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Full text of "Les jésuites, les congrégations et le parti prêtre en 1827 : mémoire à m. le comte de Villèle"

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MEMOIRE 

A  SON  EXCELLENCE 

LE  COMTE  DE  VILLÈLE. 


©uurajgee  ïm  même  2luttur. 


Mémoire  a  consulter  sur  un  système  religieux,  etc.  i  vol.  in-8d. 

Prix  :  6  fr. 

Dénonciation  aux  Cours   royales,  pour  faire  suite  au  Mémoire  à 

consulter,  i  vol.  in-8°.  Prix  :  7  fr.  5o  c. 

Pétition  a  la  Chambre  des  Pairs,   i  vol.  in-8°.  Prix  ;  3  fr.  5o  c. 

Sous  presse > 
Mystères  de  h,a  vie  humàijjk.  3  vol.  in-8°. 


IMPRIMERIE  DE  J.  TASTCj 

RUE  DE  VAUCÏRARP,  V.  3fi. 


LES 


LES 


(BCDn(BIBà(IUiVII(l)IIi 

ET 

L£  PARTI  PRÊTRE 

EN    1827. 


* 


MEMOIRE 

A  M.  LE    COMTE   DE  VILLÈLE, 

PRÉSIDENT   DU    CONSEIL   DES   MIMSTRES. 
PAR 

JH.  le  Comte  ùe  M\ontio$icv> 


PARIS 

ÀMBROISE    DUPONT    ET   C,E,    ÉDITEURS 

D£    l/lilSIOIRE    DE    NAPOLÉON,     PAU    M.    DE    NORVIN.S  , 

RUE  VI VIENNE,  N.    l6. 

DECEMBRE      1  8  2  7. 


AVIS   DE   L'ÉDITEUR. 


Lorsque  M.  de  Montlosier  adressait 
ce  Mémoire  à  M.  de  Villèle  >  il  ne  pensait 
pas  que  la  situation  du  ministère  dut 
changer  aussi  promptement.  Il  croyait 
que  l'intervalle  de  deux  sessions  serait 
un  temps  de  calme  et  de  repos  pour  le 
premier  ministre,  et  qu'il  aurait  alors  assez 
de  loisir  pour  s'occuper  des  importantes 
questions  traitées  dans  la  Pétition  ren- 
voyée par  la  Chambre  des  pairs  à  Son 
Excellence  ;  questions  présentées  dans  ce 
Mémoire  sous  une  forme  nouvelle,  et 
appuyées  d'une  multitude  de  faits  nou- 
veaux. Mais  la  dissolution  de  la  Chambre 
des  députés  est  venue  donner  de  plus 
grandes   occupations   à   M.   de  Villèle  : 


nous  aimons  mieux  penser  que  ces  cir- 
constances Font  empêche  de  repondre  à 
M.  de  Montlosier,  que  de  croire  qu'il  ne 
Fa  pas  voulu. 

Cependant  M.  de  Montlosier,  forcé  de 
remplir  des  engagemens  qu'il  a  contrac- 
tés à  la  face  de  la  France,  s'est  décidé  à 
publier  ce  Mémoire ,  resté  jusqu'à  pré- 
sent sans  réponse  :  plus  tard  il  se  propose 
d'invoquer  la  sagesse  des  deux  Chambres 
contre  un  ministère  qui,  au  mépris  des 
lois,  laisse  les  jésuites  s'établir  en  France. 


MÉMOIRE 

A  SON  EXCELLENCE 

LE    COMTE   DE  VILLÈLE, 

PRÉSIDENT  DU  CONSEIL    DES   MJNISTUES. 


seai 


Monseigneur, 


Immédiatement  après  rarrêté  de  la  Cham- 
bre des  pairs,  qui  a  juge  à  propos  de  ren- 
voyer à  Votre  Excellence  ma  pétition  au  sujet 
de  l'invasion  des  jésuites ,  mon  devoir  a  été 
de  vous  écrire  pour  mettre  à  votre  disposi- 
tion tout  ce  que  je  puis  avoir  d'informations 
sur  ce  point. 

Que  Votre  Excellence  n'ait  pas  jugé  à  pro- 

i 


(  2) 

pos  de  me  faire  réponse,  je  ne  puis  en  être 
ëtonnë.  Pendant  le  cours  d'une  session  qui  a 
ëtë  orageuse  y  elle  a  eu  assez  d'occupation 
pour  se  croire  autorisée  à  renvoyer  à  un 
autre  temps  l'examen  d'une  affaire  qui  lui 
aura  paru  moins  pressante.  Les  circons- 
tances actuelles  lui  laissant  plus  de  loisir,  je 
ne  puis  me  dispenser  d'avoir  de  nouveau 
recours  à  sa  sagesse.  Le  barreau  de  France , 
la  magistrature,  la  Chambre  des  pairs  ayant, 
dans  les  diverses  circonstances  ou  cette  affaire 
leur  a  e'të  portée,  paru  y  mettre  une  grande 
importance,  il  me  conviendrait  moins  qu'à 
personne  de  paraître  négliger  des  questions 
sur  lesquelles  la  France  entière  attend  une 
de'cision. 

Ce  motif  est  d'autant  plus  pressant  pour 
moi,  que,  comme  je  vais  bientôt  l'exposer 
à  Votre  Excellence  ,  le  grand  abus  de  l'inva- 
sion des  jésuites  s'aggrave  chaque  jour  de 
nouveaux  abus.  Ce  n'est  pas  assez  que  ces 
religieux  se  soient  furtivement  introduits  en 
France,  et  qu'ils  aient  commis  ainsi  une 
grande  et  première  violation  de  nos  lois; 
Votre  Excellence  va  voir  que  depuis  leur 
introduction,  et  principalement  depuis  une 


(  3  ) 
certaine  époque,  ils  ne  cessent  clans  toute 
3eur  conduite  d'ajouter  violation  sur  viola- 
tion. 

On  dira  peut-être  que  ce  ne  sont  que  des 
règles.  Quand  cela  serait,  les  règles  méritent 
des  égards.  Votre  Excellence  aura  à  juger 
comment  des  hommes  qui  sont  déjà  en  état 
de  délit,  peuvent  avoir  la  hardiesse  d'en- 
freindre les  règles,  après  avoir  enfreint  les 
lois.  Elle  ne  pourra  s'empêcher  de  recon- 
naître que  de  tels  hommes  doivent  se  sen- 
tir un  grand  appui. 


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Il  me  sera  indispensable  dans  ce  Mémoire 
de  rechercher  cet  appui.  Je  commencerai 
par  m'occuper  des  abus  présens  ;  j'en  mon- 
trerai ensuite  la  source.  Celte  source  est 
dans  ce  que  j'ai  appelé  depuis  long-temps 
le  parti  prêtre  ;  c'est-à-dire  dans  une  portion 
du  haut  clergé  qui,  depuis  la  chute  de  nos 
anciennes  institutions,  a  regardé  l'état  de  la 
France  comme  favorable  à  ses  envahisse- 
mens;  ce  parti  s'est  concerté  dès-lors  avec 
tout  un  ensemble  de  frères,  de  missions,  de 
congrégations  politiques  et  de  congréga- 
tions religieuses,  à  l'effet  de  mettre  sous  le 
joug,  non-seulement  vous,  Monseigneur ,  et 


(4) 

tout  le  ministère,  mais  encore  une  partie  de 
la  cour,  un  grand  nombre  de  magistrats,  de 
membres  des  deux  Chambres  et  de  fonction- 
naires publics. 

En  prononçant  celte  assertion,  je  sens  ce 
qu'elle  peut  offrir  de  souffrances  à  la  juste 
fierté  d'hommes  d'Etat  qui,  étant  réellement 
captifs,  voudraient  ne  pas  le  paraître.  Je 
prévois  quelle  n'en  causera  pas  moins  à 
quelques  âmes  timorées  qui >  prenant  leur 
dévotion  aux  prêtres  pour  une  dévotion  à 
Dieu ,  les  confondent  dans  le  respect  qu'ils 
lui  portent. 

Que  si  je  voulais  fouiller  à  ce  sujet  les  an- 
ciennes archives  de  l'Eglise ,  peut-être  me 
serait-il  facile  de  montrer  que  là  est  pré- 
cisément la  véritable  origine  des  maux  que 
dans  tous  les  temps  elle  a  éprouvés.  Que  de 
textes  j'aurais  à  citer  à  cet  égard  de  saint  . 
Cyprien,  de  saint  Augustin  et  de  saint  Ber- 
nard! Je  me  contenterai  d'un  seul  trait:  il 
sera  tiré  de  la  Vie  de  saint  Vincent  de  Paule. 

J'y  vois  que  ce  grand  homme  s'occupa 
beaucoup  de  la  réforme  des  mœurs  chré- 
tiennes. J'y  vois  aussi,  qu'avant  tout, il  crut 
devoir  s'occuper  de  celles  du  clergé.  «  Nous 


(5  ) 
devons,  disait-il,  faire  quelque  effort  pour 
ce  grand  besoin  de  l'Eglise  ,  qui  s'en  va  rui- 
née en  beaucoup  d'endroits  par  la  mauvaise 
vie  des  prêtres;  car  ce  sont  eux  qui  la  rui- 
nent et  qui  la  perdent  :  et  il  n'est  que  trop 
vrai  que  la  dépravation  de  l'état  ecclésias- 
tique est  la  cause  principale  de  la  ruine  de 
l'Eglise  de  Dieu.  » 

Plus  heureux  qu'au  temps  de  saint  Vin- 
cent de  Paule,  nous  n'avons  plus  aujourd'hui 
à  déplorer  autant  de  ces  actes  de  dépravation 
qui  étaient  signalés  alors.  Le  mal  n'est  pas  de 
ce  côté.  Le  clergé  français,  à  beaucoup  d'é- 
gards, est  remarquable  du  côté  de  la  pureté 
des  mœurs.  La  dépravation  de  Vétat  ecclé- 
siastique ,  dont  se  plaignait  saint  Vincent  de 
Paule,  a  pris  une  autre  direction. 

A  la  suite  des  anciens  combats  de  la  puis- 
sance spirituelle  et  de  la  puissance  tempo- 
relle, la  révolution  ayant  ôté  à  celle-ci  les 
étais  qu'elle  avait  dans  nos  institutions,  cette 
circonstance  a  paru  d'autant  plus  favorable 
à  un  certain  parti,  qu'à  l'exemple  de  nos 
princes  un  esprit  de  piété  et  de  soumission 
pieuse  s'est  plus  généralement  répandu.  De 
cet  ensemble  de  circonstances  est  résulté , 


(•6) 

de  la  part  du  clergé  (  excité  par  le  parti 
prêtre  )  une  tendance  à  la  domination  qu'il 
n'a  pas  même  cherché  à  dissimuler;  efalors, 
tout  ainsi  que  saint  Vincent  de  Paule  se  crut 
obligé  dans  son  temps  de  diriger  vers  un 
point  particulier  de  désordre  son  zèle  comme 
homme  de  Dieu ,  il  nVest  indispensable 
comme  citoyen  ,  c'est-à-dire  comme  homme 
du  Roi  et  de  la  patrie ,  de  diriger  mon  zèle 
contre  une  frénésie  d^ambition  qui,  prenant 
une  couleur  religieuse,  cherche  de  plus  en 
plus  à  s^ccréditer. 

Sous  ce  rapport,  le  Mémoire  que  j'ai  à 
adresser  à  Votre  Excellence  portera  sur  deux 
parties  distinctes. 

Dans  la  première  partie  ^exposerai  les 
faits  et  je  rechercherai  leurs  causes. 

Dans  la  seconde  partie  je  rechercherai  les 
conséquences  qui  peuvent  résulter  de  cet 
ensemble  dans  les  intérêts  de  la  religion  , 
du  Roi  et  de  la  société. 


PREMIERE  PARTIE. 

EXPOSITION  DES  FAITS  ;  RECHERCHES  DES  CAUSES 
ET  DES  PRINCIPES  QUI  LES  ONT  AMENÉS. 


CHAPITRE  PREMIER. 

INTRODUCTION  PROGRESSIVE  DES  JESUITES  EN  FRANCE  ; 
LEUR  ÉTABLISSEMENT  A  BILLOM  ,  EN  OPPOSITION  AUX 
LOIS   DE    L'UNIVERSITÉ. 

Si  vous  voulez,  Monseigneur,  rappeler  à 
votre  attention  ce  qui  concerne  Texistence 
des  je'suites  en  France ,  elle  vous  offrira  trois 
âges  distincts. 

Le  premier,  leur  introduction  obscure  et 
furtive  sous  le  nom  de  pères  de  la  foi  et  de 
pacanaristes. 

Le  second,  la  complète  divulgation  de 
leur  existence  sous  le  nom  de  jésuites  ;  exis- 
tence surveillée  par  une  administration  se- 


(  8  ) 
vère,  et  qu'on  pourrait  regarder  alors  comme 
simplement  tolérée. 

Le  troisième  âge,  c'est-à-dire  Page  présent, 
où ,  au  lieu  d'une  surveillance  sévère,  une  ad- 
ministration protectrice  (la  vôtre,  Monsei- 
gnetir)  la  favorise  ouvertement  dans  ses 
opérations ,  même  dans  ses  écarts. 

Au  premier  âge,  celle  de  l'introduction 
furtive,  les  jésuites  ont  fait  peu  d'impression 
en  France.  Quand  j'aurai  à  traiter  des  con- 
séquences ,  je  montrerai  comment ,  dans  cer- 
taines situations  des  Etats ,  l'existence  des 
jésuites  pourrait  n'avoir  pas,  ou  avoir  moins 
d'inconvéniens.  Par  exemple,  au  temps  du 
consulat  ou  de  l'empire,  on  pouvait  ne  pas 
s'en  occuper.  Peut-être  même  que  sous  le 
despotisme,  une  hardiesse  ?  qui  avait  une 
sorte  d'apparence  de  révolte,  avait  quelque 
attrait  pour  une  nation  remplie  de  semences 
de  révolte. 

Au  second  âge,  c'est-à-dire  à  l'époque 
de  la  Restauration,  l'introduction  furtive  se 
prévalant  d'un  certain  appui,  et  commen- 
çant à  se  mettre  à  découvert,  a  commencé 
par-là  même  à  donner  des  inquiétudes.  Ce- 
pendant, tant  qu'une  administration  sévère 


(  9  ) 
a  prévalu,  le  public,  se  confiant  à  cette  admi- 
nistration, a  endure  la  présence  des  jésuites; 
il  a  paru  tolérer  qu'ils  fussent  tolérés. 

Bientôt  cependant,  e^ cette  sévérité  de  la 
part  de  l'administration  ,  et  de  la  part  du 
public  cette  apparence  d'indulgence,  n'ont 
convenu  ni  aux  jésuites ,  ni  à  leur  parti.  De 
Rome,  en  même  temps  que  de  Saint-Acheul, 
de  Mont-Rouge,  de  toutes  les  cavernes  de 
congrégations  politiques  et  religieuses,  est 
sorti  une  clameur  en  faveur  des  jésuites;  et 
pour  cela  même,  on  a  demande' un  nouveau 
gouvernement  et  un  nouveau  ministère. 

A  ce  cri ,  dont  plusieurs  amis  du  Roi  et  de 
la  Royauté  ont  été'  dupes ,  un  grand  mouve- 
ment s'est  élevé  dans  l'Etat.  En  même  temps 
qu'on  changeait  de  fond  en  comble  toute 
l'administration  ,  il  a  fallu  changer  tout  le 
système.  A  cette  époque,  que  signalent  et 
réloignement  du  ministère  Richelieu ,  et  le 
changement  de  tout  le  personnel  de  l'Uni- 
versité, et  la  disgrâce  de  tout  ce  qui  était 
supposé  adversaire  des  nouvelles  vues ,  éclate 
l'existence  avouée  des  jésuites ,  celle  des 
congrégations  religieuses  et  politiques ,  en 
un  mot ,  toute  la  domination  du  parti  prêtre. 


(  io  ) 
La  France  étonnée  s'est  trouvée  prise  alors 
comme  dans  un  trébuchet.  Elle  a  vu  en  plein 
la  route  qu'on  lui  faisait  tenir,  l'abîme  où 
on  la  conduisait;  d^  toutes  parts  des  mur- 
mures se  sont  élevés. 

Les  jésuites  n'ont  tenu  compte  de  ces  mur- 
mures. Autrefois  criminels  honteux,  ou  du 
moins  modestes  ,  ils  cherchaient  à  se  dérober 
aux  reproches  en  se  dérobant  aux  regards. 
Aujourd'hui,  sous  la  protection  de  grands 
personnages  leurs  complices,  ils  forment  de 
vastes  établissemens ,  accaparent  de  riches 
donations ,  se  mettent  à  la  tète  de  grandes 
maisons  d'éducation  ;  narguant  désormais 
les  magistrats  qui  les  condamnent,  les  lois 
qui  les  proscrivent ,  et  la  clameur  publique 
qui  les  honnit. 

Il  semblerait  que  c'est  porter  l'audace 
assez  loin.  On  pourrait  croire  que  des  moi- 
nes criminellement  et  furtivement  introduits , 
et  qui  se  sont  ensuite  criminellement  et  fur- 
tivement investis  de  l'instruction  publique, 
vont  au  moins  se  conformer  aux  règles  éta- 
blies pour  cette  instruction.  Vous  allez  voir, 
Monseigneur ,  qu'il  n'en  est  rien. 

Et  d'abord  vous  savez  comment,  par  la  loi 


(  "  ) 

du  10  mai  1806,  l'Université  fut  chargée 
exclusivement  de  renseignement  et  de  l'édu- 
cation  publique.  Vous  savez  ensuite  com- 
ment ,  par  une  ordonnance  (  une  simple 
ordonnance,  non  insérée  au  Bulletin  des 
lois),  Louis  XVIII  jugea  à  propos  d'accorder 
par  exception  aux  ëvêques  et  aux  archevê- 
ques de  son.Toyaume,  la  faculté  de  créer, 
sous  le  nom  de  petits  séminaires  ,  des  écoles 
ecclésiastiques.  Si  Ton  veut  regarder  cette 
ordonnance  telle  qu'elle  est,  comme  base 
de  législation  sur  cette  matière  ,  au  moins 
eonviendra-t-on  que  ce  furent  des  écoles 
ecclésiastiques  et  dans  un  objet  tout  ecclé- 
siastique j  que  le  Monarque  voulut  instituer. 

Eh  bien  ,  Monseigneur ,  si  vous  voulez 
faire  vérifier  sur  ces  maisons  d'éducation 
les  recherches  que  j'ai  faites  moi-même  avec 
soin  ,  Votre  Excellence  y  trouvera,  non-seu- 
lement comme  d.a«s  les  autres  des  maîtres 
de  grec  et  de  latin  ,  mais  encore  des  maîtres 
d'armes  ,  des  maîtres  de  danse  ,  des  maîtres 
de  peinture  et  de  musique,  en  un  mot,  tout 
ce  qui  caractérise  le  train  ordinaire  des  édu- 
cations laïques. 

Les  jésuites  ne  se  contentent  pas  de  violer 


(  12  ) 

en  ce  point  les  règles  particulières  qui  leur 
sont  imposées;  si  Votre  Excellence  veut  se 
faire  apporter  une  autre  ordonnance  royale, 
en  date  du  17  fe'vrier  i8i5  ,  elle  y  trouvera 
en  termes  exprès  que  «  ces  écoles  secon- 
daires ecclésiastiques  ne  peuvent  recevoir 
aucun  e'iève  externe.  »  Eh  bien  ,  Monsei- 
gneur, le  croirez-vous  !  les  jes%ites  ne  sont 
pas  plutôt  établis  à  Billom,  qu'après  avoir 
admis  quatre-vingts  élèves  pensionnaires,  ils 
appellent  aussitôt  trois  cents  élèves  externes. 

Pour  masquer  de  quelque  manière  des 
infractions  aussi  manifestes ,  il  est  naturel 
qu'on  invente ,  en  fait  de  raisonnemens  ,  bien 
des  subtilités  ;  en  fait  de  manège  ,  bien  des 
subterfuges.  Rien  ne  manque  en  ce  genre. 

Etd?abord,  à  ne  parler  que  des  inférieurs, 
lorsqu'on  leur  rappelle  qu'aux  termes  de 
leur  institution,  les  jeunes  gens  de  ces  écoles 
sont  tenus,  au  bout  de  deux»ans,  de  prendre 
l'habit  ecclésiastique,  ils  répondent  que  ces 
élèves  portent  une  cravate  noire  ;  c'est  comme 
le  petit  collet  et  la  soutane. 

Lorsqu'on  leur  rappelle  ensuite  qu'aux 
termes  de  la  même  ordonnance,  ils  ne  doi- 
vent  point    avoir   d'élèves    externes  :  C'est 


(  «3) 
juste,  repondentt-ils ,  mais   nous  allons  les 
visiter  régulièrement  dans  les  maisons  qu'ils 
habitent.  Visités  régulièrement ,  c'est  comme 
pensionnaires. 

Sur  ce  point  cependant ,  un  règlement  de 
l'Université,  sanctionne'  par  l'autorité,  porte: 

«  Ne  sont  considérés  comme  pensionnaires 
que  ceux  qui  habitent  les  maisons,  y  vivent, 
y  couchent;  et  sont  considérés  comme  ex- 
ternes tous  ceux  qui  ne  remplissent  pas  ces 
conditions  :  lesquelles  constituent  seules  l'état 
de  pensionnaire  dans  les  maisons  d'édu- 
cation. » 

Il  semble  qu'il  n'y  a  rien  à  répondre,  c'est 
précis.  N'importe,  Monseigneur,  on  répond 
tout  de  même;   on  répond  toujours. 

En  même  temps  que  les  subalternes  se 
réfugient  dans  de  misérables  subtilités ,  on 
voudrait  espérer  que  les  chefs  y  mettront 
plus  de  franchise.  S'il  y  avait  aujourd'hui  à 
la  tête  de  l'Université ,  un  homme  à  double 
cœur,  à  double  conscience,  à  double  face, 
en  un  mot,  un  homme  do  lis  instructus  et 
arte  pelas gâ ,  on  sent  ce  que  deviendraient 
dans  les  mains  de  cet  homme,  voué  au  parti 
prêtre,  les  règles,  les  lois,  toutes  les  insti- 


(  '4  ) 

tutions  de  l'Université.  Point  du  tout,  il  s'y 
trouve  un  homme  que  je  ne  connais  point 
personnellement,  mais  que  tous  ses  amis 
prônent  comme  un  homme  honorable,  plein 
de  loyauté  et  de  franchise.  Il  m'importe  d'éta- 
blir ici  cette  particularité,  parce  que,  dans 
un  moment,  quand  j'aurai  à  établir  la  capti- 
vité du  ministère ,  j'aurai  besoin  de  rappeler 
comme  témoignage,  les  contradictions  qui 
en  émanent.  En  attendant,  il  me  suffira  de 
citer  la  correspondance  du  recteur  de  Cler- 
mont  avec  M.  d'Hermopolis,  au  sujet  des 
élèves  externes  de  Billom.  On  peut  compter 
sur  les  faits  suivans,  je  vais  les  noter  par 
numéro. 

N°  I.  Lettre  du  recteur,  qui  informe 
M.  d'Hermopolis  de  l'établissement  du  col- 
lège jésuitique  de  Billom  et  de  la  réunion 
dans  ce  collège  de  trois  cents  élèves  externes; 
le  recteur  demande  des  instructions  sur  cette 
circonstance  qui  lui  paraît  illégale. 

N°  II.  Réponse  de  M.  d'Hermopolis,  qui 
envoie  copie  de  l'ordonnance  royale  du  17 
février  181 5  ,  dans  laquelle  il  est  dit,  arti- 
cle 4^i  que  ces  écoles  ne  peuvent  recevoir 
aucun  élève  externe  ;  enjoint  au  recteur  de 


(  '5  ) 
faire   exécuter  cette  ordonnance  et   de  s'y 
conformer. 

N°  III.  Communication  à  M.  le  maire  de 
Billom  de  cette  lettre  et  de  l'ordonnance 
royale. 

N°  IV.  Recours  de  M.  le  supérieur  des 
jésuites  à  M.  d^ermopolis.  Conférence  par- 
ticulière de  ce  supérieur  avec  ce  prélat. 

N°  V.  Retour  du  supérieur  de  Billom  en 
Auvergne.  Conférence  de  ce  supérieur  avec 
le  recteur  de  Clermont;  il  est  dit  dans  cette 
conférence  qu'on  est  d1accord  avec  M.  d'Her- 
mopolis  sur  le  fait  des  élèves  externes.  «  Vous 
pouvez  ,  Monsieur,  si  vous  voulez,  en  écrire 
à  M.  d'Hermopolis  et  lui  citer  mes  paroles. 
On  nVa  recommandé  seulement  de  la  pru- 
dence, je  serai  très-prudent.  » 

N°  VI.  Lettre  à  M.  le  recteur,  à  M.  d'Her- 
mopolis,  pour  lui  faire  part  de  cet  état  de 
choses.  De  la  part  de  celui-ci,point  de  réponse. 
L'article  45  de  l'ordonnance  du  Roi  reste  sans 
exécution.  Éloignement  du  recteur. 

Franchement,  je  m'en  rapporte  à  vous, 
Monseigneur;  je  vous  demande  si  vous  con- 
naissez, dans  aucun  gouvernement  au  monde, 


(  'G) 
un  autre  exemple  d'un  tel  système  de  tergi- 
versât ion   et  de  mensonge.   Il  est  indispen- 
sable de  rechercher   la  source   de  ce   dé- 
sordre. 


(  '7.) 


CHAPITRE  II. 


PROTECTEURS  DES  JESUITES    EN    FRANCE;    BULLE    DU    PAPE 
QUI  LES  RÉTABLIT. 


Quand  un  délit  se  commet  (je  pense  que 
Votre  Excellence  sera  de  mon  avisj,  s'il  ne 
se  commet  que  dans  l'ombre  de  la  nuit ,  si  les 
coupables  n'osent  se  montrer ,  et  que ,  loin 
de  se  vanter  de  leurs  prouesses,  ils  en  parais- 
sent au  contraire  honteux ,  leur  timidité  sera 
un  indice  de  leur  faiblesse,  et  par-là  même 
d'une  certaine  force  dans  les  lois.  Si  au  con- 
traire ils  se  montrenten  plein  jour,  s'ils  étalent, 
s'ils  vantent  leurs  hauts  faits ,  si  on  les  voit  bra- 
ver hautement  les  magistrats  d'un  pays , 
ainsi  que  ses  institutions  et  ses  lois  ,  on  peut 
croire  qu'ils  se  sentent  soutenus,  et  qu'ils 
ont  une  conscience    de  leurs  forces.  Dans 


(  i8) 
Tordre  des  délits  prives,  c'est  ce  qui  fait  la 
différence  de  Cartouche  à  Mandrin;  dans  la 
sphère  des  crimes  d'Etat ,  c'est  ce  qui  com- 
pose la  différence  des  je'suites  de  1809  à  ceux 
de  1820.  Etonné  de  l'audace  des  délinquans, 
on  se  demande  où  est  leur  appui;  certes, 
il  faut  qu'il  soit  bien  fort,  un  appui  ca- 
pable de  balancer  les  arrêts  des  parlemens  , 
les  édits  de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI ,  con- 
firmés par  les  décrets  de  rassemblée  consti- 
tuante^ par  les  lois  de  la  révolution  et  par  celles 
de  l'empire  ;  corps  de  législation  reconnu  so- 
lennellement par  les  décisions  du  barreau, 
par  des  arrêts  de  Cours  royales  ,  et  promul- 
gué, encore  récemment  par  un  arrêté  de  la 
Chambre  des  pairs.  On  cherche  où  peut  être 
la  masse  de  pouvoir  capable  de  balancer  une 
telle  masse  de  pouvoir. 

Au  premier  moment ,  Monseigneur,  où  j'ai 
été  amené  à  examiner  cette  question  ,  je  me 
suis  trouvé  dans  la  même  position  que  le  par- 
lement de  Provence  qui ,  à  la  suite  d'un  sim- 
ple démêlé  particulier  entre  un  négociant 
de  Marseille  et  le  père  Lavallette,  fut  amené' 
a  se  saisir  de  toutes  les  règles  des  jésuites  ,  et 
à  porter  dans  ce  code  (jusque-là  foyer  obs- 


(  '9) 
cur  )  une  investigation  lumineuse  et  sé- 
vère. A  l'égard  des  jésuites,  je  suis  amené 
de  même  à  rechercher,  non  plus  en  eux, 
mais  hors  d'eux,  la  puissance  qui  les  a  in- 
troduits, et  qui ,  après  les  avoir  introduits  en 
infraction  de  nos  lois,  continue  à  les  autori- 
ser à  d'autres  infractions. 

Ce  n'est  pas  assez;  cette  puissance  qui  les 
a  introduits,  que  veut  elle  par-là?  que  pré- 
tend-elle? quelles  sont  ses  doctrines?  quel 
est  son  but?  quelle  est  sa  marche?  Quand  on 
traite  ces  questions  avec  M.  Fryassinous,  il 
vous  reproche  de  lui  opposer  seulement  des 
rumeurs  :  Mecitm  rumoribus  pugnas.  Il  de- 
mande des  raisons;  je  ferai  mieux,  je  lui 
alléguerai  des  faits;  je  ferai  mieux  encore, 
je  lui  alléguerai  ses  propres  aveux. 

Et  d1  abord,  quelle  est  la  puissance  en 
France  qui  a  osé,  qui  a  pu  introduire  les  jé- 
suites? La  solution  de  cette  première  ques- 
tion me  paraît  facile.  En  instruisant  cette  af- 
faire, comme  je  le  ferais  devant  une  Cour 
de  justice,  ce  que  j'observerai  avant  tout, 
c'est  que  les  jésuites  sont  une  milice  parti- 
culière du  Pape  ;  et  alors  je  dois  produire  , 
comme  première  pièce  probante,  la  bulle 


a* 


(  *«  ) 

du  pape  Pie  Vil,  qui  rétablit  cet  ordre,  non 
pas  seulement  dans  ses  domaines  de  l'Italie , 
mais  dans  toute  la  chrétienté. 

On  peut  remarquer  d'abord  la  préci- 
pitation avec  laquelle  a  été  prise  cette  me- 
sure. 

Lorsque  le  pape  Clément  XIV,  de  glo- 
rieuse mémoire,  se  décida  à  la  suppression 
des  jésuites,  on  sait  le  soin  qu'il  mit  à  la  re- 
cherche des  faits ,  le  temps  qu'il  y  employa  , 
les  précautions  qu'il  prit  pour  s'assurer  du 
consentement  et  de  l'approbation  des  cours 
chrétiennes.  Pour  défaire  une  telle  œuvre, 
il  semble  que  les  mêmes  soins  auraient  dû 
être  donnés ,  les  mêmes  précautions  prises  ; 
point  du  tout.  Pie  VII  est  à  peine  de  retour 
à  Rome,  que  sans  aucune  information  préa- 
lable ,  il  rétablit  une  institution  que  son  anti- 
prédécesseur, Ganganelli,  avait  supprimée, 
que  son  prédécesseur  immédiat ,  Pie  VI,  n'a- 
vait pas  voulu  rappeler,  et  contre  laquelle 
toute  l'Europe  chrétienne  avait  prononcé 
des  condamnations  juridiques. 

Les  termes  de  ce  rétablissement  sont  aussi 
curieux  que  le  rétablissement  même. 

Il  ne  suffit  pas  au  souverain    pontife  de 


(  *i  ; 

rendre  à  cet  ordre  les  mêmes  règles,  les 
mêmes  prérogatives  qui  lui  avaient  ap- 
partenu autrefois  ;  il  prétend  l'imposer  en 
cet  e'tat  à  toutes  les  nations  qui  Font  pros- 
crit. 

<(  Nous  ordonnons  que  les  pre'sentes  let- 
tres sortiront  leur  plein  et  entier  effet,  qu'elles 
ne  seront  soumises  à  aucun  jugement  ni  ré- 
vision de  la  part  d'aucun  juge,  de  quelque 
pouvoir  qu'il  soit  revêtu.  Qu'il  ne  soit  permis 
à  personne  d'enfreindre  ou  contrarier,  par 
une  audacieuse  témérité,  aucune  des  dispo* 
sitions  de  cette  ordonnance;  que  si  quelqu'un 
se  permettait  de  le  tenter,  qu'il  sache  qu'il 
encourra  l'indignation  du  Dieu  tout-puis- 
sant et  des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul. 
Donné  à  Rome,  à  Sainte -Marie-Majeure  ,  le 
6  août  i8i4-  » 

Actuellement,  encore  que  la  France  toute 
chrétienne  soit  remplie  de  vénération  pour  le 
Saint-Siège,  je  sais  qu'elle  s'est  arrangée, 
depuis  long-temps,  pour  réduire  à  leur 
juste  valeur  ces  injonctions,  formules  ordi- 
naires des  actes  de  l'autorité  pontificale;  et 
alors ,  comme  la  bulle  que  je  viens  de  men- 
tionner n'a  point  été  reçue  en  France,  il 


(  3*  ) 

s'ensuit  qu'elle  y  est  sans  force ,  et  que,  sans 
un  véritable  délit,  personne  ne  peut  la  met- 
tre à  exécution. 

A  merveille  ;  mais  je  parle  ici  de  la  France 
civile  et  politique  :  à  côté  de  celle-ci ,  s'il 
s'en  trouve  une  autre  toute  ecclésiastique, 
composée  d'hommes  qui,  comme  va  nous 
le  dire  M.  Frayssinous,  sont  prêtres  avant 
tout,  et  qui,  en  cette  qualité,  mettent  avant 
tout  les  ordonnances  du  Pape,  tiennent  peu 
de  compte  de  nos  institutions  et  de  nos  lois , 
lui*  commencera  à  comprendre  comment, 
sans  s'embarrasser,  ni  des  anciens  arrêts  des 
parlemens ,  ni  des  édits  de  nos  rois ,  ni  même 
d'une  ancienne  bulle  du  Pape  (  celle-ci  re- 
çue légalement),  les  jésuites,  qui  s'étaient 
déjà  introduits  furtivement  en  France,  ont 
fini  par  y  être  appelés  positivement. 

C'est  ce  que  confirme  ,  d'un  côté,  la  lettre 
du  révérend  père  Fortis  ,  général  de  l'ordre  , 
à  M.  le  maire  de  Chambéry,  dans  laquelle  il 
est  fait  mention  de  la  multitude  de  demandes 
qui  lui  sont  adressées  de  France,  et  aux- 
quelles il  ne  peut  suffire.  C'est  ce  qu'établit 
encore  mieux  le  discours  de  M.  Frayssinous 
à  la  Chambre  des  députés ,  par  lequel  il  est 


(    «3    ) 

révélé  que  ces  demandes  proviennent  des 
evéques  et  des  archevêques. 

D'un  autre  côte',  lorsqu'on  sait,  par  les 
mêmes  aveux  de  M.  Frayssinous,  que  toute 
notre  jeunesse  cléricale  est  enivrée  des  doc- 
trines ultramontaines,  que  pour  cette  jeu- 
nesse, et  selon  ses  doctrines,  le  Pape  est, 
non-seulement  infaillible  quant  au  dogme, 
mais,  ainsi  que  le  disent  les  ultramontains, 
que  sa  puissance  est  au-dessus  de  toutes  les 
puissances,  en  ce  qui  concerne  le  cierge  su- 
périeur; quand  on  sait  que  les  cardinaux  de 
France,  un  grand  nombre  d'évêques  et  arche- 
vêques, ainsi  que  des  théologiens  renommes , 
ont  prononcé  ces  doctrines  dans  des  lettres, 
des  mandemens,  des  expositions  de  foi,  que 
le  conseil  d'Etat  et  les  tribunaux  se  sont  crus 
obligés  de  repousser;  quand  on  sait  que  ces 
dispositions,  qu'il  est  honorable  de  n'attribuer 
qu'à  une  faction  que  j'appelle  le  parti  prêtre, 
sont  tellement  de  venues  dominantes,  que  dans 
une  démarche,  où  il  s'est  agi  de  reconnaître 
l'indépendance  de  la  puissance  royale  (  dé- 
marche que  les  circonstances  rendaient  né- 
cessaire ) ,  les  évêques  de  France  n'ont  osé 
ni  nommer  ni  reconnaître  la  fameuse  décla- 


(»4) 

ration  de  1682  :  on  sait  à  quoi  s'en  tenir  sur 
la  nature  de  la  puissance  qui ,  en  dépit  de 
nos  lois  anciennes  et  de  nos  lois  nouvelles , 
en  dépit  des  décisions  du  barreau ,  des  ar- 
rêts des  Cours  royales,  de  la  dernière  admo- 
nition de  la  Chambre  des  pairs,  continue  à 
attirer  et  à  appeler  à  l'instruction  publique 
des  hommes  que  le  solde  la  patrie  ne  devrait 
pas  même  connaître. 

Cette  puissance  qui  s'est  formée  dans  le 
sein  du  clergé  est  ce  que  Rappelle  le  parti 
prêtre,  en  ce  qu'il  est  occupé  non,  comme 
il  devrait  l'être,  des  intérêts  religieux,  mais 
seulement  de  ceux  du  sacerdoce. 

A  ce  mot  de  parti  prêtre,  j'ai  pu  m'aper- 
cevoir  souvent  de  l'embarras  qu'éprouvent 
un  grand  nombre  d'amis  de  la  religion ,  qui 
tout  en  improuvant  la  conduite  de  person- 
nages respectables  par  leur  caractère,  alors 
même  qu'ils  ne  le  sont  pas  par  leurs  œuvres, 
ne  savent  comment  exprimer  cette  improba- 
tion.  Il  en  est  qui,  dans  cette  improbation, 
n'osent  pas  même  prononcer  le  mot  prêtre. 
D'autres  voulant  ménager  les  parties  hautes 
de  cette  sphère  auxquelles  ils  donnent  des 
éloges  avec  enthousiasme,  quelquefois  avec 


fadeur,  se  jettent  par  compensation  sur  le 
jeune  cierge  auquel,  a  l'exemple  de  M.  Frays- 
sinous,  ils  imputent  tous  les  torts;  comme  si 
des  jeunes  gens  qui  commettent  en  ce  genre 
de  grandes  fautes,  ainsi  que  je  le  dirai  bien- 
tôt, étaient  les  principaux  coupables  de  ces 
fautes,  plutôt  que  les  évèques  mêmes  et  les 
supérieurs  des  séminaires,  qui  en  dictent  les 
leçons  et  qui  en  donnent  l'exemple. 

Pour  moi,  ce  n'est  pas  cette  bonne  jeu- 
nesse cléricale  que  j'accuserai.  Je  l'excuserai 
bien  plutôt.  C'est  à  la  tête  de  cette  hiérar- 
chie que  je  porterai  mes  accusations  ,  et  non 
pas  à  la  base.  Avec  la  même  voix  qui  au  mi- 
lieu du  concile  de  Trente  fît  retentir  ces  re- 
doutables paroles  :  Eminentissimi  cardinales 
eminentissimd  egent  reformatione  /  je  répé- 
terai que  les  éminens  cardinaux  d'aujour- 
d'hui ont  encore  plus  besoin  de  réformes  que 
ceux  d'autrefois.  Là  et  dans  la  sphère  qui 
l'avoisine,  je  signalerai  une  coterie  particu- 
lière qui  quelquefois  avec  les  formes  de  la* 
soumission  et  du  patelinage  ,  quelquefois 
aussi  ouvertement  et  franchement,  travaille  à 
se  rendre  maître  de  toutes  les  voies. 

Sous  Louis  XIV,  c'est-à-dire  sous  le  gou- 


(a6) 
vernement  absolu,  ce  parti  était  assez  con- 
tent de  proclamer  contre  les  papes  les  liber- 
tés de  l'Eglise  gallicane  ;  au  moyen  du  mo- 
narque, il  tenait  dans  ses  mains  celles  de  la 
nation;  c'est  ce  que  Bossuet  confesse  ouver- 
tement. Depuis  que  l'autorité  royale  s'est 
circonscrite  dans  une  Charte,  ne  pouvant 
s'appuyer  du  pouvoir  absolu  dans  le  Roi,  il 
a  fallu  l'aller  chercher  dans  le  Pape;  domi- 
ner la  France  et  son  Roi  par  le  Pape,  ne  pou- 
vant la  dominer  autrement,  a  été  le  but  et  le 
vœu  de  ce  parti. 

Les  missions,  les  jésuites,  les  congréga- 
tions politiques  et  les  congrégations  reli- 
gieuses sont  entrées  dans  ce  plan.  De  cette 
manière  on  s'est  emparé  du  gouvernement , 
des  places,  delà  faveur;  on  a  façonné,  ainsi 
que  je  le  montrerai  bientôt,  tout  le  clergé  in- 
férieur, à  ces  doctrines  et  à  ces  manœuvres; 
on  a  mis  surtout  de  l'importance  à  se  saisir 
de  l'çducation. 

Vous  voyez,  Monseigneur,  que  ce  plan  est 
vaste.  Je  vais  le  suivre  dans  toutes  ses  parties. 
Je  commencerai  par  l'instruction  publique. 


(  ■>!  ) 


CHAPITRE  III. 


DE    L  UNIVERSITE.  BASES    DE     CETTE     INSTITUTION.   

ELLE    EST   FRAPPÉE   ARBITRAIREMENT   DANS  TOUTES  SES 
BRANCHES. 


Depuis  long-temps,  je  savais  que  le  grand 
objet  du  parti  prêtre  (  dans  l'émigration 
même  il  ne  s'en  cachait  pas) ,  c'était  de  s'em- 
parer de  l'éducation.  Sous  Bonaparte  c'était 
difficile.  Après  quelques  essais  on  y  renonça. 
A  laRestauration,  le  parti  avait  naturellement 
plus  d'avantage;  il  eut  aussi  plus  de  succès. 
L'Université  devint  tout-à-coup  un  point  de 
mire.  Il  convient  de  connaître  d'abord  sur 
quelle  base  repose  cette  institution. 

Dans  l'état  actuel  des  choses,  sa  loi  fonda- 
mentale est  du  îo  mai  i8o5.  Elle  porte  : 

((  Il  sera  formé  sous  le  nom  d'Université , 
un  corps  chargé  exclusivement  de  l'ensei- 
gnement et  de  l'éducation  publique.  » 


(  *8  ) 

Il  est  vrai  que  cette  loi  est  toute  impériale  r 
mais  la  Charte  l'ayant  reconnue  ,  elle  est 
demeurée  loi  de  l'Etat;  je  vais  montrer  com- 
ment le  parti  prêtre  s'efforce  à  la  faire  tom- 
ber. 

El  d'abord  ,  au  premier  moment  où 
Louis  XVIII  fut  sur  le  trône ,  il  lui  fut  re- 
présenté, avec  une  grande  apparence  de  rai- 
son ,  que  les  écoles  de  l'Université  étant  im- 
prégnées d'un  système  mondain  ,  tm  grande 
partie  même  militaire,  le  clergé  dépourvu 
alors  de  sujets  trouvait  dans  un  tel  fonds 
peu  d'élémens  propres  à  sa  restauration. 
Louis  XVIII  ayant  égard  à  ces  représenta- 
tions, il  en  résulta  l'ordonnance  suivante. 
Elle  est  du  5  septembre  1814. 

«  Ayant  égard  à  la  nécessité  où  sont  les 
archevêques  et  évêques  de  notre  royaume 
dans  les  circonstances  difficiles  où  se  trouve, 
l'Eglise  en  France,  de  faire  instruire  dès  l'en- 
fance des  jeunes  gens  qui  puissent  entrer 
avec  fruit  daus  les  grands  séminaires,  et  dé- 
sirant leur  procurer  les  moyens  de  remplir 
avec  facilité  cette  pieuse  intention,  ne  vou- 
lant pas  toutefois  que  les  écoles  de  ce  goure 
se  multiplient  sans  raison  légitime,  sur   le 


(  *9  ; 

rapport  de  notre  ministre  secrétaire-d'Etat 
de  l'intérieur  nous  avons  ordonné  et  ordon- 
nons ce  qui  suit  : 

»  Art.  1er.  Les  archevêques  et  évéques  de 
notre  royaume  pourront  avoir  dans  chaque 
département  une  école  ecclésiastique  dont  ils 
nommeront  les  chefs  et  îes  instituteurs,  et  où 
ils  feront  élever  et  instruire  dans  les  lettres 
des  jeunes  gens  destinés  à  entrer  dans  les 
grands  séminaires.  » 

L'art.  4  porte  :  «Que  les  élèves  de  ces 
écoles  ecclésiastiques  sont  exempts  de  la  ré- 
tribution ordinaire  due  à  l'Université  ;  l'art.  5, 
que  le  grade  de  bachelier  doit  aussi  leur  être 
conféré  gratuitement.  » 

Vous  savez  comme  moi  ,  Monseigneur, 
que  cette  ordonnance,  en  ce  qu'elle  déroge 
à  la  loi  générale  de  l'Université,  ne  peut 
avoir  de  valeur.  Il  est  de  principe  que  les 
ordonnances  n'ont  pour  objet  que  l'exécu- 
tion des  lois.  Cette  vérité  fut  reconnue  du 
Monarque  qui  ne  la  fit  pas  même  insérer  au 
Bulletin  des  Lois.  C'est  ce  que  confirme  l'or- 
donnance du  17  février  181 5. 

«  Voulant  (  dit  le  Monarque  )  nous  mettre 
en  état  de  proposer  le  plutôt  possible  aux 


(3o) 

deux  Chambres  les  lois  qui  doivent  fonderie 
système  de  l'instruction  publique.  » 

L'ordonnance  du  i5  août  de  la  même  an- 
nee  revient  sur  celte  disposition. 

«  Voulant  (dit  le  Monarque)  surseoir  à 
toute  innovation  dans  le  régime  de  l'instruc- 
tion publique  ,  jusqu'au  moment  où  des  cir- 
constances plus  heureuses  que  nous  espérons 
n'être  pas  éloignées,  nous  permettront  Ré- 
tablir par  une  loi  les  bases  d'un  système  dé- 
finitif. » 

L'ordonnance  du  icr  novembre  y  revient 
de  nouveau. 

«  Voulant  établir  sur  des  bases  plus  fixes 
la  direction  et  l'administration  d'un  corps 
enseignant  et  préparer  ainsi  son  organisa- 
tion définitive.  » 

Ces  déclarations  royales,  cette  reconnais- 
sance expresse  de  la  nécessité  d'une  loi  pour 
dérogera  une  loi,  n'étaient  pas  seulement  de 
forme.  De  tous  côtés  s'élevaient  des  plaintes. 
Ces  plaintes  qui  souvent  m'ont  été  commu- 
niquées, portaient  de  la  part  de  l'Université 
sur  deux  chefs.  Le  .premier,  c'est  qu'en  ren- 
versant sur  plusieurs  points  et  par  des  or- 
donnances subreptices  ,  l'état  légal  et  fondé 


(  3i  ) 
de  l'Université,  l'existence  entière  de  ce  corps 
était  menacée.  Recevant  chaque  jour  des 
mutilations,  au  bon  plaisir  d'une  coterie  par- 
ticulière, l'Université  ne  savait  où  ces  muti- 
lations s'arrêteraient.  Frappée  arbitrairement 
tantôt  à  la  tête,  tantôt  auxmembres,  elle  n'a- 
vait plus  pour  son  existence  la  sécurité  né- 
cessaire à  toute  existence. 

D'un  autre  côté,  ce  n'était  pas  assez  d'a- 
voir créé  à  côté  de  l'Université  (contre  le 
texte  même  delà  loi)  une  institution  rivale; 
ces  écoles  nouvelles,  libérées  de  la  juridic- 
tion ainsi  que  des  rétributions  universitaires, 
devenaient  tout-à-fait  prépondérantes.  A  une 
concurrence  déjà  illégale,  s'ajoutait  une  iné- 
galité qui  ne  laissait  même  plus  lieu  à  la  con- 
currence. 

De  la  part  du  public  d'autres  plaintes  s'é- 
levèrent. 

Depuis  long-temps  j^vais  été  informé  qu'à 
Rome ,  à  Paris,  dans  les  congrégations,  dans 
les  comités  de  conscience  et  dans  ceux  des 
jésuites,  on  s'agitait  à  TefFet  de  faire  donner 
l'instruction  publique ,  si  ce  n'est  immédiate- 
mentaux  jésuites,dumoins  aux  prêtres.Quand 
le  public  fut  instruit  de  ces  dispositions,  il 


(3*  ) 

ne  fut  pas  d'abord  très-alarmé.  On  savait  que 
Louis  XVIII  résistait  à  ce  plan.  A  la  fin,  la 
santé  de  ce  monarque  commençant  à  décli- 
ner, et  la  police  de  Paris,  la  police  générale, 
les  postes,  toute  l'administration  ayant  été 
emportées,  l'Université  le  fut  aussi.  On  eut 
dans  TUniversité  une  irruption  de  prêtres; 
et  M.  Frayssinous  avec  eux. 

Ici,  Monseigneur,  en  évitant  un  extrême , 
il  faut  prendre  garde  de  tomber  dans  un 
autre.  De  tout  temps,  et  je  reviendrai  pro- 
bablement sur  cette  pensée,  il  y  a  eu  dans 
les  diverses  parties  de  TUniversité  d'hono- 
rables prêtres  qui ,  portés  par  une  vocation 
particulière  vers  l'étude  des  sciences  ,  ont  été 
justement  recherchés  pour  l'instruction  pu- 
blique. J'ai  connu  et  je  connais  encore  un 
grand  nombre  de  ces  hommes  qui  ont  illus- 
tré les  écoles,  en  même  temps  qu'ils  ont 
conservé  l'honneur  de  leur  caractère.  Ici  ce- 
pendant il  faut  faire  une  observation  ;  c'est 
que,  dans  ce  cas  ,  si  le  caractère  de  prêtre  est 
une  garantie  de  plus  pour  l'éducation  et  pour 
les  mœurs ,  c'est  comme  savans,  comme 
hommes  de  lettres ,  plutôt  que  comme  prê- 
tres qu'ils  sont  recherchés.  Dans  le  système 


(  33  ) 
d'aujourd'hui,  au  contraire,  c'est  avant  tout 
comme  prêtres  qu'on  les  recherche. 

La  pièce  suivante,  qui  est  une  lettre  adres- 
sée par  M.  Frayssinous  aux  archevêques  et 
évêques  du  royaume,  ne  laisse  à  cet  égard 
aucun  doute. 

«  Depuis  que  Sa  Majesté  m'a  fait  l'insigne 
honneur  de  m'élever  au  poste  redoutable  de 
grand-maître  de  l'Université ,  j'ai  été  vive- 
ment frappé  de  deux  pensées  :  la  première, 
que  F  éducation  est  une  chose  plus  morale  et 
religieuse  ?  que  littéraire  et  scientifique.  La 
seconde, que,  pour  faire  refleurir  la  piété  et 
les  bonnes  mœurs  dans  les  établissemens 
d'éducation  publique,  il  faut  que  le  zèle  et 
les  efforts  continuels  des  principaux  fonc- 
tionnaires de  l'Université  trouvent  un  appui 
dans  V assistance  du  clergé,  et  surtout  de  ces 
premiers  pasteurs  qui  gouvernent  avec  au- 
tant de  sagesse  que  de  dévouement  les  di- 
verses portions  de  l'Eglise  de  France.  Sans 
doute,  il  importe  d'ouvrir  devant  la  jeunesse 
la  carrière  des  connaissances  humaines,  et 
de  donner  à  leur  esprit  un  essor  généreux , 
pour  la  rendre  capable  d'exercer  avec  hon- 
neur les  différentes  professions  qui  partagent 

3 


(34) 
la  société;  mais  il  importe  encore  plus  de  la 
prémunir  par  des  habitudes  vertueuses  ,  con- 
tre l'abus  des  lumières  et  des  talens.  »  (Moni- 
teur. ) 

Ce  plan  une  fois  dévoile' ,  on  comprend 
l'impression  qu'il  a  dû  faire  dans  le  public , 
et  principalement  sur  la  multitude  de  laï- 
ques qui  s^étant  engagés  depuis  long-temps 
dans  renseignement  ,  Pavaient  regardé 
comme  une  carrière.  »Tai  vu  les  écoles  re- 
tentir de  murmures  et  frappées  d'une  sorte 
de  stupeur. 

Après  avoir  cherché  par  toutes  sortes  de 
dégoûts  à  éloigner  les  laïques  de  l'Université, 
une  circonstance  particulière  a  préservé  ces 
dispositions  d'un  effet  complet.  Les  évêques, 
sollicités  pour  fournir  des  sujets,  ont  répondu 
que  même  pour  le  service  de  leurs  églises,  ils 
étaient  dans  la  pénurie  ;  il  a  fallu  renoncer 
alors  à  l'exclusion  qu'on  avait  méditée.  Quant 
à  l'institution  même  de  l'Université,  on  n'a, 
pour  juger  de  sa  situation,  qu'à  énumérer  les 
attaques  qui  lui  ont  été  portées. 

Une  foule  de  petits  séminaires  ont  été  insti- 
tués, à  ce  qu'on  a  dit,  comme  écoles  ecclésias- 
tiques dans  un  objet  ecclésiastique ,  et  cepen- 


(35) 
dant  gouvernés  contre  l'objet  de  leur  institu- 
tion dans  un  mode  laïque,  à  l'effet  de  les  met- 
tre en  concurrence  avec  les  collèges  laïques. 

Dans  cette  concurrence,  nulle  égalité  con- 
servée du  côté  de  l'argent,  puisqu'ici  on 
paie  des  rétributions,  et  que  là  on  n'en  paie 
pas.  D'un  autre  côté,  nulle  égalité  du  côté  de 
la  faveur;  étant  connu  que  tout  ce  qui  sort 
de  Saint-Acheul ,  de  Mont-Rouge  et  des  au- 
tres établissemens  jésuitiques  ,  a  partout  des 
avantages  et  le  premier  pas. 

Il  restait  le  petit  avantage  de  pouvoir  ensei- 
gner des  élèves  externes.  L'exemple  du  collège 
de  Billom  montre  que  les  écoles  de  l'Uni- 
versité en  sont  encore  dépossédées. 

C'est  ainsi  quun  glaive  à  la  main,  M.  de 
Frayssinous,  exécuteur  des  hautes  œuvres 
du  parti  prêtre ,  ne  cesse  de  blesser  dans 
toutes  les  parties  le  corps  de  l'Université, 
sans  qu'on  sache  encore  précisément  si  sa 
volonté  est  de  le  faire  périr,  ou  seulement 
de  l'affaiblir  pour  le  donner  aux  jésuites,  en 
faire  ensuite  de  concert  avec  eux  un  nouvel 
élément  de  domination. 

On  ne  pourra  pas  dire  que  ce  sont  ici  des 
craintes  vagues  :  elles  ressortent  de  la  nature 


(  36  ) 
des  choses.  Les  faits  viennent  les  confirmer. 
Ils  ont  été  proclamés  a  la  tribune  de  la  Cham- 
bre des  de'pute's  ,  sans  que  personne  les  ait 
contredits. 

«  Il  est  avéré,  a  dit  M.  Méchin,  que  le  col- 
lège de  Sèvres  a  disparu,  parce  qu'il  était  en 
concurrence  avec  le  petit  séminaire,  lequel 
est  dispensé  de  la  rétribution  universitaire. 
D'un  autre  côté,  il  est  avéré  que  le  collège 
royal  de  Caen  ,  un  des  plus  florissans  de  ce 
royaume,  a  été  réduit  de  trois  cents  élèves  à 
quatre-vingts  par  l'effet  de  la  même  concur- 
rence avec  le  petit  séminaire.  »  {Moniteur,) 

Pour  ce  qui  me  concerne,  je  puis  affirmer 
que  dans  diverses  proportions,  il  en  est  de 
même  de  tous  les  collèges  placés  dans  le  voi- 
sinnge  des  petits  séminaires,  et  principale- 
ment des  petits  séminaires  de  jésuites. 


(  37  ) 


CHAPITRE  IV. 


INTERPELLATIONS     ADRESSEES    A    MONSEIGNEUR    D  HERMO- 

POLIS  PAR   MM.    SE'BASTIANI    ET   HYDE   DE    NEUVILLE.  

RÉFLEXIONS   A   CE  SUJET. 


y  kl  fini  relativement  à  l'Université'.  J'ai  ac- 
tuellement à  rechercher  sur  d'autres  points 
l'esprit  d'envahissement  du  parti  prêtre;  au- 
paravant, il  est  bon  d'entendre  sur  ce  sujet 
M.  de  Frayssinous. 

«  Loin  de  nous,  dit  ce  prëlat,cet  esprit  de 
domination  qui  se  trahirait  par  des  paroles 
fastueuses  ?  par  des  manières  hautaines,  par 
des  personnalités  offensantes  !  Mais  il  est  un 
ton,  un  langage  d  autorité  y  qui  appartient 
au  prêtre  de  la  loi  nouvelle,  qui  est  la  suite 
inévitable  du  ministère  céleste  qu'il  remplit. 
(  Moniteur.  )  Si  l'on  veut  que  le  prêtre  soit 
dans  le  temple  comme  une  idole  qui  a  des 
yeux  pour  ne  point  voir,  des  oreilles  pour 


(38) 
ne  pas  entendre,  et  une  bouche  pour  ne  rien 
dire;  si  l'on  veut  que  son  ministère  soit  sans 
influence;  si  Ton  veut,  à  force  de  mensonge, 
nous  entourer  de  haine  et  de  mépris;  que 
Ton  commence  par  faire  de  nous  une  classe 
d'ilotes  ,  en  attendant  qu'on  puisse  en  faire 
une  classe  de  victimes.  (Débats.)  Messieurs, 
je  le  demande,  à  quoi  peuvent  aboutir  tant 
d'exagérations,  tant  d'attaques  irréfléchies 
contre  le  cierge'!  A  rien  autre  chose  qu'à  se- 
mer de  fausses  et  dangereuses  alarmes.  On 
met  des  fantômes  à  la  place  des  réalités...  » 
(  Moniteur.  ) 

Voilà  sans  contredit  un  singulier  discours 
et  de  singulières  plaintes.  Je  me  garderai 
bien  d'appeler  de  son  véritable  nom  la  har- 
diesse de  ces  paroles  :  je  sens  que,  même  au 
prix  d'une  portion  de  vérité,  le  caractère  de 
celui  qui  les  prononce  mérite  des  ménage- 
mens.  Ces  paroles  n'ont  pas  laissé  de  faire 
impression  à  un  homme  dont  j'ai  l'habitude 
d'estimer  le  talent  autant  que  j'honore  son 
caractère.  M.  le  comte  de  Lézardière  a  ad- 
miré le  discours  de  M.  d'Hermopolis;  il  lui 
trouve  une  grande  franchise.  A  cet  acte  de 
foi  et  d'admiration,  je  me  contenterai  d'op- 


(39) 
poser  la  réponse  faite  aussitôt  à  la  tribune 
par  un  autre  honorable  député.  M.  le  comte 
Sébastiani  a  fait  à  M.  d'Herrnopolis  les  inter- 
pellations suivantes  : 

«N'est-il  pas  vrai  que  des  questions  politi- 
ques ont  été  traitées  dans  des  raandemens, 
que  ces  mandemens  ont  été  déférés  au  con- 
seil-d'Etat,  et  que  cependant  les  évêques 
dont  ils  sont  émanés  ont  reçu  des  récom- 
penses qui  les  ont  appelés  au  conseil  du 
prince?  Vous  nous  reprochez  de  vous  com- 
battre avec  des  fantômes.  Les  actes  des  tri- 
bunaux, les  délibérations  de  la  Chambre  des 
pairs  sont  des  faits  récens,  des  faits  connus. 
Il  ne  s'agit  pas  là  de  fantômes  ou  de  faits 


imaginaires.  » 


M.  le  comte  Sébastiani  fait  observer  «  qu'il 
eût  été  utile  d'expliquer  ces  faits,  d'en  com- 
battre la  vérité,  ou  du  moins  les  conséquen- 
ces, si  cela  eût  été  possible.  »  Il  ajoute  avec 
raison  qu'une  telle  explication  eût  été  utile  à 
la  religion  et  a  l'Etat. 

Cette  explication  n'a  pas  été  donnée  ;  elle 
ne  pouvait  pas  l'être,  les  faits  sont  ici  trop 
nombreux  et  trop  évidens.  Je  prie  Votre 
Excellence  de  se  rappeler  la  déclaration  faite 


(4<0 

à  ce  sujet  par  M.  le  comte  Hyde  de  Neuville. 
«  (Test  un  fait,  Messieurs,  que  dans  la  mino- 
rité du  clergé,  et  surtout  hors  de  son  sein, 
il  existe  des  hommes  qui  travaillent  à  mettre 
en  circulation  une  doctrine  impie,  sacrilège, 
hérétique,  qui  tend  à  ébranler  les  trônes,  à 
favoriser  les  dangereux  principes  de  la  sou- 
veraineté des  papes,  à  rendre  douteuse, 
incertaine  et  surtout  conditionnelle,  la  puis- 
sance légitime  des  rois.  C'est  un  fait  que  ja- 
mais à  aucune  époque  de  notre  histoire,  cette 
doctrine  anti-sociale,  anti-française,  anti- 
monarchique, avant  tout  anti-chrétienne, 
ne  fit  plus  de  progrès,  ne  se  montra  avec 
plus  d'assurance,  disons  avec  plus  d'audace. 
C'est  un  fait  qu'il  existe  en  France  des  asso- 
ciations illicites,  c'est-à-dire,  des  sociétés  dé- 
fendues ou  non  autorisées  par  nos  lois.  Nier 
ce  fait,  c'est  accuser  la  Chambre  des  pairs 
qui  l'a  proclamé;  c'est  accuser  notre  magis^ 
trature  qui  l'a  constaté',  c'est  accuser  le  mi- 
nistre qui  en  a  fait  l'aveu ,  c'est  accuser  la 
France  entière  qui  le  dit,  qui  le  crie;  c'est 
contester  l'évidence;  c'est  nier  la  lumière  en 
présence  du  jour.  C'est  un  fait,  Messieurs,  que 
parmi  les  associations  illicites,  il  en  est  une 


(  4'  ) 

qui  se  cache ,  et  qui  par  cela  seul  .tourmente  , 
agile  davantage  les  esprits.  On  ne  la  voit 
nulle  part;  on  la  dit,  on  la  voit,  on  la  rêve 
partout.  C'est  un  fait  qu'une  congrégation  a 
juste  titre  célèbre,  qui  tout  en  se  montrant 
peu ,  paraît  destinée  à  faire  toujours  beau- 
coup de  bruit,  s'est  formée,  s'est  relevée 
d'elle-même  au  milieu  de  nos  orages  politi- 
ques, contre  la  loi  de  Rome  qui  la  proscrivait 
alors,  contre  les  lois  du  royaume  qui  la  pros- 
crivent encore.  Toutefois,  Messieurs,  la  ques- 
tion des  congrégations  et  des  jésuites  n'est 
aujourd'hui  que  secondaire.  Il  s'agit  d'un 
intérêt  autrement  grave.  Il  s'agit  de  savoir 
(et  c'est  là,  Messieurs,  il  ne  faut  pas  se  le  dissi- 
muler, une  des  causes  de  notre  maladie) ,  il 
s'agit  de  savoir  si  l'ordre  illégal  pourra  s'é- 
lever impunément  à  côté  de  l'ordre  légal  ;  il 
s'agit  de  savoir  si  les  ministres  sont  au-dessus 
du  Roi  et  des  Chambres,  et  s'ils  pourront  de 
leur  plein  vouloir  ,  autoriser  ,  protéger  , 
tolérer  ce  que  la  loi  défend.  Soyez  pour  l'af- 
firmative, et  de  suite  vous  ébranlez  le  trône, 
vous  déchirez  la  Charte  ,  vous  compromettez 
nos  plus  chers  intérêts,  vous  appelez  l'anar- 
chie en  favorisant  l'arbitraire,  et  pour  tout 


(4»  ) 

dire,  vous  livrez  Ta  venir  de  la  France  au 
carbonarisme  et  à  la  ligue.  »  (Moniteur.)  Que 
M.  d^Hermopolis  nous  parle  après  cela  de 
fantômes ,  d'accusations  ,  d'attaques  irréflé- 
chies, du  projet  de  faire  du  clergé  une  classe 
dy ilotes ,  en  attendant  qu'on  puisse  en  faire 
une  classe  de  victimes;  qu'il  nous  dise  que 
le  clergé  ne  veut  pas  être  une  idole  muette, 
et  toutes  les  autres  pauvretés  qui  se  trouvent 
dans  son  discours  ;  mais  aussi  que  dire ,  quand 
on  n'a  rien  à  dire!  Que  répondre  à  des  in- 
terpellations aussi  précises,  à  des  allégations 
aussi  nombreuses  et  aussi  positives! 

A  ce  sujet,  je  vous  prierai,  Monseigneur, 
de  remarquer  combien  il  y  a  de  ménage- 
ment de  la  part  de  ces  deux  orateurs  dans 
leurs  discours.  Vous  avez  vu  comment 
M.  Hyde  de  Neuville  n^se  pas  même  nom- 
mer le  clergé,  mais  seulement  la  minorité. 
Il  ajoute  :  Et  surtout  hors  de  son  sein. 
Ailleurs  :  «  Gardons-nous,  Messieurs,  dit-il, 
de  vouloir  faire  retomber  sur  noire  Eglise 
gallicane  les  fautes,  les  erreurs,  les  extra- 
vagances de  quelques  hommes  aveugles  et 
passionnés.  Cessons  de  la  rendre  responsa- 
ble de  V inexpérience  de  ces  jeunes  prêtres  t 


(43) 
dont  le  zèle  trop  ardent  n'a  besoin  que  d'être 
éclairé.  » 

M.  le  comte  Sébastiani  ne  montre  pas 
moins  de  timidité  que  M.  Hyde  de  Neuville. 
Se  réduisant  aux  simples  généralités  que  j'ai 
rapportées,  «  je  crains  ,  dit-il,  de  citer  des 
faits  qui  ne  pourraient  dans  aucun  cas  être 
produits  à  la  tribune ,  sans  manquer  à  la 
dignité  de  nos  discussions.  Il  ajoute  :  Et  sur- 
tout sans  compromettre  la  religion  divine 
qu'ils  outragent.  » 

J'ai  besoin  de  nVexpliquer  sur  des  obser- 
vations aussi  graves  de  la  part  d'hommes 
aussi  importans. 

Et  d'abord  M.  Hyde  de  Neuville  nous  dit 
que  les  écarts  appartiennent, non  à  l'ensem- 
ble du  clergé  ,  mais  à  une  simple  minorité. 
Il  les  attribue,  non  aux  chefs  et  aux  supérieurs 
de  l'ordre  ,  mais  seulement  à  une  jeunesse 
indisciplinée.  Accoutumé  comme  je  le  suis 
à  priser  toutes  les  paroles ,  à  adopter  toutes 
les  doctrines  de  ce  grand  orateur,  je  vou- 
drais écarter  comme  lui  des  sommités  du 
clergé  les  reproches  qu'il  détourne  sur  sa 
base.  Cependant ,  il  faut  que  cela  soit  juste 
et  que  cela  soit  possible.  Mon  Dieu  !  est-ce 


(44  ) 

que  je  me  trompe  ?  N'est-ce  pas  un  cardinal 
qui,  en  dëpit  de  nos  lois  qui  les  repoussent, 
s'est  mis  récemment  à  prôner  l'institution 
des  jésuites  à  la  Chambre  des  pairs  ?  N'est-ce 
pas  un  autre  cardinal  qui  a  donné  l'exemple 
de  la  désobéissance  aux  ordres  du  Roi,  si- 
gnifiés par  un  ministre  du  Roi?  N'est-ce  pas 
un  autre  cardinal  qui  s'est  mis  à  prôner  par- 
tout ,  et  à  fonder  des  congrégations  reli- 
gieuses en  fraternité  avec  les  congrégations 
politiques  ?  Ne  sont-ce  pas  de  tous  côtés  des 
évêques  et  des  archevêques  qui  appellent 
des  établissemens  de  jésuites? 

L'inexpérience  des  jeunes  prêtres  a  besoin 
cVêtre  éclairée.  On  accuse  leur  zèle  trop  ar~ 
dent!  Mais  qui  instruit  ces  jeunes  prêtres? 
Qui  excite  leur  zèle?  Ne  sont-ce  pas  les  évê- 
ques et  les  supérieurs  des  séminaires?  Au 
sortir  de  ces  séminaires  ,  Dieu  a  encore,  j'en 
conviens  ,  la  première  place  ;  mais  s'ils  se 
mettent  immédiatement  après;  s'ils  se  com- 
parent à  Jésus-Christ  même  selon  ces  pa- 
roles ,  sicut  misit  me  pater  et  ego  mitto  vos  ; 
ou  s'ils  se  contentent  de  se  croire  simple- 
ment ses  ambassadeurs,  selon  ces  autres 
paroles, pro  Christo  legalione  fungimur ;  si, 


(  45  ) 
en  cette  qualité ,  ils  font  peu  de  compte  des 
misérables  lois  humaines ,  ainsi  que  des  mi- 
sérables commandemens  des  souverains  de 
la  terre  ,  à  qui  est-ce  la  faute ,  si  ce  n'est  à 
des  supérieurs  qui,  au  lieu  de  leur  recom- 
mander la  modestie  et  l'obéissance  au  nom 
de  celui  qui  a  dit  :   Apprenez   de  moi  que 
je    suis  doux  et  humble  de  cœur  :   II  faut 
rendre  à  César  ce  qui  appartient  a  César  ; 
sont  sans  cesse  à  exalter  les  prétentions  de 
leurs  élèves,  par  des  discours  arrogans  et 
ampoulés?  «  Loin  de  nous,  dit  M.Frayssinous, 
cet  esprit  de  domination  qui  se  trahirait  par 
des  paroles  fastueuses  /Que  fait-il  autre  chose, 
lui  et  ses  pareils  ?  Peuvent-ils  ignorer  que 
c'est  ainsi  qu'on  enfle  partoutj'esprit  de  do- 
mination dans  la  jeunesse  cléricale ,  et  qu'on 
autorise  les  désordres  ! 

Je  viens  actuellement  à  M.  le  comte  Sé- 
bastiani.  D'un  côté,  il  craint,  par  le  détail 
des  faits ,  de  manquer  à  une  certaine  dignité 
de  discussion  ;  d'un  autre  côté ,  il  craint  que 
ces  faits  mêmes  ne  compromettent  lareligion- 

Je  dois  m'arrêter  principalement  sur  ce 
dernier  motif;  il  me  parait  juste,  dans  le  cas 
où  des  faits  particuliers  qui  compromettent 


(46) 
la  religion,  seraient   désavoués,   censurés, 
réprimés  par  les  supérieurs  ecclésiastiques. 
A  cet  égard,  Monseigneur,  si  quelque  chose 
de  mes  derniers  écrits  est  parvenu  jusqu'à 
vous ,  il  vous  aura  été  facile  de  remarquer 
que  parmi  tous  les  faits,  soit  d'intempérance, 
soit  de  quelque  apparence  de  cupidité,  soit 
de  quelque  faiblesse  dans  les  choses  de  la 
chair  ,  il  ne   m'est  arrivé ,  dans  aucun  cas , 
d'en  faire  mention.  Il  est  probable  que  par 
ma  position,  je  puis  avoir,  comme  un  autre, 
connaissance  de  ces  faits;  c'est  comme  si  je 
ne  Pavais  pas:  dans  tous  les  cas.  je  voudrais, 
comme   un  saint  Roi ,   les  couvrir  de  mon 
manteau.  Ce  n'est  pas  assez,  je  dois  décla- 
rer, et  je  le  fais  avec  une  grande  satisfac- 
tion, que  dans  les  points  qui  sont  le  plus 
généralement  pour  le  monde  un  objet  de 
blâme,* le  sacerdoce  en  France  n^a  jamais 
été  plus  pur.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  en 
raison  de  leur  petit  nombre  que  les  exem- 
ples de  ce  genre  ne  doivent  pas ,  selon  moi , 
être  mis  en  lumière;  c'est  parce  que  (  et  cette 
considération  ici  est  déterminante)  ces  écarts 
de  pure  faiblesse  sont  toujours  soigneuse- 
ment recherchés  par  les  supérieurs  et  sévè- 


(47  ) 
rement  reprimés.  Je  n'ai  jamais  aperçu  de 
leur  part,  sur  ce  point,  ni  complaisance  ,  ni 
connivence. 

Que  ne  puis-je  en  dire  de  même  des  écarts 
d'un  autre  genre?  Je  parle  de  ceux  qui  tien- 
nent à  un  esprit  obstiné  d'envahissement  et 
de  domination.  Lorsque  ces  écarts,  au  lieu 
d'être  désavoués  comme  des  délits,  sont  au 
contraire  prônés  comme  compris  dans  les 
fonctions  de  ceux  qui  les  commettent  ;  lors- 
qu'au lieu  d'être  réprimés  par  les  supérieurs 
avec  sévérité,  ils  sont  au  contraire  autorisés, 
favorisés  comme  un  droit  d'apostolat,  selon 
un  de  nos  prélats ,  sicut  raisit  me  pater  et 
ego  mitto  vos,  ou  comme  un  privilège  de 
l'auguste  légation  de  Jésus  -  Christ ,  pro 
Christo  legatione  fungimur;  enfin  ,  sous  ce 
prétexte ,  même  dans  les  plus  grands  excès 
où  il  devient  indispensable  de  les  censurer, 
si  on  se  restreint  à  les  blâmer,  non  comme 
des  fautes ,  mais  comme  des  imprudences , 
j'en  demande  pardon  à  l'honorable  et  élo- 
quent général ,  qui  croit  alors  devoir  garder 
le  silence  ;  se  taire  sur  de  tels  faits ,  vouloir 
leur  porter  du  ménagement,  ainsi  qu'aux 
doctrines  sur    lesquelles  ils  s'appuient,  ce 


(4«) 

n'est  pas  servir,  comme  il  le  croit ,  la  reli- 
gion  qu'ils  outragent,  c'est  provoquer  sa 
ruine. 

Pour  ce  qui  est  de  la  crainte  de  manquer 
d'une  certaine  dignité  ,  je  conviens  de  tout 
ce  que  les  détails  en  ce  genre  peuvent  avoir 
de  fastidieux.  Mais  si  la  tribune  d'une  assem- 
blée ne  peut  les  supporter ,  je  compte  de  la 
part  de  Votre  Excellence  sur  un  peu  plus 
d'indulgence.  Elle  n'oubliera  pas  que  ,  de 
toute  manière,  elle  est  constituée  juge  dans 
cette  cause.  Je  me  trouve  dès-lors  auprès 
d'elle,  dans  la  position  où  je  serais  auprès 
d'un  magistrat,  cbargé  d'une  information 
juridique.  Dans  ce  cas,  le  rapport  des  faits 
en  détail,  ainsi  que  celui  des  pièces  de  con- 
viction ,  peut  sûrement  n'avoir  rien  d'agréa- 
ble; il  n'en  est  pas  moins  indispensable. 

Dans  un  précédent  écrit,  j'ai  annoncé 
avoir  à  ma  disposition  une  liasse  de  cinq 
cents  faits;  je  pourrais  en  produire  aujour- 
d'hui cent  mille.  A  cet  égard ,  si  la  multi- 
tude forme  un  argument  décisif,  l'exposition 
qui  va  se  prendre  dans  une  multitude  de 
détails  minutieux,  n'en  est  que  plus  em- 
barrassante, lisse  composent  principalement 


(49) 
(Tabus  de  la  confession,  d'abus  de  la  prédi- 
cation ,  d'abus  dans  les  décisions  relatives  à 
la  morale ,  de  violences  et  de  sévices  dans 
l'exercice  des  fonctions  ecclésiastiques  et 
hors  de  ces  fonctions. 


(  5o  ) 


CHAPITRE  V. 


ABUS  DE  LA   CONFESSION.  REVELATIONS  INDIRECTES.  

FAITS     NOUVEAUX     RELATIFS    AUX     MARIAGES.   BALS., 

SPECTACLES.  DANSES.  —  VETEMENS. 


A  commencer  par  l'abus  de  la  confession  , 
je  conviens  que  cette  accusation  est  grave; 
elle  porte  sur  une  des  pratiques  les  plus 
augustes   de  notre  sainte  religion. 

Sous  le  paganisme ,  l'homme  en  proie  au 
remords,  n'avait  plus  de  refuge;  on  le  regar- 
dait comme  abandonné  aux  furies  ;  la  puis- 
sance de  Jupiter  n'était  pas  toujours  juge'e 
capable  de  de  préserver.  Le  christianisme 
a  rendu  facile  l'opération  d'un  miracle  que 
le  paganisme  était  tente'  de  contester  à  la 
puissance  divine. 

Dans  ce  mystère ,  tout  n'est  pas  impéné- 
trable. Je  commencerai  par  quelques  ré- 
flexions générales. 


(  Si  ) 

En  lisant  dans  un  journal  les  détails  d'unr- 
conversation  d'un  grand  souverain  du  Nord 
avec  un  de  nos  ambassadeurs  ,  je  me  sou- 
viens que  l'ambassadeur  lui  demandant  la 
permission  d'assister  à  un  de  ses  comman dé- 
mens de  manœuvres,  ce  souverain  repondit  : 
Demain ,  si  aujourd'hui  je  suis  un  peu  con- 
tent de  moi.  Mon  Dieu  !  il  y  a  donc,  dans 
des  choses  qui  appartiennent  seulement  à 
l'esprit  ou  au  talent ,  des  positions  où  même 
un  souverain  peut  n'être  pas  content  de  soi. 

En  vous  portant  dans  les  rangs  inférieurs, 
demandez  à  ce  poète,  à  ce  peintre,  à  Rossini 
lui-même ,  s'il  est  toujours  content  de  lui. 
Un  mécontentement  intérieur  peut  donc 
s'établir  en  nous  de  ces  alternatives  de  su- 
périorité et  d'infériorité  que  nous  nous  re- 
connaissons. 

Hélas  !  est-ce  le  seul  point  où  nous  ayons 
à  nous  apercevoir  de  notre  misère!  Est-ce 
seulement  dans  des  choses  frivoles  que  nous 
ayons  à  déplorer  la  perte  subite  de  notre 
propre  estime?  Saint  Paul  dit  :  Je  fais  le  mal 
que  je  ne  veux  pas  ;  je  ne  Jais  pas  le  bien  que 
je  veux.  Un  poëte  dit  :  Video  meliora,  probo- 
que,  détériora   sequor.    En  prononçant  ces 

4* 


(  5a  ) 
paroles,  ni  le  poète,  ni  Fapôtre  n'étaient 
contens  d'eux. 

Ici,  ce  n'est  pas,  comme  dans  les  choses 
de  talent,  une  simple  vanité  blessée;  c'est 
Famé  elle-même,  c'est  la  conscience  qui  est 
atteinte.  Dans  ces  oscillations  de  force  et  de 
faiblesse ,  de  grandeur  et  de  misères ,  si  notre 
accord  moral,  cette  harmonie  intérieure, 
premier  élément  de  la  vie ,  a  été  légèrement 
atteint,  un  peu  de  mécontentement,  une 
simple  tristesse  peuvent  en  être  la  suite  ;  mais 
si  l'infraction  a  été  grave ,  si  elle  a  mis  comme 
en  deux  parts  notre  vie  présente  et  notre  vie 
passée,  quand  ces  deux  parts  cherchent  à 
se  reprendre,  si  elles  ne  peuvent  y  parvenir, 
que  deviendrons-nous  ?  Comment  échappe- 
rons-nous à  cette  crise  morale,  à  cette  fièvre 
de  Famé  ,  suite  d'une  grande  faute? 

Si  alors  un  prêtre,  cet  ami  du  mourant, 
ce  consolateur  du  malheureux,  ce  protec- 
teur du  coupable,  se  présente  à  vous,  le  re- 
pousserez-vous?  Tout  ainsi  que  Jésus-Christ 
s'est  placé  comme  médiateur  entre  son  père 
irrité  et  la  révolte  d'un  monde  idolâtre:  de 
même  le  prêtre  a  été  placé  entre  le  ciel  et 
le  coupable  pour  amortir  par  sa  sainteté  les 


(  53  ) 
coups  de  la  colère  céleste.  Si ,  demeurant 
dans  les  limites  de  son  ministère,  le  prêtre 
se  contente  de  vouloir  être  ,  non  votre  juge , 
mais  votre  interprète  ;  si,  semblable  au  no- 
taire qui,  en  dressant  les  actes  de  votre  vo- 
lonté ,  leur  imprime  le  sceau  du  Roi  et  non 
le  sien;  si ,  semblable  au  magistrat  qui  rend 
non  ses  propres  arrêts ,  mais  seulement  ceux 
du  Roi  et  de  la  loi ,  il  vous  réconcilie  avec 
vous-même  et  avec  Dieu;  si ,  par  ce  moyen, 
les  plaies  que  vous  avez  faites  à  votre  ame 
viennent  à  se  cicatriser,  et  qu'après  avoir 
été  délivré  de  la  furie  du  remords,  vous  sen- 
tiez comme  une  nouvelle  vie  revenue  et 
rétablie  en  vous;  quelles  augustes  fonctions 
ce  prêtre  ne  vous  paraîtra-t-il  pas  exercer , 
quel  droit  n'aura-t-il  pas  à  vos  respects  et 
à  votre  reconnaissance  ? 

Toutefois ,  que  ce  prêtre ,  revêtu  d^n  si 
imposant  ministère,  prenne  bien  garde  à  lui. 
Cendre  et  poussière  comme  nous,  il  peut 
lui-même  abuser  comme  vous  avez  abusé  ; 
il  peut  vouloir  étendre  hors  de  ses  limites, 
le  ministère  qui  lui  a  été  donné. 

(Test  ce  qui  arrive  sans  cesse  ;  c'est  ce  que, 
dans  les  rapports  divers  du  sacerdoce  actuel 


■ 


(  54  ) 

avec  la  société,  je  suis  forcé  de  reconnaître, 
et  par-là  même  d'accuser. 

La  confession ,  telle  que  les  apostoliques 
instituteurs  Font  entendue,  semble  n'avoir  eu 
pour  objet  que  ces  larges  fautes  ,  crimes,  ou 
approchant  du  crime.  Pour  un  grand  plan 
de  domination,  cette  surface  était  trop  res- 
serrée. Depuis  long-temps,  et  surtout  depuis 
l'apparition  des  missions,  des  congrégations 
et  des  jésuites  ,  elle  s'est  étendue,  et  bientôt 
eî!e  a  tout  envahi,  elle  est  devenue  la  source 
d'une  multitude  d'abus  :  non-seule*ment  , 
comme  je  m'en  suis  assuré,  dans  les  rapports 
directs  du  confesseur  et  du  confessé,  où  les 
recherches  ,  les  investigations  de  fantaisie  ou 
de  curiosité  ,  pour  ne  rien  dire  de  plus ,  sont 
devenues  continues  et  intolérables;  mais  en- 
core, comme  je  m'en  suis  assuré  aussi,  dans 
les  rapports  de  prêtre  à  prêtre  ;  non  pas  qu'il 
y  ait  jamais  à  cet  égard  violation  expresse  , 
je  ne  le  crois  pas;  mais  les  violations  indi- 
rectes me  paraissent  innombrables.  Ici ,  un 
jeune  vicaire ,  sous  prétexte  de  s'instruire 
auprès  de  son  curé,  le  curé  lui-même  auprès 
de  son  supérieur,  au  sujet  des  règles  qu'il  a 
à  suivre  dans  tel  ou  tel  cas,  étale  tellement 


(  55  ) 
les  détails  de  ces  cas  et  les  confidences  qui 
lui  ont  été  faites,  que  dès  ce  moment  Finté- 
rieur  d'une  famille  est  à  découvert.  Sans 
doute  alors,  on  conservera  encore  quelques 
réticences  ;  mais  on  sent  qu'il  reste  peu  de 
peine  pour  deviner  un  problème  dont  la 
plupart  des  inconnus  sont  déjà  en  évidence. 

Diaprés  ces  rapports  continus,  soit  des 
prêtres  entre  eux,  soit  avec  leurs  supérieurs 
au  sujet  des  confessions  qui  leur  sontfaites; 
d'après  toutes  les  questions  que,  dans  les 
confessions  ou  hors  des  confessions,  le  prêtre 
permet  d'adresser  aux  domestiques  sur  la 
conduite  de  leurs  maîtres,  aux  enfans  sur  la 
conduite  de  leurs  parens,  on  comprend  le 
trouble  qui  doit  en  résulter  dans  la  société. 

On  n'ignore  pas  que  telle  a  été  dans  tous 
les  temps  la  pratique  favorite  des  jésuites. 
On  voit,  dans  les  registres  anciens,  que  les 
sodalitésou  congrégations  avaient  cette  mis- 
sion expresse.  Draprès  ce  que  nous  savons 
de  l'enregistrement  qui  a  été  fait  des  domes- 
tiques et  des  ouvriers  dans  certaines  cités, 
sous  des  prétextes  religieux  ,  il  est  à  craindre 
qu'on  ait  eu  en  objet  la  même  pratique.  J'ai 
eu  une  particulière  connaissance  en  ce  genre 


(  56  ) 
d'un  différend  grave  survenu  entre  un  jé- 
suite  grand  pénitencier  et  son  supérieur,  au 
sujet  de  sa  correspondance  avec  ses  péni- 
tens  dans  divers  pays.  Il  s'agissait  à  l'égard 
de  ceux-ci  de  savoir  si  le  supérieur,  qui  dé- 
cachetait leurs  lettres,  en  avait  le  droit.  L'af- 
faire portée  d'abord  au  provincial ,  puis  à 
Rome ,  ayant  été  jugée  contre  les  pénitens 
et  le  confesseur,  celui-ci  s'est  décidé  à  quit- 
ter l'ordre  :  faculté  qu'il  a  eu  de  la  peine  à 
obtenir,  qu'il  a  obtenue  pourtant. 

Ce  n'est  pas  le  seul  abus  que  j'aie  à  noter 
dans  l'emploi  que  les  prêtres,  dont  je  parle, 
font  de  la  confession. 

L'homme  étant  naturellement  fragile,  l'E- 
glise, qui  a  une  particulière  connaissance  de 
cette  fragilité,  a  bien  voulu  lui  ménager  un 
appui.  Lorsqu'un  concile  (je  crois  que  c'est 
le  4e  de  Latran)  a  prescrit  la  confession  à  tout 
le  moins  une  fois  l'an ,  il  n'a  rien  fait  qui  ne 
fût  conforme  à  notre  faiblesse.  Il  est  vrai 
qu'il  ne  s'est  pas  contenté  d'imposer  la  con- 
fession ;  il  a  imposé  aussi  un  prêtre:  circons- 
tance de  laquelle  peuvent  résulter  de  nou- 
veaux abus  ;  car  il  ne  suffit  pas  de  se  confesser 
à  ce  prêtre  des  actes  qui  sont  péchés  selon 


(57  ) 
vous,  mais  encore  de  tous  les  actes  qui  sont 
pêches  selon  lui. 

En  ce  genre,  on  ne  peut  dire  à  quel  point 
l'espace  a  été  agrandi.  C'est  en  vain  que 
V agneau  de  Dieu  est  venu  effacer  les  péchés 
du  monde;  on  les  a  tellement  multiplies, 
que,  s'il  n'y  met  sa  toute-puissance ,  il  aura 
peine  à  remplir  sa  mission.  Toutes  les  par- 
ties de  la  vie  ont  été  saisies  à  cet  égard. 

A  commencer  par  le  mariage ,  je  ne  par- 
lerai pas,  et  pour  cause,  des  détails  de  ques- 
tions qui  sont  souvent  faites  aux  personnes 
mariées ,  aux  personnes  même  qui  ne  le  sont 
pas.  Je  connais  de  l'ancienne  Sorbonne  des 
décisions  ridicules  sur  ce  sujet.  J'ai  vu,  de 
plus,  différentes  personnes  des  deux  sexes 
qui  ont  reçu  dans  la  confession  des  instruc- 
tions très-déplacées. 

En  laissant  de  côté  cet  article,  que  je  ne 
fais  que  noter  pour  le  moment ,  on  va  voir 
que  rien  n'échappe  à  la  fabrique  nouvelle 
de  péchés  destinée  à  étendre  l'influence  et  le 
pouvoir  du  prêtre.  Etes-vous  commerçant?  on 
vous  entreprend  aussitôt  sur  le  prêt  à  intérêt; 
on  vous  permet  (vous  en  sentez  la  raison) 
de  placer  votre  argent  dans  les  fonds  publics  ; 


(58  ) 
mais  dans  des  fonds  particuliers,  néant. 
En  cas  de  persistance,  refus  d'absolution , 
refus  de  communion;  et  ensuite  menace  de 
la  damnation  éternelle,  du  diable,  de  l'enfer 
et  de  tous  leurs  accompagnemens. 

Cependant  je  lis  dans  saint  Mathieu,  à 
l'article  de  la  parabole  du  Serviteur  inutile, 
ces  paroles  même  de  Jésus-Christ  : 

«  Serviteur  méchant  et  paresseux,  vous 
saviez  que  je  moissonne  où  je  n'ai  point 
semé,  et  que  je  recueille  où  je  n'ai  rien  mis. 
Vous  deviez  donc  mettre  mon  argent  entre 
les  mains  des  banquiers,  afin  qu'à  mon  re- 
tour je  retirasse  avec  intérêt  ce  qui  est  à 
moi.  )> 

Je  préviens  que  le  cum  usurd  de  la  Vul- 
gate  ne  v«ut  dire,  ni  en  latin ,  ni  dans  le  mot 
hébreu  auquel  il  se  rapporte,  l'usure,  c'est- 
à-dire  le  prêt  à  intérêt  tel  que  nous  l'enten- 
dons; mais  le  simple  intérêt.  Il  est  évident 
que  Jésus-Christ,  qui  reproche  au  serviteur 
de  n'avoir  pas  placé  de  l'argent  à  intérêt, 
n'a  pas  regardé  le  prêt  à  intérêt  comme  un 
crime. 

Actuellement,  si  je  voulais  parler  de  la 
danse,  des  bals,  des  spectacles,  j'aurais  à 


(  5g) 
remplir  des  volumes.  Vous  sentez,  Monsei- 
gneur,  que  je  ne  puis  que    citer  quelques 
traits. 

Le  beau  jour  de  Pâque  ,  j'aperçois  un  bon 
jeune  homme,  triste,  confus,  humilié,  qui, 
au  milieu  de  ses  camarades  dans  la  joie, 
jeûne  au  pain  et  à  Peau.  Tout  étonné,  je  me 
rappelle  ces  belles  paroles  de  l'Eglise  :  Hœc 
est  dies  quamfecit  Dominus;  exultemus  et  lœ- 
temur  in  éd.  Je  crois  même,  si  je  ne  me 
trompe,  que  des  conciles  ont  défendu  de 
jeûner  le  dimanche,  notamment  le  dimanche 
de  Pâque.  Rapprends,  en  interrogeant  ce 
jeune  homme,  qu'il  a  eu  le  malheur  de  dan- 
ser les  trois  derniers  jours  du  carnaval,  et 
qu'en  expiation  de  ce  crime ,  le  curé  (son 
prêtre  obligé)  l'a  condamné  à  jeûner  les 
trois  jours  de  Pâque. 

Voilà  la  danse  proscrite  comme  le  prêt  à 
intérêt.  Il  en  est  de  même  de  la  comédie, 
des  spectacles,  des  fêles  balladoires.  Que 
dis-je  !  j'apprends  que ,  dans  certains  con- 
venticules  jésuitiques,  on  a  établi  comme  un 
péché  la  promenade  dans  les  places  publi- 
ques; et  particulièrement  à  Paris  ,  la  prome- 
nade aux  Tuileries. 


(6.o  ) 

Ce  n'est  pas  là  seulement  que  se  restreint 
la  sphère  des  péchés;  elle  a  embrassé  jus- 
qu'à nos  vêtemens.  C'est  surtout  des  vête- 
mens  de  femme  que  nos  prêtres  veulent  bien 
s'occuper.  Je  trouve  dans  notre  histoire  que, 
non  contens  d'excommunier  et  d'exorciser 
les  nuées ,  et  ensuite  d'excommunier  et 
d'exorciser  les  sauterelles ,  ils  se  mirent  à 
excommunier  une  chaussure  particulière  ap- 
pelée la  poulaine.  Dans  la  jeunesse  de  mes 
parens,  ils  avaient  anathématisé  je  ne  sais 
quelle  parure  de  ruban  appelée  fonlange. 
Dans  ma  jeunesse  à  moi,  j'ai  été  témoin 
drune  grande  fureur  contre  les  chapeaux. 
Aujourd'hui,  dans  nos  montagnes,  c'est  un 
vêtement  ou  ornement  particulier,  appelé 
collerette,  qui  excite  la  frénésie. 

Je  dis  expressément  frénésie ,  car  vous 
allez  voir,  Monseigneur,  que,  dans  cette  ma- 
tière, le  parti  prêtre  et  tout  ce  qui  marche 
sur  sa  ligne,  ne  se  contente  pas  du  droit  de 
législation,  il  croit  devoir  exercer  aussi  le 
pouvoir  exécutif.  En  attendant  la  damnation 
éternelle ,  accompagnée  de  tout  le  menu 
des  diables  et  du  feu  dont  il  vous  menace, 
il    se    permet    sur     les    personnes     même 


(6>  ) 

des  violences  et  des  sévices   inimaginables. 

Par  exemple  :  M.  le  curé  ne  se  contente 
pas  d'anathématiser  les  collerettes  dans  sa 
chaire;  il  en  descend  pour  les  déchirer  de 
sa  main  sur  les  personnes  même  qui  les 
portent  ;  il  chasse  ensuite  ces  personnes  , 
avec  toutes  sortes  de  violences,  de  son  église. 

Il  en  est  de  même  des  bals  et  de  la  danse. 
Le  prêtre  ne  se  contente  pas  de  les  anathé- 
matiser  dans  ses  sermons,  il  signale  les  per- 
sonnes même.  «J'avais  défendu  expressément 
la  danse,  dit-il;  cependant  j'apprends  que 
plusieurs  personnes  et  notamment  made- 
moiselle (il  la  nomme  par  son  nom  )  Fé- 
licité a  été  hier  au  bal.  Heureusement 
pour  elle,  je  ne  l'aperçois  pas  dans  cette 
église;  car  je  descendrais  aussitôt  de  cette 

chaire  pour  la  chasser (il  faut  ajouter 

ses  propres  termes)  à  coups  de  pied  au  cul.  » 

Cette  demoiselle  Félicité  appartient  à  une 
famille  honorable  que  je  connais  ;  elle  avait 
dansé  en  effet,  conduite  par  son  père,  à  un 
bal  donné  par  M.  le  maire. 

Dans  d'autres  circonstances,  ce  sont  les 
mêmes  violences;  et  elles  vont  quelquefois 
plus  loin.  Dans  une  petite  ville,  où  se  trouve 


(  fca  ) 

une  grande  exploitation  de  pierres,  un  homme 
considérable,  voulant  encourager  cette  ex- 
ploitation et  la  faire  arriver  à  quelque  chose 
déplus  important,  envoie  de  Paris  des  mo- 
dèles en  plâtre.  Cet  envoi,  qui  a  pour  in- 
convénient quelques  nudités  ,  est  admis  par- 
tout, principalement  en  Italie.  On  n'a  qu'à 
entrer  dans  la  sacristie  de  la  cathédrale  de 
Sienne,  on  trouvera,  servant  d'antiphonier, 
un  groupe  admirable  des  trois  Grâces  :  ce 
qui  ne  détourne  en  aucune  manière  de  bons 
chanoines  que  j'ai  vus,  leurs  lunettes  sur 
le  nez,  occupés  seulement  de  leur  plain- 
chant. 

Dans  des  lieux  où  cet  usage  n'est  pas  fa- 
milier, je  ne  dis  pas  qu'il  ne  puisse ,  de  la 
part  d'une  piété  délicate,  donner  lieu  à  quel- 
que crainte,  et  par-là  même  à  quelque  re- 
montrance. Au  moins  alors  ,  ce  ne  sera  que 
des  remontrances.  Que  fait  le  prêtre  du 
lieu  ?  Il  ameute  quelques  hommes  et  quelques 
femmes  dévotes ,  avec  lesquels  il  renverse 
et  brise  les  modèles.  Que  fait-il  dans  un 
autre  endroit?  Apprenant  qu'on  danse  sur  la 
place  publique,  il  accourt  comme  un  furieux , 
et  s^empare  du  violon  qu'il  met  en  pièces. 


(  63  ) 

Je  veux  croire  que  ce  n'est  pas,  comme  on 
le  dit,  sur  la  tète  du  ménétrier. 

C'est  le  même  homme  qui ,  en  dernier 
lieu,  s'est  mis  à  souffleter  dans  son  église  des 
femmes  de  mariniers.  Un  de  ses  voisins  a 
osé,  dans  l'église  même,  saisir  à  la  gorge  un 
jeune  homme  qui  s'est  défendu  à  coups  de 
pied.  Qu'on  ne  vous  dise  pas ,  Monseigneur, 
que  c'est  dans  un  endroit  seulement;  c'est 
ici,  c'est  là ,  c'est  partout.  A  Paris  même,  il 
est  connu  qu'une  femme  d'un  rang  distin- 
gué, étant  assise  et  ayant  dans  cette  position 
ses  jambes  croisées ,  un  prêtre  a  osé  venir  à 
elle,  et  mettre  sa  main  sur  ses  genoux  pour 
les  séparer. 

Je  vais,  Monseigneur,  terminer  cette  série 
de  faits  :  il  le  faut  bien  ,  car  ce  serait  à  n'en 
pas  finir.  Que  Votre  Excellence  ne  regarde 
pas  ces  faits  comme  des  accidens  particu- 
liers d'étourderie ,  d'imprudence  et  de  fai- 
blesse :  ils  tiennent  à  un  esprit  oje  domina- 
tion ,  et  par-là  même  à  un  vaste  système. 
Si  ce  n'étaient,  comme  dans  d'autres  cas  que 
j'ai  mentionnés  précédemment,  que  des  fai- 
blesses ou  des  imprudences  passagères,  les- 
quelles, comme  je  l'ai  dit,  sont  soigneuse- 


(64) 

ment  surveillées,  et,  au  besoin  ,  sévèrement 
réprimées  par  les  supérieurs,  je  me  com- 
manderais sur  ces  choses  le  même  silence 
que  je  me  suis  prescrit  sur  cTautres.  Mais, 
d'un  côté,  comme  ces  faits  (je  parle  toujours 
des  faits  d'orgueil  et  de  domination)  sont, 
au  lieu  d'être  réprimés,  au  contraire  favori- 
sés ,  encouragés ,  et  que  ceux  qui  les  com- 
mettent sont  généralement  classés  parmi  les 
bons  prêtres  ;  d'un  autre  côté ,  comme  dans 
l'état  actuel  de  notre  législation,  les  tribunaux 
sont  souvent  sans  compétence  ;  comme  en 
ce  genre  le  conseil  d'Etat  écarte  tout  par  ses 
délais,  que  l'administration  amortit  tout  par 
ses  conflits ,  il  importe  que  les  faits  de  ce 
genre,  contre  lesquels  les  résistances  sont 
en  général  décréditées ,  soient  livrés  à  la 
publicité. 

On  se  plaint  de  la  publicité  que  leur  don- 
nent les  journaux.  Il  serait  à  désirer  qu'il  y 
eût  un  journal  particulier  à  cet  égard,  et 
qu'il  fût  continuellement  sous  les  yeux  de 
toutes  les  autorités  ecclésiastiques  et  civiles. 
Pourquoi  craint-on  la  publicité  ?  parce  qu'on 
craint  le  scandale  ;  mais  il  n'y  a  évidemment 
scandale,  que   parce  qu'il  y  a  infraction. 


(65) 
Après  nous  avoir  ôté  toute  défense  du  côté 
des  lois,  si  vous  nous  ôtez  encore  toute 
défense  du  côté  de  la  publicité,  que  nous 
restera-t-il?  L'Esprit  saint  nous  dit  :  «  Il  est 
nécessaire  qu'il  y  ait  des  scandales  :  Necesse 
est  ut  eveniant  scandala.  Ces  saintes  paroles 
n'ont  jamais  eu  plus  d'application. 

Je  n'ignore  pas  qu'il  y  a  une  classe  nom- 
breuse qui  ne  veut  pas  qu'on  s'occupe  des 
prêtres.  Pour  ces  personnes,  comme  la  reli- 
gion n'a  aucune  importance ,  les  prêtres  n'en 
ont  pas  davantage.  Ne  rien  blâmer  de  ce 
qu'ils  font,  ne  rien  croire  de  ce  qu'ils  disent: 
telle  est  leur  doctrine.  On  connaît  le  fond 
de  cette  doctrine;  c'est  de  l'impiété  pure. 
Il  s'agit  de  savoir  si  cela  convient  à  des  mil- 
lions de  chrétiens,  vivant  sous  les  lois  de 
l'Evangile,  voulant  suivre  les  préceptes  qu'il 
prescrit,  mais  ne  voulant  pas  être  conti- 
nuellement à  la  merci  de  quelques  étourdis 
de  prêtres,  dirigés  par  une  coterie  fanatique, 
dans  un  système  ambitieux. 

Au  surplus ,  Votre  Excellence  veut- elle 
connaître  le  ton  de  dérision  et  de  mépris  que 
se  permettent  ces  hommes  envers  de  pauvres 
malheureux  chrétiens  qui  tombent  dans  leurs 

5 


(  66  ) 
mains?  Qu'elle  se  donne  la  peine  de  lire  la 
eopie  de  la  lettre  suivante,  dont  la  minute 
originale  est  demeurée  long-temps  dans  mes 
mains. 

«  Mon  cher  (  le  nom  du  cure'  son  con- 
frère )  , 

»  N'ayant  pu,  malgré  ma  bonne  volonté, 
me  rendre  à  l'aimable  invitation  que  tu  me 
fis  d'aller  à  ta  fête,  à  raison  de  sept  malades 
dont,  grâce  à  Dieu,  j'en  ai  expédié  trois, 
ne  va  pas  t'imaginer  que  c'est  sans  peine, 
car  monsieur  Riquet  (  nom  de  son  chien  ) , 
qui  brûle  d'ardeur  de  t'offrir  ses  hommages, 
n'a  pas,  il  s'en  manque  bien,  la  peau  aussi 
dure  qu'une  des  femmes  que  dix  jours  d^a- 
gonie  n'ont  pas  suffi  pour  conduire  dans 
mon  jardin  (  le  cimetière  ),  où  elle  est  bien, 
pour  mon  profit  et  pour  le  sien ,  si  elle  est  en 
paradis.  N'ayant  donc,  dis-je ,  pas  eu  le  temps 
d'aller  te  voir,  etc.,  ete.  w 

Je  dois  ajouter ,  pour  l'information  de 
Votre  Excellence,  que  cette  lettre  n'est  point, 
comme  elle  pourrait  le  croire,  de  quelque 
curé  diffamé;  elle  est  du  curé  le  plus  estimé 
du  diocèse  et  le  plus  honoré  par  son  évêque. 


(67  ) 


CHAPITRE    VI. 


PRINCIPES  QUI    ONT    DETERMINE     L  ADMISSION    DES    JE- 
SUITES  EN  FRANCE  ,    CONTRE     LES     LOIS.   EN     QUOI 

CONSISTE  LE  VERITARLE  MINISTERE  DES  PRETRES  , 
LEURS  ENVAHISSEMENS  ACTUELS  PAR  LES  SENTIMENS 
RELIGIEUX    ET    AVEC  l'aIDE     DE     l' AUTORITE'    CIVILE. 


Vous  pourrez  trouver,  Monseigneur,  que 
je  me  suis  éloigné  beaucoup  de  mon  pre- 
mier et  principal  sujet,  en  parcourant,  comme 
je  Fai  fait,  toute  la  sphère  des  prétentions  du 
clergé.  Je  vous  Pavais  annoncé,  les  jésuites  , 
dont  j'aurais  dû  uniquement  m'occuper,  ne 
sont  malheureusement  qu'un  des  fruits  d'un 
arbre  qui  a  plusieurs  fruits  et  plusieurs  bran- 
ches. Il  m'a  fallu  alors  parcourir  toutes  ces 
branches,  et  traiter  particulièrement  de  la 
souche  à  laquelle  elles  appartiennent.  Je  me 
suis  trouvé  ainsi,  comme  je  vous  en  avais 
prévenu  ,  dans  la  même  situation  que  le  par- 
lement de  Provence ,  qui ,  croyant  n'avoir  à 
traiter  qu'une  affaire   particulière  entre  un 


(  ?8  ) 
négociant  de  Marseille  et  le  père  Lavallette, 
fut  amené  à   rechercher  toutes  les  règles  , 
toutes  les  institutions   de  Tordre  de  Saint- 
Ignace. 

La  question  actuelle,  relative  à  la  réinté- 
gration illégale  des  jésuites,  opérée  par  l'au- 
torhé  du  parti  prêtre  )  s'embranche  de  même 
avec  l'ensemble  des  questions  relatives  aux 
prétentions  de  ce  parti.  En  effet,  d'après 
quel  titre  les  jésuites ,  proscrits  par  nos  lois, 
ont-ils  cru  devoir  se  rétablir  en  dépit  de  nos 
lois?  Lorsqu'on  dit,  comme  je  l'ai  entendu 
quelquefois,  que  c'est  en  vertu  de  la  Charte 
et  des  droits  de  l'homme,  c'est  à  pouffer  de 
rire.  Sérieusement  les  jésuites  n'en  sont  pas 
là  :  corporation  vouée  au  pape,  ils  se  sont 
rétablis  par  l'autorité  du  pape;  leur  titre  est 
la  bulle  de  Pie  VII,  de  1814. 

Cependant ,  ce  n'est  pas  toujours  peu  de 
chose  dans  un  pays,  que  les  lois;  réintégrés 
en  France,  en  opposition  aux  lois,  quelle  est, 
dans  ce  pays,  l'autorité  qui  a  pu  se  croire 
assez  puissante  pour  les  y  appeler,  et  qui  a 
ensuite  été  assez  puissante  pour  les  mainte- 
nir? Corps  privilégié,  voué  au  pape,  il  est 
assez  simple  qu'il  ;>it  trouve  appui  et  protêts 


(«9) 

tion  de  la  part  d'un  parti  qui  est  connu  pour 
être  éminemment  voué  au  pape. 

Le  principe  qui  a  déterminé  contre  les 
lois  l'admission  des  jésuites,  est  dès-lors  par- 
faitement connu  :  c'est  parce  que  la  décla- 
ration de  1682  déplaît  au  pape,  qu'elle  est 
repoussée;  M.  le  cardinal  de  Clermont-Ton- 
nerre  ne  s'en  est  pas  caché.. C'est  de  même 
parce  que  l'ordre  des  jésuites  plaît  au  pape, 
qu'il  est  appelé.  La  suite  d'édits  royaux  et 
d'arrêts  des  parlemens  qui  ont  consacré  la 
déclaration  de  1682,  la  suite  d'édits  royaux 
et  d'arrêts  des  parlemens  qui  ont  proscrit 
les  jésuites,  ne  font  rien  à  ce  parti.  «  Am- 
bassadeurs de  Jésus- Christ  (  pro  Christo 
legationefungimur),  que  nous  importent, 
disent-ils  ,  toutes  ces  lois  mondaines,  toutes 
ces  lois  humaines;  nous  avons  l'épée  de 
Pierre,  comme  les  rois  ont  l'épée  de  Cons- 
tantin. Si  on  veut  marier  ces  deux  glaives 
(  gladium  gladio  copulemus  ) ,  à  la  bonne 
heure;  nous  irons  plus  facilement  et  plus 
vite.  C'est  ce  que  nous  avons  souvent  re- 
montré aux  rois  ;  ils  doivent  savoir  qu'ils  ont 
été institués ,  non-seulement  pour  les  intérêts 
de  laterre,  mais  bien  plus  encore  (  pi'éecipùè) 


(  7»  ) 
pour  les  intérêts  de  V Eglise,  S'ils  ne  veulent 
pas  associer  les  deux  glaives  ;  celui  de  Pierre 
nous  suffira.  Nous  irons  tout  de  même,  sans 
nous  embarrasser  ni  des  savans  du  conseil- 
d'Etat ,  ni  des  savans  du  barreau  et  des  cours 
royales  ,  pas  même  des  savans  delà  Chambre 
des  pairs ,  tous  gens  qui  sont  sans  cesse  à  op- 
poser à  nos  lois  divines  les  lois  misérables 
qu'ils  ont  faites.  » 

Ce  système  de  suprématie  et  d'envahisse- 
ment s'arrête-t-il  là?  Non,  certes,  il  pénètre 
tout  le  corps  social,  il  en  embrasse  toutes  les 
parties,  et  toujours  il  s'étaie  des  dispositions 
du  droit  divin. 

Sans  doute  les  apôtres  ont  été  les  ambas- 
sadeurs de  Jésus-Christ;  ils  ont  pu  dire  :  Pro 
Christo  légation  e  fungimur.  Leur  mission  a 
été  de  changer  la  face  du  monde  idolâtre  ; 
ils  ont  changé  par-là  même  la  face  du  inonde 
politique.  L'erreur  des  ambassadeurs  d'au- 
jourd'hui est  de  se  croire  la  même  mission  ; 
mais  nous  connaissons  leur  lettre  de  créance. 
Ils  ne  doivent  point  s'occuper  à  soulever  des 
sociétés,  ils  ne  doivent  pas  même  s'occuper, 
comme  quelques-uns  le  prétendent ,  à  les 
conserver  :  ils  ne  doivent  point  s'y  mêler. 


(7'  ) 

Trois  parties  distinctes  composent  le  mi- 
nistère du  prêtre  :  il  est  d'abord  régulateur 
du  culte;  en  ce  point  seul  son  ministère 
aurait  une  grande  importance.  Tant  chez  les 
Hébreux  que  dans  le  paganisme,  le  sacer- 
doce ancien  s'occupe  extrêmement  des  cé- 
rémonies religieuses.  Pourrait -il  regarder 
aujourd'hui  comme  une  chose  indifférente  , 
d'avoir  à  offrir  à  Dieu ,  dans  des  modes  et 
selon  des  rites  déterminés ,  les  prières ,  les 
vœux  et  les  hommages  des  peuples? 

Une  seconde  partie  du  ministère  du  prêtre 
consiste  à  fixer  et  à  régulariser  la  foi;  inter- 
prète particulier  de  cette  grande  chartre 
chrétienne  qu'on  appelle  l'Evangile;  dépo- 
sitaire, en  outre,  des  traditions  qui,  d'âge 
en  âge,  se  sont  conservées  dans  la  succes- 
sion des  pontifes,  c'est  par  l'unité  de  la  foi 
que  se  constitue  entre  les  fidèles  un  point 
d'accord  et  d'harmonie. 

Ce  point  d'accord  a  été  autrefois  un  grand 
foyer  de  division  ;  pendant  des  siècles  le 
monde  a  été  déchiré  par  une  multitude  de 
subtilités  théologiques.  Aujourd'hui  le  chré- 
tien reçoit  avec  respect,  comme  les  ont  reeus 
ses  pères,  les  dogmes  de  l'Eglise  à  laquelle 


(  7*  ) 
il  appartient;  c'est  ce  qui  compose  le  lien 
à?  autorité,  qu'a   très-bien  aperçu  M.  de  La 
Mennais.  Pour  cela  même,  le    chrétien  ne 
veut  ni  les  examiner  ni  les  discuter  :  c'est  ce 
que  le  même  M.  de  La  Mennais  a  également 
aperçu  ,  et  qu'il  a  taxé  d'indifférence  en  ma- 
tière de  religion,  indifférence,  toutefois,  qui 
ne  porte  que  sur  le  dogme  ,  et  qu'on  com- 
mence  à  apercevoir  sous   le   règne  même 
de    Louis   XIV.  Bossuet   s'en   plaignait;    il 
exhortait  les   prédicateurs    de   son   temps, 
non-seulement  à  établir  la  morale  par  le 
dogme  ,   mais   encore   à  mettre  le  dogme 
avant  tout.  Aujourd'hui  tous  ces  grands  dog- 
mes d'hypostaseet  de  consubstantialité,  trai- 
tés si  vivement  et  quelquefois  si  tumultueu- 
sement  aux   divers  conciles  de  INicée ,   de 
Chalcedoineetd'Ephèse,n'occupentla  pensée 
de  personne.  Un  grand  apôtre  disait  à  Jésus- 
Christ  lui-même  :  «  Je  crois,  Seigneur;  ai- 
dez mon  incrédulité  :  credo,  Domine;  adjuva 
incredulitatem  meam.  Ces  paroles  sont  re- 
marquables :  je  crois,  acte  de  respect  et  de 
soumission  ;  aidez  mon  incrédulité,  acte  de 
naïveté  et  de  confiance.  La  croyance  est  en 
effet  difficile  lorsqu'elle  porte  sur  une  mul- 


(  73  ) 
titude  de  choses  qu'on  ne  comprend  pas  el 
qu'on  ne  sait  pas. 

Le  troisième  point  du  ministère  du  prêtre 
consiste  dans  celte  sainte  médiation  que  j'ai  no- 
tée précédemment,  et  qui  a  pour  objet  deré- 
concilierl'homme  coupable  avecDieuet  avec 
lui-même. 

Si  on  y  ajoute  la  cérémonie  auguste  du 
baptême,  par  laquelle  nous  sommes  pré- 
sentés et  voués  à  Dieu  dès  le  premier  mo- 
ment de  notre  naissance  ;  si  on  y  ajoute  l'of- 
fice de  nous  instruire,  dans  la  jeunesse  ,  des 
devoirs  et  des  mystères  de  la  religion,  et  de 
nous  préparer  ainsi  à  la  première  commu- 
nion; si  on  y  ajoute,  au  moment  de  la  viri- 
lité ,  l'office  de  bénir  le  mariage  et  de  le  con- 
sacrer à  Dieu,  et  au  moment  de  notre  mort 
les  cérémonies  religieuses,  qui  précèdent  et 
qui  accompagnent  nos  sépultures  ;  en  vé- 
rité le  prêtre  sera  bien  difficile  si  les  divers 
points  de  son  ministère  étant  ainsi  établis, 
il  ne  sait  pas  s'en  contenter.  S'il  dit  après 
cela  qu'on  l'entoure  de  haine  et  de  mépris , 
qu'on  veut  faire  de  sa  profession  une  classe 
d'ilotes,  destinée  à  une  classe  de  victimes; 
il  sera  injuste. 


(74  ) 

Il  est  vrai  que  cette  profession  ,  circons- 
crite ainsi ,  on  veut  l'y  renfermer. 

C'est  ce  qu'il  ne  veut  pas  absolument.  Ce 
qu'il  veut,  et  il  le  veut  à  tout  prix  :  c'est 
mettre  la  société  dans  sa  main.  A  cet  effet  il 
médite  deux  sortes  d'invasions;  l'une  par  !a 
conscience ,  l'autre  par  la  puissance.  D'un 
côté,  il  cherche  à  entrer,  par  les  sentimens 
religieux ,  dans  l'ame  des  fidèles  et  à  s'en 
emparer;  d'un  autre  côté,  il  se  saisit  des 
dépositaires  de  l'autorité  civile ,  et  il  s'en  sert 
comme  d'un  canal  pour  transmettre  et  faire 
adopter  ses  préceptes. 

Je  vais  tracer  la  marche  de  ces  deux  plans. 
Et  d'abord,  dans  l'un  et  dans  l'autre,  comme 
la  vie  chrétienne  ordinaire ,  ainsi  que  l'office 
que  le  prêtre  y  doit  exercer,  ne  remplit  pas 
les  vues  du  parti  dirigeant;  le  premier  prin- 
cipe de  conduite  a  été  de  compter  pour  rien 
la  simple  vie  chrétienne,  ou  du  moins  de  la 
jeter  dans  la  vie  dévote ,  à  l'aide  de  ce  qui 
est  appelé  conseils  évangéliques,  et  de  di- 
vers textes  de  l'Ecriture,  plus  ou  moins  mal 
interprétés,  tels  que  :  Soyezparfaits  comme 
mon  père  céleste  est  parfait  ;  Que  celui  qui 
est  saint  se  sanctifie  encore;  Que  celui  qui 


(  ?5  ) 
est  juste  se  justifie  de  nouveau.  Ce  n'est  plus 
la  vie  chrétienne,  c'est  la  vie  de'vote  qui  a 
été  imposée  au  monde. 

Or  cette  vie  dévote  se  compose  de  deux 
manières;  elle  présente  deux  caractères  diffé- 
rens.  Dans  Tune,  c'est  un  mouvement  con- 
tinu ,  envers  Dieu ,  de  respect,  d'admiration, 
d'amour;  ce  mouvement  se  trouve  ordinai- 
rement accompagné  d'une  noble  confiance, 
aussi  éloignée  de  la  présomption  que.de  la 
crainte  ;  car  la  crainte ,  autre  que  celle  qui 
naît  du  respect  et  de  l'humilité,  ne  peut  s'ac- 
corder avec   l'amour.  C'est  ce    qu'exprime 
très-bien  l'apôtre   saint  Jean,  quand  il  dit  : 
Charitas  foras  raittit  timorem.  Dans  l'autre  , 
c'est    un   mouvement   continu   de  terreur, 
dans  lequel  la  peur  de  Dieu,  continuelle- 
ment confondue  avec  la   peur  du  diable  , 
forme  le  spectacle  le  plus  hideux  et  le  plus 
dégoûtant. 

Sans  s'embarrasser  des  conséquences  et 
des  différences,  ne  songeant  qu'à  ce  qui 
pourra  multiplier  son  intervention  et  le  be- 
soin de  son  ministère:  voilà  la  vie  chétienne, 
chargée,  contre  sa  nature,  de  tous  les  de- 
voirs et  de  toutes  les  pratiques  de  la  vie  dé- 


(?6) 
vote  ;  voilà  la  morale ,  exagérée  de  même 
dans  toutes  ses  règles;  voilà  le  mariage,  le 
commerce,  le  prêt  à  inte'rët,  les  danses,  les 
bals,  les  speetacles  soumis  à  des  investiga- 
tions déplacées,  quelquefois  ridicules.  Les 
consciences  ainsi  tourmentées,  tracassées,  si 
quelques  âmes  fortes  échappent  ou  font  de 
la  résistance ,  le  troupeau  cède  et  est  en- 
traîné. 

Daijsle  dix-septième  siècle,  Molière  a  fait 
une  fort  bonne  comédie,  intitulée  le  Ma- 
lade Imaginaire,  Mais  si,  au  lieu  d'un  indi- 
vidu isolé  qu'il  met  en  scène,  c'eût  été  une 
nation  entière;  si,  par  un  système  combiné 
habilement  dans  une  coterie  accréditée  de 
médecins,  on  parvenait  un  jour  à  s'emparer 
de  l'imagination  du  prince,  des  magistrats  , 
de  la  société  entière,  de  manière  à  ce  que 
tout  le  monde  se  crût  en  état  de  maladie;  ne 
voyez-vous  pas  quelle  importance  il  en  ré- 
sulterait aussitôt ,  non-seulement  pour  tous 
les  médecins,  mais  encore  pour  toute  la  sé- 
quelle affiliée  des  chirurgiens  et  des  apothi- 
caires? De  même  si,  par  l'effet  d'un  système 
combiné  avec  habileté  dans  une  coterie 
prêtre ,  on  parvient,  à  l'aide  des  prédications. 


(77  ) 
des  missions  et  des  confessions,  à  persuader 
aux  princes  ,  aux  magistrats  ,  a  toute  la 
France,  que  personne  ne  peut  être  en  état 
de  grâce;  on  sent  l'importance  qu'acquerra 
aussitôt  le  parti  prêtre.  C'est  à  quoi  il  s'oc- 
cupe  en  ce  moment  pour  la  France  ;  la  rem- 
plir de  damnés  imaginaires  est  sa  pensée 
favorite  :  c'est  îa  première  partie  de  son  sys- 
tème d'invasion. 

Son  système  d'invasion  par  les  autorités 
civiles  ne  laisse  pas  d'être  également  bien 
combiné. 

Au  premier  moment  où  il  y  a  eu  en  France 
une  apparence  de  forme  de  gouvernement, 
on  a  vu  le  parti  prêtre  s'efforcer  d'entrer 
dans  l'administration  ;  sous  Napoléon,  plu- 
sieurs évêques  ont  figuré  dans  le  conseil- 
d'Etat.  A  la  restauration,  la  même  ambition 
a  eu  plus  de  succès. 

Selon  les  informations  que  j'ai  reçues ,  le 
parti  prêtre  n'a  eu,  ni  à  Rome,  ni  à  Paris, 
aucun  moment  de  repos,  jusqu'à  ce  qu'il 
ait  vu  un  évêque  au  ministère.  On  allègue  à 
cet  égard ,  soit  du  présent ,  soit  du  passé  , 
des  exemples  qui  n'ont  aucune  application. 
On   croit   surtout  que  cette  exclusion ,   sur 


(  7») 
laquelle  je  parais  insister,   tient  à  un  esprit 
de   haine.    Pas   le  moins    du  monde  ;  il  y  a 
même  à  cet  égard  des  exceptions  auxquelles 
tout  le  monde  applaudit. 

J'ai  déjà  parle'  d'un  grand  nombre  de  prê- 
tres qui  appartiennent  aux  écoles  de  l'Uni- 
versité,  et  qui  en  général  obtiennent  les  suf- 
frages. Lorsqu'un  torrent  nous  menace  de 
ses  ravages ,  si  le  curé  se  met  à  la  tête  de  sa 
paroisse  et  parvient  à  le  détourner,  on  l'ap- 
plaudira. Quand  nous  serons  attaqués  par 
l'étranger,  s'il  n'y  a  plus  parmi  nous  de  mi- 
litaires capables  de  conduire  nos  armées  , 
et  qu'il  se  trouve  un  prêtre  savant  dans  l'art 
de  la  guerre,  prenons  ce  prêtre.  Lacédé- 
mone,  dans  sa  guerre  de  Messénie,  prit  un 
poëte,  et  s'en  trouva  bien.  Il  en  sera  de 
même  des  finances  et  de  l'administration* 
Remarquons  cependant  que ,  dans  tous  ces 
cas,  ce  ne  serait  pas  comme  prêtres  que  ces 
personnages  seraient  appelés;  ce  serait 
comme  habiles  dans  la  profession  particu- 
lière pour  laquelle  on  les  emploierait. 

L'ancien  exemple  de  la  France  et  de  l'An- 
gleterre, qu'on  allègue  dans  cette  occasion  , 
ne  s'applique  en   aucune  manière   à  notre 


(  79) 
situation.  Ce  n'est  pas  comme  prêtres  que  les 
prieurs,  les  abbés  et  les  évêques  étaient  ap- 
pelés à  l'armée,  ou  aux  conseils  de  la  na- 
tion; c'est  comme  grands  propriétaires  ; 
c'est  comme  détenteurs  de  fiefs ,  tenus  à  des 
devoirs  civils  et  militaires.  Membres  de  la  sou- 
veraineté publique,  il  est  assez  simple  qu'ils 
participassent  aux  conseils  de  la  souve- 
raineté. 

M.  d'Hermopolis  en  voulant  justifier,  a  la 
tribune  de  la  Chambre  des  députés,  l'asso- 
ciation de  son  caractère  de  prêtre  à  celui  de 
ministre  du  roi,  a  été  hors  de  la  question. 
Son  apologie,  à  cet  égard,  est  tout-à-fait  ex- 
traordinaire. 

«  On  dit  que  le  ministre  des  affaires  ecclé- 
siastiques,  étant  ëvêque,  apportera  dans  l'ins- 
truction publique  ses  habitudes,  et  qu'il  sera 
prêtre  avant  tout.  Eh  bien  !  tant  mieux.  Plus 
il  sera  pénétré  de  la  religion,  plus  il  sera 
fidèle  par  conscience  à  tous  les  devoirs  qui 
#îui  sont  imposés.  Plus  il  sera  prêtre,  plus  il 
sera  citoyen.  Et  ne  faut-il  pas  que  le  mili- 
taire soit  militaire,  et  le  magistrat,  magis- 
trat? Que  penserait-on  d'un  capitaine  s'il 
ne  mettait  avant  tout  la  discipline,  la  belle 


(  Bo) 
tenue,  la  gloire  des  armes?  »  {Journal  des  ■ 
Débats.  ) 

Voilà  certes  un   beau  raisonnement  !  Oui 
sans  doute ,  il  faut  qu'un  militaire  soit  mili- 
taire.   C'est  pour  cela  qu'on   ne  lui  fait  pas 
dire  la  messe  et  qu'on  n'en  fait  pas  un  ma- 
gistrat. Il  faut  de  même  qu'un  magistrat  soit 
magistrat;  et  c'est  pour  «cela  qu'on  ne  lui  fait 
pas  commander  l'exercice  et  pointer  des  piè- 
ces de  canon.  Il  faut  qu'un  prêtre  soit  prêtre 
avant  tout.  C'est  pour  cela  qu'il  ne  faut  le 
mettre  en  rien  dans  nos  intérêts  civils;   car 
on  est  sûr,  dans  ce  cas,  que  ses  intérêts  pas- 
seront avant  tout,  c'est-à-dire  avant  les  nô- 
tres. Nous  savons,  par  les  aveux  de  M.  d'Her- 
mopolis,  qu'il  y  a  dans  le  monde  deux  puis- 
sances   rivales    et  souvent  en    conflit  :   la 
puissance  spirituelle  et  la  puissance  tempo- 
relle.En  mettant  dans  nos  affaires  temporelles 
un  homme  delà  puissance  spirituelle,  lequel 
nous  de'clare  qu'il  est  prêtre  avant  tout,  on 
doit  s'attendre  que  la   puissance  spirituelle, 
sera  mise  avant  tout. 

Pour  nous  rassurer,  M.  d'Hermopolis  nous 
apprend  que  le  serment  qu'il  a  prêté,  est 
ainsi  conçu  : 


t,8«  ) 

«  Je  jure  fidélité  au  SaînC-Siége  apostoli- 
que ;  niais  en  tant  qu'elle  ne  déroge  en  rien 
à  la  fidélité  à  mon  prince  et  à  ses  succes- 
seurs légitimes.  » 

(Test  bien;  mais  quand  ces  deux  fidélités 
viendront  à  se  trouver  en  contact,  peut-être 
en  conflit,  on  peut  deviner  de  quel  côte' se 
rangera  celui  qui  est  prêtre  avant  tout. 

En  même  temps  que  le  parti  prêtre  se 
place  autant  qu'il  peut  dans  les  sommités  de 
l'Etat ,  s'il  abandonne  à  la  tourbe  le  reste  des 
offices  subalternes,  il  ne  faut  pas  croire  qui! 
en  abandonne  de  même  Finfluence.  La  ma- 
nœuvre consiste  à  faire  élever  à  toutes  les 
places  importantes,  non  précisément  des  prê- 
tres, mais  leurs  dévoués  sous  le  nom  de 
dévots,  c'est-à-dire  sous  un  habit  laïque  des 
hommes  qui  sont  prêtres  avant  t'ont.  Au 
moyen  d'une  confédération  intérieure,  or- 
ganisée avec  habileté  sous  le  nom  de  Congré- 
gation, on  parvient  facilement  à  s'emparer 
de  tous  les  emplois.  De  cette  manière,  on  ne 
se  contente  pas  d'avoir  ostensiblement,  comme 
à  la  Chambre  des  pairs,  au  conseil-d'Etat  , 
au  ministère,  des  prêtres  en  habit  de  prêtre; 

on  a,  sous  un  habit  laïque,  des  prêtres  qui 

6 


(  a*  ) 


occupent  les  emplois  aux  postes ,  à  la  police , 
aux  diverses  places  de  Parmée  et  dePadmi- 
nistration  :  la  soutane  a  soin  de  se  cacher; 
mais,  sous  la  robe  ou  sous  Phabit  brode',  on 
peut  encore  Papercevoir. 

Tout  occupe'  de  son  système  de  domina- 
tion, le  parti  prêtre  se  garde  bien  de  le  lais- 
ser à  découvert.  Ce  serait  le  compromettre. 
Quelles  que  soient  les  admonitions  de  M.  le 
cardinal  de  Croï ,  Paumonier  d^n  régiment 
se  gardera  bien  d1aller,  à  Pexercice,  com- 
mander tout  haut  le  chapelet,  Yangelus  et 
la  prière;  mais  si,  à  force  de  soins  et  de 
captation,  il  a  pu  s^emparer  du.  colonel  et 
remporter  dans  la  vie  dévote,  les  soldats  se 
trouveront  bientôt  recevoir  par  la  bouche 
du  colonel,  les  ordres  quY  aura  infuses  le 
prêtre.  Bichat  prenait  le  sang  d^un  pauvre 
animal,  qu'il  transfusait  dans  un  autre  animal, 
et  qui  circulait  ensuite  à  merveille.  Le  sys- 
tème est  d1injecter  de  même ,  dans  les  artères 
des  diverses  autorités  civiles  et  militaires,  Pes- 
prit  du  prèlre.  Cache  ainsi,  mais  toujours  di- 
rigé dans  son  sens ,  on  le  voit  ressortir  ensuite 
de  mille  manières,  tantôt  en  lois  sur  le  sa- 
crilège ,  sur  la  police  de  la  presse,  sur  la 


(  83  ) 
censure;  tantôt  sous  la  forme  de  telle  autre 
prescription  :  ce  qui  n'empêche  pas,  dans,  la 
chaire,  les  menaces  éclatantes  des  foudres 
du  ciel  et  des  feux  de  l'enfer,  et  dans  Pinte- 
rieur  des  familles,  les  petites  intrigues  et  les 
suggestions  privées. 

Je  pense,  Monseigneur,  avoir  mis  suffi- 
samment en  évidence  ce  plan  et  son  objet.  Il 
ne  me  reste  qu'à  examiner  comment  finale- 
ment la  religion,  le  Roi  et  la  société'  pourront 
s'en  accommoder. 

C'est  ce  que  je  vais  rechercher  dans  une 
seconde  partie. 


K 


6 


SECONDE  PARTIE. 


CONSÉQUENCES  DE  CET  ÉTAT  DE  CHOSES. 
QU'EST-CE  QUE  L'OPINION  PUBLIQUE? 


J\i  dû,  Monseigneur,  vous  exposer  avant 
tout  le  tableau  de  notre  situation  présente. 
Votre  Excellence  a  pu  apprécier  la  lèpre  qui 
est  entrée  dans  nos  choses  religieuses  ;  elle 
ne  se  sera  pas  seulement  arrêtée  aux  pointes 
de  cette  gangrène  qui  se  montrent  en  de- 
hors, elle  les  aura  aperçues  en  dedans.  Je 
vais  actuellement  lui  exposer  les  consé- 
quences qui  s'attachent  à  cette  situation. 

Comme  il  est  évident  que  la  religion  ,1e 
Roi  ,  la  société  sont  également  menacés,  il 
me  sera  indispensable  de  me  porter  succès- 


(  86  ) 
sivement  dans  ces  trois  points  de  vue.  Je 
pourrai  encore ,  si  Voire  Excellence  veut  bien 
mêle  permettre,  examiner  ce  qui  peut  ré- 
sulter pour  elle-même  d'une  semblable  si- 
tuation. 

Je  commencerai  par  traiter  ce  qui  con- 
cerne l'opinion.  Ce  mot  pouvant  présenter 
quelque  chose  de  vague,  je  m'attacherai  à  en 
fixer  le  sens. 

L'empire  de  l'opinion  embrasse  à  la  fois 
les  individus,  les  magistrats,  le  gouverne- 
ment ;  son  action  alors  s'étend  sur  des  sphères 
différentes. 

A  l'égard  des  individus,  à  moins  qu'ils 
n'aient  une  extrême  importance,  le  cercle  de 
cette  action  est  ordinairement  rétréci.  Il  est 
plus  étendu  à  l'égard  des  magistrats;  à  l'é- 
gard du  gouvernement,  il  comprend  la  na- 
tion entière. 

Envers  les  individus,  l'opinion  se  compose 
de  l'estime  dont  on  honore  généralement  la 
fidélité  aux  mouvemens  de  la  conscience 
et  aux  règles  communes  de  délicatesse  et 
d'honneur. 

Envers  les  magistrats,  l'opinion  se  compose 
de  l'estime  qu'on  est  dans  le  cas  de  leur  por- 


(«7  ) 
ter  en  raison   de  leur  fidélité  supposée  aux 
devoirs  de  leurs  fonctions,  et  dans  Inapplica- 
tion des  règles  de  l'équité. 

Envers  le  gouvernement,  l'opinion  se  com- 
pose de  lYstime  qu'on  peut  lui  accorder,  à 
raison  de  sa  fidélité  aux  lois  et  aux  institutions 
publiques. 

Si  un  individu  est  supposé  manquer  aux 
mouvemens  de  sa  conscience  ainsi  qu'aux 
sentimens  d'honneur;  si  des  magistrats  sont 
supposés  prtrvariquer  dans  l'exercice  de  leurs 
fonctions,  et  dans  l'application  des  règles  de 
l'équité;  si  le  gouvernement,  au  lieu  de  pro- 
téger les  lois  et  les  institutions,  est  supposé 
lutter  contre  elles,  et  chercher  à  les  ruiner 
ou  aies  affaiblir;  il  y  aura  dans  tous  ces  cas, 
selon  les  degrés  divers ,  perte  ou  affaiblisse- 
ment de  l'estime  publique. 

Relativement  aux  individus  et  aux  ma^is- 
trats ,  on  ne  saurait  dire  que  cet  éioignement 
de  l'opinion  ou  de  l'estime  publique  soit  sans 
importance;  relativement  à  un  gouvernement, 
cette  importance  est  beaucoup  plus  grande; 
car,  un  gouvernement  se  trouvant  alors  dé- 
moralisé, il  ne  lui  reste  plus  désormais  que 
la  force.  Celle-ci  pouvant  se  démoraliser  à 


(  SB  ), 
son  tour,  \es  peuples  peuvent  tomber  dans 
les  commotions  et  dans  la  révolte. 

Un  gouvernement  qu'on  méprise  se  flatte 
quelquefois  qu'il  pourra  continuer  à  exister 
avec  le  mépris.  S'il  n'avait  rien  à  commander, 
et  si,  en  commandant,  il  n'avait  pas  à  faire 
usage  delà  force,  ce  serait  possible.  Mais,  au 
moment  où,  à  l'impéritiequi  excite  le  mépris, 
se  joint  le  développement  de  la  force  qui 
excite  la  haine,  il  se  produit  bien  vite,  à  côté 
du  dégoût  général ,  une  irritation  générale 
qui  pourra  devenir  dangereuse.  • 

Pour  ceux  qui  sont  convaincus  que  le 
gouvernement  a  perdu  l'estime  publique,  il 
me  sera  facile  de  prouver,  par  sa  conduite , 
comment  il  l'a  perdue. 

Pour  ceux  qui  croient  qu'il  lui  reste  en- 
core en  France  quelque  estime,  il  me  sera 
facile  d'établir  comment  il  va  la  perdre. 

Dans  les  affaires  particulières ,  si  je  le  mon- 
tre violant  ouvertement  les  règles  et  les  lois  ; 
si,  dans  une  sphère  plus  étendue,  je  le  mon- 
tre portant  atteinte  à  nos  institutions;  enfin, 
lorsqu'il  viole  en  même  temps  les  institu- 
tions et  les  lois,  et  que  par-là  il  provoque 
l'irritation  générale,  si  je  le  montre  se  corn- 


(  »!)  ) 
binant  avec  les  ennemis  connus  de  nus  insti- 
tutions, et  formant  avec  eux  une  sorte  de 
ligue  offensive  ;  j'aurai  rempli  Tobjet  de  ce 
Mémoire.  La  France,  que  Votre  Excellence 
n'a  vue  probablement  depuis  long-temps 
que  par  des  yeux  prévenus  ou  intéresses  à  la 
tromper,  elle  la  verra  dès-lors  telle  qu'elle 
est;  elle  verra  aussi  les  orages  qui,  de  toutes 
parts,  sont  prêts  à  éclater. 


(9o  ) 


CHAPITRE  PREMIER. 


CAUSE    ET     INDICE    DE     NOS    MAUX.    MANOEUVRE-»     DES 

JESUITES.   CONSEQUENCES    QUI    EN    RESULTENT  POUR 

LE   CHEF   DE  L'ÉTAT. 


En  présentant  le  tableau  des  orages  qui 
nous  menacent ,  il  me  sera  indispensable , 
Monseigneur,  de  remettre  de  nouveau  les 
jésuites  en  scène;  car,  dans  ma  pensée,  ils 
sont  tout  à  la  fois  cause  et  indice  des  maux  : 
cause  ,  en  ce  qu'ils  sont  la  source  de  beau- 
coup de  desordres ,  et  qu'ils  en  font  craindre 
de  nouveaux;  indice,  en  ce  que  leur  exis- 
tence vicieuse  atteste  la  source  empoisonnée 
à  laquelle  ils  appartiennent. 

A  cet  égard,  deux  motifs  me  dirigent; 
Tun  part  du  sentiment  profond  que  j'ai  du  v  îce 
(Tune  telle  institution;  l'autre  de  l'atteinte  que 
leur  existence  porte  à  une  partie  de  nos  lois 


(y  ) 

existantes:  atteinte  qui  menace  par-là  même 
toutes  nos  lois. 

Et  d'abord  ,  si  la  France  se  trouvait  dans 
une  position  semblable  à  celle  de  divers 
États,  tels  que  la  Russie,  la  Prusse,  l'Amérique 
septentrionale,  lesquels  ont  admis  les  jésuites 
et  les  admettent  encore;  je  concevrais  moins 
d'alarmes.  Ces  gouvernemens  et  leurs  peu- 
ples ont,  dans  leurs  religions  particulières, 
ainsi  que  dans  leurs  constitutions,  des  garan- 
ties convenables.  La  France  n'en  a  aucune  ; 
au  contraire ,  elle  a  lieu  de  craindre  que ,  par 
certaines  captations ,  sa  religion  et  son  gou- 
vernement égarés  ne  soient  disposés  à  la  sa- 
crifier plutôt  qu'à  la  défendre. 

C'est  l'impression  que  fait  généralement 
l'ensemble  de  sa  conduite.  A  ce  sujet ,  je  me 
contenterai  d'une  simple  question. 

Que  dirait  un  pays  catholique  qui  verrait, 
par  l'effet  de  ligues  et  de  manœuvres  se- 
crètes, son  gouvernement  se  montrer  pro- 
testant, et  donner  toutes  les  fonctions  pu- 
bliques à  des  protestans?  Que  dirait  un  pays 
protestant  si ,  par  l'effet  de  semblables  ma- 
nœuvres ,  il  voyait  son  gouvernement  deve- 
nir catholique  ,  et  donner  toutes  les  places  à 


(  9a  ) 

des  catholiques?  Que  peut  dire  la  France 
d'aujourd'hui ,  anti-ultramontaine  et  anti- 
jésuite ,  lorsqu'elle  voit  son  gouvernement 
et  toutes  les  places  influentes  de  l'instruction 
et  de  l'administration  tombant  dans  les 
mains  des  je'suites,  ou  du  moins  de  leurs 
partisans? 

Je  parle  des  places  de  l'instruction  et  de 
l'administration  ;  je  n'en  dis  pas  assez.  Il  faut 
y  ajouter  les  places  de  la  magistrature  les 
plus  subalternes ,  les  offices  de  notaires  et 
d'avoués,  les  places  même  de  l'armée,  avec 
une  suite  et  une  persistance  dont  j'ai  vu  les 
commencemens  et  dont  j'ai  suivi  les  pro- 
grès. C'est  un  fait  que  tous  les  corps ,  tant  ci- 
vils que  militaires,  ont  été  garnis  autant 
qu'on  a  pu  (  en  leur  donnant  une  robe 
laïque)  de  jésuites,  de  missionnaires,  de  tous 
les  satellites  du  parti  prêtre. 

Cette  manœuvre,  qui,  même  dans  un  gou- 
vernement depuis  long-temps  établi ,  serait 
une  source  continuelle  d'inquiétude,  com- 
ment n'en  causera- 1— elle  pas  plus  dans  u» 
gouvernement  constitutionnel  qui  ne  compte 
que  quelques  années? 

Sur  ce  point,  les pubiieistes  ,  qui  ont  traite 


(93  ) 
du  droit  des  nations,  ont  été  tous  d'avis  que 
les  Etats  de  cette  classe  avaient  de  grandes 
précautions  à  prendre.  Grotius  cite  en  con- 
firmation de  sa  décision  ces  paroles  de  Di- 
don,  quand  au  premier  moment  elle  re- 
pousse les  Troyens  fugitifs  : 

Res  dura  et  regni  novitas  me  talia  cogunt 
Moliri  et  late  fines  custode  tuerl. 

Ainsi  donc,  quand  même  l'institution  des 
jésuites  ne  serait  pas  aussi  essentiellement 
vicieuse  quelle  me  le  paraît,  son  double  ca- 
ractère ultramonlain  et  tendant  au  despo- 
tisme pourrait  seul,  dans  une  nation  nouvelle 
encore  dans  les  voies  de  la  liberté  ,  tourner 
contre  elle  tous  les  esprits. 

Ce  n'est  là  qu'une  partie  de  nos  craintes. 

Au  milieu  d'une  nation  anti-jésuitique  et 
anti-ultramontaine,  opposée  par-là  même 
au  pouvoir  absolu  du  Roi  comme  au  pou- 
voir absolu  du  pape  ,  s'il  se  trouve  un  parti 
prêtre  fortement  appuyé ,  et  tellement  en- 
gagé dans  son  dévouement  aux  , jésuites 
et  au  pape,  que  malgré  l'assentiment  gé- 
néral qui  l'empêche  de  se  déclarer  ouver- 
tement, il  ne  veut  se  départir,  ni  de  ses 
desseins  connus  r  ni  de  ses  manœuvres  se- 


(94) 
crêtes  ;  si  à  l'aide  de  ce  parti  il  s'est  élevé 
un  gouvernement  qui,  en  face  des  lois  qui 
la  proscrivent,  des  magistrats  qui  la  condam- 
nent, de  la  haute  Cour  du  royaume  qui  l'ac- 
cuse ,  s'obstine  à  soutenir  de  sa  protection 
une  corporation  vicieuse  ,  je  demande  à 
Votre  Excellence  quel  jugement  on  peut 
porter  d'une  telle  conduite  ?  Singulière  con- 
tre-partie de  ce  qu'on  voit  quelquefois  dans 
l'histoire  des  troubles  publics ,  où ,  sous  un 
gouvernement  juste  ,  une  nation  se  permet 
d'enfreindre  ses  lois!  Ici  c'est  la  nation  qui 
est  fidèle,  le  gouvernement  séditieux. 

J'ai  prouvé,  dans  ma  première  partie,  que, 
par  l'introduction  des  jésuites,  il  y  avait ,  et 
de  la  part  de  ceux  qui  les  ont  appelés  ,  et  de 
la  part  des  autorités  qui  les  maintiennent, 
une  véritable  révolte  contre  les  lois.  Il  me 
reste  à  examiner  si  un  tel  scandale  peut  se 
supporter. 

Ce  scandale  peut  être  rapporté  à  deux 
principes.  Le  premier  se  trouve  dans  l'hor- 
reur qui  s'attache  naturellement  à  cette  ins- 
titution. Que  penser  d'une  corporation  qui 
compose  ,  au  sein  des  Etats  ,  une  milice  par- 
ticulière, laquelle,  en  affectant  de  professer 


(  95  ) 
la  soumission  aux  lois  du  pays,  met  avant 
tout  son  dévouement  à  un  chef  étranger  : 
dévouement  tel  que,  depuis  le  fameux  prince 
des  assassins,  on  nVn  connaît  pas  de  pareil 
sur  la  terre;  une  corporation  accusée  dans  le 
inonde  entier,  soit  envers  les  rois  ,  soit  en- 
vers les  peuples,  et  dont  le  nom  est  devenu 
depuis  long-temps  synonyme  de  beaucoup 
de  vices  ! 

Certes  on  ne  peut  contester  qu'une  telle 
impression  existe.  On  l'appellera,  si  on  veut, 
prévention;  on  conviendra  au  moins  qu'elle 
n'a  rien  de  commun  avec  ces  préventions 
qu'on  dit  provenant  des  préjugés  ou  des  pas- 
sions ;  elle  est  appuyée  par  ce  qu'il  y  a  de 
plus  respectable  parmi  les  hommes,  l'autorité 
des  magistrats  et  celle  de  la  chose  jugée. 

Sous  un  régime  absolu ,  les  parlemens 
avaient  signalé  les  jésuites  comme  une  cor- 
poration odieuse..  Sous  le  régime  présent, 
la  Cour  royale  de  Paris  la  signale  de  même. 
Quand  le  peuple,  dans  ses  plaintes,  ne  fait 
que  répéter  la  voix  de  ses  magistrats ,  et  que 
cette  voix  est  encore  appuyée  par  celle  des 
temps  passés,  en  vérité  est-il  convenable  de 
se  heurter  contre  de  telles  autorités? 


(9«) 

Le  scandale  que  je  mentionne  s'aggrave, 
dans  ce  cas ,  d'un  spectacle  qui  forme  comme 
un  autre  scandale  :  c'est  celui  des  magistrats 
méprises  ,  et  la  démoralisation  qui  en  re'sulte 
chez  tout  un  peuple. 

Partout  et  toujours,  ce  qui  plaît  à  une  na- 
tion et  ce  qui  la  fortifie  dans  les  bonnes 
mœurs,  c'est  le  spectacle  du  respect  porte 
à  Tordre  légal.  Au  lieu  d'être  heureuse  et 
tranquille ,  toujours  une  nation  sera  troublée 
lorsque  Tordre  légal  y  paraîtra  bouleversé. 
Dans  ce  cas,  on  ne  croit  blesser  que  Tintérèt 
de  quelques-uns;  mais  cet  intérêt  de  quel- 
ques-uns étant  en  sympathie  avec  les  intérêts 
de  tous ,  tous  se  lèvent  au  même  moment 
pour  le  défendre.  Rétablissez  demain  les 
ordres  arbitraires,  la  Bastille,  les  lettres  de 
cachet;  on  sait  bien  que  vous  n'irez  pas  em- 
prisonner à  la  fois  les  trente,  millions  d'indi- 
vidus qui  composent  la  population  de  la 
France.  Dans  ce  cas,  le  coup  qui  parait  ne 
frapper  qu'un  seul  les  atteint  tous. 

Dans  la  question  des  jésuites,  on  peut 
croire  que  ce  ne  sont  pas  individuellement 
toutes  les  lois  du  royaume  qui  seront  violées 
pendant  quelque  temps;  la  loi  des  élections 


(97  ) 
pourra  demeurer  intacte;  Ja  plus  grande 
partie  des  lois  civiles  semblera  ne  recevoir 
aucune  atteinte.  Il  en  sera  de  même  de 
nos  lois  criminelles  et  politiques.  Dans  le 
fait,  toutes  seront  frappées ,  toutes  seront 
ébranlées.  C'est  ce  qu'a  très-bien  reconnu 
la  commission  de  la  Chambre  des  pairs, 
lorsqu'elle  a  prononce  par  l'organe  de  M.  le 
comte  Portalis  :  que  V existence  défait  d'un 
établissement  contraire  aux  lois  ne  doit  pas 
être  possible. 

Il  ne  faut  pas  dire,  comme  je  l'ai  entendu 
quelquefois  :  La  loi  qiCon  mole ,  est-elle  donc 
si  respectable?  J'ai  entendu  dire  aussi  à 
Versailles  :  Le  sang  qui  coule,  est-il  donc  si 
pur? 

Ce  sang,  prétendu  impur,  qui  a  coulé  sur 
la  terre  ,  en  a  bientôt  appelé  d'autre ,  celui 
même  du  malheureux  jeune  homme  qui 
avait  eu  cette  pensée.  Oui,  telle  qu'elle  puisse 
être  ,  la  loi  qu'on  viole  est  respectable  tant 
qu'elle  est  classée  dans  le  corps  des  lois.  En- 
trer de  violence  dans  ce  sanctuaire  pour  en 
arracher  à  sa  volonté  telle  ou  telle  loi,  en 
l'anéantissant  par  le  fait,  lorsqu'elle  subsiste 
par.le  droit ,  c'est ,  comme  l'a  dit  M.  de  Neu- 


(9«) 
ville,  marcher  à  la  lin  de  toutes  choses;  c'est 
lomber  dans  le  chaos, 

La  loi  qu'on  viole,  est-elle  donc  si  respec- 
table ?  Eh  bien  !  ce  peut  être  une  mauvaise 
loi.  Vous  avez  alors  des  moyens  légaux  de  la 
reformer.  Comment!  vous  avez  supprimé  les 
lettres  de  cachet,  les  prisons  d'Etat,  c'est-à- 
dire  l'arbitraire  envers  les  personnes;  et  vous 
le  remplaceriez  par  l'arbitraire  envers  les 
lois  !  La  Bastille  a  disparu  pour  les  citoyens; 
elle  se  retrouverait  pour  les  lois  !  Sous  le  rè- 
gne du  despotisme,  il  n'est  aucune  maxime 
que  nos  souverains  se  soient  plu  aussi  sou- 
vent à  proclamer  que  celle  de  régner  avec 
les  lois  et  par  les  lois  ;  et  vous ,  Monseigneur, 
ministre  sous  l'empire  de  la  Charte  et  des 
libertés,  vous  croiriez  pouvoir  disposer  des 
lois  à  votre  volonté! 

La  loi  violée  est,  selon  moi,  d'une  très- 
grande  importance  ;  mais  fût-elle  la  plus 
minime  des  lois  ,  elle  serait  encore  défendue 
par  tout  le  corps  des  lois.  Dans  l'ordre  des 
propriétés  ,  un  œuf  est  une  chose  minime  ; 
mais  les  nations  ont  très-bien  établi ,  dans 
leurs  proverbes,  que  celui  qui  dérobe  une 
petite   propriété    en   dérobera   bientôt   une 


(99) 
plus  grande.  Ce  qui  a  été  dit  à  regard  des  dé- 
lits a  été  dit  à  regard  des  crimes  :  Quelque  crime 
toujours  précède  un  plus  grand  crime.  Il  en 
est  de  même  de  l'homme  qui  ,  en  un  point, 
viole  la  vérité  :  Mendax  in  uno1  mendax  in 
omnibus.  Ce  qui  fait  aujourd'hui  la  sécurité 
publique ,  c'est  que,  dans  aucune  partie  de  la 
France,  un  citoyen  ne  peut  être  privé  de  sa 
fortune  et  de  sa  vie.  Au  moment  où,  sous 
quelque  prétexte,  la  violence  remplace  la 
justice,  la  sécurité  ôtée  à  un  seul  efface  la 
sécurité  de  tous. 

D'après  ces  considérations ,  Votre  Excel- 
lence ne  sera  pas  étonnée  de  la  commotion 
qui  s'est  faite  depuis  quelque  temps  dans  les 
esprits.  «  Chose  étrange  !  nous  dit  M.  Frays- 
sinous ,  on  veut  que  le  clergé  soit  calme ,  en 
paix  avec  tout  le  monde  !  » 

Cette  tirade  peut  être  fort  belle,  mais  très- 
certainement  elle  n'est  pas  juste  :  je  la  lui 
renverrai  tout  entière,  à  lui  et  aux  siens, 
en  substituant,  dans  toutes  ses  parties,  le 
mot  peuple  au  mot  clergé. 

Chose  étrange!  on  veut  que  le peuple  soit 
calme,  en  paix  avec  tout  le  monde,  tou- 
jours mesuré  dans  sa  conduite  comme  dans 

7 


(  ioo  ) 
ses  discours  :  rien  de  mieux ,  c'est  son  de- 
voir; mais  d'un  autre  côté,  qu'a-t-on  fait? 
Précise'ment  tout  ce  qu'il  fallait  faire  pour 
désoler  sa  patience ,  pour  l'indisposer  et  l'ai- 
grir, s'il  était  possible. 

Je  n'ai  encore  accusé  que  la  négligence  du 
gouvernement  à  l'égard  des  jésuites  et  du 
parti  prêtre  ;  c'est  déjà  trop  que  son  rôle 
passif.  Il  me  reste  à  montrer,  par  des  exem- 
ples ,  ce  que  sa  participation  active  ajoute  de 
scandale  à  sa  complicité  secrète,  et  com- 
ment ,  sous  ce  second  point  de  vue ,  il  froisse 
de  nouveau  l'opinion. 


CHAPITRE  IL 


M.  THARIN   —   EDUCATION  DE  SON  ALTESSE  ROYALE 


monseigneur  le  duc  de  bordeaux.  —  plan  que 
suivrait  l'auteur  du  present  ecrit  ,  s'il  avait 
l'honneur  d'être  le   précepteur  de  monseigneur. 


M.  le  comte  de  Neuville  se  contente ,  dans 
un  de  ses  discours  ,  d'accuser  la  minorité  du 
clergé;  il  parle  de  quelques  légers  écarts 
d'une  jeunesse  indisciplinée  :  en  cela  même, 
comme  je  l'ai  déjà  remarqué ,  le  clergé  n'est 
nullement  justifié. 

Au  milieu  des  scandales  du  temps,  celui 
qui  se  présente  le  premier  en  scène  se  trouve 
un  cardinal.  Lorsque  ce  cardinal,  repris  une 
fois  pour  une  lettre  pastorale  adressée  à  son 
diocèse ,  est  repris  une  seconde  fois  pour  une 
démarche  doublement  insultante  à  nos  lois 
et. à  l'autorité  du  Roi ,  que  fait  alors  le  gou- 
vernement? Mettant  à  part,  comme  insigni- 


(  I02  ) 
fiantes ,  les  décisions  du  conseil  d'Etat  et 
celles  de  la  magistrature,  non-seulement  il 
conseille  au  Roi  de  ne  tenir  compte  d^aucun 
de  ces  délits ,  mais  encore  de  les  couvrir  de 
ses  faveurs  ;  et  aussitôt ,  au  sacre  et  après  le 
sacre, le  délinquant  est  comblé  de  grâces.  De 
même  de  M.  l'archevêque  de  Rouen,  après 
un  mandement  incendiaire ,  que  le  soulève- 
ment de  la  rumeur  publique  l'a  forcé  de  re- 
tirer; de  même  de  tous  ceux  qui,  par  leur 
dévouement  aux  congrégations  des  jésuites 
et  aux  opinions  ultramontaines ,  se  montrent 
les  ennemis  ardens  de  nos  opinions ,  de  nos 
institutions ,  de  nos  lois.  Le  gouvernement 
semble  leur  dire  :  Venue  ad  me  omnes ;  à 
eux,  à  eux  seuls ,  toutes  les  faveurs  et  toutes 
les  places. 

Parmi  les  dangers  que  l'opinion  avait  le 
plus  à  redouter  en  ce  genre,  c'était  de  voir 
l'héritier  présomptif  de  la  couronne,  un 
jeune  enfant,  appelé  à  si  juste  titre  l'enfant 
du  miracle,  et  de  toute  manière  l'amour  et 
l'espérance  de  la  France  ,  livré  à  des  hommes 
dont  les  doctrines  funestes  ne  pouvaient  que 
faire  présager  une  éducation  funeste. 

Votre  Excellence   peut  s'apercevoir  que 


(  »>3  ) 
j'ai  «ci  en  vue  M.  Iliarin,  Toute  la  France  a 
été  frappée  d'abord  du  choix  qui  a  été  fait  de 
ce  prélat;  elle  Ta  été  ensuite  de  son  éloigne- 
ment  momentané. 

Il  a  couru  beaucoup  de  bruits  sur  les  eau 
ses  de  cet  éloignement.  Que  ces  bruits  soient 
un  roman  ou  une  fable,  peu  m'importe;  je 
ue  m'occuperai  que  du  caractère  connu  de 
cet  homme  que  j'honore,  et  à  qui  je  souhai- 
terais, pour  lui  comme  pour  nous  (je  parle 
ici  franchement  ),  une  tout  autre  vocation. 

Cet  ensemble  de  circonstances  me  parait 
très-grave  ;  je  demande  à  Votre  Excellence 
un  moment  d'attention. 

Et  d'abord  ,  j'entends  dire  que  M.  Tharin 
n'est  pas  seulement  un  dévot,  mais  un  saint  ; 
il  regarde  les  biens  de  la  terre  comme  rien  ; 
les  palais  et  les  empires,  tout  cela  est  à  ses 
yeux  comme  des  ombres  et  de  la  poussière  : 
c'est  à  merveille.  Tout  entier  au  salut  de  son 
élève ,  qu'il  veuille  l'éloigner  des  vains  spec- 
tacles du  monde  (spectacles  que  l'Eglise  a  ré- 
prouvés certainement,  puisqu'elle  a  réprouvé 
la  profession  qui  leur  appartient  j,  qui  pour- 
rait blâmer  M.  Tharin?  Dans  le  doute  même 
qu'il  persiste  à  les  lui  interdire, je  ne  puis 


(  io4  ) 

encore  que  l'approuver";  car,  suivant  lui? 
comme  suivant  moi,  il  n'est  permis  à  un 
prince ,  pas  plus  qu'à  un  autre ,  de  se  hasar- 
der au  cloute  d'offenser  Dieu. 

Sur  tous  ces  points,  je  ne  puis  qu'accor- 
der à  M.  Tharin  mon  admiration  et  mon 
respect  ;  je  sens  tout-à-fait  en  moi  ce  qui  se 
passe  en  lui.  Certes  je  n'ai  point  de  palais,  je 
n'ai  point  de  couronne  ;  mon  empire,  à  moi , 
c'est  quelques  mauvais  arpens  de  terre;  mes 
ministres  ,  quelques  pauvres  valets  ;  mes  su- 
jets, quelques  misérables  troupeaux;  mais 
eussé-je  tous  les  empires  de  la  terre,  je  me 
dirais  encore,  comme  M.  Tharin,   que  ces 
empires  sont  une  vaine  poussière;  je  me  di- 
rais qu'au-dessus  de  cette  petite  terre,  qui 
tourne  sur  elle-même,  et  qui  me  fait  tour- 
ner comme  elle,  il  est  un  autre  empire,  une 
autre  demeure  ,  une  autre  destinée  ;  je  me 
dirais  que  ces  spectacles,  qu'une  partie  de 
la  France  chérit  et  qu'une  autre  partie  ré- 
prouve, sont,  ainsi  que  toutes  les  pompes  du 
monde ,  bien  peu  de  chose  ;  et  alors  ,  si  d'un 
côté  je  vois  par  ce  motif  cet  homme  saint , 
cet  homme  de  la  pénitence  et  de  la  prière , 
repoussé  par  les  hommes  de  la  cour,  par  les 


(  io5  ) 
hommes  du  monde;  s'il  n'obtient  pas  par- 
tout, comme  il  le  mérite,  l'estime  et  le  res- 
pect, il  l'obtiendra  au  moins  de  moi;  il  aura, 
tant  que  je  vivrai,  ma  bénédiction  et  mes 
vœux  ;  il  les  aura  encore  plus  particulière- 
ment à  ma  dernière  heure.  Puisse  un  tel 
homme  être  le  compagnon  de  mes  derniers 
momens ,  le  protecteur  de  ma  faiblesse ,  et 
soutenir  de  toute  sa  force  mes  pas  tremblans 
vers  une  autre  vie  ! 

Voilà  ma  pensée  sur  M.  Tharin.  Actuelle- 
ment, fallait-il  appeler  cet  homme  à  la  cour? 
Fallait-il  lui  confier  l'éducation  de  l'héritier 
de  la  couronne.  Je  dirai  franchement,  non. 
C'est  que  i'éducation  des  rois  doit  être  faite , 
non  pour  eux,  mais  pour  leurs  peuples.  Ce 
que  doivent  apprendre  avant  tout  les  rois 
du  monde,  ce  sont  les  choses  du  monde;  ce 
qu'ils  doivent  apprendre  encore,  c'est  en  tout 
la  loyauté  et  la  vérité  ;  et  alors  faudra-t-il , 
comme  on  a  voulu  le  persuader  à  M.  Tharin , 
faire  marcher  du  même  pas,  dans  l'éducation 
d'un  jeune  prince,  les  souillures  du  siècle  et 
les  saintetés  d'une  autre  vie  ?  Par  une  hypo- 
crisie en  sens  inverse ,  et  par-là  encore  plus 
abominable, faudra-t-il  qu'il  fasse  commettre 


(  tri  ) 

à  son  élève  (  et  cela  pour  plaire  au  monde  ) 
des  actions  que  sa  conscience  reprouvera  ; 
qu'il  le  fasse  assister,  par  exemple,  à  des 
spectacles  que  sa  piété,  en  secret,  anathé- 
matisera  ?  Il  faut  laisser  de  telles  duplicités  à 
ces  hommes  qui ,  quel  qu'affublés  qu'ils  soient 
de  dignités  religieuses,  n'en  sont  pas  moins 
des  enfans  du  mensonge.  L'Esprit  saint  m'ap- 
prend  le  nom  du  père  du  mensonge;  il  s'ap- 
pelle Satan. 

Monseigneur,  tout  cela  est  manifestement 
dans  le  faux;  venons  au  vrai.  Malgré  tous 
mes  démérites,  je  suppose  que  je  sois  un 
jour  pour  quelque  chose  dans  la  conduite 
du  jeune  et  auguste  prince  dont  on  a  jugé  à 
propos  de  confier  l'éducation  à  M.  Tharin  ; 
certainement  je  ne  lui  dirai  pas  de  fuir  les 
spectacles,  ni  de  suivre,  à  d'autres  égards, 
les  préceptes  sévères  de  ce  pieux  prélat  ;  je 
l'en  éloignerai ,  au  contraire  ,  tout-à-fait. 
Prince  de  la  terre,  je  relèverai  tout-à-fait 
pour  la  terre ,  car  c'est  là ,  comme  roi,  la  vo- 
cation qui  lui  a  été  faite;  et  cependant  je  ne 
laisserai  pas ,  dans  toutes  les  occasions  op- 
portunes, de  lui  rappeler  qu'un  roi,  comme 
tout  autre  homme,  n'a  pas  été  fait  seulement 


(  io7  )' 
pour  les  choses  d'ici-bas.  Il  y  a  un  jour  de 
Tannée  où  l'Eglise,  jetant  de  la  cendre  sur 
la  tête  des  rois ,  leur  rappelle  que  comme 
nous  tous  ils  sont  poussière,  et  qu'ils  retour- 
neront en  poussière;  je  m'attacherai  à  faire 
retentir  dans  le  cœur  de  mon  élève  ces  graves 
paroles;  et  alors,  si  M.  Tharin  est  quelque 
part  près  de  nous,  je  le  mènerai  à  son  ermi- 
tage (  car  c'est  surtout  un  ermitage  qui  con- 
vient à  M.  Tharin)  :  ce  brave  homme  ne  dé- 
daignera sûrement  pas  nos  louanges ,  et  il 
nous  accordera  aussi  sa  bénédiction  et  ses 
prières. 

Ce  n'est  pas  assez.  Si  la  Providence  a  com- 
posé tous  les  hommes  pour  la  vie  chrétienne, 
elle  n'a  pas  oublié  que  quelques  âmes  privi- 
légiées pouvaient  être  susceptibles  d'une  vo- 
cation plus  élevée;  elle  a  composé  à  cet 
effet  la  vie  dévote.  Encore  qu'un  prince  soit 
en  général  appelé  plus  particulièrement  à 
la  vie  chrétienne,  il  n'est  pas  dit  qu'il  doive 
être  privé  pour  cela  des  avantages  d'une  vie 
plus  parfaite;  et  alors,  si  le  jeune  prince  con- 
fié à  mes  soins  vient  à  sentir  en  lui  les  mou- 
vemens  d'une  vocation  plus  haute,  si  les  sen- 
timens  pieux  conviennent  à   son  ame,  de 


(   io8 

manière  à  pouvoir  la  saisir  tout  entière  et  à 
s'en  emparer  ,  je-  lui  dirai ,  certes  ,  d'y  faire 
attention  ;  je  lui  dirai  que  les  élévations  en 
ce  genre  sont  suivies  quelquefois  de  grandes 
chutes  :  mais  enfin,  après  s'être  éprouve' 
long-temps ,  après  s'être  assuré  que  sa  ré- 
solution n'est  l'effet  ni  d'une  simple  chaleur 
de  l'âge  ni  d'une  vaine  présomption,  je  ne 
combattrai  en  aucune  manière  sa  résolution; 
seulement. ,  lorsqu'il  embrassera  la  vie  dévote, 
je  lui  dirai  que  ce  ne  doit  être  ni  avec  ca- 
choterie  ni  avec  mystère  ,  mais  hautement  et 
avec  franchise.  Qu'il  n'affecte  pas  alors ,  je 
le  lui  demande  en  grâce  ,  une  fausse  monda- 
nité qui  ne  sera  pas  dans  son  cœur;  qu'il  se 
permette  encore  moins,  avec  fanfaronnade, 
des  infractions  que  sa  conscience  réprouvera. 
J'aurai  encore  quelque  chose  de  plus  im- 
portant à  lui  recommander. 

Enivré  des  choses  du  ciel,  qu'il  n'aille  pas, 
comme  on  le  fait  aujourd'hui,  confier  les 
choses  du  monde  à  des  hommes  qui,  comme 
lui,  seront  des  hommes  du  ciel.  Qu'il  n'aille 
pas,  comme  on  vient  de  le  faire  récemment, 
chercher  au  milieu  des  reliques  et  àcsAgnus 
Dci,  des  professeurs  de  science  mondaine. 


(  I09  ) 
Je  désire  que  partout  el  dans  toutes  les  pro- 
.  fessions,  il  cherche,  pour  les  faire  fleurir,  les 
hommes  savans  de  ces  professions. 

Comme  les  exemples  ont  toujours  une 
grande  action  ,  je  me  plairai  à  lui  citer  celui 
du  maire  d'une  grande  ville  dans  laquelle 
j'ai  beaucoup  de  rapports.  Ce  maire  dune  de 
ces  anciennes  familles  citadines  où  depuis 
des  siècles  l'honneur  est  héréditaire,  pouvait 
croire  que  la  piété'  réprouve  le  spectacle  ; 
une  place  brillante  a  beau  lui  être  assignée 
comme  maire,  ni  lui,  ni  personne  de  sa  fa- 
mille ne  l'occupe;  et  cependant  jamais  les 
soins  des  spectacles  de  cette  ville  n'ont  été 
aussi  bien  entendus  que  sous  son  adminis- 
tration ,  ni  aussi  bien  dirigés.  D'une  cons- 
cience délicate  pour  lui-même,  cette  déli- 
catesse ne  s'applique  point  à  ses  administrés. 
Il  sait  qu'il  a  à  gouverner  sa  cité,  non  dans 
ses  vues  particulières,  mais  dans  les  vues  et 
selon  les  habitudes  de  ses  administrés. 

D'après  cet  exemple  je  dirai  à  mon  jeune 
élève  :  Monseigneur,  vous  serez  roi  un  jour, 
mais  d'avance  pensez  que  vous  n'aurez  point 
à  gouverner  votre  peuple  selon  votre  goût 
te  vos  opinions  privées ,  mais  selon  les  opi- 


(  no  ) 
nions  et  les  goûts  établis  dans  votre  nation. 
Vous  ne  serez  pas  seulement  le  roi  de  quel- 
ques prêtres,  de  quelques  dévots,  de  quel- 
ques saints,  vous  ne  le  serez  pas  même  seu- 
lement de  plusieurs  millions  de  catholiques, 
mais  encore  d'un  grand  nombre  de  commu- 
nions dissidentes.  Vous,  serez  roi  aussi  d'un 
grand  nombre  de  pécheurs  comme  moi ,  à 
qui  Dieu  a  accordé  la  liberté  du  bien  et  du 
mal  ;  liberté  que  vous  n'avez  le  droit  de 
restreindre  en  aucune  manière ,  excepté 
dans  les  points  qui  intéressent  Tordre  établi, 
et  selon  les  lois  que  cet  ordre  a  établies. 

Ce  ne  sont  pas  les  seuls  dangers  contre 
lesquels  j'aurai  à  prémunir  mon  auguste 
élève  ;  et  d'abord  ce  sera  relativement  à  lui- 
même,  à  raison  de  la  pente  attachée  à  notre 
nature ,  de  vouloir  faire  faire  aux  autres  ce 
qui  nous  plaît,  parce  que  cela  nous  plaît.     ^ 

Si  l'on  est  heureux  d'être  appelé  à  la  vie 
.  dévote,  c'est  lorsqu'on  cède  à  celte  impul- 
sion franche  de  la  conscience  qu'on  peut 
regarder  en  quelque  sorte  comme  la  voix 
de  Dieu;  mais  y  être  entraîné,  je  ne  dirai 
pas  seulement  par  le  désir  déplaire  au  prince 
(ce   qui   est   une   hypocrisie   abominable), 


(  Ol  ) 

mais  par  un  système  de  petites  manies,  de 
petites  ruses  de  prêtre,  véritables  et  hon- 
teuses supercheries  :  ce  système  est  bientô! 
mis  à  découvert.  Il  décrédite  au  même  mo- 
ment, et  le  prince  qui  le  favorise ,  et  le  prêtre 
qui  Pemploie. 

A  cet  égard ,  deux  ccueils  sont  encore  à 
craindre  :  ils  se  composent  de  deux  maximes 
éminemment  fausses  et  qui  néanmoins  lui 
seront  continuellement  proposées. 

La  première  est  tirée  des  paroles  d'un 
saint  pape  qui  a  prétendu  que  les  rois,  sur 
la  terre,  devaient  être  occupés  beaucoup 
moins  des  choses  de  la  terre  que  des  inté- 
rêts de  FEglise. 

La  seconde  est  celle  d\in  roi  qui  décla- 
rait ne  pouvoir  rien  refuser  à  un  homme  qui 
disposait  en  sa  faveur  des  choses  du  ciel  \ 

Ces  maximes  ont  eu  beau  être  prônées 
par  Bossuet  qui  avait  ses  raisons  pour  les 
présenter  à  rassemblée  de  1682;  elles  n'en 
sont  pas  moins  fausses  de  tout  point.  De 
Fune  il  s^ensuivrait ,  qu'au  lieu  d^n  roi  de 
France,   nous  n'aurions  plus  qu'un  roi  de 

*    Nihil  negare  possum  oui  per  Deum  omnia  debeo  . 


(  lis  ) 

prêtres;  de  toutes  deux,  qu'un  roi  qui  serait, 
d'un  côte  despote  absolu  pour  ses  peuples, 
en  cela  objet  de  haine,  et  qui  serait  en  même 
temps  esclave  absolu  de  ses  prêtres,  en  cela 
objet  de  mépris ,  serait  un  modèle  de  per- 
fection. Je  dirai  sans  cesse  à  mon  auguste 
élève ,  soit  qu'il  se  contente  de  la  vie  chré- 
tienne, soit  qu'il  ait  embrassé  la  vie  dévote, 
que  la  perfection  n'est  pas  là  et  qu'elle  est 
loin  de  là. 

Tels  sont, Monseigneur,  j'ose  le  dire,  les 
principes  avoués  par  la  véritable  politique, 
ainsi  que  par  la  religion  :  principes  qui  sont 
tellement  admis  en  France  que  je  ne  crois 
pas  que  personne  ose  les  contester  ouverte- 
ment. Lorsqu'en  dépit  de  ces  principes ,  on 
appelle  à  l'éducation  du  prince  qui  doit  avoir 
un  jour  tant  d'influence  sur  le  sort  de  la 
France,  non  un  homme  du  monde  ,  ou  un 
homme  de  la  simple  vie  chrétienne ,  mais 
un  homme  de  la  vie  dévote  ,  et  qui  de  plus 
nous  a  prévenu  dans  ses  mandemens  qu'il 
était  particulièrement  voué  aux  jésuites  et 
au  pape  ;  comment  ne  voit-on  pas  qu'on 
soulève  contre  soi  toute  la  raison  du  pays  ; 
qu'en  raison  des  dangers  qui  la  menacent  , 


(  «'3  ) 
on  excite  dans  une  nation  des  flots,  redouta- 
bles de  plaintes,  et  que  nar-là  on  provoque 
contre  le  gouvernement  toutes  les  résistan- 
ces légales  dont  là  constitution  permet  de 
disposer. 

Il  est  d'autres  causes  d'agitation  publique 
que  je  dois  mentionner.  Je  ne  puis  passer 
sous  silence  le  mouvement  survenu  derniè- 
rement au  sujet  de  la  nomination  de  M.  Re- 
camier. 


8 


(  "4) 

m 

m 


CHAPITRE  III. 


M.    RECAMIER.   CAUSES    DE   SA     PROMOTION     A    LA     PLUS 

BRILLANTE    DES   CHAIRES    DE    MEDECINE. 


Il  s'en  faut  bien ,  Monseigneur ,    que  je 
veuille  noter  àVotre  Excellence  M.  le  docteur 
Recamier  comme  un  homme  sans   mérite. 
Au  contraire,  je  sais  qu'il  en  a  beaucoup  ,  et 
sous  le  rapport  de  la  science,  et  sous  celui 
de  la  probité.  Cependant  sous  ces  deux  rap- 
ports, M.  le  docteur  Magendie   n'en  a  pas 
moins;  et  surtout  il  est  pins  connu  dans  le 
monde  savant  que  M.  Recamier.  Lorsque, 
par  une  singularité  remarquable,  il  se  trouve 
qu'à  mérite  égal,  celui  qui  avait  plus  de  cé- 
lébrité a  été  exclu,  et  celui  qui  en  avait  moins 
admis;  lorsque,  par  une  autre  singularité,  il 
se  trouve  que,  selon  la  règle  établie  par  le 


(  "5  ) 
gouvernement  lui-même,  la  place  vacante 
à  laquelle  doivent  présenter  rAcade'mie  des 
Sciences  et  l'Académie  de  Médecine,  a  été 
donnée  précisément  à  celui  qu'elles  n'ont 
pas  présenté ,  tous  les  esprits  sont  en  mou- 
vement pour  rechercher  les  causes  de  ces 
singularités.  Bientôt  il  se  découvre  que 
M.  Récamier  était  le  candidat  secret  des  jé- 
suites, delà  congrégation  et  du  parti  prêtre. 
M.  Magendie  n'était  que  celui  qu'appelaient, 
avec  toute  la  France,  nos  deux  premiers 
corps  sa  van  s. 

La  curiosité  étant  de  plus  en  plus  excitée 
sur  ce  point,  il  se  découvre  que  M.  Réca- 
mier, adonné  à  toutes  les  pratiques  de  la  vie 
dévote ,  va  à  la  messe  tous  les  jours  ,  qu'il  se 
confesse  tous  les  mois.  De  plus  on  apprend 
que,  dans  sa  chambre ,  en  face  de  la  porte ,  est 
placé  un  grand  Christ  qui  remplit  la  hauteur 
de  l'appartement.  A  chaque  côté  de  ce  Christ 
se  trouvent  dans  des  bocaux  précieux  diver- 
ses reliques  de  saint  Jean  d'Alcantara,  de 
saint  Ignace,  de  saint  Antoine  de  Padoue. 
De  plus  M.  Récamier,  affilié  à  toutes  les 
congrégations  imaginables,  a  voulu  avoir 
la  sienne.  Dix  à  douze  jeunes  gens  se  sont 

8" 


(  .,6) 
établis  ses  disciples.  Tous  ensemble  ,  à  cer- 
tains jours  marqués,  disent  certaines  prières, 
le  rosaire  peut-être  ou  le  chapelet;  et  alors 
comme  M.  Magendie ,  à  ce  qu'on  dit ,  se  con- 
fesse rarement,  qu'il  ne  va  peut-être  pas 
régulièrement  à  la  messe  ;  on  conçoit  com- 
ment, sous  un  gouvernement  asservi  par  le 
parti  prêtre,  la  protection  des  deux  premiers 
corps  savans  de  la  France  lui  donnera  peu 
davantage.  On  voit,  par  ce  seul  rapproche- 
ment, comment  les  motifs  de  l'admission 
de  l'un  et  de  l'exclusion  de  l'autre  e'tant 
une  fois  connus,  il  en  ressort  une  détonation 
générale  de  dérision  et  de  colère.  Ce  n'est 
pas  une  chose  extraordinaire. 

S'il  était  question  de  proposer,  pour  un 
pont  à  faire  sous  la  Seine,  un  ingénieur  ha- 
bile, et  qu'on  consultât  à  cet  égard  nos  so- 
ciétés savantes  ,  il  est  possible  qu'elles  pro- 
posassent M.  Brunel  actuellement  à  Londres, 
encore  que  peut-être  il  ne  soit  pas  affilié 
aux  jésuites  et  qu'il  n'aille  pas  régulièrement 
à  la  messe.  Ce  candidat  étant  proclamé  de 
toutes  parts,  si  on  apprenait  que  ce  dernier 
motif,  celui  de  n'être  pas  voué  aux  jésuites  , 
ou  de  n'avoir  pas  de  reliques  dans  sa  cham- 


(  "7  ) 
bre,   a  déterminé  son    exclusion;    on   sent 
l'impression  qui  en  résulterait  dans  le  public. 

On  dira  peut-être  que  c'est  la  haine  de  la 
dévotion,  ou  celle  des  reliques,  qui  cause 
cette  opposition.  Pas  le  moins  du  monde. 
Il  y  a  sans  doute  une  haine  générale  contre 
le  parti  prêtre.  Dans  les  choses  civiles ,  on 
ne  veut  de  son  autorité  ni  directement  ni 
indirectement.  Mais  ce  qui  prouve  que,  dans 
cette  haine,  la  dévotion  n'est  pour  rien;  c'est 
qu'il  en  serait  de  même  à  l'égard  de  toute 
autre  chose  étrangère  à  la  médecine. 

Je  suppose  que  M.  Récamier,  au  lieu  d'être 
un  virtuose  de  reliques,  soit  tout  simplement 
un  virtuose  de  musique.  Je  suppose  qu'oc- 
cupé sans  cesse  des  œuvres  de  Mozart  , 
d'Haydn  et  de  Rossini ,  il  soit  porté  à  la  chaire 
de  médecine,  non  par  un  comité  àedilet- 
tanti,  lequel  serait  parvenu,  comme  aujour- 
d'hui le  parti  prêtre,  à  subjuguer  le  gouver- 
nement ;  certainement  on  trouvera  tout 
aussi  mauvais  que  M.  Récamier,  en  sa  qualité 
de  professeur  de  musique,  soit  porté  à  une 
chaire  dte  médecine ,  qu'on  le  fait  amour- 
d'hui  parce  qu'il  est  professeur  de  dévotion 
et  de  reliques. 


(   n8) 
Par  elles-mêmes  ces  reliques  ne  méritent 
pas  plus  de  défaveur  que  la  dévotion.  Même 
humainement  parlant,  l'honneur  accorde'  aux 
reliques  ne  présente  à  personne  rien  de  dé- 
place'. Quel  est  celui  de  nous  dont  le  cœur 
ne  s'attache  pas  aux  restes  qu'il  aura  pu  re- 
cueillir d'un  père ,  d'un  ami ,   d'une  femme 
che'rie  !  Quel  est  celui  qui  ne  serait  pas  sa- 
tisfait d'avoir  quelque  chose  d'Henri  IV  ,  de 
Sully ,   ou  de  Montesquieu  !  Ce  qui  est  vrai 
et  beau  dans  l'ordre  des  sentimens  humains, 
comment  ne  le  serait-il  pas  dans  l'ordre  des 
sentimens  religieux  ! 

Aussi  jusqu'au  moment  présent, personne 
n'avait   pensé   à  détourner  son    estime    de 
M.  Récamier,  sous  prétexte  qu'il  avait  dans 
sa  chambre  des  reliques.   C'est  tout-à-fait  la 
faute  du  gouvernement ,  si  en  faisant    une 
application  fausse,  insensée,  d'un  mérite  de 
dévotion ,  sans  analogie  avec  la  science  mé- 
dicale ,  il  a  élevé  un  mouvement  de  dérision 
général  sur  M.  Récamier  et  sur  ses  pratiques. 
Certes,  ce  brave  homme  ne  méritait  en 
aucune  manière,  dans  sa  persqjfne,  les  ou- 
trages que  l'imprudence  du  gouvernement 
lui  a  attirés.  Sur  cela  même ,  je  lui  demande 


(  "9) 
mille   excuses;  mais  il  m'est  impossible  de 
ne  pas  m'emparer  de  lui  un  moment  pour  le 
montrer  en  exemple  aux  personnes  les  plus 
considérables  de  la  nation.  Voilà ,  leur  dirai- 
je  ,  un  homme  qui  pendant  long-temps  avait 
été  honoré  généralement,  soit  comme  chré- 
tien, soit  comme  médecin,  soit  comme  ci- 
toyen, et  qui ,  par  la  faiblesse  d'un  ministère 
sous   le  joug    du   parti  prêtre,    se   trouve 
voué  pour  le  reste  de  ses  jours  à  la  haine  et 
au  ridicule.  Je  ne  veux  pas  être  injuste  en- 
vers le  gouvernement;  il  n'a  pas,  comme  on 
le  lui  a  reproché,  violé  une  loi,  il  a  seule- 
ment violé  une  règle.  Cependant,  est-ce  si 
peu  de   chose  que  de  violer  une  règle?  La 
règle  est  une  précaution  prise  dans  le  calme, 
à  l'effet  d'éviter  les  erreurs  de  l'esprit  dans 
le  trouble;  elle  est  aussi  un  moyen  de  fixité 
dans  la  conduite.  En  cela  il  a  été  très-bien  dit  : 
Quiregulœ  vivit,  Deo  vwit.  Excepté  dans  des 
cas  tout-à-fait  extraordinaires,  si  dans  une 
monarchie ,  le  roi,  la  reine ,  les  princes ,  les 
princesses  se    croient   tenus    à   de    simples 
règles  d'étiquette;    que  penser  d'un  minis- 
tère qui,  pour  plaire  au  parti  prêtre,  s'est 
permis  ,  au  détriment  d'un  homme  qui  avait 


(     »*0    ) 

le  vœu  général,  de  violer  sa  propre  règle. 
Le  ridicule  de  la  nomination  de  M.  Réca- 
mier,   uniquement  par   considération  pour 
ses  pratiques  dévotes,    s'est  encore  aggravé 
par   l'association   des   dix  à   douze   jeunes 
gens,  ses  élèves,  qu'on  a  vu  arriver  avec  lui. 
Le  parti  prêtre  a  sans  doute  regardé  comme 
une  fortune  cette  adjonction  de  dix  à  douze 
jeunes  gens  dressés  par  lui ,  sous  la  conduite 
de  M.  Récamier,  à  dire  le  chapelet ,  et  à  ré- 
citer les  prières  de  la  Congrégation.  Il  a  cru 
qu'aussitôt  lès  autres  élèves  de  médecine, 
ainsi  que  ceux  des  autres   écoles,  seraient 
amenés  à  suivre  cet  exemple.  Il  ne  pouvait 
se  tromper  plus  grossièrement.  On  ne  pour- 
rait mieux  travailler  pour  l'impiété,  si  on 
voulait  le  faire;  et  c'est  là,  Monseigneur, 
ainsi  que  je  me  propose  de  l'observer  bien- 
tôt, un  exemple  frappant,  de  plus,  du  mal  que 
des  hommes  ineptement  religieux  peuvent 
faire  à  la  religion. 

C'est  ainsi  que  le  gouvernement  a  soulevé 
de  toutes  parts,  non  pas,  comme  il  le  croit, 
seulement  les  jeunes  gens,  mais  l'opinion  de 
toute  la  France.  L'irritation  qui  a  éclaté  à  ce 
sujet  doit  être  regardée  moins  comme    un 


(  1*1  ) 

fait  particulier  que  comme  un  symptôme. 
Il  me  reste  un  dernier  point  de  cette  irri- 
tation à  noter;  c'est  au  sujet  de  l'éducation 
publique.  Je  vais  parler  d'une  des  plus  pré- 
cieuses de  nos  institutions  ,    de  TUniversilé. 


(  la»  ) 


CHAPITRE  IV. 


DE    L  INSTRUCTION    PUBLIQUE.   PRETRES   DANS    L  ENSEI- 
GNEMENT.         ÉDUCATION     RELIGIEUSE.    EDUCATION 

MONDAINE.  AVANTAGES  QUE  PROCURE  L'UNIVERSITÉ. 

ATTAQUES    PAR     LESQUELLES     ON     VEUT     LES     FAIRE 

ÉVANOUIR. 


J'ai  montre,  dans  ma  première  partie,  com- 
ment, par  le  fait  des  atteintes  continuelles 
portées  à  FUniversite,  celle-ci  devait  progres- 
sivement tomber  et  s'anéantir  entièrement. 
Il  serait  difficile  en  effet  quelle  tînt  long- 
temps en  présence  d'écoles  rivales  qui  n'ont 
aucune  rétribution  «à  payer,  et  qui,  soutenues 
par  tout  le  parti  prêtre  ,  ont  pour  leurs 
élèves,  en  expectative  d'emplois  et  de  grâces, 
toute  la  faveur  du  gouvernement.  On  veut 
que  l'Université  périsse  :  elle  périra.  Toute- 
fois, en  attendant  que  cet  événement  désiré 
s'accomplisse,  la  France,  à  qui  on  présente. 


(  "3  ) 
dans  les  maisons  de  prêtres  ou  de  jésuites, 
un  système  d'éducation  qui  ne  lui  convient 
pas  ,  et  qui  voit  chanceler  et  s'évanouir  celui 
dont  elle  était  en  possession,  est  mécontente 
et  murmure. 

Ces  plaintes  portent  sur  deux  chefs  :  le 
premier,  le  spectacle  d'une  ancienne  insti- 
tution respectée,  et  qu'on  tient  délabrée, 
dans  l'espérance  de  la  défavoriser  et  de  la 
décréditer;  le  second ,  la  perspective  odieuse 
de  voir  dans  peu  l'éducation  nationale  con- 
fiée aux  jésuites  et  au  parti  prêtre.  A  quoi 
il  faut  ajouter  le  scandale  des  lois  violées 
avec  impudence,  indice  du  mépris  qu'on 
porte  à  toutes  les  lois. 

A  l'égard  des  prêtres,  je  vous  prie,  Mon- 
seigneur, de  porter  votre  attention  sur  les 
deux  propositions  suivantes,  en  apparence 
contradictoires:  Nous  les  voulons;  et  nous  ne 
les  voulons  pas.  C'est  comme  hommes  reli- 
gieux et  pour  la  vie  religieuse ,  que  nous  les 
voulons.  Comme  citoyens  et  pour  la  vie  ci- 
vile ,  nous  n'en  voulons  pas.  Nous  les  voulons 
comme  hommes  religieux  à  l'église  et  dans 
nos  affaires  particulières  de  conscience.  Nous 
n'en  voulons  pas  dans  nos  maisons  et  dans 


(  «*4  ) 

nos  affaires  civiles;  pas  plus  pour  la  direction 
de  nos  manufactures ,  à  commencer  par  la 
fabrique  de  draps  ;  et  à  finir  par  la  fabrique 
de  poudrette,  que  dans  l'administration,  à 
commencer  par  celle  des  ponts-et-chaus- 
se'es,  et  à  finir  par  celle  des  boues  et  des  lan- 
ternes. Nous  n'en  voulons  pas  davantage 
dans  l'administration  de  Farmée  et  dans  la 
direction  de  nos  finances  et  de  nos  affaires 
politiques.  Le  temps  des  cardinaux  Dubois 
et  des  abbés  Terray  est  passe'. 

Pour  ce  qui  est  de  l'éducation  publique, 
je  puis  dire  également  que  nous  en  voulons 
et  que  nous  n'en  voulons  pas.  Dans  le  cours 
d'études  qu'ont  à  suivre  les  jeunes  gens  des- 
tinés à  la  profession  ecclésiastique ,  si  quel- 
ques-uns s'élancent  dans  la  ligne  des  lettres  , 
des  sciences  et  des  arts,  de  manière  à  faire 
espérer  de  grands  services  à  l'enseignement , 
nous  les  désirons ,  nous  les  voulons  ;  mais 
alors  c'est  comme  savans  et  non  pas  comme 
prêtres.  L'ordre  de  Malte  tout  religieux  ad- 
mettait dans  son  sein  des  prêtres  pour  le 
service  religieux; mais  ces  prêtres  n'entraient 
pour  rien  dans  la  souveraineté  de  l'ordre. 
Pendant  long-temps,  les  moines  ont  affecté 


•• 


(  '"  ) 

de  ne  point  admettre  de  prêtres;  dans  ces 
derniers  temps  même,  il  en  était,  je  crois, 
qui  avaient  persiste'  dans  cette  règle. 

C'est  au  prêtre,  dans  ses  préparations  à  la 
première  communion  ,  de  disposer  convena- 
blement la  jeunesse  à  la  vie  chrétienne.  Voilà 
sa  part  dans  l'éducation  publique.  Cet  acte 
de  notre  virilité  religieuse  accompli ,  lequel 
correspond  au  port  d'armes  ,  c'est-à-dire  au 
premier  acte  de  la  virilité  militaire  chez  cer- 
tains peuples  ;  l'enfant  doit  être  retiré  des 
prêtres ,  comme  précédemment  il  a  été  re- 
tiré des  femmes. 

Là  commence  l'éducation  mondaine, apa- 
nage essentiel  de  l'Université,  non  pas  que 
les  préceptes  de  la  religion  y  doivent  être 
négligés  ou  méprisés ,  mais  ils  ne  doivent 
pas  en  faire  le  fond.  Tout  ainsi  que  l'ouvrier 
qui  a  fait  sa  prière  du  matin  ne  s'occupe  plus 
ensuite  d'oraisons  ou  de  pratiques  religieu- 
ses ,  mais  donne  tout  le  reste  de  son  temps  au 
travail  de  sa  profession ,  sans  penser  au  prê- 
tre et  à  ses  pratiques  ;  de  même  le  jeune 
homme  qui,  dans  la  carrière  des  lettres, 
des  sciences  et  des  arts,  est  une  espèce  dW- 
vrierde  V esprit,  comme  l'autre" est  un  ouvrier 


(  12(i  ) 

de  peine.,  doit,  sans  négliger  les  précepte* 
religieux  qui  lui  sont  imposes,  donner  (ces 
accessoires  remplis)  tout  le  fonds  de  son 
temps  et  de  son  esprit  aux  objets  d'esprit 
d*nt  il  est  occupe.  Sans  cela  il  n'ira  pas,  ou 
îl  ira  mal,  et  surtout  il  ne  parviendra  pas  à 
ce  faîte  destruction ,  où  il  peut  devenir  un 
exemple  pour  ses  concitoyens,  et  une  espé- 
rance de  gloire  pour  sa  patrie. 

C'est  là  Tunique  objet  de  l'Université.  Il 
n'est  pas  mal  sans  doute  de  prévenir  la  jeu- 
nesse contre  l'abus  des  taie  m  ;  mais  ce  n'est 
pas,  comme  le  veut  M.  d'Hermopolis,  le 
principal  :  c'est  l'accessoire.  L'objet  princi- 
pal est  de  lui  faire  acquérir  les  talens.  Plai- 
sante manière  d'instruire  un  militaire  dans 
l'art  de  la  guerre,  que  de  commencer  par  lui 
en  faire  connaître  les  inconvéniens! 

Après  cela,  comme  il  n'est  pas  question 
ici  seulement  d'une  éducation  individuelle, 
mais  d'une  éducation  publique,  laquelle 
rentre  dans  la  vie  commune,  il  y  a  pour 
cette  vie  commune  des  règles  importantes 
qui  lui  sont  propres.  Ces  règles,  plus  com- 
pliquées qu'on  ne  croit  ,  forment  une  science 
particulière  pour  laquelle  on  peut  trouver, 


•# 


(  «7  ) 
soit  dans  Sainl-Sulpice  ,  soit  même  chez  les 
jésuites,  de  bons  principes.  A  cet  égard  ,  si 
leur  intervention   n'est  pas  à  désirer,  leurs 
conversations  et  leurs  conseils  ne  sont  point 
à  dédaigner.  En  mettant  à  part,  dans  ces  hom- 
mes, les  préjugés  qui  tiennent  à  leurs  profes- 
sions, on  trouvera  souvent  des  observations 
profondes  et  des  aperçus  lumineux-,  on  pourra 
puiser  aussi  des  lumières  dans  les  pratiques 
propres  à  la  vie  commune,  ainsi  que  dans 
les  différentes  professions  d'arts  et  métiers. 
J'invite  à  étudier  le  système  de  police  qui 
s'y  trouve  quelquefois  établi ,  avec  une  jus- 
tice et  un  art  qu'on  serait  loin  d'imaginer. 
Mais  ce  qu'il  faut  surtout  rechercher,  c'est  le 
système  d'éducation  reçu   dans  les  nations 
protestantes  et  dans  les  collèges  protestans. 
Par  ces  exemples,  on  verra  comment  la  mo- 
rale peut  et  doit  sortir  de  notre  propre  cons- 
cience; on  verra  comment,  par  l'effet  d'un 
sentiment  de  justice  naturellement  établi  en 
nous,  la  morale  est  le  plus  souvent  un  ordre 
donné  à  nos  actions.  Cet  ordre  émané  de 
nous    comme    un  besoin   senti  pour   nous- 
mêmes,  on  verra  comment,  par  un  autre  be- 
soin également  senti,  il  peut  s'établir  par 


(  ia8  ) 
rapport  à  nos  semblables;  enfin   on  verra 
comment,   établi   ainsi,  la   religion   et  ses 
beaux  sentimens  viennent  ensuite  lui  don- 
ner de  la  grandeur  et  le  consolider. 

Sous  ce  point  de  vue  et  sous  beaucoup 
d'autres,  je  conviendrai  que  l'Université y 
telle  qu'elle  avait  été  arrachée  par  Bona- 
parte des  débris  de  la  révolution ,  était  loin , 
dans  ses  premiers  momens  ,  de  répondre  à 
tous  les  vœux.  Il  s'y  était  introduit,  non-seu- 
lement une  négligence  fâcheuse  relative- 
ment aux  sentimens  religieux,  mais  encore, 
je  suis  fâché  de  le  dire  (et  malheureuse- 
ment toujours  par  l'effet  des  prétentions  des 
prêtres  qui  commençaient  à  se  montrer),  un 
ton  de  dénigrement  et  d'hostilité. 

C'est  certainement  ce  mauvais  esprit  qu'il 
fallait  changer,  en  employant  pour  cela,  non 
le  prêtre  et  son  autorité  (je  ne  cesserai  de  le 
répéter) ,  mais  une  louable  intervention  des 
supérieurs  laïques.  Si  par  hasard  un  soldat 
manquait  d'une  manière  grave  à  quelque  de- 
voir civil  et  religieux,  et  qu'un  prêtre  vint 
le  réprimander  pour  cela  à  l'exercice  ou  à  la 
caserne,  on  verrait  l'effet  qui  en  résulterait. 

C'est  précisément  ce  qu'on   a  fait.    Sous 


(  l*9  ) 

prétexte  de  quelques  écarts  religieux ,  on  a 
crié  au  prêtre  ,  comme  on  crie  au  feu  dans 
les  incendies.  Les  écarts  et  l'incendie  ont  re- 
doublé. De  maladresse  en  maladresse,  d'im- 
péritie  en  impéritie,  on  a  imputé  à  l'Univer- 
sité  les  fautes  qu'on  ne  cessait  de  commettre. 
Finalement  on  a  réalisé,  au  profit  des  jésuites 
et  du  parti  prêtre ,  non  des  réparations  et 
des  améliorations,  mais  l'ébranlement  d'un 
édifice,  objet  depuis  long-temps  de  leur  ja- 
lousie. 

Je  ne  puis  douter  que  Votre  Excellence 
ne  déplore  cette  disposition.  Il  me  paraît 
impossible  qu'elle  ne  mette  ainsi  que  moi 
une  grande  importance  à  un  établissement 
qui  n'a  pas  seulement  le  mérite  (  mérite  assez 
grand  pour  un  royaliste)  d'être  une  institu- 
tion ancienne ,  et  de  lier  ainsi ,  selon  le  vœu 
de  l'auteur  de  la  Charte,  les  temps  anciens 
aux  temps  nouveaux;  mais  encore  de  former 
aujourd'hui  une  sorte  de  lien  entre  toutes 
les  nations  et  par-là  même  d'être,  dans  toute 
l'Europe,  un  élément  général  de  civilisation. 
Au  moyen  d'Oxford  et  d'Edimbourg,  de 
Gottingue  et  de  Paris ,  au  moyen  des  auîres 
grands  établissemens  du  même  genre,  l'Uni- 

9 


(  i3o  ) 
versité  rapproche  et  met  continuellement  en 
contact  les  esprits  éclairés.  Foyer  de  science  , 
elle  Test  encore  plus  de  sentimens  généreux. 
La  chevalerie  des  armes  a  pu,  par  le  laps  des 
temps,  prendre  différentes  modifications.  La 
chevalerie  de  la  science  a  marché  avec  elle 
et  à  côté  d'elle.  L'Université  tient  ainsi  au 
génie  ancien  de  la  France ,  à  sa  gloire ,  à  ses 
mœurs.  Aujourd'hui  elle  est  l'ame    de  la  ci- 
vilisation,   elle  PafFermit    partout    où    elle 
chancelle  ;  elle  Fappelle  partout  où  elle  est 
éteinte.  Monseigneur,    abroger  l'institution 
de  TUni versité,  ou,  ce  qui  est  la  même  chose  , 
lui  ôter  l'instruction  publique ,   pour  mettre 
à  sa  place  des  jésuites,  de  prétendus  petits 
séminaires,   de  prétendues  écoles  ecclésias- 
tiques ,   parce  qu'elles  sont  sous  la  main  du 
parti  prêtre;  je  vous  préviens  que  c'est  rendre 
odieux,  par-là, à  toute  la  nation  et  le  gouver- 
nement et  le  parti  prêtre. 

Je  dis  abroger,  et  comment  s'y  prend-on 
pour  cela?  Est-ce, en  suivant  la  voie  légale 
par  laquelle  des  institutions  nouvelles  peu- 
vent s'élever,  des  institutions  anciennes  s'ef- 
facer? Non.  Mais,  par  un  système  mi-parti 
d'audace  et  d'hypocrisie;  d'audace  par  la- 


.(  '3-  ) 
quelle  on  enfreint  les  lois  existantes  avec 
impudence;  d'hypocrisie  par  laquçlle  des 
menées  souterraines  sont  combinées  de  toutes 
parts  avec  les  attaques  directes;  vous  avez 
beau  après  cela  vouloir  rassurer  la  France 
en  lui  montrant  quelque  partie  de  ses  lois 
et  de  sa  constitution  que  vous  affectez  de 
respecter  ;  vous  l'épouvantez  par  le  specta- 
cle de  celle  que  vous  ne  cessez  hautement 
de  saper  et  de  renverser. 

Voilà  ,  Monseigneur ,  l'état  dans  lequel  se 
trouve  placé  aujourd'hui ,  par  le  fait  d'un 
gouvernement  subjugué,  tout  l'ensemble  de 
l'opinion. 

Je  vais  examiner  sous  d'autres  rapports 
l'effet  que  doit  avoir  un  tel  mouvement. 


9 


(  '3*  ) 


CHAPITRE  V. 


DU     ROI     ET    DE    LA     MONARCHIE.     EST-IL     PERMIS    DE 

S'OCCUPER     DES     INTÉRÊTS    DU    ROI  ?    D4NGERS     QUI 

MENACENT    LA   MONARCHIE. 


J'ai  dû,  avant  tout,  épuiser  ce  qui  a  rapport 
à  l'opinion  publique.  Un  dégoût  et  une  irri- 
tation générale,  telles  sont  les  premières 
conséquences  qui  résultent  de  la  conduite 
du  gouvernement.  Malheureusement  ces  con- 
séquences peuvent  mener  à  d'autres  consé- 
quences. 

Et  d'abord  c'est  du  Roi  et  de  la  monar- 
chie que  je  veux  m'occuper. 

Selon  beaucoup  de  personnes,  je  ne  de- 
vrais pas  prendre  ce  soin.  Une  doctrine  qui 
cherche  à  s'établir  aujourd'hui ,  c'est  que  le 
Roi  étant  un  être  revêtu  au  plus  haut  degré 
de  dignité  et  de  majesté,  on   ne  doit  point 


(  '33  ) 
s'occuper  de  lui.  Je  ne  sais  si  on  permet  de 
prononcer  son  nom;  il  est  défendu  surtout 
de  le  croire  en  danger.  Car  c'est  encore  une 
autre  doctrine  en  faveur  que  le  Roi,  ne  pou- 
vant faire  de  mal ,  ne  peut  pas  non  plus  en 
recevoir.  D'après  cela ,  de  quelque  manière 
que  se  conduisent  ses  serviteurs,  qu'ils  le 
trahissent  ou  qu'ils  ne  le  trahissent  pas,  qu'ils 
conspirent  ou  qu'ils  ne  conspirent  pas,  qu'ils 
enfreignent  les  lois  ou  qu'ils  ne  les  enfrei- 
gnent pas,  que  par  leur  conduite  ils  révol- 
tent les  esprits  ou  qu'ils  ne  les  révoltent  pas , 
selon  plusieurs  grands  politiques,  même  à 
ce  qu'ont  dit  des  avocats-généraux,  rien  ne 
peut  atteindre  le  Roi  et  le  trône. 

Singulière  doctrine  en  vérité  !  Dieu  a  dit 
que  ses  paroles  ne  passeraient  pas ,  mais  il 
a  dit  aussi  que  le  ciel  et  la  terre  passeraient. 
Il  n1en  a  pas  excepté  sûrement  le  trône  et  les 
empires.  Nous  savons  par  l'histoire  que  le 
trône  et  les  empires  sont  sujets  à  passer. 
Hélas!  nous  ne  le  savons  que  trop  par  nous- 
mêmes  ;  contemporains  de  leur  gloire  ,  nous 
l'avons  été  de  leur  chute  ;  nous  l'avons  été 
également  de  leurs  écarts  et  de  leurs  fautes. 

Pénétré  de  ces  vérités ,  un  orateur  a  dit  : 


(  m  ) 

Mes  frères,  Dieu  seul  est  grand.  Il  aurait 
pu  ajouter  :  Dieu  seul  est  immuable  ,  Dieu 
seul  est  éternel.  On  sait  par-là  même  que  les 
rois  ne  le  sont  pas  ,  et  pourquoi  ne  le  sont- 
ils  pas?  Comment  un  trône  peut-il  tomber? 
(Test  une  question  que  les  publicistes  se  sont 
toujours  cru  en  droit  d'examiner.  # 

Junon  irritée  peut  dire  :  Si  je  ne  puis  fléchir 
les  Dieux,  je  renverserait 'enfer.  J'ai  remarqué 
souvent  que  l'enfer  n'a  pas  besoin  d'être 
remué,  il  se  remue  tout  seul.  Apercevant 
les  fautes  des  rois ,  il  les  dénonce  à  l'ambition 
des  grands;  cette  ambition  des  grands,  il 
la  révèle  ensuite  à  la  férocité  àes  parties 
basses  du  peuple.  En  ce  moment  l'enfer  ne 
se  contente  pas  d'avoir  obtenu  des  minis- 
tres, l'infraction  des  lois,  c'est-à-dire  un 
crime  complet  de  trahison  ;  s^il  parvient  dans 
les  sujets  à  en  faire  sortir  un  autre  crime , 
celui  de  la  désobéissance  et  de  la  révolte, 
son  œuvre  sera  accomplie. 

J'ai  parlé  de  trahison;  certes  il  faudrait 
supposer  dans  une  nation  une  cécité  bien 
générale  sur  toute  espèce  de  droit ,  si  une 
désobéissance  formelle  aux  iois  établies  ne 
lui  paraissait  pas  un  acte  positif  de  trahison 


(  .35  ) 
de  la  part  de  son  gouvernement.  Dans  le 
cas  présent,  et  surtout  lorsque  des  minis- 
tres ont  été  avertis  et  par  les  décisions  du 
barreau,  et  par  celles  de  la  Cour  royale  de 
Paris,  et  par  celles  de  la  Chambre  des  pairs, 
il  est  évident  comme  la  lumière  du  jour  , 
qu'il  ne  manque  que  la  formalité  d'une  accu- 
sation de  la  Chambre  des  députés,  pour  que 
tout  le  ministère  disparaisse. 

Dans  ce  cas  cependant,  les  ministres  ne 
veulent  pas  disparaître.  Ils  ont  inventé  un 
système;  et, présenté  sous  des  formes  sédui- 
santes, ce  système  a  plu;  il  a  été  adopté. 
Cependant  ce  système  est  faux ,  il  est  perni- 
cieux ,  il  est  contraire  aux  lois ,  il  élève  par- 
tout la  confusion  et  le  désordre.  N'importe , 
les  ministres  n'en  tiennent  compte.  Ils  ont  à 
leur  service  des  baïonnettes  et  des  gen- 
darmes. 

C'est  à  merveille.  Cependant  d'un  autre 
côté  ,  si  on  a  pour  soi  les  Chambres ,  les  ma- 
gistrats et  les  lois ,  ceux-ci  prononçant  d'une 
façon  au  nom  du  Roi ,  et  les  ministres  et  les 
gendarmes  prononçant  d'une  autre  façon 
également  au  nom  du  Roi ,  de  ce  conflit  je 
vois  sortir  un  grand  tumulte;  je  me  demande 
de  quel  côté  est  la  révolte. 


(  i36  ) 

Dans  ce  conflit,  si  c'est  le  peuple  et  les 
lois  qui  triomphent ,  les  ministres  accuses 
pourront  sans  doute  s'appuyer  de  quelques 
ordres  particuliers,  divulguer  des  confiden- 
ces secrètes  ;  tout  cela  leur  sera  de  peu  de 
service.  Ils  doivent  s'attendre  qu'on  les  ju- 
gera selon  la  Charte.  ¥A  ce  n'est  pas  seule- 
ment la  Charte  octroye'e  par  Louis  XVIII  ; 
j'ai  sur  ma  table  dix  autres  Chartes  égale- 
ment octroyées,  par  lesquelles  nos  rois  dé- 
fendent à  leurs  Cours  de  justice  d'avoir  égard 
à  leurs  lettres  closes ,  ainsi  qu'à  toute  espèce 
de  jussions  de  leur  part  qui  seraient  con- 
traires aux  lois.  J'ai  en  outre  l'ancienne  for- 
mule du  serment  imposé  au  chancelier  de 
France ,  par  lequel  il  jure  de  ne  sceller  aucun 
ordre  du  Roi  contraire  aux  lois ,  encore  que 
le  commandement  lui  en  eût  été  fait  par  plu- 
sieurs fois.  De-là  est  venu  parmi  nous ,  et 
surtout  pour  les  parlemens,  la  liberté  d'ac- 
cuser les  lettres  royales  d'être  subreptices  , 
et  de  dire  au  Roi  sans  inconvenance  que  sa 
religion  a  été  trompée. 

Dans  la  position  qu'ont  prise  les  minis- 
tres, si  nous  avons  la  certitude  que  tôt  ou  tard 
ilsseront  attaqués,  avons-nous  de  même  lacer- 


(  >37  ) 
titude  que  les  formalités  constitutionnelles 
seront  exactement  observées?  L'enfer  qui, 
dans  ce  conflit,  se  sera  remué  et  qui  aura  pro- 
bablement remué  avec  lui  les  passions  popu- 
laires, s'en  tiendra-t-il  à  cette  marche  régulière 
et  compassée?  Je  ne  le  sais  pas  :  je  le  demande. 

Cependant  qu'on  se  rassure;  ce  sont,  à  ce 
qu'on  m'affirme,  les  gendarmes  et  les  minis- 
tres qui  triompheront.  Dans  cette  supposi- 
tion, quelqu'un  pourra-t-il  me  dire  ce  que 
deviendront  les  voûtes  du  temple  quand  les 
colonnes  auront  été  ébranlées  ?  Pourra-t-il 
me  dire  ce  que  les  triomphateurs  feront  de 
leur  triomphe  ,  le  lendemain  de  leur  triom- 
phe; ce  qu'ils  feront  des  vainqueurs  et  des 
vaincus,  et  surtout  comment  ils  continue- 
ront à  gouverner  l'Etat  au  milieu  des  masu- 
res de  lois  et  de  Charte  qu'ils  auront  faites  ? 

Quel  que  soit  l'événement,  nous  pouvons 
le  demander  franchement  :  et  les  jésuites  de 
Mont-Rouge ,  et  ceux  de  Billom,  et  les  con- 
grégations politiques ,  et  celles  de  M.  de  Croï , 
tout  cela  offre-t-il  quelque  compensation 
pour  le  bouleversement  de  toutes  nos  lois  , 
le  soulèvement  de  toutes  nos  forces ,  et  les 
larmes  et  le  sang  qui  seraient  versés  ? 


(  '38  ) 

C'est  pourtant  à  de  telles  choses  que  veut 
nous  amener  la  coterie  qui  domine  en  ce 
moment  le  ministère. 

Ce  parti  est  divisé  en  deux  factions  :  Tune 
veut  l'emporter  par  la  violence  et  par  des 
coups  d'Etat ,  l'autre  par  l'adresse  et  par  la 
prudence.  Pour  l'une  et  l'autre,  tout  est  bon, 
pourvu  qu'elle  parvienne  à  son  grand  objet  : 
l'obéissance  aux  prêtres. 

Nous  ne  voulons  l'accepter  par  aucune 
voie.  De  quelque  manière  qu'on  nous  pré- 
sente ces  nouveaux  maîtres,  soit  à  décou- 
vert, revêtus  du  surplis  et  de  la  soutane, 
soit  sous  la  toge  du  magistrat  ou  la  broderie 
du  préfet  7  on  peut  compter  que  toute  in- 
tervention de  leur  part  dans  nos  choses  civi- 
les sera  repoussée.  Pour  nous  conduire  à 
ce  but,  on  aura  beau  employer  les  tournures 
ingénieuses  de  M.  Dudon  et  de  M.  de  Vitrolle , 
s'embellir  de  l'éloquence  de  M.  deBonald ,  de 
la  dignité  éminente  de  MM.  de  Latil  et  de 
Clermont-Tonnerre;  on  aura  beau  se  couvrir 
de  la  mysticité  pathétique  de  MM.  Tharin 
et  de  Macarthy  ;  on  aura  beau  avoir  recours 
aux  subtilités  ignaciennes  des  pères  Loriquet 
et  Jenessaux;  y  ajouter  même  comme  auto- 


(  i39) 
rite  le  respectable  dévouement  de  MM.  de 
Rivière  et  de  Polignac,  nous  rendrons  hon- 
neur aux  mérites  divers  de  ces  hommes  émi- 
nens;  mais,  pour  ce  qui  est  de  leur  utopie 
prêtre  y  nous  n'en  voulons  pas.  Placez  d'un 
côté  la  gloire  combinée  avec  la  servitude  ; 
la  France  pourra  être  ébranlée.  Offrez-lui 
l'obéissance  au  prêtre  :  elle  n'hésitera  pas. 
On  aura  beau  jeter  sur  elle,  avec  le  filet  des 
congrégations  religieuses,  celui  des  congré- 
gations politiques;  on  aura  beau  renforcer 
les  mailles  de  ces  deux  filets  par  des  escoua- 
des de  missionnaires  et  de  jésuites  ;  soit 
qu'on  marche  franchement  à  ce  but  par  la 
violence,  soit  qu'on  chemine  seulement  à 
petit  bruit ,  on  peut  être  sûr  que  la  violence 
sera  détestée,  la  ruse  exécrée;  l'une  et  l'autre 
repoussée  autant  qu'il  sera  possible. 

Monseigneur,  voyez  le  sol  actuel  de  la 
France,  comme  il  est  beau!  Je  vous  le  de- 
mande en  grâce  ;  semez-y  la  paix.  Permet- 
tez-moi de  vous  dire  que  vous  y  semez  la 
révolte. 

La  religion  est  pour  moi,  dans  cette  posi- 
tion ,  un  autre  sujet  d'alarme  dont  je  vais 
m'occuper. 


(  >4o  ) 


CHAPITRE  VI. 


DE  LA  RELIGION  :  ELLE  EST  NATURELLE  CHEZ  L  HOMME. 
MANOEUVRES  MISES  A  DECOUVERT.  ETATS  COMPA- 
RATIFS    DE     LA    RELIGION     EN    FRANCE     SOCS     L'EMPIRE  , 

ET     DEPUIS     LA    RESTAURATION.     VARIATIONS      DANS 

L'ENSEIGNEMENT    DE   SES    PRINCIPES   ET   DE   SA   MORALE, 
SUIVANT  LES    LOCALITES    ET    LES    PERSONNES. 


Ceux,  Monseigneur,  qui  probablement 
comme  vous,  et  certainement  comme  moi, 
mettent  une  grande  importance  aux  senti- 
mens  religieux;  ceux  qui  y  voient,  non 
comme  quelques  personnes  ,  un  simple  élé- 
ment politique,  mais  comme  tous  les  gens 
sensés,  un  grand  élément  moral,  et  par-là 
même  un  appui  de  société;  ceux-là  s'attachent 
à  faire  honorer  les  prêtres ,  non  certes  dans 
les  défectuosités  de  leur  conduite  ,  dans  les 
déréglemens  de  leur  ambition,  dans  leur 
concupiscence  effrénée  de  domination,  mais 
dans  les  saintes  fonctions  de  leur  ministère, 


(  '4'  ) 

dans  les  attributions  légitimes  qui  appartien- 
nent à  ces  fonctions.  Laissons  à  un  petit  trou- 
peau de  personnages  asservis  ,  abrutis,  apla- 
tis, le  mérite  d'honorer  le  prêtre  quoi  qu'il 
fasse.  Il  y  a,  à  l'entrée  de  l'Asie,  un  pays 
où  on  ne  l'honore  pas  seulement,  on  l'adore, 
on  atdore  aussi  ses  ordures;  mais  nous,  qui 
voulons  conserver  à  nos  prêtres  les  avantages 
de  respect  qu'ils  méritent,  nous  devons  leur 
faire  connaître  comment  ils  les  méritent 
et  comment  aussi  ils  peuvent  s'en  rendre  in- 
dignes. Encore  une  fois ,  et  je  ne  puis  trop 
le  répéter,  il  ne  s'agit  point  ici  de  quelques 
méfaits  scandaleux  qui  percent  ça  et  là  dans 
le  public  ;  il  n'y  a ,  heureusement  pour  ces 
méfaits ,  ni  un  système  particulier  de  doc- 
trine, ni  une  coterie  ou  faction  particulière 
qui  les  préconise;  ces  méfaits,  comme  je  l'ai 
dit,  sont,  de  la  part  des  supérieurs  ecclé- 
siastiques, un  objet  de  blâme  et  de  répri- 
mande sévère. 

Si  nous  n'avons  rien  à  leur  dire  de  ce  côté, 
nous  n'avons  rien  non  plus  à  leur  appren- 
dre à  l'égard  des  règles  du  culte  et  des  prin- 
cipes de  la  foi;  ils  savent  tout  cela  mieux 
que  nous.  Il  s'agit  seulement,  dans  la  ligne 


(  «4*  ) 

de  l'ambition,  de  les  avertir  de  leurs  e'carts 
et  de  leur  tendance  continuelle  vers  une 
sphère  mondaine,  à  laquelle  ils  s'accrochent 
obstinément  de  tous  leurs  efforts,  encore 
quelle  leur  soit  étrangère,'  et  de  laquelle, 
pour  l'intérêt  de  la  religion  ainsi  que  pour 
leur  propre  intérêt,  il  faut  absolument  les 
repousser  avec  des  efforts  et  des  forces  supé- 
rieures. 

Leur  plan  est  de  manier  le  monde  ,  de  le 
composer  à  leur  guise  pour  en  faire  ensuite 
tout  ce  qu'ils  voudront.  Après  avoir  manié 
et  pétri  à  leur  aise  toute  cette  pâte  humaine, 
ils  croient  sans  doute  (ils  le  disent  du  moins) 
que  c'est  pour  les  intérêts  du  ciel  ;  mais  ils 
savent  très-bien  que  cette  pâte,  une  fois 
moulée  et  assouplie  à  leur  façon ,  demeu- 
rera ensuite  à  leur  discrétion. 

Ce  manège ,  son  but ,  ces  moyens ,  dès 
qu'ils  sont  aperçus  (  et  ils  le  sont  toujours 
facilement  ) ,  peuvent  déterminer  une  grande 
résistance.  Dans  ce  cas  ,  s'il  y  a  àja  fin  une 
partie  du  public  lassée  ,  décidée  à  ne 
rien  croire  de  ce  que  disent  les  prêtres, 
à  ne  rien  blâmer  de  ce  qu'ils  font ,  ce  qui 
compose  une  classe  assez  nombreuse  d'indif- 


(  i43  ) 
fe'rens;  il  en  est  une  autre  qui,  s'obstinant  à 
demeurer  dans  la  voie  religieuse,  voudrait 
jouir  de  la  religion  et  de  ses  ministres  comme 
de  quelque  chose  qui  lui  appartient  et  qui 
est  à  son  service.  Ceux-là  voudraient  trou- 
ver dans  les  prêtres,  non  des  maîtres,  mais 
des  ministres,  c'est-à-dire  des  serviteurs, 
c'est-à-dire  encore  des  prêtres,  non  tels 
qu'ils  sont  aujourd'hui,  mais  tels  qu'ils  ont 
été  instituée,  remplissant  la  double  vocation 
de  serviteurs  de  Dieu  et  de  serviteurs  des 
peuples. 

Que  les  prêtres  d'aujourd'hui  manquent  à 
cette  double  vocation  :  c'est  ce  qu'il  ne  me 
sera  pas  difficile  d'établir. 

Et  d'abord,  la  religion  n'est  point  pour 
l'homme  une  plante  étrangère  qu'il  faille 
absolument  planter  en  lui  de  force ,  et  quand 
on  l'a  plantée  ,  la  défendre  ensuite  de  force  ; 
l'homme  est  naturellement  religieux,  seule- 
ment il  pourrait  l'être  mal.  On  l'a  vu  autre- 
fois ,  dans  ses  folies,  adorer  le  soleil,  la  lune, 
même  des  animaux  ;  il  pourrait  encore  au- 
jourd'hui, si  on  le  laissait  faire ,  tomber  dans 
des  superstitions  plus  ou  moins  grossières. 
Cela  même  décèle  la  première  mission  du 


(  i-14  ) 

prêtre  :  il  ne  fait  pas  la  religion,  il  la  règle. 

Dans  une  nation  qui  a  le  bonheur  d'avoir 
une  religion  pure,  et  où  cette  religion  a  pour 
elle  l'autorité  du  temps,  l'autorité  du  Roi, 
celle  de  nos  magistrats  et  de  nos  pères;  cette 
religion  est  tellement  établie,  qu'il  n'y  a  plus 
qu'à  la  ménager  et  à  la  conserver;  et  alors  il 
faut  se  garder  d'aller  crier  sur  les  toits,  comme 
nos  missionnaires:  «  Venez,  venez  tous;  je 
vais  vous  prouver  que  cette  religion,  que 
vous  chérissez  ,  n'est  pas  fausse  ;  que  l'exis- 
tence du  Dieu  que  vous  honorez,  n'est  pas 
une  chimère;  que  Jésus-Christ,  que  vous 
adorez  et  que  vous  servez,  n'est  pas  un  im- 
posteur; et,  comme  sans  doute  vous  n'avez 
pas  plus  dame  que  vous  n'avez  d'esprit,  je 
vais  vous  prouver,  par  de  bons  textes  tirés  de 
l'hébreu,  que,  comme  je  ne  suis  ni  votre 
père,  ni  votre  mère,  ni  votre  prochain,  ni 
votre  ami,  etc.  »  Monseigneur,  chercher  par 
des  preuves  de  ce  genre  "à  établir  la  reli- 
gion, c'est  détruire  d'avance  ce  qu'on  veut 
établir. 

La  religion  étant  naturellement  dans  le 
cœur  de  l'homme,  ce  a  quoi  il  s'attache  avant 
tout,  c'est  à  la  religion  de  ses  pères  et  de  son 


(  »45  ) 
pays  ;  la  morale  étant  de  même  naturellement 
dans  le  cœur  de  l'homme,  il  suit  sans  diffi- 
culté le  sentiment  uniforme  qu'il  trouve  dans 
toutes  les  consciences,  et  qui,  dans  la  société 
établie,  compose  les  mœurs  publiques. 

Dans  tout   cela,  le  prêtre  demeurera-t-il 
sans  fonctions?  Non,  sans  doute;  les  actes 
de  respect    et   d'amour   qui   composent  le 
culte  ,  les  invocations  adressées  à  la  force  des 
forces   à  l'effet  de  soutenir  notre  faiblesse , 
forment  particulièrement  son  apanage.  Le 
ministère  du  prêtre,  employé  comme  inter- 
mède de  sainteté,  pour  présenter  au  ciel 
nos  hommages  et  les  lui  rendre  plus  accep- 
tables; ce  ministère,  employé  encore  pour  ob- 
tenir d'en  haut  la  force  capable  de  nous  sou- 
tenir quand  nous  sommes  deJiout;  et  encore 
quand  nous  sommes  tombés  ,  la  force  néces- 
saire pour  nous  relever  !  Prêtres ,  qui  me  re- 
gardez comme  votre  détracteur,  est-ce  qu'une 
semblable  mission  ne  vous  paraît  pas  assez 
belle?  Faul-il  la  dénaturer,  faut-il  l'exagérer, 
l'outrepasser? 

C'est  ce   que  vous   faites  dans   les  divers 
points  que  je  vais  rappeler. 

Vous  emparer,  par  tous  les  moyens  pos- 

10 


(  «46  ) 
sibîes ,    comme    étant    votre    domaine,    de 
Téducation  de  l'enfance  ,  de  l'éducation  pri- 
vée et  de  l'éducation  publique  ; 

Dans  Téducation  ,  vous  jeter  dans  l'abus 
et  la  multiplication  outre  mesure  des  prati- 
ques religieuses;  établir,  dans  les  enfans,  l'ha- 
bitude de  n'avoir  de  morale  que  par  ces  pra- 
tiques et  avec  ces  pratiques  ; 

Dans  le  cours  de  la  vie,  le  principe  admis 
de  faire  regarder  ces  pratiques  comme  des  pré- 
ceptes, et  de  porter,  par  tous  les  ressorts  imagi- 
nables, la  vie  chrétienne  dans  la  vie  dévote  ; 
Le  principe  admis  ensuite  de  tenir  les  fi- 
dèles dans  cette  voie,  d'abord  par  toutes  les 
forces  et  l'autorité  d'en  haut ,  mais  encore 
d'employer  à  cet  effet  l'autorité  du  Roi,  celle 
des  magistrats*  sur  les  citoyens,  des  maîtres 
sur  les  ouvriers  ,  des  pères  sur  les  enfans ,  et 
de  vous  emparer  ainsi  de  l'influence,  et  au 
besoin  de  tous  les  postes  de  la  vie  civile  :  tels 
sont,  vous  ne  l'ignorez  pas,  vos  directions  et 
votre  plan. 

Il  est  possible  que,  dans  l'ensemble  de  ce 
plan  le  plus  grand  nombre  des  prêtres  (je 
l'espère  même  )  ne  voient  que  des  moyens 
de  conquêtes  pour  le  ciel;  mais  les  cory- 


(  "47  ) 
phées ,  c'est-à-dire  ce  que  j'appelle  le  parti 
prêtre,  n'est  pas  sans  y  voir  une  autre  es- 
pèce de  conquête. 

Qu'il  le  voie  ou  qu'il  ne  le  voie  pas,  comme 
cet  effet  appartient  certainement  à  sa  cause  , 
la  société  qui  se  sent  saisie,  se  démène  de 
son  mieux.  De-là  une  résistance  générale  , 
élément  de  haine  pour  les  prêtres  ;  pour  la 
religion  ,  d'aversion  et  de  dégoût  ;  pour  la 
vie  dévole,  de  dérision  et  de  sarcasme;  pour 
le  gouvernement,  de  colère  et  de  mépris; 
pour  le  corps  de  l'État,  de  discussion  et  de 
trouble. 

Et  d'abord ,  relativement  à  l'éducation  , 
ce  n'est  pas  moi  seul ,  mais  encore  les  plus 
grands  maîtres  de  la  vie  spirituelle,  qui  con- 
damnent cette  manière  de  saisir  l'ame  ten- 
dre des  enfans  ,  soit  en  l'échauffant  et  l'amol- 
lissant dans  des  effusions  continuelles  d'a- 
mour ,  soit  en  la  chargeant  d'observances 
pieuses  ,  surtout  en  l'accoutumant  à  n'avoir 
de  morale  qu'à  l'aide  de  ces  effusions  et  de 
ces  observances.  Ils  pensent  qu'à  l'âge  viril , 
ces  effusions  prendront  malheureusement  un 
autre  caractère,  et  que.  l'habitude  des  obser- 
vances s'effacant  nécessairement  dans  la  vie 


IO* 


(   i<8  ) 
du  monde,  la  morale  qu'on  y  aura  attachée 
s'effacera  avec  elles. 

Appliqués  au  cours  ordinaire  de  la  vie ,  ces 
principes  me  paraissent  encore  plus  dange- 
reux. Il  faut  se  garder  de  faire  de  la  vie 
dévote  un  objet  de  dédain.  Ce  dédain  s'ap- 
pliquerait  bientôt  à  la  religion  elle-même. 
C'est  ce  qui  arrivera  ,  lorsque  ,  peu  contens 
du  train  ordinaire  delà  vie  chrétienne  ,  vous 
chercherez  à  la  porter,  bon  gré  mal  gré, 
dans  la  vie  dévote  ,  faite  pour  quelques  âmes 
privilégiées.  C'est  une  vocation  toute  parti- 
culière ,  qu'il  faut  se  garder  d'établir  ,  comme 
une  vocation  générale.  C'est  ce  que  vous 
avez  très-bien  senti  quand  vous  avez  fait  la 
distinction  des  conseils  et  des  préceptes  :  dis- 
tinction au  surplus  assez  singulière;  car  on 
ne  comprend  guère  le  moyen  de  résister  à 
des  conseils  divins.  Aussi ,  n'est-ce  qu'en 
apparence  que  vous  avez  fixé  ces  distinc- 
tions ;  car  aussitôt  vous  revenez  sur  le  grand 
précepte  d'être  parfait  comme  notre  père  cé- 
leste est  parfait  ;  auquel  vous  ajoutez  que  ce— 
lui  qui  est  saint ,  doit  se  sanctifier  encore  ; 
que  celui  qui  est  juste  doit  se  justifier  de  nou- 
veau. En   généralisant  l'application  de  ces 


(  >ï<>  ) 
maximes  ,  vous  avez  généralise  comme  de- 
voir les  observances  qui  s'y  attachent.  De 
cette  manière  ,  à  moins  d'une  révolte  ,  on 
ne  peut  plus  vous  échapper;  par  cette  raison 
même,  on  se  révolte. 

Vous  le  sentez  si  bien  ,  que  bientôt  les 
foudres  même  du  ciel  ne  vous  suffisent  pas. 
Vous  glissant  d'une  manière  pateline  dans 
tous  les  pouvoirs  de  la  société ,  ce  que  vous 
ne  pouvez  obtenir  par  Tordre  de  Dieu,  vous 
cherchez  à  l'obtenir  par  l'ordre  du  Roi;  vous 
remuez  les  citoyens  par  les  magistrats ,  les 
enfans  par  leurs  parens ,  les  maris  par  leurs 
femmes  ,  les  ouvriers  par  leurs  maîtres.  En 
imitation  des  jésuites  ,  toute  base  vous  est 
indifférente  pourvu  qu'elle  vous  serve  de 
point  d'appui.  De  la  monarchie  ensuite  ,  ou 
de  l'aristocratie  ,  ou  de  la  démocratie  ,  tant 
qu'on  voudra. 

C'est  ainsi  que  ,  selon  la  position  où  ils  se 
trouvaient,  les  jésuites  prêchaient,  à  la  Chine, 
le  culte  des  saints  ou  celui  des  ancêtres  , 
Saint-Pierre  ou  Confucius,  le  despotisme  ou 
la  république.  On  me  parle,  dans  mes  lettres 
de  Paris  ,  de  beaux  ouvrages  qu'ils  publient 
en  Amérique  contre  les  monarchies.  Pourvu 


(    l5°    ) 

qu'ils  arrivent  à  la  domination  ,  tout  dra- 
peau, toute  doctrine,  toute  couleur  est  bonne; 
peu  leur  importe.  Une  seule  chose  partout 
leur  déplaît.  Comment  tenir  à  la  messe,  à  vê- 
pres, au  salut ,  au  chapelet ,  aux  trois  angélus , 
puis  à  toutes  les  autres  pratiques  de  dévo- 
tion enrichies  d'indulgences,  des  hommes, 
dont  l'esprit  ,  les  mains  ,  tout  le  temps  est 
employé  à  des  fabriques ,  à  des  manufac- 
tures ,  à  des  projets,  à  des  conceptions,  à 
des  entreprises  mondaines  de  tout  genre  ? 

C'est  ainsi  que  d'un  côté  ,  par  l'exagéra- 
tion des  maximes  chrétiennes  ,  d'un  autre 
côté,  à  force  de  captations  et  de  soins,  le  parti 
prêtre  tend  à  mettre  la  société  dans  sa  main. 
En  multipliant  sous  divers  prétextes  les  pres- 
criptions, les  rites,  les  définitions  abuvises 
du  bien  et  du  mal ,  les  proscriptions  des 
transactions  du  commerce,  celles  des  bals  et 
des  spectacles;  en  un  mot  les  règles  de  tout 
genre  ;  aucune  issue  n'est  laissée.  Pour  peu 
qulelle  soit  religieuse  ,  la  société  est  saisie  et 
possédée  en  tout  point.  Possédée,  c'estlemot. 
Certainement,  Monseigneur,  il  vaut  mieux 
être  possédé  du  prêtre  ,  qu'être  possédé  du 
malin  esprit.  On  voudrait  n'être  pas  possédé 


•  (  **i  ) 
du  tout;  et  alors  il  faut  de  deux  choses  Tune, 
ou  que  ]a  société  tombe  dans  l'abrutissement 
du  huitième  et  du  neuvième  siècles ,  ou  qu'elle 
se  révolte  contre  le  parti  qu'on  lui  présente. 
Il  est  bon  de  signaler  à  cet  égard  deux 
espèces  de  ruse  :  la  première  consiste  à  éri- 
ger soit  par  des  confréries ,  soit  par  des  con- 
grégations, des  institutions  dans  lesquelles 
on  dresse  un  certain  nombre  de  jeunes  gens , 
comme  recruteurs  de  dévotion.  En  terme 
d'oiseleur,  c'est  ce  qu'on  nomme,  je  crois, 
appelans  *.  Ces  appelons,  portés  par  tous  les 
moyens  de  la  faveur  dans  toutes  les  voies , 
remplissent  sûrement  de  leur  mieux  leur 
mission.  Ils  n'y  ont  pas  toujours  du  succès. 
C'est  qu'avant  tout,  dans  les  choses  de  Dieu, 
ce  qu'on  veut  c'est  l'intime  liberté.  Il  suffit  de 
laisser  ouvertes  aux  chrétiens  les  voies  de  la 
piété.  On  y  entrera  ensuite  si  cela  convient. 
Mais,  sur  toutes  choses,  on  ne  veut  être  pris 


1  On  voit  de  ces  appelans  partout.  On  les  trouve 
principalement  parmi  les  jeunes  congréganistes  :  tels 
sont  les  dix  ou  douze  disciples  attachés  aux  pratiques 
pieuses  de  M.  Récamier ,  et  sur  lesquels  on  comptait, 
pour  changer  toute  l'école  de  médecine. 


I     «*    ) 

ni  à  la  glu  du  prêtre,   ni  à  ses  trébuchets. 

Une  autre  espèce  de  ruse,  c'est  de  mettre 
de  temps  en  temps  une  espèce  de  remission 
dans  la  conduite  de  ces  diverses  trames.  S'a- 
git-il  des  jésuites?  un  ministre  vous  dira  :  On 
m'en  demande  de  tous  les  côtés;  mais  j'en 
accorde  fort  peu.  Il  y  a  même  une  maison  de 
cet  ordre  que  nous  avons  supprimée. 

D'un  autre  côte,  on  nous  dit  de  certains 
mandemens  d'évêques,de  certaines  instruc- 
tions pastorales,  que  ce  sont  des  faits  parti- 
culiers qui  n'ont  Tassent! ment  ni  du  cierge, 
ni  du  gouvernement.  A  l'égard  des  simples 
prêtres ,  on  nous  dit  de  même  que  c'est  im- 
prudence de  leur  part,  étourderie  :  en  un 
mot,  c'est  momentanément  un  désaveu  com- 
plet. 

Toutes  ces  ruses  ne  font  aucune  illusion. 
Et  d'abord ,  relativement  à  ces  momens  de 
rémission,  quel  est  celui  de  nous,  un  peu  au 
fait  des  affaires  humaines ,  qui  ne  connaisse 
cette  manœuvre?  Au  manège,  quand  l'écuyer 
vous  enseigne  à  dresser  un  cheval  fougueux, 
il  ne  vous  dit  pas  de  tendre  continuellement 
la  bride,  il  vous  conseille  de  lâcher  la  main. 
Ceux  qui  n'ont  l'habitude,  ni  de  la  mer,  ni 


# 


(  «53  ) 

des  marées,  peuvent  croire  que  «Ja  marée 
montante  est  quelque  chose  qui  s'avance 
progressivement  avec  régularité:  ils  sont  tou  t 
étonnés  qu'un  flot ,  qui  s'était  avancé  au  loin 
dans  la  plage,  recule  ensuite  comme  s'il  vou- 
lait l'abandonner;  mais  un  flot  nouveau  re- 
prend bientôt  le  terrain  abandonné,  et  se 
porte  plus  loin  que  le  précédent. 

A  l'égard  du  jeune  clergé ,  qu'on  aban- 
donne quelquefois  au  blâme ,  cela  me  rap- 
pelle un  grand  souverain  du  Nord  auquel  on 
portait  des  plaintes  contre  ses  Cosaques  ;  le 
lendemain  il  fit  piller  ses  propres  voitures. 
Les  gens  de  la  cour  s'étant  plaints  à  Napo- 
léon d'avoir  eu  leurs  carrosses  visités  parles 
gens  des  droits  réunis,  le  lendemain  il  or- 
donna qu'on  visitât  les  siens.  A  Rome  on  se 
plaint  aussi  des  écrivains  uîtramontains  et 
de  leurs  congrégations;  en  secret,  on  les  en- 
courage, on  les  excite.  En  France,  surtout  au- 
jourd'hui, on  peut  être  trompé  un  moment  : 
long-temps,  c'est  impossible.  Dans  le  fait  on 
ne  l'est  plus  du  tout.  Un  sentiment  de  mé- 
pris ,  de  haine  ,  de  dégoût  poursuit  de  tous 
côtés,  et  le  parti  prêtre  et  ses  prétentions. 
Malheureusement    on    ne    s'arrête    pas   là. 


(  i54) 
Comme  cç  parti  ne  cesse  d'associer  ses  pré- 
tentions à  la  religion  même  et  à  ses  institu- 
tions, il  en  résulte  que  la  religion  et  ses  ins- 
titutions sont  atteintes. 

Dès  Tannée  1814,  j'avais  prédit  que  tel  se- 
rait bientôt  le  résultat  de  la  marche  qu'on 
tenait.  Depuis  ce  temps ,  mes  prédictions  ne 
se  sont  que  trop  réalisées.  Le  parti  prêtre  n'a 
pas  plutôt  voulu  s'emparer  des  écoles,  et  les 
accabler  de  ses  prescriptions  et  de  ses  pra- 
tiques ,  qu'on  a  vu  en  ce  genre  des  profana- 
tions telles  que  je  ne  me  permets  pas  même 
de  les  rappeler.  Les  journaux  ne  les  ont  que 
trop  détaillées. 

Ce  n'est  pas  d'un  seul  côté  :  de  toutes  parts 
on  a  pu  reconnaître,  dans  les  choses  reli- 
gieuses ,  un  délabrement  général. 

Je  ne  sais  si  le  fait  est  exact  ;  mais  comme 
il  a  été  publié  dans  un  journal ,  et  qu'il  n'a  pas 
été  contredit,ni  par  lesjournaux  du  ministère, 
ni  par  ceux  de  la  congrégation  ,  je  puis  le 
transcrire  tel  qu'il  est. 

«  On  dresse  dans  toutes  les  églises  de  la 
capitale  un  état  des  hosties  consacrées;  et,  à 
la  fin  de  l'année,  ces  états  servent  à  dresser,  à 
l'archevêché  un  tableau  général.  Sous  l'em- 


(  '55) 
pire  ,  le  total  e'tait  de  cinquante  à  soixante 
mille.  Depuis  trois  ans,  le  ternie  moyen  est 
de  vingt  mille.  De  plus,  il  n'y  a  guère  qu'une 
personne  sur  cinq  qui  réclame,  en  mourant, 
les  secours  de  la  religion;  sous  l'empire, 
cette  proportion  était  double.  » 

Ces  faits  sont  tirés  d'un  journal  de  l'Oppo- 
sition. En  voici  d'autres  non  moins  impor- 
tans  et  d'une  source  qui  ne  paraîtra  pas  sus- 
pecte ;  ils  sont  articulés  par  la  Gazette  aposto- 
lique de  Lyon,  et  répandus  de-là  dans  tous  les 
journaux  de  province  du  même  esprit  :  c'est 
qu'en  faisant  le  dénombrement  des  écrits 
contre  la  religion ,  depuis  le  règne  des  prê- 
tres, comparativement  à  ce  qui  existait  sous 
l'empire,  la  proportion  n'est  pas  seulement 
décuple,  elle  est  plus  considérable  encore. 
C'est,  comme  le  dit  très-bien  la  Gazette,  un 

DÉBORDEMENT. 

On  veut  en  tirer  des  conclusions  contre 
la  liberté  de  la  presse  ;  qu'on  les  tire  contre 
les  prétentions  et  l'envahissement  du  parti 
prêtre. 

Mes  amis  de  Paris  qui,  au  fond,  pensent 
comme  moi ,  et  qui,  dominés  par  d'anciennes 
préventions,  ne  peuvent  s'accoutumer  à  se- 


(  «56) 
parer  de  la  religion  les  ministres  de  la  reli- 
gion, encore  que,  dans  leur  ligue  politique, 
ils  ne  cessent  de  séparer  de  la  royauté  les  mi- 
nistres de  la  royauté  ,  déplorent  et  mes  ac- 
cusations et  cette  expression  même  de  parti 
prêtre.  Ils  ne  cessent  de  me  dire  et  de  m'é- 
crire  que  ce  ne  sont  pas  tous  les  prêtres,  et 
qu'il  y  a  injustice  à  faire  réfléchir  sur  tous  , 
les  torts  et  les  imprudences  de  quelques- 
uns. 

Certainement,  je  sais,  comme  eux,  que  ce 
n'est  pas  l'universalité  des  prêtres  qui  entre 
dans  ce  système.  Je  suis  convaincu  que, 
rassemblés  tous  et  ayant  à  traiter  en  point  de 
doctrine  les  maximes  que  j'ai  énoncées,  se- 
condés par  la  piété  qui  en  général  les  carac- 
térise, éclairés  par  les  lumières  de  l'Esprit 
saint  qu'ils  invoqueraient,  ils  reconnaîtraient 
avec  moi  tout  ce  que  j'affirme;  ils  blâme- 
raient avec  moi  tout  ce  que  je  blâme.  Il  y  a 
à  cet  égard,  soit  dans  le  clergé  inférieur, 
soit  au  plus  haut  du  clergé  supérieur,  des 
hommes  dont  la  bonne  foi  égale  la  pureté. 
J'ai  reçu  de  plusieurs  de  ces  hommes  des  té- 
moignages d'estime  et  de  bonté  que  je  ne 
ferai  pas  connaître,  mais  dont  je  les  renier- 


(  t*l  ) 

cie  sincèrement.  Sans  la  prépondérance  du 
parti  qui  les  domine ,  je  sais  qu'un  bien  plus 
grand  nombre  proclamerait,  hautement  les 
vérités  que  je  proclame.  Mais  cette  division 
même  a  quelque  chose  qui  n'amène  pas  la 
con  fiance.  La  prépondérance  du  parti  prêtre, 
c'est-à-dire  du  parti  de  l'envahissement  et 
de  la  domination,  demeure  établie,  et  excite 
envers  tous  la  méfiance  qu'on  a  justement 
envers  quelques-uns. 

Dans  la  partie  des  préceptes  moraux  7  la 
même  division  n'est  pas  moins  fâcheuse; 
elle  produit ,  au  détriment  de  la  religion, 
les  mêmes  effets. 

En  me  rappelant  mes  anciennes  lectures 
de  l'histoire  ecclésiastique,  je  crois  me  sou- 
venir qu'il  y  eut  pendant  long-temps  une 
sorte  de  schisme  et  d'hérésie  appelée  des 
Quarto  dé cimans  :  ces  Quartodécimans  pré- 
tendaient célébrer  la  Pàque  à  une  époque,  tau- 
dis que  le  reste  des  chrétiens  la  célébraient 
à  une  autre;  il  en  résultait  que  dans  le  même 
pays,  quelquefois  dans  le  même  lieu ,  une  par- 
lie  des  chrétiens  célébraient  avec  des  lamenta- 
tions le  Vendredi-Saint,  tandis  qu'une  autre 
partie  chantait  alléluia.  Ce  seul  inconvénient 


(  '58) 
parut  assez  grave  pour  faire  tomber  sur  les 
Quarto décimans  les  foudres  de  l'Église.  Au- 
jourd'hui ,   à   beaucoup   d'égards ,   c'est   la 
même  cacophonie. 

Du  moment  qu'un  prêtre  particulier  se 
croit  en  droit  de  fabriquer  la  morale  et  les 
préceptes  à  sa  fantaisie ,  on  doit  s'attendre 
que  cette  fantaisie  pourra  n'être  pas  uni- 
forme. Ici,  par  exemple,  le  prêtre  proscrit 
le  prêt  à  intérêt;  là,  il  le  trouve  légitime  ; 
ailleurs,  il  fait  une  distinction  en  faveur  de 
ce  qu'il  appelle  lucrum  cessans  et  damnum 
emergens ;  ici,  il  vous  dispense  de  telle  ob- 
servance ;  là,  il  vous  l'impose;  ailleurs  \  il  la 
modifie.  Est-ce  à  l'égard  des  souverains  et 
des  princes  ?  le  bal  et  le  spectacle  seront 
permis.  Est-ce  seulement  pour  le  public?  ils 
seront  interdits.  Et  qu'on  ne  croie  pas  qu'à 
raison  de  cette  diversité,  il  y  ait  quelque  res- 
source pour  le  pauvre  fidèle.  Comme,  d'après 
l'ordonnance  du  concile  qui  a  prescrit  la 
confession  pascale,  il  faut  absolument  qu'il 
s'adresse,  non  à  un  prêtre  qu'il  aura  choisi, 
mais  à  celui  de  son  domicile  ;  sa  religion ,  ses 
actions,  son  salut ,  sa  personne,  se  trouvent 
à  la  discrétion  de  ce  prêtre. 


(  '%  ) 

Certainement,  ce  qui  par  soi  est  permis  , 
un  prêtre  n'a  pas  le  droit  de  le  défendre;  et 
ce  qui  est  défendu  par  so^,  un  prêtre  n'a  pas 
le  droit  de  le  permettre.  Mais  lorsque  le 
prêtre  permet  dans  une  commune  ce  qu'il 
interdit  dans  une  autre,  que  faire  dans  une 
telle  confusion?  Ne  fût-ce  que  le  doute  jeté 
dans  les  esprits,  n'est-ce  donc  rien,  pour  des 
consciences  religieuses,  que  le  doute?  Dieu 
peut-il  trouver  bon  qu'un  cœur  fidèle  se 
permette  envers  lui  des  offenses,  sous  pré- 
texte qu'on  n'est  pas  bien  sûr  que  ce  soient 
des  offenses  ? 

Sur  cela,  la  décision  de  saint  Paul  est  ex- 
presse. Dans  toutes  choses,  selon  lui,  ce- 
lui qui  a  la  confiance  est  innocent ,  celui  qui 
a  du  doute  est  coupable.  Il  en  donne  la  rai- 
son :  Quia  non  ex  fide  ;  omne  autem,  quod 
non  est  ex  fide ,  peccatum  est. 

1  II  s'agissait  de  viandes  offertes  aux  idoles.  Selon 
saint  Paul,  celui  qui  en  mangeait  franchement  était 
innocent  ;  mais  celui  qui  hésitait  {qui  autem  discernit 
si  manducaverit}  était  coupable. 


(  i6o  ) 


CHAPITRE  VII. 


EST-CE    LE    MINISTÈRE   QUI    FAIT  CE   QU'lL  FAIT? 


Au  milieu  des  .dangers  que  courent  à  la 
fois  la  religion  ,  la  société  et  le  Roi ,  on  de- 
mande de  tous  côtés,  Monseigneur,  ce  que 
fait  le  gouvernement  \  et  ce  que  c'est  que  le 
gouvernement. 

Ce  que  fait  le  gouvernement?  Ma  réponse 
à  cette  question  ,  si  je  voulais  lui  être  favo- 
rable, pourrait  être  qu'il  ne  fait  rien ,  et  qu'il 
laisse  faire.  Possédé  d'un  autre  esprit  que  le 
sien,  quand  il  parle,  il  ne  faut  pas  toujours 
croire  que  c'est  lui  qui  parle;  quand  il  fait, 
il  ne  faut  pas  toujours  croire  que  c'est  lui 
qui  fait.  Tout  ainsi  que,  dans  les  anciens  pos- 
sédés, ce  n'était  pas  toujours  la  pauvre  créa- 
ture humaine  qui  parlait,  mais  l'esprit  qui 


(  rôi  ) 
était  en  elle;  de  même,  quand  aujourd'hui 
notre  pauvre  gouvernement  parle,  on  est  con- 
vaincu que  ce  n'est  pas  toujours  les  cinq  ou  six 
personnes  composant  le  gouvernement  qui 
parlent,  mais  un  esprit  particulier  qui  est 
entre'  en  eux. 

Cela  est  si  vrai,  que  ce  ministère  qui 
parle,  ne  parle  pas  toujours  de  la  même 
manière.  Or,  certainement,  depuis  Janus  de 
mythologique  mémoire ,  on  sait  que  les 
hommes  en  ge'ne'ral  n'ont  qu'une  seule  bou- 
che et  un  seul  visage.  En  gênerai,  aussi,  ils 
n'ont  qu'une  ame  et  une  conscience.  C'est  ce 
que  témoignent  tous  ceux  qui  vous  ont  vu, 
Monseigneur,  et  qui  ont  vu  aussi  les  autres 
ministres  face  à  face.  D'après  cela ,  si  nous 
voyons  sortir  de  la  bouche  d'un  ministre  un 
jour  telle  parole  et  tel  ordre,  un  autre  jour 
une  parole  et  un  ordre  contraires,  il  est  évi- 
dent qu'il  y  a  dans  la  personne  de  chacun  des 
ministres,  deux  ministres,  c'est-à-dire  deux 
esprits  diffe'rens.  On  a  dit  de  Corneille,  qu'il 
y  avait  en  lui  un  ge'nie  particulière  qui  lui 
dictait  ses  beaux  vers,  et  qui  ensuite,  en  l'a- 
bandonnant, lui  en  laissait  faire  de  mauvais. 
Il  est  évident  qu'il  en  est  de  même  du  mi- 


1 1 


(   '62  ) 
nistère,  avec  cette  différence  que  ce  que  le 
ministère  fait  par  Finspiration  de  Vesprit  est 
plus  mauvais  que  ce  qu'il  fait  par  lui-même. 
Ce  phénomène  est  sûrement  très-extraor- 
diuaire.    C'est    pourquoi  ,    Monseigneur,  je 
vous  demande  un   moment  d'attention  ;  car 
si  je  n'ai  rien  ici  à  vous  apprendre,  il  importe 
que  vous  soyez  convaincu  que  le  public  sait 
ce  que  vous  savez  vous-même.  Il  me  suffira 
de  vous  rappeler  les  faits  et  les  témoins. 

Un  premier  fait,  et  celui-là  a  eu  un  grand 
éclat,  est  la  lettre  de  M.  le  comte  de  Cor- 
bière à  M.  le  cardinal  archevêque  de  Toulouse, 
demandant  à  ce  prélat  l'observation  des  lois 
de  l'Etat  relativement  à  l'enseignement  de  la 
déclaration  de  1682.  Lorsqu'on  a  vu  de  cette 
démarche  s'ensuivre,  non-seulement  un  re- 
fus d'obéissance,  mais  même  un  refus  de  ré- 
ponse ;  lorsqu'à  la  suite  de  ce  refus  pompeu- 
sement proclamé  dans  les  papiers  publics  , 
on  a  vu  le  ministère  poursuivre  sa  marche, 
et  faire  ordonner  par  les  tribunaux  une  ré- 
paration de  ce  scandale  ;  le  public  a  cru  sé- 
rieusement qu'il  y  avait  un  gouvernement 
maître  de  ses  aetions,  et,  comme  on  dit  en 
latin,  compas  sm.  Mais  bientôt,  lorsqu'on  a 


(  «63  j 

su  que  ce  même  ministère  avait  été  oblige  de 
revenir  sur  ses  actes  ,  notamment  de  chasser 
en  expiation  le  chef  particulier  qui  les  avait 
ou  rédiges  ou  conseillés  ,  et  qu'ensuite  on  a 
vu  le  même  cardinal,  à  raison  de  ces  méfaits, 
recevoir  du  même  gouvernement  les  plus 
hautes  marques  de  la  faveur  royale;  certai- 
nement, le  gouvernement  qui  n'a,  comme 
il  a  été  dit ,  ni  deux  faces  ,  ni  deux  bouches , 
ni  deux  consciences,  a  été  forcé  dans  le  se- 
cond cas ,  puisqu'il  a  été  libre  dans  le  pre- 
mier. Un  esprit  quelconque  autre  que  le  sien 
a  dû  entrer  en  lui.  C'est  ce  qui  compose  un 
état  réel  d'obsession  ou  de  possession. 

Second  témoignage.  Le  fait  ici  ,  Monsei- 
gneur, sera  pris  de  vous-même.  Le  respect 
profond  que  je  porte  au  prince  qui  proclama 
l'ordonnance  d'Andujar,  me  défend  de 
croire  qu'elle  fut  autre  chose  que  l'expres- 
sion des  instructions  même  qu'il  avait  reçues 
du  gouvernement  au  début  de  la  guerre. 
On  ne  peut  penser  que,  dans  le  plan  de  cette 
campagne ,  une  telle  chose  que  des  succès 
n'eût  pas  été  prévue,  et  que  des  instructions 
n'eussent  pas  été  données  en  conséquence 
de    ces    succès.   Cependant   qu'arrive-t-il  ? 


ii* 


(  «64  ) 
Tout  un  parti  prend  l'alarme,  et  aussitôt  nn 
nouvel  esprit,  celui  de  ce  parti,  entrant 
dans  le  corps  du  gouvernement,  le  force  de 
dédire  ce  qu'il  a  dit ,  et  de  donner  un  dé- 
menti...  à  qui  ?  A  l'héritier  même  de  la  cou- 
ronne. 

Troisième  fait  et  troisième  témoignage. 
Une  constitution  politique  est  donnée  au 
Portugal.  Elle  est  donnée  par  son  roi,  de  la 
même  manière  que  Louis  XVIII  en  a  donne' 
une  à  la  France.  Le  gouvernement,  qui  en 
ce  moment  était  livré  k\  lui-même  ,  recon- 
naît cette  constitution.  Le  loyal  M.  de  Damas 
dresse  ses  instructions  en  conséquence.  Bien- 
tôt cependant  et  cette  constitution  et  toutes 
ces  chartes  de  liberté  déplaisent  à  un  cer- 
tain parti  ;  et  alors  V esprit  qui  est  en  pos- 
session d'entrer  dans  le  ministère,  dicte, 
pour  un  de  nos  ambassadeurs,  des  instruc- 
tions toutes  contraires. 

Quatrième  fait  et  quatrième  témoignage. 
En  remuant  les  affaires  domestiques  de  son 
ministère  ,  M.  de  Clermont-Tonnerre  trouve 
qu'il  serait  bon  de  vendre  une  portion  des 
bâtimens  et  des  terrains  de  Belle-Chasse. 
Le  ministre  agissait  alors  d'après  lui-même, 


(  '65  ) 
il  était  compos  suï.  Cependant  ces  bâtimens 
et  ce  terrain  avaient  appartenu  ancienne- 
ment à  un  établissement  ecclésiastique. 
Averti  d'abord  par  les  cent  cinq  voix  con- 
gréganistes  de  la  Chambre  des  députes  , 
averti  bien  plus  encore  parles  censures  du 
parti  prêtre,  un  nouvel  esprit  entre  en  lui , 
le  possède  ,  et  il  est  force'  de  rechercher  avec 
soin  des  entraves  à  la  vente  qu'il  avait  pro- 
voquée. 

Cinquième  fait  et  cinquième  témoignage. 
11  est  impossible  de  croire  qu'un  gouverne- 
ment qui  compte  pour  quelque  chose  dans 
un  Etat  la  paix  et  la  sûreté  publique,  inven- 
tera de  lui-même  d'y  introduire  un  élément 
de  trouble.  Que  si  cet  élément  s'y  est  intro- 
duit sans  lui  ou  avant  lui,  on  doit  croire 
qu'il  fera  tous  ses  efforts  pour  éloigner  cette 
peste.  On  ne  peut  contester  que  l'institution 
des  jésuites  ait  ce  caractère,  si  toutefois  on 
veut  compter  pour  quelque  chose  les  anciens 
arrêts  des  parlemens ,  les  ëdits  de  nos  rois , 
ceux  de  presque  tous  les  souverains  de  l'Eu- 
rope qui  les  ont  bannis  de  leur  territoire. 
Lorsque  l'institution  des  jésuites  est  signalée 
d'une  aussi  forte  manière,  si  le  gouvernement 


(  '66  ; 
s1acharne  encore  à  la  favoriser,je  dois  croiret 
même  pour  son  bonheur,  qu'il  se  dirige  par 
un  autre  esprit  que  le  sien  :  il  est  possédé... 
Sixième  fait  et  sixième  témoignage.  M.  l'é- 
vêque  d'Hermopolis  jouit  en  France  d'une 
grande  réputation,  non-seulement   de   ta- 
lent, mais  encore  de  beau  caractère.  Dans 
des  lettres  que  j'ai  reçues  de  Paris,  un  juris- 
consulte célèbre  que  j'honore  me  paraît  dans 
l'enthousiasme   de  son  mérite.  M.  le  comte 
de  Lézardière,  dans  un  discours  récent  à  la 
tribune  ,   a  prôné  particulièrement  safran— 
chise,    M.  le   comte  Sébastiani,  de  son  côté  , 
l'a  félicité  sur  ses  principes  et  sur  sa  marche 
constitutionnelle.  Par  cela  seul ,  il  me  paraît 
probable  qu'un  tel  homme  ne  s'occuperait 
pas  à  prôner  et  à  enraciner  en  France  l'insti- 
tution des  jésuites,  s'il  était  livré  a  sa  libre 
volonté;  tout  au  moins  cette  institution  une 
fois  établie  contre  les  lois,  il  ne  souffrirait 
pas  qu'elle  violât  ensuite  les  règles  comme 
elle  a  violé  les  lois.  Sur  ce  point ,  nous  allons 
voir  deux   M.  d'Hermopolis.  Averti ,  par  le 
recteur  de  l'Université,  que  les  jésuites  éta- 
blis dans  un  certain  collège  y  appellent  des 
élèves  externes,  il  écrit  à  ce  recteur  que  cette 


(  &}  ) 

conduite  e$t  contraire  à  l'ordonnanTe  dti  Kot 
et  qu'il  ne  doit  pas  la  tolérer.  C'est  sans  doute 
le  d'Hermopolis  de  M.  le  comte  de  Lezardiere 
et  de  M.  le  gênerai  Sébastiani.  Bientôt  ce- 
pendant un  autre  d'Hermopolis ,  dans  une 
conférence  particulière  avec  le  jésuite  supé- 
rieur de  ce  collège,  permet  la  violation  qu'il 
avait  quelques  jours  auparavant  deTendu  de 
tolérer.  On  voit  par-là  que,  si  en  apparence 
c'est  le  même  homme,  cet  homme  est  sujet 
à  être  possède  d'une  autre  volonté  que  la 
sienne  et  d'un  autre  esprit  que  le  sien. 

Septième  fait  et  septième  témoignage .  Sili- 
ce sujet,  Monseigneur,  je  consens  à  vous  faire 
grâce  de  la  nomination  de  M.  Récamier, 
élevé,  à  raison  de  ses  relique;;,  à  la  place  de 
professeur  de  médecine  :  nomination  telle- 
ment ridicule  qu'il  est  impossible  de  ne  pas 
y  reconnaître  l'aveuglement  d'une  coterie 
frénétique.  Je  consens.de  même  à  ne  tenir 
aucun  compte  de  deux  autres  nominations 
du  même  genre.  J'ai  à  vous  rappeler  un 
fait  bien  plus  important  :  c'est  l'irruption 
subite,  presque  au  même  moment  et  au 
même  jour,  des  émissaires  de  la  congréga- 
tion   dans   tous    les    ministères  et   partîcu- 


(  m) 

lièrement  ,    Monseigneur  ,    dans    le    vôtre. 

Si  je  vous  disais  les  divers  propos  de  ces 
émissaires  à  ce  sujet;  si  je  vous  disais  les  de- 
marches  humiliantes  auxquelles  ils  vous 
ont  oblige ,  ainsi  que  toiit  le  ministère  ;  si  je 
vous  disais  vos  petites  résistances ,  vos  petits 
chagrins  et  finalement  votre  de'faite  ;  vous 
seriez  bien  étonné.  (Test  ce  que  je  sais  d'une 
manière  positive,  de  vos  ennemis  comme 
de  vos  amis. 

Je  n'ai  plus  besoin  de  poursuivre.  L'ins- 
truction que  j'ai  entreprise  est  complète.  Le 
démon,  qui  est  entré  dans  le  ministère  et  dont 
il  est  possédé,  est  connu.  C'est  l'ame  du  parti 
prêtre,  composée  d'un  élixir  de  l'esprit  des 
jésuites  et  des  deux  congrégations. 

Avec  cela ,  où  irez-vous,  Monseigneur,  et 
où  irons-nous  ? 


(  '<«>  ) 


CHAPITRE  VIII. 


M.    DE    VILLELR    S  IMMOLE    POUR    LES    PERES    LORIQUET    ET 

JENNESSEAUX. SA   POSITION    N'EST    PAS    TENARLE.   

MIS     EN     ACCUSATION     PAR     LES    DEUX     CHAMRRES  ,     IL 
ENCOURT    LA    PEINE    DE    MORT. 


Je  viens  de  m'occuper  des  intérêts  de  la 
religion ,  de  la  société  et  de  la  monarchie. 
Permettez -moi  actuellement,  Monseigneur, 
de  m'occuper  des  vôtres.  Quelle  qu'ait  été 
jusqu'à  présent  mon  apparence  hostile  en- 
vers vous  ,  c'est  encore  dans  ma  pensée  un 
intérêt  public,  que  celui  d'un  ministre  dont 
les  anciens  services  sont  si  multipliés ,  tous 
les  antécédens  si  honorables ,  qui ,  par  des 
talens  que  personne  ne  conteste ,  peut  nous 
donner  encore  tant  d'espérances.  Sur  ce 
point ,  Monseigneur ,  je  dois  vous  déclarer 
ce  que  vous  ne  savez  peut-être  pas  :  c'est 
que  vous  avez  en  moi   un  partisan   très-ar- 


.     (  !7°0 
dent.  Vous  n'étiez  encore  qu'un  simple  dé- 
puté  de   Toulouse ,  que    mes   vœux  atta- 
chaient à  vous  voir  à  la  tète  de  nos  affaires. 
Votre  belle  conduite  à  File  de  France,  daus 
le  cours  de  la  révolution,  votre  dévouement 
et  votre  courage  pendant  les  cent  jours, 
votre  désintéressement  et  votre  modestie  à 
la  seconde  restauration  ,  la  belle  réponse  que 
vous  fîtes  au  prince,  déjà  illustre  alors,  et 
que  nous  avons  vu  depuis  s'illustrer  encore 
par  la  prise  du  Trocadéro  et  par  l'ordon- 
nance d'Andujar  :  tout  cela  était  dans  ma 
pensée ,  lorsque  mes  yeux  ne  vous  avaient 
point  encore  aperçu  ,  et  que  mon  nom  peut- 
être  ne  vous  avait  pas  encore  été  prononcé. 
Vous  aviez  eu  beau  répondre  au  prince,  qui, 
en  témoignage  de  reconnaissance,  vous  pro- 
posait l'administration  de  votre  ville  native  , 
que  vous  ri  aviez  aucun  talent  pour  les  affaires  ; 
vos  discours  à  la  tribune  de  la  Chambre  des 
députés ,  démentirent  bien  vite  ces  expres- 
sions de  modestie.   Aussi,  ce  fut  une  véri- 
table fortune  pour  moi ,  lorsqu'à  une  cer- 
taine époque  de  votre  arrivée  des  provinces 
du  Midi,  un   ministre,  que  la  France  re- 
grette,  m'apprit,  en   me  faisant   asseoir  à 


(  i7«  ) 
table  à  côte  de  vous  ,  que  vous  alliez  être 
appelé  au  ministère.  Depuis  ce  temps  ,  di- 
vers personnages  ont  pu  vous  reprocher, 
ceux-ci  de  vous  être  séparé  d'eux  ;  ceux- 
là  ,  que  vos  opérations  de  finances  étaient 
défectueuses;  d'autres  ont  pu  blâmer  vos 
irrésolutions  à  l'égard  de  la  guerre  d'Espa- 
gne :  sur  tous  ces  points,  je  puis  vous  con- 
fier l'impression   que  j'ai   éprouvée. 

Sur  le  premier,  peu  à  même  de  juger  de 
quelque  reproche  tenant  aux  détails  d'une 
intimité  intérieure ,  j'ai  dû  long-temps  hésiter. 

Sur  le  second  point,  c'est-à-dire  relativer 
ment  à  vos  plans  de  finances ,  sans  autorité 
pour  juger  l'ensemble  de  vos  opérations  , 
j'avouerai  franchement  que  votre  trois  pour 
cent  et  votre  réduction  des  rentes  m'ont 
paru  conçus  avec  habileté. 

Enfin  ,  je  n'approuvais  pas  sans  doute  vos 
irrésolutions  à  l'égard  de  la  guerre  d'Espa- 
gne ;  cependant  je  les  excusais.  La  France, 
ébranlée  et  presque  renversée  à  deux  repri- 
ses,  mal  assurée  encore  dans  ses  nouveaux 
fondemens ,  pouvait,  au  moment  d'une 
guerre  étrangère,  présenter  à  un  bon  es- 
prit beaucoup  de  motifs  d'inquiétude. 


(  *72  ) 

Sur  tout  cela,  même  dans  ma  chaumière, 
je  vous  ai  de'fendu  tant  que  j'ai  pu.  A  la  fin, 
attaqué  par  un  grand  parti  de  royalistes  me- 
contens ,  ainsi  que  par  un  parti  immense 
religieux ,  vous  accusant  de  ne  pas  faire  assez 
de  ce  que  le  public  et  moi-même  vous  accu- 
sions déjà  de  faire  trop  j  lorsque ,  au  lieu 
d'une  nobîe  résistance,  attitude  si  digne  de 
vous,  je  vous  ai  vu  céder  peu  à  peu,  et  fina- 
lement recevoir  le  joug  qui  vous  était  im- 
posé; vous  me  pardonnerez  d'oser  vous  dire 
que  quelque  chose  de  mon  estime  s'est  éloi- 
gné de  vous.  Entraîné  désormais  à  gouver- 
ner l'Etat,  non  pour  des  intérêts  d'Etat, 
mais  pour  des  intérêts  de  prêtre ,  vernissés 
de  couleur  religieuse;  devenu,  au  lieu  de 
ministre  supérieur  dans  votre  partie,  un 
simple  commis  subalterne  sous  la  main  d'un 
comité  de  conscience  dont  vous  et  moi  nous 
connaissons  parfaitement  la  composition  ; 
c'est  en  vain  que  vous  voulez  cacher  votre 
nouvelle  condition  ;  elle  est,  ainsi  que  celle 
de  tout  le  ministère  ,  complètement  à  dé- 
couvert. 

Cependant,  je  dois  vous  prévenir,  et  je 
m'en  suis  rendu  certain  ,  que^  même  avec 


(  '73) 
ces  sacrifices,  votre  position  n'est  nullement 
assurée.  Parce  que  vous  vous  êtes  engage 
à  ce  parti ,  vous  croyez  que  ce  parti  s'est 
engage  à  vous  ;  il  n'en  est  rien.  Spéculant 
aujourd'hui  sur  votre  chute,  comme  il  a 
spécule  long-temps  sur  votre  élévation,  je 
suis  averti  qu'il  cherche  d'avance  à  faire  son 
lot  dans  cet  événement.  Je  suis  averti  que, 
par  une  combinaison  déjà  accordée  entre 
des  prélats  éminens  et  des  députés  mar- 
quans  dans  l'Opposition  royaliste,  on  cher- 
che ,  après  vous  avoir  jeté  à  la  mer  ,  ainsi 
qu'un  grand  nombre  de  ministres  actuels ,  à 
sauver  dans  le  naufrage  la  très-bonne,  la 
très-douce  influence  du  parti  prêtre.  Ce 
plan,  dans  lequel  on  n'abandonnerait  pas 
les  jésuites,  mais  dans  lequel  on  tâcherait 
de  les  montrer  contenus  dans  certaines  limi- 
tes ,  aurait  pour  principale  bannière  une 
déclaration  nouvelle  d'adhésion  à  la  cons- 
titution et  à  la  Charte.  Avec  cette  déclaration, 
signée  même  par  des  cardinaux,  et  le  pathos 
dont  on  ne  manquerait  pas  de  l'accompagner, 
on  pourrait  sûrement  tromper  beaucoup 
d'honnêtes  gens ,  changer  quelques  attitudes , 
même  quelques  positions  :  il  faut  le  dire  fran- 


(  '74  ) 
chement,  ce  plan  n'aurait  pas  deux  ans  de 
succès.  Certes,  nous  ne  voulons  pas  que  les 
prêtres  se  mettent ,  comme  ils  ont  fait  jusque 
présent ,  dans  nos  affaires  politiques ,  pour  les 
embarrasser  et  les  contrarier.  Nous  ne  vou- 
lons pas  davantage  qu'ils  s'y  mettent  pour  les 
seconder  et  les  appuyer.  Nous  ne  voulons  pas 
d'un  prêtre  qui ,  comme  celui  qui  a  été  ac- 
cusé dernièrement,  nous  prêche  que  l'Etat 
ne  peut  se  conserver ,  si  la  Charte  se  con- 
serve ;  nous  ne  voulons  pas  plus  d'un 
prêtre  qui  s'extënue  à  nous  en  prôner  les 
avantages.  Nous  ne  voulons  pas  d'un  prêtre 
prédicant  factieux  ;  nous  ne  voulons»  pas 
d'un  prêtre  pre'dicant  politique. 

En  ce  point,  je  suis  forcé  de  m'éloigner 
des  opinions  d'un  homme  que  j'aime  et  que 
j'honore  par-dessus  tout.  M.  le  vicomte  de 
Chateaubriand  nous  dit  dans  un  de  ses  der- 
niers écrits  :  «  Elevez  notre  jeune  clergé 
dans  l'amour  des  lois  du  pays;  il  les  défen- 
dra et  en  tirera  sa  puissance.  »  Je  lui  en  de- 
mande pardon.  Cela  conviendrait  sans  doute 
fort  peu  au  clergé;  cela  nous  conviendrait 
encore  moins  a  nous;  nous  voulons  qu'on 
élève  notre  jeune  clergé  dans  l'amour   de 


(   »75  ) 
Dieu  et  dans  la  connaissance  de  la  religion 
Nous  voulons,  avec  M.  Frayssinous,  qu'un 
prêtre  soit  prêtre  avant  tout.  Nous  voulons 
aussi  qu'il  ne  soit  que  cela,  et  surtout  qu'il  ne 
prétende  pas  nous  enseigner  les  lois  dupays. 

Je  pourrais  me  dispenser  sans   doute  de 
marquer  ici  tant  d'opposition  à  un  système 
auquel  je  sais  que  vous  résistez  vous-mê- 
me, attendu  qu'il  en  résulterait  pour  vous 
désormais  un  néant  politique  que  vous  ne 
pourriez  supporter.  Toutefois  ,  pour  éviter 
un  certain  danger  de  disgrâce  publique  ef 
de  mépris  ,  remarquez  que  vous  vous  pla- 
cez dans  un  autre  danger  non  moins  redou- 
table.   Avec  un   esprit   infini,  vous  pouvez 
échapper  aux  reproches,  tant  qu'ils  portenl 
sur  des  faits  qui  se  perdent  dans  une  atmos- 
phère vague;  mais  quand  ils  portent  sur  des 
points  et  sur  des  faits  précis,  comment  ferez- 
vous  ? 

Vous  ne  pouvez  ignorer  que  les  jésuites  ne 
sont  pas  à  eux  seuls  l'objet  du  mécontente- 
ment. Ils  ne  sont  pas  à  eux  seuls  le  parti 
prêtre;  ils  en  sont  seulement  un  avant-poste. 
Mais,  tout  ainsi  qu'une  affaire  d'avant-poste 
amène  quelquefois  un  combat  général.  Ta- 


(  >;6) 

vant-poste  des  jésuites  ,  au  secours  desquels 
ou  fait  marcher  le  parti  prêtre ,  armé  des 
missions  et  des  congrégations ,  avec  toute 
la  puissance  des  gendarmes  et  du  ministère, 
peut  amener  doutant  plus  facilement  une 
affaire  générale  ,  que,  comme  vous  le  sa- 
vez ,  tout  le  barreau  de  France,  la  Cour 
royale  de  Paris  et  récemment  la  Chambre 
des  pairs,  sont  engagés  dans  le  combat. 

L'attitude  que  vous  avez  montrée  à  cet 
égard  à  la  Chambre  des  députés  est  tout- à- 
fait  remarquable.  Après  vous  être  défait , 
comme  vous  avez  pu,  de  quelques  reproches 
généraux  ,  vous  avez  prononcé  les  paroles 
suivantes  qui  méritent  une  grande  attention: 

<i  Les  jésuites,  dira-t-on  ;  pour  ceux-là, 
vous  ne  nierez  pas  le  fait.  Ils  existent ,  et 
c'est  une  violation  de  nos  lois.  Ils  existent, 
dites-vous;  ni  plus  ni  moins  qu'ils  existaient 
quand  vous  étiez  à  la  tête  de  l'instruction 
publique,  dirai-je  à  l'un  de  mes  adversaires; 
et  quand  vous  étiez  procureur -général  , 
dirai-je  à  l'autre.  )> 

Vous  ajoutez  : 

•(  Nous  ne  voulons  pas  plus  que  vous  le 
rétablissement   de    cette    corporation    reli- 


(  *77  ) 
gieùse,  mais  pas  plus  que  vous,  quand  vous 
auriez  du  pouvoir,  nous  ne  croyons  devoir 
user  de  celui  qui  nous  est  confié  pour  per- 
sécuter des  individus  sous  le  prétexte  d'opi- 
nions religieuses.  »  {Moniteur,) 

Cette  réponse,  Monseigneur,  est,  jela- 
voue  ,  très-spirituelie  et  surtout  assez  pi- 
quante pour  les  deux  personnages  que  vous 
avez  désignés;  encore  qu'ils  soient  l'un  et 
l'autre  de  mes  amis,  je  n'ai  pu  m'empêcher 
de  sourire.  Cependant  les  affaires  d'Etat  sont 
trop  importantes,  pour  être  traitées  seule- 
ment avec  des  épigrammes.  Lés  magistrats 
ayant  déclaré  que  l'institution  des  jésuites 
est  une  chose  incompatible  avec  les  lois, 
ainsi  qu'avec  la  sûreté  du  Roi  et  de  l'Etat  ; 
lorsque  la  Chambre  des  pairs,  entrant  dans 
cette  pensée,  a  prononcé,  sur  le  rapport  de 
sa  commission ,  que  l'existence  de  fait  de 
cette  institution  était  un  scandale ,  et  qu'elle 
vous  a  dénoncé  à  vous-même  ce  scandale  ; 
vous  suffit-il  d'aller  dire  à  la  Chambre  des 
députés  que  vous  ne  voulez  pas  le  rétablis- 
sement de  cette  corporation  religieuse,  lors- 
que ce  rétablissement  est  opéré  de  fait  ? 

Monseigneur,  de  trois   choses  l'une  :  ou 


12 


(  '78  ) 
bien  l'institution  des  jésuites  est  essentielle- 
ment  vicieuse,  ou  bien    elle   est  seulement 
susceptible  de  doute ,  ou  bien  elle  est  émi- 
nemment  utile. 

Je  me  placerai  d'abord  dans  la  première 
supposition. 

J'avoue,  qu'en  remuant  dans  ma-  pensée 
les  souvenirs  qui  s'attachent  à  ces  religieux, 
dans  leur  conduite  à  la  Chine ,  au  Paraguay  , 
ainsi  que  dans  leurs  démêlés  avec  les  évëques  , 
avec  les  parlemens ,  avec  les  rois ,  avec  l'uni- 
versité, je  ne  puis  m'empêcher  de  voir,  dans 
le  rétablissement  des  successeurs  des  Gui- 
gnard,  des  Jean  Chàtel,  des  Escobar  et 
des  Malagrida  ,  tout  ce  qu'il  y  a  au  monde  de 
plus  hideux  ;  et  alors  ,  en  supposant  que  des 
membres  de  la  Chambre  des  députés  se 
plaignissent  à  Votre  Excellence  de  la  protec- 
tion qu'ils  croiraient  que  vous  accordez  à 
une  bande  de  voleurs  ,  vous  subirait— il  de 
dire  que  vous  ne  voulez  pas  plus  queux  leur 
établissement ,  lorsqu'il  serait  connu  que  vous 
ne  prenez  aucune  mesure  pour  en  délivrer 
le  pays. 

Vous  trouverez,  Monseigneur,  que  plaçant 
la  question  des  jésuites  dans  ce  sens,  j'en  ai 


(  l19  ) 
exagéré  les  termes.  On  peut  dire  en  effet 
que  la  Compagnie  de  Jésus  a  eu  dans  tous 
les  temps  des  apologistes  respectables  qu'on 
ne  trouverait  pas  en  faveur  de  celle  de 
Mandrin.  Je  rentre  alors  dans  la  seconde 
supposition,  celle  où  le  mérite  et  le  démérite 
de  cette  institution  pourraient  être  controver- 
sés; ce  sera  alors,  si  vous  voulez,  comme  la 
société  des  francs-maçons;  celle-là,  qui  a 
de  grands  détracteurs,  a  aussi  de  grands  par- 
tisans :  de  respectables  personnages,  même 
des  souverains,  en  ont  fait  partie.  Cependant, 
comme  elle  est  proscrite  par  les  lois  dans 
certains  pays  ,  notamment  en  Espagne,  vous 
suffirait-il  de  dire,  étant  ministre  à  Madrid, 
au  milieu  du  conseil  de  Castille ,  ou  en  pré- 
sence des  volontaires  royalistes ,  que  vous 
ne  voulez  pas  plus  qu'eux  du  rétablissement 
de  la  société  des  francs-maçons? 

Je  viens  à  la  troisième  supposition.  Non- 
seulement  institution  des  jésuites  n'est  pas, 
comme  je  le  pense,  une  institution  abomi- 
nable, ou  comme  d'autres  le  croient,  une 
institution  d^n  mérite  douteux;  j'accorde 
que  c'est  une  institution  utile  dont  la  France 
et  le  monarque  ne  peuvent  se  passer.  Dans 


12* 


(  i8o  ) 
ce  cas,  Monseigneur,  Votre  Excellence  ne 
sera  pas  plus  avancée.  On  opposera  à  ces 
paroles  les  paroles  même  de  M.  le  comte 
Portalis,  rapporteur  de  la  commission  de  la 
Chambre  des  pairs. 

*  Si  cette  corporation  est  utile  ,  elle  doit 
être  autorisée.  Ce  qui  ne  doit  pas  être  pos- 
sible ,  c'est  qu'aucun  établissement,  même 
utile  ,  existe  de  fait ,  lorsqu'il  ne  peut  avoir 
aucune  existence  de  droit,  et  que,  loin  d'être 
protégé  par  la  puissance  des  lois ,  il  le  soit 
par  leur  impuissance.  » 

Dans  le  fait ,  Monseigneur,  deux  vues  di- 
verses partagent  l'administration.  Une  por- 
tion voit ,  dans  l'établissement  des  jésuites , 
un  service  en  même  temps  qu'un  danger. 
Pour  profiter  du  service  en  éloignant  le  dan- 
ger ,  elle  s'oppose  à  l'admission  légale  qui 
aurait  des  inconvéniens;  elle  se  contente 
de  l'admission  de  fait.  Une  autre  partie  qui 
voit  tout  service  et  aucun  danger ,  se  con- 
(ente  préalablement  de  leur  existence  de 
fait,  se  proposant  dans  la  suite  d'en  faire 
sortir  par  une  simple  formalité  leur  exis- 
tence de  droit. 

Quelle  que  soit   celle   de  ces  lignes  que 


(  '8'  ) 
vous  suiviez,  Monseigneur,  n'ayant  pas  pour 
vous  la  Chambre  des  pairs,  et  la  majorité 
de  celle  des  députés  pouvant  d'un  moment 
à  l'autre  vous  échapper ,  permettez-moi  de 
vous  dire  qu'une  multitude  de  dangers  s'ac- 
cumulent sur  votre  tête. 

Et  d'abord  il  faut  y  prendre  garde  ,  quels 
que  soient  vos  mérites  7  de  grandes  préven- 
tions planent  depuis  long-temps  sur  vous. 
Il  est  connu  que  Votre  Excellence  n'aime  ni 
la  Charte,  ni  les  constitutions.  Lorsque  le 
mot  charte  est  dans  votre  bouche ,  on 
soupçonne  que  celui  de  contre-révolution 
est  dans  votre  cœur.  A  l'appui  de  ces  pré- 
ventions, on  cite  de  vous  un  écrit  publié 
précédemment  contre  toutes  les  constitutions 
et  contre  toutes  les  chartes.  Coblentz  était 
alors  tout  en  vous;  on  soupçonne  qu'il  y  est 
encore. 

Sans  doute  on  peut  citer  plusieurs  minis- 
tres,  notamment  en  Angleterre,  qui  ont 
changé  d'opinion.  On  sait  que,  dans  sa  jeu- 
nesse, M.  Pitt  a  été  au  plus  haut  de  la  démo- 
cratie. On  en  dit  autant  de  M.  Wyndham 
de  M.  Burke  et  du  duc  de  Portland.  De  tout 
temps,  dans  le  mouvement  des  Etals,  on  a 


(  18a  ) 
vu  les  esprits  se  partager  entre  deux  senti- 
mens  également  honorables ,  celui  de  la  li- 
berté et  celui  de  l'autorité.  Au  moment  où 
la  liberté  sera  crue  en  danger,  il  sera  con- 
venable que  les  esprits  généreux  se  portent 
au  secours  de  la  liberté.  Il  en  sera  de  même 
lorsque  l'autorité  pourra  paraître  en  péril. 
Cependant,  outre  qu'il  est  rare  de  voir  les 
hommes  en  pouvoir  revenir  sincèrement  à 
la  liberté,  ils  s'efforcent,  quand  de  tels  chan- 
gemens  s'opèrent,  à  ne  laisser  dans  les  es- 
prits rien  d'équivoque.  Ils  cherchent  à  mon- 
trer des  garanties. 

Vous ,  Monseigneur ,  quand  vous  avez 
quitté  les  livrées  de  la  contre- révolution 
pour  prendre  celles  de  la  Charte,  quelle 
garantie  avez-vous  donnée  ?  Par  quel  cortège 
avez-vous  assuré  et  indiqué  votre  marche  ? 
Si  la  servante  de  Pilate  vivait ,  elle  vous  di- 
rait sûrement  comme  à  Pierre  :  DTétiez-vous 
pas  autrefois  de  ces  hommes?lL]\e  ajouterait  : 
Vous  en  êtes  encore.  Votre  conduite  actuelle 
fait  croire  que  vous  voulez  en  être  toujours. 
Il  en  résulte,  sur  vous,  je  ne  sais  quel  reflet 
de  duplicité  qui  provoque  la  malveillance. 
Vous  pouvez  vous  expliquer  par-là  le  mou- 


(  '83  ) 
vement  de  haine   publique  que  vous  con- 
naissez sûrement ,  et  que  ,  dans  tous  les  cas , 
l'événement  récent  de  la  garde  nationale  a 
pu  vous  manifester. 

La  haine  publique!  Je  sais,  Monseigneur, 
tout  comme  un  autre,  la  valeur  qu'elle  peut 
avoir  pour  un  honnête  homme  quand  il  est 
sur  la  ligne  de  son  devoir.  Le  poëte  dit  très- 
bien  :  Nec  tulit,  nec  ponit  secure,  arbltrio 
popularis  aurœ.  Il  dit  aussi  :  Nec  çivium  prava 
jubentium.  Ainsi  donc,  si  votre  résistance  ac- 
tuelle a  pour  objet  de  repousser  de  la  part  de 
vos  concitoyens  des  injonctions  dépravées ,  si 
c'est  réellement  pour  le  salut  du  Roi  et  de  la 
patrie  que  vous  tenez  à  la  position  que  vous 
avez  prise,  non-seulement,  Monseigneur, 
je  vous  admire  et  vous  approuve ,  mais  je 
vous  demanderai  encore  de  me  permettre 
d'être  à  côté  de  vous  et  de  partager  vos 
dangers.  Mais  alors  il  faut  être  bien  sûr 
qu'on  remplit  ses  devoirs. 

Saint  Ignace  d'Antioche,  condamné  par 
Trajan  ,  peut  dire  avec  joie  :  «  Je  suis  le  fro- 
ment de  Dieu  ,  moulu  par  la  dent  des  bêtes; 
je  vais  devenir  un  pain  tout  pur  de  Jésus- 
Christ.  »  II  est  soutenu  parla  grâce  de  Dieu 


(  x84  ; 

et  par  les  devoirs  de  son  apostolat.  Mais 
vous,  Monseigneur,  si  jamais  vous  êtes  li- 
vré à  la  dent  des  hommes  ,  quel  témoignage 
pourrez-vous  vous  rendre  ?  Est-ce  seulement 
ici  une  multitude  insensée  qui  vous  pour- 
suit ?  Infidèle  à  nos  lois ,  et  averti  en  ce 
point,  d'abord  par  les  jurisconsultes,  ensuite 
parles  Cours  royales,  ensuite  encore  par  la 
^Chambre  des  pairs  ;  qui  fait  que  vous  amas- 
sez contre  vous ,  à  la  suite  d'une  vie  honora- 
ble et  au  milieu  d'une  famille  qui  vous  est 
chère,  une(jnultitude  de  griefs  justes  ?  Qui 
fait  que,  par  une  multitude  de  violations  in- 
contestables et  que  vous  ne  pouvez  désa- 
vouer ,  vous  vous  privez  d'avance  de  ce 
noble  refuge  de  tout  honnête  homme  dans 
la  fidélité  à  ses  devoirs,  dans  l'approbation 
de  sa  conscience  ?  Gomment,  Monseigneur! 
vous  immoler  ,  non  pour  servir  votre  Roi  et 
votre  patrie  ,  mais  seulement  pour  servir  les 
jésuites  !  Vous  immoler  pour  donner  quel- 
ques momens  de  satisfaction  au  père  Lori- 
quet  et  au  père  Jennesseaux  !  Franchement , 
c'est  vous  donner  à  trop  bon  marché;  vous 
valez  mieux  que  cela. 
De  quelque  manière  que  j'envisage  votre 


(  '85  ) 
position,  en  vérité,  Monseigneur,  elle  ne  me 
paraît  pas  tenable  :  j'en  frémis  pour  vous. 
Au  moment  où  une  accusation  partirait  de 
la  Chambre  des  députés ,  je  ne  vous  vois  au- 
cune défense.  Je  me  suppose  alors  à  la 
Chambre  des  pairs  ;  je  n'ai  reçu  de  vous  au- 
cun bienfait,  je  n'ai  reçu  non  plus  de  vous 
aucune  injure  :  je  ne  vous  porte  donc  au- 
cune haine.  Eh  bien  !  je  vous  le  déclare  dans 
la  sincérité  de  mon  ame  :  au  moment  où  il 
me  faudrait  prononcer  sur  votre  accusation, 
je  ne  pourrais  faire  autrement  que  de  vous 
condamner  à  mort. 


(   i86  ) 


CONCLUSION  ET  RESUME. 

Monseigneur,  la  contention  actuelle  rela- 
tivement aux  jésuites,  ne  peut  être  regardée 
comme  isolée.  En  mettant  en  évidence  de 
part  et  d'autre  de  grandes  opinions  et  de 
grandes  forces ,  elle  a  mis  en  évidence  par- 
là  même  l'ensemble  des  vues,  des  préten- 
tions et  des  passions  auxquelles  elle  appar- 
tient. En  principe  politique  ,  si  l'institution 
des  jésuites  est  une  institution  monstrueuse, 
il  faut  se  hâter  comme  telle  de  la  supprimer. 

Si  l'institution  des  jésuites  est  une  institu- 
tion équivoque  sur  laquelle  la  France  soit 
susceptible  de  se  diviser ,  il  faut  encore 
la  supprimer  comme  élément  de  trouble. 

Avant  tout  c'est  la  question  légale  qu'il 
faut  poser.  Utile  ou  nuisible ,  dès  qu'elle 
s'est  introduite  furtivement  en  opposition  à 
la  loi  ,  c'est  encore  à  la  loi  à  la  repousser, 
sauf  au  gouvernement  à  la  présenter  ensuite 
aux  Chambres  pour  en  obtenir  l'admission. 

Qu'on   ne  cite   plus  à  ce  sujet,   soit  les 


(  <»7  ) 
Etats-Unis,  soit  la  Russie,  soit  Ja  Prusse , 
soit  même  l'empire  de  Napoléon.  Sous  l'em- 
pire où  un  homme  avait  tout  envahi ,  les 
dangers  d'un  nouvel  envahissement  étaient 
certainement  moins  graves.  On  avait ,  dans  le 
caractère  du  chef  d'alors,  des  garanties  beau- 
coup plus  que  suffisantes.  D^un  autre  côte', 
dans  des  Etats  schismatiques  ou  hérétiques, 
tels  que  sont  deux  grands  Etats  du  Nord,  la 
religion  dominante  dans  ces  Etats  offre  des 
garanties  convenables. 

J'en  dirai  autant  des  Etats-Unis.  Comme 
un  prince  est  plus  facile  à  circonvenir  qu'une 
république,  celle-ci  est  moins  susceptible 
aussi  des  attentats  personnels;  .sans  compter 
que,  dans  la  constitution  franchement  répu- 
blicaine, la  liberté  est  nécessairement  plus 
affermie,  surtout  contre  une  domination 
de  prêtres. 

D'après  ces  considérations,  la  dissolution 
de  tous  les  établissemens  de  jésuites  actuel- 
lement existans,  est  le  seul  parti  que  je  puisse 
proposer  à  Votre  Excellence.  Pour  cela  il 
faudra  sans  doute  auparavant  secouer  le 
joug  et  des  congrégations  et  au  parti  prê- 
tre ;    n'hésitez    pas.   Vous  pouvez    perdre 


(  «88  ) 
un  moment  le  ministère.  Si  vous  y  tenez, 
il  vous  reviendra  avec  l'appui  et  les  suffrages 
de  toute  la  France.  Dans  tous  les  cas  ,  le 
ministère  que  vous  garderez  encore  quelque 
temps,  ne  vaudrait  certainement  ni  votre 
gloire ,  ni  la  gloire  du  Roi ,  ni  le  salut  de  la 
France;  il  pourrait,  comme  je  vous  l'ai  dit, 
vous  mener  vous-même  à  votre  perte. 

Si  ce  parti  ne  vous  convient  pas ,  et  si 
vous  persistez  à  demeurer  dans  la  position 
que  vous  avez  prise,  vous  n'avez  plus,  pour 
vous  comme  pour  tous  ,  qu'un  moyen  de 
salut.  Je  pense  toul-à-fait  alors  comme  on 
suppose  dans  le  public  que  pensent  en  secret 
M.  Dudon  ,  M.  de  Bonald,  M.  de  Vitrolle , 
c'est-à-dire  qu'il  faut  se  hâter  de  suppri- 
mer en  France  la  Charte  et  toute  espèce  de 
simulacre  de  constitution.  Mon  premier  mo- 
tif, c'est  que  ces  simulacres  étant  de  simples 
roseaux^  ils  sont  comme  un  piëge  pour  tous 
les  courages  et  toutes  les  générosités  qui 
cherchent  à  s'y  appuyer.  Dans  un  autre  cas, 
ils  peuvent  occasioner  la  perte  de  l'Etat  et 
de  la  monarchie;  car  en  s'y  attachant  pour 
faire  tomber  le  despotisme ,  on  peut  ébran- 
ler l'Etat  entier. 


(  >»<)) 

Je  demande  l'abandon  de  la  constitution 
et  de  la  Charte  par  un  autre  motif;  c'est  qu'a- 
vec une  apparence  de  liberté,  on  a  Pair  de 
recevoir  librement  et  volontairement  l'igno- 
minie. Sous  un  despotisme  franc,  l'ignominie 
est  imposée  :  elle  n'est  pas  acceptée. 

Lorsque  nos  soldats  français,  captifs  dans 
un  empire  du  Nord  ,  se  virent  obligés  de  re- 
cevoir de  leurs  maîtres  les  chàtimens  brutaux, 
usités  cbez  ces  peuples,  ils  ne  résistèrent  pas, 
ils  ne  murmurèrent  pas,  ils  se  mirent  tous 
ensemble  à  bêler.  Interrogés  sur  cette  singu- 
larité :  «  Vous  nous  traitez  comme  des  bètes  , 
dirent-ils,  nous  nous  plaignons  comme  elles.  » 
Je  dirai  de  même  au  gouvernement  d'au- 
jourd'hui :  Si  vous  voulez  absolument  nous 
faire  accepter  vos  jésuites,  vos  congréga- 
tions ,  vos  missionnaires ,  vous  pouvez  nous 
dispenser  de  vos  discours.  Ayez  seulement 
des  gendarmes ,  et  payez-les  bien.  La  tyran- 
nie contre  laquelle  il  y  a  possibilité  de  résis- 
tance doit  être  repoussée.  Celle  contre  la- 
quelle il  y  a  impossibilité  doit  être  supportée. 
Dans  le  premier  cas,  vous  pourrez  voir  la 
France  se  soulever,  rugissant  de  colère  et  de 
fureur;  dans   le  second  cas,  elle  pourra, 


(  *9°  ) 
avilie  et   abrutie ,  se  contenter  de  bêler,  et 
vous  aurez  au  moins  par-là  une  apparence 
de  paix. 

Je  conviens  que  ce  parti  peut  avoir  de 
grandes  difficultés  ;  et  alors  je  pourrais  vous 
proposer  un  moyen  que  j'ai  proposé  il  y  a 
quelques  années  à  un  homme  d'Etat ,  pour 
l'Espagne. 

Une  multitude  de  grands  et  de  doctes  per- 
sonnages, secondés  d'une  multitude  de  men- 
dians,  de  moines  et  d^estafîers,  sont  sans 
cesse  à  prôner  en  Espagne  le  gouverne- 
ment absolu  :  El  Rey  netto.  De  cette  doc- 
trine révoltante  partout ,  révoltante  encore 
plus  dans  la  position  de  l'Espagne,  il  résulte 
pour  ce  pays  un  état  dévorant  de  dissension 
et  d'anarchie.  Si  on  me  voulait  faire,  dans  ce 
pays,  le  premier  ministre  avec  la  confiance 
entière  du  monarque,  il  me  semble  que  je 
pourrais  mettre  une  fin  à  ce  fléau.  Aussitôt 
installé,  je  commencerais  à  faire  rassembler 
auprès  de  moi  les  chefs  les  plus  ardens  de  ce 
parti.  Je  leur  dirais  avec  toute  la  douceur  pos- 
sible :  «  Messieurs,  vous  ne  pouvez  disconve- 
nir qu'un  roi  dans  sa  position  a  toujours  besoin 
d'un  conseil.  Que  ce  conseil  se  compose  de 


(   i».i  ) 
telle  ou  de  telle  manière,  cesl  à  faire  selon 
les  temps.  Dans  les  temps  féodaux,  il  suffira 
de  quelques  barons  et  de  quelques  féaux; 
dans  un  temps  plus  avancé  en  civilisation  , 
où  le  mouvement  des  affaires  agitera  toute 
une  nation,  et  où  l'esprit  d'affaire  sera  entré 
dans  toutes  les  classes,  vous  sentez  par  beau- 
coup de  raisons  qu'il  faudra  composer  ce 
conseil,  dans  toutes  les  parties  de  l'Etat  et 
dans  toutes  les  classes.  »  Non-seulement  je 
pérorerais  sur  ce  texte  avec  tous  mes  pouvoirs 
et  tous  mes  amis  ;  je  prierais  encore  long- 
temps et  je  supplierais.  A  la  fin,  ne  pouvant 
fléchir  aucun  de  ces  grands  personnages,  je 
me  mettrais,  en  vertu  du  pouvoir  absolu,  à  en 
faire  suspendre  une  vingtaine  à   des  poten- 
ces de  cinquante  pieds  de  haut,  à  commen- 
cer par  M.  de  Calomarde,  et  à  finir  par  le 
très-révérend  père  Cyrille.  Cela  fait,  je  trai- 
terais ensuite  de  nouveau  avec  les  autres. 

Monseigneur,  si  vous  voulez  établir  en 
France  le  pouvoir  absolu  ,  Votre  Excellence 
peut  avoir  recours  au  même  moyen.  Cepen- 
dant, je  la  prie  de  faire  attention  à  quelque 
différence. 

Lorsqu'on  se  jette  dans  la  voie  des  coups 


(  t9*  ; 

d'Etat ,  et  qu'on  a  franchement  en  but  un 
résultat  de  droit  et  de  justice,  on  peut  es- 
sayer de  vaincre  ainsi  une  résistance  qui  sera 
momentanée.  On  aura  commis  une  violence; 
mais  la  violence  passera  :  le  résultat  demeu- 
rera. Telle  serait  l'implantation  d'un  système 
de  charte  et  de  liberté  en  Espagne,  formé 
dans  l'esprit  de  ses  anciennes  mœurs  et  de 
ses  anciennes  lois.  Mais  en  France  ,  lorsque, 
pour  renverser  la  Charte  et  nos  libertés,  on 
aura  fait  subir  à  un  grand  nombre  de  récal- 
citrans  (parmi  lesquels  on  voudra  peut-être 
bien  me  compter)  des  violences  et  des  sup- 
plices, s'il  se  trouve  en  résultat,  que  ce  n'est 
que  pour  établir  des  jésuites,  des  congréga- 
nistes,  des  missionnaires  et  tous  les  janissaires 
du  parti  prêtre ,  on  verra  ce  que  cela  duera. 
Monseigneur,  en  y  réfléchissant,  je  ne 
vous  conseille  pas  du  tout  ce  parti.  Vous  êtes 
très-fort  ;  mais  le  temps  est  plus  fort  que  vous. 
Vous  êtes  très-fort  ;  mais  Samson  et  Milon  de 
Crotone  dans  Tordre  physique,  Bonaparte 
dans  Tordre  politique ,  nous  montrent  qu'on 
peut  périr  par  l'abus  de  ses  forces. 

FIN. 


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