PROFESSORJ.S.WILL
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University of Toronto
http://www.archive.org/details/lesjustification02guyo
JUSTIFICATIONS
DE M A DA M E J. M. B. DE LA
MOTHE-GUION,
ÉCRITES PAR ELLE-MÊME,
Et envoyées à M. les Evêques fcs exami-
nateurs ,
Ok font cdalrcics toutes les difficuUcs qui regardent
LA VIE INTÉRIEURE.
NOUVELLE ÉDITION,
EXACTEMENT CORRIGÉE.
T O M H II.
A PARIS,
Ciiez les LIBRAIRES ASSOCIÉS.
M. Dec. XC.
TABLE
DES ARTICLES
Du Tome II.
XXXVllI. Mortijication. Pénitence exté--
rieure. Pag. i
XXXIX. Motion divine. i8
XL. Nudité. Foi ohfcure. ^^
XLI. Oijiveté. Cette Oraifonnejl pas
oijive. 3 8
XLII. Opérations. Les opérations de
Dieu Je font dans Famé d^une
manière inconnue. 44
XLIII. Opérations propres. 53
XLIV. Oraifon.
$• I. Que tous peuvent faire
Oraifon. 81
§. IL Oraifon & Méditation
98
^.111. Contemplation. 119
XLV. Perte. Ahforhement. 130
XLVL Préfencç de Dieu. i < z
TABLE DES ARTICLES.
XLVIL Prière vocale. Manière de dire les
prières vocales. 174
XLVIII- Propriété. 189
XLIX. Pur Amour. 234
L.. Purifications, Epreuves. 259
JUSTIFICATION
DU MOYEN COURT,
ET DE l' EXPLICATION SUR LE
C A N T I a U E.
SECONDE PARTIE.
XXXVIII. Mortification. Pénitence
extérieure.
MOYEN COURT.
A^iEu à qui ces âmes fe tiennent unies ,
leur fait pratiquer de toutes fortes de ver-
tus : {a) il ne leur fouffre rien , il ne leur
permet pas un petit plailir.
Quelle faim ces âmes amoureufes n'ont-
elles pas de la fouîFrance ? A combien d'auf-
(j) Y a-t-il rien de plus fort qu'une mortification
toujours égale, qui exclue les fatisfaclions les plus in-
nocentes , jointe avec les auitérités qui ne font pas
épargnées ? Ainfi il eft aifé de voir que cette oraifon
n'elt pas contraire à la pénitence ; puifque cet état
exige non feulement la mortification , mais la mort à
toutes chofes , qui eit la confommation de la mortifica-
tion. Il eft vrai qu'on ne fait pas le capital de la mor.
tification , mais on ne l'abandonne pas pour cela ,
quoiqu'on en perde la pratique à caufe de l'habitude
contraclée, & delà mort, qui ne laiiTe rien à mortifier,
Tom. IL Jujl. A
a Justification.
térités fe livreroient-elles , fi on les laiffoit
agir félon leurs défirs ?
Elles ne penfent qu'à ce qui peut plaire à
leur Bien-aimé. Et elles commencent à fe
négliger elles-mêmes & à fe moins aimer.
Plus elles aiment leur Dieu , plus elles fe
haïflent , & plus elles ont de dégoût des
créatures. Chap. g. n. i ^ %.
Je dis de plus , qu'il eft comme impoflî-
ble d'arriver jamais à la parfaite mortifi-
cation des fens & des paffions par une autre
voie.
La raifon toute naturelle eft , que c'eft
l'âme qui donne la force & la vigueur aux
fens : comme ce font les fens qui irritent &
Il eft aifé de comprendre que la vraie mort , c'eft lâ
confommation de toute mortification : ainfi la mort à
foi-même eft la plus parfaite mortification ; parce qu'elle
s'étend par -tout, & n'excepte rien, foît intérieure-
ment , foit extérieurement ; au lieu que la mortifica-
tion ne s'attachant qu'à certaines chofes particulières,
en laifle bien d'autres immortifiées. La mortification
ou la mort fuit l'état de l'anie. Une perfonne qui n'a
que la Méditation difcurfive & en détail, n'a qu'une cer.
laine mortification objedive de chofes particulières :
au lieu qu'une ame conduite par la foi nue a une
connoifTance confufe & générale , qui les comprend
toutes fans rien détailler; auffi fa mortification , qui
eft une* vraie mort , renferme toute mortification poC
fible , fans en envifager aucune objedivement. C'eft
comme des arbres qu'on rencontre en fon chemin , qui
fervent de rafraichiflement au voyageur , mais fous lef*
quels il ne s'arrête point , avançant toujours vers fa
fin , qui eft Dieu ; au lieu que les autres âmes , quoi-
que bien moins aufteres , en font leur capital , s'y
arrêtent , & ne palTent point outre.
XXXVIII. Mortification. 3
émeuvent les paf Fions. Un mort n'a plus ni
Tcntiment ni palfion , à caufc de la lépara-
tion qui s'cft faite de Tame & des fens.
Tout le travail qui fe tait par le dehors por-
te toujours Tame plus au-déhors , dans les
chofes où elle s'applique plus fortement,
C'ed dans celles-là qu'elle fe répand da-
vantage : étant appliquée direélement à
rauilérité & au-déhors , elle ell toute tour-
née de ce côté-là , de forte qu'elle met les
iens en vigueur , loin de les amortir.
Car les fens ne peuvent tirer de vigueur
que de l'application de l'ame , qui leur com-
munique d'autant plus de vie , qu'elle eft
plus en eux. Cette vie des fens émeut &
irrite la paflîon , loin de l'éteindre : les
auftérités peuvent bien affoiblir le corps ,
mais jamais émoulTer entièrement la pointe
des fens , ni leur vigueur , par la raifon que
je viens de dire.
Une feule chofe le peut faire ; qui eft ,
que l'ame par le moyen du recueillement fe
tourne {a) toute au-dedans d'elle pour s'oc-
cuper de Dieu qui y eft préfent.
Si elle tourne toute fa vigueur & fa force
au-dedans d'elle , elle fe fépare des fens par
cette feule aftion ; & employant toute fa
force & fa vigueur au-dedans , elle laiiTe les
fens fans vigueur ; & plus elle s'avance &
(a^ C'eft ce que dit David : [PC 58. f, 10. j J'cm^
-ploycrai toute ma force pour vous*
A ^
4 Justification.
s'approche de Dieu , plus elle fe fépare
d'elle-même. C'eft ce qui fait que les per-
formes en qui Tattrait de la grâce eft fort ,
fe trouvent toutes foibles au-déhors , &
tombent fouvent dans la défaillance.
Je n'entends pas par-là qu'il ne faille pas
fe mortifier. La mortification doit toujours
accompagner l'oralfon, félon les forces,î'état
d'un chacun , & robéiffance.
Mais je dis cj,u'on ne doit pas faire fon
exercice principal de la mortification , ni
fe fixer à telles & telles auftérités ; mais fui-
vant feulemxnt l'attrait intérieur , & s'oc-
cupant de la préfence*deDieu , fans penfer
en particulier à la mortification , Dieu en
fait faire de toutes fortes; & il ne donne
point de relâche aux âmes qui font fidelles
à s'abandonner à lui , qu'il n'ait mortifié en
elles tout ce qu'il y a à mortifier.
Il faut (^a) donc feulement fe tenir atten-
tif à Dieu , & tout fe fait avec beaucoup
de perfection. Tous {h) ne font pas capa-
bles des auftérités extérieures , mais tous
font capables de ceci.
Il y a deux fens qu'on ne peut excéder à
mortifier 5 la vue & l'ouïe ; parce que ce
font ceux-là qui forment toutes les efpeces :
{d) Parce que Tame attentive à Dieu eft inftruite de
lui à chaque moment , de tout ce qu'eile doit faire ,
d'une manière admirable & fnns relâche.
(ZO II faut prendre garde que les perfonnes en qui
Fattrait eft fort , doivent plutôt être arrêtées que pQu£«
XX XVI II. Mortification. 5
T)icu le fait fliirc , il n'y a qu'à fuivrc fcm
clprir.
Par cette conduite Tamc a un double
avantage , qui e(l: , qu'à mefure qu'elle fc
tire du dehors , elle s'approche toujours plus
de Dieu ; & en s'approchant de Dieu , outre
qu'il lui ell communiqué une force & vertu
fecrette qui la foutient & la préferve , c'eft
qu'elle s'éloigne d'autant plus du péché ,
qu'elle s'approche plus près de Dieu ; & elle
ell alors dans une converfion habituelle.
Chap. 10.
fées aux auftérités , fans quoi elles détruifent abfolu-
ment leur tempérament, d*autant qu'elles ne peuvent
qu'avec grande peine manger , ce qui eft néceffaire
pour foutenir leur vie.
A3
Ç Justification.
CANTIQUE.
l_jORSQ»uE TEpoufe , ou plutôt TAmantc ,
car elle n'eft pas encore Epoufe , a trouvé
rEpoux , elle eft fi tranfportée de joie ,
qu'elle voudroit d'abord s'unir à lui. Mais
l'union de jouifiTance continuelle n'eft pas
encore arrivée. Il eji a moi , dit-elle , je ne
puis douter qu'il ne fe donne à moi dans ce
moment ; puifque je le fens : mais il eft à
moi comme un bouquet de myrrhe. 11 ne Teft
pas encore comme un Epoux , que je doive
embraffer dans fon lit nuptial ; mais feule-
ment comme un bouquet de croix , de pei-
nes & de mortifications; comme (^) un
Epoux de Sang , & un Amant crucifié , qui
veut éprouver ma fidélité en me donnant
une bonne part à fes foufFrances : car c'eft
ce qu'il donne alors à cette ame-là.
Pour (6) marquer néanmoins Tavance-
ment de cette ame , déjà héroïque , elle ne
dit pas , mon Bien-aimé me donnera le
bouquet de la Croix ; mais il fera lui-même
ce bouquet; car toutes mes croix feront celles
{d) Exod. ^, f. 2'^, (&) J'ai déjà dit que la
vraie mortification de cet état confifte en une mort
entière. Celui qui eft mort , eft bien plus que morti-
fié ; ainfi qu'on Ta vu dans l'article précédent. La
mortification eft pour la voie acftive , & la mort pour
la paffive.
XXX vin. Mortiflccition. t. ^
de mon Bicn-aimé. Le bouquet fera entre
rufs mamelles ; pour marque qu'il me doit
être un Kpoux d'amertumes , aufTi bien
pour le dehors que pour le dedans. Les
croix extérieures font peu de chofe, quand
elles ne font pas accompagnées des intérieu-
res : & les intérieures font rendues beau-
coup plus douloureufes par l'union des ex-
térieures. Mais quoique Vame n'apperçoive
que la croix de toutes parts , c'efl pourtant
fon Bien-aiméqui ed lui-même cette croix;
& il ne lui fut jamais plus préfent que dans
ces amertumes , pendant lefquelles il de-
meure au milieu de fon cœur. Ch. i. v. 12.
A U T O Pv I T É S.
Ste. Catherine de Gènes.
I. Lj'anéantissExMENT étant fait, la vigueur
& roperation des fcntimens corporels fe perd
en cette forte. Premièrement, elle ne peut plus
rien voir en terre qui lui donne du plaifir ou
de la peine : car fi elle voit quelque chofe qui
de fa nature donne du plaifir ou de la peine, elle
ne s'en réjouit & ne s'en attrifle point : parce que
l'ame étant transformée en Dieu , il ne la laifTe
pas correfpondre aux fentimens corporels : mais
peu-à-peu il les laiflTc tous mourir fans en avoir
aucune compaflion : de forte que bien qu'elle re-
garde quelque chofe, elle ne la peut plus com-
prendre par le goût corporel , & ne peut rendre
raifon comment les chofes plaifent aux hommes.
Et quand elle entend dire : cela eft beau ou bon,
A4
^ Justification.
e]le ne comprend plus ce que c'eft que bonté
ou beauté.
(*) 11 en eft de même de tous les autres fenti-
mens : & ainfi (a) tous leurs goûts font fans
faveur , & tous leurs déHrs étant mortifiés &
éteints, elle fent une auffi grande paix qu'elle
la peut comprendre : & parce que Tame & le
corps font aliénés de leurs opérations naturelles ,
ils vivent comme par force ; il leur femble (b)
qu'ils font en Enfer , parce qu'ils n'efpérent plus
fortir de cette occupation qui les détruit, ni vi-
vre félon leur nature , & s'ils pouvoient parler,
ils diroient à Dieu : combien feroit-il meilleur
pour nous de mourir que de vivre dans cet anéan-
ti(rement?]\Tais l'état furnaturel dans lequel Dieu
met cette créature , eft de fi grande force qu'elle
ne peut plus faire état ni de la vie de l'ame , ni
de la mort du corps , non plus que fi elle n'avoit
ni ame ni corps. Vie Chap, 31.
'Z. Voyez Ancantlffement. n. 15. ^
g. Dieu donc tient l'ame fi recueillie en elle-
même , que le corps demeure abandonné fans
aucune déleclation ; & l'ame demeure arrêtée dans
fon recueillement & dans la paix, & ne fe foucie
point de fon corps , fmon à l'extrême néccffité.
Dieu tenant ainfi cette créature , confume
tous fes m.échans inftinfcs , & enfin l'ame tire le
corps à fa fujétion, fans qu'il lui foit plus re-
belle. Alors ils font la paix enfemble & font con-
tens l'un de l'autre ; le corps par correfpondance
avec l'ame jouit de quelque chofe de la dou-
O Non-df/ir, n. 7.
( a ) Cette opération eft très - douloureufe aHez
longtems ; puis tout devient facile & comme natu-
tel.
Ce) Elle parle toujours des ientimens.
XXXVTII. Mortification r-?. p
cciir de f:i paix [)ar partie i[)c!fion , (iiK)i(|n'iI foil
rcdiiit à cctcc ncccilitc.
Car tout (le lucinc c]uc lame étant fc[)arcç du
corps , le corps meurt; aulli (a) rctiriuit les opé-
rations de Tanie des chofes de hi terre & (U^
corps, le corps demeure comme un oileau fan^r
plumes (jui veut voler , (S: encore moins : car il
demeure comme fans fentiment, & il ell réduit
dans une (i grande mortilu ation , cju'd ne fait s'il
eft vif ou mort. L'ame étant alors comme fans
corps , parce qu'elle attire à foi tous les fentimens
corporels , elle s'étonne comme il fe peut trou-
ver des créatures qui fe puilTent jamais délec-
ter en autre chofc qu'en Dieu, l'allé a en hor-
reur toutes fortes de péchés en général; parce
que le feu d'amour a confumé [b) toutes les
humeurs des mauvaifcs habitudes ; (*) ik même
le (c) corps vient à tel point d'anéantiflement de
(a) Cet état devient comme habituel : c'eft ce que
j'ai écrit, ou quelque chofe d'approchant, dans le Fenta-
teuque [^txod, 14.. x^. 21, 22. Chap. iç. %r. 22, 2^.
Lcvit, 26. y, 25. &c. ] de la divifion des deux parties
& de leur reunion.
(b) Dieu confume lui-même no<; méchantes înclî-
nations , & nous donne une véricable haine du pé-
ché.
(*) Jînéanvjjcnunt, n, 16.
(c) Converjion parfaite , eu habitude de conve?Jîon.
Le corps s'afTujettic à reforit à mefure que notre efprit
s'alfujettit à Dieu. Comme la dérobeiffance d'Adam ,
cil faifant fortir fon ame de la fidelie dépendance de
fon Créateur, reniait fon corps rebelle à l'efpiic; auiTi
ce qui peut véritablement affujettir le corps à Tefprit,
c'eft cette foumiluon fjns bornes , cette dépendance
de Dieu , cette mort de notre volonté : car elle réta-
blit î'honinie dans Tordre de 1^: création en quelque
lo Justification.
fou être naturel , habitué au mal, qu'encore que
Tame le lailTât faire à fa mode, il ne peut plus
néanmoins faire autre chofe , que ce qu'elle veut ;
& ainii il demeure hors de fon être malin , con-
fentant en tout fans aucune rébellion à l'ame ,
laquclh étant attentive (a) à Dieu, & n'obéif-
fant plus au corps ni par amour ni par délecta-
tion , il faut nécelTairement que le corps perde
fa vigueur. Là-même. Chap, 32.
4. Premièrement à l'égard de Tame , dit No-
tre Seigneur , mon amour a pour elle de fi
grandes délices , qu'il confum.e tout autre plaifir
& toute autre joie que l'homme puiffe avoir en
manière. Mais comme Adam même n'étoît poînt im-
peccable dans le Paradis terreftre , quoiqu^il lui fut
très-facile de ne pécher point. , parce que fes fens
ctoient fournis à la raifon , & la raifon à Dieu : aufll
rhoaime arrivé ici n'eft point impeccable , quoiqu'il lui
foie très-facile de ne pécher point , à caufe de l'habi-
tude d.ins \t bien. Et comme Ton voit une perfonne
habituée au mal , dire , qu'elle ne peut plus s'empê-
cher de le commettre , & de conferver même le défir
du crime, lorfque l'âge ôte la facilité dépêcher ; aufli
une ame habituée dans le bien trouve que le mal lui
eft devenu fi fore étranger, qu'elle ne trouve plus en
elle de correfpondance ni de facilité pour les plaifirs
dont les fentimens font mortifiés ou morts. De plus ,
l'amour de Dieu , par un fentiment ineffable , confu-
me en foi ces fentimens grolllérs , comme un grand
feu confume un petit feu , & une grande lumière ab-
forbe unp petite lueur. Si je dis mal , je foamets en-
core ceci.
{a) L'ame attentive à Dieu ne correfpond point aux
fentimens naturels : au contraire elle rend fon corps
participant de fa pureté. Tout ceci foutient ce qui eit
dit au Moyen court Uiap. 10. fur la Mortification.
XXXVIII. Mortification, i-r- 1 1
et monde; mon goût éteint tout autre gouti
ma lumière a\'eugle tous ceux qui la voyent :
tous les fentimens de Tame font tellement faills
& lies en cet amour, qu'ils ne favent où ils font ;
ni ce qu'ils font ,* ils ne connoiffcnt ni ce qu'ils
ont fait, ni ce qu'ils doivent faire: & Tame eft
comme hors d'elle-même, fans raifon , fans mé-
moire & fans volonté. Dialogue Livr, 3. Lli. 7.
Le B. Jean de la Croix.
La première chofe que le R. Jean de la Croix nous
Ijrcpoje , eji une efpece cC énigme , ou il y a trois /'en-
tiers , l'un qui eJi au milieu , ejlfort au-dejjus des autres^
quil appelle tetat parfait. Cette énigme ejl comme tar-
gument de tout fon Livre. Il met à main droite le che-
min de /'efprit imparfait, qui n'arrive jamais au haut
de la montagne \ & à main gauche le chemin de /'efprit
égaré, roici ce quil y die de C efprit imparfait.
5, L'ame qui tient la main droite revêtue d'un
habit (a) de pénitence , quia la face & les mains
tournées vers la montagne, repréfente celle qui
en eiïet , ou du moins d'affection & de volonté ,
quitte les biens delà terre, s'occupant feulement
en ceux du ciel , que Dieu lui communique abon-
damment. Quelquefois Sa Majefté lui donne
des lumières pour connoître quelque vérité ;
d'autres fois il l'attire par des confolations ; d'au-
tres fois il la comble de joie , & fouvent il lui don-
ne une tranquillité de confcience qui femble la
piettre en fureté, Ik avec cela l'ame penfe déjà
jouir de la gloire par anticipation. Mais elle fe
trouve bien éloignée de fon compte , en ce qu'é-
(û) Puifque cette ame eft dans un état imparfait , îa
mortification n'eft donc pas un état parrait.
12 Justification.^
tant liée de plufieurs petits filets , qui (a) l'atta-
chent à ces biens fpirituels, elle demeure tou-
jours en un même état, & dans le chemin d'un
efprit Imparfait ^ (î bien qu'elle ne peut arriver à
cette union divine : & ainfi elle expérimente le
rnême empêchement que la remore , poifTon
très-petit , caufe à un grand navire, l'arrêtant tout
courts parce que cette affection déréglée empê-
che cette ame d'arriver au haut de la montagne,
comme elle le confefTe : Plus je tarde ^ moins je
monte ^ pour n^ avoir pas pris le f entier. De plus,
pour punition de l'infidélité que Famé fpirituelle
commet, s'attachant {a) à ces biens furnaturels ,
Dieu l'en prive du tout , comme elle confefTe
par ces paroles: Pour les avoir procurés ^ j'ai moins
eu que Jî jeujje monté par le Jentier, Explication de
ténigme.
6. Il y a beaucoup à dire touchant la glouton-
nie fpirituelle: parce qu'à peiney a-t-il un com-
mençant, quelque vertueux qu'il foit, qui ne tom-
be en quelqu'une des imperfections , lefquelles
font en grand nombre , — d autant que plufieurs
de ces perfonnes affriandées du goût & de la fa-
veur qu'elles trouvent en ces exercices, procu-
rent plutôt la faveur de l'efprit, que la pureté &
la véritable dévotion , qui eft ce que Dieu re-
garde & accepte en toute la voie fpirituelle. C'eft
pourquoi , outre l'imperfection que ces com-
menqans ont en prétendant ces faveurs , lagour-
inandifejes fait fortir du pied à la main, c'eft-à-
dire , aller d'une extrémité à l'autre , paffant \ts
limites du milieu , où confiftent & où s'acquiè-
rent les vertus. Car quelques-uns attirés & alé-
chés du goût qu'ils trouvent là, fe tuent de péni-
ia) Il faut être purifié de rattachement au bien fur-
naturel.
XXXVIII. mortification, f-5. i;
tcnccs, & (Taiitics fc dcbilitciu [):ir des jeûnes ,
failant plus (|ik' leur force ne f)ermet, lans or-
dre ni (onlVil (l'.uitiui : au contraire ils fe ca-
chent de celui à (|ui ils doivent obcjj en tel ca^i
& il y en a encore , qui font fi hardjs cjue de le
faire, (juoitju'on leur ait commande le contrai-
re. Ces perfonncs font très imj)arfaites & des
gens fans raifon , qui laillent en arrière la fujet-
tion & robcifï'ancc , ciui ell la ])cnitence de la
raifon & de la difcrétion. C'eft pourquoi ce fa.-
criHce eft plus agréable à Dieu que tous Jes au-
tres de la pénitence corporelle , laquelle, fans
l'autre, eft très-imparfaite , n'étant pouffes a cela
que du goût ^ appétit qu'ils y trouvent. En quoi ,
d'autant que toutes extrémités font vicieufes, &
qu'en cette faqon de procéder, tous font leur vo-
lonté , ils croiffent plutôt en vices qu'en vertus.
Car pour le moins en cette façon ils acquièrent
la gloutonnie fpirituelle &lafuperbe, puifqu'ils
ne marchent pas en robéifïiince ; & le Diable ea
trompe tellement plufieurs , provoquant cette
gloutonnie par des goûts & des appétits qu'il leur
augmente, que ne pouvant faire davantage , ou
ils changent, ou ajoutent, ou varient ce qu'on
leur commande j parce que toute obéiiTance leur
eft dure & trop étroite. En quoi quelques-uns
arrivent à un tel mal , qu'à caufe que ces exerci-
ces fe font par obéiffance, ils perdent l'envie &
la dévotion de les faire, n'ayant autre volonté,
finon de faire les chofes auxquelles ils font mus
& pouffes par le goût , bien que peut-être il vau-
droit mieux ne rien faire du tout.
Vous en verrez plufieurs de ceux-ci fort opi-
niâtres avec leurs Maîtres fpirituels , afin qu'ils
leur accordent ce qu'ils veulent, & ils Tobtien-
nent moitié par force 5 autrement ils s'attriftent
14 Justification.
comine des enfans , & marchent à regret , & il
leur femble qu'ils ne fervent point Dieu , quand
ils ne leur permettent de faire ce qu'ils défirent.
Car comme ils s'appuyent au goût & à la propre
volonté , auflitôt qu'on leur ôte ces chofes &
qu'on les veut mettre dans la volonté de Dieu ,
ils s'attriftent , fe relâchent & défaillent. Ceux-là
penfent , que d'avoir des goûts & être contens,
ce foit fervirDieu& lui plaire. Obfcure Nuit. Livi\
I. Cliap. 6. ^
Le P. Jaclues de Jésus.
7. Il ne faut pas conclure d'ici, comme queU
ques-uns infèrent mal , que cette fcience [a) con-
damne la voie — d'acquérir la mortification &
les vertus dans leurs commencemens , par des
moyens qui touchent & dépendent du fenlîble &
raifonnable , & de ce qui en l'ordre furnaturel
peut être dit acquis, à caufe qu'il y intervient
"beaucoup de notre difcours, travail & diligence,
quoiqu'elle foit aidée & furnaturalifée de Dieu.
Cela fe prouve par ce que dit le B. Jean de la
Croix, qu'il faut fuivre ce chemin, jufqu'à-ce qu'il
y ait des fignes , que Notre Seigneur veuille faire
paflfer l'ame à une plus fimple &furnaturelle vue
ou contemplation , defquels fignes il parle digne-
ment (^Au Chap. 13. êff 14. (^^ 2. Livr, de la Mon-
tée du Mont CarmeL ) Secondement, parce que
fi l'état parfait 5 dont il entreprend de traiter ,
eft fupérieur & exclufif de ce chemin-là , comme
ce qui eft le plus accompli de ce quil'eft moins ,
il eft tout évident que quiconque traite de cet
état parfait, ne doit point approuver pour lui cet
autre chemin : & lorfqu'on Timprouve pour
ceux qui font déjà fort avancés, & près de la
(û) On imputoit au B. Jean de la Croix de déuuire
la mortification.
X X X V 1 1 1. Mortifient ion. 6-9. 1 5
vie unitivc, ou qui y font déjà parvenus , te
Il cft pas l'iniprou\cr abfoluincnt ; de incme cjne
celui qui dit, cju'ou donne du pain avec de la
croûte à reniant (]ui a des dents, & (juon le
fèvrc , n'ote pas pour cela la inainellc à l'enfant
qui vient de naître; comparaifon dont [o] S. Paul
fe fer t. 'Notes ëf^ remarques J'ur J. de la C/olx. Dans
ilntroduâlon.
Le Fr. Jean de S. S a m s o n.
8. Tout ce que j'ai dit, fait alfez voir com-
bien CCS hommes font rares, peu connus, goû-
tes & fuivis , même de tous ceux qui femblent
être grandement excellens & relevées en fainteté
aux yeux des hommes. Car la plupart de ceux-
ci ne connoifTent que leurs corps, & rauftérité ;
& même les autres qui font beaucoup meilleurs
en efprit , à caufe des attouchemens qu'ils ont
reçus de Dieu , prennent l'apparent pour le vrai ,
& l'ombre pour la vérité. Ainfi les vrais amis de
Dieu ne font connus que de leurs femblables ; &
leur propre effc d'être cachés autant qu'il leur eft
polïible, félon que l'exige la vraie vie renoncée.
Qui pourra comprendre ceci , le comprendra ;
fmon il le laiffera être ce qu'il eft , comme tous
mes écrits. Efprit du CarmeL Chap. 11.
9. Que fi l'homme n'eft courageux en ce tems
de défolation , pour croire ce qu'on lui dit , & aufïï
pour fupporter tout ce mortel état par une forte
& confiante fouffrance , il décherra de l'excellen-
ce de fon état , retournant [b] peu-à-peu eu foi-
{d) Hebr. 5. f, 12, ij , 14.
{b) 11 parle de Tétat d'épreuve : il ne veut pas que
Famé retourne alors à fes pénitences , parce qu'elle
fe fouftrairoit par là à la Juftice de Dieu , qui eft infi-
niment plus rigoureufe que toutes bs auftérités. Ceci
i6 Justification.
même , & reprenant fes exercices extérieurs pour
affliger fon corps , qui lui femble caufer cette
guerre & cette révolte : en quoi il fe trompera
extrêmement; & au lieu d'y trouver fa force &
fon repos 5 il fe fentira violenté de plus grands
eflorts que jamais. Là-même, Chap, 13.
10. Vous ne devez pas faire grand état de vos
exercices , s'ils ne furpalfent ce que la nature fait
facilement dans les hommes du commun, qui
font d'un naturel difpofé feulement à certaines
chofes conformes à leur appétit de propre excel-
lence : par exemple ; à jeûner, prier vocalement,
& même mentalement , vifiter \ts Eglifes , don-
ner Taumône aux pauvres , prendre même ladif-
cipline , fe mortifier à leur fantaifie, veiller lon-
guement , & toutes autres chofes femblables ,
auxquelles la nature prend fon plaifir , à caufe
du bien qui lui en doit réfulter. On reconnoit
ceux qui font de cette trempe , en ce qu'ils ne fa-
vent & ne veulent favoir que cela , fans jamais paf-
fer au-delà de ces pratiques ; étant ignorans & to-
talement aveugles en la connoiffance & aux œu-
vres des fujets furnaturels, qui font uniquement
repofer famé en Dieu , & qui la portent toujours
eft d'une extrême conféquence. J*ai connu une per-
fonne qui , non par infidélité , mais comme par excès
(de tourmens , s'empliflbit d'orties, fe jettoit du plomb
fondu afin de faire divetfion ,. mais Dieu ne permit
pas que le plomb fondu, qui la devoit perdre, lui fit
aucun mai. (Voyez la Vie de F Auteur P. i. Ch. 17.
§. ^ Ch. 19. §. I. Cb. 21. n. 7.) Ce n'efl pas non
plus un remède contre les tentations de ce degré ,
que de faire des auftérités ; cela les irrite : il faut fe
fupporter jufqu'à ce qu'il plaife à Dieu de délivrer ,
ce qu'il fait par fa bonté , lorfqu'il voit qu'on n'attend
^u fecours que de lui feul.
à
XXXVIII. Mortification, o^'^i: 17
i épurer, (Iciiiicr & perfectionner fouvcraincment
Ion anionr. Ces j^cns-là ne connoiU'ent que les
Tens (ScJ animalité, Ik tout au plus , ce qui eft pis,
cjue la fenfualité de leur efprit , de leur aine &
(le toutes leurs puifTances, dans les goûts, lu-
mières , attraits & autres dons fenlibles de Dieu >
defcjuels ayant un long tcms abufc, ils s'y atta-
chent avec une avidité foit grolïiere,foitfubtile,
pareille à celle que les bètes ont pour leur pâture ,
où leur appétit les emporte par nécellîté. Cela ne
fe peut alFez déplorer dans une ame choifie entre
mille pour de grandes chofes , je veux dire , pour
jouir fouvcramcment de Dieu en cette vie en
ïuprème liberté. Efpr, du CarmcL C/iap, 18. § i J.
1 1. Il n'eft rien tel que la continuelle perte de
foi-même, accompagnée de bon ordre & de dif*
crétion favoureufe , avec une application conti-
nuelle d'entendement & de volonté à cela: ea
telle forte pourtant, qu'on agilTe plutôt du fond
de Tefprit , par une douce activité , que par un
bandement & eflbrt de tète & des fens. C'êft pour-
quoi il eft même néceffaire , de régler fes aufté-
rités & afflictions du corps , afin qu'on foit plus
propre pour le dedans , & que i'ame ne foit pas
toute convertie , réfléchie ^ !<i attentive aux tour*
mens de fon corps. Vous pouvez néanmoins en
uferj mais avec tel ordre & difcrétion , qu'elles
ne vous caufent aucun empêchement pourl'inté-
rieur. Car la libre introverlion -à fon fond , parfai-
temeîit acquife & expérimentée, eft la voie royale
pour parvenir a Dieu , & le plus excellent bien ,
Il el^e eft (a) fans propriété , qui fe puilTe penfer.
La vie parfaitement abftraite n'eft connue & pra-
tiquée que de peu de perfonnes, & Ton trouve
la'] Notez fans propriété.
Tom. IL Jujlif. B
18 J U s T I F î C A T I 0 n7
de grands hommes , qui par défaut de s'y bîcri
exercer, font très-multipliés & occupés au-de-
hors , pleins de formalités & attachés à chaque
petit Icui. Lettre 50.
-''^'\ XXXIX. Motion divine,
MO YEN COURT.
(SI,
.uÉLQUEs perfonnes entendant parler
de rOraifon de filence , fe font faufTement
perfuadées , que Famé y demeure ftupide ,
jnorîe & fans action.
. Mais il eft certain qu'elle y agit plus no-
blement 5 & avec plus d'étendue qu'elle ne
fit jamais jufques à ce degré ; puifqu'elle eft
mue de Dieu même , & qu'elle agit par
foa Efprit, S. Paul veut que nous nous laif-
iions {a) mouvoir par Vhfprit de Dieu.
On ne jdit pas qu'il ne faut point agir ^
mais qu'il faut agir par dépendance du mou-
vement de la grâce. Ceci eft admirable-
ment figuré en EzechieL Ce Prophète
voyoit , dit-il ^ {h) des roues qui avoient
Vefpnt de vie , & elles alloient où cet efprit
les conduifoit. Elles sUlevoient Ù s^ahaif-
foient félon qu'elle s étoient mues ; car V efprit
de vie étoit en elles : mais elles ne reculoient
(a) Rom. 8- f- 14.
(b) Ezech. i. y. 19, 30', ai.
X X X 1 X. Motion divine. 1 9
jnmals. L'anic doit ctrc de la forte ; clic
doit fe laiffer mouvoir & porter par Tef--
prit vivifiant qui cil en elle , fuivant le
mouvement de fon action , &c n'en fuivant
point d'autre. Or ce mouvement ne la por-
te jamais ;\ reculer, ceft-à-dire, à réflé-
chir fur la créature , ni à fe recourber
contr'clle-mème ; mais à aller toujours
devant elle , avançant incclTamment vers
fa fin.
Cette aclion de Famé eft une adioa
pleine de repos. — Lorfqu'elle agit par
elle-même , elle agit avec effort , c'eft
pourquoi elle dillingue mieux alors foa
adion. Mais lorfqu'elle agit par dépen-
dance de Tefprit de la grâce , fon aélion
eft fi libre , fi aifée & fi naturelle , qu'il
femble qu'elle n'agiffe pas. — Plus elle eft
en paix ^ plus elle court avec vîreffe , parce
qu'elle s'abandonne à l'Efprir qui la meut &
la fait agir.
Cet efprit n'eft autre que Dieu qui nous
attire ^ & en nous attirant nous fait courir
à lui. Çh. 21. n. 1 , z, 3.
Notre aélion doit donc être^ de nous
mettre en état de fouffrir l'action de Dieu ,
& de donner lieu au Verbe de retracer en
nous foa image. Une image qui fe remue-
roit , empêcheroit le peintre de contretirer
un tableau fur elle. Tous les mouvemens
que nous faifons par notre propre efprit ,
B 2
î2<» Justification.
empêchent cet admirable Peintre de tra-
vailler , & font faire de faux traits. Il
faut donc demeurer en paix , & ne nous
mouvoir que lorfqu'il nous meut, {a) Je-
fus-Clirijl a la vie en lui - même. Et il
doit communiquer la vie à tout ce qui doit
vivre.
Ceft refprit de TEglife , que Tefprit de
la motion divine. L'Eglife elt-elle oifive ,
llérile & inféconde ? Elle agit ; mais elle
aeit'par dépendance de TEfprit de Dieu ,
qui la meut & la gouverne.
Or lefprit de TEglife ne doit point être
autre en fes membres qu'il eft en elle-mê-
me. Il faut donc que fes membres pour être
dans TEfprit de TEglife , foient dans Tef-
prit de la motion divine.
Que cette adion foit plus noble , c^efl
une chofe inconteftable. Il eft certain que
les chofes n'ont de valeur , qu'autant que le
principe d'où elles partent, eft noble , grand
& relevé. Les allions faites par un princi-
pe divin 5 {h) font des actions divines; au
lieu que les adiions de la créature quelque
bonnes qu'elles paroifTent, font des allions
humaines , ou tout au plus vertueufes lors
qu'elles font faites avec la grâce. Là^même,
n. 5,6.
M Jean 5. friS. [ft] Voyez J. de la Croix. AUcs.
Xi. j. Centre n. 3. &c.
XXXIX. Motion divine: zi
11 faut donc ncccflaircmcnt entrer dans
cette voie, qui efl la motion divine & ri\f-
prit de Jéfus-Chrift. S. Paul dit , que {a)
perfonne nejl à Jc/iis-C/iriJi s'il n a fort
Efprit. Pour être donc à Jcfus-Chrill: , il
faut nous lailTer remplir de fon l^fprit ,
& nous vuider du notre : il faut qu'il foit
évacué. S. Paul dans le même endroit {h)
nous prouve la nécefTité de cette motion
divine. Tous ceux.y dit-il , cjui jont pouj^
fés par VEj'pjit de Dieu , fout cnjans de
Dieu.
L'efprit de la filiation divine eft donc
Tefprit de la motion divine : c'eil pour-
quoi le même Apôtre continue : lE/prit
que vous ave^ reçu , n^ejl point un efprit
de fervitude y qui vous fjjfe vivre dans la
crainte ; mais c^ejl V Efprit des enfans de
Dieu 5 par lequel nous crions : Ahha , notre
Père. Cet efprit n'efl: autre que l'Efprit de
Jéfus-Chrift^ par lequel nous participons à
fa filiation : 6" cet efprit rend lui-même té--
moignage au nôtre j que nous fommes enfans
de Dieu.
Sitôt que Tame fe laifie mouvoir à TEf-
prit de Dieu , elle éprouve en elle le témoi-
gnage de cette filiation divine ; & c'eft ce
témoignage qui la comble d'autant plus de
joie , qu'il lui fait mieux connoître qu elle
(a) Rom. 8. f* 9* (è) f* î4» &c.
B :^
22i Justification.
efl appellée à la liberté des enfans de Dieu ;
& que Vefprit quelle a reçu ^ nejl point un
èjpnt dejervitude , mais de liberté. —
L'efprit de la motioa divine eft fi nécef-
faire pour toutes chofes , que S. Paul dans
le même endroit , fonde cette néceffité fur
notre ignorance dans les chofes que nous
demandons. Lu-meme. n. 9 , 10.
C'eft la conduite que nous devons tenir
en notre intérieur , & en agiffant de cette
manière nous avancerons plus en peu de
tems par la motion divine , qu'en toute au-
tre manière par beaucoup de propres ef-
forts. —
Il faut donc s'abandonner à PEfprit de
Dieu y & fe laifler conduire par fes mouve^.
mens. CL a^. n. 8,9.
I
CANTIQUE.
L veut de plus , que comme l'Amante
doit fuivre en toute liberté l'attrait du S.
Efprit pour tout ce qui eft de fon intérieur ,
elle fe conforme aufli aux ufagcs de l'Egli-
fe , & aux ordres des Supérieurs , en tout
ce qui regarde fon extérieur : ce qui eft bien
défigné par marcher fur les traces des trou-
peaux , c'eft>à-dire , dans un train commun
pour l'extérieur. Ch. i. v» 7,
XXXIX. Motion divine. ï-2. 25
A U T O R I T É S.
S. 1) F N T S
1.(^7) JLjH tout premier mouvement ver.^
les cliofes divines , eft Tamour de Uicu-î & le
premier avancement de la fainte charité, à met-
tre en exécution les divins commandemens. C'eft
cette opération là, myftique & ineffable, qui fait
que nous avons un être divin. De P Hlcrardi. Ecdcf,
C/iap, I.
2. Qu'eft-ce que les Théoloj2;iens veulent dire,
lorfque tantôt ils l'appellent Amour «Si charité,
tantôt aimable & chérilfable? C'eft parce que du
premier il eft l'auteur, le producteur &leprogé-
lîiteur; & quant à Fautre c'eft lui-même, qui
eft tel : ^ Par lamour lui-même eft mû , par être
aimable il meut les autres i ou bien parce que c'eft
lui-même qui fe produit & qui excite les autres
à foi. En cette forte ils l'appellent aimable & ché-
riffiible, comme étant beau & bon: & de Fautre
ils le nomment amour & charité, parce qu il a
une force & vertu mouvante & attirante a foi , &
parce que lui feul eft bon & beau par foi-même ,
& que lui-même a la force de s'exprimer & de fe
déclarer par foi-même , & qu'il fort par un mou-
vement amoureux hors de cette union excellente
& fequeftrée de toutes chofes , demeurant néan-
moins dans fa fimplicité qui fe meut de foi-mê-
me , & qui agit Se opère par lui-même : & lequel
mouvement d'amour eft premièrement & avant
(a) Si le tout premier mouvement de Tame vers les
chofes divines eft Tamour , c'elt donc bien fait de con»
duire les âmes par l'amour.
;|; Centre, n. i.
B 4
f 4 Justification.
que d'être autre part , dans le bon , & du bon s'iri-
fîue & regorge (a) fur tous les êtres , & d'eux re-
tourne derechef au bon. En quoi le divin Amour
fait excellemment paroitre qu'il eft fans com-
mencement & fans fin , (b) comme un certain
cercle éternel, qui roule & qui tournoie fans
jamais fortir hors de fa route , ni de foi-même.
Des noms divins, Ch, 4.
HenriSuso.
3. Voyez ConJlftance: n. 6.
RUSBROCHE.
4. Dieu nous donne une vie au-deffus de nous
qui eft une vie divine. Elle coniîfte à contempler
Dieu, & à demeurer attaché à lui par un amour
fîmple & nud , a le goûter , à jouir de lui , à nous
écouler en lui par amour. Qiiand étant élevé au-
deffus de la raifon & de toute notre propre ope*
ration nous entrons dans ce regard nud , la nous
fommes mus par l'Efprit de Dieu , nous foute-
nons l'opération de Dieu, & nous fommes rem-
plis de fa clarté divine, comme l'air eft pénétré
de la clarté du Soleil & le fer de l'ardeur du feu.
Dcsfept Gardes. Ch, 17.
Ste. Catherine de Gènes.
5. Y oy^z AnéantiJJement, n. 12.
Ste. Thérèse.
6. Il me femble que le S. Efprit eft alors le
médiateur entre Dieu & Tame, & que c'eft lui
qui la meut avec deliardens défirs, qu'il lui fait
allumer !e fouverain feu dont elle eft fî proche.
Concept, detAm, de D. Ch, 5.
Le B. Jean de la Croix.
7. D'autant que les vertus, tant morales que
{a) C'eft tonte Toeconomie de l'intérieur : nous fommes
fortîs de Dieu ; il faut retourner à lui.
ib) Admirable.
XXXIX. Motion divine. 2-11.' iç
Théologales, font infnfos à l'amc pour agir coix-
fonncmentà la raifon liuniaiiie , rainceii cet état
fc conduit au-dcOus de cette raifon par des mo-
tions extraordinaires du S. ]{f|)rit, à caufe (juc les
transformes & unis à Dieu , lont les \'rais enfans
de Dieu 5 & comme tels ils font pouffes en leurs
opérations de TKfprit de Dieu , anili que dit
I Apôtre: (a) Qjùconqiie eji mu de fKj'prit ik Dieu ^
eji enfant de Dieu : joint qu'en cet ctat, Tamc
mène une vie divine , qui ne peut être exercée que
par un principe divin , qui eft le S. l^lprjt. »— Or
pour recevoir ces motions extraordniaircs du S.
Êfprit, l'ame y doit être difpofcc, puifque com-
me dit FEcole , Omne quod movctur , nccejjc cjl
proportionatum ejje motori : ce qui fc fait par les
dons du S. Efprit donnés à Tame pour recevoir
fes inftincts particuliers. C'eft pour cela que vous
les voyez nommés fur la IVIontagne à côté droit »
la fageffe 5 la fcience, la force, le confeil, Ten-.
tendement, la piété, la crainte de Dieu. Explica-
tion de f Enigme.
8. Voyez ylc7es, n. 5.
9. Voyez Extafe. n. 6.
10. Voyez Centre, n. 3.
1 1. La volonté , qui auparavant aimoit tiède-
ment, eft à préfent changée en vie d'amour di-
vin y parce qu'elle aime hautement, avec affec-
tion d'amour divin , mue du S. Efpnt , auquel
elle vit déjà. ^
Finalement tous ]ts mouvemens & opérations
que Tame auparavant avoit du principe de fa vie
naturelle & imparfaite , font déjà changés en cette
union en mouvemens de Dieu : d'autant que
famé ddja, comme la vraie fille de Dieu, eft
(a) Rom. 8. v. 14.
l6 Justification.
mue de fon Efprit, comme dit S. Paul : (à) Ceux^
qui font mus de P Efprit de Dieu ^ ceux-là font en-,
fans de Dieu : Et la fubftance de leur ame , en-
core qu'elle ne foit fubftance de Dieu , parce
qu'elle ne peut fe convertir en lui, néanmoins
étant unie avec lui , & abforbée en lui , eft Dieu
par participation : ce qui arrive en ce parfait état
de vie fp (rituelle , encore que ce ne foit fi parfai-
tement comme en l'autre vie. Vive flamme d'amoui\
Cant. 2, V. 6,
12 Voyez Jâles. n. 8.
1 ?. L'ame donc prenant garde, que Dieu en
cette affaire eft le principal agent, qui doit la di-
riger & conduire par la main où elle ne peut al-
ler fans lui, à favoir, aux chofes furnaturelles y
lefquelles de favoir com.ment elles font, ni fon
entendement, ni fa volonté, ni fa mémoire n'y
peuvent atteindre i tout fon principal foin doit
être de regardera ne mettre point d'obftacles au
guide , qui eft le S. Efprit, dans le chemin par
où il la mène , qui eft donné en la loi de Dieu
& en la foi , comme nous avons dit. Cet empê-
chement lui pourra venir , fi elle fe laiffe guider
par un autre aveugle : & les aveugles qui la pour-
roient tirer du chemin font le Père fpirituel , le
Diable , & lame même. Q^uant au premier , Fa-
mé qui veut profiter & ne point reculer, doit
bien regarder à qui elle fe confie ; car tel que fera
le maître , tel fera le difciple ; tel qu'eft le Père,
tel eft le fils > car pour ces chofes fi hautes ,
& même pour les médiocres , l'ame trouvera à
peine un guide capable. Là-même. Cantique 3. v. 3.
§.4.
14. Que telles gens prennent garde & confîdé-
rent , que le S. Efprit eft le principal agent & mo-
^ (û) Rom. 8. y. 14.
XXXI Jf. Motion divine, ii-t^;. 2.7
trur de ces âmes , rlont il ne perd jamais le foin ,
ni (le ce qni im[)f)rre à leur prolit , (Se cjui fcrt pour
les ap|)rocher de Dieu plus prom|)rement 6'c par
un meilleur moyen ; & qu'eux ne l'ont pas K>
agens, mais feulement les inlhumens. Lù-manc,
§9.
15. Or c'efl une chofc merveilleulc comment
fe fait ce mouvement en Tame , Dieu étant im-
mobile; car fans que Djeu fe meuve, elle e(l in-
novée & mue par lui, & iivcc une certaine nou-
veauté admirable on lui découx rc cette di\ me
\'ie , & Tétre & Tliarmonie de toutes les créatures ,
la caufe prenant le nom de l'effet qu'elle [)roduiL.
Selon lequel effet on peut dire que Dieu le meut,
comme le Sage dit que hi (aj Sagc^c cjl plus niohi/e
que toutes les c/iofes mobiles , non qu'elle fe meu-
ve , mais parce que c'efl le principe & la racine
de tout mouvement, & demeurant fiable en foi ^
comme il dit aulfi-tôt , elle renouvelle Qi) toutes clio-
Jes, Et ainfi ce qu'il veut dire là, c'efl que la Sa-
ge(Te effc plus aélive que toutes les chofes acti-
ves. Partant, nous devons dire ici , que l'ame en
ce mouvement eft celle qui eft mue & réveillée,
& ainii nommer cela proprement du nom de ré-
veil. Mais Dieu demeure toujours dans le mê-
me état que Tame Ta vu , mouvant, gouvernant
& donnant Têtre, vertu, grâces & dons à toutes
les créatures , les ayant toutes en foi virtuelle-
ment, préfentiellement & très-éminemment, l'a-
me voyant ce que Dieu eft en foi , & ce qu'il eft
dans les créatures. Comme celui qui a l'ouver-
ture d'un palais, voit tout d'un coup l'éminence
de la pcrfonne qui eft dedans , & enfemble ce
(a) Sag. 7. V. 24. 27.
Qj) No^^z Moyen court. Q\\ 24, n. 5. 4. 6.
7% Justification.
qu'elle fait. Et ainfi, fclon ce que je puis enten*
dre , la manière ou façon dont fe fait ce réveil &
vue de Tame, eft que Dieu tire quelques voiles
fiv rideaux de p;u(îeurs qu'elle a devant les yeux,
afm qu'elle puifTe voir ce qu'il eft; & alors on.
difcerne & entre^'oit ( quoiqu'obfcurément , d'au-
tant qu'on n'ôte pas tous les voiles, celui de la
foi demeurant) cette face divine, pleine de grâces^
laquelle comme elle meut toutes chofes par fa
vertu , enfemble avec elle paroît tout ce qu'elle
fait : & c'efk là le réveil de l'ame &c. Ld-mémc
Cœitiq, 4 -y. I.
Le P. Nicolas de Jésus-Maria rapporte
i6. S. Thomas. L'homme fpirituel n'eft pas
feulement inftruit du S. Efprit pour favoir ce qu'il
doit faire, mais auffi fon cœur eft mù du même
Efprit, & partant il faut entendre davantage en
ce qui eft dit : Tous ceux qui font mus du S.
Efprit; car ces chofes-là font dites être mues , qui
font poulTées d'un certain inftinct fupérieur ; d'où
vient que nous difons des bêtes, qu'elles ne fe
gouvernent ni régiffent, mais qu'elles font con-
duites & dirigées, parce qu'elles font mues de la
nature pour faire leurs actions , & non de leur
propre mouvement. Or femblablement l'homm c
fpirituel eft incliné à faire quelque chofe , non
principalement par le mouvement de fa propre vo-
lonté , mais par l'inftincl du. S. Efprit, fuivant ce
que dit Ifaïe (tz), lorfque celui que le S. Efprit
pouffe fera devenu comme un fleuve rapide : & eu
S. Luc il eft dit , que [b] Jéfus-Chrift étoit pouf-
fé de l'Efprit au défert. Par là néanmoins on
n'exclut point que les hommes fpirituels n'opé-
(a) Ifa. ç9. V. 19.
(6) Luc. 4. V. I.
XXXTX. Motion divine . 1.^-19. 29
îont par Ja {a) volonté <Sc le fiaiic-ai bitrc ; parce
i|iîc le S. J\fprit caiife en eux ce mouvement de
la volonté iS: du Iranc-arbitre , conformément il
ce que dit TAjjotre {b) aux ni]lip|)icn> : C\Jl
Dieu qui oprrc en vous le vouloir ^«^ i'ui.LonipHjJ'eniciit.
(Su/ Kom. 8. i^ 14. Lr^'ou l^. ) K Juin ij]'. des Plu\
Mi/Ji. de J. delà Croix. l\ 11. Cli. 4- §• 5-
17. — Il faut néanmoins confidérer que fi hi
vertu , cpii ell [)rincipe de Tacîtion , eft mue dune
vertu fu|)érieure, l'opération qui procède d'elle,
non feulement ell une action, mais auUi une paf-
lion, entant qu'elle part d'une vertu qui eft mue
d'une fupérieure. (Eh la Qjicji. un. de i Union du
Verbe Artic, 6. ) Là-même,
18. S, Projper, Sans doute c'efl davantage d'être
poulTé, que d'être conduit; car celui qui eft régi
fait quelque chofe , pour cela il eft régi afin de
bien faire. Or celui qui eft mù , à peine conçoit-
on qu'il agiffe; & la grâce du S. Efprit confère
tant à nos volontés , que l'Apôtre ne craint point
de dire; (c) Tous ceux qui font pouffes de f Efprit de
Dieu y ceux-là font enfans de Dieu : & la volonté
libre ne peut faire en nous rien de meilleur que
de fe recommander à celui qui ne peut pas
mal faire. ( Des fentences de S. AuguJUn, n. 30. ) Zà-
même.
19. Cajetan, Lorfquc vous lifez ; Ceux qui
font pouffes du S. Efprit; gardez-vous bien de
(fl) Toutes les chofes libres qui font mues , correfpon-
denc au mouvement en fe laiffant mouvoir volontaire-
ment; & le confentement eft une adlion : de plus étant
agitées, elles font fortement remuées, comme ledit le
Moyen court. (Voyez Ch. 21. n. 4,&c.)
(6) Phil. 2. V. ij.
(c) Rom. 8. Y. 14.
30 Justification.
l'entendre d'une cfpece de fureur, de peur que
vous ne penfiez que les hommes font pouflés
de TEfprit de Dieu comme des infenfés; mais
c'efi qu'il eft rendu par notre efprit une telle &
fi grande obéifTance au S. Efprit, habitant dans
les hommes parfaits , qu'obéiffans ils font régis de
lui , étant très-fouplcs & très-foumis au S. Efprit
habitant en eux. Or non feulement celui-là eft
mû , qui en eft ignorant, ou qui ne veut être pas
pouffé, mais auffi celui qui obéit très-prompte-
ment. (Sur Rom, S. v, 14.) Là-même.
20. Tokte. Etre pouffé de l'Efprit de Dieu ,
c'eft faire des œuvres félon l'Efprit, defquels le
moteur & le premier auteur eft l'Efprit de Dieu,
habitant dans les juftes par la grâce, les vertus
& les dons. (Sur Rom, 8. v. 14. ) Là-même.
21. Bede. Quelqu'un me dira: on agit donc
en nous, & nous n'agiffons pas. Je réponds, &
que vous agiffez & qu'on agit en vous , & qu'a-
lors vous agiffez bien quand un bon efprit agit
en vous ; car l'Efprit de Dieu qui agit en vous ,
vous aide en agiffant : (lefquelles paroles il a
tirées de S. Auguftin. ) Là-même,
22. Benoit Jujimien. Nous fommes donc con-
iduits & pouffes ; mais nous prêtons notre con-
lentement, & correfpondons librement à la mo-
tion divine : l'Apôtre néanmoins a mieux aimé
parler de la forte , afin de montrer la force &
Tefficace de la grâce divine. [Sur les mêmes paro-
les, ) Là-même,
2^,^ S, Augujiin, Qu'ils entendent s'ils font
enfans de Dieu , qu'ils font pouffes de l'Efprit de •
Dieu, afin qu'ils faffent ce qui doit être fait;
& qu'après l'avoir fait, ils rendent grâces à celui
qui les a mus & portés à le faire : Car ils font
mus pour faire, & non pour demeurer fans rien
XXXI X. AIotioH divine. 19-27. 3ï
faire. ( De la Corrc6l. Z^ de Ja /]f(ur. C/i. 2, ) lAi-nume.
24. Ste, 'Vhihcft. J'ai l'iitlilaiiiinont ex j)licjiic cette
manière trorairon , & te (jiic doit faire ranrte, ou
j)c)nr mieux dire, ce que Dieu lait en elle; car
i:'e(l lui (jni fait déjà l'ortice de jardinier, & qui
\'eut c|u'elle Te réjouilfc : la voloutc prête feule-
ment fon contentement à ces j^races dont clic
"|Ouit, (Se doit s'oUrir à tout ce que la vraie fagelfe
\ oudra opérer en elle. ( Vie Cfi. 17. ) Là-meme.
25. Le l\ lùirtfielcnù des Martijrs, Ce n'ed pas
ime opération humaine , mais feulement une di-
vine; car là Dieu même eft agillant , &: Tliom-
me pàtiffant. — Kt bien que cette ferxente dilec-
tion foit produite de la volonté , elle c(t néan-
moins dite palîive, parce que la volonté ne s'ex-
cite point à elle comme la première, mais elle
ell immédiatement excitée de Dieu. [Abrégé P.
2. Cliap, II.) Là-même,
S. François de Sales.
26. Voyez Nofi-dci/jr. n. 35.
Monf. O L I E R.
27. L'Epoufe n'ayant plus aucun pouvoir fur
elle-même, puifqu'elle eft transférée dans le do-
maine total deTEpoux, doit vivre fi abfolument
dans fa dépendance, qu'elle n'agiffe que ftloa
fes défirs & par fes mouvemens. Il faut qu'elle
foit comme Jéfus-Chrift à l'égard de fon Fere ,
qui ne faifoit rien qu'il ne vit abfolument fes
ordres; enforte que fon opération étoit tellement
unie avec fon Père, & animée de fon opération
propre, que c'étoit une fimple & une même cho-
ie. Ouel dégagement, quelle hberté, quelle fou-
miffion, quel abandon à l'Efprit doit être dans
ime ame pour agir toujours de concert avec lui !
jLettrc 12.
3« Justification.
28. Je prie Notre Seigneur de vous remplir de
TEfprit de fa faintc enfance. — C'efl être enfant
que de n'avoir ponit de prudence & de fageffe
humaine , & d'aller où porte l'obéiffancc & le
mouvement de l'Efprit Saint. L'enfant va fans
retour par tout où on le mené; & les enfans de
Dieu vont par tout où fon Efpritles conduit. Ils
lie s'amufent point à regarder, fi ce qu'ils font
eft félon les loix du monde, & s'il efl conforme
à fes coutumes ; mais fe contentant de la fageffe
de la foi , qui eft la fageffe de Dieu même , qu'il
donne à fes enfans pour règle & pour lumière,
ils s'abandonnent purement & fans retour à fa
fainte conduite : ils évitent ainfi tout le mêlan-
ge de la lumière humaine , qui par fon impureté
éteint fouvent en nous celle de Dieu. —
Voilà quelle eft la conduite des enfans de Dieu ,
poffédés de fon divin Efprit, qui tout enfans
qu'ils font, ont une fageffe mille fois plus foli-
de , plus févère & plus réglée que tout le monde
cnfemble , puifqu'ils ont la fageffe de la foi , qui
eft la fageffe de Dieu même , pour régie & pour
lumière.
Or non feulement cet efprit d'enfance donne
lumière à l'ame pour la conduire en tout, mais
encore il donne doucement le branle à la volon-
té, pour faire ce que Dieu veut. Lettre 5g.
XL
XI-. Nudité 1--3. 33
XL. Nudité.
V^oye:^ Foi nue & obfcure.
CANTIQUE.
O
N jouit ici de Dieu dans la nuit de la
Foi , où on a le bonheur de la jouifTance ,
fans avoir le plaifir de la vue : au lieu que
dans l'autre vie on aura la claire vifion
de Dieu avec le bonheur de le poffeder.
Ch. I. V. I.
Comme il eft beaucoup parlé dans tous
mes Ecrits de dénuement ^ fai cru en devoir
dire quelque chofe ici , quoiquil nen /oit
prefçue point fait de mention dans les deux
Livres que féclaircis ; parce que je fuis bien
aife de donner le plus de jour que je pourrai
à toutes chofes.
AUTORITÉS.
S. Denis.
I. Voyez Converfion, n. %,
2. Voyez Foi nue. n. 3.
L'Imitation de Jésus-Christ.
3. II eft rare parmi les perfonnes fpirituelles
d'en trouver une qui foit vraiement dénuée de
tout. Où fera le pauvre d'efprit , dégagé de l'a-
jnour de toutes les créatures ? Il faut aller au
Tom. Il Jujiif. C
^4 Justification.^
bout du monde pour trouver cette perle précîeu-
fe. Liv. 2. Ch. i i. §. 4.
4. Ouand un homme fera tel que nous venons
de dire, il fera vraiment pauvTe d'efprit, dénué
de tout; il pourra dire avec le Prophète : (a) Je
Juis pauvre*^ abandonne. Et il fera vrai en même
tems, qu'il n'y a point d'homme ni plus riche,
ni plus puifTant, ni plus libre que lui; fâchant
ainii fc féparer de tout & de foi-même, & fc
mettre toujours au-deffous de tous les autres.
Là-même, §. 5.
r S-i^'V^ôyez Propriété, n. 4.
': 6> iAfj)ii!ez à ce grand bien ; afin qu'étant dé-
pouillé de toute propriété , vous puiffiez fuivrc
nud Jéfus-Chrift nud fur la croix, & qu'étant
fnort à vous-même, vous viviez avec moi éter-
nellement. Liv, 3. C/iap, 37. §. 5.
Ste. Catherine de Gènes.
7. L'amour nud ne voit que la vérité, qui
étant de fa nature communicable à tous , ne peut
être propre à aucun. £nfa Vie Ch. 25.
8. Voyez Purification, n. 18.
9. Quand l'ame pouvoit aimer & rendre à Dieu
amour pour amour, cet amour lui laiflbit une
certaine faveur dont elle vivoit encore : mais cet
amour aitif & réciproque étant ôté à l'ame , l'hu-
manité demeure fan.*? vigueur , & abandonnée
comme morte : Et pour lors Dieu donne à l'ame
une autre opération amoureufe , qui eft fi fubtile
& fi cachée , que Tceuvre qui fe fait en l'ame de-
meure ^beaucoup plus noble & plus parfaite que
la première , à caufe du dépouillement & de la
nudité que Dieu lui donne : il ne lui refte plus
aucune nourriture , mais une force ferme & (ta-
ble en Dieu. Dialogue Livr. 3. Ch. 10.
. (c) Pf, Z4. V. 16.
XL. Nudité 4-14. 35
TO. Que fcras-tu, ô ame ainfi nue & dépouil-
icc? Et vous, o cœur & cfprit, que fercz-vou$
aiiili vides? où ctcs-vous en cet état, dont vous
11 avez point de connoiflancc. Là-nitmc, Cli. il.
II. Je fuis fortie de mon fujet, ik je n*ai pas
fuivi le difcours que je failois de la nudjté de Tef-
pi it ; parce cju'on ne trouve point de termes pour
exprimer Tétat de la vraie nudité ; & i'anie fe
trouvant en cette nudité , a une plénitude en Tcf-
prit, de laquelle elle ne peut parler : ik toute-
fois à caufe de la véhémence qu'elle fouftre de
cet amour (tz) fi nud, elle ell contrainte de par-
i^r. Là-mcnie C/i. 12.
Le B. Jean de la Croix.
ï2. Il eft dit dans V Explication de fon Enigme y
que la grandeur de la contemplation fe doit me-
furerpar la grandeur du dénuement.
13. Pour chercher Dieu , il faut avoir un cœur
dénué & fort libre de tous les maux , & de tous
les biens qui ne font pas purement Dieu , ou qui
ne conduifent pas à Dieu. Cantique entre tEpoufc
Çff t Epoux , Couplet , 3 .
14. Cette transformation en Dieu conforme
Famé de telle manière avec fa fimplicité & pure-
té , qu'elle la laiffc nette , pure & vide de toutes
les formes & figures qu'elle avoit auparavant,
comme le Soleil [b] fait en la vitre : cary répan-
ia) Il eft à remarquer que la foi obfcure eft toujours
accompagnée de l'amour nud, & les états diftinds de
Vamour fenti & compris.
{b) Admirable comparaîfon ciii exprime , comme quoi
une ame, qui paroiffoic totice pure da ^s les prcTiicres
touches intérieures, parole (aie & pleine de defau:s. Ce
font les mêmes taches & non de nouvelles, comme ell€
croit : mais c'eft que cpmme la preicnce du Soleil de
c »
§6 Justification-.
dant fa krmiere , il la rend claire, & dérobe kl»
vue toutes les taches qui y paroiflfoient aupara/-
vant; mais lorfque le Soleil s*en retire & s'en
éloigne beaucoup , ces taches s'y voyent comme
auparavant. Là-mcmc. Couplet i8.
15. Il faut premièrement favoir que ces caver-
nes des puiffances , quand elles ne font point pur-
gées & nettes de toute affection de la créature,
elles ne fentent point le grand vide de leur pro-
fondç crpacité ; parce qu'en cette vie la moindre
chofe qui s y attache fufKt , pour les tenir fi em-
b^rraffées&fitranfportées qu'ellesne fentent point
leur perte , & ne prennent pas garde aux biens
immenfes qui leur manquent, ni ne connoiffent
leur capacité : & c'eft une chofe merveilleufe^
Cju'étant capables des biens infinis , les moindres
foyent capables de les brouiller de telle forte,
qu'elles ne les puifTent parfaitement recevoir,
jufqu'à-ce qu'elles fe foient évacuées de tous
points , comme nous dirons tantôt. Mais quand
elles font vides & nettes, lafoif, la faim (ScTanxie-
té du fens fpirituel font intolérables. Vive fiammt
d'amour ^ Cant. 3. v. 3. §.. i.
Tout le Livre de la Nuit Obfcure ne parle que de,
cette nudité.
S. François deSales.
16. Yoytz Béfauts, n. 12..
17. Si on s'eft dénué de la vieille aifedioa
aux confolations fpirituelles , aux exercices de la
dévotion , à la pratique des vertus , même à no-
tre propre avancement en la perfection \ il fe
juftice nous dérobe nos défauts , fon abfence dans le
dépouillement les fait voir de nouveau, & avec d'autant
plus de peine qu'oa fe croit plus pur.
XL. Nudité Tii.-T9. 57
fiiit revêtir d'une autre affcdioii toute nouvelle,
aimant toutes ces grâces & faveurs célcftes, non
plus, parce qu'elles perfectionnent & ornent
notre cfprit, mais parce que le Nom du Seigneur
en e(l fandifie, t|ue fon Royaume en c(l enri-
chi , csc fon bon plaifn* glorihc. De t Amour de Dieu.
Livr. 9. Ch. 16.
Le Fr. Jean de S. S a m s o n.
i8- Voyez Abandon, n. 25.
L'Auteur du Jour Mystiq^ue.
19. Cette ame ayant tout abandonné à fon
Dieu , fon être & la capacité de fon être; tout
fon plaifir eft de le lalfTer faire en elle & par elle
tout ce qui lui plaira , par les ténèbres ou par le$
lumières , par les rebuts ou par les careflTes , par
les privations ou par l'abondance; demeurant
tranquille dans l'inquiétude desfens, dans le fou-
lévement des paffions , dans les obfcivrités & ten-
tations , en vue & par le refpeél de celui qui eft
& qui opère toutes chofes en elle , félon qu'il
Tentend & le veut, par le motif de fon bon-plai-
fir, le fuivant en tout; aimant tous les états qu'il
y opère, même les plus obfcurs & dénués, &
lui adhérant pour lors par un repos myftique ,
c'eft-à-dire, par des ades non réfléchis & apper-
çûs de foi & d'amour nud en la pointe de fon
efprit. Par ce nud confentement, par cet aban-
don muet , par cet amour pur, l'incompréhenfi-
ble eft aimé en l'ame au-deffus de toute penfée
& de tout adle appercevable. Livr. I. Traité L
Chap. I. &JiF. 5. ^
Le même Auteur traite de cela dans plus de trente
Chapitres , à f avoir dans tout le Livre fécond.
3? Justification.
XLI. Oifiveté.
Cette oraifon n'eft point oifive.
MOYEN COURT.
c
EUX qui accufent cette oraifon d'oifive-
té , fe trompent beaucoup ; & c'eft faute
d'expérience qu'ils le difent de la forte. O
s'ils vouloie^nt un peu travailler à en faire
TefTai ! Dans peu de tems ils feroient expé-
rimentés & fa vans en cette matière, Ch. iz.
n. 3.
li n'eft donc point queftion de demeurer
oifif , mais d'agir avec dépendance de l'Ef-
prit de Dieu , qui nous doit animer, Chap.
2LI. n. 4»
Alors l'ame eft comme dans une habitude
de l'a6te , fe repofant dans ce même aéle.
Mais fon repos n^eft point oifif : car alors
il y a un aéle toujours fubfiftant qui eft un
doux enfoncement en Dieu. Chap. ^^. n. 5*
,1
AUTORITÉS.
s. Denis.
CI , en montant par les pins bafies aux
premières & principales , nous ôtons toutes ces
chofes ; [a] afin que nous connoiffions à décou-
[û] Ce n*eft donc pas oifiveté , puifqu'on ne fe dé-
pouille d'une opération naturelle , quq pour avoir la
furnatureîle.
XI.I. 0/JtvctJ. T-^. 39
vert cette ignoi ance même , coii\'rrte Se envelop-
pée au-dcnous de toutes les chofes, qui fout &
qui peuvTut être conuues,cn quoi quecefoit,
& afin que nous puilîions voir cette obfcurité
furcfrenticlle, laquelle efl cachée au-deirous de
toute la lumière qui efl: en l'être des chofes. T/ico/.
MyJ}, Cil. z.
Le B. Jean de la Croix.
2. Lorfque famé quitte la méditation, ce re-
gard amoureux, ou notice générale lui efl nc-
celTairc; parce que (i Tame n'avoit alors cette no-
tice ou alFiftiance en Dieu , il s'enfuivroit que
Tame ne feroit rien & n'auroitrien , d'autant que
la méditation lui manquant- & n'ayant point non
plus la contemplation , qui ell la connoidancc
générale fufdite , en laquelle l'ame a fes pulflan-
cts fpirituelles aduellement appliquées , favoir la
mémoire , Tentendenient & la volonté déjà unies
en cette notice, elle manqueroit infailliblement
de tout exercice envers Dieu. Montée du Mont
CarmcL Livr, 2. Ch. 14.
3. Cette oraifon paroît très-courte à Tame ,
parce qu'elle a été en pure intelligence. Et c'eft
la courte prière qu'on dit pénétrer les cieux :
courte , parce qu'on né confidere pas le tems : &
elle pénétre les cieux, à caufe que l'ame eft unie
en intelligence célefte. — Encore qu'il femble à
l'ame en cette notice, qu'elle ne fait rien & qu'el-
le n'eft occupée à rien, d'autant qu'elle n'opère
pas avec les fens ; qu'elle ne croye pas néanmoins
perdre le tems & être inutile. Car encore que
l'harmonie chs puifTances de l'ame ceffe , toute-
fois fon intelligence demeure de la manière que
nous avons dit. C'eft pourquoi l'Epoufe qui étoit
fage fe répondit à elle-même fur ce doute , di-
fiint : Qjuoique je dorme en ce que je ceffe natu-
C4
40 Justification.
reJlement d'opérer; {a) mon cœur veille furna-
turellement , élevé en notice furnaturelle. Là-
même,
4. En ces commencemens, quand nous ver-
rons par les chofes fufdites , que Tame ne fera pas
employée en ce repos ou notice , il faudra fe fer-
vir du difcours , jufqu'à-ce qu'on ait acquis l'ha-
bitude que nous avons dit en quelque manière
parfaite; qui fera que lorfqu'ils voudront médi-
ter, ils demeureront en cette connoiffance de
paix fans pouvoir méditer, ni même en avoir en-
vie. — De forte que fouvent Tame fe trouvera
en cette amoureufe & paifible affiflance , fans
rien opérer avec les puiffances, comme il a été
dit; 6i elle aura fouvent befoin de s'aider douce-
ment & modérément du difcours pour s'y met-
tre : laquelle étant acquife , Tame ne difcourt &
ne travaille plus avec les puiffances : car alors
on peut plutôt véritablement dire , que l'intelli-
gence & faveur font produites en elle , que non
pas qu'elle falTe quelque chofe , cette ame n'ayant
rien à faire , finon d'être attentive à Dieu avec
amour. Là-même. Chap, 15.
5. Vous me direz que la volonté, fi l'enten-
dement n'entend diftinclement , fera au moins
oifive, & n'aimera pas, d'autant qu'on ne peut
aimer que ce qu'on entend. J'avoue & accorde
cela, principalement aux opérations & aéles na-
turels de l'ame , que la volonté n'aime que ce
que Tentendement connoît diftindement. Mais
durant fe tems que dure la contemplation dont
nous parlons , laquelle Dieu communique à l'ame,
il n'eft pas néceffaire qu'il y ait aucune notice
diftinde , ni que l'ame faflfe plufieurs difcours ;
parce qu'alors Dieu lui communique une notice
ia) Cant. 5. v. 2.
XM. Oifivetc. 4-7. 4r
ainoiircnfc , qui cil coujointcinciit rommr niic
Inniicre ardente fans (iillinction , (S: alors fclon la
manière qu'cft 1 intelîii^cncc , raniour cil auHi eu
la x'olonté : Car coinmc la connoidance eft gé-
nérale & obfcurc , rentendcmcnt ne pouvant con-
uoître (lidinélenient ce qu'il cntentï , la volonté
aimcaulfi en général fans aucune diftinclion : car
attendu que Dieu, en cette communication déli-
cate, eft amour 6c lumière, il informe enraiement
ces deu\ puilfances, encore que par lois il frap-
pe plus en Tune qu'en Tautre; & ainli quelque-
fois on fent j)lus d'intelligence que d'amour , d'au-
tres fois plus d'amour que d'intelligence. C'cft
pourquoi il n'y a point de fujet de craindre ni
d'appréhender l'oifivxté de la volonté en cet état:
car il elle celle de faire des actes dirigés par des
notices particulières , en tant qu'elles provenoient
de fon côté, Dieu l'enivre d'amour infus par le
moyen de la notice de contemplation , ainfi que
nous venons de dire; & les actes qui fe font fé-
lon cette contemj)lation infufe , font d'autant plus
cxcellens , plus méritoires & plus favoureux , que
le moteur qui xerfe cet Amour, eft meilleur. Vive
jlamme cf Amour. Cantiq, 3. v. 3. §. 10.
6. II ne faut pas craindre, quoique la mémoire
doive être vide de fes formes & figures; car puif-
que Dieu n'a ni forme ni figure , elle va fùrement
étant vide de formes & de figures , & s'approche
plus près de Dieu : car tant plus elle s'appuyera
fur l'imagination, tant plus elle s'éloignera de
Dieu, & fera plus en péril; vu que Dieu étant
au-deflfus de nos penfées, il ne tombe point en
l'imagmation. Là-même. §. 11.
Le P. Nicolas de Jésus-Maria rapporte-
7. Rusbrochc Ç parlant de la faujjc oijivctc des IIlu-
42 'Justification.
minés : ) Avant que de pader outre, il efl bort
de faire ici mention de certaines gens, lefquel^
encore qu'ils femblent bons à Textérieur , fi eft-cc
qu'ils mènent une vie contraire à toute vertu.
— Car tous ceux qui vivent fans la charité fur-
naturelle, {a) étant recourbés & réfléchis fur
eux-mêmes, cherchent le repos dans les chofes
extérieures; d'autant que toutes les créatures na-
turellement défirent le repos. — Mais qu'on pren-
ne garde, je vous prie, comment on s'adonne
à ce repos naturel. Ceux qui s'y attachent stn
vont à l'écart , demeurant oififs fans aucun exer-
cice extérieur ni intérieur, afin de jouir du re-
pos fouhaité, & de n'être point troublés ni em-
pêchés d'ailleurs. Mais de s'adonner de la forte à
ce repos , n'eft ni bon , ni licite : car cela caufe en
l'homme un certain aveuglement & une igno<^
rance de toutes chofes , & fait que l'homme fc
repofe en foi-même tout parefTeux & noncha-
lant; & ce repos n'eft autre chofe qu'une lâche
oifiveté, à laquelle s'adonnent tellement ceux de
qui nous parlons , que pour toute adion ils fc
plongent dans un oubli de Dieu , d'eux-mêmes &
de toutes chofes. Ce repos donc eft contraire [b)
à cette quiétude furnaturelle qu'on pofTéde en
Dieu , puifque celle-ci eft une amoureufe liqué-
fadion de l'efprit, jointe à un fimple regard vers
la clarté incompréhenfible, — Ceux-là donc fc
{ci) Jl eft aifé de voir combien les Ecrits que Dieu m'a
fait faire , font différens de cela ; puifqu'on tâche de ban-
nir toute propre recherche & propre réflexion par l'ou-
bli de foi -même; & loin de chercher le repos dans les
chofes extérieures, on s'éloigne même des chofes inté-
rieures pour ne trouver de repos qu'en Dieu feul.
(è; Différence de la fauiTe & de Is vraie oifiveté.
XLI. Oifivetê. 7-\o. 45
trompent braïuonp, cjiii s^aimnni & fc rcclicr-
chant eiix-nicmcs, s'alloicnt inollcnicnt dans ce
repos naturel , ik ne cherchant point Uicii par
leur défir, ils ne le tronvent jamais par un amour
jouifTant. { Des J'cpt Gardes , ('//. 76. ) h'Jairc. lùy
Fhrajh de J. de la Croix, l'art. I. Cliap. X. §. z.
Le P. Jaques de Jksus rapporte
8. l'Ahbé Gilbert. Dans le loilh* , Tatlection fc
déployé , & on n'y fait pas peu. Il arri\'c quand
nous fommes dans ce loifir , que nous fcntons
le trait de famour divin bien plu- pénétrant. Le
foin enveloppe Tefprit , le repos le dévelop[)C.
( Serm. l.Jur le Cantiqiit. ] Notes fur J. de la Croix ^
Difc. I. Phrafc 2.
Le P. Benoit de Canfeld.
9. C'eft ici la bonne oifiveté , où eft JYprcu-
ve de la fidélité, & où Tame efl conftituée en la
vraie pureté & patience d'efprit, comme auffi en
]a parfaite réfignation ; c'eft ici où eft le dernier
cpuifement de tout ce qui ell hum.ain dans
rhomme ; c'efl: ici où fc trouve la totale mort &
la pleine \'id:oire, & où l'on rend l'efprit à Dieu;
& par conféquent où l'homrae eft rendu div^in:
d'autant que par une telle confiance & une telle
mort , Dieu vit & règne en Tame , y opérant tou-
tes fes œuvres. Règle de laperf. Part. 111. Ch. 14.
Le Fr. Jean de S. Samson.
10. Il n'y a que le vrai mourant , ou le vrai
mort, qui puiffe foutenir le vrai repos , [ qui eft
l'effet du regard divin ] en vraie & fainte oifiveté;
à laquelle feule convient éternellement mourir
en fon objet. L'ame qui eft en cet état de fainte
oifiveté peut feule, & non autrement que parfit
fidélité à mourir , foutenir Teftort très-doulou-
reux & prefque infupportable de ce repos hors de
loi 3 où elle va fuiyaat à tel^ frais le regard qui
44 Justification.
fccrettcment l'attire à foi. Si bien qu'à mefure
que l'ame fe confomme par les morts myftiques,
qui femblent devoir fupprimer toute la vie de la
nature ; le pur efprit, ou pour mieux dire , tout
le fond où toute Tame eft réduite , reçoit nouvel-
les conftitutions & nouvelle force & vigueur.
Cabinet Myjliquc , Part, L Chap. 2.
Monf. O L I E R.
II. Il prouve admirablement dans la Lettre
12^ , que le calme & le filence , où Dieu tient
quelquefois les âmes , n'eft pas une oifiveté , mais
une grande grâce. Je ne la rapporte pas pour être
trop longue.
XL IL Opérations de Dieu en Vame.
Les Opérations de Dieu fe font
dans famé d'une manière inconnue.
Cda a été vu en tant d'endroits , quHl en faut
dire peu.
MOYEN COURT.
JLIiRu purifie tellement Pâme de toutes
opérations propres , diftinéles , apperçues
& multipliées , qui font une diflemblance
îrès-grande , qu'enfin il fe la rend peu-à-
^eu conforme & puis uniforme , relevant
a capacité paflive de la créature ^ Télargif-
i
X T. 1 T. Opêratiofts de Dieu. 45
fant & rcnnoblidluit , quoique d'une ma-
nière cachée & inconnue ; cV(l pourquoi
on rappelle n^yllique. Ch. 14. n. 8.
CANTIQUE.
AlA noirceur apparente cache la gran-
deur des opérations de Dieu dans mon amc,
Ch. I. V. 4.
UEpoux facré eft toujours dans le cen-
tre de Tame qui lui cil fidelle : mais il y
demeure fi caché , que celle qui pofTéde ce
bonheur, l'ignore prefque toujours; excep-
té certains momens où il lui plait de fe faire
fentir à l'ame amoureufe , qui pour lors le
découvre en foi d'une manière intime &
profonde. Il en ufe à préfent de la forte
avec la plus pure de fes Amantes , ainfi
que le témoigne ce qu'elle va dire. Lorf-
que mon Roi , celui qui me gouverne &
me conduit en fouverain , Ji repofoit dans
fon Ut , qui eft le fond & le centre de
mon ame , où il prend fon repos ; mon
nard , qui eft ma fidélité , a répandu fon
odeur d'une manière fi douce & fi agréa-
ble , qu'il Ta obligé de fe faire connoitre à
moi : alors j'ai reconnu qu'il fe repofoit en
moi 5 comme dans fon lit Royal ; ce que
j'avois ignoré auparavant ; car quoiqu'il y
fût, je ne Ty appcrcevois pas. La ^ même.
▼. Il,
46 Justification.
Cette Amante ne fait pas que fon regard
eit devenu fi épuré , qu'étant toujours dU
retft & fans réflexion , elle ne connoît pas
fon regard , & ne s'apperçoit point , qu^elle
iiecelTë point de voir. De plus , dès qu'on
ne peut plus le voir , & qu'on s'oublie foi-
même , auffi-bien que toutes les créatures ,
il eft néceflaire qu'on regarde Dieu. Ch* 4.
V. 9.
Comme Técorce eft la moindre partie de
la grenade , qui renferme en foi toute fa
bonté ; auiîi ce qui paroît extérieurement
de l'ame de ce degré , eft très-peu de chofc
au prix de ce qui eft caché. Ch. 6. v. 6.
.T
AUTORITÉS,
Henri Suso.
ANDis que rhomme connoît ou fent fon
union avec Dieu, ou quelque chofe d'appro-
chant dont il peut parler , il peut entrer encore
plus avant. Dialog. de la Vérité. Ch, S.
2. Voyez Anéantijfement. n. ^.
3. Voyez Acies, n. i.
4. L'efprit créé eft faifi par refprit fureflenticl
de Dieu 5 & enlevé où il ne pourroit jamais par-
venir par lui-même. Dans cet enlèvement il perd
toute image , toute forme & toute multiplicité ,
& eft conduit dans l'ignorance de foi-même &
de toute chofe ; enforte qu'il ne fe voit plus lui-
même ni les autres chofes hors de Dieu, & qu'il
eft abforbé par une fimple perte avec les trois
XÎJI. opérations de Dieu. 1--9. 47
facrccs Pcrfouncs (];ii)s J':îbînic de la Diviniu* : là
il trouve fa bcatitudc fclon la vt'-ritc fiipreme.
Liï - mcnic. Chap. 2 i .
Stc. Catherine de Gènes.
5. Voyez Ancantijycmcnt. n. 15.
6. Si ces créatures, qi,ii font rares au monde,
^toicnt connues , elles feroicnt adorées : mais
Dieu Jes tient inconnues & cachées à elles-mc-
mes & aux autres, jufqu'à l'heure de la mort,
qui efl le tems où Ton connoît le vrai d'avec le
faux. Dialogues Livr, 3. Ckap, 11.
Ste. Thérèse.
7. L'ame n'entend point comment , ni par où
entre ce bien qu'elle voudroit ne point perdre. —
Or ici lui font communiquées de grandes vé-
rités ; parce que cette lumière eft telle qu'elle
1 éblouit 5 en forte qu'elle l'empêche de connoî-
tre ce que c'eft. —
Car comme un enfant ne fait point comme il
croît, ni comme il tête, vu miême que fans qu'il
cherche la mamelle , & fans qu'il fafTe aucune
chofe , on lui met fouvent le teti'n dans la bou-
che : de même en arrive-t-il ici à Tame; car elle
ne fait du tout fi elle fait aucune chofe , & ne
fait comment, ni par où, ni ne peut entendre
d'où lui eft venu ce grand bien. Conceptions de
t Amour de Dieu. Ch. 4.
Le B. Jean de la Croix.
8. II faut favoir que cette connoiflfance géné-
rale dont nous parlons, eft par fois fi fubtile &
fi délicate , principalement quand elle eft plus
pure , plus fimple, plus parfaite , plus fpirituelle
& intérieure , que l'ame encore qu'elle y foit
employée, ne l'apperçoit & ne la fent pas. Mon-
tée du Alont Carm. Livr. 2. Chap. 14.
9. Cette ame ne s'entremettra gueres des,.cho-
48 Justification.
fes d'autrui; car même elle ne fe fouvient point
des Tiennes : & l'Efprit de Dieu a cette proprié-
té en Tamc où il demeure , qu'auffitôt il l'incli-
ne à ne vouloir favoir les chofes d'autrui , il les
lui fait oublier toutes, principalement celles qui
ne font pas pour fon profit, parce que l'Efprit
de Dieu eft recueilli , & ne fort aux chofes d'au-
trui; & ainfi l'ame demeure en une ignorance de
tout. Ce n'effc pas à dire qu'elle perde l'habitude
des fcienccs, & totalement les notices des cho-
ies qu'elle favoit auparavant, bien qu'elle demeu-
re en ce non-favoir; mais c'eft qu'elle perd l'aéte
& la mémoire de toutes les chofes dans ces ab-
forbemens d'amour. Cantique entre tEponfe ^
ï Epoux. CoupL i8.
Le p. Nicolas de Jésus Maria rapporte
10. D, Barthelémi des Martyrs. Ils deviennent
femblables à un enfant , qui embraffe fa mère &
fuce la mamelle , lequel le plus fouvent ne voit
& n'entend rien , ou au moins ne juge pas qu'il
voit & entend. (Jbregcfpirit. Chap, 13. §. 13.)
Fxdairdjf. des Phraf, Myji. de J. de la Croix. P. IL
Chap. 4. §. 2.
11. St. Thomas fur S. Denis. Il y a une très-par-
faite connoiffance de Dieu par éloignement, c'eft
à favoir, en ce que nous connoiflfons Dieu par
ignorance par une certaine union au-defiiis de la
nature de l'efprit; à favoir quand notre efprit fe
retirant de toutes les autres chofes , & après auflî
fe laiffant foi-même , eft uni aux rayons furrelui-
fans de la Divinité , à favoir en ce qu'il connoît
que Dieu eft non feulement au-deffus de toutes
chofes qui font au-deffous de lui , mais aufli , au-
deffus de lui & fur toutes chofes qui peuvent être
comprifes de lui. Là-mêmf.
1%. Sua-
XLII. OpcratioJis de Dieu. 9- 17. 49
lî. Suarcz, Aiiifi cette ignorance de Dieu,
de laquelle parle S. Denis, n*e(l pas une ignoran-
ce de privation, ou de niauvaife dilpofition : car
ainii ignorer Dieu , c*e(l une trcs-grande impcr-
fec^lion : mais par rignorance il entend une cer-
taine connoillancc de Dieu , par lacjuelle on con-
iioît plutôt, ce que Dieu n'eft pas, {|ue ce qu'il
ell ; & pour cela on l'appelle ignorance. ( Tum, 2.
de Relit;, L 2. de Orat. cap, 12. n. 20. ) Là-mèmc.
13. 6' Bernard, Voyez Entendre, n. 31.
14. S, Bonaventure, Voyez Là-même. n. 32.
15. Hugues de S, ViSlor. Ils n^ favent où ils fè
voyent être , & trouvent au-dedans quelque cho-
f e , comme parles embrafTemens d'amour, & ils
ignorent ce que c'eft, & néanmoins ils défirent
de le tenir de toutes leurs forces. Là-même.
Le Fr, Jean de S. Samson.
16. Le meilleur pour l'homme eil , d'ignorer
en cette vie en quel degré de grâce & de charité
il eft, & même d'ignorer du tout s'il eft agréa-
ble à Dieu. Efprit de Carmel. Chap. 9. §. 17.
17. La fiiinteté dt?> Saints eft inconnue aux
hommes, leur vie eft connue à Dieufeul 6c aux
citoyens céleftes. Toutefois elle n'eft pas entiè-
rement inconnue aux Diables , & ils crai^:nent
beaucoup de les aborder. Leur vie eft fans mira-
cles , n'y ayant pas de plus grand miracle que leur
continuelle fainteté , par la force 6c vertu de la-
quelle ils demeurent fixes & arrêtés immobile-
ment en Dieu , par-defliis toute vertu. De forte
que celui qui voudroit préfum.cr de les toucher,
fe tromperoit grandement:: on toucheroit auffitôt
Dieu, pour ainfi dire, en fabime duquel ils font
entièrement abforbés <k engloutis. Ils ne font pas
pourtant infenfibles , à caufe de leur pur amour
de Dieu , dans lequel & pour lequel ils combat-
Tome IL Jujiif, D
go J U s T I F I C A T I O K.
tcnt & rcfiflent virilement aux affauts que les
Diables & les hommes leur livrent continuelle-
ment. Plufieurs même qui paroiffcnt juftes en pu-
blic, en jugent bien mal, pour ne favoir pas quelle
cft leur vie, & en quoi elle confifte, quelle eft
leur fuprême renonciation & où elle réfide. Dieu
le permettant ainfi pour le plus grand bien de fes
amis. Aufli apportent-ils en un jour plus de pro-
fit à l'Eglife par leur parfaite & continuelle union
à Dieu, que les autres ne font en plulieurs an-
nées. Cabinet Myjï. Part, 2. Ch. 4. n. 5.
18. Voyez Saints inconnus, n. 7.
19. A regard de vos vrais Amoureux, qui
fe font perdus entièrement & fans reffourcc
à eux-mêmes, on ne peut en rien dire : on ne
les voit point, on ne les connoît point; on igno-
re leur demeure; on ne fait quels font leurs plai-
firs & les délices où ils fe repofent au midi. De-
forte qu'étant inconnus, ils font fort fouvent,
& même pour l'ordinaire, perfécutés des hom-
mes , même des meilleurs & plus faints ; à quoi
ils prennent très-grand plaifir de fe foumettre,
pour fe rendre en cela femblables à leur bien-ai-
mé Sauveur. Car puifque pour leur amour vous
avez été perfécuté de vos propres enfans , com-
me fi vous euffiez été l'ennemi de tout le genre
humain, n'eft-ce pas grand honneur au difciple
d'être traité comme fon Maître? Contemplât. 16.
20. Les faints hommes mêmes cherchent af-
fez fQuvent ces perfonnes ici & ne les peuvent
atteindre , vu la difiérence de l'état & conftitutioii
des uns & des autres. Cela fait que très-fouvent
ils les perfécutent & les calomnient outrageufe-
ment, comme gens oifeux, inconnus, dont la
' vie ne vaut rien félon leur jugement. Ainfi les
doigts de ces Amis de Dieu inconnus diRillent
XLII. Opérations de Dieu. 17-22. sr
fonvent la inyrrc trcs-épronvce. Car ils ne font
j)js inrciîiiblos comme la [Mcrrc (Se le bron/c , ni
(le nature impallible comme les Anges. — J'a-
joute néanmoins que, comme ils font ITiumi-
Jité même, ralilic'tion telle qu'elle foit, ne les
fait jamais fortir , d'autant (lu'ellene les peut ren-
contrer , nV ayant que Dieu vivant en eux qui (a)
foutlre cSc enduro toutes chofes en eux pour ainfi
dire, à quoi ils lui fervent d'inflrument éternel.
Contemplât. 38.
21. Comme ces pcrfonnes font fi rares entre
les hommes, ce n'eft pas merveille fi on n'en fait
pas état , vu qu'il ell impoHible d'exalter, &
même de beaucoup aimer ce qu'on ne connoît
point. Ouc l\ ces âmes excellentes font maltraN
tées parles meilleurs moraux, que ne doivent-
elles point fouftrir de la part des libertins ? Sans
doute il faut fe réfoudre à être vivement perfé-
cutc d'eux. De Ceifuftoîi de L'homme hors de Dieu.
Traite J. n. 14.
22. Celui qui étant pafTé au total de Dieu ,
femble n'avoir rien d'une telle fainteté , eft d'au-
tant plus merveilleux, que fa condition eft infi-
niment élevée au-delà de la région élémentaire.
Sa clarté reluit merveilleufement pour l'édifica*
tion des prochains , en toutes fes avions , paro-
les , geftes 8^ fentimens ; tout cela manifeftant
alfez à clair l'Efprit de Dieu, à quiconque eft dif-
pofé par vertu pour envifager cet état ; lequel
Efprit de Dieu remplit ces âmes fuavement, les
domine fortement, les échauffe vivement, & les
illumine excellemment. Toutefois je fais bien de
{a) C*eft porter Jéfus-Chrift dans fes états. ( Moyen
courte Ch. g. n. i.) J'en ai écrit en bien des endroits.
( Voyez les Explications fur ^ombr. Chap. 20. v. 7-"9.
I. Cor, 4. V. 10. Gai 6. v. 17. PhiL i. v. ig, 20, 21, &c.)
D 2,
SZ JUSTiriCATIOîT-
quoi je me dois phiindre , encore que je ne fachc
pas de qui ; — à peine ai-je jamais connu , ou con-
roîtrai-je quelqu'un à Tavenir, qui demeure fer-
me & généreux dans les ennuis de la nature au
tems même de rextrémité : — à la moindre &
première rencontre de femblablcs ennuis , Tame
vaincue defcend de cette croix , allant fe confo-
]er par les fens. Cette vérité condamne de foi-
blefre certains fpirituels , qui ne fauroient ago-
iiifer en amour nud dans les ennuis de la nature ,
s'ils font de quelque durée. Là-même, n, 70, 71.
23. La vraie ik perdue fainteté eft pur efprit.
Elle confifte dans le pur & éminent amour, hau-
tement & éternellement renoncé ; & les fpirituels
qui font au-deiïbus de cet état d'éminence n'y
connoiffent rien , à raifon de l'extrême diftancc
qu'il Y a dts uns aux autres. Ces Saints incon-
nus , comme ils font, n'ont qu'à aller leur che-
min par leur défert folitaire & fcabreux en efprit;
mourant très-nuement à tous les dons de Dieu,
& faifant toujours chemin au-delà de tout cela. —
Il n'importe nullement fj les hommes les con-
noiffent ou non : au contraire , cette forte de fain-
teté étant inconnue , eft dès là même très-affu-
rée. Là-même. n. 73.
24. Leur humilité eft ici en fon propre domi-
cile , félon toute fon étendue au-dehors , autant
qu'il le faut; & au-dedans elle eft auffi dans fon
centre & dans fa propre fortereiTe , fans que per-
fonne, par manière de dire, que Dieu & eux, la
connoiffent : au contraire , il fe peut faire que cer-
tains les eftiment fuperbes, fans raifon nifujet,
prenant leur bonne hberté d'efprit pour la même
fuperbe ; l'aveuglement defquels les empêche de
mieux juger. La mort des Saints ^ tic. Chap. 3. n. 7.
X L 1 1 1. Opcnitiniï!: propres. 5 ?
X L 1 1 1 . Ope rations propres.
Ceci a tant de rapport aux Acîes que c'efl
prcfquc la mcme chofe.
MOYEN COURT.
Il faut fe contenter de dire , que c'cft
alors qu'il eft de grande conféquencc de
faire cefler Taélion & l'opération propre
pour lailfer agir Dieu. — Mais la créature
e(l fi amoureufe de ce qu'elle fait , qu'elle
croit ne rien faire fi elle ne fent , connoît &
dillingue fon opération. Elle ne voit pas
que c'efl la vîtefîe de fa courfe qui l'empê-
che de voir fes démarches , & que l'opéra-
tion de Dieu devenant plus abondante , ab-
forbe celle de la créature , comme on voit
que le foleil , à mefure qu'il s'élève , abforbe
peu-c\-peu toute la lumière des étoiles , qui
fe diftinguoient très-bien avant qu'il parût.
Ce n'eft point le défaut de lumière qui fait
que l'on ne diftingue plus les étoiles , mais
Texcès de lumière.
Il en eft de même ici. La créature ne dif-
tingue plus fon opération ^ parce qu'une
lumière forte & générale abforbe toutes fes
petites lumières diftinéles ^ & les fait en-
D z
54 Justification.'
tierement défaillir à caufe que fon excès les
furpafTe toutes. —
Je dis donc que cette défaillance d'opérer
ne vient point de difette^ mais d'abondan-
ce , comme la perfonne qui en fera l'expé-
rience le didinguera bien. Elle connoîtra
que ce n'eft pas un filence infruétueux ,
caufé par la difette , mais un filence plein
& onâueux caufé par l'abondance.
Deux fortes de perfonnes fe taifent ; l'u-
ne pour n'avoir rien à dire^ & l'autre pour
en avoir trop. 11 en eft de même en ce de-
gré 5 on fe tait par excès , & non par
défaut.
L'eau caufe la mort à deux perfonnes
bien différemment : l'une fe meurt de foif ;
& l'autre fe noie : l'une meurt par la difette,
& l'autre par l'abondance. C'eft ici l'abon-
dance qui fait cefTer les opérations. Il eft
donc bien de conféquence de demeurer le
plus en filence que l'on peut.
Un petit {a) enfant attaché à la mamelle
de fa nourrice nous le montre fenfiblement.
Il commence à remuer fes petites lèvres
pour faire venir le lait ; mais lorfque le lait
[û] Il me femble que le B. Jean de la Croix fe
. fert de cette comparaifon : je crois Tavoir écrit plus
haut [Voyez Oraifon. §. IL n. 17. & S. François de
Sales là-méme, n. 2^ Comme aufli Ste. Théréfe c'udef^
Jus. n. xj. Opérations de Dieu, n. 7. j
XI II. Opcratlons propres. ^5
vient avec abondance , il fc contente de Ta^
valer fans Faire nul mouvement : s'il en fai-
foit, il fe nuiroit , & feroit répandre le lait»
& il feroit obligé de quitter.
Il faut de même au commencement de
Foraifon remuer d'abord les lèvres de Taf.
fecftion : mais lorfque le lait de la graCc
coule 5 il n'y a rien à faire que de demeu-
rer en repos , avalant doucement ; & lorf-
que ce lait cefTe de venir , remuer un peu
l'artedion , comme l'enfant fait la lèvre.
Qui feroit autrement ne pourroit profiter
de cette grâce , qui fc donne ici pour atti-
rer au repos de l'amour , & non pour exci-
ter au mouvement de la propre multipli-
cité.
Qu'arrive -t- il à cet enfant qui avale
doucement le lait en paix fans fe mou-
voir ? Qui pourroit croire qu'il fe nour-
rit de la forte ? Cependant plus il tête
en paix , plus le lait lui profite. Qu'arrive-
t-il, dis -je, à CGt enfant? C'eft qu'il
s'endort fur le fein de fa mère : cette ame
paifible à l'oraifon s'endort fouvent du fom-
meil myftique , où toutes les puifTances fe
taifent , jufqu'à-ce qu'elles entrent par état
dans ce qui leur eft donné pafTagérement.
Vous voyez que l'ame eft conduite ici tout
naturellement , fans gêne , fans effort^ fans
étude , & fans artifice. Chap. iz. n. '^l ^ '^ ^
D4
56 JUSTIFICATION.
Qu'ils ne fe mettent pas en peine de
faire autre chofe , lorlque Dieu agit plus
excellemment en eux & avec eux. Ceft
haïr le péché, comme Dieu le haït que de
le haïr de cette forte. Ceft Tamour le
plus pur que celui que Dieu opère en Fa-
mé. Qu'elle ne s'emprefie donc pas d'agir,
mais qu'elle demeure telle qu'elle eft , fui-
van t le confeil du Sage : (a) Mette^ votre
confiance en Dieu , demeure':^ en repos en
la place cîi il vous a mis. Chapitre i^.
n. 3.
Ceci(i) ne peut être pour les degrés
précédens , où l'ame étant encore dans l'ac-
tion , fe peut & fe doit fervir de fon induf.
trie pour toutes chofes , plus ou moins , fé-
lon fon avancement.
Pour les âmes de ce degré qu'elles s'en
tiennent à ce qu'on leur dit , & qu'elles ne
changent point leurs fimples occupations.
Il en eft de même pour la Communion :
qu'elles laifTent agir Dieu , & qu'elles de-
meurent en filence : Dieu ne peut être
mieux reçu que par un Dieu. Lâ-^même n. 5.
Cette prière eft la prière de vérité : c'eft
(c) adorer le Père en hjprit & en vérité. En
efprit ;' parce que nous fommes tirés par là
de notre manière d'agir humaine & char-
' [a] Eccle. 11. ?î^. 22.
t, [W Précaution à noter. v
[c] Jean 4. ?^. 23.
XL! II. Opcratiom propres. 57
ncllc 5 pour entrer clans la pureté de rcfprit
qui prie en nous. Vx en vérité ; parce que
Pâme elt mife dans la vérité du Tout de
Dieu , & du néant de la créature.
11 n'y a que {a) deux vérités , le tout , &
le rien. Tout le relie eft menfonge.
Nous ne pouvons honorer le Tout de
Dieu , que par notre anéantifl'ement. Ch.
ao. n. 4-
Notre aélion doit donc être de nous met-
tre en état de fouffnr Taélion de Dieu , &
de donner lieu au Verbe de retracer en nous
fon image. XJnt image qui remueroit , em-
pêcheroit le peintre de contretirer un ta-
bleau fur elle. Tous les mouvemens que nous
faifons par notre propre efprit , empêchent
cet admirable Peintre de travailler , & font
faire de faux traits.
Il faut donc demeurer en paix , &: ne
nous mouvoir que lorfqu'il nous meut. Clu
zi. n. 5.
Pour être donc à Jéfus-Chrift , il nous
faut laiiTer remplir de fon efprit , & nous
vuider du nôtre : il faut qu'il foit évacué.
Là-même. n. 9.
Il faut que {h) toutes chofes fe faflent en
leur tems : chaque état a fon commencé-
es] On a vu la vérité de cette propofition dans
YAnêantiJfancnt & V Humilité.
[6] Eccle. j. V, I.
58 Justification.
ment , fon progrès ^ & fa fin. Si on veut
toujours s'arrêter au commencement , c'eft
trop fe méprendre. 11 n'y a point d'art qui
n'ait ion progrès. (^2) Au commencement
il faut travailler avec effort , mais enfuite il
faut jouir du fruit de fon travail.
Lorfque le vailfeau eft au port , les ma-
riniers ont peine à l'arracher de là pour le
mettre en pleine mer : mais enfuite ils le
tournent aifement du côté qu'ils veulent
aller. De même , lorfque l'ame eft encore
dans le péché , & dans les créatures , il faut
avec bien des efforts la tirer de là , il faut
défaire les cordages qui la tiennent liée;
puis travaillant par le moyen des ades forts
& vigoureux , tâcher de l'attirer au-dedans ,
l'éloignant peu - à - peu de fon propre port :
& en s'éloignant de là , on la tourne au-
dedans , qui eft le lieu , où l'on défire
voyager.
Lorfque le vaiffeau eft tourné de la for-
te, à mefure qu'il avance dans la mer, il s'é-
loigne plus de la terre ; & plus il s'éloigne
de la terre , moins il fayt d'effort pour l'at-
tirer. Enfin on commence à voguer très-dou-
cement , & le vaifteau s'éloigne fi fort , qu'il
faut quitter la rame , qui eft rendue inutile.
Que fait alors le Pilote ? 11 fe contente d'é-
tendre les voiles & de tenir le gouvernail.
M Manière de quitter fes propres opérations.
X L 1 1 1. Opcratioui propres. 59
Etendre les voiles, ced faire Toraifon de
fimple expolitioii devant Dieu , pour erre
mû par Ion efprit. Tenir le gouvernail ,
c elt empêcher notre cceur de s'égarer du
droit chemin , le ramenant doucement , &
le conduifant félon le mouvement de l'ef-
prit de Dieu , qui s'empare peu-a-peu de
ce cœur , comme le vent vient peu-à-peu
enfler les voiles & pouffer le vaifleau. Tant
que le vaiffeau a le vent en poupe , le pilote
& les mariniers fe repofent de leur travail.
Quelle démarche ne font-ils pas fans fe fati-
guer ? Ils font plus de chemin en une heu-
re , en fe repofant de la forte , & en lailfant
conduire le vaiffeau au vent , qu'ils n'en fe-
roient en bien du tems par tous leur3 pre-
miers efforts: & s'ils vouloient alors ramer,
outre qu'ils fe fatigueroient beaucoup, leur
travail feroit inutile , & ils retarderoient le
vaiifeau.
C eft la conduite que nous devons tenir
dans notre intérieur, & en agiifant de cette
manière , nous avancerons plus en peu de
tems par la motion divine , qu'en toute
autre manière , par beaucoup de propres
efforts. —
Lors qu'on a le vent contraire , fi le
vent & la tempête eft forte, il faut jetter
l'ancre dans la mer pour arrêter le vaiffeau.
Cette ancre n'eft autre chofe que la con-
fiance en Dieu ;, & l'efpérance en fa bonté,
€o J U^S T I F I C A T I O N.
attendant en patience le calme & la bona-
ce , & que le vent favorable retourne ,
comme failbit David : (a) J'ai attendu ^ dit--
il , le Seigneur avec grande patience , & il
s'efi enjïn ahaijfé jufqu^à moi. Chap. 2X. n.
7.8,9.
il faut que ce qui eft de l'homme & de
fa propre mduftrie, pour noble & relevé
qu'il puilTe être , il faut , dis-je , que tout
cela meure. —
Tout ce qui eft de propres efforts & de
propriété , doit être détruit : parce que rien
{h) n'eft oppofé à Dieu que la propriété , &
que toute la malignité de l'homme eft dans
cette propriété , comme dans la fource de
la malice. Ch. 24. n. i.
Dieu purifie tellement cette ame de tou-
tes opératl'^ns propres , diftinétes , apper-
çues & niuiiipliées 5 qui font une difïem-
blance très-grande , qu'enfin il fe la rend
peu -à- peu conformée 5 & puis uniforme;
relevant la capacité paffive de la créature ,
Télargiffant & l'ennobliffant , quoique d'u-
ne manière cachée & inconnue : c'eft pour-
quoi on l'appelle myftique. Mais il faut
qu'à toutes ces opérations , l'ame concoure
palîivement.
Il eft vrai qu'avant que d'en venir là :, il
M Pf. ;9. V. I.
£/?] Ceci fe verra lorfque j'écrirai de là Fropriété.
X L 1 1 1. Opérations propres. 6i
faut quVlIc {(i) p^iffc plus au commence-
ment ; puis a nicfure que Topcration de
Dieu devient plus forte , il faut cjue peu-a-
peu & fuccefrivement Tame lui cède , juf-
qu'à ce qu'il TaLforbe tout-à-fait. Mais cela
dure longtems.
On ne dit donc pas , comme quelques-
uns l'ont crû , qu'il ne faille pas paffer par
l'aélion ; puifque au contraire c'eli: la por-
te : mais feulement , qu'il n'y faut pas tou-
jours demeurer ; vu que l'homme doit ten-
dre à la perfec^tion de fa fin , & qu'il ne
pourra jamais y arriver qu'en quittant les
premiers moyens , lefquels lui ayant été
néceffaires pour l'introduire dans ce che-
min , lui nuiroient beaucoup dans la fuite ,
s'il s'y attachoit opiniâtrement ; puifqu'ils
l'empêcheroient d'arriver à fa fin. C'efl ce
que faifoit St. Paul: {h) Je lûijfe j dit-il , ce
qui ejl derrière ^ & ]e tâche d^ avancer , afin
d'achever ma courfe.
Ne diroit-on pas qu'une perfonne auroit
perdu le fens , fi ayant entrepris un voya-
ge , elle s'arrêtoit à la première hôtellerie ,
parce qu'on l'auroit afTurée que plufieurs y
ont pafTé , que quelques-uns y ont féjour-
né , & que les maîtres de la maifon y de-
meurent ? La- même. n. 8 , 9,
(a) Ceci a été vu aux AHts.
ib) Phil. j. V. 13, 14-
6z Justification.
A U T O R I T É S.
S. Denis.
T. Mm
S encore ici , tenons -nous dans les
termes de cette loi des faintes Ecritures , qui
nous défend d'afhreindre & d'attacher la vérité
des chofes qui font dites de Dieu , aux paroles
{a) perfuafives de la fageffe humaine; mais veut
qu'elle foit démontrée par la force de la fapien-
ce des Théologiens , mue & infpirée par le S.
Efprit, par laquelle nous fommes conjoints aux
chofes ineffables & inconnues , d'une manière
qui ne fe peut ni exprimer , ni connoîtrc par le
moyen d'une certaine union meilleure & plus
excellente que toute puifTance & aélion raifonna-
ble & intelleduelle qui foit en nous. Des Noms
Divins. Chap. i.
2. Par la même proportion de vérité , Tinfi-
jiité qui n'a point de bornes , & qui efk au-delà
de tout être, furpaffe toutes \ts efifences qui font
au monde : & l'un qui eft par-delTus la penfée , ne
peut être imaginé par aucune penfée : & le bien
qui eft par-deffus la parole , ne peut être décla-
ré par aucune parole. Unité qui fait que toute
unité foit une , être fureffentiel , intellecl non-
intelligible,Verbe qui ne peut être exprimé , cela
même qui ne peut être ni déclaré, ni entendu,
ni nommé , qui n'eft point en la manière de tout
ce qui eft , & qui néanmoins eft auteur de
l'être à tout ce qui eft , lui-même étant au-delà
de tout être. Là-même,
3. Les hommes doués d'un efprit divin , étant
conjoints à ces unions , à la façon des Anges ,
d'autant que cette réunion avec la lumière plus
ia) I. Cor. 2. V. 4.
XLIII. Ol)êrations propres. 1-4. 6?
quccli\'iiic, fc f:iit ()ar une ccdiitioii de tonte oj)c-
ration (l'cntciHlciiiciit , louent cette lumicic pins
qne divine, très-proprement par nnc manière de
négation , par la(]uelle on ote de devant elle tout
ce qui ell en cpielque fac^on que ce foit: & ceux
qui la louent de la forte par cette union-là mê-
me, qu'ils ont avec cette fouvcraine fplendeur,
fout éclairés \'éritablement ik furnatureljement ,
qu'à la vérité cette lumière efl la caul'e de tout
être, mais qu'elle n'eft rien de tout ce qui e(l ,
comme étant fur-c(léntiellement féparée de tout
ce qui e(l. Il n'eft donc pas licite à pas un des
amoureux de cette vérité qui efl par-defTus toute
vérité, de louer la fureflentialité divine, quoi-
que ce foit cette fur-exillence de la bonté qui eft
par-defTus toute bonté , de la louer, dis-je, com-
me raifon , ni comme puiflTance , ni comme en-
tendement, ou \Me , ou elTence ; mais comme
excellemment abRraite & féparée de toute habi-
tude, mouvement , vie , imagination , opinion ,
nom, parole, penfée, intelligence, &c. Là-même.
4. Le bon eft appelle lumière (a) intelligible
& fpirituelle : parce que tout efprit qui eft au-
deffus des cieux , eft abondamment rempli de
lumière fpirituelle; & parce qu'il chafTe toute igno-
rance & toute erreur des âmes dans lefquelles il
s'infmue , & leur donne à toutes une lumière
facréc : & à caufe qu'il purifie (6) & qu'il net-
toie les yeux de leur entendement du brouillard
\_a\ S. Denis fait voîr comme cette lumière furmonte
tout : elle doit donc furmonter notre lumière , fui-
vant la comparaifon que j'ai rapportée , Moyen court.
CJU 12. A7. 2.
(6) La même (^pération de Dieu qui éclaire & attire
à foi , purifie. Voyez dans les Opufcules , Traité du
Purgatoire^ P, I. n. is. Moyen court. Ch. 11. n. z.
64 J U s T I F I C A T I 0 N^
caufé par Tignorance , qui s'étoit répandu 8c
amaHc tout autour, il les éveille & leur deffiUe
les yeux qu'elles avoicnt fiUés auparavant d'un
grand appefantiirement de ténèbres , & leur verfe
premiereiTient(^) une médiocre lueur ; puis quand
elles ont goûté la lumière & qu'elles viennent à
la défner davantage , il leur en infufe encore
plus ; & lorfqu'elles l'ont beaucoup aimée, il les
illumine abondamment, & les attire toujours en
avant, à proportion de la force & de la vigueur
de leur trait & de leur élévation. Le bien donc
qui eft par-deffus toute lumière eft appelle lumière
Ipirituelle , comme étant im rayon du fond &
originaire, une effufion de lumière qui regorge
de toutes parts , & qui de fa plénitude illumine
toutefprit, foit par-deffus le monde 5foit autour
du monde , foit auffi dans le monde ; qui renou-
velle toutes leurs puiffances & facultés intellec-
tuelles , qui les embrafîe & contient tous pour
être étendu par-deffus tous , qui les excède &
furpaffe tous , à caufe qu'il eft affis & établi par-
deflus tous : bref qui comprend en foi , qui fur-
monte (b) & qui a par anticipation toute la for-
ce & la vertu de ce qui a pouvoir d'illuminer ,
comme étant le premier principe de la lumière
& de tout ce qui eft lumineux : qui réveille &
raffemble en un toutes chofes intellectuelles &rai-
fonnables , & fait qu'elles foient unies , ferrées
& preffées. Car tout ainfi que le propre de l'igno-
(à) Progrès de la grâce dans les âmes.
C'eft une fucceflîon de toutes les difpofitîons inté-
rieures , qui menant Tame au recueillement & à Funion,
Ce qui eft en la conduite générale de la foi, eft auiïi de
même forte en la conduite particuliei'e des âmes,
CWDieu furmonte notre opération par la ficnne.
rance
XLIII. Opération propres. 4.^. 6f
nincc clt , (Je dixii'cr & de Icj)arci les clpritsqui
font CM! erreur ; de même le f)r(3|)i e de la lumière
jntelllji;ible elt, de recueillir <S: de rjunir par fa
préreace les choies (ju'elle illumine , de les per-
fectionner (Se de les convertir au vrai être, en
Jcs détournant de plufieurs opinions, & recueil-
lant leurs vues éparles & ég;arées en pluUeurs ob-
jets; ou pour lîîieux dire, leurs imaginations &
fantaifies diTtraites & vagabondes a une feule ,
vraie, pure & uniforme connoiffance , les rem-
pliffant de fa lumière, qui cft une, & qui a le
pouvoir de rendre uns , ceux à qui elle fe commu-
nique. Des Noms divins, Chap. 4.
Henri Sus g.
y. Voyez Confljiance, n. 6.
RUSBROCHE.
6. Quand la manière de la créature ceffe , dé-
faut, & ne peut aller plus loin , c'eft alors que
commence la manière de Dieu, c'eft-a-dire ,
quand Thomme s'eft attaché à Dieu par fes efforts ,
fon amour & fes dédrs , fans pouvoir parvenir à
l'union div^ine, alors Tefprit du Seigneur , com-
me un feu véhément, vuent à fon fecours , &
brûle, abforbe en foi & confume tout,- enfortc
que Famé s'oublie elle-même & tous fes exerci-
ces , & fe trouve devenue un même efprit & ua
même amour avec Dieu.
Là tous les fens & toutes les puilTîinces fe tai-
fent & s'aflbupiffent dans une paix divine, étant
inondées des richeflTes de la Divinité plus abon-
damment qu'elles ne peuvent défirer. Cette pre-
mière opération eft attribuée (a) au S. Efprit.
La féconde eft attribuée (a), au Fils , par la*
quelle l'entendement élevé au-deflTus de toute
(a) Explic. du Cantiq, C/i, i. v, i.
Tom. L Jîifl. E
es J U s T I F I C A T I O K
raifon , de toute confidération & de tout difcer-
nement, eft pénétré de la Jumiere divine dan3
une intelligence nucy & par cette lumière il peut
contempler fixement la clarté divine & la Vérité
ctcrnelle.
La troifieme opération , ou manière , eft attri-
buée (a) au Pere^ c'eft elle qui vuidant la mé-
moire des formes & des images, élevé Famé ainlî
dénuée jufques dans fon origine , qui eft Dieu
Je Père, l'unit à fon principe & l'y établit. Les
Jept gardes, chap. 19.
Harphius.
7. Voyez AnéantiJJcment, n. 8.
Ste. Catherine de Gènes.
g. Voyez AnéantiJJcmcnt, n. 12.
9. Or comment eft cette participation de Dieu ^
cela ne fe peut dire : & nul ne le faura , fi Tef-
prit ne retourne en cette pureté & netteté en
laquelle il fut créé de Dieu. Mais pour parvenir
à ce but il faut que Dieu (/;) nous confume &
dedans & dehors , & que l'être de l'homme foit
tellement anéanti , qu'il ne puiffe non plus fe re-
muer que s'il étoit un corps mort fans fenti-
ment. Il eft néceffaire que l'intérieur meure eu
foi-mème , & que fa vie & tout fon être foit
caché en Dieu avec Jéfus-Chrift & qu'il n'en
fâche rien, ni ne le puilTe favoir, ni même y
penfer , non plus que s'il n'avoit ni vie ni être. li
faut auffi que l'homme en l'extérieur demeure
aveugle 5 fourd , muet, fans goût & fans opéra-
tion d'entendement, de mémoire & de volonté ,
tellement perdu qu'il ne puiffe comprendre où
il eft; qu'il dem.eure privé de foi -même, &
(£3) Explic. du Cantiq. Cli. i. v. i.
(6) Voyez ce qui eft dit au Moyen court de la purifi?
catioa de Tor, (Chap. 24, n, i , 3, j. &c.)
XLIII. Opcratiom propres. (îro. 6/
paroifTc fou aux autres, qui lontctonncs de voir
nue créature qui ait l'être fans Topération. yie.
C/i. 35.
10. Dieu détruit (tj) toutes les chofes que nous
aimons , par mort , par maladie par pauvreté ,
par haine, pardifcorde, détractious , fcandalcs ,
iTiocjueries & infamies , avec parens , amis , avec
nous-mêmes j de forte que nous ne favons que
faire , nous voyant tirés hors des chofes qui nous
délectoient : au contraire de toutes ces chofes on
reqoit de la peine & de la confufion cK 1 O'i ne
fait pourquoi l'amour divm fait de telles opéra-
tions, lefquelles nous femblent toutes contrai-
res à la raifon , & du côté de Dieu , & du côté
du monde : c'eft pourquoi 1 ame crie & fe tour-
mente; elle tâche & efpere de fortir de cette
grande angoiffe , & jamais elle n'en fort.
Quand ce divin Amour a tenu quelque tems
cette ame ainfî fufpendue & prefque defefpérée,
& ennuyée de toutes les chofes qu'elle aimoit au-
paravant , alors (b) il fe montre à elle avec fa
divine face gaie & éclatante ; & fitôt que 1 ame
Je voit, & qu'elle demeure nue & délaifTee de
tout autre fecours, elle fe jette & fe remet toute
entre fes mains.
Lorfque Famé a vu l'opération divine par le
moyen du divin Amour pur , elle fe dit ainlî O
aveugle , à quoi étois-tu occupée '< que cherchois-
tu? que déiîrois-tu? Tout ce que tu cherches,
& toute la délectation que tu peux délirer, efc-
ici. O Divin Amour , avec quelle douce trom-
perie m'avez-vous déçue, pour me djrober tout
(a) Lorfque Dieu veut une ame pour lui , il détruit &
tenverfe à ton égard toutes chofes.
(a) Fin des opérations détruifantes de Dieu.
E ^
6i Justification.
amour propre, & me revêtir du pur amour^
plein de toute joie. Là-même, Cfu 41.
II. Toutes les autres opérations qui font fai-
tes par cet homme font encore faites avec cet
amour, & font rendues agréables par la grâce gra-
tifiante; parce que Dieu eft celui qui opère avec
fon pur amour , fans que 1 homme s'y entre-
mette: & Dieu ayant pris le foin de cet homme ,
& layant tiré tout à lui , opère par le moyen de
cet amour , renrichifTant de fes biens avec une (î
grande libéralité , qu'il fe trouve enfin attaché au
fil de Tamour, & noyé dans l'abîme divin fans
qu'il le fâche. Et bien que Thomme en cet état
femble une chofe morte, perdue & abjecte, il
trouve néanmoins fa vie cachet en Dieu , où
font tous les tréfors & toutes les richelTes de
la vie éternelle : & il ne fe peut dire ni penfer
ce qu'il a préparé à cette ame fa bien-aimée. Dia-
logue, Livr, J. Lh, I.
12.' Les œuvres qui font faites parTAmour^
font encore plus parfaites , parce qu'elles font
faites fans que Thomme y ait aucune part. L'A-
mour s'eft rendu le maître & le vainqueur de
rhomme ; & Thomme eft tellement abforbé &
noyé dans la mer de cet amour , qu'il ne fait où
il eft, & demeure perdu en lui-même , ne pou-
vant faire aucune chofe. L'Amour eft celui
même qui opère en l'homme : & ces opérations-
là font des œuvres de perfection , parce qu'elles
font faites fiuis propriété de l'homme : ce font^
oeuvres dé grâce gratifiiante, que Dieu a toutes
pour agréables. Ce doux & pur Amour a pris &
tiré rhomme à foi , & Ta privé de lui-même y il
en a pris pofleffion & opère continuellement en
cet homme & par cet homme , feulement pour
XLIII. Ofnratîom propres, tt-tj. ^9
ion hicn ik utilité, fans (|uc Ini-mcmc s'y en-
tremette. Là-mmic. Cil, f.
StC. T II K R K S F.
ij. \Lv\ cette oraifon la X'olonté ne pourroit
s^imufer , à vouloir tirer rentendenient [)ar force
apPwS elle, lans le détourner & rNU|niéter : d'où
il arriveroit tjuc non feulement elle ne tireroit
pas par ce moyen un plus grand profit de fou
oraifon \ mais que tous fes efforts ne ferviroient
qu'à lui faire perdre ce que Dieu lui auroit donné,
fans (]u'eltey eut rien contribué. Voici une com-
paraifon cjue notre Seigneur me mie un jour daniî
Tefprit , durant cette Oraifon, qui à mon avis
explique cela fort clairement : c'eft pourquoi
je vous prie de la bien Confiderer.
L'ame en cet état (^7) reflfemble à un enfant qui
tête encore , à qui f^i mère pour le carreffer lorf-
qu'il eft entre fes bras , fait diftillcr le lait dans
fa bouche , fans qu'il remue feulement les lèvres.
Car il arri\'e de même en cette oraifon , que la
volonté aime fans que Tentendement y contri-
bue rien par fon travail, parce que Notre Sei-
gneur veut que, fans y avoir penfé , elle con-
noiflTe qu'elle eft avec lui ; qu'elle fe contente de
fuccer le lait dont il lui remplit la bouche ; qu'el-
le goûte cette douceur, fans fe mettre en peine
de favoir que c'eft lui à qui elle en eft obligée \
qu'elle fe réjouiffe d'en jouir , fans vouloir cori-
noitre , ni en quelle manière elle en jouit, ni
quelle eft cette chofe dont elle jouit : & qu'elle
entre ainfi dans un heureux oubli de foi-mème ^
par la confiance que celui qui eft auprès d'elle,
n'oubliera pas de pourvoir à tous fes befoins.
Au heu que lî elle s'arrêtoit à contefter avec
id) VoyQz Jlotjcn court. Ch. 12. n. 4.
E 3
70 JUSTIFICATIOÎi.
rentendement pour le rendre malgré lui partici-
pant de fon bonheur , en le tirant par force après
elle, il arnveroit de nécellîté que ne pouvant
avoir en même tems une forte attention à deux
chofes , elle laifferoit répandre ce lait , & fe trou-
veroit ainfi privée de cette divine nourriture.
Or il y a cette différence entre Poraifon de
quiétude & celle , où l'ame eft entièrement unie à
Dieu 5 qu'en cette dernière Tame ne reçoit pas
cette divine nourriture comme une viande qui
entre dans la bouche, mais elle la trouve tout
d'un coup dans elle-même , fans favoir comment
Notre Seigneur l'y a mife : au lieu que dans la
première il femble , que Notre Seigneur veut
que Famé travaille un peu , quoiqu'elle le faffc
avec tant de douceur qu'elle s'apperçoit à peine
de fon travail. Chem. deperf, Ch. XXXI.
Le R. Jeak de la Croix.
14. La première nuit ou purgation eft amcre
& terrible pour le fens : la féconde n'a point de
comparaifon , d'autant qu'elle eft très-épouvan-
table pour l'efprit , comm.e nous dirons incon-
tinent. ^ On ne traite guère de cette nuit fpi-
rituelle foit de paroles , foit d'écrits, dont les
difcours tirés de l'expérience font très - rares.
Donc comme le ftile qu'ont ces commenqans
en la voie de Dieu , eft très-bas & fort correfpon-
dant à leur amour & à leur goût, comme nous
avons déjà dit , Dieu les veut avancer & les
tirer de cette baffe (Te à un plus haut degré de fon
amour, & les délivrer du bas exercice du fens
& du difcours , qui cherche Dieu fi baffement
ou mefquinement, & avec tant d'inconvéniens ,
comme il a été dit, & les mettre dans l'exercice
de Tefprit , où ils peuvent plus abondamment &
XLIII. Opcrutinns /;r^;;T.c. i j-i f. 7r
avec plus Hc libntc ^ d'anianchifrcmeiit des
iinpcricctioiis c()mmnni([ncr nvcc Uicii. Ohfuirc
Is'uit. Livr. I. r//. 8.
i^. Cette contemplation fcclic donne à l*ame
une inclination & un dcfir d'être feule 8c en re-
])OS , fans pouvoir penfcr à aucune cliofe [):irti-
culierc , & niênie fans en avoir cn\'ic. Alors Ci
ceux à qui cela arrive fe favoient calmer, ncjz;Ii-
geant toute œuvre intérieure & extérieure , (ju'ils
prétendent faire piw l.nn- induftrie & Icui- dif-
cours , ne fc fouciant d'autre chofe , (inon de fc
lailfcr conduire à Dieu, de recevoir & d'ouir
avec une attention intérieure & amoureufe, (a)
incontinent en ce loifir & oubli de toutes chofes,
ils jouiroient de cette délicate réfection inté-
rieure. Laquelle eft telle que fi Tamc en a envie ,
ou qu'elle faffe une particulière diligence de la
fentir , elle ne la fent plus ; parce que , comme
je dis , elle opère en elle dans le plus grand loifir
& oubli de Tame : c'eft comme 1 air , qui s'évade
quand ou veut fermer la main pour le retenir.
Nous pouvons entendre à ce propos ce que
l'Epoux dit au Cantique à fou Epoufe : (b) de-
tournez vos yeux de moi , car ils me font envoler :
d'autant qu'en cet état. Dieu met Tame de telle
manière , & la conduit par un chemin fi différent ,
que fi elle vouloit opérer de foi-même & par fon
habileté, elle empècheroit plutôt l'œuvre que
Dieu fait en elle , qu'elle n'y aideroitj ce qui étoic
auparavant fort différent. La caufe de cela eft,
parce que déjà en cet état de contemplation ,
qui eft lorfqu'elle fort du difcours à Tétat des
a^^ancés , Dieu eft celui qui opère en l'ame i en-
forte qu'il femble qu'il lui lie les puiffances inté-
(ii) Notez incontinent, (6) Cant. 6. ir. 4.
E4
72 J U S T^ F I C A T I O N.
ricures , ne lui laifTant aucun appui dans l'enten-
dement , ni fuc en la volonté, ni difcours en la
mémoire i d'autant que ce que Tame peut alors
opérer de foi-même , ne fert , comme nous avons
dit, que d'empêchement à la paix intérieure,
& à Toeuvre que Dieu fait dans Pefprit en cette
féchereffe du fens , laquelle étant fpirituelle &
délicate fait une œuvre coie & délicatte , paci-
fique , & fort éloignée de tous ces autres premiers
goûts qui étoient fort palpables & très-fenfibles.
Car cette paix eft celle que Dieu (comme dit {ci)
David ) parle en l'amepour la rendre fpirituelle.
Là-même. Ch, 9.
16. Voyez Oraifon. §. IL n. 18.
17. Ainfi il étoit convenable, que les opéra-
tions de ces appétits-avec leurs mouvemens fuf-
fent endormis en cette nuit, afin qu'ils n*empê-
clialTent à Tame les biens furnaturels de l'union
d'amour de Dieu; d'autant que (b) durant leur
vivacité & opération , elle ne fe peut obtenir:
car toute leur œuvre & mouvement empêche
plutôt qu'elle n'aide à recevoir les biens fpirituels
de l'union d'amour ^ parce que toute habileté na-
turelle eft courte en ce qui concerne les biens
furnaturels que Dieu par fa feule infufion met
dans Famé paffivement, fecrettement & enfîlen-
ce. Et ainfi il eft néceffaire que toutes les puif*
fiinces fe taifent pour recevoir ladite infufion,
fans y entremettre leurs œuvres baffes & leur vile
inclination. Obfc.Nuit. Liv, 2. C7l 14.
îg. 11* s'enfuit de là que plus Tame va en obf-
curité & vide de fes opérations naturelles , tant
(n) Pr. 84. r^. 9. ,
C/)) Voyez ce qui eft dit au MoLjen court. ( Ch. 24.
§. I.) qu'on ne peut arriver à Tunion , ni par ia méditation,
m par la contcmpiation adive.
XLTII. Opérations propres. iS-20. 73
pins elle cft allurcc: parce (|uo» comme dit le
rrophcte ^a) , la perdition de Tame ne vient (|uç
d'elle-mcine, c'ert-ii-dire , de Tes opérations &
de fes appétits intérieurs & lenlitifs , difcordans
& non ajnTtcs i (Se le bien que tu as , dit Dieu , ne
vient (]ne de moi. Partant elle étant ainli di\'er-
tie de les maux , ij rcfte cprincontinent lui vien-
lient les bien> de l'union avec Dieu en Tes appétits
& puilfances , laquelle union les rendra djvjiie»
& céleftes. D'où vient que fi Tamc y j)rend garde
dans le teins 'de ces ténèbres , elle connoitra très-
bien , que 1 appétit & les puidances ne font guère
diverties aux choies vaines & inutiles , & qu'elle
eft hors de la vaine gloire , de l'orguciUV pré-
fomption , de la vaine & faufTe joie , & de plu-
fieurs autres chofes. Dont il s'enfuit bien, que
pour aller en ténèbres , tant s'en faut que Tamc
courre davantage danger de fe perdre , qu'elle
fe gagne plutôt foi-mème , puifqu'en cet état elle
acquiert les vertus. Là-même, C/i. 16.
19. L'Epoufe ne tient plus avec Dieu d'autre
ftyle ni faqon de traiter que l'exercice d'amour,
parce qu'elle a changé toute fa première faqon de
procéder en amour. Cantique entre fEpoufe i^ iE-.
poux. Couplet 20.
20. Les biens intérieurs que cette tranquille
contemplation laide imprimés en î'ame fans
qu'elle le fente, font ineftimables , parce qu'en-
fin ce font des onctions très-cachées & très-dé-
licates du S. Efprit; où il remplit fecrétement
l'ame de richeffes , de dons & de grâces; parce
qu'étant Dieu , il fait comme Dieu & opère
comme Dieu. Or ces biens , ces grandes richef-
fes , ces fublimes & délicates onctions & ces
[a] orée 13. y, 9.
74 Justification.
notices du S.Efprit , qui font fi fubtiles & fi purcj; ,
que ni l'ame , m celui qui la gouverne, ne les
entend , mais feulement celui qui les met & com-
munique, pour fe rendre Tame plus agréable,
font détournées & empêchées très - facilement ,
à favoir par la moindre action que Tame voudra
faire d'appliquer le fens ou^Pappétit, de vouloir
s'attacher à quelque fuc ou notice ; ce qui eft un
dommage fignalé, digne d'une grande douleur
& compaffion. Vive fiamme d'arnour. Cant, 3.7;. 3.
1 7. e^ 8.
21. Donc , ô âmes , quand Dieu vous fait de
jQ grandes faveurs , que de vous conduire par Té-
tât de folitude & de recueillement , vous écartant
de votre fens pénible , n'y retournez pas : quittez
vos opérations; car fi elles vous aidoient aupa-
ravant à renoncer au monde & à vous-mêmes ,
quand vous étiez en Fétat des commenqans ;
maintenant que Dieu vous fait la grâce , d'être
lui-même l'ouvrier ou celui qui opère , elles vous
feront un grand obftacle & embarras. Car ayant
foin de n'interpofer vos opérations en chofe au-
cune, les détachant de tout , & ne les embarraf-
fant point, (ce qui eft ce que vous devez faire
en cet état de votre part, & tenir conjointement
le regard fimple & amoureux fans faire aucune
force à Famé , fi ce n'eft pour la fequeftrer de
tout , & l'élever , de peur de la troubler & d alté-
rer fa paix & tranquillité) Dieu la repaîtra d'une
réfection celefte , puifque vous lalui laiffez libre
fans aux:un embarras. Là-mème, §. i^.
ai. Le troifieme aveugle c'eft Famé même,
laquelle ne s'entendant pas foi-mème , fe trou-
ble & s'endommage ; car comme elle ne fait
qu'opérer par le fens , quand Dieu la veut met-
XMII. Opcratiom propres. 20-2 j. 7c
irc en ce vide (k folitudc, ou clic ne pcnt nfcr
des puilTances ni faire des actes , pcnfant. être inu-
tile, elle tâche d'aj^u' plus exprcdcment & plu*
fenOblenicnt ; c^ aind elle fc diftrait ik fe reniplit
d'aridité & de dé^^oùt, elle (|ui jouilToit aupara-
Aant du loilh , de la paix ik du filcnce fpirituel »
où Dieu lui c :omuiuni(|Uoit fecretemcnt de la
AKU'ité & du goût, lù il arrivera (|ue Dieu tâ-
chera de Ja retenir en cette quiétude taciturne,
& qu'elle conteftera pour crier avec j'iinagina-
tion & marcher avec rentendcmeut j comme les
enfans que les mères portent entre leurs bras,
qui crient & battent des pieds pour être mis à
terre; & ainfi ils ne vont, ni ne laifTent aller
leurs mères : ou bien comme Ça) un peintre s'il
peint quelque image & qu'on la remue , il ne peut
rien faire. L'ame doit donc prendre garde, que
quoiqu'alors elle ne fe fente pas marcher, elle-
marche néanmoins beaucoup plus vite que fi elle
marchoit avecfes pieds; car Dieu la porte entre
fes bras, & ainfi elle ne fent point le chemin :
& quoiqu'elle penfe ne rien faire , elle avance
plus que fi elle agiflToit; parce que c'eftDieu qui
opère; & Ci elle ne Tapperqoit, il ne s'tn faut
émerveiller, d'autant que ce que Dieu opère en
Tame n'eft point connu du fens. Qu'elle fe laide
donc entre Jes mains de Dieu, & qu'elle fe fie
en lui ; avec cela elle ira fùrement , & il n'y a
nul danger, finon quand elle veut de foi-même
ou parla propre induftrie opérer avec fes puif-
fances. Là-même, §. 16.
Le P. Nicolas de Jésus Maria rapporte
2^. Taukre. Oue fi quelqu'un demande pour-
(û) Moyen court. (C/i. 21. /7. $.)
7^ Justification.
quoi II faut renoncer (c) à toutes les images ; on
répond , que c'eft parce qu'elles ne font qu\iii
chemin à la vérité fimple & nue j fi donc on veut
parvenir à la vérité, il faut peu à peu laifTer le
chemin. Inftitut. C/i. jç.
24. I). Barthelemi des Martyrs, Sitôt que l'amc ,
qui défire de parvenir à cette union. Dieu Yy
appellant, fe fentira grandement enflammer de
l'amour divin, & attirer en haut, qu'elle retranche
promptement toutes fortes d^images , & coure
au Sanila Sanclorum , & à ce filence intérieur dans
lequel il n'y a point d'opération humaine , mais
feulement la divine; car là Dieu eft celui qui
opère, & Ihomme celui qui pâtit, ou celui qui
re(;oit : carlorfque les puifiances de Tamefe tai-
fent & ceffent de leur propre action , étant enfin
délivrées de toute imagination externe & interne»
Dieu parle lui-même & félon fa volonté difpofe &
touche ces puiffances de Tefprit, faifant en lui
wnt œuvre très - excellente. O lame véritable-
ment heureufe, laquelle ayant laiflTé toute fon
opération propre, eft dénuée de toutes les ima-
ges en fa mémoire! (Jbrcgejpirit, Part. 2,. Ch, 1 1.)
Eclair cljjr. des Phraf, Myjl. de j\ de la Croix P. IL Ch.
3. §. 3. •
25". ^ Il arrive fort fouvent que celui qui eft
ravi (à la contemplation), non feulement cefTe
les opérations des fens extérieurs , tellement
qu'il ignore ce qui fe fait au-dehors ; mais encore
C}ue la faculté phantaftique & imaginative foit
privée^de fon action , fî bien qu'aucun phantôme
(a) Il eft bon de remarquer que Taulere prêchoit
publiquement cette doctrine. [ Voyez Sermon pour le 5.
D//72. après les Rois , pour le Dim. de la Septuagcf. Scrnu
^. pour le Dini, de Pâque ^ &cj
XLIII. Opcratiom propres, 24-27. 77
ne peut s'y mêler , ou s'il s'y jilidc , il cft tout-à-
fait rc[)rinic par la vertu de la laifon & volonté
l\i])Ciieure. (//A/.J/;/>. P, 1, Cli. 12. §. I.) La-mùnic.
Le P. Jaoues de Jésus rapporte
25. S. Tliornas. Les opérations intellectuelles &
fenlîbles s'entre-enipèchent , tant à caufe (jue l'at-
tention eft rec]uife aux œuvres de I un «Se de l'au-
tre, qu'a caul'e que Pentendement fe mêle avec
]e feniîble, puilqu'il le reçoit par les pliantômes i
ik ainli la pureté de l'entendement eft aucune-
ment fouillée par les opérations fenfibles. ( ,Ç//.
J 3. Art. 4 J Isotcs £^ remarque s fur J, de la Croix. Dijc.
I . Parafe l .
Le Fr. Jean de S. Samson.
27. De là vient que l'homme ne veut point de
cette vie renoncée , défîrant toujours avoir la
fatisfaction de fon app kit de propre excellence.
Il ne veut point aller là ou il ne fait pas , ni s'ex-
pofer à fe perdre <k s'abandonner à la conduite
de Dieu , ne la voyant que par une foi fort éloi-
gnée , qui n'a aucune force en lui pour un fî haut
A la vérité lorfqu'il agit par voie d'entende-
ment , la volonté s'y joint par une fuite natu-
relle y & quelquefois ces deux puiffances font
tirées & éclairées de Dieu pour le connoître &
l'aimer. Mais fuppofé qu'il n'y ait en ces deux
facultés aucune touche précédente , ni aucune
habitude infufe ou acquife, 1 homme demeure
gifant à t^rre , cherchant fon contentement &
fa confolation dans les goûts & dans les créa-
tures , autant qu'il peut & qu'il lui eft loifible ,
fou vent même il pafl'e jufqu'au plaifîr illicite
7? Justification.^
(aj; & le tout faute de vouloir mourir renonce *'
pour l'amour & le bon plailîr de Dieu. Sans doute
il faut que pour connoitre ;Sc aimer Dieu, nos puif-
fances foyent élevées par lui, félon l'ordre qu'il
tient ordinairement pour cela dans les hommes
fpirituelsj & la feule foi félon le fimple degré des
hommes du commun, ne leur donnera jamais
la force fuffifante pour cela. Le S. Efprit opère
quelquefois d admirables & extraordinaires effets
en certains hommes y mais la nature femble faire
la même chofe en ceux qui paroifTent naturelle-
ment vertueux , quoique par fois portes & enclins
à quelque vice-mortel. D'où vient qu'ils femblent
tous également émus, par la haute eftime qu'ils
font de Dieu, jufqu'à mourir pour lui s'il étoit
befoin , ce qui pourtant n'eft qu'un effet de leur
bon naturel , & le femblable fe voit affez fouvent
dans les bons & généreux guerriers. Cela fait
qu'il eft très-difficile dedifcerner, fî ces mouve-
mens font de nature ou de grâce. Efpnt du Car-
mel. Cîu II.
z%. A peine perfonne veut-il entreprendre
cette vie renoncée , encore que chacun la voie
très-héroïquement pratiquée par notre divin Sau-
veur. Perfonne ne le veut imiter à fes propres
dépens , fî ce n'eft en peu de chofe, & non jamais
[^] C'efl: la différence d'une perfonne touchée- vraie-
ment de Dieu , & de celles qui fe difent intérieures ,
«S: ne le^ font pas; que les premières ne peuvent dans
leurs peines chercher de confolation hors de Dieu ,
ni même en trouver quand elles feroient aflez infidel-
les pour en chercher: & les autres au contraire fe
dédommagent par les plaifirs des fens de la privation
des confolations fenfibles ; & c'eft de là que naiffent
tous les défordres.
XLIII. Of^cratiom propres. 27-29. 79
en tout Ik pour toujours; & ce qui cft le plus
à déplorer, les lionunes fout eu cette lâcheté,
incuieuprès ;îvou- feu ti les trùs-fortes attractions
ik opcrauons de Dieu. I^endant de telles influen-
ces ils [)romettent merveilles ; mais litôt qu'ils cii
fontdeftitués, plufieursd'entr'eux n'ont ni cœur ,
ni courage, pour fuixre JéTus -Chrift , chargés
d'un petit bout de fa croix, & pour fouHnr &
mourir avec lui dans les croix du corps & de IVf-
prit. Cela fait qu'il fe plaint juftement des hom-
mes, qui ne lui veulent être amis qu'à la table,
le lailTent à l'abandon & à la merci de fes plus
cruels ennemis , pour fouffrir & mourir par leurs
iniques & mortels eftbrts. Là-même.
29. Reprenant notre fil, nous difons , qu'il
n'y aura jamais de renonciation en l'ame (a) qui
n'a point été touchée de Dieu par amour fen*
fible ; & fi outre cela elle n'aime davantage
Dieu en lui-même, que fes propres dons & fes
propres œuvres , elle n'arrivera jamais à recevoir
rinfulîon des habitudes divines très-fortes & très-
excellentes qui appartiennent à la vie vraiement
renoncée.
La raifon eft que cette ame eft encore en toute
la vie de la nature, quand même elle feroit ex-
cellemment fpiritualifée , de laquelle elle ne veut
jamais rien perdre : que fi elle fe perd en ua
point, elle prétend pour cela un grand mérite.
Si bien qu'elle ne fait que le goût & la lumière,
& ne faura jamais rien de la vraie fouiïrance ,
étant éloignée de vouloir pâtir autant qu'elle eft
ignorante & amoureufe d'elle-même. Là-même.
(a) S'il faut avoir goûré Dieu pour fe renoncer, il
n'eft donc pas vrai qu'il faille être tout renoncé pour
le goûter; le goût de Dieu étant le moyen efficace du
renoncement.
8o Justification.
30. C eft ce (a) culte divin, que les Myftî-
ques perfuadent premièrement & fi vivement aux
hommes, comme le lien , le moyen, ik le prin-
cipe du vrai bonheur de la créature humaine ,
gifante en un corps mortel , mais pleinement
aflujettià fon efprit, fans réfîftance ni contradic-
tion de fa part. Ils font cette repréfentation très-
vivement & f^ivoureufement, en faveur de ces ex-
cellens hommes que le monde*ne connoît point,
quoiqu'ils connoiffent très -bien le monde &
rayent en horreur.
(*; Non feulement les mondains, mais encore
lesfaints & vertueux, fortfouventleurfont fouf-
frir des perfécutions vives & fréquentes , d'autant
que leur voie eft inconnue , comme infiniment
différente & éloignée de la leur. La raifon eft,
que ces perfonnes vertueufes font pleines de
leurs voies, ne pouvant penfer ni croire qu'il y
en puifTe avoir de meilleures , ni de plus excel-
lentes entre Its hommes que les leurs. Ils ne fa-
vent que les exercices propres, choifis, recher-
chés & curieux; & félon ceci ils fe rempliffent
toujours de plus en plus de leurs propres inven-
tions , attirant à foi hs dons & fentimens pour y
prendre leur propre repos. JEfprit du Carm. Ch. 14.
?l. Quand rhomme eft arrivé à fon centre ,
alors comme un aigle amoureux, il fe repofe en
Dieu à très-grand plaifir. La jouiffance divine
^ {à) Le parfait renoncement de nous-mêmes ; ce qui
comprend non feulement toutes les opérations propres ,
mais tout ce que nous fommes , affujettiffant le corps à
Fefprit : c'eft le fentiment de Ste. Catherine de Gènes
que j'ai fait voir. No^tz Mû rtificat ion, n. j.
O Vertu* n. ::o,
l'occupe
XLÎIT. Opkatiom propres. 31 , 32. 81
l'occupe en plénitude de délices fcnfiblement &
pcrceptiblemcnt d*unc manière très-fimple, très-
fnbiilc «Se très-i'pirituellc (Se le plus fouvent par-
dedus foi-même , pai-de(his tout feus tK: toute
])crception. Tandis qu'il demeure en fa feule in-
<lu(lric , il e(l trcs-éloigné de fon entière perte &
folution, c^ fon occupation vers Dieu ell trèS'
éloignée de ce centre. Là-mcmc, C/iap. 23.
LeP. Epiphane Louis rapporte
32. B/q/îus. Pendant que vous naviguez fur
la mer orageufe de ce fiecle , Dieu vous enlèvera
& vous fera arriver , peut-être à un port , où
vous vous trouverez da«s une parfaite nudité de
toutes fortes de formes & d'images : il n'y aura
envo8 puilTances aucune opération; & manquant
&: défiftant de la forte en vous-mêmes, vous paf-
ferez hcureufement en Dieu. Confer. Myji. 19.
XLIV. Oraifon.
Je mettrai enfemble TOraison , la Médi-
tation & la Contemplation ; tout
cela ayant du rapport.
$. I. Que tous peuvent faire Oraifon.
MOYEN COURT.
T
ous font propres pour TOraifon ; &
c'eft un malheur effroyable , que prefque
Tome IL Juftif. F
^2 JUSTIFICATIOK
tout le monde fe mette dans refprit de n'ê-
tre pas appelle à TOraifon. Nous fommes
tous (a) appelles à l'Oraifon , comme nous
fommes tous appelles au falut.
L'Oraifon n'eft autre chofc , que Vappîi^
cation du cœur à Dieu , & Texercice inté-
rieur de Tamour. S. Paul nous ordonne {h)
è^ prier fans cejfe. Notre Seigneur dit : (c)
Je vous le dis à tous , veille:^ & prie:^. Tous
peuvent donc faire Oraifon , & tous la doi-
vent faire.
Mais je conviens que tous ne peuvent pas
méditer , & très-peu y font propres. Audi
n'eft-ce pas cette Oraifon que Dieu deman-
de , ni qu'on défire de vous.
Mes très-chers frères , qui que vous foiez
qui voulez vous fauver , venez tous faire
Oraifon ; vous devez vivre d'Oraifon , com-
me vous devez vivre d'amour.
Venez ignorans & ftupides ; vous êtes
tous propres pour l'oraifon , vous qui croyez
en être incapables ; c'eft vous qui y êtes les
plus propres. Ch. i. n. i ^ a.
(a) Lorfqu'on dit que tous font appelles îcî , on ne
dit pas,* que tous foient appelles aux mêmes degrés
de confommation ; mais tous font appelles à prier de
cœur, à renoncer à foi- même, à porter leur croix ,
à fuivre Jéfus - Chrift : donc cette voie eft pour
tous.
(è) I Theff. s. V. 17. (c) Marc Jj. v. jj , n*
XLIV. OraifoH §. 1. i-8. 8?
En ce mcticr fouvcnt les plus greffiers
deviennent les plus habiles. CL 13. n. 8.
AUTORITES.
S. Denis.
' 1. JLjA. pcrfcdioii de tous ceux qui font enrôlés
en la Hicrarchic, confiflc à fe rendre fcmblablcs
à Dieu , chacun fclon fa proportion & famcfure.
De la Hierardiie cclcjK Chap. 3.
2. Voyez Dc/tr. n. i.
3. Voyez Conji/tance, n. z.
4. Voyez Dcyir. n. 3.
Ste. Catherine de Gène s-
5. Voyez Bcytr. n. 4.
6. Elle voyoit encore, comme Dieu ne cefle
de frapper au cœur de l'homme , pour y entrer &
juftifier fes opérations; & que perfonne ne fe
pourra jamais plaindre, que Dieu n'ait heurté &
frappé continuellement à la porte de fon cœur:
parce que fans acception de perfonne il vient à
tous , & nous appelle & attire tous à lui, n'ayant
pas plus d'égard aux bons qu'aux mauvais. Vie,
Chap. 13.
7. L'homme a été créé pour la fin d'être uni
à Dieu , & d'être transformé en lui. Là-même ,
Chap, 3Z.
Ste. T H É R É s E.
8. Donc fi rOraifon eft fi utile & fi nécefTaire
à ceux qui ne fervent pas Dieu , mais qui l'of-
fenfent & qui l'irritent ; & fi on ne peut vérita-
blement trouver qu'elle puiffe caufer aucun pré-
judice , qu'on ne découvre un plus grand dom-
mage à n'en point faire ; pourquoi eft-ce que ceux
qui fervent Dieu , & qui le veulent fervir , la
S4 Justification.
doivent quitter? Certainement je ne puis enten-
dre pour quelle raifon , fi ce n'eft pour endurer
avec plus d'amertume & plus d'ennui les travaux
de cette vie , & pour fermer les avenues aux con-
folations divines. A la vérité, j'ai compalfion de
telles perfonnes; car elles fervent Dieu à leurs
dépends, d'autant que pour les autres qui s'adon-
nent à l'oraifon , c'eft Notre Seigneur qui fait
les frais; puifque pour un peu de travail, il don-
ne des goûts & des douceurs pour fupportcr les
travaux de ce pèlerinage. — Je dirai feulement
que la porte par laquelle il m'a fait tant de grâ-
ces , c'a été l'oraifon : que fi on vient à la fer-
mer, je ne fais par où elles entreront ; car quoi-
qu'il veuille entrer , pour confoler une amc , pour
la carelTer , & pour prendre fes ébats avec elle , il
n'y trouve point d'entrée , la voulant feule , nette
& avec défir de recevoir fes grâces. Fie, Chap, 8.
9. J'efpere que Notre Seigneur m'aidera dans
cette entreprife , fa Majefté fâchant bien qu'a-
près l'accomplifTement de Tobéiffance , je n'ai au-
tre intention en ceci que d'alécher les âmes à un
bien fi fublime : je ne dirai rien que je ne l'aie
beaucoup expérimenté. —
Partant je dis , que s'il y a des perfonncs qui
foient parvenues aux communications de l'orai-
fon , dont Notre Seigneur a favorifé cette mifé-
rable , { or il doit y en avoir plufieurs ) & qu'elles
veuillent en conférer avec moi , craignant d'être
égarées ; j'efpere que Notre Seigneur affiftera fa
fervante pour pafTer plus avant , & faire quelque
profit à l'aide de fes vérités. Là-même. Chap, 18.
10. Or quoique j'aie dit quelques-unes , fi eft-
ce qu'il y en a bien peu qui n'entrent en cette cin-
quième demeure que je dirai maintenant. Il y
a toutefois du plus ou du xaoïm en ceci , c'cft
XLIV. OrciifoH §. T. R..12. S<
pourquoi j'ai dit que la plu|)art y entrent C'/iat.
Dan, y, C/iap. I.
Le B. Jean de la Croix.
11. O aiucs créées pour ce^ grandeurs, &quî
y êtes conviées , que faites-vous? k quoi vous
amufcz-vous? O déplorable aveuglement des cn-
fans d'Adam, puifqu'ils ne voyons goure, entou-
rés d'une fi grande lumière , & qu ils font fourds
à ces hauts cris; ïcar tant qu'ils cherchent les
grandeurs & la gloire du monde, ils demeurent
iniférables, abjets & indignes d'un fi grand bien !
Cantique entre tFj)oi{fi & tFpouw Couplet. 39.
12. O que c'étoit ici un bon lieu pour avertir
les âmes que Dieu conduit à c^s onclions déli-
cates, qu'elles regardent bien à ce qu'elles font,
& en quelle main elles fe mettent, de peur de re-
tourner en arrière; fi ce n'étoit que cela femble-
roit hors du fujet que nous traitons. Mais j'ai ua
tel regret & compalFion dans mon cœur , de voir
reculer des âmes que Dieu conduit à ces onclions
délicates, non feulement ne fe laiffantpas oindre
en forte que l'ondlion pafTe plus avant, mais aufïi
en perdant fes effets; que je ne puispafler outre
fans les avertir ici de ce qu'elles doivent faire pour
éviter ce grand dommage. — Or il faut premiè-
rement favoir que fi l'ame cherche Dieu, fon
Bien-aimé la cherche bien davantage : & fi eJlc
lui envoyé fes amoureux défirs , qui lui font auHi
odoriférants que la verge de fumée , qui fort des
drogues aromatiques de la myrre & de l'encens;
il lui commuaique l'odeur de fes parfums , dont
il l'attire & fait courir après lui , qui font fes inf-
pirationii divines & fes touches ; lefquels étant
fiens, font toujours faints & réglés par des mo-
tifs de la perfection de la loi de Dieu & de la foi,
par la perfedion de laquelle l'ame doit toujours
F 3
$6 Justification.
5'approcher davantage de Dieu. Et ainfi lame
doit entendre, que le défir de Dieu en toutes les
faveurs qu'il lui fait par ces ondlions & odeurs
de fes onguens, eft de la difpofer pour d'autres
onguens plus délicats, plus excellens & plus au
goût de Dieu ; jufqu'à-ce qu'elle parvienne à une
difpofition fi pure & fi délicate, qu'elle mérite
l'umon de Dieu & la transformation en toutes
fes puiflances. —
Si Je Maître n'a l'expérience des ehofesfublî-
îïies 5 il n'y acheminera pas l'ame quand Dieu l'y
attire, & il lui pourroit faire beaucoup de tort;
parce qu'ignorant les voies de l'efprit, il fait fou-
vent perdre aux âmes l'ondion de ces précieux
onguens avec lefquels le S. Efprit les difpofe
pour foi, les gouvernant par d'autres moyens
bas qu'il a lus , qui ne fervent que pour des com-
mençans : car telles gens n'en fâchant pas davan-
tage &c. (Voyez Oraifon. §. II. n. 19. } Vive flamme
d'amour. Cantlq. 5. v. 3. §.4.
Le P. Nicolas de Jesus-Maria rapporte.
13. Le P. Louis de Léon. Il refte maintenant à
dire quelque chofe à ceux qui trouvent du dan-
ger dans ces livres , à caufe de la délicateffe de la
matière de laquelle ils traitent, qu'ils difent n'être
pas pour tous : car comme il y a trois fortes de
perfonnes, dont les unes traitent d'Oraifon, les
avitres qui en pourroient traiter fi elles vouloient,
& d'autres qui le voulant ne le pourroient , à
caufe dé la condition de leur état, je demande
qui font ceux qui font en danger de ces livres?
Les fpirituels ? Non , fi ce n'eft que ce foit une
chofe domimageable à favoir ce qu'on fait & ce
qu'on profeffe. Ceux qui ont de la difpofition
pour être fpirituels? Encore moins; parce que
XLIV. OraifoH §. I. î2~ig. ^7
non fciilemein iN trouvent ici un guide pour lc<;
conduire quand ils feront fpirituels; mais nulfi
qui les excite ik les anime pour l'être , ce qui e(l
un très-grand bien. Or les derniers en quoi au-
ront-ils du danger? à connoitre & entendre que
Dieu fe comporte amoureufement envers les
liommes? que celui qui fe dénué de tout, le
trouve? ù favoir & apprendre les carcffcs que
Dieu fait aux âmes, la différence des goûts qu'il
leur donne , l-i manière dont il les purifie & les
affine? quy a-t-il en ceci qui ne fanclifie celui
qui le lira, étant bien compris & bien entendu?
qui ne caufe de Tadmiratioii de Dieu, & ne l'en-
flamme en fon amour? Que fi les confidérations
de ces œuvres extérieures, que Dieu fait en la
création & dans le gouvernement des chofejj ,
font une école d'utilité commune pour tous les
hommes, comment eft-ce que la connoiffance de
fes merveilles fecrettcs pourroit être préjudicia-
ble à qui que ce foit?
Et quand quelqu'un , par fa maiivaife difpofi-
tion , en auroitreçu du dommage, feroit-il jufle
pour cela d'empêcher un fi grand profit, & de
tant de perfonnes ? Qu'on ne publie point l'Evan-
gile, parce qu'il eft occafion d'une plus grande
perte à celui qui ne le reçoit pas , comme difoit
S. Paul [a). Quelles Ecritures trouvera-t-on , bien
qu'on y comprenne les faintes & divines, def-
quellcs un efprit mal difpofé ne puiffe concevoir
une erreur? Quand il faut porter jugement des
chofes, on doit prendre garde & confidérer, fi
elles font bonnes en foi & convenables pour leur
fin , & non pas à ce que caufera le mauvais ufa-
ge de quelques-uns ; car fi on s'arrête à cela , il
n'y a chofe fi fainte qu'on ne puiffe défendre.
G) Philip. I. V. 2i,
F 4
88 J U s T I F I C ^ T I O K.
Ou'y a-t-il de plus faint que les Sacremens?
Combien y en a-t-il qui deviennent pires par le
mauvais ulage qu'ils en font? Le Diable, com-
me prudent ;v veillant à notre perte , change de
couleurs différentes, & fe montre aux entende-
mens de quelques-uns, retenu, circonfpecl &
foigneux du bien du prochain, afin de ravir aux:
yeux de tout le monde ce qui eft bon & profita-
ble & commun , fous prétexte d\m dommage par-
ticulier. 11 fait bien qu'il perdroit davantage par
ceux qui s'avanceroient à deviendroicnt fpiri-
tuels parfaits par la lecture de ces Livres , que par
le petit nombre de ceux qui tomberoient par là à
caufe de leur indifpofition ; & ainfi afin qu'on évi-
te le dommage de ceux-ci, il exagère & repré-
fente leur perte , lefquels il tient dans fes filets
par mille autres voies; bien que, comme je di-
fois, je ne fâche perfonne fi mal difpofée, qui
tire fa ruine de la connoifTance des chemins qui
conduifent les âmes à Dieu, à quoi butent &
vifent tous ces Ecrits.
Je crains feulement pour quelques-uns, qui veu-
lent gouverner & conduire un chacun par eux-
mêmes , qui improuvent ce qu'ils n'ordonnent
pas; & qui procurent que ce qui n'eft point fé-
lon leur jugement, n'ait point de crédit & d'au-
torité : auxquels je ne veux point fatisfaire ; par-
ce que leur erreur naît de leur volonté, & par-
tant ils ne fe voudroient tenir pour contens : mais
je veux prier les autres qu'ils ne leur donnent
point de créance p parce qu'ils ne le méritent pas.
{ Dans tEpitre mijc devant les Œuvres de Ste, T/ierèfe. )
EclairdJJemmt des Phrafes Myfl. de J. de la Croix, P. L
Ch. 5. §.3.
14. S. Bonaventure, Je préfente donc ce livre &
le donne à voir, non pas aux philofophes, non
XLIV. Or ai/on §. I. i^-ig. 89
pa!^ aux fages du monde, non pas aux grands
''l'hcologicns cnibarrancs d'une inlinitc de quef-
tions ; mais aux ignorans ik grollleis (jui s'clfor-
cent da\'antage d'aimer Dieu que de fa\'oir beau-
coup : car Tart d'aimer ne s'apprendra point en
difputant, mais en opérant. Or j'ednne (jue les
chofes qui font contenues ici, ne pouiront être
entendues de ces quedionnaircs, émiiients eu
toute forte de fcience, mais très-peu en l'amour de
JéfuS'Chrin; ; d'où vient que je n ai pas eu delfeiii
d'écrire pour eux, ficen'eft que délailTant & ou-
bliant toutes les chofes qui appartiennent au mon-
de, ils demeurent allervis & embrafés du fenl dé-
fir de leur Créateur. ( Préface du Régime de confcien-
ce. ) Là-même, C/i. 6. §. 3.
15. St, Bernard. Voyez Entendre, n. 53.
16. Gerfon. Pour les chofes qui s'éprouvent
& expérimentent intérieurement, les idiots con-
templatifs goûtent & reçoivent plus parfaitement
ces chofes divines que plufieurs docles. {T/'iroL
Myji. conjîder, 3. Alph. 64. Lettre N. ) Là-même.
17. D. Eartliclcmi des Martyrs. Cette fagefTc
myftique, que S. Denis appelle proprement celle
des Chrétiens, efl: ordinairement communiquée
plus promptement & plus hautement aux fimples
idiots , qui n'ont autre foin que celui de faire leur
falut avec crainte & tremblement, qu'aux doctes
Théologiens , fi ce n'eft qu'ils s'étudient à Thu-
milité de toute l'affcdion de leur cœur. {Abrégé
Spir. Ch. 13. §. 3. ) Là-même.
18. Ste. Thcrcfe ^[parlant à fon ConfeJTeur.^ Qti'il
ne s'épouvante pas, sS: que ces chofes ne lui
femblent point impoffibles ; tout tïX poffible à
Notre Seigneur : mais qu'il tâche de vivifier fa
foi y & de s'humilier de ce que fa divine JVIajeftr
90 Justification.
rend peut-être une petite vieille plus favante que
lui en cette fcience , quoiqu'il foit très-éminent
en doétrine. Vie , Chap. 34. Là-même.
19. Suarez. Souvent les perfonnes fimples , ai-
dées de la grâce divine , pénètrent & pcfent la vé-
rité plus profondément que les doctes. ( Livr, 3.
de l Oraifon , Ch. 10. n, 8. ) Là-même.
20. — Voyez Chemin court, n. 11.
21. -S'. Grégoire. Voyez Là-même. n. 10. ^
22. Albarando. C'eft une grande erreur de pen-
fer que la contemplation foit feulement pour ceux
qui font très-parfaits & fort avancés , & non pour
ceux qui commencent. [Art de bien vivre ^ tom, i.
Livr. ï. Ch. 15.) Et (au Liv. 2. Ch. i.) il dit,
quefuivantla doârine de S. Bonaventure, d'Hen-
ri de Palme , & des autres Doéleurs , félon la loi
ordinaire , on a coutume de demeurer feulement
quinze jours en la voie purgative , avant que ren-
trée foit ouverte à Tilluîninative ; & enfin plu-
fieurs Dodleurs & Maîtres fignalés enfeignent
auffi le même. Là-même. Part. IL Ch. 21. §. Z.
Le P. Jaclues de Jésus.
23. S.Augufîin. Sur ces paroles du Pf. 71. v. 3.
Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple , ^
les collines la juflice ^ dit : que les montagnes font
ceux qui excellent en fainteté dans TEglife ,
qui font capables d'enfeigner les autres , parlant
enforte qu'ils foient fidelementinftruits , & vivant
tellement qu'ils puifTent être faintement imités.
Les coilines font ceux qui fuivent leur excel-
lence par leur obéiflance.
Les montagnes , dit le Cardinal Hugues , figni-
lient auffi les Contemplatifs qui ont befoin de
paix, parce que Tœil troublé ne peut contempler
les chofes cëleftes. Nous tirons de là que les
XLIV. Oraifo^i. §. T. uy^-2^. 91
montacjncs qui (Ioi\'cnt recevoir cette cloclriiic,
(f/) pux Dri ijii^c cxupnar or un cm J'tnjlirîi , qui fnr-
paflc toiitfciis, pour hi coinnuini(iuer au peuple,
font des hommes cmmens en lainteté , grands
maîtres fpirituels, proches du ciel par hi contcm-
phïtion fubhme , <Sc les biens qu'ils reçoivent de
là pour les communicjuer aux inférieurs, & pour
le profit des difciples : c'efl ce que veut dire »
qui/s reçoivent la paix pour le peuple.
Suivant cela cette dodrine li fublime & rcle-
vée, qui traite de fi près de la parfaite paix & union
de Tame à Dieu , communiquée à cette très-
haute montagne de notre B. Fere , Jean de la
Croix , li éminent en fiunteté , comme on v^oit
en fa vie, & aux grands & continuels miracles
que Dieu fait par lui , fupérieur en qualité de
Contemplatif, Chérubin élevé & Séraphin eni-
brafé, a été en faveur du peuple & pour fon uti-
lité, n'ayant pas grand befoin pour fon regard de
lettres ou paroles extérieures. C'eft pourquoi il Ta
écrite , enforte qu'elle peut fervir à tous, & décla-
rer le fommet de l'union &c contemplation que
Dieu lui avoit communiquée , avec des inftruc-
tions très-importantes , qu'il étale ici pour les
maîtres & les difciples : & c'eft pourquoi Dieu
lui ayant révélé cette doétrine , & lui nous l'ayant
enfeignée à cette fin , il a eu raifon de la mettre
en une langue qui en pût bien exprimer la gran-
deur & enfemble en faciliter l'intelligence à ceux
pour qui elle eft écrite. Notes fur Jean de la Croix.
Difc, 3. §. î.
24. Le Sagefe fait voir enfes paroles (b). L'Ecri-
ture du Sage , eft un portrait & une vive ima-
ge de ce qu'il eft. — Le Sage donc fe découvre
(a) Phil. 4. V. 7.
{b) Ecclef. zo. V. 29*
92 Justification^
foi-meme en fes livres , — afin qu'on ait de hauts
fentimens de Dieu, qui donne une telle lumière,
qui communique de telles grâces & faveurs ,
& qui a de tels amis. Et c'eft ici, fi ce qu'il dit
eft imitable , qu'il incite (û) à fon imitation, non
feulement par la bonté de ce qui fc propofe , mais
encore par 1 exhortation pratique de l'exemple;
& fi cela eft merveilleux & extraordinaire , on le
loue & l'admire : en ce faifant chacun y profite,
& Dieu efl glorifié de tous ; ce qui eft ce qu'on
prétend diredement en cela. Là-même, §. 2.
25. Quel {bj profit y a-t-iL à lafagejfe muette"^ au
tréfor cachée Maudit foit celui qui ne tire pas
fon couteau , qui ne dégaine pas fon épée pour
faire une fanglante boucherie , qui ne découvre
ni révèle la vérité , comme dit Notre Seigneur
Jéfus-Chrift. Maudit (c) celui qui retire fon glai-
ve du fang. Ce font les paroles de Jérémic. Ainfi
la dodrine de ce B. Père , J. de la Croix, étant
faintement cruelle, fans pardonner non -feule-
ment à la chair & au fang, mais ni à l'ame ni à
l'efprit , puis qu'il entre là & fait divifion pour
unir parfaitement à Dieu; que celui-là feroit
coupable, qui mettroit cette épée ou dans lefou-
reau du filence, ce qui feroit infupportable , ou
dans une autre langue moins reçue & moins
univerfelle [d] que la. nôtre. —
C'eft pourquoi en ces chofes il ne faut pas re-
garder l'abus de quelques-uns , ( ce feroit entiè-
rement fermer la porte au bien ; ) mais regarder
au profit commun , f& à ce que promet nettement
{a) 11 n'eft donc pas dangereux d'écrire de ces
chofes.
(A) Eccle. 20. f. 31. (0 Jerem. 48. v. 10.
(d) Donc il prétend que beaucoup doivent profiter
de ces fortes d'écrits.
XLIV. Oraifon. §. 1. 24-26. 93
S: dirc(5tcmcnt I:i cliofc dont il s'agit. Là'mfmic,
26. S, Bernard, ( Scrm. 62. fur le Cant, ) parlant
de la très-cmincntc dodrinc de S. Paul, dit :
après avoir pénétre le prtMTiicr & le fécond ciel ,
d'une fubtile, mais picufe curiofitc, enfin ce bénin
fcrutatcur ne Ta-t-il pas attiré du troifieme ciel ?
Mais il ne nous Ta pas cachée, mais rcpréfentée
en des paroles claires, le plus fidèlement qu'il lui
a été pofîlblc.
Donc les dodrincs pour être hautes, ne doi-
vent pas être cachées : & cjuand on les étalera fi
polies & circonftanciées , que parlant prudem-
ment & moralement on n'en puiffe craindre de
dommage , il n'y a point de doute qu'il ne foit
très-convenable de les publier. —
Le meilleur moyen d'en traiter, c'eft de le fai-
re avec reconnoiifance & foumiffion à leur in-
compréhenfibilité. Celui donc qui exhortera à
cette reconnoiiïance & fujettion en pure foi, la
préférant à toute autre intelligence & notice, &
à l'habitude de notre efprit , captivant tout ce
qu'il pourroit de foi-même fous l'obéifTance de
la foi ; celui-là , dis-je , fe conformeroit fort bien
avec les Saints ; & traitant des chofes très-hau-
tes , il les laifferoit toujours très-hautes ; & par-
lant de celles qui font ineffables , il s'en tairoit en
bégayant quelque chofc, parce qu'il traite de nous
recueillir dans le faint & divin filence ; & con-
noiffant il ignoreroit, d'autant qu'il difcourt de
foumettre la connoifTance à la reconnoiffance
qu'on doit avoir de cette grandeur ; & écrivant
il n'écriroit point , parce qu'il écrit pour donner
à entendre que ces matières font par-deffus tou-
tes les Ecritures : qui eft la droite intention des
Saints , nommément de S. Denis. — Car ce fe-
roit une chofc bien rude , que ceux ; qui préten-
94 Justification.
dent fcrvir Dieu plus purement , fufient de pire
condition que les autres ; & que voulant fervir
Dieu en ce degré relevé , il n y eût point d'inf-
trudion pour eux; principalement y ayant peu
de confeffeurs & de maîtres , qui en puiitent don-
ner en ce haut degré, ayant eux-mêmes befoin
de l'apprendre de quelque autre. Et qui approu-
vera, que ces âmes pour n'entendre pas les lan-
gues & les fciences , foient privées des enfeigne-
inens requis à leur avancement &diredion?
Les inconvéniens qui peuvent provenir (a) de
malice ou d'ignorance groffiere , ne nous doi-
vent retenir & diftraire du bien : autrement il fau-
droit fupprimer la Ste. Ecriture , parce que les
hérétiques en abufent. Qu'on brûle donc les hif-
toires Eccléfiaftiques, & tant de chofes rares qui
font écrites en notre langue. Pourquoi imprimer
en langue vulgaire les Ecrits de Ste. Théréfe ,
remplis d'une fublime dodrine? Qiie tout cela
dont on tire tant de profit , ne foit plus expofé au
Public; afin que celui-ci ou un autre, quieftami
de foi-même & de fa grandeur , ne prenne de là
occafion d'être trompé & de tromper. Que la
gloire de Dieu foit cachée ; qu'on ne fâche pas
fes merveilles ; qu'on ferme ce chemin par où
tant de perfonnes s'animent à l'aimer & le fervir.
Dans les chofes il ne faut pas regarder l'abus ou
Je fcandale Pharifaïque , mais le profit commun.
Là-même. §.5.
(û) Il eft certain que les gens corrompus entendent &
expliquent toutes chofes félon la corruption; femblables
aux araignées qui tirent du poifon des mêmes fleurs
d'où les abeilles tirent le miel. Il ne faut pas juger d'un
livre par le goût ou le difcours d'une perfonne corrom-
pue, mais par celui d'une perfonne pure, intérieure &
qui juge félon refprit.
XLIV. Ùraifon. §. I. ^G-2%. 95
L'AUTKUK DU JOUR AlvSTKjUE.
27. Il ny a point d'occupation , [xjur dillrayan-
tc qu'elle foit, cjui puifle empêcher la pratique de
rOraifon du repos, quafui elle efl pnfe Telon les
règles de la volonté de Dieu ; car ce Souverain
Scij^neur , ap[)ellant tous les hommes à Torai-
fon (r;) , iTi'}nie continuelle , fans doute il leur
veut faire la grâce , s'ils s'en favcnt & veulent fer-
vir, de la pouvoir pratiquer en tout tcms & en
toutes chofes. Livr. 3. Trai c ^, C/i, i. Sc£{. 2.
28. C'eft le plus commun fentiment des Doc-
teurs de la Théologie Myflique , qui efliment
que les perfonnes fimples &, ignorantes des fcicn-
ces humaines, font plus propres que les favans,
à apprendre & pratiquer cette fcience Myltique.
Dieu, dit Harp/iîus y (b) communique aux fimples
cette Myftique Théologie, afin que par ce moyen
tous les fages du monde foient confondus , & que
les humbles foient confolés & réjouis , vu qu'une
vieille & un berger ruftique fe peuvent mieux
élever à ces chofes avec pureté d'efprit, que tous
ceux qui font enflés d'une fageffe mondaine , qui
n'y pcuv^ent atteindre par aucune induftrie ni in-
telligence , pour pénétrante qu'elle puiffe être.
Bien que la Théologie Myftique , dit Gcrfon (c),
foit une fuprême & très-parfaite connoiflTance, —
chaque fidèle néanmoins la peut avoir , fût-ce un
idiot , ou une petite femmelette. Il confirme ail-
leurs (d) & prouve même que les fimples & les
idiots parviennent plutôt & plus hautement à la
Théologie Myftique par la foi, parl'efpérance &
par la charité , que les îkvans , — rapportant quel-
(û) Luc ig. V. I.
(*) Théologie Myji. Liv. j. Préface,
(c) Theolog. Myji, Confid. îo.
id) Confid. 9.
96 Justification.
quc5 raifons remarquées par S. Thomas fur la
queftion , pourquoi les fimples font quelquefois
plus dévots que les favans , qui font, i. que la
foi de telles perfonnes eft moins troublée par les
fantômes des opinions contraires , qu'elles n'en-
tendent pas , & auxquels elles ne penfent point;
1?. qu'elles font ordinairement plus humbles, &
que c'eft à celles-là que Dieu communique fes
grâces , abandonnant les fuperbes ; 3. que les fim-
ples ont fouvent plus grand foin de leur falut , &
Topèrent avec crainte.
Il affure au même endroit qu'un certain per-
fonnage avoit coutume de dire , qu'après avoir
paffé quarante ans & plus à feuilleter , étudier ,
lire , méditer plufieurs chofes , il n'avoit rien trou-
vé de plus abrégé & de plus efficace pour acquérir
la Théologie Myftique , que de fe rendre au-def-
fous de Dieu comme un enfant, vu que lui-mê-
me s'eft fait enfant pour nous , & comme tel s'eft
donné à nous. Et ailleurs (a) il fait voir cela mê-
me par une comparaifon familière.
Confidérons, dit-il, deux hommes , dont l'un
foit très-fubtil aux fens de la vue & de l'ouïe ,
mais hébété à ceux de l'odorat , du goût & du
toucher; & fuppofons l'autre qui foit aveugle &
fourd, mais très-fubtil aux trois autres fens : il
efè certain que celui-ci pourra éprouver de plus
grandes délectations que le premier. Appliquons
ceci, pourfuit-il, à la Théologie Myfbique. Les
Philofophes & les Théologiens qui font favans,
ont la vue & l'ouïe fpirituelle aiguë & pénétrante ,
mais il arrive que plufieurs d'entre eux ont les
autres fens fpirituels bien émoufles. — Il ne faut
pas s'étonner fi les fimples & fans dodrine , qui
font comme fourds & aveugles en toute autre
(a) Confîd. 11. ^
fciencc
XLIV. Oraifon. ^. I. 28-29. 9>
iciciicc , li ce ircfl en celle de la loi , fe dcleétent
en UJeu, qu'ils aiment & délirent. Kt en cette
lac^on ils le fentent , le ^i^oùtent , adorent fa bonté ,
& en rembraHaiît le touchent , ayant par pureté
de vie & par fnnplicité les fens purji^és & refor-
mes, qui dans Ijs autres vicieux font enticre-
iiient fîupidos , fans pouvoir reffentir & coûter
les chofes divines très-fuaves , quoiqu'ils les
voient ou entendent. — .
Denis le Chartreux (a) parlant de Rusbroche ,
rappelle idiot, qui à peine entendoit le latin,
cependant il l'appelle un autre S. Denis. ~
Taulerc favant ik grand contemplatif a été (b)
inftruit par un homme ignorant des Lettres hu-
maines 5 mais fort fpintuei. Là-même, Chap. 2.
Sca, 2.
29. Tout ainfi, dit Gerfon , (c) qu'il faut ca-
cher les paroles de la Théologie Myftique à plu-
fleurs dodes & lettrés , qui font nommés Sages ,
Philofophes & Théologiens ; aulFi la faut-il en-
feigner à plufieurs fimples, fans doctrine ni étu-
de, pourvu qu'ils foient fidèles. Là-méme. Chap. 3,
Seâ. I.
(a) Sermon i. Conf, non Fontif.
(6) En fa vie.
(c) Theolog. MyJ}. ConM. ji.
Tome IL Jujîif.
98 JUSTIÏieATION,
$. II. Oraifon à Méditation.
Je continue de TOraifon.
M O Y E N C O U R T.
A ous ceux qui veulent faire oraifon , le
peuvent aifément avec le fecours de la grâ-
ce ordinaire & les dons du S. Efprit , qui
font communs à tous les Chrétiens.
L'oraifon eft la {a) clef de la perfeélion
& du bonheur fouverain , c'eft le moyen
efficace de nous défaire de tous les vices, &
d'acquérir toutes les vertus ; car le grand
moyen de devenir parfait eft , de marcher
en la préfence de Dieu. Ch. i. n. 3.
Allez donc à Toraifon , non pour vouloir
jouir de Dieu ; mais pour y être comme
il veut : cela fera que vous ferez égal dans
les féchereffes comme dans Tabondance,
Ch. 4. n. 3. ^
O fi on favoit les biens qui reviennent à
Tame de cette oraifon , on ne voudroit faire
autre chofe. Ch. %o. n. 4.
(a) Ste. Thérèfe dit là même chofe. (Voyez Orai^
Jon. §. L n. S. Oraif. J. IL n. 4. &c.)
XMV. Om/o;/. §. IL 99
Méditation.
MOYEN COURT.
ous {a) peuvent donc faire oraifon , &
tous la doivent faire. Mais je conviens que
tous ne peuvent pas méditer , & très-peu y
font propres. AufTi n'eft-ce pas cette orai-
fon que Dieu demande ni qu'on défire de
vous. — Vous devez vivre d'oraifon com-
me vous devez vivre d'amour. Chap. l.
/z. I , ^.
Il faut vous apprendre à faire une Orai-
fon {h) qui fc puifTe faire en tout tem.s ; qui
ne détourne point des occupationsextérieu-
tes ; que les Princes , les Rois , les Prélats ,
les Prêtres , les Magiftrats , les Soldats ,
les Enfans , les Artifans , les Laboureurs ,
les Femmes , & les Malades puiflent faire.
Cette Oraifon n'eft point TOraifon de la
tht.Q, , mais l'Oraison du cosur.
Ce n'eft pas une oraifon de feule penfée^
parce que Tefprit de Thomme eft fi borné ,
que s'il penfe à une chofe , il ne peut pen-
fer à l'autre : mais c'efl: l'Oraifon du cœur ,
(a) Ceci a été vu cudejfus. §. I.
(A) Tout ceci eft renfermé fous la propofition ; tou$
peuvent faire oraifon.
G a
ÏOO J U s T I f I e A T I O N.
qui n'eft point interrompue par toutes les
occupations de Tefprit.
Rien ne peut interrompre POraifon du
cœur que les afFcéHons déréglées : & lors
qu'on a une fois goûté Dieu & la douceur
de fon amour , il eft impoflible de goûter
autre chofe que lui.
Rien n'elt plus aifé {a) que d'avoir Dieu
& de le goûter. Il eft plus en nous que
nous-mêmes* 11 a plus de défir de fe donner
à nous 5 que nous de le poflTéder. Il n'y a
que la manière de le chercher , qui eft fi ai-
lée & il naturelle ^ que Tair qu'on refpire
ne Feft pas davantage. Oui vous qui êtes 11
groiîiers , qui croyez n'être propres à rien ,
vous pouvez vivre d'oraifon & de Dieu mê-
me 5 aufli aifément & auffi continuellement
que vous vivez de l'air que vous refpirez»
Chap. I. ;2. 4 , 5.
11 y a deux moyens pour introduire les
âmes dans l'Oraifon , dont on peut & doit
(Jy) fe fervir pour quelque tems. L'un eft la
Méditation ; l'autre la Ledure méditée.
La lecture méditée n^e(\: autre chofe , que
de prendre quelques vérités fortes, foit pour
la fpéculative foit pour la pratique , préfé-
(a^ Ste. Théréfe Ta prouvé dans ce que j'ai rapporté
de Ces Ecrits, qu*en peu on arrivoit à Poraifon. (Voyez
Chemin court, n. ç. &c. )
[6] Je ne dis donc pas , qu'il ne faille pas paflet
par ces moyens , mais bien n'y pas demeurer attaché j
& les quitter fitôt que Dieu attire à autre choie.
XL TV. Oraifoji. ^. IT. iot
rant la dcrnicrc à la première , & lire de
cette forte.
Vous prendrez votre vérité telle que
vous la voudrez choifir , & vous en lirez
enfuite deux ou trois lignes pour les di-
gérer & goûter , tachant d'en prendre le
lue , & de vous tenir arrêté à Tcndroit que
vous lifez tant que vous y trouvez du goût,
& ne pafTant point outre que cet endroit ne
vous Ibit rendu Infipide. —
L'autre cil la Aléditation , qui fe fait dans
Theure choifie pour cela , & non dans le
tems de la leélure. Je crois {a) qu'il feroit
bon de s'y prendre de cette manière.
Après s'être mis en la préfence de Dieu
par un afte de foi vive , il faut lire quel-
que chofe de fubllantiel , & s'arrêter dou-
cement là-defiTus , non avec raifonnement ,
mais feulement pour fixer l'efprit , obfer-
vant que l'exercice principal doit être la
préfence de Dieu. Chap. i. n. i , i.
Ceux qui ne favent pas lire , ne feront
pas privés pour cela de l'oraifon. Jéfus-
Chrilt eft le grand livre écrit par dehors
& par dedans ^ qui leur enfeignera toutes
chofes.
Ils doivent pratiquer cette méthode. Pre-
mièrement , il faut qu'ils apprennent une
\ji\ Il eft aifé de voir que je n'exclus pas la Médî-
tation , comme premier moyen & pafllîge.
G3
Î02 Justification
vérité fondamentale ^ qui eft , que {a) le
Royaume de Dieu efl au^-dedans d^eux , &
que c'eft là qu'il le faut chercher.
Les Curés devroient apprendre à faire
oraifon à leurs Paroiffiens , comme ils leur
apprennent le Catéchifme. lis leur appren-
nent la fin pour laquelle ils ont été créés ,
& ils ne leur apprennent pas aiïez à jouir
de leur fin. Chap. o. n. i.
Le fécond degré eft appelle par quel-
ques-uns Contemplation , Oraifon de foi
& de repos ; d'autres lui donnent le nom
d^ Oraifon de fimplicité ; & c'eft de ce der-
nier terme dont il faut fe fervir ici , étant
plus propre que celui de Contemplation ,
qui fignifie une oraifon plus avancée que
celle dont je parle.
Lors donc que Tame s'eft exercée ,
comme il a été dit , durant quelque tems ,
elle fent que peu-à-peu la facilité de s'ap-
pliquer à Dieu lui eft donnée ; elle com-
mence à fe recueillir plus aifément : l'o-
raifon lui devient aifée , douce & agréa-
ble ; elle connoit que c'cft le chemin de
trouver Dieu : elle fent l'odeur de fes par-
fums.
Alors il faut qu'elle change de methode.—
Premierement , fitôt qu'elle fe met en la
préfence de Dieu avec foi , & qu'elle fe re-
M Luc 17. V. îJi.
XLIV. Oraifori. §. IL joj
cueille , qu'elle demeure un peu de cette
forte dans un filence refpecSlueux.
Que 11 dès le commencement , en faifant
fon a6le de foi , elle fe fent un petit goût
de la préfence de Dieu , quV^Ile en demeure
là , fans fe mettre en peine d'aucun fujet ,
ni de palfer outre ; & qu'elle garde ce qui
lui eft donné tant qu'il dure.
S'il s'en va , qu'elle excite fa volonté par
quelque affedion tendre ; & fi dès la pre-
mière afFedion elle fe trouve remife dans
fa douce paix , qu'elle y demeure. Il faut
fouffler doucement le feu ; & fitôt qu'il eft
allumé celTer de le fouffler ; car qui vou-
droit encore fouffler , Téteindroit.
Je demande fur-tout qu'on ne fînifTe ja-
mais l'oraifon , fans qu'on demeure quel-
que tems fur la fin dans un filence refpec-
tueux.
Il eft encore de grande conféquence que
î'ame aille à l'oraifon avec courage , qu'elle
y porte un amour pur & fans intérêts. Ch.
4.. n. 1,2,3.
Si tous ceux qui travaillent à la conquête
des âmes , tâchoient de les gagner par le
cœur , les mettant d'abord en oraifon & en
vie intérieure , ils feroient des converfions
infinies & durables. Mais tant que l'on ne
s'y prend que par le dehors , & qu'au lieu
d'attirer les âmes à Jéfus-Chrift par l'occu-
pation du cœur en lui , on les charge feule^
G 4
J04 Justification.
ment de mille préceptes pour les exercices
extérieurs , il ne fe fait que très -peu de
fruit 5 & il ne dure pas. Ch. 23. n. t.
En ce métier , fouvent les plus greffiers
deviennent les plus habiles ; parce qu'ils y
vont plus fimplement & plus cordialement.
L'Efprit de Dieu n'a pas befoin de nos ajuC.
temens , il prend quand il lui plait des ber-
gers pour en faire des Prophètes. Ch. 23.
/2. 8.
Il eft impoffible d'arriver à l'union divi-
ne {a) par la feule voie de la méditation , ni
même des afFeélions , ou de quelque orai-
fon lumineufe & comprife que ce puiffie être.
Il y en a plufieurs raifons : voici les princi-
pales. Premièrement félon l'Ecriture; {h)
Nul ne verra Dieu , tant qu il fera vivant.
Or tout l'exercice de l'Oraifon difcurfive ,
ou même de la Contemplation aélive ,
regardée comme une fin , & non comme
une difpofition à la paffive , font des exer-
cices vivans , par lefquels nous ne pouvons
voir Dieu ; c'eft-à-dire , être unis à lui,
Chap. 24. n. t.
{d) Ceci a déjà été prouvé. (Vo\%'?z ASlcs ^ Anéanr
îijjement^^ Opérations propres &c*)
ib) Exod. 33. V. 2to.
XLIV. Oraifon ^. IT. 1-4. 105
A U T O R I T !'•: S.
(J A S S 1 h N.
1. jLj'AbbÉ Ifanc Hit, qu'il .1 appris (le s. Antoi-
ne cette fentcncc, qu'il nppclle cticllc & plus
<ju'luimainc : l'oraifon iVcll pas parlaitc lorfqnc
le Iblitaire connoît ce qu'il fait qunnd il prie.
L'on fer. 9. Chap. 30.
•-!. Nous prions en Iccrct cpiand il n'y a cjuc
notre cœur qui prie, cnlbrte que les Puiflances
des ténèbres ne puifFent pas connoître la nature
de notre oraifon. Ainfi il faut prier dans un
grand lilence, afin de cacher notre oraifon à nos
ennemis invifibles, qui nous tendent des pièges,
particulièrement en ce tems-l:i. Là-nv'nie, C/u 34.
3. Voyez Ison-drfir. n. i.
Ste. Thérèse.
4. Je vois clairement la grande miféricorde que
Notre Seigneur m'a faite, vu que je devois cou-
verferavec le monde, de me donner du courage
pour faire oraifon. Je dis du courage ; d'autant
que je ne fais pour quelle cbofe de toutes celles
qui font au monde , il en faudroit avoir davanta-
Or j'ai dit tout ceci , afin qu'on voie la miféri-
corde de Dieu & mon ingratitude , & afin qu'on
fâche le grand bien que fa Majeflé fait à une amc
de la difpofer à faire oraifon avec affection , quoi-
qu'elle n'ait pas tant de difpofition comme il eft
requis; & comme Dieu la conduit au port de fa-
lut, fi elle y perfévére , nonobflant les péchés,
les tentations & les chûtes de mille manières,
où le Diable la pourroit eno;ager : ce que je tiens
pour certain. — Suivant l'expérience que j'ai en
îo6 Justification.
ceci, je puis dire, que celui qui a commence k
faire oraiion , ne la doit jamais quitter , pour quel-
ques oiienfes qu'il commette , puifque c'eft le
iTioyen par lequel il pourra trouver fon remède ;
ik fans cela il aura beaucoup plus de difficulté:
& qu'il prenne bien garde de ne fe lailTer aller à
Il teiUationdont le Diable m'a déçue, favoir eft,
de laifftr ce faint exercice par humilité. —
Or quiconque n'a encore commencé de s'exer-
cer a Toraifon , je le prie pour l'amour de Notre
Seigneur de ne fe point priver d'un fi grand bien.
Jl n'y a rien ici à craindre, mais tout y eft défi-
rable : car bien qu'il ne s'avance pas &ne s'effor-
ce d'être parfait, enforte qu'il mérite les goûts
i& les carefTes dont Dieu favorife les parfaits; au
moins il gagnera cela, qu'il viendra à connoitrc
le chemin du ciel, & s'il perfévére, j'efpere en
îa miféricorde de Dieu, que fa perfévérance ne
fera point vaine, puifque perfonne ne l'a jamais
pris pour ami, qu'il n'en ait été bien récompen-
fé : d'autant que faire oraifon mentale, à mon
avis , n'efl: autre chofe que de traiter & commù-
niquer d'amitié, s'entretenant fouvent feul avec
celui que nous favons nous porter de l'affeclion.
Vie, Chap. 8.
5. Or j'avois cette manière d'oraifon , favoir
eft, que ne pouvant difcourir avec l'entende-
ment, je tâchois de repréfenter Notre Seigneur
Jéfus-Chrift au-dedans de moi : & à mon avis je
trouvois plus de fuc & plus d'affedion dans les
lieux où je le voyois plus feul. Il me fembloit
qu'étant feul & affligé , il me devoit admettre
comme une perfonne qui eft néceffiteufe.
J'avois beaucoup de ces fimplicités , mais fpé-
cialement je me trouvois bien dans l'Oraifon du
Jardin. ~ Durant plufieurs années lorfque je
XLIV. Oraifon §. H. 4-8. ^^7
\nc rccomiTiaiuloi<; à Dicn iwimm (jue (le m'cn-
rlorrnii , )c pcniois toujours uu peu ca ce mydc-
re de IXJiail'on du Jardin , incmc n'étant pas en-
core Rcligieure, d'autant (]u on nVavoit dit que
pratiquant cela on g-ag:noit pluficurs indulji^ences.
Ktje tiens, (juant à mol, que mon ame profita
beaucoup par ce moyen, d'autant cjue par là je
commentai à faire oraifon, fans fav^oir ce que
c'ctoit; (Se la grande habitude qucj'y avois prife,
m'empéchoit d'omettre cette dévotion , uon pluî>
que de faire le figne de la croix avant que de re-
pofer. Vie C/iap, 9.
6. (Kn méditant quelque myftére de la paf-
fion, ) il efl bon de difcourir un peu de tcms, &
il ne faut pas fe iaffer à éplucher toujours ces
chofes ; mais après avoir accoifé Tentcndement ,
& Tayant mis dans le filence , on doit demeurer
là avec Notre Seigneur, jouilTant de Ion aima-
ble préfence. — Celui qui pourra faire ceci , (|Uoi-
que ce foit au commencement de l'oraifon, y
trouv'era un grand proHt, & cette manière d'o-
raifon produit beaucoup de fruit : au moins mon
ame Inexpérimenté. Là-même. Cliap, 13.
' 7. Or tout ceci eft accompagné d'une très-
grande confolation , & fe fait avec fi peu de tra-
vail, que Toraifo]! ne lafTc aucunement, quoi-
qu'elle dure longtems. Chap. 14.
8. Notre Seigneur donne des tendreOTes, des
goûts , & des confolations à des perfonnes en
mauvais état, —pour voir fi par cette faveur
elles fe voudroient difpofer à jouir fouvent de
lui : mais fi elles ne s'y difpofent pas , pardonnez-
leur, mon Seigneur, car c'eft un grand mal. —
Je tiens pour moi, qu'il y a pluiieurs perfonnes
que Notre Seigneur éprouve de cette manière,
& peu qui fe difpofent à jouir de cette gTace , car
xo8 Justification.
quand il la fait & qu'il ne tient point à nous , je
tiens pour certain qu'il ne cefTe jamais de don-
ner jufqu'à-ce qu'il nous mette en un très-haut
degré.
^ Quand nous ne nous livrons pas à fa divine
Majeflé avec une fi pleine volonté, comme elle
fe livre à nous, elle fait aflez de nous lailTer de-
meurer dans l'oraifon mentale , & de nous vifi-
ter de tems en tems comme des ouvriers qui tra-
vaillent en fa vigne : mais ces autres font fes en-
fans chéris que Notre Seigneur tient toujours
près de foi , «à qu'il ne voudroit point écarter de
fon amoureufe préfence, parce qu'eux auffi ne
$en veulent point éloigner : il les fait affeoir à fa
table & leur fait part des viandes qu'il y mange ,
jufqu'à s'ôter, comme on dit, le morceau de la
bouche pour le leur donner. Chemin de Pcrfeâî.
Chap. i6.
9. C'eft auffi un excellent remède de prendre
un bon livre , en langue vulgaire , pour recueillir
Tentendem.ent, afin de bien prier vocalementpar
ce moyen , & d'y accoutumer peu-à-peu Tame par
attraits & par artifices , pour ne la point dégoûter
ni épouvanter. — Que fi nous ne procédons de
la forte , & fi nous ne maixhons ainfi peu-à-peu,
jamais nous ne ferons rien. Et fi vous vous ac-
coutumez à ce que j'ai. dit, vous en retirerez un
fi grand profit, que quand je voudrois vous le
déclarer , je ne le pourrois faire. Tenez-vous donc
auprès de ce bon iVlaître , bien réfolues d'appren-
dre ce qu'il vous enfeignera, cSc Notre Seigneur
vous fera bonnes difciples , & ne vous laiffera pas,
fi vous ne le quittez point. Chap, 26.
10. Voyez Prière vocale, n. ï2.
1 î. Dieu voit que l'ame eft perdue & aliénée
■^ Prejcnce de Dieu. n. 10.
XLIV. Oraifou. §. H. 8- 14. i^*»
de foi par la vclu-nicncc de l'amour (iiTcllc a [)()iir
lui, <Sc (|uc* la iiK-inc force de r.nnour lui a otc
le (iifcouis de reuteudeuient poui le pouvoir ai-
mer davantaj^e. Concept, de Cyîm. de Dieu. Cha. 6.
12. Je crois (|ue nous aurez déjà a[)pris dans
quelc|ues li\ res d'oraifon , coiTime ils confcillent
à Tame d'entrer au-dedans de foi : or c'ell ce que
je dis en ce lieu. Il y a peu de tems (ju'un perfon-
nage. fort docle me difoit , que les âmes qui ne
font point d'oraifon, font comme un corps para-
lytique ou perclus, lequel , quoiqu'il ait des pieds
& des mains ne s'en peut aider. C/iat. Der?i. L
Chap. T .
13. Il importe grandement à toute ame quifaic
Uraifon , foit peu , foit beaucoup , de n'être point
trop réfervée ou tenue à l'étroit; mais on doit la
laifl'er aller par toutes ces demeures en haut, ea
bas & aux côtés , puis que Notre Seigneur l'a
vofilu favorifer d'une fi grande dignité : qu'elle
ne fe relTerre point tant, que de vouloir demeu-
rer longtems dans une chambre , quoique ce foit
dans la propre connoiOaace ; car encore qu'elle
foit fi néceflaire , — que l'ame occupée à la con-
noiifance d'elle-même me croie , & qu'elle pren-
ne quelquefois Teffor, pour confidérer la gran-
deur & la majefté de fon Dieu : car là elle verra
mieux fa bafTeffe qu'en foi -même; & elle fera
plus libre des bêtes & des vermines qui entrent
dans les premières demeures. Chat. L Dcm,
Chap, n,.
14. Remarquez bien , mes filles , ce que je
vais dire. Toute la prétention de celui qui com-
mence à faire oraifon , doit être de fe réfoudre ,
de fe difpofer & de travailler avec toutes les dili-
gences poflibles , à conformer fa volonté à celle
dç Dieii j & comme je le dirai après ^ tenez
iio Justification.
pour très-certain qu'en cela confifte toute lapins
grande perfection , qu'on peut obtenir en ce che-
min fpirituel. Celui qui aura ceci plus parfaite-
ment , recevra davantage de Notre Seigneur , &
fera plus avancé dans cette voie. Ne penfez pas
qu'il y ait ici d'autre langue Arabefque , ou d'au-
tres chofes inconnues, car en cela confifte tout
notre bien. Q^ue fi nous manquons dès le com-
mencement, voulant auffi-tôt que Dieu fafle no-
tre volonté , & qu'il nous conduife par la voie
que nous défirons , quelle fermeté pourra avoir
cet édifice ? Dem, IL Chap. i.
LeB. Jean de la Croix.
15. L'ame qui prétendra de parvenir en cette
vie à l'union de ce fouverain repos, doit pafTer
par tous les degrés de confidérations , formes Se
notices fans s'arrêter, vu qu'elles n'ont (a) au-
cune proportion ni femblance avec le terme où
elle s'achemine , qui eft Dieu. — D'où vient que
quelques fpirituels s'abufent grandement , qui
s'étant exercés à s'approcher de Dieu par images ,
formes & méditations convenables aux commen-
çans , Dieu voulant les attirer à des biens plus fpi-
rituels & plus intérieurs qui font invifibles , leur
ôtan: déjà le goût & le fuc de la méditation qui
fe fait par difcours, ils n'achèvent point de s'en
défaire , & n'ofent & ne favent quitter ces moyens
palpables qu'ils ont accoutumé , & s'efforcent en-
core de les garder, voulant aller par leur confi-
dération & méditation de formes comme aupa-
ravant.* — Tant plus l'ame avance en efprit, plus
elle cefTe l'œuvre des puiffances aux objets parti-
culiers , fe mettant en un feul adle général &
pur; ainfi les puiffances celTent d'opérer , com-
me elles faifoient auparavant , pour arriver où
(a) Moyça court. Chap. 24.. v. i , 2?. &c.
XLIV. Oraifou. Ç. 71. Î4-.16. m
Tamc cfl paiNcniic, de incinc (|nL- les pieds s'ar-
rêtent après avoir aciievx leur journée. Car s'il
falJoit toujours mareher, on n*arriv'croit jamais ;&
fi tout étoit des moyens, cjuand c(l-cc qu'on jouï-
roit des fins & des termes? Ceft une pitié de voir
que leur amc voulant être en cette paix t<c repos
de quiétude intérieure , où elle le comble de paix
is. de la réfection de Dieu, ils Tiiiquiétent <!y: la
tirent dehors au plus extérieur , & veulent qu'elle
retourne à marcher par où elle marchoit aupa-
ravant , & qu'elle lailTe la fin & le terme oïl
elle fe rcpofe déjà, pour reprendre les moyens
qui l'y acheminoient , qui font les confidéra-
tions : ce qui n'arrive qu'avec un grand dégouC
& répugnance de i'ame , qui délire demeurer en
cette paix comme en fon propre centre ; comme
celui qui eft arrivé avec peine en fon lieu de re-
pos, fi on le fait retourner au travail, cela lui
pefe fort. Montée du Mont CarmeL lÂvr, 2. Chap. 12.
16. Nous donnerons ici quelques remarques,
lefquels le fpirituel doit voir en foi pour con-
noître s'il eft à propos de laifTer les formes &
difcours de la méditation , en ce tems là , ou non.
La première eft de voir en foi qu'il ne peut (a)
plus méditer ni apérer avec l'imagination , & qu'il
n'y a plus de goût comme auparavant. — La fé-
conde , quand il voit qu'il n'a nulle inclination ,
(û) II eft à noter , que les perfonnes qui ont com-
battu les attraits de la grâce par leurs propres efforts ,
& qui ont paffé ce tems-là , peuvent facilement après
méditer , parce qu'ils fe font exercés avec force à rai-
fonner , & en ont formé l'habitude. Ce n'eft pas pour
ceux-là que le Bienheureux parle ici : car il feroit à
fouhaiter qu'ils changeaflent de conduite ; il eft à craindre
qu'ils ne le faficnt jamais ; il parle pour les conimen-
çans^
112 Justification.
ou volonté de mettre Timagination , m les fens
en aucune chofe particulière, extérieure ni inté-
rieure : je ne dis pas qu'elle n'aille & ne vienne ,
( car encore en un grand recueillement elle ne
lailTe pas d'être vagabonde; ) mais que Tame ne
prenne plaifir de l'appliquer exprès en d'autres
chofes.La troifieme &laplus certaine eit, fi Tame
prend plaifir d'être feule avec attention amou-
reufe à Dieu , fans confidération particulière, en
paix intérieure, quiétude & repos, fans acle ni
exercice des puiffances, — au moins où il y ait
du difcours , qui eft d'aller d'une chofe à l'autre ,
mais feulement qu'elle demeure avec la connoif-
fance &le regard général & amoureux, que nous
appelions fans intelligence particulière d'autres
chofes. —
I| eft bien vrai, qu'au commencement de cet
état on ne voit prefque pas cette notice arnou-
reufe ^ pour dei'xraifons : l'une, parce qu'au com-
mencement cette notice amoureufe eft très-fub-
tile & délicate & prefque infenfible; l'autre, parce
que l'ame ayant été habituée à l'autre exercice de
la méditation , qui eft plus fenfible, elle ne fent
& n'apperçoit prefque pas cette autre nouveauté
infenfible, qui eft déjà purement de l'efprit; fpé-
cialement lorfqu'à faute d'entendre ce nouvel
état, elle ne fe laiffe repofer en cela , procurant
Tautre, qui eft plus fenfible : avec lequel, quoi-
que la paix intérieure & amoureufe foit plus
abondante , on ne donne pas lieu de la fentir , ni
d'en jouir. Mais tant plus l'ame fe rendra habile
à fe laiffer tranquillifer & mettre en paix, [a] elle ira
( a ) C'eft toute la méthode qu'on donne dans le
]Moyen court ( Ch. 3. n. 3,4. )>de laiffer peu- à -peu
iurmonter fon opération à celle de Dieu , ne la quittant
toujours
• XLIV. Oraifon.^. II. i(î-T7. ii/
toujours croiflaiU en cette paix , & fentira da*
vantagc cette notice générale & aniourcufe de
Dieu , ce qu'elle goûte plus que toute autre
choTe: d'autant qu'elle lui apporte la paix, le
repos, la faveur & un plaifir fans peine. Là-ménic.
Cliap, 13.
17. La première raifon pourquoi on doit quit-
ter la Méditation fenfible eft, parce qu'on a déjà
donné a Tame en certaine manière tout le bien
fpiritucl , qu elle devoit trouver aux chofes de
Dieu , par ia voie de méditation & de difcours.
^ Car pour l'ordinaire , quand Tame reçoit quel-
que bien fpiritue] de nouveau , elle Je reqoit en
le goûtant;^ & ainfi il lui profite: ce feroic
merveille s'il lui profitoit autrement ; parce que
cela fe fait à la manière que difent \qs Fhilofo-
phes , ce qui a goût nourrit. C'eft pourquoi Job
difoit: (û) Pourra- 1 'Oïl manger tinfplde ^ qui ricjl
point ajjaifonnc de fth
La féconde caufe eft , que l'ame en ce tems a
déjà Tefprit de la méditation en fubfcance & en
habitude ; parce que latin delà méditation , c efc
de tirer quelque connoifTance & amour de Dieu,
& à chaque fois que Tame l'attire c eft un acte ;
Q)) & comme plufieurs actes en quelque état que
ce foit, viennent à engendrer une habitude en Ta-
lîie ; de même beaucoup d'actes de ces connoif-
fances amoureufes , que 1 ame a tirées de fois à
autre , fe continuent tellement par lufage, qu'il
que peu-à-pcu , à mefure qu'on éprouve ce goût divîa
ou attention amoureufe. Piùc à Dieu que ceux qui com-
battenc cec étac , en euffenc fait Texpérience !
(û) Job 6. V. 6.
(&) Moyen court. Ch. 22. n. j.
Tom. IL Jupf. H
114 Justification-
s'en fait une habitude. Ce que Dieu a auflî accou-
tumé de faire fans Je moyen de ces actes de médi-
tation 5 (au moins fans qu'il en ait beaucoup pré-
cédé ) les mettant incontinent en contemplation ;
de forte que ce que Tame tiroit auparavant de
fois à autre travaillant à méditer en des notices
particulières , s'eft déjà par Tufage tourné en elle
en habitude & en fubftance d'ulie notice amou-
reufe générale , non diftincte , ni particulière
comme auparavant. C'eft pourquoi fe mettant
en oraifon, comme celle qui a déjà puifé Feau »
elle boit à fon aife avec fuavité , fans qu'il foit
befoin de la tirer des aqueducs des confidéra-
tions paflées. ^ Parce qu'il lui arriveroit comme
à Tenfant , lequel recevant le lait qu'il trouve
amaffé & raffemblé au tetin , on le lui ôte néan-
moins , & Ton veut qu'avec fa diligence en ma-
niant & épraignant, il retourne de nouveau aie
rafTembler & le tirer: ou comme celui qui ayant
ôté la peau de quelque chofe , goûte de la fubf-
tance, fi on la lui faifoit ôter pour recommencer
à goûter la même peau qui eft déjà coupée ; car
il n'y trouveroit plus de peau , & ne goûteroit
plus de la fubftance qu'il avoit déjà entre les
mains , relTemblant à celui qui laille ce qu'il a ,
pour prendre ce qu'il n'a pas. Là-même. Ch, 14.
îg Ils ne doivent plus fe foncier du difcours
& de la méditation , puifque, comme j'ai dit, il
n'en eft plus tems; mais qu'ils laiflfent demeurer
l'ame^en repos & tranquillité, encore qu'il leur
femble de ne rien faire & de perdre le tems, &
que cela procède de leur tiédeur, de n'avoir en.
vie de penfer à chofe quelconque; vu qu'ils ne
feront pas peu defe tenir en patience, & deperfé-
vérer en T oraifon, laiffant feulement l'ame libre ,
défembarraff^e & déliée de toutes les notices &
XLTV. Onf//b;/. §. II. 17.1R. nj-
pfnfJes, fans le loncicr là de ce (lu'ils penferont
ou mcditeront , Te conteiitaiu leulement d'un
re^^ard amoureux (Se repof eu Dieu, tît de demeu-
rer fans follicitude , (S; iaus dé(ir trop ardent de le
feutir wSi de le jj^oûter i d'autant que toutes ces pré-
tentions incjuiéteut & diftraient lame du repos
trancjuille , ^\ du doux loi(ir de contemplation
qui fe donne Ià : Et quelcjues Icrupules qu'ils
puid'ent avoir de perdre le tems , (k qu il feroit
meilleur de faire autre cliofe, puifqu'en rorailoii
ils ne peuvent rien faire ni penfer; qu'ils patien-
tent néanmoins & f e tiennent à recoi , fe perfua-
dant qu'ils vont à Toraifon pour prendre leur
plaifir & demeurer en liberté & latitude d efprit.
* Car (î d'eux-mêmes ils veulent opérer quel-
que chofe avecles puifiances intérieures , ils em-
pêcheront & perdront les biens que Dieu , par le
moyen de cette paix & loifir de l'ame, va gra-
vant & imprimant en elle. Car comme lî un
(a) peintre tiroic im vifage , & que la perfonne
vint à fe remuer pour faire quelque chofe , elle
empècheroit le peintre de travailler , &. d'achever
fon ouvrage commencé : de même quand l'ame
eft en paix & en repos intérieur ; quelque opéra-
tion & affection qu'elle puifTe exercer , voire
même un regard qui fe fait alors avec follicitude ,
lui donnerai infailliblement de la difcraction, &
lui fera fentir l'aridité & le vide du fens j parce
que tant plus elle pr tendra quelque appui d'af-
fection & de notice , d autant plus featira-t-eile le
défaut, qui ne peut plus être fuppl-^é par cettQ^
voie. L'ame donc ne doit fe foucier ici, li elle perd
l'opération des puiffances: au contraire elle doit
être contente de les perdre bientôt, parce que
"^ Opérations propres, n. i6.
(a) Moyen court. Ch. 21. §. 9.
H 3
ii6 Justification.
n'empêchant point l'opération de la contempla-
tion infufe 5 que Dieu va donnant avec plus d'à»
bondance pacifique , on la recrée, Si elle donne
lieu à ce qu'elle brûle & s'enflamme dans refprit
de l'amour , que cette obfcure & fecréte con-
templation traîne avec foi & attache à 1 ame,
Obfcure Nuit de ta/ne, Livr, i. C/z. 10.
19. Telles gens n'en fâchant pas davantage
que pour conduire les commençans, (& encore
Dieu fait comment) quoique Dieu appelle les
âmes à davantage, ils ne veulent les laiffer pafTer
plus avant que ces commencemens & ces moyens
difcurfifs, avec lefquels ils ne peuvent pas faire
beaucoup de fruit, (a)
Pour mieux entendre ceci , il faut favoir que
rétat des commençans , eft de méditer & difcou*
rir. ^ Mais quand cela eft déjà aucunement fait,
auffitôtfô) Dieu commence à les mettre en cet
€tat de contemplation : ce qui a coutume de fe
faire en fort peu de tems , principalement aux
Religieux ; parce qu'ayant du tout renoncé aux
chofes du fiecle , ils accommodent plus promp-
tement à Dieu leurs fens & leurs appétits: & cela
étant fait, il ne refte qu'à pafTer foudain de la
méditation à la contemplation. Et comme tou-
tes les opérations quel'ame peut faire de foi na-
turellement, ne fe font que par l'entremife des
fens, de là vient que Dieu en cet état eft l'agent
particulier qui verfe & enfeigne 5 & Tame eft
celle gui reçoit, à laquelle Dieu donne en la
contemplation des biens très-fpirituels , qui font
(a) On ne fait pas grand fruit par la méditation :
Ainfi le Moyen court (Chap. 24. n. i.) n'a pas tort de
dire qu'on n'arrive point par cette voie à l'unité avec
Dieu.
C6j Moyen court. Ch. 4, n. «•
XLIV. Oraifon.^Al 19- 23.' 117
(a coiiiioiinincc & Tamour divin ciifcmble , c'cfu
à-(iire une notice ainoureulc , fans que I amc
iil'c de ces actes ou dii'cours , car clic n y peut
plus entrer comme auparavant. Vive Jlammt d'a-
mour, Cant, J. V. J. §. 4. & Ç.
20. Voyez Acics, n. 7.
ai. Voyez Qiiictudc, §. I. n. 30.
22. Voyez Id-mrme. n. Jl.
S. F R A N (j o I s DE Sales.
2j. Mais dites-moi, Théotime , l'ame recueil-
lie en fon Dieu, pourquoi je vous prie s inciuié-
teroit-eIle?n a-t-ellepasfujetde fe tranquillifer &
de demeurer en repos ? car que chercheroit-elle ?
Elle a trouvé celui qu'elle cherchoit. Que lui
refte-t-il plus iînon de dire : {a) J'ai trouve mon
Bien - aime , je le tiens ^ ne le quitterai point.
Elle n'a plus befoin des'amufer à difcourir avec
Tentendement -, car elle voit d'une (î douce vue
fon Epoux préfent, que les difcours lui feroient
inutiles & fuperflus. (^ue fi même elle ne le voit
pas de Tentendement, elle ne s'en foucie point,
fe contentant de le fentir près d'elle, par Taife
& la fatisfaction que la volonté en reçoit. La
Mère de Dieu , Notre Dame & MaîtrefTe, étant
groffe ne voyoit pas fon divin Enfant, mais le
fentant dans fes entrailles facrées vrai Dieu , quel
contentement en reffentoit-elle? Et Ste. Elifa-
beth, ne jouit-elle pas admirablem.ent des fruits
de la divine préfence du Sauv^eur fans le voir , au
jour de la fainte Vifitation? L'ame non plus n'a
aucun befoin en ce repos , de la mémoire , car
elle a préfent fon amant : Elle n'a pas auflî be-
foin de l'imagination; car qu'eft-il befoin de fe
repréfenter en image, foit extérieure foit inté-
rieure , celui de la préfence duquel on jouit?
(a) Cant. j. v. 4.
H 3
îi8 Justification.
De forte qu'enfin c'eft la feule volonté , qui attire
doucement, & comme en tétant tendrement le
lait de cette douce prefence , tout le refte de Tame
demeurant en quic tude avec elle, par la fuavité
du phufir qu'elle prend. De C Amour de Dieu. Livr. 6.
C/iap. 9.
Le P. Epiphane Louis, Abbé d'Eftival.
^4. Voyez Confeljion. n. .: J.
as. Rusbroche diftingue deux fortes d'oraifons ;
Tune 5 O'^ le contemplatif eft dans un faintloifir ,
& dans un parfait repos : lautre où il eft dans
l'action. En la première, l'homme fâchant que
toute fon action , tant qu'il eft dans le corps,
•tient originairement des phantômes & des ob-
jets corporels, & partant qu'il n'eftpas poffible
qu'elle TunilTe parfaitement à Dieu i il fe porte
au-defTus de foi-même: toutes les vertus qu'il a,
acquifes ou infufes , lui femblent des principes
trop bas pour le mettre où il prétend aller. Il
s'élève au-deffus des opérations de toutes fes puif-
fances, & dans cette nudité parfaite de phantô-
mes , d'images, de vertus, & d'opérations, il fe
met en un état aucunement proportionné à Tim-
preffion de Dieu qui travaille en fon fond : &
c'eft ce qu'on appelle facré repos & un faint loiiîr.
Confér, Mjjfiiquc 19.
z6. Tout mon attrait & tout mon inftinct inté-
rieur, fi j'en ai , ou fi j'en fais connoîtrej me porte
plutôt à ne rien voir^^- à ne nen faire, & même
a ne pas regarder , fi je puis ou dois faire autre
chofe", mais à marcher à l'aveugle dans cette voie
de ma fimple occupation , par cet unique regard
en Dieu. {La M. RqOct à S. Fr. de Sales. Confer. zo.)
XLIV. Oraifon. §. HT. 1.4. 119
§. III. Contemplation.
AUTORITÉS.
S. Denis.
1. v^'est un (Icfir, qui porte les natures in-
tellectucUcs conftamment , fans ceffe & fans
relâche , à la contemplation chafte & non fiijette
au trouble , des chofcs qui font par deffus 1 être
& la nature j iS: cette aflection qu'elles ont, de
participer éternellement en efprit & en vérité à
cette pure & fouveraine fplendeur, & à cette in-
variable beairté qui rend beau tout ce qui parti-
cipe d'elle. De la Hier. Cckjic. Ch, 2.
2. Voyez Foi nue. n. j.
L'Imitation de Jésus-Christ.
;. Comment celui-là peut-il être longtems en
paix, qui s'embarrafTe des foins inutiles & étran-
gers , qui cherche au dehors des fujets de s'occu-
per, & qui fe recueille très-rarement en lui-même.
Heureux font les limples, parce qu'ils jouiront
d'une grande paix ! Pourquoi s'eft-il trouvé des
Saints 11 parfaits Si lî élevés en la Contemplation ?
C'eft parce qu'ils fe font étudiés à mortifier en
eux entièrement tous les défirs de la terre , &
qu'ainfî ils fe font mis en état de s'appliquer à
eux-mêmes avec liberté , & de demeurer unis à
Dieu de toute la plénitude de leur cœur. Livr. l.
Ch. II. §. 1-2.
4. Plufieurs défireroient de goûter Dieu dans la
Contemplation ; mais ils n'ont pas foin de faire
ce qu'ils devroient pour acquérir un fi grand bien.
Un des principaux obftacles à cet état Çi heureux ^
H4
I2<> Justification.
c'eft qu'on s'arrête à ce qui eft extérieur & qui
frappe les fens , fans fe mettre beaucoup en peine
de mortifier J'efprit & le cœur. Livr, 3. C/z. 3 l. §. 3.
Harphius.
f. Voyez Foi nue, n. 7.
6. Il faut fortir de toute multiplicité par la con-
templation fimple & nue du Bien-aimé. Llvr, 2.
Pan. f. C'/z. 2.
Le P. Benoit de Canfeld.
7. L'ame contemplant fon Dieu fans voiles
ni images , le voit comme en plein midi , fe
repofant en elle ainfi qu en fa propre maifon,
opérant doucement & familièrement dans fou
cœur , & voyant , goûtant & expérimentant com-
me il eft plus près d'elle qu^elle-mème ; qu'elle eft
plus (û) lui qu^elle-mêmej & quelle le poflféde,
non comme quelque chofe , ni comme elle-mê-
me, mais plus que toutes chofes à plus qu'elle-
même. Selon cette lumière elle fe comporte de
telle façon , que fa joie, fa vie, fa volonté , fon
amour & fes regards font plus en lui qu'en elle-
même: & ce d'autant plus qu'elle connoît qu'il
eft meilleur & plus digne qu'elle , & qu'elle a
expérimenté qu'il eft plus doux & fuave qu'elle ;
& enlin qu'elle le voit plus beau <& glorieux qu'el-
le : & même ayant parfaitement connu qu'il eft
tout 5 & qu'elle n'eft rien , & qu'en lui eft toute
beauté , bonté, &douceiir, en elle toute laideur,
malice, amertume , elle demeure & vit unique-
ment en lui & rien en elle-même.
D'où s'enfuit (b) qu elle eft toute en Dieu ,
{a) S. Augujlin ConfcJJ] Liur. j. C/z. 6. S. Eonavent.
Soliloq. Ch. I.
(b) S, Bonaventure Aiguillon de VAmcur divin P. IIL
Ch. I.
XIAV. Om/(j;/.§. III. f.8. 121
toute a Dieu, & toute pour Dicu, & routcdcDicu;
mais rien en elle-mcnie , rien à clle-mcme, rien
pour elle-mèinc , rien d'ellc-mcmc : elle vit toute
en l'efprir , volonté , lumière & force de Dieu »
& rien en fon efprit, volonté, lumière, force &
capacité propre <Sc naturelle. Kn cette capacité ,
en cet efprit , & en cette lumière elle contemple
cette volonté elfentielle , à fa\'oir Tenence de
Dieu, comme il eft écrit; (a) h'ous venons la fu-
mier c en votre lumière, Rc,i;lede lapcrfc^. Part, j. C7/. 6.
Le P. Nicolas de Jésus-Maria rapporte
g. 4^. Bernard, Que mon ame meure , s'il fc
peut dire , même de la mort des Anges , afin que
perdant la mémoire des chofes prcfentes, elle
fe dépouille non feulement des délîrs & convoi-
tifes des chofes inférieures & corporelles , mais
encore de leurs images & efpeces , & que fa con-
verfation foit pure avec ceux-là , avec lefquc^s
il y a reffemblance de pureté : tel tranfport, ce me
femble, eft feulement ou principalement appelle
Contemplation: car en vivant n'être point ar-
rêté parles défirs & convoitifes des chofes, c'eft
un trait de la vertu humaine; mais en contem-
plant n'être point enveloppé dans \ts images ou
efpeces des corps : c'eft un don de la pureté an-
gelique ; l'un '& Tautre toutefois vient de la
largeffe de Dieu ; l'un & l'autre eft s'outrepaf-
fer & élever au-de(Tus de foi-même : mais l'un
de beaucoup , & l'autre de peu. Bienheureux
celui qui peut dire : (6) Voilà je me fuis éloigné
enfuyant,, iv jai demeuré en lafolitude! (Serm. 25.
Ca) Pf. 35. V, 10.
(6) Pf. 54. V. 8.
Î22 Justification.
fur le Cant.) Eclair ciJJ, des Plir. de J. de la Croix. P. 77.
Ch. i. §. 3-
9. — Avez-vous paiïe au-deffus des délecta-
tions de ia chair , afin de ne plus obéir à fes con-
cupifcences , ni dètre pris a fes alléchemens ;
vous avez achevé , & vous vous êtes furmonté
vous-même : mais vous ne vous êtes pas encore
écarté , fi vous n'avez obtenu d'être affranchi
par Ja pureté de 1 efprit des phantômes des ref-
femblances corporelles qui nous accablent de
tous côtés. (Serm. 35. fur le Gant.) Ld-même.
10 S, Bonaventure. Cette révélation des chofes
éternelles fe fait, comme dit Richard , quand Tef-
prit humain , doucement touché par une infpira-
tion intérieure , fans Tentremife d'aucune chofe
vûfible , eft élevé à la connoifTance des chofes cé-
îeftes. (). Chemin del'Etern, ^.Bijh 4.) Là-même,
II. — . Le quatrième degré de Contemplation ,
félon Richard, eft celui qui eft formé en la rai-
fon & félon la raifon , ce qui arrive lorfque fe reti-
rant de toute fonction de l'imagination , l'efprit
ne vague qu'aux autres chofes qui font incon-
nues à l'imagination. — * Ce degré eft plus parfait
que les précédens , parce qu'il eft plus éloigné des
chofes corporelles & temporelles. D'où vient
que Richard dit, qu'en cette contemplation 1 ef-
prit humain ufe premièrement de la pure intelli-
gence j parce que toutes les fonctions de l'imagi-
nation écartées & mifes à part , notre intelligence
en cette première occupation de foi-mème & par
foi-n\ême , eft vue en général. (Chemin de fEtern.
3. Difr, 4.) Là-même,
12- Q^ue fi encore par amour & illumination
divinement infufe, on fépare de l'entendement le
mélange de la fantaifie^ Fôntendement néanmoins
XLIV. Oraifon. ^,. III. 9.14. iij
conçoit toujours Dieu d'une manière finie & limi-
tée. (l'IicoL Mi^JL) Là-nièmc.
1 j. ^ Ce ^oixt fert pour être porté au-deffus
de toutes les choies fenlibles, de toutes les occu-
pations intellrctuclles (|ui font avec les })hantô-
mcs , de palier auHi les intelliji^enccs angcJKjues ,
afin de pouvoir dire avec I i^poufe ; (t/) Les gardes
mont trouvée, (^I)cs Luminaires de tEgliJ'c. Scrm. 2,)
Là - mcnir,
14. Hui^ues de. S. V ici or. Oue Ta me raifonnablc
retourne à foi & fe recueille en foi , afin que
fans les images des corps , elle fe piiifie confidérer
foi-même & la nature invifible de Dieu tout-puif-
fant ; & qu'elle rejette les phantômes des images
terriennes, & tout ce cjui fe préfentera de ter-
reftre à fa penfce. Car lorfquc Tamc , par une
pure intelligence , aura cornmence de s'excéder
foi-même, & d'entrer toute dans cette clarté de
lumière incorporelle y pendant ce tcms dans ce
tranfporc d'efprit, fe trouve & s'obtient cette
paix qui furpaffe tout fcns , afin quil y ait un
filence au ciel l'efpace dune demi- heure (/?) ,
de forte que Tefpritdu contemplatif ne foit point
troublé du tumulte ni débat des penfées turbu-
lentes : la fenfualité n'opère point ici , ni l'ima-
gination ; mais toute la force intérieure de l'ame
eft pendant ce tems dénuée de fon propre office.
{^Livr. z. de famé, C/i. 2.0.) Là-même.
(a) Cant ?. v. 5.
(6) Par ce filence de demî-heure (Voyez Apoc. §• v. i.)
il veut dire, que je crois , fuivanc l'expérience , qu^onne
pafle guère plus de demi. heure de fuite, fans qu'il vienne
quelques penfées qui ne font que palTer : elles ne diftraient
jamais la rolonté 5 à caufe de l'habitude du vide & de la
nudité.
124 Justification.
IÇ. Richard de S. ViElor, Qu'eft-ce que fait
ici rimagination créatrice, modératrice & répa-
ratrice desphantômes corporels? queTimagina-
tion formatrice de tant de fantailies fe retire
loin d'ici, laquelle tous les jours va créant tant
de formes nouvelles des chofes corporelles. ^
Cette grande multitude de fes images ne fert de
rien ici ; au contraire elle nuit beaucoup. {Livi\ 3.
de la ContempL Ch. i.) Lâ-même.
16 Albert le Grand. Heureux celui qui — par
rintroverfion & l'élévation de l'efprit en Dieu,
enfin s'oublie des phantômes?— « Donc rejettez
de votre efprit tous les phantômes , toutes les ef-
]f)eces, images & formes de toutes chofes , hor-
inis Dieu, afin que votre exercice foit dans le
feul entendement nud , & dans l'affection vers
Dieu au-dedans de vous. {^De [attachement à Dieu.
Chap. 4.) Là-même.
17. St. Nilus. Lorfque vous priez, ne figurez
point Dieu en vous-même , mais approchez fans
matière de celui qui eft fans matière & vous en-
tendrez. ^
Quand le Diable envieux ne peut point éveil.
1er la mémoire en Toraifon, alors il fait violence
au tempérament du corps , afin qu'il faffe paroîtrc
quelque figure inufitée pour repréfenter Dieu ;
c'eft pourquoi demeurez fur vos gardes , & en
priant, préfervez votre efprit de ces connoif-
fances. (Chap. éj. &f 64. de tOraifon.) Là-même.
18. Taulere. Voytz Opérations propres, n. 2^.
1 9. Kusbrcche. Voyez Joie de famé. n. I f. & l ^.
20. Ste. Thcrèfe. Qu'on entende bien ce point:
car je voudrois me favoir bien expliquer. Quand
Dieu veut fufpendre toutes lespuiffances de l'ame
X^ IV OraifoH §. III. i f-ii. i2f
comme nous avons vn dans les manières crorai-
Ion , {]nc nous avons rap[)ortces , il eft évident
iju LMicorc que nous ne le voulions [)as , on nous
ôte (a) cette préTence de I Ilum.uiit/j de Notl'c
Seigneur. Ou'elle s'en aille pour lors à la bonne
heure. Hcureufe telle perte qui cft pour jouir
davantiige de ce qu on Temble perdre : car I amc
alors sYMnploye toute à aimer celui (jue Ten-
tendementa tâche de lui faire connoitre, elle aime
ce qu'elle n'a pu comprendre, & elle jouit de ce
dont elle ne pourroit avoir une fi parfaite jouif-
fance, fi elle ne fe fut perdue de la forte , afin ,
comme je dis, de gagner davantage ! (^l^ic.C/i.2Z»)
Là-mcmc, §. 4.
21. — Notre Seigneur met dans le plus intime
de Tame ce qu'il veut qu'elle entende, Si le lui
repréfente fans images ni formes de paroles.
Qu'on remarque foigneufement cette faqon ,
dont Dieu fe fert pour donner à connoître à
l'ame ce qu il veut , foit de grandes vérités <Sr de
hauts myfteres , foit autre chofe — Et il me fem-
ble que c'eft où le Diable fe peut moins fourrer
& entremettre. — Cette manière de vifîon ou ce
langage eft (i fpirituel , qu'il n'y a aucun bruit
ou mouvement dans les puifTances ni dans les
fens , à mon avis , d'où le Diable puifle rien tirer.
(Fie. Chap. 27.) Là-même. §. J.
22. I). Barthekmides Mardrs, Plufieurs eftiment
que cette union peut être empêchée (/;) par toute
image , même utile de fa nature , telle que \ts
(a) Cela arrive comme Notre Seigneur dit à fes Apô*
très , (Jean i6. v. 7.) Si je ne m'en vais, le Conjolateur
ne viendra point,
(b) Ma penfée que je foumets , ou plutôt mon
expérience eft , que longtems le feul fou venir ou
126 Justification.
images de Thumanité de Jéfus-Cbrifl & des
divins attributs. II faut néanmoins elitendre ceci
d'une manière fobre & précautionnée , de peur
que l'erreur ne s'y glifïe. Car fi vous entendez
par là 5 que ces images fe préfentant à l'entende-
ment, lorfqu'il cft déjà immédiatement dans la
quiétude , & qu'il jouit de la pure union divine ,
elles ne doivent point être admifes, enforte qu'on
les retienne , & qu'en ce tems là il ne faut point
s'arrêter à elles , ni à ce qu'elles repréfentent , mais
que parlant en rigueur, l'ame doit véritablement
fermer les yeux à de tels objets ; il faut néceffaire-
ment avouer que cela eft vrai : car s'arrêter à ces
chofes, & fe diftraire par elles, c'eft s'oppofer à
fon avancement dans l'union immédiate avec
Dieu. Mais iï on veut dire que ces images , toutes
iesfois qu'elles fe préfentent àl'ame qui contemple
image de Jéfus - Chrift , la feule penfée d'un my^ere
ou d'un attribue nous recueille, & auiïi - tôt fufpend
toutes images & efpeces > quoiqu'on fente croître en
foi l'amour de Jéfus - Chrift fans images formées de
lui. L'ame eft enfuite longtems fans pouvoir avoir
nulle occupation diftincle de nulle image de Jéfus-
Chrift : mais quand l'ame eft arrivée dans la fin, elle
trouve Jéfus- Chrift en Dieu d'une manière ineffable :
les images extérieures du même Jéfus -Chrift lui font
alors un plaifir infini , & font d'un goût fi exquis fans
embarras, nuages ou empêchement , que cela ne fe
peut exprimer : elles impriment dans l'ame l'effet fubf-
tantiel de ce qu'elles repréfentent : par exemple , une
image de Fenfancc de Jéfus -Chrift, outre un goût
exquis , vous imprime un air de pureté & d'innocen-
ce ; celui de la Croix, quelque chofe de détruit, de
douloureux fans douleur, & un goût fans goût de la
croix & de l'humiliation : ainfi des autres. Cet état
eft fort parfait, & ne peut être compris que par expé-
rience.
XLIV. Oraifon.^. III. 23 24. 127
purement, & (]iii aiinc Dieu, cinpeclK'iit , retar-
iient (Si alioil^lillent la vigueur & la |)erlectiou de
J'uniou , je crois que cela eft fauxj parce (juc
nous x'oyons par ex[)érience (ju'il arrix'e fouveiU,
lorlque riioinmc le [)orte à Dieu Iciil de toute
J'afl'ection de Ton ame , (|u\*u ce tems le prcfentc
foudainement à reuteiidement cette image: ce
Dieu s'eft fait homme , ik a été cruciHc pour moi ;
& (|ue ces images non feulement n'empecliep.t
point ^ mais avancent plutôt & augmentent Tu-,
nion d'amour & d admiration fufpenfive: même
J'imagc di^s péchés pafïant rapidement , ne fera
point de dommage (^7) , comme de penfer: ce
Dieu par fa clémence m'a pardonné tant de cri-
mes: car cette image n'a pas coutume de trou-
bler, mais plutôt d'accroitre le repos deTefprit,
pourvu que 1 homme alors ne defcende pointa
les confidérer en détail , mais qu'aulîitôt il rentre
dans la fource d'eau vive. (^Abrc^cfpir. P. 2. Ch. 1 1.
§. 2.) Là-même.
25. S, Thomas, L'homme en tant que contem-
platif, eft quelque chofe au-deffus de l'homme,
parce qu'en la fimple vifion de l'entendement,
rhomme eft continué auxfubftancesfupérieures
qui font appellées intelligences , ou bien Anges.
(Dift. 5. Quacft. 5f.J. A. 2. in Quseftiunc.) Là-
même. §. ^.
24. ^ Il faut qu'en l'ame , avant qu'on par-
vienne à cette uniformité, on ôte cette féconde
difformité, qui eft par le difcours de la raifon;
& cela même arrive félon que toutes les opéra-
tions de Famé fe reduifentà une fimple contem-
(a) Car c'eft Dieu qui met ces chofes ; mais elles
paflent & n'arrêtent point ; c'eft ce qui fait , qu'en
la Confeffion on fent une augmentation de paix , même
favoureufe.
laS Justification.'
plation de la vérité intelligible : une convolu-
tion de ces vertus intellectuelles eft nécefTaire ,
afin que le difcours cefrant, fon regard foit ar-
rêté dans la contemplation d'une fimple vérité.
(2. 2. q. 180. yJrt, é. ad, 2.) Là-même.
2f. — St. Auguftin appelle la contemplation
une certaine demeure de férénité, & un vent ou
fouffle de Téternité. [De la quantité de Tamc. C/i. }}.)
L/i-même.
26. D. Barthelcmi des Martyrs. L'oraifon eft une
élévation de Pefprit en Dieu: donc la parfaite
oraifon fera une élévation parfaite. Or celle-ci
ne fe fait que par la véhémence de l'amour & du
défir 5 encore que celui qui prie (a) n'entende
point qu'il demande alors quelque chofe. D'où
vient que S. Antoine difoit, que celui qui prie
parfaitement, n'entend pas qu'il demande quel-
que chofe : car celui qui prie, ne fait pas derefle-
3cion fur foi , il ne compofe & ne divife pas ; mais
d'un fimple & pur acte d'amour il s'affoupitavec
le prophète, difant (b) ; Je dormirai ^ repoferai en
paix en cela même. Et c'eft là la pleine paix , (c) &
le fommet de la félicité de cette vie quifurpaffc
tous les fens. {Abrégé fpirit. Part. 2. Ch. 12.) Là^
même. §. 6.
27. ^ La Méditation cherche une vérité cer-
taine , & elle travaille avec fruit : la contempla-
tion vole à l'entour fans travail , néanmoins avec
«n très-grand fruit i car elle ne s'arrête point
F (a^ ,0n peut donc défirer fans connoitre qu'on défire:
îl demande fans demander , c'eft-à-dirc , fans favoir qu'il
demande; c*eft pourquoi il dit, qu'il ne demande point ;
il en eft du défir comme de la demande.
(b) Pf. 4. f, 9.
(c) Paix au-deffus de tout fentiment. Phil. 4. v. 7.
dans
XLIV. Oraifon 5. III. 25-30. 129
djiis l'ciK|iictc , mais dans J'adiniration. Si Ja mé-
ditation le fait comme il laut, elle palIc en Ja
coniemplation ; car aj)rcs avon' lait une exadlc
recherclic de la \éiité, \^% eUences des chofcs
ctaiit (léniiécs de tous les accidens is circondan-
ces, par cette alîiduité, il s'engendre une certai-
ne habitude , la lumière d'intelligence e(l purifiée
<!s:c. (Voyez Joi/c de i\://ir, n. 17.) La-numc.
28. S, ylrnhroijc, Que le défir de la fagelfe VOUS
tire c^ vous poIFéde comme Marie, car cette œu-
vre eft la plus grande &: la plus parfaite; & que
le foin du minillcre ne vous détourne point de la
connoifTance de la parole célefle. Marthe néan-
moins n'efl pas reprife dans fon bon exercice ;
mais Marie efl préférée , parce qu'elle a choifi
pour elle la meilleure part. { Livr, 7. fur S. Luc. )
Là-même. Cliap, 13.
29. Taukre [parlant de la contemplation ) : Ceci
furpafTe de beaucoup la plupart de tous les inf-
tituts extérieurs, & c'ell du tout une très-fainte
occupation, inftituée du S. Efprit même. [Scrm.
du 16. Dim. après la Trinité^ Là-même,
jo. Albert le Grand. Si vous commencez à vous
dénuer & purifier des phantômes £: images, &
à fimplifier & tranquillifer votre cœur cV votre
efprit en Dieu, afin que vous puifiez & fentiez
le fruit de la complaifance divine en toutes vos
adions intérieures, & que par la bonne volonté
vous foyez uni à Dieu en efprit; cela vous futHt
pour une bonne étude & lecture de la fainte Ecri-
turc. [De t attachement à Dieu. Ch. 5.) Là-même,
Tom. IL Juft.
130 Justification.'
XLV. Perte , ahforhement , perte d^opéra^
fions pour pc^[fer en Dieu. Perte de dij^
tinclion de Dieu 6* de Vame.
/Avant que d'écrire de la Perte ^ il faut expli-
quer que , quoiqu'on parle de perte totale ea
Dieu , & de fiabilité dans cette perte, je ne pré-
tends pas que ce foit Une ceflation d'être, ni
qu'il foit abfolument impoffible de fortir de là.
Il y a une efpece d'impuiffancc morale , & non
phyfjque : cette impuiffance vient de la forte ha-
bitude que Tame a contradée. Un vafe tombé
dans la mer eft entièrement perdu a notre égard ,
quoiqu'il ne le foit pas en effet, puifqu'il fabfifte
dans la même mer , Ik puifqu'on peut le retrou-
ver par accident imprévu, foit en péchant, foit
par quelque voie indirede : ainfi quoique le vafe
foit effectivement perdu , il ne l'eft pas abfolu-
ment : cependant on ne laiffe pas de le regarder
comme tel, parce qu'il eft moralement impoffi-
ble de le ravoir.
Je n'admets pas non plus un état permanent
de lumière paffive; car cela ne peut être: quoi-
qu'il y ait une certaine permanence de inort d'ef-
prit pour n'ufer plus de fes propres lumières : &
l'habkude de la nudité & du vide rend l'ame con-
tinuellement difpofée à recevoir la lumière fans
mélange, parce que tous les phantômes font éva-
cués & diffipés. Où je m.ets la ftabilité , c'eft dans
la volonté , qui à force de fe conformer à fon
divin Objet & de ^'y ^"^^;> P^^^ ^^ ^^"^ & s'écoule
XLV. Perte. ijr
tellement dans la volonté de Dieu, que Tamc
n'aj)j)cr(j()it pins cette volonté ik la compte com-
me perdue. I\ilc lell , non ieulement comme le
val'e tombé dans la mer; mais comme un llcuvc
qui après s'y être écoulé, fe mélange avec elle:
car cette eau e(l encore plus perdue que le vafe;
néanmoins quoiqu'elle foit véritablement per-
due, mélangée, *S: transformée en mer, elle n'efl
pas ablolument perdue, puiiqu'un Ange pour-
roit féparer ces deux edux. Cependant la difii-
culte de la chofe la fait regarder comme mora-
lement impolîible.
CANTIQUE.
L
A jouifTance de Dieu eft permanente &
durable ; parce qu'elle eft au -dedans de
nous-mêmes , & que Dieu étant notre der-
nière fin , Tame peut fans celTe s'écouler
dans lui , comme dans fon terme & fon cen-
tre , & y être mêlée & transformée , fans
en refTortir jamais : ainfi qu'un fleuve qui
eft une eau fortie de la mer , & très-dif-
tindle de la mer , fe trouvant hors de fon
origine, tâche par diverfes agitations de fe
rapprocher de la mer ; jufqu'à ce qu'y étant
enfin retombé , il fe perde & fe mélange:
avec elle , ainfi qu'il y étoir perdu & mêlé
avant que d'en fortir ; & il ne peut plus en
être diftingué. —
C'eft comme une goutte d'eau , qui perd,
fa confiftance fenfibie , lorfqu elle eft mife
I ^
i^z Justification;
dans une cuve de vin , où elle eft chan-.
gée feniiblement en vin , quoique fon être
& fa matière en foit toujours diftinéle ,
& qu un Ange pût , fi Dieu le vouloit ,
en faire la divifion. De même cette ame
peut toujours être féparée de fon Dieu ,
quoique la chofe foit très-difficile. Chap.
I. V. I.
La véritable droiture , qui porte Tamc à
outrepaflTer tous les plaifirs de la terre , &
toutes les douceurs du Ciel , pour fe per-
dre en fon Dieu , eft ce qui fait le pur &
parfait amour. Là-même. v. j.
L'ame fouhaite de fe perdre en Dieu
avec Jéfus-Chrift fon Y\\s , d^ être cachée ,
& de s'y repofer pour toujours, v. 6.
Par le recueillement Tame vit & fe pof-
féde ; mais par la fortie d'elle-même , elle
meurt & fe perd. Ch. 2. v. 14.
Vous m'avez bleffé , dit TEpoux , par
V union de vos cheveux. Cela marque aflez
clairement que toutes les afïeélions de TA-
mante ont été réunies en Dieu feul , &
qu'elle a perdu toutes fes volontés en celle
de fon Dieu.
De* forte que l'abandon de toute elle-
même à la volonté de Dieu , par la perte de
toute volonté propre ^ & la droiture avec
laquelle elle eft appliquée à Dieu , fans faire
plus de retours lur foi-même ;, font les deux
XLV. Terte. t^j
ficches qui ont blclTé le cœur de fon Epoux.
Cil. 4, V. 9.
ï'ai levé la barrière qui empcchoit & ma
perte totale , & la confommation de mon
mariage : car ce mariage divin ne peut être
confommé que la perte totale ne foit arri-
vée. Ch. 5. V. 6.
Dès que Tame commence de recoulcr
en fon Dieu comme un fleuve dans fon
origine , elle doit être toute perdue &
abîmée en lui. Il faut même alors quV^Ue*
perde la vue apperçue de Dieu , & tou-
te connoifiTance diftinfte , pour petitqj
qu'elle foit : ( ^ ) il n'y a plus de vue nia
de difcernement ou il n'y a plus de divi-t
(ion ni de diftindion , mais un parfait mé-
lange. —
Par la confommation du mariage, elle eft
rccoulée en Dieu , & fe trouve perdue en
lui , fans pouvoir fe diftinguer ni fe retrou-
ver. La vraie confommation du mariage , .
fait le mélange de Tame avec fon Dieu lî
grand & fi intime , qu'elle ne peut plus fe
diftinguer ni fe voir. —
La confommation du mariage ne fe fait ,
que lorfque l'ame eft tellement fondue ,
anéantie & défappropriée , qu'elle peut
toute fans referve s'écouler en fon Dieu.
[d] Nous voyons ce qui eft diftindl de nous ; mais
non ce qui eft en nous.
I ->
T34 JUSTIFTCATIOW.'
Alors fe fait cet admirable mélange de Ta
créature avec fon Créateur , qui les réduit
en unité , pour ainfi parler , quoiqu'avec
une difproportion infinie , telle qu'ett celle
d'uae goutte d'eau avec la mer , en ce que
quoiqu'elle foit devenue mer , toutefois elle
eft toujours une petite goutelette , biea
qa elle foit proportionnée en qualité d'eau
avec toute la mer , & propre à être mélan-
gée & ne faire plus qu'une mer avec elle.
Çh. 6. V. 4.
- X'Epoufe eft V unique de fa mère , en ce
qu'ayant perdu toute la multiplicité de fa
nature , elle fe trouve feule & féparée de
tout ce qui eft naturel. Là-même. v. 8.
Depuis , dit-elle^ que Tardent amour de
mon Bien-aimé m'a entièrement dévorée ,
j'^aii^té fi fort perdue en lui , que je ne puis
plus me retrouver. Chap. 7. v. 10.
''Tout ce qui^e dit de cette ineffable
iihtôrfr^-'S^eatenc! avec toutes les différences
eîtentièiles entre le Créateur & la créature ,
qobîqu^avec une parfaite unité d'amour &
de recoulement,myftique en Dieu feul.
" Êlîe D-e craint plus de le perdre, puif^
qu'elle eft non fçuleraeiit unie, mais chan-
gée ea lui. V. 2U.,^^^'
O avantage admirable de la perte des
appuis créés ! On reçoit en échange Dieu
feul pour appui. C/z. 8. v. 5.
XLV. Perte, 1.9. 135
SI rhommc a eu affcz de courage pour
abandonner tout ce qu'il poffcdoit, & tout
fon foi-mcme , afin d'avoir cette |Hire cha-
rité , qui ne s'acquiert que par la perte de
tout le reftc ; il ne finit pas croire qu'après
un effort li généreux pour acquérir un bien
qu'il eftime plus que toutes chofes , & qui
cffcdivement vaut mieux que tout l'Uni-
vers , il vienne en fuite îi le méprifer , ju(^
qu'à reprendre ce qu'il avoit quitté. Là^mê^
me. V. 7#
AUTORITÉS,
S. D E N I s.
ï. V OYEZ Foi Jiue. n. 3.
2. Voyez Foi nue. n. 4.
Henri Sus g.
3. Voyez AnéantiJJemcnt, n. 2.
4. Voyez Anéantijjcmcnt. n.^ 3.
5. Voyez Ancanti£cment, n. 4.
6. Voyez Ancantijfement. n. 6.
7. Ici refprit fe perdant lui-même , pafTe plus
avant par le cercle de la Divinité éternelle , &
s'élève à ime riche perfedion , qui confifte en ce
que n'étant plus chargé du poids des vices , il
monte par la vertu divine dans une intelligence
lumineufe , où il re(^oit un écoulement conti-
nuel des confolations céleftes. Dial. de la Vérités
Chqi. 2 1 .
8. Voyez Opérations de Dieu. n. 4.
9. Là il ne refteplus à Tefprit aucune pente à
Tadivité & à Teffort ; parce que le principe & la
I 4
J36 JustificatiokJ
fin font d;:venus une même chofe, & que Tcf-
prit en foi tant de lui-même, eft devenu un avec
Dieu. C'/z. 21.
RUSBROCHE.
10. Il y a trois rujffeaux qui fortcnt de Dieu
comme de leur fource, dohtle premier efface les
images & les efpeces de la mémoire, le fécond
abforbe par fa fplendeur les lumières de notre
entendement, & Télevc au-deffus des révélations
& des raviffemens , le troifieme perd & confumc
la volonté par fon ardeur. Livr, IL des Noces fpL*
rit. Ch. 36. &c.
L'Imitation de Jésus-Christ.
11. Etendez mon cœur, afin qu'il vous aime,
& que j'apprenne par un goût intérieur & fpiri-
tuel, combien il eil doux de vous aimer, & de
nager, & comme fe perdre heureufement dans
Tocéan de votre amour. Livr. 3. Chap, 5. §. 6.
12. Voyez Propriété, n. 6.
Ste. Catherine de Gènes.
13. La foi me femble toute perdue & Tefpc-
rance morte; parce qu'il me femble que je tiens
& pofféde ce queje croyois&efpérois. Jenevois
plus d'union &c. (Voyez Transformation, n. 8.)
Fie Ch. 22.
14. Voytz Volonté de DieiL n. 16.
1 5* Qui i^c perd fon entendement nature] , ne
peut avoir cette lumière furnaturelle; parce que
quand notre entendement naturel la cherche,
notre imperfedionraccompagne.Dieunouslaiffe
chercher tant que nous pouvons , & enfin il nous
^conduit à connoître notre imperfection; laquelle
étant connue, Dieu nous donne cette lumière
furnaturelle, qui jette Tentendement p!.r terre;
lequel étant abattu ne cherche plus rien en lui-
même , mais il dit à Dieu : vous êtes mon intelli*
XLV. Pcrtf!. T0-2Z. T37
j;f ncr , je ne faurai plus que ce (]u*il vouf? plaira
C|ue je fachc, & je ne mr (lonner:u plus de peine
;i (ierchcr aucune chofc ; mais je demeurerai
d;m5 ma pnix avec votre intelligence , de laquelle
mon efprit e(l occupé. Vic^Cliap, 31.
i6, V oytz AnvantilTcnicnt, n. 12.
17. Voyez Opnat ions propres, n. 9.
î8. Voyez Là-mrmc. n. II.
19. Par cette goutte jz^racieufe , lame demeure
plongcfe en cette fuavité d'amour, elle ne j)eut
ik ne fait opérer aucune chofe : mais elle eft per-
due en elle-même, & aliénée de toute créature,
& demeure contente au fond de fon cœur. DiaL
Liv. 3. (72. 3.
20. Voyez Opérations propres, n. 12.
21. Je ne fais plus où je fuis : j'ai perdu le vou-
loir, le favoir, la mémoire, Tamour , & toute
faveur. Je ne puis donner raifon de moi-même:
je fuis demeurée perdue, & je ne puis vojr où
je fuis : je ne puis chercher & encore moins trou-
ver aucune chofe. —
O fi je pouvois trouver des termes propres
pour exprimer cette amitié fuave & divine, &
cette union perdue! Je dis perdue à Tégard de
rhomme; car il a perdu tous les termes d'amour,
d'union, d'anéantiflement, de transformation,
de douceur, de fuavité, de bénignité, & enfin
toutes les paroles par Icfquelles fe peuvent com-
prendre & unir deux chofes fi féparées : il reftc
feulement un efprit nud & opératif fans mélange,
qui même ne fe peut comprendre. DiaL Liv. 3.
Çh. II.
Stc. T H é R E S E.
22. Je manquois à ne mettre pas toute ma con-
fiance en Dieu, & en ce que je ne perdois pas
entièrement celle que j'avois en moi. Je cher-
138 JUSTIFICAT ION.
choi?; flefî remèdes & faifois des diligences : mali
jen'entcndoispas que tout fert de peu, fi nous ne
perdons entièrement les appuis de notre propre
confiance , pour la mettre toute en Dieu. Vie Ch. 8,
Le B. Jean de la Croix.
2?. Quand cette purification vient faifir plus
intimement Tame, il ne faut pas s'étonner, s'il
femble derechef à Tame , qu'elle a perdu toutes
forces de biens. Obfcure Nuit. Liv, z. Ch. lo.
24. La raifon pourquoi Tame, non feulement
marche fùrement, lorfqu'elle eft en ces ténèbres ,
mais aufii avec plus de gain &plus de profit, c'eft
parce que communément, quand Tame reçoit de
nouveau quelque mélioration & qu elle va pro-
fitant , c'effc par où elle entend & penfe le
moins : au contraire, par où elle voit fort ordi-
nairement qu'elle fe perd. Car n'ayant jamais ex-
périmenté cette nouveauté qui l'éblouit , & la
fait égarer de fa première façon de procéder, elle
croit plutôt être perdue que profiter & être en
bonne voie, comme elle voit qu'elle fe perd tou-
chant ce qu'elle favoit & goùtoit , & qu'on la
mené par où elle ne fait & ne goûte : de même
que le voyageur, lequel pour aller à des terres
étrangères & inconnues , va par des chemins nou-
veaux & inconnus , dont il n'a aucune expérience ,
fur la parole d'autrui & non fur ce qu'il en fa-
voit; car il eft évident qu'il ne pourroit jamais
arrivej à des terres inconnues , que par des che-
mins nouveaux & inconnus , & laiflfant ceux
qu'il favoit. Auffi l'ame en cette façon , lorf-
qu'elle profite davantage , elle marche en obfcu-
rité & fans, favoir. Dieu donc étant maître &
conducteur de cet aveugle , ( de l'ame ) elle peut
XLV. Perte, 21-tr. i^c)
bien, maintenant (ju'cllc le connoît , fc rrjoiiir
ik ("lire; à tohilur, mais hors de ihwk^cr.
Il y a aiiHi une autre raifon poiirciiioi famc
marche fùrcment en ces ténèbres, à favoir parce
qu'elle marche en fouHrant. Car le chemin de pâ-
tir cil plus obfcur<S( plus profitable , (]ue celui de
jouir & de faire ; tant parce que dans la foutirance
JDieu lui ajoute des forces, & à faire & à jouir
]\ime exerce fcs loiblelles & fes imperfec^lions ;
qu'auOi parce qu'à pâtir on exerce & acquiert
les vertus , on puriHe Tame, & on la rend plus
fagc (Se j)lus avifée. Mais il y a ici une autre caufc
principale, pourquoi Tame marchant en obfcu-
rite, vafùrement, qui efl: de la part de la dite
lumière ou fageflic obfcure : car cette obfcure
nuit de contemplation Tabforbe & Timbibe en foi
de telle forte , & la met fi près de Dieu , qu'il la
protège & délivre de tout ce qui n'eft pas Dieu.
Qbfairc Nuit Livr. 2. Cli. 16.
25. Voyez Purification, n. 46.
26. Le monde , le Diable, ni la chair ne Tofe-
roient attaquer; d'autant que Tame étant libre
& purgée de toutes ces chofes, & unie à Dieu,
pas Une d'elles ne la peut inquiéter. De-là vient
qu'elle jouit déjà en cet état d\ine fuavité &
tranquillité ordinaire ; laquelle prefque jamais elle
ne perd & qui jamais ne lui manque. Cantique entre
rfpoufe & f£poux, CoupL 16.
'Zj.. L'ame perd Taéle & la mémoire de tou-
tes les chofes en ces abforbemens d'amour, &
ceci pour deux caufes : Tune, parce que comme
elle demeure aéluellement abforbée & imbue de
ce breuvage d'amour, elle ne peut être aduelle-
ment en une autre chofe ; l'autre , parce que cette
transformation en Dieu la conforme de telle
manière avec fa fimplicité & pureté ;, qu'elle la
T40 J U s T T P T C A T I O îT.
laifFe nette, pure & vide de toutes les formes
& ffgures qu'elle avoit auparavant. Là-mémc.
Coupi. i8.
28. L'amc parlant aux gens du fiècle , leur
dit, que fi elle ne fe trouve plus dans tels entre-
tiens, qu'ils croient qu'elle a fait banqueroute &
s'eft perdue à toutes ces chofes. — Vous direz que
vraïrnrnt je me fais perdue. Celui qui aime ne rou-
git point devant le monde, de ce qu'il fait pour
Dieu , & ne cache point fes œuvres par honte ou
vergogne , encore que tout le monde les doive
condamner : car celui qui aura honte de confef-
fer le Fils de Dieu devant les hommes, Jaiffant
Texercice des bonnes œuvres , le même Fils de
Dieu, comme il le dit en S. Luc (a), aura hon-
te de le confefTer devant fon père. Et partant
lame, avec un efprit & courage d'amour, fe
prifc & fe glorifie plutôt qu'on fâche pour la
gloire de fon Bien-aimé , qu'elle fait une telle
œuvre pour fon amour , à favoir , qu'elle s'eft
perdue à toutes les chofes du monde. — Peu de
Spirituels parviennent à cette hardieffe Ik déter-
mination fi parfaite dans les œuvres : car bien que
quelques-uns pratiquent cette façon de procéder ,
& même qu'il y en ait qui fe tiennent pour fort
avancés, fi eft-ce que jamais ils n'achèvent de
fe perdre en certains points, foit du monde,
foit de la nature , pour faire les œuvres par-5
faites & pures pour Jéfus-Chrifb , fans regarder
à ce qu'on dira ou à ce qu'il femblera; & ainfi
ceux-là ne pourront pas dire : Vous direz que
vraiment je me fuis perdue , puifqu'ils ne font pas
perdus à eux-mêmes dans leurs œuvres. Ils ont
encore honte de confefTer Jéfus-Chrifk devant
les hommes par leurs adionsj ils ne vivent pas
(a) Luc 9. V. z6^
XI.V. Perte. 28-29. 141
VcritaMcmcnt en lui, piiifqu'ils ont cgard k
d'autre cliolc. Cantùjuc entre, f J'pouJ'c {^ t Epuux ^
Couplet 21.
29. Le vcritabJc amoureux fcpcrd incontinent
à tout, pourfe trouver en ce qu'il aime : &pour
(e fujet, Tamc dit ici, que d*clle-meme, elle fc
perdit , ce qui efl: fc laifFer perdre exprès. Vx ceci
arrive en deux manières. Premièrement, fe per-
dant à foi-meme, ne faifant aucun cas de foi ea
aucune chofe , mais feulement de Tami ; fe livrant
à lui gratuitement, fans regarder à aucun inté-
rêt; fe perdant volontairement & ne fe voulant
gagner en rien pour foi-même. Secondement fc
perdant à toutes chofci», ne tenant compte d'au-
cune des fiennes, mais feulement de celles qui
touchent fon Ami. Et c'eft là fe perdre, qui eft
d'avoir envie d'être gagné. /
(*) Tel eft celui qui eft vraiment épris de
l'amour de Dieu , lequel ne prétend point de
profit ni de récompenfc, mais feulement de per-
dre [a] volontairement tout & foi -même pour
l'amour de Dieu, ce qu'il tient poui^fon propre
gain. Et il eft ainfi félon le dire de S. Paul (/;);
Je gagne à mourir , c'eft-à-dire , mourir pour Jéfus-
Chrift fpirituellement à toutes chofes & à foi-
même , c'eft mon gain. C'eft pourquoi l'ame
dit '"je me gagnai. Car celui qui ne fait pas fe per-
dre, ne fe gagne pas; au contraire, il fe perd ,
félon que Notre Seigneur le dit dans l'Evangile :
(c) Qui voudra fauver fon ame , la perdra ,• ^ qui
voudra perdre fon ame pour t amour de moi , la
fauvcra. Et i\ nous voulons entendre les vers
(*) Juflice de Dieu. n. 4. *
(à) Perte volontaire. Voyez l'Explication du Livre des
Juges. Ghap. J. v. 15.
i^b) Phil. I. V. 21. (c) Matth. 16. v. zç.
Ï42 Justification.^
fufdlts plus fpirituellcment & plus à propos pour
ce qui fe traite ici , il faut favoir que dans la vie
fpirituelk, lorfqu'une ame ell parvenue à tel
point que de fe perdre fuivant tous les moyens &
voies naturelles de procéder en la communica-
tion avec Dieu , & que déjà elle ne le cherche
plus par les confidérations , ni par les formes ou
fentimens, ou autres moyens des créatures & du
fens, mais qu'elle paffe par-defTus tout cela, &
par-defTus toutes ces façons & manières, traitant
avec Dieu & jouiflant de lui en foi & en amour;
alors on dit, qu'elle s'eft véritablement gagnée
à Dieu, parce qu'elle s'eft véritablement per-
due à tout ce qui n'eft pas Dieu. Là-même. Cou*
jplct zi.
Le P. Nicolas de Jésus-Ma ria
rapporte
30. Rusbroche, La quatrième propriété , par la-
quelle la fimplicité de notre efprit eft pofTédée
de Dieu éternellement, eft fon (a) exiftence
effentielle au-dedans de nous ; laquelle propriété
nous tire auffi au-dedans : car elle nous attire au-
dedans de foi, & nousfaitégarer de nous-mêmes
dans une obfcurité inconnue 3 abiffale & infinie ,
(a) Ceci a rapport à la préfence de Dieu en nous.
Il eft à remarquer une chofe de conféquence , qui
eft, que toutes les propofitions font tellement mélangées
Tune avec l'autre , & fi fort dépendantes les unes des
autres , que la vérité de Tune eft une conféquence de
Tautre :*c*eft comme une cnchainure de Tune à Tautre.
11 faut , ou nier tout-à-faic Tétat intérieur, ou les admet-
tre toutes : parce que les unes font le commencement ,
les autres le milieu , d'autres la fin & la confommatioa
du même état : les uns font comme les principes ; &
les autres comme la conféquence des mêmes princû
pes.
XT,V. Perte. crQ-gt. 143
Cil nous nous perdons dans une folitnde dcfcrtc
& tics-vadc. Or en nous perdant nous-mêmes,
nous trouvons la béatitude , Ik en trouvant , nous
clilbns, (Se en éliTant nous fommcs élus; & en-
tre cet élire (S: être élu, naît Tinnocence , (|ui eft
Ja quatrième propriété, dans laquelle toutes les
vertus fe commencent & fe consomment: car,
par rinnocence, nous fommes tellement plongés
en notre éledion, & li fortement épris d'amour
en Djcu, fi ferrés & fi embradcs de lui, que
lions ne pouvons, ni ne voulons, ni ne favons
autre cliofe, fmon de demeurer en lui avec cet
amour durant toute l'étendue de Téternité, ce
qui nous rend fimples & libres en toute notre
cffence & en tous nos ades. (Tabernacle de tal^
liance Cli. 19. [Edairàjfcmcns des Pfir. Myji. P. IL
Chap, 12. §. 3.
31. Denis le Chartreux. En cette transforma-
tion de l'efprit en Dieu , Tefprit même s'écoule
de foi & défaut, & fc laiflfant avec toute la pro-
priété de foi-même & des autres chofes , il ell
plongé & enfoncé , fondu & liquéfié , abforbé &
abîmé en cet abîme furineffable, très-fimplc &
interminable , & auffi en cette obfcurité incruf-
table & inacceffible ; & afin de comprendre tout
enfemble, il eft anéanti & perdu : mais il vit en
Dieu ; & étant avec .lui nud , pur & libre de tou-
te propriété , mélange & affeclion , il eft fait une
chcfe, un efprit, une ame, un être, une félici-
té ; car il ne reçoit & n'admet autre chofe. Parce
qu'il a pafle en la fimplicité déiforme, Tinfluen-
ce de Dieu le tirant iintérieurement , & le con-
tad le furélevant , aliène l'amc de foi , & la tranf-
porte comme dans un être nouveau : non pas
qu'en tout ceci la nature ou Texiftence de la
créature foit changée ou cefîe d'être , mais parce
144 Justification-
que la fa<^on eft exaltée & la qualité déifiée. (27<;
lavicfoLitairc LLvr, 2. Cli, lo.) Ld-mê me, C/i. l6. §.4.
Le P. Benoit de Canfeld.
32. Ce mot écoulement contient deux chofcs^
à favoir la mort Se la vie , ou bien la perte & le
gain ; parce qu'entant que la ferveur coule hors
de l'ame , elle s'afToupit & meurt, s'évanouit & fe
perd : mais entant qu'elle s'écoule en Dieu, elle
s'augmente davantage, & vit plus que jamais.
jRegle de la perfeâ. Livr, 3. Ch. 5.
S. François de Sales.
33. Voyez Fonte de tame. n. 5.
Le Fr. Jean de S. Samson.
34. Voyez Opérations propres, n. 27.
35. Voyez Abandon, n. 24.
36. Au refte tous ceux qui penfent être véri-
tablement en leur degré , ne le font pas. Il s'agit
ici de mort & de mourir; & plufieurs n'y veu-
lent pas paffer. Ils ne font pleins que d'eux-mê-
mes , & de leurs réflexions , juftifications & pro-
pres recherches : ils difent que perfonne ne veut
& même ne peut être fidelle, penfant avoir bien,
couvert par ce moyen leur infidélité & non-vou-
loir. Si bien qu'il faut confefTer qu'il n'y a rien
en ces fonds-là, puifqu'ils ne veulent point fortir
d'eux-mêmes par la mort & perte fenfible , pour
pouvoir être perdus en Dieu. Q,^ie s'ils y étoient
entrés par vérité de mort, ils n'en voudroient
jamais fortir par le moindre relâche de leur fidé-
lité adlive ou paflîve. Enfin ils ne s'outrepafle-
ront jamais ; & gifans dans leur fphëre naturelle,
ils demeurerout affamés , les mains à la bouche ,
vides de Dieu, toujours languiffans, & défec-
tueux dans leurs fens & contentement adtif : ils
ignoreront toujours ce que ç'eft que la jouif-
fance
XLV. Ferte. 36^î9- HV
faiicc (le tout bien qui eft en Dieu infini. Car
cette jouidaiicc ne fe coninuiniquc qu\ij)res la
totale Cianskiiîon de la créature en tout Dieu :
alors toutes les (a) vicilfitudcs delà vie humauic
demeurent au-(Jehors; je dis, en tant que con-
traires au bien être humain , quoiciu'eiles foycnt
tres-conformes au bien être divin de la créature
perdue en tout Dieu. Efprit du CcunicL Ui. ij.
^7. Voyez Conjijiancc. n. ^%.
58. Leur vie eft toute perdue quant à eux-mê-
mes , & Il parfaitement & iî entièrement à Djcu
en tout événement de mort^ tant grand que pe-
tit, qu'ils ne favent s'ils vivent à eux ou à Dieu ,
ce qui eft une vérité d'infinie étendue. La raifoa
de cela eft, que Tamour & Thumilité leur ùtent
toute réflexion , les occupant & les perdant
toujours de plus en plus en Dieu , où ils font
& vivent fans diftinction ni difcernement de ce
qu'ils font ou ne font pas, de ce qu'ils font
ou ne font pas. Ainli ils vaquent inceffamment
au devoir de Tamour réciproque, fans croire ni
penfer qu'ils yfatisfaUent. £y/;nr û^// Ca/yneZ. Ck, 14.
J9. Il ne faut rien délirer de précieux , de beau ,
de bon , de meilleur , d'excellent , de haut , ni
même de faint, en un bon fens : tout cela n'eft que
curiofité & gibier de la nature. Il faut fe perdre
en vérité, & ne s'attacher qu'à Dieu feul , & non
à aucun de fes dons , tel qu'il foit, ayant une
continuelle horreur de foi-mème. Car tout appé-
tit & tout attache à quoi que ce foit, même a la
pénitence & à la fainteté , affecte la nature d'elle-
même, & la porte à fe fatisfaire , & non pas à
(a^ Il n'y a plus de vîciflitudes dans le fond qui demeure
immobile en Dîeu au-deffus des fentimens.
Tom. IL M.
146^ Justification.'
Dieu 5 quoiqu'il lui femble le contraire. Là-même.
C/i. 19.
40. Voytz Abandon, n. 26.
41. Uaine abonde là de tous les biens & ri-
cheflTes dçs très-hauts cfprits , au total de l'amour
incréé, où étant perdue, elle ne réfléchit plus
fur les chofes humaines & baffes , non pas même
fur les eiiets qui précédent celui-ci. Efprit du
Car met, Ch. 22.
42. Dieu y eft goûté & favouré en lui-même ,
en ineffables fentimenis & goûts de fa propre éter-
nité toute préfente, qui n'admet ni le tems ni la
fortie. C'eft là que tout eft fondu & perdu 5 &
cependant tout ce qui refte de l'homme a rem-
plir, demeure pleinement & totalement affujetti
àl'efprit, qui le tire toujours fecrétement à foi ,
& opère au-dehors amoureufement félon Tordre
& l'exigence de fon devoir. Mais, ô bon Dieu ,
de qui & de quoi parlons-nous ici ? vu qu'à peine
connoît-on perfonne qui veuille en fe perdant in-
ceffamment, fe laiffer polir & façonner par les
attouchemens fréquens de fa divine Majefté. Là^
même. Ch.^ 23.
49. L'ame étant perdue entièrement à fes fens
& à leurs opérations , demeure très-efprit félon
fa propre fubftance , laquelle étant très-pénétrée
de ce feu de gloire , (s'il m'eft permis de Tap-
peller ainlî j, n'a plus d'autre vie que la vie du
même feu qui la dévore. Cabinet Myjiiq. P. !•
Cil, 3,
44. Voila ce que notre ame va fuivant éter-
nellement : c'eft là qu'elle fe perd fans reffource ,
& n'en fort jamais, nin'enfauroitfortir. Là-même.
Ch, 4.
4s. Il y a fix degrés d'illumination , par lef-
quels on devient fouveraincment efprit par Ten-
XLV. Pci'tc. 40 47. 147
tîcre perte & nbaiulonnLMncnr de tout foi, fcloa
Tordre de tous ces degrés. Il le tiouv e peu de
perlbnnes (]ui fe veuillent donner en proie & en
abandonncnicnt entier & parfait julqn'à l'cx-
trèinité: cV^ft pourcjuoi on voit li j)cu de fpiri-
tuels, d'autant cprjls ne veulent pas furjKdler le
fens, ni rexcellence des dons fenfibles de Dieu
en eux-mêmes ; Ci bien que ce n'eft que feintes,
que dcfordres d'efprit , (]ue toute recherche &
mifere. Les (a) filles pour l'ordinaire y ont bonne
part, Si beaucoup d'hofnmes aufïî , qui n'habi-
tent ailleurs qu'en eux-mêmes , en perpétuelles
réflexions & recherches , n'ayant jamais ni paix ni
repos dans leur cœur. Miroir de Confcience ^ Traita
I. n. 39- ^ .
46. Quant à ceux qui s^abandonnent vraie-
ment à Dieu, il faut qu'ils fe donnent bien gar-
de des fubtiles attaches de la nature, puifque cela
les empêche de voler purement en Dieu , dans
lequel ils fe doivent perdre irrécuperablement,
comme au lieu de leur fouverain centre ik repos.
Il faut donc être vraiement mort à tout le fenfî-
ble , afin de fentir fimplement & conformément
au très-fimple fond. Là-même. n. 40.
47. Or la force divine doit être grande aux
fpirituels 5 qui en quelque état qu'ils fepuiflent
trouver, ne veulent jamais plus favoir ce que c'eft
que réfléchir fur eux-mêmes ni fur les chofes
créées. Elle doit autïi être grande en ceux qui fe
furpafTant toujours très-fortement eux-mêmes ,
fe placent & s'écablifTent , non tellement quelle-
ment en leur fond effentiel, mais en Dieu , dans le-
quel ils fe plongent & fe perdent de plus en plus ,
((2) Il eft certain , que les homme<? font beaucoup plus
droits que les filles , & qu'ils le cherchent moins.
K z
148 JuSTIfICATION.
8i y demeurent immobilement arrêtés: où ils
font faits & devenus lui-même en fon tout,
* C'cft d'ici que fort tout le luftre & tout le bien
de ces époufes , dans la converfation de ceux qui
font capables de les connoître, & de les difcerner
telles qu'elles font en leur excellence. Que (i
quelques petits manquemensparoifTent en elles,
cela, quoi que contraire à leur fond, & ces foi-
blelTes font le fujet de leur douleur , de leur re-
nonciation , de leur mort , & de leur très-pro-
fonde humilité. Miroir &' flammes de Camour divin,
Chap, I.
48. Ah , que cette vie fî douce eft inconnue
aux hommes, à ceux même qui s'exercent en de
grandes chofes, maisfeulementpour leur propre
vie ! Car cette vie propre eft en plufieurs perfon-
lies qui s'exercent aux exercices de charité , lef-
quelles fe délectent à faire de bonnes œuvres
extérieures, pour aider le prochain dans fes né-
ceflîtés : & quoique la vie active en fa perfection
foit autant fpirituelle que corporelle , & ne laifiTc
pas d'être agréable à Dieu , & profitable à ceux
qui la pratiquent , néanmoins ces perfonnes la
fourmillent de propres attaches d'efprit au fait
même de leur propre bien , qu'elles défirent plus
ou moins avec propriété, quoiqu'elles ne le con-
noifTent pas. Là-même, th. 2.
49. Non , non, je ne vois, ô ma vie, nipaffé,
ni futur,* étant préfentement vous-même, com-
me je fuis , & devenue amoureufe de l'amour en
l'amour que vous êtes en vous &en moi ; toute
perdue* en vous d'amour en amour, mais poffé-
dée de l'amour & pofTédant lamour, je fuis en
vous fans connoiiïance & fansfcience , &jen*en
veux pomt peur moi : par cela même que je fuis
^ Communications, §. IL n. ir.
XLV. Perte. 47-'^'i. r49
en ce que vous ctes ce que vous ctcs ; je fuis
totalement ignorante de tout le créé. So/Uufjnc 3.
50. ^uel moyen y a-t-il que ceux qui font ainii
plongés (Se perdus (lans ces abîmes, en vcuillcTit
fortir , ik délirer de retourner aux cliofes créées?
Kon , mon cher Amour; cela ne fera point. L'a-
mour mutuel <S: réciprocpic de deux fi intimes
Amans , non feulement ne le permet jamais , mais
il abhorre infiniment ce retour, y all:\t-il delà
vie & de tout le bien-être de votre Epoufe. C'o/z-
tcmplat. 17.
51. Voyez Abandon, n. 32.
5 2. Le yain & fabondance doivent céder à la
perte & à l'abandon. Mais comme vous n'éte&
point entré myftiqucment dans ce défert, quoi-
qu'il vous femble le contraire, vous ne favez
point par expérience ce que c'cfl. — Comme
donc vous ne voulez pas vous perdre, ni vous
employer à une meilleure pourfuite, vous demeu-
rez dans un état grandement imparfait , en corn-
paraifon de celui de l'homme entièrement déifié.
Lettre 63.
Monf. O L I E R.
53. Il me femble que Notre Seigneur défirc fi
fort , que notre intérieur foit perdu dans le lien ,
pour être en lui & avec lui tout ce qu'il eft à
Dieu, que je ne le puis exprimer. Et quoique
depuis qu'il m'a engagé au vœu d'hoftie vivante
a Dieu fon Père , il m'ait obligé de vivre toujours
en cet efprit, &de me perdre univerfellement en
fes difpofitions intérieures envers toutes chofes ;
je me trouve maintenant fi efficacement établi en
lui par fon amour & par fa puifTance , & fi porté
à vivre en lui à Dieu , pour être , opérer & fouf-
frir en la manière qu'il lui plaît, qu'il me femble
K 3
igo Justification.
que je ne puis être autrement en fes bonnes
grâces. Lettre 148.
54. Autant que Ton quitte la terre & tous fes
fentimens , autant Dieu prend plaifir d'élever
l'ame à lui , & de la mettre en liberté , lui faifant
Tcfpirer la férénité de la foi, & lui montrant la
beauté & la vafte étendue de fes perfeûions , où-
rame doit entrer au fortir d'elle-même & de tout
ce qui l'appuyoit en marchant fur la terre. Il y a
bien^long-tems que je vous ai dit, & que Dieu
même vous a fait voir l'état des ((2) âmes pures
en l'Eglife, qui vous paroiffoient élevées & fé-
parées de tout l'humain , qui fembloient vivre en
l'air, & n'être foutenues, environnées ni poffé-
dées que de l'être divin. C'eft cet état de foi qui
retire & dégage l'efpntde tout , qui va toujours
purifiant & confommant en la vertu de la cha-
rité tout ce qui n'eft pas Dieu dans l'ame , & qui
la met dans une telle fainteté , que Dieu la trou-
ve en état d'être toute abîmée en lui. Ce divin
Tout ( Z?) ne peut rien fouftrir en foi qui ne foit
trois fois faint, c'eft-à-dire , parfaitement purifié
de tout fentiment, foit vicieux, foit naturel, foit
même de ce qui fe mêle d'impur dans le divin.
C'eft pourquoi , après s'être féparé de tout ce qui
eft de groffier , il refte encore à s'abftenir des re-
cherches de foi-même en Dieu , & des fentimens
qui accomipagnent fes premières faveurs ; car ces
recherches & ces fentimens tenant du grolîîer &
du fenfible , ils revêtent & environnent l'ame
combine, d'une robe & d'un vêtement, qui l'em-
pêche d'être dans fon fonds unie fi intimement
& fi purement à Dieu , en quoi confifte unique-
ment la fouveraine perfection. C'eft pour cela
( a ) Vrai efprit de l'Eglifé. ( b ) Admirable.
XLV. Perte. 54"^Cy. 151
que Notre Seigneur difoit : Mon Pcrr efi rfprit ^
Êf '/ veut des mlurateurs qui Jlitciit rjprit , jwur vtrc
unis à lui en vnitc. Lettre 155.
55. Je rouhaitc toujours que vous fçiypzj^ bien
fortiliée en la vertu du S. Efprit : ik je défire de
tout mon cœur de vous voir animée & revêtue
d'une foi vi^ourcufc & pullFante , d'une foi Vive
&: ardente de charité , qui \'Ous dirige en tout.
C'ed ])ropremcnt ce que vous appcrçùtc^ -der-
nièrement par grâce fpéciale, lorfque vous vîtes
avec tant de joie (a) deux âmes vivantes divi-
nement dans J'Eglife. Là-même,
56. Heurcufc une ame qui eft intimement unie
à Jéfus-Chrid, & qui efl: convertie en cet Epoux
du cœur ! Par lui on eft en Dieu , & on efl perdu
dans le fein du Pcre , où Ton fe noie & Ton s'a-
bime foi-même heureufement. Là on eft en fo-
litude , en pureté, en fainteté : là on ne peut
fouftrir de créature , on ii'a plus foif de rien, &
on ne veut plus que ce divui Tout : là on eft
ralTafié de ce Tout adorable qui remplit [b) tout
défir; on cherche d'être au Tout & d'y être uni-
quement ; & on évite ce tout malheureux qui
nous vuide de Dieu & nous empêche de le pof-
féder paifiblement. Ce vrai Tout fait voir & ref-
fentir intérieurement à Tame la jaloufie qu'il a
pour la tenir à lui tout feul , pour ne la point laif-
fer fortir de lui , pour empêcher qu'elle ne s'é-
panche en d'autres chofes, qui la tireroient hors
<le cette folitude intérieure , où elle doit être uni-
quement occupée de lui. Quand votre ame fera
toute en Dieu , il faudra lui parler d'une manière
( « ) 0 Seigneur , faites-en beaucoup de cette forte.
(6) Les défirs font remplis, c'efl pourquoi Ton ne
défire plus
K4
T52 Justification.
que fait Notre Seigneur; mais il faut, en atten-
dant, travailler à notre retour en Dieu, & à no-
tre parfaite confommation. Lettre 245.
LcPere Epiphane Louis, Abhc d'EJiivaî,
rapporte
57. Sœur Marie Rofette. Voyez 'Non-déjtr, n. 47.
X L V I. Fréfence de Dieu.
M O Y E N C O U R T.
Y
X-jE grand moyen de devenir parfait , eft
de marcher en la préfence de Dieu. Il nous
le dit lui-même {a) : Marche? en ma pré--
fence , Ù foie:^ parfait. UOraiion peut feule
vous donner cette préfence , & vous la don-
ner continuellement. —
Rien n'eft plus aifé que d'avoir Dieu , &
de le goûter. Il eft plus en nous que nous-
mêmes: Ch. i. /2. 3 ^ 5.
Après s'être mis en la préfence de Dieu
par un aéte de Foi vive , il faut lire quelque
chofe de fubftantieL —
Il faut que la Foi vive de Dieu préfent
dans le fond de nos cœurs 5 nous porte à
nous enfoncer fortement en nous-mêmes ^
(a) Gen. 17. v. i.
XI. VI. Prefeuce de Dicti. içg
recueillant tous les fens au-dedans , empê-
chant qu'ils ne le répandent au-déhors : ce
qui elt un grand moyen des Pabord de fe
défaire de quantité de dillrac^lions , & de
s'éloigner des objets du dehors , pour s'ap-
procher de Dieu , qui ne peut être trouve
que dans le fond de noufi-mèmes , & dans
notre centre. — S- Augudin s'accufe lui-mê-
me du tems qu'il a perdu y pour n'avoir pas
d'abord cherché Dieu de cette manière. Ch.
z. n. 2.
Mais comme j'ai dit que Texercice direél
& principal doit être la vue de la préfencc
de Dieu ; ce qu'on doit faire le plus fidèle-
ment , c'cft de rappeller fes fens lorfqu'ils
fe diflipent.
C'eft une manière courte & efficace de
combattre les diftradions : parce que ceux
(a) qui veulent s'y oppofer direélement ,
les irritent & les augmentent ; au lieu que
s'enfonçant par la vue de foi de Dieu pré-
fent , & fe recueillant Amplement , on les
combat indiredement & fans y penfer ;
mais d'une manière très-efficace. Là-mémt.
n. 4.
Il faut commencer par un ade profond
d'adoration & d'anéantiflement devant
Dieu; & là tâchant de fermer les yeux du
id) Ceci a été prouvé aux Dlftraâions.
154 Justification'/
corps 5 ouvrir ceux de Tame : puis la ramaf-
1er au-dedans , & s'occupant direélement
de la préfence de Dieu par une foi vive
que Dieu eft en nous — les tenir le plus
qu'il fe peut captifs & aflujettis. Chap. 3.
n, I.
Si en faifant fon ade de foi , l'ame fe
fent un petit goût de la préfence de Dieu ,
qu'elle en demeure là , fans fe mettre en
peine d'aucun fujet , ni de paffer outre ; &
qu'elle garde ce qui lui eft donné tant
qu'il dure. S'il s'en va , qu'elle excite fa
volonté par quelque affedlion tendre. Ch.
4- n. 2.
L'ame par le moyen du recueillement fe
tourne toute au-dedans d'elle , pour s'occu-
per de Dieu qui y eft préfent.
Si elle tourne toute fa vigueur & fa
force au dedans d'elle , elle fe fépare des
fens par cette feule adion. Ch. 10. n. 2.
Suivant feulement l'attrait intérieur , &
s'occupant de la préfence de Dieu , fans
penfer en particulier à la mortification , {a)
Dieu lui en fait faire de toutes fortes. Là^
même. n. 3.
L'ame iidelle qui s'exerce , comme il a
été dît 5 dans l'affeélion & dans l'amour de
fon Dieu, eft toute étonnée qu'elle fent
peu-à-peu qu'il s'empare entièrement d'elle.
M Ceci a été vu dans les Mortijications.
X L V I. Prcfcuce de Dieu. i .^5
Sa préfcncc lui devient fi aifcc , qu'elle
ne jDOurroit jias ne la point avoir : elle lui
c(t donnée par habitude. Ch. ix. n. i.
C'ell ici que la préfence de Dieu durant
le jour , qui elt le grand Fruit de Toraifon ,
ou plutôt la continuation de Toraifon mê-
me , commence d'être infufe & prefquc
continuelle. L'ame jouît dans fon fond d'un
bonheur ineflimable. Elle trouve que Dieu
cil plus en elle qu'elle-même.
Elle n'a qu'une feule chofe h faire pour le
trouver , qui ell de s'enfoncer en elle-mê-
me. Sitôt qu'elle ferme les yeux , elle fe
trouve prife & mife en oraifon.
Elle e(l étonnée d'un fi grand bien ; &
il fe fait au-dedans d'elle une converfation
que l'extérieur n'interrompt point. Ch. 73,
n. z.
La couche eft le fond de Tame. Lorfque
Dieu eft là , & qu'on fait demeurer auprès
de lui , & fe tenir en fa préfence , cette pré-
fence de Dieu fait fondre & diffoudre peu-
à-peu la dureté de cette ame ; & en fe fon-
dant 5 elle rend fon odeur. Ch. 20. n. 2.
îSô Justification,
CANTIQUE-
l^^EPOUx facré eft toujours dans le centre
de Tame qui lui eft fidelle : mais il y demeu-
re fi caché , que celle qui poflféde ce bon-
heur , l'ignore prefque toujours ; excepté
certains momens , où il lui plait de fe faire
fentir à Famé amoureufe , qui pour lors le
découvre en foi d'une manière intime &
profonde. Ch. i. v. ii.
L'anie voyant que TEpoux ne lui accorde
pas une grâce à laquelle elle s'attendoit ,
après la lui avoir accordée dans un tems où
elle ne Tefpéroit pas , eft étonnée de cette
fi dure abfence. Elle le cherche dans le fond
d'elle-même , qui eft fon petit Ut , &
pendant la nuit de la foi : mais hélas , elle
eft bien furprife de ne Fy plus trouver !
Elle avoir quelque raifon de Py chercher ;
puifque c'eft là qu'il s'étoit découvert à
elle 5 & qu'il lui avoit donné le plus vif
fentiment de ce qu'il eft 5 qu'elle ait encore
éprouvé*
Mais , ô Amante , vous n'avez garde de
trouver là votre Epoux ! Ne favez-vous
pas qu'il vous a conjurée de ne le plus cher-
cher en vous^ mais en lui-même? Ce n'eft
XL VI. Préfcfice de Dieu. 157
plus hors de lui que vous le trouverez, (a)
Sortez hors de vous-même au plus vite ,
pour n'être plus qu'en lui ; & ce fera là
(a) Pour bien comprendre ceci, il faut expliquer
de quelle manière le fait la fortie de Toi ; parce que
les perfonnes , qui n*ont pas l'expcricnce de ce qui
cil avancé ici , pouiroicnt dire , que puifqu'il faut une
fois ccder de chercher Dieu en foi pour le trouver
en lui -même, il ell bien plus à propos de l'y cher-
cher tout d'un coup , que de commencer à le cher*
cher en foi , & que c'elt allonj^er le chemin , au iieu
de le racourcir , comme je l'ai dit ailleurs. Alais on fe
méprcndroit beaucoup ; parce que celui qui n'eft pas
vraicment intérieur , cherchant Dieu en Dieu-méme ,
le cherche comme quelque chofe fort diftindt de foi &
comme au- dehors; il le cherche même au ciel : cela
fait qu'au lieu de devenir intérieur & de ramafTer ,
comme faifoit David (Pf. s8. v. 10.) toutes les for-
ces de fon ame , pour s'appliquer à Dieu , on difTipe
ces mêmes forces : comme Ton voit des lignes fort
petites & difperfées fe raffembler , & fe fortifier en fe
raifemblant au point central , & par un effet contraire
s'affoiblir & fe difperfer d'autant plus qu^elles s'éloi-
gnent du centre. II en eft de même des forces de
lame , foit de la force pour connoitre , foit de la for-
ce pour ai^ner : plus elle eft ramaffee en elle-même ,
& dans fon centre , plus elle a de force & de vigueur
pour connoitre & aimer. Et comme ces mêmes lignes
qui font fort divifées deviennent indivifes dans ce point
central; e^juiTi toutes les fondions de Tame fi diver-
fes & diftindles hors du centre , fe raffemblant tou-
tes , ne font plus qu'un feul point d'unité indivife ,
quoique non pas indivifible. Il en eft de même de
Tame ; toutes fes forces étant dans cette unité , parce
qu'elles y font afTemblées , elle a une vigueur admi-
rable pour Dieu. Et il eft de conféquence de prendre
ce chemin ; car plus l'ame fe recueille & demeure
recueillie , plus elle approche de l'unité , comme l'on
▼oit peu- à -peu les lignes fe rapprocher, & fe join.
158 Justification.
qu'il fe lailTera trouver. O artifice admira-
ble de l'Epoux ! Lorfqu'il eft plus pafTion-
né pour fa Bien -aimée, c'eft alors qu'il
dre enfin infenfiblement , plus elles approchent de leur
point centrai, & être d'autant plus divifées & fépa-
Técs , qu^elles s'en éloignent davantage. Ceci fuppofé»
je dis qu!il faut donc , pour devenir intérieur & fpiri-
tuel , commencer à chercher Dieu en foi par le recueil-
lement , fans quoi on ne parvient point à l'unité cen-
trale. Mais lorfqu'on y eft parvenu , c'eft alors qu'il
faut fortîr de foi , non en fe multipliant au dehors
& retournant d'où l'on eft venu ; mais en fe furpaffant
foi -même , ou s'outrepaflant pour entrer en Dieu.
Car cette fortic de foi ne fe fait point par le même
chemin par lequel on eft arrivé au recueillement ; mais
comme en fe traverfant foi-même , pour ainfi parler ,
partant au-delà de foi, du centre créé dans le centre
incréé qui eft Dieu. Comme une perfonne arrivée à
un Keu borné où il doit arriver néceffairement ,
ne retourneroit pas fur fes pas pour en fortir , mais
paffe outre par îe chemin qu'il trouve ouvert : ainfi
fortir de foi c'eft s'outrepafTer. Et comme'en arrivant
au centre, qui eft nous-mêmes , il nous a fallu faire
d'autant plus de chemin , que nous étions plus exté-
rieurement diftipés & éloignés du centre : auffi plus
on s'outrepafTe foi -même, plus s'éloigne- 1- on de foi
de vue 6c de fentimens ; comme celui qui ayant fait
beaucoup de chemin pour arriver à une hôtellerie , en
fait enfuite beaucoup d'autres par-delà, & s'en éloi-
gne d'autant plus qu'il marche davantage. Sitôt que
nous fommes arrivés à notre centre , nous trouvons
Dieu , & nous fommes invités , comme je l'ai dit , à
fortir de nous - mêmes en nous outrepaffant ; & alors
nous Raflons en Dieu- même très - réellement : car
c'eft alors qu'il fe trouve vraiement où nous ne fom-
nies plus ; plus nous marchons , plus nous avançons
en Dieu, & plus nous nous éloignons de nous-mê-
mes. Alors on doit mefurer l'avancement de l'ame en
Dieu, fur l'éloignement où elle eft de foi, c'eft -à-
XL VI. rréfc7ice de Dieu. 159
fuit avec plus de cruautc : mais cVfl: une
cruauté amourcufc , fans laquelle Tamc ne
dire quant aux viics , fcntîmcns , fouvcnir, propre in-
tcrct , rctlexions. Lorfijuc l'ame avance pour arriver à
fon centre, elle e(l toute rcHochic (ur elle-même ;
plus elle approche de Ton centre, plus elle le voit,
quoique d'une manière moins multipliée : mais lorf-
qu'cllc cil arrivée à fon centre, clic ceire de fe voir
elle-même : comme nous voyons tout ce qui cft hors
de nous , ^ ne voyons point ce qui clt en nous.
Mais plus elle s'outrepaH'e clle-mcme, moins elle fe
voit ; & en fortant de foi , comme elle fe tourne le
dos, pour ainfi pailer , elle fe voit toujours moins ;
parce qu'elle n'elt pas tournée pour fe regarder. C'elt
ce qui fait que les propres réflexions , utiles au com-
mencement , lui deviennent fi nuifibles dans la fuite. Dans
les commencemens il faut des vues réfléchies & multipliées;
enfuite il faut dts vues réfléchies , mais fimples & non-
multipliées; puis il eft donné à l'ame un regard dire<ft:
comme celui qui s*approche de rhôtellcrie , ne fe fert
plus de réflexion , m.iis regarde le lieu qui cfl: à la
portée de fa vue ; puis étant entré dedans , il perd
même cette vue direde. L'ame arrivée à fon centre
ne fe voit plus , pour ainfi parler ; mais elle a une
manière de fe fentir & s'appercevoir , propre à cet
état : mais lorfqu'elle s'eft outrepaffce foi -même , elle
ne fe fent plus , ne fe difcerne plus : <& plus elle
avance en Dieu, moins elle fe difcerne, jufqu'à-ce
qu'enfin elle s'abîme totalement en Dieu , & qu'elle
ne fent , ne connoit , ne difcerne que Dieu en lui &
pour lui. Alors il eft clair que toute réflexion eft nui-
iible & mortelle; puifque ce feroit mettre l'ame ea
chemin de quitter Dieu , & retourner vers elle. Or
cet outrepaiTemcnt de foi fe fait par la perte de la
volonté , qui comme la fouveraine des puifl'ances , en-
traine avec foi l'entendement & la mémoire, lefquel-
Ics quoique puiffances très-diftinctes & féparées , font
pourtant un & indivifibles dans leur centre. Or je
dis, & il •eft clair, que cet état porte avec foi une
forte de ftabilité ; & plus il avance , plus il devient
i6o Justification.
fortiroit jamais d'elle-même , & confé-
quemment ne le perdroit jamais en Dieu.
Ch. 3. V. I.
AUTORITÉS.
S. Denis.
,T
OUTES chofes Tapétcnt ( cette caufc pre-
mière ) & la défirent, à favoir celles qui font
douées de raifon & d'entendement par connoif-
fance , celles qui font au-deflbus par fenti-
fiable. Car il efl évident que les fondlions de celui qui
paffe outre de foi , & qui fe quitte, font entièrement
différentes de celles de celui qui marche pour arri.
ver à foi -même & à fon centre : & qui voudroit re-
prendre le premier chemin , trouveroit la chofe très-
difficile & prefquc impcffible. Il fâut donc que celui
^ui s'eft outrepaffé , fe quitte toujours plus ; & que
celui qui veut fe convertir , s'approche toujours plus
de foi : car de vouloir faire revenir un homme déjà
paffé en Dieu , aux pratiques dont il s'eft fervi pour
y arriver, c*eft vouloir que la nourriture de celui qui
a mangé , étant palfce dans les inteftins , revienne
par la bouche , ce qui ne peut arriver que par une
colique incurable , & qui donne la mort ; au lieu que
la nourriture qui effc encore dans reftomac fe peut
Vomir ; aulfi tant que nous fommes encore en nous ,
nous pouvons en fortir plus ou moins facilement ,
félon que nous fommes plus ou moins avancés : mais
lorfque nou* nous fommes outrepaffés , ainfi que la.
nourrituxe qui eit palfée dans les inteftins , la chofe
eft difficile & prefque impolTible , à moins d*un ren-
verfement général par quelque chute mortelle ; comme
quand les excrémens reviennent par la bouche. C^efc
donc de cette forte que fe doit entendre la ftabilicé &
fortie de foi.
ment
XLVI. Préfence de Dieu. 1—4. 16 c
iTicnt ; les autres par un mouvement de vie, ou
bien par une certaine djfporition , proj)re feule-
ment à participer de 1 ctre liuiple, accompagné de
quelque qualité habituelle. ïï(>;;/^;///i Vlll. 19-22.
Ils la louent [i;] fans nom, comme quand ils
difent , qu'en une certaine my(li(]ue vifion , de la
qualité de celles où elle manifefle fa Divinité
fous quclcjucs Hgures, elle reprit (S: tança celui
qui lui demanda: [l^'] ilj^cl cji- votre nom ? tV com-
me fi elle Teût voulu détourner de toute concep-
tion &connoifrance de nom divin, elle lui dit:
[l)] Pourquoi me demandes-tu mon Nom qui eji admira-
ble ? Car ce nom là n'eft-il pas véritablement
admirable, qui eft par-dcfTus tout nom , infi-
niment, & qui eft aifis & colloque au-dcfTus de
tout nom qui eft nommé ^Joit en ce Jtède^ ou en
Vautre avenir? Des noms Divins, Ch, i.
2. Voyez Union, n. 8.
3. Les chofesles plus divines & les plus hau-
tes, de celles qui fe peuvent comprendre par l'en-
tendement, ne font que certaines raifons ^: nou-
ées des chofes , qui font au-de(Tous de celui qui
furpafTe tout, par lefquelles fa préfence, qui eft
par-deflus toute notion & pcnféc, eft démontrée,
laquelle marche vSc pafTe par-deiïus les très-haute*
cimes des très-faints lieux. T/Vg/. 2)IyJt, Ch, ï.
LMmitation de Jésu^-Christ.
4. Le Royaume [c] de Dieu eft au-dedans de
vous, dit le Seigneur. —Car [a] le royaume de
Dieu eft. la paix & la joie au S. Efprit, qui n'eft
point donné aux impies.
Jéfus-Chrift viendra à vous, & vous fera fen-
M Préfence de Dieu confufe générale indiftindtc
f^l Jug. i;. V. 17 , ^^,
[c] Luc 17. V. 2 1. [J] Rom. 14. v. 17.
l'orne IL JuJHj\ h
363 Justification.
tir au-dcdans de vous la douceur de fes confola-
tions 5 fi vous lui préparez une demeure digne
de lui. Tout cla gloire & /a beauté qu:iimt cet Epoux
célefle , eji [a] au-dedans de tame^ & c'eft là qu'il
prend fes délices.
Lorfqu'un homme eft véritablement intérieur,
il feplaità le vifiter fouvent, il s'entretient dou-
cement avec lui, il aime aie confolerdans toutes
fes peines, il le comble de fa paix, il le traite
avec une familiarité incomprélienfible. Livr. z..
Ou I. §. I. ^
5. Tout devient doux, ô mon Dieu, en
votre préfence ; tout eft amer en votre abfencc :
c'eft vous qui rendez le cœur tranquille. Livre 3.
C/z, 54. §. r.
6. Le paradis eft par tout où vous êtes , ô m.oa
Seigneur ! & l'enfer par tout où vous n'êtes pas.
Là-mcme C/z. 59. §. I.
Harphius.
7. Voyez Mariage JpiritueL n. I.
8. Voyez Foi nue. n. 7.
Ste. Thérèse-
9. Voyez Oraifon. §. II. n. 6.
10. Voyez Là-même, n. 8.
11. Puifque l'amc eft abfente de Ion Bien,
pourquoi eft-ce qu'elle voudroit vivre ? Elle fent
encore une folitude étrange, & telle que tous les
liabitans delà terre né la peuvent confoler par
leur compagnie. Chat, de tame, Dem. VL Ch. il.
T2. Toutes les trois Perfonncs divines fe com-
muniquent ici à Tame, lui parlent, & lui font
comprendre ces paroles de Notre Seigneur dans
l'Evangile [b] , que lui, fon Père , & le S. Efprit
viendront faire leur demeure dans les âmes qui
la} Pf. 44. V. 14- [b] Jean 14. Y. aj. \
XLVI. Préfcncc de Dicû. 4— rj. 16 j
l'aîmcnt ik qui gardent fes commaiidcmcns. .-^
L'jmc s'ctoiuîc tous les jours de plus en plus,
p;irce qu'il lui fcmblc de plus en plus que ces di-
vines pcrfonncs ne fc fcparent point d'elle; mais
cjucllc voit clairement , en la manière que je l'ai
dit, (ju'elles font dans le plus intérieur cPelle-
mcine , comme dans un abime très- profond :
car elle fent en foi cette divine compagnie, &
ne peut exprimer de qucllefa^on cela ell, parce
qu'elle n'a point de termes qui le rendent. Là-
mcnie Dcm. rif. Cfiap. i.
Le IJ. JfcAN DE LA Croix.
I j. Montrez-vous prcfcnt à mes yeux.
Pour déclarer ceci, il faut favoir qu'il peut y
avoir en Tamc trois manières de préfence de Dieu.
La première eft eirentielle,& en cette manière
non feulement il eft dans les âmes bonnes & fain-
tç^s , mais même dans les pécheurs & dans toutes
les autres créatures, d'autant que par cette pré-
fence il leur donne la vie & l'être, &fi elle leur
manquoit, elles s'anéantiroient toutes. La fé-
conde préfence eft par grâce , par laquelle Dieu
habite en lame qui lui eft agréable, & de la-
quelle il eft fatisfait; & cette préfcncc n'cft pas
commune à toutes les âmes , d'autant que celles
qui tombent en péché mortel en font privées,
& l'ame ne peut point naturellement favoir fi
elle a ce bonheur.
La troifieme préfence eft par affedion fpirituel-
le ; parce que Dieu en plufieurs âmes dévotes a
coutume de montrer quelques préfences fpiri-
tuelles de plufieurs manières , avec Icfquelles il
les récrée , les délede & les réjouit. Mais tant ces
préfences fpirituelles que les autres font couver-
tes & cachées , parce que Dieu ne fe montre pas
en elles comme il eft, d'autant que l'état de cette
L %
l64 JUITIFÏCATION.
vie ne le permet pas, & ainfi de chacune d'elles
fe peut entendre ce vers :
Montrez-vous prcfent à mes yeux.
D'autant c[u il eft certain que Dieu eft toujours
préfent dans l'ame, au moins félon la première
manière , elle ne dit pas qu'il fe fafTe prcfent à
elle , mais que cette préfence cachée qu'il fait
en elle , foit fpirituelle , foit naturelle, foit af-
fedive, qu'il la lui montre & découvre , dcfortc
qu'elle le puifTe voir en fon divin être & en fa,
beauté , afin que , comme par fa préfence effen-
tielle il donne l'être naturel à l'ame , & que par
fa préfence de grâce il la perfedionne , qu'il la
glorifie auffi par la manifeftation de fa gloire.
Mais comme cette ame eft poufTée d'afFcdion &
de ferveur d'amour de Dieu, nous devons en-
tendre que cette préfence dont elle demande ici
la vue à fon Bien-aimé , eft principalement une
certaine préfence affedive, que l'Ami a fait de
foi à Tame , laquelle a été fi haute , qu'il lui a
ferïjblé , & qu'elle a fenti y avoir là un bien im-
lïicnfe, caché & couvert, duquel Dieu a com-
muniqué à l'ame certains rayons clairs-fombres
de fa divine beauté , & avec un tel effet en l'ame,
que cela lui caufe des défirs ardens , & des dé-
faillances, pour l'amour de ce qu'elle fent là
caché en cette divine préfence, ce qui eft con-
forme à ce que David fentit , difant : [a] Mon ame
dcjire Èf défaut aux avenues du Seigneur ^ parce qu'a-
lors l'ame défaut avec défir de s'enfoncer en ce
fouverain Bien , qu'elle fent préfent & couvert;
parce qu'encore qu'il foit caché, elle fent très-
notablement le bien & la déledation qu'il y a là.
Et pour ce fujet elle eft [b] attirée & emportée
ià) Pf. 8î. V. 3. {Ji) Voyez Moyen court. Ch, 21. n. s, j.
XLVÎ. Vrcfcnce de Dieu, 15,14. 1^5
on ravie de ce bien avec plus de force (lu'aiicunc
cliofe naturelle ne Teft de fon centre, & avec
cette avidité cv a[)|)étit vifccral , Tanie ne fe pou-
vant plus contenir, elle dit:
Âlontrcz-vous pr/fcnt à mes ijcnw
Le même arriva à Moife, au niontSinaï, par-
ce qu'étant là en la prélencede Dieu, il vit de (i
fublimes ik de fi prolondes repréfcntations & ima-
ges , fans images de beauté & de hautefTe , de la
Divinité de Dieu couverte & cachée, que ne le
pouvMnt fouftrir , il le pria par deux fois (ju'il lui
découvrit fa gloire , difant: [ci] SI jaLtrouvd grâce
en votre prefence , montrez-moi votre face , afin que je
^jous connoiJJ^e ^ &f que je trouve grâce devant vos yeux ^
laquelle grâce eft d^arriver au parfait amour de
la gloire de Dieu : mais Notre Seigneur lui répon-
dit : [/;] Tu ne pourras voir ma face : car f homme ne,
me verra point , fff vivra. Cantique entre HEpoufc cs?
(Epoux. Couplet. 1 1 .
1 4. Dedans mon fein tu te réveilles
Ou ej} en fccret ton f (jour.
L'ame dit , que Dieu demeure fecrétement dans
fon fein , parce que , comme nous avons dit , c'eft
au fond de la fubftance de Tame & àts puiflTan-
CCS que ce doux embraffcment fe fait. Or il faut
favoir que Dieu demeure dans toutes les âmes ,
caché & couvert dans leur fubftance ; autre-
ment elles ne pourroient fubfifter : mais il y a
bien de la diverfité, ou de la différence, tou-
chant cette habitation, d'autant qu'il demeure
aux unes avec contentement & à fon gré , & aux
autres avec dégoût : en quelques-unes il demeure
comme chez foi , commandant & gouvernant
tout; en d'autres il vit comme étranger &c dans
la maifon d'autrui , où on ne le laiffe commander
(a) Exod. Î3' V. 13. (/O v. 30.
L I
i66 Justification
ni faire aucune chofe, IVlais où il y a moins d'ap-
pétits & de propres goûts, c'efl où il demeure
plusfeul, plus fatisfait, & comme en fa propre
maifon , la dirigeant & gouvernant; & il y de-
meure d'autant plus fecret qu'il eft plus feul. Et
ainli en cette ame où il ne demeure plus d'appé-
tit, ni de formes d'autres images, ni de formes
d'aucunes chofes créées , il y habite très-fecréte-
ment, avec un ultérieur embraffement d'autant
plus intime & plus fecret, qu'elle eft pins pure,
plus feule , plus féparée de toute autre chofe qui
n eft pas Dieu. Fartant il eft fecret, parce que
le Diable ne peut arriver jufqu'à ce lieu , ni à
cet embraffement; ni aucun entendement ne le
peut pénétrer comme il eft: mais il n'eft pas fe-
cret à l'ame qui eft en cette perfection, car elle
le fent toujours en foi , fi ce n'eft félon ces réveils,
parce que quand il les fait , il femble à l'ame que
celui qui étoit auparavant endormi dans fon
fein, fe réveille; d'autant que bien qu'elle ne le
fentit& ne le goûtât, c'étoit néanmoins comme
r.arni endormi dans fon fein.
.0 que cette ame eft heureufe qui fent toujours
Dieu , fe repofant dans fon fein! O qu'elle doit
bien fe retirer de toutes chofes , fuir les affaires ,
& vivre avec une tranquillité immenfe , de peur
que le moindre atome n'inquiète ou trouble le
fein de TiVmi ! —
Aux autres âmes qui n'ont point atteint à cette
union, quoiqu'il n'y foit pas contre fon gré, cepen-
dant à caufe qu'elles ne font pas encore bien dif-
pofées pour cela , il demeure fecret , parce qu'elles
ne le fentent pas d'ordinaire , fi ce n'eft quand il
leur fait quelques favoureux réveils; bien qu'ils
ncfoyentpas du genre de celui-ci, & qu'il n'y
ait point de comparaifon: mais il n'eft pas ft ca-
XLVI. Frcfeucc de Dieu. 14, 15. 1^7
rlicau Diable ik \\ rentcndcmcnt que cet autre,
parce qu'il cmi pourroit bien entendre qucl(|uc
chofc par le mouvement du fens, d'autant qu'il
\\c{\ pas bien anéanti , junju a ce qu'on foit arri-
vé à l'union; car il exerce encore quelques ac-
tions, pour n'être enticrementfpirituel. JVlais ea
ce rcvcil que fait ici l'Kpoux en cette ame f)ar-
faite, tout cR parfait; car c'cfl: lui qui fait tant,
au fens qu'il a cté dit : & alors en cette excita-
tion & réveil , comme quand quehju'un fe ré-
veille & refpire, Tamc fent la refpiratioii de
Dieu. Vivcjlanimc cf amour. Cantique J. v. J.
Le p. Nicolas de jésus Maria.
15. En lamour, dit S. Tlwmas ^ cft l'union de
l'amant avec l'aimé , car parce que l'amour trans-
forme , il fait entrer Tamant dans Tintime de
l'aimé, & réciproquement l'aimé dans l'amant,
afin qu'il ne demeure rien de l'aimé qui ne foit uni
à l'amant [ 3. dijl. 27. qu, I. ]
Par où eft affez déclarée Tunion réelle, à la-
quelle Tamour tend de fa nature : ce qui eft ligni-
fié clairement en plufieurs lieux de l'Ecriture ,
comme efl celui de S. Jean[^];77 quelqu'un ni ai-
me ^ il gardera ma parole^ î^ mon Père f aimera,
£ff nous viendrons à lui^ È? nous ferons notre de-
meure en lui: où par ce mot, nous viendrons^ il
promet fa préfence réelle , conformément au
dire de S. Paul; [/;] La Charité de Dieu ejl répan^
due en nos cœurs par te S. Efprit qui nous a été don-
né. — Et en S. Jean, il eft dit, que \_c] celui qui
demeure en charité ^ demeure en Dieu Eff Dieu en lui.
Et il eft dit des juftes [d] , Vos membres font le
temple du S, Efprit qui cft en vous. Et de la Sagefie
divine [e] : elle peut toutes chofes : Êf demeurant
[û] Jean 14. v. 2}. M Rom. 5. v. ç. [c] i. Jean 4. r.
16. M I. Cor. 6, V. 19. W Sag. 7. v. 27.
L 4
î68 JUSTIPICATIOÎT.
en f oi ^ elle renouvelle tout y '^parcourant les nations elle
Je tranjporte dans les âmes falntes ^ ^ en fait des amis
de Dieu. Dç, tout cela les ThéoJogiens infèrent, que
lorfque Ja grâce fandifiante efl donnée à Tame ,
par laquelle Dieu habite en elle comme en fon
temple, non feulement il lui communique fes
dons; maisauji\ comme parle S. Thomas [a] , le
S. Efprit même eji donné ^ envoyé y &' habite dans ta^
me. Eclaircijf, des P/iraf. Myjl, P, Z, Ch, i6. §. 1.
Le même Auteur rapporte.
^6, Suarez. Il me femble que c'eft une opi-
nion probable & pieufe, de dire que les dons de
la grâce juftifiante font tels , qu'ils demandent de
foi , ou comme par droit connaturel , Tintime ,
réelle & perfonnelle préfence de Dieu en Tame
fan^.ifiée par ces dons , ce qui eft très-bien dé-
claré par cette conditionnelle , parce que , fi par
impolFible on feignoit queleS. Efprit ne fût pas
réellement préfent dans l'âme , néanmoins d'au-
tant que l'ame feroit revêtue de tels dons , le
même S. Efprit viendroit à elle par préfence per-
fonnelle, & y feroit, & y demeureroit tant que
la grâce demeureroit en elle ; & par cette raifon ,
quoique d'autre côté elle ait cette préfence à
caufe de fon immenfité & defapuiiïance à bon
droit, on dit qu'elle Ta maintenant par un titre
fpécial , à caufe de la grâce & de la charité ; &
^partant c'eft avec raifon qu'on dit, qu'il vient, ou
qu'il eft envoyé à l'ame moyennantces dons.
C'eft ainfi auffi que nous entendons la miflion
du Verbe divin à l'humanité, à laquelle il s'eft
uni : parce que quand on feindroit que le Verbe
parfonimmenfitén'efl pas préfent à cette huma-
Tiité, néanmoins parce qu'il lui feroit uni hippof-
^al I. P. £a. 43. A. 3,
XLVI. Prcfeitce de Dieu. 1 5— 1 8- » ^9
fatlqucmcnt, en vertu de cette union & pour \x
terminer, il f^iudroit qu'il lui lut nitmicment pré-
fent; & partiuit a canfc de runion, il c(l dit
maintenant être en cette humanité réellement &
intimement, d'une fat^on f|)éc:iale. Donc en cette
manière nous difons, que le S. lifprit e(l donné
à 1 ame , ik c(l d'une fac^on fpécialc en elle inti-
mement & réellement à raifon de la grâce fanc-
tifiante ; car par la grâce & la chanté , s'établit
une certaine amitié très-parfaite entre Dieu ik,
l'homme : or l'amitié requiert & demande de foi
une union entre les amis , non feulement par
conformité d'afl'cdions , mais auHi par une infé-
parable préfenct: & conjonction. [De la Trinité
Llvr, 12, C/l 5. ) Là-mcmc§. I.
17. Le P. Ruis de Montoya, A raifon de Ta-
mitié furnaturelle , & de hi participation de la
Nature Divine , un bien plus fort & plus ferré
cft ajouté à la réelle préfencc de Dieu en Tame ;
car enfuite de cela le S. Efprit vient derechef
& réellement à Tamc, & chercheroit derechef la
préfence réelle , encore que par impoiïible il n'y
îïit pas préfent auparavant par effence , préfence
& puiffance. — Or entant que par ces aéles &
habitudes Dieu contracle une amitié intime avec
Tame , comme avec fa fille & fon Epoufe , par
un certain réfultat d'obligation , il s'enfuit nécef-
fairemenr la préfence réelle & la conjonélion ; &
cela ne fuit pas , en la manière que Dieu caufe
les autres effets. [Dlfp, 109. de la Trinité, Seéî. 3. )
Là - même,
18. Cornélius â Lapide, Toute la Sainte Tri-
nité vient perfonnellement & fubllantiellement
dans l'ame qui eft juftifiée & adoptée ; ce qui fe
prouve par ces paroles de S. Pauî : [a] j^d adliérc
(a) I Cor, 6. ?. 17.
î/o Justification.
au Seigneur , devient un même efprit avec lui ^ 8c
par celles de Jéfus-Chrift; (a) Afin que ils foient
tous un , comme vous mon Père êtes en moi ^ moi en
vous i quils foient de même un en nous. —
Toute la Divinité & tonte la Sainte Trinité,
s'eft comme attachée & renfermée en ces fiens
dons , aHiî de nous unir à foi fubftantiellement,
de nous fandifier , déifier Si adopter. ^ De cette
communication de la Perfonne même du S. Ef-
prit, & de la Divinité, il s'enfuit en Famé une
très-grande union avec Dieu , & comme une
déification , & par conféquent une adoption très-
parfaite , à favoir non feulement par la grâce,
mais par la fubftance divine. ( Comment, fur Ofee.
Clu i, V, 12.) Là-même.
Le P. Benoit de Canfeld.
19. C'eft une imperfection de jetter un regard
en Dieu autre que le fimple fouvenir de lui,
comme s'il étoit ailleurs & non dans Tame , &
Tame auffi en lui , ainfi que le poifTon dans la mer,
& Toifeau dans Tair; au refped duquel le regard
de Tame doit être comme le patient , qui demeure
en fon rien , c'eft-à-dire , que ce regard de Tame
doit être tiré hors d'elle par cette divine beauté,
& non envoyé de l'ame. Car , tout ainfi que le
Soleil qui frappe fur un corps tranfparent , comme
Teau & ïe cryflaî , attire une réciproque fplendeur
vers lui ; ainfi Dieu jettant les rayons de fon re-
gard fur Famé 5 attire fur lui un réciproque re-
gard. Mais comme cette réciproque fplendeur
de Teau & du cryftal ne vient pas d'eux feule-
ment, ni de leur vertu, mais principalement du
foleil • ainfi ce regard parfait ne vient pas prin-
cipalement de l'ame , ni par quelque ade qui lui
Ca) Jean 17. v. 21.
XLVI. Vréfence de Dieu. iX-20. 17 c
foit propre , mai^ de Dieu. Vx comme cette fplrn-
(IcUr n'ed p.'i*^ \\ fplnulenr de IVmu , inais du So-
leil, laquelle [)énétraut tSc clarifiant Teau retourne
vers le Soleil : ain(i la lumière de ce regard ne
vient pas de Tame, mais de Dieu ; lequel étant
rfprit , vie & clarté, cette lumière pénétre & cla-
rihcl'ame, ik ainfi s'en retourne à Dieu, & en
même tems attire Tame avec lui , laquelle ainfi eft
faite une même cliorc avec Dieu, lici^lc de la parf.
P. 3. C/i, 10. //. II.
S. François de Sales.
20. Il arrive donc quelciuefois cjue Notre
Seigneur répand imperceptiblement au fond du
cœur une certaine douce fuavité qui témoigne f:i
préfence ; & alors les puillances , & même les
fens extérieurs de Tame , par un certain conten-
tement fecret, fe retournent du côté de cette
intime partie , où eft le très-aimable & très-cher
Epoux.
Car tout ainfi qu'un nouvel cfTaim de mou-
ches à miel , lorfqu'il veut fuir & changer de pays,
eft rappelle par le fon que Ton fait fur quelques
baffins , ou par Todeur du vin emmiélé , ou bien
encore par la fenteur de quelques herbes odo-
rantes ; enforte qu'il s'arrête par l'amorce de ces
douceurs & entre dans la ruche qu'on lui a pré-
parée : de même Notre Seigneur , prononçant
quelques paroles fecrettes de fon amour, ou ré-
pandanc Todeur du vin de fa dilection , plus douce
que le miel , ou bien évaporant le parfum de fes
vêtemens, c'eft-à-dire , quelques fentimens de ces
confolations célcftes , en nos cœurs , & par ce
moyen leur faifant fentirfa très-aimable préfence,
il retire à foi toutes les facultés de notre ame ,
iefquelles fe ramaflTent autour de lui , & s'ar-
rêtent en lui comme en leur objet très-défxrable.
J72 JUSTIFICATIOK.
Kt comme qui mettroiî: un morceau d'aiman en-
tre plufieurs aiguilles, verroit que foudain toutes
leurs pointes 1'^ tourneroient du côté de leur
aiman bit^n-aimé, & fe viendroicnt attacher à
lui; auin ( a) lorfque Notre Seigneur fait fentir
au milieu de notre ame fa très-délicieufe pré-
fence , toutes nos facultés retournent leur pointe
de ce côté-la , pour fe venir joindre à cette in-
comparable douceur.
O Dieu , dit 1 ame alors à l'imitation de S. Au-
guftîn, ou v^ous allois-je cherchant, Beauté très-
intinie? Je vous cherchois dehors, & vous étiez
au milieu de mon cœur. Toutes les affédions de
Madeleine & toutes fes penfées étoient épan-
chées autour du fépulcre de fon Sauveur , qu'elle
alloit cherchant çà & là ; & bien qu elle l'eût
trouvé , & qu'il parlât à elle , elle ne laiffa pas
de les laifTer éparfes , parce qu'elle ne s'apper-
cevoit pas de fa préfence ; mais foudain qu'il l'eût
appellée par fon nom , la voila qu'elle fe ramaffe
& s'attache toute à fes pieds : une feule parole la
met en recueillement. De [amour de Dieu. Livr. 6.
Chap, f .
21. Tous ces efprits aélifs & foifonnans en
confidérations , font ordinairement fujets à être
troublés en la fainte oraifon •. car fi Dieu leur
donne le facré repos de fa préfence , ils le quittent
volontairement, pour voir comme ils s y com-
portent , & pour examiner s'ils y ont bien du
contentement , & fi leur tranquillité eft bien tran-
quille , ^ leur quiétude bien quiète ; ainfi , au lieu
d'employer leur volonté à goûter la préfence di-
vine 5 ils emploient leur entendement à difcourir
fur les fentimens qu'ils ont; comme une Epoufe
qui s'amuferoit à regarder la bague , avec la*
(a) Recueillement caufé par la préfence de Dieu,
XI.VT. Vrefcitcc de Dieu. 20-23. i73
riiiclle elle iimoir ctc cpoufce , fans voir rRponx:
incmc qui Id lui a douiicc. Jl y a bien de Ja dillc-
rcncc entre s'occuper eu Dieu, (jui nous doinic
du contentement , & s'amufcr au contentement
qu'il nous donne, /^/-/nrmr , (//. 10.
22. Ce fentiment de la Honte céleRe , demeu-
rant un peu long-tcms dans un cœur amoureux ,
il fe dilate , il s'étend & s'enfonce par une intime
j3énétration en Tefprit , (k de plus en plus le
détrempe tout de fa faveur , qui n'ell autre chofc
qu'accroître l'union ; comme lait l'onguent pré-
cieux ou le baume, qui tombant fur le coton fe
mêle & s'unit tellement de plus en plus, petit à
petit , avec le coton , qu'enfin on ne fauroit plus
diftinguer fi le coton elè parfumé ou s'il efl par-
fum , ni fi le parfum efl coton ou le coton par-
fum. O qu'hcureufe eft une ame , qui en la
tranquillité de fon cœur , conferve amoureufe-
ment le facré fentiment de la préfencc de Dieu !
Car fon union avec la divnie bonté croîtra per-
pétuellement, quoiqu'jnfenfibiement, & détrem-
pera tout l'efprit d'icelui de fon infinie fuavité.
Or quand je parle du facré fentiment de la pré-
fence de Dieu en cet endroit , je n'entends pas
parler du fentiment fenfiblc, rnais de celui qui
réfide dans la cime & fuprcme pointe de l'efprit ,
où le divin amour règne & fait fes exercices prin-
cipaux. BttAm. de Dieu ^ Liv, 7. Ch. i.
Le Fr. Jean de S. Sam s on.
2?. Il faut noter que l'Epoufe n'eft jamais fans
fon Epoux, ni fans le voir; mais pour la mieux
exercer & achever de purger fon amour , il fe
retire d'elle, quant à fon inondante manifefta-
tion , qui raviffoit auparavant toutes fes puif-
fances fenfibles de fa douce &impétueufe impul-
iion: de forte que ce bien lui manquant par la
374 JuSTIFICATIOîf.
retraite & rabfence de fon Epoux , ( comme il
lui femble , li elle n'ell pas bien inftruite en Ta-
inoureux exercice , ) fes douleurs & fes langueurs
fe renouvellent , & fe font fentir pires que ja-
mais : ainfi TEpoufe eft en danger, fi elle ne de-
meure ftable & confiante en fes langueurs , à
attendre en patience & force d'efprit le retour de
fon Epoux. Mais enfin après avoir bien vu les
pénibles combats & les angoiffeufes détreffes de
fon Epoufe fur fon abfence , il retourne plus déli-
cieux & plus lumineux que jamais. C'eft ainfi
que le Paradis objedif s'augmente en l'Epoufe,
à mefure des pénibles & mortelles abfences
qu'elle fouffre de la part de fon Epoux. Cabinet
Myfi. Fart. L Chap. 5.
Moiif. O L I E R.
24. o qu'heureufes font les âmes , qui font
animées & pofTédées du faint amour ! qu'heureu-
fement elles jouiffent de leur cher Tout, qui eft
toujours préfent à leur cœur , & qui les renou-
velle quand il lui plaît, dans les manières les plus
douces & les plus fuaves du Ciel ! Qiie malheu-
reufes font celles qui n'ont point trouvé ce tré-
for du faint & fur-célefte amour ! Lettre 140.
XLVIÎ. Prière vocale. Manière de dire
les Prières vocales.
MOYEN COURT.
a,
.u'iLS difent donc ainfi leur Pater en
François , comprenant un peu ce qu'ils di-
fent, & penfant que Pieu, qui eft au-de-
XL VII. Pricre vocale^ 775
clans d'eux , veut bien ctre leur Perc,
En cet état qu'ils lui demandent leurs he-
foins : & après avoir prononce ce mot
de Père , qu'ils demeurent quelques mo-
mens en filence avec beaucoup de refped,
attendant que ce Perc cclede leur falîe
connoître (es volontés. — Enfuitc pourfui-
vant le Pater , qu'ils prient ce Roi de
gloire de régner en eux , s'abandonnant
à lui - même afin qu'il le fafle j & lui
cédant les droits qu'ils ont fur eux-mê-
mes.
Sentant une inclination à la paix &
au filence , il ne faut pas pourfuivre ; mais
demeurer ainfi tamt que cet état dure :
après quoi on continuera la féconde de-
mande : Que votre volonté foit faite en
la terre comme au ciel. Sur laquelle ces
humbles fupplians défireront que Dieu
accomplifle en eux & par eux toutes fes
volontés ; ils donneront à Dieu leur cœur
& leur liberté , afin qu'il en difpofe à
fon gré. Puis voyant que l'occupation de
la volonté doit être d'aimer , ils défire-
ront d'aimer , & demanderont à Dieu
fon amour. Mais cela fe fera doucement,
paifiblement ; & ainfi du refte du Pater ^
dont Meflieurs les Curés peuvent les inf^
truire.
Ils ne doivent point fe furcharger d'une
quantité excefïive de Pater & à' Ave j ni
176 Justification.
d^autres prières vocales ; un feul Pater dît
de la manière que je viens de dire , fera
d^un très-grand fruit. Ch. 3. n. %.
La manière de lire en ce degré eft , que
dès que Ton fent un petit recueillement , il
faut cefler & demeurer en repos ^ lifant peu
& ne continuant pas , fitôt qu^on fe fent
attiré au-^dedans.
Uame n'eft pas plutôt appellée au filence
intérieur , qu'elle ne doit pas fe furcharger
de prières vocales ; mais en dire peu : &
lorfqu'elle les dit , fi elle y trouve quelque
difficulté , & qu'elle fe fente attirée au filen-
ce , qu'elle y demeure , & qu'elle ne fe faffe
point d'effort , à moins que les prières ne
îuffent d'obligation ; en ce cas il faut les
pourfuivre.
Mais fi elles ne le font pas , qu'elle les
laîflTe fitôt qu'elle fe fent attirée > & qu'elle
a peine à les dire : qu'elle ne fe gêne & ne
fe lie point, mais qu'elle fe laiffe conduire
à l'Efprit de Dieu , & elle fatisfera alors à
toutes les dévotions d'une manière très-émi-
nente. Ch. 16.
^ CANTIQUE.
JLiA louange de la feule bouche n^eft pas
une louange , ainfi que Dieu le dit par fou
Prophète
XL VI T. Prière vocale i. 177
Prophète : (a) Ce peuple m'honore des
lèvres , mais /on cœur ejl bien éloigné de
moi. La louange qui vieiu purement du
fond , étant une louange muette , & d'au-
tant plus muette qu'elle elt plus conlom-
niée , n'elt pas une louange entièrement
parfaite : puifque l'homme étant compofé
cl'ame & de corps , il faut que l'un & l'au-
tre y concoure. La perfeélion de la louan-
ge cil , que le corps ait la fienne , qui foit
de telle manière , que loin d'interrompre
le filence profond & toujours éloquent du
centre de l'ame , elle l'augmente plutôt : &
que le filence de l'ame n'empêche point la
parole du corps , qui fait donner à fon.
Dieu une louange conforme à ce qu'il eft.
Enforte que la confommation de la priè-
re , & dans le tems & dans l'éternité ,
fe fait par rapport à cette réfurreélion de
la parole extérieure unie à l'intérieure. C A.
8. V. 13.
,L
AUTORITÉS.
s. Denis.
lE faint Livre des Pfeaumes -^ forme eu
ceux qui le récitent faintcment , ce avec lui
divin ravi:Tement, une difpoution fort propre,
tant pour conférer que pour recevoir tous
les Sacremens de TEglife. De i Hiérarchie Ecdef.
C/iap. 3,
[a] Ifa. 29. V. 15. /
Tom. IL JuJHf. m
178 Justification.'
S. Jean C l i m a a u e.
2. Celui qui cft dans une Communauté , ne
peut pas tirer autant de profit du chant des Pfeau-
mes que de la prière (a) y parce que le bruit con-
fus de plufieurs voix confond & diflipe Tatten-
tion& l'intelligence. Echdkfainte. Degré 4. Art. 91.
j. Ceux qui prient Dieu en efprit , lui parlent
face à face dans Toraifon , comme les favoris
parlent au Roi à l'oreille. Ceux qui prient de la
bouche , reffemblent à ceux qui fc jettent aux
pieds du Prince en préfence de tout fou Confeil.
Et ceux qui prient étant engagés dans le fiecle,
reffemblent aux perfonnes qui préfentent au
Roi des requêtes au milieu du tumulte de tout
un peuple. Si vous êtes favant dans l'art divia
de la prière, vous n'ignorerez pas ce que je dis.
Degré z^. Art. Zl.
4. Durant la nuit donnez beaucoup de tems a
la prière , & peu au chant des Pfeaumes. Et lorf-
que le jour eft venu, préparez- vous de toutes
vos forces pour accomplir de nouveau tous vos
devoirs. Là-même. Art* 78.
5. Que vos prières foyent fimples , fans fard &
fans affectation; puifquele Publicain & l'enfant
prodigue fléchirent la juftice & la miféricorde de
Dieu par une feule parole. Degré 28. Art. 9.
6. Ne recherchez point dans vos prières des
paroles élégantes j puifqu'on voit fouvent les
enfans obtenir de leur Père , qui eft dans le Ciel ,
ce qu'ik lui demandent avec des paroles fimples
& bégayantes. Là-même. Art. I?.
7. Ne faites pas de longs difcours en parlant
(a) Cette prîere n'efc pas une prière faite en courant ,
mais une prière d'application intérieure.
XLVII. Prhrc vocale, i- 1 r. 179
à Dieu , (le [)c-iir que cette vainc rcclicrchc de
paroles ctudiées Ik inutiles ne dillipc l'attention
(le votre el'prit , (|ui ne doit être attache ^u'à lu
vue de ce grand & divin 01)jtL Une feule parole
du Publicain attira fur lui la niiféricorde de Dieu :
& une feule parole pleine de foi fauva le Larron.
Les longs difcoLirs renipliflcnt d'ordinaire de vai-
nes images Tefprit de celui qui prie, & confon-
dent fon attention , au lieu que peu de mots fout
capables de la recueillir. Là-même, Art. 14.
8. Quand nous n'avons pas encore requ la
grâce d'une oraifon toute intérieure & toute re-
cueillie en Dieu, nous reffemblons à ceux qui
apprennent aux petits enfans à marcher. Là-mcmc.
Art. 20.
9. J'aime mieux dire , dit le grand Apôtre (a) ,
cinq paroles avec un recueillement d'efprit tout
entier , que dix mille de la langue. Là-mcme.
Art. 25*.
Stc. Catherine de Gènes.
10. L'ame étant en ijieu , ne peut aufTi prier
pour aucune perfonne , lî Dieu ne lui pouife Tef-
prit intérieurement à le faire. ^Azyiz ?;ze. C/z. 32.
Ste. Thérèse. •
11. Je ne parle que des prières que nous fom-
mes obligées de dire, puifque nous fommes Chré-
tiennes . a favoir le Pater & l'Ave Maria , afin
que Ton ne dife point de nous, que nous par-
lons fans entendre ce que nous difons j lî ce n'efc
que Ton croie , que ce foit affez de prononcer les
paroles feulement de bouche , & qu'il fuffit d'aller
ainlîpar routine. Si cela eftfuffifant , ou non, je
ne m'ingère point à le décider: les Doctes le
refondront. Ce que je délire c'eft , que nous ne
(a) I Cor. 14. V. 19.
M 2
igo Justification.
nous contentions pas dun tel procédé. Car quand
je dis le Credo , il me fcmble qu'il eft a propos ,
que j'entende & que je fâche ce que je crois y &
quand je dis le PaLcr ^ l'amour requiert que je
connoiiïe qui eft ce Père , & qui eft ce Maître
qui nous a enfeigné cette oraifon. ^ Q,ue fa
divine Majefté ne permette jamais que récitant
cette oraifon, nous ne nous fouvenions point
très-fouvent d'un tel Maître , comme eft celui
qui nous Ta enfeignée avec tant d'amour, & avec
tant de défir qu'elle nous profitât. —
Ainli je défire que vous fâchiez que pour bica
réciter le Pater . il ne faut point vous tenir loin
du Maître qui vous 1 a enfeigné. Vous me direz
que c'eft là une confidération , & que vous ne
pouvez ni ne voulez prier que vocalementj par-
ce qu'il y a des perfonnes impatientes, qui défi-
rent être exemptes de peine , lefquelles ont de
la difficulté à recueillir leur efprit au commence*
ment, parce qu'elles n'y font pas accoutumées;
t^' pour ne point endurer un peu de travail , elles
difent qu'elles ne peuvent faire davantage , &
qu'elles ne favent que prier vocalement. Vous
avez raifon de dire que c'eft déjà oraifon mentale :
mais je vous dis certainement , que je ne fais
comment on peut le féparer en priant vocale-
ment, fi on penfe à qui on parle : Et même il
y a obligation de prier avec attention ; & Dieu
veuille qu'avec tous ces remèdes le Pater foit
bien dit , & que nous l'achevions fans que notre
efprit fe laiffe aller à quelque penfée extravagan-
te. Je trouve que le meilleur eft d avoir toujours
la penfée en celui à qui j'adreffe les paroles»
Chem. de la perfec. Ch. 24.
12. Afin que vous ne penfîez pas que Ton
XLVII. Vriere voeak. ïm2. igt
tire peu (le profit de la pricrc \ ocale faite avec
pcMlcctioM , je (lis (ju'il fc peut bien faire que 0/)
recitant vocalcment le Pater , ou difant quchjuc
autre prière vocale , Notre Seigneur vous mette
dans la contemplation parfaite. Car par cette
voie il nous fait connoître qu'il écoute celui qui
lui parle> ik abaide fa prnnrlcur jufques à daigner
lui j)arlcr auili , en fufpcndant fon entenrjement ,
lui liant la pcnfée, ik comme on dit, lui ôtant
la parolç de la bouche, de forte qu'encore qu'il
veuille parler il ne le puifTc néaninoins, (inoii
avec une grande difficulté. Il voit que ce Maître
célefte Tcnfeigne fans bruit de paroles, fnfpen-
dant fes puillanccs, parce que (relies opcroient
alors , elles nuiroicnt davantage qu'elles ne fer-
viroient; elles jouiilent, mais fans favoir com-
ment: l'ame eft embrafée d'amour, & elle n'en-
tend point comment elle aime : elle connoît
qu'elle jouit de ce qu'elle aime , & elle ne fait
comment elle en jouit j elle voit bien cependant
que ce n'eft point une jouifTance , où arrivent
les efforts de Tentendemcnt : la volonté Tcm-
brafie fans en pénétrer la manière. — •
Penfer à ce que nous difons, & entendre avec
qui nous parlons, & qui nous fommes , — - c'eft
oraifon mentale. Ne penfez point que ce foit
quelque autre langage inconnu, & que le nom ne
vous épouvante point. Réciter le Pater & rAvc
Maria ou quelque autre prière que vous voudrez,
c'eft oraifon vocale : confidérez donc combien
cette muiîque fera mauvaife fans cette première
pièce; & même les paroles feront quelquefois
(ans ordre & fans accord. Là-même. CJu 2j.
(à) Ceci fe rapporte à ce qui eft dit pour ceux qui ne
fa vent pas lire , Moyen court. Ch. j. n. 2.
M 3
igz Justification.
Le B. Jean de la Croix.
1 j. Remarquez s'il vous plaît , que Tame en
ce vers , ne fait autre chofe que de (a) repréfen-
ter fa néceifité tv fa peine a fon amii parce que
celui qui aime difcrcttement, ne fe met pas en
peine de demander ce qui lui manque , & ce qu il
défire, mais de reprefenter feulement fa nécef-
lîté , afin que FAmi fafle ce qu'il trouvera bon ;
comme quand la Vierge dit a Notre Seigneur
aux noces de Cana: (b) Ils n ont point de vin ; &
les fœurs du Lazare lui envoyèrent dire , (c) non
pas qu'il rendit la fanté à leur frère, mais que
celui qulL almoit ^ c toit malade : Et ceci pour trois
raifons ; la première parce que Notre Seigneur
fait mieux que nous-mêmes ce qui nous eft con-
venable i la féconde , parce que l'Ami a plus de
compaff on , voyant la néceffité de celui qu il aime
& fa rcfjgnation \ la troilieme , parce que Tame
eft plus a couvert de l'amour propre & de la pro-
priété , en repréfentant ce qui lui manque, qu'à
demander ce dont il lui femble avoir befoin.
L ame fait ici le femblable , repréfentant fes trois
néceffités; & c'eft comme fî elle difoit : dites à
mon Bien-àimé, que puifque je fuis malade, &
que lui feul eft maguénfon , qu'il me donne la
faute ; & pyifque je fuis dans la peine , & que lui
feul eft mon repos , qu'il me fafle jouir de mon
bien & de ma quiétude ; & puifque je meurs , &
que lui feul eft ma vie , qu'il me donne ma vie.
Cantique entre tEpoufe 8f f Epoux, Couplet 2.
(r7> C*eft proprement Toraifon de fimple expofition ,
ou ce qui s'appelle oraifon de fimplicité.
(/;) Jeans, v. }. (c) Jean ii. v. 3.
XLVII. Prière vocale, ij-if. igj
S. F R A N ^ O 1 s T) E s A L E S.
14. Cette aiinal)lc lillc (Voyez Tandon, n. 22.)
ne regarda point l'on bras piciiic , ni le fang qui
fortoit (ic fa veine ; nuis tenant fes yeux ar-
létés Tur le vifagc de Ton ptM e , elle ne difoit autre
chofe lin(3n par fois tout doucement: inon perc
m'airpe bien , & moi je fuis toute iîenne : & (juand
tout fut fait, elle ne Je remercia pas , mais feule-
ment répéta encore une fois, la même parole de
fon affection & confiance filiale.
^ Or dites-moi maintenant, mon amiThcoti-
ine , cette fille ne témoigna-t-elle pas un amour
j)lus affectil & plus fol idc envers fon père , que (î
elle eût eu beaucoup de foin de lui demander des
remèdes à fon mal, de regarder comme on lui
cuN'roit la veine, ou comme le fang couloit , &
de lui dire beaucoup de paroles de remerciment ?
Il n'y a certes aucun doute en cela: car (î elle
eut penfé à foi qu'eût-elle gagné , finon d'avoir
des foucis inutiles , puifque fon père en avoit
affez pour elle ? regardant fon bras qu'eût-elle
fait , finon recevoir de la frayeur? Et remerciant
fonpcre, quelle vertu eût-elle pratiquée, finon
celle de la gratitude? n'a-t-elle donc pas mieux
fait de s'occuper toute aux démonftrations de fon
amour filial, infiniment plus agréable au père
que toute autre vertu. De t Amour de Dieu. Livr.
9.. Chap, I).
Le Fr. Jean de S. S a m s 0 n.
îf. Si par fois vous vous trouvez occupé de
l'efpece de quelqu'un qui fe préfente à vous , fâ-
chez que cela eft ordonné de l'Epoux pour le
befoin qu'a cette perfonne de votre fccours. C'eft
pourquoi vous la préfenterez à fa divine Majefté
^ Pur amour, n. 37,
M 4
I84 JUSTIFICATIOK^
par un fimple & amoureux regard, fans plus y
penfer. Ejprlt du Carm, C/i. Ig.
L'Auteur du Jour Mystiq^ue.
16 Cette forte d'oraifon , ainfi qu'on la dé-
crit, a quelquefois tant d'attraits pour quelques
âmes 5 qu'elles femblent en perdre (û) la dévo-
tion aux Saints, aux oraifons vocales , & ceffer
de demander à Dieu ce qui eft néceffaire à
TEglife (îv aux particuliers. Je réponds, que c'eft
tout le contraire 5 & qu'on eftime davantage tou-
tes ces chofes. comme des moyens par lefquels
on eft arrivé » ce dont on jouit: & que comme
les uns font plus propres aux oraifons vocales,
qu'aux exercices intérieurs , on leur confeille d'en
vifer, aux autres au contraire qui ont plus d'at-
traits à l'intérieur, de faire moins d'oraifons voca-
les , qui eft comme un moyen pour allumer la
dévotion intérieure. St. Thomas dit (ô) que
quand l'oraifon vocale n'eft pas de précepte , elle
doit ceiTerlorfque l'efpritfefent enflammé > parce
-qu'ayant atteint la fin , c'eft bien fait d'en jouir ,
fans s'arrêter par trop aux moyens. Il eft porté
dans la vie de S. Ignace (c) , qu'il ne pouvoit
avancer a dire fon Office , à caufe de la grande
communication qu'il avoit avec Notre Seigneur ,
& que fes compagnons demandèrent pour lui au
Pape la permilFion de le quitter , d'autant qu'il
Foccupoit tout le jour, s'arrêtantprefque a cha-
que parole pour recevoir la vilite de Dieu : car
étant obligé à le dire , il s'en devoit acquitter.
Je dis de plus qu'en cette forte d'oraifon on
t\t laifle pas les demandes : qu'au contraire par
un moyen fecret , on demande mieux fans dire
ia) Dévotion aux Saints qui paroit perdue.
Ib, -z, z. Ou. S}. -^^^ 12. \,c) Liv. 2. Ch. i.
XLVll. Prière vocale. 1(^-17. i??r
tnot , afin (le s'occuper (iinanta^^c en ce qui plait
pour lors (Javan(a;;e à Uicu i <Sc i'ou obtient plu-
tôt, parce (jne l'on jr^'^g"^* mieux la volonté (la
Seigneur, qui le doit donner : le(|uel fâchant tou-
tes nos noceiritcs , & connoifTant Tintention &
Jes dcfirs de fes ferviteurs , qui omettent de de-
mander, pour s'occuper entièrement à faire fa
v(>lont(j, fc confiant en fa douce pro\'idence i
il ne manque pas de leur donner & de les con-
tenter, comme en chofe dont il s'eft chargé. Il
dit par fon Prophète (à) c\u* il fera la volante de ceux
qui le craignent ^ ik ce même IVophète (/>) donne
pour moyen d'obtenir tous les defirs du cœur,
de fe réjouir au Seigneur. Livr, l. Traité i. Cii.
5. Sccl, 7.
17. Il fcmble que cette forte d'oraifon empêche
la commune infritution de prier , que S. Ignace a
enfeignée , & qui eft ordinairement recommandée
par les Docteurs.
Je réponds qu'au contraire elle la favorife ;
car quand Notre Seigneur ne pré\'^ient pas d'une
fpéciale infpiration , il faut commencer par là ;
& c'eft d'elle que procède cette autre forme d'o-
raifon ; puifque par le moyen de la méditation ,
famé parvient a la quiétude de la contempla-
tion ; & l'Auteur des exercices par une grâce
fpéciale a monté de Tune à Tautre , étant dit de
lui qu'il fe portoit à Foraifon plus paffivement,
jouiffant de ce qu'on lui donnoit ; qu\active-
ment, travaillant avec le difcours : parce qu'il
fe repofôit déjà comme celui qui étoit arrivé au
terme du chemin. Et bien que la commune faqon
de prier fe doive ordinairement propofer à tous ,
fî toutefois Notre Seigneur admet dès le com-
(a) Pf. 144, V. 19. (W Pf. 3^. V. 4.
igô Justification.
mencement que]qu\)ii à l'oraifon de quiétude,
iJ doit y être aidé. On la peut auflî confeiller à
ceux qui fe font exercés quelques années aux
méditations . & qui font déjà bien avancés , &
difpofés a cette manière de prier avec quiétude
intérieure , en la préfence de Dieu s leur donnant
avis v^) de ne pas quitter tout-à-coup les actes,
mais peu-r^-peu : Et cela ne caufe point de divi-
iion dans les Communautés, d'autant que laforme
de prier par affections avec peu de difcours , eft
commune à piuiîeurs , & c'eft ce qui eft plus par-
fait, & auffi plus rare en l'oraifon ,• car la perfec-
tion ne fe trouve toujours qu'en bien peu. Plût à
Dieu qu'il y en eût davantage ! ils réveilleroient les
tiedes : & ce n'eft point mal fait de marcher ain(î
par une voie particulière i car Dieu ne fait pas
des faveurs fingulieres à ceux qui fe conten-
tent de marcher par le grand chemin ordinaire.
Enfin on peut objecter, que ceux qui vont par
ce chemin, font fufceptibles d'orgueil , de pro-
priété & d'autres défauts , & qu'ils oublient les
chofes néceffaires.
Je réponds, que tous les défauts qu'on verra
en ceux qui ufent de cette oraifon, ne viennent
pas de fa pratique; mais plutôt de ce qu'on ne
la pratique pas bien , & de la foibleffe , de l'in-
difpofition & de l'imperfection du fujet, qu'il faut
corriger & amender. Les mêmes défauts , & fou-
vent de plus grands , arrivent à ceux qui ufent
de difcours ; parce que la vanité fe mêle davan*
tage 'dans les chofes qui font avantageufes de la
part de l'entendement: & puis une chofe n'eft
pas mauvaife , quoiqu'on en puiffe faire mauvais
ufage. Là-même.
(a) Comme fait le Moyen court. Voyez C/i, J. n. 2 , j, 4.
Ch* zi. n. 6. C/z. 24. n. 8- &c.
XLVII. Pricrc vocale. 17- 1 8- 1 S7
Le P. HiMPiiANE Louis, Jihbr ({l^^ftival.
18. Sœur Marie /(ojrftc^ (|ui ax'oit vu le bon-
heur de Ici coiulujte de S. hraiiCjOis de Sales , &
puis de la Rev. M. de Chantai , dit ces mots fur
cet article de la prière v^ocale: Notre très-digne
Mcre de Chantai m'a dit parle padé, de prier
Dieu 2 la fin de i'oraifon, & après la Conunu-
nion , pour tout le monde , pour notre infti tut ,
& pour fa charité ; cV*ft-à-dire c)ue je reyardafle
Dieu avec cette atîection de voulou' prier j)C)ur
cela; & que je dife un Pater & un yh)r à cette
intention , & que je le dife auffî le matin à mon
exercice: de forte que v^oila feulement ce que je
tâche de faire pour robèiffance ; car je le fais
comme en me tirant de mon attrait , n'y ayant
facilité quelconque à mon avis ,* mais je n'ai ja-
mais ofé m'en difpenfer.
L'ame peut donc fe tirer de fon attrait quand
il y a quelque obligation d'obéiiïance : mais fi
Famé , aufïitôt qu'elle penfe à prier Dieu pour
quelqu'un, à ce nom de Dieu eft attirée & abî-
mée dans le fimple regard , qu'y a-t-il à faire ?
comme nous lifons de Frère Gilles , Religieux
Convers de TOrdre de S. Franqois , qui au feul
mot de Dieu, ou de Paradis, étoit enlevé & élevé.
Sœur Marie de 1 Incarnation ne pouvoit faire
aucune oraifon vocale , non pas même dire un
^yc ûms grande peine; & fi elle commençoit fou
Chapelet avec fa fille , après le premier Jvc elle
n'étoit plus à elle , à caufe du recueillement
intérieur qui la faififlfoit , & qui l'empèchoit de
continuer. — Ses ConfefTeurs avoient peme à
lui donner des pénitences dans fes confellions ,
quelques-uns f^ichant combien la prière vocale
lui étoit pénible, ne lui enjoignoient que ces deux
mots, JcJuSj Maria, ou quelque aumône : c'é-
îgS Justification.
toit une des caufes qui la détournoient de faire
profclîion , pour les oraifons vocales auxquelles
les Sœurs Coaverfes font obligées. Confir. Myft, 8.
19. Sœur Anne Marie RoJJct de la Vijltation dit,
que S. François de Sales 1 avoitafTurée, que cette
'préfence de Dieu comprend tout: & que fur ce
qu'elle ne penfoit pas aux grands myfteres
que l'Eglife repréfente dans les diverfes fêtes de
Tanut-e , il lui dit de faire feulement quelques
oraifons jaculatoires vocalement parmi la jour-
née en ces jours-la, fur le fujet de ces myfteres
& qu il lui commanda de faire une fois toutes les
femaines un acte d'adoration & un acte d'humi-
lité devant le très-faint Sacrement. Elle croit
qu'il lui ordonna cela , fur ce qu'elle pouvoit
lui avoir dit, qu'elle ne favoit pas adorer Notre
Seigneur en ce Sacrement , ni faire des actes
d'humilité,n'ayant point de fentiment de fa mifere
& de fon néant. (^Lettre Circulaire fur fa mort.}
Confér. Myftique 9.
Je ne parle point de (état pajjîf : tout ce que jai
-dit li fuppofe.
XL VI II. Propriété. 189
XL VI IL Propriété.
Il faut voir ce que cVft que Propriété avant
que de parler de Purification , cela étant
néceirairc pout être mieux entendu.
MOYEN COURT.
JL ouT ce qui ell de propres efforts &
de propriété (a) doit être détruit : parce
que rien n'eft oppofé à Dieu que la pro-
C^) Pour entendre ceci , il faut favoir qu'il y a une
propriété mortelle ou de pure malice , & qui eft un pé-
ché mortel. U y a une propriété fpiritucUe , d'autant
plus dangereufe qu'elle cil plus déiicate. Il y a la pro-
priété naturelle: j'appelle propriété naturelle, celle qui
eft fans la volonté , quoiqu'elle foit dans la volonté.
C'eft une certaine répugnance naturelle à fa propre def-
trudion : c'eft une certaine qualité fixe en foi mé.ne ,
dure , arrêtée , rétrécic , qui tenant Tame en foi, l'em-
pcchc de s'écouler , & fe perdre en Dieu , ce qui eft
néceffaire, comme on l'a vu. Lorfqu'elle eft fans la vo-
lonté , Dipu la détruit dans les terribles purgatoires ,
dont nous parlerons , foit en cette vie , foit en l'autre.
Lors qu'à cette réfiftance naturelle la volonté fe joint
pour ne fe laifler pas détruire , alors Dieu ne fait pas
fon' œuvre dans Pâme; & après une infinité d'effais
& de grâces envoyées pour cela , voyant fa réfiftance ,
qui n'eft pas toujours pofitive , car elle eft le plus
fouvent indirecte , il réferve avec regrec à la purifier
dans l'autre vie ; parce qu'il ne violente point notre
liberté.
190 Justification.
priété , & que toute la malignité de l'hom-
me eft dans cette propriété , comme dans
la fource de fa malice : en forte que plus
une ame perd fa propriété , plus elle de-
vient pure : & ce qui feroit un défaut à
une ame vivante à elle-même , ne l'eft
plus ^ à caufe de la pureté & de l'inno-
cence qu'elle a contractée , dès qu'elle a
perdu les propriétés (a) qui caufoient la
diflemblance entre Dieu & Tame. Chap.
2.^. n. I.
(a) Car il faut remarquer que la propriété fait la vie ,
& la défappropriation la mort. C'eft une enchainure d'é-
tats , dont il faut tirer une conféquence réciproque ;
parce que quoiqu'ils foient détachés & multipliés dans
les expreflîons, ils font un dans Tame , parce qu'ils font
toujours fon propre état d'unité par leur union ou par
leur contradiction.
Pour expliquer ceci , il faut favoîr qu'il y a deux" ma-
nîeres d'impuretés qui fe contradent après l'union ,
toutes deux fuperficielles , l'une réelle néanmoins, &
l'autre apparente. La réelle c'cft, lorfque le dehors n'eit
pas encore transformé comme le dedans, certains pre-
miers mouvemens ou fentimens , lorfqu'une forte con-
tradiction nous prefTe , il échappe au dehors quelques
vivacités & promptitudes , quoique le dedans ne foit
nullement altéré.
Il y .a des défauts apparents & non réels , qui ne
viennent que de liberté , d'innocence & de fimplicité :
on fait fans peine ni fcrupule des chofes innocentes
d'elles-mêmes, dont on auroit fait fcrupule autrefois,
lorfque la néceflîté de purifier les fens les tenoit dans
I3ne extrême contrainte. Par exemple , fe récréer avec
une fleur , unoifeau; ne plus gêner la vue, parce que
I
XLVIII. Propriété. 191
Afin que riiomme folt uni à Dieu , U
faut que fa SagclFc , acconipagiice de la
divine JulHce , comme un feu impitoya-
ble & dévorant , ote à Tamc tout ce qu'elle
a de propriété y de terrestre , de charnel &
de propre activité : & qu'ayant ôté à Tame
tout cela , il fe TunilFe. Ce qui ne fc fait
jamais par Tindullrie de la créature : au
contraire , elle le fouftre {a) , même à re-
les objets ne font plus d'impreflions , quoiqu'on TaiC
fort contrainte dans les commencemens ; s'amufer avec
des cnfans ; manger indiftcremment de tout , parce
qu'on ne trouve de goût à rien. On auroit fait autre-
fois fcrupule de toutes ces chofes. Les perfonnes gênées
fe fcandalifent fouvcnt de cette innocente liberté.
(a) Il faut faire attention que j'ai dit qu'il y a deux
propriétés & deux réliltances , Tune volontaire , & l'au-
tre purement naturelle. La réfiftance dont il eft ici
queftion , eft dans la nature. & nullement volontaire;
au contraire , la volonté eft foumife à Dieu , malgré
les réfiftances de la nature : c'cft pourquoi Dieu ayant
le confentement de l'homme, renfermé dans fon aban-
don entier & général à toutes les volontés de Dieu ^
il ufe de fon autorité , malgré les répugnances & réfif-
tances de la nature. Mais fi la réfiftance étoit volontaire,
pour petite qu'elle fût , elle arréteroit l'opération de
Dieu. Il faut auflî remarquer que j'ai dit & prouvé ci-
defTus , ( Voyez l'article du Franc^arbitre ) que Dieu
accepte le franc-arbitre lorfqu'on le lui donne fincérc-
ment , & qu'enfuitc il ufe de fes droits,
II eft encore nécefTaîre de comprendre que fous le
nom de propriété eft compris les propres opérations ,
propre amour , propre recherche , tout ce qui a rap-
port à nous, aulfi-bien que tous les entre-deux en-
tre Dieu & i'ame , toutes les réfiftances , même toutes
jgz JuSTIflCATlOîf.
gret ; parce que , comme j^ai dit , Thommc
aime fi fort fa propriété , & il craint tant
fa deftruélion , que fi Dieu ne le faifoit lui-
même & d'autorité , Thomme n^ confenti-
roit jamais.
On me répondra à cela , que Dieu n'ôte
jamais à Thomme fa liberté , & qu'ainfi
il peut toujours réfifter à Dieu : d'où il
s'enfuit , que je ne dois pas dire , que
Dieu agit abfolument & fans le confen-
tement de Thomme. Je m'explique ^ & je
dis , qu'il fufîit alors qu'il donne un con-
fentement paflîf ^ afin qu'il ait une entière
& pleine liberté , parce que s'étant don-
né à Dieu dès le commencement de fa
voie ^ afin qu'il fit en lui & de lui tout ce
qu'il voudroit , il donna dès lors un con-
fentement adif & général pour tout ce
que Dieu feroit. Mais lorfque Dieu dé-
truit , brûle & purifie , l'ame ne voit pas
que cela lui foit avantageux : elle croit
plutôt le contraire. Là - même. n. 6 y 7.
CANTIQUE.
JLjA fortie de foi-même , par le renonce-
ment continuel à tout propre intérêt , eft
les répugnances , tout rapport à foî , fpirîtuel & tem-
porel : Tamour- propre eft en tout cela & la pro-
priété.
l'exercice
XLVIII. Propriété. 195
Fexcrcicc intérieur , que l'Amant céledc
confcille aux amcs , qui foupirent après le
bailer de la bouche , comme il le donne il
entendre a fon Amante par ce feul mot ,
Jortti , qui lui iulKt pour régler Ton inté-
rieur. Chap. / • V. 7 .
L'Epoux par ces paroles donne à con-
noîtrc Tavancement de fon Amante , laquel-
le elt comme un lis très -pur , très -agréa-
ble , & de bonne odeur devant lui ; lorf-
que les autres filles , au lieu d'être fouples
& pliables , & de fe lailTer conduire par
fon efprit , font comme des buifTons d'épi-
nes , qui fe hériiïent & piquent ceux qui
veulent les approcher. Telles font les âmes
propriétaires & attachées à leur volonté ,
qui ne veulent pas fe laifTer conduire à
l)ieu. Et c'eft là ce qu'une ame bien aban-
donnée à fon Dieu foufFre avec celles qui
ne le font pas : car les autres font tout ce
qu'elles peuvent, pour la retirer de fa voie.
Mais de même que le lis conferve & fa pu-
reté & fon odeur au milieu des épines , fans
en être nullement endommagé ; aulli ces
âmes font confervées par leur Epoux au
milieu des contrariétés , qu'il faut qu'elles
efluient de la part de ceux qui n'a.ment qu'à
fe conduire eux-mêmes , & à fe multiplier
dans leurs propres pratiques , n'ayant point
Tome IL JuJHf. N
194 Justification.
de docilité pour fuivre le mouvement de la
grâce. Chap, i. v. X-
Quel eft cet ordre , ce règlement que
Dieu met dans la charité ? O Amour ,
Dieu-charité , vous feul le pouvez révéler!
C'eft qu'il fait que cette ame , laquelle par
un mouvement de charité , le vouloit tout
le bien poffible par rapport à Dieu , ( ^ )
s'oublie entièrement de toute elle-même ,
pour ne plus penfer qu'à fon Bien-aimé.
Elle s'oublie de tout intérêt de falut , de
perfection , de joie , de confolation ; pour
ne penfer qu'à l'intérêt de fon Dieu, Elle
ne penfe plus à jouir de fes embralTemens ;
mais à fouffrir pour lui. Elle ne demande
plus rien pour elle ; mais feulement que
I)ieu foît glorifié. Elle entre dans les inté-
rêts de la divine Juftice , confentant de tout
fon cœur à tout ce qu'elle fera d'elle & en
elle , foit pour le tems , foit pour l'éternité..
Là^même. v. 4*
Cette vapeur eft compofée des odeurs
les dIus choifies de toutes les vertus. Mais
il faut remarquer que les odeurs , dont cette
vapeur eft compofée , font des gommes
propres à être fondues , & des poudres qui
(t2) L'amour -propre eft fils de la propriété & Ta-
mour pur ne nait dans Tarae que par fon entière défap*
piopriation.
XLViri. Fropriké. 195
ne font point de corps foliclcs : la folirlité
& la conlillancc en clIc-memc ne font plus
de fon état. Et d'où monte cette vapeur
il droite & (i odoriférante ? Elle monte
du délcTt de la foi. Et où va- t~clle ? Elle
veut aller fe repofer en Ton Dieu. Cliap.
3. V. 6.
Notre Amante fe fentant déjci beau-
coup dégagée d'elle-même , croit qu'il
n'y a plus qu'une feule chofe à faire ; &
il eft vrai : mais hélas ! qu'il y a d'obf-
tacles à vaincre avant que d'y réuffir*
C'ell d'aller en Dieu , qui efl le Ut de
repos du véritable Salomon, Mais pour
y arriver , il faut paiTer au travers de
foixante des plus forts d^Ifra'éL Ces vail-
lans guerriers font les Attributs divins ,
qui environnent ce lit royal , & qui en
empêchent Taccès à ceux qui ne font pas
entièrement anéantis. Ils font les plus vail-
lans d'Ifraël , parce que c'eft en ces attri-
buts , qulfraël , qui défigne le Contem-
platif , trouve fa force , & que c'eft aufîi
par eux que la force de Dieu eft manifef-
tée aux hommes, v. 7.
Tous font armés de leur épée , pour com-
battre avec force contre cette ame , qui par
une fecrette préfomption veut {a) s'attri-
[a] En tant que Tame s'attribue la force & la juf-
tice, c'cft une propriété dont il faut qu'elle foit pu-
N 2
jg6 Justification.
buer ce qui n'appartient qu'à Dieu : c'efl
ce qui leur fait dire d'une commune
voix : qui {a) ejl comme Dieu ? La juf-
tice divine ett la première qui vient ,
pour combattre & détruire (6) la pro-
pre juftice de la créature : & la Force
vient enfuite pour terrafifer la force pro-
pre de l'homme ; & le faifant entrer (c)
par l'expérience de fon extrême foiblefle
idans la puiflance du Seigneur , elle lui
apprend à ne fe plus fouvenir que de la
feule juftice de Dieu. La Providence fe
déclare contre la prévoiance humaine; &
ainfi de tous les Attributs. Ils font tous
armés ; parce qu'il faut que l'ame foit dé-
truite en toutes ces chofes , pour être ad-
mife dans le lit du vrai Salomon pour être
Epoufe j & afin que le mariage s'achève &
fe confomme. Ces vaillans guerriers ont
toujours l'épée au côté. Cette épée n'eft
autre que la parole de Dieu ^ la plus inti-
me & la plus pénétrante ; mais parole effi-
rîfiée , ainfi qu'on le verra dans Tarticle de la Purifia
cation.
M Parole attribuée à St. Michel.
(h) Toutes CCS chofes, entant qu'appropriées à l'hom.
me, doivent être détruites, afin qu'il entre dans la vé-
lirable juftice & fainteté , qui eft celle de Dieu. Tout
cela s'opère dans la purification que le B. Jean de la Croix
appelle 2suit de VeJpriL
(c) Pf. 70. V. 16.
XL VIT r. Propriété. ^nr
cace 5 qui eu dccouvrnnt à l^anic la plus
fccrertc prélbmptîon , la lui arrache en mê-
me tems.
Cette parole efl la Parole in créée , qui
ne le manilefle dans le fond de Tame ,
que pour y opérer ce qu'elle y exprime.
Elle ne fe déclare pas plutôt , c|ue com-
me un coup de tonnerre, elle réduit en
poudre ce qui s'oppofe à fon paffage. Cette
divine Parole en s'incarnant , en ufa tout
de même : (a) Elle dit , 6' il fut fait , &
elle imprima en fon Humanité les carac-
tères de fa Toute-puifTance. Elle vint dans
la bafleffc de la créature , pour détruire
fon élévation ; & dans fa foiblefTe ,
pour en abattre la force : & elle prit la
forme du pécheur , pour terrafler la pro-
pre juftice. Elle fait de même dans Tame ;
elle TabaifTe , elle TafFoiblit , elle la couvre
de miféres.
Mais pourquoi l'Ecriture dit-elle , qu'ils
font tous armés de la forte , à caufe des
craintes de la nuit ? Cela veut dire , que
comme la {h) propriété eft celle qui tient
l'âme dans l'obfcurité, & qui lui caufe
toutes fes nuits funeftes ; les Attributs
{à) Pf. î2. V. 9.
(h) Il y a un tel rapport entre la purification & la
propriété , qu'on a peine à les détacher ; la propriété
étant la matière de la purification.
N 3
j^i Justification.
divins s'arment ainfi contr'elle , afin qu'elle
n'ufurpe point ce qui n'appartient qu'à
Dieu. Chap. 3. v. 8.
Quoique l'Epoux ne puifTe encore ad-
mettre l'Amante dans fon lit nuptial , qui
eft le fein de fon Père ; il ne laifle pas
pourtant de la trouver très-belle , & plus
belle que jamais : car fes fautes ne font
plus des péchés notables , ni prefque des
ofFenfes ; mais des défauts qui font dans
fa nature , encore dure & retrécie , laquelle
a une peine incroyable à être étendue pour
fe perdre en Dieu. Elle eft donc très-belle
& dans l'intérieur & dans l'extérieur. Chap.
4. V. I.
Jufqu'à-ce que Tame fe fût toute fondue
en amertumes & en croix , quoiqu'elle fût
belle 5 elle n'étoit pas néanmoins toute bel-
le : mais depuis qu'elle s'eft fondue fous le
poids des traverfes & des affligions , elle
eft toute belle , & il ne refte en elle aucu-
ne tache ni difformité.
Elle feroit par là difpofée à l'union per-
manente 5 fi la qualité encore dure & retré-
cie , bornée & limitée n'empêchoit ce bon-
heur- Cette qualité n'eft pas une tache qui
foit en elle (a) , ni rien qui ofFenfe Dieu :
(û) C'eft-à-dire , qui foit dans fa volonté, ou plutôt
qui foit volontaire.
XL VIII. Froprictc. 199
c^cft feulement un défaut de fa nature prlfe
en Adam , que fon Epoux détruira infen-
liblement. Mais pour elle , depuis que la
croix Ta toute déhgurée aux yeux des hom-
mes , elle e(t toute belle aux yeux de fon
Epoux ; & depuis qu'elle n'a plus de beau-
té , elle a trouvé la véritable beauté. Là^
me me v. 7.
L'ame qui veille à fon Dieu , éprouve
que quoique fon extérieur paroifTe mort, &
comme interdit & éteint , ainfi qu'un corps
endormi ; néanmoins fon cœur a toujours
une vigueur fecrette & inconnue (a) qui
le tient uni à Dieu. De plus , les âmes
fort avancées éprouvent fouvent une chofe
furprenante , qui eft , qu'elles n'ont la
nuit qu'un demi-fommeil , & que Dieu
opère plus , ce femble , en elles durant la
nuit , & dans le fommeil que pendant le
jour.
L'ame pendant ce fommeil entend bien
la voix de fon Bien -aimé , qui vient frap-
per à la porte. Il veut fe faire entendre :
il lui dit : ouvrez-moi , ma Sœur ^ je viens
à vous , ma Bien - aimée , que j'ai choifie
par-delfus toutes pour en faire mon Epou-
(a) Il faut remarquer , que cette ame tend toujours à
Dieu , ou lui eft unie d'un lien d'unité : ainfj elle eft bien
éloignée de demeurer oifive. Je rapporte tous ces verfets,
afin de les éclaircii tous.
N 4
200 Justification.
fe. Confidérez que ma tête eft pleine y
& encore dégoûtante de ce que j'ai fouf-
fert pour vous durant la nuit de ma vie
mortelle , & que j'ai eflTuyé pour votre
amour les gouttes de la nuit de la plus
cruelle perfécution. Je viens donc à vous
de la forte , afin de vous faire part {a) de
mes opprobres , de mes ignominies , &
de mes confufions. Jufqu'à préfent vous
avez eu part à Famertume de ma croix ;
mais vous n'avez pas eu de part à l'igno-
minie & à la confufion de ma croix.
L'un eft bien différent de l'autre ; vous
(û) Il faut remarquer ^qu'il eft toujours parlé de
croix •> d'ignominies & de confufions. Il y a bien des
petfonnes qui (e livrent pour certaines croix & noa
pour toutes ; qui ne veulent jamais perdre leur réputa-
tion devant les hommes , & c'eft ce que Dieu veut
faire perdre ici. D'ailleurs comme Dieu veut faire fortir
cette ame d'elle même , pour l'appliquer au dehors, elle
fenc en cela une extrême répugnance, n'aimant que fa
retraite. Néanmoins il eft très-certain , que fi on ne for-
toit point de la folitude , ces fortes de croix n'arri-
vcroicnt pas. Lorfque Dieu veut bien faire mourir, il
permet quelquefois certaines imprudences apparentes,
qui ne le font pas en effet , qui femblent donner lieu
à cela. J'ai connu une perfonne qui , dans une vue ,
qui lui fut donnée des plus terribles croix , & fur.tout
de la perte de fa réputation , à laquelle elle étoit fort
attachée , ne s'y put jamais réfoudre , & dit à Dieu :
plutôt toutes autres croix ; lui refufant formellement
Ion confentement : elle demeura là fans pafler outre-
cette réferve fut fi défagréable à Notre Seigneur , qu'il
ne la favorifa jamais depuis d'aucune humiliation , ni
d'aucune grâce. C'eft elle qui me Ta raconté.
XL VI II. rropricté. cor
en allez faire une expérience terrible. CI:.
5. V. X.
L'Epoiife voyant qne l'Epoux parle de lui
faire part de fes ignominies , craint beau-
coup ; & autant qu'elle a été courageufe
& intrépide à accepter la croix , autant
a-t-elle de peur de Tabjedion dont clic
cft menacée. Plufieurs veulent bien porter
la croix ; mais il n'y a prefque perlbnne
qui veuille porter l'infamie {a) de la croix.
Lorfque l'ignominie ell propofée à cette
ame , elle appréhende deux chofes : Tune
d'être revêtue de ce dont elle a été dé-
pouillée , favoir d'elle-même & de fes
défauts {h) naturels : l'autre de fe falir dans
(a) C*efl: qu'il y a des croix douloureufes , mais hono"
râbles ; & des croix très-douloureures & très-humiliantes,
tout enlemble.
(6) Notez naturels : ce ne font donc pas des pé-
chés.
Pour comprendre ceci , il faut faire attention , que
Dieu , pour purifier Tefprit , C ce que le B. Jean de la
Croix appelle , 'Nuit ob faire de Vefprit , ) permet que
les défauts qui paroiffent cfTuiés & comme éteints,
paroilfent fort au-dehors ; je veux dire les dcfauts na-
turels d'humeur , des promptitudes , des inégalicés ,
des fentimens tous révoltés. Dieu dépouillant alors l'a^
me de Tufage des divines vertus & de la facile prati-
que du bien , tous les défauts reparoiilent : Famé étant
alors abandonnée à elle - même , elle fouffre de toutes
parts ; de la part de Dieu , qui appefantit fa main ;
de la part des créatures , qui la calomnient & lui font
les plus étranges perfécutions , de la part d'elle -mê-
202 JUSTIFICATIOîf.
les afFeiftions des créatures» Je me fuis ,
dit-elle , dépouillée de moi-même , de m.es
défauts ^ & de ce qu'il y avoit en moi
me, tous fes fentimens étant révoltés; & de la part
des démons. Et c/eft ce terrible affemblap.e de tant de
fi étranges croix , qui cniifent la mort de Tame ; car
fi quelqu'une lui manquoic , ce lui feroit un refuge &
un foutien, qui la feroit vivre en elle-même. Ces dé-
fauts ne font point volontaires , non plus que Texpé-
rience de mille miferes & foiblefTes qui font la douleur
de Tame , quoiqu'elle ne le connoiiTe pas toujours ;
car Tabandonnement de Dieu lui fait croire que c*eft
fa faute. Si elle fe tourne vers Dieu , clic s*en fent
rejettée , & n'éprouve que fon indignation; fi elle s'en-
vifage elle-même, elle ne voit que tentations, mif^-
re , pauvreté & défauts; fi elle veut fe tourner vers
les créatures , elles font pour elle comme des épines
qui la piquent & la repouffent. Elle ell comme pendue,
comme bannie de tous les êtres , ainfi qu'on le verra
dans la Purification. Ce qui eft plus terrible pour Ta-
nie , c'eft qu'ordinairement Dieu pouffe ces pauvres
affligés au-dehors dans ces tems-là, c'eft à.dire , qu'il
les met, par la néceffité de leur état, hors de leur
folitude & dans le commerce du monde. Ce qui les
tourmente le plus , c'eft que plus elles défirent le déta-
chement , plus elles fentent malgré elles que leur cœur
prend à tout : elles fouffrent beaucoup de cela. Mais
lors que Dieu s'eft fervi de toutes les créatures & de
leurs propres défauts , de la pefanteur de fon bras , de
la malice des hommes & des démons , de l'expérience
de leurs foibleffes, il les en délivre tout d'un coup, pour
les recevoir en lui toutes pures. Celles qui ne fe laiffent
pas détruire de la forte , reftent toute leur vie ea
elles-mêmes dans leurs défauts & propriétés. Voilà ce
que j'ai^ voulu dire.
Ce que l'Epoufe veut encore dire, c'eft, que dans
les commencemens on fouffre les perfécutions & les
calomnies avec force, parce qu'on fait très -bien ne
les avoir pas méritées , & qu'on eft fort fcutenu iaté-
XLVIII. Proprihc. 1205
d'Aclam pcchcur ; comment pourroî-jc ja-
mais m'en rtvccir ? Vx cependant il n^.c
femblc qu'il n'y a que cela qui nie puilîc
caufer de Tabjeélion & de la confufion :
car pour les nn-pris qui m'arrlveroient de
la part des créatures , lans que je les euf-
Çqs^ caufcs par ma faute , je m'en i crois
un plaifir & une gloire , efpcrant que
cela glorifieroir mon Dieu , & me ren-
droit encore plus agri'.able a fes yeux. J^oi
lavé & puririé mes att'eélions de telle
forte , qu'il n'y a rien en moi qui ne foit
à mon Bien - aimé ; comment les j ouille-
rai "je encore par le commerce {a) des
créatures ?
rîeurement : maïs îcî il n'en eft plus de même. Com-
me Tame eft remplie de fentimens de penchans vers la
créature , elle croit avoir en réalité ce qu'elle n'a qu'en
fentimenc : alors elle fe croit la plus miférable du
monde ; elle croit mériter tout ce qu'on lui fait fouf-
frir , & porte une telle confufion & humiliation au-
dedans , qu'elle eft inexplicable. Elle fe croit la plus
mauvaife de toutes les créatures. Et plus elle s'eft fen-
tie détachée de tout, & de goûts pour Dieu , & une
certaine légèreté ; plus elle lent fa mifere , fon attache
& fa pefanteur : mais d'une manière fi douloureufe ,
qu'elle agonife mille fois par jour. Il lui femble avoir
le goût de tous les plaifirs & l'envie d'en jouir , quoi-
qu'elle les fuie plus que jamais.
(a) Notez que j'ai dit, dans la 'Note précédente,
qu'elle eft alors néceflîtée de reprendre la vie active ,
c'eft-à-dire, que fa condition, ou des affaires impré-
vues , la jettent au-déhors : & comme elle s'étoit retirée
dans la folitude , fe détachant avec peine des créatures,
204 Justification.
O pauvre aveugle ! de quoi vous dé-
fendez-vous ? L'Epoux ne vouloit qu'é-
prouver votre hdéiité , & voir fi vous
étiez à toutes fes volontés. Il (a) a pafTé
pour coupable , il a été couvert de con-
lunon , raiïalié d'opprobres , & mis au
elle a bien de la peine d*y retourner. Cependant fi
Dieu ne la je^coit pas au -dehors par la nécelficé de fon
état, clie ne feroit point calomniée, parce qu'elle feroit
inconnue ; àk, elU ne fentiroit point de nouvelles affec-
tions enver.s les créatures, parce qu'elle ne les verroit
point : elle ne connoîtroît point aiTez fa foiblefTe ni la
dépendance où elle doit être de la grâce , rcconnoif-
fant qu'elle ne doit rien fe promettre de foi -même ,
mais bien attendre tout de Dieu , fe confier en lui , fe
défier de foi , fe haïr , fe quitter. Enfin ces peines &
ces douleurs ne font point fenties des perfonnes qui
ne connoiRent point Dieu, ni de celles quî fe livrent
à leur dérèglement : elles n'ont garde de reffentir de
la dojUur d'un mal auquel elles fe livrent volontaire-
ment , éteignant en elles l'efprit du Seigneur , & fe
livrant à toutes fortes de défordres , oubliant Dieu , &
devenant la inême malice : plus elles vivent, plus elles
font mauvaifcs : au lieu que ces âmes ici, après avoir
été tentées , purifiées, & éprouvées , font trouvées dignes
par leur fidélité inconnue , & par leur extrême humilia-
tion , d'être reques en Dieu,
(a) Il eft aifé de voir que tout cela fuit & fe rapporte
à l'humiliation.
Tout ceci, quoique mal expliqué Se embarraffé, parce
que cela fuppofe un plus grand éclairciffement dans les
Écrits , ou les explications fur le vieux Teftament , où
ce livre doit être naturellement renfermé , ne laiffe pas
de faire voir qu'il n'eft parlé que de défauts naturels,
de calomnies de la part des créatures , & de toutes les
croix ordinaires aux âmes que Dieu veut purifier & dé-
fapproprier.
XLVIII. Troprictc. 205
noml)rc des fcclcrats, lui qui ctoit Tinno-
ccucc mcruc : & vous c|ui ctcs crimi-
nelle , vous ne fauriez rupj)orrcr de palfer
pour telle 1 Ah que vous fere/ JMen punie
de votre rclillance ! v. 9.
Le 13ien-aimé malgré les rcfiflances
de Ton Epoufe , {a) porte (a main par un
petit pojfage qui lui ell encore ouvert , qui
c(l un relte d'abandon , malgré les répu-
gnances que Tame fent à s'abandonner
avec tant d'excès. Une ame de ce degré
porte un fond de foumillion à toutes les
(a) Il faut faire attention ici , parce que cela eft de
conféquence , que nous avons dit au commencement ,
qu'il y avoit une rtfiftance volontaire , &, que celle-là
empéchoic abfolument l'opération purifiante de Dieu ,
parce qu'il ne violente point la liberté de l'homme : &
qu'il y avoit aulfi une rélilhnce naturelle , qui eft bien
dans la volonté , mais fans être volontaire : que celle-
ci eft une répugnance extrême à fa deftrudion. Mais
quelque répugnance que Tame ait , & quelque révolte
naturelle qu'elle fente pour fa deftrudtion , Dieu ne
Jaiffe pas de le faire d'autorité , en vertu de la dona-
tion qu'elle lui a faite d'elle-même, & de rabandon
total qu'elle n'a point retracté , & ne retrace point
non plus alors, fa volonté demeurant foumife & affu-
jettie à Dieu , malgré la révolte des fentimens. C'eft
cet abandon , cette foumifiion de la volonté , qui ne
réfide que dans le plus profond d'elle-même', & qui
eft quelquefois fort inconnu à famé , que j'ai appelle
kpcjjage de la main de Dieu \ parce que c'eft ce
qui donne lieu à fon adlion en nous , à caufe de no-
tre liberté, qu'il ne violente point. Il faut nécefTiiire-
nient fuivre ce paffage ici, & l'établir fur ce fonde-
ment.
!Zo6 Justification.
volontés de Dieu ; de manière qu'elle ne
voudroit rien lui refufer : mais lorfque
Dieu (a) explique fes defleins particuliers,
& qu'ufant des droits qu'il a acquis fur
ia) Lors que je dis que Dieu explique fes deffeins ,
îl ne faut pas croire que ce foit que Dieu lui montre
en détail beaucoup de chofes à renoncer & à facrifier :
non , ce n'eft pas cela. Il faut remarquer que nous
avons dit diverfe^ fois , qu'en Dieu le dire eft faire.
Dieu n'explique fes delTeins qu'en mettant famé dans
le creufet des plus extrêmes épreuves , comme on le
verra; il la réduit au point de lui facrifier, non- feu-
lement ce qu'elle a, mais tout ce qu'elle eft, non-
feulement pour le tems , mais pour 1 éternité. Et de
quelle manière fe fait ce facrifice ? Par un défefpoir
abfolu de tout elle-même, que le P. Jaques de Jéfus ,
que j'ai cité plus haut, ( voyez Entendre^ n. ;4. )
appelle un Jaint défefpoir , parce qu'en faifant perdre
tout appui à la créature en foi -même, il la fait entrer
dans l'abandon entier entre les mains de Dieu. Car il
faut favoir que plus nous défefpérons de nous-mêmes ,
plus nous efpérons en Dieu , quoique non pas toujours
d'une manière fenfible ; plus nous perdons toute cer-
titude en nous & toute foi appuyée , plus nous entrons
dans la foi en Dieu , dénuée de tout appui ; plus nous
nous haïflbns , plus nous aimons Dieu. Tout ce que
Dieu ôte à l'ame eft la matière de fon facrifice Mais
le dernier facrifice de tous , que j'appelle dans mes
Ecrits , facrifice pur , eft celui que l'ame fait , lorfque
fe fentant comme abandonnée de Dieu , d'elle-même ,
& des créatures , elle dit à Dieu : Mon Dieu , pour-
quoi m'avez - vous abandonnée ( Matth. 27. v. 46. ) ;
& enfuite elle ajoute avec JéfusChriftC Luc 2^. v. 46.):
Mon Dieu , je remecs mon efprit entre vos mains.
C'étoit proprement le facrifice de tout lui-même. Eè
c'eft cette remife de tout foi -même pour le tems &
l'éternité , que j'appelle dernier facrifice ; après lequel
Jéfus -Chrift dit ( Jean 20. v. 30. ) : Tout ejl confûm-
nié : auffi tout fe conforme par là dans Tame.
XLVm. VropriHL ^07
clic , il lui demande les derniers renon-
ceniens & les plus extrêmes facrifices ;
ah ! c'elt pour lors que toines Jes cntraiU
les font émues , & qu'elle trouve bien de
la peine où elle ne croyoit plus en avoir :
& cette peine (a) vient de ce qu'elle étoit
attachée à quelque chofe , fans le connoî-
trc.
A ce toucher , toute la nature frémit ;
car c'ed un toucher douloureux , & qui
ell la plus fenfible douleur de Tame , com-
me Téprouvoit le plus patient des hom-
mes j lorfqu'ayant foufFert des maux in-
concevables fans fe plaindre , il ne pût
s'empêcher de s'écrier à ce toucher de la
main de Dieu ( ^ ) ; ah ! de grâce , mes
amis 9 oublie^ tous mes autres maux y
qui vous font tant d^horreur ! aye:^ feu--
(a) Toutes nos peines ne viennent que de nos réfiC-
tances , & nos réfiftances de nos attaches ; plus on fe
tour.T.ente dans les peines , plus on les aigrit : on les
adoucit en s'y livrant toujours plus, & en fe laifTant
dévorer inté-ieurement ; Tame ne connoit fes liens qu'à
mefure qu'on les lu^rompt.
(6) Job 19/ V. 21. Pour bien comprendre ceci , i!
faut favoir que la main de Dieu eft fa juftice & fa
toute -puiflTance. Lors que l'Ecriture dit, il appefantit
fa- main fur nous ; c'eft comme fi elle difoic , il nous
fait fentir le poids de fa juftice. Ce toucher de la
main de Dieu, ( car ce n'eft qu'un toucher; fi c'étoit
l'application de fa main , Tame feroit réduite en pou-
2o8 Justification.
letnent pitié de moi pour une chofe ; c^efi
que la main de Dieu m'a touché. De
même Pépoufe fe fcnt toute frémir à ce
toucher.
Combien êtes -vous jaloux, o divin
Epoux , que votre Amante faflTe toutes
vos volontés ; puifqu'une fimple cxcufe
qui paroît fi jufte , vous ofFenfe fi fort !
Ne pouviez - vous pas empêcher une
Epoufe fi chère & fi fidelle de vous faire
cette {a) réfiftance ? Mais elle étoit
néceflaire pour fa confommation. UE-
poux
dre. II n'y a que Jéfus-Chrift quî ait porté le poids
de la Juftice. Âuffi lors qu'il eft écrit de lui , il e(l dit
que Dieu a appefanti fur lui la force de fon bras :
c'eft la Sainte Vierge qui le dit , fcdt potentiam ,
( Luc I. V. si« ) Pour les créatures, il n'en eft pas
de même : celles qui foufFrent le plus , comme Job ,
éprouvent & reffentent feulement le toucher de cette
main toute divine. Ce toucher, dis-je, eft douloureux
pour l'homme qui n'eft pas encoie purifié, & d'autant
plus dur , que Dieu a plus de defteins fur lui : mais
qu'elle eft douce , cette divine main , pour celui qui
n'eft plus propriétaire ! C'eft ce que le B. Jean de la
Croix exprime admirablement , lorfqu'il dit : ( Voyez
Mort entière n. 9. Purification, n. 4.7. ) Mignardc
main , toucher flateur , à préfent qui ne ni êtes plus dure ^
& qui m'êtes d'autant plus douce que vous m'avez été
cruelle. .L'application de la main de Dieu eft doncj'ap-
plication de fa juftice.
(a) La réfiftance que l'ame fait ici à Dieu eft de
deux natures , qui ont rapport aux demandes que
Dieu
XLVITI. Fropricté. 209
poux permet cette faute dans fon Epou-
ïc , afin de la punir , & en même tems
Dieu lui a faites dans les vcrfcts prcccdcns. Nous
avons vil dans le Cantique, que l'Epoux lui dit : Ou^
vrcz-moi ^ ma Jkur ^ mon Epoufc ; parce que je fuig
charge des gouttes de ma paillon. Il (lut comprendre
que l'amc alors voit fort bien , que Dieu vient à clic
chargé de douleurs pour l'accabler de douleur : car
fes difcours font des imprellions doulourcufes , que
Dieu fait en elle de toutes les douleurs poliibles , &
en même tems de toutes les foibleffes ; car fi elle pou-
voit foulFrir avec force , elle feroit trop hcureufe. 13ieu
lui donne des vues d'infamie & de décris : ces vues
font fuivies de Teffet. Dieu joint à cela l'expérience
de mille foibleOes & miferes , une perte apparente
des vertus , ou plutôt de la force dans les vertus ; en-
forte qu'elle fe trouve couverte d'une telle confufion ,
& d'une fi extrême douleur, qu'il n*y a rien qui foit:
égal : car lorfque Dieu appefantit fa main fur le de-
dans , il livre l'extérieur à la calomnie , à la malice des
hommes , & fouvent au Diable , auquel il donne ua
plein -pouvoir fur les corps , qui eft une chofe fi ter-
rible, qu'on ne peut y penfer fans frayeur. Dieu, pour
l'ordinaire , avant que de livrer l'extérieur entre les
mains de l'ennemi , donne un goût fi extraordinaire
de fa juftice , & un défir fi véhément de la fatisfairc,
non -feulement pour fes propres péchés, mais auffi pour
ceux des autres, que ce défir rend tout-languiffant.
Alors l'ame , fans rien fpécifier , fe livre aux rigueurs
de la Juftice en général , fans qu'il lui foit donné au-
cune vue diftincT:e ; enfuite de quoi Dieu la prend au
mot. Lorfque l'épreuve dure, elle fent une révolte
extrême contre la fouffrance ; elle ne voit en elle nul
abandon ; elle crie de toutes fes forces pour être déli-
vrée. Lorfqu'elle eft dans le calme pour des momens ,
forî goût & fon amour de la Juftice lui eft rendu tout
de nouveau , pour fe facrifier j & elle s'immole de
Tome IL Juftif, O
2ÎÔ Justification.
( ^ ) de la purifier de Tattache qu'elle avoît
à fa pureté & à fon innocence , & de
la répugnance qu'elle fentoit au dépouil-
Tîouveau à cette même juftice , fans pouvoir faire au-
trement , julqu'a ce que la tempête revienne. Elle
oublie alofô fon facrifice , & fon goût pour la Juftice,
& livrée qu'elle eft à toutes fes répugnances, elle
n'éprouve que les douleurs de la mort. D'autres fois ,
D^'ju , avant que d'éprouver l'âme , lui fait voir en
gros les pins extrêmes fouffrances , & il lui demande
fon confentem^^'it. U y a des âmes qui réfiftent à Dieu,
ne pouvant fe facrifier à fa juftice ; quelques- unes
réfifl^nt tout-à-fiit, d'autres réfiftent peu de jours :
& ces réfiftances leur font de terribles tourmens , fur-
tont aune ame qui avoit été fort fidelle jufqu'alors , & qui
avoii un certain appui fecret dans fa fidélité à fouffrir,
& à n'avoir jamais rien refufé à Dieu , quelques dures
qu'ayent été fes volontés.
Dieu donc permet ces réfiftances à s'immoler à la^
croix & à la peine , à le recevoir couvert de fang ,
comme un Epoux de fang & de douleur. Les âmes
de cette trempe ne réfiftent pas longtems. Cepen-
dant ces réfiftances font néceffaires , pour leur faire
fentir à elles-mêmes leurs foibleffes , & leur faire
connoitre combien elles font éloignées du courage
qu'elles croyoient avoir. Il y a telles âmes , qui après
une exquife pureté d'amour fenti , fe trouvent bien
foibles contre l'amour rigoureux , & fi elles ont été
fidelles jufqu'alors , la peine de l'impureté fpirituelle ,
qu'elles ont contrac1:ée par cette réfiftance , leur eft:
un grand tourment.
«
(a) J'oubliois de faire remarquer que ce que je
dis , pour la punir ^ purifier de rattache à la pu*
reté èf innocence^ ne peut jamais être appliqué autre,
ment qu'à une impureté fpirituelle , & non comme
des gens charnels font expliqué j puifque je fais voir.^
XLVIII. Propriété. 2ri
lemcnt ck la propre juflicc : car quoi-
qu'elle lût bien , que la jullice elt à Ibii
que la rcfiflance (lu'cllc a faite à fe facrificr à Dieu ,
ell rinipurctii dont je parle , ainfi qu*on le peut re-
niaïquer en liGmc attcnrivemcnt la propollcion. Ne
pouviez - vous pas cniprchcr uuc Epoufc Jl Jicrt ^ fi
jidellc de vous faire cette re^fi/hinccl (Sa fiJcIitc fai-
foit fa pureté, 6c ia docilité fon innocence. ) Mais elle
était lîcceJJ'aire pour fa confoainuitiun. ( Remarquez
s'il vous plait que je parle de rcliltance , (S: de rcfif-
tance à l'abandon , pour fouiFrir les tpreuves ). L'E^
poux permet cette faute dans fon hpoufe ^ cette faute
de réfirtancc , afin de la punir ^ x^ en même te/ns de la
purifier de rattache quelle avoit à fa pureté ^ à fon
innocence. Cette faute étant une réfidance , l'impureté
qu'elle contradte efl: donc une impureté fpirituellc ,
caufée par la réfiftance. Si j'avois voulu parler d'une
impureté corporelle , & que j'eufTe voulu dire ce
qu'on me veut faire dire , comme Dieu m'a fait la
grâce de favoir ma langue , j'aurois mis tout le con-
traire , & j*aurois dit : elle s'eft livrée à l'impureté
pour fe purifier de l'attache à fa pureté ; ce qui eft
abfurde : car cela ne peut jamais être. On dit , que
ce que j'ai voulu faire dire à notre Epoufe , j'ai lavé
mes pieds, comment les falirai-je, c'eft pour qu'elle
commette des crimes. Si c'eft pour commettre des
crimes, & fi c'eft pour fe falir de la forte, la rc.if-
tance qu'elle fait à cela l'empôche de perdre fa pnjecé
çn cette forte ; ainfi Dieu n'a point permt/> ceue faute
pour lui faire perdre la pureté & l'itinocence , com-
me CCS perfonncs le difent : puif^ue ce feroit une
contradidion manifefte , d'aiitanc que la réfiftance à
ces chofes la rendroit plus pure & clus attachée à fa
pureté corporelle , loin de la lui ôrer : & je dis au
contraire que Dieu a permis cette réfiftance dans fori
Epoufe , pour la purifier de l'attache à fa pureie fpi-
rituellc , qui eft une fidélité trop pourfuivie , & fans
relâche.
O z
Ci« J U STIFICATIOK.
Epoux , néanmoins elle y avoit de Fatta-
che , & elle s'en approprioit quelque cho-
fe. V. 4.
C'ett comme fi cette ame difoit : fai
levé la barrière qui empêchoit & ma {a)
perte totale , & la confommation de
mon mariage ; car ce mariage divin ne
peut être confommé que la perte totale
ne foit arrivée. J'ai donc ôté cette bar-
rière par {h) l'abandon le plus coura-
Dieu veut qu'elle fe livre à fouffrir toute la rigueur
de fa juftice , qu'elle foit livrée comme Job au Dé-
mon pour la tourmenter ; & ce font ces fortes de
tourmens qui la purifient de Tattache propriétaire à
fa pureté corporelle; ce qui eft très -involontaire en
ces âmes , & des tourmens comparés à Tenfer , com-
me on le verra. Mais cette réfiftance eft tout le con-
traire : elle fait contracter à Tame une impureté fpi-
rituelle , qui eft une réfiftance à l'abandon à Dieu, &
une infidélité par foibleffe à Tapproche des croix. Je
île fais fi je me fuis fuffifamment expliquée fur cela.
Je fuis prête de fceller ma foi de mon fang. Comme
je n'avois jamais imaginé , qu'on pût donner une pa-
reille explication, & que lorfque j'écrivis cela, je n'a-
vois jamais ouï parler de toutes ces créatures , ni de
rien d'approchant ; je ne fongeai pas à m'explîquer ,
& d'autant plus, que ce livre- là étoit incorporé, &
non détaché de ceux qui expriment plus au long mes
fentimens. Si quelque chofe fait difficulté , je m'offre
toujours de l'expliquer le plus nettement que je le
pourrai.
id) On peut voir dans Tarticle de Perte &c. ce que
c'eft que cette perte totale.
ib) Cet abandon a rapport toujours à ce facrificc
des épreuves & des foufFrances.
XLVIII. Propyicté. ti?
gcux , & le facrificc le plus pur qui fut
jamais. J\ii ( n) ouvert à mon Bien-al'^
mé , croyant qu'il cntrcroit , & cju'il guc-
riroit la douleur qu'il m'avoit caufée par
fon attouchement ; mais hélas , le coup
feroit trop doux , s'il y apportoit (i promp-
tement le remède ! 11 fe cache , il fuit ,
il paffe outre , il ne laifFe à cette Aman-
te affligée que (/;) la playe qu'il lui a
faite , la peine de fa faute , & la ( c )
faleté qu'elle croit avoir contractée en fe
levant.
Cependant la bonté de l'Epoux cft ft
grande , que quoiqu'il fe cache , il ne
lailTe pas de faire de grandes grâces à
fes amis ; & d'autant plus grandes , que
les privations font plus longues & plus
{a) Cette ouverture efl un abandon renouvelle ;
parce que la réfiftance l'ayant en quelque maniéré
interrompu , il faut un renouvellement actif d'aban-
don ; & Dieu Texige ainfi de l'ame : ce qui marque
qu'elle avoit été infidelle , puifqu'elle a befoin d'un
retour aftuel , & d'un renouvellement d'acT;es apper-
qus.
(ft) La playe que Dieu lui a faite eft une playe d'a-
mour douloureux , qui la fait courir après lui avec
plus d'empreflement : & fa faute eft la réfiftance.
(c) Saleté apparente, & non réelle , qu'elle con-
tracte en fortant de fa folitude.
o 3
214 Justification.
dures ; comme il fit à fon Epoufe , qui
fe trouva dans une nouvelle difpofition ,
laquelle lui fut bien avantageufe , quoi-
qu'elle ne la reconnût pas pour telle.
C'eft que fon ame Je fondit & fe liqué-
fia aès que fon Bien -aimé eût parlé , &
que p-c^r cette liquéfadion elle perdit fes
qualités dures & retrécies , qui empê-
cnoient la confommation du mariage fpi-
rituel. V- 6.
Epoufe infortunée ! jamais il ne vous
étoit arrivé rien de' pareil. Parce que
jufques ici votre Epoux vous gardoit ,
vous vous êtes repofée fûrement fous fon
ombre ; vous étiez en aflurance entre
fes bras : mais depuis qu'il s'eil éloigné
par votre faute , ah , que vous eft - il
arrivé ! vous croyez avoir beaucoup {a)
fouîïert par tant d'épreuves , qu'il avoit
déjà faites de votre fidélité ; cependant
elles étoient peu de chofe , au prix de
ce qui vous refle à foufFrir. Ce que vous
avez fouiïert avec lui n'étoit que des om-
bres de foufFrances ; & il ne vous falloit
pas attendre à moins. Croyez-vous épou-
fer un Dieu déchiré de playes , percé de
doux & dépouillé de tout , fans être traité
de même }
(a) Remarquez que ceci fe foutîent toujours, &
qu*il y eft toujours parlé d'épreuves & de foufFrances.
X KVIII. rroprictc. ti?
Cette amc fc trouve hattue & hh'Jjec
de tous ceux (ji/t gardent la ville. Ceux
qui jufqu'ci prcfent n'avoient ofé l'atta-
quer , & qui cependant la veilloient in-
celïamment , prennent leur tems pour la
frapper. Qui font ces garde!; ? Ce font
les {a) minières de la juftice de Dieu.
Ils la blelfent , & ils lui (kent le man-^
teaii li cher de fa propre juftice. O Epou-
fe infortunée ! que ferez-vous dans un
état fi pitoyable ? L'Epoux ne voudra
plus de vous après un fi trifte accident ,
qui porte avec foi Tabjeélion d'avoir été
maltraitée des {h) foldats , & couverte de
( fl[ ) Ces minîftres de la Juftice de Dieu font les
diables , auxquels Dieu livre quelquefois ces âmes d'u-
ne manière autant douloureufe qu'affligeante. Cet état
arrive quelquefois, fur- tout à celles qui ont varié
dans leur abandon, & qui ont réfirté à Dieu comme
celle-ci. Cela joint avec rexpérience de leurs mife-
res , leur ôre Tappui qu'elles avoient en leur propre
juliice. Remarquez que j'ai toujours dit propre juftice,
c'eft-à-dire, l'appropriation qu'elles fe faifoient de
leur juftice , & de la fidélité qui forme un appui en
foi. Il faut perdre ces chofes pour être défappropriées,
& n'avoir d'appui qu'en la juftice de Dieu. Elles per-
dent donc cet appui par l'incertitude où elles font mi-
fes de leur falut ; ce qui les fait entrer dans la juf-
tice de Dieu , connoiifant fon tout & leur rien , fa tou-
te-pui{Tancc & leurs foibieffes : ce qui les étatlit dans
un abandon qui ne varie plus.
(6) Il eft aifé de voir que ces foldats font une
comparaifon dont je me fers , parce que le texte le
dit de la forte ; mais non pas que j'aie jamais penfé
ni voulu dire que cette Epoufe s'étoit abandonnée à
des foldats d'une manière infâme. Cela me paroit fi
o 4
2î6 Justification.
hlejfures , jufqu'à avoir laifTé votre man-
teau entre leurs mains , quoiqu'il fût votre
principal ornement. Si vous continuez en-
core de chercher votre Bien-aimé , on
dira que vous êtes folle de vous préfen-
ter à lui de la forte : & d'ailleurs , fi
vous ceflfez de le chercher , vous mour-
rez de langueur : votre {a) état eft aflu-
rément déplorable, v. 7.
Sitôt que Famé eft entièrement défap-
propriée , elle eft toute difpofée pour
greffier, que je m'étonne comment on a pu le pen-
fer. Ces miniftres , gardes ou foldats , font donc les
diables ; ce manteau qu'ils ôtent , eft Taffurance du
falut, & Tappui en nos propres œuvres & notre pro-
pre juftice. Les bleîTures qu'ils font , font fouvent
bien réelles. J'ai connu une fainte fille , examinée
exsdement par un S. Evêque , à qui le diable avoit
fait à la mamelle droite une plaie large de trois doigts ,
qu'il lui falloir panfer avec d'extrêmes douleurs. J'en
ai connu plufieurs de cette forte. Il y en avoit une
dans ie Diocefe de Sens , conduite par Aîonfeigneur Oda-
ve de Reliegarde, pour lors Archevêque de Sens : le Dia-
ble lui caifa le bras : Monfeigneur l'Archevêque lui dé-
fendit de lui toucher davantage ; il ne lui fit plus rien
depuis. La vie de cette Religieufe eft imprimée , & je l'ai
fçu plus particulièrement d'une Reh'gieufe fort âgée ,
qui étoit alors la Supérieure, Le Père Raveno Jefuite
rapporte la niêaie chofe , & de beaucoup plus éton-
nantes, dans la vie de la Mère de St. Auguftin , Re-
ligieufe en Canada.
{oj L'Etat de cette Epoufe n'eft déplorable , que
parce qu'elle ne fe peut empêcher de chercher fon
Dieu , & qu'elle l'aime fi paffionnément , que plus il
fuit, plus elie le cherche, au lieu que les autres ne
]e cherchent point , & cherchent au contraire leurs
plaifirs hors de lui.
. f . t
Xl/VIIl. Vropricte. i. 217
ctre reçue clans le lit niipiial de 111-
poux. ~
H fe nourrit , dit cette incomparable
Epoufe , entre les lis de ma pureté ; ceux
de Famé , qui lui plaifent beaucoup plus
que ceux de la chair , font la dclappro-
priation générale; une ame flins propriété,
cil une ame vierge : ceux du corps font
rintégrité des fens. Chap. 6. v. 2.
L'intérieur de cette ame , c'eit un vin ,
parce que tout y e(t liqueur , tout rccoule
en Dieu , fans ctre arrêté par aucune pro-
pre confiltance. Chap. 7. v. 9.
, L
AUTORITÉS.
S. Denis.
A. différence & rinégalitc des vues în-
telleduelles eft caufe que la lumière qui pro-
cède de la bonté paternelle , & que Dieu infu-
fe & répand abondamment fur fes créatures ,
ou ne fe communique point du tout, n'ayant
point de prife fur elles , à caufe de leur dureté
(^) & de leurs réfiftances ; ou bien , fait qu'un,
inême rayon originaire & primitif, un, fimple ,
immuable , & toujours de même forte , bien que
répandu largement fur elles, opère diverf es par-
ticipations différentes les unes des autres : les
unes petites , les autres grandes ; les unes obfcu-
res , & les autres plus claires , félon la capacité
des fujets qui le reçoivent. De la Hicrarch, Ce-
lejie. Ckap. 9.
ia) C'eft là la propriété véritable.
2i8 Justification.
Ll ?A 1 T A T I O N DE J É S U S-C H R I S T.
2. O combien efl puifi'ant ramour pour Jéfus-
Chrift, lorfqu'il eft pur &fansaucun mélange de
propre intérêt. Ns devons-nous pas mettre au
Tang d^s mercenaires ceux qui ne cherchent fans
cefîe que leur propre fatisfaclion. — Où trou-
verez-vous prcfentement un homme qui veuille
fervir Dieu gratuitement? Livr. 2. C/z. 1 1. 77. 3.
3. Mon fils , vous ne pouvez être entièrement
libre, fi vous ne renoncez entièrement à vous-
même. Tous ceux qui fe rendent propriétaires
de leur ame & qui font poffédés de leur propre
amour, font comme liés & enchaînés. Là-même, ,
Ch, 52. §. I.
4. Aïon fils 5 quittez-vous vous même , & vous
me trouverez. N'ayez point de volonté ni de
choix, dépouillez- vous de toute propriété, &
vous croîtrez toujours en vertu; parce qu'auffi-
tôt que vous vous ferez entièrement abandonné
à moi , fans reprendre encore le foin de vous-
même, je répandrai avec plus d'abondance ma
grâce dans vous. Ch. 37. §. i.
5. Car comment pourrez-vous être à moi , &
moi à vous , fi vous n'êtes dépouillé entière-
ment, & au dedans & au dehors, de toute vo>-
Ion té propre. §. 3.
6. Donnez tout pour tout ; ne cherchez plus
xien de vous-même , après vous être donné. §. 5.
* Ste. Catherine de Gènes.
7. Comme l'amour-propre ne peut connoîtrc
ce que c'eft que l'amour nud , auffi l'amour nud
ne connoît point ce que c'eft que la propriété ,
d'autant qu'il ne voudroitpas avoir connu aucune
chcfe comme fienne ; parce que l'amour nud ne
voit que la vérité , laquelle étant de fa nature
communicable à tous , ne peut être propre à
XLVIII. rropricié. 2-1.'. 219
aucun ; (5c parce (]uc l'amour-proprc cft un cni-
pcchcmcut à lui-mcmc , portant avec foi les té-
jièl)res <!s: le péché , (|ui lui l)an(lcut les yeux , il
ne la peut ni croire ni \'oir. —
AI ais Tamour-propre fpirituel eft bien plus dan-
gereux & plus (lillicilc à connoitre (|iie le char-
nel , parce qu'il ell un poifon très-fubtil & péné-
trant, (lu(]uel ])cu de [)erlonnes fe {rarantillent ,
étant bien [)lus couvert fous beaucoup de fubti-
lités. — Ainii je conclus que cet ank)ur-[)roprc
ell la racine de tous les malheurs (jui nous puif-
fent arnxer en ce inonde (S: en l'autre. Je vois en
rexemj)]e de Lucifer, comme il hn en prend,
d'avoir eu pour objet ce pernicieux amour : mais
je le vois encore mieux en nous, comme notre
Père Adam nous y a conduits avec cette fcmencc.
JEnJavie^ Chap, 25.
8. Voyez Purijîcadon. n. 18.
9. Voyez lù-mcme.
10. Dieu confume Tentendre & le compren-
dre ; & ainfi il jette dehors toutes les opérations
avec iefquelles elle fe pourroit approprier quel-
que chofe fpirituelle , ou pour foi ou pour autrui :
autrement elle ne feroit pas nette en fa préfence.
Chap. 32.
lY. Voyez ConfcJJïon, n. 5.
12. Je voyois Tamour fi jaloux, en ce qu'il
fubtilifoit & examinoit ainfi toutes chofes par le
menu , avec un fi grand foin & une fi grande
force, pour parvenu' à fonbut, qui efl d'anéan-
tir toutes les propriétés , dont ( a ) \n\ feul brin
ne peut demeurer en la préfence divine ; qu'en-
core que je vifTe cette partie propre & fenfuellc
plus que diabolique & d'une malignité terrible ,
toutefois je la voyois à la fin demeurer prcfque'
(«) 'îsoic^ f«^ul brin.
220 Justification.
anéantie par l'amour, & par la puiiïance dont il
iifoit contr'elle. Etant ainfi occupée à confidérer
Tamour en fon opération , ma partie propre ,
avec toute fa malignité , ne pouvoit plus me
donner de crainte , 6c le Purgatoire & TÈnfer ne
iîi'eufTent pas épouvantée ; mais fi j'euffe vu
Iculement une petite contrariété, & la moindre
iéfiftance à cet amour pur , ce m'eût été un Enfer.
Vie, Ch. 41.
13. L'amour anéantiffoit non-feulement cette
partie maligne par le dehors , mais même l'inté-
rieure & fpirituelle qui goûtoit & comprenoit les
cliofes divines, & fembloit vouloir fe transfor-
iner toute en Dieu , & anéantir cette partie fen-
fuelle.
Quand cette partie fupérieure & fpirituelle
avoit allez bien fait , & qu'elle penfoit avoir
vaincu & humilié cette partie inférieure & fen-
fuelle 3 lui ôtant tous les moyens de fe nourrir , &
qu'il fembloit qu'elle eût réduit tout le bien pour
elle-même. Se en pouvoit jouir en paix ; alors cet
amour véhément & infatiable furvenoit en fureur
& lui difoit : que penfes-tu faire? Je veux tout
pour moi : (a) ne penfe pas que je te lailTe le
moindre petit biea ni à l'âme ni au corps. Je
veux que l'un & l'autre demeure nud & défarmé
de tout ce qui eft au-delTous de moi ; & je ne
veux rien fouffrir au-deffus de moi : fâche que
deflbus moi font toutes ces vues , ces fentimens
& ces perfections , que je n'approuve pas ; &
quand je viens à cribler Tame , je fuis fi fubtil ,
que toute fa perfedion devant mes yeux eft un
défaut: c'efî: pourquoi je ne veux pas qu'au def-
fous de moi il y ait aucune chofe qui puiffe de-
îneurer en être , fuion celles que j'approuverai
( c2 ) Que ceci a d'étendue , & qu'il eft terrible !
X L V II I. Proprictc. îc:-t7.' ^"i^
comme bonnes. On ne pent aulli ctrc par-defliK
moi : c'cll poiiniiioi plus tu monteras en haut par
c|ucl(|nc |)crleClion cpic tu puiHes avoir, plus jc
Tcrai toujours par-deHus toi pour ruiner toute-i
les inipeitedions, (jui arriveroient clans les vues
unitives que tu pourrois av^oir. Ld-mcnir,
14. Voyez Pur amour, u. i ?.
15. O Anioui pur , vous faites par \^otre \io-
lence, que la moindre taclie d'imperfection ell un
Enfer , plus grantl & plus rivî^oureux que celui
des damnés : c'ell ce que perfonnc ne com-
prendra & ne croira, hormis celui qui fera exerce
& expérimenté en vous. Dialogue, L, 3. Ch. 6.
Le B. Jean de la Croix.
16. Tout appétit, encore qu'il foit delà moin-
dre imperfedion, fouille & obfcurcit Tame en fa
manière , & empêche fa parfaite union avec
Dieu. Montée du Mont CarmeL Livr. I. C/i. 9.
17. O qui pourroit donner à entendre juf-
qu'où Dieu veut porter cette abnégation ! fans
doute elle doit être comme une mort & un
anéantiffement temporel, naturel & fpirituel en
tout , quant à l'eflime de la volonté ; dans la-
quelle mort fe trouve tout le gain & le profit.
C'eft ce que Notre Seigneur a voulu dire, (a)
Celui qui voudra fauvcr fon amc la perdra , ( c'eft à
favoir, que celui qui voudra pofféder quelque
chofe ou la chercher pour foi, la perdra) &f
celui qui perdra fon ame pour moi la gagnera ; c'eft-
à-dire que celui qui renoncera pour Tamour de
Jéfus-Chrift à tout ce que fa volonté peut défi-
rer, vouloir & goûter , faifant choix de ce qui
reflemble plus à la croix , ( ce que Notre Sei-
gneur appelle en S. Jean; (Z?) abhorrer fon ame)
celui-là la gagnera. -—
(a) Marc 8- f. JS- W Jean u. f. z^.
"xzz Justification;
Le même Seigneur dit; [a\ Mon joug cjl douxl
£f? mon fardeau léger ^ qui eft la croix, parce que
fi l'homme fe détermine à s'afTujettir , & à porter
cette croix , qui eft une vraie réfolution & dé-
termination à vouloir trouver & fupporter des
travaux en toutes chcfes pour Tamour de Dieu*,
il trouvera en elle un grand alégement & beau-
coup de fuavité , pour marcher par ce fentier
amfi dénué de tout fans rien vouloir. Mais s'il
prétend d'avoir quelque chofe avec propriété ,
foit de Dieu , foit d'autre chofe , il n'eft pas dénué
ni défapproprié (6) en tout, & ainfi il ne pourra
tenir ce chemin , ni monter par ce fentier étroit.
Je voudrois bien pouvoir perfuader aux fpiri-
tuels , comme ce chemin de Dieu ne confifte
pas en multiplicité de confidérations , ni de
moyens, ni de goûts , encore que cela foit né-
ceiTaire aux commençans , mais en une feule cho-
fe néceffaire , qui eft de favoir fe renoncer à boa
efcient , félon l'extérieur & l'intérieur , s'exer-
çantàpâtir pour Jéfus-Chrift, & à s'anéantir ea
tout : car en pratiquant (c) ceci , tout ce qui a
été dit, & plulieurs chofes encore, fe font & fe
trouvent ici. Montée du Mont CarmeL Livr, 2. C/z, 7.
18. Il faut favoir que jufqu'à ce que l'ame foit
en cet état de perfection , dont nous parlons , tant
fpirituelle foit elle , il lui demeure toujours quel-
que inclination & attachement d'appétits & de pe-
tits goûts , & autres imperfedions , foit naturel-
les , foit fpirituelles , lefquelles elle va fuivant ,
& ainfi tâche de fe repaître : car pour l'entende-
inent, il lui demeure pour l'ordinaire quelques
(a) Matth. II. V. jo.
ib) Notez : dérapproprîé en tout,
(c) Par cette voie qui comprend tout, on pratique
tout.
XLVIII. Propriété. 17-22. ?7.3
Jinperfedions d'appctits de favoir les chofes ; tou-
chant U \'oloiué , elle Te lailfe cinjjortcr à (le pe-
tits goûts (Se appétits propres. Cu/itii/uc entre l'E-
poufe Êf t Epoux. CoupI, 18.
19. 'C'ed une propriété de Tamonr j)arfait , de
ne vouloir admettre ni prendre aucune chofc
pour foi , ni fe rien attribuer , mais tout entière-
ment à TAmi : car fi même aux amours bas &
terreftrcs cela fe pratique , combien plus en Ta-
mour divin, où la raifoa nous y oblige tant. Là-
même. Coup/. 24.
20. L'ame fe fentant déjà toute enflammée en
Tunion divine , & transformée par amour eu
Dieu , & fentant courir de fon ventre les fleuves
d'eau vive, que Notre Seigneur Jéfus-Chrift di-
foit (a) devoir fortir de femblables âmes , il lui
femble que puifqu'elle efl transformée en Dieu
avec une fi grande force , & fi hautement dcfap-
propriée, & ornée de fi grandes richeffes, de
dons & de vertus , qu'elle eft fi près de la béatitu-
de, qu'il n'y a qu'ime toile légère & déliée entre
deux. Vive flamme ci' amour. Cant. i. Prologue.
2 1. Voyez Mort entière, n. 9.
22. L'ame va chantant à Dieu : — Vous Cô)
avez changé mes pleurs en joie , vous avez rom-
pu mon fac , (c) & m'avez environné d'alégreffe ,
afin que ma gloire vous chante , & que je n'aye
plus de remords (d)^ vu qu'aucune peine ne
rapproche là. Là-même. Cant. 2. V. 6,
ta'] Jean 7. v. 38.
[i] Pf. 29. V. 13, 13.
[cl Ce fac eft la propriété qui renferme toutes cor-
ruptions.
Ccf] L'ams exempte de propriété n'a plus de re-
224 Justification.
mords , quoiqu'elle ne fe croye pas juftifiée pour cc^
la , mais une fincere innocence Se fimplicité la tient
hors d'elle , de forte que le Maître ne lui reproche
, plus rien : elle n'entend plus cette voix de Texac-
teur , dont parle Job [ Ch. 3. v. ig.] qui lui a été
un fi grand tourment dans le tems de la propriété.
Pour donner quelque jour à ceci , qui eft entière-
ment pour rétac de purification , [ mais cela eft tel-
lement lié , qu'on ne le peut féparer] ^ il faut faire
attention à l'état des anics de purgatoire. Elles ont
deux peines : peut-être l'ai-je écrit dans le traité que
j'ai fait du Purgatoire. [Voyez ce Traité P. IL n. 55.
dans les Opujcules de TAuteur. ] La première eft l'ap.
plication de la juftîce de Dieu , ou de cette divine
jnain, qui leur eft un tourment intolérable ; la fécon-
de c'eft leur propre impureté , qui eft une playe in-
finiment douloureufe : mais cette douleur ne dure
qu'autant de tems qu'il en faut pour les purifier.
Elles ne font pas plutôt purifiées , qu'elles ne Ten-
tent plus de douleur , quand même elles refteroient
dans le purgatoire. Elles n'ont plus la douleur de la
propriété , puifqu'elle n'eft plus ; ni ta douleur de l'ap-
plication de la main de Dieu , parce que cette main
lie leur eft douloureufe qu'à caufe de leur impureté ;
de forte que dès qu'elles font pures , cette main ou
cette juftice qui leur étoit fi douloureufe , leur de-
vient une béatitude. Il en eft de même de l'ame en
cette vie : fitôt que fa propriété eft détruite , elle
n'a plus de peine de la propriété , ni point de re.
mords , comme le dit Ste. Catherine de Gènes , qu'elle
n'en avoit plus [Voyez ConfeJJion n. j. & 6. ] & cette
main divine ne lui eft plus dure comme nous ve-
nons de voir , mais très - douce & béatifique. Durant
toute la voie , l'ame a au - dedans d'elle un exadtcur
rîgoureyx , qui ne lui laiffe rien pafTer ; c'eft un juge
& un cenfeur exacl: Se rigoureux , qui condamne in-
ceffammenc ce qui lui paroît à elle-même très -peu
condamnable : mais après la mort & défappropria-
tion , ce n'eft plus la même chofe ; Tame fe trouve
dans une paix infiniment profonde. Je ne doute pas ,
que fi elle faifoit de nouvelles fautes , il ne les lui
reprochât
XLVIII. Propriété. 2 j: 2%^
Le P. Nicolas deJésus-Maria
rapporte
23. Rusbroche y parlant des Illumines: Quelques-
uns de cette clafic ufcnt d'un grand choix ^
& choififfcnt beaucoup de chofes ; & de plus
prient & défirent que Dieu leur octroie plufieurs
rares & fingulieres faveurs : c'eft pourquoi fou-
vent ils font trompés i Dieu le permettant ainfi ;
fi bien que par l'entremife du Diable ils obtien-
nent ce qu'ils défirent , ce que néanmoins ils attri-
buent à leur faintcté , s'eftimant entièrement di-
gnes de tout: ce qui n'eft point merveille, vu
qu'ils font malades defuperbe, & ne font point
touches ni illumines divinement. Ils s'arrêtent
donc & fe repofent en eux-mêmes ^al, & font
entièrement enclins, fuivantleur défir& appétit,
à chercher & prendre la faveur & Je goût inté-
rieur &L les commodités fpirituelles de la nature :
ce qu'on peut nommer a bon droit luxure fpiri-
tuelle ; parce que c'eft une inclination déréglée
de l'amour naturel , qui eft toujours réfléchi fur
foi-même , & qui recherche & défire fa commo-
dité en toutes chofes. Ils font toujours malades
reprochât ; maïs comme ces fautes font légères , Il les
confume en un moment au feu de fon amour.
(a) Ceux-là font bien éloignés de marcher par le
rentier de la foî & du renoncement , qui fe cherchen;
en tout. Il faudroit mettre en parallèle ces différentes
voies , pour voir combien les Ecrits que Dieu m'a fait
faire, font oppofés à ces Illuminés , qui fe cherchent
en tout , fe rcfléchiflant fans cefTe fur foi , n'aiment
qu'eux-mêmes, & n'aiment point Dieu,
Tome IL Jujlif.
2.26 Justification.'
de l'orgueil fpirituel , & adonnés à leur propre
volonté : d'où vient qu'ils font par fois tellement
portés d'affection, de défir & d'appétit aux cho-
fcs qu'ils fouhaitent 5 & s'efforcent tellement à leg
obtenir de Dieu par importunité , qu'ils font or-
dinairement trompes, & quelques-uns même,
faifîs du malin efprit. Sans doute, tant qu'il y a de
cette pâte , ils mènent tous une vie contraire à la
charité, & à cette introverfion amoureufe , où
Ion s'offre tout entier , avec tout ce que Von
peut faire & avoir, à l'honneur & à l'amour de
Dieu. (De f ornement dâs noces fpirltuelles. Livr, 2.
Ch. 77.) EdaircijJ, des Phraf. Myji. de J. de la Croix
P. L C/z. 8. §. ?.
24. Don Barthelcmi des Martyrs C parlant des hom--
mes parfaits) : Leur (a) intention & leur mé-
moire rie fe porte qu'à Dieu,- ils font toujours
occupés en lui intérieurement, ils font tellement
attachés à Dieu , que voyant ils font comme
aveueles , écoutant ils demeurent comme des
fourds , parlant ils font comme des muets : ce^
gens mènent en terre une vie célefte & Ange-
jique, & peuvent être appelles à bon droit An-
ges en terre. ^
Donc foldat de Jéfus-Chrift, fî vous voulez
srriver à ce port , tâchez de toutes vos forces
d^obferver les chofes fuivantes. * Ne poffédez
aucune chofe avec engagement de cœur ; ne vous
attachez de volonté à aucune créature ; ne défîrez
point humainement l'amitié & la familiarité d'au-
cun homme, quelque fainteté qu'il ait : car non
(a) La différence des uns & des autres [à favoir des
faux Illuminés & des vrais parfaits] ell: bien exprimée :
& Ton peut voir la vérité de la voie intérieure par Top-
pofition des deux manières d'agir.
"^ Renoncement, n. 6,
XLVIII. Propriété. 1^-26. 227
feulement les chofcs mauwiifcs, mais encore Ic^
bonnes , nuiront à cette lageile, Il elles font ai-
mées ou recherchées dcfordonnémeiit; d'autant
c|u'une lame d'or poféç devant nos yeux , n'em-
pcche pas moins la vue qu'une lame de 1er.
Chafïez Tamour propre ik le déracinez de toutes
vos forces; ik quittant la propre volonté, don-
nez-vous totalement a Dieu, & vous plongez ou
transformez parfaitement en lui. Ne dites ja-
mais , foit de bouche , foit de cœur , ayant égard
à vous-même & à votre propre commodité ; je
veux cela; je ne le \'eux pas : je choilis cela; je
Je rebute : & pour lors ne cherchez jamais rien ;
mais vous dénuant de toute forte de propriété,
dépouillez-vous vous-même , & mourez telle-
ment à vous & à toutes Its chofes du monde ^
de même que fî vous ne deviez jamais vivre ,
ou fi vous étiez entièrement mort en tout : cher-
chez l'honneur de Dieu , & faites votre poffible»
pour que fa volonté s'accomplifTe en toutes cho-
fes. {Abrcgé Spirituel Part, z, Ck. lO.) Là-même, P. IL
Ch. I. §. j.
2f . Taulere, Il n'eft pas permis à celui qui aime
véritablement , de chercher pour foi , ou pour
Tamour de foi , du plaifir & de la délectation en
cette douceur fpirituelle intérieure, encore que
cela femble licite aux ferviteurs de Jéfus-Chrife
imparfaits & commenqans, mais nullement aux
parfaits. (Sermon du 15. Dim. après la S. Trinité.)
Là-même. Ch. y, §. 2.
z6. —. Il y en a que les exercices extérieurs
délectent merveilleufement , qui s'y adonnent
avec une grande allégreffc , & y prennent tant de
plaifir & de gloire , qu'ils font pour cela beau-
coup moins agréables à Dieu^ & cette délecta>
tion pourroit bien être telle , qu'ils feroieut du
P 2
228 Justification.'
tout défcigréables à Dieu , & qu'il en détourne-^
roit fa vue & fon cœur, lorfqu'ils s^y cherche,
roient plutôt eux-mêmes que non pas Dieu. — .
C'eft ce qui nous fait connoître, qu'il fiiut bru-
1er par le feu d'amour , & facrifier derechef à
Dieu tout le plaifir que Ton peut avoir dans les
actes & dans l'exercice des vertus. (^Sermon i.
pour la fête de S, Matthieu, ) Là-mcmc,
27 Cet amour nuifible recherche toujours^
quelque chofe du (îen , & pour cette caufe , il fe
trouve aux Sermons, & reçoit le très-faint Sacre-
ment 3 afin de recevoir quelque chofe du (îen.
Qid a des oreilles pour entendre , quil entende, ( &/-
mon du 16. Dim, après la S. Trinité.) Là-même,
28- Rojtgnolius, Le plaifir qui provient de là
douceur de Tefprit , par laquelle nous avons cou-
tume de nous plaire beaucoup en nous-mêmes ,
nourrit plus Tamour de nous-mêmes , que les
alléchemens des chofes mondaines. {De laperfccî.
de la dijciplinc Chrct. Livr. 6. Ch. 6^) Là-même. Cli. 10.
S. 2.
29. Albert le Grand. Ces fantômes ou images,
quoiqu'ils ne paroiffent pas être des péchés,
même des plus légers, & femblent comme tout
exempts de coulpe, Ci eft-ce que ce font de grands
cmpêchemens de ce faint exercice & de cette
œuvre ; & partant quoiqu'ils ayent femblé utiles
& néceflaires, foit grands, foit petits, ils doi-
vent être auffitôt rejettes comme nuifibles & per-
nicieux. (De l'attachement à Dieu. Chap. 4. j Et
encore : Il faut que ton efprit foit épuré de tous
fantômes& enveloppes & obfcurciffemens , com-^
me un Ange lié à un corps. (Chap. 8.) Là-même.
Ch. 20.
30. S, Bonaventure , ( expliquant ces pœoks du
XLVIll. Propriété. 26 j j. ilj
Cnnf. S' V, '}. J'ai hxn^ mci pieds ^ comment les fali^
rai-h? Comment dt-cc que je les gâterai dere-
chef des ombres & des images des cnofes tempo-
relles, vu qu'aulli les opérations intellectuelles,
& les images dans Texercice intellectuel » font
réputées & tenues pour des taches & des pierres
d'achoppcnicnt. (^Opufc. l. des fcpt Chemins de /V-
ternité, ) fAi-mane, '
3ï. L\4bbc Gilbert. Hélas, comment cft-cc
que ce mauvais jour éclaire autour de moi! com-
ment eft-cc qu'il a ravi à foi mon affection ? Tout
ce qui peut troubler ou fouiller Tefprit vient fon-
dre de tous côtés & fe jetter dans ma penfée \ car
encore que Tefprit le repouffe par un propos fé-
vere , il eft néanmoins fali parle feul attouche-
ment de cespenfées, qui rafl'aillent avec fureur
&impétuofité; elles ne fontpointimputées à pé-
ché en venant fondre avec violence y néanmoins
elles font tort à la netteté tant défirée. ÇSerm, i.
fur lé Cant. ) Là-même.
Le P. Jaq^ues de Jésus.
J2. Tache , ou propriété , fignifie toute chofe
imparfaite & fenfible, qui a befoin de purifica-
tion , à caufe qu'elle diftrait la volonté de la coii-
verfation fpirituelle avec Dieu , encore que cela
arrive dans les premiers mouvemens, & fans li-
berté. Notes fur J, de la Croix. Difc, i. Phrafe l.
S. François de Sales.
35. Les chofes humides & liquides reçoivent
aifément les figures & limites qu'on leur veut
donner, d'autant qu'elles n'ont nulle C^) fermeté
{a) Le vrai caradere de la propriété eft , d'être f\xé
en foi-méme : pour détruire cette fixation , il faut que
rame perde toutes formes & figures propres , toute
propre confiftance, parla purification la plus forte.
r :^
ri^o Justification.
ni folidité ^ quiles arrête ou borne en e]Ies-mêmei>.
Mettez (a) de la liqueur dans un vaifTeau , &
vous verrez qu^elle demeurera bornée dans les
limites du vaiffeau ; lequel s'il eftrond ou quarré,
la liqueur fera de même, n'ayant aucune limite
ni figure, finon celle du vaifTeau qui la contient.
L'ame n'en eft pas de même par nature : car
elle a fes figures & fes bornes propres; elle a fa
figure par fes habitudes & inclinations , & fes bor-
nes par fa propre volonté : & quand elle eft ar-
rêtée (b) à fes inclinations & volontés propres ,
nous difons qu'elle eft dure, c'eft-à-dire , opi-
niâtre 3 obftinée. Je vous ôterai , dit Dieu (c) ,
votre cœur de pierre , c'eft-à-dire , je vous ôterai
votre obftination. Pour faire id) changer défigu-
re au bois , au fer , au caillou , il faut la coignée ,
le marteau, le feu. On appelle cœur de bois, de
fer, ou de pierre, celui qui ne reçoit pas aifé-
ment les impreffions divines , mais demeure en
fa propre volonté parmi les inclinations qui
accompagnent notre nature dépravée: au con-
traire un cœur doux , maniable ou traitable ,
eft appelle un cœur fondu & liquéfié. De L'Amour
de Dieu, Livr. 6. Ch. 12.
Le Fr. Jean de S. Samson.
54. Q^u'ils prennent bien garde (e) de ne fe
rendre propriétaires d'aucun exercice d'efprit ,
lorfque Dieu les tire ailleurs : & quoiqu'ils doi-
vent grandement chérir la folitude , ils fe doivent
bien gurder de s'en rendre propriétaires. EJprit
de Carmel. Ch, lO.
(à) Admirable comparaifon de Tenticrc défapproprîa-
tîon. {b) Vraie propriété, (c) Ezech. ii. v. 19,
(d) Manière de purifier la propriété,
(e) Il parle aux commencans.
XLVIII. Propriété, jj^jè. 2 ; i
jf, L'anic att:uliér à fcs j)roprcs cxcrcic:cs»
n^cft pas ciicoïc (lirpofce pour palier cntierciricnt
m Dieu; d'autant cju'cllc ne IV (]inlte pas aflcz ,
pour Je fuivrc purement. & nucinent , la où il la
veut tirer en cfprit. Ce n'eft pas une cliofe de
petite importance de xaquer à Dieu en efprit : il
le faut faire à bon cfcicnt , fans relâche & fans
réfervc. Car la créature doit pafTer d'elle-même
en Dieu y & celle qui a un dcfir infini (Je Dieu , ne
feroit pas rafTafiée , lî elle n'étoit pleine de lui.
Partant elle fe doit vider entièrement d'elle-
même ici bas, ce qui eft une chofe merveillcufe.
Ouand cela eft, alors la terre eft efprit, même
dans un corps humain , qui participe a fes quali-
tés fpirituelles. Mais peut-être n'eft-il pas nécef-
faire de nous perdre fi profondement &: fi loin de
nous , puifque nous fommes autant éloignés de
cet excellent état , que nous fommes gifans fub-
tilement en nous-mêmes. Là-même. Cli. 12.
56. Depuis que la nature eft une fois fpiritua-
lifée , elle eft très-fine à fe rechercher. Elle ne
réfléchit que fur foi & fur fon propre bien dans
les dons de Dieu , & fe recherche en Dieu même.
Elle eft extrêmem.ent encline à fa propre excel-
lence ; & plus fa connoiiTance efc grande &
noble, plus aulFi elle la rapporte à foi-même ,
fpécialcment fi ce qu'elle connoit eft digne d'être
aimé , comme font les dons de Dieu , lefquels elle
n'aime qu'à caufe du goût , & de la faveur qu'elle
y trouve , & non en Dieu qui eft infiniment autre
que fes dons. Or ce qui rend ceci plus étrange ,
c'eft que plus Tavancement eft grand , plus ce
défordre & ce malheur eft à craindre i d autant
que la nature étant éprife de fon propre amour,
& engluée d'elle-même dans les dons de Dieu,
les ordonne & \ts détermine pour foi d'une ma-
P4
aJ2 JUSTIFICATIOH.
niere qui lui eft inconnue : ce qui peut être fi
fubtil , qu'à peine aucun s'en peut-il appercevoir.
Là-même, Ch, «9.
97. Il y a autant de degrés de propre vie dans
les hommes , qu'ils craignent en diverfes maniè-
res de fe perdre , les uns félon refprit & félon la
voie d'amour nud y les autres félon la raifon j les
autres félon le fens; les autres félon le moral.
C'eft pourquoi Tctendue de tout ceci & tous fes
mauvais effets , leur doivent être expliqués le
plus largement qu'il eft poflîble , comme 1 ontfait
plufieursMyftiques, & moi auffi autant que j ai
pu , tant pour moi que pour les autres. —
Quiconque ne fait pas par expérience les voies
de la nature , foit qu'elles lui foyent agréables ou
défagréables , ne fait ce que nous difons ; il ne
fait rien en matière de difcrétion des efprits, &
il n'eft pas perdu dans la région des vrais efprits ,
qui font morts à tous fentimens. Je ne veux pas
dire qu'ils n'ayent plus de fentimens ; mais c'eft
qu'ils les renvoyent incontinent à leur fource ,
qui eft Dieu , fans en faire autre eftime pour eux-
mêmes. Aucun ne doit être dit vraiementMyfti-
que, qui ne foit très-bien expérimenté en cette
fcience des voies de la nature, tant en foi qu'en
autrui. Mais il femble que plus on recherche
cette fcience , plus on s'en éloigne ^ d'autant
qu'on n'expérimente point au-dedans ce que Dieu
a accoutumé de départir aux bonnes âmes, foit
peu-à-peu , foit quelquefois à l'extraordinaire &
tout d'un coup , qui font les habitudes infufes ,
dont les actes font intérieurs. ^
Ceux qui demeurent au-dehors , S: qui néan-
moins vaquent à l'oraifon , font lents , pefants &
démefurément longs en leurs procédures, d'au-
tant qu'ils s'y repofent directement ou indirecte-
XLVIIT. Propriété. ?7-40. ^3^
mrnt. Lc5 vrais fpiritucis ne s^affccîient de rien
que (le Dieu ffui , cv n'ont rien de propre , ni dans
les chofes fenfiMes ni en eux-mêmes. Ils demeu-
rent tranquilles & ordonnes en Dieu, & le j)of-
rédent par deirus tous fes dons d une manière
incU'able , faifant tout Tcxtérieur puremcr.t , fain-
tement , vîtement & fans affection feniible. Là-
même.
j8- Dieu convie l'ame tant qu'il peut à fe per-
dre à elle-même & à toutes les créatures, & de
vivre ainli perdue en lui , principalement au tems
de fon plus grand délaifTement intérieur, & de
celui qui eft extérieur de la part des créatures. En
cette pratique & fidélité confifte la fainteté de la
iîdelle Epoufe. ^
Il eft vrai que cette forte d'aigles font très-ra-
res , attendu qu'aujourd'hui les hommes ne cher-
chent Dieu que pour eux-mêmes , & nullement
pour lui. Ils ne font amis de fa Majefté qu'à la
table & aux noces. Par tout ailleurs , ils font ido-
lâtres d'eux-mêmes dans la joui{rance(a) des ex-
cellcns dons de Dieu. Ejp, du CarmcL Chap. if.
39. Voyez Abandon, n. }I, *
40. Il eft à craindre que vous ne mettiez un
grand fondement de fainteté en tous vos exerci-
ces ; c'eft pourquoi je dis , que s'ils ne font in*
ceflTamment accompagnés d'un amour très-pur,
très-humble , très-nud & éternellement mourant,
(a) J'ajoute îcî , que comme une perfonne feroit
propriétaire de fon argent , qui Je conferveroic & n'en
feroit aucune part à fon prochain dans fa nécefficé ;
une perfonne éclairée fe croiroit propriétaire des dons
de Dieu , fi elle nçn faifoit pas part aux autres dans
le befûin ; & la même libéralité qu'elle a eue pour fes
biens temporeis , lui eft donnée pour fes biens fpiri-
tuels.
-34 Justification.
fans aucun relâche , & fans la moindre détention
de vous-même , vous n'êtes pas véritablement
comme il faut. Lettre 63.
XL IX. Pur amour.
MOYEN COURT.
iJOYEz content de tout ce que Dieu vous
fera foufFrir. Si vous l'aimez purement ,
vous ne le chercherez pas moins en cette
vie fur le Calvaire que fur le Tabor.
Il faut Taimer autant fur le Calvaire que
fur le Tabor , puifque c'eft le lieu où il
fait paroi tre le plus d'amour.
Il eft impoflible d'aimer Dieu fans aimer
la croix ; & un cœur qui a le goût de la
croix , trouve douces , pîaifantes & agréa-
bles les chofes mêmes les plus ameres : {a)
une ame affamée trouve douces les chofes
qui font ameres ; parce qu'elle fe trouve
autant affamée de fon Dieu , qu'elle fe trouve
affamée de la croix. La Croix donne Dieu ,
& Dieu donne la croix. Ch. 7. n. i , a.
L'intérieur n'eft pas une place forte qui
fe prenne par le canon & par la "violence :
c'eft un royaume de paix qui fe poiféde par
Tamour. Clu ix. n. 5.
i. («) Prov. 27. V. 7,
XLIX. Pur Amour. 235
La pricrc n'cfl autre chofc cjiuine cha-
leur d'amour , qui fond & dilfout Tamc , la
fubrilifc & la fait monter jufqu'c^ Dieu. A
mef'ure qu'elle fe fond , elle rend Ton odeur;
& cette odeur vient de la charité , qui la
brûle. Ch. 20. //. 2.
Uame étant toute tournée de la forte ,
efl dans la charité , & elle y demeure : &
(r?) qui demeure dans la charité ^ demeure
en Dieu. L'ame fuivant Fattrait de Dieu ,
& demeurant dans fon amour & dans fa
charité , s'enfonce toujours plus dans ce
même amour. Ou 2X. //. 5.
Un père aime mieux un difcours que
l'amour & le refpeél met en défordre ,
parce qu^il voit que cela part du cœur ,
qu'une harangue féche , vaine & flériîe ,
quoique bien étudiée. O que de certai-
nes œillades d'amour le charment & le
raviffent ! Elles expriment infiniment
plus que tout langage & tout raifonne-
ment.
Pour avoir voulu apprendre à aimer avec
méthode l'Amour même , on a beaucoup
perdu de ce même amour. O qu'il n'eft
pas nécelTaire d'apprendre un art d'aimer !
Le langage d'amour eft barbare à celui qui
n'aime pas ; mais il efl très-naturel à celui
qui aime ; & on n'apprend jamais mieux à
{d) I Jean 4. f, 16.
236 Justification.
aimer Dieu qu'en raimant. En ce métier
fouvent les plus greffiers deviennent les
plus habiles ; parce qu'ils y vont plus fim-
plement & plus cordialement. Ch. 23. n.
7,8.
CANTIQUE.
I
L faut que la créature qui afpire à Tunion
divine , étant bien perfuadée du Tout de
Dieu & de fon néant , forte d'elle-même ,
n'ayant que du mépris & de la haine pour
foi , afin de garder toute fon eftime & fon
amour pour fon Dieu. Ch. i. v. 7.
Son cou repréfente fa charité pure , qui
eft le plus grand foutien qui lui refte. v. 5.
Quoique vous foiez déjà très-belle dans
votre dénuement , qui marque un cœur pur
& une charité non feinte ; nous vous don-
nerons encore de quoi réhaufTer l'éclat de
votre beauté , en y ajoutant de précieux
ornemens. Ces ornemens feront des chai--
nés , en figne de votre parfaite foumiffion à
toutes les volontés du Roi de gloire. Mais
elles feront d^or , pour repréfenter , que
n'agiflant que par un amour très -épuré ,
vous n'avez que la (impie & pure vue du
bon-plaifir & de la gloire de Dieu dans
tout ce que vous faites ou fouffrez pour lui.
X L I X. Pur Amour. 23?
Mon yvrcffc m'cft tout- à -fait pardon-
nable ; puifquc mon Roi m'a fait entrer
dans fes divins celliers. C'eil là qu'il a ré-
glé dans moi la Charité. *—
Quel ed cet ordre ( ce règlement ) que
Dieu met dans la charité. O amour ,
Dieu -charité ! Vous feul le pouvez révé-
ler. C'efl qu'il fait que cette ame , la-
quelle par un mouvement de charité , fe
vouloit tout le bien polTible par rapport
à Dieu , s'oublie entièrement de toute elle-
même , pour ne plus penfer qu'à fon Bien-
aimé. Elle s'oublie de tout intérêt de fa-
lut , de perfeélion , de joie , de confola-
tion , pour ne penfer qu'à l'intérêt de fon
Dieu. Elle ne penfe plus à jouir de fes em-
braffemens , mais à fouffrir pour lui. Elle
ne demanda plus rien pour elle ; mais feu-
lement que Dieu foit glorifié. Elle entre
dans les intérêts de la divine Juftice , con-
fentant de tout fon cœur à tout ce qu'elle
fera d'elle & en elle , foit pour le tems , ou
pour l'éternité. Elle ne peut aimer ni en
foi 5 ni en aucune créature , que ce qui cft
à Dieu & pour Dieu ; & non ce qui eft en
elle & pour elle , quelque grand & nécef-
faire qu'il paroiffe.
Voilà l'ordre & le règlement de la cha-
rité que Dieu met en cette ame ; fon amour
eft devenu parfaitement chafte. Toutes les
créatures ne lui font rien : elle les veut tou-
i;S Justification.
tes pour fon Dieu , & n'en veut aucune
pour foi. O que cet ordre de la charité
donne de force pour les états terribles ,
qu'il faudra palTer dans la fuite ! mais il ne
peut être connu ni goûté de ceux qui n'y
îbnt pas 3 pour n'avoir pas encore bu de ce
vin de l'Epoux. Ch. z. v. 4-
Le milieu & tout le dedans de ce lieu
de triomphe , eft garni d'ornemens de
très -grand prix , qui font bien compris
fotis le nom de charité , comme étant ce
qu'il y a de plus grand & de plus pré-
cieux. Et n'eft-ce pas en Jéfus-Chrift
que (^) font tous \^s tréfors & la plé-
nitude de la Divinité ? Ceft à lui {Jb) que
le S. Efprit a été donné au-delà de toute
mefure. Le S. Efprit donc remplit le milieu
& tout le dedans de ce trône majeftueux ;
puifqu^il eft l'amour du Per^ & du Fils ;
& aufîi l'amour par lequel Dieu aime les
hommes : & que comme il eft Tunioa
des Perfonnes Divines , il eft aufli le
ticeud qui lie les âmes pures avec Jéfus-
Chrift. -
Il eft incroyable combien il faut que ces
âmes chcifies dévorent de croix , d'oppro-
bres & de renverfemens.
Enfin tout le dedans eft rempli de cha-
rité ^ puifque ces trônes vivans du Très-
(/l) Coloff. 2, V, j,9. (A) Jean \. v. J4-
X I. T X. Pur Amour. fi^^^c^
liant {a) crant pleins d'amour , ils font aiidi
parés de tous les fruits & orncmcns de l'a-
mour, qui font les bonnes œuvres, les mé-
rites , les fruits du S. Efprit , & la pratique
des plus pures & des plus folides vertus.
Ch. 3. V. 10.
L'Epoux compare la volonté de cette
Amante à un ruban teint en écarlate , qui
lignifie les afFedions réunies en une feule
volonté , laquelle elt toute charité & tout
amour : toutes les forces de cette volonté
étant réunies dans leur divin Objet. —
La grenade a plufieurs grains qui font
tous renfermés dans une écorce : de mê-
me vos penfées font comme réunies en
moi l^ul par votre amour pur & parfait.
Ch. 4. V. j.
J'ai bu mon vin & mon lait. Quel eft ce
vin que vous avez bu , ô divin Sauveur , &
dont vous fûtes fi fort enyvré ^ que vous
vous oubliâtes vous-même ? Ce vin fut l'a-
mour exceflif qu'il portoit aux hommes ^
qui lui fit oublier qu'il étoit Dieu , pour
penfcr feulement à leur falut. 11 en fut fi
enyvré , qu'il eft dit de lui par un Prophète
(b) qu'il fera rafiafié d'opprobres ; tant fa
charité étoit forte. Ch. 5. v. i.
Le véritable amour n'a point d'yeux pour
M C'eft le fcntiraent du B. Jean de la Croix. [ en
Jon Énigme» ]
Ibl Lament. 3. v. 30.
240 Justification.
fc regarder foi-même. Cette Amante afflU
gée oublie fcs bleflures , quoiqu'elles fai-
gnent encore : elle ne fe fouvient plus de
fa perte : elle n'en parle pas même : elle
penfe feulement à celui qu'elle aime , &
elle le cherche avec d'autant plus de for-
ce ^ qu'elle trouve plus d'obftacles à fa
poiTeffion. Elle s'adrefTe aux âmes inté-
rieures y & leur dit : O vous , à qui mon
Bien -aimé fe découvrira fans doute , je
vous conjure par lui-même de lui dire que
je languis d^amour pour lui. Quoi , ô la
plus belle des femmes , ne voulez -vous
pas qu'on lui parle plutôt de vos blefTu-
res , & qu'on lui raconte ce que vous avez
fouflfert en le cherchant ? Non ^ non ^ ré-
pond cette ame généreufe , je fuis trop
récompenfée de mes maux , puifque je les
ai fouftert pour lui ; & je les préfère aux
plus grands biens. Ne dites qu'une chofe à
mon Bien - aimé , c'eft que je languis d'a-
mour pour lui. La plaie que fon amour a
faite dans le fond de mon cœur eft fi vive ,
que je fuis infenfible à toutes les douleurs
extérieures ; j'ofe dire même , qu'au prix
de celle-là , elles me font des rafraichifTe-
mens. Là-même. v. 8.
Si les plus grandes eaux des afflictions ,
des contradiélions , des miféres , pauvretés
& traverfes n'ont pu éteindre la charité
dans
XL IX. Pur Amour. 241
dans une telle ame ; il ne faut pas croire
que Icsjleuvcs de Tabandon à la providence
le puilFent faire ; puifqiie ce font eux qui la
confervent. Si Thomme a eu affez de cou-
rage pour abandonner tout ce qu'il poffé-
doit , & tout fon foi-mème , afin d'avoir
cette pure charité , qui ne s'acquiert que
par la perte de tout le refte ; il ne faut pas
croire , qu'après un effort (î généreux pour
acquérir un bien qu'il eftime plus que tou-
tes chofes , & qui effeftivement vaut mieux
que tout rUnivers , il vienne enfuite à le
niéprifer , jufqu^à reprendre ce qu'il avoit
quitté. CA. 8. V. 7.
La parfaite charité ne fait ce que c'efl:
que de penfer à fes intérêts. Là- même.
V. I^.
L'ame qui eft arrivée à ce degré , entre
dans les intérêts de la divine Juflice , & à
fon égard ^ & à celui des autres , d'une tel-
le forte j qu'elle ne pourroit vouloir autre
fort pour elle , ni pour autre quelconque ,
que celui que cette divine Jultice lui vou-
droit donner pour le tems & pour l'éter-
nité. L'Epoufe a aufîi la charité la plus fin-
cerç qui fût jamais envers le prochain , ne
le fervant plus que pour Dieu , & dans la
volonté de Dieu. Mais quoiqu'elle fût tou-
te prête d'être anatême pour fes frères ,
comme S. Paul {a) , & qu'elle ne travaille à
La] Rom. 9. V. j.
Tome IL Jujiif, Q,
242 JUSTIFI CATlOi^,
autre chofe qu'à leur falut , elle eft néan-
inoins indifférente pour le fuccès ; & elle
ne pourroit être affligée ni de fa propre
perte , ni de celle d'aucune créature , regar-
dée du côté de la Juftice de Dieu. Ce qu'elle
ne peut fouffrir , c'eft que Dieu foit déf-
honoré ; parce que Dieu a ordonné en
elle la charité : depuis ce tems elle eft en-
trée dans les plus pures difpofitions de la
charité parfaite. Là^même. v. 1 4.
AUTORITÉS.
S. Denis.
1. Voyez Conjïflance. n. i,
2. Voyez Motion divine, n. t.
L'Imitation de Jésus-Christ.
3. Voyez Propriété, n. 2.
4. Certes , Tamour eft une grande chofe ; Ta-
xnour eft un admirable bien , puifque lui feul rend
léger ce qui eft pefant, & qu'il fouffre avec égale
tranquillité les divers accidens de la vie. II porte
fans peine ce qui eft pénible , & rend doux &
agréable ce qui eft amer. L'amour de Jéfus eft
généreux , il pouffe les âmes à de grandes ac-
tions, & les excite à défirer toujours ce qui eft
de plus parfait. L'amour tend toujours en haut,
& i] ne fouffre point d'être retenu par les chofes
baffes. L'amour veut être libre & dégagé de tou-
tes les àffedions de la terre , de peur que fa lu-
mière intérieure ne foit offufquée, & qu'il ne fe
trouve embarraffé dans les biens, ou abattu parles
XLIX. Pur Amour. i^fJ 243
maux du monde. Il n'y u licn dans le ciel ni
dans la terre, qui foit ou plus doux, ou plus
fort, ou plus élevé, ou plus étendu, ou plus
aj^réable , ou plus plein , ou rncillciir cjuc la-
mour : parce que 1 amour eft né de Dieu , ((/) &
que s'élevant au-dcHus de toutes les créatures,
il ne peut fe repofer qu'en Dieu. Liur. j. Cliap.
Ç. §. 3- . .
5". Celui qui aime eft toujours dans la joie ; il
court , il vole , il eft libre &l rien ne le retient. Il
donne tout pour le tout, & polFcde tout en tout;
parce qu il fc repofe dans ce Bien unique & fou-
verain , qui eft au-de{Tus de tout, <& d ou décou-
lent & procèdent tous les biens. Il ne s'arrête
jamais aux dons qu'on lui fait, mais il s'élevc de
tout fou cœur vers celui qui les lui donne. L'a-
mour fouvent ne fe peut borner , fon ardeur
l'emporte au-delà de toutes bornes. L'amour ne
fent point la peine, ni n eftime le travail \ il en-
treprend au-delà de fes forces : il ne s'excufe ja-
mais fur TimpolFibilité i parce qu'il croit que rien
ne lui eft impofTible , & que tout lui eft permis*
L'amour trouve des forces pour venir à bout de
toutes chofes. —
L'amour eft vigilant; il ne dort pas dans le
fommeil même. Il ne fe refTerre pas dans Tafflic-
tion , il ne fc lafTe point dans les grands travaux ,
il ne fe trouble point dans les frayeurs qu'on lui
donne , il s'élève toujours en haut comme une
flamme vive & ardente , & redouble fa vigueur
par tout ce qu on lui oppofe pour l'arrêter. Iln'y
a que celui qui aime (b) qui puiffe comprendre
les cris de l'amour, & les paroles de feu d'une
ame vivement touchée , lorfqu elle lui dit : vous
ià) I Jean 4.. v. 7. 16,
(b) Admirable.
Q,*
244 Justification.
êtes mon Dieu , vous êtes mon amour ; vou^
êtes tout à moi , & je fuis tout à vous
Que votre amour me poflfcde tout , & qu'étant
tout brûlant & comme ravi hors de moi , je m'é-
levé au-deffus de moi. Llvr, 3. C/z. 5. §.4, 5,6.
6. Celui qui aime fagement , ne confidere pas
tant le don de celui qu'il aime , que l'amour de
celui qui le lui donne. Cet amour lui eft beau*
coup plus précieux que tous les avantages qu'il
en reqoit; il met fon Bien-aiméfans comparaifon
au-deflus de tous fes dons. Celui qui m'aime
généreufement , m'aime plus que tout ce que
je lui donne , & c'eft en moi qu'il met fa joie ,
& non dans mes dons. C/z. 6. §. 4.
7. Quand ma grâce entre une fois dans un
cœur & rétablit dans une vraie charité , les im-
preffions de l'envie ne le touchent plus, il ne fe
trouve plus dans le ferrement, il n'eft plus pof-
fédé de fon amour propre. La charité fe rend
victorieufe de tout, elle aggrandit l'amc & redou^
ble fes forces. Livr, 5. Chap.^. §. j,
Ste. Catherine de Gènes.
g. Elle difoitàfon Amour: Eft-il poffible , ô
doux Amour , que vous ne puilîiez être aimé
fans confolation , & fans efpérance de bien au
Ciel ou en la terre? Il lui fut répondu, qu'une
telle union ne pouvoit être fans une grande paix ,
& fans un extrême contentement d'efprit & de
corps. Enfin elle difoit: ô Amour, je ne puis
comprendre que l'on doive aimer autre chofe
<|ue vous , & fi je le comprenois , j'en aurois une
grande peine. ^
Elle difoit que l'amour divin eft proprement
& vraiment notre propre amour , parce que nous
avons été créés pour cet amour : mais l'amour de
toute autre chofe fe devroit appeller haine 5 parce
XLIX. Pttr Amour, fii. 14?
qu'il nous [)rive de notre vrai & propre «imonr ,
ijui cft Dieu. Aime donc celui qui t'aime, à fa-
voir Dieu i & laide celui cpii ne t'aime pas , à fa-
Vt)ir Taniour de toutes les autres cJiofes qui font
au-dellous de Dieu; parce ([u'il cfteiuiemide ce
\^rai amour, en cecju'illui donne empêchement.
O (î je pouvois faire voir, toucher & fentir par
queh.jue goût cette vérité , comme je la fens , je
fuis aflurce qu'il ny auroit aucune créature en
terre qui n'aimât ce pur amour: de forte que fi
la mer étoit Tabime de Tamour divin, il n'y au-
roit homme ni femme qui ne s'y nojàt j & qui
feroit éloigné de la mer, ne feroit autre chofe
que marcher pour aller fe jetter dedans, parce
que cet amour eft fi doux & fi agréable , que tout
autre en comparaifon n'eft que trifteUe & afflic-
tion. Il fait riiomme fi riche , que toute autre
chofe hors de lui feul, lui femble une pure mi-
fere. Il le fait fi léger , qu'il ne lui femble pas
qu'il fente la terre fous fes pieds-, & parce qu'il
a toute fon affection en haut, il ne peut fentir
aucune peine en la terre : & il eft ^i libre , que fans
aucun empêchement il demeure toujours avec
Dieu. Si on me demandoit, que fens-tu? Je ré-
pondrois : ce que l'œil ne peut voir, ni l'oreille
entendre, & je rends ce témoignage à la vérité,
par le fentiment que j'en ai félon ma capacité ,
feins me tromper : mais de ce que je fens , il me
femble que c'eft une honte d'en dire des paroles
fi.défectueufes ; étant affurée, que tout ce qui fc
peut dire de Dieu , n'eft pas Dieu , ni égal à Dieu ;
mais ce font feulement de certains petits mor-
ceaux qui tombent de fa table. En fa vie. Ch. 29.
9. Voyez Propriété, n. I2.
10. Voyez Communications. §. IL n. J.
11. Voyez Non-defir. n. le,
O 3
z^6 Justification.
12. Ce vrai amour dont tu cherches la con-
noiiTance, n'eft pas encore celui-ci: mais quand
j'ai confumé hs imperfections de l'homme , &
en Text rieur & en 1 intérieur, je defcens avec
un fil d'or très-fubtiî, qui eft mon amour oc-
culte <^ fccret, & ^ ce fil eft lié un hameçon qui
prend le cojur de Fhomme, & ce cœur en de-
meure blefTe & lié , enforte qu'il ne peut fe mou*
voir 5 ni vouloir fe mouvoir y parce que je tire
ce cœur, moi qui fuis fon objet & fa fin ; & il
ne le comprend pas. Mais moi qui fuis celui
qui tiens le fil en main , je le tire toujours à moi
avec un iî fubtil & fi pénétrant amour , que
l'homme demeure furmonté, vaincu & du tout
hors dé foi : & comme un pendu ne touche point
la terre de fes pieds , & demeure en l'air attaché
à la corde qui lui (a) caufe la mort; ainfi cet ef-
prit demeure attaché au fil de ce fubtil amour , le-
quel diffîpe toutes les imperfections de l'homme ,
même les plus cachées & les plus fubtiles & incon-
nues ; & tout ce qu'il aime après cela, il Paime
avec ce fil de l'amour dont il a le cœur lié.
Dialog, Livr, J. Ch. I.
13.0 Amour , le cœur qui te goûte a le com-
inencem.ent de la vie éternelle , même dès ce
monde. Mais , ô Seigneur , vous tenez cette opé-
ration fecrette & cachée à fon pofTefTeur , de peur
qu'avec fa propriété il ne mette empêchement à
votre œuvre.
O Amour qui te reffent, ne t'çntend pas ; &
qui te veut entendre ne te peut connoître ! O
Am.our, notre vie , notre béatitude, notre repos !
tu portes avec toi tout bien , & tu éloignes de toi
tout mal. O cœur blelTé du divin amour, tu
Ui) C'efï l'amour qui eft l'auteur (quoique caché) de
la mort de ï\xr<,^.
XLIX. Pur Amour. 12-14. 247
demeures incurable; & étant conduit par cette
douce plaie jufqu'à la mort, tu recommences à
vivre d'une vie c|ui n'a point de Hn. () feu d*a*
mour que fai?;-tu en cet homme ? Tu le puriHes
tout ainfi que le feu purifie Tor : puis tu le con-
duis au Ciel avec toi , pour jouir de la fin (a) poui
laquelle tu las créé.
L'amour eft un feu divin : & tout ainfi que le
feu matériel échauffe toujours, & opère félon fa
nature ; ainfi 1 amour de Dieu par fa nature opère
toujours en Thomme , & monte vers fa fin ,
& de fa part ne cède jamais d'opérer pour le bien
& l'utilité de l'homme , dont il eft toujours amou-
reux ,• & fi quelqu'un n'en fent pas l'opération ,
c'eft par fa propre faute : parce que Dieu ne ceffe
de faire du bien à l'homme tant qu'il eft en cette
vie , & il eft toujours épris de fon amour. Là-
même, Ch, 4.
14. O Amour , je ne me faurois plus taire , &
je ne puis parler comme je voudroisde tes dou-
ces & gracieufes opérations! Ton amour dont
je fuis rempli de toutes parts , me donne un défir
de parler, & je ne le puis. Je m'entretiens moi»
même dans mon cœur : mais quand je veux pro-
noncer la parole , & dire ce que je fens , je
demeure courte, & je me trouve trompée par
cette foible langue. ^
Je défire parler une fois de cet Amour avant
que de fortir de cette vie , & dire comment je le
fens en moi , comment il y opère , & ce qu'il
veut de cet homme dans lequel il fe répand ,
dont il ne laifie aucune partie, qu'il ne remplific
entièrement d'une douceur qui furpaffe toute
[a] 11 y a bien de la différence entre être dans fa fin ,
& jouir de cette même fin : mais Pâme ne jouit parfaite*
ment de cette même fin ^u'en Tautre vie.
9,4
2.48 Justification.
douceur , & d'un contentement qui ne fe peut
exprimer i de forte que 1 homme fe laifferoit brù-
Jer tout \'if par cet Amour; parce que Dieu mêle
à cet amour un certain zèle , qui fait que Thomme
ne fe foucic d'aucune contrariété, quelque grande
qu'elle foit. ^
Cet Amour cft Ci efficace &(îilluminatif , qu'il
tire toutes nos imperfections hors de leurs obf-
eures & fecrettes cavernes , & les met devant nos
yeux , afin que nous y donnions remède, & que
nous les purgions. Cet amour régit & gouverne
notre volonté , afin qu'elle foit forte & conftante
en combattant toutes les tentations. Dial. Livr.
S.Ch. 4.
1^. Dieu remplit l'homme d'amour, il le tire
à foi par amour , il le fait opérer par amour avec
-grande force & vertu contre tout le monde , con-
tre l'Enfer & contre lui-même; & cet amour
ji'eft point connu, de forte qu'on n'en peut par-
ler. Là-même. Ch. IJ.
16. Cet amour ne fe peut aucunement com-
prendre, ni par des fignes extérieurs, ni par tous
les martyres qu'on pourroit endurer pour l'amour
de Dieu : il n'y a que celui qui le fent, qui en
puilTe comprendre quelque chofe. Tout ce qui
fe peut dire de Famour , n'eft rien ; parce que
plus on va en avant, & moins on en fait: mais
Je cœur demeure rempli & content ^ il ne cherche
autre chofe , & ne voudroit trouver autre chofe
que ce 'qu'il fent. Là-mêmt. Chap, 14,
Ste. Thérèse.
17. Je penfeque ceci arrive de la forte, parce
que l'ame éprife fortement de l'amour de Jéfus-
Chrift fon Epoux , a toutes ces carefï'es , toutes
ces défaillances, ces morts, ces afflictions, ces
délices & ces joies avec lui, après qu elle a quitte
XLIX. Pur Amour. 14-20. 249
tons les coiUeiitcmens du monde pour fou
iimour , & cju\*llc s>ft entièrement livrée &
iibandonnce entre fes mains j & ceci non pas:
de paroles comme il arrive à quelques-uns , mais
avec un amour très-véritable & confommé par
œuvres. —
Je vous prie de ne vous point étonner des pa-
roles careflantes & amoureufes entre DieutScTa-
me que vous remarquerez dans la Ste. Ecriture,
L'amour qu'il nous a porté, & qu'il nous porte ,
étant telles que nous fommes, m'étonne davan*
tage. Concept, de l'Am. de Dieu. Ch. r.
I8» Voyç^z Abandon, n. 17.
Le B. Jean de la Croix.
19. Dieu peut bien verfer l'amour & l'aug-
menter, fans communiquer ni augmenter aucune
intelligence diftincte. Cantique entre l'Epoufe ^
t Epoux. Couplet Ig. u. 2,
zo. L'ame, ou pour mieux dire, l'Epoufe a
déjà dit, qu'elle s'étoit entièrement livrée à fou
Epoux fans réferver quoi que ce foit: à prcfent
elle déduit le moyen qu'elle tient à l'accomplir j
fon corps, fon ame, fes puiflTances & toute fou
habileté étant employées , non plus aux chofes
qui la concernent, mais en celles qui font du fer-
vice de fon Epoux ; & dit , que pour ce fujet elle
ne recherche plus fon propre intérêt, ni fes goûts ,
& ne s'occupe plus en autres chofes & communia
rations qui fovent hors de Dieu : & de plus qu'a-
vec le même Uieu elle ne tient plus d'autre ftyle
ni faqon de traiter que l'exercice d'amour, parce
qu'elle a changé toute fa première faqon de pro-
céder en amour. —
Toutes les puifTances & habiletés de mon amc
& de mon corps, qu'auparavant j'employois quel-
que peu en des chofes inutiles , je les ai mifcs ca
2^0 Justification.
exercice d'amour, c'eft-à-dire que toute l'habileté
de mou ame & de mon corps fe meut par amour ,
faifant tout ce que je fais par amour. Or il faut
remarquer ici que quand Famé arrive à cet état >
tout Tekercice de la partie fpirituelle , qui eft
Tame, & celui de la partie fenfîtive, qui eft le
corps, foit à agir , foit à pâtir , de quelque manière
que ce foit , lui caufe toujours un plus grand
amour & délectation en l'Ami ; voire même
l'exercice d'oraifon & de communication avec
Dieu, qui auparavant avoit accoutumé d'être en
d'autres confidérations & moyens, eft maintenant
tout exercice d'amour ; de manière que foit
qu'elle s'occupe au temporel , foit qu'elle s'oc-
cupe au fpirituel & dans la communication avec
Dieu , cette ame peut toujours dire j
Aimer ceji ma vocation ,♦
Je nai plus d! autre pajjîon.
Là-même, Couplet 20.
21. Voyez Per^e. n. 29.
22. Voyez Propriété, n. 19.
2J. Comme Dieu n'aime rien hors de foi , fi ce
n'eft pour foi , auffi il n'y a chofe aucune qu'il
aime d'un moindre amour, que celui dont il s'ai-
me foi-même ; parce qu'il aime tout pour foi , &
l'amour tient lieu de fin : & ainfi il n'aime pas les
chofes pour ce qu'elles font en foi. D'où vient
qu'à Dieu aimer lame, c'eft la mettre en certaine
manière en foi-même, l'égalant àfoii & ainfi il
aime l'ame en foi, & avec foi, avec le même amour
qu'il s'aime , & pour ce fujet l'ame en chaque œu-
vre vertueufe mérite l'amour de Dieu j parce que
mife en cette grâce & en cette éminence elle me*
rite le même Dieu en chaque oeuvre. Cant, entre
ÎFpoufe ^ t Epoux, Couplet. 24.
24* Voyez MariagefpiritueL n. 5»
XLIX. Pur Amour. lo-^yO. a ^ i
2Ç. Voyez Union, n. y 6.
Le P. Nicolas de Jésus-Makia rapporte. '
26. Tanière. 11 n'eft pas permis à celui qui aime
véritablement , de cherch<*r du plaifir ou de la
délectation dans la douceur fpinïuclJe intérieure,
encore que cela Temble licite aux Icrviteurs de
Dieu imparfaits & commcnçans; mais aux par-
faits nullement : car il n'eft permis en aucune
manière au pur amour, de chercher pour Tamour
de foi-mème de la confolation, delà douceur,
du goût de la dévotion fenlible, & un fuccès fa-
vorable en tous les exercices de dévotion : car
cela feroit fe confier davantage aux dons de Dieu
qu'à Dieu même. ^ {Serm. fur le 25 Dim, après la
Trinité. ) Edaircijf. des Phr. Myji. de J. de la Croix. P.
//. Ch. I. §. 5.
27. — Voyez Non-dejîr. n. 22.
28. -6\ Thomas. Voyez Non-de^/îr. n. 25.
29. Albert le Grand. Notre charité fera parfaite ,
quand tout notre amour, tout notre défîr, toute
notre étude , tout notre effort , enfin toute notre
penfée , tout ce que nous voyons, parlons, &
efpérons , fera Dieu. ^
Nous auili foyons-lui unis d'une dllection per-
pétuelle & inféparable , c'eft à favoir tellement
unis , que tout ce que nous efpérons , ce que
nous entendons , ce que nous parlons & prions
foit Dieu. (De t attachement â Dieu. Ch. 13.) Là-
même. Ch. 14. §. 4.
30. S. Augujiin. Expliquant ces paroles de S.
Matthieu. (Chap. 22. v. 37.) Vous aimerez le
Seigneur votre Dieu de tout votre cœur , & de toute
votîe ame ^ de tout votre efprit.
Aimer Dieu de tout votre cœur, c*eft com-
mander que vous donniez tous vos fentimens i dç
^fa Justification.
toute votre ame, que vous donniez toute votre
vie i de tout votre efprit , que vous donniez tout
votre entendement & vos penfées à celui , duquel
vous avez reçu ce que vous donnez. Il n'a donc
laifTé aucune partie de notre vie, qui doive de-
meurer vide , & donner lieu afin qu'elle veuille
jouir de quelque autre chofe ,• mais que tout le
refte qui fe préfente à Tefprit pour être aimé ,
foit ravi & emporté là où fe porte toute l'impé-
tuofité de la dilection : car Thomme n'eft vérita-
blement bon que lorfque toute fa vie tend au
bien immuable. {De la doâlrinc Chret. Livr. i. Clu
22.) Là-même, Clu r. §. 5.
S. François de Sales.
31.0 belle ftatue , {a) dis-moi , pourquoi es-tu
là dans cette niche ? parce , répondroit-elle , que
mon maître m'y a colloquée. Mais pourquoi y
demeures-tu fans rien faire? Parce que mon maî-
tre ne m'y a pas placée, afin que j'y fiffe chofe
quelconque , mais feulement afin que j'y fufïe
immobile. Mais pauvre ftatue , de quoi te fert-il
d'être là de la forte 'i Eh Dieu , répondroit-elle ,
^ je ne fuis pas ici pour mon intérêt & fervice ,
mais pour obéir à la volonté de mon Seigneur &
fculpteur , & cela me fuffit. Or dis-moi ftatue ,
je te prie , tu ne vois point ton maître , comment
prens-tu du contentement à le contenter '< Non
certes , je ne le vois pas ,* car j'ai des yeux non
pas pour voir, comme j'ai des oreilles non pas
pour entendre , & des pieds non pas pour mar-
cher: mais je fuis trop contente de favoir que
mon cher maître me voit ici, & prend plaifîr de
fû) Cette coraparaîfon eft admirable pour exprimer
Tamour pur & fans intérêt,
* Volonté de Dieu, n, 34.
XLIX. Pur Am ottr. jo- î2. i^'i
tciy voir. IVl;iis ne voudrois-tu pas bien avoir
du monvcinciit pour t'approclicr de l'ouvrier qui
t'a fait, & lui lairc (|uclcjuc meilleur fcrvice? (ans
doute elle le nieroit, & protefteroit qu'elle ne
voudroit faire autre chofc, finou cjue fon maître
le voulût. Kt quoi donc î ne déflres-tu rien autre
chofe , finon que d'ctre une immobile ftatue là
dedans cette creufe niche? Non certes, diroit
enfin cette fage ftatue, non je ne veux rien être
fînon un^ ftatue, & toujours dedans cette niche,
tant que mon fculpteur le voudra , me contentant
d'être ici , & ainfi , puifque c'eft le contentement
de celui à qui je fuis , & par qui je fuis ce que je
fuis. Bc C Amour de Bien. Livr, 6. Lh. II.
32. Jufqu'à maintenant, dit S. Paul fa) , nous
avons faim & foif , fommes nuds & fommes fouf-
flettés , & fommes vagabonds : nous fommes ren-*
dus comme les baleyures de ce monde & comme
la raclure ou pelure de tous; comme s'il difoit;
nous fommes tellement abjets , que fî le monde
eft un palais, nous en fommes eftimés comme
\qs baleyures ; fi le monde eft une pomme , nous
en fommes la raclure. Qui les avoit réduits à cet
état finon Tamour ? Ce fut Tamour qui jetta S.
Frani^ois nud devant fon Evêque , & le fit mourir
nud fur la terre: ce fut Tamour qui le fit men-
diant toute fa vie. Ce fut l'amour qui envoya le
grand Franqois Xavier pauvre , indigent , dé-
chiré ça & là parmi les Indiens & les Japonnois.
Ne prenez pas garde à mon teint, dit la fainte
Sulamite, car je fuis brune, il eft vrai, d'autant
que mon Bien-aimé qui eft mon Soleil , a dardé
les rayons de fon amour fur moi, rayons qui éclai*
rent par leurs lumières , mais qui par leur ardeur
[a] l Cor. 4. y. ii, ij.
aç4 Justification.
m'ont rendue hâlée & noirâtre, & me touchant
de leur fplcndeur , ils m'ont 6té ma couleur.
Là-même. Ch. if.
^j. L'amour fit pafTer les tourmcns intérieure
de ce grand amant S. François jufqu'à Texte-
rieur , & bleflfa le corps du même dard de dou-
leur , dont il avoit blefTé le cœur. Mais de faire
les ouvertures en la chair par dehors, Tamour
qui étoit dedans ne le pouvoit bonnementfaire j
c'eft pourquoi l'ardent Séraphin venant au fe-
cours , darda des rayons d'une clarté fi péné-
trante , qu'elle fit réellement au-dehors les plaies
du Crucifix en la chair. ^ Pour faire paroître
tout à fait l'incomparable abondance de Tamour
de S. François , le Séraphin le vint incifer & bief-
fer, afin que Ton fût que ces plaies étoient plaies
de l'amour du Ciel. O vrai Dieu, que de douleurs
amoureufes & que d'amours douloureux ! car non
feulement alors , mais tout le refte de fa vie, ce
pauvre Saint alla toujours traînant & languiflfant
comme bien malade d'amour.
St. Philippe de Neri âgé de quatre-vingt-ans
eut une telle inflammation de cœur pour le divin
amour, que la chaleur fe faifant faire place aux
côtes, les élargit bien fort , & rompit la quatrième
& cinquième. Là-même,
J4. Voyez Indifférence, n. 4.
55.0 que bienheureux eft le cœur qui aime
Dieu fans aucun plaifir , que celui qu'il prend de
plaire à Dieu ! Car quel plaifir peut-on jamais
avoir plus pur & parfait, que celui que Ton prend
dans le plaifir de la Divinité ? Néanmoins ce
plaifir de plaire à Dieu , n'eft pas proprement l'a-
mour divin , mais feulement un fruit de cet
amour, qui en peut être féparéainfî qu'un citron
de fon citronnier. Car, comme j'ai dit, notre
XLIX. Pur Amour. 3 5*40; 2 f y
TBiificîcn fil) chaiîtoit toujours faus tirer aucun
plailir de fon chant , puifcjue Ja furdité Ten em-
pêchoit ; & fouveut auffi il cliantoit fans avoir
le plaifir de plaire à fon Prince. —
Tandis , ô Dieu , que je vois votre douce face ^
qui témoigne d'agréer le chant de mon amour,
hélas, que jefuisconfolé! car y a-t-il aucun plai-
fir qui égale le plaifir de bien plaire à fon Dieu ?
JMais quand vous retirez vos yeux de moi , &
que je n'apperqois plus la complaifance que vous
preniez en mon cantique j vrai Dieu , que mon
ame eft en grande peine: mais fans ceffer pour-
tant de vous aimer fidèlement, & fans cefler de
chanter continuellement l'hymne de fa dilection ,
non pour aucun plaifir qu'elle y trouve, car elle
n'en a point, mais chante pour le pur amour de
votre volonté. De t Amour de Dieu, Livr, 9. Ch, lU
36. Voyez Purification, n. ég.
^y.Voytz Prière vocale, n. 14,
Le Fr. Jean de S. Sam s on.
38. C'eft en cela que la volonté , qui eft tout
le tréfor de l'homme , facrifie amoureufement
tout fon empire à fon infinie Majefté par-defTus
tout fentiment ; & cet amour renoncé faifant
toujours fon poffible , eft fouvent plus agréable
à Dieu , qu'un amour entièrement liquéfié & hau-
tement élevé. Efprit du Carm, Ch, 9. §, 16.
39. L'amour où il y a de la raifon pour aimer ^
n'eft point amour; d'autant que l'amour eftfufii-
faut de foi-même , pour tirer & ravir tout le fujet
qu'il anime & agite en unité d'efprit , fans
l'aide & le concours des raifons & réflexions.
Là-même, Ch, 16.
40. Quelques Myftiques très-faints & très-
la} Voyez Indifférence, n j .
2^6 JUSTIÏICATIOir.
pleins de cet amour infini , dont nous avons
parlé en tout ce Traité, en ont dit des merveil-
les; — de forte qu'ils femblent devoir embrafcr
& faire fondre tous les efprits, qui les lifent ,
dans le feu immenfe de cet amour infini. Ils difent ,'
& il cft vrai, qu'une feule goutte (a) de cet amour
répandue en Enfer, Fanéantiroit&le changeroit
enunParadis. Cab, Myflique P. I. C/i, lO. §. 21.
41. De forte que comme cet amour n'eft point
un demi amour , & qu'il eft tout & totalement
en foi , c'cft une grande merveille qu'entre tant
de perfonnes , qui font follicitées d'aimer un tel
amateur & un tel Amour , il s'en trouve (î peu ,
qui foyent tout & totalement perdus en tout le
même amour, afin de demeurer tellement unis;
à fon fond & à fon efprit infini, qu'ils ne foyent
qu'une même chofe avec lui & en lui. Car, ô
mon Amour , quiconque a une bonté & une en-
tière volonté d'être amoureux de vous, l'amour
même le fécondera de votre part , & le fera fî
parfaitement & fi conftamment , qu'il demeu-
rera inébranlable dans les actes de fon bon pro-
pos. ^
Ce qui m'étonne beaucoup, ô mon Amour &
ma vie , c'eft de voir que les pauvres hommes
ayent befoin de tant de raifonnemens & de per-
fuafions pour aimer. ^ Ils ne vous aiment pas ,
parce qu'ils ne vous connoiflent pas ; & ils ne
vous aiment ni ne vous connoiffent , parce qu'ils
ne s'arrêtent pas à chercher le vrai bien que vous
êtes, particulièrement aux âmes touchées & raviet
de votre amour. Contemplation g.
42. O mon Amour & ma vie , que l'infinie
fécondité de votre amour eft induftrieufe , qui a
[a] Voyez Communication. §. II, n. j. S. Cat. de Gènes,
Vie Ch. 36.
fa
XLIX. Pur Amour, 40-4 j. 257^
fù inventer des moyens fi pro[)rcs pour ravir à
foi tout clpiit (]iii s'en trouvcroit capable' ilc,
quelles extrémités peut-on conce\ ou plus dillan-
tcs que Dieu tk Tliomme? néanmoins les voilà
iHiis enfemble par la force de votre divin amour»
C'eft lui (jui a fait ce ravidant exploit pour foi-
niéme ik pour fa créature, jie ceffanc d'agir ea
elle, afin de la chaiij}^er en vous, ik que ne vi-
vant plus en elle-même, vous y viviez feul, ô
mon Amour & ma chère vie. —
Cependant , quoique notre banquet foit fi déli-
cieux dès cette vie, il eft néanmoins fouvent mé-
langé d'amertumes & d'afflictions , & votre amour
Je requiert ainfi de fa part & de la nôtre. - -
L'ame, ô mon Amour, qui vous eft fidèle,
ne vit que pour aimer , & n'aime que pour glori-
fier infiniment & éternellement l'amour. Son hu-
milité eft héroïque , fans néanmoins favoir qu'elle
eft humble. Elle ne fait qu'aimer ardemment &
fans relâche , d'une manière très-nue & tres-eifen-
tiellc. L'amour ne penfe qu'à ce qu'il aime, &
ne parle que de ce qu'il aime. —
Aimez donc, ô hommes, celui qui vous a
éternellement aimés. — L'amour d'un Dieu de-
mande un amour réciproque : & les œuvres ex-
térieures ne donnent quafi point de gloire &
de plaifir à Dieu, fi elles ne font animées d'un
amour pur & libre de tout empêchement. Von-
templat, 17.
43. Je dis encore, ô mon Amour & ma vie,
que ces vérités, que vous me faites connoître ,
fuppofant un amour nud Sr effentiel , quiconque
n'eft que dans l'adion amoureufe, celui-là igno-
re le vrai amour paftif. Il fe trouve à la vérité
comme tout ravi en vous par fon action amou-
reufe ; mais quand il eft queftion de pâtir en efprit
Tom. II. Jujlif. R
258 Justification.
iiuement, fimplement, en amour nud & eflen-
tiel, cela l'abat & le jette hors de vous; parce
qu'alors il n'a ni cœur ni force pour produire fes
aiïeclions , ni auffi pour mourir & pour fouftrir
cette épreuve fi contraire à fon goût. —
Les vertus à la vérité font le corps de cet exer-
cice ; mais fon ame eft l'amour nud, toujours re-
noncé & toujours mourant, lors même qu'il y a
plus de facilité à fon union; & fon efprit très-
fimple & très-nud féparé du fenfible en fa très-
fimple force. Deforte que celui qui eft élevé à
cet état d'amour, contemple toujours votre Di-
vinité en amour [a) par-defTus l'amour, en pure-
té d'efprit au-delà de toute cfpece fenfible.
Tant plus l'amour efl effentiel , tant plus il eft
efprit; plus il eft efprit, plus il eft abftrait; &
plus il eft véritablement abftrait, plus auffi fc
plaît-il dans la fouifrance & la défire davantage.
Il JaifTe le goût fenfible aux enfans, & retient
pour foi la vraie force, l'efprit & fes œuvres éter-
îielles , à la vive imitation de fon cher Epoux que
vous êtes. Une telle ame a plus de bonheur en la
fouffrance amoureufe qu'on ne fauroit penfer , Se
tant plus le^ fouffrances fe préfentent à elle, plus
auffi fa félicité eft grande. Je fuis affuré que ceux
qui font de moindre vol que ceci , quoiqu'aflez
faints & fpirituelSj ne favcnt ce que je dis. CoK"
templat. 22,,
(oy Ç'eft.à-Jîre ^ au^dsiTas de tout amour apperqû.
L. Tiirification. ^59
L. FurificéUion , Epreuves ou Purgatoire.
Nuit du fens ou de l'cfprit.
MOYEN COURT.
Jl our {a) unir deux chofes auiïi oppofées
que le font la pureté de Dieu , & i'impu-
rcté de la créature ; la (implicite de Dieu,
& la multiplicité de l'homme ; il faut que
Dieu opère lingulierement. Car cela ne fe
peut jamais faire par feffort de la créature >
puifque deux chofes ne peuvent être unies ,
qu'elles n'ayent du rapport & de la ref-
femblance entr'elles : ainfi qu'un métal
impur ne s'alliera jamais avec un or très-
pur & affiné. Qu 24. n. .-.
Que fait donc Dieu ? 11 envoyé de-
vant lui fa propre SagelTe , comme le
feu fera envoyé fur la terre , pour con fu-
mer par fon aétivité tout ce qu'il y a d'im-
pur. Le feu confume toutes chofes , & rien
ne réfifle à fon aélivité. 11 en ed de mê-
me de la Sageife; elle confume toute im-.
pureté dans la créature, pour la difpofer à
l'union divine.
M Je fuis obligée de reprendre tout ce Chapitre à
caufe de fa confequence.
R 3
aCo J U s T I F I € A T î O Wr
Cette impureté fi oppofée à Punion eft
{a) la propriété & Tadivité. La propriété ;
parce qu'elle eft la fource de la réelle im-«
pureté 5 qui ne peut jamais être alliée à
la pureté efTentielle ; de même que les
rayons peuvent bien toucher la boue , mais
non pas fe Tunir. L'activité ; parce que
Dieu étant dans un repos infini , il faut ,
afin que Famé puifl[e être unie à lui ,
qu'elle participe à fon repos ; fans quoi
il ne peut y avoir d'union , à caufe de la
diflemblance ; puifque pour unir deux cho-
fes , il faut qu'elles foient dans un repos
proportionné.
C'eft pour cette raifon que Tame n'ar-
rive à l'union divine que par le repos de
fa volonté : & elle ne peut être unie à
Dieu , qu'elle ne foit dans un repos cen-
tral & dans la pureté (b) de fa création.
CL 24. /7. 3.
Pour purifier l'ame , Dieu fe fert de la
SageflTe , comme on fe fert du feu pour pu-
rifier l'or. Il eft certain que l'or ne peut
être purifié que par le feu , qui confume
peu-à-peu tout ce qu'il y a de terrcftre &
d'étranger , & le fépare de l'or. Il ne fuf-
fit pas à l'or pour être mis en œuvre ,
M On a vu Tune & Tautrc dans les A^es & la
Propriétc.
[6] Ceci a été aufli vu dans les articl. ASes^ Cen^
tre de rame , Création &c.
L. Pari fie atioii. tfit
que la terre foit changée en or : il faut de
plus que le feu le fonde & le difTolve , pour
tirer de fa fublbncc tout ce qui lui relie
d'étranger & de terreltre ; & cet or efl mis
tant & tant de fois au feu , qu'il perd toute
impureté & toute difpofition à pouvoir être
purifié.
L orfèvre ne pouvant plus y trouver de
mélange , à caufe qu'il eft venu à fa par-
faite pureté & fimplicité , le feu ne peut
plus agir fur cet or (a); & il y feroit
{_a] Cela veut dire pour le purifier de fes ancien-
nes taches , comme on a yù , que la même juftice
qui purifie l'ame , la béatifie. [Voyez dans l'article Pro^
priètc ci-delTus pag^ 207. la note b. & dans le même
article, pag, 22 ^ la note c. ] Car il faut raifonner
de la purification de cette vie comme du Purgatoire.
La difterence eft , que lorfque Tame de purgatoire eft
parfaitement purifiée , comme elle entre dans le ciel ,
elle ne peut plus contrader de nouvelles impuretés ,
ni fe falir extérieurement par le commerce des créa-
tures ; il n'en ell pas de même de l'ame ici , qui corn-
met encore de nouvelles imperfeétions , lefquelles
quoiqu'extérieures , & fans nulle correfpondance du
fond , ne lailTent pas de la falir extérieurement. C*eft
une petite cralfe fuperficielle , caufée par quelque viva-
cité intérieure , ou même par des défauts purement
naturels , qui n'ayant pas été corrigés dans le tems
que la lumière étoit donnée pour cela , comme ils ne
font ni volontaires , ni confidérables , Dieu ne laiffe
pias d'avancer l'ame , & Tame n'ayant pas employé U
lumière , qui lui étoit donnée pour fe corriger dans le
tems qu'elle pouvoit en faire ulage , Dieu la lui ôte ,
parce qu'elle la retarderoit dans la fuite , ^ ainfi elle
conferve donc ces défauts naturels avec une fort gran-
de grâce. Et ces défauts caufent toujours quelques
petits nuages extérieurs : comme Ton voit un or très-
R 3
^202 Justification,
un fiecîe qu'il n'en feroit pas plus pur ,
& qu'il ne diminueroit pas. Alors il eft
propre à faire les plus excellens ouvra-
Et fi cet or eft impur dans la fuite , je
dis que ce font des faletés contraélées nou-
fin Se très, pur, qni ne peut fe purifier davantage en
fa fubftance dans le fea , parce qu il a acquis le de-
gré de vingt- trois carats, qu'on dit être fon degré de
pureté, qui ne laide pas de fe (alir au-défaors, &
avoir befûin d'étie mis au feu pour reprendre fon pre-
mier fclat. Alais vous remarquerez , s'il vous plaît ,
qu'on re fait que l'y jetter un inftant, & qu'on l'en re-
tire fi brillant qu'il éblouit : il n'a plus befoin de ces
feux longs & atdens qu'il falloit pour purifier fa fubf-
tance. Il en eft de même de cette ame : elle contracte
deb impuretés , qui font fi fort fuperficielles , qu'un
feul inftant les purifie, fans même,{buvent , que l'ame
s'apperc^ojve de fa purification. Je ne doute point que
fi l'ame vcnoit à fe relâcher , peut-être ces défauts
s'enfonqant en elle , & gagnant les puifTances , lui cau-
feroient beaucoup de dommage : c'eft pourquoi il n'y
a aucun tems où l'ame doive fortir de cette douce
dépendance de Dieu fon amour , où demeurant incef-
famment expofée à fes yeux divins , il la tient toujours
pure , h purifiant de nouveau , s'il eft néceffaire. Il y
a une figure de ce que j'ai avancé dans la Ste. Ecri-
ture , au Livre des Juges , ( Voyez YExplic, fur Juges ^
Chap. I. V. 17. 27. &c. / où le peuple dlfraël n'ayant
pas décruit dans le tems qu'il avoit les armes à la main,
tous les*ennemîs du Seigneur, & les ayant laiffé vivre
avec eux , quoique d'une manière alTujettîe , dans la
fuite, ces mêmes ennemis leur furent toujours de nou-
velles pierres d'achoppement ^ & de nouveaux fujets de
chûtes : il y eut quelques-uns .de ces peuples qui fu-
rent entièrement extermines. Heureux ceux qui ne font
point épargnés dans le tems de la mort & de la purifi-
cation , câr ils repofent en affurance !
L. Purificatioff. tfj;
vcllcmcnt par le commerce des corps étrnn-
gcrs. Mais il y a cette dilfcrence , que
cette impureté [j] nciï que (uperHcielIe ,
& n'empcche pas de le mettre en œu-
vre : au lieu que l'autre impureté étoit
cachée dans le fond , & comme identi-
fiée avec fa nature. Cependant les perfon-
nes qui ne s'y connoilîbnt pas , voyant un
or épuré couvert de cralTe au -dehors , en
feront moins de cas que d'un or groffier
très-impur , dont le dehors fera poli. Là^
même. n. 4.
De plus j vous remarquerez , que l'or
d'un degré de pureté inférieure , ne peut
s'allier avec celui d'un degré de pureté
fupérieure. 11 faut que l'un contraéle de
l'impureté de l'autre ; ou que celui-ci par-
ticipe a la pureté de celui-lii. Mettre un
or épuré avec un grofîier , c'eft ce que
l'orfèvre ne fera jamais. Que fera-t-il donc?
Il fera perdre par le feu tout le mélange
terre(tre à cet or , afin de le pouvoir al-
lier à la pureté du premier. Et c'eft ce qui
eft dit en St. Paul : (h) que nos œuvres Je-
(à) Ces perfonnes agifTent fi fimplement & fi libre-
ment, que quoique leur extérieur n'aie rien d'indigne
de la Majefté de celui qui habite en eux, néanmoins ils
font bien éloignés de cette compoficion extérieure, qui
vient d'une continuelle attention fur foi-même.
Ci) I. Cor. î. V. ij. 15.
R4
264 Justification.
ront éprouvées comme par le feu , ajin que
ce qui efl comhujlihle foit brûlé. Il eit ajou-
té 5 que la perfonne dont les œuvres fe trou-
veroiit propres à être brûlées , fera fanvée ;
mais comme par le feu. Cela veut dire ,
qu'il y a des œuvres reçues , & qui font de
niife ; mais afin que celui qui les a faites
foit aufli pur , il faut qu'elles partent par
le feu , afin que la propriété en foit ôtée ;
& c'eft en ce niême fens que Dieu exa-
minera & {a) jugera nos jujlices : parce que
{b) V homme ne fera jamais fanclijié par les
œuvres de la loi ; mais par la jujîice de la
foi qui vient de Dieu.
Cela pofé 5 je dis , qu'afin que l'homme
foit uni à fon Dieu , il faut que la SagefTe
accompagnée de la divine Juftice , comme
un feu impitoyable & dévorant , ôte à Tame
tout ce qu'elle a de propriété , de terreftre ,
de charnel , & de propre ad:ivité : &
qu'ayant ôté à l'ame tout cela , il fe l'u-
nifiTe.
Ce qui ne fe fait jamais par Tinduftrie de
la créature ; au contraire elle le foufFre
même à regret : parce que comme j'ai
dit 5 l'homme aime fii fort fa propriété ,
& il craint tant fa deftruélrion , que fi Dieu
ne le faifoit lui-même & d'autorité , l'hom-
(c?) Pf. 24. V. ?.
(é) Rom. 3. V. 20 y z2.
L. Purification. 26^
me n'y confcntiroit jamais. CJiaintre 24. n.
5 . 6-
On me répondra a cela , que Dieu n'otc
jamais à l'homme fa liberté , & qu'ainli il
peut toujours réfidcr h Dieu : d'où il s'en--
luit que je ne dois pas dire , que Dieu agit
ablblument & fans le confentement de
l'homme.
Je m'explique , & je dis , qu'il fuffit
alors , qu'il donne un confentement paf-
(if , afin qu'il ait une entière & pleine
liberté ; parce que s'étant donné à Dieu
dès le commencement de fa voie , afin
qu'il fit de lui & en lui tout ce qu'il vou-
droit , il donna dès lors un confentement
aélif & général pour tout ce que Dieu
feroit. Mais lorfque Dieu détruit , brûle
6 {a) purifie , l'ame ne voit pas que cela
lui foit avantageux : elle croit plutôt le
{à) Pour comprendre ceci, il eft bon de faire atten-
tion , que lorfque Tondion de la grâce tÇt fort goûtée
& apperque de Tamc , fes défauts paroifTent comme
efTuiés ; mais lorfque Dieu purifie , qu'il enfonce les ver-
tus dans" Tame , les mêmes vertus femblent éteintes au«
dehors & l'on voit les défauts naturels.
Il me femble que rimprefTion de l'hiver fur les plan-
tes eft une belle Se véritable figure de cela. Lorfque
l'hiver s'approche, les arbres perdent peu- à -peu les
feuilles ; & cet habit d'un verd éclatant change peu-à-
peu fa couleur , jaunit , &: enfin meurt & tombe , en-
forte que les arbres paroiiTent tout dépouillés. La perte
même de leurs feuilles laifTe à découveic tous les défauts
266 Justification.
contraire : & de même que le feu au com-
mencement femble falir l'or , auffi cette
de leurs écorces , qu'on ne remarquoit pas auparavant :
ce ne font point des défauts nouveaux que ces arbres
contractent , ce font les mêmes ; mais cette robe de
verdure les déroboit aux yeux des hommes. Us font
donc ûépouillés de leurs feuilles , comme l'homme le
parole des vertus dans le tems de fa puiification. Mais
de même que l'arbre en confervant fa fève , confcrve
le principe de fes feuilles ; auflTi famé n'eft point dé-
pouillée de TeiTence de la vertu , ni de ce qu'elle a de
réel , mais bien d'un certain facile nfage & de fon éclat;
enforte qlie l'homme ainfi nud & dépouillé , paroît aux
yeux des autres hommes , & à fes propres yeux , avec
tous les défauts naturels , couverts auparavant des ha-
bits d'une grâce fenfible. Tout le tems de l'hiver , tous
les arbres paroilfent morts , & ne le font nullement ;
au contraire l'hiver eft ce qui les conferve. Car que
fait l'hiver ? il les relTerre , afin que la fève ne s'épan-
de pas au -dehors, & qu'ils emploient leur force à
pouffer de nouvelles racines , à étendre & nourrir cel-
les qui font déjà poulfées , Se enfin à les enfoncer
toujours plus avant dans la terre. On peut dire qu'a-
lors plus l'arbre paroît mort dans fes accidens ^ qui
font fes feuilles ( je ne fais fi ce terme fera propre ,
mais j'efpere de la charité de ceux qui veulent bien
m'examiner , qu'ils fuppiéeront au défaut de mes expref-
fions : ) cet arbre, dis .je, qui paroit mort dans fes
accidens , ne fut jamais plus vivant dans fon principe ;
& c'eft durant l'hiver que la fource & le principe de
fa vie s'établit : au lieu que dans les autres fuifons il
emploie toute fa fève à s'orner Se embellir , Se fes raci-
nes ne font pendant tout ce tems que s'affoiblir. 11 en
eft tout de même de l'économie de la grâce fur les
âmes. Dieu ôte ce qui eft d'accidentel dans la vertu,
afin d'en nourrir le principe par l'effence de ces ver-
tus , qui fe pratiquent alors , quoique d'une manière
cachée , comme l'humilité , le pur amour , l'abandon
entier, le mépris de foi- même, & le refte. C'eft donc
en cette forte que l'opération de Dieu femble falir les
L. Purifiait iou. 267
opération fcmblc dépouiller l'amc de fa
pureté. De lorte que s'il lalloit alors un
conlentement adif & explicite , Tamc au-
dchors, non qu'elle les falIlFe véritablement, mais elle
ôce ce qui coiivroit la falerc, atin delà mieux guérir ca
l'tfxpofant aux yeux de tous.
11 me vient encore une autre comparaifon : je ne fais
fi je ne m'en fuis point fervie en quelque endroit.
C'cft celle du bois, ( voyez ci-deffous ^ n. 4<;. > lors
qu'on le met au feu. Il faut qu'avant que le feu le chan-
ge en foi , il en chafle tout ce qui lui elt contraire.
Remarquez , s'il vous plait , que ce ne font point difFé-
rens feux qui puriHent & transforment : le feu ne
change point Ton opération, foit qu'il purifie le bois »
foit qu'il le transforme en foi. L'opération du feu eft
toujours la même , qui ell échauffer, brûler, éclairer;
& il nous lui voyons faire tant de différentes opéra-
tions , ce n'eft que par rapport au fujet qui lui eff pré-
fente : car pour lui , il eft toujours le même , toujours
un en lui , quoiqu'avec une infinie variété d'opéra-
tions , qui ne font rien à fa conltitution , laquelle ne
peut jamais être altérée , ni changée : ce qui paroit
changement dans le feu , n'eft qu'un accident qui ne
vient point de la caufe , mais des fujets qui lui font
préfentés. Car le feu agit dans tous les fujets , & par
rapport à ce qu'ils font en eux-mêmes , & par rapport
à ce qu'il eft en foi : par rapport à ce qu'ils font, il
agit pour leur ôcer les diffemblances & contrariétés ;
& par rapport à ce qu'il eft , il leur communique , à
mefure qu'il les purifie de leurs contrariécés , félon ce
qu'ils font , fa chaleur & fa lumière. Il en eft de même
deg opérations de Dieu. Il eft toujours lui-même , tou-
jours égal à foi en toutes chofes. 11 n'a qu'une fcuîe &
unique opération fur tous les fujets , qui eft de fe les
conformer ; & s'il agit fi différemment , en chacun de
nous, cela vient de nous-mêmes.
La fin des opérations de Dieu eft donc de fe confor.
mer tous les fujets propres à cela , Se de les changer
268 Justification.
roit peine à le donner , & bien fouvent
elle ne le donneroit pas. Tout ce qu'elle
fait , efl: de fe tenir dans un confentement
en foî. II faut donc qu'il commence par leur ôter &
pouffer au-déhors , tout ce qu'ils ont de contraire à la
fin pour laquelle il les deftine , qui eft , de les chan-
ger en foi ; comme l'on voit que le feu commence par
pouffer au»déhors du bois la première contrariété , qui
eft fon humidité : enfuite il ôte peuà-peu toutes les
autres qui font les qualités du bois , fa couleur , fa
pefanteur. Et lorfque cela s'opère par l'activité du feu ,
comme la purification fe fait en l'amc par l'adlivité de
la Sageffe , cette opération pouffant au-déhors toutes
les contrariétés dont elle purifie le dedans , le dehors
parole plus défectueux qu'il n'étoit auparavant. 11 faut
néanmoins remarquer que comme le bois renfermoit
en foi ces contrariétés , & que ce ne font point de
rouvellcs faletés , quoique cela parût tel à ceux qui ,
Ignorant les propriétés du feu , ne verroient que cette
feule opération au bois : auffi les défauts & miferes
dont l'ame fe trouve alors remplie , & qui lui font tant
de peines , ne font point de nouvelles impuretés qu'elle
contracte, mais les mêmes qu'elle avoit, mais qu'elle
n'appercevoit pas : parce que n'étant pas fi proche de
Dieu , ni fi expofée à fes yeux purifians , cela ne pa-
roiffoit pas : comme on ne difl:ingue les contrariétés
qui font dans le bois , que lorfque le feu commence
d'agir fur lui & de l'échauffer. Et comme il eft mani-
fefi:e , qu'on ne s'avife pas de mettre de nouvelles hu-
midités fur le bois , afin qu'il devienne plus pur par
le feu , & qu'il eft évident qu'on n'ajoute rien à fon
humidité , qu'au contraire on le prépare pour le mettre
au feu , en le laiffant fécher après qu'il eft coupé ; auffi
eft -ce une folie & une impertinence malicieufe de
dire , qu'il faille falir l'extérieur pour purifier le dedans*
Ceux qui difent ces chofes, on ne veulent pas voir la
vérité , ou le difent malicieufement : & c'eft une inven.
tion du Diable pour éloigner de Toraifon. Car n'eft-il
pas vrai , que fi vous mettez de nouvelles impuretés &
humidités fur ce bois , non -feulement le feu ne lecha«-
r.. Pfirlficatiou. 269
pnffif ^ fouffraiit de fon mieux cette opé-
ration , qu'elle ne peut , ni ne veut empê-
cher.
Dieu donc purifie tellement cette amc
de toutes {i:s opérations propres , diitinc-
tes , apperçues & multipliées , qui font
une diflemblance très -grande , qu'enfia
il fe la rend peu- à- peu conforme, &
puis uniforme ; relevant la capacité paf-
live de la créature , TélargifTant & Fen-
nobliiïant , quoique d'une manière cachée
& inconnue ; c'eft pourquoi on l'appelle
géra point en foi , maïs même peu^à-peu , fi vous meN
tez une humidité plus Forte que la chaleur du feu, elle
réceindra tout-à-fait; & (ï l'humidité que vous ajoutez
n excède pas la force du feu , le même feu fera tou-
jours employé à détruire les nouvelles contrariétés ,
& ne changera jamais en foi le bois. Il faut donc, biea
loin d'ajouter de nouvelles contrariétés, pour être pu-
rifiés , iaiffer peu-à-peu détruire les obftacles qui font
en nous, à la grâce , afin que la grâce, après les avoir
furmontés peu -à- peu , félon la force du fujet , Dieu
trouvant le fujet difpofé , le change enfin en foi-mêmc.
C'eft toute réconomîe de la grâce de la purification ,
& toute perfonne qui y aura paffé , verra que je dis
vrai. Je prie Dieu d'éclairer les yeux , pour faire voir
cette extrême différence ; & que la mah'cc de l'ennemi,
qui a femé beaucoup d'yvraie avec le bon grain , ne
foit pas caufe qu'on confonde l'un & l'autre , & qu'on
arrache la vérité pour détruire le menfonge. Si je cher-
che en cela mon propre intérêt , je prie celui fous les
yeux duquel j'écris 7 de confondre mon erreur & ma
malice, & de relever fa vérité, quand ce fercit aux
dépends de ma vie.
a?o J u s T I f I C A T I o nJ
myftîque. Mais il faut qu'à toutes ces opé-
rations Tanie concoure paffivement.
11 eft vrai qu'avant que d'en venir là , il
faut qu'elle agifTe plus au commencement ;
puis à mefure que l'opération de Dieu de-
vient plus forte , il faut que peu-à-peu &
fucceflivement Tame lui cède (a) , jufqu'à
ce qu'il l'abforbe tout-à-fait. Mais cela du-
re {b) longtems. n. 7,8.
Ceft une chofe étrange , que n'ignorant
pas qu'on n'eft créé que pour cela , & que
toute ame qui ne parviendra pas dès cette
vie à l'union divine ^ & à la pureté de fa
création , doit brûler longtems dans le Pur-
gatoire pour acquérir cette (c) pureté , on
(a) Ce qui arrive à mefure que le fujet cft plus dif-
pofé : comme Thumidite do bois céâQ pcu-à-peu à la
chaleur du feu , <& que plus le feu furmonte l'humidité
dans ce bois , fa chaleur s'augmente dans le même
bois , & toutes les contrariétés en fortent ; jufqu'à ce
que le feu, à force de furmonter ces contrariétés , con-
vertit le bois en foi.
(6) Ce mot longtems fait voir que quoi qu'on ait dit
que ce. chemin foit court , on ne prétend pas dire qu'on
foit d'abord parfait.
(c) Je prefTe fi fort pour la pureté & la purifica-
tîon : comment peut •on trouver que je dife le con-
traire? J'avoue que ces livres méritent d'être expliqués,
& que ceux qui les ont fait imprimer le dévoient
exiger : mais comme il n'étoit point de mention alors
L. Purification. 271
ne puifTc ncan moins foiiflrir que Dieu y
conduire dès cette vie. Comme fi ce qui
doit faire la perfedion de la gloire , devoit
caufer du mal & de Timperiedion dans
cette vie mortelle. Chap. 24. n. 8 , 10.
de tous ces dcreglcmcns , ils n'eurent pas la penfcc ,
non plus que moi , du mauvais tour qu'on leur don-
neroit. Si ces Meilleurs vouloient bien fe donner la
peine de lire le traité du Purgatoire |_ imprime dans
les Opujciiles de TAuteur J , ils verroient comment la
purification fe fait , ^ quelles font les opérations de
Dieu dans Tame.
2?Z JUSTIfICATlON.
CANTIQUE.
C
OMME les plus grandes grâces de Dieu
tendent toujours à la connoifTance plus pro-
fonde de ce que nous fommes , & qu'elles
ne feroient pas de lui fi elles ne donnoient ,
félon leur degré , une certaine expérien-
ce de la mifére de la créature ; cete amc
ne fort qu'à peine des celliers de fon
Epoux 5 qu'elle fe trouve noire. Quelle eft
votre noirceur , ô incomparable Amante ?
Dites -le nous ? Je fuis noire , dit -elle y
parce que j'apperçois à la faveur de mon di-
vin Soleil , quantité de défauts que j'avois
ignorés jufqu'à préfent : je fuis noire , par-
ce que je ne fuis point purifiée de ma pro-
priété.
Mais cependant je ne laiiïe pas d'être
helle , & belle comme les tentes de Cedar ;
parce que cette connoifiTance expérimentale
de ce que je fuis , plait extrêmement à mon
Epoux. —
Ma noirceur apparente cache la gran-
deur des opérations de Dieu dans mon
ame.
Je fuis encore noire par les croix & les
perfécutions qui me viennent du dehors :
mais je fuis helle comme les pavillons de
Salomon ; puifque ces croix & cette noir-
ceur me rendent femblable à lui.
Je
L. Pitrifjcatio>i. 279
Je fuis noire , parce qu'il pnroît des (a)
foibleircs clans mon extérieur ; mnis je fuis
belle , parce c[ue je fais au-dedans exempte
de malice. C7/.7/7. 1. v. 4.
Pourquoi l'Kpoufe demande-t-clle cju'on
ne la regarde pas dans /^ noirceur} C'ell: (b)
que Tame commençant à entrer dans Té-
tât de la foi & du dépouillement des grâ-
ces fenfibles , elle perd peu-à-peu cette
douce vigueur , qui lui faifoit pratiquer le
bien avec facilité , & qui la rendoit au-
déhors toute belle. Et ne pouvant plus
s'acquitter de ces premières pratiques ,
parce que Dieu veut autre chofe d'elle , il
femble qu'elle foit retombée dans fon état
naturel.
Cela paroît de cette forte h ceux qui ne
font pas éclairés. C'eît pourquoi elle dit :
je vous conjure , vous autres mes compa-
gnes , qui (c) n'êtes pas encore arrivées (i
avant dans l'intérieur , vous qui n'êtes que
dans les premiers pas de la vie fpirituelle ,
ne juger pas de moi par la couleur brune
que je porte au-déhors , ni par tous mes
{d) défauts extérieurs , foit réels , foit appa-
(a) Notez fciblelTes , & non péchés.
(b) Notez qu'il ed expliqué ici, quelle eft la noir,
ceur & l'inipureté dont j'ai voulu parier.
(c) Notez ^ on précautionne ici les commenqans.
\^d'] Défauts , & non péchés.
Tom. IL Jufi. S
274 Justification.'
rens : car cela ne vient pas , comme aux
âmes commençantes , faute d'amour & de
courage : mais c'eft que mon divin Soleil ,
par fes regards continuels , ardens & brû-
lans , m'a décolorée. H m'a ôté ma couleur
naturelle , pour ne me laifler que celle que
fon ardeur me veut donner. C'eft la force
de Tamour qui me féche la peau & la {a)
brunit ; & non pas Téloignement de Ta-
mour. Cette noirceur eft un avancement ,
& non pas un défaut : mais c'eft un avan-
cement que vous ne devez pas confidérer ,
vous qui êtes encore jeunes & trop tendres
pour rimiter ; parce que la noirceur que
vous vous donneriez , feroit un défaut :
elle ne doit venir , pour être bonne , que
du Soleil de Juftice , qui pour fa gloire , &
pour le plus grand bien de Tame , man-
ge & dévore cette couleur éclatante du
dehors , laquelle Faveugloit elle-même ,
quoiqu'elle la rendit admirable aux au-
(û) Comme le feu noircît le bois avant de renflam-
mer. Notez ; c'eft rapproche du feu qui noircit ici le
bois , &, non Téloignement du feu. Le bois peut fe noircir
par Thumidité : mais cette noirceur le met dans une
plus grande oppofition pour être brûlé ; & même il le
devient à tel point, qu'il ne brûle jamais. Telle eft la
noirceur de ceux qui s'éloignent de mon Dieu , de ces
âmes adultères qui s'éloignent de vous. ( Pf. 72. v. 27. ) ;
elles périlTent aufli : mais non pas mon Epoufe , que
Texcès de l'amour qui la veut confommer en foi , r«nd
brune , parce qu'il cbafle d'elle toute contrariété.
L. Purification. 275
très , au préjudice de la gloire de Tli-
poux.
Mes frères me voyant noire de la forte ,
m'ont voulu obliger à reprendre la vie aéli-
ve , & à garder le dehors , fans m'appli-
quer à faire mourir les paflîons au-dedans :
j'ai longtems combattu avec eux : mais en-
fin ne pouvant leur réfifter , j'ai fait ce qu'ils
ont voulu : & (a) en m'appliquant au-dé-
hors , à des chofes qui me font étrangères ,
je nai pas gardé ma vigne , qui eft mon
fond , où mon Dieu habite. C'eft là ma
feule affaire , & la feule vigne que je dois
garder : & lorfque je n'ai pas gardé la
mienne , lorfque je ne me fuis pas rendue
attentive à mon Dieu , j'ai encore moins
gardé les autres. C'eft le tourment qu'on
fait d'ordinaire aux âmes , lorfqu'on voit
que la grande occupation du dedans , fait
négliger en quelque forte les dehors ; &
qu'à caufe de cela l'ame toute renfermée
au -dedans , ne peut plus s'appliquer à cer-
tains petits défauts que l'Epoux corrigera
en un autre tems. Chap. i . v. 5 .
Voilà l'ordre de la charité que Dieu met
dans cette ame ; fon amour eft devenu
id) Tort qu'on fait aux âmes de cet état de leur faire
reprendre la vie adlive. Le B. Jean de la Croix Ta prouvé
dans tant d'endroits que j*ai déjà rapporté de !ui. (Voyez
Aâcs^ n. 7, 8- 10' Motion divine^ n. 12. 14. Oraifon^
§. 1. n. iz. §. II. n. 19. &c. ).
S ^
%jG JUîJTlflCATION-
(^) parfaitement chafte. Toutes les créatu-
res ne lui font rien ; elle les veut toutes
pour fon Dieu , & n'en veut aucune pour
foi. O que cet ordre de la charité donne de
force pour les états terribles qu'il faudra
pafler dans la fuite ! mais il ne peut être
connu ni goûté de ceux qui n'y font pas ;
pour n'avoir encore bu de ce vin de l'E-
poux. Chap. 2. V. 4.
A peine (&) cette Amante a-t-elle goûté
(û) ^otcz^ s'il vous plait , en quel état eft mon Epoufe,
entrant dans les épreuves ; & combien elle eft éloignée
de ce qu'on lui impute.
W) Pour entendre ceci , il faut faire attention qu'avant
les dernières épreuves , que le B. Jean de la Croix
appelle nuit de Vefprit^ Dieu enfuite de la nuit duftns
ou de la première purification , fe communique à Tame
d'une manière beaucoup plus parfaite qu'il n'avoir ja-
mais fait ; ainfi qu'il eft marqué dans le Cantique. Mais
plus cette faveur eft pure & fublime , plus i'abfence
de l'Epoux & la purification qui fuit , devient terri-
ble : car il ne fe montre que pour fuir avec plus de
rigueur. Il faut auflî faire attention que nous avons dit ^
que ce qui rend les épreuves plus terribles, c'eft cette
abfence de l'Epoux jointe à l'expérience de fes mife-
res , aux eft'royables peines intérieures , aux perfécu-
lions extérieures des hommes & des démons : tout
cela joint enfemble , eft quelque chofe de fi terrible ,
quequi^ne l'a pas éprouvé ne l'imaginera jamais. L'ab-
fence de l'Epoux eft bien appellée nuit & mort , parce
qu'il eft la lumière & la vie de l'ame : & comme la nuit
dans la nature rend les objets effrayants d'eux-mêmes ,
beaucoup plus terribles <& pleins d'horreur; aufTi dans
la nuit de l'efprit tout paroit d'autant plus horrible, que
la nuit eft plus fombre , & qu'en n'efpcre plus de revoir
le divin Soleil , qui doit ramener le jour dans notre ame.
L. Ttirificatiou. 577
la (îoiiccir de cette union , que l'Epoux
difparoît tout-à-fait. Voyant donc une
fuite fi prompte , elle le compare à un che-
vreuil tji à un jan de hiche , à cnufe de la
légèreté & de la vîtefFe de fa courfe : & fc
plaignant amoureufemcnt de lui , enfuitc
d'un abandonnement fi étrange , lorfqu'elle
le croit bien loin , elle Tappercoit tout pro-
che. 11 s'étoit feulement caché pour éprou-
ver fa foi & fa confiance ; cependant il
n'ote point fes regards de dclTus elle ;
parce qu'il la protège plus particulière-
ment que jamais , étant plus uni à elle
par la nouvelle alliance qu'il vient de faire ,
qu'il ne l'avoit été jufqu'alors. Mais quoi-
qu'il la regarde inceffamment , elle ne le
voit pas toujours : elle ne Tapperçoit que
pour quelques momens , afin qu'elle ne
puifiTc ignorer ce regard , & qu'elle l'ap-
prenne un jour aux autres.
Il faut remarquer que l'Epoux eft dc-^
hout^ parce qu'il n'eft plus tems de fe repo-
fer ni de demeurer aiïis ; mais de courir.
11 eft debout , comme prêt à marcher. Ch.
51. V. 9.
Il faut favoir qu'il y a deux hyvers : celui
du dehors , & celui du dedans , & que tous
deux font réciproquement contraires. Lorf-
que l'hyver eft au-déhors , Tété eft au-de-
S 2
278 JUSTIfICATIOX.
dans , qui porte Tame à s'enfonger davan-
tage en foi 5 par un effet de la grâce qui
opère un profond recueillement : & lorf-
que Thy ver eft au-dedans , il fe fait un été
au-déhors , qui oblige Tame de fortir d'elle-
même , par TélargifTement que caufe une
grâce d'abandon plus étendue. Uhyver dont
TEpoux parle ici , difant qu'il ejl déjà
pnffé , eft l'hyver extérieur , durant lequel
Tame pouvoit être glacée par la rigueur du
froid , falie par les pluyes, & accablée fous
les orages & fous les neiges des péchés
& imperfeélions , qu'on contra<51:e facile-
ment par le commerce des créatures. L'amc
qui a trouvé le centre , a été fi fortifiée ,
qu'il n'y a plus rien à craindre pour elle
au - dehors : toutes les pluyes font efiuiées ;
& il lui feroit impoffible , à moins d'une
infidélité la plus noire qui fût jamais , de
prendre ((2) aucun plaifir dans les chofes du
dehors.
De plus cette manière de parler , Vhy-
ver ejt déjà pajfé , veut dire , que comme
l'hyver amortit toutes les chofes extérieu-
res ; de même pour cette ame , la mort a
(d) Notez que cette ame eft donc bien éloignée d'aller
chercher des plailirs illicites , puifqu*elle ne peut même
fe plaire dans les innocens. Ce qu'elle a , eft une cer-
taine candeyr Se innocence qu*on ne peut exprimer &
dont j'ai parlé. ( Voyez la Note fur Moyen court, Ch. 24..
13. I. dans J'art. Vropriété ^ ci-deiTu« ^ p. 190.
L. Purijicatîou. 279
pafTé fur toutes les cliofcs extérieures ,
cnforte qu'il n'y a plus rien qui la puifîc
fatisfairc. S'il y paroît encore quelque
chofe , c'ed un renouvellement d'innocen-
ce , qui n'a plus rien de la malignité d'au-
trefois.
Les pluyes de l'hyver font au(Tî pafTées ;
elle peut fortir fans plus craindre l'hyver ,
& avec cet avantage , que l'hyver a détruit
& fait mourir ce qui étoit autrefois vivant
pour elle , & qui l'auroit fait mourir el-
le-même : ainfi que la rigueur de l'hyver
purge la terre des infeéles. Là-même , ver^
Jet 1 î .
Dans le Sanéluaire que Dieu fe drefTe
en fon Amante , il y a de même des colons
nés d'argent j qui font les dons du S. Ef-
prit , établis fur la grâce divine , qui efl:
comme l'argent pur & éclatant , qui leur
tient lieu de matière & de fond. Le repo-
foir en efî d'or ; car une ame qui mérite de
fervir de trône & de lit royal à Jéfus-
Chrift , ne doit plus avoir d'autre appui &
foutien que Dieu feul ; & il faut qu'elle foit
entièrement dépouillée de tout foutien créé.
La montée en ejl toute de pourpre ; car (i
{a) on ne peut entrer dans le Royaume du
Ciel que par beaucoup d'affliclions ; & fi on
ne peut régner avec Jéfus-Chrijl qu aptes
(^a) Act. 14. V. 21. 3, Tim. 2. v. 12.
S4
s8o Justification.
avoir fouffert avec lui , cela (^) va encore
plus avant pour ceux qui font appelles aux
premières places du Royaume intérieur , &
pour les âmes qui dès cette vie doivent être
honorées de la noce de l'Epoux célcfte ;
que pour le commun des Chrétiens , qui
fortent bien de ce monde en voie de falut ,
mais chargés de beaucoup de dettes & d'im-
perfcdions. 11 eft incroyable combien il
faut que ces âmes choilies dévorent de
croix , d'opprobres & de renverfemens.
Enfin /o^r le dedans ejî rempli de charité ^
puifque ces trônes vivans du très-haut étant
pleins d'amour , ils font auffi parés de tous
les fruits & ornemens de l'amour , qui font
les {h) bonnes œuvres , les mérites , les
fruits du S. Efprit , & la pratique des plus
pures & des plus folides vertus.
C'eft à quoi vous êtes appellées , ô filles
de Jérufalem , Epoufes intérieures , âmes
d'oraifon. Ch. 3. r. lo.
Jufqu'à ce que le jour de la vie nouvelle ,
que vous devez recevoir en mon Père, com-
mence à paroître ; & que les ombres qui
{à) Les épreuves & fouffrances font bien plus terri,
blés dans les perfonnes bien intérieures & unies à Dieu,
que dnns les autres ; les autres âmes ne comprennent
pas m.éme ces terribles épreuves.
(i) Notez que mon Époufe eft ornée des vertus &
bonnes œuvres, qui font les fruits du S. Efprit; cela
fe rapporte à l'Enigme du B. Jean de la Croix, mis de-
vant fes Oeuvres. v
L. Tîirîfication. iRr
vous tiennent clans robrcnrité de la foi la
plus nue, s'abaillcnt & fc didipcnt , je m'en
irai fur la montagne dt la myrrhe ; parce
que vous ne me trouverez plus que dans l'a-
mertume & dans la croix. Ce fera néan-
moins pour moi une montagne d'une odeur
très-agréable ; puifque Todeur de vos fouf-
frances montera vers moi comme un en-
cens ; & ce fera par elles que je prendrai
mon repos en vous. Ch. 4. v. 6.
L'Epoufe n'a prcfque plus de chemin à
faire pour être unie à vous d'un nœud im-
mortel ; & lorfqu'elle paraît approcher de
votre lit , elle en ell repouffée par foixante
hommes forts. N'y a-t-il pas de la cruauté
à Pattirer fi fortement^ quoiqu'avec tanr de
douceur , pour poiïeder un bien qu'elle
ertime plus que mille vies ; & lorfqu'elle
eft près de fa pofTeffion , la rebuter fi rude-
ment ? O Dieu , vous conviez , vous appel-
iez , vous donnez la difpofiticn de l'état ,
avant de donner l'état ; comme l'on donne
à goûter d'une liqueur exquife , afin de la
faire plus défirer ! O que ne faites vous pas
foufFrir à cette ame par le retardement de
ce que vous lui promettez !—
Venez auffi des repaires des lions & des
montagnes des léopards : car ce ne fera qu'à
travers des plus cruelles {a) perfécutions
~ (.'7) Notez , qu'il eft toujours parlé de fouffrances &
ùz perfécutions.
-32 Justification-
des hommes & des démons , comme d'au-
tant de bêtes féroces , que vous pourrez
arriver à un état fi divin. 11 eft tems de
vous élever plus que jamais au-deiTus de
tout cela j puifque vous êtes prête d'être
couronnée en qualité de mon Epoufe. Là^
même. v. 8.
Ce qui m'a blefle & charmé en vous ,
c^eft que tous vos malheurs , toutes vos dif-
graces , & vos déplaifirs les plus extrêmes ,
tout cela ne vous a point portée à retirer
votre œil de delTus moi , pour vous envi-
fager vous-même. Vous n'avez pas feule-
ment regardé les (a) bleflures que je vous
faifois faire , ni celles que je vous faifois
moi-même , non plus que fi elles ne vous
enflent point touchées : parce que votre
amour pur & droit , qui vous tenoit appli-
quée uniquement à moi , ne vous permet-
toit pas de vous regarder vous-mêm.e , ni
vos propres intérêts ; mais feulement de
m'envifager avec amour , ainfi que votre
fouverain Objet.
Mais hélas ! dira cette Amante affligée ,
comment vous aurois-je regardé , puifque
(à) Ces blefTures font , comme j'ai dit : au dedans
rabaTidonnement apparent de l'Epoux , qui eft la plus
terrible douleur de l'ame ; & d'être livrée extérieure-
ment à la malice des hommes & des diables. Le ver-
fet précédent fait voir qu'il n'eft parlé ici que de la
perfécution des hommes & des démons.
L. Purification. 2^j
je ne fais ou vous ctcs ? Elle ne fait pas
que fon regard clt devenu fi é|Dure , qu'é-
tant toujours dircd , & fans réflexion ,
elle ne connoît pas fon regard , & ne
s'apperçoit pas qu'elle ne cefTè point de
voir. De plus , dès qu'on ne peut plus fe
voir , & qu'on s'oublie {a) foi -même ,
aufïî bien que toutes les créatures , il eft
néceiïaire qu'on regarde Dieu : & c'efl:
fur lui que s'arrête le {h) regard inté-
rieur.
L'autre playe que vous m'avez faite ,
c'eft , dit encore l'Epoux , par Vunion d&
vos cheveux bien trejfés. Cela marque affez
clairement , que toutes les afFcdions de
l'Amante ont été réunies en Dieu feul , &
qu'elle a perdu toutes fes volontés en celle
de fon Dieu.
(à) Il faut remarquer , que dans tout le tems que
TEpoux paroît ?bfent , mon Epoufe n'eft point pour
cela occupée d'elle-même , ni des créatures : au con-
traire, elle en eft plus éloignée que jamais : elle croit
avoir perdu la préfence de fon Bien aimé ; & la dou-
leur continuelle de cette perte apparente n'eft-elle pas
une préfence continuelle ?
(ft) Il eft néceffaire de conferver toujours ce regard
intérieur en Dieu , quoique d'une manière iufenfible :
auffi mon Epoufe n'oublie- 1- elle jamais fon Epoux,
Notez s'il vous plaît , qu'il eft toujours dit , que Tirré-
flexion de mon Epoufe fur elle-même , ne vient que de
l'application continuelle qu'elle a à fon Dieu ; ainfi elle
eft bien éloignée de Terreur de celles qui l'oublient
pour l'ofFenfer impunément.
^$4 Justification.
De forte que l'abandon de toute elle-mê-
me à la volonté de Dieu , par la perte de
toute volonté propre , & la droiture avec
laquelle elle s'applique à Dieu , fans faire
plus de retours fur foi-même, font les deux
flèches qui ont bi^ifé le cœur de fon Epoux.
Là-même. v. 9.
J'ai (a) lavé mes pieds , comment les fa-
lirai-je ? Chap. 5. v. 3.
Le véritable amour n'a point d'yeux
pour fe regarder foi-même. Cette Amante
affligée oublie fes bleiTures , quoiqu'elles
faignent encore , elle ne fe fouvient plus
de fa perte : elle n'en parle pas même , elle
penfe feulement (b) a celui qu'elle aime ,
& elle le cherche avec d'autant plus de for-
ce , qu'elle trouve plus d'obftacîe à fa pof-
feflion. Elle s'adrefle aux âmes intérieures ,
& leur dit : O vous , à qui mon Bien-aimé
[û] Je ne répète point ce verfet , l'ayant expliqué
amplement fur la Propriété, Jai auffi expliqué, dans le
même article, les gardes de la ville qui l'ont battue &
bleffée ( vcrf, 7. ) Quoique je ne répète pas ici tous
ces verfets , je ne laifferai pas dans les Autorités d'é-
crire ce qui a quelque rapport avec eux , fi je trouve
quelque chofe fur cela.
[63 11 faut remarquer , que plus Tame s'oublie elle-
même, plus elle s'occupe de Dieu. Ce n'eft point un
oubli Cdufé par l'indolence , mais par la force de l'a-
mour. Cette ame cherche Dieu continuellement , com-
me je l'ai fait remarquer en cet endroit de VExplic.
du Cantique Ch. 1. v. 3. Cherchez Le Seigneur , cher-
chez fans cejjc fon vifage, ( Pf. 104. v. 4. ) L*amour
pur dérobe à famé toute autre vue que celle de fon
divin Objet. Cette ame ne défilte jamais , pas même
L. rttrificatinn. 2R5
fc dccouvrlra llins doute , je vous conjurs
par liii-nicnic de hd dire , que je languis
d'amour pour lui. Quoi ! 6 la plus belle des
femmes , ne voulez-vous pas qu'on lui par-
le plutôt de vos blefTures , qu'on lui raconte
ce que vous avez foufîert en le cherchant ?
Non y non , répond cette ame géntreufe ,
je fuis trop récompenfce de mes maux ,
puifque je les ai foufterts pour lui ; & je les
préfère aux plus grands biens. Ne dites
qu'une chofe à mon Bien-aimé ; c'eft que
je languis d'amour pour lui. La playe que
fon amour a faite dans le fond de mon cœur
elt fi vive , que je fuis infenfible à toutes
les douleurs extérieures ; j'ôfe dire même
(^) qu'au prix de celle-là , elles me font
des rafraichilTemens. Ch. 5. v. 8.
pour un inftant, de fa recherche; au lîeu que ces
créatures qui s'adonnent à tous mauK , Toublient avec
foin , afin qu'il ne leur reproche pas leurs défordres.
Mon Epoufe s^oublie elle-même & toutes les créatu-
res , pour ne penfer qu'à Dieu : & ces miférabdes ou-
blient Dieu pour ne penfer qu'à fe fatisfaire. / *
M Toutes les douleurs ne font rien au prix de
la playe d'amour.
986 Justification.
AUTORITÉS.
On ne peut pas s* empêcher de rapporter quelquefois les
pajfagcs déjà cités , parce quiis renferment plufleurs
propofitions.
S. D E N I S.
I. vyN peut dire de même que l'Ange, par
qui la purirication du Prophète [a] étoit opérée,
rapportoit fa fcience & la vertu qu'il avoit de
purifier, à Dieu [b] premièrement, comme au
premier auteur, & puis au Séraphin comme à
fon fupérieur en Tordre hiérarchique, & qui eft
le plus haut & le premier miniftre de cette faintc
fondion. Comme fi cet Ange lui eût dit avec
im grand refped: & avec une fmguliere modef-
tie , pour l'inftrudion de celui qu'il purifioit : ne
penfe pas qu'il y ait un autre auteur de la purifi«
cation que j'opère en ta perfonne , que celui qui
eft le principe même, la caufe & le Créateur de
toutes chofes. Hiérarchie Célejle, Ch. ij.
2. Voyez Converjton, n. 2.
3. Voyez Anéantlffement. n. I.
4. Voyez Habitude,, n. i.
5. Celui qui eft net, comme dit la parole fain-
te, (c) n'a plus befoin que de laver feulement le
bout de fes pieds , c'eft-à-dire , qu'il n'a plus be-
foin que de laver fes dernières extrémités. De
façon que par ce lavement, qui le rend parfaite-
ia) Ifaie 6. v. 6, 7.
{b) Ordre de purification de la caufe première par les
caufes fécondes ; & comme tout fe rapporte enfin à ce pre-
mier principe, ainfi il eft principe & fin de toute purifica-
tion , quoiqu'il fe ferve des moyens.
(c) Jean ij. v. 10.
L. Purification i-8. 287
ment pur & net en Tctat très-chadc de la divine
relleniblance, il arrivera c|ue fortant par bonté
pour s'entremettre des chofes cjin font au-de(Ious
de lui, il ne fera nullement empêché par elles
ni retenu par aucune attache, parce qu'il eft par-
faitement uniforme {u); & lorfque de ces chofes
autour defcjuelles il fera employé, il retournera
vers l'un, fon retour fera très-pUr, & fans avoir
contradé aucune tache ni fouillure par Tattou-
chement de telles chofes, comme celui qui fait
très-bien conferver fon divin état, fans rien per-
dre ni diminuer de fon intégrité. Là-même Ch. 3.
6. Voyez Opérations propres, n. 4.
RUSBROCHE.
7. Voyez Non-de^lr, n. 2.
L'Imitation de Jésus-Christ.
8. Il eft aifé de méprifer les confolations de^
hommes , lorfque Dieu même nous confole.
IVIais c'eft l'effet d'une grande & d'une rare ver-
tu, de fe pafTer auffi bien des confolations divi-
nes que des humaines, & de fouftrir en paix &
pour l'amour de Dieu cet abandonnement & cet [b)
exil du cœur, fans fe rechercher foi-même ea
rien, & fans avoir la moindre penfée fi on mérite
d'être traité de la forte. Livr. 2. Ch. 9. §; i.
(a) G'eft cette uniformité qui fait fa pureté. Vous voyez
comme cette pure uniformité fe confcrve dans le commer-
ce extérieur des créatures , & fait qu'on n'y contraéte au-
cune tache.
ib) Que ceci eft bien dit ! parce que l'homme , qui a ac-
coutume de rentrer dans fon cœur & d'y trouver Dieu,
foufFrc étrangement, lorfqu'il fe voit banni & exilé de
fon propre cœur, qui étoic fon unique refuge dans fes
défolations. Ce mot eft d'autant plus vrai & expreffif , qu'il
1^88 Justification.
9. Lorfque cette douceur célefle vou5 fera,
ôtée , ne vous lailTez point aller à la défiance &
à l'abattement ; mais attendez avec patience &
humilité le retour de la joie célefte. — Cette con-
duite divine , n'eft ni étrange ni nouvelle à ceux
qui ont de Texpéricnce dans la voie de Dieu.
Les anciens Prophètes & les plus grands Saints
ont éprouvé en eux-mêmes cette viciffitude "^dc
trouble & de paix.
Ainfi le Roi-prophête fentoit la préfence de
la grâce , lorfqu'il étoit en l'état qu'il décrit en
ces termes : (a) J^al dit dans mon abondance ^ Je ne.
ferai jamais ébranle. Mais aulïitôt que la grâce fc
fiit retirée de lui , après avoir éprouvé ce qu'il
étoit par lui-même , il ajoute : Vous avez détourne
votre vifage de moi , ^ en même tems je fuis tombe
dans le trouble. — C'eft pourquoi Job dit : [b] Vous
vijttez f homme dès le matin , Éf aujjîtôt vous téprou-
vez. — *
Soit que j'aie près de moi des hommes de
Dieu , ou des fidèles amis , ou des âmes ferven-
tes & religieufes , ou des livres faints & d'excel-
lens écrits de piété , ou que j'entende les hymnes
& les doux cantiques de l'Eglife, je trouve peu
d'aide & de goût en toutes ces chofes , lorfqùe
je me vois deftitué de la grâce , & abandonné k
ma pauvreté. Il ne me refhe point alors de meil-
leur (c) remède, que la patience & l'entier re-
noncement à moi-même, pour ne vouloir que
*
eft certain que Dieu n'abandonne point notre cœur, lorf-
que nous fommes privés de fa douce préfence : au con-
traire, il n'y fut jamais davantage , quoique caché : c'efl:
nous-mêmes qui fommes exilés & bannis de notre propre
cœur, où nous ne trouvons plus de refuge.
{a) Ff 29. V. 7. 8. (M Job. 7. v. 18.
(c) Vrai remède.
ce
L. Purification 9-12. 289
ce que Dieu veut. Là-mcme, ,§.4,5,6.
10. AlTuiez-vous que votre vie doit être ac-
compagnée d'une continuelle inoit. Plus ua
homme meurt à foi-mème, plus il apprend à ne
vivre que pour Dieu fcul. Nul ne fera propre à
comprendre les chofes du Ciel , s'il ne fc plait
à ibullrirpour Jcfus-Chrift les maux de ce monde,
Livr. '2. ih. 14. §. 14.
11. Celui qui aime généreufement demeure
ferme dans les tentations ; il ne fe laide point fur-
prendre aux perfuafions artiHcieufes de fon en-
nemi. Comme il trouve en moi un plaifir ce-
lefte , lorfque je le favonfe de ma grâce , il ne
trouve non plus rien en moi qui lui déplaife ,
lorfque je l'éprouve par les féchereffes & les fouf-
frances. Liv. 3. Ch, 6. §. 3.
Henri Harphius.
12. Dieu ne pouvant plus affliger ces âmes
par les adverfités & les tribulations ordinaires,
parce qu^ellesfont prêtes à tout; il permet qu'el-
les foient tourmentées de blafphêmes , d'endur«
cifiement, de haine contre Dieu , d'alTurance , à
ce qu'il leur paroît, de leur propre réprobation:
& leur tourment eft fi grand que S. Augufkin &
S. Bernard le comparent avec raifon à une peine
infernale.
Dieu ajoutant encore douleur fur douleur,
permet qu'elles foient perfécutécs , méprifées ,
moquées; & que ceux qui paiïent dans le monde
pour honnêtes gens, pour gens de probité, de
fcience & de fainteté , ne les regardent que com-
me des ptrfonnes folles ou obfédées : c'ell: par
rinftigaticp du Diable qu^ils lesperfécutent ainfx ,
fouvent même fan^ le favoir , & avec de bonnes,
intentions. C'ell ainfi que Job fut traité. Tout
fe tourne en poifon & défolation pour ces pau-
Tom. il. Jujh T
2go Justification.
vres âmes : leurs p^rens , leurs domeftiques , leurf;
amis , tout ce qu'elles ont de plus cher, les aban-
donnent ou les perfécutent : leurs anxiétés , leurs
douleurs extrêmes font mal -interprétées , blâ-
mées , décriées ; au lieu que la droite raifon &
la charité devroit excufer , admirer , ou même
lefpecleren elles ce qu'on ne connoît point, &
expliquer favorablement des chofes douteufes &
inconnues au monde. Par tout cela elles par-
viennent à cette heuxeufe mort , & difent avec
David , à Texemple de Jéfus-Chrift : (a) Mon
cœ,iJir n attend plus que l'opprobre & la mifere , &c,
ThéoL Myfl. Liv. 3- ^h. 25.
Ste. Catherine de Gènes.
13. De cette forte toutes les inclinations nui*
turelles , tant de l'ame que du corps , font con-
îumées les unes après les autres : & ainfi je con-
iiois qu'il faut que ce qu'il y a de propre en nous
foit confumé de telle forte qu'il n'en refte aucune
chofe , à caufe de la malignité de cette partie
propre , qui eft telle & fi grande , qu'il n'y a rien
qui la puiffe vaincre , fmon l'infinie bonté da
Dieu. Si lui-même ne la confumoit , cachoit &
engloutiffoit en lui , il nous feroit impoffible
d'ôter de deffus nos épaules ce mal, pire que
l'Enfer. En fa Vie. C/z. 13.
14. Cette pureté & netteté d'amour étoit inef-
fable , & furpaffoit la capacité humaine : & cette
ame fàinte avoit cet amour en fi grande abon-
dance , qu'elle ne pouvoit comprendre ( Z?) qu'il
(û) Pf. 68. V. 21.
(6) Il femble à Tame de ce degré , que fon amour
/ ne fe peut accroître , quoiqu'il s'accroîffe chaque jour :
c'eft parce qu'elle ne fent point de vides , à caufe que
Dieu remplit fa capacité paffive à mefure qu'il Tétend , ^
L. Purification 1:2-14. 391
cAt pu croître davantage; parce (lucllc en ctoit
tcllrnu-nt pleine , qu'elle n'en ponvoit (icllrer
da\'anta^e (juc ce 4U1 la tenoit pleinement lai-
fafiée.
Toutefois l'amour ne laifloit pas rfétre foi-
gneux de purger & de nettoyer ce vaifTcau pré-
cieux & élu , d'augmenter fa capacité & de le
remplir de plus en plus. De forte cju'L'Ile difoit:
Je feus toujours que l'on m'ùte de petits brins
d'imperfedions, que ce pur amour tire dehors,
traraillant beaucoup avec fes yeux pénétrans &.
clairvoyans , qui découvrent les moindres & les
plus fecrettes imperfedions , lefquelles auprès
d'un moindre amour fembleroient de;^ perfec-
tions. Dieu fait cette œuvre , ^: riiomme ne s'en
apper^'oit pas ; parce que s'il voyoit les imper-
fcdions, il ne les pourroit fupporter. Dieu lui
montre la perfection qui efh en Tœuvre, fans Jui
faire voir les imperfedions qui nuifent encore à
Toeuvre : mais cependant il ne cefTe de les lai ôter,
bien qu'elles foient inconnues à Fentendement.
Et Ci on dit (a) que les Cieux ne font pas nets
devant Dieu, il faut entendre que le défaut de
netteté n'efk point reconnu que par une lumière
furnaturelle ; laquelle, fans que l'homme s'en en-
tremette , opère en fa manière divine, & purifie
fans cefTc le vaifTeau , lequel femble être déjà par-
faitement purifié. Dieu fait cette œuvre fecrette-
ment , parce que fi cet homme , qui s'eft du tout
remis entre les mains de Dieu , & qui ne veut que
[b) vertu & perfedion de Dieu , voyoit de quelle
il rétend à mefure qu'il réii^pîît% Je forte que l'ame ne
fentant point fon vide , ne comprend pas qu'elle puifle
contenir plus d'amour.
(a) Job 15. ?^. i^.
(6) NoUz^ vertu & perfeélion de Dieu.
T ^
a^t Justification.
importance efl: la plus petite imperfedion devant
Dieu , il lui feroit impoffible (a), s'il en voyoit
plufieurs , ou même une feule , que par défefpoir
il ne fût réduit en poudre. Pour ce fujet Dieu les
ôte peu à peu à Thomme fans qu'il s'en apper-
^oive ; & tandis que nous fommes en cette vie,
fa douce bonté ne fait autre cliofe que de nous
les ôter. Ch. i8.
15. Pour cette caufe je conclus que Tamour
pur ne peut endurer la moindre contrariété , &
ne peut demeurer avec aucune perfonne, s'il ne
lui ôte tous les obftacles & les empêchemens ,
pour y demeurer dans un parfait repos. Ch. 2Q.
16. Si une telle reétitude n'y étoit point, il
lie feroit pas vrai & pur amour; mais il feroit
fouillé d'amour-propre, qui eft fi éloigne du pur
amour que rien ne lui peut être plus contraire ,
& l'ame ne peut avoir de repos jufqu'à ce que
les eaux qui fortent d'elle foient auffi claires que
celles qui viennent de la fource divine. Ch. 21.
17. L'amour pur ne peut ni endurer (b) ni
comprendre, quelle chofe c'eft que peine ou
tourment, ni du monde, ni de l'Enfer : & bien
qu'il pût fentir toutes les peines des démons &
des damnés , il ne pourroit jamais dire que ce
fuffent des peines ; parce que quand la peine
feroit fentie , ce feroit hors de cet amour. Le vrai
& pur amour eft de fi grande force , qu'il tient
toujours fon objet attaché & immobile en l'a-
mant', & ne lui donne (c) jamais la puiffance de
voir ou de fentir autre chofe que pur amour,
(a) Elle parle de iVtajt^ parfait.
(fc) C'eft Lcquî â été dit plus haut, /?^^. 286. ÇExplk»
du Cant. Ch. 5. v. g.) que T Amante oublie toutes fes
bleffures pour ne penfer qu'à la plaie de fon amour,
(c) Notez jamais.
L. Vurificatîùn 14--ÎS. Î93
Ccft donc en vain (jnc fc travaille celui qui lui
v^eut faire fcntir les chofes du monde; parce qu'il
demeure en fon objet immobile comme un moi t.
Chap, Z^.
1 8. Je voi^ trois moyens , difoit-cllc , que Dieu
tient quand il veut purger la créature.
Premièrement il lui donne un amour nud , de
forte qu'elle ne peut vouloir ni voir autre chofc
(\\\ç. cet amour, qui étant fi nud [a] & fi net, lui
fait voir les moindres atomes & les plus fubtils
traits de Tamour-propre : & voyant cette vérité,
elle ne peut plus être trompée de fa partie pro-
pre ; mais elle la réduit dans un fi grand défef-
poir , qu'elle ne lui veut ( b ) donner aucun rafrai-
chifTement, foit corporel, foit fpirituel. Ainfi
fon amour-propre fe confume peu à peu , étant
nécefTaire que celui qui ne mange point meure ;
& toutefois la quantité & la malignité de cet
amour-propre eft fi grande , qu'il accompagne
l'homme prefque jufqu'à la fin de fa vie. Je fens
confumer en moi plufieurs inftinds , qui aupa-
ravant me fembloient bons & parfaits ; mais après
qu'ils font confumés , je connois & comprends
qu'ils étoient dépravés félon mon infirmité fpiri-
tiîelle & corporelle que je ne voyois point , & que
je ne penfois plus avoir. Il faut venir à une fi
grande fubtilité de vue , que toutes les chofes qui
fembloient être d^s perfedionsfe découvrent, &
à la fin fe reconnoiffent être des imperfeélions ,
larcins & malheurs; ce qui fe reconnoît claire-
ment au miroir de la vérité , à favoir de l'amour
(a) La nudité de Tamour fait fa pureté.
Cft) C'eft 011 confifte toute la fidélité de Pâme, de
ne donner aucun foulagenient à là nature durant les
épreuves.
T 3
294 Justification,
pur , dans lequel tout ce qui fembloit être droit,
fe voit tortu & imparfait.
L-e fécond moyen, qui me plaît plus que ce-
lui-là 5 eft quand Dieu donne à l'homme un efprit
occupé dans une grande peine & affliction ; parce
que cela lui fait voir combien il eft vil & abjeft:
& par cette vue il fe tient dans une très-grande
pauvreté de tout ce qui peut recevoir quelque
goût ou faveur de bien ; de telle manière que
Ja partie propre ne fe peut repaître par aucun
moyen , & ne pouvant le faire , il efl néceffairc
qu'elle fe confume , & qu'elle reconnoiffe enfin
que fi Dieu n'y mettoit la main , en lui donnant
fon être , avec lequel il lui ôte cette vue fi
affligeante , jamais elle ne fortiroit de cet Enfer.
Mais après qu'elle a reconnu qu'elle ne peut ab-
folument rien efpérer d'elle-même , Dieu lui fait
la grâce de lui ôter cette vue , & alors elle de-
meure en grande paix & confolation.
Le troifieme moyen (^) eft encore plus ex-
cellent , qui eft 5 quand Dieu donne à la créature
un efprit fi occupé en lui , que ni dedans ni
dehors il ne peut penfer qu'à Dieu même ; ne
pouvant eftimer ni s'arrêter en aucune chofe de
ce qui eft en lui , ni même à fes exercices & à fes
occupations, finon autant qu'il eft néceffaire pour
l'amour de Dieu. Ainfi cet efprit femble être
mort au iTionde ; parce qu'il ne fe peut délecter
en aucune chofe , & ne fait ce qu'il veut, m au
Ciel ni en la terre. Avec cela il lui eft donné
une telle pauvreté d'efpnt , qu'il ne fait ce qu'il
fait, ni ce qu'il a fait, & il ne pourvoit à rien
(û) Dieu joint en certaines âmes tous les trois moyens
de puritlcation , ou les leur faic paffer ks uns après les
aucres.
L. Purification iR-20. 295
3e tout ce qu'il doit faire , m pour Dieu , ni pour
le monde, ni pour foi-menie , ni pour le pro-
chain; parce (]uc Dieu ne lui laiffe voir aucune
chofe dont il fe puiiïe repaitre, mais le retient
toujours en union avec lui & dans une douce &
agréable confufion. * Ainfi cet efprit demeure
riche & pauvre , ne pouvant fc rien approprier,
ni fe fatislaire d'aucune chofc ; de forte qu'il cfb
néccffaire cju'il fe confume & qu'il demeure enfin
perdu en Ini-mcmc. Puis il fe retrouve en Dieu,
où il étoit déjà auparavant , quoiqu'il ne fut pas
comme il y étoit. C/i, 26.
19. L'ame qui aime Dieu , a plus d'horreur
d'une imperfection que de toutes les peines du
Purgatoire , bien qu'elles foient extrêmes. C'eft;
pourquoi elle fe lance avec ardeur dans le Pur-
gatoire étant fortie du corps , voyant que c'eft le
lieu ordonné pour la purger ; & il lui femblc
qu'elle trouve une grande miféricorde. C/i, 50.
20. Elle étoit tellement attachée à la volonté
de Dieu, qu'elle prenoit de fa main tout ce qui
lui arrivoit de moment en moment ; & cette
union à la divine volonté lui donnoit un tel goût
& faveur , qu'elle participoit à la félicité des bien-
heureux , qui n'ont d'autre vouloir que celui
de la fouveraine Bonté. Ce divin vouloir [a) eft
* Propriété , n. 9.
(a) Cq dîvîn vouloir nous purifie. Comme toutes nos
imperfections viennent de ce qui eft oppofé à Dieu ;
( car il eft impoflible que Dieu puilTe vouloir une im-
perfedioa , toute imperfection nous rendant diffembla-
blés à lui & oppofés à fa volonté; il eft clair que la con-
formité à fa volonté, nous faifjnt devenir uniformes , 6c
-cette uniformité étant la manière dont nous pouvons
reilembler à Dieu , il faut nécefruirement que la dû
T4
2^6 JUSTIFICATIO*.
ce qui ôtc de notre volonté toute impcrfedljon.
Et pour cela elle difoit : Dieu veut tout ce que
nous pouvons défirer de mieux & de plus haut;
& il ne regarde à autre chofe qu'à notre utilité
fpirituelle. Mais Tliomme , à caufe de fon im-
perfedtion , ne voit pas ces chofes ; & plus il fe
conforme au vouloir divin , plus il laiffe foa
imperfection , & s'approche plus près de la per-
fection ; de forte que (a) quand il ne peut plus
5'éloigner de la divine volonté , il devient tout
parfait , uni & transformé en Dieu : ainfi Tame
demeurant dans fa volonté dépravée , efk &
demeure imparfaite ; & s'approchant de celle
de Dieu , elle devient parfaite. O bienheureufc
Tame , &c. (Voyez Abandon, n. lo. Ch, 51.
2i, Y oytz AncantiJJcment. n. 14 & i^.
22. Depuis qvie l'amour eut pris le foin & le
gouvernement de toutes chofes en moi , jamais
il ne me laiffe ; de forte que depuis ce tems [b]]^
n'en ai pris aucun foin , & n'ai pu faire aucune
opération de l'entendement, de la mémoire & de
la volonté, non plus que fi je n'eulTe jamais eu
aucune de ces facultés. Chaque jour je me fen-
tois plus occupée en lui , & avec un plus grand
feu. Cela arrivoit parce que Tamour me délivroit
peu à peu de toutes les imperfeélions intérieures
& extérieures, & les confumoit; & quand il en.
vîne volonté , conformant notre volonté à la fienne , la
purifie de tout ce qui lui eft contraire: plus elle la pu-
riiie , plus elle fe la conforme , jufqu'à ce qu^elle la
rende uniforme, & qu'enfin elle la change & transforme
en foi ; c'eft réconomie de la grâce.
fa) "Notez , quand il ne peut plus s'éloigner.
(/;) Eiic dit qu'elle n'a jamais repris le foin de foi-
même, & qu'elle na pu rien opérer.
L. Purification 20-24. 297"
avoit confiimc quelqu'une , il I;i montroit à Tamc :
& rame voyant cela, s'cnibraloit encore davan-
tage d'amour, & ctoit tenue en tel degré qu'elle
ne pouvoitvoir en foi aucune chofc qui fît em-
pêchement à l'amour, parce qu'elle fe fùtdéfcf-
pérëe : mais il lui falloit toujours vivre avec la.
pureté qu'il demandoit. S'il y avoit quelque im-
perfedion à ôtcr , elle n'étoit pas montrée à Tamc,
ni même mife aucunement «1 la penfée , pour
y pour\'oir <Sc pour en prendre le foin , non plus
que fi elle ne lui eut point touché. J'avois don-
né à l'amour les clefs de la maifon avec une
ample & entière puiflance, afin qu'il fît tout ce
qu'il voudroit , fans avoir aucun égard ni à 1 ame ^
ni au corps. Ch, 41.
23. Je demeurai fi attentive & fi occupée à
voirfon œuvre que s'il m'eut jette avec l'ame &
le corps en Enfer, il me femble que je n'y euffe
trouvé que tout amour & confolation. Je voyois
que cet amour av^oit l'œil (i ouvert &c. (Voyez
ConfcJJîon, n. 4. ) Ld-mémc,
24. Elle fut encore plus étroitement afliégée ;
& fe trouvant de jour en jour plus à l'étroit , elle
difoit : Je me trouve chaque jour plus refferrée,
& comme une perfonne qui ayant été confinée
dans une ville ifans en pouvoir fortir, feroit en^
fuite renfermée dans une belle maifon , accompa-
gnée d'un beau jardin; puis en la maifon feule,
fans pouvoir entrer dans le jardin; puis dans une
falle , puis dans un cabinet avec un peu de lumiè-
re, puis , dans une prifon fans lumière ; puis avec
àts menotes , puis les pieds liés ; puis on lui ban-
deroit les yeux; puis on ne lui donneroit plus
rien à manger; puis perfonne ne parleroit plus à
elle; puis toute efpérance lui feroit ôtée d'en for-
tir que par la mort; &il ne lui refteroit autre con-
5:98 Justification.
folation , que de connoître que Dieu eft celui qui
fait tout cela par amour, & par une grande mifé-
ricorde , enforte que cette connoiffance lui don-
ne un grand contentement & une grande paix;
qui ne diminue point néanmoins la peine ni l'af-
ficgement où elle eft : & de plus on ne lui pour-
roit donner de fi grandes pemes que pour en être
délivrée , elle voulut fortir de cette divine or-
donnance & difpofition , 'qu^elle voit être jufte
& accompagnée de miféricorde.
Auffi à caufe de la pureté de fon amour, elle
difoit : Si Dieu me donnoit toutes les grâces &
les mérites des Saints, & avec cela toutes les
peines des damnés, lamour pur eftimeroit ces
peines comme des joies de la vie éternelle. Et
fur ce qu'on lui repartit qu'elle diroit peut-être
autrement, s'il en falloit venir à Tépreuve, elle
répondit : Si Tamour confideroit la peine , ce ne
feroit pas amour de Dieu , mais amour propre.
Si on pouvoit ôter à une ame damnée la caufe de
les peines, à favoir le péché, elle eftimeroit le
refte de fes peines comme un rien, en comparai-
fon du péché qui lui feroit ôté ; & fi elle difoit
autrement, elle ne feroit pas en parfaite charité.
Ch. 42.
25. Voyez Juflice de Dieu, n, 2.
26. Elle vit que Dieu tenoit Tefprit tellement
fixe en lui, qu'il ne le laiffoit point divertir pen-
dant un feul moment : & tant plus il étoit en
cette occupation , tant plus il lui étoit difficile de
retourner en arrière ; à caufe de Toppofition &
de la contrariété inexprimable qui s'y rencontroit
à l'égard de Fefprit, lequel étant ainfi caché & en-
glouti en Dieu , trouvoit toujours cette mer, dans
laquelle il étoit plongé , plus grande & plus pro-
fonde , parce que Dieu l'y tiroit & Ty plongeoit
I.. Purijication 24-28. -z^c)
cic plus en j)lu'^, (1 bien ([u'il s'aiicantifToit coiiti-
jiucllcinciit vX Tl* ii.nislorinoit en Dieu, qui dit
alors il Tame :
* Je ne veux plus que tu icnéchifTes fur mes
opérations pour les regarder & les fentir ; car tu
en déroberois (,a) toujours (jueliiuc chofe, eu
t'approj)riant ce qui ne t'appartient pas. Je veux
laire le relie de l'œuvre ïans que tu en fâches
rien : je te veux Jeparer de ton efprit ik que lui-
même foit noyé dans mon abime.
L'Humanité toute découragée par ces difcours,
dit :
Je fuis celle qui demeure ici dans les tour-
mens : je ne vis pas, ik )e ne puis mouiir; & je
me vois de jour en jour plus opprimée &, prefque
anéantie. Ouand on me montra ([uelle étoit cet-
te opération ii attachée en Dieu , qu'il m'étoit
impolfible de refpirer un moment ; je vis tous les
efforts de cet alîiégement raliés contre moi mi-
férablc , & que cette opération étoit û terrible
pour moi 5 que toutes les parties de mon corps
en étoient affligées : parce que de demeurer ainli
fixe & arrêtée fans fe mouvoir un feul moment,
c'eft une chofe qui convient aux Saints bienheu-
reux en Paradis , qui vivent en Dieu perdus à
eux-mêmes : mais pour moi, que je vive en ter-
re, & que Tefprit foit au ciel; c'eft le plus grand
& le plus merveilleux ouvrage dont j'aie jamais
oui parler , &le plus terrible martyre que je puiffe
avoir en ce monde. Dlal. Livr. 2. Ch. 1 1.
27. Voyez Pur amour, n. 13.
28. Les conditions de cette ame font celles-
ci. Elle demeure fort délicate , tellement qu'elle
ne peut endurer en foi le foupçoii du moindre
* JJort entière, n, 6.
Ici L'appropriation cil un larcin.
'300 Justification.
défaut; parce que l'amour pur & net ne peut de-
meurer avec la plus petite imperfedion , & que
l'ame amoureufe n'en pouvant foufFrir aucune en
elle-même, elle en reffentiroit une peine fembla-
ble à celle de TEnfer. Et comme en cette vie
l'homme ne peut être fans défauts , Dieu laiffc
Tame pour quelque tems dans l'ignorance (a) de
ceux qui font en elle , parce qu'elle ne les pour-
roit fupporter : puis dans un autre tems il lui don-
ne la connoifTahce de tous ces défauts, & par ce
•moyen il la purifie. Livr. 3. Ch. 8.
29. Bien qu'il femble quelquefois que telles
âmes ayent affection à quelque chofe extérieure ,
on ne doit ( b) pas le croire ; étant impofïibJe
qu'en tels efprits il puiffe entrer autre amour que
celui de Dieu, iï ce n'eft que Dieu le permette
aînli pour quelque néceffité de l'ame ou du corps ;
& en ce cas l'amour de Dieu ne fouffriroit aucun
empêchement par un tel amour , ou un tel foin
permis pour une telle occafion, parce qu'il ne pé-
netreroit point jufqu'au fond du cœur, & ne fe-
roit ordonné de Dieu que pour une telle nécef-
fité, & qu'il foit libre de toute fujétion intérieure
& extérieure : car (c) ozz ejl te/prit de Bleu y là efi
la liberté. Là-même.
30. O que peu de créatures font canduites par
,.^ette voie d'un fi fubtil & fi pénétrant amour,
-<jlù met de telle forte l'ame & le corps en pret
fe, qu'il ne leur lailTe aucune imperfedion ! par-
[a] Défauts que TEpoux corrige en fon tems. (Voyez
Explicat, du Cant, Ch. i. v. ^. )
[/j] C^eft ce que j*ai dit , qu'il paroît des défauts & crafTes
après la purification & qui ne le fonc pas. [Voyez Moyen
court. Ch. 24. n. 1. rapporté dans TArt. Propriété & la
Note pag. 190. 3
[c] z Ccr. }. V. 17.
L. Vurifi cation 29-33. 301
te que pour petite- (]Lrelle foit, rameur pur ne la
peut endurer; iS: la douce opération perfé\ érc
en Tame tant (juVlle l'ait toute puriMéc, pour 1a
conduire à l'a propre fin fans purgatoire. Là-mè'^
me. CIl 1 I .
Le B. Jean de la Croix.
31. Il efl dit dans Y Explication de fon Eni^mr^
que Tame doit être purifiée dans" les chofes plus
fpirituelles , qu'il y a une purification active &
unt paliivc.
Outre tous les Chapitres de la Montée du mont
Carmel çff de la Nuit Obfcure, qui ne parlent que
de purification , je me rcjlrains à ce que je vais écrire.
32. C*eft le propre de celui qui a des appétits,
d'être toujours mécontent & ennuyé, comme
celui qui endure la faim : mais quel rapport &
quelle convenance entre la faim que caufent les
créatures, & cette réplétion qu'opère TEfprit de
Dieu ? Ainfi cette fatiété de Dieu ne peut en-
trer en Tame, fi on n'en bannit premièrement
cette faim de Tappétit, vu que, comme il a été
dit, deux contraires ne peuvent demeurer en un
même fujet, à fav^oir, la faim & la réplétion. Oa
voit par-là, combien ce, que Dieu fait, en pur-
geant & nettoyant Tame de ces contrariétés, eft
en certaine manière plus (^) que de la créer à^,
rien; parce que ces contrariétés d'appétits & d'âf*
feclations contraires femblent plus s'oppofer à
Dieu que le néant, qui ne réfiftc point à fa Ma-
jefté, comme fait l'appétit des créatures. Montée
du Alont Carmel. Livr. i. Ch. 6.
33. Parce que l'ame fe purge ici des affec1:ions
& appétits fenfi tifs , elle [b) acquiea la liberté d'ef-
[a] Bien vraî.
[b2 Tout ceci appartient à la première purification.
502 Justification.
prit, où elle cueille les douze fruits du S. EfprÎL
ï!t auflfi elle fe délivre ici admirablement des trois
ennemis, du Diable, du monde, & de la chair:
car éteignant la faveur & le goût fenfitif à Tégard
de toutes chofes, le Diable, le monde, ni la
fenfualité n'ont point d'armes ni de forces con-
tre l'efprit. Ces aridités donc font marcher Tamc
Tivcc pureté en Famour de Dieu ; puifqu'elle ne
fe rnieut plus à opérer pour le goût & faveur de
l'œuvre, comme ellefaifoit peut-être quand elle
avoit des douceurs , mais feulement pour plaire
à Dieu. Elle devient, non préfomptueufe , ni
fatisfaite , comme peut-être elle étoit auparavant
au tems de fa profpérité, mais craintive & dé-
fiante de fes œuvres, n'ayant aucune fatisfaction
de foi; eii quoi confifte la fainte crainte, qui
conferve & augmente les vertus. Cette aridité
éteint auffi les concupifcences & les mouvemens
vifs de la nature , comme il a été dit; parce qu'ici
très - rarement, & comme par miracle, ( fi ce
ii'èft' que Dieiî, de foi, lui verfe ou donne quel-
que gô^ût}^ëH'e ne trouvera du goût ni de la con-
folatibn fenfible par fa diligence en aucune œu-
vre ni exercice fpirituel, comme nous avons déjà
dit. En cette- nuit féche le foin de Dieu croît , &
le défir angoiiTeux de le fervir s'augmente ; parce
que comrne fe rnamelles de 1^ fenfualité , dont tïïc
ncurriflbitfési appétits, lui tarifïent, i! ne lui
refte plus que ce défir tout fec & pur de fervir
Dieu : chofe très-agréable à fa divine Majefté.
Objcure Nuit de famc ^Livr. l. Ch 13.
34. La maifon de la fenfualité étant déjà tran-
quiljifée , c'eft-à-dire , fes pallions étant mortifiées,
fèsconvoitifes éteintesr, les appétits appaifés &. en-
dormis par cette heureufe nuit de la purgation
fenfitive, Tame fortit pour comrmencer le che-
L. Ttiriflcattou. 53--34- 3^3
iT\in de Tcrprit , qui c(l proprement relui dcfv
. avancés , qu'on a[)pellc nutrenienr la voie illunii-
iiativc, ou (le contemplation inlufe, par laquel-
le contemplation Dieu de foi-mètne repaît &
fudente ramef.uis difcours, ni aide, ni [a] coopé-
ration adivc d'elle. Telle e(l , comme nous
avons dit, la nuit ^ puriHcation du fens, laquel-
le en ceux qui doivent après, entrer en Tautre
plus fàcheufe & plus pcfantc de l'efprit, pour
pafler à la divine union d'amour de Dieu, (car
tous ny paffent pas , mais peu pour l'ordinaire , )
a coutume d'être accompagnée de grands travaux
& tentations fenfitives qui durent Jongtems , en-
core qu'aux uns plus qu'aux autres : car quel-
ques-uns ont l'Ange de Satan , qui eft l'efprit de
fornication, pour tourmenter leurs fens de for-
tes & abominables tentations , & travailler leur
efprit de fales penfées, & l'imagination de re-
préfentations fort vives : ce qui leur eft par fois
im plus grand tourment que la mort même.
D'autrefois à cette nuit il eft joint l'efprit de
blafphême, qui traverfe toutes leurs conceptions
& penfées de blafphêmes intolérables , lefquels
par fois il fuggerc dans l'imagination avec tant
d'effort, qu'il les fait quafi prononcer; ce qui
leur eft un grand tourment. Tantôt ils font
tourmentés d'un autre efprit abominable qu'on
appelle efprit de vertige , qui leur eft donné pour
les exercer ; lequel leur obfcurcit tellement le
fens qu'il les remplit de mille fcrupules & per-
plexités fi embrouillées en leur jugement, qu'ils
ne peuvent jamais fe fatisfaire en rien , ni appuyer
le jugement à confeil ni à conception aucune:
ce qui eft un des plus rudes aiguillons & horreurs
(û) Elle commence déjà d'entrer dans la correfpon-
dance paffive.
'^04 Justification.
de oettc nuit , fort approchant de ce qui fe paiïe
dans Ja nuit fpirituelle.
' Dieu envoie ordinairement ces peines & ces
travaux en cette nuit fenfitive à ceux qu'il veut
mettre après dans l'autre, (quoique tous n'y en-
trent pas , ) afin qu'étant ainfi châties & foufle-
tés de la forte, ils aillent exerçant & difpofant
& accommodant les fens & les puifTances pour
l'union de la SagefTe (a), qu'on leur doit don-
ner là; parce que fi Tame n'efk tentée, exercée,
éprouvée par des tentations & travaux , fon fens
ne peut arriver à la Sageffc. C'cft pourquoi l'Ec-
cléfiaftique dit : (b) Celui qui ntfi point ttnté ^ que
fait-il ? Et celui qui n^a point expérimenté reconnoltra
peu de chofe. De quoi Jérémie eft bon témoin ,
qui dit : (c) Vous m'avez châtié , ^ jai été infnuit.
3Et la plus propre manière de ce châtiment pour
entrer en la SagefTe, font les travaux intérieurs que
nous difons ici ; parce qu'ils font de ceux qui pur-
gent plus efficacement le fens de tous les goûts
& confolations auxquels , par foibleffe naturel-
le , il étoit aiFedionné ; & où l'ame auffi eft vé-
ritablement humiliée pour l'élévation & l'éminen-
ce où elle doit monter.
Or quant au tcms que l'ame demeure dans ce
jeûne & pénitence du fens , on ne peut pas le di-
re certainement ; parce que cela ne fe pafTe pas
en tous de la même manière , ni tous n'endurent
pas les mêmes tentations : car cela n'a point
d'autre règle ou mefure que la volonté de Dieu ,
félon le plus ou le moins que chacun a d'imper-
(a) C'eft que c'eft la divine SagefTe elle-même , qui doit
faire la féconde purgation. Elle eft envoyée ainfi que le
dit le Moyen court [Ch. 24- n. 5. 6. 3, comme un feu
dévorant devant la face de Dieu.
Où Eccl. 34. V. 9. 10. Ce) Jérém. 31. v. 18.
fedion
I>. Pitrification. 34. 305
feélions à |niiA;i'ri (S: aiiHi c.oiilc^nncmcnt au dc-
^vé d'union d^unour où IJicu ic veut élever , il
J'huinilicru plus ou moins, foit parla peine , foit
par le tems.
Ouant à ceux (jui font les meilleurs fujets &
j^lus iorts à fouHrir, il les purye plus vivement
& plus proui[)tement ; car j^our les foibles, il les
conduit par cette nuit fort lentement ik avec des
tentations légères , & les laifle long-tems en cet
état , donnant à leurs fens des réfections ordi-
naires, aHn qu'ils ne retournent en arrière; :Sc
ainfi ils arrivent tard à la pureté de pcrfeélion ea
cette vie ; (Se quelques-uns d'entr'eux n'y parvien-
nent jamais , n'étant tout-à-fait dans cette nuit ,
ni tout-à-fait dehors ; car quoiqu'ils ne palfent
outre , néanmoins pour les conferver en humi-
lité & en la connoilfance d'eux-mêmes , Dieu les
exerce quelque efpace de tems & quelques jours
en ces aridités tk tentations , & les aide aulii de
tems en tems avec des confolations , aim que
ne manquant de courage , ils ne retournent cher-
cher les goûts du monde (a).
Pour d'autres âmes, qui font encore plus foi-
bles , Dieu fe comporte en leur endroit comme
difparoiffant & s'abfentanc, pour les exercer en
fon amour ; car fans ces éloîgnemens elles n'ap-
prendroient jamais à s'approcher de Dieu. IVIais
pour les âmes qui doivent pafTer à un li heureux
& fi fublime état, comme efl: l'union d'amour,
avec quelque viteife que Dieu les conduife , pour
(a) C'eft ici recueil de bien des perfonnes fpirî-
tuelles , qui ne trouvant plus de confolarion en Dieu ,
en cherchait d-^ns les créatures , & peu à peu deviennent
fenfjelles J'ai tâché, dans tous rnes écrits^ d'en beau-
coup précaution ne r.
Tome IL Jiijtif, V
3o6 Justification.
l'ordinaire elles ont coutume de demeurer long-
tems dans ces aridités, comme on l'a vu par ex-
périence. Mais finiflant ce Livre, commencions à
traiter de la féconde nuit. Objcure nuit de tamc,
Liv. 1. C/z. 14.
55. L'ame que Dieu veut conduire plus avant,
n'eft pas mife par fa Majefté dans l'union d'a-
mour, auffi-tôt qu'elle fort des féchereffcs & des
travaux de la première purgation & nuit du fens ;
au contraire il fe paffe bien du tems & des an-
nées depuis l'heure qu'étant fortie de Tétat des
commen^ans , elle s'exerce en celui des avan-
cés; dans lequel , comme celui qui eft forti d'u-
ne étroite prifon , elle marche aux chofes de
Dieu bien plus au large , avec beaucoup plus de
fatisfailion & avec une plus abondante & plus in-
térieure délectation que celle qu'elle avoit dans
les commencemens , avant qu'elle entrât dans la
dite nuit. —
Bien que , comme la purification de l'ame n'cft
pas entièrement faite , ( d'autant que la principale
manque, qui eft celle de l'efprit , fans laquelle,
pour la communication qu'il y a d'une partie à
l'autre, n'y ayant qu'un feul fuppôt, la purgation
fenfitive ne demeure point achevée ni parfaite,
quoiqu'elle ait été très-forte & très-véhémente ,)
elle ne manque jamais de quelques féchereffes ,
ténèbres & preffures, & par fois bien plus fortes
que les précédentes , qui font comme des préfa-
ges & des meffagers de la nuit future de l'efprit ,
quoiqu'elles ne foient de fi longue durée ,
que fera la nuit qu'elle attend; parce qu'ayant
paffé une heure , ou plufieurs , ou quelques jour-
nées de cette nuit ou tempête , elle retourne auf-
fi-tôt à fon calme accoutumé : & Dieu purge en
cette manière certaines âmes ^ qui ne doivent pas
J.. Vtirifuation. 35,36. 307
monter à un {\ haut degré (l\imour cjue les au-
tres, 1rs mettant par intervalle clans cette nuit de
contemplation ou de purj>ation l'piritucllc , fai-
fant fouvcnt venir la lumière &. l'oblcurité, con-
lormément au dire de Daxid : [a] Il envoie Joa
crijla/ , c'ell-à-dire , fa contemplation , comme de
jictirrx houdiccs ,• encore que ces bouchées de con-
templation oblcure ne Ibient jamais fi intcnfes
que celles de cette horrible nuit de contem-
j)lation , (/;) dont nous devons parler , où Dieu
met i'amc exprès pour l'élever à l'union divine.
Cette faveur donc & ce goût intérieur que nous
difons que les prolitans goûtent, (Sec. (Voyez
Extajc ^ n. i r. ) Obfc. ISuil, Liv, 11. C/z. ï.
36. Ces proiitans ont deux fortes d'imperfec-
tions ; les unes habituelles , & les autres aduel-
les. Les habituelles font, les affections & habi-
tudes imparfaites, Icfquellcs encore font comme
des racines demeurées dans Tefprit , où la pur-
gation du fens ne peut atteindre. La difrérence
qu'il y a entre les deux purgations, c'eft comme
de couper les branches & d'arracher la racine ,
ou bien effacer une tache toute fraîche , ou en
ôter une vieille & bien enracinée ; car comme
nous avons dit , la purgation du fens eft feule-
ment la porte & le principe de contemplation
pour Tefprit, & fert plus pour accom.moder le
fens à Tefprit que pour unir l'efprit avec Dieu:
mais nonobftant, les taches (c) du vieil homme
demeurent dans l'efprit , encore qu'il ne les voie
& qu'elles ne lui foient apparentes ; lefquelles fi.
elles ne s'effacent avec le favon Ik la forte leflîve
(û) Pf. 147. V. 17.
(/;} J'ai écrit par-tout de cette première & dernière
purification & de leur différence.
(1: ) A favûir la propriété.
V %
3o8 Justification.
d*e la piirgation de cette nuit, refprit ne pourra
parvenir à la pureté de l'union divine. Là-même^
Chap. 2.
37. Les affedions de mon ame , avec lefquel-
les je fentois & goûtois de Dieu baffement ,
achevant de s'anéantir & de s'appaifer , je fortis
& pafTai de la communication & refferrée opé-
ration fufdite , à l'opération & converfation di-
vine 5 c'eft-à-dire , que mon entendement fortit
hors dç foi , fe changeant d'humain en divin ;
parce que, par le moyen de cette purification ,
s'unifTant avec Dieu , il n*entend plus avec fa
façon raccourcie & limitée , comme auparavant ,
mais par la SagefTe divine , avec laquelle il eft
uni; & ma volonté fortit de foi , devenant di-
vine ; parce qu'étant unie avec l'amour divin,
elle n'aime plus avec la force & la vigueur limitée
dont elle aim'oit auparavant , mais avec la force &
la pureté du divin Efprit: & ainfi la volonté n'o-
père plus humainement envers Dieu: & tout de
même la mémoire s'eft maintenant changée en des
conceptions éternelles de gloire. Et enfin toutes
les forces & affedions de Tame , par le moyen de
cette nuit & purgation du vieil homme fe renou-
vellent & fe changent en tempérament & délices
divines. Ohfc, Nuit, Livr, 2. Ch. 4.
38. Voyez Foi nue. n. 17.
39. Qiiant au premier, à favoir que cette con-
templation obfcure caufe à Tame des ténèbres ,
cela* eft manifefle ; parce que la lumière & la fa-
geffe de cette contemplation eft très-claire &
très-pure , & l'ame qu'elle inveftit eft obfcure &
impure: de-là vient qu'elle pâtit beaucoup à la
recevoir , comme les yeux malades & impurs
font travaillés des rayons d'une claire lumière :
& cette peine en l'ame , à caufe de fon impureté .
[.. Puriflcatiou. 57-59. 3^9
cd indicible Ioif(]irclle c(l \Taicmcnt inveflic (\c
cette lumicre dix'inc; parce que cette pure lu-
mière invcdiir.uit Tame pour en chalfcr Timpu-
rcté, elle fe fenr fi impure oi l\ miférablc , qu'il
lui femble que Dieu foit contre elle , & qu'elle
cil contraire à Dieu. Ce qui eft d'un fi grand
fentimcnt & peine pour Tame , ( parce qu'il lui
femble ici que Dieu l'ait rebutée sSc rejettée ) que
l'un des travaux qui pefoit le plus à Job , lorfquc
Dieu le tenoit dans cet exercice, étoit celui-là,
difant (a) Pourquoi m'avez -vous mis contraire à
vous ^ & jai et c fait pcfant à moi-même ? D'au%
tant que Tame voyant ici clairement parle moyea
de cette claire & pure lumière , quoiqu'obfcuré-
nient, (/;) Ion impureté, elle connoît manifefte-
ment qu'elle n'eit digne de Dieu, ni d'aucune
créature : & ce qui la travaille le plus eft la crain-
te qu'elle ne le fera jamais, & que déjà tous fes
biens font Hnis : ce qui vient de ce qu'elle tient
l'efprit profondément plongé dans la connoif-
fancc & le fentiment de fes maux & de fes mifé-
rès. Car cette divine & obfcure lumière les lui
fait ici toucher au doigt & à l'œil , & lui fait clai-
rement connoître , comme de foi elle ne pourra
avoir autre chofe. Nous pouvons prendre en ce
fens cette autorité de David; (c) Vous avez corrigé
t homme à caufe de fon iniquité ^ & vous avez fait
deffccher fon ame comme t araignée,
^ La féconde manière d'affliction & tourment
de famé vient de fa foibleffe naturelle & fpiri^
f(7] Job 7, V. 20.
[/;] Il dit qu'elle voit obfcurément fon impureté, cela
eft fi vrai, que quoiqu'elle fe fente fi fale qu'elle fe fais
horreur, elle ne voit en elle aucune coulpe particulière.
[c] Pf. 38. V. 12.
^ Mort entière, n. 7,
V 3
5!o Justification,
tuelle ; parce que comme cette contemplation
divine inveftit Tame avec quelque force & impé-
tuolité , pour la fortifier & dompter, elle peine
tellement en fafoiblefle , qu'elle défaut prefque,
particulièrement quelquefois , lorfqu'elle eft in-
vertie avec une plus grande force : car le fens &
l'efprit , de même que s'ils étoientfous quelque
fardeau obfcur & immenfe , font tellement fouf-
frans 6c agonifans , qu'ils trouveroient du foula-
gement à mourir. Le faint homme Job ayant expé-
rimenté cela, ne vouloit {a) pas que Dieu vint
aux pnfes avec lui en la force de fon bras , &
ufant de fa puiffance , de peur d'être accablé fous
le faix de fa grandeur : car en la force de cette
oppreffion Tame fe fent tellement éloignée de fa
faveur , qu'il lui femble , ( & il efl ainfi , ) que les
chofes où elle avoit coutume de trouver de l'ap-
pui , fe font retirées avec le refte , & qu'il n'y a
perfonne qui ait compafTjon d'elle : Job auffi dit
à ce propos : [b] Ayez pitié de moi , ayez pitié de
moi 5 au moins vous mes amis ^ parce que la main du.
Seigneur m'a touché, Chofe merveilleufe & enfem-
ble pitoyable , que la foibleffe &c impureté de
l'ame en cet état foit fi grande , que la main
de Dieu (c) , étant de foi fi douce & ft fuave ,
C<7) Job 2^. V. 6.
ib) Job 19. V. 21.
(c) G'é'ft ce qbe j ai dit ( Voyez Propriété, n. 22 pag.
f,?;. la "Note d, ) que cetie même main , qui fait ici tous
les fuppîices de Famé, fait: enfuice toute fa béatitude
ians changer fon attouchjemcnt.
On peut expliquer en cet endroit , d*où vient que
Jéfus-Chrift pureté effentieile , a foufFcrt de l'appefan-
tilTement de la main de Dieu de fi étranges fuppîices , fi
celte divine mai;i tTt toujours béatifique aux fujets purs
& qu'elle n'eil dculoiireufe qu'a caufe de notre impu-
L. Pîirîficatîoii. 39,49. ^rt
V.iîne la fente ici fi pcfaïUc & fi contraire ,
<[iioic]ue fa IVlajellc ne fade qu'en toucher feulc-
lYicnt (luis la pofcr ni l'appcfantir, ik ceci encore
iniféricordicufcmcnt, pujfquo c'cft pour faire des
grâces k Tame , & non pour la châtier. Ohfcurc
Nuit y Livr. 2. C/urp. 5.
40. La rroifiemc manière de pnfFion Se de pei-
ne, que Tame endure ici , procède de deux au-
tres extrémités, à favoir divine & humaine, qui
s'unilTent ici. La divine e(l cette contemplation
])urgati\'e ; Thumaine cft le fujet de l'amc ; parce
que comme la divine invcflit l'ame aHn de Ta-
parcillcr & de la renouveJler pour la faire divi-
ne , la dépouillant des aft'eélions habituelles &
propriétés du vieil-homme, auxquelles elle eft
fort unie , collée , conjointe , & conformée , clic
la brife & défait de telle façon , l'abforbant
en une profonde obfcurité , que Tame fe fent
confumer & fondre à la vue de fes miferes par
une cruelle mort d'efprit , de même que fi une
bête l'ayant dévorée & avalée toute vive , elle fe
fentoit digérer dansfon ventre ténébreux , fouf-
frant les mêmes angoiflTes que Jonas (a) dans le
ventre de la baleine ; d'autant qu'il faut qu'elle
foit dans ce tombeau de mort obfcure pour la
reté ? C'eft que Jéfus-Chrîft étoit alors chargé des
péchés de tout le monde , étant couvert de la forme
du pécheur ; & c'eft fur cette forme de pécheur qu'elle
s'appefantit. Cv^r cette main eft la Juftice toute -puif-
fante ; & comme Jéfus-Chrift couvert de tous les pé-
chés du monde, portoit lui fcul toutes nos iniquités
affemblées , auffi cette divine main s'appuya- 1 -elle
fur lui avec toute la force de fon bras.
0?) Jon. 2. V. I.
V4
512 Justification.
réfurredion fpiritiielJe qu'elle attend. * David
décrit cette peine , qiioiqii niexplicable , difant:
( a ) Les abois de la mort m'ont environne , les don-
leurs de l'enfer m'ont afficgc. J'ai crié en ma trihida--
tion. Mais ce que cette ame dolente refTent le
plus ici, c'ell qu'il lui femble que Dieu Ta re-
jectée , & que l'ayant en horreur, il Fait préci-
pitée dans \ç:s ténèbres; ce qui eft pour elle un
grand tourment & une peine lamentable , de
croire que Dieu l'ait abandonnée. David fentant
beaucoup cette peine {b) dit à ce propos; (c)
Comme les biejjés , dormants dans les Jepulcres , des-
quels vous navez point de Jbuvenance , Jont repoujjés
de votre main , iis m'ont mis dans le lac inférieur ,
dans des lieux ténébreux ^ l'ombre de la mort ,• votre
fureur a été confirmée fur moi , ^ vous avez attiré
tous vos flots fur moi: parce que véritablement,
quand cette contemplation obfcure ferre &
ëtreint , Tame fent fort au vif l'ombre de la
mort , des gémiffemens & douleurs de l'Enfer ;
qui confiftent à fe fentir fans Dieu, [d] punie
& rejettée , & que fa Majeflé eft indignée &
* Mort entière, n. 8.
ia) Pf. 17. V. s, 6, 7.
{b) Cette peine de Tabandonnement de Dieu eft la
plus terrible peine de l'ame. C'eft une efpece de peine
du dam, & d'Enfer fpirituel.
De tous ces états, il y en a bien de plus terribles
& plus çcendus les uns que les autres. Si famé pou-
voit comprendre que c'eÔ: un état , elle ne mourroit
jamiis à elle-même; c'eft pourquoi il ne faut pas
trop la foutenir , ^ il faut que le ConfelTeur la facri-
iie comme Dieu , ne lui témoignant nulle compaflion ,
& ne réclairant point trop.
(c) Pf. 87. V. 6,7, 8.
id) Ceux qui n'ont jamais éprouvé la douce pré-
L. Purificatiou. 40 , 41. jtj
courroucée contre clic : car tout cela fc fcnt
ici; & qui plus c(l, c'efl qu'il lui fcmblc dans
une ap[)rclicnlion craintive, que c'ell pour tou-
jours. Jù elle lent aulli le même (lél;iif(ement de
la part de toutes les créatures, tk fe fent inéj)ii-
fée d'elles, particulierenient de fes amis: c'ell
pourquoi David j)Ourfuit aulïitot : [a] l'ous aocz
éloigne ceux de mu cuiinoijjhnce ,• ils m ont mis comme
une abomination d leur égard. Kt le Prophète .lo-
nas , comme celui qui l'avoit expérimenté exté-
rieurement: [h] Vous niaoezjettt^. au profond dans
le cœur de la mer ^ ^ un jleuve m'a environne ^ tous
vos goufres &f tous vos Jiots ont paj]e dejjïis moi , &c.
Ohfc, Niùt , Livr. 1. Chap. 6.
41. La quatrième peine eft caufée en Tame par
une autre excellence de cette obfcure contem-
plation , connoiiïant la grandeur & Majefté de
Dieu , de laquelle naît en Tame le fentiment d'u-
ne autre extrémité qu'il y a en elle, à favoir unç,
extrême mifére & pauvreté, qui eft Tune des prin-
cipales peines de cette purgation ; parce qu'elle
fent en foi un vide profond , & une djfette de
trois fortes de biens ordonnés pour le contente-
ment de Tame, qui font les temporels, les na-
turels & \ts fpirituels , fe voyant réduite aux maux
contraires, c'eft à favoir, aux miféres d'imper-
fections, aux aridités & aux vides des appréhen-
fions des puiflTances , & à Tabandonnement de l'ef-
prit en ténèbres. Car d'autant que Dieu purge
fence de Dieu dans leurs âmes , & fes carcfTes ineffa-
bles , ne comprenant point les infupportables rigueurs
de cette abfence & de ce rejet de Dieu , n'auroient
guères de compaiTion des douleurs de cette ame.
{a) Pî; 87. V. 9- (^) Jo"' 2- V. 4,
314 Justification.
ici l'ame , félon lafabftance fenfitive & fpirituelle»
& félon Its puifTances intérieures & extérieures
il faut qu'elle foit mife dans le vide , dans la
pauvreté & dans l'abandon de toutes fes parties ,
la laiffant féche , vide & en ténèbres ; parce que
la partie fenntive fe purifie en la féchereffe, les
puilTances dans le vide de leurs appréhenfions ,
& Tefprit en ténèbres obfcures. —
C'eft ici une fouffrance très-angoiffeufe , com-
me fi on pendoit & retenoit quelqu'un en l'air,
afin qu'il ne refpirât. Elle va auffi purgeant l'a-
me, anéantilTant , ou évacuant, ou confommant
en elle , [ comme le feu fait la rouille du métal , ]
toutes les affeflions & toutes les habitudes impar-
faites qu'elle a contradées en toute fa vie ; lef-
quelles étant bien avant enracinées dans l'ame ,
elle fouffre d'ordinaire une grande deftrudtion
& tourment intérieur, — fe vérifiant ici la pa-
role d'Ezéchiel : Ca) JJJemble les os ^ que Je brûle-
rai au feu : les chairs feront confumées , ^ toute la
compojîtion fe cuira , êff les os fe deffécheront. En
quoi eft fignifiée la peine qu'on endure dans
le vide & la pauvreté de l'ame. < — Il ajoute :
( û } mets la auffi vide fur la braife , afin que fon
airain s'échauffe & fe fonde ,• & que fon immondice
foit défaite au milieu _ délie , êf? que fa rouille foit
confumce. —
Notre Seigneur humilie ici beaucoup l'ame ,
pour l'exalter grandement après : & s'il n'ordon-
iioit par fa Providence que ces fentimens , lors
qu'ils deviennent plus vifs en l'ame , ne fulTent
promptement endormis , elle abandonneroit le
corps en fort peu de jours ; mais elle ne fent que
par intervalles leur vivacité intime , qui eft quel-
{a) Ezéch. 24. v. lo, ii*
L. Purification. 4^ , 4^- 3^5
rincfoi<; fi [)(>ijrnnnte , i\\\\\ fcniblc à l'amc [a)
(jirdlc \ oit riùiL^r tout ou\'crt & la perdition.
(Jar ceux-là font de ceux qui defcendcnt vérita-
blement tout \ifs en lùifcr, iS: fe purgent ici
comme dans le Furg-atoire; parce que cette pur-
jî;ation efl celle (|u1l falloit faire là des fautes j
quoicpie vénielles. Kt ainfi l'amc (jui palle par
ces détroits ik demeure bien purj^ée , ou n'entre
point en ce lieu , ou ne s'y arrête guère , d'autant
qu'ici une heure defouflrance fert davantage que
plufieurs en cet autre lieu. Ohfairc Nuit y Uvr. -z.
ikap. 6.
42. Je rapporterai fur cela le fentiment de Je-
rémie : Je Jhis ( a ) tliommc qui vois ma pauvreté
en la verge de fort indignation. Il ni a menace 9f mené
aux ténèbres , ^ non à la lumière ,• & le refte. —
Quoique ce foit un grand bonheur pour Tame ,
à caufe des biens fignalés qui lui en provien-
dront , lorfque Dieu fera en fon ame les mer-
veille* dont parle Job, (^c^ tirant des ténèbres les
biens profonds , ly mettant au Jour les ombres de la
mort , en manière que comme le dit David [d) ,
Ja lumière foit aujjî grande quétoient fes ténèbres :
néanmoins pour la peine exceflive qu'elle fouf-
frc , & pour la grande incertitude qu'elle a de
fon remède , [ car il lui eft avis que fon mal ne
prendra jamais fin , & que Dieu , félon le dire
de David , (e) Va mife dans les objcurités comme
les morts du Jîecle , ] fon efprit étant en angoiffes
pour ce fujet , & fon cœur en grand trouble ,
cela, dis -je, mérite qu'on en ait grande coai-
(a) Tous ces états font expliqués au long dans ce
que j*ai écnt fur Job. [Voyez les Explications far le
Vieux Teftam. Tome VU. ]
U)) lament. ^. v. i, 2. (c) Job. 12. v. 22.
Wj Pf. n8. V. 12. (0 Pf. 142. V. 3.
3i(y Justification.'
palTion ; parce qu'à cette folitiide& abandon que
cette nuit lui caufe , fe jouit encore un autre
tourment, qui eft , qu'elle ne trouve ni confola-
tion , ni appui en aucune dodrine, ni en aucun
Maître fpirituel , parce que quelque rajfon qu'il
lui allègue pour la confoler , en lui montrant les
biens qui fe trouvent en ces' peines , elle ne le
peut croire [a]. Car comme elle eft fi imbue &
fi plongée dans ce fentiment de maux , où elle
voit fi clairement fes miferes, il lui femble , que
comme ils ne voient pas ce qu'elle voit & ce
qu'elle fent, ils difent cela ne l'entendant pas;
& au lieu de recevoir de la confolation , au con-
traire, elle reçoit nouvelle douleur, lui femblant
que ce n'eft pas là le remède de fon mal: & véri-
tablement il eft ainfi ; d'autant que jufqu'à ce
que Notre Seigneur ait achevé de la purger en la
façon qu'il veut , il n'y a moyen ni fecours qui
lui ferve & profite pour fa douleur : & ce d'au-
tant plus que l'ame en cet état peut auffi peu de
chofe , que celui qui eft dans un cachot obf-
cur 5 les fers aux pieds & aux mains , fans fe pou-
voir remuer , ni voir, ni fentir aucun aide d'en-
(a) Elle croit que c'efl qu'il ne l'entend pas.
Je me fouviens qu'étant allée pour une affaire dans
une ville, où je reftai bien du tems, ayant trouvé un
homme fort intérieur , qui me vouloit affurei que
mon état étoit bon & de Dieu, je ne retournai plus
le trouver , le croyant ignorant ou flatteur. J'ai fqu
depuis , que ce Religieux Carme étoit révéré parmi
eux depuis fa mort comme un Saint & très -éclairé ,
qui avoit confelTé plus de dix ans Mr. de Renti ; &
cependant je le fuyois , parce qu'il me confoloit &
me vouloit affurer. La confufion que je portois alors,
étoit telle, qu'elle me rendoit au -dehors toute bête.
L. rurîfîcation. 42. J17
liant ni d'cnbas * , jnfc]n'à-cc (juc, dis-jc, l'cfpiit
s*a(louci(ïc , s'hnniilic & fc [)nrilic, ik (levicMuic li
(fz) Tnlxil , [\ limplc & fi délicat, t|u'il Te pnifTc
faire nn a\'co Tj^lprit de Di'jii, Iclon le dc^^^rc
d\niion d'anK^nr, anqncl la milcricorde de Dieu
le vendra élever; car conformément à cela , U
pnr^ation c(l pinson moins forte, pins on moins
lonj^ne.
JMais fi cette pnrgation doit être qnelqne cho-
fe, tant forte qu'elle foit,elle dure quelques an-
nées, préfuppofé néanmonis qu'en ces moyens il
y a Aq^ intervalles ik foulagemens , auxquels par
difpenfation divine cette contemplation obfcu-
re , celFant d'inveftir en forme & façon purgati-
ve, invellit en fac^on jlluminative & amoureufe,
où Tame comme fortic de cette prifon & mife
en récréation de latitude & de liberté, fent &
goûte une grande fuavité de paix & une amou-
reufe familiarité de Dieu , avec une facile & abon-
dante communication fpirituelle.
Ce qui eil un indice à Tame du falut que la
dite purgation opère en elle, & un préfage de
l'abondance qu'elle attend. Et cela eft par fois
li excellent, qu'il femble à l'ame être déjà au
bout de fes travaux; parce que les chofes fpiri-
tuelles font de cette qualité enTame,) quand elles
font purement fpirituelles, ) que lorfqueles tour-
mens reviennent , il femble à Tame qu'elle n'en for-
tira jamais & qu'elle n'aura plus de biens, comme
nous avons vu par les autorités alléguées; & au
contraire , quand elle fe trouve favorifée des biens
fpirituels , il lui femble qu'elle n'aura plus de mal ,
'*' Union, n. 4.6.
(^2) C'eft le fentiment de Ste. Catherine de Gènes.
Voyez Création n. 9. comme aufli de Se. Francjois de Sa-
les , voyez ci'dcjjous. n. 69.
3i8 Justification.
& que les biens ne lui manqueront plus à Tave-
uir , comme David le confeire fe voyant en cette
jouiffance (a) : J'ai die dans mon abondance ,• je ne
me troublerai plus. — Comme nous voyons que
David changea après de fentiment, fentant plu-
iîeurs travaux , encore qu'il eût penfé & dit au
tcms de fon abondance, qu'il ne s'ëbranleroit ja-
mais ; ainfi Tame qui fe voit comblée de ces
biens fpirituels , ne pénétrant pas jufqu'à la ra-
cine de 1 imperfection & de l'impureté qui lui
l*efte encore, croit que fes travaux font finis.
Mais cette penfée n'arrive pas fouvent; car juf-
qu'à-ce que la purification foit achevée , rare-
ment il arrive que la douce communication foit
fi abondante, qu'elle lui couvre la racine qui
refte, de forte que l'ame ne vienne pointa fen-
tir en l'intérieur un je ne fais quoi, qui lui man-
que, ou qui eft a faire, qui ne la laiffe pas en-
tièrement jouir de ce foulagement, fentant au-
dedans comme un fien ennemi dont elle craint
le retour , & qu'il ne vienne à faire encore des
Tiennes , bien qu'il foit comme appaifé & endor-
mi ; comme de fait , lorfqu'elle eft le plus affu-
rée , cet ennemi retournant abforbe & engloutit
l'ame en un autre degré plus dur , plus obfcur &
plus déplorable que le précédent. — L'expérien-
ce qu'elle a eu du bien pafTé, — ne l'empêche
pas de penfer en ce fécond degré , que tout eft:
perdu pour elle , & que ce ne fera plus comme
par le.paffé : cette croyance fi bien établie & con-
firmée eftcaufée en l'ame par l'aduelle appréhen-
fion de l'efprit , qui anéantit en elle tout ce qui
peut lui donner de la joie. Ainfi, encore qu'il
femble à l'ame en cette purgation qu'elle aii^e
Dieu , & qu'elle donneroit mille vies pour lui ;
(c) Pf. 29. Y. 7.
L. PiirificaHoft. 42,43. 3T9
(comme il cil \ rai ; car i'ame cjj ces travaux
aime Dieu *i\ ec vérité & grande cfKcace ; ) néan-
moins cela ne lui cil |)onU allégement , au con-
traire cela lui c»uife plus de peine ; parce que l'ai-
mant tant qu'elle n'a fouci d'aucune autre chofe,
comme elle fe voit fi miférable , 8c doutant (i
Dieu Tanne, (car pour lors cJle n'a point d'af-
furance qu'il y ait rien en elle qui la rende digne
d'être aimée , mais qu'elle mérite plutôt d'être
abhorrée non-feulement de Dieu , mais aulîi de
toutes créatures pour jamais , ) elle fe lamente
& s'afflige de voir en foi des caufes , pour lef-
quelles elle mérite d'être délaiflée & rebutée de
celui qu'elle aime fi palîionnément. Obfc. Nuit,
Livr. 2. C/iaj). 7.
Le falnt Auteur continue cfune manière admirable
Jufquà la fin de Jbn Livre de la Nuit objcure , ïf?
// dit en grand détail ce que je vais dire fommai^
ntncnt : Q^ue famé ne peut prier , quelle cji re*
])OuJ[Jee de Jon oraifon , quil y a un mur entre Dieu
'iv elle 5 que rien ne la foulage dehors ni dedans ,
qucLt efl rcpoujjce de la paix , quau lieu de la
paix quelle goùtoit aupœavant , elle na quune fcU
cheuje Z^ continuelle inquictude. Enfuite il ajoute :
43. Or ce trouble ou obftacle de la paix, eft
une fâcheufe inquiétude de plulieurs craintes ,
imaginations & combats que l'âme foufFre dans
foi-même , où avec l'appréhenfion & le fenti-
ment de fes miféres , elle foup^onne d'être per-
due 5 & que fes biens font taris pour jamais. De-
là provient en l'efprit [a] une certaine douleur
(a) L'ame ne trouve des remèdes en cela, qu'en
s'abaadonnant par un faint défefpoir à la Juftice ven-
.^gcreffe de celui qu'elle vouloit aimer , & qui rejette
ibn amour.
320 Justification.
& gcmifTcment fi profond , qu'il lui fait jettcr des
cris & des rugifîemens fpirituels , par fois les
prononçant de bouche , & elle fe fond & réfout
toute en larmes , quand il y a des forces pour
le faire , bien que peu fouvent elle reçoiv^e ce
foulagement. LcvProphête royal le déclue (a) :
J'ai été extrêmement affligé Êf humilié ; je rugijjois du
gémiffemeiit de mon cœur: lequel rugiffement eft
une chofe de grande douleur; car quelquefois
Tame , par l'aiguë & prompte mémoire des mi-
feres où elle fe trouve , fent tant de peines & de
douleur , que je ne fais comment on la pour-
roit donner à entendre , fi ce n'eft par la fimili-
tudé qu'a dit Job (Z?) étant en pareil travail:
Mon rugijfement eft fcmblahle aux eaux qui fe dé-
bordent ^ car les rivières font quelquefois de tels
débordemens 5 qu'elles noient & couvrent tout:
ainfi ce rugiffement & fentiment de l'ame croît
quelquefois fi fort , que la noyant & tranfper-
çant, il lui remplit toutes fes forces & profondes
affedions d'angoiffes & de douleurs fpirituelles ,
au-delà de tout ce qu'on en peut exprimer , &
même exagérer. Cette guerre eft d'autant plus
profonde , que la paix qu'elle attend fera très-
profonde ; & fa douleur fpirituelle eft intime »
délicate & épurée , parce que l'amour qu'elle
doit pofféder 5 fera auflî très-intime & très-épuré ;
car tant plus l'ouvrage doit être poli , le travail
doit fuivre & marcher à proportion , & être
d'autant plus fort que l'édifice fera folide &
affuré. Obfc. Nuit, L, 2. C/iap. g.
44. Mais voyons maintenant pourquoi cette
lumière de contemplation , étant fi fuave & fi
aimable à l'ame qu'elle n'a plus rien à défirer ,
puifque , comme il a été dit , c'eft la même avec
(a) Pf. n- V. 9, (6) Job î.' V. 24.
laquelle
L. Purification, ^^'4f. jii
laquelle elle Ut doit unir, & en laquelle eu Tétac
de peiiection elle doit trouver tous les biens
qu'elle a délires : néanmoins lorfqu'elle rinveftit,
elle lui caufe ces commencemens pénibles & ces
étranges eflets que nous avons dit. On répond
facilement à ce doute , difant , ce que nous avons
déjà dit en partie, à fax'oir que du coté de la con-
templation Si derinfufion divine il n'y arien qui
de loi puifFe donner de la peine; au contraire
beaucoup de fuavité & de contentement , comme
elle fera après. Mais la caufc eft la foiblciïe &
rimperfection que lame a pour lors, & les dif-
pofitions contraires pour recevoir cette fuavité.
Et ainfi la lumière divine venant à inveftir
lame , elle la fait pàtir en la manière fufdite.
Là 'même,
45'. Pour un plus grand éclaircifTement de ce
que nous avons dit & de ce que nous dirons , il
faut remarquer ici , que cette purgative & amou-
reufe notice ou lumière divine, dont nous trai-
tons , fe comporte envers Tame , la purgeant &
la difpofant pour Tunir parfaitement avec foi ,
de même (a) que le feu dans le bois pour le trans^
former en foi.Car le feu matériel appliqué au bois,
commence premièrement à ledeffecher, chafTant
l'humidité dehors &faifant rendre l'eau ou la fève
qui eft encore dedans. Après il le noircit , Tobf-
curcit & enlaidit, & le féchant peu-à-peu il Té-
claircit & jette dehors tous les accidens difformes
& obfcurs qui font contraires au feu : & finale-
ment , commençant à l'enflammer par dehors & à
réchauffer , il vient à le transformer en foi , & à
le rendre aufTi beau que le même feu.
[j] Voyez cî.defTus la Note a. fur Moyen court. Ch. 24,
n. 7. 3. p. 267. &c.
Tom, IL Jujiif. X
522 Justification.
Ce qui étant fait 5 il n'y a plus de la part du
bois aucune action ni paffion propre au bois ,
(excepti que la quantité & lapefanteur eft moins
fubtile & moins légère que celle du feu), vu
qu'il a en foi les propriétés & les actions du feu»
Car il eft fec , & étant fec, il eft chaud , & étant
chaud , il échauffe j il eft clair aufli & éclaircit , &
eft beaucoup plus léger qu'auparavant, le feu
opérant en lui toutes ces propriétés & effets. Or
il nous faut philofopher de même touchant ce
divin feu d'amour de contemplation , lequel
avant que d'unir & transformer Tame en foi, la
purge premièrement de tous fes accidens con-
traires , répreint & fait fortir fes difformités de-
hors , & la fait devenir noire & obfcure , tellement
qu'elle paroît pire qu'auparavant. Car comme
cette divine purgation va éloignant tous les
maux & toutes les humeurs vicieufes , lefquelles
elle ne découvroit pas , pour être enracmées bien
avant dans Tame , & ainfî elle ne connoiffoit pas
qu'il Y eut tant de mal en elle , & maintenant que
pour les mettre dehors & les anéantir, on les lui
montre clairement par cette obfcure lumière de
la contemplation divine , ( encore qu'elle ne foit
pire qu'auparavant ni à fon égard , ni quant à
Dieu); comme dis-je, elle voit en foi ce qu'elle
n'appercevoit pas auparavant, il lui femble être
telle, que non feulement elle eft indigne que Dieu
la regarde ; mais plutôt qu'il l'abhorre , & même
que déjà il Ta en horreur. De cette comparaifoa
nous pouvons maintenant entendre plufieurs
chofes touchant ce que nous difons & ce que
nous devons dire.
Nous connoîtrons comme l'ame ne fent pas
ces peines de la part de la Sageffe divine, puifque 3
L. Purijîcatwu. ^^. J23
comme (lit le Sage > ( n) tous les biens mr Jonc
venus cnjanblc avec clic ,• mais du côté de la loi-
biede ik impcrlectiou (ju'a l\ime , pour ne pou-
voir recevoir faus cette purgation la lumière » la
fua\'ité & la délectation j ainlî que le bois, lequel
aulïîtôt (ju'il elt d.jiis le feu » ne peut être traris-
formé julc|u'a-ce qu'il foit difpofc : cS: c'eft ce (jui
Ja lait tant patir: ce (]ue rEcclefiafti(iue confirme,
difant ce qu'il a fouliert pour s'uiur avec elle
& en jouir: (6) Mon ventre a été troublé en la
cherchant , ^ pour cela Je pojjcde une bonne poj-
fejjion, ^
D'ici nous pouvons tirer en paffant la manière
de fouitrir des âmes du Purgatoire: car le feu
n'auroit point de pouvoirfur elles, (î elles écoient
entièrement difpolées pour régner & s'unir avec
Dieu par gloire, & fi elles n'avoientdes coulpes
pour lefquelles elles doivent pâtir , qui font la
matière où le feu fe prend , laquelle étant confu-
mée il n'y a plus rien à brûler j comme ici les
imperfections étant confumécs , la peine de l'ame
finit, & la jouilTance demeure telle qu elle peut
être en cette vie. ^
Nous tirerons auiîi de cette comparaifon ce
qui a été dit ci-deilus . a favoir comme il efc véri-
table , qu'après ces allegemens Tam.e retourne à
fouffrir avec plus de véhémence 6c plus fubtile-
ment qu'auparavant. La raifon cft , parce qu'a-
près cette montre, qui fe ïixit lorfque \ts imper-
fections ont été plus extérieurement purifiées ,
le feu d'amour retourne a toucher ce qui refce à
purifier & à confumer plus intérieurement; en
quoi la fouftrance de lame eft d autant plus in-
time , fubtile & fpirituelle, qu'il va lui amenuifant
lç,s imperfections les plus intimes , les plus d^îlica-
M Sag. 7. V. II. [6] Eccl. 51. V. 29.
X z
JZ4 Justification.^
tes, & les plus fpirituelles , & plus enracinées au-
dedans : & cela fe fait comme il arrive au bois y
car tant plus le feu le pénétre , il difpofe auflî le
plus intérieur avec plus de force & plus de fureur
pour le pofféder. Ohfc. Nuit, Livr, 2. Ch. 10,
4^. Ce fentiment fî vif & fi grand arrive de la
forte; parce qu'en cette plaie d'amour que Dieu
fait en Famé , la volonté s'élève très-prompte-
ment à la pofTeffion uj l'Ami dont elle a fenti le
divin attouchement, & avec la même prompti-
tude elle fent Tabfence, & enfemble le gémiffc-
ment à caufe de la privation de ce bien. Car ces
vifites ne font pas comme d'autres, dont Dieu
récrée & fatisfait Famé , la remplilTant d'une
paifible fuavité : mais il Its fait feulement pour
bleffer 5 non pour guérir, & plus pour tourmen-
ter que pour fatisfaire , vu qu'elles ne fervent que
pour vivifier la connoiffance, & augmenter l'ap-
pétit, & par conféquent la douleur, * Elles fe
nomment plaies d'amour, qui font très-favou-
reufes à l'ame , de forte qu'elle voudroit mourir
toujours de mille morts à ces coups -là , par-
ce qu'ils la font fortir hors de foi & entrer eu
Dieu. Cantique entre l'Epouft & t Epoux, Coup, I.
47. Voulant dire, ô amour embrafé, qui me
glorifies tendrement avec tesmouvemens amou-
reux en la plus grande force & capacité de mon
ame ! c'eft à favoir , me donnant intelligence
divine félon toute Thabileté de mon entende-
ment , & me communiquant l'amour félon la plus
grande étendue de ma volonté, c'eft-à-dire , éle-
vant très-hautement , avec intelligence divine ,
la capacité de mon entendement en une ferveur
très-intenfe de ma volonté & en l'union fubftan-
* Perte, n. 25.
L. r..njication. 4<î'47. ?2j'
ticllc c:i-(lc(]iis (icclaréiv (À* (]ui nrrivc de l*i forte ,
& plus (jifoii lie le peut c\j)riiner , lorfcjuc cette
Haiiimc s'cicvc ou l'amc: cai d'autant que Tamc
cTt toute puryjcc & très-pure , la Sagcfic I abforbe
eu foi avec fa flamme très-profondément, très-
fubtilcmcnt , très-hautement , lac|uclle Sagcffe
pénètre par fa pureté d'un bout à Tautre, & ea
cet abforbeuîent de Sageffe, le S. f{f|)rit exerce
les glorieux élancemens de fa flamme que nous
avons dit, laquelle flamme eft fi fuave que Tamc
aullitôt ajoute ;
Miiinicfuint ne m étant plus di:rr ,
c'eft-à-dire , puifque vous n'aflligez , ne prefTez &
ne tourmentez plus comme vous failîez aupara-
vant. Car cette flamme, quand Tame étoiten état
de purgation fpirituellc, qui eftlorfqu'elle entroit
en la contemplation , ne lui étoit pas fi fuave &
fi paifible , comme elle eft à préfent en cet état
d'union. C'cft pourquoi il faut favoir, qu'avant
que ce feu d'amour divin s'introduife & s'unifTc
dans le plus intime de l'ame par une purgation
& pureté parfaite, cette flamme frappe dans Tame ,
détruifant & confumant les imperfections de
fes mauvaifes habitudes ,• & c'eft là l'opération
du S. Efprit , en laquelle il la difpofe pour
l'union divine & transformation en Dieu par
amour. Car le même feu d'amour , qui s'unit
depuis avec elle en cette gloire d'amour, c'eft ce
qui l'a inveftie auparavant , la purgeant ; comme
le même feu qui prend au bois, c'eft celui qui le
faifit & le bat de fa flamme , le féchant & dénuant
de fes froids accidens, jufqu'à le difpofer par fa
chaleur à pouvoir être pénétré de lui , & trans-
formé en fa nature. Dans lequel exercice l'ame
fouftre beaucoup , & fent de grandes peines en
l'efprit , Icfquelles par fois redondent auiïî au
X 3
52(î Justification.
fen«; , cetfç flamme lui L^tnnt très-âpre & très-fâ-
cbeufe; comm.e nous en avons amplement dif-
couru auTraitJ de I3. Nuit ohfcure ^ & de la Mon-
tée du Mont Carme/' ,• ce qui m'emnèche d'en dire
davantage. Il fuffit maintenant de favoir que
]e mêmje Dieu , qui veut entrer en l'ame par
union/^ transformation d'amour, c'eft ceiui qui
rmveftifloit auparavant, c\: la purgeoit avec la
]umiere ^- chaleur de fa flamme divine i de forte
que celle-1- même qui lui eft a préfent fuave ,
lui é toit ci-devant pénible. Et partantc'eft comme
û elle difoit : puifque non feulement vous ne
in'êtes plus obicure comme auparavant , mais
que vous êtes la lumière divine de mon entende-
ment . avec laquelle je vous puis regarder ; &
que non feulement vous ne faites plus défaillir
ma foibleffe. mais qu au contraire vous êtes la
force de ma volonté, par le moyen de laquelle
je vous puis aimer & jouir devons, étant toute
convertie en amour divin : & que vous n'êtes plus
fardeau ni preiTure à mon ame , mais au contraire
que vous en êtes la gloire , les délices & la liberté ;
puifqu'on peut dire de moi ce qui eft au Canti-
que î (a) Qi-d eft celle-là qui monte du dcfert ^ abon-
dante en délices ^ appuyée fur fon Bien-aimé ^ deç'3 &
delà répandant de l'amour. Vive flamme d'amour.
Cant, I. ?;. 3. ^ 4.
48. Il nous faut expliquer ici , quelles dettes
ce font dont Tame ici fe fent payée & fatisfaite :
& partant vous devez favoir que les âmes qui
parviennent à ce Royaume, ordinairement ont
paiTé par pluiieurs travaux & tribulations, (b)
parce qu'il faut entrer au Royaume des Cieux
par pluGcurs tribulations , qui font déjà écoulées
en cet état.
Ca) Cant. 8. v. 5. (6) Acl. 14. v. 21.
L. Furificatiou. 47-48. 3^7
Ce qn'cnrlurcMU ceux qui doivent parvenir à
Tunion de Dieu, font des travaux ik tentations
de diverfes fortes & manières dans le fens ; &
de$ peines , tribulations , tentations , ténèbres &
anpoiffes dans Tefprit ; afin que la purgation de
ces deux parties fe fa fie , comme nous avons dit
en la Montée du Mont Carme/ & en la Nuit ohfcure.
La caufe de cela eft, parce que les délices & la
çonnoiffance de Dieu ne fe peuvent bien mettre
ou adeoirdans Tame, fi le fens & Tefprit ne font
bien purgés & fubtilifés: & d'autant que les tra-
'winXiSc pénitences purifient & fubtilifentles fens;
& les tribulations , tentations , ténèbres & angoif-
fes fubtilifent & difpofent Tefprit; il faut pafTer
par là , pour fe transformer en Dieu, (comme il
arrive à ceux, qui le doivent voir en l'autre vie
après les peines du Purgatoire), les uns plus ru-
dement, les autres moins, félon les degrés d'union
où Dieu les veut élever , & félon ce qu'ils auront
à purger. Par ces travaux où Dieu met Fefprit
& le fens , Famé acquiert par l'amertume , des
vertus, de la force , & de la perfection , parce
que la vertu Qi) fe perfectionne en f infirmité ^ & fe
polit par Texercice des pafïjons. Car le fer ne
peut fervir au deffein de Tartifan , Ç\ ce n'eft par
le feu & le marteau , en quoi le fer fouffre du
dommage à l'égard de ce qu'il étoit auparavant.
Jérémie dit, que Dieu {b) envoya d!enhaut le feu
dans fes os , Z^ Cenfeigna : & du marteau , il dit
auffi : (c) Seigneur vous m'avez châtié^ & jai été
favant : c'eft pourquoi FEccléfiaftique dit : (d)
Celui qui n a point été tenté que fait-il?
Il faut noter ici , pourquoi il y en a fi peu qui
(r?) 2 Cor. 12. V. 9. (6) Lament. T. v. i j.
Cc)jérém. 31. V. 18. (rf) EccL 34.V. 9.
X4
3^% Justification.'
parviennent à ce haut état. La raifon eft, parce
qu'en cette fublime & excellente œuvTe que Dieu
commence , i! y en a plufieurs foibles qui fuyent
auffitôt le labeur, ûms fe vouloir allujettir à la
moindre défolation ni mortification, ni travail-
ler avec une folide patience. De là vient que ne
les trouvant forts en la faveur qu'il leurfaifoit,
commençant à les polir , il ne paUe plus avant à
les purifier & élever de la pouiïiere de la terre ,
à quoi étoit requis plus de force & plus de conf-
iance. De forte qu'on peut dire avec Jérémie (a)
à ceux-là , qui veulent paffer outre fans endurer
les moindres chofes, ni s'aflfujettir à ces fouftran-
ces : Si vous avez eu de la peine à Juivre les pié-
tons , comment pourrez -vous attraper les gens de
cheval? Et ayant ctc ajffuré en la terre de paix ^ que
Jerez -vous dans t orgueil du Jourdain? Comme s'il
difoit : fi aux travaux qui arrivent ordinairement
& .humainement à tous les vivans, vous avez
fi peu de vigueur , qu'il vous falloit courir , &
que vous eftimiez fouffrir beaucoup , comment
pourriez -vous aller le train des chevaux, qui
eft , de fortir des peines communes & ordinaires ,
& d'effuyer d'autres travaux plus vifs & plus
véhémens ? Et (î vous n'avez voulu faire la guerre
contre la paix & le goût de votre terre , qui eft
votre fenfualité , jTiais que vous voulez y être
paiiible & confolé, que ferez- vous dans l'orgueil
du Jourdain, c'eft-à-dire , comment fupporterez-
vous les flots impétueux dt^ travaux & tribu-
lations d'efprit qui font plus intérieurs ? Vive
fàmme d'amour, Cant. i. v. 5.
49. O âmes qui voulez vivre aiTurées & con-
folées , fi vous faviez combien il vous eft expé-
dient de fouftrir des tribulations pour parvenir à
Cû) Jérém. iz. v, 5.
L. Purification, 4S-fo. 529
cett'tat, & de (iiicl proHt dt la foufiVancc & la
nu)rti(ic:ati{)iî pour obtenu de i\ v!;rands biens,
vous ne chercheriez aucunement de la ( oufola-
tiou en quoi cjue ce Ibit ; mais plutôt vous por-
teriez la croix avec le fie! «Se lexinaigre tout pur,
8< le tiendriez, à un grand bonheur, voyant que
mourant ainfî au monde ik à vous-mêmes, vous
vivriez à Dieu en déh'ces d'efprit, & loufirant
patiemment Textcrieur , \ ous mériteriez que
Dieu jettat les yeux fur vous, pour \'OUs net-
toyer & pur;^er au-dcdans par des travaux fpiri-
tuels. Car il faut que ceux à qui Dieu veut faire
unç: pareille faveur, Jui ayent rendu j)]ufieurs fer-
vices i qu'ils ayent été grandement patiens &
conftans, & qu'en leur vie ils ayent été très-agréa-
bles à fes yeux. Ainfi l'Ange dit à Tobie , (ci) à
caufe qu'il étoit agréable à Dieu , qu'il avoit été
néceiïaire, qu'il endurât la tentation , pour l'é-
prouver davantage , tSclui faire de plus grandes
grâces. DefaitrEcrituredit(Z;), qu'il pafTa le refte
de fes jours en joie. Nous voyons de même en
Job , (c) que Dieu l'ayant requ pourfonferviteur
en préfence des bons & des mauvais Efprits, il
lui fit la grâce de lui envoyer aullî iiTcontmentde
rudes travaux , pour l'exalter par après beaucoup
davantage qu'auparavant, tant au fpintuel, qu'au
temporel. Dieu fe comporte de la forte envers
ceux qu'il veut favonfer, &c. (Voyez Unioiin, J5.)
Là-même.
Le P. Jaq^ues de Jésus rapporte
f O. S, Thcmas. Il eft requis de purger l'enten-
dement de deux difformités; la première eft, celle
qui eft de la diverfité des chofes extérieures ; la
féconde celle qui eft par le difcours de la raifon ;
ce qui arrive félon que toutes les opérations de
G)Tob, 12. V. 15 Cb) Ch, 14. V. 3. (c)Job i.v. é.&c.
5p Justification.
l'ame font réduites à la fimple contemplation de
]a vérité intelligible : d'où vient que {a) toutes
chofes délaiffées on perfifte dans la feule contem-
plation de Dieu. (2. 2- qu. IgO. Art. 6.) Notes fur
J, de la Croix, Difc, 2. §. b.
Le P. Nicolas de Jésus Maria rapporte
fi. S. Bernard, Il y en a quelques-uns dans
lefquels Jefus-Chrift ii'eft pas encore relTufcité ,
qui dans l'anxiete des travaux & afflictions de la
pénitence, meurent tout le jour, n'ayant pas
encore reçu la confolation fpirituelle. Que fî ces
jours n'étoient point accourcis , qui eft-ce qui
pourroit le fouffrir ? (Serm. 3. de la réfurrection,^
EclairdJJ, des Parafes Myji, de J, de la Croix. Part.
2 Ck. 11. §. I.
52. S. Grégoire. Le Prophète a bien dit: (b)
Vous avez rcnverje Jbn lit dans fan infirmité^ comme
s'il difoit , tout ce que Thommc s'eft préparé
pour le repos , vous lui avez changé cela en
trouble par un fecret jugement. ^ D'où vient
que le Seigneur fait ce chemin âpre & difficile
à fes élus, qui s'acheminent à lui. (^Livr. 5. des
Morales Ch. Ij.) Là-même.
5*^. Voyez Dijiractions. n. 16.
5-4. S. Bonaventure. La première tentation eft
la fubftraction & le manquement de dévotion.
Donc un refuge fî fpécial & fingulier étant ôté ,
l'homme en quelque façon défarmé , demeure
expojfé aux ennemis des tentations , & pour
cette caufe devient craintif & pufilanime.
De là fuit une autre tentation, à favoir, d'en-
(à) Notez ^ s'il vous plait, toutes chofes délaîjfces ^ on
perjtjie : ce mot perfjier marque un état qui ne varie plus :
mais il faut que tout foit délaiffé.
il)) Pf. 40. V, 4,
L. PuriJîcatiûH. ÇO- f f . 5 j r
nui & de dégoût ; parce que riiommc fc dcgoûrç
de tout biLMi : il s'cniuiic dr [)ri( 1 , de lire, de
méditer; il s'rmmic d'entcrulrc de l)oiincs cho-
fes , d'en parler, ou d'eu faire; & d'allîfter aux
chofes div'incs: ce cju'il ne pourront faire fans un
grand travail. (Dr fnvancrm. des Hclii]. Ch. 2.)
Dans cette tentation d'ennui, lorfque Faîne n'a
point de contentement dans les chofes fpirituel-
les , & qu'elle rejette la confolation des charnel-
les , ne trouvant ainfi jamais de refuge, elle eft
confumcc d'une mauvaiT^ triftefîe.
Il s'enfuit une autre tentation facheufe & dan-
g;ereufe , (a) d'impatience contre Dieu : pourquoi
il eft Çi dur & impitoyable à l'aHligé , fi chiche à
donner fa grâce au pauvre fouftrant , & à celui
qui la demande avec tant d'anxiété, & qui heurte
à la porte avec tant d'importunité. Et cette ten-
tation eft par fois fi violente, que Fhomme eft
prefque hors de foi , & par la véhémence de la
triftefle eft comme palpitant; parce qu'il ne trou-
ve point de foulagement en l'oraifon, qui devroit
être fon unique refuge dans cette oppreflion ^
fentant le ciel comme d'airain.
Les plus après tentations font celle d'héfiter
en la foi Catholique , de défefpérer de la miféri-
corde de Dieu , blafphêmer contre lui & les
Saints; & la tentation de fe couper les mains,
de fe tuer foi-même: & une certaine perplexité
d'une confcience plaintive , de n'admettre point
de confeil falu taire. (Clu 7.) Là-même.
^^,VEvêquedeTaraJJone^ (parlant de Ste, TJicrèfe,')
Dans ces ténèbres le Diable aufli fe cachoit ,
& ajoutoit à fes peines d'autres plus grandes ,
Ça) Celle-ci ne vient que faute de foumîffion de volonté ,
pour foutrrir les autres peines tant qu'il plaira à Dieu.
J52 Justification.
Jui repréfentant mille rêveries , par léfquellcrs
elle étoit reprouvée & féparée de Dieu , & cela
avec une angoifTe & preffure de cœur fî terrible
& fi intolérable 5 qu'on ne peut la comparer mieux
avec aucune chofe , qu'avec ce que foufïrent les
âmes damnées dans TEnfer. Elle ne trouvoit
aucune confolation en cette horrible tempête ;
parce que la grâce étoit fi cachée, qu'elle n'en
voyoit pas la moindre étincelle , & il ne lui fem-
bloit pas de l'avoir jamais eue , d'autant que les
biens qu'elle avoit faits jufqu'alors , & les grâces
qu'elle avoit reçues de Notre Seigneur , tout
cela lui paroifToit un fonge & une imagination.
Elle voyoit feulement la multitude de fes péchés
& offenfes. Pour augmenter davantage fa mort ,
Dieu mettoit quelquefois fon ame dans un fi
grand délailTement , qu'elle n'avoit que des
lebuts 5 des contrariétés , & des plaies du ciel ,
comme fi Dieu lui eut tourné le dos , ou qu'elle
eût été fon ennemie. ÇVie de Ste. Thcrefe. Livr, 1.
Ch. 12.) Là-même,
fô. Ste. Thérèfc, Etant donc feule , fans avoir
aucune perfonne avec qui je me pufTe repofer , je
ne pouvois ni lire ni prier: mais j'étois comme
une perfonne épouvantée d'une fi grande tribu-
lation , & tourmentée d'une étrange crainte que
îe Diable ne m'eût trompée , ou qu'il ne me
trompât, j'étois toute troublée & affligée fans
favoir où donner de la tète. Je me fuis vue plu-
fîeurs Jois en cette affliction , quoiqu'il me femble
qu'il n'y en eût aucune Çi extrême que celle-ci.
Je demeurai (a) en cet état quatre ou cinq heu-
{d) Eile ne parle encore ici que des premières épreu-
ves , de quelques jours feulement , qui font les moindres
de cette voie, comme on l'a pu voir par ce qu'en a dé.
L. ParificatioL SS-S?- J??
rçs, fans icccvoir aucune conlblatlon ni fie Ix
tcnc ni du (>icl i Notre Seigneur me laiflant foui*
irir , plongée dans Tapprchenlion de mille périls,
CT/V; C'//. 2 y.) lAi-nicnic. §. 2.
yy, — Dieu donne licencie au Diahlc (/;) de
tourmenter J'ame pourTéprouxer , & de lui met-
tre en refprit qu'elle cft réprouvée de Dieu \ car
il y a quantité de cliofes qui la combattent, avec
une prellurc intérieure lî lenfible& fi infupporta-
ble, que je ne fais à quoi la comparer, Çi ce n'eft
aux peines qu'on fouttre enKnfer, d'^iutantquc
pendant cette tempête , on ne reqoit aucune con-
folation. — Ouc Ç\ on veut prendre un livre eu
langue vulgaire , on n'y entend pas davantage
que fi on n'en connoiOoit aucune lettre ; à caufe
que l'entendement n'en cft pas capable. »— Que
fera donc cette pauvre ame , s'il arrive qu'elle
foit agitée plufieurs jours de ces orages? fi elle
prie , c'eft comme \\ elle ne difoit rien , j'entends ,
pour fa confolation ; parce qu'elle n'en reçoit
aucune en fon intérieur, & même elle n'entend
pas ce qu'elle dit, quoiqu'elle prie alors vocale-
ment: car pour la mentale ce n'eft pas le tems,
d'autant que les puiflances en font nicapables. ^
claré le B Jean de la Croix, (ci-deffus,) Si cet état eût
duré quatre ou cinq années , c'eût été bien autre chofe.
( 6 ) Elle parle ici d'un état plus avancé de peines
plus longues & plus fortes. Comme Ste. Thérèfe a
ceiré d'écrire vingt ans avant fa mort , il ne faut pas
s'étonner fi elle ne parle pas des peines plus confidéra-
bles ni plus longues. Mais fon Confeffeur écrit appa-
remment ce qui lui efc arrivé depuis. Comme elle n'eut
que des peines paffageres , elle ne parle non plus que
d'une union paflagere; parce que l'un fuit l'autre.
3J4 Justification.
Il eft vrai qu'elle ne peut exprimer ni dire ce qui
fe pafTe en elle ^ parce que ce font des angoifTes
& des peines fpirituelles , qui ne fc peuv^ent nom-
mer, (ihat. detamc, Dem. 6. Ch. l.) Là-mcmc.
fS. L'Evêque de Taraffone ^ parlant encore de Ste,
Tliérèfe. Ces travaux & agonies lui durèrent deux
années, bien que non pas toujours en un même
état 5 ni d'une même manière. Ce chemin d'ari-
dité & de ténèbres eft ordinaire aux grands
Saints , & c'eft le plus pénible & le plus terrible
pour ceux qui traitent avec Dieu,- car comme il
fe cache au-dedans de leurs âmes , & qu'il y eft
comme dans une nuée & en des ténèbres obfcu-
res, & que d'autre part il leur ôte le difcours de
l'entendement, &le goût & la délectation de la
volonté , il leur femble qu'ils font en un défert
& très-grande folitude , & dans Tobfcurité fans
Dieu, quoiqu'il foit vrai néanmoins qu'il y foit
pour alors plus préfent , bien que plus caché , cul-
tivant l'ame par ces ténèbres où elle eft, & la
purgeant des imperfections pour la rendre digne
de foi. Le Bienheureux S. Franqois fut en cet
état l'efpace de deux années , fuivant le rapport
de fon hiftoire ; & quelquefois il fe trouvoit fî
ennuyeux & fî déplaifant , qu'il ne vouloit pas
qu'aucun Religieux lui parlât. Il eft certain que
la plus grande croix que les Saints ayent, c'eft (û)
cette folitude, ces ténèbres & cet abandonnement
C^) Xes pécheurs & les gens qui ne font pas intérieurs,
ne fentent point cette terrible peine. Et comment la
fentiroient^ils , puifqu'ils cherchent leurs fatisfadions
dans les chofes de la terre ; dont une telle ame eft fi
fort éloignée , qu'elles lui font des tourmens , & non
des raffraichiffemens. Que s'il arrive , que par infidélité
on cherche quelq^ue foulagement , ce foulagement fe
I.. rurificatiou, ^% <;^. jjC
de Dieu, {ric dv Si t. Tlurtfc, Livr. 1. Clu 12.) Là-
Dicmc.
^9. Jaulcrc, On parvient par deux voies au
vrai amour de Dieu : la première elt une délec-
tation de la prace abondante de Dieu. — . L'au-
tre eft un chemin de rcfiunation , de croix ou
d'aHlictions; ici l'homme eTt privé de toute con-
folation Ipirituelle, & cette voie eft une voie
d'aridité & de fécherefTe en la dévotion. ^ Ces
Martyrs fj)irituels ont beaucoup de foins & d'an-
goilTes dans cette vie , tellement qu'ils ne favent
fouveilt de quel côté ils fe doivent tourner , à
caufede ces triftelles, s'appuyant feulement fur la
foi , Tefpérance & la chanté nues , en une cer-
taine obfcurité. ^ Et quand ils apportent plus de
diligence & font plus d'efibrts , ils font encore
beaucoup plusfecsau-dedans, & deviennent plus
durs que des pierres ; lî bien qu'a grand peine
fouffrent-ils quelquefois patiem.ment , & font de
plus en plus tourmentés & abatUis de courage. ^
Or il leur femble qu'il eft impoflible qu'ils n'of-
fenfent Dieu ou par impatience , ou par défef-
poir , ou par ennui & tiifteiïe de cœur y ce qui
leur caufe une grande douleur , vu qu'ils ((2)haïf-
fent toutes fortes d'oifenfes. Ils voudroient
auiîî & défireroient de tout Jeur cœur d'extirper
& vaincre leurs vices & d'acquérir les vertus : mai^
change en amertume ; & il ne refte à l'ame que cette
double douleur, d'avoir voulu prendre des plaifirs hors
de Dieu, & de n'en avoir pas trouvé, mais au con-
traire un tourment intolérable,
fû] Ceft h caufe de la douleur que la haîne de
toute forte d'offenfes : car fi on ne craignoit pas d'of.
fenfer Dieu 3 on ne fouffriroit pas de fi terribles tour,
mens.
5j6 Justification.
ne peuvent , à caufe que cela, & des chofes fem-
blables , leur caufent par fois de Ci grandes dou-
leurs, chagrins & angoifTes, qu'il leur femble
endurer les peines de l'Enfer s ce qui leur pro-
vient du grand amour qu'ils ont pour Dieu, &
de leur fidélité à fon fervice , encore qu'ils ne
fâchent pas cela eux-mêmes : d'où vient qu'ils
s'eftiment les plus grands pécheurs du monde ,
/bien que devant Dieu ils foyent très-purs. (^Scrm.
de plujîcurs Martirs.^ Là-même,
60. Rusbroclie, Cet homme donc fortant, (a)
fe voit miférable & défolé. Ici toute Tardeur ,
rimpétuofité & l'impatience de Tamour s'adou-
cit & fe refroidit , & l'été brûlant fe change en
automne, & toutes les richeffes en une fort grande
difette. Et pour lors, par une certaine compaf-
lîon de foi-méme , il jette A^s plaintes, deman-
dant où fe font retirées la ferveur de la charité ,
la componction, la louange & l'agréable action
de grâces ; comment il eft deftitué de confo-
lation intérieure , de joie intime , & de goût
fenfible i & comment cette ardeur véhémente
d'amour, & tous les dons qu'il a jamais requ,
font de la forte entièrement éteints. Et on n'agit
plus avec lui que comme avec un homme favant ,
mais qui a perdu fa fcience & toute fa peine.
Cependant fouvent la nature fe trouble & s'af-
flige pour cette perte. Quelquefois auflî , par
la permiffion de Dieu , l'homme ainlî défolé eft
«
{a) Yiot^z fortant : c'efc que la plus grande douleur
c'ell d'écre obligé d'agir & de converfer dans ces peines:
& on y efc prefque toujours contraint , comme on Ta vu
dans ce que j'ai écrit fur le Cantique. (Voyez ci deffus
la Note b. fur Chap. 5. v. 3. dans l'Article Propriété, p.
201. 202, ^ la NotcïL. pag, 20}. 204.)
de
L. Purificatiou. 59--6i. ^37
fie plus (Jt!pouiJlé des chofcs tcireflrcs , ou des
amis & des parens, & dclaifn! de toutes les créa-
tures ; & tout ce qu'il a de Tainteté s*eii va en ou-
bliancc (Se n'cll rien eftimé, c^ les hommes inter-
]>reteut fes ac'tions <!s: toute fa vjc en la plus inau-
vaife j)art. Il cil aulfi niéprifc de tous ceux avec
lefquels il vit. Ouelquefois aulli il ell alHigé de
divcrfes maladies, ou travaillé de tentation*i cor-
porelles, ou ce qui excède le refte , de tentations
fpirituelles. Etant donc réduit à untt fi grande
inifere & pauvreté, il commence d'appréhender
]a chiite, & eft combattu dune efpece de dé-
fiance , qui eft Textrêmité 6c le dernier terme où
une perfonne puifTe demeurer en grâce fans tom-
ber dans le défefpoir. [De C ornement des Noces fpitit.
Livr. 2. €/i. 2^. ) Ld-méme.
6i. D^nis le Chartreux, Le Diable voyant qu'il
yen a quelques-uns, qu'il ne peut pas vaincre par
des tentations & des péchés charnels , ni par les
chofçs qui font contre la raifon, il a accouLumé
de les adaillir par des tentations de certaine
infidélité ou doute touchant la vérité de la foi
Chrétienne; il en incite quelques-uns à des ima-
ginations deshonnêtes de Jéfus-Chrift, & de la
Ste. Vierge, ou à penfer indécemment & indi-
gnement de Dieu, ou bien à blafphêmer; il en
tente d'autres à fe défaire foi-même de la vie par
triftelTe, défefpoir ou ennui ; d'autres enfin font
tentés d'une étrange aridité d'efprit , tellement
que le ciel leur paroît être d'airain , & la terre
de fer, & il leur femble qu'ils font reprouvés,
[a] (Remèdes contre les tentât. Art, 35. ^ Dial. de.
tlnJiruEî. des Novices. ) Là-même,
(à) Le remède à tous ces maux , c'eft la réfignation
pour porter cet état, & rabandon de tout foi -même
Tom. IL Jujlif. Y
33? Justification-
62. Le P. Ildcphonfe d'Orofco. Les travaux du
corps font comme des coups afTenés à la murail-
le de la ville, qui battent comme par dehors :
mais les tentations de Tefprit frappent & bleffent
dans l'intérieur & fe fententplus vivement. \^Liv.
2. dç fcÈ ConfeJJions, ] Là-même.
63. Le P. Jean de Jefus-Maria. Touchant les
tentations de blafphême/on doit remarquer la
furieufe' opération du Diable , avec de grandes
inftigations , pour précipiter les ferviteurs de
Dieu en de grandes impatiences. Cette tenta-
tion, autant que j'ai pu entendre , n'a pas cou-
tume de venir feule, mais accompagnée d'unc5?
grande trifteffe intérieure , ou de tentations de
défefpoir 5 ou de haine de Dieu , ou de tentation^
violenres contre la chafteté ; &Iaraifon de ceci
eft , parce que la partie inférieure de Thomme ,
fe fentant grandement affligée & privée de toute
forte de confolation & de goût, elle fe tourne
coiitre la raifon comme un chien enragé. — •
entre les main^ de Dieu ; parce que cet abandon adou-
cit l'âpreté de cette peine , qui devient quelquefoi'?
telle, qu'elle aboutit nécefTairement à un faint défef-
poir ou à un défefpoir de damné. Le mauvais défef-
poir fait qu'une perfonne fe tue foi-même ; ou quit-
tant le bien , elle fe plonge par défefpoir dans le mal ,
difant , que puifqu'elle eft déjà damnée, elle ne peut
que l'être un peu plus : & c'eit le pius grand mal-
heur du monde , qui n'arrive jamais à celui qui eft
réfigné,*& qui par un faint défefpoir de foi-méme fe
laide entièrement à Dieu , qui le préferve de tout
jîial , le garde & le , chérie ainfi que le dit l'Ecriture ,
[Deut. ^2. V. 10.] comme la prunelle de l'œil. A
quelque excès que la peine puiffe aller, fi l'ame eft
abandonnée , elle la foufFre en paix , <& les rages des
peines ne viennent que d'infidélité , ou de ne nous pas
abandonner à Dieu.'
L. Purification!. 62-65. 339
Alors il sV'lcvc des ptM)lccs lionibics , & (|uci-
cjuefois clic fc IculFe aller à des paroles qui foDuciit.
mal, lefquelK's néanmoins font, dites fans adver-
tance St délibération , j;ar la xélicnience & Tnn-
pétuolké de la tentation. ] Aco/e de l'Oraif. Tiaiic
4. /7. 10. ] Là'tncmc,
64. S, Thomas. Voyez Confftancc. n. j?.
65. — Toute la rébellion do l'appétitirafcibie ,
& du concupifcible contre la raifon , ne peut
s'ôter par la \'crtu ; vu que fuivant la nauue de
rirafcible & du concupifcible , ce qui efl bon
félon le fens , répugne quelquefois à la raifon;
quoi que cela fe puifTe faire par la vertu divine,
qui eft puiffante aulfi de changer les natures :
néanmoins cette rébellion eft diminuée par la
vertu, en tant que les puifTances fufdites font
accoutumées à être foumifes à la raifon. — Les
paffions qui s'inclinent au mal ne font pas tou-
tes [aj ôtces , ni par la vertu acquife , ni par la
{à) Ordinairement parlant ; parce que Thomme peut
toujours déchoir.
11 eft d*une grande conféquence de ne point con-
fondre avec ceci l'état fixe d*oraifon , qui ne doit plus
retourner à l'aélivité première , comme l'enfant ne ren-
tre plus dans le ventre de fa mère. Car celui-là y
eft véritablement établi, qui ayant quitté toutes opé-
rations propres , fe laifTe mouvoir au gré de Dieu : &
rétat padilf eft fon vrai & propre degié : foit qu'il
agiflTe , foit qu'il foufFre , il eft également pafiif , fe
laifîant mouvoir au gré de Dieu , foit pour être paffi-
vement agiilant , ou pafllvement pâtiflant. Mais quoi-
que la ftabilité de cet état foit réelle, & que Tamc
ne doive jamais en aucun tems retourner à fes pro-
pres opérations , puifque ce feroit déchoir , & même
cela feroit difficile ; il n'eft pas dit pour . cela , que
•. Y a .
J40 Justification.
x^ertu infufe; mais elles font mortifiées tant p.tr
la vertu acquife que par la vertu infufe , afin que
Fhomme n'en foit point ému outre mefure. [ qu.
un. des Vertus , ArticL 4. ^ lo. ] Là-mémc, Chap, 12.
§. 2.
66. Le P. Barthelcmi des Martyrs. Hélas ! qu'il
y en a peu, auxquels il arrive de parvenir juf-
ques ici. Car un amour léger , une petite affec-
tion avec laquelle on s'attache à une créature
mortelle, une parole oifeufe , ou une bouchée
de pain prife autrement qu'il ne faut> & d'autres
Tame ne doit plus jamais agir , puîfqu'elle agit étant
mue & agie de Dieu, non feulement en unité d'ac-
tion , mais même en multiplicité d'adions , fans fe
multiplier néanmoins, ni fans fortir de fon unité &
pafTiveté Car comme elle eft paflive pour foufFrir To-
pération de Dieu , elle eft paflive pour agir par Topé-
ration de Dieu; & cette pafliveté eft très - agiffante :
elle peut faire cent aâ:es fans adions propres , c'eft-a-
dîre, fans aétions dont elle foit le principe agiflant ;
mais adions par correfpondance à celui qui la meut ,
qui lui donne le vouloir & le faire. La paffiveté pour
rintérieur & Toraifon doit donc être fixe. Je veux
dire , que Tame ne peut jamais reprendre la médita-
tion , & ne le doit jamais ; fon oraifon eft toujours
contemplation pure : & fon oraifon devient fon aétion ,
& fon aétion fon oraifon. Ce qui n*empêche pas qu'il
n'y ait des tems , où la Contemplation changeant de
nature , eft plus ou moins apperque , plus ou moins
lumineufe , plus ou moins intime & goûtée.
Mais peur la vertu , quoique famé ne foit plus in-
commodée des rebellions du corps , il eft certain qu'on
peut toujours déchoir , & qu'il n'y a point d'état d'im-
peccabilité en cette vie , quoiqu'il y ait un état fta-
ble très-réel. Dieu cependant purifie Tame de telle
forte , que quoiqu'elle puiffe déchoir & tomber , fon
corps la laifle en paix.
L. Purification. ^6-67. 341
chofes fcmbLiblcs, quoiqu'elles uc foicnt que
des pailles fort menues, font cjuc Dieu, qui c(l
la pureté fouva-raine , ne fe puilfe unn- intime-
ment {a) Il l'ame, jufqu'à-ce (jue cela foit expie:
même au tems de l'union entre Dieu & Tame,
on doit cliafrcr toutes fortes d'images , Quoique
bonnes, parce que ce font des milieux [ou en-
tre-deux] entre l'un & l'autre. (Abrc^c P. 2. C'/z,
II.) Là-rncmc. i'ii. 20.
Le P. Benoit de Canfeld.
67. Ce dénuement par fon premier effet de pu-
rification, purge l'ame particulièrement, fur tou-
te autre impureté, d'une fecrette image de lav^o-
lonté de Dieu qu'elle retenoit toujours , qui eft
Ja féconde faute de la contemplation , dont il
eft parlé au quatrième Chapitre : laquelle image
étoit 11 fubtile , déliée & fpiritueile , qu'en la vo-
lonté intérieure jamais Tame ne s'en appercevoit,
mais fe perfuadoit que purement, & fans efpece
ou image , elle contemploit cette volonté en fon
cffence ; & même elle ne fe pouvoit jamais apper-
cevoir de cette image, jufqu'à-ce qu'elle en eût
été purgée; d'autant qu'une chofe imparfaite,
ii'eft point connue pour imparfaite à celui qui ne
fait rien de plus parfait : mais l'ame ne connoif-
foit rien de plus parfait ; parce que cette image
eft la chofe la plus haute & la plus pure, qu'elle
eut jamais contemplée : & par conféquent elle
ne la pouvoit connoitre pour imparfaite, bien
que quand elle a été purgée, elle ait connu l'a-
voir été. Si on demande comment elle fe défait
de cette image, puifqu'elle ne la connoît pas;
je réponds que c'eft par le feu d'amour , qui tou-
ia) Il ne parle que de Tunion paffiigere.
Y :;
343 Justification-
teiojs eft une opération divine & non pas fiennc,
& en laquelle elle eft plus paflive qu^adive. Règle
de la pcrf. Liv. 3. Clu 6.
S. François de Sales.
68. Il arrive quelquefois que nous n'avons
nulle confolation aux exercices de l'amour fa-
crë, d'autant que comme chantres fourds, nous
n'entendons pas notre propre voix, ni ne pou-
vons jouir de la fuavité de notre chant; mais au
contraire, outre cela nous fommes prelTés de
mille craintes , troublés de mille tintamares que
l'ennemi fait autour de notre cœur, nous fug-
gcrant que peut-être nous ne fommes point
agréables à notre maître , & que notre amour eft
inutile :•- alors nous travaillons non feulement
fans plaifir, mais avec un extrême ennui, ne
Voyant ni le bien de notre travail , ni le conten-
tement de celui pour qui nous travaillons. Mais
ce qui accroît le mal en cette occurrence, c'eft que
Tefprit & fuprêm.e pointe de la raifon ne nous
peut donner aucun allégement : car cette pauvre
portion fupérieure de la raifon, étant toute en*
vironnée des fuggeftions que l'ennemi lui fait,
elle eft même toute allarmée & fe trouve affez
embarraffée d'être furprife d'aucun confente-
ment au mal, deforte qu'elle ne peut faire au-
cune fortie [a] pour dëfengager la portion infé-
rieure de Tefprit. Et bien qu'elle n'ait pas perdu
le courage , elle eft pourtant fi furieufement atta-
quée, que fi elle eft fans coulpe , elle n'eft pas
fans peine. Car pour comble de fon ennui , elle
eft privée de la confolation générale , que l'on
Gi) C'eft ce que j'ai appelle [au Moyen court. Ch. 19.
77. i.j ne combattre pas directement les tentations en
fortant de fon fond pour voir ce qui fe palïe au dehors;
car cela eft très-aangereux.
L. Turifîcatiou, 65?-69. 343
a prcfquc toujours en tou<; les autres maux de ce
monde, qui ell l'cfpërance qu'ils ne feront pas
perdurablcs, <Sc qu'on en verra la fin ; fi (juc le
cœur en ces ennuis fpiritucls tombe en une cer-
taine impuiiïance de penfcr à leur Hn , ik par con-
féqucm d'être allégé par IV'fpérancc. La foi rc-
fidantedans la pointe dcTcfpnt, nous aflure bien
que ce trouble finira, & que nous jouirons un
jour du repos ; mais la grandeur du bruit & des
cris que Tennemi fait dans le rcfte de Famé ,
empêche que les avis & remontrances de la foi
ne foicnt prefque point entendues : & il ne nous
demeure en l'imagination que ce trifle préfage :
Hélas, je ne ferai jamais heureux !
(*) O Dieu, mon cher Théotime, mais c'efl
alors qu'il faut témoigner une invincible fidélité
envers le Sauveur , le fei*vant purement pour
l'amour de fa volonté, non feulement fans plai-
fu', mais parmi ce déluge de trifteffes , d'horreurs,
de frayeurs & d'attaques; comme fit fa glorieufc
Mère & St. Jean au jour de fa pafïion , qui entre
tant de blafphêmes, de douleurs & de trifteffes
mortelles demeurèrent fermes en l'amour , lors
même que le Sauveur ayant retiré toute fa fainte
joie dans la cime de fon efprit, ne répandoit iii
alégreffes, ni confolations quelconques en fon
divin vifage, & que fes yeux languiffans & cou-
verts des ténèbres de la mort, ne jettoient plus
que des regards de douleur, comme auffi le So-
leil des rayons d'horreur & d'affreufes ténèbres.
De l'Amour de Dieu. Livr, 9. Ch. 1 1.
// raconte ce quifepajja en la délivrance de S, Pierre
de la prifon : puis il ajoute ,•
69. Il en efl de même d'une ame grandement
chargée d'ennuis intérieurs : car bien qu'elle art
* Pur amour, n. jô.
^4
^44 Justification.
le pouvoir de croire, d'efpérer & d'aimer Dieu,
& qu'en vérité elle le faffe; toutetois elle n'a
pas la force de bien difcerncr fi elle croit, çfpére
& chérit foa Dieu , d'autant que la détrelTe l'oc-
cupe & l'accable i\ fort, qu'elle ne peut faire au-
cun retour fur foi -même pour voir ce qu'elle
fait : c'eft pourquoi il lui efl avis qu'elle n'a ni
foi , ni efpérance , ni charité , mais feulement des
phantcmes & inutiles imprelîions de ces vertus
là , qu'elle fent prefque fans les fentir & comme
étrangers, non comme domeftiques de fon ame.
Que fi vous y prenez garde , vous trouverez que
nos efprits font toujours en pareil état , quand
ils font puilTamment occupés de quelque violente
paillon; car ils font plufieurs actions comme en
fonge , & defquels ils ont fi peu de fentiment ,
qu'il ne leur efl prefque pas avis que ce foit en
vérité que les chofes fe paffent. —
Tels donc font les fentiments de î'ame , la-
quelle eft entre les angoiffes fpirituelles , qui
rendent l'amour extrêmement pur & net : car
étant privé de tout plaifir , par lequel il puiflfe être
attaché à fon Dieu, il nous joint & unit à Dieu
immédiatement , volonté à volonté , cœur à cœur ,
fans aucune entremife de contentement ou pré-
tention. Hélas! Théotime, que le pauvre cœur
eft affligé, quand comme abandonné de Tamour
il regarde par tout, & ne le trouve point, ce lui
femble. !1 ne le trouve pouit aux fens extérieurs,
car ils n'^en font point capables; ni en l'imagina-
tion qui efl cruellement tourmentée de diverfes
dmprefîions ; ni en la raifon troublée de mille obf-
curités de difcours & appréhenfions étranges; &
bien qu'enfin elle le trouve en la cime & fuprêmc
région de l'efprit, où cette divine dileclion réfi-
de, fi efl-ce néanmoins qu'elle le méconaoit ,
L. Purificatioiî. 6c). 345
& lui cft avis que ce n'cfl pas lui , parce que U
j;raii(lcur des ennuis & des ténèbres Teiripéclic
de fentir fa douceur: elle le [a] voit fans le
voir, & le rencontre fans le connoître, comme
fi c etoit en fongc &. en image. Ainfi Madeleine
ayant rencontré fon cher Mailrc , n'en rcc^oit
aucun allégement , d'autant qu'elle ne penfoit
j)as que ce fut hu , mais feulement le jardinier.
JVlais que peut donc faire l'ame qui e(l en cet
état?'Klle ne fait plus comme fc maintenir entre
tant d'ennuis , ik n'a plus de force que pour laif-
fer mourir fa volonté entre les mains de la vo-
lonté de Dieu , à l'imitation du doux Jéfus, qui
étant arri\'é au comble dt^^ peines de la Croix,
que le Père lui avoit préfigées, & ne pouvant
plus réfjfter a l'extrémité de fes douleurs , fit
comme le cerf, qui hors d'haleine & accablé de
la meute , fe rendant à l'homme , jette les der-
niers abois, la larme à l'œil; car ainfi ce divin
Sauveur proche de fa mort, Ik jettant les der-
niers foupirs , avec un grand cri & force larmes:
Hélas, dit-il, [/?] mon Père , je recommande
mon efprit entre vos mains : parole qui fut la
dernière de toutes , & par laquelle le Fils bien-
aimé donna le fouverain témoignage de fou
amour envers fon Père. Quand donc tout nous
défaut, quand nos ennuis font en leur extré-
mité , cette parole , ce fentiment , ce renonce--
ment de notre ame entre les mains de notre Sau-
veur, ne nous peut manquer. Le Fils recom-
manda fon efpnt au Père en cette dernière &
incomparable détreflTe ; & nous, lorfque les con-
vulfions des peines fpirituelles nous ôtent toute
autre forte d\ilégemens & de moyens de réfifter ^
( a ) Voyez VFxplic. du Cantique \ Ch. 2. v. 9.
[6] Luc 2J. V. 46.
34^ Justification.
[^] recommandons notre efprit entre les mains
de ce Fils éternel, qui etl notre vrai Père, &
baifîant la têce de notre acquiefcement à fon
bon plailir , confignons-lai notre volonté. De
i Amour de Dieu , Llu, g. Ch. 12.
Le p. Constantin de Barbançon.
70. Enfin , après plufieurs petites épreuves ,
Dieu voyant Tame forte & courageufe entière-
ment dénuée de TafFeclion de la terre , & réfoluc
de lefuivre par-tout , quoiqu'il lui en puifTe coû-
ter de peines & de fatigues , & de ne l'abandon-
ner jamais, quelque dur & auftere qu'il fe mon-
tre envers elle ; fur-tout Dien fâchant qu'elle eft
affez forte pour foutenir l'opération qu'il veut
faire en elle ; il lui donne une inclination fecrette
de fe remettre & abandonner à lui , & de fc
jetter entièrement en fa divine difpofition, pour
faire d'elle félon fon bon plaifir pour le tems &
l'éternité, ne défirant que de lui complaire , à
quelque prix que ce foit : & après lui avoir
arraché [ 6 ] fon confentement total , il com-
mence à la mettre en un état auquel il faudra
qu'elle fouffre extrêmement.
Mais , d'autant que cet état de privation eft
un des plus fâcheux & des plus pénibles pafTages
de toute la vie fpirituelle , auquel Dieu ayant
accoutumé de charger l'anie jufqu'au bout de fes
forces , & de lui en donner autant qu'elle peut
porter , & à caufe de la peine indicible qu'il y a
à pourfuivre ce chemin , fans fe laifTer emporter
aux chofes du dehors; j'en traiterai ici un peu
plus amplement que des autres états.
C<2] Abandon total & fans retour ; c'eft la fin pouf
laquelle Dieu nous fait foufftir tant de peines.
[& j Voyez Moyen court* Ch. 2^, n. 6 & 7-
L. Ttirification. 70. 347
Lorfqnc \'oiis entendez j:)ailn de cet état de
privMtion & de dclaiiïcment , jI ne faut pas pcn-
fer que Dieu atlli^v;e Tame diredcment , ou bien
qu'il la mette en un état de pure fouHiance , oTi
clic n'ait qu'à fouFfiir & à attendre mieux fans
autre chofc , comme elle faifoit autrefois; car il
la chofc ne conliltoit qu'en cela, il n'y auroit j)as
j;rand mvflere: mais c'eft que Dieu la prive pre-
mièrement de toutes les opérations fupérieurev
de Tefprit, & de toutes les occupations de fou
divin amour qu'elle avoit ordinairement, la re-
mettantau plus bas des puiffances inférieures, où
elle fe trou\'e fi reinplie de foi-même, (i éloignée
de la région divine, qu'elle ne fent l'opération
de Dieu que très-peu ou point du tout; & au lieu
qu'au précédent état, fon exercice étoit de fe tenir
toute recueillie au-dedans en paix , en repos & en
tranquillité d'efprit , ne s'occupant de rien fmoii
de fuivre , d'attendre & de remarquer Tattrait
intérieur de la grâce aduelle pour y coopérer : ici
étant extrêmement éloignée de toute paix &
tranquillité 5' fes anciennes miféres retournent,
les paffions fe font fentir de nouveau & auffi vi-
vement que jamais, & il lui femble qu'elle n'aura
pas moins de peine à les furmonter que le pre-
mier jour qu'elle fe mit au chemin de la perfedion.
Il femble que le Roi-Prophête ait relTenti un
pareil éloignement de la jouiiTance divine & les
mauvais effets qui en fuivent , quand il difoit [fî] :
Seigneur , vous êtes-vous donc ainji éloigné de moi ?
Pourquoi , mon Dieu, m'avez-vous ainfi privé
du bonheur de votre jouiflance , comme une
pauvre veuve privée de la douce compagnie de
fon époux , laquelle étant attaquée h affligée
de tous côtés , ne trouve perfonne qui la pro-
[ a'] Pf. 10. V. I.
54? Justification.
tegc. Tout de même le Diable, le monde, la
chair fepiblent s'élever de concert contre cette
îime , ainfi éloignée de la préfence Si de la com-
pagnie de fon Epoux célefte , fous les ailes fc-
côurables duquel elle fembloit auparavant pou-
voir toutes chofes , & même braver tous ceux
qui s'élevoient contre elle. Elle difoit alors [a] :
Je ne craindrai aucuns maux , parce que vous êtes avec
moi. Je me mpque des menaces des ennemis ,
je dédaigne leur infolence ; & qui plus eft ,
renforcée de confiance & de grandeur de cou-
lage , je me préfente moi-même au combat, &
i>e crains rien ; car Dieu ayant pris ma vie en
proteétion , & me couvrant de -cous côtés des
ailes de fa puifTance , qui eft-ce qui ofera m'a-
border ? qui craindrai-je , ii celui que tout le
monde craint & redoute me défend ? Rien ne
îa pouvoit alors ébranler ; par la feule raifon que
fon Seigneur & fon Dieu étoit près d'elle , la vic-
toire étoit dans fes mains. Mais ici étant aiufi
abandonnée , elle peut bien dire avec le Pro-
phète : [6] Hélas , Seigneur ! ceux qui ne cher-
chent que ma mort , qui confpirent contre ma
vie , ont fait un complot enfemble , où ils ont
xéfolu ma ruine, difant d'une voix audacieufe:
îl court vagabond, privé de l'affiftance & de la
douce protection de fon Dieu ; pourfuivez-le ,
attaquez-le hardiment, parce qu'il ne fe trou-
■^~era perfonne qui prenne fa caufe en main , ou
qui puiiTe vous l'arracher. Et effedivement , dit-
iî, l_c']Jî Dieu ne m'eût ajjîfté ^ il s'en feroit peu fallu
que mon ame ne fut tombée dans f enfer s c'efl-à-dire ,
ces deffeins euffent eu leur eftet, fi Dieu par fa
miféricorde ne fe fût promptement tourné vers
lai Pf. 22. V. 4. [6] Pf. 70. V. 10. lï.
IcJ Pf. (;j. V, 17.
L. VnrîjïcatiGJi. 70. .^^49
iTioi pour me fccourir : l'cll j>ourqiioi il p/ioit
(\ fou vent, [a] Ne dtftourricz pas de luoi votre Jatc.
[ /; ] Ne me rejetez pas de devant votre facr. Ne inc
privez plus, ô Seigneur , de votre agréable pré-
fence , de peur cjue mes ennemis ne confpircnt
de nouveau ma perte.
Ouel martyre Ipirituel penfez-vous que ce foit
pour une amc , après avoir \'u 11 clairement les
chofes de Tefprit de Dieu , & cormu leur vérité,
la vanité des cliofes du monde , la miférc de$
défirs & des inclinations de la nature corrompue ,
& le grand maJheur du péché ; après avoir tant
de fois défiré de s'éloigner de toutes ces chofes,
& qui plus eft, après qu'elle pcnfoit en être audi
éloignée que le ciel Tell de la terre, de s'y voir
derechef toute plongée , & autant haraffée Se
tourmentée de penfées, défirs , inclinations, ima-
gmations , mouvxmens , palîions , & enfin de
toutes fortes de déréglemens, que jamais elle ait
été? Encore fi cela ne duroit que l'efpace de
deux , trois ou quatre mois , & que l'ame retour-
nât après cela à fa jouïfTance comme ci-devant,
la chofe feroit aucunement fupportable ; mais d'y
demeurer les demi-ans , & même les années en-
tières, ou davantage, fans favoir plus retourner
aux grâces précédentes , cela fait quafi perdre
toute efpérance , & emporte , peu s'en faut , toute
la patience de cette ame ; car fi elle fe veut éle-
ver à Dieu pour y chercher du refuge en fes
miféres , il n'y a que ténèbres & obfcurité dans
fon efprit , & elle voit que la porte lui eft fermée
de ce côté-là ; que fi elle a recours à fes ades
propres pour exercer les vertus contraires , cela
fe fait avec fi peu d'efficace contre fon mal
qu'elle trouve aufli fort peu ou point de foula,
(a) Pf 26, ir. 9. (i) Pf. sa f. 13.
35^ Justification.
gcment de ce côté-là. Où efl-ce donc que cette
pauvre créature aura recours en fes angoiflcs ? Car
fi faut-il qu'elle faffe quelque chofe : de demeurer
en foi-même en fa nature inférieure avec tous ces
malheureux défirs, inclinations , défordres ; c'eft
comme un enfer pour elle , qui auparavant avoit
fi bien appris à s'en éloigner , aidée par l'opéra-
tion qu'elle reffentoit enfon efprit, où ellevoyoit
fi clairement la mifére de ces défordres : c'eft
pourquoi fa confcience ne fauroit foufFrir qu'elle
s'y arrête encore , ou qu'elle y puiffe trouver
aucun repos ou confolation , étant toujours ron-
gée au-dedans par la crainte qu'elle lui donne de
perdre fon Dieu , en fe laiffant emporter aux
chofes du dehors. Et en eft'et , c'eft ici une de
fes plus grandes peines, qu'il lui femble à tout
moment qu'elle va fe retirer de fon Dieu & l'a-
bandonner.
Mais, direz-vous, qu'eft-ce donc que Notre
Seigneur prétend par tout cela? Pourquoi un tel
ctat? Je réponds que c'eft une opération autant
néceffaire qu'aucune autre que Dieu ait faite juf-
qu'ici dans l'ame , pour la faire avancer en fon
divin amour : elle eft néceffaire , dis-je , non-feu-
lement pour purifier Famé de tout refte dépêché,
de toute attache à fes grâces fenfibles & de toute
eftime de foi-même ; mais encore pour la difpofcr
peu à peu à l'état de jouiffance & d'union parfaite
qui doit fuivre après celui-ci , comme on le verra
à la fin de ce difcours.
L'ame donc ayant été quelque tems en cet état
de féchereffe fpirituelle , en ces combats , en ces
reffentimens de toutes fortes de miféres , & ayant
jufques-làfupporté cette dure privation^ avec pa-
tience, dans Tefpérance de trouver mieux : voyant
enfin que ces miféres continuent^ ou plutôt aug-
L. rtirification. 70. 35 ï
mentent (le joui en jour, clic commence à s'ima-
j;iner que tout c(l perdu pour elle, & que cela
lui eft arrivé par cjuel(|ue grande fau:c qu'elle aie
commife contre Dieu, & qui l'air obligé de fc
retirer d'elle «Se de la lailFer en vn état (i mifé-
rable. Kt j)lus cela va en avant , plus ell-ce pitié
de \oir les peines qu'elle a dans J'oiailon, à caufe
de la ditUculté qu'elle trouve J'entrer en fon in-
térieur , de s'y maintenir ou Je s'adrefTer à Dieu
avec tantfoit peu d'eificace, & de voir que le tcms
s'y paire en diverfes penfécs , repréfentations &
alléchemens de la fenfualité. Et qui plus eft, il
;4rrive fouvcnt que Timpatience veut fe faire fen-
tir ; car la nature inférieure: fe voyant ainfi agitée
de toutes parts, privée de toute influence & de
tout fecours , & que toutes chofes femblent conf-
pirer à fa ruine , elle voudroit tout quitter par
impatience. Et au lieu des douces inclinations
qu'elle refifentoit autrefois pour Uieu & pour
fon amour, il eft prefque incroyable combien à
préfent elle fe fent au contraire toute pleine de
dégoûts , d'averfion & d'irréfignatioa , & cela
d'une manière qu'on n'y voit plus de remède ,
les chofes allant toujours de mal en pis; car,
tandis qu'il y avojt encore quelque lieu d'ef-
pérer , de fupporter ou de fe réfigner, quelque dif-
liculté que l'ame y trouvât , il y avoit toujours
moyen d'avancer en quelque forte : mais depuis
que cette nature inférieure fe trouve toute rem-
plie d'impatience , de rage, d'irréfignation , de
dépit & d'indignation , cela eft un défordre & une
confufion inexplicable : & c'eft une cliofe hor-
rible de fentir comment dans cette rage & impa-
tience de la nature , devenue infupportable à foi-
niême , elle fe bande & fe fouléve contre l'efprit ,
niême contre Dieu même , fe voyant entière-
35^ Justification.
ment laiiïée à foi & privée de tout appui & de
toute confolation.
Avez-vous jamais vu un chien enrage , qui ne
pouvant atteindre celui qui le frappe , s'en prend
au bâton don", il a été frappé ? Ceft ainfi que
cette nature , humiliée jufqu'au bout , délaiifée
entièrement àfoi, toute remplie de fa malice &
agitée de colère , de rage & d'impatience , femble
fe vouloir bander contre Dieu même & contre
tout indifféremment , fans avoir aucun égard pour
qui que ce foit : mais n'y pouvant atteindre , elle
fe ronge , fe défoie & fe dépite contre foi-
même dans Texcès des ângoiffes dont elle fe
voit accablée.
Et notez que cette ame efl alors tellement
toute nature, c'eft-à-dife , toute vivante dans la
nature , que fon intérieur eft tout dépeint de ces
formes, n'y paroifTant autre chofe en elle que
cela , tout le rede & toutes les autres facultés fu-
périeures étant pour lors affoupies , cachées &
fans aucune opération , ne reftant en elle aucun
petit coin où toute cette nature ne foit ainfi
défordonnée, enforte que l'ame ne peut quafi s'en
diftinguer, ni s'empêcher de croire que ce foit
elle-même & fa volonté , qui faffe , qui veuille &
qui opère tout ce quelle reffent: d'où lui vien-
nent une infinité de doutes , defcrupules & d'an-
xiétés, penfantque toutes ces chofes qui lui ar-
rivent, îbient des volontés & des confentemens
tout purs. Mais il s'en faut beaucoup ; car la vraie
volonté fupérieure en eft tout autant éloignée que
lorfqu'elle étoit au milieu des infufions divines ,
excepté feulement qu'elle n'a pas fes opérations
fi à la main, ni un aufli plein ufage de fa liberté
que dans ces momens heureux d'autrefois.
Au
L. PitrifîcatwH. 70. JH
Au rcfte la nature fc fcntuDt (i infupportaf)lc
à foi, & pleine de rage c*^ de colère contre Djcu
même ^ il faut que Tamc fe difiingue d'avec cette
nature, & qu'on ne s'enfonce pas tout-n-fait dans
ce que l'on refFcnt en ellci mais il faut la voir
endurer le tout comme un tiers , s'unifTant à
J*opcration divine, & dilant en même tcms; que
cette maligne meure, qu'elle meure avec toute
fa rage : ik quelquefois en lui infultant avxc
grand courage : en dcpit de toi , de ta volonté ,
& de tout ce que tu pourrois y contredire , il fe
fera ainfi , tu mourras lSc feras anéanlie. D'autres
fois, fe fentant ainfi diftingué d'elle, on peut
la laifler faire un peu félon toute fon inclina-
tion , perv^erfité & malice , non pas pour y con-
fentir j mais pour la confidérer feulement, & pour
voir à quoi fe terminera la tragédie de fa mali-
gnité.
Enfin la chofe va fi avant , & cette pauvre ame
fe trouve tellement accablée, que fe voyant en
tant d'angoiffes , en ii grand péril d^olfenfer No-
tre Seigneur, Se en fi grand danger , ce lui fem-
ble , de tout quitter , & de retourner en arrière ,
elle fe fent poufTée à vouloir implorer la miféri-
corde divine,afin d'être délivrée de ce trifte état :
mais d'autant que cet inftinct , tout beau en
apparence & fondé fur tant dé prefTantes raifons ,
n'eft en effet qu'un trait de la nature, laquelle
voudroit bien éviter fa mort fpirituelle , si fe
fouftraire à cette opération fi amere de Tamour
divin ; je dirai ici à l'ame , pour 1 encourager & la
foutenir contre cette infirmité , ce qui peut-être*
lui pourra fervir de précaution & de confolation.
Dites - moi donc, ô ame dévote, qui vous
trouvez réduite dans ce pauvre état & dans cette
grande défolation intérieure, ne\X)usfouveaez-i
Tome IL Jufcif. Z
5^4 Justification?.
vous j)as, combien la méditation de la mort êc
iics louffrances de Notre Seigneur eft méritoire ,
& agréable à Dieu ? Oui, me direz. vous fans
cloute. Si donc la feule méditation qui fe pafiTe
en la feule penfée, eft telle, avec combien (a)
plus de raifon le fera la reffemblance ik la con--
formité à cette mort.
Lorfque vous alliez méditant fur ces facrés
inyfteres , vous ne confidériez que Textérieur des
chofes corporelles & vifibles quis'yfontpaffécs,
vous y occupant fort louablement , à contempler
ks tourmens & les douleurs de votre bénin San-
venr ; mais maintenant voici qu'il vous apprendra
toute autre chofe : car ici vous commencerez à
connoître par l'expérience de ce que vous icfTen-
tirez, que ce qu'il fouffrit intérieurement en foa
ame , par le délaiflement total que fon Humanité
facrée endura, lui a été bien plus pénible & plus
douloureux que tout le refte qui parut au-de-
hors; & ainfi vous apprendrez ici une manière
de méditer ces facrés myfteres bien plus fublmie ,
que vous n'en ayez jamais pratiqué, en confîdé-
rant déformais plutôt les angoiffes intérieures de
fon ame , que les plaies extérieures de fon corps.
Bien plus, vous lui tiendrez compagnie en fes
travaux intérieurs, en endurant tous ces tour-
mens à fon imitation ; i& ainfi vous lui ferez bien
plus agréable , que fi vous vous fufliez toujours
arrêtée à les méditer & confîdérer fimplement par
des images extérieures.
Et partant pour ce que vous vous fentcz for-
tement incitée à demander à Notre Seigneur ,
qu'il lui plaife de vous délivrer de cette peine &
(a) C*eft bien plus de porter les états de Jéfus-Clirift ,
que de confîdérer les états de Jéfus-Chrift, dit le Moyen
court. Ch, 8. n. i.
L. F HT ific.it io)i. 70. jj-y
de cet état fi angoifrcux , c'clt ici l'endroit où
vous pouvez devenir airtuiienient fembJable à
Notre Seigneur au Jardin des olivCî>, quand il
coninienc;a à entrer en fa paflîon douloureufe ,
où Ion Humanité facrée fe trouva en une dclbJa-
tion fi extrême , que félon fon inchnation elle fc
mit à crier : (^a) Mon Pcrc ^ s* il cJijH)J[]:blc ^ quccc caliu
jnijjc'i^ scloigncdc moi. Votre nature en dit autant
au commencement de cet état, défirant d'éviter
un travail \\ difficile qui, à ce qu'elle prévoit bien ,
vient fondre fur elle. Mais gardez-vous, je vous
prie, de vouloir ou de prier abfoJument, que Dieu
vous délivre & vous retire de cet état y car je vous
puis aflTurer , que h vous voulez être du nombre
des vrais amis de Notre Seigneur, il faut que cette
opération ait fon cours, qu'elle s achevé tk s'ac-
complilTc entièrement en vous, quoiqu'il en coûte
à la nature. Courage donc ! c'eft ici le purgatoire
d'amour , où vous payerez tout ce qui vous refte
encore à payer de vos dettes : c'eft ici la vraie
épreuve de votre confiance , & de votre courage
à pcrfévérer au fervice de Notre Seigneur \ c'efç
ici le tems d'en venir aux effets de vos offres , de
votre abandon à Dieu , & des défirs d'enduret
quelque chofe pour lui , que vous lui avez adref-
fés lorfque vous lui demandiez fon div^in amour*
Où font maintenant ces offres fi libérales d'un
amour tout défintéreUé, & le facrifice de tout
vous-même, que vous fîtes à Dieu au tems de
la iouiffance de fon Efprit? Où font toutes ce^
promeffes , ces réfolutions & ces proteftations fi
généreufes, que vous fîtes alors de ne l'aban-
donner jamais , quelque fâcheux & auftere qu'il
fe pourroit montrer? C'eft ici le tems où vous
devez faire paroître , que vous n'êtes pas ami de
(a) Matth. 2Ô. v. j^.
Z Ci
3S^ Justification.
paroles feulement, mais beaucoup plus d'œuvrei
ëc d'effets : & comme Notre Seigneur , pour votre
bien n'a pas voulu éviter fa mort & fa paffion
fi amere : ainiî dans cette rencontre , où il y va
tant de fa gloire , & où fa divine volonté paroi tfî
vifîblement, quoique félon votre appétit naturel
vous défiriez d'éviter les travaux de cet état, ne
vous laiffez pointemporter au défîr delà nature ^
mais foyez bien perfuadée qu'il eft expédient que
votre être , votre opérer , & tout ce qu'il y a
tii vous de corrompu ou d'imparfait , meure ,
pour donner place à l'être divin , à fon opérer
fureffentiel , & à tout ce qui eft de fon pur amour.
Souhaitez donc plutôt que tout cela périffe & que
cette nature inférieure meure avec toute fa ma-
lice , en dépit de fa rage , de fon impatience , &
de tout ce qu'elle fauroit vouloir au contraire ;
& dites à Dieu : Qice votre volonté foit faite , eu
défirantque fon opération divine s'accompliflTe,
& que tout le refte s'accommode plutôt à elle,
que de vouloir que cette opération divine fe con-
forme aux défirs de la nature.
Je fais bien que fouventmême vous nefauriez
faire cette réfignation par aucun acte formé j car
cela même vous fera ôté, ainfî que tout autre
acte de vertu que vous voudriez quelquefois
exercer au befoin , n'étant pas poflîble alors d'en
former aucun , ni de rien pratiquer qui foit capa-
ble de vous donner aucune fatisfaction ou affu-
rance de vous-même d'avoir fait ce qui étoit en
vous pour vous oppofer contre le mal. Mais
tâchez de demeurer en paix , en quiétude , & en
lîlence : & cela vous tiendra lieu d'une bonne réfi-
gnation , quoique vous n'en fauriez point faire
explicitement. Car Dieu ne fe contente pas dç
paroles , ou d'acte* légèrement formés : mais
L. Vurifiaxtion. 70. ^7
il vciit qiron foit vci it^hlcmnit 5c en effet , ce
que ces actes dcchirriit , en dcincuraiu paifible &
content dans l'on fond an milieu de tant de mifc«
Tcs ; & cela lui fulHt , encore que nous non^
voyions privés de ce contentement que nous
voudrions avoir , de nous voir former ces actes.
Soyez donc réellement & vcritableinent réfi*
p-né , pacifiiiue & content, louant & bcniffant
Dieu en votre cœur dans toutes fes œuvres;
c'eft ainlî quand même vous ne diriez mot, qu'il
vous entendra affcz : & apprenez dès à préfent de
vivre ainfi avec Dieu ; car ce fera déformais la
manière dont vous le fer\'irez.
Si vous me demandez ; (juel moyen il y a de
fe confcrver dans un état pacifique & de demeu-
rer content , au milieu d'une fi grande guerre ,
& en femtant tant d'inquiétude & d^irréfigna-
tion ? Je reponds que quoiqu'il puifTe arri\ er , il
faut tellement laifTer pafTer le tout, que l'on ap-
prenne d'avoir la patience au milieu de fon impa-
tience , d'être réfigné en Tirréfignation même ,
d'être patient dans l'impatience que Ton reflcnt
de fon impatience , & réfigné dans l'irréfignatioa
où l'on fe trouve au fujet de fon irrefignation.
Et lorfque vous viendrez à vous voir & fentir
dans un état fi miférable, qu'ayant compailion
'de vous-même à caufe de la dcti-effe intérieure fî
terrible qu'il vous faut palier, vous vous plain-
drez à Notre Seigneur de ce qu'il vous laiffe ainfî
fans fon divin fecours, & fans le concours de fa
grâce, au milieu d'une fi grande extrémité ; ce
fera alors que ^'ous ferez en quelque chofe fem-
blable à Notre Seigneur , fe plaignant à Dieu fon
Père de ce qail l'avoit délaiff.^
D'ailleurs , foyez bien alTurée , qu'il vous fan-
dra pafTer tautes ces chofes au pied de la lettre ^
z;3
5SS Justification.
& que fans rien feindre ni exagérer, vous vOiT5
verrez voiis-mé^me, -i ce que vous penferez, la
créature la plus pauvre, la plus malhcureufe &
Ja plus défolée qui fe puiHe trouver au monde;
puifqu'il n y a perfonne (x miferable ni fi infor-
tunée qui ne reçoive, foit de la part des hom-
mts , foit de Dieu , quelque fupport ou quelque
■petite confolation : au lieu que vous vous en ver-
rez & fentirez Ci éloignée qu il vous feniblera que
quand même quelque créature , quelle qu'elle
foit, ou Dieu même , voudroit vous en donner,
vous ne famiez comprendre comment cela fe
pourroit faire , ni comment il feroit poffible de
vous relever d'un fi terrible défaftre. Et ce qui eft
encore plus furprenanten cela, c'eft que quand
même Tame connoîtroit clairement fon état, &
qu'elle fauroit certainement que cet état de pau-
vreté & de délaiiïement eft la véritable prépara-
tion à la vie furéminente & divine; que tout cela
néanmoins ne fauroit facilement diminuer la vio-
lence de fes angoififes , ni foulager fes peines au
fujet de la coopération à cette œuvre divine :
car ce détroit eft un trait de la main de Dieu ,
& tellement de fa main , que nul autre que lui y
peut apporter du remède. ^
Une peine de cette ame qui la défoie entre
mille autres , c'eft qu'elle penfe en foi-même :
que il je vcnois à mourir en ce trifte état, où je
fens fi peu d'amour pour Dieu; que feroit-ce de
moi ? — .Car fi je dois parler félon les fentimens
& rinftinct de ma nature, je me fens plutôt
poufTéc à le blafphêmer, & à murmurer contre
fa divine opération , que de vouloir me foumet-
tre humblement à fa divine volonté , ou d'être
portée amcureufement à le bénir , le glorifier &
Primer. Car bien que je faffe q^uelque chofe de
L. Ptirifjctition. 70. jf9
fcmblahlc , qnc je me rcllv^nc , m'abandonne ,
m'ancnntiiri* devant lui & m humilie fous fa
diviiyc opération, tout cela ne fe fait pas avec une
pleine volonté , & un confentcment entier de
«lia partie inférieure, mais plutôt par force & eu
flépit (^c moi-même, y étant comme contrainte
par le di\'in \'ouloir. Ouel foroit donc mon fort ?
ou que deviendrois-je fi je vcnois à mourir en
cet état? Comment ofcrois-je me prcfenter de-
vaut Notre Seigneur avec une telle difpofitioii
de mon ame ? au lieu que lî j'étois morte en
rétat précédent , toute pleine de défir & d a-
mour pour Dieu, quel auroit été mon conten-
tement & combien grande mou afTurance de
mourir en aimant , & d'aimer en mourant.
Oui chère ame , il eft bien vrai, qu'il n'y a
rien de plus heureux que de mourir en aimant :
mais cependant ce n'étoit pas encore làTamour
le plus parfait. Je crois que véritablement en ce
tems là vous euffiez pu mourir avec plus de con-
fiance en Dieu, que maintenant; mais aullî vou^
auriez été bien étonnée après la mort de voir
que cet amour, qui vous fembloit fi fincere , fî
pur , fi parfait, étoit encore bien fouillé & me*
Langé de Timperfection humaine , à caufe que la.
divine opération n\a\'oit pas été rcque de vou<;
dans la pureté qu'il falloit: au lieu que mourant
en cet état-ci, vous mourriez appuyée, non pa>
fur vos propres mérites , puifque vous ne vou>
en attribuez guère; ni fur votre propre induftric
ou adreiïe , puifqu'ici vous n'en fuiriez apporter
aucune ; ni fur la fidélité de votre coopération ,
puifqu'il vous femble qu'on vous ôte toute opé-
ration propre : mai^ fur la feule promefle de Thé-
ritage des enfans de Dieu, & fur les feuls méri-
tes du fançr de votre Sauveur ; & m.ourant avec
z 4
^6p Justification.
fî peu de confiance en vous-même, vous feriez
bien étonnée après la miort de vous trouver fî
riche en mérites, fî abordante en grâces, & fî
remplie de dons & de richeffes fpirituelles.
D ailleurs fâchez que dans Tétat précédent ,
quoique vous y viviez en une fî grande affu-
rance, à caufe de Tamiour que vous vous fentiez
pour Dieu , vous étiez toujours la même que
vous êtes maintenant , & tout aufîî imparfaite
que V ous vous trouvez à préfent. Que fî la mali»
gnité-, la rage & la mifere de votre nature n'y
paroiffoit point à vos yeux , pour être cachée &
comme enfevelie fous l'abondance de tant de
faveurs divines. Dieu néanmoins ne laiflbit pas de
îa voir exactement & de fonder le plus intime de
votre fond, n'ignorant pomt jufqu'à quel degré
de vertu & de mort à vous même vous étiez
parvenue : & maintenant , pour vous le faire aufïî
connoître, & pour vous oter cette vaine affurance
& toute eftime propre, il vient de vous fouf-
traire fenfîblement le fecours de fa divine opéra-
tion, afin que vous voyez clairem.ent ce que vous
êtes véritablement. Mourez donc hardiment en
cet état, puifque vous connoiffantlî bien, vous
mourrez en vous défiant entièrement de vous-
nnème & de tout propre mérite. Secrets f entier s de
t Amour divin. Part. 2. C/z. lo.
Le Fr. Jean de S, S a m s g n.
71. Tout le bien de cette ame coniifte à endu-
rer fortement les pénibles eftbrts de fa fouftrac-
tion , attendant patiemment le défiré retour de
l'Epoux , quand il lui plaira de le faire : & jamais
il ne faut chercher fa confolation au créé en quoi
que ce foit. Que fî on fort au-déhors pour fe
divertir à quelque chofe , il faut que ce foit abfo-
lue néceflité. Enfin il faut mourir en éternelle
L. Vurificatioiu 70.72. 3^1
agonie, fi Dieu rordonnc ainfi , plutôt que de
le rendre inlidclc à fiiMaiefto divine fi peu (|uc
ce Toit. Cette perte véritable n'eft dure (ju'aïf
commencement, ( 'eft à fa\'oir , pour les jeunes
ijpjMentifsi car elle eft facile au milieu , & très-
douce à la fin. Kl'prit du Cann. ('//. i f .
72. Ouant aux morts que Dieu faitfouffrir par
Jui-mcMnc, dans la totale fufpenfion des puiiïaii-
ces , qui, comme étroitement liées, font fans
pouvoir & fans mou\'ement, & cela très -fou-
vent Çï anj^oilfeufcmcnt qu'il n'y a point de dou-
leur pareille : telles font pour l'ordinaire les
morts & les an^i;oifres du dernier degré & état
de l'appétit actif, dont les Myftiqucs ont ample-
lîient écrit , & moi auifi. Sur quoi je dis que Tex-
cellente fainteté dans les hommes eft inconnue,
d'autant qu'il n'y a moment dans la vie , par ma-
nière de dire , qu'il ne faille expirer en Dieu. —
Telles furent les morts & les douleurs de Job,
& les triftes & douloureufes plaintes qu'elles
produifirent, les font aflez voir telles qu'elles
ont été, à favoir les plus cruelles & les plus hor-
ribles qui fe puilTent penfer. Sur quoi on afujet
de s'étonner de ce qu'on v^oit même plufieurs
doctes ignorer ceci , & de ce qu'on explique fes
mortels excès très - ignoramment contre toute
raifon & vrai fentiment d'efprit. Que fi Dieu ne
l'eût juftifié lui-même là-deflus, les hommes
l'euUent condamné de forcenerie & de blafphè-
mc. Voilà ce que c'eft que d'ignorer la fcience
des Saints , & de n'avoir pas d'expérience là def-
fus i ne fâchant point que Job (a) étoit en même
tems profondément tourmenté, en Tefprit auiii
{a) Je crois n'avoir rien laifle à expliquer de ces états,
dans ce que j'ai écrit fur Job. (Voyez le Tome \^\\. dçs
Explications Tur le Vieux Teûament.)
9i6l JUSTIPICATION.
aufli bien qu'en fon corps. Toutes fes plaintes
n'ont été autre chofc qu'un continuel excès de
douleur amoureufe; & tant plus il femble avoir
perdu & excédé la raifon envers Dieu , tant plus
& tant mieux il exprime par fes plaintes , Ta-
mour qui le tourmentoit plus cruellement,
qu'on ne peut concevoir. Car dans fon aban-
donnement univerfel , il ne favoit où alTeoir fon
pied , c'eft-à-dire fon appétit, pour pouvoir pren-
dre repos en foi , ni aux créatures , tant il étoit
de toutes parts étroitement alïiégé, en l'ame &
au corps, de très -fortes douleurs & angoiffes.
A quoi fes amis fe joignirent , fpécialement fa
femme, par leurs opprobres & moqueries, pour
achever de combler fa mifere : car leurs paroles
ne ferv^oicnt qu'à le tourmenter davantage.
Le même arrive tous les jours aux plus inti-
Imes amis de Dieu : les uns font tourmentés en
Tefprit & au corps , d'autres font délailTés fans
fentiment, fans c'onfolation & fans connoifiancc
en Tefprit ; de forte que dans leurs infernales
langueurs , ils fortent quelquefois par paroles à
des excès étranges : ce qui étant ignoré des hom-
mes , ils les jugent forcenés. IVlais les hommes
divins , qui ont eux-mêmes pafTés par cet horri-
ble & aftreux défert^ en jugent bien autrement.
Ils les eftiment autant faints en cela même ,
qu'ils font violentés au propre exercice de Dieu,
qui leur eft très -mortel excès , exprimant par
leurs plaintes la violence des tourmens d'amour ,
qui leur fupprime radicalement la vie d'une ma-
nière inconcevable. Auffi leurs expreffions font-
elles autant éloignées de leur vrai état , qu'ils
font alors perdus inconnùment en Dieu. Les
hommes même bien faits ignorent les exerci-
ces de Dieu fur les efprjts de fes plus intimes
L. Purification 72. 363
amis : c'cfl pourquoi ils reprouvent ces pau-
vres affliges , comme cliofc qui nii jamais rica
été à Dieu. Ce font ces perlbunes qui en leurs
tourmens ne peuvent être confolées , (Se la con-
folation des fpiritueis mcmc augmente de
plus en plus leurs tourmens. (^ue fi leurs
corps [a) ctoient affliges, ce feroit la chofe la
plus pitoyable cjui fe puilfe penfer : mais pour
Tordinaire la Majcfté JaifTe le corps libre ; &
îî'il lui plait d'afHiger le corps excelTivemcnt ,
il les laide libres d'efprit , pour s'occuper en
lui , recevant fcs carefTes amourcufes par fes
fréquentes vifites , qui les rcmplilTcnt de joie
&: de lumière ineffable , pendant que le corps
eft retenu fous la prefTe des douleurs. Dieu a
foin d'eux , & même il femble s'affliger avec
eux , leur donnant courage , ou av^ant l'afflic-
tion , ou en l'afflidion même pour la foutenir
fortement. C'eft en ce genre d'excellens Saints
{b) que Dieu prend fes fouveraincs délices fur
la terre.
(a) Quelquefois cela eft de la forte, comme je
Tai éprouvé. C Voyez la Vie de TAuteur, P. I. Ch, 2j.
n. 5. &c. )
(6) Qiii accujera les élus de Dieu? Cejl lui-même
çui les jujiifie (Rom. 8. v. 13, ) Il y a des ferviteurs
de Dieu , qu'on approuve jufqu'à un certain point ;
parce que leur état ne paffe pas la portée d'une cer-
taine compréhenfion humaine , dode , raîfonnable ,
pîeufe & droite : mais dès qp'on entre dans des états
qui furpafient cette raifon éclairée , on entre en dé-
fiance. On devroit juger de ces perfonnes , non par
la raifon , mais au-deffus de la raifon , & penfer qu'un
état qui a des commencemens fi bons & incontefta-
blés , une fin toute divine , ne doit pas être condam-
née dans def chofes particulières, qui d'elles-mêmes
564 Justification.
Fort foùvent il faut favoir que tant plus ou
devient efprit , tant moins on eft puilTant con-
tre foi-même; de forte qu'on ne peut plus faire
que très -difficilement , par dedans & par dé-
îiors , tout ce qu'on fai-foit auparavant très-vo-
lontiers & très -facilement. La partie inférieure
fe révolte contre la fupérieure : ce ne font que
mauvais fentimens , & mouveraens d'appétits &
paffions révoltées contre Dieu & la vertu , ce
qui eft II étrange à fentir & à voir, qu'on croit
être perdu. Alors un petit fétu à remuer femblc
une groffe poutre ; & enfin on ne fe peut ima-
peuvent être prifes en bonne part , & qui en Dieu
ont un fens divin , comme ce qui eft rapporté de Ste.
Théréfe (en fa Vie écrite par l'Evéque de TarafTone.
Ch. 19. ) que Dieu lui dit : Ma fille , fi je n^avois pas
créé le Ciel , je le créerois pour toi feule : ce qui
niarqueroit une extrême oftentation , pris du côté de
la raifon. Dieu fe fert quelquefois des chofes les
plus profondes & les plus divines en lui , pour expri»
mer à fcs Epoufes , & Tamour qu'il leur porte ^ & le$
defleins qu'il a fur elles. Ces chofes prifes à la lettre
feront toujours de la difficulté ; mais prifes dans le
véritable fens qu'elles ont été dites , & dans Tufagc
que Dieu en fait , cela eft tout différent. Si on favoit
les profondes & intimes communications qui fe paf-
fent entre Dieu & Tame , on feroit étonné des bon-
tés de Dieu pour fes pauvres créatures ; & je m'é-
tonne moi-même comment elles ne meurent pas d'a-
mour. Dieu remet fes intérêts entre leurs mains , com-
me elles lui ont remis tout le leur, & femble quel-
quefois* les obliger à djfpofer de fa juftice & de la
miféricorde. Mais mon Amour ! n'en dis - je point: trop
pour une perfonne qu'on examine comme coupable ?
Mais qu'importe , pourvu que tous vos droits foient
confervés , & que votrç vérité ne foit ni trahie ni affoi-
blie. Si la crainte , ô mon Amour ! pouvoit faire en-
trer en ce cœur un intérêt propre , il faudroit arra*
cher ce cœur ingrat & h punir éterriellement.
L. rurification 72-74. 365
gîncr les }ionil)lcs boiirrafijucs d'un fi ctnuigt
accident, Dicii tenant ce tenible moyen pour
;ichever d'épiiin &, de purj;cr J'anie de fes pliu
fubtiles proj)rict(;s. Q^ue l'i l'homnie n*e(l coura-
geux , (Sec. (Voyez Mortification, n. y. ) t'fi^rlt du
L'ai me [y C/l 13.
73. Voye/ Foi nue. n. 44.
74. Au redc, il fe peut trouver des perfonncs
;ittirées de Dieu , dès leurs commenccmens ,
a(Tez fortement dans le brouillard my(lic]ue,
.qui dans leur fufpenfion & obfcurité font plu-
tôt contemplants la Divinité , par une opéra-
tion myftique , que faifani purement oraifon.
IVlais comme il fe fait qu'en cette fufpenlioa
ils fe trouvent angoiflés, ik plus ou moins mou-
rans au-dedans , à peine leur peut-on perfuadcr
ce qu'ils font , ni où ils font. La raifon eft ,
que la nature veut toujours fentir & favoir; (Se
ce n'eft le propre que des Saints confommés ,
s'il faut ainfi dire , de fe perdre entièrement ,
par une totale indiftérencc (a) d'avoir ou de
n'avoir pas , d'être ou de n'être pas. Si bien que ,
quand les Direéleurs rencontrent de femblables
fujets , ce ne leur eft pas une petite peine; par-
ce qu'encore qu'ils les voient & les jugent très-
bien , il femble toujours à ces âmes , qu'ils ne
leur difent jamais ce qu'elles font; & s'ils ne fe
donnent de garde, ils les affligent plus qu'ils ne
les confolent. A cette conduite de Dieu fi im-
médiate , fuccéde l'exercice des créatures , qui
frappant inceffarnment à tort & à travers, tien-
nent CCS pauvres perfonnes dans des mortelles
& infernales langueurs : fi bien que c'efl mer-
(û) Indifférence enticre : perfeâion.
^66 Justification.
Veille comment une pauvre créature (a) peuC
longtems réfifter à tant & tant de mauvais effets;
Aulfi eft-ce là que ceux qui font amers , fe dé-
pitent, & quittent tout , abhorrant pour jamais la
vie de refprit : & qui leur commanderoit de la
pratiquer toute leur vie, les mettroit en un enfer
tout vivants. Cabinet Myjiique^ Part. i. Clu 2.
75. Avant que d'arriver à la confommation ,
qui eft le dernier & fuprême état de cette voie,
& qui, comme les autres, contient plufieurs de^
grés de furéminence , il faut que Tame paffe une
infinité de détroits , tantôt de douleurs intérieu-
res & indicibles, tantôt de pauvretés & miferes ,
par les retraites que TEpoux fait du fens , & (jb)
non jamais de l'efprit , tantôt d'abftradlions d'elle-
même & des chofes créées. Ld-mcme. Ch. 5.
76. Préfuppofant qu'on foit bien fondé aux
règles & maximes de la voie très-divine , très-émi-
iiente & très-abftraite , qui confifte en une entiè-
re mort & annihilation de toutes chofes , aulïi
bien que de foi-même , & fuppofé qu'on foit très-
éloigné, & abftrait éminemment, de tout ce qui
eft , & de tout ce qui pourroit être ; je dirai feu-
lement qu'au tems des très-grandes défolations
& langueurs intérieures , que Dieu fait reffentir
à Tame , exerçant en elle & avec elle l'œuvre
divan de fon amour , elle doit bien fe garder de fe
plaindre à perfonne , ou de chercher de la con-
folation au-déhors parmi les créatures , fous pré-
texte d'indifférence , ou autre que ce foit. Il ne
lui fera pas permis non plus , de faire aucune
(a^ Plufieurs quittent faute de courage : & fouvenfc
les Directeurs fe rebutent & abandonnent ces âmes*
(b) Notez.
L. Vurijîcatio7i 74-77- 3^7
Icdurc tout cj tcms-là; ce fcioit fecrcttemcnc
fc dcJix'rcr du viibct ainoiiiciix : li ce nV*(l cjuc
robciniiiue charité ou néccllitc cxprcllc le dcmau-
dallent autrement. Toutefois quand elle ne fera
j)oint ainfi attachée , ni détenue au gibet d'u-
inour , (!v: dans Ja très- douloureule vSc lanj^ou-
reufe mort de TcTprit en Dieu , elle pourra lire.
Cabinet Myjiiq. Part, 1. Cliap. 6.
7J. Le gibet amoureux efl de deux fortes ; le
premier (a) où Tame fe trouve comme pendue
& étranglée , après les attraits & manifeftations
très-nues , très-limplcs , très-divines & très-effi-
caces de TefFence divine , touchant , tirant &
mouvaiU lame au-dedans, Tétendant & la dila-
tant dans fon immenfe étendue & fpaciofité ,
comme entièrement perdue à foi-même : après,
dis-je, le progrès de telles careffes , ce même
cfprit fouverain a coutume d'exercer le divin ou-
vrage de fon amour en Tame, lui fouftrayant &
ôtant la fatisfaclion de fa divine préfence !k de
fes délices divines au-déhors , & quant aux fens.
Cela lui fait fouftrir de très-grandes & angoiffeu-
fes douleurs, & même impatiences d'efprit, mais
en amour. Elle demeure comme fufpendue en
fon pouvoir d'agir, & fi profondément tirée &
abforbée , qu'il ne lui efk prefque pas poffible d^
parler à l'extérieur, ni défirer de le faire. Ainfi
elle eft contrainte d'endurer fans remède des an-
goiffes & douleurs d'amour très-intérieures , d'au*
tant que ce qui pourroit venir de fa propre in-
duftrie , ou de quelque autre créature , ne peut
rien pour fa confolation. Aufli ne peut-elle (h)
défirer d'être confolée, ni recevoir confolation ^
C-a) Première épreuve forte.
(Jb) L'ame fent fi vivement f inutilité des confolations
humaines, qu'elle les fuie même.
368 Justification.
ni d'elle-même , ni de tout ce qu'on puide faire l
ou dire de plus haut & de plus divin. Voilà le
fujet de fon angoifTeufe & pénible mort.
L'autre [o] gibet de l'ame amoureufe eft tout
d'une autre forte. Elle s'y trouve attachée & étran-
glée beaucoup plus langoureufement & angoif-
feufement fans comparaifon. Car après tous les
degrés de manifeftations , de vues (b) très-lumi-
neufes & très-délicieufcs de l'EfTence divine, &
après la fidelle pratique de toutes leurs famihe-
Tes , douces & délicieufes carefTes effentielles &
perfonnelles , (c) le défir de Tame eft furcomblé
en fa capacité appétitive & adive , qui fait que
l'ame eft très-profondément & infenfiblement unie
& transformée en l'effence divine du fur-effentiel
& fur-éminent Efprit , qui par fon activité l'unit
a foi-même, infiniment au-delà de tout être &
non-être._
De là vient, qu'après que l'ame fe fent defti-
tuée du défir femblable d'adion & d'affection ,
elle tombe peu-à-peu dans des trifteffes , angoiffes,
douleurs & impatiences d'efprit; & il lui femblc ,
fi elle n'eft bien fondée & inftruite , qu'elle n'a
plus rien de Dieu , ni de fa divine connoiffance ,
«'étonnant de ce que fi à coup , & fans s'en apper-
cevoir , elle fe voit tombée en telle extrémité de
miferes , de langueurs & de morts , pour avoir
perdu , comme elle craint , fon Objet infini &
fes infinies délices & careiïes. Elle fe voit fi igno-
rante de Dieu, & des chofes qui lui appartiennent,
(û) Seconde épreuve.
(n) 11 appelle vùc^ communication, car reffence nç
fe voit point.
(c) C'eft la raîfon pourquoi elle ne défire plus par
elle-même : car il faut néceffairement raifonner du dé-
^r comme des autres a<ftes.
qu'elle
L. Ttirification. 77. 369
quV'llc croit qu'il n'y :i aucun, fi miférabic puif-
fc-t-il être, qui le foie autant qu'elle. D'oii vient
que fcs douleurs, anj^oilles vi impatiences ;iuj<-
mcntant de plus en plus , fa pauvreté & défola-
tion viennent à tel point, (]u'ellc voudroit pou-
voir mourir mille fois. Néanmoins ell-^ vou-
"" droit bien s'en délivrer, non pour fon intérêt,
ce lui femble, mais pour recouvrer fa perte [a)
inHnie , & par conféquent fa connoifiance , fa
vie , fes amours ik fes délices objetiives. 1 oute-
fois , fi elle \'Oit que les moyens , tant de la part
de Dieu , que de la créature , lui manqueni, [b)
elle fe réfignc entièrement , peur être à jamais
affligée & défolée de toutes parts , même étran-
glée en ce gibet. Ce que nous avons ditfervira
ici de règle infaillible. —
Il faut noter que les offenfes commifcs contre
Dieu, fpéciidement par ceux qui doivent être
parfaits , font extrêmement augmenter leurs croix
& langueurs , s'impatientant de plus en plus Ik-
dedans : & ils aim.eroient beaucoup mieux pour
lors m.ourir, que vivre ainfi détenus en telles dé-
trefiiés & mortelles angoidcs; & fur ce fujet ils
meurent & expirent entièrement en Dieu, leur
divin Objet.
Que s'il arrive encore , que les créatures im-
putent: quelque clicfe à quelqu'une de ces âmes,
eu. lui donnent quelque mortification contre
tou'c raifon ; comme fon déllr & fa f- :\ fo i infi-
niment éloignés du moindre vj :e ou imperfec-
tion , c'efc merveille fi telle ame ne fcrt pc^nt
pour lors à fa juPcirTcation , & à montrer aux
M Nul ne connoit une pareille perte , que celui
qui a fenti ces ineifables délices.
[6] Seul remède; relignation, abandon.
Tom. IL Juji. A a
3;^o Justification.
créatures qui Taffligent fi mal-à-propos , combien
elle eft épurée de toute fin créée , & par confé-
cjuent de tous objets , défirs & aftedions finiftres.
Voilà les caufes du gibet amoureux de Tame ,
vivante feulement à Dieu & en Dieu , deftituéc
d elle-même , de fes fens , & de leur propre opé-
ration , ik transformée au-delà de tout le créé
en Tunité furémincntc & effentielle de Dieu. Là-
même.
7S. En ceux qui commencent & avancent ,
les tentations procèdent particulièrement des
habitudes corrompues de la nature , tant fupé-
rieure qu'inférieure : mais dans les parfaits , les
tentations s'émeuvent & s'excitent en la partie
inférieure non-corrompue ; leur partie fupérieu-
re étant fufpendue en fes ades , par expreffe or-
donnance de Dieu. Ceux-ci n'ont rien à crain-
dre en fcmblables efforts, puifque le confente-
ment eft autant éloigné d'eux , que les efforts ,
preflTures & douleurs [a] font grandes en ces
occafions-là. Néanmoins ils doivent s'anéantir
& s'humilier très-profondément là-deffus , & s'en
rapporter entièrement à leurs Directeurs.
Ceux qui ne font que comment^ans , [b] ne
doivent nullement difputer ni efcrimer contre
]eurs tentations , car difputer, débattre, ou réflé-
chir fur foi-même, penfànt par ce moyen repouf-
îer la tentation , ou voir s'ils n'y ont point don-
né confentement, ce ne feroit faire autre chofe
que haraffer les chiens aboyants après foi , ik fc
mettre en danger de fe faire mordre. On ne doit
non plus fe foncier de ces violentes bourafques ,
que fi on entendoit autour de foi une meute de
[ûD La douleur qu'on reflent eft la fûre marque, que
la volonté eft éloignée de la tentadon.
[6] \q>y^z Moijen court. Ch. a. n. 4. Ch. 19.0. i,:?.
L. Purification 77 -70- 57 î
matins aboyants, fans pouvoir mordre ; ou fi on
voyoit pallLT & rcpalfcr devant fcs yeux une
grande abondance de mouches bourdonnantes.
Cah. Mi^Jl. P. 2. C/i. 2. n. 2.
79' Qn^uU à la différence de ceux qui font tcm-
porcllcmcnt [(/] damnés , & de ceux qui le font
éternellement , il eft à fuppofcr (]ue Tame immor-
telle ne peut pleinement jouir de JJicu , ni des
droits de fa vie vivante , que par la fupprcffion &
Textinélion de fa vie mortelle mourante : ce que
je n'entends pas dire de Tame , qui eft vivante ici
bas de la vraie vie divine. Mais je dis qu'en ce
corps mortel la purgation des amcs , qui fe con-
vertifTent à bon efcient «H Dieu , eft faite non tel-
lement quellement , mais par infinies agitations
de tentations , comme par autant de tonnerres
impétueux , d'efforts très-violcncs , & de mortel-
les & irréconciliables guerres ; enforte que tout ce
tems-là elles ne favent fi elles font en la grâce
de Dieu ou non : il leur fcmble plutôt d'être en
im Enfer , que fur la terre en un corps mortel.
Elles combattent [6] contre tant & de fi forts
ennemis , dont elles font preffées & environnées
tant au-déhors qu'au-dedans , qu'il femble qu'el-
les ayent perdu entièrement cœur & courage en
leur bon propos : & toutes leurs puiflances font
agitées & occupées de fi épaiffes ténèbres , mifé-
res, confufions & défordres , qu'elles penfent au
milieu de toutes ces impétuofités^ avoir oublié
(a) Enfer fpirituel.
(Ir) D'où vient qu'ayant dit qu'il ne falloit pas com-
battre diredement les tentations , mais les fouffrir &
les méprifcr , il dit ici que les âmes combattent ? C'eft
que le plus grand combat cjiie Tanie puifle donner à
fes ennemis, eft la foulfrance & la réfignation.
Aa z
iT^ JusxrricATioN.
& du tout délaifle Dieu. Dans cette langueuf
elles fe jugent être la proie des diables , ne pou-
vant difcerner fi elles réiiftent ou non , pour la
grande véhémence de leurs efforts ; ce qui arrive
fouvent à ce terme de défolation , qu'elles vien-
nent au dernier degré de Tefpérance en la miféri-
corde de Dieu. Cela fe fait ainfi , tant pour
Thorreur qu'elles ont conçue de toute leur vie
miférablement paffée , que pour ne confentir pas
aux fuggeflions & fentimens du plus petit p^ché
qui fe puifTe imaginer : car ces âmes en font au-
tant éloignées que les trifteffes , morts & angoif-
fes, qui les agitent , font grandes. Or fi ces trif-
tes & funeftes événemens, fi ces continuelles &
comme infernales langueurs , font tout un grand
tems l'expérience de ces âmes; quelles feront les
douleurs , guerres , langueurs , agitations & op-
preffions de l'Enfer temporel , qui environnent
& afifaillent une ame de toutes parts comme des
flots très-impétueux , produits & élancés d'une
mer pleine d'orages, de tourmentes, & de tem-
pêtes infernales ? Sans doute on ne peut expri-
mer la moindre des peines mortelles de ces âmes
fi miférablement damnées temporellement. Je
dis damnées; [a] d'autant qu'il leur femble
vraiement 1 être , & elles ne favent plus de dif-
tinélion , ce leur femble, entre l'Enfer temporel ,
& l'Enfer éternel ; entre la damnation , & la pur-
gation. Car comme nous avons dit, elles font fi
fort remplies de ténèbres , & outrées de toutes
fortes de douleurs dans le fens , qu'elles ont ou-
blié Dieu 5 ce leur femble, en elles-mêmes.
Néanmoins quoique cela fe paffe ainfi pouï
leur purgation , elles n'oublient pas néanmoins
Dieu : elles efperent infenfiblement en lui; par
(a) Etat terrible.
!.. Tîtrifîcation. 79- 373
la force (le fou PJprit , au plus fort même de
leur damnation. Moins encore doit-on penfer ^
c^u'eJles en viennent jufqu'à blafphcnier fon faint
Nom ; quoicju'en vérité elles croient tout ce
tems-là être véritablement damnées; ik (ju'en cet
état les diables faffent contr'elles ce qu'ils font
en Jinfer pour tourmenter leurs complices , en-
taffant fur elles monceaux fur monceaux de
tourmens intolérables. Mais elles diHéreront de
celles qui font éternellement damnées , en ce
qu'elles ne perdent pas le fouvcnir de Dieu, ni
1 efpérance de le voir un jour; (juoicjue ce fen-
timent foit très-fimple , & bien éloigné pour
lors de leur vue , à caufe de leurs incomparables
fouffrances.
Mais il faut favoir qui (a) font les âmes qui
fouflrent cette infernale purgation ? Je dis que ce
font celles qui ont commis très-grand nombre
de péchés mortels : c'eft pourquoi on ne fe doit
pas étonner de les voir foufïrir de la forte ; atten-
du que cela eft du droit de la Juflice de Dieu , &
que c'eft ainfi qu'il doit être fatisfait de ces amçs
jufques au dernier point. Tous les tourmens de
ces pauvres miférables font fpirituels , comme le
font les diables qui les exercent , en efprit de
\ engeance & de fureur ; & perfonne ne les fau-
(rj) Ce font les grands pécheurs qui font punis fi
rlgoureufement par le Diable, félon ce partage de l'A-
pocalypfe C Cb. \6 v. 19. Ch. 18. v. 6.): Faites-lui
boire la lie de la coupe ; rendezJui le double de fa
proltitution. Les grands pécheurs font punis par tous
les endroits qui ont fervi à leurs crimes ; cela eft très-
certain. r3ieu oblige auffi quelquefois des âmes bien
pures de fe livrer pour certains pécheurs , ou pour
des âmes foibles ; & elles fcniffrent les mêmes chofes
que fi elles avoient été criminelies elles-mêmes.
A a 3
374 J U s T T ï I c A T I O N*
Toit concevoir , finôil celles qui les fouffrcnt , &
Us djables qui les leur font fouftVir.
Au relie fuppofé que telles âmes en vienrtent,
ce femble , julqu'à s'impatienter en la véhémen-
ce de leurs peines , ce qui n'eft pas ; je dis que
cela même f::roit fans leur f u & à leur grand
regret ; attendu que leur réfignation & leur amour
intenfe eft grandement éloigné de leur fenti-
ment : lequel amour procède de la grâce jufti-
fiante & gratiiiante, & opère celafecrettementau
plus profond de leur appétit raifonnable , avec la
force fecrette que le S. jbfprit leur communique
à cet effet.
Nous pourrions donner pour exemple de ce-
la, ceux qui font grandement vexés de maladies
violentes &. très-aiguës , qui pénètrent & agitent
en même tems toutes les parties du corps ; en-
forte que pour la grande véhémence de leurs
douleurs infupportables , ils crient défordonné-
ment, & femblent s'impatienter, & même fc
défefpérer. Néanmoins on ne doit pas penfcr
qu'ils s'impatientent ou fe défefperent pour cela,
vu que la volonté & l'appétit raifonnable ne re-
jettent point ces tourmens , mais les acceptent
volontiers , quoique fecrettement & fans leur fû ,
par une vive & fecrette réfignation à la volonté
de Dieu , le laiffant faire d'eux tout ce qu'il vou-
dra, tant L^: fi Jongtems qu'il lui plaira. On voit
que cela eft vraifemblable , en ce qu'après telles
douleurs , & même pendant qu'elles durent, fî
on leun demande , fi elles ne veulent pas prendre
patience dans leurs maux pour l'amour de Dieu ,
afin de fatisfaire à fa volonté, fe réfignant à fouf-
frit amoureufement & patiemment, autant qu'il
leur fera poffibJe, elles répondent franchem^ent
qu'oui. A bien plus forte raifon doit-on croire
L. Puriflccttion. 79* ^75
le fcmblable tics amcs , qui font grièvement
damnées , félon leurs fens clans un Plnfer tempo-
rel : car comme nous avons c!it, elles font par-
faitement rél'ignées au bon plailir de Dieu , k
quelque prix que ce foit, ik ne le peuvent jamais
oublier.
Au contraire, les blafphemcs , les exécrations
& les défcf])oirs de ceux qui font damnés éter-
nellement, font volontaires ; »Sc aulFi-tot qu'ils fc
font vus juirés à la flamnation éternelle , leur
volonté pervertie cft malhcureuioment portée à
haïr Dieu mortellement, & à le blarphémer indi-
gnement durant Téternité , avec une rage, c^ui
cfl reflet de la juflicc divine. —
Il n'en ell pas ainfi de ceux qui ne font dam-
nés que temporeilement : car quoiqu'ils foient
violemment agités & tourmentés en leurs fens
par les diables , dans leur Enfer temporel , ils ne
foutfrent point ia) à même tems la peine du dam ;
& la grâce de Dieu, qui opère fecrettement en
eux le défir de fatisfaire à la Juftice, fait qu'ils
n'appréhendent nullement cette peine , à caufe de
leur amour & de leur charité envers Dieu. Néan-
moins après cette violente purgation ils commen-
cent à fouffrir la peine du dam , mais temporei-
lement ; & cela en la force d'un amour très-par-
fait , lequel ils fe fo^.t acquis par cette purgation ,
avec la connoilTance très-parfaite de foi-meme,
& de toutes les vertus requifes au parfait amour
de Dieu. Cette damnation temporelle confifte
pour lors en une peine, que je puis à bon droit
nommer la peine du dam, laquelle leur caufe
tout ce tems-là des langueurs , des foupirs, de*?
gémiffemens , & des douleurs mtolérables. Mais
tout cela eft d'amour en amour & pour l'amour,
(a) Pour Tordinaire»
5r6 Justification^
à caufe qu'ils fe voient encore fi éloignés de la
pleine & unitive jouiffance de la claire & bcatifi-
que vifion de Dieu. Jl y a donc une infinie diffé-
rencie entre les damnés pour une éternité , & les
damnés pour un tems.
Dans ce même Enfer temporel, il y a diver-
fes douleurs de peines afflidiv^es & purgatives ,
& chacun y eft différemment purgé f^-lon fes dé-
mérites. Ceux qui font purgés à affligés en moin-
dre degré, ont plus d'amour, de connoiffance ,
de fentiment de Dieu , & de défirs de lui fatif-
faire , que les autres, qui le font pour leurs énor-
mes péchés ; ce qui fe fait auiîî à mefure & pro-
portion de la charité, de la grâce de Dieu, & de
la perfection d'efprit acquife en cette vie.
Il faut encore favoir , qu'autre eft le bien de la
purgation de Tamc en fes fens , & autre celui de
la purgation par la peine du dam. Au premier, les
diables font l'office de bourreaux & de miniftres
de la juftice de Dieu. En l'autre, ils n'y ont nui
accès ; mais les âmes qui y font détenues , ont
de grandes arrhes de la gloire future , qu'elles dé-
firent très-ardemment; étant là confolées & vifi-
tées (a) plus abondamment qu'on ne peut ex-*
primer. —
De tout ceci on Voit en quoi le dam de ceux
qui font temporeliement damnés, diffère du dam
de ceux qui le font éternellement. Celui des pre-
TTiiers , a pour fujet Dieu & fon amour jouiffant;
l'autre a pour fujet en ces maudits is; malheu-
reux , l'amour d'eux-mêmes , qui pour fe voir
privés du fouverain bien , qu'ils défirent naturel-
lement & Teuffent bien pu obtenir, les fait en-
rager pour jamais; deforte que fe haiffant eux-
mêmes , ils enragent d'une rage diabolique de ce
{a) Ces confolations finiffeat leur tourment.
L. Purification. 7^"9^o. Z77
qu'ils ne peuvent fc dctiuirc ni fupprimcr leur
vie par la mort.
Ajoutez à ceci, que le dam des bons fc fait
par la fouffrauce des j)aHions divines en eux cii
toutes les manières , excepté celles que nou<>
avons exprimées en notre gibet d'amour. C'eft
ainfi, & non ;âutrement, que piufieurs bonnes
âmes font damnées tcmporellcment , après avoir
obtenu la connoiffance d'elles-mêmes par la pur-
gation du fens , pour arriver même avant la plei-
ne jouiiïance de leur Objet béatiHque , à la con-
templation furefTentielle de Dieu même. lUles
font, dis-je, damnées de Dieu en Dieu, par des
douleurs & des fouftranccs inexplicables que lui-
même leur fait fouflrir. Cabinet MyjHquc , Vari. z.
Ciiap. 2. n. 3.
80. Il faut agonifer {a) pour la Juflice & pour
votre ame , rendant à chaque moment votre vie
à Dieu, qui la veut avoir de vous inceffamment
par ce genre de martyre. Cela eft pitoyable, ou
pour mieux dire , affreux : & je ne fais même , fi
les créatures n'y ajoutent rien ; ce qui feroit un
id) Endroit admirable. Qu'eft-ce qui caufe tant de
tourmens que Dieu fait fouffrir à Tame ? C'eft pour
elle même , afin de la rendre toute pure ; & c'eft pour
la divine Juftice , qui ne veut rien perdre de fes droits ;
fi bien que la pureté de la divine juftice , ( qui veut
tout pour Dieu , & qui ne voit que Dieu : car la juf-
tice de Dieu eft un attribut de Dieu pour Dieu-même,
qui n'a relation qu'à lui feul ; la mifericorde au con-
traire eft pour les hommes : ) la juftice , dis-je , devant
être fatisfaite , c eft une des caufes du tourment de
Tame. Elle ne peut être faiisfaite , que Tame ne foit
toute purifiée ; car elle demande fans cefte & ne dit
jamais , c'eft allez : & d'un autre côté Tame impure
6c affoiblie ne fauroit porter une telle opération fans
fouffrir des tourmens inexplicables.
378 Justification*
double enfer. Si cela eft, croyez hardiment que
vous êtes né pour chofes grandes , je veux dire ,
pour potTéder Dieu en la créature. Sur Tordre &
la vérité de ce fondement, vous vous devez dé-
ledcr de mourir; & comme mourir eft Textrê-
mité de toute perte , c'ed en cela que votre vie
doit être trouvée véritable , afin que vous puiffiez
dire ^ (a) Je vis , non plus moi , mais Jejus-Ckriji
vit en moi : ce qui ne fera pas entièrement vrai ^
fi vous avez un feul refpir & un feul point , fur
quoi vous appuyer. C'eft ainfi que la créature
palTe en Dieu d'une manière raerveilleufe , & per-
sonne ne le fait, s'il ne l'expérimente comme
vous. Cela vous efl défigné dans vos propres
exercices. Mais tandis que vous les pourrez fui-
vre , vous ne ferez pas grand ckofe ; au contraire,
quand il n'y aura rien de cela en vous, vous fe-
rez alors par-defTus tout exercice , & tant plus
votre fufpenfion fera grande & terrible , tant
mieux vous vous trouverez. C'eft là qu'eft la
région des bienheureux efprits , dont les corps
ne vivent plus fur la terre , qiie pour les fuivre
de tous leurs efforts. Tels font les plaifirs & la
vie ici bas des amis de Dieu. — . Mais fans vous
perdre fi avant, penfez à ce que vous voyez,
conformément à ce que vous avez goûté en Tin-
finie nature de Dieu ; puis que vous Tavez vu &
favouré félon votre préfente capacité. Si votre
vue & votre penfée vous font un même ade (6),
dès là votre état eft merveilleufemcnt divin , hors
de vous, en fouveraine myfticité. Ce qui vous
refte à faire, eft d'endurer fortement la fufpen-
fion du concours fenfible de Dieu en vos puif-
fances. Il ny eft pas moins que ci-devant, mais
(a) Gai. 2. V, 20.
(è) Notez la vue & la penfée un même atfte.
L. Purifcation. 80. 379
cVfl: (l'une toute autre manière ; car on peut dire
que maintenant vos puillances font cfi>rit, com-
me votre même efprit, tK: dès là votre limj)Ic
union e(l fu|.)ième ik excellente. Oue l\ à force
de mourir vous pouviez être réduit à \ otre fond ,
vous auriez tra\eiré une grande région, & vouîj
y êtes déjà entré alFez avant. Il s'agit mainte-
nant de l'éternité en la même éternité. Or Téter-
nité , ( qui ell limple , unique & favoureux amour )
cil au-deiïus du tems , ik ignore toute viciffi-
tude , — & fes fleuves étant retournes en leur
mer , font elle-même. Mais je crains fort qu'il
ny ait bien de la diftance entre votre reflux &
cette mer. —
Au refte , difpofez-vous à être perfécuté pour
Jéfus-Chrift , & de fouftrir les calomnies, jalou-
fies , envies , flatteries & mortelles détractions des
faux frères; c'eft votre part, votre fort <Sc votre
héritage. Si vous avez d'autre défir que cela , vous
n'êtes que fimulé , hypocrite , & ferviteur délicat.
Et à prendre votre ame comme il faut, en qualité
d'Epoufe promife à Jéfus-Chrift , tant s'en faut
qu'étant infidelle en ce point , elle méritât Té-
troit & véritable mariage , & Tunion très-intime
^vec lui , qu'au contraire elle ne mériteroit que
fa difgrace & fa jufte indignation. Mourez donc
éternellement en Dieu, afin qu'il vive éternelle-
ment en vous. Lettre 45.
Fin du Tome fécond.
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