  de  la  messe  des  morts.  Si 
quis  manducaverit  ex  hoc  pane  vivet  inseternum  ^  :  «  Oui,  je 
vis  et  je  vivrai  éternellement  en  celui  qui  m'a  donné 
l'être  ^.  » 

Le  P.  de  Carheil  était  le  plus  illustre  de  tous  les  mis- 
envoyé  à  Onnontagué  ;  et,  après  la  ruine  de  cette  mission  en  1658,  if 
s'embarque  à  Québec  pour  la  France  le  6  sept.  1658.  Au  mois  de 
juin  1660,  il  revient  à  Québec. 

V.  Elogia  defunct.  Prov.  Franc.  (Arch.  gen.  S.  J.)  ;  —  Catal.  Soc, 
Prov.  Franc.  (Ihid.)  ;  —  Journal  des  JésuUes  de  Québec,  pafisim. 

1.  Si  quelqu'un  mange  de  ce  pain,  il  vivra  éternellement. 

2.  Histoire  de  VHôtel-Dieu  de  Québec,  p.  351  ;  —  Ihid.,  pp.  iU, 
263  et  350  ;  —  Lettres  historiques  de  Marie  de  l'Incarnation,  p.  647  ; 
—  Relations  de  4656,  1657,  1659,  1667-1672;  —  Relations  inéditesr 
t.  I,  pp.  179-189,  279-293  ;  t.  II,  pp.  13,  49-70,  167-179,  217-227  ;  — 
Charlevoix,  t.  I,  pp.  323,  398,  402,  452. 


—  i08  — 

sionnaires  employés  alors  dans  les  cinq  cantons.  Son  bio- 
graphe l'appelle  un  admirable  inconnu  '.  Il  Test  sans  doute 
en  France,  mais  non  au  delà  de  l'Atlantique.  De  son  vivant, 
on  rendait  justice,  dans  la  Nouvelle-France,  à  sa  valeur  et 
à  sa  vertu.  Gharlevoix,  qui  l'avait  connu,  écrit  que  ((  les  sau- 
vages et  les  Français  s'accordaient  à  le  regarder  comme  un 
saint  et  un  génie  de  premier  ordre  ^.  »  Dès  son  arrivée  à 
Québec,  il  fît  concevoir  de  lui  les  plus  belles  espérances. 
«  Nous  attendons  de  s^randes  choses  de  ce  Père,  écrivait  le 
p.  Le  Mercier  au  Général  de  la  Compagnie,  à  cause  des 
rares  dons  qu'il  a  reçus  de  Dieu,  surtout  une  singulière 
grâce  d'oraison,  un  singulier  mépris  de  tout  ce  qui  n'est 
pas  de  Dieu,  et  un  incro^^able  zèle  pour  unir  les  âmes  à 
Jésus-Christ  par  la  foi  ^.  »  Marie  de  l'Incarnation  ne  pensait 
pas  autrement  que  le  P.  Le  Mercier  :  u  C'est  un  très  digne 
missionnaire  et  très  saint  homme...  Un  jeune  homme 
d'environ  trente-cinq  ans,  fervent  au  possible,  savant  dans 
les  langues  iroquoises  ^.  »  La  longue  vie  de  ce  religieux 
au  Canada  ne  lit  que  confirmer  et  même  dépasser  ce 
qu'on  attendait  de  ses  réelles  qualités  et  de  l'éminence  de 
sa  vertu.  A  Rome,  on  portait  sur  lui  le  même  jugement 
qu'au  Canada.  Les  notes  conservées  aux  Archives  générales 
de  l'Ordre  sur  ce  missionnaire  signalent  son  talent  supérieur, 
ses  grands  progrès   dans   les  langues  et  dans  les  sciences 


1.  Un  admirable  inconnu.  Le  R.  P.  Etienne  de  Carheil,  par  le 
P.  Orhand,  S.  J.  Paris,  Retaux-Bray. 

2.  Hiiitoire  de  la  Nouvelle-France,  p.  404. 

3.  Magna  expectamus  ab  illo  Pâtre  propter  eximia  Dci  dona? 
sing-ularem  imprimis  orandi  gratiam,  contemptum  omnium  quae  non 
sunt  Deus,  atque,  ad  infidelium  animas  christo  per  fidem  adjun- 
gendas,  zelum  incredibilem.  (Lettre  de  1066  au  R.  P.  Paul  Oliva, 
citée  et  traduite  par  le  P.  Orhand,  p.  114.  Arch.  gen.  S.  J.) 

4.  Lettres,  historiques^  p.  07 o. 


—  401)  — 

théologiques,  sa  ténacité  de  volonté,  sa  grande  expérience 
dans  les  missions  *. 

Les  historiens  de  nos  jours  ont  ratifié  le  jugement  des 
contemporains.  Citons  quelques-unes  de  leurs  apprécia- 
tions :  excellent  littérateur,  il  aurait  pu  prendre  place  à 
coté  des  Vavasseur,  des  Gommire,  des  Jouvencv,  des 
La  Rue  2...  Comme  philologue,  il  était  remarquable;  il 
parlait  le  huron  et  le  dialecte  des  Goyogouins  avec  la  plus 
grande  élégance,  et  il  composa  dans  les  deux  langues  des 
ouvrages  fort  estimés  dont  plusieurs  existent  encore  •^...  Il 
y  avait  en  lui  ce  qui  fait  le  poète,  l'orateur,  le  penseur  et 
l'écrivain...  Sa  haute  vertu  s  affirmait  et  s'imposait  pour 
le  moins  avec  autant  d'éclat  que  son  talent  '*. 

A  première  vue,  ces  témoignages  peuvent  paraître  exagé- 
rés ;  et  cependant  c'est  bien  là  l'impression  qui  se  dégage 
de  la  lecture  de  la  vie  et  des  lettres  de  ce  missionnaire  ^. 

Cet  enfant  de  la  Bretagne  était  né  au  château  de  la 
Guichardaye,  en  la  vieille  paroisse  de  Carentoir,  du  diocèse 
de  Vannes.  Il  conserva  toute  sa  vie,  trop  peut-être,  l'éner- 
gique rudesse  de  son  pays  ;  «  de  taille  médiocre,  ferme  et 
vigoureux,  d'un  visage  de  médaille  ^,  »  ardent  et  austère, 
il  était  sorti  tout  d'une  pièce  du  vieux  moule  breton.  Moins 
rude  et  moins  chaud,  il  eût  moins  demandé  à  la  faiblesse  d'au- 
trui  et  en  eût  obtenu  sans  doute  davantage.  Sa  force  de  carac- 
tère ne  semble  pas  avoir  été  assez  dirigée  par  les  nécessaires 
tempéraments  du  zèle.  Son  supérieur,  le  P.  d'Ablon,  écrivait 

1.  Ing^enii  summi,  profcclus  magni  in  linguis  et  rébus  theologicis, 
cxpcrientiœ  magnae  in  missionibus.  Talentum  habet  ad  missiones  et 
ad  multa,  propositi  tenacius.  (Arch.  gen.  S.  J.) 

2.  Relations  inédites,  t.  II,  p.  367. 

3.  John  Shea,  Histonj  of  the  Catholic  missions,  p.  289. 

4.  Le  R.  P.  Et.  de  Carheil,  p.  104  et  113. 

3.  Voir  dans    Un  admirable  inconnu,  l'appendice  principalement. 
6.  Ihid.,  p.  129. 


—  410  — 

au  Provincial  de  France,  le  24  octobre  1674  :  a  Ce  saint 
homme  est  d'un  zèle  apostolique  qui  ne  trouve  pas  que  ses. 
sauvages  correspondent  à  ses  soins  ;  mais  je  crois  qu'il 
demande  d'eux  trop  de  A^ertu  dans  les  commencements. 
S'il  n'en  sanctifie  pas  autant  qu'il  voudrait,  il  est  bien 
certain  qu'il  se  sanctifie  lui-même  d'une  bonne  façon  K  » 
Cet  excès  de  zèle  ne  provenait  évidemment  que  d'un  excès, 
d'amour  pour  Dieu,  et  volontiers  dirions-nous  avec  son 
biog-raphe  que  beaucoup  de  missionnaires  voudraient 
mériter  le  reproche,  si  reproche  il  v  a,  que  le  P.  d'Ablon 
adressait  au  P.  de  Garheil,  apôtre  trop  zélé,  un  peu  rude 
comme  le  granit  de  sa  Bretagne  -. 

Débarqué  à  Québec  dans  les  premiers  jours  d'août  1()G6  ^^ 

1.  Relations  inédit  cm,  t.  II,  p.  11. 

2.  Un  admirable  inconnu,  p.  56. 

Voici,  d'après  les  catalogues  de  la  Compag-nie  de  Jésus,  le  cursus 
vitœ  du  P.  de  Carheil  jusqu'à  son  départ  pour  le  Canada.  Né  à 
Carentoir  le  18  ou  20  novembre  1633  (ailleurs  le  10  novembre  1634),. 
il  entra  au  noviciat  des  Jésuites,  à  Paris,  le  30  août  1653.  En  1655-1656, 
il  enseigne  la  grammaire  à  Amiens  ;  puis  il  professe  à  Rouen  la 
quatrième  (1656-1657),  la  troisième  (1657-1658),  les  humanités 
(1658-1660).  A  la  Flèche,  il  fait  sa  troisième  année  de  philosophie  et 
passe  son  examen  de  Univcrsâ  philosophia  de  1660  à  1661,  et  delà 
Flèche  il  se  rend  à  Tours  pour  y  professer  la  rhétorique  (1661-1662). 
Envoyé  à  Bourges,  il  y  suit  pendant  quatre  ans  le  cours  de  théologie 
(1662-1666),  et,  le  12  mai  1666,  il  s'embarque  pour  le  Canada. 

V.  sur  ce  missionnaire  :  Relations  de  la  Nouvelle-France,  an.  1668- 
1672  ;  —  Relations  inédites  du  P.  de  Montezon,  t.  I  et  II,  passini  ;  — 
Charlevoix,  t.  I,  pp.  398,  403,  568  et  suiv.  ;  —  Vie  du  P.  Et.  de^ 
Carheil,  par  le  P.  Ohrand  ;  —  Lettres  historiques,  p.  673  ;  —  Shea, 
History  of  the  Cafholic  missions,  p.  209. 

3.  Le  P.  de  Carheil,  étant  professeur  de  troisième  à  Rouen, 
en  1658,  avait  demandé  dès  cette  époque  la  mission  des  Indes.  Le 
P.  Général  lui  répondit,  le  9  déc.  1658  :  ((  Intelligo  ex  tuis  litteris  ad 
me  datis  te  libenter  comitaturum  in  indicas  missiones  Patrem  Hiero- 
nymum  Lupum  ;  at  adhuc  cum  theologiam  non  attigeris,  nihil  est 
quod   urgeat    immaturum    discessum  ;    ubi     tua    studia    et    tertiani 


—  411  — 

Etienne  de  Carheil  fut  envoyé,  deux  ans  après,  à  Goyo- 
g-oûen  pour  y  fonder  la  mission  de  Saint-Joseph  ^  Avant 
son  établissement  sur  ce  sol  ingrat,  difficile  à  remuer, 
Jacques  Fremin  et  Jean  Pierron  avaient  créé  la  mission  de 
Sainte-Marie  ou  des  Martyrs  chez  les  Agniers  ;  Jacques 
Bruyas  et  Julien  Garnier  en  avaient  établi  deux  autres, 
le     premier,     celle     de     Saint-François-Xavier    chez     les 


probationem  absolveris,  tune  videbimus  an  possit  zelo  tuo  satisfieri.  » 
Le  P.  de  Carheil  renouvelle,  le  29  juin  1660,  sa  demande  des  mis- 
sions, mais  pour  la  Chine  et  le  Japon  ;  même  réponse  du  R.  P.  Gé~ 
néral.  Le  9  juillet  1662  et  le  3  déc.  1663,  le  P.  de  Carheil,  dans 
Fespoir  de  partir  plus  tôt  pour  les  missions,  supplie  le  P.  Général 
de  lui  permettre  d'aller  à  Québec  où  il  fera  sa  théoloo^ie  et  apprendra 
la  langue  des  sauva^i^cs  ;  môme  réponse  du  Général.  Le  3  déc.  1664' 
^1  écrit  encore  de  Bourges,  où  il  fait  sa  théologie  :  «  Révérende  Adm. 
in  X»  Pater,  P.  C.  Qui  dies  magno  Indiarum  apostolo,  S.  Fr.  Xaverio- 
sacer  est,  is  me  admonet  ut  R.  A.  P^*^™  Vestram  quam  possum 
vehementissimè  obtester  per  amorem  Dei,  Domini  Jesu  crucifixir 
ecclesiae,  Societatis,  animarum  inter  barbares  pereuntium,  audebo 
etiam  dicere  per  amorem  paternum  mei,  ut  mittat  me  aliquando  ad 
exteras  missiones,  prœsertim  Japonicam,  Sinicam,  Syriacam,  Cana- 
densem  ;  sin  minus,  in  eas  omnes,  in  quas  commodum  videbitur  ad 
majorem  Dei  gloriam,  sed  omninô  in  aliquam,  mittat  ;  idque  obsecro, 
quam  fieri  celerrimè  poterit,  certè,  ut  tardissimè,  post  theologiam, 
cujus  tertium  jam  annum  ingredior.  Neque  enim  vocantem  Deum 
jam  ferre  amplius  possum,  qui  me  dies  noctesque  stimulât  ut 
aliquando  proficiscar.  »  —  Le  R.  P.  Oliva  persévéra  dans  sa  première- 
résolution,  sachant  surtout  que  le  P.  Bordier,  Provincial  de  Paris, 
désirait  conserver  en  France  le  P.  de  Carheil,  à  cause  de  son  beau 
talent  de  parole.  Cependant,  ce  dernier  ayant  insisté,  il  se  rendit  à 
à  ses  désirs  le  2  mars  1666  :  «  Mihi  admodùm  placet  Rœ  \œ  incensis- 
simus  zelus,  quem  significant  littersp  17  Januarii  data^.  Undè  née 
possum  denegare  quam  à  me  petit  tam  enixè  Canadensem  missio- 
nem.  P.  Provincialem  admoneo  per  litteras  hâc  ipsâ  de  facultate 
quam  Rœ  ¥««  concedo.  »  —  Il  écrit,  en  effet,  le  même  jour  au  P.  Pro- 
vincial :  «  Pater  de  Carheil  obtinuit  à  me  facultatem  missionis 
Canadensis  ;  nec  eam  certe  potui  ipsius  zelo  incensissimo  denegare.  » 
(Arch.  gen.  S.  J.) 

I.  Relations  de  1668,  pp.  18  et  19  ;  —  de  1669,  p.  12. 


—  412  — 

Onneiouts  ;  le  second,  celle  de  Saint-Jean-Baptiste  chez  les 
Onnontagués  K  En  1668,  le  P.  Frémin  en  organisait  une 
cinquième,  celle  de  Saint-Michel  dans  le  canton  des 
Tsonnontouans,  le  plus  nombreux  de  tous  ~,  où  aucun 
missionnaire  n'avait  encore  prêché  •^. 

Bientôt  d'autres  Jésuites,  quelques-uns  pas  des  plus 
médiocres  ^,  viendront  rejoindre  ces  premiers  missionnaires 
des  nations  iroquoises  :  ce  sont  François  Boniface  5,  Pierre 
RatTeix  ^\  Jean    de    Lamberville  ',     Jacques    de     Lamber- 


1.  Relation  de  1608,  pp.  4-8,  17. 

2.  RehiUon  de  1670,  p.  69. 

3.  Relation  de  1670,  p.  70. 

4.  «  Voltaire  et  Michèle!  disent  que  Ton  trie  les  Jésuites  médiocres 
ou  les  saints  idiots  pour  être  grillés  et  rôtis  dans  les  missions.  Le 
P.  de  Carheil  est  une  réponse  et  n'est  pas  la  seule.  »  [Un  admirable 
inconnu,  p.  128.)  Les  Pères  de  Lamberville  ne  sont-ils  pas,  en  effet, 
encore,  une  réponse  à  la  calomnie  de  Voltaire  et  de  Michelet? 

5.  François  Boniface,  né  à  Arras  le  l*^''  août  1635,  entra  au  novi- 
ciat de  la  Compagnie,  à  Paris,  le  30  septembre  1652.  Etudiant  de 
philosophie  à  la  Flèche  (1654-1656),  puis  professeur  de  sixième  à  Mou- 
lins (1656-1657),  de  cinquième  et  de  quatrième  à  Vannes  (1657-1659), 
de  troisième  et  de  seconde  à  Eu  (1659-1661),  de  rhétorique  à  Hesdin 
(1661-1662),  de  nouveau  élève  de  philosophie  à  la  Flèche  (1662-1663),  et 
professeur  de  seconde  à  Arras  (1663-1664),  il  suit  enfin  le  cours  de 
théologie  à  la  Flèche  (1664-1668),  fait  à  Paris  sa  troisième  année  de 
noviciat  et  part  en  1669  pour  le  Canada. 

6.  Pierre  Raffeix,  né  au  diocèse  de  Clermont,  en  Auvergne,  le 
15  janvier  1633,  entré  au  noviciat  de  la  Compagnie,  à  Toulouse,  le 
23  mars  1653,  professe  d'abord  la  quatrième  et  la  troisième  à 
Aubenas  (1655-1657),  la  troisième  et  la  seconde  à  Rodez  (1657-1659),  la 
seconde  à  Aurillac  (1659-1660),  et  la  rhétorique  à  Alby  (1660-1661), 
puis  il  étudie  la  théologie  à  Toulouse  (1661-1663)  et  part  enfin  pour 
le  Canada  en  1663. 

7.  Jean  de  Lamberville,  né  à  Rouen  le  27  déc.  1633,  entré  dans  la 
Compagnie,  à  Paris,  le  3  mars  1656,  après  avoir  fait  deux  ans  de 
philosophie  et  six  mois  de  théologie.  Le  noviciat  terminé,  il  étudie 
encore  un  an  la  philosophie,  et  va  ensuite  professer  à  Bourges  la 
cinquième,  la  quatrième,  la  troisième  et  la  seconde  (1659-1663)  ;  de 


—  4i:i  — 

ville'  et  Pierre  Vaillant  de  Gueslis-.  Ce  qu'ils  eurent  tous  à 
endurer  de  soulFrances  physiques  et  morales  dans  ces  cinq 
nouvelles  missions,  Dieu  seul  le  sait  !  a  II  faut,  écrivait  le 
P.  Bruyas,  que  nous  soyons  ici  disposés  à  tout,  à  la  mort 
autant  qu'à  une  vie  persécutée  '^  ;  »  car  «  le  Canada  n'est 
pas  un  pays  de  fleurs  ;  pour  en  trouver  et  en  cueillir 
quelqu'une,  il  faut  marcher  longtemps  parmi  les  ronces  et 
les  épines  ^.  »  Le  P.  de  Carheil  dit  aussi  :  «  Nous  sommes 
parmy  les  Iroquois  comme  de  perpétuelles  victimes, 
puisqu'il  n'est  point  de  jour  où  nous  ne  soyons  en  danger 


nouveau  il  est  professeur  de  grammaire  à  Alençon  (1663-1664),  à 
Reunes  (1664-1665);  enfin  il  étudie  la  théologie  à  Bourges  (1665-1669), 
fait  sa  troisième  année  de  noviciat  à  Rouen  et  part  pour  le  Canada 
en  1669.  Profés  le  15  août  1674. 

Voir  :  Elog.  defunct.  prov.  Francité  (Arch.  gen.  S.  J.)  ;  —  Lettre  cir- 
culaire pour  annoncer  sa  mort  (Arch.  de  la  maison  professe,  Paris)  ;  — 
Charlevoix,  t.  I,  pp.  468,  492,  495,  501  et  suiv.  ;  —  Relations 
imklifes,  t.  II,  pp.  39,  108,  196,  347  ;  —  Manuscrits  de  la  rue 
Lhomond,  lettres  diverses  de  ce  Père,  et  Relations  de  1681,  1682, 
1683. 

1.  Jac({ues  de  Lamherville,  frère  de  Jean,  né  h  Rouen  le  24  mars 
1641,  entré  au  noviciat  de  la  Compagnie,  à  Paris,  le  20  oct.  1661, 
après  sa  philosophie.  Profès  en  1676.  Le  noviciat  terminé,  il  enseigne 
à  Alençon  la  cinquième,  la  quatrième,  la  troisième  et  la  seconde  (1663- 
1667),  la  seconde  à  Amiens  (1667-1668),  la  rhétorique  à  Compiègne 
(1668-1669)  et  la  seconde  à  Hesdin  (1669-1670).  H  fait  la  théologie  à 
Bourges  (1670-1674)  et  s'embarque  en  1675  pour  le  Canada.  —  Voir  : 
Elogia  defunct.  prov.  Francise  (Arch.  gen.  S.  J.)  ;  —  Lettres  édifiantes^ 
édit.  1781,  t.  VI,  p.  50  ;  —  Relations  inédites,  t.  II,  p.  104;  — - 
Charlevoix,  t.  I,  pp.  501,  504,  574,  575  ;  —  Manuscrits  de  la  rue 
Lhomond,  lettre  du  4  nov.  1686,  etc. 

2.  Fr.  Vaillant  de  Gueslis,  né  à  Orléans  le  20  juillet  1646,  entré 
au  noviciat  de  la  Compagnie,  à  Paris,  le  10  nov.  1665,  après  deux  ans 
de  philosophie.  Il  étudia,  après  le  noviciat,  au  collège  de  la  Flèche, 
un  an  la  philosophie  (1667-1668),  deux  ans  la  théologie  (1668-1670)  et 
partit  en  1670  pour  le  Canada,  n'étant  pas  encore  prêtre. 

3.  Relation  de  1670,  p.  46. 

4.  Relation  de  1672,  p.  23. 


—  414  — 

d'être  massacrés  ^  »  Le  P.  Garnier  considère  chaque 
moment  comme  le  dernier  de  sa  vie  -.  La  faim,  le  froid,  les 
veilles,  les  fatigues  du  ministère  et  les  courses  continuelles, 
les  calomnies,  les  dangers,  voilà  le  calvaire  de  tous  les 
jours  !  «  Les  peines  ne  sont  pavées  que  de  rebuts  et  de 
mépris  ^  »  ou  de  menaces  de  mort.  A  l'heure  où  l'apôtre  y 
pense  le  moins,  sa  chapelle  est  attaquée  et  renversée  '*.  Ce 
qu'il  j  a  peut-être  encore  de  plus  dur  pour  lui,  c'est 
d'ensevelir  pour  toujours  ses  talents  et  son  dévouement 
dans  une  vie  obscure,  semée  de  croix  sans  éclat,  où  il  ne 
rencontre  ni  joies  de  l'esprit,  ni  satisfactions  du  cœur,  ni 
charmes  des  relations.  Partout  le  péril,  les  croix,  l'obscu- 
rité, et,  il  faut  bien  le  dire,  la  stérilité  ou  le  peu  de  fécon- 
dité de  l'apostolat. 

Un  phénomène  assurément  très  triste  frappe  le  lecteur 
qui  parcourt  les  longues  et  nombreuses  Relations  écrites  de 
1667  à  1680  sur  les  cinq  missions  iroquoises  :  d'un  côté,  le 
dévouement  et  le  sacrifice  portés  aux  dernières  limites  ;  de 
l'autre,  peu  de  conversions,  à  peine  quelques  baptêmes 
d'adultes  en  santé,  un  plus  grand  nombre  de  baptêmes 
administrés  à  des  adultes  moribonds.  La  plupart  des  baptisés 
sont  des  enfants,  morts  presque  tous  immédiatement  après 
la  réception  du  sacrement.  Ainsi,  dans  le  canton  de  Goyo- 
gouen,  les  Relations  comptent  en  tout,  à  partir  de  1668, 
pendant  neuf  années  consécutives,  trois  cent  cinquante- 
neuf  baptisés,  parmi  lesquels  près  de  deux  cent  quatre- 
vingts  enfants,  dont  beaucoup  sont  allés  au  ciel  après  le 
baptême  ;    les    adultes   ont,  en   grande    majorité,    reçu    le 

\.  Relation  de  1670,  p.  68. 

2.  Relation  de  1672,  p.  25. 

3.  Relation  de  1669,  p.  7. 

4.  Relations  de  1668,  p.  12  ;  —  de  1669,  pp.  1,  7,  15  ;  —  de  1670, 
pp.  68,  77  ;  —  de  1672,  pp.  23  et  24,  etc 


—  415  — 

sacrement  de  la  régénération  à  la  dernière  heure  avant  de 
paraître  au  tribunal  de  Dieu.  Dans  les  autres  cantons,  la 
proportion  est,  à  peu  de  chose  p'^ès,  la  même  i.  Mince 
résultat,  il  faut  l'avouer,  d'efforts  surhumains  !  Et  au 
nombre  des  convertis  il  importe  de  ne  pas  oublier  les 
Hurons  captifs  qui  furent,  surtout  dans  la  mission  de 
Saint-Michel,  la  consolation  et  la  gloire  de  l'apostolat  des 
missionnaires  '-. 

Certes  il  ne  faut  pas  juger  de  la  moisson,  comme  l'a  fort 
bien  remarqué  le  biographe  du  P.  de  Carheil,  par  le  nombre 
des  âmes  ni  même  par  leur  qualité,  mais  par  la  qualité  du 
missionnaire  et  le  nombre  de  ses  douleurs  ^.  Il  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  les  moissonneurs  souffraient  douloureu- 
sement de  voir  si  peu  d'épis  s'élever  de  la  semence 
si  abondante  jetée  en  terre.  Et  cette  terre,  ils  la  tournaient 
et  retournaient  en  tout  sens.  Chaque  jour,  dans  chaque 
canton,  il  y  avait  catéchisme  pour  les  enfants,  très  souvent 
catéchisme  pour  les  adultes.  En  dehors  des  instructions,  le 
prêtre  visitait  les  cabanes,  parlant  de  Dieu,  donnant  le 
baptême  aux  adultes  et  aux  enfants  en  danger  de  mort. 
Toute  la  journée  du  dimanche  se  passait  à  instruire  les 
infidèles,  les  catéchumènes  et  les  néophytes.  Chaque 
semaine,  les  bourgs  les  plus  éloignés  du  centre  de  la  mis- 
sion recevaient  la  visite  du  missionnaire  ;  il  parcourait  les 

1.  Relations  de  1668,  pp.  13,  16  ;  —  de  1669,  pp.  6,  8,  12,  16,  17  ; 
—  de  1670,  28,  37,  ch.  VI,  pp.  62,  64,  69,  72,  78  ;  —  de  1671,  pp.  13, 
•14,  18,  20  ;  —  de  1672,  pp.  18,  19,  20,  23  ;  —  Relations  inédites,  t.  I, 
pp.  6-8,  10,  22,  55,  57,  65,  etc.  — Parmi  les  baptêmes,  il  faut  compter 
ceux  des  deux  plus  grands  capitaines  des  Iroquois,  de  Garakontié, 
qui  fut  baptisé  par  Mgr  de  Laval,  et  eut  pour  parrain.  M,  de  Cour- 
celles,  et  pour  marraine,  M"«  Bouteroue,  et  de  Saonchiogoua,  baptisé 
également  à  Québec,  par  Mgr  de  Laval,  en  1671.  {Relations  de  1670, 
p.  6,  et  de  1671,  p.  3.) 

2.  Relations  de  1670,  pp.  61,  69  et  70. 

3.  P.  120. 


—  416  — 

rues,  une  clochette  à  la  main,  pour  réunir  les  sauvages 
dans  une  cabane,  où  il  les  instruisait  des  vérités  de  la  foi, 
et,  le  catéchisme  terminé,  il  allait  dans  toutes  les  cabanes 
à  la  recherche  des  malades  et  des  enfants.  Aucune  industrie 
du  zèle  n'était  négligée,  soit  pour  mieux  faire  comprendre 
les  mystères,  soit  pour  frapper  davantage  les  imaginations  : 
les  tableaux  et  le  jeu  du  Point  au  point  étaient  particuliè- 
rement goûtés  des  sauvages,  beaucoup  plus  que  les  cordes 
de  porcelaine  du  P.  Millet,  ses  cartes  et  son  miroir  i. 

Ce  dévouement,  qui  ne  reculait  devant  aucun  sacrifice, 
qui  s'aidait  de  toutes  les  industries,  ne  fut  pas  cependant 
récompensé  comme  il  devait  l'être.  Quelles  en  furent  les 
raisons  ?  Nous  avons  signalé  ailleurs,  en  parlant  des  Hurons, 
plusieurs  obstacles  à  la  conversion  des  sauvages,  entre 
autres,  les  songes,  l'influence  des  Jongleurs  et  la  poly- 
gamie. Ces  mêmes  obstacles  se  dressèrent  devant  les 
Jésuites,  dans  les  missions  iroquoises,  terribles,  diffici- 
lement surmontables  '-.  Ils  ne  furent  pas  les  seuls.  Charle- 

4.  Relations  de  1609,  pp.  2,  4,  7  ;  —  de  1070,  pp.  28,  37,  38.  — 
Nous  avons  parlé  plus  haut  des  tableaux  du  P.  Jean  Pierron.  Il  est 
lui-même  l'auteur  du  jeu  du  Point  au  point  qu'il  décrit  ainsi  dans  la 
Relation  de  4670,  p.  38  :  «  Ce  jeu  est  composé  d'emblèmes  qui 
représentent  tout  ce  qu'un  clirestien  doit  sçavoir.  On  y  voit  les 
sept  sacrements,  tous  dépeints,  les  trois  vertus  théologales,  tous  les 
commandements  de  Dieu  et  de  l'Eglise,  avec  les  principaux  péchés 
mortels  ;  les  péchés  même  véniels  qui  se  commettent  ordinairement 
y  sont  exprimez  dans  leur  rang,  avec  des  marques  de  l'horreur  qu'on 
en  doit  avoir.  Le  péché  originel  y  parait  dans  un  ordre  particulier, 
suivi  de  tous  les  maux  qu'il  a  causez.  J'y  ai  représenté  les  quatre  fins 

de  l'homme,  la  crainte  de  Dieu,  les  indulgences En  un  mot,  tout 

ce  qu'un  chrestien  est  obligé  de  sçavoir  s'y  trouve  exprimé  par  des 
emblèmes  qui  font  le  portrait  de  chacune  de  ces  choses......  Ce  jeu 

s'appelle  du  Point  au  Point,  c'est-à-dire  du  point  de  la  naissance  au 
point  de  l'éternité.  » 

2.  Une  autre  raison  explique  la  rareté  des  baptêmes  parmi  les 
adultes,  c'est  que  les  missionnaires  ne  leur  accordaient  ce  sacrement 


—  417  — 

Yoix  nous  en  indique  deux  autres  que  nous  retrouvons,  du 
reste,  en  plusieurs  endroits  des  Relations  de  la  Nouvelle- 
France  :  ((  Comme  j'ai  eu,  dit-il,  le  bonheur  de  vivre  avec 
la  plupart  de  ceux  qui  ont  le  plus  souvent  travaillé  à 
cultiver  cette  portion  de  la  vigne  du  Seigneur,  laquelle, 
malgré  leurs  soins,  est  demeurée  sauvage  dans  son  terroir 
naturel,  je  me  suis  souvent  informé  de  quelques-uns  d'eux, 
de  ce  qui  avait  empêché  le  grain  de  la  parole  de  prendre 
racine  parmi  un  peuple  dont  ils  vantaient  beaucoup  l'esprit, 
le  bons  sens  et  les  sentiments  nobles.  Tous  m'ont  répondu 
que  ce  qui  avait  fait  le  plus  grand  mal  était  le  voisinage 
des  Anglais  et  des  Hollandais  dont  le  peu  de  piété,  quoi- 
qu'ils se  portassent  pour  chrétiens,  avait  fait  regarder  à  ces 
sauvages  le  christianisme  comme  une  religion  arbitraire  ^  » 
Pour  détacher  les  Iroquois  des  Français,  ils  leur  fournirent 
à  profusion  de  l'eau-de-vie  et  leur  firent  de  grands  avantages 
pécuniaires  ;  et  pour  les  soustraire  à  l'intluence  des 
Jésuites,  qui  leur  prêchaient  la  soumission  à  la  France,  ils 
employèrent  sans  scrupule  la  calomnie  contre  ces  der- 
niers. 

Le    second    obstacle,    le    plus    grave    assurément,     que 

qu'après  de  longues  épreuves.  «  Pour  les  adultes,  il  faut  y  procéder 
(au  baptême)  avec  un  grand  discernement,  de  peur  de  faire  plus 
d'apostats  que  de  chrétiens.  »  [Relat.  de  d668,  p.  16.)  —  «  Il  n'y  a 
pas  grand  nombre  d'adultes,  parce  qu'on  ne  les  baptise  qu'avec 
beaucoup  de  précautions.  »  [Relat.  de  1G69,  p.  4.)  —  «  On  ne  se 
hâte  pas  de  donner  le  baptême  à  ces  peuples,  on  veut  éprouver 
leur  constance,  de  peur  de  faire  des  apostats,  au  lieu  de  faire  de 
véritables  fidèles.  )>  {IhicL,  p.  13.)  —  a  Comme  nous  nous 
défions  de  l'inconstance  naturelle  des  Iroquois,  j'en  ai  peu  baptisé 
hors  du  danger  de  mort.  »  (1670,  p.  28.)  —  Nous  voyons  par  les 
autres  Relations  que  les  Pères  ne  se  départirent  jamais  de  cette 
sage  précaution  ;  mais  cela  n'empêcha  pas  la  calomnie  de  les  accuser 
de  conférer  le  baptême  aux  adultes  très  à  la  légère,  en  dehors  de 
toutes  les  règles  de  la  prudence. 

1.  T.  I,  p.  398. 

Jés.  et  JSoiu'-Fr.  —  T.  II.  ,  27 


—  418  — 

signale  Charlevoix,  c'est  le  commerce  des  liqueurs  spiri- 
tueuses,  et  comme  conséquence  fatale,  l'ivrognerie. 
L'ivrognerie  régnait  en  grand  dans  les  cinq  cantons  ;  et  les 
missionnaires,  malgré  les  plus  louables  elîorts,  furent 
impuissants  à  l'empêcher.  Sans  ce  vice,  la  conversion  des 
Iroquois  eût  peut-être  marché  rapidement  K 

Le  voisinage  des  Anglais  et  des  Hollandais,  la  traite  de 
l'eau-de-vie,  les  exemples  pervers  auxquels  les  sauvages 
étaient  exposés  de  la  part  de  leurs  compatriotes  n'avaient 
pas  seulement  pour  résultat  immédiat  d'entraver  les  conver- 
sions ;  ils  pouvaient,  dans  un  temps  donné,  déterminer 
parmi  les  néophytes  un  courant  d'apostasie.  Déjà  depuis 
deux  ans  on  avait  eu  la  pénible  douleur  d'enregistrer 
quelques  cas.  Il  v  avait  là,  par  rapport  à  l'avenir  de  l'église 
iroquoise,  un  péril  très  alarmant  qu'il  importait  de  conjurer, 
sinon  totalement,  la  chose  étant  impossible,  du  moins  en 
partie.  Les  missionnaires  le  comprirent  et  se  mirent  au 
plus  vite  à  la  recherche  des  moyens.  Celui  qui  leur  parut 
le  plus  efficace  et  d'une  exécution  plus  facile  fut  de  sous- 
traire à  l'influence  anglaise  et  à  la  puissance  des  mauvais 
^exemples  les  catéchumènes  et  les  néophytes  qui  consenti- 
raient à  quitter  leur  pays  et  à  fonder  ailleurs  une  colonie 
-de  peuplement  agricole.  Mais  où  s'établir? 

Les  Jésuites  possédaient  alors  près  de  Montréal  un  vaste 
terrain,  appelé  Prairie  de  la  Madeleine,  où  ils  avaient 
construit  pour  eux  une  maison  de  retraite  et  de  repos,  et 
où.  habitaient  deux  Pères,  à  la  disposition  des  tribus  sau- 
vages ^    Ne    pourrait-on    pas,    se    disaient    les   Pères  des 

1.  Relation  de  1670,  p.  63.  —  Consulter  sur  le  même  sujet  : 
Rela(io?is  de  1G68,  p.  12  ;  —  de  1669,  pp.  6,  16  ;  de  1670,  pp.  32,  37, 
45,  63,  76. 

2.  Dans  les  Catalogues  des  Jésuites  de  la  Nouvelle-France,  on 
trouve,    à   la   Prairie   de   la   Madeleine    :    années    1668,  P.    Raffeix  ; 


missions  iroquoises,  élever  un  villag-e  autour  delà  résidence 
de  la  Prairie,  et  fonder  sous  la  direction  spirituelle  des 
Jésuites  une  mission  s 'dentaire,  sur  le  modèle  de  Saint- 
Michel  de  Sillery  ?  Là,  les  Iroquois  immigrés  trouveraient, 
disaient-ils  encore,  avec  le  bienfait  de  la  foi  et  la  facile 
pratique  de  leurs  devoirs  religieux,  beaucoup  de  terres 
d'une  exploitation  avantageuse,  la  pèche  et  la  ahasse  en 
abondance,  la  facilité  des  relations  commerciales.  Tout 
cela  était  exact  et  d'une  exécution  très  simple,  à  supposer 
qu'il  se  fît  une  immigration  iroquoise.  Elle  eut  lieu  cepen- 
dant contre  toutes  les  prévisions  et  même  plus  nombreuse 
qu'on  ne  pouvait  s'y  attendre,  les  habitants  de  cette  nation 
tenant  résolument  au  sol,  à  leurs  cantons. 

En  16()9,  quelques  familles  vinrent  se  grouper  autour  de 
la  résidence  de  la  Prairie  ;  d'autres  ne  tardèrent  pas  à  les 
j  rejoindre,  et  bientôt  il  se  forma  de  toutes  ces  familles 
une  mission,  dont  le  P.  Jacques  Frémin  fut  le  premier 
apôtre  et  qu'il  nomma  Saint-François-Xavier-des-Prcs  ^. 

1669,  P.  Raiïoix;  HmO,  PP.  Rafîeix  et  Philippe  Pierson  ;  1671  et 
1672,  PP.  Frémiii  et  Antoine  Dalmas. 

La  Prairie  de  la  Madeleine  fut  ainsi  appelée  du  nom  de  son 
premier  concessionnaire,  Jacques  de  la  Ferté,  abbé  de  la  Madeleine, 
chanoine  de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  un  des  Cent-Associés  de  la 
Compagnie  de  la  Nouvelle-France.  Elle  fut  donnée  et  concédée  aux 
Jésuites,  à  condition  qu'ils  emploieraient  telles  personnes  qu'ils 
pourraient  juger  à  propos  pour  cultiver  les  terres  et  que  le  donateur 
aurait  part  à  l'avantage  de  leurs  prières  et  saints  sacrifices.  En  consi- 
dération de  l'assistance  donnée  par  cet  ordre  religieux  aux  habitants 
de  la  Nouvelle-France,  et  des  dangers  auxquels  ils  s'exposent  eux- 
mêmes  en  amenant  les  sauvag-es  du  pays  à  la  connaissance  du  vrai 
Dieu.  (1647,  avril  1.  —  Cf.  Biens  des  Jésuites  en  Canada,  p.  61.) 

1.  Relation  de  1672,  p.  16,  ch.  II;  —  Relations  inédites,  t.  I, 
pp.  179  et  suiv. 

Nous  donnons  aux  Pièces  justificatives  du  tome  III  un  document 
inédit  très  important,  intitulé  :  Narration  annuelle  de  la  mission  du 
Sault  depuis  la  fondation  Jusques  à  Van  1686.  Cette  narration  est  du 
P.  Claude  Chauchetière,  qui  fut  long'temps  attaché  à  cette  mission. 


—  420  — 

Plus  tard,  elle  fut  transférée   à  quelque  distance  de  là,    \ 
près  du   Saut-Saint-Louis,   où  le  sol,  moins    humide,  était 
plus  approprié   à   la   culture  du  blé  d'Inde,  et  on  l'appela     j 
Saint-François-Xavier-du-Saut  ou  Saui-Saint-Louis  K 

Le    bruit    de    cette    fondation  se    répandit    vite    parmi 
les    nations     indiennes  ;     et    Ton     vit     aussitôt     accourir 
des  quatre  points   cardinaux  et  se  rendre  à  la  mission  de 
Saint-François-Xavier,  des    Hurons,    des  Algonquins,   des     j 
Montag-nais,    des   Outaouais,   des  Loups,  des  Mascoutins^     J 
des   Mahing-ans    et    autres   sauvages,     tous    désireux    soit     ' 
d'embrasser  la  religion  catholique,  soit  de  la  mieux  prati- 
quer ',  Il  y  avait  tout  à  craindre  pour  l'ordre  public  et  pour     i 
la  moralité  de  cette   agglomération   d'indig-ènes    de    toute     * 
provenance.    ((    On  fut  donc  obligé,   dit  le  P.   d'Ablon,  de 
procéder  à  la    nomination   de  capitaines  pour  le   gouver- 
nement de  la  bourgade  et  particulièrement  pour  la  conser- 
vation  de   la   foi.    Les   nouveaux   capitaines   asseml)lèrent 
aussitôt  tout  leur  monde  pour  déclarer  publiquement  qu'on 
n'admettrait  dans  le  bourg  personne   qui  ne   fût  dans   la 
résolution  de  s'abstenir  de  trois  choses  qui  sont  :  l'idolâtrie 
du  songe,  le  changement  de  femme  et  l'ivrognerie.  Il  fut 
arrêté  que  personne  ne  demeurerait  parmi  eux  qu'il  n'eût 

1.  Belafionsjjiéclife^,  t.  II,  p.  167.  —  La  mission  de  la  Prairie  fut 
transférée  au  Saut-Saint-Louis  en  1675.  Ce  fut  probablement  vers. 
la  même  époque  que  les  Messieurs  de  Saint-Sulpice  fondèrent  la 
mission  au  lac  des  Deux-Montagnes,  à  une  petite  distance  de 
Montréal  ;  cette  mission,  encore  florissante,  est  toujours  dirigée  par 
les  Sulpiciens,  tandis  que  les  Pères  Oblats  sont  aujourd'hui  chargés 
de  celle  du  Saut-Saint-Louis  (Caughnewaga).  Le  terrain  du  Saut- 
Saint-Louis  fut  ajouté  à  celui  de  la  Prairie  de  la  Madeleine  par  lettres 
patentes  de  Louis  XIV,  1680,  9  mai;  confirmation  le  15  juin  1717. 
(Arch.  de  la  Province.) 

2.  Relations  inédites,  t.  I,  pp.  179  et  suiv.  ;  —  Relation  de  1672, 
p.  16.  —  On  comptait  dans  cette  mission  des  membres  de  vingt-deux 
nations.  [Ihid.) 


—  421  — 

fait  auparavant  protestation  publique  de  renoncer  à  ces 
abominations,  et  que,  si  quelqu'un  venait  à  }-  retomber,  il 
serait  chassé  honteusement.  Tout  ceci  s'étant  fait  publi- 
quement, fut  bientôt  su  de  toutes  les  nations  qui  abordent 
de  tous  côtés  vers  ces  quartiers,  tellement  qu'aucun  sauvage 
ne  vint  demeurer  à  la  Prairie,  pas  même  en  passant  pour 
deux  ou  trois  mois,  qu'il  ne  s'obligeât  à  suivre  les  lois  qui 
régissaient  la  nouvelle  bourgade  ^.   » 

Le  P.  d'Ablon  ajoute  :  «  Ce  fondement  solide  ainsi 
établi,  on  n'eut  pas  beaucoup  de  peine  à  introduire  parmi 
les  nouveaux  venus  la  pratique  des  vertus  et  la  dévotion 
fervente  '".  »  Quant  aux  premiers  fondateurs  de  cette  chré- 
tienté, ils  furent  tous  des  modèles  de  foi  et  de  piété.  Si  Ton 
en  croit  les  relations  de  l'é^^oque,  et  toutes  sont  unanimes 
sur  ce  point,  aucune  mission  du  Nouveau-Monde  n'égala 
celle  de  Saint-François-Xavier  en  beaux  exemples  de  vertus 
et  de  dévouement  '^.  Y  eut-il  même  au  Paraguay  une  réduc- 
tion aussi  fervente?  C'est  là  que  s'épanouit  cette  charmante 
fleur  d'innocence,  la  Geneviève  de  l'Amérique  du  Nord, 
(Catherine  Tegakouita,  cueillie  par  la  main  de  Dieu  dans 
son  23remier  parfum,  à  l'âge  de  23  ans.  Là  aussi  grandirent, 
aimées  et  vénérées  de  tous,  la  pieuse  Marie-Thérèse  et 
Marie-Félicité  sa  fille  ^. 


i.  Relations  inédites,  t.  I,  pp.  181  et  182. 

2.  IbicL,  p.  182. 

3.  Relation  de  1672,  ch.  II;  —  Relations  inédites,  t.  I,  pp.  179  et 
siiiv.,  279  et  suiv.  ;  t.  II,  pp.  49  et  suiv.,  167  et  suiv.,  217  et  suiv.  ;  — 
Relation  du  P.  d'Ablon  (1673-1679)  imprimée  à  Québec  en  1860,  pp.  229 
et  suiv. 

4.  Lettre  de  Mgr  de  Saint-Vallier  sur  V Estât  présent  de  r Eglise... 
pp.  47  et  48;  —  Charlevoix,  t.  I,  pp.  403,  572  et  suiv.,  585-86;  — 
Lettre  du  P.Cholenec  au  P.Auguste  Le  Blanc,  procureur  des  missions 
du  Canada,  27  août  1715. —  Lettres  édifiantes  :  détails  sur  Catherine 
Tegakouita,  surnommée  la  Geneviève  de  la  Nouvelle-France  ;  —  Vie 


—  422  — 

Mgr  de  Saint-Vallier,  qui  avait  visité  cette  mission  et  la 
connaissait  mieux  que  personne,  en  parlait  en  ces  termes 
dans  sa  lettre  de  1087  sur  TEstat  présent  de  l'Eglise  et 

DE  LA  COLOME  ErANCAISE  DANS  LA  NoL VELLE-ErANCE  I    «    DailS 

ma  première  visite,  la  piété  que  j'y  vis,  surpassa  de  beaucoup 
l'idée  que  j'en  avais  conçue  par  les  rapports  qu'on  m'en 
avait  faits...  Les  personnes  engagées  dans  le  mariage  ne 
sont  pas  moins  à  Dieu  que  les  vierges...  On  prendrait  leur 
village  pour  un  A'éritable  monastère.  (>)mme  ils  n'ont 
quitté  les  commodités  de  leur  pays  que  pour  assurer  leur 
salut  auprès  des  Français,  on  les  voit  tous  portés  à  la  pra- 
tique du  plus  parfait  détachement,  et  ils  gardent  parmi  eux 
un  si  bel  ordre  pour  leur  sanctification  qu'il  serait  dilTicile 
d'y  ajouter  quelque  chose  '.  »  Puis  le  Prélat  raconte  les  pra- 
tiques religieuses,  la  plupart  vraiment  héroïques,  que 
s'étaient  imposées  les  sauvages  de  Saint-Erançois-Xavier- 
du-Saut  pour  chaque  jour,  chaque  semaine,  chaque  mois  et 
chaque  année  '^.  En  lisant  ces  pages,  qui  rappellent  les  plus 
beaux  âges  de  la  vie  monacale,  on  se  demande  si  Mgr  de 
Saint-Vallier  n'a  pas  exagéré.  Mais  lui-même  se  charge  de 
nous  répondre  :  «  Tout  ce  que  j'ai  dit  de  la  manière  de 
vivre  des  sauvages  convertis  dans  cette  mission,  n'est  point 
une  description  faite  à  plaisir;  c'est  un  récit  sincère  de  son 


manuscrite  de  Catherine  Tegakouita,  par  le  P.  Claude  Chauchetière, 
conservée  à  Québec;  —  Vie  de  la  même,  par  le  P.  Cholenec,  nis. 

Catherine  Tegakouita,  baptisée  en  1675  par  le  P.  J.  de  Lamberville, 
fut  envoyée  cà  Saint-Fr.-Xavier-du-Saut,  où  elle  mourut  en  1080.  Sa 
réputation  de  sainteté  et  les  miracles  attribués  à  son  intercession  ont 
engagé  les  Pères  du  3°  concile  national  de  Baltimore  à  demander 
au  Saint-Siège  Tintroduction  de  sa  cause  de  béatification,  en  même 
temps  que  celle  du  P.  Jogues  et  de  R.  Goupil.  (Notice  historique  de 
la  Ci*'  de  Jésus  au  Canada,  p.  45,  note.) 

1.  Estât  présent  de  rEc/Iise,  édit.  de  Québec,  1856.  pp.  49  et  63. 

2.  Est.if  prrsenf  de  l'Eglise...,  pp.  49  à  66. 


—  423  — 

véritable  état.  Les  Français  de  la  Prairie  sont  si  charmés 
de  ce  qu'ils  v  voient,  qu'ils  y  viennent  quelquefois  joindre 
leurs  prières  à  celles  de  ces  bons  chrétiens,  et  ranimer  leur 
dévotion  à  hi  vue  de  la  ferveur  qu'ils  admirent  dans  des- 
gens  qui  étaient  autrefois  barbares  K    » 

Ce  beau  résultat  était  en  grande  partie  dû  au  zèle- 
industrieux  du  P.  Frémin  et  du  P.  Cholenec  -.  Ce  dernier,, 
qui  apparaît  pour  la  première  fois  dans  cette  histoire,  était 
né  dans  le  Léonais,  pays  de  l'ancienne  province  de  Bre- 
tagne, formant  aujourd'hui  la  partie  septentrionale  du  dépar- 
tement du  Finistère;  mais  rien  dans  son  caractère  ne  rap- 
pelait le  pays  du  droit  de  bris  et  d  épave.  Nature  aimable- 
et  sympathique,  d'une  innocence  et  d'une  simplicité  char- 
mantes, facile  à  s'éprendre  de  tout  ce  c{ui  était  beau  et  élevé,, 
il  était  tout  entier,  cœur  et  âme,  à  ses  chères  ouailles,  et  il 
en  parlait  avec  ravissement  dans  ses  lettres,  toutes  sans 
apprêt,  d'un  style  aisé  et  correct,  ne  sentant  jamais  l'ancien 
professeur  de  rhétorique  -^  «   Dans  le  peu  d'expérience  que 


1.  Esfaf  présent  de  r Eglise...,  pp.  GG  et  G7. 

2.  Pierre  Cholenec,  né  au  diocèse  de  Léon,  le  30  juin  1641,  entra 
au  noviciat  des  Jésuites,  à  Paris,  le  8  septembre  1659.  D'abord  pro- 
fesseur à  Moulins  de  cinquième  (1661-62),  de  quatrième  (1662-63)  et 
de  troisième  (1663-64),  puis  élève  de  philosophie  à  la  Flèche  (1664-67) 
où  il  est  en  même  temps  préfet  du  Sér.  Prince  Renaud  d'Esté,  il  pro- 
fessa ensuite  à  Eu  les  humanités  (1667-68)  et  la  rhétorique  (1668-70). 
Enfin,  après  ses  (piatre  ans  de  théologie  (1670-74)  au  collège  Louis- 
le-Grand  à  Paris,  il  partit  pour  le  Canada  au  mois  d'août  1674. 

Le  P.  Cholenec  a  composé  la  vie  de  la  sauvagesse  Catherine  Tega- 
kouita,  dont  il  était  le  confesseur.  Le  manuscrit  de  cette  vie  a  servii 
à  faire  la  lettre  qui  se  trouve  dans  les  Lettres  édifiantes,  publiées  par 
Martin  (t.  I,  p.  647).  Charlevoix  y  a  puisé  aussi  tout  ce  qu'il  dit  sur 
cette  sainte  fille;  mais  Charlevoix  et  les-  Lettres  (klifiantes  n'ont  fait 
qu'un  très  court  abrégé  du  manuscrit  du  P.  Cholenec. 

3.  Lettres  inédites,  t.  II,  pp.  168  et  suiv.,  217  et  suiv.  ;  —  Lettres-- 
édifiantes,  pul)liées  par  M.  L.-A.  Martin,  t.  1,  de  647  à  668;  —  Vie  de- 
(Catherine  Tegakouita,  par  le  P.  Cholenec,  ms. 


—  42i  — 

j'ai,  dit-il,  j'ai  bien  vu  des  Français  qui  faisaient  une  parti- 
culière profession  de  vertu,  et  cependant,  à  moins  que  de 
m'arrêter  sur  les  communautés  séculières  et  régulières, 
j'avoue  que  je  n'ai  rien  vu  qui  approche  de  ce  que  j'ai  le 
bonheur  de  voir  ici  tous  les  jours  '.    » 

Toutefois,  en  formant  les  sauvages  à  la  vertu  et  à  la  piété, 
les  Jésuites  n'oubliaient  pas  de  développer  dans  leurs  âmes 
l'amour  de  la  France,  les  sentiments  du  plus  pur  patrio- 
tisme. Quelques  religieux,  ennemis  des  Jésuites,  —  il  vaut 
mieux  ne  pas  les  nommer  —  ont  eu  le  triste  courage 
d'écrire  et  d'imprimer  le  contraire.  Plus  juste,  le  succes- 
seur de  M.  de  Frontenac,  M.  de  la  Barre,  écrivait  au 
ministre,  à  Paris,  après  le  terrible  accident  qui  renversa, 
en  1683,  la  chapelle  de  Saint-François-Xavier-du-Saut, 
Vun  des  plus  Jolis  édifices  qui  fui  autour  de  Montréal  '^  : 
«  Les  Pères  Jésuites,  qui  ont  acquis  au  Roi,  dans  la  mis- 
sion du  Saut-Saint-Louis  joignant  la  Prairie  de  la  Made- 
leine, deux  cents  bons  soldats  Iroquois,  y  ont  souffert  un 
grave  accident...  Une  charité  de  Sa  Majesté  serait  bien 
appliquée  à  la  réparation  de  l'Eglise  ;  et  le  maintien  de 
cette  mission  est  d'une  grande  importance  -K  »  De  son 
côté,  l'intendant  Duchesneau  avait  dit  dans  une  lettre  au 
même  ministre  :  «  Dans  la  mission  de  la  Montagne  de 
Montréal,  gouvernée  par  les  MM.  du  séminaire  de  Saint- 
Sulpice,  et  dans  celle  du  Sault  de  la  Prairie  de  la  Made- 
leine, qui  en  est  proche,  dans  celles  de  Silleryet  de  Lorette, 
qui  sont  aux  environs  de  Québec,  toutes  trois  dirigées  par 
les  Jésuites,  on  élève  les  jeunes  gens  à  la  Française, 
excepté  pour  leurs  vivres  et  leurs  habits,  qu'il  est  néces- 
saire de  leur  faire  retenir,  afin  qu'ils  ne  soient  pas  délicats, 

1.  Lettres  inédites,  t.  II,  p.  225. 

2.  Lettre  de  Mgr  de  Saint-Vallier,  p.  61. 

3.  Lettre  au  ministre,  1683. 


—  425  — 

qu'ils  se  trouvent  pkis  dispos  et  moins  embarrassés  pour 
la  chasse,  qui  fait  leur  richesse  et  la  nôtre.  On  j  a  com- 
mencé à  montrer  aux  jeunes  gens  à  lire  et  à  écrire...  On  ne 
peut  trop  favoriser  ces  missions  et  donner  créance  parmi 
les  sauvag-es  aux  MM.  de  Saint-Sulpice  et  aux 
PP.  Jésuites  ;  d'autant  que  non  seulement  ces  missions 
mettent  le  pavs  en  sûreté  et  y  apportent  des  pelleteries, 
mais  elles  glorifient  extrêmement  Dieu  et  le  Roi  comme 
fils  aîné  de  l'Eglise,  par  le  grand  noml^re  de  bons  chrétiens 
qui  s'y  forment  K  » 

D'après  ces  deux  mémoires  et  ce  que  nous  avons  dit  de 
la  vie  chrétienne  des  sauvages  du  Saut-Saint-Louis,  on 
peut  se  faire  une  idée  très  exacte  de  cette  mission  de  Saint- 
François-Xavier.  A  côté  de  la  prière,  le  travail  aux 
champs,  la  chasse  et  la  pèche.  Le  sauvage  se  nourrit  et 
s'habille  à  sa  manière  ;  les  enfants  apprennent  à  lire  et  à 
écrire  ;  tous  sont  élevés  dans  le  respect  et  l'amour  de  la 
France,  il  se  préparent  à  défendre  la  Colonie,  à  en  être  les 
hons  soldats'-. 

Ces  résultats  avaient  certainement  dépassé  les  prévisions 
et  les  espérances  des  missionnaires  Iroquois.  Quand  ils  se 
décidèrent  à  éloigner  de  leur  pays  les  catéchumènes  et 
les  néophytes  de  bonne  volonté  et  à  les  réunir  à  la  Prairie 
de  la  Madeleine,  ils  ne  pensaient  pas  que  cette  mission 
serait  un  jour  la  plus  pure  gloire  de  l'Eglise  du  Canada. 
Pour  eux,  fidèles  au  poste  que  la  Providence  leur  avait 
confié,   ils  continuèrent  à  évangéliser  les  cinq  cantons  au 


1,  Mémoire  de  M,  Duchesneau  au  ministre,  1681. 

2.  Le  29  avril  1680,  Louis  XIV  écrivait  à  M.  de  Frontenac  :  «  J'ai 
accordé  aux  PP.  Jésuites  la  concession  qu'ils  m'ont  demandée  au 
lieu  appelé  le  Sault.  joignant  la  prairie  de  la  Madeleine  pour  rétablis- 
sement des  sauvages,  et  j'ai  ajouté  à  ce  don  les  conditions  qu'ils 
m'ont    demandez,    parce    que   j'estime    que    cet    établissement    est 


—  i2()  — 

prix  des  plus  rudes  sacrifices,  mais  heureux  d'avoir  placé 
pour  boulevard  devant  la  Colonie  française,  un  village 
d'Iroquois  chrétiens  ^ 

advantageux,  non  seulement  pour  les  convertir  et  maintenir  dans 
la  religion  chrestienne,  mais  mesme  pour  les  accoutumer  aux 
mœurs  et  façons  de  vivre  françaises.  »  {Collection  de  manuscrits^ 
t.  I,  p.  274. 

1.  Nous  lisons  dans  la  lettre  de  Mgr  de  Vallier,  p,  Q'.i  :  «  Du 
temps  que  M.  de  la  Barre  était  gouverneur  du  Canada,  les  sauvages 
du  Sault-Saint-Louis  lui  offrirent  cent  cinquante  de  leurs  meilleurs 
hommes  pour  marcher  quand  il  lui  plairait  avec  les  troupes  françaises, 
contre  leur  propre  nation,  si  elle  rompait  la  paix  avec  la  France.  On 
a  vu  en  1687  que  cette  proposition  n'était  pas  une  pure  honnêteté, 
ni  un  compliment  fait  en  Tair  ;  ils  se  sont  joints  au  corps  d'armée  de 
M.  le  Marquis  de  Denonville  pour  aller  attaquer  leurs  compatriotes 
jusque  dans  le  cœur  de  leur  pays,  et  ils  ont  donné  par  leur  conduite 
un  témoignage  certain  de  la  fidélité  et  de  l'attachement  qu'ils  ont 
pour  leur  religion  et  pour  leurs  alliés.  » 


PIECES   JUSTIFICATIVES 


DU 


TOME    SECOND 


PIECES    JUSTIFICATIVES 

DU    TOME    SECOND 


LllîER  XIII    PARTIS    VI    HISTORIEE    SOCIETATIS    JESU 
ReS   GEST.i:  PER    SOCIETATEM   JeSU    IN    AmERIC.E    SePTENTRIONALIS 

PAiiTE,  QU.E  Canada  seu  nova  Francia  dicitur,  a  p.  Josepho 

JUVANCIO. 

N.  B.  Ce  manuscrit  du  P.  Jouvancy  est  conservé  aux  Archives 
générales  de  la  Compagnie  de  Jésus  ;  un  second  exemplaire  se 
trouve  à  la  Bibliothèque  de  Munich. 

Voici  comment  le  P.  Jouvancy  raconte  la  captivité  du 
P.  Jogues,  d'après  la  correspondance  autographe  du  martyr  : 
in  SUD  autographo,  iindc  hœc  omnia  singillatim  descripsimus. 
(V.  p.  434.) 

Iroquœi  faciunt  iuipetum  in  fines  Huronuni.  —  Cum  res 
Christiana  pulcherrime  sic  staret,  Iroquœorum  crudelitas 
omnia  lacrymis  et  luctu  miscuit.  Regio  illorum  infra  Kebe- 
ccum  sedet  ad  meridiera  et  occasum.  Veteres  gerebant  ini- 
micitias  cum  Huronibus,  recentiores  cum  Gallis,  tum  odio  nomi- 
nis  christiani,  tum  potentiœ  metu.  Excurrebant  identidem  è  suis 
fmibus  in  Huronum  fines,  imo  in  vicinos  Kebecci  pagos  et  flam- 
mis  ferroque  quidquid  occurrebat,  vastabant.  Immanitatem  ferae 
nationis  experta  primum  est  societas  anno  MDCXLII.  P.  Isaa- 
cus  Jogues  Kebecco  profecturus  erat  ad  Hurones,  ad  tertium 
nonas  sextiles,  cum  Gallis  quinque  ac  pluribus  barbaris.  Altéra 

1.    Voir  plus  haut,  p.  33. 


—  430  — 

die,  quam  conscenderant  naviculas,  sub  ipsam  auroram  huinana 
vestigia  conspiciunt  impressa  in  littore.  Huronum  dux,  vir  forlis 
-et  christianus,  consideratis  vestigiis,  non  sunt,  inquit,  plures 
duodecim  hostibus,  si  hostium  h;ec  vestigia  sunt  ;  pergamus,  ac 
si  res  ferat,  pugnemus.  Iroquœi  parlim  substiterant  in  insidiis, 
partira  in  adversa  latebant  ripa,  bellatores  septuaginta,  armis 
instructi,  quae  illis  Angeli  et  Batavi  subministrant,  non  enim 
abest  longé  ab  Iroquœis  Virginia,  et  nova  Hollandia.  Postquam 
Hurones  processere  ad  insidiarum  locum,  erumpit  bostis,  et  fer- 
reas  fistulas  in  imparatos  dis|)b)dit.  Procurrunt  eodem  tempore 
qui  latebant  in  ultiore  ripa  et  Huronum  naviculas  igneis  glandi- 
bus  pertundunt  perfringuntque.  Hurones,  quorum  numerus 
multo  inferior,  plerique  inermes,  cedere,  relictisque  naviculis  in 
Ticinum  nemus  |)rcTci|)iti  fuga  tendere.  Pauci  restiterunt  duce 
Renato  quodam  Goupilio,  Gallo,  qui  turpem  existimans  fugam, 
tamdiu  vim  inimicam  sustinuit  dum  oppresus  numéro  et  circum- 
ventus  est.  Ilostis  elapsos  in  sylvam  Hurones  |>ersecutus  retraxit 
plurimos   è  fuga. 

P.  Isaacus  Jo<^nes  fu^am  facùe/n  omiltil  ne  Christianos  deserat. 
—  Poterat  P.  Isaacus  caplare  latebras  et  hostem  ancipiti  prœlio 
distractum  eludere.  Ceteris   fugientibus  constitit  in  ipso    pugna^ 
loco  et  ab  Iroquœis,  dum  fugaces  persequuntur,  quasi   prœter- 
missus  et  ignoratus  addubitavit  aliquandiu  quid  consilii  caperet. 
Demum  apud  se  staluit  christianos  ab  hoste  captos,   ac  prœser- 
tim  Goupilium,  qui  deducendum  ipsum  ad  Hurones  susceperat, 
non  deserere.  Igitur  ultro  se  barbaris  obtulit  ejusdem  cum  cete- 
ris captivis  fortunœ  socium.  Miratus  Iroquœus,  cui  tradita  capti- 
vorum  custodia  tara  insolentem  in  tanto  periculo  fiduciam,  cunc- 
tari  primo,  demum  postulantem  ceteris  addere.  Statim  Dei  famu- 
lus   id  cœpit  aggredi  cujus  causa   potissimura    remanserat.    Ex 
Huronibus  in  hostium  manus   delapsis  aliqui  catechumeni  dum- 
taxat  erant  :  eos  continuo  sacra  respersit  unda,  et  idoneis  moni- 
tis  instruxit.   Delectavit  illum  neophytorum  egregia  fortitudo  ad 
omnes     cruciatus     excipiendos     paratissima     :     sed     incredibili 
dolore,  ac  etiam  gaudio  affecit  duorum  è  caro  et  infelici  agmine 
conspectus,    qui    cum    evadere   potuissent,    redibant    tamen    ut 
ei  vel   opem   aliquam  ferrent,  vel  cum  ipso  saltem  morerentur. 
Alter,  dux  ille  Huronum  erat  ;  qui  parum  adversus  insidias  eau- 


—  431  — 

tus,  auctor  extiterat  pergendi  porro  et  pugnandi;  Eustacbius 
Ahatsistarius  illi  noraen.  Alter,  juvenis  Gallus,  Guiîlelinus  Gos- 
tin\Tus.  Et  Eustachius  quidem,  re  non  segniter  contra  Iroquœos 
initio  gesta,  ubi  nullam  victoriœ  spem  esse  vidit,  pedibus  salu- 
tem  qua^siverat,  jam  insequentes  longe  fuerat  pi\Tgressus,  quse 
pernicitas  Huronum  est,  cum  P.  Isaaci  mernoria  subiit.  Repres- 
sit  gradum,  vestigia  citius  relegit,  et  in  ejus  amplexurn  ruens  : 
sanctè,  inquit,  promiserani  til)i,  mi  frater,  futurum  ut  quae- 
cumque  tua  sors  foret,  mea  pariter  esset;  en  adsum  ut  promissi 
fidem  exsolvam,  victurus  tecuni,  aut  tecum  certè  moriturus. 

Accessit  post  paulo  Gosturœus.  ^Etate  viribusque  pollens,  nec 
mililirc  rudis,  irruenles  barbaros  non  sustinuerat  modo,  verum 
eliain  repulerat,  caeso  ex  eorurn  ducibus  fortissimo,  cujus  nece 
dum  atloniti  trépidant,  conjecerat  se  in  densum  nemus.  Jam  eva- 
serat,  cum  al)esse  P.  Isaacum  respexit.  Ubi  te  reliqui,  mi  pater, 
exclamât!  Rursus  perplexum  iter  sylv.x-  revolvens,  ad  amicum  et 
hostes  properat.  Audit  incondilos  clamores,  et  insanos  ovantium 
ululatus;  nec  diu  moratus,  Patrem  videt  constrictum  cum  reliquo 
captivorum  agmine.  Ruit  in  medios,  et  ejus  genibus  advolvitur. 
At  barbari,  ut  juvenem  consj^exerunt,  ira  et  furore  iosluantes, 
ob  ducem  suum  ab  eo  interfectum,  invadunt  catervatim,  spoliant, 
et  arreptis  manibus  ungues  mordicus  avellunt,  digitosque  com- 
minuunt.  Unus  etiam  manum  uiediam  adacto  gladii  mucrone  per- 
foravit.  Non  potuit  continere  se  Isaacus  quin  egregium  juvenem 
amplexaretur,  et  ad  patientiam  apposila  oratione  accenderet  : 
Cbristiana  bumanitas  inhumana  peclora  efferavit,  et  velut  indi- 
gnati,  quod  quisquam  inter  tam  immanes  feras  homo  esset,  fusti- 
bus  et  j)ugnis  pium  sacerdotem  ab  amico  divulsum  affligunt  humi, 
infigunt  crudos  dentés  digitis,  ungues  radicitus  exstirpant, 
digitos  ipsos  rabidis  morsibus  plerosque  commolunt. 

In  regionein  Iroquœoruni  deducïtur  cum  ali'is  captwis  ac  dire 
torquetur.  —  Hoc  feralis  tragœdiaî  praeludium  quoddam  fuit.  In 
patriamreversuri  praedam  ac  spolia  inter  se  dividunt.  Ejus  prœci- 
pua  pars  erat  supellex  sacra,  et  instrumentura  sacelli,  quod  Isaa- 
cus ad  Hurones  Kebecco  deferebat,  quodque  non  sine  lacrymis 
diripi  a  sceleratis  praedonibus,  et  indignum  in  modum  attrectari 
cernebat.  Imponuntur  deinde  in  naviculas  captivi  viginti  duo, 
ceteris  aut  elapsis  fuga,  aut  in  pugna  cœsis.  Jussus   cum  aliis 


—  432  — 

cymbam  conscendere  senex  quidem  octogenarius  :  Quo  tandem, 
inquit,  pergam,  homo  id  a^tatis  ?  Gonfîcite  hic,  si  lubet,  potius 
capularem  senem.  Milii  quidem  certiim  est  bine  pedem  non 
movere.  Cum  perstaret  in  sententia,  eo  ij^so  loco  trucidatus  est, 
ubi  paulo  antenovam  in  Cbristo  vitam  per  ])aptismum  accej)erat, 
Geteri  grave  et  molestum  unius^mensis  iter  ingressi  sunt.  Ad 
sestiim,  famem,  verborum  conlumeb'as  accedebat  acerrimiis  dolo- 
ris  sensus  è  viihieribiis,  et  eorum  putri  sanie,  nulla  curatione 
adhibila.  Sed  nibil  indignius  P.  Isaaco,  ut  ipse  narrât,  videbatur, 
quam  quod  Iroquœi  per  jocum  et  lidibrium  vellerent  sedate  ac 
minutatim  capillos  barbamque  miserorum  :  et  ungues  acutos 
(nam  instar  subuhirum  pra^longos  et  rigides  habent)  in  mollissi- 
mis  qiiil>usque  partibus  corporis  detîgerent. 

Octavo,  quam  navigare  creperant,  die,  facta  est  in  lerram 
excensio  Barbari  correptis  è  vicina  sylva  fustibus,  descendentes 
è  cymbis  captivos  exceperunt,  et  ileratis  ictibus  ad  vicinuni 
usque  coliem  prosecuti  sunt.  Cbiudebat  agmen  P.  Isaacus,  quem 
in  honore  prœcipuo  apudChristianos  esse  intellexerant.  Eum  vero 
tanta  immanitate  ceciderunt,  ])ra'sertim  in  anlerioribus  crurum 
ossibus,  et  in  ipso  vultn,  ut  semianimis  corruerit.  Instare  illi  ta- 
men  nihilo  secius,  ictusque  ingeminare,  donec  crudeli  miseri- 
cordia,  veriti  ne,  si  pergerent,  in  ipso  vesligio  periret,  ferire 
destiterunt,  ac  suo  in  sanguine  natantem  ij^simet  in  coliem 
deportarunt.  Ibi  theatridium  quoddam  è  comportatis  corticil)us 
exstruxerant,  in  quo  propositi  captivi  tortique  spectantium  cru- 
deles  oculos  facilius  pascerent.  In  P.  Isaacum  priraus  furentium 
impetus  incubuit.  Digitorum  qui  superfuerant  è  priore  carnifi- 
cina,  unum  exurunt,  alium  crebro  morsu  convellunt,  conte- 
runtque;  alium,  ossibus  divulsis,  adhuc  haerentem  protrahunt, 
intortis  ruptisque  incredibili  dolore  nervis,  quorum  ingens 
numerus  in  manu  et  sensus  accerrimus.  Quidquod  ingenio  barba- 
rie crudelitatis,  non  adbibebant  cultros  et  ferrum,  sed  conchylii 
cujusdam,  quo  abundant,  testulam.  Ea  non  incidebat  nervo;-,  sed 
tanquam  serra  desecabat.  Hinc  multis  manus  et  brachia  fœde 
intumuerunt.  Accessit  qui  nares  abscinderet  :  sed  eum  semel 
iteruraque  hoc  tentantem  occulta  quaedam  vis  repressit.  Eodem 
ferè  modo  ssevitum  in  ceteros.  Atrocius  in  Eustacliium  Ahatsis- 
tarium,  cui  post  comesos  digitos,   acutum  bacillum  inseruerunt 


—  433  — 

in  carpum  sinistrae  manus,  et  ad  cubitum  usque  paulatim  quasi 
terebrando  adegerunt  :  quam  lanienam  vir  fortis  œque  ac  plus 
insigni  mentis  excelsitate  pertulit. 

Haec  in  limine  regionis,  velut  ad  spécimen,  gesta.  Quartode- 
cimo  Kalendas  septembres,  qui  dies  sacram  Virgini  in  coelum 
Assumptœ  lucem  praecedit,  ventum  est  in  primum  Iroquieorum 
pagum.  Praestolabatur  miserabilem  catervam  armata  fustibus, 
spinis,  aculeis  et  virgis  è  ferro  ductuli  confectis  juventus,  longo 
ordine  hinc  inde  disposita.  Jussi  captivi  lento  gradu  nudi  proce- 
dere  per  medios  ut  ictuum  grandinem,  et  plaudentium  ludibria 
per  otium  ad  satietatem  exciperent.  Fuit  qui  globulum  ferreum 
magnitutidine  pugni,  e  fune  suspensum  tam  valide  médias  in 
scapulas  impegerit  P.  Isaaco,  ut  propemodum  ad  terram  conci- 
derit,  et  obducto  postea  vulnere  dolor  extingui  nunquam  potue- 
rit.  Tandem  in  ferale  pegma  et  crudelitatis  theatrum  omnes  pro- 
<lucti  fustibus  iterum  accipiuntur.  Subeunt  delecti  carnifices  cum 
cultris  et  corporum  extremas  [)artes,  torosae  carnis  ac  pulpam 
(nondum  enim  necare  statuerant,  sed  cruciare  tantum)  temerè 
pro  cujusque  libidine,  incidunt,  lancinant,  fodicant.  Relicti  eranl 
P.  Isaaco  duo  ungues.  Illos  ut  facilius  evellerent,  carnem  ungui- 
bus  subjectam  ad  ipsa  usque  articulorum  ossa  radicitus  erue- 
runt.  In  ejusdem  caput  sese  vesana  caedentium  rabies  violen- 
tius  effudit.  Oderunt  enim  tonsum  verticem  et  curtos  crines. 

Barbares  quatuor  casu  oblatos  baptizat.  —  Postridie,  ipso 
die  sacro  Assumptaî  in  cœlum  Deiparae,  pertrahuntur  ad 
vicinum  pagum.  Erat  sol  calidissimus.  Recruduerunt  aeslu 
liventes  plagœ,  cutisque  brachiorum,  colli,  et  tergi  arefacta 
dissiluit.  Dies  duos,  ac  totidem  noctes  in  hoc  pago  impasti  man- 
serunt.  Mutatum  genus  carnilicum,  aucta  carnificina.  Vinctis  post 
terga  manibus  pueris  puellisque  dediti  sunt,  quorum  quanto  vis 
infirmior,  tanto  petulantior  protervia,  tanto  crudelitas  molestior. 
Turba  procax  abstinere  ferro  duntaxat  jussa,  ne  vitam  eriperet, 
quam  in  novos  usque  cruciatus  sufficere  cupiebant,  certatim  in 
affecta  et  lacerala  membra  prunas  et  calentem  favillam  conjecit, 
eo  molestiori  supplicio  quod  per  vincula  quibus  captivi  coerce- 
Lantur,  non  licebat  aut  declinatione  corporis,  aut  manu  grandi- 
nem igneam  depellere.  Ad  hos  ardores  accedebat  alter  intestinus 
a  famé  et  siti,  quœ  stomachum  crudeli  depascebant  incendio. 
Jés.  et  Noui>.-Fr.  —  T.  IL  28 


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Pergendiim  nihilominus  fuit  ad  tertium  pagum.  Ibiobjectaesunt 
famelicis  aliquot  spicse  Indici  frumenti  :  levé  solatium  tam  diu- 
turnae  inediae.  Alio  sanctiore  cibo  famem  Apostolicam,  qiige  ani- 
marum  salute  pascitur,  explevit  P.  Isaacus.  In  eundem  pagum 
adducti  sunt  eo  ipso  tempore  Hurones  aliunde  quatuor,  pariter 
captivi.  Nactus  locum  duos  ex  illis  alloquendi,  Deum  Ghristumque 
miseris,  ad  audiendum  ipsa  calamitate  prœparatis  insinuât.  Offe- 
rebant  baptisnio  caput.  Aquam  arcessere  promptum  non  erat. 
Haec  Divinîc  providentiae  beneficio  reperta  comraodum  est,  in 
foliis  grandioribus  spicœ  indici  tritici  relicta  ex  rore  matutino. 
Ad  alios  duos  applicuit  sese  cum  in  proximum  pagum  turba  cap- 
tivorum  simul  ageretur,  et  quantum  loci  temporisque  ratio  fere- 
bat,  institutos  hausta  raptim  lympha  è  prtetereunte  fluviolo,  bap- 
tizavit.  En  cur  verus  Ignatii  alumnus  ultro  se  in  captivorum 
agmen  conjecerat.  Satis  gnarus  animas  quas  servaret,  quas  ju- 
varet,  minime  defuturas. 

Gontinuo  recepit  mercedem  Evangelica;  cariiatis.  Indignatî 
barbari  quod  cai)ti\os  aqua  salutari  respersisset,  médium  corri- 
piunt,  colligant  arctissimè,  ac  sublimem  pendulumque  librant. 
Dolore  victus  ut  fatetur  ij^se  in  suo  autographo,  unde  haec 
omnia  singillatim  descripsimus,  paulum  ingemuit,  rogavitque 
barbaros  ut  vincula  parumper  laxarent.  Quo  rogabat  magis,  ed 
magis  astringebant.  Itaque  cogitationem  et  preces  ad  Christuro 
in  cruce  pendentem  reflexit  et  exemplum  de  se  ipso  sumens 
intellexit  quantos  dolores  pertulissel  servator  amantissimus, 
quando  non  lineis  funibus,  sed  clavis  ferreis  constrictus  pende- 
bat,  mole  corporis  tota  è  confixis  manibus  suspensa,  aut  in 
pedes  pariter  terro  crudeli  trajectos  incumbente.  Ceterum  post 
quartam  circiter  horse  partem  Dei  famulum  cœpit  anima  deficere. 
Laxata  sunt  vincula  ne  citius  moreretur,  utque  integram  ad  len- 
tos  ignés  vitam  afferret,  quibus  demum  captivi  omnes  septimo^ 
quam  fuerant  comprehensi  die,  damnati  sunt.  Deo  aliter  visum,, 
cujus  in  manu  mortalium  corda  et  fata. 

Gratias  ingentes  agebat  superis  agmen  miserabile,  cui  conces- 
sum  erat  denique  semel  mori,  cum  Iroquœos  incessit  metus  ne,. 
si  P.  Isaacum  et  Hurones  omnes  trucidarent,  grave  bellum  et 
inexpiabiles  iniraicitias    susciperent   adversus    Gallos,    quorum 


—  435  — 

fortitudinem  et  arma  non  ita  pridem  quidam  ex  ipsis  pulst 
cœsique  senserant.  Re  in  deliherationem  vocala  decretum  ut  Gal- 
lis  parceretur  :  ex  Huronibus  très  delecli,  qui  lentis  ignibusabsu- 
merentur,  ceteris  usura  vita^  concessa,  j^arati  confestim  Huroni- 
bus rogi.  Discedentes  consolatus  novissimis  verbis  sacerdos- 
illud  è  Paulo  Aposlolo  sœpius  inculcavit  :  Recogitate  euin  qui 
talem  siistinidl  a  pcccatorlbus  adversiim  semetipsu/n  coiitradictio- 
nem.  Hebr.  C.  12.  Eustachio  Ahatsislario,  unie  tribus  infelicibus 
victimis,  absolutionem  peccatorum  nominatim  impertiit,  cum  eant 
ille  oculis  in  cœlum  ex  condiclo  sublatis  expeliisset. 

Fuerat  ille  P.  Isaaco  addictissimus,  quem  tanquam  suum  ira 
Christo  parentem  venerabatur,  et  quoties  ad  novum  aliquem  cru- 
ciatum  Pater  deposcebatur,  sive  ungues  avellendi,  sive  frustua- 
rium  excipiendum,  sive  quid  aliud  ejus  generis  pararetur,  aderat 
continuo  Eustachius,  rogabatque  toi-tores  immanissimos  ut 
omisso  sacerdole,  sa^virent  in  se  unum.  Peculiari  modo  vocatus 
ad  Fidem  miros  in  ea  |)rogressus  brevissimo  tempore  fecerat. 
Nondum  societatis  homines  pedem  in  Canadam  intulerant,  cum 
gravia  quœdam  |)ericula  reputans,  è  quibus  evaserat,  cogitare 
cœpit  non  suis  viribus,  aut  industria  sua,  partam  sibi  salutenv 
et  incolumitatem,  sed  ope  cujusdam  potentioris  Genii,  cujus  in 
manu  vila  mortalium  felicitasque  sita  esset.  Ubi  vero  disserentes 
de  Deo  rerum  omnium  |)rocreatore  ac  rectore  Patres  audivit,. 
omnino  sibi  persuasit  illum  ipsum  esse,  oui  accepta  referre 
omnia  deberet.  Hune  invocare,  illi  se  commendare,  ab  illo  quic- 
quid  aggrederetur  auspicari  vehemenlius  institit. 

Ac  sane  vix  credibile  est  quot  bellica  facinora,  quanta  felici- 
tate  ediderit.  Cum  ante  menses  paucos  ductaret  Hurones  nom 
plures  quinquaginta,  inciderat  in  Iroquœos  trecentos.  Fudit 
omnes  ac  fugavit.  .F]tate  proxima  superiori,  cum  lacum  ingen- 
tem  trajiceret,  qui  Hurones  ab  Iroquœis  dirimit,  conspexit  cym- 
bas  com plures  vulgaribus  majores  in  se  citatis  rerais  invehi. 
Trépidantes  socios  fugamque  circumspectantes  accendit  aJ 
pugnam,  et  in  hostes  recta  duxit.  Ipse  in  primam  qua?  occurrit 
cymbam  insiliens,  arrejjta  securi  caput  unius  diffmdit,  duos  prye- 
cipites  deturbat  in  flumen.  Mox  in  medios  ruens  hostes  promptis- 
simum  quemque  mactat,  tanto  ceterorum  terrore,  ut  cunctï 
fugam  arripuerint.  Victor  in  fluvium  se  demittit  ac  duos  illos  ;v 
se  in  profluentem  dejectos  capit  abducitque.  Ad  banc  fortitudi- 


—  436  — 

ïiis  bellicac  laudem  accedebant  aliae  multae,  ingenii,  hiimanitatis, 
liberalitatis,  prorsus  ut  nihil  desiderares  nisi  religionis  verae 
professionem.  Hanc  retardabat  quaedam  in  retinendis  patriae 
superstitionibus  pertinacia  :  Quam  exuere  conatus  operam  dili- 
^entiorem  erudlenti  sacerdoti  dédit  ac  demum  cœlesti  gratia 
uberius  infusa,  fidelium  cœtui  additus  est  pridie  Dominiez 
Resurrectionis.  Vix  menses  deinde  sex  in  vivis  superfuit,  qui- 
bus  omnes  christianae  perfectionis  numéros  videtur  explevisse, 
cumulumque  beneficiis  divinitus  acceptis,  heroica  multarum 
horarum  in  lentis  ignibus  patientia  féliciter  addidisse. 

Dum  illi  très  Hurones  deflagrant,  reliqui  cum  Gallis  abducun- 
tur  in  Iroquœoruin,  a  quibus  fuerant  capti,  pagum.  Mos  est  non 
Iroquœorura  modo  sed  finitimarum  longé  lateque  nationum;  ut 
■quorum  captivorum  vita;  parcitur,  ii  adscribantur  in  aliquam 
indigenarum  familiam,  ut  vicem  locumque  suppléant  alicujus  ex 
€adem  familia,  qui  aut  captus  fuerit  ab  hostibus,  aut  in  acie  ceci- 
derit.  Sic  jacturam  suorum  consolantur.  Porro  captivus  ita  cui- 
piam  familial  velut  insitus,  in  ejusdem  familiic  [)Otestate  ac 
îTjanu  est,  ac  durius  bumaniusve  habetur  prout  fert  eorum  qui- 
bus addicitur  natura  vel  voluntas.  Ad  hune  modum  distributi 
certas  in  familias  Galli  Huronesque  miseram  dominis  crudelibus 
«ervitutem  servire  cœperant,  cum  subito  illorum  vita  rursum  in 
discrimen  ingens  venit.  Montemagnius,  Canadœ  gubernator, 
moliebatur  arcem  ad  compescendos  Iroquœorum  impetus,  quam 
Richelœam  de  Gardinalis  Richelan  nomine  appellavit.  Illi  hoc 
veluti  frenum  indignati  concurrunt  ut  arcem  evertant.  Agmine 
tripartito  per  sylvas  et  noctem  invadunt  Gallos  instantes  operi. 
Jam  munimenta  prima  perruperant,  cum  dux  audacis  turmae, 
proceritate  corporis  et  capitis  ornatu,  quod  lato  praecinctum 
torque,  ex  lapillis  versicoloribus  confecto,  gerebat,  conspicuus 
glande  plumbea  exanimis  sternitur  :  duo  prœterea  proceres  csesi, 
plerique  vulneribus  debilitati.  Geteri  fuga  dilapsi,  et  accepta 
clade  ferociores  in  patriam  se  recipiunt.  Fremere  videlicet,  Gal- 
losque  ad  necem  deposcere  :  non  alias  justïus  inferias  mitti 
posse  manibus  suorum  ad  Richelaeam  arcem  interfectorum  :  nec 
amittendam  ulciscendae  injuriae  occasionera.  Hœc  vociférantes 
parant  rogos,  secures  expediunt,  diem  et  locum  exercendae  car- 
nificinaî  destinant. 


—  437  — 

Batavi  de  redimendis  captivis  agunt.  —  Hic  admirari  licuit 
mirifîcam  Divin;c  Providentiîe  vim  ad  suorum  famulorurn  salu- 
tem  excubantis.  Batavorum  fines  ab  isto  pago  distabanl  circiter 
bidui.  Manavit  ad  illos  fama  captos  ab  Iroquseis  Gallos  in  summo 
versari  periculo.  Legationem  adornant.  Reposcunt  Gallos,  pre- 
tiura  redimendis  idoneum  ofTerunt.  Enim  vero  magna  Iroquaeis 
injecta  dubitatio,  quia  fœdus  et  amicitiam  alere  cum  Batavis 
summopere  studebant.  Gogitur  concilium.  Scinduntur  animi 
studia  in  contraria.  Gallos  Batavis  donandos,  ne  accepto  quidem 
redemptionis  pretio,  multi  censent  :  alii  reducendos  Kebeccum  ; 
sic  ineundam  communiter  et  a  Batavis  et  a  Gallis  gratiam.  Alir 
ferociores  supplicium  de  captivis  sumendum  contendunt,  id  per- 
tinere  ad  nationis  gloriam,  et  ad  sarciendam  nuper  acceptara 
cladem  omnino  necessarium  :  Batavos  facile  placatum  iri.  Vicit 
hccc  sententia,  quia  plurium,  et  pejorum.  Ergo  ut  Batavis  ut- 
cumque  satisfacerent,  renunciant  inclinare  multorum  sententiam 
ut  Galli  remittantur  ad  suos,  nihil  esse  quod  Batavi  sint  de  illis 
soliciti,  Kebeccum  propediem  reducendis.  Nihil  volebant  aliud 
Batavi.  Quamobrem  legatione  functi  discessere.  Soluli  metu  Iro- 
quœi  Gallos  sic  paulatim  è  medio  tollere  constituunt  ut  quam  mi- 
nino  tumultu  res  ageretur.  Ita  necem  illorum  in  casum  aut  priva- 
tas  aliquorum  inimicitias  facile  conjiciendam,  nulla  publica  invi- 
dia. 

Non  longam  interposuere  moram,  quin  deliberata  perficerent. 
Redibat  sub  vesperam  in  pagum  P.  Isaacus  Jogues  cum  Renato 
Goupilio,  et  coronam  B.  Virginis  alternis  recitabant,  cum  barba- 
ros  adventare  duos  vident.  Eorum  unus  ad  Goupilium  accedens 
securim,  quam  veste  abditam  gerebat,  in  ejus  caput  impetu 
tanto  librat,  ut  semianimem  ac  sacra  JESV  et  MARLE  nomina 
ingeminantem  dejecerit.  Illico  procumbit  in  genua  P.  Isaacus,  et 
nudum  sicariis  caput  oflert.  Verum  jubetur  surgere  ac  metu  par- 
cere,  quia,  inquiunt,  alteri  familife  mancipatus  es,  a  qua  nullum 
interficiendi  lui  mandatum  habemus.  Surgit,  et  ad  amicum  suo 
sanguine  innatanlem  accurrens  ei  peccatorum  absolutionem  novis- 
simam  impertit  adhuc  palj)itanti.  Quo  animadverso  percussores 
geminato  ictu,  jacentem  confecerunt.  (3  Kal.  octoh.  16^2.)  —  Vir 
erat  candidissimis  moribus,  pielate  in  Deum,  humanitate  in 
omnes,  patientia  in  adversis  rébus,  singulari.  Artem  curandorum 
vulnerum    egregiè    callebat,    quam    chirurgieen    vulgo    vocant. 


—  438  — 

Totum  se  nostris  regendum  permiserat,  operamque  suam  juvan- 
dis  iieophylis,  interposita  voti  religione,  dicaverat.  Causa  necis 
ipsi  allatae  hccc  prx  ceteris  proditur.  Sanclœ  crucis  signum 
manu  duxerat  in  pueri  fronte.  Id  observans  senex  cujus  in  tugu- 
trio  et  potestate  versabatur,  maleficium  credidit,  ac  nepoti  suo 
pi\Tcepit,  ut  Galkim  bunc  interimcret.  Magura  plerique  suspica- 
bantur,  et  venificum,  propter  orandi  consuetudinein.  Annum 
quintum  et  trigesimum  decurrebat. 

jEruniKse  P.  Isaaci  inter  barbaros.  —  P.  Isaacus  in  suura 
ireductus  pagum  servitutem  iis  aliquandiu  servire  perrexit  quibus 
•addictus  erat.  Eos  in  sylvas  cogebatur  sequi  per  altas  nives  et 
^icerrima  frigora  seminudus,  curn  venationi  darent  operam.  Ibi 
.narrât  parum  abfuisse  quin  famé  confectus  interiret.  Non  deerant 
plerumque  carnes,  sed  eas  attingere  sibi  nefas  duxit,  qui  erant 
rdaemoni  libataR.  Nam  quoties  ad  sumendum  cibum  accingebant 
sese,  prodibatin  médium  nescio  quis,  etpartem  carnium  lautissi- 
imam  quamque  decerpens,  eum,  qui  toto  in  cœtu  maxime  longae- 
vus,  orabat,  ut  bene  cibis  precaretur  :  En,  Aïteskui  (hoc  illorum 
ïiumen  erat)  bas  tibi  carnes  ofTerimus,  rogamusque  signifiées 
nobis  quo  degant  in  loco  cervi,  eosque  agas  in  noslra  retia. 
Deterritus  liac  impia  consecralione  P.  Isaacus,  decrevit  emori 
jpotius  millies  quam  profana  degustare  fercula.  Radicibus  arbo- 
rumque  baccis  aegrè  vitam  sustentavit.  Inde  aliud  etiam  accessit 
incommodi,  quod  banc  abstinentiam  interprétantes  numinis  sui 
•contemptum  et  contumeliam,  atrocissimum  odium  in  veri  Dei 
famulum  conceperunt,  et  si  qua  in  eum  adhibuerant  hactenus 
.humanitatis  officia,  penitus  denegarunt. 

Neque  par  tôt  œrumnis  potuisset  esse,  nisi  Deus  famulo  suo 
^iam  et  misericordem  viduam,  ut  quondam  ])rophetîc,  paravisset. 
Obierat  femina?  in  |)ago  primariae  filius.  Hœc  ut  consolaretur 
•dolorem  suum ,  P.  Isaacum  in  Filium  adoptavit,  in  eumque 
imaternam  deinceps  benevolentiam  et  curam  induit.  Ejus  ope  ac 
studio  valetudinem  paulum  recuperavit,  eumque  suppeterent  non 
analigne  ad  victum  necessaria,  totum  se  contuHt  ad  perdiscen- 
'dam  gentis  linguam,  magna  s|)e  ingentis  cujusdam  fructus  ad 
-salutem  animarum.  Quippe  in  hoc  tugurio  non  modo  illius  pagi, 
:sed  etiam  totius  regionis  concilia  habebantur.  Cum  primum  bal- 


—  i:i9  — 

butire  poluit,  capita  Fidei  cœpit  ingerere  confluentibus  ad  con- 
cilium  primoribus.  Ac  vicissim  illi  mulla  cupide  sciscitari,  quanta 
esset  inagnitudo  solis,  unde  macula?  quas  in  Lunae  quasi  facie 
cernimus,  terrœ  arabitus  quam  late  pateat,  cur  mare  statis  inter- 
vallis  accedebat  recedatve,  aliaque  generis  ejusdem.  Quibus  cum 
prœclarè  satisfaceret,  odium  sensim  amore  ac  veneratione  muta- 
bant.  Sed  bis  ille  non  contentus,  rudes  animos  a  rébus  creatis  ad 
procrealorem  paulatim  traducebat  :  ab  eo  mundum  conditum  et 
redemptum  :  mortales  eidem  in  coelis  fruendo  natos,  viam  ad 
banc  felicitatem  consequendam  non  esse  aliam,  atque  verum 
numinis  unius  veri  sempiternique  cultum.  Illum,  queni  nomine 
Aïteskui  colerant,  spiritum  esse  nequam,  rebelle  Dei  mancipium, 
hostem  generis  humani.  Perculsi  rerum  admirabilitate  obstupes- 
cebant  :  nec  pauci,  prœter  infantes  plurimos,  morbo  ingruente 
sunt  baptizati.  Jam  P,  Isaacus  impune  pagos  omnes  circumcur- 
sabat,  patebant  illi  omnium  aures,  omnes  casa?.  Unam  dum  prœte- 
riret,  vocari  se  audivit.  Subit.  Jacebat  aeger  intus,  qui  simul 
atque  Patrem  conspexit,  quaesivit  num  se  nosset.  Neganti,  Ego 
ille  sum,  inquit,  qui  dum  captus  es  primum,  vincula  laxavi,  quae 
te  tam  arctè  stringebant.  Ego  vero,  subjecit  Pater,  et  gratiam 
habeo,  et  vincula,  si  vis,  tua,  meis  istis  longé  graviora,  solvam, 
teque  in  libertatem  filiorum  Dei  vindicabo.  Ingressus  in  hune 
modum  de  sacro  baptismate  loqui,  auditur  i)lacidè.  Quid  multa  ? 
Crédit  œger,  docetur  uberius  ;  regeneratus,  paulo  post  pie 
moritur. 

Ecce  autem  novum  periculum.  Iroquaeorum  manipulus  mili- 
tatum  abierat.  Spargitur  rumor  omnes  captos  ab  hostibus  aut 
necatos  esse.  Propinqui  ad  placandos  interfectorum  mânes,  P. 
Isaacum  neci  destinant.  Ac  trucidatus  re  ipsa  fuisset  eo  ipso  die, 
quo  Christus  Jésus  pro  humani  generis  sainte  piacularem  sese 
Patri  victimam  obtulit,  nisi  rumor  contrarius,  el  verior,  nullo 
tamen,  qui  deprehendi  potuerit,  auctore  certo  sparsus  moram 
crudelibus  consiliis  attulisset.  Adfuere  bellatores  lœti  et  inco- 
iumes,  cum  captivis  duobus  et  viginti.  Pagus  a  mœrore  ad  hila- 
ritatem  traductus,  sacerdos  periculo  et  metu  solutus  est.  Divinae 
Providentia?  nutu  ad  sempiternam  salutem  captivis  afferendam 
servatus  videbatur.  Viri  quinque  tantum  erant;  reliqui  septem- 
decim  pueri  vel  mulieres,  turba   imbellis  atque  innoxia.  Ac  ne 


—  440  — 

YÎri   quidem  ipsi  hostes   Iroquaîorum,  nullum  enim  belluiii  ante 
cum  iis  gesserant,  ab  illis  longé  disjuncti. 

Sex  captivos  janijam  roncremandos  haptizat.  —  Sermone 
ignoto  utebantur.  Hinc  difficultas  major  eos  erudiendi,  et  ad 
baptismum  addiicendi,  quo  curas  omnes  et  conatus  P.  Isaacus 
intendebat  Nec  multum  dabatur  spatii,  jam  enim  insontes  victi- 
mas  dirœ  neci  crudelitas  Iroquiea  et  ingluvies  addixerat.  Disci*u- 
ciabatur  sacerdos  animarum  sitiens,  quod  ab  a^terno  exitio  vin- 
dicare  miseros  non  posset,  sermonis  inscitia.  Gestu,  nutu, 
alloquitur,  addit  nutibus  varias  voces,  è  discrepantibus ,  quas 
norat,  lingiiis  depromptas.  Algonquinum  vocabulum,  quod  temere 
cum  aliis  jaciebat,  exceptum  est  ab  uno  è  captivis.  Respondet 
Algonquinicè.  Lœtus  majorem  in  niodum  Pater  ubi  eum  Algon- 
quinam  tenere  quoque  linguam  cognovit,  quam  ipse  callebat, 
usus  est  illo  interprète  ad  alios  erudiendos.  Capita  Fidei  praecipua 
volentibus  iradit,  ac  sanguine  Redemptoris  dealbatos  ad  acci- 
piendam  immortalitatis  stolam  eo  ipso  die  priuparat  quo  Christo 
reviviscenti  partam  de  morte  victoriam  Ecclesia  gratulatur. 

Per  ferias  sacra^  Pentecostes  alius  captivorum  globus  eumdem 
in  pagum  est  perductus.  Viri  statim  deduntur  neci,  neque  iis 
attenta  sacerdotis  experrecti  caritas  defuit.  Feminas  solebant  ad 
opéra  domestica  reservare,  nunquam  in  eas  hactenus  sa^vitum. 
Nescio  quid  causae  tune  incidit  cur  unam  flammis  devoverint. 
Portasse,  quod  ejusmodi  sacrificio  placandum  da^moneni  quispiam 
somniasset.  Sane  dum  vivam  videntemque  concremarent,  ut 
cuique  corporis  parti  faces  aut  candentia  ferramenta  imponebant, 
exclamabat  infaustus  prœco  :  Hanc  tibi  victimam  adolemus 
Aireskue;  Sis  bonus  o!  et  felix  tuis,  victoriamque  pugnantibus 
annue.  Ad  eam  per  medios  ignés  arrepsit  Isaacus,  nam  ut  antea 
ipsam  alloqueretur,  potestas  nulla  fuerat.  Semuista  calicem  aqua? 
frigidaî  petiit.  Pater  in  occasionem  imminens  scypbum  aqua^  dédit 
sitienti,  et  cum  baptismo  fontem  aqaœ  salicntis  in  K-itani  œternam. 

Ad  bunc  modum  egregius  sacerdos  in  ipsis  vinculis,  quibus 
jacebat  constrictus,  barbaros  donabat  libertate  filiorum  Dei, 
neque  ulkim  de  iis  bene  merendi  prœtermittebat  locum,  a  quibus 
sese  levi  momento,  si  cujus  libido  ita  tulisset,  aut  si  quod 
somnium  incidisset,  necandum  videbat.  Gravissimum  adiit  péri- 


—  441  — 

culum  exeunte  Julio  ejusdem  anni  MDGXLIII.  Parantibus  excur- 
sionem   in    Gallorura   fines    Iroquseis,    unus  ab    eo    litteras    ad 
Gallorum  Duceui   commendatitias  rogavit,  credo   ut  illis  fretus 
meliori  esset   conditione,   si    caperetur  in    acie;  vel   potius   ut 
aditum  ad  Gallos  nactus  aliquid  moliretur  doli  ac  sceleris.  Pater 
ita  commendavit  hominem,  ut  siraul  Gallos  de  hostium  insidiis 
et  consiliis  admoneret,  ne  perfidae  genti  facile  fidem  haberent,  et 
contra  vim  œque  ac  dolos  exubarent.  Iroquœi  litterarum  fiducia 
propius  ad  arcem  Richelœam  subeunt,  rati  se  tanquam  amicos  a 
Gallis  excipiendos.  Prœmittunt  istum  è  suo  agmine  cum  epistola 
cominendatitia  :  quœ  simul  atque  lecta  fuit,  datus  est  in  vincula 
tabellarius,  displosa  in   Iroqu:eos  rei   eventum   prœstolantes  in 
naviculis,  torraenta  bellica.  Diffugiunt  trepidi,  relicta  in  metu  ac 
fragore  navicula  cum  armorum  parte.  In  patriam  reversi  clamant 
se  a  sacerdote  proditos,  conscriptàs  ab  illo  in  perniciera  gentis 
litteras,  dedendum  neci  caput  inimicura ,  et  pœnas  scelerato  à 
sanguine  repetendas.  Nec  morse  quicquam  intercessisset,  si  tune 
adfuisset  in  pago,  ubi  degere  consueverat.  Paulo  ante  discesserat 
ad  stalionem  quamdam  Batavorum,  inde  transiturus  in  Iroquaeo- 
rum  quemdam  pagum,  ut  cremandis  aliquot  Huronibus   captivis 
baptismum,  si  qua  posset  via  conferret. 

Dum  ad  necem  conquiritur,  afflavit  rumor  Batavos,  de  quibus 
baud  ita  pridem  optimè  merili  erant  Galli;  quippe  vetuerant  ne 
Ilurones  in  eos,  ubicumque  occurrerent,  sévirent,  aut  in  ipsorum 
fînibus  aliquid  bostile  molirentur.  Memores  bujus  humanitatis 
Batavi  P.  Isaacum  faciunt  de  periculo,  quod  imminebat  illi,  cer- 
tiorem,  et  boitantur  ut  Iroquacis  quorum  in  coraitatu  erat,  elapsus, 
instructam  in  littore  proximo  navim  conscendat,  ac  vêla  in 
Galliam  (nam  eô  solvebat  navis)  faciat.  Stationis  Batavica?  pra3- 
fectus  ipsi  obligat  fidem  suam  fore  ut  eum  Rupellam  aut  Burdi- 
galam  tutô  deportandum  curet.  Pater  noctem  ad  deliberandum 
petiit,  stupente  prœfecto  dubitare  iUum  cunctarique  in  tanto 
discrimine.  Postridie  mane  ad  prœfectum  reversus,  quam  non 
extimescain  Iroqua^orum  ignés,  inquit,  intelligere  potuisti  vel  ex 
60  quod  in  deliberationem  vocandum  putaverim  num  occasione 
uterer,  quam  tua  mihi  humanitas  obtulit.  Sed  quoniam  ratio  lexque 
Divina  vetat  ne  nos  in  periculum  temere  conjiciamus,  neque  ulla 
in  barbares,  quorum  saluti  me  devovi,  redundare  utilitas  ex  mea 


_  442  — 

nece  potest  accipio  quod  ofFers,  navira  vestram  conscendain, 
YÎtamque  me  vobis  debere,  dum  vivam  profitebor.  Navigationis 
sumptus,  et  quicquid  mea  causa  erogabitur,  persolvam  statim 
-atque  littus  Gallicum  altigero. 

Movit  ea  oratio  Praîfectum,  et  eos,  quos  in  consilium  adhi- 
buerat.  Spondent  omnes  si  navim  semel  conscendat,  tutum  et 
incolumem  fore.  Gonsederat  P.  Isaacus  cum  Iroquœis  aliquot, 
comitibus  et  custodibus  suis,  piscatum  profectis,  ad  fluvii  ripam 
prope  stationemhanc  Batavorum.  Dabo  operam,  inquit  praefectus 
Batavus,  ut  ad  ripam  pra^sto  sit  noctu  cymba,  quœ  te  dilapsum 
•excipiat.  His  ita  constitutis  noctem  cum  istis  piscatoribus  transe- 
_git  in  horreo  villas  Batavic»',  vigil  et  in  omnem  diffugiendi  occa- 
sionem  imminens.  Sopitis  omnibus  evadebat,  cum  soluti  villae 
canes  impetum  in  eum  faciunt.  Graviter  a  molosso  vulneratus 
recipit  se  trépidé  in  borreum,  seque  velut  ad  somnum  componit, 
sed  Iroquœi  latratibus  canum  excitati,  et  id  quod  erat  suspicati, 
muniunt  vectibus  ostium  seque  propius  illi  admovent,  ne  quâ 
•elabatur.  Desparabat  fugam,  seque  totum  Divinœ  Providentiae 
permittebat.  Appetente  luce  subiit  in  borreum  villicus,  quem 
ubi  videt,  leniter  assurgens  nutu  monet,  ut  contineat  canes,  sic 
-elapsus  et  haerentem  in  vado  molitus  a^grè  cymbam,  inde  ad 
navim  evadit.  Hic  magna  inter  nautas  orta  disceptatio.  Erant 
qui  negarent  accipiendum;  adfuturos  procul  dubio  Iroquaeos,  et 
•captivum  suum  repetituros  :  non  irritandam  esse  barbaram  gen- 
tem  et  fœderatam.  Alii  contra  clamitabant  indignum  facinus  si 
■dederelur  homo  innocens  immanissimorum  hostium  crudelitati, 
•qui  ad  Batavos,  tanquam  ad  asylum  perfugisset  :  datam  esse 
publicam  fidem,  nefas  ipsam  violari.  Altercantibus  visum  posse 
conciliari  sententias  ita,  si  abderetur  in  bitebras,  ut  oculos  ac 
•diligentiam  investigantium  Iroquaeorum  fugeret,  si  forte  accédè- 
rent ad  navim.  Id  ubi  stetit,  demittunt  ilium  in  imam  navigii  par- 
tem,  quo  sordes  omnes  confluunt,  et  ubi  mephitim  tetram  nulla 
sahibris  aura  discutit.  In  hoc  fundo  biduum  permansit,  loci 
fetore  propemodum  enectus  ut  singulis  horis  animam  acturus 
^ideretur. 

Batavi  vindicant  illuin  in  Uhertatem,  et  in  GaUiam  déportant. 
—  Intérim  adest  novus  hostis,  evangelii  Calviniani  praeco,  et 
4iaereseos  minister.  Nunciat  venisse  Iroquœos,  et  repetere  capti- 


—  4i3  — 

vum  quein  scirent  apud  Bâta  vos  abditum  :  ni  actutum  dedatur, 
minari  se  flammam  tectis  injecturos,  armentis  agrisque  stragem 
illaturos.  Imrnolandum  publicœ  rei  ac  necessitati  unum,  licet 
insontis,  caput.  Ita  videri  pTcefecto  Batavici  prîcsidii.  Réclamant 
mériter  nautœ  ;  nunquam  se  commissuros  profitentur  ut  eripiatur 
■sibi  qui  suain  in  fidem  se  contulerit.  Audiebat  hîec  Pater,  et  è 
suo  erumpens  cavo  illas  Jonje  voces  usurpavit,  si  propter  me  tem~ 
pestas  orta  est,  prnjicite  me  in  mare.  Mox  amplectens  ministri 
manum,  Duc,  ait,  quocumque  lubet,  sequor,  et  cuin  illo  ad  Bata- 
Yorum  stationem  recta  pergit.  [Die  30  Augusti  I6k3.]  Ut  illum 
aspexere  seminudum,  languentem,  aerumnis  confectum  et  famé, 
«ubiit  omnes  commiseratio  :  tum  etiam  admiratio  virtulis  et 
patientiae,  ac  Iranquillitatis  in  tanta  calamitate.  Primum  illud  curae 
fuit  ut  lateret.  Ejus  occullandi  cura  seni  avaro  data.  Ab  eo  dis- 
jectus  in  aj)othecam  seu  cavum  quendam,  in  quo  lixivia  fiebat, 
ibi  diebus  multis  baesit,  aridi  panis  frustulis  parce  datis  œgrè 
•victitans,  et  frigida  grave  olente,  quarn  senex  octavo  quoque  die 
in  vas  olidum  conjiciebat.  Hinc  efPerre  pedem  vetabaturne  veniret 
an  conspectum  Iroqu;eorum,  identideni  eô  commeantium,  abri- 
piendus  procul  dubio  et  lacerandus.  Jam  enim  de  latebris  inau- 
•dierant,  jam  illum  spe  devorabant,  et  minas  praefecto  Batavico, 
iitque  arma  intentabant.  Furentes  mulsit  ostentato  auro  ;  cui  nihil 
resistit  etiam  apud  barbares.  Goncertatum  aliquandiu  de  redemp- 
tionis  pretio.  Gonventum  est  in  trecentos  circiter  nummos.  Per- 
soluto  pretio  impositus  in  cymbam  [Die  5  novembr.  16k3]  et  in 
Oaliica  provectus  littora,  primum  Rhedonas  exeunte  Decembri 
anni  MDGXLIII,  denique  Lutetiam  incolumis  tenuit  :  ad  eosdem 
Iroquaeos,  et    eadem   pericula   anno    verlente   rediturus.   [Maio, 


Ill 


LiiJER  XIII  Partis  vi  Histori.e   societatis  Jesu 
Res  gest.e  ix   Canada a  P.  Juvaxcio. 

Captivité  du  P.   Bressani 

P.  Josephus  Bressanius  ah  Iroquœis  capitur.  —  Intérim 
soliciti  Patres  Kebeccenses  de  sociis  ad  Hurones  profectis, 
de  quibus  perdiu  nihil  auditura  fuerat,  tentandum  ad  illos  iter 
putaverunt.  Difficilem  provinciam  recepit  in  sese  P.  Franciscus 
Josephus  Bressanius,  Italus,  ante  biennium  advectus  in  Cana- 
dam,  vir  ingentis  animi,  et  cuilibet  labori  ac  periculo  par.  Mos 
erat  Iroquœis  excurrere  ad  solita  latrocinia,  cum  primum  œstas 
nivibus  solutis  recludebat  itinera  :  Bressanius  prsevertendum 
ratus  dat  se  in  viam,  cum  adhuc  horreret  humus  gelu  V.  Kal. 
Maias  MDGXLIII.  Comités  adscissit  sex  Hurones  quorum 
quatuor  Divinae  legis  uberius  percipiendœ  studio  Kebecci  per 
hyemem  constiterant,  et  adolescentem  Gallum.  Jam  fere  locum 
periculi  plenissimum  evaserant,  et  ad  insidias  hostiles  opportu- 
num,  cum  una  ex  ipsorum  cymbulis  illisa  cautibus  frangitur. 
Emersere  cum  sarcinis  vectores.  Mora  tamen  eodem  in  loco, 
dum  navicuhi  reficitur,  est  necessario  facta.  Per  hanc  stetit  quo- 
minus  fluviolum  tempori  trajicerent,  qui  si  fuisset  transmissus 
mature  prœteriissent,  ab  hostibus  minime  deprehensi. 

Dum  cunctantur,  Huronumaliquis  ferream  displosit  fistulam,  ut 
sylvestres  anseres  transvolantes  dejiceret.  Eo  sonitu  excitati 
latentes  in  vicinia  Iroqusei  triginta  struunt  insidias  post  linguam 
terrae,  quîeprogredientibus  Huronibusflectendaerat.  llluc  ubi  per- 
venit  P.  Bressanius,  ut  ejus  navicula  ceteris  prœiverat,  vidctcym- 
bas  très  in  suam  recta  ferri.  Non  erat  resistendi  locus,  itaque 
deditionem  ultro  facit,  et  ab  Iroquœis  capitur  una  cum  duobus, 
qui  vehebantur  eadem  cymbula,  comitibus.  Hurones  reliqui  cum 

1.    Voir  plus  haut,  p.  41. 


—  445  — 

adolescente  Gallo  maxima  remorum  contentione  diffugiunt;  jani 
insequentium  oculos  evaserant,  cum  post  alteram  terrae  linguam, 
quae  omnino  praeternaviganda  ipsis  erat,  à  duabus  hostium 
naviculis  intercipluntur.  Hic  Huronum  aliquis  arrepta  ferrea 
fistula  ictum  in  hostem  dirigebat,  quem  occupans  Iroquaeus 
glande  pliimbea  trajectum  sternit  exanimem.  Eo  spectaculo  con- 
turbati  ceteri  ponunt  arma,  seque  ac  sua  permiltunt  hosti.  Yic- 
tores,  postquam  vincula  captivis  injecere,  spoliant  miseros, 
frangunt,  rapiuntque  sarcinulas;  vestimenta  et  quicquid  neces- 
sariae  supellectilis  Patribus  deferebatur,  inter  se  dividunt. 

Mox  ad  eum  quem  necatum  diximus  vorandum  se  accingunt.  Ac 
primum  cor  evellunt  è  pectore,  deinde  comara  cum  extima  capitis 
pelle  circumcidunt.  Hoc  illis  est,  ut  diximus,  trophœi  loco  :  tum 
labra  dissecant,  postremo  torosas  reliqui  corporis  partes  in 
frusta  scindunt,  congerunt  in  lebetes,  incoquunt  calida,  et  pœne 
crudas  et  recenti  adhuc  manantes  cruore  vorant.  Ea  fercula 
paulisper  exsatiarunt  istorum  Lsestrigonura  feritatem  :  captivos 
mitius,  ac  Bressanium  prœsertim  habuerant,  donec  post  biduum 
aller  Iroquseorum  manipulus  adfuit,  qui  commissa  ferociter 
pugna  cura  Gallis  ad  Montem-regalem  pulsus,  uno  è  suis  duci- 
bus  in  acie  caeso,  ac  maie  multatus,  abscesserat.  Enimvero  in 
immerentem  Bressanium,  quem  Gallum  putabant,  stomachum 
et  furorem  erumpunt  :  fustibus  débilitant,  inedia  torquent,  adhi- 
bent  ad  ligna  verniliter  comportanda,  hauriendam  aquam,  et 
alios  id  genus  mediastinorum  labores,  idque  sub  vesperam  post 
iter  diurnum  pedibus  nudis  inter  virgulta  et  palustres  lacunas 
summa  defatigatione  confectum.  Si  quid  vero  parum  commode 
ex  illorum  sentenlia  exequeretur,  si  mentem  jubentium  minus 
assequeretur  sermonis  inscitia,  fustibus  impactis  erratum  luebat, 
noctem  vero  trahebat  sub  dio,  alligatus  ad  arborera. 

Post  dies  septemdecim  in  bis  œrumnis  transactos,  ventum 
est  in  regionem  Iroquaeorum.  Obvii  primum  fuere  circiter  qua- 
dringenti  piscatores,  qui  ad  ripam  fluminis  tuguria  posuerant. 

Crudelem  in  modum  torquetur.  —  Ad  aspectum  captivae 
turbse  claraorem  lœti  sustulerunt,  et  omissis  retibus  ac  piscatu, 
ad  excipiendos  novos  bospites  se  accinxerunt.  Detractse  statim 
Bressanio  vestes,  et  agmini  praeire  jussus.  Duos  in  ordines  dis- 
tributi  hinc   inde   barbari,   et  fustibus,   spinis,  flagellis  armati, 


—  446  — 

captivos  lente  procedentes  horribili  grandine  salutarunt.  Unus 
etiam,  ceteris  truculentior  Isevam  Bressanii  preliendens  manum, 
ducto  ab  imis  digitis  ad  carpum  usque  cultro  immane  ipsi  vulnus 
inflixit.  Nudus  et  sanguine  diffluens  collocatur  in  tabulato  quo- 
dam  editiori  cum  ceteris  ad  spectaculum  et  ludibrium,  ibique- 
jubetur  more  barbarico  cantare,  dum  barbari  epulabantur.  Hac 
syinphonia  condiebant  cibos  :  ac  ne  quid  deesset  hilarando  con- 
vivio,  dant  signum  captivis  ut  quisque  saltet  quam  poterit  ele~ 
gantissimè.  Non  erat  in  hac  arte  Bressanius  excellens,  et  in 
movendis  ad  numerum  pedibus  gravitatem  ac  modestiam  reli- 
giosus  vir  ac  sapiens  retinebat.  Offendit  ea  modestia  spectatores 
improbissimos.  Stimulant  saltantem ,  pungunt  acutis  sudibus^ 
verberant,  ustulant.  Nihilintolerabilius  erat  puerorum  protervia,. 
quibus  obtemperandum  erat,  inepta,  crudelia  sœpe  etiam  contra- 
ria jubenlibus.  Alter  jubebat  cantare,  alter  tacere,  utrilibet 
gereret  morem,  ab  altero  plectebatur.  Cedo  manum,  inquiebat 
hic,  ut  eam  tibi  comburam  :  Tlle,  si  porrigis  manum,  aiebat,  tibi 
caput  isto  fuste  comminuam.  Cum  tabaci  fumum  captabant  indi- 
to  ori  siphunculo,  jubebant  Bressanium  primas  candentes 
sumere  manu  et  in  os  tubuli  immittere  :  tum  illas  iterum 
iterumque  excutiebant,  ut  eas  toties  ab  humo  colligens  urere- 
tur. 

Satiatis  ludo  crudeli  pueris,  appetente  nocte  duces  primarii 
conclamabant,  casa  abeundo.  Eia,  juvenes,  prodite,  properate^ 
ut  noctem  bonam  captivis  nostris  apprecemur.  Ad  hanc  vocem 
concurrebant  in  majorem  aliquam  casam.  Ibi  producebatur  in 
médium  Bressanius,  quem  alii  fodicabant  nudum  aculeis,  alii 
titionibus  perurebant  :  alii  saxa  candentia  brachiis,  femoribus,. 
tergo  admovebant  :  hi  calentem  favillam,  illi  ardentes  prunas  in 
eumdem  jactabant.  Erant  qui  barbam,  qui  capillos  vellerent. 
Jubebatur  obire  focum  et  premere  nudis  pedibus  cineres  calidos 
quibus  subjecti  erant  aculei,  defixis  humi  bacillis  inspicalis.  Tôt 
inter  lanienas  cantandum,  et  preraendus  vultu  sereno  dolor. 
Denique  apprehensis  manibus  aut  rodebant  ungues  crudis  den- 
tibus  et  exstirpabant;  aut  digitos  igné  ferroque  absumebant.. 
E  decem  unus  duntaxat,  ac  ne  integer  quidem  illi  relictus.  Haec 
manuum  carnificina  ultimum  feralis  tragœdise  actum,  ac  fere- 
quartam  horse  parlem  occupabat,  fuilque  decies  octies  repetita^ 


—  447  — 

Post  alteram  ii  média  nocte  horain,  lotus  lacer  et  ambustus- 
constringebatur  vinculis  et  in  humum  nudam  sub  divo  [)roji- 
ciebatur. 

Sic  dies  octo  transacti  sunt  in  aditu  et  primo  limine  regionis. 
Successere  tormenta  graviora  per  mensem  integrum,  adeo  ut 
miraretur  ipse  Bressanius  quo  pacto  constare  sibi  tôt  inter 
mortes  vita  posset.  Causa  gravius  in  eum  saeviendi  hsec  fuit. 
Nescio  quis  ipsum  principem  inter  Gallos  obtinere  locum  dixit. 
Excepere  vocem  ingenti  cum  plausu,  et  exquisitis  torquere  sup- 
pliciis  ac  devorare  constituerunt  in  vicino,  qui  primus  erat  Iro- 
quœorum,  pago.  Illuc  festinarunt.  [Die  26.  Mail  IG'iS.)  Onustu& 
gravi  fasce  Bressanius,  impastus,  coopertus  vulneribus  inter 
imbres  nivesque,  sequi  properantes  cogebatur,  incussis  verbe- 
ribus,  si  paulo  lardius  incederet,  quasi  de  industria  traheret 
moras  captans  occasionem  fug»:.  Cum  illum  aliquando  vires 
defecissent,  in  flumen  decidit,  nihilque  propius  factum  est,  quam 
ut  aquis  obrutus  periret.  Emersit,  ac  risu  multo  conviciisque- 
est  exceptus  negligentiam  et  imbecillitatem  exprobrantium  : 
pœnasque  sub  vesperam;  igné  manibus  admoto,  dédit.  Perduc- 
tus  denique  in  primum  Iroquaeorum  pagum,  et  exceptus  est 
majori  quam  antehac  immanitaie.  Nam  prœter  solitum  fustua- 
rium,  manum  illi  cultro  dissecuerunt,  caput  pectusque  tôt  icti- 
bus  contuderunt,  ut  pœne  oculum  exculpserint,  et  in  terram. 
semianimis  corruerit.  Cumque  tundere  jacentem  pergerent,. 
motus  commiseratione  quispiam  è  proceribus  illum  in  suum 
protaxit  tugurium,  et  certissima?  subduxit  neci.  Neque  finis  cru- 
ciandi  factus.  Eo  scelerati  convolant  :  digitorum  reliquias  avel- 
lunt,  aut  adurunt,  distorquent  pedes  ac  luxant,  stercus  in  os 
ingerunt,  et  alia  pleraque  indignissima,  quaî  referre  pudor  est,, 
désignant. 

Cur  interfectus  a  barbaris  non  fiierit?  Venditnr  Batavis  et  in- 
Galliam  redit.  — Videtur  cœlum  ipsum  crudelitatem  exhorruisse. 
Repentinus  imber ,  et  elisi  nubibus  cum  fragore  ignés  metum  tortori- 
bus  injecere.  Fit  fuga,  captivi  alium  in  pagum  abducuntur.  Carni- 
fices  defatigatos  novi  excepere.  Bressanius  prono  in  terram  capite- 
sublimibus  vestigiis  attollitur,  et  catena  ferrea  colligatus  diu 
pependit.  Mox  deponitur  et  injectis  vinculis  raptatur  ;  inde  per- 
varias,  ut  cuique   libido  erat,  cruciatuum  formas,  totis    septem: 


—  448  — 

diebus  circumductus  vix  retinuit  spiritum  in  lacero  corpore,  ac 
vulneribus  cooperto,  è  quibus  incuratis  et  sanie  marcida  fluenti- 
bus  tam  intolerabilis  existebat  fetor,  ut  omnes  tanquam  a  cada- 
vere  procul  absisterent,  nisi  si  quis  forte  ad  cruciandum  acce- 
deret.  Toto  corjïore  imraundi  errabant  vermes,  et  ruptis  digito- 
rum  articulis  innascebanlur  tam  fréquentes,  ut  uno  die  quatuor 
ex  uno  proruperint.  Intumuerant  fœdum  in  morem  manus  et 
brachia,  sic,  ut  admovere  cibum  ori  non  posset,  nec  erat  qui 
operam  hanc  illi  navaret.  Quamobrem  enecabatur  famé 
humumque  mandere  cogebalur  :  aut  cruda  tritici  Indici  grana  si 
qua  projiciebantur,  glutire  gravi  cum  periculo.  Somnum  quomi- 
nus  carperet  impediebant  et  vincula  et  vulnera.  Prieterea  latebat 
in  femore  apostema  putridum,  certa  necis  causa.  Jam  ad  arcem 
intimi  pectoris  contagio  serpebat  ;  frustra  Iroqu?ci  lapillis  acu- 
tis  non  sine  acerbissimo  ejus  dolore,  illud  aperire  tentaverant  : 
cum  barbarus,  sive  torquendi,  sive  sanandi  studio,  cultrum  prae- 
grandem  ter,  quater  in  banc  ipsam  vomicam  defixit.  Continue 
erumpere  pestilens  pus,  et  omnes  procul  aufugere.  Geterura 
quia  è  fœtido  cadavere  in  quo  praeter  ossa,  pellem,  vulnera, 
nihil  erat,  ad  consuetas  epulas  vix  quidquam  adhiberi  posse 
cernebant  :  sive  illos  etiam  tôt  vulnerum,  tantae  patientiae,  tan- 
gebat  commiseratio;  sive  quid  aliud  causse  fuerit,  quod  ne  ipsi 
quidem  satis  explicare  unquam  potuerunt,  ut  Divinae  Providentiae 
consilium  appareat,  virum  fortem  ad  alia  rursum  pericula  labo- 
resque  in  eadem  Canada  fructuosos  destinantis,  communi  con- 
silio  jubetur  vivere,  quandiu  licebit,  ac  vetulae  venditur,  cujus 
avus  olim  necatus  ab  Huronibus  fuerat. 

Solatium  ingens  animabus  mortuorum  inacie  afferri  putant,  si 
quis  eorum  in  locum  captivus  subrogetur,  in  quo  ipsi  velut  revi- 
viscant,  aut  cujus  in  honorem  mactentur.  Itaque  Bressanium 
émit  libenter  vetula.  Sed  tristi  merce  laetata  diu  non  est.  Nemo 
in  ejus  tugurio  consistere  poterat,  nemo  fœtorem  ferre,  quem 
tôt  vulnerum  sanies  remittebat.  Tolerabat  mephytim  horridam 
utcumque  anus,  et  per  sese  olida,  et  in  gratiam  avi  demortui  ;  at 
ejus  fdiae,  jam  grandes  natu  triste  monstrum,  oculis,  naribusque 
respuebant,  nec  urgere  matrem  destiterunt  ut  aliquando  tandem 
illud  ejiceret  aedibus  :  tum  è  mulilis  truncisque  manibus  nuUa, 
quamvis  aliquando  convalesceret,  utilitas  ad  domestica  ministeria 


—  4i9  — 

capi  poterat.  Denique  speravit  aliquid  nummorum  colligi  posse 
si  venderetur.  Itaque  filio  mandat,  ut  Bressanium  ad  proximam 
Batavorum  arcem  deducendum  curet,  emptoremque  quovis 
pretio  qua^rat.  Batavi  pro  sua  humanitate  non  solum  Iroquœo 
pretium  pro  capite  persolverunt,  aureos  admodum  20.  verum 
etiam  diligenti  curatione  persanatum  imposuerunt  in  navim; 
qua  Rupellam  devectus  est  ad  XVII.  Kal.  décembres  anni 
MDGXLIV.  Rependimus  Batavis,  quam  debemus  gratiam,  et 
eorum  benefîcii  perennem  memoriam  istis  annalibus  libentissimè 
consignamus. 

Menses  quatuor  transegit  P.  Bressanius  inter  Iroquaeos. 


Jés.  et  Nou(^.-Fr.  —  T.  II.  29 


111 


Lettre  du  R.  P.  Jogues  au  R.  P.  André  Castillon, 
DE  LA  Compagnie  de  Jésus 


Montréal  ce  12  septembre  1646. 


Mon  R.  Père, 
P.C. 


J'ai  reçu  celle  qu'il  a  plu  à  votre  R.  de  m'escrire;  elle  nous 
oblige  de  vous  mander  quelque  chose  de  notre  nouvelle  France 
et  nommément  de  ce  qui  me  concerne  en  particulier. 

J'ai  passé  l'hyver  à  Montréal  avec  le  P.  Le  Jeune;  à  la  demy- 
may,  je  partis  des  trois  Rivières  en  compagnie  de  M.  Bourdon, 
ingénieur  de  la  Nouvelle-France,  pour  faire  un  voyage  aux  Iro- 
quois,  desquels  nous  retournâmes  en  bonne  santé  au  commen- 
cement de  Juillet.  Mons.  notre  Gouverneur  fut  bien  aise  qu'il 
m'accompagnast  affm  qu'il  connust  le  pays;  nous  fismes  une  carte 
assez  exacte  de  ces  contrées^,  et  fusmes  bien  reçus  tant  des 
Hollandais  par  lesquels  nous  passâmes  que  par  les  sauvages. 
Les  principaux  des  Européens  ny  estoient  pas,  estant  allez  à 
l'autre  habitation  qui  est  vers  la  mer  et  qui  est  la  principale 
pour  les  affaires.  Nous  ne  manquâmes  pas  d'exercice  en  ce 
voyage  tant  sur  l'eau  que  sur  terre;  nous  fismes  pour  le  moins 
100  lieues  à  pied  et  pour  l'ordinaire  bien  chargés.  Je  baptizai 
dans  le  bourg  où  nous  demeurasmes  quelques  jours,  quelques 
enfants  malades  qui  sont  maintenant  devant  Dieu,  comme  je 
«rois  ;  je  confessai  des  chrestiens  Hurons  qui  y  estoient,  nous 
fismes  des  présens  et  en  reçûmes  de  réciproques.  Je  suis  sur  le 
point  d'y  retourner  pour  y  passer  l'hyver,  et  ne  revenir,  si  je  ny 


1.  Voir  plus  haut,  p.  53. 

2.  Nous  n'avons  pu  retrouver  cette  carte. 


—  451  — 

meurs,  qu'au  mois  de  juin  de  l'an  prochain  ;  l'affaire  se  traite 
maintenant  aux  3  rivières,  que  si  on  ne  m'y  envoyait  pas  mainte- 
nant, ce  seroit,  Dieu  aydant,  pour  le  printemps.  Mais  je  voys 
les  affaires  bien  disposées  pour  partir  bientôt  et  notre 
R.  P.  Supérieur  y  est  bien  porté;  il  n'y  a  que  mes  lâchetés  et 
mes  misères  qui  forment  de  puissants  obstacles  au  dessein  que 
Dieu  a  dessus  moy  et  sur  ce  pays.  Priez  le,  mon  R.  P.,  qu'il  me 
fasse  selon  ce  qu'il  désire,  et  que  je  sois  un  homme  selon  son 
cœur,  det  mifii  doniinus  latitudinem  cordis  sicut  arenam  qiise  est 
in  littore  maris.  Qu'il  élargisse  un  peu  mon  pauvre  cœur  qui  est 
si  étroit,  et  que  par  l'expérience  du  passé  et  des  profusions  de 
ses  bontés  et  miséricordes  dessus  moi,  j'apprenne  à  me  confier 
totalement  en  luy,  estant  très  assuré  qu'il  ne  se  retirera  pas  pour 
me  laisser  tomber,  quand  je  me  jetterai  amoureusement  dans  les 
bras  de  sa  divine  et  paternelle  providence.  N.  S.  nous  a  fait  un 
beau  présent  que  la  paix  ;  priez  sa  divine  bonté  qui  nous  l'a 
faite,  qu'elle  continue,  car  c'est  d'elle  que  nous  en  espérons 
l'achèvement.  Cette  paix  jointe  à  la  traitte  que  le  pays  a  mainte- 
nant, fait  qu'il  change  de  face  notablement,  qu'il  croit  en 
nombre  d'habitants  et  que  tout  s'addoucit.  Il  ne  paroist  plus 
si  rude  qu'auparavant  et  on  connoit  par  expérience  qu'il  peust 
porter  de  bons  bleds  et  autres  commodités  pour  la  vie,  principa- 
lement cet  endroit  de  Montréal  où  nous  sommes,  qui  est  bien 
])lus  doux  et  tempéré  que  Québec  ;  aussi  est-il  au  milieu  du 
tempérament,  savoir  est  à  45  degrés.  Plus  de  80  canots  hurons 
viennent  de  descendre  avec  quantité  de  pelleteries,  ce  qui  fait 
espérer  une  année  encore  meilleure  que  la  précédente  qui  estoit 
fort  bonne.  Je  ne  sais  pas  si  cela  ne  donnera  pas  dans  la  veiie  de 
jNIessieurs  de  la  Compagnie,  qui  à  peine  pouvoient-ils  fournir 
aux  embarquements,  quand  ils  avoient  la  traitte.  C'est  un  bon 
rencontre  que  Dieu  a  donné  la  paix  dans  ce  changement  qui  est 
fort  avantageux  pour  le  pays.  Dieu  la  fasse  croistre  en  bénédic- 
tions spirituelles  encore  plus  qu'en  temporelles  et  si  Magnificat 
qaieteni,  magnificet  et  lœtitiain,  mais  principalement  qu'il  répande 
une  abondance  de  son  Saint-Esprit  sur  ceux  qui  travaillent  au 
spirituel  de  ces  contrées.  C'est  ce  dont  je  supplie  V.  R.  de  prier 
N.  S.,  et  de  vous  souvenir  nommément  à  l'autel  d'un  pauvre 
prestre,  qui  est  à  la  veille  d'estre  8  ou  9  mois  sans  sacrifice. 
Ge    me    sera    un    surcroit   d'obligation  de    luy    estre  plus    que 


—  452  — 

jamais,  mon  R.  Père,    son  très  humble  et  obéissant  serviteur 
selon  Dieu. 

Is.    JOGUES. 

A  Montréal  ce  12  sept.  164G. 

Dans  une  note  le  P.  ajoute  :  «  Je  partirai  dans  2  ou  3  jours 
pour  le  voyage  des  Iroquois. 

Encore  pour  vie  tout  en  N.  S.  ' 

21  sept,  aux  3  Rivières. 

(Arclî.  de  la  Prov.  de  Lyon,  rue  Sainte-Hélène,  10.  — 
Mss.  du  R.  P.  Prat.) 


Epistola  I^.  Pauli  Ragueneau  missa  anno  1649  ad  R.  P.  Claudium 
de  Lingendes,  provincialem  Franciae. 

Depopulatio    Oppidorum    Missionis    Scti    Josephi    apud 

HURONES    FACTA    PER    IrOQU.EOS    INFIDELES 

Anno  1648.  —  Mors  P.  Antonii  Daniel. 

Fœlicem  plane  cursum  primitiva  Huronum  Ecclesia  tenuit  ad 
médium  Anni  salulis  1648  :  fidelium  crescente  numéro,  expecta- 
tione  nostra  multis  partibus  majore,  numeratis  plus  mille  septin- 
gentis  in  hac  nov.c  F^rancia?  Regione,  qui  salutaribus  undis 
abluti  Christi  fidem  amplexi  sunt,  omissis  aliis  quos  magno  qui- 
dem  sed  incerto  numéro  in  ipso  persecutionis  œstu  a  P.  Anto- 
nio Daniele  baptisâtes  infra  videbimus. 

Res  una  posse  videbatur  nascentis  hujus  Ecclesiîc  tranquilli- 
tatem  turbare,  et  rei  Ghristianœ  cursum  morari,  belli  nimirum 
motus  et  terribilium  hostium  furor  indomitus  ;  hi  sunt  quos  Iro- 
quœos  vocant,  gens  fera  bellique  amans,  humanique  sanguinis 
ad  stuporem  avida,  sine  fide,  sine  lege,  suisq.  insolens  victoriis 
quas  retulit  de  cœsis  s.Tpe  fugatisq.  Iluronibus,  ex  quo  bellici 
nitrati  pulveris  et  catapultarum  usum  didicit  ab  Hollandis  Haere- 
ticis  quos  fœderatos  habent  et  accolas,  qua  parte  nova  Hollandia 
in  interiores  Americ.c  plagas  excurrit.  Fuisset  utinam  vanus  ille 
timor,  nec  prœsaga  nimium  mens  extitisset  imminentis  ab  hoste 
periculi,  sed  ecce  tibi  sub  initium  mensis  Julii  ejusdem 
Anni  1648  miseranda  calamitas  per  Iroquœos  illata  nostris 
Huronibus  tristem  eventum  confîrmavit.  Cum  enim  Huronum 
plerique  ad  Gallos  Quebeci  commorantes  profectionem  parassent 
mercatura;  causa,  cum  armorum  perita  juventus  expeditionem 
bellicam  alio  suscepisset,  cum  denique  alios  alius  labor  ab  oppidis 

1.   Voir  plus  haut,  p.  74. 


—  454  — 

suis  extraxisset,  improvisus  hostis  adfuit  pagosque  duos  in  fini- 
bus  Regionis  illius  positos  invadit,  expugnat,  incendit,  solitae 
crudelitatis  ubique  fœda  relinquens  vestigia. 

Horum  oppidorum  alteri  a  sancto  Josepho  nomen  fuit,  quœ 
erat  una  ex  missionibus  nostris  praecipua  :  familias  supra  qua- 
dringenlas  complectitur,  hic  exculta?  ad  Dei  cultum  adeo  sacrœ, 
ubi  Ghristianis  ritibus  gens  inslituta  fidem  suam  morum  inno- 
centia  et  sanctitate  commendabat,  nova  in  dies  infidelium  acces- 
sione  facta. 

Praeerat  huic  ecclesise  P.  Antonius  Daniel  vir  ingentis  animi 
in  aggrediendis  pro  dilatanda  fide  laboribus,  invictae  in  susti- 
nendis  patientiae,  magnarum  omnino  virtutum  sed  eximiae  aute 
omnia  mansuetudinis,  lali  grege  dignus  Pastor.  Sacrum  de  more 
vixdum  absolverat  post  orientis  solis  primos  radios,  neque 
adhuc  a  sacello  discesserant  satis  fréquentes  qui  convenerant 
Christiani,  cum  audito  hoslium  clamore  horril)ili  ad  arma  est 
subito  trepidatum,  ad  pugnam  alii  sese  proripiunt,  fugam  alii 
praecipitant,  ubique  terror,  ubique  luctus,  ubique  caedes.  Unus 
intereapraestat  intrepidus  Pater  Antonius,  pavidis  reddens  aniraum 
et  Dei  fideique  bellum  certare  admonens,  qua  parte  infestum 
urgere  magis  hostem  sentit  illuc  advolat  Deo  plenus  quem  suo 
adhuc  gestabat  in  pectore,  et  inter  sacrificandum  receperat, 
non  Ghristianis  modo  Chrisliauum  robur,  sed  fidem  etiam  multis 
inspirât  infidelium,  tantoque  visus  est  ardore  loqui  de  mortis 
instantis  contemptu  deque  gaudiis  Paradisi,  ut  jam  beatitudine 
sua  frui  videretur. 

In  hoc  ultimo  vitae  discrimine  Baptismum  petiere  multi,  fidei 
christinae  mysteriis  prius  imbuti,  tanto  numéro  ut  cum  singulis 
sufficere  non  posset  uti  coactus  sit  intincto  in  aquam  sudario, 
et  effusam  circum  se  plebem  per  aspersionem  abluere  sacro  ritu. 
Neque  interea  tamen  hostilis  remittebat  furor,  tormentario  pulvere 
fumabant  omnia,  stridebant  ad  aures  emissac  catapultis  glandes 
ferreae,  ingens  fragor  auras  implebat,  multi  ad  Patris  pedes  pros- 
trati  cadebant,  quos  simul  vitalis  unda  Baptismalis  simul  letha- 
lis  ictus  excepere.  Fugam  ut  reliquos  cepisse  videt,  ipse  in  lucro 
animarum  intentus  alienae  salutis  non  immemor  oblitus  suae  ad 
œgrotos   et   invalidos  senes  Baptisandos   currit,  casas   pénétrât 


~  455  — 

zeloque  suo  implet,  matribus  etiam  infidelibus  infantes  suos  cer- 
talim  obtrudentibus  ut  aqua  salutari  purgatos  cœlo  praepararet. 
Tandem  in  aedem  sacram  se  recipit  velut  in  arcem  suam  et  fidei 
propugnaculum  quo  plerosque  Christianorum  spes  œternae  glorise 
et  cathecumenorum  multos  perpulerat  metus  infernorum  ignium  ; 
nusquam  ibi  oratum  ardentius,  nusquam  verae  fidei  et  sinceri 
doloris  certiora  argumenta  ;  hos  Baptismo  munit,  illos  peccato- 
rum  vinculis  exsolvit,  omnes  divinœ  Gharitatis  ardore  inflammat, 
et  spei  roborat  munimine.  Hœc  tum  illius  ferè  vox  unica  : 
fratres  mei  hodie  erimus  in  Paradiso,  hoc  crédite,  hoc  sperate 
ut  vos  Deus  aeternum  amore  suo  beatos  efficiat.  Jam  Hostis  val- 
lum  conscenderat  totoque  oppido  subjectis  ignibus  ardebant 
casae,  cum  monentur  victores  Barbari  ingentem  esse  pra^dara,  et 
facilem  si  templum  versus  properent,  illic  senum  passim  ac 
mulierum  cum  pueris  magnam  esse  turbam.  Accurrit  illico 
Barbarorum  multitude  furibunda,  inconditisque  clamoribus  et 
horrendis  circumfremit,  vicinum  hostem  censere  omnes  qui 
templo  claudebantur,  quos  fugam  capere  jubet  bonus  Pastor  qua 
parte  liber  adhuc  patet  exitus.  Ipse  ut  hostem  moretur  et 
fugienti  gregi  consulat  obvium  se  dat  Barbaro  militi,  ejusque 
furentem  impetum  frangit  vir  unicus  quidem  sed  infidelibus  ter- 
ribilis  ut  castrorum  acies  ordinata;  nec  mirum  cum  divino  plenus 
esset  robore,  apparuitque  moriens  fortis  ut  leo,  qui  tota  vita  sua 
mansuetudinem  agni  ostenderat,  densis  tandem  confossus  sagit- 
tis  et  lethali  ictu  emissae  in  médium  pectus  catapulta  transver- 
beratus,  felicem  animam,  quam  pro  suis  ovibus  posuerat, 
bonus  Pastor  Deo  suo  reddidit,  amabile  nomen  Jesu  identidem 
inclamitans. 

Ssevitum  Barbare  in  corpus  exanimum,  vix  ullus  hostium  ut 
fuerit,  qui  mortuo  novum  vulnus  non  adderet,  et  morientis 
generositate  ad  rabiem  concitati  tôt  illum  confecerunt  plagis, 
quod  capere  corpus  ejus  potuit.  Cum  enim  iram  in  eum  suam 
expromere  quisque  omnem  cuperet,  nemo  sufficere  ad  ultionem 
putabat  imposila  jam  aliorum  telis  vulnera,  nisi  crudelem  in 
innoxio  sanguine  tingeret  manum,  et  indignationem  suam  hoc 
mulceret  solatio  :  itaque  cum  alii  nemo  committeret,  omnes  se 
magnanimi  Martiris  imbuere  colore  voluerunt,  pluresque  adeo 
jam  defunctum  vulneravere;   incensa  demum  aede   sacra    médias 


—  456  — 

in  flammas  nudum  cadaver  injectum.  Ita  est  concrematum  ut  ne 
minima  quidem  ossis  ullius  restaret  particula,  nec  sanè  poterat 
nobiliori  rogo  cumburi. 

Dum  sic  hostes  moratur,  etiam  post  mortem  fugienti  et  disperso 
gregi  fidelium  salutaris,  multi  in  tutum  se  recepere,  alios  victor 
miles  est  assecutus,  maires  prsecipue  quas  pendens  ab  ubere 
infantium  sarcina  retardabat,  aut  quariim  latebras  prodere  pueri- 
lis  œtas,  sapienter  adhuc  timere  nescia. 

Decimum  quintum  Annum  ponebat  in  hac  missione  Huro- 
nensi  excolenda  P.  Antonius,  unus  ex  primis  Patribus  nostris, 
qui,  anno  1633,  eo  pervenerunt  ad  verae  fidei  fundamenta  jacienda; 
qua  quidem  in  expeditione  jam  ab  eo  tempore  pati  cœpit  quid- 
quid  homo  citra  mortem  sustinere  potest. 

Non  est  omittendum  Divinam  bonitatem  circa  eum  in  hoc  vitae 
exlremo  fuisse  singularem,  nam  ocliduum  solidum  in  exercitiis 
spiritualibus  peragendis  juxta  morem  societatis  absolverat 
KalemUs  ipsis  Julii,  qui  quarto  die  necatus  est,  ipseque  postridie 
sine  ulla  mora  in  missionem  suam  convolarat  eo  spiritu  plenus 
quo  fidèles  curae  ejus  commissos  inflammabat. 

Patria  Deppensis  erat,  quee  civitas  est  Normanniae  in  Galliae 
Regno,  mari  oceanico  exposita,  portuque  celeberrimo  nobilis. 
Ingressus  fuerat  societatem  Anno  1621  tum  viginti  et  unum 
annos  natus,  vir  sane  egregius,  vereque  dignus  societatis  Jesu 
filius,  humilis,  obediens,  per  orationis  usum  cum  Deo  summè 
familiaris,  invictee  semper  patientiae,  infractique  in  rébus  arduis 
animi,  adeo  ut  nobis  virtutum  omnium  exemplum  illustre,  chris- 
tianis  Barbaris  fidei  ac  pietatis  sensum  eximium,  omnibus  desi- 
derium  sui  grave  reliquerit,  ipsis  etiam  infidelibus  ;  daturus 
demum  ut  speramus  toti  huic  Nationi  patronum  in  cœlis  poten- 
tissimum. 

Etvero  uni  è  nostris  (homini  sanctitatis  prsecipuse,  et  probatis- 
simae  humilitatis)  semel  atque  iterum  post  mortem  adesse  visus 
est  :  ac  primum  quidem  nostris  Patribus  in  concilium  coactis, 
agentibusque  ut  soient  de  re  christiana  promovenda,  quos 
omnes  hortabatur  ad  salutem  infidelium  pro  Dei  gloria  procuran- 
dam  :  postea  se  de  novo  conspiciendum  obtulit  augustiore  vultu, 
et  eo  sane  qui  nihil  humanum  et  mortale  spiraret,  annorum   ut 


—  457  — 

ex  ore  conjici  poterat  plus  minus  triginta,  cum  moriens  octo  et 
quadraginla  numeraret,  et  in  illo  rogatus  est  confidenter  ab  eo 
cui  se  videndum  dabat  ecquid  voluisset  divina  bonitas  servi  sui 
corpus  tara  indigne  postmortem  haberi,  tamque  inhonesto  fœda- 
tum  vulnere  flammis  consuinij  nihil  ut  hujus  restaret  nobis,  ne 
cinis  quidem  exiguus,  ad  quœ  verba  tum  ille  :  ^lagnus  Dominus 
et  laudabilis  nimis,  qui  in  haec  servi  sui  opprobria  et  contume- 
lias  respiciens,  mihi  multas  animas  ex  ignibus  Purgatoriis  erutas 
dédit  quœ  meum  in  cœlum  triumphum  ornarent.  [Arch.  gen.  S.  J.) 


Epistola  p.  Pauli  Ragueneau  ad  R.  P.  Yincentium  Caraffa, 

PR.TEPOSITUM  GENERALEM   S.   J.,    ROM.E 

Quebeci,  Kalendis  Martii  1649 

Noster  admodum  Révérende  in  Christo  Pater 
Pax  Ghristi. 

Accepi  literas  admodum  Reverendœ  Paternitatis  Yestrae  datas 
20  Januarii  1647.  Si  quas  ad  nos  rescripserit  superiore  anno 
1648,  nondum  eas  accepimus.  Signifîcat  Paternitas  Vestra  gratos 
sibi  esse  nuntios  de  statu  missionis  hujus  nostrae  Huronensis; 
imo  (quîe  est  ejus  erga  nos  Paterna  charitas)  ad  minima  etiam 
descendit,  seque  jubet  de  omnibus  fieri  certiorem. 

Patres  hic  sumus  octodecira,  coadjutores  quatuor,  Domestici 
perpetui  viginti  très,  famuli  septem  non  perpetui  (quibus  solis 
stipendia  solvuntur),  quatuor  pueri,  octo  milites  :  nimirum  ita 
nos  premit  bellicus  furor  hostium  barbarorum,  ut  nisi  momento 
perire  res  nostras  nobiscum  velimus,  fidemque  adeo  omnem 
extingui,  in  his  regionibus  jam  satis  late  diffusam,  omnino  nobis 
necesse  fuerit  praesidium  quœrere  eorum  hominum,  qui  simul 
et  operis  domesticis,  et  rei  rusticœ  excolendaî,  et  prsesidiis 
extruendis,  et  rei  militari  vacent.  Cum  enim  hactenus  superiori- 
bus  annis,  sedes  nostra,  quam  Domum  S*«*  Mariœ  vocamus,  mul- 
tis  bine  inde  in  omnem  partem,  Huronum  nobis  amicorum  oppi- 
dis  cincta  esset,  plus  illis,  quam  nobis  ipsis  timebamus  ab  incur- 
sione  hostili  :  sic  adeo  ut  exiguo  quantumvis  numéro,  satis  tuti 
tamen  et  securi  viveremus.  At  longe  mutata  est  faciès  rerum 
nostrarum,  totiusque  hujus  regionis  :  tôt  enim  cladibus  fracti 
sunt  Hurones  nostri,  ut  expugnatis  quae  in  fronte  erant  praesi- 
diis,  ferroque  atque  igné  vastatis,  plerique  mutare  sedes  coacti 
sint,  retroque  cedere  :  hinc  quippe  factura  est,  ut  jam  alieno 
nudi  praesidio  simus;  jamque  in  fronte  positi  Nostri,  nos  viribus, 
nostris  nos  animis  tueri,  nostro  nos  numéro  debeamus. 

1.   Voir  plus  haut,  pp.  74  et  90. 


—  459  — 

Hanc  noslram  Sanctae  iNIarise  arcem  dixerim  an  domum,  lutan- 
tur  qui  nobiscurn  sunt  Galli,  dum  Patres  nostri  longe  lateque 
excurrunt  per  oppida  Huronum  disjecti,  perque  Algonquinas 
nationes  procul  a  nobis  positas  ;  missioni  quisque  suse  invigi- 
lans,  solique  ministerio  verbi  intentas,  orani  cura  rerum  tempo- 
ralium  in  eos  deposità,  qui  domi  subsistunt  :  et  quidem  res 
domesticœ  tam  felicem  cursum  tenent,  ut  quamvis  numerus 
noster  excreverit,  atque  optemus  maxime  novum  ad  nos 
auxilium  mitti,  et  externorum  hominum  et  patrum  prsecipue 
nostrorum  ;  nuUo  pacto  tamen  necesse  sit  impensas  crescere  ; 
imo  in  dies  minuuntur  magis,  minoraquein  annos  singulos  peti- 
mus  ad  nos  mitti  rerum  temporalium  subsidia  :  ita  plane  ut  nos 
ipsos  sustentare  maxima  ex  parte  possimus  ex  iis  rébus,  quœ  hic 
nascuntur.  Neque  vero  uUus  nostrûm  est  qui  bac  in  parte 
magnum  levamen  non  sentiat  earum  œrumnarum,  qiire  prioribus 
annis  et  omnino  graves  erant,  et  insuperabiles  videbantur. 
Habemus  enini  piscatus  et  venationis  majora  quam  ante  subsi- 
dia ;  nec  piscium  modo  adipem  atque  ova  pullorum,  sed  suinas 
carnes  et  lacticinia,  atque  adeo  boves,  unde  speramus  rei  nostrse 
fiimiliari  magnum  incrementum.  Hœc  minute  scribo,  quia  voluit 
ad  se  rescribi  Paternitas  vestra. 

Res  vero  Ghrisliana  progressum  bîc  capit  expectatione  nostra 
multis  partibus  majorem  :  numeramus  enim  hoc  postremo  anno 
baptizatos,  fere  septingentos  supra  mille  :  omissis  pluribus, 
quos  a  Pâtre  Antonio  Daniel  infra  dicemus  fuisse  baptizatos, 
quorum  numerus  constare  nobis  certo  non  potuit.  Neque  vero 
ii  sunt  Ghristiani,  quantumvis  barbari,  quos  pronum  esset  sus- 
picari,  rudes  rerum  cœlestium  neque  satis  idoneos  mysteriis 
nostris.  Plerique  sane  res  divinas  sapiunt,  atque  intime  péné- 
trant; nec  desunt  nonnulli,  quorum  virtuti,  pietati,  et  eximiae 
sanctitati,  invidere  sancte  possint  etiam  Religiosi  sanctissimi. 
Sic  plane  ut  qui  hœc  viderit  oculalus  testis,  mirari  satis  non 
possit  digitum  Dei  sibique  adeo  gratuletur,  tam  felicem  provin- 
ciam,  tam  divitem  donis  cœlestibus,  labori  suo  obtigisse. 

Undecim  missiones  excolimus,  octo  linguœ  Huronensis,  très 
Algonquinœ  :  totidem  Patribus  veteranis  divisus  labor.  Linguse 
addiscendœ  quatuor  vacant,  superiore  anno  ad  nos  missi  :  quos 
quidem  prœcipuis  missionariis  comités  adjunximus.  Sic  adeo  ut 


—  460  — 

très  solum  Patres  domi  consistant  ;  alter  verum  spiritualiura 
Praefectus,  alter  Procurator  et  minister,  tertius  dernum  Ghristia- 
norum  currc  undique  adventantium  praepositus.  Ghristianorum 
«nim  paupertati  de  paupertate  nostra  subvenimus,  eorumquc 
morbos  curamus,  non  animi  modo,  sed  etiam  corporis  :  magno 
sane  profectu  Rei  Ghristianse.  Numeravimus  hoc  postremo  anno 
hospitio  receptos  nostro  fere  ad  sex  millia  :  ut  mirum  sit,  in 
terra  aliéna,  in  loco  horroris  et  vastœ  solitudinis,  educi  nobis 
videri  mel  de  petra,  oleumque  de  saxo  durissimo  :  unde  non 
nobis  solum,  hominibus  exteris,  sed  ipsis  etiam  incolis  fuerit 
provisum.  Hœc  eo  dico,  ut  intelligat  Paternitas  vestra  Divinae 
erga  nos  munificentiœ  largitatem.  Cum  enira  hoc  anno  famés 
oppresserit  circumstecta  undique  oppida,  atque  nunc  etiam  vehe- 
mentius  affligat,  nuUa  nos  tamen  hinc  mali  labes  altigit,  imo 
annonae  habemus  satis,  unde  très  annos  vivere  possimus  com- 
mode. 

Res  una  posse  nobis  videtur  nascentis  hujus  Ecclesiae  felicem 
statum  evertere,  et  Christianœ  rei  cursum  morari  :  belli  nimirum 
metus,  atque  hostium  furor.  Crescit  enim  in  annos  singulos, 
neque  satis  apparet  unde  auxilium  nobis  uUum  adesse  possit, 
nisi  a  Deo  solo.  Postrema  quœ  Huronibus  nostris  illata  est 
clades,  omnium  fuit  gravissima.  Julio  ha?c  obtigit  mense  supe- 
rioris  anni  1648.  Cum  enim  Huronum  plerique  ad  Gallos  nos- 
tros  Quebecum  versus,  profectionem  parassent,  mercaturae 
causa;  alibs  alius  labor  ab  oppidis  suis  extraxisset,  multique 
expeditionem  bellicam  alio  suscepissent  ;  improvisus  hostis  ad- 
fuit,  atque  oppida  duo  expugnavit,  invasit,  incendit;  solita 
ubique  crudelitate  abductœ  in  captivitatem  matres  cum  pueris, 
neque  uUi  œtati  parcitura. 

Horum  oppidorura  alteri,  a  Sancto  Josepho  nomen  fuit  :  quae 
erat  una  ex  missionibus  nostris  praecipuis ,  ubi  extructas  a:'des 
sacrœ,  ubi  christianis  ritibus  gens  instituta,  ubi  fides  jam  altas 
radiées  egerat.  Prseerat  huic  Ecclesiœ  Pater  Antonius  Daniel,  vir 
magni  animi,  magnœ  patientia^,  raagnarum  omnino  virtutum;  sed 
eximiœ  ante  omnia  mansuetudinis.  Sacrum  de  more  vix  dum 
absolverat  post  orientera  solem,  neque  adhuc  ab  œde  sacra 
discesserant  satis  fréquentes  qui  convenerant  Ghristiani,  quura 
audito    hostili    clamore,    ad    arma    est    subilo    trepidatum.    Ad 


—  4G1  — 

pugnam  alii  sese  praecipiunt,  ad  fugam  alii  magis  précipites  r 
ubique  terror,  ubique  luctus.  Antonius  qua  parte  infestum 
immiiiere  magis  hostem  sensit,  illuc  advolat;  suosque  hortatur 
fortiter,  nec  christianis  modo  christianum  robur,  sed  fidem  pie- 
risque  inspirât  infidelium;  tanto  animi  ardore  turn  auditus  loqui 
de  mortis  contemptu,  deque  gaudiis  Paradisi,  ut  jam  beatitate 
sua  frui  videretur.  Et  vero  baptismum  petiere  multi  ;  tanto 
numéro  ut  cum  singulis  par  esse  satis  non  posset,  uti  coactus- 
fuerit  intincto  in  aquam  sudario  suo  et  circum  se  effusam  plebem 
per  aspersionem  baptizare.  Neque  interea  tamen  hostilis  remit- 
tebat  furor  :  tormentario  pulvere  omnia  late  circum  perstrepe- 
bant  :  multi  circa  eum  prostrati,quos  simul  vitalisunda  baptismi, 
simul  kethalis  ictus  exciperet  :  fugam  ut  suos  cepisse  videt,  ipse 
in  lucra  animarum  intentus,  aliénai  salutis  non  immemor, 
oblitus  suae,  ad  aegrotos,  ad  senes,  ad  infantes  baptizandos, 
casas  pénétrât,  percurrit,  zeloque  suo  implet.  Tandem  in  aedem 
sacram  se  recipit.  quo  christianorum  plerosque  spes  aeternaî 
gloriae,  quo  infernorum  ignium  metus,  catechumenorum  multos 
perpulerat  :  nunquam  vehementius  oratum,  nusquam  visa  fidei 
verae,  ac  verae  psenitentiœ  argumenta  certiora.  Istos  ba])tismo 
recréât,  illos  peccatorum  vinculis  exsolvit,  omnes  divinœ  chari- 
tatis  ardore  inflammat.  Haec  tum  illius  fere  vox  unica  : 
fratres,  hodie  erimus  in  Paradiso  ;  boc  crédite,  boc  sperate,  ut 
vos  Deus  aeternum  amet. 

Jam  hostis  vallum  conscenderat ,  totoque  oppido  subjectis 
ignibus  ardebant  casœ  ;  monentur  victores  esse  divitem  prœdam 
et  facilem,  si  templum  versus  properent  :  illic  senum  ac  mulie- 
rum  copiosum  gregem,  illic  puerorum  agmina.  Accurrunt,  ut 
soient,  vocibus  inconditis.  Adventanlem  sensere  hostem  cbris- 
tiani.  Gapere  eos  fugam  jubet  Antonius,  quâ  parte  liber  adhuc 
est  exitus  :  ipse  ut  hostem  moretur,  et  fugienti  gregi  consulat 
bonus  pastor,  obvium  se  praebet  armato  militi,  ejusque  impetum 
frano-it;  vir  unicus  contra  hostem:  sed  nimirum  divino  ])lenus 
robore,  fortis  ut  Léo  dum  moritur,  qui  tota  vita  sua  mitissimus 
fuerat  ut  columba.  Vere  ut  aptare  illi  possim  illud  Jeremiae,  dere- 
liquit  ut  Léo  umbraculum  suum,  quia  facta  est  terra  eorum  in 
desolationem,  a  facie  irai  columbie,  a  facie  irae  furoris  domini. 
Tandem  laethali  ictu  prostratus  emissae  in  eum  catapultai  densisque 
confossus  sagittis,  felicem  animam,  quam  pro  ovibus  suis  posue- 


—  462  — 

ratbonus  Pastor,  Deo  reddidit,  Jesum  inclamans.  Saevitum barbare 
in  ejus  exangue  corpus,  vix  ullus  hostium  ut  fuerit,  qui  mortuo 
novum  Yulnus  non  adderet;  donec  incensîl  demum  lede  sacra, 
médias  in  flammas  injectum  nudum  cadaver  ita  est  concrematura, 
ut  ne  os  quidem  ullum  restaret  :  nec  sane  poterat  nobiliore  rogo 
comburi. 

Dum  sic  hostes  moratur,  etiam  post  mortem  fugienti  gregi 
suo  salutaris  :  inulli  in  tutum  se  recepere  :  alios  victor  miles  est 
assecutus,  matres  prcccipue,  quas  pendentium  ab  ubere  infantium 
onus  retardabat;  aut  quarum  latebras  proderet  puerilis  setas, 
sapienter  adhuc  timere  nescia. 

Jam  quartum  decimum  annum  posuerat  in  bac  Missione 
Huronensi  Antonius,  ubique  frugifer,  vereque  natus  in  salutem 
istarum  gentium  :  sed  nimirum  maturus  cœlo,  primus  omnium  e 
societatis  nostrœ  hominibus  nobis  ereptus  est  :  inopina  quidem 
morte,  sed  eâ  tamen  non  improvisa  :  sic  enim  semper  vixerat, 
ut  semper  paratus  esset  mori  :  quamquam  et  visa  sit  Divina 
Bonitas  erga  ipsum  fuisse  singularis  :  nam  octiduum  integrum 
Exercitiorum  spiritualium  societatis  absolverat  calendis  ipsis 
Julii,  in  bac  domo  Sanctœ  Mariœ  :  ipsoque  postridie,  sine  uUâ 
nova  ac  ne  unius  quidem  diei  requie  in  missionem  suam  convo- 
larat  :  Deo  nimirum  sane  vehementius  ardebat,  quam  ullo 
unquam  igné  crematum  ejus  corpus  exarserit. 

Patria  Deppensis  erat,  honestis,  piisque  Parentibus  :  ingres- 
sus  fuerat  societatem  anno  1G21,  tum  viginti  et  unum  annos 
natus,  ad  Professionem  quatuor  votorum  fuerat  admissus  anno 
1640;  fmem  denique  vivendi  fecit  quarto  Julii  1648.  Vir  sane 
egregius,  vereque  dignus  filius  societatis  ;  humilis,  obediens, 
conjunctus  Deo,  invictse  semper  patientiae,  infractique  in  rébus 
arduis  animi  :  sic  adeo  ut  nobis  virtutum  omnium  exemplum 
illustre;  cbristianis  barbaris,  fidei  ac  pietatis  sensum  eximium  : 
omnibus,  desiderium  sui  grave  reliquerit,  ipsis  etiam  infideli- 
bus  :  daturus  demum,  et  quidem  speramus,  toti  huic  regioni, 
Patronum  in  cœlis  potentissimum. 

Etvero  uni  e  nostris  (bomini  sanctitatis  pra^cipuse,  et  proba- 
tissimœ  humilitatis  ;  is  fuit  P.  Josephus  Maria  Gbaumonot) 
semel  atque  iterum  post  mortem  adesse  visus  est.  At  primuni 
quum   nostris  Patribus   in  concilium  coactis,    atque   agentibus, 


—  463  — 

ut  soient,  de  re  christiana  promovendâ;  videbatur  interesse 
pater  Antonius  ;  qui  nos  consiiio  robore,  qui  nos  oranes  divino, 
quo  plenus  erat  spiritu,  recrearet.  Patribus  conspiciendum 
obtulit  augustiore  vultu,  et  eo  sane  qui  nihil  humanum  spiraret, 
verum  et  ex  ore  conjici  poterat,  plus  minus  triginta.  Rogatus 
Pater  quomodo  permittat  Divina  Bonitas  servi  sui  corpus  tara 
indigne  post  mortem  haberi  tanquam  inhonesto  vulnere  faeda- 
tum,  sic  flammis  consumi,  nobis  ut  hujus  nihil  restaret,  ac  ne 
cinis  quidem  exiguus  ?  Magnus,  inquit,  est  Dorainus  et  Lauda- 
bilis  nimis,  Respexit  in  haec  opprobria  servi  sui,  atque  ut  ea 
Divino  modo  compensaret,  dédit  mihi  multas  animas  purgatorii, 
quœ  triumphum  iu  cœlis  meum  comitarentur. 

Finem  ut  scribendi  faciam,  neque  epistola;  modum  excedam, 
addam  P*»^'  Vestrœ  quod  primum  omnium  debuerat  scribi  ;  eum 
nimirum  esse  statum  hujus  domus,  totiusque  adeo  missionis  j 
vix  ut  putem  quidquam  addi  posse  ad  pietatem,  obedientiam, 
humilitatem,  patientiam  charitatem  nostrorum  ;  atque  adeo  ad 
exactam  regularum  observantiam.  Omnium  vere  est  cor  unum, 
anima  una,  unusque  spiritus  societatis.  Imo,  quod  magis  mirum 
videri  debeat,  e  tôt  domesticis  hominibus,  tam  diversœ  condi- 
tionis,  tamque  diversi  ingenii  ;  servis,  pueris,  domesticis,  raili- 
tibus  ;  nullus  omnino  est  qui  serio  saluti  animae  suœ  non  vacet  : 
plane  ut  hinc  exulet  vitium,  hîc  virtus  imperet,  haec  sanctitatis 
domus  esse  videatur.  Quod  nostrum  sane  est  gaudium,  pax  in 
bello  nostra,  nostraque  summa  securitas  :  quidquid  enim  de 
nobis  disponat  divina  Providentia,  sive  in  vitam,  sive  in  mor- 
tem, hœc  erit  consolatio  nostra,  quod  Domini  sumus,  atque  ut 
sperare  licet,  œternum  erimus.  Hoc  ita  ut  fiat,  petiraus  Bene- 
dictionem  Paternitatis  vestra^,  et  nobis  et  missioni  nostrœ  :  e^o 
prœcipue  omnium  indignissimus,  sed  tamen. 
Rev^^'^  admodum  P^'^tis  \œ 

Humillimus  et  obsequentissimus  filius 

Paulus  Ragueneau. 
Ex  Domo  Sanctœ  Mariae 

apud  Hurones  in  nova  Francia 

Calendis  Martii  anni  1649. 

Admodum  Reverendo  in  Ghristo  Patri  nostro 
Vincentio  Garaffœ  Prccposito  Generali 

Societatis  Jesu  Romam. 


t»^ 


Lettre  du  P.   Ch.  Garnier  \ 
miss,    du    Canada, 

AU  R.  P.  Pierre  Boutard   de  la   Compagnie   de  Jésus, 
A  Bourges. 

M.  R.  P.,  P.  C.  Je  vous  remercie  de  tout  mon  cœur  de  la  belle 
relique  que  vous  m'avez  envoyée.  J'attends  l'occasion  delà  mettre 
entre  les  mains  de  quelqu'un  qui  en  fasse  mieux  son  proffît  que 
moi.  Mais  il  faut  que  je  vous  fasse  participant  d'une  nouvelle  de 
ce  pays  qui  est  de  grande  consolation.  C'est  qu'il  a  plu  à  N.  S. 
de  donner  la  couronne  de  martyrs  à  deux  de  nos  Pères,  savoir 
est  au  P.  J.  de  Brébeuf  et  au  P.  Gabriel  Lallemant.  Ils  n'ont  pas 
été  fait  mourir  par  un  tyran  qui  persécute  l'église,  comme 
faisoyent  les  anciens  tyrans;  mais  nous  les  appelons  martyrs 
parce  que  les  ennemis  de  nos  Hurons  leur  ont  fait  beaucoup 
endurer  en  dérision  de  notre  S^*^  Foy.  Ces  deux  bons  Pères 
estaient  dans  un  bourg  des  Hurons,  oîi  ils  avaient  une  église 
qu'ils  administraient  avec  beaucoup  de  zèle  et  de  sainteté.  Le 
16^  de  mars  de  cette  année,  de  grand  matin,  ils  eurent  nouvelle 
assurée  que  l'armée  ennemie  venait  fondre  sur  le  bourg;  ils  se 
résolurent  d'imiter  J.  C.  le  bon  pasteur  et  de  mourir  pour  leur 
troupeau.  Ils  demeurèrent  donc  (quoiqu'il  leur  eust  esté  très 
aysé  de  se  sauver)  pour  confesser  les  chrétiens  et  baptiser  les 
catéchumènes  et  les  infidèles,  ce  qu'ils  continuèrent  de  faire 
jusqu'à  ce  que  les  ennemis  saccageant  le  bourg,  les  prirent  et  les 
emmenèrent  à  une  lieue  de  là,  où  ils  leur  firent  endurer  toutes 
les  cruautés  qu'ils  font  endurer  à  leurs  ennemis;  mais,  ce  qui 
est  remarquable,  c'est  qu'ils  leur  firent  souffrir  plusieurs  tour- 
ments en  haine  et  dérision  de  notre  S^^  Foy.  En  dérision  du 
baptême,  ils  les  arrosèrent  d'eau  bouillante,  et  en  dérision  de  ce 

1.    Voir  plus  haut,  p.  81. 


—  465  — 

que  nous  disons  qu'à  mesure  des  souffrances  on  sera  glorifié 
dans  le  ciel,  ils  les  brûlaient  avec  des  tisons  ardents,  disant  ça 
que  je  t'augmente  ta  couronne.  Enfin,  enrageant  de  ce  que  le 
P.  de  Brébeuf  ne  cessait  au  fort  de  ses  tourments  d'exhorter  les 
chrétiens  qui  mouraient  avec  lui,  de  penser  à  Téternité  bienheu- 
reuse dans  laquelle  ils  allaient  entrer,  ils  lui  fendirent  la  bouche 
avec  un  cousteau  et  lui  coupèrent  le  nez.  Mais  la  relation  vous  en 
apprendra  davantage.  Bénissez  Dieu  je  vous  prie  de  la  faveur 
qu'il  a  faite  à  cette  mission,  en  donnant  cette  couronne  de  gloire 
à  ces  deux  grands  serviteurs  de  Sa  Majesté.  Vous  connaissiez 
bien  le  P.  G.  Lallemant,  et  vous  vous  souvenez  bien  comme  il  a 
toujours  vécu  dans  une  grande  innocence  et  dévotion.  Pour  le  P. 
de  Brébeuf,  c'est  lui  qui  est  l'apôtre  des  Hurons,  et  il  a  toujours 
vécu  saintement;  nous  l'admirions  icy.  Dieu  soit  bény  en  ses 
saints  !  Vous  verrez  dans  la  Relation  quelques  bienfaits  remarqués 
de  sa  vie. 

SS.  R«^  V^' 

Tuus  in  X. 

Car.  Garnier 
De  la  résidence  de  S'^-Marie 

aux  Hurons,  ce  27  avril  1649. 

P.  S.  Je  vous  prie  de  faire  part  de  ce  mot  de  lettre  au  R.  P. 

Jacques  Favyer  et  de  me  recommander  à  ses  SS.  SS.  et  prières. 

Le  P.  Mercier,  le  P.  Ghastelain  et  le  P.  Mesnard,  P.  Pijart, 

R.  P.  Ragueneau  se  recommandent  particulièrement  à  vos  SS. 

SS.  et  prières. 

(Arch.  de  la  Prov.  de  Lyon,  rue 
St«-Hélène,  10,  mss.  du  P.  Prat.) 


Jés.  ei  Noiw.-Fr.  —  T.  IL  30 


VI 


Episïola  Patris  p.  Ragueneau  ad  R.  P.  Generalem 
V.    Caraffa 

13  mars  1G50. 

Noster  adinodum  Révérende  in  Christo  Pater, 
Pax  Ghristi. 

Superiore  anno  nihil  literarum  accepimus  ex  Europa;  imo  ne 
Quebeco  quidera  responsum  ad  nos  ullum  est  allatum,  ad  eas 
literas,  quas  scripseram,  fusas  satis,  de  rerum  nostrarum  statu. 
Ut  ante  cœperat,  ita  nunc  etiam  pergit  manus  Domini  nos  tangere. 
Nec  querimur  tamen,  nec  dicimus  misereminimei^  saltem  vos  amici 
mei-,  quia  potius  laetamur,  et  gaudemus  semper,  quia  et  nostro, 
omnium  quotquot  hîc  sumus,  et  ecclesise  nostrce  bono,  eveniunt 
mala,  quibus  permittit  Deus  nos  probari,  et  quibus  sane  nos 
coronet  potius,  quam  afïligat. 

Intellexit  Paternitas  vestra,  posterioribus  meis  literis  de  pre- 
tiosâ  morte,  aut  potius  martyrio  Patrum  nostrorura;  Patris 
Antonii  Daniel,  Patris  Joannis  de  Brebeuf,  et  Patris  Gabrielis 
Lallement;  quos  barbari  Iroqucxi,  Ecclesiœ  huic  nascenti  eripue- 
rant  crudeliter,  cum  grege  cbristiano  pastorem  etiam  mactantes, 
unumquemque  omnibus  suis  invigihintem. 

Sub  fmem  exeuntis  ejusdem  anni  1G49,  duo  alii  Patres  simili 
morte  perfuncti  sunt,  in  statione  sua  :  Pater  Carolus  Garnier,  vir 
apostolicus,  vereque  natus  in  salutem  istarum  gentium,  cuique 
nihil  omnino  deerat  ad  perfectam  sanctitatem  ;  et  Pater  Natalis 
Ghabanel  ejus  socius,  qui  ex  Provincia  Tolosana  ad  nos  venerat. 
Alter  die  septima  Decembris  occisus  est,  hostili  manu,  medio  in 
oppido;  quod  victores  Iroquaei  irruptione  facta,  ferro  atque  igné 
vastarunt.  Alter,  postridie  solum  extinctus  est,  Immaculatee  Vir- 
ginis  Gonceptioni  sacro    :    incertum   qua   manu;    an   hostili   an 

1.   Voir  plus  haut,  pp.  92,  96,  98,  100,  107  et  108. 


—  467  — 

potius  perfidi  apostatae,  qui  per  sylvas  invias  errabundo  Patrie 
ac  profugo,  necem  sit  molitus,  ut  ejus  suppellectili ,  quantumvis- 
paupere,  veste  nimirum  et  calceis,  potiretur,  pileoque  jam  lacero. 

Sed  de  his  fusius  perscribam  alibi.  Neque  vero  bello  solum. 
afflicti  sunt  Hurones  nostri;  sed  funesta  famé,  et  contagiosa  lue, 
simul  omnes  misère  pereunt.  Effossa  passim  e  sepulchris  cada- 
vera,  nec  fratribus  modo  fratres,  sed  ipsis  etiam  matribus  filii, 
jam  evecti  famé,  pretiosa  nupei'  pignora,  filiisque  parentes  sui,. 
pabulum  non  semel  dedere  :  inhumanura  quidem,  nostrisque  bar- 
baris  haud  insuetum  minus  quam  Europaeis,  qui  suorum  carnibus 
vesci  abhorreant.  Sed  nimirum  nihil  in  cibo  discernunt  dentés 
famelici;  neque  eum  agnoscunt,  in  cadavere  mortuo,  quera  paren- 
tem,  quem  filium,  quem  fratrem  nuper  vocarent,  dum  expiraret; 
imo  neque  humano,  belluinoque  stercori  parcitum.  Felices  quibus 
amara  glande  et  jîorcorum  siliquis  uti  licuit,  innocuo  cibo,  neque 
vero  ingrato,  cui  famés  condimentum  daret;  cuique  hoc  anno 
raritas,  pretium  longe  majus  fecit,  quam  antea  frumento  Indico 
solitum  esset  dari. 

Hœc  publica  calamitas,  inimica  corjioribus,  animis  salutaris 
fuit  :  neque  enim  hactenus  laborum  nostrorum  fructus  major 
extitit,  nunquam  altius  descendit  fides  in  pectora,  neque  hic 
usquam  christianum  nomen  fuit  illustrius,  quam  inter  ruinas 
afflictae  gentis.  Numeramus  hoc  posteriore  anno,  baptizatos  bar- 
baros,  supra  tria  millia  :  verissime  ut  nobis  dictum  appareat 
effatum  illud  Apostoli,  flagellât  Deus  omnem  filium  quem  recipit. 
Superstites  adhuc  sumus  in  hac  missione.  Patres  tredecim,  coad- 
jutores  quatuor,  domestici  perpetui  viginti  duo,  undecim  alii 
famuli  non  perpetui  (quibus  solis  stipendia  solvuntur  sati& 
modica)  ;  sex  milites,  quatuor  pueri,  sexaginta  omnino  animœ; 
quibus  cœlestia  sic  sapiunt,  ut  terrena  decipiant  :  certè  enim 
affirmare  possum  Paternitati  vestrre,  neminem  unum  esse  qui  in 
spiritu  et  veritate  Deum  non  adoret;  vere  ut  hsec  dici  possit  esse 
Domus  Dei,  et  Porta  cœli. 

Paternam  erga  nos  Dei  manum  experimur;  ita  enim  haec  nos 
mala  cingunt,  ut  tamen  nusquam  attingant;  nihil  ut  animis,  nihil 
ut  corporibus  defuerit;  non  earum  quidem  rerum,  qua?  ad  deli- 
cias,  sed  quibus  natura  satis  sustentet  se  parvo  contenta.  Neque 
vero  nobis  solum  hîc  viximus;  sed  insuper  nobis  dédit  divina 


—  468  ■— 

raunificentia,  unde  possemus  christianorum  paupertati  ac  miseriis, 
misericorditer  subvenire,  vix  ut  ullus  restet  in  vivis,  qui  auxilio 
nostro  non  vivat;  vix  ut  ullus  sit  mortuus,  qui  non  agnoverit 
plus  charitati  nostrae  debere  se,  quam  ulli  omnino  mortalium 
omnium.  Sic  adeo  ut  parentes  Patriœ  publiée  jam  vocemur,  et 
omnimo  simus  :  magnum  sane  adjumentum  ad  christianam  fidem. 
De  fuluro  Dominus  providebit,  sufficit  enim  diei  malitia  sua. 
Sed  tamen  duse  res  sunt,  unde  multum  timemus  huic  missioni, 
ne  ruinam  trahat.  Alterum,  ab  hostibus  Iroquaeis;  alterum  a 
defectuannonœ  :  neque  enim  satis  apparet,  unde  huic  malo  obviam 
iri  possit.  Coacti  sunt  Hurones  nostri,  superiori  anno,  non  modo 
suas  domos,  suaque  oppida,  sed  agros  etiam  deserere  :  vexati 
nimis  bello,  ac  perpetuis  afflicti  cladibus;  fugientem  gregem, 
secuti  sumus  Pastores;  nostrasque  etiam  sedes,  delicias  dicam 
nostras,  Sanctae  Marias  domum  reliquimus,  excultaque  a  nobis 
jugera,  quae  spem  divitem  messis  darent  :  imo ,  operi  manuum 
nostrarum,  nos  ipsi  ignem  subjecimus;  ne  hostibus  impiis,  tectum 
prc-eberet  Domus  sancta  :  atque  adeo  una  die,  ac  fere  momento, 
absumi  vidimus  labores  nostros,  decem  propemodum  annorum  : 
unde  spes  erat  nobis,  potuisse  nos  colligere,  quœ  necessaria 
nobis  ad  victum  forent;  adeoque  perstare  nos  potuisse,  in  bis 
regrionibus,  sine  auxilio  Galliœ.  Sed  Deo  aliter  visum  est  :  deso- 
lata  nunc  domus,  desolatique  Pénates;  alio  migrandum  fuit,  et  in 
terra  exilii  nostri,  novum  exilium  quserendum. 

In  conspectu  continentis,  viginti  circiter  milliaribus  ab  bac 
prima  sede  Sanctœ  Mariae ,  Insula  est,  vastissimo  cincta  lacu 
(quod  mare  melius  vocetur)  :  illic  stetere  Hurones  profugi,  pars 
saltem  maxima;  illic  etiam  standum  nobis  fuit  :  illic  struendœ 
novœ  sedes,  ubi  nuper  ferarum  tecta  fuerant;  illic  exscindendae 
silvœ,  nunquam  ab  orbe  condito  securim  passae;  illic  demum 
exstruenda  prœsidia,  bellicus  labor,  non  nobis  solum,  sed  etiam 
barbaris.  Hae  fuerunt  artes  nostrae,  hic  conatus  noster  continuus; 
non  œstate  modo,  sed  tota  hyeme;  ut  jam  satis  tuti  nobis  vi- 
deamur,  ab  bac  parte;  atque  excipiendo  communi  hosti  haud 
imparati  :  neque  enim  ligneo  tantum  vallo  cincti  sumus,  ut  moris 
hactenus  fuerat;  sed  lapide,  spissoque  muro,  quam  difficili  ad 
ascensum,  tam  facili  ad  defensionem;  quique  inimicum  ignem  non 
metuat,  non  arietem,  tormentave  ulla  bellica  quibus  uti  possint 
Iroquœi. 


--  469  — 

Sed  operosior  longe  restât  labor,  evellendis  arboribus,  tellu- 
rique  ad  cultum  agrorum  parandœ,  unde  arcendae  fami,  partim 
frumenta,  partim  radiées,  atque  herbae  sufficiant;  Tali  enim 
cibo  hîc  vescimur;  nullo  utimur  potu,  nisi  aqua^  frigidae  :  vix  ullo 
vestitu,  nisi  ferarum  pellibus  ,  quas  natura  sine  arte  praebet. 
Gallinas  decem,  par  unum  porcorum  reservavimus,  boves  duos, 
totidemque  vaccas  quantum  scilicet  servandae  prolis  sit  satis; 
annonae  frumenti  Indici,  in  annum  unum  absumpta  reliqua,  ut 
charitati  christiana;  non  deessemus  :  servatum  tamen  exiguum 
illud,  quod  dixi;  quia  charitas  non  agit  perperam;  nec  debuit 
tam  esse  prodiga,  curandis  utique  corporibus,  nihil  ut  nobis 
reliqui  faceret,  quo  possemus  nos  utcumque  sustentare,  qui  fidei 
excolendœ ,  salutique  animarum  procurandae  incumbamus.  Ut 
tamen  omnia  desint,  Deo  adjuvante,  nusquam  deerunt  animi, 
nusquam  spes  deerit,  nusquam  patientia  :  charitas  enim  omnia 
j^otest,  omnia  sustinet.  Hoc  polliceri  sancte  possum,  de  omnibus 
quotquot  hîc  degunt,  Patribus.  Paratum  habent  pectus  ad  omnia  : 
non  cruces,  non  pericula,  non  cruciatus  ullos  exhorrent,  quorum 
in  conspectu  vivunt,  in  quibus  mori,  habent  in  votis,  eô  feliciorem 
estimantes  missionis  hujus  statum,  suaeque  vocationis  dignita- 
tem,  quopropius  positam  ante  oculos  jam  vident,  crucem  quisque 
suam,  seque  omnino  in  cruce  positos;  unde  eos  eripere,  nullus 
mortalium  possit;  unde  eosdem  detrahere,  sola  jubentis  Dei 
voluntas  queat,  qui  per  obedientiœ  vocem  eis  loquatur.  Amet 
nos,  vestra  Paternitas,  filios  suos  et  benedicat  nobis,  in  cœlesti- 
bus,  in  christo;  quia  lîlii  Crucis  sumus,  utinam  in  eâ  moriamur. 
Hœc  summa  est  votorum  nostrorum,  hicc  spes  nostra,  hoc  nostrum 
gaudium  quod  nemo  tollet  a  nobis. 

R'^^  admodum  P^^t^^  V«^ 
Humillimus  et  obsequentissimus  filius 

Paulus  Ragueneau. 
Ex  Domo  Sanctae  Mariae  in 
Insula  Sancti  Josephi  apud  Hurones 
In  Nova  Franciâ  13<^  Martii  1650 

Admodum  Reverendo  in  Christo 

Patri  nostro  Vincentio  Caraffae 

Prœposito  Generali  Societatis  Jesu,  Romam. 


vu  1 

Lettre  du  P.  Charles  Lalemant  sur  le  voyage  a  Paris, 
EN  1642,  DU  P.  Le  Jeune. 

Lettre  au  P.  Etienne  Charlet, 

ASSISTANT    DE    FrANCE    A    RoME. 

Paris,  28  février  1642. 

Mon  R.  P.,  P.  G.  J'ai  reçu  celle  qu'il  a  plu  à  V.  R.  de  m'es- 
€rire  en  faveur  des  affaires  pour  lesquelles  le  P.  Le  Jeune  est  venu 
ifaireuntouren'ce  païs.  Or,  quoique  toutes  les  affaires  de  la  Nou- 
Telle-France  me  soient  extrêmement  recommandées,  si  est-il  vrai 
que  ce  que  votre  R.  m'en  escrit,  augmente  beaucoup  mon  affec- 
tion,   suivant   laquelle  je   n'ai   pas   manqué   de   l'assister.    Il  a 
obtenu  dix  mille  escus  pour  envoyer  des  hommes  par  de  là,  afin 
•de  fortifier  contre  les  Iroquois  et  empescher  leurs  courses.  Il  eût 
bien  encore  désiré  un  secours  plus  puissant  pour  chasser  ceux 
qui   entretiennent  les  dits   iroquois    dans  celte  guerre,   en  leur 
fournissant  des  armes  à  feu,  mais  cette  entreprise  a  esté  jugée 
très    hasardeuse    :    1°  parce    qu'on  ne    sait    pas    leurs    forces  ; 
2°  quand  on  les  scauroit,  il    faudrait  une  somme  notable  pour 
fournir  à  la  despense  des  hommes  et  des  vaisseaux  qui  seront 
nécessaires  à  ce  dessein  ;   3°  après  tout  cela,  on  ne  seroit  pas 
asseuré  de  l'emporter,  et  si  le  coup  manquait,  voilà  une  grande 
-despense  que  nous  aurions  faict  au  Roy  sans  aucun  succez,  ce 
qui  feroit  que  nous  ne  serions  plus  ouïs,  lorsque  nous  aurions 
besoing  de   quelque  secours   plus  aisé  ;    4°    je   veux   que    nous 
emportions   la   place»  par   force;   je   demande    après   cela,    qui 
est-ce    qui  asseurera    nos   flottes   contre  ceux   qui   auront  esté 
chassez,  et  mesme  le  païs  qu'ils  tascheront  de  surprendre  comme 
nous  les  aurons  surpris  :  et  est  à  remarquer  que  c'est  la  Gompa- 

1.    Voir  plus  haut,  p.  166. 


—  471  — 

gnie  des  Indes  qui  tient  là  cette  habitation,  qui  s'en  ressentirait 
si  on  l'avait  enlevée  ;  5**  si  le  coup  manque,  cela  ne  laissera  pas 
de  les  animer  contre  ceux  de  Kébec  et  fourniront  plus  que 
jamais  des  armes  aux  Iroquois  et  se  pourront  bien  joindre  à 
eux  pour  nous  faire  du  mal  dans  le  pais  ;  6**  quelle  assurance 
certaine  avons-nous  que  cela  obligera  les  Iroquois  de  faire  la 
paix:  avec  nos  sauvages  ;  et  pourtant,  c'est  sur  l'asseurance  de 
cette  paix  que  tout  ce  dessein  est  basty.  Or,  on  demande  si  sur 
cette  seule  espérance  dont  nous  n'avons  pas  d'asseurance,  on 
doibt  faire  une  despense  certaine  d'une  si  grande  somme 
nécessaire  pour  ce  dessein,  et  s'exposer  dans  les  dangers  ci 
dessus  remarquez.  Je  prierais  volontiers  votre  R.  de  me  faire 
escrire  son  sentiment  là  dessus  et  afin  qu'elle  puisse  mieux  le 
donner,  voicy  les  raisons  que  le  P.  Le  Jeune  produit  pour  pour- 
sui\re  l'entreprise. 

Si  on  ne  chasse  ces  gens  là  par  composition  ou  par  armes  le 
pais  est  toujours  en  danger  de  ruine,  la  mission  en  danger  de 
se  rompre,  les  religieuses  en  danger  de  retour  et  la  colonie  se 
peut  perdre,  la  porte  de  l'évangile  est  fermée  à  quantité 
de  nations  fort  peuplées,  nos  pères  dans  les  périls  d'estre  pris 
et  brûlez. 

Il  y  a  espérance  qu'on  les  peut  chasser,  M.  de  Noyers  lui  a 
faict  espérer  comme  de  la  part  de  INIonseigneur  le  Cardinal,  et  a 
comme  donné  parole  qu'on  donnera  ce  qu'il  faut  pour  les  chas- 
ser, pourveu  que  leurs  forces  ne  soient  pas  excessives. 

De  composition  il  n'y  a  point  d'apparence,  car  on  lui  a  dit 
qu'il  n'en  fallait  point  attendre,  d'autant  que  c'estoient  des 
Arabes;  il  fault  donc  y  aller  par  force.  Voilà  ses  raisons. 

Je  prie  donc  V.  R.  de  me  faire  escrire  là  dessus  son  senti- 
ment. 


VIII 1 

Bulle  qui  nomme  vicaire  apostolique 
l'abbé  de  Laval  de  Montigxy 


Alexander  Episcopus  Servorum  Dei,  Dilecto  filio  Franscico 
de  Laval  de  Montigny  Electo  Petrensi  Salutem  et  Apostolicam 
Benedictionem. 

Apostolatus  officium  meritis  attamen  imparibus  Nobis  ex  dto 
commissum  quo  Ecclesiarum  omnium  regimini  divina  disposi- 
tione  prsesidemus  utiliter  exequi  coadjuvante  Domino  cupientes  sol- 
Hciti  corde  reddimur  et  solertes  ut  cum  de  Ecclesiarum  ipsamm 
regiminibus  agitur  committendis  taies  eis  in  pastores  prîcfîcere 
studeamus  qui  populum  suse  curœ  creditum  sciant  non  solum 
doctrina  verbi  sed  etiam  exemplo  boni  operis  informare  ;  com- 
missasque  sibi  Ecclesias  in  statu  pacifico  et  tranquillo  velint  et 
valeant  dante  Dno  salubriter  regere  et  féliciter  gubernare.  Sane 
Ecclesiœ  Pelrensis  quse  in  partibus  infidelium  consistit  certo 
quam  pr?psentibus  haberi  volumus  pro  expresso  modo  pastoris 
solatio  destituta  ;  Nos  vacatione  hujusmodi  fide  dignis  relationi- 
bus  intellecta  ad  provisionem  ipsius  Ecclesiae  paternis  et  sollici- 
tis  studiis  intendentes  post  deliberationem  quam  de  praeficiendo 
eidera  Ecclesiae  personam  utilem  ac  etiam  fructuosam  cum  Vene- 
rabilibus  Fratribus  Universœ  Sanctœ  Romanœ  Ecclesiae  Gardina- 
libus  habuimus  diligentem,  demum  ad  Te  in  decretis  Franciae 
lum  ex  legitimo  matrimonio  ac  catholicis  et  nobilibus  parentibus 
in  diœcesi  Carnotensi  ortum  ac  in  aetate  légitima  et  presbytera- 
tus  ordine  jampridem  constitutum  fidemque  catbolicam  juxta 
articulos  jampridem  a  Sede  Apostolica  propositos  expresse 
professum  omniaque  alia  requisita  habentem,  quique  ut  accepi- 
mus  loci  de  Montigny  in  temporalibus  Dominus  existis,  cuique 
apud  Nos  de  litterarum  scientia,  nobilitale  generis,  vitse  mundi- 

1.    Voir  plus  haut,  pp.  192  et  283. 


—  473  — 

tia,  honestate  morum,  spiritualium  providenlia  et  temporalium 
circumspectione  aliisque  multiplicum  virtutum  donis  fide  digna 
testimonia  perhibenlur,  direximus  oculos  nostrcC  mentis.  Quibus 
omnibus  débita  meditatione  perspectis,  Te  a  quibusvis  excom- 
municationis,  suspensionis  et  interdicti  aliisque  ecclesiasticis 
sententiis,  censuris  et  pœnis  a  jure  vel  ab  homine  quavis  occa- 
sione  vel  causa  latis,  si  quibus  quomodolibet  innodatus  extiteris, 
ad  officium  praedictum  dumtaxat  consequendum  harum  série 
absolventes  et  absolutum  fore  censentes  juxta  decretum  nostrum 
in  Sacra  Congregatione  de  Propaganda  Fide  factum  Ecclesiae 
Pelrensi  prœdictse  de  persona  tua  nobis  et  eisdem  fratribus  ob 
tuorum  existentiam  meritorum  accepta  de  fratrum  eorumdem 
consilio  apostolica  auctoritate  providemus,  Teque  illi  in  Episco- 
pum  prseficimus  et  pastorem  curara  regimen  et  administrationem 
ipsius  Ecclesiae  Tibi  in  spiritualibus  et  temporalibus  plenarie 
committendo,  in  Illo  qui  datgratias  et  largitur  prsemia  confiden- 
tes quod  dirigente  Domino  actus  tuos  praedicla  Ecclesia  sub  tuo 
felici  gubernio  regetur  utiliter  et  prospère  dirigetur  ac  grata  in 
eisdem  spiritualibus  et  temporalibus  suscipiet  incrementa. 
Jugum  igitur  Domini  tuis  impositum  humeris  prompta  devotione 
suscipiens  curam  et  administrationem  prœdictas  sic  exercere  stu- 
dens  sollicite,  fideliter  et  prudenter  quod  Ecclesia  ipsa  guber 
natori  provido  et  fructuoso  administratori  gaudeat  fuisse  com- 
missam.  Tuque  pra^ter  œternœ  retributionis  pra^mium  nostram 
et  dictse  Sedis  benedictionem  et  gratiam  exinde  uberius  consequi 
merearis.  Nos  enim  ad  ea  qua^  in  tua^  commoditatis  augmentum 
cedere  valeant  favorabiliter  intendentes  tuis  in  bac  parte  suppli- 
cationibus  inclinati  Tibi  ut  a  quocumque  quem  malueris  catho- 
lico  antistite  gratiam  et  communionem  prœdicta?  Sedis  habente, 
accitis  et  in  boc  Tibi  assistentibus  duobus  vel  tribus  aliis  catho- 
licis  episcopis  similiter  gratiam  et  communionem  habentibus, 
munus  consecrationis  recipere  libère  valeas  ac  eidem  antistiti  ut 
recepto  prius  a  Te  nostro  el  Romanœ  Ecclesiœ  nomine  fideli- 
tatis  debitse  solito  juramento  juxta  formam  quam  sub  bulla 
nostra  mittimus  introclusam. 

Munus  praefatum  auctoritate  nostra  tibi  impendere  licite  posse 
facultatem  concedimus  per  prœsentes.  Volumus  autem  et  prœ- 
dicta auctoritate  statuimus  atque  decernimus  quod  nisi  recepto  a 
Te  per    ipsum   Antistitem    juramento    prœdicto    idem   Autistes 


—  474  — 

munus  ipsum  Tibi  impendere  et  Tu  illud  suscipere  prcesump- 
seritis  idem  Antistes  a  pontificalis  offîcii  exercitio  et  tam  ipse 
quam  Tu  ab  administratione  tam  spiritualium  quam  temporalium 
Ecclesiarum  vestrarum  suspens!  sitis  ex  ipso.  Praeterea  et 
volumus  quod  formam  juramenti  hujusmodi  a  Te  tune  praestiti 
Nobis  de  verbo  ad  verbum  per  tuas  patentes  litteras  tuo  sigillo 
munitas  per  proprium  nuncium  quanto  citius  destinare  procures, 
quodque  et  per  hoc  Venerabili  Fratri  Nostro  Archiepiscopo 
Hierapolen.  cui  ecclesia  ipsa  Petrensis  Metropoliticae  jure 
subesse  dignoscitur  nullum  in  posterum  praejudicium  generetur. 
Et  insurper  Tibi  ut  officium  Vicarii  Apostolici  in  regno  Canadae 
in  America  septentrionali  ad  quod  Te  destinavimus  exercera 
possis,  quodque  ad  dictam  ecclesiam  Petrensem  quaradiu  'ab 
infidelibus  detinebitur  accedere  et  apud  eam  personaliter  resi- 
dere minime  tenearis constitutionibus  et  ordinationibus  Apostolicis 
dictaeque  Ecclesiœ  Petrensis  et  juramento  confirmatione  aposto- 
lica  vel  quavis  firmitate  alia  roboratis  statutis  et  consuetudinibus 
cœterisque  contrariis  nequaquam  obstanlibus  auctoritate  et  tenore 
praemissis  de  spiritali  gratia  indulgemus. 

Datum  RofficC  apud  Sanctam  Mariam  Majorem  anno  Incarna- 
tionis  dominicae  millesimo  sexcentesimo  quinquagesimo  octavo 
Tertio  nonas  junii,  Pontificatus  nostri  anno  quarto. 

(Sign.)  J.  Card.  Prodat.  M.  St  de  Nobilibus 
visa  de  curia  P.  Ciampinus 

(sur  le  revers)  J.  B.  Laborne  ; 

(sur  le  dos)  Sta  M.   Secretaria  Brevium. 

(adresse)  Pro  lUustrissimo  Domino  Francisco  a  Laval  de 
Montigny. 

Bulla  provisionis  Ecclesiaî  Petren. 
De  Martin.  Delaborne. 

Concordat  cum  Originali.  In  fidem  etc. 

Quebeci  die  27  Novembris  1894. 

B.  Ph.  Garneau  p*^"*  Secrius 

Archid.  Ouebecen. 


IX 


Pouvoirs  de  grand  vicaire 

ACCORDÉS    AU     SUPERIEUR    DES    JÉSUITES    DU    CaNADA 
PAR      l'aRCHEVÉRUE      DE      RoUEN 

Franciscus  miseratione  divina  archiepiscopus  Rothomagensis 
Normanniae  primas,  Francisco  Annato  emerito  Theologiœ  pro- 
fessori  ac  Societatis  Jesu  pro  Gallia  assisteiiti  dignissimo  ad  per- 
petuam  rei  memoriam  et  uberiorem  novi  nostri  gregis  Canadensis 
proventum.  Quam  necesse  est  vires  apostolicos  hierarchicse  juris- 
dictionis  praesidiis  muniri  pro  instituenda  rite  nascentis  Ecclesiae 
forma  secundum  ecclesiasticam  disciplinam,  tam  est  opportunum 
eosdem  promptos  et  expeditos  quasi  cœlestes  nubes  in  omnem 
locum,  omne  munus,  omnem  occasioném  façiendi  fructus  ab  eis 
acceptam  rependere  et  a  nutu  et  manu  eorum  continue  pendere, 
quorum  zelo,  prudentiae  ac  regimini  tanquam  Archangelis  procu- 
ratio  illa  commissa  est  Quod  ciim  et  sanctorum  Patrum  canones 
et  exempla  nos  doceant,  ususque  ipse  et  constans  et  diuturnus 
Pontificiœ  dignitatis,  quam  a  tôt  annis  divina  nobis  pietas  impo- 
suit;  aliunde  vero  lœtissimis  animis  complectamur  ingentes  illos 
fructus,  quos  in  nova  nostra  Canadensis  EcclesicT  vinea  opera- 
riorum  vestrorum  sudores  perpétue  pariunt;  tum  etiam  pro  nostra 
ardentissima  et  in  novellam  banc  propaginem  et  in  vestros  tam 
sanctos  utilesque  Libères  cbaritate  amplissime  previdere  cu- 
pientes;  de  géminé  illo  commeatu  et  jurisdictienis  hierarchicae  et 
expeditissiraa?  ad  emnialibertatis,  declaramus  dédisse  nos  ac  per 
bas  patentes  litteras  quantum  epus  est  cenfirmare  superiori  telius 
missionis,  quisquis  ille  fuerit,  et  quamdiu  solum  superior  fuerit 
ex  societatis  vestrœ  legibus  censtitutus,  perpetui  Vicariatas  nostri 
honorem,  potestatem ,  jura,  praeeminentias ,  privilégia;  quam 
potestatem  cuicumque  pro  module  functienis  suœ  ubique  terrarum 

1.   FojV  plus  haut,  pp.  208  et  216. 


—  476  — 

illarum  communicare  queat,  sive  per  se  sive  per  subordinatos 
quoscumque  superiores,  sed  quam  nemo  nisi  quantum  et  quamdiu 
ab  eodem  superiore  sive  médiate  sive  immédiate  concessa  fuerit, 
exercere  per  illas  Americœ  plagas  possit.  Declaramus  insuper 
quancumque  talem  potestatem,  cuicunque  tandem  sive  per  nos 
ipsos  sive  per  prœdictum  superiorera  quomodocunque  concessam 
aut  concedendam,  adeo  nihil  obstare  quominus  plene  et  perfecte 
superiorum  suorum  mediatorum  aut  immediatorum  gubernationi 
subsit,  etiam  revocando  vel  suspendendo  vel  in  alium  transferendo 
usum  ejusmodi  potestatis,  prout  in  Domino  conducibilius  judica- 
verint;  ut  cum  potestas  illa  perfecta  sit  muneri  apostolicae  hie- 
rarchiœ  adjuncta,  magis  ac  raagis  ipsum  eidem  gubernationi  uniat 
subjiciatque  ad  omnem  operam  liberius  et  securius  prsestandam. 
Porro  ineaVicariigeneralis  potestate  deferenda  sicpaternanostra 
pietas  intendit  in  nascentis  nostrae  vineae  et  apostolicae  nostrae  per 
illam  missionis  fructum  bonumque,  ut  simul  tamen  societatis 
vestrae  disciplinam,  quœ  longe  nobis  carissima  est,  salvam  et 
integram  velit.  Declaramus  denique  nolle  nos  potestatem  hanc 
cum  omni  suo  honore  jure  praeerainentia  privilegio  etiam  in  supe- 
riore illo  residere  aut  administrai  alio  modo,  quam  quo  ex  socie- 
tatis ejusdem  vestrae  instituto  superiorum  ordinatio  praefixerit. 
Ita  a  nobis  tanquam  a  capite  plenitudo  ac  libertas  potestatis 
hierarchicœ,  a  societate  vestra,  tanquam  a  speciali  voluntatis 
nostrae  interprète  et  administra  attemperatio  utriusque,  ad  spiri- 
tum  suum  ecclesiasticae  hierarchiae  devotissimum,  a  Deo  denique 
supremo  Hiérarchise  fonte  ac  primo  omnis  sacri  ordinis  Pâtre 
benedictio  consequenter  jugis  et  perpétua  in  vestram  missionem 
descendet.  Datum  Gallioni  in  archiepiscopali  arce  nostra  in  au- 
dientia  nostra  Archiepiscopali ,  anno  apertae  missionis  Dominicae 
milles™"  sexcent"""  quadrag"*"  nono  die  vel  ultima  mensis  Aprilis. 

Fr.  Archiepiscopus  Rothomagensis. 

(Archives  générales  de  la 
Compagnie  de  Jésus) 


Lettre  de    Mgr  l'archevêque   de   Rouen 

NOMMANT    M.    DE    QuEYLUS    GRAND    VICAIRE    DU    GaNADA 

22  Apriles  1G57. 
Vicariatus  generalis 
pro  Nova  Francia 

Franciscus  miseratione  divina  archiepiscopus  Rothomagensis 
Normanise  Primas  Dilecto  nobis  magistro  Gabriel!  de  Quaylus 
Presbytero  Ruthenensi  Abbati  de  Locdieu  in  sacra  facultate 
Theologise  doctori  Salutem  et  Benedictionem  in  Domino.  Gùm  in 
Novae  Franciaj  Regione  ultra  mare  sita  nascentis  Ecclesiae  non 
contemnenda  primordia  divina  misericordia  ponere  dignata  sit 
frequentibus  Fidelium  ex  hoc  continenti  transmigrationibus  et 
infidelium  Incolarumconversionibus  et  hue  usquediœcesisnostrae 
limites  nova  fidei  accretione  extendere,  undè  etiam  majora  in  dies 
juvamenta  sperantur,  nec  tam  dissitas  partes,  ut  par  est,  per  nos 
ipsos  Pastorali  sollicitudine  fovere  ac  regere  valeamus,  de  luis 
probitale,  doctrina,  pietate,  et  moribus  in  Domino  confisi,  ex 
nostra  scientia  libéra  spontanea  voluntate  Te  dictura  magistrum 
Gabrielem  de  Quaylus  nostrum  in  spiritualibus  ac  temporalibus 
vicarium  generalem  nec  non  offîcialem  ad  praedictas  Novœ  Francise 
regiones  nostraî  diœcesis  vice  nostra  regendas  et  gubernandas 
fecimus  et  constituimus,  facimus  et  constituimus,  dantes  plenam 
et  omnimodam  potestatem  quascumque  causas  Ecclesiasticas 
civiles  criminales  et  alias  ad  forum  nostrum  de  jure  sive  consue- 
tudine  spectantes  judicandi  et  terminandi,  qua?cumque  statuta  ad 
dictum  regimen  necessaria  condendi,  prout  expedire  videbitur, 
quascumque  personas  Ecclesiasticas  corrigendi,  sententias  et  cen- 
suras ferendi,  excommunicandi,  suspendendi,  interdicendi,  absol- 
vendi  ab  omnibus  casibus  et  censuris  etiam  nobis  reservatis  aut 
reservandis,  super  votis  dispensandi  aut  cas  commutandi  dispen- 

1.    Voir  plus  haut,  pp.  212,  215  et  227. 


—  478  — 

sationes  super  denuntiationibus  matriraonialibus  et  etiam  esu 
carnium  ovorum  etlacticinorum  concedendi  licentias,  etiam  dandi 
aliis  presbyteris  capacibus  pra^dicandi  sanctum  Dei  Evangelium 
et  sacramenta  administrandi,  novas  etiam  parrochias  oratoria  et 
bénéficia  Ecclesiastica  erigendi  et  instituendi  fundationes  eorum 
acceptandi  etiam  fundatoribus  laicis  nominatione  et  prsesenta- 
tione  indulta  nobis  vel  collatione  et  institutione  reservata  de  dictis 
ecclesiis  et  beneficiis  sic  erectis  aut  erigendis  veros  idoneos  et 
capaces  providendi  tam  pro  prima  illa  vice  quam  in  posterum  ubi 
eorum  vaccatio  quomodolibet  contigerit,  nec  non  omnes  ecclesias 
et  monasteria  tam  virorum  quam  fœminarum  modo  nostraî  juri- 
dictionis,  sive  [sic)  visitandi,  ecclesias,  illarumque  cœmeteria 
benedicendi  ac  omnia  ecclesiastica  vestimenta  benedicendi, 
litteras  demissorias  concedendi  et  generaliter  omnia  alia  ad 
rectam  dictarum  partium  administrationem  spectantia  exequendi 
qu8e  nosmet  ipsi  préesentes  facere  possimus.  Et  si  hic  minime 
expressa  quœ  pro  expressis  haberi  volumus  item  substituendi 
quaslibet  dicto  officio  partes  promiltentes  sub  fide  nostra  ratum 
habituros  quidquid  per  te  dictum  noslrum  vicarium  generalem 
aut  per  te  substituendos  actum  et  gestum  fuerit  in  illis  nostrae 
diœcesis  ultramarinis  partibus. 

Datum  Parisii  anno  dominiez  dispensationis  millesimo  ^  [sic) 
septimo  supra  quinquagesimum  die  vero  vigesima  secunda  Aprilis 
sub  signo  sigilloque  nostris  cum  secretarii  nostri  ordinarii  solito 
chirographo  -|-  sexcentesimo  [sic). 

Fr.  Ai'chiepiscopus  Rothomagensis 
De  Mandato  ill™^  ac  Religiosissimi 
Domini  Domini  Archiepiscopi 
Lenoir. 


1.  Cette  phrase  a  été  ajoutée  après  coup. 


XI 1 

Correspondance  de  M.  de   Gueffier,  chargé  d'affaires 
DE  France  a  Rome,  avec  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

N.-B.  —  Cette  correspondance  se  trouve  au  Britis/i  Muséum,  à 
Londres. 

A  Monseigneur  le  Comte  de  Brienne. 

Rome,  22  février  1657 

Receue  à  Paris  le  25  mars  1657. 

Monseigneur, 

Au  mesme  tems  du  receu  de  votre  susdite  dépesche  J'ay 

eu  aussy  celle  dont  il  a  plu  au  Roy  m'honorer  par  laquelle  sa 
Majesté  me  commande  de  faire  auprès  de  sa  Sainteté  toutes  les 
Instances  que  je  jugeray  nécessaires  pour  avancer  le  bon  œuvre 
qu'elle  désire  de  l'érection  d'un  Evesché  dans  les  pais  septen- 
trionaux de  l'Amérique  apellez  maintenant  la  nouvelle  France. 
Et  avec  cette  dernière  dépesche  j'ay  receu  aussy  celle  que  sa 
Majesté  écrit  à  Mess'"*  les  Cardinaux  Colonne,  Aquaviva, 
Brancaccio,  Ludovisio,  Carpegna  et  Ginetti  ausquels  je  ne  man- 
queray,  Dieu  aidant,  de  les  présenter,  je  dis  à  ceux  qui  sont 
présent,  et  d'envoier  les  autres  à  leurs  adresses,  si  tost  que  cet 
ordinaire  sera  party. 

Je  fus  voir  M.  le  Cardinal  Bichi  devant  hier  l'ayant  trouvé 

au  lict,  se  portant  néanmoins  un  peu  mieux,  a  ce  qu'il  me  dist. 
Avec  cette  ocasion,  ne  sachant  point  si  le  Roy  luy  avoit  donné 
ordre  de  parler  au  Pape  de  l'érection  de  cet  Evesché  dans 
l'Amérique  je  luy  dis  le  commandement  que  sa  Majesté  m'a  fait 
de  soliciter  cet  afaire  là  près  Sa  Sainteté,  et  que  je  pensais  dans 
deux  ou  trois  jours  de  faire  demander  audiance  pour  luy  en 
parler  et  présenter  le  mémorial  que  j'ay  fait  dont  je  vous  envoyé 
icy  la  copie  ;  mais  son  Eminence  me  dist  aussy  tost  que  le  Roy 

1.   FoiV  plus  haut,  pp.  279,  281,  282  et  284. 


—  480  — 

luy  en  avait  écrit  et  mesme  envoyé  la  lettre  qu'il  en  a  aussy 
écrite  au  Pape,  m'ayant  fait  voir  le  contenu  en  la  siene,  que  je 
trouvay  toute  semblable  à  la  miene,  ce  qui  me  fit  changer  de 
résolution  d'aler  demander  cette  audiance  là,  son  Erainence 
m'ayant  dit  qu'elle  ne  se  trouvait  à  propos  jusques  à  ce  qu'elle 
eust  fait  cette  j)remière  instance.  Et  qu'après  je  pouroy  faire 
mes  diligences  soit  près  sa  Sainteté,  ou  là  oii  il  sera  besoin.  De 
sorte  que  pour  cette  heure  je  ne  puis  rendre  aucun  conte  à  Sa 
Majesté  ny  à  vous  de  cet  afaire,  mon  dit  S""  le  Cardinal  m'ayant 
dit  encore,  que  si  tost  qu'il  poura  sortir  il  verra  le  Pape  et  puis 
me  le  fera  savoir  ;  mais  il  est  a  craindre  qu'il  ne  demeure  long- 
tems  au  lict,  auquel  cas  je  le  priray  de  me  donner  la  lettre  du 
Roy  pour  la  porter  à  Sa  Sainteté  afin  que  le  bon  œuvre  de  cette 
éreetion  là  soit  au  plutost  expédié.  Quand  il  s'y  sera  avancé 
quelque  chose  je  ne  manqueray  aussi  tost  d'en  donner  conte  au 
Roy  et  à  vous,  à  qui  je  prie  Dieu 

Monseigneur 
Donner  en  parfaite  santé  très  longue  et  très  heureuse  vie.  De 
Rome  ce  26  février  1657. 

Votre  très  humble  très  obéissant 
et  très  obligé  fîdelle  serviteur 

GUEFFIER. 

N.-B.  —  Harley  4541,  A,  fol.  43  bis,  45  et  45  bis. 


MÉMORIAL     DONT     IL     EST     PARLÉ     DANS    LA    LETTRE     PRÉCÉDENTE, 
ADRESSÉE  AU   SOUVERAIN   PoNTlFE    PAR  M.  DE   GuEFFIER. 

Reçu  avec  la  lettre  de  M.  Gueffier  à  Paris  le  25  mars  1657. 
Beat"^«  Padre 

Quelli  che  hanno  portato  la  fede  christiana  dentro  li  paesi  set- 
tentrionali  dell'America  sotto  la  proteltione  delli  Rè  di  Francia 
tsanno  cosi  felicemente  riuscito  in  questa  santa  impresa  che 
non  resta  piu  hora  per  la  conservatione  di  questa  S'*  Ghiesa 
nasciente  che  di  stabilire  un  vescovo  per  governarle,  e  perché 
Beat"^°  Padre,  questa  è  cosa  assolulam^®  necessaria  per  la  con- 
solatione  delli  nuovi  seguita  di  molti  altri  vantaggi  per  la  nostra 


—  481  — 

gta  religione,  il  Re  X"'°  ha  pensato  di  suplicare  la  S^'''*  vostra  di 
far  questo  stabilimento  propovendogli  per  quest  elTetto  il  Padre 
Francesco  di  Laval  de  Monligny  sopra  la  teslimonianze  date  a 
sua  Maesta  délia  gran  pieta  di  questo  padre,  con  le  attestationi  di 
Monsig"'"  di  Bagni  ail'  hora  nuncio  in  Francia.  Che  oltre  il 
merito  che  n'aquistara  la  S^''"^  Vostra  appresso  Iddio,  delta  sua 
Maesta  gli  ne  restara  con  obligo  partecolare,  porche  si  iratta  di 
raantenere  et  accressere  la  religione  catolica  apostolica  e  Romana 
in  un  paese  chiamato  hora  la  nuova  Francia. 

N.  B.  Ibid.,  fol.  44. 


A   MOiNSEIGïNEUR   LE  CoMTE   DE  BlUENNE 

Rome,  5  mars  1657 

Receue  à  Paris  le  31  mars  1657. 

Monseigneur, 

Je  commenceray  cette  lettre  par  le  conte  que  je  vous  dois  de 
ce  que  j'ai  fait  des  dépesches  que  le  Roy  a  écrites  à  Mess""*  les 
Cardinaux  Golonna,  Aquaviva,  Brancaccio,  Ludovisio,  Carpegna 
et  Ginetti,  vous  disant  que  ces  trois  derniers  étans  icy  Je  leur 
ay  présenté  les  leurs,  qu'ilz  ont  receues  avec  grand  respect  et 
joye  de  l'honneur  que  Sa  Majesté  leur  en  a  fait,  particulièrement 
le  dernier,  qui  baisa  la  siene  et  la  fit  toucher  au  haut  de  sa  teste, 
m'aiant  priez  d'assurer  sa  Majesté  qu'elle  peut  faire  état  que  de 
tous  ceux  de  sa  robe  nul  ne  sera  jamais  plus  fidelle  et  afectionné 
à  son  service  que  luy. 

Les   deux   autres    Cardinaux    sunomméz    me    firent    de 

grandes  instances  de  remercier  très  umblement  en  leur  nom  sa 
Majesté  des  gracieuses  réponses  qu'il  luy  avoit  plu  leur  faire  et 
de  l'assurer  qu'ilz  auront  toujours  en  grande  vénération  sa  dite 
Majesté  et  en  particulière  affection  les  intérests  de  son  service  et 
le  bien  de  son  royaume.  Quant  aux  trois  autres  dépesches  pour 
les  Cardinaux  absens  Je  les  ay  recommandées  à  leurs  agens  qui 
sont  icy,  lesquels  ont  assuré  de  les  leur  faire  tenir  sûrement. 

Je  vous  ay  mandé  par  ma  dernière  l'indisposition  de  M.  le 
Cardinal  Bichi,  et  ce  qu'il  m'avoit  dit  sur  le  commandement  que 
le  Roy  m'avait  fait  de  soliciter  auprès  du  Pape  l'érection  de  cet 
Jés.  et  Nouv.-Fr.  —  T.  IL  31 


—  482  — 

Evesché  dans  l'Amérique  Je  l'ay  reveu  depuis  étant  encore  au 
lict,  mais  sans  avoir  plus  guère  de  ces  grandes  douleurs  de  la 
goûte  qui  l'ont  fort  tourmenté  cette  fois  icy,  et  obligé  les  méde- 
cins de  le  faire  bien  purger,  m'aiant  de  nouveau  assuré  que  si 
tost  qu'il  poura,  il  verra  le  Pape  pour  luy  présenter  la  lettre  du 
Roy  touchant  ladite  érection,  mais  c'est  à  savoir  quand  il  le 
poura  faire. 

Devant  que    fermer  cette  lettre   J'ay  envoler   savoir   des 

nouvelles  de  la  santé  de  M.  le  Cardinal  Bichi  pour  vous  en  pou- 
voir donner  avis,  et  l'on  m'a  mander  qu'il  se  porte  assez  bien  de 
sa  goûte,  quoy  qu'il  soit  la  plupart  du  tems  au  lict.  A  cause  de 
cela  il  n'a  point  encore  été  au  Pape  pour  lui  présenter  la  lettre 
du  Roy  touchant  l'érection,  de  l'Evesché  de  l'Amérique,  mais  il 
espère  d'y  pouvoir  aler  bien  tost.  C'est  dont  Je  m'eclairciray 
moy  mesme  cy  tost  que  cet  ordinaire  sera  party,  et  si  Je  voy  que 
la  chose  aile  a  la  longue  Je  le  priray  de  me  bailler  la  dite  lettre 
pour  en  faire  la  poursuite  auprès  de  sa  Sainteté  et  ailleurs  ou  il 
sera  besoin. 

Je  prie  Dieu 

Monseigneur 

Vous  donner  en  parfaite  santé  très   longue  et  très    heureuse 
vie. 

De  Rome  ce  5  mars  Votre  très  humble  très  obéissant 

1657  et  très  obligé  fidelle  serviteur 

GUEFFIER. 

N.  B.  Ibid.,  fol.  47,  47  bis,  49  et  49  bis. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  13  mars  1657. 

Receue  à  Paris  le  8  apvril  1657. 

Monseigneur, 

Je  fus  hier  chez  monsieur  le  cardinal  Bichi  pour  savoir 

s'il  recevoit  des  visites  depuis  la  mort  de  son  frère  ;  mais  l'on 
me    dit   qu'il  s'en  est  excusé  envers   un   chacun   pour   d'icy  a 


—  483  — 

quelques  jours.  Quand  j'auray  l'honneur  de  le  voir,  je  lui  diray 
ce  que  j'ay  fait  avec  le  Pape  pour  l'érection  de  cet  Evesché  de 
TAmérique  et  que  Sa  Sainteté  me  montra  regreter  la  mort  de 
son  frère  mayant  dit  que  c'était  un  des  dignes  prélats  de  cette 
cour. 

Je  vous  baise  pour  fin  très  humblement  les  mains  en  vous 

supliant  de  me  tenir  toujours 

Monseigneur 

De  Rome  ce  13  Votre  très  humble  très  obéissant 

mars  1657.  et  très  obligé  serviteur 

fol.  52.  GUEFFIER. 

Au  Roi 

Rome,  13  mars  1657. 

Receue  à  Paris  le  8  apvril  1657. 
Sire, 

Outre  la  lettre  que  j'ay  cru  être  obligé  d'écrire  à  Votre 
Majesté  pour  lui  rendre  conte  de  ce  qui  s'est  passé  icy  touchant 
cette  assistance  de  la  religion  de  saint  Augustin  en  la  personne 
d'un  Français,  sur  ce  que  V.  M.  m'a  commandé  par  sa  dépesche 
du  2  février,  je  croy  ne  l'être  pas  moins  de  luy  faire  encore 
celle-cy,  pour  luy  dire  que  suivant  ses  commandemens  d'aler 
demander  au  Pape  l'érection  d'un  Evesché  en  l'Amérique  Sa 
Sainteté  me  fit  Thonneur  samedy  dernier  de  me  donner  une  très 
gracieuse  et  favorable  audiance  laquelle  je  pensay  devoir  com- 
mencer en  lui  disant  que  V.  M.  m'avait  commandé  de  lui  baiser 
les  pieds  de  sa  ])art,  de  se  réjouir  avec  elle  de  sa  bonne  santé, 
et  de  l'assurer  que  là  où  elle  aura  moyen  de  la  servir  elle  le 
ferait  toujours  bien  volontiers. 

Je  lui  parlay  de  la  sudite  érection,  luy  aiant  allégué  les 

raisons  qui  avoient  obligé  V.  M.  de  lui  en  écrire  la  lettre  que 
M.  le  cardinal  Richi  luy  en  doit  présenter,  contenue  au 
mémoire,  dont  copie  est  cy-jointe,  lequel  elle  prist  la  peine  de 
lire  en  ma  présence,  et  puis  montra  qu'elle  en  aprouvoit  plutost 
le  contenu  qu'autrement.  De  sorte.  Sire,  que  j'espère  qu'elle  en 
accordera  la   grâce,  auquel  cas  je  ne    manqueray  d'en  donner 


—  484  — 

aussy  tost  avis  à  V.  M.  et  d'en  soliciter  soigneusement  l'expédi- 
tion. Je  prie  Dieu 

Sire 
Donner   à  Votre   Majesté   en    parfaite    et   très  longue   santé, 
toutes  les  prosperitez  que  lui  souhaite 

De  Rome  ce  13  Son  très  humble  et  très  obéisssant 

mars  1657.  et  très  fidelle  sujet  et  serviteur 

fol.  54  et  55.  Gueffier. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  19  mars  1657. 

Receue  à  Paris  le  15  apvril  1657. 

Monseigneur, 

Vous  aurez  veu  par  mes  lettres  au  Roy  et  à  vous  du  13  de  ce 
mois  la  gracieuse  et  favorable  audience  que  le  Pape  m'avoit  don- 
née  et   que    luy    aiant  parlé    d'un     érection    d'un    Evesché     en 
l'Amérique  que  Sa  Majesté  désire  y  faire  établir  il  avoit  pris  la 
peine  d'en  lire  luy  mesme  en  ma  présence  le  mémorial,  que  je 
luy  en  présentay,   dont  je  vous  envoiay  copie,   et  montra  d'en 
agréer  le  contenu.  Aiant  encore  esté  au  secrétaire  des  mémoriaux 
pour  en  savoir  la  réponse  j'apris  que  Sa  Sainteté  l'avoit  remis  à 
la  Congrégation  de  propaganda  fide  avec  ce  rescrit  che  referisca 
qui  est  signe  qu'elle  veut  acorder  la  grâce,  à  ce  que  m'en  dist 
le  secrétaire  de  la  dite  congrégation,  luy  aiant  demandé  ce  qu'il 
en  pensait  ;  mais  qu'il  étoit  besoin  pour  pouvoir  travailler  à  cette 
expédition  là  de  savoir  de  quelle  religion  est  le  Père  François 
de  Laval  de  Montigny  que  l'on  a  oublié  de   marquer   dans  les 
lettres  du  Roy,  au  Pape,  à  M.  le  cardinal  Bichi  et  à  moy  faisant 
seulement  mention  de  quelques   informations   envoyées  sur  cet 
afaire  là;   mais  sans  dire  qui.   Et  aiant  fait  demander  aux  ban- 
quiers expéditionnaires  français  qui  sont  icy  si  quelqu'un  d'eux 
les  avoient  receues  ilz  ont  tous  dit  que  non.  De  sorte  que  ne  se 
pouvant  rien  faire  en  l'expédition  de  cet  evesché  là  sans  savoir 
de  quel  Ordre  est  le  nommé,  je  vous  suplie  me  le  faire  savoir  au 
plutost  ou  commander  a  quelqu'un  qu'il  me  soit  envoie  avec  les 
écritures  et  informations   nécessaires  pour    faire    expédier  ces 
Bulles-là. 


—  485  — 

Jusques   icy  je  ne  vois  point  que  ces   dernières    lettres 

qu'a  aportées  l'ordinaire  disent  rien  qui  me  donne  moyen  de 
travailler  à  l'érection  de  l'Evesché  de  l'Amérique,  qui  ne  se 
peut  faire  si  l'on  ne  scait  icy  de  quel  ordre  est  ce  religieux,  que 
le  Roy  y  nomme. 

Je  vous  baise  très  humblement  les  mains  demeurant  tou- 
jours s'il  vous  plaist 
Monseigneur 
De  Rome  ce  19  mars  Votre  très  humble  très 
1657.  obéissant  et  très  obligé 
fol.  57,  57  bis  et  59  bis.  fidelle  serviteur 

GUEFFIER. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  27  mars  1657. 

Receue  à  Paris  le  29  apvril  1657. 
Monseigneur, 

Sur  ce  que  je  vous  ay  écrit  par  ma  dernière  qu'il  faut  savoir  de 
quel  Ordre  est  le  Père  François  de  Laval  de  Montigny  devant 
que  pouvoir  travailler  à  l'érection  de  l'Evesché   de  l'Amérique, 

Je  seray  atendant  ce  qu'il  vous  plaira  résoudre  là-des- 
sus. 

Je  prie  Dieu,  etc. 

De  Rome  ce  27  mars  1657.  Gueffier. 

fol.  61  bis. 

A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  15  mai  1657. 
Receue  à  la  Fère  le  12  juin  1657. 
Monseigneur, 

L'ordinaire  de  Lyon  n'étant  arrivé  que  dimanche  dernier  je 
receu  ce  jour-là  l'honneur  de  votre  dépesche  du  13  avril,  par 


—  486  — 

laquelle  il  vous  a  plu  me  mander  que  sur  la  bonne  relation  que 
vous  aviez  faite  au  Roy  de  ce  que  j'avais  traité  avec  le  Pape 
tant  pour  l'érection  de  cet  Evesché  en  la  nouvelle  France,  que 
pour  ce  qui  est  de  la  supression  de  l'assistance  de  France  en 
l'ordre  des  Augustins,  Sa  Majesté  vous  avoit  témoigné  de 
l'avoir  eu  fort  agréable  en  me  commandant  de  poursuivre  la  dite 
érection  jusqu'à  l'accomplissement  et  aussy  la  supression  de 
la  dite  Assistance  et  l'éloignement  de  Rome  du  Père  Guichens. 
Sur  quoy  je  vous  diray  s'il  vous  plaist,  que  ne  pouvant  rien 
faire  touchant  le  premier  commandement,  si  l'on  ne  sçait  icy  de 
q^uel  Ordre  est  celuy  qu'elle  a  nommé  à  cet  Evesché-là,  et  qu'il 
n'y  ait  quelque  soliciteur  chargé  des  informations  de  sa  vie  et 
mœurs  et  des  autres  écritures  nécessaires,  il  est  impossible  d'y 
rien  avancer,  comme  je  vous  ay  mandé  par  ma  lettre  du 
19  mars,  ne  pouvant  assez  m'étonner  que  ce  nommé-là,  s'il  en 
a  été  averty,  n'ayt  encore  pourveu  à  cela,  semblant  par  là  qu'il 
ne  veuille  accepter  la  grâce  que  le  Roy  luy  en  faict.  Que  s'il  y 
pourvoit,  et  que  quelque  expéditionnaire  me  le  face  sçavoir  en 
me  donnant  les  informations,  qu'il  sera  besoin,  croyez.  Monsei- 
gneur, que  je  ne  perdray  point  de  tems  d'en  faire  toutes  les 
poursuites  requises  et  nécessaires  et  de  vous  rendre  aussy-tost 

conte  de  ce  qui  en  suivra 

Je  prie  Dieu,  etc. 

De  Rome  15  may 

1657.  GUEFFIER. 

fol.  82  et  82  his. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  29  may  1657. 

Receue  à  la  Fère  le  24  juin  1657. 

Monseigneur, 

Depuis  ce  que  dessus  écrit  l'ordinaire  de  Lyon  est  venu, 

qui  fut  vendredy  dernier  par  lequel  j'ai  receu  l'honneur  de  votre 
dépesche  du  27  avril  (qui  fait  mention  de  ma  lettre  du  27  mars) 
en  laquelle  j'ay  veu  l'information  qu'il  vous  a  plu  me  donner  des 
qualitez  de  monsieur  de  Laval  de  Montigny  pour  m'en  servir  icy 


—  487  — 

en  l'expédition  de  l'Evesché  que  le  Roy  luy  donne  dans  l'Amé- 
rique, ce  que  j'ay  fait  voir  au  secrétaire  de  la  congrégation 
de  propagaiida  fide,  en  laquelle  l'afaire  doit  être  résolu  par 
ordre  du  Pape  en  la  première  assemblée  qui  s'en  fera,  m'étant 
un  peu  étonné  que  le  dit  s''  de  Montigny  n'ayt  rien  écrit  icy  de 
cet  afaire-là  ny  donné  charge  à  quelque  banquier  de  Paris  d'en 
commettre  icy  la  solicitation  et  d'y  envoier  les  informations  de 
sa  vie  et  mœurs  atestées  par  des  notaires  et  mesme  par  devant 
M.  le  Nonce,  comme  l'on  a  acoutumé.  Si  portant  sans  cela  l'on 
peut  faire  expédier  ses  Bulles  je  ne  manqueray  pas  d'y  travailler, 

si  tost  que  cela  aura  été  résolu  en  ladite  congrégation 

Je  prie  Dieu,  etc. 

De  Rome  ce  29  mai  1657  Gueffier. 

fol.  88. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  12  juin  1657. 
Receue  à  la  Fère  le  8  juillet  1657. 

Monseigneur, 

Quant  à  l'Etablissement  d'un  Evesché   que  le  Roy  veut 

faire  en  la  nouvelle  France,  en  ayant  parlé  au  secrétaire  de  la 
congrégation  de  propaganda  fide^  à  laquelle  le  Pape  a  remis 
l'afaire  sur  le  mémoire  que  je  lui  en  ay  présenté  pour  l'expédier, 
il  m'a  dit  en  loiiant  grandement  la  piété  de  Sa  Majesté  qu'il 
était  prest  d'y  travailler;  mais  qu'il  était  besoin  auparavant 
d'avoir  réponse  sur  le  contenu  au  présent  mémoire  pour  ce 
qu'autrement  l'on  ne  pouroit  savoir  en  quelles  termes  il  faudroit 
faire  la  Bulle.  C'est  donc  sur  quoy  j'atendray  vos  commande- 
mens 

Je  vous  baise  très  umblement  les  mains,  etc. 

De  Rome  ce  12  juin  1657.  Gueffier. 

fol.  97. 


488  — 


A   MONSEIGNEUH    LE    COMTE    DE   BrIENNE 

Rome,  19  juin   1657. 

Receue  à  la  Fère  le  17  juillet  1657. 

Monseigneur,' 

Monseigneur    un    vieil    secrétaire    de   la    Congrégation 

de  propaganda,  qui  sçait  l'instance  que  je  fais  au  nom  du  Roy 
])Our  l'érection  d'un  Evesché  en  la  nouvelle  France  et  qui  a 
connaissance  de  ces  pais  là  étant  aussy  fort  afectionné  au  ser- 
vice de  Sa  Majesté  a  dressé  le  mémoire  cy  joint  contenant  la 
façon  dont  il  semble  que  l'on  serait  d'avis  en  ladite  Congrégation 
qu'il  fust  procédé  pour  bien  servir  Dieu  et  la  religion  en  ces 
pais  là  selon  le  grand  zèle  que  Sa  Majesté  montre  en  avoir.  Et 
ayant  veu  le  contenu  audit  mémoire  j'ai  cru  que  vous  ne  seriez 
pas  marry  d'en  avoir  la  connaissance  pour  voir  si  vous  y  trouve- 
rez quelque  chose  qui  serve  aux  bonnes  intentions  de  sa  dite 
Majesté. 

Je  j)rie  Dieu,  etc. 

De  Rome  ce  19  juin  1657.  Gueffier. 

fol.  99  et  99  ùis. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  24  juillet  1657. 
Receue  à  Sedan  le  13  aoust  1657. 


Mo 


nseisfneur. 


Sur  ce  que  vous  m'avez  mandé  louchant  l'afaire  de  M.  de 

Montigny  pour  qui  le  Roy  m'a  ordonné  de  poursuivre  l'expédi- 
tion de  l'Evesché  en  la  Nouvelle  France  dont  Sa  Majesté  le  veut 
faire  pourvoir,  je  vous  diray  que  je  n'ay  point  encore  receu  votre 
dépesche  par  laquelle  vous  me  mandez  de  m'en  avoir  amplement 
informé.  C'est  pourquoy  je  suis  atendant  en  impatience  le  Dupli- 


—  489  — 

€ata  que  vous  m'écrivez  m'en  vouloir  envoier,  parce  qu'autre- 
ment il  est  impossible  de  pouvoir  rien  avancer  en  cet  afaire  là 
pour  les  raisons  que  je  vous  ay  mandées  en  ma  lettre  du  15  may 

(laquelle  je  vois  que  vous  avez  receu) 

Je  prie  Dieu,  etc. 

De  Rome  ce  24  juillet  1657  Gueffier. 

Sur  le  soir, 
fol.  131  his. 


A  Monseigneur  le  comte    de  Brienxe 

Rome,  30  juillet  1657. 
Receue  à  Sedan  le  21  aoust  1657. 
Monseigneur, 

Je  n'ay  point  encore  receu  le  Duplicata  que  vous  m'avez 

mandé  par  votre  lettre  du  15  juin  de  me  vouloir  envoier  tou- 
chant l'afaire  de  M.  de  Montigny  qui  m'en  donnoit  une  ample 
information,  sans  quoy  il  est  impossible  que  j'y  puisse  rien 
avancer  comme  je  vous  ay  cy  devant  mandé,  ne  se  trouvant  icy 
personne  qui  ayct  connoissance  ny  commission  de  cet  afaire-là, 
€t  c'est  chose  étrange  que  Ledit  S""  n'en  ayt  point  chargé 
quelque  banquier  de  Paris  pour  donner  ordre  icy  à  un  expédi- 
tionnaire d'en  soliciter  les  Bulles,  pouvant  bien  juger  que  c'est 
chose  que  je  ne  saurois  faire  moy  mesme  quand  j'aurois  toutes 
les  informations,  mémoires  et  argent  qu'il  faudra  y  dépendre. 

Je  vous  baise  très  humblement  les  mains,  etc. 
De  Rome  30 

Juillet  1657.  Gueffier. 

fol.  137. 

A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  11  septembre  1657. 

Receue  à  Metz  le  3  octobre  1657. 

Monseigneur, 

Monseigneur  tout  ce  que  dessus  est  écrit  d'hier  en  aten- 

dant  la  venue  de  l'ordinaire  de  Lyon  qui  arrivera  vers  le  soir  et 


—  490  — 

sur  les  24  heures  je  receu  l'honneur  de  votre  dépesche  du 
16  aoust  qui  fait  mention  de  ma  lettre  du  24  juillet  ;  mais  sans 
me  rien  commander  sur  l'afaire  de  M.  de  Montigny,  à  qui  le  Roy 
veut  donner  l'Evesché  de  la  Nouvelle  France,  et  au  sujet  de 
laquelle  je  vous  ai  donné  avis  n'avoir  receu  votre  dépesche  par 
laquelle  vous  m'en  donniez  l'ample  information  ;  sans  laquelle 
l'on  n'y  peut  rien  faire  icy,  mayant  mandé  que  vous  m'en  envolez 
un  Duplicata.  C'est  de  quoy  je  vous  fais  souvenir  s'il  vous  plaist, 

ci  tant  est  que  Sa  Majesté  persiste  en  cette  volonté  là, vous 

baisant  pour  fm  très  humblement  les  mains,  etc. 
De  Rome  ce  XI 

7  ^'■^  1657.  GUEFFIER. 

fol.  158. 


Au  Roy 


Rome,  17  décembre  1657. 
Receue  à  Paris  le  12  jan'*^""  1658. 


Sire, 


Je  receu  il  y  a  cinq  jours  par  les  mains  du  R'^  Père  Assistant 
françois  Jésuite  la  lettre  que  votre  Majesté  m'a  fuit  l'honneur  de 
m'écrire  l'onze  octobre  dernier,  par  laquelle  elle  me  commande 
de  m'emploier  soigneusement  pour  obtenir  du  Pape  le  titre 
d'Evesque  in  partihus  en  faveur  de  celuy  dont  je  seray  solicité 
par  les  Pères  Jésuites,  pour  aller  servir  en  la  Nouvelle  France. 
Suivant  lequel  commandement  j'ay  su  dudit  Père  Assistant  le 
nom  de  celuy  qu'ilz  désirent  de  faire  pourvoir  de  ce  titre-là,  et 
ce  qu'il  pensoit  que  je  devois  représenter  à  Sa  Sainteté  pour  en 
obtenir  la  grâce,  mayant  nommé  M.  François  de  Laval  de  Mon- 
tigny et  les  lieux  oii  il  se  devoit  emploier  en  ces  pais-là  pour  les 
faire  savoir  à  Sa  Sainteté.  Sur  quoy  je  le  priay  de  me  les  donner 
par  écrit,  comme  il  a  fait,  dont  j'ay  dressé  un  mémorial  que  je 
presenteray  à  ma  première  audiance  au  Pape,  ayant  cru.  Sire, 
puisque  Votre  Majesté  me  commandoit  de  faire  en  cela,  selon  que 
je  serois  solicité  desdits  Pères  Jésuites  que  je  jiourois  faillir  en 
quelque  chose  de  cette  poursuite  là  sans  leurs  avis.  Si  bien  qu'il 
ne  me  reste  plus  qu'à  demander  l'audiance  à  Sa  Sainteté  pour 


—  491  — 

y  rendre  mes  devoirs,  laquelle  je  mettray  peine  d'avoir  le  plutost 
que  se  poura,  comme  de  rendre  conte  à  Votre  Majesté  du  succez 
de  cet  afaire-là,  pour  lequel  il  vous  a  plu  me  mander  que 
monsieur  Picolomini  Nonce  du  Pape  se  doit  emploier  avec  moy 
à  la  recommandation  de  la  Reine,  la  grande  piété  de  laquelle  lui 
fait  passionnément  désirer  cet  établissement-là.  Ce  sera  donc  le 
plutost  qui  se  poura,  que  rendra  conte  à  Votre  Majesté  de  ce 
qu'il  aura  fait  avec  le  Pape 
Sire 
de  Votre  Majesté 

Le  très  humble  très  obéissant 
De  Rome  ce  17  et  très  fidelle  sujet  et 

Décembre  1857.  serviteur 

fol.  224,  224  bis  et  225.  Gueffier. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  31  décembre  1657. 
Receue  à  Paris  le  24  janvier  1058. 

Monseigneur, 

Par  l'ordinaire  de  Lyon  qui  ariva  icy  vendredy  dernier  au 
soir  j'ay  receu  deux  dépesches  du  Roy  du  3  novembre  l'une  au 
sujet  de  Mons.  de  Montigny 

Par  votre  sudite  dépesche  vous  me  commandez  expressément 
comme  a  fait  le  Roy  en  la  siene  de  faire  tous  les  plus  pressant 
offices  qui  se  pouront  en  faveur  de  M.  de  Laval  de  Montigny. 
Sur  quoy  je  vous  diray.  Monseigneur,  que  vendredy  dernier  je 
fus  à  laudiance  du  Pape  exprès  pour  cet  afaire  là,  suivant  les 
ordres  que  j'en  avois  déjà  eu  de  Sa  ^lajesté,  n'ayant  pu  l'avoir 
plutost,  ayant  fait  entendre  à  Sa  Sainteté  le  grand  besoin  que 
l'on  a  mandé  au  Roy  qu'avait  la  religion  catholique  en  la  Nou- 
velle France,  qu'il  y  soit  au  plutost  envoyé  un  Evesque 
in  partions,  et  qu'il  ne  s'en  pouvoit  trouver  un  plus  capable  que 
ledit  s"",  qui  ofre  d'y  aler  servir  de  tout  son  possible,  ce  qui  fait 
que  le  Roy  le  recommande  à  Sa  Sainteté  avec  tant  d'afection, 
sur  la  crainte  qu'a  Sa  Majesté  qu'à  faute  de  cet  envoyé  ladite 
religion  ne  se    perde   dans  le  pais,  ce  que  Sa  Sainteté  entendit 


—  492  — 

fort  bénignement,  montrant  qu'elle  agréoit  ce  que  je  lui  en  dis. 
De  sorte  que  j'espère  qu'elle  y  fera  une  favorable  réponse  par 
écrit  sur  le  mémorial,  que  je  luy  en  présentay  que  je  mettray 
peine  d'avoir  devant  le  partement  de  cet  ordinaire  pour  vous  la 
mander.  Quand  j'auray  satisfait  aux  autres  commandemens  du 
Roy,  je  ne  manqueray  de  rendre  conte  à  Sa  Majesté  de  ce  qui  s'y 
avancera. 

J'ay  eu  la  réponse  du  Pape  sur  l'afaire  de  M.  de  Monti- 

gny  que  Sa  Sainteté  a  renvoyée  à  la  Congrégation  de  propaganda 
fide,  parce  que  c'est  là  où  telles  afaires  s'expédient,  et  là  où  je 
soliciteray  maintenant  celle-cy. 

Je  prie  Dieu,  etc. 

De  Rome  ce  dernier  jour  de  l'an  1657.  Gueffier. 

fol.  233,  234,  234  bis  et  235. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  7  janvier  1658. 

Receue  à  Paris  le  3  feb^*"  1658. 
Monseigneur, 

J'ay  commencé  de  soliciter  la  résolution  dudit  afaire  de 

Canada  en  la  congrégation  de  propaganda  fide,  à  laquelle  le 
Pape  a  envoie  mon  mémoire,  le  secrétaire  d'Ycelle  m'aiant 
demandé  de  quoy  l'Evesque  se  pouroit  entretenir.  Sur  quoy  je 
luy  ay  fait  voir  la  lettre  que  vSa  Majesté  m'en  a  écrite  où  elle  dit 
qu'elle  luy  a  déjà  assigné  mil  francs  par  an,  en  atendant  l'ocasion 
de  mieux  traiter  un  Evesque  en  ces  pais-là,  et  qu'outre  cela  la 
Reyne  avoit  fait  déposer  quatorze  mil  francs  pour  les  dépenses 
qu'aura  à  faire  l'Evesque,  quand  il  ira  en  ces  pais-là  de  quoy  il 
a  montré  d'être  bien  content.  De  sorte  qu'il  y  a  lieu  d'espérer 
que  cet  afaire-là  ira  bien  à  la  fin.  J'en  presse  la  résolution  pour 
la  première  congrégation  qui  se  doit  tenir,  que  je  croy  qui  sera 
cette  semaine,  ou  en  celle  d'après,  du  résultat  de  laquelle  je  ne 
manqueray  de  vous  donner  aussytost  avis. 

Priant  Dieu,  etc. 

De  Rome  ce  7  janvier  1658.  Gueffier. 

fol.  243. 


—  493  — 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  14  janvier  1658. 
Receue  à  Paris  le  13  febvrier  1658 

Monseigneur, 

l'alay  hier  voir  M.  le  cardinal  Mellio  à  qui  la  congréga- 
tion de  propnganda  fide  a  remis  Tafaire  de  l'Evesché  pour  la 
Nouvelle  France  l'ayant  prié  au  nom  du  Roy  de  vouloir  au  plu- 
tost  la  terminer,  afin  que  M.  de  Montigny  puisse  s'y  en  aler  ce 
printemps,  comme  Sa  Majesté  l'en  presse  pour  le  grand  désir 
qu'elle  a  de  conserver  la  religion  catolique  parmy  ces  barbares 
que  le  feu  Roy  et  Elle  y  ont  introduite  par  le  moien  des  Pères 
Jésuites,  Capucins  et  autres  religieux  français,  ledit  cardinal 
ayant  montré  d'être  bien  aise  d'avoir  cette  ocasion  de  servir  Sa 
Majesté.  De  sorte  qu'il  y  a  lieu  d'espérer  qu'il  y  travaillera  dili- 
gemment, de  quoy  j'ay  averty  le  s""  de  la  Borne  à  qui  j'ay  donné 
la  charge  d'expédier  ces  Bulles-là  comme  au  premier  et  meilleur 
expéditionnaire  français  qui  soit  icy,  afin  d'en  aler  soliciter  ledit 
s'^  Cardinal. 

Priant  Dieu 

De  Rome  ce  14  janvier  1658.  Gueffier. 

fol.  248  et  248  bis. 

A  Monseigneur   le  comte  de  Brienne 

Rome,  21  janvier  1658. 
Receue  à  Paris  le  18  febvrier  1658. 

Monseigneur, 

,  Après  cela  je  la  supliay  (la  congrégation)  de  vouloir  faire 

résoudre  l'afaire  de  Mons.  de  Montigny  pour  un  autre  Evesché  in 
partibus,  afin  qu'il  s'en  puisse  aler  au  plutost  vicaire  apostolique  en 
la  Nouvelle  France,  le  secrétaire  de  la  congrégation  de propaganda 
fide,  à  qui  j'en  avois  parlé  m'aiant  mandé  que  ladite  congrégation 


—  494  — 

avoit  remis  à  en  traiter  en  la  première  qui  se  tiendra  devant  Sa  Sain- 
teté, qu'il  espère,  qui  sera  bientost.  Depuis  quoy  l'on  m'a  donné 
un  avis  qu'il  y  avoit  quelques  personnes  qui  ont  fait  entendre  à 
ladite  congrégation  qu'elle  devait  prendre  garde  que  cette  grâce 
s'acordant,  Sa  Majesté  ne  prétende  de  nommer  à  l'avenir  a  cette 
Evesché  là,  comme  elle  fait  à  ceux  qui  sont  en  France,  ce  que 
je  n'osay  dire  au  Pape  |)Our  ce  qu'en  ayant  fait  quelques  plaintes 
à  M.  le  Cardinal  Antoine,  il  me  dist  que  ce  n'estoit  pas  là  la 
dificulté  ;  mais  que  l'on  voudra  savoir  en  ladite  congrégation  où 
et  comment  Sa  Majesté  assure  les  mils  francs  qu'elle  a  mandé 
avoir  assignez  pour  son  entretien  chaque  année  en  atendant  qu'on 
luy  en  donne  d'avantage  et  qu'il  se  doute  que  l'on  voudra  être 
assuré  de  cela  devant  que  consentir  à  l'expédition  des  Bulles, 
ayant  ajouté  qu'ilz  voudront  peut-être  que  ce  fond- là  soit  assuré 
à  Rome  ou  au  moins  dans  Avignon,  pour  ne  tomber  aux  incon- 
véniens  qui  sont  arivez  à  l'Evesché  de  Babylone,  oîi  depuis  si 
longtems  celuy  qui  en  a  été  pourveu,  n'a  point  voulu  aler.  De 
sorte,  Monseigneur,  qu'aux  discours  de  mondit  s""  le  Cardinal  il 
semble  qu'il  ne  faut  pas  atendre  résolution  de  cet  afaire-Ià,  que 
l'on  ne  sache  en  ladite  Congrégation  les  ordres  que  le  Roy  y 
voudra  donner,  sur  ce  qui  luy  en  doit  être  écrit,  à  quoy  l'on 
ajoutera  peut  être  quelque  chose  pour  faire  déclarer  à  Sa 
Majesté  qu'elle  ne  prétendra  point  cette  nomination  comme  elle 
feroit  peut  être  si  elle  fondoit  un  Evesché  [à  ses  dépens  en  ces 
pais-là. 

Je  prie  Dieu,  etc. 

De  Rome  ce  21  janvier  1658.  Gueffier. 

fol.  250  bis  et  251. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  11  febvrier  1658, 

Receue  à  Paris  le  10  mars  1658. 

Monseigneur, 
la  Congrégation  de  propaganda  fide  n'a  pas  été  plus  soi- 
gneuse de  résoudre  celle  de  l'Evesché  m  partibus  pour  la  Nou- 
velle France  en  faveur  de  M.  de  Montigny,  tout  ce  que  j'y  ay  pu 


—  493  — 

avancer  depuis  longtems  que  j'en  fais  la  poursuite  ayant  été  que 
l'on  a  promis  que  dejeudy  en  huit  jours  ladite  Congrégation  en 
parlera  au  Pape,  encore  est-il  à  craindre  qu'on  ne  luy  mette  en 
considération,  comme  je  vous  l'ay  déjà  mandé,  que  le  Roy  ne 
prétende  la  nomination  de  cet  Evesché  là  aussy  bien  que  ceux 
de  son  royaume,  ce  qui  pouroit  y  faire  prendre  une  mauvaise 

résolution 

Je  vous  baise  très  humblement  les  mains,  etc. 

De  Rome  ce  XI  feb""  1G58.  Gueffier. 

fol.  260  bis. 

Au  Roy 

Rome,  24  febvrier  1058. 

Receue  à  Paris  le  24  mars  1658. 

Sire, 

J'ay  veu  par  la  dépesche  que  Votre  Majesté  m'a  fait  l'honneur 
de  m'écrire  le  mois  de  janvier  dernier,  le  mécontentement  qu'elle 
a  que  les  provisions  du  titre  d'Evesque  in  parilhus  avec  un 
grand  Vicariat  du  Pape  en  la  Nouvelle  France  pour  M.  de  Mon- 
tigny  n'ayent  été  jusques  icy  expédiées,  en  quoy  Votre  Majesté 
a  grande  raison;  mais  je  la  suplie  très  humblement  de  croire  que 
ce  retardement  n'est  point  arrivé  faute  que  je  n'aye  fait  toutes  les 
diligences  possibles  pour  cela  tant  auprès  de  Sa  Sainteté  que  de 
la  Congrégation  de  propaganda  fïde  à  laquelle  elle  a  remis  cet 
afaire.  Et  celle-cy  est  si  chargée  de  tant  d'autres  et  s'assemble 
si  peu  souvent  que  c'est  une  misère  quand  il  y  faut  avoir 
afaire,  ce  qui  m'obligea  ces  jours  passez  alant  à  l'audiance  du 
Pape,  dont  j'ay  donné  avis  à  V.  Majesté  de  luy  en  faire  des 
pleintes,  en  supliant  Sa  Sainteté  de  vouloir  ordonner  à  ladite 
Congrégation  qu'elle  dépesche  au  plutost  cet  afaire-là,  ce  qu'elle 
me  dist  qu'elle  feroit.  Et  en  efet  aiant  esté  savoir  du  secré- 
taire de  la  dite  Congrégation  quel  ordre  elle  en  avoit  eu,  il  me 
manda  qu'en  celle  qui  se  tinst  jeudy  dernier  cette  afaire  aiant 
été  proposée  devant  Sa  Sainteté,  elle  ordonnast  qu'elle  la  dépes- 
chast  au  plutost  ;  mais  qu'il  falait  auparavant  avoir  des  assu- 
rances de  la  pension  et  que  l'on  ayt  aussy  le  procès  de  vita  et 


—  496  — 

morihus  dudit  s""  sur  quoy  aiant  envoie  savoir  du  Père  Assistant 
Jésuite,  qui  solicite  cet  afaire  avec  grand  soin,  il  m'a  envoie  les 
actes  de  la  fondation  de  cette  rente-là,  que  la  Reyne  en  a  faite. 
Et  aiant  apris  qu'un  français  qui  est  icy  nommé  le  s""  Fallu  avait 
ledit  procès  fort  avantageux  pour  ledit  s""  de  Montigny  je  l'en- 
voiay  prier  de  me  l'aporter  ce  qu'il  fit  aussy  tost,  et  à  l'heure 
mesme  j'envoiay  le  tout  au  sieur  de  la  Borne  qui  est  le  plus 
ancien  et  meilleur  expéditionnaire  français  pour  en  dresser  les 
mémoires  nécessaires  et  faire  en  sorte  qu'on  en  ayt  au  plutosl 
l'expédition,  à  quoy  je  ne  manqueray  pas  d'aporter  tous  les  soins 

que  doit 

Sire 
de  Votre  Majesté 

Le  très  humble  très  obéissant 
De  Rome  ce  24  et  très  fidelle  serviteur 

fébvrier  1658. 
fol.  273,  273  his  et  274.  Gueffier. 

A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  27  fébvrier  1658. 
Receue  à  Paris  le  24  mars  1658. 

Monseigneur, 

Après   avoir  aussy  solicité    depuis    longtemps    celuy   de 

l'Evesché  in  partihus  pour  M.  de  Montigny,  en  quoy  l'on  n'a 
voulu  aussy  jusques  à  présent  prendre  aucune  résolution 
quelque  instance  et  diligence  que  j'y  aye  pu  aporter  principale- 
ment en  la  Congrégation  de  propaganda  fîde,  je  commence 
d'avoir  quelque  espérance  qu'à  la  fin  on  l'acordera  sur  ce 
qu'ayant  pris  l'ocasion  de  me  pleindre  de  ces  longueurs-là  à 
M.  le  Cardinal  Rospilioso  en  luy  présentant  il  y  a  trois  jours  la 
lettre  du  Roy,  et  du  grand  préjudice  que  ces  longueurs-là 
aportent  à  la  religion  crétiene  dans  le  Canada  il  me  dist  qu'il  ne 
manqueroit  pas  d'en  faire  instance  en  la  première  congrégation 
où  cet  afaire-là  se  doit  terminer. 

Vous  baisant  pour  fin  très  umblement  les  mains,  etc. 

De  Rome  ce  27 
Février  1658.  Gueffier. 

fol.  279. 


—  497  — 

A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  25  mars  1658. 
Receue  à  Paris  le  20  apvril  1658. 

Monseigneur, 

Pour  ce  qui  est  des  assurances  qu'on  veut  avoir  icy  tou- 
chant la  pension  pour  jNI.  de  Montigny  quand  il  sera  Evesque 
in partibus  et  vicaire  apostolique  en  la  Nouvelle  France,  lesquelles 
vous  me  mandez  que  c'est  à  celuy  qui  poursuit  pour  luy  les 
Bulles  de  les  donner,  leurs  Majestés  y  ayans  déjà  pourveu,  vous 
trouverez  icy  un  mémoire  de  ce  que  j'ay  fait  sur  cela  qui  vous 
fera  voir  que  ce  que  s'y  pouvoit  faire,  n'y  a  pas  été  oublié, 
nonobstant  qu'il  n'a  été  possible  jusques  icy  de  faire  résoudre 
cett'afaire  là  en  la  Congrégation  de  propaganda  fide  à  qui  le  Pape 
l'a  renvoiée,  dont  je  seray  contraint  à  la  fin  de  luy  en  aler  faire 
des  pleintes  et  du  peu  de  respect  que  l'on  porte  en  cela  au  Roy, 
au  nom  duquel  je  la  solicite  il  y  a  cinq  ou  six  mois  quoy  qu'il 
s'agisse  en  cela  d'une  chose  de  laquelle  dépend  entièrement  le 
bien  de  la  religion  crétiene  en  ces  pais  là,  étant  encore  contraint 
de  me  pleindre  aussy  à  elle  que  nonobstant  la  grâce  qu'elle  a 
faite  à  la  prière  de  Sa  Majesté  et  les  remercimens  qu'elle  luy  en  a 
faits  aussy  par  une  lettre  expresse,  il  n'ayt  été  possible  d'avoir 
l'expédition  de  M.  l'abbé  de  Bazoches. 

Je  prie  Dieu,  etc. 

De  Rome  ce  25  mars  1658.  Gueffier. 

fol.  2S)2bls  et  293. 

Mémoire  dont  il  est  question   dans   la  lettre  précédente, 

ENVOYÉE    A    ^IoNSEIG^    LE    COMTE    DE     BrIENNE, 

De  Rome,  le  25  mars  1658. 

Vers  le  carnaval  le  R*^  Père  Assistant  français  Jésuite  aiant 
receu  trois  contrats  de  la  fondation  que  la  Reyne  a  faite  d'une 
pension  de  mil  francs  pour  M.  de  Montigny  quand  il  aura  été 
fait  Evesque    in  partibus  et  Vicaire  Apostolique  en  la  nouvelle 

Jés.  et  Noui'.-Fr.  —  T.  II.  32 


—  498  — 

France,  il  me  les  envoia  aussy  tost,  comme  je  les  communiquay 
de  mesme  au  s'  de  la  Borne  que  j'ay  chargé  de  la  solicitation  de 
cet  afaire  surtout  quand  il  en  faudra  expédier  les  Bulles.  Sur 
quoy  fut  faite  traduction  de  celuy  où  Sa  JNIiijesté  se  réserve  la 
disposition  de  ladite  fondation  quand  le  Roy  aura  pourveu  d'une 
semblable  ou  plus  grande  rente  et  fut  donné  avec  le  procès  de 
vita  et  moribus  dudit  sieur,  qu'avoit  icy  un  nommé  M'"  Paint,  qui 
agit  aussy  dans  ledit  afaire,  au  secrétaire  de  la  congrégation  de 
propaganda  fide.  De  sorte  qu'il  ne  reste  plus  qu'à  l'y  proposer, 
à  quoy  l'on  n'a  pu  jusques  icy  disposer  ledit  secrétaire. 

fol.  29G. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome  15  apvril  1658. 
Receue  à  Paris  le  11  may  1658. 

Monseigneur, 

Enfin  l'afaire  de  M.  de  Montigny  est  résolu;  mais  comme 

il  faut  qu'il  soit  proposé  en  consistoire  ce  qui  ne  peut  être 
qu'après  les  festes,  voilà  encore  du  tems  qu'il  faudra  y  avoir 
patience  devant  qu'on  puisse  travailler  à  l'expédition.  Quant  à 
celuy  de  M.  l'abbé  des  Bazoches  il  est  remis  après  lesdites 
festes  ;  mais  avec  espérance  qu'alors  il  se  résoudra  à  son  conten- 
tement. 

Je  vous  baise  très  umblement  les  mains,  etc. 
De  P\.ome  ce  15 

Avril  1658.  Gueffier. 

fol.  312.    . 

Decretum  Sac.  Conc^ï^  Gnalis  de  Propag^'^  fide 
habita  die  xi  aprilis 

1658. 

Ad  relationem  Em""  Diîi  Gard"'  Meltii,  Sac^.  Gong''  Vicarium 
Apostolicum  cum  aliquo  titulo  in  Partibus,  si  S™*'  placuerit, 
decrevit  esse   transmittendum  ad  Regnum    Canada   in  America 


—  499  - 

Septentrionali  Franciscum  de  la  Val  de  Monligny  ut  necessitati- 
bus  illius  nascentis  Ecclesiœ  et  Christianitatis  opportune  jDrovi- 
deri  possit. 

Ex  audientia  S'"'  sub  die  13  Aprilis  1658. 

Relato  per  Secretarium  suprd°  Decreto  S™°  D.  Nro  S'^^  Sua 
illud  bénigne  approbavit  et  ad  ulteriora  in  expeditione  mandavit 
procedi. 

M.  Albericius  sec^ 

Locus  H-  sigilli. 
fol.   322. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome  6  may  1658, 
^  Receue  à  Paris  le  1"^'' juin  1658. 

Monseigneur, 

Je  commenceray  cette  lettre  par  l'avis  que  je  suis  obligé  de 
vous  donner  que  j'ay  tant  pressé  lafaire  de  M.  de  Montigny  que 
j'en  ay  eu  à  la  fin  le  Décret  aprouvé  du  Pape,  comme  vous  ver- 
rez, s'il  vous  plaist,  par  la  copie  cy  jointe  ne  Faiant  pu  néan- 
moins avoir  plutost  que  le  premier  jour  de  ce  mois,  que  je 
baillay  incontinent  au  s*"  de  la  Borne,  qui  doit  faire  expédier  ces 
Bulles-là,  afin  qu'il  y  face  au  plutost  travailler,  à  quoy  j'espère 
qu'il  ne  manquera  pas,  comme  je  ne  feray  aussy  de  vous  mander 
quand  elles  seront  expédiées,  et  audit  s""  de  Montigny  mesme 
bien  qu'il  ne  m'ayt  jamais  écrit  un  mot  sur  ce  qui  regardoit 
en  cela  son  service. 

Je  prie  Dieu,  etc. 

De  Rome  ce  six"^^  may  1658.  Guéffier. 

Il  y  a  eu  ce  matin  Consistoire,  auquel  on  a  préconisé  M.  de 
Montigny  pour  l'Evesché  Petrée  in  partibiis.  De  sorte  qu'au 
premier  il  sera  proposé. 

fol.  323  et  325. 


—  500  — 

A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  l^--  juillet  1G58. 

Receue  à  Compiègne  le  7  aoust  1658. 

Monseigneur, 
Je  receu  hier  l'honneur  de  votre  depesche  du  7  juin  qui 
témoigne  quelque  contentement  que  vous  avez  voulu  prendre  des 
services  que  j'ay  mis  peine  de  rendre  à  Messieurs  de  Montigny 
et  de  Bazoches,  l'un  et  l'autres  aians  grand  sujet  d'être  bien  obli- 
gez au  Ro}^  et  à  vous  de  leur  avoir  procuré  de  Sa  Majesté  les 
grâces  dont  ilz  sont  pour  jouir  à  l'avenir  avec  beaucoup  d'hon- 
neur et  de  réputation.  L'on  a  envoie  à  M.  de  Bazoches  par  le 
s'"  Horavant  il  y  a  déjà  quelque  tems  ses  Bulles  ;  mais  l'on  a 
jusques  icy  tant  fait  de  dificultez  en  celles  de  M.  de  Montigny, 
qu'il  a  été  impossible  de  les  lui  envoler  plutost  que  par  cet 
ordinaire  icy,  comme  le  s""  de  la  Borne,  qui  les  solicite  m'a 
mandé  qu'il  espère  de  faire. 

N'étant   survenu  autre  chose  depuis  ma  dernière  qui   mérite 
vous  importuner  davantage  en  celle  cy  je  la  finis,  etc. 
De  Rome  ce  premier  juillet  1658. 

fol.  243.  Gueffier. 

A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne 

Rome,  7  juillet  1658. 

Receue  à  Compiègne  le  7  aoust  1658. 

Monseigneur, 

Bien  que  je  vous  eusse  mandé  par  ma  dernière  lettre  que 

le  s''  de  la  Borne  chargé  de  l'afaire  de  M.  de  Montigny,  lui  devoit 
envoler  ses  Bulles  par  cet  ordinaire  là,  cela  n'a  pourtant  pas 
été;  mais  deux  jours  après  le  partement  dudit  ordinaire  le  secré- 
taire de  la  Congrégation  de  propaganda  fide  me  les  envola  sur 
l'ordre  qu'il  en  avoit  eu,  lesquelles  je  fis  aussytost  bailler  audit 


—  501  — 

s""  de  la  Borne  avec  ordre  de  ne  manquer  pas  de  les  envoier  par 
celluy-ci. 

Vous  baisant  pour  fin  très  umblement  les  mains,  etc. 

De  Rome  ce  7  juillet 

1658.  Gleffier. 

fol.  348  et  348  bis. 


A  Monseigneur  le  comte  de  Brienne  le  filz 
Rome,   10  décembre  1658. 
Receu  à  Lyon  le  2®  janvier  1659. 

INIonseigneur, 

Monseigneur,  depuis  ce  que  dessus  écrit  le  Pape  m'a  fait 

dire  par  le  secrétaire  de  la  Congrégation  de  propaganda  fide 
cju'aiant  eu  avis  que  M.  l'Archevesque  de  Rouen  s'opposait  au 
Vicariat  apostolique  de  ]M.  de  Montigny  en  Canada,  sur  ce  qu'il 
prétend  que  ce  pais  là  est  dépendant  de  son  diocèse,  Sa  Sain- 
teté désirait  que  je  l'écrivisse  à  la  cour  afin  que  comme  ça  été  à 
l'instance  de  la  Reyne  que  ledit  Vicariat  a  été  donné,  et  dont 
elle  a  mesme  fait  la  fondation,  il  plaisse  aussy  à  Sa  Majesté  de 
faire  ordonner  à  mondit  sieur  l'archévesque  de  désister  de  cette 
prétention  là  puisqu'elle  n'est  pas  bien  fondée,  veu  qu'il  n'a 
aucun  bref  du  Saint-Siège  pour  telle  dépendance  et  ne  Ta 
acquise  pour  y  avoir  été  envolez,  comme  il  dit,  des  prestres  de 
son  dit  Diocèse.  Le  sudit  secrétaire  aiant  ajouté  qu'en  aiant 
fait  relation  à  ^less'"*  les  Cardinaux  de  ladite  Congrégation  ilz  en 
avoient  été  fort  étonnez.  De  sorte  qu'il  semble  que  mondit  sieur 
fera  prudemment  de  déférer  aux  ordres  qui  luy  en  pouront  été 
donnez  de  la  part  de  la  Reyne  ou  du  Roy  mesme,  crainte  qu'au- 
trement on  ne  prht  icy  (comme  on  pouroit  peut  être  aussy  faire 
]3ar  delà)  des  résolutions  qui  ne  lui  seroient  pas  favorables. 
Cependant  je  vous  baise  très  umblement  les  mains  en  vous  sup- 
l^liant  de  me  permettre  que  je  me  die  toujours 
Monseigneur 

Votre  très  humble  et  très  obéisssant 

De  Rome  ce  lO''  serviteur 

Décembre  1658. 
fol.  420,  420  bis  et  421.  Gueffier. 


xin 

Lettre  de  Mgr  de  Rouen  au  Cardinal  Mazarin 

10  Dece.  1658,  a  Pontoise. 

Monseigneur, 

Votre  Eminence  n'aura  pas  oublié  que  deux  jours  auparavant 
son  départ  de  Paris  ie  luy  rendis  compte  du  différend  que  j'avois 
eu  avec  monsieur  le  nonce  touchant  le  Royaume  de  la  nouvelle 
france.  Sur  cela  elle  me  fit  l'honneur  d'entendre  mes  raisons 
avec  plaisir,  et  comme  elles  estoient  iointes  aux  intérêts  de 
V Eglise  Gallicane,  elle  se  lit  assés  entendre  qu'elle  vouloit  les 
appuier  d'une  singulière  protection.  C'est  Monseigneur  ce 
qui  m'oblige  de  faire  maintenant  à  V.  E.  le  récit  d'une  nouvelle 
circonstance  qui  est  arrivée  dans  cette  affaire  dont  ie  m'assure 
qu'elle  desapprouvera  l'entreprise  et  la  nouveauté.  V.  E.  sçait, 
et  ie  luy  ay  dit  la  chose  comme  elle  est,  que  ie  suis  en  possession 
de  gouverner  pour  le  spirituel  tout  le  pays  de  la  nouvelle  France. 
Cette  nouvelle  Colonie  ayant  mieux  trouvé  son  compte  à  se 
mettre  soubz  l'Autorité  de  V Archevesque  de  Rouen,  a  continué 
iusqu'a  présent  a  le  recognoistre  pour  son  Prélat  :  il  y  a  plus 
de  vingt  cinq  années  que  mon  Prédécesseur  et  moy  exerçons 
cette  charge  sans  contestation.  J'en  ay  rassemblé  tous  les  actes 
pour  les  faire  voir  à  V.  E.  incontinent  après  son  retour,  et 
mesrae  à  l'heure  que  ie  me  donne  l'honneur  d'escrire  ces  lignes 
à  V.  E.  ie  viens  de  recevoir  des  lettres  du  Pape  dattées  du 
23  septembre  par  lesquelles  j'apprens  que  les  reglemens  que 
j'avois  faits  entre  l'Abbé  de  Quelus  qui  est  mon  grand  vicaire 
dans  l'Isle  de  Monreal,  et  le    supérieur  des  Jesuittes   qui  a  la 

1.  Voir  plus  haut  pp.  284,  296  et  331.  —  Les  pièces  que  nous  donnons 
sous  le  n"  XII  montrent  l'opposition  faite  à  la  nomination  de  Mgr  de  Laval 
comme  vicaire  apostolique  et  les  prétentions  de  l'archevêque  de  Rouen  sur 
la  Nouvelle-France.  On  trouvera  quelques  autres  documents  dans  le  t.  II, 
chap.  XIII,  de  V Histoire  de  la  colonie  française  par  M.  Faillon. 


—  503  — 

mesme  fonction  ])ar  mon  autorité  dans  Québec  ont  été  ponctuel- 
lement exécutés.  Cependant  monseigneur  la  Reyne  a  demandé 
au  Pape  un  evesque  pour  ces  pays  la,  et  au  lieu  d'en  établir  un 
on  a  donné  a  Rome  des  Bulles  de  l'Evesché  de  Pétrée  qui  est 
une  Province  située  dans  l'Arabie  a  monsieur  l'Abbé  de  Monti- 
gny  avec  commission  de  vicaire  apostolique  pour  le  Canada, 
parce  que  cette  qualité  de  vicaire  Apostolique  est  nouvelle  et 
inouie  dans  tout  le  droit  et  dans  nos  maximes  de  france  ou 
mesme  il  faull  que  les  facultés  des  Légats  soient  enregistrées 
avant  qu'elles  soient  exécutées.  INIessieurs  les  Prélats  escrivirent 
une  lettre  circulaire  a  tous  leurs  confrères  absents  pour  les 
prier  de  ne  point  ordonner  ledit  sieur  Abbé  de  Montigny  qu'on 
n'eust  veu  sa  bulle  auparavant  et  examiné  ce  qu'elle  contenoit. 
V.  E.  approuva  cette  conduitte,  et  cela  d'autant  plus  qu'on  a 
abusé  de  l'intention  du  Ro}^  veu  qu'il  a  donné  un  Brevet  pour 
établir  un  Evesque  dans  la  Nouvelle  france,  ce  que  le  Pape  n'a 
pas  fait  et  que  d'ailleurs  dans  les  bulles  dont  j'ay  une  coppie  il 
n'est  pas  fait  mention  du  Brevet  de  sa  IMaiesté. 

Voilà  monseigneur  Testât  ou  estoient  les  choses  quand 
V.  E.  est  partie  et  cette  affaire  avec  beaucoup  d'autres  sembloit 
devoir  estre  remise  à  son  retour.  Au  préjudice  de  cela  Monsieur 
le  Nonce  assisté  de  Messieurs  les  Evesques  de  Rodés  et  de 
Thou,  pria  les  Religieux  de  l'Abbaye  de  Saint-Germain  de  luy 
prester  une  de  leurs  chappelles,  pour  y  faire  quelque  fonction 
Pontificale,  les  coniurant  de  n'en  parler  à  personne,  de  sorte  que 
dimanche  matin  les  portes  fermées  ils  consacrèrent  l'Abbé  de 
Montigny  clandestinement,  au  mespris  des  Preslats  dans  un  lieu 
prétendu  exempt,  sans  la  permission  des  grands  vicaires  de 
Paris  qu'il  dit  au  Père  Brachet  estre  des  gens  trop  fascheux,  et 
sans  avoir  égard  à  l'interest  que  le  Roy  a  dans  cette  affaire. 
Monseigneur  V.  E.  iuge  bien  que  la  matière  ne  nous  permet  pas 
trop  de  garder  le  silence  mais  j^arce  qu'elle  a  fait  connaistre 
qu'elle  seroit  bien  aise  que  l'on  reniist  les  Assemblées  a  son 
retour,  et  que  mesme  dans  une  chose  qui  me  regarde  aussy  bien 
que  le  gênerai  je  ne  voudrais  pas  chercher  du  support  parmy  des 
gens  ou  il  y  en  pourroit  avoir  quelques  uns  qui  ne  seroient  pas 
ses  serviteurs,  j'ay  crû  qu'il  estoit  de  mon  devoir  de  me  plaindre 
a  V.  E.  de  cette  conduitte  de  ^Monsieur  le  Nonce,  qui  a  sacré  un 
Evesque  en  cachette,  dans  une  exemption  dun  diocèse,  au  mes- 


—  504  — 

pris  des  ordinaires  contre  la  resolution  des  Evesques  Assemblés 
et  au  préiudice  des  libertés  de  l'Eglise  de  france,  vous  protestant 
monseigneur  que  j'ayme  mieux  trouver  ma  protection  dans 
l'honneur  de  vostre  Amitié  que  dans  tous  les  secours  que  ie 
pourrois  trouver  ailleurs,  et  par  des  voyes  qui  fairoient  noistre 
d'autres  affaires. 

Au  moins  monseigneur  nais  ie  point  voulu  hasarder  la  voie 
d'une  Assemblée  de  crainte  q'uestant  soubz  la  Présidence  de 
monsieur  l'Archevesque  de  Sens  il  ne  s'elevast  d'autres  questions 
qu'il  n'est  pas  a  propos  de  remuer  durant  l'absence  de  V.  E. 
pour  cet  effet  Monseigneur  ie  m'en  vas  en  Normandie  suppliant 
très  umblement  V.  E.  que  ma  modération  et  mon  respect  pour 
sa  personne  ne  soit  pas  attribuée  a  manque  de  zèle  pour 
deffendre  les  droits  de  mon  Eglise  et  quil  paroisse  q'uelle  scait 
autant  favoriser  ceux  qui  agissent  dans  cet  esprit,  que  d'autres 
qui  voudroient  tout  mettre  en  œuvre  sans  avoir  de  pareils  egars. 
J'ose  Monseigneur  me  prommettre  cette  grâce  de  la  bonté  de 
V.  E.  a  qui  ie  ne  prens  pas  la  liberté  de  dire  ces  choses  pour  me 
faire  valoir,  mais  seulement  pour  lui  témoigner  que  ie  ne 
manque  pas  de  courage,  d'autant  plus  que  cette  qualité  est 
nécessaire  a  celle 


Monseigneur 
de 


De  Ponthoise  ce  10  dec. 

Î658. 


Son  très  humble  très  obéissant  et 
très  obligé  serviteur 


Archevesque  de  Rouen. 


(Archives  du  ^linistère  des  Affaires  Etrangères.  —  Rome, 
vol.  133.  —  1657-1658.  —  Supplément.  —  fol.  596-598.) 


Lettre  de  l'abbé  Thoreau  a  Mazarin 

Paris,  X.  dece.  1658. 
Monseigneur, 

Monsieur  l'archevesque  de  Rouen  n'aura  pas  manqué  a  donner 
advis  a  Vôtre  emminence  du  suiet  de  plainte  qu'il  prétend  avoir 
contre    mons'"  le    nonce    et   deux    autres  prélats    qui   sacrèrent 


—  505  — 

dimanche  dernier  monsieur  Tabé  de  Montigni  Evesqae  de  Petrcc 
dans  Véglize  de  Saint-Germain  des  prez  nous  avons  veu  dans  ce 
rencontre  quelques  Evesques  de  ceux  qui  sont  à  Paris  s'intéres- 
ser avec  mons""  de  Rouen  et  souhaitter  une  assemblée  pour 
empescher  le  cours  de  plusieurs  entreprises  qu'ils  prétendent 
que  faict  continuellement  mons'^  le  Nonce  sur  t aucthorité  Episco- 
pale  grand  grief  présent  de  M'"  de  Rouen  et  qui  le  touche  le  plus 
au  cœur  est  sa  prétention  sur  le  Canada  c|uil  dit  faire  partie  de 
son  diocèse  que  ses  prédécesseurs  y  ont  planté  la  Croix  y  ont 
établi  la  religion  et  tousiours  dépuis  cet  establissement  conduit 
cet  Eglize  par  leurs  Vicaires  gnaux  cela  presuposé  que  le 
pape  n'a  pu  establir  un  viccaire  apostollique  dans  son  diocèse 
sans  sa  participation  ce  qu'il  a  faict  par  une  clause  insérée  dans 
les  bulles  dudi  Evesque  de  petrée  il  avoit  eu  quelque  pensée  par 
la  disposition  qu'il  trouvoit  dans  certains  Esprits  de  demander 
advis  et  conseil  a  ses  confrères  de  ce  qu'il  avoit  a  faire  ce  qui  ne 
se  pouvoit  faire  que  par  une  assemblée,  ie  l'alay  voir  aussytost 
que  ien  eu  l'advis  et  luy  ayant  remontré  comme  quoy  Vostre 
Emminence  avant  son  départ  luy  avoit  tesmoigné  approuver  son 
procédé  et  entrer  dans  ses  intherets  qu'il  estoit  important  d'es- 
viter  autant  qu'on  pouroit  une  assemblée  dans  laquelle  sous 
prétexte  d'entreprises  faictes  par  Mons""  le  Nonce  on  pouroit 
entrer  en  d'autres  maltieres  dont  il  seroit  le  premier  fasché  et 
après  avoir  examiné  ensemble  tous  les  inconvenians  qui  en  pou- 
roient  arriver  il  changea  de  sentiment  ])rist  resolution  de  s'en 
retourner  dans  son  diocèse  iusques  au  Retour  de  Vostre  Emmi- 
nence et  ne  rien  faire  que  })ar  ses  ordres  voulant  tout  attendre 
de  sa  protection. 

Vostre  Emminence  n'aura  pas  désagréable  que  ie  luy  rende 
compte  de  la  conférence  que  iay^  eiie  sur  tout  ce  qui  s'est  passé 
avec  Mons*"  le  nonce  lequel  feignant  d'avoir  quelque  aflaire  de 
mon  frère  a  me  communiquer  passa  hier  a  mon  logis  ou  ne 
m'ayant  pas  rencontré  tesmoigna  qu'il  avoit  impatience  de  me 
voir  ce  qui  m'obligea  d'aller  sur  le  soir  a  son  logis  iugeant  bien 
ce  qu'il  avoit  a  me  dire  quelque  resolution  qu'il  me  parust  avoir 
que  ie  entrasse  en  matière  ie  l'obligé  de  s'ouvrir  le  premier  a 
moy  et  me  dit  qu'on  luy  avoit  donné  advis  que  Mons""  de  Rouen 
nous  sollicitoit  mon  confrère  et  moy  pour  une  assemblée  touchant 
quelques    suiets    de    plaintes    qu'il    prétendait  contre    luy,   me 


—  506  — 

•demanda  si  j'en  avois  cognoissance  et  me  'pria  de  luy  dire  ce  que 
l'en  sçavois.  ie  luy  dis  qu'a  la  vérité  i'avois  treuvé  Mons""  l'ar- 
chevesque  de  Rouen  fort  uni  de  sentiment  avec  plusieurs  de 
Mess*"^  les  Evesques  qui  sont  a  paris,  pour  se  mettre  a  couvert 
de  Liniustice  qu'il  prétendoit  avoir  receue  par  la  clause  insérée 
dans  les  bulles  de  M""  Levesque  de  petrée  qui  l'establit  viccaire 
apostolique  dans  une  portion  de  son  diocèse  sans  son  consente- 
ment qu'il  n'y  avoit  qu'une  seulle  chose  qui  avoit  empesché  une 
assemblée  qui  estoit  l'absence  de  Vostre  Emminence  pour 
laquelle  ils  avoient  la  dernière  defferançe  dans  tous  leurs  inthe- 
rets  et  qu'il  me  sembloit  y  avoir  entre  eux  tous  une  grande  dis- 
position a  se  servir  des  moyens  utiles  et  nécessaires  pour 
empescher  le  cours  de  certaines  entreprises  qu'on  prétend  qu'il 
foisoit  sur  L'aucthorité  Episcopalle  et  que  sur  ce  suiet  de 
quelques  procédures  faictes  par  luy  dans  Vahaye  de  Charonne 
près  paris  pour  l'execuon  de  quelques  brefs  de  sa  saincteté  ie 
voyais  disposition  a  se  pourvoir  par  appel  comme  cVahus  au 
parlement,  ie  Remarqué  que  le  mot  de  parlement  ciuelque  froi- 
deur naturelle  qu'il  ayt  luy  fust  de  dure  digestion  et  luy  fust 
impossible  de  ne  semporter  contre  Mons''  L'archevesque  de 
Rouen  disant  que  s'il  portoit  son  affaire  au  parlement  qu'il  feroit 
iigir  en  justice  contre  luy  pour  avoir  obligé  le  parlement  de 
Nor/na/tdic  soubz  le  nom  de  procureur  gîial  a  donner  arrest  por- 
tant deffences  de  mettre  a  Execuon  la  bulle  de  sa  saincteté  pour 
Levesché  de  petrée  je  lui  dis  que  les  procureurs  gnaux  des  par- 
lements n'avoient  pas  besoin  de  grande  sollicitaon  dans  les 
affaires  où  ils  se  trouvoyent  qu'il  y  alloit  des  intherests  des 
droicts  de  la  couronne  il  me  parust  depuis  un  peu  moins  Eschauffé^ 
neantmoins  après  l'avoir  assuré  qu'il  n"v  auroit  point  d'assem- 
blée sur  ce  suiet  qu'au  retour  de  Vostre  Emminence  ]Kir  ordre  de 
laquelle  toutes  choses  seroient  réglées.  lay  na}^  point  voulu  tes- 
moigner  a  M^"  L'archevesque  de  Rouen  ce  qui  s'estoit  passé 
dans  nostre  conferance  de  j^eur  d'aigrir  d'avantage  son  Esprit 
qui  l'est  assez.  lay  creu  seullement  Monseigneur  estre  obligé  de 
Rendre  compte  a  Vostre  Emminence  de  tout  ce  qui  s'est  passé 
•en  cette  occasion  avec  la  fidellité  que  doit  faire 

Monseigneur  Votre  très  humble  et 

de  Votre  Eminence  très  obéissant  serviteur 

a  Paris  ce  X  décembre  1658.  l'Abbé  Thoreau,  agent. 


À 


—  507  — 

Te  croy  que  votre  Eminence  est  informée  que 

Il  y  a  environ  quinze  jours  que  M^'  l'archevesque  de  Sens 

est  a  Paris  et  quelque  quatorze  ou  quinze  autres  prelas. 

(Archives  du  Ministère  des  Affaires  Étrangères.  —  Rome.  — 
•vol.  133.  —  1657-1658.  —  Supplément.  —  fol.  599-602.) 

Lettre  de  l'abré  Thoreau  a  Mazarin 

Paris,  20  dece.  1658. 
Monseigneur, 

J'ay  creu  qu'il  estoit  de  mon  debvoir  d'envoier  k  vôtre  Emmi- 
minence  copie  de  Varrest  que  donna  le  parlement  le  X6j  de  ce 
mois  contre  Mons""  l'abbé  de  Montigni  et  de  l'informer  aussi  à  quel 
point  Mons""  le  Nonce  a  Esté  surpris  de  ce  que  au  mesme  temps  que 
Mess""^  les  Evesques  se  sont  plaincts  de  ses  Entreprises  le  parle- 
ment a  Rendu  un  arrest  qu'il  dit  luy  estre  iniurieux  et  au  Saint- 
Siège. 

Aujourd'huy  un  advocai  du  |)arlement  m'est  venu  voir  de  sa 
part  c'est  un  homme  d'esprit  et  intelligent  et  duquel  mesme 
Monsgnr  le  Cardinal  Gngni  prenoit  advis  dans  ses  affaires  Les 
plus  importantes  du  Temps  de  sa  nunciature  lequel  m'a  dit  que 
mons'"  le  Nonce  Vavoit  mandé  chez  luy  depuis  l'arrest  donné  et  luy 
tesmoignant  son  desplaisir  le  pria  de  luy  donner  advis  sur  ce 
qu'il  avoit  à  faire  contre  cet  arrest,  qu'il  luy  avoit  dit  que  si  les 
bulles  avaient  esté  expédiées  à  l'ordinnaire  qu'il  pouroit  Estre 
bien  fondé  a  demander  réparation  au  roy,  mais  que  La  Clause 
qui  déclare  mons''  XJ'evesque  de  Petrée  viccaire  aposiollicjue  dans 
le  Canada  insérée  dans  les  dittes  bulles  sans  qu'il  soit  porté  que 
cette  concession  avet  esté  accordée  à  l'instance  et  prierre  du 
Roy  n'est  pas  soustenable  En  france.  En  espagne  mesme  un  suiet 
du  Roy  qui  auroit  Receu  et  Executté  des  bulles  conceiiees  en 
cette  manierre  sans  autre  forme  de  Justice  seroit  retenu  prison- 
nier, mais  qu'en  france  les  formes  de  Justice  y  avoient  leur  cours 
et  Estoient  plus  douces  que  ce  qu'il  luy  conseilloit  de  faire  pré- 
sentement estoit  d'empescher  l'assemblée  des  Evesques  qu'on 
publyoit  se  devoir  faire  ce  qui  luy  donna  lieu  de  le  prier  de  me 
venir  voir  de  sa  part  et  me  témoigna  combien  il  luy  seroit 
fâcheux  de  voir  les  Evesques  et  le  parlement  unis  pour  agir  de 


—  508   - 

concert  contre  le  Saint-Siège  je  luy  tesmoigné  que  ie  donnerois- 
advis  à  Vostre  Emminence  de  L'arrest  et  de  Testât  des  choses  et 
que  selon  ses  ordres  nous  agirions  et  que  c'estoit  à  Vostre 
Emminence  à  qui  il  devoit  s'adresser  et  de  laquelle  il  pouvoit 
Espérer  protection  Et  assistance  sur  quoy  il  me  dit  que  Mons"^ 
le  Nonce  estoit  En  Résolution  d'escrire  à  Vostre  Emminence 
pour  luy  demander  un  arrest  du  Conseil  qui  cassast  celui  du 
parlement  ou  du  moins  une  déclaration  du  Roy  sadressant  au 
grand  conseil  par  laquelle  sa  Maj^^  Recognust  que  les  bulles 
de  l'evesché  de  Petrée  avec  la  clause  qui  le  déclare  viccaire 
Apostollique  auroit  esté  accordée  à  son  instance  et  prierre  que 
i'obligerois  fort  mons''  le  nonce  si  ie  voulois  escrire  En  cette 
conformité  en  Vostre  Emminence.  Je  luy  dis  que  ie  n'estois  pa& 
persuadé  que  Vostre  Emminence  luy  peust  accorder  auceune  de 
ces  deux  demandes  et  qu'il  se  devoit  fixer  à  une  seulle  qui  est  de 
prier  Vostre  Emminence  de  faire  surseoir  l'execuôn  de  cet 
Arrest  iusques  a  son  Retour  attendu  mesme  que  je  voyois  dis- 
position a  pousser  les  choses  plus  Avant  ayant  donné  des  actes 
de  rehabilitation  pour  irrégularité  qu'on  prétendoit  qu'il  ne  pou- 
voit Exercer  cet  acte  de  jurisdiction  En  france  qu'en  vertu  d'une 
Commission  particullierre  Enregistrée  au  parlement  que  là 
sienne  ne  l'ayant  pas  esté  cela  luy  pouroit  causer  un  nouveau 
suiet  de  mescontentement,  on  m'a  Encore  asseuré  qu'il  avoit 
consulté  quelques  autres  advbcats  qu'il  a  treuvé  tous  d'un  mesme 
sentiment  Je  suis 

Monseigneur 

De  Votre  Eminence 

Le  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur. 

L'abbé  Thoreau  agent  gai 
du  Cierge  de  france. 
A  Paris  ce  XX  décembre 
gbj  c.  L6  uj. 

AU    DOS    : 

A  son  Emminence 
En  cour. 

(Archives  du  Ministère  des  Affaires  Etrawgères.  —  Rome.  — 
vol.  133.  —  1657-1()58.  —  Supi)lément.  —  fol.  ()ll-G15.) 


-   509  — 

Extrait  des  Registres  du  parlement  de  Rouen 

IGdéc.  1658. 

Veu  par  la  cour  la  Requeste  présentée  par  le  procureur  géné- 
ral du  roy  contenant  que  contre  et  au  préiudice  des  droicts  de 
l'église  gallicanne  et  de  ce  royaume  quelques  particulliers 
auroient  Entrepris  dans  les  derniers  temps  d'exécuter  des  brefs 
et  bulles  de  cour  de  Romme  d'une  forme  insolite  sans  lettres 
patantes  et  permission  du  roy  et  mesme  que  l'abbé  de  Montigny 
nay  suict  du  roy  et  originaire  du  diocèse  de  Chartres  préten- 
dant avoir  obtenu  bulles  En  cour  de  Romme  de  L'evesché  de 
petrée  avec  la  pretendije  quallité  de  viccaire  apostoUique  en  la 
province  de  Canada  qui  est  une  quallité  nouvelle  et  incogniie  en 
france  se  seroit  faict  sacrer  dans  l'églize  de  st  Germain  des 
prez  comme  lieu  Exempt  sans  l'aucthorité  du  Roy  et  permission 
de  l'ord^^^  ou  de  ses  grands  vicaires,  se  veut  ingérer  d'en  faire 
les  fonctions  dans  le  Royaume  ce  qui  ne  se  peut  sans  en  blesser 
les  droicts  et  privilleges,  à  Ces  Causes  Requeroit  qu'il  fust 
ordonné  commission  estre  deslivrée  aud*  supplyant  pour  faire 
assigner  En  la  Cour  tant  ledit  abbé  de  Montigny  qu'autres  que 
besoin  seroit  pour  rapj)orter  et  luy  communiquer  Les  i)rétendus 
hreîs  et  bulles  obtenues  exécutées  sans  la  permission  du  Roy. 

Pour  jcelle  à  luy  communiquée  prendre  sur  la  ditte  Exécution 
telles  Conclusions  qu'il  aviseroit,  et  cependant  deffences  tant 
aud*  Abbé  de  Montigny  qu'autres  qui  auroyent  obtenu  de  sem- 
blables bulles  de  s'immiscer  à  l'exécution  d'icelles  sans  les  avoir 
preabablement  présentées  aud*  Seignr  Roy  et  obtenu  sur  ce 
lettres  patantes  En  la  manière  accoustumée ,  lad®  Requeste 
«ignée  dud^  supplyant,  Ouy  le  rapport  de  M""  Charles  le  prévost 
conseiller  du  Roy  en  la  d^  Cour  Et  tout  considéré  laditte  cour  a 
ordonné  et  ordonne  que  Le  Supplyant  aura  commission  pour 
faire  assigner  En  jcelle  qui  bon  luy  semblera  aux  fins  de  sa 
Requeste,  cependant  faict  deffences  aud^  Abbé  de  Montigni  et 
tous  autres  qui  auront  obtenu  de  semblables  bulles  de  s'immis- 
<îer  en  l'exécuôn  d'icelles  sans  les  avoir  preallablement  présentez 
au  Roy  et  obtenu  sur  ce  lettres  patantes  En  la  manière  accous- 
tumée faict  En  parlement  le  X6j.  décembre  gbj.  L6  uj. 

(Archives  du  jMinistère  des  Affaires  Etrangères.  —  Rome.  — 
Tol.  133.  —  1657-1G58.  —  Supplément.  —  fol.  G09.) 


510 


L'AllCHEVÈQUE    DE    RoUEN    AU    GaRDINAL    MaZARIN 

Paris,  3  mars  1659. 


Monseigneur 


V.  E.  ne  trouvera  pas  mauvais  que  ie  finisse  cette  lettre  en  la 
suppliant  très  humblement  de  terminer  le  demeslé  que  j'ay  avec 
monsieur  l'Evesque  de  Petrée.  Il  a  une  commission  de  vicaire 
Apostolique  pour  le  Canada,  j'en  suis  l'ordinaire,  ma  posession 
est  constante,  j'en  fairay  voir  quand  il  vous  plaira  tous  mes  tiltres 
a  V.  E.  cependant  monseigneur  j'apprens  que  monsieur  le 
Chancelier  a  ordre  de  luy  expédier  des  lettres  patentes  sur  sa  com- 
mission ny  ie  ne  puis  ny  ie  ne  veux  l'empescher  mais  monseigneur 
V.  E.  doibt  considérer,  que  comme  les  facultés  des  Légats  nem- 
peschent  pas  celles  des  Ordinaires  dans  les  Royaumes  ou  ils 
exercent  leurs  pouvoirs,  ainsy  la  qualité  de  vicaire  Apostolique 
ne  doibt  pas  m'empescher  d'exercer  celle  d' Ordinaire  dans  le 
Royaume  de  Canada,  et  ce  d'autant  plus  que  cette  qualité  est 
nouvelle  en  France,  que  l'on  n'en  connoist  pas  les  prérogatives,, 
et  quil  ny  en  a  rien  de  spécifié  ny  dans  le  décret  de  gratian,  ny 
dans  toultes  les  decretales.  De  sorte  que  pour  accommoder  cette 
affaire  il  faudroit  que  dans  les  lettres  patentes  qui  seront  dres- 
sées il  fust  dit  que  monsieur  V Evesque  de  Petrée  exercera  libre- 
ment sa  fonction  de  vicaire  Apostolique  dans  toutte  la  nouvelle 
France,  et  que  pour  ioindre  a  cela  tout  le  pouvoir  nécessaire  pour 
réussir  utilement  dans  ce  lieu  qu'il  prendra  un  vicariat  de  L'Ar~ 
chevesque  de  Rouen  pour  y  faire  les  fonctions  d'ordinaire  iusqu'a 
ce  qu'il  plaise  à  Sa  Sainteté  de  créer  un  Evesque  titulaire  en  ce 
pays  la  qui  sera  Fait  suffragant  de  l'Archevesché  de  Rouen  :  par 
ce  moyen  le  Pape  n'aura  pas  suiet  de  se  plaindre  puisque  l'on 
permet  a  son  vicaire  Apostolique  d'exercer  sa  Fonction  et  le& 
Evesques  seront  satisfaits,  puisque  le  vicariat  in  Pontificalibus 
sauvera  le  droit  des  ordinaires. 

Pardonnes  moy  s'il  vous  plaist  monseigneur  si  cette  lettre  est 
un  peu  trop  longue,  les  matières  ne  m'ont  pas  permis  de  l'abre- 


—  511  — 

ger  davantage  et  puis  on  excuse  volontiers  les  fautes  des  gens- 
lorsqu'ils  sont  avec  autant  de  respect  et  de  passion  que  ie  suis 
Monseigneur 
de  V.  E. 

Le  très  Innnble  très  obéissant  et 
de  Paris  ce  3  mars  très  obligé  serviteur 

1659 

FV.  Ahchevesque  de  R.ouen. 

(Archives  du  Ministère  des  Aftaires  Etrangères.  —  Rome.  — 
1659-1660.    -  Supplément.  —  vol.  137.  —  Fol.  105-106.) 

N.  B.  Cette  lettre  n'est  pas  reproduite  exactement  dans  VHis- 
toire  de  la  Colonie  française  par  l'abbé  Faillon,  t.  II,  p.  330. 


Lettre    du    Roi   a   Crequi,  ambassadeur    de  France  a  Rome 

Fontainebleau,  28^  juin  1664. 

Mon  cousin  le  s-^ de   Laval  Evesque  de   Petrée   faisant 

les  fonctions  Episcopales  dans  le  Canada  en  qualité  de  vicaire 
Apostolique  seulement,  J'ay  creu  qu'il  seroit  plus  avantageux  a 
cette  Eglise  naissante  qu'jl  y  exerceat  a  l'advenir  les  mesmes 
fonctions  en  qualité  d'Evesque  diocésain  Luy  faisant  establir  a 
cette  fin  un  siège  Episcopal  dans  Québec  qui  relevé  néantmoins 
et  dépende  du  siège  Archiépiscopal  de  Rouen  Et  affin  de  luy  faci- 
liter l'obtention  de  cette  grâce  J'ay  consenty  a  l'Union  et  Incor- 
poration per|)etuelle   au    d.    Evesché    de    l'abbaye    de    Maubec 

ordre  de diocèse  de  Bourges  que  J'ay  affectée  a  L'Entretien 

dud.  Evesque  et  de  ses  Chanoines  sur  quoy  Je  vous  escris  cette 
Lettre  pour  vous  dire  que  mon  Intention  est  que  vous  fassiez  en 
mon  nom  touttes  les  Instances  que  vous  estimerez  nécessaires 
auprez  de  sa  S^^^*^  et  ailleurs  Pour  obtenir  les  Bulles  et  provisions- 
apostoliques  nécessaires  aud.  S""  Evesque  de  Petrée  avec  pou- 
voir de  faire  les  fonctions  Episcopales  dans  tout  le  Canada  en 
qualité  d'Evesque  de  Québec  et  suffragant  de  L'Archevesque  de 
Rouen  suivant  Les  mémoires  et  Instructions  plus  amples  que 
vous  en  recevrez  par  celuy  qui  vous  présentera  cette  lettre  avec 
celle   que  J'escris  a  Sa    S^^t^  sur  ce  mesme  sujet  lequel  estant 


—  512  — 

chargé  de  la  ])oursiiilte  des  affaires  dud.  S""  Evesque   de  Petrée 

en   cour  de    Rome   vous    Informera   plus   particulièrement   des 

motifs  de  cet   établissement  Priant  sur   ce  Dieu  qu  jl  vous  ayt 

mon  cousin  en  sa  s^®  et  digne  garde  E script  a  fontainebleau  le 

28«juin  166^1. 

Louis. 

AU    DOS 

A  mon  Cousin  le  Duc 
de  Crequy  Pair  de  France 
Command''  de  mes  ordres  Premier 
Gentilhomme  de  ma  Chambre 
et  mon  Ambassadeur  Extrord""^ 
a  Rome. 

(Archives  du  Ministère  des  Affaires  Étrangères.  —  Rome.  — 
vol.  166.  —  1664- 1665  —  fol.  44.) 


M.  LE  DUC  DE  Crequy  au  Roi 

23.  7^'^  i66k  à  Rome. 
Sire, 

Ensuitte,  comme  par  les  lettres  que  i'ay  receus  de  W  de 
Lionne  du  30^  du  passé,  il  me  mande  que  LIntantion  de  V.  M.  est 
que  ie  fasse  Instance  au  Pape  pour  lestablissement  d'un  Siège 
Episcopal  dans  Québec  pour  tout  le  Canada  je  portay  cette 
affaire  a  Sa  S^^  qui  la  receût  très  favorablement  ;  me  tesmoigna 
qu'elle  voulait  faire  ce  que  V.  M.  souhaittoit;  et  me  chargea 
cependant  d'en  faire  donner  les  Mémoires  nécessaires  au  secret- 
taire  de  la  Congrégation  de  Propaganda  fidé.  Apres  quoy  ie  me 
retiray. 

Je  suis  avec  un  profond  respect 
Sire 

de  V.  Mt«. 

Le  1res  humble,  très  obéissant,  et 
très  fidelle  serviteur  et  suiet 
A  Rome  le  23^  septembre  1664, 

Le  duc  de  Crequy. 


—  513 


Lettre  dl  Roi  a  Crequi 

Versailles,  17.  S»^'*'  1G64. 
Mon  cousin  J'ay  receu  votre  depesclie  du  23^  de  l'autre  mois 
par  laquelle  vous  me  rendez  compte  de  ce  qui  s'estoit  passé  en 
laud'^^  que  vous  aviez  eue  du  Pape  quelques  Jours  auparavant 
Sur  quoy  Je  n'ay  occasion  de  vous  mander  autre  chose  si  ce 
n'est  que  J'ay  approuvé  et  loiié  tout  ce  que  vous  luy  avez  dict  et 
nommément  sur  les  plaintes  qu'il  vous  a  faites  de  mon  Cousin 
le  Gard^^  d'Est  et  de  la  Republique  de  Venise  et  touchant  la 
création  d'un  Evesché  à  Québec  dont  II  vous  a  accordé  la  grâce, 
et  qu'il  en  faudra  Incessamment  faire  solliciter  les  expéditions  en 
datairie  ou  mon  droit  perpétuel  a  la  nomination  dud^  Evesché  ne 
soit  pas  oublié,  non   plus  que  ce  qui  regarde  la  subiection  a  la 

métropole  de  l'Archevesché  de  Rouen 

h^scrit  à  Versailles  le  17*^  octobre  1()64. 

Lou[s. 

AU    DOS 

A  mon  cousin  le  Duc 
de  Crequy  Pair  de  France 
Command""  de  mes  ordres  Premier 
Gentilhomme  de  ma  Ghambre 
ot  mon  Ambassadeur  Extraord""^ 
a  Rome. 

(Archives  du  Ministère  des  Affaires  Etrangères.  —  Rome.  — 
vol.  1G6.  —  1664-1665.  —  fol.  136.) 


Lettre  de  Golbert  a  M'"  l'ahré  de  Bourlemont,  a  Rome 

Led.  Jour  du  28^  juin,  1669. 

M. 

La    nouvelle    france   estant   a    présent    de   mon  Département 

comme  vous  sçavez.  Je  vous  prie   de  me   faire  sçavoir  si  vous 

avez  fait  quelques  instances  pour  l'Erection  d'un  Evesché  en  ce 

Jés.  et  Noiiv.-Fr.  —  T.  II.  33 


—  514  — 

pays,  conformément  au  projet  de  bulles,  que  M""  de  Lionne  vous 
en  a  envoyé  ;  et  comme  cette  affaire  importe  beaucoup  au  repos 
des  Peuples  de  ce  pays  la,  et  a  la  satisfaction  de  sa  Maj*^  Je  vous 
prie  en  cas  que  vous  ayez  commencé  quelques  instances,  de  les 
redoubler  pour  obtenir  de  Sa  S'^  les  bulles  nécessaires  pour 
cette  Erection. 

(Archives  de  la  Bibliothèque  Nationale.  —  Golbert.  —  vol.  204. 
Yf.  _  fol.  159.) 

Letthe  de  Golbert  a  M""  l'archevesque  de  Rouen 

(Cettre  lettre  semble  datée  de  novembre  1669.) 

M. 

Le  Roy  ayant  donné  ordre  a  M''  l'abbé  de  Bourlemont  son 
Résident  a  Rome  de  demander  a  sa  S'^*^  lErection  d'un  Evesché 
à  Québec  en  la  nouvelle  france,  Il  a  envoyé  un  projet  des  bulles* 
qui  ont  été  dressées  pour  ceteffect;  mais  comme  toutes  les  diffi- 
cultez  qui  ont  esté  faites  jusques  a  présent  pour  en  empescher 
l'expédition  ont  esté  surmontées  avec  peine  et  avec  beaucoup  de 
temps  et  qu'il  ne  reste  plus  que  celle  de  rendre  cet  Evesché  suf- 
fragant  de  l'Archevesché  de  Roiien  sur  laquelle  nous  ne  voyons, 
plus  de  moyen  d'obliger  la  congreg«°  consistoriale  qui  a  esté 
assemblée  pour  examiner  cette  affaire,  d'accorder  au  Roy  cette 
o"race,  avant  que  de  donner  ordre  aud^  s""  abbé  de  prendre  ces 
bulles  en  la  forme  qu'ils  les  veulent  donner,  Sa  Ma**^  m'a  ordonné 
de  vous  donner  part  des  raisons  qu'ils  allèguent  pour  refuser 
cette  condition. 

Ils  disent  donc,  que  vous  n'avez  pu  prendre  aucun  droict  dans 
ce  pays  la,  encores  que  vous  y  ayez  envoyé  des  Ecclésiastiques 
pour  y  prescher  l'Evangile,  d'autant  que  le  Pape  a  seul  droict. 
d'envoyer  dans  toutes  les  nations  barbares,  mais  pour  vous  dire 
vraj  cette  raison  nous  paroist  estre  un  faible  prétexte  et  que  la 
véritable  est  qu'ils  croyent  séparer  cette  Eglise  du  Clergé  de 
france  lequel  ils  ne  veulent  pas  fortiffier  et  c'est  ce  qui  empes- 

1.  Ce  projet  de  Bulle  se  trouve  aux  Archives  du  Ministère  des  Affaires 
Étrangères  \Rome,  t.  XXXIX,  1668,  vol.  192,  fol.  132),  avec  ce  titre  :; 
Projet  de  Bulle  de  l'Efesc/ié  de  Qiiebek  acec  les  remarques  dont  on  a  envoyé 
copie  à  M'  le  duc  de  Chaulues  le  20  Juillet  1668. 


—  515  — 

chera  qu'ils  n'accordent  cette  condition,  faites  moy  sçavoir  s'il 
vous  plaist  vos  sentiments  sur  ces  lignes  et  me  croyez 

(Archives  de  la  Bibliothèque  Nationale.  — Golbert.  —  vol.  204. 
V^  —  fol.  288-289.1 


Lettre  de  Golbert  a    i\r  l'abbé   de  Bolrlemoxt 

Le  8  novembre  1669. 
M. 

Je  vous  ay  mandé  par  le  dernier  ordinaire  que  le  Roy  m'avoit 
commandé  de  donner  part  a  M'"  l'xVrchevesque  de  Roiien  des  dif- 
iicultez  que  la  Congrégation  consistorialle  faisoit  de  rendre 
l'Evesché  de  Canada  suffragant  de  son  archevesché,  affîn  d'avoir 
son  sentiment  sur  ce  qu'elles  contiennent,  Et  je  vous  diray  par 
celuy  cy  que  sa  Ma*^  m'a  ordonné  de  vous  envoyer  une  copie  de 
la  lettre  qu'il  m'a  escrite  en  response,  et  quelle  désire  que  vous 
vous  serviez  de  toutes  ses  raisons  pour  porter  Sa  S*^^^  et  M""  le 
Cardinal  Rospigliosj  a  rendre  cette  justice  aud^  S""  Archevesque 
et  donner  au  Roy  cette  satisfaction,  mais  s'ils  demeurent 
fermes.  Sa  Ma*^  consent  que  vous  en  preniez  les  bulles  avec  la 
condition  delà  deppendance  jmmédiate  au  Saint  Siège,  Jusques 
a  ce  qu'il  y  ait  des  archeveschez  establis  en  ce  pays  la,  Je  vous 
remercie  des  nouvelles  que  vous  m'avez  donné  de  mon  frère.  Je 
vous  avoije  que  j'en  estois  fort  en  peine. 

Je  suis 

(Archives  de  la  Bibliothèque  Nationale,  —  Colbert.  —  vol.  204. 
V^  —  fol.  300.) 


Xlll 


Le  R.  p.  Général  Nickel  a  M.  de  Laval,  a  Paris 

Parisios,  Rev'"'^  ac  ill'"°  Duo  Diio  de  Laval  de  Montigny. 

Magnam  mihi  in  Dno  consolationem  attulerunt  litterœ 
Il}8e  Dais  yae  gx  quibus  intellexî  quam  ardenti  zelo  feratur  erga 
canadensium  barbarorum  conversionem,  quam  suo  etiam  effuso 
sanguine  promovere  vellet.  Non  immerito  Patres  nostri,  qui 
duduni  singularem  i[)sius  virtutem  perspectam  et  exploratam 
habent,  ill^™  D^™  V*"*  ecclesiae  Ganadensi  perfîciendam  propo- 
suerunt  X™°  Régi,  qui  eamdem  pro  sua  erga  viros  pietate  et 
meritis  insignes  summo  pontifici  nominavit.  Certe  ego  hic  quidquid 
in  me  fuit  apud  suam  Sanctitatein  adsecutus  sum  ut  res  ad  exitum 
féliciter  perduceretur,  speroque  fore  ut  Rex  brevi  intelligat 
nostros  omnium  conatus  ipsius  volis  respondere. 

Unum  rogo  Ilb'"  Dem  yam  ut  patres  omnes  societatis  nostraî  ope- 
rarios,  qui  laboribus  suis  excolunt  vineam  D"^  in  nova   Franciâ 
paterno  complectatur  affectu,  quos  sibi  in  omnibus  tanquam  filios 
amantissimos  et  obsequentissimos  reperiet  III""*  D'*^  V»  . 
Romœ,  XVIII  Martii  1658. 


Le  R.   p.   G»^   Cliva  a  Mgr  de  Laval 

Quebecum,  ÏIl®  ac  Rev°  episcopo  Petraeensi  et  Vie.  ap.  in 
N*  Francià. 

Mixtum  dolore  gaudium  percepi  ex  litteris  111*  ac  R*  D°**  V"= 
4  octobris  proxime  elapsi  ad  me  datis,  ut  sicut  nihil  mihi  gratins 
sit  quam  audire  patrum  nostrorum  in  vinea  domini  adlaboran- 
tium  conatus,  ita  nihil  molestius  nunciari  potest  quam  Evangelii 

1.   Voir  plus  haut  pp.  281,  284,  296,  330  et  331. 


—  517  — 

cursum  ab  antiquis  christiani  nominis  hostibus  obstinatius  retar- 
dari.  Unum  me  recréât,  adventus  domirii  baronis  du  Bois 
d'Avaugour,  qui  pro  suo  zelo,  prudentia  et  animi  fortitudine,  iro- 
qœorum  audaciam,  acceptis  è  Gallià  suppetiis,  retundet.  Scribo 
ad  P.  Prov*^™  ut  viros  optimos  seligat,  praedictis  militum  subsi- 
diis  adjungendos,  qui  sub  auspiciis  III*  ac  R*  D.  V*  fidem  longé 

latèque  diffundant.  Deus  servet  incolumem 

Romae,  6  martii,  1662. 


Le  G**^  Oliva  a  Mgr  de  Laval 

Parisios,  ill'"°  ac  rev.  ej)iscopo  Petrœensi  ac  vie.  ap.  in  N. 
Francia. 

Intellexi  ex  litteris  P.  H™'  Lalemant  aliorumque  patrum  qui  in 
missione  Ganadensi  versantur  paternum  affectum  quo  eos 
m™»  D.  V.  complectitur,  simulque  continua  bénéficia  quibus  ipso- 
rum  omnium  corda  sibi  dudum  indissokibili  lilialis  amoris  nodo 
conjunxit.  Hîec  peculiaria  testimonia  cum  in  totam  societatem 
nostram  redundent,  muneris  mei  esse  duxi,  peculiari  meo 
omniumque  nomine  gratias  illi  habere,  quod  hisce  litteris  meis 
facio  quam  studiosissime  et  humillimè  possum.  Et  licet  ill™*  D. 
Y^  pro  ardentissimo  animarum  zelo  quo  flagrat  operarios  evan- 
gelii  suis  precibus  ubique  comitetur,  tamen  raihi  temperare  non 
possum  quin  patres  nostros  in  mediâ  barbarie  degentes  et  con- 
tinuis  et  novis  œrumnis  afflictos  amantissimi  prœsulis  curae  ac 
patrocinio  commendem  ;  illi  vicissim,  ut  à  me  habent  in  mandalis, 
tantum  benefactorem  et  patronum  suis  semper  obsequiis 
omnique  quœ  debetur  observantia  et  amore  prosequentur. 
Illam  i3em  yara  Deus  pro  bono  nascentis  ecclesiae  Ganadensis  diu 
servet  incolumem. 

Romaî,  25  dec.  1662. 


Le  G^^  Oliva  a  Mgr  de  Laval. 

Quebecum  in  N.  Francia,  111.  ac  Rev.  D.  episcopo  petrœensi... 

Agnosco  ex  litteris  111.  ac  Rev.  D.  V*  singularem  benevolen- 

tiam  qua  societatem  nostram  complectitur,  et  cum  eâ  qua  par  est 


—  518  — 

gratiarain  actioiie  et  siaceri  mei  animi  gratitudiiie  adinitto  favo- 
rem  quem  Patribus  nostris  in  Nova  Francià  degentibiis,  ac 
nominatim  in  residentiis  Syllerianae  etBeata^  magdalenae  conferre 
meditatur.  De  modo  autem  uniendi  prsediclis  residentiis  décimas 
ecciesiasticas,  is  mihi  videtur  instituto  nostro  commodior;  si 
nem|)e  quamdiù  regio  ista  laborabit  inopià  sacerdotum  siiecula- 
rium,  tandiu  nostri  cumm  gérant  parœciaï-um  illarum  ;  cum 
autem  suppetent  sacerdotes  externi,  tune  rejectà  in  eos  aniuja- 
rum  cura,  vicarios  episcopo  pro  tempore  existent!  offerant  ab 
ipso  approbandos,  eisque  ut  fit  in  Galliis  pensionem  solvent  ex 
reditibus  annexarum  parœciarum.  Gumque  alius  modus  conve- 
nientior  mihi  non  occurrat,  superest  ut  actis  iterùm  humillimè 
gratiis  ill^  ac  Rev*  D.  ¥=«  ,  cui  se  societas  nostra  sumraè  obstri- 
ctam  fatetur,  aeternumque  fatebitur,  enixè  efflagitem,  ut  dignetur 
paternum  illum  amorem  erga  operarios  nostros  conservare, 
quos  vicissim  non  desinam  quâ  a|)ud  eos  aucloritate  valeo  obstrin- 
gere,  ut  tantâ  gratia  se  dignos  omni  officiorum  génère  studeant 
exhibere.  Ego  verô  assiduis  apud  Deum  precibus  agere  pergam 
ut  quem  nascenti  ecclesiœ  parentem  dédit,  duitissimè  servet. 
Romae,  XI  martii  1664. 

Le  0=*'  Oliva  a  Mgr  de  Laval 

Qaeheciun  in  N.  F.,  111°  ac  Rev.  episco[)0  petrœensi  ac 
vie.  ap. 

Officiosissimas  acce|>i  111-'^  ac  R"^  D.  V*  litteras  15  sept,  pro- 
ximè  elapsi  ad  me  datas,  quibus  suum  erga  societatem  nostram 
animum  nova  benevolentiae  significatione  testatur  et  quasi  non 
satis  esset  exemisse  a  decimis  bona  quae  istic  patres  nostri  pos- 
sident  et  para^cias  duas  residentiis  Sillerianae  et  Beata^  ^lagda- 
lenae  annexuisse,  addit  paratum  se  esse  nihil  non  agere  societa- 
tis  nostrae  fdiorum  causa.  Gratias  ago  111*  ac  Rev»'  D.  V'*^  quam 
humillimè  et  studiosissimè  possum  eique  polliceor  Societatem 
nostram  toi  beneficiis  ipsi  obstrictam  benefactoris  sui  ac  protec- 
toris  memorem  semper  futuram.  Gaudeo  quod  hibores  patrum 
nostrorum,  qui  istic  in  sainte  animarum  procurandâ  versantur, 
sapientissimo  Pastori  probentur  ;  sciunt  illi  se  à  paterna  ipsius 
charitate  diligi  ut  fdios,   et   illi  vicissim   parentem  optimum  ex 


iinimo  colunt,  nec  levé  certè  habent  in  suis  laboribus  solatium 
quod  sciant  se  amari  ab  eo  cui  secundiim  Deum  |)lacere  admo- 
dùm  cupiunt. 

Quod  ad  Episcopatum,  quem  rex  christ"'"^,  cujus  inconipara- 
bilis  pietas  et  zelus  ad  alterutruin  orbem  extenditur ,  fundare 
cupit  in  nova  Francià,  ubi  primum  certior  factus  ero  quod  de  eo 
agatur  apud  summum  pontificeni,  statim  omni  ope,  quantum  in 
me  erit,  negolium  istud  promovebo,  nec  suœ  sanctitati,  data 
occasione,  sïgnificare  pnetermittam,  quantum  ecclesia  Ganaden- 
sis  debeat  zelo  111.  ac  Rev.  D.  V""  ,  cui  me  cum  totâ  societate  nos- 
ti'à  obstrictissimum  agnosco. 

Romœ,  6  Januarii  1665. 


Mr.R  DK  Laval  au  G»^  Oliva 

Kebeci,  22  oct.  1665. 

R.  adm.  Pater,  accepi  quas  placuit  Paternitati  V*  ad  me  dare 
litteras,  quibus  currenteni  ad  majora  benevolentiae  erga  societa- 
tem  vestram  officia,  officiosis  suis  gratiarum  actionibus  non 
mediocriter  impellit.  Grescit  in  dies  satisfactio  quam  de  suis 
filiis  hic  degentibus  semper  sjieravi,  quos  ad  omnia  paratos 
invenio;  si  Deus  promovere  dignetur  aparatum  quem  rex  X"™^^ 
instituit  ad  debellandos  iroquœos,  habebunt  illi  amplissimum 
campum,  in  quo  decurrat  ipsorum  zelus  et  industria;  ad  quos 
sublevandos  et  corroborandos  nibil  opportunius  fîeri  potest 
quam  si  P^''  V»  alios  hùc  0|)erarios  mittat  :  messis  enim  multa, 
operarii  autem  pauci,  maxime  cum  Scccularium  sacerdotum,  prœ- 
sertim  idoneorum  rara  sit  admodum  copia,  et  eorum  mihi  delec- 
tus  sit  faciendus,  qui  regulares  non  aversentur,  ne  operis  félici- 
ter incœpti  progressus  impediatur,  Nescio  utrùm  finem  habuerit 
negotium  de  episcopatu  fixo  hic  statuendo ,  de  quo  superiore 
anno  scripseram  ;  si  quid  in  eo  ad  majorem  Dei  gloriam,  judicio 
ptis  Vœ  fuerit,  non  dubito  quin  data  occasione,  apud  Sanctitatem 
suam  quod  fîeri  potest  P-''*^  V**  perficiat.  Ad  hœc  meipsum  et 
ecclesiam  mihi  creditam,  SS.  SS.  et  orationibus  P*'''  V*  et 
totius  societatis  Gommendo. 


520  ~ 


Le  G^i  Oliva  a  M(;r   de  Laval 

Quebecum,  111'"°  Ep°  Petrœensi... 

Gonsueta  beneficentiœ  et  benevolentiae  ergo  me  suse  Societatem 
que  universam  argumenta,  illustr™**  D'°  V^  hùc  ad  nos  transmisit 
cum  litteris  22  octobris  praeteriti  datis.  Quae  ergo  omnia,  qua 
debui  gravi  et  venerabundi  aniiiii  significatione  accepi  ;  idque 
iUmffî  Y)ni  yee  persuasum  pridem  esse  et  confido  facile  et  vehe- 
menter  cupio.  ?Sec  dubium  quoque  mihi  esse  potest,  quin  Patres 
istic  nostri  omnes,  qui  nova  in  Franciâ  desunt,  studiosissime 
colère  semper  paternam  illam  charitatem  adnitantur,  quà  ipsos 
complecti  ill"^»  D''^  V^  dignatur. 

Quantum  attinet  ad  negotium  de  Ganadensi  episcopatu  à  sede 
apostolica  instituendo,  maxime  mibi  esse  cordi  pergit  ;  atque  ut 
felicius  ex  animi  omnium  nostri  sententià  transigatur,  nihil  nisi 
temporis  opportunitatem  expecto  sumque  sollicite  in  omnem 
occasionem  inlentus,  ut  illud  proponere  et  urgere  efficaciter 
possim.  Speroque  cura  divinâ  gratiâ  rem  aliquando  tandem  féli- 
citer confectum  iri.  Saltem  hoc  habeat  velim  ill'"*  D'°  V»  animo 
suo  fixum  certumque,  eam  œquè  mihi  immo  magis  quam  ulli 
mortalium  esse  cordi.  Precor  Dnum  Deum  ut  humillimis  meis 
votis  annuat,  tum  ad  optatum  rei  hujusce  eventum,  tum  ad 
illmœ  D"'*^  V*  incolumitatem,  quam  Divinœ  ejus  majestati  com- 
mendati  finem  facere  nullum  volo. 

Roma3,  IG  martii  166G. 


^Igiî  de  Laval  au  G-^^  Oliva 

Rev.  admodum  Pater,  Pro  ea  quœ  in  ecclesiam  mihi  creditani 
redundat  utilitate,  non  possum  non  gratulari  P'  V*  imô  nec 
beneficii  loco  non  ponere  quod  tam  egregii  hoc  anno  societatis 
operarii  ad  nos  pervenerint  ;  prœsagium  nobis  fuit  opportunum 
victoriae,  pro  qua  nunc  temporis,  cum  hœc  scribo,  acriter  contra 
fidei  hostes  pugnatur;  ex  illA  enim  pendet  operariorum  functio 
ad  sementem,  ad  quam  agros  idoneos  per  victoriam  prœvidens 
dus  messis,  subministrat  operarios  qui  suo  tempore  eos  excolant 
faxit  Deus  ! 


—  521  — 

In  negolio  ad  Episcopatiis  tituluin  obtinenduiii  à  Sua  Sanct**', 
nullum  video  progressum.  Urgeo  tamen  et  hoc  anno  negotium 
apud  omnes  qui  in  eo  aliquid  valent.  Experientia  enim  in  dies 
fit  nobis  magis  ac  magis  compertum  ex  hujus  rei  defectu,  multa 
damna  consequi  ;  usque  adeô  ut  ex  eo  capite  detrectent  liabila- 
tores  décimas  solvere,  quia  nec  episcopatus,  nec  parochi  tituluni 
habent,  et  sint  quasi  vagi  et  incerti  pastores  ;  et  hoc  secundum 
est  quod  à  Sua  S^^  saltem  intérim  postulo  ut  liceat  mihi  parochias 
harum  regionum  erigere  in  titulum  et  inter  alias  quebecensem, 
et  eam  sic  erectam  seminario  nostro  in  perpetuum  addicere, 
quod  seminarium  ex  operariis  seminarii  Parisiensis  ad  exteras 
nationes  conflavimus,  quorum  cura^  committere  cogitamus  quos 
ex  indigenis  gallis  in  collegio  vestro  studentibus,  noverimus  ad 
res  ecclesiasticas  idoneos;  in  bis  enim  operariis  habemus  homi- 
nes  sanse  doctrinee  et  eximiai  pietatis,  quibus  juventutem  infor- 
mandam  tuto  credere  possimus. 

Ha^c  sunt  praecipua,  de  quibus  ad  Suam  Sanctitatem  scribo  ;  si 

aditum  aliquem   offendat  P*«^  V*  ad    rem  illam   tractandam  cum 

summo   Pontifice,    rem    ut    puto  Deo   gratam    et   huic   Ecclesiae 

valdè  proficuam  prestabit,  meque  ex  eo  capite  de  novo  devinctum 

habebit,  etsi  jam  totum  societali  multis   titulis    addictum.   Deus 

admodum  P^am   B*®"'  V**"^  salvam  et  incolumen  servet  !  admodum 

B»-'  P.  V.  H'""^  et  obs^""^  servus.  —  Franciscus  Epis.  Petrensis, 

V.  ap. 

Quebeci,  idib.  oct.  an.  1GG6. 

Le  G-^^  Oliva  a  ^U.w  de  Laval 

Quebecum,  111"''  Ep.  Petrreensi... 

Novum  istud  operariorum  subsidium  a  me  summissum  in 
novam  Franciam,  quod  tam  insignicomitate  111*  D'''  V»  gratulatur, 
litteris  15  oct.  ad  nos  datis,  ego  féliciter  deslinatum  intelligo, 
cum  illud  tanto  prajsuli  accipio  satis  probari.  Perrexerunt  isti 
ex  Europa,  ubi  societas  numéro  capitum  longe  auctior  B^"'^  V*"^ 
jllmam  univcrsa  observât  ;  eoque  appulere,  ubi  pauciores  additi, 
jam  pluribus  linguis  el  manibus  hue  romam  usque  perferunt 
D"i«  ejusdem  V*  III'"*  voluntatem  ad  novum  ordinem  ornandum 
complectendumque  pronissimam.  Atque  unA  gratitudinem  nos- 
tram  mirum  quantum  infiammant. 


—  522  — 

Ad  negotium  quod  atlinet  de  quo  agere  mecum  Ill"»«  D'** 
V^  dignalur,  oro  quaesoque  ne  ainbigat,  quin  maximœ  curœ  mihi 
sit  futurura.  lllud  eniin  tiim  ad  divinam  gloriam  facere  plurimum, 
ipse  inlelligo,  tum  ex  ill'"-^  D"***  V"'  sententià,  certus  omnino  et 
indubitatus  affirme .  Uadè  nec  pr.etermitlam  quidquid  industriae 
in  me  fuerit,  totum  illud  in  eam  D"'^  V*  curam  apud  summum 
pontificem  opportune  ac  dillgenter  impendere;  ubi  primùm  res- 
cire  potero  quod  tractatum  reipsâ  negotium  istud  incuriâ  romanâ, 
operam  nostram  posse  admittere  ;  Illi  enim  quorum  versatur  in 
manibus,  renunciaverunt  non  prius  a  nobis  verbum  de  eo  esse 
faciendum,  quam  diserte  fuerimus  ab  ipsis  admoniti.  Sic  habeat 
igitur  D'*'  V«  Ill«  velim  etiam  atque  etiam,  ipsius  causai  fore  me 
semper  in  omnem  ejusmodi  occasionem  intentum.  Atque  intereà 
•enixissimis  precibus  meis  omnia  benignissimo  Deo  ac  Dno  nos- 
tro  per  quam  studiosè  commendabo. 

Roraa',  25  Januarii  1667. 


Le  g»*  Oliva  a  Mgr  de  Laval,  a  Quéuec 

Ita  feh'citati  nieas  tribuo  quod  ill*  D"'^  V'*^  rébus  prodesse 
ambiverim,  ut  studium  etiam  non  excludam  propensissimum  quo 
fateor  moveri  me  semper,  adomnia  ipsius  negotia  votaque,  quan- 
tum in  me  facultatis  fuerit  promovenda...  Immensas  vero  gratias 
•divinae  majestati  reddo,  quod  homines  noslros  suo  sancto  obse- 
quio  non  inutiles  dignetur  efficere  :  queni  atJmodum  locuples 
nobis  esse  et  assertor  et  testis  ill'"»  D'°  V-''  pergit,  humanissimis 
litteris  quas  ab  ipsâ  cum  consuetà  animi  mei  demissione  recepi, 
28  aug.  superioris  anni  datas.  Supremie  Dei  Optimi  benegnitati 
•ex  animo  supplico  ut  ill'""  D.  ¥"■"  diutissimè  servet  incolumen 
tum  suie  gloriîe  lum  ob^equiis  quoque  nostris. 
Romîc,  7  febv.  1()68. 

Le  G='^  Oliva  a  M(;r   de  Laval 

Non  est  mihi  facile  verbis  exprimere,  honorisve  plus  an  gaudii 
nobis  attulerit  Amant,  ac  Rev"=  V'"  Mg"'**  epistola  data  quebeci 
26  oct.,  cum  in  eà  urbanitate  me  cumulet  sua,  et  nostrorum,  qui 
istic  degunt,  zelum  ac  labores  testimonio  commendet  sane  lucu- 


—  523  — 

lento.  Nihil  nobis  omnibus  evenire  optatius  foret,  quam  ut 
câ  pietate  atque  prudenliû  praeditus  antistes,  quam  in  M""* 
V»  111»  ac  Rev»  suspiciunt  onines ,  toti  huic  ecclesiaî  litulari 
episcopi  nomine  praesideret,  boc  non  Romae  sapientissime  cogi- 
tatum  ac  pœnè  decretum,  ipsa,  ut  opinor,  crescentis  in  dies  colo- 
nial nécessitas  exiget.  Nostri  intérim  a  Deo  flagitare  non  desi- 
nent  ut  servet  incolumem... 

Romœ  19  fev.  1669. 


Le  G'»'  Oliva  a  Mgr  de  Laval 

Cum  erit  novi  Pontificis  electio  confecta,  quam  plus  quam 

n  tribus  mensibus  expectamus,  nibil  pra^termittam  commenda- 
tionis, atque  diligenti;e  sive  per  me  sive  per  amicos,  ut  in  fixum 
stabilitumque  titulum  erigatur  episcopatus  Quebecensis,  cum 
potissimum  impedimentum  illud,  quod  opponebatur  unicum, 
arcbiepiscopi  Rothomagensis  novam  illam  ecclesiam  sibi  suffra- 
ganeam  esse  cupientis,  tandem  aliquando  sublatum  esse  dicatui*. 
Roma^,  8  aprilis  1670.  ^ 

Le  p.   Oliva  a  ^Ic.r   de  Laval 

15  mars  lf)l'2. 

Fortunatiorem  me  esse  censerem,  si  laboribus  adbil)itis  nego- 
tium  ill'«  D"'«  V»'  ad  exilum  plané  perducereiri  ;  arbilrarer  enim 
eo  pacto  me  populorum  multorum  saluti  fructiiositis  desudasse. 

N.  S.  P.  LE  Pape  Innocent  XI 
à  Mgr  de  Laval,  à  Ouebec. 

De  Rome,  le  30  mars  1678. 

Innocentius  papa  XI 
Venerabilis  fraler,  salutem  et  apostolicam  benedictionem.  Pro 
sollicitudine  quam  de  catholice  religionis  propagatione   gerere 
debemus,  longé  gratissinKc  acciderunt  nobis  litlera^  Fraternitatis 


—  524  — 

tuae  de  prosperis  ejusdem  in  istis  oris  successibus  certiores  nos 
facientes.  Qui  sane  cum  singularem  vigilantiam  strenuumque 
tuum  in  excolendâ  recenti  istâ  vinea  Domini  zelum  luculenter 
ostendant,  voluntatem  tibi  nostram  majorem  in  modum  conciliant, 
atque  ad  te  meritis  laudibus  prosequendum  valdè  nos  provocant. 
Pro  explorato  tibi  esse  volumus  religiosis  conatibus  tuis  omni 
ope  ac  studio  semper  nos  adfuturos,  nihilque  ab  hujus  sancta? 
sedis  aucloritate  desiderari  passuros,  quod  ad  lucrifaciendas  ani- 
mas conducere  posse  existimabimus.  Quod  autem  iisdem  in  lit- 
teris  scribis  Patres  societatis  Jesu  uti  sedulos  ac  industrios  ope- 
rarios  in  obeundis  muneris  tui  partibus  magno  tibi  adjumento 
esse,  in  eà  nos  opinione  confirmât  quam  de  religiossimâ  societate 
jam  pridem  habebamus,  quos  proptereâ  omni  pastoralis  officio 
charitatis  â  te  foveri  vehementer  cupimus,  atque  ad  pergendum 
tecum  in  prœclaro  opère  excitari.  Reliquum  est  ut  tibi  persuadeas 
labores  omnes  tuos  semper  nos  prie  oculis  habituros,  nullamque, 
quae  se  nobis  offerat,  occasionem  demissuros,  benevolentiam 
nostram  reipsa  testandi  Fraternitati  tua3,  cui  intérim  apostoli- 
cam  benedictionem  peramanter  impertimur. 

Datum  Romae  apud    stum  Petrum   sub    annulo  piscatoris  die 
XXX  martii  MDGLXXVIII  pontificatûs  nostri  anno  secundo. 

Innocentius  XI. 


XIV  ' 

Archives  de  Gondé  (Château  de  Chantilly) 
Papiers  de  Condé.  Série  P,  tome  XXV,  fol.  Î57. 

Lettre  du  P.   Paul  Ragueneau  a  M.   le  Prince 
(le  grand  Condé) 

Monseigneur, 

Québec,  12  oct.  1661. 

Pax  Christi. 
Celle  qu'il  a  plu  à  Vostre  Altesse  m'honorer,  et  la  promesse 
qu'il  vous  a  plû  m'y  faire  de  vous  employer  pour  le  bien  de  la 
Nouvelle  France  auprès  de  Sa  Majesté,  lorsqu'il  faudra  nous 
procurer  quelque  puissant  secours  contre  les  Iroquois,  ennemys 
de  la  foy,  m'oblige  d'avoir  recours  à  elle  maintenant  qu'il  est 
temps,  et  que  si  nous  perdons  l'occasion,  ce  pais  est  perdu.  Le 
Roy  et  la  Reine  mère  ont  promis  à  Monsieur  Dubois  d'Avau- 
gour,  qui  cette  année  nous  est  venu  pour  gouverneur  que  l'an 
prochain  il  aurait  un  puissant  secours  de  la  part  de  leurs 
Majestez.  Un  régiment  entretenu  icy  deux  ou  trois  ans  metroit 
fin  à  toutes  nos  craintes  ;  mais  il  n'en  faut  pas  moins,  je  dis 
entretenu;  car  ce  pais  ne  peut  aucunement  j)orter  cette  dépense, 
ny  mesme  la  moindre  partie.  Maintenant  que  Dieu  a  donné  la 
paix  à  la  France,  un  des  regimens  entretenus  ne  cousteroit  pas 
plus  à  l'espargne  du  Roy,  icy  en  Canada,  qu'il  cousteroit  en 
France  ;  et  il  sauveroit  ce  pals,  qui  mérite  d'estre  conservé, 
pour  la  gloire  de  Dieu  et  l'honneur  de  la  France.  Si  l'on  pouvoit 
aller  attaquer  ces  Iroquois,  ennemis  de  la  foy,  par  la  Nouvelle 
Hollande,  ce  seroit  la  voye  la  plus  courte,  et  le  moyen  le  plus 
efficace.  Monsieur  Dubois  d'Avaugour  en  escrit  à  leurs  Majestez. 
Votre  Altesse,  d'un  seul  mot  y  peut  beaucoup.  C'est  dont  je  la 
supplie.   Il  y  va  du  salut  des  âmes,  et  de  quantités  de  nations 

1.    Voir  plus  haut,  pp.  313  et  314. 


—  526  — 

très  peuplées,  dont  ces  malheureux  ennemis  de  la  Foy 
empeschent  la  conversion.  Procurant  la  gloire  de  Dieu,  il  pro- 
curera la  vostre. 

Monseigneur 
A  Québec  en  la  Vostre  très  humble  et 

Nouvelle-France  très  obéissant  serviteur 

le  12  octobre  1661  Paul  Ragueneau. 

de  la  Compagnie  de  Jesus«^ 

Lettre  du  Gouverneur  du  Canada 

du  bois  d'Avaujour 

Papiers  de  Condé.  Série  P. 

^tome  XXV  folio  162 

M""  du  Bois  d'Avaujour 
au  Crand  Condé 
13  octobre  1661 
à  Québec. 

Monseigneur, 

Pour  rendre  conte  à  vostre  Altesse  de  ce  peis,  je  l'assure  que 
le  fleuve  de  sain  Laurens  est  l'une  des  belle  chose  du  monde,  la 
plus  fertile  et  la  plus  aisée  à  en  fermer  l'entrée  a  toute  autre 
puissance  et  a  l'ouvrir  a  deux  estas  aussy  grands  que  la 
france. 

Sinq  ou  sis  compagnie  de  boesme  iusqu'a  présent  ont  empes- 
ché  d'en  considérer  la  beauté  et  den  chercher  les  aventaies,  trois 
mille  hommes  establisse  le  peis  et  dissipe  cette  canaille  par 
l'entrée  des  holendois  qui  comme  de  bons  marchands  le& 
assistent  d'armes  et  de  munitions. 

Ou  autrement  douse  cens  hommes  et  trois  cens  soldats  les 
areste  sufisenmant  en  envolant  pour  un  en  des  farines  aus  pre- 
miers et  a  ceux  sy  subsistance  pour  trois  ennees,  que  sy  le  roy 
ne  veust  faire  ny  l'un  ny  l'autre,  qu'il  laisse  faire  les  gens  du 
[)eis  et  qui  les  octorise.  iassure  a  vostre  Alt.  que  tout  ira  for 
bien,  et  qu'ils  s'acroitront  en  la  mesme  fasson  que  tous  les 
austres  estas  on  fait,  pourveu  qu'ils  ne  soient  point  chargés  de 
puissances  inutiles  comme  de  petis  gouverneurs  et  de  gens  de 
iustice  qu'on  leur  enuoie  tous  les  ioursv 


—  527  — 

Sur  cette  connoissance,  S}^  le  roy  ne  s'en  mesle  et  ne  m'envoie 
mon  pain  et  celui  de  cent  soldats  que  iay  menés,  iauray  l'hon- 
neur d'en  dire  dauantaie  a  vostre  Altesse  l'ennee  qui  vient  dieu 
aidant  et  selon  moy  iestimerois  voler  laulel  que  de  leur  causer 
une  charge  qui  ne  peuvent  encore  i^orter  ils  sont  a  Québec  assez. 
fors  pour  résister  aux  ennemis  qu'ils  onl,  mais  pour  le  reste  des- 
habitations elles  sont  bien  encore  plus  sauvaienient  semées  que 
les  saunages  mesmes,  et  |)Our  le  faire  voir  se  sont  raille  hommes 
et  en  tout  moins  de  trois  mille  âmes  logés  en  qualreuint  lieue 
d'estendue,  et  aussy  fort  souuant  paient  chèrement  leur  folie,  ie 
puis  assurer  vostre  Altesse  qua  une  lieue  et  demie  autour  de 
Québec  il  y  a  sufiseument  de  quoy  substenter  cent  mille  ame  ce 
lieu  est  entouré  d'eau  sur  les  deus  tiers  et  escarpe  hors  d'esca- 
lade, l'avenue  a  sing  cent  toise,  si  le  tout  estoit  adiusté,  deus 
fors  a  demie  lieue  de  la,  l'un  a  la  teste  de  l'isle  d'Orléans  et  sur 
l'autre  bord  du  riuage,  l'autre  en  cet  estât,  Québec  seroit  le  plus^ 
beau,  le  plus  fort  et  le  plus  grand  port  du  monde  et  brisac 
contre  n'est  qu'un  ombre  de  la  iusqu'a  la  mer  il  y  a  sis  uins- 
lieue,  les  nauires  de  quatre  a  cinq  cent  tonneaus  y  abondent  et 
d'isy  dens  les  terres  la  riuiere  a  jdus  de  sing  sent  lieue  de  lon- 
gueur, et  l'on  y  rencontre  des  lacs  de  deus  a  trois  cens  lieue  de 
tour  ramplis  d'isles  des  plus  fertiles,  vostre  Altesse  iuge  du 
reste,  je  suis  sens  fin  son  très  fidelle  seruiteur. 

Du  Bois  d'Avaugour 

a  Québec  le  13  octobre  1661. 

J'ay  mis  a  la  teste  d'un  conseil  gênerai  pour  le  ceruisse  du  roy 
et  le  bien  du  peis  le  reuerend  père  Ragnaust  lequel  a  l'honneur 
d'estre  connu  de  vostre  Altesse  et  avec  trois  austres  tous  les 
iours  deslibere  des  afaires  publiques,  par  son  mérite  i'ay  creu 
ne  pouvoir  rien  de  mieus,  sy  locasion  s'en  ofre  ie  suplie  uostre 
Alt.  d'octoriser  cette  conduite  et  d'estre  tout  persuadé  que  les- 
iésuites  qui  ont  plus  trauuaié  pour  le  peis. 


XV 


Copie  de  la  Requeste  présentée  a  Monseigneur  de  Tr^^cy 
A  Monseigneur  le  Gouverneur  et  a  [Monseigneur  l'In- 
tendant. 

François  Le  Mercier  supérieur  des  missions  de  la  compagnie 
•de  Jésus  en  la  nouvelle  france  se  présente  à  vous,  Messeigneurs, 
une  requeste  en  main,  non  pour  faire  aucune  plainte  de  la  con- 
duite de  feu  M'^  de  Mezy  iadis  gouverneur  de  ce  pays  en  leur 
endroit  ;  mais  pour  vous  supplier  très  humblement  de  faire 
rechercher  de  la  vérité  des  choses  qui  ont  esté  écrites  à  leur 
désavantage  par  ledit  sieur  de  Mezy  à  sa  Maiesté,  à  ce  que  la 
vérité  connue  il  vous  plaise  en  informer  et  éclairer  qui  il  appar- 
tient, de  nous  purger  du  blasme  qu'on  nous  y  donne,  en  voicy 
un  extrait. 

1°  Pour  sçavoir  s'il  est  vray  que  Mons""  l'Evesque  et  les 
PP.  Jésuites  se  servent  secrètement  et  adroitement  d'un  moyen 
de  s'enrichir,  qui  est  de  traiter  des  boissons  aux  sauvages  pour 
leurs  pelteries,  ostant  ensuite  tout  commerce  aux  habitants  de 
traiter  des  pelteries  aux  sauvages.  Algonquins  et  Hurons,  faisant 
leurs  deux  maisons,  et  trois  ou  quatre  autres  de  la  cabale,  plus 
de  marchandises  que  tout  le  Canada  ce  qui  fait  murmurer  beau- 
coup de  monde,  mais  dont  personne  n'ose  parler  par  la  crainte 
qu'ils  ont  d'eux  estant  dans  une  suietion  captive  sous  leur  con- 
duite, et  en  un  autre  endroit  il  parle  de  cette  captivité,  comme 
si  les  peuples  de  ce  pays  y  estoient  enchaînés  par  la  conduite  de 
leurs  Directeurs  de  conscience. 

2*^  Sçavoir  si  le  caresme  de  l'année  1664  le  Prédicateur  de 
leur  maison  changea  le  sujet  de  ses  prédications  au  lieu  des 
Evangiles  prenant  des  histoires,  et  ce  pour  faire  passer  le  sieur 
de  Mezy  pour  calomniateur,  ingrat,  bourreau,  conscience  erro- 
née, reprouvé  etc. 

1.    Voir  plus  haut,  p.  341. 


—  529  — 

3°  Sçavoir  quel  procès  il  y  a  entre  sa  Maiesté  et  les  Jésuites, 
dont  on  attend  l'événement  en  ce  pays  avec  crainte. 

4**  Sçavoir  si  les  PP.  Jésuites  ne  veulent  pas  souffrir  que  les 
sauvages  soient  gouvernés  sous  les  loix  de  sa  Mai*^  et  en  quoy 
ils  y  trouvent  si  fort  leurs  avantages. 

5^  Sçavoir  si  la  Religion  des  sauvages  est  bien  imaginaire, 
s'ils  ne  sont  chrestiens  que  par  politique  et  par  les  gratifications 
qui  leurs  sont  faites,  et  que  hors  cela  ils  sont  tous  dans 
leur  erreur  comme  auparavant,  ce  qu'on  leur  voit  j^rattiquer  tous 
les  iours. 

Voilà  Messeig*"^  ce  qui  nous  a  semblé  de  plus  important  contre 
notre  Compagnie  dans  les  susdites  lettres  écrites  par  le  s""  de 
Mezy  à  sa  Maiesté,  dont  il  a  envoyé  copie  en  france,  pour  estre 
communiquée  à  ses  amis,  et  dont  on  a  envoyé  en  ce  pays  plu- 
sieurs exemplaires. 

Si  pour  estre  criminel,  il  suffit  d'être  accusé,  il  n'y  a  point 
d'innocent  au  monde  qui  ne  puisse  être  criminel;  c'est  pourquoy 
en  toute  justice  l'accusateur  doit  prouver  ce  qu'il  dit,  a  faute  de 
quoy  il  doit  estre  censé  calomniateur,  et  mérite  d'estre  traité 
comme  tel  selon  la  rigueur  des  loix,  et  ce  à  proportion  de  la 
^rieveté  et  conséquence  des  accusations. 

Il  nous  suffit  donc  pour  toute  deffense  de  demander  à  Mons"" 
de  Mezy  et  à  son  défaut  à  ceux  qui  voudront  soustenir  son 
parti,  qu'ils  prouvent  juridiquement  ce  que  dessus,  a  faute  de 
quoy  on  auroit  sujet  de  demander  qu'il  fut  déclaré  calomniateur 
et  par  des  calomnies  de  la  dernière  importance,  soit  qu'on  ait 
égard  à  la  personne  du  Roy  à  qui  elles  s'adressent,  de  l'indigna- 
tion et  bienveillance  duquel  dépend  tout  le  bien  que  nostre 
Compagnie  peut  faire  en  ce  pays  pour  le  service  de  Dieu  :  soit 
qu'on  ait  égard  à  la  matière  qu'elles  contiennent,  surtout  le  der- 
nier article,  duquel  on  peut  tirer  des  conséquences  très  préjudi- 
ciables, comme  si  on  avoit  fait  passer  depuis  plus  de  trente  ans 
des  fourberies  pour  des  vérités,  dans  ce  qui  a  esté  escrit  et 
publié  partout  de  l'establissement  et  du  progrès  du  christia- 
nisme en  ces  contrées  et  des  ouvertures  d'y  advancer  le 
Royaume  de  Dieu  dans  des  pays  et  des  peuples  presque  infi- 
nis. 

Quoy  donc  que  nous  ayons  tout  droit  de  demander  le  contenu 
cy-dessus,  toutefois  nous  ne  demandons  contre  Mons"*  de  Mezy 
Jés.  et  Nouv.-Fr.  —  T.  11»  34 


—  530  — 

aucune  rigueur  de  justice,  mais  seulement,  qu'il  vous  plaise, 
]\lesseig'*  faire  en  sorte  que  la  vérité  soit  conniie,  etnostre  Com- 
pagnie purgée  soit  icy,  soit  en  France  des  calomnies  dont  elle  se 
trouve  chargée  par  la  plume  dudit  sieur  de  Mezy  et  vous  ferez 
justice.  A  Kebek,  ce  8  may  1666. 

François  Le  Mercier. 

Le  sieur  Ghartier  qui  a  cy  devant  esté  nommé  par  nous  Pro- 
cureur de  feu  Mons'"  de  Mezy  comparaîtra  pour  defFendre  ses 
intérests  sur  la  demande  que  font  les  Pères  Jésuites  dans  la 
requeste  cy  dessus  du  8  de  may.  fait  à  Quebek  ce  9®  du  mesme 
mois  et  an. 

Tracy  Gourcelle 

Talon. 

Le  P.  Le  Mercier  ajoute  :  Mons*"  de  Tracy  nous  a  conseillé 
de  ne  pas  poursuivre  cette  affaire,  après  qu'il  a  eu  conféré  avec 
ces  messieurs  qui  n'y  avoient  aucune  inclination.  La  raison 
qu'il  nous  en  a  apportée  est  que  ces  articles  sont  dans  une  lettre 
escrite  au  Roy,  qu'on  suppose  estre  secrette,  qu'on  ne  peut  pas 
entreprendre  de  lacérer  ;  2°  qu'eux  ont  escrit  à  sa  Maiesté 
avantageusement  pour  nostre  justification,  et  ita  est,  ainsy  tout 
va  très  bien. 

(Archives  Nationales,  carton  M.  242.) 


rii 


XVI 


Lettres   de    vicaire   général   accordées  aux 

MISSIONNAIRES  JÉSUITES  PAR  MgR  DE  LaVAL 

Franciscus  gratià.  Dei  et  sanctae  sedis  episcopus  Petreensis, 
Vie.  ap.  in  N.  F.,  etinibi  primus  episcopus  à  Rege  X°  nominatus. 
Dilecto  nostro  in  Dno  filio  N.  sacerdoti  religioso  societatis  Jesu, 
€t,  eo  deficienle  vel  absente,  homini  ex  eâdem  societate  ejus 
vices  agenti  salutem  et  benediclionem. 

Non  possumus  satis  laudare  Deum,  quod  videmus  zelum  et 
charitatem,  quà  omnes  societatis  vestrae  patres  pergunt  impen- 
dere  sese  in  hâc  totâ  nova  ecclesiti,  ut  gloriaai  Dei  christique 
regnum  in  eâ  promoveant  et  ut  procurent  salutem  animarum, 
quas  placuit  Deo  nostrae  cura?  commitere.  In  primis  autem  est 
quod  Deo  maximam  laudem  tribuamus  ob  illum  felicem  succes- 
sum,  quem  ille  impertit  tuis  laboribus  à  multis  annis,  ex  quo 
cum  eo  robore  et  firmitate  animi  operam  tuam  navas  ut  stabilias 
fidem  in  iis  regionibus  quae  ad  septentrionem  et  occidentera 
pertinent.  Undè  committere  non  possumus,  quin  et  ipsi  et 
«ociis  eam  laetitiam  et  consolationem  animi  singularem  significe- 
mus,  quam  indè  percipimus  :  atque  ut  quantum  fas  est,  quopiam 
nostrae  bonae  voluntatis  testiraonio,  aliquid  promovendis  hisce 
gloriosis  consiliis  conferamus,  confisi  pietati,  bonis  moribus  et 
doctrinae  tuse  voluimus  equidem  te  constituere  nostrwn  vicarium 
generalem  in  his  omnibus  praefalis  regionibus,  uti  per  bas  prae- 
sentes  litteras  facimus,  talem  te  constituendo  et  stabiliendo.  Ac 
proindè  in  eum  fînem  eam  concedimus  potestatem  et  juridictio- 
nem,  quœ  possunt  huic  muneri  adnecti,  ut  facias  et  stabilias  nos- 
tri  loco  ea  quae  judicaveris  esse  necessaria  ad  bonum  et  progres- 
sum  spiritualem    harum    novarum   ecclesiarum,    quarum   curam 

1.  \oir  plus  haut,  p.  345. 


—  532  — 

libenter  deponimus  in  tuam  prudentiam  et  experentiam,  quam 
te  acquisivissecognoviraus  in  gubernatione  horum  neophytorum, 
desiderando  et  volendo,  ut  omnes  raissionarii  quibus  jam  con- 
cesserimus,  aut  quibus  in  posterum  concessuri  essemus  faculta- 
tem  laborandi  in  missionibus  horum  tractuum,  obediant  et  se 
conforment  in  omnibus  rébus,  quas  stabiliendas  esse  judicaveris 
et  ordinandas  ad  bonum  et  progressum  divinae  gloriae,  ad  salu- 
tem  animarum  et  recentis  christianismi  bonam  institutionem.  In 
quorum  fidem  expediimus  bas  praesentes  litteras  nostrâ  manu 
necnon     secretarii     munitas,     nostroque     sigillo     consignatas. 

Datum  Kebeci  in  domo  nostrà  ordinaria,  anno (Arch.  gen. 

S.  J.) 

N.    B.   La    plupart  des   missionnaires   Jésuites    reçurent    ces 
lettres,  mais  en  général  ils  n'en  firent  pas  usage. 


FIN    DU    T03IE    SECOND 


TABLE    DES    MATIERES 

DU    TOME    SECOND 


CHAPITRE  Vni 

Etat  de  la  Colonie  Française  vers  1640.  —  Les  Iroquois  :  leur 
situation  géographique,  leur  organisation  sociale.  —  Ils  font 
la  guerre  aux  Hurons,  aux  Algonquins  et  aux  Français.  — 
Prise,  captivité  et  délivrance  du  P.  Jogues  ;  ses  compagnons 
de  captivité,  René  Goupil,  Guillaume  Couture,  Ahasistari, 
Totiri,  etc.  —  Le  P.  Bressani  :  sa  captivité  et  sa  délivrance.  — 
Grand  conseil  aux  Trois-Rivières,  où  la  paix  se  conclut.  —  Le 
P.  Jogues  et  Bourdon  chez  les  Iroquois.  —  Troisième  voyage 
du  P.  Jogues,  chez  les  Agniers  ;  sa  mort  et  celle  de  son  compa- 
gnon, Jean  Lalande.  —  Reprise  des  hostilités 1 

CHAPITRE  IX 

Cession  de  la  traite  aux  colons.  —  Règlements  de  1647  et  de 
1648.  —  M.  d'Ailleboust,  gouverneur  de  Québec.  —  Prise  de 

•  la  bourgade  de  Saint-Joseph  par  les  Iroquois  ;  mort  du  P. 
Daniel.  —  Destruction  des  bourgs  de  Saint-Ignace  et  de  Saint- 
Louis;  supplice  des  PP.  de  Brébeuf  et  G.  Lalemant.  —  Décou- 
ragement des  Hurons  ;  leur  dispersion.  —  Abandon  et  incendie 
de  Sainte-Marie.  —  Les  Hurons  et  les  missionnaires  à  l'île  de 
Saint-Joseph.  —  Prise  du  bourg  de  Saint-Jean;  mort  des 
PP.  Garnier  et  Chabanel.  —  Les  Hurons  à  Fîle  d'Orléans.  — 
Derniers  débris  de  cette  nation 65 

CHAPITRE  X 

Les  Iroquois  attaquent  les  Français.  —  M.  de  Maisonneuve  va 
chercher  du  secours  en  France.  —  Négociations  du  gouverne- 


—  531  — 

ment  de  Québec  avec  les  Colonies  anglaises  ;  le  P.  Druillettes 
et  Jean-Paul  Godefroy  à  Boston.  —  Le  gouverneur,  M.  d'Ail- 
leboust,  remplacé  par  M.  de  Lauson.  —  Dangers  et  alarmes  de 
la  Colonie  française.  —  Mort  de  Plessis-Bochart.  —  Le  P.  Pon- 
cet  fait  prisonnier  par  les  Iroquois.  —  Marguerite  Bourgeois. 
—  Mort  du  P.  Carreau.  —  Les  Iroquois  demandent  la  paix; 
délivrance  du  P.  Poncet.  —  Le  P.  Le  Moyne  chez  les  Onnonta- 
gués  et  les  Agniers.  —  Première  mission  des  Onnontagués  : 
PP.  Dablon,  Chaumonot,  Le  Mercier,  Mesnard,  Frémin, 
Ragueneau;  succès  des  missionnaires.  —  Garnison  française  à 
Gannentaha.  —  Conspiration  des  Iroquois.  —  Fin  de  la  pre- 
mière mission  iroquoise.  —  Les  Jésuites  au  Canada  en  1658; 
leurs  ennemis  ;  état  de  la  Colonie  et  de  la  mission 129 


LIVRE   SECOND 

DEPUIS      l'érection      DU     VICARIAT     APOSTOLIQUE      (1658) 
jusqu'à    la    fin    du    XVII^    siècle    et    AU    DELA 

CHAPITRE    I 

Pouvoirs  spirituels  des  Jésuites  au  Canada.  —  L'érection  d'un 
évêché  à  Québec  demandée  par  l'assemblée  générale  des 
évêques  de  France  :  messieurs  Legauffre  et  de  Queylus.  —  Le 
conseil  des  affaires  ecclésiastiques  propose  des  Jésuites  pour 
l'évêché  de  Québec.  —  Prétentions  de  l'archevêque  de  Rouen 
sur  le  territoire  de  la  Nouvelle-France.  —  Le  supérieur  du  col- 
lège de  Québec  et  l'abbé  de  Queylus  nommés  grands  vicaires. 
—  L'abbé  de  Queylus,  curé  de  Québec  ;  ses  démêlés  avec  les 
Jésuites;  son  départ  pour  Montréal.  —  M.  d'Argenson,  gou- 
verneur de  Québec 189 

CHAPITRE  II 

Mgr  de  Laval  :  élève  aux  collèges  de  la  Flèche  et  de  Clermont, 
membre  de  la  Société  des  bons  amis  à  Paris,  désigné  pour  un 
vicariat  apostolique  au  Tonkin ,  nommé  vicaire  apostolique  au 
Canada  et  évêque  de  Pétrée.  —  Son  arrivée  à  Québec;  le 
P.  Jérôme  Lalemant,  grand  vicaire.  —  L'évêque  de  Pétrée  et 


—  535  — 

M.  de  Queylus.  —  M.  d'Arg-enson  et  les  questions  de  pré- 
séance. —  M.  d'Avaug-our  et  la  traite  de  l'eau-de-vie.  —  Gol- 
bert  et  les  Jésuites.  —  Organisation  du  vicariat  apostolique  et 
du  gouvernement  de  la  Nouvelle-France.  —  M.  de  Mésy  et  son 
administration.  —  MM.  de  Gourcelles,  de  Tracy  et  Talon.     239 

CHAPITRE    III 

Les  missions  sauvages  confiées  aux  Jésuites.  —  Le  P.  Ménard 
chez  les  Outaouais.  —  Le  P.  Allouez  au  lac  Supérieur  et  à  la 
baie  des  Puants  :  missions  du  Saint-Esprit  et  de  Saint-Fran- 
çois-Xavier. —  Les  Pères  d'Ablon  et  Marquette  à  Sainte- 
Marie-du-Saut.  —  Grande  réunion  des  sauvages  au  Saut,  et 
prise  de  possession  par  les  Français  des  pays  d'en  haut.  —  Les 
Pères  d'Ablon  et  Druillettes  à  Nekouba;  le  P.  Nouvel  au  lac 
Saint-Barnabe,  chez  les  Papinachois;  le  P.  Albanel  et  Denys 
de  Saint-Simon  à  la  baie  d'Hudson.  —  Expéditions  de  MM.  de 
Gourcelles,  Sorel,  de  Tracy  contre  les  Agniers.  — Régiment  de 
Gari^nan.  —  L'intendant  Talon.  —  La  paix  et  ses  bienfaits  : 
commerce,  agriculture,  industrie,  population,  paroisses, 
écoles,  missions.  —  Retour  au  Ganada  des  Récollets  et  de 
M.  de  Queylus.  —  Les  Jésuites  chez  les  Iroquois.  —  Eta- 
blissements à  la  Prairie  de  la  Madeleine  et  au  Saut-Saint- 
Louis  343 


PIEGES  JUSTIFICATIVES 

I.  —  Liber  xhi  partis  vi  histori.e  societatis  jesu.    Res  gest.e 
IX  Gaxada...  a  p.  Juvaxcio.  Captivité  du  P.  Jogles 429 

IL  —  Liber  xiii  partis  vi  historié  societatis  jesu Captivité 

DU  P.  Bressaxi 444 

III.  —  Lettre  du  P.  Jogues  au  R.  P.  Axdré  Castillon  ,    de  la 
Compagnie  de  Jésus 450 

IV.  —  Depopulatio  Oppidorum  Missioxis  Scti  Josepiii  apud  Huro- 

NES  FACTA  PER  IrOQU.EOS  INFIDELES  A  P.  RaGUENEAU 453 

Epistola  p.  Pauli  Ragueneau  ad  R.  p.  ViNCENTiuM  Caraffa,  pr.e- 
posiTUM  generalem  S.  J.,  Rom.e 458 


—  536  — 

V.  —  Lettre  du  P.  Gfi.  Garmer  au  R.  P.  Pierre  Boutard.      464 

VI.  —  Epistola  Patris  p.  Ragueneau  ad  R.  p.  Generalem  Vin- 
gentium  Garaffa 466 

VII.  —  Lettre  du  P.  Gharles  Lalemant  sur  le  voyage  a  paris, 
EN  1642,  DU  P.  Le  Jeune 470 

VIII.  —  Bulle  qui  nomme  vicaire  apostolique  l'abbé  de  Laval  de 

MONTIGNY 472 

IX.  —  Pouvoirs   de   grand    vicaire    accordés  au    supérieur  des 
Jésuites  du  Ganada  par  l'archevêque  de  Rouen 475 

X.  —   Lettre  de  Mgr   l'archevêque  de   Rouen   nommant  M.   de 

QUEYLUS   GRAND  VICAIRE  DU   GaNADA 477 

XL  —  Gorrespondance  de  M.  de  Gueffier,  chargé  d'affaires  de 
France  a  Rome,  avec  Monseigneur  le  comte  de  Brienne..      479 

XII.  —  Lettres  de  l'archevêque  de  Rouen,  de  l'abbé  Thoreau, 

DU    DUC    de    GrÉQUI,    de    GoLBERT    ET    DU  Roi   AU  SUJET  DU   ViCARIAT 
APOSTOLIQUE  DE  QUÉBEC 502 

XIII.  —  Correspondance  des   RR,  PP.  Nickel  et  Oliva,  gêné-. 

RAUX  de  la  GoMPAGNIE    DE    jÉSUS,  AVEC   MgR  DE    LaVAL,   ET  LETTRE 

DU  Pape  Innocent  xi  a  Mgr  de  Laval  ....    516 

XIV.  —  Lettres  du  P.   Ragueneau  et  du  baron  d'avaugour  au 
prince  de  Gondé 525 

XV.    GOPIE    DE    LA     ReQUESTE    PRÉSENTÉE    PAR    LE    P.    Le    MeRCIER 

a  Monseigneur  de  Tragy,  a   Monseigneur  le    Gouverneur    et 
A  Monseigneur  l'Intendant 528 

XVI.  —  Lettres  de  vicaire  général  accordées  aux  missionnaires 
Jésuites  par  Mgr  de  Laval 531 


fin  de  la  table  du  tome  second 


MAÇON,  PROTAT  FRÈRES,  IMPRIMEURS 


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