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Full text of "Les justifications, écrites par ellemême et envoyées à M. les evêques ses examinateurs, où sont éclaircies toutes les difficultés qui regardent la vie intérieure"

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PROFESSORJ.S.WILL 


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in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lesjustification02guyo 


JUSTIFICATIONS 

DE   M  A  DA  M  E   J.   M.  B.    DE   LA 

MOTHE-GUION, 

ÉCRITES  PAR  ELLE-MÊME, 

Et  envoyées   à  M.    les   Evêques    fcs  exami- 
nateurs , 

Ok  font    cdalrcics  toutes  les  difficuUcs   qui    regardent 

LA   VIE    INTÉRIEURE. 

NOUVELLE    ÉDITION, 
EXACTEMENT       CORRIGÉE. 


T  O  M  H     II. 


A    PARIS, 
Ciiez    les    LIBRAIRES     ASSOCIÉS. 


M.   Dec.  XC. 


TABLE 

DES    ARTICLES 
Du     Tome     II. 

XXXVllI.  Mortijication.  Pénitence  exté-- 

rieure.  Pag.  i 

XXXIX.  Motion  divine.  i8 

XL.  Nudité.  Foi  ohfcure.  ^^ 

XLI.  Oijiveté.  Cette  Oraifonnejl  pas 

oijive.  3  8 

XLII.  Opérations.  Les  opérations   de 

Dieu  Je  font  dans  Famé  d^une 

manière  inconnue.  44 

XLIII.  Opérations  propres.  53 

XLIV.   Oraifon. 

$•  I.  Que  tous  peuvent  faire 

Oraifon.  81 

§.  IL  Oraifon  &  Méditation 

98 
^.111.  Contemplation.       119 

XLV.  Perte.  Ahforhement.  130 

XLVL  Préfencç  de  Dieu.  i  <  z 


TABLE    DES    ARTICLES. 

XLVIL  Prière  vocale.  Manière  de  dire  les 

prières  vocales.  174 

XLVIII-  Propriété.  189 

XLIX.  Pur  Amour.  234 

L..  Purifications,  Epreuves.  259 


JUSTIFICATION 

DU    MOYEN    COURT, 

ET     DE     l' EXPLICATION     SUR     LE 

C   A  N   T   I   a  U   E. 

SECONDE     PARTIE. 


XXXVIII.    Mortification.    Pénitence 
extérieure. 

MOYEN    COURT. 

A^iEu  à  qui  ces  âmes  fe  tiennent  unies  , 
leur  fait  pratiquer  de  toutes  fortes  de  ver- 
tus :  {a)  il  ne  leur  fouffre  rien  ,  il  ne  leur 
permet  pas  un  petit  plailir. 

Quelle  faim  ces  âmes  amoureufes  n'ont- 
elles  pas  de  la  fouîFrance  ?  A  combien  d'auf- 

(j)  Y  a-t-il  rien  de  plus  fort  qu'une  mortification 
toujours  égale,  qui  exclue  les  fatisfaclions  les  plus  in- 
nocentes ,  jointe  avec  les  auitérités  qui  ne  font  pas 
épargnées  ?  Ainfi  il  eft  aifé  de  voir  que  cette  oraifon 
n'elt  pas  contraire  à  la  pénitence  ;  puifque  cet  état 
exige  non  feulement  la  mortification  ,  mais  la  mort  à 
toutes  chofes  ,  qui  eit  la  confommation  de  la  mortifica- 
tion. Il  eft  vrai  qu'on  ne  fait  pas  le  capital  de  la  mor. 
tification ,  mais  on  ne  l'abandonne  pas  pour  cela  , 
quoiqu'on  en  perde  la  pratique  à  caufe  de  l'habitude 
contraclée,  &  delà  mort,  qui  ne  laiiTe  rien  à  mortifier, 
Tom.  IL  Jujl.  A 


a  Justification. 

térités  fe  livreroient-elles ,  fi  on  les  laiffoit 
agir  félon  leurs  défirs  ? 

Elles  ne  penfent  qu'à  ce  qui  peut  plaire  à 
leur  Bien-aimé.  Et  elles  commencent  à  fe 
négliger  elles-mêmes  &  à  fe  moins  aimer. 
Plus  elles  aiment  leur  Dieu  ,  plus  elles  fe 
haïflent ,  &  plus  elles  ont  de  dégoût  des 
créatures.  Chap.  g.  n.  i  ^  %. 

Je  dis  de  plus ,  qu'il  eft  comme  impoflî- 
ble  d'arriver  jamais  à  la  parfaite  mortifi- 
cation des  fens  &  des  paffions  par  une  autre 
voie. 

La  raifon  toute  naturelle  eft  ,  que  c'eft 
l'âme  qui  donne  la  force  &  la  vigueur  aux 
fens  :  comme  ce  font  les  fens  qui  irritent  & 

Il  eft  aifé  de  comprendre  que  la  vraie  mort ,  c'eft  lâ 
confommation  de  toute  mortification  :  ainfi  la  mort  à 
foi-même  eft  la  plus  parfaite  mortification  ;  parce  qu'elle 
s'étend  par -tout,  &  n'excepte  rien,  foît  intérieure- 
ment ,  foit  extérieurement  ;  au  lieu  que  la  mortifica- 
tion ne  s'attachant  qu'à  certaines  chofes  particulières, 
en  laifle  bien  d'autres  immortifiées.  La  mortification 
ou  la  mort  fuit  l'état  de  l'anie.  Une  perfonne  qui  n'a 
que  la  Méditation  difcurfive  &  en  détail,  n'a  qu'une  cer. 
laine  mortification  objedive  de  chofes  particulières  : 
au  lieu  qu'une  ame  conduite  par  la  foi  nue  a  une 
connoifTance  confufe  &  générale  ,  qui  les  comprend 
toutes  fans  rien  détailler;  auffi  fa  mortification  ,  qui 
eft  une*  vraie  mort  ,  renferme  toute  mortification  poC 
fible  ,  fans  en  envifager  aucune  objedivement.  C'eft 
comme  des  arbres  qu'on  rencontre  en  fon  chemin  ,  qui 
fervent  de  rafraichiflement  au  voyageur  ,  mais  fous  lef* 
quels  il  ne  s'arrête  point  ,  avançant  toujours  vers  fa 
fin  ,  qui  eft  Dieu  ;  au  lieu  que  les  autres  âmes  ,  quoi- 
que bien  moins  aufteres  ,  en  font  leur  capital  ,  s'y 
arrêtent ,  &  ne  palTent  point  outre. 


XXXVIII.   Mortification.  3 

émeuvent  les  paf Fions.  Un  mort  n'a  plus  ni 
Tcntiment  ni  palfion  ,  à  caufc  de  la  lépara- 
tion  qui  s'cft  faite  de  Tame  &  des  fens. 
Tout  le  travail  qui  fe  tait  par  le  dehors  por- 
te toujours  Tame  plus  au-déhors  ,  dans  les 
chofes  où  elle  s'applique  plus  fortement, 
C'ed  dans  celles-là  qu'elle  fe  répand  da- 
vantage :  étant  appliquée  direélement  à 
rauilérité  &  au-déhors  ,  elle  ell  toute  tour- 
née de  ce  côté-là  ,  de  forte  qu'elle  met  les 
iens  en  vigueur ,  loin  de  les  amortir. 

Car  les  fens  ne  peuvent  tirer  de  vigueur 
que  de  l'application  de  l'ame ,  qui  leur  com- 
munique d'autant  plus  de  vie  ,  qu'elle  eft 
plus  en  eux.  Cette  vie  des  fens  émeut  & 
irrite  la  paflîon  ,  loin  de  l'éteindre  :  les 
auftérités  peuvent  bien  affoiblir  le  corps  , 
mais  jamais  émoulTer  entièrement  la  pointe 
des  fens  ,  ni  leur  vigueur ,  par  la  raifon  que 
je  viens  de  dire. 

Une  feule  chofe  le  peut  faire  ;  qui  eft  , 
que  l'ame  par  le  moyen  du  recueillement  fe 
tourne  {a)  toute  au-dedans  d'elle  pour  s'oc- 
cuper de  Dieu  qui  y  eft  préfent. 

Si  elle  tourne  toute  fa  vigueur  &  fa  force 
au-dedans  d'elle  ,  elle  fe  fépare  des  fens  par 
cette  feule  aftion  ;  &  employant  toute  fa 
force  &  fa  vigueur  au-dedans  ,  elle  laiiTe  les 
fens  fans  vigueur  ;  &  plus  elle  s'avance  & 

(a^  C'eft   ce  que    dit  David  :  [PC  58.  f,  10.  j  J'cm^ 
-ploycrai  toute  ma  force  pour  vous* 

A  ^ 


4  Justification. 

s'approche  de  Dieu  ,  plus  elle  fe  fépare 
d'elle-même.  C'eft  ce  qui  fait  que  les  per- 
formes  en  qui  Tattrait  de  la  grâce  eft  fort  , 
fe  trouvent  toutes  foibles  au-déhors  ,  & 
tombent  fouvent  dans  la  défaillance. 

Je  n'entends  pas  par-là  qu'il  ne  faille  pas 
fe  mortifier.  La  mortification  doit  toujours 
accompagner  l'oralfon, félon  les  forces,î'état 
d'un  chacun  ,  &  robéiffance. 

Mais  je  dis  cj,u'on  ne  doit  pas  faire  fon 
exercice  principal  de  la  mortification  ,  ni 
fe  fixer  à  telles  &  telles  auftérités  ;  mais  fui- 
vant  feulemxnt  l'attrait  intérieur  ,  &  s'oc- 
cupant  de  la  préfence*deDieu  ,  fans  penfer 
en  particulier  à  la  mortification  ,  Dieu  en 
fait  faire  de  toutes  fortes;  &  il  ne  donne 
point  de  relâche  aux  âmes  qui  font  fidelles 
à  s'abandonner  à  lui ,  qu'il  n'ait  mortifié  en 
elles  tout  ce  qu'il  y  a  à  mortifier. 

Il  faut  (^a)  donc  feulement  fe  tenir  atten- 
tif à  Dieu  ,  &  tout  fe  fait  avec  beaucoup 
de  perfection.  Tous  {h)  ne  font  pas  capa- 
bles des  auftérités  extérieures  ,  mais  tous 
font  capables  de  ceci. 

Il  y  a  deux  fens  qu'on  ne  peut  excéder  à 
mortifier  5  la  vue  &  l'ouïe  ;  parce  que  ce 
font  ceux-là  qui  forment  toutes  les  efpeces  : 

{d)  Parce  que  Tame  attentive  à  Dieu  eft  inftruite  de 
lui  à  chaque  moment  ,  de  tout  ce  qu'eile  doit  faire  , 
d'une  manière  admirable  &  fnns  relâche. 

(ZO  II  faut  prendre  garde  que  les  perfonnes  en  qui 
Fattrait  eft  fort  ,  doivent  plutôt  être  arrêtées  que  pQu£« 


XX  XVI  II.    Mortification.  5 

T)icu  le  fait  fliirc  ,  il  n'y  a  qu'à  fuivrc  fcm 
clprir. 

Par  cette  conduite  Tamc  a  un  double 
avantage  ,  qui  e(l: ,  qu'à  mefure  qu'elle  fc 
tire  du  dehors  ,  elle  s'approche  toujours  plus 
de  Dieu  ;  &  en  s'approchant  de  Dieu  ,  outre 
qu'il  lui  ell  communiqué  une  force  &  vertu 
fecrette  qui  la  foutient  &  la  préferve  ,  c'eft 
qu'elle  s'éloigne  d'autant  plus  du  péché  , 
qu'elle  s'approche  plus  près  de  Dieu  ;  &  elle 
ell  alors  dans  une  converfion  habituelle. 
Chap.  10. 

fées  aux  auftérités  ,  fans  quoi  elles  détruifent  abfolu- 
ment  leur  tempérament,  d*autant  qu'elles  ne  peuvent 
qu'avec  grande  peine  manger  ,  ce  qui  eft  néceffaire 
pour  foutenir  leur  vie. 


A3 


Ç  Justification. 

CANTIQUE. 

l_jORSQ»uE  TEpoufe  ,  ou  plutôt  TAmantc  , 
car  elle  n'eft  pas  encore  Epoufe  ,  a  trouvé 
rEpoux  ,  elle  eft  fi  tranfportée  de  joie  , 
qu'elle  voudroit  d'abord  s'unir  à  lui.  Mais 
l'union  de  jouifiTance  continuelle  n'eft  pas 
encore  arrivée.  Il  eji  a  moi ,  dit-elle  ,  je  ne 
puis  douter  qu'il  ne  fe  donne  à  moi  dans  ce 
moment  ;  puifque  je  le  fens  :  mais  il  eft  à 
moi  comme  un  bouquet  de  myrrhe.  11  ne  Teft 
pas  encore  comme  un  Epoux  ,  que  je  doive 
embraffer  dans  fon  lit  nuptial  ;  mais  feule- 
ment comme  un  bouquet  de  croix  ,  de  pei- 
nes &  de  mortifications;  comme  (^)  un 
Epoux  de  Sang  ,  &  un  Amant  crucifié  ,  qui 
veut  éprouver  ma  fidélité  en  me  donnant 
une  bonne  part  à  fes  foufFrances  :  car  c'eft 
ce  qu'il  donne  alors  à  cette  ame-là. 

Pour  (6)  marquer  néanmoins  Tavance- 
ment  de  cette  ame  ,  déjà  héroïque  ,  elle  ne 
dit  pas ,  mon  Bien-aimé  me  donnera  le 
bouquet  de  la  Croix  ;  mais  il  fera  lui-même 
ce  bouquet;  car  toutes  mes  croix  feront  celles 

{d)  Exod.  ^,  f.    2'^,  (&)  J'ai  déjà  dit  que  la 

vraie  mortification  de  cet  état  confifte  en  une  mort 
entière.  Celui  qui  eft  mort  ,  eft  bien  plus  que  morti- 
fié ;  ainfi  qu'on  Ta  vu  dans  l'article  précédent.  La 
mortification  eft  pour  la  voie  acftive  ,  &  la  mort  pour 
la  paffive. 


XXX vin.   Mortiflccition.  t.  ^ 

de  mon  Bicn-aimé.  Le  bouquet  fera  entre 
rufs  mamelles  ;  pour  marque  qu'il  me  doit 
être  un  Kpoux  d'amertumes  ,  aufTi  bien 
pour  le  dehors  que  pour  le  dedans.  Les 
croix  extérieures  font  peu  de  chofe, quand 
elles  ne  font  pas  accompagnées  des  intérieu- 
res :  &  les  intérieures  font  rendues  beau- 
coup plus  douloureufes  par  l'union  des  ex- 
térieures. Mais  quoique  Vame  n'apperçoive 
que  la  croix  de  toutes  parts  ,  c'efl  pourtant 
fon  Bien-aiméqui  ed  lui-même  cette  croix; 
&  il  ne  lui  fut  jamais  plus  préfent  que  dans 
ces  amertumes  ,  pendant  lefquelles  il  de- 
meure au  milieu  de  fon  cœur.  Ch.  i.  v.  12. 

A  U  T  O  Pv  I  T  É  S. 

Ste.  Catherine  de  Gènes. 

I.  Lj'anéantissExMENT  étant  fait,  la  vigueur 
&  roperation  des  fcntimens  corporels  fe  perd 
en  cette  forte.  Premièrement,  elle  ne  peut  plus 
rien  voir  en  terre  qui  lui  donne  du  plaifir  ou 
de  la  peine  :  car  fi  elle  voit  quelque  chofe  qui 
de  fa  nature  donne  du  plaifir  ou  de  la  peine,  elle 
ne  s'en  réjouit  &  ne  s'en  attrifle  point  :  parce  que 
l'ame  étant  transformée  en  Dieu  ,  il  ne  la  laifTe 
pas  correfpondre  aux  fentimens  corporels  :  mais 
peu-à-peu  il  les  laiflTc  tous  mourir  fans  en  avoir 
aucune  compaflion  :  de  forte  que  bien  qu'elle  re- 
garde quelque  chofe,  elle  ne  la  peut  plus  com- 
prendre par  le  goût  corporel ,  &  ne  peut  rendre 
raifon  comment  les  chofes  plaifent  aux  hommes. 
Et  quand  elle  entend  dire  :  cela  eft  beau  ou  bon, 

A4 


^  Justification. 

e]le  ne  comprend  plus  ce  que  c'eft  que  bonté 
ou    beauté. 

(*)  11  en  eft  de  même  de  tous  les  autres  fenti- 
mens  :  &  ainfi  (a)  tous  leurs  goûts  font  fans 
faveur  ,  &  tous  leurs  déHrs  étant  mortifiés  & 
éteints,  elle  fent  une  auffi  grande  paix  qu'elle 
la  peut  comprendre  :  &  parce  que  Tame  &  le 
corps  font  aliénés  de  leurs  opérations  naturelles  , 
ils  vivent  comme  par  force  ;  il  leur  femble  (b) 
qu'ils  font  en  Enfer  ,  parce  qu'ils  n'efpérent  plus 
fortir  de  cette  occupation  qui  les  détruit,  ni  vi- 
vre félon  leur  nature  ,  &  s'ils  pouvoient  parler, 
ils  diroient  à  Dieu  :  combien  feroit-il  meilleur 
pour  nous  de  mourir  que  de  vivre  dans  cet  anéan- 
ti(rement?]\Tais  l'état  furnaturel  dans  lequel  Dieu 
met  cette  créature  ,  eft  de  fi  grande  force  qu'elle 
ne  peut  plus  faire  état  ni  de  la  vie  de  l'ame  ,  ni 
de  la  mort  du  corps  ,  non  plus  que  fi  elle  n'avoit 
ni  ame  ni  corps.  Vie  Chap,  31. 

'Z.  Voyez  Ancantlffement.  n.    15.     ^ 

g.  Dieu  donc  tient  l'ame  fi  recueillie  en  elle- 
même  ,  que  le  corps  demeure  abandonné  fans 
aucune  déleclation  ;  &  l'ame  demeure  arrêtée  dans 
fon  recueillement  &  dans  la  paix,  &  ne  fe  foucie 
point  de  fon  corps ,  fmon  à  l'extrême  néccffité. 

Dieu  tenant  ainfi  cette  créature  ,  confume 
tous  fes  m.échans  inftinfcs  ,  &  enfin  l'ame  tire  le 
corps  à  fa  fujétion,  fans  qu'il  lui  foit  plus  re- 
belle. Alors  ils  font  la  paix  enfemble  &  font  con- 
tens  l'un  de  l'autre  ;  le  corps  par  correfpondance 
avec   l'ame  jouit  de  quelque  chofe  de  la  dou- 

O  Non-df/ir,  n.  7. 

(  a  )  Cette  opération  eft  très  -  douloureufe  aHez 
longtems  ;  puis  tout  devient  facile  &  comme  natu- 
tel. 

Ce)  Elle  parle  toujours   des  ientimens. 


XXXVTII.   Mortification  r-?.  p 

cciir  de  f:i  paix  [)ar  partie  i[)c!fion  ,  (iiK)i(|n'iI  foil 
rcdiiit  à  cctcc  ncccilitc. 

Car  tout  (le  lucinc  c]uc  lame  étant  fc[)arcç  du 
corps ,  le  corps  meurt;  aulli  (a)  rctiriuit  les  opé- 
rations de  Tanie  des  chofes  de  hi  terre  &  (U^ 
corps,  le  corps  demeure  comme  un  oileau  fan^r 
plumes  (jui  veut  voler  ,  (S:  encore  moins  :  car  il 
demeure  comme  fans  fentiment,  &  il  ell  réduit 
dans  une  (i  grande  mortilu  ation  ,  cju'd  ne  fait  s'il 
eft  vif  ou  mort.  L'ame  étant  alors  comme  fans 
corps  ,  parce  qu'elle  attire  à  foi  tous  les  fentimens 
corporels  ,  elle  s'étonne  comme  il  fe  peut  trou- 
ver des  créatures  qui  fe  puilTent  jamais  délec- 
ter en  autre  chofc  qu'en  Dieu,  l'allé  a  en  hor- 
reur toutes  fortes  de  péchés  en  général;  parce 
que  le  feu  d'amour  a  confumé  [b)  toutes  les 
humeurs  des  mauvaifcs  habitudes  ;  (*)  ik  même 
le  (c)  corps  vient  à  tel  point  d'anéantiflement  de 

(a)  Cet  état  devient  comme  habituel  :  c'eft  ce  que 
j'ai  écrit,  ou  quelque  chofe  d'approchant,  dans  le  Fenta- 
teuque  [^txod,  14..  x^.  21,  22.  Chap.  iç.  %r.  22,  2^. 
Lcvit,  26.  y,  25.  &c. ]  de  la  divifion  des  deux  parties 
&   de  leur   reunion. 

(b)  Dieu  confume  lui-même  no<;  méchantes  înclî- 
nations  ,  &  nous  donne  une  véricable  haine  du  pé- 
ché. 

(*)  Jînéanvjjcnunt,  n,  16. 

(c)  Converjion  parfaite  ,  eu  habitude  de  conve?Jîon. 
Le  corps  s'afTujettic  à  reforit  à  mefure  que  notre  efprit 
s'alfujettit  à  Dieu.  Comme  la  dérobeiffance  d'Adam  , 
cil  faifant  fortir  fon  ame  de  la  fidelie  dépendance  de 
fon  Créateur,  reniait  fon  corps  rebelle  à  l'efpiic;  auiTi 
ce  qui  peut  véritablement  affujettir  le  corps  à  Tefprit, 
c'eft  cette  foumiluon  fjns  bornes  ,  cette  dépendance 
de  Dieu  ,  cette  mort  de  notre  volonté  :  car  elle  réta- 
blit î'honinie    dans    Tordre  de    1^:  création  en    quelque 


lo  Justification. 

fou  être  naturel ,  habitué  au  mal,  qu'encore  que 
Tame  le  lailTât  faire  à  fa  mode,  il  ne  peut  plus 
néanmoins  faire  autre  chofe ,  que  ce  qu'elle  veut  ; 
&  ainii  il  demeure  hors  de  fon  être  malin  ,  con- 
fentant  en  tout  fans  aucune  rébellion  à  l'ame  , 
laquclh  étant  attentive  (a)  à  Dieu,  &  n'obéif- 
fant  plus  au  corps  ni  par  amour  ni  par  délecta- 
tion ,  il  faut  nécelTairement  que  le  corps  perde 
fa  vigueur.  Là-même.  Chap,  32. 

4.  Premièrement  à  l'égard  de  Tame  ,  dit  No- 
tre Seigneur  ,  mon  amour  a  pour  elle  de  fi 
grandes  délices  ,  qu'il  confum.e  tout  autre  plaifir 
&  toute  autre  joie  que  l'homme  puiffe  avoir  en 


manière.  Mais  comme  Adam  même  n'étoît  poînt  im- 
peccable dans  le  Paradis  terreftre  ,  quoiqu^il  lui  fut 
très-facile  de  ne  pécher  point. ,  parce  que  fes  fens 
ctoient  fournis  à  la  raifon  ,  &  la  raifon  à  Dieu  :  aufll 
rhoaime  arrivé  ici  n'eft  point  impeccable  ,  quoiqu'il  lui 
foie  très-facile  de  ne  pécher  point ,  à  caufe  de  l'habi- 
tude d.ins  \t  bien.  Et  comme  Ton  voit  une  perfonne 
habituée  au  mal  ,  dire  ,  qu'elle  ne  peut  plus  s'empê- 
cher de  le  commettre  ,  &  de  conferver  même  le  défir 
du  crime,  lorfque  l'âge  ôte  la  facilité  dépêcher  ;  aufli 
une  ame  habituée  dans  le  bien  trouve  que  le  mal  lui 
eft  devenu  fi  fore  étranger,  qu'elle  ne  trouve  plus  en 
elle  de  correfpondance  ni  de  facilité  pour  les  plaifirs 
dont  les  fentimens  font  mortifiés  ou  morts.  De  plus  , 
l'amour  de  Dieu  ,  par  un  fentiment  ineffable  ,  confu- 
me  en  foi  ces  fentimens  grolllérs  ,  comme  un  grand 
feu  confume  un  petit  feu ,  &  une  grande  lumière  ab- 
forbe  unp  petite  lueur.  Si  je  dis  mal  ,  je  foamets  en- 
core ceci. 

{a)  L'ame  attentive  à  Dieu  ne  correfpond  point  aux 
fentimens  naturels  :  au  contraire  elle  rend  fon  corps 
participant  de  fa  pureté.  Tout  ceci  foutient  ce  qui  eit 
dit  au    Moyen    court   Uiap.   10.  fur  la  Mortification. 


XXXVIII.  Mortification,  i-r-  1 1 

et  monde;  mon  goût  éteint  tout  autre  gouti 
ma  lumière  a\'eugle  tous  ceux  qui  la  voyent  : 
tous  les  fentimens  de  Tame  font  tellement  faills 
&  lies  en  cet  amour,  qu'ils  ne  favent  où  ils  font  ; 
ni  ce  qu'ils  font  ,*  ils  ne  connoiffcnt  ni  ce  qu'ils 
ont  fait,  ni  ce  qu'ils  doivent  faire:  &  Tame  eft 
comme  hors  d'elle-même,  fans  raifon  ,  fans  mé- 
moire &  fans  volonté.  Dialogue  Livr,  3.  Lli.  7. 

Le  B.  Jean   de   la   Croix. 

La  première  chofe  que  le  R.  Jean  de  la  Croix  nous 
Ijrcpoje  ,  eji  une  efpece  cC énigme  ,  ou  il  y  a  trois  /'en- 
tiers ,  l'un  qui  eJi  au  milieu  ,  ejlfort  au-dejjus  des  autres^ 
quil  appelle  tetat  parfait.  Cette  énigme  ejl  comme  tar- 
gument  de  tout  fon  Livre.  Il  met  à  main  droite  le  che- 
min de  /'efprit  imparfait,  qui  n'arrive  jamais  au  haut 
de  la  montagne  \  &  à  main  gauche  le  chemin  de  /'efprit 
égaré,  roici  ce  quil  y  die  de  C  efprit  imparfait. 

5,  L'ame  qui  tient  la  main  droite  revêtue  d'un 
habit  (a)  de  pénitence  ,  quia  la  face  &  les  mains 
tournées  vers  la  montagne,  repréfente  celle  qui 
en  eiïet ,  ou  du  moins  d'affection  &  de  volonté  , 
quitte  les  biens  delà  terre,  s'occupant feulement 
en  ceux  du  ciel ,  que  Dieu  lui  communique  abon- 
damment. Quelquefois  Sa  Majefté  lui  donne 
des  lumières  pour  connoître  quelque  vérité  ; 
d'autres  fois  il  l'attire  par  des  confolations  ;  d'au- 
tres fois  il  la  comble  de  joie ,  &  fouvent  il  lui  don- 
ne  une  tranquillité  de  confcience  qui  femble  la 
piettre  en  fureté,  Ik  avec  cela  l'ame  penfe  déjà 
jouir  de  la  gloire  par  anticipation.  Mais  elle  fe 
trouve  bien  éloignée  de  fon  compte  ,  en  ce  qu'é- 

(û)  Puifque  cette  ame  eft  dans  un  état  imparfait ,  îa 
mortification  n'eft  donc  pas  un  état  parrait. 


12  Justification.^ 

tant  liée  de  plufieurs  petits  filets  ,  qui  (a)  l'atta- 
chent à  ces  biens  fpirituels,  elle  demeure  tou- 
jours en  un  même  état,  &  dans  le  chemin  d'un 
efprit  Imparfait  ^  (î  bien  qu'elle  ne  peut  arriver  à 
cette  union  divine  :  &  ainfi  elle  expérimente  le 
rnême  empêchement  que  la  remore  ,  poifTon 
très-petit ,  caufe  à  un  grand  navire,  l'arrêtant  tout 
courts  parce  que  cette  affection  déréglée  empê- 
che cette  ame  d'arriver  au  haut  de  la  montagne, 
comme  elle  le  confefTe  :  Plus  je  tarde  ^  moins  je 
monte  ^  pour  n^  avoir  pas  pris  le  f entier.  De  plus, 
pour  punition  de  l'infidélité  que  Famé  fpirituelle 
commet,  s'attachant  {a)  à  ces  biens  furnaturels  , 
Dieu  l'en  prive  du  tout  ,  comme  elle  confefTe 
par  ces  paroles:  Pour  les  avoir  procurés  ^  j'ai  moins 
eu  que  Jî  jeujje  monté  par  le  Jentier,  Explication  de 
ténigme. 

6.  Il  y  a  beaucoup  à  dire  touchant  la  glouton- 
nie  fpirituelle:  parce  qu'à  peiney  a-t-il  un  com- 
mençant, quelque  vertueux  qu'il  foit,  qui  ne  tom- 
be en  quelqu'une  des  imperfections ,  lefquelles 
font  en  grand  nombre  ,  —  d  autant  que  plufieurs 
de  ces  perfonnes  affriandées  du  goût  &  de  la  fa- 
veur qu'elles  trouvent  en  ces  exercices,  procu- 
rent plutôt  la  faveur  de  l'efprit,  que  la  pureté  & 
la  véritable  dévotion  ,  qui  eft  ce  que  Dieu  re- 
garde &  accepte  en  toute  la  voie  fpirituelle.  C'eft 
pourquoi  ,  outre  l'imperfection  que  ces  com- 
menqans  ont  en  prétendant  ces  faveurs  ,  lagour- 
inandifejes  fait  fortir  du  pied  à  la  main,  c'eft-à- 
dire  ,  aller  d'une  extrémité  à  l'autre  ,  paffant  \ts 
limites  du  milieu  ,  où  confiftent  &  où  s'acquiè- 
rent les  vertus.  Car  quelques-uns  attirés  &  alé- 
chés  du  goût  qu'ils  trouvent  là,  fe  tuent  de  péni- 

ia)  Il  faut  être  purifié  de  rattachement  au  bien  fur- 
naturel. 


XXXVIII.  mortification,  f-5.  i; 

tcnccs,  &  (Taiitics  fc  dcbilitciu  [):ir  des  jeûnes  , 
failant  plus  (|ik'  leur  force  ne  f)ermet,  lans  or- 
dre ni  (onlVil  (l'.uitiui  :  au  contraire  ils  fe  ca- 
chent de  celui  à  (|ui  ils  doivent  obcjj  en  tel  ca^i 
&  il  y  en  a  encore  ,  qui  font  fi  hardjs  cjue  de  le 
faire,  (juoitju'on  leur  ait  commande  le  contrai- 
re. Ces  perfonncs  font  très  imj)arfaites  &  des 
gens  fans  raifon  ,  qui  laillent  en  arrière  la  fujet- 
tion  &  robcifï'ancc  ,  ciui  ell  la  ])cnitence  de  la 
raifon  &  de  la  difcrétion.  C'eft  pourquoi  ce  fa.- 
criHce  eft  plus  agréable  à  Dieu  que  tous  Jes  au- 
tres de  la  pénitence  corporelle  ,  laquelle,  fans 
l'autre,  eft  très-imparfaite  ,  n'étant  pouffes  a  cela 
que  du  goût  ^  appétit  qu'ils  y  trouvent. En  quoi , 
d'autant  que  toutes  extrémités  font  vicieufes,  & 
qu'en  cette  faqon  de  procéder,  tous  font  leur  vo- 
lonté ,  ils  croiffent  plutôt  en  vices  qu'en  vertus. 
Car  pour  le  moins  en  cette  façon  ils  acquièrent 
la  gloutonnie  fpirituelle  &lafuperbe,  puifqu'ils 
ne  marchent  pas  en  robéifïiince  ;  &  le  Diable  ea 
trompe  tellement  plufieurs ,  provoquant  cette 
gloutonnie  par  des  goûts  &  des  appétits  qu'il  leur 
augmente,  que  ne  pouvant  faire  davantage  ,  ou 
ils  changent,  ou  ajoutent,  ou  varient  ce  qu'on 
leur  commande  j  parce  que  toute  obéiiTance  leur 
eft  dure  &  trop  étroite.  En  quoi  quelques-uns 
arrivent  à  un  tel  mal  ,  qu'à  caufe  que  ces  exerci- 
ces fe  font  par  obéiffance,  ils  perdent  l'envie  & 
la  dévotion  de  les  faire,  n'ayant  autre  volonté, 
finon  de  faire  les  chofes  auxquelles  ils  font  mus 
&  pouffes  par  le  goût ,  bien  que  peut-être  il  vau- 
droit  mieux  ne  rien  faire  du  tout. 

Vous  en  verrez  plufieurs  de  ceux-ci  fort  opi- 
niâtres avec  leurs  Maîtres  fpirituels ,  afin  qu'ils 
leur  accordent  ce  qu'ils  veulent,  &  ils  Tobtien- 
nent  moitié  par  force  5  autrement  ils  s'attriftent 


14  Justification. 

comine  des  enfans  ,  &  marchent  à  regret ,  &  il 
leur  femble  qu'ils  ne  fervent  point  Dieu  ,  quand 
ils  ne  leur  permettent  de  faire  ce  qu'ils  défirent. 
Car  comme  ils  s'appuyent  au  goût  &  à  la  propre 
volonté  ,  auflitôt  qu'on  leur  ôte  ces  chofes  & 
qu'on  les  veut  mettre  dans  la  volonté  de  Dieu  , 
ils  s'attriftent ,  fe  relâchent  &  défaillent.  Ceux-là 
penfent ,  que  d'avoir  des  goûts  &  être  contens, 
ce  foit  fervirDieu&  lui  plaire.  Obfcure  Nuit.  Livi\ 
I.  Cliap.  6.  ^ 

Le  P.  Jaclues  de  Jésus. 
7.  Il  ne  faut  pas  conclure  d'ici,  comme  queU 
ques-uns  infèrent  mal ,  que  cette  fcience  [a)  con- 
damne la  voie  —  d'acquérir  la  mortification  & 
les  vertus  dans  leurs  commencemens  ,  par  des 
moyens  qui  touchent  &  dépendent  du  fenlîble  & 
raifonnable  ,  &  de  ce  qui  en  l'ordre  furnaturel 
peut  être  dit  acquis,  à  caufe  qu'il  y  intervient 
"beaucoup  de  notre  difcours,  travail  &  diligence, 
quoiqu'elle  foit  aidée  &  furnaturalifée  de  Dieu. 
Cela  fe  prouve  par  ce  que  dit  le  B.  Jean  de  la 
Croix,  qu'il  faut  fuivre  ce  chemin,  jufqu'à-ce  qu'il 
y  ait  des  fignes  ,  que  Notre  Seigneur  veuille  faire 
paflfer  l'ame  à  une  plus  fimple  &furnaturelle  vue 
ou  contemplation ,  defquels  fignes  il  parle  digne- 
ment (^Au  Chap.  13.  êff  14.  (^^  2.  Livr,  de  la  Mon- 
tée du  Mont  CarmeL  )  Secondement,  parce  que 
fi  l'état  parfait  5  dont  il  entreprend  de  traiter  , 
eft  fupérieur  &  exclufif  de  ce  chemin-là ,  comme 
ce  qui  eft  le  plus  accompli  de  ce  quil'eft  moins  , 
il  eft  tout  évident  que  quiconque  traite  de  cet 
état  parfait,  ne  doit  point  approuver  pour  lui  cet 
autre  chemin  :  &  lorfqu'on  Timprouve  pour 
ceux  qui  font  déjà  fort  avancés,  &  près  de  la 

(û)  On  imputoit  au  B.  Jean  de  la  Croix  de  déuuire 
la  mortification. 


X  X  X  V 1 1 1.  Mortifient  ion.  6-9.  1 5 

vie  unitivc,  ou  qui  y  font  déjà  parvenus  ,  te 
Il  cft  pas  l'iniprou\cr  abfoluincnt  ;  de  incme  cjne 
celui  qui  dit,  cju'ou  donne  du  pain  avec  de  la 
croûte  à  reniant  (]ui  a  des  dents,  &  (juon  le 
fèvrc ,  n'ote  pas  pour  cela  la  inainellc  à  l'enfant 
qui  vient  de  naître;  comparaifon  dont  [o]  S.  Paul 
fe  fer  t.  'Notes  ëf^  remarques  J'ur  J.  de  la  C/olx.  Dans 
ilntroduâlon. 

Le  Fr.   Jean    de   S.    S  a  m  s  o  n. 

8.  Tout  ce  que  j'ai  dit,  fait  alfez  voir  com- 
bien CCS  hommes  font  rares,  peu  connus,  goû- 
tes &  fuivis  ,  même  de  tous  ceux  qui  femblent 
être  grandement  excellens  &  relevées  en  fainteté 
aux  yeux  des  hommes.  Car  la  plupart  de  ceux- 
ci  ne  connoifTent  que  leurs  corps,  &  rauftérité  ; 
&  même  les  autres  qui  font  beaucoup  meilleurs 
en  efprit  ,  à  caufe  des  attouchemens  qu'ils  ont 
reçus  de  Dieu  ,  prennent  l'apparent  pour  le  vrai , 
&  l'ombre  pour  la  vérité.  Ainfi  les  vrais  amis  de 
Dieu  ne  font  connus  que  de  leurs  femblables  ;  & 
leur  propre  effc  d'être  cachés  autant  qu'il  leur  eft 
polïible,  félon  que  l'exige  la  vraie  vie  renoncée. 
Qui  pourra  comprendre  ceci  ,  le  comprendra  ; 
fmon  il  le  laiffera  être  ce  qu'il  eft  ,  comme  tous 
mes  écrits.  Efprit   du  CarmeL  Chap.   11. 

9.  Que  fi  l'homme  n'eft  courageux  en  ce  tems 
de  défolation  ,  pour  croire  ce  qu'on  lui  dit ,  &  aufïï 
pour  fupporter  tout  ce  mortel  état  par  une  forte 
&  confiante  fouffrance  ,  il  décherra  de  l'excellen- 
ce de  fon  état ,  retournant  [b]  peu-à-peu  eu  foi- 

{d)  Hebr.  5.  f,  12,  ij  ,  14. 

{b)  11  parle  de  Tétat  d'épreuve  :  il  ne  veut  pas  que 
Famé  retourne  alors  à  fes  pénitences  ,  parce  qu'elle 
fe  fouftrairoit  par  là  à  la  Juftice  de  Dieu  ,  qui  eft  infi- 
niment plus  rigoureufe  que  toutes  bs   auftérités.    Ceci 


i6  Justification. 

même  ,  &  reprenant  fes  exercices  extérieurs  pour 
affliger  fon  corps  ,  qui  lui  femble  caufer  cette 
guerre  &  cette  révolte  :  en  quoi  il  fe  trompera 
extrêmement;  &  au  lieu  d'y  trouver  fa  force  & 
fon  repos  5  il  fe  fentira  violenté  de  plus  grands 
eflorts  que  jamais.  Là-même,  Chap,    13. 

10.  Vous  ne  devez  pas  faire  grand  état  de  vos 
exercices  ,  s'ils  ne  furpalfent  ce  que  la  nature  fait 
facilement  dans  les  hommes  du  commun,  qui 
font  d'un  naturel  difpofé  feulement  à  certaines 
chofes  conformes  à  leur  appétit  de  propre  excel- 
lence :  par  exemple  ;  à  jeûner,  prier  vocalement, 
&  même  mentalement ,  vifiter  \ts  Eglifes  ,  don- 
ner Taumône  aux  pauvres  ,  prendre  même  ladif- 
cipline  ,  fe  mortifier  à  leur  fantaifie,  veiller  lon- 
guement ,  &  toutes  autres  chofes  femblables  , 
auxquelles  la  nature  prend  fon  plaifir  ,  à  caufe 
du  bien  qui  lui  en  doit  réfulter.  On  reconnoit 
ceux  qui  font  de  cette  trempe  ,  en  ce  qu'ils  ne  fa- 
vent  &  ne  veulent  favoir  que  cela ,  fans  jamais  paf- 
fer  au-delà  de  ces  pratiques  ;  étant  ignorans  &  to- 
talement aveugles  en  la  connoiffance  &  aux  œu- 
vres des  fujets  furnaturels,  qui  font  uniquement 
repofer  famé  en  Dieu  ,  &  qui  la  portent  toujours 

eft  d'une  extrême  conféquence.  J*ai  connu  une  per- 
fonne  qui  ,  non  par  infidélité ,  mais  comme  par  excès 
(de  tourmens  ,  s'empliflbit  d'orties,  fe  jettoit  du  plomb 
fondu  afin  de  faire  divetfion  ,.  mais  Dieu  ne  permit 
pas  que  le  plomb  fondu,  qui  la  devoit  perdre,  lui  fit 
aucun  mai.  (Voyez  la  Vie  de  F  Auteur  P.  i.  Ch.  17. 
§.  ^  Ch.  19.  §.  I.  Cb.  21.  n.  7.)  Ce  n'efl  pas  non 
plus  un  remède  contre  les  tentations  de  ce  degré  , 
que  de  faire  des  auftérités  ;  cela  les  irrite  :  il  faut  fe 
fupporter  jufqu'à  ce  qu'il  plaife  à  Dieu  de  délivrer  , 
ce  qu'il  fait  par  fa  bonté ,  lorfqu'il  voit  qu'on  n'attend 
^u  fecours   que  de  lui  feul. 

à 


XXXVIII.  Mortification,  o^'^i:  17 

i épurer,  (Iciiiicr  &  perfectionner  fouvcraincment 
Ion  anionr.  Ces  j^cns-là  ne  connoiU'ent  que  les 
Tens  (ScJ  animalité,  Ik  tout  au  plus  ,  ce  qui  eft  pis, 
cjue  la  fenfualité  de  leur  efprit ,  de  leur  aine  & 
(le  toutes  leurs  puifTances,  dans  les  goûts,  lu- 
mières ,  attraits  &  autres  dons  fenlibles  de  Dieu  > 
defcjuels  ayant  un  long  tcms  abufc,  ils  s'y  atta- 
chent avec  une  avidité  foit  grolïiere,foitfubtile, 
pareille  à  celle  que  les  bètes  ont  pour  leur  pâture , 
où  leur  appétit  les  emporte  par  nécellîté.  Cela  ne 
fe  peut  alFez  déplorer  dans  une  ame  choifie  entre 
mille  pour  de  grandes  chofes  ,  je  veux  dire  ,  pour 
jouir  fouvcramcment  de  Dieu  en  cette  vie  en 
ïuprème  liberté.  Efpr,  du  CarmcL  C/iap,  18.  §    i  J. 

1 1.  Il  n'eft  rien  tel  que  la  continuelle  perte  de 
foi-même,  accompagnée  de  bon  ordre  &  de  dif* 
crétion  favoureufe  ,  avec  une  application  conti- 
nuelle d'entendement  &  de  volonté  à  cela:  ea 
telle  forte  pourtant,  qu'on  agilTe  plutôt  du  fond 
de  Tefprit ,  par  une  douce  activité  ,  que  par  un 
bandement  &  eflbrt  de  tète  &  des  fens.  C'êft  pour- 
quoi il  eft  même  néceffaire ,  de  régler  fes  aufté- 
rités  &  afflictions  du  corps  ,  afin  qu'on  foit  plus 
propre  pour  le  dedans  ,  &  que  i'ame  ne  foit  pas 
toute  convertie  ,  réfléchie  ^  !<i  attentive  aux  tour* 
mens  de  fon  corps.  Vous  pouvez  néanmoins  en 
uferj  mais  avec  tel  ordre  &  difcrétion ,  qu'elles 
ne  vous  caufent  aucun  empêchement  pourl'inté- 
rieur.  Car  la  libre  introverlion  -à  fon  fond  ,  parfai- 
temeîit  acquife  &  expérimentée,  eft  la  voie  royale 
pour  parvenir  a  Dieu ,  &  le  plus  excellent  bien  , 
Il  el^e  eft  (a)  fans  propriété  ,  qui  fe  puilTe  penfer. 
La  vie  parfaitement  abftraite  n'eft  connue  &  pra- 
tiquée que  de  peu  de  perfonnes,  &  Ton  trouve 

la']   Notez  fans  propriété. 

Tom.  IL  Jujlif.  B 


18  J  U   s    T    I   F  î    C    A   T   I   0   n7 

de  grands  hommes  ,  qui  par  défaut  de  s'y  bîcri 
exercer,  font  très-multipliés  &  occupés  au-de- 
hors ,  pleins  de  formalités  &  attachés  à  chaque 
petit  Icui.  Lettre  50. 


-''^'\  XXXIX.    Motion  divine, 
MO  YEN     COURT. 


(SI, 


.uÉLQUEs  perfonnes  entendant  parler 
de  rOraifon  de  filence  ,  fe  font  faufTement 
perfuadées  ,  que  Famé  y  demeure  ftupide  , 
jnorîe  &  fans  action. 

.  Mais  il  eft  certain  qu'elle  y  agit  plus  no- 
blement 5  &  avec  plus  d'étendue  qu'elle  ne 
fit  jamais  jufques  à  ce  degré  ;  puifqu'elle  eft 
mue  de  Dieu  même  ,  &  qu'elle  agit  par 
foa  Efprit,  S.  Paul  veut  que  nous  nous  laif- 
iions  {a)  mouvoir  par  Vhfprit  de  Dieu. 

On  ne  jdit  pas  qu'il  ne  faut  point  agir  ^ 
mais  qu'il  faut  agir  par  dépendance  du  mou- 
vement de  la  grâce.  Ceci  eft  admirable- 
ment figuré  en  EzechieL  Ce  Prophète 
voyoit ,  dit-il  ^  {h)  des  roues  qui  avoient 
Vefpnt  de  vie  ,  &  elles  alloient  où  cet  efprit 
les  conduifoit.  Elles  sUlevoient  Ù  s^ahaif- 
foient félon  qu'elle  s  étoient  mues  ;  car  V  efprit 
de  vie  étoit  en  elles  :  mais  elles  ne  reculoient 

(a)  Rom.  8-  f-  14. 

(b)  Ezech.  i.  y.  19,  30',  ai. 


X  X  X 1  X.    Motion  divine.  1 9 

jnmals.  L'anic  doit  ctrc  de  la  forte  ;  clic 
doit  fe  laiffer  mouvoir  &  porter  par  Tef-- 
prit  vivifiant  qui  cil  en  elle  ,  fuivant  le 
mouvement  de  fon  action  ,  &c  n'en  fuivant 
point  d'autre.  Or  ce  mouvement  ne  la  por- 
te jamais  ;\  reculer,  ceft-à-dire,  à  réflé- 
chir fur  la  créature  ,  ni  à  fe  recourber 
contr'clle-mème  ;  mais  à  aller  toujours 
devant  elle  ,  avançant  incclTamment  vers 
fa  fin. 

Cette  aclion  de  Famé  eft  une  adioa 
pleine  de  repos.  —  Lorfqu'elle  agit  par 
elle-même  ,  elle  agit  avec  effort  ,  c'eft 
pourquoi  elle  dillingue  mieux  alors  foa 
adion.  Mais  lorfqu'elle  agit  par  dépen- 
dance de  Tefprit  de  la  grâce  ,  fon  aélion 
eft  fi  libre  ,  fi  aifée  &  fi  naturelle  ,  qu'il 
femble  qu'elle  n'agiffe  pas.  —  Plus  elle  eft 
en  paix  ^  plus  elle  court  avec  vîreffe  ,  parce 
qu'elle  s'abandonne  à  l'Efprir  qui  la  meut  & 
la  fait  agir. 

Cet  efprit  n'eft  autre  que  Dieu  qui  nous 
attire  ^  &  en  nous  attirant  nous  fait  courir 
à  lui.  Çh.  21.  n.  1  ,  z,  3. 

Notre  aélion  doit  donc  être^  de  nous 
mettre  en  état  de  fouffrir  l'action  de  Dieu  , 
&  de  donner  lieu  au  Verbe  de  retracer  en 
nous  foa  image.  Une  image  qui  fe  remue- 
roit  ,  empêcheroit  le  peintre  de  contretirer 
un  tableau  fur  elle.  Tous  les  mouvemens 
que  nous  faifons  par  notre  propre  efprit , 

B  2 


î2<»  Justification. 

empêchent  cet  admirable  Peintre  de  tra- 
vailler ,  &  font  faire  de  faux  traits.  Il 
faut  donc  demeurer  en  paix  ,  &  ne  nous 
mouvoir  que  lorfqu'il  nous  meut,  {a)  Je- 
fus-Clirijl  a  la  vie  en  lui  -  même.  Et  il 
doit  communiquer  la  vie  à  tout  ce  qui  doit 
vivre. 

Ceft  refprit  de  TEglife  ,  que  Tefprit  de 
la  motion  divine.  L'Eglife  elt-elle  oifive  , 
llérile  &  inféconde  ?  Elle  agit  ;  mais  elle 
aeit'par  dépendance  de  TEfprit  de  Dieu  , 
qui  la  meut  &  la  gouverne. 

Or  lefprit  de  TEglife  ne  doit  point  être 
autre  en  fes  membres  qu'il  eft  en  elle-mê- 
me. Il  faut  donc  que  fes  membres  pour  être 
dans  TEfprit  de  TEglife  ,  foient  dans  Tef- 
prit  de  la  motion  divine. 

Que  cette  adion  foit  plus  noble  ,  c^efl 
une  chofe  inconteftable.  Il  eft  certain  que 
les  chofes  n'ont  de  valeur  ,  qu'autant  que  le 
principe  d'où  elles  partent,  eft  noble  ,  grand 
&  relevé.  Les  allions  faites  par  un  princi- 
pe divin  5  {h)  font  des  actions  divines;  au 
lieu  que  les  adiions  de  la  créature  quelque 
bonnes  qu'elles  paroifTent,  font  des  allions 
humaines  ,  ou  tout  au  plus  vertueufes  lors 
qu'elles  font  faites  avec  la  grâce.  Là^même, 
n.  5,6. 

M  Jean  5.  friS.  [ft]  Voyez  J.  de  la  Croix.  AUcs. 
Xi.  j.  Centre  n.  3.  &c. 


XXXIX.   Motion  divine:  zi 

11  faut  donc  ncccflaircmcnt  entrer  dans 
cette  voie,  qui  efl  la  motion  divine  &  ri\f- 
prit  de  Jéfus-Chrift.  S.  Paul  dit  ,  que  {a) 
perfonne  nejl  à  Jc/iis-C/iriJi  s'il  n  a  fort 
Efprit.  Pour  être  donc  à  Jcfus-Chrill:  ,  il 
faut  nous  lailTer  remplir  de  fon  l^fprit  , 
&  nous  vuider  du  notre  :  il  faut  qu'il  foit 
évacué.  S.  Paul  dans  le  même  endroit  {h) 
nous  prouve  la  nécefTité  de  cette  motion 
divine.  Tous  ceux.y  dit-il  ,  cjui  jont  pouj^ 
fés  par  VEj'pjit  de  Dieu  ,  fout  cnjans  de 
Dieu. 

L'efprit  de  la  filiation  divine  eft  donc 
Tefprit  de  la  motion  divine  :  c'eil  pour- 
quoi le  même  Apôtre  continue  :  lE/prit 
que  vous  ave^  reçu  ,  n^ejl  point  un  efprit 
de  fervitude  y  qui  vous  fjjfe  vivre  dans  la 
crainte  ;  mais  c^ejl  V Efprit  des  enfans  de 
Dieu  5  par  lequel  nous  crions  :  Ahha  ,  notre 
Père.  Cet  efprit  n'efl:  autre  que  l'Efprit  de 
Jéfus-Chrift^  par  lequel  nous  participons  à 
fa  filiation  :  6"  cet  efprit  rend  lui-même  té-- 
moignage  au  nôtre  j  que  nous  fommes  enfans 
de  Dieu. 

Sitôt  que  Tame  fe  laifie  mouvoir  à  TEf- 
prit  de  Dieu ,  elle  éprouve  en  elle  le  témoi- 
gnage de  cette  filiation  divine  ;  &  c'eft  ce 
témoignage  qui  la  comble  d'autant  plus  de 
joie  ,  qu'il  lui  fait  mieux  connoître  qu  elle 

(a)  Rom.  8.  f*  9*     (è)  f*  î4»  &c. 

B   :^ 


22i  Justification. 

efl  appellée  à  la  liberté  des  enfans  de  Dieu  ; 
&  que  Vefprit  quelle  a  reçu  ^  nejl  point  un 
èjpnt  dejervitude  ,  mais  de  liberté.  — 

L'efprit  de  la  motioa  divine  eft  fi  nécef- 
faire  pour  toutes  chofes  ,  que  S.  Paul  dans 
le  même  endroit ,  fonde  cette  néceffité  fur 
notre  ignorance  dans  les  chofes  que  nous 
demandons.  Lu-meme.  n.  9  ,  10. 

C'eft  la  conduite  que  nous  devons  tenir 
en  notre  intérieur  ,  &  en  agiffant  de  cette 
manière  nous  avancerons  plus  en  peu  de 
tems  par  la  motion  divine  ,  qu'en  toute  au- 
tre manière  par  beaucoup  de  propres  ef- 
forts. — 

Il  faut  donc  s'abandonner  à  PEfprit  de 
Dieu  y  &  fe  laifler  conduire  par  fes  mouve^. 
mens.  CL  a^.  n.  8,9. 


I 


CANTIQUE. 


L  veut  de  plus  ,  que  comme  l'Amante 
doit  fuivre  en  toute  liberté  l'attrait  du  S. 
Efprit  pour  tout  ce  qui  eft  de  fon  intérieur , 
elle  fe  conforme  aufli  aux  ufagcs  de  l'Egli- 
fe ,  &  aux  ordres  des  Supérieurs  ,  en  tout 
ce  qui  regarde  fon  extérieur  :  ce  qui  eft  bien 
défigné  par  marcher  fur  les  traces  des  trou- 
peaux ,  c'eft>à-dire ,  dans  un  train  commun 
pour  l'extérieur.  Ch.  i.  v»  7, 


XXXIX.  Motion  divine.  ï-2.  25 

A  U  T  O  R  I  T  É  S. 

S.      1)    F    N    T    S 

1.(^7)  JLjH  tout  premier  mouvement  ver.^ 
les  cliofes  divines  ,  eft  Tamour  de  Uicu-î  &  le 
premier  avancement  de  la  fainte  charité,  à  met- 
tre en  exécution  les  divins  commandemens.  C'eft 
cette  opération  là,  myftique  &  ineffable,  qui  fait 
que  nous  avons  un  être  divin.  De P Hlcrardi.  Ecdcf, 
C/iap,  I. 

2.  Qu'eft-ce  que  les Théoloj2;iens  veulent  dire, 
lorfque  tantôt  ils  l'appellent  Amour  «Si  charité, 
tantôt  aimable  &  chérilfable?  C'eft  parce  que  du 
premier  il  eft  l'auteur,  le  producteur  &leprogé- 
lîiteur;  &  quant  à  Fautre  c'eft  lui-même,  qui 
eft  tel  :  ^  Par  lamour  lui-même  eft  mû  ,  par  être 
aimable  il  meut  les  autres  i  ou  bien  parce  que  c'eft 
lui-même  qui  fe  produit  &  qui  excite  les  autres 
à  foi.  En  cette  forte  ils  l'appellent  aimable  &  ché- 
riffiible,  comme  étant  beau  &  bon:  &  de  Fautre 
ils  le  nomment  amour  &  charité,  parce  qu  il  a 
une  force  &  vertu  mouvante  &  attirante  a  foi  ,  & 
parce  que  lui  feul  eft  bon  &  beau  par  foi-même  , 
&  que  lui-même  a  la  force  de  s'exprimer  &  de  fe 
déclarer  par  foi-même  ,  &  qu'il  fort  par  un  mou- 
vement  amoureux  hors  de  cette  union  excellente 
&  fequeftrée  de  toutes  chofes  ,  demeurant  néan- 
moins dans  fa  fimplicité  qui  fe  meut  de  foi-mê- 
me ,  &  qui  agit  Se  opère  par  lui-même  :  &  lequel 
mouvement  d'amour  eft  premièrement  &  avant 

(a)  Si  le  tout  premier  mouvement  de  Tame  vers  les 
chofes  divines  eft  Tamour  ,  c'elt  donc  bien  fait  de  con» 
duire  les  âmes  par  l'amour. 

;|;    Centre,  n.  i. 

B  4 


f  4  Justification. 

que  d'être  autre  part ,  dans  le  bon  ,  &  du  bon  s'iri- 
fîue  &  regorge  (a)  fur  tous  les  êtres ,  &  d'eux  re- 
tourne derechef  au  bon.  En  quoi  le  divin  Amour 
fait  excellemment  paroitre  qu'il  eft  fans  com- 
mencement &  fans  fin  ,  (b)  comme  un  certain 
cercle  éternel,  qui  roule  &  qui  tournoie  fans 
jamais  fortir  hors  de  fa  route  ,  ni  de  foi-même. 
Des  noms  divins,   Ch,  4. 

HenriSuso. 

3.  Voyez  ConJlftance:  n.  6. 

RUSBROCHE. 

4.  Dieu  nous  donne  une  vie  au-deffus  de  nous 
qui  eft  une  vie  divine.  Elle  coniîfte  à  contempler 
Dieu,  &  à  demeurer  attaché  à  lui  par  un  amour 
fîmple  &  nud  ,  a  le  goûter ,  à  jouir  de  lui ,  à  nous 
écouler  en  lui  par  amour.  Qiiand  étant  élevé  au- 
deffus  de  la  raifon  &  de  toute  notre  propre  ope* 
ration  nous  entrons  dans  ce  regard  nud ,  la  nous 
fommes  mus  par  l'Efprit  de  Dieu  ,  nous  foute- 
nons  l'opération  de  Dieu,  &  nous  fommes  rem- 
plis de  fa  clarté  divine,  comme  l'air  eft  pénétré 
de  la  clarté  du  Soleil  &  le  fer  de  l'ardeur  du  feu. 
Dcsfept  Gardes.  Ch,  17. 

Ste.    Catherine    de    Gènes. 

5.  Y oy^z  AnéantiJJement,  n.   12. 

Ste.     Thérèse. 

6.  Il  me  femble  que  le  S.  Efprit  eft  alors  le 
médiateur  entre  Dieu  &  Tame,  &  que  c'eft  lui 
qui  la  meut  avec  deliardens  défirs,  qu'il  lui  fait 
allumer  !e  fouverain  feu  dont  elle  eft  fî  proche. 
Concept,  detAm,  de  D.  Ch,  5. 

Le  B.   Jean   de   la   Croix. 
7.  D'autant  que  les  vertus,  tant  morales  que 

{a)  C'eft  tonte  Toeconomie  de  l'intérieur  :  nous  fommes 
fortîs  de  Dieu  ;  il  faut  retourner  à  lui. 
ib)  Admirable. 


XXXIX.  Motion  divine.  2-11.'  iç 

Théologales,  font  infnfos  à  l'amc  pour  agir  coix- 
fonncmentà  la  raifon  liuniaiiie  ,  rainceii  cet  état 
fc  conduit  au-dcOus  de  cette  raifon  par  des  mo- 
tions extraordinaires  du  S.  ]{f|)rit,  à  caufe  (juc  les 
transformes  &  unis  à  Dieu  ,  lont  les  \'rais  enfans 
de  Dieu  5  &  comme  tels  ils  font  pouffes  en  leurs 
opérations  de  TKfprit  de  Dieu  ,  anili  que  dit 
I  Apôtre:  (a)  Qjùconqiie  eji  mu  de  fKj'prit  ik  Dieu  ^ 
eji  enfant  de  Dieu  :  joint  qu'en  cet  ctat,  Tamc 
mène  une  vie  divine  ,  qui  ne  peut  être  exercée  que 
par  un  principe  divin  ,  qui  eft  le  S.  l^lprjt.  »—  Or 
pour  recevoir  ces  motions  extraordniaircs  du  S. 
Êfprit,  l'ame  y  doit  être  difpofcc,  puifque  com- 
me dit  FEcole  ,  Omne  quod  movctur  ,  nccejjc  cjl 
proportionatum  ejje  motori  :  ce  qui  fc  fait  par  les 
dons  du  S.  Efprit  donnés  à  Tame  pour  recevoir 
fes  inftincts  particuliers.  C'eft  pour  cela  que  vous 
les  voyez  nommés  fur  la  IVIontagne  à  côté  droit  » 
la  fageffe  5  la  fcience,  la  force,  le  confeil,  Ten-. 
tendement,  la  piété,  la  crainte  de  Dieu.  Explica- 
tion de  f  Enigme. 

8.  Voyez  ylc7es,  n.  5. 

9.  Voyez  Extafe.    n.  6. 

10.  Voyez  Centre,  n.  3. 

1 1.  La  volonté  ,  qui  auparavant  aimoit  tiède- 
ment,  eft  à  préfent  changée  en  vie  d'amour  di- 
vin y  parce  qu'elle  aime  hautement,  avec  affec- 
tion  d'amour  divin  ,  mue  du  S.  Efpnt ,  auquel 
elle  vit  déjà.  ^ 

Finalement  tous  ]ts  mouvemens  &  opérations 
que  Tame  auparavant  avoit  du  principe  de  fa  vie 
naturelle  &  imparfaite ,  font  déjà  changés  en  cette 
union  en  mouvemens  de  Dieu  :  d'autant  que 
famé  ddja,  comme  la  vraie  fille  de  Dieu,    eft 

(a)  Rom.  8.  v.  14. 


l6  Justification. 

mue  de  fon  Efprit,  comme  dit  S.  Paul  :  (à)  Ceux^ 
qui  font  mus  de  P Efprit  de  Dieu  ^  ceux-là  font  en-, 
fans  de  Dieu  :  Et  la  fubftance  de  leur  ame  ,  en- 
core qu'elle  ne  foit  fubftance  de  Dieu  ,  parce 
qu'elle  ne  peut  fe  convertir  en  lui,  néanmoins 
étant  unie  avec  lui ,  &  abforbée  en  lui ,  eft  Dieu 
par  participation  :  ce  qui  arrive  en  ce  parfait  état 
de  vie  fp  (rituelle  ,  encore  que  ce  ne  foit  fi  parfai- 
tement comme  en  l'autre  vie.  Vive  flamme  d'amoui\ 
Cant.  2,  V.  6, 
12    Voyez  Jâles.  n.  8. 

1  ?.  L'ame  donc  prenant  garde,  que  Dieu  en 
cette  affaire  eft  le  principal  agent,  qui  doit  la  di- 
riger &  conduire  par  la  main  où  elle  ne  peut  al- 
ler fans  lui,  à  favoir,  aux  chofes  furnaturelles  y 
lefquelles  de  favoir  com.ment  elles  font,  ni  fon 
entendement,  ni  fa  volonté,  ni  fa  mémoire  n'y 
peuvent  atteindre  i  tout  fon  principal  foin  doit 
être  de  regardera  ne  mettre  point  d'obftacles  au 
guide  ,  qui  eft  le  S.  Efprit,  dans  le  chemin  par 
où  il  la  mène  ,  qui  eft  donné  en  la  loi  de  Dieu 
&  en  la  foi ,  comme  nous  avons  dit.  Cet  empê- 
chement lui  pourra  venir ,  fi  elle  fe  laiffe  guider 
par  un  autre  aveugle  :  &  les  aveugles  qui  la  pour- 
roient  tirer  du  chemin  font  le  Père  fpirituel ,  le 
Diable ,  &  lame  même.  Q^uant  au  premier  ,  Fa- 
mé qui  veut  profiter  &  ne  point  reculer,  doit 
bien  regarder  à  qui  elle  fe  confie  ;  car  tel  que  fera 
le  maître  ,  tel  fera  le  difciple  ;  tel  qu'eft  le  Père, 
tel  eft  le  fils  >  car  pour  ces  chofes  fi  hautes  , 
&  même  pour  les  médiocres  ,  l'ame  trouvera  à 
peine  un  guide  capable.  Là-même.  Cantique  3.  v.  3. 
§.4. 

14.  Que  telles  gens  prennent  garde  &  confîdé- 
rent ,  que  le  S.  Efprit  eft  le  principal  agent  &  mo- 
^  (û)  Rom.  8.  y.  14. 


XXXI Jf.  Motion  divine,  ii-t^;.  2.7 
trur  de  ces  âmes  ,  rlont  il  ne  perd  jamais  le  foin  , 
ni  (le  ce  qni  im[)f)rre  à  leur  prolit  ,  (Se  cjui  fcrt  pour 
les  ap|)rocher  de  Dieu  plus  prom|)rement  6'c  par 
un  meilleur  moyen  ;  &  qu'eux  ne  l'ont  pas  K> 
agens,  mais  feulement  les  inlhumens.  Lù-manc, 

§9. 

15.  Or  c'efl  une  chofc  merveilleulc  comment 

fe  fait  ce  mouvement  en  Tame  ,  Dieu  étant  im- 
mobile; car  fans  que  Djeu  fe  meuve,  elle  e(l  in- 
novée &  mue  par  lui,  &  iivcc  une  certaine  nou- 
veauté admirable  on  lui  découx  rc  cette  di\ me 
\'ie ,  &  Tétre  &  Tliarmonie  de  toutes  les  créatures  , 
la  caufe  prenant  le  nom  de  l'effet  qu'elle  [)roduiL. 
Selon  lequel  effet  on  peut  dire  que  Dieu  le  meut, 
comme  le  Sage  dit  que  hi  (aj  Sagc^c  cjl  plus  niohi/e 
que  toutes  les  c/iofes  mobiles  ,  non  qu'elle  fe  meu- 
ve ,  mais  parce  que  c'efl  le  principe  &  la  racine 
de  tout  mouvement,  &  demeurant  fiable  en  foi  ^ 
comme  il  dit  aulfi-tôt ,  elle  renouvelle  Qi)  toutes  clio- 
Jes,  Et  ainfi  ce  qu'il  veut  dire  là,  c'efl  que  la  Sa- 
ge(Te  effc  plus  aélive  que  toutes  les  chofes  acti- 
ves. Partant,  nous  devons  dire  ici ,  que  l'ame  en 
ce  mouvement  eft  celle  qui  eft  mue  &  réveillée, 
&  ainii  nommer  cela  proprement  du  nom  de  ré- 
veil. Mais  Dieu  demeure  toujours  dans  le  mê- 
me état  que  Tame  Ta  vu  ,  mouvant,  gouvernant 
&  donnant  Têtre,  vertu,  grâces  &  dons  à  toutes 
les  créatures  ,  les  ayant  toutes  en  foi  virtuelle- 
ment, préfentiellement  &  très-éminemment,  l'a- 
me voyant  ce  que  Dieu  eft  en  foi ,  &  ce  qu'il  eft 
dans  les  créatures.  Comme  celui  qui  a  l'ouver- 
ture d'un  palais,  voit  tout  d'un  coup  l'éminence 
de  la  pcrfonne  qui  eft  dedans ,  &  enfemble   ce 

(a)  Sag.  7.  V.  24.  27. 

Qj)  No^^z  Moyen  court.  Q\\  24,  n.  5.  4.  6. 


7%  Justification. 

qu'elle  fait.  Et  ainfi,  fclon  ce  que  je  puis  enten* 
dre  ,  la  manière  ou  façon  dont  fe  fait  ce  réveil  & 
vue  de  Tame,  eft  que  Dieu  tire  quelques  voiles 
fiv  rideaux  de  p;u(îeurs  qu'elle  a  devant  les  yeux, 
afm  qu'elle  puifTe  voir  ce  qu'il  eft;  &  alors  on. 
difcerne  &  entre^'oit  (  quoiqu'obfcurément ,  d'au- 
tant qu'on  n'ôte  pas  tous  les  voiles,  celui  de  la 
foi  demeurant)  cette  face  divine,  pleine  de  grâces^ 
laquelle  comme  elle  meut  toutes  chofes  par  fa 
vertu  ,  enfemble  avec  elle  paroît  tout  ce  qu'elle 
fait  :  &  c'efk  là  le  réveil  de  l'ame  &c.  Ld-mémc 
Cœitiq,  4  -y.   I. 

Le  P.  Nicolas  de  Jésus-Maria  rapporte 
i6.  S.  Thomas.  L'homme  fpirituel  n'eft  pas 
feulement inftruit  du  S.  Efprit  pour  favoir  ce  qu'il 
doit  faire,  mais  auffi  fon  cœur  eft  mù  du  même 
Efprit,  &  partant  il  faut  entendre  davantage  en 
ce  qui  eft  dit  :  Tous  ceux  qui  font  mus  du  S. 
Efprit;  car  ces  chofes-là  font  dites  être  mues  ,  qui 
font  poulTées  d'un  certain  inftinct  fupérieur  ;  d'où 
vient  que  nous  difons  des  bêtes,  qu'elles  ne  fe 
gouvernent  ni  régiffent,  mais  qu'elles  font  con- 
duites &  dirigées,  parce  qu'elles  font  mues  de  la 
nature  pour  faire  leurs  actions  ,  &  non  de  leur 
propre  mouvement.  Or  femblablement  l'homm  c 
fpirituel  eft  incliné  à  faire  quelque  chofe ,  non 
principalement  par  le  mouvement  de  fa  propre  vo- 
lonté ,  mais  par  l'inftincl  du.  S.  Efprit,  fuivant  ce 
que  dit  Ifaïe  (tz),  lorfque  celui  que  le  S.  Efprit 
pouffe  fera  devenu  comme  un  fleuve  rapide  :  &  eu 
S.  Luc  il  eft  dit ,  que  [b]  Jéfus-Chrift  étoit  pouf- 
fé de  l'Efprit  au  défert.  Par  là  néanmoins  on 
n'exclut  point  que  les  hommes  fpirituels  n'opé- 

(a)  Ifa.  ç9.  V.  19. 
(6)  Luc.  4.  V.  I. 


XXXTX.  Motion  divine .  1.^-19.         29 

îont  par  Ja  {a)  volonté  <Sc  le  fiaiic-ai bitrc  ;  parce 
i|iîc  le  S.  J\fprit  caiife  en  eux  ce  mouvement  de 
la  volonté  iS:  du  Iranc-arbitre  ,  conformément  il 
ce  que  dit  TAjjotre  {b)  aux  ni]lip|)icn>  :  C\Jl 
Dieu  qui  oprrc  en  vous  le  vouloir  ^«^  i'ui.LonipHjJ'eniciit. 
(Su/  Kom.  8.  i^  14.  Lr^'ou  l^.  )  K Juin ij]'.  des  Plu\ 
Mi/Ji.  de  J.  delà   Croix.  l\  11.   Cli.  4-  §•  5- 

17.  —  Il  faut  néanmoins  confidérer  que  fi  hi 
vertu ,  cpii  ell  [)rincipe  de  Tacîtion  ,  eft  mue  dune 
vertu  fu|)érieure,  l'opération  qui  procède  d'elle, 
non  feulement  ell  une  action,  mais  auUi  une  paf- 
lion,  entant  qu'elle  part  d'une  vertu  qui  eft  mue 
d'une  fupérieure.  (Eh  la  Qjicji.  un.  de  i  Union  du 
Verbe  Artic,  6.  )  Là-même, 

18.  S,  Projper,  Sans  doute  c'efl  davantage  d'être 
poulTé,  que  d'être  conduit;  car  celui  qui  eft  régi 
fait  quelque  chofe  ,  pour  cela  il  eft  régi  afin  de 
bien  faire.  Or  celui  qui  eft  mù  ,  à  peine  conçoit- 
on  qu'il  agiffe;  &  la  grâce  du  S.  Efprit  confère 
tant  à  nos  volontés  ,  que  l'Apôtre  ne  craint  point 
de  dire;  (c)  Tous  ceux  qui  font  pouffes  de  f  Efprit  de 
Dieu  y  ceux-là  font  enfans  de  Dieu  :  &  la  volonté 
libre  ne  peut  faire  en  nous  rien  de  meilleur  que 
de  fe  recommander  à  celui  qui  ne  peut  pas 
mal  faire.  (  Des  fentences  de  S.  AuguJUn,  n.  30.  )  Zà- 
même. 

19.  Cajetan,  Lorfquc  vous  lifez  ;  Ceux  qui 
font  pouffes  du  S.  Efprit;  gardez-vous  bien  de 

(fl)  Toutes  les  chofes  libres  qui  font  mues ,  correfpon- 
denc  au  mouvement  en  fe  laiffant  mouvoir  volontaire- 
ment; &  le  confentement  eft  une  adlion  :  de  plus  étant 
agitées,  elles  font  fortement  remuées,  comme  ledit  le 
Moyen  court.  (Voyez  Ch.  21.  n.  4,&c.) 

(6)  Phil.  2.  V.  ij. 

(c)  Rom.  8.  Y.  14. 


30  Justification. 

l'entendre  d'une  cfpece  de  fureur,  de  peur  que 
vous  ne  penfiez  que  les  hommes  font  pouflés 
de  TEfprit  de  Dieu  comme  des  infenfés;  mais 
c'efi  qu'il  eft  rendu  par  notre  efprit  une  telle  & 
fi  grande  obéifTance  au  S.  Efprit,  habitant  dans 
les  hommes  parfaits ,  qu'obéiffans  ils  font  régis  de 
lui ,  étant  très-fouplcs  &  très-foumis  au  S.  Efprit 
habitant  en  eux.  Or  non  feulement  celui-là  eft 
mû  ,  qui  en  eft  ignorant,  ou  qui  ne  veut  être  pas 
pouffé,  mais  auffi  celui  qui  obéit  très-prompte- 
ment.  (Sur  Rom,  S.  v,   14.)  Là-même. 

20.  Tokte.  Etre  pouffé  de  l'Efprit  de  Dieu  , 
c'eft  faire  des  œuvres  félon  l'Efprit,  defquels  le 
moteur  &  le  premier  auteur  eft  l'Efprit  de  Dieu, 
habitant  dans  les  juftes  par  la  grâce,  les  vertus 
&  les  dons.  (Sur  Rom,  8.  v.   14.  )  Là-même. 

21.  Bede.  Quelqu'un  me  dira:  on  agit  donc 
en  nous,  &  nous  n'agiffons  pas.  Je  réponds,  & 
que  vous  agiffez  &  qu'on  agit  en  vous ,  &  qu'a- 
lors vous  agiffez  bien  quand  un  bon  efprit  agit 
en  vous  ;  car  l'Efprit  de  Dieu  qui  agit  en  vous  , 
vous  aide  en  agiffant  :  (lefquelles  paroles  il  a 
tirées  de  S.  Auguftin.  )  Là-même, 

22.  Benoit  Jujimien.  Nous  fommes  donc  con- 
iduits  &  pouffes  ;  mais  nous  prêtons  notre  con- 
lentement,  &  correfpondons  librement  à  la  mo- 
tion divine  :  l'Apôtre  néanmoins  a  mieux  aimé 
parler  de  la  forte  ,  afin  de  montrer  la  force  & 
Tefficace  de  la  grâce  divine.  [Sur  les  mêmes  paro- 
les, )  Là-même, 

2^,^ S,  Augujiin,  Qu'ils  entendent  s'ils  font 
enfans  de  Dieu ,  qu'ils  font  pouffes  de  l'Efprit  de  • 
Dieu,  afin  qu'ils  faffent  ce  qui  doit  être  fait; 
&  qu'après  l'avoir  fait,  ils  rendent  grâces  à  celui 
qui  les  a  mus  &  portés  à  le  faire  :  Car  ils  font 
mus  pour  faire,  &  non  pour  demeurer  fans  rien 


XXXI X.  AIotioH  divine.   19-27.        3ï 
faire.  (  De  la  Corrc6l.  Z^  de  Ja /]f(ur.   C/i.  2,  )  lAi-nume. 

24.  Ste,  'Vhihcft.  J'ai  l'iitlilaiiiinont  ex j)licjiic  cette 
manière  trorairon  ,  &  te  (jiic  doit  faire  ranrte,  ou 
j)c)nr  mieux  dire,  ce  que  Dieu  lait  en  elle;  car 
i:'e(l  lui  (jni  fait  déjà  l'ortice  de  jardinier,  &  qui 
\'eut  c|u'elle  Te  réjouilfc  :  la  voloutc  prête  feule- 
ment fon  contentement  à  ces  j^races  dont  clic 
"|Ouit,  (Se  doit  s'oUrir  à  tout  ce  que  la  vraie  fagelfe 
\  oudra  opérer  en   elle.   (  Vie  Cfi.   17.  )   Là-meme. 

25.  Le  l\  lùirtfielcnù  des  Martijrs,  Ce  n'ed  pas 
ime  opération  humaine ,  mais  feulement  une  di- 
vine; car  là  Dieu  même  eft  agillant ,  &:  Tliom- 
me  pàtiffant.  —  Kt  bien  que  cette  ferxente  dilec- 
tion  foit  produite  de  la  volonté  ,  elle  c(t  néan- 
moins dite  palîive,  parce  que  la  volonté  ne  s'ex- 
cite point  à  elle  comme  la  première,  mais  elle 
ell  immédiatement  excitée  de  Dieu.  [Abrégé  P. 
2.   Cliap,   II.)  Là-même, 

S.  François  de  Sales. 

26.  Voyez  Nofi-dci/jr.  n.  35. 

Monf.    O   L   I   E   R. 

27.  L'Epoufe  n'ayant  plus  aucun  pouvoir  fur 
elle-même,  puifqu'elle  eft  transférée  dans  le  do- 
maine total  deTEpoux,  doit  vivre  fi  abfolument 
dans  fa  dépendance,  qu'elle  n'agiffe  que  ftloa 
fes  défirs  &  par  fes  mouvemens.  Il  faut  qu'elle 
foit  comme  Jéfus-Chrift  à  l'égard  de  fon  Fere  , 
qui  ne  faifoit  rien  qu'il  ne  vit  abfolument  fes 
ordres;  enforte  que  fon  opération  étoit  tellement 
unie  avec  fon  Père,  &  animée  de  fon  opération 
propre,  que  c'étoit  une  fimple  &  une  même  cho- 
ie. Ouel  dégagement,  quelle  hberté,  quelle  fou- 
miffion,  quel  abandon  à  l'Efprit  doit  être  dans 
ime  ame  pour  agir  toujours  de  concert  avec  lui  ! 
jLettrc  12. 


3«  Justification. 

28.  Je  prie  Notre  Seigneur  de  vous  remplir  de 
TEfprit  de  fa  faintc  enfance.  —  C'efl  être  enfant 
que  de  n'avoir  ponit  de  prudence  &  de  fageffe 
humaine ,  &  d'aller  où  porte  l'obéiffancc  &  le 
mouvement  de  l'Efprit  Saint.  L'enfant  va  fans 
retour  par  tout  où  on  le  mené;  &  les  enfans  de 
Dieu  vont  par  tout  où  fon  Efpritles  conduit.  Ils 
lie  s'amufent  point  à  regarder,  fi  ce  qu'ils  font 
eft  félon  les  loix  du  monde,  &  s'il  efl  conforme 
à  fes  coutumes  ;  mais  fe  contentant  de  la  fageffe 
de  la  foi ,  qui  eft  la  fageffe  de  Dieu  même  ,  qu'il 
donne  à  fes  enfans  pour  règle  &  pour  lumière, 
ils  s'abandonnent  purement  &  fans  retour  à  fa 
fainte  conduite  :  ils  évitent  ainfi  tout  le  mêlan- 
ge  de  la  lumière  humaine ,  qui  par  fon  impureté 
éteint  fouvent  en  nous  celle  de  Dieu.  — 

Voilà  quelle  eft  la  conduite  des  enfans  de  Dieu , 
poffédés  de  fon  divin  Efprit,  qui  tout  enfans 
qu'ils  font,  ont  une  fageffe  mille  fois  plus  foli- 
de  ,  plus  févère  &  plus  réglée  que  tout  le  monde 
cnfemble  ,  puifqu'ils  ont  la  fageffe  de  la  foi ,  qui 
eft  la  fageffe  de  Dieu  même ,  pour  régie  &  pour 
lumière. 

Or  non  feulement  cet  efprit  d'enfance  donne 
lumière  à  l'ame  pour  la  conduire  en  tout,  mais 
encore  il  donne  doucement  le  branle  à  la  volon- 
té, pour  faire  ce  que  Dieu  veut.  Lettre  5g. 


XL 


XI-.  Nudité  1--3.  33 


XL.  Nudité. 
V^oye:^  Foi  nue  &  obfcure. 
CANTIQUE. 


O 


N  jouit  ici  de  Dieu  dans  la  nuit  de  la 
Foi  ,  où  on  a  le  bonheur  de  la  jouifTance  , 
fans  avoir  le  plaifir  de  la  vue  :  au  lieu  que 
dans  l'autre  vie  on  aura  la  claire  vifion 
de  Dieu  avec  le  bonheur  de  le  poffeder. 
Ch.  I.  V.  I. 

Comme  il  eft  beaucoup  parlé  dans  tous 
mes  Ecrits  de  dénuement  ^  fai  cru  en  devoir 
dire  quelque  chofe  ici ,  quoiquil  nen  /oit 
prefçue  point  fait  de  mention  dans  les  deux 
Livres  que  féclaircis  ;  parce  que  je  fuis  bien 
aife  de  donner  le  plus  de  jour  que  je  pourrai 
à  toutes  chofes. 

AUTORITÉS. 

S.     Denis. 

I.  Voyez    Converfion,  n.   %, 

2.  Voyez  Foi  nue.  n.  3. 
L'Imitation  de   Jésus-Christ. 

3.  II  eft  rare  parmi  les  perfonnes  fpirituelles 
d'en  trouver  une  qui  foit  vraiement  dénuée  de 
tout.  Où  fera  le  pauvre  d'efprit ,  dégagé  de  l'a- 
jnour  de  toutes  les  créatures  ?  Il  faut  aller  au 

Tom.  Il  Jujiif.  C 


^4  Justification.^ 

bout  du  monde  pour  trouver  cette  perle  précîeu- 
fe.  Liv.  2.    Ch.  i  i.  §.  4. 

4.  Ouand  un  homme  fera  tel  que  nous  venons 
de  dire,  il  fera  vraiment  pauvTe  d'efprit,  dénué 
de  tout;  il  pourra  dire  avec  le  Prophète  :  (a)  Je 
Juis pauvre*^  abandonne.  Et  il  fera  vrai  en  même 
tems,  qu'il  n'y  a  point  d'homme  ni  plus  riche, 
ni  plus  puifTant,  ni  plus  libre  que  lui;  fâchant 
ainii  fc  féparer  de  tout  &  de  foi-même,  &  fc 
mettre  toujours  au-deffous  de  tous  les  autres. 
Là-même,  §.  5. 

r   S-i^'V^ôyez  Propriété,  n.  4. 

':  6>  iAfj)ii!ez  à  ce  grand  bien  ;  afin  qu'étant  dé- 
pouillé de  toute  propriété ,  vous  puiffiez  fuivrc 
nud  Jéfus-Chrift  nud  fur  la  croix,  &  qu'étant 
fnort  à  vous-même,  vous  viviez  avec  moi  éter- 
nellement.  Liv,  3.  C/iap,  37.  §.  5. 

Ste.  Catherine  de  Gènes. 

7.  L'amour  nud  ne  voit  que  la  vérité,  qui 
étant  de  fa  nature  communicable  à  tous ,  ne  peut 
être  propre  à  aucun.  £nfa  Vie  Ch.  25. 

8.  Voyez  Purification,   n.    18. 

9.  Quand  l'ame  pouvoit  aimer  &  rendre  à  Dieu 
amour  pour  amour,  cet  amour  lui  laiflbit  une 
certaine  faveur  dont  elle  vivoit  encore  :  mais  cet 
amour  aitif  &  réciproque  étant  ôté  à  l'ame ,  l'hu- 
manité demeure  fan.*?  vigueur ,  &  abandonnée 
comme  morte  :  Et  pour  lors  Dieu  donne  à  l'ame 
une  autre  opération  amoureufe ,  qui  eft  fi  fubtile 
&  fi  cachée  ,  que  Tceuvre  qui  fe  fait  en  l'ame  de- 
meure ^beaucoup  plus  noble  &  plus  parfaite  que 
la  première ,  à  caufe  du  dépouillement  &  de  la 
nudité  que  Dieu  lui  donne  :  il  ne  lui  refte  plus 
aucune  nourriture ,  mais  une  force  ferme  &  (ta- 
ble en  Dieu.  Dialogue  Livr.    3.  Ch.  10. 

.  (c)  Pf,  Z4.  V.  16. 


XL.  Nudité  4-14.  35 

TO.  Que  fcras-tu,  ô  ame  ainfi  nue  &  dépouil- 
icc?  Et  vous,  o  cœur  &  cfprit,  que  fercz-vou$ 
aiiili  vides?  où  ctcs-vous  en  cet  état,  dont  vous 
11  avez  point  de  connoiflancc.    Là-nitmc,  Cli.  il. 

II.  Je  fuis  fortie  de  mon  fujet,  ik  je  n*ai  pas 
fuivi  le  difcours  que  je  failois  de  la  nudjté  de  Tef- 
pi  it  ;  parce  cju'on  ne  trouve  point  de  termes  pour 
exprimer  Tétat  de  la  vraie  nudité  ;  &  i'anie  fe 
trouvant  en  cette  nudité  ,  a  une  plénitude  en  Tcf- 
prit,  de  laquelle  elle  ne  peut  parler  :  ik  toute- 
fois à  caufe  de  la  véhémence  qu'elle  fouftre  de 
cet  amour  (tz)  fi  nud,  elle  ell  contrainte  de  par- 
i^r.   Là-mcnie  C/i.    12. 

Le  B.  Jean   de   la  Croix. 

ï2.  Il  eft  dit  dans  V Explication  de  fon  Enigme  y 
que  la  grandeur  de  la  contemplation  fe  doit  me- 
furerpar  la  grandeur  du  dénuement. 

13.  Pour  chercher  Dieu  ,  il  faut  avoir  un  cœur 
dénué  &  fort  libre  de  tous  les  maux ,  &  de  tous 
les  biens  qui  ne  font  pas  purement  Dieu  ,  ou  qui 
ne  conduifent  pas  à  Dieu.  Cantique  entre  tEpoufc 
Çff  t Epoux ,  Couplet ,  3 . 

14.  Cette  transformation  en  Dieu  conforme 
Famé  de  telle  manière  avec  fa  fimplicité  &  pure- 
té ,  qu'elle  la  laiffc  nette ,  pure  &  vide  de  toutes 
les  formes  &  figures  qu'elle  avoit  auparavant, 
comme  le  Soleil  [b]  fait  en  la  vitre  :  cary  répan- 

ia)  Il  eft  à  remarquer  que  la  foi  obfcure  eft  toujours 
accompagnée  de  l'amour  nud,  &  les  états  diftinds  de 
Vamour  fenti  &  compris. 

{b)  Admirable  comparaîfon  ciii  exprime ,  comme  quoi 
une  ame,  qui  paroiffoic  totice  pure  da  ^s  les  prcTiicres 
touches  intérieures,  parole  (aie  &  pleine  de  defau:s.  Ce 
font  les  mêmes  taches  &  non  de  nouvelles,  comme  ell€ 
croit  :  mais  c'eft  que  cpmme  la  preicnce  du    Soleil  de 

c  » 


§6        Justification-. 

dant  fa  krmiere ,  il  la  rend  claire,  &  dérobe  kl» 
vue  toutes  les  taches  qui  y  paroiflfoient  aupara/- 
vant;  mais  lorfque  le  Soleil  s*en  retire  &  s'en 
éloigne  beaucoup  ,  ces  taches  s'y  voyent  comme 
auparavant.   Là-mcmc.  Couplet  i8. 

15.  Il  faut  premièrement  favoir  que  ces  caver- 
nes des  puiffances  ,  quand  elles  ne  font  point  pur- 
gées &  nettes  de  toute  affection  de  la  créature, 
elles  ne  fentent  point  le  grand  vide  de  leur  pro- 
fondç  crpacité  ;  parce  qu'en  cette  vie  la  moindre 
chofe  qui  s  y  attache  fufKt ,  pour  les  tenir  fi  em- 
b^rraffées&fitranfportées  qu'ellesne  fentent  point 
leur  perte ,  &  ne  prennent  pas  garde  aux  biens 
immenfes  qui  leur  manquent,  ni  ne  connoiffent 
leur  capacité  :  &  c'eft  une  chofe  merveilleufe^ 
Cju'étant  capables  des  biens  infinis  ,  les  moindres 
foyent  capables  de  les  brouiller  de  telle  forte, 
qu'elles  ne  les  puifTent  parfaitement  recevoir, 
jufqu'à-ce  qu'elles  fe  foient  évacuées  de  tous 
points ,  comme  nous  dirons  tantôt.  Mais  quand 
elles  font  vides  &  nettes,  lafoif,  la  faim  (ScTanxie- 
té  du  fens  fpirituel  font  intolérables.  Vive  fiammt 
d'amour  ^  Cant.   3.  v.  3.  §..  i. 

Tout  le  Livre  de  la  Nuit  Obfcure  ne  parle  que  de, 
cette  nudité. 

S.   François    deSales. 

16.  Yoytz  Béfauts,  n.   12.. 

17.  Si  on  s'eft  dénué  de  la  vieille  aifedioa 
aux  confolations  fpirituelles ,  aux  exercices  de  la 
dévotion ,  à  la  pratique  des  vertus  ,  même  à  no- 
tre propre   avancement  en  la  perfection  \  il  fe 

juftice  nous  dérobe  nos  défauts ,  fon  abfence  dans  le 
dépouillement  les  fait  voir  de  nouveau,  &  avec  d'autant 
plus  de  peine  qu'oa  fe  croit  plus  pur. 


XL.  Nudité  Tii.-T9.  57 

fiiit  revêtir  d'une  autre  affcdioii  toute  nouvelle, 
aimant  toutes  ces  grâces  &  faveurs  célcftes,  non 
plus,  parce  qu'elles  perfectionnent  &  ornent 
notre  cfprit,  mais  parce  que  le  Nom  du  Seigneur 
en  e(l  fandifie,  t|ue  fon  Royaume  en  c(l  enri- 
chi ,  csc  fon  bon  plaifn*  glorihc.  De  t Amour  de  Dieu. 
Livr.  9.  Ch.   16. 

Le  Fr.    Jean   de   S.   S  a  m  s  o  n. 
i8-  Voyez   Abandon,  n.  25. 
L'Auteur  du  Jour  Mystiq^ue. 

19.  Cette  ame  ayant  tout  abandonné  à  fon 
Dieu  ,  fon  être  &  la  capacité  de  fon  être;  tout 
fon  plaifir  eft  de  le  lalfTer  faire  en  elle  &  par  elle 
tout  ce  qui  lui  plaira  ,  par  les  ténèbres  ou  par  le$ 
lumières ,  par  les  rebuts  ou  par  les  careflTes ,  par 
les  privations  ou  par  l'abondance;  demeurant 
tranquille  dans  l'inquiétude  desfens,  dans  le  fou- 
lévement  des  paffions  ,  dans  les  obfcivrités  &  ten- 
tations ,  en  vue  &  par  le  refpeél  de  celui  qui  eft 
&  qui  opère  toutes  chofes  en  elle ,  félon  qu'il 
Tentend  &  le  veut,  par  le  motif  de  fon  bon-plai- 
fir,  le  fuivant  en  tout;  aimant  tous  les  états  qu'il 
y  opère,  même  les  plus  obfcurs  &  dénués,  & 
lui  adhérant  pour  lors  par  un  repos  myftique , 
c'eft-à-dire,  par  des  ades  non  réfléchis  &  apper- 
çûs  de  foi  &  d'amour  nud  en  la  pointe  de  fon 
efprit.  Par  ce  nud  confentement,  par  cet  aban- 
don muet ,  par  cet  amour  pur,  l'incompréhenfi- 
ble  eft  aimé  en  l'ame  au-deffus  de  toute  penfée 
&  de  tout  adle  appercevable.  Livr.  I.  Traité  L 
Chap.  I.  &JiF.  5.  ^ 

Le  même  Auteur  traite  de  cela  dans  plus  de  trente 
Chapitres ,  à  f avoir  dans  tout  le  Livre  fécond. 


3?         Justification. 

XLI.  Oifiveté. 
Cette  oraifon  n'eft  point  oifive. 
MOYEN    COURT. 


c 


EUX  qui  accufent  cette  oraifon  d'oifive- 
té  ,  fe  trompent  beaucoup  ;  &  c'eft  faute 
d'expérience  qu'ils  le  difent  de  la  forte.  O 
s'ils  vouloie^nt  un  peu  travailler  à  en  faire 
TefTai  !  Dans  peu  de  tems  ils  feroient  expé- 
rimentés &  fa  vans  en  cette  matière,  Ch.  iz. 
n.  3. 

li  n'eft  donc  point  queftion  de  demeurer 
oifif ,  mais  d'agir  avec  dépendance  de  l'Ef- 
prit  de  Dieu  ,  qui  nous  doit  animer,  Chap. 
2LI.  n.  4» 

Alors  l'ame  eft  comme  dans  une  habitude 
de  l'a6te  ,  fe  repofant  dans  ce  même  aéle. 

Mais  fon  repos  n^eft  point  oifif  :  car  alors 
il  y  a  un  aéle  toujours  fubfiftant  qui  eft  un 
doux  enfoncement  en  Dieu.  Chap.  ^^.  n.  5* 


,1 


AUTORITÉS. 

s.     Denis. 


CI  ,  en  montant  par  les  pins  bafies  aux 
premières  &  principales  ,  nous  ôtons  toutes  ces 
chofes  ;  [a]  afin  que  nous  connoiffions  à  décou- 

[û]  Ce  n*eft  donc  pas  oifiveté  ,  puifqu'on  ne  fe  dé- 
pouille d'une  opération  naturelle  ,  quq  pour  avoir  la 
furnatureîle. 


XI.I.   0/JtvctJ.    T-^.  39 

vert  cette  ignoi  ance  même  ,  coii\'rrte  Se  envelop- 
pée au-dcnous  de  toutes  les  chofes,  qui  fout  & 
qui  peuvTut  être  conuues,cn  quoi  quecefoit, 
&  afin  que  nous  puilîions  voir  cette  obfcurité 
furcfrenticlle,  laquelle  efl  cachée  au-deirous  de 
toute  la  lumière  qui  efl:  en  l'être  des  chofes.  T/ico/. 
MyJ},   Cil.  z. 

Le  B.  Jean    de    la    Croix. 

2.  Lorfque  famé  quitte  la  méditation,  ce  re- 
gard amoureux,  ou  notice  générale  lui  efl  nc- 
celTairc;  parce  que  (i  Tame  n'avoit  alors  cette  no- 
tice ou  alFiftiance  en  Dieu  ,  il  s'enfuivroit  que 
Tame  ne  feroit  rien  &  n'auroitrien  ,  d'autant  que 
la  méditation  lui  manquant-  &  n'ayant  point  non 
plus  la  contemplation ,  qui  ell  la  connoidancc 
générale  fufdite  ,  en  laquelle  l'ame  a  fes  pulflan- 
cts  fpirituelles  aduellement  appliquées  ,  favoir  la 
mémoire  ,  Tentendenient  &  la  volonté  déjà  unies 
en  cette  notice,  elle  manqueroit  infailliblement 
de  tout  exercice  envers  Dieu.  Montée  du  Mont 
CarmcL  Livr,  2.  Ch.    14. 

3.  Cette  oraifon  paroît  très-courte  à  Tame  , 
parce  qu'elle  a  été  en  pure  intelligence.  Et  c'eft 
la  courte  prière  qu'on  dit  pénétrer  les  cieux  : 
courte ,  parce  qu'on  né  confidere  pas  le  tems  :  & 
elle  pénétre  les  cieux,  à  caufe  que  l'ame  eft  unie 
en  intelligence  célefte. — Encore  qu'il  femble  à 
l'ame  en  cette  notice,  qu'elle  ne  fait  rien  &  qu'el- 
le n'eft  occupée  à  rien,  d'autant  qu'elle  n'opère 
pas  avec  les  fens  ;  qu'elle  ne  croye  pas  néanmoins 
perdre  le  tems  &  être  inutile.  Car  encore  que 
l'harmonie  chs  puifTances  de  l'ame  ceffe  ,  toute- 
fois fon  intelligence  demeure  de  la  manière  que 
nous  avons  dit.  C'eft  pourquoi  l'Epoufe  qui  étoit 
fage  fe  répondit  à  elle-même  fur  ce  doute  ,  di- 
fiint  :  Qjuoique  je  dorme  en  ce  que  je  ceffe  natu- 

C4 


40  Justification. 

reJlement  d'opérer;  {a)  mon  cœur  veille  furna- 
turellement ,  élevé  en  notice  furnaturelle.  Là- 
même, 

4.  En  ces  commencemens,  quand  nous  ver- 
rons par  les  chofes  fufdites  ,  que  Tame  ne  fera  pas 
employée  en  ce  repos  ou  notice  ,  il  faudra  fe  fer- 
vir  du  difcours  ,  jufqu'à-ce  qu'on  ait  acquis  l'ha- 
bitude que  nous  avons  dit  en  quelque  manière 
parfaite;  qui  fera  que  lorfqu'ils  voudront  médi- 
ter, ils  demeureront  en  cette  connoiffance  de 
paix  fans  pouvoir  méditer,  ni  même  en  avoir  en- 
vie. —  De  forte  que  fouvent  Tame  fe  trouvera 
en  cette  amoureufe  &  paifible  affiflance ,  fans 
rien  opérer  avec  les  puiffances,  comme  il  a  été 
dit;  6i  elle  aura  fouvent  befoin  de  s'aider  douce- 
ment &  modérément  du  difcours  pour  s'y  met- 
tre :  laquelle  étant  acquife  ,  Tame  ne  difcourt  & 
ne  travaille  plus  avec  les  puiffances  :  car  alors 
on  peut  plutôt  véritablement  dire  ,  que  l'intelli- 
gence &  faveur  font  produites  en  elle ,  que  non 
pas  qu'elle  falTe  quelque  chofe ,  cette  ame  n'ayant 
rien  à  faire ,  finon  d'être  attentive  à  Dieu  avec 
amour.   Là-même.  Chap,  15. 

5.  Vous  me  direz  que  la  volonté,  fi  l'enten- 
dement n'entend  diftinclement ,  fera  au  moins 
oifive,  &  n'aimera  pas,  d'autant  qu'on  ne  peut 
aimer  que  ce  qu'on  entend.  J'avoue  &  accorde 
cela,  principalement  aux  opérations  &  aéles  na- 
turels de  l'ame  ,  que  la  volonté  n'aime  que  ce 
que  Tentendement  connoît  diftindement.  Mais 
durant  fe  tems  que  dure  la  contemplation  dont 
nous  parlons  ,  laquelle  Dieu  communique  à  l'ame, 
il  n'eft  pas  néceffaire  qu'il  y  ait  aucune  notice 
diftinde ,  ni  que  l'ame  faflfe  plufieurs  difcours  ; 
parce  qu'alors  Dieu  lui  communique  une  notice 

ia)  Cant.  5.  v.  2. 


XM.  Oifivetc.  4-7.  4r 

ainoiircnfc ,  qui  cil  coujointcinciit  rommr  niic 
Inniicre  ardente  fans  (iillinction  ,  (S:  alors  fclon  la 
manière  qu'cft  1  intelîii^cncc  ,  raniour  cil  auHi  eu 
la  x'olonté  :  Car  coinmc  la  connoidance  eft  gé- 
nérale &  obfcurc  ,  rentendcmcnt  ne  pouvant  con- 
uoître  (lidinélenient  ce  qu'il  cntentï ,  la  volonté 
aimcaulfi  en  général  fans  aucune  diftinclion  :  car 
attendu  que  Dieu,  en  cette  communication  déli- 
cate, eft  amour  6c  lumière,  il  informe  enraiement 
ces  deu\  puilfances,  encore  que  par  lois  il  frap- 
pe plus  en  Tune  qu'en  Tautre;  &  ainli  quelque- 
fois on  fent  j)lus  d'intelligence  que  d'amour  ,  d'au- 
tres fois  plus  d'amour  que  d'intelligence.  C'cft 
pourquoi  il  n'y  a  point  de  fujet  de  craindre  ni 
d'appréhender  l'oifivxté  de  la  volonté  en  cet  état: 
car  il  elle  celle  de  faire  des  actes  dirigés  par  des 
notices  particulières ,  en  tant  qu'elles  provenoient 
de  fon  côté,  Dieu  l'enivre  d'amour  infus  par  le 
moyen  de  la  notice  de  contemplation  ,  ainfi  que 
nous  venons  de  dire;  &  les  actes  qui  fe  font  fé- 
lon cette  contemj)lation  infufe  ,  font  d'autant  plus 
cxcellens  ,  plus  méritoires  &  plus  favoureux  ,  que 
le  moteur  qui  xerfe  cet  Amour,  eft  meilleur.  Vive 
jlamme  cf  Amour.  Cantiq,  3.  v.    3.  §.  10. 

6.  II  ne  faut  pas  craindre,  quoique  la  mémoire 
doive  être  vide  de  fes  formes  &  figures;  car  puif- 
que  Dieu  n'a  ni  forme  ni  figure ,  elle  va  fùrement 
étant  vide  de  formes  &  de  figures ,  &  s'approche 
plus  près  de  Dieu  :  car  tant  plus  elle  s'appuyera 
fur  l'imagination,  tant  plus  elle  s'éloignera  de 
Dieu,  &  fera  plus  en  péril;  vu  que  Dieu  étant 
au-deflfus  de  nos  penfées,  il  ne  tombe  point  en 
l'imagmation.   Là-même.  §.   11. 

Le  P.  Nicolas  de  Jésus-Maria  rapporte- 

7.  Rusbrochc  Ç  parlant  de  la  faujjc  oijivctc  des  IIlu- 


42        'Justification. 

minés  :  )  Avant  que   de  pader  outre,  il  efl  bort 
de  faire  ici  mention  de  certaines  gens,  lefquel^ 
encore  qu'ils  femblent  bons  à  Textérieur ,  fi  eft-cc 
qu'ils  mènent  une  vie  contraire   à  toute  vertu. 
—  Car  tous  ceux  qui  vivent  fans  la  charité  fur- 
naturelle,   {a)  étant   recourbés  &  réfléchis   fur 
eux-mêmes,  cherchent  le  repos  dans  les   chofes 
extérieures;  d'autant  que  toutes  les  créatures  na- 
turellement défirent  le  repos.  —  Mais  qu'on  pren- 
ne garde,  je  vous  prie,  comment  on  s'adonne 
à  ce  repos  naturel.   Ceux  qui  s'y  attachent  stn 
vont  à  l'écart ,  demeurant  oififs  fans  aucun  exer- 
cice extérieur  ni  intérieur,   afin  de  jouir  du  re- 
pos fouhaité,  &  de  n'être  point  troublés  ni  em- 
pêchés d'ailleurs.  Mais  de  s'adonner  de  la  forte  à 
ce  repos  ,  n'eft  ni  bon ,  ni  licite  :  car  cela  caufe  en 
l'homme  un  certain  aveuglement  &   une  igno<^ 
rance  de  toutes  chofes  ,  &  fait  que  l'homme  fc 
repofe  en   foi-même   tout  parefTeux  &  noncha- 
lant; &  ce  repos  n'eft  autre  chofe   qu'une  lâche 
oifiveté,  à  laquelle  s'adonnent  tellement  ceux  de 
qui  nous  parlons ,  que  pour  toute  adion    ils  fc 
plongent  dans  un  oubli  de  Dieu ,  d'eux-mêmes  & 
de  toutes  chofes.   Ce  repos  donc  eft  contraire  [b) 
à  cette  quiétude  furnaturelle  qu'on  pofTéde  en 
Dieu ,  puifque  celle-ci  eft  une  amoureufe  liqué- 
fadion  de  l'efprit,  jointe  à  un  fimple  regard  vers 
la  clarté  incompréhenfible,  —  Ceux-là  donc  fc 

{ci)  Jl  eft  aifé  de  voir  combien  les  Ecrits  que  Dieu  m'a 
fait  faire ,  font  différens  de  cela  ;  puifqu'on  tâche  de  ban- 
nir toute  propre  recherche  &  propre  réflexion  par  l'ou- 
bli de  foi -même;  &  loin  de  chercher  le  repos  dans  les 
chofes  extérieures,  on  s'éloigne  même  des  chofes  inté- 
rieures pour  ne  trouver  de  repos  qu'en  Dieu  feul. 

(è;  Différence  de  la  fauiTe  &  de  Is  vraie  oifiveté. 


XLI.  Oifivetê.  7-\o.  45 

trompent  braïuonp,  cjiii  s^aimnni  &  fc  rcclicr- 
chant  eiix-nicmcs,  s'alloicnt  inollcnicnt  dans  ce 
repos  naturel  ,  ik  ne  cherchant  point  Uicii  par 
leur  défir,  ils  ne  le  tronvent  jamais  par  un  amour 
jouifTant.  {  Des  J'cpt  Gardes  ,  ('//.  76.  )  h'Jairc.  lùy 
Fhrajh  de  J.  de  la  Croix,  l'art.  I.  Cliap.  X.  §.  z. 

Le  P.   Jaques   de    Jksus    rapporte 

8.  l'Ahbé  Gilbert.  Dans  le  loilh*  ,  Tatlection  fc 
déployé  ,  &  on  n'y  fait  pas  peu.  Il  arri\'c  quand 
nous  fommes  dans  ce  loifir  ,  que  nous  fcntons 
le  trait  de  famour  divin  bien  plu-  pénétrant.  Le 
foin  enveloppe  Tefprit ,  le  repos  le  dévelop[)C. 
(  Serm.  l.Jur  le  Cantiqiit.  ]  Notes  fur  J.  de  la  Croix ^ 
Difc.    I.  Phrafc  2. 

Le  P.  Benoit    de    Canfeld. 

9.  C'eft  ici  la  bonne  oifiveté  ,  où  eft  JYprcu- 
ve  de  la  fidélité,  &  où  Tame  efl  conftituée  en  la 
vraie  pureté  &  patience  d'efprit,  comme  auffi  en 
]a  parfaite  réfignation  ;  c'eft  ici  où  eft  le  dernier 
cpuifement  de  tout  ce  qui  ell  hum.ain  dans 
rhomme  ;  c'efl:  ici  où  fc  trouve  la  totale  mort  & 
la  pleine  \'id:oire,  &  où  l'on  rend  l'efprit  à  Dieu; 
&  par  conféquent  où  l'homrae  eft  rendu  div^in: 
d'autant  que  par  une  telle  confiance  &  une  telle 
mort ,  Dieu  vit  &  règne  en  Tame  ,  y  opérant  tou- 
tes fes  œuvres.  Règle  de  laperf.  Part.  111.  Ch.  14. 

Le  Fr.  Jean  de  S.  Samson. 

10.  Il  n'y  a  que  le  vrai  mourant ,  ou  le  vrai 
mort,  qui  puiffe  foutenir  le  vrai  repos  ,  [  qui  eft 
l'effet  du  regard  divin  ]  en  vraie  &  fainte  oifiveté; 
à  laquelle  feule  convient  éternellement  mourir 
en  fon  objet.  L'ame  qui  eft  en  cet  état  de  fainte 
oifiveté  peut  feule,  &  non  autrement  que  parfit 
fidélité  à  mourir  ,  foutenir  Teftort  très-doulou- 
reux &  prefque  infupportable  de  ce  repos  hors  de 
loi  3  où  elle  va  fuiyaat  à  tel^  frais  le  regard  qui 


44  Justification. 

fccrettcment  l'attire  à  foi.  Si  bien  qu'à  mefure 
que  l'ame  fe  confomme  par  les  morts  myftiques, 
qui  femblent  devoir  fupprimer  toute  la  vie  de  la 
nature  ;  le  pur  efprit,  ou  pour  mieux  dire  ,  tout 
le  fond  où  toute  Tame  eft  réduite ,  reçoit  nouvel- 
les conftitutions  &  nouvelle  force  &  vigueur. 
Cabinet  Myjliquc ,  Part,  L    Chap.  2. 

Monf.      O   L   I   E    R. 

II.  Il  prouve  admirablement  dans  la  Lettre 
12^  ,  que  le  calme  &  le  filence ,  où  Dieu  tient 
quelquefois  les  âmes  ,  n'eft  pas  une  oifiveté  ,  mais 
une  grande  grâce.  Je  ne  la  rapporte  pas  pour  être 
trop  longue. 


XL  IL  Opérations  de  Dieu  en  Vame. 

Les  Opérations  de  Dieu  fe  font 
dans  famé  d'une  manière  inconnue. 

Cda  a  été  vu  en  tant  d'endroits ,  quHl  en  faut 

dire  peu. 

MOYEN    COURT. 

JLIiRu  purifie  tellement  Pâme  de  toutes 
opérations  propres ,  diftinéles  ,  apperçues 
&  multipliées  ,  qui  font  une  diflemblance 
îrès-grande  ,  qu'enfin  il  fe  la  rend  peu-à- 
^eu  conforme  &  puis  uniforme  ,  relevant 
a  capacité  paflive  de  la  créature  ^  Télargif- 


i 


X  T.  1  T.    Opêratiofts  de  Dieu.  45 

fant  &  rcnnoblidluit  ,  quoique  d'une  ma- 
nière cachée  &  inconnue  ;  cV(l  pourquoi 
on  rappelle  n^yllique.  Ch.  14.  n.  8. 

CANTIQUE. 

AlA  noirceur  apparente  cache  la  gran- 
deur des  opérations  de  Dieu  dans  mon  amc, 
Ch.    I.  V.  4. 

UEpoux  facré  eft  toujours  dans  le  cen- 
tre de  Tame  qui  lui  cil  fidelle  :  mais  il  y 
demeure  fi  caché  ,  que  celle  qui  pofTéde  ce 
bonheur,  l'ignore  prefque  toujours;  excep- 
té certains  momens  où  il  lui  plait  de  fe  faire 
fentir  à  l'ame  amoureufe  ,  qui  pour  lors  le 
découvre  en  foi  d'une  manière  intime  & 
profonde.  Il  en  ufe  à  préfent  de  la  forte 
avec  la  plus  pure  de  fes  Amantes  ,  ainfi 
que  le  témoigne  ce  qu'elle  va  dire.  Lorf- 
que  mon  Roi  ,  celui  qui  me  gouverne  & 
me  conduit  en  fouverain  ,  Ji  repofoit  dans 
fon  Ut ,  qui  eft  le  fond  &  le  centre  de 
mon  ame  ,  où  il  prend  fon  repos  ;  mon 
nard ,  qui  eft  ma  fidélité  ,  a  répandu  fon 
odeur  d'une  manière  fi  douce  &  fi  agréa- 
ble ,  qu'il  Ta  obligé  de  fe  faire  connoitre  à 
moi  :  alors  j'ai  reconnu  qu'il  fe  repofoit  en 
moi  5  comme  dans  fon  lit  Royal  ;  ce  que 
j'avois  ignoré  auparavant  ;  car  quoiqu'il  y 
fût,  je  ne  Ty  appcrcevois  pas.  La ^ même. 
▼.  Il, 


46  Justification. 

Cette  Amante  ne  fait  pas  que  fon  regard 
eit  devenu  fi  épuré  ,  qu'étant  toujours  dU 
retft  &  fans  réflexion  ,  elle  ne  connoît  pas 
fon  regard  ,  &  ne  s'apperçoit  point ,  qu^elle 
iiecelTë  point  de  voir.  De  plus  ,  dès  qu'on 
ne  peut  plus  le  voir  ,  &  qu'on  s'oublie  foi- 
même  ,  auffi-bien  que  toutes  les  créatures  , 
il  eft  néceflaire  qu'on  regarde  Dieu.  Ch*  4. 
V.  9. 

Comme  Técorce  eft  la  moindre  partie  de 
la  grenade  ,  qui  renferme  en  foi  toute  fa 
bonté  ;  auiîi  ce  qui  paroît  extérieurement 
de  l'ame  de  ce  degré ,  eft  très-peu  de  chofc 
au  prix  de  ce  qui  eft  caché.  Ch.  6.  v.  6. 


.T 


AUTORITÉS, 

Henri     Suso. 


ANDis  que  rhomme  connoît  ou  fent  fon 
union  avec  Dieu,  ou  quelque  chofe  d'appro- 
chant dont  il  peut  parler  ,  il  peut  entrer  encore 
plus  avant.  Dialog.  de  la  Vérité.  Ch,  S. 

2.  Voyez  Anéantijfement.  n.  ^. 

3.  Voyez  Acies,  n.  i. 

4.  L'efprit  créé  eft  faifi  par  refprit  fureflenticl 
de  Dieu  5  &  enlevé  où  il  ne  pourroit  jamais  par- 
venir par  lui-même.  Dans  cet  enlèvement  il  perd 
toute  image ,  toute  forme  &  toute  multiplicité  , 
&  eft  conduit  dans  l'ignorance  de  foi-même  & 
de  toute  chofe  ;  enforte  qu'il  ne  fe  voit  plus  lui- 
même  ni  les  autres  chofes  hors  de  Dieu,  &  qu'il 
eft  abforbé  par  une  fimple  perte  avec  les  trois 


XÎJI.  opérations  de  Dieu.  1--9.  47 
facrccs  Pcrfouncs  (];ii)s  J':îbînic  de  la  Diviniu*  :  là 
il  trouve  fa  bcatitudc  fclon  la  vt'-ritc  fiipreme. 
Liï  -  mcnic.    Chap.    2  i . 

Stc.    Catherine    de    Gènes. 

5.  Voyez  Ancantijycmcnt.   n.   15. 

6.  Si  ces  créatures,  qi,ii  font  rares  au  monde, 
^toicnt  connues  ,  elles  feroicnt  adorées  :  mais 
Dieu  Jes  tient  inconnues  &  cachées  à  elles-mc- 
mes  &  aux  autres,  jufqu'à  l'heure  de  la  mort, 
qui  efl  le  tems  où  Ton  connoît  le  vrai  d'avec  le 
faux.    Dialogues  Livr,  3.  Ckap,    11. 

Ste.    Thérèse. 

7.  L'ame  n'entend  point  comment ,  ni  par  où 
entre  ce  bien  qu'elle  voudroit  ne  point  perdre.  — 

Or  ici  lui  font  communiquées  de  grandes  vé- 
rités ;  parce  que  cette  lumière  eft  telle  qu'elle 
1  éblouit  5  en  forte  qu'elle  l'empêche  de  connoî- 
tre  ce  que  c'eft.  — 

Car  comme  un  enfant  ne  fait  point  comme  il 
croît,  ni  comme  il  tête,  vu  miême  que  fans  qu'il 
cherche  la  mamelle  ,  &  fans  qu'il  fafTe  aucune 
chofe ,  on  lui  met  fouvent  le  teti'n  dans  la  bou- 
che :  de  même  en  arrive-t-il  ici  à  Tame;  car  elle 
ne  fait  du  tout  fi  elle  fait  aucune  chofe  ,  &  ne 
fait  comment,  ni  par  où,  ni  ne  peut  entendre 
d'où  lui  eft  venu  ce  grand  bien.  Conceptions  de 
t Amour  de  Dieu.   Ch.  4. 

Le  B.  Jean  de  la  Croix. 

8.  II  faut  favoir  que  cette  connoiflfance  géné- 
rale dont  nous  parlons,  eft  par  fois  fi  fubtile  & 
fi  délicate  ,  principalement  quand  elle  eft  plus 
pure  ,  plus  fimple,  plus  parfaite  ,  plus  fpirituelle 
&  intérieure  ,  que  l'ame  encore  qu'elle  y  foit 
employée,  ne  l'apperçoit  &  ne  la  fent  pas.  Mon- 
tée du  Alont  Carm.  Livr.  2.   Chap.    14. 

9.  Cette  ame  ne  s'entremettra  gueres  des,.cho- 


48        Justification. 

fes  d'autrui;  car  même  elle  ne  fe  fouvient  point 
des  Tiennes  :  &  l'Efprit  de  Dieu  a  cette  proprié- 
té en  Tamc  où  il  demeure  ,  qu'auffitôt  il  l'incli- 
ne à  ne  vouloir  favoir  les  chofes  d'autrui ,  il  les 
lui  fait  oublier  toutes,  principalement  celles  qui 
ne  font  pas  pour  fon  profit,  parce  que  l'Efprit 
de  Dieu  eft  recueilli ,  &  ne  fort  aux  chofes  d'au- 
trui;  &  ainfi  l'ame  demeure  en  une  ignorance  de 
tout.  Ce  n'effc  pas  à  dire  qu'elle  perde  l'habitude 
des  fcienccs,  &  totalement  les  notices  des  cho- 
ies qu'elle favoit  auparavant,  bien  qu'elle  demeu- 
re en  ce  non-favoir;  mais  c'eft  qu'elle  perd  l'aéte 
&  la  mémoire  de  toutes  les  chofes  dans  ces  ab- 
forbemens  d'amour.  Cantique  entre  tEponfe  ^ 
ï Epoux.    CoupL   i8. 

Le  p.  Nicolas    de  Jésus  Maria  rapporte 

10.  D,  Barthelémi  des  Martyrs.  Ils  deviennent 
femblables  à  un  enfant ,  qui  embraffe  fa  mère  & 
fuce  la  mamelle  ,  lequel  le  plus  fouvent  ne  voit 
&  n'entend  rien ,  ou  au  moins  ne  juge  pas  qu'il 
voit  &  entend.  (Jbregcfpirit.  Chap,  13.  §.  13.) 
Fxdairdjf.  des  Phraf,  Myji.  de  J.  de  la  Croix.  P.  IL 
Chap.  4.   §.  2. 

11.  St.  Thomas  fur  S.  Denis.  Il  y  a  une  très-par- 
faite connoiffance  de  Dieu  par  éloignement,  c'eft 
à  favoir,  en  ce  que  nous  connoiflfons  Dieu  par 
ignorance  par  une  certaine  union  au-defiiis  de  la 
nature  de  l'efprit;  à  favoir  quand  notre  efprit  fe 
retirant  de  toutes  les  autres  chofes ,  &  après  auflî 
fe  laiffant  foi-même ,  eft  uni  aux  rayons  furrelui- 
fans  de  la  Divinité ,  à  favoir  en  ce  qu'il  connoît 
que  Dieu  eft  non  feulement  au-deffus  de  toutes 
chofes  qui  font  au-deffous  de  lui ,  mais  aufli ,  au- 
deffus  de  lui  &  fur  toutes  chofes  qui  peuvent  être 
comprifes  de  lui.  Là-mêmf. 

1%.  Sua- 


XLII.   OpcratioJis  de  Dieu.  9- 17.        49 

lî.  Suarcz,  Aiiifi  cette  ignorance  de  Dieu, 
de  laquelle  parle  S.  Denis,  n*e(l  pas  une  ignoran- 
ce de  privation,  ou  de  niauvaife  dilpofition  :  car 
ainii  ignorer  Dieu  ,  c*e(l  une  trcs-grande  impcr- 
fec^lion  :  mais  par  rignorance  il  entend  une  cer- 
taine connoillancc  de  Dieu  ,  par  lacjuelle  on  con- 
iioît  plutôt,  ce  que  Dieu  n'eft  pas,  {|ue  ce  qu'il 
ell  ;  &  pour  cela  on  l'appelle  ignorance.  (  Tum,  2. 
de  Relit;,  L  2.  de  Orat.  cap,  12.  n.  20.  )  Là-mèmc. 

13.  6'  Bernard,  Voyez  Entendre,  n.    31. 

14.  S,  Bonaventure,   Voyez  Là-même.  n.  32. 

15.  Hugues  de  S,  ViSlor.  Ils  n^  favent  où  ils  fè 
voyent  être  ,  &  trouvent  au-dedans  quelque  cho- 
f e ,  comme  parles  embrafTemens  d'amour,  &  ils 
ignorent  ce  que  c'eft,  &  néanmoins  ils  défirent 
de  le  tenir  de  toutes  leurs  forces.  Là-même. 

Le  Fr,  Jean  de  S.  Samson. 

16.  Le  meilleur  pour  l'homme  eil ,  d'ignorer 
en  cette  vie  en  quel  degré  de  grâce  &  de  charité 
il  eft,  &  même  d'ignorer  du  tout  s'il  eft  agréa- 
ble à  Dieu.  Efprit  de  Carmel.    Chap.  9.  §.    17. 

17.  La  fiiinteté   dt?>  Saints  eft   inconnue   aux 
hommes,  leur  vie  eft  connue  à  Dieufeul  6c  aux 
citoyens  céleftes.  Toutefois  elle  n'eft  pas  entiè- 
rement inconnue  aux  Diables ,  &  ils  crai^:nent 
beaucoup  de  les  aborder.  Leur  vie  eft  fans  mira- 
cles ,  n'y  ayant  pas  de  plus  grand  miracle  que  leur 
continuelle  fainteté ,  par  la  force  6c  vertu  de  la- 
quelle ils  demeurent  fixes  &  arrêtés  immobile- 
ment  en  Dieu  ,  par-defliis  toute  vertu.  De  forte 
que  celui  qui  voudroit  préfum.cr  de  les  toucher, 
fe  tromperoit grandement::  on  toucheroit  auffitôt 
Dieu,  pour  ainfi  dire,  en  fabime  duquel  ils  font 
entièrement  abforbés  <k  engloutis.  Ils  ne  font  pas 
pourtant  infenfibles ,  à  caufe  de  leur  pur  amour 
de  Dieu  ,  dans  lequel  &  pour  lequel  ils  combat- 

Tome  IL  Jujiif,  D 


go  J  U  s  T  I  F  I  C  A  T  I  O  K. 

tcnt  &  rcfiflent  virilement  aux  affauts  que  les 
Diables  &  les  hommes  leur  livrent  continuelle- 
ment. Plufieurs  même  qui  paroiffcnt  juftes  en  pu- 
blic, en  jugent  bien  mal,  pour  ne  favoir  pas  quelle 
cft  leur  vie,  &  en  quoi  elle  confifte,  quelle  eft 
leur  fuprême  renonciation  &  où  elle  réfide.  Dieu 
le  permettant  ainfi  pour  le  plus  grand  bien  de  fes 
amis.  Aufli  apportent-ils  en  un  jour  plus  de  pro- 
fit à  l'Eglife  par  leur  parfaite  &  continuelle  union 
à  Dieu,  que  les  autres  ne  font  en  plulieurs  an- 
nées.   Cabinet  Myjï.  Part,  2.  Ch.  4.  n.  5. 

18.  Voyez  Saints  inconnus,  n.  7. 

19.  A  regard  de  vos  vrais  Amoureux,  qui 
fe  font  perdus  entièrement  &  fans  reffourcc 
à  eux-mêmes,  on  ne  peut  en  rien  dire  :  on  ne 
les  voit  point,  on  ne  les  connoît  point;  on  igno- 
re leur  demeure;  on  ne  fait  quels  font  leurs  plai- 
firs  &  les  délices  où  ils  fe  repofent  au  midi.  De- 
forte  qu'étant  inconnus,  ils  font  fort  fouvent, 
&  même  pour  l'ordinaire,  perfécutés  des  hom- 
mes ,  même  des  meilleurs  &  plus  faints  ;  à  quoi 
ils  prennent  très-grand  plaifir  de  fe  foumettre, 
pour  fe  rendre  en  cela  femblables  à  leur  bien-ai- 
mé  Sauveur.  Car  puifque  pour  leur  amour  vous 
avez  été  perfécuté  de  vos  propres  enfans ,  com- 
me fi  vous  euffiez  été  l'ennemi  de  tout  le  genre 
humain,  n'eft-ce  pas  grand  honneur  au  difciple 
d'être  traité  comme  fon  Maître?  Contemplât.  16. 

20.  Les  faints  hommes  mêmes  cherchent  af- 
fez  fQuvent  ces  perfonnes  ici  &  ne  les  peuvent 
atteindre ,  vu  la  difiérence  de  l'état  &  conftitutioii 
des  uns  &  des  autres.  Cela  fait  que  très-fouvent 
ils  les  perfécutent  &  les  calomnient  outrageufe- 
ment,  comme  gens  oifeux,   inconnus,  dont  la 

'  vie  ne  vaut  rien  félon  leur  jugement.  Ainfi  les 
doigts  de  ces  Amis  de  Dieu  inconnus  diRillent 


XLII.  Opérations  de  Dieu.  17-22.        sr 

fonvent  la  inyrrc  trcs-épronvce.  Car  ils  ne  font 
j)js  inrciîiiblos  comme  la  [Mcrrc  (Se  le  bron/c  ,  ni 
(le  nature  impallible  comme  les  Anges.  —  J'a- 
joute néanmoins  que,  comme  ils  font  ITiumi- 
Jité  même,  ralilic'tion  telle  qu'elle  foit,  ne  les 
fait  jamais  fortir  ,  d'autant  (lu'ellene  les  peut  ren- 
contrer ,  nV  ayant  que  Dieu  vivant  en  eux  qui  (a) 
foutlre  cSc  enduro  toutes  chofes  en  eux  pour  ainfi 
dire,  à  quoi  ils  lui  fervent  d'inflrument  éternel. 
Contemplât.  38. 

21.  Comme  ces  pcrfonnes  font  fi  rares  entre 
les  hommes,  ce  n'eft  pas  merveille  fi  on  n'en  fait 
pas  état  ,  vu  qu'il  ell  impoHible  d'exalter,  & 
même  de  beaucoup  aimer  ce  qu'on  ne  connoît 
point.  Ouc  l\  ces  âmes  excellentes  font  maltraN 
tées  parles  meilleurs  moraux,  que  ne  doivent- 
elles  point  fouftrir  de  la  part  des  libertins  ?  Sans 
doute  il  faut  fe  réfoudre  à  être  vivement  perfé- 
cutc  d'eux.  De  Ceifuftoîi  de  L'homme  hors  de  Dieu. 
Traite  J.  n.    14. 

22.  Celui  qui  étant  pafTé  au  total  de  Dieu  , 
femble  n'avoir  rien  d'une  telle  fainteté  ,  eft  d'au- 
tant plus  merveilleux,  que  fa  condition  eft  infi- 
niment élevée  au-delà  de  la  région  élémentaire. 
Sa  clarté  reluit  merveilleufement  pour  l'édifica* 
tion  des  prochains ,  en  toutes  fes  avions ,  paro- 
les ,  geftes  8^  fentimens  ;  tout  cela  manifeftant 
alfez  à  clair  l'Efprit  de  Dieu,  à  quiconque  eft  dif- 
pofé  par  vertu  pour  envifager  cet  état  ;  lequel 
Efprit  de  Dieu  remplit  ces  âmes  fuavement,  les 
domine  fortement,  les  échauffe  vivement,  &  les 
illumine  excellemment.  Toutefois  je  fais  bien  de 

{a)  C*eft  porter  Jéfus-Chrift  dans  fes  états.  (  Moyen 
courte  Ch.  g.  n.  i.)  J'en  ai  écrit  en  bien  des  endroits. 
(  Voyez  les  Explications  fur  ^ombr.  Chap.  20.  v.  7-"9. 
I.  Cor,  4.  V.  10.  Gai  6.  v.  17.  PhiL  i.  v.  ig,  20,  21,  &c.) 

D  2, 


SZ  JUSTiriCATIOîT- 

quoi  je  me  dois  phiindre ,  encore  que  je  ne  fachc 
pas  de  qui  ;  —  à  peine  ai-je  jamais  connu  ,  ou  con- 
roîtrai-je  quelqu'un  à  Tavenir,  qui  demeure  fer- 
me &  généreux  dans  les  ennuis  de  la  nature  au 
tems  même  de  rextrémité  :  —  à  la  moindre  & 
première  rencontre  de  femblablcs  ennuis  ,  Tame 
vaincue  defcend  de  cette  croix  ,  allant  fe  confo- 
]er  par  les  fens.  Cette  vérité  condamne  de  foi- 
blefre  certains  fpirituels  ,  qui  ne  fauroient  ago- 
iiifer  en  amour  nud  dans  les  ennuis  de  la  nature  , 
s'ils  font  de  quelque  durée.  Là-même,  n,  70,  71. 

23.  La  vraie  ik  perdue  fainteté  eft  pur  efprit. 
Elle  confifte  dans  le  pur  &  éminent  amour,  hau- 
tement &  éternellement  renoncé  ;  &  les  fpirituels 
qui  font  au-deiïbus  de  cet  état  d'éminence  n'y 
connoiffent  rien ,  à  raifon  de  l'extrême  diftancc 
qu'il  Y  a  dts  uns  aux  autres.  Ces  Saints  incon- 
nus ,  comme  ils  font,  n'ont  qu'à  aller  leur  che- 
min par  leur  défert  folitaire  &  fcabreux  en  efprit; 
mourant  très-nuement  à  tous  les  dons  de  Dieu, 
&  faifant  toujours  chemin  au-delà  de  tout  cela.  — 
Il  n'importe  nullement  fj  les  hommes  les  con- 
noiffent ou  non  :  au  contraire ,  cette  forte  de  fain- 
teté étant  inconnue ,  eft  dès  là  même  très-affu- 
rée.  Là-même.  n.  73. 

24.  Leur  humilité  eft  ici  en  fon  propre  domi- 
cile ,  félon  toute  fon  étendue  au-dehors  ,  autant 
qu'il  le  faut;  &  au-dedans  elle  eft  auffi  dans  fon 
centre  &  dans  fa  propre  fortereiTe ,  fans  que  per- 
fonne,  par  manière  de  dire,  que  Dieu  &  eux,  la 
connoiffent  :  au  contraire ,  il  fe  peut  faire  que  cer- 
tains les  eftiment  fuperbes,  fans  raifon  nifujet, 
prenant  leur  bonne  hberté  d'efprit  pour  la  même 
fuperbe  ;  l'aveuglement  defquels  les  empêche  de 
mieux  juger.  La  mort  des  Saints  ^  tic.  Chap.  3.  n.  7. 


X  L 1 1 1.   Opcnitiniï!:  propres.  5  ? 


X  L 1 1 1 .   Ope  rations  propres. 

Ceci  a  tant  de  rapport  aux  Acîes  que  c'efl 
prcfquc  la  mcme  chofe. 

MOYEN     COURT. 

Il  faut  fe  contenter  de  dire  ,  que  c'cft 
alors  qu'il  eft  de  grande  conféquencc  de 
faire  cefler  Taélion  &  l'opération  propre 
pour  lailfer  agir  Dieu.  —  Mais  la  créature 
e(l  fi  amoureufe  de  ce  qu'elle  fait ,  qu'elle 
croit  ne  rien  faire  fi  elle  ne  fent ,  connoît  & 
dillingue  fon  opération.  Elle  ne  voit  pas 
que  c'efl  la  vîtefîe  de  fa  courfe  qui  l'empê- 
che de  voir  fes  démarches  ,  &  que  l'opéra- 
tion de  Dieu  devenant  plus  abondante  ,  ab- 
forbe  celle  de  la  créature  ,  comme  on  voit 
que  le  foleil ,  à  mefure  qu'il  s'élève ,  abforbe 
peu-c\-peu  toute  la  lumière  des  étoiles  ,  qui 
fe  diftinguoient  très-bien  avant  qu'il  parût. 
Ce  n'eft  point  le  défaut  de  lumière  qui  fait 
que  l'on  ne  diftingue  plus  les  étoiles  ,  mais 
Texcès  de  lumière. 

Il  en  eft  de  même  ici.  La  créature  ne  dif- 
tingue plus  fon  opération  ^  parce  qu'une 
lumière  forte  &  générale  abforbe  toutes  fes 
petites  lumières  diftinéles  ^  &  les  fait  en- 

D  z 


54  Justification.' 

tierement  défaillir  à  caufe  que  fon  excès  les 
furpafTe  toutes. — 

Je  dis  donc  que  cette  défaillance  d'opérer 
ne  vient  point  de  difette^  mais  d'abondan- 
ce ,  comme  la  perfonne  qui  en  fera  l'expé- 
rience le  didinguera  bien.  Elle  connoîtra 
que  ce  n'eft  pas  un  filence  infruétueux  , 
caufé  par  la  difette  ,  mais  un  filence  plein 
&  onâueux  caufé  par  l'abondance. 

Deux  fortes  de  perfonnes  fe  taifent  ;  l'u- 
ne pour  n'avoir  rien  à  dire^  &  l'autre  pour 
en  avoir  trop.  11  en  eft  de  même  en  ce  de- 
gré 5  on  fe  tait  par  excès  ,  &  non  par 
défaut. 

L'eau  caufe  la  mort  à  deux  perfonnes 
bien  différemment  :  l'une  fe  meurt  de  foif ; 
&  l'autre  fe  noie  :  l'une  meurt  par  la  difette, 
&  l'autre  par  l'abondance.  C'eft  ici  l'abon- 
dance qui  fait  cefTer  les  opérations.  Il  eft 
donc  bien  de  conféquence  de  demeurer  le 
plus  en  filence  que  l'on  peut. 

Un  petit  {a)  enfant  attaché  à  la  mamelle 
de  fa  nourrice  nous  le  montre  fenfiblement. 
Il  commence  à  remuer  fes  petites  lèvres 
pour  faire  venir  le  lait  ;  mais  lorfque  le  lait 

[û]  Il  me  femble   que  le   B.  Jean    de   la    Croix  fe 

.  fert  de   cette   comparaifon  :  je   crois  Tavoir   écrit    plus 

haut  [Voyez    Oraifon.  §.  IL   n.   17.  &  S.   François  de 

Sales  là-méme,   n.  2^  Comme  aufli  Ste.  Théréfe  c'udef^ 

Jus.  n.   xj.  Opérations  de  Dieu,  n.  7.  j 


XI II.    Opcratlons  propres.  ^5 

vient  avec  abondance  ,  il  fc  contente  de  Ta^ 
valer  fans  Faire  nul  mouvement  :  s'il  en  fai- 
foit,  il  fe  nuiroit ,  &  feroit  répandre  le  lait» 
&  il  feroit  obligé  de  quitter. 

Il  faut  de  même  au  commencement  de 
Foraifon  remuer  d'abord  les  lèvres  de  Taf. 
fecftion  :  mais  lorfque  le  lait  de  la  graCc 
coule 5  il  n'y  a  rien  à  faire  que  de  demeu- 
rer en  repos  ,  avalant  doucement  ;  &  lorf- 
que ce  lait  cefTe  de  venir  ,  remuer  un  peu 
l'artedion  ,  comme  l'enfant  fait  la  lèvre. 
Qui  feroit  autrement  ne  pourroit  profiter 
de  cette  grâce  ,  qui  fc  donne  ici  pour  atti- 
rer au  repos  de  l'amour  ,  &  non  pour  exci- 
ter au  mouvement  de  la  propre  multipli- 
cité. 

Qu'arrive -t- il  à  cet  enfant  qui  avale 
doucement  le  lait  en  paix  fans  fe  mou- 
voir ?  Qui  pourroit  croire  qu'il  fe  nour- 
rit de  la  forte  ?  Cependant  plus  il  tête 
en  paix  ,  plus  le  lait  lui  profite.  Qu'arrive- 
t-il,  dis -je,  à  CGt  enfant?  C'eft  qu'il 
s'endort  fur  le  fein  de  fa  mère  :  cette  ame 
paifible  à  l'oraifon  s'endort  fouvent  du  fom- 
meil  myftique  ,  où  toutes  les  puifTances  fe 
taifent ,  jufqu'à-ce  qu'elles  entrent  par  état 
dans  ce  qui  leur  eft  donné  pafTagérement. 
Vous  voyez  que  l'ame  eft  conduite  ici  tout 
naturellement ,  fans  gêne  ,  fans  effort^  fans 
étude  ,  &  fans  artifice.  Chap.  iz.  n.  '^l  ^  '^  ^ 

D4 


56  JUSTIFICATION. 

Qu'ils  ne  fe  mettent  pas  en  peine  de 
faire  autre  chofe  ,  lorlque  Dieu  agit  plus 
excellemment  en  eux  &  avec  eux.  Ceft 
haïr  le  péché,  comme  Dieu  le  haït  que  de 
le  haïr  de  cette  forte.  Ceft  Tamour  le 
plus  pur  que  celui  que  Dieu  opère  en  Fa- 
mé. Qu'elle  ne  s'emprefie  donc  pas  d'agir, 
mais  qu'elle  demeure  telle  qu'elle  eft ,  fui- 
van  t  le  confeil  du  Sage  :  (a)  Mette^  votre 
confiance  en  Dieu  ,  demeure':^  en  repos  en 
la  place  cîi  il  vous  a  mis.  Chapitre  i^. 
n.  3. 

Ceci(i)  ne  peut  être  pour  les  degrés 
précédens  ,  où  l'ame  étant  encore  dans  l'ac- 
tion ,  fe  peut  &  fe  doit  fervir  de  fon  induf. 
trie  pour  toutes  chofes ,  plus  ou  moins  ,  fé- 
lon fon  avancement. 

Pour  les  âmes  de  ce  degré  qu'elles  s'en 
tiennent  à  ce  qu'on  leur  dit ,  &  qu'elles  ne 
changent  point  leurs  fimples  occupations. 

Il  en  eft  de  même  pour  la  Communion  : 
qu'elles  laifTent  agir  Dieu  ,  &  qu'elles  de- 
meurent en  filence  :  Dieu  ne  peut  être 
mieux  reçu  que  par  un  Dieu.  Lâ-^même  n.  5. 

Cette  prière  eft  la  prière  de  vérité  :  c'eft 
(c)  adorer  le  Père  en  hjprit  &  en  vérité.  En 
efprit  ;'  parce  que  nous  fommes  tirés  par  là 
de  notre  manière  d'agir  humaine  &  char- 

'    [a]  Eccle.  11.  ?î^.  22. 

t,  [W  Précaution  à  noter.  v 

[c]  Jean  4.  ?^.  23. 


XL! II.   Opcratiom  propres.  57 

ncllc  5  pour  entrer  clans  la  pureté  de  rcfprit 
qui  prie  en  nous.  Vx  en  vérité  ;  parce  que 
Pâme  elt  mife  dans  la  vérité  du  Tout  de 
Dieu ,  &  du  néant  de  la  créature. 

11  n'y  a  que  {a)  deux  vérités  ,  le  tout ,  & 
le  rien.  Tout  le  relie  eft  menfonge. 

Nous  ne  pouvons  honorer  le  Tout  de 
Dieu  ,  que  par  notre  anéantifl'ement.  Ch. 
ao.  n.  4- 

Notre  aélion  doit  donc  être  de  nous  met- 
tre en  état  de  fouffnr  Taélion  de  Dieu  ,  & 
de  donner  lieu  au  Verbe  de  retracer  en  nous 
fon  image.  XJnt  image  qui  remueroit  ,  em- 
pêcheroit  le  peintre  de  contretirer  un  ta- 
bleau fur  elle.  Tous  les  mouvemens  que  nous 
faifons  par  notre  propre  efprit  ,  empêchent 
cet  admirable  Peintre  de  travailler  ,  &  font 
faire  de  faux  traits. 

Il  faut  donc  demeurer  en  paix  ,  &:  ne 
nous  mouvoir  que  lorfqu'il  nous  meut.  Clu 
zi.  n.  5. 

Pour  être  donc  à  Jéfus-Chrift  ,  il  nous 
faut  laiiTer  remplir  de  fon  efprit  ,  &  nous 
vuider  du  nôtre  :  il  faut  qu'il  foit  évacué. 
Là-même.  n.  9. 

Il  faut  que  {h)  toutes  chofes  fe  faflent  en 
leur  tems  :  chaque  état  a  fon  commencé- 
es] On   a   vu  la  vérité   de   cette   propofition    dans 
YAnêantiJfancnt    &  V  Humilité. 

[6]  Eccle.  j.  V,   I. 


58  Justification. 

ment ,  fon  progrès  ^  &  fa  fin.  Si  on  veut 
toujours  s'arrêter  au  commencement  ,  c'eft 
trop  fe  méprendre.  11  n'y  a  point  d'art  qui 
n'ait  ion  progrès.  (^2)  Au  commencement 
il  faut  travailler  avec  effort  ,  mais  enfuite  il 
faut  jouir  du  fruit  de  fon  travail. 

Lorfque  le  vailfeau  eft  au  port  ,  les  ma- 
riniers ont  peine  à  l'arracher  de  là  pour  le 
mettre  en  pleine  mer  :  mais  enfuite  ils  le 
tournent  aifement  du  côté  qu'ils  veulent 
aller.  De  même  ,  lorfque  l'ame  eft  encore 
dans  le  péché  ,  &  dans  les  créatures ,  il  faut 
avec  bien  des  efforts  la  tirer  de  là ,  il  faut 
défaire  les  cordages  qui  la  tiennent  liée; 
puis  travaillant  par  le  moyen  des  ades  forts 
&  vigoureux ,  tâcher  de  l'attirer  au-dedans , 
l'éloignant  peu  -  à  -  peu  de  fon  propre  port  : 
&  en  s'éloignant  de  là  ,  on  la  tourne  au- 
dedans  ,  qui  eft  le  lieu  ,  où  l'on  défire 
voyager. 

Lorfque  le  vaiffeau  eft  tourné  de  la  for- 
te, à  mefure  qu'il  avance  dans  la  mer,  il  s'é- 
loigne plus  de  la  terre  ;  &  plus  il  s'éloigne 
de  la  terre  ,  moins  il  fayt  d'effort  pour  l'at- 
tirer. Enfin  on  commence  à  voguer  très-dou- 
cement ,  &  le  vaifteau  s'éloigne  fi  fort ,  qu'il 
faut  quitter  la  rame  ,  qui  eft  rendue  inutile. 
Que  fait  alors  le  Pilote  ?  11  fe  contente  d'é- 
tendre les  voiles  &  de  tenir  le  gouvernail. 

M  Manière  de  quitter  fes  propres    opérations. 


X  L 1 1 1.    Opcratioui  propres.  59 

Etendre  les  voiles,  ced faire  Toraifon  de 
fimple  expolitioii  devant  Dieu  ,  pour  erre 
mû  par  Ion  efprit.  Tenir  le  gouvernail  , 
c  elt  empêcher  notre  cceur  de  s'égarer  du 
droit  chemin  ,  le  ramenant  doucement  ,  & 
le  conduifant  félon  le  mouvement  de  l'ef- 
prit  de  Dieu ,  qui  s'empare  peu-a-peu  de 
ce  cœur  ,  comme  le  vent  vient  peu-à-peu 
enfler  les  voiles  &  pouffer  le  vaifleau.  Tant 
que  le  vaiffeau  a  le  vent  en  poupe  ,  le  pilote 
&  les  mariniers  fe  repofent  de  leur  travail. 
Quelle  démarche  ne  font-ils  pas  fans  fe  fati- 
guer ?  Ils  font  plus  de  chemin  en  une  heu- 
re ,  en  fe  repofant  de  la  forte ,  &  en  lailfant 
conduire  le  vaiffeau  au  vent  ,  qu'ils  n'en  fe- 
roient  en  bien  du  tems  par  tous  leur3  pre- 
miers efforts:  &  s'ils  vouloient  alors  ramer, 
outre  qu'ils  fe  fatigueroient  beaucoup,  leur 
travail  feroit  inutile  ,  &  ils  retarderoient  le 
vaiifeau. 

C  eft  la  conduite  que  nous  devons  tenir 
dans  notre  intérieur,  &  en  agiifant  de  cette 
manière  ,  nous  avancerons  plus  en  peu  de 
tems  par  la  motion  divine  ,  qu'en  toute 
autre  manière  ,  par  beaucoup  de  propres 
efforts.  — 

Lors  qu'on  a  le  vent  contraire  ,  fi  le 
vent  &  la  tempête  eft  forte,  il  faut  jetter 
l'ancre  dans  la  mer  pour  arrêter  le  vaiffeau. 
Cette  ancre  n'eft  autre  chofe  que  la  con- 
fiance en  Dieu  ;,  &  l'efpérance  en  fa  bonté, 


€o  J   U^S   T    I    F    I    C    A  T   I    O  N. 

attendant  en  patience  le  calme  &  la  bona- 
ce  ,  &  que  le  vent  favorable  retourne  , 
comme  failbit  David  :  (a)  J'ai  attendu  ^  dit-- 
il ,  le  Seigneur  avec  grande  patience ,  &  il 
s'efi  enjïn  ahaijfé  jufqu^à  moi.  Chap.  2X.  n. 
7.8,9. 

il  faut  que  ce  qui  eft  de  l'homme  &  de 
fa  propre  mduftrie,  pour  noble  &  relevé 
qu'il  puilTe  être  ,  il  faut ,  dis-je  ,  que  tout 
cela  meure.  — 

Tout  ce  qui  eft  de  propres  efforts  &  de 
propriété ,  doit  être  détruit  :  parce  que  rien 
{h)  n'eft  oppofé  à  Dieu  que  la  propriété ,  & 
que  toute  la  malignité  de  l'homme  eft  dans 
cette  propriété  ,  comme  dans  la  fource  de 
la  malice.  Ch.  24.  n.  i. 

Dieu  purifie  tellement  cette  ame  de  tou- 
tes opératl'^ns  propres  ,  diftinétes  ,  apper- 
çues  &  niuiiipliées  5  qui  font  une  difïem- 
blance  très-grande  ,  qu'enfin  il  fe  la  rend 
peu -à- peu  conformée  5  &  puis  uniforme; 
relevant  la  capacité  paffive  de  la  créature  , 
Télargiffant  &  l'ennobliffant ,  quoique  d'u- 
ne manière  cachée  &  inconnue  :  c'eft  pour- 
quoi on  l'appelle  myftique.  Mais  il  faut 
qu'à  toutes  ces  opérations  ,  l'ame  concoure 
palîivement. 

Il  eft  vrai  qu'avant  que  d'en  venir  là  :,  il 

M  Pf.  ;9.  V.  I. 

£/?]  Ceci  fe  verra  lorfque  j'écrirai  de  là  Fropriété. 


X  L 1 1 1.    Opérations  propres.  6i 

faut  quVlIc  {(i)  p^iffc  plus  au  commence- 
ment ;  puis  a  nicfure  que  Topcration  de 
Dieu  devient  plus  forte  ,  il  faut  cjue  peu-a- 
peu  &  fuccefrivement  Tame  lui  cède  ,  juf- 
qu'à  ce  qu'il  TaLforbe  tout-à-fait.  Mais  cela 
dure  longtems. 

On  ne  dit  donc  pas  ,  comme  quelques- 
uns  l'ont  crû  ,  qu'il  ne  faille  pas  paffer  par 
l'aélion  ;  puifque  au  contraire  c'eli:  la  por- 
te :  mais  feulement  ,  qu'il  n'y  faut  pas  tou- 
jours demeurer  ;  vu  que  l'homme  doit  ten- 
dre à  la  perfec^tion  de  fa  fin  ,  &  qu'il  ne 
pourra  jamais  y  arriver  qu'en  quittant  les 
premiers  moyens  ,  lefquels  lui  ayant  été 
néceffaires  pour  l'introduire  dans  ce  che- 
min ,  lui  nuiroient  beaucoup  dans  la  fuite  , 
s'il  s'y  attachoit  opiniâtrement  ;  puifqu'ils 
l'empêcheroient  d'arriver  à  fa  fin.  C'efl  ce 
que  faifoit  St.  Paul:  {h)  Je  lûijfe j  dit-il ,  ce 
qui  ejl  derrière  ^  &  ]e  tâche  d^ avancer  ,  afin 
d'achever  ma  courfe. 

Ne  diroit-on  pas  qu'une  perfonne  auroit 
perdu  le  fens  ,  fi  ayant  entrepris  un  voya- 
ge ,  elle  s'arrêtoit  à  la  première  hôtellerie , 
parce  qu'on  l'auroit  afTurée  que  plufieurs  y 
ont  pafTé  ,  que  quelques-uns  y  ont  féjour- 
né ,  &  que  les  maîtres  de  la  maifon  y  de- 
meurent ?  La- même.  n.  8  ,  9, 

(a)  Ceci  a  été  vu  aux  AHts. 
ib)  Phil.  j.  V.  13,  14- 


6z         Justification. 

A  U  T  O  R  I  T  É  S. 
S.    Denis. 


T.  Mm 


S  encore  ici  ,  tenons -nous  dans  les 
termes  de  cette  loi  des  faintes  Ecritures  ,  qui 
nous  défend  d'afhreindre  &  d'attacher  la  vérité 
des  chofes  qui  font  dites  de  Dieu ,  aux  paroles 
{a)  perfuafives  de  la  fageffe  humaine;  mais  veut 
qu'elle  foit  démontrée  par  la  force  de  la  fapien- 
ce  des  Théologiens ,  mue  &  infpirée  par  le  S. 
Efprit,  par  laquelle  nous  fommes  conjoints  aux 
chofes  ineffables  &  inconnues  ,  d'une  manière 
qui  ne  fe  peut  ni  exprimer  ,  ni  connoîtrc  par  le 
moyen  d'une  certaine  union  meilleure  &  plus 
excellente  que  toute  puifTance  &  aélion  raifonna- 
ble  &  intelleduelle  qui  foit  en  nous.  Des  Noms 
Divins.  Chap.  i. 

2.  Par  la  même  proportion  de  vérité  ,  Tinfi- 
jiité  qui  n'a  point  de  bornes  ,  &  qui  efk  au-delà 
de  tout  être,  furpaffe  toutes  \ts  efifences  qui  font 
au  monde  :  &  l'un  qui  eft  par-delTus  la  penfée  ,  ne 
peut  être  imaginé  par  aucune  penfée  :  &  le  bien 
qui  eft  par-deffus  la  parole  ,  ne  peut  être  décla- 
ré par  aucune  parole.  Unité  qui  fait  que  toute 
unité  foit  une  ,  être  fureffentiel  ,  intellecl  non- 
intelligible,Verbe  qui  ne  peut  être  exprimé ,  cela 
même  qui  ne  peut  être  ni  déclaré,  ni  entendu, 
ni  nommé  ,  qui  n'eft  point  en  la  manière  de  tout 
ce  qui  eft  ,  &  qui  néanmoins  eft  auteur  de 
l'être  à  tout  ce  qui  eft ,  lui-même  étant  au-delà 
de  tout  être.  Là-même, 

3.  Les  hommes  doués  d'un  efprit  divin  ,  étant 
conjoints  à  ces  unions  ,  à  la  façon  des  Anges  , 
d'autant  que  cette  réunion  avec  la  lumière  plus 

ia)  I.  Cor.  2.  V.  4. 


XLIII.  Ol)êrations  propres.  1-4.  6? 
quccli\'iiic,  fc  f:iit  ()ar  une  ccdiitioii  de  tonte  oj)c- 
ration  (l'cntciHlciiiciit ,  louent  cette  lumicic  pins 
qne  divine,  très-proprement  par  nnc  manière  de 
négation  ,  par  la(]uelle  on  ote  de  devant  elle  tout 
ce  qui  ell  en  cpielque  fac^on  que  ce  foit:  &  ceux 
qui  la  louent  de  la  forte  par  cette  union-là  mê- 
me, qu'ils  ont  avec  cette  fouvcraine  fplendeur, 
fout  éclairés  \'éritablement  ik  furnatureljement , 
qu'à  la  vérité  cette  lumière  efl  la  caul'e  de  tout 
être,  mais  qu'elle  n'eft  rien  de  tout  ce  qui  e(l , 
comme  étant  fur-c(léntiellement  féparée  de  tout 
ce  qui  e(l.  Il  n'eft  donc  pas  licite  à  pas  un  des 
amoureux  de  cette  vérité  qui  efl  par-defTus  toute 
vérité,  de  louer  la  fureflentialité  divine,  quoi- 
que ce  foit  cette  fur-exillence  de  la  bonté  qui  eft 
par-defTus  toute  bonté  ,  de  la  louer,  dis-je,  com- 
me raifon  ,  ni  comme  puiflTance  ,  ni  comme  en- 
tendement, ou  \Me  ,  ou  elTence  ;  mais  comme 
excellemment  abRraite  &  féparée  de  toute  habi- 
tude, mouvement  ,  vie  ,  imagination  ,  opinion  , 
nom,  parole,  penfée,  intelligence,  &c.  Là-même. 
4.  Le  bon  eft  appelle  lumière  (a)  intelligible 
&  fpirituelle  :  parce  que  tout  efprit  qui  eft  au- 
deffus  des  cieux  ,  eft  abondamment  rempli  de 
lumière  fpirituelle;  &  parce  qu'il  chafTe  toute  igno- 
rance &  toute  erreur  des  âmes  dans  lefquelles  il 
s'infmue  ,  &  leur  donne  à  toutes  une  lumière 
facréc  :  &  à  caufe  qu'il  purifie  (6)  &  qu'il  net- 
toie les  yeux  de  leur  entendement  du  brouillard 

\_a\  S.  Denis  fait  voîr  comme  cette  lumière  furmonte 
tout  :  elle  doit  donc  furmonter  notre  lumière  ,  fui- 
vant  la  comparaifon  que   j'ai  rapportée  ,  Moyen   court. 

CJU   12.    A7.    2. 

(6)  La  même  (^pération  de  Dieu  qui  éclaire  &  attire 
à  foi ,  purifie.  Voyez  dans  les  Opufcules ,  Traité  du 
Purgatoire^  P,  I.   n.   is.   Moyen  court.    Ch.    11.  n.  z. 


64  J   U   s    T    I    F    I    C    A    T   I    0    N^ 

caufé  par   Tignorance  ,   qui    s'étoit    répandu  8c 
amaHc  tout  autour,  il  les  éveille  &  leur  deffiUe 
les  yeux   qu'elles  avoicnt  fiUés  auparavant  d'un 
grand  appefantiirement  de  ténèbres  ,  &  leur  verfe 
premiereiTient(^)  une  médiocre  lueur  ;  puis  quand 
elles  ont  goûté  la  lumière  &  qu'elles  viennent  à 
la  défner  davantage  ,  il   leur  en  infufe  encore 
plus  ;  &  lorfqu'elles  l'ont  beaucoup  aimée,  il  les 
illumine  abondamment,  &  les  attire  toujours  en 
avant,  à  proportion  de  la  force  &  de  la  vigueur 
de  leur  trait  &  de  leur  élévation.  Le  bien  donc 
qui  eft  par-deffus  toute  lumière  eft  appelle  lumière 
Ipirituelle  ,   comme  étant  im  rayon  du  fond  & 
originaire,  une  effufion  de  lumière  qui  regorge 
de  toutes  parts ,  &  qui  de  fa  plénitude  illumine 
toutefprit,  foit  par-deffus  le  monde  5foit  autour 
du  monde ,  foit  auffi  dans  le  monde  ;  qui  renou- 
velle toutes  leurs  puiffances  &  facultés  intellec- 
tuelles ,   qui  les   embrafîe  &  contient  tous  pour 
être  étendu  par-deffus   tous  ,   qui  les  excède  & 
furpaffe  tous ,  à  caufe  qu'il  eft  affis  &  établi  par- 
deflus  tous  :  bref  qui  comprend  en  foi ,  qui  fur- 
monte  (b)  &  qui  a  par  anticipation  toute  la  for- 
ce &  la  vertu  de  ce  qui  a  pouvoir  d'illuminer  , 
comme  étant  le  premier  principe  de  la  lumière 
&  de  tout  ce  qui  eft  lumineux  :   qui  réveille  & 
raffemble  en  un  toutes  chofes  intellectuelles  &rai- 
fonnables  ,  &  fait  qu'elles  foient  unies  ,  ferrées 
&  preffées.  Car  tout  ainfi  que  le  propre  de  l'igno- 

(à)  Progrès  de  la  grâce  dans  les  âmes. 

C'eft  une  fucceflîon  de  toutes  les  difpofitîons  inté- 
rieures ,  qui  menant  Tame  au  recueillement  &  à  Funion, 
Ce  qui  eft  en  la  conduite  générale  de  la  foi,  eft  auiïi  de 
même  forte  en  la  conduite  particuliei'e  des  âmes, 

CWDieu  furmonte  notre  opération  par  la  ficnne. 

rance 


XLIII.  Opération  propres.  4.^.  6f 

nincc  clt  ,  (Je  dixii'cr  &  de  Icj)arci  les  clpritsqui 
font  CM!  erreur  ;  de  même  le  f)r(3|)i  e  de  la  lumière 
jntelllji;ible  elt,  de  recueillir  <S:  de  rjunir  par  fa 
préreace  les  choies  (ju'elle  illumine  ,  de  les  per- 
fectionner (Se  de  les  convertir  au  vrai  être,  en 
Jcs  détournant  de  plufieurs  opinions,  &  recueil- 
lant leurs  vues  éparles  &  ég;arées  en  pluUeurs  ob- 
jets; ou  pour  lîîieux  dire,  leurs  imaginations  & 
fantaifies  diTtraites  &  vagabondes  a  une  feule  , 
vraie,  pure  &  uniforme  connoiffance  ,  les  rem- 
pliffant  de  fa  lumière,  qui  cft  une,  &  qui  a  le 
pouvoir  de  rendre  uns  ,  ceux  à  qui  elle  fe  commu- 
nique.  Des  Noms  divins,   Chap.  4. 

Henri     Sus  g. 

y.  Voyez  Confljiance,  n.   6. 

RUSBROCHE. 
6.  Quand  la  manière  de  la  créature  ceffe  ,  dé- 
faut, &  ne  peut  aller  plus  loin  ,  c'eft  alors  que 
commence  la  manière  de  Dieu,  c'eft-a-dire  , 
quand  Thomme  s'eft  attaché  à  Dieu  par  fes  efforts , 
fon  amour  &  fes  dédrs  ,  fans  pouvoir  parvenir  à 
l'union  div^ine,  alors  Tefprit  du  Seigneur  ,  com- 
me un  feu  véhément,  vuent  à  fon  fecours ,  & 
brûle,  abforbe  en  foi  &  confume  tout,-  enfortc 
que  Famé  s'oublie  elle-même  &  tous  fes  exerci- 
ces ,  &  fe  trouve  devenue  un  même  efprit  &  ua 
même  amour  avec  Dieu. 

Là  tous  les  fens  &  toutes  les  puilTîinces  fe  tai- 
fent  &  s'aflbupiffent  dans  une  paix  divine,  étant 
inondées  des  richeflTes  de  la  Divinité  plus  abon- 
damment qu'elles  ne  peuvent  défirer.  Cette  pre- 
mière opération  eft  attribuée  (a)  au  S.  Efprit. 

La  féconde  eft  attribuée  (a),  au  Fils  ,  par  la* 
quelle  l'entendement  élevé  au-deflTus  de   toute 

(a)  Explic.  du  Cantiq,  C/i,  i.  v,  i. 
Tom.  L  Jîifl.  E 


es  J  U   s    T   I    F    I    C    A    T    I   O   K 

raifon  ,  de  toute  confidération  &  de  tout  difcer- 
nement,  eft  pénétré  de  la  Jumiere  divine  dan3 
une  intelligence  nucy  &  par  cette  lumière  il  peut 
contempler  fixement  la  clarté  divine  &  la  Vérité 
ctcrnelle. 

La  troifieme  opération  ,  ou  manière  ,  eft  attri- 
buée (a)  au  Pere^  c'eft  elle  qui  vuidant  la  mé- 
moire des  formes  &  des  images,  élevé  Famé  ainlî 
dénuée  jufques  dans  fon  origine ,  qui  eft  Dieu 
Je  Père,  l'unit  à  fon  principe  &  l'y  établit.  Les 
Jept  gardes,   chap.   19. 

Harphius. 

7.  Voyez  AnéantiJJcment,  n.  8. 

Ste.  Catherine  de  Gènes. 

g.  Voyez  AnéantiJJcmcnt,  n.  12. 

9. Or  comment  eft  cette  participation  de  Dieu  ^ 
cela  ne  fe  peut  dire  :  &  nul  ne  le  faura  ,  fi  Tef- 
prit  ne  retourne  en  cette  pureté  &  netteté  en 
laquelle  il  fut  créé  de  Dieu.  Mais  pour  parvenir 
à  ce  but  il  faut  que  Dieu  (/;)  nous  confume  & 
dedans  &  dehors  ,  &  que  l'être  de  l'homme  foit 
tellement  anéanti  ,  qu'il  ne  puiffe  non  plus  fe  re- 
muer que  s'il  étoit  un  corps  mort  fans  fenti- 
ment.  Il  eft  néceffaire  que  l'intérieur  meure  eu 
foi-mème  ,  &  que  fa  vie  &  tout  fon  être  foit 
caché  en  Dieu  avec  Jéfus-Chrift  &  qu'il  n'en 
fâche  rien,  ni  ne  le  puilTe  favoir,  ni  même  y 
penfer ,  non  plus  que  s'il  n'avoit  ni  vie  ni  être.  li 
faut  auffi  que  l'homme  en  l'extérieur  demeure 
aveugle  5  fourd  ,  muet,  fans  goût  &  fans  opéra- 
tion d'entendement,  de  mémoire  &  de  volonté  , 
tellement  perdu  qu'il  ne  puiffe  comprendre  où 
il  eft;   qu'il   dem.eure   privé  de  foi -même,  & 

(£3)  Explic.  du  Cantiq.  Cli.  i.  v.  i. 
(6)  Voyez  ce  qui  eft  dit  au  Moyen  court  de  la  purifi? 
catioa  de  Tor,  (Chap.  24,  n,  i ,  3,  j.  &c.) 


XLIII.  Opcratiom  propres.  (îro.  6/ 
paroifTc  fou  aux  autres,  qui  lontctonncs  de  voir 
nue  créature  qui  ait  l'être  fans  Topération.  yie. 

C/i.  35. 

10.  Dieu  détruit  (tj)  toutes  les  chofes  que  nous 
aimons  ,  par  mort ,  par  maladie  par  pauvreté  , 
par  haine,  pardifcorde,  détractious  ,  fcandalcs  , 
iTiocjueries  &  infamies  ,  avec  parens  ,  amis  ,  avec 
nous-mêmes  j  de  forte  que  nous  ne  favons  que 
faire  ,  nous  voyant  tirés  hors  des  chofes  qui  nous 
délectoient  :  au  contraire  de  toutes  ces  chofes  on 
reqoit  de  la  peine  &  de  la  confufion  cK  1  O'i  ne 
fait  pourquoi  l'amour  divm  fait  de  telles  opéra- 
tions, lefquelles  nous  femblent  toutes  contrai- 
res à  la  raifon  ,  &  du  côté  de  Dieu  ,  &  du  côté 
du  monde  :  c'eft  pourquoi  1  ame  crie  &  fe  tour- 
mente; elle  tâche  &  efpere  de  fortir  de  cette 
grande  angoiffe  ,   &  jamais  elle  n'en  fort. 

Quand  ce  divin  Amour  a  tenu  quelque  tems 
cette  ame  ainfî  fufpendue  &  prefque  defefpérée, 
&  ennuyée  de  toutes  les  chofes  qu'elle  aimoit  au- 
paravant ,  alors  (b)  il  fe  montre  à  elle  avec  fa 
divine  face  gaie  &  éclatante  ;  &  fitôt  que  1  ame 
Je  voit,  &  qu'elle  demeure  nue  &  délaifTee  de 
tout  autre  fecours,  elle  fe  jette  &  fe  remet  toute 
entre  fes  mains. 

Lorfque  Famé  a  vu  l'opération  divine  par  le 
moyen  du  divin  Amour  pur  ,  elle  fe  dit  ainlî  O 
aveugle ,  à  quoi  étois-tu  occupée  '<  que  cherchois- 
tu?  que  déiîrois-tu?  Tout  ce  que  tu  cherches, 
&  toute  la  délectation  que  tu  peux  délirer,  efc- 
ici.  O  Divin  Amour ,  avec  quelle  douce  trom- 
perie m'avez-vous  déçue,  pour  me  djrober  tout 

(a)  Lorfque  Dieu  veut  une  ame  pour  lui ,  il  détruit  & 
tenverfe  à  ton  égard  toutes  chofes. 

(a)  Fin  des  opérations  détruifantes  de  Dieu. 

E  ^ 


6i  Justification. 

amour  propre,    &  me  revêtir  du  pur  amour^ 
plein  de  toute  joie.  Là-même,  Cfu  41. 

II.  Toutes  les  autres  opérations  qui  font  fai- 
tes par  cet  homme  font  encore  faites  avec  cet 
amour,  &  font  rendues  agréables  par  la  grâce  gra- 
tifiante; parce  que  Dieu  eft  celui  qui  opère  avec 
fon  pur  amour  ,  fans  que  1  homme  s'y  entre- 
mette: &  Dieu  ayant  pris  le  foin  de  cet  homme  , 
&  layant  tiré  tout  à  lui  ,  opère  par  le  moyen  de 
cet  amour  ,  renrichifTant  de  fes  biens  avec  une  (î 
grande  libéralité  ,  qu'il  fe  trouve  enfin  attaché  au 
fil  de  Tamour,  &  noyé  dans  l'abîme  divin  fans 
qu'il  le  fâche.  Et  bien  que  Thomme  en  cet  état 
femble  une  chofe  morte,  perdue  &  abjecte,  il 
trouve  néanmoins  fa  vie  cachet  en  Dieu  ,  où 
font  tous  les  tréfors  &  toutes  les  richelTes  de 
la  vie  éternelle  :  &  il  ne  fe  peut  dire  ni  penfer 
ce  qu'il  a  préparé  à  cette  ame  fa  bien-aimée.  Dia- 
logue, Livr,  J.  Lh,  I. 

12.'  Les  œuvres  qui  font  faites  parTAmour^ 
font  encore  plus  parfaites ,  parce  qu'elles  font 
faites  fans  que  Thomme  y  ait  aucune  part.  L'A- 
mour s'eft  rendu  le  maître  &  le  vainqueur  de 
rhomme  ;  &  Thomme  eft  tellement  abforbé  & 
noyé  dans  la  mer  de  cet  amour  ,  qu'il  ne  fait  où 
il  eft,  &  demeure  perdu  en  lui-même  ,  ne  pou- 
vant faire  aucune  chofe.  L'Amour  eft  celui 
même  qui  opère  en  l'homme  :  &  ces  opérations- 
là  font  des  œuvres  de  perfection  ,  parce  qu'elles 
font  faites  fiuis  propriété  de  l'homme  :  ce  font^ 
oeuvres  dé  grâce  gratifiiante,  que  Dieu  a  toutes 
pour  agréables.  Ce  doux  &  pur  Amour  a  pris  & 
tiré  rhomme  à  foi ,  &  Ta  privé  de  lui-même  y  il 
en  a  pris  pofleffion  &  opère  continuellement  en 
cet  homme  &  par  cet  homme  ,  feulement  pour 


XLIII.  Ofnratîom  propres,  tt-tj.        ^9 

ion  hicn  ik  utilité,    fans    (|uc   Ini-mcmc  s'y  en- 
tremette. Là-mmic.  Cil,  f. 

StC.      T    II     K    R    K    S    F. 

ij.  \Lv\  cette  oraifon  la  X'olonté  ne  pourroit 
s^imufer  ,  à  vouloir  tirer  rentendenient  [)ar  force 
apPwS  elle,  lans  le  détourner  &  rNU|niéter  :  d'où 
il  arriveroit  tjuc  non  feulement  elle  ne  tireroit 
pas  par  ce  moyen  un  plus  grand  profit  de  fou 
oraifon  \  mais  que  tous  fes  efforts  ne  ferviroient 
qu'à  lui  faire  perdre  ce  que  Dieu  lui  auroit donné, 
fans  (]u'eltey  eut  rien  contribué.  Voici  une  com- 
paraifon  cjue  notre  Seigneur  me  mie  un  jour  daniî 
Tefprit ,  durant  cette  Oraifon,  qui  à  mon  avis 
explique  cela  fort  clairement  :  c'eft  pourquoi 
je  vous  prie  de  la  bien  Confiderer. 

L'ame  en  cet  état  (^7)  reflfemble  à  un  enfant  qui 
tête  encore  ,  à  qui  f^i  mère  pour  le  carreffer  lorf- 
qu'il  eft  entre  fes  bras  ,  fait  diftillcr  le  lait  dans 
fa  bouche  ,  fans  qu'il  remue  feulement  les  lèvres. 
Car  il  arri\'e  de  même  en  cette  oraifon  ,  que  la 
volonté  aime  fans  que  Tentendement  y  contri- 
bue rien  par  fon  travail,  parce  que  Notre  Sei- 
gneur veut  que,  fans  y  avoir  penfé  ,  elle  con- 
noiflTe  qu'elle  eft  avec  lui  ;  qu'elle  fe  contente  de 
fuccer  le  lait  dont  il  lui  remplit  la  bouche  ;  qu'el- 
le goûte  cette  douceur,  fans  fe  mettre  en  peine 
de  favoir  que  c'eft  lui  à  qui  elle  en  eft  obligée  \ 
qu'elle  fe  réjouiffe  d'en  jouir  ,  fans  vouloir  cori- 
noitre  ,  ni  en  quelle  manière  elle  en  jouit,  ni 
quelle  eft  cette  chofe  dont  elle  jouit  :  &  qu'elle 
entre  ainfi  dans  un  heureux  oubli  de  foi-mème  ^ 
par  la  confiance  que  celui  qui  eft  auprès  d'elle, 
n'oubliera  pas  de  pourvoir  à  tous  fes  befoins. 
Au  heu  que  lî  elle  s'arrêtoit  à  contefter  avec 

id)  VoyQz  Jlotjcn  court.  Ch.  12.  n.  4. 

E  3 


70  JUSTIFICATIOÎi. 

rentendement  pour  le  rendre  malgré  lui  partici- 
pant de  fon  bonheur  ,  en  le  tirant  par  force  après 
elle,  il  arnveroit  de  nécellîté  que  ne  pouvant 
avoir  en  même  tems  une  forte  attention  à  deux 
chofes ,  elle  laifferoit  répandre  ce  lait ,  &  fe  trou- 
veroit  ainfi  privée  de  cette  divine  nourriture. 

Or  il  y  a  cette  différence  entre  Poraifon  de 
quiétude  &  celle ,  où  l'ame  eft  entièrement  unie  à 
Dieu  5  qu'en  cette  dernière  Tame  ne  reçoit  pas 
cette  divine  nourriture  comme  une  viande  qui 
entre  dans  la  bouche,  mais  elle  la  trouve  tout 
d'un  coup  dans  elle-même  ,  fans  favoir  comment 
Notre  Seigneur  l'y  a  mife  :  au  lieu  que  dans  la 
première  il  femble  ,  que  Notre  Seigneur  veut 
que  Famé  travaille  un  peu  ,  quoiqu'elle  le  faffc 
avec  tant  de  douceur  qu'elle  s'apperçoit  à  peine 
de  fon  travail.   Chem.  deperf,  Ch.  XXXI. 

Le  R.  Jeak  de   la   Croix. 

14.  La  première  nuit  ou  purgation  eft  amcre 
&  terrible  pour  le  fens  :  la  féconde  n'a  point  de 
comparaifon  ,  d'autant  qu'elle  eft  très-épouvan- 
table pour  l'efprit ,  comm.e  nous  dirons  incon- 
tinent. ^  On  ne  traite  guère  de  cette  nuit  fpi- 
rituelle  foit  de  paroles  ,  foit  d'écrits,  dont  les 
difcours  tirés  de  l'expérience  font  très  -  rares. 
Donc  comme  le  ftile  qu'ont  ces  commenqans 
en  la  voie  de  Dieu  ,  eft  très-bas  &  fort  correfpon- 
dant  à  leur  amour  &  à  leur  goût,  comme  nous 
avons  déjà  dit ,  Dieu  les  veut  avancer  &  les 
tirer  de  cette  baffe  (Te  à  un  plus  haut  degré  de  fon 
amour,  &  les  délivrer  du  bas  exercice  du  fens 
&  du  difcours  ,  qui  cherche  Dieu  fi  baffement 
ou  mefquinement,  &  avec  tant  d'inconvéniens  , 
comme  il  a  été  dit,  &  les  mettre  dans  l'exercice 
de  Tefprit ,  où  ils  peuvent  plus  abondamment  & 


XLIII.  Opcrutinns  /;r^;;T.c.  i  j-i  f.  7r 
avec  plus  Hc  libntc  ^  d'anianchifrcmeiit  des 
iinpcricctioiis  c()mmnni([ncr  nvcc  Uicii.  Ohfuirc 
Is'uit.  Livr.   I.  r//.  8. 

i^.  Cette  contemplation  fcclic  donne  à  l*ame 
une  inclination  &  un  dcfir  d'être  feule  8c  en  re- 
])OS  ,  fans  pouvoir  penfcr  à  aucune  cliofe  [):irti- 
culierc  ,  &  niênie  fans  en  avoir  cn\'ic.  Alors  Ci 
ceux  à  qui  cela  arrive  fe  favoient  calmer,  ncjz;Ii- 
geant  toute  œuvre  intérieure  &  extérieure  ,  (ju'ils 
prétendent  faire  piw  l.nn-  induftrie  &  Icui-  dif- 
cours  ,  ne  fc  fouciant  d'autre  chofe  ,  (inon  de  fc 
lailfcr  conduire  à  Dieu,  de  recevoir  &  d'ouir 
avec  une  attention  intérieure  &  amoureufe,  (a) 
incontinent  en  ce  loifir  &  oubli  de  toutes  chofes, 
ils  jouiroient  de  cette  délicate  réfection  inté- 
rieure.  Laquelle  eft  telle  que  fi  Tamc  en  a  envie  , 
ou  qu'elle  faffe  une  particulière  diligence  de  la 
fentir ,  elle  ne  la  fent  plus  ;  parce  que  ,  comme 
je  dis  ,  elle  opère  en  elle  dans  le  plus  grand  loifir 
&  oubli  de  Tame  :  c'eft  comme  1  air  ,  qui  s'évade 
quand  ou  veut  fermer  la  main  pour  le  retenir. 
Nous  pouvons  entendre  à  ce  propos  ce  que 
l'Epoux  dit  au  Cantique  à  fou  Epoufe  :  (b)  de- 
tournez  vos  yeux  de  moi ,  car  ils  me  font  envoler  : 
d'autant  qu'en  cet  état.  Dieu  met  Tame  de  telle 
manière ,  &  la  conduit  par  un  chemin  fi  différent , 
que  fi  elle  vouloit  opérer  de  foi-même  &  par  fon 
habileté,  elle  empècheroit  plutôt  l'œuvre  que 
Dieu  fait  en  elle  ,  qu'elle  n'y  aideroitj  ce  qui  étoic 
auparavant  fort  différent.  La  caufe  de  cela  eft, 
parce  que  déjà  en  cet  état  de  contemplation  , 
qui  eft  lorfqu'elle  fort  du  difcours  à  Tétat  des 
a^^ancés  ,  Dieu  eft  celui  qui  opère  en  l'ame  i  en- 
forte  qu'il  femble  qu'il  lui  lie  les  puiffances  inté- 

(ii)  Notez  incontinent,  (6)  Cant.  6.  ir.  4. 

E4 


72  J   U   S    T^    F   I    C    A    T    I   O   N. 

ricures  ,  ne  lui  laifTant  aucun  appui  dans  l'enten- 
dement ,  ni  fuc  en  la  volonté,  ni  difcours  en  la 
mémoire  i  d'autant  que  ce  que  Tame  peut  alors 
opérer  de  foi-même  ,  ne  fert ,  comme  nous  avons 
dit,  que  d'empêchement  à  la  paix  intérieure, 
&  à  Toeuvre  que  Dieu  fait  dans  Pefprit  en  cette 
féchereffe  du  fens  ,  laquelle  étant  fpirituelle  & 
délicate  fait  une  œuvre  coie  &  délicatte  ,  paci- 
fique ,  &  fort  éloignée  de  tous  ces  autres  premiers 
goûts  qui  étoient  fort  palpables  &  très-fenfibles. 
Car  cette  paix  eft  celle  que  Dieu  (comme  dit  {ci) 
David  )  parle  en  l'amepour  la  rendre  fpirituelle. 
Là-même.  Ch,  9. 

16.  Voyez  Oraifon.  §.  IL  n.  18. 

17.  Ainfi  il  étoit  convenable,  que  les  opéra- 
tions de  ces  appétits-avec  leurs  mouvemens  fuf- 
fent  endormis  en  cette  nuit,  afin  qu'ils  n*empê- 
clialTent  à  Tame  les  biens  furnaturels  de  l'union 
d'amour  de  Dieu;  d'autant  que  (b)  durant  leur 
vivacité  &  opération  ,  elle  ne  fe  peut  obtenir: 
car  toute  leur  œuvre  &  mouvement  empêche 
plutôt  qu'elle  n'aide  à  recevoir  les  biens  fpirituels 
de  l'union  d'amour  ^  parce  que  toute  habileté  na- 
turelle eft  courte  en  ce  qui  concerne  les  biens 
furnaturels  que  Dieu  par  fa  feule  infufion  met 
dans  Famé  paffivement,  fecrettement  &  enfîlen- 
ce.  Et  ainfi  il  eft  néceffaire  que  toutes  les  puif* 
fiinces  fe  taifent  pour  recevoir  ladite  infufion, 
fans  y  entremettre  leurs  œuvres  baffes  &  leur  vile 
inclination.   Obfc.Nuit.  Liv,  2.  C7l  14. 

îg.  11*  s'enfuit  de  là  que  plus  Tame  va  en  obf- 
curité  &  vide  de  fes  opérations  naturelles  ,  tant 

(n)  Pr.  84.  r^.  9.  , 

C/))  Voyez  ce  qui  eft  dit  au  MoLjen  court.  (  Ch.  24. 
§.  I.)  qu'on  ne  peut  arriver  à  Tunion  ,  ni  par  ia  méditation, 
m  par  la  contcmpiation  adive. 


XLTII.  Opérations  propres.  iS-20.        73 

pins  elle  cft  allurcc:  parce  (|uo»  comme  dit  le 
rrophcte  ^a)  ,  la  perdition  de  Tame  ne  vient  (|uç 
d'elle-mcine,  c'ert-ii-dire  ,  de  Tes  opérations  & 
de  fes  appétits  intérieurs  &  lenlitifs  ,  difcordans 
&  non  ajnTtcs  i  (Se  le  bien  que  tu  as  ,  dit  Dieu  ,  ne 
vient  (]ne  de  moi.  Partant  elle  étant  ainli  di\'er- 
tie  de  les  maux  ,  ij  rcfte  cprincontinent  lui  vien- 
lient  les  bien>  de  l'union  avec  Dieu  en  Tes  appétits 
&  puilfances  ,  laquelle  union  les  rendra  djvjiie» 
&  céleftes.  D'où  vient  que  fi  Tamc  y  j)rend  garde 
dans  le  teins  'de  ces  ténèbres  ,  elle  connoitra  très- 
bien  ,  que  1  appétit  &  les  puidances  ne  font  guère 
diverties  aux  choies  vaines  &  inutiles  ,  &  qu'elle 
eft  hors  de  la  vaine  gloire ,  de  l'orguciUV  pré- 
fomption  ,  de  la  vaine  &  faufTe  joie  ,  &  de  plu- 
fieurs  autres  chofes.  Dont  il  s'enfuit  bien,  que 
pour  aller  en  ténèbres  ,  tant  s'en  faut  que  Tamc 
courre  davantage  danger  de  fe  perdre  ,  qu'elle 
fe  gagne  plutôt  foi-mème  ,  puifqu'en  cet  état  elle 
acquiert  les  vertus.  Là-même,  C/i.  16. 

19.  L'Epoufe  ne  tient  plus  avec  Dieu  d'autre 
ftyle  ni  faqon  de  traiter  que  l'exercice  d'amour, 
parce  qu'elle  a  changé  toute  fa  première  faqon  de 
procéder  en  amour.  Cantique  entre  fEpoufe  i^  iE-. 
poux.    Couplet  20. 

20.  Les  biens  intérieurs  que  cette  tranquille 
contemplation  laide  imprimés  en  î'ame  fans 
qu'elle  le  fente,  font  ineftimables  ,  parce  qu'en- 
fin ce  font  des  onctions  très-cachées  &  très-dé- 
licates du  S.  Efprit;  où  il  remplit  fecrétement 
l'ame  de  richeffes  ,  de  dons  &  de  grâces;  parce 
qu'étant  Dieu  ,  il  fait  comme  Dieu  &  opère 
comme  Dieu.  Or  ces  biens  ,  ces  grandes  richef- 
fes ,    ces   fublimes   &  délicates   onctions  &  ces 


[a]  orée  13.  y,  9. 


74  Justification. 

notices  du  S.Efprit ,  qui  font  fi  fubtiles  &  fi  purcj; , 
que  ni  l'ame  ,  m  celui  qui  la  gouverne,  ne  les 
entend  ,  mais  feulement  celui  qui  les  met  &  com- 
munique, pour  fe  rendre  Tame  plus  agréable, 
font  détournées  &  empêchées  très  -  facilement , 
à  favoir  par  la  moindre  action  que  Tame  voudra 
faire  d'appliquer  le  fens  ou^Pappétit,  de  vouloir 
s'attacher  à  quelque  fuc  ou  notice  ;  ce  qui  eft  un 
dommage  fignalé,  digne  d'une  grande  douleur 
&  compaffion.    Vive  fiamme  d'arnour.  Cant,  3.7;.  3. 

1  7.  e^  8. 

21.  Donc  ,  ô  âmes  ,  quand  Dieu  vous  fait  de 
jQ  grandes  faveurs  ,  que  de  vous  conduire  par  Té- 
tât de  folitude  &  de  recueillement ,  vous  écartant 
de  votre  fens  pénible ,  n'y  retournez  pas  :  quittez 
vos  opérations;  car  fi  elles  vous  aidoient  aupa- 
ravant à  renoncer  au  monde  &  à  vous-mêmes  , 
quand  vous  étiez  en  Fétat  des  commenqans  ; 
maintenant  que  Dieu  vous  fait  la  grâce  ,  d'être 
lui-même  l'ouvrier  ou  celui  qui  opère  ,  elles  vous 
feront  un  grand  obftacle  &  embarras.  Car  ayant 
foin  de  n'interpofer  vos  opérations  en  chofe  au- 
cune, les  détachant  de  tout ,  &  ne  les  embarraf- 
fant  point,  (ce  qui  eft  ce  que  vous  devez  faire 
en  cet  état  de  votre  part,  &  tenir  conjointement 
le  regard  fimple  &  amoureux  fans  faire  aucune 
force  à  Famé  ,  fi  ce  n'eft  pour  la  fequeftrer  de 
tout ,  &  l'élever ,  de  peur  de  la  troubler  &  d  alté- 
rer  fa  paix  &  tranquillité)  Dieu  la  repaîtra  d'une 
réfection  celefte  ,  puifque  vous  lalui  laiffez  libre 
fans  aux:un    embarras.  Là-mème,  §.  i^. 

ai.  Le  troifieme  aveugle  c'eft  Famé  même, 
laquelle  ne  s'entendant  pas  foi-mème  ,  fe  trou- 
ble &  s'endommage  ;  car  comme  elle  ne  fait 
qu'opérer  par  le  fens  ,  quand  Dieu  la  veut  met- 


XMII.  Opcratiom  propres.  20-2 j.  7c 
irc  en  ce  vide  (k  folitudc,  ou  clic  ne  pcnt  nfcr 
des  puilTances  ni  faire  des  actes  ,  pcnfant.  être  inu- 
tile, elle  tâche  d'aj^u'  plus  exprcdcment  &  plu* 
fenOblenicnt  ;  c^  aind  elle  fc  diftrait  ik  fe  reniplit 
d'aridité  &  de  dé^^oùt,  elle  (|ui  jouilToit  aupara- 
Aant  du  loilh  ,  de  la  paix  ik  du  filcnce  fpirituel  » 
où  Dieu  lui  c :omuiuni(|Uoit  fecretemcnt  de  la 
AKU'ité  &  du  goût,  lù  il  arrivera  (|ue  Dieu  tâ- 
chera de  Ja  retenir  en  cette  quiétude  taciturne, 
&  qu'elle  conteftera  pour  crier  avec  j'iinagina- 
tion  &  marcher  avec  rentendcmeut  j  comme  les 
enfans  que  les  mères  portent  entre  leurs  bras, 
qui  crient  &  battent  des  pieds  pour  être  mis  à 
terre;  &  ainfi  ils  ne  vont,  ni  ne  laifTent  aller 
leurs  mères  :  ou  bien  comme  Ça)  un  peintre  s'il 
peint  quelque  image  &  qu'on  la  remue  ,  il  ne  peut 
rien  faire.  L'ame  doit  donc  prendre  garde,  que 
quoiqu'alors  elle  ne  fe  fente  pas  marcher,  elle- 
marche  néanmoins  beaucoup  plus  vite  que  fi  elle 
marchoit  avecfes  pieds;  car  Dieu  la  porte  entre 
fes  bras,  &  ainfi  elle  ne  fent  point  le  chemin  : 
&  quoiqu'elle  penfe  ne  rien  faire  ,  elle  avance 
plus  que  fi  elle  agiflToit;  parce  que  c'eftDieu  qui 
opère;  &  Ci  elle  ne  Tapperqoit,  il  ne  s'tn  faut 
émerveiller,  d'autant  que  ce  que  Dieu  opère  en 
Tame  n'eft  point  connu  du  fens.  Qu'elle  fe  laide 
donc  entre  Jes  mains  de  Dieu,  &  qu'elle  fe  fie 
en  lui  ;  avec  cela  elle  ira  fùrement ,  &  il  n'y  a 
nul  danger,  finon  quand  elle  veut  de  foi-même 
ou  parla  propre  induftrie  opérer  avec  fes  puif- 
fances.   Là-même,  §.  16. 

Le  P.  Nicolas  de  Jésus  Maria  rapporte 

2^.  Taukre.  Oue  fi  quelqu'un  demande  pour- 

(û)  Moyen  court.  (C/i.  21.  /7.  $.) 


7^  Justification. 

quoi  II  faut  renoncer  (c)  à  toutes  les  images  ;  on 
répond  ,  que  c'eft  parce  qu'elles  ne  font  qu\iii 
chemin  à  la  vérité  fimple  &  nue  j  fi  donc  on  veut 
parvenir  à  la  vérité,  il  faut  peu  à  peu  laifTer  le 
chemin.  Inftitut.  C/i.  jç. 

24.  I).  Barthelemi  des  Martyrs,  Sitôt  que  l'amc  , 
qui  défire  de  parvenir  à  cette  union.  Dieu  Yy 
appellant,  fe  fentira  grandement  enflammer  de 
l'amour  divin,  &  attirer  en  haut,  qu'elle  retranche 
promptement  toutes  fortes  d^images  ,  &  coure 
au  Sanila  Sanclorum  ,  &  à  ce  filence  intérieur  dans 
lequel  il  n'y  a  point  d'opération  humaine  ,  mais 
feulement  la  divine;  car  là  Dieu  eft  celui  qui 
opère,  &  Ihomme  celui  qui  pâtit,  ou  celui  qui 
re(;oit  :  carlorfque  les  puifiances  de  Tamefe  tai- 
fent  &  ceffent  de  leur  propre  action  ,  étant  enfin 
délivrées  de  toute  imagination  externe  &  interne» 
Dieu  parle  lui-même  &  félon  fa  volonté  difpofe  & 
touche  ces  puiffances  de  Tefprit,  faifant  en  lui 
wnt  œuvre  très  -  excellente.  O  lame  véritable- 
ment heureufe,  laquelle  ayant  laiflTé  toute  fon 
opération  propre,  eft  dénuée  de  toutes  les  ima- 
ges en  fa  mémoire!  (Jbrcgejpirit,  Part.  2,.  Ch,  1 1.) 
Eclair cljjr.  des  Phraf,  Myjl.  de  j\  de  la  Croix  P.  IL  Ch. 

3.  §.  3.  • 

25".  ^  Il  arrive  fort  fouvent  que  celui  qui  eft 

ravi  (à  la  contemplation),  non  feulement  cefTe 

les   opérations    des    fens    extérieurs  ,   tellement 

qu'il  ignore  ce  qui  fe  fait  au-dehors  ;  mais  encore 

C}ue  la  faculté  phantaftique  &   imaginative  foit 

privée^de  fon  action  ,  fî  bien  qu'aucun  phantôme 

(a)  Il  eft  bon  de  remarquer  que  Taulere  prêchoit 
publiquement  cette  doctrine.  [  Voyez  Sermon  pour  le  5. 
D//72.  après  les  Rois  ,  pour  le  Dim.  de  la  Septuagcf.  Scrnu 
^.  pour  le  Dini,  de  Pâque  ^  &cj 


XLIII.  Opcratiom propres,  24-27.  77 
ne  peut  s'y  mêler  ,  ou  s'il  s'y  jilidc  ,  il  cft  tout-à- 
fait  rc[)rinic  par  la  vertu  de  la  laifon  &  volonté 
l\i])Ciieure.  (//A/.J/;/>.  P,  1,  Cli.    12.  §.  I.)  La-mùnic. 

Le  P.  Jaoues  de  Jésus  rapporte 

25.  S.  Tliornas.  Les  opérations  intellectuelles  & 
fenlîbles  s'entre-enipèchent ,  tant  à  caufe  (jue  l'at- 
tention eft  rec]uife  aux  œuvres  de  I  un  «Se  de  l'au- 
tre, qu'a  caul'e  que  Pentendement  fe  mêle  avec 
]e  feniîble,  puilqu'il  le  reçoit  par  les  pliantômes  i 
ik  ainli  la  pureté  de  l'entendement  eft  aucune- 
ment fouillée  par  les  opérations  fenfibles.  (  ,Ç//. 
J  3.  Art.  4  J  Isotcs  £^  remarque  s  fur  J,  de  la  Croix.  Dijc. 
I .  Parafe  l . 

Le  Fr.  Jean   de  S.  Samson. 

27.  De  là  vient  que  l'homme  ne  veut  point  de 
cette  vie  renoncée  ,  défîrant  toujours  avoir  la 
fatisfaction  de  fon  app  kit  de  propre  excellence. 
Il  ne  veut  point  aller  là  ou  il  ne  fait  pas ,  ni  s'ex- 
pofer  à  fe  perdre  <k  s'abandonner  à  la  conduite 
de  Dieu  ,  ne  la  voyant  que  par  une  foi  fort  éloi- 
gnée ,  qui  n'a  aucune  force  en  lui  pour  un  fî  haut 

A  la  vérité  lorfqu'il  agit  par  voie  d'entende- 
ment ,  la  volonté  s'y  joint  par  une  fuite  natu- 
relle y  &  quelquefois  ces  deux  puiffances  font 
tirées  &  éclairées  de  Dieu  pour  le  connoître  & 
l'aimer.  Mais  fuppofé  qu'il  n'y  ait  en  ces  deux 
facultés  aucune  touche  précédente  ,  ni  aucune 
habitude  infufe  ou  acquife,  1  homme  demeure 
gifant  à  t^rre  ,  cherchant  fon  contentement  & 
fa  confolation  dans  les  goûts  &  dans  les  créa- 
tures ,  autant  qu'il  peut  &  qu'il  lui  eft  loifible  , 
fou  vent   même   il  pafl'e  jufqu'au  plaifîr   illicite 


7?  Justification.^ 

(aj;  &  le  tout  faute  de  vouloir  mourir  renonce  *' 
pour  l'amour  &  le  bon  plailîr  de  Dieu.  Sans  doute 
il  faut  que  pour  connoitre  ;Sc  aimer  Dieu, nos  puif- 
fances  foyent  élevées  par  lui,  félon  l'ordre  qu'il 
tient  ordinairement  pour  cela  dans  les  hommes 
fpirituelsj  &  la  feule  foi  félon  le  fimple  degré  des 
hommes  du  commun,  ne  leur  donnera  jamais 
la  force  fuffifante  pour  cela.  Le  S.  Efprit  opère 
quelquefois  d  admirables  &  extraordinaires  effets 
en  certains  hommes  y  mais  la  nature  femble  faire 
la  même  chofe  en  ceux  qui  paroifTent  naturelle- 
ment vertueux ,  quoique  par  fois  portes  &  enclins 
à  quelque  vice-mortel.  D'où  vient  qu'ils  femblent 
tous  également  émus,  par  la  haute  eftime  qu'ils 
font  de  Dieu,  jufqu'à  mourir  pour  lui  s'il  étoit 
befoin ,  ce  qui  pourtant  n'eft  qu'un  effet  de  leur 
bon  naturel ,  &  le  femblable  fe  voit  affez  fouvent 
dans  les  bons  &  généreux  guerriers.  Cela  fait 
qu'il  eft  très-difficile  dedifcerner,  fî  ces  mouve- 
mens  font  de  nature  ou  de  grâce.  Efpnt  du  Car- 
mel.  Cîu  II. 

z%.  A  peine  perfonne  veut-il  entreprendre 
cette  vie  renoncée  ,  encore  que  chacun  la  voie 
très-héroïquement  pratiquée  par  notre  divin  Sau- 
veur. Perfonne  ne  le  veut  imiter  à  fes  propres 
dépens ,  fî  ce  n'eft  en  peu  de  chofe,  &  non  jamais 

[^]  C'efl:  la  différence  d'une  perfonne  touchée-  vraie- 
ment  de  Dieu  ,  &  de  celles  qui  fe  difent  intérieures  , 
«S:  ne  le^  font  pas;  que  les  premières  ne  peuvent  dans 
leurs  peines  chercher  de  confolation  hors  de  Dieu  , 
ni  même  en  trouver  quand  elles  feroient  aflez  infidel- 
les  pour  en  chercher:  &  les  autres  au  contraire  fe 
dédommagent  par  les  plaifirs  des  fens  de  la  privation 
des  confolations  fenfibles  ;  &  c'eft  de  là  que  naiffent 
tous  les  défordres. 


XLIII.  Of^cratiom  propres.  27-29.  79 
en  tout  Ik  pour  toujours;  &  ce  qui  cft  le  plus 
à  déplorer,  les  lionunes  fout  eu  cette  lâcheté, 
incuieuprès  ;îvou- feu ti  les  trùs-fortes  attractions 
ik  opcrauons  de  Dieu.  I^endant  de  telles  influen- 
ces ils  [)romettent  merveilles  ;  mais litôt  qu'ils  cii 
fontdeftitués,  plufieursd'entr'eux  n'ont  ni  cœur  , 
ni  courage,  pour  fuixre  JéTus -Chrift ,  chargés 
d'un  petit  bout  de  fa  croix,  &  pour  fouHnr  & 
mourir  avec  lui  dans  les  croix  du  corps  &  de  IVf- 
prit.  Cela  fait  qu'il  fe  plaint  juftement  des  hom- 
mes, qui  ne  lui  veulent  être  amis  qu'à  la  table, 
le  lailTent  à  l'abandon  &  à  la  merci  de  fes  plus 
cruels  ennemis  ,  pour  fouffrir  &  mourir  par  leurs 
iniques  &  mortels  eftbrts.  Là-même. 

29.  Reprenant  notre  fil,  nous  difons  ,  qu'il 
n'y  aura  jamais  de  renonciation  en  l'ame  (a)  qui 
n'a  point  été  touchée  de  Dieu  par  amour  fen* 
fible  ;  &  fi  outre  cela  elle  n'aime  davantage 
Dieu  en  lui-même,  que  fes  propres  dons  &  fes 
propres  œuvres  ,  elle  n'arrivera  jamais  à  recevoir 
rinfulîon  des  habitudes  divines  très-fortes  &  très- 
excellentes  qui  appartiennent  à  la  vie  vraiement 


renoncée. 


La  raifon  eft  que  cette  ame  eft  encore  en  toute 
la  vie  de  la  nature,  quand  même  elle  feroit  ex- 
cellemment fpiritualifée  ,  de  laquelle  elle  ne  veut 
jamais  rien  perdre  :  que  fi  elle  fe  perd  en  ua 
point,  elle  prétend  pour  cela  un  grand  mérite. 
Si  bien  qu'elle  ne  fait  que  le  goût  &  la  lumière, 
&  ne  faura  jamais  rien  de  la  vraie  fouiïrance  , 
étant  éloignée  de  vouloir  pâtir  autant  qu'elle  eft 
ignorante  &  amoureufe  d'elle-même.   Là-même. 

(a)  S'il  faut  avoir  goûré  Dieu  pour  fe  renoncer,  il 
n'eft  donc  pas  vrai  qu'il  faille  être  tout  renoncé  pour 
le  goûter;  le  goût  de  Dieu  étant  le  moyen  efficace  du 
renoncement. 


8o  Justification. 

30.  C  eft  ce  (a)  culte  divin,  que  les  Myftî- 
ques  perfuadent  premièrement  &  fi  vivement  aux 
hommes,  comme  le  lien  ,  le  moyen,  ik  le  prin- 
cipe du  vrai  bonheur  de  la  créature  humaine  , 
gifante  en  un  corps  mortel  ,  mais  pleinement 
aflujettià  fon  efprit,  fans  réfîftance  ni  contradic- 
tion de  fa  part.  Ils  font  cette  repréfentation  très- 
vivement  &  f^ivoureufement,  en  faveur  de  ces  ex- 
cellens  hommes  que  le  monde*ne  connoît  point, 
quoiqu'ils  connoiffent  très -bien  le  monde  & 
rayent  en  horreur. 

(*;  Non  feulement  les  mondains,  mais  encore 
lesfaints  &  vertueux,  fortfouventleurfont fouf- 
frir  des  perfécutions  vives  &  fréquentes  ,  d'autant 
que  leur  voie  eft  inconnue  ,  comme  infiniment 
différente  &  éloignée  de  la  leur.  La  raifon  eft, 
que  ces  perfonnes  vertueufes  font  pleines  de 
leurs  voies,  ne  pouvant  penfer  ni  croire  qu'il  y 
en  puifTe  avoir  de  meilleures  ,  ni  de  plus  excel- 
lentes entre  Its  hommes  que  les  leurs.  Ils  ne  fa- 
vent  que  les  exercices  propres,  choifis,  recher- 
chés &  curieux;  &  félon  ceci  ils  fe  rempliffent 
toujours  de  plus  en  plus  de  leurs  propres  inven- 
tions ,  attirant  à  foi  hs  dons  &  fentimens  pour  y 
prendre  leur  propre  repos.  JEfprit  du  Carm.  Ch.  14. 

?l.  Quand  rhomme  eft  arrivé  à  fon  centre  , 
alors  comme  un  aigle  amoureux,  il  fe  repofe  en 
Dieu  à   très-grand  plaifir.   La  jouiffance  divine 

^  {à)  Le  parfait  renoncement  de  nous-mêmes  ;  ce  qui 
comprend  non  feulement  toutes  les  opérations  propres  , 
mais  tout  ce  que  nous  fommes ,  affujettiffant  le  corps  à 
Fefprit  :  c'eft  le  fentiment  de  Ste.  Catherine  de  Gènes 
que  j'ai  fait  voir.  No^tz  Mû rtificat ion,  n.  j. 

O  Vertu*  n.  ::o, 

l'occupe 


XLÎIT.  Opkatiom  propres.  31 ,  32.  81 
l'occupe  en  plénitude  de  délices  fcnfiblement  & 
pcrceptiblemcnt  d*unc  manière  très-fimple,  très- 
fnbiilc  «Se  très-i'pirituellc  (Se  le  plus  fouvent  par- 
dedus  foi-même  ,  pai-de(his  tout  feus  tK:  toute 
])crception.  Tandis  qu'il  demeure  en  fa  feule  in- 
<lu(lric  ,  il  e(l  trcs-éloigné  de  fon  entière  perte  & 
folution,  c^  fon  occupation  vers  Dieu  ell  trèS' 
éloignée  de  ce  centre.  Là-mcmc,  C/iap.  23. 
LeP.  Epiphane  Louis  rapporte 
32.  B/q/îus.  Pendant  que  vous  naviguez  fur 
la  mer  orageufe  de  ce  fiecle  ,  Dieu  vous  enlèvera 
&  vous  fera  arriver  ,  peut-être  à  un  port ,  où 
vous  vous  trouverez  da«s  une  parfaite  nudité  de 
toutes  fortes  de  formes  &  d'images  :  il  n'y  aura 
envo8  puilTances  aucune  opération;  &  manquant 
&:  défiftant  de  la  forte  en  vous-mêmes,  vous  paf- 
ferez  hcureufement  en  Dieu.  Confer.  Myji.  19. 


XLIV.  Oraifon. 

Je  mettrai  enfemble  TOraison  ,  la  Médi- 
tation &  la  Contemplation  ;  tout 
cela  ayant  du  rapport. 

$.  I.   Que  tous  peuvent  faire   Oraifon. 
MOYEN    COURT. 


T 


ous  font  propres  pour  TOraifon  ;   & 
c'eft  un  malheur  effroyable  ,  que  prefque 

Tome  IL  Juftif.  F 


^2  JUSTIFICATIOK 

tout  le  monde  fe  mette  dans  refprit  de  n'ê- 
tre pas  appelle  à  TOraifon.  Nous  fommes 
tous  (a)  appelles  à  l'Oraifon  ,  comme  nous 
fommes  tous  appelles  au  falut. 

L'Oraifon  n'eft  autre  chofc  ,  que  Vappîi^ 
cation  du  cœur  à  Dieu ,  &  Texercice  inté- 
rieur de  Tamour.  S.  Paul  nous  ordonne  {h) 
è^  prier  fans  cejfe.  Notre  Seigneur  dit  :  (c) 
Je  vous  le  dis  à  tous  ,  veille:^  &  prie:^.  Tous 
peuvent  donc  faire  Oraifon  ,  &  tous  la  doi- 
vent faire. 

Mais  je  conviens  que  tous  ne  peuvent  pas 
méditer  ,  &  très-peu  y  font  propres.  Audi 
n'eft-ce  pas  cette  Oraifon  que  Dieu  deman- 
de ,  ni  qu'on  défire  de  vous. 

Mes  très-chers  frères ,  qui  que  vous  foiez 
qui  voulez  vous  fauver  ,  venez  tous  faire 
Oraifon  ;  vous  devez  vivre  d'Oraifon  ,  com- 
me vous  devez  vivre  d'amour. 

Venez  ignorans  &  ftupides  ;  vous  êtes 
tous  propres  pour  l'oraifon ,  vous  qui  croyez 
en  être  incapables  ;  c'eft  vous  qui  y  êtes  les 
plus  propres.  Ch.  i.  n.  i  ^  a. 

(a)  Lorfqu'on  dit  que  tous  font  appelles  îcî  ,  on  ne 
dit  pas,* que  tous  foient  appelles  aux  mêmes  degrés 
de  confommation  ;  mais  tous  font  appelles  à  prier  de 
cœur,  à  renoncer  à  foi- même,  à  porter  leur  croix  , 
à  fuivre  Jéfus  -  Chrift  :  donc  cette  voie  eft  pour 
tous. 

(è)  I  Theff.  s.  V.  17.    (c)  Marc  Jj.  v.  jj ,  n* 


XLIV.   OraifoH  §.  1.   i-8.  8? 

En  ce  mcticr  fouvcnt  les  plus  greffiers 
deviennent  les  plus  habiles.  CL  13.  n.  8. 

AUTORITES. 
S.     Denis. 

'  1.  JLjA.  pcrfcdioii  de  tous  ceux  qui  font  enrôlés 
en  la  Hicrarchic,  confiflc  à  fe  rendre  fcmblablcs 
à  Dieu  ,  chacun  fclon  fa  proportion  &  famcfure. 
De  la  Hierardiie  cclcjK   Chap.  3. 

2.  Voyez  Dc/tr.  n.    i. 

3.  Voyez  Conji/tance,  n.  z. 

4.  Voyez  Dcyir.  n.  3. 

Ste.   Catherine  de  Gène  s- 

5.  Voyez  Bcytr.  n.  4. 

6.  Elle  voyoit  encore,  comme  Dieu  ne  cefle 
de  frapper  au  cœur  de  l'homme  ,  pour  y  entrer  & 
juftifier  fes  opérations;  &  que  perfonne  ne  fe 
pourra  jamais  plaindre,  que  Dieu  n'ait  heurté  & 
frappé  continuellement  à  la  porte  de  fon  cœur: 
parce  que  fans  acception  de  perfonne  il  vient  à 
tous ,  &  nous  appelle  &  attire  tous  à  lui,  n'ayant 
pas  plus  d'égard  aux  bons  qu'aux  mauvais.  Vie, 
Chap.   13. 

7.  L'homme  a  été  créé  pour  la  fin  d'être  uni 
à  Dieu  ,  &  d'être  transformé  en  lui.  Là-même , 
Chap,  3Z. 

Ste.   T  H  É  R  É  s    E. 

8.  Donc  fi  rOraifon  eft  fi  utile  &  fi  nécefTaire 
à  ceux  qui  ne  fervent  pas  Dieu ,  mais  qui  l'of- 
fenfent  &  qui  l'irritent  ;  &  fi  on  ne  peut  vérita- 
blement trouver  qu'elle  puiffe  caufer  aucun  pré- 
judice ,  qu'on  ne  découvre  un  plus  grand  dom- 
mage à  n'en  point  faire  ;  pourquoi  eft-ce  que  ceux 
qui  fervent  Dieu ,  &  qui  le  veulent  fervir ,  la 


S4  Justification. 

doivent  quitter?  Certainement  je  ne  puis  enten- 
dre pour  quelle  raifon ,  fi  ce  n'eft  pour  endurer 
avec  plus  d'amertume  &  plus  d'ennui  les  travaux 
de  cette  vie ,  &  pour  fermer  les  avenues  aux  con- 
folations  divines.  A  la  vérité,  j'ai  compalfion  de 
telles  perfonnes;  car  elles  fervent  Dieu  à  leurs 
dépends,  d'autant  que  pour  les  autres  qui  s'adon- 
nent à  l'oraifon  ,  c'eft  Notre  Seigneur  qui  fait 
les  frais;  puifque  pour  un  peu  de  travail,  il  don- 
ne des  goûts  &  des  douceurs  pour  fupportcr  les 
travaux  de  ce  pèlerinage.  —  Je  dirai  feulement 
que  la  porte  par  laquelle  il  m'a  fait  tant  de  grâ- 
ces ,  c'a  été  l'oraifon  :  que  fi  on  vient  à  la  fer- 
mer,  je  ne  fais  par  où  elles  entreront  ;  car  quoi- 
qu'il veuille  entrer ,  pour  confoler  une  amc ,  pour 
la  carelTer ,  &  pour  prendre  fes  ébats  avec  elle  ,  il 
n'y  trouve  point  d'entrée ,  la  voulant  feule ,  nette 
&  avec  défir  de  recevoir  fes  grâces.  Fie,  Chap,  8. 

9.  J'efpere  que  Notre  Seigneur  m'aidera  dans 
cette  entreprife ,  fa  Majefté  fâchant  bien  qu'a- 
près l'accomplifTement  de  Tobéiffance  ,  je  n'ai  au- 
tre intention  en  ceci  que  d'alécher  les  âmes  à  un 
bien  fi  fublime  :  je  ne  dirai  rien  que  je  ne  l'aie 
beaucoup  expérimenté.  — 

Partant  je  dis  ,  que  s'il  y  a  des  perfonncs  qui 
foient  parvenues  aux  communications  de  l'orai- 
fon ,  dont  Notre  Seigneur  a  favorifé  cette  mifé- 
rable  ,  {  or  il  doit  y  en  avoir  plufieurs  )  &  qu'elles 
veuillent  en  conférer  avec  moi ,  craignant  d'être 
égarées  ;  j'efpere  que  Notre  Seigneur  affiftera  fa 
fervante  pour  pafTer  plus  avant ,  &  faire  quelque 
profit  à  l'aide  de  fes  vérités.  Là-même.  Chap,  18. 

10.  Or  quoique  j'aie  dit  quelques-unes ,  fi  eft- 
ce  qu'il  y  en  a  bien  peu  qui  n'entrent  en  cette  cin- 
quième demeure  que  je  dirai  maintenant.  Il  y 
a  toutefois  du  plus  ou  du  xaoïm  en  ceci ,  c'cft 


XLIV.   OrciifoH  §.  T.  R..12.  S< 

pourquoi  j'ai  dit  que  la  plu|)art   y  entrent  C'/iat. 
Dan,   y,    C/iap.  I. 

Le  B.   Jean    de    la   Croix. 

11.  O  aiucs  créées  pour  ce^  grandeurs,  &quî 
y  êtes  conviées ,  que  faites-vous?  k  quoi  vous 
amufcz-vous?  O  déplorable  aveuglement  des  cn- 
fans  d'Adam,  puifqu'ils  ne  voyons  goure,  entou- 
rés d'une  fi  grande  lumière  ,  &  qu  ils  font  fourds 
à  ces  hauts  cris;  ïcar  tant  qu'ils  cherchent  les 
grandeurs  &  la  gloire  du  monde,  ils  demeurent 
iniférables,  abjets  &  indignes  d'un  fi  grand  bien  ! 
Cantique  entre  tFj)oi{fi  &  tFpouw  Couplet.  39. 

12.  O  que  c'étoit  ici  un  bon  lieu  pour  avertir 
les  âmes  que  Dieu  conduit  à  c^s  onclions  déli- 
cates,  qu'elles  regardent  bien  à  ce  qu'elles  font, 
&  en  quelle  main  elles  fe  mettent,  de  peur  de  re- 
tourner en  arrière;  fi  ce  n'étoit  que  cela  femble- 
roit  hors  du  fujet  que  nous  traitons.  Mais  j'ai  ua 
tel  regret  &  compalFion  dans  mon  cœur  ,  de  voir 
reculer  des  âmes  que  Dieu  conduit  à  ces  onclions 
délicates,  non  feulement  ne  fe  laiffantpas  oindre 
en  forte  que l'ondlion  pafTe  plus  avant,  mais  aufïi 
en  perdant  fes  effets;  que  je  ne  puispafler  outre 
fans  les  avertir  ici  de  ce  qu'elles  doivent  faire  pour 
éviter  ce  grand  dommage.  — Or  il  faut  premiè- 
rement favoir  que  fi  l'ame  cherche  Dieu,  fon 
Bien-aimé  la  cherche  bien  davantage  :  &  fi  eJlc 
lui  envoyé  fes  amoureux  défirs ,  qui  lui  font  auHi 
odoriférants  que  la  verge  de  fumée  ,  qui  fort  des 
drogues  aromatiques  de  la  myrre  &  de  l'encens; 
il  lui  commuaique  l'odeur  de  fes  parfums ,  dont 
il  l'attire  &  fait  courir  après  lui ,  qui  font  fes  inf- 
pirationii  divines  &  fes  touches  ;  lefquels  étant 
fiens,  font  toujours  faints  &  réglés  par  des  mo- 
tifs de  la  perfection  de  la  loi  de  Dieu  &  de  la  foi, 
par  la  perfedion  de  laquelle  l'ame  doit  toujours 

F  3 


$6  Justification. 

5'approcher  davantage  de  Dieu.  Et  ainfi  lame 
doit  entendre,  que  le  défir  de  Dieu  en  toutes  les 
faveurs  qu'il  lui  fait  par  ces  ondlions  &  odeurs 
de  fes  onguens,  eft  de  la  difpofer  pour  d'autres 
onguens  plus  délicats,  plus  excellens  &  plus  au 
goût  de  Dieu  ;  jufqu'à-ce  qu'elle  parvienne  à  une 
difpofition  fi  pure  &  fi  délicate,  qu'elle  mérite 
l'umon  de  Dieu  &  la  transformation  en  toutes 
fes  puiflances.  — 

Si  Je  Maître  n'a  l'expérience  des  ehofesfublî- 
îïies  5  il  n'y  acheminera  pas  l'ame  quand  Dieu  l'y 
attire,  &  il  lui  pourroit  faire  beaucoup  de  tort; 
parce  qu'ignorant  les  voies  de  l'efprit,  il  fait  fou- 
vent  perdre  aux  âmes  l'ondion  de  ces  précieux 
onguens  avec  lefquels  le  S.  Efprit  les  difpofe 
pour  foi,  les  gouvernant  par  d'autres  moyens 
bas  qu'il  a  lus ,  qui  ne  fervent  que  pour  des  com- 
mençans  :  car  telles  gens  n'en  fâchant  pas  davan- 
tage &c.  (Voyez  Oraifon.  §.  II.  n.  19. }  Vive  flamme 
d'amour.   Cantlq.  5.  v.  3.  §.4. 

Le  P.  Nicolas  de  Jesus-Maria  rapporte. 

13.  Le  P.  Louis  de  Léon.  Il  refte  maintenant  à 
dire  quelque  chofe  à  ceux  qui  trouvent  du  dan- 
ger dans  ces  livres  ,  à  caufe  de  la  délicateffe  de  la 
matière  de  laquelle  ils  traitent,  qu'ils  difent n'être 
pas  pour  tous  :  car  comme  il  y  a  trois  fortes  de 
perfonnes,  dont  les  unes  traitent  d'Oraifon,  les 
avitres  qui  en  pourroient  traiter  fi  elles  vouloient, 
&  d'autres  qui  le  voulant  ne  le  pourroient ,  à 
caufe  dé  la  condition  de  leur  état,  je  demande 
qui  font  ceux  qui  font  en  danger  de  ces  livres? 
Les  fpirituels  ?  Non ,  fi  ce  n'eft  que  ce  foit  une 
chofe  domimageable  à  favoir  ce  qu'on  fait  &  ce 
qu'on  profeffe.  Ceux  qui  ont  de  la  difpofition 
pour  être  fpirituels?  Encore  moins;  parce  que 


XLIV.  OraifoH  §.  I.  î2~ig.  ^7 

non  fciilemein  iN  trouvent  ici  un  guide  pour  lc<; 
conduire  quand  ils  feront  fpirituels;  mais  nulfi 
qui  les  excite  ik  les  anime  pour  l'être ,  ce  qui  e(l 
un  très-grand  bien.  Or  les  derniers  en  quoi  au- 
ront-ils du  danger?  à  connoitre  &  entendre  que 
Dieu  fe  comporte  amoureufement  envers  les 
liommes?  que  celui  qui  fe  dénué  de  tout,  le 
trouve?  ù  favoir  &  apprendre  les  carcffcs  que 
Dieu  fait  aux  âmes,  la  différence  des  goûts  qu'il 
leur  donne  ,  l-i  manière  dont  il  les  purifie  &  les 
affine?  quy  a-t-il  en  ceci  qui  ne  fanclifie  celui 
qui  le  lira,  étant  bien  compris  &  bien  entendu? 
qui  ne  caufe  de  Tadmiratioii  de  Dieu,  &  ne  l'en- 
flamme en  fon  amour?  Que  fi  les  confidérations 
de  ces  œuvres  extérieures,  que  Dieu  fait  en  la 
création  &  dans  le  gouvernement  des  chofejj , 
font  une  école  d'utilité  commune  pour  tous  les 
hommes,  comment  eft-ce  que  la  connoiffance  de 
fes  merveilles  fecrettcs  pourroit  être  préjudicia- 
ble à  qui  que  ce  foit? 

Et  quand  quelqu'un  ,  par  fa  maiivaife  difpofi- 
tion  ,  en  auroitreçu  du  dommage,  feroit-il  jufle 
pour  cela  d'empêcher  un  fi  grand  profit,  &  de 
tant  de  perfonnes  ?  Qu'on  ne  publie  point  l'Evan- 
gile, parce  qu'il  eft  occafion  d'une  plus  grande 
perte  à  celui  qui  ne  le  reçoit  pas  ,  comme  difoit 
S.  Paul  [a).  Quelles  Ecritures  trouvera-t-on  ,  bien 
qu'on  y  comprenne  les  faintes  &  divines,  def- 
quellcs  un  efprit  mal  difpofé  ne  puiffe  concevoir 
une  erreur?  Quand  il  faut  porter  jugement  des 
chofes,  on  doit  prendre  garde  &  confidérer,  fi 
elles  font  bonnes  en  foi  &  convenables  pour  leur 
fin ,  &  non  pas  à  ce  que  caufera  le  mauvais  ufa- 
ge  de  quelques-uns  ;  car  fi  on  s'arrête  à  cela  ,  il 
n'y  a  chofe  fi  fainte   qu'on  ne  puiffe  défendre. 

G)  Philip.  I.  V.  2i, 

F  4 


88  J   U   s   T   I   F   I   C    ^  T   I   O   K. 

Ou'y  a-t-il  de  plus  faint  que  les  Sacremens? 
Combien  y  en  a-t-il  qui  deviennent  pires  par  le 
mauvais  ulage  qu'ils  en  font?  Le  Diable,  com- 
me prudent  ;v  veillant  à  notre  perte  ,  change  de 
couleurs  différentes,  &  fe  montre  aux  entende- 
mens  de  quelques-uns,  retenu,  circonfpecl  & 
foigneux  du  bien  du  prochain,  afin  de  ravir  aux: 
yeux  de  tout  le  monde  ce  qui  eft  bon  &  profita- 
ble &  commun  ,  fous  prétexte  d\m  dommage  par- 
ticulier. 11  fait  bien  qu'il  perdroit  davantage  par 
ceux  qui  s'avanceroient  à  deviendroicnt  fpiri- 
tuels  parfaits  par  la  lecture  de  ces  Livres ,  que  par 
le  petit  nombre  de  ceux  qui  tomberoient  par  là  à 
caufe  de  leur  indifpofition  ;  &  ainfi  afin  qu'on  évi- 
te le  dommage  de  ceux-ci,  il  exagère  &  repré- 
fente  leur  perte  ,  lefquels  il  tient  dans  fes  filets 
par  mille  autres  voies;  bien  que,  comme  je  di- 
fois,  je  ne  fâche  perfonne  fi  mal  difpofée,  qui 
tire  fa  ruine  de  la  connoifTance  des  chemins  qui 
conduifent  les  âmes  à  Dieu,  à  quoi  butent  & 
vifent  tous  ces  Ecrits. 

Je  crains  feulement  pour  quelques-uns,  qui  veu- 
lent gouverner  &  conduire  un  chacun  par  eux- 
mêmes  ,  qui  improuvent  ce  qu'ils  n'ordonnent 
pas;  &  qui  procurent  que  ce  qui  n'eft  point  fé- 
lon leur  jugement,  n'ait  point  de  crédit  &  d'au- 
torité :  auxquels  je  ne  veux  point  fatisfaire  ;  par- 
ce que  leur  erreur  naît  de  leur  volonté,  &  par- 
tant ils  ne  fe  voudroient  tenir  pour  contens  :  mais 
je  veux  prier  les  autres  qu'ils  ne  leur  donnent 
point  de  créance  p  parce  qu'ils  ne  le  méritent  pas. 
{  Dans  tEpitre  mijc  devant  les  Œuvres  de  Ste,  T/ierèfe.  ) 
EclairdJJemmt  des  Phrafes  Myfl.  de  J.  de  la  Croix,  P.  L 
Ch.  5.  §.3. 

14.  S.  Bonaventure,  Je  préfente  donc  ce  livre  & 
le  donne  à  voir,  non  pas  aux  philofophes,  non 


XLIV.   Or  ai/on  §.  I.  i^-ig.  89 

pa!^  aux  fages  du  monde,  non  pas  aux  grands 
''l'hcologicns  cnibarrancs  d'une  inlinitc  de  quef- 
tions  ;  mais  aux  ignorans  ik  grollleis  (jui  s'clfor- 
cent  da\'antage  d'aimer  Dieu  que  de  fa\'oir  beau- 
coup :  car  Tart  d'aimer  ne  s'apprendra  point  en 
difputant,  mais  en  opérant.  Or  j'ednne  (jue  les 
chofes  qui  font  contenues  ici,  ne  pouiront  être 
entendues  de  ces  quedionnaircs,  émiiients  eu 
toute  forte  de  fcience,  mais  très-peu  en  l'amour  de 
JéfuS'Chrin;  ;  d'où  vient  que  je  n  ai  pas  eu  delfeiii 
d'écrire  pour  eux,  ficen'eft  que  délailTant  &  ou- 
bliant toutes  les  chofes  qui  appartiennent  au  mon- 
de, ils  demeurent  allervis  &  embrafés  du  fenl  dé- 
fir  de  leur  Créateur.  (  Préface  du  Régime  de  confcien- 
ce.  )  Là-même,  C/i.  6.  §.  3. 

15.  St,  Bernard.  Voyez  Entendre,  n.   53. 

16.  Gerfon.  Pour  les  chofes  qui  s'éprouvent 
&  expérimentent  intérieurement,  les  idiots  con- 
templatifs goûtent  &  reçoivent  plus  parfaitement 
ces  chofes  divines  que  plufieurs  docles.  {T/'iroL 
Myji.  conjîder,  3.  Alph.  64.   Lettre  N.  )  Là-même. 

17.  D.  Eartliclcmi  des  Martyrs.  Cette  fagefTc 
myftique,  que  S.  Denis  appelle  proprement  celle 
des  Chrétiens,  efl:  ordinairement  communiquée 
plus  promptement  &  plus  hautement  aux  fimples 
idiots ,  qui  n'ont  autre  foin  que  celui  de  faire  leur 
falut  avec  crainte  &  tremblement,  qu'aux  doctes 
Théologiens ,  fi  ce  n'eft  qu'ils  s'étudient  à  Thu- 
milité  de  toute  l'affcdion  de  leur  cœur.  {Abrégé 
Spir.    Ch.   13.  §.  3.  )  Là-même. 

18.  Ste.  Thcrcfe  ^[parlant  à  fon  ConfeJTeur.^  Qti'il 
ne  s'épouvante  pas,  sS:  que  ces  chofes  ne  lui 
femblent  point  impoffibles  ;  tout  tïX  poffible  à 
Notre  Seigneur  :  mais  qu'il  tâche  de  vivifier  fa 
foi  y  &  de  s'humilier  de  ce  que  fa  divine  JVIajeftr 


90        Justification. 

rend  peut-être  une  petite  vieille  plus  favante  que 
lui  en  cette  fcience ,  quoiqu'il  foit  très-éminent 
en  doétrine.  Vie  ,  Chap.  34.  Là-même. 

19.  Suarez.  Souvent  les  perfonnes  fimples  ,  ai- 
dées de  la  grâce  divine ,  pénètrent  &  pcfent  la  vé- 
rité plus  profondément  que  les  doctes.  (  Livr,  3. 
de  l  Oraifon  ,  Ch.  10.  n,  8.  )  Là-même. 

20.  —  Voyez  Chemin  court,   n.  11. 

21.  -S'.  Grégoire.  Voyez  Là-même.  n.  10.    ^ 

22.  Albarando.  C'eft  une  grande  erreur  de  pen- 
fer  que  la  contemplation  foit  feulement  pour  ceux 
qui  font  très-parfaits  &  fort  avancés ,  &  non  pour 
ceux  qui  commencent.  [Art  de  bien  vivre  ^  tom,  i. 
Livr.  ï.  Ch.  15.)  Et  (au  Liv.  2.  Ch.  i.)  il  dit, 
quefuivantla  doârine  de  S.  Bonaventure,  d'Hen- 
ri de  Palme ,  &  des  autres  Doéleurs ,  félon  la  loi 
ordinaire  ,  on  a  coutume  de  demeurer  feulement 
quinze  jours  en  la  voie  purgative ,  avant  que  ren- 
trée foit  ouverte  à  Tilluîninative  ;  &  enfin  plu- 
fieurs  Dodleurs  &  Maîtres  fignalés  enfeignent 
auffi  le  même.  Là-même.  Part.  IL  Ch.  21.  §.  Z. 

Le    P.   Jaclues    de  Jésus. 

23.  S.Augufîin.  Sur  ces  paroles  du  Pf.  71.  v.  3. 
Que  les  montagnes  reçoivent  la  paix  pour  le  peuple ,  ^ 
les  collines  la  juflice  ^  dit  :  que  les  montagnes  font 
ceux  qui  excellent  en  fainteté  dans  TEglife , 
qui  font  capables  d'enfeigner  les  autres  ,  parlant 
enforte  qu'ils  foient  fidelementinftruits ,  &  vivant 
tellement  qu'ils  puifTent  être  faintement  imités. 
Les  coilines  font  ceux  qui  fuivent  leur  excel- 
lence par  leur  obéiflance. 

Les  montagnes ,  dit  le  Cardinal  Hugues ,  figni- 
lient  auffi  les  Contemplatifs  qui  ont  befoin  de 
paix,  parce  que  Tœil  troublé  ne  peut  contempler 
les  chofes  cëleftes.  Nous  tirons  de  là  que  les 


XLIV.  Oraifo^i.  §.  T.  uy^-2^.  91 

montacjncs  qui  (Ioi\'cnt  recevoir  cette  cloclriiic, 
(f/)  pux  Dri  ijii^c  cxupnar  or  un  cm  J'tnjlirîi  ,  qui  fnr- 
paflc  toiitfciis,  pour  hi  coinnuini(iuer  au  peuple, 
font  des  hommes  cmmens  en  lainteté  ,  grands 
maîtres  fpirituels,  proches  du  ciel  par  hi  contcm- 
phïtion  fubhme  ,  <Sc  les  biens  qu'ils  reçoivent  de 
là  pour  les  communicjuer  aux  inférieurs,  &  pour 
le  profit  des  difciples  :  c'efl  ce  que  veut  dire  » 
qui/s  reçoivent  la  paix  pour  le  peuple. 

Suivant  cela  cette  dodrine  li  fublime  &  rcle- 
vée,  qui  traite  de  fi  près  de  la  parfaite  paix  &  union 
de  Tame   à  Dieu  ,    communiquée   à  cette    très- 
haute  montagne  de  notre  B.  Fere  ,  Jean  de  la 
Croix  ,   li  éminent  en  fiunteté  ,  comme  on  v^oit 
en  fa  vie,  &  aux  grands  &  continuels  miracles 
que  Dieu  fait  par  lui ,  fupérieur  en  qualité  de 
Contemplatif,   Chérubin  élevé  &  Séraphin  eni- 
brafé,  a  été  en  faveur  du  peuple  &  pour  fon  uti- 
lité, n'ayant  pas  grand  befoin  pour  fon  regard  de 
lettres  ou  paroles  extérieures.  C'eft  pourquoi  il  Ta 
écrite  ,  enforte  qu'elle  peut  fervir  à  tous,  &  décla- 
rer le  fommet  de  l'union  &c  contemplation  que 
Dieu  lui  avoit  communiquée ,  avec  des  inftruc- 
tions   très-importantes  ,    qu'il   étale  ici  pour  les 
maîtres  &  les  difciples  :  &  c'eft  pourquoi  Dieu 
lui  ayant  révélé  cette  doétrine  ,  &  lui  nous  l'ayant 
enfeignée  à  cette  fin  ,  il  a  eu  raifon  de  la  mettre 
en  une  langue  qui  en  pût  bien  exprimer  la  gran- 
deur &  enfemble  en  faciliter  l'intelligence  à  ceux 
pour  qui  elle  eft  écrite.  Notes  fur  Jean  de  la  Croix. 
Difc,  3.  §.  î. 

24.  Le  Sagefe  fait  voir  enfes  paroles  (b).  L'Ecri- 
ture du  Sage  ,  eft  un  portrait  &  une  vive  ima- 
ge de  ce  qu'il  eft.  —  Le  Sage  donc  fe  découvre 

(a)  Phil.  4.  V.  7. 
{b)  Ecclef.  zo.  V.  29* 


92  Justification^ 

foi-meme  en  fes  livres  ,  —  afin  qu'on  ait  de  hauts 
fentimens  de  Dieu,  qui  donne  une  telle  lumière, 
qui  communique  de  telles  grâces  &  faveurs  , 
&  qui  a  de  tels  amis.  Et  c'eft  ici,  fi  ce  qu'il  dit 
eft  imitable  ,  qu'il  incite  (û)  à  fon  imitation,  non 
feulement  par  la  bonté  de  ce  qui  fc  propofe ,  mais 
encore  par  1  exhortation  pratique  de  l'exemple; 
&  fi  cela  eft  merveilleux  &  extraordinaire  ,  on  le 
loue  &  l'admire  :  en  ce  faifant  chacun  y  profite, 
&  Dieu  efl  glorifié  de  tous  ;  ce  qui  eft  ce  qu'on 
prétend  diredement  en  cela.  Là-même,  §.   2. 

25.  Quel  {bj profit  y  a-t-iL  à  lafagejfe  muette"^  au 
tréfor  cachée  Maudit  foit  celui  qui  ne  tire  pas 
fon  couteau ,  qui  ne  dégaine  pas  fon  épée  pour 
faire  une  fanglante  boucherie ,  qui  ne  découvre 
ni  révèle  la  vérité ,  comme  dit  Notre  Seigneur 
Jéfus-Chrift.  Maudit  (c)  celui  qui  retire  fon  glai- 
ve du  fang.  Ce  font  les  paroles  de  Jérémic.  Ainfi 
la  dodrine  de  ce  B.  Père  ,  J.  de  la  Croix,  étant 
faintement  cruelle,  fans  pardonner  non -feule- 
ment à  la  chair  &  au  fang,  mais  ni  à  l'ame  ni  à 
l'efprit ,  puis  qu'il  entre  là  &  fait  divifion  pour 
unir  parfaitement  à  Dieu;  que  celui-là  feroit 
coupable,  qui  mettroit  cette  épée  ou  dans  lefou- 
reau  du  filence,  ce  qui  feroit  infupportable  ,  ou 
dans  une  autre  langue  moins  reçue  &  moins 
univerfelle  [d]  que  la.  nôtre.  — 

C'eft  pourquoi  en  ces  chofes  il  ne  faut  pas  re- 
garder l'abus  de  quelques-uns ,  (  ce  feroit  entiè- 
rement fermer  la  porte  au  bien  ;  )  mais  regarder 
au  profit  commun ,  f&  à  ce  que  promet  nettement 

{a)  11  n'eft  donc  pas  dangereux  d'écrire  de  ces 
chofes. 

(A)  Eccle.  20.   f.  31.    (0  Jerem.  48.  v.  10. 

(d)  Donc  il  prétend  que  beaucoup  doivent  profiter 
de  ces  fortes  d'écrits. 


XLIV.  Oraifon.  §.  1.  24-26.  93 

S:  dirc(5tcmcnt  I:i  cliofc  dont  il  s'agit.  Là'mfmic, 
26.  S,  Bernard,  (  Scrm.  62.  fur  le  Cant,  )  parlant 
de  la  très-cmincntc  dodrinc  de  S.  Paul,  dit  : 
après  avoir  pénétre  le  prtMTiicr  &  le  fécond  ciel , 
d'une  fubtile, mais  picufe  curiofitc,  enfin  ce  bénin 
fcrutatcur  ne  Ta-t-il  pas  attiré  du  troifieme  ciel  ? 
Mais  il  ne  nous  Ta  pas  cachée,  mais  rcpréfentée 
en  des  paroles  claires,  le  plus  fidèlement  qu'il  lui 
a  été  pofîlblc. 

Donc  les  dodrincs  pour  être  hautes,  ne  doi- 
vent pas  être  cachées  :  &  cjuand  on  les  étalera  fi 
polies  &  circonftanciées  ,  que  parlant  prudem- 
ment &  moralement  on  n'en  puiffe  craindre  de 
dommage  ,  il  n'y  a  point  de  doute  qu'il  ne  foit 
très-convenable  de  les  publier.  — 

Le  meilleur  moyen  d'en  traiter,  c'eft  de  le  fai- 
re avec  reconnoiifance  &  foumiffion  à  leur  in- 
compréhenfibilité.  Celui  donc  qui  exhortera  à 
cette  reconnoiiïance  &  fujettion  en  pure  foi,  la 
préférant  à  toute  autre  intelligence  &  notice,  & 
à  l'habitude  de  notre  efprit ,  captivant  tout  ce 
qu'il  pourroit  de  foi-même  fous  l'obéifTance  de 
la  foi  ;  celui-là  ,  dis-je  ,  fe  conformeroit  fort  bien 
avec  les  Saints  ;  &  traitant  des  chofes  très-hau- 
tes ,  il  les  laifferoit  toujours  très-hautes  ;  &  par- 
lant de  celles  qui  font  ineffables ,  il  s'en  tairoit  en 
bégayant  quelque  chofc,  parce  qu'il  traite  de  nous 
recueillir  dans  le  faint  &  divin  filence  ;  &  con- 
noiffant  il  ignoreroit,  d'autant  qu'il  difcourt  de 
foumettre  la  connoifTance  à  la  reconnoiffance 
qu'on  doit  avoir  de  cette  grandeur  ;  &  écrivant 
il  n'écriroit  point ,  parce  qu'il  écrit  pour  donner 
à  entendre  que  ces  matières  font  par-deffus  tou- 
tes les  Ecritures  :  qui  eft  la  droite  intention  des 
Saints ,  nommément  de  S.  Denis.  —  Car  ce  fe- 
roit  une  chofc  bien  rude ,  que  ceux  ;  qui  préten- 


94  Justification. 

dent  fcrvir  Dieu  plus  purement ,  fufient  de  pire 
condition  que  les  autres  ;  &  que  voulant  fervir 
Dieu  en  ce  degré  relevé ,  il  n  y  eût  point  d'inf- 
trudion  pour  eux;  principalement  y  ayant  peu 
de  confeffeurs  &  de  maîtres ,  qui  en  puiitent  don- 
ner en  ce  haut  degré,  ayant  eux-mêmes  befoin 
de  l'apprendre  de  quelque  autre.  Et  qui  approu- 
vera, que  ces  âmes  pour  n'entendre  pas  les  lan- 
gues &  les  fciences ,  foient  privées  des  enfeigne- 

inens  requis  à  leur  avancement  &diredion? 

Les  inconvéniens  qui  peuvent  provenir  (a)  de 
malice  ou  d'ignorance  groffiere  ,  ne  nous  doi- 
vent retenir  &  diftraire  du  bien  :  autrement  il  fau- 
droit  fupprimer  la  Ste.  Ecriture ,  parce  que  les 
hérétiques  en  abufent.  Qu'on  brûle  donc  les  hif- 
toires  Eccléfiaftiques,  &  tant  de  chofes  rares  qui 
font  écrites  en  notre  langue.  Pourquoi  imprimer 
en  langue  vulgaire  les  Ecrits  de  Ste.  Théréfe  , 
remplis  d'une  fublime  dodrine?  Qiie  tout  cela 
dont  on  tire  tant  de  profit ,  ne  foit  plus  expofé  au 
Public;  afin  que  celui-ci  ou  un  autre,  quieftami 
de  foi-même  &  de  fa  grandeur ,  ne  prenne  de  là 
occafion  d'être  trompé  &  de  tromper.  Que  la 
gloire  de  Dieu  foit  cachée  ;  qu'on  ne  fâche  pas 
fes  merveilles  ;  qu'on  ferme  ce  chemin  par  où 
tant  de  perfonnes  s'animent  à  l'aimer  &  le  fervir. 
Dans  les  chofes  il  ne  faut  pas  regarder  l'abus  ou 
Je  fcandale  Pharifaïque  ,  mais  le  profit  commun. 
Là-même.  §.5. 

(û)  Il  eft  certain  que  les  gens  corrompus  entendent  & 
expliquent  toutes  chofes  félon  la  corruption;  femblables 
aux  araignées  qui  tirent  du  poifon  des  mêmes  fleurs 
d'où  les  abeilles  tirent  le  miel.  Il  ne  faut  pas  juger  d'un 
livre  par  le  goût  ou  le  difcours  d'une  perfonne  corrom- 
pue, mais  par  celui  d'une  perfonne  pure,  intérieure  & 
qui  juge  félon  refprit. 


XLIV.  Ùraifon.  §.  I.  ^G-2%.  95 

L'AUTKUK    DU     JOUR     AlvSTKjUE. 

27.  Il  ny  a  point  d'occupation  ,  [xjur  dillrayan- 
tc  qu'elle  foit,  cjui  puifle  empêcher  la  pratique  de 
rOraifon  du  repos,  quafui  elle  efl  pnfe  Telon  les 
règles  de  la  volonté  de  Dieu  ;  car  ce  Souverain 
Scij^neur  ,  ap[)ellant  tous  les  hommes  à  Torai- 
fon  (r;)  ,  iTi'}nie  continuelle  ,  fans  doute  il  leur 
veut  faire  la  grâce ,  s'ils  s'en  favcnt  &  veulent  fer- 
vir,  de  la  pouvoir  pratiquer  en  tout  tcms  &  en 
toutes  chofes.  Livr.  3.  Trai  c  ^,  C/i,  i.  Sc£{.  2. 

28.  C'eft  le  plus  commun  fentiment  des  Doc- 
teurs de  la  Théologie  Myflique ,  qui  efliment 
que  les  perfonnes  fimples  &,  ignorantes  des  fcicn- 
ces  humaines,  font  plus  propres  que  les  favans, 
à  apprendre  &  pratiquer  cette  fcience  Myltique. 
Dieu,  dit  Harp/iîus y  (b)  communique  aux  fimples 
cette  Myftique  Théologie,  afin  que  par  ce  moyen 
tous  les  fages  du  monde  foient  confondus  ,  &  que 
les  humbles  foient  confolés  &  réjouis  ,  vu  qu'une 
vieille  &  un  berger  ruftique  fe  peuvent  mieux 
élever  à  ces  chofes  avec  pureté  d'efprit,  que  tous 
ceux  qui  font  enflés  d'une  fageffe  mondaine  ,  qui 
n'y  pcuv^ent  atteindre  par  aucune  induftrie  ni  in- 
telligence ,  pour  pénétrante  qu'elle  puiffe  être. 

Bien  que  la  Théologie  Myftique  ,  dit  Gcrfon  (c), 
foit  une  fuprême  &  très-parfaite  connoiflTance,  — 
chaque  fidèle  néanmoins  la  peut  avoir  ,  fût-ce  un 
idiot ,  ou  une  petite  femmelette.  Il  confirme  ail- 
leurs (d)  &  prouve  même  que  les  fimples  &  les 
idiots  parviennent  plutôt  &  plus  hautement  à  la 
Théologie  Myftique  par  la  foi,  parl'efpérance  & 
par  la  charité ,  que  les  îkvans ,  —  rapportant  quel- 

(û)  Luc  ig.  V.  I. 

(*)  Théologie  Myji.  Liv.  j.  Préface, 
(c)   Theolog.  Myji,  Confid.  îo. 
id)  Confid.  9. 


96  Justification. 

quc5  raifons  remarquées  par  S.  Thomas  fur  la 
queftion ,  pourquoi  les  fimples  font  quelquefois 
plus  dévots  que  les  favans ,  qui  font,  i.  que  la 
foi  de  telles  perfonnes  eft  moins  troublée  par  les 
fantômes  des  opinions  contraires  ,  qu'elles  n'en- 
tendent pas  ,  &  auxquels  elles  ne  penfent  point; 
1?.  qu'elles  font  ordinairement  plus  humbles,  & 
que  c'eft  à  celles-là  que  Dieu  communique  fes 
grâces ,  abandonnant  les  fuperbes  ;  3.  que  les  fim- 
ples ont  fouvent  plus  grand  foin  de  leur  falut ,  & 
Topèrent  avec  crainte. 

Il  affure  au  même  endroit  qu'un  certain  per- 
fonnage  avoit  coutume  de  dire ,  qu'après  avoir 
paffé  quarante  ans  &  plus  à  feuilleter ,  étudier , 
lire ,  méditer  plufieurs  chofes ,  il  n'avoit  rien  trou- 
vé de  plus  abrégé  &  de  plus  efficace  pour  acquérir 
la  Théologie  Myftique  ,  que  de  fe  rendre  au-def- 
fous  de  Dieu  comme  un  enfant,  vu  que  lui-mê- 
me s'eft  fait  enfant  pour  nous  ,  &  comme  tel  s'eft 
donné  à  nous.  Et  ailleurs  (a)  il  fait  voir  cela  mê- 
me par  une  comparaifon  familière. 

Confidérons,  dit-il,  deux  hommes ,  dont  l'un 
foit  très-fubtil  aux  fens  de  la  vue  &  de  l'ouïe , 
mais  hébété  à  ceux  de  l'odorat ,  du  goût  &  du 
toucher;  &  fuppofons  l'autre  qui  foit  aveugle  & 
fourd,  mais  très-fubtil  aux  trois  autres  fens  :  il 
efè  certain  que  celui-ci  pourra  éprouver  de  plus 
grandes  délectations  que  le  premier.  Appliquons 
ceci,  pourfuit-il,  à  la  Théologie  Myfbique.  Les 
Philofophes  &  les  Théologiens  qui  font  favans, 
ont  la  vue  &  l'ouïe  fpirituelle  aiguë  &  pénétrante , 
mais  il  arrive  que  plufieurs  d'entre  eux  ont  les 
autres  fens  fpirituels  bien  émoufles.  —  Il  ne  faut 
pas  s'étonner  fi  les  fimples  &  fans  dodrine ,  qui 
font  comme  fourds  &  aveugles  en  toute  autre 

(a)  Confîd.    11.  ^ 

fciencc 


XLIV.  Oraifon.  ^.  I.  28-29.  9> 

iciciicc  ,  li  ce  ircfl  en  celle  de  la  loi ,  fe  dcleétent 
en  UJeu,  qu'ils  aiment  &  délirent.  Kt  en  cette 
lac^on  ils  le  fentent ,  le  ^i^oùtent ,  adorent  fa  bonté , 
&  en  rembraHaiît  le  touchent ,  ayant  par  pureté 
de  vie  &  par  fnnplicité  les  fens  purji^és  &  refor- 
mes,  qui  dans  Ijs  autres  vicieux  font  enticre- 
iiient  fîupidos  ,  fans  pouvoir  reffentir  &  coûter 
les  chofes  divines  très-fuaves  ,  quoiqu'ils  les 
voient  ou  entendent.  — . 

Denis  le  Chartreux  (a)  parlant  de  Rusbroche , 
rappelle  idiot,  qui  à  peine  entendoit  le  latin, 
cependant  il  l'appelle  un  autre  S.  Denis.  ~ 

Taulerc  favant  ik  grand  contemplatif  a  été  (b) 
inftruit  par  un  homme  ignorant  des  Lettres  hu- 
maines 5  mais  fort  fpintuei.  Là-même,  Chap.  2. 
Sca,  2. 

29.  Tout  ainfi,  dit  Gerfon  ,  (c)  qu'il  faut  ca- 
cher les  paroles  de  la  Théologie  Myftique  à  plu- 
fleurs  dodes  &  lettrés  ,  qui  font  nommés  Sages  , 
Philofophes  &  Théologiens  ;  aulFi  la  faut-il  en- 
feigner  à  plufieurs  fimples,  fans  doctrine  ni  étu- 
de, pourvu  qu'ils  foient  fidèles.  Là-méme.  Chap.  3, 
Seâ.  I. 

(a)  Sermon  i.  Conf,  non  Fontif. 

(6)  En  fa  vie. 

(c)  Theolog.  MyJ}.  ConM.  ji. 


Tome  IL  Jujîif. 


98  JUSTIÏieATION, 


$.  II.  Oraifon  à  Méditation. 

Je  continue  de  TOraifon. 

M  O  Y  E  N    C  O  U  R  T. 

A  ous  ceux  qui  veulent  faire  oraifon  ,  le 
peuvent  aifément  avec  le  fecours  de  la  grâ- 
ce ordinaire  &  les  dons  du  S.  Efprit  ,  qui 
font  communs  à  tous  les  Chrétiens. 

L'oraifon  eft  la  {a)  clef  de  la  perfeélion 
&  du  bonheur  fouverain  ,  c'eft  le  moyen 
efficace  de  nous  défaire  de  tous  les  vices,  & 
d'acquérir  toutes  les  vertus  ;  car  le  grand 
moyen  de  devenir  parfait  eft  ,  de  marcher 
en  la  préfence  de  Dieu.  Ch.  i.  n.  3. 

Allez  donc  à  Toraifon  ,  non  pour  vouloir 
jouir  de  Dieu  ;  mais  pour  y  être  comme 
il  veut  :  cela  fera  que  vous  ferez  égal  dans 
les  féchereffes  comme  dans  Tabondance, 
Ch.  4.  n.  3.       ^ 

O  fi  on  favoit  les  biens  qui  reviennent  à 
Tame  de  cette  oraifon  ,  on  ne  voudroit  faire 
autre  chofe.  Ch.  %o.  n.  4. 

(a)  Ste.  Thérèfe  dit  là  même  chofe.  (Voyez  Orai^ 
Jon.  §.  L  n.  S.  Oraif.  J.  IL  n.  4.  &c.) 


XMV.    Om/o;/.  §.  IL  99 


Méditation. 

MOYEN    COURT. 

ous  {a)  peuvent  donc  faire  oraifon  ,  & 
tous  la  doivent  faire.  Mais  je  conviens  que 
tous  ne  peuvent  pas  méditer  ,  &  très-peu  y 
font  propres.  AufTi  n'eft-ce  pas  cette  orai- 
fon que  Dieu  demande  ni  qu'on  défire  de 
vous.  —  Vous  devez  vivre  d'oraifon  com- 
me vous  devez  vivre  d'amour.  Chap.  l. 
/z.  I  ,  ^. 

Il  faut  vous  apprendre  à  faire  une  Orai- 
fon {h)  qui  fc  puifTe  faire  en  tout  tem.s  ;  qui 
ne  détourne  point  des  occupationsextérieu- 
tes  ;  que  les  Princes ,  les  Rois  ,  les  Prélats  , 
les  Prêtres  ,  les  Magiftrats  ,  les  Soldats  , 
les  Enfans  ,  les  Artifans  ,  les  Laboureurs  , 
les  Femmes  ,  &  les  Malades  puiflent  faire. 
Cette  Oraifon  n'eft  point  TOraifon  de  la 
tht.Q, ,  mais  l'Oraison  du  cosur. 

Ce  n'eft  pas  une  oraifon  de  feule  penfée^ 
parce  que  Tefprit  de  Thomme  eft  fi  borné  , 
que  s'il  penfe  à  une  chofe  ,  il  ne  peut  pen- 
fer  à  l'autre  :  mais  c'efl:  l'Oraifon  du  cœur , 

(a)  Ceci  a   été   vu  cudejfus.  §.  I. 

(A)  Tout  ceci  eft  renfermé  fous  la  propofition  ;  tou$ 
peuvent  faire  oraifon. 

G  a 


ÏOO  J   U    s    T    I    f    I    e    A    T    I    O    N. 

qui  n'eft  point  interrompue  par  toutes  les 
occupations  de  Tefprit. 

Rien  ne  peut  interrompre  POraifon  du 
cœur  que  les  afFcéHons  déréglées  :  &  lors 
qu'on  a  une  fois  goûté  Dieu  &  la  douceur 
de  fon  amour  ,  il  eft  impoflible  de  goûter 
autre  chofe  que  lui. 

Rien  n'elt  plus  aifé  {a)  que  d'avoir  Dieu 
&  de  le  goûter.  Il  eft  plus  en  nous  que 
nous-mêmes*  11  a  plus  de  défir  de  fe  donner 
à  nous  5  que  nous  de  le  poflTéder.  Il  n'y  a 
que  la  manière  de  le  chercher  ,  qui  eft  fi  ai- 
lée &  il  naturelle  ^  que  Tair  qu'on  refpire 
ne  Feft  pas  davantage.  Oui  vous  qui  êtes  11 
groiîiers ,  qui  croyez  n'être  propres  à  rien  , 
vous  pouvez  vivre  d'oraifon  &  de  Dieu  mê- 
me 5  aufli  aifément  &  auffi  continuellement 
que  vous  vivez  de  l'air  que  vous  refpirez» 
Chap.  I.  ;2.  4  ,  5. 

11  y  a  deux  moyens  pour  introduire  les 
âmes  dans  l'Oraifon  ,  dont  on  peut  &  doit 
(Jy)  fe  fervir  pour  quelque  tems.  L'un  eft  la 
Méditation  ;  l'autre  la  Ledure  méditée. 

La  lecture  méditée  n^e(\:  autre  chofe  ,  que 
de  prendre  quelques  vérités  fortes,  foit  pour 
la  fpéculative  foit  pour  la  pratique ,  préfé- 

(a^  Ste.  Théréfe  Ta  prouvé  dans  ce  que  j'ai  rapporté 
de  Ces  Ecrits,  qu*en  peu  on  arrivoit  à  Poraifon.  (Voyez 
Chemin  court,  n.  ç.   &c.  ) 

[6]  Je  ne  dis  donc  pas  ,  qu'il  ne  faille  pas  paflet 
par  ces  moyens ,  mais  bien  n'y  pas  demeurer  attaché  j 
&  les  quitter  fitôt  que  Dieu  attire  à  autre  choie. 


XL  TV.    Oraifoji.  ^.  IT.  iot 

rant  la  dcrnicrc  à  la  première  ,  &  lire  de 
cette  forte. 

Vous  prendrez  votre  vérité  telle  que 
vous  la  voudrez  choifir  ,  &  vous  en  lirez 
enfuite  deux  ou  trois  lignes  pour  les  di- 
gérer &  goûter  ,  tachant  d'en  prendre  le 
lue  ,  &  de  vous  tenir  arrêté  à  Tcndroit  que 
vous  lifez  tant  que  vous  y  trouvez  du  goût, 
&  ne  pafTant  point  outre  que  cet  endroit  ne 
vous  Ibit  rendu  Infipide. — 

L'autre  cil  la  Aléditation  ,  qui  fe  fait  dans 
Theure  choifie  pour  cela  ,  &  non  dans  le 
tems  de  la  leélure.  Je  crois  {a)  qu'il  feroit 
bon  de  s'y  prendre  de  cette  manière. 

Après  s'être  mis  en  la  préfence  de  Dieu 
par  un  afte  de  foi  vive  ,  il  faut  lire  quel- 
que chofe  de  fubllantiel  ,  &  s'arrêter  dou- 
cement là-defiTus  ,  non  avec  raifonnement , 
mais  feulement  pour  fixer  l'efprit  ,  obfer- 
vant  que  l'exercice  principal  doit  être  la 
préfence  de  Dieu.  Chap.  i.  n.  i ,  i. 

Ceux  qui  ne  favent  pas  lire  ,  ne  feront 
pas  privés  pour  cela  de  l'oraifon.  Jéfus- 
Chrilt  eft  le  grand  livre  écrit  par  dehors 
&  par  dedans  ^  qui  leur  enfeignera  toutes 
chofes. 

Ils  doivent  pratiquer  cette  méthode.  Pre- 
mièrement ,  il  faut  qu'ils  apprennent  une 

\ji\  Il  eft  aifé  de  voir  que  je  n'exclus  pas  la  Médî- 
tation  ,  comme  premier  moyen  &  pafllîge. 

G3 


Î02        Justification 

vérité  fondamentale  ^  qui  eft  ,  que  {a)  le 
Royaume  de  Dieu  efl  au^-dedans  d^eux  ,  & 
que  c'eft  là  qu'il  le  faut  chercher. 

Les  Curés  devroient  apprendre  à  faire 
oraifon  à  leurs  Paroiffiens ,  comme  ils  leur 
apprennent  le  Catéchifme.  lis  leur  appren- 
nent la  fin  pour  laquelle  ils  ont  été  créés  , 
&  ils  ne  leur  apprennent  pas  aiïez  à  jouir 
de  leur  fin.  Chap.  o.  n.  i. 

Le  fécond  degré  eft  appelle  par  quel- 
ques-uns Contemplation  ,  Oraifon  de  foi 
&  de  repos  ;  d'autres  lui  donnent  le  nom 
d^ Oraifon  de  fimplicité  ;  &  c'eft  de  ce  der- 
nier terme  dont  il  faut  fe  fervir  ici ,  étant 
plus  propre  que  celui  de  Contemplation  , 
qui  fignifie  une  oraifon  plus  avancée  que 
celle  dont  je  parle. 

Lors  donc  que  Tame  s'eft  exercée  , 
comme  il  a  été  dit ,  durant  quelque  tems , 
elle  fent  que  peu-à-peu  la  facilité  de  s'ap- 
pliquer à  Dieu  lui  eft  donnée  ;  elle  com- 
mence à  fe  recueillir  plus  aifément  :  l'o- 
raifon  lui  devient  aifée  ,  douce  &  agréa- 
ble ;  elle  connoit  que  c'cft  le  chemin  de 
trouver  Dieu  :  elle  fent  l'odeur  de  fes  par- 
fums. 

Alors  il  faut  qu'elle  change  de  methode.— 

Premierement ,  fitôt  qu'elle  fe  met  en  la 
préfence  de  Dieu  avec  foi ,  &  qu'elle  fe  re- 

M  Luc  17.  V.  îJi. 


XLIV.   Oraifori.  §.  IL  joj 

cueille  ,  qu'elle  demeure  un  peu  de  cette 
forte  dans  un  filence  refpecSlueux. 

Que  11  dès  le  commencement ,  en  faifant 
fon  a6le  de  foi ,  elle  fe  fent  un  petit  goût 
de  la  préfence  de  Dieu ,  quV^Ile  en  demeure 
là  ,  fans  fe  mettre  en  peine  d'aucun  fujet  , 
ni  de  palfer  outre  ;  &  qu'elle  garde  ce  qui 
lui  eft  donné  tant  qu'il  dure. 

S'il  s'en  va  ,  qu'elle  excite  fa  volonté  par 
quelque  affedion  tendre  ;  &  fi  dès  la  pre- 
mière afFedion  elle  fe  trouve  remife  dans 
fa  douce  paix  ,  qu'elle  y  demeure.  Il  faut 
fouffler  doucement  le  feu  ;  &  fitôt  qu'il  eft 
allumé  celTer  de  le  fouffler  ;  car  qui  vou- 
droit  encore  fouffler  ,  Téteindroit. 

Je  demande  fur-tout  qu'on  ne  fînifTe  ja- 
mais l'oraifon  ,  fans  qu'on  demeure  quel- 
que tems  fur  la  fin  dans  un  filence  refpec- 
tueux. 

Il  eft  encore  de  grande  conféquence  que 
î'ame  aille  à  l'oraifon  avec  courage ,  qu'elle 
y  porte  un  amour  pur  &  fans  intérêts.  Ch. 
4..  n.  1,2,3. 

Si  tous  ceux  qui  travaillent  à  la  conquête 
des  âmes  ,  tâchoient  de  les  gagner  par  le 
cœur  ,  les  mettant  d'abord  en  oraifon  &  en 
vie  intérieure ,  ils  feroient  des  converfions 
infinies  &  durables.  Mais  tant  que  l'on  ne 
s'y  prend  que  par  le  dehors  ,  &  qu'au  lieu 
d'attirer  les  âmes  à  Jéfus-Chrift  par  l'occu- 
pation du  cœur  en  lui ,  on  les  charge  feule^ 

G  4 


J04         Justification. 
ment  de  mille  préceptes  pour  les  exercices 
extérieurs  ,  il  ne  fe  fait  que  très -peu  de 
fruit  5  &  il  ne  dure  pas.  Ch.  23.  n.  t. 

En  ce  métier  ,  fouvent  les  plus  greffiers 
deviennent  les  plus  habiles  ;  parce  qu'ils  y 
vont  plus  fimplement  &  plus  cordialement. 
L'Efprit  de  Dieu  n'a  pas  befoin  de  nos  ajuC. 
temens ,  il  prend  quand  il  lui  plait  des  ber- 
gers pour  en  faire  des  Prophètes.  Ch.  23. 

/2.    8. 

Il  eft  impoffible  d'arriver  à  l'union  divi- 
ne {a)  par  la  feule  voie  de  la  méditation  ,  ni 
même  des  afFeélions  ,  ou  de  quelque  orai- 
fon  lumineufe  &  comprife  que  ce  puiffie  être. 
Il  y  en  a  plufieurs  raifons  :  voici  les  princi- 
pales. Premièrement  félon  l'Ecriture;  {h) 
Nul  ne  verra  Dieu  ,  tant  qu  il  fera  vivant. 
Or  tout  l'exercice  de  l'Oraifon  difcurfive  , 
ou  même  de  la  Contemplation  aélive  , 
regardée  comme  une  fin  ,  &  non  comme 
une  difpofition  à  la  paffive  ,  font  des  exer- 
cices vivans  ,  par  lefquels  nous  ne  pouvons 
voir  Dieu  ;  c'eft-à-dire  ,  être  unis  à  lui, 
Chap.  24.  n.  t. 

{d)  Ceci  a  déjà  été  prouvé.  (Vo\%'?z  ASlcs  ^  Anéanr 
îijjement^^  Opérations  propres  &c*) 
ib)  Exod.  33.  V.  2to. 


XLIV.   Oraifon  ^.  IT.  1-4.  105 

A  U  T  O  R  I  T  !'•:  S. 

(J    A    S    S     1     h    N. 

1.  jLj'AbbÉ  Ifanc  Hit,  qu'il  .1  appris  (le  s.  Antoi- 
ne cette  fentcncc,  qu'il  nppclle  cticllc  &  plus 
<ju'luimainc  :  l'oraifon  iVcll  pas  parlaitc  lorfqnc 
le  Iblitaire  connoît  ce  qu'il  fait  qunnd  il  prie. 
L'on  fer.  9.   Chap.   30. 

•-!.  Nous  prions  en  Iccrct  cpiand  il  n'y  a  cjuc 
notre  cœur  qui  prie,  cnlbrte  que  les  Puiflances 
des  ténèbres  ne  puifFent  pas  connoître  la  nature 
de  notre  oraifon.  Ainfi  il  faut  prier  dans  un 
grand  lilence,  afin  de  cacher  notre  oraifon  à  nos 
ennemis  invifibles,  qui  nous  tendent  des  pièges, 
particulièrement  en  ce  tems-l:i.   Là-nv'nie,  C/u  34. 

3.  Voyez  Ison-drfir.  n.  i. 

Ste.     Thérèse. 

4.  Je  vois  clairement  la  grande  miféricorde  que 
Notre  Seigneur  m'a  faite,  vu  que  je  devois  cou- 
verferavec  le  monde,  de  me  donner  du  courage 
pour  faire  oraifon.  Je  dis  du  courage  ;  d'autant 
que  je  ne  fais  pour  quelle  cbofe  de  toutes  celles 
qui  font  au  monde  ,  il  en  faudroit  avoir  davanta- 

Or  j'ai  dit  tout  ceci ,  afin  qu'on  voie  la  miféri- 
corde de  Dieu  &  mon  ingratitude  ,  &  afin  qu'on 
fâche  le  grand  bien  que  fa  Majeflé  fait  à  une  amc 
de  la  difpofer  à  faire  oraifon  avec  affection  ,  quoi- 
qu'elle n'ait  pas  tant  de  difpofition  comme  il  eft 
requis;  &  comme  Dieu  la  conduit  au  port  de  fa- 
lut,  fi  elle  y  perfévére ,  nonobflant  les  péchés, 
les  tentations  &  les  chûtes  de  mille  manières, 
où  le  Diable  la  pourroit  eno;ager  :  ce  que  je  tiens 
pour  certain.  —  Suivant  l'expérience  que  j'ai  en 


îo6         Justification. 

ceci,  je  puis  dire,  que  celui  qui  a  commence  k 
faire  oraiion  ,  ne  la  doit  jamais  quitter ,  pour  quel- 
ques oiienfes  qu'il  commette  ,  puifque  c'eft  le 
iTioyen  par  lequel  il  pourra  trouver  fon  remède  ; 
ik  fans  cela  il  aura  beaucoup  plus  de  difficulté: 
&  qu'il  prenne  bien  garde  de  ne  fe  lailTer  aller  à 
Il  teiUationdont  le  Diable  m'a  déçue,  favoir  eft, 
de  laifftr  ce  faint  exercice  par  humilité.  — 

Or  quiconque  n'a  encore  commencé  de  s'exer- 
cer a  Toraifon  ,  je  le  prie  pour  l'amour  de  Notre 
Seigneur  de  ne  fe  point  priver  d'un  fi  grand  bien. 
Jl  n'y  a  rien  ici  à  craindre,  mais  tout  y  eft  défi- 
rable  :  car  bien  qu'il  ne  s'avance  pas  &ne  s'effor- 
ce d'être  parfait,  enforte  qu'il  mérite  les  goûts 
i&  les  carefTes  dont  Dieu  favorife  les  parfaits;  au 
moins  il  gagnera  cela,  qu'il  viendra  à  connoitrc 
le  chemin  du  ciel,  &  s'il  perfévére,  j'efpere  en 
îa  miféricorde  de  Dieu,  que  fa  perfévérance  ne 
fera  point  vaine,  puifque  perfonne  ne  l'a  jamais 
pris  pour  ami,  qu'il  n'en  ait  été  bien  récompen- 
fé  :  d'autant  que  faire  oraifon  mentale,  à  mon 
avis  ,  n'efl:  autre  chofe  que  de  traiter  &  commù- 
niquer  d'amitié,  s'entretenant  fouvent  feul  avec 
celui  que  nous  favons  nous  porter  de  l'affeclion. 
Vie,  Chap.  8. 

5.  Or  j'avois  cette  manière  d'oraifon ,  favoir 
eft,  que  ne  pouvant  difcourir  avec  l'entende- 
ment, je  tâchois  de  repréfenter  Notre  Seigneur 
Jéfus-Chrift  au-dedans  de  moi  :  &  à  mon  avis  je 
trouvois  plus  de  fuc  &  plus  d'affedion  dans  les 
lieux  où  je  le  voyois  plus  feul.  Il  me  fembloit 
qu'étant  feul  &  affligé ,  il  me  devoit  admettre 
comme  une  perfonne  qui  eft  néceffiteufe. 

J'avois  beaucoup  de  ces  fimplicités ,  mais  fpé- 
cialement  je  me  trouvois  bien  dans  l'Oraifon  du 
Jardin.  ~  Durant  plufieurs   années   lorfque  je 


XLIV.   Oraifon  §.  H.  4-8.  ^^7 

\nc  rccomiTiaiuloi<;  à  Dicn  iwimm  (jue  (le  m'cn- 
rlorrnii  ,  )c  pcniois  toujours  uu  peu  ca  ce  mydc- 
re  de  IXJiail'on  du  Jardin  ,  incmc  n'étant  pas  en- 
core Rcligieure,  d'autant  (]u  on  nVavoit  dit  que 
pratiquant  cela  on  g-ag:noit  pluficurs  indulji^ences. 
Ktje  tiens,  (juant  à  mol,  que  mon  ame  profita 
beaucoup  par  ce  moyen,  d'autant  cjue  par  là  je 
commentai  à  faire  oraifon,  fans  fav^oir  ce  que 
c'ctoit;  (Se  la  grande  habitude  qucj'y  avois  prife, 
m'empéchoit  d'omettre  cette  dévotion  ,  uon  pluî> 
que  de  faire  le  figne  de  la  croix  avant  que  de  re- 
pofer.    Vie   C/iap,  9. 

6.  (Kn  méditant  quelque  myftére  de  la  paf- 
fion,  )  il  efl  bon  de  difcourir  un  peu  de  tcms,  & 
il  ne  faut  pas  fe  iaffer  à  éplucher  toujours  ces 
chofes  ;  mais  après  avoir  accoifé  Tentcndement , 
&  Tayant  mis  dans  le  filence  ,  on  doit  demeurer 
là  avec  Notre  Seigneur,  jouilTant  de  Ion  aima- 
ble préfence.  —  Celui  qui  pourra  faire  ceci ,  (|Uoi- 
que  ce  foit  au  commencement  de  l'oraifon,  y 
trouv'era  un  grand  proHt,  &  cette  manière  d'o- 
raifon  produit  beaucoup  de  fruit  :  au  moins  mon 
ame  Inexpérimenté.  Là-même.  Cliap,  13. 
'  7.  Or  tout  ceci  eft  accompagné  d'une  très- 
grande  confolation ,  &  fe  fait  avec  fi  peu  de  tra- 
vail, que  Toraifo]!  ne  lafTc  aucunement,  quoi- 
qu'elle dure  longtems.   Chap.  14. 

8.  Notre  Seigneur  donne  des  tendreOTes,  des 
goûts  ,  &  des  confolations  à  des  perfonnes  en 
mauvais  état,  —pour  voir  fi  par  cette  faveur 
elles  fe  voudroient  difpofer  à  jouir  fouvent  de 
lui  :  mais  fi  elles  ne  s'y  difpofent  pas  ,  pardonnez- 
leur,  mon  Seigneur,  car  c'eft  un  grand  mal.  — 
Je  tiens  pour  moi,  qu'il  y  a  pluiieurs  perfonnes 
que  Notre  Seigneur  éprouve  de  cette  manière, 
&  peu  qui  fe  difpofent  à  jouir  de  cette  gTace ,  car 


xo8  Justification. 

quand  il  la  fait  &  qu'il  ne  tient  point  à  nous ,  je 
tiens  pour  certain  qu'il  ne  cefTe  jamais  de  don- 
ner jufqu'à-ce  qu'il  nous  mette  en  un  très-haut 
degré. 

^  Quand  nous  ne  nous  livrons  pas  à  fa  divine 
Majeflé  avec  une  fi  pleine  volonté,  comme  elle 
fe  livre  à  nous,  elle  fait  aflez  de  nous  lailTer  de- 
meurer dans  l'oraifon  mentale  ,  &  de  nous  vifi- 
ter  de  tems  en  tems  comme  des  ouvriers  qui  tra- 
vaillent en  fa  vigne  :  mais  ces  autres  font  fes  en- 
fans  chéris  que  Notre  Seigneur  tient  toujours 
près  de  foi ,  «à  qu'il  ne  voudroit  point  écarter  de 
fon  amoureufe  préfence,  parce  qu'eux  auffi  ne 
$en  veulent  point  éloigner  :  il  les  fait  affeoir  à  fa 
table  &  leur  fait  part  des  viandes  qu'il  y  mange , 
jufqu'à  s'ôter,  comme  on  dit,  le  morceau  de  la 
bouche  pour  le  leur  donner.  Chemin  de  Pcrfeâî. 
Chap.    i6. 

9.  C'eft  auffi  un  excellent  remède  de  prendre 
un  bon  livre  ,  en  langue  vulgaire ,  pour  recueillir 
Tentendem.ent,  afin  de  bien  prier  vocalementpar 
ce  moyen  ,  &  d'y  accoutumer  peu-à-peu  Tame  par 
attraits  &  par  artifices ,  pour  ne  la  point  dégoûter 
ni  épouvanter.  —  Que  fi  nous  ne  procédons  de 
la  forte  ,  &  fi  nous  ne  maixhons  ainfi  peu-à-peu, 
jamais  nous  ne  ferons  rien.    Et  fi  vous  vous  ac- 
coutumez à  ce  que  j'ai. dit,  vous  en  retirerez  un 
fi  grand  profit,  que  quand  je  voudrois  vous  le 
déclarer ,  je  ne  le  pourrois  faire.  Tenez-vous  donc 
auprès  de  ce  bon  iVlaître  ,  bien  réfolues  d'appren- 
dre ce  qu'il  vous  enfeignera,  cSc  Notre  Seigneur 
vous  fera  bonnes  difciples ,  &  ne  vous  laiffera  pas, 
fi  vous  ne  le  quittez  point.  Chap,  26. 
10.   Voyez  Prière  vocale,  n.   ï2. 
1  î.  Dieu  voit  que  l'ame  eft  perdue  &  aliénée 

■^  Prejcnce  de  Dieu.  n.  10. 


XLIV.  Oraifou.  §.  H.  8- 14.  i^*» 

de  foi  par  la  vclu-nicncc  de  l'amour  (iiTcllc  a  [)()iir 
lui,  <Sc  (|uc*  la  iiK-inc  force  de  r.nnour  lui  a  otc 
le  (iifcouis  de  reuteudeuient  poui  le  pouvoir  ai- 
mer davantaj^e.   Concept,  de  Cyîm.  de  Dieu.  Cha.   6. 

12.  Je  crois  (|ue  nous  aurez  déjà  a[)pris  dans 
quelc|ues  li\  res  d'oraifon  ,  coiTime  ils  confcillent 
à  Tame  d'entrer  au-dedans  de  foi  :  or  c'ell  ce  que 
je  dis  en  ce  lieu.  Il  y  a  peu  de  tems  (ju'un  perfon- 
nage.  fort  docle  me  difoit ,  que  les  âmes  qui  ne 
font  point  d'oraifon,  font  comme  un  corps  para- 
lytique ou  perclus,  lequel ,  quoiqu'il  ait  des  pieds 
&  des  mains  ne  s'en  peut  aider.  C/iat.  Der?i.  L 
Chap.    T . 

13.  Il  importe  grandement  à  toute  ame  quifaic 
Uraifon ,  foit  peu  ,  foit  beaucoup ,  de  n'être  point 
trop  réfervée  ou  tenue  à  l'étroit;  mais  on  doit  la 
laifl'er  aller  par  toutes  ces  demeures  en  haut,  ea 
bas  &  aux  côtés  ,  puis  que  Notre  Seigneur  l'a 
vofilu  favorifer  d'une  fi  grande  dignité  :  qu'elle 
ne  fe  relTerre  point  tant,  que  de  vouloir  demeu- 
rer longtems  dans  une  chambre ,  quoique  ce  foit 
dans  la  propre  connoiOaace  ;  car  encore  qu'elle 
foit  fi  néceflaire ,  —  que  l'ame  occupée  à  la  con- 
noiifance  d'elle-même  me  croie ,  &  qu'elle  pren- 
ne quelquefois  Teffor,  pour  confidérer  la  gran- 
deur &  la  majefté  de  fon  Dieu  :  car  là  elle  verra 
mieux  fa  bafTeffe  qu'en  foi -même;  &   elle  fera 
plus  libre  des  bêtes  &  des  vermines  qui  entrent 
dans    les    premières    demeures.     Chat.    L    Dcm, 
Chap,  n,. 

14.  Remarquez  bien  ,  mes  filles  ,  ce  que  je 
vais  dire.  Toute  la  prétention  de  celui  qui  com- 
mence à  faire  oraifon ,  doit  être  de  fe  réfoudre  , 
de  fe  difpofer  &  de  travailler  avec  toutes  les  dili- 
gences poflibles  ,  à  conformer  fa  volonté  à  celle 
dç   Dieii  j  &  comme  je  le  dirai  après  ^  tenez 


iio        Justification. 

pour  très-certain  qu'en  cela  confifte  toute  lapins 
grande  perfection  ,  qu'on  peut  obtenir  en  ce  che- 
min fpirituel.  Celui  qui  aura  ceci  plus  parfaite- 
ment ,  recevra  davantage  de  Notre  Seigneur  ,  & 
fera  plus  avancé  dans  cette  voie.  Ne  penfez  pas 
qu'il  y  ait  ici  d'autre  langue  Arabefque  ,  ou  d'au- 
tres chofes  inconnues,  car  en  cela  confifte  tout 
notre  bien.  Q^ue  fi  nous  manquons  dès  le  com- 
mencement, voulant  auffi-tôt  que  Dieu  fafle  no- 
tre volonté  ,  &  qu'il  nous  conduife  par  la  voie 
que  nous  défirons ,  quelle  fermeté  pourra  avoir 
cet  édifice  ?  Dem,   IL  Chap.  i. 

LeB.  Jean  de  la  Croix. 
15.  L'ame  qui  prétendra  de  parvenir  en  cette 
vie  à  l'union  de  ce  fouverain  repos,  doit  pafTer 
par  tous  les  degrés  de  confidérations  ,  formes  Se 
notices  fans  s'arrêter,  vu  qu'elles  n'ont  (a)  au- 
cune proportion  ni  femblance  avec  le  terme  où 
elle  s'achemine ,  qui  eft  Dieu.  —  D'où  vient  que 
quelques  fpirituels  s'abufent  grandement  ,  qui 
s'étant  exercés  à  s'approcher  de  Dieu  par  images , 
formes  &  méditations  convenables  aux  commen- 
çans ,  Dieu  voulant  les  attirer  à  des  biens  plus  fpi- 
rituels &  plus  intérieurs  qui  font  invifibles  ,  leur 
ôtan:  déjà  le  goût  &  le  fuc  de  la  méditation  qui 
fe  fait  par  difcours,  ils  n'achèvent  point  de  s'en 
défaire ,  &  n'ofent  &  ne  favent  quitter  ces  moyens 
palpables  qu'ils  ont  accoutumé  ,  &  s'efforcent  en- 
core de  les  garder,  voulant  aller  par  leur  confi- 
dération  &  méditation  de  formes  comme  aupa- 
ravant.* —  Tant  plus  l'ame  avance  en  efprit,  plus 
elle  cefTe  l'œuvre  des  puiffances  aux  objets  parti- 
culiers ,  fe  mettant  en  un  feul  adle  général  & 
pur;  ainfi  les  puiffances  celTent  d'opérer  ,  com- 
me elles  faifoient  auparavant ,  pour  arriver  où 
(a)  Moyça  court.  Chap.  24..   v.  i ,  2?.  &c. 


XLIV.  Oraifou.  Ç.  71.  Î4-.16.  m 

Tamc  cfl  paiNcniic,  de  incinc  (|nL-  les  pieds  s'ar- 
rêtent après  avoir  aciievx  leur  journée.  Car  s'il 
falJoit  toujours  mareher,  on  n*arriv'croit  jamais ;& 
fi  tout étoit des  moyens,  cjuand  c(l-cc  qu'on jouï- 
roit  des  fins  &  des  termes?  Ceft  une  pitié  de  voir 
que  leur  amc  voulant  être  en  cette  paix  t<c  repos 
de  quiétude  intérieure  ,  où  elle  le  comble  de  paix 
is.  de  la  réfection  de  Dieu,  ils  Tiiiquiétent  <!y:  la 
tirent  dehors  au  plus  extérieur  ,  &  veulent  qu'elle 
retourne  à  marcher  par  où  elle  marchoit  aupa- 
ravant ,    &  qu'elle  lailTe   la    fin  &   le  terme  oïl 
elle  fe  rcpofe  déjà,  pour  reprendre  les  moyens 
qui   l'y   acheminoient ,  qui    font  les  confidéra- 
tions  :  ce  qui  n'arrive  qu'avec  un  grand  dégouC 
&  répugnance  de  i'ame  ,  qui  délire  demeurer  en 
cette  paix  comme  en  fon  propre  centre  ;  comme 
celui  qui  eft  arrivé  avec  peine  en  fon  lieu  de  re- 
pos, fi  on  le  fait  retourner  au  travail,  cela  lui 
pefe  fort.  Montée  du  Mont  CarmeL  lÂvr,  2.  Chap.  12. 

16.  Nous  donnerons  ici  quelques  remarques, 
lefquels  le  fpirituel  doit  voir  en  foi  pour  con- 
noître  s'il  eft  à  propos  de  laifTer  les  formes  & 
difcours  de  la  méditation  ,  en  ce  tems  là  ,  ou  non. 

La  première  eft  de  voir  en  foi  qu'il  ne  peut  (a) 
plus  méditer  ni  apérer  avec  l'imagination ,  &  qu'il 
n'y  a  plus  de  goût  comme  auparavant.  —  La  fé- 
conde ,  quand  il  voit  qu'il  n'a  nulle  inclination , 

(û)  II  eft  à  noter  ,  que  les  perfonnes  qui  ont  com- 
battu les  attraits  de  la  grâce  par  leurs  propres  efforts , 
&  qui  ont  paffé  ce  tems-là ,  peuvent  facilement  après 
méditer ,  parce  qu'ils  fe  font  exercés  avec  force  à  rai- 
fonner ,  &  en  ont  formé  l'habitude.  Ce  n'eft  pas  pour 
ceux-là  que  le  Bienheureux  parle  ici  :  car  il  feroit  à 
fouhaiter  qu'ils  changeaflent  de  conduite  ;  il  eft  à  craindre 
qu'ils  ne  le  faficnt  jamais  ;  il  parle  pour  les  conimen- 
çans^ 


112  Justification. 

ou  volonté  de  mettre  Timagination  ,  m  les  fens 
en  aucune  chofe  particulière,  extérieure  ni  inté- 
rieure :  je  ne  dis  pas  qu'elle  n'aille  &  ne  vienne  , 
(  car  encore  en  un  grand  recueillement  elle  ne 
lailTe  pas  d'être  vagabonde;  )  mais  que  Tame  ne 
prenne  plaifir  de  l'appliquer  exprès  en  d'autres 
chofes.La  troifieme  &laplus  certaine  eit,  fi  Tame 
prend  plaifir  d'être  feule  avec  attention  amou- 
reufe  à  Dieu  ,  fans  confidération  particulière,  en 
paix  intérieure,  quiétude  &  repos,  fans  acle  ni 
exercice  des  puiffances,  —  au  moins  où  il  y  ait 
du  difcours  ,  qui  eft  d'aller  d'une  chofe  à  l'autre , 
mais  feulement  qu'elle  demeure  avec  la  connoif- 
fance  &le  regard  général  &  amoureux,  que  nous 
appelions  fans  intelligence  particulière  d'autres 
chofes. — 

I|  eft  bien  vrai,  qu'au  commencement  de  cet 
état  on  ne  voit  prefque  pas  cette  notice  arnou- 
reufe ^  pour  dei'xraifons  :  l'une,  parce  qu'au  com- 
mencement cette  notice  amoureufe  eft  très-fub- 
tile  &  délicate  &  prefque  infenfible;  l'autre,  parce 
que  l'ame  ayant  été  habituée  à  l'autre  exercice  de 
la  méditation  ,  qui  eft  plus  fenfible,  elle  ne  fent 
&  n'apperçoit  prefque  pas  cette  autre  nouveauté 
infenfible,  qui  eft  déjà  purement  de  l'efprit;  fpé- 
cialement  lorfqu'à  faute  d'entendre  ce  nouvel 
état,  elle  ne  fe  laiffe  repofer  en  cela  ,  procurant 
Tautre,  qui  eft  plus  fenfible  :  avec  lequel,  quoi- 
que la  paix  intérieure  &  amoureufe  foit  plus 
abondante  ,  on  ne  donne  pas  lieu  de  la  fentir  ,  ni 
d'en  jouir.  Mais  tant  plus  l'ame  fe  rendra  habile 
à  fe  laiffer  tranquillifer  &  mettre  en  paix,  [a]  elle  ira 

(  a  )  C'eft  toute  la  méthode  qu'on  donne  dans  le 
]Moyen  court  (  Ch.  3.  n.  3,4.  )>de  laiffer  peu- à -peu 
iurmonter  fon  opération  à  celle  de  Dieu ,  ne  la  quittant 

toujours 


•  XLIV.  Oraifon.^.  II.  i(î-T7.  ii/ 

toujours  croiflaiU  en  cette  paix  ,  &  fentira  da* 
vantagc  cette  notice  générale  &  aniourcufe  de 
Dieu  ,  ce  qu'elle  goûte  plus  que  toute  autre 
choTe:  d'autant  qu'elle  lui  apporte  la  paix,  le 
repos,  la  faveur  &  un  plaifir  fans  peine.  Là-ménic. 
Cliap,  13. 

17.  La  première  raifon  pourquoi  on  doit  quit- 
ter la  Méditation  fenfible  eft,  parce  qu'on  a  déjà 
donné  a  Tame  en  certaine  manière  tout  le  bien 
fpiritucl  ,  qu  elle  devoit  trouver  aux  chofes  de 
Dieu  ,  par  ia  voie  de  méditation  &  de  difcours. 
^  Car  pour  l'ordinaire  ,  quand  Tame  reçoit  quel- 
que bien  fpiritue]  de  nouveau  ,  elle  Je  reqoit  en 
le  goûtant;^  &  ainfi  il  lui  profite:  ce  feroic 
merveille  s'il  lui  profitoit  autrement  ;  parce  que 
cela  fe  fait  à  la  manière  que  difent  \qs  Fhilofo- 
phes  ,  ce  qui  a  goût  nourrit.  C'eft  pourquoi  Job 
difoit:  (û)  Pourra- 1 'Oïl  manger  tinfplde  ^  qui  ricjl 
point  ajjaifonnc  de  fth 

La  féconde  caufe  eft ,  que  l'ame  en  ce  tems  a 
déjà  Tefprit  de  la  méditation  en  fubfcance  &  en 
habitude  ;  parce  que  latin  delà  méditation  ,  c  efc 
de  tirer  quelque  connoifTance  &  amour  de  Dieu, 
&  à  chaque  fois  que  Tame  l'attire  c  eft  un  acte  ; 
Q))  &  comme  plufieurs  actes  en  quelque  état  que 
ce  foit,  viennent  à  engendrer  une  habitude  en  Ta- 
lîie  ;  de  même  beaucoup  d'actes  de  ces  connoif- 
fances  amoureufes ,  que  1  ame  a  tirées  de  fois  à 
autre  ,  fe  continuent  tellement  par  lufage,  qu'il 

que  peu-à-pcu  ,  à  mefure  qu'on  éprouve  ce  goût  divîa 
ou  attention  amoureufe.  Piùc  à  Dieu  que  ceux  qui  com- 
battenc  cec  étac  ,  en  euffenc  fait  Texpérience  ! 

(û)  Job  6.  V.  6. 

(&)  Moyen  court.  Ch.  22.  n.  j. 
Tom.  IL  Jupf.  H 


114  Justification- 

s'en  fait  une  habitude.  Ce  que  Dieu  a  auflî  accou- 
tumé de  faire  fans  Je  moyen  de  ces  actes  de  médi- 
tation 5  (au  moins  fans  qu'il  en  ait  beaucoup  pré- 
cédé )  les  mettant  incontinent  en  contemplation  ; 
de  forte  que  ce  que  Tame  tiroit  auparavant  de 
fois  à  autre  travaillant  à  méditer  en  des  notices 
particulières  ,  s'eft  déjà  par  Tufage  tourné  en  elle 
en  habitude  &  en  fubftance  d'ulie  notice  amou- 
reufe  générale  ,  non  diftincte ,  ni  particulière 
comme  auparavant.  C'eft  pourquoi  fe  mettant 
en  oraifon,  comme  celle  qui  a  déjà  puifé  Feau  » 
elle  boit  à  fon  aife  avec  fuavité  ,  fans  qu'il  foit 
befoin  de  la  tirer  des  aqueducs  des  confidéra- 
tions  paflées.  ^  Parce  qu'il  lui  arriveroit  comme 
à  Tenfant ,  lequel  recevant  le  lait  qu'il  trouve 
amaffé  &  raffemblé  au  tetin ,  on  le  lui  ôte  néan- 
moins ,  &  Ton  veut  qu'avec  fa  diligence  en  ma- 
niant &  épraignant,  il  retourne  de  nouveau  aie 
rafTembler  &  le  tirer:  ou  comme  celui  qui  ayant 
ôté  la  peau  de  quelque  chofe  ,  goûte  de  la  fubf- 
tance, fi  on  la  lui  faifoit  ôter  pour  recommencer 
à  goûter  la  même  peau  qui  eft  déjà  coupée  ;  car 
il  n'y  trouveroit  plus  de  peau  ,  &  ne  goûteroit 
plus  de  la  fubftance  qu'il  avoit  déjà  entre  les 
mains  ,  relTemblant  à  celui  qui  laille  ce  qu'il  a , 
pour  prendre  ce  qu'il  n'a  pas.  Là-même.  Ch,  14. 

îg  Ils  ne  doivent  plus  fe  foncier  du  difcours 
&  de  la  méditation  ,  puifque,  comme  j'ai  dit,  il 
n'en  eft  plus  tems;  mais  qu'ils  laiflfent  demeurer 
l'ame^en  repos  &  tranquillité,  encore  qu'il  leur 
femble  de  ne  rien  faire  &  de  perdre  le  tems,  & 
que  cela  procède  de  leur  tiédeur,  de  n'avoir  en. 
vie  de  penfer  à  chofe  quelconque;  vu  qu'ils  ne 
feront  pas  peu  defe  tenir  en  patience,  &  deperfé- 
vérer  en  T  oraifon,  laiffant  feulement  l'ame  libre  , 
défembarraff^e  &  déliée  de  toutes  les  notices  & 


XLTV.  Onf//b;/.  §.  II.  17.1R.  nj- 

pfnfJes,  fans  le  loncicr  là  de  ce  (lu'ils  penferont 
ou  mcditeront  ,  Te  conteiitaiu  leulement  d'un 
re^^ard  amoureux  (Se  repof  eu  Dieu,  tît  de  demeu- 
rer fans  follicitude  ,  (S;  iaus  dé(ir  trop  ardent  de  le 
feutir  wSi  de  le  jj^oûter  i  d'autant  que  toutes  ces  pré- 
tentions incjuiéteut  &  diftraient  lame  du  repos 
trancjuille  ,  ^\  du  doux  loi(ir  de  contemplation 
qui  fe  donne  Ià  :  Et  quelcjues  Icrupules  qu'ils 
puid'ent  avoir  de  perdre  le  tems ,  (k  qu  il  feroit 
meilleur  de  faire  autre  cliofe,  puifqu'en  rorailoii 
ils  ne  peuvent  rien  faire  ni  penfer;  qu'ils  patien- 
tent néanmoins  &  f e  tiennent  à  recoi ,  fe  perfua- 
dant  qu'ils  vont  à  Toraifon  pour  prendre  leur 
plaifir  &  demeurer  en  liberté  &  latitude  d  efprit. 
*  Car  (î  d'eux-mêmes  ils  veulent  opérer  quel- 
que chofe  avecles  puifiances  intérieures  ,  ils  em- 
pêcheront &  perdront  les  biens  que  Dieu  ,  par  le 
moyen  de  cette  paix  &  loifir  de  l'ame,  va  gra- 
vant &  imprimant  en  elle.  Car  comme  lî  un 
(a)  peintre  tiroic  im  vifage  ,  &  que  la  perfonne 
vint  à  fe  remuer  pour  faire  quelque  chofe ,  elle 
empècheroit  le  peintre  de  travailler ,  &.  d'achever 
fon  ouvrage  commencé  :  de  même  quand  l'ame 
eft  en  paix  &  en  repos  intérieur  ;  quelque  opéra- 
tion &  affection  qu'elle  puifTe  exercer  ,  voire 
même  un  regard  qui  fe  fait  alors  avec  follicitude  , 
lui  donnerai  infailliblement  de  la  difcraction,  & 
lui  fera  fentir  l'aridité  &  le  vide  du  fens  j  parce 
que  tant  plus  elle  pr  tendra  quelque  appui  d'af- 
fection &  de  notice  ,  d  autant  plus  featira-t-eile  le 
défaut,  qui  ne  peut  plus  être  fuppl-^é  par  cettQ^ 
voie.  L'ame  donc  ne  doit  fe  foucier  ici,  li  elle  perd 
l'opération  des  puiffances:  au  contraire  elle  doit 
être  contente  de  les  perdre  bientôt,  parce  que 

"^  Opérations  propres,  n.  i6. 
(a)  Moyen  court.  Ch.  21.  §.  9. 

H  3 


ii6        Justification. 

n'empêchant  point  l'opération  de  la  contempla- 
tion infufe  5  que  Dieu  va  donnant  avec  plus  d'à» 
bondance  pacifique  ,  on  la  recrée,  Si  elle  donne 
lieu  à  ce  qu'elle  brûle  &  s'enflamme  dans  refprit 
de  l'amour  ,  que  cette  obfcure  &  fecréte  con- 
templation traîne  avec  foi  &  attache  à  1  ame, 
Obfcure  Nuit  de  ta/ne,  Livr,  i.  C/z.   10. 

19.  Telles  gens  n'en  fâchant  pas  davantage 
que  pour  conduire  les  commençans,  (&  encore 
Dieu  fait  comment)  quoique  Dieu  appelle  les 
âmes  à  davantage,  ils  ne  veulent  les  laiffer  pafTer 
plus  avant  que  ces  commencemens  &  ces  moyens 
difcurfifs,  avec  lefquels  ils  ne  peuvent  pas  faire 
beaucoup  de  fruit,  (a) 

Pour  mieux  entendre  ceci ,  il  faut  favoir  que 
rétat  des  commençans  ,  eft  de  méditer  &  difcou* 
rir.  ^  Mais  quand  cela  eft  déjà  aucunement  fait, 
auffitôtfô)  Dieu  commence  à  les  mettre  en  cet 
€tat  de  contemplation  :  ce  qui  a  coutume  de  fe 
faire  en  fort  peu  de  tems  ,  principalement  aux 
Religieux  ;  parce  qu'ayant  du  tout  renoncé  aux 
chofes  du  fiecle  ,  ils  accommodent  plus  promp- 
tement  à  Dieu  leurs fens  &  leurs  appétits:  &  cela 
étant  fait,  il  ne  refte  qu'à  pafTer  foudain  de  la 
méditation  à  la  contemplation.  Et  comme  tou- 
tes les  opérations  quel'ame  peut  faire  de  foi  na- 
turellement, ne  fe  font  que  par  l'entremife  des 
fens,  de  là  vient  que  Dieu  en  cet  état  eft  l'agent 
particulier  qui  verfe  &  enfeigne  5  &  Tame  eft 
celle  gui  reçoit,  à  laquelle  Dieu  donne  en  la 
contemplation  des  biens  très-fpirituels  ,  qui  font 

(a)  On  ne  fait  pas  grand  fruit  par  la  méditation  : 
Ainfi  le  Moyen  court  (Chap.  24.  n.  i.)  n'a  pas  tort  de 
dire  qu'on  n'arrive  point  par  cette  voie  à  l'unité  avec 
Dieu. 

C6j  Moyen  court.  Ch.  4,  n.  «• 


XLIV.  Oraifon.^Al  19- 23.'  117 

(a  coiiiioiinincc  &  Tamour  divin  ciifcmble  ,  c'cfu 
à-(iire  une  notice  ainoureulc  ,  fans  que  I  amc 
iil'c  de  ces  actes  ou  dii'cours  ,  car  clic  n  y  peut 
plus  entrer  comme  auparavant.  Vive  Jlammt  d'a- 
mour,  Cant,  J.  V.  J.  §.  4.  &  Ç. 

20.  Voyez  Acics,  n.  7. 

ai.  Voyez  Qiiictudc,  §.  I.  n.  30. 

22.  Voyez  Id-mrme.  n.  Jl. 

S.  F  R  A  N  (j  o  I  s    DE   Sales. 

2j.  Mais  dites-moi,  Théotime  ,  l'ame  recueil- 
lie en  fon  Dieu,  pourquoi  je  vous  prie  s  inciuié- 
teroit-eIle?n  a-t-ellepasfujetde  fe  tranquillifer  & 
de  demeurer  en  repos  ?  car  que  chercheroit-elle  ? 
Elle  a  trouvé  celui  qu'elle  cherchoit.  Que  lui 
refte-t-il  plus  iînon  de  dire  :  {a)  J'ai  trouve  mon 
Bien  -  aime  ,  je  le  tiens  ^  ne  le  quitterai  point. 
Elle  n'a  plus  befoin  des'amufer  à  difcourir  avec 
Tentendement -,  car  elle  voit  d'une  (î  douce  vue 
fon  Epoux  préfent,  que  les  difcours  lui  feroient 
inutiles  &  fuperflus.  (^ue  fi  même  elle  ne  le  voit 
pas  de  Tentendement,  elle  ne  s'en  foucie  point, 
fe  contentant  de  le  fentir  près  d'elle,  par  Taife 
&  la  fatisfaction  que  la  volonté  en  reçoit.  La 
Mère  de  Dieu  ,  Notre  Dame  &  MaîtrefTe,  étant 
groffe  ne  voyoit  pas  fon  divin  Enfant,  mais  le 
fentant  dans  fes  entrailles  facrées  vrai  Dieu  ,  quel 
contentement  en  reffentoit-elle?  Et  Ste.  Elifa- 
beth,  ne  jouit-elle  pas  admirablem.ent  des  fruits 
de  la  divine  préfence  du  Sauv^eur  fans  le  voir ,  au 
jour  de  la  fainte  Vifitation?  L'ame  non  plus  n'a 
aucun  befoin  en  ce  repos ,  de  la  mémoire  ,  car 
elle  a  préfent  fon  amant  :  Elle  n'a  pas  auflî  be- 
foin de  l'imagination;  car  qu'eft-il  befoin  de  fe 
repréfenter  en  image,  foit  extérieure  foit  inté- 
rieure ,  celui  de  la  préfence  duquel  on  jouit? 

(a)  Cant.  j.  v.  4. 

H  3 


îi8  Justification. 

De  forte  qu'enfin  c'eft  la  feule  volonté  ,  qui  attire 
doucement,  &  comme  en  tétant  tendrement  le 
lait  de  cette  douce  prefence  ,  tout  le  refte  de  Tame 
demeurant  en  quic  tude  avec  elle,  par  la  fuavité 
du  phufir  qu'elle  prend.  De  C Amour  de  Dieu.  Livr.  6. 
C/iap.  9. 

Le  P.  Epiphane  Louis,  Abbé d'Eftival. 

^4.  Voyez  Confeljion.  n.  .:  J. 

as.  Rusbroche  diftingue  deux  fortes  d'oraifons  ; 
Tune  5  O'^  le  contemplatif  eft  dans  un  faintloifir  , 
&  dans  un  parfait  repos  :  lautre  où  il  eft  dans 
l'action.  En  la  première,  l'homme  fâchant  que 
toute  fon  action  ,  tant  qu'il  eft  dans  le  corps, 
•tient  originairement  des  phantômes  &  des  ob- 
jets  corporels,  &  partant  qu'il  n'eftpas  poffible 
qu'elle  TunilTe  parfaitement  à  Dieu  i  il  fe  porte 
au-defTus  de  foi-même:  toutes  les  vertus  qu'il  a, 
acquifes  ou  infufes ,  lui  femblent  des  principes 
trop  bas  pour  le  mettre  où  il  prétend  aller.  Il 
s'élève au-deffus  des  opérations  de  toutes  fes  puif- 
fances,  &  dans  cette  nudité  parfaite  de  phantô- 
mes ,  d'images,  de  vertus,  &  d'opérations,  il  fe 
met  en  un  état  aucunement  proportionné  à  Tim- 
preffion  de  Dieu  qui  travaille  en  fon  fond  :  & 
c'eft  ce  qu'on  appelle  facré  repos  &  un  faint  loiiîr. 
Confér,  Mjjfiiquc  19. 

z6.  Tout  mon  attrait  &  tout  mon  inftinct  inté- 
rieur, fi  j'en  ai ,  ou  fi  j'en  fais  connoîtrej  me  porte 
plutôt  à  ne  rien  voir^^-  à  ne  nen  faire,  &  même 
a  ne  pas  regarder  ,  fi  je  puis  ou  dois  faire  autre 
chofe",  mais  à  marcher  à  l'aveugle  dans  cette  voie 
de  ma  fimple  occupation  ,  par  cet  unique  regard 
en  Dieu.  {La  M.  RqOct  à  S.  Fr.  de  Sales.  Confer.  zo.) 


XLIV.  Oraifon.  §.  HT.  1.4.  119 

§.  III.   Contemplation. 

AUTORITÉS. 
S.    Denis. 

1.  v^'est  un  (Icfir,  qui  porte  les  natures  in- 
tellectucUcs  conftamment  ,  fans  ceffe  &  fans 
relâche  ,  à  la  contemplation  chafte  &  non  fiijette 
au  trouble  ,  des  chofcs  qui  font  par  deffus  1  être 
&  la  nature  j  iS:  cette  aflection  qu'elles  ont,  de 
participer  éternellement  en  efprit  &  en  vérité  à 
cette  pure  &  fouveraine  fplendeur,  &  à  cette  in- 
variable beairté  qui  rend  beau  tout  ce  qui  parti- 
cipe d'elle.  De  la  Hier.  Cckjic.  Ch,  2. 

2.  Voyez  Foi  nue.  n.  j. 
L'Imitation   de   Jésus-Christ. 

;.  Comment  celui-là  peut-il  être  longtems  en 
paix,  qui  s'embarrafTe  des  foins  inutiles  &  étran- 
gers ,  qui  cherche  au  dehors  des  fujets  de  s'occu- 
per, &  qui  fe  recueille  très-rarement  en  lui-même. 
Heureux  font  les  limples,  parce  qu'ils  jouiront 
d'une  grande  paix  !  Pourquoi  s'eft-il  trouvé  des 
Saints  11  parfaits  Si  lî  élevés  en  la  Contemplation  ? 
C'eft  parce  qu'ils  fe  font  étudiés  à  mortifier  en 
eux  entièrement  tous  les  défirs  de  la  terre  ,  & 
qu'ainfî  ils  fe  font  mis  en  état  de  s'appliquer  à 
eux-mêmes  avec  liberté ,  &  de  demeurer  unis  à 
Dieu  de  toute  la  plénitude  de  leur  cœur.  Livr.  l. 
Ch.  II.  §.    1-2. 

4.  Plufieurs  défireroient  de  goûter  Dieu  dans  la 
Contemplation  ;  mais  ils  n'ont  pas  foin  de  faire 
ce  qu'ils  devroient  pour  acquérir  un  fi  grand  bien. 
Un  des  principaux  obftacles  à  cet  état  Çi  heureux  ^ 

H4 


I2<>        Justification. 

c'eft  qu'on  s'arrête  à  ce  qui  eft  extérieur  &  qui 
frappe  les  fens ,  fans  fe  mettre  beaucoup  en  peine 
de  mortifier  J'efprit  &  le  cœur.  Livr,  3.  C/z.  3  l.  §.  3. 

Harphius. 
f.  Voyez  Foi  nue,  n.  7. 

6.  Il  faut  fortir  de  toute  multiplicité  par  la  con- 
templation fimple  &  nue  du  Bien-aimé.  Llvr,  2. 
Pan.  f.  C'/z.  2. 

Le  P.  Benoit    de   Canfeld. 

7.  L'ame  contemplant  fon  Dieu  fans  voiles 
ni  images  ,  le  voit  comme  en  plein  midi  ,  fe 
repofant  en  elle  ainfi  qu  en  fa  propre  maifon, 
opérant  doucement  &  familièrement  dans  fou 
cœur  ,  &  voyant ,  goûtant  &  expérimentant  com- 
me il  eft  plus  près  d'elle  qu^elle-mème  ;  qu'elle  eft 
plus  (û)  lui  qu^elle-mêmej  &  quelle  le  poflféde, 
non  comme  quelque  chofe ,  ni  comme  elle-mê- 
me, mais  plus  que  toutes  chofes  à  plus  qu'elle- 
même.  Selon  cette  lumière  elle  fe  comporte  de 
telle  façon  ,  que  fa  joie,  fa  vie,  fa  volonté  ,  fon 
amour  &  fes  regards  font  plus  en  lui  qu'en  elle- 
même:  &  ce  d'autant  plus  qu'elle  connoît  qu'il 
eft  meilleur  &  plus  digne  qu'elle ,  &  qu'elle  a 
expérimenté  qu'il  eft  plus  doux  &  fuave  qu'elle  ; 
&  enlin  qu'elle  le  voit  plus  beau  <&  glorieux  qu'el- 
le :  &  même  ayant  parfaitement  connu  qu'il  eft 
tout  5  &  qu'elle  n'eft  rien  ,  &  qu'en  lui  eft  toute 
beauté  ,  bonté,  &douceiir,  en  elle  toute  laideur, 
malice,  amertume  ,  elle  demeure  &  vit  unique- 
ment en  lui  &  rien  en  elle-même. 

D'où  s'enfuit  (b)  qu  elle  eft  toute  en  Dieu  , 

{a)  S.  Augujlin  ConfcJJ]  Liur.  j.  C/z.  6.  S.  Eonavent. 
Soliloq.  Ch.   I. 

(b)  S,  Bonaventure  Aiguillon  de  VAmcur  divin  P.  IIL 
Ch.  I. 


XIAV.  Om/(j;/.§.  III.  f.8.  121 

toute  a  Dieu,  &  toute  pour  Dicu,  &  routcdcDicu; 
mais  rien  en  elle-mcnie  ,  rien  à  clle-mcme,  rien 
pour  elle-mèinc  ,  rien  d'ellc-mcmc  :  elle  vit  toute 
en  l'efprir ,  volonté  ,  lumière  &  force  de  Dieu  » 
&  rien  en  fon  efprit,  volonté,  lumière,  force  & 
capacité  propre  <Sc  naturelle.  Kn  cette  capacité  , 
en  cet  efprit ,  &  en  cette  lumière  elle  contemple 
cette  volonté  elfentielle  ,  à  fa\'oir  Tenence  de 
Dieu,  comme  il  eft  écrit;  (a)  h'ous  venons  la  fu- 
mier c  en  votre  lumière,  Rc,i;lede  lapcrfc^.  Part,  j.  C7/.  6. 

Le  P.  Nicolas  de  Jésus-Maria  rapporte 

g.  4^.  Bernard,  Que  mon  ame  meure  ,  s'il  fc 
peut  dire  ,  même  de  la  mort  des  Anges  ,  afin  que 
perdant  la  mémoire  des  chofes  prcfentes,  elle 
fe  dépouille  non  feulement  des  délîrs  &  convoi- 
tifes  des  chofes  inférieures  &  corporelles  ,  mais 
encore  de  leurs  images  &  efpeces  ,  &  que  fa  con- 
verfation  foit  pure  avec  ceux-là  ,  avec  lefquc^s 
il  y  a  reffemblance  de  pureté  :  tel  tranfport,  ce  me 
femble,  eft  feulement  ou  principalement  appelle 
Contemplation:  car  en  vivant  n'être  point  ar- 
rêté parles  défirs  &  convoitifes  des  chofes,  c'eft 
un  trait  de  la  vertu  humaine;  mais  en  contem- 
plant n'être  point  enveloppé  dans  \ts  images  ou 
efpeces  des  corps  :  c'eft  un  don  de  la  pureté  an- 
gelique  ;  l'un  '&  Tautre  toutefois  vient  de  la 
largeffe  de  Dieu  ;  l'un  &  l'autre  eft  s'outrepaf- 
fer  &  élever  au-de(Tus  de  foi-même  :  mais  l'un 
de  beaucoup  ,  &  l'autre  de  peu.  Bienheureux 
celui  qui  peut  dire  :  (6)  Voilà  je  me  fuis  éloigné 
enfuyant,,  iv  jai  demeuré  en  lafolitude!  (Serm.  25. 

Ca)  Pf.  35.  V,  10. 
(6)  Pf.  54.  V.  8. 


Î22        Justification. 

fur  le  Cant.)  Eclair ciJJ,  des  Plir.  de  J.  de  la  Croix.  P.  77. 
Ch.  i.  §.  3- 

9.  —  Avez-vous  paiïe  au-deffus  des  délecta- 
tions de  ia  chair  ,  afin  de  ne  plus  obéir  à  fes  con- 
cupifcences  ,  ni  dètre  pris  a  fes  alléchemens  ; 
vous  avez  achevé  ,  &  vous  vous  êtes  furmonté 
vous-même  :  mais  vous  ne  vous  êtes  pas  encore 
écarté  ,  fi  vous  n'avez  obtenu  d'être  affranchi 
par  Ja  pureté  de  1  efprit  des  phantômes  des  ref- 
femblances  corporelles  qui  nous  accablent  de 
tous  côtés.  (Serm.  35.  fur  le  Gant.)  Ld-même. 

10  S,  Bonaventure.  Cette  révélation  des  chofes 
éternelles  fe  fait,  comme  dit  Richard  ,  quand  Tef- 
prit  humain  ,  doucement  touché  par  une  infpira- 
tion  intérieure  ,  fans  Tentremife  d'aucune  chofe 
vûfible  ,  eft  élevé  à  la  connoifTance  des  chofes  cé- 
îeftes.  ().  Chemin  del'Etern,  ^.Bijh  4.)  Là-même, 

II.  — .  Le  quatrième  degré  de  Contemplation  , 
félon  Richard,  eft  celui  qui  eft  formé  en  la  rai- 
fon  &  félon  la  raifon  ,  ce  qui  arrive  lorfque  fe  reti- 
rant de  toute  fonction  de  l'imagination  ,  l'efprit 
ne  vague  qu'aux  autres  chofes  qui  font  incon- 
nues à  l'imagination.  — *  Ce  degré  eft  plus  parfait 
que  les  précédens  ,  parce  qu'il  eft  plus  éloigné  des 
chofes  corporelles  &  temporelles.  D'où  vient 
que  Richard  dit,  qu'en  cette  contemplation  1  ef- 
prit humain  ufe  premièrement  de  la  pure  intelli- 
gence j  parce  que  toutes  les  fonctions  de  l'imagi- 
nation écartées  &  mifes  à  part ,  notre  intelligence 
en  cette  première  occupation  de  foi-mème  &  par 
foi-n\ême  ,  eft  vue  en  général.  (Chemin  de  fEtern. 
3.  Difr,  4.)   Là-même, 

12-  Q^ue  fi  encore  par  amour  &  illumination 
divinement  infufe,  on  fépare  de  l'entendement  le 
mélange  de  la  fantaifie^  Fôntendement  néanmoins 


XLIV.  Oraifon.  ^,.  III.  9.14.  iij 

conçoit  toujours  Dieu  d'une  manière  finie  &  limi- 
tée. (l'IicoL Mi^JL)  Là-nièmc. 

1  j.  ^  Ce  ^oixt  fert  pour  être  porté  au-deffus 
de  toutes  les  choies  fenlibles,  de  toutes  les  occu- 
pations intellrctuclles  (|ui  font  avec  les  })hantô- 
mcs  ,  de  palier  auHi  les  intelliji^enccs  angcJKjues , 
afin  de  pouvoir  dire  avec  I  i^poufe  ;  (t/)  Les  gardes 
mont  trouvée,  (^I)cs  Luminaires  de  tEgliJ'c.  Scrm.  2,) 
Là  -  mcnir, 

14.  Hui^ues  de.  S.  V ici  or.  Oue  Ta  me  raifonnablc 
retourne  à  foi  &  fe  recueille  en  foi  ,  afin  que 
fans  les  images  des  corps  ,  elle  fe  piiifie  confidérer 
foi-même  &  la  nature  invifible  de  Dieu  tout-puif- 
fant  ;  &  qu'elle  rejette  les  phantômes  des  images 
terriennes,  &  tout  ce  cjui  fe  préfentera  de  ter- 
reftre  à  fa  penfce.  Car  lorfquc  Tamc  ,  par  une 
pure  intelligence  ,  aura  cornmence  de  s'excéder 
foi-même,  &  d'entrer  toute  dans  cette  clarté  de 
lumière  incorporelle  y  pendant  ce  tcms  dans  ce 
tranfporc  d'efprit,  fe  trouve  &  s'obtient  cette 
paix  qui  furpaffe  tout  fcns  ,  afin  quil  y  ait  un 
filence  au  ciel  l'efpace  dune  demi- heure  (/?)  , 
de  forte  que  Tefpritdu  contemplatif  ne  foit  point 
troublé  du  tumulte  ni  débat  des  penfées  turbu- 
lentes :  la  fenfualité  n'opère  point  ici ,  ni  l'ima- 
gination ;  mais  toute  la  force  intérieure  de  l'ame 
eft  pendant  ce  tems  dénuée  de  fon  propre  office. 
{^Livr.  z.  de  famé,  C/i.  2.0.)  Là-même. 

(a)   Cant  ?.  v.  5. 

(6)  Par  ce  filence  de  demî-heure  (Voyez  Apoc.  §•  v.  i.) 
il  veut  dire,  que  je  crois  ,  fuivanc  l'expérience  ,  qu^onne 
pafle  guère  plus  de  demi. heure  de  fuite,  fans  qu'il  vienne 
quelques  penfées  qui  ne  font  que  palTer  :  elles  ne  diftraient 
jamais  la  rolonté  5  à  caufe  de  l'habitude  du  vide  &  de  la 
nudité. 


124        Justification. 

IÇ.  Richard  de  S.  ViElor,  Qu'eft-ce  que  fait 
ici  rimagination  créatrice,  modératrice  &  répa- 
ratrice desphantômes  corporels?  queTimagina- 
tion  formatrice  de  tant  de  fantailies  fe  retire 
loin  d'ici,  laquelle  tous  les  jours  va  créant  tant 
de  formes  nouvelles  des  chofes  corporelles.  ^ 
Cette  grande  multitude  de  fes  images  ne  fert  de 
rien  ici  ;  au  contraire  elle  nuit  beaucoup.  {Livi\  3. 
de  la  ContempL  Ch.  i.)  Lâ-même. 

16  Albert  le  Grand.  Heureux  celui  qui  —  par 
rintroverfion  &  l'élévation  de  l'efprit  en  Dieu, 
enfin  s'oublie  des  phantômes?— «  Donc  rejettez 
de  votre  efprit  tous  les  phantômes ,  toutes  les  ef- 
]f)eces,  images  &  formes  de  toutes  chofes  ,  hor- 
inis  Dieu,  afin  que  votre  exercice  foit  dans  le 
feul  entendement  nud  ,  &  dans  l'affection  vers 
Dieu  au-dedans  de  vous.  {^De  [attachement  à  Dieu. 
Chap.  4.)  Là-même. 

17.  St.  Nilus.  Lorfque  vous  priez,  ne  figurez 
point  Dieu  en  vous-même ,  mais  approchez  fans 
matière  de  celui  qui  eft  fans  matière  &  vous  en- 
tendrez. ^ 

Quand  le  Diable  envieux  ne  peut  point  éveil. 
1er  la  mémoire  en  Toraifon,  alors  il  fait  violence 
au  tempérament  du  corps  ,  afin  qu'il  faffe  paroîtrc 
quelque  figure  inufitée  pour  repréfenter  Dieu  ; 
c'eft  pourquoi  demeurez  fur  vos  gardes  ,  &  en 
priant,  préfervez  votre  efprit  de  ces  connoif- 
fances.  (Chap.  éj.  &f  64.  de  tOraifon.)  Là-même. 

18.  Taulere. Voytz  Opérations  propres,  n.  2^. 

1 9.  Kusbrcche.  Voyez  Joie  de  famé.  n.  I  f.  &  l  ^. 

20.  Ste.  Thcrèfe.  Qu'on  entende  bien  ce  point: 
car  je  voudrois  me  favoir  bien  expliquer.  Quand 
Dieu  veut  fufpendre  toutes  lespuiffances  de  l'ame 


X^  IV  OraifoH  §.  III.  i  f-ii.  i2f 

comme  nous  avons  vn  dans  les  manières  crorai- 
Ion  ,  {]nc  nous  avons  rap[)ortces  ,  il  eft  évident 
iju  LMicorc  que  nous  ne  le  voulions  [)as  ,  on  nous 
ôte  (a)  cette  préTence  de  I  Ilum.uiit/j  de  Notl'c 
Seigneur.  Ou'elle  s'en  aille  pour  lors  à  la  bonne 
heure.  Hcureufe  telle  perte  qui  cft  pour  jouir 
davantiige  de  ce  qu  on  Temble  perdre  :  car  I  amc 
alors  sYMnploye  toute  à  aimer  celui  (jue  Ten- 
tendementa  tâche  de  lui  faire  connoitre,  elle  aime 
ce  qu'elle  n'a  pu  comprendre,  &  elle  jouit  de  ce 
dont  elle  ne  pourroit  avoir  une  fi  parfaite  jouif- 
fance,  fi  elle  ne  fe  fut  perdue  de  la  forte  ,  afin  , 
comme  je  dis,  de  gagner  davantage  !  (^l^ic.C/i.2Z») 
Là-mcmc,  §.  4. 

21.  —  Notre  Seigneur  met  dans  le  plus  intime 
de  Tame  ce  qu'il  veut  qu'elle  entende,  Si  le  lui 
repréfente  fans  images  ni  formes  de  paroles. 
Qu'on  remarque  foigneufement  cette  faqon  , 
dont  Dieu  fe  fert  pour  donner  à  connoître  à 
l'ame  ce  qu  il  veut ,  foit  de  grandes  vérités  <Sr  de 
hauts  myfteres ,  foit  autre  chofe  —  Et  il  me  fem- 
ble  que  c'eft  où  le  Diable  fe  peut  moins  fourrer 
&  entremettre.  —  Cette  manière  de  vifîon  ou  ce 
langage  eft  (i  fpirituel ,  qu'il  n'y  a  aucun  bruit 
ou  mouvement  dans  les  puifTances  ni  dans  les 
fens ,  à  mon  avis ,  d'où  le  Diable  puifle  rien  tirer. 
(Fie.  Chap.  27.)  Là-même.  §.  J. 

22.  I).  Barthekmides Mardrs,  Plufieurs  eftiment 
que  cette  union  peut  être  empêchée  (/;)  par  toute 
image  ,  même  utile  de  fa  nature ,  telle  que   \ts 

(a)  Cela  arrive  comme  Notre  Seigneur  dit  à  fes  Apô* 
très ,  (Jean  i6.  v.  7.)  Si  je  ne  m'en  vais,  le  Conjolateur 
ne   viendra  point, 

(b)  Ma  penfée  que  je  foumets  ,  ou  plutôt  mon 
expérience  eft  ,    que    longtems    le   feul   fou  venir   ou 


126        Justification. 

images  de  Thumanité  de  Jéfus-Cbrifl  &  des 
divins  attributs.  II  faut  néanmoins  elitendre  ceci 
d'une  manière  fobre  &  précautionnée  ,  de  peur 
que  l'erreur  ne  s'y  glifïe.  Car  fi  vous  entendez 
par  là  5  que  ces  images  fe  préfentant  à  l'entende- 
ment, lorfqu'il  cft  déjà  immédiatement  dans  la 
quiétude  ,  &  qu'il  jouit  de  la  pure  union  divine  , 
elles  ne  doivent  point  être  admifes,  enforte  qu'on 
les  retienne ,  &  qu'en  ce  tems  là  il  ne  faut  point 
s'arrêter  à  elles ,  ni  à  ce  qu'elles  repréfentent ,  mais 
que  parlant  en  rigueur,  l'ame  doit  véritablement 
fermer  les  yeux  à  de  tels  objets  ;  il  faut  néceffaire- 
ment  avouer  que  cela  eft  vrai  :  car  s'arrêter  à  ces 
chofes,  &  fe  diftraire  par  elles,  c'eft  s'oppofer  à 
fon  avancement  dans  l'union  immédiate  avec 
Dieu.  Mais  iï  on  veut  dire  que  ces  images  ,  toutes 
iesfois  qu'elles  fe  préfentent  àl'ame  qui  contemple 


image   de  Jéfus  -  Chrift  ,  la  feule  penfée    d'un   my^ere 
ou    d'un   attribue   nous   recueille,   &   auiïi  -  tôt  fufpend 
toutes   images   &  efpeces  >    quoiqu'on   fente  croître   en 
foi    l'amour  de    Jéfus  -  Chrift  fans    images    formées    de 
lui.    L'ame    eft    enfuite    longtems    fans    pouvoir    avoir 
nulle    occupation    diftincle    de   nulle    image    de    Jéfus- 
Chrift  :   mais  quand   l'ame  eft  arrivée  dans  la  fin,  elle 
trouve  Jéfus- Chrift  en  Dieu    d'une  manière  ineffable  : 
les    images  extérieures  du    même  Jéfus -Chrift  lui  font 
alors  un  plaifir  infini  ,  &  font  d'un  goût  fi  exquis  fans 
embarras,    nuages   ou  empêchement  ,    que   cela    ne  fe 
peut  exprimer  :  elles  impriment   dans  l'ame  l'effet  fubf- 
tantiel  de  ce  qu'elles   repréfentent  :  par  exemple  ,  une 
image    de   Fenfancc    de   Jéfus -Chrift,    outre   un  goût 
exquis  ,  vous   imprime  un    air  de  pureté    &  d'innocen- 
ce ;    celui    de  la  Croix,  quelque    chofe  de   détruit,  de 
douloureux  fans  douleur,    &    un  goût   fans  goût  de  la 
croix    &   de  l'humiliation  :  ainfi   des   autres.    Cet    état 
eft  fort  parfait,  &  ne  peut  être  compris  que  par  expé- 
rience. 


XLIV.  Oraifon.^.  III.  23  24.  127 

purement,  &  (]iii  aiinc  Dieu,  cinpeclK'iit ,  retar- 
iient  (Si  alioil^lillent  la  vigueur  &  la  |)erlectiou  de 
J'uniou  ,  je  crois  que  cela  eft  fauxj  parce  (juc 
nous  x'oyons  par  ex[)érience  (ju'il  arrix'e  fouveiU, 
lorlque  riioinmc  le  [)orte  à  Dieu  Iciil  de  toute 
J'afl'ection  de  Ton  ame  ,  (|u\*u  ce  tems  le  prcfentc 
foudainement  à  reuteiidement  cette  image:  ce 
Dieu  s'eft  fait  homme ,  ik  a  été  cruciHc  pour  moi  ; 
&  (|ue  ces  images  non  feulement  n'empecliep.t 
point ^  mais  avancent  plutôt  &  augmentent  Tu-, 
nion  d'amour  &  d  admiration  fufpenfive:  même 
J'imagc  di^s  péchés  pafïant  rapidement  ,  ne  fera 
point  de  dommage  (^7)  ,  comme  de  penfer:  ce 
Dieu  par  fa  clémence  m'a  pardonné  tant  de  cri- 
mes: car  cette  image  n'a  pas  coutume  de  trou- 
bler, mais  plutôt  d'accroitre  le  repos  deTefprit, 
pourvu  que  1  homme  alors  ne  defcende  pointa 
les  confidérer  en  détail ,  mais  qu'aulîitôt  il  rentre 
dans  la  fource  d'eau  vive.  (^Abrc^cfpir.  P.  2.  Ch.  1 1. 
§.  2.)  Là-même. 

25.  S,  Thomas,  L'homme  en  tant  que  contem- 
platif,  eft  quelque  chofe  au-deffus  de  l'homme, 
parce  qu'en  la  fimple  vifion  de  l'entendement, 
rhomme  eft  continué  auxfubftancesfupérieures 
qui  font  appellées  intelligences  ,  ou  bien  Anges. 
(Dift.  5.  Quacft.  5f.J.  A.  2.  in  Quseftiunc.)  Là- 
même.  §.  ^. 

24.  ^  Il  faut  qu'en  l'ame ,  avant  qu'on  par- 
vienne à  cette  uniformité,  on  ôte  cette  féconde 
difformité,  qui  eft  par  le  difcours  de  la  raifon; 
&  cela  même  arrive  félon  que  toutes  les  opéra- 
tions de  Famé  fe  reduifentà  une  fimple  contem- 

(a)  Car  c'eft  Dieu  qui  met  ces  chofes  ;  mais  elles 
paflent  &  n'arrêtent  point  ;  c'eft  ce  qui  fait  ,  qu'en 
la  Confeffion  on  fent  une  augmentation  de  paix ,  même 
favoureufe. 


laS  Justification.' 

plation  de  la  vérité  intelligible  :  une  convolu- 
tion  de  ces  vertus  intellectuelles  eft  nécefTaire  , 
afin  que  le  difcours  cefrant,  fon  regard  foit  ar- 
rêté  dans  la  contemplation  d'une  fimple  vérité. 
(2.  2.  q.  180.  yJrt,  é.  ad,  2.)  Là-même. 

2f.  —  St.  Auguftin  appelle  la  contemplation 
une  certaine  demeure  de  férénité,  &  un  vent  ou 
fouffle  de  Téternité.  [De  la  quantité  de  Tamc.  C/i.  }}.) 
L/i-même. 

26.  D.  Barthelcmi  des  Martyrs.  L'oraifon  eft  une 
élévation  de  Pefprit  en  Dieu:  donc  la  parfaite 
oraifon  fera  une  élévation  parfaite.  Or  celle-ci 
ne  fe  fait  que  par  la  véhémence  de  l'amour  &  du 
défir  5  encore  que  celui  qui  prie  (a)  n'entende 
point  qu'il  demande  alors  quelque  chofe.  D'où 
vient  que  S.  Antoine  difoit,  que  celui  qui  prie 
parfaitement,  n'entend  pas  qu'il  demande  quel- 
que  chofe  :  car  celui  qui  prie,  ne  fait  pas  derefle- 
3cion  fur  foi ,  il  ne  compofe  &  ne  divife  pas  ;  mais 
d'un  fimple  &  pur  acte  d'amour  il  s'affoupitavec 
le  prophète,  difant  (b)  ;  Je  dormirai  ^  repoferai  en 
paix  en  cela  même.  Et  c'eft  là  la  pleine  paix  ,  (c)  & 
le  fommet  de  la  félicité  de  cette  vie  quifurpaffc 
tous  les  fens.  {Abrégé  fpirit.  Part.  2.  Ch.  12.)  Là^ 
même.  §.  6. 

27.  ^  La  Méditation  cherche  une  vérité  cer- 
taine ,  &  elle  travaille  avec  fruit  :  la  contempla- 
tion vole  à  l'entour  fans  travail ,  néanmoins  avec 
«n  très-grand  fruit  i  car  elle  ne   s'arrête  point 

F  (a^  ,0n  peut  donc  défirer  fans  connoitre  qu'on  défire: 
îl  demande  fans  demander ,  c'eft-à-dirc  ,  fans  favoir  qu'il 
demande;  c*eft  pourquoi  il  dit,  qu'il  ne  demande  point  ; 
il  en  eft  du  défir  comme  de  la  demande. 

(b)  Pf.  4.  f,  9. 

(c)  Paix  au-deffus  de  tout  fentiment.  Phil.  4.  v.  7. 

dans 


XLIV.  Oraifon  5.  III.  25-30.  129 
djiis  l'ciK|iictc  ,  mais  dans  J'adiniration.  Si  Ja  mé- 
ditation le  fait  comme  il  laut,  elle  palIc  en  Ja 
coniemplation  ;  car  aj)rcs  avon'  lait  une  exadlc 
recherclic  de  la  \éiité,  \^%  eUences  des  chofcs 
ctaiit  (léniiécs  de  tous  les  accidens  is  circondan- 
ces,  par  cette  alîiduité,  il  s'engendre  une  certai- 
ne habitude ,  la  lumière  d'intelligence  e(l  purifiée 
<!s:c.  (Voyez  Joi/c  de  i\://ir,  n.    17.)   La-numc. 

28.  S,  ylrnhroijc,  Que  le  défir  de  la  fagelfe  VOUS 
tire  c^  vous  poIFéde  comme  Marie,  car  cette  œu- 
vre eft  la  plus  grande  &:  la  plus  parfaite;  &  que 
le  foin  du  minillcre  ne  vous  détourne  point  de  la 
connoifTance  de  la  parole  célefle.  Marthe  néan- 
moins n'efl  pas  reprife  dans  fon  bon  exercice  ; 
mais  Marie  efl  préférée ,  parce  qu'elle  a  choifi 
pour  elle  la  meilleure  part.  {  Livr,  7.  fur  S.  Luc.  ) 
Là-même.  Cliap,   13. 

29.  Taukre  [parlant  de  la  contemplation  )  :  Ceci 
furpafTe  de  beaucoup  la  plupart  de  tous  les  inf- 
tituts  extérieurs,  &  c'ell  du  tout  une  très-fainte 
occupation,  inftituée  du  S.  Efprit  même.  [Scrm. 
du   16.  Dim.  après  la  Trinité^  Là-même, 

jo.  Albert  le  Grand.  Si  vous  commencez  à  vous 
dénuer  &  purifier  des  phantômes  £:  images,  & 
à  fimplifier  &  tranquillifer  votre  cœur  cV  votre 
efprit  en  Dieu,  afin  que  vous  puifiez  &  fentiez 
le  fruit  de  la  complaifance  divine  en  toutes  vos 
adions  intérieures,  &  que  par  la  bonne  volonté 
vous  foyez  uni  à  Dieu  en  efprit;  cela  vous  futHt 
pour  une  bonne  étude  &  lecture  de  la  fainte  Ecri- 
turc.  [De  t attachement  à  Dieu.  Ch.  5.)  Là-même, 


Tom.  IL  Juft. 


130        Justification.' 


XLV.  Perte  ,  ahforhement ,  perte  d^opéra^ 
fions  pour  pc^[fer  en  Dieu.  Perte  de  dij^ 
tinclion  de  Dieu  6*  de  Vame. 


/Avant  que  d'écrire  de  la  Perte  ^  il  faut  expli- 
quer que  ,  quoiqu'on  parle  de  perte  totale  ea 
Dieu  ,  &  de  fiabilité  dans  cette  perte,  je  ne  pré- 
tends pas  que  ce  foit  Une  ceflation  d'être,  ni 
qu'il  foit  abfolument  impoffible  de  fortir  de  là. 
Il  y  a  une  efpece  d'impuiffancc  morale  ,  &  non 
phyfjque  :  cette  impuiffance  vient  de  la  forte  ha- 
bitude que  Tame  a  contradée.  Un  vafe  tombé 
dans  la  mer  eft  entièrement  perdu  a  notre  égard , 
quoiqu'il  ne  le  foit  pas  en  effet,  puifqu'il  fabfifte 
dans  la  même  mer ,  Ik  puifqu'on  peut  le  retrou- 
ver par  accident  imprévu,  foit  en  péchant,  foit 
par  quelque  voie  indirede  :  ainfi  quoique  le  vafe 
foit  effectivement  perdu ,  il  ne  l'eft  pas  abfolu- 
ment :  cependant  on  ne  laiffe  pas  de  le  regarder 
comme  tel,  parce  qu'il  eft  moralement  impoffi- 
ble de  le  ravoir. 

Je  n'admets  pas  non  plus  un  état  permanent 
de  lumière  paffive;  car  cela  ne  peut  être:  quoi- 
qu'il y  ait  une  certaine  permanence  de  inort  d'ef- 
prit  pour  n'ufer  plus  de  fes  propres  lumières  :  & 
l'habkude  de  la  nudité  &  du  vide  rend  l'ame  con- 
tinuellement difpofée  à  recevoir  la  lumière  fans 
mélange,  parce  que  tous  les  phantômes  font  éva- 
cués &  diffipés.  Où  je  m.ets  la  ftabilité ,  c'eft  dans 
la  volonté ,  qui  à  force  de  fe  conformer  à  fon 
divin  Objet  &  de  ^'y  ^"^^;>  P^^^  ^^  ^^"^  &  s'écoule 


XLV.    Perte.  ijr 

tellement  dans  la  volonté  de  Dieu,  que  Tamc 
n'aj)j)cr(j()it  pins  cette  volonté  ik  la  compte  com- 
me perdue.  I\ilc  lell ,  non  ieulement  comme  le 
val'e  tombé  dans  la  mer;  mais  comme  un  llcuvc 
qui  après  s'y  être  écoulé,  fe  mélange  avec  elle: 
car  cette  eau  e(l  encore  plus  perdue  que  le  vafe; 
néanmoins  quoiqu'elle  foit  véritablement  per- 
due, mélangée,  *S:  transformée  en  mer,  elle  n'efl 
pas  ablolument  perdue,  puiiqu'un  Ange  pour- 
roit  féparer  ces  deux  edux.  Cependant  la  difii- 
culte  de  la  chofe  la  fait  regarder  comme  mora- 
lement impolîible. 


CANTIQUE. 


L 


A  jouifTance  de  Dieu  eft  permanente  & 
durable  ;  parce  qu'elle  eft  au -dedans  de 
nous-mêmes  ,  &  que  Dieu  étant  notre  der- 
nière fin  ,  Tame  peut  fans  celTe  s'écouler 
dans  lui ,  comme  dans  fon  terme  &  fon  cen- 
tre ,  &  y  être  mêlée  &  transformée  ,  fans 
en  refTortir  jamais  :  ainfi  qu'un  fleuve  qui 
eft  une  eau  fortie  de  la  mer  ,  &  très-dif- 
tindle  de  la  mer  ,  fe  trouvant  hors  de  fon 
origine,  tâche  par  diverfes  agitations  de  fe 
rapprocher  de  la  mer  ;  jufqu'à  ce  qu'y  étant 
enfin  retombé  ,  il  fe  perde  &  fe  mélange: 
avec  elle  ,  ainfi  qu'il  y  étoir  perdu  &  mêlé 
avant  que  d'en  fortir  ;  &  il  ne  peut  plus  en 
être  diftingué.  — 

C'eft  comme  une  goutte  d'eau  ,  qui  perd, 
fa  confiftance  fenfibie ,  lorfqu  elle  eft  mife 

I  ^ 


i^z  Justification; 
dans  une  cuve  de  vin  ,  où  elle  eft  chan-. 
gée  feniiblement  en  vin  ,  quoique  fon  être 
&  fa  matière  en  foit  toujours  diftinéle  , 
&  qu  un  Ange  pût ,  fi  Dieu  le  vouloit  , 
en  faire  la  divifion.  De  même  cette  ame 
peut  toujours  être  féparée  de  fon  Dieu  , 
quoique  la  chofe  foit  très-difficile.   Chap. 

I.  V.   I. 

La  véritable  droiture  ,  qui  porte  Tamc  à 
outrepaflTer  tous  les  plaifirs  de  la  terre  ,  & 
toutes  les  douceurs  du  Ciel  ,  pour  fe  per- 
dre en  fon  Dieu  ,  eft  ce  qui  fait  le  pur  & 
parfait  amour.  Là-même.  v.  j. 

L'ame  fouhaite  de  fe  perdre  en  Dieu 
avec  Jéfus-Chrift  fon  Y\\s  ,  d^  être  cachée , 
&  de  s'y  repofer  pour  toujours,  v.  6. 

Par  le  recueillement  Tame  vit  &  fe  pof- 
féde  ;  mais  par  la  fortie  d'elle-même  ,  elle 
meurt  &  fe  perd.  Ch.  2.  v.  14. 

Vous  m'avez  bleffé  ,  dit  TEpoux  ,  par 
V union  de  vos  cheveux.  Cela  marque  aflez 
clairement  que  toutes  les  afïeélions  de  TA- 
mante  ont  été  réunies  en  Dieu  feul ,  & 
qu'elle  a  perdu  toutes  fes  volontés  en  celle 
de  fon  Dieu. 

De*  forte  que  l'abandon  de  toute  elle- 
même  à  la  volonté  de  Dieu ,  par  la  perte  de 
toute  volonté  propre  ^  &  la  droiture  avec 
laquelle  elle  eft  appliquée  à  Dieu  ,  fans  faire 
plus  de  retours  lur  foi-même  ;,  font  les  deux 


XLV.  Terte.  t^j 

ficches  qui  ont  blclTé  le  cœur  de  fon  Epoux. 
Cil.  4,  V.  9. 

ï'ai  levé  la  barrière  qui  empcchoit  &  ma 
perte  totale  ,  &  la  confommation  de  mon 
mariage  :  car  ce  mariage  divin  ne  peut  être 
confommé  que  la  perte  totale  ne  foit  arri- 
vée. Ch.  5.  V.  6. 

Dès  que  Tame  commence   de  recoulcr 
en  fon   Dieu  comme   un  fleuve  dans  fon 
origine  ,  elle    doit  être   toute    perdue  & 
abîmée  en  lui.  Il  faut  même  alors   quV^Ue* 
perde   la  vue  apperçue  de  Dieu  ,  &  tou- 
te   connoifiTance    diftinfte   ,     pour    petitqj 
qu'elle  foit  :  (  ^  )  il   n'y  a  plus  de  vue  nia 
de  difcernement  ou  il  n'y  a  plus  de  divi-t 
(ion  ni  de  diftindion  ,  mais  un  parfait  mé- 
lange. — 

Par  la  confommation  du  mariage,  elle  eft 
rccoulée  en  Dieu  ,  &  fe  trouve  perdue  en 
lui  ,  fans  pouvoir  fe  diftinguer  ni  fe  retrou- 
ver. La  vraie  confommation  du  mariage  ,  . 
fait  le  mélange  de  Tame  avec  fon  Dieu  lî 
grand  &  fi  intime  ,  qu'elle  ne  peut  plus  fe 
diftinguer  ni  fe  voir.  — 

La  confommation  du  mariage  ne  fe  fait , 
que  lorfque  l'ame  eft  tellement  fondue  , 
anéantie  &  défappropriée ,  qu'elle  peut 
toute  fans  referve  s'écouler  en  fon  Dieu. 


[d]  Nous  voyons   ce  qui  eft  diftindl  de  nous  ;  mais 
non  ce  qui  eft  en  nous. 

I  -> 


T34  JUSTIFTCATIOW.' 

Alors  fe  fait  cet  admirable  mélange  de  Ta 
créature  avec  fon  Créateur  ,  qui  les  réduit 
en  unité  ,  pour  ainfi  parler  ,  quoiqu'avec 
une  difproportion  infinie  ,  telle  qu'ett  celle 
d'uae  goutte  d'eau  avec  la  mer  ,  en  ce  que 
quoiqu'elle  foit  devenue  mer  ,  toutefois  elle 
eft  toujours  une  petite  goutelette  ,  biea 
qa  elle  foit  proportionnée  en  qualité  d'eau 
avec  toute  la  mer  ,  &  propre  à  être  mélan- 
gée &  ne  faire  plus  qu'une  mer  avec  elle. 
Çh.  6.  V.  4. 

-  X'Epoufe  eft  V unique  de  fa  mère  ,  en  ce 
qu'ayant  perdu  toute  la  multiplicité  de  fa 
nature  ,  elle  fe  trouve  feule  &  féparée  de 
tout  ce  qui  eft  naturel.  Là-même.  v.  8. 

Depuis  ,  dit-elle^  que  Tardent  amour  de 
mon  Bien-aimé  m'a  entièrement  dévorée , 
j'^aii^té  fi  fort  perdue  en  lui  ,  que  je  ne  puis 
plus  me  retrouver.  Chap.  7.  v.  10. 

''Tout  ce  qui^e  dit  de  cette  ineffable 
iihtôrfr^-'S^eatenc!  avec  toutes  les  différences 
eîtentièiles  entre  le  Créateur  &  la  créature , 
qobîqu^avec  une  parfaite  unité  d'amour  & 
de  recoulement,myftique  en  Dieu  feul. 

"  Êlîe  D-e  craint  plus  de  le  perdre,  puif^ 
qu'elle  eft  non  fçuleraeiit  unie,  mais  chan- 
gée ea  lui.  V.    2U.,^^^' 

O  avantage  admirable  de  la  perte  des 
appuis  créés  !  On  reçoit  en  échange  Dieu 
feul  pour  appui.  C/z.  8.  v.  5. 


XLV.  Perte,  1.9.  135 

SI  rhommc  a  eu  affcz  de  courage  pour 
abandonner  tout  ce  qu'il  poffcdoit,  &  tout 
fon  foi-mcme  ,  afin  d'avoir  cette  |Hire  cha- 
rité ,  qui  ne  s'acquiert  que  par  la  perte  de 
tout  le  reftc  ;  il  ne  finit  pas  croire  qu'après 
un  effort  li  généreux  pour  acquérir  un  bien 
qu'il  eftime  plus  que  toutes  chofes  ,  &  qui 
cffcdivement  vaut  mieux  que  tout  l'Uni- 
vers ,  il  vienne  en  fuite  îi  le  méprifer  ,  ju(^ 
qu'à  reprendre  ce  qu'il  avoit  quitté.  Là^mê^ 
me.  V.  7# 

AUTORITÉS, 

S.      D    E   N    I    s. 

ï.  V  OYEZ  Foi  Jiue.  n.  3. 

2.  Voyez  Foi  nue.  n.  4. 

Henri     Sus  g. 

3.  Voyez  AnéantiJJemcnt,  n.  2. 

4.  Voyez  Anéantijjcmcnt.  n.^  3. 

5.  Voyez  Ancanti£cment,  n.  4. 

6.  Voyez  Ancantijfement.  n.  6. 

7.  Ici  refprit  fe  perdant  lui-même ,  pafTe  plus 
avant  par  le  cercle  de  la  Divinité  éternelle ,  & 
s'élève  à  ime  riche  perfedion ,  qui  confifte  en  ce 
que  n'étant  plus  chargé  du  poids  des  vices  ,  il 
monte  par  la  vertu  divine  dans  une  intelligence 
lumineufe  ,  où  il  re(^oit  un  écoulement  conti- 
nuel des  confolations  céleftes.  Dial.  de  la  Vérités 
Chqi.  2 1 . 

8.  Voyez  Opérations  de  Dieu.  n.  4. 

9.  Là  il  ne  refteplus  à  Tefprit  aucune  pente  à 
Tadivité  &  à  Teffort  ;  parce  que  le  principe  &  la 

I  4 


J36        JustificatiokJ 

fin  font  d;:venus  une  même  chofe,  &  que  Tcf- 
prit  en  foi  tant  de  lui-même,  eft  devenu  un  avec 
Dieu.   C'/z.  21. 

RUSBROCHE. 

10.  Il  y  a  trois  rujffeaux  qui  fortcnt  de  Dieu 
comme  de  leur  fource,  dohtle  premier  efface  les 
images  &  les  efpeces  de  la  mémoire,  le  fécond 
abforbe  par  fa  fplendeur  les  lumières  de  notre 
entendement,  &  Télevc  au-deffus  des  révélations 
&  des  raviffemens ,  le  troifieme  perd  &  confumc 
la  volonté  par  fon  ardeur.  Livr,  IL  des  Noces  fpL* 
rit.  Ch.  36.   &c. 

L'Imitation  de  Jésus-Christ. 

11.  Etendez  mon  cœur,  afin  qu'il  vous  aime, 
&  que  j'apprenne  par  un  goût  intérieur  &  fpiri- 
tuel,  combien  il  eil  doux  de  vous  aimer,  &  de 
nager,  &  comme  fe  perdre  heureufement  dans 
Tocéan  de  votre  amour.  Livr.  3.  Chap,  5.  §.  6. 

12.  Voyez  Propriété,  n.  6. 

Ste.    Catherine    de    Gènes. 

13.  La  foi  me  femble  toute  perdue  &  Tefpc- 
rance  morte;  parce  qu'il  me  femble  que  je  tiens 
&  pofféde  ce  queje  croyois&efpérois.  Jenevois 
plus  d'union  &c.  (Voyez  Transformation,  n.  8.) 
Fie  Ch.  22. 

14.  Voytz  Volonté  de  DieiL  n.  16. 

1 5*  Qui  i^c  perd  fon  entendement  nature] ,  ne 
peut  avoir  cette  lumière  furnaturelle;  parce  que 
quand  notre  entendement  naturel  la  cherche, 
notre  imperfedionraccompagne.Dieunouslaiffe 
chercher  tant  que  nous  pouvons ,  &  enfin  il  nous 
^conduit  à  connoître  notre  imperfection;  laquelle 
étant  connue,  Dieu  nous  donne  cette  lumière 
furnaturelle,  qui  jette  Tentendement  p!.r  terre; 
lequel  étant  abattu  ne  cherche  plus  rien  en  lui- 
même  ,  mais  il  dit  à  Dieu  :  vous  êtes  mon  intelli* 


XLV.     Pcrtf!.     T0-2Z.  T37 

j;f  ncr  ,  je  ne  faurai  plus  que  ce  (]u*il  vouf?  plaira 
C|ue  je  fachc,  &  je  ne  mr  (lonner:u  plus  de  peine 
;i  (ierchcr  aucune  chofc  ;  mais  je  demeurerai 
d;m5  ma  pnix  avec  votre  intelligence  ,  de  laquelle 
mon  efprit  e(l  occupé.   Vic^Cliap,  31. 

i6,  V oytz  AnvantilTcnicnt,  n.  12. 

17.   Voyez    Opnat ions  propres,  n.  9. 

î8.  Voyez  Là-mrmc.  n.   II. 

19.  Par  cette  goutte  jz^racieufe  ,  lame  demeure 
plongcfe  en  cette  fuavité  d'amour,  elle  ne  j)eut 
ik  ne  fait  opérer  aucune  chofe  :  mais  elle  eft  per- 
due en  elle-même,  &  aliénée  de  toute  créature, 
&  demeure  contente  au  fond  de  fon  cœur.  DiaL 
Liv.  3.   (72.  3. 

20.  Voyez  Opérations  propres,  n.   12. 

21.  Je  ne  fais  plus  où  je  fuis  :  j'ai  perdu  le  vou- 
loir, le  favoir,  la  mémoire,  Tamour ,  &  toute 
faveur.  Je  ne  puis  donner  raifon  de  moi-même: 
je  fuis  demeurée  perdue,  &  je  ne  puis  vojr  où 
je  fuis  :  je  ne  puis  chercher  &  encore  moins  trou- 
ver aucune  chofe.  — 

O  fi  je  pouvois  trouver  des  termes  propres 
pour  exprimer  cette  amitié  fuave  &  divine,  & 
cette  union  perdue!  Je  dis  perdue  à  Tégard  de 
rhomme;  car  il  a  perdu  tous  les  termes  d'amour, 
d'union,  d'anéantiflement,  de  transformation, 
de  douceur,  de  fuavité,  de  bénignité,  &  enfin 
toutes  les  paroles  par  Icfquelles  fe  peuvent  com- 
prendre &  unir  deux  chofes  fi  féparées  :  il  reftc 
feulement  un  efprit  nud  &  opératif  fans  mélange, 
qui  même  ne  fe  peut  comprendre.  DiaL  Liv.  3. 
Çh.  II. 

Stc.      T  H   é  R   E  S  E. 

22.  Je  manquois  à  ne  mettre  pas  toute  ma  con- 
fiance en  Dieu,  &  en  ce  que  je  ne  perdois  pas 
entièrement  celle  que  j'avois  en  moi.   Je  cher- 


138  JUSTIFICAT    ION. 

choi?;  flefî  remèdes  &  faifois  des  diligences  :  mali 
jen'entcndoispas  que  tout  fert  de  peu,  fi  nous  ne 
perdons  entièrement  les  appuis  de  notre  propre 
confiance ,  pour  la  mettre  toute  en  Dieu.  Vie  Ch.  8, 

Le  B.  Jean  de  la  Croix. 

2?.  Quand  cette  purification  vient  faifir  plus 
intimement  Tame,  il  ne  faut  pas  s'étonner,  s'il 
femble  derechef  à  Tame ,  qu'elle  a  perdu  toutes 
forces  de  biens.    Obfcure  Nuit.  Liv,  z.  Ch.  lo. 

24.  La  raifon  pourquoi  Tame,  non  feulement 
marche  fùrement,  lorfqu'elle  eft  en  ces  ténèbres  , 
mais  aufii  avec  plus  de  gain  &plus  de  profit,  c'eft 
parce  que  communément,  quand  Tame  reçoit  de 
nouveau  quelque  mélioration  &  qu  elle  va  pro- 
fitant ,  c'effc  par  où  elle  entend  &  penfe  le 
moins  :  au  contraire,  par  où  elle  voit  fort  ordi- 
nairement  qu'elle  fe  perd.  Car  n'ayant  jamais  ex- 
périmenté cette  nouveauté  qui  l'éblouit ,  &  la 
fait  égarer  de  fa  première  façon  de  procéder,  elle 
croit  plutôt  être  perdue  que  profiter  &  être  en 
bonne  voie,  comme  elle  voit  qu'elle  fe  perd  tou- 
chant ce  qu'elle  favoit  &  goùtoit ,  &  qu'on  la 
mené  par  où  elle  ne  fait  &  ne  goûte  :  de  même 
que  le  voyageur,  lequel  pour  aller  à  des  terres 
étrangères  &  inconnues ,  va  par  des  chemins  nou- 
veaux &  inconnus  ,  dont  il  n'a  aucune  expérience , 
fur  la  parole  d'autrui  &  non  fur  ce  qu'il  en  fa- 
voit; car  il  eft  évident  qu'il  ne  pourroit  jamais 
arrivej  à  des  terres  inconnues  ,  que  par  des  che- 
mins nouveaux  &  inconnus  ,  &  laiflfant  ceux 
qu'il  favoit.  Auffi  l'ame  en  cette  façon  ,  lorf- 
qu'elle profite  davantage ,  elle  marche  en  obfcu- 
rité  &  fans,  favoir.  Dieu  donc  étant  maître  & 
conducteur  de  cet  aveugle ,  (  de  l'ame  )  elle  peut 


XLV.   Perte,  21-tr.  i^c) 

bien,  maintenant  (ju'cllc  le  connoît ,  fc  rrjoiiir 
ik  ("lire;  à  tohilur,  mais  hors  de  ihwk^cr. 

Il  y  a  aiiHi  une  autre  raifon  poiirciiioi  famc 
marche  fùrcment  en  ces  ténèbres,  à  favoir  parce 
qu'elle  marche  en  fouHrant.  Car  le  chemin  de  pâ- 
tir cil  plus  obfcur<S(  plus  profitable  ,  (]ue  celui  de 
jouir  &  de  faire  ;  tant  parce  que  dans  la  foutirance 
JDieu  lui  ajoute  des  forces,  &  à  faire  &  à  jouir 
]\ime  exerce  fcs  loiblelles  &  fes  imperfec^lions  ; 
qu'auOi  parce  qu'à  pâtir  on  exerce  &  acquiert 
les  vertus  ,  on  puriHe  Tame,  &  on  la  rend  plus 
fagc  (Se  j)lus  avifée.  Mais  il  y  a  ici  une  autre  caufc 
principale,  pourquoi  Tame  marchant  en  obfcu- 
rite,  vafùrement,  qui  efl:  de  la  part  de  la  dite 
lumière  ou  fageflic  obfcure  :  car  cette  obfcure 
nuit  de  contemplation  Tabforbe  &  Timbibe  en  foi 
de  telle  forte ,  &  la  met  fi  près  de  Dieu  ,  qu'il  la 
protège  &  délivre  de  tout  ce  qui  n'eft  pas  Dieu. 
Qbfairc  Nuit  Livr.  2.  Cli.  16. 

25.  Voyez  Purification,  n.  46. 

26.  Le  monde  ,  le  Diable,  ni  la  chair  ne  Tofe- 
roient  attaquer;  d'autant  que  Tame  étant  libre 
&  purgée  de  toutes  ces  chofes,  &  unie  à  Dieu, 
pas  Une  d'elles  ne  la  peut  inquiéter.  De-là  vient 
qu'elle  jouit  déjà  en  cet  état  d\ine  fuavité  & 
tranquillité  ordinaire  ;  laquelle  prefque  jamais  elle 
ne  perd  &  qui  jamais  ne  lui  manque.  Cantique  entre 
rfpoufe  &  f£poux,    CoupL  16. 

'Zj..  L'ame  perd  Taéle  &  la  mémoire  de  tou- 
tes les  chofes  en  ces  abforbemens  d'amour,  & 
ceci  pour  deux  caufes  :  Tune,  parce  que  comme 
elle  demeure  aéluellement  abforbée  &  imbue  de 
ce  breuvage  d'amour,  elle  ne  peut  être  aduelle- 
ment  en  une  autre  chofe  ;  l'autre ,  parce  que  cette 
transformation  en  Dieu  la  conforme  de  telle 
manière  avec  fa  fimplicité  &  pureté  ;,  qu'elle  la 


T40  J  U  s  T  T  P  T   C  A  T  I  O  îT. 

laifFe  nette,  pure  &  vide  de  toutes  les  formes 
&  ffgures  qu'elle  avoit  auparavant.  Là-mémc. 
Coupi.   i8. 

28.  L'amc  parlant   aux  gens  du  fiècle ,  leur 
dit,  que  fi  elle  ne  fe  trouve  plus  dans  tels  entre- 
tiens, qu'ils  croient  qu'elle  a  fait  banqueroute  & 
s'eft  perdue  à  toutes  ces  chofes.  —  Vous  direz  que 
vraïrnrnt  je  me  fais  perdue.    Celui  qui  aime  ne  rou- 
git point  devant  le  monde,  de  ce  qu'il  fait  pour 
Dieu  ,  &  ne  cache  point  fes  œuvres  par  honte  ou 
vergogne ,  encore  que  tout  le  monde  les  doive 
condamner  :  car  celui  qui  aura  honte  de  confef- 
fer  le  Fils  de  Dieu  devant  les  hommes,  Jaiffant 
Texercice  des  bonnes  œuvres ,  le  même  Fils  de 
Dieu,  comme  il  le  dit  en  S.  Luc  (a),  aura  hon- 
te de  le  confefTer  devant  fon  père.    Et  partant 
lame,  avec  un  efprit  &  courage  d'amour,  fe 
prifc    &   fe  glorifie  plutôt  qu'on  fâche  pour  la 
gloire   de  fon  Bien-aimé  ,   qu'elle  fait  une    telle 
œuvre  pour  fon  amour  ,  à  favoir ,  qu'elle   s'eft 
perdue  à  toutes  les  chofes  du  monde.  —  Peu  de 
Spirituels  parviennent  à  cette  hardieffe  Ik  déter- 
mination fi  parfaite  dans  les  œuvres  :  car  bien  que 
quelques-uns  pratiquent  cette  façon  de  procéder , 
&  même  qu'il  y  en  ait  qui  fe  tiennent  pour  fort 
avancés,   fi  eft-ce  que  jamais  ils  n'achèvent  de 
fe  perdre   en   certains  points,  foit  du    monde, 
foit  de  la  nature  ,   pour  faire  les   œuvres  par-5 
faites  &  pures  pour  Jéfus-Chrifb ,  fans  regarder 
à  ce  qu'on  dira  ou  à  ce  qu'il  femblera;  &  ainfi 
ceux-là   ne  pourront  pas  dire   :   Vous  direz  que 
vraiment  je  me  fuis  perdue  ,  puifqu'ils  ne  font  pas 
perdus  à  eux-mêmes  dans  leurs  œuvres.  Ils  ont 
encore  honte  de  confefTer  Jéfus-Chrifk  devant 
les  hommes  par  leurs  adionsj  ils  ne  vivent  pas 

(a)  Luc  9.  V.  z6^ 


XI.V.  Perte.  28-29.  141 

VcritaMcmcnt  en  lui,  piiifqu'ils  ont  cgard  k 
d'autre  cliolc.  Cantùjuc  entre,  f  J'pouJ'c  {^  t Epuux  ^ 
Couplet    21. 

29.  Le  vcritabJc  amoureux  fcpcrd  incontinent 
à  tout,  pourfe  trouver  en  ce  qu'il  aime  :  &pour 
(e  fujet,  Tamc  dit  ici,  que  d*clle-meme,  elle  fc 
perdit ,  ce  qui  efl:  fc  laifFer  perdre  exprès.  Vx  ceci 
arrive  en  deux  manières.  Premièrement,  fe  per- 
dant à  foi-meme,  ne  faifant  aucun  cas  de  foi  ea 
aucune  chofe  ,  mais  feulement  de  Tami  ;  fe  livrant 
à  lui  gratuitement,  fans  regarder  à  aucun  inté- 
rêt; fe  perdant  volontairement  &  ne  fe  voulant 
gagner  en  rien  pour  foi-même.  Secondement  fc 
perdant  à  toutes  chofci»,  ne  tenant  compte  d'au- 
cune des  fiennes,  mais  feulement  de  celles  qui 
touchent  fon  Ami.  Et  c'eft  là  fe  perdre,  qui  eft 
d'avoir  envie  d'être  gagné.      / 

(*)  Tel  eft  celui  qui  eft  vraiment  épris  de 
l'amour  de  Dieu  ,  lequel  ne  prétend  point  de 
profit  ni  de  récompenfc,  mais  feulement  de  per- 
dre [a]  volontairement  tout  &  foi -même  pour 
l'amour  de  Dieu,  ce  qu'il  tient  poui^fon  propre 
gain.  Et  il  eft  ainfi  félon  le  dire  de  S.  Paul  (/;); 
Je  gagne  à  mourir  ,  c'eft-à-dire  ,  mourir  pour  Jéfus- 
Chrift  fpirituellement  à  toutes  chofes  &  à  foi- 
même  ,  c'eft  mon  gain.  C'eft  pourquoi  l'ame 
dit  '"je  me  gagnai.  Car  celui  qui  ne  fait  pas  fe  per- 
dre, ne  fe  gagne  pas;  au  contraire,  il  fe  perd  , 
félon  que  Notre  Seigneur  le  dit  dans  l'Evangile  : 
(c)  Qui  voudra  fauver  fon  ame  ,  la  perdra  ,•  ^  qui 
voudra  perdre  fon  ame  pour  t amour  de  moi  ,  la 
fauvcra.  Et  i\  nous  voulons  entendre    les   vers 

(*)  Juflice  de  Dieu.  n.  4.  * 

(à)  Perte  volontaire.  Voyez  l'Explication  du  Livre  des 
Juges.  Ghap.  J.  v.  15. 

i^b)  Phil.  I.  V.  21.  (c)  Matth.  16.  v.  zç. 


Ï42        Justification.^ 

fufdlts  plus  fpirituellcment  &  plus  à  propos  pour 
ce  qui  fe  traite  ici ,  il  faut  favoir  que  dans  la  vie 
fpirituelk,  lorfqu'une  ame  ell  parvenue  à  tel 
point  que  de  fe  perdre  fuivant  tous  les  moyens  & 
voies  naturelles  de  procéder  en  la  communica- 
tion avec  Dieu ,  &  que  déjà  elle  ne  le  cherche 
plus  par  les  confidérations ,  ni  par  les  formes  ou 
fentimens,  ou  autres  moyens  des  créatures  &  du 
fens,  mais  qu'elle  paffe  par-defTus  tout  cela,  & 
par-defTus  toutes  ces  façons  &  manières,  traitant 
avec  Dieu  &  jouiflant  de  lui  en  foi  &  en  amour; 
alors  on  dit,  qu'elle  s'eft  véritablement  gagnée 
à  Dieu,  parce  qu'elle  s'eft  véritablement  per- 
due à  tout  ce  qui  n'eft  pas  Dieu.  Là-même.  Cou* 
jplct  zi. 

Le  P.  Nicolas  de  Jésus-Ma ria 

rapporte 

30.  Rusbroche,  La  quatrième  propriété  ,  par  la- 
quelle la  fimplicité  de  notre  efprit  eft  pofTédée 
de  Dieu  éternellement,  eft  fon  (a)  exiftence 
effentielle  au-dedans  de  nous  ;  laquelle  propriété 
nous  tire  auffi  au-dedans  :  car  elle  nous  attire  au- 
dedans  de  foi,  &  nousfaitégarer  de  nous-mêmes 
dans  une  obfcurité  inconnue  3  abiffale  &  infinie  , 

(a)  Ceci  a  rapport  à  la  préfence  de  Dieu  en  nous. 
Il  eft  à  remarquer  une  chofe  de  conféquence  ,  qui 
eft,  que  toutes  les  propofitions  font  tellement  mélangées 
Tune  avec  l'autre ,  &  fi  fort  dépendantes  les  unes  des 
autres  ,  que  la  vérité  de  Tune  eft  une  conféquence  de 
Tautre  :*c*eft  comme  une  cnchainure  de  Tune  à  Tautre. 
11  faut ,  ou  nier  tout-à-faic  Tétat  intérieur,  ou  les  admet- 
tre toutes  :  parce  que  les  unes  font  le  commencement , 
les  autres  le  milieu  ,  d'autres  la  fin  &  la  confommatioa 
du  même  état  :  les  uns  font  comme  les  principes  ;  & 
les  autres  comme  la  conféquence  des  mêmes  princû 
pes. 


XT,V.  Perte.  crQ-gt.  143 

Cil  nous  nous  perdons  dans  une  folitnde  dcfcrtc 
&  tics-vadc.  Or  en  nous  perdant  nous-mêmes, 
nous  trouvons  la  béatitude  ,  Ik  en  trouvant ,  nous 
clilbns,  (Se  en  éliTant  nous  fommcs  élus;  &  en- 
tre cet  élire  (S:  être  élu,  naît  Tinnocence ,  (|ui  eft 
Ja  quatrième  propriété,  dans  laquelle  toutes  les 
vertus  fe  commencent  &  fe  consomment:  car, 
par  rinnocence,  nous  fommes  tellement  plongés 
en  notre  éledion,  &  li  fortement  épris  d'amour 
en  Djcu,  fi  ferrés  &  fi  embradcs  de  lui,  que 
lions  ne  pouvons,  ni  ne  voulons,  ni  ne  favons 
autre  cliofe,  fmon  de  demeurer  en  lui  avec  cet 
amour  durant  toute  l'étendue  de  Téternité,  ce 
qui  nous  rend  fimples  &  libres  en  toute  notre 
cffence  &  en  tous  nos  ades.  (Tabernacle  de  tal^ 
liance  Cli.  19.  [Edairàjfcmcns  des  Pfir.  Myji.  P.  IL 
Chap,  12.   §.   3. 

31.  Denis  le  Chartreux.  En  cette  transforma- 
tion de  l'efprit  en  Dieu  ,  Tefprit  même  s'écoule 
de  foi  &  défaut,  &  fc  laiflfant  avec  toute  la  pro- 
priété de  foi-même  &  des  autres  chofes ,  il  ell 
plongé  &  enfoncé  ,  fondu  &  liquéfié ,  abforbé  & 
abîmé  en  cet  abîme  furineffable,  très-fimplc  & 
interminable ,  &  auffi  en  cette  obfcurité  incruf- 
table  &  inacceffible  ;  &  afin  de  comprendre  tout 
enfemble,  il  eft  anéanti  &  perdu  :  mais  il  vit  en 
Dieu  ;  &  étant  avec  .lui  nud ,  pur  &  libre  de  tou- 
te propriété ,  mélange  &  affeclion  ,  il  eft  fait  une 
chcfe,  un  efprit,  une  ame,  un  être,  une  félici- 
té ;  car  il  ne  reçoit  &  n'admet  autre  chofe.  Parce 
qu'il  a  pafle  en  la  fimplicité  déiforme,  Tinfluen- 
ce  de  Dieu  le  tirant  iintérieurement ,  &  le  con- 
tad  le  furélevant ,  aliène  l'amc  de  foi ,  &  la  tranf- 
porte  comme  dans  un  être  nouveau  :  non  pas 
qu'en  tout  ceci  la  nature  ou  Texiftence  de  la 
créature  foit  changée  ou  cefîe  d'être ,  mais  parce 


144        Justification- 

que  la  fa<^on  eft  exaltée  &  la  qualité  déifiée.  (27<; 
lavicfoLitairc  LLvr,  2.  Cli,  lo.)  Ld-mê me,  C/i.  l6.  §.4. 

Le  P.  Benoit    de   Canfeld. 

32.  Ce  mot  écoulement  contient  deux  chofcs^ 
à  favoir  la  mort  Se  la  vie ,  ou  bien  la  perte  &  le 
gain  ;  parce  qu'entant  que  la  ferveur  coule  hors 
de  l'ame ,  elle  s'afToupit  &  meurt,  s'évanouit  &  fe 
perd  :  mais  entant  qu'elle  s'écoule  en  Dieu,  elle 
s'augmente  davantage,  &  vit  plus  que  jamais. 
jRegle  de  la  perfeâ.  Livr,  3.  Ch.  5. 

S.     François   de   Sales. 

33.  Voyez  Fonte  de  tame.  n.  5. 

Le  Fr.  Jean  de  S.  Samson. 

34.  Voyez  Opérations  propres,  n.  27. 

35.  Voyez  Abandon,   n.  24. 

36.  Au  refte  tous  ceux  qui  penfent  être  véri- 
tablement en  leur  degré  ,  ne  le  font  pas.  Il  s'agit 
ici  de  mort  &  de  mourir;  &  plufieurs  n'y  veu- 
lent pas  paffer.  Ils  ne  font  pleins  que  d'eux-mê- 
mes ,  &  de  leurs  réflexions  ,  juftifications  &  pro- 
pres recherches  :  ils  difent  que  perfonne  ne  veut 
&  même  ne  peut  être  fidelle,  penfant  avoir  bien, 
couvert  par  ce  moyen  leur  infidélité  &  non-vou- 
loir. Si  bien  qu'il  faut  confefTer  qu'il  n'y  a  rien 
en  ces  fonds-là,  puifqu'ils  ne  veulent  point  fortir 
d'eux-mêmes  par  la  mort  &  perte  fenfible  ,  pour 
pouvoir  être  perdus  en  Dieu.  Q,^ie  s'ils  y  étoient 
entrés  par  vérité  de  mort,  ils  n'en  voudroient 
jamais  fortir  par  le  moindre  relâche  de  leur  fidé- 
lité adlive  ou  paflîve.  Enfin  ils  ne  s'outrepafle- 
ront  jamais  ;  &  gifans  dans  leur  fphëre  naturelle, 
ils  demeurerout  affamés  ,  les  mains  à  la  bouche  , 
vides  de  Dieu,  toujours  languiffans,  &  défec- 
tueux dans  leurs  fens  &  contentement  adtif  :  ils 
ignoreront  toujours  ce  que  ç'eft  que  la  jouif- 

fance 


XLV.  Ferte.  36^î9-  HV 

faiicc  (le  tout  bien  qui  eft  en  Dieu  infini.  Car 
cette  jouidaiicc  ne  fe  coninuiniquc  qu\ij)res  la 
totale  Cianskiiîon  de  la  créature  en  tout  Dieu  : 
alors  toutes  les  (a)  vicilfitudcs  delà  vie  humauic 
demeurent  au-(Jehors;  je  dis,  en  tant  que  con- 
traires au  bien  être  humain  ,  quoiciu'eiles  foycnt 
tres-conformes  au  bien  être  divin  de  la  créature 
perdue  en  tout  Dieu.   Efprit du  CcunicL  Ui.  ij. 

^7.   Voyez  Conjijiancc.  n.  ^%. 

58.  Leur  vie  eft  toute  perdue  quant  à  eux-mê- 
mes ,  &  Il  parfaitement  &  iî  entièrement  à  Djcu 
en  tout  événement  de  mort^  tant  grand  que  pe- 
tit, qu'ils  ne  favent  s'ils  vivent  à  eux  ou  à  Dieu  , 
ce  qui  eft  une  vérité  d'infinie  étendue.  La  raifoa 
de  cela  eft,  que  Tamour  &  Thumilité  leur  ùtent 
toute  réflexion  ,  les  occupant  &  les  perdant 
toujours  de  plus  en  plus  en  Dieu  ,  où  ils  font 
&  vivent  fans  diftinction  ni  difcernement  de  ce 
qu'ils  font  ou  ne  font  pas,  de  ce  qu'ils  font 
ou  ne  font  pas.  Ainli  ils  vaquent  inceffamment 
au  devoir  de  Tamour  réciproque,  fans  croire  ni 
penfer  qu'ils  yfatisfaUent.  £y/;nr  û^// Ca/yneZ.  Ck,  14. 

J9.  Il  ne  faut  rien  délirer  de  précieux ,  de  beau  , 
de  bon  ,  de  meilleur  ,  d'excellent ,  de  haut  ,  ni 
même  de  faint,  en  un  bon  fens  :  tout  cela  n'eft  que 
curiofité  &  gibier  de  la  nature.  Il  faut  fe  perdre 
en  vérité,  &  ne  s'attacher  qu'à  Dieu  feul ,  &  non 
à  aucun  de  fes  dons  ,  tel  qu'il  foit,  ayant  une 
continuelle  horreur  de  foi-mème.  Car  tout  appé- 
tit &  tout  attache  à  quoi  que  ce  foit,  même  a  la 
pénitence  &  à  la  fainteté ,  affecte  la  nature  d'elle- 
même,  &  la  porte  à  fe  fatisfaire  ,  &  non  pas  à 


(a^  Il  n'y  a  plus  de  vîciflitudes  dans  le  fond  qui  demeure 
immobile  en  Dîeu  au-deffus  des  fentimens. 


Tom.  IL  M. 


146^       Justification.' 

Dieu  5  quoiqu'il  lui  femble  le  contraire.  Là-même. 
C/i.  19. 

40.  Voytz  Abandon,  n.  26. 

41.  Uaine  abonde  là  de  tous  les  biens  &  ri- 
cheflTes  dçs  très-hauts  cfprits  ,  au  total  de  l'amour 
incréé,  où  étant  perdue,  elle  ne  réfléchit  plus 
fur  les  chofes  humaines  &  baffes  ,  non  pas  même 
fur  les  eiiets  qui  précédent  celui-ci.  Efprit  du 
Car  met,  Ch.  22. 

42.  Dieu  y  eft  goûté  &  favouré  en  lui-même  , 
en  ineffables  fentimenis  &  goûts  de  fa  propre  éter- 
nité toute  préfente,  qui  n'admet  ni  le  tems  ni  la 
fortie.  C'eft  là  que  tout  eft  fondu  &  perdu  5  & 
cependant  tout  ce  qui  refte  de  l'homme  a  rem- 
plir, demeure  pleinement  &  totalement  affujetti 
àl'efprit,  qui  le  tire  toujours  fecrétement  à  foi , 
&  opère  au-dehors  amoureufement  félon  Tordre 
&  l'exigence  de  fon  devoir.  Mais,  ô  bon  Dieu  , 
de  qui  &  de  quoi  parlons-nous  ici  ?  vu  qu'à  peine 
connoît-on  perfonne  qui  veuille  en  fe  perdant  in- 
ceffamment,  fe  laiffer  polir  &  façonner  par  les 
attouchemens  fréquens  de  fa  divine  Majefté.  Là^ 
même.  Ch.^  23. 

49.  L'ame  étant  perdue  entièrement  à  fes  fens 
&  à  leurs  opérations ,  demeure  très-efprit  félon 
fa  propre  fubftance  ,  laquelle  étant  très-pénétrée 
de  ce  feu  de  gloire  ,  (s'il  m'eft  permis  de  Tap- 
peller  ainlî  j,  n'a  plus  d'autre  vie  que  la  vie  du 
même  feu  qui  la  dévore.  Cabinet  Myjiiq.  P.  !• 
Cil,  3, 

44.  Voila  ce  que  notre  ame  va  fuivant  éter- 
nellement :  c'eft  là  qu'elle  fe  perd  fans  reffource  , 
&  n'en  fort  jamais,  nin'enfauroitfortir.  Là-même. 
Ch,  4. 

4s.  Il  y  a  fix  degrés  d'illumination  ,  par  lef- 
quels  on  devient  fouveraincment  efprit  par  Ten- 


XLV.  Pci'tc.  40  47.  147 

tîcre  perte  &  nbaiulonnLMncnr  de  tout  foi,  fcloa 
Tordre  de  tous  ces  degrés.  Il  le  tiouv  e  peu  de 
perlbnnes  (]ui  fe  veuillent  donner  en  proie  &  en 
abandonncnicnt  entier  &  parfait  julqn'à  l'cx- 
trèinité:  cV^ft  pourcjuoi  on  voit  li  j)cu  de  fpiri- 
tuels,  d'autant  cprjls  ne  veulent  pas  furjKdler  le 
fens,  ni  rexcellence  des  dons  fenfibles  de  Dieu 
en  eux-mêmes  ;  Ci  bien  que  ce  n'eft  que  feintes, 
que  dcfordres  d'efprit  ,  (]ue  toute  recherche  & 
mifere.  Les  (a)  filles  pour  l'ordinaire  y  ont  bonne 
part,  Si  beaucoup  d'hofnmes  aufïî ,  qui  n'habi- 
tent  ailleurs  qu'en  eux-mêmes  ,  en  perpétuelles 
réflexions  &  recherches  ,  n'ayant  jamais  ni  paix  ni 
repos  dans  leur  cœur.  Miroir  de  Confcience  ^  Traita 

I.  n.    39-  ^  . 

46.  Quant  à  ceux  qui  s^abandonnent  vraie- 
ment  à  Dieu,  il  faut  qu'ils  fe  donnent  bien  gar- 
de des  fubtiles  attaches  de  la  nature,  puifque  cela 
les  empêche  de  voler  purement  en  Dieu  ,  dans 
lequel  ils  fe  doivent  perdre  irrécuperablement, 
comme  au  lieu  de  leur  fouverain  centre  ik  repos. 
Il  faut  donc  être  vraiement  mort  à  tout  le  fenfî- 
ble  ,  afin  de  fentir  fimplement  &  conformément 
au  très-fimple  fond.  Là-même.  n.  40. 

47.  Or  la  force  divine  doit  être  grande  aux 
fpirituels  5  qui  en  quelque  état  qu'ils  fepuiflent 
trouver,  ne  veulent  jamais  plus  favoir  ce  que  c'eft 
que  réfléchir  fur  eux-mêmes  ni  fur  les  chofes 
créées.  Elle  doit  autïi  être  grande  en  ceux  qui  fe 
furpafTant  toujours  très-fortement  eux-mêmes  , 
fe  placent  &  s'écablifTent ,  non  tellement  quelle- 
ment  en  leur  fond  effentiel,  mais  en  Dieu ,  dans  le- 
quel ils  fe  plongent  &  fe  perdent  de  plus  en  plus  , 

((2)  Il  eft  certain  ,  que  les  homme<?  font  beaucoup  plus 
droits  que  les  filles  ,  &  qu'ils  le  cherchent  moins. 

K  z 


148  JuSTIfICATION. 

8i  y  demeurent  immobilement  arrêtés:  où  ils 
font  faits  &  devenus  lui-même  en  fon  tout, 
*  C'cft  d'ici  que  fort  tout  le  luftre  &  tout  le  bien 
de  ces  époufes  ,  dans  la  converfation  de  ceux  qui 
font  capables  de  les  connoître,  &  de  les  difcerner 
telles  qu'elles  font  en  leur  excellence.  Que  (i 
quelques  petits  manquemensparoifTent en  elles, 
cela,  quoi  que  contraire  à  leur  fond,  &  ces  foi- 
blelTes  font  le  fujet  de  leur  douleur ,  de  leur  re- 
nonciation ,  de  leur  mort ,  &  de  leur  très-pro- 
fonde humilité.  Miroir  &'  flammes  de  Camour  divin, 
Chap,   I. 

48.  Ah  ,  que  cette  vie  fî  douce  eft  inconnue 
aux  hommes,  à  ceux  même  qui  s'exercent  en  de 
grandes  chofes,  maisfeulementpour  leur  propre 
vie  !  Car  cette  vie  propre  eft  en  plufieurs  perfon- 
lies  qui  s'exercent  aux  exercices  de  charité  ,  lef- 
quelles  fe  délectent  à  faire  de  bonnes  œuvres 
extérieures,  pour  aider  le  prochain  dans  fes  né- 
ceflîtés  :  &  quoique  la  vie  active  en  fa  perfection 
foit  autant  fpirituelle  que  corporelle  ,  &  ne  laifiTc 
pas  d'être  agréable  à  Dieu ,  &  profitable  à  ceux 
qui  la  pratiquent ,  néanmoins  ces  perfonnes  la 
fourmillent  de  propres  attaches  d'efprit  au  fait 
même  de  leur  propre  bien  ,  qu'elles  défirent  plus 
ou  moins  avec  propriété,  quoiqu'elles  ne  le  con- 
noifTent  pas.    Là-même,  th.  2. 

49.  Non  ,  non,  je  ne  vois,  ô  ma  vie,  nipaffé, 
ni  futur,*  étant  préfentement  vous-même,  com- 
me je  fuis  ,  &  devenue  amoureufe  de  l'amour  en 
l'amour  que  vous  êtes  en  vous  &en  moi  ;  toute 
perdue* en  vous  d'amour  en  amour,  mais  poffé- 
dée  de  l'amour  &  pofTédant  lamour,  je  fuis  en 
vous  fans  connoiiïance  &  fansfcience ,  &jen*en 
veux  pomt  peur  moi  :  par  cela  même  que  je  fuis 

^  Communications,  §.  IL  n.  ir. 


XLV.   Perte.  47-'^'i.  r49 

en  ce  que  vous  ctes  ce  que  vous  ctcs  ;  je  fuis 
totalement  ignorante  de  tout  le  créé.  So/Uufjnc  3. 

50.  ^uel  moyen  y  a-t-il  que  ceux  qui  font  ainii 
plongés  (Se  perdus  (lans  ces  abîmes,  en  vcuillcTit 
fortir  ,  ik  délirer  de  retourner  aux  cliofes  créées? 
Kon  ,  mon  cher  Amour;  cela  ne  fera  point.  L'a- 
mour mutuel  <S:  réciprocpic  de  deux  fi  intimes 
Amans  ,  non  feulement  ne  le  permet  jamais  ,  mais 
il  abhorre  infiniment  ce  retour,  y  all:\t-il  delà 
vie  &  de  tout  le  bien-être  de  votre  Epoufe.  C'o/z- 
tcmplat.  17. 

51.  Voyez  Abandon,  n.  32. 

5 2.  Le  yain  &  fabondance  doivent  céder  à  la 
perte  &  à  l'abandon.  Mais  comme  vous  n'éte& 
point  entré  myftiqucment  dans  ce  défert,  quoi- 
qu'il vous  femble  le  contraire,  vous  ne  favez 
point  par  expérience  ce  que  c'cfl.  —  Comme 
donc  vous  ne  voulez  pas  vous  perdre,  ni  vous 
employer  à  une  meilleure  pourfuite,  vous  demeu- 
rez dans  un  état  grandement  imparfait ,  en  corn- 
paraifon  de  celui  de  l'homme  entièrement  déifié. 
Lettre  63. 

Monf.    O   L  I   E   R. 

53.  Il  me  femble  que  Notre  Seigneur  défirc  fi 
fort ,  que  notre  intérieur  foit  perdu  dans  le  lien  , 
pour  être  en  lui  &  avec  lui  tout  ce  qu'il  eft  à 
Dieu,  que  je  ne  le  puis  exprimer.  Et  quoique 
depuis  qu'il  m'a  engagé  au  vœu  d'hoftie  vivante 
a  Dieu  fon  Père ,  il  m'ait  obligé  de  vivre  toujours 
en  cet  efprit,  &de  me  perdre  univerfellement  en 
fes  difpofitions  intérieures  envers  toutes  chofes  ; 
je  me  trouve  maintenant  fi  efficacement  établi  en 
lui  par  fon  amour  &  par  fa  puifTance ,  &  fi  porté 
à  vivre  en  lui  à  Dieu  ,  pour  être  ,  opérer  &  fouf- 
frir  en  la  manière  qu'il  lui  plaît,  qu'il  me  femble 

K  3 


igo  Justification. 

que  je   ne  puis    être    autrement  en  fes  bonnes 
grâces.  Lettre  148. 

54.  Autant  que  Ton  quitte  la  terre  &  tous  fes 
fentimens  ,  autant  Dieu  prend  plaifir  d'élever 
l'ame  à  lui ,  &  de  la  mettre  en  liberté ,  lui  faifant 
Tcfpirer  la  férénité  de  la  foi,  &  lui  montrant  la 
beauté  &  la  vafte  étendue  de  fes  perfeûions  ,  où- 
rame  doit  entrer  au  fortir  d'elle-même  &  de  tout 
ce  qui  l'appuyoit  en  marchant  fur  la  terre.  Il  y  a 
bien^long-tems  que  je  vous  ai  dit,  &  que  Dieu 
même  vous  a  fait  voir  l'état  des  ((2)  âmes  pures 
en  l'Eglife,  qui  vous  paroiffoient  élevées  &  fé- 
parées  de  tout  l'humain  ,  qui  fembloient  vivre  en 
l'air,  &  n'être  foutenues,  environnées  ni  poffé- 
dées  que  de  l'être  divin.  C'eft  cet  état  de  foi  qui 
retire  &  dégage  l'efpntde  tout ,  qui  va  toujours 
purifiant  &  confommant  en  la  vertu  de  la  cha- 
rité tout  ce  qui  n'eft  pas  Dieu  dans  l'ame  ,  &  qui 
la  met  dans  une  telle  fainteté  ,  que  Dieu  la  trou- 
ve en  état  d'être  toute  abîmée  en  lui.  Ce  divin 
Tout  (  Z?)  ne  peut  rien  fouftrir  en  foi  qui  ne  foit 
trois  fois  faint,  c'eft-à-dire  ,  parfaitement  purifié 
de  tout  fentiment,  foit  vicieux,  foit  naturel,  foit 
même  de  ce  qui  fe  mêle  d'impur  dans  le  divin. 
C'eft  pourquoi ,  après  s'être  féparé  de  tout  ce  qui 
eft  de  groffier  ,  il  refte  encore  à  s'abftenir  des  re- 
cherches de  foi-même  en  Dieu  ,  &  des  fentimens 
qui  accomipagnent  fes  premières  faveurs  ;  car  ces 
recherches  &  ces  fentimens  tenant  du  grolîîer  & 
du  fenfible ,  ils  revêtent  &  environnent  l'ame 
combine,  d'une  robe  &  d'un  vêtement,  qui  l'em- 
pêche d'être  dans  fon  fonds  unie  fi  intimement 
&  fi  purement  à  Dieu  ,  en  quoi  confifte  unique- 
ment la  fouveraine  perfection.    C'eft  pour  cela 

(  a  )  Vrai  efprit  de  l'Eglifé.      (  b  )  Admirable. 


XLV.  Perte.  54"^Cy.  151 

que  Notre  Seigneur  difoit  :  Mon  Pcrr  efi  rfprit  ^ 
Êf  '/  veut  des  mlurateurs  qui  Jlitciit  rjprit ,  jwur  vtrc 
unis  à  lui  en  vnitc.  Lettre  155. 

55.  Je  rouhaitc  toujours  que  vous  fçiypzj^  bien 
fortiliée  en  la  vertu  du  S.  Efprit  :  ik  je  défire  de 
tout  mon  cœur  de  vous  voir  animée  &  revêtue 
d'une  foi  vi^ourcufc  &  pullFante  ,  d'une  foi  Vive 
&:  ardente  de  charité  ,  qui  \'Ous  dirige  en  tout. 
C'ed  ])ropremcnt  ce  que  vous  appcrçùtc^  -der- 
nièrement par  grâce  fpéciale,  lorfque  vous  vîtes 
avec  tant  de  joie  (a)  deux  âmes  vivantes  divi- 
nement dans  J'Eglife.  Là-même, 

56.  Heurcufc  une  ame  qui  eft  intimement  unie 
à  Jéfus-Chrid,  &  qui  efl:  convertie  en  cet  Epoux 
du  cœur  !  Par  lui  on  eft  en  Dieu ,  &  on  efl  perdu 
dans  le  fein  du  Pcre ,  où  Ton  fe  noie  &  Ton  s'a- 
bime  foi-même  heureufement.  Là  on  eft  en  fo- 
litude  ,  en  pureté,  en  fainteté  :  là  on  ne  peut 
fouftrir  de  créature  ,  on  ii'a  plus  foif  de  rien,  & 
on  ne  veut  plus  que  ce  divui  Tout  :  là  on  eft 
ralTafié  de  ce  Tout  adorable  qui  remplit  [b)  tout 
défir;  on  cherche  d'être  au  Tout  &  d'y  être  uni- 
quement ;  &  on  évite  ce  tout  malheureux  qui 
nous  vuide  de  Dieu  &  nous  empêche  de  le  pof- 
féder  paifiblement.  Ce  vrai  Tout  fait  voir  &  ref- 
fentir  intérieurement  à  Tame  la  jaloufie  qu'il  a 
pour  la  tenir  à  lui  tout  feul ,  pour  ne  la  point  laif- 
fer  fortir  de  lui ,  pour  empêcher  qu'elle  ne  s'é- 
panche en  d'autres  chofes,  qui  la  tireroient  hors 
<le  cette  folitude  intérieure ,  où  elle  doit  être  uni- 
quement occupée  de  lui.  Quand  votre  ame  fera 
toute  en  Dieu  ,  il  faudra  lui  parler  d'une  manière 

(  «  )  0  Seigneur  ,  faites-en  beaucoup  de  cette  forte. 

(6)  Les  défirs  font  remplis,  c'efl  pourquoi  Ton  ne 
défire  plus 

K4 


T52  Justification. 

que  fait  Notre  Seigneur;  mais  il  faut,  en  atten- 
dant, travailler  à  notre  retour  en  Dieu,  &  à  no- 
tre parfaite  confommation.  Lettre  245. 

LcPere  Epiphane  Louis,  Abhc d'EJiivaî, 

rapporte 

57.  Sœur  Marie  Rofette.  Voyez  'Non-déjtr,  n.  47. 


X  L  V I.   Fréfence   de  Dieu. 

M  O  Y  E  N    C  O  U  R  T. 

Y 

X-jE  grand  moyen  de  devenir  parfait ,  eft 
de  marcher  en  la  préfence  de  Dieu.  Il  nous 
le  dit  lui-même  {a)  :  Marche?  en  ma  pré-- 
fence  ,  Ù  foie:^  parfait.  UOraiion  peut  feule 
vous  donner  cette  préfence  ,  &  vous  la  don- 
ner continuellement. — 

Rien  n'eft  plus  aifé  que  d'avoir  Dieu ,  & 
de  le  goûter.  Il  eft  plus  en  nous  que  nous- 
mêmes:  Ch.  i.  /2.  3  ^  5. 

Après  s'être  mis  en  la  préfence  de  Dieu 
par  un  aéte  de  Foi  vive ,  il  faut  lire  quelque 
chofe  de  fubftantieL  — 

Il  faut  que  la  Foi  vive  de  Dieu  préfent 
dans  le  fond  de  nos  cœurs  5  nous  porte  à 
nous  enfoncer  fortement  en  nous-mêmes  ^ 

(a)  Gen.  17.  v.  i. 


XI.  VI.    Prefeuce  de  Dicti.  içg 

recueillant  tous  les  fens  au-dedans  ,  empê- 
chant qu'ils  ne  le  répandent  au-déhors  :  ce 
qui  elt  un  grand  moyen  des  Pabord  de  fe 
défaire  de  quantité  de  dillrac^lions  ,  &  de 
s'éloigner  des  objets  du  dehors  ,  pour  s'ap- 
procher de  Dieu  ,  qui  ne  peut  être  trouve 
que  dans  le  fond  de  noufi-mèmes  ,  &  dans 
notre  centre.  — S-  Augudin  s'accufe  lui-mê- 
me du  tems  qu'il  a  perdu  y  pour  n'avoir  pas 
d'abord  cherché  Dieu  de  cette  manière.  Ch. 
z.  n.  2. 

Mais  comme  j'ai  dit  que  Texercice  direél 
&  principal  doit  être  la  vue  de  la  préfencc 
de  Dieu  ;  ce  qu'on  doit  faire  le  plus  fidèle- 
ment ,  c'cft  de  rappeller  fes  fens  lorfqu'ils 
fe  diflipent. 

C'eft  une  manière  courte  &  efficace  de 
combattre  les  diftradions  :  parce  que  ceux 
(a)  qui  veulent  s'y  oppofer  direélement  , 
les  irritent  &  les  augmentent  ;  au  lieu  que 
s'enfonçant  par  la  vue  de  foi  de  Dieu  pré- 
fent  ,  &  fe  recueillant  Amplement ,  on  les 
combat  indiredement  &  fans  y  penfer  ; 
mais  d'une  manière  très-efficace.  Là-mémt. 
n.  4. 

Il  faut  commencer  par  un  ade  profond 
d'adoration  &  d'anéantiflement  devant 
Dieu;  &  là  tâchant  de  fermer  les  yeux  du 

id)  Ceci  a  été  prouvé  aux  Dlftraâions. 


154  Justification'/ 
corps  5  ouvrir  ceux  de  Tame  :  puis  la  ramaf- 
1er  au-dedans  ,  &  s'occupant  direélement 
de  la  préfence  de  Dieu  par  une  foi  vive 
que  Dieu  eft  en  nous  —  les  tenir  le  plus 
qu'il  fe  peut  captifs  &  aflujettis.  Chap.  3. 
n,  I. 

Si  en  faifant  fon  ade  de  foi ,  l'ame  fe 
fent  un  petit  goût  de  la  préfence  de  Dieu  , 
qu'elle  en  demeure  là ,  fans  fe  mettre  en 
peine  d'aucun  fujet ,  ni  de  paffer  outre  ;  & 
qu'elle  garde  ce  qui  lui  eft  donné  tant 
qu'il  dure.  S'il  s'en  va  ,  qu'elle  excite  fa 
volonté  par  quelque  affedlion  tendre.  Ch. 
4-  n.  2. 

L'ame  par  le  moyen  du  recueillement  fe 
tourne  toute  au-dedans  d'elle  ,  pour  s'occu- 
per de  Dieu  qui  y  eft  préfent. 

Si  elle  tourne  toute  fa  vigueur  &  fa 
force  au  dedans  d'elle  ,  elle  fe  fépare  des 
fens  par  cette  feule  adion.  Ch.  10.  n.  2. 

Suivant  feulement  l'attrait  intérieur  ,  & 
s'occupant  de  la  préfence  de  Dieu ,  fans 
penfer  en  particulier  à  la  mortification  ,  {a) 
Dieu  lui  en  fait  faire  de  toutes  fortes.  Là^ 
même.  n.  3. 

L'ame  iidelle  qui  s'exerce  ,  comme  il  a 
été  dît  5  dans  l'affeélion  &  dans  l'amour  de 
fon  Dieu,  eft  toute  étonnée  qu'elle  fent 
peu-à-peu  qu'il  s'empare  entièrement  d'elle. 

M  Ceci  a  été  vu  dans  les  Mortijications. 


X  L  V I.  Prcfcuce  de  Dieu.  i  .^5 

Sa  préfcncc  lui  devient  fi  aifcc  ,  qu'elle 
ne  jDOurroit  jias  ne  la  point  avoir  :  elle  lui 
c(t  donnée  par  habitude.  Ch.  ix.  n.  i. 

C'ell  ici  que  la  préfence  de  Dieu  durant 
le  jour  ,  qui  elt  le  grand  Fruit  de  Toraifon  , 
ou  plutôt  la  continuation  de  Toraifon  mê- 
me ,  commence  d'être  infufe  &  prefquc 
continuelle.  L'ame  jouît  dans  fon  fond  d'un 
bonheur  ineflimable.  Elle  trouve  que  Dieu 
cil  plus  en  elle  qu'elle-même. 

Elle  n'a  qu'une  feule  chofe  h  faire  pour  le 
trouver ,  qui  ell  de  s'enfoncer  en  elle-mê- 
me. Sitôt  qu'elle  ferme  les  yeux  ,  elle  fe 
trouve  prife  &  mife  en  oraifon. 

Elle  e(l  étonnée  d'un  fi  grand  bien  ;  & 
il  fe  fait  au-dedans  d'elle  une  converfation 
que  l'extérieur  n'interrompt  point.  Ch.  73, 
n.  z. 

La  couche  eft  le  fond  de  Tame.  Lorfque 
Dieu  eft  là  ,  &  qu'on  fait  demeurer  auprès 
de  lui ,  &  fe  tenir  en  fa  préfence  ,  cette  pré- 
fence de  Dieu  fait  fondre  &  diffoudre  peu- 
à-peu  la  dureté  de  cette  ame  ;  &  en  fe  fon- 
dant 5  elle  rend  fon  odeur.  Ch.  20.  n.  2. 


îSô         Justification, 

CANTIQUE- 

l^^EPOUx  facré  eft  toujours  dans  le  centre 
de  Tame  qui  lui  eft  fidelle  :  mais  il  y  demeu- 
re fi  caché  ,  que  celle  qui  poflféde  ce  bon- 
heur ,  l'ignore  prefque  toujours  ;  excepté 
certains  momens  ,  où  il  lui  plait  de  fe  faire 
fentir  à  Famé  amoureufe  ,  qui  pour  lors  le 
découvre  en  foi  d'une  manière  intime  & 
profonde.  Ch.  i.  v.  ii. 

L'anie  voyant  que  TEpoux  ne  lui  accorde 
pas  une  grâce  à  laquelle  elle  s'attendoit  , 
après  la  lui  avoir  accordée  dans  un  tems  où 
elle  ne  Tefpéroit  pas  ,  eft  étonnée  de  cette 
fi  dure  abfence.  Elle  le  cherche  dans  le  fond 
d'elle-même  ,  qui  eft  fon  petit  Ut  ,  & 
pendant  la  nuit  de  la  foi  :  mais  hélas  ,  elle 
eft  bien  furprife  de  ne  Fy  plus  trouver  ! 
Elle  avoir  quelque  raifon  de  Py  chercher  ; 
puifque  c'eft  là  qu'il  s'étoit  découvert  à 
elle  5  &  qu'il  lui  avoit  donné  le  plus  vif 
fentiment  de  ce  qu'il  eft  5  qu'elle  ait  encore 
éprouvé* 

Mais  ,  ô  Amante  ,  vous  n'avez  garde  de 
trouver  là  votre  Epoux  !  Ne  favez-vous 
pas  qu'il  vous  a  conjurée  de  ne  le  plus  cher- 
cher en  vous^  mais  en  lui-même?  Ce  n'eft 


XL  VI.   Préfcfice  de  Dieu.  157 

plus  hors  de  lui  que  vous  le  trouverez,  (a) 
Sortez  hors  de  vous-même  au  plus  vite  , 
pour  n'être  plus  qu'en   lui  ;  &  ce   fera  là 


(a)  Pour  bien  comprendre  ceci,  il  faut  expliquer 
de  quelle  manière  le  fait  la  fortie  de  Toi  ;  parce  que 
les  perfonnes  ,  qui  n*ont  pas  l'expcricnce  de  ce  qui 
cil  avancé  ici ,  pouiroicnt  dire  ,  que  puifqu'il  faut  une 
fois  ccder  de  chercher  Dieu  en  foi  pour  le  trouver 
en  lui -même,  il  ell  bien  plus  à  propos  de  l'y  cher- 
cher tout  d'un  coup ,  que  de  commencer  à  le  cher* 
cher  en  foi ,  &  que  c'elt  allonj^er  le  chemin  ,  au  iieu 
de  le  racourcir ,  comme  je  l'ai  dit  ailleurs.  Alais  on  fe 
méprcndroit  beaucoup  ;  parce  que  celui  qui  n'eft  pas 
vraicment  intérieur  ,  cherchant  Dieu  en  Dieu-méme  , 
le  cherche  comme  quelque  chofe  fort  diftindt  de  foi  & 
comme  au- dehors;  il  le  cherche  même  au  ciel  :  cela 
fait  qu'au  lieu  de  devenir  intérieur  &  de  ramafTer  , 
comme  faifoit  David  (Pf.  s8.  v.  10.)  toutes  les  for- 
ces de  fon  ame  ,  pour  s'appliquer  à  Dieu  ,  on  difTipe 
ces  mêmes  forces  :  comme  Ton  voit  des  lignes  fort 
petites  &  difperfées  fe  raffembler  ,  &  fe  fortifier  en  fe 
raifemblant  au  point  central  ,  &  par  un  effet  contraire 
s'affoiblir  &  fe  difperfer  d'autant  plus  qu^elles  s'éloi- 
gnent du  centre.  II  en  eft  de  même  des  forces  de 
lame  ,  foit  de  la  force  pour  connoitre ,  foit  de  la  for- 
ce pour  ai^ner  :  plus  elle  eft  ramaffee  en  elle-même  , 
&  dans  fon  centre  ,  plus  elle  a  de  force  &  de  vigueur 
pour  connoitre  &  aimer.  Et  comme  ces  mêmes  lignes 
qui  font  fort  divifées  deviennent  indivifes  dans  ce  point 
central;  e^juiTi  toutes  les  fondions  de  Tame  fi  diver- 
fes  &  diftindles  hors  du  centre  ,  fe  raffemblant  tou- 
tes ,  ne  font  plus  qu'un  feul  point  d'unité  indivife  , 
quoique  non  pas  indivifible.  Il  en  eft  de  même  de 
Tame  ;  toutes  fes  forces  étant  dans  cette  unité  ,  parce 
qu'elles  y  font  afTemblées ,  elle  a  une  vigueur  admi- 
rable pour  Dieu.  Et  il  eft  de  conféquence  de  prendre 
ce  chemin  ;  car  plus  l'ame  fe  recueille  &  demeure 
recueillie ,  plus  elle  approche  de  l'unité  ,  comme  l'on 
▼oit  peu- à -peu   les   lignes  fe  rapprocher,    &  fe  join. 


158         Justification. 

qu'il  fe  lailTera  trouver.  O  artifice  admira- 
ble de  l'Epoux  !  Lorfqu'il  eft  plus  pafTion- 
né  pour  fa  Bien -aimée,  c'eft  alors  qu'il 


dre  enfin  infenfiblement ,  plus  elles  approchent  de  leur 
point    centrai,  &   être    d'autant   plus    divifées    &  fépa- 
Técs  ,   qu^elles    s'en  éloignent  davantage.  Ceci  fuppofé» 
je   dis  qu!il  faut  donc  ,  pour  devenir  intérieur  &  fpiri- 
tuel ,  commencer  à  chercher  Dieu  en  foi  par  le  recueil- 
lement ,  fans  quoi  on  ne  parvient  point   à  l'unité  cen- 
trale.  Mais  lorfqu'on  y   eft  parvenu  ,  c'eft   alors   qu'il 
faut  fortîr    de    foi ,  non  en  fe  multipliant    au    dehors 
&  retournant  d'où  l'on   eft  venu  ;  mais  en  fe  furpaffant 
foi -même  ,     ou    s'outrepaflant    pour   entrer    en    Dieu. 
Car   cette  fortic  de   foi   ne  fe  fait  point  par   le  même 
chemin  par  lequel  on  eft  arrivé  au  recueillement  ;  mais 
comme  en  fe  traverfant  foi-même  ,   pour  ainfi  parler  , 
partant  au-delà  de  foi,  du  centre  créé  dans  le  centre 
incréé    qui  eft  Dieu.    Comme   une    perfonne  arrivée   à 
un    Keu     borné    où    il    doit     arriver     néceffairement  , 
ne   retourneroit  pas    fur   fes  pas  pour    en  fortir  ,  mais 
paffe  outre   par  îe   chemin  qu'il  trouve   ouvert  :    ainfi 
fortir    de  foi  c'eft  s'outrepafTer.  Et  comme'en  arrivant 
au  centre,  qui  eft  nous-mêmes  ,  il   nous  a  fallu   faire 
d'autant  plus   de   chemin  ,  que  nous   étions    plus  exté- 
rieurement diftipés    &   éloignés   du    centre   :  auffi    plus 
on  s'outrepafTe  foi -même,   plus    s'éloigne- 1- on  de  foi 
de  vue  6c   de   fentimens  ;  comme  celui    qui  ayant  fait 
beaucoup  de  chemin  pour  arriver  à  une  hôtellerie  ,  en 
fait  enfuite  beaucoup  d'autres    par-delà,  &   s'en    éloi- 
gne  d'autant  plus    qu'il   marche    davantage.    Sitôt     que 
nous   fommes    arrivés   à  notre    centre  ,    nous   trouvons 
Dieu  ,   &    nous  fommes   invités ,  comme  je  l'ai  dit ,  à 
fortir  de   nous  -  mêmes  en  nous   outrepaffant  ;   &  alors 
nous    Raflons    en    Dieu- même     très  -  réellement  :  car 
c'eft  alors  qu'il  fe  trouve    vraiement  où   nous   ne  fom- 
nies    plus  ;  plus    nous    marchons  ,  plus   nous   avançons 
en  Dieu,   &  plus    nous   nous    éloignons   de  nous-mê- 
mes. Alors  on  doit  mefurer  l'avancement  de  l'ame   en 
Dieu,    fur  l'éloignement  où    elle  eft  de   foi,  c'eft -à- 


XL VI.  rréfc7ice  de  Dieu.  159 

fuit  avec  plus  de  cruautc  :   mais  cVfl:  une 
cruauté  amourcufc  ,  fans  laquelle  Tamc  ne 


dire   quant  aux  viics  ,  fcntîmcns  ,   fouvcnir,  propre    in- 
tcrct  ,  rctlexions.   Lorfijuc  l'ame   avance   pour  arriver  à 
fon  centre,   elle   e(l    toute   rcHochic    (ur    elle-même  ; 
plus   elle    approche    de   Ton    centre,  plus   elle    le  voit, 
quoique    d'une    manière    moins    multipliée  :    mais    lorf- 
qu'cllc   cil   arrivée  à  fon    centre,    clic    ceire  de  fe   voir 
elle-même  :  comme  nous  voyons  tout  ce  qui  cft  hors 
de    nous   ,    ^   ne    voyons    point    ce    qui    clt    en    nous. 
Mais   plus  elle   s'outrepaH'e   clle-mcme,    moins  elle  fe 
voit  ;  &  en    fortant  de  foi  ,  comme  elle  fe   tourne   le 
dos,  pour   ainfi    pailer  ,  elle   fe   voit    toujours   moins  ; 
parce  qu'elle  n'elt  pas   tournée  pour  fe  regarder.   C'elt 
ce   qui  fait  que    les  propres  réflexions  ,  utiles  au   com- 
mencement ,  lui  deviennent  fi  nuifibles  dans  la  fuite.  Dans 
les  commencemens  il  faut  des  vues  réfléchies  &  multipliées; 
enfuite  il  faut  dts  vues  réfléchies  ,   mais  fimples  &  non- 
multipliées;  puis  il  eft  donné  à  l'ame  un  regard  dire<ft: 
comme  celui  qui  s*approche  de   rhôtellcrie  ,  ne  fe  fert 
plus  de    réflexion  ,  m.iis    regarde  le   lieu    qui   cfl:    à    la 
portée   de  fa   vue  ;    puis  étant    entré    dedans  ,    il   perd 
même  cette    vue    direde.    L'ame    arrivée  à   fon   centre 
ne   fe  voit  plus  ,  pour    ainfi  parler  ;    mais    elle    a    une 
manière    de   fe   fentir    &   s'appercevoir  ,     propre    à    cet 
état  :  mais  lorfqu'elle  s'eft  outrepaffce  foi -même  ,  elle 
ne   fe   fent  plus  ,    ne    fe    difcerne    plus  :  <&    plus    elle 
avance   en   Dieu,    moins   elle  fe    difcerne,    jufqu'à-ce 
qu'enfin  elle    s'abîme    totalement    en    Dieu  ,    &    qu'elle 
ne  fent  ,  ne   connoit ,  ne  difcerne  que   Dieu  en  lui   & 
pour  lui.  Alors   il  eft  clair  que  toute  réflexion  eft  nui- 
iible   &    mortelle;    puifque    ce    feroit    mettre  l'ame  ea 
chemin   de    quitter  Dieu  ,    &    retourner    vers    elle.   Or 
cet   outrepaiTemcnt   de   foi   fe   fait   par    la    perte    de    la 
volonté  ,  qui  comme  la  fouveraine  des  puifl'ances  ,  en- 
traine avec  foi   l'entendement  &  la   mémoire,    lefquel- 
Ics   quoique  puiffances    très-diftinctes   &    féparées  ,  font 
pourtant    un    &    indivifibles   dans    leur    centre.    Or    je 
dis,  &  il  •eft  clair,  que   cet  état   porte    avec  foi    une 
forte    de  ftabilité  ;  &  plus  il    avance  ,  plus  il    devient 


i6o         Justification. 

fortiroit  jamais  d'elle-même  ,  &  confé- 
quemment  ne  le  perdroit  jamais  en  Dieu. 
Ch.  3.  V.  I. 


AUTORITÉS. 
S.     Denis. 


,T 


OUTES  chofes  Tapétcnt  (  cette  caufc  pre- 
mière )  &  la  défirent,  à  favoir  celles  qui  font 
douées  de  raifon  &  d'entendement  par  connoif- 
fance  ,   celles    qui    font   au-deflbus    par  fenti- 


fiable.  Car  il  efl  évident  que  les  fondlions  de  celui  qui 
paffe  outre  de  foi  ,  &  qui  fe  quitte,  font  entièrement 
différentes  de  celles  de  celui  qui  marche  pour  arri. 
ver  à  foi -même  &  à  fon  centre  :  &  qui  voudroit  re- 
prendre le  premier  chemin  ,  trouveroit  la  chofe  très- 
difficile  &  prefquc  impcffible.  Il  fâut  donc  que  celui 
^ui  s'eft  outrepaffé  ,  fe  quitte  toujours  plus  ;  &  que 
celui  qui  veut  fe  convertir  ,  s'approche  toujours  plus 
de  foi  :  car  de  vouloir  faire  revenir  un  homme  déjà 
paffé  en  Dieu  ,  aux  pratiques  dont  il  s'eft  fervi  pour 
y  arriver,  c*eft  vouloir  que  la  nourriture  de  celui  qui 
a  mangé  ,  étant  palfce  dans  les  inteftins  ,  revienne 
par  la  bouche  ,  ce  qui  ne  peut  arriver  que  par  une 
colique  incurable ,  &  qui  donne  la  mort  ;  au  lieu  que 
la  nourriture  qui  effc  encore  dans  reftomac  fe  peut 
Vomir  ;  aulfi  tant  que  nous  fommes  encore  en  nous  , 
nous  pouvons  en  fortir  plus  ou  moins  facilement  , 
félon  que  nous  fommes  plus  ou  moins  avancés  :  mais 
lorfque  nou*  nous  fommes  outrepaffés  ,  ainfi  que  la. 
nourrituxe  qui  eit  palfée  dans  les  inteftins ,  la  chofe 
eft  difficile  &  prefque  impolTible  ,  à  moins  d*un  ren- 
verfement  général  par  quelque  chute  mortelle  ;  comme 
quand  les  excrémens  reviennent  par  la  bouche.  C^efc 
donc  de  cette  forte  que  fe  doit  entendre  la  ftabilicé  & 
fortie  de  foi. 

ment 


XLVI.  Préfence  de  Dieu.  1—4.         16  c 

iTicnt  ;  les  autres  par  un  mouvement  de  vie,  ou 
bien  par  une  certaine  djfporition  ,  proj)re  feule- 
ment à  participer  de  1  ctre  liuiple,  accompagné  de 
quelque  qualité  habituelle.  ïï(>;;/^;///i  Vlll.  19-22. 
Ils  la  louent  [i;]  fans  nom,  comme  quand  ils 
difent ,  qu'en  une  certaine  my(li(]ue  vifion  ,  de  la 
qualité  de  celles  où  elle  manifefle  fa  Divinité 
fous  quclcjucs  Hgures,  elle  reprit  (S:  tança  celui 
qui  lui  demanda:  [l^']  ilj^cl  cji-  votre  nom  ?  tV  com- 
me fi  elle  Teût  voulu  détourner  de  toute  concep- 
tion &connoifrance  de  nom  divin,  elle  lui  dit: 
[l)]  Pourquoi  me  demandes-tu  mon  Nom  qui  eji  admira- 
ble ?  Car  ce  nom  là  n'eft-il  pas  véritablement 
admirable,  qui  eft  par-dcfTus  tout  nom  ,  infi- 
niment, &  qui  eft  aifis  &  colloque  au-dcfTus  de 
tout  nom  qui  eft  nommé  ^Joit  en  ce  Jtède^  ou  en 
Vautre  avenir? Des  noms  Divins,  Ch,  i. 

2.  Voyez  Union,  n.  8. 

3.  Les  chofesles  plus  divines  &  les  plus  hau- 
tes, de  celles  qui  fe  peuvent  comprendre  par  l'en- 
tendement, ne  font  que  certaines  raifons  ^:  nou- 
ées des  chofes  ,  qui  font  au-de(Tous  de  celui  qui 
furpafTe  tout,  par lefquelles  fa  préfence,  qui  eft 
par-deflus  toute  notion  &  pcnféc,  eft  démontrée, 
laquelle  marche  vSc  pafTe  par-deiïus  les  très-haute* 
cimes  des  très-faints  lieux.  T/Vg/.  2)IyJt,    Ch,  ï. 

LMmitation  de  Jésu^-Christ. 

4.  Le  Royaume  [c]  de  Dieu  eft  au-dedans  de 
vous,  dit  le  Seigneur. —Car  [a]  le  royaume  de 
Dieu  eft.  la  paix  &  la  joie  au  S.  Efprit,  qui  n'eft 
point  donné  aux  impies. 

Jéfus-Chrift  viendra  à  vous,  &  vous  fera  fen- 

M  Préfence  de  Dieu  confufe  générale  indiftindtc 

f^l  Jug.  i;.  V.  17  ,  ^^, 

[c]  Luc  17.  V.  2  1.  [J]  Rom.  14.  v.  17. 

l'orne  IL  JuJHj\  h 


363         Justification. 

tir  au-dcdans  de  vous  la  douceur  de  fes  confola- 
tions  5  fi  vous  lui  préparez  une  demeure  digne 
de  lui.  Tout  cla  gloire  &  /a  beauté  qu:iimt  cet  Epoux 
célefle  ,  eji  [a]  au-dedans  de  tame^  &  c'eft  là  qu'il 
prend  fes  délices. 

Lorfqu'un  homme  eft  véritablement  intérieur, 
il  feplaità  le  vifiter  fouvent,  il  s'entretient  dou- 
cement avec  lui,  il  aime  aie  confolerdans  toutes 
fes  peines,  il  le  comble  de  fa  paix,  il  le  traite 
avec  une  familiarité  incomprélienfible.  Livr.  z.. 
Ou  I.  §.  I.  ^ 

5.  Tout  devient  doux,  ô  mon  Dieu,  en 
votre  préfence  ;  tout  eft  amer  en  votre  abfencc  : 
c'eft  vous  qui  rendez  le  cœur  tranquille.  Livre  3. 
C/z,  54.  §.  r. 

6.  Le  paradis  eft  par  tout  où  vous  êtes ,  ô  m.oa 
Seigneur  !  &  l'enfer  par  tout  où  vous  n'êtes  pas. 
Là-mcme  C/z.  59.  §.   I. 

Harphius. 

7.  Voyez  Mariage JpiritueL  n.  I. 

8.  Voyez  Foi  nue.   n.  7. 

Ste.     Thérèse- 

9.  Voyez  Oraifon.  §.  II.  n.  6. 

10.  Voyez  Là-même,  n.  8. 

11.  Puifque  l'amc  eft  abfente  de  Ion  Bien, 
pourquoi  eft-ce  qu'elle  voudroit  vivre  ?  Elle  fent 
encore  une  folitude  étrange,  &  telle  que  tous  les 
liabitans  delà  terre  né  la  peuvent confoler  par 
leur  compagnie.  Chat,  de tame,  Dem.  VL   Ch.  il. 

T2.  Toutes  les  trois  Perfonncs  divines  fe  com- 
muniquent ici  à  Tame,  lui  parlent,  &  lui  font 
comprendre  ces  paroles  de  Notre  Seigneur  dans 
l'Evangile  [b] ,  que  lui,  fon  Père  ,  &  le  S.  Efprit 
viendront  faire  leur  demeure  dans  les  âmes  qui 

la}  Pf.  44.  V.  14-  [b]  Jean  14.  Y.  aj.         \ 


XLVI.  Préfcncc  de  Dicû.  4— rj.        16  j 

l'aîmcnt  ik  qui  gardent  fes  commaiidcmcns.  .-^ 
L'jmc  s'ctoiuîc  tous  les  jours  de  plus  en  plus, 
p;irce  qu'il  lui  fcmblc  de  plus  en  plus  que  ces  di- 
vines pcrfonncs  ne  fc  fcparent  point  d'elle;  mais 
cjucllc  voit  clairement  ,  en  la  manière  que  je  l'ai 
dit,  (ju'elles  font  dans  le  plus  intérieur  cPelle- 
mcine ,  comme  dans  un  abime  très- profond  : 
car  elle  fent  en  foi  cette  divine  compagnie,  & 
ne  peut  exprimer  de  qucllefa^on  cela  ell,  parce 
qu'elle  n'a  point  de  termes  qui  le  rendent.  Là- 
mcnie  Dcm.    rif.  Cfiap.   i. 

Le  IJ.  JfcAN  DE  LA  Croix. 

I  j.  Montrez-vous  prcfcnt  à  mes  yeux. 

Pour  déclarer  ceci,  il  faut  favoir  qu'il  peut  y 
avoir  en  Tamc  trois  manières  de  préfence  de  Dieu. 
La  première  eft  eirentielle,&  en  cette  manière 
non  feulement  il  eft  dans  les  âmes  bonnes  &  fain- 
tç^s  ,  mais  même  dans  les  pécheurs  &  dans  toutes 
les  autres  créatures,  d'autant  que  par  cette  pré- 
fence il  leur  donne  la  vie  &  l'être,  &fi  elle  leur 
manquoit,  elles  s'anéantiroient  toutes.  La  fé- 
conde préfence  eft  par  grâce  ,  par  laquelle  Dieu 
habite  en  lame  qui  lui  eft  agréable,  &  de  la- 
quelle il  eft  fatisfait;  &  cette  préfcncc  n'cft  pas 
commune  à  toutes  les  âmes  ,  d'autant  que  celles 
qui  tombent  en  péché  mortel  en  font  privées, 
&  l'ame  ne  peut  point  naturellement  favoir  fi 
elle  a  ce  bonheur. 

La  troifieme  préfence  eft  par  affedion  fpirituel- 
le  ;  parce  que  Dieu  en  plufieurs  âmes  dévotes  a 
coutume  de  montrer  quelques  préfences  fpiri- 
tuelles  de  plufieurs  manières  ,  avec  Icfquelles  il 
les  récrée  ,  les  délede  &  les  réjouit.  Mais  tant  ces 
préfences  fpirituelles  que  les  autres  font  couver- 
tes &  cachées ,  parce  que  Dieu  ne  fe  montre  pas 
en  elles  comme  il  eft,  d'autant  que  l'état  de  cette 

L  % 


l64  JUITIFÏCATION. 

vie  ne  le  permet  pas,  &  ainfi  de  chacune  d'elles 
fe  peut  entendre  ce  vers  : 

Montrez-vous  prcfent   à  mes  yeux. 
D'autant  c[u  il  eft  certain  que  Dieu  eft  toujours 
préfent  dans  l'ame,  au  moins  félon  la  première 
manière  ,   elle  ne  dit  pas  qu'il  fe  fafTe  prcfent  à 
elle  ,  mais  que  cette    préfence  cachée  qu'il  fait 
en  elle  ,  foit  fpirituelle  ,  foit  naturelle,  foit   af- 
fedive,  qu'il  la  lui  montre  &  découvre  ,  dcfortc 
qu'elle  le  puifTe  voir  en  fon  divin  être  &  en  fa, 
beauté ,  afin  que ,  comme  par  fa  préfence  effen- 
tielle  il  donne  l'être  naturel  à  l'ame  ,  &  que  par 
fa  préfence  de  grâce  il  la  perfedionne ,  qu'il  la 
glorifie  auffi  par  la  manifeftation  de  fa  gloire. 
Mais  comme  cette  ame  eft  poufTée  d'afFcdion  & 
de  ferveur  d'amour  de  Dieu,  nous  devons  en- 
tendre que  cette  préfence  dont  elle  demande  ici 
la  vue  à  fon  Bien-aimé ,  eft  principalement  une 
certaine  préfence  affedive,  que  l'Ami  a  fait  de 
foi  à  Tame  ,  laquelle  a  été  fi  haute ,    qu'il  lui  a 
ferïjblé ,  &  qu'elle  a  fenti  y  avoir  là  un  bien  im- 
lïicnfe,  caché  &  couvert,  duquel  Dieu  a  com- 
muniqué à  l'ame  certains  rayons  clairs-fombres 
de  fa  divine  beauté  ,  &  avec  un  tel  effet  en  l'ame, 
que  cela  lui  caufe  des  défirs  ardens ,  &  des  dé- 
faillances,   pour  l'amour  de    ce  qu'elle  fent  là 
caché  en  cette  divine  préfence,  ce  qui  eft  con- 
forme à  ce  que  David  fentit ,  difant  :  [a]  Mon  ame 
dcjire  Èf  défaut  aux  avenues  du  Seigneur  ^  parce  qu'a- 
lors l'ame  défaut  avec  défir  de  s'enfoncer  en  ce 
fouverain  Bien ,  qu'elle  fent  préfent  &  couvert; 
parce  qu'encore  qu'il  foit  caché,  elle  fent  très- 
notablement  le  bien  &  la  déledation  qu'il  y  a  là. 
Et  pour  ce  fujet  elle  eft  [b]  attirée  &  emportée 

ià)  Pf.  8î.  V.  3.  {Ji)  Voyez  Moyen  court.  Ch,  21.  n.  s,  j. 


XLVÎ.  Vrcfcnce  de  Dieu,  15,14.       1^5 

on  ravie  de  ce  bien  avec  plus  de  force  (lu'aiicunc 
cliofe  naturelle  ne  Teft  de  fon  centre,  &  avec 
cette  avidité  cv  a[)|)étit  vifccral ,  Tanie  ne  fe  pou- 
vant plus  contenir,  elle  dit: 

Âlontrcz-vous  pr/fcnt  à  mes  ijcnw 
Le  même  arriva  à  Moife,  au  niontSinaï,  par- 
ce qu'étant  là  en  la  prélencede  Dieu,  il  vit  de  (i 
fublimes  ik  de  fi  prolondes  repréfcntations  &  ima- 
ges ,  fans  images  de  beauté  &  de  hautefTe  ,  de  la 
Divinité  de  Dieu  couverte  &  cachée,  que  ne  le 
pouvMnt  fouftrir ,  il  le  pria  par  deux  fois  (ju'il  lui 
découvrit  fa  gloire  ,  difant:  [ci]  SI  jaLtrouvd grâce 
en  votre  prefence ,  montrez-moi  votre  face  ,  afin  que  je 
^jous  connoiJJ^e  ^  &f  que  je  trouve  grâce  devant  vos  yeux  ^ 
laquelle  grâce  eft  d^arriver  au  parfait  amour  de 
la  gloire  de  Dieu  :  mais  Notre  Seigneur  lui  répon- 
dit :  [/;]  Tu  ne  pourras  voir  ma  face  :  car  f  homme  ne, 
me  verra  point  ,  fff  vivra.  Cantique  entre  HEpoufc  cs? 
(Epoux.   Couplet.  1 1 . 

1 4.  Dedans  mon  fein  tu  te  réveilles 

Ou  ej}  en  fccret  ton  f (jour. 
L'ame  dit ,  que  Dieu  demeure  fecrétement  dans 
fon  fein  ,  parce  que ,  comme  nous  avons  dit ,  c'eft 
au  fond  de  la  fubftance  de  Tame   &  àts  puiflTan- 
CCS  que  ce  doux  embraffcment  fe  fait.  Or  il  faut 
favoir  que  Dieu  demeure  dans  toutes  les  âmes  , 
caché  &  couvert   dans   leur    fubftance  ;  autre- 
ment elles  ne  pourroient  fubfifter  :  mais  il  y  a 
bien  de  la  diverfité,   ou    de  la  différence,  tou- 
chant cette  habitation,  d'autant  qu'il  demeure 
aux  unes  avec  contentement  &  à  fon  gré ,  &  aux 
autres  avec  dégoût  :  en  quelques-unes  il  demeure 
comme   chez  foi  ,  commandant   &  gouvernant 
tout;  en  d'autres  il  vit  comme  étranger  &c  dans 
la  maifon  d'autrui ,  où  on  ne  le  laiffe  commander 
(a)  Exod.  Î3'  V.  13.  (/O  v.  30. 

L  I 


i66        Justification 

ni  faire  aucune  chofe,  IVlais  où  il  y  a  moins  d'ap- 
pétits &  de  propres  goûts,  c'efl  où  il  demeure 
plusfeul,  plus  fatisfait,  &  comme  en  fa  propre 
maifon  ,  la  dirigeant  &  gouvernant;  &  il  y  de- 
meure d'autant  plus  fecret  qu'il  eft  plus  feul.  Et 
ainli  en  cette  ame  où  il  ne  demeure  plus  d'appé- 
tit, ni  de  formes  d'autres  images,  ni  de  formes 
d'aucunes  chofes  créées  ,  il  y  habite  très-fecréte- 
ment,  avec  un  ultérieur  embraffement  d'autant 
plus  intime  &  plus  fecret,  qu'elle  eft  pins  pure, 
plus  feule  ,  plus  féparée  de  toute  autre  chofe  qui 
n  eft  pas  Dieu.  Fartant  il  eft  fecret,  parce  que 
le  Diable  ne  peut  arriver  jufqu'à  ce  lieu ,  ni  à 
cet  embraffement;  ni  aucun  entendement  ne  le 
peut  pénétrer  comme  il  eft:  mais  il  n'eft  pas  fe- 
cret à  l'ame  qui  eft  en  cette  perfection,  car  elle 
le  fent  toujours  en  foi ,  fi  ce  n'eft  félon  ces  réveils, 
parce  que  quand  il  les  fait ,  il  femble  à  l'ame  que 
celui  qui  étoit  auparavant  endormi  dans  fon 
fein,  fe  réveille;  d'autant  que  bien  qu'elle  ne  le 
fentit&  ne  le  goûtât,  c'étoit  néanmoins  comme 
r.arni  endormi  dans  fon  fein. 

.0  que  cette  ame  eft  heureufe  qui  fent  toujours 
Dieu  ,  fe  repofant  dans  fon  fein!  O  qu'elle  doit 
bien  fe  retirer  de  toutes  chofes  ,  fuir  les  affaires , 
&  vivre  avec  une  tranquillité  immenfe  ,  de  peur 
que  le  moindre  atome  n'inquiète  ou  trouble  le 
fein  de  TiVmi  !  — 

Aux  autres  âmes  qui  n'ont  point  atteint  à  cette 
union,  quoiqu'il  n'y  foit  pas  contre  fon  gré,  cepen- 
dant à  caufe  qu'elles  ne  font  pas  encore  bien  dif- 
pofées  pour  cela ,  il  demeure  fecret ,  parce  qu'elles 
ne  le  fentent  pas  d'ordinaire ,  fi  ce  n'eft  quand  il 
leur  fait  quelques  favoureux  réveils;  bien  qu'ils 
ncfoyentpas  du  genre  de  celui-ci,  &  qu'il  n'y 
ait  point  de  comparaifon:  mais  il  n'eft  pas  ft  ca- 


XLVI.  Frcfeucc  de  Dieu.  14,  15.  1^7 
rlicau  Diable  ik  \\  rentcndcmcnt  que  cet  autre, 
parce  qu'il  cmi  pourroit  bien  entendre  qucl(|uc 
chofc  par  le  mouvement  du  fens,  d'autant  qu'il 
\\c{\  pas  bien  anéanti  ,  junju  a  ce  qu'on  foit  arri- 
vé à  l'union;  car  il  exerce  encore  quelques  ac- 
tions, pour  n'être  enticrementfpirituel.  JVlais  ea 
ce  rcvcil  que  fait  ici  l'Kpoux  en  cette  ame  f)ar- 
faite,  tout  cR  parfait;  car  c'cfl:  lui  qui  fait  tant, 
au  fens  qu'il  a  cté  dit  :  &  alors  en  cette  excita- 
tion  &  réveil ,  comme  quand  quehju'un  fe  ré- 
veille &  refpire,  Tamc  fent  la  refpiratioii  de 
Dieu.  Vivcjlanimc  cf amour.  Cantique  J.  v.  J. 
Le  p.  Nicolas  de  jésus  Maria. 

15.  En  lamour,  dit  S.  Tlwmas  ^  cft  l'union  de 
l'amant  avec  l'aimé  ,  car  parce  que  l'amour  trans- 
forme ,  il  fait  entrer  Tamant  dans  Tintime  de 
l'aimé,  &  réciproquement  l'aimé  dans  l'amant, 
afin  qu'il  ne  demeure  rien  de  l'aimé  qui  ne  foit  uni 
à  l'amant  [  3.  dijl.  27.  qu,  I.  ] 

Par  où  eft  affez  déclarée  Tunion  réelle,  à  la- 
quelle Tamour  tend  de  fa  nature  :  ce  qui  eft  ligni- 
fié clairement  en  plufieurs  lieux  de  l'Ecriture  , 
comme  efl  celui  de  S.  Jean[^];77  quelqu'un  ni  ai- 
me ^  il  gardera  ma  parole^  î^  mon  Père  f aimera, 
£ff  nous  viendrons  à  lui^  È?  nous  ferons  notre  de- 
meure en  lui:  où  par  ce  mot,  nous  viendrons^  il 
promet  fa  préfence  réelle  ,  conformément  au 
dire  de  S.  Paul;  [/;]  La  Charité  de  Dieu  ejl  répan^ 
due  en  nos  cœurs  par  te  S.  Efprit  qui  nous  a  été  don- 
né. —  Et  en  S.  Jean,  il  eft  dit,  que  \_c]  celui  qui 
demeure  en  charité  ^  demeure  en  Dieu  Eff  Dieu  en  lui. 
Et  il  eft  dit  des  juftes  [d]  ,  Vos  membres  font  le 
temple  du  S,  Efprit  qui  cft  en  vous.  Et  de  la  Sagefie 
divine  [e]  :  elle  peut  toutes  chofes  :   Êf   demeurant 

[û]  Jean  14.  v.  2}.  M  Rom.  5.  v.  ç.  [c]   i.  Jean  4.  r. 
16.  M  I.  Cor.  6,  V.  19.  W  Sag.  7.  v.  27. 

L  4 


î68  JUSTIPICATIOÎT. 

en  f oi  ^  elle  renouvelle  tout  y  '^parcourant  les  nations  elle 
Je  tranjporte  dans  les  âmes  falntes  ^  ^  en  fait  des  amis 
de  Dieu.  Dç,  tout  cela  les  ThéoJogiens  infèrent,  que 
lorfque  Ja  grâce  fandifiante  efl  donnée  à  Tame , 
par  laquelle  Dieu  habite  en  elle  comme  en  fon 
temple,  non  feulement  il  lui  communique  fes 
dons;  maisauji\  comme  parle  S.  Thomas  [a]  ,  le 
S.  Efprit  même  eji  donné  ^  envoyé  y  &'  habite  dans  ta^ 
me.  Eclaircijf,  des  P/iraf.  Myjl,  P,  Z,  Ch,  i6.  §.  1. 

Le  même  Auteur  rapporte. 

^6,  Suarez.  Il    me  femble  que  c'eft   une   opi- 
nion probable  &  pieufe,  de  dire  que  les  dons  de 
la  grâce  juftifiante  font  tels  ,  qu'ils  demandent  de 
foi ,  ou  comme   par  droit  connaturel ,  Tintime  , 
réelle  &  perfonnelle  préfence  de  Dieu  en  Tame 
fan^.ifiée  par  ces  dons  ,  ce  qui  eft   très-bien  dé- 
claré par  cette  conditionnelle  ,  parce  que  ,  fi  par 
impolFible  on  feignoit  queleS.  Efprit  ne  fût  pas 
réellement  préfent  dans  l'âme ,  néanmoins  d'au- 
tant que   l'ame  feroit  revêtue  de  tels    dons ,  le 
même  S.  Efprit  viendroit  à  elle  par  préfence  per- 
fonnelle, &  y  feroit,   &  y  demeureroit  tant  que 
la  grâce  demeureroit  en  elle  ;  &  par  cette  raifon  , 
quoique  d'autre  côté  elle   ait   cette    préfence   à 
caufe  de  fon  immenfité  &  defapuiiïance  à  bon 
droit,  on  dit  qu'elle  Ta  maintenant  par  un  titre 
fpécial ,  à  caufe  de  la  grâce  &  de  la  charité  ;  & 
^partant  c'eft  avec  raifon  qu'on  dit,  qu'il  vient,  ou 
qu'il  eft  envoyé  à  l'ame  moyennantces  dons. 

C'eft  ainfi  auffi  que  nous  entendons  la  miflion 
du  Verbe  divin  à  l'humanité,  à  laquelle  il  s'eft 
uni  :  parce  que  quand  on  feindroit  que  le  Verbe 
parfonimmenfitén'efl  pas  préfent  à  cette  huma- 
Tiité,  néanmoins  parce  qu'il  lui  feroit  uni  hippof- 

^al  I.  P.  £a.  43.  A.  3, 


XLVI.  Prcfeitce  de  Dieu.  1 5— 1 8-         »  ^9 

fatlqucmcnt,  en  vertu  de  cette  union  &  pour  \x 
terminer,  il  f^iudroit  qu'il  lui  lut  nitmicment  pré- 
fent;  &  partiuit    a  canfc  de   runion,    il  c(l  dit 
maintenant  être  en  cette  humanité  réellement  & 
intimement,  d'une  fat^on  f|)éc:iale.  Donc  en  cette 
manière  nous   difons,  que  le  S.  lifprit  e(l  donné 
à  1  ame  ,  ik  c(l  d'une  fac^on   fpécialc  en  elle  inti- 
mement &  réellement  à  raifon  de  la  grâce  fanc- 
tifiante  ;  car  par  la  grâce  &  la  chanté  ,  s'établit 
une  certaine  amitié  très-parfaite   entre    Dieu  ik, 
l'homme  :  or  l'amitié  requiert  &  demande  de  foi 
une   union   entre   les  amis  ,  non    feulement  par 
conformité  d'afl'cdions ,  mais  auHi  par  une  infé- 
parable  préfenct:   &   conjonction.    [De    la  Trinité 
Llvr,    12,   C/l  5.  )  Là-mcmc§.  I. 

17.  Le  P.  Ruis  de  Montoya,  A  raifon  de  Ta- 
mitié  furnaturelle  ,  &  de  hi  participation  de  la 
Nature  Divine ,  un  bien  plus  fort  &  plus  ferré 
cft  ajouté  à  la  réelle  préfencc  de  Dieu  en  Tame  ; 
car  enfuite  de  cela  le  S.  Efprit  vient  derechef 
&  réellement  à  Tamc,  &  chercheroit  derechef  la 
préfence  réelle  ,  encore  que  par  impoiïible  il  n'y 
îïit  pas  préfent  auparavant  par  effence  ,  préfence 
&  puiffance.  —  Or  entant  que  par  ces  aéles  & 
habitudes  Dieu  contracle  une  amitié  intime  avec 
Tame  ,  comme  avec  fa  fille  &  fon  Epoufe  ,  par 
un  certain  réfultat  d'obligation ,  il  s'enfuit  nécef- 
fairemenr  la  préfence  réelle  &  la  conjonélion  ;  & 
cela  ne  fuit  pas  ,  en  la  manière  que  Dieu  caufe 
les  autres  effets.  [Dlfp,  109.  de  la  Trinité,  Seéî.  3.  ) 
Là  -  même, 

18.  Cornélius  â  Lapide,  Toute  la  Sainte  Tri- 
nité vient  perfonnellement  &  fubllantiellement 
dans  l'ame  qui  eft  juftifiée  &  adoptée  ;  ce  qui  fe 
prouve  par  ces  paroles  de  S.  Pauî  :  [a]  j^d  adliérc 

(a)  I  Cor,  6.  ?.  17. 


î/o         Justification. 

au  Seigneur  ,  devient  un  même  efprit  avec  lui  ^  8c 
par  celles  de  Jéfus-Chrift;  (a)  Afin  que  ils  foient 
tous  un  ,  comme  vous  mon  Père  êtes  en  moi  ^  moi  en 
vous  i  quils  foient  de  même  un  en  nous.  — 

Toute  la  Divinité  &  tonte  la  Sainte  Trinité, 
s'eft  comme  attachée  &  renfermée  en  ces  fiens 
dons  ,  aHiî  de  nous  unir  à  foi  fubftantiellement, 
de  nous  fandifier  ,  déifier  Si  adopter.  ^  De  cette 
communication  de  la  Perfonne  même  du  S.  Ef- 
prit, &  de  la  Divinité,  il  s'enfuit  en  Famé  une 
très-grande  union  avec  Dieu  ,  &  comme  une 
déification  ,  &  par  conféquent  une  adoption  très- 
parfaite  ,  à  favoir  non  feulement  par  la  grâce, 
mais  par  la  fubftance  divine.  (  Comment,  fur  Ofee. 
Clu   i,  V,  12.)  Là-même. 

Le  P.   Benoit    de    Canfeld. 

19.  C'eft  une  imperfection  de  jetter  un  regard 
en  Dieu  autre  que  le  fimple  fouvenir  de  lui, 
comme  s'il  étoit  ailleurs  &  non  dans  Tame ,  & 
Tame  auffi  en  lui ,  ainfi  que  le  poifTon  dans  la  mer, 
&  Toifeau  dans  Tair;  au  refped  duquel  le  regard 
de  Tame  doit  être  comme  le  patient ,  qui  demeure 
en  fon  rien ,  c'eft-à-dire  ,  que  ce  regard  de  Tame 
doit  être  tiré  hors  d'elle  par  cette  divine  beauté, 
&  non  envoyé  de  l'ame.  Car ,  tout  ainfi  que  le 
Soleil  qui  frappe  fur  un  corps  tranfparent ,  comme 
Teau  &  ïe  cryflaî ,  attire  une  réciproque  fplendeur 
vers  lui  ;  ainfi  Dieu  jettant  les  rayons  de  fon  re- 
gard fur  Famé  5  attire  fur  lui  un  réciproque  re- 
gard. Mais  comme  cette  réciproque  fplendeur 
de  Teau  &  du  cryftal  ne  vient  pas  d'eux  feule- 
ment, ni  de  leur  vertu,  mais  principalement  du 
foleil  •  ainfi  ce  regard  parfait  ne  vient  pas  prin- 
cipalement de  l'ame  ,  ni  par  quelque  ade  qui  lui 

Ca)  Jean  17.  v.  21. 


XLVI.  Vréfence  de  Dieu.  iX-20.  17  c 
foit  propre  ,  mai^  de  Dieu.  Vx  comme  cette  fplrn- 
(IcUr  n'ed  p.'i*^  \\  fplnulenr  de  IVmu  ,  inais  du  So- 
leil, laquelle  [)énétraut  tSc  clarifiant  Teau  retourne 
vers  le  Soleil  :  ain(i  la  lumière  de  ce  regard  ne 
vient  pas  de  Tame,  mais  de  Dieu  ;  lequel  étant 
rfprit ,  vie  &  clarté,  cette  lumière  pénétre  &  cla- 
rihcl'ame,  ik  ainfi  s'en  retourne  à  Dieu,  &  en 
même  tems  attire  Tame  avec  lui ,  laquelle  ainfi  eft 
faite  une  même  cliorc  avec  Dieu,  lici^lc  de  la  parf. 
P.  3.  C/i,  10.  //.    II. 

S.    François    de   Sales. 

20.  Il  arrive  donc  quelciuefois  cjue  Notre 
Seigneur  répand  imperceptiblement  au  fond  du 
cœur  une  certaine  douce  fuavité  qui  témoigne  f:i 
préfence  ;  &  alors  les  puillances  ,  &  même  les 
fens  extérieurs  de  Tame  ,  par  un  certain  conten- 
tement fecret,  fe  retournent  du  côté  de  cette 
intime  partie  ,  où  eft  le  très-aimable  &  très-cher 
Epoux. 

Car  tout  ainfi  qu'un  nouvel  cfTaim  de  mou- 
ches à  miel ,  lorfqu'il  veut  fuir  &  changer  de  pays, 
eft  rappelle  par  le  fon  que  Ton  fait  fur  quelques 
baffins  ,  ou  par  Todeur  du  vin  emmiélé ,  ou  bien 
encore  par  la  fenteur  de  quelques  herbes  odo- 
rantes ;  enforte  qu'il  s'arrête  par  l'amorce  de  ces 
douceurs  &  entre  dans  la  ruche  qu'on  lui  a  pré- 
parée :  de  même  Notre  Seigneur  ,  prononçant 
quelques  paroles  fecrettes  de  fon  amour,  ou  ré- 
pandanc  Todeur  du  vin  de  fa  dilection ,  plus  douce 
que  le  miel ,  ou  bien  évaporant  le  parfum  de  fes 
vêtemens,  c'eft-à-dire  ,  quelques  fentimens  de  ces 
confolations  célcftes ,  en  nos  cœurs  ,  &  par  ce 
moyen  leur  faifant  fentirfa  très-aimable  préfence, 
il  retire  à  foi  toutes  les  facultés  de  notre  ame  , 
iefquelles  fe  ramaflTent  autour  de  lui  ,  &  s'ar- 
rêtent en  lui  comme  en  leur  objet  très-défxrable. 


J72  JUSTIFICATIOK. 

Kt  comme  qui  mettroiî:  un  morceau  d'aiman  en- 
tre plufieurs  aiguilles,  verroit  que  foudain  toutes 
leurs  pointes  1'^  tourneroient  du  côté  de  leur 
aiman  bit^n-aimé,  &  fe  viendroicnt  attacher  à 
lui;  auin  (  a)  lorfque  Notre  Seigneur  fait  fentir 
au  milieu  de  notre  ame  fa  très-délicieufe  pré- 
fence  ,  toutes  nos  facultés  retournent  leur  pointe 
de  ce  côté-la  ,  pour  fe  venir  joindre  à  cette  in- 
comparable douceur. 

O  Dieu  ,  dit  1  ame  alors  à  l'imitation  de  S.  Au- 
guftîn,  ou  v^ous  allois-je  cherchant,  Beauté  très- 
intinie?  Je  vous  cherchois  dehors,  &  vous  étiez 
au  milieu  de  mon  cœur.  Toutes  les  affédions  de 
Madeleine  &  toutes  fes  penfées  étoient  épan- 
chées autour  du  fépulcre  de  fon  Sauveur  ,  qu'elle 
alloit  cherchant  çà  &  là  ;  &  bien  qu  elle  l'eût 
trouvé  ,  &  qu'il  parlât  à  elle ,  elle  ne  laiffa  pas 
de  les  laifTer  éparfes ,  parce  qu'elle  ne  s'apper- 
cevoit  pas  de  fa  préfence  ;  mais  foudain  qu'il  l'eût 
appellée  par  fon  nom ,  la  voila  qu'elle  fe  ramaffe 
&  s'attache  toute  à  fes  pieds  :  une  feule  parole  la 
met  en  recueillement.  De  [amour  de  Dieu.  Livr.  6. 
Chap,  f . 

21.  Tous  ces  efprits  aélifs  &  foifonnans  en 
confidérations  ,  font  ordinairement  fujets  à  être 
troublés  en  la  fainte  oraifon  •.  car  fi  Dieu  leur 
donne  le  facré  repos  de  fa  préfence ,  ils  le  quittent 
volontairement,  pour  voir  comme  ils  s  y  com- 
portent ,  &  pour  examiner  s'ils  y  ont  bien  du 
contentement ,  &  fi  leur  tranquillité  eft  bien  tran- 
quille ,  ^  leur  quiétude  bien  quiète  ;  ainfi ,  au  lieu 
d'employer  leur  volonté  à  goûter  la  préfence  di- 
vine 5  ils  emploient  leur  entendement  à  difcourir 
fur  les  fentimens  qu'ils  ont;  comme  une  Epoufe 
qui  s'amuferoit  à  regarder  la  bague ,  avec  la* 

(a)  Recueillement  caufé  par  la  préfence  de  Dieu, 


XI.VT.   Vrefcitcc  de  Dieu.  20-23.       i73 

riiiclle  elle  iimoir  ctc  cpoufce  ,  fans  voir  rRponx: 
incmc  qui  Id  lui  a  douiicc.  Jl  y  a  bien  de  Ja  dillc- 
rcncc  entre  s'occuper  eu  Dieu,  (jui  nous  doinic 
du  contentement ,  &  s'amufcr  au  contentement 
qu'il  nous  donne,  /^/-/nrmr ,  (//.  10. 

22.   Ce  fentiment  de  la  Honte  céleRe  ,  demeu- 
rant un  peu  long-tcms  dans  un  cœur  amoureux  , 
il  fe  dilate  ,  il  s'étend  &  s'enfonce  par  une  intime 
j3énétration  en    Tefprit ,    (k  de   plus    en    plus  le 
détrempe  tout  de  fa  faveur  ,  qui  n'ell  autre  chofc 
qu'accroître  l'union  ;  comme  lait  l'onguent  pré- 
cieux ou  le  baume,  qui  tombant  fur  le  coton  fe 
mêle  &  s'unit  tellement  de  plus  en  plus,  petit  à 
petit ,  avec  le  coton  ,  qu'enfin  on  ne  fauroit  plus 
diftinguer  fi  le  coton  elè  parfumé  ou  s'il  efl  par- 
fum ,  ni  fi  le  parfum  efl  coton  ou  le  coton  par- 
fum.   O   qu'hcureufe  eft   une  ame  ,    qui  en  la 
tranquillité  de  fon  cœur  ,  conferve  amoureufe- 
ment  le  facré  fentiment  de  la  préfencc  de  Dieu  ! 
Car  fon  union  avec  la  divnie  bonté  croîtra  per- 
pétuellement, quoiqu'jnfenfibiement,  &  détrem- 
pera tout  l'efprit  d'icelui  de  fon  infinie  fuavité. 
Or  quand  je  parle  du  facré  fentiment  de  la  pré- 
fence  de  Dieu  en  cet  endroit ,  je  n'entends  pas 
parler  du  fentiment  fenfiblc,  rnais  de   celui  qui 
réfide  dans  la  cime  &  fuprcme  pointe  de  l'efprit , 
où  le  divin  amour  règne  &  fait  fes  exercices  prin- 
cipaux. BttAm.  de  Dieu  ^  Liv,  7.  Ch.  i. 

Le  Fr.  Jean  de  S.  Sam  s  on. 

2?.  Il  faut  noter  que  l'Epoufe  n'eft  jamais  fans 
fon  Epoux,  ni  fans  le  voir;  mais  pour  la  mieux 
exercer  &  achever  de  purger  fon  amour  ,  il  fe 
retire  d'elle,  quant  à  fon  inondante  manifefta- 
tion  ,  qui  raviffoit  auparavant  toutes  fes  puif- 
fances  fenfibles  de  fa  douce  &impétueufe  impul- 
iion:  de  forte  que  ce  bien  lui  manquant  par  la 


374  JuSTIFICATIOîf. 

retraite  &  rabfence  de  fon  Epoux  ,  (  comme  il 
lui  femble ,  li  elle  n'ell  pas  bien  inftruite  en  Ta- 
inoureux  exercice ,  )  fes  douleurs  &  fes  langueurs 
fe  renouvellent  ,  &  fe  font  fentir  pires  que  ja- 
mais :  ainfi  TEpoufe  eft  en  danger,  fi  elle  ne  de- 
meure ftable  &  confiante  en  fes  langueurs  ,  à 
attendre  en  patience  &  force  d'efprit  le  retour  de 
fon  Epoux.  Mais  enfin  après  avoir  bien  vu  les 
pénibles  combats  &  les  angoiffeufes  détreffes  de 
fon  Epoufe  fur  fon  abfence  ,  il  retourne  plus  déli- 
cieux &  plus  lumineux  que  jamais.  C'eft  ainfi 
que  le  Paradis  objedif  s'augmente  en  l'Epoufe, 
à  mefure  des  pénibles  &  mortelles  abfences 
qu'elle  fouffre  de  la  part  de  fon  Epoux.  Cabinet 
Myfi.  Fart.  L   Chap.  5. 

Moiif.  O  L  I  E  R. 
24.  o  qu'heureufes  font  les  âmes  ,  qui  font 
animées  &  pofTédées  du  faint  amour  !  qu'heureu- 
fement  elles  jouiffent  de  leur  cher  Tout,  qui  eft 
toujours  préfent  à  leur  cœur ,  &  qui  les  renou- 
velle quand  il  lui  plaît,  dans  les  manières  les  plus 
douces  &  les  plus  fuaves  du  Ciel  !  Qiie  malheu- 
reufes  font  celles  qui  n'ont  point  trouvé  ce  tré- 
for  du  faint  &  fur-célefte  amour  !  Lettre  140. 


XLVIÎ.  Prière  vocale.  Manière  de  dire 
les  Prières  vocales. 


MOYEN    COURT. 


a, 


.u'iLS  difent  donc  ainfi  leur  Pater  en 
François  ,  comprenant  un  peu  ce  qu'ils  di- 
fent, &  penfant  que  Pieu,  qui  eft  au-de- 


XL VII.  Pricre  vocale^  775 

clans  d'eux  ,  veut  bien  ctre  leur  Perc, 
En  cet  état  qu'ils  lui  demandent  leurs  he- 
foins  :  &  après  avoir  prononce  ce  mot 
de  Père  ,  qu'ils  demeurent  quelques  mo- 
mens  en  filence  avec  beaucoup  de  refped, 
attendant  que  ce  Perc  cclede  leur  falîe 
connoître  (es  volontés. —  Enfuitc  pourfui- 
vant  le  Pater  ,  qu'ils  prient  ce  Roi  de 
gloire  de  régner  en  eux  ,  s'abandonnant 
à  lui  -  même  afin  qu'il  le  fafle  j  &  lui 
cédant  les  droits  qu'ils  ont  fur  eux-mê- 
mes. 

Sentant    une   inclination    à    la    paix    & 
au  filence  ,  il  ne  faut  pas  pourfuivre  ;  mais 
demeurer   ainfi  tamt   que   cet  état   dure  : 
après   quoi  on  continuera  la  féconde  de- 
mande :  Que   votre  volonté  foit  faite    en 
la   terre  comme   au  ciel.  Sur    laquelle    ces 
humbles    fupplians    défireront    que    Dieu 
accomplifle  en  eux   &  par  eux  toutes  fes 
volontés  ;  ils  donneront  à  Dieu  leur  cœur 
&   leur  liberté  ,    afin    qu'il   en  difpofe  à 
fon  gré.   Puis  voyant  que  l'occupation  de 
la  volonté  doit  être  d'aimer  ,  ils   défire- 
ront  d'aimer  ,    &    demanderont  à    Dieu 
fon  amour.  Mais  cela  fe  fera  doucement, 
paifiblement  ;   &  ainfi  du  refte  du  Pater ^ 
dont  Meflieurs  les  Curés  peuvent  les  inf^ 
truire. 

Ils  ne  doivent  point  fe  furcharger  d'une 
quantité  excefïive  de  Pater  &  à' Ave  j  ni 


176  Justification. 

d^autres  prières  vocales  ;  un  feul  Pater  dît 
de  la  manière  que  je  viens  de  dire  ,  fera 
d^un  très-grand  fruit.  Ch.  3.  n.  %. 

La  manière  de  lire  en  ce  degré  eft  ,  que 
dès  que  Ton  fent  un  petit  recueillement  ,  il 
faut  cefler  &  demeurer  en  repos  ^  lifant  peu 
&  ne  continuant  pas  ,  fitôt  qu^on  fe  fent 
attiré  au-^dedans. 

Uame  n'eft  pas  plutôt  appellée  au  filence 
intérieur  ,  qu'elle  ne  doit  pas  fe  furcharger 
de  prières  vocales  ;  mais  en  dire  peu  :  & 
lorfqu'elle  les  dit ,  fi  elle  y  trouve  quelque 
difficulté ,  &  qu'elle  fe  fente  attirée  au  filen- 
ce ,  qu'elle  y  demeure ,  &  qu'elle  ne  fe  faffe 
point  d'effort ,  à  moins  que  les  prières  ne 
îuffent  d'obligation  ;  en  ce  cas  il  faut  les 
pourfuivre. 

Mais  fi  elles  ne  le  font  pas  ,  qu'elle  les 
laîflTe  fitôt  qu'elle  fe  fent  attirée  >  &  qu'elle 
a  peine  à  les  dire  :  qu'elle  ne  fe  gêne  &  ne 
fe  lie  point,  mais  qu'elle  fe  laiffe  conduire 
à  l'Efprit  de  Dieu  ,  &  elle  fatisfera  alors  à 
toutes  les  dévotions  d'une  manière  très-émi- 
nente.  Ch.  16. 

^     CANTIQUE. 

JLiA  louange  de  la  feule  bouche  n^eft  pas 
une  louange ,  ainfi  que  Dieu  le  dit  par  fou 

Prophète 


XL  VI  T.  Prière  vocale  i.  177 

Prophète  :  (a)  Ce  peuple  m'honore  des 
lèvres  ,  mais  /on  cœur  ejl  bien  éloigné  de 
moi.  La  louange  qui  vieiu  purement  du 
fond  ,  étant  une  louange  muette  ,  &  d'au- 
tant plus  muette  qu'elle  elt  plus  conlom- 
niée  ,  n'elt  pas  une  louange  entièrement 
parfaite  :  puifque  l'homme  étant  compofé 
cl'ame  &  de  corps  ,  il  faut  que  l'un  &  l'au- 
tre y  concoure.  La  perfeélion  de  la  louan- 
ge cil ,  que  le  corps  ait  la  fienne  ,  qui  foit 
de  telle  manière  ,  que  loin  d'interrompre 
le  filence  profond  &  toujours  éloquent  du 
centre  de  l'ame  ,  elle  l'augmente  plutôt  :  & 
que  le  filence  de  l'ame  n'empêche  point  la 
parole  du  corps  ,  qui  fait  donner  à  fon. 
Dieu  une  louange  conforme  à  ce  qu'il  eft. 
Enforte  que  la  confommation  de  la  priè- 
re ,  &  dans  le  tems  &  dans  l'éternité  , 
fe  fait  par  rapport  à  cette  réfurreélion  de 
la  parole  extérieure  unie  à  l'intérieure.  C A. 
8.  V.  13. 


,L 


AUTORITÉS. 

s.     Denis. 


lE  faint  Livre  des  Pfeaumes  -^  forme  eu 
ceux  qui  le  récitent  faintcment ,  ce  avec  lui 
divin  ravi:Tement,  une  difpoution  fort  propre, 
tant  pour  conférer  que  pour  recevoir  tous 
les  Sacremens  de  TEglife.  De  i  Hiérarchie  Ecdef. 
C/iap.  3, 

[a]  Ifa.  29.  V.  15.  / 

Tom.  IL  JuJHf.  m 


178  Justification.' 

S.     Jean     C  l  i  m  a  a  u  e. 

2.  Celui  qui  cft  dans  une  Communauté ,  ne 
peut  pas  tirer  autant  de  profit  du  chant  des  Pfeau- 
mes  que  de  la  prière  (a)  y  parce  que  le  bruit  con- 
fus de  plufieurs  voix  confond  &  diflipe  Tatten- 
tion&  l'intelligence.  Echdkfainte.  Degré 4.  Art.  91. 

j.  Ceux  qui  prient  Dieu  en  efprit ,  lui  parlent 
face  à  face  dans  Toraifon  ,  comme  les  favoris 
parlent  au  Roi  à  l'oreille.  Ceux  qui  prient  de  la 
bouche ,  reffemblent  à  ceux  qui  fc  jettent  aux 
pieds  du  Prince  en  préfence  de  tout  fou  Confeil. 
Et  ceux  qui  prient  étant  engagés  dans  le  fiecle, 
reffemblent  aux  perfonnes  qui  préfentent  au 
Roi  des  requêtes  au  milieu  du  tumulte  de  tout 
un  peuple.  Si  vous  êtes  favant  dans  l'art  divia 
de  la  prière,  vous  n'ignorerez  pas  ce  que  je  dis. 
Degré z^.  Art.  Zl. 

4.  Durant  la  nuit  donnez  beaucoup  de  tems  a 
la  prière  ,  &  peu  au  chant  des  Pfeaumes.  Et  lorf- 
que  le  jour  eft  venu,  préparez- vous  de  toutes 
vos  forces  pour  accomplir  de  nouveau  tous  vos 
devoirs.    Là-même.  Art*  78. 

5.  Que  vos  prières  foyent  fimples ,  fans  fard  & 
fans  affectation;  puifquele  Publicain  &  l'enfant 
prodigue  fléchirent  la  juftice  &  la  miféricorde  de 
Dieu  par  une  feule  parole.  Degré  28.  Art.  9. 

6.  Ne  recherchez  point  dans  vos  prières  des 
paroles  élégantes  j  puifqu'on  voit  fouvent  les 
enfans  obtenir  de  leur  Père ,  qui  eft  dans  le  Ciel , 
ce  qu'ik  lui  demandent  avec  des  paroles  fimples 
&  bégayantes.  Là-même.  Art.  I?. 

7.  Ne  faites  pas  de  longs  difcours  en  parlant 

(a)  Cette  prîere  n'efc  pas  une  prière  faite  en  courant  , 
mais  une  prière  d'application  intérieure. 


XLVII.  Prhrc  vocale,  i- 1  r.  179 

à  Dieu  ,  (le  [)c-iir  que  cette  vainc  rcclicrchc  de 
paroles  ctudiées  Ik  inutiles  ne  dillipc  l'attention 
(le  votre  el'prit  ,  (|ui  ne  doit  être  attache  ^u'à  lu 
vue  de  ce  grand  &  divin  01)jtL  Une  feule  parole 
du  Publicain  attira  fur  lui  la  niiféricorde  de  Dieu  : 
&  une  feule  parole  pleine  de  foi  fauva  le  Larron. 
Les  longs  difcoLirs  renipliflcnt  d'ordinaire  de  vai- 
nes images  Tefprit  de  celui  qui  prie,  &  confon- 
dent fon  attention  ,  au  lieu  que  peu  de  mots  fout 
capables  de  la  recueillir.  Là-même,  Art.  14. 

8.  Quand  nous  n'avons  pas  encore  requ  la 
grâce  d'une  oraifon  toute  intérieure  &  toute  re- 
cueillie en  Dieu,  nous  reffemblons  à  ceux  qui 
apprennent  aux  petits  enfans  à  marcher.  Là-mcmc. 
Art.   20. 

9.  J'aime  mieux  dire  ,  dit  le  grand  Apôtre  (a)  , 
cinq  paroles  avec  un  recueillement  d'efprit  tout 
entier  ,  que  dix  mille  de  la  langue.  Là-mcme. 
Art.  25*. 

Stc.    Catherine   de  Gènes. 

10.  L'ame  étant  en  ijieu  ,  ne  peut  aufTi  prier 
pour  aucune  perfonne  ,  lî  Dieu  ne  lui  pouife  Tef- 
prit  intérieurement  à  le  faire.  ^Azyiz  ?;ze.  C/z.  32. 

Ste.    Thérèse.  • 

11.  Je  ne  parle  que  des  prières  que  nous  fom- 
mes  obligées  de  dire,  puifque  nous  fommes  Chré- 
tiennes .  a  favoir  le  Pater  &  l'Ave  Maria  ,  afin 
que  Ton  ne  dife  point  de  nous,  que  nous  par- 
lons fans  entendre  ce  que  nous  difons  j  lî  ce  n'efc 
que  Ton  croie ,  que  ce  foit  affez  de  prononcer  les 
paroles  feulement  de  bouche  ,  &  qu'il  fuffit  d'aller 
ainlîpar  routine.  Si  cela  eftfuffifant  ,  ou  non,  je 
ne  m'ingère  point  à  le  décider:  les  Doctes  le 
refondront.  Ce  que  je  délire  c'eft ,  que  nous  ne 

(a)   I  Cor.  14.  V.  19. 

M  2 


igo        Justification. 

nous  contentions  pas  dun  tel  procédé. Car  quand 
je  dis  le  Credo  ,  il  me  fcmble  qu'il  eft  a  propos  , 
que  j'entende  &  que  je  fâche  ce  que  je  crois  y  & 
quand  je  dis  le  PaLcr  ^  l'amour  requiert  que  je 
connoiiïe  qui  eft  ce  Père ,  &  qui  eft  ce  Maître 
qui  nous  a  enfeigné  cette  oraifon.  ^  Q,ue  fa 
divine  Majefté  ne  permette  jamais  que  récitant 
cette  oraifon,  nous  ne  nous  fouvenions  point 
très-fouvent  d'un  tel  Maître ,  comme  eft  celui 
qui  nous  Ta  enfeignée  avec  tant  d'amour,  &  avec 
tant  de  défir  qu'elle  nous  profitât.  — 

Ainli  je  défire  que  vous  fâchiez  que  pour  bica 
réciter  le  Pater .  il  ne  faut  point  vous  tenir  loin 
du  Maître  qui  vous  1  a  enfeigné.  Vous  me  direz 
que  c'eft  là  une  confidération  ,  &  que  vous  ne 
pouvez  ni  ne  voulez  prier  que  vocalementj  par- 
ce qu'il  y  a  des  perfonnes  impatientes,  qui  défi- 
rent être  exemptes  de  peine ,  lefquelles  ont  de 
la  difficulté  à  recueillir  leur  efprit  au  commence* 
ment,  parce  qu'elles  n'y  font  pas  accoutumées; 
t^'  pour  ne  point  endurer  un  peu  de  travail ,  elles 
difent  qu'elles  ne  peuvent  faire  davantage  ,  & 
qu'elles  ne  favent  que  prier  vocalement.  Vous 
avez  raifon  de  dire  que  c'eft  déjà  oraifon  mentale  : 
mais  je  vous  dis  certainement ,  que  je  ne  fais 
comment  on  peut  le  féparer  en  priant  vocale- 
ment, fi  on  penfe  à  qui  on  parle  :  Et  même  il 
y  a  obligation  de  prier  avec  attention  ;  &  Dieu 
veuille  qu'avec  tous  ces  remèdes  le  Pater  foit 
bien  dit ,  &  que  nous  l'achevions  fans  que  notre 
efprit  fe  laiffe  aller  à  quelque  penfée  extravagan- 
te. Je  trouve  que  le  meilleur  eft  d  avoir  toujours 
la  penfée  en  celui  à  qui  j'adreffe  les  paroles» 
Chem.  de  la  perfec.    Ch.  24. 

12.   Afin  que  vous  ne  penfîez  pas  que  Ton 


XLVII.  Vriere  voeak.  ïm2.  igt 

tire  peu  (le  profit  de  la  pricrc  \  ocale  faite  avec 
pcMlcctioM  ,  je  (lis  (ju'il  fc  peut  bien  faire  que  0/) 
recitant  vocalcment  le  Pater  ,  ou  difant  quchjuc 
autre  prière  vocale  ,  Notre  Seigneur  vous  mette 
dans  la  contemplation  parfaite.  Car  par  cette 
voie  il  nous  fait  connoître  qu'il  écoute  celui  qui 
lui  parle>  ik  abaide  fa  prnnrlcur  jufques  à  daigner 
lui  j)arlcr  auili ,  en  fufpcndant  fon  entenrjement  , 
lui  liant  la  pcnfée,  ik  comme  on  dit,  lui  ôtant 
la  parolç  de  la  bouche,  de  forte  qu'encore  qu'il 
veuille  parler  il  ne  le  puifTc  néaninoins,  (inoii 
avec  une  grande  difficulté.  Il  voit  que  ce  Maître 
célefte  Tcnfeigne  fans  bruit  de  paroles,  fnfpen- 
dant  fes  puillanccs,  parce  que  (relies  opcroient 
alors  ,  elles  nuiroicnt  davantage  qu'elles  ne  fer- 
viroient;  elles  jouiilent,  mais  fans  favoir  com- 
ment: l'ame  eft  embrafée  d'amour,  &  elle  n'en- 
tend point  comment  elle  aime  :  elle  connoît 
qu'elle  jouit  de  ce  qu'elle  aime  ,  &  elle  ne  fait 
comment  elle  en  jouit  j  elle  voit  bien  cependant 
que  ce  n'eft  point  une  jouifTance  ,  où  arrivent 
les  efforts  de  Tentendemcnt  :  la  volonté  Tcm- 
brafie  fans  en  pénétrer  la  manière.  — • 

Penfer  à  ce  que  nous  difons,  &  entendre  avec 
qui  nous  parlons,  &  qui  nous  fommes  ,  — -  c'eft 
oraifon  mentale.  Ne  penfez  point  que  ce  foit 
quelque  autre  langage  inconnu,  &  que  le  nom  ne 
vous  épouvante  point.  Réciter  le  Pater  &  rAvc 
Maria  ou  quelque  autre  prière  que  vous  voudrez, 
c'eft  oraifon  vocale  :  confidérez  donc  combien 
cette  muiîque  fera  mauvaife  fans  cette  première 
pièce;  &  même  les  paroles  feront  quelquefois 
(ans  ordre  &  fans  accord.  Là-même.  CJu  2j. 

(à)  Ceci  fe  rapporte  à  ce  qui  eft  dit  pour  ceux  qui  ne 
fa  vent  pas  lire  ,  Moyen  court.  Ch.  j.  n.  2. 

M  3 


igz         Justification. 

Le  B.  Jean   de   la   Croix. 

1  j.  Remarquez  s'il  vous  plaît  ,  que  Tame  en 
ce  vers  ,  ne  fait  autre  chofe  que  de  (a)  repréfen- 
ter  fa  néceifité  tv  fa  peine  a  fon  amii  parce  que 
celui  qui  aime  difcrcttement,  ne  fe  met  pas  en 
peine  de  demander  ce  qui  lui  manque  ,  &  ce  qu  il 
défire,  mais  de  reprefenter  feulement  fa  nécef- 
lîté  ,  afin  que  FAmi  fafle  ce  qu'il  trouvera  bon  ; 
comme  quand  la  Vierge  dit  a  Notre  Seigneur 
aux  noces  de  Cana:  (b)  Ils  n  ont  point  de  vin  ;  & 
les  fœurs  du  Lazare  lui  envoyèrent  dire  ,  (c)  non 
pas  qu'il  rendit  la  fanté  à  leur  frère,  mais  que 
celui  qulL  almoit  ^  c  toit  malade  :  Et  ceci  pour  trois 
raifons  ;  la  première  parce  que  Notre  Seigneur 
fait  mieux  que  nous-mêmes  ce  qui  nous  eft  con- 
venable i  la  féconde ,  parce  que  l'Ami  a  plus  de 
compaff  on ,  voyant  la  néceffité  de  celui  qu  il  aime 
&  fa  rcfjgnation  \  la  troilieme  ,  parce  que  Tame 
eft  plus  a  couvert  de  l'amour  propre  &  de  la  pro- 
priété ,  en  repréfentant  ce  qui  lui  manque,  qu'à 
demander  ce  dont  il  lui  femble  avoir  befoin. 
L  ame  fait  ici  le  femblable  ,  repréfentant  fes  trois 
néceffités;  &  c'eft  comme  fî  elle  difoit  :  dites  à 
mon  Bien-àimé,  que  puifque  je  fuis  malade,  & 
que  lui  feul  eft  maguénfon  ,  qu'il  me  donne  la 
faute  ;  &  pyifque  je  fuis  dans  la  peine ,  &  que  lui 
feul  eft  mon  repos  ,  qu'il  me  fafle  jouir  de  mon 
bien  &  de  ma  quiétude  ;  &  puifque  je  meurs  ,  & 
que  lui  feul  eft  ma  vie ,  qu'il  me  donne  ma  vie. 
Cantique  entre  tEpoufe  8f  f  Epoux,   Couplet  2. 

(r7>  C*eft  proprement  Toraifon  de  fimple  expofition  , 
ou  ce  qui  s'appelle  oraifon  de  fimplicité. 

(/;)  Jeans,  v.  }.     (c)  Jean  ii.  v.  3. 


XLVII.  Prière  vocale,  ij-if.  igj 

S.     F  R  A  N  ^  O  1  s     T)  E    s  A  L  E  S. 

14.  Cette  aiinal)lc  lillc  (Voyez  Tandon,  n.  22.) 
ne  regarda  point  l'on  bras  piciiic  ,  ni  le  fang  qui 
fortoit  (ic  fa  veine  ;  nuis  tenant  fes  yeux  ar- 
létés  Tur  le  vifagc  de  Ton  ptM e  ,  elle  ne  difoit  autre 
chofe  lin(3n  par  fois  tout  doucement:  inon  perc 
m'airpe  bien  ,  &  moi  je  fuis  toute  iîenne  :  &  (juand 
tout  fut  fait,  elle  ne  Je  remercia  pas  ,  mais  feule- 
ment répéta  encore  une  fois,  la  même  parole  de 
fon  affection  &  confiance  filiale. 

^  Or  dites-moi  maintenant,  mon  amiThcoti- 
ine  ,  cette  fille  ne  témoigna-t-elle  pas  un  amour 
j)lus  affectil  &  plus  fol idc  envers  fon  père  ,  que  (î 
elle  eût  eu  beaucoup  de  foin  de  lui  demander  des 
remèdes  à  fon  mal,  de  regarder  comme  on  lui 
cuN'roit  la  veine,  ou  comme  le  fang  couloit ,  & 
de  lui  dire  beaucoup  de  paroles  de  remerciment  ? 
Il  n'y  a  certes  aucun  doute  en  cela:  car  (î  elle 
eut  penfé  à  foi  qu'eût-elle  gagné  ,  finon  d'avoir 
des  foucis  inutiles  ,  puifque  fon  père  en  avoit 
affez  pour  elle  ?  regardant  fon  bras  qu'eût-elle 
fait ,  finon  recevoir  de  la  frayeur?  Et  remerciant 
fonpcre,  quelle  vertu  eût-elle  pratiquée,  finon 
celle  de  la  gratitude?  n'a-t-elle  donc  pas  mieux 
fait  de  s'occuper  toute  aux  démonftrations  de  fon 
amour  filial,  infiniment  plus  agréable  au  père 
que  toute  autre  vertu.  De  t  Amour  de  Dieu.  Livr. 
9..    Chap,   I). 

Le  Fr.    Jean   de   S.    S  a  m  s  0  n. 

îf.  Si  par  fois  vous  vous  trouvez  occupé  de 
l'efpece  de  quelqu'un  qui  fe  préfente  à  vous  ,  fâ- 
chez que  cela  eft  ordonné  de  l'Epoux  pour  le 
befoin  qu'a  cette  perfonne  de  votre  fccours.  C'eft 
pourquoi  vous  la  préfenterez  à  fa  divine  Majefté 

^  Pur  amour,  n.  37, 

M  4 


I84  JUSTIFICATIOK^ 

par  un  fimple  &  amoureux  regard,  fans  plus  y 
penfer.   Ejprlt  du  Carm,  C/i.  Ig. 

L'Auteur  du  Jour  Mystiq^ue. 

16    Cette  forte  d'oraifon ,  ainfi  qu'on  la  dé- 
crit, a  quelquefois  tant  d'attraits  pour  quelques 
âmes  5  qu'elles  femblent  en  perdre  (û)  la  dévo- 
tion aux  Saints,  aux  oraifons  vocales  ,  &  ceffer 
de  demander   à    Dieu   ce    qui   eft    néceffaire   à 
TEglife  (îv  aux  particuliers.  Je  réponds,  que  c'eft 
tout  le  contraire  5  &  qu'on  eftime  davantage  tou- 
tes ces  chofes.  comme  des  moyens  par  lefquels 
on  eft  arrivé  »  ce  dont  on  jouit:  &  que  comme 
les  uns  font  plus  propres  aux  oraifons  vocales, 
qu'aux  exercices  intérieurs ,  on  leur  confeille  d'en 
vifer,  aux  autres  au  contraire  qui  ont  plus  d'at- 
traits à  l'intérieur,  de  faire  moins  d'oraifons  voca- 
les ,  qui  eft   comme  un  moyen  pour  allumer  la 
dévotion   intérieure.  St.  Thomas  dit     (ô)  que 
quand  l'oraifon  vocale  n'eft  pas  de  précepte  ,  elle 
doit  ceiTerlorfque  l'efpritfefent  enflammé  >  parce 
-qu'ayant  atteint  la  fin  ,  c'eft  bien  fait  d'en  jouir  , 
fans  s'arrêter  par  trop  aux  moyens.  Il  eft  porté 
dans  la  vie  de  S.  Ignace  (c)  ,  qu'il  ne  pouvoit 
avancer  a  dire  fon  Office  ,  à  caufe  de  la  grande 
communication  qu'il  avoit  avec  Notre  Seigneur , 
&  que  fes  compagnons  demandèrent  pour  lui  au 
Pape  la  permilFion  de  le  quitter ,  d'autant  qu'il 
Foccupoit  tout  le  jour,  s'arrêtantprefque  a  cha- 
que parole  pour  recevoir  la  vilite  de  Dieu  :    car 
étant  obligé  à  le  dire  ,  il  s'en  devoit  acquitter. 

Je  dis  de  plus  qu'en  cette  forte  d'oraifon  on 
t\t  laifle  pas  les  demandes  :  qu'au  contraire  par 
un  moyen  fecret ,  on  demande  mieux  fans  dire 

ia)  Dévotion  aux  Saints  qui  paroit  perdue. 
Ib,  -z,  z.  Ou.  S}.  -^^^  12.  \,c)  Liv.  2.  Ch.  i. 


XLVll.  Prière  vocale.  1(^-17.  i??r 

tnot ,  afin  (le  s'occuper  (iinanta^^c  en  ce  qui  plait 
pour  lors  (Javan(a;;e  à  Uicu  i  <Sc  i'ou  obtient  plu- 
tôt, parce  (jne  l'on  jr^'^g"^*  mieux  la  volonté  (la 
Seigneur,  qui  le  doit  donner  :  le(|uel  fâchant  tou- 
tes nos  noceiritcs ,  &  connoifTant  Tintention  & 
Jes  dcfirs  de  fes  ferviteurs  ,  qui  omettent  de  de- 
mander, pour  s'occuper  entièrement  à  faire  fa 
v(>lont(j,  fc  confiant  en  fa  douce  pro\'idence  i 
il  ne  manque  pas  de  leur  donner  &  de  les  con- 
tenter, comme  en  chofe  dont  il  s'eft  chargé.  Il 
dit  par  fon  Prophète  (à)  c\u*  il  fera  la  volante  de  ceux 
qui  le  craignent  ^  ik  ce  même  IVophète  (/>)  donne 
pour  moyen  d'obtenir  tous  les  defirs  du  cœur, 
de  fe  réjouir  au  Seigneur.  Livr,  l.  Traité  i.  Cii. 
5.  Sccl,  7. 

17.  Il  fcmble  que  cette  forte  d'oraifon  empêche 
la  commune  infritution  de  prier  ,  que  S.  Ignace  a 
enfeignée ,  &  qui  eft  ordinairement  recommandée 
par  les  Docteurs. 

Je  réponds  qu'au  contraire  elle  la  favorife  ; 
car  quand  Notre  Seigneur  ne  pré\'^ient  pas  d'une 
fpéciale  infpiration  ,  il  faut  commencer  par  là  ; 
&  c'eft  d'elle  que  procède  cette  autre  forme  d'o- 
raifon ;  puifque  par  le  moyen  de  la  méditation  , 
famé  parvient  a  la  quiétude  de  la  contempla- 
tion ;  &  l'Auteur  des  exercices  par  une  grâce 
fpéciale  a  monté  de  Tune  à  Tautre ,  étant  dit  de 
lui  qu'il  fe  portoit  à  Foraifon  plus  paffivement, 
jouiffant  de  ce  qu'on  lui  donnoit  ;  qu\active- 
ment,  travaillant  avec  le  difcours  :  parce  qu'il 
fe  repofôit  déjà  comme  celui  qui  étoit  arrivé  au 
terme  du  chemin.  Et  bien  que  la  commune  faqon 
de  prier  fe  doive  ordinairement  propofer  à  tous  , 
fî  toutefois  Notre  Seigneur  admet  dès  le  com- 

(a)  Pf.  144,  V.  19.  (W  Pf.  3^.  V.  4. 


igô        Justification. 

mencement  que]qu\)ii  à  l'oraifon  de  quiétude, 
iJ  doit  y  être  aidé.  On  la  peut  auflî  confeiller  à 
ceux  qui  fe  font  exercés  quelques  années  aux 
méditations  .  &  qui  font  déjà  bien  avancés  ,  & 
difpofés  a  cette  manière  de  prier  avec  quiétude 
intérieure ,  en  la  préfence  de  Dieu  s  leur  donnant 
avis  v^)  de  ne  pas  quitter  tout-à-coup  les  actes, 
mais  peu-r^-peu  :  Et  cela  ne  caufe  point  de  divi- 
iion  dans  les  Communautés,  d'autant  que  laforme 
de  prier  par  affections  avec  peu  de  difcours  ,  eft 
commune  à  piuiîeurs ,  &  c'eft  ce  qui  eft  plus  par- 
fait,  &  auffi  plus  rare  en  l'oraifon  ,•  car  la  perfec- 
tion ne  fe  trouve  toujours  qu'en  bien  peu.  Plût  à 
Dieu  qu'il  y  en  eût  davantage  !  ils  réveilleroient  les 
tiedes  :  &  ce  n'eft  point  mal  fait  de  marcher  ain(î 
par  une  voie  particulière  i  car  Dieu  ne  fait  pas 
des  faveurs  fingulieres  à  ceux  qui  fe  conten- 
tent de  marcher  par  le  grand  chemin  ordinaire. 

Enfin  on  peut  objecter,  que  ceux  qui  vont  par 
ce  chemin,  font  fufceptibles  d'orgueil  ,  de  pro- 
priété &  d'autres  défauts ,  &  qu'ils  oublient  les 
chofes  néceffaires. 

Je  réponds,  que  tous  les  défauts  qu'on  verra 
en  ceux  qui  ufent  de  cette  oraifon,  ne  viennent 
pas  de  fa  pratique;  mais  plutôt  de  ce  qu'on  ne 
la  pratique  pas  bien  ,  &  de  la  foibleffe  ,  de  l'in- 
difpofition  &  de  l'imperfection  du  fujet,  qu'il  faut 
corriger  &  amender.  Les  mêmes  défauts  ,  &  fou- 
vent  de  plus  grands  ,  arrivent  à  ceux  qui  ufent 
de  difcours  ;  parce  que  la  vanité  fe  mêle  davan* 
tage  'dans  les  chofes  qui  font  avantageufes  de  la 
part  de  l'entendement:  &  puis  une  chofe  n'eft 
pas  mauvaife ,  quoiqu'on  en  puiffe  faire  mauvais 
ufage.  Là-même. 

(a)  Comme  fait  le  Moyen  court.  Voyez  C/i,  J.  n.  2 ,  j,  4. 
Ch*  zi.  n.  6.  C/z.  24.  n.  8-  &c. 


XLVII.  Pricrc  vocale.  17- 1 8-  1 S7 

Le  P.  HiMPiiANE  Louis,  Jihbr  ({l^^ftival. 

18.  Sœur  Marie  /(ojrftc^  (|ui  ax'oit  vu  le  bon- 
heur de  Ici  coiulujte  de  S.  hraiiCjOis  de  Sales  ,  & 
puis  de  la  Rev.  M.  de  Chantai  ,  dit  ces  mots  fur 
cet  article  de  la  prière  v^ocale:  Notre  très-digne 
Mcre  de  Chantai  m'a  dit  parle  padé,  de  prier 
Dieu  2  la  fin  de  i'oraifon,  &  après  la  Conunu- 
nion  ,  pour  tout  le  monde  ,  pour  notre  infti  tut , 
&  pour  fa  charité  ;  cV*ft-à-dire  c)ue  je  reyardafle 
Dieu  avec  cette  atîection  de  voulou'  prier  j)C)ur 
cela;  &  que  je  dife  un  Pater  &  un  yh)r  à  cette 
intention  ,  &  que  je  le  dife  auffî  le  matin  à  mon 
exercice:  de  forte  que  v^oila  feulement  ce  que  je 
tâche  de  faire  pour  robèiffance  ;  car  je  le  fais 
comme  en  me  tirant  de  mon  attrait ,  n'y  ayant 
facilité  quelconque  à  mon  avis  ,*  mais  je  n'ai  ja- 
mais ofé  m'en  difpenfer. 

L'ame  peut  donc  fe  tirer  de  fon  attrait  quand 
il  y  a  quelque  obligation  d'obéiiïance  :  mais  fi 
Famé  ,  aufïitôt  qu'elle  penfe  à  prier  Dieu  pour 
quelqu'un,  à  ce  nom  de  Dieu  eft  attirée  &  abî- 
mée dans  le  fimple  regard  ,  qu'y  a-t-il  à  faire  ? 
comme  nous  lifons  de  Frère  Gilles ,  Religieux 
Convers  de  TOrdre  de  S.  Franqois ,  qui  au  feul 
mot  de  Dieu,  ou  de  Paradis,  étoit  enlevé  &  élevé. 
Sœur  Marie  de  1  Incarnation  ne  pouvoit  faire 
aucune  oraifon  vocale  ,  non  pas  même  dire  un 
^yc  ûms  grande  peine;  &  fi  elle  commençoit  fou 
Chapelet  avec  fa  fille ,  après  le  premier  Jvc  elle 
n'étoit  plus  à  elle ,  à  caufe  du  recueillement 
intérieur  qui  la  faififlfoit ,  &  qui  l'empèchoit  de 
continuer.  —  Ses  ConfefTeurs  avoient  peme  à 
lui  donner  des  pénitences  dans  fes  confellions  , 
quelques-uns  f^ichant  combien  la  prière  vocale 
lui  étoit  pénible,  ne  lui  enjoignoient  que  ces  deux 
mots,  JcJuSj  Maria,    ou  quelque  aumône  :  c'é- 


îgS         Justification. 

toit  une  des  caufes  qui  la  détournoient  de  faire 
profclîion  ,  pour  les  oraifons  vocales  auxquelles 
les  Sœurs  Coaverfes  font  obligées.  Confir.  Myft,  8. 
19.  Sœur  Anne  Marie  RoJJct  de  la  Vijltation  dit, 
que  S.  François  de  Sales  1  avoitafTurée,  que  cette 

'préfence  de  Dieu  comprend  tout:  &  que  fur  ce 
qu'elle  ne  penfoit  pas  aux  grands  myfteres 
que  l'Eglife  repréfente  dans  les  diverfes  fêtes  de 
Tanut-e  ,  il  lui  dit  de  faire  feulement  quelques 
oraifons  jaculatoires  vocalement  parmi  la  jour- 
née en  ces  jours-la,  fur  le  fujet  de  ces  myfteres 
&  qu  il  lui  commanda  de  faire  une  fois  toutes  les 
femaines  un  acte  d'adoration  &  un  acte  d'humi- 
lité devant  le  très-faint  Sacrement.  Elle  croit 
qu'il  lui  ordonna  cela  ,  fur  ce  qu'elle  pouvoit 
lui  avoir  dit,  qu'elle  ne  favoit  pas  adorer  Notre 
Seigneur  en  ce  Sacrement  ,  ni  faire  des  actes 
d'humilité,n'ayant  point  de  fentiment  de  fa  mifere 
&  de  fon  néant.  (^Lettre  Circulaire  fur  fa  mort.} 
Confér.  Myftique  9. 

Je  ne  parle  point  de  (état  pajjîf  :  tout  ce  que  jai 

-dit  li  fuppofe. 


XL VI II.  Propriété.  189 


XL  VI  IL    Propriété. 

Il  faut  voir  ce  que  cVft  que  Propriété  avant 
que  de  parler  de  Purification  ,  cela  étant 
néceirairc  pout  être  mieux  entendu. 

MOYEN    COURT. 

JL  ouT  ce  qui  ell  de  propres  efforts  & 
de  propriété  (a)  doit  être  détruit  :  parce 
que  rien  n'eft  oppofé  à  Dieu  que  la  pro- 


C^)  Pour  entendre  ceci ,  il  faut  favoir  qu'il  y  a  une 
propriété  mortelle  ou  de  pure  malice  ,  &  qui  eft  un  pé- 
ché mortel.  U  y  a  une  propriété  fpiritucUe  ,  d'autant 
plus  dangereufe  qu'elle  cil  plus  déiicate.  Il  y  a  la  pro- 
priété naturelle:  j'appelle  propriété  naturelle,  celle  qui 
eft  fans  la  volonté  ,  quoiqu'elle  foit  dans  la  volonté. 
C'eft  une  certaine  répugnance  naturelle  à  fa  propre  def- 
trudion  :  c'eft  une  certaine  qualité  fixe  en  foi  mé.ne  , 
dure  ,  arrêtée  ,  rétrécic  ,  qui  tenant  Tame  en  foi,  l'em- 
pcchc  de  s'écouler  ,  &  fe  perdre  en  Dieu  ,  ce  qui  eft 
néceffaire,  comme  on  l'a  vu.  Lorfqu'elle  eft  fans  la  vo- 
lonté ,  Dipu  la  détruit  dans  les  terribles  purgatoires  , 
dont  nous  parlerons ,  foit  en  cette  vie  ,  foit  en  l'autre. 
Lors  qu'à  cette  réfiftance  naturelle  la  volonté  fe  joint 
pour  ne  fe  laifler  pas  détruire  ,  alors  Dieu  ne  fait  pas 
fon' œuvre  dans  Pâme;  &  après  une  infinité  d'effais 
&  de  grâces  envoyées  pour  cela ,  voyant  fa  réfiftance , 
qui  n'eft  pas  toujours  pofitive  ,  car  elle  eft  le  plus 
fouvent  indirecte  ,  il  réferve  avec  regrec  à  la  purifier 
dans  l'autre  vie  ;  parce  qu'il  ne  violente  point  notre 
liberté. 


190         Justification. 

priété  ,  &  que  toute  la  malignité  de  l'hom- 
me  eft  dans  cette  propriété  ,  comme  dans 
la  fource  de  fa  malice  :  en  forte  que  plus 
une  ame  perd  fa  propriété  ,  plus  elle  de- 
vient pure  :  &  ce  qui  feroit  un  défaut  à 
une  ame  vivante  à  elle-même  ,  ne  l'eft 
plus  ^  à  caufe  de  la  pureté  &  de  l'inno- 
cence qu'elle  a  contractée  ,  dès  qu'elle  a 
perdu  les  propriétés  (a)  qui  caufoient  la 
diflemblance  entre  Dieu  &  Tame.  Chap. 
2.^.  n.  I. 


(a)  Car  il  faut  remarquer  que  la  propriété  fait  la  vie  , 
&  la  défappropriation  la  mort.  C'eft  une  enchainure  d'é- 
tats ,  dont  il  faut  tirer  une  conféquence  réciproque  ; 
parce  que  quoiqu'ils  foient  détachés  &  multipliés  dans 
les  expreflîons,  ils  font  un  dans  Tame  ,  parce  qu'ils  font 
toujours  fon  propre  état  d'unité  par  leur  union  ou  par 
leur  contradiction. 

Pour  expliquer  ceci ,  il  faut  favoîr  qu'il  y  a  deux"  ma- 
nîeres  d'impuretés  qui  fe  contradent  après  l'union , 
toutes  deux  fuperficielles  ,  l'une  réelle  néanmoins,  & 
l'autre  apparente.  La  réelle  c'cft,  lorfque  le  dehors  n'eit 
pas  encore  transformé  comme  le  dedans,  certains  pre- 
miers mouvemens  ou  fentimens  ,  lorfqu'une  forte  con- 
tradiction nous  prefTe  ,  il  échappe  au  dehors  quelques 
vivacités  &  promptitudes  ,  quoique  le  dedans  ne  foit 
nullement  altéré. 

Il  y  .a  des  défauts  apparents  &  non  réels  ,  qui  ne 
viennent  que  de  liberté  ,  d'innocence  &  de  fimplicité  : 
on  fait  fans  peine  ni  fcrupule  des  chofes  innocentes 
d'elles-mêmes,  dont  on  auroit  fait  fcrupule  autrefois, 
lorfque  la  néceflîté  de  purifier  les  fens  les  tenoit  dans 
I3ne  extrême  contrainte.  Par  exemple  ,  fe  récréer  avec 
une  fleur ,  unoifeau;  ne  plus  gêner  la  vue,  parce  que 


I 


XLVIII.    Propriété.  191 

Afin  que  riiomme  folt  uni  à  Dieu  ,  U 
faut  que  fa  SagclFc  ,  acconipagiice  de  la 
divine  JulHce  ,  comme  un  feu  impitoya- 
ble &  dévorant  ,  ote  à  Tamc  tout  ce  qu'elle 
a  de  propriété  y  de  terrestre  ,  de  charnel  & 
de  propre  activité  :  &  qu'ayant  ôté  à  Tame 
tout  cela  ,  il  fe  TunilFe.  Ce  qui  ne  fc  fait 
jamais  par  Tindullrie  de  la  créature  :  au 
contraire  ,  elle  le  fouftre  {a) ,  même  à  re- 


les  objets  ne  font  plus  d'impreflions  ,  quoiqu'on  TaiC 
fort  contrainte  dans  les  commencemens  ;  s'amufer  avec 
des  cnfans  ;  manger  indiftcremment  de  tout ,  parce 
qu'on  ne  trouve  de  goût  à  rien.  On  auroit  fait  autre- 
fois fcrupule  de  toutes  ces  chofes.  Les  perfonnes  gênées 
fe  fcandalifent  fouvcnt  de  cette  innocente  liberté. 

(a)  Il  faut  faire  attention  que  j'ai  dit  qu'il  y  a  deux 
propriétés  &  deux  réliltances  ,  Tune  volontaire  ,  &  l'au- 
tre purement  naturelle.  La  réfiftance  dont  il  eft  ici 
queftion  ,  eft  dans  la  nature.  &  nullement  volontaire; 
au  contraire  ,  la  volonté  eft  foumife  à  Dieu  ,  malgré 
les  réfiftances  de  la  nature  :  c'cft  pourquoi  Dieu  ayant 
le  confentement  de  l'homme,  renfermé  dans  fon  aban- 
don entier  &  général  à  toutes  les  volontés  de  Dieu  ^ 
il  ufe  de  fon  autorité  ,  malgré  les  répugnances  &  réfif- 
tances de  la  nature.  Mais  fi  la  réfiftance  étoit  volontaire, 
pour  petite  qu'elle  fût  ,  elle  arréteroit  l'opération  de 
Dieu.  Il  faut  auflî  remarquer  que  j'ai  dit  &  prouvé  ci- 
defTus  ,  (  Voyez  l'article  du  Franc^arbitre  )  que  Dieu 
accepte  le  franc-arbitre  lorfqu'on  le  lui  donne  fincérc- 
ment ,  &  qu'enfuitc  il  ufe  de  fes  droits, 

II  eft  encore  nécefTaîre  de  comprendre  que  fous  le 
nom  de  propriété  eft  compris  les  propres  opérations  , 
propre  amour ,  propre  recherche  ,  tout  ce  qui  a  rap- 
port à  nous,  aulfi-bien  que  tous  les  entre-deux  en- 
tre Dieu  &  i'ame ,  toutes  les  réfiftances ,  même  toutes 


jgz  JuSTIflCATlOîf. 

gret  ;  parce  que  ,  comme  j^ai  dit ,  Thommc 
aime  fi  fort  fa  propriété  ,  &  il  craint  tant 
fa  deftruélion  ,  que  fi  Dieu  ne  le  faifoit  lui- 
même  &  d'autorité  ,  Thomme  n^  confenti- 
roit  jamais. 

On  me  répondra  à  cela  ,  que  Dieu  n'ôte 
jamais  à  Thomme  fa  liberté  ,  &  qu'ainfi 
il  peut  toujours  réfifter  à  Dieu  :  d'où  il 
s'enfuit ,  que  je  ne  dois  pas  dire  ,  que 
Dieu  agit  abfolument  &  fans  le  confen- 
tement  de  Thomme.  Je  m'explique  ^  &  je 
dis  ,  qu'il  fufîit  alors  qu'il  donne  un  con- 
fentement  paflîf  ^  afin  qu'il  ait  une  entière 
&  pleine  liberté  ,  parce  que  s'étant  don- 
né à  Dieu  dès  le  commencement  de  fa 
voie  ^  afin  qu'il  fit  en  lui  &  de  lui  tout  ce 
qu'il  voudroit ,  il  donna  dès  lors  un  con- 
fentement  adif  &  général  pour  tout  ce 
que  Dieu  feroit.  Mais  lorfque  Dieu  dé- 
truit ,  brûle  &  purifie  ,  l'ame  ne  voit  pas 
que  cela  lui  foit  avantageux  :  elle  croit 
plutôt  le  contraire.  Là  -  même.  n.  6  y  7. 

CANTIQUE. 

JLjA  fortie  de  foi-même  ,  par  le  renonce- 
ment continuel  à  tout  propre  intérêt  ,  eft 

les  répugnances ,  tout  rapport  à  foî ,  fpirîtuel  &  tem- 
porel :  Tamour- propre  eft  en  tout  cela  &  la  pro- 
priété. 

l'exercice 


XLVIII.    Propriété.  195 

Fexcrcicc  intérieur  ,  que  l'Amant  céledc 
confcille  aux  amcs  ,  qui  foupirent  après  le 
bailer  de  la  bouche  ,  comme  il  le  donne  il 
entendre  a  fon  Amante  par  ce  feul  mot  , 
Jortti  ,  qui  lui  iulKt  pour  régler  Ton  inté- 
rieur. Chap.  /  •  V.  7 . 

L'Epoux  par  ces  paroles  donne  à  con- 
noîtrc  Tavancement  de  fon  Amante  ,  laquel- 
le elt  comme  un  lis  très -pur  ,  très -agréa- 
ble ,  &  de  bonne  odeur  devant  lui  ;  lorf- 
que  les  autres  filles  ,  au  lieu  d'être  fouples 
&  pliables  ,  &  de  fe  lailTer  conduire  par 
fon  efprit  ,  font  comme  des  buifTons  d'épi- 
nes ,  qui  fe  hériiïent  &  piquent  ceux  qui 
veulent  les  approcher.  Telles  font  les  âmes 
propriétaires  &  attachées  à  leur  volonté  , 
qui  ne  veulent  pas  fe  laifTer  conduire  à 
l)ieu.  Et  c'eft  là  ce  qu'une  ame  bien  aban- 
donnée à  fon  Dieu  foufFre  avec  celles  qui 
ne  le  font  pas  :  car  les  autres  font  tout  ce 
qu'elles  peuvent,  pour  la  retirer  de  fa  voie. 
Mais  de  même  que  le  lis  conferve  &  fa  pu- 
reté &  fon  odeur  au  milieu  des  épines ,  fans 
en  être  nullement  endommagé  ;  aulli  ces 
âmes  font  confervées  par  leur  Epoux  au 
milieu  des  contrariétés  ,  qu'il  faut  qu'elles 
efluient  de  la  part  de  ceux  qui  n'a.ment  qu'à 
fe  conduire  eux-mêmes  ,  &  à  fe  multiplier 
dans  leurs  propres  pratiques  ,  n'ayant  point 

Tome  IL  JuJHf.  N 


194         Justification. 

de  docilité  pour  fuivre  le  mouvement  de  la 

grâce.  Chap,  i.  v.  X- 

Quel  eft  cet  ordre  ,  ce  règlement  que 
Dieu  met  dans  la  charité  ?  O  Amour  , 
Dieu-charité  ,  vous  feul  le  pouvez  révéler! 
C'eft  qu'il  fait  que  cette  ame  ,  laquelle  par 
un  mouvement  de  charité  ,  le  vouloit  tout 
le  bien  poffible  par  rapport  à  Dieu  ,  (  ^  ) 
s'oublie  entièrement  de  toute  elle-même  , 
pour  ne  plus  penfer  qu'à  fon  Bien-aimé. 
Elle  s'oublie  de  tout  intérêt  de  falut ,  de 
perfection  ,  de  joie  ,  de  confolation  ;  pour 
ne  penfer  qu'à  l'intérêt  de  fon  Dieu,  Elle 
ne  penfe  plus  à  jouir  de  fes  embralTemens  ; 
mais  à  fouffrir  pour  lui.  Elle  ne  demande 
plus  rien  pour  elle  ;  mais  feulement  que 
I)ieu  foît  glorifié.  Elle  entre  dans  les  inté- 
rêts de  la  divine  Juftice  ,  confentant  de  tout 
fon  cœur  à  tout  ce  qu'elle  fera  d'elle  &  en 
elle  ,  foit  pour  le  tems  ,  foit  pour  l'éternité.. 
Là^même.  v.  4* 

Cette  vapeur  eft  compofée  des  odeurs 
les  dIus  choifies  de  toutes  les  vertus.  Mais 
il  faut  remarquer  que  les  odeurs  ,  dont  cette 
vapeur  eft  compofée ,  font  des  gommes 
propres  à  être  fondues  ,  &  des  poudres  qui 

(t2)  L'amour -propre  eft  fils  de  la  propriété  &  Ta- 
mour  pur  ne  nait  dans  Tarae  que  par  fon  entière  défap* 
piopriation. 


XLViri.  Fropriké.  195 

ne  font  point  de  corps  foliclcs  :  la  folirlité 
&  la  conlillancc  en  clIc-memc  ne  font  plus 
de  fon  état.  Et  d'où  monte  cette  vapeur 
il  droite  &  (i  odoriférante  ?  Elle  monte 
du  délcTt  de  la  foi.  Et  où  va-  t~clle  ?  Elle 
veut  aller  fe  repofer  en  Ton  Dieu.  Cliap. 
3.  V.  6. 

Notre  Amante  fe  fentant  déjci  beau- 
coup dégagée  d'elle-même  ,  croit  qu'il 
n'y  a  plus  qu'une  feule  chofe  à  faire  ;  & 
il  eft  vrai  :  mais  hélas  !  qu'il  y  a  d'obf- 
tacles  à  vaincre  avant  que  d'y  réuffir* 
C'ell  d'aller  en  Dieu  ,  qui  efl  le  Ut  de 
repos  du  véritable  Salomon,  Mais  pour 
y  arriver  ,  il  faut  paiTer  au  travers  de 
foixante  des  plus  forts  d^Ifra'éL  Ces  vail- 
lans  guerriers  font  les  Attributs  divins  , 
qui  environnent  ce  lit  royal  ,  &  qui  en 
empêchent  Taccès  à  ceux  qui  ne  font  pas 
entièrement  anéantis.  Ils  font  les  plus  vail- 
lans  d'Ifraël  ,  parce  que  c'eft  en  ces  attri- 
buts ,  qulfraël ,  qui  défigne  le  Contem- 
platif ,  trouve  fa  force  ,  &  que  c'eft  aufîi 
par  eux  que  la  force  de  Dieu  eft  manifef- 
tée  aux  hommes,  v.  7. 

Tous  font  armés  de  leur  épée ,  pour  com- 
battre avec  force  contre  cette  ame ,  qui  par 
une  fecrette  préfomption  veut  {a)  s'attri- 

[a]  En  tant  que  Tame  s'attribue  la  force  &  la  juf- 
tice,  c'cft  une    propriété  dont  il  faut   qu'elle   foit  pu- 

N  2 


jg6        Justification. 

buer  ce  qui  n'appartient  qu'à  Dieu  :  c'efl 
ce  qui  leur  fait  dire  d'une  commune 
voix  :  qui  {a)  ejl  comme  Dieu  ?  La  juf- 
tice  divine  ett  la  première  qui  vient  , 
pour  combattre  &  détruire  (6)  la  pro- 
pre juftice  de  la  créature  :  &  la  Force 
vient  enfuite  pour  terrafifer  la  force  pro- 
pre de  l'homme  ;  &  le  faifant  entrer  (c) 
par  l'expérience  de  fon  extrême  foiblefle 
idans  la  puiflance  du  Seigneur ,  elle  lui 
apprend  à  ne  fe  plus  fouvenir  que  de  la 
feule  juftice  de  Dieu.  La  Providence  fe 
déclare  contre  la  prévoiance  humaine;  & 
ainfi  de  tous  les  Attributs.  Ils  font  tous 
armés  ;  parce  qu'il  faut  que  l'ame  foit  dé- 
truite en  toutes  ces  chofes  ,  pour  être  ad- 
mife  dans  le  lit  du  vrai  Salomon  pour  être 
Epoufe  j  &  afin  que  le  mariage  s'achève  & 
fe  confomme.  Ces  vaillans  guerriers  ont 
toujours  l'épée  au  côté.  Cette  épée  n'eft 
autre  que  la  parole  de  Dieu  ^  la  plus  inti- 
me &  la  plus  pénétrante  ;  mais  parole  effi- 

rîfiée  ,  ainfi  qu'on  le  verra  dans  Tarticle  de  la  Purifia 
cation. 

M  Parole  attribuée  à  St.  Michel. 

(h)  Toutes  CCS  chofes,  entant  qu'appropriées  à  l'hom. 
me,  doivent  être  détruites,  afin  qu'il  entre  dans  la  vé- 
lirable  juftice  &  fainteté  ,  qui  eft  celle  de  Dieu.  Tout 
cela  s'opère  dans  la  purification  que  le  B.  Jean  de  la  Croix 
appelle  2suit  de  VeJpriL 

(c)  Pf.  70.  V.  16. 


XL  VIT  r.  Propriété.  ^nr 

cace  5  qui  eu  dccouvrnnt  à  l^anic  la  plus 
fccrertc  prélbmptîon  ,  la  lui  arrache  en  mê- 
me tems. 

Cette  parole  efl  la  Parole  in  créée  ,  qui 
ne  le  manilefle  dans  le  fond  de  Tame  , 
que  pour  y  opérer  ce  qu'elle  y  exprime. 
Elle  ne  fe  déclare  pas  plutôt ,  c|ue  com- 
me un  coup  de  tonnerre,  elle  réduit  en 
poudre  ce  qui  s'oppofe  à  fon  paffage.  Cette 
divine  Parole  en  s'incarnant  ,  en  ufa  tout 
de  même  :  (a)  Elle  dit  ,  6'  il  fut  fait  ,  & 
elle  imprima  en  fon  Humanité  les  carac- 
tères de  fa  Toute-puifTance.  Elle  vint  dans 
la  bafleffc  de  la  créature  ,  pour  détruire 
fon  élévation  ;  &  dans  fa  foiblefTe  , 
pour  en  abattre  la  force  :  &  elle  prit  la 
forme  du  pécheur  ,  pour  terrafler  la  pro- 
pre juftice.  Elle  fait  de  même  dans  Tame  ; 
elle  TabaifTe  ,  elle  TafFoiblit ,  elle  la  couvre 
de  miféres. 

Mais  pourquoi  l'Ecriture  dit-elle  ,  qu'ils 
font  tous  armés  de  la  forte  ,  à  caufe  des 
craintes  de  la  nuit  ?  Cela  veut  dire  ,  que 
comme  la  {h)  propriété  eft  celle  qui  tient 
l'âme  dans  l'obfcurité,  &  qui  lui  caufe 
toutes   fes    nuits    funeftes  ;  les  Attributs 

{à)  Pf.  î2.  V.  9. 

(h)  Il  y  a  un  tel  rapport  entre  la  purification  &  la 
propriété  ,  qu'on  a  peine  à  les  détacher  ;  la  propriété 
étant  la  matière  de  la  purification. 

N  3 


j^i         Justification. 

divins  s'arment  ainfi  contr'elle  ,  afin  qu'elle 
n'ufurpe  point  ce  qui  n'appartient  qu'à 
Dieu.  Chap.  3.  v.  8. 

Quoique  l'Epoux  ne  puifTe  encore  ad- 
mettre l'Amante  dans  fon  lit  nuptial  ,  qui 
eft  le  fein  de  fon  Père  ;  il  ne  laifle  pas 
pourtant  de  la  trouver  très-belle ,  &  plus 
belle  que  jamais  :  car  fes  fautes  ne  font 
plus  des  péchés  notables  ,  ni  prefque  des 
ofFenfes  ;  mais  des  défauts  qui  font  dans 
fa  nature ,  encore  dure  &  retrécie ,  laquelle 
a  une  peine  incroyable  à  être  étendue  pour 
fe  perdre  en  Dieu.  Elle  eft  donc  très-belle 
&  dans  l'intérieur  &  dans  l'extérieur.  Chap. 

4.   V.    I. 

Jufqu'à-ce  que  Tame  fe  fût  toute  fondue 
en  amertumes  &  en  croix  ,  quoiqu'elle  fût 
belle  5  elle  n'étoit  pas  néanmoins  toute  bel- 
le :  mais  depuis  qu'elle  s'eft  fondue  fous  le 
poids  des  traverfes  &  des  affligions  ,  elle 
eft  toute  belle  ,  &  il  ne  refte  en  elle  aucu- 
ne tache  ni  difformité. 

Elle  feroit  par  là  difpofée  à  l'union  per- 
manente 5  fi  la  qualité  encore  dure  &  retré- 
cie ,  bornée  &  limitée  n'empêchoit  ce  bon- 
heur- Cette  qualité  n'eft  pas  une  tache  qui 
foit  en  elle  (a)  ,  ni  rien  qui  ofFenfe  Dieu  : 

(û)  C'eft-à-dire ,  qui  foit  dans  fa  volonté,  ou  plutôt 
qui  foit  volontaire. 


XL VIII.  Froprictc.  199 

c^cft  feulement  un  défaut  de  fa  nature  prlfe 
en  Adam  ,  que  fon  Epoux  détruira  infen- 
liblement.  Mais  pour  elle  ,  depuis  que  la 
croix  Ta  toute  déhgurée  aux  yeux  des  hom- 
mes ,  elle  e(t  toute  belle  aux  yeux  de  fon 
Epoux  ;  &  depuis  qu'elle  n'a  plus  de  beau- 
té ,  elle  a  trouvé  la  véritable  beauté.  Là^ 
me  me  v.  7. 

L'ame  qui  veille  à  fon  Dieu  ,  éprouve 
que  quoique  fon  extérieur  paroifTe  mort,  & 
comme  interdit  &  éteint ,  ainfi  qu'un  corps 
endormi  ;  néanmoins  fon  cœur  a  toujours 
une  vigueur  fecrette  &  inconnue  (a)  qui 
le  tient  uni  à  Dieu.  De  plus  ,  les  âmes 
fort  avancées  éprouvent  fouvent  une  chofe 
furprenante  ,  qui  eft  ,  qu'elles  n'ont  la 
nuit  qu'un  demi-fommeil  ,  &  que  Dieu 
opère  plus ,  ce  femble  ,  en  elles  durant  la 
nuit ,  &  dans  le  fommeil  que  pendant  le 
jour. 

L'ame  pendant  ce  fommeil  entend  bien 
la  voix  de  fon  Bien -aimé  ,  qui  vient  frap- 
per à  la  porte.  Il  veut  fe  faire  entendre  : 
il  lui  dit  :  ouvrez-moi ,  ma  Sœur  ^  je  viens 
à  vous  ,  ma  Bien  -  aimée  ,  que  j'ai  choifie 
par-delfus  toutes  pour  en  faire  mon  Epou- 

(a)  Il  faut  remarquer ,  que  cette  ame  tend  toujours  à 
Dieu  ,  ou  lui  eft  unie  d'un  lien  d'unité  :  ainfj  elle  eft  bien 
éloignée  de  demeurer  oifive.  Je  rapporte  tous  ces  verfets, 
afin  de  les  éclaircii  tous. 

N  4 


200         Justification. 

fe.  Confidérez  que  ma  tête  eft  pleine  y 
&  encore  dégoûtante  de  ce  que  j'ai  fouf- 
fert  pour  vous  durant  la  nuit  de  ma  vie 
mortelle  ,  &  que  j'ai  eflTuyé  pour  votre 
amour  les  gouttes  de  la  nuit  de  la  plus 
cruelle  perfécution.  Je  viens  donc  à  vous 
de  la  forte  ,  afin  de  vous  faire  part  {a)  de 
mes  opprobres  ,  de  mes  ignominies  ,  & 
de  mes  confufions.  Jufqu'à  préfent  vous 
avez  eu  part  à  Famertume  de  ma  croix  ; 
mais  vous  n'avez  pas  eu  de  part  à  l'igno- 
minie &  à  la  confufion  de  ma  croix. 
L'un  eft  bien  différent  de  l'autre  ;   vous 


(û)  Il  faut  remarquer  ^qu'il  eft  toujours  parlé  de 
croix  •>  d'ignominies  &  de  confufions.  Il  y  a  bien  des 
petfonnes  qui  (e  livrent  pour  certaines  croix  &  noa 
pour  toutes  ;  qui  ne  veulent  jamais  perdre  leur  réputa- 
tion devant  les  hommes  ,  &  c'eft  ce  que  Dieu  veut 
faire  perdre  ici.  D'ailleurs  comme  Dieu  veut  faire  fortir 
cette  ame  d'elle  même  ,  pour  l'appliquer  au  dehors,  elle 
fenc  en  cela  une  extrême  répugnance,  n'aimant  que  fa 
retraite.  Néanmoins  il  eft  très-certain  ,  que  fi  on  ne  for- 
toit  point  de  la  folitude  ,  ces  fortes  de  croix  n'arri- 
vcroicnt  pas.  Lorfque  Dieu  veut  bien  faire  mourir,  il 
permet  quelquefois  certaines  imprudences  apparentes, 
qui  ne  le  font  pas  en  effet  ,  qui  femblent  donner  lieu 
à  cela.  J'ai  connu  une  perfonne  qui ,  dans  une  vue  , 
qui  lui  fut  donnée  des  plus  terribles  croix  ,  &  fur.tout 
de  la  perte  de  fa  réputation  ,  à  laquelle  elle  étoit  fort 
attachée  ,  ne  s'y  put  jamais  réfoudre  ,  &  dit  à  Dieu  : 
plutôt  toutes  autres  croix  ;  lui  refufant  formellement 
Ion  confentement  :  elle  demeura  là  fans  pafler  outre- 
cette  réferve  fut  fi  défagréable  à  Notre  Seigneur ,  qu'il 
ne  la  favorifa  jamais  depuis  d'aucune  humiliation  ,  ni 
d'aucune  grâce.  C'eft  elle  qui  me  Ta  raconté. 


XL VI II.   rropricté.  cor 

en  allez  faire  une  expérience  terrible.  CI:. 

5.  V.  X. 

L'Epoiife  voyant  qne  l'Epoux  parle  de  lui 
faire  part  de  fes  ignominies  ,  craint  beau- 
coup ;  &  autant  qu'elle  a  été  courageufe 
&  intrépide  à  accepter  la  croix  ,  autant 
a-t-elle  de  peur  de  Tabjedion  dont  clic 
cft  menacée.  Plufieurs  veulent  bien  porter 
la  croix  ;  mais  il  n'y  a  prefque  perlbnne 
qui  veuille  porter  l'infamie  {a)  de  la  croix. 
Lorfque  l'ignominie  ell  propofée  à  cette 
ame  ,  elle  appréhende  deux  chofes  :  Tune 
d'être  revêtue  de  ce  dont  elle  a  été  dé- 
pouillée ,  favoir  d'elle-même  &  de  fes 
défauts  {h)  naturels  :  l'autre  de  fe  falir  dans 

(a)  C*efl:  qu'il  y  a  des  croix  douloureufes  ,  mais  hono" 
râbles  ;  &  des  croix très-douloureures  &  très-humiliantes, 
tout  enlemble. 

(6)  Notez  naturels  :  ce  ne  font  donc  pas  des  pé- 
chés. 

Pour  comprendre  ceci  ,  il  faut  faire  attention  ,  que 
Dieu  ,  pour  purifier  Tefprit ,  C  ce  que  le  B.  Jean  de  la 
Croix  appelle  ,  'Nuit  ob faire  de  Vefprit  ,  )  permet  que 
les  défauts  qui  paroiffent  cfTuiés  &  comme  éteints, 
paroilfent  fort  au-dehors  ;  je  veux  dire  les  dcfauts  na- 
turels d'humeur  ,  des  promptitudes  ,  des  inégalicés  , 
des  fentimens  tous  révoltés.  Dieu  dépouillant  alors  l'a^ 
me  de  Tufage  des  divines  vertus  &  de  la  facile  prati- 
que du  bien  ,  tous  les  défauts  reparoiilent  :  Famé  étant 
alors  abandonnée  à  elle  -  même  ,  elle  fouffre  de  toutes 
parts  ;  de  la  part  de  Dieu  ,  qui  appefantit  fa  main  ; 
de  la  part  des  créatures  ,  qui  la  calomnient  &  lui  font 
les  plus  étranges    perfécutions  ,    de  la  part  d'elle -mê- 


202  JUSTIFICATIOîf. 

les  afFeiftions  des  créatures»  Je  me  fuis  , 
dit-elle  ,  dépouillée  de  moi-même  ,  de  m.es 
défauts  ^  &    de  ce   qu'il  y  avoit  en   moi 

me,  tous  fes  fentimens  étant  révoltés;  &  de  la  part 
des  démons.  Et  c/eft  ce  terrible  affemblap.e  de  tant  de 
fi  étranges  croix  ,  qui  cniifent  la  mort  de  Tame  ;  car 
fi  quelqu'une  lui  manquoic  ,  ce  lui  feroit  un  refuge  & 
un  foutien,  qui  la  feroit  vivre  en  elle-même.  Ces  dé- 
fauts ne  font  point  volontaires  ,  non  plus  que  Texpé- 
rience  de  mille  miferes  &  foiblefTes  qui  font  la  douleur 
de  Tame ,  quoiqu'elle  ne  le  connoiiTe  pas  toujours  ; 
car  Tabandonnement  de  Dieu  lui  fait  croire  que  c*eft 
fa  faute.  Si  elle  fe  tourne  vers  Dieu  ,  clic  s*en  fent 
rejettée ,  &  n'éprouve  que  fon  indignation;  fi  elle  s'en- 
vifage  elle-même,  elle  ne  voit  que  tentations,  mif^- 
re  ,  pauvreté  &  défauts;  fi  elle  veut  fe  tourner  vers 
les  créatures  ,  elles  font  pour  elle  comme  des  épines 
qui  la  piquent  &  la  repouffent.  Elle  ell  comme  pendue, 
comme  bannie  de  tous  les  êtres  ,  ainfi  qu'on  le  verra 
dans  la  Purification.  Ce  qui  eft  plus  terrible  pour  Ta- 
nie  ,  c'eft  qu'ordinairement  Dieu  pouffe  ces  pauvres 
affligés  au-dehors  dans  ces  tems-là,  c'eft  à.dire  ,  qu'il 
les  met,  par  la  néceffité  de  leur  état,  hors  de  leur 
folitude  &  dans  le  commerce  du  monde.  Ce  qui  les 
tourmente  le  plus ,  c'eft  que  plus  elles  défirent  le  déta- 
chement ,  plus  elles  fentent  malgré  elles  que  leur  cœur 
prend  à  tout  :  elles  fouffrent  beaucoup  de  cela.  Mais 
lors  que  Dieu  s'eft  fervi  de  toutes  les  créatures  &  de 
leurs  propres  défauts  ,  de  la  pefanteur  de  fon  bras ,  de 
la  malice  des  hommes  &  des  démons ,  de  l'expérience 
de  leurs  foibleffes,  il  les  en  délivre  tout  d'un  coup,  pour 
les  recevoir  en  lui  toutes  pures.  Celles  qui  ne  fe  laiffent 
pas  détruire  de  la  forte  ,  reftent  toute  leur  vie  ea 
elles-mêmes  dans  leurs  défauts  &  propriétés.  Voilà  ce 
que  j'ai^  voulu  dire. 

Ce  que  l'Epoufe  veut  encore  dire,  c'eft,  que  dans 
les  commencemens  on  fouffre  les  perfécutions  &  les 
calomnies  avec  force,  parce  qu'on  fait  très -bien  ne 
les   avoir  pas   méritées  ,  &  qu'on  eft  fort  fcutenu  iaté- 


XLVIII.  Proprihc.  1205 

d'Aclam  pcchcur  ;  comment  pourroî-jc  ja- 
mais m'en  rtvccir  ?  Vx  cependant  il  n^.c 
femblc  qu'il  n'y  a  que  cela  qui  nie  puilîc 
caufer  de  Tabjeélion  &  de  la  confufion  : 
car  pour  les  nn-pris  qui  m'arrlveroient  de 
la  part  des  créatures  ,  lans  que  je  les  euf- 
Çqs^  caufcs  par  ma  faute  ,  je  m'en  i crois 
un  plaifir  &  une  gloire  ,  efpcrant  que 
cela  glorifieroir  mon  Dieu  ,  &  me  ren- 
droit  encore  plus  agri'.able  a  fes  yeux.  J^oi 
lavé  &  puririé  mes  att'eélions  de  telle 
forte  ,  qu'il  n'y  a  rien  en  moi  qui  ne  foit 
à  mon  Bien  -  aimé  ;  comment  les  j ouille- 
rai  "je  encore  par  le  commerce  {a)  des 
créatures  ? 


rîeurement  :  maïs  îcî  il  n'en  eft  plus  de  même.  Com- 
me Tame  eft  remplie  de  fentimens  de  penchans  vers  la 
créature  ,  elle  croit  avoir  en  réalité  ce  qu'elle  n'a  qu'en 
fentimenc  :  alors  elle  fe  croit  la  plus  miférable  du 
monde  ;  elle  croit  mériter  tout  ce  qu'on  lui  fait  fouf- 
frir  ,  &  porte  une  telle  confufion  &  humiliation  au- 
dedans  ,  qu'elle  eft  inexplicable.  Elle  fe  croit  la  plus 
mauvaife  de  toutes  les  créatures.  Et  plus  elle  s'eft  fen- 
tie  détachée  de  tout,  &  de  goûts  pour  Dieu  ,  &  une 
certaine  légèreté  ;  plus  elle  lent  fa  mifere  ,  fon  attache 
&  fa  pefanteur  :  mais  d'une  manière  fi  douloureufe  , 
qu'elle  agonife  mille  fois  par  jour.  Il  lui  femble  avoir 
le  goût  de  tous  les  plaifirs  &  l'envie  d'en  jouir ,  quoi- 
qu'elle les  fuie  plus  que  jamais. 

(a)  Notez  que  j'ai  dit,  dans  la  'Note  précédente, 
qu'elle  eft  alors  néceflîtée  de  reprendre  la  vie  active  , 
c'eft-à-dire,  que  fa  condition,  ou  des  affaires  impré- 
vues ,  la  jettent  au-déhors  :  &  comme  elle  s'étoit  retirée 
dans  la  folitude  ,  fe  détachant  avec  peine  des  créatures, 


204         Justification. 

O  pauvre  aveugle  !  de  quoi  vous  dé- 
fendez-vous ?  L'Epoux  ne  vouloit  qu'é- 
prouver votre  hdéiité  ,  &  voir  fi  vous 
étiez  à  toutes  fes  volontés.  Il  (a)  a  pafTé 
pour  coupable  ,  il  a  été  couvert  de  con- 
lunon  ,  raiïalié   d'opprobres  ,   &   mis  au 

elle  a  bien  de  la  peine  d*y  retourner.  Cependant  fi 
Dieu  ne  la  je^coit  pas  au -dehors  par  la  nécelficé  de  fon 
état,  clie  ne  feroit  point  calomniée,  parce  qu'elle  feroit 
inconnue  ;  àk,  elU  ne  fentiroit  point  de  nouvelles  affec- 
tions enver.s  les  créatures,  parce  qu'elle  ne  les  verroit 
point  :  elle  ne  connoîtroît  point  aiTez  fa  foiblefTe  ni  la 
dépendance  où  elle  doit  être  de  la  grâce  ,  rcconnoif- 
fant  qu'elle  ne  doit  rien  fe  promettre  de  foi -même  , 
mais  bien  attendre  tout  de  Dieu  ,  fe  confier  en  lui ,  fe 
défier  de  foi  ,  fe  haïr  ,  fe  quitter.  Enfin  ces  peines  & 
ces  douleurs  ne  font  point  fenties  des  perfonnes  qui 
ne  connoiRent  point  Dieu,  ni  de  celles  quî  fe  livrent 
à  leur  dérèglement  :  elles  n'ont  garde  de  reffentir  de 
la  dojUur  d'un  mal  auquel  elles  fe  livrent  volontaire- 
ment ,  éteignant  en  elles  l'efprit  du  Seigneur ,  &  fe 
livrant  à  toutes  fortes  de  défordres  ,  oubliant  Dieu  ,  & 
devenant  la  inême  malice  :  plus  elles  vivent,  plus  elles 
font  mauvaifcs  :  au  lieu  que  ces  âmes  ici,  après  avoir 
été  tentées  ,  purifiées,  &  éprouvées  ,  font  trouvées  dignes 
par  leur  fidélité  inconnue  ,  &  par  leur  extrême  humilia- 
tion ,  d'être  reques  en  Dieu, 

(a)  Il  eft  aifé  de  voir  que  tout  cela  fuit  &  fe  rapporte 
à  l'humiliation. 

Tout  ceci,  quoique  mal  expliqué  Se  embarraffé,  parce 
que  cela  fuppofe  un  plus  grand  éclairciffement  dans  les 
Écrits ,  ou  les  explications  fur  le  vieux  Teftament ,  où 
ce  livre  doit  être  naturellement  renfermé  ,  ne  laiffe  pas 
de  faire  voir  qu'il  n'eft  parlé  que  de  défauts  naturels, 
de  calomnies  de  la  part  des  créatures  ,  &  de  toutes  les 
croix  ordinaires  aux  âmes  que  Dieu  veut  purifier  &  dé- 
fapproprier. 


XLVIII.  Troprictc.  205 

noml)rc  des  fcclcrats,  lui  qui  ctoit  Tinno- 
ccucc  mcruc  :  &  vous  c|ui  ctcs  crimi- 
nelle ,  vous  ne  fauriez  rupj)orrcr  de  palfer 
pour  telle  1  Ah  que  vous  fere/  JMen  punie 
de  votre  rclillance  !  v.  9. 

Le  13ien-aimé  malgré  les  rcfiflances 
de  Ton  Epoufe  ,  {a)  porte  (a  main  par  un 
petit  pojfage  qui  lui  ell  encore  ouvert ,  qui 
c(l  un  relte  d'abandon  ,  malgré  les  répu- 
gnances que  Tame  fent  à  s'abandonner 
avec  tant  d'excès.  Une  ame  de  ce  degré 
porte  un  fond  de  foumillion  à  toutes  les 


(a)  Il  faut  faire  attention  ici ,  parce  que  cela  eft  de 
conféquence  ,  que  nous  avons  dit  au  commencement  , 
qu'il  y  avoit  une  rtfiftance  volontaire  ,  &,  que  celle-là 
empéchoic  abfolument  l'opération  purifiante  de  Dieu  , 
parce  qu'il  ne  violente  point  la  liberté  de  l'homme  :  & 
qu'il  y  avoit  aulfi  une  rélilhnce  naturelle  ,  qui  eft  bien 
dans  la  volonté  ,  mais  fans  être  volontaire  :  que  celle- 
ci  eft  une  répugnance  extrême  à  fa  deftrudion.  Mais 
quelque  répugnance  que  Tame  ait  ,  &  quelque  révolte 
naturelle  qu'elle  fente  pour  fa  deftrudtion  ,  Dieu  ne 
Jaiffe  pas  de  le  faire  d'autorité ,  en  vertu  de  la  dona- 
tion qu'elle  lui  a  faite  d'elle-même,  &  de  rabandon 
total  qu'elle  n'a  point  retracté  ,  &  ne  retrace  point 
non  plus  alors,  fa  volonté  demeurant  foumife  &  affu- 
jettie  à  Dieu ,  malgré  la  révolte  des  fentimens.  C'eft 
cet  abandon  ,  cette  foumifiion  de  la  volonté  ,  qui  ne 
réfide  que  dans  le  plus  profond  d'elle-même',  &  qui 
eft  quelquefois  fort  inconnu  à  famé  ,  que  j'ai  appelle 
kpcjjage  de  la  main  de  Dieu  \  parce  que  c'eft  ce 
qui  donne  lieu  à  fon  adlion  en  nous  ,  à  caufe  de  no- 
tre liberté,  qu'il  ne  violente  point.  Il  faut  nécefTiiire- 
nient  fuivre  ce  paffage  ici,  &  l'établir  fur  ce  fonde- 
ment. 


!Zo6        Justification. 
volontés  de  Dieu  ;  de  manière  qu'elle  ne 
voudroit  rien    lui   refufer   :    mais    lorfque 
Dieu  (a)  explique  fes  defleins  particuliers, 
&   qu'ufant  des  droits  qu'il   a  acquis    fur 

ia)  Lors  que  je  dis  que  Dieu  explique  fes  deffeins  , 
îl  ne  faut  pas  croire  que  ce  foit  que  Dieu  lui  montre 
en  détail  beaucoup  de  chofes  à  renoncer  &  à  facrifier  : 
non ,  ce  n'eft  pas  cela.  Il  faut  remarquer  que  nous 
avons  dit  diverfe^  fois  ,  qu'en  Dieu  le  dire  eft  faire. 
Dieu  n'explique  fes  delTeins  qu'en  mettant  famé  dans 
le  creufet  des  plus  extrêmes  épreuves  ,  comme  on  le 
verra;  il  la  réduit  au  point  de  lui  facrifier,  non- feu- 
lement ce  qu'elle  a,  mais  tout  ce  qu'elle  eft,  non- 
feulement  pour  le  tems ,  mais  pour  1  éternité.  Et  de 
quelle  manière  fe  fait  ce  facrifice  ?  Par  un  défefpoir 
abfolu  de  tout  elle-même,  que  le  P.  Jaques  de  Jéfus , 
que  j'ai  cité  plus  haut,  (  voyez  Entendre^  n.  ;4.  ) 
appelle  un  Jaint  défefpoir ,  parce  qu'en  faifant  perdre 
tout  appui  à  la  créature  en  foi -même,  il  la  fait  entrer 
dans  l'abandon  entier  entre  les  mains  de  Dieu.  Car  il 
faut  favoir  que  plus  nous  défefpérons  de  nous-mêmes , 
plus  nous  efpérons  en  Dieu ,  quoique  non  pas  toujours 
d'une  manière  fenfible  ;  plus  nous  perdons  toute  cer- 
titude en  nous  &  toute  foi  appuyée ,  plus  nous  entrons 
dans  la  foi  en  Dieu  ,  dénuée  de  tout  appui  ;  plus  nous 
nous  haïflbns  ,  plus  nous  aimons  Dieu.  Tout  ce  que 
Dieu  ôte  à  l'ame  eft  la  matière  de  fon  facrifice  Mais 
le  dernier  facrifice  de  tous  ,  que  j'appelle  dans  mes 
Ecrits  ,  facrifice  pur  ,  eft  celui  que  l'ame  fait  ,  lorfque 
fe  fentant  comme  abandonnée  de  Dieu  ,  d'elle-même  , 
&  des  créatures  ,  elle  dit  à  Dieu  :  Mon  Dieu  ,  pour- 
quoi  m'avez  -  vous  abandonnée  (  Matth.  27.  v.  46.  )  ; 
&  enfuite  elle  ajoute  avec  JéfusChriftC  Luc  2^.  v.  46.): 
Mon  Dieu  ,  je  remecs  mon  efprit  entre  vos  mains. 
C'étoit  proprement  le  facrifice  de  tout  lui-même.  Eè 
c'eft  cette  remife  de  tout  foi -même  pour  le  tems  & 
l'éternité  ,  que  j'appelle  dernier  facrifice  ;  après  lequel 
Jéfus -Chrift  dit  (  Jean  20.  v.  30.  )  :  Tout  ejl  confûm- 
nié  :  auffi  tout  fe  conforme  par  là  dans  Tame. 


XLVm.  VropriHL  ^07 

clic  ,  il  lui  demande  les  derniers  renon- 
ceniens  &  les  plus  extrêmes  facrifices  ; 
ah  !  c'elt  pour  lors  que  toines  Jes  cntraiU 
les  font  émues  ,  &  qu'elle  trouve  bien  de 
la  peine  où  elle  ne  croyoit  plus  en  avoir  : 
&  cette  peine  (a)  vient  de  ce  qu'elle  étoit 
attachée  à  quelque  chofe  ,  fans  le  connoî- 
trc. 

A  ce  toucher  ,  toute  la  nature  frémit  ; 
car  c'ed  un  toucher  douloureux  ,  &  qui 
ell  la  plus  fenfible  douleur  de  Tame  ,  com- 
me Téprouvoit  le  plus  patient  des  hom- 
mes j  lorfqu'ayant  foufFert  des  maux  in- 
concevables fans  fe  plaindre  ,  il  ne  pût 
s'empêcher  de  s'écrier  à  ce  toucher  de  la 
main  de  Dieu  (  ^  )  ;  ah  !  de  grâce  ,  mes 
amis  9  oublie^  tous  mes  autres  maux  y 
qui  vous  font    tant   d^horreur  !  aye:^  feu-- 


(a)  Toutes  nos  peines  ne  viennent  que  de  nos  réfiC- 
tances ,  &  nos  réfiftances  de  nos  attaches  ;  plus  on  fe 
tour.T.ente  dans  les  peines ,  plus  on  les  aigrit  :  on  les 
adoucit  en  s'y  livrant  toujours  plus,  &  en  fe  laifTant 
dévorer  inté-ieurement  ;  Tame  ne  connoit  fes  liens  qu'à 
mefure  qu'on  les  lu^rompt. 

(6)  Job  19/  V.  21.  Pour  bien  comprendre  ceci  ,  i! 
faut  favoir  que  la  main  de  Dieu  eft  fa  juftice  &  fa 
toute -puiflTance.  Lors  que  l'Ecriture  dit,  il  appefantit 
fa-  main  fur  nous  ;  c'eft  comme  fi  elle  difoic ,  il  nous 
fait  fentir  le  poids  de  fa  juftice.  Ce  toucher  de  la 
main  de  Dieu,  (  car  ce  n'eft  qu'un  toucher;  fi  c'étoit 
l'application  de  fa  main  ,    Tame  feroit  réduite  en  pou- 


2o8        Justification. 

letnent  pitié  de  moi  pour  une  chofe  ;  c^efi 
que  la  main  de  Dieu  m'a  touché.  De 
même  Pépoufe  fe  fcnt  toute  frémir  à  ce 
toucher. 

Combien  êtes -vous  jaloux,  o  divin 
Epoux  ,  que  votre  Amante  faflTe  toutes 
vos  volontés  ;  puifqu'une  fimple  cxcufe 
qui  paroît  fi  jufte  ,  vous  ofFenfe  fi  fort  ! 
Ne  pouviez  -  vous  pas  empêcher  une 
Epoufe  fi  chère  &  fi  fidelle  de  vous  faire 
cette  {a)  réfiftance  ?  Mais  elle  étoit 
néceflaire  pour   fa    confommation.    UE- 

poux 


dre.  II  n'y  a  que  Jéfus-Chrift  quî  ait  porté  le  poids 
de  la  Juftice.  Âuffi  lors  qu'il  eft  écrit  de  lui ,  il  e(l  dit 
que  Dieu  a  appefanti  fur  lui  la  force  de  fon  bras  : 
c'eft  la  Sainte  Vierge  qui  le  dit ,  fcdt  potentiam , 
(  Luc  I.  V.  si«  )  Pour  les  créatures,  il  n'en  eft  pas 
de  même  :  celles  qui  foufFrent  le  plus  ,  comme  Job  , 
éprouvent  &  reffentent  feulement  le  toucher  de  cette 
main  toute  divine.  Ce  toucher,  dis-je,  eft  douloureux 
pour  l'homme  qui  n'eft  pas  encoie  purifié,  &  d'autant 
plus  dur ,  que  Dieu  a  plus  de  defteins  fur  lui  :  mais 
qu'elle  eft  douce  ,  cette  divine  main  ,  pour  celui  qui 
n'eft  plus  propriétaire  !  C'eft  ce  que  le  B.  Jean  de  la 
Croix  exprime  admirablement ,  lorfqu'il  dit  :  (  Voyez 
Mort  entière  n.  9.  Purification,  n.  4.7.  )  Mignardc 
main  ,  toucher  flateur  ,  à  préfent  qui  ne  ni  êtes  plus  dure  ^ 
&  qui  m'êtes  d'autant  plus  douce  que  vous  m'avez  été 
cruelle.  .L'application  de  la  main  de  Dieu  eft  doncj'ap- 
plication  de  fa  juftice. 

(a)  La  réfiftance    que   l'ame   fait   ici  à  Dieu   eft  de 
deux    natures  ,    qui  ont  rapport    aux    demandes    que 

Dieu 


XLVITI.   Fropricté.  209 

poux   permet  cette   faute  dans  fon  Epou- 
ïc ,  afin    de   la  punir  ,  &  en  même    tems 


Dieu  lui  a  faites  dans  les  vcrfcts  prcccdcns.  Nous 
avons  vil  dans  le  Cantique,  que  l'Epoux  lui  dit  :  Ou^ 
vrcz-moi  ^  ma  Jkur  ^  mon  Epoufc  ;  parce  que  je  fuig 
charge  des  gouttes  de  ma  paillon.  Il  (lut  comprendre 
que  l'amc  alors  voit  fort  bien  ,  que  Dieu  vient  à  clic 
chargé  de  douleurs  pour  l'accabler  de  douleur  :  car 
fes  difcours  font  des  imprellions  doulourcufes  ,  que 
Dieu  fait  en  elle  de  toutes  les  douleurs  poliibles  ,  & 
en  même  tems  de  toutes  les  foibleffes  ;  car  fi  elle  pou- 
voit  foulFrir  avec  force  ,  elle  feroit  trop  hcureufe.  13ieu 
lui  donne  des  vues  d'infamie  &  de  décris  :  ces  vues 
font  fuivies  de  Teffet.  Dieu  joint  à  cela  l'expérience 
de  mille  foibleOes  &  miferes ,  une  perte  apparente 
des  vertus  ,  ou  plutôt  de  la  force  dans  les  vertus  ;  en- 
forte  qu'elle  fe  trouve  couverte  d'une  telle  confufion  , 
&  d'une  fi  extrême  douleur,  qu'il  n*y  a  rien  qui  foit: 
égal  :  car  lorfque  Dieu  appefantit  fa  main  fur  le  de- 
dans ,  il  livre  l'extérieur  à  la  calomnie  ,  à  la  malice  des 
hommes  ,  &  fouvent  au  Diable  ,  auquel  il  donne  ua 
plein -pouvoir  fur  les  corps  ,  qui  eft  une  chofe  fi  ter- 
rible, qu'on  ne  peut  y  penfer  fans  frayeur.  Dieu,  pour 
l'ordinaire  ,  avant  que  de  livrer  l'extérieur  entre  les 
mains  de  l'ennemi  ,  donne  un  goût  fi  extraordinaire 
de  fa  juftice ,  &  un  défir  fi  véhément  de  la  fatisfairc, 
non -feulement  pour  fes  propres  péchés,  mais  auffi  pour 
ceux  des  autres,  que  ce  défir  rend  tout-languiffant. 
Alors  l'ame  ,  fans  rien  fpécifier  ,  fe  livre  aux  rigueurs 
de  la  Juftice  en  général ,  fans  qu'il  lui  foit  donné  au- 
cune vue  diftincT:e  ;  enfuite  de  quoi  Dieu  la  prend  au 
mot.  Lorfque  l'épreuve  dure,  elle  fent  une  révolte 
extrême  contre  la  fouffrance  ;  elle  ne  voit  en  elle  nul 
abandon  ;  elle  crie  de  toutes  fes  forces  pour  être  déli- 
vrée. Lorfqu'elle  eft  dans  le  calme  pour  des  momens , 
forî  goût  &  fon  amour  de  la  Juftice  lui  eft  rendu  tout 
de  nouveau  ,    pour    fe    facrifier  j  &    elle   s'immole    de 

Tome  IL  Juftif,  O 


2ÎÔ  Justification. 

(  ^  )  de  la  purifier  de  Tattache  qu'elle  avoît 
à  fa  pureté  &  à  fon  innocence  ,  &  de 
la  répugnance  qu'elle  fentoit  au  dépouil- 


Tîouveau  à  cette  même  juftice  ,  fans  pouvoir  faire  au- 
trement  ,  julqu'a  ce  que  la  tempête  revienne.  Elle 
oublie  alofô  fon  facrifice  ,  &  fon  goût  pour  la  Juftice, 
&  livrée  qu'elle  eft  à  toutes  fes  répugnances,  elle 
n'éprouve  que  les  douleurs  de  la  mort.  D'autres  fois , 
D^'ju  ,  avant  que  d'éprouver  l'âme ,  lui  fait  voir  en 
gros  les  pins  extrêmes  fouffrances  ,  &  il  lui  demande 
fon  confentem^^'it.  U  y  a  des  âmes  qui  réfiftent  à  Dieu, 
ne  pouvant  fe  facrifier  à  fa  juftice  ;  quelques-  unes 
réfifl^nt  tout-à-fiit,  d'autres  réfiftent  peu  de  jours  : 
&  ces  réfiftances  leur  font  de  terribles  tourmens  ,  fur- 
tont  aune  ame  qui  avoit  été  fort  fidelle  jufqu'alors  ,  &  qui 
avoii  un  certain  appui  fecret  dans  fa  fidélité  à  fouffrir, 
&  à  n'avoir  jamais  rien  refufé  à  Dieu  ,  quelques  dures 
qu'ayent  été  fes  volontés. 

Dieu  donc  permet  ces  réfiftances  à  s'immoler  à  la^ 
croix  &  à  la  peine  ,  à  le  recevoir  couvert  de  fang  , 
comme  un  Epoux  de  fang  &  de  douleur.  Les  âmes 
de  cette  trempe  ne  réfiftent  pas  longtems.  Cepen- 
dant ces  réfiftances  font  néceffaires  ,  pour  leur  faire 
fentir  à  elles-mêmes  leurs  foibleffes  ,  &  leur  faire 
connoitre  combien  elles  font  éloignées  du  courage 
qu'elles  croyoient  avoir.  Il  y  a  telles  âmes  ,  qui  après 
une  exquife  pureté  d'amour  fenti  ,  fe  trouvent  bien 
foibles  contre  l'amour  rigoureux  ,  &  fi  elles  ont  été 
fidelles  jufqu'alors ,  la  peine  de  l'impureté  fpirituelle  , 
qu'elles  ont  contrac1:ée  par  cette  réfiftance ,  leur  eft: 
un  grand   tourment. 

« 
(a)  J'oubliois  de  faire  remarquer  que  ce  que  je 
dis  ,  pour  la  punir  ^  purifier  de  rattache  à  la  pu* 
reté  èf  innocence^  ne  peut  jamais  être  appliqué  autre, 
ment  qu'à  une  impureté  fpirituelle  ,  &  non  comme 
des  gens  charnels  font  expliqué  j  puifque  je  fais  voir.^ 


XLVIII.  Propriété.  2ri 

lemcnt  ck  la   propre    juflicc   :   car   quoi- 
qu'elle lût  bien  ,  que  la  jullice   elt  à  Ibii 


que  la  rcfiflance  (lu'cllc  a  faite  à  fe  facrificr  à  Dieu  , 
ell  rinipurctii  dont  je  parle  ,  ainfi  qu*on  le  peut  re- 
niaïquer  en  liGmc  attcnrivemcnt  la  propollcion.  Ne 
pouviez  -  vous  pas  cniprchcr  uuc  Epoufc  Jl  Jicrt  ^  fi 
jidellc  de  vous  faire  cette  re^fi/hinccl  (Sa  fiJcIitc  fai- 
foit  fa  pureté,  6c  ia  docilité  fon  innocence.  )  Mais  elle 
était  lîcceJJ'aire  pour  fa  confoainuitiun.  (  Remarquez 
s'il  vous  plait  que  je  parle  de  rcliltance ,  (S:  de  rcfif- 
tance  à  l'abandon  ,  pour  fouiFrir  les  tpreuves  ).  L'E^ 
poux  permet  cette  faute  dans  fon  hpoufe  ^  cette  faute 
de  réfirtancc ,  afin  de  la  punir  ^  x^  en  même  te/ns  de  la 
purifier  de  rattache  quelle  avoit  à  fa  pureté  ^  à  fon 
innocence.  Cette  faute  étant  une  réfidance  ,  l'impureté 
qu'elle  contradte  efl:  donc  une  impureté  fpirituellc  , 
caufée  par  la  réfiftance.  Si  j'avois  voulu  parler  d'une 
impureté  corporelle  ,  &  que  j'eufTe  voulu  dire  ce 
qu'on  me  veut  faire  dire  ,  comme  Dieu  m'a  fait  la 
grâce  de  favoir  ma  langue  ,  j'aurois  mis  tout  le  con- 
traire ,  &  j*aurois  dit  :  elle  s'eft  livrée  à  l'impureté 
pour  fe  purifier  de  l'attache  à  fa  pureté  ;  ce  qui  eft 
abfurde  :  car  cela  ne  peut  jamais  être.  On  dit  ,  que 
ce  que  j'ai  voulu  faire  dire  à  notre  Epoufe ,  j'ai  lavé 
mes  pieds,  comment  les  falirai-je,  c'eft  pour  qu'elle 
commette  des  crimes.  Si  c'eft  pour  commettre  des 
crimes,  &  fi  c'eft  pour  fe  falir  de  la  forte,  la  rc.if- 
tance  qu'elle  fait  à  cela  l'empôche  de  perdre  fa  pnjecé 
çn  cette  forte  ;  ainfi  Dieu  n'a  point  permt/>  ceue  faute 
pour  lui  faire  perdre  la  pureté  &  l'itinocence ,  com- 
me CCS  perfonncs  le  difent  :  puif^ue  ce  feroit  une 
contradidion  manifefte ,  d'aiitanc  que  la  réfiftance  à 
ces  chofes  la  rendroit  plus  pure  &  clus  attachée  à  fa 
pureté  corporelle ,  loin  de  la  lui  ôrer  :  &  je  dis  au 
contraire  que  Dieu  a  permis  cette  réfiftance  dans  fori 
Epoufe ,  pour  la  purifier  de  l'attache  à  fa  pureie  fpi- 
rituellc ,  qui  eft  une  fidélité  trop  pourfuivie  ,  &  fans 
relâche. 

O  z 


Ci«  J   U  STIFICATIOK. 

Epoux  ,  néanmoins  elle  y  avoit  de  Fatta- 
che  ,  &  elle  s'en  approprioit  quelque  cho- 
fe.  V.  4. 

C'ett  comme  fi  cette  ame  difoit  :  fai 
levé  la  barrière  qui  empêchoit  &  ma  {a) 
perte  totale  ,  &  la  confommation  de 
mon  mariage  ;  car  ce  mariage  divin  ne 
peut  être  confommé  que  la  perte  totale 
ne  foit  arrivée.  J'ai  donc  ôté  cette  bar- 
rière par  {h)   l'abandon   le   plus   coura- 

Dieu  veut  qu'elle  fe  livre  à  fouffrir  toute  la  rigueur 
de  fa  juftice ,  qu'elle  foit  livrée  comme  Job  au  Dé- 
mon pour  la  tourmenter  ;  &  ce  font  ces  fortes  de 
tourmens  qui  la  purifient  de  Tattache  propriétaire  à 
fa  pureté  corporelle;  ce  qui  eft  très -involontaire  en 
ces  âmes  ,  &  des  tourmens  comparés  à  Tenfer ,  com- 
me on  le  verra.  Mais  cette  réfiftance  eft  tout  le  con- 
traire :  elle  fait  contracter  à  Tame  une  impureté  fpi- 
rituelle  ,  qui  eft  une  réfiftance  à  l'abandon  à  Dieu,  & 
une  infidélité  par  foibleffe  à  Tapproche  des  croix.  Je 
île  fais  fi  je  me  fuis  fuffifamment  expliquée  fur  cela. 
Je  fuis  prête  de  fceller  ma  foi  de  mon  fang.  Comme 
je  n'avois  jamais  imaginé  ,  qu'on  pût  donner  une  pa- 
reille explication,  &  que  lorfque  j'écrivis  cela,  je  n'a- 
vois  jamais  ouï  parler  de  toutes  ces  créatures  ,  ni  de 
rien  d'approchant  ;  je  ne  fongeai  pas  à  m'explîquer  , 
&  d'autant  plus,  que  ce  livre- là  étoit  incorporé,  & 
non  détaché  de  ceux  qui  expriment  plus  au  long  mes 
fentimens.  Si  quelque  chofe  fait  difficulté  ,  je  m'offre 
toujours  de  l'expliquer  le  plus  nettement  que  je  le 
pourrai. 

id)  On  peut  voir  dans  Tarticle  de  Perte  &c.  ce  que 
c'eft  que  cette  perte  totale. 

ib)  Cet   abandon  a  rapport    toujours   à  ce   facrificc 
des  épreuves  &  des  foufFrances. 


XLVIII.  Propyicté.  ti? 

gcux  ,  &  le  facrificc  le  plus  pur  qui  fut 
jamais.  J\ii  (  n)  ouvert  à  mon  Bien-al'^ 
mé  ,  croyant  qu'il  cntrcroit  ,  &  cju'il  guc- 
riroit  la  douleur  qu'il  m'avoit  caufée  par 
fon  attouchement  ;  mais  hélas  ,  le  coup 
feroit  trop  doux  ,  s'il  y  apportoit  (i  promp- 
tement  le  remède  !  11  fe  cache  ,  il  fuit , 
il  paffe  outre  ,  il  ne  laifFe  à  cette  Aman- 
te affligée  que  (/;)  la  playe  qu'il  lui  a 
faite  ,  la  peine  de  fa  faute  ,  &  la  (  c  ) 
faleté  qu'elle  croit  avoir  contractée  en  fe 
levant. 

Cependant  la  bonté  de  l'Epoux  cft  ft 
grande  ,  que  quoiqu'il  fe  cache  ,  il  ne 
lailTe  pas  de  faire  de  grandes  grâces  à 
fes  amis  ;  &  d'autant  plus  grandes  ,  que 
les    privations  font  plus  longues   &   plus 

{a)  Cette  ouverture  efl  un  abandon  renouvelle  ; 
parce  que  la  réfiftance  l'ayant  en  quelque  maniéré 
interrompu  ,  il  faut  un  renouvellement  actif  d'aban- 
don ;  &  Dieu  Texige  ainfi  de  l'ame  :  ce  qui  marque 
qu'elle  avoit  été  infidelle  ,  puifqu'elle  a  befoin  d'un 
retour  aftuel ,  &  d'un  renouvellement  d'acT;es  apper- 
qus. 

(ft)  La  playe  que  Dieu  lui  a  faite  eft  une  playe  d'a- 
mour douloureux  ,  qui  la  fait  courir  après  lui  avec 
plus  d'empreflement  :  &  fa  faute   eft  la  réfiftance. 

(c)  Saleté  apparente,  &  non  réelle  ,  qu'elle  con- 
tracte en  fortant  de  fa  folitude. 

o  3 


214  Justification. 
dures  ;  comme  il  fit  à  fon  Epoufe  ,  qui 
fe  trouva  dans  une  nouvelle  difpofition  , 
laquelle  lui  fut  bien  avantageufe  ,  quoi- 
qu'elle ne  la  reconnût  pas  pour  telle. 
C'eft  que  fon  ame  Je  fondit  &  fe  liqué- 
fia aès  que  fon  Bien -aimé  eût  parlé  ,  & 
que  p-c^r  cette  liquéfadion  elle  perdit  fes 
qualités  dures  &  retrécies  ,  qui  empê- 
cnoient  la  confommation  du  mariage  fpi- 
rituel.  V-  6. 

Epoufe  infortunée  !  jamais  il  ne  vous 
étoit  arrivé  rien  de'  pareil.  Parce  que 
jufques  ici  votre  Epoux  vous  gardoit  , 
vous  vous  êtes  repofée  fûrement  fous  fon 
ombre  ;  vous  étiez  en  aflurance  entre 
fes  bras  :  mais  depuis  qu'il  s'eil  éloigné 
par  votre  faute  ,  ah  ,  que  vous  eft  -  il 
arrivé  !  vous  croyez  avoir  beaucoup  {a) 
fouîïert  par  tant  d'épreuves  ,  qu'il  avoit 
déjà  faites  de  votre  fidélité  ;  cependant 
elles  étoient  peu  de  chofe  ,  au  prix  de 
ce  qui  vous  refle  à  foufFrir.  Ce  que  vous 
avez  fouiïert  avec  lui  n'étoit  que  des  om- 
bres de  foufFrances  ;  &  il  ne  vous  falloit 
pas  attendre  à  moins.  Croyez-vous  épou- 
fer  un  Dieu  déchiré  de  playes  ,  percé  de 
doux  &  dépouillé  de  tout  ,  fans  être  traité 
de  même  } 


(a)  Remarquez    que   ceci  fe  foutîent  toujours,  & 
qu*il  y  eft  toujours  parlé  d'épreuves  &  de  foufFrances. 


X  KVIII.  rroprictc.  ti? 

Cette  amc  fc  trouve  hattue  &  hh'Jjec 
de  tous  ceux  (ji/t  gardent  la  ville.  Ceux 
qui  jufqu'ci  prcfent  n'avoient  ofé  l'atta- 
quer ,  &  qui  cependant  la  veilloient  in- 
celïamment  ,  prennent  leur  tems  pour  la 
frapper.  Qui  font  ces  garde!;  ?  Ce  font 
les  {a)  minières  de  la  juftice  de  Dieu. 
Ils  la  blelfent  ,  &  ils  lui  (kent  le  man-^ 
teaii  li  cher  de  fa  propre  juftice.  O  Epou- 
fe  infortunée  !  que  ferez-vous  dans  un 
état  fi  pitoyable  ?  L'Epoux  ne  voudra 
plus  de  vous  après  un  fi  trifte  accident  , 
qui  porte  avec  foi  Tabjeélion  d'avoir  été 
maltraitée  des  {h)  foldats  ,  &  couverte  de 

(  fl[  )  Ces  minîftres  de  la  Juftice  de  Dieu  font  les 
diables  ,  auxquels  Dieu  livre  quelquefois  ces  âmes  d'u- 
ne manière  autant  douloureufe  qu'affligeante.  Cet  état 
arrive  quelquefois,  fur- tout  à  celles  qui  ont  varié 
dans  leur  abandon,  &  qui  ont  réfirté  à  Dieu  comme 
celle-ci.  Cela  joint  avec  rexpérience  de  leurs  mife- 
res ,  leur  ôre  Tappui  qu'elles  avoient  en  leur  propre 
juliice.  Remarquez  que  j'ai  toujours  dit  propre  juftice, 
c'eft-à-dire,  l'appropriation  qu'elles  fe  faifoient  de 
leur  juftice  ,  &  de  la  fidélité  qui  forme  un  appui  en 
foi.  Il  faut  perdre  ces  chofes  pour  être  défappropriées, 
&  n'avoir  d'appui  qu'en  la  juftice  de  Dieu.  Elles  per- 
dent donc  cet  appui  par  l'incertitude  où  elles  font  mi- 
fes  de  leur  falut  ;  ce  qui  les  fait  entrer  dans  la  juf- 
tice de  Dieu  ,  connoiifant  fon  tout  &  leur  rien  ,  fa  tou- 
te-pui{Tancc  &  leurs  foibieffes  :  ce  qui  les  étatlit  dans 
un  abandon  qui  ne  varie   plus. 

(6)  Il  eft  aifé  de  voir  que  ces  foldats  font  une 
comparaifon  dont  je  me  fers  ,  parce  que  le  texte  le 
dit  de  la  forte  ;  mais  non  pas  que  j'aie  jamais  penfé 
ni  voulu  dire  que  cette  Epoufe  s'étoit  abandonnée  à 
des  foldats   d'une  manière   infâme.   Cela  me   paroit  fi 

o  4 


2î6        Justification. 

hlejfures  ,  jufqu'à  avoir  laifTé  votre  man- 
teau entre  leurs  mains  ,  quoiqu'il  fût  votre 
principal  ornement.  Si  vous  continuez  en- 
core de  chercher  votre  Bien-aimé  ,  on 
dira  que  vous  êtes  folle  de  vous  préfen- 
ter  à  lui  de  la  forte  :  &  d'ailleurs  ,  fi 
vous  ceflfez  de  le  chercher  ,  vous  mour- 
rez de  langueur  :  votre  {a)  état  eft  aflu- 
rément   déplorable,   v.  7. 

Sitôt  que  Famé  eft  entièrement  défap- 
propriée  ,    elle   eft   toute   difpofée    pour 

greffier,  que  je  m'étonne  comment  on  a  pu  le  pen- 
fer.  Ces  miniftres  ,  gardes  ou  foldats  ,  font  donc  les 
diables  ;  ce  manteau  qu'ils  ôtent ,  eft  Taffurance  du 
falut,  &  Tappui  en  nos  propres  œuvres  &  notre  pro- 
pre juftice.  Les  bleîTures  qu'ils  font  ,  font  fouvent 
bien  réelles.  J'ai  connu  une  fainte  fille  ,  examinée 
exsdement  par  un  S.  Evêque ,  à  qui  le  diable  avoit 
fait  à  la  mamelle  droite  une  plaie  large  de  trois  doigts  , 
qu'il  lui  falloir  panfer  avec  d'extrêmes  douleurs.  J'en 
ai  connu  plufieurs  de  cette  forte.  Il  y  en  avoit  une 
dans  ie  Diocefe  de  Sens ,  conduite  par  Aîonfeigneur  Oda- 
ve  de  Reliegarde,  pour  lors  Archevêque  de  Sens  :  le  Dia- 
ble lui  caifa  le  bras  :  Monfeigneur  l'Archevêque  lui  dé- 
fendit de  lui  toucher  davantage  ;  il  ne  lui  fit  plus  rien 
depuis.  La  vie  de  cette  Religieufe  eft  imprimée  ,  &  je  l'ai 
fçu  plus  particulièrement  d'une  Reh'gieufe  fort  âgée  , 
qui  étoit  alors  la  Supérieure,  Le  Père  Raveno  Jefuite 
rapporte  la  niêaie  chofe  ,  &  de  beaucoup  plus  éton- 
nantes, dans  la  vie  de  la  Mère  de  St.  Auguftin  ,  Re- 
ligieufe en  Canada. 

{oj  L'Etat  de  cette  Epoufe  n'eft  déplorable  ,  que 
parce  qu'elle  ne  fe  peut  empêcher  de  chercher  fon 
Dieu  ,  &  qu'elle  l'aime  fi  paffionnément  ,  que  plus  il 
fuit,  plus  elie  le  cherche,  au  lieu  que  les  autres  ne 
]e  cherchent  point  ,  &  cherchent  au  contraire  leurs 
plaifirs  hors  de  lui. 


.  f .  t 


Xl/VIIl.  Vropricte.  i.  217 

ctre  reçue  clans  le  lit  niipiial  de  111- 
poux.  ~ 

H  fe  nourrit  ,  dit  cette  incomparable 
Epoufe  ,  entre  les  lis  de  ma  pureté  ;  ceux 
de  Famé  ,  qui  lui  plaifent  beaucoup  plus 
que  ceux  de  la  chair  ,  font  la  dclappro- 
priation  générale;  une  ame  flins  propriété, 
cil  une  ame  vierge  :  ceux  du  corps  font 
rintégrité  des  fens.  Chap.  6.  v.  2. 

L'intérieur  de  cette  ame  ,  c'eit  un  vin  , 
parce  que  tout  y  e(t  liqueur  ,  tout  rccoule 
en  Dieu  ,  fans  ctre  arrêté  par  aucune  pro- 
pre confiltance.  Chap.  7.  v.  9. 


,  L 


AUTORITÉS. 

S.    Denis. 


A.  différence  &  rinégalitc  des  vues  în- 
telleduelles  eft  caufe  que  la  lumière  qui  pro- 
cède de  la  bonté  paternelle  ,  &  que  Dieu  infu- 
fe  &  répand  abondamment  fur  fes  créatures  , 
ou  ne  fe  communique  point  du  tout,  n'ayant 
point  de  prife  fur  elles  ,  à  caufe  de  leur  dureté 
(^)  &  de  leurs  réfiftances  ;  ou  bien  ,  fait  qu'un, 
inême  rayon  originaire  &  primitif,  un,  fimple , 
immuable ,  &  toujours  de  même  forte  ,  bien  que 
répandu  largement  fur  elles,  opère  diverf es  par- 
ticipations différentes  les  unes  des  autres  :  les 
unes  petites  ,  les  autres  grandes  ;  les  unes  obfcu- 
res  ,  &  les  autres  plus  claires  ,  félon  la  capacité 
des  fujets  qui  le  reçoivent.  De  la  Hicrarch,  Ce- 
lejie.    Ckap.    9. 

ia)  C'eft  là   la  propriété  véritable. 


2i8         Justification. 

Ll  ?A  1  T  A  T  I  O  N    DE    J  É  S  U  S-C  H  R  I  S  T. 

2.  O  combien  efl  puifi'ant  ramour  pour  Jéfus- 
Chrift,  lorfqu'il  eft  pur  &fansaucun  mélange  de 
propre  intérêt.  Ns  devons-nous  pas  mettre  au 
Tang  d^s  mercenaires  ceux  qui  ne  cherchent  fans 
cefîe  que  leur  propre  fatisfaclion.  —  Où  trou- 
verez-vous  prcfentement  un  homme  qui  veuille 
fervir  Dieu  gratuitement?  Livr.  2.  C/z.  1 1.  77.  3. 

3.  Mon  fils  ,  vous  ne  pouvez  être  entièrement 
libre,  fi  vous  ne  renoncez  entièrement  à  vous- 
même.  Tous  ceux  qui  fe  rendent  propriétaires 
de  leur  ame  &  qui  font  poffédés  de  leur  propre 
amour,  font  comme  liés  &  enchaînés.  Là-même, , 
Ch,   52.   §.  I. 

4.  Aïon  fils  5  quittez-vous  vous  même ,  &  vous 
me  trouverez.  N'ayez  point  de  volonté  ni  de 
choix,  dépouillez- vous  de  toute  propriété,  & 
vous  croîtrez  toujours  en  vertu;  parce  qu'auffi- 
tôt  que  vous  vous  ferez  entièrement  abandonné 
à  moi ,  fans  reprendre  encore  le  foin  de  vous- 
même,  je  répandrai  avec  plus  d'abondance  ma 
grâce  dans  vous.  Ch.  37.  §.  i. 

5.  Car  comment  pourrez-vous  être  à  moi ,  & 
moi  à  vous ,  fi  vous  n'êtes  dépouillé  entière- 
ment, &  au  dedans  &  au  dehors,  de  toute  vo>- 
Ion  té  propre.   §.  3. 

6.  Donnez  tout  pour  tout  ;  ne  cherchez  plus 
xien  de  vous-même ,  après  vous  être  donné.  §.  5. 

*  Ste.  Catherine  de  Gènes. 

7.  Comme  l'amour-propre  ne  peut  connoîtrc 
ce  que  c'eft  que  l'amour  nud ,  auffi  l'amour  nud 
ne  connoît  point  ce  que  c'eft  que  la  propriété  , 
d'autant  qu'il  ne  voudroitpas  avoir  connu  aucune 
chcfe  comme  fienne  ;  parce  que  l'amour  nud  ne 
voit  que  la  vérité  ,  laquelle  étant  de  fa  nature 
communicable  à  tous ,  ne  peut  être  propre  à 


XLVIII.   rropricié.    2-1.'.  219 

aucun  ;  (5c  parce  (]uc  l'amour-proprc  cft  un  cni- 
pcchcmcut  à  lui-mcmc  ,  portant  avec  foi  les  té- 
jièl)res  <!s:  le  péché  ,  (|ui  lui  l)an(lcut  les  yeux  ,  il 
ne  la  peut  ni  croire  ni  \'oir. — 

AI  ais  Tamour-propre  fpirituel  eft  bien  plus  dan- 
gereux &  plus  (lillicilc  à  connoitre  (|iie  le  char- 
nel ,  parce  qu'il  ell  un  poifon  très-fubtil  &  péné- 
trant, (lu(]uel  ])cu  de  [)erlonnes  fe  {rarantillent , 
étant  bien  [)lus  couvert  fous  beaucoup  de  fubti- 
lités.  —  Ainii  je  conclus  que  cet  ank)ur-[)roprc 
ell  la  racine  de  tous  les  malheurs  (jui  nous  puif- 
fent  arnxer  en  ce  inonde  (S:  en  l'autre.  Je  vois  en 
rexemj)]e  de  Lucifer,  comme  il  hn  en  prend, 
d'avoir  eu  pour  objet  ce  pernicieux  amour  :  mais 
je  le  vois  encore  mieux  en  nous,  comme  notre 
Père  Adam  nous  y  a  conduits  avec  cette  fcmencc. 
JEnJavie^  Chap,  25. 

8.  Voyez  Purijîcadon.  n.  18. 

9.  Voyez  lù-mcme. 

10.  Dieu  confume  Tentendre  &  le  compren- 
dre ;  &  ainfi  il  jette  dehors  toutes  les  opérations 
avec  iefquelles  elle  fe  pourroit  approprier  quel- 
que chofe  fpirituelle  ,  ou  pour  foi  ou  pour  autrui  : 
autrement  elle  ne  feroit  pas  nette  en  fa  préfence. 
Chap.  32. 

lY.  Voyez    ConfcJJïon,  n.  5. 

12.  Je  voyois  Tamour  fi  jaloux,  en  ce  qu'il 
fubtilifoit  &  examinoit  ainfi  toutes  chofes  par  le 
menu  ,  avec  un  fi  grand  foin  &  une  fi  grande 
force,  pour  parvenu'  à  fonbut,  qui  efl  d'anéan- 
tir toutes  les  propriétés  ,  dont  (  a  )  \n\  feul  brin 
ne  peut  demeurer  en  la  préfence  divine  ;  qu'en- 
core que  je  vifTe  cette  partie  propre  &  fenfuellc 
plus  que  diabolique  &  d'une  malignité  terrible  , 
toutefois  je  la  voyois  à  la  fin  demeurer  prcfque' 

(«)   'îsoic^  f«^ul  brin. 


220  Justification. 

anéantie  par  l'amour,  &  par  la  puiiïance  dont  il 
iifoit  contr'elle.  Etant  ainfi  occupée  à  confidérer 
Tamour  en  fon  opération  ,  ma  partie  propre  , 
avec  toute  fa  malignité  ,  ne  pouvoit  plus  me 
donner  de  crainte  ,  6c  le  Purgatoire  &  TÈnfer  ne 
iîi'eufTent  pas  épouvantée  ;  mais  fi  j'euffe  vu 
Iculement  une  petite  contrariété,  &  la  moindre 
iéfiftance  à  cet  amour  pur  ,  ce  m'eût  été  un  Enfer. 
Vie,  Ch.  41. 

13.  L'amour  anéantiffoit  non-feulement  cette 
partie  maligne  par  le  dehors  ,  mais  même  l'inté- 
rieure &  fpirituelle  qui  goûtoit  &  comprenoit  les 
cliofes  divines,  &  fembloit  vouloir  fe  transfor- 
iner  toute  en  Dieu ,  &  anéantir  cette  partie  fen- 
fuelle. 

Quand  cette  partie  fupérieure  &  fpirituelle 
avoit  allez  bien  fait  ,  &  qu'elle  penfoit  avoir 
vaincu  &  humilié  cette  partie  inférieure  &  fen- 
fuelle  3  lui  ôtant  tous  les  moyens  de  fe  nourrir ,  & 
qu'il  fembloit  qu'elle  eût  réduit  tout  le  bien  pour 
elle-même.  Se  en  pouvoit  jouir  en  paix  ;  alors  cet 
amour  véhément  &  infatiable  furvenoit  en  fureur 
&  lui  difoit  :  que  penfes-tu  faire?  Je  veux  tout 
pour  moi  :  (a)  ne  penfe  pas  que  je  te  lailTe  le 
moindre  petit  biea  ni  à  l'âme  ni  au  corps.  Je 
veux  que  l'un  &  l'autre  demeure  nud  &  défarmé 
de  tout  ce  qui  eft  au-delTous  de  moi  ;  &  je  ne 
veux  rien  fouffrir  au-deffus  de  moi  :  fâche  que 
deflbus  moi  font  toutes  ces  vues  ,  ces  fentimens 
&  ces  perfections  ,  que  je  n'approuve  pas  ;  & 
quand  je  viens  à  cribler  Tame ,  je  fuis  fi  fubtil  , 
que  toute  fa  perfedion  devant  mes  yeux  eft  un 
défaut:  c'efî:  pourquoi  je  ne  veux  pas  qu'au  def- 
fous  de  moi  il  y  ait  aucune  chofe  qui  puiffe  de- 
îneurer  en  être  ,  fuion  celles  que  j'approuverai 

(  c2  )  Que  ceci  a  d'étendue  ,  &  qu'il  eft  terrible  ! 


X L  V II  I.  Proprictc.  îc:-t7.'  ^"i^ 

comme  bonnes.  On  ne  pent  aulli  ctrc  par-defliK 
moi  :  c'cll  poiiniiioi  plus  tu  monteras  en  haut  par 
c|ucl(|nc  |)crleClion  cpic  tu  puiHes  avoir,  plus  jc 
Tcrai  toujours  par-deHus  toi  pour  ruiner  toute-i 
les  inipeitedions,  (jui  arriveroient  clans  les  vues 
unitives  que  tu  pourrois  av^oir.  Ld-mcnir, 

14.  Voyez   Pur  amour,    u.    i  ?. 

15.  O  Anioui  pur  ,  vous  faites  par  \^otre  \io- 
lence,  que  la  moindre  taclie  d'imperfection  ell  un 
Enfer  ,  plus  grantl  &  plus  rivî^oureux  que  celui 
des  damnés  :  c'ell  ce  que  perfonnc  ne  com- 
prendra &  ne  croira,  hormis  celui  qui  fera  exerce 
&  expérimenté  en  vous.  Dialogue,  L,  3.  Ch.  6. 

Le  B.  Jean   de    la    Croix. 

16.  Tout  appétit,  encore  qu'il foit  delà  moin- 
dre imperfedion,  fouille  &  obfcurcit  Tame  en  fa 
manière  ,  &  empêche  fa  parfaite  union  avec 
Dieu.  Montée  du  Mont   CarmeL  Livr.    I.    C/i.  9. 

17.  O  qui  pourroit  donner  à  entendre  juf- 
qu'où  Dieu  veut  porter  cette  abnégation  !  fans 
doute  elle  doit  être  comme  une  mort  &  un 
anéantiffement  temporel,  naturel  &  fpirituel  en 
tout ,  quant  à  l'eflime  de  la  volonté  ;  dans  la- 
quelle mort  fe  trouve  tout  le  gain  &  le  profit. 
C'eft  ce  que  Notre  Seigneur  a  voulu  dire,  (a) 
Celui  qui  voudra  fauvcr  fon  amc  la  perdra  ,  (  c'eft  à 
favoir,  que  celui  qui  voudra  pofféder  quelque 
chofe  ou  la  chercher  pour  foi,  la  perdra)  &f 
celui  qui  perdra  fon  ame  pour  moi  la  gagnera  ;  c'eft- 
à-dire  que  celui  qui  renoncera  pour  Tamour  de 
Jéfus-Chrift  à  tout  ce  que  fa  volonté  peut  défi- 
rer,  vouloir  &  goûter  ,  faifant  choix  de  ce  qui 
reflemble  plus  à  la  croix  ,  (  ce  que  Notre  Sei- 
gneur appelle  en  S.  Jean;  (Z?)  abhorrer  fon  ame) 
celui-là  la  gagnera.  -— 

(a)  Marc  8-  f.  JS-        W  Jean  u.  f.  z^. 


"xzz  Justification; 

Le  même  Seigneur  dit;  [a\  Mon  joug  cjl  douxl 
£f?  mon  fardeau  léger ^  qui  eft  la  croix,  parce  que 
fi  l'homme  fe  détermine  à  s'afTujettir  ,  &  à  porter 
cette  croix  ,  qui  eft  une  vraie  réfolution  &  dé- 
termination à  vouloir  trouver  &  fupporter  des 
travaux  en  toutes  chcfes  pour  Tamour  de  Dieu*, 
il  trouvera  en  elle  un  grand  alégement  &  beau- 
coup de  fuavité  ,  pour  marcher  par  ce  fentier 
amfi  dénué  de  tout  fans  rien  vouloir.  Mais  s'il 
prétend  d'avoir  quelque  chofe  avec  propriété  , 
foit  de  Dieu  ,  foit  d'autre  chofe  ,  il  n'eft  pas  dénué 
ni  défapproprié  (6)  en  tout,  &  ainfi  il  ne  pourra 
tenir  ce  chemin ,  ni  monter  par  ce  fentier  étroit. 
Je  voudrois  bien  pouvoir  perfuader  aux  fpiri- 
tuels  ,  comme  ce  chemin  de  Dieu  ne  confifte 
pas  en  multiplicité  de  confidérations  ,  ni  de 
moyens,  ni  de  goûts ,  encore  que  cela  foit  né- 
ceiTaire  aux  commençans  ,  mais  en  une  feule  cho- 
fe néceffaire  ,  qui  eft  de  favoir  fe  renoncer  à  boa 
efcient ,  félon  l'extérieur  &  l'intérieur  ,  s'exer- 
çantàpâtir  pour  Jéfus-Chrift,  &  à  s'anéantir  ea 
tout  :  car  en  pratiquant  (c)  ceci ,  tout  ce  qui  a 
été  dit,  &  plulieurs  chofes  encore,  fe  font  &  fe 
trouvent  ici.  Montée  du  Mont  CarmeL  Livr,  2.  C/z,  7. 

18.  Il  faut  favoir  que  jufqu'à  ce  que  l'ame  foit 
en  cet  état  de  perfection  ,  dont  nous  parlons  ,  tant 
fpirituelle  foit  elle  ,  il  lui  demeure  toujours  quel- 
que  inclination  &  attachement  d'appétits  &  de  pe- 
tits goûts ,  &  autres  imperfedions ,  foit  naturel- 
les ,  foit  fpirituelles  ,  lefquelles  elle  va  fuivant  , 
&  ainfi  tâche  de  fe  repaître  :  car  pour  l'entende- 
inent,  il  lui  demeure  pour  l'ordinaire  quelques 

(a)  Matth.  II.  V.  jo. 
ib)   Notez  :  dérapproprîé  en  tout, 
(c)  Par  cette   voie  qui  comprend  tout,  on  pratique 
tout. 


XLVIII.  Propriété.   17-22.  ?7.3 

Jinperfedions  d'appctits  de  favoir  les  chofes  ;  tou- 
chant U  \'oloiué  ,  elle  Te  lailfe  cinjjortcr  à  (le  pe- 
tits goûts  (Se  appétits  propres.  Cu/itii/uc  entre  l'E- 
poufe  Êf  t Epoux.    CoupI,    18. 

19.  'C'ed  une  propriété  de  Tamonr  j)arfait ,  de 
ne  vouloir  admettre  ni  prendre  aucune  chofc 
pour  foi ,  ni  fe  rien  attribuer  ,  mais  tout  entière- 
ment à  TAmi  :  car  fi  même  aux  amours  bas  & 
terreftrcs  cela  fe  pratique  ,  combien  plus  en  Ta- 
mour  divin,  où  la  raifoa  nous  y  oblige  tant.  Là- 
même.   Coup/.  24. 

20.  L'ame  fe  fentant  déjà  toute  enflammée  en 
Tunion  divine  ,  &  transformée  par  amour  eu 
Dieu  ,  &  fentant  courir  de  fon  ventre  les  fleuves 
d'eau  vive,  que  Notre  Seigneur  Jéfus-Chrift  di- 
foit  (a)  devoir  fortir  de  femblables  âmes  ,  il  lui 
femble  que  puifqu'elle  efl  transformée  en  Dieu 
avec  une  fi  grande  force  ,  &  fi  hautement  dcfap- 
propriée,  &  ornée  de  fi  grandes  richeffes,  de 
dons  &  de  vertus  ,  qu'elle  eft  fi  près  de  la  béatitu- 
de, qu'il  n'y  a  qu'ime  toile  légère  &  déliée  entre 
deux.  Vive  flamme  ci' amour.  Cant.  i.  Prologue. 

2  1.  Voyez   Mort  entière,   n.    9. 

22.  L'ame  va  chantant  à  Dieu  :  —  Vous  Cô) 
avez  changé  mes  pleurs  en  joie  ,  vous  avez  rom- 
pu mon  fac  ,  (c)  &  m'avez  environné  d'alégreffe  , 
afin  que  ma  gloire  vous  chante  ,  &  que  je  n'aye 
plus  de  remords  (d)^  vu  qu'aucune  peine  ne 
rapproche  là.  Là-même.   Cant.  2.  V.  6, 

ta']  Jean  7.  v.  38. 

[i]  Pf.  29.  V.  13,  13. 

[cl  Ce  fac  eft  la  propriété  qui  renferme  toutes  cor- 
ruptions. 

Ccf]  L'ams   exempte   de   propriété  n'a  plus    de  re- 


224        Justification. 

mords  ,  quoiqu'elle  ne  fe   croye   pas   juftifiée   pour   cc^ 
la  ,  mais   une   fincere    innocence   Se  fimplicité    la  tient 
hors   d'elle  ,    de  forte  que    le  Maître  ne    lui  reproche 
,  plus  rien  :  elle    n'entend    plus    cette    voix    de    Texac- 
teur  ,    dont    parle  Job   [  Ch.   3.  v.    ig.]  qui    lui  a   été 
un    fi   grand   tourment    dans   le    tems    de  la    propriété. 
Pour    donner    quelque    jour    à    ceci  ,    qui   eft    entière- 
ment  pour    rétac    de  purification  ,    [  mais  cela  eft  tel- 
lement  lié  ,  qu'on    ne    le  peut  féparer]  ^  il   faut  faire 
attention    à   l'état    des   anics   de  purgatoire.    Elles    ont 
deux    peines  :   peut-être   l'ai-je  écrit  dans  le  traité  que 
j'ai  fait  du   Purgatoire.  [Voyez   ce  Traité  P.  IL  n.  55. 
dans  les    Opujcules  de  TAuteur.  ]  La  première  eft  l'ap. 
plication  de    la  juftîce   de    Dieu  ,  ou    de  cette    divine 
jnain,  qui  leur  eft  un  tourment   intolérable  ;  la  fécon- 
de   c'eft  leur  propre   impureté  ,  qui   eft   une  playe  in- 
finiment   douloureufe    :    mais    cette    douleur    ne    dure 
qu'autant    de    tems    qu'il   en   faut    pour    les    purifier. 
Elles    ne    font    pas    plutôt   purifiées  ,   qu'elles    ne  Ten- 
tent plus    de    douleur ,   quand   même    elles    refteroient 
dans  le  purgatoire.    Elles  n'ont  plus  la    douleur    de   la 
propriété  ,  puifqu'elle   n'eft  plus  ;  ni  ta  douleur  de  l'ap- 
plication   de  la  main   de  Dieu  ,  parce  que    cette  main 
lie  leur  eft  douloureufe  qu'à   caufe   de  leur  impureté  ; 
de   forte  que   dès  qu'elles   font  pures  ,   cette  main   ou 
cette   juftice    qui    leur   étoit   fi   douloureufe  ,    leur    de- 
vient une  béatitude.  Il  en  eft    de    même  de  l'ame   en 
cette    vie  :   fitôt    que  fa    propriété  eft    détruite  ,   elle 
n'a  plus   de    peine  de  la    propriété  ,   ni    point    de   re. 
mords  ,  comme  le  dit  Ste.  Catherine  de  Gènes  ,   qu'elle 
n'en  avoit  plus  [Voyez   ConfeJJion  n.  j.  &  6.  ]  &  cette 
main    divine    ne   lui   eft    plus    dure    comme   nous    ve- 
nons   de    voir  ,  mais    très  -  douce  &  béatifique.  Durant 
toute  la   voie  ,  l'ame  a  au  -  dedans  d'elle  un  exadtcur 
rîgoureyx  ,  qui  ne  lui  laiffe   rien   pafTer  ;  c'eft  un  juge 
&    un  cenfeur  exacl:   Se   rigoureux  ,    qui  condamne  in- 
ceffammenc    ce   qui  lui  paroît  à    elle-même    très -peu 
condamnable    :    mais    après   la    mort   &    défappropria- 
tion  ,    ce  n'eft    plus  la  même   chofe  ;  Tame  fe   trouve 
dans  une   paix  infiniment   profonde.  Je  ne  doute  pas  , 
que  fi  elle  faifoit  de    nouvelles  fautes  ,  il    ne  les    lui 

reprochât 


XLVIII.  Propriété.  2 j:  2%^ 

Le  P.   Nicolas  deJésus-Maria 
rapporte 

23.  Rusbroche  y  parlant  des  Illumines:  Quelques- 
uns  de  cette  clafic  ufcnt  d'un  grand  choix  ^ 
&  choififfcnt  beaucoup  de  chofes  ;  &  de  plus 
prient  &  défirent  que  Dieu  leur  octroie  plufieurs 
rares  &  fingulieres  faveurs  :  c'eft  pourquoi  fou- 
vent  ils  font  trompés  i  Dieu  le  permettant  ainfi  ; 
fi  bien  que  par  l'entremife  du  Diable  ils  obtien- 
nent ce  qu'ils  défirent ,  ce  que  néanmoins  ils  attri- 
buent à  leur  faintcté  ,  s'eftimant  entièrement  di- 
gnes de  tout:  ce  qui  n'eft  point  merveille,  vu 
qu'ils  font  malades  defuperbe,  &  ne  font  point 
touches  ni  illumines  divinement.  Ils  s'arrêtent 
donc  &  fe  repofent  en  eux-mêmes  ^al,  &  font 
entièrement  enclins,  fuivantleur  défir&  appétit, 
à  chercher  &  prendre  la  faveur  &  Je  goût  inté- 
rieur &L  les  commodités  fpirituelles  de  la  nature  : 
ce  qu'on  peut  nommer  a  bon  droit  luxure  fpiri- 
tuelle  ;  parce  que  c'eft  une  inclination  déréglée 
de  l'amour  naturel ,  qui  eft  toujours  réfléchi  fur 
foi-même ,  &  qui  recherche  &  défire  fa  commo- 
dité en  toutes  chofes.  Ils  font  toujours  malades 


reprochât  ;  maïs  comme  ces  fautes  font  légères ,  Il  les 
confume  en  un  moment  au  feu  de  fon  amour. 

(a)  Ceux-là  font  bien  éloignés  de  marcher  par  le 
rentier  de  la  foî  &  du  renoncement ,  qui  fe  cherchen; 
en  tout.  Il  faudroit  mettre  en  parallèle  ces  différentes 
voies ,  pour  voir  combien  les  Ecrits  que  Dieu  m'a  fait 
faire,  font  oppofés  à  ces  Illuminés  ,  qui  fe  cherchent 
en  tout  ,  fe  rcfléchiflant  fans  cefTe  fur  foi  ,  n'aiment 
qu'eux-mêmes,  &  n'aiment  point  Dieu, 


Tome  IL  Jujlif. 


2.26  Justification.' 

de  l'orgueil  fpirituel ,  &  adonnés  à  leur  propre 
volonté  :  d'où  vient  qu'ils  font  par  fois  tellement 
portés  d'affection,  de  défir  &  d'appétit  aux  cho- 
fcs  qu'ils  fouhaitent  5  &  s'efforcent  tellement  à  leg 
obtenir  de  Dieu  par  importunité  ,  qu'ils  font  or- 
dinairement trompes,  &  quelques-uns  même, 
faifîs  du  malin  efprit.  Sans  doute,  tant  qu'il  y  a  de 
cette  pâte ,  ils  mènent  tous  une  vie  contraire  à  la 
charité,  &  à  cette  introverfion  amoureufe  ,  où 
Ion  s'offre  tout  entier ,  avec  tout  ce  que  Von 
peut  faire  &  avoir,  à  l'honneur  &  à  l'amour  de 
Dieu.  (De  f  ornement  dâs  noces  fpirltuelles.  Livr,  2. 
Ch.  77.)  EdaircijJ,  des  Phraf.  Myji.  de  J.  de  la  Croix 
P.  L  C/z.  8.  §.  ?. 

24.  Don  Barthelcmi  des  Martyrs  C parlant  des  hom-- 
mes  parfaits)  :  Leur  (a)  intention  &  leur  mé- 
moire rie  fe  porte  qu'à  Dieu,-  ils  font  toujours 
occupés  en  lui  intérieurement,  ils  font  tellement 
attachés  à  Dieu  ,  que  voyant  ils  font  comme 
aveueles  ,  écoutant  ils  demeurent  comme  des 
fourds  ,  parlant  ils  font  comme  des  muets  :  ce^ 
gens  mènent  en  terre  une  vie  célefte  &  Ange- 
jique,  &  peuvent  être  appelles  à  bon  droit  An- 
ges en  terre.  ^ 

Donc  foldat  de  Jéfus-Chrift,  fî  vous  voulez 
srriver  à  ce  port ,  tâchez  de  toutes  vos  forces 
d^obferver  les  chofes  fuivantes.  *  Ne  poffédez 
aucune  chofe  avec  engagement  de  cœur  ;  ne  vous 
attachez  de  volonté  à  aucune  créature  ;  ne  défîrez 
point  humainement  l'amitié  &  la  familiarité  d'au- 
cun homme,  quelque  fainteté  qu'il  ait  :  car  non 

(a)  La  différence  des  uns  &  des  autres  [à  favoir  des 
faux  Illuminés  &  des  vrais  parfaits]  ell:  bien  exprimée  : 
&  Ton  peut  voir  la  vérité  de  la  voie  intérieure  par  Top- 
pofition  des  deux  manières  d'agir. 

"^  Renoncement,  n.  6, 


XLVIII.  Propriété.  1^-26.  227 

feulement  les  chofcs  mauwiifcs,  mais  encore  Ic^ 
bonnes  ,  nuiront  à  cette  lageile,  Il  elles  font  ai- 
mées ou  recherchées  dcfordonnémeiit;  d'autant 
c|u'une  lame  d'or  poféç  devant  nos  yeux  ,  n'em- 
pcche  pas  moins  la  vue  qu'une  lame  de  1er. 
Chafïez  Tamour  propre  ik  le  déracinez  de  toutes 
vos  forces;  ik  quittant  la  propre  volonté,  don- 
nez-vous totalement  a  Dieu,  &  vous  plongez  ou 
transformez  parfaitement  en  lui.  Ne  dites  ja- 
mais ,  foit  de  bouche ,  foit  de  cœur  ,  ayant  égard 
à  vous-même  &  à  votre  propre  commodité  ;  je 
veux  cela;  je  ne  le  \'eux  pas  :  je  choilis  cela;  je 
Je  rebute  :  &  pour  lors  ne  cherchez  jamais  rien  ; 
mais  vous  dénuant  de  toute  forte  de  propriété, 
dépouillez-vous  vous-même  ,  &  mourez  telle- 
ment à  vous  &  à  toutes  Its  chofes  du  monde  ^ 
de  même  que  fî  vous  ne  deviez  jamais  vivre  , 
ou  fi  vous  étiez  entièrement  mort  en  tout  :  cher- 
chez l'honneur  de  Dieu  ,  &  faites  votre  poffible» 
pour  que  fa  volonté  s'accomplifTe  en  toutes  cho- 
fes. {Abrcgé Spirituel  Part,  z,  Ck.  lO.)  Là-même,  P.  IL 
Ch.  I.  §.  j. 

2f .  Taulere,  Il  n'eft  pas  permis  à  celui  qui  aime 
véritablement  ,  de  chercher  pour  foi ,  ou  pour 
Tamour  de  foi ,  du  plaifir  &  de  la  délectation  en 
cette  douceur  fpirituelle  intérieure,  encore  que 
cela  femble  licite  aux  ferviteurs  de  Jéfus-Chrife 
imparfaits  &  commenqans,  mais  nullement  aux 
parfaits.  (Sermon  du  15.  Dim.  après  la  S.  Trinité.) 
Là-même.  Ch.  y,  §.  2. 

z6.  —.  Il  y  en  a  que  les  exercices  extérieurs 
délectent  merveilleufement ,  qui  s'y  adonnent 
avec  une  grande  allégreffc  ,  &  y  prennent  tant  de 
plaifir  &  de  gloire ,  qu'ils  font  pour  cela  beau- 
coup moins  agréables  à  Dieu^  &  cette  délecta> 
tion  pourroit  bien  être  telle  ,  qu'ils  feroieut  du 

P  2 


228  Justification.' 

tout  défcigréables  à  Dieu  ,  &  qu'il  en  détourne-^ 
roit  fa  vue  &  fon  cœur,  lorfqu'ils  s^y  cherche, 
roient  plutôt  eux-mêmes  que  non  pas  Dieu.  — . 
C'eft  ce  qui  nous  fait  connoître,  qu'il  fiiut  bru- 
1er  par  le  feu  d'amour  ,  &  facrifier  derechef  à 
Dieu  tout  le  plaifir  que  Ton  peut  avoir  dans  les 
actes  &  dans  l'exercice  des  vertus.  (^Sermon  i. 
pour  la  fête  de  S,  Matthieu,  )  Là-mcmc, 

27 Cet  amour  nuifible  recherche  toujours^ 

quelque  chofe  du  (îen  ,  &  pour  cette  caufe  ,  il  fe 
trouve  aux  Sermons,  &  reçoit  le  très-faint  Sacre- 
ment 3  afin  de  recevoir  quelque  chofe  du  (îen. 
Qid  a  des  oreilles  pour  entendre ,  quil  entende,  (  &/- 
mon  du  16.  Dim,  après  la  S.  Trinité.)  Là-même, 

28-  Rojtgnolius,  Le  plaifir  qui  provient  de  là 
douceur  de  Tefprit ,  par  laquelle  nous  avons  cou- 
tume de  nous  plaire  beaucoup  en  nous-mêmes  , 
nourrit  plus  Tamour  de  nous-mêmes  ,  que  les 
alléchemens  des  chofes  mondaines.  {De  laperfccî. 
de  la  dijciplinc  Chrct.  Livr.  6.  Ch.  6^)  Là-même.  Cli.  10. 
S.  2. 

29.  Albert  le  Grand.  Ces  fantômes  ou  images, 
quoiqu'ils  ne  paroiffent  pas  être  des  péchés, 
même  des  plus  légers,  &  femblent  comme  tout 
exempts  de  coulpe,  Ci  eft-ce  que  ce  font  de  grands 
cmpêchemens  de  ce  faint  exercice  &  de  cette 
œuvre  ;  &  partant  quoiqu'ils  ayent  femblé  utiles 
&  néceflaires,  foit  grands,  foit  petits,  ils  doi- 
vent être  auffitôt  rejettes  comme  nuifibles  &  per- 
nicieux. (De  l'attachement  à  Dieu.  Chap.  4.  j  Et 
encore  :  Il  faut  que  ton  efprit  foit  épuré  de  tous 
fantômes&  enveloppes  &  obfcurciffemens  ,  com-^ 
me  un  Ange  lié  à  un  corps.  (Chap.  8.)  Là-même. 
Ch.  20. 

30.    S,  Bonaventure  ,   (  expliquant   ces  pœoks  du 


XLVIll.  Propriété.  26  j  j.  ilj 

Cnnf.  S'  V,  '}.  J'ai  hxn^  mci  pieds  ^  comment  les  fali^ 
rai-h?  Comment  dt-cc  que  je  les  gâterai  dere- 
chef des  ombres  &  des  images  des  cnofes  tempo- 
relles, vu  qu'aulli  les  opérations  intellectuelles, 
&  les  images  dans  Texercice  intellectuel  »  font 
réputées  &  tenues  pour  des  taches  &  des  pierres 
d'achoppcnicnt.  (^Opufc.  l.  des  fcpt  Chemins  de  /V- 
ternité,  )  fAi-mane,  ' 

3ï.  L\4bbc  Gilbert.  Hélas,  comment  cft-cc 
que  ce  mauvais  jour  éclaire  autour  de  moi!  com- 
ment eft-cc  qu'il  a  ravi  à  foi  mon  affection  ?  Tout 
ce  qui  peut  troubler  ou  fouiller  Tefprit  vient  fon- 
dre de  tous  côtés  &  fe  jetter  dans  ma  penfée  \  car 
encore  que  Tefprit  le  repouffe  par  un  propos  fé- 
vere ,  il  eft  néanmoins  fali  parle  feul  attouche- 
ment de  cespenfées,  qui  rafl'aillent  avec  fureur 
&impétuofité;  elles  ne  fontpointimputées  à  pé- 
ché en  venant  fondre  avec  violence  y  néanmoins 
elles  font  tort  à  la  netteté  tant  défirée.  ÇSerm,  i. 
fur  lé  Cant.  )  Là-même. 

Le  P.  Jaq^ues  de  Jésus. 

J2.  Tache  ,  ou  propriété  ,  fignifie  toute  chofe 
imparfaite  &  fenfible,  qui  a  befoin  de  purifica- 
tion ,  à  caufe  qu'elle  diftrait  la  volonté  de  la  coii- 
verfation  fpirituelle  avec  Dieu ,  encore  que  cela 
arrive  dans  les  premiers  mouvemens,  &  fans  li- 
berté.  Notes  fur  J,  de  la  Croix.  Difc,  i.  Phrafe  l. 

S.  François    de   Sales. 

35.  Les  chofes  humides  &  liquides  reçoivent 
aifément  les  figures  &  limites  qu'on  leur  veut 
donner,  d'autant  qu'elles  n'ont  nulle  C^)  fermeté 

{a)  Le  vrai  caradere  de  la  propriété  eft ,  d'être  f\xé 
en  foi-méme  :  pour  détruire  cette  fixation  ,  il  faut  que 
rame  perde  toutes  formes  &  figures  propres  ,  toute 
propre  confiftance,  parla  purification  la  plus  forte. 

r  :^ 


ri^o        Justification. 

ni  folidité  ^  quiles  arrête  ou  borne  en  e]Ies-mêmei>. 
Mettez  (a)  de  la  liqueur  dans  un  vaifTeau  ,  & 
vous  verrez  qu^elle  demeurera  bornée  dans  les 
limites  du  vaiffeau  ;  lequel  s'il  eftrond  ou  quarré, 
la  liqueur  fera  de  même,  n'ayant  aucune  limite 
ni  figure,  finon  celle  du  vaifTeau  qui  la  contient. 
L'ame  n'en  eft  pas  de  même  par  nature  :   car 
elle  a  fes  figures  &  fes  bornes  propres;  elle  a  fa 
figure  par  fes  habitudes  &  inclinations  ,  &  fes  bor- 
nes par  fa  propre  volonté  :  &  quand  elle  eft  ar- 
rêtée (b)  à  fes  inclinations  &  volontés  propres  , 
nous  difons  qu'elle  eft  dure,  c'eft-à-dire  ,  opi- 
niâtre 3  obftinée.    Je  vous  ôterai ,   dit  Dieu  (c)  , 
votre  cœur  de  pierre ,    c'eft-à-dire  ,  je  vous  ôterai 
votre  obftination.  Pour  faire  id)  changer  défigu- 
re au  bois  ,  au  fer ,  au  caillou ,  il  faut  la  coignée  , 
le  marteau,  le  feu.  On  appelle  cœur  de  bois,  de 
fer,  ou  de  pierre,  celui  qui  ne  reçoit  pas  aifé- 
ment  les  impreffions  divines  ,  mais  demeure  en 
fa   propre  volonté  parmi   les    inclinations    qui 
accompagnent  notre  nature  dépravée:  au  con- 
traire un  cœur   doux  ,   maniable  ou  traitable  , 
eft  appelle  un  cœur  fondu  &  liquéfié.  De  L'Amour 
de  Dieu,  Livr.  6.    Ch.  12. 

Le  Fr.    Jean   de   S.    Samson. 

54.  Q^u'ils  prennent  bien  garde  (e)  de  ne  fe 
rendre  propriétaires  d'aucun  exercice  d'efprit  , 
lorfque  Dieu  les  tire  ailleurs  :  &  quoiqu'ils  doi- 
vent grandement  chérir  la  folitude ,  ils  fe  doivent 
bien  gurder  de  s'en  rendre  propriétaires.  EJprit 
de  Carmel.   Ch,    lO. 

(à)  Admirable  comparaifon  de  Tenticrc  défapproprîa- 
tîon.  {b)  Vraie  propriété,  (c)  Ezech.  ii.  v.  19, 

(d)  Manière  de  purifier  la  propriété, 

(e)  Il  parle  aux  commencans. 


XLVIII.  Propriété,  jj^jè.  2  ;  i 

jf,  L'anic  att:uliér  à  fcs  j)roprcs  cxcrcic:cs» 
n^cft  pas  ciicoïc  (lirpofce  pour  palier  cntierciricnt 
m  Dieu;  d'autant  cju'cllc  ne  IV  (]inlte  pas  aflcz  , 
pour  Je  fuivrc  purement.  &  nucinent  ,  la  où  il  la 
veut  tirer  en  cfprit.  Ce  n'eft  pas  une  cliofe  de 
petite  importance  de  xaquer  à  Dieu  en  efprit :  il 
le  faut  faire  à  bon  cfcicnt  ,  fans  relâche  &  fans 
réfervc.  Car  la  créature  doit  pafTer  d'elle-même 
en  Dieu  y  &  celle  qui  a  un  dcfir  infini  (Je  Dieu  ,  ne 
feroit  pas  rafTafiée ,  lî  elle  n'étoit  pleine  de  lui. 
Partant  elle  fe  doit  vider  entièrement  d'elle- 
même  ici  bas,  ce  qui  eft  une  chofe  merveillcufe. 
Ouand  cela  eft,  alors  la  terre  eft  efprit,  même 
dans  un  corps  humain  ,  qui  participe  a  fes  quali- 
tés fpirituelles.  Mais  peut-être  n'eft-il  pas  nécef- 
faire  de  nous  perdre  fi  profondement  &:  fi  loin  de 
nous  ,  puifque  nous  fommes  autant  éloignés  de 
cet  excellent  état ,  que  nous  fommes  gifans  fub- 
tilement  en  nous-mêmes.  Là-même.  Cli.  12. 

56.  Depuis  que  la  nature  eft  une  fois  fpiritua- 
lifée  ,  elle  eft  très-fine  à  fe  rechercher.  Elle  ne 
réfléchit  que  fur  foi  &  fur  fon  propre  bien  dans 
les  dons  de  Dieu ,  &  fe  recherche  en  Dieu  même. 
Elle  eft  extrêmem.ent  encline  à  fa  propre  excel- 
lence ;  &  plus  fa  connoiiTance  efc  grande  & 
noble,  plus  aulFi  elle  la  rapporte  à  foi-même  , 
fpécialcment  fi  ce  qu'elle  connoit  eft  digne  d'être 
aimé ,  comme  font  les  dons  de  Dieu  ,  lefquels  elle 
n'aime  qu'à  caufe  du  goût ,  &  de  la  faveur  qu'elle 
y  trouve  ,  &  non  en  Dieu  qui  eft  infiniment  autre 
que  fes  dons.  Or  ce  qui  rend  ceci  plus  étrange  , 
c'eft  que  plus  Tavancement  eft  grand  ,  plus  ce 
défordre  &  ce  malheur  eft  à  craindre  i  d  autant 
que  la  nature  étant  éprife  de  fon  propre  amour, 
&  engluée  d'elle-même  dans  les  dons  de  Dieu, 
les  ordonne  &  \ts  détermine  pour  foi  d'une  ma- 

P4 


aJ2  JUSTIFICATIOH. 

niere  qui  lui  eft  inconnue  :  ce  qui  peut  être  fi 
fubtil ,  qu'à  peine  aucun  s'en  peut-il  appercevoir. 
Là-même,   Ch,  «9. 

97.  Il  y  a  autant  de  degrés  de  propre  vie  dans 
les  hommes  ,  qu'ils  craignent  en  diverfes  maniè- 
res de  fe  perdre  ,  les  uns  félon  refprit  &  félon  la 
voie  d'amour  nud  y  les  autres  félon  la  raifon  j  les 
autres  félon  le  fens;  les  autres  félon  le  moral. 
C'eft  pourquoi  Tctendue  de  tout  ceci  &  tous  fes 
mauvais  effets  ,  leur  doivent  être  expliqués  le 
plus  largement  qu'il  eft  poflîble  ,  comme  1  ontfait 
plufieursMyftiques,  &  moi  auffi  autant  que  j  ai 
pu  ,  tant  pour  moi  que  pour  les  autres.  — 

Quiconque  ne  fait  pas  par  expérience  les  voies 
de  la  nature  ,  foit  qu'elles  lui  foyent  agréables  ou 
défagréables  ,  ne  fait  ce  que  nous  difons  ;  il  ne 
fait  rien  en  matière  de  difcrétion  des  efprits,  & 
il  n'eft  pas  perdu  dans  la  région  des  vrais  efprits  , 
qui  font  morts  à  tous  fentimens.  Je  ne  veux  pas 
dire  qu'ils  n'ayent  plus  de  fentimens  ;  mais  c'eft 
qu'ils  les  renvoyent  incontinent  à  leur  fource  , 
qui  eft  Dieu  ,  fans  en  faire  autre  eftime  pour  eux- 
mêmes.  Aucun  ne  doit  être  dit  vraiementMyfti- 
que,  qui  ne  foit  très-bien  expérimenté  en  cette 
fcience  des  voies  de  la  nature,  tant  en  foi  qu'en 
autrui.  Mais  il  femble  que  plus  on  recherche 
cette  fcience  ,  plus  on  s'en  éloigne  ^  d'autant 
qu'on  n'expérimente  point  au-dedans  ce  que  Dieu 
a  accoutumé  de  départir  aux  bonnes  âmes,  foit 
peu-à-peu  ,  foit  quelquefois  à  l'extraordinaire  & 
tout  d'un  coup  ,  qui  font  les  habitudes  infufes  , 
dont  les  actes  font  intérieurs.  ^ 

Ceux  qui  demeurent  au-dehors  ,  S:  qui  néan- 
moins vaquent  à  l'oraifon  ,  font  lents ,  pefants  & 
démefurément  longs  en  leurs  procédures,  d'au- 
tant qu'ils  s'y  repofent  directement  ou  indirecte- 


XLVIIT.  Propriété.  ?7-40.  ^3^ 

mrnt.  Lc5  vrais  fpiritucis  ne  s^affccîient  de  rien 
que  (le  Dieu  ffui ,  cv  n'ont  rien  de  propre  ,  ni  dans 
les  chofes  fenfiMes  ni  en  eux-mêmes.  Ils  demeu- 
rent tranquilles  &  ordonnes  en  Dieu,  &  le  j)of- 
rédent  par  deirus  tous  fes  dons  d  une  manière 
incU'able  ,  faifant  tout  Tcxtérieur  puremcr.t ,  fain- 
tement ,  vîtement  &  fans  affection  feniible.  Là- 
même. 

j8-  Dieu  convie  l'ame  tant  qu'il  peut  à  fe  per- 
dre à  elle-même  &  à  toutes  les  créatures,  &  de 
vivre  ainli  perdue  en  lui ,  principalement  au  tems 
de  fon  plus  grand  délaifTement  intérieur,  &  de 
celui  qui  eft  extérieur  de  la  part  des  créatures.  En 
cette  pratique  &  fidélité  confifte  la  fainteté  de  la 
iîdelle  Epoufe.  ^ 

Il  eft  vrai  que  cette  forte  d'aigles  font  très-ra- 
res ,  attendu  qu'aujourd'hui  les  hommes  ne  cher- 
chent Dieu  que  pour  eux-mêmes  ,  &  nullement 
pour  lui.  Ils  ne  font  amis  de  fa  Majefté  qu'à  la 
table  &  aux  noces.  Par  tout  ailleurs  ,  ils  font  ido- 
lâtres d'eux-mêmes  dans  la  joui{rance(a)  des  ex- 
cellcns  dons  de  Dieu.  Ejp,  du  CarmcL  Chap.  if. 

39.  Voyez  Abandon,  n.  }I,     * 

40.  Il  eft  à  craindre  que  vous  ne  mettiez  un 
grand  fondement  de  fainteté  en  tous  vos  exerci- 
ces ;  c'eft  pourquoi  je  dis  ,  que  s'ils  ne  font  in* 
ceflTamment  accompagnés  d'un  amour  très-pur, 
très-humble  ,  très-nud  &  éternellement  mourant, 

(a)  J'ajoute  îcî ,  que  comme  une  perfonne  feroit 
propriétaire  de  fon  argent ,  qui  Je  conferveroic  &  n'en 
feroit  aucune  part  à  fon  prochain  dans  fa  nécefficé  ; 
une  perfonne  éclairée  fe  croiroit  propriétaire  des  dons 
de  Dieu  ,  fi  elle  nçn  faifoit  pas  part  aux  autres  dans 
le  befûin  ;  &  la  même  libéralité  qu'elle  a  eue  pour  fes 
biens  temporeis ,  lui  eft  donnée  pour  fes  biens  fpiri- 
tuels. 


-34         Justification. 

fans  aucun  relâche  ,  &  fans  la  moindre  détention 
de  vous-même ,  vous  n'êtes  pas  véritablement 
comme  il  faut.  Lettre  63. 


XL IX.   Pur  amour. 
MOYEN    COURT. 

iJOYEz  content  de  tout  ce  que  Dieu  vous 
fera  foufFrir.  Si  vous  l'aimez  purement  , 
vous  ne  le  chercherez  pas  moins  en  cette 
vie  fur  le  Calvaire  que  fur  le  Tabor. 

Il  faut  Taimer  autant  fur  le  Calvaire  que 
fur  le  Tabor  ,  puifque  c'eft  le  lieu  où  il 
fait  paroi tre  le  plus  d'amour. 

Il  eft  impoflible  d'aimer  Dieu  fans  aimer 
la  croix  ;  &  un  cœur  qui  a  le  goût  de  la 
croix  ,  trouve  douces  ,  pîaifantes  &  agréa- 
bles les  chofes  mêmes  les  plus  ameres  :  {a) 
une  ame  affamée  trouve  douces  les  chofes 
qui  font  ameres  ;  parce  qu'elle  fe  trouve 
autant  affamée  de  fon  Dieu ,  qu'elle  fe  trouve 
affamée  de  la  croix.  La  Croix  donne  Dieu , 
&  Dieu  donne  la  croix.  Ch.  7.  n.  i  ,  a. 

L'intérieur  n'eft  pas  une  place  forte  qui 
fe  prenne  par  le  canon  &  par  la  "violence  : 
c'eft  un  royaume  de  paix  qui  fe  poiféde  par 
Tamour.  Clu  ix.  n.  5. 

i.  («)  Prov.  27.  V.  7, 


XLIX.   Pur  Amour.  235 

La  pricrc  n'cfl  autre  chofc  cjiuine  cha- 
leur d'amour  ,  qui  fond  &  dilfout  Tamc  ,  la 
fubrilifc  &  la  fait  monter  jufqu'c^  Dieu.  A 
mef'ure  qu'elle  fe  fond  ,  elle  rend  Ton  odeur; 
&  cette  odeur  vient  de  la  charité  ,  qui  la 
brûle.  Ch.  20.  //.  2. 

Uame  étant  toute  tournée  de  la  forte  , 
efl  dans  la  charité  ,  &  elle  y  demeure  :  & 
(r?)  qui  demeure  dans  la  charité  ^  demeure 
en  Dieu.  L'ame  fuivant  Fattrait  de  Dieu  , 
&  demeurant  dans  fon  amour  &  dans  fa 
charité  ,  s'enfonce  toujours  plus  dans  ce 
même  amour.  Ou  2X.  //.  5. 

Un  père  aime  mieux  un  difcours  que 
l'amour  &  le  refpeél  met  en  défordre  , 
parce  qu^il  voit  que  cela  part  du  cœur  , 
qu'une  harangue  féche  ,  vaine  &  flériîe  , 
quoique  bien  étudiée.  O  que  de  certai- 
nes œillades  d'amour  le  charment  &  le 
raviffent  !  Elles  expriment  infiniment 
plus  que  tout  langage  &  tout  raifonne- 
ment. 

Pour  avoir  voulu  apprendre  à  aimer  avec 
méthode  l'Amour  même  ,  on  a  beaucoup 
perdu  de  ce  même  amour.  O  qu'il  n'eft 
pas  nécelTaire  d'apprendre  un  art  d'aimer  ! 
Le  langage  d'amour  eft  barbare  à  celui  qui 
n'aime  pas  ;  mais  il  efl  très-naturel  à  celui 
qui  aime  ;  &  on  n'apprend  jamais  mieux  à 

{d)  I  Jean  4.  f,  16. 


236        Justification. 

aimer  Dieu  qu'en  raimant.  En  ce  métier 
fouvent  les  plus  greffiers  deviennent  les 
plus  habiles  ;  parce  qu'ils  y  vont  plus  fim- 
plement  &  plus  cordialement.  Ch.  23.  n. 
7,8. 


CANTIQUE. 


I 


L  faut  que  la  créature  qui  afpire  à  Tunion 
divine  ,  étant  bien  perfuadée  du  Tout  de 
Dieu  &  de  fon  néant  ,  forte  d'elle-même , 
n'ayant  que  du  mépris  &  de  la  haine  pour 
foi ,  afin  de  garder  toute  fon  eftime  &  fon 
amour  pour  fon  Dieu.  Ch.  i.  v.  7. 

Son  cou  repréfente  fa  charité  pure  ,  qui 
eft  le  plus  grand  foutien  qui  lui  refte.  v.  5. 

Quoique  vous  foiez  déjà  très-belle  dans 
votre  dénuement ,  qui  marque  un  cœur  pur 
&  une  charité  non  feinte  ;  nous  vous  don- 
nerons encore  de  quoi  réhaufTer  l'éclat  de 
votre  beauté  ,  en  y  ajoutant  de  précieux 
ornemens.  Ces  ornemens  feront  des  chai-- 
nés ,  en  figne  de  votre  parfaite  foumiffion  à 
toutes  les  volontés  du  Roi  de  gloire.  Mais 
elles  feront  d^or ,  pour  repréfenter  ,  que 
n'agiflant  que  par  un  amour  très -épuré  , 
vous  n'avez  que  la  (impie  &  pure  vue  du 
bon-plaifir  &  de  la  gloire  de  Dieu  dans 
tout  ce  que  vous  faites  ou  fouffrez  pour  lui. 


X  L  I X.  Pur  Amour.  23? 

Mon  yvrcffc  m'cft  tout- à -fait  pardon- 
nable ;  puifquc  mon  Roi  m'a  fait  entrer 
dans  fes  divins  celliers.  C'eil  là  qu'il  a  ré- 
glé dans  moi  la  Charité.  *— 

Quel  ed  cet  ordre  (  ce  règlement  )  que 
Dieu    met    dans    la    charité.    O    amour    , 
Dieu -charité  !  Vous  feul  le  pouvez  révé- 
ler.  C'efl  qu'il  fait  que   cette    ame  ,    la- 
quelle par  un  mouvement  de  charité  ,  fe 
vouloit  tout  le  bien  polTible   par  rapport 
à  Dieu  ,  s'oublie  entièrement  de  toute  elle- 
même  ,  pour  ne  plus  penfer  qu'à  fon  Bien- 
aimé.  Elle  s'oublie  de  tout  intérêt  de  fa- 
lut ,  de  perfeélion  ,  de  joie  ,  de  confola- 
tion  ,  pour  ne  penfer  qu'à  l'intérêt  de  fon 
Dieu.  Elle  ne  penfe  plus  à  jouir  de  fes  em- 
braffemens  ,  mais  à  fouffrir  pour  lui.  Elle 
ne  demanda  plus  rien  pour  elle  ;  mais  feu- 
lement que  Dieu  foit  glorifié.  Elle  entre 
dans  les  intérêts  de  la  divine  Juftice ,  con- 
fentant  de  tout  fon  cœur  à  tout  ce  qu'elle 
fera  d'elle  &  en  elle  ,  foit  pour  le  tems  ,  ou 
pour  l'éternité.  Elle  ne  peut  aimer  ni  en 
foi  5  ni  en  aucune  créature  ,  que  ce  qui  cft 
à  Dieu  &  pour  Dieu  ;  &  non  ce  qui  eft  en 
elle  &  pour  elle  ,  quelque  grand  &  nécef- 
faire  qu'il  paroiffe. 

Voilà  l'ordre  &  le  règlement  de  la  cha- 
rité que  Dieu  met  en  cette  ame  ;  fon  amour 
eft  devenu  parfaitement  chafte.  Toutes  les 
créatures  ne  lui  font  rien  :  elle  les  veut  tou- 


i;S  Justification. 
tes  pour  fon  Dieu  ,  &  n'en  veut  aucune 
pour  foi.  O  que  cet  ordre  de  la  charité 
donne  de  force  pour  les  états  terribles  , 
qu'il  faudra  palTer  dans  la  fuite  !  mais  il  ne 
peut  être  connu  ni  goûté  de  ceux  qui  n'y 
îbnt  pas  3  pour  n'avoir  pas  encore  bu  de  ce 
vin  de  l'Epoux.  Ch.  z.  v.  4- 

Le  milieu  &  tout  le  dedans  de  ce  lieu 
de  triomphe  ,  eft  garni  d'ornemens  de 
très -grand  prix  ,  qui  font  bien  compris 
fotis  le  nom  de  charité  ,  comme  étant  ce 
qu'il  y  a  de  plus  grand  &  de  plus  pré- 
cieux. Et  n'eft-ce  pas  en  Jéfus-Chrift 
que  (^)  font  tous  \^s  tréfors  &  la  plé- 
nitude de  la  Divinité  ?  Ceft  à  lui  {Jb)  que 
le  S.  Efprit  a  été  donné  au-delà  de  toute 
mefure.  Le  S.  Efprit  donc  remplit  le  milieu 
&  tout  le  dedans  de  ce  trône  majeftueux  ; 
puifqu^il  eft  l'amour  du  Per^  &  du  Fils  ; 
&  aufîi  l'amour  par  lequel  Dieu  aime  les 
hommes  :  &  que  comme  il  eft  Tunioa 
des  Perfonnes  Divines  ,  il  eft  aufli  le 
ticeud  qui  lie  les  âmes  pures  avec  Jéfus- 
Chrift.  - 

Il  eft  incroyable  combien  il  faut  que  ces 
âmes  chcifies  dévorent  de  croix  ,  d'oppro- 
bres &  de  renverfemens. 

Enfin  tout  le  dedans  eft  rempli  de  cha- 
rité ^  puifque  ces  trônes  vivans  du  Très- 

(/l)  Coloff.   2,  V,  j,9.    (A)  Jean  \.  v.  J4- 


X  I.  T  X.  Pur  Amour.  fi^^^c^ 

liant  {a)  crant  pleins  d'amour  ,  ils  font  aiidi 
parés  de  tous  les  fruits  &  orncmcns  de  l'a- 
mour,  qui  font  les  bonnes  œuvres,  les  mé- 
rites ,  les  fruits  du  S.  Efprit ,  &  la  pratique 
des  plus  pures  &  des  plus  folides  vertus. 
Ch.  3.  V.  10. 

L'Epoux  compare  la  volonté  de  cette 
Amante  à  un  ruban  teint  en  écarlate  ,  qui 
lignifie  les  afFedions  réunies  en  une  feule 
volonté  ,  laquelle  elt  toute  charité  &  tout 
amour  :  toutes  les  forces  de  cette  volonté 
étant  réunies  dans  leur  divin  Objet.  — 

La  grenade  a  plufieurs  grains  qui  font 
tous  renfermés  dans  une  écorce  :  de  mê- 
me vos  penfées  font  comme  réunies  en 
moi  l^ul  par  votre  amour  pur  &  parfait. 
Ch.  4.  V.  j. 

J'ai  bu  mon  vin  &  mon  lait.  Quel  eft  ce 
vin  que  vous  avez  bu  ,  ô  divin  Sauveur  ,  & 
dont  vous  fûtes  fi  fort  enyvré  ^  que  vous 
vous  oubliâtes  vous-même  ?  Ce  vin  fut  l'a- 
mour exceflif  qu'il  portoit  aux  hommes  ^ 
qui  lui  fit  oublier  qu'il  étoit  Dieu  ,  pour 
penfcr  feulement  à  leur  falut.  11  en  fut  fi 
enyvré  ,  qu'il  eft  dit  de  lui  par  un  Prophète 
(b)  qu'il  fera  rafiafié  d'opprobres  ;  tant  fa 
charité  étoit  forte.  Ch.  5.  v.  i. 

Le  véritable  amour  n'a  point  d'yeux  pour 

M  C'eft  le  fcntiraent  du  B.  Jean  de  la  Croix.  [  en 
Jon  Énigme»  ] 

Ibl  Lament.  3.  v.  30. 


240  Justification. 

fc  regarder  foi-même.  Cette  Amante  afflU 
gée  oublie  fcs  bleflures  ,  quoiqu'elles  fai- 
gnent  encore  :  elle  ne  fe  fouvient  plus  de 
fa  perte  :  elle  n'en  parle  pas  même  :  elle 
penfe  feulement  à  celui  qu'elle  aime  ,  & 
elle  le  cherche  avec  d'autant  plus  de  for- 
ce ^  qu'elle  trouve  plus  d'obftacles  à  fa 
poiTeffion.  Elle  s'adrefTe  aux  âmes  inté- 
rieures y  &  leur  dit  :  O  vous  ,  à  qui  mon 
Bien -aimé  fe  découvrira  fans  doute  ,  je 
vous  conjure  par  lui-même  de  lui  dire  que 
je  languis  d^amour  pour  lui.  Quoi  ,  ô  la 
plus  belle  des  femmes  ,  ne  voulez -vous 
pas  qu'on  lui  parle  plutôt  de  vos  blefTu- 
res  ,  &  qu'on  lui  raconte  ce  que  vous  avez 
fouflfert  en  le  cherchant  ?  Non  ^  non  ^  ré- 
pond cette  ame  généreufe  ,  je  fuis  trop 
récompenfée  de  mes  maux  ,  puifque  je  les 
ai  fouftert  pour  lui  ;  &  je  les  préfère  aux 
plus  grands  biens.  Ne  dites  qu'une  chofe  à 
mon  Bien  -  aimé  ,  c'eft  que  je  languis  d'a- 
mour pour  lui.  La  plaie  que  fon  amour  a 
faite  dans  le  fond  de  mon  cœur  eft  fi  vive  , 
que  je  fuis  infenfible  à  toutes  les  douleurs 
extérieures  ;  j'ofe  dire  même  ,  qu'au  prix 
de  celle-là  ,  elles  me  font  des  rafraichifTe- 
mens.  Là-même.  v.  8. 

Si  les  plus  grandes  eaux  des  afflictions  , 
des  contradiélions  ,  des  miféres ,  pauvretés 
&  traverfes  n'ont  pu  éteindre  la  charité 

dans 


XL IX.  Pur  Amour.  241 

dans  une  telle  ame  ;  il  ne  faut  pas  croire 
que  Icsjleuvcs  de  Tabandon  à  la  providence 
le  puilFent  faire  ;  puifqiie  ce  font  eux  qui  la 
confervent.  Si  Thomme  a  eu  affez  de  cou- 
rage pour  abandonner  tout  ce  qu'il  poffé- 
doit  ,  &  tout  fon  foi-mème  ,  afin  d'avoir 
cette  pure  charité  ,  qui  ne  s'acquiert  que 
par  la  perte  de  tout  le  refte  ;  il  ne  faut  pas 
croire  ,  qu'après  un  effort  (î  généreux  pour 
acquérir  un  bien  qu'il  eftime  plus  que  tou- 
tes chofes  ,  &  qui  effeftivement  vaut  mieux 
que  tout  rUnivers  ,  il  vienne  enfuite  à  le 
niéprifer ,  jufqu^à  reprendre  ce  qu'il  avoit 
quitté.  CA.  8.  V.  7. 

La  parfaite  charité  ne  fait  ce  que  c'efl: 
que  de  penfer  à  fes  intérêts.  Là- même. 
V.   I^. 

L'ame  qui  eft  arrivée  à  ce  degré  ,  entre 
dans  les  intérêts  de  la  divine  Juflice  ,  &  à 
fon  égard  ^  &  à  celui  des  autres  ,  d'une  tel- 
le forte  j  qu'elle  ne  pourroit  vouloir  autre 
fort  pour  elle ,  ni  pour  autre  quelconque  , 
que  celui  que  cette  divine  Jultice  lui  vou- 
droit  donner  pour  le  tems  &  pour  l'éter- 
nité. L'Epoufe  a  aufîi  la  charité  la  plus  fin- 
cerç  qui  fût  jamais  envers  le  prochain  ,  ne 
le  fervant  plus  que  pour  Dieu  ,  &  dans  la 
volonté  de  Dieu.  Mais  quoiqu'elle  fût  tou- 
te prête  d'être  anatême  pour  fes  frères  , 
comme  S.  Paul  {a)  ,  &  qu'elle  ne  travaille  à 

La]  Rom.  9.  V.  j. 

Tome  IL  Jujiif,  Q, 


242  JUSTIFI   CATlOi^, 

autre  chofe  qu'à  leur  falut ,  elle  eft  néan- 
inoins  indifférente  pour  le  fuccès  ;  &  elle 
ne  pourroit  être  affligée  ni  de  fa  propre 
perte  ,  ni  de  celle  d'aucune  créature  ,  regar- 
dée du  côté  de  la  Juftice  de  Dieu.  Ce  qu'elle 
ne  peut  fouffrir ,  c'eft  que  Dieu  foit  déf- 
honoré  ;  parce  que  Dieu  a  ordonné  en 
elle  la  charité  :  depuis  ce  tems  elle  eft  en- 
trée dans  les  plus  pures  difpofitions  de  la 
charité  parfaite.  Là^même.  v.  1 4. 

AUTORITÉS. 

S.     Denis. 

1.  Voyez  Conjïflance.  n.  i, 

2.  Voyez  Motion  divine,  n.  t. 

L'Imitation  de  Jésus-Christ. 

3.  Voyez  Propriété,  n.   2. 

4.  Certes ,  Tamour  eft  une  grande  chofe  ;  Ta- 
xnour  eft  un  admirable  bien ,  puifque  lui  feul  rend 
léger  ce  qui  eft  pefant,  &  qu'il  fouffre  avec  égale 
tranquillité  les  divers  accidens  de  la  vie.  II  porte 
fans  peine  ce  qui  eft  pénible  ,   &  rend  doux  & 
agréable  ce  qui  eft  amer.  L'amour  de  Jéfus  eft 
généreux  ,  il  pouffe  les  âmes  à  de  grandes  ac- 
tions, &  les  excite  à  défirer  toujours  ce  qui  eft 
de  plus  parfait.  L'amour  tend  toujours  en  haut, 
&  i]  ne  fouffre  point  d'être  retenu  par  les  chofes 
baffes.  L'amour  veut  être  libre  &  dégagé  de  tou- 
tes les  àffedions  de  la  terre  ,  de  peur  que  fa  lu- 
mière intérieure  ne  foit  offufquée,  &  qu'il  ne  fe 
trouve  embarraffé  dans  les  biens,  ou  abattu  parles 


XLIX.  Pur  Amour.  i^fJ  243 

maux  du  monde.  Il  n'y  u  licn  dans  le  ciel  ni 
dans  la  terre,  qui  foit  ou  plus  doux,  ou  plus 
fort,  ou  plus  élevé,  ou  plus  étendu,  ou  plus 
aj^réable  ,  ou  plus  plein  ,  ou  rncillciir  cjuc  la- 
mour  :  parce  que  1  amour  eft  né  de  Dieu  ,  ((/)  & 
que  s'élevant  au-dcHus  de  toutes  les  créatures, 
il  ne  peut  fe  repofer  qu'en  Dieu.  Liur.  j.  Cliap. 

Ç.  §.  3-      .       . 

5".  Celui  qui  aime  eft  toujours  dans  la  joie  ;  il 

court ,  il  vole  ,  il  eft  libre  &l  rien  ne  le  retient.  Il 
donne  tout  pour  le  tout,  &  polFcde  tout  en  tout; 
parce  qu  il  fc  repofe  dans  ce  Bien  unique  &  fou- 
verain  ,  qui  eft  au-de{Tus  de  tout,  <&  d  ou  décou- 
lent &  procèdent  tous  les  biens.  Il  ne  s'arrête 
jamais  aux  dons  qu'on  lui  fait,  mais  il  s'élevc  de 
tout  fou  cœur  vers  celui  qui  les  lui  donne.  L'a- 
mour fouvent  ne  fe  peut  borner  ,  fon  ardeur 
l'emporte  au-delà  de  toutes  bornes.  L'amour  ne 
fent  point  la  peine,  ni  n  eftime  le  travail  \  il  en- 
treprend au-delà  de  fes  forces  :  il  ne  s'excufe  ja- 
mais fur  TimpolFibilité  i  parce  qu'il  croit  que  rien 
ne  lui  eft  impofTible  ,  &  que  tout  lui  eft  permis* 
L'amour  trouve  des  forces  pour  venir  à  bout  de 
toutes  chofes.  — 

L'amour  eft  vigilant;  il  ne  dort  pas  dans  le 
fommeil  même.  Il  ne  fe  refTerre  pas  dans  Tafflic- 
tion ,  il  ne  fc  lafTe  point  dans  les  grands  travaux , 
il  ne  fe  trouble  point  dans  les  frayeurs  qu'on  lui 
donne ,  il  s'élève  toujours  en  haut  comme  une 
flamme  vive  &  ardente  ,  &  redouble  fa  vigueur 
par  tout  ce  qu  on  lui  oppofe  pour  l'arrêter.  Iln'y 
a  que  celui  qui  aime  (b)  qui  puiffe  comprendre 
les  cris  de  l'amour,  &  les  paroles  de  feu  d'une 
ame  vivement  touchée ,  lorfqu  elle  lui  dit  :  vous 


ià)  I  Jean  4..  v.  7.  16, 
(b)  Admirable. 


Q,* 


244  Justification. 

êtes  mon  Dieu  ,   vous  êtes  mon  amour  ;  vou^ 

êtes  tout  à  moi  ,  &  je  fuis  tout  à  vous 

Que  votre  amour  me  poflfcde  tout ,  &  qu'étant 
tout  brûlant  &  comme  ravi  hors  de  moi ,  je  m'é- 
levé  au-deffus  de  moi.  Llvr,  3.  C/z.  5.  §.4,  5,6. 

6.  Celui  qui  aime  fagement ,  ne  confidere  pas 
tant  le  don  de  celui  qu'il  aime  ,  que  l'amour  de 
celui  qui  le  lui  donne.  Cet  amour  lui  eft  beau* 
coup  plus  précieux  que  tous  les  avantages  qu'il 
en  reqoit;  il  met  fon  Bien-aiméfans  comparaifon 
au-deflus  de  tous  fes  dons.  Celui  qui  m'aime 
généreufement  ,  m'aime  plus  que  tout  ce  que 
je  lui  donne ,  &  c'eft  en  moi  qu'il  met  fa  joie  , 
&  non  dans  mes  dons.    C/z.  6.  §.  4. 

7.  Quand  ma  grâce  entre  une  fois  dans  un 
cœur  &  rétablit  dans  une  vraie  charité  ,  les  im- 
preffions  de  l'envie  ne  le  touchent  plus,  il  ne  fe 
trouve  plus  dans  le  ferrement,  il  n'eft  plus  pof- 
fédé  de  fon  amour  propre.  La  charité  fe  rend 
victorieufe  de  tout,  elle  aggrandit  l'amc  &  redou^ 
ble  fes  forces.  Livr,  5.  Chap.^.  §.  j, 

Ste.   Catherine  de  Gènes. 

g.  Elle  difoitàfon  Amour:  Eft-il  poffible  ,  ô 
doux  Amour  ,  que  vous  ne  puilîiez  être  aimé 
fans  confolation  ,  &  fans  efpérance  de  bien  au 
Ciel  ou  en  la  terre?  Il  lui  fut  répondu,  qu'une 
telle  union  ne  pouvoit  être  fans  une  grande  paix , 
&  fans  un  extrême  contentement  d'efprit  &  de 
corps.  Enfin  elle  difoit:  ô  Amour,  je  ne  puis 
comprendre  que  l'on  doive  aimer  autre  chofe 
<|ue  vous  ,  &  fi  je  le  comprenois  ,  j'en  aurois  une 
grande  peine.  ^ 

Elle  difoit  que  l'amour  divin  eft  proprement 
&  vraiment  notre  propre  amour ,  parce  que  nous 
avons  été  créés  pour  cet  amour  :  mais  l'amour  de 
toute  autre  chofe  fe  devroit  appeller  haine  5  parce 


XLIX.  Pttr  Amour,  fii.  14? 

qu'il  nous  [)rive  de  notre  vrai  &  propre  «imonr , 
ijui  cft  Dieu.  Aime  donc  celui  qui  t'aime,  à  fa- 
voir  Dieu  i  &  laide  celui  cpii  ne  t'aime  pas  ,  à  fa- 
Vt)ir  Taniour  de  toutes  les  autres  cJiofes  qui  font 
au-dellous  de  Dieu;  parce  ([u'il  cfteiuiemide  ce 
\^rai  amour,  en  cecju'illui  donne  empêchement. 
O  (î  je  pouvois  faire  voir,  toucher  &  fentir  par 
queh.jue  goût  cette  vérité  ,  comme  je  la  fens  ,  je 
fuis  aflurce  qu'il  ny  auroit  aucune  créature  en 
terre  qui  n'aimât  ce  pur  amour:  de  forte  que  fi 
la  mer  étoit  Tabime  de  Tamour  divin,  il  n'y  au- 
roit homme  ni  femme  qui  ne  s'y  nojàt  j  &  qui 
feroit  éloigné  de  la  mer,  ne  feroit  autre  chofe 
que  marcher  pour  aller  fe  jetter  dedans,  parce 
que  cet  amour  eft  fi  doux  &  fi  agréable  ,  que  tout 
autre  en  comparaifon  n'eft  que  trifteUe  &  afflic- 
tion. Il  fait  riiomme  fi  riche  ,  que  toute  autre 
chofe  hors  de  lui  feul,  lui  femble  une  pure  mi- 
fere.  Il  le  fait  fi  léger  ,  qu'il  ne  lui  femble  pas 
qu'il  fente  la  terre  fous  fes  pieds-,  &  parce  qu'il 
a  toute  fon  affection  en  haut,  il  ne  peut  fentir 
aucune  peine  en  la  terre  :  &  il  eft  ^i  libre  ,  que  fans 
aucun  empêchement  il  demeure  toujours  avec 
Dieu.  Si  on  me  demandoit,  que  fens-tu?  Je  ré- 
pondrois  :  ce  que  l'œil  ne  peut  voir,  ni  l'oreille 
entendre,  &  je  rends  ce  témoignage  à  la  vérité, 
par  le  fentiment  que  j'en  ai  félon  ma  capacité  , 
feins  me  tromper  :  mais  de  ce  que  je  fens ,  il  me 
femble  que  c'eft  une  honte  d'en  dire  des  paroles 
fi.défectueufes  ;  étant  affurée,  que  tout  ce  qui  fc 
peut  dire  de  Dieu  ,  n'eft  pas  Dieu ,  ni  égal  à  Dieu  ; 
mais  ce  font  feulement  de  certains  petits  mor- 
ceaux qui  tombent  de  fa  table.  En  fa  vie.  Ch.  29. 

9.  Voyez  Propriété,  n.  I2. 

10.  Voyez  Communications.  §.  IL  n.  J. 

11.  Voyez  Non-defir.  n.  le, 

O  3 


z^6        Justification. 

12.  Ce  vrai  amour  dont  tu  cherches  la  con- 
noiiTance,  n'eft  pas  encore  celui-ci:  mais  quand 
j'ai  confumé  hs  imperfections  de  l'homme  ,  & 
en  Text  rieur  &  en  1  intérieur,  je  defcens  avec 
un  fil  d'or  très-fubtiî,    qui  eft  mon  amour  oc- 
culte <^  fccret,  &  ^  ce  fil  eft  lié  un  hameçon  qui 
prend  le  cojur  de  Fhomme,  &  ce  cœur  en  de- 
meure blefTe  &  lié  ,  enforte  qu'il  ne  peut  fe  mou* 
voir  5  ni  vouloir  fe  mouvoir  y  parce  que  je  tire 
ce  cœur,  moi  qui  fuis  fon  objet  &  fa  fin  ;  &  il 
ne  le  comprend  pas.    Mais  moi  qui  fuis  celui 
qui  tiens  le  fil  en  main  ,  je  le  tire  toujours  à  moi 
avec    un   iî  fubtil  &  fi  pénétrant  amour ,   que 
l'homme  demeure  furmonté,  vaincu  &  du  tout 
hors  dé  foi  :  &  comme  un  pendu  ne  touche  point 
la  terre  de  fes  pieds  ,  &  demeure  en  l'air  attaché 
à  la  corde  qui  lui  (a)  caufe  la  mort;  ainfi  cet  ef- 
prit  demeure  attaché  au  fil  de  ce  fubtil  amour ,  le- 
quel diffîpe  toutes  les  imperfections  de  l'homme , 
même  les  plus  cachées  &  les  plus  fubtiles  &  incon- 
nues ;  &  tout  ce  qu'il  aime  après  cela,  il  Paime 
avec  ce  fil  de   l'amour  dont  il  a  le  cœur  lié. 
Dialog,  Livr,  J.  Ch.   I. 

13.0  Amour ,  le  cœur  qui  te  goûte  a  le  com- 
inencem.ent  de  la  vie  éternelle  ,  même  dès  ce 
monde.  Mais ,  ô  Seigneur ,  vous  tenez  cette  opé- 
ration fecrette  &  cachée  à  fon  pofTefTeur ,  de  peur 
qu'avec  fa  propriété  il  ne  mette  empêchement  à 
votre  œuvre. 

O  Amour  qui  te  reffent,  ne  t'çntend  pas  ;  & 
qui  te  veut  entendre  ne  te  peut  connoître  !  O 
Am.our,  notre  vie ,  notre  béatitude,  notre  repos  ! 
tu  portes  avec  toi  tout  bien  ,  &  tu  éloignes  de  toi 
tout  mal.  O  cœur  blelTé  du  divin   amour,    tu 

Ui)  C'efï  l'amour  qui  eft  l'auteur  (quoique  caché)  de 
la  mort  de  ï\xr<,^. 


XLIX.  Pur  Amour.  12-14.  247 

demeures  incurable;  &  étant  conduit  par  cette 
douce  plaie  jufqu'à  la  mort,  tu  recommences  à 
vivre  d'une  vie  c|ui  n'a  point  de  Hn.  ()  feu  d*a* 
mour  que  fai?;-tu  en  cet  homme  ?  Tu  le  puriHes 
tout  ainfi  que  le  feu  purifie  Tor  :  puis  tu  le  con- 
duis au  Ciel  avec  toi ,  pour  jouir  de  la  fin  (a)  poui 
laquelle  tu  las  créé. 

L'amour  eft  un  feu  divin  :  &  tout  ainfi  que  le 
feu  matériel  échauffe  toujours,  &  opère  félon  fa 
nature  ;  ainfi  1  amour  de  Dieu  par  fa  nature  opère 
toujours  en  Thomme  ,  &  monte  vers  fa  fin  , 
&  de  fa  part  ne  cède  jamais  d'opérer  pour  le  bien 
&  l'utilité  de  l'homme ,  dont  il  eft  toujours  amou- 
reux ,•  &  fi  quelqu'un  n'en  fent  pas  l'opération  , 
c'eft  par  fa  propre  faute  :  parce  que  Dieu  ne  ceffe 
de  faire  du  bien  à  l'homme  tant  qu'il  eft  en  cette 
vie  ,  &  il  eft  toujours  épris  de  fon  amour.  Là- 
même,    Ch,  4. 

14.  O  Amour  ,  je  ne  me  faurois  plus  taire  ,  & 
je  ne  puis  parler  comme  je  voudroisde  tes  dou- 
ces &  gracieufes  opérations!  Ton  amour  dont 
je  fuis  rempli  de  toutes  parts ,  me  donne  un  défir 
de  parler,  &  je  ne  le  puis.  Je  m'entretiens  moi» 
même  dans  mon  cœur  :  mais  quand  je  veux  pro- 
noncer la  parole  ,  &  dire  ce  que  je  fens  ,  je 
demeure  courte,  &  je  me  trouve  trompée  par 
cette  foible  langue.  ^ 

Je  défire  parler  une  fois  de  cet  Amour  avant 
que  de  fortir  de  cette  vie  ,  &  dire  comment  je  le 
fens  en  moi ,  comment  il  y  opère  ,  &  ce  qu'il 
veut  de  cet  homme  dans  lequel  il  fe  répand  , 
dont  il  ne  laifie  aucune  partie,  qu'il  ne  remplific 
entièrement  d'une   douceur  qui  furpaffe  toute 

[a]  11  y  a  bien  de  la  différence  entre  être  dans  fa  fin , 
&  jouir  de  cette  même  fin  :  mais  Pâme  ne  jouit  parfaite* 
ment  de  cette  même  fin  ^u'en  Tautre  vie. 

9,4 


2.48  Justification. 

douceur ,  &  d'un  contentement  qui  ne  fe  peut 
exprimer  i  de  forte  que  1  homme  fe  laifferoit  brù- 
Jer  tout  \'if  par  cet  Amour;  parce  que  Dieu  mêle 
à  cet  amour  un  certain  zèle ,  qui  fait  que  Thomme 
ne  fe  foucic  d'aucune  contrariété,  quelque  grande 
qu'elle  foit.  ^ 

Cet  Amour  cft  Ci  efficace  &(îilluminatif ,  qu'il 
tire  toutes  nos  imperfections  hors  de  leurs  obf- 
eures  &  fecrettes  cavernes  ,  &  les  met  devant  nos 
yeux  ,  afin  que  nous  y  donnions  remède,  &  que 
nous  les  purgions.  Cet  amour  régit  &  gouverne 
notre  volonté ,  afin  qu'elle  foit  forte  &  conftante 
en  combattant  toutes  les  tentations.  Dial.  Livr. 
S.Ch.  4. 

1^.  Dieu  remplit  l'homme  d'amour,  il  le  tire 
à  foi  par  amour ,  il  le  fait  opérer  par  amour  avec 
-grande  force  &  vertu  contre  tout  le  monde ,  con- 
tre l'Enfer  &  contre  lui-même;  &  cet  amour 
ji'eft  point  connu,  de  forte  qu'on  n'en  peut  par- 
ler. Là-même.  Ch.  IJ. 

16.  Cet  amour  ne  fe  peut  aucunement  com- 
prendre, ni  par  des  fignes  extérieurs,  ni  par  tous 
les  martyres  qu'on  pourroit  endurer  pour  l'amour 
de  Dieu  :  il  n'y  a  que  celui  qui  le  fent,  qui  en 
puilTe  comprendre  quelque  chofe.  Tout  ce  qui 
fe  peut  dire  de  Famour  ,  n'eft  rien  ;  parce  que 
plus  on  va  en  avant,  &  moins  on  en  fait:  mais 
Je  cœur  demeure  rempli  &  content  ^  il  ne  cherche 
autre  chofe  ,  &  ne  voudroit  trouver  autre  chofe 
que  ce 'qu'il  fent.  Là-mêmt.  Chap,  14, 

Ste.     Thérèse. 

17.  Je  penfeque  ceci  arrive  de  la  forte,  parce 
que  l'ame  éprife  fortement  de  l'amour  de  Jéfus- 
Chrift  fon  Epoux  ,  a  toutes  ces  carefï'es  ,  toutes 
ces  défaillances,  ces  morts,  ces  afflictions,  ces 
délices  &  ces  joies  avec  lui,  après  qu  elle  a  quitte 


XLIX.  Pur  Amour.  14-20.  249 

tons  les  coiUeiitcmens  du  monde  pour  fou 
iimour ,  &  cju\*llc  s>ft  entièrement  livrée  & 
iibandonnce  entre  fes  mains  j  &  ceci  non  pas: 
de  paroles  comme  il  arrive  à  quelques-uns  ,  mais 
avec  un  amour  très-véritable  &  confommé  par 
œuvres.  — 

Je  vous  prie  de  ne  vous  point  étonner  des  pa- 
roles careflantes  &  amoureufes  entre  DieutScTa- 
me  que  vous  remarquerez  dans  la  Ste.  Ecriture, 
L'amour  qu'il  nous  a  porté,  &  qu'il  nous  porte  , 
étant  telles  que  nous  fommes,  m'étonne  davan* 
tage.  Concept,  de  l'Am.  de  Dieu.  Ch.  r. 

I8»  Voyç^z  Abandon,  n.  17. 

Le  B.  Jean   de   la  Croix. 

19.  Dieu  peut  bien  verfer  l'amour  &  l'aug- 
menter, fans  communiquer  ni  augmenter  aucune 
intelligence  diftincte.  Cantique  entre  l'Epoufe  ^ 
t Epoux.   Couplet  Ig.  u.  2, 

zo.  L'ame,  ou  pour  mieux  dire,  l'Epoufe  a 
déjà  dit,  qu'elle  s'étoit  entièrement  livrée  à  fou 
Epoux  fans  réferver  quoi  que  ce  foit:  à  prcfent 
elle  déduit  le  moyen  qu'elle  tient  à  l'accomplir  j 
fon  corps,  fon  ame,  fes  puiflTances  &  toute  fou 
habileté  étant  employées  ,  non  plus  aux  chofes 
qui  la  concernent,  mais  en  celles  qui  font  du  fer- 
vice  de  fon  Epoux  ;  &  dit ,  que  pour  ce  fujet  elle 
ne  recherche  plus  fon  propre  intérêt,  ni  fes  goûts , 
&  ne  s'occupe  plus  en  autres  chofes  &  communia 
rations  qui  fovent  hors  de  Dieu  :  &  de  plus  qu'a- 
vec le  même  Uieu  elle  ne  tient  plus  d'autre  ftyle 
ni  faqon  de  traiter  que  l'exercice  d'amour,  parce 
qu'elle  a  changé  toute  fa  première  faqon  de  pro- 
céder en  amour.  — 

Toutes  les  puifTances  &  habiletés  de  mon  amc 
&  de  mon  corps,  qu'auparavant  j'employois  quel- 
que  peu  en  des  chofes  inutiles ,  je  les  ai  mifcs  ca 


2^0        Justification. 

exercice  d'amour,  c'eft-à-dire  que  toute  l'habileté 
de  mou  ame  &  de  mon  corps  fe  meut  par  amour , 
faifant  tout  ce  que  je  fais  par  amour.  Or  il  faut 
remarquer  ici  que  quand  Famé  arrive  à  cet  état  > 
tout  Tekercice  de  la  partie  fpirituelle  ,  qui  eft 
Tame,  &  celui  de  la  partie  fenfîtive,  qui  eft  le 
corps,  foit  à  agir ,  foit  à  pâtir ,  de  quelque  manière 
que  ce  foit ,  lui  caufe  toujours  un  plus  grand 
amour  &  délectation  en  l'Ami  ;  voire  même 
l'exercice  d'oraifon  &  de  communication  avec 
Dieu,  qui  auparavant  avoit accoutumé  d'être  en 
d'autres  confidérations  &  moyens,  eft  maintenant 
tout  exercice  d'amour  ;  de  manière  que  foit 
qu'elle  s'occupe  au  temporel ,  foit  qu'elle  s'oc- 
cupe au  fpirituel  &  dans  la  communication  avec 
Dieu  ,  cette  ame  peut  toujours  dire  j 

Aimer  ceji  ma  vocation  ,♦ 

Je  nai  plus  d! autre  pajjîon. 
Là-même,  Couplet  20. 

21.  Voyez  Per^e.  n.  29. 

22.  Voyez  Propriété,  n.  19. 

2J.  Comme  Dieu  n'aime  rien  hors  de  foi ,  fi  ce 
n'eft  pour  foi ,  auffi  il  n'y  a  chofe  aucune  qu'il 
aime  d'un  moindre  amour,  que  celui  dont  il  s'ai- 
me foi-même  ;  parce  qu'il  aime  tout  pour  foi ,  & 
l'amour  tient  lieu  de  fin  :  &  ainfi  il  n'aime  pas  les 
chofes  pour  ce  qu'elles  font  en  foi.  D'où  vient 
qu'à  Dieu  aimer  lame,  c'eft  la  mettre  en  certaine 
manière  en  foi-même,  l'égalant  àfoii  &  ainfi  il 
aime  l'ame  en  foi,  &  avec  foi,  avec  le  même  amour 
qu'il  s'aime ,  &  pour  ce  fujet  l'ame  en  chaque  œu- 
vre vertueufe  mérite  l'amour  de  Dieu  j  parce  que 
mife  en  cette  grâce  &  en  cette  éminence  elle  me* 
rite  le  même  Dieu  en  chaque  oeuvre.  Cant,  entre 
ÎFpoufe  ^  t Epoux,  Couplet.  24. 

24*  Voyez  MariagefpiritueL  n.  5» 


XLIX.  Pur  Amour.  lo-^yO.  a ^  i 

2Ç.  Voyez  Union,  n.  y 6. 

Le  P.  Nicolas  de  Jésus-Makia  rapporte.  ' 

26.  Tanière.  11  n'eft  pas  permis  à  celui  qui  aime 
véritablement  ,  de  cherch<*r  du  plaifir  ou  de  la 
délectation  dans  la  douceur  fpinïuclJe  intérieure, 
encore  que  cela  Temble  licite  aux  Icrviteurs  de 
Dieu  imparfaits  &  commcnçans;  mais  aux  par- 
faits nullement   :  car  il  n'eft  permis  en  aucune 
manière  au  pur  amour,  de  chercher  pour  Tamour 
de  foi-mème  de  la  confolation,  delà  douceur, 
du  goût  de  la  dévotion  fenlible,  &  un  fuccès  fa- 
vorable en  tous  les  exercices  de  dévotion  :  car 
cela  feroit  fe  confier  davantage  aux  dons  de  Dieu 
qu'à  Dieu  même.  ^   {Serm.  fur  le  25  Dim,  après  la 
Trinité.  )  Edaircijf.  des  Phr.  Myji.  de  J.  de  la  Croix.  P. 
//.  Ch.  I.  §.  5. 

27.  —  Voyez  Non-dejîr.  n.  22. 

28.  -6\  Thomas.  Voyez  Non-de^/îr.  n.  25. 

29.  Albert  le  Grand.  Notre  charité  fera  parfaite  , 
quand  tout  notre  amour,  tout  notre  défîr,  toute 
notre  étude ,  tout  notre  effort ,  enfin  toute  notre 
penfée  ,  tout  ce  que  nous  voyons,  parlons,  & 
efpérons  ,  fera  Dieu.  ^ 

Nous  auili  foyons-lui  unis  d'une  dllection  per- 
pétuelle &  inféparable  ,  c'eft  à  favoir  tellement 
unis  ,  que  tout  ce  que  nous  efpérons ,  ce  que 
nous  entendons  ,  ce  que  nous  parlons  &  prions 
foit  Dieu.  (De  t attachement  â  Dieu.  Ch.  13.)  Là- 
même.  Ch.    14.  §.  4. 

30.  S.  Augujiin.  Expliquant  ces  paroles  de  S. 
Matthieu.  (Chap.  22.  v.  37.)  Vous  aimerez  le 
Seigneur  votre  Dieu  de  tout  votre  cœur  ,  &  de  toute 
votîe  ame  ^  de  tout  votre  efprit. 

Aimer  Dieu  de  tout  votre  cœur,  c*eft  com- 
mander que  vous  donniez  tous  vos  fentimens  i  dç 


^fa         Justification. 

toute  votre  ame,  que  vous  donniez  toute  votre 
vie  i  de  tout  votre  efprit ,  que  vous  donniez  tout 
votre  entendement  &  vos  penfées  à  celui ,  duquel 
vous  avez  reçu  ce  que  vous  donnez.  Il  n'a  donc 
laifTé  aucune  partie  de  notre  vie,  qui  doive  de- 
meurer vide  ,  &  donner  lieu  afin  qu'elle  veuille 
jouir  de  quelque  autre  chofe  ,•  mais  que  tout  le 
refte  qui  fe  préfente  à  Tefprit  pour  être  aimé  , 
foit  ravi  &  emporté  là  où  fe  porte  toute  l'impé- 
tuofité  de  la  dilection  :  car  Thomme  n'eft  vérita- 
blement bon  que  lorfque  toute  fa  vie  tend  au 
bien  immuable.  {De  la  doâlrinc  Chret.  Livr.   i.  Clu 
22.)  Là-même,  Clu  r.  §.  5. 

S.     François   de   Sales. 

31.0  belle  ftatue  ,  {a)  dis-moi ,  pourquoi  es-tu 
là  dans  cette  niche  ?  parce  ,  répondroit-elle ,  que 
mon  maître  m'y  a  colloquée.  Mais  pourquoi  y 
demeures-tu  fans  rien  faire?  Parce  que  mon  maî- 
tre ne  m'y  a  pas  placée,  afin  que  j'y  fiffe  chofe 
quelconque  ,  mais  feulement  afin  que  j'y  fufïe 
immobile.  Mais  pauvre  ftatue  ,  de  quoi  te  fert-il 
d'être  là  de  la  forte  'i  Eh  Dieu  ,  répondroit-elle  , 
^  je  ne  fuis  pas  ici  pour  mon  intérêt  &  fervice , 
mais  pour  obéir  à  la  volonté  de  mon  Seigneur  & 
fculpteur ,  &  cela  me  fuffit.  Or  dis-moi  ftatue  , 
je  te  prie  ,  tu  ne  vois  point  ton  maître  ,  comment 
prens-tu  du  contentement  à  le  contenter  '<  Non 
certes  ,  je  ne  le  vois  pas  ,*  car  j'ai  des  yeux  non 
pas  pour  voir,  comme  j'ai  des  oreilles  non  pas 
pour  entendre  ,  &  des  pieds  non  pas  pour  mar- 
cher: mais  je  fuis  trop  contente  de  favoir  que 
mon  cher  maître  me  voit  ici,  &  prend  plaifîr  de 

fû)   Cette  coraparaîfon  eft   admirable  pour   exprimer 
Tamour  pur  &    fans  intérêt, 
*  Volonté  de  Dieu,  n,  34. 


XLIX.  Pur  Am  ottr.  jo- î2.  i^'i 

tciy  voir.  IVl;iis  ne  voudrois-tu  pas  bien  avoir 
du  monvcinciit  pour  t'approclicr  de  l'ouvrier  qui 
t'a  fait,  &  lui  lairc  (|uclcjuc  meilleur  fcrvice?  (ans 
doute  elle  le  nieroit,  &  protefteroit  qu'elle  ne 
voudroit  faire  autre  chofc,  finou  cjue  fon  maître 
le  voulût.  Kt  quoi  donc  î  ne  déflres-tu  rien  autre 
chofe  ,  finon  que  d'ctre  une  immobile  ftatue  là 
dedans  cette  creufe  niche?  Non  certes,  diroit 
enfin  cette  fage  ftatue,  non  je  ne  veux  rien  être 
fînon  un^  ftatue,  &  toujours  dedans  cette  niche, 
tant  que  mon  fculpteur  le  voudra  ,  me  contentant 
d'être  ici ,  &  ainfi  ,  puifque  c'eft  le  contentement 
de  celui  à  qui  je  fuis  ,  &  par  qui  je  fuis  ce  que  je 
fuis.  Bc  C Amour  de  Bien.  Livr,  6.  Lh.  II. 

32.  Jufqu'à  maintenant,  dit  S.  Paul  fa)  ,  nous 
avons  faim  &  foif ,  fommes  nuds  &  fommes  fouf- 
flettés  ,  &  fommes  vagabonds  :  nous  fommes  ren-* 
dus  comme  les  baleyures  de  ce  monde  &  comme 
la  raclure  ou  pelure  de  tous;  comme  s'il  difoit; 
nous  fommes  tellement  abjets  ,  que  fî  le  monde 
eft  un  palais,  nous  en  fommes  eftimés  comme 
\qs  baleyures  ;  fi  le  monde  eft  une  pomme ,  nous 
en  fommes  la  raclure.  Qui  les  avoit  réduits  à  cet 
état  finon  Tamour  ?  Ce  fut  Tamour  qui  jetta  S. 
Frani^ois  nud  devant  fon  Evêque ,  &  le  fit  mourir 
nud  fur  la  terre:  ce  fut  Tamour  qui  le  fit  men- 
diant toute  fa  vie.  Ce  fut  l'amour  qui  envoya  le 
grand  Franqois  Xavier  pauvre  ,  indigent ,  dé- 
chiré ça  &  là  parmi  les  Indiens  &  les  Japonnois. 

Ne  prenez  pas  garde  à  mon  teint,  dit  la  fainte 
Sulamite,  car  je  fuis  brune,  il  eft  vrai,  d'autant 
que  mon  Bien-aimé  qui  eft  mon  Soleil ,  a  dardé 
les  rayons  de  fon  amour  fur  moi,  rayons  qui  éclai* 
rent  par  leurs  lumières ,  mais  qui  par  leur  ardeur 

[a]  l  Cor.  4.  y.  ii,  ij. 


aç4        Justification. 

m'ont  rendue  hâlée  &  noirâtre,  &  me  touchant 
de  leur  fplcndeur  ,  ils  m'ont  6té  ma  couleur. 
Là-même.   Ch.   if. 

^j.  L'amour  fit  pafTer  les  tourmcns  intérieure 
de  ce  grand  amant  S.  François  jufqu'à  Texte- 
rieur ,  &  bleflfa  le  corps  du  même  dard  de  dou- 
leur ,  dont  il  avoit  blefTé  le  cœur.  Mais  de  faire 
les  ouvertures  en  la  chair  par  dehors,  Tamour 
qui  étoit  dedans  ne  le  pouvoit  bonnementfaire  j 
c'eft  pourquoi  l'ardent  Séraphin  venant  au  fe- 
cours  ,  darda  des  rayons  d'une  clarté  fi  péné- 
trante ,  qu'elle  fit  réellement  au-dehors  les  plaies 
du  Crucifix  en  la  chair.  ^  Pour  faire  paroître 
tout  à  fait  l'incomparable  abondance  de  Tamour 
de  S.  François  ,  le  Séraphin  le  vint  incifer  &  bief- 
fer,  afin  que  Ton  fût  que  ces  plaies  étoient  plaies 
de  l'amour  du  Ciel.  O  vrai  Dieu,  que  de  douleurs 
amoureufes  &  que  d'amours  douloureux  !  car  non 
feulement  alors  ,  mais  tout  le  refte  de  fa  vie,  ce 
pauvre  Saint  alla  toujours  traînant  &  languiflfant 
comme  bien  malade  d'amour. 

St.  Philippe  de  Neri  âgé  de  quatre-vingt-ans 
eut  une  telle  inflammation  de  cœur  pour  le  divin 
amour,  que  la  chaleur  fe  faifant  faire  place  aux 
côtes,  les  élargit  bien  fort ,  &  rompit  la  quatrième 
&  cinquième.  Là-même, 

J4.  Voyez  Indifférence,  n.  4. 

55.0  que  bienheureux  eft  le  cœur  qui  aime 
Dieu  fans  aucun  plaifir  ,  que  celui  qu'il  prend  de 
plaire  à  Dieu  !  Car  quel  plaifir  peut-on  jamais 
avoir  plus  pur  &  parfait,  que  celui  que  Ton  prend 
dans  le  plaifir  de  la  Divinité  ?  Néanmoins  ce 
plaifir  de  plaire  à  Dieu  ,  n'eft  pas  proprement  l'a- 
mour divin  ,  mais  feulement  un  fruit  de  cet 
amour,  qui  en  peut  être  féparéainfî  qu'un  citron 
de  fon  citronnier.  Car,  comme  j'ai  dit,  notre 


XLIX.  Pur  Amour.  3  5*40;  2  f  y 

TBiificîcn  fil)  chaiîtoit  toujours  faus  tirer  aucun 
plailir  de  fon  chant  ,  puifcjue  Ja  furdité  Ten  em- 
pêchoit  ;  &  fouveut  auffi  il  cliantoit  fans  avoir 
le  plaifir  de  plaire  à  fon  Prince.  — 

Tandis  ,  ô  Dieu  ,  que  je  vois  votre  douce  face  ^ 
qui  témoigne  d'agréer  le  chant  de  mon  amour, 
hélas,  que  jefuisconfolé!  car  y  a-t-il  aucun  plai- 
fir qui  égale  le  plaifir  de  bien  plaire  à  fon  Dieu  ? 
JMais  quand  vous  retirez  vos  yeux  de  moi ,  & 
que  je  n'apperqois  plus  la  complaifance  que  vous 
preniez  en  mon  cantique  j  vrai  Dieu  ,  que  mon 
ame  eft  en  grande  peine:  mais  fans  ceffer  pour- 
tant de  vous  aimer  fidèlement,  &  fans  cefler  de 
chanter  continuellement  l'hymne  de  fa  dilection , 
non  pour  aucun  plaifir  qu'elle  y  trouve,  car  elle 
n'en  a  point,  mais  chante  pour  le  pur  amour  de 
votre  volonté.  De  t Amour  de  Dieu,  Livr,  9.  Ch,  lU 

36.  Voyez  Purification,  n.  ég. 

^y.Voytz  Prière  vocale,  n.  14, 

Le  Fr.  Jean  de  S.  Sam  s  on. 

38.  C'eft  en  cela  que  la  volonté ,  qui  eft  tout 
le  tréfor  de  l'homme ,  facrifie  amoureufement 
tout  fon  empire  à  fon  infinie  Majefté  par-defTus 
tout  fentiment  ;  &  cet  amour  renoncé  faifant 
toujours  fon  poffible  ,  eft  fouvent  plus  agréable 
à  Dieu ,  qu'un  amour  entièrement  liquéfié  &  hau- 
tement élevé.  Efprit  du  Carm,  Ch,  9.  §,  16. 

39.  L'amour  où  il  y  a  de  la  raifon  pour  aimer  ^ 
n'eft  point  amour;  d'autant  que  l'amour  eftfufii- 
faut  de  foi-même  ,  pour  tirer  &  ravir  tout  le  fujet 
qu'il  anime  &  agite  en  unité  d'efprit  ,  fans 
l'aide  &  le  concours  des  raifons  &  réflexions. 
Là-même,  Ch,  16. 

40.  Quelques  Myftiques  très-faints  &  très- 
la}  Voyez  Indifférence,  n  j . 


2^6  JUSTIÏICATIOir. 

pleins  de  cet  amour  infini  ,  dont  nous  avons 
parlé  en  tout  ce  Traité,  en  ont  dit  des  merveil- 
les; —  de  forte  qu'ils  femblent  devoir  embrafcr 
&  faire  fondre  tous  les  efprits,  qui  les  lifent , 
dans  le  feu  immenfe  de  cet  amour  infini. Ils  difent ,' 
&  il  cft  vrai,  qu'une  feule  goutte  (a)  de  cet  amour 
répandue  en  Enfer,  Fanéantiroit&le  changeroit 
enunParadis.  Cab,  Myflique  P.  I.  C/i,  lO.  §.  21. 

41.  De  forte  que  comme  cet  amour  n'eft  point 
un  demi  amour ,  &  qu'il  eft  tout  &  totalement 
en  foi ,  c'cft  une  grande  merveille  qu'entre  tant 
de  perfonnes  ,  qui  font  follicitées  d'aimer  un  tel 
amateur  &  un  tel  Amour ,  il  s'en  trouve  (î  peu  , 
qui  foyent  tout  &  totalement  perdus  en  tout  le 
même  amour,  afin  de  demeurer  tellement  unis; 
à  fon  fond  &  à  fon  efprit  infini,  qu'ils  ne  foyent 
qu'une  même  chofe  avec  lui  &  en  lui.  Car,  ô 
mon  Amour ,  quiconque  a  une  bonté  &  une  en- 
tière volonté  d'être  amoureux  de  vous,  l'amour 
même  le  fécondera  de  votre  part ,  &  le  fera  fî 
parfaitement  &  fi  conftamment ,  qu'il  demeu- 
rera inébranlable  dans  les  actes  de  fon  bon  pro- 
pos. ^ 

Ce  qui  m'étonne  beaucoup,  ô  mon  Amour  & 
ma  vie  ,  c'eft  de  voir  que  les  pauvres  hommes 
ayent  befoin  de  tant  de  raifonnemens  &  de  per- 
fuafions  pour  aimer.  ^  Ils  ne  vous  aiment  pas  , 
parce  qu'ils  ne  vous  connoiflent  pas  ;  &  ils  ne 
vous  aiment  ni  ne  vous  connoiffent ,  parce  qu'ils 
ne  s'arrêtent  pas  à  chercher  le  vrai  bien  que  vous 
êtes,  particulièrement  aux  âmes  touchées  &  raviet 
de  votre  amour.  Contemplation  g. 

42.  O  mon  Amour  &  ma  vie  ,  que  l'infinie 
fécondité  de  votre  amour  eft  induftrieufe ,  qui  a 

[a]  Voyez  Communication.  §.  II,  n.  j.  S.  Cat.  de  Gènes, 
Vie  Ch.  36. 

fa 


XLIX.  Pur  Amour,  40-4  j.         257^ 

fù  inventer  des  moyens  fi  pro[)rcs  pour  ravir  à 
foi  tout  clpiit  (]iii  s'en  trouvcroit  capable'  ilc, 
quelles  extrémités  peut-on  conce\  ou  plus  dillan- 
tcs  que  Dieu  tk  Tliomme?  néanmoins  les  voilà 
iHiis  enfemble  par  la  force  de  votre  divin  amour» 
C'eft  lui  (jui  a  fait  ce  ravidant  exploit  pour  foi- 
niéme  ik  pour  fa  créature,  jie  ceffanc  d'agir  ea 
elle,  afin  de  la  chaiij}^er  en  vous,  ik  que  ne  vi- 
vant plus  en  elle-même,  vous  y  viviez  feul,  ô 
mon  Amour  &  ma  chère  vie.  — 

Cependant ,  quoique  notre  banquet  foit  fi  déli- 
cieux dès  cette  vie,  il  eft  néanmoins fouvent  mé- 
langé d'amertumes  &  d'afflictions ,  &  votre  amour 
Je  requiert  ainfi  de  fa  part  &  de  la  nôtre.  -  - 

L'ame,  ô  mon  Amour,  qui  vous  eft  fidèle, 
ne  vit  que  pour  aimer  ,  &  n'aime  que  pour  glori- 
fier infiniment  &  éternellement  l'amour.  Son  hu- 
milité eft  héroïque ,  fans  néanmoins  favoir  qu'elle 
eft  humble.  Elle  ne  fait  qu'aimer  ardemment  & 
fans  relâche ,  d'une  manière  très-nue  &  tres-eifen- 
tiellc.  L'amour  ne  penfe  qu'à  ce  qu'il  aime,  & 
ne  parle  que  de  ce  qu'il  aime. — 

Aimez  donc,  ô  hommes,  celui  qui  vous  a 
éternellement  aimés.  —  L'amour  d'un  Dieu  de- 
mande un  amour  réciproque  :  &  les  œuvres  ex- 
térieures ne  donnent  quafi  point  de  gloire  & 
de  plaifir  à  Dieu,  fi  elles  ne  font  animées  d'un 
amour  pur  &  libre  de  tout  empêchement.  Von- 
templat,    17. 

43.  Je  dis  encore,  ô  mon  Amour  &  ma  vie, 
que  ces  vérités,  que  vous  me  faites  connoître , 
fuppofant  un  amour  nud  Sr  effentiel ,  quiconque 
n'eft  que  dans  l'adion  amoureufe,  celui-là  igno- 
re le  vrai  amour  paftif.  Il  fe  trouve  à  la  vérité 
comme  tout  ravi  en  vous  par  fon  action  amou- 
reufe ;  mais  quand  il  eft  queftion  de  pâtir  en  efprit 
Tom.  II.  Jujlif.  R 


258       Justification. 

iiuement,  fimplement,  en  amour  nud  &  eflen- 
tiel,  cela  l'abat  &  le  jette  hors  de  vous;  parce 
qu'alors  il  n'a  ni  cœur  ni  force  pour  produire  fes 
aiïeclions ,  ni  auffi  pour  mourir  &  pour  fouftrir 
cette  épreuve  fi  contraire  à  fon  goût.  — 

Les  vertus  à  la  vérité  font  le  corps  de  cet  exer- 
cice ;  mais  fon  ame  eft l'amour  nud,  toujours  re- 
noncé &  toujours  mourant,  lors  même  qu'il  y  a 
plus  de  facilité  à  fon  union;  &  fon  efprit  très- 
fimple  &  très-nud  féparé  du  fenfible  en  fa  très- 
fimple  force.  Deforte  que  celui  qui  eft  élevé  à 
cet  état  d'amour,  contemple  toujours  votre  Di- 
vinité en  amour  [a)  par-defTus  l'amour,  en  pure- 
té d'efprit  au-delà  de  toute  cfpece  fenfible. 

Tant  plus  l'amour  efl  effentiel ,  tant  plus  il  eft 
efprit;  plus  il  eft  efprit,  plus  il  eft  abftrait;  & 
plus  il  eft  véritablement  abftrait,  plus  auffi  fc 
plaît-il  dans  la  fouifrance  &  la  défire  davantage. 
Il  JaifTe  le  goût  fenfible  aux  enfans,  &  retient 
pour  foi  la  vraie  force,  l'efprit  &  fes  œuvres  éter- 
îielles  ,  à  la  vive  imitation  de  fon  cher  Epoux  que 
vous  êtes.  Une  telle  ame  a  plus  de  bonheur  en  la 
fouffrance  amoureufe  qu'on  ne  fauroit  penfer ,  Se 
tant  plus  le^  fouffrances  fe  préfentent  à  elle,  plus 
auffi  fa  félicité  eft  grande.  Je  fuis  affuré  que  ceux 
qui  font  de  moindre  vol  que  ceci ,  quoiqu'aflez 
faints  &  fpirituelSj  ne  favcnt  ce  que  je  dis.  CoK" 
templat.  22,, 

(oy  Ç'eft.à-Jîre  ^  au^dsiTas  de  tout  amour  apperqû. 


L.   Tiirification.  ^59 


L.  FurificéUion  ,  Epreuves   ou   Purgatoire. 
Nuit  du  fens  ou  de  l'cfprit. 

MOYEN     COURT. 

Jl  our  {a)  unir  deux  chofes  auiïi  oppofées 
que  le  font  la  pureté  de  Dieu  ,  &  i'impu- 
rcté  de  la  créature  ;  la  (implicite  de  Dieu, 
&  la  multiplicité  de  l'homme  ;  il  faut  que 
Dieu  opère  lingulierement.  Car  cela  ne  fe 
peut  jamais  faire  par  feffort  de  la  créature  > 
puifque  deux  chofes  ne  peuvent  être  unies , 
qu'elles  n'ayent  du  rapport  &  de  la  ref- 
femblance  entr'elles  :  ainfi  qu'un  métal 
impur  ne  s'alliera  jamais  avec  un  or  très- 
pur  &  affiné.  Qu  24.  n.  .-. 

Que  fait  donc  Dieu  ?  11  envoyé  de- 
vant lui  fa  propre  SagelTe  ,  comme  le 
feu  fera  envoyé  fur  la  terre  ,  pour  con fu- 
mer par  fon  aétivité  tout  ce  qu'il  y  a  d'im- 
pur. Le  feu  confume  toutes  chofes  ,  &  rien 
ne  réfifle  à  fon  aélivité.  11  en  ed  de  mê- 
me de  la  Sageife;  elle  confume  toute  im-. 
pureté  dans  la  créature,  pour  la  difpofer  à 
l'union  divine. 


M  Je  fuis  obligée  de  reprendre  tout  ce  Chapitre  à 
caufe  de  fa  confequence. 

R    3 


aCo  J  U  s   T   I  F   I   €   A   T   î    O   Wr 

Cette  impureté  fi  oppofée  à  Punion  eft 
{a)  la  propriété  &  Tadivité.  La  propriété  ; 
parce  qu'elle  eft  la  fource  de  la  réelle  im-« 
pureté  5  qui  ne  peut  jamais  être  alliée  à 
la  pureté  efTentielle  ;  de  même  que  les 
rayons  peuvent  bien  toucher  la  boue ,  mais 
non  pas  fe  Tunir.  L'activité  ;  parce  que 
Dieu  étant  dans  un  repos  infini  ,  il  faut , 
afin  que  Famé  puifl[e  être  unie  à  lui  , 
qu'elle  participe  à  fon  repos  ;  fans  quoi 
il  ne  peut  y  avoir  d'union  ,  à  caufe  de  la 
diflemblance  ;  puifque  pour  unir  deux  cho- 
fes ,  il  faut  qu'elles  foient  dans  un  repos 
proportionné. 

C'eft  pour  cette  raifon  que  Tame  n'ar- 
rive à  l'union  divine  que  par  le  repos  de 
fa  volonté  :  &  elle  ne  peut  être  unie  à 
Dieu  ,  qu'elle  ne  foit  dans  un  repos  cen- 
tral &  dans  la  pureté  (b)  de  fa  création. 
CL  24.  /7.  3. 

Pour  purifier  l'ame  ,  Dieu  fe  fert  de  la 
SageflTe ,  comme  on  fe  fert  du  feu  pour  pu- 
rifier l'or.  Il  eft  certain  que  l'or  ne  peut 
être  purifié  que  par  le  feu  ,  qui  confume 
peu-à-peu  tout  ce  qu'il  y  a  de  terrcftre  & 
d'étranger ,  &  le  fépare  de  l'or.  Il  ne  fuf- 
fit  pas  à  l'or  pour  être  mis  en   œuvre  , 

M  On  a  vu  Tune  &  Tautrc  dans  les  A^es  &  la 
Propriétc. 

[6]  Ceci  a  été  aufli  vu  dans  les  articl.  ASes^  Cen^ 
tre  de  rame ,  Création    &c. 


L.   Pari  fie  atioii.  tfit 

que  la  terre  foit  changée  en  or  :  il  faut  de 
plus  que  le  feu  le  fonde  &  le  difTolve  ,  pour 
tirer  de  fa  fublbncc  tout  ce  qui  lui  relie 
d'étranger  &  de  terreltre  ;  &  cet  or  efl  mis 
tant  &  tant  de  fois  au  feu  ,  qu'il  perd  toute 
impureté  &  toute  difpofition  à  pouvoir  être 
purifié. 

L  orfèvre  ne  pouvant  plus  y  trouver  de 
mélange  ,  à  caufe  qu'il  eft  venu  à  fa  par- 
faite pureté  &  fimplicité ,  le  feu  ne  peut 
plus  agir  fur  cet  or  (a);  &  il  y  feroit 


{_a]  Cela  veut  dire  pour  le  purifier  de  fes  ancien- 
nes taches ,  comme  on  a  yù  ,  que  la  même  juftice 
qui  purifie  l'ame  ,  la  béatifie.  [Voyez  dans  l'article  Pro^ 
priètc  ci-delTus  pag^  207.  la  note  b.  &  dans  le  même 
article,  pag,  22  ^  la  note  c.  ]  Car  il  faut  raifonner 
de  la  purification  de  cette  vie  comme  du  Purgatoire. 
La  difterence  eft  ,  que  lorfque  Tame  de  purgatoire  eft 
parfaitement  purifiée  ,  comme  elle  entre  dans  le  ciel  , 
elle  ne  peut  plus  contrader  de  nouvelles  impuretés  , 
ni  fe  falir  extérieurement  par  le  commerce  des  créa- 
tures ;  il  n'en  ell  pas  de  même  de  l'ame  ici ,  qui  corn- 
met  encore  de  nouvelles  imperfeétions  ,  lefquelles 
quoiqu'extérieures  ,  &  fans  nulle  correfpondance  du 
fond  ,  ne  lailTent  pas  de  la  falir  extérieurement.  C*eft 
une  petite  cralfe  fuperficielle ,  caufée  par  quelque  viva- 
cité intérieure  ,  ou  même  par  des  défauts  purement 
naturels  ,  qui  n'ayant  pas  été  corrigés  dans  le  tems 
que  la  lumière  étoit  donnée  pour  cela  ,  comme  ils  ne 
font  ni  volontaires ,  ni  confidérables  ,  Dieu  ne  laiffe 
pias  d'avancer  l'ame ,  &  Tame  n'ayant  pas  employé  U 
lumière ,  qui  lui  étoit  donnée  pour  fe  corriger  dans  le 
tems  qu'elle  pouvoit  en  faire  ulage  ,  Dieu  la  lui  ôte  , 
parce  qu'elle  la  retarderoit  dans  la  fuite  ,  ^  ainfi  elle 
conferve  donc  ces  défauts  naturels  avec  une  fort  gran- 
de grâce.  Et  ces  défauts  caufent  toujours  quelques 
petits  nuages  extérieurs  :  comme  Ton  voit  un  or  très- 

R  3 


^202         Justification, 

un  fiecîe  qu'il  n'en  feroit  pas  plus  pur  , 
&  qu'il  ne  diminueroit  pas.  Alors  il  eft 
propre   à  faire  les  plus  excellens  ouvra- 

Et  fi  cet  or  eft  impur  dans  la  fuite  ,  je 
dis  que  ce  font  des  faletés  contraélées  nou- 


fin  Se  très,  pur,  qni  ne  peut  fe  purifier  davantage  en 
fa  fubftance  dans  le  fea  ,  parce  qu  il  a  acquis  le  de- 
gré de  vingt- trois  carats,  qu'on  dit  être  fon  degré  de 
pureté,  qui  ne  laide  pas  de  fe  (alir  au-défaors,  & 
avoir  befûin  d'étie  mis  au  feu  pour  reprendre  fon  pre- 
mier fclat.  Alais  vous  remarquerez ,  s'il  vous  plaît , 
qu'on  re  fait  que  l'y  jetter  un  inftant,  &  qu'on  l'en  re- 
tire fi  brillant  qu'il  éblouit  :  il  n'a  plus  befoin  de  ces 
feux  longs  &  atdens  qu'il  falloit  pour  purifier  fa  fubf- 
tance. Il  en  eft  de  même  de  cette  ame  :  elle  contracte 
deb  impuretés ,  qui  font  fi  fort  fuperficielles  ,  qu'un 
feul  inftant  les  purifie,  fans  même,{buvent  ,  que  l'ame 
s'apperc^ojve  de  fa  purification.  Je  ne  doute  point  que 
fi  l'ame  vcnoit  à  fe  relâcher  ,  peut-être  ces  défauts 
s'enfonqant  en  elle  ,  &  gagnant  les  puifTances  ,  lui  cau- 
feroient  beaucoup  de  dommage  :  c'eft  pourquoi  il  n'y 
a  aucun  tems  où  l'ame  doive  fortir  de  cette  douce 
dépendance  de  Dieu  fon  amour  ,  où  demeurant  incef- 
famment  expofée  à  fes  yeux  divins ,  il  la  tient  toujours 
pure  ,  h  purifiant  de  nouveau  ,  s'il  eft  néceffaire.  Il  y 
a  une  figure  de  ce  que  j'ai  avancé  dans  la  Ste.  Ecri- 
ture ,  au  Livre  des  Juges  ,  (  Voyez  YExplic,  fur  Juges  ^ 
Chap.  I.  V.  17.  27.  &c.  /  où  le  peuple  dlfraël  n'ayant 
pas  décruit  dans  le  tems  qu'il  avoit  les  armes  à  la  main, 
tous  les*ennemîs  du  Seigneur,  &  les  ayant  laiffé  vivre 
avec  eux  ,  quoique  d'une  manière  alTujettîe  ,  dans  la 
fuite,  ces  mêmes  ennemis  leur  furent  toujours  de  nou- 
velles pierres  d'achoppement  ^  &  de  nouveaux  fujets  de 
chûtes  :  il  y  eut  quelques-uns  .de  ces  peuples  qui  fu- 
rent entièrement  extermines.  Heureux  ceux  qui  ne  font 
point  épargnés  dans  le  tems  de  la  mort  &  de  la  purifi- 
cation ,  câr  ils  repofent  en  affurance  ! 


L.  Purificatioff.  tfj; 

vcllcmcnt  par  le  commerce  des  corps  étrnn- 
gcrs.  Mais  il  y  a  cette  dilfcrence  ,  que 
cette  impureté  [j]  nciï  que  (uperHcielIe , 
&  n'empcche  pas  de  le  mettre  en  œu- 
vre :  au  lieu  que  l'autre  impureté  étoit 
cachée  dans  le  fond  ,  &  comme  identi- 
fiée avec  fa  nature.  Cependant  les  perfon- 
nes  qui  ne  s'y  connoilîbnt  pas  ,  voyant  un 
or  épuré  couvert  de  cralTe  au -dehors  ,  en 
feront  moins  de  cas  que  d'un  or  groffier 
très-impur  ,  dont  le  dehors  fera  poli.  Là^ 
même.  n.  4. 

De  plus  j  vous  remarquerez  ,  que  l'or 
d'un  degré  de  pureté  inférieure  ,  ne  peut 
s'allier  avec  celui  d'un  degré  de  pureté 
fupérieure.  11  faut  que  l'un  contraéle  de 
l'impureté  de  l'autre  ;  ou  que  celui-ci  par- 
ticipe a  la  pureté  de  celui-lii.  Mettre  un 
or  épuré  avec  un  grofîier  ,  c'eft  ce  que 
l'orfèvre  ne  fera  jamais.  Que  fera-t-il  donc? 
Il  fera  perdre  par  le  feu  tout  le  mélange 
terre(tre  à  cet  or  ,  afin  de  le  pouvoir  al- 
lier à  la  pureté  du  premier.  Et  c'eft  ce  qui 
eft  dit  en  St.  Paul  :  (h)  que  nos  œuvres  Je- 


(à)  Ces  perfonnes  agifTent  fi  fimplement  &  fi  libre- 
ment,  que  quoique  leur  extérieur  n'aie  rien  d'indigne 
de  la  Majefté  de  celui  qui  habite  en  eux,  néanmoins  ils 
font  bien  éloignés  de  cette  compoficion  extérieure,  qui 
vient  d'une  continuelle  attention  fur  foi-même. 

Ci)  I.  Cor.  î.  V.  ij.  15. 

R4 


264  Justification. 

ront  éprouvées  comme  par  le  feu  ,  ajin  que 
ce  qui  efl  comhujlihle  foit  brûlé.  Il  eit  ajou- 
té 5  que  la  perfonne  dont  les  œuvres  fe  trou- 
veroiit  propres  à  être  brûlées  ,  fera  fanvée  ; 
mais  comme  par  le  feu.  Cela  veut  dire  , 
qu'il  y  a  des  œuvres  reçues  ,  &  qui  font  de 
niife  ;  mais  afin  que  celui  qui  les  a  faites 
foit  aufli  pur  ,  il  faut  qu'elles  partent  par 
le  feu  ,  afin  que  la  propriété  en  foit  ôtée  ; 
&  c'eft  en  ce  niême  fens  que  Dieu  exa- 
minera &  {a)  jugera  nos  jujlices  :  parce  que 
{b)  V homme  ne  fera  jamais  fanclijié  par  les 
œuvres  de  la  loi  ;  mais  par  la  jujîice  de  la 
foi  qui  vient  de  Dieu. 

Cela  pofé  5  je  dis ,  qu'afin  que  l'homme 
foit  uni  à  fon  Dieu  ,  il  faut  que  la  SagefTe 
accompagnée  de  la  divine  Juftice  ,  comme 
un  feu  impitoyable  &  dévorant ,  ôte  à  Tame 
tout  ce  qu'elle  a  de  propriété  ,  de  terreftre  , 
de  charnel  ,  &  de  propre  ad:ivité  :  & 
qu'ayant  ôté  à  l'ame  tout  cela  ,  il  fe  l'u- 
nifiTe. 

Ce  qui  ne  fe  fait  jamais  par  Tinduftrie  de 
la  créature  ;  au  contraire  elle  le  foufFre 
même  à  regret  :  parce  que  comme  j'ai 
dit  5  l'homme  aime  fii  fort  fa  propriété  , 
&  il  craint  tant  fa  deftruélrion ,  que  fi  Dieu 
ne  le  faifoit  lui-même  &  d'autorité  ,  l'hom- 

(c?)  Pf.  24.  V.  ?. 

(é)  Rom.  3.  V.  20 y  z2. 


L.  Purification.  26^ 

me  n'y  confcntiroit  jamais.  CJiaintre  24.  n. 

5  .  6- 

On  me  répondra  a  cela  ,  que  Dieu  n'otc 
jamais  à  l'homme  fa  liberté  ,  &  qu'ainli  il 
peut  toujours  réfidcr  h  Dieu  :  d'où  il  s'en-- 
luit  que  je  ne  dois  pas  dire  ,  que  Dieu  agit 
ablblument  &  fans  le  confentement  de 
l'homme. 

Je  m'explique  ,  &  je  dis  ,  qu'il  fuffit 
alors  ,  qu'il  donne  un  confentement  paf- 
(if  ,  afin  qu'il  ait  une  entière  &  pleine 
liberté  ;  parce  que  s'étant  donné  à  Dieu 
dès  le  commencement  de  fa  voie  ,  afin 
qu'il  fit  de  lui  &  en  lui  tout  ce  qu'il  vou- 
droit  ,  il  donna  dès  lors  un  confentement 
aélif  &  général  pour  tout  ce  que  Dieu 
feroit.  Mais  lorfque  Dieu  détruit  ,    brûle 

6  {a)  purifie  ,  l'ame  ne  voit  pas  que  cela 
lui  foit   avantageux  :  elle   croit  plutôt  le 


{à)  Pour  comprendre  ceci,  il  eft  bon  de  faire  atten- 
tion ,  que  lorfque  Tondion  de  la  grâce  tÇt  fort  goûtée 
&  apperque  de  Tamc  ,  fes  défauts  paroifTent  comme 
efTuiés  ;  mais  lorfque  Dieu  purifie  ,  qu'il  enfonce  les  ver- 
tus dans"  Tame  ,  les  mêmes  vertus  femblent  éteintes  au« 
dehors  &  l'on  voit  les  défauts  naturels. 

Il  me  femble  que  rimprefTion  de  l'hiver  fur  les  plan- 
tes  eft  une  belle  Se  véritable  figure  de  cela.  Lorfque 
l'hiver  s'approche,  les  arbres  perdent  peu- à -peu  les 
feuilles  ;  &  cet  habit  d'un  verd  éclatant  change  peu-à- 
peu  fa  couleur ,  jaunit  ,  &:  enfin  meurt  &  tombe ,  en- 
forte  que  les  arbres  paroiiTent  tout  dépouillés.  La  perte 
même  de  leurs  feuilles  laifTe  à  découveic  tous  les  défauts 


266        Justification. 

contraire  :  &  de  même  que  le  feu  au  com- 
mencement  femble   falir  l'or  ,  auffi  cette 


de  leurs  écorces  ,  qu'on  ne  remarquoit  pas  auparavant  : 
ce  ne  font  point  des  défauts   nouveaux   que  ces  arbres 
contractent ,    ce    font   les   mêmes  ;  mais   cette  robe   de 
verdure   les   déroboit   aux    yeux  des    hommes.   Us  font 
donc  ûépouillés  de  leurs    feuilles  ,  comme  l'homme  le 
parole   des  vertus  dans  le  tems  de  fa  puiification.  Mais 
de  même    que  l'arbre    en  confervant  fa  fève  ,  confcrve 
le  principe  de   fes   feuilles  ;  auflTi  famé  n'eft  point  dé- 
pouillée de  TeiTence  de  la  vertu  ,  ni  de  ce  qu'elle  a  de 
réel  ,  mais  bien  d'un  certain  facile  nfage  &  de  fon  éclat; 
enforte  qlie  l'homme  ainfi  nud  &   dépouillé  ,  paroît  aux 
yeux   des  autres  hommes  ,  &  à  fes  propres  yeux  ,  avec 
tous  les   défauts  naturels  ,  couverts  auparavant  des  ha- 
bits d'une  grâce  fenfible.  Tout  le  tems  de  l'hiver  ,  tous 
les  arbres  paroilfent  morts ,   &   ne  le  font  nullement  ; 
au  contraire   l'hiver    eft  ce    qui    les  conferve.    Car   que 
fait  l'hiver  ?  il  les  relTerre  ,  afin   que   la  fève  ne  s'épan- 
de  pas    au -dehors,    &    qu'ils    emploient   leur  force  à 
pouffer  de  nouvelles  racines  ,   à  étendre  &  nourrir  cel- 
les   qui    font    déjà   poulfées  ,    Se  enfin   à  les   enfoncer 
toujours  plus    avant  dans  la   terre.   On    peut  dire  qu'a- 
lors   plus    l'arbre    paroît  mort   dans  fes   accidens  ^  qui 
font  fes  feuilles     (  je  ne  fais  fi   ce  terme  fera   propre  , 
mais  j'efpere    de    la  charité  de  ceux    qui    veulent  bien 
m'examiner ,  qu'ils  fuppiéeront  au  défaut  de  mes  expref- 
fions  :  )    cet  arbre,   dis  .je,  qui   paroit    mort  dans  fes 
accidens  ,  ne  fut  jamais  plus  vivant  dans  fon  principe  ; 
&  c'eft  durant  l'hiver    que  la  fource  &    le   principe    de 
fa  vie  s'établit  :  au  lieu  que   dans  les  autres  fuifons  il 
emploie  toute  fa  fève  à  s'orner  Se  embellir  ,  Se  fes  raci- 
nes ne  font  pendant  tout  ce  tems  que  s'affoiblir.  11  en 
eft  tout    de    même    de  l'économie   de  la  grâce   fur  les 
âmes.   Dieu  ôte  ce  qui  eft  d'accidentel   dans  la  vertu, 
afin  d'en  nourrir   le   principe  par  l'effence  de   ces   ver- 
tus ,    qui  fe   pratiquent    alors  ,    quoique   d'une    manière 
cachée  ,    comme  l'humilité  ,   le    pur  amour  ,  l'abandon 
entier,  le  mépris   de  foi- même,  &  le  refte.  C'eft  donc 
en  cette  forte  que  l'opération  de  Dieu  femble  falir  les 


L.   Purifiait iou.  267 

opération  fcmblc  dépouiller  l'amc  de  fa 
pureté.  De  lorte  que  s'il  lalloit  alors  un 
conlentement  adif  &  explicite  ,  Tamc  au- 


dchors,  non  qu'elle  les  falIlFe  véritablement,  mais  elle 
ôce  ce  qui  coiivroit  la  falerc,  atin  delà  mieux  guérir  ca 
l'tfxpofant  aux  yeux  de  tous. 

11  me  vient  encore  une  autre  comparaifon  :  je  ne  fais 
fi  je  ne  m'en  fuis  point  fervie  en  quelque  endroit. 
C'cft  celle  du  bois,  (  voyez  ci-deffous ^  n.  4<;.  >  lors 
qu'on  le  met  au  feu.  Il  faut  qu'avant  que  le  feu  le  chan- 
ge en  foi  ,  il  en  chafle  tout  ce  qui  lui  elt  contraire. 
Remarquez  ,  s'il  vous  plait  ,  que  ce  ne  font  point  difFé- 
rens  feux  qui  puriHent  &  transforment  :  le  feu  ne 
change  point  Ton  opération,  foit  qu'il  purifie  le  bois  » 
foit  qu'il  le  transforme  en  foi.  L'opération  du  feu  eft 
toujours  la  même  ,  qui  ell  échauffer,  brûler,  éclairer; 
&  il  nous  lui  voyons  faire  tant  de  différentes  opéra- 
tions ,  ce  n'eft  que  par  rapport  au  fujet  qui  lui  eff  pré- 
fente  :  car  pour  lui ,  il  eft  toujours  le  même ,  toujours 
un  en  lui  ,  quoiqu'avec  une  infinie  variété  d'opéra- 
tions ,  qui  ne  font  rien  à  fa  conltitution  ,  laquelle  ne 
peut  jamais  être  altérée ,  ni  changée  :  ce  qui  paroit 
changement  dans  le  feu  ,  n'eft  qu'un  accident  qui  ne 
vient  point  de  la  caufe  ,  mais  des  fujets  qui  lui  font 
préfentés.  Car  le  feu  agit  dans  tous  les  fujets  ,  &  par 
rapport  à  ce  qu'ils  font  en  eux-mêmes  ,  &  par  rapport 
à  ce  qu'il  eft  en  foi  :  par  rapport  à  ce  qu'ils  font,  il 
agit  pour  leur  ôcer  les  diffemblances  &  contrariétés  ; 
&  par  rapport  à  ce  qu'il  eft  ,  il  leur  communique  ,  à 
mefure  qu'il  les  purifie  de  leurs  contrariécés ,  félon  ce 
qu'ils  font ,  fa  chaleur  &  fa  lumière.  Il  en  eft  de  même 
deg  opérations  de  Dieu.  Il  eft  toujours  lui-même ,  tou- 
jours égal  à  foi  en  toutes  chofes.  11  n'a  qu'une  fcuîe  & 
unique  opération  fur  tous  les  fujets  ,  qui  eft  de  fe  les 
conformer  ;  &  s'il  agit  fi  différemment  ,  en  chacun  de 
nous,  cela  vient  de  nous-mêmes. 

La  fin  des  opérations  de  Dieu  eft  donc  de  fe  confor. 
mer  tous   les   fujets  propres  à  cela ,  Se  de  les  changer 


268  Justification. 

roit  peine  à  le  donner  ,  &  bien  fouvent 
elle  ne  le  donneroit  pas.  Tout  ce  qu'elle 
fait ,  efl:  de  fe  tenir  dans  un  confentement 

en  foî.  II  faut  donc  qu'il  commence  par  leur  ôter  & 
pouffer  au-déhors  ,  tout  ce  qu'ils  ont  de  contraire  à  la 
fin  pour  laquelle  il  les  deftine  ,  qui  eft ,  de  les  chan- 
ger en  foi  ;  comme  l'on  voit  que  le  feu  commence  par 
pouffer  au»déhors  du  bois  la  première  contrariété  ,  qui 
eft  fon  humidité  :  enfuite  il  ôte  peuà-peu  toutes  les 
autres  qui  font  les  qualités  du  bois  ,  fa  couleur  ,  fa 
pefanteur.  Et  lorfque  cela  s'opère  par  l'activité  du  feu , 
comme  la  purification  fe  fait  en  l'amc  par  l'adlivité  de 
la  Sageffe  ,  cette  opération  pouffant  au-déhors  toutes 
les  contrariétés  dont  elle  purifie  le  dedans  ,  le  dehors 
parole  plus  défectueux  qu'il  n'étoit  auparavant.  11  faut 
néanmoins  remarquer  que  comme  le  bois  renfermoit 
en  foi  ces  contrariétés  ,  &  que  ce  ne  font  point  de 
rouvellcs  faletés  ,  quoique  cela  parût  tel  à  ceux  qui , 
Ignorant  les  propriétés  du  feu  ,  ne  verroient  que  cette 
feule  opération  au  bois  :  auffi  les  défauts  &  miferes 
dont  l'ame  fe  trouve  alors  remplie  ,  &  qui  lui  font  tant 
de  peines ,  ne  font  point  de  nouvelles  impuretés  qu'elle 
contracte,  mais  les  mêmes  qu'elle  avoit,  mais  qu'elle 
n'appercevoit  pas  :  parce  que  n'étant  pas  fi  proche  de 
Dieu  ,  ni  fi  expofée  à  fes  yeux  purifians ,  cela  ne  pa- 
roiffoit  pas  :  comme  on  ne  difl:ingue  les  contrariétés 
qui  font  dans  le  bois ,  que  lorfque  le  feu  commence 
d'agir  fur  lui  &  de  l'échauffer.  Et  comme  il  eft  mani- 
fefi:e  ,  qu'on  ne  s'avife  pas  de  mettre  de  nouvelles  hu- 
midités fur  le  bois  ,  afin  qu'il  devienne  plus  pur  par 
le  feu  ,  &  qu'il  eft  évident  qu'on  n'ajoute  rien  à  fon 
humidité  ,  qu'au  contraire  on  le  prépare  pour  le  mettre 
au  feu ,  en  le  laiffant  fécher  après  qu'il  eft  coupé  ;  auffi 
eft -ce  une  folie  &  une  impertinence  malicieufe  de 
dire  ,  qu'il  faille  falir  l'extérieur  pour  purifier  le  dedans* 
Ceux  qui  difent  ces  chofes,  on  ne  veulent  pas  voir  la 
vérité  ,  ou  le  difent  malicieufement  :  &  c'eft  une  inven. 
tion  du  Diable  pour  éloigner  de  Toraifon.  Car  n'eft-il 
pas  vrai ,  que  fi  vous  mettez  de  nouvelles  impuretés  & 
humidités  fur  ce  bois  ,  non  -feulement  le  feu  ne  lecha«- 


r..  Pfirlficatiou.  269 

pnffif ^  fouffraiit  de  fon  mieux  cette  opé- 
ration ,  qu'elle  ne  peut ,  ni  ne  veut  empê- 
cher. 

Dieu  donc  purifie  tellement  cette  amc 
de  toutes  {i:s  opérations  propres ,  diitinc- 
tes  ,  apperçues  &  multipliées  ,  qui  font 
une  diflemblance  très -grande  ,  qu'enfia 
il  fe  la  rend  peu- à- peu  conforme,  & 
puis  uniforme  ;  relevant  la  capacité  paf- 
live  de  la  créature  ,  TélargifTant  &  Fen- 
nobliiïant ,  quoique  d'une  manière  cachée 
&  inconnue  ;  c'eft  pourquoi  on  l'appelle 

géra  point  en  foi ,  maïs  même  peu^à-peu ,  fi  vous  meN 
tez  une  humidité  plus  Forte  que  la  chaleur  du  feu,  elle 
réceindra  tout-à-fait;  &  (ï  l'humidité  que  vous  ajoutez 
n  excède  pas  la  force  du  feu  ,  le  même  feu  fera  tou- 
jours employé  à  détruire  les  nouvelles  contrariétés  , 
&  ne  changera  jamais  en  foi  le  bois.  Il  faut  donc,  biea 
loin  d'ajouter  de  nouvelles  contrariétés,  pour  être  pu- 
rifiés ,  iaiffer  peu-à-peu  détruire  les  obftacles  qui  font 
en  nous,  à  la  grâce ,  afin  que  la  grâce,  après  les  avoir 
furmontés  peu -à- peu  ,  félon  la  force  du  fujet ,  Dieu 
trouvant  le  fujet  difpofé ,  le  change  enfin  en  foi-mêmc. 

C'eft  toute  réconomîe  de  la  grâce  de  la  purification  , 
&  toute  perfonne  qui  y  aura  paffé  ,  verra  que  je  dis 
vrai.  Je  prie  Dieu  d'éclairer  les  yeux  ,  pour  faire  voir 
cette  extrême  différence  ;  &  que  la  mah'cc  de  l'ennemi, 
qui  a  femé  beaucoup  d'yvraie  avec  le  bon  grain  ,  ne 
foit  pas  caufe  qu'on  confonde  l'un  &  l'autre ,  &  qu'on 
arrache  la  vérité  pour  détruire  le  menfonge.  Si  je  cher- 
che en  cela  mon  propre  intérêt  ,  je  prie  celui  fous  les 
yeux  duquel  j'écris  7  de  confondre  mon  erreur  &  ma 
malice,  &  de  relever  fa  vérité,  quand  ce  fercit  aux 
dépends  de  ma  vie. 


a?o        J  u  s  T  I  f  I  C  A  T  I  o  nJ 

myftîque.  Mais  il  faut  qu'à  toutes  ces  opé- 
rations Tanie  concoure  paffivement. 

11  eft  vrai  qu'avant  que  d'en  venir  là  ,  il 
faut  qu'elle  agifTe  plus  au  commencement  ; 
puis  à  mefure  que  l'opération  de  Dieu  de- 
vient plus  forte  ,  il  faut  que  peu-à-peu  & 
fucceflivement  Tame  lui  cède  (a)  ,  jufqu'à 
ce  qu'il  l'abforbe  tout-à-fait.  Mais  cela  du- 
re {b)  longtems.  n.  7,8. 

Ceft  une  chofe  étrange  ,  que  n'ignorant 
pas  qu'on  n'eft  créé  que  pour  cela  ,  &  que 
toute  ame  qui  ne  parviendra  pas  dès  cette 
vie  à  l'union  divine  ^  &  à  la  pureté  de  fa 
création  ,  doit  brûler  longtems  dans  le  Pur- 
gatoire pour  acquérir  cette  (c)  pureté  ,  on 


(a)  Ce  qui  arrive  à  mefure  que  le  fujet  cft  plus  dif- 
pofé  :  comme  Thumidite  do  bois  céâQ  pcu-à-peu  à  la 
chaleur  du  feu  ,  <&  que  plus  le  feu  furmonte  l'humidité 
dans  ce  bois  ,  fa  chaleur  s'augmente  dans  le  même 
bois  ,  &  toutes  les  contrariétés  en  fortent  ;  jufqu'à  ce 
que  le  feu,  à  force  de  furmonter  ces  contrariétés ,  con- 
vertit le  bois  en  foi. 

(6)  Ce  mot  longtems  fait  voir  que  quoi  qu'on  ait  dit 
que  ce.  chemin  foit  court ,  on  ne  prétend  pas  dire  qu'on 
foit  d'abord  parfait. 

(c)  Je  prefTe  fi  fort  pour  la  pureté  &  la  purifica- 
tîon  :  comment  peut  •on  trouver  que  je  dife  le  con- 
traire? J'avoue  que  ces  livres  méritent  d'être  expliqués, 
&  que  ceux  qui  les  ont  fait  imprimer  le  dévoient 
exiger  :   mais  comme  il  n'étoit  point  de  mention  alors 


L.  Purification.  271 

ne  puifTc  ncan moins  foiiflrir  que  Dieu  y 
conduire  dès  cette  vie.  Comme  fi  ce  qui 
doit  faire  la  perfedion  de  la  gloire  ,  devoit 
caufer  du  mal  &  de  Timperiedion  dans 
cette  vie  mortelle.  Chap.  24.  n.  8  ,  10. 


de  tous  ces  dcreglcmcns ,  ils  n'eurent  pas  la  penfcc  , 
non  plus  que  moi  ,  du  mauvais  tour  qu'on  leur  don- 
neroit.  Si  ces  Meilleurs  vouloient  bien  fe  donner  la 
peine  de  lire  le  traité  du  Purgatoire  |_  imprime  dans 
les  Opujciiles  de  TAuteur  J  ,  ils  verroient  comment  la 
purification  fe  fait  ,  ^  quelles  font  les  opérations  de 
Dieu  dans   Tame. 


2?Z  JUSTIfICATlON. 

CANTIQUE. 


C 


OMME  les  plus  grandes  grâces  de  Dieu 
tendent  toujours  à  la  connoifTance  plus  pro- 
fonde de  ce  que  nous  fommes  ,  &  qu'elles 
ne  feroient  pas  de  lui  fi  elles  ne  donnoient , 
félon  leur  degré  ,  une  certaine  expérien- 
ce de  la  mifére  de  la  créature  ;  cete  amc 
ne  fort  qu'à  peine  des  celliers  de  fon 
Epoux  5  qu'elle  fe  trouve  noire.  Quelle  eft 
votre  noirceur ,  ô  incomparable  Amante  ? 
Dites -le  nous  ?  Je  fuis  noire  ,  dit -elle  y 
parce  que  j'apperçois  à  la  faveur  de  mon  di- 
vin Soleil ,  quantité  de  défauts  que  j'avois 
ignorés  jufqu'à  préfent  :  je  fuis  noire ,  par- 
ce que  je  ne  fuis  point  purifiée  de  ma  pro- 
priété. 

Mais  cependant  je  ne  laiiïe  pas  d'être 
helle  ,  &  belle  comme  les  tentes  de  Cedar  ; 
parce  que  cette  connoifiTance  expérimentale 
de  ce  que  je  fuis  ,  plait  extrêmement  à  mon 
Epoux.  — 

Ma  noirceur  apparente  cache  la  gran- 
deur des  opérations  de  Dieu  dans  mon 
ame. 

Je  fuis  encore  noire  par  les  croix  &  les 
perfécutions  qui  me  viennent  du  dehors  : 
mais  je  fuis  helle  comme  les  pavillons  de 
Salomon  ;  puifque  ces  croix  &  cette  noir- 
ceur me  rendent  femblable  à  lui. 

Je 


L.    Pitrifjcatio>i.  279 

Je  fuis  noire  ,  parce  qu'il  pnroît  des  (a) 

foibleircs  clans  mon  extérieur  ;   mnis  je  fuis 

belle  ,  parce  c[ue  je  fais  au-dedans  exempte 

de  malice.  C7/.7/7.  1.  v.  4. 

Pourquoi  l'Kpoufe  demande-t-clle  cju'on 
ne  la  regarde  pas  dans  /^  noirceur}  C'ell:  (b) 
que  Tame  commençant  à  entrer  dans  Té- 
tât de  la  foi  &  du  dépouillement  des  grâ- 
ces fenfibles  ,  elle  perd  peu-à-peu  cette 
douce  vigueur  ,  qui  lui  faifoit  pratiquer  le 
bien  avec  facilité  ,  &  qui  la  rendoit  au- 
déhors  toute  belle.  Et  ne  pouvant  plus 
s'acquitter  de  ces  premières  pratiques  , 
parce  que  Dieu  veut  autre  chofe  d'elle  ,  il 
femble  qu'elle  foit  retombée  dans  fon  état 
naturel. 

Cela  paroît  de  cette  forte  h  ceux  qui  ne 
font  pas  éclairés.  C'eît  pourquoi  elle  dit  : 
je  vous  conjure  ,  vous  autres  mes  compa- 
gnes ,  qui  (c)  n'êtes  pas  encore  arrivées  (i 
avant  dans  l'intérieur  ,  vous  qui  n'êtes  que 
dans  les  premiers  pas  de  la  vie  fpirituelle  , 
ne  juger  pas  de  moi  par  la  couleur  brune 
que  je  porte  au-déhors  ,  ni  par  tous  mes 
{d)  défauts  extérieurs ,  foit  réels  ,  foit  appa- 

(a)  Notez  fciblelTes ,  &  non  péchés. 

(b)  Notez  qu'il   ed   expliqué  ici,   quelle  eft  la  noir, 
ceur  &  l'inipureté  dont  j'ai  voulu  parier. 

(c)  Notez  ^  on  précautionne  ici  les  commenqans. 
\^d']  Défauts  ,  &  non  péchés. 

Tom.  IL  Jufi.  S 


274  Justification.' 
rens  :  car  cela  ne  vient  pas  ,  comme  aux 
âmes  commençantes  ,  faute  d'amour  &  de 
courage  :  mais  c'eft  que  mon  divin  Soleil , 
par  fes  regards  continuels  ,  ardens  &  brû- 
lans  ,  m'a  décolorée.  H  m'a  ôté  ma  couleur 
naturelle  ,  pour  ne  me  laifler  que  celle  que 
fon  ardeur  me  veut  donner.  C'eft  la  force 
de  Tamour  qui  me  féche  la  peau  &  la  {a) 
brunit  ;  &  non  pas  Téloignement  de  Ta- 
mour.  Cette  noirceur  eft  un  avancement , 
&  non  pas  un  défaut  :  mais  c'eft  un  avan- 
cement que  vous  ne  devez  pas  confidérer  , 
vous  qui  êtes  encore  jeunes  &  trop  tendres 
pour  rimiter  ;  parce  que  la  noirceur  que 
vous  vous  donneriez  ,  feroit  un  défaut  : 
elle  ne  doit  venir  ,  pour  être  bonne  ,  que 
du  Soleil  de  Juftice  ,  qui  pour  fa  gloire  ,  & 
pour  le  plus  grand  bien  de  Tame  ,  man- 
ge &  dévore  cette  couleur  éclatante  du 
dehors  ,  laquelle  Faveugloit  elle-même  , 
quoiqu'elle   la    rendit  admirable   aux   au- 


(û)  Comme  le  feu  noircît  le  bois  avant  de  renflam- 
mer.  Notez  ;  c'eft  rapproche  du  feu  qui  noircit  ici  le 
bois ,  &,  non  Téloignement  du  feu.  Le  bois  peut  fe  noircir 
par  Thumidité  :  mais  cette  noirceur  le  met  dans  une 
plus  grande  oppofition  pour  être  brûlé  ;  &  même  il  le 
devient  à  tel  point,  qu'il  ne  brûle  jamais.  Telle  eft  la 
noirceur  de  ceux  qui  s'éloignent  de  mon  Dieu  ,  de  ces 
âmes  adultères  qui  s'éloignent  de  vous.  (  Pf.  72.  v.  27.  )  ; 
elles  périlTent  aufli  :  mais  non  pas  mon  Epoufe ,  que 
Texcès  de  l'amour  qui  la  veut  confommer  en  foi ,  r«nd 
brune  ,  parce  qu'il  cbafle  d'elle  toute  contrariété. 


L.  Purification.  275 

très  ,   au  préjudice  de   la  gloire   de   Tli- 
poux. 

Mes  frères  me  voyant  noire  de  la  forte  , 
m'ont  voulu  obliger  à  reprendre  la  vie  aéli- 
ve  ,  &  à  garder  le  dehors  ,  fans  m'appli- 
quer  à  faire  mourir  les  paflîons  au-dedans  : 
j'ai  longtems  combattu  avec  eux  :  mais  en- 
fin ne  pouvant  leur  réfifter ,  j'ai  fait  ce  qu'ils 
ont  voulu  :  &  (a)  en  m'appliquant  au-dé- 
hors  ,  à  des  chofes  qui  me  font  étrangères , 
je  nai  pas  gardé  ma  vigne  ,    qui  eft  mon 
fond  ,  où  mon  Dieu  habite.   C'eft  là  ma 
feule  affaire  ,  &  la  feule  vigne  que  je  dois 
garder   :    &  lorfque  je  n'ai  pas  gardé  la 
mienne ,  lorfque  je  ne  me  fuis  pas  rendue 
attentive  à  mon  Dieu  ,  j'ai  encore  moins 
gardé  les  autres.  C'eft  le  tourment  qu'on 
fait  d'ordinaire  aux  âmes  ,  lorfqu'on   voit 
que  la  grande  occupation  du  dedans  ,  fait 
négliger  en  quelque  forte  les  dehors  ;  & 
qu'à  caufe  de  cela   l'ame  toute  renfermée 
au -dedans  ,  ne  peut  plus  s'appliquer  à  cer- 
tains petits  défauts  que  l'Epoux  corrigera 
en  un  autre  tems.  Chap.  i .  v.  5 . 

Voilà  l'ordre  de  la  charité  que  Dieu  met 
dans  cette  ame  ;    fon   amour   eft   devenu 


id)  Tort  qu'on  fait  aux  âmes  de  cet  état  de  leur  faire 
reprendre  la  vie  adlive.  Le  B.  Jean  de  la  Croix  Ta  prouvé 
dans  tant  d'endroits  que  j*ai  déjà  rapporté  de  !ui.  (Voyez 
Aâcs^  n.  7,  8-  10'  Motion  divine^  n.  12.  14.  Oraifon^ 
§.  1.  n.   iz.  §.  II.  n.  19.  &c.  ). 

S  ^ 


%jG  JUîJTlflCATION- 

(^)  parfaitement  chafte.  Toutes  les  créatu- 
res ne  lui  font  rien  ;  elle  les  veut  toutes 
pour  fon  Dieu  ,  &  n'en  veut  aucune  pour 
foi.  O  que  cet  ordre  de  la  charité  donne  de 
force  pour  les  états  terribles  qu'il  faudra 
pafler  dans  la  fuite  !  mais  il  ne  peut  être 
connu  ni  goûté  de  ceux  qui  n'y  font  pas  ; 
pour  n'avoir  encore  bu  de  ce  vin  de  l'E- 
poux. Chap.  2.  V.  4. 

A  peine  (&)  cette  Amante  a-t-elle  goûté 

(û)  ^otcz^  s'il  vous  plait ,  en  quel  état  eft  mon  Epoufe, 
entrant  dans  les  épreuves  ;  &  combien  elle  eft  éloignée 
de  ce  qu'on  lui  impute. 

W)  Pour  entendre  ceci ,  il  faut  faire  attention  qu'avant 
les    dernières   épreuves  ,    que  le  B.   Jean  de  la  Croix 
appelle  nuit  de  Vefprit^   Dieu  enfuite  de  la  nuit  duftns 
ou  de  la  première  purification  ,  fe  communique  à  Tame 
d'une  manière  beaucoup    plus  parfaite  qu'il  n'avoir  ja- 
mais fait  ;  ainfi  qu'il  eft  marqué  dans  le  Cantique.  Mais 
plus  cette  faveur  eft   pure  &   fublime  ,    plus  i'abfence 
de  l'Epoux   &   la    purification  qui  fuit  ,    devient  terri- 
ble :   car  il  ne  fe  montre  que  pour  fuir  avec   plus  de 
rigueur.  Il  faut  auflî  faire  attention  que  nous  avons  dit  ^ 
que  ce  qui  rend  les  épreuves  plus  terribles,  c'eft  cette 
abfence  de  l'Epoux  jointe  à  l'expérience   de    fes  mife- 
res  ,    aux  eft'royables  peines    intérieures  ,   aux  perfécu- 
lions    extérieures    des   hommes    &    des   démons  :   tout 
cela  joint  enfemble  ,  eft  quelque  chofe   de  fi  terrible  , 
quequi^ne  l'a  pas  éprouvé  ne  l'imaginera  jamais.  L'ab- 
fence  de  l'Epoux  eft  bien  appellée  nuit  &  mort ,  parce 
qu'il  eft  la  lumière  &  la  vie  de  l'ame  :  &  comme  la  nuit 
dans  la  nature  rend  les  objets  effrayants  d'eux-mêmes , 
beaucoup  plus  terribles  <&    pleins  d'horreur;  aufTi  dans 
la  nuit  de  l'efprit  tout  paroit  d'autant  plus  horrible,  que 
la  nuit  eft  plus  fombre  ,  &  qu'en  n'efpcre  plus  de  revoir 
le  divin  Soleil  ,  qui  doit  ramener  le  jour  dans  notre  ame. 


L.  Ttirificatiou.  577 

la  (îoiiccir  de  cette  union  ,   que   l'Epoux 
difparoît    tout-à-fait.    Voyant    donc    une 
fuite  fi  prompte  ,  elle  le  compare  à  un  che- 
vreuil tji  à  un  jan  de  hiche  ,  à  cnufe  de  la 
légèreté  &  de  la  vîtefFe  de  fa  courfe  :  &  fc 
plaignant    amoureufemcnt    de  lui  ,  enfuitc 
d'un  abandonnement  fi  étrange  ,  lorfqu'elle 
le  croit  bien  loin  ,  elle  Tappercoit  tout  pro- 
che. 11  s'étoit  feulement  caché  pour  éprou- 
ver  fa  foi   &  fa  confiance  ;  cependant  il 
n'ote   point    fes   regards    de    dclTus    elle  ; 
parce   qu'il  la    protège    plus   particulière- 
ment que    jamais  ,  étant   plus   uni    à   elle 
par  la  nouvelle  alliance  qu'il  vient  de  faire  , 
qu'il  ne  l'avoit  été  jufqu'alors.  Mais  quoi- 
qu'il la  regarde  inceffamment  ,  elle  ne  le 
voit  pas  toujours  :  elle  ne  Tapperçoit  que 
pour  quelques   momens  ,   afin    qu'elle   ne 
puifiTc  ignorer  ce  regard  ,   &  qu'elle  l'ap- 
prenne un  jour  aux  autres. 

Il  faut  remarquer  que  l'Epoux  eft  dc-^ 
hout^  parce  qu'il  n'eft  plus  tems  de  fe  repo- 
fer  ni  de  demeurer  aiïis  ;  mais  de  courir. 
11  eft  debout ,  comme  prêt  à  marcher.  Ch. 
51.  V.  9. 

Il  faut  favoir  qu'il  y  a  deux  hyvers  :  celui 

du  dehors  ,  &  celui  du  dedans  ,  &  que  tous 

deux  font  réciproquement  contraires.  Lorf- 

que  l'hyver  eft  au-déhors  ,  Tété  eft  au-de- 

S  2 


278  JUSTIfICATIOX. 

dans  ,  qui  porte  Tame  à  s'enfonger  davan- 
tage en  foi  5  par  un  effet  de  la  grâce  qui 
opère  un  profond  recueillement  :  &  lorf- 
que  Thy  ver  eft  au-dedans  ,  il  fe  fait  un  été 
au-déhors ,  qui  oblige  Tame  de  fortir  d'elle- 
même  ,  par  TélargifTement  que  caufe  une 
grâce  d'abandon  plus  étendue.  Uhyver  dont 
TEpoux   parle    ici  ,   difant  qu'il   ejl   déjà 
pnffé  ,  eft  l'hyver  extérieur  ,  durant  lequel 
Tame  pouvoit  être  glacée  par  la  rigueur  du 
froid ,  falie  par  les  pluyes,  &  accablée  fous 
les  orages  &  fous  les  neiges  des  péchés 
&   imperfeélions  ,  qu'on  contra<51:e  facile- 
ment par  le  commerce  des  créatures.  L'amc 
qui  a  trouvé  le  centre  ,  a  été  fi  fortifiée  , 
qu'il  n'y  a  plus  rien  à  craindre  pour  elle 
au  -  dehors  :  toutes  les  pluyes  font  efiuiées  ; 
&  il  lui  feroit  impoffible  ,  à  moins  d'une 
infidélité  la  plus  noire  qui  fût  jamais ,  de 
prendre  ((2)  aucun  plaifir  dans  les  chofes  du 
dehors. 

De  plus  cette  manière  de  parler  ,  Vhy- 
ver  ejt  déjà  pajfé ,  veut  dire  ,  que  comme 
l'hyver  amortit  toutes  les  chofes  extérieu- 
res ;  de  même  pour  cette  ame ,  la  mort  a 


(d)  Notez  que  cette  ame  eft  donc  bien  éloignée  d'aller 
chercher  des  plailirs  illicites  ,  puifqu*elle  ne  peut  même 
fe  plaire  dans  les  innocens.  Ce  qu'elle  a ,  eft  une  cer- 
taine candeyr  Se  innocence  qu*on  ne  peut  exprimer  & 
dont  j'ai  parlé.  (  Voyez  la  Note  fur  Moyen  court,  Ch.  24.. 
13.  I.  dans  J'art.  Vropriété  ^  ci-deiTu«  ^  p.  190. 


L.    Purijicatîou.  279 

pafTé  fur  toutes  les  cliofcs  extérieures  , 
cnforte  qu'il  n'y  a  plus  rien  qui  la  puifîc 
fatisfairc.  S'il  y  paroît  encore  quelque 
chofe  ,  c'ed  un  renouvellement  d'innocen- 
ce ,  qui  n'a  plus  rien  de  la  malignité  d'au- 
trefois. 

Les  pluyes  de  l'hyver  font  au(Tî  pafTées  ; 
elle  peut  fortir  fans  plus  craindre  l'hyver  , 
&  avec  cet  avantage  ,  que  l'hyver  a  détruit 
&  fait  mourir  ce  qui  étoit  autrefois  vivant 
pour  elle  ,  &  qui  l'auroit  fait  mourir  el- 
le-même :  ainfi  que  la  rigueur  de  l'hyver 
purge  la  terre  des  infeéles.  Là-même ,  ver^ 
Jet  1  î . 

Dans  le  Sanéluaire  que  Dieu  fe  drefTe 
en  fon  Amante  ,  il  y  a  de  même  des  colons 
nés  d'argent  j  qui  font  les  dons  du  S.  Ef- 
prit  ,  établis  fur  la  grâce  divine  ,  qui  efl: 
comme  l'argent  pur  &  éclatant ,  qui  leur 
tient  lieu  de  matière  &  de  fond.  Le  repo- 
foir  en  efî  d'or  ;  car  une  ame  qui  mérite  de 
fervir  de  trône  &  de  lit  royal  à  Jéfus- 
Chrift  ,  ne  doit  plus  avoir  d'autre  appui  & 
foutien  que  Dieu  feul  ;  &  il  faut  qu'elle  foit 
entièrement  dépouillée  de  tout  foutien  créé. 
La  montée  en  ejl  toute  de  pourpre  ;  car  (i 
{a)  on  ne  peut  entrer  dans  le  Royaume  du 
Ciel  que  par  beaucoup  d'affliclions  ;  &  fi  on 
ne  peut  régner  avec  Jéfus-Chrijl  qu  aptes 

(^a)  Act.  14.  V.  21.  3,  Tim.  2.  v.  12. 

S4 


s8o         Justification. 

avoir  fouffert  avec  lui  ,  cela  (^)  va  encore 
plus  avant  pour  ceux  qui  font  appelles  aux 
premières  places  du  Royaume  intérieur  ,  & 
pour  les  âmes  qui  dès  cette  vie  doivent  être 
honorées  de  la  noce  de  l'Epoux  célcfte  ; 
que  pour  le  commun  des  Chrétiens  ,  qui 
fortent  bien  de  ce  monde  en  voie  de  falut , 
mais  chargés  de  beaucoup  de  dettes  &  d'im- 
perfcdions.  11  eft  incroyable  combien  il 
faut  que  ces  âmes  choilies  dévorent  de 
croix  ,  d'opprobres  &  de  renverfemens. 

Enfin  /o^r  le  dedans  ejî  rempli  de  charité  ^ 
puifque  ces  trônes  vivans  du  très-haut  étant 
pleins  d'amour  ,  ils  font  auffi  parés  de  tous 
les  fruits  &  ornemens  de  l'amour  ,  qui  font 
les  {h)  bonnes  œuvres  ,  les  mérites  ,  les 
fruits  du  S.  Efprit  ,  &  la  pratique  des  plus 
pures  &  des  plus  folides  vertus. 

C'eft  à  quoi  vous  êtes  appellées  ,  ô  filles 
de  Jérufalem  ,  Epoufes  intérieures  ,  âmes 
d'oraifon.  Ch.  3.  r.  lo. 

Jufqu'à  ce  que  le  jour  de  la  vie  nouvelle  , 
que  vous  devez  recevoir  en  mon  Père,  com- 
mence  à  paroître  ;  &  que  les  ombres  qui 

{à)  Les  épreuves  &  fouffrances  font  bien  plus  terri, 
blés  dans  les  perfonnes  bien  intérieures  &  unies  à  Dieu, 
que  dnns  les  autres  ;  les  autres  âmes  ne  comprennent 
pas  m.éme  ces  terribles  épreuves. 

(i)  Notez  que  mon  Époufe  eft  ornée  des  vertus  & 
bonnes  œuvres,  qui  font  les  fruits  du  S.  Efprit;  cela 
fe  rapporte  à  l'Enigme  du  B.  Jean  de  la  Croix,  mis  de- 
vant fes  Oeuvres.  v 


L.  Tîirîfication.  iRr 

vous  tiennent  clans  robrcnrité  de  la  foi  la 
plus  nue,  s'abaillcnt  &  fc  didipcnt ,  je  m'en 
irai  fur  la  montagne  dt  la  myrrhe  ;  parce 
que  vous  ne  me  trouverez  plus  que  dans  l'a- 
mertume &  dans  la  croix.  Ce  fera  néan- 
moins pour  moi  une  montagne  d'une  odeur 
très-agréable  ;  puifque  Todeur  de  vos  fouf- 
frances  montera  vers  moi  comme  un  en- 
cens ;  &  ce  fera  par  elles  que  je  prendrai 
mon  repos  en  vous.  Ch.  4.  v.  6. 

L'Epoufe  n'a  prcfque  plus  de  chemin  à 
faire  pour  être  unie  à  vous  d'un  nœud  im- 
mortel ;  &  lorfqu'elle  paraît  approcher  de 
votre  lit ,  elle  en  ell  repouffée  par  foixante 
hommes  forts.  N'y  a-t-il  pas  de  la  cruauté 
à  Pattirer  fi  fortement^  quoiqu'avec  tanr  de 
douceur  ,  pour  poiïeder  un  bien  qu'elle 
ertime  plus  que  mille  vies  ;  &  lorfqu'elle 
eft  près  de  fa  pofTeffion  ,  la  rebuter  fi  rude- 
ment ?  O  Dieu  ,  vous  conviez ,  vous  appel- 
iez ,  vous  donnez  la  difpofiticn  de  l'état  , 
avant  de  donner  l'état  ;  comme  l'on  donne 
à  goûter  d'une  liqueur  exquife  ,  afin  de  la 
faire  plus  défirer  !  O  que  ne  faites  vous  pas 
foufFrir  à  cette  ame  par  le  retardement  de 
ce  que  vous  lui  promettez  !— 

Venez  auffi  des  repaires  des  lions  &  des 
montagnes  des  léopards  :  car  ce  ne  fera  qu'à 
travers  des  plus  cruelles  {a)  perfécutions 

~  (.'7)  Notez  ,  qu'il  eft  toujours  parlé  de  fouffrances  & 
ùz  perfécutions. 


-32  Justification- 

des  hommes  &  des  démons  ,  comme  d'au- 
tant de  bêtes  féroces  ,  que  vous  pourrez 
arriver  à  un  état  fi  divin.  11  eft  tems  de 
vous  élever  plus  que  jamais  au-deiTus  de 
tout  cela  j  puifque  vous  êtes  prête  d'être 
couronnée  en  qualité  de  mon  Epoufe.  Là^ 
même.  v.  8. 

Ce  qui  m'a  blefle  &  charmé  en  vous , 
c^eft  que  tous  vos  malheurs ,  toutes  vos  dif- 
graces ,  &  vos  déplaifirs  les  plus  extrêmes  , 
tout  cela  ne  vous  a  point  portée  à  retirer 
votre  œil  de  delTus  moi  ,  pour  vous  envi- 
fager  vous-même.  Vous  n'avez  pas  feule- 
ment regardé  les  (a)  bleflures  que  je  vous 
faifois  faire  ,  ni  celles  que  je  vous  faifois 
moi-même  ,  non  plus  que  fi  elles  ne  vous 
enflent  point  touchées  :  parce  que  votre 
amour  pur  &  droit ,  qui  vous  tenoit  appli- 
quée uniquement  à  moi ,  ne  vous  permet- 
toit  pas  de  vous  regarder  vous-mêm.e  ,  ni 
vos  propres  intérêts  ;  mais  feulement  de 
m'envifager  avec  amour  ,  ainfi  que  votre 
fouverain  Objet. 

Mais  hélas  !  dira  cette  Amante  affligée  , 
comment  vous  aurois-je  regardé  ,  puifque 

(à)  Ces  blefTures  font  ,  comme  j'ai  dit  :  au  dedans 
rabaTidonnement  apparent  de  l'Epoux  ,  qui  eft  la  plus 
terrible  douleur  de  l'ame  ;  &  d'être  livrée  extérieure- 
ment à  la  malice  des  hommes  &  des  diables.  Le  ver- 
fet  précédent  fait  voir  qu'il  n'eft  parlé  ici  que  de  la 
perfécution  des  hommes  &  des  démons. 


L.  Purification.  2^j 

je  ne  fais  ou  vous  ctcs  ?  Elle  ne  fait  pas 
que  fon  regard  clt  devenu  fi  é|Dure  ,  qu'é- 
tant toujours  dircd  ,  &  fans  réflexion  , 
elle  ne  connoît  pas  fon  regard  ,  &  ne 
s'apperçoit  pas  qu'elle  ne  cefTè  point  de 
voir.  De  plus  ,  dès  qu'on  ne  peut  plus  fe 
voir  ,  &  qu'on  s'oublie  {a)  foi -même  , 
aufïî  bien  que  toutes  les  créatures  ,  il  eft 
néceiïaire  qu'on  regarde  Dieu  :  &  c'efl: 
fur  lui  que  s'arrête  le  {h)  regard  inté- 
rieur. 

L'autre  playe  que  vous  m'avez  faite  , 
c'eft  ,  dit  encore  l'Epoux  ,  par  Vunion  d& 
vos  cheveux  bien  trejfés.  Cela  marque  affez 
clairement ,  que  toutes  les  afFcdions  de 
l'Amante  ont  été  réunies  en  Dieu  feul  ,  & 
qu'elle  a  perdu  toutes  fes  volontés  en  celle 
de  fon  Dieu. 

(à)  Il  faut  remarquer  ,  que  dans  tout  le  tems  que 
TEpoux  paroît  ?bfent  ,  mon  Epoufe  n'eft  point  pour 
cela  occupée  d'elle-même  ,  ni  des  créatures  :  au  con- 
traire,  elle  en  eft  plus  éloignée  que  jamais  :  elle  croit 
avoir  perdu  la  préfence  de  fon  Bien  aimé  ;  &  la  dou- 
leur continuelle  de  cette  perte  apparente  n'eft-elle  pas 
une   préfence   continuelle  ? 

(ft)  Il  eft  néceffaire  de  conferver  toujours  ce  regard 
intérieur  en  Dieu  ,  quoique  d'une  manière  iufenfible  : 
auffi  mon  Epoufe  n'oublie- 1- elle  jamais  fon  Epoux, 
Notez  s'il  vous  plaît ,  qu'il  eft  toujours  dit ,  que  Tirré- 
flexion  de  mon  Epoufe  fur  elle-même  ,  ne  vient  que  de 
l'application  continuelle  qu'elle  a  à  fon  Dieu  ;  ainfi  elle 
eft  bien  éloignée  de  Terreur  de  celles  qui  l'oublient 
pour  l'ofFenfer  impunément. 


^$4        Justification. 

De  forte  que  l'abandon  de  toute  elle-mê- 
me à  la  volonté  de  Dieu  ,  par  la  perte  de 
toute  volonté  propre  ,  &  la  droiture  avec 
laquelle  elle  s'applique  à  Dieu  ,  fans  faire 
plus  de  retours  fur  foi-même,  font  les  deux 
flèches  qui  ont  bi^ifé  le  cœur  de  fon  Epoux. 
Là-même.  v.  9. 

J'ai  (a)  lavé  mes  pieds  ,  comment  les  fa- 
lirai-je  ?  Chap.  5.  v.  3. 

Le  véritable  amour  n'a  point  d'yeux 
pour  fe  regarder  foi-même.  Cette  Amante 
affligée  oublie  fes  bleiTures  ,  quoiqu'elles 
faignent  encore  ,  elle  ne  fe  fouvient  plus 
de  fa  perte  :  elle  n'en  parle  pas  même  ,  elle 
penfe  feulement  (b)  a  celui  qu'elle  aime  , 
&  elle  le  cherche  avec  d'autant  plus  de  for- 
ce ,  qu'elle  trouve  plus  d'obftacîe  à  fa  pof- 
feflion.  Elle  s'adrefle  aux  âmes  intérieures  , 
&  leur  dit  :  O  vous  ,  à  qui  mon  Bien-aimé 

[û]  Je  ne  répète  point  ce  verfet ,  l'ayant  expliqué 
amplement  fur  la  Propriété,  Jai  auffi  expliqué,  dans  le 
même  article,  les  gardes  de  la  ville  qui  l'ont  battue  & 
bleffée  (  vcrf,  7.  )  Quoique  je  ne  répète  pas  ici  tous 
ces  verfets ,  je  ne  laifferai  pas  dans  les  Autorités  d'é- 
crire ce  qui  a  quelque  rapport  avec  eux  ,  fi  je  trouve 
quelque  chofe  fur  cela. 

[63  11  faut  remarquer ,  que  plus  Tame  s'oublie  elle- 
même,  plus  elle  s'occupe  de  Dieu.  Ce  n'eft  point  un 
oubli  Cdufé  par  l'indolence  ,  mais  par  la  force  de  l'a- 
mour. Cette  ame  cherche  Dieu  continuellement ,  com- 
me je  l'ai  fait  remarquer  en  cet  endroit  de  VExplic. 
du  Cantique  Ch.  1.  v.  3.  Cherchez  Le  Seigneur  ,  cher- 
chez  fans  cejjc  fon  vifage,  (  Pf.  104.  v.  4.  )  L*amour 
pur  dérobe  à  famé  toute  autre  vue  que  celle  de  fon 
divin  Objet.  Cette  ame  ne   défilte  jamais ,  pas   même 


L.  rttrificatinn.  2R5 

fc  dccouvrlra  llins  doute  ,  je  vous  conjurs 
par  liii-nicnic  de  hd  dire  ,   que  je  languis 
d'amour  pour  lui.  Quoi  !  6  la  plus  belle  des 
femmes  ,  ne  voulez-vous  pas  qu'on  lui  par- 
le plutôt  de  vos  blefTures  ,  qu'on  lui  raconte 
ce  que  vous  avez  foufîert  en  le  cherchant  ? 
Non  y  non  ,  répond  cette  ame  géntreufe  , 
je  fuis   trop  récompenfce  de  mes  maux  , 
puifque  je  les  ai  foufterts  pour  lui  ;  &  je  les 
préfère  aux  plus   grands   biens.  Ne  dites 
qu'une  chofe  à  mon  Bien-aimé  ;  c'eft  que 
je  languis  d'amour  pour  lui.  La  playe  que 
fon  amour  a  faite  dans  le  fond  de  mon  cœur 
elt  fi  vive ,  que  je  fuis  infenfible  à  toutes 
les  douleurs  extérieures  ;  j'ôfe  dire  même 
(^)  qu'au  prix  de  celle-là  ,  elles   me  font 
des  rafraichilTemens.  Ch.  5.  v.  8. 

pour  un  inftant,  de  fa  recherche;  au  lîeu  que  ces 
créatures  qui  s'adonnent  à  tous  mauK  ,  Toublient  avec 
foin ,  afin  qu'il  ne  leur  reproche  pas  leurs  défordres. 
Mon  Epoufe  s^oublie  elle-même  &  toutes  les  créatu- 
res ,  pour  ne  penfer  qu'à  Dieu  :  &  ces  miférabdes  ou- 
blient  Dieu   pour  ne  penfer  qu'à   fe  fatisfaire.   /     * 

M  Toutes  les   douleurs   ne    font   rien   au   prix   de 
la  playe  d'amour. 


986        Justification. 
AUTORITÉS. 

On  ne  peut  pas  s* empêcher  de  rapporter  quelquefois  les 
pajfagcs  déjà  cités ,  parce  quiis  renferment  plufleurs 
propofitions. 

S.     D   E   N    I   S. 

I.  vyN  peut  dire  de  même  que  l'Ange,  par 
qui  la  purirication  du  Prophète  [a]  étoit  opérée, 
rapportoit  fa  fcience  &  la  vertu  qu'il  avoit  de 
purifier,  à  Dieu  [b]  premièrement,  comme  au 
premier  auteur,  &  puis  au  Séraphin  comme  à 
fon  fupérieur  en  Tordre  hiérarchique,  &  qui  eft 
le  plus  haut  &  le  premier  miniftre  de  cette  faintc 
fondion.  Comme  fi  cet  Ange  lui  eût  dit  avec 
im  grand  refped:  &  avec  une  fmguliere  modef- 
tie  ,  pour  l'inftrudion  de  celui  qu'il  purifioit  :  ne 
penfe  pas  qu'il  y  ait  un  autre  auteur  de  la  purifi« 
cation  que  j'opère  en  ta  perfonne  ,  que  celui  qui 
eft  le  principe  même,  la  caufe  &  le  Créateur  de 
toutes  chofes.  Hiérarchie  Célejle,  Ch.  ij. 

2.  Voyez  Converjton,  n.   2. 

3.  Voyez  Anéantlffement.  n.   I. 

4.  Voyez  Habitude,,  n.   i. 

5.  Celui  qui  eft  net,  comme  dit  la  parole  fain- 
te,  (c)  n'a  plus  befoin  que  de  laver  feulement  le 
bout  de  fes  pieds ,  c'eft-à-dire ,  qu'il  n'a  plus  be- 
foin que  de  laver  fes  dernières  extrémités.  De 
façon  que  par  ce  lavement,  qui  le  rend  parfaite- 

ia)  Ifaie  6.  v.  6,  7. 

{b)  Ordre  de  purification  de  la  caufe  première  par  les 
caufes  fécondes  ;  &  comme  tout  fe  rapporte  enfin  à  ce  pre- 
mier principe,  ainfi  il  eft  principe  &  fin  de  toute  purifica- 
tion ,  quoiqu'il  fe  ferve  des  moyens. 

(c)  Jean  ij.  v.  10. 


L.  Purification   i-8.  287 

ment  pur  &  net  en  Tctat  très-chadc  de  la  divine 
relleniblance,  il  arrivera  c|ue  fortant  par  bonté 
pour  s'entremettre  des  chofes  cjin  font  au-de(Ious 
de  lui,  il  ne  fera  nullement  empêché  par  elles 
ni  retenu  par  aucune  attache,  parce  qu'il  eft  par- 
faitement uniforme  {u);  &  lorfque  de  ces  chofes 
autour  defcjuelles  il  fera  employé,  il  retournera 
vers  l'un,  fon  retour  fera  très-pUr,  &  fans  avoir 
contradé  aucune  tache  ni  fouillure  par  Tattou- 
chement  de  telles  chofes,  comme  celui  qui  fait 
très-bien  conferver  fon  divin  état,  fans  rien  per- 
dre ni  diminuer  de  fon  intégrité.  Là-même  Ch.  3. 

6.  Voyez  Opérations  propres,  n.  4. 

RUSBROCHE. 

7.  Voyez  Non-de^lr,  n.  2. 
L'Imitation   de   Jésus-Christ. 

8.  Il  eft  aifé  de  méprifer  les  confolations  de^ 
hommes  ,  lorfque  Dieu  même  nous  confole. 
IVIais  c'eft  l'effet  d'une  grande  &  d'une  rare  ver- 
tu, de  fe  pafTer  auffi  bien  des  confolations  divi- 
nes que  des  humaines,  &  de  fouftrir  en  paix  & 
pour  l'amour  de  Dieu  cet  abandonnement  &  cet  [b) 
exil  du  cœur,  fans  fe  rechercher  foi-même  ea 
rien,  &  fans  avoir  la  moindre  penfée  fi  on  mérite 
d'être  traité  de  la  forte.   Livr.  2.  Ch.  9.  §;  i. 

(a)  G'eft  cette  uniformité  qui  fait  fa  pureté.  Vous  voyez 
comme  cette  pure  uniformité  fe  confcrve  dans  le  commer- 
ce extérieur  des  créatures ,  &  fait  qu'on  n'y  contraéte  au- 
cune tache. 

ib)  Que  ceci  eft  bien  dit  !  parce  que  l'homme ,  qui  a  ac- 
coutume  de  rentrer  dans  fon  cœur  &  d'y  trouver  Dieu, 
foufFrc  étrangement,  lorfqu'il  fe  voit  banni  &  exilé  de 
fon  propre  cœur,  qui  étoic  fon  unique  refuge  dans  fes 
défolations.  Ce  mot  eft  d'autant  plus  vrai  &  expreffif ,  qu'il 


1^88         Justification. 

9.  Lorfque  cette  douceur  célefle  vou5  fera, 
ôtée ,  ne  vous  lailTez  point  aller  à  la  défiance  & 
à  l'abattement  ;  mais  attendez  avec  patience  & 
humilité  le  retour  de  la  joie  célefte.  —  Cette  con- 
duite divine ,  n'eft  ni  étrange  ni  nouvelle  à  ceux 
qui  ont  de  Texpéricnce  dans  la  voie  de  Dieu. 
Les  anciens  Prophètes  &  les  plus  grands  Saints 
ont  éprouvé  en  eux-mêmes  cette  viciffitude  "^dc 
trouble  &  de  paix. 

Ainfi  le  Roi-prophête  fentoit  la  préfence  de 
la  grâce  ,  lorfqu'il  étoit  en  l'état  qu'il  décrit  en 
ces  termes  :  (a)  J^al  dit  dans  mon  abondance  ^  Je  ne. 
ferai  jamais  ébranle.  Mais  aulïitôt  que  la  grâce  fc 
fiit  retirée  de  lui ,  après  avoir  éprouvé  ce  qu'il 
étoit  par  lui-même  ,  il  ajoute  :  Vous  avez  détourne 
votre  vifage  de  moi ,  ^  en  même  tems  je  fuis  tombe 
dans  le  trouble.  —  C'eft  pourquoi  Job  dit  :  [b]  Vous 
vijttez  f  homme  dès  le  matin ,  Éf  aujjîtôt  vous  téprou- 
vez.  —  * 

Soit  que  j'aie  près  de  moi  des  hommes  de 
Dieu ,  ou  des  fidèles  amis ,  ou  des  âmes  ferven- 
tes &  religieufes ,  ou  des  livres  faints  &  d'excel- 
lens  écrits  de  piété  ,  ou  que  j'entende  les  hymnes 
&  les  doux  cantiques  de  l'Eglife,  je  trouve  peu 
d'aide  &  de  goût  en  toutes  ces  chofes ,  lorfqùe 
je  me  vois  deftitué  de  la  grâce ,  &  abandonné  k 
ma  pauvreté.  Il  ne  me  refhe  point  alors  de  meil- 
leur (c)  remède,  que  la  patience  &  l'entier  re- 
noncement à  moi-même,  pour  ne  vouloir  que 
* 

eft  certain  que  Dieu  n'abandonne  point  notre  cœur,  lorf- 
que nous  fommes  privés  de  fa  douce  préfence  :  au  con- 
traire,  il  n'y  fut  jamais  davantage  ,  quoique  caché  :  c'efl: 
nous-mêmes  qui  fommes  exilés  &  bannis  de  notre  propre 
cœur,  où  nous  ne  trouvons  plus  de  refuge. 

{a)  Ff  29.  V.  7.  8.     (M  Job.  7.  v.  18. 

(c)  Vrai  remède. 

ce 


L.  Purification  9-12.  289 

ce  que   Dieu    veut.    Là-mcme,  ,§.4,5,6. 

10.  AlTuiez-vous  que  votre  vie  doit  être  ac- 
compagnée d'une  continuelle  inoit.  Plus  ua 
homme  meurt  à  foi-mème,  plus  il  apprend  à  ne 
vivre  que  pour  Dieu  fcul.  Nul  ne  fera  propre  à 
comprendre  les  chofes  du  Ciel  ,  s'il  ne  fc  plait 
à  ibullrirpour  Jcfus-Chrift  les  maux  de  ce  monde, 
Livr.  '2.  ih.  14.  §.  14. 

11.  Celui  qui  aime  généreufement  demeure 
ferme  dans  les  tentations  ;  il  ne  fe  laide  point  fur- 
prendre  aux  perfuafions  artiHcieufes  de  fon  en- 
nemi. Comme  il  trouve  en  moi  un  plaifir  ce- 
lefte  ,  lorfque  je  le  favonfe  de  ma  grâce  ,  il  ne 
trouve  non  plus  rien  en  moi  qui  lui  déplaife  , 
lorfque  je  l'éprouve  par  les  féchereffes  &  les  fouf- 
frances.  Liv.  3.   Ch,  6.  §.  3. 

Henri     Harphius. 

12.  Dieu  ne  pouvant  plus  affliger  ces  âmes 
par  les  adverfités  &  les  tribulations  ordinaires, 
parce  qu^ellesfont  prêtes  à  tout;  il  permet  qu'el- 
les foient  tourmentées  de  blafphêmes  ,  d'endur« 
cifiement,  de  haine  contre  Dieu  ,  d'alTurance ,  à 
ce  qu'il  leur  paroît,  de  leur  propre  réprobation: 
&  leur  tourment  eft  fi  grand  que  S.  Augufkin  & 
S.  Bernard  le  comparent  avec  raifon  à  une  peine 
infernale. 

Dieu  ajoutant  encore  douleur  fur  douleur, 
permet  qu'elles  foient  perfécutécs  ,  méprifées  , 
moquées;  &  que  ceux  qui  paiïent  dans  le  monde 
pour  honnêtes  gens,  pour  gens  de  probité,  de 
fcience  &  de  fainteté  ,  ne  les  regardent  que  com- 
me des  ptrfonnes  folles  ou  obfédées  :  c'ell:  par 
rinftigaticp  du  Diable  qu^ils  lesperfécutent  ainfx , 
fouvent  même  fan^  le  favoir ,  &  avec  de  bonnes, 
intentions.  C'ell  ainfi  que  Job  fut  traité.  Tout 
fe  tourne  en  poifon  &  défolation  pour  ces  pau- 
Tom.  il.  Jujh  T 


2go       Justification. 

vres  âmes  :  leurs  p^rens ,  leurs  domeftiques ,  leurf; 
amis  ,  tout  ce  qu'elles  ont  de  plus  cher,  les  aban- 
donnent ou  les  perfécutent  :  leurs  anxiétés  ,  leurs 
douleurs  extrêmes  font  mal -interprétées  ,  blâ- 
mées ,  décriées  ;  au  lieu  que  la  droite  raifon  & 
la  charité  devroit  excufer  ,  admirer  ,  ou  même 
lefpecleren  elles  ce  qu'on  ne  connoît  point,  & 
expliquer  favorablement  des  chofes  douteufes  & 
inconnues  au  monde.  Par  tout  cela  elles  par- 
viennent à  cette  heuxeufe  mort ,  &  difent  avec 
David  ,  à  Texemple  de  Jéfus-Chrift  :  (a)  Mon 
cœ,iJir  n  attend  plus  que  l'opprobre  &  la  mifere  ,  &c, 
ThéoL  Myfl.  Liv.  3-   ^h.  25. 

Ste.    Catherine    de    Gènes. 

13.  De  cette  forte  toutes  les  inclinations  nui* 
turelles  ,  tant  de  l'ame  que  du  corps  ,  font  con- 
îumées  les  unes  après  les  autres  :  &  ainfi  je  con- 
iiois  qu'il  faut  que  ce  qu'il  y  a  de  propre  en  nous 
foit  confumé  de  telle  forte  qu'il  n'en  refte  aucune 
chofe  ,  à  caufe  de  la  malignité  de  cette  partie 
propre  ,  qui  eft  telle  &  fi  grande  ,  qu'il  n'y  a  rien 
qui  la  puiffe  vaincre  ,  fmon  l'infinie  bonté  da 
Dieu.  Si  lui-même  ne  la  confumoit  ,  cachoit  & 
engloutiffoit  en  lui  ,  il  nous  feroit  impoffible 
d'ôter  de  deffus  nos  épaules  ce  mal,  pire  que 
l'Enfer.  En  fa  Vie.  C/z.  13. 

14.  Cette  pureté  &  netteté  d'amour  étoit  inef- 
fable ,  &  furpaffoit  la  capacité  humaine  :  &  cette 
ame  fàinte  avoit  cet  amour  en  fi  grande  abon- 
dance ,  qu'elle  ne  pouvoit  comprendre  (  Z?)  qu'il 

(û)  Pf.  68.  V.  21. 

(6)  Il  femble  à  Tame  de  ce  degré  ,  que  fon  amour 

/  ne  fe  peut  accroître  ,  quoiqu'il  s'accroîffe  chaque  jour  : 

c'eft   parce  qu'elle  ne  fent  point  de  vides  ,  à  caufe  que 

Dieu  remplit  fa  capacité  paffive  à  mefure  qu'il  Tétend ,  ^ 


L.  Purification  1:2-14.  391 

cAt  pu  croître  davantage;  parce  (lucllc  en  ctoit 
tcllrnu-nt  pleine  ,  qu'elle  n'en  ponvoit  (icllrer 
da\'anta^e  (juc  ce  4U1  la  tenoit  pleinement  lai- 
fafiée. 

Toutefois  l'amour  ne  laifloit  pas  rfétre  foi- 
gneux  de  purger  &  de  nettoyer  ce  vaifTcau  pré- 
cieux &  élu  ,  d'augmenter  fa  capacité  &  de  le 
remplir  de  plus  en  plus.  De  forte  cju'L'Ile  difoit: 
Je  feus  toujours  que  l'on  m'ùte  de  petits  brins 
d'imperfedions,  que  ce  pur  amour  tire  dehors, 
traraillant  beaucoup  avec  fes  yeux  pénétrans  &. 
clairvoyans ,  qui  découvrent  les  moindres  &  les 
plus  fecrettes  imperfedions  ,  lefquelles  auprès 
d'un  moindre  amour  fembleroient  de;^  perfec- 
tions. Dieu  fait  cette  œuvre  ,  ^:  riiomme  ne  s'en 
apper^'oit  pas  ;  parce  que  s'il  voyoit  les  imper- 
fcdions,  il  ne  les  pourroit  fupporter.  Dieu  lui 
montre  la  perfection  qui  efh  en  Tœuvre,  fans  Jui 
faire  voir  les  imperfedions  qui  nuifent  encore  à 
Toeuvre  :  mais  cependant  il  ne  cefTe  de  les  lai  ôter, 
bien  qu'elles  foient  inconnues  à  Fentendement. 
Et  Ci  on  dit  (a)  que  les  Cieux  ne  font  pas  nets 
devant  Dieu,  il  faut  entendre  que  le  défaut  de 
netteté  n'efk  point  reconnu  que  par  une  lumière 
furnaturelle  ;  laquelle,  fans  que  l'homme  s'en  en- 
tremette ,  opère  en  fa  manière  divine,  &  purifie 
fans  cefTc  le  vaifTeau  ,  lequel  femble  être  déjà  par- 
faitement purifié.  Dieu  fait  cette  œuvre  fecrette- 
ment ,  parce  que  fi  cet  homme ,  qui  s'eft  du  tout 
remis  entre  les  mains  de  Dieu  ,  &  qui  ne  veut  que 
[b)  vertu  &  perfedion  de  Dieu  ,  voyoit  de  quelle 

il  rétend  à  mefure  qu'il  réii^pîît%  Je  forte  que  l'ame  ne 
fentant  point  fon  vide  ,  ne  comprend  pas  qu'elle  puifle 
contenir  plus  d'amour. 

(a)  Job   15.    ?^.   i^. 

(6)  NoUz^  vertu  &  perfeélion  de  Dieu. 

T  ^ 


a^t        Justification. 

importance  efl:  la  plus  petite  imperfedion  devant 
Dieu  ,  il  lui  feroit  impoffible  (a),  s'il  en  voyoit 
plufieurs  ,  ou  même  une  feule  ,  que  par  défefpoir 
il  ne  fût  réduit  en  poudre.  Pour  ce  fujet  Dieu  les 
ôte  peu  à  peu  à  Thomme  fans  qu'il  s'en  apper- 
^oive  ;  &  tandis  que  nous  fommes  en  cette  vie, 
fa  douce  bonté  ne  fait  autre  cliofe  que  de  nous 
les  ôter.  Ch.  i8. 

15.  Pour  cette  caufe  je  conclus  que  Tamour 
pur  ne  peut  endurer  la  moindre  contrariété ,  & 
ne  peut  demeurer  avec  aucune  perfonne,  s'il  ne 
lui  ôte  tous  les  obftacles  &  les  empêchemens , 
pour  y  demeurer  dans  un  parfait  repos.  Ch.  2Q. 

16.  Si  une  telle  reétitude  n'y  étoit  point,  il 
lie  feroit  pas  vrai  &  pur  amour;  mais  il  feroit 
fouillé  d'amour-propre,  qui  eft  fi  éloigne  du  pur 
amour  que  rien  ne  lui  peut  être  plus  contraire  , 
&  l'ame  ne  peut  avoir  de  repos  jufqu'à  ce  que 
les  eaux  qui  fortent  d'elle  foient  auffi  claires  que 
celles  qui  viennent  de  la  fource  divine.   Ch.  21. 

17.  L'amour  pur  ne  peut  ni  endurer  (b)  ni 
comprendre,  quelle  chofe  c'eft  que  peine  ou 
tourment,  ni  du  monde,  ni  de  l'Enfer  :  &  bien 
qu'il  pût  fentir  toutes  les  peines  des  démons  & 
des  damnés  ,  il  ne  pourroit  jamais  dire  que  ce 
fuffent  des  peines  ;  parce  que  quand  la  peine 
feroit  fentie  ,  ce  feroit  hors  de  cet  amour.  Le  vrai 
&  pur  amour  eft  de  fi  grande  force  ,  qu'il  tient 
toujours  fon  objet  attaché  &  immobile  en  l'a- 
mant',  &  ne  lui  donne  (c)  jamais  la  puiffance  de 
voir  ou  de  fentir  autre  chofe  que  pur  amour, 

(a)  Elle  parle  de  iVtajt^ parfait. 

(fc)  C'eft  Lcquî  â  été  dit  plus  haut,  /?^^.  286.  ÇExplk» 
du  Cant.  Ch.  5.  v.  g.)  que  T Amante  oublie  toutes  fes 
bleffures  pour  ne  penfer  qu'à  la  plaie  de  fon  amour, 

(c)  Notez  jamais. 


L.  Vurificatîùn  14--ÎS.  Î93 

Ccft  donc  en  vain  (jnc  fc  travaille  celui  qui  lui 
v^eut  faire  fcntir  les  chofes  du  monde;  parce  qu'il 
demeure  en  fon  objet  immobile  comme  un  moi  t. 
Chap,  Z^. 

1 8.  Je  voi^  trois  moyens ,  difoit-cllc  ,  que  Dieu 
tient  quand  il  veut  purger  la  créature. 

Premièrement  il  lui  donne  un  amour  nud  ,  de 
forte  qu'elle  ne  peut  vouloir  ni  voir  autre  chofc 
(\\\ç.  cet  amour,  qui  étant  fi  nud  [a]  &  fi  net,  lui 
fait  voir  les  moindres  atomes  &  les  plus  fubtils 
traits  de  Tamour-propre  :  &  voyant  cette  vérité, 
elle  ne  peut  plus  être  trompée  de  fa  partie  pro- 
pre ;  mais  elle  la  réduit  dans  un  fi  grand  défef- 
poir ,  qu'elle  ne  lui  veut  (  b  )  donner  aucun  rafrai- 
chifTement,  foit  corporel,  foit  fpirituel.  Ainfi 
fon  amour-propre  fe  confume  peu  à  peu ,  étant 
nécefTaire  que  celui  qui  ne  mange  point  meure  ; 
&  toutefois  la  quantité  &  la  malignité  de  cet 
amour-propre  eft  fi  grande ,  qu'il  accompagne 
l'homme  prefque  jufqu'à  la  fin  de  fa  vie.  Je  fens 
confumer  en  moi  plufieurs  inftinds  ,  qui  aupa- 
ravant me  fembloient  bons  &  parfaits  ;  mais  après 
qu'ils  font  confumés  ,  je  connois  &  comprends 
qu'ils  étoient  dépravés  félon  mon  infirmité  fpiri- 
tiîelle  &  corporelle  que  je  ne  voyois  point ,  &  que 
je  ne  penfois  plus  avoir.  Il  faut  venir  à  une  fi 
grande  fubtilité  de  vue  ,  que  toutes  les  chofes  qui 
fembloient  être  d^s  perfedionsfe  découvrent,  & 
à  la  fin  fe  reconnoiffent  être  des  imperfeélions  , 
larcins  &  malheurs;  ce  qui  fe  reconnoît  claire- 
ment au  miroir  de  la  vérité  ,  à  favoir  de  l'amour 

(a)  La  nudité  de  Tamour  fait  fa  pureté. 

Cft)  C'eft  011  confifte  toute  la  fidélité  de  Pâme,  de 
ne  donner  aucun  foulagenient  à  là  nature  durant  les 
épreuves. 

T  3 


294  Justification, 

pur ,  dans  lequel  tout  ce  qui  fembloit  être  droit, 

fe  voit  tortu  &  imparfait. 

L-e  fécond  moyen,  qui  me  plaît  plus  que  ce- 
lui-là 5  eft  quand  Dieu  donne  à  l'homme  un  efprit 
occupé  dans  une  grande  peine  &  affliction  ;  parce 
que  cela  lui  fait  voir  combien  il  eft  vil  &  abjeft: 
&  par  cette  vue  il  fe  tient  dans  une  très-grande 
pauvreté  de  tout  ce  qui  peut  recevoir  quelque 
goût  ou  faveur  de  bien  ;  de  telle  manière  que 
Ja  partie  propre  ne  fe  peut  repaître  par  aucun 
moyen  ,  &  ne  pouvant  le  faire ,  il  efl  néceffairc 
qu'elle  fe  confume  ,  &  qu'elle  reconnoiffe  enfin 
que  fi  Dieu  n'y  mettoit  la  main  ,  en  lui  donnant 
fon  être  ,  avec  lequel  il  lui  ôte  cette  vue  fi 
affligeante  ,  jamais  elle  ne  fortiroit  de  cet  Enfer. 
Mais  après  qu'elle  a  reconnu  qu'elle  ne  peut  ab- 
folument  rien  efpérer  d'elle-même  ,  Dieu  lui  fait 
la  grâce  de  lui  ôter  cette  vue  ,  &  alors  elle  de- 
meure en  grande  paix  &  confolation. 

Le  troifieme  moyen  (^)  eft  encore  plus  ex- 
cellent ,  qui  eft  5  quand  Dieu  donne  à  la  créature 
un  efprit  fi  occupé  en  lui  ,  que  ni  dedans  ni 
dehors  il  ne  peut  penfer  qu'à  Dieu  même  ;  ne 
pouvant  eftimer  ni  s'arrêter  en  aucune  chofe  de 
ce  qui  eft  en  lui ,  ni  même  à  fes  exercices  &  à  fes 
occupations,  finon  autant  qu'il  eft  néceffaire  pour 
l'amour  de  Dieu.  Ainfi  cet  efprit  femble  être 
mort  au  iTionde  ;  parce  qu'il  ne  fe  peut  délecter 
en  aucune  chofe  ,  &  ne  fait  ce  qu'il  veut,  m  au 
Ciel  ni  en  la  terre.  Avec  cela  il  lui  eft  donné 
une  telle  pauvreté  d'efpnt ,  qu'il  ne  fait  ce  qu'il 
fait,  ni  ce  qu'il  a  fait,  &  il  ne  pourvoit  à  rien 

(û)  Dieu  joint  en  certaines  âmes  tous  les  trois  moyens 
de  puritlcation  ,  ou  les  leur  faic  paffer  ks  uns  après  les 
aucres. 


L.   Purification  iR-20.  295 

3e  tout  ce  qu'il  doit  faire  ,  m  pour  Dieu  ,  ni  pour 
le  monde,  ni  pour  foi-menie  ,  ni  pour  le  pro- 
chain; parce  (]uc  Dieu  ne  lui  laiffe  voir  aucune 
chofe  dont  il  fe  puiiïe  repaitre,  mais  le  retient 
toujours  en  union  avec  lui  &  dans  une  douce  & 
agréable  confufion.  *  Ainfi  cet  efprit  demeure 
riche  &  pauvre  ,  ne  pouvant  fc  rien  approprier, 
ni  fe  fatislaire  d'aucune  chofc  ;  de  forte  qu'il  cfb 
néccffaire  cju'il  fe  confume  &  qu'il  demeure  enfin 
perdu  en  Ini-mcmc.  Puis  il  fe  retrouve  en  Dieu, 
où  il  étoit  déjà  auparavant ,  quoiqu'il  ne  fut  pas 
comme  il  y  étoit.  C/i,  26. 

19.  L'ame  qui  aime  Dieu  ,  a  plus  d'horreur 
d'une  imperfection  que  de  toutes  les  peines  du 
Purgatoire  ,  bien  qu'elles  foient  extrêmes.  C'eft; 
pourquoi  elle  fe  lance  avec  ardeur  dans  le  Pur- 
gatoire étant  fortie  du  corps ,  voyant  que  c'eft  le 
lieu  ordonné  pour  la  purger  ;  &  il  lui  femblc 
qu'elle  trouve  une  grande  miféricorde.   C/i,  50. 

20.  Elle  étoit  tellement  attachée  à  la  volonté 
de  Dieu,  qu'elle  prenoit  de  fa  main  tout  ce  qui 
lui  arrivoit  de  moment  en  moment  ;  &  cette 
union  à  la  divine  volonté  lui  donnoit  un  tel  goût 
&  faveur ,  qu'elle  participoit  à  la  félicité  des  bien- 
heureux ,  qui  n'ont  d'autre  vouloir  que  celui 
de  la  fouveraine  Bonté.  Ce  divin  vouloir  [a)  eft 

*  Propriété  ,  n.  9. 

(a)  Cq  dîvîn  vouloir  nous  purifie.  Comme  toutes  nos 
imperfections  viennent  de  ce  qui  eft  oppofé  à  Dieu  ; 
(  car  il  eft  impoflible  que  Dieu  puilTe  vouloir  une  im- 
perfedioa  ,  toute  imperfection  nous  rendant  diffembla- 
blés  à  lui  &  oppofés  à  fa  volonté;  il  eft  clair  que  la  con- 
formité à  fa  volonté,  nous  faifjnt  devenir  uniformes  ,  6c 
-cette  uniformité  étant  la  manière  dont  nous  pouvons 
reilembler    à   Dieu  ,   il   faut  nécefruirement  que  la  dû 

T4 


2^6  JUSTIFICATIO*. 

ce  qui  ôtc  de  notre  volonté  toute  impcrfedljon. 
Et  pour  cela  elle  difoit  :  Dieu  veut  tout  ce  que 
nous  pouvons  défirer  de  mieux  &  de  plus  haut; 
&  il  ne  regarde  à  autre  chofe  qu'à  notre  utilité 
fpirituelle.  Mais  Tliomme  ,  à  caufe  de  fon  im- 
perfedtion  ,  ne  voit  pas  ces  chofes  ;  &  plus  il  fe 
conforme  au  vouloir  divin  ,  plus  il  laiffe  foa 
imperfection  ,  &  s'approche  plus  près  de  la  per- 
fection ;  de  forte  que  (a)  quand  il  ne  peut  plus 
5'éloigner  de  la  divine  volonté  ,  il  devient  tout 
parfait  ,  uni  &  transformé  en  Dieu  :  ainfi  Tame 
demeurant  dans  fa  volonté  dépravée  ,  efk  & 
demeure  imparfaite  ;  &  s'approchant  de  celle 
de  Dieu  ,  elle  devient  parfaite.  O  bienheureufc 
Tame  ,  &c.  (Voyez  Abandon,  n.  lo.    Ch,  51. 

2i,  Y oytz  AncantiJJcment.  n.    14  &  i^. 

22.  Depuis  qvie  l'amour  eut  pris  le  foin  &  le 
gouvernement  de  toutes  chofes  en  moi ,  jamais 
il  ne  me  laiffe  ;  de  forte  que  depuis  ce  tems  [b]]^ 
n'en  ai  pris  aucun  foin ,  &  n'ai  pu  faire  aucune 
opération  de  l'entendement,  de  la  mémoire  &  de 
la  volonté,  non  plus  que  fi  je  n'eulTe  jamais  eu 
aucune  de  ces  facultés.  Chaque  jour  je  me  fen- 
tois  plus  occupée  en  lui ,  &  avec  un  plus  grand 
feu.  Cela  arrivoit  parce  que  Tamour  me  délivroit 
peu  à  peu  de  toutes  les  imperfeélions  intérieures 
&  extérieures,  &  les  confumoit;  &  quand  il  en. 

vîne  volonté ,  conformant  notre  volonté  à  la  fienne  ,  la 
purifie  de  tout  ce  qui  lui  eft  contraire:  plus  elle  la  pu- 
riiie  ,  plus  elle  fe  la  conforme  ,  jufqu'à  ce  qu^elle  la 
rende  uniforme,  &  qu'enfin  elle  la  change  &  transforme 
en  foi  ;  c'eft  réconomie  de  la  grâce. 

fa)    "Notez  ,  quand  il  ne  peut  plus  s'éloigner. 

(/;)  Eiic  dit  qu'elle  n'a  jamais   repris  le  foin  de  foi- 
même,  &  qu'elle  na  pu  rien   opérer. 


L.  Purification  20-24.  297" 

avoit  confiimc  quelqu'une  ,  il  I;i  montroit  à  Tamc  : 
&  rame  voyant  cela,  s'cnibraloit  encore  davan- 
tage d'amour,  &  ctoit  tenue  en  tel  degré  qu'elle 
ne  pouvoitvoir  en  foi  aucune  chofc  qui  fît  em- 
pêchement à  l'amour,  parce  qu'elle  fe  fùtdéfcf- 
pérëe  :  mais  il  lui  falloit  toujours  vivre  avec  la. 
pureté  qu'il  demandoit.  S'il  y  avoit  quelque  im- 
perfedion  à  ôtcr  ,  elle  n'étoit  pas  montrée  à  Tamc, 
ni  même  mife  aucunement  «1  la  penfée ,  pour 
y  pour\'oir  <Sc  pour  en  prendre  le  foin  ,  non  plus 
que  fi  elle  ne  lui  eut  point  touché.  J'avois  don- 
né à  l'amour  les  clefs  de  la  maifon  avec  une 
ample  &  entière  puiflance,  afin  qu'il  fît  tout  ce 
qu'il  voudroit ,  fans  avoir  aucun  égard  ni  à  1  ame  ^ 
ni  au  corps.  Ch,  41. 

23.  Je  demeurai  fi  attentive  &  fi  occupée  à 
voirfon  œuvre  que  s'il  m'eut  jette  avec  l'ame  & 
le  corps  en  Enfer,  il  me  femble  que  je  n'y  euffe 
trouvé  que  tout  amour  &  confolation.  Je  voyois 
que  cet  amour  av^oit  l'œil  (i  ouvert  &c.  (Voyez 
ConfcJJîon,  n.  4.  )  Ld-mémc, 

24.  Elle  fut  encore  plus  étroitement  afliégée  ; 
&  fe  trouvant  de  jour  en  jour  plus  à  l'étroit ,  elle 
difoit  :  Je  me  trouve  chaque  jour  plus  refferrée, 
&  comme  une  perfonne  qui  ayant  été  confinée 
dans  une  ville  ifans  en  pouvoir  fortir,  feroit  en^ 
fuite  renfermée  dans  une  belle  maifon ,  accompa- 
gnée d'un  beau  jardin;  puis  en  la  maifon  feule, 
fans  pouvoir  entrer  dans  le  jardin;  puis  dans  une 
falle ,  puis  dans  un  cabinet  avec  un  peu  de  lumiè- 
re,  puis ,  dans  une  prifon  fans  lumière  ;  puis  avec 
àts  menotes ,  puis  les  pieds  liés  ;  puis  on  lui  ban- 
deroit  les  yeux;  puis  on  ne  lui  donneroit  plus 
rien  à  manger;  puis  perfonne  ne  parleroit  plus  à 
elle;  puis  toute  efpérance  lui  feroit  ôtée  d'en  for- 
tir  que  par  la  mort;  &il  ne  lui  refteroit  autre  con- 


5:98         Justification. 

folation ,  que  de  connoître  que  Dieu  eft  celui  qui 
fait  tout  cela  par  amour,  &  par  une  grande  mifé- 
ricorde ,  enforte  que  cette  connoiffance  lui  don- 
ne un  grand  contentement  &  une  grande  paix; 
qui  ne  diminue  point  néanmoins  la  peine  ni  l'af- 
ficgement  où  elle  eft  :  &  de  plus  on  ne  lui  pour- 
roit  donner  de  fi  grandes  pemes  que  pour  en  être 
délivrée ,  elle  voulut  fortir  de  cette  divine  or- 
donnance &  difpofition  ,  'qu^elle  voit  être  jufte 
&  accompagnée  de  miféricorde. 

Auffi  à  caufe  de  la  pureté  de  fon  amour,  elle 
difoit  :  Si  Dieu  me  donnoit  toutes  les  grâces  & 
les  mérites  des  Saints,  &  avec  cela  toutes  les 
peines  des  damnés,  lamour  pur  eftimeroit  ces 
peines  comme  des  joies  de  la  vie  éternelle.  Et 
fur  ce  qu'on  lui  repartit  qu'elle  diroit  peut-être 
autrement,  s'il  en  falloit  venir  à  Tépreuve,  elle 
répondit  :  Si  Tamour  confideroit  la  peine ,  ce  ne 
feroit  pas  amour  de  Dieu ,  mais  amour  propre. 
Si  on  pouvoit  ôter  à  une  ame  damnée  la  caufe  de 
les  peines,  à  favoir  le  péché,  elle  eftimeroit  le 
refte  de  fes  peines  comme  un  rien,  en  comparai- 
fon  du  péché  qui  lui  feroit  ôté  ;  &  fi  elle  difoit 
autrement,  elle  ne  feroit  pas  en  parfaite  charité. 
Ch.  42. 

25.  Voyez  Juflice  de  Dieu,  n,  2. 

26.  Elle  vit  que  Dieu  tenoit  Tefprit  tellement 
fixe  en  lui,  qu'il  ne  le  laiffoit  point  divertir  pen- 
dant un  feul  moment  :  &  tant  plus  il  étoit  en 
cette  occupation  ,  tant  plus  il  lui  étoit  difficile  de 
retourner  en  arrière  ;  à  caufe  de  Toppofition  & 
de  la  contrariété  inexprimable  qui  s'y  rencontroit 
à  l'égard  de  Fefprit,  lequel  étant  ainfi  caché  &  en- 
glouti en  Dieu  ,  trouvoit  toujours  cette  mer,  dans 
laquelle  il  étoit  plongé ,  plus  grande  &  plus  pro- 
fonde ,  parce  que  Dieu  l'y  tiroit  &  Ty  plongeoit 


I..  Purijication  24-28.  -z^c) 

cic  plus  en  j)lu'^,  (1  bien  ([u'il  s'aiicantifToit  coiiti- 
jiucllcinciit  vX  Tl*  ii.nislorinoit  en  Dieu,  qui  dit 
alors  il  Tame  : 

*  Je  ne  veux  plus  que  tu  icnéchifTes  fur  mes 
opérations  pour  les  regarder  &  les  fentir  ;  car  tu 
en  déroberois  (,a)  toujours  (jueliiuc  chofe,  eu 
t'approj)riant  ce  qui  ne  t'appartient  pas.  Je  veux 
laire  le  relie  de  l'œuvre  ïans  que  tu  en  fâches 
rien  :  je  te  veux  Jeparer  de  ton  efprit  ik  que  lui- 
même  foit  noyé  dans  mon  abime. 

L'Humanité  toute  découragée  par  ces  difcours, 
dit  : 

Je  fuis  celle  qui  demeure  ici  dans  les  tour- 
mens  :  je  ne  vis  pas,  ik  )e  ne  puis  mouiir;  &  je 
me  vois  de  jour  en  jour  plus  opprimée  &,  prefque 
anéantie.  Ouand  on  me  montra  ([uelle  étoit  cet- 
te opération  ii  attachée  en  Dieu  ,  qu'il  m'étoit 
impolfible  de  refpirer  un  moment  ;  je  vis  tous  les 
efforts  de  cet  alîiégement  raliés  contre  moi  mi- 
férablc  ,  &  que  cette  opération  étoit  û  terrible 
pour  moi  5  que  toutes  les  parties  de  mon  corps 
en  étoient  affligées  :  parce  que  de  demeurer  ainli 
fixe  &  arrêtée  fans  fe  mouvoir  un  feul  moment, 
c'eft  une  chofe  qui  convient  aux  Saints  bienheu- 
reux en  Paradis  ,  qui  vivent  en  Dieu  perdus  à 
eux-mêmes  :  mais  pour  moi,  que  je  vive  en  ter- 
re, &  que  Tefprit  foit  au  ciel;  c'eft  le  plus  grand 
&  le  plus  merveilleux  ouvrage  dont  j'aie  jamais 
oui  parler  ,  &le  plus  terrible  martyre  que  je  puiffe 
avoir  en  ce  monde.  Dlal.  Livr.  2.   Ch.    1 1. 

27.  Voyez  Pur  amour,    n.   13. 

28.  Les  conditions  de  cette  ame  font  celles- 
ci.  Elle  demeure  fort  délicate ,  tellement  qu'elle 
ne  peut  endurer  en  foi  le  foupçoii  du  moindre 

*  JJort  entière,  n,  6. 

Ici  L'appropriation  cil  un  larcin. 


'300  Justification. 

défaut;  parce  que  l'amour  pur  &  net  ne  peut  de- 
meurer  avec  la  plus  petite  imperfedion  ,  &  que 
l'ame  amoureufe  n'en  pouvant  foufFrir  aucune  en 
elle-même,  elle  en  reffentiroit  une  peine  fembla- 
ble  à  celle  de  TEnfer.  Et  comme  en  cette  vie 
l'homme  ne  peut  être  fans  défauts  ,  Dieu  laiffc 
Tame  pour  quelque  tems  dans  l'ignorance  (a)  de 
ceux  qui  font  en  elle ,  parce  qu'elle  ne  les  pour- 
roit  fupporter  :  puis  dans  un  autre  tems  il  lui  don- 
ne la  connoifTahce  de  tous  ces  défauts,  &  par  ce 
•moyen  il  la  purifie.  Livr.  3.   Ch.  8. 

29.  Bien  qu'il  femble  quelquefois  que  telles 
âmes  ayent  affection  à  quelque  chofe  extérieure  , 
on  ne  doit  (  b)  pas  le  croire  ;  étant  impofïibJe 
qu'en  tels  efprits  il  puiffe  entrer  autre  amour  que 
celui  de  Dieu,  iï  ce  n'eft  que  Dieu  le  permette 
aînli  pour  quelque  néceffité  de  l'ame  ou  du  corps  ; 
&  en  ce  cas  l'amour  de  Dieu  ne  fouffriroit  aucun 
empêchement  par  un  tel  amour  ,  ou  un  tel  foin 
permis  pour  une  telle  occafion,  parce  qu'il  ne  pé- 
netreroit  point  jufqu'au  fond  du  cœur,  &  ne  fe- 
roit  ordonné  de  Dieu  que  pour  une  telle  nécef- 
fité, &  qu'il  foit  libre  de  toute  fujétion  intérieure 
&  extérieure  :  car  (c)  ozz  ejl  te/prit  de  Bleu  y  là  efi 
la  liberté.  Là-même. 

30.  O  que  peu  de  créatures  font  canduites  par 
,.^ette  voie  d'un  fi  fubtil  &  fi  pénétrant  amour, 

-<jlù  met  de  telle  forte  l'ame  &  le   corps  en  pret 
fe,  qu'il  ne  leur  lailTe  aucune  imperfedion  !  par- 

[a]  Défauts  que  TEpoux  corrige  en  fon  tems.  (Voyez 
Explicat,  du  Cant,  Ch.  i.  v.  ^.  ) 

[/j]  C^eft  ce  que  j*ai  dit ,  qu'il  paroît  des  défauts  &  crafTes 
après  la  purification  &  qui  ne  le  fonc  pas.  [Voyez  Moyen 
court.  Ch.  24.  n.  1.  rapporté  dans  TArt.  Propriété  &  la 
Note  pag.  190.  3 

[c]  z  Ccr.  }.  V.  17. 


L.   Vurifi cation   29-33.  301 

te  que  pour  petite-  (]Lrelle  foit,  rameur  pur  ne  la 
peut  endurer;  iS:  la  douce  opération  perfé\  érc 
en  Tame  tant  (juVlle  l'ait  toute  puriMéc,  pour  1a 
conduire  à  l'a  propre  fin  fans  purgatoire.  Là-mè'^ 
me.    CIl  1  I . 

Le  B.   Jean    de   la  Croix. 

31.  Il  efl  dit  dans  Y  Explication  de  fon  Eni^mr^ 
que  Tame  doit  être  purifiée  dans"  les  chofes  plus 
fpirituelles ,  qu'il  y  a  une  purification  active  & 
unt  paliivc. 

Outre  tous  les  Chapitres  de  la  Montée  du  mont 
Carmel  çff  de  la  Nuit  Obfcure,  qui  ne  parlent  que 
de  purification  ,  je  me  rcjlrains  à  ce  que  je  vais  écrire. 

32.  C*eft  le  propre  de  celui  qui  a  des  appétits, 
d'être  toujours  mécontent  &  ennuyé,  comme 
celui  qui  endure  la  faim  :  mais  quel  rapport  & 
quelle  convenance  entre  la  faim  que  caufent  les 
créatures,  &  cette  réplétion  qu'opère  TEfprit  de 
Dieu  ?  Ainfi  cette  fatiété  de  Dieu  ne  peut  en- 
trer en  Tame,  fi  on  n'en  bannit  premièrement 
cette  faim  de  Tappétit,  vu  que,  comme  il  a  été 
dit,  deux  contraires  ne  peuvent  demeurer  en  un 
même  fujet,  à  fav^oir,  la  faim  &  la  réplétion.  Oa 
voit  par-là,  combien  ce, que  Dieu  fait,  en  pur- 
geant &  nettoyant  Tame  de  ces  contrariétés,  eft 
en  certaine  manière  plus  (^)  que  de  la  créer  à^, 
rien;  parce  que  ces  contrariétés  d'appétits  &  d'âf* 
feclations  contraires  femblent  plus  s'oppofer  à 
Dieu  que  le  néant,  qui  ne  réfiftc  point  à  fa  Ma- 
jefté,  comme  fait  l'appétit  des  créatures.  Montée 
du  Alont  Carmel.  Livr.   i.   Ch.  6. 

33.  Parce  que  l'ame  fe  purge  ici  des  affec1:ions 
&  appétits  fenfi tifs ,  elle  [b)  acquiea  la  liberté  d'ef- 

[a]  Bien  vraî. 

[b2  Tout  ceci  appartient  à  la  première  purification. 


502        Justification. 

prit,  où  elle  cueille  les  douze  fruits  du  S.  EfprÎL 
ï!t  auflfi  elle  fe  délivre  ici  admirablement  des  trois 
ennemis,  du  Diable,  du  monde,  &  de  la  chair: 
car  éteignant  la  faveur  &  le  goût  fenfitif  à  Tégard 
de  toutes   chofes,    le   Diable,  le  monde,  ni  la 
fenfualité  n'ont  point  d'armes  ni  de  forces  con- 
tre  l'efprit.   Ces  aridités  donc  font  marcher  Tamc 
Tivcc  pureté  en  Famour  de  Dieu  ;  puifqu'elle  ne 
fe  rnieut  plus  à  opérer  pour  le  goût  &  faveur  de 
l'œuvre,  comme  ellefaifoit  peut-être  quand  elle 
avoit  des  douceurs  ,  mais  feulement  pour  plaire 
à  Dieu.    Elle  devient,  non  préfomptueufe  ,  ni 
fatisfaite  ,  comme  peut-être  elle  étoit  auparavant 
au  tems  de  fa  profpérité,  mais  craintive  &  dé- 
fiante de  fes  œuvres,  n'ayant  aucune  fatisfaction 
de  foi;  eii  quoi  confifte    la  fainte  crainte,   qui 
conferve  &  augmente  les  vertus.    Cette  aridité 
éteint  auffi  les  concupifcences  &  les  mouvemens 
vifs  de  la  nature  ,  comme  il  a  été  dit;  parce  qu'ici 
très  -  rarement,   &    comme    par  miracle,  (  fi  ce 
ii'èft'  que  Dieiî,  de  foi,  lui  verfe  ou  donne  quel- 
que gô^ût}^ëH'e  ne  trouvera  du  goût  ni  de  la  con- 
folatibn  fenfible  par  fa  diligence  en  aucune  œu- 
vre ni  exercice  fpirituel,  comme  nous  avons  déjà 
dit.  En  cette- nuit  féche  le  foin  de  Dieu  croît ,  & 
le  défir  angoiiTeux  de  le  fervir  s'augmente  ;  parce 
que  comrne  fe  rnamelles  de  1^  fenfualité ,  dont  tïïc 
ncurriflbitfési  appétits,    lui  tarifïent,  i!  ne  lui 
refte  plus  que  ce  défir  tout  fec  &  pur  de  fervir 
Dieu  :  chofe  très-agréable  à  fa  divine  Majefté. 
Objcure  Nuit  de  famc  ^Livr.  l.   Ch    13. 

34.  La  maifon  de  la  fenfualité  étant  déjà  tran- 
quiljifée  ,  c'eft-à-dire ,  fes  pallions  étant  mortifiées, 
fèsconvoitifes  éteintesr,  les  appétits  appaifés  &. en- 
dormis par  cette  heureufe  nuit  de  la  purgation 
fenfitive,  Tame  fortit  pour  comrmencer  le  che- 


L.  Ttiriflcattou.   53--34-  3^3 

iT\in    de    Tcrprit ,    qui   c(l  proprement  relui  dcfv 
.    avancés  ,  qu'on  a[)pellc  nutrenienr  la  voie  illunii- 
iiativc,  ou  (le  contemplation  inlufe,  par  laquel- 
le contemplation   Dieu   de    foi-mètne    repaît  & 
fudente  ramef.uis  difcours,  ni  aide,  ni  [a]  coopé- 
ration   adivc    d'elle.     Telle    e(l ,    comme    nous 
avons  dit,  la  nuit  ^  puriHcation  du  fens,  laquel- 
le en  ceux  qui  doivent  après,  entrer  en  Tautre 
plus  fàcheufe  &   plus  pcfantc  de  l'efprit,  pour 
pafler  à  la  divine  union  d'amour  de  Dieu,  (car 
tous  ny  paffent  pas  ,  mais  peu  pour  l'ordinaire  ,  ) 
a  coutume  d'être  accompagnée  de  grands  travaux 
&  tentations  fenfitives  qui  durent  Jongtems  ,  en- 
core qu'aux   uns  plus   qu'aux  autres  :  car  quel- 
ques-uns ont  l'Ange  de  Satan  ,  qui  eft  l'efprit  de 
fornication,  pour  tourmenter  leurs  fens  de  for- 
tes &  abominables  tentations  ,  &  travailler  leur 
efprit  de  fales  penfées,  &  l'imagination  de  re- 
préfentations  fort  vives  :  ce  qui  leur  eft  par  fois 
im   plus   grand   tourment   que   la  mort   même. 
D'autrefois   à   cette   nuit  il  eft  joint  l'efprit  de 
blafphême,  qui  traverfe  toutes  leurs  conceptions 
&  penfées  de  blafphêmes  intolérables ,  lefquels 
par  fois  il  fuggerc  dans  l'imagination  avec  tant 
d'effort,  qu'il  les  fait  quafi  prononcer;  ce  qui 
leur    eft  un   grand   tourment.    Tantôt  ils   font 
tourmentés  d'un  autre  efprit  abominable  qu'on 
appelle  efprit  de  vertige ,  qui  leur  eft  donné  pour 
les  exercer  ;  lequel  leur  obfcurcit  tellement   le 
fens  qu'il  les  remplit  de  mille  fcrupules  &  per- 
plexités fi  embrouillées  en  leur  jugement,  qu'ils 
ne  peuvent  jamais  fe  fatisfaire  en  rien  ,  ni  appuyer 
le  jugement  à  confeil  ni  à  conception  aucune: 
ce  qui  eft  un  des  plus  rudes  aiguillons  &  horreurs 

(û)  Elle  commence  déjà  d'entrer  dans  la  correfpon- 
dance  paffive. 


'^04    Justification. 

de  oettc  nuit ,  fort  approchant  de  ce  qui  fe  paiïe 
dans  Ja  nuit  fpirituelle. 

'  Dieu  envoie  ordinairement  ces  peines  &  ces 
travaux  en  cette  nuit  fenfitive  à  ceux  qu'il  veut 
mettre  après  dans  l'autre,  (quoique  tous  n'y  en- 
trent pas ,  )  afin  qu'étant  ainfi  châties  &  foufle- 
tés  de  la  forte,  ils  aillent  exerçant  &  difpofant 
&  accommodant  les  fens  &  les  puifTances  pour 
l'union  de  la  SagefTe  (a),  qu'on  leur  doit  don- 
ner là;  parce  que  fi  Tame  n'efk  tentée,  exercée, 
éprouvée  par  des  tentations  &  travaux ,  fon  fens 
ne  peut  arriver  à  la  Sageffc.  C'cft  pourquoi  l'Ec- 
cléfiaftique  dit  :  (b)  Celui  qui  ntfi  point  ttnté ^  que 
fait-il  ?  Et  celui  qui  n^a  point  expérimenté  reconnoltra 
peu  de  chofe.  De  quoi  Jérémie  eft  bon  témoin , 
qui  dit  :  (c)  Vous  m'avez  châtié ,  ^  jai  été  infnuit. 
3Et  la  plus  propre  manière  de  ce  châtiment  pour 
entrer  en  la  SagefTe,  font  les  travaux  intérieurs  que 
nous  difons  ici  ;  parce  qu'ils  font  de  ceux  qui  pur- 
gent plus  efficacement  le  fens  de  tous  les  goûts 
&  confolations  auxquels  ,  par  foibleffe  naturel- 
le ,  il  étoit  aiFedionné  ;  &  où  l'ame  auffi  eft  vé- 
ritablement humiliée  pour  l'élévation  &  l'éminen- 
ce  où  elle  doit  monter. 

Or  quant  au  tcms  que  l'ame  demeure  dans  ce 
jeûne  &  pénitence  du  fens ,  on  ne  peut  pas  le  di- 
re certainement  ;  parce  que  cela  ne  fe  pafTe  pas 
en  tous  de  la  même  manière ,  ni  tous  n'endurent 
pas  les  mêmes  tentations  :  car  cela  n'a  point 
d'autre  règle  ou  mefure  que  la  volonté  de  Dieu  , 
félon  le  plus  ou  le  moins  que  chacun  a  d'imper- 

(a)  C'eft  que  c'eft  la  divine  SagefTe  elle-même ,  qui  doit 
faire  la  féconde  purgation.  Elle  eft  envoyée  ainfi  que  le 
dit  le  Moyen  court  [Ch.  24-  n.  5.  6.  3,  comme  un  feu 
dévorant  devant  la  face  de  Dieu. 

Où  Eccl.  34.  V.  9.  10.  Ce)  Jérém.  31.  v.  18. 

fedion 


I>.  Pitrification.  34.  305 

feélions  à  |niiA;i'ri  (S:  aiiHi  c.oiilc^nncmcnt  au  dc- 
^vé  d'union  d^unour  où  IJicu  ic  veut  élever  ,  il 
J'huinilicru  plus  ou  moins,  foit  parla  peine ,  foit 
par  le  tems. 

Ouant  à  ceux  (jui  font  les  meilleurs  fujets  & 
j^lus  iorts  à  fouHrir,  il  les  purye  plus  vivement 
&  plus  proui[)tement  ;  car  j^our  les  foibles,  il  les 
conduit  par  cette  nuit  fort  lentement  ik  avec  des 
tentations  légères  ,  &  les  laifle  long-tems  en  cet 
état  ,  donnant  à  leurs  fens  des  réfections  ordi- 
naires, aHn  qu'ils  ne  retournent  en  arrière;  :Sc 
ainfi  ils  arrivent  tard  à  la  pureté  de  pcrfeélion  ea 
cette  vie  ;  (Se  quelques-uns  d'entr'eux  n'y  parvien- 
nent jamais  ,  n'étant  tout-à-fait  dans  cette  nuit  , 
ni  tout-à-fait  dehors  ;  car  quoiqu'ils  ne  palfent 
outre  ,  néanmoins  pour  les  conferver  en  humi- 
lité &  en  la  connoilfance  d'eux-mêmes ,  Dieu  les 
exerce  quelque  efpace  de  tems  &  quelques  jours 
en  ces  aridités  tk  tentations  ,  &  les  aide  aulii  de 
tems  en  tems  avec  des  confolations  ,  aim  que 
ne  manquant  de  courage  ,  ils  ne  retournent  cher- 
cher les  goûts  du  monde  (a). 

Pour  d'autres  âmes,  qui  font  encore  plus  foi- 
bles ,  Dieu  fe  comporte  en  leur  endroit  comme 
difparoiffant  &  s'abfentanc,  pour  les  exercer  en 
fon  amour  ;  car  fans  ces  éloîgnemens  elles  n'ap- 
prendroient  jamais  à  s'approcher  de  Dieu.  IVIais 
pour  les  âmes  qui  doivent  pafTer  à  un  li  heureux 
&  fi  fublime  état,  comme  efl:  l'union  d'amour, 
avec  quelque  viteife  que  Dieu  les  conduife  ,  pour 

(a)  C'eft  ici  recueil  de  bien  des  perfonnes  fpirî- 
tuelles  ,  qui  ne  trouvant  plus  de  confolarion  en  Dieu  , 
en  cherchait  d-^ns  les  créatures ,  &  peu  à  peu  deviennent 
fenfjelles  J'ai  tâché,  dans  tous  rnes  écrits^  d'en  beau- 
coup précaution  ne r. 

Tome  IL  Jiijtif,  V 


3o6         Justification. 

l'ordinaire  elles  ont  coutume  de  demeurer  long- 
tems  dans  ces  aridités,  comme  on  l'a  vu  par  ex- 
périence.  Mais  finiflant  ce  Livre,  commencions  à 
traiter  de  la  féconde  nuit.  Objcure  nuit  de  tamc, 
Liv.  1.  C/z.  14. 

55.  L'ame  que  Dieu  veut  conduire  plus  avant, 
n'eft  pas  mife  par  fa  Majefté  dans  l'union  d'a- 
mour, auffi-tôt  qu'elle  fort  des  féchereffcs  &  des 
travaux  de  la  première  purgation  &  nuit  du  fens  ; 
au  contraire  il  fe  paffe  bien  du  tems  &  des  an- 
nées depuis  l'heure  qu'étant  fortie  de  Tétat  des 
commen^ans  ,  elle  s'exerce  en  celui  des  avan- 
cés; dans  lequel ,  comme  celui  qui  eft  forti  d'u- 
ne étroite  prifon  ,  elle  marche  aux  chofes  de 
Dieu  bien  plus  au  large  ,  avec  beaucoup  plus  de 
fatisfailion  &  avec  une  plus  abondante  &  plus  in- 
térieure délectation  que  celle  qu'elle  avoit  dans 
les  commencemens ,  avant  qu'elle  entrât  dans  la 
dite  nuit.  — 

Bien  que  ,  comme  la  purification  de  l'ame  n'cft 
pas  entièrement  faite  ,  (  d'autant  que  la  principale 
manque,  qui  eft  celle  de  l'efprit ,  fans  laquelle, 
pour  la  communication  qu'il  y  a  d'une  partie  à 
l'autre,  n'y  ayant  qu'un  feul  fuppôt,  la  purgation 
fenfitive  ne  demeure  point  achevée  ni  parfaite, 
quoiqu'elle  ait  été  très-forte  &  très-véhémente  ,) 
elle  ne  manque  jamais  de  quelques  féchereffes  , 
ténèbres  &  preffures,  &  par  fois  bien  plus  fortes 
que  les  précédentes  ,  qui  font  comme  des  préfa- 
ges  &  des  meffagers  de  la  nuit  future  de  l'efprit , 
quoiqu'elles  ne  foient  de  fi  longue  durée  , 
que  fera  la  nuit  qu'elle  attend;  parce  qu'ayant 
paffé  une  heure  ,  ou  plufieurs  ,  ou  quelques  jour- 
nées de  cette  nuit  ou  tempête  ,  elle  retourne  auf- 
fi-tôt  à  fon  calme  accoutumé  :  &  Dieu  purge  en 
cette  manière  certaines  âmes  ^  qui  ne  doivent  pas 


J..   Vtirifuation.  35,36.  307 

monter  à  un  {\  haut  degré  (l\imour  cjue  les  au- 
tres, 1rs  mettant  par  intervalle  clans  cette  nuit  de 
contemplation  ou  de  purj>ation  l'piritucllc  ,  fai- 
fant  fouvcnt  venir  la  lumière  &.  l'oblcurité,  con- 
lormément  au  dire  de  Daxid  :  [a]  Il  envoie  Joa 
crijla/  ,  c'ell-à-dire  ,  fa  contemplation  ,  comme  de 
jictirrx  houdiccs  ,•  encore  que  ces  bouchées  de  con- 
templation oblcure  ne  Ibient  jamais  fi  intcnfes 
que  celles  de  cette  horrible  nuit  de  contem- 
j)lation  ,  (/;)  dont  nous  devons  parler  ,  où  Dieu 
met  i'amc  exprès  pour  l'élever  à  l'union  divine. 
Cette  faveur  donc  &  ce  goût  intérieur  que  nous 
difons  que  les  prolitans  goûtent,  (Sec.  (Voyez 
Extajc  ^  n.  i  r.  )   Obfc.  ISuil,  Liv,   11.  C/z.    ï. 

36.  Ces  proiitans  ont  deux  fortes  d'imperfec- 
tions ;  les  unes  habituelles  ,  &  les  autres  aduel- 
les.  Les  habituelles  font,  les  affections  &  habi- 
tudes imparfaites,  Icfquellcs  encore  font  comme 
des  racines  demeurées  dans  Tefprit ,  où  la  pur- 
gation  du  fens  ne  peut  atteindre.  La  difrérence 
qu'il  y  a  entre  les  deux  purgations,  c'eft  comme 
de  couper  les  branches  &  d'arracher  la  racine  , 
ou  bien  effacer  une  tache  toute  fraîche  ,  ou  en 
ôter  une  vieille  &  bien  enracinée  ;  car  comme 
nous  avons  dit  ,  la  purgation  du  fens  eft  feule- 
ment la  porte  &  le  principe  de  contemplation 
pour  Tefprit,  &  fert  plus  pour  accom.moder  le 
fens  à  Tefprit  que  pour  unir  l'efprit  avec  Dieu: 
mais  nonobftant,  les  taches  (c)  du  vieil  homme 
demeurent  dans  l'efprit ,  encore  qu'il  ne  les  voie 
&  qu'elles  ne  lui  foient  apparentes  ;  lefquelles  fi. 
elles  ne  s'effacent  avec  le  favon  Ik  la  forte  leflîve 

(û)  Pf.  147.  V.  17. 

(/;}  J'ai  écrit  par-tout  de  cette  première  &  dernière 
purification  &  de  leur  différence. 
(1:  )  A  favûir  la  propriété. 

V  % 


3o8         Justification. 

d*e  la  piirgation  de  cette  nuit,  refprit  ne  pourra 
parvenir  à  la  pureté  de  l'union  divine.  Là-même^ 
Chap.  2. 

37.  Les  affedions  de  mon  ame  ,  avec  lefquel- 
les  je   fentois   &   goûtois   de  Dieu   baffement  , 
achevant  de  s'anéantir  &  de  s'appaifer ,  je  fortis 
&  pafTai  de  la  communication  &  refferrée  opé- 
ration fufdite ,  à  l'opération  &  converfation  di- 
vine 5  c'eft-à-dire  ,  que  mon  entendement  fortit 
hors  dç  foi  ,  fe   changeant  d'humain  en  divin  ; 
parce  que,  par  le  moyen  de  cette  purification  , 
s'unifTant  avec  Dieu  ,  il  n*entend  plus  avec  fa 
façon  raccourcie  &  limitée  ,  comme  auparavant , 
mais  par  la  SagefTe  divine  ,  avec  laquelle  il  eft 
uni;   &  ma  volonté  fortit  de  foi  ,  devenant  di- 
vine ;  parce   qu'étant  unie  avec  l'amour  divin, 
elle  n'aime  plus  avec  la  force  &  la  vigueur  limitée 
dont  elle  aim'oit  auparavant ,  mais  avec  la  force  & 
la  pureté  du  divin  Efprit:  &  ainfi  la  volonté  n'o- 
père plus  humainement  envers  Dieu:  &  tout  de 
même  la  mémoire  s'eft  maintenant  changée  en  des 
conceptions  éternelles  de  gloire.  Et  enfin  toutes 
les  forces  &  affedions  de  Tame ,  par  le  moyen  de 
cette  nuit  &  purgation  du  vieil  homme  fe  renou- 
vellent  &  fe  changent  en  tempérament  &  délices 
divines.   Ohfc,  Nuit,  Livr,  2.  Ch.  4. 

38.  Voyez  Foi   nue.   n.   17. 

39.  Qiiant  au  premier,  à  favoir  que  cette  con- 
templation obfcure  caufe  à  Tame  des  ténèbres , 
cela*  eft  manifefle  ;  parce  que  la  lumière  &  la  fa- 
geffe  de  cette  contemplation  eft  très-claire  & 
très-pure ,  &  l'ame  qu'elle  inveftit  eft  obfcure  & 
impure:  de-là  vient  qu'elle  pâtit  beaucoup  à  la 
recevoir  ,  comme  les  yeux  malades  &  impurs 
font  travaillés  des  rayons  d'une  claire  lumière  : 
&  cette  peine  en  l'ame ,  à  caufe  de  fon  impureté . 


[..  Puriflcatiou.  57-59.  3^9 

cd  indicible  Ioif(]irclle  c(l  \Taicmcnt  inveflic  (\c 
cette  lumicre    dix'inc;  parce  que  cette  pure  lu- 
mière invcdiir.uit  Tame  pour  en  chalfcr  Timpu- 
rcté,  elle  fe  fenr  fi  impure  oi  l\  miférablc  ,  qu'il 
lui  femble  que   Dieu  foit  contre  elle  ,  &  qu'elle 
cil  contraire   à  Dieu.  Ce  qui   eft  d'un  fi  grand 
fentimcnt  &  peine  pour  Tame  ,   (  parce  qu'il  lui 
femble  ici  que  Dieu  l'ait  rebutée  sSc  rejettée  )  que 
l'un  des  travaux  qui  pefoit  le  plus  à  Job  ,  lorfquc 
Dieu  le  tenoit  dans  cet  exercice,  étoit  celui-là, 
difant   (a)    Pourquoi    m'avez -vous    mis    contraire   à 
vous  ^    &  jai    et  c  fait  pcfant  à   moi-même  ?  D'au% 
tant  que  Tame  voyant  ici  clairement  parle  moyea 
de  cette  claire  &  pure  lumière  ,  quoiqu'obfcuré- 
nient,  (/;)  Ion  impureté,  elle  connoît  manifefte- 
ment   qu'elle  n'eit  digne  de  Dieu,  ni  d'aucune 
créature  :  &  ce  qui  la  travaille  le  plus  eft  la  crain- 
te qu'elle  ne  le  fera  jamais,  &  que  déjà  tous  fes 
biens  font  Hnis  :  ce  qui  vient  de  ce  qu'elle  tient 
l'efprit  profondément  plongé   dans  la   connoif- 
fancc  &  le  fentiment  de  fes  maux  &  de  fes  mifé- 
rès.  Car  cette  divine  &   obfcure  lumière  les  lui 
fait  ici  toucher  au  doigt  &  à  l'œil ,  &  lui  fait  clai- 
rement  connoître  ,  comme  de  foi  elle  ne  pourra 
avoir  autre  chofe.  Nous  pouvons  prendre  en  ce 
fens  cette  autorité  de  David;  (c)  Vous  avez  corrigé 
t homme  à  caufe  de  fon  iniquité  ^   &  vous  avez  fait 
deffccher  fon  ame  comme  t araignée, 

^  La  féconde  manière  d'affliction  &  tourment 
de  famé  vient  de  fa  foibleffe  naturelle  &  fpiri^ 

f(7]  Job  7,  V.  20. 

[/;]  Il  dit  qu'elle  voit  obfcurément  fon  impureté,  cela 
eft  fi  vrai,  que  quoiqu'elle  fe  fente  fi  fale  qu'elle  fe  fais 
horreur,  elle  ne  voit  en  elle  aucune  coulpe  particulière. 

[c]  Pf.  38.  V.   12. 
^  Mort  entière,  n.  7, 

V  3 


5!o        Justification, 

tuelle  ;  parce  que  comme  cette  contemplation 
divine  inveftit  Tame  avec  quelque  force  &  impé- 
tuolité  ,  pour  la  fortifier  &  dompter,  elle  peine 
tellement  en  fafoiblefle  ,  qu'elle  défaut  prefque, 
particulièrement  quelquefois  ,  lorfqu'elle  eft  in- 
vertie avec  une  plus  grande  force  :  car  le  fens  & 
l'efprit ,  de  même  que  s'ils  étoientfous  quelque 
fardeau  obfcur  &  immenfe  ,  font  tellement  fouf- 
frans  6c  agonifans ,  qu'ils  trouveroient  du  foula- 
gement  à  mourir.  Le  faint  homme  Job  ayant  expé- 
rimenté cela,  ne  vouloit  {a)  pas  que  Dieu  vint 
aux  pnfes  avec  lui  en  la  force  de  fon  bras  ,  & 
ufant  de  fa  puiffance  ,  de  peur  d'être  accablé  fous 
le  faix  de  fa  grandeur  :  car  en  la  force  de  cette 
oppreffion  Tame  fe  fent  tellement  éloignée  de  fa 
faveur ,  qu'il  lui  femble  ,  (  &  il  efl  ainfi ,  )  que  les 
chofes  où  elle  avoit  coutume  de  trouver  de  l'ap- 
pui ,  fe  font  retirées  avec  le  refte  ,  &  qu'il  n'y  a 
perfonne  qui  ait  compafTjon  d'elle  :  Job  auffi  dit 
à  ce  propos  :  [b]  Ayez  pitié  de  moi ,  ayez  pitié  de 
moi  5  au  moins  vous  mes  amis  ^  parce  que  la  main  du. 
Seigneur  m'a  touché,  Chofe  merveilleufe  &  enfem- 
ble  pitoyable  ,  que  la  foibleffe  &c  impureté  de 
l'ame  en  cet  état  foit  fi  grande  ,  que  la  main 
de  Dieu  (c)  ,  étant  de  foi  fi  douce  &  ft  fuave  , 

C<7)  Job  2^.  V.  6. 
ib)  Job  19.  V.  21. 

(c)  G'é'ft  ce  qbe  j  ai  dit  (  Voyez  Propriété,  n.  22  pag. 
f,?;.  la  "Note  d,  )  que  cetie  même  main  ,  qui  fait  ici  tous 
les  fuppîices  de  Famé,  fait:  enfuice  toute  fa  béatitude 
ians  changer  fon  attouchjemcnt. 

On  peut  expliquer  en  cet  endroit  ,  d*où  vient  que 
Jéfus-Chrift  pureté  effentieile  ,  a  foufFcrt  de  l'appefan- 
tilTement  de  la  main  de  Dieu  de  fi  étranges  fuppîices  ,  fi 
celte  divine  mai;i  tTt  toujours  béatifique  aux  fujets  purs 
&  qu'elle  n'eil  dculoiireufe  qu'a  caufe  de  notre  impu- 


L.  Pîirîficatîoii.  39,49.  ^rt 

V.iîne  la  fente  ici  fi  pcfaïUc  &  fi  contraire  , 
<[iioic]ue  fa  IVlajellc  ne  fade  qu'en  toucher  feulc- 
lYicnt  (luis  la  pofcr  ni  l'appcfantir,  ik  ceci  encore 
iniféricordicufcmcnt,  pujfquo  c'cft  pour  faire  des 
grâces  k  Tame ,  &  non  pour  la  châtier.  Ohfcurc 
Nuit  y  Livr.  2.  C/urp.  5. 

40.  La  rroifiemc  manière  de  pnfFion  Se  de  pei- 
ne,  que  Tame  endure  ici  ,  procède  de  deux  au- 
tres extrémités,  à  favoir  divine  &  humaine,  qui 
s'unilTent  ici.  La  divine  e(l  cette  contemplation 
])urgati\'e  ;  Thumaine  cft  le  fujet  de  l'amc  ;  parce 
que  comme  la  divine  invcflit  l'ame  aHn  de  Ta- 
parcillcr  &  de  la  renouveJler  pour  la  faire  divi- 
ne ,  la  dépouillant  des  aft'eélions  habituelles  & 
propriétés  du  vieil-homme,  auxquelles  elle  eft 
fort  unie  ,  collée  ,  conjointe  ,  &  conformée  ,  clic 
la  brife  &  défait  de  telle  façon  ,  l'abforbant 
en  une  profonde  obfcurité  ,  que  Tame  fe  fent 
confumer  &  fondre  à  la  vue  de  fes  miferes  par 
une  cruelle  mort  d'efprit  ,  de  même  que  fi  une 
bête  l'ayant  dévorée  &  avalée  toute  vive  ,  elle  fe 
fentoit  digérer  dansfon  ventre  ténébreux  ,  fouf- 
frant  les  mêmes  angoiflTes  que  Jonas  (a)  dans  le 
ventre  de  la  baleine  ;  d'autant  qu'il  faut  qu'elle 
foit  dans  ce  tombeau  de  mort  obfcure  pour  la 

reté  ?  C'eft  que  Jéfus-Chrîft  étoit  alors  chargé  des 
péchés  de  tout  le  monde  ,  étant  couvert  de  la  forme 
du  pécheur  ;  &  c'eft  fur  cette  forme  de  pécheur  qu'elle 
s'appefantit.  Cv^r  cette  main  eft  la  Juftice  toute -puif- 
fante  ;  &  comme  Jéfus-Chrift  couvert  de  tous  les  pé- 
chés du  monde,  portoit  lui  fcul  toutes  nos  iniquités 
affemblées  ,  auffi  cette  divine  main  s'appuya- 1 -elle 
fur  lui  avec   toute  la  force  de  fon  bras. 

0?)  Jon.  2.   V.   I. 

V4 


512  Justification. 

réfurredion  fpiritiielJe  qu'elle  attend.  *   David 
décrit  cette  peine  ,   qiioiqii  niexplicable  ,  difant: 
(  a  )  Les  abois  de  la  mort  m'ont  environne  ,   les    don- 
leurs  de  l'enfer  m'ont  afficgc.  J'ai  crié  en    ma   trihida-- 
tion.  Mais  ce  que  cette  ame  dolente  refTent  le 
plus  ici,   c'ell  qu'il   lui  femble  que  Dieu  Ta  re- 
jectée  ,  &  que  l'ayant  en  horreur,  il  Fait  préci- 
pitée dans  \ç:s  ténèbres;  ce   qui  eft  pour  elle  un 
grand   tourment    &  une   peine    lamentable  ,   de 
croire  que  Dieu  l'ait  abandonnée.  David  fentant 
beaucoup  cette  peine  {b)  dit  à  ce  propos;  (c) 
Comme  les  biejjés  ,  dormants  dans  les  Jepulcres  ,  des- 
quels vous  navez  point  de  Jbuvenance  ,  Jont  repoujjés 
de  votre  main  ,   iis  m'ont  mis  dans  le   lac    inférieur , 
dans  des  lieux  ténébreux  ^  l'ombre  de  la  mort  ,•  votre 
fureur  a  été  confirmée  fur    moi ,    ^  vous    avez  attiré 
tous  vos  flots  fur  moi:  parce  que  véritablement, 
quand    cette    contemplation    obfcure    ferre    & 
ëtreint  ,    Tame    fent  fort  au    vif  l'ombre  de  la 
mort ,  des  gémiffemens  &  douleurs  de  l'Enfer  ; 
qui  confiftent  à  fe  fentir  fans  Dieu,  [d]  punie 
&  rejettée  ,   &  que  fa  Majeflé  eft  indignée  & 

*  Mort  entière,  n.   8. 
ia)  Pf.   17.  V.   s,  6,  7. 

{b)  Cette  peine  de  Tabandonnement  de  Dieu  eft  la 
plus  terrible  peine  de  l'ame.  C'eft  une  efpece  de  peine 
du   dam,   &  d'Enfer  fpirituel. 

De  tous  ces  états,  il  y  en  a  bien  de  plus  terribles 
&  plus  çcendus  les  uns  que  les  autres.  Si  famé  pou- 
voit  comprendre  que  c'eÔ:  un  état  ,  elle  ne  mourroit 
jamiis  à  elle-même;  c'eft  pourquoi  il  ne  faut  pas 
trop  la  foutenir  ,  ^  il  faut  que  le  ConfelTeur  la  facri- 
iie  comme  Dieu  ,  ne  lui  témoignant  nulle  compaflion  , 
&  ne  réclairant  point  trop. 

(c)  Pf.  87.  V.   6,7,  8. 

id)  Ceux  qui   n'ont  jamais    éprouvé  la   douce  pré- 


L.   Purificatiou.  40  ,  41.  jtj 

courroucée  contre  clic  :  car  tout  cela  fc  fcnt 
ici;  &  qui  plus  c(l,  c'efl  qu'il  lui  fcmblc  dans 
une  ap[)rclicnlion  craintive,  que  c'ell  pour  tou- 
jours. Jù  elle  lent  aulli  le  même  (lél;iif(ement  de 
la  part  de  toutes  les  créatures,  tk  fe  fent  inéj)ii- 
fée  d'elles,  particulierenient  de  fes  amis:  c'ell 
pourquoi  David  j)Ourfuit  aulïitot  :  [a]  l'ous  aocz 
éloigne  ceux  de  mu  cuiinoijjhnce  ,•  ils  m  ont  mis  comme 
une  abomination  d  leur  égard.  Kt  le  Prophète  .lo- 
nas  ,  comme  celui  qui  l'avoit  expérimenté  exté- 
rieurement: [h]  Vous  niaoezjettt^.  au  profond  dans 
le  cœur  de  la  mer  ^  ^  un  jleuve  m'a  environne  ^  tous 
vos  goufres  &f  tous  vos  Jiots  ont paj]e  dejjïis  moi ,  &c. 
Ohfc,    Niùt  ,   Livr.  1.  Chap.  6. 

41.  La  quatrième  peine  eft  caufée  en  Tame  par 
une  autre  excellence  de  cette  obfcure  contem- 
plation ,  connoiiïant  la  grandeur  &  Majefté  de 
Dieu  ,  de  laquelle  naît  en  Tame  le  fentiment  d'u- 
ne autre  extrémité  qu'il  y  a  en  elle,  à  favoir  unç, 
extrême  mifére  &  pauvreté,  qui  eft  Tune  des  prin- 
cipales peines  de  cette  purgation  ;  parce  qu'elle 
fent  en  foi  un  vide  profond ,  &  une  djfette  de 
trois  fortes  de  biens  ordonnés  pour  le  contente- 
ment de  Tame,  qui  font  les  temporels,  les  na- 
turels &  \ts  fpirituels  ,  fe  voyant  réduite  aux  maux 
contraires,  c'eft  à  favoir,  aux  miféres  d'imper- 
fections, aux  aridités  &  aux  vides  des  appréhen- 
fions  des  puiflTances  ,  &  à  Tabandonnement  de  l'ef- 
prit  en  ténèbres.  Car  d'autant  que  Dieu  purge 


fence  de  Dieu  dans  leurs  âmes  ,  &  fes  carcfTes  ineffa- 
bles ,  ne  comprenant  point  les  infupportables  rigueurs 
de  cette  abfence  &  de  ce  rejet  de  Dieu  ,  n'auroient 
guères  de  compaiTion  des  douleurs  de  cette  ame. 


{a)  Pî;  87.  V.  9-     (^)  Jo"'  2-  V.  4, 


314         Justification. 

ici  l'ame ,  félon  lafabftance  fenfitive  &  fpirituelle» 
&  félon  Its  puifTances  intérieures  &  extérieures 
il  faut  qu'elle  foit  mife  dans  le  vide  ,  dans  la 
pauvreté  &  dans  l'abandon  de  toutes  fes  parties  , 
la  laiffant  féche  ,  vide  &  en  ténèbres  ;  parce  que 
la  partie  fenntive  fe  purifie  en  la  féchereffe,  les 
puilTances  dans  le  vide  de  leurs  appréhenfions  , 
&  Tefprit  en  ténèbres  obfcures.  — 

C'eft  ici  une  fouffrance  très-angoiffeufe  ,  com- 
me fi  on  pendoit  &  retenoit  quelqu'un  en  l'air, 
afin  qu'il  ne  refpirât.  Elle  va  auffi  purgeant  l'a- 
me,  anéantilTant ,  ou  évacuant,  ou  confommant 
en  elle ,  [  comme  le  feu  fait  la  rouille  du  métal ,  ] 
toutes  les  affeflions  &  toutes  les  habitudes  impar- 
faites qu'elle  a  contradées  en  toute  fa  vie  ;  lef- 
quelles  étant  bien  avant  enracinées  dans  l'ame  , 
elle  fouffre  d'ordinaire  une  grande  deftrudtion 
&  tourment  intérieur,  —  fe  vérifiant  ici  la  pa- 
role d'Ezéchiel  :  Ca)  JJJemble  les  os  ^  que  Je  brûle- 
rai au  feu  :  les  chairs  feront  confumées  ,  ^  toute  la 
compojîtion  fe  cuira  ,  êff  les  os  fe  deffécheront.  En 
quoi  eft  fignifiée  la  peine  qu'on  endure  dans 
le  vide  &  la  pauvreté  de  l'ame.  < —  Il  ajoute  : 
(  û }  mets  la  auffi  vide  fur  la  braife  ,  afin  que  fon 
airain  s'échauffe  &  fe  fonde  ,•  &  que  fon  immondice 
foit  défaite  au  milieu  _  délie  ,  êf?  que  fa  rouille  foit 
confumce.  — 

Notre  Seigneur  humilie  ici  beaucoup  l'ame  , 
pour  l'exalter  grandement  après  :  &  s'il  n'ordon- 
iioit  par  fa  Providence  que  ces  fentimens ,  lors 
qu'ils  deviennent  plus  vifs  en  l'ame  ,  ne  fulTent 
promptement  endormis  ,  elle  abandonneroit  le 
corps  en  fort  peu  de  jours  ;  mais  elle  ne  fent  que 
par  intervalles  leur  vivacité  intime  ,  qui  eft  quel- 

{a)  Ezéch.  24.  v.  lo,  ii* 


L.  Purification.  4^  ,  4^-  3^5 

rincfoi<;  fi  [)(>ijrnnnte  ,  i\\\\\  fcniblc  à  l'amc  [a) 
(jirdlc  \ oit  riùiL^r  tout  ou\'crt  &  la  perdition. 
(Jar  ceux-là  font  de  ceux  qui  defcendcnt  vérita- 
blement tout  \ifs  en  lùifcr,  iS:  fe  purgent  ici 
comme  dans  le  Furg-atoire;  parce  que  cette  pur- 
jî;ation  efl  celle  (|u1l  falloit  faire  là  des  fautes  j 
quoicpie  vénielles.  Kt  ainfi  l'amc  (jui  palle  par 
ces  détroits  ik  demeure  bien  purj^ée  ,  ou  n'entre 
point  en  ce  lieu  ,  ou  ne  s'y  arrête  guère  ,  d'autant 
qu'ici  une  heure  defouflrance  fert  davantage  que 
plufieurs  en  cet  autre  lieu.  Ohfairc  Nuit  y  Uvr.  -z. 
ikap.  6. 

42.  Je  rapporterai  fur  cela  le  fentiment  de  Je- 
rémie  :  Je  Jhis  (  a  )  tliommc  qui  vois  ma  pauvreté 
en  la  verge  de  fort  indignation.  Il  ni  a  menace  9f  mené 
aux  ténèbres  ,  ^  non  à  la  lumière  ,•  &  le  refte.  — 
Quoique  ce  foit  un  grand  bonheur  pour  Tame  , 
à  caufe  des  biens  fignalés  qui  lui  en  provien- 
dront  ,  lorfque  Dieu  fera  en  fon  ame  les  mer- 
veille* dont  parle  Job,  (^c^  tirant  des  ténèbres  les 
biens  profonds  ,  ly  mettant  au  Jour  les  ombres  de  la 
mort  ,  en  manière  que  comme  le  dit  David  [d) , 
Ja  lumière  foit  aujjî  grande  quétoient  fes  ténèbres  : 
néanmoins  pour  la  peine  exceflive  qu'elle  fouf- 
frc  ,  &  pour  la  grande  incertitude  qu'elle  a  de 
fon  remède  ,  [  car  il  lui  eft  avis  que  fon  mal  ne 
prendra  jamais  fin  ,  &  que  Dieu  ,  félon  le  dire 
de  David  ,  (e)  Va  mife  dans  les  objcurités  comme 
les  morts  du  Jîecle  ,  ]  fon  efprit  étant  en  angoiffes 
pour  ce  fujet  ,  &  fon  cœur  en  grand  trouble  , 
cela,   dis -je,  mérite  qu'on  en  ait  grande  coai- 

(a)  Tous  ces  états  font  expliqués  au  long  dans  ce 
que  j*ai  écnt  fur  Job.  [Voyez  les  Explications  far  le 
Vieux  Teftam.  Tome  VU.  ] 

U))  lament.  ^.  v.    i,  2.     (c)  Job.   12.   v.  22. 

Wj  Pf.    n8.  V.  12.     (0   Pf.   142.  V.  3. 


3i(y  Justification.' 

palTion  ;  parce  qu'à  cette  folitiide&  abandon  que 
cette  nuit  lui  caufe  ,  fe  jouit  encore  un  autre 
tourment,  qui  eft  ,  qu'elle  ne  trouve  ni  confola- 
tion  ,  ni  appui  en  aucune  dodrine,  ni  en  aucun 
Maître  fpirituel ,  parce  que  quelque  rajfon  qu'il 
lui  allègue  pour  la  confoler  ,  en  lui  montrant  les 
biens  qui  fe  trouvent  en  ces'  peines  ,  elle  ne  le 
peut  croire  [a].  Car  comme  elle  eft  fi  imbue  & 
fi  plongée  dans  ce  fentiment  de  maux  ,  où  elle 
voit  fi  clairement  fes  miferes,  il  lui  femble  ,  que 
comme  ils  ne  voient  pas  ce  qu'elle  voit  &  ce 
qu'elle  fent,  ils  difent  cela  ne  l'entendant  pas; 
&  au  lieu  de  recevoir  de  la  confolation  ,  au  con- 
traire, elle  reçoit  nouvelle  douleur,  lui  femblant 
que  ce  n'eft  pas  là  le  remède  de  fon  mal:  &  véri- 
tablement il  eft  ainfi  ;  d'autant  que  jufqu'à  ce 
que  Notre  Seigneur  ait  achevé  de  la  purger  en  la 
façon  qu'il  veut ,  il  n'y  a  moyen  ni  fecours  qui 
lui  ferve  &  profite  pour  fa  douleur  :  &  ce  d'au- 
tant plus  que  l'ame  en  cet  état  peut  auffi  peu  de 
chofe  ,  que  celui  qui  eft  dans  un  cachot  obf- 
cur  5  les  fers  aux  pieds  &  aux  mains  ,  fans  fe  pou- 
voir remuer  ,  ni  voir,  ni  fentir  aucun  aide  d'en- 


(a)  Elle  croit  que  c'efl  qu'il  ne   l'entend   pas. 

Je  me  fouviens  qu'étant  allée  pour  une  affaire  dans 
une  ville,  où  je  reftai  bien  du  tems,  ayant  trouvé  un 
homme  fort  intérieur  ,  qui  me  vouloit  affurei  que 
mon  état  étoit  bon  &  de  Dieu,  je  ne  retournai  plus 
le  trouver ,  le  croyant  ignorant  ou  flatteur.  J'ai  fqu 
depuis ,  que  ce  Religieux  Carme  étoit  révéré  parmi 
eux  depuis  fa  mort  comme  un  Saint  &  très -éclairé  , 
qui  avoit  confelTé  plus  de  dix  ans  Mr.  de  Renti  ;  & 
cependant  je  le  fuyois  ,  parce  qu'il  me  confoloit  & 
me  vouloit  affurer.  La  confufion  que  je  portois  alors, 
étoit  telle,  qu'elle  me  rendoit  au -dehors  toute    bête. 


L.  rurîfîcation.  42.  J17 

liant  ni  d'cnbas  *  ,  jnfc]n'à-cc  (juc,  dis-jc,  l'cfpiit 
s*a(louci(ïc ,  s'hnniilic  &  fc  [)nrilic,  ik  (levicMuic  li 
(fz)  Tnlxil  ,  [\  limplc  &  fi  délicat,  t|u'il  Te  pnifTc 
faire  nn  a\'co  Tj^lprit  de  Di'jii,  Iclon  le  dc^^^rc 
d\niion  d'anK^nr,  anqncl  la  milcricorde  de  Dieu 
le  vendra  élever;  car  conformément  à  cela  ,  U 
pnr^ation  c(l  pinson  moins  forte,  pins  on  moins 
lonj^ne. 

JMais  fi  cette  pnrgation  doit  être  qnelqne  cho- 
fe,  tant  forte  qu'elle  foit,elle  dure  quelques  an- 
nées, préfuppofé  néanmonis  qu'en  ces  moyens  il 
y  a  Aq^  intervalles  ik  foulagemens  ,  auxquels  par 
difpenfation  divine  cette  contemplation  obfcu- 
re ,  celFant  d'inveftir  en  forme  &  façon  purgati- 
ve, invellit  en  fac^on  jlluminative  &  amoureufe, 
où  Tame  comme  fortic  de  cette  prifon  &  mife 
en  récréation  de  latitude  &  de  liberté,  fent  & 
goûte  une  grande  fuavité  de  paix  &  une  amou- 
reufe  familiarité  de  Dieu  ,  avec  une  facile  &  abon- 
dante   communication  fpirituelle. 

Ce  qui  eil  un  indice  à  Tame  du  falut  que  la 
dite  purgation  opère  en  elle,  &  un  préfage  de 
l'abondance  qu'elle  attend.  Et  cela  eft  par  fois 
li  excellent,  qu'il  femble  à  l'ame  être  déjà  au 
bout  de  fes  travaux;  parce  que  les  chofes  fpiri- 
tuelles font  de  cette  qualité  enTame,)  quand  elles 
font  purement  fpirituelles,  )  que  lorfqueles  tour- 
mens  reviennent ,  il  femble  à  Tame  qu'elle  n'en  for- 
tira jamais  &  qu'elle  n'aura  plus  de  biens,  comme 
nous  avons  vu  par  les  autorités  alléguées;  &  au 
contraire  ,  quand  elle  fe  trouve  favorifée  des  biens 
fpirituels ,  il  lui  femble  qu'elle  n'aura  plus  de  mal , 

'*'   Union,  n.  4.6. 

(^2)  C'eft  le  fentiment  de  Ste.  Catherine  de  Gènes. 
Voyez  Création  n.  9.  comme  aufli  de  Se.  Francjois  de  Sa- 
les ,  voyez  ci'dcjjous.  n.  69. 


3i8        Justification. 

&  que  les  biens  ne  lui  manqueront  plus  à  Tave- 
uir ,  comme  David  le  confeire  fe  voyant  en  cette 
jouiffance  (a)  :  J'ai  die  dans  mon  abondance  ,•  je  ne 
me  troublerai  plus.  —  Comme  nous  voyons  que 
David  changea  après  de  fentiment,  fentant  plu- 
iîeurs  travaux ,  encore  qu'il  eût  penfé  &  dit  au 
tcms  de  fon  abondance,  qu'il  ne  s'ëbranleroit  ja- 
mais ;  ainfi  Tame  qui  fe  voit  comblée  de  ces 
biens  fpirituels ,  ne  pénétrant  pas  jufqu'à  la  ra- 
cine de  1  imperfection  &  de  l'impureté  qui  lui 
l*efte  encore,  croit  que  fes  travaux  font  finis. 
Mais  cette  penfée  n'arrive  pas  fouvent;  car  juf- 
qu'à-ce  que  la  purification  foit  achevée ,  rare- 
ment il  arrive  que  la  douce  communication  foit 
fi  abondante,  qu'elle  lui  couvre  la  racine  qui 
refte,  de  forte  que  l'ame  ne  vienne  pointa  fen- 
tir  en  l'intérieur  un  je  ne  fais  quoi,  qui  lui  man- 
que, ou  qui  eft  a  faire,  qui  ne  la  laiffe  pas  en- 
tièrement jouir  de  ce  foulagement,  fentant  au- 
dedans  comme  un  fien  ennemi  dont  elle  craint 
le  retour  ,  &  qu'il  ne  vienne  à  faire  encore  des 
Tiennes  ,  bien  qu'il  foit  comme  appaifé  &  endor- 
mi ;  comme  de  fait ,  lorfqu'elle  eft  le  plus  affu- 
rée  ,  cet  ennemi  retournant  abforbe  &  engloutit 
l'ame  en  un  autre  degré  plus  dur  ,  plus  obfcur  & 
plus  déplorable  que  le  précédent.  —  L'expérien- 
ce qu'elle  a  eu  du  bien  pafTé,  —  ne  l'empêche 
pas  de  penfer  en  ce  fécond  degré ,  que  tout  eft: 
perdu  pour  elle ,  &  que  ce  ne  fera  plus  comme 
par  le.paffé  :  cette  croyance  fi  bien  établie  &  con- 
firmée eftcaufée  en  l'ame  par  l'aduelle  appréhen- 
fion  de  l'efprit ,  qui  anéantit  en  elle  tout  ce  qui 
peut  lui  donner  de  la  joie.  Ainfi,  encore  qu'il 
femble  à  l'ame  en  cette  purgation  qu'elle  aii^e 
Dieu ,  &  qu'elle  donneroit  mille  vies  pour  lui  ; 
(c)  Pf.  29.  Y.  7. 


L.   PiirificaHoft.  42,43.  3T9 

(comme  il  cil  \  rai  ;  car  i'ame  cjj  ces  travaux 
aime  Dieu  *i\  ec  vérité  &  grande  cfKcace  ;  )  néan- 
moins cela  ne  lui  cil  |)onU  allégement  ,  au  con- 
traire cela  lui  c»uife  plus  de  peine  ;  parce  que  l'ai- 
mant tant  qu'elle  n'a  fouci  d'aucune  autre  chofe, 
comme  elle  fe  voit  fi  miférable  ,  8c  doutant  (i 
Dieu  Tanne,  (car  pour  lors  cJle  n'a  point  d'af- 
furance  qu'il  y  ait  rien  en  elle  qui  la  rende  digne 
d'être  aimée  ,  mais  qu'elle  mérite  plutôt  d'être 
abhorrée  non-feulement  de  Dieu  ,  mais  aulîi  de 
toutes  créatures  pour  jamais  ,  )  elle  fe  lamente 
&  s'afflige  de  voir  en  foi  des  caufes  ,  pour  lef- 
quelles  elle  mérite  d'être  délaiflée  &  rebutée  de 
celui  qu'elle  aime  fi  palîionnément.  Obfc.  Nuit, 
Livr.  2.   C/iaj).  7. 

Le  falnt  Auteur  continue  cfune  manière  admirable 
Jufquà  la  fin  de  Jbn  Livre  de  la  Nuit  objcure  ,  ïf? 
//  dit  en  grand  détail  ce  que  je  vais  dire  fommai^ 
ntncnt  :  Q^ue  famé  ne  peut  prier  ,  quelle  cji  re* 
])OuJ[Jee  de  Jon  oraifon  ,  quil  y  a  un  mur  entre  Dieu 
'iv  elle  5  que  rien  ne  la  foulage  dehors  ni  dedans  , 
qucLt  efl  rcpoujjce  de  la  paix  ,  quau  lieu  de  la 
paix  quelle  goùtoit  aupœavant  ,  elle  na  quune  fcU 
cheuje  Z^  continuelle    inquictude.    Enfuite    il  ajoute  : 

43.  Or  ce  trouble  ou  obftacle  de  la  paix,  eft 
une  fâcheufe  inquiétude  de  plulieurs  craintes  , 
imaginations  &  combats  que  l'âme  foufFre  dans 
foi-même  ,  où  avec  l'appréhenfion  &  le  fenti- 
ment  de  fes  miféres  ,  elle  foup^onne  d'être  per- 
due 5  &  que  fes  biens  font  taris  pour  jamais.  De- 
là provient  en  l'efprit  [a]  une  certaine  douleur 

(a)  L'ame  ne  trouve  des   remèdes  en  cela,   qu'en 
s'abaadonnant    par  un  faint  défefpoir  à  la   Juftice  ven- 
.^gcreffe  de  celui  qu'elle   vouloit    aimer  ,  &  qui   rejette 
ibn  amour. 


320  Justification. 

&  gcmifTcment  fi  profond  ,  qu'il  lui  fait  jettcr  des 
cris  &  des  rugifîemens  fpirituels  ,  par  fois  les 
prononçant  de  bouche  ,  &  elle  fe  fond  &  réfout 
toute  en  larmes  ,  quand  il  y  a  des  forces  pour 
le  faire  ,  bien  que  peu  fouvent  elle  reçoiv^e  ce 
foulagement.  LcvProphête  royal  le  déclue  (a)  : 
J'ai  été  extrêmement  affligé  Êf  humilié  ;  je  rugijjois  du 
gémiffemeiit  de  mon  cœur:  lequel  rugiffement  eft 
une  chofe  de  grande  douleur;  car  quelquefois 
Tame  ,  par  l'aiguë  &  prompte  mémoire  des  mi- 
feres  où  elle  fe  trouve  ,  fent  tant  de  peines  &  de 
douleur ,  que  je  ne  fais  comment  on  la  pour- 
roit  donner  à  entendre  ,  fi  ce  n'eft  par  la  fimili- 
tudé  qu'a  dit  Job  (Z?)  étant  en  pareil  travail: 
Mon  rugijfement  eft  fcmblahle  aux  eaux  qui  fe  dé- 
bordent ^  car  les  rivières  font  quelquefois  de  tels 
débordemens  5  qu'elles  noient  &  couvrent  tout: 
ainfi  ce  rugiffement  &  fentiment  de  l'ame  croît 
quelquefois  fi  fort ,  que  la  noyant  &  tranfper- 
çant,  il  lui  remplit  toutes  fes  forces  &  profondes 
affedions  d'angoiffes  &  de  douleurs  fpirituelles , 
au-delà  de  tout  ce  qu'on  en  peut  exprimer  ,  & 

même  exagérer. Cette  guerre  eft  d'autant  plus 

profonde ,  que  la  paix  qu'elle  attend  fera  très- 
profonde  ;  &  fa  douleur  fpirituelle  eft  intime  » 
délicate  &  épurée  ,  parce  que  l'amour  qu'elle 
doit  pofféder  5  fera  auflî  très-intime  &  très-épuré  ; 
car  tant  plus  l'ouvrage  doit  être  poli ,  le  travail 
doit  fuivre  &  marcher  à  proportion  ,  &  être 
d'autant  plus  fort  que  l'édifice  fera  folide  & 
affuré.  Obfc.  Nuit,  L,  2.   C/iap.  g. 

44.  Mais  voyons  maintenant  pourquoi  cette 
lumière  de  contemplation ,  étant  fi  fuave  &  fi 
aimable  à  l'ame  qu'elle  n'a  plus  rien  à  défirer  , 
puifque  ,  comme  il  a  été  dit ,  c'eft  la  même  avec 

(a)  Pf.  n-  V.  9,  (6)  Job  î.'  V.  24. 

laquelle 


L.  Purification,  ^^'4f.  jii 

laquelle  elle  Ut  doit  unir,  &  en  laquelle  eu  Tétac 
de  peiiection  elle  doit  trouver  tous  les  biens 
qu'elle  a  délires  :  néanmoins  lorfqu'elle  rinveftit, 
elle  lui  caufe  ces  commencemens  pénibles  &  ces 
étranges  eflets  que  nous  avons  dit.  On  répond 
facilement  à  ce  doute  ,  difant ,  ce  que  nous  avons 
déjà  dit  en  partie,  à  fax'oir  que  du  coté  de  la  con- 
templation Si  derinfufion  divine  il  n'y  arien  qui 
de  loi  puifFe  donner  de  la  peine;  au  contraire 
beaucoup  de  fuavité  &  de  contentement ,  comme 
elle  fera  après.  Mais  la  caufc  eft  la  foiblciïe  & 
rimperfection  que  lame  a  pour  lors,  &  les  dif- 
pofitions  contraires  pour  recevoir  cette  fuavité. 
Et  ainfi  la  lumière  divine  venant  à  inveftir 
lame ,  elle  la  fait  pàtir  en  la  manière  fufdite. 
Là 'même, 

45'.  Pour  un  plus  grand  éclaircifTement  de  ce 
que  nous  avons  dit  &  de  ce  que  nous  dirons  ,  il 
faut  remarquer  ici ,  que  cette  purgative  &  amou- 
reufe  notice  ou  lumière  divine,  dont  nous  trai- 
tons ,  fe  comporte  envers  Tame  ,  la  purgeant  & 
la  difpofant  pour  Tunir  parfaitement  avec  foi  , 
de  même  (a)  que  le  feu  dans  le  bois  pour  le  trans^ 
former  en  foi.Car  le  feu  matériel  appliqué  au  bois, 
commence  premièrement  à  ledeffecher,  chafTant 
l'humidité  dehors  &faifant  rendre  l'eau  ou  la  fève 
qui  eft  encore  dedans.  Après  il  le  noircit ,  Tobf- 
curcit  &  enlaidit,  &  le  féchant  peu-à-peu  il  Té- 
claircit  &  jette  dehors  tous  les  accidens  difformes 
&  obfcurs  qui  font  contraires  au  feu  :  &  finale- 
ment ,  commençant  à  l'enflammer  par  dehors  &  à 
réchauffer  ,  il  vient  à  le  transformer  en  foi  ,  &  à 
le  rendre  aufTi  beau  que  le  même  feu. 

[j]  Voyez  cî.defTus  la  Note  a.  fur  Moyen  court.  Ch.  24, 
n.  7.  3.  p.  267.  &c. 

Tom,  IL  Jujiif.  X 


522         Justification. 

Ce  qui  étant  fait  5  il  n'y  a  plus  de  la  part  du 
bois  aucune  action  ni  paffion  propre  au  bois  , 
(excepti  que  la  quantité  &  lapefanteur  eft  moins 
fubtile  &  moins  légère  que  celle  du  feu),  vu 
qu'il  a  en  foi  les  propriétés  &  les  actions  du  feu» 
Car  il  eft  fec  ,  &  étant  fec,  il  eft  chaud  ,  &  étant 
chaud  ,  il  échauffe  j  il  eft  clair  aufli  &  éclaircit ,  & 
eft  beaucoup  plus  léger  qu'auparavant,  le  feu 
opérant  en  lui  toutes  ces  propriétés  &  effets.  Or 
il  nous  faut  philofopher  de  même  touchant  ce 
divin  feu  d'amour  de  contemplation  ,  lequel 
avant  que  d'unir  &  transformer  Tame  en  foi,  la 
purge  premièrement  de  tous  fes  accidens  con- 
traires ,  répreint  &  fait  fortir  fes  difformités  de- 
hors ,  &  la  fait  devenir  noire  &  obfcure ,  tellement 
qu'elle  paroît  pire  qu'auparavant.  Car  comme 
cette  divine  purgation  va  éloignant  tous  les 
maux  &  toutes  les  humeurs  vicieufes  ,  lefquelles 
elle  ne  découvroit  pas ,  pour  être  enracmées  bien 
avant  dans  Tame  ,  &  ainfî  elle  ne  connoiffoit  pas 
qu'il  Y  eut  tant  de  mal  en  elle ,  &  maintenant  que 
pour  les  mettre  dehors  &  les  anéantir,  on  les  lui 
montre  clairement  par  cette  obfcure  lumière  de 
la  contemplation  divine ,  (  encore  qu'elle  ne  foit 
pire  qu'auparavant  ni  à  fon  égard ,  ni  quant  à 
Dieu);  comme  dis-je,  elle  voit  en  foi  ce  qu'elle 
n'appercevoit  pas  auparavant,  il  lui  femble  être 
telle,  que  non  feulement  elle  eft  indigne  que  Dieu 
la  regarde  ;  mais  plutôt  qu'il  l'abhorre ,  &  même 
que  déjà  il  Ta  en  horreur.  De  cette  comparaifoa 
nous  pouvons  maintenant  entendre  plufieurs 
chofes  touchant  ce  que  nous  difons  &  ce  que 
nous  devons  dire. 

Nous  connoîtrons  comme  l'ame  ne  fent  pas 
ces  peines  de  la  part  de  la  Sageffe  divine,  puifque  3 


L.  Purijîcatwu.  ^^.  J23 

comme  (lit  le  Sage  >  (  n)  tous  les  biens  mr  Jonc 
venus  cnjanblc  avec  clic  ,•  mais  du  côté  de  la  loi- 
biede  ik  impcrlectiou  (ju'a  l\ime  ,  pour  ne  pou- 
voir recevoir  faus  cette  purgation  la  lumière  »  la 
fua\'ité  &  la  délectation  j  ainlî  que  le  bois,  lequel 
aulïîtôt  (ju'il  elt  d.jiis  le  feu  »  ne  peut  être  traris- 
formé  julc|u'a-ce  qu'il  foit  difpofc  :  cS:  c'eft  ce  (jui 
Ja  lait  tant  patir:  ce  (]ue  rEcclefiafti(iue  confirme, 
difant  ce  qu'il  a  fouliert  pour  s'uiur  avec  elle 
&  en  jouir:  (6)  Mon  ventre  a  été  troublé  en  la 
cherchant  ,  ^  pour  cela  Je  pojjcde  une  bonne  poj- 
fejjion,  ^ 

D'ici  nous  pouvons  tirer  en  paffant  la  manière 
de  fouitrir  des  âmes  du  Purgatoire:  car  le  feu 
n'auroit  point  de  pouvoirfur  elles,  (î  elles  écoient 
entièrement  difpolées  pour  régner  &  s'unir  avec 
Dieu  par  gloire,  &  fi  elles  n'avoientdes  coulpes 
pour  lefquelles  elles  doivent  pâtir  ,  qui  font  la 
matière  où  le  feu  fe  prend  ,  laquelle  étant  confu- 
mée  il  n'y  a  plus  rien  à  brûler  j  comme  ici  les 
imperfections  étant  confumécs ,  la  peine  de  l'ame 
finit,  &  la  jouilTance  demeure  telle  qu  elle  peut 
être  en  cette  vie.  ^ 

Nous  tirerons  auiîi  de  cette  comparaifon  ce 
qui  a  été  dit  ci-deilus  .  a  favoir  comme  il  efc  véri- 
table ,  qu'après  ces  allegemens  Tam.e  retourne  à 
fouffrir  avec  plus  de  véhémence  6c  plus  fubtile- 
ment  qu'auparavant.  La  raifon  cft ,  parce  qu'a- 
près cette  montre,  qui  fe  ïixit  lorfque  \ts  imper- 
fections ont  été  plus  extérieurement  purifiées  , 
le  feu  d'amour  retourne  a  toucher  ce  qui  refce  à 
purifier  &  à  confumer  plus  intérieurement;  en 
quoi  la  fouftrance  de  lame  eft  d  autant  plus  in- 
time ,  fubtile  &  fpirituelle,  qu'il  va  lui  amenuifant 
lç,s  imperfections  les  plus  intimes ,  les  plus  d^îlica- 
M  Sag.  7.  V.  II.  [6]  Eccl.  51.  V.  29. 

X  z 


JZ4         Justification.^ 

tes,  &  les  plus  fpirituelles ,  &  plus  enracinées  au- 
dedans  :  &  cela  fe  fait  comme  il  arrive  au  bois  y 
car  tant  plus  le  feu  le  pénétre  ,  il  difpofe  auflî  le 
plus  intérieur  avec  plus  de  force  &  plus  de  fureur 
pour  le  pofféder.   Ohfc.  Nuit,  Livr,  2.  Ch.  10, 

4^.  Ce  fentiment  fî  vif  &  fi  grand  arrive  de  la 
forte;  parce  qu'en  cette  plaie  d'amour  que  Dieu 
fait  en  Famé  ,  la  volonté  s'élève  très-prompte- 
ment  à  la  pofTeffion  uj  l'Ami  dont  elle  a  fenti  le 
divin  attouchement,  &  avec  la  même  prompti- 
tude elle  fent  Tabfence,  &  enfemble  le  gémiffc- 
ment  à  caufe  de  la  privation  de  ce  bien.  Car  ces 
vifites  ne  font  pas  comme  d'autres,  dont  Dieu 
récrée  &  fatisfait  Famé  ,  la  remplilTant  d'une 
paifible  fuavité  :  mais  il  Its  fait  feulement  pour 
bleffer  5  non  pour  guérir,  &  plus  pour  tourmen- 
ter que  pour  fatisfaire ,  vu  qu'elles  ne  fervent  que 
pour  vivifier  la  connoiffance,  &  augmenter  l'ap- 
pétit, &  par  conféquent  la  douleur,  *  Elles  fe 
nomment  plaies  d'amour,  qui  font  très-favou- 
reufes  à  l'ame  ,  de  forte  qu'elle  voudroit  mourir 
toujours  de  mille  morts  à  ces  coups -là  ,  par- 
ce qu'ils  la  font  fortir  hors  de  foi  &  entrer  eu 
Dieu.    Cantique  entre  l'Epouft  &  t Epoux,   Coup,  I. 

47.  Voulant  dire,  ô  amour  embrafé,  qui  me 
glorifies  tendrement  avec  tesmouvemens  amou- 
reux en  la  plus  grande  force  &  capacité  de  mon 
ame  !  c'eft  à  favoir ,  me  donnant  intelligence 
divine  félon  toute  Thabileté  de  mon  entende- 
ment ,  &  me  communiquant  l'amour  félon  la  plus 
grande  étendue  de  ma  volonté,  c'eft-à-dire  ,  éle- 
vant très-hautement  ,  avec  intelligence  divine  , 
la  capacité  de  mon  entendement  en  une  ferveur 
très-intenfe  de  ma  volonté  &  en  l'union  fubftan- 

*  Perte,  n.  25. 


L.  r..njication.  4<î'47.  ?2j' 

ticllc  c:i-(lc(]iis  (icclaréiv  (À*  (]ui  nrrivc  de  l*i  forte  , 
&  plus  (jifoii  lie  le  peut  c\j)riiner  ,  lorfcjuc  cette 
Haiiimc  s'cicvc  ou  l'amc:  cai d'autant  que  Tamc 
cTt  toute  puryjcc  &  très-pure  ,  la  Sagcfic  I  abforbe 
eu  foi  avec  fa  flamme  très-profondément,  très- 
fubtilcmcnt  ,  très-hautement  ,  lac|uclle  Sagcffe 
pénètre  par  fa  pureté  d'un  bout  à  Tautre,  &  ea 
cet  abforbeuîent  de  Sageffe,  le  S.  f{f|)rit  exerce 
les  glorieux  élancemens  de  fa  flamme  que  nous 
avons  dit,  laquelle  flamme  eft  fi  fuave  que  Tamc 
aullitôt  ajoute  ; 

Miiinicfuint   ne  m  étant  plus  di:rr  , 
c'eft-à-dire  ,  puifque  vous  n'aflligez  ,  ne  prefTez  & 
ne  tourmentez  plus  comme  vous  failîez  aupara- 
vant. Car  cette  flamme,  quand  Tame  étoiten  état 
de  purgation  fpirituellc,  qui  eftlorfqu'elle  entroit 
en  la  contemplation  ,  ne  lui  étoit  pas  fi  fuave  & 
fi  paifible  ,  comme  elle  eft  à  préfent  en  cet  état 
d'union.  C'cft  pourquoi  il  faut  favoir,  qu'avant 
que  ce  feu  d'amour  divin  s'introduife  &  s'unifTc 
dans  le  plus  intime  de  l'ame  par  une  purgation 
&  pureté  parfaite,  cette  flamme  frappe  dans  Tame  , 
détruifant    &  confumant   les    imperfections  de 
fes  mauvaifes  habitudes  ,•  &  c'eft  là  l'opération 
du    S.   Efprit  ,  en   laquelle   il   la    difpofe   pour 
l'union   divine  &    transformation  en   Dieu   par 
amour.   Car  le  même   feu  d'amour  ,    qui  s'unit 
depuis  avec  elle  en  cette  gloire  d'amour,  c'eft  ce 
qui  l'a  inveftie  auparavant ,  la  purgeant  ;  comme 
le  même  feu  qui  prend  au  bois,  c'eft  celui  qui  le 
faifit  &  le  bat  de  fa  flamme  ,  le  féchant  &  dénuant 
de  fes  froids  accidens,  jufqu'à  le  difpofer  par  fa 
chaleur  à  pouvoir  être  pénétré  de  lui ,  &  trans- 
formé en  fa  nature.  Dans  lequel  exercice  l'ame 
fouftre  beaucoup  ,  &  fent  de  grandes  peines  en 
l'efprit ,   Icfquelles  par  fois  redondent  auiïî  au 

X  3 


52(î         Justification. 

fen«;  ,  cetfç  flamme  lui  L^tnnt  très-âpre  &  très-fâ- 
cbeufe;  comm.e  nous  en  avons  amplement  dif- 
couru  auTraitJ  de  I3.  Nuit  ohfcure  ^  &  de  la  Mon- 
tée du  Mont  Carme/'  ,•  ce  qui  m'emnèche  d'en  dire 
davantage.    Il   fuffit   maintenant  de  favoir  que 
]e  mêmje  Dieu  ,  qui   veut  entrer  en  l'ame  par 
union/^  transformation  d'amour,  c'eft  ceiui  qui 
rmveftifloit  auparavant,  c\:  la  purgeoit  avec  la 
]umiere  ^-  chaleur  de  fa  flamme  divine  i  de  forte 
que  celle-1-  même   qui  lui  eft  a  préfent  fuave , 
lui  é toit  ci-devant  pénible. Et  partantc'eft  comme 
û  elle  difoit  :  puifque  non  feulement  vous  ne 
in'êtes  plus  obicure  comme  auparavant ,    mais 
que  vous  êtes  la  lumière  divine  de  mon  entende- 
ment .   avec  laquelle  je  vous  puis  regarder  ;  & 
que  non  feulement  vous  ne  faites  plus  défaillir 
ma  foibleffe.  mais  qu  au  contraire  vous  êtes  la 
force  de  ma  volonté,  par  le  moyen  de  laquelle 
je  vous  puis  aimer  &  jouir  devons,  étant  toute 
convertie  en  amour  divin  :  &  que  vous  n'êtes  plus 
fardeau  ni  preiTure  à  mon  ame  ,  mais  au  contraire 
que  vous  en  êtes  la  gloire ,  les  délices  &  la  liberté  ; 
puifqu'on  peut  dire  de  moi  ce  qui  eft  au  Canti- 
que î  (a)  Qi-d  eft  celle-là  qui  monte  du  dcfert  ^  abon- 
dante en  délices  ^  appuyée  fur  fon  Bien-aimé  ^  deç'3  & 
delà  répandant  de  l'amour.    Vive  flamme  d'amour. 
Cant,  I.  ?;.  3.  ^  4. 

48.  Il  nous  faut  expliquer  ici ,  quelles  dettes 
ce  font  dont  Tame  ici  fe  fent  payée  &  fatisfaite  : 
&  partant  vous  devez  favoir  que  les  âmes  qui 
parviennent  à  ce  Royaume,  ordinairement  ont 
paiTé  par  pluiieurs  travaux  &  tribulations,  (b) 
parce  qu'il  faut  entrer  au  Royaume  des  Cieux 
par  pluGcurs  tribulations  ,  qui  font  déjà  écoulées 
en  cet  état. 
Ca)  Cant.  8.  v.  5.     (6)  Acl.   14.  v.  21. 


L.  Furificatiou.  47-48.  3^7 

Ce  qn'cnrlurcMU  ceux  qui  doivent  parvenir  à 
Tunion  de  Dieu,  font  des  travaux  ik  tentations 
de  diverfes  fortes  &  manières  dans  le  fens  ;  & 
de$  peines  ,  tribulations  ,  tentations  ,  ténèbres  & 
anpoiffes  dans  Tefprit  ;  afin  que  la  purgation  de 
ces  deux  parties  fe  fa  fie  ,  comme  nous  avons  dit 
en  la  Montée  du  Mont  Carme/  &  en  la  Nuit  ohfcure. 
La  caufe  de  cela  eft,  parce  que  les  délices  &  la 
çonnoiffance  de  Dieu  ne  fe  peuvent  bien  mettre 
ou  adeoirdans  Tame,  fi  le  fens  &  Tefprit  ne  font 
bien  purgés  &  fubtilifés:  &  d'autant  que  les  tra- 
'winXiSc  pénitences  purifient  &  fubtilifentles  fens; 
&  les  tribulations  ,  tentations  ,  ténèbres  &  angoif- 
fes  fubtilifent  &  difpofent  Tefprit;  il  faut  pafTer 
par  là  ,  pour  fe  transformer  en  Dieu,  (comme  il 
arrive  à  ceux,  qui  le  doivent  voir  en  l'autre  vie 
après  les  peines  du  Purgatoire),  les  uns  plus  ru- 
dement, les  autres  moins,  félon  les  degrés  d'union 
où  Dieu  les  veut  élever ,  &  félon  ce  qu'ils  auront 
à  purger.  Par  ces  travaux  où  Dieu  met  Fefprit 
&  le  fens ,  Famé  acquiert  par  l'amertume  ,  des 
vertus,  de  la  force  ,  &  de  la  perfection  ,  parce 
que  la  vertu  Qi)  fe  perfectionne  en  f  infirmité  ^  &  fe 
polit  par  Texercice  des  pafïjons.  Car  le  fer  ne 
peut  fervir  au  deffein  de  Tartifan ,  Ç\  ce  n'eft  par 
le  feu  &  le  marteau ,  en  quoi  le  fer  fouffre  du 
dommage  à  l'égard  de  ce  qu'il  étoit  auparavant. 
Jérémie  dit,  que  Dieu  {b)  envoya  d!enhaut  le  feu 
dans  fes  os  ,  Z^  Cenfeigna  :  &  du  marteau  ,  il  dit 
auffi  :  (c)  Seigneur  vous  m'avez  châtié^  &  jai  été 
favant  :  c'eft  pourquoi  FEccléfiaftique  dit  :  (d) 
Celui  qui  n  a  point  été  tenté  que  fait-il? 

Il  faut  noter  ici ,  pourquoi  il  y  en  a  fi  peu  qui 

(r?)  2  Cor.  12.  V.  9.     (6)  Lament.  T.  v.  i  j. 
Cc)jérém.  31.  V.  18.  (rf)  EccL  34.V.  9. 

X4 


3^%  Justification.' 

parviennent  à  ce  haut  état.  La  raifon  eft,  parce 
qu'en  cette  fublime  &  excellente  œuvTe  que  Dieu 
commence  ,  i!  y  en  a  plufieurs  foibles  qui  fuyent 
auffitôt  le  labeur,  ûms  fe  vouloir  allujettir  à  la 
moindre  défolation  ni  mortification,  ni  travail- 
ler avec  une  folide  patience.  De  là  vient  que  ne 
les  trouvant  forts  en  la  faveur  qu'il  leurfaifoit, 
commençant  à  les  polir ,  il  ne  paUe  plus  avant  à 
les  purifier  &  élever  de  la  pouiïiere  de  la  terre  , 
à  quoi  étoit  requis  plus  de  force  &  plus  de  conf- 
iance. De  forte  qu'on  peut  dire  avec  Jérémie  (a) 
à  ceux-là  ,  qui  veulent  paffer  outre  fans  endurer 
les  moindres  chofes,  ni  s'aflfujettir  à  ces  fouftran- 
ces  :  Si  vous  avez  eu  de  la  peine  à  Juivre  les  pié- 
tons ,  comment  pourrez -vous  attraper  les  gens  de 
cheval?  Et  ayant  ctc  ajffuré  en  la  terre  de  paix  ^  que 
Jerez -vous  dans  t  orgueil  du  Jourdain?  Comme  s'il 
difoit  :  fi  aux  travaux  qui  arrivent  ordinairement 
&  .humainement  à  tous  les  vivans,  vous  avez 
fi  peu  de  vigueur  ,  qu'il  vous  falloit  courir ,  & 
que  vous  eftimiez  fouffrir  beaucoup  ,  comment 
pourriez -vous  aller  le  train  des  chevaux,  qui 
eft ,  de  fortir  des  peines  communes  &  ordinaires  , 
&  d'effuyer  d'autres  travaux  plus  vifs  &  plus 
véhémens  ?  Et  (î  vous  n'avez  voulu  faire  la  guerre 
contre  la  paix  &  le  goût  de  votre  terre  ,  qui  eft 
votre  fenfualité ,  jTiais  que  vous  voulez  y  être 
paiiible  &  confolé,  que  ferez- vous  dans  l'orgueil 
du  Jourdain,  c'eft-à-dire  ,  comment  fupporterez- 
vous  les  flots  impétueux  dt^  travaux  &  tribu- 
lations d'efprit  qui  font  plus  intérieurs  ?  Vive 
fàmme  d'amour,    Cant.  i.  v.  5. 

49.  O  âmes  qui  voulez  vivre  aiTurées  &  con- 
folées  ,  fi  vous  faviez  combien  il  vous  eft  expé- 
dient de  fouftrir  des  tribulations  pour  parvenir  à 

Cû)  Jérém.  iz.  v,  5. 


L.  Purification,  4S-fo.  529 

cett'tat,  &  de  (iiicl  proHt  dt  la  foufiVancc  &  la 
nu)rti(ic:ati{)iî  pour  obtenu  de  i\  v!;rands  biens, 
vous  ne  chercheriez  aucunement  de  la  (  oufola- 
tiou  en  quoi  cjue  ce  Ibit  ;  mais  plutôt  vous  por- 
teriez la  croix  avec  le  fie!  «Se  lexinaigre  tout  pur, 
8<  le  tiendriez,  à  un  grand  bonheur,  voyant  que 
mourant  ainfî  au  monde  ik  à  vous-mêmes,  vous 
vivriez  à  Dieu  en  déh'ces  d'efprit,  &  loufirant 
patiemment  Textcrieur  ,  \ ous  mériteriez  que 
Dieu  jettat  les  yeux  fur  vous,  pour  \'OUs  net- 
toyer &  pur;^er  au-dcdans  par  des  travaux  fpiri- 
tuels.  Car  il  faut  que  ceux  à  qui  Dieu  veut  faire 
unç:  pareille  faveur,  Jui  ayent rendu  j)]ufieurs  fer- 
vices  i  qu'ils  ayent  été  grandement  patiens  & 
conftans,  &  qu'en  leur  vie  ils  ayent  été  très-agréa- 
bles à  fes  yeux.  Ainfi  l'Ange  dit  à  Tobie  ,  (ci)  à 
caufe  qu'il  étoit  agréable  à  Dieu  ,  qu'il  avoit  été 
néceiïaire,  qu'il  endurât  la  tentation  ,  pour  l'é- 
prouver davantage  ,  tSclui  faire  de  plus  grandes 
grâces.  DefaitrEcrituredit(Z;),  qu'il  pafTa  le  refte 
de  fes  jours  en  joie.  Nous  voyons  de  même  en 
Job  ,  (c)  que  Dieu  l'ayant  requ  pourfonferviteur 
en  préfence  des  bons  &  des  mauvais  Efprits,  il 
lui  fit  la  grâce  de  lui  envoyer  aullî  iiTcontmentde 
rudes  travaux  ,  pour  l'exalter  par  après  beaucoup 
davantage  qu'auparavant,  tant  au  fpintuel,  qu'au 
temporel.  Dieu  fe  comporte  de  la  forte  envers 
ceux  qu'il  veut  favonfer,  &c. (Voyez  Unioiin,  J5.) 
Là-même. 

Le  P.  Jaq^ues  de  Jésus  rapporte 
f  O.  S,  Thcmas.  Il  eft  requis  de  purger  l'enten- 
dement de  deux  difformités;  la  première  eft,  celle 
qui  eft  de  la  diverfité  des  chofes  extérieures  ;  la 
féconde  celle  qui  eft  par  le  difcours  de  la  raifon  ; 
ce  qui  arrive  félon  que  toutes  les  opérations  de 
G)Tob,  12.  V.  15    Cb)  Ch,  14.  V.  3.  (c)Job  i.v.  é.&c. 


5p        Justification. 

l'ame  font  réduites  à  la  fimple  contemplation  de 
]a  vérité  intelligible  :  d'où  vient  que  {a)  toutes 
chofes  délaiffées  on  perfifte  dans  la  feule  contem- 
plation de  Dieu.  (2.  2-  qu.  IgO.  Art.  6.)  Notes  fur 
J,  de  la  Croix,  Difc,  2.  §.  b. 

Le  P.  Nicolas  de  Jésus  Maria  rapporte 

fi.  S.  Bernard,  Il  y  en  a  quelques-uns  dans 
lefquels  Jefus-Chrift  ii'eft  pas  encore  relTufcité  , 
qui  dans  l'anxiete  des  travaux  &  afflictions  de  la 
pénitence,  meurent  tout  le  jour,  n'ayant  pas 
encore  reçu  la  confolation  fpirituelle.  Que  fî  ces 
jours  n'étoient  point  accourcis  ,  qui  eft-ce  qui 
pourroit  le  fouffrir  ?  (Serm.  3.  de  la  réfurrection,^ 
EclairdJJ,  des  Parafes  Myji,  de  J,  de  la  Croix.  Part. 
2    Ck.  11.  §.    I. 

52.  S.  Grégoire.  Le  Prophète  a  bien  dit:  (b) 
Vous  avez  rcnverje  Jbn  lit  dans  fan  infirmité^  comme 
s'il  difoit  ,  tout  ce  que  Thommc  s'eft  préparé 
pour  le  repos  ,  vous  lui  avez  changé  cela  en 
trouble  par  un  fecret  jugement.  ^  D'où  vient 
que  le  Seigneur  fait  ce  chemin  âpre  &  difficile 
à  fes  élus,  qui  s'acheminent  à  lui.  (^Livr.  5.  des 
Morales  Ch.  Ij.)  Là-même. 

5*^.  Voyez  Dijiractions.  n.  16. 

5-4.  S.  Bonaventure.  La  première  tentation  eft 
la  fubftraction  &  le  manquement  de  dévotion. 
Donc  un  refuge  fî  fpécial  &  fingulier  étant  ôté , 
l'homme  en  quelque  façon  défarmé  ,  demeure 
expojfé  aux  ennemis  des  tentations  ,  &  pour 
cette  caufe  devient  craintif  &  pufilanime. 

De  là  fuit  une  autre  tentation,  à  favoir,  d'en- 

(à)  Notez  ^  s'il  vous  plait,  toutes  chofes  délaîjfces  ^  on 
perjtjie  :  ce  mot  perfjier  marque  un  état  qui  ne  varie  plus  : 
mais  il  faut  que  tout  foit  délaiffé. 

il))  Pf.  40.  V,  4, 


L.  PuriJîcatiûH.  ÇO-  f  f .  5  j  r 

nui  &  de  dégoût  ;  parce  que  riiommc  fc  dcgoûrç 
de  tout  biLMi  :  il  s'cniuiic  dr  [)ri(  1  ,  de  lire,  de 
méditer;  il  s'rmmic  d'entcrulrc  de  l)oiincs  cho- 
fes  ,  d'en  parler,  ou  d'eu  faire;  &  d'allîfter  aux 
chofes  div'incs:  ce  cju'il  ne  pourront  faire  fans  un 
grand  travail.  (Dr  fnvancrm.  des  Hclii].  Ch.  2.) 

Dans  cette  tentation  d'ennui,  lorfque  Faîne  n'a 
point  de  contentement  dans  les  chofes  fpirituel- 
les  ,  &  qu'elle  rejette  la  confolation  des  charnel- 
les ,  ne  trouvant  ainfi  jamais  de  refuge,  elle  eft 
confumcc  d'une  mauvaiT^  triftefîe. 

Il  s'enfuit  une  autre  tentation  facheufe  &  dan- 
g;ereufe  ,  (a)  d'impatience  contre  Dieu  :  pourquoi 
il  eft  Çi  dur  &  impitoyable  à  l'aHligé  ,  fi  chiche  à 
donner  fa  grâce  au  pauvre  fouftrant ,  &  à  celui 
qui  la  demande  avec  tant  d'anxiété,  &  qui  heurte 
à  la  porte  avec  tant  d'importunité.  Et  cette  ten- 
tation eft  par  fois  fi  violente,  que  Fhomme  eft 
prefque  hors  de  foi  ,  &  par  la  véhémence  de  la 
triftefle  eft  comme  palpitant;  parce  qu'il  ne  trou- 
ve  point  de  foulagement  en  l'oraifon,  qui  devroit 
être  fon  unique  refuge  dans  cette  oppreflion  ^ 
fentant  le  ciel  comme  d'airain. 

Les  plus  après  tentations  font  celle  d'héfiter 
en  la  foi  Catholique  ,  de  défefpérer  de  la  miféri- 
corde  de  Dieu  ,  blafphêmer  contre  lui  &  les 
Saints;  &  la  tentation  de  fe  couper  les  mains, 
de  fe  tuer  foi-même:  &  une  certaine  perplexité 
d'une  confcience  plaintive  ,  de  n'admettre  point 
de  confeil  falu taire.  (Clu  7.)  Là-même. 

^^,VEvêquedeTaraJJone^  (parlant  de  Ste,  TJicrèfe,') 
Dans  ces  ténèbres  le  Diable  aufli  fe  cachoit  , 
&  ajoutoit  à  fes  peines  d'autres  plus  grandes  , 

Ça)  Celle-ci  ne  vient  que  faute  de  foumîffion  de  volonté , 
pour  foutrrir  les  autres  peines  tant  qu'il  plaira  à  Dieu. 


J52         Justification. 

Jui  repréfentant  mille  rêveries  ,   par  léfquellcrs 
elle  étoit  reprouvée  &  féparée  de  Dieu  ,  &  cela 
avec  une  angoifTe  &  preffure  de  cœur  fî  terrible 
&  fi  intolérable  5  qu'on  ne  peut  la  comparer  mieux 
avec  aucune  chofe  ,  qu'avec  ce  que  foufïrent  les 
âmes  damnées   dans  TEnfer.   Elle    ne    trouvoit 
aucune  confolation  en  cette  horrible  tempête  ; 
parce  que  la  grâce  étoit  fi  cachée,  qu'elle  n'en 
voyoit  pas  la  moindre  étincelle  ,  &  il  ne  lui  fem- 
bloit  pas  de  l'avoir  jamais  eue  ,  d'autant  que  les 
biens  qu'elle  avoit  faits  jufqu'alors  ,  &  les  grâces 
qu'elle   avoit  reçues  de  Notre  Seigneur  ,   tout 
cela  lui  paroifToit  un  fonge  &  une  imagination. 
Elle  voyoit  feulement  la  multitude  de  fes  péchés 
&  offenfes.  Pour  augmenter  davantage  fa  mort , 
Dieu  mettoit  quelquefois  fon  ame   dans   un    fi 
grand    délailTement ,    qu'elle    n'avoit    que    des 
lebuts  5  des  contrariétés  ,  &  des  plaies  du  ciel , 
comme  fi  Dieu  lui  eut  tourné  le  dos  ,  ou  qu'elle 
eût  été  fon  ennemie.  ÇVie  de  Ste.  Thcrefe.  Livr,  1. 
Ch.  12.)  Là-même, 

fô.  Ste.  Thérèfc,  Etant  donc  feule  ,  fans  avoir 
aucune  perfonne  avec  qui  je  me  pufTe  repofer ,  je 
ne  pouvois  ni  lire  ni  prier:  mais  j'étois  comme 
une  perfonne  épouvantée  d'une  fi  grande  tribu- 
lation ,  &  tourmentée  d'une  étrange  crainte  que 
îe  Diable  ne  m'eût  trompée  ,  ou  qu'il  ne  me 
trompât,  j'étois  toute  troublée  &  affligée  fans 
favoir  où  donner  de  la  tète.  Je  me  fuis  vue  plu- 
fîeurs  Jois  en  cette  affliction  ,  quoiqu'il  me  femble 
qu'il  n'y  en  eût  aucune  Çi  extrême  que  celle-ci. 
Je  demeurai  (a)  en  cet  état  quatre  ou  cinq  heu- 

{d)  Eile  ne  parle  encore  ici  que  des  premières  épreu- 
ves  ,  de  quelques  jours  feulement ,  qui  font  les  moindres 
de  cette  voie,  comme  on  l'a  pu  voir  par  ce  qu'en  a  dé. 


L.  ParificatioL  SS-S?-  J?? 

rçs,  fans  icccvoir  aucune  conlblatlon  ni  fie  Ix 
tcnc  ni  du  (>icl  i  Notre  Seigneur  me  laiflant  foui* 
irir  ,  plongée  dans  Tapprchenlion  de  mille  périls, 
CT/V;  C'//.  2 y.)  lAi-nicnic.  §.  2. 

yy,  —  Dieu  donne  licencie  au  Diahlc  (/;)  de 
tourmenter  J'ame  pourTéprouxer  ,  &  de  lui  met- 
tre en  refprit  qu'elle  cft  réprouvée  de  Dieu  \  car 
il  y  a  quantité  de  cliofes  qui  la  combattent,  avec 
une  prellurc  intérieure  lî  lenfible&  fi  infupporta- 
ble,  que  je  ne  fais  à  quoi  la  comparer,  Çi  ce  n'eft 
aux  peines  qu'on  fouttre  enKnfer,  d'^iutantquc 
pendant  cette  tempête  ,  on  ne  reqoit  aucune  con- 
folation.  —  Ouc  Ç\  on  veut  prendre  un  livre  eu 
langue  vulgaire ,  on  n'y  entend  pas  davantage 
que  fi  on  n'en  connoiOoit  aucune  lettre  ;  à  caufe 
que  l'entendement  n'en  cft  pas  capable.  »—  Que 
fera  donc  cette  pauvre  ame  ,  s'il  arrive  qu'elle 
foit  agitée  plufieurs  jours  de  ces  orages?  fi  elle 
prie  ,  c'eft  comme  \\  elle  ne  difoit  rien  ,  j'entends  , 
pour  fa  confolation  ;  parce  qu'elle  n'en  reçoit 
aucune  en  fon  intérieur,  &  même  elle  n'entend 
pas  ce  qu'elle  dit,  quoiqu'elle  prie  alors  vocale- 
ment:  car  pour  la  mentale  ce  n'eft  pas  le  tems, 
d'autant  que  les  puiflances  en  font  nicapables.  ^ 


claré  le  B    Jean  de  la  Croix,  (ci-deffus,)  Si  cet  état  eût 
duré  quatre  ou  cinq  années ,   c'eût  été  bien  autre  chofe. 

(  6  )  Elle  parle  ici  d'un  état  plus  avancé  de  peines 
plus  longues  &  plus  fortes.  Comme  Ste.  Thérèfe  a 
ceiré  d'écrire  vingt  ans  avant  fa  mort ,  il  ne  faut  pas 
s'étonner  fi  elle  ne  parle  pas  des  peines  plus  confidéra- 
bles  ni  plus  longues.  Mais  fon  Confeffeur  écrit  appa- 
remment ce  qui  lui  efc  arrivé  depuis.  Comme  elle  n'eut 
que  des  peines  paffageres  ,  elle  ne  parle  non  plus  que 
d'une  union  paflagere;  parce  que  l'un  fuit  l'autre. 


3J4         Justification. 

Il  eft  vrai  qu'elle  ne  peut  exprimer  ni  dire  ce  qui 
fe  pafTe  en  elle  ^  parce  que  ce  font  des  angoifTes 
&  des  peines  fpirituelles  ,  qui  ne  fc  peuv^ent  nom- 
mer, (ihat.  detamc,  Dem.  6.  Ch.  l.) Là-mcmc. 

fS.  L'Evêque  de  Taraffone  ^  parlant  encore  de  Ste, 
Tliérèfe.  Ces  travaux  &  agonies  lui  durèrent  deux 
années,  bien  que  non  pas  toujours  en  un  même 
état  5  ni  d'une  même  manière.  Ce  chemin  d'ari- 
dité &  de  ténèbres  eft  ordinaire  aux  grands 
Saints ,  &  c'eft  le  plus  pénible  &  le  plus  terrible 
pour  ceux  qui  traitent  avec  Dieu,-  car  comme  il 
fe  cache  au-dedans  de  leurs  âmes ,  &  qu'il  y  eft 
comme  dans  une  nuée  &  en  des  ténèbres  obfcu- 
res,  &  que  d'autre  part  il  leur  ôte  le  difcours  de 
l'entendement,  &le  goût  &  la  délectation  de  la 
volonté  ,  il  leur  femble  qu'ils  font  en  un  défert 
&  très-grande  folitude  ,  &  dans  Tobfcurité  fans 
Dieu,  quoiqu'il  foit  vrai  néanmoins  qu'il  y  foit 
pour  alors  plus  préfent ,  bien  que  plus  caché  ,  cul- 
tivant l'ame  par  ces  ténèbres  où  elle  eft,  &  la 
purgeant  des  imperfections  pour  la  rendre  digne 
de  foi.  Le  Bienheureux  S.  Franqois  fut  en  cet 
état  l'efpace  de  deux  années  ,  fuivant  le  rapport 
de  fon  hiftoire  ;  &  quelquefois  il  fe  trouvoit  fî 
ennuyeux  &  fî  déplaifant ,  qu'il  ne  vouloit  pas 
qu'aucun  Religieux  lui  parlât.  Il  eft  certain  que 
la  plus  grande  croix  que  les  Saints  ayent,  c'eft  (û) 
cette  folitude,  ces  ténèbres  &  cet  abandonnement 


C^)  Xes  pécheurs  &  les  gens  qui  ne  font  pas  intérieurs, 
ne  fentent  point  cette  terrible  peine.  Et  comment  la 
fentiroient^ils  ,  puifqu'ils  cherchent  leurs  fatisfadions 
dans  les  chofes  de  la  terre  ;  dont  une  telle  ame  eft  fi 
fort  éloignée  ,  qu'elles  lui  font  des  tourmens  ,  &  non 
des  raffraichiffemens.  Que  s'il  arrive  ,  que  par  infidélité 
on  cherche   quelq^ue  foulagement ,   ce  foulagement   fe 


I..  rurificatiou,  ^%  <;^.  jjC 

de  Dieu,  {ric  dv  Si  t.  Tlurtfc,  Livr.  1.  Clu   12.)  Là- 
Dicmc. 

^9.  Jaulcrc,  On  parvient  par  deux  voies  au 
vrai  amour  de  Dieu  :  la  première  elt  une  délec- 
tation de  la  prace  abondante  de  Dieu.  — .  L'au- 
tre eft  un  chemin  de  rcfiunation  ,  de  croix  ou 
d'aHlictions;  ici  l'homme  eTt  privé  de  toute  con- 
folation  Ipirituelle,  &  cette  voie  eft  une  voie 
d'aridité  &  de  fécherefTe  en  la  dévotion.  ^  Ces 
Martyrs  fj)irituels  ont  beaucoup  de  foins  &  d'an- 
goilTes  dans  cette  vie  ,  tellement  qu'ils  ne  favent 
fouveilt  de  quel  côté  ils  fe  doivent  tourner  ,  à 
caufede  ces  triftelles,  s'appuyant  feulement  fur  la 
foi ,  Tefpérance  &  la  chanté  nues  ,  en  une  cer- 
taine obfcurité.  ^  Et  quand  ils  apportent  plus  de 
diligence  &  font  plus  d'efibrts  ,  ils  font  encore 
beaucoup  plusfecsau-dedans,  &  deviennent  plus 
durs  que  des  pierres  ;  lî  bien  qu'a  grand  peine 
fouffrent-ils  quelquefois  patiem.ment ,  &  font  de 
plus  en  plus  tourmentés  &  abatUis  de  courage.  ^ 
Or  il  leur  femble  qu'il  eft  impoflible  qu'ils  n'of- 
fenfent  Dieu  ou  par  impatience  ,  ou  par  défef- 
poir ,  ou  par  ennui  &  tiifteiïe  de  cœur  y  ce  qui 
leur  caufe  une  grande  douleur ,  vu  qu'ils  ((2)haïf- 

fent   toutes  fortes  d'oifenfes.  Ils  voudroient 

auiîî  &  défireroient  de  tout  Jeur  cœur  d'extirper 
&  vaincre  leurs  vices  &  d'acquérir  les  vertus  :  mai^ 


change  en  amertume  ;  &  il  ne  refte  à  l'ame  que  cette 
double  douleur,  d'avoir  voulu  prendre  des  plaifirs  hors 
de  Dieu,  &  de  n'en  avoir  pas  trouvé,  mais  au  con- 
traire un  tourment  intolérable, 

fû]  Ceft  h  caufe  de  la  douleur  que  la  haîne  de 
toute  forte  d'offenfes  :  car  fi  on  ne  craignoit  pas  d'of. 
fenfer  Dieu  3  on  ne  fouffriroit  pas  de  fi  terribles  tour, 
mens. 


5j6  Justification. 

ne  peuvent ,  à  caufe  que  cela,  &  des  chofes  fem- 
blables  ,  leur  caufent  par  fois  de  Ci  grandes  dou- 
leurs, chagrins  &  angoifTes,  qu'il  leur  femble 
endurer  les  peines  de  l'Enfer  s  ce  qui  leur  pro- 
vient du  grand  amour  qu'ils  ont  pour  Dieu,  & 
de  leur  fidélité  à  fon  fervice  ,  encore  qu'ils  ne 
fâchent  pas  cela  eux-mêmes  :  d'où  vient  qu'ils 
s'eftiment  les  plus  grands  pécheurs  du  monde  , 
/bien  que  devant  Dieu  ils  foyent  très-purs.  (^Scrm. 
de  plujîcurs  Martirs.^  Là-même, 

60.  Rusbroclie,  Cet  homme  donc  fortant,  (a) 
fe  voit  miférable  &  défolé.  Ici  toute  Tardeur  , 
rimpétuofité  &  l'impatience  de  Tamour  s'adou- 
cit &  fe  refroidit  ,  &  l'été  brûlant  fe  change  en 
automne,  &  toutes  les  richeffes  en  une  fort  grande 
difette.  Et  pour  lors,  par  une  certaine  compaf- 
lîon  de  foi-méme  ,  il  jette  A^s  plaintes,  deman- 
dant où  fe  font  retirées  la  ferveur  de  la  charité , 
la  componction,  la  louange  &  l'agréable  action 
de  grâces  ;  comment  il  eft  deftitué  de  confo- 
lation  intérieure  ,  de  joie  intime  ,  &  de  goût 
fenfible  i  &  comment  cette  ardeur  véhémente 
d'amour,  &  tous  les  dons  qu'il  a  jamais  requ, 
font  de  la  forte  entièrement  éteints.  Et  on  n'agit 
plus  avec  lui  que  comme  avec  un  homme  favant , 
mais  qui  a  perdu  fa  fcience  &  toute  fa  peine. 
Cependant  fouvent  la  nature  fe  trouble  &  s'af- 
flige pour  cette  perte.  Quelquefois  auflî  ,  par 
la  permiffion  de  Dieu  ,  l'homme  ainlî  défolé  eft 

« 
{a)  Yiot^z  fortant  :  c'efc  que  la  plus  grande  douleur 
c'ell  d'écre  obligé  d'agir  &  de  converfer  dans  ces  peines: 
&  on  y  efc  prefque  toujours  contraint ,  comme  on  Ta  vu 
dans  ce  que  j'ai  écrit  fur  le  Cantique.  (Voyez  ci  deffus 
la  Note  b.  fur  Chap.  5.  v.  3.  dans  l'Article  Propriété,  p. 
201.  202,  ^  la  NotcïL.  pag,  20}.  204.) 

de 


L.  Purificatiou.  59--6i.  ^37 

fie  plus  (Jt!pouiJlé  des  chofcs  tcireflrcs  ,  ou  des 
amis  &  des  parens,  &  dclaifn!  de  toutes  les  créa- 
tures ;  &  tout  ce  qu'il  a  de  Tainteté  s*eii  va  en  ou- 
bliancc  (Se  n'cll  rien  eftimé,  c^  les  hommes  inter- 
]>reteut  fes  ac'tions  <!s:  toute  fa  vjc  en  la  plus  inau- 
vaife  j)art.  Il  cil  aulfi  niéprifc  de  tous  ceux  avec 
lefquels  il  vit.  Ouelquefois  aulli  il  ell  alHigé  de 
divcrfes  maladies,  ou  travaillé  de  tentation*i  cor- 
porelles, ou  ce  qui  excède  le  refte  ,  de  tentations 
fpirituelles.  Etant  donc  réduit  à  untt  fi  grande 
inifere  &  pauvreté,  il  commence  d'appréhender 
]a  chiite,  &  eft  combattu  dune  efpece  de  dé- 
fiance ,  qui  eft  Textrêmité  6c  le  dernier  terme  où 
une  perfonne  puifTe  demeurer  en  grâce  fans  tom- 
ber dans  le  défefpoir.  [De  C  ornement  des  Noces  fpitit. 
Livr.   2.  €/i.  2^.  )  Ld-méme. 

6i.  D^nis  le  Chartreux,  Le  Diable  voyant  qu'il 
yen  a  quelques-uns,  qu'il  ne  peut  pas  vaincre  par 
des  tentations  &  des  péchés  charnels  ,  ni  par  les 
chofçs  qui  font  contre  la  raifon,  il  a  accouLumé 
de  les  adaillir  par  des  tentations  de  certaine 
infidélité  ou  doute  touchant  la  vérité  de  la  foi 
Chrétienne;  il  en  incite  quelques-uns  à  des  ima- 
ginations deshonnêtes  de  Jéfus-Chrift,  &  de  la 
Ste.  Vierge,  ou  à  penfer  indécemment  &  indi- 
gnement de  Dieu,  ou  bien  à  blafphêmer;  il  en 
tente  d'autres  à  fe  défaire  foi-même  de  la  vie  par 
triftelTe,  défefpoir  ou  ennui  ;  d'autres  enfin  font 
tentés  d'une  étrange  aridité  d'efprit ,  tellement 
que  le  ciel  leur  paroît  être  d'airain  ,  &  la  terre 
de  fer,  &  il  leur  femble  qu'ils  font  reprouvés, 
[a]  (Remèdes  contre  les  tentât.  Art,  35.  ^  Dial.  de. 
tlnJiruEî.  des  Novices.  )  Là-même, 

(à)  Le  remède  à  tous  ces  maux  ,  c'eft  la  réfignation 
pour   porter   cet  état,   &  rabandon  de   tout  foi -même 

Tom.  IL  Jujlif.  Y 


33?        Justification- 

62.  Le  P.  Ildcphonfe  d'Orofco.  Les  travaux  du 
corps  font  comme  des  coups  afTenés  à  la  murail- 
le de  la  ville,  qui  battent  comme  par  dehors  : 
mais  les  tentations  de  Tefprit  frappent  &  bleffent 
dans  l'intérieur  &  fe  fententplus  vivement.  \^Liv. 
2.  dç  fcÈ  ConfeJJions,  ]   Là-même. 

63.  Le  P.  Jean  de  Jefus-Maria.  Touchant  les 
tentations  de  blafphême/on  doit  remarquer  la 
furieufe'  opération  du  Diable  ,  avec  de  grandes 
inftigations ,  pour  précipiter  les  ferviteurs  de 
Dieu  en  de  grandes  impatiences.  Cette  tenta- 
tion,  autant  que  j'ai  pu  entendre  ,  n'a  pas  cou- 
tume de  venir  feule,  mais  accompagnée  d'unc5? 
grande  trifteffe  intérieure  ,  ou  de  tentations  de 
défefpoir  5  ou  de  haine  de  Dieu  ,  ou  de  tentation^ 
violenres  contre  la  chafteté  ;  &Iaraifon  de  ceci 
eft  ,  parce  que  la  partie  inférieure  de  Thomme  , 
fe  fentant  grandement  affligée  &  privée  de  toute 
forte  de  confolation  &  de  goût,  elle  fe  tourne 
coiitre   la   raifon   comme   un   chien  enragé.  — • 


entre  les  main^  de  Dieu  ;  parce  que  cet  abandon  adou- 
cit l'âpreté  de  cette  peine  ,  qui  devient  quelquefoi'? 
telle,  qu'elle  aboutit  nécefTairement  à  un  faint  défef- 
poir  ou  à  un  défefpoir  de  damné.  Le  mauvais  défef- 
poir  fait  qu'une  perfonne  fe  tue  foi-même  ;  ou  quit- 
tant le  bien ,  elle  fe  plonge  par  défefpoir  dans  le  mal , 
difant ,  que  puifqu'elle  eft  déjà  damnée,  elle  ne  peut 
que  l'être  un  peu  plus  :  &  c'eit  le  pius  grand  mal- 
heur du  monde ,  qui  n'arrive  jamais  à  celui  qui  eft 
réfigné,*&  qui  par  un  faint  défefpoir  de  foi-méme  fe 
laide  entièrement  à  Dieu  ,  qui  le  préferve  de  tout 
jîial  ,  le  garde  &  le  ,  chérie  ainfi  que  le  dit  l'Ecriture  , 
[Deut.  ^2.  V.  10.]  comme  la  prunelle  de  l'œil.  A 
quelque  excès  que  la  peine  puiffe  aller,  fi  l'ame  eft 
abandonnée  ,  elle  la  foufFre  en  paix  ,  <&  les  rages  des 
peines  ne  viennent  que  d'infidélité  ,  ou  de  ne  nous  pas 
abandonner  à  Dieu.' 


L.  Purification!.  62-65.  339 

Alors  il  sV'lcvc  des  ptM)lccs  lionibics  ,  &  (|uci- 
cjuefois  clic  fc  IculFe  aller  à  des  paroles  qui  foDuciit. 
mal,  lefquelK's  néanmoins  font,  dites  fans  adver- 
tance  St  délibération  ,  j;ar  la  xélicnience  &  Tnn- 
pétuolké  de  la  tentation.  ]  Aco/e  de  l'Oraif.  Tiaiic 
4.    /7.  10.  ]  Là'tncmc, 

64.  S,  Thomas.  Voyez  Confftancc.  n.  j?. 

65.  —  Toute  la  rébellion  do  l'appétitirafcibie , 
&  du  concupifcible  contre  la  raifon  ,  ne  peut 
s'ôter  par  la  \'crtu  ;  vu  que  fuivant  la  nauue  de 
rirafcible  &  du  concupifcible  ,  ce  qui  efl  bon 
félon  le  fens ,  répugne  quelquefois  à  la  raifon; 
quoi  que  cela  fe  puifTe  faire  par  la  vertu  divine, 
qui  eft  puiffante  aulfi  de  changer  les  natures  : 
néanmoins  cette  rébellion  eft  diminuée  par  la 
vertu,  en  tant  que  les  puifTances  fufdites  font 
accoutumées  à  être  foumifes  à  la  raifon.  —  Les 
paffions  qui  s'inclinent  au  mal  ne  font  pas  tou- 
tes [aj  ôtces ,  ni  par  la  vertu  acquife ,  ni  par  la 


{à)  Ordinairement  parlant  ;  parce  que  Thomme  peut 
toujours  déchoir. 

11  eft  d*une  grande  conféquence  de  ne  point  con- 
fondre avec  ceci  l'état  fixe  d*oraifon  ,  qui  ne  doit  plus 
retourner  à  l'aélivité  première  ,  comme  l'enfant  ne  ren- 
tre plus  dans  le  ventre  de  fa  mère.  Car  celui-là  y 
eft  véritablement  établi,  qui  ayant  quitté  toutes  opé- 
rations propres  ,  fe  laifTe  mouvoir  au  gré  de  Dieu  :  & 
rétat  padilf  eft  fon  vrai  &  propre  degié  :  foit  qu'il 
agiflTe ,  foit  qu'il  foufFre  ,  il  eft  également  pafiif ,  fe 
laifîant  mouvoir  au  gré  de  Dieu  ,  foit  pour  être  paffi- 
vement  agiilant ,  ou  pafllvement  pâtiflant.  Mais  quoi- 
que  la  ftabilité  de  cet  état  foit  réelle,  &  que  Tamc 
ne  doive  jamais  en  aucun  tems  retourner  à  fes  pro- 
pres opérations  ,  puifque  ce  feroit  déchoir  ,  &  même 
cela  feroit  difficile  ;  il    n'eft   pas   dit    pour .  cela  ,  que 

•.    Y  a    . 


J40  Justification. 

x^ertu  infufe;  mais  elles  font  mortifiées  tant  p.tr 
la  vertu  acquife  que  par  la  vertu  infufe  ,  afin  que 
Fhomme  n'en  foit  point  ému  outre  mefure.  [  qu. 
un.  des  Vertus ,  ArticL  4.  ^  lo.  ]  Là-mémc,  Chap,  12. 
§.    2. 

66.  Le  P.  Barthelcmi  des  Martyrs.  Hélas  !  qu'il 
y  en  a  peu,  auxquels  il  arrive  de  parvenir juf- 
ques  ici.  Car  un  amour  léger ,  une  petite  affec- 
tion avec  laquelle  on  s'attache  à  une  créature 
mortelle,  une  parole  oifeufe  ,  ou  une  bouchée 
de  pain  prife  autrement  qu'il  ne  faut>  &  d'autres 


Tame  ne  doit  plus  jamais  agir  ,  puîfqu'elle  agit  étant 
mue  &  agie  de  Dieu,  non  feulement  en  unité  d'ac- 
tion ,  mais  même  en  multiplicité  d'adions  ,  fans  fe 
multiplier  néanmoins,  ni  fans  fortir  de  fon  unité  & 
pafTiveté  Car  comme  elle  eft  paflive  pour  foufFrir  To- 
pération  de  Dieu  ,  elle  eft  paflive  pour  agir  par  Topé- 
ration  de  Dieu;  &  cette  pafliveté  eft  très  -  agiffante  : 
elle  peut  faire  cent  aâ:es  fans  adions  propres ,  c'eft-a- 
dîre,  fans  aétions  dont  elle  foit  le  principe  agiflant  ; 
mais  adions  par  correfpondance  à  celui  qui  la  meut  , 
qui  lui  donne  le  vouloir  &  le  faire.  La  paffiveté  pour 
rintérieur  &  Toraifon  doit  donc  être  fixe.  Je  veux 
dire  ,  que  Tame  ne  peut  jamais  reprendre  la  médita- 
tion ,  &  ne  le  doit  jamais  ;  fon  oraifon  eft  toujours 
contemplation  pure  :  &  fon  oraifon  devient  fon  aétion  , 
&  fon  aétion  fon  oraifon.  Ce  qui  n*empêche  pas  qu'il 
n'y  ait  des  tems  ,  où  la  Contemplation  changeant  de 
nature  ,  eft  plus  ou  moins  apperque  ,  plus  ou  moins 
lumineufe  ,  plus  ou  moins  intime  &  goûtée. 

Mais  peur  la  vertu  ,  quoique  famé  ne  foit  plus  in- 
commodée  des  rebellions  du  corps  ,  il  eft  certain  qu'on 
peut  toujours  déchoir  ,  &  qu'il  n'y  a  point  d'état  d'im- 
peccabilité  en  cette  vie  ,  quoiqu'il  y  ait  un  état  fta- 
ble  très-réel.  Dieu  cependant  purifie  Tame  de  telle 
forte ,  que  quoiqu'elle  puiffe  déchoir  &  tomber  ,  fon 
corps  la  laifle  en  paix. 


L.   Purification.  ^6-67.  341 

chofes  fcmbLiblcs,  quoiqu'elles  uc  foicnt  que 
des  pailles  fort  menues,  font  cjuc  Dieu,  qui  c(l 
la  pureté  fouva-raine  ,  ne  fe  puilfe  unn-  intime- 
ment {a)  Il  l'ame,  jufqu'à-ce  (jue  cela  foit  expie: 
même  au  tems  de  l'union  entre  Dieu  &  Tame, 
on  doit  cliafrcr  toutes  fortes  d'images ,  Quoique 
bonnes,  parce  que  ce  font  des  milieux  [ou  en- 
tre-deux] entre  l'un  &  l'autre.  (Abrc^c  P.  2.  C'/z, 
II.)  Là-rncmc.  i'ii.   20. 

Le  P.  Benoit    de   Canfeld. 

67.  Ce  dénuement  par  fon  premier  effet  de  pu- 
rification, purge  l'ame  particulièrement,  fur  tou- 
te autre  impureté,  d'une  fecrette  image  de  lav^o- 
lonté  de  Dieu  qu'elle  retenoit  toujours  ,  qui  eft 
Ja  féconde  faute  de  la  contemplation  ,  dont  il 
eft  parlé  au  quatrième  Chapitre  :  laquelle  image 
étoit  11  fubtile  ,  déliée  &  fpiritueile  ,  qu'en  la  vo- 
lonté intérieure  jamais  Tame  ne  s'en  appercevoit, 
mais  fe  perfuadoit  que  purement,  &  fans  efpece 
ou  image  ,  elle  contemploit  cette  volonté  en  fon 
cffence  ;  &  même  elle  ne  fe  pouvoit  jamais  apper- 
cevoir  de  cette  image,  jufqu'à-ce  qu'elle  en  eût 
été  purgée;  d'autant  qu'une  chofe  imparfaite, 
ii'eft  point  connue  pour  imparfaite  à  celui  qui  ne 
fait  rien  de  plus  parfait  :  mais  l'ame  ne  connoif- 
foit  rien  de  plus  parfait  ;  parce  que  cette  image 
eft  la  chofe  la  plus  haute  &  la  plus  pure,  qu'elle 
eut  jamais  contemplée  :  &  par  conféquent  elle 
ne  la  pouvoit  connoitre  pour  imparfaite,  bien 
que  quand  elle  a  été  purgée,  elle  ait  connu  l'a- 
voir été.  Si  on  demande  comment  elle  fe  défait 
de  cette  image,  puifqu'elle  ne  la  connoît  pas; 
je  réponds  que  c'eft  par  le  feu  d'amour ,  qui  tou- 

ia)  Il  ne  parle  que  de  Tunion  paffiigere. 

Y    :; 


343        Justification- 

teiojs  eft  une  opération  divine  &  non  pas  fiennc, 
&  en  laquelle  elle  eft  plus  paflive  qu^adive.  Règle 
de  la  pcrf.  Liv.  3.  Clu  6. 

S.  François  de  Sales. 
68.  Il  arrive  quelquefois  que  nous  n'avons 
nulle  confolation  aux  exercices  de  l'amour  fa- 
crë,  d'autant  que  comme  chantres  fourds,  nous 
n'entendons  pas  notre  propre  voix,  ni  ne  pou- 
vons jouir  de  la  fuavité  de  notre  chant;  mais  au 
contraire,  outre  cela  nous  fommes  prelTés  de 
mille  craintes  ,  troublés  de  mille  tintamares  que 
l'ennemi  fait  autour  de  notre  cœur,  nous  fug- 
gcrant  que  peut-être  nous  ne  fommes  point 
agréables  à  notre  maître  ,  &  que  notre  amour  eft 
inutile  :•- alors  nous  travaillons  non  feulement 
fans  plaifir,  mais  avec  un  extrême  ennui,  ne 
Voyant  ni  le  bien  de  notre  travail ,  ni  le  conten- 
tement de  celui  pour  qui  nous  travaillons.  Mais 
ce  qui  accroît  le  mal  en  cette  occurrence,  c'eft  que 
Tefprit  &  fuprêm.e  pointe  de  la  raifon  ne  nous 
peut  donner  aucun  allégement  :  car  cette  pauvre 
portion  fupérieure  de  la  raifon,  étant  toute  en* 
vironnée  des  fuggeftions  que  l'ennemi  lui  fait, 
elle  eft  même  toute  allarmée  &  fe  trouve  affez 
embarraffée  d'être  furprife  d'aucun  confente- 
ment  au  mal,  deforte  qu'elle  ne  peut  faire  au- 
cune fortie  [a]  pour  dëfengager  la  portion  infé- 
rieure de  Tefprit.  Et  bien  qu'elle  n'ait  pas  perdu 
le  courage  ,  elle  eft  pourtant  fi  furieufement  atta- 
quée, que  fi  elle  eft  fans  coulpe ,  elle  n'eft  pas 
fans  peine.  Car  pour  comble  de  fon  ennui ,  elle 
eft  privée  de  la  confolation  générale  ,  que  l'on 

Gi)  C'eft  ce  que  j'ai  appelle  [au  Moyen  court.  Ch.  19. 
77.  i.j  ne  combattre  pas  directement  les  tentations  en 
fortant  de  fon  fond  pour  voir  ce  qui  fe  palïe  au  dehors; 
car  cela  eft  très-aangereux. 


L.  Turifîcatiou,  65?-69.  343 

a  prcfquc  toujours  en  tou<;  les  autres  maux  de  ce 
monde,  qui  ell  l'cfpërance  qu'ils  ne  feront  pas 
perdurablcs,  <Sc  qu'on  en  verra  la  fin  ;  fi  (juc  le 
cœur  en  ces  ennuis  fpiritucls  tombe  en  une  cer- 
taine impuiiïance  de  penfcr  à  leur  Hn  ,  ik  par  con- 
féqucm  d'être  allégé  par  IV'fpérancc.  La  foi  rc- 
fidantedans  la  pointe  dcTcfpnt,  nous  aflure  bien 
que  ce  trouble  finira,  &  que  nous  jouirons  un 
jour  du  repos  ;  mais  la  grandeur  du  bruit  &  des 
cris  que  Tennemi  fait  dans  le  rcfte  de  Famé , 
empêche  que  les  avis  &  remontrances  de  la  foi 
ne  foicnt  prefque  point  entendues  :  &  il  ne  nous 
demeure  en  l'imagination  que  ce  trifle  préfage  : 
Hélas,  je  ne  ferai  jamais  heureux  ! 

(*)  O  Dieu,  mon  cher  Théotime,  mais  c'efl 
alors  qu'il  faut  témoigner  une  invincible  fidélité 
envers  le  Sauveur ,  le  fei*vant  purement  pour 
l'amour  de  fa  volonté,  non  feulement  fans  plai- 
fu',  mais  parmi  ce  déluge  de  trifteffes  ,  d'horreurs, 
de  frayeurs  &  d'attaques;  comme  fit  fa  glorieufc 
Mère  &  St.  Jean  au  jour  de  fa  pafïion ,  qui  entre 
tant  de  blafphêmes,  de  douleurs  &  de  trifteffes 
mortelles  demeurèrent  fermes  en  l'amour  ,  lors 
même  que  le  Sauveur  ayant  retiré  toute  fa  fainte 
joie  dans  la  cime  de  fon  efprit,  ne  répandoit  iii 
alégreffes,  ni  confolations  quelconques  en  fon 
divin  vifage,  &  que  fes  yeux  languiffans  &  cou- 
verts des  ténèbres  de  la  mort,  ne  jettoient  plus 
que  des  regards  de  douleur,  comme  auffi  le  So- 
leil des  rayons  d'horreur  &  d'affreufes  ténèbres. 
De  l'Amour  de  Dieu.  Livr,  9.  Ch.  1 1. 

//  raconte  ce  quifepajja  en  la  délivrance  de  S,  Pierre 
de  la  prifon  :  puis  il  ajoute  ,• 

69.  Il  en  efl  de  même  d'une  ame  grandement 
chargée  d'ennuis  intérieurs  :  car  bien  qu'elle  art 

*  Pur  amour,  n.  jô. 

^4 


^44  Justification. 
le  pouvoir  de  croire,  d'efpérer  &  d'aimer  Dieu, 
&  qu'en  vérité  elle  le  faffe;  toutetois  elle  n'a 
pas  la  force  de  bien  difcerncr  fi  elle  croit,  çfpére 
&  chérit  foa  Dieu  ,  d'autant  que  la  détrelTe  l'oc- 
cupe &  l'accable  i\  fort,  qu'elle  ne  peut  faire  au- 
cun retour  fur  foi -même  pour  voir  ce  qu'elle 
fait  :  c'eft  pourquoi  il  lui  efl  avis  qu'elle  n'a  ni 
foi ,  ni  efpérance  ,  ni  charité ,  mais  feulement  des 
phantcmes  &  inutiles  imprelîions  de  ces  vertus 
là ,  qu'elle  fent  prefque  fans  les  fentir  &  comme 
étrangers,  non  comme  domeftiques  de  fon  ame. 
Que  fi  vous  y  prenez  garde  ,  vous  trouverez  que 
nos  efprits  font  toujours  en  pareil  état ,  quand 
ils  font  puilTamment  occupés  de  quelque  violente 
paillon;  car  ils  font  plufieurs  actions  comme  en 
fonge ,  &  defquels  ils  ont  fi  peu  de  fentiment , 
qu'il  ne  leur  efl  prefque  pas  avis  que  ce  foit  en 
vérité  que  les  chofes  fe  paffent.  — 

Tels  donc  font  les  fentiments  de  î'ame ,  la- 
quelle eft  entre  les  angoiffes  fpirituelles ,  qui 
rendent  l'amour  extrêmement  pur  &  net  :  car 
étant  privé  de  tout  plaifir ,  par  lequel  il  puiflfe  être 
attaché  à  fon  Dieu,  il  nous  joint  &  unit  à  Dieu 
immédiatement ,  volonté  à  volonté ,  cœur  à  cœur , 
fans  aucune  entremife  de  contentement  ou  pré- 
tention. Hélas!  Théotime,  que  le  pauvre  cœur 
eft  affligé,  quand  comme  abandonné  de  Tamour 
il  regarde  par  tout,  &  ne  le  trouve  point,  ce  lui 
femble.  !1  ne  le  trouve  pouit  aux  fens  extérieurs, 
car  ils  n'^en  font  point  capables;  ni  en  l'imagina- 
tion qui  efl  cruellement  tourmentée  de  diverfes 
dmprefîions  ;  ni  en  la  raifon  troublée  de  mille  obf- 
curités  de  difcours  &  appréhenfions  étranges;  & 
bien  qu'enfin  elle  le  trouve  en  la  cime  &  fuprêmc 
région  de  l'efprit,  où  cette  divine  dileclion  réfi- 
de,  fi   efl-ce  néanmoins   qu'elle  le  méconaoit , 


L.  Purificatioiî.  6c).  345 

&  lui  cft  avis  que  ce  n'cfl  pas  lui  ,  parce  que  U 
j;raii(lcur  des  ennuis  &   des   ténèbres  Teiripéclic 
de  fentir  fa   douceur:    elle  le  [a]  voit  fans    le 
voir,  &  le  rencontre  fans  le  connoître,  comme 
fi  c  etoit  en  fongc  &.  en  image.   Ainfi  Madeleine 
ayant  rencontré  fon  cher  Mailrc  ,   n'en  rcc^oit 
aucun    allégement  ,    d'autant  qu'elle  ne  penfoit 
j)as  que  ce  fut  hu  ,  mais  feulement  le  jardinier. 
JVlais  que  peut  donc  faire  l'ame  qui  e(l  en  cet 
état?'Klle  ne  fait  plus  comme  fc  maintenir  entre 
tant  d'ennuis  ,  ik  n'a  plus  de  force  que  pour  laif- 
fer  mourir  fa  volonté  entre  les  mains  de  la  vo- 
lonté de  Dieu  ,  à  l'imitation  du  doux  Jéfus,  qui 
étant  arri\'é  au  comble  dt^^  peines  de  la  Croix, 
que   le  Père  lui  avoit  préfigées,  &  ne  pouvant 
plus   réfjfter  a  l'extrémité  de   fes   douleurs  ,    fit 
comme  le  cerf,  qui  hors  d'haleine  &  accablé  de 
la  meute  ,  fe  rendant  à  l'homme  ,  jette  les  der- 
niers abois,  la  larme  à  l'œil;  car  ainfi  ce  divin 
Sauveur  proche  de  fa  mort,  Ik  jettant  les  der- 
niers foupirs  ,  avec  un  grand  cri  &  force  larmes: 
Hélas,   dit-il,   [/?]  mon  Père  ,  je  recommande 
mon  efprit  entre  vos  mains  :  parole  qui  fut  la 
dernière  de  toutes ,  &  par  laquelle  le  Fils  bien- 
aimé   donna   le  fouverain    témoignage    de   fou 
amour  envers  fon  Père.  Quand  donc  tout  nous 
défaut,   quand    nos   ennuis  font  en  leur  extré- 
mité ,  cette  parole  ,   ce  fentiment ,  ce  renonce-- 
ment  de  notre  ame  entre  les  mains  de  notre  Sau- 
veur, ne   nous  peut  manquer.   Le  Fils  recom- 
manda  fon  efpnt  au  Père  en  cette   dernière  & 
incomparable  détreflTe  ;  &  nous,  lorfque  les  con- 
vulfions  des  peines  fpirituelles  nous  ôtent  toute 
autre  forte  d\ilégemens  &  de  moyens  de  réfifter  ^ 

(  a  )  Voyez  VFxplic.  du  Cantique  \  Ch.  2.  v.  9. 
[6]  Luc  2J.  V.  46. 


34^         Justification. 

[^]  recommandons  notre  efprit  entre  les  mains 
de  ce  Fils  éternel,  qui  etl  notre  vrai  Père,  & 
baifîant  la  têce  de  notre  acquiefcement  à  fon 
bon  plailir  ,  confignons-lai  notre  volonté.  De 
i  Amour  de  Dieu  ,  Llu,  g.  Ch.  12. 

Le  p.  Constantin  de  Barbançon. 

70.  Enfin  ,  après  plufieurs  petites  épreuves  , 
Dieu  voyant  Tame  forte  &  courageufe  entière- 
ment dénuée  de  TafFeclion  de  la  terre ,  &  réfoluc 
de  lefuivre  par-tout ,  quoiqu'il  lui  en  puifTe  coû- 
ter de  peines  &  de  fatigues  ,  &  de  ne  l'abandon- 
ner jamais,  quelque  dur  &  auftere  qu'il  fe  mon- 
tre envers  elle  ;  fur-tout  Dien  fâchant  qu'elle  eft 
affez  forte  pour  foutenir  l'opération  qu'il  veut 
faire  en  elle  ;  il  lui  donne  une  inclination  fecrette 
de  fe  remettre  &  abandonner  à  lui  ,  &  de  fc 
jetter  entièrement  en  fa  divine  difpofition,  pour 
faire  d'elle  félon  fon  bon  plaifir  pour  le  tems  & 
l'éternité,  ne  défirant  que  de  lui  complaire  ,  à 
quelque  prix  que  ce  foit  :  &  après  lui  avoir 
arraché  [  6  ]  fon  confentement  total ,  il  com- 
mence à  la  mettre  en  un  état  auquel  il  faudra 
qu'elle  fouffre  extrêmement. 

Mais  ,  d'autant  que  cet  état  de  privation  eft 
un  des  plus  fâcheux  &  des  plus  pénibles  pafTages 
de  toute  la  vie  fpirituelle ,  auquel  Dieu  ayant 
accoutumé  de  charger  l'anie  jufqu'au  bout  de  fes 
forces  ,  &  de  lui  en  donner  autant  qu'elle  peut 
porter  ,  &  à  caufe  de  la  peine  indicible  qu'il  y  a 
à  pourfuivre  ce  chemin ,  fans  fe  laifTer  emporter 
aux  chofes  du  dehors;  j'en  traiterai  ici  un  peu 
plus  amplement  que  des  autres  états. 

C<2]  Abandon  total  &  fans  retour  ;   c'eft  la  fin  pouf 
laquelle  Dieu  nous  fait  foufftir  tant  de  peines. 
[&  j  Voyez  Moyen  court*  Ch.  2^,  n.  6  &  7- 


L.  Ttirification.  70.  347 

Lorfqnc  \'oiis  entendez  j:)ailn  de  cet  état  de 
privMtion  &  de  dclaiiïcment ,  jI  ne  faut  pas  pcn- 
fer  que  Dieu  atlli^v;e  Tame  diredcment ,  ou  bien 
qu'il  la  mette  en  un  état  de  pure  fouHiance ,  oTi 
clic  n'ait  qu'à  fouFfiir  &  à  attendre  mieux  fans 
autre  chofc  ,  comme  elle  faifoit  autrefois;  car  il 
la  chofc  ne  conliltoit  qu'en  cela,  il  n'y  auroit  j)as 
j;rand  mvflere:  mais  c'eft  que  Dieu  la  prive  pre- 
mièrement de  toutes  les  opérations  fupérieurev 
de  Tefprit,  &  de  toutes  les  occupations  de  fou 
divin  amour  qu'elle  avoit  ordinairement,  la  re- 
mettantau  plus  bas  des  puiffances  inférieures,  où 
elle  fe  trou\'e  fi  reinplie  de  foi-même,  (i  éloignée 
de  la  région  divine,  qu'elle  ne  fent  l'opération 
de  Dieu  que  très-peu  ou  point  du  tout;  &  au  lieu 
qu'au  précédent  état,  fon  exercice  étoit  de  fe  tenir 
toute  recueillie  au-dedans  en  paix  ,  en  repos  &  en 
tranquillité  d'efprit ,  ne  s'occupant  de  rien  fmoii 
de  fuivre  ,  d'attendre  &  de  remarquer  Tattrait 
intérieur  de  la  grâce  aduelle  pour  y  coopérer  :  ici 
étant  extrêmement  éloignée  de  toute  paix  & 
tranquillité  5'  fes  anciennes  miféres  retournent, 
les  paffions  fe  font  fentir  de  nouveau  &  auffi  vi- 
vement que  jamais,  &  il  lui  femble  qu'elle  n'aura 
pas  moins  de  peine  à  les  furmonter  que  le  pre- 
mier jour  qu'elle  fe  mit  au  chemin  de  la  perfedion. 

Il  femble  que  le  Roi-Prophête  ait  relTenti  un 
pareil  éloignement  de  la  jouiiTance  divine  &  les 
mauvais  effets  qui  en  fuivent ,  quand  il  difoit  [fî]  : 
Seigneur ,  vous  êtes-vous  donc  ainji  éloigné  de  moi  ? 
Pourquoi  ,  mon  Dieu,  m'avez-vous  ainfi  privé 
du  bonheur  de  votre  jouiflance  ,  comme  une 
pauvre  veuve  privée  de  la  douce  compagnie  de 
fon  époux  ,  laquelle  étant  attaquée  h  affligée 
de  tous  côtés  ,  ne  trouve  perfonne  qui  la  pro- 

[  a']  Pf.  10.  V.  I. 


54?  Justification. 

tegc.   Tout  de  même  le  Diable,  le  monde,  la 
chair  fepiblent  s'élever  de  concert  contre  cette 
îime  ,  ainfi  éloignée  de  la  préfence  Si  de  la  com- 
pagnie de  fon  Epoux  célefte  ,  fous  les   ailes  fc- 
côurables  duquel  elle  fembloit  auparavant  pou- 
voir toutes  chofes  ,   &  même  braver  tous  ceux 
qui  s'élevoient  contre  elle.  Elle  difoit  alors  [a]  : 
Je  ne  craindrai  aucuns  maux ,  parce  que  vous  êtes  avec 
moi.    Je  me  mpque   des  menaces  des  ennemis  , 
je   dédaigne    leur  infolence  ;    &  qui  plus   eft  , 
renforcée  de  confiance  &  de  grandeur  de  cou- 
lage ,  je  me  préfente  moi-même  au  combat,  & 
i>e  crains  rien  ;  car  Dieu  ayant  pris  ma  vie  en 
proteétion  ,  &  me  couvrant   de   -cous  côtés  des 
ailes  de  fa  puifTance  ,   qui  eft-ce  qui  ofera  m'a- 
border  ?  qui  craindrai-je  ,   ii   celui  que  tout  le 
monde  craint  &  redoute  me  défend  ?  Rien   ne 
îa  pouvoit  alors  ébranler  ;  par  la  feule  raifon  que 
fon  Seigneur  &  fon  Dieu  étoit  près  d'elle  ,  la  vic- 
toire étoit  dans  fes  mains.   Mais  ici  étant  aiufi 
abandonnée  ,  elle  peut  bien  dire  avec  le  Pro- 
phète :  [6]  Hélas  ,  Seigneur  !  ceux  qui  ne  cher- 
chent que  ma  mort ,    qui  confpirent  contre  ma 
vie  ,  ont  fait  un  complot  enfemble  ,  où  ils  ont 
xéfolu  ma  ruine,  difant  d'une  voix  audacieufe: 
îl  court  vagabond,  privé  de  l'affiftance  &  de  la 
douce  protection  de  fon  Dieu  ;  pourfuivez-le  , 
attaquez-le  hardiment,  parce  qu'il  ne   fe  trou- 
■^~era  perfonne  qui  prenne  fa  caufe  en  main  ,  ou 
qui  puiiTe  vous  l'arracher.  Et  effedivement  ,  dit- 
iî,  l_c']Jî  Dieu  ne  m'eût  ajjîfté  ^  il  s'en  feroit  peu  fallu 
que  mon  ame  ne  fut  tombée  dans  f  enfer  s  c'efl-à-dire , 
ces  deffeins  euffent  eu  leur  eftet,  fi  Dieu  par  fa 
miféricorde  ne  fe  fût  promptement  tourné  vers 

lai  Pf.  22.  V.  4.     [6]  Pf.  70.  V.  10.  lï. 
IcJ  Pf.  (;j.  V,  17. 


L.  VnrîjïcatiGJi.  70.  .^^49 

iTioi  pour  me  fccourir  :  l'cll  j>ourqiioi  il  p/ioit 
(\  fou  vent,  [a]  Ne  dtftourricz  pas  de  luoi  votre  Jatc. 
[ /;  ]  Ne  me  rejetez  pas  de  devant  votre  facr.  Ne  inc 
privez  plus,  ô  Seigneur  ,  de  votre  agréable  pré- 
fence  ,  de  peur  cjue  mes  ennemis  ne  confpircnt 
de  nouveau   ma  perte. 

Ouel  martyre  Ipirituel  penfez-vous  que  ce  foit 
pour  une  amc  ,  après  avoir  \'u  11  clairement  les 
chofes  de  Tefprit  de  Dieu  ,  &  cormu  leur  vérité, 
la  vanité  des  cliofes  du  monde  ,  la  miférc  de$ 
défirs  &  des  inclinations  de  la  nature  corrompue , 
&  le  grand  maJheur  du  péché  ;  après   avoir   tant 
de  fois  défiré  de  s'éloigner  de  toutes  ces  chofes, 
&  qui  plus  eft,  après  qu'elle  pcnfoit  en  être  audi 
éloignée  que  le  ciel  Tell  de  la  terre,  de  s'y  voir 
derechef  toute  plongée  ,    &    autant  haraffée  Se 
tourmentée  de  penfées,  défirs  ,  inclinations,  ima- 
gmations  ,   mouvxmens  ,   palîions  ,    &  enfin  de 
toutes  fortes  de  déréglemens,  que  jamais  elle  ait 
été?  Encore  fi  cela   ne  duroit   que   l'efpace    de 
deux  ,  trois  ou  quatre  mois ,  &  que  l'ame  retour- 
nât après  cela  à  fa  jouïfTance  comme  ci-devant, 
la  chofe  feroit  aucunement  fupportable  ;  mais  d'y 
demeurer  les  demi-ans ,  &  même  les  années  en- 
tières,  ou  davantage,  fans  favoir  plus  retourner 
aux  grâces  précédentes  ,   cela  fait  quafi  perdre 
toute  efpérance ,  &  emporte  ,  peu  s'en  faut ,  toute 
la  patience  de  cette  ame  ;  car  fi  elle  fe  veut  éle- 
ver à  Dieu  pour  y   chercher  du   refuge  en  fes 
miféres  ,  il  n'y  a  que  ténèbres  &  obfcurité  dans 
fon  efprit ,  &  elle  voit  que  la  porte  lui  eft  fermée 
de  ce  côté-là  ;  que  fi    elle   a  recours   à  fes  ades 
propres  pour  exercer  les  vertus  contraires ,  cela 
fe   fait  avec  fi   peu    d'efficace  contre  fon  mal 
qu'elle  trouve  aufli  fort  peu  ou  point  de  foula, 

(a)  Pf  26,  ir.  9.    (i)  Pf.  sa  f.  13. 


35^        Justification. 

gcment  de  ce  côté-là.  Où  efl-ce  donc  que  cette 
pauvre  créature  aura  recours  en  fes  angoiflcs  ?  Car 
fi  faut-il  qu'elle  faffe  quelque  chofe  :  de  demeurer 
en  foi-même  en  fa  nature  inférieure  avec  tous  ces 
malheureux  défirs,  inclinations  ,  défordres  ;  c'eft 
comme  un  enfer  pour  elle  ,  qui  auparavant  avoit 
fi  bien  appris  à  s'en  éloigner  ,  aidée  par  l'opéra- 
tion qu'elle  reffentoit  enfon  efprit,  où  ellevoyoit 
fi  clairement  la  mifére  de  ces  défordres  :  c'eft 
pourquoi  fa  confcience  ne  fauroit  foufFrir  qu'elle 
s'y  arrête  encore  ,  ou  qu'elle  y  puiffe  trouver 
aucun  repos  ou  confolation  ,  étant  toujours  ron- 
gée au-dedans  par  la  crainte  qu'elle  lui  donne  de 
perdre  fon  Dieu  ,  en  fe  laiffant  emporter  aux 
chofes  du  dehors.  Et  en  eft'et ,  c'eft  ici  une  de 
fes  plus  grandes  peines,  qu'il  lui  femble  à  tout 
moment  qu'elle  va  fe  retirer  de  fon  Dieu  &  l'a- 
bandonner. 

Mais,  direz-vous,  qu'eft-ce  donc  que  Notre 
Seigneur  prétend  par  tout  cela?  Pourquoi  un  tel 
ctat?  Je  réponds  que  c'eft  une  opération  autant 
néceffaire  qu'aucune  autre  que  Dieu  ait  faite  juf- 
qu'ici  dans  l'ame ,  pour  la  faire  avancer  en  fon 
divin  amour  :  elle  eft  néceffaire  ,  dis-je ,  non-feu- 
lement pour  purifier  Famé  de  tout  refte  dépêché, 
de  toute  attache  à  fes  grâces  fenfibles  &  de  toute 
eftime  de  foi-même  ;  mais  encore  pour  la  difpofcr 
peu  à  peu  à  l'état  de  jouiffance  &  d'union  parfaite 
qui  doit  fuivre  après  celui-ci ,  comme  on  le  verra 
à  la  fin  de  ce  difcours. 

L'ame  donc  ayant  été  quelque  tems  en  cet  état 
de  féchereffe  fpirituelle  ,  en  ces  combats ,  en  ces 
reffentimens  de  toutes  fortes  de  miféres ,  &  ayant 
jufques-làfupporté  cette  dure  privation^  avec  pa- 
tience, dans  Tefpérance  de  trouver  mieux  :  voyant 
enfin  que  ces  miféres  continuent^  ou  plutôt  aug- 


L.   rtirification.  70.  35  ï 

mentent  (le  joui  en  jour,  clic  commence  à  s'ima- 
j;iner  que  tout  c(l  perdu  pour  elle,  &  que  cela 
lui  eft  arrivé  par  cjuel(|ue  grande  fau:c  qu'elle  aie 
commife  contre  Dieu,   &  qui  l'air  obligé  de  fc 
retirer  d'elle  «Se  de  la  lailFer  en   vn  état  (i  mifé- 
rable.   Kt  j)lus  cela  va  en  avant ,  plus  ell-ce  pitié 
de  \oir  les  peines  qu'elle  a  dans  J'oiailon,  à  caufe 
de  la  ditUculté  qu'elle  trouve  J'entrer  en  fon  in- 
térieur ,  de  s'y  maintenir  ou  Je  s'adrefTer  à  Dieu 
avec  tantfoit  peu  d'eificace,  &  de  voir  que  le  tcms 
s'y  paire  en  diverfes  penfécs ,  repréfentations  & 
alléchemens  de  la  fenfualité.  Et  qui  plus  eft,  il 
;4rrive  fouvcnt  que  Timpatience  veut  fe  faire  fen- 
tir  ;  car  la  nature  inférieure:  fe  voyant  ainfi  agitée 
de  toutes  parts,  privée  de  toute  influence  &  de 
tout  fecours  ,  &  que  toutes  chofes  femblent  conf- 
pirer  à  fa  ruine  ,  elle  voudroit  tout  quitter  par 
impatience.  Et  au   lieu  des  douces  inclinations 
qu'elle  refifentoit  autrefois  pour  Uieu   &    pour 
fon  amour,  il  eft  prefque  incroyable  combien  à 
préfent  elle  fe  fent  au  contraire  toute  pleine  de 
dégoûts  ,  d'averfion  &  d'irréfignatioa ,   &  cela 
d'une  manière  qu'on  n'y  voit  plus  de  remède  , 
les  chofes  allant  toujours  de  mal  en  pis;   car, 
tandis    qu'il   y   avojt  encore   quelque  lieu   d'ef- 
pérer ,  de  fupporter  ou  de  fe  réfigner,  quelque  dif- 
liculté  que  l'ame  y  trouvât ,  il  y  avoit  toujours 
moyen  d'avancer  en  quelque  forte  :  mais  depuis 
que  cette  nature  inférieure  fe  trouve  toute  rem- 
plie d'impatience  ,   de  rage,  d'irréfignation  ,  de 
dépit  &  d'indignation  ,  cela  eft  un  défordre  &  une 
confufion  inexplicable  :   &  c'eft  une  cliofe  hor- 
rible de  fentir  comment  dans  cette  rage  &  impa- 
tience de  la  nature  ,  devenue  infupportable  à  foi- 
niême ,  elle  fe  bande  &  fe  fouléve  contre  l'efprit , 
niême  contre  Dieu  même  ,  fe  voyant  entière- 


35^  Justification. 

ment  laiiïée  à  foi  &  privée  de  tout  appui  &  de 
toute  confolation. 

Avez-vous  jamais  vu  un  chien  enrage ,  qui  ne 
pouvant  atteindre  celui  qui  le  frappe  ,  s'en  prend 
au  bâton  don",  il  a  été  frappé  ?  Ceft  ainfi  que 
cette  nature  ,  humiliée  jufqu'au  bout ,  délaiifée 
entièrement  àfoi,  toute  remplie  de  fa  malice  & 
agitée  de  colère ,  de  rage  &  d'impatience ,  femble 
fe  vouloir  bander  contre  Dieu  même  &  contre 
tout  indifféremment ,  fans  avoir  aucun  égard  pour 
qui  que  ce  foit  :  mais  n'y  pouvant  atteindre  ,  elle 
fe  ronge  ,  fe  défoie  &  fe  dépite  contre  foi- 
même  dans  Texcès  des  ângoiffes  dont  elle  fe 
voit  accablée. 

Et  notez  que  cette  ame  efl  alors  tellement 
toute  nature,  c'eft-à-dife  ,  toute  vivante  dans  la 
nature  ,  que  fon  intérieur  eft  tout  dépeint  de  ces 
formes,  n'y  paroifTant  autre  chofe  en  elle  que 
cela  ,  tout  le  rede  &  toutes  les  autres  facultés  fu- 
périeures  étant  pour  lors  affoupies  ,  cachées  & 
fans  aucune  opération  ,  ne  reftant  en  elle  aucun 
petit  coin  où  toute  cette  nature  ne  foit  ainfi 
défordonnée,  enforte  que  l'ame  ne  peut  quafi  s'en 
diftinguer,  ni  s'empêcher  de  croire  que  ce  foit 
elle-même  &  fa  volonté ,  qui  faffe  ,  qui  veuille  & 
qui  opère  tout  ce  quelle  reffent:  d'où  lui  vien- 
nent une  infinité  de  doutes  ,  defcrupules  &  d'an- 
xiétés, penfantque  toutes  ces  chofes  qui  lui  ar- 
rivent, îbient  des  volontés  &  des  confentemens 
tout  purs.  Mais  il  s'en  faut  beaucoup  ;  car  la  vraie 
volonté  fupérieure  en  eft  tout  autant  éloignée  que 
lorfqu'elle  étoit  au  milieu  des  infufions  divines  , 
excepté  feulement  qu'elle  n'a  pas  fes  opérations 
fi  à  la  main,  ni  un  aufli  plein  ufage  de  fa  liberté 
que  dans  ces  momens  heureux  d'autrefois. 

Au 


L.  PitrifîcatwH.  70.  JH 

Au  rcfte  la  nature  fc  fcntuDt  (i  infupportaf)lc 
à  foi,  &  pleine  de  rage  c*^  de  colère  contre  Djcu 
même  ^  il  faut  que  Tamc  fe  difiingue  d'avec  cette 
nature,  &  qu'on  ne  s'enfonce  pas  tout-n-fait  dans 
ce  que  l'on  refFcnt  en  ellci  mais  il  faut  la  voir 
endurer  le  tout  comme  un  tiers  ,  s'unifTant  à 
J*opcration  divine,  &  dilant  en  même  tcms;  que 
cette  maligne  meure,  qu'elle  meure  avec  toute 
fa  rage  :  ik  quelquefois  en  lui  infultant  avxc 
grand  courage  :  en  dcpit  de  toi  ,  de  ta  volonté  , 
&  de  tout  ce  que  tu  pourrois  y  contredire  ,  il  fe 
fera  ainfi  ,  tu  mourras  lSc  feras  anéanlie.  D'autres 
fois,  fe  fentant  ainfi  diftingué  d'elle,  on  peut 
la  laifler  faire  un  peu  félon  toute  fon  inclina- 
tion ,  perv^erfité  &  malice  ,  non  pas  pour  y  con- 
fentir  j  mais  pour  la  confidérer  feulement,  &  pour 
voir  à  quoi  fe  terminera  la  tragédie  de  fa  mali- 
gnité. 

Enfin  la  chofe  va  fi  avant ,  &  cette  pauvre  ame 
fe  trouve  tellement  accablée,  que  fe  voyant  en 
tant  d'angoiffes  ,  en  ii  grand  péril  d^olfenfer  No- 
tre Seigneur,  Se  en  fi  grand  danger ,  ce  lui  fem- 
ble  ,  de  tout  quitter ,  &  de  retourner  en  arrière , 
elle  fe  fent  poufTée  à  vouloir  implorer  la  miféri- 
corde  divine,afin  d'être  délivrée  de  ce  trifte  état  : 
mais  d'autant  que  cet  inftinct ,  tout  beau  en 
apparence  &  fondé  fur  tant  dé  prefTantes  raifons  , 
n'eft  en  effet  qu'un  trait  de  la  nature,  laquelle 
voudroit  bien  éviter  fa  mort  fpirituelle ,  si  fe 
fouftraire  à  cette  opération  fi  amere  de  Tamour 
divin  ;  je  dirai  ici  à  l'ame  ,  pour  1  encourager  &  la 
foutenir  contre  cette  infirmité  ,  ce  qui  peut-être* 
lui  pourra  fervir  de  précaution  &  de  confolation. 

Dites  -  moi  donc,  ô  ame  dévote,  qui  vous 
trouvez  réduite  dans  ce  pauvre  état  &  dans  cette 
grande  défolation  intérieure,  ne\X)usfouveaez-i 

Tome  IL  Jufcif.  Z 


5^4        Justification?. 

vous  j)as,  combien  la  méditation  de  la  mort  êc 
iics  louffrances  de  Notre  Seigneur  eft  méritoire  , 
&  agréable  à  Dieu  ?  Oui,  me  direz. vous  fans 
cloute.  Si  donc  la  feule  méditation  qui  fe  pafiTe 
en  la  feule  penfée,  eft  telle,  avec  combien  (a) 
plus  de  raifon  le  fera  la  reffemblance  ik  la  con-- 
formité  à  cette  mort. 

Lorfque  vous  alliez  méditant  fur  ces  facrés 
inyfteres ,  vous  ne  confidériez  que  Textérieur  des 
chofes  corporelles  &  vifibles  quis'yfontpaffécs, 
vous  y  occupant  fort  louablement ,  à  contempler 
ks  tourmens  &  les  douleurs  de  votre  bénin  San- 
venr  ;  mais  maintenant  voici  qu'il  vous  apprendra 
toute  autre  chofe  :  car  ici  vous  commencerez  à 
connoître  par  l'expérience  de  ce  que  vous  icfTen- 
tirez,  que  ce  qu'il  fouffrit  intérieurement  en  foa 
ame  ,  par  le  délaiflement  total  que  fon  Humanité 
facrée  endura,  lui  a  été  bien  plus  pénible  &  plus 
douloureux  que  tout  le  refte  qui  parut  au-de- 
hors;  &  ainfi  vous  apprendrez  ici  une  manière 
de  méditer  ces  facrés  myfteres  bien  plus  fublmie , 
que  vous  n'en  ayez  jamais  pratiqué,  en  confîdé- 
rant  déformais  plutôt  les  angoiffes intérieures  de 
fon  ame  ,  que  les  plaies  extérieures  de  fon  corps. 
Bien  plus,  vous  lui  tiendrez  compagnie  en  fes 
travaux  intérieurs,  en  endurant  tous  ces  tour- 
mens à  fon  imitation  ;  i&  ainfi  vous  lui  ferez  bien 
plus  agréable ,  que  fi  vous  vous  fufliez  toujours 
arrêtée  à  les  méditer  &  confîdérer  fimplement  par 
des  images  extérieures. 

Et  partant  pour  ce  que  vous  vous  fentcz  for- 
tement incitée  à  demander  à  Notre  Seigneur  , 
qu'il  lui  plaife  de  vous  délivrer  de  cette  peine  & 

(a)  C*eft  bien  plus  de  porter  les  états  de  Jéfus-Clirift  , 
que  de  confîdérer  les  états  de  Jéfus-Chrift,  dit  le  Moyen 
court.  Ch,  8.  n.  i. 


L.  F  HT  ific.it  io)i.  70.  jj-y 

de  cet  état  fi  angoifrcux  ,  c'clt  ici  l'endroit  où 
vous  pouvez  devenir  airtuiienient  fembJable  à 
Notre  Seigneur  au  Jardin  des  olivCî>,  quand  il 
coninienc;a  à  entrer  en  fa  paflîon  douloureufe  , 
où  Ion  Humanité  facrée  fe  trouva  en  une  dclbJa- 
tion  fi  extrême  ,  que  félon  fon  inchnation  elle  fc 
mit  à  crier  :  (^a)  Mon  Pcrc  ^  s* il  cJijH)J[]:blc  ^  quccc  caliu 
jnijjc'i^  scloigncdc  moi.  Votre  nature  en  dit  autant 
au  commencement  de  cet  état,  défirant  d'éviter 
un  travail  \\  difficile  qui,  à  ce  qu'elle  prévoit  bien  , 
vient  fondre  fur  elle.  Mais  gardez-vous,  je  vous 
prie,  de  vouloir  ou  de  prier  abfoJument,  que  Dieu 
vous  délivre  &  vous  retire  de  cet  état  y  car  je  vous 
puis  aflTurer  ,  que  h  vous  voulez  être  du  nombre 
des  vrais  amis  de  Notre  Seigneur,  il  faut  que  cette 
opération  ait  fon  cours,  qu'elle  s  achevé  tk  s'ac- 
complilTc  entièrement  en  vous,  quoiqu'il  en  coûte 
à  la  nature.  Courage  donc  !  c'eft  ici  le  purgatoire 
d'amour  ,  où  vous  payerez  tout  ce  qui  vous  refte 
encore  à  payer  de  vos  dettes  :  c'eft  ici  la  vraie 
épreuve  de  votre  confiance  ,  &  de  votre  courage 
à  pcrfévérer  au  fervice  de  Notre  Seigneur  \  c'efç 
ici  le  tems  d'en  venir  aux  effets  de  vos  offres ,  de 
votre  abandon  à  Dieu  ,  &  des  défirs  d'enduret 
quelque  chofe  pour  lui ,  que  vous  lui  avez  adref- 
fés  lorfque  vous  lui  demandiez  fon  div^in  amour* 
Où  font  maintenant  ces  offres  fi  libérales  d'un 
amour  tout  défintéreUé,  &  le  facrifice  de  tout 
vous-même,  que  vous  fîtes  à  Dieu  au  tems  de 
la  iouiffance  de  fon  Efprit?  Où  font  toutes  ce^ 
promeffes  ,  ces  réfolutions  &  ces  proteftations  fi 
généreufes,  que  vous  fîtes  alors  de  ne  l'aban- 
donner jamais  ,  quelque  fâcheux  &  auftere  qu'il 
fe  pourroit  montrer?  C'eft  ici  le  tems  où  vous 
devez  faire  paroître  ,  que  vous  n'êtes  pas  ami  de 

(a)  Matth.  2Ô.  v.  j^. 

Z  Ci 


3S^        Justification. 

paroles  feulement,  mais  beaucoup  plus  d'œuvrei 
ëc  d'effets  :  &  comme  Notre  Seigneur ,  pour  votre 
bien  n'a  pas  voulu  éviter  fa  mort  &  fa  paffion 
fi  amere  :  ainiî  dans  cette  rencontre  ,  où  il  y  va 
tant  de  fa  gloire  ,  &  où  fa  divine  volonté  paroi tfî 
vifîblement,  quoique  félon  votre  appétit  naturel 
vous  défiriez  d'éviter  les  travaux  de  cet  état,  ne 
vous  laiffez  pointemporter  au  défîr  delà  nature  ^ 
mais  foyez  bien  perfuadée  qu'il  eft  expédient  que 
votre  être  ,  votre  opérer  ,  &  tout  ce  qu'il  y  a 
tii  vous  de  corrompu  ou  d'imparfait ,  meure  , 
pour  donner  place  à  l'être  divin ,  à  fon  opérer 
fureffentiel ,  &  à  tout  ce  qui  eft  de  fon  pur  amour. 
Souhaitez  donc  plutôt  que  tout  cela  périffe  &  que 
cette  nature  inférieure  meure  avec  toute  fa  ma- 
lice  ,  en  dépit  de  fa  rage  ,  de  fon  impatience  ,  & 
de  tout  ce  qu'elle  fauroit  vouloir  au  contraire  ; 
&  dites  à  Dieu  :  Qice  votre  volonté  foit  faite  ,  eu 
défirantque  fon  opération  divine  s'accompliflTe, 
&  que  tout  le  refte  s'accommode  plutôt  à  elle, 
que  de  vouloir  que  cette  opération  divine  fe  con- 
forme aux  défirs  de  la  nature. 

Je  fais  bien  que  fouventmême  vous  nefauriez 
faire  cette  réfignation  par  aucun  acte  formé  j  car 
cela  même  vous  fera  ôté,  ainfî  que  tout  autre 
acte  de  vertu  que  vous  voudriez  quelquefois 
exercer  au  befoin  ,  n'étant  pas  poflîble  alors  d'en 
former  aucun ,  ni  de  rien  pratiquer  qui  foit  capa- 
ble de  vous  donner  aucune  fatisfaction  ou  affu- 
rance  de  vous-même  d'avoir  fait  ce  qui  étoit  en 
vous  pour  vous  oppofer  contre  le  mal.  Mais 
tâchez  de  demeurer  en  paix ,  en  quiétude ,  &  en 
lîlence  :  &  cela  vous  tiendra  lieu  d'une  bonne  réfi- 
gnation ,  quoique  vous  n'en  fauriez  point  faire 
explicitement.  Car  Dieu  ne  fe  contente  pas  dç 
paroles ,   ou  d'acte*  légèrement  formés  :    mais 


L.   Vurifiaxtion.  70.  ^7 

il  vciit  qiron  foit  vci  it^hlcmnit  5c  en  effet  ,  ce 
que  ces  actes  dcchirriit  ,  en  dcincuraiu  paifible  & 
content  dans  l'on  fond  an  milieu  de  tant  de  mifc« 
Tcs  ;  &  cela  lui  fulHt  ,  encore  que  nous  non^ 
voyions  privés  de  ce  contentement  que  nous 
voudrions  avoir  ,  de  nous  voir  former  ces  actes. 

Soyez  donc  réellement  &  vcritableinent  réfi* 
p-né  ,  pacifiiiue  &  content,  louant  &  bcniffant 
Dieu  en  votre  cœur  dans  toutes  fes  œuvres; 
c'eft  ainlî  quand  même  vous  ne  diriez  mot,  qu'il 
vous  entendra  affcz  :  &  apprenez  dès  à  préfent  de 
vivre  ainfi  avec  Dieu  ;  car  ce  fera  déformais  la 
manière  dont  vous  le  fer\'irez. 

Si  vous  me  demandez  ;  (juel  moyen  il  y  a  de 
fe  confcrver  dans  un  état  pacifique  &  de  demeu- 
rer content ,  au  milieu  d'une  fi  grande  guerre  , 
&    en  femtant  tant   d'inquiétude  &   d^irréfigna- 
tion  ?  Je  reponds  que  quoiqu'il  puifTe  arri\  er  ,  il 
faut  tellement  laifTer  pafTer  le  tout,  que  l'on  ap- 
prenne d'avoir  la  patience  au  milieu  de  fon  impa- 
tience ,  d'être  réfigné  en  Tirréfignation  même  , 
d'être  patient  dans  l'impatience  que  Ton  reflcnt 
de  fon  impatience  ,  &  réfigné  dans  l'irréfignatioa 
où  l'on  fe  trouve  au  fujet  de  fon  irrefignation. 
Et  lorfque  vous  viendrez  à  vous  voir  &  fentir 
dans  un  état  fi  miférable,  qu'ayant  compailion 
'de  vous-même  à  caufe  de  la  dcti-effe  intérieure  fî 
terrible  qu'il  vous  faut  palier,  vous  vous  plain- 
drez à  Notre  Seigneur  de  ce  qu'il  vous  laiffe  ainfî 
fans  fon  divin  fecours,  &  fans  le  concours  de  fa 
grâce,  au  milieu  d'une  fi  grande  extrémité  ;  ce 
fera  alors  que  ^'ous  ferez  en  quelque  chofe  fem- 
blable  à  Notre  Seigneur ,  fe  plaignant  à  Dieu  fon 
Père  de  ce  qail  l'avoit  délaiff.^ 

D'ailleurs ,  foyez  bien  alTurée ,  qu'il  vous  fan- 
dra  pafTer  tautes  ces  chofes  au  pied  de  la  lettre  ^ 

z;3 


5SS        Justification. 

&  que  fans  rien  feindre  ni  exagérer,  vous  vOiT5 
verrez  voiis-mé^me,  -i  ce  que  vous  penferez,  la 
créature  la  plus  pauvre,  la  plus  malhcureufe  & 
Ja  plus  défolée  qui  fe  puiHe  trouver  au  monde; 
puifqu'il  n y  a  perfonne  (x  miferable  ni  fi  infor- 
tunée qui  ne  reçoive,  foit  de  la  part  des  hom- 
mts  ,  foit  de  Dieu  ,  quelque  fupport  ou  quelque 
■petite  confolation  :  au  lieu  que  vous  vous  en  ver- 
rez &  fentirez  Ci  éloignée  qu  il  vous  feniblera  que 
quand  même  quelque  créature  ,  quelle  qu'elle 
foit,  ou  Dieu  même  ,  voudroit  vous  en  donner, 
vous  ne  famiez  comprendre  comment  cela  fe 
pourroit  faire ,  ni  comment  il  feroit  poffible  de 
vous  relever  d'un  fi  terrible  défaftre.  Et  ce  qui  eft 
encore  plus  furprenanten  cela,  c'eft  que  quand 
même  Tame  connoîtroit  clairement  fon  état,  & 
qu'elle  fauroit  certainement  que  cet  état  de  pau- 
vreté &  de  délaiiïement  eft  la  véritable  prépara- 
tion à  la  vie  furéminente  &  divine;  que  tout  cela 
néanmoins  ne  fauroit  facilement  diminuer  la  vio- 
lence de  fes  angoififes ,  ni  foulager  fes  peines  au 
fujet  de  la  coopération  à  cette  œuvre  divine  : 
car  ce  détroit  eft  un  trait  de  la  main  de  Dieu , 
&  tellement  de  fa  main  ,  que  nul  autre  que  lui  y 
peut  apporter  du  remède.  ^ 

Une  peine  de  cette  ame  qui  la  défoie  entre 
mille  autres  ,  c'eft  qu'elle  penfe  en  foi-même  : 
que  il  je  vcnois  à  mourir  en  ce  trifte  état,  où  je 
fens  fi  peu  d'amour  pour  Dieu;  que  feroit-ce  de 
moi  ?  — .Car  fi  je  dois  parler  félon  les  fentimens 
&  rinftinct  de  ma  nature,  je  me  fens  plutôt 
poufTéc  à  le  blafphêmer,  &  à  murmurer  contre 
fa  divine  opération  ,  que  de  vouloir  me  foumet- 
tre  humblement  à  fa  divine  volonté ,  ou  d'être 
portée  amcureufement  à  le  bénir  ,  le  glorifier  & 
Primer.  Car  bien  que  je  faffe  q^uelque  chofe  de 


L.  Ptirifjctition.  70.  jf9 

fcmblahlc  ,  qnc  je  me  rcllv^nc  ,  m'abandonne  , 
m'ancnntiiri*  devant  lui  &  m  humilie  fous  fa 
diviiyc  opération,  tout  cela  ne  fe  fait  pas  avec  une 
pleine  volonté  ,  &  un  confentcment  entier  de 
«lia  partie  inférieure,  mais  plutôt  par  force  &  eu 
flépit  (^c  moi-même,  y  étant  comme  contrainte 
par  le  di\'in  \'ouloir.  Ouel  foroit  donc  mon  fort  ? 
ou  que  deviendrois-je  fi  je  vcnois  à  mourir  en 
cet  état?  Comment  ofcrois-je  me  prcfenter  de- 
vaut  Notre  Seigneur  avec  une  telle  difpofitioii 
de  mon  ame  ?  au  lieu  que  lî  j'étois  morte  en 
rétat  précédent  ,  toute  pleine  de  défir  &  d  a- 
mour  pour  Dieu,  quel  auroit  été  mon  conten- 
tement &  combien  grande  mou  afTurance  de 
mourir  en  aimant  ,  &  d'aimer  en   mourant. 

Oui  chère  ame ,  il  eft  bien  vrai,  qu'il  n'y  a 
rien  de  plus  heureux  que  de  mourir  en  aimant  : 
mais  cependant  ce  n'étoit  pas  encore  làTamour 
le  plus  parfait.  Je  crois  que  véritablement  en  ce 
tems  là  vous  euffiez  pu  mourir  avec  plus  de  con- 
fiance en  Dieu,  que  maintenant;  mais  aullî  vou^ 
auriez  été  bien  étonnée  après  la  mort  de  voir 
que  cet  amour,  qui  vous  fembloit  fi  fincere ,  fî 
pur ,  fi  parfait,  étoit  encore  bien  fouillé  &  me* 
Langé  de  Timperfection  humaine  ,  à  caufe  que  la. 
divine  opération  n\a\'oit  pas  été  rcque  de  vou<; 
dans  la  pureté  qu'il  falloit:  au  lieu  que  mourant 
en  cet  état-ci,  vous  mourriez  appuyée,  non  pa> 
fur  vos  propres  mérites ,  puifque  vous  ne  vou> 
en  attribuez  guère;  ni  fur  votre  propre  induftric 
ou  adreiïe  ,  puifqu'ici  vous  n'en  fuiriez  apporter 
aucune  ;  ni  fur  la  fidélité  de  votre  coopération  , 
puifqu'il  vous  femble  qu'on  vous  ôte  toute  opé- 
ration propre  :  mai^  fur  la  feule  promefle  de  Thé- 
ritage  des  enfans  de  Dieu,  &  fur  les  feuls  méri- 
tes  du  fançr  de  votre  Sauveur  ;  &  m.ourant  avec 

z  4 


^6p        Justification. 

fî  peu  de  confiance  en  vous-même,  vous  feriez 
bien  étonnée  après  la  miort  de  vous  trouver  fî 
riche  en  mérites,  fî  abordante  en  grâces,  &  fî 
remplie  de  dons  &  de  richeffes  fpirituelles. 

D  ailleurs  fâchez  que  dans  Tétat  précédent , 
quoique  vous  y  viviez  en  une  fî  grande  affu- 
rance,  à  caufe  de  Tamiour  que  vous  vous  fentiez 
pour  Dieu  ,  vous  étiez  toujours  la  même  que 
vous  êtes  maintenant  ,  &  tout  aufîî  imparfaite 
que  V  ous  vous  trouvez  à  préfent.  Que  fî  la  mali» 
gnité-,  la  rage  &  la  mifere  de  votre  nature  n'y 
paroiffoit  point  à  vos  yeux  ,  pour  être  cachée  & 
comme  enfevelie  fous  l'abondance  de  tant  de 
faveurs  divines.  Dieu  néanmoins  ne  laiflbit  pas  de 
îa  voir  exactement  &  de  fonder  le  plus  intime  de 
votre  fond,  n'ignorant  pomt  jufqu'à  quel  degré 
de  vertu  &  de  mort  à  vous  même  vous  étiez 
parvenue  :  &  maintenant ,  pour  vous  le  faire  aufïî 
connoître,  &  pour  vous  oter  cette  vaine  affurance 
&  toute  eftime  propre,  il  vient  de  vous  fouf- 
traire  fenfîblement  le  fecours  de  fa  divine  opéra- 
tion, afin  que  vous  voyez  clairem.ent  ce  que  vous 
êtes  véritablement.  Mourez  donc  hardiment  en 
cet  état,  puifque  vous  connoiffantlî  bien,  vous 
mourrez  en  vous  défiant  entièrement  de  vous- 
nnème  &  de  tout  propre  mérite.  Secrets  f entier  s  de 
t Amour  divin.  Part.  2.  C/z.  lo. 

Le  Fr.    Jean   de   S,   S  a  m  s  g  n. 

71.  Tout  le  bien  de  cette  ame  coniifte  à  endu- 
rer fortement  les  pénibles  eftbrts  de  fa  fouftrac- 
tion  ,  attendant  patiemment  le  défiré  retour  de 
l'Epoux  ,  quand  il  lui  plaira  de  le  faire  :  &  jamais 
il  ne  faut  chercher  fa  confolation  au  créé  en  quoi 
que  ce  foit.  Que  fî  on  fort  au-déhors  pour  fe 
divertir  à  quelque  chofe  ,  il  faut  que  ce  foit  abfo- 
lue  néceflité.  Enfin  il  faut  mourir  en  éternelle 


L.  Vurificatioiu  70.72.  3^1 

agonie,  fi  Dieu  rordonnc  ainfi  ,  plutôt  que  de 
le  rendre  inlidclc  à  fiiMaiefto  divine  fi  peu  (|uc 
ce  Toit.  Cette  perte  véritable  n'eft  dure  (ju'aïf 
commencement,  ( 'eft  à  fa\'oir ,  pour  les  jeunes 
ijpjMentifsi  car  elle  eft  facile  au  milieu  ,  &  très- 
douce  à  la  fin.  Kl'prit  du  Cann.  ('//.  i  f . 

72.  Ouant  aux  morts  que  Dieu  faitfouffrir  par 
Jui-mcMnc,  dans  la  totale  fufpenfion  des  puiiïaii- 
ces  ,  qui,  comme  étroitement  liées,  font  fans 
pouvoir  &  fans  mou\'ement,  &  cela  très -fou- 
vent  Çï  anj^oilfeufcmcnt  qu'il  n'y  a  point  de  dou- 
leur pareille  :  telles  font  pour  l'ordinaire  les 
morts  &  les  an^i;oifres  du  dernier  degré  &  état 
de  l'appétit  actif,  dont  les  Myftiqucs  ont  ample- 
lîient  écrit ,  &  moi  auifi.  Sur  quoi  je  dis  que  Tex- 
cellente  fainteté  dans  les  hommes  eft  inconnue, 
d'autant  qu'il  n'y  a  moment  dans  la  vie  ,  par  ma- 
nière de  dire  ,  qu'il  ne  faille  expirer  en  Dieu.  — 
Telles  furent  les  morts  &  les  douleurs  de  Job, 
&  les  triftes  &  douloureufes  plaintes  qu'elles 
produifirent,  les  font  aflez  voir  telles  qu'elles 
ont  été,  à  favoir  les  plus  cruelles  &  les  plus  hor- 
ribles qui  fe  puilTent  penfer.  Sur  quoi  on  afujet 
de  s'étonner  de  ce  qu'on  v^oit  même  plufieurs 
doctes  ignorer  ceci ,  &  de  ce  qu'on  explique  fes 
mortels  excès  très  -  ignoramment  contre  toute 
raifon  &  vrai  fentiment  d'efprit.  Que  fi  Dieu  ne 
l'eût  juftifié  lui-même  là-deflus,  les  hommes 
l'euUent  condamné  de  forcenerie  &  de  blafphè- 
mc.  Voilà  ce  que  c'eft  que  d'ignorer  la  fcience 
des  Saints  ,  &  de  n'avoir  pas  d'expérience  là  def- 
fus  i  ne  fâchant  point  que  Job  (a)  étoit  en  même 
tems  profondément  tourmenté,  en  Tefprit  auiii 

{a)  Je  crois  n'avoir  rien  laifle  à  expliquer  de  ces  états, 
dans  ce  que  j'ai  écrit  fur  Job.  (Voyez  le  Tome  \^\\.  dçs 
Explications  Tur  le  Vieux  Teûament.) 


9i6l  JUSTIPICATION. 

aufli  bien  qu'en  fon  corps.  Toutes  fes  plaintes 
n'ont  été  autre  chofc  qu'un  continuel  excès  de 
douleur  amoureufe;  &  tant  plus  il  femble  avoir 
perdu  &  excédé  la  raifon  envers  Dieu  ,  tant  plus 
&  tant  mieux  il  exprime  par  fes  plaintes  ,  Ta- 
mour  qui  le  tourmentoit  plus  cruellement, 
qu'on  ne  peut  concevoir.  Car  dans  fon  aban- 
donnement  univerfel ,  il  ne  favoit  où  alTeoir  fon 
pied  ,  c'eft-à-dire  fon  appétit,  pour  pouvoir  pren- 
dre repos  en  foi ,  ni  aux  créatures  ,  tant  il  étoit 
de  toutes  parts  étroitement  alïiégé,  en  l'ame  & 
au  corps,  de  très -fortes  douleurs  &  angoiffes. 
A  quoi  fes  amis  fe  joignirent ,  fpécialement  fa 
femme,  par  leurs  opprobres  &  moqueries,  pour 
achever  de  combler  fa  mifere  :  car  leurs  paroles 
ne  ferv^oicnt  qu'à  le  tourmenter  davantage. 

Le  même  arrive  tous  les  jours   aux  plus  inti- 
Imes  amis  de  Dieu  :  les  uns  font  tourmentés  en 
Tefprit  &  au  corps  ,    d'autres  font  délailTés   fans 
fentiment,  fans  c'onfolation  &  fans  connoifiancc 
en  Tefprit  ;  de  forte  que    dans  leurs   infernales 
langueurs  ,  ils  fortent  quelquefois  par  paroles  à 
des  excès  étranges  :  ce  qui  étant  ignoré  des  hom- 
mes ,  ils  les  jugent  forcenés.  IVlais  les  hommes 
divins  ,  qui  ont  eux-mêmes  pafTés  par  cet  horri- 
ble &  aftreux  défert^  en  jugent  bien  autrement. 
Ils    les    eftiment   autant  faints   en  cela  même  , 
qu'ils  font  violentés  au  propre  exercice  de  Dieu, 
qui  leur  eft  très -mortel   excès  ,  exprimant  par 
leurs  plaintes  la  violence  des  tourmens  d'amour , 
qui  leur  fupprime  radicalement  la  vie  d'une  ma- 
nière inconcevable.  Auffi  leurs  expreffions  font- 
elles  autant  éloignées  de  leur  vrai  état ,   qu'ils 
font  alors  perdus   inconnùment  en  Dieu.    Les 
hommes   même  bien   faits  ignorent  les  exerci- 
ces de  Dieu  fur  les  efprjts  de  fes  plus  intimes 


L.  Purification  72.  363 

amis  :  c'cfl  pourquoi  ils  reprouvent  ces  pau- 
vres affliges  ,  comme  cliofc  qui  nii  jamais  rica 
été  à  Dieu.  Ce  font  ces  perlbunes  qui  en  leurs 
tourmens  ne  peuvent  être  confolées  ,  (Se  la  con- 
folation  des  fpiritueis  mcmc  augmente  de 
plus  en  plus  leurs  tourmens.  (^ue  fi  leurs 
corps  [a)  ctoient  affliges,  ce  feroit  la  chofe  la 
plus  pitoyable  cjui  fe  puilfe  penfer  :  mais  pour 
Tordinaire  la  Majcfté  JaifTe  le  corps  libre  ;  & 
îî'il  lui  plait  d'afHiger  le  corps  excelTivemcnt  , 
il  les  laide  libres  d'efprit ,  pour  s'occuper  en 
lui  ,  recevant  fcs  carefTes  amourcufes  par  fes 
fréquentes  vifites  ,  qui  les  rcmplilTcnt  de  joie 
&:  de  lumière  ineffable  ,  pendant  que  le  corps 
eft  retenu  fous  la  prefTe  des  douleurs.  Dieu  a 
foin  d'eux  ,  &  même  il  femble  s'affliger  avec 
eux  ,  leur  donnant  courage  ,  ou  av^ant  l'afflic- 
tion ,  ou  en  l'afflidion  même  pour  la  foutenir 
fortement.  C'eft  en  ce  genre  d'excellens  Saints 
{b)  que  Dieu  prend  fes  fouveraincs  délices  fur 
la  terre. 

(a)  Quelquefois  cela  eft  de  la  forte,  comme  je 
Tai  éprouvé.  C  Voyez  la  Vie  de  TAuteur,  P.  I.  Ch,  2j. 
n.   5.   &c.  ) 

(6)  Qiii  accujera  les  élus  de  Dieu?  Cejl  lui-même 
çui  les  jujiifie  (Rom.  8.  v.  13,  )  Il  y  a  des  ferviteurs 
de  Dieu  ,  qu'on  approuve  jufqu'à  un  certain  point  ; 
parce  que  leur  état  ne  paffe  pas  la  portée  d'une  cer- 
taine compréhenfion  humaine  ,  dode  ,  raîfonnable  , 
pîeufe  &  droite  :  mais  dès  qp'on  entre  dans  des  états 
qui  furpafient  cette  raifon  éclairée  ,  on  entre  en  dé- 
fiance. On  devroit  juger  de  ces  perfonnes  ,  non  par 
la  raifon ,  mais  au-deffus  de  la  raifon  ,  &  penfer  qu'un 
état  qui  a  des  commencemens  fi  bons  &  incontefta- 
blés  ,  une  fin  toute  divine  ,  ne  doit  pas  être  condam- 
née dans  def  chofes  particulières,  qui  d'elles-mêmes 


564         Justification. 

Fort  foùvent  il  faut  favoir  que  tant  plus  ou 
devient  efprit ,  tant  moins  on  eft  puilTant  con- 
tre foi-même;  de  forte  qu'on  ne  peut  plus  faire 
que  très -difficilement  ,  par  dedans  &  par  dé- 
îiors ,  tout  ce  qu'on  fai-foit  auparavant  très-vo- 
lontiers &  très -facilement.  La  partie  inférieure 
fe  révolte  contre  la  fupérieure  :  ce  ne  font  que 
mauvais  fentimens  ,  &  mouveraens  d'appétits  & 
paffions  révoltées  contre  Dieu  &  la  vertu  ,  ce 
qui  eft  II  étrange  à  fentir  &  à  voir,  qu'on  croit 
être  perdu.  Alors  un  petit  fétu  à  remuer  femblc 
une  groffe  poutre  ;  &  enfin  on  ne  fe  peut  ima- 

peuvent  être  prifes  en  bonne  part  ,  &  qui  en  Dieu 
ont  un  fens  divin  ,  comme  ce  qui  eft  rapporté  de  Ste. 
Théréfe  (en  fa  Vie  écrite  par  l'Evéque  de  TarafTone. 
Ch.  19.  )  que  Dieu  lui  dit  :  Ma  fille  ,  fi  je  n^avois  pas 
créé  le  Ciel  ,  je  le  créerois  pour  toi  feule  :  ce  qui 
niarqueroit  une  extrême  oftentation ,  pris  du  côté  de 
la  raifon.  Dieu  fe  fert  quelquefois  des  chofes  les 
plus  profondes  &  les  plus  divines  en  lui ,  pour  expri» 
mer  à  fcs  Epoufes  ,  &  Tamour  qu'il  leur  porte  ^  &  le$ 
defleins  qu'il  a  fur  elles.  Ces  chofes  prifes  à  la  lettre 
feront  toujours  de  la  difficulté  ;  mais  prifes  dans  le 
véritable  fens  qu'elles  ont  été  dites  ,  &  dans  Tufagc 
que  Dieu  en  fait ,  cela  eft  tout  différent.  Si  on  favoit 
les  profondes  &  intimes  communications  qui  fe  paf- 
fent  entre  Dieu  &  Tame  ,  on  feroit  étonné  des  bon- 
tés de  Dieu  pour  fes  pauvres  créatures  ;  &  je  m'é- 
tonne moi-même  comment  elles  ne  meurent  pas  d'a- 
mour. Dieu  remet  fes  intérêts  entre  leurs  mains ,  com- 
me elles  lui  ont  remis  tout  le  leur,  &  femble  quel- 
quefois* les  obliger  à  djfpofer  de  fa  juftice  &  de  la 
miféricorde.  Mais  mon  Amour  !  n'en  dis  -  je  point:  trop 
pour  une  perfonne  qu'on  examine  comme  coupable  ? 
Mais  qu'importe  ,  pourvu  que  tous  vos  droits  foient 
confervés ,  &  que  votrç  vérité  ne  foit  ni  trahie  ni  affoi- 
blie.  Si  la  crainte  ,  ô  mon  Amour  !  pouvoit  faire  en- 
trer en  ce  cœur  un  intérêt  propre  ,  il  faudroit  arra* 
cher  ce  cœur  ingrat  &  h  punir  éterriellement. 


L.  rurification  72-74.  365 

gîncr  les  }ionil)lcs  boiirrafijucs  d'un  fi  ctnuigt 
accident,  Dicii  tenant  ce  tenible  moyen  pour 
;ichever  d'épiiin  &,  de  purj;cr  J'anie  de  fes  pliu 
fubtiles  proj)rict(;s.  Q^ue  l'i  l'homnie  n*e(l  coura- 
geux ,  (Sec.  (Voyez  Mortification,  n.  y.  )  t'fi^rlt  du 
L'ai  me  [y  C/l   13. 

73.  Voye/  Foi  nue.  n.  44. 

74.  Au  redc,  il  fe  peut  trouver  des  perfonncs 
;ittirées  de  Dieu  ,  dès  leurs  commenccmens  , 
a(Tez  fortement  dans  le  brouillard  my(lic]ue, 
.qui  dans  leur  fufpenfion  &  obfcurité  font  plu- 
tôt contemplants  la  Divinité  ,  par  une  opéra- 
tion myftique  ,  que  faifani  purement  oraifon. 
IVlais  comme  il  fe  fait  qu'en  cette  fufpenlioa 
ils  fe  trouvent  angoiflés,  ik  plus  ou  moins  mou- 
rans  au-dedans  ,  à  peine  leur  peut-on  perfuadcr 
ce  qu'ils  font ,  ni  où  ils  font.  La  raifon  eft  , 
que  la  nature  veut  toujours  fentir  &  favoir;  (Se 
ce  n'eft  le  propre  que  des  Saints  confommés  , 
s'il  faut  ainfi  dire  ,  de  fe  perdre  entièrement , 
par  une  totale  indiftérencc  (a)  d'avoir  ou  de 
n'avoir  pas ,  d'être  ou  de  n'être  pas.  Si  bien  que  , 
quand  les  Direéleurs  rencontrent  de  femblables 
fujets  ,  ce  ne  leur  eft  pas  une  petite  peine;  par- 
ce qu'encore  qu'ils  les  voient  &  les  jugent  très- 
bien  ,  il  femble  toujours  à  ces  âmes  ,  qu'ils  ne 
leur  difent  jamais  ce  qu'elles  font;  &  s'ils  ne  fe 
donnent  de  garde,  ils  les  affligent  plus  qu'ils  ne 
les  confolent.  A  cette  conduite  de  Dieu  fi  im- 
médiate ,  fuccéde  l'exercice  des  créatures  ,  qui 
frappant  inceffarnment  à  tort  &  à  travers,  tien- 
nent CCS  pauvres  perfonnes  dans  des  mortelles 
&  infernales  langueurs  :  fi  bien  que  c'efl  mer- 

(û)  Indifférence  enticre  :  perfeâion. 


^66        Justification. 

Veille  comment  une  pauvre  créature  (a)  peuC 
longtems  réfifter  à  tant  &  tant  de  mauvais  effets; 
Aulfi  eft-ce  là  que  ceux  qui  font  amers  ,  fe  dé- 
pitent, &  quittent  tout ,  abhorrant  pour  jamais  la 
vie  de  refprit  :  &  qui  leur  commanderoit  de  la 
pratiquer  toute  leur  vie,  les  mettroit  en  un  enfer 
tout  vivants.   Cabinet  Myjiique^  Part.  i.   Clu  2. 

75.  Avant  que  d'arriver  à  la  confommation , 
qui  eft  le  dernier  &  fuprême  état  de  cette  voie, 
&  qui,  comme  les  autres,  contient  plufieurs  de^ 
grés  de  furéminence ,  il  faut  que  Tame  paffe  une 
infinité  de  détroits ,  tantôt  de  douleurs  intérieu- 
res &  indicibles,  tantôt  de  pauvretés  &  miferes , 
par  les  retraites  que  TEpoux  fait  du  fens  ,  &  (jb) 
non  jamais  de  l'efprit ,  tantôt  d'abftradlions  d'elle- 
même  &  des  chofes  créées.  Ld-mcme.  Ch.  5. 

76.  Préfuppofant  qu'on  foit  bien  fondé  aux 
règles  &  maximes  de  la  voie  très-divine ,  très-émi- 
iiente  &  très-abftraite ,  qui  confifte  en  une  entiè- 
re mort  &  annihilation  de  toutes  chofes  ,  aulïi 
bien  que  de  foi-même ,  &  fuppofé  qu'on  foit  très- 
éloigné,  &  abftrait  éminemment,  de  tout  ce  qui 
eft ,  &  de  tout  ce  qui  pourroit  être  ;  je  dirai  feu- 
lement qu'au  tems  des  très-grandes  défolations 
&  langueurs  intérieures  ,  que  Dieu  fait  reffentir 
à  Tame ,  exerçant  en  elle  &  avec  elle  l'œuvre 
divan  de  fon  amour ,  elle  doit  bien  fe  garder  de  fe 
plaindre  à  perfonne ,  ou  de  chercher  de  la  con- 
folation  au-déhors  parmi  les  créatures ,  fous  pré- 
texte d'indifférence ,  ou  autre  que  ce  foit.  Il  ne 
lui  fera  pas  permis  non  plus ,  de  faire  aucune 

(a^  Plufieurs  quittent  faute  de  courage  :  &  fouvenfc 
les  Directeurs  fe  rebutent  &  abandonnent  ces  âmes* 

(b)  Notez. 


L.  Vurijîcatio7i  74-77-  3^7 

Icdurc  tout  cj  tcms-là;  ce  fcioit  fecrcttemcnc 
fc  dcJix'rcr  du  viibct  ainoiiiciix  :  li  ce  nV*(l  cjuc 
robciniiiue  charité  ou  néccllitc  cxprcllc  le  dcmau- 
dallent  autrement.  Toutefois  quand  elle  ne  fera 
j)oint  ainfi  attachée  ,  ni  détenue  au  gibet  d'u- 
inour  ,  (!v:  dans  Ja  très- douloureule  vSc  lanj^ou- 
reufe  mort  de  TcTprit  en  Dieu  ,  elle  pourra  lire. 
Cabinet  Myjiiq.  Part,  1.  Cliap.  6. 

7J.  Le  gibet  amoureux  efl  de  deux  fortes  ;  le 
premier  (a)  où  Tame  fe  trouve  comme  pendue 
&  étranglée  ,  après  les  attraits  &  manifeftations 
très-nues  ,  très-limplcs  ,  très-divines  &  très-effi- 
caces de  TefFence  divine  ,  touchant ,  tirant  & 
mouvaiU  lame  au-dedans,  Tétendant  &  la  dila- 
tant dans  fon  immenfe  étendue  &  fpaciofité  , 
comme  entièrement  perdue  à  foi-même  :  après, 
dis-je,  le  progrès  de  telles  careffes ,  ce  même 
cfprit  fouverain  a  coutume  d'exercer  le  divin  ou- 
vrage de  fon  amour  en  Tame,  lui  fouftrayant  & 
ôtant  la  fatisfaclion  de  fa  divine  préfence  !k  de 
fes  délices  divines  au-déhors ,  &  quant  aux  fens. 
Cela  lui  fait  fouftrir  de  très-grandes  &  angoiffeu- 
fes  douleurs,  &  même  impatiences  d'efprit,  mais 
en  amour.  Elle  demeure  comme  fufpendue  en 
fon  pouvoir  d'agir,  &  fi  profondément  tirée  & 
abforbée ,  qu'il  ne  lui  efk  prefque  pas  poffible  d^ 
parler  à  l'extérieur,  ni  défirer  de  le  faire.  Ainfi 
elle  eft  contrainte  d'endurer  fans  remède  des  an- 
goiffes  &  douleurs  d'amour  très-intérieures ,  d'au* 
tant  que  ce  qui  pourroit  venir  de  fa  propre  in- 
duftrie  ,  ou  de  quelque  autre  créature ,  ne  peut 
rien  pour  fa  confolation.  Aufli  ne  peut-elle  (h) 
défirer  d'être  confolée,  ni  recevoir  confolation  ^ 

C-a)  Première  épreuve  forte. 

(Jb)  L'ame  fent  fi  vivement  f  inutilité  des  confolations 
humaines,   qu'elle  les  fuie  même. 


368         Justification. 

ni  d'elle-même ,  ni  de  tout  ce  qu'on  puide  faire  l 
ou  dire  de  plus  haut  &  de  plus  divin.  Voilà  le 
fujet  de  fon  angoifTeufe  &  pénible  mort. 

L'autre  [o]  gibet  de  l'ame  amoureufe  eft  tout 
d'une  autre  forte.  Elle  s'y  trouve  attachée  &  étran- 
glée  beaucoup  plus  langoureufement  &  angoif- 
feufement  fans  comparaifon.  Car  après  tous  les 
degrés  de  manifeftations ,  de  vues  (b)  très-lumi- 
neufes  &  très-délicieufcs  de  l'EfTence  divine,  & 
après  la  fidelle  pratique  de  toutes  leurs  famihe- 
Tes  ,  douces  &  délicieufes  carefTes  effentielles  & 
perfonnelles  ,  (c)  le  défir  de  Tame  eft  furcomblé 
en  fa  capacité  appétitive  &  adive ,  qui  fait  que 
l'ame  eft  très-profondément  &  infenfiblement  unie 
&  transformée  en  l'effence  divine  du  fur-effentiel 
&  fur-éminent  Efprit ,  qui  par  fon  activité  l'unit 
a  foi-même,  infiniment  au-delà  de  tout  être  & 
non-être._ 

De  là  vient,  qu'après  que  l'ame  fe  fent  defti- 
tuée  du  défir  femblable  d'adion  &  d'affection  , 
elle  tombe  peu-à-peu  dans  des  trifteffes  ,  angoiffes, 
douleurs  &  impatiences  d'efprit;  &  il  lui  femblc  , 
fi  elle  n'eft  bien  fondée  &  inftruite ,  qu'elle  n'a 
plus  rien  de  Dieu ,  ni  de  fa  divine  connoiffance  , 
«'étonnant  de  ce  que  fi  à  coup ,  &  fans  s'en  apper- 
cevoir ,  elle  fe  voit  tombée  en  telle  extrémité  de 
miferes ,  de  langueurs  &  de  morts ,  pour  avoir 
perdu  ,  comme  elle  craint ,  fon  Objet  infini  & 
fes  infinies  délices  &  careiïes.  Elle  fe  voit  fi  igno- 
rante de  Dieu,  &  des  chofes  qui  lui  appartiennent, 

(û)  Seconde  épreuve. 

(n)  11  appelle  vùc^  communication,  car  reffence  nç 
fe  voit   point. 

(c)  C'eft  la  raîfon  pourquoi  elle  ne  défire  plus  par 
elle-même  :  car  il  faut  néceffairement  raifonner  du  dé- 
^r  comme  des  autres  a<ftes. 

qu'elle 


L.   Ttirification.  77.  369 

quV'llc  croit  qu'il   n'y  :i  aucun,  fi  miférabic  puif- 
fc-t-il  être,  qui  le  foie  autant  qu'elle.  D'oii  vient 
que  fcs  douleurs,  anj^oilles  vi  impatiences  ;iuj<- 
mcntant  de  plus  en  plus  ,  fa  pauvreté  &  défola- 
tion  viennent  à  tel  point,  (]u'ellc  voudroit  pou- 
voir  mourir    mille    fois.    Néanmoins    ell-^    vou- 
""  droit  bien  s'en  délivrer,  non   pour  fon  intérêt, 
ce  lui  femble,  mais  pour  recouvrer  fa   perte  [a) 
inHnie  ,   &  par  conféquent  fa  connoifiance  ,   fa 
vie  ,  fes  amours  ik  fes  délices  objetiives.    1  oute- 
fois  ,  fi  elle  \'Oit  que  les  moyens  ,  tant  de  la  part 
de  Dieu  ,  que  de  la  créature  ,  lui  manqueni,  [b) 
elle  fe  réfignc  entièrement ,  peur  être  à  jamais 
affligée  &  défolée  de  toutes  parts  ,  même  étran- 
glée en  ce  gibet.  Ce  que  nous  avons  ditfervira 
ici  de  règle  infaillible.  — 

Il  faut  noter  que  les  offenfes  commifcs  contre 
Dieu,  fpéciidement  par  ceux  qui  doivent  être 
parfaits ,  font  extrêmement  augmenter  leurs  croix 
&  langueurs ,  s'impatientant  de  plus  en  plus  Ik- 
dedans  :  &  ils  aim.eroient  beaucoup  mieux  pour 
lors  m.ourir,  que  vivre  ainfi  détenus  en  telles  dé- 
trefiiés  &  mortelles  angoidcs;  &  fur  ce  fujet  ils 
meurent  &  expirent  entièrement  en  Dieu,  leur 
divin  Objet. 

Que  s'il  arrive  encore ,  que  les  créatures  im- 
putent: quelque  clicfe  à  quelqu'une  de  ces  âmes, 
eu. lui  donnent  quelque  mortification  contre 
tou'c  raifon  ;  comme  fon  déllr  &  fa  f-  :\  fo  i  infi- 
niment éloignés  du  moindre  vj  :e  ou  imperfec- 
tion  ,  c'efc  merveille  fi  telle  ame  ne  fcrt  pc^nt 
pour   lors   à  fa  juPcirTcation ,  &  à  montrer  aux 

M  Nul    ne  connoit  une  pareille   perte  ,    que  celui 
qui  a  fenti   ces  ineifables   délices. 

[6]  Seul  remède;  relignation,  abandon. 

Tom.  IL  Juji.  A  a 


3;^o        Justification. 

créatures  qui  Taffligent  fi  mal-à-propos ,  combien 
elle  eft  épurée  de  toute  fin  créée ,  &  par  confé- 
cjuent  de  tous  objets  ,  défirs  &  aftedions  finiftres. 
Voilà  les  caufes  du  gibet  amoureux  de  Tame  , 
vivante  feulement  à  Dieu  &  en  Dieu ,  deftituéc 
d  elle-même  ,  de  fes  fens  ,  &  de  leur  propre  opé- 
ration ,  ik  transformée  au-delà  de  tout  le  créé 
en  Tunité  furémincntc  &  effentielle  de  Dieu.  Là- 
même. 

7S.  En  ceux  qui  commencent  &  avancent , 
les  tentations  procèdent  particulièrement  des 
habitudes  corrompues  de  la  nature  ,  tant  fupé- 
rieure  qu'inférieure  :  mais  dans  les  parfaits  ,  les 
tentations  s'émeuvent  &  s'excitent  en  la  partie 
inférieure  non-corrompue  ;  leur  partie  fupérieu- 
re  étant  fufpendue  en  fes  ades  ,  par  expreffe  or- 
donnance de  Dieu.  Ceux-ci  n'ont  rien  à  crain- 
dre en  fcmblables  efforts,  puifque  le  confente- 
ment  eft  autant  éloigné  d'eux  ,  que  les  efforts  , 
preflTures  &  douleurs  [a]  font  grandes  en  ces 
occafions-là.  Néanmoins  ils  doivent  s'anéantir 
&  s'humilier  très-profondément  là-deffus  ,  &  s'en 
rapporter  entièrement  à  leurs  Directeurs. 

Ceux  qui  ne  font  que  comment^ans  ,  [b]  ne 
doivent  nullement  difputer  ni  efcrimer  contre 
]eurs  tentations ,  car  difputer,  débattre,  ou  réflé- 
chir fur  foi-même,  penfànt  par  ce  moyen  repouf- 
îer  la  tentation ,  ou  voir  s'ils  n'y  ont  point  don- 
né confentement,  ce  ne  feroit  faire  autre  chofe 
que  haraffer  les  chiens  aboyants  après  foi ,  ik  fc 
mettre  en  danger  de  fe  faire  mordre.  On  ne  doit 
non  plus  fe  foncier  de  ces  violentes  bourafques  , 
que  fi  on  entendoit  autour  de  foi  une  meute  de 

[ûD  La  douleur  qu'on  reflent  eft  la  fûre  marque,  que 
la  volonté  eft  éloignée  de  la  tentadon. 

[6]  \q>y^z Moijen court.  Ch.  a.  n.  4.  Ch.  19.0.  i,:?. 


L.  Purification  77 -70-  57 î 

matins  aboyants,  fans  pouvoir  mordre  ;  ou  fi  on 
voyoit  pallLT  &  rcpalfcr  devant  fcs  yeux  une 
grande  abondance  de  mouches  bourdonnantes. 
Cah.  Mi^Jl.   P.  2.   C/i.    2.  n.  2. 

79'  Qn^uU  à  la  différence  de  ceux  qui  font  tcm- 
porcllcmcnt  [(/]  damnés  ,  &  de  ceux  qui  le  font 
éternellement ,  il  eft  à  fuppofcr  (]ue  Tame  immor- 
telle ne  peut  pleinement  jouir  de  JJicu  ,  ni  des 
droits  de  fa  vie  vivante  ,  que  par  la  fupprcffion  & 
Textinélion  de  fa  vie  mortelle  mourante  :  ce  que 
je  n'entends  pas  dire  de  Tame  ,  qui  eft  vivante  ici 
bas  de  la  vraie  vie  divine.  Mais  je  dis  qu'en  ce 
corps  mortel  la  purgation  des  amcs  ,  qui  fe  con- 
vertifTent  à  bon  efcient  «H  Dieu ,  eft  faite  non  tel- 
lement quellement  ,  mais  par  infinies  agitations 
de  tentations ,  comme  par  autant  de  tonnerres 
impétueux  ,  d'efforts  très-violcncs  ,  &  de  mortel- 
les &  irréconciliables  guerres  ;  enforte  que  tout  ce 
tems-là  elles  ne  favent  fi  elles  font  en  la  grâce 
de  Dieu  ou  non  :  il  leur  fcmble  plutôt  d'être  en 
im  Enfer ,  que  fur  la  terre  en  un  corps  mortel. 

Elles  combattent  [6]  contre  tant  &  de  fi  forts 
ennemis ,  dont  elles  font  preffées  &  environnées 
tant  au-déhors  qu'au-dedans ,  qu'il  femble  qu'el- 
les ayent  perdu  entièrement  cœur  &  courage  en 
leur  bon  propos  :  &  toutes  leurs  puiflances  font 
agitées  &  occupées  de  fi  épaiffes  ténèbres  ,  mifé- 
res,  confufions  &  défordres  ,  qu'elles  penfent  au 
milieu  de  toutes  ces  impétuofités^  avoir  oublié 

(a)  Enfer  fpirituel. 

(Ir)  D'où  vient  qu'ayant  dit  qu'il  ne  falloit  pas  com- 
battre diredement  les  tentations  ,  mais  les  fouffrir  & 
les  méprifcr ,  il  dit  ici  que  les  âmes  combattent  ?  C'eft 
que  le  plus  grand  combat  cjiie  Tanie  puifle  donner  à 
fes  ennemis,  eft  la  foulfrance  &   la  réfignation. 

Aa  z 


iT^        JusxrricATioN. 

&  du  tout  délaifle  Dieu.  Dans  cette  langueuf 
elles  fe  jugent  être  la  proie  des  diables  ,  ne  pou- 
vant difcerner  fi  elles  réiiftent  ou  non  ,  pour  la 
grande  véhémence  de  leurs  efforts  ;  ce  qui  arrive 
fouvent  à  ce  terme  de  défolation  ,  qu'elles  vien- 
nent au  dernier  degré  de  Tefpérance  en  la  miféri- 
corde  de  Dieu.  Cela  fe  fait  ainfi ,  tant  pour 
Thorreur  qu'elles  ont  conçue  de  toute  leur  vie 
miférablement  paffée ,  que  pour  ne  confentir  pas 
aux  fuggeflions  &  fentimens  du  plus  petit  p^ché 
qui  fe  puifTe  imaginer  :  car  ces  âmes  en  font  au- 
tant éloignées  que  les  trifteffes ,  morts  &  angoif- 
fes,  qui  les  agitent ,  font  grandes.  Or  fi  ces  trif- 
tes  &  funeftes  événemens,  fi  ces  continuelles  & 
comme  infernales  langueurs  ,  font  tout  un  grand 
tems  l'expérience  de  ces  âmes;  quelles  feront  les 
douleurs  ,  guerres  ,  langueurs  ,  agitations  &  op- 
preffions  de  l'Enfer  temporel ,  qui  environnent 
&  afifaillent  une  ame  de  toutes  parts  comme  des 
flots  très-impétueux  ,  produits  &  élancés  d'une 
mer  pleine  d'orages,  de  tourmentes,  &  de  tem- 
pêtes infernales  ?  Sans  doute  on  ne  peut  expri- 
mer la  moindre  des  peines  mortelles  de  ces  âmes 
fi  miférablement  damnées  temporellement.  Je 
dis  damnées;  [a]  d'autant  qu'il  leur  femble 
vraiement  1  être  ,  &  elles  ne  favent  plus  de  dif- 
tinélion ,  ce  leur  femble,  entre  l'Enfer  temporel , 
&  l'Enfer  éternel  ;  entre  la  damnation  ,  &  la  pur- 
gation.  Car  comme  nous  avons  dit,  elles  font  fi 
fort  remplies  de  ténèbres ,  &  outrées  de  toutes 
fortes  de  douleurs  dans  le  fens ,  qu'elles  ont  ou- 
blié Dieu  5  ce  leur  femble,  en  elles-mêmes. 

Néanmoins  quoique  cela  fe  paffe  ainfi  pouï 
leur  purgation ,  elles  n'oublient  pas  néanmoins 
Dieu  :  elles  efperent  infenfiblement  en  lui;  par 

(a)  Etat  terrible. 


!..  Tîtrifîcation.  79-  373 

la  force  (le  fou  PJprit ,  au  plus  fort  même  de 
leur  damnation.  Moins  encore  doit-on  penfer  ^ 
c^u'eJles  en  viennent  jufqu'à  blafphcnier  fon  faint 
Nom  ;  quoicju'en  vérité  elles  croient  tout  ce 
tems-là  être  véritablement  damnées;  ik  (ju'en  cet 
état  les  diables  faffent  contr'elles  ce  qu'ils  font 
en  Jinfer  pour  tourmenter  leurs  complices  ,  en- 
taffant  fur  elles  monceaux  fur  monceaux  de 
tourmens  intolérables.  Mais  elles  diHéreront  de 
celles  qui  font  éternellement  damnées  ,  en  ce 
qu'elles  ne  perdent  pas  le  fouvcnir  de  Dieu,  ni 
1  efpérance  de  le  voir  un  jour;  (juoicjue  ce  fen- 
timent  foit  très-fimple ,  &  bien  éloigné  pour 
lors  de  leur  vue  ,  à  caufe  de  leurs  incomparables 
fouffrances. 

Mais  il  faut  favoir  qui  (a)  font  les  âmes  qui 
fouflrent  cette  infernale  purgation  ?  Je  dis  que  ce 
font  celles  qui  ont  commis  très-grand  nombre 
de  péchés  mortels  :  c'eft  pourquoi  on  ne  fe  doit 
pas  étonner  de  les  voir  foufïrir  de  la  forte  ;  atten- 
du que  cela  eft  du  droit  de  la  Juflice  de  Dieu  ,  & 
que  c'eft  ainfi  qu'il  doit  être  fatisfait  de  ces  amçs 
jufques  au  dernier  point.  Tous  les  tourmens  de 
ces  pauvres  miférables  font  fpirituels ,  comme  le 
font  les  diables  qui  les  exercent ,  en  efprit  de 
\  engeance  &  de  fureur  ;  &  perfonne  ne  les  fau- 


(rj)  Ce  font  les  grands  pécheurs  qui  font  punis  fi 
rlgoureufement  par  le  Diable,  félon  ce  partage  de  l'A- 
pocalypfe  C  Cb.  \6  v.  19.  Ch.  18.  v.  6.):  Faites-lui 
boire  la  lie  de  la  coupe  ;  rendezJui  le  double  de  fa 
proltitution.  Les  grands  pécheurs  font  punis  par  tous 
les  endroits  qui  ont  fervi  à  leurs  crimes  ;  cela  eft  très- 
certain.  r3ieu  oblige  auffi  quelquefois  des  âmes  bien 
pures  de  fe  livrer  pour  certains  pécheurs  ,  ou  pour 
des  âmes  foibles  ;  &  elles  fcniffrent  les  mêmes  chofes 
que  fi  elles  avoient  été  criminelies  elles-mêmes. 


A  a  3 


374  J  U   s    T   T  ï   I   c   A   T   I   O    N* 

Toit  concevoir  ,  finôil  celles  qui  les  fouffrcnt  ,  & 
Us  djables  qui  les  leur  font  fouftVir. 

Au  relie  fuppofé  que  telles  âmes  en  vienrtent, 
ce  femble  ,  julqu'à  s'impatienter  en  la  véhémen- 
ce de  leurs  peines ,  ce  qui  n'eft  pas  ;  je  dis  que 
cela  même  f::roit  fans  leur  f u  &  à  leur  grand 
regret  ;  attendu  que  leur  réfignation  &  leur  amour 
intenfe  eft  grandement  éloigné  de  leur  fenti- 
ment  :  lequel  amour  procède  de  la  grâce  jufti- 
fiante  &  gratiiiante,  &  opère  celafecrettementau 
plus  profond  de  leur  appétit  raifonnable  ,  avec  la 
force  fecrette  que  le  S.  jbfprit  leur  communique 
à  cet  effet. 

Nous  pourrions  donner  pour  exemple  de  ce- 
la, ceux  qui  font  grandement  vexés  de  maladies 
violentes  &.  très-aiguës  ,  qui  pénètrent  &  agitent 
en  même  tems  toutes  les  parties  du  corps  ;  en- 
forte  que  pour  la  grande  véhémence  de  leurs 
douleurs  infupportables  ,  ils  crient  défordonné- 
ment,  &  femblent  s'impatienter,  &  même  fc 
défefpérer.  Néanmoins  on  ne  doit  pas  penfcr 
qu'ils  s'impatientent  ou  fe  défefperent  pour  cela, 
vu  que  la  volonté  &  l'appétit  raifonnable  ne  re- 
jettent point  ces  tourmens  ,  mais  les  acceptent 
volontiers ,  quoique  fecrettement  &  fans  leur  fû  , 
par  une  vive  &  fecrette  réfignation  à  la  volonté 
de  Dieu ,  le  laiffant  faire  d'eux  tout  ce  qu'il  vou- 
dra, tant  L^:  fi  Jongtems  qu'il  lui  plaira.  On  voit 
que  cela  eft  vraifemblable ,  en  ce  qu'après  telles 
douleurs  ,  &  même  pendant  qu'elles  durent,  fî 
on  leun  demande  ,  fi  elles  ne  veulent  pas  prendre 
patience  dans  leurs  maux  pour  l'amour  de  Dieu  , 
afin  de  fatisfaire  à  fa  volonté,  fe  réfignant  à  fouf- 
frit  amoureufement  &  patiemment,  autant  qu'il 
leur  fera  poffibJe,  elles  répondent  franchem^ent 
qu'oui.  A  bien  plus  forte  raifon  doit-on  croire 


L.  Puriflccttion.  79*  ^75 

le  fcmblable  tics  amcs  ,  qui  font  grièvement 
damnées  ,  félon  leurs fens  clans  un  Plnfer  tempo- 
rel :  car  comme  nous  avons  c!it,  elles  font  par- 
faitement rél'ignées  au  bon  plailir  de  Dieu  ,  k 
quelque  prix  que  ce  foit,  ik  ne  le  peuvent  jamais 
oublier. 

Au  contraire,  les  blafphemcs  ,  les  exécrations 
&  les  défcf])oirs  de  ceux  qui  font  damnés  éter- 
nellement,  font  volontaires  ;  »Sc  aulFi-tot  qu'ils  fc 
font  vus  juirés  à  la  flamnation  éternelle  ,  leur 
volonté  pervertie  cft  malhcureuioment  portée  à 
haïr  Dieu  mortellement,  &  à  le  blarphémer indi- 
gnement durant  Téternité  ,  avec  une  rage,  c^ui 
cfl  reflet  de  la  juflicc  divine.  — 

Il  n'en  ell  pas  ainfi  de  ceux  qui  ne  font  dam- 
nés que  temporeilement  :  car  quoiqu'ils  foient 
violemment  agités  &  tourmentés  en  leurs  fens 
par  les  diables  ,  dans  leur  Enfer  temporel ,  ils  ne 
foutfrent  point  ia)  à  même  tems  la  peine  du  dam  ; 
&  la  grâce  de  Dieu,  qui  opère  fecrettement  en 
eux  le  défir  de  fatisfaire  à  la  Juftice,  fait  qu'ils 
n'appréhendent  nullement  cette  peine ,  à  caufe  de 
leur  amour  &  de  leur  charité  envers  Dieu.  Néan- 
moins après  cette  violente  purgation  ils  commen- 
cent à  fouffrir  la  peine  du  dam  ,  mais  temporei- 
lement ;  &  cela  en  la  force  d'un  amour  très-par- 
fait ,  lequel  ils  fe  fo^.t  acquis  par  cette  purgation  , 
avec  la  connoilTance  très-parfaite  de  foi-meme, 
&  de  toutes  les  vertus  requifes  au  parfait  amour 
de  Dieu.  Cette  damnation  temporelle  confifte 
pour  lors  en  une  peine,  que  je  puis  à  bon  droit 
nommer  la  peine  du  dam,  laquelle  leur  caufe 
tout  ce  tems-là  des  langueurs ,  des  foupirs,  de*? 
gémiffemens  ,  &  des  douleurs  mtolérables.  Mais 
tout  cela  eft  d'amour  en  amour  &  pour  l'amour, 

(a)  Pour  Tordinaire» 


5r6        Justification^ 

à  caufe  qu'ils  fe  voient  encore  fi  éloignés  de  la 
pleine  &  unitive  jouiffance  de  la  claire  &  bcatifi- 
que  vifion  de  Dieu.  Jl  y  a  donc  une  infinie  diffé- 
rencie entre  les  damnés  pour  une  éternité  ,  &  les 
damnés  pour  un  tems. 

Dans  ce  même  Enfer  temporel,  il  y  a  diver- 
fes  douleurs  de  peines  afflidiv^es  &  purgatives  , 
&  chacun  y  eft  différemment  purgé  f^-lon  fes  dé- 
mérites. Ceux  qui  font  purgés  à  affligés  en  moin- 
dre  degré,  ont  plus  d'amour,  de  connoiffance  , 
de  fentiment  de  Dieu  ,  &  de  défirs  de  lui  fatif- 
faire  ,  que  les  autres,  qui  le  font  pour  leurs  énor- 
mes péchés  ;  ce  qui  fe  fait  auiîî  à  mefure  &  pro- 
portion de  la  charité,  de  la  grâce  de  Dieu,  &  de 
la  perfection  d'efprit  acquife  en  cette  vie. 

Il  faut  encore  favoir  ,  qu'autre  eft  le  bien  de  la 
purgation  de  Tamc  en  fes  fens  ,  &  autre  celui  de 
la  purgation  par  la  peine  du  dam.  Au  premier,  les 
diables  font  l'office  de  bourreaux  &  de  miniftres 
de  la  juftice  de  Dieu.  En  l'autre,  ils  n'y  ont  nui 
accès  ;  mais  les  âmes  qui  y  font  détenues  ,  ont 
de  grandes  arrhes  de  la  gloire  future  ,  qu'elles  dé- 
firent très-ardemment;  étant  là  confolées  &  vifi- 
tées  (a)  plus  abondamment  qu'on  ne  peut  ex-* 
primer.  — 

De  tout  ceci  on  Voit  en  quoi  le  dam  de  ceux 
qui  font  temporeliement  damnés,  diffère  du  dam 
de  ceux  qui  le  font  éternellement.  Celui  des  pre- 
TTiiers  ,  a  pour  fujet  Dieu  &  fon  amour  jouiffant; 
l'autre  a  pour  fujet  en  ces  maudits  is;  malheu- 
reux ,  l'amour  d'eux-mêmes  ,  qui  pour  fe  voir 
privés  du  fouverain  bien  ,  qu'ils  défirent  naturel- 
lement &  Teuffent  bien  pu  obtenir,  les  fait  en- 
rager pour  jamais;  deforte  que  fe  haiffant  eux- 
mêmes  ,  ils  enragent  d'une  rage  diabolique  de  ce 

{a)  Ces  confolations  finiffeat  leur  tourment. 


L.  Purification.  7^"9^o.  Z77 

qu'ils  ne  peuvent  fc  dctiuirc  ni  fupprimcr  leur 
vie  par  la  mort. 

Ajoutez  à  ceci,  que  le  dam  des  bons  fc  fait 
par  la  fouffrauce  des  j)aHions  divines  en  eux  cii 
toutes  les  manières  ,  excepté  celles  que  nou<> 
avons  exprimées  en  notre  gibet  d'amour.  C'eft 
ainfi,  &  non  ;âutrement,  que  piufieurs  bonnes 
âmes  font  damnées  tcmporellcment ,  après  avoir 
obtenu  la  connoiffance  d'elles-mêmes  par  la  pur- 
gation  du  fens  ,  pour  arriver  même  avant  la  plei- 
ne jouiiïance  de  leur  Objet  béatiHque  ,  à  la  con- 
templation furefTentielle  de  Dieu  même.  lUles 
font,  dis-je,  damnées  de  Dieu  en  Dieu,  par  des 
douleurs  &  des  fouftranccs  inexplicables  que  lui- 
même  leur  fait  fouflrir.  Cabinet  MyjHquc  ,  Vari.  z. 
Ciiap.   2.  n.    3. 

80.  Il  faut  agonifer  {a)  pour  la  Juflice  &  pour 
votre  ame  ,  rendant  à  chaque  moment  votre  vie 
à  Dieu,  qui  la  veut  avoir  de  vous  inceffamment 
par  ce  genre  de  martyre.  Cela  eft  pitoyable,  ou 
pour  mieux  dire  ,  affreux  :  &  je  ne  fais  même  ,  fi 
les  créatures  n'y  ajoutent  rien  ;  ce  qui  feroit  un 

id)  Endroit  admirable.  Qu'eft-ce  qui  caufe  tant  de 
tourmens  que  Dieu  fait  fouffrir  à  Tame  ?  C'eft  pour 
elle  même  ,  afin  de  la  rendre  toute  pure  ;  &  c'eft  pour 
la  divine  Juftice  ,  qui  ne  veut  rien  perdre  de  fes  droits  ; 
fi  bien  que  la  pureté  de  la  divine  juftice  ,  (  qui  veut 
tout  pour  Dieu  ,  &  qui  ne  voit  que  Dieu  :  car  la  juf- 
tice de  Dieu  eft  un  attribut  de  Dieu  pour  Dieu-même, 
qui  n'a  relation  qu'à  lui  feul  ;  la  mifericorde  au  con- 
traire eft  pour  les  hommes  :  )  la  juftice  ,  dis-je  ,  devant 
être  fatisfaite  ,  c  eft  une  des  caufes  du  tourment  de 
Tame.  Elle  ne  peut  être  faiisfaite  ,  que  Tame  ne  foit 
toute  purifiée  ;  car  elle  demande  fans  cefte  &  ne  dit 
jamais  ,  c'eft  allez  :  &  d'un  autre  côté  Tame  impure 
6c  affoiblie  ne  fauroit  porter  une  telle  opération  fans 
fouffrir  des  tourmens  inexplicables. 


378  Justification* 

double  enfer.  Si  cela  eft,  croyez  hardiment  que 
vous  êtes  né  pour  chofes  grandes  ,  je  veux  dire , 
pour  potTéder  Dieu  en  la  créature.  Sur  Tordre  & 
la  vérité  de  ce  fondement,  vous  vous  devez  dé- 
ledcr  de  mourir;  &  comme  mourir  eft  Textrê- 
mité  de  toute  perte  ,  c'ed  en  cela  que  votre  vie 
doit  être  trouvée  véritable ,  afin  que  vous  puiffiez 
dire  ^  (a)  Je  vis  ,  non  plus  moi  ,  mais  Jejus-Ckriji 
vit  en  moi  :  ce  qui  ne  fera  pas  entièrement  vrai  ^ 
fi  vous  avez  un  feul  refpir  &  un  feul  point ,  fur 
quoi  vous  appuyer.  C'eft  ainfi  que  la  créature 
palTe  en  Dieu  d'une  manière  raerveilleufe  ,  &  per- 
sonne ne  le  fait,  s'il  ne  l'expérimente  comme 
vous.  Cela  vous  efl  défigné  dans  vos  propres 
exercices.  Mais  tandis  que  vous  les  pourrez  fui- 
vre ,  vous  ne  ferez  pas  grand  ckofe  ;  au  contraire, 
quand  il  n'y  aura  rien  de  cela  en  vous,  vous  fe- 
rez alors  par-defTus  tout  exercice  ,  &  tant  plus 
votre  fufpenfion  fera  grande  &  terrible  ,  tant 
mieux  vous  vous  trouverez.  C'eft  là  qu'eft  la 
région  des  bienheureux  efprits ,  dont  les  corps 
ne  vivent  plus  fur  la  terre ,  qiie  pour  les  fuivre 
de  tous  leurs  efforts.  Tels  font  les  plaifirs  &  la 
vie  ici  bas  des  amis  de  Dieu.  — .  Mais  fans  vous 
perdre  fi  avant,  penfez  à  ce  que  vous  voyez, 
conformément  à  ce  que  vous  avez  goûté  en  Tin- 
finie  nature  de  Dieu  ;  puis  que  vous  Tavez  vu  & 
favouré  félon  votre  préfente  capacité.  Si  votre 
vue  &  votre  penfée  vous  font  un  même  ade  (6), 
dès  là  votre  état  eft  merveilleufemcnt  divin  ,  hors 
de  vous,  en  fouveraine  myfticité.  Ce  qui  vous 
refte  à  faire,  eft  d'endurer  fortement  la  fufpen- 
fion du  concours  fenfible  de  Dieu  en  vos  puif- 
fances.  Il  ny  eft  pas  moins  que  ci-devant,  mais 

(a)  Gai.  2.  V,  20. 

(è)  Notez  la  vue  &  la  penfée  un  même  atfte. 


L.  Purifcation.  80.  379 

cVfl:  (l'une  toute  autre  manière  ;  car  on  peut  dire 
que  maintenant  vos  puillances  font  cfi>rit,  com- 
me votre  même  efprit,  tK:  dès  là  votre  limj)Ic 
union  e(l  fu|.)ième  ik  excellente.  Oue  l\  à  force 
de  mourir  vous  pouviez  être  réduit  à  \  otre  fond  , 
vous  auriez  tra\eiré  une  grande  région,  &  vouîj 
y  êtes  déjà  entré  alFez  avant.  Il  s'agit  mainte- 
nant de  l'éternité  en  la  même  éternité.  Or  Téter- 
nité  ,  (  qui  ell  limple  ,  unique  &  favoureux  amour  ) 
cil  au-deiïus  du  tems  ,  ik  ignore  toute  viciffi- 
tude  ,  —  &  fes  fleuves  étant  retournes  en  leur 
mer  ,  font  elle-même.  Mais  je  crains  fort  qu'il 
ny  ait  bien  de  la  diftance  entre  votre  reflux  & 
cette  mer.  — 

Au  refte ,  difpofez-vous  à  être  perfécuté  pour 
Jéfus-Chrift ,  &  de  fouftrir  les  calomnies,  jalou- 
fies ,  envies  ,  flatteries  &  mortelles  détractions  des 
faux  frères;  c'eft  votre  part,  votre  fort  <Sc  votre 
héritage.  Si  vous  avez  d'autre  défir  que  cela ,  vous 
n'êtes  que  fimulé  ,  hypocrite  ,  &  ferviteur  délicat. 
Et  à  prendre  votre  ame  comme  il  faut,  en  qualité 
d'Epoufe  promife  à  Jéfus-Chrift  ,  tant  s'en  faut 
qu'étant  infidelle  en  ce  point ,  elle  méritât  Té- 
troit  &  véritable  mariage ,  &  Tunion  très-intime 
^vec  lui ,  qu'au  contraire  elle  ne  mériteroit  que 
fa  difgrace  &  fa  jufte  indignation.  Mourez  donc 
éternellement  en  Dieu,  afin  qu'il  vive  éternelle- 
ment en  vous.  Lettre  45. 

Fin  du  Tome  fécond. 


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