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MEMOIRE
A SON EXCELLENCE
LE COMTE DE VILLÈLE.
©uurajgee ïm même 2luttur.
Mémoire a consulter sur un système religieux, etc. i vol. in-8d.
Prix : 6 fr.
Dénonciation aux Cours royales, pour faire suite au Mémoire à
consulter, i vol. in-8°. Prix : 7 fr. 5o c.
Pétition a la Chambre des Pairs, i vol. in-8°. Prix ; 3 fr. 5o c.
Sous presse >
Mystères de h,a vie humàijjk. 3 vol. in-8°.
IMPRIMERIE DE J. TASTCj
RUE DE VAUCÏRARP, V. 3fi.
LES
LES
(BCDn(BIBà(IUiVII(l)IIi
ET
L£ PARTI PRÊTRE
EN 1827.
*
MEMOIRE
A M. LE COMTE DE VILLÈLE,
PRÉSIDENT DU CONSEIL DES MIMSTRES.
PAR
JH. le Comte ùe M\ontio$icv>
PARIS
ÀMBROISE DUPONT ET C,E, ÉDITEURS
D£ l/lilSIOIRE DE NAPOLÉON, PAU M. DE NORVIN.S ,
RUE VI VIENNE, N. l6.
DECEMBRE 1 8 2 7.
AVIS DE L'ÉDITEUR.
Lorsque M. de Montlosier adressait
ce Mémoire à M. de Villèle > il ne pensait
pas que la situation du ministère dut
changer aussi promptement. Il croyait
que l'intervalle de deux sessions serait
un temps de calme et de repos pour le
premier ministre, et qu'il aurait alors assez
de loisir pour s'occuper des importantes
questions traitées dans la Pétition ren-
voyée par la Chambre des pairs à Son
Excellence ; questions présentées dans ce
Mémoire sous une forme nouvelle, et
appuyées d'une multitude de faits nou-
veaux. Mais la dissolution de la Chambre
des députés est venue donner de plus
grandes occupations à M. de Villèle :
nous aimons mieux penser que ces cir-
constances Font empêche de repondre à
M. de Montlosier, que de croire qu'il ne
Fa pas voulu.
Cependant M. de Montlosier, forcé de
remplir des engagemens qu'il a contrac-
tés à la face de la France, s'est décidé à
publier ce Mémoire , resté jusqu'à pré-
sent sans réponse : plus tard il se propose
d'invoquer la sagesse des deux Chambres
contre un ministère qui, au mépris des
lois, laisse les jésuites s'établir en France.
MÉMOIRE
A SON EXCELLENCE
LE COMTE DE VILLÈLE,
PRÉSIDENT DU CONSEIL DES MJNISTUES.
seai
Monseigneur,
Immédiatement après rarrêté de la Cham-
bre des pairs, qui a juge à propos de ren-
voyer à Votre Excellence ma pétition au sujet
de l'invasion des jésuites , mon devoir a été
de vous écrire pour mettre à votre disposi-
tion tout ce que je puis avoir d'informations
sur ce point.
Que Votre Excellence n'ait pas jugé à pro-
i
( 2)
pos de me faire réponse, je ne puis en être
ëtonnë. Pendant le cours d'une session qui a
ëtë orageuse y elle a eu assez d'occupation
pour se croire autorisée à renvoyer à un
autre temps l'examen d'une affaire qui lui
aura paru moins pressante. Les circons-
tances actuelles lui laissant plus de loisir, je
ne puis me dispenser d'avoir de nouveau
recours à sa sagesse. Le barreau de France ,
la magistrature, la Chambre des pairs ayant,
dans les diverses circonstances ou cette affaire
leur a e'të portée, paru y mettre une grande
importance, il me conviendrait moins qu'à
personne de paraître négliger des questions
sur lesquelles la France entière attend une
de'cision.
Ce motif est d'autant plus pressant pour
moi, que, comme je vais bientôt l'exposer
à Votre Excellence , le grand abus de l'inva-
sion des jésuites s'aggrave chaque jour de
nouveaux abus. Ce n'est pas assez que ces
religieux se soient furtivement introduits en
France, et qu'ils aient commis ainsi une
grande et première violation de nos lois;
Votre Excellence va voir que depuis leur
introduction, et principalement depuis une
( 3 )
certaine époque, ils ne cessent clans toute
3eur conduite d'ajouter violation sur viola-
tion.
On dira peut-être que ce ne sont que des
règles. Quand cela serait, les règles méritent
des égards. Votre Excellence aura à juger
comment des hommes qui sont déjà en état
de délit, peuvent avoir la hardiesse d'en-
freindre les règles, après avoir enfreint les
lois. Elle ne pourra s'empêcher de recon-
naître que de tels hommes doivent se sen-
tir un grand appui.
&
ppi
Il me sera indispensable dans ce Mémoire
de rechercher cet appui. Je commencerai
par m'occuper des abus présens ; j'en mon-
trerai ensuite la source. Celte source est
dans ce que j'ai appelé depuis long-temps
le parti prêtre ; c'est-à-dire dans une portion
du haut clergé qui, depuis la chute de nos
anciennes institutions, a regardé l'état de la
France comme favorable à ses envahisse-
mens; ce parti s'est concerté dès-lors avec
tout un ensemble de frères, de missions, de
congrégations politiques et de congréga-
tions religieuses, à l'effet de mettre sous le
joug, non-seulement vous, Monseigneur , et
(4)
tout le ministère, mais encore une partie de
la cour, un grand nombre de magistrats, de
membres des deux Chambres et de fonction-
naires publics.
En prononçant celte assertion, je sens ce
qu'elle peut offrir de souffrances à la juste
fierté d'hommes d'Etat qui, étant réellement
captifs, voudraient ne pas le paraître. Je
prévois quelle n'en causera pas moins à
quelques âmes timorées qui > prenant leur
dévotion aux prêtres pour une dévotion à
Dieu , les confondent dans le respect qu'ils
lui portent.
Que si je voulais fouiller à ce sujet les an-
ciennes archives de l'Eglise , peut-être me
serait-il facile de montrer que là est pré-
cisément la véritable origine des maux que
dans tous les temps elle a éprouvés. Que de
textes j'aurais à citer à cet égard de saint .
Cyprien, de saint Augustin et de saint Ber-
nard! Je me contenterai d'un seul trait: il
sera tiré de la Vie de saint Vincent de Paule.
J'y vois que ce grand homme s'occupa
beaucoup de la réforme des mœurs chré-
tiennes. J'y vois aussi, qu'avant tout, il crut
devoir s'occuper de celles du clergé. « Nous
(5 )
devons, disait-il, faire quelque effort pour
ce grand besoin de l'Eglise , qui s'en va rui-
née en beaucoup d'endroits par la mauvaise
vie des prêtres; car ce sont eux qui la rui-
nent et qui la perdent : et il n'est que trop
vrai que la dépravation de l'état ecclésias-
tique est la cause principale de la ruine de
l'Eglise de Dieu. »
Plus heureux qu'au temps de saint Vin-
cent de Paule, nous n'avons plus aujourd'hui
à déplorer autant de ces actes de dépravation
qui étaient signalés alors. Le mal n'est pas de
ce côté. Le clergé français, à beaucoup d'é-
gards, est remarquable du côté de la pureté
des mœurs. La dépravation de Vétat ecclé-
siastique , dont se plaignait saint Vincent de
Paule, a pris une autre direction.
A la suite des anciens combats de la puis-
sance spirituelle et de la puissance tempo-
relle, la révolution ayant ôté à celle-ci les
étais qu'elle avait dans nos institutions, cette
circonstance a paru d'autant plus favorable
à un certain parti, qu'à l'exemple de nos
princes un esprit de piété et de soumission
pieuse s'est plus généralement répandu. De
cet ensemble de circonstances est résulté ,
(•6)
de la part du clergé ( excité par le parti
prêtre ) une tendance à la domination qu'il
n'a pas même cherché à dissimuler; efalors,
tout ainsi que saint Vincent de Paule se crut
obligé dans son temps de diriger vers un
point particulier de désordre son zèle comme
homme de Dieu , il nVest indispensable
comme citoyen , c'est-à-dire comme homme
du Roi et de la patrie , de diriger mon zèle
contre une frénésie d^ambition qui, prenant
une couleur religieuse, cherche de plus en
plus à s^ccréditer.
Sous ce rapport, le Mémoire que j'ai à
adresser à Votre Excellence portera sur deux
parties distinctes.
Dans la première partie ^exposerai les
faits et je rechercherai leurs causes.
Dans la seconde partie je rechercherai les
conséquences qui peuvent résulter de cet
ensemble dans les intérêts de la religion ,
du Roi et de la société.
PREMIERE PARTIE.
EXPOSITION DES FAITS ; RECHERCHES DES CAUSES
ET DES PRINCIPES QUI LES ONT AMENÉS.
CHAPITRE PREMIER.
INTRODUCTION PROGRESSIVE DES JESUITES EN FRANCE ;
LEUR ÉTABLISSEMENT A BILLOM , EN OPPOSITION AUX
LOIS DE L'UNIVERSITÉ.
Si vous voulez, Monseigneur, rappeler à
votre attention ce qui concerne Texistence
des je'suites en France , elle vous offrira trois
âges distincts.
Le premier, leur introduction obscure et
furtive sous le nom de pères de la foi et de
pacanaristes.
Le second, la complète divulgation de
leur existence sous le nom de jésuites ; exis-
tence surveillée par une administration se-
( 8 )
vère, et qu'on pourrait regarder alors comme
simplement tolérée.
Le troisième âge, c'est-à-dire Page présent,
où , au lieu d'une surveillance sévère, une ad-
ministration protectrice (la vôtre, Monsei-
gnetir) la favorise ouvertement dans ses
opérations , même dans ses écarts.
Au premier âge, celle de l'introduction
furtive, les jésuites ont fait peu d'impression
en France. Quand j'aurai à traiter des con-
séquences , je montrerai comment , dans cer-
taines situations des Etats , l'existence des
jésuites pourrait n'avoir pas, ou avoir moins
d'inconvéniens. Par exemple, au temps du
consulat ou de l'empire, on pouvait ne pas
s'en occuper. Peut-être même que sous le
despotisme, une hardiesse ? qui avait une
sorte d'apparence de révolte, avait quelque
attrait pour une nation remplie de semences
de révolte.
Au second âge, c'est-à-dire à l'époque
de la Restauration, l'introduction furtive se
prévalant d'un certain appui, et commen-
çant à se mettre à découvert, a commencé
par-là même à donner des inquiétudes. Ce-
pendant, tant qu'une administration sévère
( 9 )
a prévalu, le public, se confiant à cette admi-
nistration, a endure la présence des jésuites;
il a paru tolérer qu'ils fussent tolérés.
Bientôt cependant, e^ cette sévérité de la
part de l'administration , et de la part du
public cette apparence d'indulgence, n'ont
convenu ni aux jésuites , ni à leur parti. De
Rome, en même temps que de Saint-Acheul,
de Mont-Rouge, de toutes les cavernes de
congrégations politiques et religieuses, est
sorti une clameur en faveur des jésuites; et
pour cela même, on a demande' un nouveau
gouvernement et un nouveau ministère.
A ce cri , dont plusieurs amis du Roi et de
la Royauté ont été' dupes , un grand mouve-
ment s'est élevé dans l'Etat. En même temps
qu'on changeait de fond en comble toute
l'administration , il a fallu changer tout le
système. A cette époque, que signalent et
réloignement du ministère Richelieu , et le
changement de tout le personnel de l'Uni-
versité, et la disgrâce de tout ce qui était
supposé adversaire des nouvelles vues , éclate
l'existence avouée des jésuites , celle des
congrégations religieuses et politiques , en
un mot , toute la domination du parti prêtre.
( io )
La France étonnée s'est trouvée prise alors
comme dans un trébuchet. Elle a vu en plein
la route qu'on lui faisait tenir, l'abîme où
on la conduisait; d^ toutes parts des mur-
mures se sont élevés.
Les jésuites n'ont tenu compte de ces mur-
mures. Autrefois criminels honteux, ou du
moins modestes , ils cherchaient à se dérober
aux reproches en se dérobant aux regards.
Aujourd'hui, sous la protection de grands
personnages leurs complices, ils forment de
vastes établissemens , accaparent de riches
donations , se mettent à la tète de grandes
maisons d'éducation ; narguant désormais
les magistrats qui les condamnent, les lois
qui les proscrivent , et la clameur publique
qui les honnit.
Il semblerait que c'est porter l'audace
assez loin. On pourrait croire que des moi-
nes criminellement et furtivement introduits ,
et qui se sont ensuite criminellement et fur-
tivement investis de l'instruction publique,
vont au moins se conformer aux règles éta-
blies pour cette instruction. Vous allez voir,
Monseigneur , qu'il n'en est rien.
Et d'abord vous savez comment, par la loi
( " )
du 10 mai 1806, l'Université fut chargée
exclusivement de renseignement et de l'édu-
cation publique. Vous savez ensuite com-
ment , par une ordonnance ( une simple
ordonnance, non insérée au Bulletin des
lois), Louis XVIII jugea à propos d'accorder
par exception aux ëvêques et aux archevê-
ques de son.Toyaume, la faculté de créer,
sous le nom de petits séminaires , des écoles
ecclésiastiques. Si Ton veut regarder cette
ordonnance telle qu'elle est, comme base
de législation sur cette matière , au moins
eonviendra-t-on que ce furent des écoles
ecclésiastiques et dans un objet tout ecclé-
siastique j que le Monarque voulut instituer.
Eh bien , Monseigneur , si vous voulez
faire vérifier sur ces maisons d'éducation
les recherches que j'ai faites moi-même avec
soin , Votre Excellence y trouvera, non-seu-
lement comme d.a«s les autres des maîtres
de grec et de latin , mais encore des maîtres
d'armes , des maîtres de danse , des maîtres
de peinture et de musique, en un mot, tout
ce qui caractérise le train ordinaire des édu-
cations laïques.
Les jésuites ne se contentent pas de violer
( 12 )
en ce point les règles particulières qui leur
sont imposées; si Votre Excellence veut se
faire apporter une autre ordonnance royale,
en date du 17 fe'vrier i8i5 , elle y trouvera
en termes exprès que « ces écoles secon-
daires ecclésiastiques ne peuvent recevoir
aucun e'iève externe. » Eh bien , Monsei-
gneur, le croirez-vous ! les jes%ites ne sont
pas plutôt établis à Billom, qu'après avoir
admis quatre-vingts élèves pensionnaires, ils
appellent aussitôt trois cents élèves externes.
Pour masquer de quelque manière des
infractions aussi manifestes , il est naturel
qu'on invente , en fait de raisonnemens , bien
des subtilités ; en fait de manège , bien des
subterfuges. Rien ne manque en ce genre.
Etd?abord, à ne parler que des inférieurs,
lorsqu'on leur rappelle qu'aux termes de
leur institution, les jeunes gens de ces écoles
sont tenus, au bout de deux»ans, de prendre
l'habit ecclésiastique, ils répondent que ces
élèves portent une cravate noire ; c'est comme
le petit collet et la soutane.
Lorsqu'on leur rappelle ensuite qu'aux
termes de la même ordonnance, ils ne doi-
vent point avoir d'élèves externes : C'est
( «3)
juste, repondentt-ils , mais nous allons les
visiter régulièrement dans les maisons qu'ils
habitent. Visités régulièrement , c'est comme
pensionnaires.
Sur ce point cependant , un règlement de
l'Université, sanctionne' par l'autorité, porte:
« Ne sont considérés comme pensionnaires
que ceux qui habitent les maisons, y vivent,
y couchent; et sont considérés comme ex-
ternes tous ceux qui ne remplissent pas ces
conditions : lesquelles constituent seules l'état
de pensionnaire dans les maisons d'édu-
cation. »
Il semble qu'il n'y a rien à répondre, c'est
précis. N'importe, Monseigneur, on répond
tout de même; on répond toujours.
En même temps que les subalternes se
réfugient dans de misérables subtilités , on
voudrait espérer que les chefs y mettront
plus de franchise. S'il y avait aujourd'hui à
la tête de l'Université , un homme à double
cœur, à double conscience, à double face,
en un mot, un homme do lis instructus et
arte pelas gâ , on sent ce que deviendraient
dans les mains de cet homme, voué au parti
prêtre, les règles, les lois, toutes les insti-
( '4 )
tutions de l'Université. Point du tout, il s'y
trouve un homme que je ne connais point
personnellement, mais que tous ses amis
prônent comme un homme honorable, plein
de loyauté et de franchise. Il m'importe d'éta-
blir ici cette particularité, parce que, dans
un moment, quand j'aurai à établir la capti-
vité du ministère , j'aurai besoin de rappeler
comme témoignage, les contradictions qui
en émanent. En attendant, il me suffira de
citer la correspondance du recteur de Cler-
mont avec M. d'Hermopolis, au sujet des
élèves externes de Billom. On peut compter
sur les faits suivans, je vais les noter par
numéro.
N° I. Lettre du recteur, qui informe
M. d'Hermopolis de l'établissement du col-
lège jésuitique de Billom et de la réunion
dans ce collège de trois cents élèves externes;
le recteur demande des instructions sur cette
circonstance qui lui paraît illégale.
N° II. Réponse de M. d'Hermopolis, qui
envoie copie de l'ordonnance royale du 17
février 181 5 , dans laquelle il est dit, arti-
cle 4^i que ces écoles ne peuvent recevoir
aucun élève externe ; enjoint au recteur de
( '5 )
faire exécuter cette ordonnance et de s'y
conformer.
N° III. Communication à M. le maire de
Billom de cette lettre et de l'ordonnance
royale.
N° IV. Recours de M. le supérieur des
jésuites à M. d^ermopolis. Conférence par-
ticulière de ce supérieur avec ce prélat.
N° V. Retour du supérieur de Billom en
Auvergne. Conférence de ce supérieur avec
le recteur de Clermont; il est dit dans cette
conférence qu'on est d1accord avec M. d'Her-
mopolis sur le fait des élèves externes. « Vous
pouvez , Monsieur, si vous voulez, en écrire
à M. d'Hermopolis et lui citer mes paroles.
On nVa recommandé seulement de la pru-
dence, je serai très-prudent. »
N° VI. Lettre à M. le recteur, à M. d'Her-
mopolis, pour lui faire part de cet état de
choses. De la part de celui-ci,point de réponse.
L'article 45 de l'ordonnance du Roi reste sans
exécution. Éloignement du recteur.
Franchement, je m'en rapporte à vous,
Monseigneur; je vous demande si vous con-
naissez, dans aucun gouvernement au monde,
( 'G)
un autre exemple d'un tel système de tergi-
versât ion et de mensonge. Il est indispen-
sable de rechercher la source de ce dé-
sordre.
( '7.)
CHAPITRE II.
PROTECTEURS DES JESUITES EN FRANCE; BULLE DU PAPE
QUI LES RÉTABLIT.
Quand un délit se commet (je pense que
Votre Excellence sera de mon avisj, s'il ne
se commet que dans l'ombre de la nuit , si les
coupables n'osent se montrer , et que , loin
de se vanter de leurs prouesses, ils en parais-
sent au contraire honteux , leur timidité sera
un indice de leur faiblesse, et par-là même
d'une certaine force dans les lois. Si au con-
traire ils se montrenten plein jour, s'ils étalent,
s'ils vantent leurs hauts faits , si on les voit bra-
ver hautement les magistrats d'un pays ,
ainsi que ses institutions et ses lois , on peut
croire qu'ils se sentent soutenus, et qu'ils
ont une conscience de leurs forces. Dans
( i8)
Tordre des délits prives, c'est ce qui fait la
différence de Cartouche à Mandrin; dans la
sphère des crimes d'Etat , c'est ce qui com-
pose la différence des je'suites de 1809 à ceux
de 1820. Etonné de l'audace des délinquans,
on se demande où est leur appui; certes,
il faut qu'il soit bien fort, un appui ca-
pable de balancer les arrêts des parlemens ,
les édits de Louis XV et de Louis XVI , con-
firmés par les décrets de rassemblée consti-
tuante^ par les lois de la révolution et par celles
de l'empire ; corps de législation reconnu so-
lennellement par les décisions du barreau,
par des arrêts de Cours royales , et promul-
gué, encore récemment par un arrêté de la
Chambre des pairs. On cherche où peut être
la masse de pouvoir capable de balancer une
telle masse de pouvoir.
Au premier moment , Monseigneur, où j'ai
été amené à examiner cette question , je me
suis trouvé dans la même position que le par-
lement de Provence qui , à la suite d'un sim-
ple démêlé particulier entre un négociant
de Marseille et le père Lavallette, fut amené'
a se saisir de toutes les règles des jésuites , et
à porter dans ce code (jusque-là foyer obs-
( '9)
cur ) une investigation lumineuse et sé-
vère. A l'égard des jésuites, je suis amené
de même à rechercher, non plus en eux,
mais hors d'eux, la puissance qui les a in-
troduits, et qui , après les avoir introduits en
infraction de nos lois, continue à les autori-
ser à d'autres infractions.
Ce n'est pas assez; cette puissance qui les
a introduits, que veut elle par-là? que pré-
tend-elle? quelles sont ses doctrines? quel
est son but? quelle est sa marche? Quand on
traite ces questions avec M. Fryassinous, il
vous reproche de lui opposer seulement des
rumeurs : Mecitm rumoribus pugnas. Il de-
mande des raisons; je ferai mieux, je lui
alléguerai des faits; je ferai mieux encore,
je lui alléguerai ses propres aveux.
Et d1 abord, quelle est la puissance en
France qui a osé, qui a pu introduire les jé-
suites? La solution de cette première ques-
tion me paraît facile. En instruisant cette af-
faire, comme je le ferais devant une Cour
de justice, ce que j'observerai avant tout,
c'est que les jésuites sont une milice parti-
culière du Pape ; et alors je dois produire ,
comme première pièce probante, la bulle
a*
( *« )
du pape Pie Vil, qui rétablit cet ordre, non
pas seulement dans ses domaines de l'Italie ,
mais dans toute la chrétienté.
On peut remarquer d'abord la préci-
pitation avec laquelle a été prise cette me-
sure.
Lorsque le pape Clément XIV, de glo-
rieuse mémoire, se décida à la suppression
des jésuites, on sait le soin qu'il mit à la re-
cherche des faits , le temps qu'il y employa ,
les précautions qu'il prit pour s'assurer du
consentement et de l'approbation des cours
chrétiennes. Pour défaire une telle œuvre,
il semble que les mêmes soins auraient dû
être donnés , les mêmes précautions prises ;
point du tout. Pie VII est à peine de retour
à Rome, que sans aucune information préa-
lable , il rétablit une institution que son anti-
prédécesseur, Ganganelli, avait supprimée,
que son prédécesseur immédiat , Pie VI, n'a-
vait pas voulu rappeler, et contre laquelle
toute l'Europe chrétienne avait prononcé
des condamnations juridiques.
Les termes de ce rétablissement sont aussi
curieux que le rétablissement même.
Il ne suffit pas au souverain pontife de
( *i ;
rendre à cet ordre les mêmes règles, les
mêmes prérogatives qui lui avaient ap-
partenu autrefois ; il prétend l'imposer en
cet e'tat à toutes les nations qui Font pros-
crit.
<( Nous ordonnons que les pre'sentes let-
tres sortiront leur plein et entier effet, qu'elles
ne seront soumises à aucun jugement ni ré-
vision de la part d'aucun juge, de quelque
pouvoir qu'il soit revêtu. Qu'il ne soit permis
à personne d'enfreindre ou contrarier, par
une audacieuse témérité, aucune des dispo*
sitions de cette ordonnance; que si quelqu'un
se permettait de le tenter, qu'il sache qu'il
encourra l'indignation du Dieu tout-puis-
sant et des saints apôtres Pierre et Paul.
Donné à Rome, à Sainte -Marie-Majeure , le
6 août i8i4- »
Actuellement, encore que la France toute
chrétienne soit remplie de vénération pour le
Saint-Siège, je sais qu'elle s'est arrangée,
depuis long-temps, pour réduire à leur
juste valeur ces injonctions, formules ordi-
naires des actes de l'autorité pontificale; et
alors , comme la bulle que je viens de men-
tionner n'a point été reçue en France, il
( 3* )
s'ensuit qu'elle y est sans force , et que, sans
un véritable délit, personne ne peut la met-
tre à exécution.
A merveille ; mais je parle ici de la France
civile et politique : à côté de celle-ci , s'il
s'en trouve une autre toute ecclésiastique,
composée d'hommes qui, comme va nous
le dire M. Frayssinous, sont prêtres avant
tout, et qui, en cette qualité, mettent avant
tout les ordonnances du Pape, tiennent peu
de compte de nos institutions et de nos lois ,
lui* commencera à comprendre comment,
sans s'embarrasser, ni des anciens arrêts des
parlemens , ni des édits de nos rois , ni même
d'une ancienne bulle du Pape ( celle-ci re-
çue légalement), les jésuites, qui s'étaient
déjà introduits furtivement en France, ont
fini par y être appelés positivement.
C'est ce que confirme , d'un côté, la lettre
du révérend père Fortis , général de l'ordre ,
à M. le maire de Chambéry, dans laquelle il
est fait mention de la multitude de demandes
qui lui sont adressées de France, et aux-
quelles il ne peut suffire. C'est ce qu'établit
encore mieux le discours de M. Frayssinous
à la Chambre des députés , par lequel il est
( «3 )
révélé que ces demandes proviennent des
evéques et des archevêques.
D'un autre côte', lorsqu'on sait, par les
mêmes aveux de M. Frayssinous, que toute
notre jeunesse cléricale est enivrée des doc-
trines ultramontaines, que pour cette jeu-
nesse, et selon ses doctrines, le Pape est,
non-seulement infaillible quant au dogme,
mais, ainsi que le disent les ultramontains,
que sa puissance est au-dessus de toutes les
puissances, en ce qui concerne le cierge su-
périeur; quand on sait que les cardinaux de
France, un grand nombre d'évêques et arche-
vêques, ainsi que des théologiens renommes ,
ont prononcé ces doctrines dans des lettres,
des mandemens, des expositions de foi, que
le conseil d'Etat et les tribunaux se sont crus
obligés de repousser; quand on sait que ces
dispositions, qu'il est honorable de n'attribuer
qu'à une faction que j'appelle le parti prêtre,
sont tellement de venues dominantes, que dans
une démarche, où il s'est agi de reconnaître
l'indépendance de la puissance royale ( dé-
marche que les circonstances rendaient né-
cessaire ) , les évêques de France n'ont osé
ni nommer ni reconnaître la fameuse décla-
(»4)
ration de 1682 : on sait à quoi s'en tenir sur
la nature de la puissance qui , en dépit de
nos lois anciennes et de nos lois nouvelles ,
en dépit des décisions du barreau , des ar-
rêts des Cours royales, de la dernière admo-
nition de la Chambre des pairs, continue à
attirer et à appeler à l'instruction publique
des hommes que le solde la patrie ne devrait
pas même connaître.
Cette puissance qui s'est formée dans le
sein du clergé est ce que Rappelle le parti
prêtre, en ce qu'il est occupé non, comme
il devrait l'être, des intérêts religieux, mais
seulement de ceux du sacerdoce.
A ce mot de parti prêtre, j'ai pu m'aper-
cevoir souvent de l'embarras qu'éprouvent
un grand nombre d'amis de la religion , qui
tout en improuvant la conduite de person-
nages respectables par leur caractère, alors
même qu'ils ne le sont pas par leurs œuvres,
ne savent comment exprimer cette improba-
tion. Il en est qui, dans cette improbation,
n'osent pas même prononcer le mot prêtre.
D'autres voulant ménager les parties hautes
de cette sphère auxquelles ils donnent des
éloges avec enthousiasme, quelquefois avec
fadeur, se jettent par compensation sur le
jeune cierge auquel, a l'exemple de M. Frays-
sinous, ils imputent tous les torts; comme si
des jeunes gens qui commettent en ce genre
de grandes fautes, ainsi que je le dirai bien-
tôt, étaient les principaux coupables de ces
fautes, plutôt que les évèques mêmes et les
supérieurs des séminaires, qui en dictent les
leçons et qui en donnent l'exemple.
Pour moi, ce n'est pas cette bonne jeu-
nesse cléricale que j'accuserai. Je l'excuserai
bien plutôt. C'est à la tête de cette hiérar-
chie que je porterai mes accusations , et non
pas à la base. Avec la même voix qui au mi-
lieu du concile de Trente fît retentir ces re-
doutables paroles : Eminentissimi cardinales
eminentissimd egent reformatione / je répé-
terai que les éminens cardinaux d'aujour-
d'hui ont encore plus besoin de réformes que
ceux d'autrefois. Là et dans la sphère qui
l'avoisine, je signalerai une coterie particu-
lière qui quelquefois avec les formes de la*
soumission et du patelinage , quelquefois
aussi ouvertement et franchement, travaille à
se rendre maître de toutes les voies.
Sous Louis XIV, c'est-à-dire sous le gou-
(a6)
vernement absolu, ce parti était assez con-
tent de proclamer contre les papes les liber-
tés de l'Eglise gallicane ; au moyen du mo-
narque, il tenait dans ses mains celles de la
nation; c'est ce que Bossuet confesse ouver-
tement. Depuis que l'autorité royale s'est
circonscrite dans une Charte, ne pouvant
s'appuyer du pouvoir absolu dans le Roi, il
a fallu l'aller chercher dans le Pape; domi-
ner la France et son Roi par le Pape, ne pou-
vant la dominer autrement, a été le but et le
vœu de ce parti.
Les missions, les jésuites, les congréga-
tions politiques et les congrégations reli-
gieuses sont entrées dans ce plan. De cette
manière on s'est emparé du gouvernement ,
des places, delà faveur; on a façonné, ainsi
que je le montrerai bientôt, tout le clergé in-
férieur, à ces doctrines et à ces manœuvres;
on a mis surtout de l'importance à se saisir
de l'çducation.
Vous voyez, Monseigneur, que ce plan est
vaste. Je vais le suivre dans toutes ses parties.
Je commencerai par l'instruction publique.
( ■>! )
CHAPITRE III.
DE L UNIVERSITE. BASES DE CETTE INSTITUTION.
ELLE EST FRAPPÉE ARBITRAIREMENT DANS TOUTES SES
BRANCHES.
Depuis long-temps, je savais que le grand
objet du parti prêtre ( dans l'émigration
même il ne s'en cachait pas) , c'était de s'em-
parer de l'éducation. Sous Bonaparte c'était
difficile. Après quelques essais on y renonça.
A laRestauration, le parti avait naturellement
plus d'avantage; il eut aussi plus de succès.
L'Université devint tout-à-coup un point de
mire. Il convient de connaître d'abord sur
quelle base repose cette institution.
Dans l'état actuel des choses, sa loi fonda-
mentale est du îo mai i8o5. Elle porte :
(( Il sera formé sous le nom d'Université ,
un corps chargé exclusivement de l'ensei-
gnement et de l'éducation publique. »
( *8 )
Il est vrai que cette loi est toute impériale r
mais la Charte l'ayant reconnue , elle est
demeurée loi de l'Etat; je vais montrer com-
ment le parti prêtre s'efforce à la faire tom-
ber.
El d'abord , au premier moment où
Louis XVIII fut sur le trône , il lui fut re-
présenté, avec une grande apparence de rai-
son , que les écoles de l'Université étant im-
prégnées d'un système mondain , tm grande
partie même militaire, le clergé dépourvu
alors de sujets trouvait dans un tel fonds
peu d'élémens propres à sa restauration.
Louis XVIII ayant égard à ces représenta-
tions, il en résulta l'ordonnance suivante.
Elle est du 5 septembre 1814.
« Ayant égard à la nécessité où sont les
archevêques et évêques de notre royaume
dans les circonstances difficiles où se trouve,
l'Eglise en France, de faire instruire dès l'en-
fance des jeunes gens qui puissent entrer
avec fruit daus les grands séminaires, et dé-
sirant leur procurer les moyens de remplir
avec facilité cette pieuse intention, ne vou-
lant pas toutefois que les écoles de ce goure
se multiplient sans raison légitime, sur le
( *9 ;
rapport de notre ministre secrétaire-d'Etat
de l'intérieur nous avons ordonné et ordon-
nons ce qui suit :
» Art. 1er. Les archevêques et évéques de
notre royaume pourront avoir dans chaque
département une école ecclésiastique dont ils
nommeront les chefs et îes instituteurs, et où
ils feront élever et instruire dans les lettres
des jeunes gens destinés à entrer dans les
grands séminaires. »
L'art. 4 porte : «Que les élèves de ces
écoles ecclésiastiques sont exempts de la ré-
tribution ordinaire due à l'Université ; l'art. 5,
que le grade de bachelier doit aussi leur être
conféré gratuitement. »
Vous savez comme moi , Monseigneur,
que cette ordonnance, en ce qu'elle déroge
à la loi générale de l'Université, ne peut
avoir de valeur. Il est de principe que les
ordonnances n'ont pour objet que l'exécu-
tion des lois. Cette vérité fut reconnue du
Monarque qui ne la fit pas même insérer au
Bulletin des Lois. C'est ce que confirme l'or-
donnance du 17 février 181 5.
« Voulant ( dit le Monarque ) nous mettre
en état de proposer le plutôt possible aux
(3o)
deux Chambres les lois qui doivent fonderie
système de l'instruction publique. »
L'ordonnance du i5 août de la même an-
nee revient sur celte disposition.
« Voulant (dit le Monarque) surseoir à
toute innovation dans le régime de l'instruc-
tion publique , jusqu'au moment où des cir-
constances plus heureuses que nous espérons
n'être pas éloignées, nous permettront Ré-
tablir par une loi les bases d'un système dé-
finitif. »
L'ordonnance du icr novembre y revient
de nouveau.
« Voulant établir sur des bases plus fixes
la direction et l'administration d'un corps
enseignant et préparer ainsi son organisa-
tion définitive. »
Ces déclarations royales, cette reconnais-
sance expresse de la nécessité d'une loi pour
dérogera une loi, n'étaient pas seulement de
forme. De tous côtés s'élevaient des plaintes.
Ces plaintes qui souvent m'ont été commu-
niquées, portaient de la part de l'Université
sur deux chefs. Le .premier, c'est qu'en ren-
versant sur plusieurs points et par des or-
donnances subreptices , l'état légal et fondé
( 3i )
de l'Université, l'existence entière de ce corps
était menacée. Recevant chaque jour des
mutilations, au bon plaisir d'une coterie par-
ticulière, l'Université ne savait où ces muti-
lations s'arrêteraient. Frappée arbitrairement
tantôt à la tête, tantôt auxmembres, elle n'a-
vait plus pour son existence la sécurité né-
cessaire à toute existence.
D'un autre côté, ce n'était pas assez d'a-
voir créé à côté de l'Université (contre le
texte même delà loi) une institution rivale;
ces écoles nouvelles, libérées de la juridic-
tion ainsi que des rétributions universitaires,
devenaient tout-à-fait prépondérantes. A une
concurrence déjà illégale, s'ajoutait une iné-
galité qui ne laissait même plus lieu à la con-
currence.
De la part du public d'autres plaintes s'é-
levèrent.
Depuis long-temps j^vais été informé qu'à
Rome , à Paris, dans les congrégations, dans
les comités de conscience et dans ceux des
jésuites, on s'agitait à TefFet de faire donner
l'instruction publique , si ce n'est immédiate-
mentaux jésuites,dumoins aux prêtres.Quand
le public fut instruit de ces dispositions, il
(3* )
ne fut pas d'abord très-alarmé. On savait que
Louis XVIII résistait à ce plan. A la fin, la
santé de ce monarque commençant à décli-
ner, et la police de Paris, la police générale,
les postes, toute l'administration ayant été
emportées, l'Université le fut aussi. On eut
dans TUniversité une irruption de prêtres;
et M. Frayssinous avec eux.
Ici, Monseigneur, en évitant un extrême ,
il faut prendre garde de tomber dans un
autre. De tout temps, et je reviendrai pro-
bablement sur cette pensée, il y a eu dans
les diverses parties de TUniversité d'hono-
rables prêtres qui , portés par une vocation
particulière vers l'étude des sciences , ont été
justement recherchés pour l'instruction pu-
blique. J'ai connu et je connais encore un
grand nombre de ces hommes qui ont illus-
tré les écoles, en même temps qu'ils ont
conservé l'honneur de leur caractère. Ici ce-
pendant il faut faire une observation ; c'est
que, dans ce cas , si le caractère de prêtre est
une garantie de plus pour l'éducation et pour
les mœurs , c'est comme savans, comme
hommes de lettres , plutôt que comme prê-
tres qu'ils sont recherchés. Dans le système
( 33 )
d'aujourd'hui, au contraire, c'est avant tout
comme prêtres qu'on les recherche.
La pièce suivante, qui est une lettre adres-
sée par M. Frayssinous aux archevêques et
évêques du royaume, ne laisse à cet égard
aucun doute.
« Depuis que Sa Majesté m'a fait l'insigne
honneur de m'élever au poste redoutable de
grand-maître de l'Université , j'ai été vive-
ment frappé de deux pensées : la première,
que F éducation est une chose plus morale et
religieuse ? que littéraire et scientifique. La
seconde, que, pour faire refleurir la piété et
les bonnes mœurs dans les établissemens
d'éducation publique, il faut que le zèle et
les efforts continuels des principaux fonc-
tionnaires de l'Université trouvent un appui
dans V assistance du clergé, et surtout de ces
premiers pasteurs qui gouvernent avec au-
tant de sagesse que de dévouement les di-
verses portions de l'Eglise de France. Sans
doute, il importe d'ouvrir devant la jeunesse
la carrière des connaissances humaines, et
de donner à leur esprit un essor généreux ,
pour la rendre capable d'exercer avec hon-
neur les différentes professions qui partagent
3
(34)
la société; mais il importe encore plus de la
prémunir par des habitudes vertueuses , con-
tre l'abus des lumières et des talens. » (Moni-
teur. )
Ce plan une fois dévoile' , on comprend
l'impression qu'il a dû faire dans le public ,
et principalement sur la multitude de laï-
ques qui s^étant engagés depuis long-temps
dans renseignement , Pavaient regardé
comme une carrière. »Tai vu les écoles re-
tentir de murmures et frappées d'une sorte
de stupeur.
Après avoir cherché par toutes sortes de
dégoûts à éloigner les laïques de l'Université,
une circonstance particulière a préservé ces
dispositions d'un effet complet. Les évêques,
sollicités pour fournir des sujets, ont répondu
que même pour le service de leurs églises, ils
étaient dans la pénurie ; il a fallu renoncer
alors à l'exclusion qu'on avait méditée. Quant
à l'institution même de l'Université, on n'a,
pour juger de sa situation, qu'à énumérer les
attaques qui lui ont été portées.
Une foule de petits séminaires ont été insti-
tués, à ce qu'on a dit, comme écoles ecclésias-
tiques dans un objet ecclésiastique , et cepen-
(35)
dant gouvernés contre l'objet de leur institu-
tion dans un mode laïque, à l'effet de les met-
tre en concurrence avec les collèges laïques.
Dans cette concurrence, nulle égalité con-
servée du côté de l'argent, puisqu'ici on
paie des rétributions, et que là on n'en paie
pas. D'un autre côté, nulle égalité du côté de
la faveur; étant connu que tout ce qui sort
de Saint-Acheul , de Mont-Rouge et des au-
tres établissemens jésuitiques , a partout des
avantages et le premier pas.
Il restait le petit avantage de pouvoir ensei-
gner des élèves externes. L'exemple du collège
de Billom montre que les écoles de l'Uni-
versité en sont encore dépossédées.
C'est ainsi quun glaive à la main, M. de
Frayssinous, exécuteur des hautes œuvres
du parti prêtre , ne cesse de blesser dans
toutes les parties le corps de l'Université,
sans qu'on sache encore précisément si sa
volonté est de le faire périr, ou seulement
de l'affaiblir pour le donner aux jésuites, en
faire ensuite de concert avec eux un nouvel
élément de domination.
On ne pourra pas dire que ce sont ici des
craintes vagues : elles ressortent de la nature
( 36 )
des choses. Les faits viennent les confirmer.
Ils ont été proclamés a la tribune de la Cham-
bre des de'pute's , sans que personne les ait
contredits.
« Il est avéré, a dit M. Méchin, que le col-
lège de Sèvres a disparu, parce qu'il était en
concurrence avec le petit séminaire, lequel
est dispensé de la rétribution universitaire.
D'un autre côté, il est avéré que le collège
royal de Caen , un des plus florissans de ce
royaume, a été réduit de trois cents élèves à
quatre-vingts par l'effet de la même concur-
rence avec le petit séminaire. » {Moniteur,)
Pour ce qui me concerne, je puis affirmer
que dans diverses proportions, il en est de
même de tous les collèges placés dans le voi-
sinnge des petits séminaires, et principale-
ment des petits séminaires de jésuites.
( 37 )
CHAPITRE IV.
INTERPELLATIONS ADRESSEES A MONSEIGNEUR D HERMO-
POLIS PAR MM. SE'BASTIANI ET HYDE DE NEUVILLE.
RÉFLEXIONS A CE SUJET.
y kl fini relativement à l'Université'. J'ai ac-
tuellement à rechercher sur d'autres points
l'esprit d'envahissement du parti prêtre; au-
paravant, il est bon d'entendre sur ce sujet
M. de Frayssinous.
« Loin de nous, dit ce prëlat,cet esprit de
domination qui se trahirait par des paroles
fastueuses ? par des manières hautaines, par
des personnalités offensantes ! Mais il est un
ton, un langage d autorité y qui appartient
au prêtre de la loi nouvelle, qui est la suite
inévitable du ministère céleste qu'il remplit.
( Moniteur. ) Si l'on veut que le prêtre soit
dans le temple comme une idole qui a des
yeux pour ne point voir, des oreilles pour
(38)
ne pas entendre, et une bouche pour ne rien
dire; si l'on veut que son ministère soit sans
influence; si Ton veut, à force de mensonge,
nous entourer de haine et de mépris; que
Ton commence par faire de nous une classe
d'ilotes , en attendant qu'on puisse en faire
une classe de victimes. (Débats.) Messieurs,
je le demande, à quoi peuvent aboutir tant
d'exagérations, tant d'attaques irréfléchies
contre le cierge'! A rien autre chose qu'à se-
mer de fausses et dangereuses alarmes. On
met des fantômes à la place des réalités... »
( Moniteur. )
Voilà sans contredit un singulier discours
et de singulières plaintes. Je me garderai
bien d'appeler de son véritable nom la har-
diesse de ces paroles : je sens que, même au
prix d'une portion de vérité, le caractère de
celui qui les prononce mérite des ménage-
mens. Ces paroles n'ont pas laissé de faire
impression à un homme dont j'ai l'habitude
d'estimer le talent autant que j'honore son
caractère. M. le comte de Lézardière a ad-
miré le discours de M. d'Hermopolis; il lui
trouve une grande franchise. A cet acte de
foi et d'admiration, je me contenterai d'op-
(39)
poser la réponse faite aussitôt à la tribune
par un autre honorable député. M. le comte
Sébastiani a fait à M. d'Herrnopolis les inter-
pellations suivantes :
«N'est-il pas vrai que des questions politi-
ques ont été traitées dans des raandemens,
que ces mandemens ont été déférés au con-
seil-d'Etat, et que cependant les évêques
dont ils sont émanés ont reçu des récom-
penses qui les ont appelés au conseil du
prince? Vous nous reprochez de vous com-
battre avec des fantômes. Les actes des tri-
bunaux, les délibérations de la Chambre des
pairs sont des faits récens, des faits connus.
Il ne s'agit pas là de fantômes ou de faits
imaginaires. »
M. le comte Sébastiani fait observer « qu'il
eût été utile d'expliquer ces faits, d'en com-
battre la vérité, ou du moins les conséquen-
ces, si cela eût été possible. » Il ajoute avec
raison qu'une telle explication eût été utile à
la religion et a l'Etat.
Cette explication n'a pas été donnée ; elle
ne pouvait pas l'être, les faits sont ici trop
nombreux et trop évidens. Je prie Votre
Excellence de se rappeler la déclaration faite
(4<0
à ce sujet par M. le comte Hyde de Neuville.
« (Test un fait, Messieurs, que dans la mino-
rité du clergé, et surtout hors de son sein,
il existe des hommes qui travaillent à mettre
en circulation une doctrine impie, sacrilège,
hérétique, qui tend à ébranler les trônes, à
favoriser les dangereux principes de la sou-
veraineté des papes, à rendre douteuse,
incertaine et surtout conditionnelle, la puis-
sance légitime des rois. C'est un fait que ja-
mais à aucune époque de notre histoire, cette
doctrine anti-sociale, anti-française, anti-
monarchique, avant tout anti-chrétienne,
ne fit plus de progrès, ne se montra avec
plus d'assurance, disons avec plus d'audace.
C'est un fait qu'il existe en France des asso-
ciations illicites, c'est-à-dire, des sociétés dé-
fendues ou non autorisées par nos lois. Nier
ce fait, c'est accuser la Chambre des pairs
qui l'a proclamé; c'est accuser notre magis^
trature qui l'a constaté', c'est accuser le mi-
nistre qui en a fait l'aveu , c'est accuser la
France entière qui le dit, qui le crie; c'est
contester l'évidence; c'est nier la lumière en
présence du jour. C'est un fait, Messieurs, que
parmi les associations illicites, il en est une
( 4' )
qui se cache , et qui par cela seul .tourmente ,
agile davantage les esprits. On ne la voit
nulle part; on la dit, on la voit, on la rêve
partout. C'est un fait qu'une congrégation a
juste titre célèbre, qui tout en se montrant
peu , paraît destinée à faire toujours beau-
coup de bruit, s'est formée, s'est relevée
d'elle-même au milieu de nos orages politi-
ques, contre la loi de Rome qui la proscrivait
alors, contre les lois du royaume qui la pros-
crivent encore. Toutefois, Messieurs, la ques-
tion des congrégations et des jésuites n'est
aujourd'hui que secondaire. Il s'agit d'un
intérêt autrement grave. Il s'agit de savoir
(et c'est là, Messieurs, il ne faut pas se le dissi-
muler, une des causes de notre maladie) , il
s'agit de savoir si l'ordre illégal pourra s'é-
lever impunément à côté de l'ordre légal ; il
s'agit de savoir si les ministres sont au-dessus
du Roi et des Chambres, et s'ils pourront de
leur plein vouloir , autoriser , protéger ,
tolérer ce que la loi défend. Soyez pour l'af-
firmative, et de suite vous ébranlez le trône,
vous déchirez la Charte , vous compromettez
nos plus chers intérêts, vous appelez l'anar-
chie en favorisant l'arbitraire, et pour tout
(4» )
dire, vous livrez Ta venir de la France au
carbonarisme et à la ligue. » (Moniteur.) Que
M. d^Hermopolis nous parle après cela de
fantômes , d'accusations , d'attaques irréflé-
chies, du projet de faire du clergé une classe
dy ilotes , en attendant qu'on puisse en faire
une classe de victimes; qu'il nous dise que
le clergé ne veut pas être une idole muette,
et toutes les autres pauvretés qui se trouvent
dans son discours ; mais aussi que dire , quand
on n'a rien à dire! Que répondre à des in-
terpellations aussi précises, à des allégations
aussi nombreuses et aussi positives!
A ce sujet, je vous prierai, Monseigneur,
de remarquer combien il y a de ménage-
ment de la part de ces deux orateurs dans
leurs discours. Vous avez vu comment
M. Hyde de Neuville n^se pas même nom-
mer le clergé, mais seulement la minorité.
Il ajoute : Et surtout hors de son sein.
Ailleurs : « Gardons-nous, Messieurs, dit-il,
de vouloir faire retomber sur noire Eglise
gallicane les fautes, les erreurs, les extra-
vagances de quelques hommes aveugles et
passionnés. Cessons de la rendre responsa-
ble de V inexpérience de ces jeunes prêtres t
(43)
dont le zèle trop ardent n'a besoin que d'être
éclairé. »
M. le comte Sébastiani ne montre pas
moins de timidité que M. Hyde de Neuville.
Se réduisant aux simples généralités que j'ai
rapportées, « je crains , dit-il, de citer des
faits qui ne pourraient dans aucun cas être
produits à la tribune , sans manquer à la
dignité de nos discussions. Il ajoute : Et sur-
tout sans compromettre la religion divine
qu'ils outragent. »
J'ai besoin de nVexpliquer sur des obser-
vations aussi graves de la part d'hommes
aussi importans.
Et d'abord M. Hyde de Neuville nous dit
que les écarts appartiennent, non à l'ensem-
ble du clergé , mais à une simple minorité.
Il les attribue, non aux chefs et aux supérieurs
de l'ordre , mais seulement à une jeunesse
indisciplinée. Accoutumé comme je le suis
à priser toutes les paroles , à adopter toutes
les doctrines de ce grand orateur, je vou-
drais écarter comme lui des sommités du
clergé les reproches qu'il détourne sur sa
base. Cependant , il faut que cela soit juste
et que cela soit possible. Mon Dieu ! est-ce
(44 )
que je me trompe ? N'est-ce pas un cardinal
qui, en dëpit de nos lois qui les repoussent,
s'est mis récemment à prôner l'institution
des jésuites à la Chambre des pairs ? N'est-ce
pas un autre cardinal qui a donné l'exemple
de la désobéissance aux ordres du Roi, si-
gnifiés par un ministre du Roi? N'est-ce pas
un autre cardinal qui s'est mis à prôner par-
tout , et à fonder des congrégations reli-
gieuses en fraternité avec les congrégations
politiques ? Ne sont-ce pas de tous côtés des
évêques et des archevêques qui appellent
des établissemens de jésuites?
L'inexpérience des jeunes prêtres a besoin
cVêtre éclairée. On accuse leur zèle trop ar~
dent! Mais qui instruit ces jeunes prêtres?
Qui excite leur zèle? Ne sont-ce pas les évê-
ques et les supérieurs des séminaires? Au
sortir de ces séminaires , Dieu a encore, j'en
conviens , la première place ; mais s'ils se
mettent immédiatement après; s'ils se com-
parent à Jésus-Christ même selon ces pa-
roles , sicut misit me pater et ego mitto vos ;
ou s'ils se contentent de se croire simple-
ment ses ambassadeurs, selon ces autres
paroles, pro Christo legalione fungimur ; si,
( 45 )
en cette qualité , ils font peu de compte des
misérables lois humaines , ainsi que des mi-
sérables commandemens des souverains de
la terre , à qui est-ce la faute , si ce n'est à
des supérieurs qui, au lieu de leur recom-
mander la modestie et l'obéissance au nom
de celui qui a dit : Apprenez de moi que
je suis doux et humble de cœur : II faut
rendre à César ce qui appartient a César ;
sont sans cesse à exalter les prétentions de
leurs élèves, par des discours arrogans et
ampoulés? « Loin de nous, dit M.Frayssinous,
cet esprit de domination qui se trahirait par
des paroles fastueuses /Que fait-il autre chose,
lui et ses pareils ? Peuvent-ils ignorer que
c'est ainsi qu'on enfle partoutj'esprit de do-
mination dans la jeunesse cléricale , et qu'on
autorise les désordres !
Je viens actuellement à M. le comte Sé-
bastiani. D'un côté, il craint, par le détail
des faits , de manquer à une certaine dignité
de discussion ; d'un autre côté , il craint que
ces faits mêmes ne compromettent lareligion-
Je dois m'arrêter principalement sur ce
dernier motif; il me parait juste, dans le cas
où des faits particuliers qui compromettent
(46)
la religion, seraient désavoués, censurés,
réprimés par les supérieurs ecclésiastiques.
A cet égard, Monseigneur, si quelque chose
de mes derniers écrits est parvenu jusqu'à
vous , il vous aura été facile de remarquer
que parmi tous les faits, soit d'intempérance,
soit de quelque apparence de cupidité, soit
de quelque faiblesse dans les choses de la
chair , il ne m'est arrivé , dans aucun cas ,
d'en faire mention. Il est probable que par
ma position, je puis avoir, comme un autre,
connaissance de ces faits; c'est comme si je
ne Pavais pas: dans tous les cas. je voudrais,
comme un saint Roi , les couvrir de mon
manteau. Ce n'est pas assez, je dois décla-
rer, et je le fais avec une grande satisfac-
tion, que dans les points qui sont le plus
généralement pour le monde un objet de
blâme,* le sacerdoce en France n^a jamais
été plus pur. Mais ce n'est pas seulement en
raison de leur petit nombre que les exem-
ples de ce genre ne doivent pas , selon moi ,
être mis en lumière; c'est parce que ( et cette
considération ici est déterminante) ces écarts
de pure faiblesse sont toujours soigneuse-
ment recherchés par les supérieurs et sévè-
(47 )
rement reprimés. Je n'ai jamais aperçu de
leur part, sur ce point, ni complaisance , ni
connivence.
Que ne puis-je en dire de même des écarts
d'un autre genre? Je parle de ceux qui tien-
nent à un esprit obstiné d'envahissement et
de domination. Lorsque ces écarts, au lieu
d'être désavoués comme des délits, sont au
contraire prônés comme compris dans les
fonctions de ceux qui les commettent ; lors-
qu'au lieu d'être réprimés par les supérieurs
avec sévérité, ils sont au contraire autorisés,
favorisés comme un droit d'apostolat, selon
un de nos prélats , sicut raisit me pater et
ego mitto vos, ou comme un privilège de
l'auguste légation de Jésus - Christ , pro
Christo legatione fungimur; enfin , sous ce
prétexte , même dans les plus grands excès
où il devient indispensable de les censurer,
si on se restreint à les blâmer, non comme
des fautes , mais comme des imprudences ,
j'en demande pardon à l'honorable et élo-
quent général , qui croit alors devoir garder
le silence ; se taire sur de tels faits , vouloir
leur porter du ménagement, ainsi qu'aux
doctrines sur lesquelles ils s'appuient, ce
(4«)
n'est pas servir, comme il le croit , la reli-
gion qu'ils outragent, c'est provoquer sa
ruine.
Pour ce qui est de la crainte de manquer
d'une certaine dignité , je conviens de tout
ce que les détails en ce genre peuvent avoir
de fastidieux. Mais si la tribune d'une assem-
blée ne peut les supporter , je compte de la
part de Votre Excellence sur un peu plus
d'indulgence. Elle n'oubliera pas que , de
toute manière, elle est constituée juge dans
cette cause. Je me trouve dès-lors auprès
d'elle, dans la position où je serais auprès
d'un magistrat, cbargé d'une information
juridique. Dans ce cas, le rapport des faits
en détail, ainsi que celui des pièces de con-
viction , peut sûrement n'avoir rien d'agréa-
ble; il n'en est pas moins indispensable.
Dans un précédent écrit, j'ai annoncé
avoir à ma disposition une liasse de cinq
cents faits; je pourrais en produire aujour-
d'hui cent mille. A cet égard , si la multi-
tude forme un argument décisif, l'exposition
qui va se prendre dans une multitude de
détails minutieux, n'en est que plus em-
barrassante, lisse composent principalement
(49)
(Tabus de la confession, d'abus de la prédi-
cation , d'abus dans les décisions relatives à
la morale , de violences et de sévices dans
l'exercice des fonctions ecclésiastiques et
hors de ces fonctions.
( 5o )
CHAPITRE V.
ABUS DE LA CONFESSION. REVELATIONS INDIRECTES.
FAITS NOUVEAUX RELATIFS AUX MARIAGES. BALS.,
SPECTACLES. DANSES. — VETEMENS.
A commencer par l'abus de la confession ,
je conviens que cette accusation est grave;
elle porte sur une des pratiques les plus
augustes de notre sainte religion.
Sous le paganisme , l'homme en proie au
remords, n'avait plus de refuge; on le regar-
dait comme abandonné aux furies ; la puis-
sance de Jupiter n'était pas toujours juge'e
capable de de préserver. Le christianisme
a rendu facile l'opération d'un miracle que
le paganisme était tente' de contester à la
puissance divine.
Dans ce mystère , tout n'est pas impéné-
trable. Je commencerai par quelques ré-
flexions générales.
( Si )
En lisant dans un journal les détails d'unr-
conversation d'un grand souverain du Nord
avec un de nos ambassadeurs , je me sou-
viens que l'ambassadeur lui demandant la
permission d'assister à un de ses comman dé-
mens de manœuvres, ce souverain repondit :
Demain , si aujourd'hui je suis un peu con-
tent de moi. Mon Dieu ! il y a donc, dans
des choses qui appartiennent seulement à
l'esprit ou au talent , des positions où même
un souverain peut n'être pas content de soi.
En vous portant dans les rangs inférieurs,
demandez à ce poète, à ce peintre, à Rossini
lui-même , s'il est toujours content de lui.
Un mécontentement intérieur peut donc
s'établir en nous de ces alternatives de su-
périorité et d'infériorité que nous nous re-
connaissons.
Hélas ! est-ce le seul point où nous ayons
à nous apercevoir de notre misère! Est-ce
seulement dans des choses frivoles que nous
ayons à déplorer la perte subite de notre
propre estime? Saint Paul dit : Je fais le mal
que je ne veux pas ; je ne Jais pas le bien que
je veux. Un poëte dit : Video meliora, probo-
que, détériora sequor. En prononçant ces
4*
( 5a )
paroles, ni le poète, ni Fapôtre n'étaient
contens d'eux.
Ici, ce n'est pas, comme dans les choses
de talent, une simple vanité blessée; c'est
Famé elle-même, c'est la conscience qui est
atteinte. Dans ces oscillations de force et de
faiblesse , de grandeur et de misères , si notre
accord moral, cette harmonie intérieure,
premier élément de la vie , a été légèrement
atteint, un peu de mécontentement, une
simple tristesse peuvent en être la suite ; mais
si l'infraction a été grave , si elle a mis comme
en deux parts notre vie présente et notre vie
passée, quand ces deux parts cherchent à
se reprendre, si elles ne peuvent y parvenir,
que deviendrons-nous ? Comment échappe-
rons-nous à cette crise morale, à cette fièvre
de Famé , suite d'une grande faute?
Si alors un prêtre, cet ami du mourant,
ce consolateur du malheureux, ce protec-
teur du coupable, se présente à vous, le re-
pousserez-vous? Tout ainsi que Jésus-Christ
s'est placé comme médiateur entre son père
irrité et la révolte d'un monde idolâtre: de
même le prêtre a été placé entre le ciel et
le coupable pour amortir par sa sainteté les
( 53 )
coups de la colère céleste. Si , demeurant
dans les limites de son ministère, le prêtre
se contente de vouloir être , non votre juge ,
mais votre interprète ; si, semblable au no-
taire qui, en dressant les actes de votre vo-
lonté , leur imprime le sceau du Roi et non
le sien; si , semblable au magistrat qui rend
non ses propres arrêts , mais seulement ceux
du Roi et de la loi , il vous réconcilie avec
vous-même et avec Dieu; si , par ce moyen,
les plaies que vous avez faites à votre ame
viennent à se cicatriser, et qu'après avoir
été délivré de la furie du remords, vous sen-
tiez comme une nouvelle vie revenue et
rétablie en vous; quelles augustes fonctions
ce prêtre ne vous paraîtra-t-il pas exercer ,
quel droit n'aura-t-il pas à vos respects et
à votre reconnaissance ?
Toutefois , que ce prêtre , revêtu d^n si
imposant ministère, prenne bien garde à lui.
Cendre et poussière comme nous, il peut
lui-même abuser comme vous avez abusé ;
il peut vouloir étendre hors de ses limites,
le ministère qui lui a été donné.
(Test ce qui arrive sans cesse ; c'est ce que,
dans les rapports divers du sacerdoce actuel
■
( 54 )
avec la société, je suis forcé de reconnaître,
et par-là même d'accuser.
La confession , telle que les apostoliques
instituteurs Font entendue, semble n'avoir eu
pour objet que ces larges fautes , crimes, ou
approchant du crime. Pour un grand plan
de domination, cette surface était trop res-
serrée. Depuis long-temps, et surtout depuis
l'apparition des missions, des congrégations
et des jésuites , elle s'est étendue, et bientôt
eî!e a tout envahi, elle est devenue la source
d'une multitude d'abus : non-seule*ment ,
comme je m'en suis assuré, dans les rapports
directs du confesseur et du confessé, où les
recherches , les investigations de fantaisie ou
de curiosité , pour ne rien dire de plus , sont
devenues continues et intolérables; mais en-
core, comme je m'en suis assuré aussi, dans
les rapports de prêtre à prêtre ; non pas qu'il
y ait jamais à cet égard violation expresse ,
je ne le crois pas; mais les violations indi-
rectes me paraissent innombrables. Ici , un
jeune vicaire , sous prétexte de s'instruire
auprès de son curé, le curé lui-même auprès
de son supérieur, au sujet des règles qu'il a
à suivre dans tel ou tel cas, étale tellement
( 55 )
les détails de ces cas et les confidences qui
lui ont été faites, que dès ce moment Finté-
rieur d'une famille est à découvert. Sans
doute alors, on conservera encore quelques
réticences ; mais on sent qu'il reste peu de
peine pour deviner un problème dont la
plupart des inconnus sont déjà en évidence.
Diaprés ces rapports continus, soit des
prêtres entre eux, soit avec leurs supérieurs
au sujet des confessions qui leur sontfaites;
d'après toutes les questions que, dans les
confessions ou hors des confessions, le prêtre
permet d'adresser aux domestiques sur la
conduite de leurs maîtres, aux enfans sur la
conduite de leurs parens, on comprend le
trouble qui doit en résulter dans la société.
On n'ignore pas que telle a été dans tous
les temps la pratique favorite des jésuites.
On voit, dans les registres anciens, que les
sodalitésou congrégations avaient cette mis-
sion expresse. Draprès ce que nous savons
de l'enregistrement qui a été fait des domes-
tiques et des ouvriers dans certaines cités,
sous des prétextes religieux , il est à craindre
qu'on ait eu en objet la même pratique. J'ai
eu une particulière connaissance en ce genre
( 56 )
d'un différend grave survenu entre un jé-
suite grand pénitencier et son supérieur, au
sujet de sa correspondance avec ses péni-
tens dans divers pays. Il s'agissait à l'égard
de ceux-ci de savoir si le supérieur, qui dé-
cachetait leurs lettres, en avait le droit. L'af-
faire portée d'abord au provincial , puis à
Rome , ayant été jugée contre les pénitens
et le confesseur, celui-ci s'est décidé à quit-
ter l'ordre : faculté qu'il a eu de la peine à
obtenir, qu'il a obtenue pourtant.
Ce n'est pas le seul abus que j'aie à noter
dans l'emploi que les prêtres, dont je parle,
font de la confession.
L'homme étant naturellement fragile, l'E-
glise, qui a une particulière connaissance de
cette fragilité, a bien voulu lui ménager un
appui. Lorsqu'un concile (je crois que c'est
le 4e de Latran) a prescrit la confession à tout
le moins une fois l'an , il n'a rien fait qui ne
fût conforme à notre faiblesse. Il est vrai
qu'il ne s'est pas contenté d'imposer la con-
fession ; il a imposé aussi un prêtre: circons-
tance de laquelle peuvent résulter de nou-
veaux abus ; car il ne suffit pas de se confesser
à ce prêtre des actes qui sont péchés selon
(57 )
vous, mais encore de tous les actes qui sont
pêches selon lui.
En ce genre, on ne peut dire à quel point
l'espace a été agrandi. C'est en vain que
V agneau de Dieu est venu effacer les péchés
du monde; on les a tellement multiplies,
que, s'il n'y met sa toute-puissance , il aura
peine à remplir sa mission. Toutes les par-
ties de la vie ont été saisies à cet égard.
A commencer par le mariage , je ne par-
lerai pas, et pour cause, des détails de ques-
tions qui sont souvent faites aux personnes
mariées , aux personnes même qui ne le sont
pas. Je connais de l'ancienne Sorbonne des
décisions ridicules sur ce sujet. J'ai vu, de
plus, différentes personnes des deux sexes
qui ont reçu dans la confession des instruc-
tions très-déplacées.
En laissant de côté cet article, que je ne
fais que noter pour le moment , on va voir
que rien n'échappe à la fabrique nouvelle
de péchés destinée à étendre l'influence et le
pouvoir du prêtre. Etes-vous commerçant? on
vous entreprend aussitôt sur le prêt à intérêt;
on vous permet (vous en sentez la raison)
de placer votre argent dans les fonds publics ;
(58 )
mais dans des fonds particuliers, néant.
En cas de persistance, refus d'absolution ,
refus de communion; et ensuite menace de
la damnation éternelle, du diable, de l'enfer
et de tous leurs accompagnemens.
Cependant je lis dans saint Mathieu, à
l'article de la parabole du Serviteur inutile,
ces paroles même de Jésus-Christ :
« Serviteur méchant et paresseux, vous
saviez que je moissonne où je n'ai point
semé, et que je recueille où je n'ai rien mis.
Vous deviez donc mettre mon argent entre
les mains des banquiers, afin qu'à mon re-
tour je retirasse avec intérêt ce qui est à
moi. )>
Je préviens que le cum usurd de la Vul-
gate ne v«ut dire, ni en latin , ni dans le mot
hébreu auquel il se rapporte, l'usure, c'est-
à-dire le prêt à intérêt tel que nous l'enten-
dons; mais le simple intérêt. Il est évident
que Jésus-Christ, qui reproche au serviteur
de n'avoir pas placé de l'argent à intérêt,
n'a pas regardé le prêt à intérêt comme un
crime.
Actuellement, si je voulais parler de la
danse, des bals, des spectacles, j'aurais à
( 5g)
remplir des volumes. Vous sentez, Monsei-
gneur, que je ne puis que citer quelques
traits.
Le beau jour de Pâque , j'aperçois un bon
jeune homme, triste, confus, humilié, qui,
au milieu de ses camarades dans la joie,
jeûne au pain et à Peau. Tout étonné, je me
rappelle ces belles paroles de l'Eglise : Hœc
est dies quamfecit Dominus; exultemus et lœ-
temur in éd. Je crois même, si je ne me
trompe, que des conciles ont défendu de
jeûner le dimanche, notamment le dimanche
de Pâque. Rapprends, en interrogeant ce
jeune homme, qu'il a eu le malheur de dan-
ser les trois derniers jours du carnaval, et
qu'en expiation de ce crime , le curé (son
prêtre obligé) l'a condamné à jeûner les
trois jours de Pâque.
Voilà la danse proscrite comme le prêt à
intérêt. Il en est de même de la comédie,
des spectacles, des fêles balladoires. Que
dis-je ! j'apprends que , dans certains con-
venticules jésuitiques, on a établi comme un
péché la promenade dans les places publi-
ques; et particulièrement à Paris , la prome-
nade aux Tuileries.
(6.o )
Ce n'est pas là seulement que se restreint
la sphère des péchés; elle a embrassé jus-
qu'à nos vêtemens. C'est surtout des vête-
mens de femme que nos prêtres veulent bien
s'occuper. Je trouve dans notre histoire que,
non contens d'excommunier et d'exorciser
les nuées , et ensuite d'excommunier et
d'exorciser les sauterelles , ils se mirent à
excommunier une chaussure particulière ap-
pelée la poulaine. Dans la jeunesse de mes
parens, ils avaient anathématisé je ne sais
quelle parure de ruban appelée fonlange.
Dans ma jeunesse à moi, j'ai été témoin
drune grande fureur contre les chapeaux.
Aujourd'hui, dans nos montagnes, c'est un
vêtement ou ornement particulier, appelé
collerette, qui excite la frénésie.
Je dis expressément frénésie , car vous
allez voir, Monseigneur, que, dans cette ma-
tière, le parti prêtre et tout ce qui marche
sur sa ligne, ne se contente pas du droit de
législation, il croit devoir exercer aussi le
pouvoir exécutif. En attendant la damnation
éternelle , accompagnée de tout le menu
des diables et du feu dont il vous menace,
il se permet sur les personnes même
(6> )
des violences et des sévices inimaginables.
Par exemple : M. le curé ne se contente
pas d'anathématiser les collerettes dans sa
chaire; il en descend pour les déchirer de
sa main sur les personnes même qui les
portent ; il chasse ensuite ces personnes ,
avec toutes sortes de violences, de son église.
Il en est de même des bals et de la danse.
Le prêtre ne se contente pas de les anathé-
matiser dans ses sermons, il signale les per-
sonnes même. «J'avais défendu expressément
la danse, dit-il; cependant j'apprends que
plusieurs personnes et notamment made-
moiselle (il la nomme par son nom ) Fé-
licité a été hier au bal. Heureusement
pour elle, je ne l'aperçois pas dans cette
église; car je descendrais aussitôt de cette
chaire pour la chasser (il faut ajouter
ses propres termes) à coups de pied au cul. »
Cette demoiselle Félicité appartient à une
famille honorable que je connais ; elle avait
dansé en effet, conduite par son père, à un
bal donné par M. le maire.
Dans d'autres circonstances, ce sont les
mêmes violences; et elles vont quelquefois
plus loin. Dans une petite ville, où se trouve
( fca )
une grande exploitation de pierres, un homme
considérable, voulant encourager cette ex-
ploitation et la faire arriver à quelque chose
déplus important, envoie de Paris des mo-
dèles en plâtre. Cet envoi, qui a pour in-
convénient quelques nudités , est admis par-
tout, principalement en Italie. On n'a qu'à
entrer dans la sacristie de la cathédrale de
Sienne, on trouvera, servant d'antiphonier,
un groupe admirable des trois Grâces : ce
qui ne détourne en aucune manière de bons
chanoines que j'ai vus, leurs lunettes sur
le nez, occupés seulement de leur plain-
chant.
Dans des lieux où cet usage n'est pas fa-
milier, je ne dis pas qu'il ne puisse , de la
part d'une piété délicate, donner lieu à quel-
que crainte, et par-là même à quelque re-
montrance. Au moins alors , ce ne sera que
des remontrances. Que fait le prêtre du
lieu ? Il ameute quelques hommes et quelques
femmes dévotes , avec lesquels il renverse
et brise les modèles. Que fait-il dans un
autre endroit? Apprenant qu'on danse sur la
place publique, il accourt comme un furieux ,
et s^empare du violon qu'il met en pièces.
( 63 )
Je veux croire que ce n'est pas, comme on
le dit, sur la tète du ménétrier.
C'est le même homme qui , en dernier
lieu, s'est mis à souffleter dans son église des
femmes de mariniers. Un de ses voisins a
osé, dans l'église même, saisir à la gorge un
jeune homme qui s'est défendu à coups de
pied. Qu'on ne vous dise pas , Monseigneur,
que c'est dans un endroit seulement; c'est
ici, c'est là , c'est partout. A Paris même, il
est connu qu'une femme d'un rang distin-
gué, étant assise et ayant dans cette position
ses jambes croisées , un prêtre a osé venir à
elle, et mettre sa main sur ses genoux pour
les séparer.
Je vais, Monseigneur, terminer cette série
de faits : il le faut bien , car ce serait à n'en
pas finir. Que Votre Excellence ne regarde
pas ces faits comme des accidens particu-
liers d'étourderie , d'imprudence et de fai-
blesse : ils tiennent à un esprit oje domina-
tion , et par-là même à un vaste système.
Si ce n'étaient, comme dans d'autres cas que
j'ai mentionnés précédemment, que des fai-
blesses ou des imprudences passagères, les-
quelles, comme je l'ai dit, sont soigneuse-
(64)
ment surveillées, et, au besoin , sévèrement
réprimées par les supérieurs, je me com-
manderais sur ces choses le même silence
que je me suis prescrit sur cTautres. Mais,
d'un côté, comme ces faits (je parle toujours
des faits d'orgueil et de domination) sont,
au lieu d'être réprimés, au contraire favori-
sés , encouragés , et que ceux qui les com-
mettent sont généralement classés parmi les
bons prêtres ; d'un autre côté , comme dans
l'état actuel de notre législation, les tribunaux
sont souvent sans compétence ; comme en
ce genre le conseil d'Etat écarte tout par ses
délais, que l'administration amortit tout par
ses conflits , il importe que les faits de ce
genre, contre lesquels les résistances sont
en général décréditées , soient livrés à la
publicité.
On se plaint de la publicité que leur don-
nent les journaux. Il serait à désirer qu'il y
eût un journal particulier à cet égard, et
qu'il fût continuellement sous les yeux de
toutes les autorités ecclésiastiques et civiles.
Pourquoi craint-on la publicité ? parce qu'on
craint le scandale ; mais il n'y a évidemment
scandale, que parce qu'il y a infraction.
(65)
Après nous avoir ôté toute défense du côté
des lois, si vous nous ôtez encore toute
défense du côté de la publicité, que nous
restera-t-il? L'Esprit saint nous dit : « Il est
nécessaire qu'il y ait des scandales : Necesse
est ut eveniant scandala. Ces saintes paroles
n'ont jamais eu plus d'application.
Je n'ignore pas qu'il y a une classe nom-
breuse qui ne veut pas qu'on s'occupe des
prêtres. Pour ces personnes, comme la reli-
gion n'a aucune importance , les prêtres n'en
ont pas davantage. Ne rien blâmer de ce
qu'ils font, ne rien croire de ce qu'ils disent:
telle est leur doctrine. On connaît le fond
de cette doctrine; c'est de l'impiété pure.
Il s'agit de savoir si cela convient à des mil-
lions de chrétiens, vivant sous les lois de
l'Evangile, voulant suivre les préceptes qu'il
prescrit, mais ne voulant pas être conti-
nuellement à la merci de quelques étourdis
de prêtres, dirigés par une coterie fanatique,
dans un système ambitieux.
Au surplus , Votre Excellence veut- elle
connaître le ton de dérision et de mépris que
se permettent ces hommes envers de pauvres
malheureux chrétiens qui tombent dans leurs
5
( 66 )
mains? Qu'elle se donne la peine de lire la
eopie de la lettre suivante, dont la minute
originale est demeurée long-temps dans mes
mains.
« Mon cher ( le nom du cure' son con-
frère ) ,
» N'ayant pu, malgré ma bonne volonté,
me rendre à l'aimable invitation que tu me
fis d'aller à ta fête, à raison de sept malades
dont, grâce à Dieu, j'en ai expédié trois,
ne va pas t'imaginer que c'est sans peine,
car monsieur Riquet ( nom de son chien ) ,
qui brûle d'ardeur de t'offrir ses hommages,
n'a pas, il s'en manque bien, la peau aussi
dure qu'une des femmes que dix jours d^a-
gonie n'ont pas suffi pour conduire dans
mon jardin ( le cimetière ), où elle est bien,
pour mon profit et pour le sien , si elle est en
paradis. N'ayant donc, dis-je , pas eu le temps
d'aller te voir, etc., ete. w
Je dois ajouter , pour l'information de
Votre Excellence, que cette lettre n'est point,
comme elle pourrait le croire, de quelque
curé diffamé; elle est du curé le plus estimé
du diocèse et le plus honoré par son évêque.
(67 )
CHAPITRE VI.
PRINCIPES QUI ONT DETERMINE L ADMISSION DES JE-
SUITES EN FRANCE , CONTRE LES LOIS. EN QUOI
CONSISTE LE VERITARLE MINISTERE DES PRETRES ,
LEURS ENVAHISSEMENS ACTUELS PAR LES SENTIMENS
RELIGIEUX ET AVEC l'aIDE DE l' AUTORITE' CIVILE.
Vous pourrez trouver, Monseigneur, que
je me suis éloigné beaucoup de mon pre-
mier et principal sujet, en parcourant, comme
je Fai fait, toute la sphère des prétentions du
clergé. Je vous Pavais annoncé, les jésuites ,
dont j'aurais dû uniquement m'occuper, ne
sont malheureusement qu'un des fruits d'un
arbre qui a plusieurs fruits et plusieurs bran-
ches. Il m'a fallu alors parcourir toutes ces
branches, et traiter particulièrement de la
souche à laquelle elles appartiennent. Je me
suis trouvé ainsi, comme je vous en avais
prévenu , dans la même situation que le par-
lement de Provence , qui , croyant n'avoir à
traiter qu'une affaire particulière entre un
( ?8 )
négociant de Marseille et le père Lavallette,
fut amené à rechercher toutes les règles ,
toutes les institutions de Tordre de Saint-
Ignace.
La question actuelle, relative à la réinté-
gration illégale des jésuites, opérée par l'au-
torhé du parti prêtre ) s'embranche de même
avec l'ensemble des questions relatives aux
prétentions de ce parti. En effet, d'après
quel titre les jésuites , proscrits par nos lois,
ont-ils cru devoir se rétablir en dépit de nos
lois? Lorsqu'on dit, comme je l'ai entendu
quelquefois, que c'est en vertu de la Charte
et des droits de l'homme, c'est à pouffer de
rire. Sérieusement les jésuites n'en sont pas
là : corporation vouée au pape, ils se sont
rétablis par l'autorité du pape; leur titre est
la bulle de Pie VII, de 1814.
Cependant , ce n'est pas toujours peu de
chose dans un pays, que les lois; réintégrés
en France, en opposition aux lois, quelle est,
dans ce pays, l'autorité qui a pu se croire
assez puissante pour les y appeler, et qui a
ensuite été assez puissante pour les mainte-
nir? Corps privilégié, voué au pape, il est
assez simple qu'il ;>it trouve appui et protêts
(«9)
tion de la part d'un parti qui est connu pour
être éminemment voué au pape.
Le principe qui a déterminé contre les
lois l'admission des jésuites, est dès-lors par-
faitement connu : c'est parce que la décla-
ration de 1682 déplaît au pape, qu'elle est
repoussée; M. le cardinal de Clermont-Ton-
nerre ne s'en est pas caché.. C'est de même
parce que l'ordre des jésuites plaît au pape,
qu'il est appelé. La suite d'édits royaux et
d'arrêts des parlemens qui ont consacré la
déclaration de 1682, la suite d'édits royaux
et d'arrêts des parlemens qui ont proscrit
les jésuites, ne font rien à ce parti. « Am-
bassadeurs de Jésus- Christ ( pro Christo
legationefungimur), que nous importent,
disent-ils , toutes ces lois mondaines, toutes
ces lois humaines; nous avons l'épée de
Pierre, comme les rois ont l'épée de Cons-
tantin. Si on veut marier ces deux glaives
( gladium gladio copulemus ) , à la bonne
heure; nous irons plus facilement et plus
vite. C'est ce que nous avons souvent re-
montré aux rois ; ils doivent savoir qu'ils ont
été institués , non-seulement pour les intérêts
de laterre, mais bien plus encore ( pi'éecipùè)
( 7» )
pour les intérêts de V Eglise, S'ils ne veulent
pas associer les deux glaives ; celui de Pierre
nous suffira. Nous irons tout de même, sans
nous embarrasser ni des savans du conseil-
d'Etat , ni des savans du barreau et des cours
royales , pas même des savans delà Chambre
des pairs , tous gens qui sont sans cesse à op-
poser à nos lois divines les lois misérables
qu'ils ont faites. »
Ce système de suprématie et d'envahisse-
ment s'arrête-t-il là? Non, certes, il pénètre
tout le corps social, il en embrasse toutes les
parties, et toujours il s'étaie des dispositions
du droit divin.
Sans doute les apôtres ont été les ambas-
sadeurs de Jésus-Christ; ils ont pu dire : Pro
Christo légation e fungimur. Leur mission a
été de changer la face du monde idolâtre ;
ils ont changé par-là même la face du inonde
politique. L'erreur des ambassadeurs d'au-
jourd'hui est de se croire la même mission ;
mais nous connaissons leur lettre de créance.
Ils ne doivent point s'occuper à soulever des
sociétés, ils ne doivent pas même s'occuper,
comme quelques-uns le prétendent , à les
conserver : ils ne doivent point s'y mêler.
(7' )
Trois parties distinctes composent le mi-
nistère du prêtre : il est d'abord régulateur
du culte; en ce point seul son ministère
aurait une grande importance. Tant chez les
Hébreux que dans le paganisme, le sacer-
doce ancien s'occupe extrêmement des cé-
rémonies religieuses. Pourrait -il regarder
aujourd'hui comme une chose indifférente ,
d'avoir à offrir à Dieu , dans des modes et
selon des rites déterminés , les prières , les
vœux et les hommages des peuples?
Une seconde partie du ministère du prêtre
consiste à fixer et à régulariser la foi; inter-
prète particulier de cette grande chartre
chrétienne qu'on appelle l'Evangile; dépo-
sitaire, en outre, des traditions qui, d'âge
en âge, se sont conservées dans la succes-
sion des pontifes, c'est par l'unité de la foi
que se constitue entre les fidèles un point
d'accord et d'harmonie.
Ce point d'accord a été autrefois un grand
foyer de division ; pendant des siècles le
monde a été déchiré par une multitude de
subtilités théologiques. Aujourd'hui le chré-
tien reçoit avec respect, comme les ont reeus
ses pères, les dogmes de l'Eglise à laquelle
( 7* )
il appartient; c'est ce qui compose le lien
à? autorité, qu'a très-bien aperçu M. de La
Mennais. Pour cela même, le chrétien ne
veut ni les examiner ni les discuter : c'est ce
que le même M. de La Mennais a également
aperçu , et qu'il a taxé d'indifférence en ma-
tière de religion, indifférence, toutefois, qui
ne porte que sur le dogme , et qu'on com-
mence à apercevoir sous le règne même
de Louis XIV. Bossuet s'en plaignait; il
exhortait les prédicateurs de son temps,
non-seulement à établir la morale par le
dogme , mais encore à mettre le dogme
avant tout. Aujourd'hui tous ces grands dog-
mes d'hypostaseet de consubstantialité, trai-
tés si vivement et quelquefois si tumultueu-
sement aux divers conciles de INicée , de
Chalcedoineetd'Ephèse,n'occupentla pensée
de personne. Un grand apôtre disait à Jésus-
Christ lui-même : « Je crois, Seigneur; ai-
dez mon incrédulité : credo, Domine; adjuva
incredulitatem meam. Ces paroles sont re-
marquables : je crois, acte de respect et de
soumission ; aidez mon incrédulité, acte de
naïveté et de confiance. La croyance est en
effet difficile lorsqu'elle porte sur une mul-
( 73 )
titude de choses qu'on ne comprend pas el
qu'on ne sait pas.
Le troisième point du ministère du prêtre
consiste dans celte sainte médiation que j'ai no-
tée précédemment, et qui a pour objet deré-
concilierl'homme coupable avecDieuet avec
lui-même.
Si on y ajoute la cérémonie auguste du
baptême, par laquelle nous sommes pré-
sentés et voués à Dieu dès le premier mo-
ment de notre naissance ; si on y ajoute l'of-
fice de nous instruire, dans la jeunesse , des
devoirs et des mystères de la religion, et de
nous préparer ainsi à la première commu-
nion; si on y ajoute, au moment de la viri-
lité , l'office de bénir le mariage et de le con-
sacrer à Dieu, et au moment de notre mort
les cérémonies religieuses, qui précèdent et
qui accompagnent nos sépultures ; en vé-
rité le prêtre sera bien difficile si les divers
points de son ministère étant ainsi établis,
il ne sait pas s'en contenter. S'il dit après
cela qu'on l'entoure de haine et de mépris ,
qu'on veut faire de sa profession une classe
d'ilotes, destinée à une classe de victimes;
il sera injuste.
(74 )
Il est vrai que cette profession , circons-
crite ainsi , on veut l'y renfermer.
C'est ce qu'il ne veut pas absolument. Ce
qu'il veut, et il le veut à tout prix : c'est
mettre la société dans sa main. A cet effet il
médite deux sortes d'invasions; l'une par !a
conscience , l'autre par la puissance. D'un
côté, il cherche à entrer, par les sentimens
religieux , dans l'ame des fidèles et à s'en
emparer; d'un autre côté, il se saisit des
dépositaires de l'autorité civile , et il s'en sert
comme d'un canal pour transmettre et faire
adopter ses préceptes.
Je vais tracer la marche de ces deux plans.
Et d'abord, dans l'un et dans l'autre, comme
la vie chrétienne ordinaire , ainsi que l'office
que le prêtre y doit exercer, ne remplit pas
les vues du parti dirigeant; le premier prin-
cipe de conduite a été de compter pour rien
la simple vie chrétienne, ou du moins de la
jeter dans la vie dévote , à l'aide de ce qui
est appelé conseils évangéliques, et de di-
vers textes de l'Ecriture, plus ou moins mal
interprétés, tels que : Soyezparfaits comme
mon père céleste est parfait ; Que celui qui
est saint se sanctifie encore; Que celui qui
( ?5 )
est juste se justifie de nouveau. Ce n'est plus
la vie chrétienne, c'est la vie de'vote qui a
été imposée au monde.
Or cette vie dévote se compose de deux
manières; elle présente deux caractères diffé-
rens. Dans Tune, c'est un mouvement con-
tinu , envers Dieu , de respect, d'admiration,
d'amour; ce mouvement se trouve ordinai-
rement accompagné d'une noble confiance,
aussi éloignée de la présomption que.de la
crainte ; car la crainte , autre que celle qui
naît du respect et de l'humilité, ne peut s'ac-
corder avec l'amour. C'est ce qu'exprime
très-bien l'apôtre saint Jean, quand il dit :
Charitas foras raittit timorem. Dans l'autre ,
c'est un mouvement continu de terreur,
dans lequel la peur de Dieu, continuelle-
ment confondue avec la peur du diable ,
forme le spectacle le plus hideux et le plus
dégoûtant.
Sans s'embarrasser des conséquences et
des différences, ne songeant qu'à ce qui
pourra multiplier son intervention et le be-
soin de son ministère: voilà la vie chétienne,
chargée, contre sa nature, de tous les de-
voirs et de toutes les pratiques de la vie dé-
(?6)
vote ; voilà la morale , exagérée de même
dans toutes ses règles; voilà le mariage, le
commerce, le prêt à inte'rët, les danses, les
bals, les speetacles soumis à des investiga-
tions déplacées, quelquefois ridicules. Les
consciences ainsi tourmentées, tracassées, si
quelques âmes fortes échappent ou font de
la résistance , le troupeau cède et est en-
traîné.
Daijsle dix-septième siècle, Molière a fait
une fort bonne comédie, intitulée le Ma-
lade Imaginaire, Mais si, au lieu d'un indi-
vidu isolé qu'il met en scène, c'eût été une
nation entière; si, par un système combiné
habilement dans une coterie accréditée de
médecins, on parvenait un jour à s'emparer
de l'imagination du prince, des magistrats ,
de la société entière, de manière à ce que
tout le monde se crût en état de maladie; ne
voyez-vous pas quelle importance il en ré-
sulterait aussitôt , non-seulement pour tous
les médecins, mais encore pour toute la sé-
quelle affiliée des chirurgiens et des apothi-
caires? De même si, par l'effet d'un système
combiné avec habileté dans une coterie
prêtre , on parvient, à l'aide des prédications.
(77 )
des missions et des confessions, à persuader
aux princes , aux magistrats , a toute la
France, que personne ne peut être en état
de grâce; on sent l'importance qu'acquerra
aussitôt le parti prêtre. C'est à quoi il s'oc-
cupe en ce moment pour la France ; la rem-
plir de damnés imaginaires est sa pensée
favorite : c'est îa première partie de son sys-
tème d'invasion.
Son système d'invasion par les autorités
civiles ne laisse pas d'être également bien
combiné.
Au premier moment où il y a eu en France
une apparence de forme de gouvernement,
on a vu le parti prêtre s'efforcer d'entrer
dans l'administration ; sous Napoléon, plu-
sieurs évêques ont figuré dans le conseil-
d'Etat. A la restauration, la même ambition
a eu plus de succès.
Selon les informations que j'ai reçues , le
parti prêtre n'a eu, ni à Rome, ni à Paris,
aucun moment de repos, jusqu'à ce qu'il
ait vu un évêque au ministère. On allègue à
cet égard , soit du présent , soit du passé ,
des exemples qui n'ont aucune application.
On croit surtout que cette exclusion , sur
( 7»)
laquelle je parais insister, tient à un esprit
de haine. Pas le moins du monde ; il y a
même à cet égard des exceptions auxquelles
tout le monde applaudit.
J'ai déjà parle' d'un grand nombre de prê-
tres qui appartiennent aux écoles de l'Uni-
versité, et qui en général obtiennent les suf-
frages. Lorsqu'un torrent nous menace de
ses ravages , si le curé se met à la tête de sa
paroisse et parvient à le détourner, on l'ap-
plaudira. Quand nous serons attaqués par
l'étranger, s'il n'y a plus parmi nous de mi-
litaires capables de conduire nos armées ,
et qu'il se trouve un prêtre savant dans l'art
de la guerre, prenons ce prêtre. Lacédé-
mone, dans sa guerre de Messénie, prit un
poëte, et s'en trouva bien. Il en sera de
même des finances et de l'administration*
Remarquons cependant que , dans tous ces
cas, ce ne serait pas comme prêtres que ces
personnages seraient appelés; ce serait
comme habiles dans la profession particu-
lière pour laquelle on les emploierait.
L'ancien exemple de la France et de l'An-
gleterre, qu'on allègue dans cette occasion ,
ne s'applique en aucune manière à notre
( 79)
situation. Ce n'est pas comme prêtres que les
prieurs, les abbés et les évêques étaient ap-
pelés à l'armée, ou aux conseils de la na-
tion; c'est comme grands propriétaires ;
c'est comme détenteurs de fiefs , tenus à des
devoirs civils et militaires. Membres de la sou-
veraineté publique, il est assez simple qu'ils
participassent aux conseils de la souve-
raineté.
M. d'Hermopolis en voulant justifier, a la
tribune de la Chambre des députés, l'asso-
ciation de son caractère de prêtre à celui de
ministre du roi, a été hors de la question.
Son apologie, à cet égard, est tout-à-fait ex-
traordinaire.
« On dit que le ministre des affaires ecclé-
siastiques, étant ëvêque, apportera dans l'ins-
truction publique ses habitudes, et qu'il sera
prêtre avant tout. Eh bien ! tant mieux. Plus
il sera pénétré de la religion, plus il sera
fidèle par conscience à tous les devoirs qui
#îui sont imposés. Plus il sera prêtre, plus il
sera citoyen. Et ne faut-il pas que le mili-
taire soit militaire, et le magistrat, magis-
trat? Que penserait-on d'un capitaine s'il
ne mettait avant tout la discipline, la belle
( Bo)
tenue, la gloire des armes? » {Journal des ■
Débats. )
Voilà certes un beau raisonnement ! Oui
sans doute , il faut qu'un militaire soit mili-
taire. C'est pour cela qu'on ne lui fait pas
dire la messe et qu'on n'en fait pas un ma-
gistrat. Il faut de même qu'un magistrat soit
magistrat; et c'est pour «cela qu'on ne lui fait
pas commander l'exercice et pointer des piè-
ces de canon. Il faut qu'un prêtre soit prêtre
avant tout. C'est pour cela qu'il ne faut le
mettre en rien dans nos intérêts civils; car
on est sûr, dans ce cas, que ses intérêts pas-
seront avant tout, c'est-à-dire avant les nô-
tres. Nous savons, par les aveux de M. d'Her-
mopolis, qu'il y a dans le monde deux puis-
sances rivales et souvent en conflit : la
puissance spirituelle et la puissance tempo-
relle.En mettant dans nos affaires temporelles
un homme delà puissance spirituelle, lequel
nous de'clare qu'il est prêtre avant tout, on
doit s'attendre que la puissance spirituelle,
sera mise avant tout.
Pour nous rassurer, M. d'Hermopolis nous
apprend que le serment qu'il a prêté, est
ainsi conçu :
t,8« )
« Je jure fidélité au SaînC-Siége apostoli-
que ; niais en tant qu'elle ne déroge en rien
à la fidélité à mon prince et à ses succes-
seurs légitimes. »
(Test bien; mais quand ces deux fidélités
viendront à se trouver en contact, peut-être
en conflit, on peut deviner de quel côte' se
rangera celui qui est prêtre avant tout.
En même temps que le parti prêtre se
place autant qu'il peut dans les sommités de
l'Etat , s'il abandonne à la tourbe le reste des
offices subalternes, il ne faut pas croire qui!
en abandonne de même Finfluence. La ma-
nœuvre consiste à faire élever à toutes les
places importantes, non précisément des prê-
tres, mais leurs dévoués sous le nom de
dévots, c'est-à-dire sous un habit laïque des
hommes qui sont prêtres avant t'ont. Au
moyen d'une confédération intérieure, or-
ganisée avec habileté sous le nom de Congré-
gation, on parvient facilement à s'emparer
de tous les emplois. De cette manière, on ne
se contente pas d'avoir ostensiblement, comme
à la Chambre des pairs, au conseil-d'Etat ,
au ministère, des prêtres en habit de prêtre;
on a, sous un habit laïque, des prêtres qui
6
( a* )
occupent les emplois aux postes , à la police ,
aux diverses places de Parmée et dePadmi-
nistration : la soutane a soin de se cacher;
mais, sous la robe ou sous Phabit brode', on
peut encore Papercevoir.
Tout occupe' de son système de domina-
tion, le parti prêtre se garde bien de le lais-
ser à découvert. Ce serait le compromettre.
Quelles que soient les admonitions de M. le
cardinal de Croï , Paumonier d^n régiment
se gardera bien d1aller, à Pexercice, com-
mander tout haut le chapelet, Yangelus et
la prière; mais si, à force de soins et de
captation, il a pu s^emparer du. colonel et
remporter dans la vie dévote, les soldats se
trouveront bientôt recevoir par la bouche
du colonel, les ordres quY aura infuses le
prêtre. Bichat prenait le sang d^un pauvre
animal, qu'il transfusait dans un autre animal,
et qui circulait ensuite à merveille. Le sys-
tème est d1injecter de même , dans les artères
des diverses autorités civiles et militaires, Pes-
prit du prèlre. Cache ainsi, mais toujours di-
rigé dans son sens , on le voit ressortir ensuite
de mille manières, tantôt en lois sur le sa-
crilège , sur la police de la presse, sur la
( 83 )
censure; tantôt sous la forme de telle autre
prescription : ce qui n'empêche pas, dans, la
chaire, les menaces éclatantes des foudres
du ciel et des feux de l'enfer, et dans Pinte-
rieur des familles, les petites intrigues et les
suggestions privées.
Je pense, Monseigneur, avoir mis suffi-
samment en évidence ce plan et son objet. Il
ne me reste qu'à examiner comment finale-
ment la religion, le Roi et la société' pourront
s'en accommoder.
C'est ce que je vais rechercher dans une
seconde partie.
K
6
SECONDE PARTIE.
CONSÉQUENCES DE CET ÉTAT DE CHOSES.
QU'EST-CE QUE L'OPINION PUBLIQUE?
J\i dû, Monseigneur, vous exposer avant
tout le tableau de notre situation présente.
Votre Excellence a pu apprécier la lèpre qui
est entrée dans nos choses religieuses ; elle
ne se sera pas seulement arrêtée aux pointes
de cette gangrène qui se montrent en de-
hors, elle les aura aperçues en dedans. Je
vais actuellement lui exposer les consé-
quences qui s'attachent à cette situation.
Comme il est évident que la religion ,1e
Roi , la société sont également menacés, il
me sera indispensable de me porter succès-
( 86 )
sivement dans ces trois points de vue. Je
pourrai encore , si Voire Excellence veut bien
mêle permettre, examiner ce qui peut ré-
sulter pour elle-même d'une semblable si-
tuation.
Je commencerai par traiter ce qui con-
cerne l'opinion. Ce mot pouvant présenter
quelque chose de vague, je m'attacherai à en
fixer le sens.
L'empire de l'opinion embrasse à la fois
les individus, les magistrats, le gouverne-
ment ; son action alors s'étend sur des sphères
différentes.
A l'égard des individus, à moins qu'ils
n'aient une extrême importance, le cercle de
cette action est ordinairement rétréci. Il est
plus étendu à l'égard des magistrats; à l'é-
gard du gouvernement, il comprend la na-
tion entière.
Envers les individus, l'opinion se compose
de l'estime dont on honore généralement la
fidélité aux mouvemens de la conscience
et aux règles communes de délicatesse et
d'honneur.
Envers les magistrats, l'opinion se compose
de l'estime qu'on est dans le cas de leur por-
(«7 )
ter en raison de leur fidélité supposée aux
devoirs de leurs fonctions, et dans Inapplica-
tion des règles de l'équité.
Envers le gouvernement, l'opinion se com-
pose de lYstime qu'on peut lui accorder, à
raison de sa fidélité aux lois et aux institutions
publiques.
Si un individu est supposé manquer aux
mouvemens de sa conscience ainsi qu'aux
sentimens d'honneur; si des magistrats sont
supposés prtrvariquer dans l'exercice de leurs
fonctions, et dans l'application des règles de
l'équité; si le gouvernement, au lieu de pro-
téger les lois et les institutions, est supposé
lutter contre elles, et chercher à les ruiner
ou aies affaiblir; il y aura dans tous ces cas,
selon les degrés divers , perte ou affaiblisse-
ment de l'estime publique.
Relativement aux individus et aux ma^is-
trats , on ne saurait dire que cet éioignement
de l'opinion ou de l'estime publique soit sans
importance; relativement à un gouvernement,
cette importance est beaucoup plus grande;
car, un gouvernement se trouvant alors dé-
moralisé, il ne lui reste plus désormais que
la force. Celle-ci pouvant se démoraliser à
( SB ),
son tour, \es peuples peuvent tomber dans
les commotions et dans la révolte.
Un gouvernement qu'on méprise se flatte
quelquefois qu'il pourra continuer à exister
avec le mépris. S'il n'avait rien à commander,
et si, en commandant, il n'avait pas à faire
usage delà force, ce serait possible. Mais, au
moment où, à l'impéritiequi excite le mépris,
se joint le développement de la force qui
excite la haine, il se produit bien vite, à côté
du dégoût général , une irritation générale
qui pourra devenir dangereuse. •
Pour ceux qui sont convaincus que le
gouvernement a perdu l'estime publique, il
me sera facile de prouver, par sa conduite ,
comment il l'a perdue.
Pour ceux qui croient qu'il lui reste en-
core en France quelque estime, il me sera
facile d'établir comment il va la perdre.
Dans les affaires particulières , si je le mon-
tre violant ouvertement les règles et les lois ;
si, dans une sphère plus étendue, je le mon-
tre portant atteinte à nos institutions; enfin,
lorsqu'il viole en même temps les institu-
tions et les lois, et que par-là il provoque
l'irritation générale, si je le montre se corn-
( »!) )
binant avec les ennemis connus de nus insti-
tutions, et formant avec eux une sorte de
ligue offensive ; j'aurai rempli Tobjet de ce
Mémoire. La France, que Votre Excellence
n'a vue probablement depuis long-temps
que par des yeux prévenus ou intéresses à la
tromper, elle la verra dès-lors telle qu'elle
est; elle verra aussi les orages qui, de toutes
parts, sont prêts à éclater.
(9o )
CHAPITRE PREMIER.
CAUSE ET INDICE DE NOS MAUX. MANOEUVRE-» DES
JESUITES. CONSEQUENCES QUI EN RESULTENT POUR
LE CHEF DE L'ÉTAT.
En présentant le tableau des orages qui
nous menacent , il me sera indispensable ,
Monseigneur, de remettre de nouveau les
jésuites en scène; car, dans ma pensée, ils
sont tout à la fois cause et indice des maux :
cause , en ce qu'ils sont la source de beau-
coup de desordres , et qu'ils en font craindre
de nouveaux; indice, en ce que leur exis-
tence vicieuse atteste la source empoisonnée
à laquelle ils appartiennent.
A cet égard, deux motifs me dirigent;
Tun part du sentiment profond que j'ai du v îce
(Tune telle institution; l'autre de l'atteinte que
leur existence porte à une partie de nos lois
(y )
existantes: atteinte qui menace par-là même
toutes nos lois.
Et d'abord , si la France se trouvait dans
une position semblable à celle de divers
États, tels que la Russie, la Prusse, l'Amérique
septentrionale, lesquels ont admis les jésuites
et les admettent encore; je concevrais moins
d'alarmes. Ces gouvernemens et leurs peu-
ples ont, dans leurs religions particulières,
ainsi que dans leurs constitutions, des garan-
ties convenables. La France n'en a aucune ;
au contraire , elle a lieu de craindre que , par
certaines captations , sa religion et son gou-
vernement égarés ne soient disposés à la sa-
crifier plutôt qu'à la défendre.
C'est l'impression que fait généralement
l'ensemble de sa conduite. A ce sujet , je me
contenterai d'une simple question.
Que dirait un pays catholique qui verrait,
par l'effet de ligues et de manœuvres se-
crètes, son gouvernement se montrer pro-
testant, et donner toutes les fonctions pu-
bliques à des protestans? Que dirait un pays
protestant si , par l'effet de semblables ma-
nœuvres , il voyait son gouvernement deve-
nir catholique , et donner toutes les places à
( 9a )
des catholiques? Que peut dire la France
d'aujourd'hui , anti-ultramontaine et anti-
jésuite , lorsqu'elle voit son gouvernement
et toutes les places influentes de l'instruction
et de l'administration tombant dans les
mains des je'suites, ou du moins de leurs
partisans?
Je parle des places de l'instruction et de
l'administration ; je n'en dis pas assez. Il faut
y ajouter les places de la magistrature les
plus subalternes , les offices de notaires et
d'avoués, les places même de l'armée, avec
une suite et une persistance dont j'ai vu les
commencemens et dont j'ai suivi les pro-
grès. C'est un fait que tous les corps , tant ci-
vils que militaires, ont été garnis autant
qu'on a pu ( en leur donnant une robe
laïque) de jésuites, de missionnaires, de tous
les satellites du parti prêtre.
Cette manœuvre, qui, même dans un gou-
vernement depuis long-temps établi , serait
une source continuelle d'inquiétude, com-
ment n'en causera- 1— elle pas plus dans u»
gouvernement constitutionnel qui ne compte
que quelques années?
Sur ce point, les pubiieistes , qui ont traite
(93 )
du droit des nations, ont été tous d'avis que
les Etats de cette classe avaient de grandes
précautions à prendre. Grotius cite en con-
firmation de sa décision ces paroles de Di-
don, quand au premier moment elle re-
pousse les Troyens fugitifs :
Res dura et regni novitas me talia cogunt
Moliri et late fines custode tuerl.
Ainsi donc, quand même l'institution des
jésuites ne serait pas aussi essentiellement
vicieuse quelle me le paraît, son double ca-
ractère ultramonlain et tendant au despo-
tisme pourrait seul, dans une nation nouvelle
encore dans les voies de la liberté , tourner
contre elle tous les esprits.
Ce n'est là qu'une partie de nos craintes.
Au milieu d'une nation anti-jésuitique et
anti-ultramontaine, opposée par-là même
au pouvoir absolu du Roi comme au pou-
voir absolu du pape , s'il se trouve un parti
prêtre fortement appuyé , et tellement en-
gagé dans son dévouement aux , jésuites
et au pape, que malgré l'assentiment gé-
néral qui l'empêche de se déclarer ouver-
tement, il ne veut se départir, ni de ses
desseins connus r ni de ses manœuvres se-
(94)
crêtes ; si à l'aide de ce parti il s'est élevé
un gouvernement qui, en face des lois qui
la proscrivent, des magistrats qui la condam-
nent, de la haute Cour du royaume qui l'ac-
cuse , s'obstine à soutenir de sa protection
une corporation vicieuse , je demande à
Votre Excellence quel jugement on peut
porter d'une telle conduite ? Singulière con-
tre-partie de ce qu'on voit quelquefois dans
l'histoire des troubles publics , où , sous un
gouvernement juste , une nation se permet
d'enfreindre ses lois! Ici c'est la nation qui
est fidèle, le gouvernement séditieux.
J'ai prouvé, dans ma première partie, que,
par l'introduction des jésuites, il y avait , et
de la part de ceux qui les ont appelés , et de
la part des autorités qui les maintiennent,
une véritable révolte contre les lois. Il me
reste à examiner si un tel scandale peut se
supporter.
Ce scandale peut être rapporté à deux
principes. Le premier se trouve dans l'hor-
reur qui s'attache naturellement à cette ins-
titution. Que penser d'une corporation qui
compose , au sein des Etats , une milice par-
ticulière, laquelle, en affectant de professer
( 95 )
la soumission aux lois du pays, met avant
tout son dévouement à un chef étranger :
dévouement tel que, depuis le fameux prince
des assassins, on nVn connaît pas de pareil
sur la terre; une corporation accusée dans le
inonde entier, soit envers les rois , soit en-
vers les peuples, et dont le nom est devenu
depuis long-temps synonyme de beaucoup
de vices !
Certes on ne peut contester qu'une telle
impression existe. On l'appellera, si on veut,
prévention; on conviendra au moins qu'elle
n'a rien de commun avec ces préventions
qu'on dit provenant des préjugés ou des pas-
sions ; elle est appuyée par ce qu'il y a de
plus respectable parmi les hommes, l'autorité
des magistrats et celle de la chose jugée.
Sous un régime absolu , les parlemens
avaient signalé les jésuites comme une cor-
poration odieuse.. Sous le régime présent,
la Cour royale de Paris la signale de même.
Quand le peuple, dans ses plaintes, ne fait
que répéter la voix de ses magistrats , et que
cette voix est encore appuyée par celle des
temps passés, en vérité est-il convenable de
se heurter contre de telles autorités?
(9«)
Le scandale que je mentionne s'aggrave,
dans ce cas , d'un spectacle qui forme comme
un autre scandale : c'est celui des magistrats
méprises , et la démoralisation qui en re'sulte
chez tout un peuple.
Partout et toujours, ce qui plaît à une na-
tion et ce qui la fortifie dans les bonnes
mœurs, c'est le spectacle du respect porte
à Tordre légal. Au lieu d'être heureuse et
tranquille , toujours une nation sera troublée
lorsque Tordre légal y paraîtra bouleversé.
Dans ce cas, on ne croit blesser que Tintérèt
de quelques-uns; mais cet intérêt de quel-
ques-uns étant en sympathie avec les intérêts
de tous , tous se lèvent au même moment
pour le défendre. Rétablissez demain les
ordres arbitraires, la Bastille, les lettres de
cachet; on sait bien que vous n'irez pas em-
prisonner à la fois les trente, millions d'indi-
vidus qui composent la population de la
France. Dans ce cas, le coup qui parait ne
frapper qu'un seul les atteint tous.
Dans la question des jésuites, on peut
croire que ce ne sont pas individuellement
toutes les lois du royaume qui seront violées
pendant quelque temps; la loi des élections
(97 )
pourra demeurer intacte; Ja plus grande
partie des lois civiles semblera ne recevoir
aucune atteinte. Il en sera de même de
nos lois criminelles et politiques. Dans le
fait, toutes seront frappées , toutes seront
ébranlées. C'est ce qu'a très-bien reconnu
la commission de la Chambre des pairs,
lorsqu'elle a prononce par l'organe de M. le
comte Portalis : que V existence défait d'un
établissement contraire aux lois ne doit pas
être possible.
Il ne faut pas dire, comme je l'ai entendu
quelquefois : La loi qiCon mole , est-elle donc
si respectable? J'ai entendu dire aussi à
Versailles : Le sang qui coule, est-il donc si
pur?
Ce sang, prétendu impur, qui a coulé sur
la terre , en a bientôt appelé d'autre , celui
même du malheureux jeune homme qui
avait eu cette pensée. Oui, telle qu'elle puisse
être , la loi qu'on viole est respectable tant
qu'elle est classée dans le corps des lois. En-
trer de violence dans ce sanctuaire pour en
arracher à sa volonté telle ou telle loi, en
l'anéantissant par le fait, lorsqu'elle subsiste
par.le droit , c'est , comme l'a dit M. de Neu-
(9«)
ville, marcher à la lin de toutes choses; c'est
lomber dans le chaos,
La loi qu'on viole, est-elle donc si respec-
table ? Eh bien ! ce peut être une mauvaise
loi. Vous avez alors des moyens légaux de la
reformer. Comment! vous avez supprimé les
lettres de cachet, les prisons d'Etat, c'est-à-
dire l'arbitraire envers les personnes; et vous
le remplaceriez par l'arbitraire envers les
lois ! La Bastille a disparu pour les citoyens;
elle se retrouverait pour les lois ! Sous le rè-
gne du despotisme, il n'est aucune maxime
que nos souverains se soient plu aussi sou-
vent à proclamer que celle de régner avec
les lois et par les lois ; et vous , Monseigneur,
ministre sous l'empire de la Charte et des
libertés, vous croiriez pouvoir disposer des
lois à votre volonté!
La loi violée est, selon moi, d'une très-
grande importance ; mais fût-elle la plus
minime des lois , elle serait encore défendue
par tout le corps des lois. Dans l'ordre des
propriétés , un œuf est une chose minime ;
mais les nations ont très-bien établi , dans
leurs proverbes, que celui qui dérobe une
petite propriété en dérobera bientôt une
(99)
plus grande. Ce qui a été dit à regard des dé-
lits a été dit à regard des crimes : Quelque crime
toujours précède un plus grand crime. Il en
est de même de l'homme qui , en un point,
viole la vérité : Mendax in uno1 mendax in
omnibus. Ce qui fait aujourd'hui la sécurité
publique , c'est que, dans aucune partie de la
France, un citoyen ne peut être privé de sa
fortune et de sa vie. Au moment où, sous
quelque prétexte, la violence remplace la
justice, la sécurité ôtée à un seul efface la
sécurité de tous.
D'après ces considérations , Votre Excel-
lence ne sera pas étonnée de la commotion
qui s'est faite depuis quelque temps dans les
esprits. « Chose étrange ! nous dit M. Frays-
sinous , on veut que le clergé soit calme , en
paix avec tout le monde ! »
Cette tirade peut être fort belle, mais très-
certainement elle n'est pas juste : je la lui
renverrai tout entière, à lui et aux siens,
en substituant, dans toutes ses parties, le
mot peuple au mot clergé.
Chose étrange! on veut que le peuple soit
calme, en paix avec tout le monde, tou-
jours mesuré dans sa conduite comme dans
7
( ioo )
ses discours : rien de mieux , c'est son de-
voir; mais d'un autre côté, qu'a-t-on fait?
Précise'ment tout ce qu'il fallait faire pour
désoler sa patience , pour l'indisposer et l'ai-
grir, s'il était possible.
Je n'ai encore accusé que la négligence du
gouvernement à l'égard des jésuites et du
parti prêtre ; c'est déjà trop que son rôle
passif. Il me reste à montrer, par des exem-
ples , ce que sa participation active ajoute de
scandale à sa complicité secrète, et com-
ment , sous ce second point de vue , il froisse
de nouveau l'opinion.
CHAPITRE IL
M. THARIN — EDUCATION DE SON ALTESSE ROYALE
monseigneur le duc de bordeaux. — plan que
suivrait l'auteur du present ecrit , s'il avait
l'honneur d'être le précepteur de monseigneur.
M. le comte de Neuville se contente , dans
un de ses discours , d'accuser la minorité du
clergé; il parle de quelques légers écarts
d'une jeunesse indisciplinée : en cela même,
comme je l'ai déjà remarqué , le clergé n'est
nullement justifié.
Au milieu des scandales du temps, celui
qui se présente le premier en scène se trouve
un cardinal. Lorsque ce cardinal, repris une
fois pour une lettre pastorale adressée à son
diocèse , est repris une seconde fois pour une
démarche doublement insultante à nos lois
et. à l'autorité du Roi , que fait alors le gou-
vernement? Mettant à part, comme insigni-
( I02 )
fiantes , les décisions du conseil d'Etat et
celles de la magistrature, non-seulement il
conseille au Roi de ne tenir compte d^aucun
de ces délits , mais encore de les couvrir de
ses faveurs ; et aussitôt , au sacre et après le
sacre, le délinquant est comblé de grâces. De
même de M. l'archevêque de Rouen, après
un mandement incendiaire , que le soulève-
ment de la rumeur publique l'a forcé de re-
tirer; de même de tous ceux qui, par leur
dévouement aux congrégations des jésuites
et aux opinions ultramontaines , se montrent
les ennemis ardens de nos opinions , de nos
institutions , de nos lois. Le gouvernement
semble leur dire : Venue ad me omnes ; à
eux, à eux seuls , toutes les faveurs et toutes
les places.
Parmi les dangers que l'opinion avait le
plus à redouter en ce genre, c'était de voir
l'héritier présomptif de la couronne, un
jeune enfant, appelé à si juste titre l'enfant
du miracle, et de toute manière l'amour et
l'espérance de la France , livré à des hommes
dont les doctrines funestes ne pouvaient que
faire présager une éducation funeste.
Votre Excellence peut s'apercevoir que
( »>3 )
j'ai «ci en vue M. Iliarin, Toute la France a
été frappée d'abord du choix qui a été fait de
ce prélat; elle Ta été ensuite de son éloigne-
ment momentané.
Il a couru beaucoup de bruits sur les eau
ses de cet éloignement. Que ces bruits soient
un roman ou une fable, peu m'importe; je
ue m'occuperai que du caractère connu de
cet homme que j'honore, et à qui je souhai-
terais, pour lui comme pour nous (je parle
ici franchement ), une tout autre vocation.
Cet ensemble de circonstances me parait
très-grave ; je demande à Votre Excellence
un moment d'attention.
Et d'abord , j'entends dire que M. Tharin
n'est pas seulement un dévot, mais un saint ;
il regarde les biens de la terre comme rien ;
les palais et les empires, tout cela est à ses
yeux comme des ombres et de la poussière :
c'est à merveille. Tout entier au salut de son
élève , qu'il veuille l'éloigner des vains spec-
tacles du monde (spectacles que l'Eglise a ré-
prouvés certainement, puisqu'elle a réprouvé
la profession qui leur appartient j, qui pour-
rait blâmer M. Tharin? Dans le doute même
qu'il persiste à les lui interdire, je ne puis
( io4 )
encore que l'approuver"; car, suivant lui?
comme suivant moi, il n'est permis à un
prince , pas plus qu'à un autre , de se hasar-
der au cloute d'offenser Dieu.
Sur tous ces points, je ne puis qu'accor-
der à M. Tharin mon admiration et mon
respect ; je sens tout-à-fait en moi ce qui se
passe en lui. Certes je n'ai point de palais, je
n'ai point de couronne ; mon empire, à moi ,
c'est quelques mauvais arpens de terre; mes
ministres , quelques pauvres valets ; mes su-
jets, quelques misérables troupeaux; mais
eussé-je tous les empires de la terre, je me
dirais encore, comme M. Tharin, que ces
empires sont une vaine poussière; je me di-
rais qu'au-dessus de cette petite terre, qui
tourne sur elle-même, et qui me fait tour-
ner comme elle, il est un autre empire, une
autre demeure , une autre destinée ; je me
dirais que ces spectacles, qu'une partie de
la France chérit et qu'une autre partie ré-
prouve, sont, ainsi que toutes les pompes du
monde , bien peu de chose ; et alors , si d'un
côté je vois par ce motif cet homme saint ,
cet homme de la pénitence et de la prière ,
repoussé par les hommes de la cour, par les
( io5 )
hommes du monde; s'il n'obtient pas par-
tout, comme il le mérite, l'estime et le res-
pect, il l'obtiendra au moins de moi; il aura,
tant que je vivrai, ma bénédiction et mes
vœux ; il les aura encore plus particulière-
ment à ma dernière heure. Puisse un tel
homme être le compagnon de mes derniers
momens , le protecteur de ma faiblesse , et
soutenir de toute sa force mes pas tremblans
vers une autre vie !
Voilà ma pensée sur M. Tharin. Actuelle-
ment, fallait-il appeler cet homme à la cour?
Fallait-il lui confier l'éducation de l'héritier
de la couronne. Je dirai franchement, non.
C'est que i'éducation des rois doit être faite ,
non pour eux, mais pour leurs peuples. Ce
que doivent apprendre avant tout les rois
du monde, ce sont les choses du monde; ce
qu'ils doivent apprendre encore, c'est en tout
la loyauté et la vérité ; et alors faudra-t-il ,
comme on a voulu le persuader à M. Tharin ,
faire marcher du même pas, dans l'éducation
d'un jeune prince, les souillures du siècle et
les saintetés d'une autre vie ? Par une hypo-
crisie en sens inverse , et par-là encore plus
abominable, faudra-t-il qu'il fasse commettre
( tri )
à son élève ( et cela pour plaire au monde )
des actions que sa conscience reprouvera ;
qu'il le fasse assister, par exemple, à des
spectacles que sa piété, en secret, anathé-
matisera ? Il faut laisser de telles duplicités à
ces hommes qui , quel qu'affublés qu'ils soient
de dignités religieuses, n'en sont pas moins
des enfans du mensonge. L'Esprit saint m'ap-
prend le nom du père du mensonge; il s'ap-
pelle Satan.
Monseigneur, tout cela est manifestement
dans le faux; venons au vrai. Malgré tous
mes démérites, je suppose que je sois un
jour pour quelque chose dans la conduite
du jeune et auguste prince dont on a jugé à
propos de confier l'éducation à M. Tharin ;
certainement je ne lui dirai pas de fuir les
spectacles, ni de suivre, à d'autres égards,
les préceptes sévères de ce pieux prélat ; je
l'en éloignerai , au contraire , tout-à-fait.
Prince de la terre, je relèverai tout-à-fait
pour la terre , car c'est là , comme roi, la vo-
cation qui lui a été faite; et cependant je ne
laisserai pas , dans toutes les occasions op-
portunes, de lui rappeler qu'un roi, comme
tout autre homme, n'a pas été fait seulement
( io7 )'
pour les choses d'ici-bas. Il y a un jour de
Tannée où l'Eglise, jetant de la cendre sur
la tête des rois , leur rappelle que comme
nous tous ils sont poussière, et qu'ils retour-
neront en poussière; je m'attacherai à faire
retentir dans le cœur de mon élève ces graves
paroles; et alors, si M. Tharin est quelque
part près de nous, je le mènerai à son ermi-
tage ( car c'est surtout un ermitage qui con-
vient à M. Tharin) : ce brave homme ne dé-
daignera sûrement pas nos louanges , et il
nous accordera aussi sa bénédiction et ses
prières.
Ce n'est pas assez. Si la Providence a com-
posé tous les hommes pour la vie chrétienne,
elle n'a pas oublié que quelques âmes privi-
légiées pouvaient être susceptibles d'une vo-
cation plus élevée; elle a composé à cet
effet la vie dévote. Encore qu'un prince soit
en général appelé plus particulièrement à
la vie chrétienne, il n'est pas dit qu'il doive
être privé pour cela des avantages d'une vie
plus parfaite; et alors, si le jeune prince con-
fié à mes soins vient à sentir en lui les mou-
vemens d'une vocation plus haute, si les sen-
timens pieux conviennent à son ame, de
( io8
manière à pouvoir la saisir tout entière et à
s'en emparer , je- lui dirai , certes , d'y faire
attention ; je lui dirai que les élévations en
ce genre sont suivies quelquefois de grandes
chutes : mais enfin, après s'être éprouve'
long-temps , après s'être assuré que sa ré-
solution n'est l'effet ni d'une simple chaleur
de l'âge ni d'une vaine présomption, je ne
combattrai en aucune manière sa résolution;
seulement. , lorsqu'il embrassera la vie dévote,
je lui dirai que ce ne doit être ni avec ca-
choterie ni avec mystère , mais hautement et
avec franchise. Qu'il n'affecte pas alors , je
le lui demande en grâce , une fausse monda-
nité qui ne sera pas dans son cœur; qu'il se
permette encore moins, avec fanfaronnade,
des infractions que sa conscience réprouvera.
J'aurai encore quelque chose de plus im-
portant à lui recommander.
Enivré des choses du ciel, qu'il n'aille pas,
comme on le fait aujourd'hui, confier les
choses du monde à des hommes qui, comme
lui, seront des hommes du ciel. Qu'il n'aille
pas, comme on vient de le faire récemment,
chercher au milieu des reliques et àcsAgnus
Dci, des professeurs de science mondaine.
( I09 )
Je désire que partout el dans toutes les pro-
. fessions, il cherche, pour les faire fleurir, les
hommes savans de ces professions.
Comme les exemples ont toujours une
grande action , je me plairai à lui citer celui
du maire d'une grande ville dans laquelle
j'ai beaucoup de rapports. Ce maire dune de
ces anciennes familles citadines où depuis
des siècles l'honneur est héréditaire, pouvait
croire que la piété' réprouve le spectacle ;
une place brillante a beau lui être assignée
comme maire, ni lui, ni personne de sa fa-
mille ne l'occupe; et cependant jamais les
soins des spectacles de cette ville n'ont été
aussi bien entendus que sous son adminis-
tration , ni aussi bien dirigés. D'une cons-
cience délicate pour lui-même, cette déli-
catesse ne s'applique point à ses administrés.
Il sait qu'il a à gouverner sa cité, non dans
ses vues particulières, mais dans les vues et
selon les habitudes de ses administrés.
D'après cet exemple je dirai à mon jeune
élève : Monseigneur, vous serez roi un jour,
mais d'avance pensez que vous n'aurez point
à gouverner votre peuple selon votre goût
te vos opinions privées , mais selon les opi-
( no )
nions et les goûts établis dans votre nation.
Vous ne serez pas seulement le roi de quel-
ques prêtres, de quelques dévots, de quel-
ques saints, vous ne le serez pas même seu-
lement de plusieurs millions de catholiques,
mais encore d'un grand nombre de commu-
nions dissidentes. Vous, serez roi aussi d'un
grand nombre de pécheurs comme moi , à
qui Dieu a accordé la liberté du bien et du
mal ; liberté que vous n'avez le droit de
restreindre en aucune manière , excepté
dans les points qui intéressent Tordre établi,
et selon les lois que cet ordre a établies.
Ce ne sont pas les seuls dangers contre
lesquels j'aurai à prémunir mon auguste
élève ; et d'abord ce sera relativement à lui-
même, à raison de la pente attachée à notre
nature , de vouloir faire faire aux autres ce
qui nous plaît, parce que cela nous plaît. ^
Si l'on est heureux d'être appelé à la vie
. dévote, c'est lorsqu'on cède à celte impul-
sion franche de la conscience qu'on peut
regarder en quelque sorte comme la voix
de Dieu; mais y être entraîné, je ne dirai
pas seulement par le désir déplaire au prince
(ce qui est une hypocrisie abominable),
( Ol )
mais par un système de petites manies, de
petites ruses de prêtre, véritables et hon-
teuses supercheries : ce système est bientô!
mis à découvert. Il décrédite au même mo-
ment, et le prince qui le favorise , et le prêtre
qui Pemploie.
A cet égard , deux ccueils sont encore à
craindre : ils se composent de deux maximes
éminemment fausses et qui néanmoins lui
seront continuellement proposées.
La première est tirée des paroles d'un
saint pape qui a prétendu que les rois, sur
la terre, devaient être occupés beaucoup
moins des choses de la terre que des inté-
rêts de FEglise.
La seconde est celle d\in roi qui décla-
rait ne pouvoir rien refuser à un homme qui
disposait en sa faveur des choses du ciel \
Ces maximes ont eu beau être prônées
par Bossuet qui avait ses raisons pour les
présenter à rassemblée de 1682; elles n'en
sont pas moins fausses de tout point. De
Fune il s^ensuivrait , qu'au lieu d^n roi de
France, nous n'aurions plus qu'un roi de
* Nihil negare possum oui per Deum omnia debeo .
( lis )
prêtres; de toutes deux, qu'un roi qui serait,
d'un côte despote absolu pour ses peuples,
en cela objet de haine, et qui serait en même
temps esclave absolu de ses prêtres, en cela
objet de mépris , serait un modèle de per-
fection. Je dirai sans cesse à mon auguste
élève , soit qu'il se contente de la vie chré-
tienne, soit qu'il ait embrassé la vie dévote,
que la perfection n'est pas là et qu'elle est
loin de là.
Tels sont, Monseigneur, j'ose le dire, les
principes avoués par la véritable politique,
ainsi que par la religion : principes qui sont
tellement admis en France que je ne crois
pas que personne ose les contester ouverte-
ment. Lorsqu'en dépit de ces principes , on
appelle à l'éducation du prince qui doit avoir
un jour tant d'influence sur le sort de la
France, non un homme du monde , ou un
homme de la simple vie chrétienne , mais
un homme de la vie dévote , et qui de plus
nous a prévenu dans ses mandemens qu'il
était particulièrement voué aux jésuites et
au pape ; comment ne voit-on pas qu'on
soulève contre soi toute la raison du pays ;
qu'en raison des dangers qui la menacent ,
( «'3 )
on excite dans une nation des flots, redouta-
bles de plaintes, et que nar-là on provoque
contre le gouvernement toutes les résistan-
ces légales dont là constitution permet de
disposer.
Il est d'autres causes d'agitation publique
que je dois mentionner. Je ne puis passer
sous silence le mouvement survenu derniè-
rement au sujet de la nomination de M. Re-
camier.
8
( "4)
m
m
CHAPITRE III.
M. RECAMIER. CAUSES DE SA PROMOTION A LA PLUS
BRILLANTE DES CHAIRES DE MEDECINE.
Il s'en faut bien , Monseigneur , que je
veuille noter àVotre Excellence M. le docteur
Recamier comme un homme sans mérite.
Au contraire, je sais qu'il en a beaucoup , et
sous le rapport de la science, et sous celui
de la probité. Cependant sous ces deux rap-
ports, M. le docteur Magendie n'en a pas
moins; et surtout il est pins connu dans le
monde savant que M. Recamier. Lorsque,
par une singularité remarquable, il se trouve
qu'à mérite égal, celui qui avait plus de cé-
lébrité a été exclu, et celui qui en avait moins
admis; lorsque, par une autre singularité, il
se trouve que, selon la règle établie par le
( "5 )
gouvernement lui-même, la place vacante
à laquelle doivent présenter rAcade'mie des
Sciences et l'Académie de Médecine, a été
donnée précisément à celui qu'elles n'ont
pas présenté , tous les esprits sont en mou-
vement pour rechercher les causes de ces
singularités. Bientôt il se découvre que
M. Récamier était le candidat secret des jé-
suites, delà congrégation et du parti prêtre.
M. Magendie n'était que celui qu'appelaient,
avec toute la France, nos deux premiers
corps sa van s.
La curiosité étant de plus en plus excitée
sur ce point, il se découvre que M. Réca-
mier, adonné à toutes les pratiques de la vie
dévote , va à la messe tous les jours , qu'il se
confesse tous les mois. De plus on apprend
que, dans sa chambre , en face de la porte , est
placé un grand Christ qui remplit la hauteur
de l'appartement. A chaque côté de ce Christ
se trouvent dans des bocaux précieux diver-
ses reliques de saint Jean d'Alcantara, de
saint Ignace, de saint Antoine de Padoue.
De plus M. Récamier, affilié à toutes les
congrégations imaginables, a voulu avoir
la sienne. Dix à douze jeunes gens se sont
8"
( .,6)
établis ses disciples. Tous ensemble , à cer-
tains jours marqués, disent certaines prières,
le rosaire peut-être ou le chapelet; et alors
comme M. Magendie , à ce qu'on dit , se con-
fesse rarement, qu'il ne va peut-être pas
régulièrement à la messe ; on conçoit com-
ment, sous un gouvernement asservi par le
parti prêtre, la protection des deux premiers
corps savans de la France lui donnera peu
davantage. On voit, par ce seul rapproche-
ment, comment les motifs de l'admission
de l'un et de l'exclusion de l'autre e'tant
une fois connus, il en ressort une détonation
générale de dérision et de colère. Ce n'est
pas une chose extraordinaire.
S'il était question de proposer, pour un
pont à faire sous la Seine, un ingénieur ha-
bile, et qu'on consultât à cet égard nos so-
ciétés savantes , il est possible qu'elles pro-
posassent M. Brunel actuellement à Londres,
encore que peut-être il ne soit pas affilié
aux jésuites et qu'il n'aille pas régulièrement
à la messe. Ce candidat étant proclamé de
toutes parts, si on apprenait que ce dernier
motif, celui de n'être pas voué aux jésuites ,
ou de n'avoir pas de reliques dans sa cham-
( "7 )
bre, a déterminé son exclusion; on sent
l'impression qui en résulterait dans le public.
On dira peut-être que c'est la haine de la
dévotion, ou celle des reliques, qui cause
cette opposition. Pas le moins du monde.
Il y a sans doute une haine générale contre
le parti prêtre. Dans les choses civiles , on
ne veut de son autorité ni directement ni
indirectement. Mais ce qui prouve que, dans
cette haine, la dévotion n'est pour rien; c'est
qu'il en serait de même à l'égard de toute
autre chose étrangère à la médecine.
Je suppose que M. Récamier, au lieu d'être
un virtuose de reliques, soit tout simplement
un virtuose de musique. Je suppose qu'oc-
cupé sans cesse des œuvres de Mozart ,
d'Haydn et de Rossini , il soit porté à la chaire
de médecine, non par un comité àedilet-
tanti, lequel serait parvenu, comme aujour-
d'hui le parti prêtre, à subjuguer le gouver-
nement ; certainement on trouvera tout
aussi mauvais que M. Récamier, en sa qualité
de professeur de musique, soit porté à une
chaire dte médecine , qu'on le fait amour-
d'hui parce qu'il est professeur de dévotion
et de reliques.
( n8)
Par elles-mêmes ces reliques ne méritent
pas plus de défaveur que la dévotion. Même
humainement parlant, l'honneur accorde' aux
reliques ne présente à personne rien de dé-
place'. Quel est celui de nous dont le cœur
ne s'attache pas aux restes qu'il aura pu re-
cueillir d'un père , d'un ami , d'une femme
che'rie ! Quel est celui qui ne serait pas sa-
tisfait d'avoir quelque chose d'Henri IV , de
Sully , ou de Montesquieu ! Ce qui est vrai
et beau dans l'ordre des sentimens humains,
comment ne le serait-il pas dans l'ordre des
sentimens religieux !
Aussi jusqu'au moment présent, personne
n'avait pensé à détourner son estime de
M. Récamier, sous prétexte qu'il avait dans
sa chambre des reliques. C'est tout-à-fait la
faute du gouvernement , si en faisant une
application fausse, insensée, d'un mérite de
dévotion , sans analogie avec la science mé-
dicale , il a élevé un mouvement de dérision
général sur M. Récamier et sur ses pratiques.
Certes, ce brave homme ne méritait en
aucune manière, dans sa persqjfne, les ou-
trages que l'imprudence du gouvernement
lui a attirés. Sur cela même , je lui demande
( "9)
mille excuses; mais il m'est impossible de
ne pas m'emparer de lui un moment pour le
montrer en exemple aux personnes les plus
considérables de la nation. Voilà , leur dirai-
je , un homme qui pendant long-temps avait
été honoré généralement, soit comme chré-
tien, soit comme médecin, soit comme ci-
toyen, et qui , par la faiblesse d'un ministère
sous le joug du parti prêtre, se trouve
voué pour le reste de ses jours à la haine et
au ridicule. Je ne veux pas être injuste en-
vers le gouvernement; il n'a pas, comme on
le lui a reproché, violé une loi, il a seule-
ment violé une règle. Cependant, est-ce si
peu de chose que de violer une règle? La
règle est une précaution prise dans le calme,
à l'effet d'éviter les erreurs de l'esprit dans
le trouble; elle est aussi un moyen de fixité
dans la conduite. En cela il a été très-bien dit :
Quiregulœ vivit, Deo vwit. Excepté dans des
cas tout-à-fait extraordinaires, si dans une
monarchie , le roi, la reine , les princes , les
princesses se croient tenus à de simples
règles d'étiquette; que penser d'un minis-
tère qui, pour plaire au parti prêtre, s'est
permis , au détriment d'un homme qui avait
( »*0 )
le vœu général, de violer sa propre règle.
Le ridicule de la nomination de M. Réca-
mier, uniquement par considération pour
ses pratiques dévotes, s'est encore aggravé
par l'association des dix à douze jeunes
gens, ses élèves, qu'on a vu arriver avec lui.
Le parti prêtre a sans doute regardé comme
une fortune cette adjonction de dix à douze
jeunes gens dressés par lui , sous la conduite
de M. Récamier, à dire le chapelet , et à ré-
citer les prières de la Congrégation. Il a cru
qu'aussitôt lès autres élèves de médecine,
ainsi que ceux des autres écoles, seraient
amenés à suivre cet exemple. Il ne pouvait
se tromper plus grossièrement. On ne pour-
rait mieux travailler pour l'impiété, si on
voulait le faire; et c'est là, Monseigneur,
ainsi que je me propose de l'observer bien-
tôt, un exemple frappant, de plus, du mal que
des hommes ineptement religieux peuvent
faire à la religion.
C'est ainsi que le gouvernement a soulevé
de toutes parts, non pas, comme il le croit,
seulement les jeunes gens, mais l'opinion de
toute la France. L'irritation qui a éclaté à ce
sujet doit être regardée moins comme un
( 1*1 )
fait particulier que comme un symptôme.
Il me reste un dernier point de cette irri-
tation à noter; c'est au sujet de l'éducation
publique. Je vais parler d'une des plus pré-
cieuses de nos institutions , de TUniversilé.
( la» )
CHAPITRE IV.
DE L INSTRUCTION PUBLIQUE. PRETRES DANS L ENSEI-
GNEMENT. ÉDUCATION RELIGIEUSE. EDUCATION
MONDAINE. AVANTAGES QUE PROCURE L'UNIVERSITÉ.
ATTAQUES PAR LESQUELLES ON VEUT LES FAIRE
ÉVANOUIR.
J'ai montre, dans ma première partie, com-
ment, par le fait des atteintes continuelles
portées à FUniversite, celle-ci devait progres-
sivement tomber et s'anéantir entièrement.
Il serait difficile en effet quelle tînt long-
temps en présence d'écoles rivales qui n'ont
aucune rétribution «à payer, et qui, soutenues
par tout le parti prêtre , ont pour leurs
élèves, en expectative d'emplois et de grâces,
toute la faveur du gouvernement. On veut
que l'Université périsse : elle périra. Toute-
fois, en attendant que cet événement désiré
s'accomplisse, la France, à qui on présente.
( "3 )
dans les maisons de prêtres ou de jésuites,
un système d'éducation qui ne lui convient
pas , et qui voit chanceler et s'évanouir celui
dont elle était en possession, est mécontente
et murmure.
Ces plaintes portent sur deux chefs : le
premier, le spectacle d'une ancienne insti-
tution respectée, et qu'on tient délabrée,
dans l'espérance de la défavoriser et de la
décréditer; le second , la perspective odieuse
de voir dans peu l'éducation nationale con-
fiée aux jésuites et au parti prêtre. A quoi
il faut ajouter le scandale des lois violées
avec impudence, indice du mépris qu'on
porte à toutes les lois.
A l'égard des prêtres, je vous prie, Mon-
seigneur, de porter votre attention sur les
deux propositions suivantes, en apparence
contradictoires: Nous les voulons; et nous ne
les voulons pas. C'est comme hommes reli-
gieux et pour la vie religieuse , que nous les
voulons. Comme citoyens et pour la vie ci-
vile , nous n'en voulons pas. Nous les voulons
comme hommes religieux à l'église et dans
nos affaires particulières de conscience. Nous
n'en voulons pas dans nos maisons et dans
( «*4 )
nos affaires civiles; pas plus pour la direction
de nos manufactures , à commencer par la
fabrique de draps ; et à finir par la fabrique
de poudrette, que dans l'administration, à
commencer par celle des ponts-et-chaus-
se'es, et à finir par celle des boues et des lan-
ternes. Nous n'en voulons pas davantage
dans l'administration de Farmée et dans la
direction de nos finances et de nos affaires
politiques. Le temps des cardinaux Dubois
et des abbés Terray est passe'.
Pour ce qui est de l'éducation publique,
je puis dire également que nous en voulons
et que nous n'en voulons pas. Dans le cours
d'études qu'ont à suivre les jeunes gens des-
tinés à la profession ecclésiastique , si quel-
ques-uns s'élancent dans la ligne des lettres ,
des sciences et des arts, de manière à faire
espérer de grands services à l'enseignement ,
nous les désirons , nous les voulons ; mais
alors c'est comme savans et non pas comme
prêtres. L'ordre de Malte tout religieux ad-
mettait dans son sein des prêtres pour le
service religieux; mais ces prêtres n'entraient
pour rien dans la souveraineté de l'ordre.
Pendant long-temps, les moines ont affecté
••
( '" )
de ne point admettre de prêtres; dans ces
derniers temps même, il en était, je crois,
qui avaient persiste' dans cette règle.
C'est au prêtre, dans ses préparations à la
première communion , de disposer convena-
blement la jeunesse à la vie chrétienne. Voilà
sa part dans l'éducation publique. Cet acte
de notre virilité religieuse accompli , lequel
correspond au port d'armes , c'est-à-dire au
premier acte de la virilité militaire chez cer-
tains peuples ; l'enfant doit être retiré des
prêtres , comme précédemment il a été re-
tiré des femmes.
Là commence l'éducation mondaine, apa-
nage essentiel de l'Université, non pas que
les préceptes de la religion y doivent être
négligés ou méprisés , mais ils ne doivent
pas en faire le fond. Tout ainsi que l'ouvrier
qui a fait sa prière du matin ne s'occupe plus
ensuite d'oraisons ou de pratiques religieu-
ses , mais donne tout le reste de son temps au
travail de sa profession , sans penser au prê-
tre et à ses pratiques ; de même le jeune
homme qui, dans la carrière des lettres,
des sciences et des arts, est une espèce dW-
vrierde V esprit, comme l'autre" est un ouvrier
( 12(i )
de peine., doit, sans négliger les précepte*
religieux qui lui sont imposes, donner (ces
accessoires remplis) tout le fonds de son
temps et de son esprit aux objets d'esprit
d*nt il est occupe. Sans cela il n'ira pas, ou
îl ira mal, et surtout il ne parviendra pas à
ce faîte destruction , où il peut devenir un
exemple pour ses concitoyens, et une espé-
rance de gloire pour sa patrie.
C'est là Tunique objet de l'Université. Il
n'est pas mal sans doute de prévenir la jeu-
nesse contre l'abus des taie m ; mais ce n'est
pas, comme le veut M. d'Hermopolis, le
principal : c'est l'accessoire. L'objet princi-
pal est de lui faire acquérir les talens. Plai-
sante manière d'instruire un militaire dans
l'art de la guerre, que de commencer par lui
en faire connaître les inconvéniens!
Après cela, comme il n'est pas question
ici seulement d'une éducation individuelle,
mais d'une éducation publique, laquelle
rentre dans la vie commune, il y a pour
cette vie commune des règles importantes
qui lui sont propres. Ces règles, plus com-
pliquées qu'on ne croit , forment une science
particulière pour laquelle on peut trouver,
•#
( «7 )
soit dans Sainl-Sulpice , soit même chez les
jésuites, de bons principes. A cet égard , si
leur intervention n'est pas à désirer, leurs
conversations et leurs conseils ne sont point
à dédaigner. En mettant à part, dans ces hom-
mes, les préjugés qui tiennent à leurs profes-
sions, on trouvera souvent des observations
profondes et des aperçus lumineux-, on pourra
puiser aussi des lumières dans les pratiques
propres à la vie commune, ainsi que dans
les différentes professions d'arts et métiers.
J'invite à étudier le système de police qui
s'y trouve quelquefois établi , avec une jus-
tice et un art qu'on serait loin d'imaginer.
Mais ce qu'il faut surtout rechercher, c'est le
système d'éducation reçu dans les nations
protestantes et dans les collèges protestans.
Par ces exemples, on verra comment la mo-
rale peut et doit sortir de notre propre cons-
cience; on verra comment, par l'effet d'un
sentiment de justice naturellement établi en
nous, la morale est le plus souvent un ordre
donné à nos actions. Cet ordre émané de
nous comme un besoin senti pour nous-
mêmes, on verra comment, par un autre be-
soin également senti, il peut s'établir par
( ia8 )
rapport à nos semblables; enfin on verra
comment, établi ainsi, la religion et ses
beaux sentimens viennent ensuite lui don-
ner de la grandeur et le consolider.
Sous ce point de vue et sous beaucoup
d'autres, je conviendrai que l'Université y
telle qu'elle avait été arrachée par Bona-
parte des débris de la révolution , était loin ,
dans ses premiers momens , de répondre à
tous les vœux. Il s'y était introduit, non-seu-
lement une négligence fâcheuse relative-
ment aux sentimens religieux, mais encore,
je suis fâché de le dire (et malheureuse-
ment toujours par l'effet des prétentions des
prêtres qui commençaient à se montrer), un
ton de dénigrement et d'hostilité.
C'est certainement ce mauvais esprit qu'il
fallait changer, en employant pour cela, non
le prêtre et son autorité (je ne cesserai de le
répéter) , mais une louable intervention des
supérieurs laïques. Si par hasard un soldat
manquait d'une manière grave à quelque de-
voir civil et religieux, et qu'un prêtre vint
le réprimander pour cela à l'exercice ou à la
caserne, on verrait l'effet qui en résulterait.
C'est précisément ce qu'on a fait. Sous
( l*9 )
prétexte de quelques écarts religieux , on a
crié au prêtre , comme on crie au feu dans
les incendies. Les écarts et l'incendie ont re-
doublé. De maladresse en maladresse, d'im-
péritie en impéritie, on a imputé à l'Univer-
sité les fautes qu'on ne cessait de commettre.
Finalement on a réalisé, au profit des jésuites
et du parti prêtre , non des réparations et
des améliorations, mais l'ébranlement d'un
édifice, objet depuis long-temps de leur ja-
lousie.
Je ne puis douter que Votre Excellence
ne déplore cette disposition. Il me paraît
impossible qu'elle ne mette ainsi que moi
une grande importance à un établissement
qui n'a pas seulement le mérite ( mérite assez
grand pour un royaliste) d'être une institu-
tion ancienne , et de lier ainsi , selon le vœu
de l'auteur de la Charte, les temps anciens
aux temps nouveaux; mais encore de former
aujourd'hui une sorte de lien entre toutes
les nations et par-là même d'être, dans toute
l'Europe, un élément général de civilisation.
Au moyen d'Oxford et d'Edimbourg, de
Gottingue et de Paris , au moyen des auîres
grands établissemens du même genre, l'Uni-
9
( i3o )
versité rapproche et met continuellement en
contact les esprits éclairés. Foyer de science ,
elle Test encore plus de sentimens généreux.
La chevalerie des armes a pu, par le laps des
temps, prendre différentes modifications. La
chevalerie de la science a marché avec elle
et à côté d'elle. L'Université tient ainsi au
génie ancien de la France , à sa gloire , à ses
mœurs. Aujourd'hui elle est l'ame de la ci-
vilisation, elle PafFermit partout où elle
chancelle ; elle Fappelle partout où elle est
éteinte. Monseigneur, abroger l'institution
de TUni versité, ou, ce qui est la même chose ,
lui ôter l'instruction publique , pour mettre
à sa place des jésuites, de prétendus petits
séminaires, de prétendues écoles ecclésias-
tiques , parce qu'elles sont sous la main du
parti prêtre; je vous préviens que c'est rendre
odieux, par-là, à toute la nation et le gouver-
nement et le parti prêtre.
Je dis abroger, et comment s'y prend-on
pour cela? Est-ce, en suivant la voie légale
par laquelle des institutions nouvelles peu-
vent s'élever, des institutions anciennes s'ef-
facer? Non. Mais, par un système mi-parti
d'audace et d'hypocrisie; d'audace par la-
.( '3- )
quelle on enfreint les lois existantes avec
impudence; d'hypocrisie par laquçlle des
menées souterraines sont combinées de toutes
parts avec les attaques directes; vous avez
beau après cela vouloir rassurer la France
en lui montrant quelque partie de ses lois
et de sa constitution que vous affectez de
respecter ; vous l'épouvantez par le specta-
cle de celle que vous ne cessez hautement
de saper et de renverser.
Voilà , Monseigneur , l'état dans lequel se
trouve placé aujourd'hui , par le fait d'un
gouvernement subjugué, tout l'ensemble de
l'opinion.
Je vais examiner sous d'autres rapports
l'effet que doit avoir un tel mouvement.
9
( '3* )
CHAPITRE V.
DU ROI ET DE LA MONARCHIE. EST-IL PERMIS DE
S'OCCUPER DES INTÉRÊTS DU ROI ? D4NGERS QUI
MENACENT LA MONARCHIE.
J'ai dû, avant tout, épuiser ce qui a rapport
à l'opinion publique. Un dégoût et une irri-
tation générale, telles sont les premières
conséquences qui résultent de la conduite
du gouvernement. Malheureusement ces con-
séquences peuvent mener à d'autres consé-
quences.
Et d'abord c'est du Roi et de la monar-
chie que je veux m'occuper.
Selon beaucoup de personnes, je ne de-
vrais pas prendre ce soin. Une doctrine qui
cherche à s'établir aujourd'hui , c'est que le
Roi étant un être revêtu au plus haut degré
de dignité et de majesté, on ne doit point
( '33 )
s'occuper de lui. Je ne sais si on permet de
prononcer son nom; il est défendu surtout
de le croire en danger. Car c'est encore une
autre doctrine en faveur que le Roi, ne pou-
vant faire de mal , ne peut pas non plus en
recevoir. D'après cela , de quelque manière
que se conduisent ses serviteurs, qu'ils le
trahissent ou qu'ils ne le trahissent pas, qu'ils
conspirent ou qu'ils ne conspirent pas, qu'ils
enfreignent les lois ou qu'ils ne les enfrei-
gnent pas, que par leur conduite ils révol-
tent les esprits ou qu'ils ne les révoltent pas ,
selon plusieurs grands politiques, même à
ce qu'ont dit des avocats-généraux, rien ne
peut atteindre le Roi et le trône.
Singulière doctrine en vérité ! Dieu a dit
que ses paroles ne passeraient pas , mais il
a dit aussi que le ciel et la terre passeraient.
Il n1en a pas excepté sûrement le trône et les
empires. Nous savons par l'histoire que le
trône et les empires sont sujets à passer.
Hélas! nous ne le savons que trop par nous-
mêmes ; contemporains de leur gloire , nous
l'avons été de leur chute ; nous l'avons été
également de leurs écarts et de leurs fautes.
Pénétré de ces vérités , un orateur a dit :
( m )
Mes frères, Dieu seul est grand. Il aurait
pu ajouter : Dieu seul est immuable , Dieu
seul est éternel. On sait par-là même que les
rois ne le sont pas , et pourquoi ne le sont-
ils pas? Comment un trône peut-il tomber?
(Test une question que les publicistes se sont
toujours cru en droit d'examiner. #
Junon irritée peut dire : Si je ne puis fléchir
les Dieux, je renverserait 'enfer. J'ai remarqué
souvent que l'enfer n'a pas besoin d'être
remué, il se remue tout seul. Apercevant
les fautes des rois , il les dénonce à l'ambition
des grands; cette ambition des grands, il
la révèle ensuite à la férocité àes parties
basses du peuple. En ce moment l'enfer ne
se contente pas d'avoir obtenu des minis-
tres, l'infraction des lois, c'est-à-dire un
crime complet de trahison ; s^il parvient dans
les sujets à en faire sortir un autre crime ,
celui de la désobéissance et de la révolte,
son œuvre sera accomplie.
J'ai parlé de trahison; certes il faudrait
supposer dans une nation une cécité bien
générale sur toute espèce de droit , si une
désobéissance formelle aux iois établies ne
lui paraissait pas un acte positif de trahison
( .35 )
de la part de son gouvernement. Dans le
cas présent, et surtout lorsque des minis-
tres ont été avertis et par les décisions du
barreau, et par celles de la Cour royale de
Paris, et par celles de la Chambre des pairs,
il est évident comme la lumière du jour ,
qu'il ne manque que la formalité d'une accu-
sation de la Chambre des députés, pour que
tout le ministère disparaisse.
Dans ce cas cependant, les ministres ne
veulent pas disparaître. Ils ont inventé un
système; et, présenté sous des formes sédui-
santes, ce système a plu; il a été adopté.
Cependant ce système est faux , il est perni-
cieux , il est contraire aux lois , il élève par-
tout la confusion et le désordre. N'importe ,
les ministres n'en tiennent compte. Ils ont à
leur service des baïonnettes et des gen-
darmes.
C'est à merveille. Cependant d'un autre
côté , si on a pour soi les Chambres , les ma-
gistrats et les lois , ceux-ci prononçant d'une
façon au nom du Roi , et les ministres et les
gendarmes prononçant d'une autre façon
également au nom du Roi , de ce conflit je
vois sortir un grand tumulte; je me demande
de quel côté est la révolte.
( i36 )
Dans ce conflit, si c'est le peuple et les
lois qui triomphent , les ministres accuses
pourront sans doute s'appuyer de quelques
ordres particuliers, divulguer des confiden-
ces secrètes ; tout cela leur sera de peu de
service. Ils doivent s'attendre qu'on les ju-
gera selon la Charte. ¥A ce n'est pas seule-
ment la Charte octroye'e par Louis XVIII ;
j'ai sur ma table dix autres Chartes égale-
ment octroyées, par lesquelles nos rois dé-
fendent à leurs Cours de justice d'avoir égard
à leurs lettres closes , ainsi qu'à toute espèce
de jussions de leur part qui seraient con-
traires aux lois. J'ai en outre l'ancienne for-
mule du serment imposé au chancelier de
France , par lequel il jure de ne sceller aucun
ordre du Roi contraire aux lois , encore que
le commandement lui en eût été fait par plu-
sieurs fois. De-là est venu parmi nous , et
surtout pour les parlemens, la liberté d'ac-
cuser les lettres royales d'être subreptices ,
et de dire au Roi sans inconvenance que sa
religion a été trompée.
Dans la position qu'ont prise les minis-
tres, si nous avons la certitude que tôt ou tard
ilsseront attaqués, avons-nous de même lacer-
( >37 )
titude que les formalités constitutionnelles
seront exactement observées? L'enfer qui,
dans ce conflit, se sera remué et qui aura pro-
bablement remué avec lui les passions popu-
laires, s'en tiendra-t-il à cette marche régulière
et compassée? Je ne le sais pas : je le demande.
Cependant qu'on se rassure; ce sont, à ce
qu'on m'affirme, les gendarmes et les minis-
tres qui triompheront. Dans cette supposi-
tion, quelqu'un pourra-t-il me dire ce que
deviendront les voûtes du temple quand les
colonnes auront été ébranlées ? Pourra-t-il
me dire ce que les triomphateurs feront de
leur triomphe , le lendemain de leur triom-
phe; ce qu'ils feront des vainqueurs et des
vaincus, et surtout comment ils continue-
ront à gouverner l'Etat au milieu des masu-
res de lois et de Charte qu'ils auront faites ?
Quel que soit l'événement, nous pouvons
le demander franchement : et les jésuites de
Mont-Rouge , et ceux de Billom, et les con-
grégations politiques , et celles de M. de Croï ,
tout cela offre-t-il quelque compensation
pour le bouleversement de toutes nos lois ,
le soulèvement de toutes nos forces , et les
larmes et le sang qui seraient versés ?
( '38 )
C'est pourtant à de telles choses que veut
nous amener la coterie qui domine en ce
moment le ministère.
Ce parti est divisé en deux factions : Tune
veut l'emporter par la violence et par des
coups d'Etat , l'autre par l'adresse et par la
prudence. Pour l'une et l'autre, tout est bon,
pourvu qu'elle parvienne à son grand objet :
l'obéissance aux prêtres.
Nous ne voulons l'accepter par aucune
voie. De quelque manière qu'on nous pré-
sente ces nouveaux maîtres, soit à décou-
vert, revêtus du surplis et de la soutane,
soit sous la toge du magistrat ou la broderie
du préfet 7 on peut compter que toute in-
tervention de leur part dans nos choses civi-
les sera repoussée. Pour nous conduire à
ce but, on aura beau employer les tournures
ingénieuses de M. Dudon et de M. de Vitrolle ,
s'embellir de l'éloquence de M. deBonald , de
la dignité éminente de MM. de Latil et de
Clermont-Tonnerre; on aura beau se couvrir
de la mysticité pathétique de MM. Tharin
et de Macarthy ; on aura beau avoir recours
aux subtilités ignaciennes des pères Loriquet
et Jenessaux; y ajouter même comme auto-
( i39)
rite le respectable dévouement de MM. de
Rivière et de Polignac, nous rendrons hon-
neur aux mérites divers de ces hommes émi-
nens; mais, pour ce qui est de leur utopie
prêtre y nous n'en voulons pas. Placez d'un
côté la gloire combinée avec la servitude ;
la France pourra être ébranlée. Offrez-lui
l'obéissance au prêtre : elle n'hésitera pas.
On aura beau jeter sur elle, avec le filet des
congrégations religieuses, celui des congré-
gations politiques; on aura beau renforcer
les mailles de ces deux filets par des escoua-
des de missionnaires et de jésuites ; soit
qu'on marche franchement à ce but par la
violence, soit qu'on chemine seulement à
petit bruit , on peut être sûr que la violence
sera détestée, la ruse exécrée; l'une et l'autre
repoussée autant qu'il sera possible.
Monseigneur, voyez le sol actuel de la
France, comme il est beau! Je vous le de-
mande en grâce ; semez-y la paix. Permet-
tez-moi de vous dire que vous y semez la
révolte.
La religion est pour moi, dans cette posi-
tion , un autre sujet d'alarme dont je vais
m'occuper.
( >4o )
CHAPITRE VI.
DE LA RELIGION : ELLE EST NATURELLE CHEZ L HOMME.
MANOEUVRES MISES A DECOUVERT. ETATS COMPA-
RATIFS DE LA RELIGION EN FRANCE SOCS L'EMPIRE ,
ET DEPUIS LA RESTAURATION. VARIATIONS DANS
L'ENSEIGNEMENT DE SES PRINCIPES ET DE SA MORALE,
SUIVANT LES LOCALITES ET LES PERSONNES.
Ceux, Monseigneur, qui probablement
comme vous, et certainement comme moi,
mettent une grande importance aux senti-
mens religieux; ceux qui y voient, non
comme quelques personnes , un simple élé-
ment politique, mais comme tous les gens
sensés, un grand élément moral, et par-là
même un appui de société; ceux-là s'attachent
à faire honorer les prêtres , non certes dans
les défectuosités de leur conduite , dans les
déréglemens de leur ambition, dans leur
concupiscence effrénée de domination, mais
dans les saintes fonctions de leur ministère,
( '4' )
dans les attributions légitimes qui appartien-
nent à ces fonctions. Laissons à un petit trou-
peau de personnages asservis , abrutis, apla-
tis, le mérite d'honorer le prêtre quoi qu'il
fasse. Il y a, à l'entrée de l'Asie, un pays
où on ne l'honore pas seulement, on l'adore,
on atdore aussi ses ordures; mais nous, qui
voulons conserver à nos prêtres les avantages
de respect qu'ils méritent, nous devons leur
faire connaître comment ils les méritent
et comment aussi ils peuvent s'en rendre in-
dignes. Encore une fois , et je ne puis trop
le répéter, il ne s'agit point ici de quelques
méfaits scandaleux qui percent ça et là dans
le public ; il n'y a , heureusement pour ces
méfaits , ni un système particulier de doc-
trine, ni une coterie ou faction particulière
qui les préconise; ces méfaits, comme je l'ai
dit, sont, de la part des supérieurs ecclé-
siastiques, un objet de blâme et de répri-
mande sévère.
Si nous n'avons rien à leur dire de ce côté,
nous n'avons rien non plus à leur appren-
dre à l'égard des règles du culte et des prin-
cipes de la foi; ils savent tout cela mieux
que nous. Il s'agit seulement, dans la ligne
( «4* )
de l'ambition, de les avertir de leurs e'carts
et de leur tendance continuelle vers une
sphère mondaine, à laquelle ils s'accrochent
obstinément de tous leurs efforts, encore
quelle leur soit étrangère,' et de laquelle,
pour l'intérêt de la religion ainsi que pour
leur propre intérêt, il faut absolument les
repousser avec des efforts et des forces supé-
rieures.
Leur plan est de manier le monde , de le
composer à leur guise pour en faire ensuite
tout ce qu'ils voudront. Après avoir manié
et pétri à leur aise toute cette pâte humaine,
ils croient sans doute (ils le disent du moins)
que c'est pour les intérêts du ciel ; mais ils
savent très-bien que cette pâte, une fois
moulée et assouplie à leur façon , demeu-
rera ensuite à leur discrétion.
Ce manège , son but , ces moyens , dès
qu'ils sont aperçus ( et ils le sont toujours
facilement ) , peuvent déterminer une grande
résistance. Dans ce cas , s'il y a àja fin une
partie du public lassée , décidée à ne
rien croire de ce que disent les prêtres,
à ne rien blâmer de ce qu'ils font , ce qui
compose une classe assez nombreuse d'indif-
( i43 )
fe'rens; il en est une autre qui, s'obstinant à
demeurer dans la voie religieuse, voudrait
jouir de la religion et de ses ministres comme
de quelque chose qui lui appartient et qui
est à son service. Ceux-là voudraient trou-
ver dans les prêtres, non des maîtres, mais
des ministres, c'est-à-dire des serviteurs,
c'est-à-dire encore des prêtres, non tels
qu'ils sont aujourd'hui, mais tels qu'ils ont
été instituée, remplissant la double vocation
de serviteurs de Dieu et de serviteurs des
peuples.
Que les prêtres d'aujourd'hui manquent à
cette double vocation : c'est ce qu'il ne me
sera pas difficile d'établir.
Et d'abord, la religion n'est point pour
l'homme une plante étrangère qu'il faille
absolument planter en lui de force , et quand
on l'a plantée , la défendre ensuite de force ;
l'homme est naturellement religieux, seule-
ment il pourrait l'être mal. On l'a vu autre-
fois , dans ses folies, adorer le soleil, la lune,
même des animaux ; il pourrait encore au-
jourd'hui, si on le laissait faire , tomber dans
des superstitions plus ou moins grossières.
Cela même décèle la première mission du
( i-14 )
prêtre : il ne fait pas la religion, il la règle.
Dans une nation qui a le bonheur d'avoir
une religion pure, et où cette religion a pour
elle l'autorité du temps, l'autorité du Roi,
celle de nos magistrats et de nos pères; cette
religion est tellement établie, qu'il n'y a plus
qu'à la ménager et à la conserver; et alors il
faut se garder d'aller crier sur les toits, comme
nos missionnaires: « Venez, venez tous; je
vais vous prouver que cette religion, que
vous chérissez , n'est pas fausse ; que l'exis-
tence du Dieu que vous honorez, n'est pas
une chimère; que Jésus-Christ, que vous
adorez et que vous servez, n'est pas un im-
posteur; et, comme sans doute vous n'avez
pas plus dame que vous n'avez d'esprit, je
vais vous prouver, par de bons textes tirés de
l'hébreu, que, comme je ne suis ni votre
père, ni votre mère, ni votre prochain, ni
votre ami, etc. » Monseigneur, chercher par
des preuves de ce genre "à établir la reli-
gion, c'est détruire d'avance ce qu'on veut
établir.
La religion étant naturellement dans le
cœur de l'homme, ce a quoi il s'attache avant
tout, c'est à la religion de ses pères et de son
( »45 )
pays ; la morale étant de même naturellement
dans le cœur de l'homme, il suit sans diffi-
culté le sentiment uniforme qu'il trouve dans
toutes les consciences, et qui, dans la société
établie, compose les mœurs publiques.
Dans tout cela, le prêtre demeurera-t-il
sans fonctions? Non, sans doute; les actes
de respect et d'amour qui composent le
culte , les invocations adressées à la force des
forces à l'effet de soutenir notre faiblesse ,
forment particulièrement son apanage. Le
ministère du prêtre, employé comme inter-
mède de sainteté, pour présenter au ciel
nos hommages et les lui rendre plus accep-
tables; ce ministère, employé encore pour ob-
tenir d'en haut la force capable de nous sou-
tenir quand nous sommes deJiout; et encore
quand nous sommes tombés , la force néces-
saire pour nous relever ! Prêtres , qui me re-
gardez comme votre détracteur, est-ce qu'une
semblable mission ne vous paraît pas assez
belle? Faul-il la dénaturer, faut-il l'exagérer,
l'outrepasser?
C'est ce que vous faites dans les divers
points que je vais rappeler.
Vous emparer, par tous les moyens pos-
10
( «46 )
sibîes , comme étant votre domaine, de
Téducation de l'enfance , de l'éducation pri-
vée et de l'éducation publique ;
Dans Téducation , vous jeter dans l'abus
et la multiplication outre mesure des prati-
ques religieuses; établir, dans les enfans, l'ha-
bitude de n'avoir de morale que par ces pra-
tiques et avec ces pratiques ;
Dans le cours de la vie, le principe admis
de faire regarder ces pratiques comme des pré-
ceptes, et de porter, par tous les ressorts imagi-
nables, la vie chrétienne dans la vie dévote ;
Le principe admis ensuite de tenir les fi-
dèles dans cette voie, d'abord par toutes les
forces et l'autorité d'en haut , mais encore
d'employer à cet effet l'autorité du Roi, celle
des magistrats* sur les citoyens, des maîtres
sur les ouvriers , des pères sur les enfans , et
de vous emparer ainsi de l'influence, et au
besoin de tous les postes de la vie civile : tels
sont, vous ne l'ignorez pas, vos directions et
votre plan.
Il est possible que, dans l'ensemble de ce
plan le plus grand nombre des prêtres (je
l'espère même ) ne voient que des moyens
de conquêtes pour le ciel; mais les cory-
( "47 )
phées , c'est-à-dire ce que j'appelle le parti
prêtre, n'est pas sans y voir une autre es-
pèce de conquête.
Qu'il le voie ou qu'il ne le voie pas, comme
cet effet appartient certainement à sa cause ,
la société qui se sent saisie, se démène de
son mieux. De-là une résistance générale ,
élément de haine pour les prêtres ; pour la
religion , d'aversion et de dégoût ; pour la
vie dévole, de dérision et de sarcasme; pour
le gouvernement, de colère et de mépris;
pour le corps de l'État, de discussion et de
trouble.
Et d'abord , relativement à l'éducation ,
ce n'est pas moi seul , mais encore les plus
grands maîtres de la vie spirituelle, qui con-
damnent cette manière de saisir l'ame ten-
dre des enfans , soit en l'échauffant et l'amol-
lissant dans des effusions continuelles d'a-
mour , soit en la chargeant d'observances
pieuses , surtout en l'accoutumant à n'avoir
de morale qu'à l'aide de ces effusions et de
ces observances. Ils pensent qu'à l'âge viril ,
ces effusions prendront malheureusement un
autre caractère, et que. l'habitude des obser-
vances s'effacant nécessairement dans la vie
IO*
( i<8 )
du monde, la morale qu'on y aura attachée
s'effacera avec elles.
Appliqués au cours ordinaire de la vie , ces
principes me paraissent encore plus dange-
reux. Il faut se garder de faire de la vie
dévote un objet de dédain. Ce dédain s'ap-
pliquerait bientôt à la religion elle-même.
C'est ce qui arrivera , lorsque , peu contens
du train ordinaire delà vie chrétienne , vous
chercherez à la porter, bon gré mal gré,
dans la vie dévote , faite pour quelques âmes
privilégiées. C'est une vocation toute parti-
culière , qu'il faut se garder d'établir , comme
une vocation générale. C'est ce que vous
avez très-bien senti quand vous avez fait la
distinction des conseils et des préceptes : dis-
tinction au surplus assez singulière; car on
ne comprend guère le moyen de résister à
des conseils divins. Aussi , n'est-ce qu'en
apparence que vous avez fixé ces distinc-
tions ; car aussitôt vous revenez sur le grand
précepte d'être parfait comme notre père cé-
leste est parfait ; auquel vous ajoutez que ce—
lui qui est saint , doit se sanctifier encore ;
que celui qui est juste doit se justifier de nou-
veau. En généralisant l'application de ces
( >ï<> )
maximes , vous avez généralise comme de-
voir les observances qui s'y attachent. De
cette manière , à moins d'une révolte , on
ne peut plus vous échapper; par cette raison
même, on se révolte.
Vous le sentez si bien , que bientôt les
foudres même du ciel ne vous suffisent pas.
Vous glissant d'une manière pateline dans
tous les pouvoirs de la société , ce que vous
ne pouvez obtenir par Tordre de Dieu, vous
cherchez à l'obtenir par l'ordre du Roi; vous
remuez les citoyens par les magistrats , les
enfans par leurs parens , les maris par leurs
femmes , les ouvriers par leurs maîtres. En
imitation des jésuites , toute base vous est
indifférente pourvu qu'elle vous serve de
point d'appui. De la monarchie ensuite , ou
de l'aristocratie , ou de la démocratie , tant
qu'on voudra.
C'est ainsi que , selon la position où ils se
trouvaient, les jésuites prêchaient, à la Chine,
le culte des saints ou celui des ancêtres ,
Saint-Pierre ou Confucius, le despotisme ou
la république. On me parle, dans mes lettres
de Paris , de beaux ouvrages qu'ils publient
en Amérique contre les monarchies. Pourvu
( l5° )
qu'ils arrivent à la domination , tout dra-
peau, toute doctrine, toute couleur est bonne;
peu leur importe. Une seule chose partout
leur déplaît. Comment tenir à la messe, à vê-
pres, au salut , au chapelet , aux trois angélus ,
puis à toutes les autres pratiques de dévo-
tion enrichies d'indulgences, des hommes,
dont l'esprit , les mains , tout le temps est
employé à des fabriques , à des manufac-
tures , à des projets, à des conceptions, à
des entreprises mondaines de tout genre ?
C'est ainsi que d'un côté , par l'exagéra-
tion des maximes chrétiennes , d'un autre
côté, à force de captations et de soins, le parti
prêtre tend à mettre la société dans sa main.
En multipliant sous divers prétextes les pres-
criptions, les rites, les définitions abuvises
du bien et du mal , les proscriptions des
transactions du commerce, celles des bals et
des spectacles; en un mot les règles de tout
genre ; aucune issue n'est laissée. Pour peu
qulelle soit religieuse , la société est saisie et
possédée en tout point. Possédée, c'estlemot.
Certainement, Monseigneur, il vaut mieux
être possédé du prêtre , qu'être possédé du
malin esprit. On voudrait n'être pas possédé
• ( **i )
du tout; et alors il faut de deux choses Tune,
ou que ]a société tombe dans l'abrutissement
du huitième et du neuvième siècles , ou qu'elle
se révolte contre le parti qu'on lui présente.
Il est bon de signaler à cet égard deux
espèces de ruse : la première consiste à éri-
ger soit par des confréries , soit par des con-
grégations, des institutions dans lesquelles
on dresse un certain nombre de jeunes gens ,
comme recruteurs de dévotion. En terme
d'oiseleur, c'est ce qu'on nomme, je crois,
appelans *. Ces appelons, portés par tous les
moyens de la faveur dans toutes les voies ,
remplissent sûrement de leur mieux leur
mission. Ils n'y ont pas toujours du succès.
C'est qu'avant tout, dans les choses de Dieu,
ce qu'on veut c'est l'intime liberté. Il suffit de
laisser ouvertes aux chrétiens les voies de la
piété. On y entrera ensuite si cela convient.
Mais, sur toutes choses, on ne veut être pris
1 On voit de ces appelans partout. On les trouve
principalement parmi les jeunes congréganistes : tels
sont les dix ou douze disciples attachés aux pratiques
pieuses de M. Récamier , et sur lesquels on comptait,
pour changer toute l'école de médecine.
I «* )
ni à la glu du prêtre, ni à ses trébuchets.
Une autre espèce de ruse, c'est de mettre
de temps en temps une espèce de remission
dans la conduite de ces diverses trames. S'a-
git-il des jésuites? un ministre vous dira : On
m'en demande de tous les côtés; mais j'en
accorde fort peu. Il y a même une maison de
cet ordre que nous avons supprimée.
D'un autre côte, on nous dit de certains
mandemens d'évêques,de certaines instruc-
tions pastorales, que ce sont des faits parti-
culiers qui n'ont Tassent! ment ni du cierge,
ni du gouvernement. A l'égard des simples
prêtres , on nous dit de même que c'est im-
prudence de leur part, étourderie : en un
mot, c'est momentanément un désaveu com-
plet.
Toutes ces ruses ne font aucune illusion.
Et d'abord , relativement à ces momens de
rémission, quel est celui de nous, un peu au
fait des affaires humaines , qui ne connaisse
cette manœuvre? Au manège, quand l'écuyer
vous enseigne à dresser un cheval fougueux,
il ne vous dit pas de tendre continuellement
la bride, il vous conseille de lâcher la main.
Ceux qui n'ont l'habitude, ni de la mer, ni
#
( «53 )
des marées, peuvent croire que «Ja marée
montante est quelque chose qui s'avance
progressivement avec régularité: ils sont tou t
étonnés qu'un flot , qui s'était avancé au loin
dans la plage, recule ensuite comme s'il vou-
lait l'abandonner; mais un flot nouveau re-
prend bientôt le terrain abandonné, et se
porte plus loin que le précédent.
A l'égard du jeune clergé , qu'on aban-
donne quelquefois au blâme , cela me rap-
pelle un grand souverain du Nord auquel on
portait des plaintes contre ses Cosaques ; le
lendemain il fit piller ses propres voitures.
Les gens de la cour s'étant plaints à Napo-
léon d'avoir eu leurs carrosses visités parles
gens des droits réunis, le lendemain il or-
donna qu'on visitât les siens. A Rome on se
plaint aussi des écrivains uîtramontains et
de leurs congrégations; en secret, on les en-
courage, on les excite. En France, surtout au-
jourd'hui, on peut être trompé un moment :
long-temps, c'est impossible. Dans le fait on
ne l'est plus du tout. Un sentiment de mé-
pris , de haine , de dégoût poursuit de tous
côtés, et le parti prêtre et ses prétentions.
Malheureusement on ne s'arrête pas là.
( i54)
Comme cç parti ne cesse d'associer ses pré-
tentions à la religion même et à ses institu-
tions, il en résulte que la religion et ses ins-
titutions sont atteintes.
Dès Tannée 1814, j'avais prédit que tel se-
rait bientôt le résultat de la marche qu'on
tenait. Depuis ce temps , mes prédictions ne
se sont que trop réalisées. Le parti prêtre n'a
pas plutôt voulu s'emparer des écoles, et les
accabler de ses prescriptions et de ses pra-
tiques , qu'on a vu en ce genre des profana-
tions telles que je ne me permets pas même
de les rappeler. Les journaux ne les ont que
trop détaillées.
Ce n'est pas d'un seul côté : de toutes parts
on a pu reconnaître, dans les choses reli-
gieuses , un délabrement général.
Je ne sais si le fait est exact ; mais comme
il a été publié dans un journal , et qu'il n'a pas
été contredit,ni par lesjournaux du ministère,
ni par ceux de la congrégation , je puis le
transcrire tel qu'il est.
« On dresse dans toutes les églises de la
capitale un état des hosties consacrées; et, à
la fin de l'année, ces états servent à dresser, à
l'archevêché un tableau général. Sous l'em-
( '55)
pire , le total e'tait de cinquante à soixante
mille. Depuis trois ans, le ternie moyen est
de vingt mille. De plus, il n'y a guère qu'une
personne sur cinq qui réclame, en mourant,
les secours de la religion; sous l'empire,
cette proportion était double. »
Ces faits sont tirés d'un journal de l'Oppo-
sition. En voici d'autres non moins impor-
tans et d'une source qui ne paraîtra pas sus-
pecte ; ils sont articulés par la Gazette aposto-
lique de Lyon, et répandus de-là dans tous les
journaux de province du même esprit : c'est
qu'en faisant le dénombrement des écrits
contre la religion , depuis le règne des prê-
tres, comparativement à ce qui existait sous
l'empire, la proportion n'est pas seulement
décuple, elle est plus considérable encore.
C'est, comme le dit très-bien la Gazette, un
DÉBORDEMENT.
On veut en tirer des conclusions contre
la liberté de la presse ; qu'on les tire contre
les prétentions et l'envahissement du parti
prêtre.
Mes amis de Paris qui, au fond, pensent
comme moi , et qui, dominés par d'anciennes
préventions, ne peuvent s'accoutumer à se-
( «56)
parer de la religion les ministres de la reli-
gion, encore que, dans leur ligue politique,
ils ne cessent de séparer de la royauté les mi-
nistres de la royauté , déplorent et mes ac-
cusations et cette expression même de parti
prêtre. Ils ne cessent de me dire et de m'é-
crire que ce ne sont pas tous les prêtres, et
qu'il y a injustice à faire réfléchir sur tous ,
les torts et les imprudences de quelques-
uns.
Certainement, je sais, comme eux, que ce
n'est pas l'universalité des prêtres qui entre
dans ce système. Je suis convaincu que,
rassemblés tous et ayant à traiter en point de
doctrine les maximes que j'ai énoncées, se-
condés par la piété qui en général les carac-
térise, éclairés par les lumières de l'Esprit
saint qu'ils invoqueraient, ils reconnaîtraient
avec moi tout ce que j'affirme; ils blâme-
raient avec moi tout ce que je blâme. Il y a
à cet égard, soit dans le clergé inférieur,
soit au plus haut du clergé supérieur, des
hommes dont la bonne foi égale la pureté.
J'ai reçu de plusieurs de ces hommes des té-
moignages d'estime et de bonté que je ne
ferai pas connaître, mais dont je les renier-
( t*l )
cie sincèrement. Sans la prépondérance du
parti qui les domine , je sais qu'un bien plus
grand nombre proclamerait, hautement les
vérités que je proclame. Mais cette division
même a quelque chose qui n'amène pas la
con fiance. La prépondérance du parti prêtre,
c'est-à-dire du parti de l'envahissement et
de la domination, demeure établie, et excite
envers tous la méfiance qu'on a justement
envers quelques-uns.
Dans la partie des préceptes moraux 7 la
même division n'est pas moins fâcheuse;
elle produit , au détriment de la religion,
les mêmes effets.
En me rappelant mes anciennes lectures
de l'histoire ecclésiastique, je crois me sou-
venir qu'il y eut pendant long-temps une
sorte de schisme et d'hérésie appelée des
Quarto dé cimans : ces Quartodécimans pré-
tendaient célébrer la Pàque à une époque, tau-
dis que le reste des chrétiens la célébraient
à une autre; il en résultait que dans le même
pays, quelquefois dans le même lieu , une par-
lie des chrétiens célébraient avec des lamenta-
tions le Vendredi-Saint, tandis qu'une autre
partie chantait alléluia. Ce seul inconvénient
( '58)
parut assez grave pour faire tomber sur les
Quarto décimans les foudres de l'Église. Au-
jourd'hui , à beaucoup d'égards , c'est la
même cacophonie.
Du moment qu'un prêtre particulier se
croit en droit de fabriquer la morale et les
préceptes à sa fantaisie , on doit s'attendre
que cette fantaisie pourra n'être pas uni-
forme. Ici, par exemple, le prêtre proscrit
le prêt à intérêt; là, il le trouve légitime ;
ailleurs, il fait une distinction en faveur de
ce qu'il appelle lucrum cessans et damnum
emergens ; ici, il vous dispense de telle ob-
servance ; là, il vous l'impose; ailleurs \ il la
modifie. Est-ce à l'égard des souverains et
des princes ? le bal et le spectacle seront
permis. Est-ce seulement pour le public? ils
seront interdits. Et qu'on ne croie pas qu'à
raison de cette diversité, il y ait quelque res-
source pour le pauvre fidèle. Comme, d'après
l'ordonnance du concile qui a prescrit la
confession pascale, il faut absolument qu'il
s'adresse, non à un prêtre qu'il aura choisi,
mais à celui de son domicile ; sa religion , ses
actions, son salut , sa personne, se trouvent
à la discrétion de ce prêtre.
( '% )
Certainement, ce qui par soi est permis ,
un prêtre n'a pas le droit de le défendre; et
ce qui est défendu par so^, un prêtre n'a pas
le droit de le permettre. Mais lorsque le
prêtre permet dans une commune ce qu'il
interdit dans une autre, que faire dans une
telle confusion? Ne fût-ce que le doute jeté
dans les esprits, n'est-ce donc rien, pour des
consciences religieuses, que le doute? Dieu
peut-il trouver bon qu'un cœur fidèle se
permette envers lui des offenses, sous pré-
texte qu'on n'est pas bien sûr que ce soient
des offenses ?
Sur cela, la décision de saint Paul est ex-
presse. Dans toutes choses, selon lui, ce-
lui qui a la confiance est innocent , celui qui
a du doute est coupable. Il en donne la rai-
son : Quia non ex fide ; omne autem, quod
non est ex fide , peccatum est.
1 II s'agissait de viandes offertes aux idoles. Selon
saint Paul, celui qui en mangeait franchement était
innocent ; mais celui qui hésitait {qui autem discernit
si manducaverit} était coupable.
( i6o )
CHAPITRE VII.
EST-CE LE MINISTÈRE QUI FAIT CE QU'lL FAIT?
Au milieu des .dangers que courent à la
fois la religion , la société et le Roi , on de-
mande de tous côtés, Monseigneur, ce que
fait le gouvernement \ et ce que c'est que le
gouvernement.
Ce que fait le gouvernement? Ma réponse
à cette question , si je voulais lui être favo-
rable, pourrait être qu'il ne fait rien , et qu'il
laisse faire. Possédé d'un autre esprit que le
sien, quand il parle, il ne faut pas toujours
croire que c'est lui qui parle; quand il fait,
il ne faut pas toujours croire que c'est lui
qui fait. Tout ainsi que, dans les anciens pos-
sédés, ce n'était pas toujours la pauvre créa-
ture humaine qui parlait, mais l'esprit qui
( rôi )
était en elle; de même, quand aujourd'hui
notre pauvre gouvernement parle, on est con-
vaincu que ce n'est pas toujours les cinq ou six
personnes composant le gouvernement qui
parlent, mais un esprit particulier qui est
entre' en eux.
Cela est si vrai, que ce ministère qui
parle, ne parle pas toujours de la même
manière. Or, certainement, depuis Janus de
mythologique mémoire , on sait que les
hommes en ge'ne'ral n'ont qu'une seule bou-
che et un seul visage. En gênerai, aussi, ils
n'ont qu'une ame et une conscience. C'est ce
que témoignent tous ceux qui vous ont vu,
Monseigneur, et qui ont vu aussi les autres
ministres face à face. D'après cela , si nous
voyons sortir de la bouche d'un ministre un
jour telle parole et tel ordre, un autre jour
une parole et un ordre contraires, il est évi-
dent qu'il y a dans la personne de chacun des
ministres, deux ministres, c'est-à-dire deux
esprits diffe'rens. On a dit de Corneille, qu'il
y avait en lui un ge'nie particulière qui lui
dictait ses beaux vers, et qui ensuite, en l'a-
bandonnant, lui en laissait faire de mauvais.
Il est évident qu'il en est de même du mi-
1 1
( '62 )
nistère, avec cette différence que ce que le
ministère fait par Finspiration de Vesprit est
plus mauvais que ce qu'il fait par lui-même.
Ce phénomène est sûrement très-extraor-
diuaire. C'est pourquoi , Monseigneur, je
vous demande un moment d'attention ; car
si je n'ai rien ici à vous apprendre, il importe
que vous soyez convaincu que le public sait
ce que vous savez vous-même. Il me suffira
de vous rappeler les faits et les témoins.
Un premier fait, et celui-là a eu un grand
éclat, est la lettre de M. le comte de Cor-
bière à M. le cardinal archevêque de Toulouse,
demandant à ce prélat l'observation des lois
de l'Etat relativement à l'enseignement de la
déclaration de 1682. Lorsqu'on a vu de cette
démarche s'ensuivre, non-seulement un re-
fus d'obéissance, mais même un refus de ré-
ponse ; lorsqu'à la suite de ce refus pompeu-
sement proclamé dans les papiers publics ,
on a vu le ministère poursuivre sa marche,
et faire ordonner par les tribunaux une ré-
paration de ce scandale ; le public a cru sé-
rieusement qu'il y avait un gouvernement
maître de ses aetions, et, comme on dit en
latin, compas sm. Mais bientôt, lorsqu'on a
( «63 j
su que ce même ministère avait été oblige de
revenir sur ses actes , notamment de chasser
en expiation le chef particulier qui les avait
ou rédiges ou conseillés , et qu'ensuite on a
vu le même cardinal, à raison de ces méfaits,
recevoir du même gouvernement les plus
hautes marques de la faveur royale; certai-
nement, le gouvernement qui n'a, comme
il a été dit , ni deux faces , ni deux bouches ,
ni deux consciences, a été forcé dans le se-
cond cas , puisqu'il a été libre dans le pre-
mier. Un esprit quelconque autre que le sien
a dû entrer en lui. C'est ce qui compose un
état réel d'obsession ou de possession.
Second témoignage. Le fait ici , Monsei-
gneur, sera pris de vous-même. Le respect
profond que je porte au prince qui proclama
l'ordonnance d'Andujar, me défend de
croire qu'elle fut autre chose que l'expres-
sion des instructions même qu'il avait reçues
du gouvernement au début de la guerre.
On ne peut penser que, dans le plan de cette
campagne , une telle chose que des succès
n'eût pas été prévue, et que des instructions
n'eussent pas été données en conséquence
de ces succès. Cependant qu'arrive-t-il ?
ii*
( «64 )
Tout un parti prend l'alarme, et aussitôt nn
nouvel esprit, celui de ce parti, entrant
dans le corps du gouvernement, le force de
dédire ce qu'il a dit , et de donner un dé-
menti... à qui ? A l'héritier même de la cou-
ronne.
Troisième fait et troisième témoignage.
Une constitution politique est donnée au
Portugal. Elle est donnée par son roi, de la
même manière que Louis XVIII en a donne'
une à la France. Le gouvernement, qui en
ce moment était livré k\ lui-même , recon-
naît cette constitution. Le loyal M. de Damas
dresse ses instructions en conséquence. Bien-
tôt cependant et cette constitution et toutes
ces chartes de liberté déplaisent à un cer-
tain parti ; et alors V esprit qui est en pos-
session d'entrer dans le ministère, dicte,
pour un de nos ambassadeurs, des instruc-
tions toutes contraires.
Quatrième fait et quatrième témoignage.
En remuant les affaires domestiques de son
ministère , M. de Clermont-Tonnerre trouve
qu'il serait bon de vendre une portion des
bâtimens et des terrains de Belle-Chasse.
Le ministre agissait alors d'après lui-même,
( '65 )
il était compos suï. Cependant ces bâtimens
et ce terrain avaient appartenu ancienne-
ment à un établissement ecclésiastique.
Averti d'abord par les cent cinq voix con-
gréganistes de la Chambre des députes ,
averti bien plus encore parles censures du
parti prêtre, un nouvel esprit entre en lui ,
le possède , et il est force' de rechercher avec
soin des entraves à la vente qu'il avait pro-
voquée.
Cinquième fait et cinquième témoignage.
11 est impossible de croire qu'un gouverne-
ment qui compte pour quelque chose dans
un Etat la paix et la sûreté publique, inven-
tera de lui-même d'y introduire un élément
de trouble. Que si cet élément s'y est intro-
duit sans lui ou avant lui, on doit croire
qu'il fera tous ses efforts pour éloigner cette
peste. On ne peut contester que l'institution
des jésuites ait ce caractère, si toutefois on
veut compter pour quelque chose les anciens
arrêts des parlemens , les ëdits de nos rois ,
ceux de presque tous les souverains de l'Eu-
rope qui les ont bannis de leur territoire.
Lorsque l'institution des jésuites est signalée
d'une aussi forte manière, si le gouvernement
( '66 ;
s1acharne encore à la favoriser,je dois croiret
même pour son bonheur, qu'il se dirige par
un autre esprit que le sien : il est possédé...
Sixième fait et sixième témoignage. M. l'é-
vêque d'Hermopolis jouit en France d'une
grande réputation, non-seulement de ta-
lent, mais encore de beau caractère. Dans
des lettres que j'ai reçues de Paris, un juris-
consulte célèbre que j'honore me paraît dans
l'enthousiasme de son mérite. M. le comte
de Lézardière, dans un discours récent à la
tribune , a prôné particulièrement safran—
chise, M. le comte Sébastiani, de son côté ,
l'a félicité sur ses principes et sur sa marche
constitutionnelle. Par cela seul , il me paraît
probable qu'un tel homme ne s'occuperait
pas à prôner et à enraciner en France l'insti-
tution des jésuites, s'il était livré a sa libre
volonté; tout au moins cette institution une
fois établie contre les lois, il ne souffrirait
pas qu'elle violât ensuite les règles comme
elle a violé les lois. Sur ce point , nous allons
voir deux M. d'Hermopolis. Averti , par le
recteur de l'Université, que les jésuites éta-
blis dans un certain collège y appellent des
élèves externes, il écrit à ce recteur que cette
( &} )
conduite e$t contraire à l'ordonnanTe dti Kot
et qu'il ne doit pas la tolérer. C'est sans doute
le d'Hermopolis de M. le comte de Lezardiere
et de M. le gênerai Sébastiani. Bientôt ce-
pendant un autre d'Hermopolis , dans une
conférence particulière avec le jésuite supé-
rieur de ce collège, permet la violation qu'il
avait quelques jours auparavant deTendu de
tolérer. On voit par-là que, si en apparence
c'est le même homme, cet homme est sujet
à être possède d'une autre volonté que la
sienne et d'un autre esprit que le sien.
Septième fait et septième témoignage . Sili-
ce sujet, Monseigneur, je consens à vous faire
grâce de la nomination de M. Récamier,
élevé, à raison de ses relique;;, à la place de
professeur de médecine : nomination telle-
ment ridicule qu'il est impossible de ne pas
y reconnaître l'aveuglement d'une coterie
frénétique. Je consens.de même à ne tenir
aucun compte de deux autres nominations
du même genre. J'ai à vous rappeler un
fait bien plus important : c'est l'irruption
subite, presque au même moment et au
même jour, des émissaires de la congréga-
tion dans tous les ministères et partîcu-
( m)
lièrement , Monseigneur , dans le vôtre.
Si je vous disais les divers propos de ces
émissaires à ce sujet; si je vous disais les de-
marches humiliantes auxquelles ils vous
ont oblige , ainsi que toiit le ministère ; si je
vous disais vos petites résistances , vos petits
chagrins et finalement votre de'faite ; vous
seriez bien étonné. (Test ce que je sais d'une
manière positive, de vos ennemis comme
de vos amis.
Je n'ai plus besoin de poursuivre. L'ins-
truction que j'ai entreprise est complète. Le
démon, qui est entré dans le ministère et dont
il est possédé, est connu. C'est l'ame du parti
prêtre, composée d'un élixir de l'esprit des
jésuites et des deux congrégations.
Avec cela , où irez-vous, Monseigneur, et
où irons-nous ?
( '<«> )
CHAPITRE VIII.
M. DE VILLELR S IMMOLE POUR LES PERES LORIQUET ET
JENNESSEAUX. SA POSITION N'EST PAS TENARLE.
MIS EN ACCUSATION PAR LES DEUX CHAMRRES , IL
ENCOURT LA PEINE DE MORT.
Je viens de m'occuper des intérêts de la
religion , de la société et de la monarchie.
Permettez -moi actuellement, Monseigneur,
de m'occuper des vôtres. Quelle qu'ait été
jusqu'à présent mon apparence hostile en-
vers vous , c'est encore dans ma pensée un
intérêt public, que celui d'un ministre dont
les anciens services sont si multipliés , tous
les antécédens si honorables , qui , par des
talens que personne ne conteste , peut nous
donner encore tant d'espérances. Sur ce
point , Monseigneur , je dois vous déclarer
ce que vous ne savez peut-être pas : c'est
que vous avez en moi un partisan très-ar-
. ( !7°0
dent. Vous n'étiez encore qu'un simple dé-
puté de Toulouse , que mes vœux atta-
chaient à vous voir à la tète de nos affaires.
Votre belle conduite à File de France, daus
le cours de la révolution, votre dévouement
et votre courage pendant les cent jours,
votre désintéressement et votre modestie à
la seconde restauration , la belle réponse que
vous fîtes au prince, déjà illustre alors, et
que nous avons vu depuis s'illustrer encore
par la prise du Trocadéro et par l'ordon-
nance d'Andujar : tout cela était dans ma
pensée , lorsque mes yeux ne vous avaient
point encore aperçu , et que mon nom peut-
être ne vous avait pas encore été prononcé.
Vous aviez eu beau répondre au prince, qui,
en témoignage de reconnaissance, vous pro-
posait l'administration de votre ville native ,
que vous ri aviez aucun talent pour les affaires ;
vos discours à la tribune de la Chambre des
députés , démentirent bien vite ces expres-
sions de modestie. Aussi, ce fut une véri-
table fortune pour moi , lorsqu'à une cer-
taine époque de votre arrivée des provinces
du Midi, un ministre, que la France re-
grette, m'apprit, en me faisant asseoir à
( i7« )
table à côte de vous , que vous alliez être
appelé au ministère. Depuis ce temps , di-
vers personnages ont pu vous reprocher,
ceux-ci de vous être séparé d'eux ; ceux-
là , que vos opérations de finances étaient
défectueuses; d'autres ont pu blâmer vos
irrésolutions à l'égard de la guerre d'Espa-
gne : sur tous ces points, je puis vous con-
fier l'impression que j'ai éprouvée.
Sur le premier, peu à même de juger de
quelque reproche tenant aux détails d'une
intimité intérieure , j'ai dû long-temps hésiter.
Sur le second point, c'est-à-dire relativer
ment à vos plans de finances , sans autorité
pour juger l'ensemble de vos opérations ,
j'avouerai franchement que votre trois pour
cent et votre réduction des rentes m'ont
paru conçus avec habileté.
Enfin , je n'approuvais pas sans doute vos
irrésolutions à l'égard de la guerre d'Espa-
gne ; cependant je les excusais. La France,
ébranlée et presque renversée à deux repri-
ses, mal assurée encore dans ses nouveaux
fondemens , pouvait, au moment d'une
guerre étrangère, présenter à un bon es-
prit beaucoup de motifs d'inquiétude.
( *72 )
Sur tout cela, même dans ma chaumière,
je vous ai de'fendu tant que j'ai pu. A la fin,
attaqué par un grand parti de royalistes me-
contens , ainsi que par un parti immense
religieux , vous accusant de ne pas faire assez
de ce que le public et moi-même vous accu-
sions déjà de faire trop j lorsque , au lieu
d'une nobîe résistance, attitude si digne de
vous, je vous ai vu céder peu à peu, et fina-
lement recevoir le joug qui vous était im-
posé; vous me pardonnerez d'oser vous dire
que quelque chose de mon estime s'est éloi-
gné de vous. Entraîné désormais à gouver-
ner l'Etat, non pour des intérêts d'Etat,
mais pour des intérêts de prêtre , vernissés
de couleur religieuse; devenu, au lieu de
ministre supérieur dans votre partie, un
simple commis subalterne sous la main d'un
comité de conscience dont vous et moi nous
connaissons parfaitement la composition ;
c'est en vain que vous voulez cacher votre
nouvelle condition ; elle est, ainsi que celle
de tout le ministère , complètement à dé-
couvert.
Cependant, je dois vous prévenir, et je
m'en suis rendu certain , que^ même avec
( '73)
ces sacrifices, votre position n'est nullement
assurée. Parce que vous vous êtes engage
à ce parti , vous croyez que ce parti s'est
engage à vous ; il n'en est rien. Spéculant
aujourd'hui sur votre chute, comme il a
spécule long-temps sur votre élévation, je
suis averti qu'il cherche d'avance à faire son
lot dans cet événement. Je suis averti que,
par une combinaison déjà accordée entre
des prélats éminens et des députés mar-
quans dans l'Opposition royaliste, on cher-
che , après vous avoir jeté à la mer , ainsi
qu'un grand nombre de ministres actuels , à
sauver dans le naufrage la très-bonne, la
très-douce influence du parti prêtre. Ce
plan, dans lequel on n'abandonnerait pas
les jésuites, mais dans lequel on tâcherait
de les montrer contenus dans certaines limi-
tes , aurait pour principale bannière une
déclaration nouvelle d'adhésion à la cons-
titution et à la Charte. Avec cette déclaration,
signée même par des cardinaux, et le pathos
dont on ne manquerait pas de l'accompagner,
on pourrait sûrement tromper beaucoup
d'honnêtes gens , changer quelques attitudes ,
même quelques positions : il faut le dire fran-
( '74 )
chement, ce plan n'aurait pas deux ans de
succès. Certes, nous ne voulons pas que les
prêtres se mettent , comme ils ont fait jusque
présent , dans nos affaires politiques , pour les
embarrasser et les contrarier. Nous ne vou-
lons pas davantage qu'ils s'y mettent pour les
seconder et les appuyer. Nous ne voulons pas
d'un prêtre qui , comme celui qui a été ac-
cusé dernièrement, nous prêche que l'Etat
ne peut se conserver , si la Charte se con-
serve ; nous ne voulons pas plus d'un
prêtre qui s'extënue à nous en prôner les
avantages. Nous ne voulons pas d'un prêtre
prédicant factieux ; nous ne voulons» pas
d'un prêtre pre'dicant politique.
En ce point, je suis forcé de m'éloigner
des opinions d'un homme que j'aime et que
j'honore par-dessus tout. M. le vicomte de
Chateaubriand nous dit dans un de ses der-
niers écrits : « Elevez notre jeune clergé
dans l'amour des lois du pays; il les défen-
dra et en tirera sa puissance. » Je lui en de-
mande pardon. Cela conviendrait sans doute
fort peu au clergé; cela nous conviendrait
encore moins a nous; nous voulons qu'on
élève notre jeune clergé dans l'amour de
( »75 )
Dieu et dans la connaissance de la religion
Nous voulons, avec M. Frayssinous, qu'un
prêtre soit prêtre avant tout. Nous voulons
aussi qu'il ne soit que cela, et surtout qu'il ne
prétende pas nous enseigner les lois dupays.
Je pourrais me dispenser sans doute de
marquer ici tant d'opposition à un système
auquel je sais que vous résistez vous-mê-
me, attendu qu'il en résulterait pour vous
désormais un néant politique que vous ne
pourriez supporter. Toutefois , pour éviter
un certain danger de disgrâce publique ef
de mépris , remarquez que vous vous pla-
cez dans un autre danger non moins redou-
table. Avec un esprit infini, vous pouvez
échapper aux reproches, tant qu'ils portenl
sur des faits qui se perdent dans une atmos-
phère vague; mais quand ils portent sur des
points et sur des faits précis, comment ferez-
vous ?
Vous ne pouvez ignorer que les jésuites ne
sont pas à eux seuls l'objet du mécontente-
ment. Ils ne sont pas à eux seuls le parti
prêtre; ils en sont seulement un avant-poste.
Mais, tout ainsi qu'une affaire d'avant-poste
amène quelquefois un combat général. Ta-
( >;6)
vant-poste des jésuites , au secours desquels
ou fait marcher le parti prêtre , armé des
missions et des congrégations , avec toute
la puissance des gendarmes et du ministère,
peut amener doutant plus facilement une
affaire générale , que, comme vous le sa-
vez , tout le barreau de France, la Cour
royale de Paris et récemment la Chambre
des pairs, sont engagés dans le combat.
L'attitude que vous avez montrée à cet
égard à la Chambre des députés est tout- à-
fait remarquable. Après vous être défait ,
comme vous avez pu, de quelques reproches
généraux , vous avez prononcé les paroles
suivantes qui méritent une grande attention:
<i Les jésuites, dira-t-on ; pour ceux-là,
vous ne nierez pas le fait. Ils existent , et
c'est une violation de nos lois. Ils existent,
dites-vous; ni plus ni moins qu'ils existaient
quand vous étiez à la tête de l'instruction
publique, dirai-je à l'un de mes adversaires;
et quand vous étiez procureur -général ,
dirai-je à l'autre. )>
Vous ajoutez :
•( Nous ne voulons pas plus que vous le
rétablissement de cette corporation reli-
( *77 )
gieùse, mais pas plus que vous, quand vous
auriez du pouvoir, nous ne croyons devoir
user de celui qui nous est confié pour per-
sécuter des individus sous le prétexte d'opi-
nions religieuses. » {Moniteur,)
Cette réponse, Monseigneur, est, jela-
voue , très-spirituelie et surtout assez pi-
quante pour les deux personnages que vous
avez désignés; encore qu'ils soient l'un et
l'autre de mes amis, je n'ai pu m'empêcher
de sourire. Cependant les affaires d'Etat sont
trop importantes, pour être traitées seule-
ment avec des épigrammes. Lés magistrats
ayant déclaré que l'institution des jésuites
est une chose incompatible avec les lois,
ainsi qu'avec la sûreté du Roi et de l'Etat ;
lorsque la Chambre des pairs, entrant dans
cette pensée, a prononcé, sur le rapport de
sa commission , que l'existence de fait de
cette institution était un scandale , et qu'elle
vous a dénoncé à vous-même ce scandale ;
vous suffit-il d'aller dire à la Chambre des
députés que vous ne voulez pas le rétablis-
sement de cette corporation religieuse, lors-
que ce rétablissement est opéré de fait ?
Monseigneur, de trois choses l'une : ou
12
( '78 )
bien l'institution des jésuites est essentielle-
ment vicieuse, ou bien elle est seulement
susceptible de doute , ou bien elle est émi-
nemment utile.
Je me placerai d'abord dans la première
supposition.
J'avoue, qu'en remuant dans ma- pensée
les souvenirs qui s'attachent à ces religieux,
dans leur conduite à la Chine , au Paraguay ,
ainsi que dans leurs démêlés avec les évëques ,
avec les parlemens , avec les rois , avec l'uni-
versité, je ne puis m'empêcher de voir, dans
le rétablissement des successeurs des Gui-
gnard, des Jean Chàtel, des Escobar et
des Malagrida , tout ce qu'il y a au monde de
plus hideux ; et alors , en supposant que des
membres de la Chambre des députés se
plaignissent à Votre Excellence de la protec-
tion qu'ils croiraient que vous accordez à
une bande de voleurs , vous subirait— il de
dire que vous ne voulez pas plus queux leur
établissement , lorsqu'il serait connu que vous
ne prenez aucune mesure pour en délivrer
le pays.
Vous trouverez, Monseigneur, que plaçant
la question des jésuites dans ce sens, j'en ai
( l19 )
exagéré les termes. On peut dire en effet
que la Compagnie de Jésus a eu dans tous
les temps des apologistes respectables qu'on
ne trouverait pas en faveur de celle de
Mandrin. Je rentre alors dans la seconde
supposition, celle où le mérite et le démérite
de cette institution pourraient être controver-
sés; ce sera alors, si vous voulez, comme la
société des francs-maçons; celle-là, qui a
de grands détracteurs, a aussi de grands par-
tisans : de respectables personnages, même
des souverains, en ont fait partie. Cependant,
comme elle est proscrite par les lois dans
certains pays , notamment en Espagne, vous
suffirait-il de dire, étant ministre à Madrid,
au milieu du conseil de Castille , ou en pré-
sence des volontaires royalistes , que vous
ne voulez pas plus qu'eux du rétablissement
de la société des francs-maçons?
Je viens à la troisième supposition. Non-
seulement institution des jésuites n'est pas,
comme je le pense, une institution abomi-
nable, ou comme d'autres le croient, une
institution d^n mérite douteux; j'accorde
que c'est une institution utile dont la France
et le monarque ne peuvent se passer. Dans
12*
( i8o )
ce cas, Monseigneur, Votre Excellence ne
sera pas plus avancée. On opposera à ces
paroles les paroles même de M. le comte
Portalis, rapporteur de la commission de la
Chambre des pairs.
* Si cette corporation est utile , elle doit
être autorisée. Ce qui ne doit pas être pos-
sible , c'est qu'aucun établissement, même
utile , existe de fait , lorsqu'il ne peut avoir
aucune existence de droit, et que, loin d'être
protégé par la puissance des lois , il le soit
par leur impuissance. »
Dans le fait , Monseigneur, deux vues di-
verses partagent l'administration. Une por-
tion voit , dans l'établissement des jésuites ,
un service en même temps qu'un danger.
Pour profiter du service en éloignant le dan-
ger , elle s'oppose à l'admission légale qui
aurait des inconvéniens; elle se contente
de l'admission de fait. Une autre partie qui
voit tout service et aucun danger , se con-
(ente préalablement de leur existence de
fait, se proposant dans la suite d'en faire
sortir par une simple formalité leur exis-
tence de droit.
Quelle que soit celle de ces lignes que
( '8' )
vous suiviez, Monseigneur, n'ayant pas pour
vous la Chambre des pairs, et la majorité
de celle des députés pouvant d'un moment
à l'autre vous échapper , permettez-moi de
vous dire qu'une multitude de dangers s'ac-
cumulent sur votre tête.
Et d'abord il faut y prendre garde , quels
que soient vos mérites 7 de grandes préven-
tions planent depuis long-temps sur vous.
Il est connu que Votre Excellence n'aime ni
la Charte, ni les constitutions. Lorsque le
mot charte est dans votre bouche , on
soupçonne que celui de contre-révolution
est dans votre cœur. A l'appui de ces pré-
ventions, on cite de vous un écrit publié
précédemment contre toutes les constitutions
et contre toutes les chartes. Coblentz était
alors tout en vous; on soupçonne qu'il y est
encore.
Sans doute on peut citer plusieurs minis-
tres, notamment en Angleterre, qui ont
changé d'opinion. On sait que, dans sa jeu-
nesse, M. Pitt a été au plus haut de la démo-
cratie. On en dit autant de M. Wyndham
de M. Burke et du duc de Portland. De tout
temps, dans le mouvement des Etals, on a
( 18a )
vu les esprits se partager entre deux senti-
mens également honorables , celui de la li-
berté et celui de l'autorité. Au moment où
la liberté sera crue en danger, il sera con-
venable que les esprits généreux se portent
au secours de la liberté. Il en sera de même
lorsque l'autorité pourra paraître en péril.
Cependant, outre qu'il est rare de voir les
hommes en pouvoir revenir sincèrement à
la liberté, ils s'efforcent, quand de tels chan-
gemens s'opèrent, à ne laisser dans les es-
prits rien d'équivoque. Ils cherchent à mon-
trer des garanties.
Vous , Monseigneur , quand vous avez
quitté les livrées de la contre- révolution
pour prendre celles de la Charte, quelle
garantie avez-vous donnée ? Par quel cortège
avez-vous assuré et indiqué votre marche ?
Si la servante de Pilate vivait , elle vous di-
rait sûrement comme à Pierre : DTétiez-vous
pas autrefois de ces hommes?lL]\e ajouterait :
Vous en êtes encore. Votre conduite actuelle
fait croire que vous voulez en être toujours.
Il en résulte, sur vous, je ne sais quel reflet
de duplicité qui provoque la malveillance.
Vous pouvez vous expliquer par-là le mou-
( '83 )
vement de haine publique que vous con-
naissez sûrement , et que , dans tous les cas ,
l'événement récent de la garde nationale a
pu vous manifester.
La haine publique! Je sais, Monseigneur,
tout comme un autre, la valeur qu'elle peut
avoir pour un honnête homme quand il est
sur la ligne de son devoir. Le poëte dit très-
bien : Nec tulit, nec ponit secure, arbltrio
popularis aurœ. Il dit aussi : Nec çivium prava
jubentium. Ainsi donc, si votre résistance ac-
tuelle a pour objet de repousser de la part de
vos concitoyens des injonctions dépravées , si
c'est réellement pour le salut du Roi et de la
patrie que vous tenez à la position que vous
avez prise, non-seulement, Monseigneur,
je vous admire et vous approuve , mais je
vous demanderai encore de me permettre
d'être à côté de vous et de partager vos
dangers. Mais alors il faut être bien sûr
qu'on remplit ses devoirs.
Saint Ignace d'Antioche, condamné par
Trajan , peut dire avec joie : « Je suis le fro-
ment de Dieu , moulu par la dent des bêtes;
je vais devenir un pain tout pur de Jésus-
Christ. » II est soutenu parla grâce de Dieu
( x84 ;
et par les devoirs de son apostolat. Mais
vous, Monseigneur, si jamais vous êtes li-
vré à la dent des hommes , quel témoignage
pourrez-vous vous rendre ? Est-ce seulement
ici une multitude insensée qui vous pour-
suit ? Infidèle à nos lois , et averti en ce
point, d'abord par les jurisconsultes, ensuite
parles Cours royales, ensuite encore par la
^Chambre des pairs ; qui fait que vous amas-
sez contre vous , à la suite d'une vie honora-
ble et au milieu d'une famille qui vous est
chère, une(jnultitude de griefs justes ? Qui
fait que, par une multitude de violations in-
contestables et que vous ne pouvez désa-
vouer , vous vous privez d'avance de ce
noble refuge de tout honnête homme dans
la fidélité à ses devoirs, dans l'approbation
de sa conscience ? Gomment, Monseigneur!
vous immoler , non pour servir votre Roi et
votre patrie , mais seulement pour servir les
jésuites ! Vous immoler pour donner quel-
ques momens de satisfaction au père Lori-
quet et au père Jennesseaux ! Franchement ,
c'est vous donner à trop bon marché; vous
valez mieux que cela.
De quelque manière que j'envisage votre
( '85 )
position, en vérité, Monseigneur, elle ne me
paraît pas tenable : j'en frémis pour vous.
Au moment où une accusation partirait de
la Chambre des députés , je ne vous vois au-
cune défense. Je me suppose alors à la
Chambre des pairs ; je n'ai reçu de vous au-
cun bienfait, je n'ai reçu non plus de vous
aucune injure : je ne vous porte donc au-
cune haine. Eh bien ! je vous le déclare dans
la sincérité de mon ame : au moment où il
me faudrait prononcer sur votre accusation,
je ne pourrais faire autrement que de vous
condamner à mort.
( i86 )
CONCLUSION ET RESUME.
Monseigneur, la contention actuelle rela-
tivement aux jésuites, ne peut être regardée
comme isolée. En mettant en évidence de
part et d'autre de grandes opinions et de
grandes forces , elle a mis en évidence par-
là même l'ensemble des vues, des préten-
tions et des passions auxquelles elle appar-
tient. En principe politique , si l'institution
des jésuites est une institution monstrueuse,
il faut se hâter comme telle de la supprimer.
Si l'institution des jésuites est une institu-
tion équivoque sur laquelle la France soit
susceptible de se diviser , il faut encore
la supprimer comme élément de trouble.
Avant tout c'est la question légale qu'il
faut poser. Utile ou nuisible , dès qu'elle
s'est introduite furtivement en opposition à
la loi , c'est encore à la loi à la repousser,
sauf au gouvernement à la présenter ensuite
aux Chambres pour en obtenir l'admission.
Qu'on ne cite plus à ce sujet, soit les
( <»7 )
Etats-Unis, soit la Russie, soit Ja Prusse ,
soit même l'empire de Napoléon. Sous l'em-
pire où un homme avait tout envahi , les
dangers d'un nouvel envahissement étaient
certainement moins graves. On avait , dans le
caractère du chef d'alors, des garanties beau-
coup plus que suffisantes. D^un autre côte',
dans des Etats schismatiques ou hérétiques,
tels que sont deux grands Etats du Nord, la
religion dominante dans ces Etats offre des
garanties convenables.
J'en dirai autant des Etats-Unis. Comme
un prince est plus facile à circonvenir qu'une
république, celle-ci est moins susceptible
aussi des attentats personnels; .sans compter
que, dans la constitution franchement répu-
blicaine, la liberté est nécessairement plus
affermie, surtout contre une domination
de prêtres.
D'après ces considérations, la dissolution
de tous les établissemens de jésuites actuel-
lement existans, est le seul parti que je puisse
proposer à Votre Excellence. Pour cela il
faudra sans doute auparavant secouer le
joug et des congrégations et au parti prê-
tre ; n'hésitez pas. Vous pouvez perdre
( «88 )
un moment le ministère. Si vous y tenez,
il vous reviendra avec l'appui et les suffrages
de toute la France. Dans tous les cas , le
ministère que vous garderez encore quelque
temps, ne vaudrait certainement ni votre
gloire , ni la gloire du Roi , ni le salut de la
France; il pourrait, comme je vous l'ai dit,
vous mener vous-même à votre perte.
Si ce parti ne vous convient pas , et si
vous persistez à demeurer dans la position
que vous avez prise, vous n'avez plus, pour
vous comme pour tous , qu'un moyen de
salut. Je pense toul-à-fait alors comme on
suppose dans le public que pensent en secret
M. Dudon , M. de Bonald, M. de Vitrolle ,
c'est-à-dire qu'il faut se hâter de suppri-
mer en France la Charte et toute espèce de
simulacre de constitution. Mon premier mo-
tif, c'est que ces simulacres étant de simples
roseaux^ ils sont comme un piëge pour tous
les courages et toutes les générosités qui
cherchent à s'y appuyer. Dans un autre cas,
ils peuvent occasioner la perte de l'Etat et
de la monarchie; car en s'y attachant pour
faire tomber le despotisme , on peut ébran-
ler l'Etat entier.
( >»<))
Je demande l'abandon de la constitution
et de la Charte par un autre motif; c'est qu'a-
vec une apparence de liberté, on a Pair de
recevoir librement et volontairement l'igno-
minie. Sous un despotisme franc, l'ignominie
est imposée : elle n'est pas acceptée.
Lorsque nos soldats français, captifs dans
un empire du Nord , se virent obligés de re-
cevoir de leurs maîtres les chàtimens brutaux,
usités cbez ces peuples, ils ne résistèrent pas,
ils ne murmurèrent pas, ils se mirent tous
ensemble à bêler. Interrogés sur cette singu-
larité : « Vous nous traitez comme des bètes ,
dirent-ils, nous nous plaignons comme elles. »
Je dirai de même au gouvernement d'au-
jourd'hui : Si vous voulez absolument nous
faire accepter vos jésuites, vos congréga-
tions , vos missionnaires , vous pouvez nous
dispenser de vos discours. Ayez seulement
des gendarmes , et payez-les bien. La tyran-
nie contre laquelle il y a possibilité de résis-
tance doit être repoussée. Celle contre la-
quelle il y a impossibilité doit être supportée.
Dans le premier cas, vous pourrez voir la
France se soulever, rugissant de colère et de
fureur; dans le second cas, elle pourra,
( *9° )
avilie et abrutie , se contenter de bêler, et
vous aurez au moins par-là une apparence
de paix.
Je conviens que ce parti peut avoir de
grandes difficultés ; et alors je pourrais vous
proposer un moyen que j'ai proposé il y a
quelques années à un homme d'Etat , pour
l'Espagne.
Une multitude de grands et de doctes per-
sonnages, secondés d'une multitude de men-
dians, de moines et d^estafîers, sont sans
cesse à prôner en Espagne le gouverne-
ment absolu : El Rey netto. De cette doc-
trine révoltante partout , révoltante encore
plus dans la position de l'Espagne, il résulte
pour ce pays un état dévorant de dissension
et d'anarchie. Si on me voulait faire, dans ce
pays, le premier ministre avec la confiance
entière du monarque, il me semble que je
pourrais mettre une fin à ce fléau. Aussitôt
installé, je commencerais à faire rassembler
auprès de moi les chefs les plus ardens de ce
parti. Je leur dirais avec toute la douceur pos-
sible : « Messieurs, vous ne pouvez disconve-
nir qu'un roi dans sa position a toujours besoin
d'un conseil. Que ce conseil se compose de
( i».i )
telle ou de telle manière, cesl à faire selon
les temps. Dans les temps féodaux, il suffira
de quelques barons et de quelques féaux;
dans un temps plus avancé en civilisation ,
où le mouvement des affaires agitera toute
une nation, et où l'esprit d'affaire sera entré
dans toutes les classes, vous sentez par beau-
coup de raisons qu'il faudra composer ce
conseil, dans toutes les parties de l'Etat et
dans toutes les classes. » Non-seulement je
pérorerais sur ce texte avec tous mes pouvoirs
et tous mes amis ; je prierais encore long-
temps et je supplierais. A la fin, ne pouvant
fléchir aucun de ces grands personnages, je
me mettrais, en vertu du pouvoir absolu, à en
faire suspendre une vingtaine à des poten-
ces de cinquante pieds de haut, à commen-
cer par M. de Calomarde, et à finir par le
très-révérend père Cyrille. Cela fait, je trai-
terais ensuite de nouveau avec les autres.
Monseigneur, si vous voulez établir en
France le pouvoir absolu , Votre Excellence
peut avoir recours au même moyen. Cepen-
dant, je la prie de faire attention à quelque
différence.
Lorsqu'on se jette dans la voie des coups
( t9* ;
d'Etat , et qu'on a franchement en but un
résultat de droit et de justice, on peut es-
sayer de vaincre ainsi une résistance qui sera
momentanée. On aura commis une violence;
mais la violence passera : le résultat demeu-
rera. Telle serait l'implantation d'un système
de charte et de liberté en Espagne, formé
dans l'esprit de ses anciennes mœurs et de
ses anciennes lois. Mais en France , lorsque,
pour renverser la Charte et nos libertés, on
aura fait subir à un grand nombre de récal-
citrans (parmi lesquels on voudra peut-être
bien me compter) des violences et des sup-
plices, s'il se trouve en résultat, que ce n'est
que pour établir des jésuites, des congréga-
nistes, des missionnaires et tous les janissaires
du parti prêtre , on verra ce que cela duera.
Monseigneur, en y réfléchissant, je ne
vous conseille pas du tout ce parti. Vous êtes
très-fort ; mais le temps est plus fort que vous.
Vous êtes très-fort ; mais Samson et Milon de
Crotone dans Tordre physique, Bonaparte
dans Tordre politique , nous montrent qu'on
peut périr par l'abus de ses forces.
FIN.
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: A
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