SC^B
K^ y yj
•^;fl
û'm.
-: ^^
FOR THE PEOPLE
FOR EDVCATION
FORSCIENCE
LIBRARY
OF
THE AMERICAN MUSEUM
OF
NATURAL HISTORY
LKCUlNS ÉLÉMENTAIRRS
LHISTOIRE NATURELLE
OISEAUX
J. G. CHENU
Miiu (;i>- Pimcii'Ai. K l'école impériale de mébecine et de pharmacie mii.itairks
O. DES mURS J. VERRE AUX
I T i: 0 I.OC I ST i
,N A T r R A L I S T E V O Y A G E T R
TOME DEUXIEME — PREMIERE PARTIE
Vautour fauve.
P4RIS
Vie
TOR
MASSON
ET
FILS
PLACE
DE l.'ÉC.iLE- DE -M
1862
ÉDECIKE
LEÇONS ÉLliMENTAlKES
L'HISTOIRE NATURELLE DES OISEAUX
TOMK DKL'XII-ME
IMP. SIMON RAÇON ET COMP , RLE l)*i:nFtJRTH, 1.
O^ NEW YORK. „^.
LEÇOÎ^
AIRES
l.llISTOIIiE NATURELLl:;
DES OISEAUX
,1. C. CHENU
V.ÉDECIN PR1«CIPAL A l/ÉCOLU IMPÉRIALE DE MÉDECINE ET DE PIIAItMACIE MILlTAIIlES
0. DES MURS ET J. VERREAUX
Orniiholosisle Naturaliste Tojagenr
TOME D E U X I E M E
PARIS
LIBRAIRIE !.. HACHETTE ET C
77, nOILtlVAIiH SA I .\T-f, r. li M A I.N , 77
1802
XI
" 951 SH' ^Stx^y^'^'
\'\\i. 1. —Faucon Innii'i-, V<x\CO /«««czMS, il';i|iii'.s Sclili'gol
TREIZIÈME LEÇON
Oiseaux de proie,
Nous avons dit dans la leçon précédente que la classe des oi-
seaux se composait de six ordres : les Oiseaux de proie, les Pas-
sereaux, les Pigeons, les Gallinacés, les Écliassiers et les Palmi-
[)cdes. Nous allons étudier successivement cliacun de ces six
ordres, les caractères (pii les distinguent, les familles et les
genres (pi'ils compremient, et nous chercherons à. donner des
notions exactes et précises sur les moiui's et les hahitudes de
T. II. 1
2 TREIZIEME LEÇO?n.
cli;iqiii3 espèce, quand cela scia nécessaire, nous Ijoinanl le plus
souvent a faire riiistoire générale des groupes dans lesquels
plusieurs espèces ayant le même genre de vie se trouvent réunies.
A (|uoi serviraient, en effet, les divisions comme genres ou comme
iamilies, si elles ne devaient rassembler les espèces présentant,
à (piclques différences accessoires près, les mêmes caractères,
les mêmes goùLs et les mêmes instincts.
Il y a cependant, au sujet de certaines analogies de goût, une
première distinction à établir, et le nom d'oiseaux de proie
(ju'on donne généralement aux espèces comprises dans le pre-
mier ordre nous fournit l'occasion de dire qu'il n'est pas d'une
exactitude rigoureuse, puisque beaucoup d'oiseaux qui se nour-
rissent aussi d'autres animaux, auxquels ils font la chasse, ne se
trouvent pas classés dans cet ordre. Mais l'usage a prévalu, le nom
a été conservé, et, dans le langage scientifique seulement, on le
remplace par un mot plus correct, celui d'ACCiPiTREs, qui s'ap-
plique à tous les oiseaux dont le bec et les ongles sont disposés le
plus favorablement possible pour saisir, enlever ou décliirer une
proie vivante ou morte.
Si le goût pour la chair et les substances aniirales, en général,
suflisait pour qu'un oiseau fût classé parmi les oiseaux de proie,
l'ordre serait très-nombreux et comprendrait i)lus de là moitié
des espèces de la classe. En effet, presque tous les oiseaux dits
Granivores, la plupart de ceux qui vivent de fruits ou de baies,
sont, à leurs heures, friand? d'insectes, de leuis larves, de leurs
chrysalides, etbeaucoupmême ont du goût })our la viande, quand
ils en rencontrent à leur portée. Ainsi la plupart des oiseaux,
dont le caractère est plutôt doux sans être positivement inoffensif,
ont cependant du goût pour le sang et la chair; il ne leur manque
que la- force et des armes poui' devenir cruels et siuiguinaires. .
Et si ceux (jui vivent d'insectes, de poissons, de vers, nous sem-
blent moins cruels que les oiseaux de proie proprement dits,
A CCI nu; K s. r.
c'csl, (|U0 lions soninios toiiclu's (le l;i (loiilciir ('viiloiilc (|ii(^ ces
(Icniicrs font soiilTrii' miix vicliiiics (roiiil>laiil,('S(|ii'ils])oiirsuiv(Mit
et. (|irils iiiimolciil à leur J';iiin, (aiulis ([iie les itrciiiicis l'assoii-
vissoiil, (Ml ongloulissaiit des animaux qu'ils surprennoiit cl qui
lie (loniiout, ni par lours niouvcmeuts, ni par leurs cris, aucun
si^ne apparcni de donleni".
Fig. 2. — P.use rufiponnc, Buteo rufipennis.
Les oiseaux de proie Aceipitres (Accipiter, Kpervier), ou
Rapaces {rapax, ravisseur), répondent dans la classe des oiseaux
aux animaux' carnassiers de la classe des niannnifères, et forment,
un ordre nalurel dont foules les espèces se nuancent en des types
génériques assez distincts, et se groupent par des analogies de
lormes, d'iiabitndes, cl même de coloration dans le plumage.
4 TREIZIÈME LEÇON.
Les oiseaux de proie sont mieux armés qu'auctin des autres,
et leur organisation leur donne les moyens nécessaires pour
exercer leurs rapines; ils ont généralement les ailes plus amples
et les muscles plus forts que les autres oiseaux; et c'est à ces
avantages que sont dus leur hardiesse et leur courage. Leur bec
est fortement courbé, acéré et tranchant; il est d'autant plus
fort qu'il est plus court et recourbé dès sa base; leur tête est
grosse et donne attache à de paissants nniscles, tlestinés au mou-
vement du bec, dont la forme, ajoutée au poids de la tête et à la
force musculaire, fait une arme offensive et défensive parfaite-
ment appropriée aux habitudes aériennes. La base de cet organe
est recouverte d'une membrane connue sous le nom de cire,
colorée le plus souvent en jaune, et dans laquelle les narines
sont presque toujours percées. Ils ont les yeux plus grands, plus
enfoncés dans l'orbite que les autres oiseaux, et ces organes
sont i)rotégés par une saillie que forme l'arcade sourcilière.
Les yeux sont pourvus d'une membrane nyctitante, dont nous
avons parlé dans nos généralités, et leur texture est en général
plus solide. Cette conformation rend la vue des oiseaux de proie
])lus perçante, plus longue, plus sûre, et leur procure de grands
avantages,
Les Accipitres ont le })icd long, grèlc, les doigts menus, dé-
liés, allongés, au nombre de quatre, unis à leur ])ase par un
repli membraneux et terminés par des ongles ou serres, arrpiés,
le plus souvent rétractiles et aussi robustes qu'acérés. Ce sont
de puissantes armes, propres à la fois à saisir llicilement une
proie qui fuit, à la retenir, à l'arrêter avec force et à lui fîiire
de profondes blessures. Ces mêmes arjiics sont mises en jeu par
des muscles très-forts qui agissent par de très-longs leviers, et
souvent après avoir passé sur des poulies de renvoi qui augmen-
tent beaucoup leur action. A la faveur de leurs ailes plus amples,
garnies de pennes plus solides, mues également par des muscles
ACCIIMTIIES. 5
plus forts, les oiseaux: de proie ga^neiil, plus nisémeiiL les haiiles
régions, s'élèvent aii-dessii.^ de leiiis victimes et les poursui-
vent avec plus de vitesse que celles-ci n'en peuvent mettre pour
fuir.
Suivant que les différentes parties dont nous venons de parler
sont plus avantageusement conformées, le P»apace attaque plus
facilement et triomphe plus certainement d'une proie plus puis-
sante; et le courage, dont nous lui faisons honneur, n'est,
suivant l'expression de Mauduyt, qu'une conséqnence d'une
organisation plus heureuse. On n'a généralement sur ces oi-
seaux que des idées fausses ou exagérées : ainsi, la voracité
lâche et dégoûtante des Vautours, le courage et la magnanimité
de l'Aigle, la stupidité ignoble des Buses, la férocité du Milan,
figurent depuis des siècles dans le langage des poètes sans que
les images qui en résultent soient vraies; et, après avoir établi
que les oiseaux de proie représentent le génie de la destruction,
on a ajonté que les mœurs de l'Aigle correspondent à celles du
Lion, comme les habitudes du Vautour à celles de la Hyène.
On pourrait au besoin multiplier les comparaisons et faire
remarquer que, dans toutes les classes, il existe des animaux
destinés à remplir les mêmes fonctions sur la terre, dans les
airs et dans les eaux. Mais revenons ta Torganisation spéciale des
Accipitres.
C'est, nous l'avons déjà indiqué, la différence dans la structure
des pennes des ailes qui fiiit que certains oiseaux de proie s'é-
lèvent dans les hautes régions, tandis que d'autres ne peuvent
pas en volant atteindre à de si grandes hauteurs; les premiers
sont ceux qu'on appelle en fauconnerie Oiseavx de tfttut vol,
et les seconds ceux auxquels on donne le nom d'Oiseaux de bas
vol. Suivant la conformation de la serre, ces mêmes oiseaux ont
aussi plus ou moins d'avantages pour combattre, saisir et terrasser
leur proie, et les fauconniers appellent Oiseaux nobles ceux
1.
(5 TREIZIEME LEÇON.
qui ont les doigts longs et déliés, et Oiseaux ignobles ceux qui
les ont proportionnellement plus courts et massifs.
Comme chez les mammifères qui se nourrissent de chair, l'es-
tomac des oiseaux de proie est moins compliqué, et les intestins
sont plus courts que chez les granivores.
11 y a des oiseaux de proie dans toutes les contrées. Les plus
grandes espèces vivent sur les montagnes, et en général dans les
heux déserts; ils doivent, d'après leur manière de vivre, s'éloi-
.gner de l'homme, comme l'homme a dû les repousser des lieux
où il s'est fixé.
Le plumage de presque tous ces oiseaux, de quelque genre
qu'ils soient, à un fort petit nombre d'exceptions près, n'offre
dans tous les pays que des couleurs soudures, dont le brun et le
gris sont les plus ordinaires. Ils n'ont point de chant; leur voix
n'est qu'un son rauque, aigu ou plaintif; leur extérieur est triste
et sombre ; ils n'ont rien des grâces et de la vivacité des autres
oiseaux ; ils ne se mettent en mouvement que pour découvrir et
poursuivre leur proie. Ils vivent de celles qu'ils chassent sur
terre, comme snr le bord des eaux, et plus rarement de cha-
rognes et d'immondices; on les rencontre peu en troupes. Quand
ils sont repus, ils demeurent dans l'inaction sur les rochers,
dans les cavernes ou les retraites qu'ils ont choisies pour lenr
séjour ordinaire. Comme de véritables maraudeurs, ils aiment à
s'isoler de leurs semblables et à se partager une certaine surface
de pays, sans souffrir que des étrangers viennent diminuer leur
Imtin. Leurs nids se composent debiichettes assez négligemment
assemblées, jetées sur les branches d'arbres ou placées sans ré-
gularité i>;ur la roche nue, dans les lieux les plus inaccessibles
des montagnes; ils y transportent le plus souvent leur proie, do
là le nom iV aires (atpw, j'emporte)^ qu'on donne généralement
à ces nids. La nature a heureusement restreint leur trop grande
multiplication : ils sont, en général, moins féconds que les autres
ACCIPÏTRES. 7
oiseaux; les plus grivuds ne l'ont qu'une ponte et ne produisent
fprun ou deux petits par an; les autres, suivant leur taille, font
deux pontes, exeeptiounellenient trois, et ehaque ponte est de
deux ou de trois à quatre œufs.
Les oiseaux de proie sont les tyrans des autres animaux. Quel-
ques-uns d'entre eux cependant sout d'une utilité incontestable
dans toutes les régions chaudes, par les services qu'ils rendent
uaturcllenient; d'autres ont pu être dressés pour la chasse et
ont servi aux plaisirs des grands seigneurs d'autrefois, comme ils
pourraient servir encore aux plaisirs des petits seigneurs d'au-
jourd'hui. L'apparition d'un Rapace est pour les autres oiseaux un
signal d'alarme et de retraite; les chants cessent dans les airs;
leurs habitants discontinuent leurs vols et leurs ébats i)Our se
réfugier dans l'épaisseur des forêts, sous les plantes qui peuvent
les cacher, et partout oij ils croient pouvoir être en sûreté contre
leurs ennemis; la mère effrayée avertit ses petits par un cri qu'ils
savent distinguer; elle les rassemble ou ils se cachent, tandis
(ju'elle s'offre seule au danger qui les menace, et ce n'est qu'a-
près que l'oiseau de proie a disparu que les chants et les ébats
recommencent, que les femelles rappellent leurs petits, les con-
duisent et reviennent près d'eux à leurs soins ordinaires. Ainsi,
(listes et peu sociables eux-mêmes, les oiseaux de proie répan-
dent l'alarme et l'épouvante partout où ils se présentent. Tous
sont monogames; les uns vivent par paires isolées, dans un can-
ton qui devient leur domaine; les autres se rassemblent en pe-
lites bandes pour chasser en commun ou attirés par quelque
charogne à dévorer. Ils recherchent les forêts les plus sauvages,
les lieux les nhis retirés et les moins accessibles.
TREIZIEME LECO^'.
Fig. 5. —Vautour de Ruppell, Vultur Ruppelli.
r Ordre. — ACGIPITRES.
L'ordre des Accipitres ou Rapaces se divise en deux sous-
ordres : Accipitres diurnes et Accipitres nocturnes.
Les Accipitres diurnes forment deux grandes familles : les
Vulturidés, chez lesquels le Lee et les ongles sont relativement
longs, faibles et inoOensifs, quoicpie l'animal soit d'une grande
ACClITir. RS. 0
(îiillc et d'une gnuidv- loice inuscubin^, et les Falconidés^ cliez
les([iiels les caractères de i'oidre, c'est-à-dire des armes et des
Fig. 4. — Faucon GiM-faiil, Falcn Gijrfulro
moyens de destruction portés à la ]tlus haute puissance, se trou-
vent l'éunis plu? ou moins complètement ; car c'est graduelle-
ment et par degrés souvent peu sensddes qu'on arrive au faucon,
type le plus parfait de l'oiseau de proie.
Les Accipitres nocturnes ne forment qu'un seul groupe et une
seule famille, hs Strigidés ; ils se distinguent facilement des
autres oiseaux du même ordre, surtout par l'aspect tout particu-
lier que leur donne le volume de leur tèle, leurs grands yeux
dirinés en avant et l'absence de cire à la l)ase du bec.
10 TREIZIÈME LECOK.
laissons à l'étude do chacuno de ces familles et des genres
principaux qu'elles comprennent. Dans les musées publics, comme
dans les ouvrages spéciaux, la classification des oiseaux exige un
bien plus grand nombre de divisions génériques établies par les
ornithologistes de tous les pays; mais si nous voulions faire con-
naître de suite tous ces genres, qui ne sont d'ailleurs que des
subdivisions souvent peu importantes de ceux que nous adoptons,
nous nous éloignerions de notre but. Nous avons cherché à imi-
ter la méthode simple et facile de Linné et la forme descriptive
de Buffon, nous réservant, à la suite de chaque ordre ou de cha-
que grande division, de faire connaître, dans une leçon d'ensem-
ble, toutes les subdivisions en usage dans les musées. Nos lec-
teurs, ainsi initiés progressivement, comprendront facilement
tous les détails de la classification la plus compliquée.
Fig'. S. — f.houefle castanops, Strix aislimops, d'après Coul
VliLTUlUDES.
Il
Fiu'. 6. — Vautour Anian, Vulhir monachus.
^'^ Famille. — VTÎLTURIDKS.
La uoiirrilurc des oiseaux: de cette famille consiste priiicipa-
lenient eu substances animales plus ou moins putiéfiées, ou en
état de décomposition. Leur rôle, dans la natine, dit fort bien
le doctenr J. Franklin, est de faire disparaître les restes des
corps organisés, dont l'accumulation, surtout dans les contrées
cbaudes du globe, produirait la peste ou la mort. Dans Tordre
de la création, les Vullnridés sont des agents actifs de la voirie
1^2 TREIZIÈME LEÇON,
du globe teneslri!. Les Yiilturidés sont, en effet, d'une si gniiide
utilité, qu'ils se trouvent généialenieut protégés par la légis-
lation locale ou par le consentement tacite des habitants. Ces
oiseaux, dont on s'est plu à l'aire un objet de dégoût, et (ju'ils
représentent comme le type de la lâcheté associée à la glouton-
nerie, sont cependant d'une utilité incontestable. Le sentimenl
universel a été injuste envers eux. Les fonctions qui concourent
à l'hygiène publique méritent plutôt notre reconnaissance que
notre dédain, et les Vulturidés, ces croque-morts naturels, ne
disparaîtraient point sans entraîner, par leur absence, les i)lus
tristes calamités. En effet, un des besoins les plus pressants de^'
sociétés humaines, c'est de se soustraire aux émanations que ré-
pandent, en se décomposant, les corps morts des hommes et des
animaux, d'éloigner de la vue le triste spectacle de ces êtres
sans vie, prêts à vicier l'air de leur infecte odeur. Eh .bien, ce
besoin ne parait pas être moins impérieux pour la nature cpic
pour l'espèce hun:aine; rien n'est plus merveilleux que les
moyens (ju'elle a mis en usage pour le satislliire ou que la va-
riété de secours qu'elle a su tirer de ses œuvres })our atteindre
ce Ijut. Un animal n'a pas plutôt cessé de vivre qu'à l'instant
airivent de toutes parts des milliers d'autres animaux pour le
dévorer; des insectes, des oiseaux, et enlin des mammifères
de plusieurs espèces; mais, de tous ces animaux, c'est sur les
Vulturidés que la nature semble avoir le plus compté, surtout
dans les pays chauds; car, avertis de très-loiu de l'existence d'un
cadavre, ils arrivent pronq^tement et en grand nombre à la place
(jii'il occupe. On ne s'étonnera donc pas de la protection que ces
animaux ont trouvée chez tous les peuples : ils furent déifiés
chez les Égyptiens; plusieurs nations punissent encore leur mort
comme un crime, et partout ils vivent fomilièrement au milieu
des hommes, qui leur rendent, selon rex[)ression de Erédéric
Ciivier, eu bienveillance ce (pi'ils en reçoivent eu ulilité.
VI LTURIDES.
15
Fig. 7. — Saicoiyniplie Cuniloi', Sarconniijihns Cûwlu
14 TREIZIÈME LEÇON.
Les YuUuridés présentent cinq types ou genres principaux :
1 . Sarconmiphe (Sarcoramphiis, (jûpl, chair, ôdu'foc, bec
crochu) ;
'i. Catliarte (Catliartes, y.o(.Oc/.pzc;, qui purilie);
5. Vautour (Vultur);
A. Gypaète (Gypaetus^ yù-]/, vautour, ut-rô;, aigle);
5. Messager, ou Serpentaire [Gypogeraniis, yO-]/, vautour,
yip</.-Joç, grue).
1- Genue. - SARCORAMPllE, SARCOHAMPHUS, Diimml.
Les Sarcoraniphes ont pour caractères généraux : un bec droit,
robuste, à mandibule supérieure dilatée sur les bords et crochue
vers le bout, l'inférieure plus courte, droite, obtuse et arrondie;
les narines oblongues, ouvertes, situées vers l'origine de la ciic;
celle-ci est garnie, au loin' du bec ou à sa base, de caroncules
charnues très-épaisses et diversement découpées, surmonlant le
front et la tète La langue, cartilaghieuse et membraneuse, est
dentelée sur ses bords; les doigts sont forts et épais, à ongles
presque obtus; la tête et le cou nus ou garnis seulement de
quelques poils très-rares; les ailes sont longues, et les deuxième,
troisième et quatrième rémiges les plus longues de toutes. Mais
ce qui distingue surtout les Sarcoramphes, parmi les oiseaux de
proie, c'est d'avoir le pouce plus court que les autres doigts,
et l'ongJe de ce pouce presque tronqué.
Les Sarcoramphes appartiennent excluï-ivement au nouveau
monde; et, de deux espèces qui composent le genre, l'une vit sur
le sonnuet ou le long des contre-forts de la chaînt* des Andes jus-
que par delà les limites du Chili, tandis que l'autre ne quitte poiut
les régions é([uatoFiales. Du reste l'une et l'autre ont les mêmes
habitudes; il nous suflira donc de retiacer celles de la plus i\-
maniiiable des lieux espèces, c'esl-à-dire du lameux Condor.
viu/riMUhKs. i:.
Tons les \()y;i^('iirs n'oiil pas Je iiiènic hilciil (roltscrviilioii, cl
Ions ccpcnduiil, croicnl, avoir ;isso/ bien vu ])Oiii' pouvoir gvurnt-
liscr (les observai ions souv(Mit })arliculièr('s ol, locales; aussi, ])Our
parler des lialiiindcs d'uu animal ([u'ou n'a pas étudié loni^lenips
dans le pays (pi'il habile, l'aut-il eounaîlre tous les travaux ]m-
bliés sur le sujet; et sonvcnt ils sont coutiadictoires. C'est ce
([iii se présente à l'égard du Condor, si bien décrit d'ailleuis
par de nombreux voyageurs ou naturalistes, qui sont en effet
loin d'être bien d'accord sur ses mœurs et sur les limites de son
babitat. Aiusi il est évident rpie de llundjoldt, d'Or])igny, et
Gay, parmi les ]>lus récents, ne se trompent pas dans ce qu'ils
écrivent sur cet oiseau. Mais leurs narrations isolées sont trop
absolues ou incomplètes et ne donneraient, malgré le talent
d'ol)sei'vation de ces voyageurs, qu'une exactitude approxima-
tive. Leurs travaux, complétés par ceux cFauties voyageurs, nous
permettront de présenter, aussi exactement que possible, l'his-
toire du Condor.
Il est bien certain que les Condors habitent sur les hauteurs
<les Andes où paissent les Lamas et les Vigognes; mais cette zone
ne leur est pas spéciale, et la chaîne des Andes n'est pas ex-
clusivement habitée par eux, car d'Orbigny en a rencontré un
grand noml)re sur toute la côte de l'océan Pacifique et sur celle
de l'océan Atlantique, au bord de la mer, sur les côtes de Pa-
tagonie, où les montagnes les plus voisines sont encore éloignées
au iuoins de cent lieues, et où il est très-sûr qu'ils vivent, ni-
chent et demeurent habituellement. 11 est vrai qu'on peut sup-
poser que les familles ainsi rencontrées sur le bord des falaises
de la côte ont pu pousser peu à peu leurs migrations du sud
vers le nord, en allant des montagnes du détroit de Magellan à
rembouchure du Piio-Negro de Patagonie. Par les mêmes raisons,
il ne faut pas croire que les Condors préfèrent exclusivement une
zone élevée à celle du niveau de la mer, car ceux de Patagonie
K) TREIZIEME LEÇON,
sont tout aussi gros et tout aussi vigoureux que ceux des
Andes; et, de plus, d'Orbigny en a vu si souvent au Pérou,
surtout à Arica, planer toute la journée le long de la côte, en
cherchant à découvrir des animaux morts rejetés par les vagues;
il en a vu si souvent coucher sur les roches avancées de la col-
line dite Marro d' Arica, qu'on peut assurer qu'ils habitent éga-
lement la zone la plus froide et le soi brûlant des côtes de
la mer. On rencontre rarement les Condors sur le sommet des
Andes, si les points élevés oii on les observe ne sont voisins d'ha-
bitations ou de troupeaux qui les y attirent. On doit donc assigner
aux Condors de plus larges limites géographiques que ne le sup-
posait de llumboldt : car on en voit depuis le cap Horn (56° de
latitude sud) jusqu'au 8" de latitude nord, dans les parties éle-
vées des Andes ou sur leurs versants ouest, au Pérou, dans la
Bolivie, au Chili, et depuis le niveau de la mer, oii ils pondent
et séjournent, jusqu'aux régions glacées des Andes, au-dessus
desquelles ils s'élèvent même à perte de vue.
Un jour le docteur J. Franklin avait gravi une des plus hautes
montagnes des Andes, et promenait autour de lui un regard de
bien légitime satisfaction. Tout à coup il leva la tête, et il aper-
çut des points noirs qui tourbillonnaient dans le ciel : c'étaient
des Condors. Cette vue le fit réfléchir et le rendit moins fier de
son ascension. Le ciel, au-dessus de lui, était comme tacheté par
les Condors, qui trouvaient moyen de vivre et de planer libre-
ment à une prodigieuse distance au-dessus de ces hauteurs gla-
cées, où lui-même pouvait à peine respirer, et où il souffrait con-
sidérablement du Iroid.
Le Condor est, sans contredit, de tous les oiseaux celui dont
le vol est le plus élevé. Chaque fois que les herborisations de
de llumboldt et de Bonpland les attiraient jusqu'aux neiges per-
pétuelles, c'est-à-dire à une hauteur de ",100 à 1,900 mètres,
ils étaient ejitourés de Condors. D'Orbigny en a vu jusqu'au ni-
viîf/rrninKs. 17
veau du sonnucl de riliniani, (jiii a 7,r)00 mètres de hauteur;
taudis qu'à (>,000 u)Mies, 1 liouuue uc peut résister à la raré-
laetiou de Tair. A l'est des Audes, le Coudor ue va que jusqu'à
leurs derniers loutre-forts, c'est-à-dire le long du rameau orien-
tal de la Cordillière jus(|u'à Coclialjandia, et même quelquefois
jusqu'au commencement des plaines de Santa-Cruz de la Sierra;
mais, comme de là aucune chaîne de montagnes ne réunit les
Andes aux premières chaînes de la province de Chitjuitos, il ne
passe pas cette limite, et ne peut arriver juscpie sur les montagnes
du Brésil . Il est prohahle cependant que plusieurs autres motifs in-
fluent, plus que la latitude et la hauteur, sur la préférence que
donne le Condor à certains lieux. Son genre de vie l'ohlige à
choisu' pour îisile des terrains couverts de rochers ou de folaises,
parce qu'il ne se perche jamais sur les arhres, et qu'il lui faut
non-seulement des points culminants d'où il puisse découvrir
la campagne autour de lui, mais aussi des anfractuosités qui lui
servent de perchoir et qui le garantissent de la pluie; aussi ne des-
cend-il ni dans les pampas de Buénos-Ayres, quoiqu'il hahite
les montagnes qui les bornent à l'ouest, ni au milieu des forêts,
ni même au milieu des montagnes boisées, où les branches le
gêneraient. Le Condor habite donc spécialement soit les monta-
gnes sèches ou seulement peu boisées, soit les côtes maritimes
où les falaises escarpées remplacent les montagnes. Pour qu'il se
montre ailleurs, il faut qu'il soit attiré par la présence de trou-
peaux de Brebis, de Lamas ou d'Alpacas, ou par beaucoup d'a-
nimaux sauvages réunis en troupe. C'est par la même raison
qu'un grand nombre de Condors suivent les cotes du Pérou et
même celles de la Patagonie, où se rassemblent habituellement
de grandes bandes d'Otaries et de Phoques; et les limites où s'ar-
rêtent ces amphibies sont aussi celles que ne dépassent pas les
Condors, On voit encore ces géants des airs planer à la hauteur
des Andes péruvieimes, qu'ils parcourent dun vol rapide pour
2.
18 TREIZIÈME LEÇON,
suivre de petites troupes isolées de Vigognes et de Guauacos.
Mais aussi partout où ces animaux ont été détruits, la faim amène
les Condors jusqu'aux environs des lieux habités, et même sur
les routes.
A la différence des Catliartes et des Vautours, dont nous par-
lerons plus tard, le Condor s'isole pour faire la chasse, et ne se
réunit guère à d'autres oiseaux que pour prendre sa part d'une
pâture commune. On en voit cependant quelquefois deux, rare-
ment trois, se reposer sur le même rocher.
Le Condor, rassasié, reste flegmatiquement perché sur la
cime des montagnes. 11 a, dans cette situation, un air de gravité
sombre et sinistre. On le chasse devant soi, sans qu'il veuille se
donner la peine de s'envoler. Tourmenté par la faim, au con-
traire, il s'élève à une hauteur prodigieuse, et plane dans les airs
pour embrasser d'un coup d'œil le vaste pays qui doit lui fournir
sa proie. C'est surtout dans les jours où l'atmosphère est calme
et sans nuages qu'on observe le Condor à des élévations extra-
ordinaires. On dirait que la grande transparence des couches de
l'air l'invite à passer en revue un plus grand espace de terrain.
Cependant cet oiseau, comme la plupart des Vautours, est natu-
rellement paresseux. Après avoir passé la nuit dans une crevasse
de rocher ou de falaise escarpée, la tête enfoncée dans les
épaules, il s'éveille à l'aube du jour, secoue deux ou trois fois la
tête, attendant assez souvent le lever du soleil pour quitter son
gîte, surtout s'il s'est bien repu la veille; il s'incline au bord du
rocher, en agitant ses vastes ailes, comme s'il hésitait à partir,
les déploie entin, et s'élance dans l'espace. 11 iie prend que diffici-
lement son essor, et ne s'envole pas horizontalement ainsi que beau-
coup d'autres oiseaux. On le croirait d'abord peu sûr de son vol, car
il commence par décrire un arc de cercle en cédant à son propre
poids; mais, prenant de suite son majestueux élan, les ailes ar-
rondies, les rémiges écartées les unes des autres, il se joue dans
VULTIIP.TDÉS. 19
los airs avec aisance, sans ])araîtro é})i'onver la moinfire faticfne.
Par (les monvenients oscillatoires pen sensi])les, il imprime à son
vol toutes les directions possibles; il suit toutes les sinuosités du
terrain rpi'il parcourt; il monte et descend dans les airs avec une
rapidité incroyable : tout à l'iieure abaissé jnscpi'à raser le sol,
perdu maintenant dans les nues. Mais que, du liant des airs, une
proie vienne fra})per sa vue perçante, il se précipite ou plutôt se
laisse tomber sur elle. Les voyageurs s'accordent pour dire que
celte descente, rapide comme la flèche, est accompagnée d'un
bruit particulier. Cette observation avait été signalée depuis
longtemps par Garcilaso de la Véga et confirmée par d'Orbigny,
qui, plus d'une lois, a été étonné de cette chute bruyante, alors
(pie le vol ordinaire n'a rien qui éveille l'attention.
Le Condor, avons-nous déjà dit, s'isole pour explorer succes-
sivement les côtes, afin d'y chercher les animaux de tont genre
que la mer rejette, ou les environs des lieux habités et les dé-
tours des chemins, pour recuedlir les restes d'animaux jetés par
l'homme; et quand il n'a rien trouvé, il se pose sur un pic ou
STU^ une pointe de rocher dans le voisinage des troiqieaux, et il
attend là qu'une Brebis ou un Lama s'éloigne de la troupe pour
mettre bas; et, si les bergers ne sont pas en mesure de défendre
lejenne animal, le Condor prend son vol, et, tournoyant à une
grande hauteur au-dessus de la proie qu'il convoite, il attend la
mise bas, fond sur la mère, non pour Tattaqner elle-même, mais
pour dévorer son petit. D'Orbigny a été témoin d'une de ces
scènes sanglantes dans un voyage d'Arica à Tacnn, snr la côle
du Pérou. C'est un trajet de onze lieues sans eau, au milieu
d'un désert de sable brûlant que la phiie ne rafraîchit jamais, et
dont la poussière salée flùt encore sentir plus vivement la séche-
i-esse. Des convois de Mules et d'Anes pesamment chargés par-
courent incessamment le pays, et les Anes qui, là plusfpi'ailleurs,
sont les souffre-douleurs des habitants, font le voyage, allei- el
20 TREIZIÈMK LEÇOIS.
retour, sans qu'on les ménage le moins du monde; aussi en
meurt-il souvent sur la route, où leurs cadavres sont prompte-
ment dépecés. Quand un Ane fatigué ne peut suivre le con-
voi, on l'abandonne après avoir divisé sa charge sur les autres
plus valides et il regagne s'il peut l'habitation de son maître.
Un de ces pauvres animaux ainsi abandonné, n'en pouvant plus,
se coucha sur la route, prêt à rendre le dernier soupir ; des
Urubus s'en approchèrent de suite et lui donnèrent quelques
coups de bec peu redoutables; mais bientôt un Condor fondit sur
cette proie, que lui cédèrent à l'instant les Urubus, restés à quel-
ques pas en arrière et attendant sans doute avec impatience la
lin du repas du Condor, dont ils n'osaient s'approcher. Ce pre-
mier Condor ne larda pas à être suivi d'abord de deux, et bientôt
après de sept à huit autres, qui, s' acharnant à l'envi sur leur
victime, lui déchirèrent de leur bec tranchant, ceux-ci les yeux,
ceux-là le ventre, et le tuèrent après lui avoir fait souffrir d'a-
troces douleurs. D'Orbigny s'approcha alors de l'Ane, les Con-
dors se retirèrent à une courte distance et planèrent au-dessus
des petites collines des environs; mais dès qu'il se retira, ils
revinrent à la charge et ne laissèrent que les os de leur victime.
Une fois repus, ils s'envolèrent, mais non sans beaucoup de
peine, ne pouvant prendre leur essor qu'après avoir longtemps
couru en battant des ades.
En pareille circonstance, et lorsqu'un Condor s'est gorgé de
viande, il peut à peine voler; et s'il est poursuivi, il cherche à
se rendre plus léger en dégorgeant une partie de ce qu'il a
mangé. Les Indiens, qui connaissent les habitudes de cet oiseau
et qui veulent s'en emparer, exposent dans un lieu découvert
une Vache ou un Cheval mort, et attendent tranquillement la
bu du repas, qui attire toujours plusieurs Condors. Dès qu'ils
sont bien repus, les Indiens accourent armés de leurs formida-
bles lassos, qu'ils lancent généralement avec succès. Quelques
VULTUniDKS. 21
oiseaux sont pris, d'antres ])arviennent, an milieu du désordre, à
s'échapper; mais lorsqu'un Condor est atleint ])ai' la fatale la-
nière, on ne parvient à le tner ([u'a[)rès nue lutte souvent fort
longue.
Le capitaine Head en vit un jour une troupe de ([narante à
cinquante acharnés sur le cadavre d'mi Cheval : cpielcpies-uns,
déjà repus, ne purent s'envoler à Taspect du voyageur, qui les
approcha à environ trente mètres. Les uns étaient perchés sur le
cadavre du Cheval mort, d'autres l'entouraient, ayant une patte
à terre et l'autre sur la proie qu'ils dévoraient. Un homme de la
suite de ce voyageur, un fort mineur du Cornouailles, lit un jour
uns rencontre à peu près semblable : en parcourant à cheval le
fond d'une vallée, il y trouva un Cheval mort et des Condors oc-
cupés à le dévorer. Le premier de ces oiseaux qui prit la fuite ne
put voler qu'à une cpiarantaine de mètres; le cavaher se hâta de
mettie pied à terre, et, courant sur l'oiseau, il le saisit par le
cou. La lutte fut terrible, et ce n'est pas souvent qu'on voit
quelque chose de semblable à ce combat entre un homme vigou-
reux et un Condor. Il mit son genou sur la tète de l'oiseau et
essaya de lui tordre le cou; mais le Condor résista violemment.
Il semblait attendre que d'autres Condors, qui volaient sur sa
tête, prissent parti contre l'honniie et vinssent à son secours. A
la fin, pourtant, le mineur fut le plus fort; et croyant son en-
nemi mort, il s'éloigna, tenant à la main, comme un trophée,
k's plumes qu'il avait arrachées à l'aile du Coudor. En montrant
à ses compagnons les dépouilles de sa victime, il assura qu'elle
lui avait coûté plus de fatigues, et qu'il s'était peut-être exposé
à plus de dangers que dans aucune des luttes qu'il avait soute-
nues jusqu'alors. Mais ces oiseaux ont la vie si dure, qu'un autre
cavalier qfii passa par le même endroit quelque temps après,
trouva le Condor vivant encore et cherchant à s'envoler.
Ou raconte même au sujet de la tenace vitalité de ces oiseaux
22 TREIZIÈME LEÇON
(les faits qui seraient incroyables s'ils n'étaient attestés i)ar des
voyageurs sérieux. Nous ne nous arrêterons pas aux exagérations
tVUlloa, qui prétend le Condor à l'épreuve de la balle, par le
tissu serré de ses plumes, qui constitue une sorte de cuirasse;
d'Orbigny nie complètement le fait, et il a tué des Condors de
Irès-loin, non-seulement avec des balles ordinaires, mais encore
avec de petites chevrotines et même avec du })lomb numéro zéro.
Néanmoins, le Condor étant plus grand et plus fort qu'aucun
autre oiseau de proie, il doit nécessairement être plus difficile à
tuer ; aussi vole-t-il longtemps encore avant de tomber, même
après avoir été grièvement blessé. D'Orbigny a acquis la certi-
tude que le Condor est très-difficile à mettre à mort par stran-
gulation. 11 avoue même qu'après en' avoir blessé un d'une balle,
sur la côte de la Patagonie, il voulut rachevcr de cette manière
et ne put y parvenir qu'après une beure des plus pénibles efforts.
Cette observation est applical)le, et [ilus positivement encore aux
grands oiseaux de mer, comme les Albatros.
Nous avons parlé du lasso; voici ce qu'est cet engin et en quoi
il consiste : ce lasso, fait de cuir frais et tressé, a environ un
centimètres et demi de diamètre, quelquefois moins; graissé
lors de sa fabrication, il est extrêmement flexible et plus fort
qu'une corde trois fois plus grosse; sa longueur est de sept à
dix mètres, et une de ses extrémités forme un nœud coulant.
Le Huaso, celui qui jette le lasso, doit être habile cavalier, car
il est exposé à supporter de fortes secousses par la résistance des
animaux qu'il a saisis. 11 prépare sa manœuvre en tenant à la
main et séparés par deux doigts les tours assez larges du lasso et
son extrémité formant le nœud coulant. Au moment de s'en ser-
vir, il fait mouvoir la main ainsi armée autour de sa tête; et,
après ces préliminaires, il le lance avec une telle précision qu'il
ne manque jamais son but. Un Bœuf, par exemple, est pris par
les cornes, un Cheval, un Condor, le sont par le col; et comme
VULTUUIDÉS. 25
cehi est l'ait au ^i\h\)^ le cavalier retient l'autre cxlréuiité du lasso
attachée à son coijis, et arrête tout à coup sa monture ; l'animal
embarrassé reçoit alors lui aussi une telle secousse (jue cpielque-
l'ois il est renversé. On attache souvent une des extrémités du
. lasso à la contre-sangle de la selle, surtout lorscju'il s'agit de
prendre de gros animaux; dans ce cas, le cheval, dressé à ce
genre de chasse, se conduit comme s'il coimaissait d'avance la
résistance qu'il doit éprouver; il tourne le liane vers l'animal
pris et incline son corps dans la (hrection opposée. Stevenson,
ancien secrétaire du président de Quito, et de lord Cochrane, a
NU un Da-ul' sauvage; pris au lasso entraîner le Ihiaso et le Che-
val, dont les pieds sillonnèrent la terre dans un espace de près
de deux mètres. Les hidiens sont très-habiles dans ces exerci-
ces, (ju'ils estiment au point de regarder conmie honteux de
niaïKiuer le but; plusieurs individus des classes les plus élevées
l'ont aussi de cet exercice un amusement; et, non-seulement au
Chili, mais encore dans presque toutes les parties de l'Amérique
du Sud, les habitants de toutes les classes, qui résident à la
campagne, portent toujours un lasso derrière leurs selles; sou-
\ent même on voit les enfants jeter le lasso y et prendre ainsi
de la volaille, des Chiens et des Chats, dans les maisons, les
cours et les rues : c'est ainsi que cet art, qu'on regarde comme
indispensable, s'apprend dès l'enfance. Dans les guerres de
lindépendance, de 18'20 ti 1828, les miliciens portaient leurs
lassos, avec lesijuels ils étranglaient bon nombre de soldats
espagnols. Le cavalier galopant à toute bride au moment de
jeter le lasso, le malheureux qui se trouvait pris ne pouvait s'en
débarrasser et était traîne derrière les pieds du cheval de son
adversaire jusipi'à ce qu'il fût mort.
On conl'ond souvent ei\ lùnope, avec le lasso, cpù rappelle
assez, on le voit, la manière de condjattre des Laquearii, che^
les Uomains, un autre engin qui y a beaucoup de rapports, et
'H TUElZlÈaiE LEÇON,
(jiu*. loii nomme bolas; celui-ci est d'origine exclusivement
américaine. 11 cuiibiste en deux pierres arrondies, de la grosseur
d'un œuf d'Oie, et même plus, enveloppées chacune d'un mor-
ceau de vessie de Guanaco ou Lama. Elles sont réunies l'une
à l'autre par une tresse fiiile en cuir de deux à trois brasses. On
substitue quelquefois aux pierres des boules de métal, et au mi-
lieu de la tresse on attache une autre courroie qui forme comme
le manche d'une fourche, et dont on se sert pour faire toiu-ner
les bolas et pour leur imprimer une plus grande rapidité. Lors-
(pi'on lâche ce lien, les boules partent comme si elles étaient lan-
cées par une fronde. Dans leur course, elles s'écartent l'une de
l'autre, la lanière dont elles forment l'extrémité se tend, et,
lorsqu'elle vient à rencontrer un corps qui fait obstacle à son pas-
sage, les deux boules, ne pouvant perdre immédiatement la vi-
tesse qu'elles ont acquise, prennent un mouvement circulaire.
Elles tournent autour de l'obstacle en sens inverse l'une de
l'autre. Si l'impression donnée a été très-rapide, la courroie est
serrée avec force ; elle peut étrangler l'animal qu'elle saisit au
cou. Si l'une des bolas passe sous le corps d'un quadrupède et
l'autre devant lui, lesjandjcs sont immédiatement enveloppées,
et il faut nécessairement qu'il s'abatte. Maniée par des mains
habiles, cette arme est extrêmement redoutable. Au reste, on le
voit, le lasso et les bolas sont de la même famille quoique d'ori-
gine'différente.
Pour en revenir à riiistoire du Condor, nous dirons qu'il
n'était connu que de nom à l'époque de Buffon, et que c'est à
de Humboldt et depuis à d'Orbigny que nous devons les des-
criptions exactes de cet oiseau et les détails les i)lus curieux sur
ses mœurs. Le Condor n'attaque pas Ihomme, ni même les en-
limts; il n'est pas assez courageux, sa proie ne doit lui oiïrir
qu'une faible résistance. On sait d'ailleurs que les hidiens coii-
lieiit erdiiiairmieiit la garde des troupeaux à kurs jeunes eu-
VUl/IUllIDÉS. 25
liiiils L'I qut; ci'ux-ci savent lorL l)iLMi les préserver des Condors
en prenant à côté d'enx les mères en i^ésine, ou en emportant les
nouvean-iiés dans leurs bras; et Ton voit fréquemment des en-
fants de six à huit ans poursuivre ces énormes oiseaux, l'uyant
timidement à leur approche, quand ils pourraient les renverser
d'un seul coup d'aile et les tuer d'un seul coup de l)ec.
Le Condor a des ongles longs, il est vrai; mais ils ne servent
qu'à consolider la station; ils sont généralement usés, parce que
cet oiseau ne se pose que sur les rochers, et n'étant pas rétracti-
les ils ne peuvent lui servir à saisir une pioie (juelconque. Son
liée seul lui sert à dépecer ses victimes, qu'il maintient seulement
à l'aide des pattes. Il n'est pas probable non plus que le Condor
jiuisse attaquer des Cerfs, des Lamas et moins encore des Génis-
ses. DUrbigny assure que le Condor n'attaque jamais un animal
adulte, ne fut-il que de la taille d'un Mouton, à moins que cet
animal ne soit affaibli et malade. Mais il est très-friand des ani-
maux qui viennent de naître dans les champs et du placenta
abandonné par la mère. Le même voyageur affirme aussi que le
Condor n'attaque jamais les oiseaux ni les plus petits mammi-
fères. Il mangé de tout ce qui est animal. On l'a vu se nourrir de
Mollusques, quoique ce ne soit cpe comme dernière ressource. Il
s'acharne sur tous les animaux morts, sans exception, les mam-
mifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons, et ne montre
quelque préférence que pour la chair des mammifères. II mange
jusqu'à des excréments quand la faim le presse.
Les Condors nuisent surtout beaucoup aux troupeaux en tuant
ou blessant les animaux nouveau-nés ; aussi les habitants ac-
tuels leur font-ils une guerre d'extermination, et mettent-ils en
jeu, pour les détruire, toutes les ruses possibles. La plupart du
temps, ils les guettent, cachés près d'un licni garni par eux d'un
appât, et les tuent à coups de fusil; ou bien, attendant qu'ils
soient repus, ils les poursuivent à cheval et les prennent au
T. il.
2(j TI'.EIZIÈME LE(;0N.
lasso. Los Cioiiduis soiil très-siiiivai'es; ils liiiciil de loi t loin à
rapproche de riioiiiiiie; et, si ce n'est en Patagonie, où voyaiildes
lioimiies peut-èli e pour la première fois, ils laissèrent passer d'Or-
hii-iiy et ses coiiipagiioiis à cent cinquante ou deux cents mètres
au-dessous de leurs rochers ; ce voyageur n'a jamais pu appro-
cher un Condor d'assez près pour le tuer, et il n'est parvenu à
se donner cette satisfaction qu'eil se tenant caché et à ralfiit à
peu de distance d'une proie qui les attirait.
Cette sauvagerie présente cependant quelques exceptions de
circonstance. Écoutons, à ce sujet, le plus récent de nos voya-
geurs naturalistes, M. de Castelnau, qui, dans son voyage de
Potosi à la Paz, en traversant les Andes, a pu souvent ohserver
ces oiseaux. « Dans ces régions élevées, dit-il, apparaît le
Condor, ce Vautour des Andes, qui évite avec un soin égal les
plateaux tempérés et les pics dont la tête s'élance trop avant dans
la zone des neiges éternelles. L'hidien de la Cordillière est, avec
cet oiseau remarquahle, l'habitant le plus constant de ces lieux
peu accessibles... Des oiseaux énormes nous accompagnaient :
c'étaient ces Condors, si célèbres par leur taille colossale. En les
voyant, il semble que la nature, qui venait de créer la Cordil-
lière, ne put se résoudre à rentrer de suite dans des proportions
ordinaires, et que cet animal se ressentit de l'exubérance de ma-
tière qu'elle avait à sa disposition. Ces oiseaux rapaces s'élevaient
d'un vol pesantj planaient au-dessus de nos têtes, en éclipsant le
soleil et en projetant sur nous des ombres énormes; puis ils al-
laient à peu de distance se percher sur une crête pour nous at-
tendre et regarder passer notre caravane; alors, tenant leur tête
dénudée presque entièrement cachée dans leur manteau de plu-
mes, ils nous suivaient d'un regard perçant, pour reprendre
bientôt un nouvel essor, recommençant vingt fois la même ma-
nœuvre, dans l'espoir sans doute que, vaincu par la fatigue et la
rigueur du climat, l'un d'entre nous, ou au moins l'une de nos
VULTUniDES.
27
Fii;. 8. — Sarcoramphe Condor femelle.
montiiros, snrcombant en ces lieux, deviendrait une proie facile,
snr laquelle pourrait s'aliattre leur bande afflunce. On a vu des
voyageurs, affaiblis par la fatigue et la souffrance, tomb(>r à terre
28 TREIZIÈME LEÇO^^
ot être aussitôt attaqués, harcelés et déchirés par ces oiseaux
féroces qui, tout en arrachant des lamheaux de chair à leurs
victimes, leur fracassent les memhres à coups d'ailes. Les mal-
heureux résistent bien quelques instants; mais bientôt des débris
ensanglantés restent seuls pour annoncer aux voyageurs qui pas-
seront encore, la mort horrible de ceux qui les ont précédés dans
ces passages dangereux. »
On est encore peu lixé sur la véritable diuéc de la vie du
Condor; mais, s'il faut en croire les indigènes, sa longévité sur-
passerait de beaucoup celle de tous les autres oiseaux de proie.
Les Indiens ont assuré à d'Orbigny en revoir encore de temps à
autres quelques-uns marqués par leurs pères, il y avait plus de
cinquante ans, de certains signes particuliers. Les Condors ne
font point de nids; ils se contentent de choisir, dans les rochers
ou dans les l'alaises, comme sur la côte de Patagonie, des creux
assez larges pour recevoir leur corps et leurs œufs; préférant
toujours, pour faire leur ponte, les points inaccessibles, moins
par leur élévation que par leur escarpement. La femelle pond
deux œufs blancs. Tel est celui rapporté du Chili par M. Gay,
qui l'a donné au Muséum d'histoire naturelle de Paris : cet œuf
est de forme ovale allongée, à pointe assez prononcée, à coquille
un peu rude au toucher, sans reflet, sans aucune tache, quoi qu'en
dise d'Or])igny, qui ifen avait vu que des débris d'origine assez
incertaine; cet œuf a treize centimètres de grand 'diamètre sur
six et demi de petit. Tels sont aussi les œufs qui ont été pondus
en Angleterre, soit à Regent's-Park, soit au Jardin zoologique de
Londres. C'est surtout de novembre à février qu'a lieu la ponte.
Les couples s'éloignent alors encore davantage des lieux habités,
pour chercher une solitude complète. Au dire des Indiens, la fe-
melle couverait seule. En tout cas, le nulle et la femelle s'occu-
pent de concert du soin de nourrir les jeunes, en dégorgeant
dans leur bec les alim^^nts qu'ils ont pris eux-mêmes. Les petits
VlIf,T(lI>ir>KS. 20
•irandissont assez loiilcmcMit et peuvent à i)cine voler an boni,
d'un mois et demi. Ils suivent longtemps encore le conple, qui
les ,unid(^ dans leurs premières cliasses; mais le jdus long terme
de l(Mn' édneation ne dépasse jamais quelqnes»niois. Dès ce mo-
ment, on voit les jeunes Condors s'isoler de leurs parents et
chercher eux-mêmes à pourvoir à leur nourriture. Plus voraces
alors que les vieux, mais moins prévoyants et moins défiants,
parce (ju'ils ont moins d'expérience, ils tombent plus facilement
dans les affûts des chasseurs; aussi tue-t-on souvent des jeunes
et rarement des adultes. Le maie adulte seul porte une crête
développée et des plis sur le cou; la femelle en est, dit-on, tou-
jours dépourvue, bes jeunes, au moment de l'éclosion, sont cou-
veits (bun duvet long et frisé, comme celui qui couvre les jeunes
<1(^ toutes les espèces d'oiseaux de proie. Ce duvet est gris-blanc,
et bientôt recouvert de plumes d'un brun noircàtre, qui conser-
vent deux ans cette teinte, d'ailleurs plus ou moins foncée. La
seconde année, à l'époque de la mue ou du métachromatisme
qui précède l'époque des pariades, les plumes repoussent un
peu plus noires, sans montrer encore la tache blanche des ré-
miges. La collerette blanche commence à paraître dès cette
époque, mais elle est alors étroite. Le mâle n'a pas encore ses
caroncules, ou sa crête charnue, et ne commence à la prendre
que la troisième année, époque à laquelle la collerette devient
aussi plus touffue. C'est à cette même époque que les rémiges,
d'abord d'une couleur partout uniforme, commencent à blan-
chii-. Au dire des Indiens, les Condors auraient d'autant plus de
blanc dans leur plumage qu'ils seraient plus vieux.
La taille moyenne des Condors est de un mètre cinq à un
mètre trente centimètres de la pointe du bec au bout de la
queue. Leur enveignre est de deux mètres et demi Ti trois mè-
tres. Quelques individus, favoiisés par l'abondance de la nour-
riture on par d'autres circonstances, acquerraient, selon de
-,0 TREIZIÈME LEÇON
Humboldt, jusqu'à quatre mètres cinquante centimètres d'en-
vergure. La femelle est un peu plus grande que le mâle, ce qui
Fig. 9. — Sarcoramphe Condor mâle, troisième année.
se remarque chez presque tous les oiseaux de proie; mais la dif-
férence est moins sensible dans cette espèce que dans toutes les
autres.
A l'occasion de ces variétés de taille et de dimensions, de
Humboldt a fait cette réflexion : 11 est frappant que tous les
exemples que l'on cite des Condors extrêmement grands, soient
du Chili ou de la partie la plus australe du Pérou. Existe-t-il
une race de Condors plus grande dans les climats froids ou tem-
viirTURiDÉs. r.i
|i('r(S (|iio dans la zone torridc? La tompéralnro dos l)nssf's rr-
gions de Pair doil d'ailleurs être assez indifférente pour un oiseau
qni, se nichant à son gré plus ou moins haut sur la pente des
Coi'dillières, choisit le climat qui lui conYient; mais peut-être
que la nourriture plus ou moins al)ondante et d'autres circon-
stances locales contrilnient au dévcloppc^ment de l'organisation .
Temminck, contrairement à l'opinion de d'Orhigny, croit à
l'existence de deux races de Condors. Ce qu'il y a de certain,
c'est que, d'après les observations fort curieuses de Santiago
Cardenas, né à Lima au commencement du dernier siècle, et
qui n'est cité ni par de Humboldt ni par d'Orhigny, il paraîtrait
(pie l'on reconnaît dans les Andes trois espèces de Condors. La
première, désignée sous le nom de Moromoro^ n'a pas moins de
quatre mètres soixante centimètres d'envergure; il est de couleur
cendrée. Dans les airs, lorsqu'il plane, il offre le spectacle le plus
imposant: il est majestueux surtout lorsqu'il lutte ^contre les
tempêtes. La seconde espèce n'aurait pas, dans les Andes, de
nom particulier : elle est plus rapide, plus courageuse que la
première, dont elle n'a ni la taille ni la force, puisqu'elle n'a
guère que trois mèti es soixante à quatre mètres trente centimè-
tres d'envergure; son plumage est couleur café. La troisième es-
pèce serait le Condor à queue et à dos blancs, qui n'atteint que
trois mètres ou trois mètres soixante-six centimètres d'envergure;
c'est le Condor, seule espèce connue des naturalistes européens.
La première de ces trois espèces a fourni au Péruvien Santiago
Cardenas de curieuses observations sur ses évolutions aériennes,
qui lui faisaient espérer une application possible à la science
aérostatique.
Le Condor, pris vivant, est triste et timide pendant la pre-
mière heure; bientôt après il devient très-farouche. De Hum-
boldt a eu à Quito, pendant huit jours, une femelle vivante dans
la cour de sa maison, et il était dangereux de s'en approcher.
52 TREIZIÈME LEÇO>-.
Mais voici iiu fait assez curieux publié plus récemment par le
Zoological magazine sur une paire de ces oiseaux: transportés
en Europe : On a conservé plusieurs années à Londres, dans Ré-
gent's Park, un couple de Condors, dont la femelle pondit sept
œufs, du A mars 1844 au 7 mai 1847. Les six premiers furent
couvés par la mère d'une manière irrégulière, et par consé-
quent sans succès. Quelqu'un proposa alors de faire couver par
une Poule le premier œuf qui serait pondu. En conséquence, le
7 mai 1847, à sept heures et demie du matin, l'œuf, fraîche-
ment pondu, fut mis sous une Poule de Dorking. Le lieu choisi
pour l'incubation était une cage un peu élevée au-dessus du plan-
cher, dans une des volières. La Poule couva avec une assiduité
exemplaire. Les jours, les semaines se passèrent, et elle couvait
toujours. L'époque ordinaire de l'éclosion des œufs de poule était
depuis longtemps dépassée, et elle n'en continuait pas moins con-
sciencieusement sa tâche maternelle. Enfin, le 50 juin, après
une incubation de cinquante-quatre jours, le jeune Condor
commença, vers six heures du matin, à briser sa coquille; Léclo-
sion fut très-lente. Le jeune oiseau n'était dégagé qu'au bout de
vingt-sept heures, et encore ne fut-ce qu'avec l'aide du gardien,
qui dut enlever la coquille, dont la membrane s'était desséchée
autour du petit. C'est ainsi que fit son entrée dans le monde le
premier Condor né en Angleterre. Il avait un aspect assez étrange,
et semblait tout étonné de se trouver là. Sa tête paraissait dif-
forme, car elle était surmontée d'une espèce de poche pleine
d'eau logée entre la peau et le crâne. Cette poche s'affaissa gra-
duellement, et, le 1" juillet, dans l'après-midi, la tète avait pris
sa forme régulière. Elle était nue et d'une couleur brun-cendré;
les pattes et la cire qui commençait à pointer, présentaient la
même nuance. Le corps était couvert d'un duvet blanc sale. L'oi-
seau avait l'air bien portant et vigoureux : il mangea, le soir
même de son premier jour, un morceau de foie de Lapereau.
vu LT mu DES. Tm
l.;i cliair de Lapereau fui sa iiourriliire habiluello. On lui faisait
Jaiie ('iii([ repas par jour, en lui doimanl, à chaque repas un mor-
ceau (le la giossevu- d'une noix; mais le foie élait l'olijet de ses
préférences. Pendant les dix premiers jours, on dût le faire man-
ger; le onzième jour, il becqueta lui-môme sa nourriture dans
la main de son gardien. 11 ne buvait pas et on ne le forçait pas
à boire.
Le 18 juillet, le petit Condor continua à Itien venir; la bonne
Poule qui avait couvé l'œuf contenant ce prodigieux poussin res-
tait toujours dans sa cage et paraissait fort attacliée au nourrisson
confié à ses soins. Quand elle quittait le jeune oiseau pour aller
manger, ce qui ne lui arrivait que deux fois par jour, elle parais-
sait évidemment inquiète et pressée : on eût dit qu'elle avait hâte
de retournera son devon*. Le duvet du petit prit à cette époque
une teinte plus grise, et Ton commença à apercevoir les rudi-
ments des vraies plumes. La tète et le cou avaient noirci, et la
cire s'était développée. La mandibule supérieure du bec était lé-
gèrement mobile ; les membres inférieurs avaient pris une teinb*
plus foncée et paraissaient très-forts; cependant ils ne pouvaient
pas encore supporter le poids du corps. Cette faiblesse avec l'ap-
parence de la force ne peut-elle expliquer la continuation des
soins assidus de la Poule? Son devoir, par rapport à ses propres
œufs, consiste à faire éclore des poussins qui courent presque
immédiatement ; mais elle les tient sous son aile jusqu'à ce qu(^
leurs membres inférieurs aient assez de force pour leur pei-
mettre d'aller à la recherche de leur nourriture et de se metti'e
à l'abri du danger. Dans le cas actuel, la Poule voit que son gros
poussin ne peut pas marcher, et elle continue à le couvrir de
son corps. Lorsqu'on tirait le jeune oiseau de dessous la Poule,
il agitait ses ailes encore dépourvues de plumes, et ouvrait le bec
comme tous les autres jeunes oiseaux, mais sans faire entendre
aucun cri de demande. Il se servait l)eaucoup de sa langue pour
34 TREIZIÈME LEÇON,
prendro sa nourriture, ainsi que pour faciliter la déglutition.
Enfin, le 21 juillet, le Condor, qui paraissait si bien portant,
mourut dans la matinée. Le local qu'il habitait avec la poule
logeait aussi beaucoup de rats, dont le cri ressemblait énormé-
ment à celui du jeune oiseau; et, dèsqu'd fut enlevé, la poule, agi-
tée, inquiète de l'absence de son nourrisson et trompée par le cri
des rongeurs, s'approchait alors du trou d'où partait le cri, écou-
tait et restait là à appeler en gloussant, dans l'espoir de voir sortir
son élève. Ce fait de la ponte d'oiseaux si remarquables, et de la
naissance d'un Condor en Europe, nous a paiii assez intéressant
pour le liiire connaître dans tous ses détails. Continuons main-
tenant Thistoire du Condor. L'idée de symboliser les productions
de la nature, surtout les êtres vivants, remonte à la plus haute
antiquité et se retrouve chez toutes les populations du globe.
Ainsi le Condor, cet oiseau si récemment connu dans l'ancien
monde, joue un grand rôle dans les traditions mythologiques et
historiques des anciens peuples de l'Amérique. Il est curieux de
voir un oiseau de proie révéré dans les deux vastes empires du
Mexique et du Pérou, et de retrouver les traces de l'adoration du
Condor bien avant l'époque des hicas.
Santiago Cardenas rapporte qu'" les Quichnas désignaient les
diverses espèces qu'il prétend exister, sous le nom de Contiire,
qui vient lui-même des mots Cuncure edei\ exprimant l'odeur
désagréable qu'exhale le corps de ces oiseaux, ce qui prouve que
de Huml)oldt, sauf une erreur de traduction, quoi qu'en dise
d'Orbigny, était beaucoup plus près que lui de la véritable
étymologie du mot. Les dénominations de Cimtiir et de Penna
(le Lion américain, ou Puma) étaient, sous le règne des Incas,
des dénominations nobiliaires. On appelait un chef de guerre
Apiu Cîmtur, le grand Condor; Cuntiir Pusac^ 1e chef de huit
Condors; Cuntur quinqid ou Kankiy le Condor par excellence,
le grand-mai tre des chevaliers. Garcdasode la Vega dit aussi, en
vnmir, iDKs. 55
|»nrliiiil (les (li\('isi's rcli^nioiisiiiilcrk'urcsaiix liuiis, (juc ([iiL'l([ik's
|)('iHtl;i(l('s ailoraiciil les Coiulois à cause de leur Laille, el parce
({u'elles se liloriliaieul de les avoir eu pour aucètres. llditeucore,
eu pailaiit des coniiuèles (|ue fit le onzième roi des lucas, Tapac
hica Yupanqni, (jue, lorsc^ue ce prince pénétra à l'est de Caja-
niarca, au sixième degré sud, chez la nation Cliadiapuya, cette
nation avait le Condor pour principal dieu. Enfin, parlant des
olfrandes des chefs ou Ciiracas à l'inca lors de leur visite, à
Toccasion de la grande lete annuelle du Soleil, il dit que les In-
diens donnèrent à l'inca heaucoup d'animaux, parmi lesquels on
l'emarquait des Condors. Dans cette même l'ète, oi^i les Indiens se
déguisaient de diverses manières, on en voyait quelques-uns se
présenter avec des ailes de Condor attachées aux épaules, comme
[)rétendant aussi descendre de cet oiseau.
D'Orbigny, en dernier lieu, rapporte avoir vu les mêmes
usages se reproduire dans les déguisements des Indiens Aymaras
de la Paz (Bolivie), lors des grandes fêtes du catholicisme, par
exemple, le jour de la Saint-Pierre et de la Fête-Dieu, et il a
trouvé dans les anciens monuments, seuls vestiges qui nous res-
tent de ces vieilles nations, sur des statues colossales, sur des por-
tiques monolithes, et partout enfin, des figures de Condors, tantôt
entières et tenant un sceptre représentant le messager du Soleil,
tantôt par fragments s'adaptant à des épaules royales ou ornant
la tête d'un dieu.
Plusieurs localités ont tiré leur nom de celui du Condor. Les
Indiens désignent encore aujourd'hui les cimes les plus élevées
des Andes, par exemple, sur la route de Potosi à Oruro, sous le
nom de Cuntur-apacheta, (la gorge du Condor), et plusieurs
autres localités, comme Ciintur-marca (la demeure du Condor),
dont on a fait, dans notre langue, Cuntumarca; ils désignent en
effet sous ce nom les sommités perdues dans les nuages, et que,
les Condors seuls peuvent atteindre. C'est une habitude gêné-
5(3 TREIZIEME LEÇON,
raie, chez les diverses tribus iiidienups de rAiiiérique, de pren-
dre pour emblème de divinité, ou signe de ralliement, soit celui
Fig. 10.— Sarcjranii>he Papa, Surcoramphus Papa, mâle et femellu
(les oiseaux de proie qui leur paraît le plus redoutable ou le plus
utde, soit seulement les plumes de ces oiseaux. Ainsi les Musco-
VlII/niUDÉS. 57
iiiiliîuos Ibiit leur rloiKhid royal avec les pluniL'S (ruiK! autre
espèce, le Sarcoramplic l'apa, ou roi des Vaulours, éleiidard aii-
([uel ils donnent un nom qui sifiiiifie Qnrne d'Aigle; ils le por-
leut (juaiid ils vont à la guerre, mais alors ils peignent une bande
longe entre les taches brunes. Dans les négociations et antres
occasions pacilî(|ues, ils le portent neuf, propre et blanc.
Les mœurs du Sarcorampbe Papa, dont nous allons parler, ne
diiïcrent pas de celles du Condor. Uépandu dans les parties
chaudes des deux continents américains, descendant, vers le sud,
jusqu'au vingt-huitième degré, au Paraguay, à Corrientes, il
remonte, vers le nord, jusqu'aux Florides. Mais on ne l'y voit
guère qu(; lorsque les herbes des plaines ont été brûlées, ce qui
arrive fort souvent, tantôt en un lieu, tantôt en un autre, soit par
le tonnerre, soit par le fait des Indiens, qui mettent le feu pour
faire lever le gibier. On aperçoit alors les Sarcoramphes Papa
arriver de fort loin, se rassembler de tous côtés, s'approcher par
degrés des plaines en feu, et descendre sur la terre encore cou-
verte de cendres chaudes. Ils ramassent les Serpents, les Gre-
nouilles, les Lézards, et en remplissent leur jabot. Il est aisé alors
de les tuer, car ils sont si occupés de leur repas qu'ils bravent
tout danger et ne s'épouvantent de rien.
La livrée du Sarcoramphe Papa est assez belle. Cet oiseau est
d'un roux carné très-clair sur les parties supérieures, et d'un
l)lanc pur en dessous; les ailes sont noires; il a un collier ardoisé
au bas du cou; le bec est rouge à Pextrémité et noir à la base;
l'œil est blanc et entouré d'un cercle rouge; la crête, charmie,
est orangée, adhérente à la cire, bilobée, dentelée et non érec-
tile; la tête et le cou sont nus et d'une teinte violàtre en avant;
le sommet est couvert de poils ardoisés et courts, des plis char-
nus et orangés naissent derrière 1 œil, et les rides de la gorge
sont variées de rouge et de jaune; les tarses sont bleuâtres.
58
TREIZIEME LEÇON.
't- Genre : CATHARTE, C AT II ART ES, lUiger.
I,a vue des CatliaiLes esL peiçaiile eL éteiRlue; leur odorat
beaucoup moins sensible qu'on ne Ta pendant longtemps pré-
tendu; ils souffrent la privation de nourriture avec une patience
extraordinaire, et ils ont assez de force pour soutenir leur vol à
une grande hauteur sans se fatiguer. Leur tète semble un peu
[)etite relativement au volume du corps, parce cpi'elle est nue,
— Catharte Aura, CaUiaiies Avra.
de même que le haut et le devant du cou, le tarse et son articu-
lation. D'amples narines, qu'aucune membrane ne recouvre, sont
jdacécs près du haut du bec, qui se prolonge en ligne droite jus-
qu'à sa pointe, fort crochue. Le bec est grêle et allongé, compa-
rativement aux vrais Vautours, qui viennent après. L'œil n'est ni
grand, ni enfoncé, ni couvert par une saillie de l'orbite, comme
celui des Aigles et des Faucons. La paupière est grosse et sans
cils; le tarse est arrondi, robuste et couvert de petites écailles;
vrLTrninÉs. r.o
les doigts sont iilloiii^és cl, iiadircllciiiciit L'ti'iidiis : les (rois iiiilr-
rieiirs seul nuis par une inenil)i;ui(3 jiis(|ii'à la première arlicn-
lation, et le postérieur très-court. Les ongles, quoicpie foris, ne
sont ni très-aigus, ni Irès-recourbés, ni aussi longs que ceux: des
oiseaux de rapine, et nullement rétractiles; les Cathartes ne se
servent pas })lus de leurs ongles que de leurs doigis pour saisir
leur proie. Les ailes, dans l'état de repos, se soutiennent mal;
elles se rétrécissent beaucoup dn eôlé du corps, et, dans le vol,
elles prennent Tuie forme arrondie, parce qu'elles sont à peine
dépassées par la (pieue, dont les douze pennes sont un peu
courtes, coiq^ées carrément et à barbes nombreuses. La troisième
et la quatrième penne des ailes sont les plus longues.
Les Catbartes proprement dits, au nombre de deux espèces
seulement, l'Urubu et l'Aura, sont exclusivement propres au
nouveau continent. C'est uniquement pour obéir aux principes
(le distiibulion géograi)lnque en zoologie, qu'on en a séparé
deux autres espèces, que nous restituons à ce genre, le Catbarte
j)ercnoptère ou Alimocbe, et le Catbarte moine ou piléifère,
dont on a fait le genre percnoptère, et qui n'appartiennent qu'à
Tancien continent; ils sont identiques aux Catbartes par les ca-
ractères zoologiques et par leurs babitudes; le genre comprend
donc quatre espèces : les deux premières américaines, la tioi-
sième répandue dans l'Europe méridionale et orientale, en Asie
et en Afrique, la (piatrième enlin spéciale à l'Afrique.
Les Catbartes ont beaucoup d'analogie avec les Vautours, mais
ils sont moins gros et moins robustes. Ils sont protégés par les
lois au Cbili et surtout au Pérou, et seulement par l'usage en
Orient. Leurs babitudes sont tellement familières, qu'on les voit
n'éprouver nulle crainte et vivre comme des oiseaux de basse-
cour au milieu des rues et sur les toits des maisons. Leur utilité
est d'autant mieux appréciée, dans T Amérique équatoriale, si
cbaude, que le pays est habité par la race espagnole, et que ces
40 TREIZIÈME LEÇO?s.
oiseaux semblent seuls chargés du nettoyage des Toios publi-
ques et de la propreté des abords des habitations, qu'ils dé-
l)arrassent des charognes et des immondices de toute sorte, que
l'incurie des habitants sème au milieu d'eux.
L'odeur des Cathartes est excessivement fétide. Tous sentent
mauvais; ils ne crient point; ils marchent à pas pesants, et leur
corps se soutient horizontalement; ils prennent leur essor avec
quelque peine et après avoir fait plusieurs sauts. Ils tournoient
ensuite dans les airs pendant plusieurs heures, pour découvrir
les charognes sur lesquelles ils s'abattent, sans jamais attaquer le
plus petit oiseau ni le plus faible mammifère. Ils perchent sur
les plus gros arbres ou sur les anfractuosités des rochers; le cou
un peu rentré dans les épaules : ils vivent généralement seuls
ou par paires ; mais ils se réunissent en troupes dans les villes
ou, pour s'acharner sur les animaux morts, dans les lieux éloi-
gnés des habitations. Leur ponte annuelle est de deux œufs,
qu'ils déposent sur quelques bûchettes négligemment posées au
sommet des rochers.
Catharte Ur.ui'.u, Cathartes atratus^ \Yilson. — L'Urubu est,
sans contredit, le plus commun de tous les oiseîiux de j roie, et
il est en apparence plus sociable que les autres vulturidés. Il
n'est pas rare d'en voir des centaines réunies sur un seul cada-
vre. Sa Huniiiarité et les services qu'il rend aux villes lui don-
nent le droit de cité. Sa chair, infecte, n est pas mangeable, et
il est dégoûtant au point de faire craindre de le toucher; aussi
l'on ne tire aucun parti ni de sa peau ni de ses plumes. Il est
rare de voir les habitants, même dans les villes où les lois ne le
protègent pas, cherchera lui faire du mal; il multiplie cà l'infini
partout, tandis que le Condor et le roi des Vautours deviennent
de plus en plus rares.
L'Ui'ubu, selon ses habitudes citadines, campagnardes ou sau-
vages, car il faut bien foire cette distinction, passe la unit soit
YlIl/mUDÈS. 41
sur les l)ranclies iiiréiicuies des gros arbres, soil, sur les assises
(les rochers ou des l'alaises, soit sur le faîle des maisons, soil
uiônie sur les Iniissous, lorsijii'il uc trouve pas d'arbre. Sans
aimer réellemeul la société, il est cependant rare de le rencon-
trer seul. On le voit, le plus souvent, en nondire sur le même
CatlKirle Urubu, Cnihaties atiatus
arbre ou sur le mèuLe toit. Il revient toujours au même gîte, et
les arbres sur lesquels il perche se reconnaissent facilement,
tout couverts qu'ils sont d'une fiente blanchc\tre, qui les fait
promptement périr. Dans l'attitude du repos, on voit cet oi-
42 TREIZIÈME LEÇON,
seau, la tête rentrée dans les épaules", le bec horizontal, les
pattes verticales, et les ailes légèrement pendantes, position qui
lui donne un air stupide et disgracieux. LlJrubu est, de tous les
oiseaux diurnes, celui qui se couche le plus tard, car il vole en-
core au crépuscule, et cependant il est aussi le plus matinal de
tous. En cas de mauvais temps et de pluie, il Feste au gîte quel-
ques moments de plus, secouant la tête par intervalles; et, si la
i'aim ne le presse pas, il s'y tient toute la journée; mais, quand il
fait beau, c'est au petit jour qu'il prend son essor. A-t-il en ré-
serve, quelque part, une proie entamée de la veille, il s'y rend à
rinstant et déjeune. N'a-t-il, au contraire, aucune provende as-
surée, il parcourt d'un air circonspect les environs de sa demeure,
s'élevant quelquefois très-haut, comme pour s'assurer s'il n'a-
}>ercevra pas au loin quelque réunion de ses semblables. S'il ne
voit ou ne rencontre rien, i! va de suite s'abattre sur une mu-
raille, sur une barrière, sur un poteau, sur l'arbre le plus voisin
de quelque habitation, et là, il regarde attentivement autour de
lui, restant ainsi quelquefois immobile pendant des heures en-
tières, pour ne s'envoler que lorsqu'un autre Urubu plus fort
vient le débusquer, ou s'il découvre quelque proie aux environs.
Lorsqu'il est canqiagnard, il passe presque toute la journée près
des habitations, et couche dans les bois voisins.
L'Urubu, plus que tout autre oiseau, peut rester fort long-
temps sans manger; mais s'il arrive qu'à portée de l'observatoire
qu'il s'est choisi, on tue un Bœuf ou un Mouton, il descendra
soudain et viendra disputer aux Chiens les. intestins de l'animal.
Il sera bientôt suivi d'autres Urubus, de sorte qu'en peu d'in-
stants la place où la victime a été vidée se trouve nettoyée. On voit
même souvent les Urubus attendre que quelque besoin fasse sortir
les habitants d'une maison, pour se repaître de leurs déjections.
Comme le Condor, ils suivent sur les côtes maritimes les
troiqies d'Otaries ou de Phocpies ou les innondirahlcs volées
VrLTllRlDES. 45
d'oiseanx do mer (jiii coiivrcnf qiiolqncfois do prnndos porfions
(]o la coto à corlaiiios (''iioqiios. Lors do la doscoiil.o, sur lo Para-
guay ot sur lo l'aiana jus(|irà Biionos-Ayres, de cos immenses
radeaux chargés do marcliandises, et qui portent assez de bes-
tiauv pour la nourriture de leurs équipages, TUrubu suit ces
radeaux en Iroupes nombreuses, et s'arrête avec eux dans Tes-
poir de manger quelques morceaux do chair ou les restes du
repas des rameiu^s, qui couchent habituellement à terre.
Dans l'Amérique du Nord, les Cathartes vont par troupes et
s'associent quelquefois au nombre de vingt, quarante et plus.
Ainsi, ils explorent le pays en vue Tun de l'autre, et découvrent
une immense étendue de terrain. Une troup(^ de vingt Urubus
peut sans peine explorer une surface de plus de dix kilomètres,
d'autant mieux qu'ils volent en décrivant de larges cercles, s'en-
trecoupant souvent Tun l'autre et formant une longue chaîne
dont les anneaux ne sont pas interrompus. Les uns se tiemient
haut, les autres bas; aucun recoin ne leur échappe, et dès que
l'un d'eux découvre une proie, il se met à voler autour, et, par
l'impétuosité de ses mouvements, semble en donner avis à ses
voisins, qui le suivent immédiatement et se voient eux-mêmes
successivement suivis par tous les autres : le plus éloigné se pré-
cipite, comme le reste, en droite ligne, vers le lieu indiqué par
la direction des autres, et tous arrivent sans s'écarter, parais-
sant obéir à cette finesse olfactive qu'on leur accorde si gratuite-
ment et sur de fausses apparences. Quand l'objet ainsi découvert
est gros, récemment mort, et revêtu d'une peau trop coriace pour
pouvoir être entamé facilement et dévoré de suite, ils patientent
et s'établissent dans le voisinage, perchés sur des rochers, sur de
hauts sommets dénudés, d'où ils sont facilement aperçus par
d'autres Cathartes, qui comprennent ce que cela veut dire, et
viennent attendre aussi leur part du festin. L'arrivée soudaine
de ces nouveaux venus semble justifier encore la finesse olfactive
44 TREIZIÈME LEÇON,
de ces oiseaux, tandis que c'est la vue seule qui les dirige. C'est
ainsi qu'Audubon a vu, vers le soir, près du cadavre d'un Bœuf,
des centaines de Catbartes assendjlés, alors que le matin du même
jour il n'avait aperçu sur le même Bœuf que deux ou trois de ces
oiseaux. Plusieurs des derniers arrivés venaient très-probable-
ment de huit ou dix kilomètres en cbercliant une proie, et ils se
sont abattus sur celle indiquée par le rassemblement, auquel se
joignent aussi des individus d'une autre espèce, le Catbarte
Aura, dont nous parlerons plus loin. Urubus et Auras restent
autour de la grosse proie; quelques-uns viennent de temps en
temps l'examiner, l'attaquent aux endroits les plus accessibles,
et attendent que la corruption l'ait entièrement envahie. Alors
toute la troupe se met cà l'œuvre, offrant le plus dégoûtant ta-
bleau; les plus forts chassent les plus faibles, et ceux-ci, à leur
tour, harassent les autres avec toute la rancune et l'animosité d'un
estomac affamé. On les voit sauter sur la carcasse, la quitter avec
un lambeau bientôt englouti, l'assaillir de nouveau, entrer de-
dans, s'y disputer des morceaux déjà en partie engloutis pai-
deux ou trois becs en présence, puis siffler avec fureur, et à
chaque instant vider leurs larges narines des matières qui les
bouchent et les empêchent de respirer. Bientôt on ne voit plus
qu'un squelette. Aucune partie de peau ou de chair n'a été trop
dure, tout est déchiré, avalé, et il ne reste que des os bien net-
toyés, autour desquels stationnent forcément les plus gorgés, à
peine capables de remuer les ailes. A ce moment, l'observateur
peut approcher et voir souvent les Catbartes mêlés à des Chiens,
qui ont été attirés par l'odeur. Audulion a vu des Catbartes tra-
vailler à un bout de la carcasse, tandis que des Chiens déchique-
taient l'autre bout. Mais qu'il survienne un Loup, ou mieux en-
core un couple de Pygargues pourvus d'un suffisant appétit, et
sur-le-champ place leur est faite, jusqu'à ce que leurs besoins
soient satisfaits.
VULTllIWDÉS. 4r,
I.e repas fini, la ])lnpai'l, dos Catljarf(îs f^agnenl lentcmonl
les plus hautes biaiiciies des arl)ros voisins, et y resteiil: jnscpi'à
cmiiplèfc digestion. Seulement, de temps en temps, ils ouvrent
les ailes, soit h la brise, soit au soleil, pour se rafraîehir ou se
réchaufier. Le voyageur peut passer au-dessous d'eux sans qu'ils
y prennent garde, ou, s'ils le remarquent, ils essayent de s'eii-
voler, ou, repliant doucement leurs ailes, le regardent passer,
pour ne se luettre en mouvement que lorsqu'ils y sont poussés
par la faim. Cela dure souvent plus d'un jour; et on les voit partir
les uns après les autres. Alors ils s'élèvent à une immense hau-
teur, tracent dans les airs des spirales ou des cercles' gracieux;
parfois ils s'arrêtent, planent pendant quelques instants et
reprennent leur majestueux essor, s'élèvent encore, et l'observa-
teur, dont l'œil suit leur ascension dans l'espace, ne distingue;
bientôt plus que quelques points noirs qui ne tardent pas à dis-
paraître complètement.
Dans l'Amérique du Sud, les mêmes instincts amènent les
mêmes scènes; mais les compétiteurs affamés changent. Ainsi,
lorsqu'un Catharte Urubu aperçoit dans la campagne le cadavre
d'un animal, il se met de suite en devoir de l'entamer par les
yeux, par la bouche ou par les autres orifices; mais il n'est pas
longtenqis seul. Connue toujours, d'autres Urubus se joignent
immédiatement à lui, avec des Caracaras, autres oiseaux dont
nous parlerons plus loin. Une journée suffit pour en rassembler
des bandes nombreuses et jalouses. Les plus affamés cherchent à
chasser les autres à coups de bec. Leur lutte présente un spec-
tacle assez singulier; ils sautent continuellement les uns contre
les autres, et, de loin, on croirait qu'ils dansent. Quand ils sont
parvenus à détacher im morceau trop gios pour être avalé,
d'autres le saisissent par l'extrémité pendante, et chacun tire de
son côté. 11 faut entendre alors les cris de la bande; ce sont des
croassements raurpies, assez semblables à ceux des Corbeaux
W TREIZIÈME EEÇON.
d'Europe. On les voit aussi, sans motifs apparents, s'élever tous
à la fois de quelques pieds, comme par un saut, et retomber de
suite sur leur proie. Quand ils sont très-nombreux, les plus
aNJdes s'acharnent sur l'animal, les autres, en bien plus grand
nombre, perchent patiemment sur les arbres des environs, ou
tournoient, à diverses hauteurs, dans les airs, se préparant au
repas, en attendant leur tour. Le tournoiement dont nous venons ,
de parler est, dans ce cas, pour l'habitant des campagnes un
signe certain qu'il va trouver la pièce de bétail qui lui manque
et dont il ignorait le sort.
Les Cathartes ont souvent occasion de dévorer de jeunes ani-
maux vivants dans les environs des grandes plantations. Cepen-
dant on peut dire que rarement ils les attaquent : ils se conten-
tent le plus souvent de ceux qu'ils trouvent morts dans la caïu-
pagne. D'Orbigny a vu en Patagonie des réunions extrêmement
nomlireuses d L'rubus. On avait tué, dans un seul établissement,
douze mille tètes de bétail, pour les saler, dans l'intérêt d'une
opération commerciale. Pendant cette boucherie de quelques
mois, les os, encore assez garnis de chairs, avaient été entassés
au bord du Rio-Negro, et attirèrent un grand nombre d'Urubus
et de Caracaras, que devait séduire une si riche et si facile curée.
Aussi les carcasses en étaient-elles incessamment couvertes, et
notre voyageur n'a pas cru exagérer en évaluant à plus de dix
mille le nombre de Cathartes agglomérés sur ce point.
Accoutumés que sont les Urubus, par les privilèges qu'on leur
accorde, à demeurer aux environs des villes et des villages, dans
l'Amérique méridionale et dans les États du Sud de l'Amérique
septentrionale, ils les quittent rarement et pourraient être con-
sidérés, dit Âudubon, comme formant une espèce à part, essen-
tiellement différente, quant aux mœurs, de ceux qui résident
continuellement loin des habitations. Habitués à ce qu'on les
nourrisse, ils sonl encore ])Ins paresseux. Tout monvement pour
VlII/llIlUDKS. il
VÀ\x (_'sl une l'ai ij^ur, cl la l'aiiii seule peut les l'aire deseeiidie du
(oit de la cuisine dans la rue, on suivie les raies voitures de la
Noirie. Cej)eudaiiL dans les lieux où, couiiiu' à Nalcliez, le nombre
de ces parasites est si ^raiid ([uc touttîs les ordures de la \ille ne
peuvent leur suOirc, on les voit accoinpagner jusqu'à destination
les charrettes de vidanges, en sautillant joyeuseinent cl ténioi-
gnant rinipalience d'un grand a])pctit.
Auduhon croit ([ue les CaLliartes ainsi attachés aux villes ne
sont pas aussi portés à la niultiplieation (|ue ceux cpii habitent plus
constannnent les lieux sauvages, ou hien ([ue les couples produc-
teurs sV'loignent à l'épocjuc de la ponte, 11 a, en eifet, remarqué
d'ahord la diminution du nombre de ces oiseaux dans les liiux
habités lorsque vient le moment de la reproduction, et eniin il a
conslaté (pie plusieurs individus, l)icii connus de lui pour être
positivement des citadins, ne quittaient en effet la ville en aucun
temps et ne nichaient jamais.
La familiarité des Urubus est extrême. D'Orbigny en a vus,
dans la province de Mojos, lors des distributions de viande laites
aux Indiens^, leur enlever des morceaux au moment même où
ils venaient de les recevoir. A Concepcion de Mojos, au moment
d'une de ces distrilmtions, un Indien le prévint qu'il allait voir
un Urubu des plus effrontés, bien connu des habitants, parce
qu'il avait une patte de moins. On ne tarda pas, en effet, à le
voir arriver et montrer toute l'elfroiiterie annoncée. On assura
au naturaliste voyageur que cet oiseau connaissait parfaitement
l'époque de la distribution, qui avait lieu tous les quinze jours
dans chaque mission; et, la semaine suivante, étant à la mission
de Magdalena, distante de vingt lieues de celle de Concepcion^
à riieure même d'une distribution seml)lable, il entendit crier
les IndieiiS) et reconnut l'Urubu boiteux, qui venait d'arriver.
Les curés des deux missions ont garanti à d'Orbigny »|ue cet oiseau
ne inan(|uait jamais de se trouver aux jours lixés dans l'une et
48 TUEIZIÈME LEÇOiN.
ilmis raiiliv résidciiie. Ce l'ait prouveiiiit un instinct assez déve-
lop[ié et une mémoire assez rare cliez les oiseaux.
Audulion va plus loin l'elativenientà l'appréciation de l'instinel
des Urubus, car il n'hésite pas, dans le cas particulier que voici,
à le considérer comme touchant de très-près au raisonnement.
Pendant une de ces l'ortes rafales qui, an connuencement de Tété,
se déchaînent si fréquemment dans la Louisiane, il vit une troupe
de Cathartes acconqilir une singulière manœuvre. Assurément
ils avaient deviné que le courant qui déchirait tout au-dessus
d'eux ne consistait qu'en une simple nappe d'air, car ils s'éle-
vèrent obliipiement à rencontre, avec une grande puissance, et,
glissant à travers l'impétueux tourhillon, parvim'ent à le sur-
monter, pour reprendre, au-dessus de lui, leur course paisible
et élégante.
Un doit également remai'(juer, dans ces oiseaux, la l'acuité
que leur a donnée la nature de discerner le moment où un animal
blessé va mourir. Dès qu'ils en aperçoivent un malade ou lan-
guissant, ils s'attachent à lui, le suivent sans relâche, jusqu à
que, la vie l'ayant tout à l'ait abandonné, ils n'aient plus qu à
dépecer. Un vieux Cheval accablé de misère, un lîœul", un Daim
endjourbé au l)ord du lac, on le timide animal s'est enfoncé pour
é(hap[!er aux Mouches et aux Slonstiipies, si insupportables dans
les clialeurs, deviennent mi spectacle atliayant ponr les Ca-
thartes, qui spéculent sur leur détresse. Ils s'assemblent immé-
diatement, et, si la pauvre bête ne peut se remettre sur ses
jandjes, ils s'établissent autour d'elle et attendent le moment
opportun pour la dépecer. Cependant ces mêmes oiseaux pas-
seront souvent au-dessus d'un Cheval bien portant, d'un IWc ou
d'un autre animal couché par terre et se réchauffant immobile
au soleil, comme s'il était mort, sans (pi'ils s'en occupent le
moins du monde!
La marche de l'IIrubu est grave et lente; il allonge beaucoup
i ce
e
VlILTlIi; IDKS. 49
los jninhcs i)oiir liiire de grands pas; mais, (|iiaiid il est pressé
d'arrivei- sur une jiroie on de se sauver, il sauU; des deux
pieds à la l'ois, suiloul, s'il veut s'envoler. En ^^énéral, il marche;
[)eu. Son vol est (juchpielbis élevé, lors(|u'il clieiclic ])àlure ou
qu'il sent rapproche de Torage; mais ordinairement il est has et
hruyant. I/Uruhii dilïère heaueoup de TAma pour le vol; car il
plane rarement et ne peut j)ar('ouiir un prand espace; sans mou-
voir ses ailes, tandis (pie l'Aura [tlane tout à l'ait, comme la Buse.
Lorsque le temps est à l'orage, l'Uruhu s'élève en tournoyant, en
troupes nond)reuses, à une grande hauteur, et se perd alors dans
les nuages, d'où quehpielbis il se laisse tomher comme une flèche
et avec grand hruit jusepi'auprès du sol, puis il reprend liaii-
(piillement son vol ordinaire ou recommence à monter, en toui-
noyant, pour aller rejoindre ses compagnons, qui l'attendent
dans les airs. Pendant la pluie, il se pose sm* les hranches infé-
rieures des aihres, et cluîrche à se mettre à l'ahri. Les ailes
basses, la tête enl'oncée dans les épaules, il attend le retoin- du
hean temps; va se placer alors au faîte d'un aihre, sur le jiignou
d'une maison, s" tourne du coté du vent et étend ses ailes, ([u'il
tient des heures entières ii moitié ouvertes, sans se i'atiguer.
llieii de plus singulier que de voir, après un orage, un grand
nombre d'Urubus rangés en ligne sur ime maison, ayant tous
les ailes ouvertes pour les faire sécher; et quand, au contraire, il
fait grande chaleur, on les voit également ouvrir les ailes j)our
recueillir le peu de; fraîcheur que peut dormej' la circulation
de l'air.
Il serait facile de faire contractera cet oiseau des habitudes de
domestication; mais il est rare que les habitants veuillent s'en
donner la peine, d'autant plus qu'ils l'ont en horrem, à cause de
son odeur Ibrte et nauséabonde, (^'pendant d'Orbigny en a vu de
domestiques dans quelques maisons. De son côté, d'Azara, pen-
dant plus d'un an, en a vu aussi un (pie l'on nourrissait dans
50 TREIZIEME LEÇON,
une liabitutioii; il était d'une giunde douceur, savait dislinyiier
son maître, et l'accompagnait à de grandes distances en volant
au-dessus de sa tète, et se posant quel(iuelbis sur sa\oiture. il
venait toujours lorsqu'on l'appelait, et jamais il ne se joignait à
ceux de son espèce pour prendre sa part de leur nourriture. Un
autre, également privé, accompagnait son maître dans des
voyages jusqu'à Montevideo; il se tenait et dormait en dehors de
la voiture; mais quand il voyait qu'elle prenait le chemin de la
maison, il se hâtait de la devancer, et annonçait ainsi à la maî-
tresse du logis le retour de son mari. Enlin Auduhon en a élevé
et conservé un grantl nombre pour les soumettre à ses expé-
riences sur l'odorat des Vautours.
Caïharte Aura, Cathartes Aura., Illiger. — L'Aura est beau-
coup moins commun ipie l'Urubu. Rarement en voit-on des ban-
des de plus de vingt-cinq ou trente. 11 vit plus retiré, se nourrit
de gibier moit, de Serpents, de Lézards, de Grenouilles et de
Poissons qu'il trouve rejetés sur les bancs de sable des rivières et
des bords de la mer. Il est plus coquet dans sa tenue, plus pro-
pre et mieux fait que l'autre. Son vol est phis vif, plus élégant;
quelques battements de ses larges ailes lui suffisent pour s'en-
lever de terre, et alors on le voit planer en faisant un simple
mouvement, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre; et c'est avec
une telle lenteur qu'il incline et ramène sa queue pour changer
de direction, qu'en le suivant longtemps des yeux, on serait
tenté de le prendre pour un cerf-volant. Le bruit que font les
Catbartes en glissant obliquement du haut des airs vers la terrCj
lappelle celui de nos plus grands Faucons, lorsqu'ils tombent
sur leur proie. Mais quand ils approchent tlu sol, et n'en sont
plus qu'à une centaine de mètres, ils ne manquent jamais de
ralentir leur vol, pour passer et repasser en tournoyant, et bien
examiner le lieu où ils vont descendre.
L'Aura supporte mal le froid; pendant les cbaleurs de l'élé,
vui/nniinKS. rii
quolqiics-iiris soulcmout pousscnl l(3iiis oxrursioiis jusque <laus
les Élats (lu 1101(1 cl du (entre de l'Union, et ils reviennent géné-
ralement à l'approche de l'hiver. Ils conservent un grand atta-
chement pour certains arhres qu'ils ont choisis comme perchoirs:
Auduhon croit môme qu'ils Iranchissent des distances considéra-
hles pour y rcv(^iiir tous les soirs. En se posant, chaque individu
cherche à se l'aire helle place, et occasionne un trouhle général;
et souvent, quand il fait nuit, on entend leurs sifflements, qui
indiquent qu'ils se disputent les nieilleiuTs places.
Ces arhres qu'ils préfèrent, situés généralement au milieu des
marais, sont principalement de grands cyprès morts. Cependant
ils perchent fréquemment avec les Urulius, et alors c'(îst sur les
plus gros tas de hois de charpente qu'on trouve amoncelés dans
les champs et dans le voisinage des habitations. Quelquefois aussi
le Catharle Aura perche sur une grosse hranclie, contre le tronc
de (pelque arbre bien garni de feuilles; et, dans cette position,
Audubon en a tué plus d un en chassant au clair de lune, et les
prenant pour des Dindons.
Dans rAmérifjue du Sud, ils se préparent à nicher dès le mois
de novembre, et dans le Mississipi, la Louisiane, la déorgie et la
Caroline, dès le commencement de février, ce qui est commun
avec la plupart des oiseaux de proie. C'est sans doute Tacte le
plus remarquable de leur existence. Ils s'assemblent par troupes
de huit ou dix, mâles et femelles, se posent sur de grosses sou-
ches, et manifestent le plus vif désir de se plaire mutuellemenl.
hes mâles s'o(Tupent du choix d'une" compagne, et ([uand leur
goiit est fixé, chaque couple s'envole loin des autres, pour ne
plus se mêler ni s'associer avec le reste de la bande, du moins
tant que leur couvée ne sera pas en état de les suivre.
Ces oiseaux ne bâtissent pas de nid, et cependant ils sont très-
attentifs à bien placer leurs œufs, au nombre de deux seulemenl .
C(^ux derilrnbu, d'un ovale allongé et légèrement pointu, ont
52 TREIZIEME LEÇON,
sept centimètres et demi de grand diamètre sur cinq centimètres
de petit. Ils sont d'un blanc sale, légèrement verdâtre, semé de
taches d'un brun violet, irrégulières, de grandeur variable, le
plus souvent arrondies, en plus giand nombre sur le gros bout
({lie sur l'autre. Les œufs de l'Aura diffèrent peu; ils sont ob-
longs, pointus à l'une de leurs extrémités, et ont buit centimètres
environ de grand diamètre sur cinq centimètres et demi de petit
diamètre; ils sont d'un Idanc bleuâtre, agréablement marqués
de larges taches d'un rouge brun, plus ou moins foncées, très-
distantes les unes des autres, et bien plus rapprochées du gios
bout que du petit, hidépendamment de ces grandes taches, toute
la surlacc est couverte de taches également espacées et très-peu
apparentes, d'un beau violet. Nous possédons des œufs de ces
deux espèces, et nous les devons à l'obligeance de d'Orbigny.
Des deux, espèces de l'ancien continent, l'une, Catbarte per-
cuoptère ou Alimoche, se trouve sur presque toutes les côtes de
la Méditerranée, et surtout sur la côte d'Afrique, et elle devient
d'autant plus commune qu'on se rapproche de l'Orient. L'autre,
Catbarte moine ou pilifère, se rencontre au Sénégal, et l'on ne
connaît pas parfaitement les limites géographiques qui doivent
lui être assignées.
Les Cathartes de l'aucien continent sont peu farouches, en
Afrique surtout, et se laissent Aicilemcnt approcher par le chas-
seur, mais il faut les tirer avec du gros plomb, pour les faire
tomber sur le coup. Levaillant était presque toujours obligé de
les faire suivre après les avoir blessés, parce qu'ils allaient mourir
quelquefois fort loin du lieu où il les avait tirés. Il n'a pas campé
une seule fois chez les Namaquois qu'il n'ait été visité chaque
jour par ces oiseaux. Il lui arrivait de tirer plusieurs fois sur le
même et de le blesser grièvement, sans que cela rebutât le Ca-
tbarte, qui revenait toujours à la charge pour dérober à ses gens
la viande qu'ils faisaient sécher ou fumer en plein air. Taule de
V(1I/I III'.IDRS. 5:,
cliair, le Pcrcnoptèrc se iiourriL de Lézinds oL de [U'iils Serpents;
il ne dédiiiiiiie même pas les Vers de tene el les insectes qui ic-
cberchent la fiente des bestiaux. Enfin il s'accommode de tout,
et ce voyageur n'a même quelquefois tiou.vé dans le jabot de ceux
qu'il tuait que des excréments de Bœuf ou d'autres animaux.
g^ , ^ ^
,/nT ^ j
^^^ -
rig. 15. — r.nllmrlc pcrciioplère, Calharfis pcrciioplcrvs, d'nprès flonld.
Nous avons tué un 1 on nondjre de IVrciioptères pendant noire
séjour à Coiistantinople, dans les jardins du viiux sérail que nous
liabilions; ils se domiaient rendez-vous sur les vieux murs et
s'offraient facilement à nos coups, pendant les voyages qui's
faisaient le matin de la cote d'Asie, où ils tiouvaient encore des
5.
54 TREIZIÈME LEÇON.
animaux abandonnés ot on pntréf^iction, à la côte d'Europe, où
Jes corvées de nos soldats suppléaient à la malpropreté des Turcs.
Mais les habitants du quartier de Sainte-Sophie s'alarmèrent,
et comme notre but n'était pas la destruction d'animaux si utiles
dans un pays aussi sale, mais bien le désir d'enrichir notre col-
bction de quelques-uns de ces oiseaux, les Percnoptères n'eurent
plus lien à redouter. Notre ami Lesson, enlevé malheureusement
aux sciences cpi'il cultivait avec tant de succès, a soulevé une
émeute à Lima pour avoir tué un de ces oise;mx, qu'il tenait à
ajouter aux riches collections qu'il rapportait. Quiconque, à Lima
ou à .Ariquipa, tue un Urubu, est condamné à une amende de
cinquante piastres, ou deux cent cinquante francs.
Les œufs de l'espèce de Tancien continent sont de forme et de
couleur très-variables, et mesurent de six centimètres et demi à
sept centimètres de grand diamètre sur quatre à cinq de petit;
ils sont blancs, avec quelques grosses taches brunes couronnant
le gros bout; quand leur forme est plus arrondie, ils sont uni-
formément teintés de brun rouge, comme nous le verrons sur des
œufs de Caracaras et de Faucons. Quelques variétés, provenant
d'Egypte, sont grivelées de petites et grandes taches, qui, au
lieu d'être de couleur brune ou brun rouge, sont du violet foncé
le plus pur, ce qui leur donne, dans la séri^, un aspect étrange.
Ceux de l'Algérie sont généralement beaucoup plus petits que
ceux d'Europe, ne mesurant que six centimètres sur cinq de
diamètre. Enfin un de ces œufs, venant des hides orientales,
offre à peine, sur un fond d'un blanc pur, quelques fines grive-
lures plus serrées et plus rapprochées au gros bout.
Les Cathartes, avons-nous dit, ne construisent pas de nids. Le
l)Uis souvent ils déposent leurs œufs dans un trou de rocher ou
dans les anfractnosités des falaises qui liordent fréquemment les
grandes rivières en Amérique, ou bien au milieu des marais pro-
fonds, mais toujours au-dessus de la li.îue des pins grandes eaux;
VULTUniDÉS. 55
ils cliorclicnl (|ii('l(|U('s uros arhros creux, soi! deboul, soit à
\cYVi\ ci loscriils sont dqiosi's sur 1;\ vorniouhiic du bois, qiiel-
fjnelbis iiniurdinlcniciil à rciitivo du trou, d'iuilros foisà plus de
Fis. 14. — CnlhmiP moine, Cnthurtes pileiferns-
viuLtt i)icds dans riuti'rieiir. Le père et la mère eouveut à tour
de rôle et so nourrissent Tuu l'autre, ce que cliacun d'eux fait
en dégoriieant imuiédialenient, devant celui qui est sur le nid,
tout ou partie du contenu de son estomac. L'éclosion des petits
56 TREIZIEME LEÇON,
demande trente-deux: jours. Un épais duvet les recouvre complè-
tement à leur naissance; ce duvet, lîlauc, long et frisé comme
dans toutes les autres espèces d'oiseaux de proie, contraste avec
la couleur noire de leur face, el leur donne une physionomie des
plus originales : à cette première période et pendant près de
deux semaines, les parents les nourrissent en leur dégorgeant
aussi, mais dans le bec, les aliments presque digérés, à la ma-
nière du Pigeon commun. Après quelques jours, le duvet s'al-
longe et devient plus rare et d'une teinte plus foncée, à mesure
que Toiseau grandit. Au bout de trois semaines, les Cathartes
paraissent gros pour leur âge, et pèsent plus d'une livre, mais
ils sont excessivement gauches et engourdis. Ils peuvent alors
lever leurs ailes encore en partie recouvertes de gros tuyaux;
ils les traînent presque toujours à terre, et toute leur force se
porte sur leurs longues jambes et sur leurs pieds.
Qu'un étranger ou un ennemi s'approche d'eux îi ce moment,
ils se mettent à siffler, et font couîme un Renard ou un Cliat
(pii s'étrangle; puis ils se gonflent et sautent de côté et d'autre,
aussi lestement (ju'ds peuvent. C'est également ce que font les
parents, si on les inquiète pendant rincubation; ils s'envolent
seulement à quelques pas et attendent le départ de celui qui les
trouble, pour se remettre ta leur devoir. Quand les jeunes sont
devenus plus forts, le père et la mère se contentent de jeter la
nourriture devant eux; mais, malgré tout le mouvement qu'ils
se donnent, ils parviennent rarement à pousser aux champs leur
I aresseuse jirogéniture. Le nid devient si fétide, avant que ceux-
ci baient défmitivement al andouné, que si l'on était contraint de
demeurer auprès seulement une demi-heure, on courrait risque
d'être suffoqué. Ou pense généralement (pi'ils prélèrent la chair
corronqiue à toute autre; c'est une erreur : toute viande leur
convient, pourvu qu'ils puissent la mettre en morceaux à l'aide
du bec, et ils l'avalent aussitôt, fraîche ou non. Ce que nous
.vn.TrniDÉs. r)7
avons dit de leur liabilude de luer el de dévorer de jeunes ani-
mauv le prouve sulfisamnient. Mais il arrive souvent que ces
oiseaux sofkl forcés d'attendre jus«|u'à ce ([uc l'enveloppe ou le
cuir de la pictie puisse céder à rciïbrl de leurs inanddndes. Au-
dubon vil un jour le cadavre d'un grand Crocodile cnlonré d(!
Cathartes, et la cliair du monstn; était presque décomposée
avant que les oiseaux, eussent pu jiarvenir à entamer sa rude
peau; de sorte que, ([uand l'attaque devint possible, ils restèrent
tout désappointés devant des chairs li(|uéliées.
Les Catbartes n'ont pas, comme les Aigles et les Faucons, le
pouvoir d'enlever leur proie tout d'ime pièce avec leurs griffes;
ils n'em})orlent que les entrailles, et encore par land)eaux, qui
leur tombent du bec. S'il leur arrive alors d'être pouicbassés par
d'autres oiseaux, ce simple fardeau rend leur vol très-lourd, et
les force à reprendre terre presque immédiatement.
Les Catbartes Uridju et Aura n'ont pas de zone distincte d'ba-
bitation, car on les rencontre depuis l'hémisphère nord jusque
dans les parties les plus australes de l'Amérique; on les voit
également depuis les plaines ou les rivages de la mer jusqu'aux
régions les plus élevées. Il est vrai qu'ils ue se trouvent dans ces
dernières localités qu'accidentellement et de passage, y'y faisant
jamais leur séjour habituel. L'Aura seul, qui, relativement à
l'Urubu, parait plus spécial à T Amérique du Sud, a été rencontré
aux îles Malouines par Garnot et Lesson.
Nous terminerons l'histoire des Catbartes en citant les expé-
riences dont ils ont été l'objet de la part d'Audubon, pour s'as-
surer de la prédominance de l'odorat sur la vue chez les vau-
tours, question si souvent agitée et dont nous avons dit un mot
dans nos Généralités. On sait que uous avons admis, au con-
traire, la prédominance de la vue sur l'odorat, dont nous trou-
vons à peine la trace chez ces oiseaux. Nous laisserons parler
notre grand naturaliste :
58 TREIZIEME LEÇON.
(( Quand VOUS aurez vu, comme moi, dit-il, le Catharte Aura
suivant de près et avec un soin pénible la lisière des forêts,
explorant lis sinuosités des criques et des rivières, planant au-
dessus des vastes plaines, plongeant son œil perçant dans toutes
les directions, aussi attentif que le fut jamais le plus noble faucon
pour découvrir la proie qui lui convient; lorsque, ainsi que moi,
vous l'aurez vu mainte et mainte fois passer au-dessus d'objets
])ion propres à exciter son vorace appétit sans en avoir aucune
connaissance, parce qu'ils étaient cachés; lorsqu'enfm vous aurez
observé l'avid;^ Catbarte, poussé par la faim m plutôt par la
fiuTiine, se précipitant comme le vent et descendant en cerlcs
rapides dès qu'une charogne a frappé ses regards, alors vous
renoncerez à cette vieille croyance si profondément enracinée,
à savoir que cet oiseau possède la faculté de découvrir la proie à
une immense distance à l'aide de l'odorat. J'ai eu beaucoup de
peine à renoncer à mes anciennes croyances ; cependant, après
avoir vécu plusieurs aimées parmi ces Cathartes, du temps de
mes courses à travers les États-Unis; après m'être assuré par
mille et millt^ observations qu'ils ne sentaient nullement quand
j'approchais d'eux, caché par un arbre, même à quelques pas,
tandis qu'au contraire, dès que, de cette distance ou de bien
])lus loin, je me montrais à eux, ils s'envolaient avec tous les
signes de la plus vive frayeur, je dus enfin abandonner ma pre-
mière idée, et je m'engageai dans une série d'expériences ayant
pour but de me démontrer, à moi du moins, jusqu'à quel point
existait cette finesse d'odorat, et si même il était vrai qu'elle
existât. J'en consigne ici le résultat; chacun pourra ainsi con-
(;lure et juger combien il est facile de se laisser abuser par les
assertions d'hommes qui, avec leur air d'assurance, n'ont cepen-
dant jamais rien vu, ou qui se sont contentés des récits d'indi-
vidus se souciant eux-mêmes fort peu d'observer la nature de
près.
VULTIII;IDÉS. 59
u Première expérience. — Je me [)iociiiai une j)e;iii de
ilaiiii entière Jiis(|u'aux sabots, et je la Ijounai conscieiicieiisL!-
ineiit d'herbes sèches, de l'açoii à la remplir même plus que dans
TétaL naturel. Je laissai le; tout sécher et devenir aussi dur (|ue
du vieux cuir, puis je la lis porter dans un vaste cliaiup où on
1 étendit sur le liane, les jambes déjetées deçà et delà, comme si
Tanimal était mort et déjà en putréfaction. Alors je me retirai
à environ cent mètres, et quelques minutes étaient à peine
écoulées qu'un Calharte, aux aguets à une assez grande distance,
ayant aperçu le daim, vola directement vers lui et s'abattit à
(juclques pas. De suite je m'avançai, toujours caché par un gros
arbre, jusiju'à une cinquantaine de mètres, d'où je pouvais
parl'aitement observer l'oiseau. Il s'approcha de la peau, jeta
sur elle un regard de méfiance, puis sauta dessus, leva la queue
et se vida librement, ce que tous les oiseaux de proie à l'état
sauvage l'ont généralement avant de manger. D'abord il s'en prit
aux yeux, qui étaient ici deux globes d'argile séchée, durcie et
peuile; il les attaqua l'un après l'autre, sans pourtant rien y
l'aire que les déranger un peu. Enfin, cette partie ayant été
abaiidonnée, l'oiseau se porta sur l'autre extrémité, et là, se
donnant encore plus de mouvement, il parvint à déchiier les
coutures et à tirer quelques poignées de l'ourrage et de foin.
Mais, pour de la chair, il n'avait garde d'en trouver ni d'eu
sentir; et cependant ils'opiniàtrait à en découvrir là où il n'y
en avait pas la moindre trace. Après des efforts réitérés, tous
sans profit, il prit son vol, et, s'étant remis à explorer les envi-
rons du champ, je le vis soudain tournoyer, puis descendre et
tuer un petit serpent jarretière (coluber smirita) qu'il avala.
Après quoi il se renvola encore, recommença à planer, passa et
repassa plusieurs fois très-bas, au-dessus de la peau bourrée,
comme au désespoir d'abandonner un morceau de si bonne
mine.
00 TREIZIEME LETON.
« Ainsi voilà un Gatharte qui, à l'aide du sens prétendu si
extraordinaire de l'odorat, n'est pas capable de découvrir qu'il
n'y avait sous cette peau ni chair fraîche, ni chair corrompue,
et qui, du premier coup d'œil et d'une distance considérable,
peut apercevoir un petit serpent à peine gros comme le doigt,
et sans aucune odeur! Cela me donnait à réfléchir, et j'en con-
clus que les facultés visuelles étaient, chez lui, bien supérieures
aux facultés olfactives.
u Deuxième expérience. — Je lis traîner à quelque distance
de ma maison un porc qui venait de mourir, et que l'on jeta dans
un ravin profond d'une vingtaine de pieds, où le vent soufflait
très-fort. Ce ravin était obscur, remi)li de broussailles et de
grands roseaux. C'est là que j'ordonnai à mes gens de cacher
l'animal, en recourbant les roseaux sur lui, et je l'y laissai deux
jours, pensant bien que cela intriguerait Urubus, Auras ou
autres, et qu'ils viendraient voir ce que ce pouvait être. On était
alors au commencement de juillet, c'est-à-dhe à une époque où,
sous ces latitudes, un cadavre se corrompt et devient extrême-
ment fétide en très-peu de temps. D'un moment à l'autre je
voyais des Cathartes cherchant pâture passer par-dessus le champ
et le ravin dans toutes les directions; mais aucun ne découvrit le
porc ([ui y était caché, bien que, sur ces entrefaites, plusieurs
chiens lui eussent rendu visite et s'en fussent copieusement repus.
Je voulus moi-même m'en approcher, mais l'odeur en était si
hisupportable à vingt pas à la ronde que j'y renonçai, et les
restes, tombant d'eux-mêmes en putréfaction, finirent pctr s'af-
faisser complètement.
« Je pris alors un jeune porc, et, d'un coup de couteau dans
la gorge, je le saignai sur la terre et l'herbe; puis, l'ayant traîné
à la même place que le premier, je le fis couvrir de feuilles et
j'attendis le résultat. Les Cathartes aperçurent la trace du sang
frais, et, s' étant abattus, la suivirent jusque dans le ravin, où
VUF/rUUlDÉS. (51
ils découviiiciiL ranimai, (ju'ils tlévorùrciiL suiis mes \cii\, qinti-
(ju'jl n'eût point encore d'odeur.
« Ce n'était })as assez pour moi de ees expériences cependant
si décisives.
« Ayant trouvé deux jeunes Urulnis de la taille de petits pou-
lets, que le duvet recouvrait encore et qui avaient plutôt l'air de
«juadrupèdes que d'oiseaux, je les emportai chez moi, les mis
dans une grande cage en vue de tout le monde, dans la cour,
et me chargeai moi-même de leur donner à manger. Je les Iburnis
ahondanunent de pies à tête rouge et de perroquets que je tuais,
en aussi grand nombre que je voulais, sur des mûriers où ils
cherchaient leur nourriture.
<( Mes deux élèves les déchiraient par huubeaux à grands coups
di' bec et en les tenant sous leurs pieds. Au bout de quelques
jours, ils étaient si bien habitués à mes visites que lorscjue j'ap-
piochais de leur cage, les mains pleines du gibier que je leur
destinais, ils conuueuç.aient aussitôt à siffler et à gesticule)",
l)resque à la manière des jeunes pigeons, et se présentaient mu-
tuellement le bec comme s'ils s'attendaient à recevoir la nour-
riture l'un de l'autre, ainsi qu'ils l'avaient reçue de leurs parents.
Deux semaines s'écoulèrent, les plumes noires paraissaient et le
duvet diminuait. Je remarquais un accroissement extraordinaire
des pattes et du bec, et les trouvant propres à mes expériences,
je fermai avec des planches trois des côtés de la cage, ne laissant
que le devant garni de barreaux, pour qu'ils pussent voir au
tiavers. Je ni^toyai, lavai, sablai la cage alin d'enlever toute
mauvaise odeur résultant de la chair corrompue ({u'elle conte-
nait; et sur-le-champ je cessai de me présenter par devant comme
j'avais coutume de le faire lorsque je voulais leur donner à
manger. Je m'en approchais souvent nu-pieds; et je reconnus
bientôt ([ue, quand je no faisais pas de bruit, les jeunes oiseaux
continuaient à restei" droits, sans bouger et silencieux, jusqu'à
r. II. 0
m TREIZIÈME LEÇON,
ce que je me fusse montré par le devant de lenr prison. Plusieuis
fois il m' arriva de prendre un écureuil ou un lapin, de lui
ouvrir le ventre, de l'attacher à une longue gaule, avec les en-
trailles pendant librement, et, dans cet état, de le placer par
derrière leur cage; mais c'était en vain : i!s ne sifflaient ni ne
remuaient, tandis que, quand je présentais le bout de la gaule
devant la cage, à peine avait-il paru par le coin que mes oiseaux
affamés sautaient et faisaient tous leurs eflbrts poin^ atteindre le
morceau. Cela fut souvent répété avec de la viande soit fraîche,
soit corrompue, mais toujours appropriée à leur goût.
« Complètement satisfait pour mon compte, je cessai ces expé-
riences, et néanmoins je continuai à nourrir les deux Cathartes
jusqu'à leur entier développement. Alors je les lâchai dans une
cour attenante à la cuisine, pour qu'ils pussent y ramasser tout
ce qu'on leur jettei'ait; mais bientôt leur voracité causa leur
mort : les petits cochons ne leur échappaient pas lorsqu'ils se
trouvaient à leur portée; jeunes canards, dindons et poulets
étaient pour eux une tentation si continuelle, que le cuisinier,
ne pouvant veiller constamment sur eux, les tua l'un et l'autre
pour mettre un terme à leurs déprédations.
« Pendant que je tenais mes deux Cathartes en captivité, je fus
témoin d'un fait assez curieux. Un Catharte déjà vieux, planant
par hasard au-dessus de la cour au moment où j'expérimentais
avec ma perche et mes écureuils, aperçut la proie et s'abattit
sur le toit d'un hangar, près de la maison ; de là il descendit à
terre, se dirigea tout droit vers la cage et s'efforça d'attraper la
viande qu'il voyait à fiiitérieur. Je m'approchai avec précaution,
il recula un peu; mais, quand je me retirai, il revint; et,
chaque fois, mes deux captifs manifestaient le plus vif enqiresse-
ment envers le nouveau venu. Je donnai l'ordre à quelques nègres
de le pousser doucement vers l'étable et de tâcher de l'y faire
entrer, mais il ne voulut pas. Enfin, après plusieurs tentatives,
YllLTrilinKS. 63
■jp parvins à i'onrermor dans collo parlio du liangar on Ton dé-
pose les graines de coton, et là je le pris. Comme je le reconnus
bientôt, le pauvre oiseau était devenu si maigre que c'était u!ii-
quement à son état de misère que j'avais du de pouvoir m'en
emparer. Je le mis en cage avec les jeunes, qui, tous deux, com-
mencèrent à sauter autour de lui et à lui faire accueil, en gesti-
culant delà façon la plus grotes(|ue; mais le vieux, tout décon-
certé de se voir en prison, leur répondit par de grands coups de
bec. Craignant qu'il ne les tuât, je les retirai d'avec lui et le ras-
sasiai complètement. A force déjeuner, il avait pris un tel ap-
pétit qu'il mangea trop et mourut étouffé.
« J'aurais encore à citer, dit Audubon en terminant, beaucoup
d'autres faits indiquant que le pouvoir olfactif dans ces oiseaux a
été singulièrement exagéré, et que, s'ils peuvent sentir à une
certaine distance, ils peuvent aussi voir, et de beaucoup plus
loin. Je demanderai à toute personne ayant observé les mœurs
des oiseaux pourquoi, si les Catbartes sentent leur proie d'une
telle distance, ils perdent tant de temps à la cbercber, eux qui
naturellement sont si paresseux que, lorsqu'ils ont trouvé de la
nourriture dans quelque endroit, ils ne le quittent jamais, ne se
déplaçant juste que de ce qu'il faut pour la prendre. »
Comme cet babile observateur, nous croyons ces expériences
très-concluantes, et nous nous reprocberions de ne pas avoir
profité de l'occasion pour leur donner toute la publicité qu'elles
méritent, en France surtout, quoiqu'elles datent déjà de loin.
Nous ne renonçons cependant pas, lorsque des fiaits contradictoires
se présenteront, à les relater avec le même soin, s'ils ])euvent
foinnir une exception quelconque aux expériences d'Audubon
Ij'i;. 15. — Vautour l'ami' ou Giiffou^ I'h/Zî/J' (ulvus.
QUATORZIÈME LEÇON
Suite des Vulturidés.
5^^ Gent.e. — YAlTOin, VUUUR, Linné.
Les caractères gciiéraux des vrais Vautours sont d'avoir la
tête et le cou plus ou moius nus, ou dénués de plumes et re-
vêtus d'un duvet court et peu serré, ou garnis de caroncules
cliarnues. Le plus souvent la partie inférieure du cou est bordée
de plumes dites coUaires, formant un rebord, et toutes allongées
et acuminées. Les yeux sont à fleur de tête. Le bec est droit, plus
ou moins robuste, comprimé sur les côtés, à mandibule supé-
rieure fortement crocbuc : la mandibule intérieure est droite,
arrondie et légèrement inclinée vers la pointe. Les narines sont
ovales ou oblongues, percées obliquement sur les bords de la
cire. La langue est cartilagineuse, un peu aplatie et pointue,
souvent bifide à son extrémité. Leur corps est épais, robuste,
oblong, terminé par une cpume généralement courte, composée
de rectrices égales, et par conséquent coupée presque carrément.
Les ailes sont pointues, très-longues, dépassant l'extrémité delà
G.
m QUATORZIEME LEÇON,
queue et presque Constamment à demi étendues, dans le repos
ou dans la marche. La quatrième rémige est la plus longue, la
première la plus courte : les tarses sont robustes, réticulés, ou
garnis de petites écailles, nus ou emplumés, munis d'ongles
faibles et peu longs par rapport à la taille. On compte douze ou
quatorze rectrices.
Les Vautours, dont le nom est passé dans le langage figuré,
sont des oiseaux voraces, iilTamés, poltrons, dont le goût dé-
pravé se contente plutôt de charognes que d'animaux vivants,
qu'ils n'osent attaquer. Cependant ils ne dédaignent point la
chair palpitante, comme on le dit connuunément ; mais, ainsi
que les autres vulturidés, ils ne cherchent jamais à dévorer que
quelques jeunes animaux sans défense et éloignés de leurs pa-
rents.
Ce qui distingue surtout les Vautours des Aigles ou des autres
espèces belliqueuses de rapaces, dont il sera question dans de
prochaines leçons, c'est une série de caractères accessoires qu'il
est important de ne pas négliger : au repos, les Vautours sont
toujours dans une position demi-horizontale, qui peint la dé-
tiance. L'Aigle, au contraire, se tient fièrement dans la position
redressée, et a le sentiment de sa force et de son courage. Leur
vol est pesant, lourd. A peine peuvent-ils prendre leur essor quand
ils sont rassasiés; et, ce qui leur est particulier avec les Cathartes,
c'est qu'ils sont réduits à dévorer leur proie sur place, et qu'ils
ne peuvent point l'enlever avec leurs serres, trop faibles, ainsi
que le pratiquent plus ou moins fluilement tous les autres oi-
seaux de proie.
Écoutons Buffon peignant à grands traits les liabitudes des
Vautours : « L'on a donné aux Aigles le premier rang parmi les
oiseaux de proie, non parce qu'ils sont plus forts et plus grands
(jne les Vautours, mais parce qu'ils sont plus généreux, c'est-à-
dire moins bassement crnels; leurs mœurs sont plus fières, leur
vrF,Tiniir)i: s. 07
(Irmarchc plus liardio, l(3iir couia^i' plus noble, ayant an moins
anlanl, (le i;oùt pour la guerre (pie d'ap^iéLil pour la })roie. Les
Vautours, au contraire, n'ont que l'instinct de la basse gour-
mandise et de la voracité, ils ne combattent guère les vivanis
rpic (piand ils ne peuvent s'assouvir sur les morts. I/Aigle at-
taque ses crmemis ou ses victimes corps à corps; seul il les pour-
suit, les combat, les saisit : les Vautours, au contraire, pour peu
qu'ils prévoient de résistance, se réunissent en troupes comme
Fiii. IG.
V;iiil()iir indifii. Vultur iildicus.
de lâches assassins, et sont plutôt des voleurs que des guerriers,
des oiseaux de carnage que des oiseaux de proie ; car, dans ce
genre, il n'y a (ju'eux qui se mettent en nombre, et plusieurs
contre un; il n'y a qu'eux qui s'acharnent sur les cadavres, au
point de les décbiqueter jusqu'aux os : la corruption, 1 infection
les attire au lieu de les repousser. Les Faucons, les Épcrviers et
jusqu'aux plus petits oiseaux montrent plus de courage, car ils
chassent seids, el presque Ions dédaignent la cbair morte et re-
68 QUATORZIÈME LEÇON,
fusent celle qui est corrompue. Dans les oiseaux comparés aux
quadrupèdes, le Vautour semble réunir la force et la cruauté du
Tigre avec la lâcheté et la gourmandise du Chacal, qui se met
également en troupes pour dévorer les charognes et déterrer les
cadavres, tandis que l'Aigle a le courage, la noblesse, la magna-
nimité et la munificence du Lion. »
Frédéric Cuvier, beaucoup plus positif, fait observer, avec
infiniment plus de raison, que si les Aigles se nourrissent de
proie vivante, attaquent leur victime avec impétuosité, la dé-
chirent et la dévorent toute palpitante, et, confiants par instinct
dans leur force, ne paraissent connaître que très-fcdblement le
sentiment de la crainte, les Vautours, au contraire, ne se nour-
rissent que de proie morte ; quelques espèces, mais seulement
quand elles sont poussées par la faim, attaquent les animaux les
plus faibles, et toutes fuient à la moindre apparence de danger.
Ces différences de mœurs, associées dans notre esprit aux diffé-
rences de physionomie qui caractérisent les oiseaux de ces deux
familles, font que les Aigles font devenus pour nous les emblèmes
de la force et du courage, tandis que les Vautours ne nous repré-
sentent que la faiblesse et la lâcheté. Les Aigles, il est vrai, sont
portés par leur instinct à attaquer les animaux vivants qui pour-
raient se défendre; mais ils sont tellement supérieurs à ces ani-
maux par leur force, ils courent si peu de dangers dans la lutte
que quelquefois ils peuvent avoir à soutenir; même, quand ces
dangers existeraient, ils sont si peu capables de les prévoir, et,
s'ils les connaissent, si peu portés à les braver, (}ue jamais estime
ne fut plus injustement acquise que celle que nous leur accor-
dons. 11 est également vrai que les Vautours vivent au milieu
de tous les autres oiseaux sans jamais les attaquer; mais c'est
par instinct qu'ils le font, parce qu'ils n'ont aucun goût pour
la cbair vivante et que c'est de la chair morte surtout qu'il leur
faut. H n'y a donc pas plus de lâcheté au Vautour brun, au
vui/nir.iDKS.
CD
pig 17. _ Vautour Oricou, Ytillur auriculuris.
Condor, au Lcemiuergcicr, qui sont des oiseaux de dix à quiuzo
pieds d'envergure, à ne pas attaquer un Pigeon ou un Lapin, qu'd
n^y a de courage à un Aigle royal ou à une Harpie, armés de
70 O^ATORZIEME LEÇON. "
Inir bec crochu et de leurs griffes acérées, à se jeter sur ces
animaux. Les uns et les autres obéissent à leur nature. Ils rem-
plissent aveuglément leur destinée; et les sentiments qui les
animent ne ressemblent pas plus à ceux que nous éprouvons,
lorsque nous bravons ou que nous fuyons un danger dont nous
avons apprécié l'étendue, que leurs facultés morales et intellec-
tuelles ne ressemblent aux nôtres.
Nous ferons remarquer combien ces mots, dont le sens est
tout moral : noble, généreux, cruel, etc., font naître d'idées
fausses lorsqu'on les applique aux animaux. En vain l'on pré-
texterait qu'ils n'ont été employés et ne doivent être pris que
dans un sens figuré, que poétiquement, l'erreur qui en résulte
n'en existerait ^las moins, et, quoi qu'on puisse dire, la poésie
n>mbellit l'erreur qu'aux yeux de ceux qui ne connaissent pas le
charme de la vérité. Tin sentiment de faveur ou de défaveur est
intimement lié en nous à ces mots qui expriment des penchants
}iour lesquels nous avons de l'estime ou du mépris, et ce sen-
timent, nous le reportons sur les êtres que ces mois désignent.
Or, rien ne serait plus faux que de haïr les Vautours parce qu'ils
seraient bassement cruels, que de mépriser les Milans ou les
Buses parce qu'on les croirait immondes et lâches, que d'estimer
les Aigles et les Faucons parce qu'on jugerait que la noblesse
est leur partage ! Les uns comme les autres remplissent fatale-
ment, sans liberté, le rôle qui leur a été imposé par la nature;
ils travaillent au maintien de l'ordre et de l'harmonie sur notre
terre, et cette tache est assez belle. Au surplus, s'il fiUait abso-
lument se prononcer sur la part que ces oiseaux prennent à
l'économie de ce monde, sur l'utiUté du rôle qu'ils y jouent, sur
les services qu'ils rendent à l'homme, je ne sais si les Aigles
et les Faucons l'emporteraient sur les Vautours ou les Buses.
Telles sont les opinions admises sur les Vautours : nous les
avons toutes rapportées sans chercher à les affaiblir; et Ton
VILTU RIDÉS. 71
MOUS peiiiiettia bit'ii dajoiitL'r, avec Lcssoii, que dans les vues
sages de la nature tout a été disposé pour Je mieux; (pie ces
vices et ces vertus que nous prêtons aux animaux sont enfants
de nos préjugés; (pu; ce, (jue nous ;q)])elons magnanimité du
V;uilour fauve (icxiiUnlal. Viillnr occidenlulis-
Lion et de l'Aigle n'est souvent que la bienveillance de Tes-
tomac rassasié d'un animal essentiellement Carnivore et sangui-
naire; que la laclieté du Vautour ne peut pas plus être réputée
bassesse que Taudace de l'Aigle ne peut être réputée magnani-
mité. La nature a voulu des carnassiers pour arrêter la trop
grande multiplication de certains animaux, et établir une sorte
72 QUATORZIEME LEÇO^•.
d'équilibre ; elle a voulu aussi des espèces pour purger la terre
des cadavres de ceux que la mort naturelle ou accidentelle laisse
exposés à une putréfaction nuisible à tous. Les uns et les autres
l'emplissent les fonctions qui leur ont été départies avec la vie.
On se figure diificilement, dans nos régions tempérées, avec
quelle rapidité les cadavres se décomposent dans les contrées
très-cbaudes, et les émanations dangereuses qu'ils répandraient
inévitablement seraient des causes incessantes d'épidémies.
Les Vautours se réunissent souvent aussi en bandes nom-
breuses, et leur voracité les rend quelquefois téméraires. Le-
vaillant avait tué, en Afrique, deux Buffles, et présidait au dé-
peçage de ces animaux, dont il faisait pendre les quartiers de
viande aux branches des arbres qui entouraient ses tentes pour
les faire sécher aux rayons d'un soleil brûlant. Tout à coup il se
vit entouré par une bande de Vautours qui enlevèrent les mor-
ceaux de chair, malgré ses efforts pour chasser ou pour détruire
les déprédateurs à coups de fusil. A peine l'un d'eux tombait-il
frappé d'une halls qu'un autre prenait sa jilace.
Un autre voyageur anglais qui marchait depuis quelques jours,
eu Abyssinie, à la tête d'une petite armée, parle du nombre
considérable de ces oiseaux, qu'il compare au sable de la mer.
Ils se montrèrent à lui plus courageux que ne le sont d'ordinaire
certaines autres espèces de la même famille, car il vit un jour
l'un de ces oiseaux étendre à terre un Aigle qui s'était faufilé
par hasard dans une bande de Vautours assemblés pour dévorer
des hommes tués pendant une bataille que s'étaient livrée deux
tribus. Aussi ne faut-il pas s'étouner que, dans l'Inde, ces oiseaux
passent pour être doués d'un instinct prophétique, qu'ils pres-
sentent les combats et sont avertis de la mort des animaux.
En Afrique, si un chasseur tue quelque grosse pièce de gibier
qu'il ne peut emporter sur l'heure, et ([u'il l'abandonne un
instant; à son retour il ne la retrouve plus, mais, à sa place, il
VUMURIDKS. 73
voit une bande de Yautours, et cela dans un lieu où il n'y en
avait pas un seul un quart d'heure avant. C'est ce qnc Levaillant
dans ses voyages, a éprouvé lui-même plusieurs fois, de la part
des Vautours, soit de l'Oricoii, soit d'autres espèces, car tous ces
immondes carnivores se réunissent et se mêlent dans cette cir-
constance. La première fois qu'il fut victime de leur voracité,
il était à bout de ressources, ce qui rendit la leçon très-désa-
gréable. Levaillant avait tué trois Zèbres; satisfait de sa chasse,
il retourna à son camp, dont il était éloigné d'une lieue, et
commanda qu'on amenât un chariot pour les enlever. Les Ilot-
tentots, plus habitués que lui aux rapines des Vautours, lui dirent
que ce voyage leui* paraissait inutile, parce que les Zèbres seraient
dévorés avant leur arrivée. On partit néanmoins, mais à peine
approchait-on que l'on vit de loin l'espace rempli de Vautours.
Les Zèbres étaient dépecés ;' il n'en restait que les gros os, et
cependant les Vautours arrivaient encore, et de tous côtés; il y
en avait plus de mille. Curieux d'ojjserver comment pouvait sitôt
arriver un si grand nombre de Vautours, Levaillant se cacha un
jour dans un buisson après avoir tué une grande Gazelle, quil
laissa sur place; dans un instant il vint des Corbeaux qui volti-
gèrent au-dessus de l'animal en croassant; en moins d'un demi-
quait d'heure, il arriva des Milans et des Buses; un instant
après il aperçut, à luie prodigieuse hauteur, des oiseaux qui
descendaient toujours en tournoyant, et il ne tarda point à re-
connaître des Vautours. Les plus pressés s'abattirent sur la Ga-
zelle • mais il ne leur donna pas le temps de la dépecer, et sortit
de son buisson; les Vautours reprirent lourdement leur vol et en
rejoignirent d'autres qui, arrivant de tous côtés, semblaient sor-
tir du ciel; l'enlèvement de la Gazelle les fit bientôt disparaître
tons.
Une bande de Vautours en expectative sur un point est quel-
quefois une indication utile pour le voyageur. Elle l'avertit du
74 QUATORZIÈME LEÇOîS'.
voisinage d'un Lion, d'nn Tigre ou d'une Hyène. Lorsqu'un de
ces animaux a tué quelque grand quadrupède, les Vautours, qui
l'ont aperçu, arrivent aussitôt, et toujours en nombre, et le
voyageur prévenu se tient sur ses gardes. Mais ces oiseaux timides,
ne se sentant pas le courage de disputer une proie, montrent
dans cette occasion toute la timidité de leur caractère; car, n'o-
sant faire usage de leur force, de leurs armes, de la masse du
corps, de l'avantage du vol, ni même de celui du nombre, on
les voit se poser respectueusement à quelque distance de l'animal
féroce, attendant qu'il ait fini son repas et que sa retraite leur
pc. mette de dévorer les restes qu'il leur abandonne. Les Ilot-
tentots et les colons du Cap de Bonne-Espérance, bien instruits,
par l'expérience, de l'babileté des Vautours à découvrir une
proie et de leur voracité, n'aljandonnent jamais une grosse pièce
de gibier qu'ils ne peuvent emporter sur leur dos sans Lavoir
cacbée sous un tas de branches et de feuillages, ou même sans
Lavoir provisoirement enterrée, et, malgré cette précaution, il
leur arrive souvent de ne trouver à leur retour qn'un squelette;
car les Corbeaux, plus hardis, travaillent d'abord à découvrir
Lanimal,et les Vautours, rassurés par leur présence, ont bientôt
entièrement dévoré leur proie. On voit que les Hottentots se mé-
fient plus de la vue perçante des Vautours que de la finesse de
leur odorat, et il faut s'en rapporter à leur appréciation et à leur
expérience. Aussi ce que nous avons dit des Cathartes peut s'ap-
pliquer aux Vautours; et nous ne reviendrions pas à la question
si nous n'avions à communiquer deux observations, l'une qui
confirme la supériorité de la \ii2 sur l'odorat, et l'autre qui
prouve cependant que le sens olfactif n'est pas sans finesse chez
ces oiseaux.
Le docteur Franklin, en traversant, comme Levaillant et tant
d'autres, les immenses déserts de l'Afrique, où ne se rencontre
pas un brin dherbe qui puisse attirer un animal vivant, et où.
YllLTURlDÉS. 75
par conséquent, les oiseaux de proie n'ont aucun motif de faire
leur ronde, a été deux ou tiois fois témoin d'une scène qui a
éveillé son attention. Si, \ym hasard, un des Chameaux ou toute
autre hète de somme appartenant à la caravane dont il faisait
partie venait à succomher, on Tahandonnait, et, en moins d'une
demi-heure, on découvrait dans les airs une multitude de petits
points qui se mouvaient lentement en décrivant des cercles. En
peu de temps les points grossissaient, et cela à mesure qu'ils
descendaient en spirale vers la terre : on reconnaissait des Vau-
tours. L'odeur que pouvait répandre ce cadavi'c non encore dé-
composé n'était pas assez forte pour les attirer ou les guider, et
cependant ils arrivaient de tous les côtés à la fois.
Un pauvreémigré allemand, qui vivait seul dans unechaumière,
avait fait une provision de viande qu'il ne put faire cuire, parce
qu'il tomha sérieusement malade et qu'il resta plusieurs jours
sans connaissance. Cette viande se putréfia, et l'odeur se répan-
dit même au dehors de la chaumière. Les Vautours du voisinage
arrivèrent bientôt les uns après les autres, et attirèrent l'atten-
tion des voisins, qui pensèrent que l'Alsacien, qu'ils n'avaient
pas vu depuis plusieurs jours, était mort. On pénétra dans la
chaumière; le malade vivait encore, luais l'odeur repoussante
do sa chambre s'expliqua dès qu'on découvrit la viande en pu-
tréfaction. H est évident que, dans ce cas, l'odeur seule a alfiré
les Vautours qui rôdaient sans doute dans le voisinage.
Ces oiseaux se montrent quehjuefois plus délicats dans le
choix de leur nourriture. EnÉgyple, dans la saison où les Cro-
codiles déposent leurs œufs dans le sable du rivage, les Vau-
tours se tiennent en observation et guettent les mouvements des
femelles. A peine se sont-elles retirées, qu'ils arri\ent et déter-
rent les œufs à l'aide de leurs griffes et de leur bec, et les ava-
lent, Les Vautours ne méprisent pas, d'ailleurs, le cadavre du
Crocodile; luais, comme ces reptiles sont recouverts d'nne véri-
76 QUATORZIÈME LEÇON,
table cuirasse, trop forte pour être brisée et ouverte par le bec ou
par les ongles, les Vautours sont souvent obligés d'attendre
longtemps que cet obstacle cède de lui-même par suite de la dé-
composition intérieure. Mais ils sont souvent déçus dans leurs
espérances, comme l'avons déjà vu au sujet des Cathartes, car la
chair se trouve alors dans un état si avancé, qu'elle coule sur le
sol en un fluide immonde.
Le vol des Vautours est plutôt remarquable par sa continuité
que par sa rapidité. Ils se tiennent sur leurs ailes pendant un
temps considérable. La nature n'a généralement donné la vitesse
qu'aux oiseaux de proie qui poursuivent des animaux vivants.
Les ongles allongés du Vautour ne lui permettent guère d'enlever
les charognes dans son nid. La plupart de ces oiseaux dévorent
la viande moite sur place, et l'emportent dans leur jabot pour
la dégorger dans le bec de leurs petits. Lorsqu'ils sont repus,
lorsi[u'ils ont dépecé le corps d'un animal, soit pour leur couvée,
soit pour eux mêmes, le bas de leur œsophage se gonfle outre
mesure, sous forme d'une grosse vessie qui f\it saillie entre les
plumes. Ils demeurent alors immobiles pendant des heures en-
tières et la tête appHquée sur le jabot.
Un caractère qui distingue les Vautours des autres oiseaux de
proie, c'est, nous l'avons déjà dit, la nudité de la tête et d'ure
partie du cou, qui sont seulement recouvertes d'un duvet court.
On a cru voir dans cette nudité une précaution de la nature.
Plongeant sans cesse, non-seulement le bec, mais la tête tout
entière dans des masses de matière putréfiée, ces oiseaux ne
pouvaient avoir de plumes sur la tête ni sur le cou, comme les
Aigles et les Faucons, car ces plumes, sans cesse humectées par
la pourriture, auraient, en se collant les unes aux autres et en
séchant, fort incommodé ces animaux.
Les Vautours se plaisent sur les rochers élevés et inaccessi-
bles; c'est là qu'ils étal)lissent leur aire, mais on les voit descen-
vui/rrinuÉs. 77
(Irc dans les plaines piMidant VWiwx. On n'est pas d'accord sur
le noml)rcde leurs œufs, ([ui paraît varier selon les esi)cces. En
Sardaigne, le docteur Kiankliu a vu ces oiseaux construire un
Fig. 19. — Vautour chasseliente, VuUur Kolhii.
nid d'un mètre et plus de diamètre, sur de très-hauts arbres.
Ces nids contenaient deux et rpielquefois trois œufs, plus gros
que ceux de l'Oie. Ces œufs sont d'une forme plus constamment
7.
78 0UAT0I5ZIÈME LEÇON,
ovalaire qu'arrondie, parfois ovée; à coquille (Viin grain épais,
dur et rude au toucher, blanche et légèrement bleuâtre, irrégu-
lièrement poreuse, mate et sans reflet, tantôt unie et sans tache,
ce qui est le plus ordinaire chez le Vautour fauve; tantôt clair-
semés, surtout au gros bout, de taches de couleur brun de Sienne,
formant des points plus ou monis arrondis; souvent recouverts
irrégulièrement de larges taches de cette couleur, comme chez
le Vautour Oricou; ou enfin entièrement couverts de taches bru-
nes, fines, d'un violet pâle ou cendré, comme chez le Vautour de
Nubie. Leurs dimensions sont de neuf centimètres de grand dia-
mètre et de six centimètres de petit.
Dans les ménageries, les Vautours font généralement une assez
triste figure, et ils répandent autour d'eux une odeur infecte.
Mais, à Tétat de nature, c'est tout autre chose. Libre, le Vautour
a sa beauté. Il faut voir ces oiseaux perchés dans les lieux sau-
vages, auxquels ils donnent une sombre poésie. Leur attitude
rêveuse, leurs yeux baissés, leur tête ensevelie dans leurs épau-
les, tout leur donne un air mystérieux. Le docteur Franklin en a
rencontré plus d'une fois sur les grands pins morts ou sur les
cyprès. Ils restent là quel(|uefois perchés pendant des heures en-
tières, les ailes ouvertes. Quelques voyageurs croient que les
Vautours prennent cette position, fatigante en apparence, pour
que l'air puisse souffler sur toutes les surfaces de leur corps et
emporter Fodeur infecte qu'ils répandent.
Les Vautours ne sont ni aussi stupides ni aussi lâches qu'on
le croit assez généralement. Un ami du docteur Degland a vu un
Vautour cendré vivant en captivité depuis plusieurs années, et
qui répondait à la voix de son maître; il ne craignait pas les
Chiens qui cherchaient à le mordre. Une autre personne de la
connaissance de M. Bouteille, le savant ornithologiste du Dau-
phiné, en a pendant longtemps possédé un, qui s'était rendu fa-
milier au point de venir demander sa nourriture. Cependant il
VlII/rUIUDÉS. 70
s'csl, échappé une fois, cL il a hlessé ciucUcnieiiL deux hommes
([iii le suivaient. Cette espèce est tiès-iedoutét; des pàties des
Aldules.
Les Vautours sont orij^inaires des contrées chaudes du glolje. A
mesure qu'on s'éloigne de ces contrées, ils ne se rencontrent plus
(ju'en petit nond)re. C est ainsi que, sur une douzaine d'espèces,
trois seidement sont propres à l'Europe. La limite de leur distii-
hution géographique est pourtant plus reculée que ne l'avaient
cru les anciens naturalistes. On voit exceptionnellement des Vau-
tours même en Angleterre. En 182G, rapporte le docteur Fran-
klin, près de Bridgewater, dans le Somersetshire, un oiseau
étrange, inconiui, avait été remarqué à terre sur une route.
Poursuivi, il prit son \ol et se porta à environ trois kilomètres
de la mer; puis il s'abattit sur le rivage, où il fut tué d'un coup
de feu. Il venait de se gorger de la chair d'un Agneau mort, et
ce repas copieux fut sans doute la cause de sa perte, car son yoI
alourdi ne lui permit pas dç s'élever hors d'une portée de fusil.
Un autre Vautour, à en juger par la description des gens de la
campagne, fut vu, quelques jours après, non loin du même en-
droit où le premier avait été tué; mais il échappa à la poursuite
des chasseurs.
On oljserve une différence de mœurs entre ceux de ces oiseaux
qui vivent dans les contrées très-chaudes et ceux qui habitent
des climats plus tempérés. En Europe, les Vautours gitent, du-
rant la belle saison, sur les montagnes les plus hautes et les
plus désertes, tandis que, en Egypte et dans d'autres contrées de
l'Afrique ou de l'Asie, ils s'approchent sans crainte des endroits
habités, se répandent au point du jour dans les villes et les vil-
lages, et prennent tranquillement leur repas au milieu des rues.
Ce contraste de mœurs ne saurait tenu' à une différence de tem-
pérature. Il faut plutôt en chercher la cause dans l'hospitalité
qu'ils rencontrent chez les uns, et les coups de fusil qui les at-
SO QUATORZIÈME LEÇON,
tendent chez les antres. Dans les chaudes cités de l'Orient, les
Vautours sont protégés, encouragés, on pourrait presque dire
honorés. Us font partie du service public et semblent avoir con-
science de leur utilité. Aussi dans ce cas se montrent-ils bons
princes et familiers avec les habitants. Entourés de marques de
bienveillance, ils accomplissent avec la plus grande confiance
leur fonction, qui consiste à débarrasser la voie publique des im-
mondices et des charognes. En Europe, au contraire, où les
hommes se chargent de ces fonctions, les Vautours sont poursui-
vis et tués comme un objet d'aversion ou de curiosité. De là leur
défiance, de là leur vie cachée dans les sombres et inaccessibles
retraites des montagnes.
Les Vautours des contrées relativement froides émigrent au
commencement de Fhiver, et vont chercher des climats plus
chauds. Une bande considérable de Vautours cendrés, ou Arrians,
a passé aux environs d'Angers en octobre 1859. On évalua à plus
de cent le nombre d'individus qui la composaient, et Ton en tua
trois. Une autre bande, plus considérable encore, assure-t-on, s'y
était également fait voir en octobre 1857. Elles venaient l'une et
l'autre du nord, et se dirigeaient vers les Pyrénées.
Le plus commun des Vautours est le Vautour lauve, ou Grif-
fon (Vîiltur fiilvus, Brisson), qui compte au nombre des espèces
d'Europe; on le trouve dans les contrées méridionales et orien-
tales, dans les Alpes et les Pyrénées, en Espagne, en Sardaigne,
en Grèce, etc. Les caractères qui le distinguent sont : — Tête et
cou garnis d'un duvet court et d'un blanc sale; — une collerette
de plumes effilées d'un blanc roussâtre; — plumes des parties
supérieures d'un gris isabelle plus ou moins foncé, celles des
parties inférieures tirant sur le roux; — bec livide; cire couleur
de chair; — iris noisette; — pieds gris; — les jeunes, tachetés
de brun; - taille, l%iO à l'",20.
Le Vautour cendré, plus connu sous le nom de Vautour Ar-
VUI/IUHIDÉS. 81
rian {Vnltiir monachm, \a\u\v), ost aussi qnolquofois désigné
sous les noms de Vaulour iioii-, de Vautour moine, de Vautour
d'Arabie; c est le yrand Vautour de Buffon. Il a les caractères
Fig. 20. — Vautour Arrinn, Ynltnr momtcluis, iV;\\)Vi'^ Gould.
suivants : — tète et cou couverts d'un duvet Itrun touffu et lai-
neux; — nuque et devant du cou lUis et d'une teitite livide
bleuâtre; — une fraise de plumes eftilées et contournées à la
base du cou; — plumage entièrement brun, plus foncé chez les
vieux; — pointe du bec et ongles noirs; base du l)ec et cire vio-
lacées; — iris brun; — pieds gris-livide, bleuâtres; — les jeu-
nes, plus fuives; — taille, l'",20.
SI QUATORZIÈME LEÇON.
4« Genre. — GYPAÈTE, GYPAETUS, Slorr.
L'esprit d'association diminue chez ceux des vulturidés qui,
plus forts, mieux armés, attaquent quelquefois des proies vi-
vantes. C'est une exception que va nous offrir l'élude des mœurs
du Gypaëte.
Les caractères de ce genre sont : — Bec allongé, renflé vers
la pointe, qui est courbée comme un crochet; — narines ovales,
couvertes, ainsi que la cire, de soies rudes couchées sur la hase
du hec; — tête et cou vêtus de plumes; — joues, gorge et vertex
couverts de duvet cotonneux et de quelques plumes petites et à
Ijarhes désunies; — tarses courts, emplumés dans toute leur
étendue; — doigts antérieurs réunis à leur hase par un repli
memhraneux ; — ongles faibles et assez aigus ; — ailes longues;
— les quatre premières rémige^ échancrées, la première plus
courte que la deuxième, la troisième la plus grande; — queue
allongée et composée de douze pennes étagées.
Ce bel oiseau, dont la taille dépasse celle des plus grands
Aigles, habite toutes les chaînes de montagnes de l'ancien monde,
mais il n'est pas aussi commun que les Vautours. On le rencontre,
en Europe, dans les Pyrénées et dans les Alpes. Il est redouté des
bergers, dont il trompe souvent la surveillance. Il est beaucoup
plus commun en Afrique, où il se rapproche parfois des villes.
Le nom de cet oiseau exprime bien le rang intermédiaire (ju'il
occupe, par ses formes et ses habitudes, entre le Vautour et
l'Aigle. Le nom de Gypaëte est composé de deux mots grecs qui
signifient Vautour-Aigle. Ce rapace forme, en effet, le trait
d'union entre les deux familles. Quoique bien armé, il lï'ani le
hec ni la serre de l'Aigle. L'Aigle enlève toujours sa proie; le
Gypaëte, plus robuste, l'élève bien aussi, mais seulement quand
le (Inni^or ne lui permet pas de la dévorer sur place. Enfin, il a
VUI/rUHIDÉS. 83
les yeux pelits et à lli'ur de tète, les serres peu i)uiss;iiites du
Vautour, et les tarses emplumées de l'Aigle.
21 — Gjp3t,te biibu (.yi itithi, lai l utils
Si, comme les Vautours, les Gypaètes se gorgciit parfois de
chairs enputrélaction, ils préiereut cepeudant les proies vivantes.
Dans les Alpes, cet oiseau est connu sous le nom de Lxmmer-
geier (Vautour des Agneaux). Il attacpie en effet les Agneaux,
les Chèvres, les Moutons; les Chamois, et même, sil faut en
84 QUATORZIÈME LEÇO^•.
croire certains récits, les hommes endormis et les enflants. Le
Gypaëte détruit aisément les petits animaux, car son bec, quoique
allongé, est dur et fort; mais il n'en est plus de même quand
la lutte s'engage avec des animaux d'une grande taille. Dans ce
cas il a recours à la ruse. Fondant à Timproviste sur quelque
Chamois qui paît ou se repose au bord d'un précipice, le Gypaëte
l'attaque avec furie, le harcèle, bat Tair de ses grandes ailes,
agite ses serres autour des cornes de l'animal effaré, éperdu, et
le force à se précipiter dans l'abîme, où il s'élance à sa suite et
le dévore.
Bruce raconte un trait qui prouve l'audace du Lsemmergeier .
Attiré par les préliminaires du dîner que préparaient les domes-
tiques de sa caravane au somn\et d'une haute montagne, un
Gypaëte apparut et finit par s'abattre sans façon près du cercle
que formaient les voyageurs. Les naturels, effrayés, coururent
aux armes, c'est-à-dire à leurs lances et à leurs boucliers. Après
une tentative inutile pour s'emparer de la viande qui cuisait,
l'oiseau se contenta d'enlever dans ses serres un morceau de
mouton accroché à peu de distance, et partit sans se presser.
Encouragé sans doute par ce premier succès, il revint quelques
minutes après ; mais il fut victime de son audace et tué d'un coup
de fusil.
Il n'y a pas longtemps que les naturalistes sont complètement
renseignés sur cet oiseau de proie, le plus grand de ceux qui
habitent l'Europe. Buffon lui-même Ta confondu avec le Condor.
Un naturaliste suisse, Steinmiiller, est le premier qui en ait
donné une description satisfaisante, que d'autres complétèrent,
et parmi lesquels nous citerons Temmink. Mais le dernier mot
n était pas dit; et c'est au docteur Tscliudi que nous le devons,
et il a ajouté à ses observations personnelles les renseignements
certains qu'il a pu obtenir des chasseurs montagnards.
L'organisation de cet énorme oiseau est très-vigoureuse. Ses
Vni/nillDKS. 85
muscles pectoraux sont cxtraordinairciiinit laigcs et forts ; sa
l)iiissance digestivc est remarquable; il digère iacilemeut de gros
os. On a trouve dans l'estomac d'un de ces-oiseaux, au moment
où il venait d'être tué, une côte de Renard, la (jueue tout en-
tière de cet animal, la cuisse d'un Lièvre, plusieurs omoplates et
une grosse pelote de poils. L'estomac d'un autre Gypaète, tué
par le docteur Scliinz, contenait un gros fragment de l'os du
bassin d'une \ache, un Til)ia entier et une côte de Cbamois, \ui
grand nombre d'os plus petits, des ergots de Coqs et une masse
de poils. Les os sont digérés par coucbes, et le sabot d'iui Cheval,
les os du pied d'inie vacbe, ne résistent pas à l'action de son suc
gastrique, action qui se prolonge même quelque temps après la
mort; car, dans un Gypaète tué pendant qu'il mangeait un Re-
nard et ouvert seulement trois jours après, on a trouvé la tête
du Renard ayant subi Peffet d'une première digestion.
Il n'est pas facile de bien observer les habitudes du Gypaète,
connu aussi sous le nom de Vautour des Alpes, car ce n'est pas
sans danger qu'on parvient à le suivre sur les rochers escarpés
qu'il habite. 11 prend son vol le matin pour explorer les lieux oiî,
la veille, il a trouvé quelque bonne proie, et s'élève à une grande
hauteur pour embrasser plus d'espace. Sa vue est excellente et
son odorat plus fin (jue celui des autres vulturidés. Veut-il saisir
une victime, il plie subitement les ailes et tombe sur elle de tout
le poids de son corps. Si c'est un animal de taille moyenne,
comme un Lièvre, un Agneau, uft Chien, un Renard et même
un Blaireau, il l'emporte sur les rochers, souvent à une grande
distance; mais, s'il ne peut l'enlever, il en déchire vivement
quelques lambeaux, dont il se gorge, et il reviendra plus tard
et tant qu'il y aura quelque morceau à dépecer. S'il veut s'em-
parer d'une Chèvre on d'un Chamois paissant dans le voisinage
d'un précipice, il décrit au-dessus de la proie qu'il convoite des
cercles de plus en plus resseirés, pour l'inquiéter, jusqu'à ce
T. II. <S
86 QUATORZIÈME LEÇON,
qu'elle arrive au bord du précipice. Alors il fond sur elle avec
la rapidité d'une flèche et réussit souvent à la lancer dans l'es-
pace. Des Gypaètes ont essayé la même manœuvre avec des chas-
seurs de Chamois, et les gens qui ont échappé à ce péril déclarent
qu'il est difficile, même à un homme, de résister au terrible
élan de leur vol et à la puissance de leurs énormes ailes. On a vu
un Gypaète tenter de renverser un Bœuf égaré sur le bord d'im
rocher à pic. L'oiseau persistait obstinément dans son audacieuse
entreprise; mais il n'était pas facile de faire sortir le paisible ru-
minant de son calme habituel. Le front bais^ et les cornes en
avant, il se planta solidement sur ses jambes nerveuses et attendit
patiemment que le Gypaète eut reconnu l'inutdité de ses efforts.
Le Gypaète se laisse difficilement approcher, et pour le tirer il
faut le surprendre ou l'attendre à l'affût. On le prend assez faci-
lement au piège amorcé . Les paysans piémontais l'attirent dans une
fosse étroite au fond de laquelle ils placent un cheval mort; il se
gorge alors tellement que la difficulté qu'il éprouve pour i)rendre
son vol, ajoutée à la voracité qui lui fait oublier sa prudence habi-
tuelle, permet de le prendre ou de le tuer dans la fosse.
On accorde une prime à celui qui tue un de ces oiseaux, (pii
sont aujourd'hui beaucoup plus rares qu'autrefois. On sait, à
n'en pas douter, qu'on tuait encore dans les Alpes, il y a soixante
ou quatre-vingts ans, cent cinquante ou deux cents Gypaètes par
an. Dans le canton des Grisons, f heureux chasseur porte sa caj)-
ture de maison en maison, comme chez nous on porte un loup^
pour se faire donner une récompense.
Le Gypaète est parfois victime de sa témérité. Le docteur
Tschudi, que nous citerons souvent, a été témoin du fait sui-
vant. Auprès d'Alpnach, dans l'Unterwalden, tout à côté d'un
endroit appelé le Trou-du-Dragon ^ un Gypaète avait pris un
Ilcnard et l'emportait tout vivant. Mais maître Renard se débats
tit si bien ([u'il finit par saisir son ravisseur au cou et le serra si
VULTIIlUnÉS. 87
Ibrf, ((u'JI lo forçii Ti (IcsccMidro à terro pins vite qu'il no vonlait.
l/oisean se tna en tombant, rtlcKcnanl, déga'ié do son iHrcintc,
s'onlnit à toutes jamlios oniportant de son excursion aérienne
un souvenir qu'il ne dut pas oublier do sitôt. Le même observa-
teur cite plusieurs e\emi)les d'enlants enlevés par des Gypaètes,
entre autres la délivrance presque miraculense d'une petite fille
ainsi enlevée et qui, depuis lors, reçut le nom de Geïer'-Xnnc.
L'événement fut consigné sur les registres d'une paroisse de
rOberland bernois auprès de laquelle ce fait eut lieu, et rbéroïne
vivait encore il y-a une dizaine d'années.
Un fait plus récent et plus malheureux est rapporté par
M. Moquin-Tandon. Il y a une vingtaine d'années, doux petites
(illos, dans lo voisinage d'Alesse, canton deVaud, l'une Agée de
cinq ans, l'autre do trois, jouaient ensemble lorsqu'un de ces oi-
seaux se précipita sur la première, et, malgré les cris de sa com-
pagne et l'arrivée de quelques paysans, elle fut emportée. D'ac-
tivés recherches faites sur les rochers des environs n'eurent pour
résultat que la découverte de l'aire qui contenait deux petits, et
près- de laquelle on trouva un soulier et un bas de l'enfant au
milieu d'un tas d'ossements de chèvres et d'agneaux.
Si le^ Gypaètes n'attaquent pas habituellement l'honnuo, ils ne
craignent cependant pas de le faire pour défendre leurs petits.
Un jour, dans le canton de Glaris, un ouvrier résinier, aperçut
une aire au sommet d'un roc. Il y grimpa et trouva deux jeunes
Gypaètes. xXotrc homme s'en empara, leur lia les pattes, les jeta
sur son épaule, et il opérait sa descente (juand, aux cris dos pri-
sonniers, les parents mâle et femelle arrivèrent et l'attaquèrent
avec fureur. Ce ne fut qu'en se servant habilement do sa hache
qu'il les tinta distance, encore l'escortèrent-ils jusqu'au village
de Schwanden, à- quatre lieues de là.
Le fameux chasseur do chamois Joseph Scherrer, d'Aunnon,
sur le NYallensio, grimpa une fois, pieds nus et son fusil sur
88 QUATORZIÈME LEÇON,
l'épaule, jusqu'à une aire qu'il soupçonnait devoir contenir des
petits. Avant qu'il eût atteint le but, le Gypaëte mâle se montra,
et le chasseur, s'arrêtant sur un talus, le tua facilement. Scherrer
rechargea son arme et continua son ascension; mais, au moment
où il arrivait à Taire, la femelle se précipita, furieuse, sm^ lui, le
saisit à la hanche avec ses serres et chercha à le jeter en bas du
rocher, tout çn lui portant de terribles coups de bec. La position
du chasseur était des plus périlleuses, obligé qu'il était de se
cramponner d'une main au revers du précipice sans pouvoir
faire usage de son arme; cependant il eut assez- de présence d'es-
prit pour dégager son fusil et le diriger d'une main sur le corps
de Toiseau, qui ne lâchait pas prise. Le Gypaëte tomba mort au
milieu des rochers. Scherrer, de retour avec ses prises, reçut une
*prime de cinq florins et demi, et il en fut quitte pour de profondes
blessures au bras et à la hanche.
Comme la plupart des rapaces, le Gypaëte peut vivre long-
temps en captivité. Le professeur suisse Scheitlin en garda un
pendant plusieurs années; mais ce n'est pas sans danger, car ces
animaux conservent toujours leurs instincts. Le fait suivant rap-
porté en 1840 par M. Crespon, dans son Ornithologie du Gard,
en est la preuve. « Depuis plusieurs années, dit-il, je .possède
un Gypaëte vivant, qui n'est pas redoutable pour les autres oi-
seaux de proie qui se trouvent dans la même volière que lui.
Mais il n'en est pas de même pour les enfants, sur lesquels il s'é-
lance en étendant les ailes et en leur présentant la poitrine
comme pour les en frapper. Dernièrement, j'avais lâché cet oi-
seau dans mon jardin. Épiant le moment où personne ne le voyait,
il se précipita sur une de mes nièces, âgée de deux ans et demi.
L'ayant saisie par le haut des épaules, il la renversa. Heureu-
sement que ses cris nous avertirent du danger qu'elle courait;
je me hâtai de lui porter secours. L'enfant n'eut que la peur et
une déchirure à sa robe. »
VlILTUninÉS. 89
Ceux des gros oiseaux de proie, tels que les Vulturidés, dont
les serres ne sont ni assez lecourbées ni assez aiguës pour leur
permettre d'accrocher leur proie et de l'enlever à la manière des
Aigles, atteignent le môme Init d'une autre l'açon. Ils se servent
de leur bec fort et croclm pour saisir une proie un peu lourde,
et d'un coup de tête en arrière ils la jettent entre les épaules, où
elle se place dans le creux formé par les ailes.
rharie, Gypaetus meridiomlis.
Quelques naturalistes croient à l'existence de deux espèces de
fiypaëtes. Tune d'Europe, à plumage blanc en dessous, tandis
que [chez celle d'Afrique les mêmes parlies sont couleur de
8/
90 QUATORZIÈME LEÇON,
rouille. Saut cette différence de couleur de la gorge , du cou et
des parties inférieures, ces oiseaux sont identiquement les mêmes.
Ceux qui ne reconnaissent qu'une seule espèce disent avec raison
que la couleur ocracée des individus d'Afrique n'est pas" fixe,
qu'elle disparaît en mouillant les plumes et en les frottant avec
un linge, ce qui est prouvé par les expériences qui ont été faites.
Cette coloration d'emprunt serait due à la nature des terrains et
à la couleur des rochers sur lesquels ces oiseaux fixent leur rési-
dence. Ceux, au contraire, qui croient à l'existence de deux es-
pèces trouvent que celle d'Afrique diffère encore par un autre
caractère. Les plumes de la partie postérieure du cou sont épi-
neuses et semlilent formées d'une tige sans barbe. Serait-ce bien
là un caractère suffisant et le frottement fréquent du cou contre
les rochers ne peut-il le produire? cette question est encore pen-
dante. Enfin, on a remarqué que les individus des Alpes comparés
à ceux des Pyrénées et de la Sardaigne sont d'une plus forte
taille, ce qui, suivant quelques auteurs, parmi lesquels nous cite-
rons le prince Ch. Bonaparte, constituerait une troisième espèce.
Quoi qu'il en soit, la femelle se distingue du mâle par une taille
plus forte, les soies de la base du bec et les plumes tibiales moins
longues. Les jeunes ont un plumage plus foncé dans toutes ses
parties et qui s'éclaircit graduellement chaque année.
La ponte du Gypaète est généralement de deux œufs, de
même forme que ceux des Vautours. Ils sont d'un brun uniforme
pâle, avec quelques raies ou taches d'un brun beaucoup plus
foncé et presque rouge, tels sont généralement ceux de l'Algérie,
ou d'un brun-violet pâle uniforme, tels sont ceux d'Europe. Il est
à remarquer que ceux de l'Algérie sont généralement plus petits
que ceux d'Europe ; ils ont huit centimètres de grand diamètre
et six centimètres et demi de petit. C'est d'après une fausse indi-
cation que, dans Y Encyclopédie, nous avons attribué au Gypaète
un œuf blanc; nous nous empressons de reclilier cette erreur.
5" Genrk.
VUI/rU RIDES.
SERPEÎ5TA1RE, C.YPOGEnANUS, llligcr,
91
Ce genre est représenté par une senle espèce connue sous
plusieurs noms : Messager^ à cause de la lapidité de sa marche;
rig. -25. — Serpoiilaire orienlnl, Giipogeronvs oricnlalis.
Serpentaire, parce qu'elle ne mange que des reptiles et princi-
palement des Serpents; et enfin, Secrétaire, à cause des plu-
mes qu'elle porte derrière le cou, et qui rappellent assez l/ien la
plume cjue les connnis aux écritures mettent derrière l'oreille.
92 OIATOUZIÈME LEÇON.
Jusqu'à Tépoque du voyage de Lcvailhuit en Afrique, Tal)-
sence d'olisenations exactes et les rapports incertains des voya-
geurs avaient empêché les naturalistes de voir dans cette espèce
un oiseau de proie arme d'un bec épais, crochu et d'ailes robus-
tes, qui lui servent à assommer les reptiles comme avec une mas-
sue. Cet oiseau est cependant bien un rapace diurne par la forme
de son bec, par celle de son corps et par ses instincts; mais il est
modifié comme devait Têtre un oiseau de rapine fait pour se
nourrir de reptiles; ses ongles sont émoussés par suite de ses
halitudes plutôt terrestres qu'aériennes, car il vole très-rare-
ment. Il est, en un mot, dans tout son ensemble, ce que devait
être un oiseau de proie terrestre, destiné à modérer la multipli-
cation des reptiles qui abondent dans les diverses régions de
l'Afrique. Par la longueur de ses tarses et par d'autres détails
d'organisation, il a aussi des rapports avec certains échassiers,
tels que les Grues et les Cigognes; et c'est dans cet ordre que
quelques auteurs ont voulu le placer, llliger a bien compris cette
double affinité, en créant pour cet oiseau le nom générique
Giipoge7'a7ins, qui signifie Yautour-Grue.
Le Serpentaire a en effet la jambe et surtout le tarse très-
longs, pour élever son corps et le garantir de la morsure veni-
meuse des Serpents, qui sont sa principale nourriture. Privé en
quoique sorte de serres, si utiles aux autres rapaces, il a en. com-
pensation des ailes munies de proéminences osseuses arrondies,
qui constituent, avec son bec vigoureux, de puissants moyens
d'attaque et de défense. Sa course est rapide; pour l'accélérer, il
ne se sert point de ses ailes, qu'il réserve pour le combat. Sur-
prend-il un Serpent loin de son gîte, le reptile s'arrête, se re-
dresse et cberche à intimider l'oiseau par le gonflement extra-
ordinaire de sa tête et par un sifflement aigu. C'est dans ce
moment que le Serpentaire emploie tous ses moyens; il développe
une de ses ailes, la ramène devant lui, et la transforme en bon-
VlH,TURinÉS. 95
rlier qui couvre ses jambes et la partie inférieure de son corps.
Le Serpent s'élance; l'oiseau bondit, fnip|)e, se jette en arrière,
saule en tous sens, et revient an(onil)at en présentant loujoiiisà
la dent venimeuse de son adversaire les plumes solides de son
aile; et pendant cpie celui-ci épuise sans succès son venin sur des
pennes insensibles, il lui détacbe avec l'autre aile de vigoureux
coups, dont l'action est puissamment an'^nientée par les proé-
minences osseuses dont nons venons de parler. Enfin le rep-
tile, étourdi d'un coup d'aile, cliancelle et cherche à fuir; mais
il est vivement saisi et lancé en l'air ;\ plusienrs reprises, jusqu'au
moment où il n'est pins à redouter. Le vainqueur lui brise le
crâne à coups de bec, et Tavale le plus souvent tout entier. S'il
est trop gros, il le dépèce en l'assujettissant sous ses doigts. Des
piquants aigus, comme ceux du Jacana et du Kamiclii, seraient
sans effet sur la peau lisse et le corps arrondi des Serpents; des
nœuds osseux et durs remplacent avantageusement ces piquants
chez le Serpentaire; des coups réitérés et donnés avec force
étourdissent le reptile et lui brisent souvent la colonne vertébrale
du premier qu'il reçoit. C'est ainsi que procède le Serpentaire
en liberté; et c'est à peu près de la même manière qu'il se con-
duit en domesticité. On peut en voir un à la ménagerie du Mu-
séum, mallieureusement il a perdu une patte. Un autre de ces
oiseaux, vivant aussi dans le Jardin zoologique de Londres, il y
a déjà près de trente ans, a donné lieu à la description suivante,
qui ne manque pas d'intérêt.
Le Serpentaire, avec ses jambes grêles, sa culotte de velours,
sa physionomie circonspecte, sa démarche insinuante, son air de
dignité mêlée de réserve et de finesse, a quelque chose de mer-
veilleusement aristocratique. S'il y a dans sa conduite un hui-
tième de courage, il y met sept huitièmes de finesse. Faites
pénétrer un reptile d'espèce ordinaire dans le parquet ([u'il
habite : d'abord le Serpentaire observe patiemment sou ennemi.
94 QUATORZIÈME LEr,n>-.
rien ne révèle la violence de l'émotion qni le domine. L'œil
élincelant et iixe, il demeure immobile jusqu'au moment favo-
rable; alors il tombe sur sa proie, l'écrase sans pitié, la serre vi-
goureusement, et la frappe de l'aile et du pied. Aussitôt il se
redresse en vainqueui-, sans quitter prise et toujours en garde.
Bientôt, avec son bec, il porte sur la tête du reptile agonisant
un coup terrible, qui est souvent le coup de grâce. Mais sa pru-
dence ne Fabandonnera pas; son œil vigilant ne se détacbera
point de l'ennemi. A cbaque nouvelle blessure qu'il fait, le Ser-
pentaire a soin de se détourner et de se mettre à Tabri des re-
tours de celui qu'il terrasse, jusqu'au moment oi^i il est rassuré
par l'immobilité complète de sa victime. Seulement alors il com-
mence paisiblement son repas, et dévore son ennemi avec une
grâce remarquable.
C'est avec cet instinct mêlé de courage et de prudence qu'il
pourvoit à sa subsistance au milieu des sables de l'Afrique. Sa
taille svelte, ses longues jambes défendues par des écailles impé-
nétrables, la vigoureuse défense qu'il peut faire avec ses ailes,
le mettent à même de vaincre les plus redoutables reptiles du con-
tinent africain. On le voit souvent, tenant un Serpent dans son
bec, s'enlever avec lui, le laisser retomber, le reprendre encore
pour Tétourdir par une nouvelle cbute, et l'acbever sans craindre
la moindre résistance. En captivité, ses. instincts s'émoussent,
deviennent plus vulgaires; son bistoire alors ne dit plus les ex-
ploits du désert, et constate seulement la guerre que Tesclave
fait aux parasites de toutes sortes qui s'introduisent dans les jar-
dins et les cours des babi ta lions.
Le Serpentaire en liberté se nourrit aussi de Lézards, moins
dangereux à combattre, de petites Tortues, qu'il avale tout en-
tières après leur avoir brisé le crâne. Il ne dédaigne même pas
les insectes et les Sauterelles. A l'état de domesticité, il senoiu'-
lit de toute espèce de viandes crues ou cuites, et mange même
VUl/riJUlDÉS. 95
dos poissons. LcvaillaiiL l'a vu niaiiitc l'ois avaler de jeunes l*ou-
lels et de petits oiseaux avec toutes leurs plumes; et il a remarqué
(pie toujours il avait soin de les l'aire entrer da»is son bee la lêt(!
la première. Cei'.endaut il no pense pas ([uo, libre, il attaque les
oiseaux; du moius on n'en (•it(3 pas d'exemple.
L'un des Serpentaires (pi'avait tués ce voyageur avait clausson
jabot vingt et nue petites Tortues entières, dout [)lusiem-s avaient
près de cin([ eentiuiètres de diamètre, onze LézaJ'ds de seize à
vingt centimètres de longueur, trois serpents longs de cin({uante
lentimètres, un grand nombre de Sauterelles et d'autres in-
sectes, dont plusieurs étaient même si intacts qu'il put les con-
server dans ses collections. Les Serpents, les Lézaids et les Tor-
tues avaient tous un trou dans la tète. 11 trouva aussi dans l'esto-
mac du même oiseau une pelote grosse comme un œuf d'Oie;
elle n'était composée que de vertèbres de Serpents et de Lézards,
tl'écailles de Tortues, d'ailes et de pattes do Sauterelles, et enlin
d'élytres de plusieurs Scarabées. Cet oiseau, comme le font presque
tous les rapaces diurnes et nocturnes, rejette pur le bec toutes
ces dépouilles qu'il ne digère pas.
On a remarqué que c'est dans le courant de juillet que les
Serpentaires s'apparient. La jalousie devient alors entre les
mâles une cause de combats opiniâtres; ils se frappent du bec et
des ailes pour se disputer une femelle, qui se rend toujours au
vainqueur. Us construisent un nid plat, en forme d'aire, comme
celui de l'Aigle, et le placent, à bauteur d'un mètre, au centre du
Iniisson le plus touffu du canton qu'ils ont cboisi pour domaine.
(<e nid est garni inléiieu rement de laine et de plumes; sa dimen-
sion est au moins d'un mètre? de diamètre; il est arrangé fort
babilement. Les brandies sont disposées de manière à servir de
base à lédifice; elles poussent de tous les côtés des jets qui mon-
tent bientôt plus baut que le nid et forment une espèce de rem-
part circulaire qui le dérobe à la vue. Le mode de nidilication
9G QUATORZIEME LEÇON,
varie suivant les localités; celui que nous venons tVindiquer
se ]-emarque aux environs du Cap et dans les plaines oii la vé-
gétation a peu de vigueur ; mais, vers la côte de Natal, Levail-
lant a vu leur aire placée sur les arbres les plus élevés, et il fait
remarquer que là aussi ces oiseaux se retirent tous les soirs sur
les arbres pour y passer la nuit. Le même nid sert longtemps
au même couple, qui, comme les Aigles, habite seul un domaine
fort étendu. La ponte est de deux et souvent de trois œufs, d'un
blanc laiteux, avec de fines grivelures brunes à peine apparentes
et entremêlées seulement au gros bout de quelques taches rares,
irrégulières, d'un brun plus foncé. La forme de ces œufs est en
rapport avec celle du corps du Serpenti\irc ; elle tient le milieu
entre celle des œufs de Vautour et celle des œufs d'Échassier.
C'est une confirmation nouvelle de ce que nous avons dit de la
lorme des œufs d'oiseaux de tous les ordres. Ainsi cette forme est
ovée et se rapproche beaucoup de l'ovoiconique, caractère dis-
tinctif de l'œuf des Échassiers. Leurs dimensions sont de sept à
huit centimètres comme longueur, sur cinq centimètres et demi
de largeur à la partie la plus renflée.
Les petits sont longtemps hors d'état de prendre leur essor ;
leurs tarses longs et grêles, sur lesquels ils ont d'abord beaucoup
de peine à se soutenir, sont la cause de ce retard ; et on les
trouve encore dans le nid, quoiqu'ils aient tout leur développe-
ment. Ils ne peuvent bien courir (pi'à l'âge de quatre à cinq
mois, et, jusqu'à ce moment, ils marchent en s'appuyant sur le
talon dii tarse, ce qui leur donne fort mauvaise grâce, tandis qu'à
l'état parfait ces oiseaux ont la démarche aisée, le port noble et
les mouvements pleins de dignité. En temps ordinaire, le Ser-
pentaire marche avec calme et assurance ; mais, au besoin, sa
course est d'une vitesse extrême. Se voit-il poursuivi, il a plus
de coniiancc dans ses jambes que dans ses ailes. 11 faut, pour
l'obliger à prendre son vol, le surprendre à couite distance ou
VLILTIIUIDÉS. 'J7
le |jouisuivi'e à Cheval au grand galop ; mais alors il s'élève peu
el redescend aussitôt qu'il se voit hors de duiiiier, ])Oiu' recourir
à ses jamhes.
Le Serpentaire est très-niéfiant et singulièrement rusé : on
ne l'approche (pie difficilement à portée de fusil ; et, comme on
ne le rencontre guère que dans les plaines les plus arides et les
plus découvertes, lieux que fréquentent de préférencti les ani-
maux dont il fait sa proie, il s'y trouve en sécurité; aussi le chas-
seur remarqué par lui doit-il renoncer au projet de le joindre. Il
laut employer la ruse : cet oiseau revient toujours dans les mêmes
cantons, et, loisqu'on en a reconnu un qu'il fréquente d'ordinaire,
il laut s'y rendre avant le jour, se cacher dans un huisson bien
toulfu et y rester jusqu'à ce qu'il se présente à bonne distance. H
laut, pour cette chasse, s'armer de beaucoup de patience, ne pas
faire le moindre mouvement, et le buisson dans lequel on se cache
doit être même bien fourré; sans ces précautions, l'oiseau, très-
clairvoyant, a bientôt découvert le chasseur. Levaillant dit même
qu'il n'a réussi à tirer de Serpentaires, encore n'en a-t-il tué
que cinq pendant tout son séjour en Afrique, qu'en prenant le
soin de ternir le brillant du fusil et de ses batteries avec du sang
d'un animal fraîchement tué. C'est la méthode qu'emploient gé-
néralement les colons du Cap; le terne du bronze ordinaire est
insuffisant lorsqu'ils veulent approcher même des Gazelles.
Appariés, le mâle et la femelle se séparent rarement, et on
les trouve presque toujours ensemble. Pris jeune, cet oiseau s'ap-
[)ri\oise facilement et devient même familier. Si on a soin de le
bien nourrir, il ne fait aucun mal aux oiseaux de basse-cour ;
dans le cas contraire, son appétit n'a aucune considération. 11
n'est pas méchant et semble aimer la paix pour lui comme pour
les autres; car, s'il y a quelque bataille dans la basse-cour qu'il
habite, on le voit aussitôt accourir pour séparer les combattants.
Beaucoup de colons, au cap de Bonne-Espérance, élèvent de ces
98 QUATORZIEME LEÇON.
oiseaux, autant pour maintenir la paix parmi les volailles de di-
veises espèces que pour détruire les reptiles et la vermine.
Nous avons dit que, comme presque tous les oiseaux de proie,
un couple de Serpentaires ne souffre jamais aucun autre indi-
vidu de la même espèce dans le canton qu'il a choisi. Mais,
en revanche, les petits oiseaux, et principalement les diverses
espèces de Tisserins, choisissent le voisinage de leur domicile
pour y étahlir leurs nids, qu'ils suspendent même quelquefois
autour de Taire; il semblerait que ces petits oiseaux cherchent,
en agissant ainsi, à se mettre sous la protection des maîtres du
canton. Us sont en effet bien inspirés, car les Serpents, qu'ils
redoutent et dont ils seraient victimes partout ailleurs, ne peuvent
les attaquer impunément autour du nid de leurs protecteurs.
C'est à Jules Yerreau, l'un de nos collaborateurs, que nous devons
cette communication intéressante sur les habitudes des Tisserins
et la bienveillance des Serpentaires à leur égard.
Ce doyen de nos voyageurs et ses frères ont possédé, pendant
leur séjour au cap de Bonne-Espérance, un grand nombre de
Serpentaires, et depuis bien des années ils ont proposé d'intro-
duire cet oiseau dans nos colonies françaises. En 1826, ils déci'
dèrent M. Freycinet à prendre plusieurs coui)les de Serpentaires
pour les transporter à Cayenne, où il se rendait comme gouver-
neur. Pendant quelques aimées ils ont pu croire au succès de
leur idée, mais bientôt ils ont appris que des colons peu intel-
liiiciits avaient tué ces utiles oiseaux. Le docteur Lherminier,
en 1852, avait aussi introduit le Serpentaire aux Antilles, no-
tamment à la Guadeloupe, où le serpent trigonocéphale, si redou-
table, est très-commun ; mais cette importation n'a pas eu plus
de succès, sans doute à cause de la môme ignorance des services
que peut rendre cet oiseau, si bien apprécié au Cap que chaque
maison a, faut-il dire, le sien.
Nous résumerons Tbistone du Serpentaire en disant fpi'il est
YULTHUIOÉS. 00
caractérisé par un hoc crocliu et loii comme celui des Aijilcs,
par un Ion- laisc, par dos phuucs iué-alcs (jui forment, sur le
derrière du cou, une sorte de Inippe pendante (pi \\ \
l lient héiisser
pi„. 2',. — Serpentniio con'iiiiin, Giipoiieranns scr] enlarim-
à volonté, et cnlln par une queue très-étagée ('ont les deux plumes
centrales sont très-longues et traînent à terre pour peu (pie l'oi-
se.au les tienne oblirpiement. L'œil est grisâtre; il est très-ouvert
100 QUATORZIÈME LEÇON,
et garni d'un sourcil noir ; l'arcade sourqlière elle-même est
très-prononcée. Le bec est fendu jusque sous les yeux; la gorge
est large et extensible, ainsi que la peau du cou. Le jabot est
d'une ampleur considérable et peut contenir ane quantité pro-
digieuse de nourriture. Le plumage du Serpentaire mâle adulte
est gris bleuâtre sur la tête, le cou, la poitrine et généralement
tout le manteau ; cette teinte est nuancée de brun roux sur les
couvertures des ailes ; les grandes pennes sont noires. La gorge
et la poitrine sont blancbâtres ; le dessous de la queue est d'un
blanc teinté de roussâtre; le bas-ventre est noir, mêlé de roux
ou de blanc ; enfin, les plumes des jambes sont d'un beau noir
rayé imperceptiblement de brun. La base du bec et la peau nue
des yeux sont d'un jaune plu:, orangé au-dessus de l'œil. Le bec
est couleur de corne noirâtre, ainsi que les ongles, qui sont
courts et émoussés. Les doigts, très-épais, sont, ainsi que le
tarse, couverts de larges écailles d'un brun jaunâtre; les pennes
de la queue sont, en partie, noires, et prennent toujours plus
de gris à mesure qu'elles s'allongent; elles sont touLco terminées
par une partie blanclie; les deux médianes sont nuancées de
brun vers l'extrémité, où elles portent une tache noire. Les taches
terminales blanches disparaissent quelquefois par suite de frot-
tement. La huppe, qui se relève à volonté, est généralement
composée de dix plumes très-apparentes, implantées deux à deux,
les plus courtes sur le haut du cou et les longues à sa partie
moyenne. Ces dernières sont noires, surtout à leur bord externe;
d'autres sont mélangées de gris et de noir; toutes ont des barbes
étroites qui s'allongent un peu vers l'extrémité. La taille du
Serpentaire varie entre un mètre et un mètre quinze ou vingt
centimètres.
Nous ne sommes entrés dans ces détails de description que
pour constater l'uniformité de la livrée, sauf l'intensité des cou-
leurs, sur les individus du Sud et des régions orientales de
vu LTU RIDÉS. 101
l'Afi iquc. On propose, on effet, IVlablissemenl, île deux espèces,
l'une que nous venons de déeiiic el cpii est du sud de l'Afrique,
tandis que l'autre est de l'orient du même continent. Cette der-
nière, nommée par Jules Verreaux: Serpentaire oriental, présen-
terait des dilféiences dans la disposition des plumes occipitales
et dans la nuance plus claire du j)lumaye.
Déjà M. Ogilby a distingué le Serpentaire de la Gambie de
celui du Cap, d'après des caractères différentiels qu'on retrouve
aussi chez les individus du Nil blanc et du Koidofan. En effet,
cliez ces derniers, les plumes de la buppc sont implantées de
clia([ue côté di; la tète et de la partie postérieure du cou, de
manière que, s'écarlaiit à droite et à gauche à la volonté de
l'animal, elles forment une sorte d'éventail renversé, encadrant
le cou jusqu'à plus de moitié de sa longueur; tandis que la plu-
part des individus du cap de Bonne-Espérance ou du sud de
rAfri(juc ont ces mêmes plumes placées tout autrement. Ce n'est
plus une huppe dans le sens rigoureux du mot, mais une espèce
de crinière simple, sur le prolongement de la nuque, et dont
chaque plume se trouve régulièrement superposée à la partie
médiane et postérieure du cou. Cette sorte de huppe cervicale
est simple chez les individus du Sud et double chez ceux des
régions orientales.
Si nous classons cet oiseau parmi les vulturidés et à leur suite,
c'est que, partageant l'opinion de d'Orbigny, nous considérons
le Serpentaire comme formant la transition la plus naturelle des
Vulturidés aux Falconidés, qui vont suivre. Les Caracaras, qui
dans la classification se trouvent en tête des Falconidés, ont de
nombreux rajjports d'organisation et de mœurs avec le Serpentaire;
ils forment évidemment un genre voisin, caractérisé également
par la forme du bec sans dentelure, par la nudité du tour des
yeux, et même par la huppe, remplacée, chez certains Caracaras,
par des plumes frisées, tandis que certains autres ont la faculté
9/
102 QUATORZIÈME LEÇO>'.
de relever à volonté les plumes de la partie postérieure dô la
tête. Un autre rapport se trouve encore dans la nudité du tarse;
enfin le Serpentaire est plutôt omnivore que carnassier, et il est
surtout marcheur. Il est, en un mot, l'analogue, en Afrique,
des Caracaras américains, qui habitent également les terrains
secs et arides, et la longueur proportionnelle du tarse ne peut
être invoquée comme une objection sérieuse à ce rapproche-
ment.
Fig. 23. — Faucon sacre. FaJco sacer, d'après Scliieg»!
QUINZIÈME LF4:0N
Falconidés.
2'^ Famimk. — FALCO\IT)KS.
Les falconidés se distinguent facilement des vuUnridés par
leurs formes moins lourdes. Leur tête et leur cou couverts de
plumes, leur bec à bords festonnés ou dentelés, leurs serres ner-
veuses, développées et à ongles rétractiles, sont les caractères
les plus saillants. Quelques-uns cepeTidant ont encore la face et
une partie de la gorge plus ou moins nues, et établissent le trait
d'union qui relie la seconde l'amille à la première. Nous auron*
souvent Toccasion de. remarquer qu'en passant d'un type à un
autre, c'est-à-dire d'un ordre ou d'une famille à une autre, la
puissance créatrice rappelle dans la série nouvelle qu'elle com-
mence quelques-uns des caractères de celle qu'elle vient de ter-
miner.
Ainsi lesCarncaras, conservant quelques-uns des caractères des
Vautours, mangent des animaux déjà en putréfiiction; les Aigles,
104 QUINZIÈME LEÇON,
les Buses et tous les oiseaux de proie ignobles de G. Cuvier vi-
vent un peu de tout. Ils mangent des animaux de toutes les
classes et de tous les ordres, et, dans la détresse, ils ne dédai-
gnent même pas les chairs corrompues; il n'en est plus de même
des Faucons et de tous les oiseaux de proie nobles, qui, en liberté,
ne s'arrêtent pas devant une proie morte.
Cette famille est très-nombreuse et comprend les grands genres
suivants :
1° Caracara, Polyborus, rcolv^ôpo;, polyphage.
S'* Aigle, Aqiiila.
3° Pygargue, Pontoaëtiis, ttôvtoç, mer; àsTo,-, aigle.
¥ Spizaète, Spizaetus, a-Trî^a, épervier; àîtôç, aigle.
5*^ Buse, Biiteo.
6" Milan, Milvus.
l"" Faucon, Falco.
8" Épervier, Accipiter.
9° Busard, Circus.
Les noms latins sans étymologie sont les anciens noms de ces
oiseaux.
L'indication de ces neuf genres, comprenant chacun des espèces
plus ou moins nombreuses, permet de reconnaître qu'il serait
difficile d'exposer d'une manière générale les mœurs et les ha-
bitudes d'oiseaux groupés dans une famille pour se conformer
à la méthode, mais présentant, dans chaque genre, des instincts
différents et en rapport avec les détails de leur organisation.
C'est donc seulement en faisant l'histoire de chacun de ces genres
(jue nous parlerons des instincts des espèces qu'ils comprennent
Cependant on peut dire que tous ces oiseaux sont chasseurs, car-
nassiers, et que, sauf de rares exceptions, ils prêtèrent les proies
vivantes aux proies mortes.
rAi.r.oMDÉs. 105
Le vol tics falconidés, plus rapide que celui des vulturidés,
est tantôt tics-clevé, comme chez les Aigles, tantôt bas, comme
chez les Busards, accéléré chez les Faucons, lent et majestueux
chez les Buses. A Texception des Caracaras, que lenr genre de
vie attache à la terre, les falconidés ne sont pas marcheurs. Ils
s'avancent en sautant, sans développer complètement leurs doigts,
sans doute pour ne pas émousser la pointe de leurs ongles cro-
chus et rétractiles. La vue de ces oiseaux a une poitée extraor-
dinaire; pendant le vol le plus rapide on les voit souvent s'ar-
rêter tout à coup pour fixer une proie très-éloignée d'eux, et
fondre sur elle du haut des airs. Ce sont aussi les plus criards
de tous les rapacos, les Caracaras sui'tout, et certaines espèces
d'Aigles qui épouvantent tous les autres animaux; mais quelque-
fois ces bruyantes clameurs attirent de petits oiseaux qui se
liguent contre eux, les poursuivent à coups de bec et les con-
traignent à fuir, compensant par leur nombre l'infériorité de
leur force.
La ponte des falconidés est, en moyenne, de trois à quatre
œufs, rarement de six. Leur plumage est un peu plus variable
que celui des autres rapaces et présente des différences très-
remarquables d'âge et de sexe. Souvent le jeune ne ressemble
en aucune ûiçon à l'adulte. Aussi ces différences extraordinaires
de plumage et le tenqis que ces oiseaux mettent à prendre leur
livrée d'adulte, les Aigles surtout, expliquent les erreurs ou les
incertitudes des naturalistes. Pendant longtemps les divers âges
de la même espèce ont été considérés comme des types spécifiques
auxquels on a donné différents noms.
10(5
QUINZIEME LEÇON.
jer Ge^-p.^. _ câRâCâRA, POLYBORUS, Vicillol.
Noms tirés du cri de l'oiseau et de ses h;ibiludes poly pliages.
Nous croyons, avec d'Orbigny, qu'on peut distinguer du reste
des falconidés des oiseaux que leurs mœurs analogues à celles
des vulturidés et leurs principaux caractères doivent nécessai-
rement réunir dans un même groiq^e, tels sont les Caracaras,
({ue les auteurs ont pendant longtemps dispersés dans des genres
tout à fait distincts.
Caracara ordinaire, Potilhorus tniiilicnsis.
Nous caractériserons donc les Coracaras exclusivement propres
à l'Amérique méiidionale, ainsi qu'il suit : bec fortement com-
primé, non courbé dès sa base, sans dentehu'e, mais présentant
1-ALCOlNIDES. 107
quelqiielois un simple sinus on icsloii; ciic poilue, prolongée,
connnnnifiuanl iivec une jiarlie nue, plus on nioins large, qui
enlonie les yeux; dessus des orbites non saillant, eonimceliez les
Aigles; tarses longs et nus, souvent entièrement, et plus ou moins
régulièrement, écnssonnés; doigts en général plus longs que chez
les autres falconidés, le médian très-long comparativement aux
latéraux, tous terminés par des ongles peu arcpiés, perjuettant
une marche facile, et, le pins souvent, usés ou émoussés à leur
extrémité; la troisième rémige la plus longue de toutes; les
deuxième, quatrième et cinquième presque égales, et donnant à
l'aile ouverte une forme tronquée et oblougne. Quelques espèces
ont les plumes occipitales frisées; d'autres ont la faculté de les
relever; enlin une dernière a deux caroncules ou barbillons
sous la mandibule inférieure.
Moins sauvages que les autres falconidés, les Caracaras ont dû
suivre Tespèce humaine dans ses migrations lointaines, aussi les
trouve-t-on depuis les terres les plus australes jusqu'à la ligne,
et depuis le niveau de la mer jusqu'aux sommets les plus élevés
des Andes; mais tous ne sont pas de la même espèce, et chacune
de ces espèces, bien qu'ayant de larges limites géographiques,
n'en a pas moins sa zone spéciale. Le Caracara vit partout, depuis
la zone glaciale, en passant par la zone tempérée, jusqu'à la zone
brûlante des tropiques. C'est un oiseau commun surtout dans les
savanes de la Plala, où il est connu sous le nom de Carrancha.
On le i-encontre fréquc^mment aussi dans les plaines de la Pata-
gonie, et il se trouve en grand nombre dans le désert, entre les
rivières iNegro et Colorado, sur les points fréquentés par les voya-
geurs; il attend là les cadavres des animaux qui meurent de fa-
tigue ou de soil'. Enfin il habite aussi les ibrèts humides et impé-
nétrables de la IVilagonic occidentale et de la Terre-de-Feu. On
ne le voit jamais s'élever sur les hautes sommités, oii il est rem-
})lacé par le Cai'acara montagnard, (pu, bien différent du pre-
1U8 QUINZIÈME LEÇON,
iiiier, vit exclusivement dans les régions élevées, sèches et ari-
des. Une autre espèce, le Caracara Chimango, vit souvent en
compagnie du Caracara ordinaire, dont il a les habitudes et les
instincts. Le Caracara Cliimachima, au contraire, vit isolé, près
des habitations voisines des forêts, ou dans les plaines chaudes
intertropicales.
Fig. 27. — Caracara montagnard, Pulyhorus monlams.
Tous ces oiseaux semblent rechercher la présence de ITiomme.
Far leurs habitudes ils remplacent parfaitement nos Corneilles,
nos Pies et nos Corbeaux, dont la nature a été prodigue pour
l'AIXOMDES. 109
loiis les pays du iiioudc, mais (ju'cIIiî a refusés à l'Amérique du
Sud. C()uij)aiiuou lidMo de l' Indien voyageur, le Caracara l'uc-
eonniai;iie de la lisière d'un bois à eellc d'un aiilrc, sur le bord
Cliimango, Polyl'orus Chimango.
des rivières ou dans les plaines, Iransporlanl son domicile acci-
dentel partout où riiomme vient s'établir. Que le sauvage se fixe
quelque part et se construise une cabane, le Caracara vient s'y
percber, comme pour eu prendre possession le premier; il s'en
éloigne peu, prêt à profiter de débris de toutes soi tes, et il campe
dans le voisinage. Que l'iiomme vienne à former de vastes éta-
r. II 10
110 OUI^'ZIEME LEÇOr^.
])lissenieiits agricoles et s'entoure d'un grand nombre d'animaux
domestiques, Favidc assiduité du Caracara devient plus active,
en raison de l'espoir mieux fondé qu'il conçoit de trouver dans
une riche ferme une pâture encore mieux assurée. Stimulé par
cet appât, l'intrépide oiseau ne craindra pas même de s'abattre
au milieu des basses-cours, enlevant de jeunes Poulets et profi-
tant de la négligence des habitants pour leur ravir le morceau
de viande que, suivant l'usage du pays, ils font séclier au soleil
ou toute autre partie de leur approvisionnement animal. Comme
les Cathartes, les Caracaras pourvoient à l'incurie des villageois
et des citadins, en dévorant les animaux morts et les immon-
dices. Alors véritables Cathartes à serres prenantes ou modi-
fiés en Vautours à forme d'Aigle, on les voit disputer avec achar-
nement la possession d'un lambeau de chair à leurs dégoûtants
rivaux.
Les Caracaras sont plus ou moins familiers, selon les espèces;
ainsi que les Chimangos, ils fréquentent constamment en nom-
bre les estamias et les maisons qui servent de tueries. Si un
animal meurt dans la plaine, le Catharte ouvre le banquet, et le
Caracara ordinaire et le Chimango mangent les derniers débris
de chair et nettoient très-proprement les os. Quoique ces oiseaux
mangent souvent ainsi ensemble, ils sont loin de vivre en bonne
intelhgence : quand le Caracara est tranquillement perché sur
une branche d'arbre ou qu'il pose par terre, le Chimango vient
fréquemment voler autour de lui, et, dans ses évolutions, il
cherche à le frapper de ses ailes; mais le Caracara reste indiffé-
rent à ces hostilités, et s'il paraît y faire attention, c'est seule-
ment par un dérangement ou un balancement de la tète. Bien
cuie les Caracaras s'assemblent fréquemment en grand nombre,
ils ne forment pas de bandes; car, dans les lieux déserts, on les
voit le plus souvent isolés ou par paires.
Le Caracara montagnard a le même genre de vie que les pré-
r.\i,c()MnÉs. 111
cc'doiils, mais il ii'habito que les montapncs cullivéGS et roiulie
sur les rocliers; tandis «inc le Caiacara Cliiiiiacliima, plus sau-
vage, se montre seulemeni [)ar inteivalle, poin- dévorer des res-
tes d'animaux ou pour attaquer de ])auvres l)ètes de somme
Ijlessées par leur 1);U, et (pii ne peuvent se défendre qu'en se
Fig. 29. — C'iracara Chimachima, PoUil'orvs Cliimachima.
roulant par terre. Tous ces oiseaux suivent et liareclcnt les Che-
vaux et les Mulets blessés au garot ou à la croupe et abandonnés
momentanément dans la campagne. Qu'on se figure un pauvre
Clicval épuisé par la suppuration, les oreilles basses et le dos
courbe, et l'oiseau planant au-dessus de la plaie, qu'il fixe d'un
œil avide, et l'on aura une représentation fidèh^ de ce tableau
112 QUINZIÈME LEÇON',
qu'a si bion décrit le capitaine Head avec son esprit oriiimal et
son exactitude. Cependant, malgré leur voracité, les Caracaras
attaquent rarement un animal bien portant, et leurs habitudes
nécrophages ont été constatées, non sans émotion, par les voya-
geurs qui, obligés de s'arrêter pour prendre du repos dans les
plaines désolées de la Patagonie, ont pu voir, à leur réveil, sur
chaque tertre environnant, un de ces croque-morts, les guettant
d'un œil sinistre. Que des chasseurs se mettent en campagne
avec leurs Chevaux et leurs Chiens, et bientôt une troupe de ces
oiseaux affamés formera leur escorte.
Le jabot découvert du Caracara fait saillie sur sa gorge dès
qu'il a mangé; c'est un oiseau indolent, familier, mais poltron.
Son vol est lent et lourd : il prend rarement son essor. Deux fois
cependant, M. Darwin en a vu un qui glissait à une grande hau-
teur dans le ciel avec beaucoup d'aisance; il court ou plutôt il
sautilh, mais avec moins de vitesse que quelques-uns de ses con-
génères. Sans être généralement bruyant, le Caracara l'est pour-
tant parfois; il a un cri rauque et particulier qu'on peut compa-
rer au son guttural g espagnol suivi d'un double rr; quand il
pousse ce cri, il élève la tête et la renverse sur le dos.
A ces observations nous pouvons ajouter, d'après d'Azara, que
le Caracara mange les Vers, les Sauterelles, les Mollusques et les
Grenouilles; qu'il détruit de jeunes Agneaux, comme les Ca-
thartes, au moment ou les Brebis viennent de mettre bas, et qu'il
poursuit l'Urubu gorgé pour le forcer à vomir la charogne, dont
il s'empare aussitôt. Enfm, quelquefois, cinq on six de ces sales
oiseaux se réunissent pour donner la chasse à des Hérons qui
viennent de faire leur repas à la rivière, sans doute pour leur
faire rendre la nourriture qu'ils ont prise.
Le Chimango est beaucoup plus petit que le Caracara ordi-
naire. C'est un véritable omnivore; et l'on assure qu'à Chiloë
il fiit beaucoup do tort aux plantations do pommes de terre,
FAICOMOÉS. \\^>
qu il siùl parfnitoniciil lioiiv('r<|ii:in(l elles viennent d'elle i)lan-
tées; mais il jM-é l'ère la cliair, ei il a généralement le dernier
morceau d'nn cadavre. On U' voit, sonvenl, dans la carcasse d'une
Vache ou d'un Cheval, oceu[»é, connue; dans une cage, à déchirer
les cartilages intercoslaux.
Fig. 30.
Carac;ira fiinùljre, Polijhorus fumin\S.
Une autre espèce, le Caracara de la NouvelUi-Zélande, est ex-
trêmement commune aux îles Falkland, et ses hahitudes sont î\
peu près les mêmes; cependant elles sont un peu modifiées par
le séjour de cet oiseau sur les rochers du Lok^ de la mer, où ils
10.
114 QUINZIÈME LEÇON,
ont plus souvent l'occasion (Vattaquer les animaux vivants et ceux
qui sont blessés par les chasseurs. Les officiers du navire Y Aven-
ture^ qui ont passé un hiver aux îles Falkland, rapportent des
exemples extraordinaires de la hardiesse et de la voracité de ces
oiseaux. Us saisirent un jour dans leurs serres un Chien qui
était endormi près de son maître; et il n'était pas toujours facile
aux chasseurs de les empêcher d'enlever sous leurs yeux les
Oies et autres pièces de gibier qui tombaient à quelque distance.
Us attendent et enlèvent les Lapins à leur sortie du terrier. A
bord même du navire, rapporte M. Darwin, ils commettaient
continuellement quelque vol; et il fallait faire bonne garde pour
les empêcher d'arracher le cuir du gréement, ou d'enlever la
venaison suspendue à l'arrière. Ces oiseaux sont curieux, pillards,
ils enlèvent tout ce qui n'excède pas leurs forces, ramassant tout
ce qu'ils trouvent par terre. Usentraînèrent un jour,à près d'une
lieue, un grand chapeau noir verni, ainsi que deux de ces bolas
dont nous avons déjà parlé, et qu'on emploie ici pour attraper
le bétail. Une autre fois, ils enlevèrent un petit compas de Kater
dans son étui de maroquin rouge, et l'on ne put jamais le re-
trouver. Ils sont en outre querelleurs, très-rageurs, et, quand
ils manquent leurs coups, ils mordent l'herbe avec tous les si-
gnes de la colère; leurs habitudes sont loin d'être sociables. S'ils
se réunissent sur la même proie, c'est pour se disputer à chaque
instant le moindre lambeau. Leur vol est pesant et gauche, mais,
à la différence du Caracara ordinaire, ils courent extrêmement
vite. Malgré leur audacieuse familiarité, ils ne font pas leurs
nids sur les rochers des deux grandes îles Falkland, mais seule-
ment sur ceux des îlots qui les avoisinent. Les baleiniers préten-
dent que la chair de ces oiseaux est très-blanche et bonne à man-
ger; nous en douterons jusqu'à plus ample information.
Généralement les habitants des pays où se trouvent des Ca-
Uiàrtes et des Canecaras, supportent les premiers avec indiffé-
FALCONIDKS. 115
ronce oL ioiiL une guerre ù outrance aux seconds, ([ui, plus légers
et plus rusés, savent éviter les i)iéges et échapper aux poursuites
sans (leviMiir pour cela plus sauvages; car on les prendrait plutôt
pour des oiseaux doniesti(pies appartenant au propriélaue d'une
l'ernie (pie pour des oiseaux de proie oïdiuaiieinent déliants,
et surtout peu habitués à vivre avec Ihonune.
Ces oiseaux nichent ipielquefois à terre, mais le plus souvent
sur des buissons. Leurs œufs ont la forme ovalaire et arrondie
des œufs de Faucon, et, les taches ({ui les couvrent sont d'un
brun rougeàtre, et laissent à peine apeicevoir le blanc de la co-
quille. L'œuf du Caracara ordinaire a les ])lus grands rapports
avec celui du Faucon d'Islande, et, celui du Chimango, sauf ses
dimensions un peu plus fortes, avec celui de notre Cresserelle.
Les dimensions du premier sont de six centimètres sur cinq de
diamètre; celles du second de quatre centimètres et demi sur
trois et demi. Leur ponte est de trois ou quatre œufs, et varie
suivant les espèces.
2" Gknt.e. — AIGLE, AQUILA, Brissoii.
La famille des véritables oiseaux de proie, les Falconidés, se
divise en deux classes : les Nobles et les Ignobles. Cette distinc-
tion est empruntée, comme nous l'avons déjà dit, au langage de
la fauconnerie.
L'aigle n'était point considéré par les anciens fauconniers
comme ini oiseau noble. Son caractère sauvage, féroce, destruc-
teur et, "après tout, assez lâche ne mérite point cet honncui.
L'opinion publi(|ue, si injustement prévenue contre le Vautour,
s'est, au contraire, montrée beaucoup trop partiale envers FAi-
gle. On a prêté à ce dernier beaucoup de qualités qu'il n'a point.
Certains naturalistes, qui avaient étudié la vie de ce rapace dans
les livres ou dans les ménageries, nous ont également donné du
UG OUliNZTEME LEÇO>-.
roman pour de l'histoire. On a siiriiommi' l'Aigle le roi des oi-
seaux. Si c'est un compliment qu'on a voulu lui faire, c'est un
compliment dont les monarques doivent être peu flattés. Il est
Fig. 51. — Aigle impérial, Aquila heliacu.
probable qu'une certaine analogie de mœurs entre le Lion et
l'Aigle, la grande force de ces animaux, leur vie solitaire, lems
habitudes guerroyantes, ont été, dans les âges de barbarie, l'ori-
gine d'un titre qui correspondait alors aux idées qu'on se faisait
de la souveraineté. C'est, en effet, à ce point de vue que s'est
placé Bnffon pour faire la description du caractère de cet oiseau.
« L'Aigle, dit l'illustre écrivain, a plusieui-s convenances phy-
siques et morales avec le Lion. La force, et par conséquent l'em-
KAI.COMDKS. 117
pire sur les autres oiseaux, comme le TJon sur les quadrupèdes.
La mafiuauimiLé : ils dédaigueuL égalemeuL les petits animaux et
méprisent leurs insultes; ce n'est (pi'après avoir été longtemj)s
})r()vo(pié j)ar les eiis importuns de la Corneille on de la Pie (pu;
l'Aigle se détermine à les jjniiir de mort; d'ailleurs il ne vent
d'autre bien que celui cpi'il coiupiiert, d'autje proie que celle
qu'il pr(>nd Ini-mème. La ti'mpérance : il ne mange prescpic
jamais son gibier en entier, et il laisse, comme le Lion, les débris
et les restes aux autres animaux. Quelque affamé qu'il soit, il ne
se jetle jamais sur les cadavres. Il est encore solitaire conmie le
Lion, habitant d'un désert dont il défend l'entrée et l'usage de
la chasse à tous les autres oiseaux ; car il est peut-être plus rare
de voir deux paires d'Aigles dans la même portion de montagne
que deux familles de Lions dans la même partie de forêt; ils se
tiennent assez loin les uns des autres pour que l'espace qu'ils se
sont départi leur fournissent une ample subsistance ; ils ne comp-
tent la valeur et l'étendue de leur royaume que par le produit de
la chasse. L'Aigle a de plus les yeux étincelants et à peu près de
la môme couleur que ceux du Lion, les ongles de la même forme,
l'haleine tout aussi forte, le cri également effrayant. Nés tous
deux pour le combat et la proie, ils sont également léroces, éga-
lement tiers et difficiles à réduire; on ne peut les apprivoiser
(pi'en les prenant tout petits. »
On verra tout à l'heure ce qu'il laut rabattre de ce tableau.
Commençons par bien caractériser ce genre, des plus remar-
(piables dans l'ordre des rapaces par la vigueur des espèces qui
le conq)osent, par leur audace et par l'énergie de leurs a})pétits,
connue par la grandeur de leur tiiille. Leur bec est puissant,
fortement recourbé au sommet; leurs ailes sont pointues et aussi
longues que la queue; celle-ci est carrée, égale ou étagée; leurs
tarses sont conq)létement emplumés jusqu'à la naissance des
doi^its.
118 QUINZIÈME LEÇON.
Los Aigles reclierchent généralement nnc proie vivante, qu'ils
emportent dans leurs aires, placées sur les rochers les plus inac-
cessibles; mais, pressés par la faim, il ne dédaignent pas la
chair morte.
Ils vivent sur les plus hautes montagnes, et ne descendent
qu'accidentellement dans les plaines; ils sont répandus sur toute
la surface du globe , et une espèce habite la Nouvelle-Hollande
et se fait distinguer des autres par sa queue étagée.
11 y a peu de chasseurs qui puissent se vanter d'avoir tué un
de ces rois des oiseaux. L'Aigle de Jupiter ne se laisse pas tuer
comme un simple volatile, lui que nous n'apercevons guère que
par delà des nuages, traversant majestueusement les cieux.
Au-dessus de l'Aigle ne peut voler aucun être vivant; entre lui
et le soleil il n'y a rien, comme dit le spirituel et savant chas-
seur naturaliste, Ch. Boner, que cet au delà que nous appelons
V espace. C'est dans cette région qu'il se repose siu' ses larges
ailes dorées par les rayons qui les inondent. C'est de cette élé-
vation prodigieuse, de ce désert sans limite, qu'il regarde notre
planète, et qu'avec une puissance de vision presque surnaturelle
il examine les mouvements de tout ce qui vit à plusieurs milliers
de pieds plus bas. Rien n'échappe à cette perspicacité, qui ne
saurait être égalée que par l'œil prophétique d'un devin. Com-
ment donc s'étonner que les anciens aient fait de l'Aigle le mi-
nistre du Dieu suprême et armé ses serres des carreaux de la
foudre? L'Aigle royal a été souvent aperçu plus haut que tel som-
met de onze cents à douze cents pieds au-dessus de la mer. Les
chasseurs de l'Oberland affirment que son essor surpasse celui du
Gypaète, qui ne le cède lui-même qu au Condor. Son immense
énergie musculaire lui permet de lutter contre les vents les plus
impétueux et les plus violents. Ramond raconte que, quand il
atteignit le sommet du mont Perdu, le point le plus élevé des Pyré-
nées, il ne vit aucune créature vivante, si ce n'est un Aigle qui
I AIAIOMDÉS. 119
passa au-dessus lU' sa tète, volant avec uni' laiiidilr.cNlraortliuaiie
coulic un vêiil liiiicuxqui soulllail du siid-oiicsl.
rig. r>i. — Aiyle royal, AquilachrusactûS.
Ou sait à quelle distance iucroyalde un Aigic royal peut décou-
vrir sa proie; mais on a rarement été témoin d'un aussi grand
déploiement de cette faculté rpic dans l'exemple cité par M. Saint-
John. En' parcourant la magnifique et déserte contrée entre Ki-
leskaet Incluiadampli, en Ecosse, ce chasseur naturaliste vit un
de ces oiseaux ])laner sur le versant de la montagne (pii s'élève
majestueusement aux yeux des voyageurs. L'Aigle se trouvait si
haut dans les airs qu'on l'aurait pris pour un ])oint noir, lors-
120 QUINZIÈME LEÇON.
(|uc do cctlc liant ur prodigieuse il aperçut tout à couj) une
(jeliuolte dans la jjruyère. Trop éloigné pour foudre directement
sur elle, il ierma presque entièrement les ailes et descendit, en
décrivant une longue spirale, jusqu'à une certaine distance de
terre. Pendant ce temps, la Gelinotte était probablement parve-
nue à s'éclipser, car l'Aigle s'arrêta quilques minutes à planer,
tournant la tête de tous côtés comme s'il avait perdu de vue sa
victime. Mais, découvrant subitement la pauvre bête, il s'élança
les jambes tendues et ne faisant, en apparence, qu'effleurer les
bruyères, il saisit la Gelinotte, avec laquelle il prit son vol vers la
])lus bîiute crête de la montagne. L'Aiglon, lui-même, a déjà la
vue très-développée, car il reconnaît l'approclie de son père et de
sa mère, invisibles encore à l'bomme qui les épie dans le voisi-
nage de l'aire.
Au poids du corps de l'Aigle ajoutez, dit Ch. Boner, celui de
la proie qu'il tient dans ses serres; rappelez-vous que cette proie
est souvent enlevée à des distances considérables, du fond d'une
vallée jusqu'à la cime d'un mont; rappelez-vous que quelquefois
l'Aigle IVancbit la cbaiiie alpestre qui sépare dcux^ royaumes. Cal-
culez ensuite la force musculaire que la nature a donnée à FAigle,
([uand cette proie est, par exemple, un jeune Cbamois ou un
Mouton, et vous aurez une idée de la vigueur et de la puissance
tie cet oiseau. Voyez de quel feu brille son regard même dans la
cage, lorsqu'il n'est plus qu'un roi captif, et vous comprendrez
ses instincts.
L'Aigle, par sa taille, par son a})pétit et par la puissance de ses
armes, est un des mieux nommés parmi les Rapaces. Mais ceux
qui n'ont vu ces terribles oiseaux que dans les cages de nos jar-
dins zoologiques ne peuvent se former qu'une bien faible idée
de ce qu'ils sont en liberté au milieu des rochers et des monta-
gnes. (( J'ai eu, dit le docteur J. Franklin, le bonheur de voir de
près ces oiseaux dans leurs farouches retraites, et je n'oublierai
r:
jamais riiiijUL'ssioii ([iic juodiiisil. siii' moi la JaiiNc cl hiiilalc
majoslr de ces lyiaiis ilc l'air. La doriiicrc luis (jiic je rencontrai
un Aiiile, cétaiten Auvergne. Je liaversais alors la France, en
rcvenanlde rdiiciil, par Marseille. Je venais d'escalader les hau-
teurs de celle volcaniciue province, el je me trouvais au milieu
des noirs précipices creusés pai" les ancicmies convulsions de la
nature. Une cascade se précipitait avec un bruit de toiuierre. Au
milien des rugissements de l'eau, un cri court et perçant, qui
semblait sortir dos nuages, Irappa mon oreille. En regardant
dans la direction d'où était parti ce bruit, j'apeiçus bientôt un
petit point noir ([ui se mouvait rapidement vers moi. C'était un
Aigle royal ou Aigle doré. L'oiseau veinit évidennnent des plaines
qui s'étendent sous les cbaînes de montagnes. Il semblait flotter,
ou, pour mieu\ dire, faire voile dans l'océan d'un air relativ(;-
iiienl calme. De tenqts à autre cependant il irappait lentement
de l'aile connue pour affermir son vol. Voyant qu'il ai)procliait
dans une ligne direcle, nous nous cacbàmes, mon guide et moi,
derrière un rocher, et nous observâmes ses mouvements à l'aide
d'une longue-vue. Lorsijue nous avions commencé àl'apeicevoir,
il i)ouvait être à la distance d'un ou deux: kilomètres; mais, en
moins d'une minute, il se montra à la portée d'un coup de fusil.
Après avoir regardé deux ou trois fois autour de lui, il laissa
pendre ses serres, trembla légèrement et s'abattit sur un roc.
Pendant un moment il promena encore çà et là ses yeux perçants
et brillants, connue pour s'assurer qu'il n'avait rien à craindre,
ensuite il fourra sa tête sous une de ses ailes éployées et rangea
ses plumes avec le bec. Cela fait, il étendit le cou et regarda fixe-
ment le ciel du côté d'où il était venu, puis il poussa (pud(pies
cris rapides. Il resta là environ dix minutes, manifestant une
grande in(piiétii(le, foulant le granit avec ses serres crochues,
toujours impatient, toujours agité, lorsque soudain il sendjla voir
ou entendre (piehpie chose. Tout à cou[) il s éleva du rocher sui'
T. ;i. 11
122 QUINZIÈME LEÇON,
lequel il s'était posé, se lança dans l'air et flotta comme aupara-
vant, en faisant entendre le même cri aigu. Uegardant alors
autour de nous pour connaître la cause de son émotion, nous
vîmes approcher de lui sa femelle. Il vola à sa rencontre, et
bientôt les deux oiseaux devinrent invisil)les. C'était le grand
Aigle doré; espèce qui se rencontre accidentellement en Angle-
terre et en Ecosse, mais plus souvent en Irlande. »
Les Aigles, surtout ceux de grande taille, ont été, eu effet, pen-
dant longtemps assez communs dans les parties désertes et mon-
tagneuses de l'Ecosse. De jour en jour ils deviennent plus rares
dans les Iles Britanniques. L'influence de l'homme a chassé ces
brigands de l'air des hautes positions naturelles qu'ils occupaient
dans les temps anciens. A une époque sans doute peu éloignée,
et peut-être arrivée à l'heure où nous écrivons, ces superbes ani-
maux auront disparu de la Grande-Bretagne. Il y a une ving-
taine d'années, on voyait encore des Aigles sur les hauteurs de
Mar et d'Athol, dans le Sutlierland. Aujourd'hui, c'est presque uni-
quement dans les solitudes reculées desHighlands, dans quelques
îk's situées au nord-ouest des côtes de l'Ecosse et dans 'es déserts du
nord de l'Irlande qu'on rencontre parfois des Aigles ayant les
proportions majestueuses que présentaient ces oiseaux dans les
temps primitifs de l'Europe. Même dans ces montagnes, la ci-
vilisation a trouvé le moyen de détruire, du moins en partie,
ces incommodes voisins qui par leurs ravages, monaçaient la sé-
curité de l'homme et des troupeaux. Les sociétés d'éleveurs en
ont encouragé la destruction à l'aide de primes offertes aux chas-
seurs; et les gardes-chasse anglais ont achevé l'œuvre au moyen
des pièges. Ces magnifiques oiseaux se rencontrent néanmoins
encore dans toutes les parties niontucuses de l'Europe. L'Aigle
royal est celui qu'on y remarque le plus fréquenmient, surtout
au noid; il est plus commun et même sédentaire en Suisse, en
France, dans les basses Alpes et sur les montagnes du Dauj)liiné;
I Al.COMhKS. 123
[iliis riUT" (l;ms Il's Pyiviiées; mais il semijliî que, coniparalive-
iiiciil à CL's localilrs, il uIioikK' (hiiis les lli^lilaiuls d'Ecosse.
H liai il, sou aiie dans les eavilés de loelieis à pie et inaccessi-
bles, sur (|uelque rebord de précipice, où l'Aiglon grandira à
l'abri des animaux (jui Tattaipieraient en l'absence du père et de
la mère : un roc (pii fait face au midi est celui qui leur convient
lemii'ux, parce que celte situation conserve plus longtemps la
cbaleur de l'œuf (piand la mère le quitte. Comme ces rocs inac-
cessibles ne se rencontrent pas aisément, une fois que l'Aigle
s'est installé dans celui qui lui paraît le plus commode et le plus
sur, il y re^ieut cba(pie année à l'époque de la iionte, et il y est
bientôt remplacé s'il l'abandonne. Tel est le rocber de Robrmoos,
cité par M. Cb. Boner, et qui se trouve dans le domaine appar-
tenant au prince Frédéric Waldburg-Wolfegg-Waldsée, à qua-
rante kilomètres environ du lac de Constance. Ce rocber, occupé
depuis un temps immémorial, l'était encore en mars 1 861 , quoi-
que les occupants de l'année précédente eussent été tués. Quel-
quefois cependant, dans des localités encore plus désertes, l'Aigle
place son aire sur des points moins inabordables
Construite avec des tiges et des racines de bruyère, la de-
meure de l'Aigle dure effectivement plusieurs années, et peut,
à l'aide de cpielques réparations légères, abriter plusieurs géné-
rations. C'est réellement un ouvrage assez considérable pour
n'être fait ([u'une fois, et assez solide pour durer longtemps. Ce
nid est construit à peu près comme un plancber, avec de petites
percbes ou bâtons de cinq à six pieds de longueur, appuyés par
les deux bouts et traversés ou entrelacés par des branches sou-
ples recouvertes de plusieurs lits de joncs et de bruyères. Ce
])lancber solide est large de plusieurs pieds et assez ferme, non-
seulement pour soutenir l'Aigle, sa femelle et ses petits, mais
pour supporter encore le poids d'une grande quantité de vivres.
On a trouvé en Angleterre, dans le Derbysbire, un nid construit
124 QUINZIEME LEÇON,
avec de grands bâtons; il reposait d'un côté sur le coin d'un ro-
cher très-escarpé, et de l'autre sur deux bouleaux qui avaient eu
la fantaisie de végéter dans cet endroit. Il contenait un Aiglon,
un Lièvre mort et un Agneau.
Les œufs, dont la coquille est forte et de grande dimension,
sont au nombre de deux, rarement trois ou quatre. Leur forme,
cà peu d'exceptions près, est généralement ovalaire; les bouts aussi
obtus l'un que l'autre; leur coquille, d'un grain moins épais que
celles Vautours, est blanche et légèrement bleuâtre dans sa trans-
parence, et extérieurement poreuse, quoique unie, mate et sans
reflet. La couleur de l'œuf de IWigle doré ou Aigle fauve, dont
nous nous occupons principalement ici, est d'un blanc très-légè-
rement teinté de bleuâtre, et presque toujours maculé de nom-
breuses taches variant du brun violacé au brun jaunâtre, et de
quelques autres taches d'un gris lilas, ressemblant le plus sou-
vent, les unes et les autres, à des éclaboussures dirigées du gros
bout vers le petit, et en partie clair-semées distinctement, ou
réunies en larges plaques; parfois le blanc de la coquille paraît
teinté de jaune sale et simplement moucheté par intervalles de
teintes de cette couleur. Les diamètres sont de sept centimètres
et demi à six centimètres sur cinq et demi. Quel que soit le
nombre de ces œufs, il y a rarement plus de deux petits, et le
plus souvent un seul', ce qui est déjà beaucoup, à cause des
difficultés qu'éprouvent le père et la mère à trouver une nour
ritui-e suffisante.
Le mâle prend part aux travaux de l'aire et couve à son tour. Si
même la femelle vient à périr, il se charge seul du soin des œufs
ou des Aiglons. Pendant les huit ou dix premiers jours, le jeune
Aiglon est nourri avec des morceaux tendres, comme les entrailles
d'animaux, puis avec des chairs séparées de l'os, bientôt enfin
on lui jette des carcasses entières, qu'il dépèce et dévore comme
il ])eiit. Le père et la mère restent à peine six ou linil secondes
rAI.COMDKS. 125
dans le nid cliaciuo fois (jii'ils y vioiiinMii, et deux jours s'écou-
lent souveiil entre deux visites; l'Ai^^lon est ainsi (!X})Osé à jeû-
ner -il n'a reçu qu'une provision insuflisante. Mais une fois
sortis (in nid, les Aillions sont en (juelquc sorte baïuiis par leurs
parenis, et doivent elierelier en\-iiiènies leur subsistance. 11 ne
l'ant i)as croire, dit M. Ch. Boner, à qui nous devons ces nouvelles
et minutieuses observations, que, parce que l'Aigle parcourt un
vaste espace, il doive nécessairement trouver des aliments en
abondance. La nalnre y a pourvu en rendant l'oiseau, même
nouvellement éclos, et contrairement aux besoins impérieux des
an! res jeunes oiseaux, susceptible de jcnner des jours entiers, et
jnsipi'à une ou deux S(;maines, connue le font le Hibou et le
firand-Duc. Aussi l'Aii^le se gorge-t-il, si le gibier abonde, et
cinq à six livres de viande disparaissent en un seul repas, quand
il a subi une longue abstinence.
Loin de justifier sa réputation de courage et de magnani-
mité, l'Aigle est un oiseau vorace, avide d'aliments impurs, et
paresseux tant qu'il n'est pas harcelé par la faim. Quoiqu'il ait
des ongles et un bec en état d'entanier une peau très-dure, il
préfère conserver sa proie jusqu'à ce qu'elle soit corrompue; et
malgré sa vigueur et son agilité sans pareilles, il aimera mieux
dévorer une charogne que se mettre en chasse. Rencontre-t-il
quel([ue carcasse de Mouton ou de Chien, il se gorgera comme
un Vautour, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus s'envoler. Des Aigles,
surpris dans cet état d'engourdissement, ont été tués à coups do
bâton. Quand il n'a pu choisir sa proie au milieu d'un troupeau,
il attaque les Lièvres et les Tétras Ptarmigans. A la suite des
inondations et des ouragans de neige, l'Aigle se met en quête
des Brebis noyées ou étouffées. De loin en loin, il arrive qu'un
(^erf blessé à mort vient expirer dans la solitude et lui fournit
une provision durable. Il prend (jnelquefois, mais rarement, des
Gelinottes au vol.
M.
126 QUINZIEME EEÇON.
L'Aigle n'a pas les mêmes avantages qne le Fancon pour saisir
sa proie. Ce dernier n'attaquant en liberté que des oiseaux génu-
ralement plus petits que lui, ne rencontre aucune résistance. Il
n'a point à se défier d'un danger personnel quand il chasse; il
exécute tous ses mouvements avec la prestesse qui appartient à
sa taille, et s'introduit dans des lieux relativement étroits, inter-
dits à l'envergure de l'Aigle. L'Aigle n'enlève que des objets
qu'il peut saisir dans son essor oblique. 11 ne descend sur au-
cune partie du sol qu'avec la certitude de pouvoir remonter en
décrivant la même courbe hardie. Il ne se hasardera pas à être
cerné dans un passage resserré; en un mot, pour saisir un Agneau
ou tout autre animal, il lui faut le même champ qu'à l'Hiron-
delle pour attraper les insectes qui volent sur une pièce d'eau.
C'est ce qui protège maintes créatures contre un si formidable
ennemi. Le moindre buisson devient un abri pour les oiseaux ou
les petits animaux qu'il poursuit, car l'Aigle pourrait y engager
ses serres, mais il manquerait d'espace pour développer ses ailes.
Dans ce cas il aime mieux jeûner que se mettre dans l'embarras.
Bulibn cite un Aigle qui, pris dans un piège, vécut environ qua-
rante jours sans aliments, et qui ne parut affaibli que vers les
huit derniers jours; on le tua pour ne pas le laisser languir plus
longtemps. Cette disposition à supporter facilement l'abstinence
n'est d'ailleurs point restreinte à l'Aigle : tous les animaux de
proie sont organisés de manière à supporter de longs jeûnes.
La vue perçante de l'Aigle embrasse en vain tout un canton; il
rencontre souvent de nombreuses difficultés; le troupeau parmi
lequel il semblerait n'avoir qu'à choisir une victime a aussi son
instinct craintif, qui lui révèle l'approche de Tennemi et le moyen
de parer ses attaques. Les Moutons se serrent les uns contre les
autres en troupe compacte, les Brel)is autour de leurs Agneaux,
et s'ils ont pu se réfugier sous un arbre, contre une haie ou sur le
revers d'une colline, et qu'ils se sentent dans une position avaii-
1 A 1X0 M DÉ s. 127
tagcusc, ils s'nuiincnl de comMi^c cl (r(S[u'iiiiiro. Dans ce cas
l'AigU^ ne songe niillcuiciil, à ;ill;i(|ii('i', snrluiil, si le Iroiipcan ost
sous la gardi' d un Ikhiiihc ou |tivs de son lialiihiliun. ('oninie
tous los animaux sauvages, l'Aigle craint riioinmc, cl, lidèle à sa
tacli(iuc de sui[)iis(', il lu; livre jamais le condialàun adversaire
qui })eut lui opposer nne ai me dont mi coup rendrait la victoire
même dangereuse. On a vu un Chamois, abrité par derrière, faire
reculer un aigle avec ses cornes. Grellet, dans ses Mémoires, ra-
conte qu'il découvrit un jour un Loup et un Aigle morts à côté
l'un de l'autre. Le duel, dents contre serres, avait été l'uneste à
l'oiseau comme au quadru})ède.
Les montagnes de la Ikwière al)ondent en Chamois, et l'Aigle
leur l'ait 11 équenmient la chasse; il a recours, ou à peu près, aux
manœuvres que nous avons vu pratiquer par le Gypaète. L'occa-
sion se présente souvent d'étudier ces manœuvres de chasse et les
ruses de l'Aigle modifiées par les circonstances. Un Cliamois
adulte, raconte M. Boner, s'était aventuré sur la crête d'un ro-
cher, comme cela arrive si souvent h ces animaux; il est bientôt
aperçu par un Aigle, qui, ne pouvant, à cause de son immense
envergure, descendre assez près du rocher pour y saisir sa proie,
feint cependant de s'élancer sur elle, de manière à la faire recu-
ler pas à pas jusqu'au bord du précipice; et là, simulant un der-
nier assaut, TAigle fait; perdre pied au Chamois, qui tombe
selon son calcul, et roule de saillie en saillie. Mais, au moment
où l'Aigle croyait jiouvoir le saisir avant qu'il se noyât dans un
lac qui était au-dessous, il découvre deux bateliers qui, ayant
suivi tous les mouvements stratégiques de l'oiseau, le forcent 5
battre lui-même en retraite et s'emparent du butin.
Le même chasseur a vu un Aigle, traquant un Lièvre dans un
champ couvert de neige, précipiter son vol circulaire avec une
telle rapidité tpie la pauvre bête ne pouvait fuir d'aucun côté
sans êhe immédiatement dislancée par son tyran, rpii s'arrêtait
128 OTIINZIÈME LEÇON.
soudain et semjjlait jouir de la terreur de sa craintive victime.
Quelque extraordinaires que paraissent les distances parcou-
rues parTAigle, on s'en étonne moins lorsqu'on sait que chaque
coup d'aile lui fait franchir un espace de soixante pieds en une
seconde. Cette rapidité d'essor est un attribut de puissance qui
frappe l'imagination, et cependant il y a quelque chose de plus
imposant et de plus majestueux encore dans cette progression à
travers les airs, c'est le calme de l'oiseau, ailes déployées comme
les voiles d'un navire, et porté en avant par le simple acte de sa
volonté. On ne peut s'expliquer comment il reste ainsi suspendu
sans un seul mouvement apparent, et naviguant dans une direc-
tion parfaitement horizontale, sur près de deux kilomètres d'é-
tendue. Au milieu du vol le plus rapide, l'Aigle s'arrête instan-
tanément et descend, ailes repliées, d'une hauteur de trois ou
quatre mille pieds, tomhant ainsi en quelques secondes comme
un corps inerte, puis tout à coup ses ailes s'ouvrent, forment un
immense éventail, et l'oiseau se relève élégamment et sans effort,
tenant dans ses serres l'objet qu'il a saisi trop rapidement pour
qu'on ait pu s'apercevoir de ce temps de son mouvement.
On a vu des Aigles tuer leur victime en la frappant d'un couj)
d'aile, et sans la toucher avec leurs serres. Beaucoup de gens
hésitent pourtant encore à croire que ces oiseaux aient une force
suffisante pour enlever les enfants et les Moutons. Si cette accu-
sation reposait seulement sur deux ou trois récits plus ou moins
vagues, on pourrait encore douter; mais les faits sont, au con-
traire, très-nomhreux et attestés par des témoins dignes de foi.
Les naturalistes qui contestent sur ce point le récit des voyageurs,
en parlent fort à leur aise. « J'avoue, dit le docteur Franklin, que
les Aigles de leurs collections ne sont jamais venus les trouver
au coin du feu, ni les alarmer sur le sort de leurs enfuits; mais,
si nos sceptiques acîadémiciens avaient vécu dans les i)ays où ces
oiseaux commettent toutes sortes de hrigandages, ils modifie-
FAIXONTDÉS. 129
raient peu t-êtir leur opinion. » L'évê([U(! Iléber raconte (pic pen-
dant un (le ses voyages dans les niontaf^nes d(i l'Inde, il a[»i)rit
(ju'on se plaignait heaueonp des cidrvcnients d'cnrants }»ar les
Aigles. Mais il n'est i)oint nécessaiie d'aller si loin pour trouver
les traces de si ciu(3ls niéi'aits. Dans l'ilc de Syke, en Ecosse, une
femme avait laissé son enfant, pour un temps fort court, dans un
champ : un Aigle emporta cet enfant dans ses serres, et traversa
au vol toute la longueur d'un lac. Quelcpies gens de la campagne
qui gardaient leurs troupeaux aperçurent l'oiseau déposer son
fardeau sur lui rocher, et, entendant les cris de l'enfant, ils se
rendirent en toute hâte sur le lieu de la scène, où ils trouvèrent
la victime saine et sauve.
En Suède, il y a une douzaine d-'années, une femme travail-
lant dans un \)i\vc de brebis avait déposé son enfant sur le sol, à
une petite dislance; un Aigle s'abattit et enleva l'enfant. Pendant
longtemps la malheureuse mère entendit la pauvre victime
criant dans l'air; mais il n'y avait aucnn moyen de lui porter
secours. Bientôt les cris cessèrent; la mère devint immédiate-
ment folle, et, au dire du docteur Franklin, elle vivait encore, il
y a (pielques années, dans une maison d'aliénés.
Au printemps de 1847, un Aigle, furieux de la perte de ses
aiglons, avait enlevé un enfant de dix ans, dans la commune de
Héry-sur-Alby (nous ne savons si ce nom est l)ien orthographié),
dans le canton de Genève. Cet enfant fut déposé à environ six
cents mètres de l'endroit où il avait été saisi. H fut heureuse-
ment délivré par des bergers témoins du fait, et qui accoururent.
L'enfant n'avait qneqnebpies blessnres faites par les serres.
A Tirst-Ilolin, Tune des îles Feroë, placée entre le nord de
l'Ecosse et 1 Irlande, un Aigle enleva un enfant qui se trouvait à
une petite dislance de sa mère, et l'emporta dans son aire, placée
sur la pointe d'un grand roc, si escarpé que les plus hardis na-
vaient jamais osé le gravir. La courageuse mère trouva seule le
lôO OIINZIHME LEÇON,
moyen d'escalader ce rocher. Mais, bêlas ! il était trop tard : l'en-
fant était mort.
En Amérique, dans la paroisse de Saint-Anibroise, près de
New-York, deux garçons, l'un âgé de sept ans, l'autre de cinq,
étaient en train de faire la moisson, pendant que leurs parents
dînaient. Un grand Aigle, fendant l'air à toutes ailes, essaya de
saisir l'aîné, mais il manqua heureusement son coup, et s'abattit
à petite distance ; quelques instants après il recommença son at-
taque. Mais le jeune et courageux moissonneur se défendit brave-
ment avec sa faucille, et au moment où l'Aigle fondit sur lui
l)Our la seconde fois, il lui porta sur l'aile gauche un coup si vi-
goureux que cette aile fut entamée et que la pointe de l'instru-
ment traversa les côtes et pénétra dans le corps du ravisseur, qui
resta sur place. La faim seule peut expliquer une pareille au-
dace. Les grands Aigles sont très-communs dans cette partie du
nouveau monde; ils emportent souvent de grosses volailles et des
pièces de bétail, mais c'est le seul exemple qu'on cite dans le
pays, d'une attaque dirigée contre des enfants.
Enlin, le docteur Tschucli rapporte que dans un village des
montagnes des Grisons, en Suisse, un Aigle fondit sur un enfant
de deux ans et l'emporta. Aux cris de la victime, le père accou-
rut et poursuivit le ravisseur sur les rochers. Coiume le fardeau
était lourd, l'Aigle, avait lâché sa proie, mais le pauvre enfant
était mort, et il avait les yeux crevés. Le père désolé promit de
se venger et guetta longtemps le meurtrier, qui rôdait continuel-
lement dans le voisinage. Il réussit un jour à le prendre vivant
dans un piège à renard. Dans sa colère et son empressement à
s'en saisir, il se jeta sur lui si imprudemment, qu'avec son bec
et la patte qui lui restait libre l'oiseau le blessa grièvement.
Des voisins accourus cà propos tuèrent l'Aigle à coups de bâton.
On voit, par ces nombreux exemples, et contrairement à l'o-
pinion généralentent accréditée dans la science, que si l'Aigle est
!■ Al.r.oMDKS. loi
(•;i|ialtl(' (le voler à iiiic ((iiisidnnl'lc dislaiicc avec un aLiiicaii ou
un mouton dans ses sonos; il [iciil pairailcuicnL iticn aussi cn-
levor uu oiilaut.
Une autre es|icee, rAii^le des nKtnlaiines ou Ai;jle à (|ueue éla-
nce, es! [tour rhéinis|»lière du ^m\ ee (pTesi l'Aii^le royal [loui'
i[MOiie élagw, Aqidla fucosa, (rupii-sGouli
le noire. C'est VAquila fucosa de Cuvier, le Wol-dja des abori-
gènes dos montagnes et des plaines de l'Anstralie oeeidentalo,
l'Aiglo-Faucon des colons. Il est répandn généralement sur tonte
la partie méridionale de l'Australie; on le rencontre en grand
nombi'c à l;i toire do Van-Diomen et sur les grandes îles i]u dé-
152 OUINZIÈME LECUN.
tioit de Bass, et selon toute probabilité, on doit le trouver, au
midi, aussi rapprocbé des tropiques que dans le nord on trouve
l'Aigle royal rapproché du pôle. Doué d'une grande force et féroce
à l'excès, il est le fléau des bergers et des éleveurs, qui lui font une
guerre à mort et le poursuivent sans relâche. M. Gould en tua un
(pii pesait neuf livres et mesurait six pieds huit pouces d'enver-
gure, mais ce naturaliste en a vu de plus grands. On peut se
faire ime idée de la force de cet oiseau par celui dont parle Collins :
Il avait été pris par le capitaine Waterhouse, dans son expédition
il Broken-Bay, et quoique attaché au fond du bateau et les jambes
liées, il enfonça ses serres dans le pied de l'un des hommes de
l'équipage. Pendant les dix jours que dura sa captivité il ne vou-
lut accepter de nourriture que d'une seule personne. Les naturels
le reg^ardaient avec terreur et affirmaient, en l'examinant, qu'il
était de force à enlever un Kang'^ourou de moyenne taille. Le
captif ne put supporter sa prison, et, un beau matin, on ne trouva
plus que ses entraves, dont il avait su se débarrasser.
Cet Aigle se nourrit principalement de Kangourous de la petite
espèce. Il a les mêmes habitudes et les mêmes instincts que
l'Aigle royal, il attaque des Outardes, deux fois aussi grosses que
lui; mais le Kangoiu'ou est sa nourriture de prédilection. C'est le
capitaine Flinders qui découvrit cet Aigle en Australie. Ce voya-
eur se promeiiait un jour avec quelques-uns de ses officiers,
juand un grand Aigle, à l'aspect farouche et aux ailes déployées,
approcha tout d'un bond, puis, s'arrêtant court cà une distance
'environ vingt mètres, il s'éleva dans un arl)re. Bientôt après
un oiseau de la même espèce se montra, et, volant au-dessus de la
tête des promeneurs, il p;u^ut vouloir s'abattre sur eux ; mais il
changea d'avis avant de les toucher. Le capitaine Flinders su})posa
([ue ces Aigles le i)renaient, lui et ses compagnons, [lour une
bande de Kangourous qui, lorsqu'ils se tiennent sur leurs pattes
de derrière', comme c'est leur hal)itude, ont, jus([u'à un certain
I A ICO MI) i; s. 153
|K)iiil, l;i (aille êl, la joriiic (liiii lioiiiiiic. Ihii' cii-coiislaiice i'éo-
gi'apln(Hic cloiiiiait (iiiclinic viaiscmblaiicc à i'liy[)oLli('S(3 du capi-
laiiic. (l'ost ([lie la contivc élail alisolumciiL déseilc cl sans au-
cimc Iracc (riialiilalioii, de sorte (|iic ces Aigles pouvaient bien
n'avoir encore jamais vu d'hommes. Mais à présent le mouton se
promène où bondissait autrefois le Kan-^ourou, et le terrilde oi-
seau à queue élagée lait uue énorme consommation d'agneaux.
Il ne dédaigne cependant pas la cliarogne, car M. Gould, dans
l'une de ses expéditions dans l'intérieur des plaines septentrio-
nales de Liverpool (Australie^ n'en vit pas moins de trente à
([uarante autour d'une carcasse de buffle. Quelques-uns, gorgés
jusqu'au bec, étaient perchés sur les arbres voisins; le reste de
la bande continuait le festin. Il ajoute même que cet Aigle suit
les cliasseurs de Kangourous des journées eutières, pour profiter
des débris que jettent ceux-ci lorsqu'ils vident leur gibier.
Il y a quelqjies exceptions à l'amour des Aigles pour les soli-
tudes : on en reueontre ([uelquefois daus d'autres parties de la
Grande-Bretagne moins sauvages que les déserts des Ilighlands.
Le docteur J. Franklin rapporte qu'un gentleman lui a raconté
avoir été visiter, en Ecosse, un ami près de la maison duquel
était un nid qui, pendant plusieurs étés, avait été habité pai'
deux Aigles. Cette aire se trouvait placée sur une montagne ro-
cheuse, à quelque distance d'un bloc de pierre d'environ six
pieds carrés. Le maître de la maison et ses gens trouvaient
sur ce bloc, pendant le temps que les deux Aigles avaient des
petits, une provision de Coqs de bruyère, de Perdrix, de Lièvres,
de Lapins, de Canards, de Bécasses, et, de temps à autre, des
Chevreaux, des Faons et des Agneaux. Lorsque les Aiglons
étaient assez forts pour sauter sur cette pierre, les Aigles appor-
taient des Lièvres et des Lapins vivants, et apprenaient à leurs
petits à immoler les victimes. Mais de temps en temps les Liè-
vres, les Lapins, les Rats, n'étant pas suffisamment affaiblis par
T. II. 12
154 QUI>'Z1EME LEÇOiN.
leurs l)lessuics, i)arveiiaieiit à s'échapper de la serre des Aiglons.
Comme les Aigles avaient fait de la pierre de la montagne une
sorte de garde-manger, toutes les fois que des visiteurs venaient
à r improviste, le maître de la maison avait coutume de recou-
rir à cet en cas. Il envoyait ses domestiques pour savoir ce que
ses voisins du rocher tenaient en réserve, et rarement ils reve-
naient sans gibier. Lorsque le gentleman ou ses gens enlevaient
ces provisions, les Aigles n'étaient pas longtemps sans apporter
d'autres vivres. Mais, lorsque le fruit de leur chasse ne leur
était point enlevé, le père et la m?re se promenaient çà et là aux
environs, et semblaient jouer avec leurs petits, jusqu'à ce que
les provisions fussent tout à fait épuisées. Pendant tout le temps
que la femelle couvait, le mâle apportait seul de copieuses pro-
visions sur le bloc. Ces deux Aigles faisaient bon ménage, soi-
gnaient bien leurs petits jusqu'au moment oi^i ils pouvaient pren-
dre leur volée. Dès lors les Aiglons devaient quitter non-seulement
leur berceau, mais la contrée, et on ne les revoyait plus. Ces
exigences brutales se retrouvent, comme nous l'avons déjà dit,
chez tous les carnassiers. Il leur faut un domaine assez vaste
pour suffire à leur appétit, et qu'ils exploitent sans concurrence.
Ce fait d'approvisionnement facile aux dépens des Aigles n'est
pas unique. On cite encore un pauvre habitant du comté de Karry,
en Angleterre, qui pourvut abondamment à la subsistance de sa
famille pendant un été entier, en prenant dans le nid d'un Aigle
royal le gibier qu'y appoitaient le père et la mère; et, pour pro-
longer la durée des soins des parents et de l'approvisionnement
au delà du terme ordinaire, il guetta le moment où les Aigles
étaient en chasse, coupa les plumes des ailes des Aiglons, et re-
tarda ainsi beaucoup leur départ.
Un fliit assez curieux de 1 histoire des Aigles et en rapport
avec leurs instincts chasseurs, ferait croire que ces oiseaux
n'exercent pas leur industrie dans le voisinage de leur aire et
lALCONlDÉS. 135
qu'ils préfèrent niarniidcr nu loin. Aux îlos Sliianf, ^Toupo (h
rociiers situés culro los Hébrides, les habitants assurent que les
Aigles, qui sont assez nombreux, surtout dans la saison de l'in-
eul)ation, s';d)sli('nueiil (1(> iioiurir leurs [)elits avec les animaux
appartenant à l'île dans laquelle ils oui fixé leur domicile. Ils les
apportent invariablement des îles voisines, et souvent d'une dis-
lance de plusieurs kilomètres.
Chez les Romains, l'Ai^^le marchait à la tète des aimées; mais
il ne finit point perdre de vue le témoignage de Pline, le natura-
liste : « L'Aigle, dit-il, fut substitué aux autres enseignes par
Caïus Marins. Ce n'était pas d'altord l'oiseau de la nation, c'était
celui de la dictature. »
Le caractère intraitable, le poids de l'Aigle et sa force, dont il
est toujours prêt à abuser, ne permettent guère de l'employer à
la chasse. Les anciens fauconniers de l'Occident ne s'en servaient
pas; ce n'est qu'en Russie et dans les pays orientaux qu'il a été
possible de le dresser. Nous voyons en effet que les Tnr tares
prennent de jeimes Aiglons et les dressent à la chasse du Lièvre,
du Renard, de l'Antilope et même du Loup. Il se peut, néan-
moins, que l'oiseau employé par eux et désigné par les voyageurs
sous le nom d'Aigle, ne soit réellement pas un Aigle, mais une
grande espèce de Faucon. On cite surtout une tribu des Kirguis
comme affectionnant ce genre de chasse. Le Kirguis, monté à
cheval, place sur le devant de la selle l'oiseau de proie, dont la
tête est couverte d'un capuchon. Dès que le chasseur aperçoit
l animal qu'il se propose d'atteindre, il découvre la tête de l'oi-
seau, qui s'élance tout à coup sur sa proie, l'étreint dans ses fortes
serres et ne lâche prise que lorsque son maître vient la lui en-
lever. Cette espèce d'Aigle, qui est appelée Barkout par les Kir-
guis, est tellement estimée de ces peuples, qu'ils font volontiers
le sacrifice d'un de leurs Chevaux et de leuis prisonniers pour
posséder un de ces oiseaux chasseurs.
136 QUINZIÈME LEÇON.
Un professeur allemand, Reisner, publia, il y a une trentaine
fVannées, une brochure sur l'emploi qu'on pourrait faire de
l'Aigle pour diriger les ballons. Il précise le nombre de ces oi-
seaux à atteler suivant la proportion de l'aérostat, et indique la
manière de harnacher, d'instruire et de guider ces coursiers de
l'air. Cette excentricité peut être ajoutée à celle de Santiago Car-
denas, qui, dans le même but, proposait aussi d'atteler des Con-
dors.
Quoique l'Aigle soit d'un mauvais naturel, on a des exemples
de sa soumission. En 1807, un Aigle d'une grande beauté était
conservé à la ménagerie du Muséum de Paris, et il portait à l'une
de ses pattes un anneau d'argent. Il avait été pris au milieu de
la forêt de Fontainebleau, dans une trappe à Renard, dont le res-
sort lui brisa une patte. Sa guérison fut longue et le traitement
pénible. Il fallut recourir à une opération douloureuse; l'Aigle la
supporta avec une grande patience. Pendant cette opération, sa
tête seule était libre; mais il ne chercha nullement à s'opposer
par des coups de bec au pansement de sa blessure, dont il fallut
extraire plusieurs esquilles. 11 n'essaya pas non plus de déranger
l'appareil qu'exigeait la fracture. Enveloppé dans un linge et
couché sur le flanc, il passa toute la nuit sur la paille, sans faire
le moindre mouvement. Le lendemain, lorsque la consolidation
de l'appareil permit de démaillottcr le blessé, il se plaça de lui-
même sur un perchoir, où il resta toute la journée, appuyé sur
sa bonne patte, sans faire aucune tentative pour s'échapper,
quoique les fenêtres fussent ouvertes. Cependant il refusa toute
nourriture jusqu'au treizième jour de sa captivité. Ce jour-là,
on lui présenta un Lapin, qu'il tua d'un coup de bec et qu'il
mangea. Pendant vingt et un jours, il ne bougea pas de son per-
choir. Le vingt-deuxième jour il commença à essayer le membre
blessé, sans déranger en rien l'appareil, et il reprit peu à peu
l'usage de sa patte. Cet oiseau passa trois mois dans la chambre
FALCONIDÉS. i'.T
(lu prdc' im\ soins ilnquol il rhiiUonlic. Aussitôt qiin lo fou était
allumé, il ;nriv;iit se cliMiilTcr et se laissait caresser. A l'heure
du couchei-, il rciiKuilail sur sou |i('ivli(»ir et se plaçait aussi près
que possible du lit de sou cauiaïade de eliambre; mais, aussitôt
(pie la lumière était éti'iute, il s'éloignait à l'autre extrémité du
perchoir. La confiance (pi'il avait dans sa force semblait bannir
chez lui toute défiance, il est impossible de montrer plus décourage,
plus de résignation, on pourrait dire plus de raison, que n'en
montra cet Aigle pendant la longue période de sa maladie.
Avant de venir au Jardin des Plantes, il avait appartenu à l'im-
pératrice Joséphine. On l'avait habitué à vivre avec un jeune Coq
anglais, qui finit malheureusement victime d'un accès de colère
de son compagnon. Ce fait et plusieurs autres prouvent qu'il
n'est pas impossible d'apprivoiser l'Aigle.
Le village d'Eblingen, près du lac de Brientz, dans l'Oberland
bernois, est renommé pour ses nids d'Aigle. A une lieiie à peu
près de ce pays, dans une paitie sauvage et dénudée des monta-
gnes, il est un endroit que les Aigles affectionnent tout particu-
lièrement. Perchés sur des pics inaccessibles, ils dominent et
inspectent la grande vallée des Lacs. Les chasseurs Eblingenois
leur font une guerre perpétuelle et les attirent dans leur voisi-
nage en accrochant aux arbres des animaux morts, et surtout
des Chats à demi grillés. Cela se passe en été, et comme alors
l'Aigle n'est pas ali dépourvu et qu'il peut choisir des mets plus
friands, il dédaigne souvent la curée. En hiver, les chasseurs
mettent leurs appâts à terre et les y attachent avec des pieux.
L'Aigle. ne peut pas s'enlever de terre aussi rapidement qu'il le
ferait d'un perchoir élevé, et, quand une fois il est attablé, il y
reste souvent des heures entières. Les amorces sont placées de
manière à être vues du village à l'aide de lorgnettes. Les chas-
seurs, pour qui ce genre d'exercice est une passion, font conti-
nuellement le guet à leiu's fenêtres. Quand ils voient un Aigle à
12.
138 QUINZIÈME LEÇON,
la cnrée, ils partent, et, bien qu'ils aient une bonne lieue à fiiire
à travers les rocs et les broussailles avant d'arriver à portée de
fusil de l'oiseau, ce dernier leur échappe rarement. Les environs
si éminemment pittorescpies d'Eblingen offrent partout aux yeux
du touriste le spectacle dégoûtant de ces charognes, qui se ba-
lancent aux branches des arbres : ici c'est un Chevreau putréfié,
là c'est une tête de Cheval infecte, plus loin c'est un Chat à
moitié rongé.
11 est extrêmement difficile de parvenir à Taire d'un Aigle et
de se procurer des œufs de cet oiseau ou des Aiglons. C'est, en gé-
néral, en profitant de l'absence des Aigles occupés à la chasse
que les dénicheurs, souvent en exposant leur vie, se font des-
cendre, à l'aide de cordes, jusqu'à l'aire. Guidés tantôt par l'es-
poir du gain, tantôt par le désir de voir le couple abandonner
une région qu'il dévaste chaque jour, ils ont la précaution de se
munir de pistolets ou de bâtons ferrés, pour le cas où le pcre et
la mère viendraient les attaquer en les surprenant pendant l'en-
lèvement de leurs petits. M. Bailly, conservateur du Muséum
d'histoire naturelle de Savoie, a eu occasion de voir, à Saint-
Michel-des-Déserts, un homme de trente ans qui s'était ainsi
laissé surprendre par le père et la mère de deux Aiglons. Il a
assuré qu'il aurait infailliblement péri des coups de bec et de
poitrine que le mâle et sa femelle essayaient de lui porter à la
tête, en plongeant alternativement sur lui, s'il n'avait eu soin
de s'armer d'un bâton ferré à la pointe, avec lequel il put se
défendre.
L'escarpement inaccessible des lieux où l'Aigle place son aire,
la hauteur de son vol, la puissance de sa vision, la prudence qui
le tient loin des habitations, expliquent comment il est si rare,
aujourd'hui surtout, qu'un chasseur ait la bonne fortune de tuer
un si formidable oiseau. Un Bavarois, Joseph Solacher, est cité
pour en avoir tué trois, et le hasard seul lui procura le Iroi-
FALCONIDÉS. ' 139
sicmo. Mais lo grand tiioiir d'Aigles de ce siècle est le comie
Max d'Arco, (|ui en a liir dix, don! qiialre dans le voisinage de .
leur aire, et les aiilrcs (|iril avait adciidii à raflùL, en exposant
nn Clievicau on nii Clianiois comme a|)[iàl. Le jonniid de cet in-
trépide cliassi'ni" est très-intéressant, el il peint heanconp mieux
les mo^nrs des Aigles qne la j)lnpait des livres spécianx; mal-
lienrensement nons ne ponvons le reprodnire, à canse de son
étendue.
La durée de la vie d'un Aigle est évaluée à plus de cent ans
par un grand nombre de naturalistes; et Klein cite l'exemple
d'un Aigle qui vécut en captivité, à Vienne, pendant cent qua-
tre ans.
On compte douze espèces d'Aigles réparties dans les diverses
contrées du globe, dont deux seules, cosmopolites, se retrouvent
dans l'Amérique septentrionale : c'est, d'une part, notre Aigle
doré on royal, de l'autre, l'Aigle impérial.
MATIERES DES LEÇONS
DE LA PREMIÈRE PARTIE DU TROISIÈME VOLUME
iiistoire, description, mœurs des oiseaux grimpeurs, perroquets el pics
Cette cinquième Partie est sous presse et paraîtra le 25 octobre.
PRIX
Chaque demi -volume, figures noires T»!'. 50 c
— figures en couleur retouchées au pinceau . H
-c^>^
MUSÉE ORNITHOLOGIOUE
PAR
J. C. CHENU, O. DES MURS ET J. VERBEAUX
Cliaque volume de 100 Planches coloriées comprenant environ 150 oiseaux classés par ordres,
familles et genres, avec la synonymie, la description et l'iiistoire sommaire de chaque espèce.
. Prix : SO francs
Le premier Volume paraitra le 25 aoâl.
MANUEL DE CONCHYLIOLOGIE
ET DE
PALEONTOLOGIE CONCHYLIOLOGIOUE
PAR J. C. CHElWr
Deux volumes grand in-8, avec 5,000 gravures intercalées dans le lexle
Prix : 50 francs
CHEZ VICTOR MASSON, libraire, place de l'école-iie-mkiieci?(e
l'ARlh. — IMC. SIMON RaÇON ET COMI'., RUE D EJiFUUT
113017
€^--:'%~
lfW§^
m