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Full text of "Les mentaires sur l'histoire naturelle des oiseaux"

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FOR  THE   PEOPLE 

FOR  EDVCATION 

FORSCIENCE 

LIBRARY 

OF 

THE  AMERICAN  MUSEUM 

OF 

NATURAL  HISTORY 

LKCUlNS  ÉLÉMENTAIRRS 


LHISTOIRE  NATURELLE 


OISEAUX 


J.    G.    CHENU 


Miiu  (;i>-  Pimcii'Ai.  K  l'école  impériale  de  mébecine  et  de  pharmacie  mii.itairks 
O.  DES  mURS  J.  VERRE  AUX 


I  T  i:  0  I.OC  I  ST  i 


,N  A  T  r  R  A  L  I  S  T  E    V  O  Y  A  G  E  T  R 


TOME  DEUXIEME  —  PREMIERE  PARTIE 


Vautour  fauve. 

P4RIS 

Vie 

TOR 

MASSON 

ET 

FILS 

PLACE 

DE    l.'ÉC.iLE-  DE  -M 

1862 

ÉDECIKE 

LEÇONS   ÉLliMENTAlKES 


L'HISTOIRE  NATURELLE  DES  OISEAUX 


TOMK    DKL'XII-ME 


IMP.    SIMON    RAÇON    ET    COMP  ,    RLE    l)*i:nFtJRTH,    1. 


O^     NEW  YORK.     „^. 


LEÇOÎ^ 


AIRES 


l.llISTOIIiE   NATURELLl:; 

DES  OISEAUX 


,1.  C.  CHENU 

V.ÉDECIN    PR1«CIPAL    A    l/ÉCOLU    IMPÉRIALE   DE    MÉDECINE    ET    DE    PIIAItMACIE    MILlTAIIlES 

0.    DES    MURS    ET    J.    VERREAUX 

Orniiholosisle  Naturaliste  Tojagenr 


TOME    D  E  U  X I E  M  E 


PARIS 
LIBRAIRIE    !..    HACHETTE    ET    C 

77,      nOILtlVAIiH      SA  I  .\T-f,  r.  li  M  A  I.N  ,      77 

1802 


XI 


"  951  SH'    ^Stx^y^'^' 


\'\\i.  1.  —Faucon  Innii'i-,  V<x\CO  /«««czMS,  il';i|iii'.s  Sclili'gol 


TREIZIÈME  LEÇON 


Oiseaux  de  proie, 


Nous  avons  dit  dans  la  leçon  précédente  que  la  classe  des  oi- 
seaux se  composait  de  six  ordres  :  les  Oiseaux  de  proie,  les  Pas- 
sereaux, les  Pigeons,  les  Gallinacés,  les  Écliassiers  et  les  Palmi- 
[)cdes.  Nous  allons  étudier  successivement  cliacun  de  ces  six 
ordres,  les  caractères  (pii  les  distinguent,  les  familles  et  les 
genres  (pi'ils  compremient,  et  nous  chercherons  à.  donner  des 
notions  exactes  et  précises  sur  les  moiui's  et  les  hahitudes  de 

T.    II.  1 


2  TREIZIEME    LEÇO?n. 

cli;iqiii3  espèce,  quand  cela  scia  nécessaire,  nous  Ijoinanl  le  plus 
souvent  a  faire  riiistoire  générale  des  groupes  dans  lesquels 
plusieurs  espèces  ayant  le  même  genre  de  vie  se  trouvent  réunies. 
A  (|uoi  serviraient,  en  effet,  les  divisions  comme  genres  ou  comme 
iamilies,  si  elles  ne  devaient  rassembler  les  espèces  présentant, 
à  (piclques  différences  accessoires  près,  les  mêmes  caractères, 
les  mêmes  goùLs  et  les  mêmes  instincts. 

Il  y  a  cependant,  au  sujet  de  certaines  analogies  de  goût,  une 
première  distinction  à  établir,  et  le  nom  d'oiseaux  de  proie 
(ju'on  donne  généralement  aux  espèces  comprises  dans  le  pre- 
mier ordre  nous  fournit  l'occasion  de  dire  qu'il  n'est  pas  d'une 
exactitude  rigoureuse,  puisque  beaucoup  d'oiseaux  qui  se  nour- 
rissent aussi  d'autres  animaux,  auxquels  ils  font  la  chasse,  ne  se 
trouvent  pas  classés  dans  cet  ordre.  Mais  l'usage  a  prévalu,  le  nom 
a  été  conservé,  et,  dans  le  langage  scientifique  seulement,  on  le 
remplace  par  un  mot  plus  correct,  celui  d'ACCiPiTREs,  qui  s'ap- 
plique à  tous  les  oiseaux  dont  le  bec  et  les  ongles  sont  disposés  le 
plus  favorablement  possible  pour  saisir,  enlever  ou  décliirer  une 
proie  vivante  ou  morte. 

Si  le  goût  pour  la  chair  et  les  substances  aniirales,  en  général, 
suflisait  pour  qu'un  oiseau  fût  classé  parmi  les  oiseaux  de  proie, 
l'ordre  serait  très-nombreux  et  comprendrait  i)lus  de  là  moitié 
des  espèces  de  la  classe.  En  effet,  presque  tous  les  oiseaux  dits 
Granivores,  la  plupart  de  ceux  qui  vivent  de  fruits  ou  de  baies, 
sont,  à  leurs  heures,  friand?  d'insectes,  de  leuis  larves,  de  leurs 
chrysalides,  etbeaucoupmême  ont  du  goût  })our  la  viande,  quand 
ils  en  rencontrent  à  leur  portée.  Ainsi  la  plupart  des  oiseaux, 
dont  le  caractère  est  plutôt  doux  sans  être  positivement  inoffensif, 
ont  cependant  du  goût  pour  le  sang  et  la  chair;  il  ne  leur  manque 
que  la-  force  et  des  armes  poui'  devenir  cruels  et  siuiguinaires.  . 
Et  si  ceux  (jui  vivent  d'insectes,  de  poissons,  de  vers,  nous  sem- 
blent moins  cruels  que  les  oiseaux  de  proie  proprement  dits, 


A  CCI  nu;  K  s.  r. 

c'csl,  (|U0  lions  soninios  toiiclu's  (le  l;i  (loiilciir  ('viiloiilc  (|ii(^  ces 
(Icniicrs  font  soiilTrii'  miix  vicliiiics  (roiiil>laiil,('S(|ii'ils])oiirsuiv(Mit 
et.  (|irils  iiiimolciil  à  leur  J';iiin,  (aiulis  ([iie  les  itrciiiicis  l'assoii- 
vissoiil,  (Ml  ongloulissaiit  des  animaux  qu'ils  surprennoiit  cl  qui 
lie  (loniiout,  ni  par  lours  niouvcmeuts,  ni  par  leurs  cris,  aucun 
si^ne  apparcni  de  donleni". 


Fig.  2.  —  P.use  rufiponnc,  Buteo  rufipennis. 

Les  oiseaux  de  proie  Aceipitres  (Accipiter,  Kpervier),  ou 
Rapaces  {rapax,  ravisseur),  répondent  dans  la  classe  des  oiseaux 
aux  animaux'  carnassiers  de  la  classe  des  niannnifères,  et  forment, 
un  ordre  nalurel  dont  foules  les  espèces  se  nuancent  en  des  types 
génériques  assez  distincts,  et  se  groupent  par  des  analogies  de 
lormes,  d'iiabitndes,  cl  même  de  coloration  dans  le  plumage. 


4  TREIZIÈME    LEÇON. 

Les  oiseaux  de  proie  sont  mieux  armés  qu'auctin  des  autres, 
et  leur  organisation  leur  donne  les  moyens  nécessaires  pour 
exercer  leurs  rapines;  ils  ont  généralement  les  ailes  plus  amples 
et  les  muscles  plus  forts  que  les  autres  oiseaux;  et  c'est  à  ces 
avantages  que  sont  dus  leur  hardiesse  et  leur  courage.  Leur  bec 
est  fortement  courbé,  acéré  et  tranchant;  il  est  d'autant  plus 
fort  qu'il  est  plus  court  et  recourbé  dès  sa  base;  leur  tête  est 
grosse  et  donne  attache  à  de  paissants  nniscles,  tlestinés  au  mou- 
vement du  bec,  dont  la  forme,  ajoutée  au  poids  de  la  tête  et  à  la 
force  musculaire,  fait  une  arme  offensive  et  défensive  parfaite- 
ment appropriée  aux  habitudes  aériennes.  La  base  de  cet  organe 
est  recouverte  d'une  membrane  connue  sous  le  nom  de  cire, 
colorée  le  plus  souvent  en  jaune,  et  dans  laquelle  les  narines 
sont  presque  toujours  percées.  Ils  ont  les  yeux  plus  grands,  plus 
enfoncés  dans  l'orbite  que  les  autres  oiseaux,  et  ces  organes 
sont  i)rotégés  par  une  saillie  que  forme  l'arcade  sourcilière. 
Les  yeux  sont  pourvus  d'une  membrane  nyctitante,  dont  nous 
avons  parlé  dans  nos  généralités,  et  leur  texture  est  en  général 
plus  solide.  Cette  conformation  rend  la  vue  des  oiseaux  de  proie 
])lus  perçante,  plus  longue,  plus  sûre,  et  leur  procure  de  grands 
avantages, 

Les  Accipitres  ont  le  })icd  long,  grèlc,  les  doigts  menus,  dé- 
liés, allongés,  au  nombre  de  quatre,  unis  à  leur  ])ase  par  un 
repli  membraneux  et  terminés  par  des  ongles  ou  serres,  arrpiés, 
le  plus  souvent  rétractiles  et  aussi  robustes  qu'acérés.  Ce  sont 
de  puissantes  armes,  propres  à  la  fois  à  saisir  llicilement  une 
proie  qui  fuit,  à  la  retenir,  à  l'arrêter  avec  force  et  à  lui  fîiire 
de  profondes  blessures.  Ces  mêmes  arjiics  sont  mises  en  jeu  par 
des  muscles  très-forts  qui  agissent  par  de  très-longs  leviers,  et 
souvent  après  avoir  passé  sur  des  poulies  de  renvoi  qui  augmen- 
tent beaucoup  leur  action.  A  la  faveur  de  leurs  ailes  plus  amples, 
garnies  de  pennes  plus  solides,  mues  également  par  des  muscles 


ACCIIMTIIES.  5 

plus  forts,  les  oiseaux:  de  proie  ga^neiil,  plus  nisémeiiL  les  haiiles 
régions,  s'élèvent  aii-dessii.^  de  leiiis  victimes  et  les  poursui- 
vent avec  plus  de  vitesse  que  celles-ci  n'en  peuvent  mettre  pour 
fuir. 

Suivant  que  les  différentes  parties  dont  nous  venons  de  parler 
sont  plus  avantageusement  conformées,  le  P»apace  attaque  plus 
facilement  et  triomphe  plus  certainement  d'une  proie  plus  puis- 
sante; et  le  courage,  dont  nous  lui  faisons  honneur,  n'est, 
suivant  l'expression  de  Mauduyt,  qu'une  conséqnence  d'une 
organisation  plus  heureuse.  On  n'a  généralement  sur  ces  oi- 
seaux que  des  idées  fausses  ou  exagérées  :  ainsi,  la  voracité 
lâche  et  dégoûtante  des  Vautours,  le  courage  et  la  magnanimité 
de  l'Aigle,  la  stupidité  ignoble  des  Buses,  la  férocité  du  Milan, 
figurent  depuis  des  siècles  dans  le  langage  des  poètes  sans  que 
les  images  qui  en  résultent  soient  vraies;  et,  après  avoir  établi 
que  les  oiseaux  de  proie  représentent  le  génie  de  la  destruction, 
on  a  ajonté  que  les  mœurs  de  l'Aigle  correspondent  à  celles  du 
Lion,  comme  les  habitudes  du  Vautour  à  celles  de  la  Hyène. 
On  pourrait  au  besoin  multiplier  les  comparaisons  et  faire 
remarquer  que,  dans  toutes  les  classes,  il  existe  des  animaux 
destinés  à  remplir  les  mêmes  fonctions  sur  la  terre,  dans  les 
airs  et  dans  les  eaux.  Mais  revenons  ta  Torganisation  spéciale  des 
Accipitres. 

C'est,  nous  l'avons  déjà  indiqué,  la  différence  dans  la  structure 
des  pennes  des  ailes  qui  fiiit  que  certains  oiseaux  de  proie  s'é- 
lèvent dans  les  hautes  régions,  tandis  que  d'autres  ne  peuvent 
pas  en  volant  atteindre  à  de  si  grandes  hauteurs;  les  premiers 
sont  ceux  qu'on  appelle  en  fauconnerie  Oiseavx  de  tfttut  vol, 
et  les  seconds  ceux  auxquels  on  donne  le  nom  d'Oiseaux  de  bas 
vol.  Suivant  la  conformation  de  la  serre,  ces  mêmes  oiseaux  ont 
aussi  plus  ou  moins  d'avantages  pour  combattre,  saisir  et  terrasser 
leur  proie,  et  les  fauconniers  appellent  Oiseaux  nobles  ceux 

1. 


(5  TREIZIEME    LEÇON. 

qui  ont  les  doigts  longs  et  déliés,  et  Oiseaux  ignobles  ceux  qui 

les  ont  proportionnellement  plus  courts  et  massifs. 

Comme  chez  les  mammifères  qui  se  nourrissent  de  chair,  l'es- 
tomac des  oiseaux  de  proie  est  moins  compliqué,  et  les  intestins 
sont  plus  courts  que  chez  les  granivores. 

11  y  a  des  oiseaux  de  proie  dans  toutes  les  contrées.  Les  plus 

grandes  espèces  vivent  sur  les  montagnes,  et  en  général  dans  les 

heux  déserts;  ils  doivent,  d'après  leur  manière  de  vivre,  s'éloi- 

.gner  de  l'homme,  comme  l'homme  a  dû  les  repousser  des  lieux 

où  il  s'est  fixé. 

Le  plumage  de  presque  tous  ces  oiseaux,  de  quelque  genre 
qu'ils  soient,  à  un  fort  petit  nombre  d'exceptions  près,  n'offre 
dans  tous  les  pays  que  des  couleurs  soudures,  dont  le  brun  et  le 
gris  sont  les  plus  ordinaires.  Ils  n'ont  point  de  chant;  leur  voix 
n'est  qu'un  son  rauque,  aigu  ou  plaintif;  leur  extérieur  est  triste 
et  sombre  ;  ils  n'ont  rien  des  grâces  et  de  la  vivacité  des  autres 
oiseaux  ;  ils  ne  se  mettent  en  mouvement  que  pour  découvrir  et 
poursuivre  leur  proie.  Ils  vivent  de  celles  qu'ils  chassent  sur 
terre,  comme  snr  le  bord  des  eaux,  et  plus  rarement  de  cha- 
rognes et  d'immondices;  on  les  rencontre  peu  en  troupes.  Quand 
ils  sont  repus,  ils  demeurent  dans  l'inaction  sur  les  rochers, 
dans  les  cavernes  ou  les  retraites  qu'ils  ont  choisies  pour  lenr 
séjour  ordinaire.  Comme  de  véritables  maraudeurs,  ils  aiment  à 
s'isoler  de  leurs  semblables  et  à  se  partager  une  certaine  surface 
de  pays,  sans  souffrir  que  des  étrangers  viennent  diminuer  leur 
Imtin.  Leurs  nids  se  composent  debiichettes  assez  négligemment 
assemblées,  jetées  sur  les  branches  d'arbres  ou  placées  sans  ré- 
gularité i>;ur  la  roche  nue,  dans  les  lieux  les  plus  inaccessibles 
des  montagnes;  ils  y  transportent  le  plus  souvent  leur  proie,  do 
là  le  nom  iV aires  (atpw,  j'emporte)^  qu'on  donne  généralement 
à  ces  nids.  La  nature  a  heureusement  restreint  leur  trop  grande 
multiplication  :  ils  sont,  en  général,  moins  féconds  que  les  autres 


ACCIPÏTRES.  7 

oiseaux;  les  plus  grivuds  ne  l'ont  qu'une  ponte  et  ne  produisent 
fprun  ou  deux  petits  par  an;  les  autres,  suivant  leur  taille,  font 
deux  pontes,  exeeptiounellenient  trois,  et  ehaque  ponte  est  de 
deux  ou  de  trois  à  quatre  œufs. 

Les  oiseaux  de  proie  sont  les  tyrans  des  autres  animaux.  Quel- 
ques-uns d'entre  eux  cependant  sout  d'une  utilité  incontestable 
dans  toutes  les  régions  chaudes,  par  les  services  qu'ils  rendent 
uaturcllenient;  d'autres  ont  pu  être  dressés  pour  la  chasse  et 
ont  servi  aux  plaisirs  des  grands  seigneurs  d'autrefois,  comme  ils 
pourraient  servir  encore  aux  plaisirs  des  petits  seigneurs  d'au- 
jourd'hui. L'apparition  d'un  Rapace  est  pour  les  autres  oiseaux  un 
signal  d'alarme  et  de  retraite;  les  chants  cessent  dans  les  airs; 
leurs  habitants  discontinuent  leurs  vols  et  leurs  ébats  i)Our  se 
réfugier  dans  l'épaisseur  des  forêts,  sous  les  plantes  qui  peuvent 
les  cacher,  et  partout  oij  ils  croient  pouvoir  être  en  sûreté  contre 
leurs  ennemis;  la  mère  effrayée  avertit  ses  petits  par  un  cri  qu'ils 
savent  distinguer;  elle  les  rassemble  ou  ils  se  cachent,  tandis 
(ju'elle  s'offre  seule  au  danger  qui  les  menace,  et  ce  n'est  qu'a- 
près que  l'oiseau  de  proie  a  disparu  que  les  chants  et  les  ébats 
recommencent,  que  les  femelles  rappellent  leurs  petits,  les  con- 
duisent et  reviennent  près  d'eux  à  leurs  soins  ordinaires.  Ainsi, 
(listes  et  peu  sociables  eux-mêmes,  les  oiseaux  de  proie  répan- 
dent l'alarme  et  l'épouvante  partout  où  ils  se  présentent.  Tous 
sont  monogames;  les  uns  vivent  par  paires  isolées,  dans  un  can- 
ton qui  devient  leur  domaine;  les  autres  se  rassemblent  en  pe- 
lites  bandes  pour  chasser  en  commun  ou  attirés  par  quelque 
charogne  à  dévorer.  Ils  recherchent  les  forêts  les  plus  sauvages, 
les  lieux  les  nhis  retirés  et  les  moins  accessibles. 


TREIZIEME    LECO^'. 


Fig.  5.  —Vautour  de  Ruppell,  Vultur  Ruppelli. 


r  Ordre.  —  ACGIPITRES. 


L'ordre  des  Accipitres  ou  Rapaces  se  divise  en  deux  sous- 
ordres  :  Accipitres  diurnes  et  Accipitres  nocturnes. 

Les  Accipitres  diurnes  forment  deux  grandes  familles  :  les 
Vulturidés,  chez  lesquels  le  Lee  et  les  ongles  sont  relativement 
longs,  faibles  et  inoOensifs,  quoicpie  l'animal  soit  d'une  grande 


ACClITir.  RS.  0 

(îiillc  et  d'une  gnuidv-  loice  inuscubin^,  et  les  Falconidés^  cliez 
les([iiels  les  caractères  de  i'oidre,  c'est-à-dire  des  armes  et  des 


Fig.  4.  —  Faucon  GiM-faiil,  Falcn  Gijrfulro 


moyens  de  destruction  portés  à  la  ]tlus  haute  puissance,  se  trou- 
vent l'éunis  plu?  ou  moins  complètement  ;  car  c'est  graduelle- 
ment et  par  degrés  souvent  peu  sensddes  qu'on  arrive  au  faucon, 
type  le  plus  parfait  de  l'oiseau  de  proie. 

Les  Accipitres  nocturnes  ne  forment  qu'un  seul  groupe  et  une 
seule  famille,  hs  Strigidés  ;  ils  se  distinguent  facilement  des 
autres  oiseaux  du  même  ordre,  surtout  par  l'aspect  tout  particu- 
lier que  leur  donne  le  volume  de  leur  tèle,  leurs  grands  yeux 
dirinés  en  avant  et  l'absence  de  cire  à  la  l)ase  du  bec. 


10  TREIZIÈME   LECOK. 

laissons  à  l'étude  do  chacuno  de  ces  familles  et  des  genres 
principaux  qu'elles  comprennent.  Dans  les  musées  publics,  comme 
dans  les  ouvrages  spéciaux,  la  classification  des  oiseaux  exige  un 
bien  plus  grand  nombre  de  divisions  génériques  établies  par  les 
ornithologistes  de  tous  les  pays;  mais  si  nous  voulions  faire  con- 
naître de  suite  tous  ces  genres,  qui  ne  sont  d'ailleurs  que  des 
subdivisions  souvent  peu  importantes  de  ceux  que  nous  adoptons, 
nous  nous  éloignerions  de  notre  but.  Nous  avons  cherché  à  imi- 
ter la  méthode  simple  et  facile  de  Linné  et  la  forme  descriptive 
de  Buffon,  nous  réservant,  à  la  suite  de  chaque  ordre  ou  de  cha- 
que grande  division,  de  faire  connaître,  dans  une  leçon  d'ensem- 
ble, toutes  les  subdivisions  en  usage  dans  les  musées.  Nos  lec- 
teurs, ainsi  initiés  progressivement,  comprendront  facilement 
tous  les  détails  de  la  classification  la  plus  compliquée. 


Fig'.  S.  —  f.houefle  castanops,  Strix  aislimops,  d'après  Coul 


VliLTUlUDES. 


Il 


Fiu'.  6.  —  Vautour  Anian,  Vulhir  monachus. 


^'^  Famille.  —  VTÎLTURIDKS. 

La  uoiirrilurc  des  oiseaux:  de  cette  famille  consiste  priiicipa- 
lenient  eu  substances  animales  plus  ou  moins  putiéfiées,  ou  en 
état  de  décomposition.  Leur  rôle,  dans  la  natine,  dit  fort  bien 
le  doctenr  J.  Franklin,  est  de  faire  disparaître  les  restes  des 
corps  organisés,  dont  l'accumulation,  surtout  dans  les  contrées 
cbaudes  du  globe,  produirait  la  peste  ou  la  mort.  Dans  Tordre 
de  la  création,  les  Vullnridés  sont  des  agents  actifs  de  la  voirie 


1^2  TREIZIÈME    LEÇON, 

du  globe  teneslri!.  Les  Yiilturidés  sont, en  effet,  d'une  si  gniiide 
utilité,  qu'ils  se  trouvent  généialenieut  protégés  par  la  légis- 
lation locale  ou  par  le  consentement  tacite  des  habitants.  Ces 
oiseaux,  dont  on  s'est  plu  à  l'aire  un  objet  de  dégoût,  et  (ju'ils 
représentent  comme  le  type  de  la  lâcheté  associée  à  la  glouton- 
nerie, sont  cependant  d'une  utilité  incontestable.  Le  sentimenl 
universel  a  été  injuste  envers  eux.  Les  fonctions  qui  concourent 
à  l'hygiène  publique  méritent  plutôt  notre  reconnaissance  que 
notre  dédain,  et  les  Vulturidés,  ces  croque-morts  naturels,  ne 
disparaîtraient  point  sans  entraîner,  par  leur  absence,  les  i)lus 
tristes  calamités.  En  effet,  un  des  besoins  les  plus  pressants  de^' 
sociétés  humaines,  c'est  de  se  soustraire  aux  émanations  que  ré- 
pandent, en  se  décomposant,  les  corps  morts  des  hommes  et  des 
animaux,  d'éloigner  de  la  vue  le  triste  spectacle  de  ces  êtres 
sans  vie,  prêts  à  vicier  l'air  de  leur  infecte  odeur.  Eh  .bien,  ce 
besoin  ne  parait  pas  être  moins  impérieux  pour  la  nature  cpic 
pour  l'espèce  hun:aine;  rien  n'est  plus  merveilleux  que  les 
moyens  (ju'elle  a  mis  en  usage  pour  le  satislliire  ou  que  la  va- 
riété de  secours  qu'elle  a  su  tirer  de  ses  œuvres  })our  atteindre 
ce  Ijut.  Un  animal  n'a  pas  plutôt  cessé  de  vivre  qu'à  l'instant 
airivent  de  toutes  parts  des  milliers  d'autres  animaux  pour  le 
dévorer;  des  insectes,  des  oiseaux,  et  enlin  des  mammifères 
de  plusieurs  espèces;  mais,  de  tous  ces  animaux,  c'est  sur  les 
Vulturidés  que  la  nature  semble  avoir  le  plus  compté,  surtout 
dans  les  pays  chauds;  car,  avertis  de  très-loiu  de  l'existence  d'un 
cadavre,  ils  arrivent  pronq^tement  et  en  grand  nombre  à  la  place 
(jii'il  occupe.  On  ne  s'étonnera  donc  pas  de  la  protection  que  ces 
animaux  ont  trouvée  chez  tous  les  peuples  :  ils  furent  déifiés 
chez  les  Égyptiens;  plusieurs  nations  punissent  encore  leur  mort 
comme  un  crime,  et  partout  ils  vivent  fomilièrement  au  milieu 
des  hommes,  qui  leur  rendent,  selon  rex[)ression  de  Erédéric 
Ciivier,  eu  bienveillance  ce  (pi'ils  en  reçoivent  eu  ulilité. 


VI  LTURIDES. 


15 


Fig.  7.  —  Saicoiyniplie  Cuniloi',  Sarconniijihns  Cûwlu 


14  TREIZIÈME   LEÇON. 

Les  YuUuridés  présentent  cinq  types  ou  genres  principaux  : 

1 .  Sarconmiphe  (Sarcoramphiis,  (jûpl,  chair,  ôdu'foc,  bec 

crochu)  ; 
'i.  Catliarte  (Catliartes,  y.o(.Oc/.pzc;,  qui  purilie); 
5.  Vautour  (Vultur); 

A.  Gypaète  (Gypaetus^  yù-]/,  vautour,  ut-rô;,  aigle); 
5.  Messager,  ou  Serpentaire  [Gypogeraniis,  yO-]/,  vautour, 

yip</.-Joç,  grue). 

1-  Genue.  -  SARCORAMPllE,  SARCOHAMPHUS,  Diimml. 

Les  Sarcoraniphes  ont  pour  caractères  généraux  :  un  bec  droit, 
robuste,  à  mandibule  supérieure  dilatée  sur  les  bords  et  crochue 
vers  le  bout,  l'inférieure  plus  courte,  droite,  obtuse  et  arrondie; 
les  narines  oblongues,  ouvertes,  situées  vers  l'origine  de  la  ciic; 
celle-ci  est  garnie,  au  loin'  du  bec  ou  à  sa  base,  de  caroncules 
charnues  très-épaisses  et  diversement  découpées,  surmonlant  le 
front  et  la  tète  La  langue,  cartilaghieuse  et  membraneuse,  est 
dentelée  sur  ses  bords;  les  doigts  sont  forts  et  épais,  à  ongles 
presque  obtus;  la  tête  et  le  cou  nus  ou  garnis  seulement  de 
quelques  poils  très-rares;  les  ailes  sont  longues,  et  les  deuxième, 
troisième  et  quatrième  rémiges  les  plus  longues  de  toutes.  Mais 
ce  qui  distingue  surtout  les  Sarcoramphes,  parmi  les  oiseaux  de 
proie,  c'est  d'avoir  le  pouce  plus  court  que  les  autres  doigts, 
et  l'ongJe  de  ce  pouce  presque  tronqué. 

Les  Sarcoramphes  appartiennent  excluï-ivement  au  nouveau 
monde;  et,  de  deux  espèces  qui  composent  le  genre,  l'une  vit  sur 
le  sonnuet  ou  le  long  des  contre-forts  de  la  chaînt*  des  Andes  jus- 
que par  delà  les  limites  du  Chili,  tandis  que  l'autre  ne  quitte  poiut 
les  régions  é([uatoFiales.  Du  reste  l'une  et  l'autre  ont  les  mêmes 
habitudes;  il  nous  suflira  donc  de  retiacer  celles  de  la  plus  i\- 
maniiiable  des  lieux  espèces,  c'esl-à-dire  du  lameux  Condor. 


viu/riMUhKs.  i:. 

Tons  les  \()y;i^('iirs  n'oiil  pas  Je  iiiènic  hilciil  (roltscrviilioii,  cl 
Ions  ccpcnduiil,  croicnl,  avoir  ;isso/  bien  vu  ])Oiii'  pouvoir  gvurnt- 
liscr  (les  observai  ions  souv(Mit  })arliculièr('s  ol,  locales;  aussi,  ])Our 
parler  des  lialiiindcs  d'uu  animal  ([u'ou  n'a  pas  étudié  loni^lenips 
dans  le  pays  (pi'il  habile,  l'aut-il  eounaîlre  tous  les  travaux  ]m- 
bliés  sur  le  sujet;  et  sonvcnt  ils  sont  coutiadictoires.  C'est  ce 
([iii  se  présente  à  l'égard  du  Condor,  si  bien  décrit  d'ailleuis 
par  de  nombreux  voyageurs  ou  naturalistes,  qui  sont  en  effet 
loin  d'être  bien  d'accord  sur  ses  mœurs  et  sur  les  limites  de  son 
babitat.  Aiusi  il  est  évident  rpie  de  llundjoldt,  d'Or])igny,  et 
Gay,  parmi  les  ]>lus  récents,  ne  se  trompent  pas  dans  ce  qu'ils 
écrivent  sur  cet  oiseau.  Mais  leurs  narrations  isolées  sont  trop 
absolues  ou  incomplètes  et  ne  donneraient,  malgré  le  talent 
d'ol)sei'vation  de  ces  voyageurs,  qu'une  exactitude  approxima- 
tive. Leurs  travaux,  complétés  par  ceux  cFauties  voyageurs,  nous 
permettront  de  présenter,  aussi  exactement  que  possible,  l'his- 
toire du  Condor. 

Il  est  bien  certain  que  les  Condors  habitent  sur  les  hauteurs 
<les  Andes  où  paissent  les  Lamas  et  les  Vigognes;  mais  cette  zone 
ne  leur  est  pas  spéciale,  et  la  chaîne  des  Andes  n'est  pas  ex- 
clusivement habitée  par  eux,  car  d'Orbigny  en  a  rencontré  un 
grand  noml)re  sur  toute  la  côte  de  l'océan  Pacifique  et  sur  celle 
de  l'océan  Atlantique,  au  bord  de  la  mer,  sur  les  côtes  de  Pa- 
tagonie,  où  les  montagnes  les  plus  voisines  sont  encore  éloignées 
au  iuoins  de  cent  lieues,  et  où  il  est  très-sûr  qu'ils  vivent,  ni- 
chent et  demeurent  habituellement.  11  est  vrai  qu'on  peut  sup- 
poser que  les  familles  ainsi  rencontrées  sur  le  bord  des  falaises 
de  la  côte  ont  pu  pousser  peu  à  peu  leurs  migrations  du  sud 
vers  le  nord,  en  allant  des  montagnes  du  détroit  de  Magellan  à 
rembouchure  du  Piio-Negro  de  Patagonie.  Par  les  mêmes  raisons, 
il  ne  faut  pas  croire  que  les  Condors  préfèrent  exclusivement  une 
zone  élevée  à  celle  du  niveau  de  la  mer,  car  ceux  de  Patagonie 


K)  TREIZIEME    LEÇON, 

sont  tout  aussi  gros  et  tout  aussi  vigoureux  que  ceux  des 
Andes;  et,  de  plus,  d'Orbigny  en  a  vu  si  souvent  au  Pérou, 
surtout  à  Arica,  planer  toute  la  journée  le  long  de  la  côte,  en 
cherchant  à  découvrir  des  animaux  morts  rejetés  par  les  vagues; 
il  en  a  vu  si  souvent  coucher  sur  les  roches  avancées  de  la  col- 
line dite  Marro  d' Arica,  qu'on  peut  assurer  qu'ils  habitent  éga- 
lement la  zone  la  plus  froide  et  le  soi  brûlant  des  côtes  de 
la  mer.  On  rencontre  rarement  les  Condors  sur  le  sommet  des 
Andes,  si  les  points  élevés  oii  on  les  observe  ne  sont  voisins  d'ha- 
bitations ou  de  troupeaux  qui  les  y  attirent.  On  doit  donc  assigner 
aux  Condors  de  plus  larges  limites  géographiques  que  ne  le  sup- 
posait de  llumboldt  :  car  on  en  voit  depuis  le  cap  Horn  (56°  de 
latitude  sud)  jusqu'au  8"  de  latitude  nord,  dans  les  parties  éle- 
vées des  Andes  ou  sur  leurs  versants  ouest,  au  Pérou,  dans  la 
Bolivie,  au  Chili,  et  depuis  le  niveau  de  la  mer,  oii  ils  pondent 
et  séjournent,  jusqu'aux  régions  glacées  des  Andes,  au-dessus 
desquelles  ils  s'élèvent  même  à  perte  de  vue. 

Un  jour  le  docteur  J.  Franklin  avait  gravi  une  des  plus  hautes 
montagnes  des  Andes,  et  promenait  autour  de  lui  un  regard  de 
bien  légitime  satisfaction.  Tout  à  coup  il  leva  la  tête,  et  il  aper- 
çut des  points  noirs  qui  tourbillonnaient  dans  le  ciel  :  c'étaient 
des  Condors.  Cette  vue  le  fit  réfléchir  et  le  rendit  moins  fier  de 
son  ascension.  Le  ciel,  au-dessus  de  lui,  était  comme  tacheté  par 
les  Condors,  qui  trouvaient  moyen  de  vivre  et  de  planer  libre- 
ment à  une  prodigieuse  distance  au-dessus  de  ces  hauteurs  gla- 
cées, où  lui-même  pouvait  à  peine  respirer,  et  où  il  souffrait  con- 
sidérablement du  Iroid. 

Le  Condor  est,  sans  contredit,  de  tous  les  oiseaux  celui  dont 
le  vol  est  le  plus  élevé.  Chaque  fois  que  les  herborisations  de 
de  llumboldt  et  de  Bonpland  les  attiraient  jusqu'aux  neiges  per- 
pétuelles, c'est-à-dire  à  une  hauteur  de  ",100  à  1,900  mètres, 
ils  étaient  ejitourés  de  Condors.  D'Orbigny  en  a  vu  jusqu'au  ni- 


viîf/rrninKs.  17 

veau  du  sonnucl  de  riliniani,  (jiii  a  7,r)00  mètres  de  hauteur; 
taudis  qu'à  (>,000  u)Mies,  1  liouuue  uc  peut  résister  à  la  raré- 
laetiou  de  Tair.  A  l'est  des  Audes,  le  Coudor  ue  va  que  jusqu'à 
leurs  derniers  loutre-forts,  c'est-à-dire  le  long  du  rameau  orien- 
tal de  la  Cordillière  jus(|u'à  Coclialjandia,  et  même  quelquefois 
jusqu'au  commencement  des  plaines  de  Santa-Cruz  de  la  Sierra; 
mais,  comme  de  là  aucune  chaîne  de  montagnes  ne  réunit  les 
Andes  aux  premières  chaînes  de  la  province  de  Chitjuitos,  il  ne 
passe  pas  cette  limite,  et  ne  peut  arriver  juscpie  sur  les  montagnes 
du  Brésil .  Il  est  prohahle  cependant  que  plusieurs  autres  motifs  in- 
fluent, plus  que  la  latitude  et  la  hauteur,  sur  la  préférence  que 
donne  le  Condor  à  certains  lieux.  Son  genre  de  vie  l'ohlige  à 
choisu'  pour  îisile  des  terrains  couverts  de  rochers  ou  de  folaises, 
parce  qu'il  ne  se  perche  jamais  sur  les  arhres,  et  qu'il  lui  faut 
non-seulement  des  points  culminants  d'où  il  puisse  découvrir 
la  campagne  autour  de  lui,  mais  aussi  des  anfractuosités  qui  lui 
servent  de  perchoir  et  qui  le  garantissent  de  la  pluie;  aussi  ne  des- 
cend-il ni  dans  les  pampas  de  Buénos-Ayres,  quoiqu'il  hahite 
les  montagnes  qui  les  bornent  à  l'ouest,  ni  au  milieu  des  forêts, 
ni  même  au  milieu  des  montagnes  boisées,  où  les  branches  le 
gêneraient.  Le  Condor  habite  donc  spécialement  soit  les  monta- 
gnes sèches  ou  seulement  peu  boisées,  soit  les  côtes  maritimes 
où  les  falaises  escarpées  remplacent  les  montagnes.  Pour  qu'il  se 
montre  ailleurs,  il  faut  qu'il  soit  attiré  par  la  présence  de  trou- 
peaux de  Brebis,  de  Lamas  ou  d'Alpacas,  ou  par  beaucoup  d'a- 
nimaux sauvages  réunis  en  troupe.  C'est  par  la  même  raison 
qu'un  grand  nombre  de  Condors  suivent  les  cotes  du  Pérou  et 
même  celles  de  la  Patagonie,  où  se  rassemblent  habituellement 
de  grandes  bandes  d'Otaries  et  de  Phoques;  et  les  limites  où  s'ar- 
rêtent ces  amphibies  sont  aussi  celles  que  ne  dépassent  pas  les 
Condors,  On  voit  encore  ces  géants  des  airs  planer  à  la  hauteur 
des  Andes  péruvieimes,  qu'ils  parcourent  dun  vol  rapide  pour 

2. 


18  TREIZIÈME    LEÇON, 

suivre  de  petites  troupes  isolées  de  Vigognes  et  de  Guauacos. 
Mais  aussi  partout  où  ces  animaux  ont  été  détruits,  la  faim  amène 
les  Condors  jusqu'aux  environs  des  lieux  habités,  et  même  sur 
les  routes. 

A  la  différence  des  Catliartes  et  des  Vautours,  dont  nous  par- 
lerons plus  tard,  le  Condor  s'isole  pour  faire  la  chasse,  et  ne  se 
réunit  guère  à  d'autres  oiseaux  que  pour  prendre  sa  part  d'une 
pâture  commune.  On  en  voit  cependant  quelquefois  deux,  rare- 
ment trois,  se  reposer  sur  le  même  rocher. 

Le  Condor,  rassasié,  reste  flegmatiquement  perché  sur  la 
cime  des  montagnes.  11  a,  dans  cette  situation,  un  air  de  gravité 
sombre  et  sinistre.  On  le  chasse  devant  soi,  sans  qu'il  veuille  se 
donner  la  peine  de  s'envoler.  Tourmenté  par  la  faim,  au  con- 
traire, il  s'élève  à  une  hauteur  prodigieuse,  et  plane  dans  les  airs 
pour  embrasser  d'un  coup  d'œil  le  vaste  pays  qui  doit  lui  fournir 
sa  proie.  C'est  surtout  dans  les  jours  où  l'atmosphère  est  calme 
et  sans  nuages  qu'on  observe  le  Condor  à  des  élévations  extra- 
ordinaires. On  dirait  que  la  grande  transparence  des  couches  de 
l'air  l'invite  à  passer  en  revue  un  plus  grand  espace  de  terrain. 
Cependant  cet  oiseau,  comme  la  plupart  des  Vautours,  est  natu- 
rellement paresseux.  Après  avoir  passé  la  nuit  dans  une  crevasse 
de  rocher  ou  de  falaise  escarpée,  la  tête  enfoncée  dans  les 
épaules,  il  s'éveille  à  l'aube  du  jour,  secoue  deux  ou  trois  fois  la 
tête,  attendant  assez  souvent  le  lever  du  soleil  pour  quitter  son 
gîte,  surtout  s'il  s'est  bien  repu  la  veille;  il  s'incline  au  bord  du 
rocher,  en  agitant  ses  vastes  ailes,  comme  s'il  hésitait  à  partir, 
les  déploie  entin,  et  s'élance  dans  l'espace.  11  iie  prend  que  diffici- 
lement son  essor,  et  ne  s'envole  pas  horizontalement  ainsi  que  beau- 
coup d'autres  oiseaux.  On  le  croirait  d'abord  peu  sûr  de  son  vol,  car 
il  commence  par  décrire  un  arc  de  cercle  en  cédant  à  son  propre 
poids;  mais,  prenant  de  suite  son  majestueux  élan,  les  ailes  ar- 
rondies, les  rémiges  écartées  les  unes  des  autres,  il  se  joue  dans 


VULTIIP.TDÉS.  19 

los  airs  avec  aisance,  sans  ])araîtro  é})i'onver  la  moinfire  faticfne. 
Par  (les  monvenients  oscillatoires  pen  sensi])les,  il  imprime  à  son 
vol  toutes  les  directions  possibles;  il  suit  toutes  les  sinuosités  du 
terrain  rpi'il  parcourt;  il  monte  et  descend  dans  les  airs  avec  une 
rapidité  incroyable  :  tout  à  l'iieure  abaissé  jnscpi'à  raser  le  sol, 
perdu  maintenant  dans  les  nues.  Mais  que,  du  liant  des  airs,  une 
proie  vienne  fra})per  sa  vue  perçante,  il  se  précipite  ou  plutôt  se 
laisse  tomber  sur  elle.  Les  voyageurs  s'accordent  pour  dire  que 
celte  descente,  rapide  comme  la  flèche,  est  accompagnée  d'un 
bruit  particulier.  Cette  observation  avait  été  signalée  depuis 
longtemps  par  Garcilaso  de  la  Véga  et  confirmée  par  d'Orbigny, 
qui,  plus  d'une  lois,  a  été  étonné  de  cette  chute  bruyante,  alors 
(pie  le  vol  ordinaire  n'a  rien  qui  éveille  l'attention. 

Le  Condor,  avons-nous  déjà  dit,  s'isole  pour  explorer  succes- 
sivement les  côtes,  afin  d'y  chercher  les  animaux  de  tont  genre 
que  la  mer  rejette,  ou  les  environs  des  lieux  habités  et  les  dé- 
tours des  chemins,  pour  recuedlir  les  restes  d'animaux  jetés  par 
l'homme;  et  quand  il  n'a  rien  trouvé,  il  se  pose  sur  un  pic  ou 
STU^  une  pointe  de  rocher  dans  le  voisinage  des  troiqieaux,  et  il 
attend  là  qu'une  Brebis  ou  un  Lama  s'éloigne  de  la  troupe  pour 
mettre  bas;  et,  si  les  bergers  ne  sont  pas  en  mesure  de  défendre 
lejenne  animal,  le  Condor  prend  son  vol,  et,  tournoyant  à  une 
grande  hauteur  au-dessus  de  la  proie  qu'il  convoite,  il  attend  la 
mise  bas,  fond  sur  la  mère,  non  pour  Tattaqner  elle-même,  mais 
pour  dévorer  son  petit.  D'Orbigny  a  été  témoin  d'une  de  ces 
scènes  sanglantes  dans  un  voyage  d'Arica  à  Tacnn,  snr  la  côle 
du  Pérou.  C'est  un  trajet  de  onze  lieues  sans  eau,  au  milieu 
d'un  désert  de  sable  brûlant  que  la  phiie  ne  rafraîchit  jamais,  et 
dont  la  poussière  salée  flùt  encore  sentir  plus  vivement  la  séche- 
i-esse.  Des  convois  de  Mules  et  d'Anes  pesamment  chargés  par- 
courent incessamment  le  pays,  et  les  Anes  qui,  là  plusfpi'ailleurs, 
sont  les  souffre-douleurs  des  habitants,  font  le  voyage,  allei-  el 


20  TREIZIÈMK    LEÇOIS. 

retour,  sans  qu'on  les  ménage  le  moins  du  monde;  aussi  en 
meurt-il  souvent  sur  la  route,  où  leurs  cadavres  sont  prompte- 
ment  dépecés.  Quand  un  Ane  fatigué  ne  peut  suivre  le  con- 
voi, on  l'abandonne  après  avoir  divisé  sa  charge  sur  les  autres 
plus  valides  et  il  regagne  s'il  peut  l'habitation  de  son  maître. 
Un  de  ces  pauvres  animaux  ainsi  abandonné,  n'en  pouvant  plus, 
se  coucha  sur  la  route,  prêt  à  rendre  le  dernier  soupir  ;  des 
Urubus  s'en  approchèrent  de  suite  et  lui  donnèrent  quelques 
coups  de  bec  peu  redoutables;  mais  bientôt  un  Condor  fondit  sur 
cette  proie,  que  lui  cédèrent  à  l'instant  les  Urubus,  restés  à  quel- 
ques pas  en  arrière  et  attendant  sans  doute  avec  impatience  la 
lin  du  repas  du  Condor,  dont  ils  n'osaient  s'approcher.  Ce  pre- 
mier Condor  ne  larda  pas  à  être  suivi  d'abord  de  deux,  et  bientôt 
après  de  sept  à  huit  autres,  qui,  s' acharnant  à  l'envi  sur  leur 
victime,  lui  déchirèrent  de  leur  bec  tranchant,  ceux-ci  les  yeux, 
ceux-là  le  ventre,  et  le  tuèrent  après  lui  avoir  fait  souffrir  d'a- 
troces douleurs.  D'Orbigny  s'approcha  alors  de  l'Ane,  les  Con- 
dors se  retirèrent  à  une  courte  distance  et  planèrent  au-dessus 
des  petites  collines  des  environs;  mais  dès  qu'il  se  retira,  ils 
revinrent  à  la  charge  et  ne  laissèrent  que  les  os  de  leur  victime. 
Une  fois  repus,  ils  s'envolèrent,  mais  non  sans  beaucoup  de 
peine,  ne  pouvant  prendre  leur  essor  qu'après  avoir  longtemps 
couru  en  battant  des  ades. 

En  pareille  circonstance,  et  lorsqu'un  Condor  s'est  gorgé  de 
viande,  il  peut  à  peine  voler;  et  s'il  est  poursuivi,  il  cherche  à 
se  rendre  plus  léger  en  dégorgeant  une  partie  de  ce  qu'il  a 
mangé.  Les  Indiens,  qui  connaissent  les  habitudes  de  cet  oiseau 
et  qui  veulent  s'en  emparer,  exposent  dans  un  lieu  découvert 
une  Vache  ou  un  Cheval  mort,  et  attendent  tranquillement  la 
bu  du  repas,  qui  attire  toujours  plusieurs  Condors.  Dès  qu'ils 
sont  bien  repus,  les  Indiens  accourent  armés  de  leurs  formida- 
bles lassos,  qu'ils  lancent  généralement  avec  succès.  Quelques 


VULTUniDKS.  21 

oiseaux  sont  pris,  d'antres  ])arviennent,  an  milieu  du  désordre,  à 
s'échapper;  mais  lorsqu'un  Condor  est  atleint  ])ai'  la  fatale  la- 
nière, on  ne  parvient  à  le  tner  ([u'a[)rès  nue  lutte  souvent  fort 
longue. 

Le  capitaine  Head  en  vit  un  jour  une  troupe  de  ([narante  à 
cinquante  acharnés  sur  le  cadavre  d'mi  Cheval  :  cpielcpies-uns, 
déjà  repus,  ne  purent  s'envoler  à  Taspect  du  voyageur,  qui  les 
approcha  à  environ  trente  mètres.  Les  uns  étaient  perchés  sur  le 
cadavre  du  Cheval  mort,  d'autres  l'entouraient,  ayant  une  patte 
à  terre  et  l'autre  sur  la  proie  qu'ils  dévoraient.  Un  homme  de  la 
suite  de  ce  voyageur,  un  fort  mineur  du  Cornouailles,  lit  un  jour 
uns  rencontre  à  peu  près  semblable  :  en  parcourant  à  cheval  le 
fond  d'une  vallée,  il  y  trouva  un  Cheval  mort  et  des  Condors  oc- 
cupés à  le  dévorer.  Le  premier  de  ces  oiseaux  qui  prit  la  fuite  ne 
put  voler  qu'à  une  cpiarantaine  de  mètres;  le  cavaher  se  hâta  de 
mettie  pied  à  terre,  et,  courant  sur  l'oiseau,  il  le  saisit  par  le 
cou.  La  lutte  fut  terrible,  et  ce  n'est  pas  souvent  qu'on  voit 
quelque  chose  de  semblable  à  ce  combat  entre  un  homme  vigou- 
reux et  un  Condor.  Il  mit  son  genou  sur  la  tète  de  l'oiseau  et 
essaya  de  lui  tordre  le  cou;  mais  le  Condor  résista  violemment. 
Il  semblait  attendre  que  d'autres  Condors,  qui  volaient  sur  sa 
tête,  prissent  parti  contre  l'honniie  et  vinssent  à  son  secours.  A 
la  fin,  pourtant,  le  mineur  fut  le  plus  fort;  et  croyant  son  en- 
nemi mort,  il  s'éloigna,  tenant  à  la  main,  comme  un  trophée, 
k's  plumes  qu'il  avait  arrachées  à  l'aile  du  Coudor.  En  montrant 
à  ses  compagnons  les  dépouilles  de  sa  victime,  il  assura  qu'elle 
lui  avait  coûté  plus  de  fatigues,  et  qu'il  s'était  peut-être  exposé 
à  plus  de  dangers  que  dans  aucune  des  luttes  qu'il  avait  soute- 
nues jusqu'alors.  Mais  ces  oiseaux  ont  la  vie  si  dure,  qu'un  autre 
cavalier  qfii  passa  par  le  même  endroit  quelque  temps  après, 
trouva  le  Condor  vivant  encore  et  cherchant  à  s'envoler. 

Ou  raconte  même  au  sujet  de  la  tenace  vitalité  de  ces  oiseaux 


22  TREIZIÈME    LEÇON 

(les  faits  qui  seraient  incroyables  s'ils  n'étaient  attestés  i)ar  des 
voyageurs  sérieux.  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  aux  exagérations 
tVUlloa,  qui  prétend  le  Condor  à  l'épreuve  de  la  balle,  par  le 
tissu  serré  de  ses  plumes,  qui  constitue  une  sorte  de  cuirasse; 
d'Orbigny  nie  complètement  le  fait,  et  il  a  tué  des  Condors  de 
Irès-loin,  non-seulement  avec  des  balles  ordinaires,  mais  encore 
avec  de  petites  chevrotines  et  même  avec  du  })lomb  numéro  zéro. 
Néanmoins,  le  Condor  étant  plus  grand  et  plus  fort  qu'aucun 
autre  oiseau  de  proie,  il  doit  nécessairement  être  plus  difficile  à 
tuer  ;  aussi  vole-t-il  longtemps  encore  avant  de  tomber,  même 
après  avoir  été  grièvement  blessé.  D'Orbigny  a  acquis  la  certi- 
tude que  le  Condor  est  très-difficile  à  mettre  à  mort  par  stran- 
gulation. 11  avoue  même  qu'après  en' avoir  blessé  un  d'une  balle, 
sur  la  côte  de  la  Patagonie,  il  voulut  rachevcr  de  cette  manière 
et  ne  put  y  parvenir  qu'après  une  beure  des  plus  pénibles  efforts. 
Cette  observation  est  applical)le,  et  [ilus  positivement  encore  aux 
grands  oiseaux  de  mer,  comme  les  Albatros. 

Nous  avons  parlé  du  lasso;  voici  ce  qu'est  cet  engin  et  en  quoi 
il  consiste  :  ce  lasso,  fait  de  cuir  frais  et  tressé,  a  environ  un 
centimètres  et  demi  de  diamètre,  quelquefois  moins;  graissé 
lors  de  sa  fabrication,  il  est  extrêmement  flexible  et  plus  fort 
qu'une  corde  trois  fois  plus  grosse;  sa  longueur  est  de  sept  à 
dix  mètres,  et  une  de  ses  extrémités  forme  un  nœud  coulant. 
Le  Huaso,  celui  qui  jette  le  lasso,  doit  être  habile  cavalier,  car 
il  est  exposé  à  supporter  de  fortes  secousses  par  la  résistance  des 
animaux  qu'il  a  saisis.  11  prépare  sa  manœuvre  en  tenant  à  la 
main  et  séparés  par  deux  doigts  les  tours  assez  larges  du  lasso  et 
son  extrémité  formant  le  nœud  coulant.  Au  moment  de  s'en  ser- 
vir, il  fait  mouvoir  la  main  ainsi  armée  autour  de  sa  tête;  et, 
après  ces  préliminaires,  il  le  lance  avec  une  telle  précision  qu'il 
ne  manque  jamais  son  but.  Un  Bœuf,  par  exemple,  est  pris  par 
les  cornes,  un  Cheval,  un  Condor,  le  sont  par  le  col;  et  comme 


VULTUUIDÉS.  25 

cehi  est  l'ait  au  ^i\h\)^  le  cavalier  retient  l'autre  cxlréuiité  du  lasso 
attachée  à  son  coijis,  et  arrête  tout  à  coup  sa  monture  ;  l'animal 
embarrassé  reçoit  alors  lui  aussi  une  telle  secousse  (jue  cpielque- 
l'ois  il  est  renversé.  On  attache  souvent  une  des  extrémités  du 
.  lasso  à  la  contre-sangle  de  la  selle,  surtout  lorscju'il  s'agit  de 
prendre  de  gros  animaux;  dans  ce  cas,  le  cheval,  dressé  à  ce 
genre  de  chasse,  se  conduit  comme  s'il  coimaissait  d'avance  la 
résistance  qu'il  doit  éprouver;  il  tourne  le  liane  vers  l'animal 
pris  et  incline  son  corps  dans  la  (hrection  opposée.  Stevenson, 
ancien  secrétaire  du  président  de  Quito,  et  de  lord  Cochrane,  a 
NU  un  Da-ul'  sauvage;  pris  au  lasso  entraîner  le  Ihiaso  et  le  Che- 
val, dont  les  pieds  sillonnèrent  la  terre  dans  un  espace  de  près 
de  deux  mètres.  Les  hidiens  sont  très-habiles  dans  ces  exerci- 
ces, (ju'ils  estiment  au  point  de  regarder  conmie  honteux  de 
niaïKiuer  le  but;  plusieurs  individus  des  classes  les  plus  élevées 
l'ont  aussi  de  cet  exercice  un  amusement;  et,  non-seulement  au 
Chili,  mais  encore  dans  presque  toutes  les  parties  de  l'Amérique 
du  Sud,  les  habitants  de  toutes  les  classes,  qui  résident  à  la 
campagne,  portent  toujours  un  lasso  derrière  leurs  selles;  sou- 
\ent  même  on  voit  les  enfants  jeter  le  lasso  y  et  prendre  ainsi 
de  la  volaille,  des  Chiens  et  des  Chats,  dans  les  maisons,  les 
cours  et  les  rues  :  c'est  ainsi  que  cet  art,  qu'on  regarde  comme 
indispensable,  s'apprend  dès  l'enfance.  Dans  les  guerres  de 
lindépendance,  de  18'20  ti  1828,  les  miliciens  portaient  leurs 
lassos,  avec  lesijuels  ils  étranglaient  bon  nombre  de  soldats 
espagnols.  Le  cavalier  galopant  à  toute  bride  au  moment  de 
jeter  le  lasso,  le  malheureux  qui  se  trouvait  pris  ne  pouvait  s'en 
débarrasser  et  était  traîne  derrière  les  pieds  du  cheval  de  son 
adversaire  jusipi'à  ce  qu'il  fût  mort. 

On  conl'ond  souvent  ei\  lùnope,  avec  le  lasso,  cpù  rappelle 
assez,  on  le  voit,  la  manière  de  condjattre  des  Laquearii,  che^ 
les  Uomains,  un  autre  engin  qui  y  a  beaucoup  de  rapports,  et 


'H  TUElZlÈaiE    LEÇON, 

(jiu*.  loii  nomme  bolas;  celui-ci  est  d'origine  exclusivement 
américaine.  11  cuiibiste  en  deux  pierres  arrondies,  de  la  grosseur 
d'un  œuf  d'Oie,  et  même  plus,  enveloppées  chacune  d'un  mor- 
ceau de  vessie  de  Guanaco  ou  Lama.  Elles  sont  réunies  l'une 
à  l'autre  par  une  tresse  fiiile  en  cuir  de  deux  à  trois  brasses.  On 
substitue  quelquefois  aux  pierres  des  boules  de  métal,  et  au  mi- 
lieu de  la  tresse  on  attache  une  autre  courroie  qui  forme  comme 
le  manche  d'une  fourche,  et  dont  on  se  sert  pour  faire  toiu-ner 
les  bolas  et  pour  leur  imprimer  une  plus  grande  rapidité.  Lors- 
(pi'on  lâche  ce  lien,  les  boules  partent  comme  si  elles  étaient  lan- 
cées par  une  fronde.  Dans  leur  course,  elles  s'écartent  l'une  de 
l'autre,  la  lanière  dont  elles  forment  l'extrémité  se  tend,  et, 
lorsqu'elle  vient  à  rencontrer  un  corps  qui  fait  obstacle  à  son  pas- 
sage, les  deux  boules,  ne  pouvant  perdre  immédiatement  la  vi- 
tesse qu'elles  ont  acquise,  prennent  un  mouvement  circulaire. 
Elles  tournent  autour  de  l'obstacle  en  sens  inverse  l'une  de 
l'autre.  Si  l'impression  donnée  a  été  très-rapide,  la  courroie  est 
serrée  avec  force  ;  elle  peut  étrangler  l'animal  qu'elle  saisit  au 
cou.  Si  l'une  des  bolas  passe  sous  le  corps  d'un  quadrupède  et 
l'autre  devant  lui,  lesjandjcs  sont  immédiatement  enveloppées, 
et  il  faut  nécessairement  qu'il  s'abatte.  Maniée  par  des  mains 
habiles,  cette  arme  est  extrêmement  redoutable.  Au  reste,  on  le 
voit,  le  lasso  et  les  bolas  sont  de  la  même  famille  quoique  d'ori- 
gine'différente. 

Pour  en  revenir  à  riiistoire  du  Condor,  nous  dirons  qu'il 
n'était  connu  que  de  nom  à  l'époque  de  Buffon,  et  que  c'est  à 
de  Humboldt  et  depuis  à  d'Orbigny  que  nous  devons  les  des- 
criptions exactes  de  cet  oiseau  et  les  détails  les  i)lus  curieux  sur 
ses  mœurs.  Le  Condor  n'attaque  pas  Ihomme,  ni  même  les  en- 
limts;  il  n'est  pas  assez  courageux,  sa  proie  ne  doit  lui  oiïrir 
qu'une  faible  résistance.  On  sait  d'ailleurs  que  les  hidiens  coii- 
lieiit  erdiiiairmieiit  la  garde  des  troupeaux  à  kurs  jeunes  eu- 


VUl/IUllIDÉS.  25 

liiiils  L'I  qut;  ci'ux-ci  savent  lorL  l)iLMi  les  préserver  des  Condors 
en  prenant  à  côté  d'enx  les  mères  en  i^ésine,  ou  en  emportant  les 
nouvean-iiés  dans  leurs  bras;  et  Ton  voit  fréquemment  des  en- 
fants de  six  à  huit  ans  poursuivre  ces  énormes  oiseaux,  l'uyant 
timidement  à  leur  approche,  quand  ils  pourraient  les  renverser 
d'un  seul  coup  d'aile  et  les  tuer  d'un  seul  coup  de  l)ec. 

Le  Condor  a  des  ongles  longs,  il  est  vrai;  mais  ils  ne  servent 
qu'à  consolider  la  station;  ils  sont  généralement  usés,  parce  que 
cet  oiseau  ne  se  pose  que  sur  les  rochers,  et  n'étant  pas  rétracti- 
les  ils  ne  peuvent  lui  servir  à  saisir  une  pioie  (juelconque.  Son 
liée  seul  lui  sert  à  dépecer  ses  victimes,  qu'il  maintient  seulement 
à  l'aide  des  pattes.  Il  n'est  pas  probable  non  plus  que  le  Condor 
jiuisse  attaquer  des  Cerfs,  des  Lamas  et  moins  encore  des  Génis- 
ses. DUrbigny  assure  que  le  Condor  n'attaque  jamais  un  animal 
adulte,  ne  fut-il  que  de  la  taille  d'un  Mouton,  à  moins  que  cet 
animal  ne  soit  affaibli  et  malade.  Mais  il  est  très-friand  des  ani- 
maux qui  viennent  de  naître  dans  les  champs  et  du  placenta 
abandonné  par  la  mère.  Le  même  voyageur  affirme  aussi  que  le 
Condor  n'attaque  jamais  les  oiseaux  ni  les  plus  petits  mammi- 
fères. Il  mangé  de  tout  ce  qui  est  animal.  On  l'a  vu  se  nourrir  de 
Mollusques,  quoique  ce  ne  soit  cpe  comme  dernière  ressource.  Il 
s'acharne  sur  tous  les  animaux  morts,  sans  exception,  les  mam- 
mifères, les  oiseaux,  les  reptiles  et  les  poissons,  et  ne  montre 
quelque  préférence  que  pour  la  chair  des  mammifères.  II  mange 
jusqu'à  des  excréments  quand  la  faim  le  presse. 

Les  Condors  nuisent  surtout  beaucoup  aux  troupeaux  en  tuant 
ou  blessant  les  animaux  nouveau-nés  ;  aussi  les  habitants  ac- 
tuels leur  font-ils  une  guerre  d'extermination,  et  mettent-ils  en 
jeu,  pour  les  détruire,  toutes  les  ruses  possibles.  La  plupart  du 
temps,  ils  les  guettent,  cachés  près  d'un  licni  garni  par  eux  d'un 
appât,  et  les  tuent  à  coups  de  fusil;  ou  bien,  attendant  qu'ils 
soient  repus,  ils  les   poursuivent  à  cheval  et  les  prennent  au 


T.    il. 


2(j  TI'.EIZIÈME   LE(;0N. 

lasso.  Los  Cioiiduis  soiil  très-siiiivai'es;  ils  liiiciil  de  loi t  loin  à 
rapproche  de  riioiiiiiie;  et,  si  ce  n'est  en  Patagonie,  où  voyaiildes 
lioimiies  peut-èli  e  pour  la  première  fois,  ils  laissèrent  passer  d'Or- 
hii-iiy  et  ses  coiiipagiioiis  à  cent  cinquante  ou  deux  cents  mètres 
au-dessous  de  leurs  rochers  ;  ce  voyageur  n'a  jamais  pu  appro- 
cher un  Condor  d'assez  près  pour  le  tuer,  et  il  n'est  parvenu  à 
se  donner  cette  satisfaction  qu'eil  se  tenant  caché  et  à  ralfiit  à 
peu  de  distance  d'une  proie  qui  les  attirait. 

Cette  sauvagerie  présente  cependant  quelques  exceptions  de 
circonstance.  Écoutons,  à  ce  sujet,  le  plus  récent  de  nos  voya- 
geurs naturalistes,  M.  de  Castelnau,  qui,  dans  son  voyage  de 
Potosi  à  la  Paz,  en  traversant  les  Andes,  a  pu  souvent  ohserver 
ces  oiseaux.  «  Dans  ces  régions  élevées,  dit-il,  apparaît  le 
Condor,  ce  Vautour  des  Andes,  qui  évite  avec  un  soin  égal  les 
plateaux  tempérés  et  les  pics  dont  la  tête  s'élance  trop  avant  dans 
la  zone  des  neiges  éternelles.  L'hidien  de  la  Cordillière  est,  avec 
cet  oiseau  remarquahle,  l'habitant  le  plus  constant  de  ces  lieux 
peu  accessibles...  Des  oiseaux  énormes  nous  accompagnaient  : 
c'étaient  ces  Condors,  si  célèbres  par  leur  taille  colossale.  En  les 
voyant,  il  semble  que  la  nature,  qui  venait  de  créer  la  Cordil- 
lière, ne  put  se  résoudre  à  rentrer  de  suite  dans  des  proportions 
ordinaires,  et  que  cet  animal  se  ressentit  de  l'exubérance  de  ma- 
tière qu'elle  avait  à  sa  disposition.  Ces  oiseaux  rapaces  s'élevaient 
d'un  vol  pesantj  planaient  au-dessus  de  nos  têtes,  en  éclipsant  le 
soleil  et  en  projetant  sur  nous  des  ombres  énormes;  puis  ils  al- 
laient à  peu  de  distance  se  percher  sur  une  crête  pour  nous  at- 
tendre et  regarder  passer  notre  caravane;  alors,  tenant  leur  tête 
dénudée  presque  entièrement  cachée  dans  leur  manteau  de  plu- 
mes, ils  nous  suivaient  d'un  regard  perçant,  pour  reprendre 
bientôt  un  nouvel  essor,  recommençant  vingt  fois  la  même  ma- 
nœuvre, dans  l'espoir  sans  doute  que,  vaincu  par  la  fatigue  et  la 
rigueur  du  climat,  l'un  d'entre  nous,  ou  au  moins  l'une  de  nos 


VULTUniDES. 


27 


Fii;.  8.  —  Sarcoramphe  Condor  femelle. 


montiiros,  snrcombant  en  ces  lieux,  deviendrait  une  proie  facile, 
snr  laquelle  pourrait  s'aliattre  leur  bande  afflunce.  On  a  vu  des 
voyageurs,  affaiblis  par  la  fatigue  et  la  souffrance,  tomb(>r  à  terre 


28  TREIZIÈME    LEÇO^^ 

ot  être  aussitôt  attaqués,  harcelés  et  déchirés  par  ces  oiseaux 
féroces  qui,  tout  en  arrachant  des  lamheaux  de  chair  à  leurs 
victimes,  leur  fracassent  les  memhres  à  coups  d'ailes.  Les  mal- 
heureux résistent  bien  quelques  instants;  mais  bientôt  des  débris 
ensanglantés  restent  seuls  pour  annoncer  aux  voyageurs  qui  pas- 
seront encore,  la  mort  horrible  de  ceux  qui  les  ont  précédés  dans 
ces  passages  dangereux.  » 

On  est  encore  peu  lixé  sur  la  véritable  diuéc  de  la  vie  du 
Condor;  mais,  s'il  faut  en  croire  les  indigènes,  sa  longévité  sur- 
passerait de  beaucoup  celle  de  tous  les  autres  oiseaux  de  proie. 
Les  Indiens  ont  assuré  à  d'Orbigny  en  revoir  encore  de  temps  à 
autres  quelques-uns  marqués  par  leurs  pères,  il  y  avait  plus  de 
cinquante  ans,  de  certains  signes  particuliers.  Les  Condors  ne 
font  point  de  nids;  ils  se  contentent  de  choisir,  dans  les  rochers 
ou  dans  les  l'alaises,  comme  sur  la  côte  de  Patagonie,  des  creux 
assez  larges  pour  recevoir  leur  corps  et  leurs  œufs;  préférant 
toujours,  pour  faire  leur  ponte,  les  points  inaccessibles,  moins 
par  leur  élévation  que  par  leur  escarpement.  La  femelle  pond 
deux  œufs  blancs.  Tel  est  celui  rapporté  du  Chili  par  M.  Gay, 
qui  l'a  donné  au  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris  :  cet  œuf 
est  de  forme  ovale  allongée,  à  pointe  assez  prononcée,  à  coquille 
un  peu  rude  au  toucher,  sans  reflet,  sans  aucune  tache,  quoi  qu'en 
dise  d'Or])igny,  qui  ifen  avait  vu  que  des  débris  d'origine  assez 
incertaine;  cet  œuf  a  treize  centimètres  de  grand 'diamètre  sur 
six  et  demi  de  petit.  Tels  sont  aussi  les  œufs  qui  ont  été  pondus 
en  Angleterre,  soit  à  Regent's-Park,  soit  au  Jardin  zoologique  de 
Londres.  C'est  surtout  de  novembre  à  février  qu'a  lieu  la  ponte. 
Les  couples  s'éloignent  alors  encore  davantage  des  lieux  habités, 
pour  chercher  une  solitude  complète.  Au  dire  des  Indiens,  la  fe- 
melle couverait  seule.  En  tout  cas,  le  nulle  et  la  femelle  s'occu- 
pent de  concert  du  soin  de  nourrir  les  jeunes,  en  dégorgeant 
dans  leur  bec  les  alim^^nts  qu'ils  ont  pris  eux-mêmes.  Les  petits 


VlIf,T(lI>ir>KS.  20 

•irandissont  assez  loiilcmcMit  et  peuvent  à  i)cine  voler  an  boni, 
d'un  mois  et  demi.  Ils  suivent  longtemps  encore  le  conple,  qui 
les  ,unid(^  dans  leurs  premières  cliasses;  mais  le  jdus  long  terme 
de  l(Mn'  édneation  ne  dépasse  jamais  quelqnes»niois.  Dès  ce  mo- 
ment, on  voit  les  jeunes  Condors  s'isoler  de  leurs  parents  et 
chercher  eux-mêmes  à  pourvoir  à  leur  nourriture.  Plus  voraces 
alors  que  les  vieux,  mais  moins  prévoyants  et  moins  défiants, 
parce  (ju'ils  ont  moins  d'expérience,  ils  tombent  plus  facilement 
dans  les  affûts  des  chasseurs;  aussi  tue-t-on  souvent  des  jeunes 
et  rarement  des  adultes.  Le  maie  adulte  seul  porte  une  crête 
développée  et  des  plis  sur  le  cou;  la  femelle  en  est,  dit-on,  tou- 
jours dépourvue,  bes  jeunes,  au  moment  de  l'éclosion,  sont  cou- 
veits  (bun  duvet  long  et  frisé,  comme  celui  qui  couvre  les  jeunes 
<1(^  toutes  les  espèces  d'oiseaux  de  proie.  Ce  duvet  est  gris-blanc, 
et  bientôt  recouvert  de  plumes  d'un  brun  noircàtre,  qui  conser- 
vent deux  ans  cette  teinte,  d'ailleurs  plus  ou  moins  foncée.  La 
seconde  année,  à  l'époque  de  la  mue  ou  du  métachromatisme 
qui  précède  l'époque  des  pariades,  les  plumes  repoussent  un 
peu  plus  noires,  sans  montrer  encore  la  tache  blanche  des  ré- 
miges. La  collerette  blanche  commence  à  paraître  dès  cette 
époque,  mais  elle  est  alors  étroite.  Le  mâle  n'a  pas  encore  ses 
caroncules,  ou  sa  crête  charnue,  et  ne  commence  à  la  prendre 
que  la  troisième  année,  époque  à  laquelle  la  collerette  devient 
aussi  plus  touffue.  C'est  à  cette  même  époque  que  les  rémiges, 
d'abord  d'une  couleur  partout  uniforme,  commencent  à  blan- 
chii-.  Au  dire  des  Indiens,  les  Condors  auraient  d'autant  plus  de 
blanc  dans  leur  plumage  qu'ils  seraient  plus  vieux. 

La  taille  moyenne  des  Condors  est  de  un  mètre  cinq  à  un 
mètre  trente  centimètres  de  la  pointe  du  bec  au  bout  de  la 
queue.  Leur  enveignre  est  de  deux  mètres  et  demi  Ti  trois  mè- 
tres. Quelques  individus,  favoiisés  par  l'abondance  de  la  nour- 
riture on    par  d'autres    circonstances,  acquerraient,  selon   de 


-,0  TREIZIÈME    LEÇON 

Humboldt,  jusqu'à  quatre  mètres  cinquante  centimètres  d'en- 
vergure. La  femelle  est  un  peu  plus  grande  que  le  mâle,  ce  qui 


Fig.  9.  —  Sarcoramphe  Condor  mâle,  troisième  année. 


se  remarque  chez  presque  tous  les  oiseaux  de  proie;  mais  la  dif- 
férence est  moins  sensible  dans  cette  espèce  que  dans  toutes  les 
autres. 

A  l'occasion  de  ces  variétés  de  taille  et  de  dimensions,  de 
Humboldt  a  fait  cette  réflexion  :  11  est  frappant  que  tous  les 
exemples  que  l'on  cite  des  Condors  extrêmement  grands,  soient 
du  Chili  ou  de  la  partie  la  plus  australe  du  Pérou.  Existe-t-il 
une  race  de  Condors  plus  grande  dans  les  climats  froids  ou  tem- 


viirTURiDÉs.  r.i 

|i('r(S  (|iio  dans  la  zone  torridc?  La  tompéralnro  dos  l)nssf's  rr- 
gions  de  Pair  doil  d'ailleurs  être  assez  indifférente  pour  un  oiseau 
qni,  se  nichant  à  son  gré  plus  ou  moins  haut  sur  la  pente  des 
Coi'dillières,  choisit  le  climat  qui  lui  conYient;  mais  peut-être 
que  la  nourriture  plus  ou  moins  al)ondante  et  d'autres  circon- 
stances locales  contrilnient  au  dévcloppc^ment  de  l'organisation . 
Temminck,  contrairement  à  l'opinion  de  d'Orhigny,  croit  à 
l'existence  de  deux  races  de  Condors.  Ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  que,  d'après  les  observations  fort  curieuses  de  Santiago 
Cardenas,  né  à  Lima  au  commencement  du  dernier  siècle,  et 
qui  n'est  cité  ni  par  de  Humboldt  ni  par  d'Orhigny,  il  paraîtrait 
(pie  l'on  reconnaît  dans  les  Andes  trois  espèces  de  Condors.  La 
première,  désignée  sous  le  nom  de  Moromoro^  n'a  pas  moins  de 
quatre  mètres  soixante  centimètres  d'envergure;  il  est  de  couleur 
cendrée.  Dans  les  airs,  lorsqu'il  plane,  il  offre  le  spectacle  le  plus 
imposant:  il  est  majestueux  surtout  lorsqu'il  lutte  ^contre  les 
tempêtes.  La  seconde  espèce  n'aurait  pas,  dans  les  Andes,  de 
nom  particulier  :  elle  est  plus  rapide,  plus  courageuse  que  la 
première,  dont  elle  n'a  ni  la  taille  ni  la  force,  puisqu'elle  n'a 
guère  que  trois  mèti  es  soixante  à  quatre  mètres  trente  centimè- 
tres d'envergure;  son  plumage  est  couleur  café.  La  troisième  es- 
pèce serait  le  Condor  à  queue  et  à  dos  blancs,  qui  n'atteint  que 
trois  mètres  ou  trois  mètres  soixante-six  centimètres  d'envergure; 
c'est  le  Condor,  seule  espèce  connue  des  naturalistes  européens. 
La  première  de  ces  trois  espèces  a  fourni  au  Péruvien  Santiago 
Cardenas  de  curieuses  observations  sur  ses  évolutions  aériennes, 
qui  lui  faisaient  espérer  une  application  possible  à  la  science 
aérostatique. 

Le  Condor,  pris  vivant,  est  triste  et  timide  pendant  la  pre- 
mière heure;  bientôt  après  il  devient  très-farouche.  De  Hum- 
boldt a  eu  à  Quito,  pendant  huit  jours,  une  femelle  vivante  dans 
la  cour  de  sa  maison,  et  il  était  dangereux  de  s'en  approcher. 


52  TREIZIÈME    LEÇO>-. 

Mais  voici  iiu  fait  assez  curieux  publié  plus  récemment  par  le 
Zoological  magazine  sur  une  paire  de  ces  oiseaux:  transportés 
en  Europe  :  On  a  conservé  plusieurs  années  à  Londres,  dans  Ré- 
gent's  Park,  un  couple  de  Condors,  dont  la  femelle  pondit  sept 
œufs,  du  A  mars  1844  au  7  mai  1847.  Les  six  premiers  furent 
couvés  par  la  mère  d'une  manière  irrégulière,  et  par  consé- 
quent sans  succès.  Quelqu'un  proposa  alors  de  faire  couver  par 
une  Poule  le  premier  œuf  qui  serait  pondu.  En  conséquence,  le 
7  mai  1847,  à  sept  heures  et  demie  du  matin,  l'œuf,  fraîche- 
ment pondu,  fut  mis  sous  une  Poule  de  Dorking.  Le  lieu  choisi 
pour  l'incubation  était  une  cage  un  peu  élevée  au-dessus  du  plan- 
cher, dans  une  des  volières.  La  Poule  couva  avec  une  assiduité 
exemplaire.  Les  jours,  les  semaines  se  passèrent,  et  elle  couvait 
toujours.  L'époque  ordinaire  de  l'éclosion  des  œufs  de  poule  était 
depuis  longtemps  dépassée,  et  elle  n'en  continuait  pas  moins  con- 
sciencieusement sa  tâche  maternelle.  Enfin,  le  50  juin,  après 
une  incubation  de  cinquante-quatre  jours,  le  jeune  Condor 
commença,  vers  six  heures  du  matin,  à  briser  sa  coquille;  Léclo- 
sion  fut  très-lente.  Le  jeune  oiseau  n'était  dégagé  qu'au  bout  de 
vingt-sept  heures,  et  encore  ne  fut-ce  qu'avec  l'aide  du  gardien, 
qui  dut  enlever  la  coquille,  dont  la  membrane  s'était  desséchée 
autour  du  petit.  C'est  ainsi  que  fit  son  entrée  dans  le  monde  le 
premier  Condor  né  en  Angleterre.  Il  avait  un  aspect  assez  étrange, 
et  semblait  tout  étonné  de  se  trouver  là.  Sa  tête  paraissait  dif- 
forme, car  elle  était  surmontée  d'une  espèce  de  poche  pleine 
d'eau  logée  entre  la  peau  et  le  crâne.  Cette  poche  s'affaissa  gra- 
duellement, et,  le  1"  juillet,  dans  l'après-midi,  la  tète  avait  pris 
sa  forme  régulière.  Elle  était  nue  et  d'une  couleur  brun-cendré; 
les  pattes  et  la  cire  qui  commençait  à  pointer,  présentaient  la 
même  nuance.  Le  corps  était  couvert  d'un  duvet  blanc  sale.  L'oi- 
seau avait  l'air  bien  portant  et  vigoureux  :   il  mangea,  le  soir 
même  de  son  premier  jour,  un  morceau  de  foie  de  Lapereau. 


vu  LT  mu  DES.  Tm 

l.;i  cliair  de  Lapereau  fui  sa  iiourriliire  habiluello.  On  lui  faisait 
Jaiie  ('iii([  repas  par  jour,  en  lui  doimanl,  à  chaque  repas  un  mor- 
ceau (le  la  giossevu-  d'une  noix;  mais  le  foie  élait  l'olijet  de  ses 
préférences.  Pendant  les  dix  premiers  jours,  on  dût  le  faire  man- 
ger; le  onzième  jour,  il  becqueta  lui-môme  sa  nourriture  dans 
la  main  de  son  gardien.  11  ne  buvait  pas  et  on  ne  le  forçait  pas 
à  boire. 

Le  18  juillet,  le  petit  Condor  continua  à  Itien  venir;  la  bonne 
Poule  qui  avait  couvé  l'œuf  contenant  ce  prodigieux  poussin  res- 
tait toujours  dans  sa  cage  et  paraissait  fort  attacliée  au  nourrisson 
confié  à  ses  soins.  Quand  elle  quittait  le  jeune  oiseau  pour  aller 
manger,  ce  qui  ne  lui  arrivait  que  deux  fois  par  jour,  elle  parais- 
sait évidemment  inquiète  et  pressée  :  on  eût  dit  qu'elle  avait  hâte 
de  retournera  son  devon*.  Le  duvet  du  petit  prit  à  cette  époque 
une  teinte  plus  grise,  et  Ton  commença  à  apercevoir  les  rudi- 
ments des  vraies  plumes.  La  tète  et  le  cou  avaient  noirci,  et  la 
cire  s'était  développée.  La  mandibule  supérieure  du  bec  était  lé- 
gèrement mobile  ;  les  membres  inférieurs  avaient  pris  une  teinb* 
plus  foncée  et  paraissaient  très-forts;  cependant  ils  ne  pouvaient 
pas  encore  supporter  le  poids  du  corps.  Cette  faiblesse  avec  l'ap- 
parence de  la  force  ne  peut-elle  expliquer  la  continuation  des 
soins  assidus  de  la  Poule?  Son  devoir,  par  rapport  à  ses  propres 
œufs,  consiste  à  faire  éclore  des  poussins  qui  courent  presque 
immédiatement  ;  mais  elle  les  tient  sous  son  aile  jusqu'à  ce  qu(^ 
leurs  membres  inférieurs  aient  assez  de  force  pour  leur  pei- 
mettre  d'aller  à  la  recherche  de  leur  nourriture  et  de  se  metti'e 
à  l'abri  du  danger.  Dans  le  cas  actuel,  la  Poule  voit  que  son  gros 
poussin  ne  peut  pas  marcher,  et  elle  continue  à  le  couvrir  de 
son  corps.  Lorsqu'on  tirait  le  jeune  oiseau  de  dessous  la  Poule, 
il  agitait  ses  ailes  encore  dépourvues  de  plumes,  et  ouvrait  le  bec 
comme  tous  les  autres  jeunes  oiseaux,  mais  sans  faire  entendre 
aucun  cri  de  demande.  Il  se  servait  l)eaucoup  de  sa  langue  pour 


34  TREIZIÈME    LEÇON, 

prendro  sa  nourriture,  ainsi  que  pour  faciliter  la  déglutition. 
Enfin,  le  21  juillet,  le  Condor,  qui  paraissait  si  bien  portant, 
mourut  dans  la  matinée.  Le  local  qu'il  habitait  avec  la  poule 
logeait  aussi  beaucoup  de  rats,  dont  le  cri  ressemblait  énormé- 
ment à  celui  du  jeune  oiseau;  et,  dèsqu'd  fut  enlevé,  la  poule,  agi- 
tée, inquiète  de  l'absence  de  son  nourrisson  et  trompée  par  le  cri 
des  rongeurs,  s'approchait  alors  du  trou  d'où  partait  le  cri,  écou- 
tait et  restait  là  à  appeler  en  gloussant,  dans  l'espoir  de  voir  sortir 
son  élève.  Ce  fait  de  la  ponte  d'oiseaux  si  remarquables,  et  de  la 
naissance  d'un  Condor  en  Europe,  nous  a  paiii  assez  intéressant 
pour  le  liiire  connaître  dans  tous  ses  détails.  Continuons  main- 
tenant Thistoire  du  Condor.  L'idée  de  symboliser  les  productions 
de  la  nature,  surtout  les  êtres  vivants,  remonte  à  la  plus  haute 
antiquité  et  se  retrouve  chez  toutes  les  populations  du  globe. 
Ainsi  le  Condor,  cet  oiseau  si  récemment  connu  dans  l'ancien 
monde,  joue  un  grand  rôle  dans  les  traditions  mythologiques  et 
historiques  des  anciens  peuples  de  l'Amérique.  Il  est  curieux  de 
voir  un  oiseau  de  proie  révéré  dans  les  deux  vastes  empires  du 
Mexique  et  du  Pérou,  et  de  retrouver  les  traces  de  l'adoration  du 
Condor  bien  avant  l'époque  des  hicas. 

Santiago  Cardenas  rapporte  qu'"  les  Quichnas  désignaient  les 
diverses  espèces  qu'il  prétend  exister,  sous  le  nom  de  Contiire, 
qui  vient  lui-même  des  mots  Cuncure  edei\  exprimant  l'odeur 
désagréable  qu'exhale  le  corps  de  ces  oiseaux,  ce  qui  prouve  que 
de  Huml)oldt,  sauf  une  erreur  de  traduction,  quoi  qu'en  dise 
d'Orbigny,  était  beaucoup  plus  près  que  lui  de  la  véritable 
étymologie  du  mot.  Les  dénominations  de  Cimtiir  et  de  Penna 
(le  Lion  américain,  ou  Puma)  étaient,  sous  le  règne  des  Incas, 
des  dénominations  nobiliaires.  On  appelait  un  chef  de  guerre 
Apiu  Cîmtur,  le  grand  Condor;  Cuntiir  Pusac^  1e  chef  de  huit 
Condors;  Cuntur  quinqid  ou Kankiy  le  Condor  par  excellence, 
le  grand-mai tre  des  chevaliers.  Garcdasode  la  Vega  dit  aussi,  en 


vnmir,  iDKs.  55 

|»nrliiiil  (les  (li\('isi's  rcli^nioiisiiiilcrk'urcsaiix  liuiis,  (juc  ([iiL'l([ik's 
|)('iHtl;i(l('s  ailoraiciil  les  Coiulois  à  cause  de  leur  Laille,  el  parce 
({u'elles  se  liloriliaieul  de  les  avoir  eu  pour  aucètres.  llditeucore, 
eu  pailaiit  des  coniiuèles  (|ue  fit  le  onzième  roi  des  lucas,  Tapac 
hica  Yupanqni,  (jue,  lorsc^ue  ce  prince  pénétra  à  l'est  de  Caja- 
niarca,  au  sixième  degré  sud,  chez  la  nation  Cliadiapuya,  cette 
nation  avait  le  Condor  pour  principal  dieu.  Enfin,  parlant  des 
olfrandes  des  chefs  ou  Ciiracas  à  l'inca  lors  de  leur  visite,  à 
Toccasion  de  la  grande  lete  annuelle  du  Soleil,  il  dit  que  les  In- 
diens donnèrent  à  l'inca  heaucoup  d'animaux,  parmi  lesquels  on 
l'emarquait  des  Condors.  Dans  cette  même  l'ète,  oi^i  les  Indiens  se 
déguisaient  de  diverses  manières,  on  en  voyait  quelques-uns  se 
présenter  avec  des  ailes  de  Condor  attachées  aux  épaules,  comme 
[)rétendant  aussi  descendre  de  cet  oiseau. 

D'Orbigny,  en  dernier  lieu,  rapporte  avoir  vu  les  mêmes 
usages  se  reproduire  dans  les  déguisements  des  Indiens  Aymaras 
de  la  Paz  (Bolivie),  lors  des  grandes  fêtes  du  catholicisme,  par 
exemple,  le  jour  de  la  Saint-Pierre  et  de  la  Fête-Dieu,  et  il  a 
trouvé  dans  les  anciens  monuments,  seuls  vestiges  qui  nous  res- 
tent de  ces  vieilles  nations,  sur  des  statues  colossales,  sur  des  por- 
tiques monolithes,  et  partout  enfin,  des  figures  de  Condors,  tantôt 
entières  et  tenant  un  sceptre  représentant  le  messager  du  Soleil, 
tantôt  par  fragments  s'adaptant  à  des  épaules  royales  ou  ornant 
la  tête  d'un  dieu. 

Plusieurs  localités  ont  tiré  leur  nom  de  celui  du  Condor.  Les 
Indiens  désignent  encore  aujourd'hui  les  cimes  les  plus  élevées 
des  Andes,  par  exemple,  sur  la  route  de  Potosi  à  Oruro,  sous  le 
nom  de  Cuntur-apacheta,  (la  gorge  du  Condor),  et  plusieurs 
autres  localités,  comme  Ciintur-marca  (la  demeure  du  Condor), 
dont  on  a  fait,  dans  notre  langue,  Cuntumarca;  ils  désignent  en 
effet  sous  ce  nom  les  sommités  perdues  dans  les  nuages,  et  que, 
les  Condors  seuls  peuvent  atteindre.  C'est  une  habitude  gêné- 


5(3  TREIZIEME    LEÇON, 

raie,  chez  les  diverses  tribus  iiidienups  de  rAiiiérique,  de  pren- 
dre pour  emblème  de  divinité,  ou  signe  de  ralliement,  soit  celui 


Fig.  10.—  Sarcjranii>he  Papa,  Surcoramphus  Papa,  mâle  et  femellu 


(les  oiseaux  de  proie  qui  leur  paraît  le  plus  redoutable  ou  le  plus 
utde,  soit  seulement  les  plumes  de  ces  oiseaux.  Ainsi  les  Musco- 


VlII/niUDÉS.  57 

iiiiliîuos  Ibiit  leur  rloiKhid  royal  avec  les  pluniL'S  (ruiK!  autre 
espèce,  le  Sarcoramplic  l'apa,  ou  roi  des  Vaulours,  éleiidard  aii- 
([uel  ils  donnent  un  nom  qui  sifiiiifie  Qnrne  d'Aigle;  ils  le  por- 
leut  (juaiid  ils  vont  à  la  guerre,  mais  alors  ils  peignent  une  bande 
longe  entre  les  taches  brunes.  Dans  les  négociations  et  antres 
occasions  pacilî(|ues,  ils  le  portent  neuf,  propre  et  blanc. 

Les  mœurs  du  Sarcorampbe  Papa,  dont  nous  allons  parler,  ne 
diiïcrent  pas  de  celles  du  Condor.  Uépandu  dans  les  parties 
chaudes  des  deux  continents  américains,  descendant,  vers  le  sud, 
jusqu'au  vingt-huitième  degré,  au  Paraguay,  à  Corrientes,  il 
remonte,  vers  le  nord,  jusqu'aux  Florides.  Mais  on  ne  l'y  voit 
guère  qu(;  lorsque  les  herbes  des  plaines  ont  été  brûlées,  ce  qui 
arrive  fort  souvent,  tantôt  en  un  lieu,  tantôt  en  un  autre,  soit  par 
le  tonnerre,  soit  par  le  fait  des  Indiens,  qui  mettent  le  feu  pour 
faire  lever  le  gibier.  On  aperçoit  alors  les  Sarcoramphes  Papa 
arriver  de  fort  loin,  se  rassembler  de  tous  côtés,  s'approcher  par 
degrés  des  plaines  en  feu,  et  descendre  sur  la  terre  encore  cou- 
verte de  cendres  chaudes.  Ils  ramassent  les  Serpents,  les  Gre- 
nouilles, les  Lézards,  et  en  remplissent  leur  jabot.  Il  est  aisé  alors 
de  les  tuer,  car  ils  sont  si  occupés  de  leur  repas  qu'ils  bravent 
tout  danger  et  ne  s'épouvantent  de  rien. 

La  livrée  du  Sarcoramphe  Papa  est  assez  belle.  Cet  oiseau  est 
d'un  roux  carné  très-clair  sur  les  parties  supérieures,  et  d'un 
l)lanc  pur  en  dessous;  les  ailes  sont  noires;  il  a  un  collier  ardoisé 
au  bas  du  cou;  le  bec  est  rouge  à  Pextrémité  et  noir  à  la  base; 
l'œil  est  blanc  et  entouré  d'un  cercle  rouge;  la  crête,  charmie, 
est  orangée,  adhérente  à  la  cire,  bilobée,  dentelée  et  non  érec- 
tile;  la  tête  et  le  cou  sont  nus  et  d'une  teinte  violàtre  en  avant; 
le  sommet  est  couvert  de  poils  ardoisés  et  courts,  des  plis  char- 
nus et  orangés  naissent  derrière  1  œil,  et  les  rides  de  la  gorge 
sont  variées  de  rouge  et  de  jaune;  les  tarses  sont  bleuâtres. 


58 


TREIZIEME    LEÇON. 


't-  Genre  :  CATHARTE,  C  AT  II  ART  ES,  lUiger. 

I,a  vue  des  CatliaiLes  esL  peiçaiile  eL  éteiRlue;  leur  odorat 
beaucoup  moins  sensible  qu'on  ne  Ta  pendant  longtemps  pré- 
tendu; ils  souffrent  la  privation  de  nourriture  avec  une  patience 
extraordinaire,  et  ils  ont  assez  de  force  pour  soutenir  leur  vol  à 
une  grande  hauteur  sans  se  fatiguer.  Leur  tète  semble  un  peu 
[)etite  relativement  au  volume  du  corps,  parce  cpi'elle  est  nue, 


—  Catharte  Aura,  CaUiaiies  Avra. 


de  même  que  le  haut  et  le  devant  du  cou,  le  tarse  et  son  articu- 
lation. D'amples  narines,  qu'aucune  membrane  ne  recouvre,  sont 
jdacécs  près  du  haut  du  bec,  qui  se  prolonge  en  ligne  droite  jus- 
qu'à sa  pointe,  fort  crochue.  Le  bec  est  grêle  et  allongé,  compa- 
rativement aux  vrais  Vautours,  qui  viennent  après.  L'œil  n'est  ni 
grand,  ni  enfoncé,  ni  couvert  par  une  saillie  de  l'orbite,  comme 
celui  des  Aigles  et  des  Faucons.  La  paupière  est  grosse  et  sans 
cils;  le  tarse  est  arrondi,  robuste  et  couvert  de  petites  écailles; 


vrLTrninÉs.  r.o 

les  doigts  sont  iilloiii^és  cl,  iiadircllciiiciit  L'ti'iidiis  :  les  (rois  iiiilr- 
rieiirs  seul  nuis  par  une  inenil)i;ui(3  jiis(|ii'à  la  première  arlicn- 
lation,  et  le  postérieur  très-court.  Les  ongles,  quoicpie  foris,  ne 
sont  ni  très-aigus,  ni  Irès-recourbés,  ni  aussi  longs  que  ceux:  des 
oiseaux  de  rapine,  et  nullement  rétractiles;  les  Cathartes  ne  se 
servent  pas  })lus  de  leurs  ongles  que  de  leurs  doigis  pour  saisir 
leur  proie.  Les  ailes,  dans  l'état  de  repos,  se  soutiennent  mal; 
elles  se  rétrécissent  beaucoup  dn  eôlé  du  corps,  et,  dans  le  vol, 
elles  prennent  Tuie  forme  arrondie,  parce  qu'elles  sont  à  peine 
dépassées  par  la  (pieue,  dont  les  douze  pennes  sont  un  peu 
courtes,  coiq^ées  carrément  et  à  barbes  nombreuses.  La  troisième 
et  la  quatrième  penne  des  ailes  sont  les  plus  longues. 

Les  Catbartes  proprement  dits,  au  nombre  de  deux  espèces 
seulement,  l'Urubu  et  l'Aura,  sont  exclusivement  propres  au 
nouveau  continent.  C'est  uniquement  pour  obéir  aux  principes 
(le  distiibulion  géograi)lnque  en  zoologie,  qu'on  en  a  séparé 
deux  autres  espèces,  que  nous  restituons  à  ce  genre,  le  Catbarte 
j)ercnoptère  ou  Alimocbe,  et  le  Catbarte  moine  ou  piléifère, 
dont  on  a  fait  le  genre  percnoptère,  et  qui  n'appartiennent  qu'à 
Tancien  continent;  ils  sont  identiques  aux  Catbartes  par  les  ca- 
ractères zoologiques  et  par  leurs  babitudes;  le  genre  comprend 
donc  quatre  espèces  :  les  deux  premières  américaines,  la  tioi- 
sième  répandue  dans  l'Europe  méridionale  et  orientale,  en  Asie 
et  en  Afrique,  la  (piatrième  enlin  spéciale  à  l'Afrique. 

Les  Catbartes  ont  beaucoup  d'analogie  avec  les  Vautours,  mais 
ils  sont  moins  gros  et  moins  robustes.  Ils  sont  protégés  par  les 
lois  au  Cbili  et  surtout  au  Pérou,  et  seulement  par  l'usage  en 
Orient.  Leurs  babitudes  sont  tellement  familières,  qu'on  les  voit 
n'éprouver  nulle  crainte  et  vivre  comme  des  oiseaux  de  basse- 
cour  au  milieu  des  rues  et  sur  les  toits  des  maisons.  Leur  utilité 
est  d'autant  mieux  appréciée,  dans  T Amérique  équatoriale,  si 
cbaude,  que  le  pays  est  habité  par  la  race  espagnole,  et  que  ces 


40  TREIZIÈME    LEÇO?s. 

oiseaux  semblent  seuls  chargés  du  nettoyage  des  Toios  publi- 
ques et  de  la  propreté  des  abords  des  habitations,  qu'ils  dé- 
l)arrassent  des  charognes  et  des  immondices  de  toute  sorte,  que 
l'incurie  des  habitants  sème  au  milieu  d'eux. 

L'odeur  des  Cathartes  est  excessivement  fétide.  Tous  sentent 
mauvais;  ils  ne  crient  point;  ils  marchent  à  pas  pesants,  et  leur 
corps  se  soutient  horizontalement;  ils  prennent  leur  essor  avec 
quelque  peine  et  après  avoir  fait  plusieurs  sauts.  Ils  tournoient 
ensuite  dans  les  airs  pendant  plusieurs  heures,  pour  découvrir 
les  charognes  sur  lesquelles  ils  s'abattent,  sans  jamais  attaquer  le 
plus  petit  oiseau  ni  le  plus  faible  mammifère.  Ils  perchent  sur 
les  plus  gros  arbres  ou  sur  les  anfractuosités  des  rochers;  le  cou 
un  peu  rentré  dans  les  épaules  :  ils  vivent  généralement  seuls 
ou  par  paires  ;  mais  ils  se  réunissent  en  troupes  dans  les  villes 
ou,  pour  s'acharner  sur  les  animaux  morts,  dans  les  lieux  éloi- 
gnés des  habitations.  Leur  ponte  annuelle  est  de  deux  œufs, 
qu'ils  déposent  sur  quelques  bûchettes  négligemment  posées  au 
sommet  des  rochers. 

Catharte  Ur.ui'.u,  Cathartes  atratus^  \Yilson.  — L'Urubu  est, 
sans  contredit,  le  plus  commun  de  tous  les  oiseîiux  de  j  roie,  et 
il  est  en  apparence  plus  sociable  que  les  autres  vulturidés.  Il 
n'est  pas  rare  d'en  voir  des  centaines  réunies  sur  un  seul  cada- 
vre. Sa  Huniiiarité  et  les  services  qu'il  rend  aux  villes  lui  don- 
nent le  droit  de  cité.  Sa  chair,  infecte,  n  est  pas  mangeable,  et 
il  est  dégoûtant  au  point  de  faire  craindre  de  le  toucher;  aussi 
l'on  ne  tire  aucun  parti  ni  de  sa  peau  ni  de  ses  plumes.  Il  est 
rare  de  voir  les  habitants,  même  dans  les  villes  où  les  lois  ne  le 
protègent  pas,  cherchera  lui  faire  du  mal;  il  multiplie  cà  l'infini 
partout,  tandis  que  le  Condor  et  le  roi  des  Vautours  deviennent 
de  plus  en  plus  rares. 

L'Ui'ubu,  selon  ses  habitudes  citadines,  campagnardes  ou  sau- 
vages, car  il  faut  bien  foire  cette  distinction,  passe  la  unit  soit 


YlIl/mUDÈS.  41 

sur  les  l)ranclies  iiiréiicuies  des  gros  arbres,  soil,  sur  les  assises 
(les  rochers  ou  des  l'alaises,  soit  sur  le  faîle  des  maisons,  soil 
uiônie  sur  les  Iniissous,  lorsijii'il  uc  trouve  pas  d'arbre.  Sans 
aimer  réellemeul  la  société,  il  est  cependant  rare  de  le  rencon- 
trer seul.  On  le  voit,  le  plus  souvent,  en  nondire  sur  le  même 


CatlKirle  Urubu,  Cnihaties  atiatus 


arbre  ou  sur  le  mèuLe  toit.  Il  revient  toujours  au  même  gîte,  et 
les  arbres  sur  lesquels  il  perche  se  reconnaissent  facilement, 
tout  couverts  qu'ils  sont  d'une  fiente  blanchc\tre,  qui  les  fait 
promptement  périr.  Dans  l'attitude  du  repos,  on  voit  cet  oi- 


42  TREIZIÈME    LEÇON, 

seau,  la  tête  rentrée  dans  les  épaules",  le  bec  horizontal,  les 
pattes  verticales,  et  les  ailes  légèrement  pendantes,  position  qui 
lui  donne  un  air  stupide  et  disgracieux.  LlJrubu  est,  de  tous  les 
oiseaux  diurnes,  celui  qui  se  couche  le  plus  tard,  car  il  vole  en- 
core au  crépuscule,  et  cependant  il  est  aussi  le  plus  matinal  de 
tous.  En  cas  de  mauvais  temps  et  de  pluie,  il  Feste  au  gîte  quel- 
ques moments  de  plus,  secouant  la  tête  par  intervalles;  et,  si  la 
i'aim  ne  le  presse  pas,  il  s'y  tient  toute  la  journée;  mais,  quand  il 
fait  beau,  c'est  au  petit  jour  qu'il  prend  son  essor.  A-t-il  en  ré- 
serve, quelque  part,  une  proie  entamée  de  la  veille,  il  s'y  rend  à 
rinstant  et  déjeune.  N'a-t-il,  au  contraire,  aucune  provende  as- 
surée, il  parcourt  d'un  air  circonspect  les  environs  de  sa  demeure, 
s'élevant  quelquefois  très-haut,  comme  pour  s'assurer  s'il  n'a- 
}>ercevra  pas  au  loin  quelque  réunion  de  ses  semblables.  S'il  ne 
voit  ou  ne  rencontre  rien,  i!  va  de  suite  s'abattre  sur  une  mu- 
raille, sur  une  barrière,  sur  un  poteau,  sur  l'arbre  le  plus  voisin 
de  quelque  habitation,  et  là,  il  regarde  attentivement  autour  de 
lui,  restant  ainsi  quelquefois  immobile  pendant  des  heures  en- 
tières, pour  ne  s'envoler  que  lorsqu'un  autre  Urubu  plus  fort 
vient  le  débusquer,  ou  s'il  découvre  quelque  proie  aux  environs. 
Lorsqu'il  est  canqiagnard,  il  passe  presque  toute  la  journée  près 
des  habitations,  et  couche  dans  les  bois  voisins. 

L'Urubu,  plus  que  tout  autre  oiseau,  peut  rester  fort  long- 
temps sans  manger;  mais  s'il  arrive  qu'à  portée  de  l'observatoire 
qu'il  s'est  choisi,  on  tue  un  Bœuf  ou  un  Mouton,  il  descendra 
soudain  et  viendra  disputer  aux  Chiens  les. intestins  de  l'animal. 
Il  sera  bientôt  suivi  d'autres  Urubus,  de  sorte  qu'en  peu  d'in- 
stants la  place  où  la  victime  a  été  vidée  se  trouve  nettoyée.  On  voit 
même  souvent  les  Urubus  attendre  que  quelque  besoin  fasse  sortir 
les  habitants  d'une  maison,  pour  se  repaître  de  leurs  déjections. 

Comme  le  Condor,  ils  suivent  sur  les  côtes  maritimes  les 
troiqies  d'Otaries  ou  de  Phocpies  ou  les  innondirahlcs  volées 


VrLTllRlDES.  45 

d'oiseanx  do  mer  (jiii  coiivrcnf  qiiolqncfois  do  prnndos  porfions 
(]o  la  coto  à  corlaiiios  (''iioqiios.  Lors  do  la  doscoiil.o,  sur  lo  Para- 
guay ot  sur  lo  l'aiana  jus(|irà  Biionos-Ayres,  de  cos  immenses 
radeaux  chargés  do  marcliandises,  et  qui  portent  assez  de  bes- 
tiauv  pour  la  nourriture  de  leurs  équipages,  TUrubu  suit  ces 
radeaux  en  Iroupes  nombreuses,  et  s'arrête  avec  eux  dans  Tes- 
poir  de  manger  quelques  morceaux  do  chair  ou  les  restes  du 
repas  des  rameiu^s,  qui  couchent  habituellement  à  terre. 

Dans  l'Amérique  du  Nord,  les  Cathartes  vont  par  troupes  et 
s'associent  quelquefois  au  nombre  de  vingt,  quarante  et  plus. 
Ainsi,  ils  explorent  le  pays  en  vue  Tun  de  l'autre,  et  découvrent 
une  immense  étendue  de  terrain.  Une  troup(^  de  vingt  Urubus 
peut  sans  peine  explorer  une  surface  de  plus  de  dix  kilomètres, 
d'autant  mieux  qu'ils  volent  en  décrivant  de  larges  cercles,  s'en- 
trecoupant  souvent  Tun  l'autre  et  formant  une  longue  chaîne 
dont  les  anneaux  ne  sont  pas  interrompus.  Les  uns  se  tiemient 
haut,  les  autres  bas;  aucun  recoin  ne  leur  échappe,  et  dès  que 
l'un  d'eux  découvre  une  proie,  il  se  met  à  voler  autour,  et,  par 
l'impétuosité  de  ses  mouvements,  semble  en  donner  avis  à  ses 
voisins,  qui  le  suivent  immédiatement  et  se  voient  eux-mêmes 
successivement  suivis  par  tous  les  autres  :  le  plus  éloigné  se  pré- 
cipite, comme  le  reste,  en  droite  ligne,  vers  le  lieu  indiqué  par 
la  direction  des  autres,  et  tous  arrivent  sans  s'écarter,  parais- 
sant obéir  à  cette  finesse  olfactive  qu'on  leur  accorde  si  gratuite- 
ment et  sur  de  fausses  apparences.  Quand  l'objet  ainsi  découvert 
est  gros,  récemment  mort,  et  revêtu  d'une  peau  trop  coriace  pour 
pouvoir  être  entamé  facilement  et  dévoré  de  suite,  ils  patientent 
et  s'établissent  dans  le  voisinage,  perchés  sur  des  rochers,  sur  de 
hauts  sommets  dénudés,  d'où  ils  sont  facilement  aperçus  par 
d'autres  Cathartes,  qui  comprennent  ce  que  cela  veut  dire,  et 
viennent  attendre  aussi  leur  part  du  festin.  L'arrivée  soudaine 
de  ces  nouveaux  venus  semble  justifier  encore  la  finesse  olfactive 


44  TREIZIÈME    LEÇON, 

de  ces  oiseaux,  tandis  que  c'est  la  vue  seule  qui  les  dirige.  C'est 
ainsi  qu'Audubon  a  vu,  vers  le  soir,  près  du  cadavre  d'un  Bœuf, 
des  centaines  de  Catbartes  assendjlés,  alors  que  le  matin  du  même 
jour  il  n'avait  aperçu  sur  le  même  Bœuf  que  deux  ou  trois  de  ces 
oiseaux.  Plusieurs  des  derniers  arrivés  venaient  très-probable- 
ment de  huit  ou  dix  kilomètres  en  cbercliant  une  proie,  et  ils  se 
sont  abattus  sur  celle  indiquée  par  le  rassemblement,  auquel  se 
joignent  aussi  des  individus  d'une  autre  espèce,   le  Catbarte 
Aura,  dont  nous  parlerons  plus  loin.   Urubus  et  Auras  restent 
autour  de  la  grosse  proie;  quelques-uns  viennent  de  temps  en 
temps  l'examiner,  l'attaquent  aux  endroits  les  plus  accessibles, 
et  attendent  que  la  corruption  l'ait  entièrement  envahie.  Alors 
toute  la  troupe  se  met  cà  l'œuvre,  offrant  le  plus  dégoûtant  ta- 
bleau; les  plus  forts  chassent  les  plus  faibles,  et  ceux-ci,  à  leur 
tour,  harassent  les  autres  avec  toute  la  rancune  et  l'animosité  d'un 
estomac  affamé.  On  les  voit  sauter  sur  la  carcasse,  la  quitter  avec 
un  lambeau  bientôt  englouti,  l'assaillir  de  nouveau,  entrer  de- 
dans, s'y  disputer  des  morceaux  déjà  en   partie  engloutis  pai- 
deux  ou  trois  becs  en  présence,  puis  siffler  avec  fureur,  et  à 
chaque  instant  vider  leurs  larges  narines  des  matières  qui  les 
bouchent  et  les  empêchent  de  respirer.  Bientôt  on  ne  voit  plus 
qu'un  squelette.  Aucune  partie  de  peau  ou  de  chair  n'a  été  trop 
dure,  tout  est  déchiré,  avalé,  et  il  ne  reste  que  des  os  bien  net- 
toyés, autour  desquels  stationnent  forcément  les  plus  gorgés,  à 
peine  capables  de  remuer  les  ailes.  A  ce  moment,  l'observateur 
peut  approcher  et  voir  souvent  les  Catbartes  mêlés  à  des  Chiens, 
qui  ont  été  attirés  par  l'odeur.  Audulion  a  vu  des  Catbartes  tra- 
vailler à  un  bout  de  la  carcasse,  tandis  que  des  Chiens  déchique- 
taient l'autre  bout.  Mais  qu'il  survienne  un  Loup,  ou  mieux  en- 
core un  couple  de  Pygargues  pourvus  d'un  suffisant  appétit,  et 
sur-le-champ  place  leur  est  faite,  jusqu'à  ce  que  leurs  besoins 
soient  satisfaits. 


VULTllIWDÉS.  4r, 

I.e  repas  fini,  la  ])lnpai'l,  dos  Catljarf(îs  f^agnenl  lentcmonl 
les  plus  hautes  biaiiciies  des  arl)ros  voisins,  et  y  resteiil:  jnscpi'à 
cmiiplèfc  digestion.  Seulement,  de  temps  en  temps,  ils  ouvrent 
les  ailes,  soit  h  la  brise,  soit  au  soleil,  pour  se  rafraîehir  ou  se 
réchaufier.  Le  voyageur  peut  passer  au-dessous  d'eux  sans  qu'ils 
y  prennent  garde,  ou,  s'ils  le  remarquent,  ils  essayent  de  s'eii- 
voler,  ou,  repliant  doucement  leurs  ailes,  le  regardent  passer, 
pour  ne  se  luettre  en  mouvement  que  lorsqu'ils  y  sont  poussés 
par  la  faim.  Cela  dure  souvent  plus  d'un  jour;  et  on  les  voit  partir 
les  uns  après  les  autres.  Alors  ils  s'élèvent  à  une  immense  hau- 
teur, tracent  dans  les  airs  des  spirales  ou  des  cercles'  gracieux; 
parfois  ils  s'arrêtent,  planent  pendant  quelques  instants  et 
reprennent  leur  majestueux  essor,  s'élèvent  encore,  et  l'observa- 
teur, dont  l'œil  suit  leur  ascension  dans  l'espace,  ne  distingue; 
bientôt  plus  que  quelques  points  noirs  qui  ne  tardent  pas  à  dis- 
paraître complètement. 

Dans  l'Amérique  du  Sud,  les  mêmes  instincts  amènent  les 
mêmes  scènes;  mais  les  compétiteurs  affamés  changent.  Ainsi, 
lorsqu'un  Catharte  Urubu  aperçoit  dans  la  campagne  le  cadavre 
d'un  animal,  il  se  met  de  suite  en  devoir  de  l'entamer  par  les 
yeux,  par  la  bouche  ou  par  les  autres  orifices;  mais  il  n'est  pas 
longtenqis  seul.  Connue  toujours,  d'autres  Urubus  se  joignent 
immédiatement  à  lui,  avec  des  Caracaras,  autres  oiseaux  dont 
nous  parlerons  plus  loin.  Une  journée  suffit  pour  en  rassembler 
des  bandes  nombreuses  et  jalouses.  Les  plus  affamés  cherchent  à 
chasser  les  autres  à  coups  de  bec.  Leur  lutte  présente  un  spec- 
tacle assez  singulier;  ils  sautent  continuellement  les  uns  contre 
les  autres,  et,  de  loin,  on  croirait  qu'ils  dansent.  Quand  ils  sont 
parvenus  à  détacher  im  morceau  trop  gios  pour  être  avalé, 
d'autres  le  saisissent  par  l'extrémité  pendante,  et  chacun  tire  de 
son  côté.  11  faut  entendre  alors  les  cris  de  la  bande;  ce  sont  des 
croassements  raurpies,  assez  semblables  à  ceux  des  Corbeaux 


W  TREIZIÈME    EEÇON. 

d'Europe.  On  les  voit  aussi,  sans  motifs  apparents,  s'élever  tous 
à  la  fois  de  quelques  pieds,  comme  par  un  saut,  et  retomber  de 
suite  sur  leur  proie.  Quand  ils  sont  très-nombreux,  les  plus 
aNJdes  s'acharnent  sur  l'animal,  les  autres,  en  bien  plus  grand 
nombre,  perchent  patiemment  sur  les  arbres  des  environs,  ou 
tournoient,  à  diverses  hauteurs,  dans  les  airs,  se  préparant  au 
repas,  en  attendant  leur  tour.  Le  tournoiement  dont  nous  venons  , 
de  parler  est,  dans  ce  cas,  pour  l'habitant  des  campagnes  un 
signe  certain  qu'il  va  trouver  la  pièce  de  bétail  qui  lui  manque 
et  dont  il  ignorait  le  sort. 

Les  Cathartes  ont  souvent  occasion  de  dévorer  de  jeunes  ani- 
maux vivants  dans  les  environs  des  grandes  plantations.  Cepen- 
dant on  peut  dire  que  rarement  ils  les  attaquent  :  ils  se  conten- 
tent le  plus  souvent  de  ceux  qu'ils  trouvent  morts  dans  la  caïu- 
pagne.  D'Orbigny  a  vu  en  Patagonie  des  réunions  extrêmement 
nomlireuses  d  L'rubus.  On  avait  tué,  dans  un  seul  établissement, 
douze  mille  tètes  de  bétail,  pour  les  saler,  dans  l'intérêt  d'une 
opération  commerciale.  Pendant  cette  boucherie  de  quelques 
mois,  les  os,  encore  assez  garnis  de  chairs,  avaient  été  entassés 
au  bord  du  Rio-Negro,  et  attirèrent  un  grand  nombre  d'Urubus 
et  de  Caracaras,  que  devait  séduire  une  si  riche  et  si  facile  curée. 
Aussi  les  carcasses  en  étaient-elles  incessamment  couvertes,  et 
notre  voyageur  n'a  pas  cru  exagérer  en  évaluant  à  plus  de  dix 
mille  le  nombre  de  Cathartes  agglomérés  sur  ce  point. 

Accoutumés  que  sont  les  Urubus,  par  les  privilèges  qu'on  leur 
accorde,  à  demeurer  aux  environs  des  villes  et  des  villages,  dans 
l'Amérique  méridionale  et  dans  les  États  du  Sud  de  l'Amérique 
septentrionale,  ils  les  quittent  rarement  et  pourraient  être  con- 
sidérés, dit  Âudubon,  comme  formant  une  espèce  à  part,  essen- 
tiellement différente,  quant  aux  mœurs,  de  ceux  qui  résident 
continuellement  loin  des  habitations.  Habitués  à  ce  qu'on  les 
nourrisse,  ils  sonl  encore  ])Ins  paresseux.  Tout  monvement  pour 


VlII/llIlUDKS.  il 

VÀ\x  (_'sl  une  l'ai ij^ur,  cl  la  l'aiiii  seule  peut  les  l'aire  deseeiidie  du 
(oit  de  la  cuisine  dans  la  rue,  on  suivie  les  raies  voitures  de  la 
Noirie.  Cej)eudaiiL  dans  les  lieux  où,  couiiiu'  à  Nalcliez,  le  nombre 
de  ces  parasites  est  si  ^raiid  ([uc  touttîs  les  ordures  de  la  \ille  ne 
peuvent  leur  suOirc,  on  les  voit  accoinpagner  jusqu'à  destination 
les  charrettes  de  vidanges,  en  sautillant  joyeuseinent  cl  ténioi- 
gnant  rinipalience  d'un  grand  a])pctit. 

Auduhon  croit  ([ue  les  CaLliartes  ainsi  attachés  aux  villes  ne 
sont  pas  aussi  portés  à  la  niultiplieation  (|ue  ceux  cpii  habitent  plus 
constannnent  les  lieux  sauvages,  ou  hien  ([ue  les  couples  produc- 
teurs sV'loignent  à  l'épocjuc  de  la  ponte,  11  a,  en  eifet,  remarqué 
d'ahord  la  diminution  du  nombre  de  ces  oiseaux  dans  les  liiux 
habités  lorsque  vient  le  moment  de  la  reproduction,  et  eniin  il  a 
conslaté  (pie  plusieurs  individus,  l)icii  connus  de  lui  pour  être 
positivement  des  citadins,  ne  quittaient  en  effet  la  ville  en  aucun 
temps  et  ne  nichaient  jamais. 

La  familiarité  des  Urubus  est  extrême.  D'Orbigny  en  a  vus, 
dans  la  province  de  Mojos,  lors  des  distributions  de  viande  laites 
aux  Indiens^,  leur  enlever  des  morceaux  au  moment  même  où 
ils  venaient  de  les  recevoir.  A  Concepcion  de  Mojos,  au  moment 
d'une  de  ces  distrilmtions,  un  Indien  le  prévint  qu'il  allait  voir 
un  Urubu  des  plus  effrontés,  bien  connu  des  habitants,  parce 
qu'il  avait  une  patte  de  moins.  On  ne  tarda  pas,  en  effet,  à  le 
voir  arriver  et  montrer  toute  l'elfroiiterie  annoncée.  On  assura 
au  naturaliste  voyageur  que  cet  oiseau  connaissait  parfaitement 
l'époque  de  la  distribution,  qui  avait  lieu  tous  les  quinze  jours 
dans  chaque  mission;  et,  la  semaine  suivante,  étant  à  la  mission 
de  Magdalena,  distante  de  vingt  lieues  de  celle  de  Concepcion^ 
à  riieure  même  d'une  distribution  seml)lable,  il  entendit  crier 
les  IndieiiS)  et  reconnut  l'Urubu  boiteux,  qui  venait  d'arriver. 
Les  curés  des  deux  missions  ont  garanti  à  d'Orbigny  »|ue  cet  oiseau 
ne  inan(|uait  jamais  de  se  trouver  aux  jours  lixés  dans  l'une  et 


48  TUEIZIÈME    LEÇOiN. 

ilmis  raiiliv  résidciiie.  Ce  l'ait  prouveiiiit  un  instinct  assez  déve- 

lop[ié  et  une  mémoire  assez  rare  cliez  les  oiseaux. 

Audulion  va  plus  loin  l'elativenientà  l'appréciation  de  l'instinel 
des  Urubus,  car  il  n'hésite  pas,  dans  le  cas  particulier  que  voici, 
à  le  considérer  comme  touchant  de  très-près  au  raisonnement. 
Pendant  une  de  ces  l'ortes  rafales  qui,  an  connuencement  de  Tété, 
se  déchaînent  si  fréquemment  dans  la  Louisiane,  il  vit  une  troupe 
de  Cathartes  acconqilir  une  singulière  manœuvre.  Assurément 
ils  avaient  deviné  que  le  courant  qui  déchirait  tout  au-dessus 
d'eux  ne  consistait  qu'en  une  simple  nappe  d'air,  car  ils  s'éle- 
vèrent obliipiement  à  rencontre,  avec  une  grande  puissance,  et, 
glissant  à  travers  l'impétueux  tourhillon,  parvim'ent  à  le  sur- 
monter, pour  reprendre,  au-dessus  de  lui,  leur  course  paisible 
et  élégante. 

Un  doit  également  remai'(juer,  dans  ces  oiseaux,  la  l'acuité 
que  leur  a  donnée  la  nature  de  discerner  le  moment  où  un  animal 
blessé  va  mourir.  Dès  qu'ils  en  aperçoivent  un  malade  ou  lan- 
guissant, ils  s'attachent  à  lui,  le  suivent  sans  relâche,  jusqu  à 
que,  la  vie  l'ayant  tout  à  l'ait  abandonné,  ils  n'aient  plus  qu  à 
dépecer.  Un  vieux  Cheval  accablé  de  misère,  un  lîœul",  un  Daim 
endjourbé  au  l)ord  du  lac,  on  le  timide  animal  s'est  enfoncé  pour 
é(hap[!er  aux  Mouches  et  aux  Slonstiipies,  si  insupportables  dans 
les  clialeurs,  deviennent  mi  spectacle  atliayant  ponr  les  Ca- 
thartes, qui  spéculent  sur  leur  détresse.  Ils  s'assemblent  immé- 
diatement, et,  si  la  pauvre  bête  ne  peut  se  remettre  sur  ses 
jandjes,  ils  s'établissent  autour  d'elle  et  attendent  le  moment 
opportun  pour  la  dépecer.  Cependant  ces  mêmes  oiseaux  pas- 
seront souvent  au-dessus  d'un  Cheval  bien  portant,  d'un  IWc  ou 
d'un  autre  animal  couché  par  terre  et  se  réchauffant  immobile 
au  soleil,  comme  s'il  était  mort,  sans  (pi'ils  s'en  occupent  le 
moins  du  monde! 

La  marche  de  l'IIrubu  est  grave  et  lente;  il  allonge  beaucoup 


i  ce 
e 


VlILTlIi;  IDKS.  49 

los  jninhcs  i)oiir  liiire  de  grands  pas;  mais,  (|iiaiid  il  est  pressé 
d'arrivei-  sur  une  jiroie  on  de  se  sauver,  il  sauU;  des  deux 
pieds  à  la  l'ois,  suiloul,  s'il  veut  s'envoler.  En  ^^énéral,  il  marche; 
[)eu.  Son  vol  est  (juchpielbis  élevé,  lors(|u'il  clieiclic  ])àlure  ou 
qu'il  sent  rapproche  de  Torage;  mais  ordinairement  il  est  has  et 
hruyant.  I/Uruhii  dilïère  heaueoup  de  TAma  pour  le  vol;  car  il 
plane  rarement  et  ne  peut  j)ar('ouiir  un  prand  espace;  sans  mou- 
voir ses  ailes,  tandis  (pie  l'Aura  [tlane  tout  à  l'ait,  comme  la  Buse. 
Lorsque  le  temps  est  à  l'orage,  l'Uruhu  s'élève  en  tournoyant,  en 
troupes  nond)reuses,  à  une  grande  hauteur,  et  se  perd  alors  dans 
les  nuages,  d'où  quehpielbis  il  se  laisse  tomher  comme  une  flèche 
et  avec  grand  hruit  jusepi'auprès  du  sol,  puis  il  reprend  liaii- 
(piillement  son  vol  ordinaire  ou  recommence  à  monter,  en  toui- 
noyant,  pour  aller  rejoindre  ses  compagnons,  qui  l'attendent 
dans  les  airs.  Pendant  la  pluie,  il  se  pose  sm*  les  hranches  infé- 
rieures des  aihres,  et  cluîrche  à  se  mettre  à  l'ahri.  Les  ailes 
basses,  la  tête  enl'oncée  dans  les  épaules,  il  attend  le  retoin- du 
hean  temps;  va  se  placer  alors  au  faîte  d'un  aihre,  sur  le  jiignou 
d'une  maison,  s"  tourne  du  coté  du  vent  et  étend  ses  ailes,  ([u'il 
tient  des  heures  entières  ii  moitié  ouvertes,  sans  se  i'atiguer. 
llieii  de  plus  singulier  que  de  voir,  après  un  orage,  un  grand 
nombre  d'Urubus  rangés  en  ligne  sur  ime  maison,  ayant  tous 
les  ailes  ouvertes  pour  les  faire  sécher;  et  quand,  au  contraire,  il 
fait  grande  chaleur,  on  les  voit  également  ouvrir  les  ailes  j)our 
recueillir  le  peu  de;  fraîcheur  que  peut  dormej'  la  circulation 
de  l'air. 

Il  serait  facile  de  faire  contractera  cet  oiseau  des  habitudes  de 
domestication;  mais  il  est  rare  que  les  habitants  veuillent  s'en 
donner  la  peine,  d'autant  plus  qu'ils  l'ont  en  horrem,  à  cause  de 
son  odeur  Ibrte  et  nauséabonde,  (^'pendant  d'Orbigny  en  a  vu  de 
domestiques  dans  quelques  maisons.  De  son  côté,  d'Azara,  pen- 
dant plus  d'un  an,  en  a  vu  aussi  un  (pie  l'on  nourrissait  dans 


50  TREIZIEME    LEÇON, 

une  liabitutioii;  il  était  d'une  giunde  douceur,  savait  dislinyiier 
son  maître,  et  l'accompagnait  à  de  grandes  distances  en  volant 
au-dessus  de  sa  tète,  et  se  posant  quel(iuelbis  sur  sa\oiture.  il 
venait  toujours  lorsqu'on  l'appelait,  et  jamais  il  ne  se  joignait  à 
ceux  de  son  espèce  pour  prendre  sa  part  de  leur  nourriture.  Un 
autre,  également  privé,  accompagnait  son  maître  dans  des 
voyages  jusqu'à  Montevideo;  il  se  tenait  et  dormait  en  dehors  de 
la  voiture;  mais  quand  il  voyait  qu'elle  prenait  le  chemin  de  la 
maison,  il  se  hâtait  de  la  devancer,  et  annonçait  ainsi  à  la  maî- 
tresse du  logis  le  retour  de  son  mari.  Enlin  Auduhon  en  a  élevé 
et  conservé  un  grantl  nombre  pour  les  soumettre  à  ses  expé- 
riences sur  l'odorat  des  Vautours. 

Caïharte  Aura,  Cathartes  Aura.,  Illiger.  —  L'Aura  est  beau- 
coup moins  commun  ipie  l'Urubu.  Rarement  en  voit-on  des  ban- 
des de  plus  de  vingt-cinq  ou  trente.  11  vit  plus  retiré,  se  nourrit 
de  gibier  moit,  de  Serpents,  de  Lézards,  de  Grenouilles  et  de 
Poissons  qu'il  trouve  rejetés  sur  les  bancs  de  sable  des  rivières  et 
des  bords  de  la  mer.  Il  est  plus  coquet  dans  sa  tenue,  plus  pro- 
pre et  mieux  fait  que  l'autre.  Son  vol  est  phis  vif,  plus  élégant; 
quelques  battements  de  ses  larges  ailes  lui  suffisent  pour  s'en- 
lever de  terre,  et  alors  on  le  voit  planer  en  faisant  un  simple 
mouvement,  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  l'autre;  et  c'est  avec 
une  telle  lenteur  qu'il  incline  et  ramène  sa  queue  pour  changer 
de  direction,  qu'en  le  suivant  longtemps  des  yeux,  on  serait 
tenté  de  le  prendre  pour  un  cerf-volant.  Le  bruit  que  font  les 
Catbartes  en  glissant  obliquement  du  haut  des  airs  vers  la  terrCj 
lappelle  celui  de  nos  plus  grands  Faucons,  lorsqu'ils  tombent 
sur  leur  proie.  Mais  quand  ils  approchent  tlu  sol,  et  n'en  sont 
plus  qu'à  une  centaine  de  mètres,  ils  ne  manquent  jamais  de 
ralentir  leur  vol,  pour  passer  et  repasser  en  tournoyant,  et  bien 
examiner  le  lieu  où  ils  vont  descendre. 

L'Aura  supporte  mal  le  froid;  pendant  les  cbaleurs  de  l'élé, 


vui/nniinKS.  rii 

quolqiics-iiris  soulcmout  pousscnl  l(3iiis  oxrursioiis  jusque  <laus 
les  Élats  (lu  1101(1  cl  du  (entre  de  l'Union,  et  ils  reviennent  géné- 
ralement à  l'approche  de  l'hiver.  Ils  conservent  un  grand  atta- 
chement pour  certains  arhres  qu'ils  ont  choisis  comme  perchoirs: 
Auduhon  croit  môme  qu'ils  Iranchissent  des  distances  considéra- 
hles  pour  y  rcv(^iiir  tous  les  soirs.  En  se  posant,  chaque  individu 
cherche  à  se  l'aire  helle  place,  et  occasionne  un  trouhle  général; 
et  souvent,  quand  il  fait  nuit,  on  entend  leurs  sifflements,  qui 
indiquent  qu'ils  se  disputent  les  nieilleiuTs  places. 

Ces  arhres  qu'ils  préfèrent,  situés  généralement  au  milieu  des 
marais,  sont  principalement  de  grands  cyprès  morts.  Cependant 
ils  perchent  fréquemment  avec  les  Urulius,  et  alors  c'(îst  sur  les 
plus  gros  tas  de  hois  de  charpente  qu'on  trouve  amoncelés  dans 
les  champs  et  dans  le  voisinage  des  habitations.  Quelquefois  aussi 
le  Catharle  Aura  perche  sur  une  grosse  hranclie,  contre  le  tronc 
de  (pelque  arbre  bien  garni  de  feuilles;  et,  dans  cette  position, 
Audubon  en  a  tué  plus  d  un  en  chassant  au  clair  de  lune,  et  les 
prenant  pour  des  Dindons. 

Dans  rAmérifjue  du  Sud,  ils  se  préparent  à  nicher  dès  le  mois 
de  novembre,  et  dans  le  Mississipi,  la  Louisiane,  la  déorgie  et  la 
Caroline,  dès  le  commencement  de  février,  ce  qui  est  commun 
avec  la  plupart  des  oiseaux  de  proie.  C'est  sans  doute  Tacte  le 
plus  remarquable  de  leur  existence.  Ils  s'assemblent  par  troupes 
de  huit  ou  dix,  mâles  et  femelles,  se  posent  sur  de  grosses  sou- 
ches, et  manifestent  le  plus  vif  désir  de  se  plaire  mutuellemenl. 
hes  mâles  s'o(Tupent  du  choix  d'une"  compagne,  et  ([uand  leur 
goiit  est  fixé,  chaque  couple  s'envole  loin  des  autres,  pour  ne 
plus  se  mêler  ni  s'associer  avec  le  reste  de  la  bande,  du  moins 
tant  que  leur  couvée  ne  sera  pas  en  état  de  les  suivre. 

Ces  oiseaux  ne  bâtissent  pas  de  nid,  et  cependant  ils  sont  très- 
attentifs  à  bien  placer  leurs  œufs,  au  nombre  de  deux  seulemenl . 
C(^ux  derilrnbu,  d'un  ovale  allongé  et  légèrement  pointu,  ont 


52  TREIZIEME    LEÇON, 

sept  centimètres  et  demi  de  grand  diamètre  sur  cinq  centimètres 
de  petit.  Ils  sont  d'un  blanc  sale,  légèrement  verdâtre,  semé  de 
taches  d'un  brun  violet,  irrégulières,  de  grandeur  variable,  le 
plus  souvent  arrondies,  en  plus  giand  nombre  sur  le  gros  bout 
({lie  sur  l'autre.  Les  œufs  de  l'Aura  diffèrent  peu;  ils  sont  ob- 
longs,  pointus  à  l'une  de  leurs  extrémités,  et  ont  buit  centimètres 
environ  de  grand  diamètre  sur  cinq  centimètres  et  demi  de  petit 
diamètre;  ils  sont  d'un  Idanc  bleuâtre,  agréablement  marqués 
de  larges  taches  d'un  rouge  brun,  plus  ou  moins  foncées,  très- 
distantes  les  unes  des  autres,  et  bien  plus  rapprochées  du  gios 
bout  que  du  petit,  hidépendamment  de  ces  grandes  taches, toute 
la  surlacc  est  couverte  de  taches  également  espacées  et  très-peu 
apparentes,  d'un  beau  violet.  Nous  possédons  des  œufs  de  ces 
deux  espèces,  et  nous  les  devons  à  l'obligeance  de  d'Orbigny. 

Des  deux,  espèces  de  l'ancien  continent,  l'une,  Catbarte  per- 
cuoptère  ou  Alimoche,  se  trouve  sur  presque  toutes  les  côtes  de 
la  Méditerranée,  et  surtout  sur  la  côte  d'Afrique,  et  elle  devient 
d'autant  plus  commune  qu'on  se  rapproche  de  l'Orient.  L'autre, 
Catbarte  moine  ou  pilifère,  se  rencontre  au  Sénégal,  et  l'on  ne 
connaît  pas  parfaitement  les  limites  géographiques  qui  doivent 
lui  être  assignées. 

Les  Cathartes  de  l'aucien  continent  sont  peu  farouches,  en 
Afrique  surtout,  et  se  laissent  Aicilemcnt  approcher  par  le  chas- 
seur, mais  il  faut  les  tirer  avec  du  gros  plomb,  pour  les  faire 
tomber  sur  le  coup.  Levaillant  était  presque  toujours  obligé  de 
les  faire  suivre  après  les  avoir  blessés,  parce  qu'ils  allaient  mourir 
quelquefois  fort  loin  du  lieu  où  il  les  avait  tirés.  Il  n'a  pas  campé 
une  seule  fois  chez  les  Namaquois  qu'il  n'ait  été  visité  chaque 
jour  par  ces  oiseaux.  Il  lui  arrivait  de  tirer  plusieurs  fois  sur  le 
même  et  de  le  blesser  grièvement,  sans  que  cela  rebutât  le  Ca- 
tbarte, qui  revenait  toujours  à  la  charge  pour  dérober  à  ses  gens 
la  viande  qu'ils  faisaient  sécher  ou  fumer  en  plein  air.  Taule  de 


V(1I/I  III'.IDRS.  5:, 

cliair,  le  Pcrcnoptèrc  se  iiourriL  de  Lézinds  oL  de  [U'iils  Serpents; 
il  ne  dédiiiiiiie  même  pas  les  Vers  de  tene  el  les  insectes  qui  ic- 
cberchent  la  fiente  des  bestiaux.  Enfin  il  s'accommode  de  tout, 
et  ce  voyageur  n'a  même  quelquefois  tiou.vé  dans  le  jabot  de  ceux 
qu'il  tuait  que  des  excréments  de  Bœuf  ou  d'autres  animaux. 


g^        ,  ^  ^ 


,/nT  ^  j 


^^^  - 


rig.  15.  —  r.nllmrlc  pcrciioplère,  Calharfis  pcrciioplcrvs,  d'nprès  flonld. 


Nous  avons  tué  un  1  on  nondjre  de  IVrciioptères  pendant  noire 
séjour  à  Coiistantinople,  dans  les  jardins  du  viiux  sérail  que  nous 
liabilions;  ils  se  domiaient  rendez-vous  sur  les  vieux  murs  et 
s'offraient  facilement  à  nos  coups,  pendant  les  voyages  qui's 
faisaient  le  matin  de  la  cote  d'Asie,  où  ils  tiouvaient  encore  des 

5. 


54  TREIZIÈME    LEÇON. 

animaux  abandonnés  ot  on  pntréf^iction,  à  la  côte  d'Europe,  où 
Jes  corvées  de  nos  soldats  suppléaient  à  la  malpropreté  des  Turcs. 
Mais  les  habitants  du  quartier  de  Sainte-Sophie  s'alarmèrent, 
et  comme  notre  but  n'était  pas  la  destruction  d'animaux  si  utiles 
dans  un  pays  aussi  sale,  mais  bien  le  désir  d'enrichir  notre  col- 
bction  de  quelques-uns  de  ces  oiseaux,  les  Percnoptères  n'eurent 
plus  lien  à  redouter.  Notre  ami  Lesson,  enlevé  malheureusement 
aux  sciences  cpi'il  cultivait  avec  tant  de  succès,  a  soulevé  une 
émeute  à  Lima  pour  avoir  tué  un  de  ces  oise;mx,  qu'il  tenait  à 
ajouter  aux  riches  collections  qu'il  rapportait.  Quiconque,  à  Lima 
ou  à  .Ariquipa,  tue  un  Urubu,  est  condamné  à  une  amende  de 
cinquante  piastres,  ou  deux  cent  cinquante  francs. 

Les  œufs  de  l'espèce  de  Tancien  continent  sont  de  forme  et  de 
couleur  très-variables,  et  mesurent  de  six  centimètres  et  demi  à 
sept  centimètres  de  grand  diamètre  sur  quatre  à  cinq  de  petit; 
ils  sont  blancs,  avec  quelques  grosses  taches  brunes  couronnant 
le  gros  bout;  quand  leur  forme  est  plus  arrondie,  ils  sont  uni- 
formément teintés  de  brun  rouge,  comme  nous  le  verrons  sur  des 
œufs  de  Caracaras  et  de  Faucons.  Quelques  variétés,  provenant 
d'Egypte,  sont  grivelées  de  petites  et  grandes  taches,  qui,  au 
lieu  d'être  de  couleur  brune  ou  brun  rouge,  sont  du  violet  foncé 
le  plus  pur,  ce  qui  leur  donne,  dans  la  séri^,  un  aspect  étrange. 
Ceux  de  l'Algérie  sont  généralement  beaucoup  plus  petits  que 
ceux  d'Europe,  ne  mesurant  que  six  centimètres  sur  cinq  de 
diamètre.  Enfin  un  de  ces  œufs,  venant  des  hides  orientales, 
offre  à  peine,  sur  un  fond  d'un  blanc  pur,  quelques  fines  grive- 
lures  plus  serrées  et  plus  rapprochées  au  gros  bout. 

Les  Cathartes,  avons-nous  dit,  ne  construisent  pas  de  nids.  Le 
l)Uis  souvent  ils  déposent  leurs  œufs  dans  un  trou  de  rocher  ou 
dans  les  anfractnosités  des  falaises  qui  liordent  fréquemment  les 
grandes  rivières  en  Amérique,  ou  bien  au  milieu  des  marais  pro- 
fonds, mais  toujours  au-dessus  de  la  li.îue  des  pins  grandes  eaux; 


VULTUniDÉS.  55 

ils  cliorclicnl  (|ii('l(|U('s  uros  arhros  creux,  soi!  deboul,  soit  à 
\cYVi\  ci  loscriils  sont  dqiosi's  sur  1;\  vorniouhiic  du  bois,  qiiel- 
fjnelbis  iiniurdinlcniciil  à  rciitivo  du  trou,  d'iuilros  foisà  plus  de 


Fis.  14.  —  CnlhmiP  moine,  Cnthurtes  pileiferns- 


viuLtt  i)icds  dans  riuti'rieiir.  Le  père  et  la  mère  eouveut  à  tour 
de  rôle  et  so  nourrissent  Tuu  l'autre,  ce  que  cliacun  d'eux  fait 
en  dégoriieant  imuiédialenient,  devant  celui  qui  est  sur  le  nid, 
tout  ou  partie  du  contenu  de  son  estomac.  L'éclosion  des  petits 


56  TREIZIEME    LEÇON, 

demande  trente-deux:  jours.  Un  épais  duvet  les  recouvre  complè- 
tement à  leur  naissance;  ce  duvet,  lîlauc,  long  et  frisé  comme 
dans  toutes  les  autres  espèces  d'oiseaux  de  proie,  contraste  avec 
la  couleur  noire  de  leur  face,  el  leur  donne  une  physionomie  des 
plus  originales  :  à  cette  première  période  et  pendant  près  de 
deux  semaines,  les  parents  les  nourrissent  en  leur  dégorgeant 
aussi,  mais  dans  le  bec,  les  aliments  presque  digérés,  à  la  ma- 
nière du  Pigeon  commun.  Après  quelques  jours,  le  duvet  s'al- 
longe et  devient  plus  rare  et  d'une  teinte  plus  foncée,  à  mesure 
que  Toiseau  grandit.  Au  bout  de  trois  semaines,  les  Cathartes 
paraissent  gros  pour  leur  âge,  et  pèsent  plus  d'une  livre,  mais 
ils  sont  excessivement  gauches  et  engourdis.  Ils  peuvent  alors 
lever  leurs  ailes  encore  en  partie  recouvertes  de  gros  tuyaux; 
ils  les  traînent  presque  toujours  à  terre,  et  toute  leur  force  se 
porte  sur  leurs  longues  jambes  et  sur  leurs  pieds. 

Qu'un  étranger  ou  un  ennemi  s'approche  d'eux  îi  ce  moment, 
ils  se  mettent  à  siffler,  et  font  couîme  un  Renard  ou  un  Cliat 
(pii  s'étrangle;  puis  ils  se  gonflent  et  sautent  de  côté  et  d'autre, 
aussi  lestement  (ju'ds  peuvent.  C'est  également  ce  que  font  les 
parents,  si  on  les  inquiète  pendant  rincubation;  ils  s'envolent 
seulement  à  quelques  pas  et  attendent  le  départ  de  celui  qui  les 
trouble,  pour  se  remettre  ta  leur  devoir.  Quand  les  jeunes  sont 
devenus  plus  forts,  le  père  et  la  mère  se  contentent  de  jeter  la 
nourriture  devant  eux;  mais,  malgré  tout  le  mouvement  qu'ils 
se  donnent,  ils  parviennent  rarement  à  pousser  aux  champs  leur 
I  aresseuse  jirogéniture.  Le  nid  devient  si  fétide,  avant  que  ceux- 
ci  baient  défmitivement  al  andouné,  que  si  l'on  était  contraint  de 
demeurer  auprès  seulement  une  demi-heure,  on  courrait  risque 
d'être  suffoqué.  Ou  pense  généralement  (pi'ils  prélèrent  la  chair 
corronqiue  à  toute  autre;  c'est  une  erreur  :  toute  viande  leur 
convient,  pourvu  qu'ils  puissent  la  mettre  en  morceaux  à  l'aide 
du  bec,  et  ils  l'avalent  aussitôt,  fraîche  ou  non.  Ce  que  nous 


.vn.TrniDÉs.  r)7 

avons  dit  de  leur  liabilude  de  luer  el  de  dévorer  de  jeunes  ani- 
mauv  le  prouve  sulfisamnient.  Mais  il  arrive  souvent  que  ces 
oiseaux  sofkl  forcés  d'attendre  jus«|u'à  ce  ([uc  l'enveloppe  ou  le 
cuir  de  la  pictie  puisse  céder  à  rciïbrl  de  leurs  inanddndes.  Au- 
dubon  vil  un  jour  le  cadavre  d'un  grand  Crocodile  cnlonré  d(! 
Cathartes,  et  la  cliair  du  monstn;  était  presque  décomposée 
avant  que  les  oiseaux,  eussent  pu  jiarvenir  à  entamer  sa  rude 
peau;  de  sorte  que,  ([uand  l'attaque  devint  possible,  ils  restèrent 
tout  désappointés  devant  des  chairs  li(|uéliées. 

Les  Catbartes  n'ont  pas,  comme  les  Aigles  et  les  Faucons,  le 
pouvoir  d'enlever  leur  proie  tout  d'ime  pièce  avec  leurs  griffes; 
ils  n'em})orlent  que  les  entrailles,  et  encore  par  land)eaux,  qui 
leur  tombent  du  bec.  S'il  leur  arrive  alors  d'être  pouicbassés  par 
d'autres  oiseaux,  ce  simple  fardeau  rend  leur  vol  très-lourd,  et 
les  force  à  reprendre  terre  presque  immédiatement. 

Les  Catbartes  Uridju  et  Aura  n'ont  pas  de  zone  distincte  d'ba- 
bitation,  car  on  les  rencontre  depuis  l'hémisphère  nord  jusque 
dans  les  parties  les  plus  australes  de  l'Amérique;  on  les  voit 
également  depuis  les  plaines  ou  les  rivages  de  la  mer  jusqu'aux 
régions  les  plus  élevées.  Il  est  vrai  qu'ils  ue  se  trouvent  dans  ces 
dernières  localités  qu'accidentellement  et  de  passage,  y'y  faisant 
jamais  leur  séjour  habituel.  L'Aura  seul,  qui,  relativement  à 
l'Urubu,  parait  plus  spécial  à  T Amérique  du  Sud,  a  été  rencontré 
aux  îles  Malouines  par  Garnot  et  Lesson. 

Nous  terminerons  l'histoire  des  Catbartes  en  citant  les  expé- 
riences dont  ils  ont  été  l'objet  de  la  part  d'Audubon,  pour  s'as- 
surer de  la  prédominance  de  l'odorat  sur  la  vue  chez  les  vau- 
tours, question  si  souvent  agitée  et  dont  nous  avons  dit  un  mot 
dans  nos  Généralités.  On  sait  que  uous  avons  admis,  au  con- 
traire, la  prédominance  de  la  vue  sur  l'odorat,  dont  nous  trou- 
vons à  peine  la  trace  chez  ces  oiseaux.  Nous  laisserons  parler 
notre  grand  naturaliste  : 


58  TREIZIEME    LEÇON. 

((  Quand  VOUS  aurez  vu,  comme  moi,  dit-il,  le  Catharte  Aura 
suivant  de  près  et  avec  un  soin  pénible  la  lisière  des  forêts, 
explorant  lis  sinuosités  des  criques  et  des  rivières,  planant  au- 
dessus  des  vastes  plaines,  plongeant  son  œil  perçant  dans  toutes 
les  directions,  aussi  attentif  que  le  fut  jamais  le  plus  noble  faucon 
pour  découvrir  la  proie  qui  lui  convient;  lorsque,  ainsi  que  moi, 
vous  l'aurez  vu  mainte  et  mainte  fois  passer  au-dessus  d'objets 
])ion  propres  à  exciter  son  vorace  appétit  sans  en  avoir  aucune 
connaissance,  parce  qu'ils  étaient  cachés;  lorsqu'enfm  vous  aurez 
observé  l'avid;^  Catbarte,  poussé  par  la  faim  m  plutôt  par  la 
fiuTiine,  se  précipitant  comme  le  vent  et  descendant  en  cerlcs 
rapides  dès  qu'une  charogne  a  frappé  ses  regards,  alors  vous 
renoncerez  à  cette  vieille  croyance  si  profondément  enracinée, 
à  savoir  que  cet  oiseau  possède  la  faculté  de  découvrir  la  proie  à 
une  immense  distance  à  l'aide  de  l'odorat.  J'ai  eu  beaucoup  de 
peine  à  renoncer  à  mes  anciennes  croyances  ;  cependant,  après 
avoir  vécu  plusieurs  aimées  parmi  ces  Cathartes,  du  temps  de 
mes  courses  à  travers  les  États-Unis;  après  m'être  assuré  par 
mille  et  millt^  observations  qu'ils  ne  sentaient  nullement  quand 
j'approchais  d'eux,  caché  par  un  arbre,  même  à  quelques  pas, 
tandis  qu'au  contraire,  dès  que,  de  cette  distance  ou  de  bien 
])lus  loin,  je  me  montrais  à  eux,  ils  s'envolaient  avec  tous  les 
signes  de  la  plus  vive  frayeur,  je  dus  enfin  abandonner  ma  pre- 
mière idée,  et  je  m'engageai  dans  une  série  d'expériences  ayant 
pour  but  de  me  démontrer,  à  moi  du  moins,  jusqu'à  quel  point 
existait  cette  finesse  d'odorat,  et  si  même  il  était  vrai  qu'elle 
existât.  J'en  consigne  ici  le  résultat;  chacun  pourra  ainsi  con- 
(;lure  et  juger  combien  il  est  facile  de  se  laisser  abuser  par  les 
assertions  d'hommes  qui,  avec  leur  air  d'assurance,  n'ont  cepen- 
dant jamais  rien  vu,  ou  qui  se  sont  contentés  des  récits  d'indi- 
vidus se  souciant  eux-mêmes  fort  peu  d'observer  la  nature  de 
près. 


VULTIII;IDÉS.  59 

u  Première  expérience.  —  Je  me  [)iociiiai  une  j)e;iii  de 
ilaiiii  entière  Jiis(|u'aux  sabots,  et  je  la  Ijounai  conscieiicieiisL!- 
ineiit  d'herbes  sèches,  de  l'açoii  à  la  remplir  même  plus  que  dans 
TétaL  naturel.  Je  laissai  le;  tout  sécher  et  devenir  aussi  dur  (|ue 
du  vieux  cuir,  puis  je  la  lis  porter  dans  un  vaste  cliaiup  où  on 
1  étendit  sur  le  liane,  les  jambes  déjetées  deçà  et  delà,  comme  si 
Tanimal  était  mort  et  déjà  en  putréfaction.  Alors  je  me  retirai 
à  environ  cent  mètres,  et  quelques  minutes  étaient  à  peine 
écoulées  qu'un  Calharte,  aux  aguets  à  une  assez  grande  distance, 
ayant  aperçu  le  daim,  vola  directement  vers  lui  et  s'abattit  à 
(juclques  pas.  De  suite  je  m'avançai,  toujours  caché  par  un  gros 
arbre,  jusiju'à  une  cinquantaine  de  mètres,  d'où  je  pouvais 
parl'aitement  observer  l'oiseau.  Il  s'approcha  de  la  peau,  jeta 
sur  elle  un  regard  de  méfiance,  puis  sauta  dessus,  leva  la  queue 
et  se  vida  librement,  ce  que  tous  les  oiseaux  de  proie  à  l'état 
sauvage  l'ont  généralement  avant  de  manger.  D'abord  il  s'en  prit 
aux  yeux,  qui  étaient  ici  deux  globes  d'argile  séchée,  durcie  et 
peuile;  il  les  attaqua  l'un  après  l'autre,  sans  pourtant  rien  y 
l'aire  que  les  déranger  un  peu.  Enfin,  cette  partie  ayant  été 
abaiidonnée,  l'oiseau  se  porta  sur  l'autre  extrémité,  et  là,  se 
donnant  encore  plus  de  mouvement,  il  parvint  à  déchiier  les 
coutures  et  à  tirer  quelques  poignées  de  l'ourrage  et  de  foin. 
Mais,  pour  de  la  chair,  il  n'avait  garde  d'en  trouver  ni  d'eu 
sentir;  et  cependant  ils'opiniàtrait  à  en  découvrir  là  où  il  n'y 
en  avait  pas  la  moindre  trace.  Après  des  efforts  réitérés,  tous 
sans  profit,  il  prit  son  vol,  et,  s'étant  remis  à  explorer  les  envi- 
rons du  champ,  je  le  vis  soudain  tournoyer,  puis  descendre  et 
tuer  un  petit  serpent  jarretière  (coluber  smirita)  qu'il  avala. 
Après  quoi  il  se  renvola  encore,  recommença  à  planer,  passa  et 
repassa  plusieurs  fois  très-bas,  au-dessus  de  la  peau  bourrée, 
comme  au  désespoir  d'abandonner  un  morceau  de  si  bonne 
mine. 


00  TREIZIEME    LETON. 

«  Ainsi  voilà  un  Gatharte  qui,  à  l'aide  du  sens  prétendu  si 
extraordinaire  de  l'odorat,  n'est  pas  capable  de  découvrir  qu'il 
n'y  avait  sous  cette  peau  ni  chair  fraîche,  ni  chair  corrompue, 
et  qui,  du  premier  coup  d'œil  et  d'une  distance  considérable, 
peut  apercevoir  un  petit  serpent  à  peine  gros  comme  le  doigt, 
et  sans  aucune  odeur!  Cela  me  donnait  à  réfléchir,  et  j'en  con- 
clus que  les  facultés  visuelles  étaient,  chez  lui,  bien  supérieures 
aux  facultés  olfactives. 

u  Deuxième  expérience.  —  Je  lis  traîner  à  quelque  distance 
de  ma  maison  un  porc  qui  venait  de  mourir,  et  que  l'on  jeta  dans 
un  ravin  profond  d'une  vingtaine  de  pieds,  où  le  vent  soufflait 
très-fort.  Ce  ravin  était  obscur,  remi)li  de  broussailles  et  de 
grands  roseaux.  C'est  là  que  j'ordonnai  à  mes  gens  de  cacher 
l'animal,  en  recourbant  les  roseaux  sur  lui,  et  je  l'y  laissai  deux 
jours,  pensant  bien  que  cela  intriguerait  Urubus,  Auras  ou 
autres,  et  qu'ils  viendraient  voir  ce  que  ce  pouvait  être.  On  était 
alors  au  commencement  de  juillet,  c'est-à-dhe  à  une  époque  où, 
sous  ces  latitudes,  un  cadavre  se  corrompt  et  devient  extrême- 
ment fétide  en  très-peu  de  temps.  D'un  moment  à  l'autre  je 
voyais  des  Cathartes  cherchant  pâture  passer  par-dessus  le  champ 
et  le  ravin  dans  toutes  les  directions;  mais  aucun  ne  découvrit  le 
porc  ([ui  y  était  caché,  bien  que,  sur  ces  entrefaites,  plusieurs 
chiens  lui  eussent  rendu  visite  et  s'en  fussent  copieusement  repus. 
Je  voulus  moi-même  m'en  approcher,  mais  l'odeur  en  était  si 
hisupportable  à  vingt  pas  à  la  ronde  que  j'y  renonçai,  et  les 
restes,  tombant  d'eux-mêmes  en  putréfaction,  finirent  pctr  s'af- 
faisser complètement. 

«  Je  pris  alors  un  jeune  porc,  et,  d'un  coup  de  couteau  dans 
la  gorge,  je  le  saignai  sur  la  terre  et  l'herbe;  puis,  l'ayant  traîné 
à  la  même  place  que  le  premier,  je  le  fis  couvrir  de  feuilles  et 
j'attendis  le  résultat.  Les  Cathartes  aperçurent  la  trace  du  sang 
frais,  et,  s' étant  abattus,  la  suivirent  jusque  dans  le  ravin,  où 


VUF/rUUlDÉS.  (51 

ils  découviiiciiL  ranimai,  (ju'ils  tlévorùrciiL  suiis  mes  \cii\,  qinti- 
(ju'jl  n'eût  point  encore  d'odeur. 

«  Ce  n'était  })as  assez  pour  moi  de  ees  expériences  cependant 
si  décisives. 

«  Ayant  trouvé  deux  jeunes  Urulnis  de  la  taille  de  petits  pou- 
lets, que  le  duvet  recouvrait  encore  et  qui  avaient  plutôt  l'air  de 
«juadrupèdes  que  d'oiseaux,  je  les  emportai  chez  moi,  les  mis 
dans  une  grande  cage  en  vue  de  tout  le  monde,  dans  la  cour, 
et  me  chargeai  moi-même  de  leur  donner  à  manger.  Je  les  Iburnis 
ahondanunent  de  pies  à  tête  rouge  et  de  perroquets  que  je  tuais, 
en  aussi  grand  nombre  que  je  voulais,  sur  des  mûriers  où  ils 
cherchaient  leur  nourriture. 

<(  Mes  deux  élèves  les  déchiraient  par  huubeaux  à  grands  coups 
di'  bec  et  en  les  tenant  sous  leurs  pieds.  Au  bout  de  quelques 
jours,  ils  étaient  si  bien  habitués  à  mes  visites  que  lorscjue  j'ap- 
piochais  de  leur  cage,  les  mains  pleines  du  gibier  que  je  leur 
destinais,  ils  conuueuç.aient  aussitôt  à  siffler  et  à  gesticule)", 
l)resque  à  la  manière  des  jeunes  pigeons,  et  se  présentaient  mu- 
tuellement le  bec  comme  s'ils  s'attendaient  à  recevoir  la  nour- 
riture l'un  de  l'autre,  ainsi  qu'ils  l'avaient  reçue  de  leurs  parents. 
Deux  semaines  s'écoulèrent,  les  plumes  noires  paraissaient  et  le 
duvet  diminuait.  Je  remarquais  un  accroissement  extraordinaire 
des  pattes  et  du  bec,  et  les  trouvant  propres  à  mes  expériences, 
je  fermai  avec  des  planches  trois  des  côtés  de  la  cage,  ne  laissant 
que  le  devant  garni  de  barreaux,  pour  qu'ils  pussent  voir  au 
tiavers.  Je  ni^toyai,  lavai,  sablai  la  cage  alin  d'enlever  toute 
mauvaise  odeur  résultant  de  la  chair  corrompue  ({u'elle  conte- 
nait; et  sur-le-champ  je  cessai  de  me  présenter  par  devant  comme 
j'avais  coutume  de  le  faire  lorsque  je  voulais  leur  donner  à 
manger.  Je  m'en  approchais  souvent  nu-pieds;  et  je  reconnus 
bientôt  ([ue,  quand  je  no  faisais  pas  de  bruit,  les  jeunes  oiseaux 
continuaient  à  restei"  droits,  sans  bouger  et  silencieux,  jusqu'à 

r.   II.  0 


m  TREIZIÈME    LEÇON, 

ce  que  je  me  fusse  montré  par  le  devant  de  lenr  prison.  Plusieuis 
fois  il  m' arriva  de  prendre  un  écureuil  ou  un  lapin,  de  lui 
ouvrir  le  ventre,  de  l'attacher  à  une  longue  gaule,  avec  les  en- 
trailles pendant  librement,  et,  dans  cet  état,  de  le  placer  par 
derrière  leur  cage;  mais  c'était  en  vain  :  i!s  ne  sifflaient  ni  ne 
remuaient,  tandis  que,  quand  je  présentais  le  bout  de  la  gaule 
devant  la  cage,  à  peine  avait-il  paru  par  le  coin  que  mes  oiseaux 
affamés  sautaient  et  faisaient  tous  leurs  eflbrts  poin^  atteindre  le 
morceau.  Cela  fut  souvent  répété  avec  de  la  viande  soit  fraîche, 
soit  corrompue,  mais  toujours  appropriée  à  leur  goût. 

«  Complètement  satisfait  pour  mon  compte,  je  cessai  ces  expé- 
riences, et  néanmoins  je  continuai  à  nourrir  les  deux  Cathartes 
jusqu'à  leur  entier  développement.  Alors  je  les  lâchai  dans  une 
cour  attenante  à  la  cuisine,  pour  qu'ils  pussent  y  ramasser  tout 
ce  qu'on  leur  jettei'ait;  mais  bientôt  leur  voracité  causa  leur 
mort  :  les  petits  cochons  ne  leur  échappaient  pas  lorsqu'ils  se 
trouvaient  à  leur  portée;  jeunes  canards,  dindons  et  poulets 
étaient  pour  eux  une  tentation  si  continuelle,  que  le  cuisinier, 
ne  pouvant  veiller  constamment  sur  eux,  les  tua  l'un  et  l'autre 
pour  mettre  un  terme  à  leurs  déprédations. 

«  Pendant  que  je  tenais  mes  deux  Cathartes  en  captivité,  je  fus 
témoin  d'un  fait  assez  curieux.  Un  Catharte  déjà  vieux,  planant 
par  hasard  au-dessus  de  la  cour  au  moment  où  j'expérimentais 
avec  ma  perche  et  mes  écureuils,  aperçut  la  proie  et  s'abattit 
sur  le  toit  d'un  hangar,  près  de  la  maison  ;  de  là  il  descendit  à 
terre,  se  dirigea  tout  droit  vers  la  cage  et  s'efforça  d'attraper  la 
viande  qu'il  voyait  à  fiiitérieur.  Je  m'approchai  avec  précaution, 
il  recula  un  peu;  mais,  quand  je  me  retirai,  il  revint;  et, 
chaque  fois,  mes  deux  captifs  manifestaient  le  plus  vif  enqiresse- 
ment  envers  le  nouveau  venu.  Je  donnai  l'ordre  à  quelques  nègres 
de  le  pousser  doucement  vers  l'étable  et  de  tâcher  de  l'y  faire 
entrer,  mais  il  ne  voulut  pas.  Enfin,  après  plusieurs  tentatives, 


YllLTrilinKS.  63 

■jp  parvins  à  i'onrermor  dans  collo  parlio  du  liangar  on  Ton  dé- 
pose les  graines  de  coton,  et  là  je  le  pris.  Comme  je  le  reconnus 
bientôt,  le  pauvre  oiseau  était  devenu  si  maigre  que  c'était  u!ii- 
quement  à  son  état  de  misère  que  j'avais  du  de  pouvoir  m'en 
emparer.  Je  le  mis  en  cage  avec  les  jeunes,  qui,  tous  deux,  com- 
mencèrent à  sauter  autour  de  lui  et  à  lui  faire  accueil,  en  gesti- 
culant delà  façon  la  plus  grotes(|ue;  mais  le  vieux,  tout  décon- 
certé de  se  voir  en  prison,  leur  répondit  par  de  grands  coups  de 
bec.  Craignant  qu'il  ne  les  tuât,  je  les  retirai  d'avec  lui  et  le  ras- 
sasiai complètement.  A  force  déjeuner,  il  avait  pris  un  tel  ap- 
pétit qu'il  mangea  trop  et  mourut  étouffé. 

«  J'aurais  encore  à  citer,  dit  Audubon  en  terminant,  beaucoup 
d'autres  faits  indiquant  que  le  pouvoir  olfactif  dans  ces  oiseaux  a 
été  singulièrement  exagéré,  et  que,  s'ils  peuvent  sentir  à  une 
certaine  distance,  ils  peuvent  aussi  voir,  et  de  beaucoup  plus 
loin.  Je  demanderai  à  toute  personne  ayant  observé  les  mœurs 
des  oiseaux  pourquoi,  si  les  Catbartes  sentent  leur  proie  d'une 
telle  distance,  ils  perdent  tant  de  temps  à  la  cbercber,  eux  qui 
naturellement  sont  si  paresseux  que,  lorsqu'ils  ont  trouvé  de  la 
nourriture  dans  quelque  endroit,  ils  ne  le  quittent  jamais,  ne  se 
déplaçant  juste  que  de  ce  qu'il  faut  pour  la  prendre.  » 

Comme  cet  babile  observateur,  nous  croyons  ces  expériences 
très-concluantes,  et  nous  nous  reprocberions  de  ne  pas  avoir 
profité  de  l'occasion  pour  leur  donner  toute  la  publicité  qu'elles 
méritent,  en  France  surtout,  quoiqu'elles  datent  déjà  de  loin. 
Nous  ne  renonçons  cependant  pas,  lorsque  des  fiaits  contradictoires 
se  présenteront,  à  les  relater  avec  le  même  soin,  s'ils  ])euvent 
foinnir  une  exception  quelconque  aux  expériences  d'Audubon 


Ij'i;.  15.  —  Vautour  l'ami'  ou  Giiffou^  I'h/Zî/J'  (ulvus. 


QUATORZIÈME   LEÇON 


Suite  des  Vulturidés. 


5^^  Gent.e.  —  YAlTOin,  VUUUR,  Linné. 

Les  caractères  gciiéraux  des  vrais  Vautours  sont  d'avoir  la 
tête  et  le  cou  plus  ou  moius  nus,  ou  dénués  de  plumes  et  re- 
vêtus d'un  duvet  court  et  peu  serré,  ou  garnis  de  caroncules 
cliarnues.  Le  plus  souvent  la  partie  inférieure  du  cou  est  bordée 
de  plumes  dites  coUaires,  formant  un  rebord,  et  toutes  allongées 
et  acuminées.  Les  yeux  sont  à  fleur  de  tête.  Le  bec  est  droit,  plus 
ou  moins  robuste,  comprimé  sur  les  côtés,  à  mandibule  supé- 
rieure fortement  crocbuc  :  la  mandibule  intérieure  est  droite, 
arrondie  et  légèrement  inclinée  vers  la  pointe.  Les  narines  sont 
ovales  ou  oblongues,  percées  obliquement  sur  les  bords  de  la 
cire.  La  langue  est  cartilagineuse,  un  peu  aplatie  et  pointue, 
souvent  bifide  à  son  extrémité.  Leur  corps  est  épais,  robuste, 
oblong,  terminé  par  une  cpume  généralement  courte,  composée 
de  rectrices  égales,  et  par  conséquent  coupée  presque  carrément. 
Les  ailes  sont  pointues,  très-longues,  dépassant  l'extrémité  delà 

G. 


m  QUATORZIEME    LEÇON, 

queue  et  presque  Constamment  à  demi  étendues,  dans  le  repos 
ou  dans  la  marche.  La  quatrième  rémige  est  la  plus  longue,  la 
première  la  plus  courte  :  les  tarses  sont  robustes,  réticulés,  ou 
garnis  de  petites  écailles,  nus  ou  emplumés,  munis  d'ongles 
faibles  et  peu  longs  par  rapport  à  la  taille.  On  compte  douze  ou 
quatorze  rectrices. 

Les  Vautours,  dont  le  nom  est  passé  dans  le  langage  figuré, 
sont  des  oiseaux  voraces,  iilTamés,  poltrons,  dont  le  goût  dé- 
pravé se  contente  plutôt  de  charognes  que  d'animaux  vivants, 
qu'ils  n'osent  attaquer.  Cependant  ils  ne  dédaignent  point  la 
chair  palpitante,  comme  on  le  dit  connuunément  ;  mais,  ainsi 
que  les  autres  vulturidés,  ils  ne  cherchent  jamais  à  dévorer  que 
quelques  jeunes  animaux  sans  défense  et  éloignés  de  leurs  pa- 
rents. 

Ce  qui  distingue  surtout  les  Vautours  des  Aigles  ou  des  autres 
espèces  belliqueuses  de  rapaces,  dont  il  sera  question  dans  de 
prochaines  leçons,  c'est  une  série  de  caractères  accessoires  qu'il 
est  important  de  ne  pas  négliger  :  au  repos,  les  Vautours  sont 
toujours  dans  une  position  demi-horizontale,  qui  peint  la  dé- 
tiance.  L'Aigle,  au  contraire,  se  tient  fièrement  dans  la  position 
redressée,  et  a  le  sentiment  de  sa  force  et  de  son  courage.  Leur 
vol  est  pesant,  lourd.  A  peine  peuvent-ils  prendre  leur  essor  quand 
ils  sont  rassasiés;  et,  ce  qui  leur  est  particulier  avec  les  Cathartes, 
c'est  qu'ils  sont  réduits  à  dévorer  leur  proie  sur  place,  et  qu'ils 
ne  peuvent  point  l'enlever  avec  leurs  serres,  trop  faibles,  ainsi 
que  le  pratiquent  plus  ou  moins  fluilement  tous  les  autres  oi- 
seaux de  proie. 

Écoutons  Buffon  peignant  à  grands  traits  les  liabitudes  des 
Vautours  :  «  L'on  a  donné  aux  Aigles  le  premier  rang  parmi  les 
oiseaux  de  proie,  non  parce  qu'ils  sont  plus  forts  et  plus  grands 
(jne  les  Vautours,  mais  parce  qu'ils  sont  plus  généreux,  c'est-à- 
dire  moins  bassement  crnels;  leurs  mœurs  sont  plus  fières,  leur 


vrF,Tiniir)i:  s.  07 

(Irmarchc  plus  liardio,  l(3iir  couia^i'  plus  noble,  ayant  an  moins 
anlanl,  (le  i;oùt  pour  la  guerre  (pie  d'ap^iéLil  pour  la  })roie.  Les 
Vautours,  au  contraire,  n'ont  que  l'instinct  de  la  basse  gour- 
mandise et  de  la  voracité,  ils  ne  combattent  guère  les  vivanis 
rpic  (piand  ils  ne  peuvent  s'assouvir  sur  les  morts.  I/Aigle  at- 
taque ses  crmemis  ou  ses  victimes  corps  à  corps;  seul  il  les  pour- 
suit, les  combat,  les  saisit  :  les  Vautours,  au  contraire,  pour  peu 
qu'ils  prévoient  de  résistance,  se  réunissent  en  troupes  comme 


Fiii.  IG. 


V;iiil()iir  indifii.  Vultur  iildicus. 


de  lâches  assassins,  et  sont  plutôt  des  voleurs  que  des  guerriers, 
des  oiseaux  de  carnage  que  des  oiseaux  de  proie  ;  car,  dans  ce 
genre,  il  n'y  a  (ju'eux  qui  se  mettent  en  nombre,  et  plusieurs 
contre  un;  il  n'y  a  qu'eux  qui  s'acharnent  sur  les  cadavres,  au 
point  de  les  décbiqueter  jusqu'aux  os  :  la  corruption,  1  infection 
les  attire  au  lieu  de  les  repousser.  Les  Faucons,  les  Épcrviers  et 
jusqu'aux  plus  petits  oiseaux  montrent  plus  de  courage,  car  ils 
chassent  seids,  el  presque  Ions  dédaignent  la  cbair  morte  et  re- 


68  QUATORZIÈME    LEÇON, 

fusent  celle  qui  est  corrompue.  Dans  les  oiseaux  comparés  aux 
quadrupèdes,  le  Vautour  semble  réunir  la  force  et  la  cruauté  du 
Tigre  avec  la  lâcheté  et  la  gourmandise  du  Chacal,  qui  se  met 
également  en  troupes  pour  dévorer  les  charognes  et  déterrer  les 
cadavres,  tandis  que  l'Aigle  a  le  courage,  la  noblesse,  la  magna- 
nimité et  la  munificence  du  Lion.  » 

Frédéric  Cuvier,  beaucoup  plus  positif,  fait  observer,  avec 
infiniment  plus  de  raison,  que  si  les  Aigles  se  nourrissent  de 
proie  vivante,  attaquent  leur  victime  avec  impétuosité,  la  dé- 
chirent et  la  dévorent  toute  palpitante,  et,  confiants  par  instinct 
dans  leur  force,  ne  paraissent  connaître  que  très-fcdblement  le 
sentiment  de  la  crainte,  les  Vautours,  au  contraire,  ne  se  nour- 
rissent que  de  proie  morte  ;  quelques  espèces,  mais  seulement 
quand  elles  sont  poussées  par  la  faim,  attaquent  les  animaux  les 
plus  faibles,  et  toutes  fuient  à  la  moindre  apparence  de  danger. 
Ces  différences  de  mœurs,  associées  dans  notre  esprit  aux  diffé- 
rences de  physionomie  qui  caractérisent  les  oiseaux  de  ces  deux 
familles,  font  que  les  Aigles  font  devenus  pour  nous  les  emblèmes 
de  la  force  et  du  courage,  tandis  que  les  Vautours  ne  nous  repré- 
sentent que  la  faiblesse  et  la  lâcheté.  Les  Aigles,  il  est  vrai,  sont 
portés  par  leur  instinct  à  attaquer  les  animaux  vivants  qui  pour- 
raient se  défendre;  mais  ils  sont  tellement  supérieurs  à  ces  ani- 
maux par  leur  force,  ils  courent  si  peu  de  dangers  dans  la  lutte 
que  quelquefois  ils  peuvent  avoir  à  soutenir;  même,  quand  ces 
dangers  existeraient,  ils  sont  si  peu  capables  de  les  prévoir,  et, 
s'ils  les  connaissent,  si  peu  portés  à  les  braver,  (}ue  jamais  estime 
ne  fut  plus  injustement  acquise  que  celle  que  nous  leur  accor- 
dons. 11  est  également  vrai  que  les  Vautours  vivent  au  milieu 
de  tous  les  autres  oiseaux  sans  jamais  les  attaquer;  mais  c'est 
par  instinct  qu'ils  le  font,  parce  qu'ils  n'ont  aucun  goût  pour 
la  cbair  vivante  et  que  c'est  de  la  chair  morte  surtout  qu'il  leur 
faut.  H  n'y  a  donc  pas  plus  de  lâcheté  au  Vautour  brun,  au 


vui/nir.iDKS. 


CD 


pig   17.  _  Vautour  Oricou,  Ytillur  auriculuris. 

Condor,  au  Lcemiuergcicr,  qui  sont  des  oiseaux  de  dix  à  quiuzo 
pieds  d'envergure,  à  ne  pas  attaquer  un  Pigeon  ou  un  Lapin,  qu'd 
n^y  a  de  courage  à  un  Aigle  royal  ou  à  une  Harpie,  armés  de 


70  O^ATORZIEME    LEÇON.  " 

Inir  bec  crochu  et  de  leurs  griffes  acérées,  à  se  jeter  sur  ces 
animaux.  Les  uns  et  les  autres  obéissent  à  leur  nature.  Ils  rem- 
plissent aveuglément  leur  destinée;  et  les  sentiments  qui  les 
animent  ne  ressemblent  pas  plus  à  ceux  que  nous  éprouvons, 
lorsque  nous  bravons  ou  que  nous  fuyons  un  danger  dont  nous 
avons  apprécié  l'étendue,  que  leurs  facultés  morales  et  intellec- 
tuelles ne  ressemblent  aux  nôtres. 

Nous  ferons  remarquer  combien  ces  mots,  dont  le  sens  est 
tout  moral  :  noble,  généreux,  cruel,  etc.,  font  naître  d'idées 
fausses  lorsqu'on  les  applique  aux  animaux.  En  vain  l'on  pré- 
texterait qu'ils  n'ont  été  employés  et  ne  doivent  être  pris  que 
dans  un  sens  figuré,  que  poétiquement,  l'erreur  qui  en  résulte 
n'en  existerait  ^las  moins,  et,  quoi  qu'on  puisse  dire,  la  poésie 
n>mbellit  l'erreur  qu'aux  yeux  de  ceux  qui  ne  connaissent  pas  le 
charme  de  la  vérité.  Tin  sentiment  de  faveur  ou  de  défaveur  est 
intimement  lié  en  nous  à  ces  mots  qui  expriment  des  penchants 
}iour  lesquels  nous  avons  de  l'estime  ou  du  mépris,  et  ce  sen- 
timent, nous  le  reportons  sur  les  êtres  que  ces  mois  désignent. 
Or,  rien  ne  serait  plus  faux  que  de  haïr  les  Vautours  parce  qu'ils 
seraient  bassement  cruels,  que  de  mépriser  les  Milans  ou  les 
Buses  parce  qu'on  les  croirait  immondes  et  lâches,  que  d'estimer 
les  Aigles  et  les  Faucons  parce  qu'on  jugerait  que  la  noblesse 
est  leur  partage  !  Les  uns  comme  les  autres  remplissent  fatale- 
ment, sans  liberté,  le  rôle  qui  leur  a  été  imposé  par  la  nature; 
ils  travaillent  au  maintien  de  l'ordre  et  de  l'harmonie  sur  notre 
terre,  et  cette  tache  est  assez  belle.  Au  surplus,  s'il  fiUait  abso- 
lument se  prononcer  sur  la  part  que  ces  oiseaux  prennent  à 
l'économie  de  ce  monde,  sur  l'utiUté  du  rôle  qu'ils  y  jouent,  sur 
les  services  qu'ils  rendent  à  l'homme,  je  ne  sais  si  les  Aigles 
et  les  Faucons  l'emporteraient  sur  les  Vautours  ou  les  Buses. 

Telles  sont  les  opinions  admises  sur  les  Vautours  :  nous  les 
avons   toutes  rapportées  sans  chercher  à  les  affaiblir;  et  Ton 


VILTU  RIDÉS.  71 

MOUS  peiiiiettia  bit'ii  dajoiitL'r,  avec  Lcssoii,  que  dans  les  vues 
sages  de  la  nature  tout  a  été  disposé  pour  Je  mieux;  (pie  ces 
vices  et  ces  vertus  que  nous  prêtons  aux  animaux  sont  enfants 
de  nos  préjugés;  (pu;  ce,   (jue  nous   ;q)])elons  magnanimité  du 


V;uilour  fauve  (icxiiUnlal.  Viillnr  occidenlulis- 


Lion  et  de  l'Aigle  n'est  souvent  que  la  bienveillance  de  Tes- 
tomac  rassasié  d'un  animal  essentiellement  Carnivore  et  sangui- 
naire; que  la  laclieté  du  Vautour  ne  peut  pas  plus  être  réputée 
bassesse  que  Taudace  de  l'Aigle  ne  peut  être  réputée  magnani- 
mité. La  nature  a  voulu  des  carnassiers  pour  arrêter  la  trop 
grande  multiplication  de  certains  animaux,  et  établir  une  sorte 


72  QUATORZIEME    LEÇO^•. 

d'équilibre  ;  elle  a  voulu  aussi  des  espèces  pour  purger  la  terre 
des  cadavres  de  ceux  que  la  mort  naturelle  ou  accidentelle  laisse 
exposés  à  une  putréfaction  nuisible  à  tous.  Les  uns  et  les  autres 
l'emplissent  les  fonctions  qui  leur  ont  été  départies  avec  la  vie. 
On  se  figure  diificilement,  dans  nos  régions  tempérées,  avec 
quelle  rapidité  les  cadavres  se  décomposent  dans  les  contrées 
très-cbaudes,  et  les  émanations  dangereuses  qu'ils  répandraient 
inévitablement  seraient  des  causes  incessantes  d'épidémies. 

Les  Vautours  se  réunissent  souvent  aussi  en  bandes  nom- 
breuses, et  leur  voracité  les  rend  quelquefois  téméraires.  Le- 
vaillant  avait  tué,  en  Afrique,  deux  Buffles,  et  présidait  au  dé- 
peçage de  ces  animaux,  dont  il  faisait  pendre  les  quartiers  de 
viande  aux  branches  des  arbres  qui  entouraient  ses  tentes  pour 
les  faire  sécher  aux  rayons  d'un  soleil  brûlant.  Tout  à  coup  il  se 
vit  entouré  par  une  bande  de  Vautours  qui  enlevèrent  les  mor- 
ceaux de  chair,  malgré  ses  efforts  pour  chasser  ou  pour  détruire 
les  déprédateurs  à  coups  de  fusil.  A  peine  l'un  d'eux  tombait-il 
frappé  d'une  halls  qu'un  autre  prenait  sa  jilace. 

Un  autre  voyageur  anglais  qui  marchait  depuis  quelques  jours, 
eu  Abyssinie,  à  la  tête  d'une  petite  armée,  parle  du  nombre 
considérable  de  ces  oiseaux,  qu'il  compare  au  sable  de  la  mer. 
Ils  se  montrèrent  à  lui  plus  courageux  que  ne  le  sont  d'ordinaire 
certaines  autres  espèces  de  la  même  famille,  car  il  vit  un  jour 
l'un  de  ces  oiseaux  étendre  à  terre  un  Aigle  qui  s'était  faufilé 
par  hasard  dans  une  bande  de  Vautours  assemblés  pour  dévorer 
des  hommes  tués  pendant  une  bataille  que  s'étaient  livrée  deux 
tribus.  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étouner  que,  dans  l'Inde,  ces  oiseaux 
passent  pour  être  doués  d'un  instinct  prophétique,  qu'ils  pres- 
sentent les  combats  et  sont  avertis  de  la  mort  des  animaux. 

En  Afrique,  si  un  chasseur  tue  quelque  grosse  pièce  de  gibier 
qu'il  ne  peut  emporter  sur  l'heure,  et  ([u'il  l'abandonne  un 
instant;  à  son  retour  il  ne  la  retrouve  plus,  mais,  à  sa  place,  il 


VUMURIDKS.  73 

voit  une  bande  de  Yautours,  et  cela  dans  un  lieu  où  il  n'y  en 
avait  pas  un  seul  un  quart  d'heure  avant.  C'est  ce  qnc  Levaillant 
dans  ses  voyages,  a  éprouvé  lui-même  plusieurs  fois,  de  la  part 
des  Vautours,  soit  de  l'Oricoii,  soit  d'autres  espèces,  car  tous  ces 
immondes  carnivores  se  réunissent  et  se  mêlent  dans  cette  cir- 
constance. La  première  fois  qu'il  fut  victime  de  leur  voracité, 
il  était  à  bout  de  ressources,  ce  qui  rendit  la  leçon  très-désa- 
gréable. Levaillant  avait  tué  trois  Zèbres;  satisfait  de  sa  chasse, 
il  retourna  à  son  camp,  dont  il  était  éloigné  d'une  lieue,  et 
commanda  qu'on  amenât  un  chariot  pour  les  enlever.  Les  Ilot- 
tentots,  plus  habitués  que  lui  aux  rapines  des  Vautours,  lui  dirent 
que  ce  voyage  leui*  paraissait  inutile,  parce  que  les  Zèbres  seraient 
dévorés  avant  leur  arrivée.  On  partit  néanmoins,  mais  à  peine 
approchait-on  que  l'on  vit  de  loin  l'espace  rempli  de  Vautours. 
Les  Zèbres  étaient  dépecés  ;'  il  n'en  restait  que  les  gros  os,  et 
cependant  les  Vautours  arrivaient  encore,  et  de  tous  côtés;  il  y 
en  avait  plus  de  mille.  Curieux  d'ojjserver  comment  pouvait  sitôt 
arriver  un  si  grand  nombre  de  Vautours,  Levaillant  se  cacha  un 
jour  dans  un  buisson  après  avoir  tué  une  grande  Gazelle,  quil 
laissa  sur  place;  dans  un  instant  il  vint  des  Corbeaux  qui  volti- 
gèrent au-dessus  de  l'animal  en  croassant;  en  moins  d'un  demi- 
quait  d'heure,  il  arriva  des  Milans  et  des  Buses;  un  instant 
après  il  aperçut,  à  luie  prodigieuse  hauteur,  des  oiseaux  qui 
descendaient  toujours  en  tournoyant,  et  il  ne  tarda  point  à  re- 
connaître des  Vautours.  Les  plus  pressés  s'abattirent  sur  la  Ga- 
zelle •  mais  il  ne  leur  donna  pas  le  temps  de  la  dépecer,  et  sortit 
de  son  buisson;  les  Vautours  reprirent  lourdement  leur  vol  et  en 
rejoignirent  d'autres  qui,  arrivant  de  tous  côtés,  semblaient  sor- 
tir du  ciel;  l'enlèvement  de  la  Gazelle  les  fit  bientôt  disparaître 
tons. 

Une  bande  de  Vautours  en  expectative  sur  un  point  est  quel- 
quefois une  indication  utile  pour  le  voyageur.   Elle  l'avertit  du 


74  QUATORZIÈME    LEÇOîS'. 

voisinage  d'un  Lion,  d'nn  Tigre  ou  d'une  Hyène.  Lorsqu'un  de 
ces  animaux  a  tué  quelque  grand  quadrupède,  les  Vautours,  qui 
l'ont  aperçu,  arrivent  aussitôt,  et  toujours  en  nombre,  et  le 
voyageur  prévenu  se  tient  sur  ses  gardes.  Mais  ces  oiseaux  timides, 
ne  se  sentant  pas  le  courage  de  disputer  une  proie,  montrent 
dans  cette  occasion  toute  la  timidité  de  leur  caractère;  car,  n'o- 
sant faire  usage  de  leur  force,  de  leurs  armes,  de  la  masse  du 
corps,  de  l'avantage  du  vol,  ni  même  de  celui  du  nombre,  on 
les  voit  se  poser  respectueusement  à  quelque  distance  de  l'animal 
féroce,  attendant  qu'il  ait  fini  son  repas  et  que  sa  retraite  leur 
pc. mette  de  dévorer  les  restes  qu'il  leur  abandonne.  Les  Ilot- 
tentots  et  les  colons  du  Cap  de  Bonne-Espérance,  bien  instruits, 
par  l'expérience,  de  l'babileté  des  Vautours  à  découvrir  une 
proie  et  de  leur  voracité,  n'aljandonnent  jamais  une  grosse  pièce 
de  gibier  qu'ils  ne  peuvent  emporter  sur  leur  dos  sans  Lavoir 
cacbée  sous  un  tas  de  branches  et  de  feuillages,  ou  même  sans 
Lavoir  provisoirement  enterrée,  et,  malgré  cette  précaution,  il 
leur  arrive  souvent  de  ne  trouver  à  leur  retour  qn'un  squelette; 
car  les  Corbeaux,  plus  hardis,  travaillent  d'abord  à  découvrir 
Lanimal,et  les  Vautours,  rassurés  par  leur  présence,  ont  bientôt 
entièrement  dévoré  leur  proie.  On  voit  que  les  Hottentots  se  mé- 
fient plus  de  la  vue  perçante  des  Vautours  que  de  la  finesse  de 
leur  odorat,  et  il  faut  s'en  rapporter  à  leur  appréciation  et  à  leur 
expérience.  Aussi  ce  que  nous  avons  dit  des  Cathartes  peut  s'ap- 
pliquer aux  Vautours;  et  nous  ne  reviendrions  pas  à  la  question 
si  nous  n'avions  à  communiquer  deux  observations,  l'une  qui 
confirme  la  supériorité  de  la  \ii2  sur  l'odorat,  et  l'autre  qui 
prouve  cependant  que  le  sens  olfactif  n'est  pas  sans  finesse  chez 
ces  oiseaux. 

Le  docteur  Franklin,  en  traversant,  comme  Levaillant  et  tant 
d'autres,  les  immenses  déserts  de  l'Afrique,  où  ne  se  rencontre 
pas  un  brin  dherbe  qui  puisse  attirer  un  animal  vivant,  et  où. 


YllLTURlDÉS.  75 

par  conséquent,  les  oiseaux  de  proie  n'ont  aucun  motif  de  faire 
leur  ronde,  a  été  deux  ou  tiois  fois  témoin  d'une  scène  qui  a 
éveillé  son  attention.  Si,  \ym  hasard,  un  des  Chameaux  ou  toute 
autre  hète  de  somme  appartenant  à  la  caravane  dont  il  faisait 
partie  venait  à  succomher,  on  Tahandonnait,  et,  en  moins  d'une 
demi-heure,  on  découvrait  dans  les  airs  une  multitude  de  petits 
points  qui  se  mouvaient  lentement  en  décrivant  des  cercles.  En 
peu  de  temps  les  points  grossissaient,  et  cela  à  mesure  qu'ils 
descendaient  en  spirale  vers  la  terre  :  on  reconnaissait  des  Vau- 
tours. L'odeur  que  pouvait  répandre  ce  cadavi'c  non  encore  dé- 
composé n'était  pas  assez  forte  pour  les  attirer  ou  les  guider,  et 
cependant  ils  arrivaient  de  tous  les  côtés  à  la  fois. 

Un  pauvreémigré  allemand,  qui  vivait  seul  dans  unechaumière, 
avait  fait  une  provision  de  viande  qu'il  ne  put  faire  cuire,  parce 
qu'il  tomha  sérieusement  malade  et  qu'il  resta  plusieurs  jours 
sans  connaissance.  Cette  viande  se  putréfia,  et  l'odeur  se  répan- 
dit même  au  dehors  de  la  chaumière.  Les  Vautours  du  voisinage 
arrivèrent  bientôt  les  uns  après  les  autres,  et  attirèrent  l'atten- 
tion des  voisins,  qui  pensèrent  que  l'Alsacien,  qu'ils  n'avaient 
pas  vu  depuis  plusieurs  jours,  était  mort.  On  pénétra  dans  la 
chaumière;  le  malade  vivait  encore,  luais  l'odeur  repoussante 
do  sa  chambre  s'expliqua  dès  qu'on  découvrit  la  viande  en  pu- 
tréfaction. H  est  évident  que,  dans  ce  cas,  l'odeur  seule  a  alfiré 
les  Vautours  qui  rôdaient  sans  doute  dans  le  voisinage. 

Ces  oiseaux  se  montrent  quehjuefois  plus  délicats  dans  le 
choix  de  leur  nourriture.  EnÉgyple,  dans  la  saison  où  les  Cro- 
codiles déposent  leurs  œufs  dans  le  sable  du  rivage,  les  Vau- 
tours se  tiennent  en  observation  et  guettent  les  mouvements  des 
femelles.  A  peine  se  sont-elles  retirées,  qu'ils  arri\ent  et  déter- 
rent les  œufs  à  l'aide  de  leurs  griffes  et  de  leur  bec,  et  les  ava- 
lent,  Les  Vautours  ne  méprisent  pas,  d'ailleurs,  le  cadavre  du 
Crocodile;  luais,  comme  ces  reptiles  sont  recouverts  d'nne  véri- 


76  QUATORZIÈME    LEÇON, 

table  cuirasse,  trop  forte  pour  être  brisée  et  ouverte  par  le  bec  ou 
par  les  ongles,  les  Vautours  sont  souvent  obligés  d'attendre 
longtemps  que  cet  obstacle  cède  de  lui-même  par  suite  de  la  dé- 
composition intérieure.  Mais  ils  sont  souvent  déçus  dans  leurs 
espérances,  comme  l'avons  déjà  vu  au  sujet  des  Cathartes,  car  la 
chair  se  trouve  alors  dans  un  état  si  avancé,  qu'elle  coule  sur  le 
sol  en  un  fluide  immonde. 

Le  vol  des  Vautours  est  plutôt  remarquable  par  sa  continuité 
que  par  sa  rapidité.  Ils  se  tiennent  sur  leurs  ailes  pendant  un 
temps  considérable.  La  nature  n'a  généralement  donné  la  vitesse 
qu'aux  oiseaux  de  proie  qui  poursuivent  des  animaux  vivants. 
Les  ongles  allongés  du  Vautour  ne  lui  permettent  guère  d'enlever 
les  charognes  dans  son  nid.  La  plupart  de  ces  oiseaux  dévorent 
la  viande  moite  sur  place,  et  l'emportent  dans  leur  jabot  pour 
la  dégorger  dans  le  bec  de  leurs  petits.  Lorsqu'ils  sont  repus, 
lorsi[u'ils  ont  dépecé  le  corps  d'un  animal,  soit  pour  leur  couvée, 
soit  pour  eux  mêmes,  le  bas  de  leur  œsophage  se  gonfle  outre 
mesure,  sous  forme  d'une  grosse  vessie  qui  f\it  saillie  entre  les 
plumes.  Ils  demeurent  alors  immobiles  pendant  des  heures  en- 
tières et  la  tête  appHquée  sur  le  jabot. 

Un  caractère  qui  distingue  les  Vautours  des  autres  oiseaux  de 
proie,  c'est,  nous  l'avons  déjà  dit,  la  nudité  de  la  tête  et  d'ure 
partie  du  cou,  qui  sont  seulement  recouvertes  d'un  duvet  court. 
On  a  cru  voir  dans  cette  nudité  une  précaution  de  la  nature. 
Plongeant  sans  cesse,  non-seulement  le  bec,  mais  la  tête  tout 
entière  dans  des  masses  de  matière  putréfiée,  ces  oiseaux  ne 
pouvaient  avoir  de  plumes  sur  la  tête  ni  sur  le  cou,  comme  les 
Aigles  et  les  Faucons,  car  ces  plumes,  sans  cesse  humectées  par 
la  pourriture,  auraient,  en  se  collant  les  unes  aux  autres  et  en 
séchant,  fort  incommodé  ces  animaux. 

Les  Vautours  se  plaisent  sur  les  rochers  élevés  et  inaccessi- 
bles; c'est  là  qu'ils  étal)lissent  leur  aire,  mais  on  les  voit  descen- 


vui/rrinuÉs.  77 

(Irc  dans  les  plaines  piMidant  VWiwx.  On  n'est  pas  d'accord  sur 
le  noml)rcde  leurs  œufs,  ([ui  paraît  varier  selon  les  esi)cces.  En 
Sardaigne,  le  docteur  Kiankliu  a  vu  ces  oiseaux  construire  un 


Fig.  19.  —  Vautour  chasseliente,  VuUur  Kolhii. 

nid  d'un  mètre  et  plus  de  diamètre,  sur  de  très-hauts  arbres. 
Ces  nids  contenaient  deux  et  rpielquefois  trois  œufs,  plus  gros 
que  ceux  de  l'Oie.  Ces  œufs  sont  d'une  forme  plus  constamment 

7. 


78  0UAT0I5ZIÈME    LEÇON, 

ovalaire  qu'arrondie,  parfois  ovée;  à  coquille  (Viin  grain  épais, 
dur  et  rude  au  toucher,  blanche  et  légèrement  bleuâtre,  irrégu- 
lièrement poreuse,  mate  et  sans  reflet,  tantôt  unie  et  sans  tache, 
ce  qui  est  le  plus  ordinaire  chez  le  Vautour  fauve;  tantôt  clair- 
semés, surtout  au  gros  bout,  de  taches  de  couleur  brun  de  Sienne, 
formant  des  points  plus  ou  monis  arrondis;  souvent  recouverts 
irrégulièrement  de  larges  taches  de  cette  couleur,  comme  chez 
le  Vautour  Oricou;  ou  enfin  entièrement  couverts  de  taches  bru- 
nes, fines,  d'un  violet  pâle  ou  cendré,  comme  chez  le  Vautour  de 
Nubie.  Leurs  dimensions  sont  de  neuf  centimètres  de  grand  dia- 
mètre et  de  six  centimètres  de  petit. 

Dans  les  ménageries,  les  Vautours  font  généralement  une  assez 
triste  figure,  et  ils  répandent  autour  d'eux  une  odeur  infecte. 
Mais,  à  Tétat  de  nature,  c'est  tout  autre  chose.  Libre,  le  Vautour 
a  sa  beauté.  Il  faut  voir  ces  oiseaux  perchés  dans  les  lieux  sau- 
vages, auxquels  ils  donnent  une  sombre  poésie.  Leur  attitude 
rêveuse,  leurs  yeux  baissés,  leur  tête  ensevelie  dans  leurs  épau- 
les, tout  leur  donne  un  air  mystérieux.  Le  docteur  Franklin  en  a 
rencontré  plus  d'une  fois  sur  les  grands  pins  morts  ou  sur  les 
cyprès.  Ils  restent  là  quel(|uefois  perchés  pendant  des  heures  en- 
tières, les  ailes  ouvertes.  Quelques  voyageurs  croient  que  les 
Vautours  prennent  cette  position,  fatigante  en  apparence,  pour 
que  l'air  puisse  souffler  sur  toutes  les  surfaces  de  leur  corps  et 
emporter  Fodeur  infecte  qu'ils  répandent. 

Les  Vautours  ne  sont  ni  aussi  stupides  ni  aussi  lâches  qu'on 
le  croit  assez  généralement.  Un  ami  du  docteur  Degland  a  vu  un 
Vautour  cendré  vivant  en  captivité  depuis  plusieurs  années,  et 
qui  répondait  à  la  voix  de  son  maître;  il  ne  craignait  pas  les 
Chiens  qui  cherchaient  à  le  mordre.  Une  autre  personne  de  la 
connaissance  de  M.  Bouteille,  le  savant  ornithologiste  du  Dau- 
phiné,  en  a  pendant  longtemps  possédé  un,  qui  s'était  rendu  fa- 
milier au  point  de  venir  demander  sa  nourriture.  Cependant  il 


VlII/rUIUDÉS.  70 

s'csl,  échappé  une  fois,  cL  il  a  hlessé  ciucUcnieiiL  deux  hommes 
([iii  le  suivaient.  Cette  espèce  est  tiès-iedoutét;  des  pàties  des 
Aldules. 

Les  Vautours  sont  orij^inaires  des  contrées  chaudes  du  glolje.  A 
mesure  qu'on  s'éloigne  de  ces  contrées,  ils  ne  se  rencontrent  plus 
(ju'en  petit  nond)re.  C  est  ainsi  que,  sur  une  douzaine  d'espèces, 
trois  seidement  sont  propres  à  l'Europe.  La  limite  de  leur  distii- 
hution  géographique  est  pourtant  plus  reculée  que  ne  l'avaient 
cru  les  anciens  naturalistes.  On  voit  exceptionnellement  des  Vau- 
tours même  en  Angleterre.  En  182G,  rapporte  le  docteur  Fran- 
klin, près  de  Bridgewater,  dans  le  Somersetshire,  un  oiseau 
étrange,  inconiui,  avait  été  remarqué  à  terre  sur  une  route. 
Poursuivi,  il  prit  son  \ol  et  se  porta  à  environ  trois  kilomètres 
de  la  mer;  puis  il  s'abattit  sur  le  rivage,  où  il  fut  tué  d'un  coup 
de  feu.  Il  venait  de  se  gorger  de  la  chair  d'un  Agneau  mort,  et 
ce  repas  copieux  fut  sans  doute  la  cause  de  sa  perte,  car  son  yoI 
alourdi  ne  lui  permit  pas  dç  s'élever  hors  d'une  portée  de  fusil. 
Un  autre  Vautour,  à  en  juger  par  la  description  des  gens  de  la 
campagne,  fut  vu,  quelques  jours  après,  non  loin  du  même  en- 
droit où  le  premier  avait  été  tué;  mais  il  échappa  à  la  poursuite 
des  chasseurs. 

On  oljserve  une  différence  de  mœurs  entre  ceux  de  ces  oiseaux 
qui  vivent  dans  les  contrées  très-chaudes  et  ceux  qui  habitent 
des  climats  plus  tempérés.  En  Europe,  les  Vautours  gitent,  du- 
rant la  belle  saison,  sur  les  montagnes  les  plus  hautes  et  les 
plus  désertes,  tandis  que,  en  Egypte  et  dans  d'autres  contrées  de 
l'Afrique  ou  de  l'Asie,  ils  s'approchent  sans  crainte  des  endroits 
habités,  se  répandent  au  point  du  jour  dans  les  villes  et  les  vil- 
lages, et  prennent  tranquillement  leur  repas  au  milieu  des  rues. 
Ce  contraste  de  mœurs  ne  saurait  tenu'  à  une  différence  de  tem- 
pérature. Il  faut  plutôt  en  chercher  la  cause  dans  l'hospitalité 
qu'ils  rencontrent  chez  les  uns,  et  les  coups  de  fusil  qui  les  at- 


SO  QUATORZIÈME    LEÇON, 

tendent  chez  les  antres.  Dans  les  chaudes  cités  de  l'Orient,  les 
Vautours  sont  protégés,  encouragés,  on  pourrait  presque  dire 
honorés.  Us  font  partie  du  service  public  et  semblent  avoir  con- 
science de  leur  utilité.  Aussi  dans  ce  cas  se  montrent-ils  bons 
princes  et  familiers  avec  les  habitants.  Entourés  de  marques  de 
bienveillance,  ils  accomplissent  avec  la  plus  grande  confiance 
leur  fonction,  qui  consiste  à  débarrasser  la  voie  publique  des  im- 
mondices et  des  charognes.  En  Europe,  au  contraire,  où  les 
hommes  se  chargent  de  ces  fonctions,  les  Vautours  sont  poursui- 
vis et  tués  comme  un  objet  d'aversion  ou  de  curiosité.  De  là  leur 
défiance,  de  là  leur  vie  cachée  dans  les  sombres  et  inaccessibles 
retraites  des  montagnes. 

Les  Vautours  des  contrées  relativement  froides  émigrent  au 
commencement  de  Fhiver,  et  vont  chercher  des  climats  plus 
chauds.  Une  bande  considérable  de  Vautours  cendrés,  ou  Arrians, 
a  passé  aux  environs  d'Angers  en  octobre  1859.  On  évalua  à  plus 
de  cent  le  nombre  d'individus  qui  la  composaient,  et  Ton  en  tua 
trois.  Une  autre  bande,  plus  considérable  encore,  assure-t-on,  s'y 
était  également  fait  voir  en  octobre  1857.  Elles  venaient  l'une  et 
l'autre  du  nord,  et  se  dirigeaient  vers  les  Pyrénées. 

Le  plus  commun  des  Vautours  est  le  Vautour  lauve,  ou  Grif- 
fon (Vîiltur  fiilvus,  Brisson),  qui  compte  au  nombre  des  espèces 
d'Europe;  on  le  trouve  dans  les  contrées  méridionales  et  orien- 
tales, dans  les  Alpes  et  les  Pyrénées,  en  Espagne,  en  Sardaigne, 
en  Grèce,  etc.  Les  caractères  qui  le  distinguent  sont  :  —  Tête  et 
cou  garnis  d'un  duvet  court  et  d'un  blanc  sale;  —  une  collerette 
de  plumes  effilées  d'un  blanc  roussâtre;  —  plumes  des  parties 
supérieures  d'un  gris  isabelle  plus  ou  moins  foncé,  celles  des 
parties  inférieures  tirant  sur  le  roux;  —  bec  livide;  cire  couleur 
de  chair;  —  iris  noisette;  —  pieds  gris;  —  les  jeunes,  tachetés 
de  brun;    -  taille,  l%iO  à  l'",20. 

Le  Vautour  cendré,  plus  connu  sous  le  nom  de  Vautour  Ar- 


VUI/IUHIDÉS.  81 

rian  {Vnltiir  monachm,  \a\u\v),  ost  aussi  qnolquofois  désigné 
sous  les  noms  de  Vaulour  iioii-,  de  Vautour  moine,  de  Vautour 
d'Arabie;  c  est  le  yrand  Vautour  de  Buffon.  Il  a  les  caractères 


Fig.  20.  —  Vautour  Arrinn,  Ynltnr  momtcluis,  iV;\\)Vi'^  Gould. 


suivants  :  —  tète  et  cou  couverts  d'un  duvet  Itrun  touffu  et  lai- 
neux; —  nuque  et  devant  du  cou  lUis  et  d'une  teitite  livide 
bleuâtre;  —  une  fraise  de  plumes  eftilées  et  contournées  à  la 
base  du  cou;  — plumage  entièrement  brun,  plus  foncé  chez  les 
vieux;  —  pointe  du  bec  et  ongles  noirs;  base  du  l)ec  et  cire  vio- 
lacées; —  iris  brun;  —  pieds  gris-livide,  bleuâtres;  —  les  jeu- 
nes, plus  fuives;  —  taille,  l'",20. 


SI  QUATORZIÈME   LEÇON. 

4«  Genre.  —  GYPAÈTE,   GYPAETUS,  Slorr. 

L'esprit  d'association  diminue  chez  ceux  des  vulturidés  qui, 
plus  forts,  mieux  armés,  attaquent  quelquefois  des  proies  vi- 
vantes. C'est  une  exception  que  va  nous  offrir  l'élude  des  mœurs 
du  Gypaëte. 

Les  caractères  de  ce  genre  sont  :  —  Bec  allongé,  renflé  vers 
la  pointe,  qui  est  courbée  comme  un  crochet;  —  narines  ovales, 
couvertes,  ainsi  que  la  cire,  de  soies  rudes  couchées  sur  la  hase 
du  hec;  —  tête  et  cou  vêtus  de  plumes;  — joues,  gorge  et  vertex 
couverts  de  duvet  cotonneux  et  de  quelques  plumes  petites  et  à 
Ijarhes  désunies;  —  tarses  courts,  emplumés  dans  toute  leur 
étendue;  —  doigts  antérieurs  réunis  à  leur  hase  par  un  repli 
memhraneux  ;  —  ongles  faibles  et  assez  aigus  ;  —  ailes  longues; 
—  les  quatre  premières  rémige^  échancrées,  la  première  plus 
courte  que  la  deuxième,  la  troisième  la  plus  grande;  — queue 
allongée  et  composée  de  douze  pennes  étagées. 

Ce  bel  oiseau,  dont  la  taille  dépasse  celle  des  plus  grands 
Aigles,  habite  toutes  les  chaînes  de  montagnes  de  l'ancien  monde, 
mais  il  n'est  pas  aussi  commun  que  les  Vautours.  On  le  rencontre, 
en  Europe,  dans  les  Pyrénées  et  dans  les  Alpes.  Il  est  redouté  des 
bergers,  dont  il  trompe  souvent  la  surveillance.  Il  est  beaucoup 
plus  commun  en  Afrique,  où  il  se  rapproche  parfois  des  villes. 

Le  nom  de  cet  oiseau  exprime  bien  le  rang  intermédiaire  (ju'il 
occupe,  par  ses  formes  et  ses  habitudes,  entre  le  Vautour  et 
l'Aigle.  Le  nom  de  Gypaëte  est  composé  de  deux  mots  grecs  qui 
signifient  Vautour-Aigle.  Ce  rapace  forme,  en  effet,  le  trait 
d'union  entre  les  deux  familles.  Quoique  bien  armé,  il  lï'ani  le 
hec  ni  la  serre  de  l'Aigle.  L'Aigle  enlève  toujours  sa  proie;  le 
Gypaëte,  plus  robuste,  l'élève  bien  aussi,  mais  seulement  quand 
le  (Inni^or  ne  lui  permet  pas  de  la  dévorer  sur  place.  Enfin,  il  a 


VUI/rUHIDÉS.  83 

les  yeux  pelits  et  à  lli'ur  de  tète,  les  serres  peu  i)uiss;iiites  du 
Vautour,  et  les  tarses  emplumées  de  l'Aigle. 


21   —  Gjp3t,te  biibu   (.yi  itithi,  lai l utils 


Si,  comme  les  Vautours,  les  Gypaètes  se  gorgciit  parfois  de 
chairs  enputrélaction,  ils  préiereut  cepeudant  les  proies  vivantes. 
Dans  les  Alpes,  cet  oiseau  est  connu  sous  le  nom  de  Lxmmer- 
geier  (Vautour  des  Agneaux).  Il  attacpie  en  effet  les  Agneaux, 
les  Chèvres,  les  Moutons;  les  Chamois,  et  même,  sil  faut  en 


84  QUATORZIÈME    LEÇO^•. 

croire  certains  récits,  les  hommes  endormis  et  les  enflants.  Le 
Gypaëte  détruit  aisément  les  petits  animaux,  car  son  bec,  quoique 
allongé,  est  dur  et  fort;  mais  il  n'en  est  plus  de  même  quand 
la  lutte  s'engage  avec  des  animaux  d'une  grande  taille.  Dans  ce 
cas  il  a  recours  à  la  ruse.  Fondant  à  Timproviste  sur  quelque 
Chamois  qui  paît  ou  se  repose  au  bord  d'un  précipice,  le  Gypaëte 
l'attaque  avec  furie,  le  harcèle,  bat  Tair  de  ses  grandes  ailes, 
agite  ses  serres  autour  des  cornes  de  l'animal  effaré,  éperdu,  et 
le  force  à  se  précipiter  dans  l'abîme,  où  il  s'élance  à  sa  suite  et 
le  dévore. 

Bruce  raconte  un  trait  qui  prouve  l'audace  du  Lsemmergeier . 
Attiré  par  les  préliminaires  du  dîner  que  préparaient  les  domes- 
tiques de  sa  caravane  au  somn\et  d'une  haute  montagne,  un 
Gypaëte  apparut  et  finit  par  s'abattre  sans  façon  près  du  cercle 
que  formaient  les  voyageurs.  Les  naturels,  effrayés,  coururent 
aux  armes,  c'est-à-dire  à  leurs  lances  et  à  leurs  boucliers.  Après 
une  tentative  inutile  pour  s'emparer  de  la  viande  qui  cuisait, 
l'oiseau  se  contenta  d'enlever  dans  ses  serres  un  morceau  de 
mouton  accroché  à  peu  de  distance,  et  partit  sans  se  presser. 
Encouragé  sans  doute  par  ce  premier  succès,  il  revint  quelques 
minutes  après  ;  mais  il  fut  victime  de  son  audace  et  tué  d'un  coup 
de  fusil. 

Il  n'y  a  pas  longtemps  que  les  naturalistes  sont  complètement 
renseignés  sur  cet  oiseau  de  proie,  le  plus  grand  de  ceux  qui 
habitent  l'Europe.  Buffon  lui-même  Ta  confondu  avec  le  Condor. 
Un  naturaliste  suisse,  Steinmiiller,  est  le  premier  qui  en  ait 
donné  une  description  satisfaisante,  que  d'autres  complétèrent, 
et  parmi  lesquels  nous  citerons  Temmink.  Mais  le  dernier  mot 
n  était  pas  dit;  et  c'est  au  docteur  Tscliudi  que  nous  le  devons, 
et  il  a  ajouté  à  ses  observations  personnelles  les  renseignements 
certains  qu'il  a  pu  obtenir  des  chasseurs  montagnards. 

L'organisation  de  cet  énorme  oiseau  est  très-vigoureuse.  Ses 


Vni/nillDKS.  85 

muscles  pectoraux  sont  cxtraordinairciiinit  laigcs  et  forts  ;  sa 
l)iiissance  digestivc  est  remarquable;  il  digère  iacilemeut  de  gros 
os.  On  a  trouve  dans  l'estomac  d'un  de  ces-oiseaux,  au  moment 
où  il  venait  d'être  tué,  une  côte  de  Renard,  la  (jueue  tout  en- 
tière de  cet  animal,  la  cuisse  d'un  Lièvre,  plusieurs  omoplates  et 
une  grosse  pelote  de  poils.  L'estomac  d'un  autre  Gypaète,  tué 
par  le  docteur  Scliinz,  contenait  un  gros  fragment  de  l'os  du 
bassin  d'une  \ache,  un  Til)ia  entier  et  une  côte  de  Cbamois,  \ui 
grand  nombre  d'os  plus  petits,  des  ergots  de  Coqs  et  une  masse 
de  poils.  Les  os  sont  digérés  par  coucbes,  et  le  sabot  d'iui  Cheval, 
les  os  du  pied  d'inie  vacbe,  ne  résistent  pas  à  l'action  de  son  suc 
gastrique,  action  qui  se  prolonge  même  quelque  temps  après  la 
mort;  car,  dans  un  Gypaète  tué  pendant  qu'il  mangeait  un  Re- 
nard et  ouvert  seulement  trois  jours  après,  on  a  trouvé  la  tête 
du  Renard  ayant  subi  Peffet  d'une  première  digestion. 

Il  n'est  pas  facile  de  bien  observer  les  habitudes  du  Gypaète, 
connu  aussi  sous  le  nom  de  Vautour  des  Alpes,  car  ce  n'est  pas 
sans  danger  qu'on  parvient  à  le  suivre  sur  les  rochers  escarpés 
qu'il  habite.  11  prend  son  vol  le  matin  pour  explorer  les  lieux  oiî, 
la  veille,  il  a  trouvé  quelque  bonne  proie,  et  s'élève  à  une  grande 
hauteur  pour  embrasser  plus  d'espace.  Sa  vue  est  excellente  et 
son  odorat  plus  fin  (jue  celui  des  autres  vulturidés.  Veut-il  saisir 
une  victime,  il  plie  subitement  les  ailes  et  tombe  sur  elle  de  tout 
le  poids  de  son  corps.  Si  c'est  un  animal  de  taille  moyenne, 
comme  un  Lièvre,  un  Agneau,  uft  Chien,  un  Renard  et  même 
un  Blaireau,  il  l'emporte  sur  les  rochers,  souvent  à  une  grande 
distance;  mais,  s'il  ne  peut  l'enlever,  il  en  déchire  vivement 
quelques  lambeaux,  dont  il  se  gorge,  et  il  reviendra  plus  tard 
et  tant  qu'il  y  aura  quelque  morceau  à  dépecer.  S'il  veut  s'em- 
parer d'une  Chèvre  on  d'un  Chamois  paissant  dans  le  voisinage 
d'un  précipice,  il  décrit  au-dessus  de  la  proie  qu'il  convoite  des 
cercles  de  plus  en  plus  resseirés,  pour  l'inquiéter,  jusqu'à  ce 

T.    II.  <S 


86  QUATORZIÈME    LEÇON, 

qu'elle  arrive  au  bord  du  précipice.  Alors  il  fond  sur  elle  avec 
la  rapidité  d'une  flèche  et  réussit  souvent  à  la  lancer  dans  l'es- 
pace. Des  Gypaètes  ont  essayé  la  même  manœuvre  avec  des  chas- 
seurs de  Chamois,  et  les  gens  qui  ont  échappé  à  ce  péril  déclarent 
qu'il  est  difficile,  même  à  un  homme,  de  résister  au  terrible 
élan  de  leur  vol  et  à  la  puissance  de  leurs  énormes  ailes.  On  a  vu 
un  Gypaète  tenter  de  renverser  un  Bœuf  égaré  sur  le  bord  d'im 
rocher  à  pic.  L'oiseau  persistait  obstinément  dans  son  audacieuse 
entreprise;  mais  il  n'était  pas  facile  de  faire  sortir  le  paisible  ru- 
minant de  son  calme  habituel.  Le  front  bais^  et  les  cornes  en 
avant,  il  se  planta  solidement  sur  ses  jambes  nerveuses  et  attendit 
patiemment  que  le  Gypaète  eut  reconnu  l'inutdité  de  ses  efforts. 

Le  Gypaète  se  laisse  difficilement  approcher,  et  pour  le  tirer  il 
faut  le  surprendre  ou  l'attendre  à  l'affût.  On  le  prend  assez  faci- 
lement au  piège  amorcé .  Les  paysans  piémontais  l'attirent  dans  une 
fosse  étroite  au  fond  de  laquelle  ils  placent  un  cheval  mort;  il  se 
gorge  alors  tellement  que  la  difficulté  qu'il  éprouve  pour  i)rendre 
son  vol,  ajoutée  à  la  voracité  qui  lui  fait  oublier  sa  prudence  habi- 
tuelle, permet  de  le  prendre  ou  de  le  tuer  dans  la  fosse. 

On  accorde  une  prime  à  celui  qui  tue  un  de  ces  oiseaux,  (pii 
sont  aujourd'hui  beaucoup  plus  rares  qu'autrefois.  On  sait,  à 
n'en  pas  douter,  qu'on  tuait  encore  dans  les  Alpes,  il  y  a  soixante 
ou  quatre-vingts  ans,  cent  cinquante  ou  deux  cents  Gypaètes  par 
an.  Dans  le  canton  des  Grisons,  f  heureux  chasseur  porte  sa  caj)- 
ture  de  maison  en  maison,  comme  chez  nous  on  porte  un  loup^ 
pour  se  faire  donner  une  récompense. 

Le  Gypaète  est  parfois  victime  de  sa  témérité.  Le  docteur 
Tschudi,  que  nous  citerons  souvent,  a  été  témoin  du  fait  sui- 
vant. Auprès  d'Alpnach,  dans  l'Unterwalden,  tout  à  côté  d'un 
endroit  appelé  le  Trou-du-Dragon  ^  un  Gypaète  avait  pris  un 
Ilcnard  et  l'emportait  tout  vivant.  Mais  maître  Renard  se  débats 
tit  si  bien  ([u'il  finit  par  saisir  son  ravisseur  au  cou  et  le  serra  si 


VULTIIlUnÉS.  87 

Ibrf,  ((u'JI  lo  forçii  Ti  (IcsccMidro  à  terro  pins  vite  qu'il  no  vonlait. 
l/oisean  se  tna  en  tombant,  rtlcKcnanl,  déga'ié  do  son  iHrcintc, 
s'onlnit  à  toutes  jamlios  oniportant  de  son  excursion  aérienne 
un  souvenir  qu'il  ne  dut  pas  oublier  do  sitôt.  Le  même  observa- 
teur cite  plusieurs  e\emi)les  d'enlants  enlevés  par  des  Gypaètes, 
entre  autres  la  délivrance  presque  miraculense  d'une  petite  fille 
ainsi  enlevée  et  qui,  depuis  lors,  reçut  le  nom  de  Geïer'-Xnnc. 
L'événement  fut  consigné  sur  les  registres  d'une  paroisse  de 
rOberland  bernois  auprès  de  laquelle  ce  fait  eut  lieu,  et  rbéroïne 
vivait  encore  il  y-a  une  dizaine  d'années. 

Un  fait  plus  récent  et  plus  malheureux  est  rapporté  par 
M.  Moquin-Tandon.  Il  y  a  une  vingtaine  d'années,  doux  petites 
(illos,  dans  lo  voisinage  d'Alesse,  canton  deVaud,  l'une  Agée  de 
cinq  ans,  l'autre  do  trois,  jouaient  ensemble  lorsqu'un  de  ces  oi- 
seaux se  précipita  sur  la  première,  et,  malgré  les  cris  de  sa  com- 
pagne et  l'arrivée  de  quelques  paysans,  elle  fut  emportée.  D'ac- 
tivés recherches  faites  sur  les  rochers  des  environs  n'eurent  pour 
résultat  que  la  découverte  de  l'aire  qui  contenait  deux  petits,  et 
près-  de  laquelle  on  trouva  un  soulier  et  un  bas  de  l'enfant  au 
milieu  d'un  tas  d'ossements  de  chèvres  et  d'agneaux. 

Si  le^  Gypaètes  n'attaquent  pas  habituellement  l'honnuo,  ils  ne 
craignent  cependant  pas  de  le  faire  pour  défendre  leurs  petits. 
Un  jour,  dans  le  canton  de  Glaris,  un  ouvrier  résinier,  aperçut 
une  aire  au  sommet  d'un  roc.  Il  y  grimpa  et  trouva  deux  jeunes 
Gypaètes.  xXotrc  homme  s'en  empara,  leur  lia  les  pattes,  les  jeta 
sur  son  épaule,  et  il  opérait  sa  descente  (juand,  aux  cris  dos  pri- 
sonniers, les  parents  mâle  et  femelle  arrivèrent  et  l'attaquèrent 
avec  fureur.  Ce  ne  fut  qu'en  se  servant  habilement  do  sa  hache 
qu'il  les  tinta  distance,  encore  l'escortèrent-ils  jusqu'au  village 
de  Schwanden,  à- quatre  lieues  de  là. 

Le  fameux  chasseur  do  chamois  Joseph  Scherrer,  d'Aunnon, 
sur  le  NYallensio,  grimpa  une  fois,  pieds  nus  et  son  fusil  sur 


88  QUATORZIÈME    LEÇON, 

l'épaule,  jusqu'à  une  aire  qu'il  soupçonnait  devoir  contenir  des 
petits.  Avant  qu'il  eût  atteint  le  but,  le  Gypaëte  mâle  se  montra, 
et  le  chasseur,  s'arrêtant  sur  un  talus,  le  tua  facilement.  Scherrer 
rechargea  son  arme  et  continua  son  ascension;  mais,  au  moment 
où  il  arrivait  à  Taire,  la  femelle  se  précipita,  furieuse,  sm^  lui,  le 
saisit  à  la  hanche  avec  ses  serres  et  chercha  à  le  jeter  en  bas  du 
rocher,  tout  çn  lui  portant  de  terribles  coups  de  bec.  La  position 
du  chasseur  était  des  plus  périlleuses,  obligé  qu'il  était  de  se 
cramponner  d'une  main  au  revers  du  précipice  sans  pouvoir 
faire  usage  de  son  arme;  cependant  il  eut  assez-  de  présence  d'es- 
prit pour  dégager  son  fusil  et  le  diriger  d'une  main  sur  le  corps 
de  Toiseau,  qui  ne  lâchait  pas  prise.  Le  Gypaëte  tomba  mort  au 
milieu  des  rochers.  Scherrer,  de  retour  avec  ses  prises,  reçut  une 
*prime  de  cinq  florins  et  demi,  et  il  en  fut  quitte  pour  de  profondes 
blessures  au  bras  et  à  la  hanche. 

Comme  la  plupart  des  rapaces,  le  Gypaëte  peut  vivre  long- 
temps en  captivité.  Le  professeur  suisse  Scheitlin  en  garda  un 
pendant  plusieurs  années;  mais  ce  n'est  pas  sans  danger,  car  ces 
animaux  conservent  toujours  leurs  instincts.  Le  fait  suivant  rap- 
porté en  1840  par  M.  Crespon,  dans  son  Ornithologie  du  Gard, 
en  est  la  preuve.  «  Depuis  plusieurs  années,  dit-il,  je  .possède 
un  Gypaëte  vivant,  qui  n'est  pas  redoutable  pour  les  autres  oi- 
seaux de  proie  qui  se  trouvent  dans  la  même  volière  que  lui. 
Mais  il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  enfants,  sur  lesquels  il  s'é- 
lance en  étendant  les  ailes  et  en  leur  présentant  la  poitrine 
comme  pour  les  en  frapper.  Dernièrement,  j'avais  lâché  cet  oi- 
seau dans  mon  jardin.  Épiant  le  moment  où  personne  ne  le  voyait, 
il  se  précipita  sur  une  de  mes  nièces,  âgée  de  deux  ans  et  demi. 
L'ayant  saisie  par  le  haut  des  épaules,  il  la  renversa.  Heureu- 
sement que  ses  cris  nous  avertirent  du  danger  qu'elle  courait; 
je  me  hâtai  de  lui  porter  secours.  L'enfant  n'eut  que  la  peur  et 
une  déchirure  à  sa  robe.  » 


VlILTUninÉS.  89 

Ceux  des  gros  oiseaux  de  proie,  tels  que  les  Vulturidés,  dont 
les  serres  ne  sont  ni  assez  lecourbées  ni  assez  aiguës  pour  leur 
permettre  d'accrocher  leur  proie  et  de  l'enlever  à  la  manière  des 
Aigles,  atteignent  le  môme  Init  d'une  autre  l'açon.  Ils  se  servent 
de  leur  bec  fort  et  croclm  pour  saisir  une  proie  un  peu  lourde, 
et  d'un  coup  de  tête  en  arrière  ils  la  jettent  entre  les  épaules,  où 
elle  se  place  dans  le  creux  formé  par  les  ailes. 


rharie,  Gypaetus  meridiomlis. 


Quelques  naturalistes  croient  à  l'existence  de  deux  espèces  de 
fiypaëtes.  Tune  d'Europe,  à  plumage  blanc  en  dessous,  tandis 
que  [chez  celle  d'Afrique    les  mêmes  parlies  sont  couleur  de 

8/ 


90  QUATORZIÈME    LEÇON, 

rouille.  Saut  cette  différence  de  couleur  de  la  gorge ,  du  cou  et 
des  parties  inférieures,  ces  oiseaux  sont  identiquement  les  mêmes. 
Ceux  qui  ne  reconnaissent  qu'une  seule  espèce  disent  avec  raison 
que  la  couleur  ocracée  des  individus  d'Afrique  n'est  pas"  fixe, 
qu'elle  disparaît  en  mouillant  les  plumes  et  en  les  frottant  avec 
un  linge,  ce  qui  est  prouvé  par  les  expériences  qui  ont  été  faites. 
Cette  coloration  d'emprunt  serait  due  à  la  nature  des  terrains  et 
à  la  couleur  des  rochers  sur  lesquels  ces  oiseaux  fixent  leur  rési- 
dence. Ceux,  au  contraire,  qui  croient  à  l'existence  de  deux  es- 
pèces trouvent  que  celle  d'Afrique  diffère  encore  par  un  autre 
caractère.  Les  plumes  de  la  partie  postérieure  du  cou  sont  épi- 
neuses et  semlilent  formées  d'une  tige  sans  barbe.  Serait-ce  bien 
là  un  caractère  suffisant  et  le  frottement  fréquent  du  cou  contre 
les  rochers  ne  peut-il  le  produire?  cette  question  est  encore  pen- 
dante. Enfin,  on  a  remarqué  que  les  individus  des  Alpes  comparés 
à  ceux  des  Pyrénées  et  de  la  Sardaigne  sont  d'une  plus  forte 
taille,  ce  qui,  suivant  quelques  auteurs,  parmi  lesquels  nous  cite- 
rons le  prince  Ch.  Bonaparte,  constituerait  une  troisième  espèce. 
Quoi  qu'il  en  soit,  la  femelle  se  distingue  du  mâle  par  une  taille 
plus  forte,  les  soies  de  la  base  du  bec  et  les  plumes  tibiales  moins 
longues.  Les  jeunes  ont  un  plumage  plus  foncé  dans  toutes  ses 
parties  et  qui  s'éclaircit  graduellement  chaque  année. 

La  ponte  du  Gypaète  est  généralement  de  deux  œufs,  de 
même  forme  que  ceux  des  Vautours.  Ils  sont  d'un  brun  uniforme 
pâle,  avec  quelques  raies  ou  taches  d'un  brun  beaucoup  plus 
foncé  et  presque  rouge,  tels  sont  généralement  ceux  de  l'Algérie, 
ou  d'un  brun-violet  pâle  uniforme,  tels  sont  ceux  d'Europe.  Il  est 
à  remarquer  que  ceux  de  l'Algérie  sont  généralement  plus  petits 
que  ceux  d'Europe  ;  ils  ont  huit  centimètres  de  grand  diamètre 
et  six  centimètres  et  demi  de  petit.  C'est  d'après  une  fausse  indi- 
cation que,  dans  Y  Encyclopédie,  nous  avons  attribué  au  Gypaète 
un  œuf  blanc;  nous  nous  empressons  de  reclilier  cette  erreur. 


5"  Genrk. 


VUI/rU  RIDES. 
SERPEÎ5TA1RE,   C.YPOGEnANUS,  llligcr, 


91 


Ce  genre  est  représenté  par  une  senle  espèce  connue  sous 
plusieurs  noms  :  Messager^  à  cause  de  la  lapidité  de  sa  marche; 


rig.  -25.  —  Serpoiilaire  orienlnl,  Giipogeronvs  oricnlalis. 

Serpentaire,  parce  qu'elle  ne  mange  que  des  reptiles  et  princi- 
palement des  Serpents;  et  enfin,  Secrétaire,  à  cause  des  plu- 
mes qu'elle  porte  derrière  le  cou,  et  qui  rappellent  assez  l/ien  la 
plume  cjue  les  connnis  aux  écritures  mettent  derrière  l'oreille. 


92  OIATOUZIÈME    LEÇON. 

Jusqu'à  Tépoque  du  voyage  de  Lcvailhuit  en  Afrique,  Tal)- 
sence  d'olisenations  exactes  et  les  rapports  incertains  des  voya- 
geurs avaient  empêché  les  naturalistes  de  voir  dans  cette  espèce 
un  oiseau  de  proie  arme  d'un  bec  épais,  crochu  et  d'ailes  robus- 
tes, qui  lui  servent  à  assommer  les  reptiles  comme  avec  une  mas- 
sue. Cet  oiseau  est  cependant  bien  un  rapace  diurne  par  la  forme 
de  son  bec,  par  celle  de  son  corps  et  par  ses  instincts;  mais  il  est 
modifié  comme  devait  Têtre  un  oiseau  de  rapine  fait  pour  se 
nourrir  de  reptiles;  ses  ongles  sont  émoussés  par  suite  de  ses 
halitudes  plutôt  terrestres  qu'aériennes,  car  il  vole  très-rare- 
ment. Il  est,  en  un  mot,  dans  tout  son  ensemble,  ce  que  devait 
être  un  oiseau  de  proie  terrestre,  destiné  à  modérer  la  multipli- 
cation des  reptiles  qui  abondent  dans  les  diverses  régions  de 
l'Afrique.  Par  la  longueur  de  ses  tarses  et  par  d'autres  détails 
d'organisation,  il  a  aussi  des  rapports  avec  certains  échassiers, 
tels  que  les  Grues  et  les  Cigognes;  et  c'est  dans  cet  ordre  que 
quelques  auteurs  ont  voulu  le  placer,  llliger  a  bien  compris  cette 
double  affinité,  en  créant  pour  cet  oiseau  le  nom  générique 
Giipoge7'a7ins,  qui  signifie  Yautour-Grue. 

Le  Serpentaire  a  en  effet  la  jambe  et  surtout  le  tarse  très- 
longs,  pour  élever  son  corps  et  le  garantir  de  la  morsure  veni- 
meuse des  Serpents,  qui  sont  sa  principale  nourriture.  Privé  en 
quoique  sorte  de  serres,  si  utiles  aux  autres  rapaces,  il  a  en.  com- 
pensation des  ailes  munies  de  proéminences  osseuses  arrondies, 
qui  constituent,  avec  son  bec  vigoureux,  de  puissants  moyens 
d'attaque  et  de  défense.  Sa  course  est  rapide;  pour  l'accélérer,  il 
ne  se  sert  point  de  ses  ailes,  qu'il  réserve  pour  le  combat.  Sur- 
prend-il un  Serpent  loin  de  son  gîte,  le  reptile  s'arrête,  se  re- 
dresse et  cberche  à  intimider  l'oiseau  par  le  gonflement  extra- 
ordinaire de  sa  tête  et  par  un  sifflement  aigu.  C'est  dans  ce 
moment  que  le  Serpentaire  emploie  tous  ses  moyens;  il  développe 
une  de  ses  ailes,  la  ramène  devant  lui,  et  la  transforme  en  bon- 


VlH,TURinÉS.  95 

rlier  qui  couvre  ses  jambes  et  la  partie  inférieure  de  son  corps. 
Le  Serpent  s'élance;  l'oiseau  bondit,  fnip|)e,  se  jette  en  arrière, 
saule  en  tous  sens,  et  revient  an(onil)at  en  présentant  loujoiiisà 
la  dent  venimeuse  de  son  adversaire  les  plumes  solides  de  son 
aile;  et  pendant  cpie  celui-ci  épuise  sans  succès  son  venin  sur  des 
pennes  insensibles,  il  lui  détacbe  avec  l'autre  aile  de  vigoureux 
coups,  dont  l'action  est  puissamment  an'^nientée  par  les  proé- 
minences osseuses  dont  nons  venons  de  parler.  Enfin  le  rep- 
tile, étourdi  d'un  coup  d'aile,  cliancelle  et  cherche  à  fuir;  mais 
il  est  vivement  saisi  et  lancé  en  l'air  ;\  plusienrs  reprises,  jusqu'au 
moment  où  il  n'est  pins  à  redouter.  Le  vainqueur  lui  brise  le 
crâne  à  coups  de  bec,  et  Tavale  le  plus  souvent  tout  entier.  S'il 
est  trop  gros,  il  le  dépèce  en  l'assujettissant  sous  ses  doigts.  Des 
piquants  aigus,  comme  ceux  du  Jacana  et  du  Kamiclii,  seraient 
sans  effet  sur  la  peau  lisse  et  le  corps  arrondi  des  Serpents;  des 
nœuds  osseux  et  durs  remplacent  avantageusement  ces  piquants 
chez  le  Serpentaire;  des  coups  réitérés  et  donnés  avec  force 
étourdissent  le  reptile  et  lui  brisent  souvent  la  colonne  vertébrale 
du  premier  qu'il  reçoit.  C'est  ainsi  que  procède  le  Serpentaire 
en  liberté;  et  c'est  à  peu  près  de  la  même  manière  qu'il  se  con- 
duit en  domesticité.  On  peut  en  voir  un  à  la  ménagerie  du  Mu- 
séum, mallieureusement  il  a  perdu  une  patte.  Un  autre  de  ces 
oiseaux,  vivant  aussi  dans  le  Jardin  zoologique  de  Londres,  il  y 
a  déjà  près  de  trente  ans,  a  donné  lieu  à  la  description  suivante, 
qui  ne  manque  pas  d'intérêt. 

Le  Serpentaire,  avec  ses  jambes  grêles,  sa  culotte  de  velours, 
sa  physionomie  circonspecte,  sa  démarche  insinuante,  son  air  de 
dignité  mêlée  de  réserve  et  de  finesse,  a  quelque  chose  de  mer- 
veilleusement aristocratique.  S'il  y  a  dans  sa  conduite  un  hui- 
tième de  courage,  il  y  met  sept  huitièmes  de  finesse.  Faites 
pénétrer  un  reptile  d'espèce  ordinaire  dans  le  parquet  ([u'il 
habite  :  d'abord  le  Serpentaire  observe  patiemment  sou  ennemi. 


94  QUATORZIÈME    LEr,n>-. 

rien  ne  révèle  la  violence  de  l'émotion  qni  le  domine.  L'œil 
élincelant  et  iixe,  il  demeure  immobile  jusqu'au  moment  favo- 
rable; alors  il  tombe  sur  sa  proie,  l'écrase  sans  pitié,  la  serre  vi- 
goureusement, et  la  frappe  de  l'aile  et  du  pied.  Aussitôt  il  se 
redresse  en  vainqueui-,  sans  quitter  prise  et  toujours  en  garde. 
Bientôt,  avec  son  bec,  il  porte  sur  la  tête  du  reptile  agonisant 
un  coup  terrible,  qui  est  souvent  le  coup  de  grâce.  Mais  sa  pru- 
dence ne  Fabandonnera  pas;  son  œil  vigilant  ne  se  détacbera 
point  de  l'ennemi.  A  cbaque  nouvelle  blessure  qu'il  fait,  le  Ser- 
pentaire a  soin  de  se  détourner  et  de  se  mettre  à  Tabri  des  re- 
tours de  celui  qu'il  terrasse,  jusqu'au  moment  oi^i  il  est  rassuré 
par  l'immobilité  complète  de  sa  victime.  Seulement  alors  il  com- 
mence paisiblement  son  repas,  et  dévore  son  ennemi  avec  une 
grâce  remarquable. 

C'est  avec  cet  instinct  mêlé  de  courage  et  de  prudence  qu'il 
pourvoit  à  sa  subsistance  au  milieu  des  sables  de  l'Afrique.  Sa 
taille  svelte,  ses  longues  jambes  défendues  par  des  écailles  impé- 
nétrables, la  vigoureuse  défense  qu'il  peut  faire  avec  ses  ailes, 
le  mettent  à  même  de  vaincre  les  plus  redoutables  reptiles  du  con- 
tinent africain.  On  le  voit  souvent,  tenant  un  Serpent  dans  son 
bec,  s'enlever  avec  lui,  le  laisser  retomber,  le  reprendre  encore 
pour  Tétourdir  par  une  nouvelle  cbute,  et  l'acbever  sans  craindre 
la  moindre  résistance.  En  captivité,  ses.  instincts  s'émoussent, 
deviennent  plus  vulgaires;  son  bistoire  alors  ne  dit  plus  les  ex- 
ploits du  désert,  et  constate  seulement  la  guerre  que  Tesclave 
fait  aux  parasites  de  toutes  sortes  qui  s'introduisent  dans  les  jar- 
dins et  les  cours  des  babi  ta  lions. 

Le  Serpentaire  en  liberté  se  nourrit  aussi  de  Lézards,  moins 
dangereux  à  combattre,  de  petites  Tortues,  qu'il  avale  tout  en- 
tières après  leur  avoir  brisé  le  crâne.  Il  ne  dédaigne  même  pas 
les  insectes  et  les  Sauterelles.  A  l'état  de  domesticité,  il  senoiu'- 
lit  de  toute  espèce  de  viandes  crues  ou  cuites,  et  mange  même 


VUl/riJUlDÉS.  95 

dos  poissons.  LcvaillaiiL  l'a  vu  niaiiitc  l'ois  avaler  de  jeunes  l*ou- 
lels  et  de  petits  oiseaux  avec  toutes  leurs  plumes;  et  il  a  remarqué 
(pie  toujours  il  avait  soin  de  les  l'aire  entrer  da»is  son  bee  la  lêt(! 
la  première.  Cei'.endaut  il  no  pense  pas  ([uo,  libre,  il  attaque  les 
oiseaux;  du  moius  on  n'en  (•it(3  pas  d'exemple. 

L'un  des  Serpentaires  (pi'avait  tués  ce  voyageur  avait  clausson 
jabot  vingt  et  nue  petites  Tortues  entières,  dout  [)lusiem-s  avaient 
près  de  cin([  eentiuiètres  de  diamètre,  onze  LézaJ'ds  de  seize  à 
vingt  centimètres  de  longueur,  trois  serpents  longs  de  cin({uante 
lentimètres,  un  grand  nombre  de  Sauterelles  et  d'autres  in- 
sectes, dont  plusieurs  étaient  même  si  intacts  qu'il  put  les  con- 
server dans  ses  collections.  Les  Serpents,  les  Lézaids  et  les  Tor- 
tues avaient  tous  un  trou  dans  la  tète.  11  trouva  aussi  dans  l'esto- 
mac du  même  oiseau  une  pelote  grosse  comme  un  œuf  d'Oie; 
elle  n'était  composée  que  de  vertèbres  de  Serpents  et  de  Lézards, 
tl'écailles  de  Tortues,  d'ailes  et  de  pattes  do  Sauterelles,  et  enlin 
d'élytres  de  plusieurs  Scarabées.  Cet  oiseau,  comme  le  font  presque 
tous  les  rapaces  diurnes  et  nocturnes,  rejette  pur  le  bec  toutes 
ces  dépouilles  qu'il  ne  digère  pas. 

On  a  remarqué  que  c'est  dans  le  courant  de  juillet  que  les 
Serpentaires  s'apparient.  La  jalousie  devient  alors  entre  les 
mâles  une  cause  de  combats  opiniâtres;  ils  se  frappent  du  bec  et 
des  ailes  pour  se  disputer  une  femelle,  qui  se  rend  toujours  au 
vainqueur.  Us  construisent  un  nid  plat,  en  forme  d'aire,  comme 
celui  de  l'Aigle,  et  le  placent,  à  bauteur  d'un  mètre,  au  centre  du 
Iniisson  le  plus  touffu  du  canton  qu'ils  ont  cboisi  pour  domaine. 
(<e  nid  est  garni  inléiieu rement  de  laine  et  de  plumes;  sa  dimen- 
sion est  au  moins  d'un  mètre?  de  diamètre;  il  est  arrangé  fort 
babilement.  Les  brandies  sont  disposées  de  manière  à  servir  de 
base  à  lédifice;  elles  poussent  de  tous  les  côtés  des  jets  qui  mon- 
tent bientôt  plus  baut  que  le  nid  et  forment  une  espèce  de  rem- 
part circulaire  qui  le  dérobe  à  la  vue.  Le  mode  de  nidilication 


9G  QUATORZIEME    LEÇON, 

varie  suivant  les  localités;  celui  que  nous  venons  tVindiquer 
se  ]-emarque  aux  environs  du  Cap  et  dans  les  plaines  oii  la  vé- 
gétation a  peu  de  vigueur  ;  mais,  vers  la  côte  de  Natal,  Levail- 
lant  a  vu  leur  aire  placée  sur  les  arbres  les  plus  élevés,  et  il  fait 
remarquer  que  là  aussi  ces  oiseaux  se  retirent  tous  les  soirs  sur 
les  arbres  pour  y  passer  la  nuit.  Le  même  nid  sert  longtemps 
au  même  couple,  qui,  comme  les  Aigles,  habite  seul  un  domaine 
fort  étendu.  La  ponte  est  de  deux  et  souvent  de  trois  œufs,  d'un 
blanc  laiteux,  avec  de  fines  grivelures  brunes  à  peine  apparentes 
et  entremêlées  seulement  au  gros  bout  de  quelques  taches  rares, 
irrégulières,  d'un  brun  plus  foncé.  La  forme  de  ces  œufs  est  en 
rapport  avec  celle  du  corps  du  Serpenti\irc  ;  elle  tient  le  milieu 
entre  celle  des  œufs  de  Vautour  et  celle  des  œufs  d'Échassier. 
C'est  une  confirmation  nouvelle  de  ce  que  nous  avons  dit  de  la 
lorme  des  œufs  d'oiseaux  de  tous  les  ordres.  Ainsi  cette  forme  est 
ovée  et  se  rapproche  beaucoup  de  l'ovoiconique,  caractère  dis- 
tinctif  de  l'œuf  des  Échassiers.  Leurs  dimensions  sont  de  sept  à 
huit  centimètres  comme  longueur,  sur  cinq  centimètres  et  demi 
de  largeur  à  la  partie  la  plus  renflée. 

Les  petits  sont  longtemps  hors  d'état  de  prendre  leur  essor  ; 
leurs  tarses  longs  et  grêles,  sur  lesquels  ils  ont  d'abord  beaucoup 
de  peine  à  se  soutenir,  sont  la  cause  de  ce  retard  ;  et  on  les 
trouve  encore  dans  le  nid,  quoiqu'ils  aient  tout  leur  développe- 
ment. Ils  ne  peuvent  bien  courir  (pi'à  l'âge  de  quatre  à  cinq 
mois,  et,  jusqu'à  ce  moment,  ils  marchent  en  s'appuyant  sur  le 
talon  dii  tarse,  ce  qui  leur  donne  fort  mauvaise  grâce,  tandis  qu'à 
l'état  parfait  ces  oiseaux  ont  la  démarche  aisée,  le  port  noble  et 
les  mouvements  pleins  de  dignité.  En  temps  ordinaire,  le  Ser- 
pentaire marche  avec  calme  et  assurance  ;  mais,  au  besoin,  sa 
course  est  d'une  vitesse  extrême.  Se  voit-il  poursuivi,  il  a  plus 
de  coniiancc  dans  ses  jambes  que  dans  ses  ailes.  11  faut,  pour 
l'obliger  à  prendre  son  vol,  le  surprendre  à  couite  distance  ou 


VLILTIIUIDÉS.  'J7 

le  |jouisuivi'e  à  Cheval  au  grand  galop  ;  mais  alors  il  s'élève  peu 
el  redescend  aussitôt  qu'il  se  voit  hors  de  duiiiier,  ])Oiu'  recourir 
à  ses  jamhes. 

Le  Serpentaire  est  très-niéfiant  et  singulièrement  rusé  :  on 
ne  l'approche  (pie  difficilement  à  portée  de  fusil  ;  et,  comme  on 
ne  le  rencontre  guère  que  dans  les  plaines  les  plus  arides  et  les 
plus  découvertes,  lieux  que  fréquentent  de  préférencti  les  ani- 
maux dont  il  fait  sa  proie,  il  s'y  trouve  en  sécurité;  aussi  le  chas- 
seur remarqué  par  lui  doit-il  renoncer  au  projet  de  le  joindre.  Il 
laut  employer  la  ruse  :  cet  oiseau  revient  toujours  dans  les  mêmes 
cantons,  et,  loisqu'on  en  a  reconnu  un  qu'il  fréquente  d'ordinaire, 
il  laut  s'y  rendre  avant  le  jour,  se  cacher  dans  un  huisson  bien 
toulfu  et  y  rester  jusqu'à  ce  qu'il  se  présente  à  bonne  distance.  H 
laut,  pour  cette  chasse,  s'armer  de  beaucoup  de  patience,  ne  pas 
faire  le  moindre  mouvement,  et  le  buisson  dans  lequel  on  se  cache 
doit  être  même  bien  fourré;  sans  ces  précautions,  l'oiseau,  très- 
clairvoyant,  a  bientôt  découvert  le  chasseur.  Levaillant  dit  même 
qu'il  n'a  réussi  à  tirer  de  Serpentaires,  encore  n'en  a-t-il  tué 
que  cinq  pendant  tout  son  séjour  en  Afrique,  qu'en  prenant  le 
soin  de  ternir  le  brillant  du  fusil  et  de  ses  batteries  avec  du  sang 
d'un  animal  fraîchement  tué.  C'est  la  méthode  qu'emploient  gé- 
néralement les  colons  du  Cap;  le  terne  du  bronze  ordinaire  est 
insuffisant  lorsqu'ils  veulent  approcher  même  des  Gazelles. 

Appariés,  le  mâle  et  la  femelle  se  séparent  rarement,  et  on 
les  trouve  presque  toujours  ensemble.  Pris  jeune,  cet  oiseau  s'ap- 
[)ri\oise  facilement  et  devient  même  familier.  Si  on  a  soin  de  le 
bien  nourrir,  il  ne  fait  aucun  mal  aux  oiseaux  de  basse-cour  ; 
dans  le  cas  contraire,  son  appétit  n'a  aucune  considération.  11 
n'est  pas  méchant  et  semble  aimer  la  paix  pour  lui  comme  pour 
les  autres;  car,  s'il  y  a  quelque  bataille  dans  la  basse-cour  qu'il 
habite,  on  le  voit  aussitôt  accourir  pour  séparer  les  combattants. 
Beaucoup  de  colons,  au  cap  de  Bonne-Espérance,  élèvent  de  ces 


98  QUATORZIEME    LEÇON. 

oiseaux,  autant  pour  maintenir  la  paix  parmi  les  volailles  de  di- 

veises  espèces  que  pour  détruire  les  reptiles  et  la  vermine. 

Nous  avons  dit  que,  comme  presque  tous  les  oiseaux  de  proie, 
un  couple  de  Serpentaires  ne  souffre  jamais  aucun  autre  indi- 
vidu de  la  même  espèce  dans  le  canton  qu'il  a  choisi.  Mais, 
en  revanche,  les  petits  oiseaux,  et  principalement  les  diverses 
espèces  de  Tisserins,  choisissent  le  voisinage  de  leur  domicile 
pour  y  étahlir  leurs  nids,  qu'ils  suspendent  même  quelquefois 
autour  de  Taire;  il  semblerait  que  ces  petits  oiseaux  cherchent, 
en  agissant  ainsi,  à  se  mettre  sous  la  protection  des  maîtres  du 
canton.  Us  sont  en  effet  bien  inspirés,  car  les  Serpents,  qu'ils 
redoutent  et  dont  ils  seraient  victimes  partout  ailleurs,  ne  peuvent 
les  attaquer  impunément  autour  du  nid  de  leurs  protecteurs. 
C'est  à  Jules  Yerreau,  l'un  de  nos  collaborateurs,  que  nous  devons 
cette  communication  intéressante  sur  les  habitudes  des  Tisserins 
et  la  bienveillance  des  Serpentaires  à  leur  égard. 

Ce  doyen  de  nos  voyageurs  et  ses  frères  ont  possédé,  pendant 
leur  séjour  au  cap  de  Bonne-Espérance,  un  grand  nombre  de 
Serpentaires,  et  depuis  bien  des  années  ils  ont  proposé  d'intro- 
duire cet  oiseau  dans  nos  colonies  françaises.  En  1826,  ils  déci' 
dèrent  M.  Freycinet  à  prendre  plusieurs  coui)les  de  Serpentaires 
pour  les  transporter  à  Cayenne,  où  il  se  rendait  comme  gouver- 
neur. Pendant  quelques  aimées  ils  ont  pu  croire  au  succès  de 
leur  idée,  mais  bientôt  ils  ont  appris  que  des  colons  peu  intel- 
liiiciits  avaient  tué  ces  utiles  oiseaux.  Le  docteur  Lherminier, 
en  1852,  avait  aussi  introduit  le  Serpentaire  aux  Antilles,  no- 
tamment à  la  Guadeloupe,  où  le  serpent  trigonocéphale,  si  redou- 
table, est  très-commun  ;  mais  cette  importation  n'a  pas  eu  plus 
de  succès,  sans  doute  à  cause  de  la  môme  ignorance  des  services 
que  peut  rendre  cet  oiseau,  si  bien  apprécié  au  Cap  que  chaque 
maison  a,  faut-il  dire,  le  sien. 

Nous  résumerons  Tbistone  du  Serpentaire  en  disant  fpi'il  est 


YULTHUIOÉS.  00 

caractérisé  par  un  hoc  crocliu  et  loii  comme  celui  des  Aijilcs, 
par  un  Ion-  laisc,  par  dos  phuucs  iué-alcs  (jui  forment,  sur  le 


derrière  du  cou,  une  sorte  de  Inippe  pendante  (pi  \\  \ 


l  lient  héiisser 


pi„.  2',.  — Serpentniio  con'iiiiin,  Giipoiieranns  scr] enlarim- 


à  volonté,  et  cnlln  par  une  queue  très-étagée  ('ont  les  deux  plumes 
centrales  sont  très-longues  et  traînent  à  terre  pour  peu  (pie  l'oi- 
se.au  les  tienne  oblirpiement.  L'œil  est  grisâtre;  il  est  très-ouvert 


100  QUATORZIÈME    LEÇON, 

et  garni  d'un  sourcil  noir  ;  l'arcade  sourqlière  elle-même  est 
très-prononcée.  Le  bec  est  fendu  jusque  sous  les  yeux;  la  gorge 
est  large  et  extensible,  ainsi  que  la  peau  du  cou.  Le  jabot  est 
d'une  ampleur  considérable  et  peut  contenir  ane  quantité  pro- 
digieuse de  nourriture.  Le  plumage  du  Serpentaire  mâle  adulte 
est  gris  bleuâtre  sur  la  tête,  le  cou,  la  poitrine  et  généralement 
tout  le  manteau  ;  cette  teinte  est  nuancée  de  brun  roux  sur  les 
couvertures  des  ailes  ;  les  grandes  pennes  sont  noires.  La  gorge 
et  la  poitrine  sont  blancbâtres  ;  le  dessous  de  la  queue  est  d'un 
blanc  teinté  de  roussâtre;  le  bas-ventre  est  noir,  mêlé  de  roux 
ou  de  blanc  ;  enfin,  les  plumes  des  jambes  sont  d'un  beau  noir 
rayé  imperceptiblement  de  brun.  La  base  du  bec  et  la  peau  nue 
des  yeux  sont  d'un  jaune  plu:,  orangé  au-dessus  de  l'œil.  Le  bec 
est  couleur  de  corne  noirâtre,  ainsi  que  les  ongles,  qui  sont 
courts  et  émoussés.  Les  doigts,  très-épais,  sont,  ainsi  que  le 
tarse,  couverts  de  larges  écailles  d'un  brun  jaunâtre;  les  pennes 
de  la  queue  sont,  en  partie,  noires,  et  prennent  toujours  plus 
de  gris  à  mesure  qu'elles  s'allongent;  elles  sont  touLco  terminées 
par  une  partie  blanclie;  les  deux  médianes  sont  nuancées  de 
brun  vers  l'extrémité,  où  elles  portent  une  tache  noire.  Les  taches 
terminales  blanches  disparaissent  quelquefois  par  suite  de  frot- 
tement. La  huppe,  qui  se  relève  à  volonté,  est  généralement 
composée  de  dix  plumes  très-apparentes,  implantées  deux  à  deux, 
les  plus  courtes  sur  le  haut  du  cou  et  les  longues  à  sa  partie 
moyenne.  Ces  dernières  sont  noires,  surtout  à  leur  bord  externe; 
d'autres  sont  mélangées  de  gris  et  de  noir;  toutes  ont  des  barbes 
étroites  qui  s'allongent  un  peu  vers  l'extrémité.  La  taille  du 
Serpentaire  varie  entre  un  mètre  et  un  mètre  quinze  ou  vingt 
centimètres. 

Nous  ne  sommes  entrés  dans  ces  détails  de  description  que 
pour  constater  l'uniformité  de  la  livrée,  sauf  l'intensité  des  cou- 
leurs,  sur  les  individus  du  Sud  et  des  régions  orientales  de 


vu  LTU  RIDÉS.  101 

l'Afi  iquc.  On  propose,  on  effet,  IVlablissemenl,  île  deux  espèces, 
l'une  que  nous  venons  de  déeiiic  el  cpii  est  du  sud  de  l'Afrique, 
tandis  que  l'autre  est  de  l'orient  du  même  continent.  Cette  der- 
nière, nommée  par  Jules  Verreaux:  Serpentaire  oriental,  présen- 
terait des  dilféiences  dans  la  disposition  des  plumes  occipitales 
et  dans  la  nuance  plus  claire  du  j)lumaye. 

Déjà  M.  Ogilby  a  distingué  le  Serpentaire  de  la  Gambie  de 
celui  du  Cap,  d'après  des  caractères  différentiels  qu'on  retrouve 
aussi  chez  les  individus  du  Nil  blanc  et  du  Koidofan.  En  effet, 
cliez  ces  derniers,  les  plumes  de  la  buppc  sont  implantées  de 
clia([ue  côté  di;  la  tète  et  de  la  partie  postérieure  du  cou,  de 
manière  que,  s'écarlaiit  à  droite  et  à  gauche  à  la  volonté  de 
l'animal,  elles  forment  une  sorte  d'éventail  renversé,  encadrant 
le  cou  jusqu'à  plus  de  moitié  de  sa  longueur;  tandis  que  la  plu- 
part des  individus  du  cap  de  Bonne-Espérance  ou  du  sud  de 
rAfri(juc  ont  ces  mêmes  plumes  placées  tout  autrement.  Ce  n'est 
plus  une  huppe  dans  le  sens  rigoureux  du  mot,  mais  une  espèce 
de  crinière  simple,  sur  le  prolongement  de  la  nuque,  et  dont 
chaque  plume  se  trouve  régulièrement  superposée  à  la  partie 
médiane  et  postérieure  du  cou.  Cette  sorte  de  huppe  cervicale 
est  simple  chez  les  individus  du  Sud  et  double  chez  ceux  des 
régions  orientales. 

Si  nous  classons  cet  oiseau  parmi  les  vulturidés  et  à  leur  suite, 
c'est  que,  partageant  l'opinion  de  d'Orbigny,  nous  considérons 
le  Serpentaire  comme  formant  la  transition  la  plus  naturelle  des 
Vulturidés  aux  Falconidés,  qui  vont  suivre.  Les  Caracaras,  qui 
dans  la  classification  se  trouvent  en  tête  des  Falconidés,  ont  de 
nombreux  rajjports  d'organisation  et  de  mœurs  avec  le  Serpentaire; 
ils  forment  évidemment  un  genre  voisin,  caractérisé  également 
par  la  forme  du  bec  sans  dentelure,  par  la  nudité  du  tour  des 
yeux,  et  même  par  la  huppe,  remplacée,  chez  certains  Caracaras, 
par  des  plumes  frisées,  tandis  que  certains  autres  ont  la  faculté 

9/ 


102  QUATORZIÈME    LEÇO>'. 

de  relever  à  volonté  les  plumes  de  la  partie  postérieure  dô  la 
tête.  Un  autre  rapport  se  trouve  encore  dans  la  nudité  du  tarse; 
enfin  le  Serpentaire  est  plutôt  omnivore  que  carnassier,  et  il  est 
surtout  marcheur.  Il  est,  en  un  mot,  l'analogue,  en  Afrique, 
des  Caracaras  américains,  qui  habitent  également  les  terrains 
secs  et  arides,  et  la  longueur  proportionnelle  du  tarse  ne  peut 
être  invoquée  comme  une  objection  sérieuse  à  ce  rapproche- 
ment. 


Fig.  23.  —  Faucon  sacre.  FaJco  sacer,  d'après  Scliieg»! 


QUINZIÈME   LF4:0N 


Falconidés. 


2'^  Famimk.  —  FALCO\IT)KS. 

Les  falconidés  se  distinguent  facilement  des  vuUnridés  par 
leurs  formes  moins  lourdes.  Leur  tête  et  leur  cou  couverts  de 
plumes,  leur  bec  à  bords  festonnés  ou  dentelés,  leurs  serres  ner- 
veuses, développées  et  à  ongles  rétractiles,  sont  les  caractères 
les  plus  saillants.  Quelques-uns  cepeTidant  ont  encore  la  face  et 
une  partie  de  la  gorge  plus  ou  moins  nues,  et  établissent  le  trait 
d'union  qui  relie  la  seconde  l'amille  à  la  première.  Nous  auron* 
souvent  Toccasion  de.  remarquer  qu'en  passant  d'un  type  à  un 
autre,  c'est-à-dire  d'un  ordre  ou  d'une  famille  à  une  autre,  la 
puissance  créatrice  rappelle  dans  la  série  nouvelle  qu'elle  com- 
mence quelques-uns  des  caractères  de  celle  qu'elle  vient  de  ter- 
miner. 

Ainsi  lesCarncaras,  conservant  quelques-uns  des  caractères  des 
Vautours,  mangent  des  animaux  déjà  en  putréfiiction;  les  Aigles, 


104  QUINZIÈME   LEÇON, 

les  Buses  et  tous  les  oiseaux  de  proie  ignobles  de  G.  Cuvier  vi- 
vent un  peu  de  tout.  Ils  mangent  des  animaux  de  toutes  les 
classes  et  de  tous  les  ordres,  et,  dans  la  détresse,  ils  ne  dédai- 
gnent même  pas  les  chairs  corrompues;  il  n'en  est  plus  de  même 
des  Faucons  et  de  tous  les  oiseaux  de  proie  nobles,  qui,  en  liberté, 
ne  s'arrêtent  pas  devant  une  proie  morte. 

Cette  famille  est  très-nombreuse  et  comprend  les  grands  genres 
suivants  : 

1°  Caracara,  Polyborus,  rcolv^ôpo;,  polyphage. 

S'*  Aigle,  Aqiiila. 

3°  Pygargue,  Pontoaëtiis,  ttôvtoç,  mer;  àsTo,-,  aigle. 

¥  Spizaète,  Spizaetus,  a-Trî^a,  épervier;  àîtôç,  aigle. 

5*^  Buse,  Biiteo. 

6"  Milan,  Milvus. 

l""  Faucon,  Falco. 

8"  Épervier,  Accipiter. 

9°  Busard,  Circus. 

Les  noms  latins  sans  étymologie  sont  les  anciens  noms  de  ces 
oiseaux. 

L'indication  de  ces  neuf  genres,  comprenant  chacun  des  espèces 
plus  ou  moins  nombreuses,  permet  de  reconnaître  qu'il  serait 
difficile  d'exposer  d'une  manière  générale  les  mœurs  et  les  ha- 
bitudes d'oiseaux  groupés  dans  une  famille  pour  se  conformer 
à  la  méthode,  mais  présentant,  dans  chaque  genre,  des  instincts 
différents  et  en  rapport  avec  les  détails  de  leur  organisation. 
C'est  donc  seulement  en  faisant  l'histoire  de  chacun  de  ces  genres 
(jue  nous  parlerons  des  instincts  des  espèces  qu'ils  comprennent 
Cependant  on  peut  dire  que  tous  ces  oiseaux  sont  chasseurs,  car- 
nassiers, et  que,  sauf  de  rares  exceptions,  ils  prêtèrent  les  proies 
vivantes  aux  proies  mortes. 


rAi.r.oMDÉs.  105 

Le  vol  tics  falconidés,  plus  rapide  que  celui  des  vulturidés, 
est  tantôt  tics-clevé,  comme  chez  les  Aigles,  tantôt  bas,  comme 
chez  les  Busards,  accéléré  chez  les  Faucons,  lent  et  majestueux 
chez  les  Buses.  A  Texception  des  Caracaras,  que  lenr  genre  de 
vie  attache  à  la  terre,  les  falconidés  ne  sont  pas  marcheurs.  Ils 
s'avancent  en  sautant,  sans  développer  complètement  leurs  doigts, 
sans  doute  pour  ne  pas  émousser  la  pointe  de  leurs  ongles  cro- 
chus et  rétractiles.  La  vue  de  ces  oiseaux  a  une  poitée  extraor- 
dinaire; pendant  le  vol  le  plus  rapide  on  les  voit  souvent  s'ar- 
rêter tout  à  coup  pour  fixer  une  proie  très-éloignée  d'eux,  et 
fondre  sur  elle  du  haut  des  airs.  Ce  sont  aussi  les  plus  criards 
de  tous  les  rapacos,  les  Caracaras  sui'tout,  et  certaines  espèces 
d'Aigles  qui  épouvantent  tous  les  autres  animaux;  mais  quelque- 
fois ces  bruyantes  clameurs  attirent  de  petits  oiseaux  qui  se 
liguent  contre  eux,  les  poursuivent  à  coups  de  bec  et  les  con- 
traignent à  fuir,  compensant  par  leur  nombre  l'infériorité  de 
leur  force. 

La  ponte  des  falconidés  est,  en  moyenne,  de  trois  à  quatre 
œufs,  rarement  de  six.  Leur  plumage  est  un  peu  plus  variable 
que  celui  des  autres  rapaces  et  présente  des  différences  très- 
remarquables  d'âge  et  de  sexe.  Souvent  le  jeune  ne  ressemble 
en  aucune  ûiçon  à  l'adulte.  Aussi  ces  différences  extraordinaires 
de  plumage  et  le  tenqis  que  ces  oiseaux  mettent  à  prendre  leur 
livrée  d'adulte,  les  Aigles  surtout,  expliquent  les  erreurs  ou  les 
incertitudes  des  naturalistes.  Pendant  longtemps  les  divers  âges 
de  la  même  espèce  ont  été  considérés  comme  des  types  spécifiques 
auxquels  on  a  donné  différents  noms. 


10(5 


QUINZIEME    LEÇON. 


jer  Ge^-p.^.  _  câRâCâRA,    POLYBORUS,    Vicillol. 

Noms  tirés  du  cri  de  l'oiseau  et  de  ses  h;ibiludes  poly pliages. 

Nous  croyons,  avec  d'Orbigny,  qu'on  peut  distinguer  du  reste 
des  falconidés  des  oiseaux  que  leurs  mœurs  analogues  à  celles 
des  vulturidés  et  leurs  principaux  caractères  doivent  nécessai- 
rement réunir  dans  un  même  groiq^e,  tels  sont  les  Caracaras, 
({ue  les  auteurs  ont  pendant  longtemps  dispersés  dans  des  genres 
tout  à  fait  distincts. 


Caracara  ordinaire,  Potilhorus  tniiilicnsis. 


Nous  caractériserons  donc  les  Coracaras  exclusivement  propres 
à  l'Amérique  méiidionale,  ainsi  qu'il  suit  :  bec  fortement  com- 
primé, non  courbé  dès  sa  base,  sans  dentehu'e,  mais  présentant 


1-ALCOlNIDES.  107 

quelqiielois  un  simple  sinus  on  icsloii;  ciic  poilue,  prolongée, 
connnnnifiuanl  iivec  une  jiarlie  nue,  plus  on  nioins  large,  qui 
enlonie  les  yeux;  dessus  des  orbites  non  saillant,  eonimceliez  les 
Aigles;  tarses  longs  et  nus,  souvent  entièrement,  et  plus  ou  moins 
régulièrement,  écnssonnés;  doigts  en  général  plus  longs  que  chez 
les  autres  falconidés,  le  médian  très-long  comparativement  aux 
latéraux,  tous  terminés  par  des  ongles  peu  arcpiés,  perjuettant 
une  marche  facile,  et,  le  pins  souvent,  usés  ou  émoussés  à  leur 
extrémité;  la  troisième  rémige  la  plus  longue  de  toutes;  les 
deuxième,  quatrième  et  cinquième  presque  égales,  et  donnant  à 
l'aile  ouverte  une  forme  tronquée  et  oblougne.  Quelques  espèces 
ont  les  plumes  occipitales  frisées;  d'autres  ont  la  faculté  de  les 
relever;  enlin  une  dernière  a  deux  caroncules  ou  barbillons 
sous  la  mandibule  inférieure. 

Moins  sauvages  que  les  autres  falconidés,  les  Caracaras  ont  dû 
suivre  Tespèce  humaine  dans  ses  migrations  lointaines,  aussi  les 
trouve-t-on  depuis  les  terres  les  plus  australes  jusqu'à  la  ligne, 
et  depuis  le  niveau  de  la  mer  jusqu'aux  sommets  les  plus  élevés 
des  Andes;  mais  tous  ne  sont  pas  de  la  même  espèce,  et  chacune 
de  ces  espèces,  bien  qu'ayant  de  larges  limites  géographiques, 
n'en  a  pas  moins  sa  zone  spéciale.  Le  Caracara  vit  partout,  depuis 
la  zone  glaciale,  en  passant  par  la  zone  tempérée,  jusqu'à  la  zone 
brûlante  des  tropiques.  C'est  un  oiseau  commun  surtout  dans  les 
savanes  de  la  Plala,  où  il  est  connu  sous  le  nom  de  Carrancha. 
On  le  i-encontre  fréquc^mment  aussi  dans  les  plaines  de  la  Pata- 
gonie,  et  il  se  trouve  en  grand  nombre  dans  le  désert,  entre  les 
rivières  iNegro  et  Colorado,  sur  les  points  fréquentés  par  les  voya- 
geurs; il  attend  là  les  cadavres  des  animaux  qui  meurent  de  fa- 
tigue ou  de  soil'.  Enfin  il  habite  aussi  les  ibrèts  humides  et  impé- 
nétrables de  la  IVilagonic  occidentale  et  de  la  Terre-de-Feu.  On 
ne  le  voit  jamais  s'élever  sur  les  hautes  sommités,  oii  il  est  rem- 
})lacé  par  le  Cai'acara  montagnard,  (pu,  bien  différent  du  pre- 


1U8  QUINZIÈME   LEÇON, 

iiiier,  vit  exclusivement  dans  les  régions  élevées,  sèches  et  ari- 
des. Une  autre  espèce,  le  Caracara  Chimango,  vit  souvent  en 
compagnie  du  Caracara  ordinaire,  dont  il  a  les  habitudes  et  les 
instincts.  Le  Caracara  Cliimachima,  au  contraire,  vit  isolé,  près 
des  habitations  voisines  des  forêts,  ou  dans  les  plaines  chaudes 
intertropicales. 


Fig.  27.  —  Caracara  montagnard,  Pulyhorus  monlams. 


Tous  ces  oiseaux  semblent  rechercher  la  présence  de  ITiomme. 
Far  leurs  habitudes  ils  remplacent  parfaitement  nos  Corneilles, 
nos  Pies  et  nos  Corbeaux,  dont  la  nature  a  été  prodigue  pour 


l'AIXOMDES.  109 

loiis  les  pays  du  iiioudc,  mais  (ju'cIIiî  a  refusés  à  l'Amérique  du 
Sud.  C()uij)aiiuou  lidMo  de  l' Indien  voyageur,  le  Caracara  l'uc- 
eonniai;iie  de  la  lisière  d'un  bois  à  eellc  d'un  aiilrc,  sur  le  bord 


Cliimango,  Polyl'orus  Chimango. 


des  rivières  ou  dans  les  plaines,  Iransporlanl  son  domicile  acci- 
dentel partout  où  riiomme  vient  s'établir.  Que  le  sauvage  se  fixe 
quelque  part  et  se  construise  une  cabane,  le  Caracara  vient  s'y 
percber,  comme  pour  eu  prendre  possession  le  premier;  il  s'en 
éloigne  peu,  prêt  à  profiter  de  débris  de  toutes  soi  tes,  et  il  campe 
dans  le  voisinage.  Que  l'iiomme  vienne  à  former  de  vastes  éta- 
r.  II  10 


110  OUI^'ZIEME    LEÇOr^. 

])lissenieiits  agricoles  et  s'entoure  d'un  grand  nombre  d'animaux 
domestiques,  Favidc  assiduité  du  Caracara  devient  plus  active, 
en  raison  de  l'espoir  mieux  fondé  qu'il  conçoit  de  trouver  dans 
une  riche  ferme  une  pâture  encore  mieux  assurée.  Stimulé  par 
cet  appât,  l'intrépide  oiseau  ne  craindra  pas  même  de  s'abattre 
au  milieu  des  basses-cours,  enlevant  de  jeunes  Poulets  et  profi- 
tant de  la  négligence  des  habitants  pour  leur  ravir  le  morceau 
de  viande  que,  suivant  l'usage  du  pays,  ils  font  séclier  au  soleil 
ou  toute  autre  partie  de  leur  approvisionnement  animal.  Comme 
les  Cathartes,  les  Caracaras  pourvoient  à  l'incurie  des  villageois 
et  des  citadins,  en  dévorant  les  animaux  morts  et  les  immon- 
dices. Alors  véritables  Cathartes  à  serres  prenantes  ou  modi- 
fiés en  Vautours  à  forme  d'Aigle,  on  les  voit  disputer  avec  achar- 
nement la  possession  d'un  lambeau  de  chair  à  leurs  dégoûtants 
rivaux. 

Les  Caracaras  sont  plus  ou  moins  familiers,  selon  les  espèces; 
ainsi  que  les  Chimangos,  ils  fréquentent  constamment  en  nom- 
bre les  estamias  et  les  maisons  qui  servent  de  tueries.  Si  un 
animal  meurt  dans  la  plaine,  le  Catharte  ouvre  le  banquet,  et  le 
Caracara  ordinaire  et  le  Chimango  mangent  les  derniers  débris 
de  chair  et  nettoient  très-proprement  les  os.  Quoique  ces  oiseaux 
mangent  souvent  ainsi  ensemble,  ils  sont  loin  de  vivre  en  bonne 
intelhgence  :  quand  le  Caracara  est  tranquillement  perché  sur 
une  branche  d'arbre  ou  qu'il  pose  par  terre,  le  Chimango  vient 
fréquemment  voler  autour  de  lui,  et,  dans  ses  évolutions,  il 
cherche  à  le  frapper  de  ses  ailes;  mais  le  Caracara  reste  indiffé- 
rent à  ces  hostilités,  et  s'il  paraît  y  faire  attention,  c'est  seule- 
ment par  un  dérangement  ou  un  balancement  de  la  tète.  Bien 
cuie  les  Caracaras  s'assemblent  fréquemment  en  grand  nombre, 
ils  ne  forment  pas  de  bandes;  car,  dans  les  lieux  déserts,  on  les 
voit  le  plus  souvent  isolés  ou  par  paires. 

Le  Caracara  montagnard  a  le  même  genre  de  vie  que  les  pré- 


r.\i,c()MnÉs.  111 

cc'doiils,  mais  il  ii'habito  que  les  montapncs  cullivéGS  et  roiulie 
sur  les  rocliers;  tandis  «inc  le  Caiacara  Cliiiiiacliima,  plus  sau- 
vage, se  montre  seulemeni  [)ar  inteivalle,  poin-  dévorer  des  res- 
tes d'animaux  ou  pour  attaquer  de  ])auvres  l)ètes  de  somme 
Ijlessées  par  leur  1);U,  et  (pii   ne  peuvent  se  défendre  qu'en  se 


Fig.  29. — C'iracara  Chimachima,  PoUil'orvs  Cliimachima. 


roulant  par  terre.  Tous  ces  oiseaux  suivent  et  liareclcnt  les  Che- 
vaux et  les  Mulets  blessés  au  garot  ou  à  la  croupe  et  abandonnés 
momentanément  dans  la  campagne.  Qu'on  se  figure  un  pauvre 
Clicval  épuisé  par  la  suppuration,  les  oreilles  basses  et  le  dos 
courbe,  et  l'oiseau  planant  au-dessus  de  la  plaie,  qu'il  fixe  d'un 
œil  avide,  et  l'on  aura  une  représentation  fidèh^  de  ce  tableau 


112  QUINZIÈME    LEÇON', 

qu'a  si  bion  décrit  le  capitaine  Head  avec  son  esprit  oriiimal  et 
son  exactitude.  Cependant,  malgré  leur  voracité,  les  Caracaras 
attaquent  rarement  un  animal  bien  portant,  et  leurs  habitudes 
nécrophages  ont  été  constatées,  non  sans  émotion,  par  les  voya- 
geurs qui,  obligés  de  s'arrêter  pour  prendre  du  repos  dans  les 
plaines  désolées  de  la  Patagonie,  ont  pu  voir,  à  leur  réveil,  sur 
chaque  tertre  environnant,  un  de  ces  croque-morts,  les  guettant 
d'un  œil  sinistre.  Que  des  chasseurs  se  mettent  en  campagne 
avec  leurs  Chevaux  et  leurs  Chiens,  et  bientôt  une  troupe  de  ces 
oiseaux  affamés  formera  leur  escorte. 

Le  jabot  découvert  du  Caracara  fait  saillie  sur  sa  gorge  dès 
qu'il  a  mangé;  c'est  un  oiseau  indolent,  familier,  mais  poltron. 
Son  vol  est  lent  et  lourd  :  il  prend  rarement  son  essor.  Deux  fois 
cependant,  M.  Darwin  en  a  vu  un  qui  glissait  à  une  grande  hau- 
teur dans  le  ciel  avec  beaucoup  d'aisance;  il  court  ou  plutôt  il 
sautilh,  mais  avec  moins  de  vitesse  que  quelques-uns  de  ses  con- 
génères. Sans  être  généralement  bruyant,  le  Caracara  l'est  pour- 
tant parfois;  il  a  un  cri  rauque  et  particulier  qu'on  peut  compa- 
rer au  son  guttural  g  espagnol  suivi  d'un  double  rr;  quand  il 
pousse  ce  cri,  il  élève  la  tête  et  la  renverse  sur  le  dos. 

A  ces  observations  nous  pouvons  ajouter,  d'après  d'Azara,  que 
le  Caracara  mange  les  Vers,  les  Sauterelles,  les  Mollusques  et  les 
Grenouilles;  qu'il  détruit  de  jeunes  Agneaux,  comme  les  Ca- 
thartes,  au  moment  ou  les  Brebis  viennent  de  mettre  bas,  et  qu'il 
poursuit  l'Urubu  gorgé  pour  le  forcer  à  vomir  la  charogne,  dont 
il  s'empare  aussitôt.  Enfm,  quelquefois,  cinq  on  six  de  ces  sales 
oiseaux  se  réunissent  pour  donner  la  chasse  à  des  Hérons  qui 
viennent  de  faire  leur  repas  à  la  rivière,  sans  doute  pour  leur 
faire  rendre  la  nourriture  qu'ils  ont  prise. 

Le  Chimango  est  beaucoup  plus  petit  que  le  Caracara  ordi- 
naire. C'est  un  véritable  omnivore;  et  l'on  assure  qu'à  Chiloë 
il  fiit  beaucoup  do  tort  aux  plantations  do  pommes  de  terre, 


FAICOMOÉS.  \\^> 

qu  il  siùl  parfnitoniciil  lioiiv('r<|ii:in(l  elles  viennent  d'elle  i)lan- 
tées;  mais  il  jM-é l'ère  la  cliair,  ei  il  a  généralement  le  dernier 
morceau  d'nn  cadavre.  On  U'  voit,  sonvenl,  dans  la  carcasse  d'une 
Vache  ou  d'un  Cheval,  oceu[»é,  connue;  dans  une  cage,  à  déchirer 
les  cartilages  intercoslaux. 


Fig.  30. 


Carac;ira  fiinùljre,  Polijhorus  fumin\S. 


Une  autre  espèce,  le  Caracara  de  la  NouvelUi-Zélande,  est  ex- 
trêmement commune  aux  îles  Falkland,  et  ses  hahitudes  sont  î\ 
peu  près  les  mêmes;  cependant  elles  sont  un  peu  modifiées  par 
le  séjour  de  cet  oiseau  sur  les  rochers  du  Lok^  de  la  mer,  où  ils 

10. 


114  QUINZIÈME    LEÇON, 

ont  plus  souvent  l'occasion  (Vattaquer  les  animaux  vivants  et  ceux 
qui  sont  blessés  par  les  chasseurs.  Les  officiers  du  navire  Y  Aven- 
ture^ qui  ont  passé  un  hiver  aux  îles  Falkland,  rapportent  des 
exemples  extraordinaires  de  la  hardiesse  et  de  la  voracité  de  ces 
oiseaux.  Us  saisirent  un  jour  dans  leurs  serres  un  Chien  qui 
était  endormi  près  de  son  maître;  et  il  n'était  pas  toujours  facile 
aux  chasseurs  de  les  empêcher  d'enlever  sous  leurs  yeux  les 
Oies  et  autres  pièces  de  gibier  qui  tombaient  à  quelque  distance. 
Us  attendent  et  enlèvent  les  Lapins  à  leur  sortie  du  terrier.  A 
bord  même  du  navire,  rapporte  M.  Darwin,  ils  commettaient 
continuellement  quelque  vol;  et  il  fallait  faire  bonne  garde  pour 
les  empêcher  d'arracher  le  cuir  du  gréement,  ou  d'enlever  la 
venaison  suspendue  à  l'arrière.  Ces  oiseaux  sont  curieux,  pillards, 
ils  enlèvent  tout  ce  qui  n'excède  pas  leurs  forces,  ramassant  tout 
ce  qu'ils  trouvent  par  terre.  Usentraînèrent  un  jour,à  près  d'une 
lieue,  un  grand  chapeau  noir  verni,  ainsi  que  deux  de  ces  bolas 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  qu'on  emploie  ici  pour  attraper 
le  bétail.  Une  autre  fois,  ils  enlevèrent  un  petit  compas  de  Kater 
dans  son  étui  de  maroquin  rouge,  et  l'on  ne  put  jamais  le  re- 
trouver. Ils  sont  en  outre  querelleurs,  très-rageurs,  et,  quand 
ils  manquent  leurs  coups,  ils  mordent  l'herbe  avec  tous  les  si- 
gnes de  la  colère;  leurs  habitudes  sont  loin  d'être  sociables.  S'ils 
se  réunissent  sur  la  même  proie,  c'est  pour  se  disputer  à  chaque 
instant  le  moindre  lambeau.  Leur  vol  est  pesant  et  gauche,  mais, 
à  la  différence  du  Caracara  ordinaire,  ils  courent  extrêmement 
vite.  Malgré  leur  audacieuse  familiarité,  ils  ne  font  pas  leurs 
nids  sur  les  rochers  des  deux  grandes  îles  Falkland,  mais  seule- 
ment sur  ceux  des  îlots  qui  les  avoisinent.  Les  baleiniers  préten- 
dent que  la  chair  de  ces  oiseaux  est  très-blanche  et  bonne  à  man- 
ger; nous  en  douterons  jusqu'à  plus  ample  information. 

Généralement  les  habitants  des  pays  où  se  trouvent  des  Ca- 
Uiàrtes  et  des  Canecaras,  supportent  les  premiers  avec  indiffé- 


FALCONIDKS.  115 

ronce  oL  ioiiL  une  guerre  ù  outrance  aux  seconds,  ([ui,  plus  légers 
et  plus  rusés,  savent  éviter  les  i)iéges  et  échapper  aux  poursuites 
sans  (leviMiir  pour  cela  plus  sauvages;  car  on  les  prendrait  plutôt 
pour  des  oiseaux  doniesti(pies  appartenant  au  propriélaue  d'une 
l'ernie  (pie  pour  des  oiseaux  de  proie  oïdiuaiieinent  déliants, 
et  surtout  peu  habitués  à  vivre  avec  Ihonune. 

Ces  oiseaux  nichent  ipielquefois  à  terre,  mais  le  plus  souvent 
sur  des  buissons.  Leurs  œufs  ont  la  forme  ovalaire  et  arrondie 
des  œufs  de  Faucon,  et,  les  taches  ({ui  les  couvrent  sont  d'un 
brun  rougeàtre,  et  laissent  à  peine  apeicevoir  le  blanc  de  la  co- 
quille. L'œuf  du  Caracara  ordinaire  a  les  ])lus  grands  rapports 
avec  celui  du  Faucon  d'Islande,  et,  celui  du  Chimango,  sauf  ses 
dimensions  un  peu  plus  fortes,  avec  celui  de  notre  Cresserelle. 
Les  dimensions  du  premier  sont  de  six  centimètres  sur  cinq  de 
diamètre;  celles  du  second  de  quatre  centimètres  et  demi  sur 
trois  et  demi.  Leur  ponte  est  de  trois  ou  quatre  œufs,  et  varie 
suivant  les  espèces. 

2"  Gknt.e.  —  AIGLE,  AQUILA,  Brissoii. 

La  famille  des  véritables  oiseaux  de  proie,  les  Falconidés,  se 
divise  en  deux  classes  :  les  Nobles  et  les  Ignobles.  Cette  distinc- 
tion est  empruntée,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  au  langage  de 
la  fauconnerie. 

L'aigle  n'était  point  considéré  par  les  anciens  fauconniers 
comme  ini  oiseau  noble.  Son  caractère  sauvage,  féroce,  destruc- 
teur et, "après  tout,  assez  lâche  ne  mérite  point  cet  honncui. 
L'opinion  publi(|ue,  si  injustement  prévenue  contre  le  Vautour, 
s'est,  au  contraire,  montrée  beaucoup  trop  partiale  envers  FAi- 
gle.  On  a  prêté  à  ce  dernier  beaucoup  de  qualités  qu'il  n'a  point. 
Certains  naturalistes,  qui  avaient  étudié  la  vie  de  ce  rapace  dans 
les  livres  ou  dans  les  ménageries,  nous  ont  également  donné  du 


UG  OUliNZTEME   LEÇO>-. 

roman  pour  de  l'histoire.  On  a  siiriiommi'  l'Aigle  le  roi  des  oi- 
seaux. Si  c'est  un  compliment  qu'on  a  voulu  lui  faire,  c'est  un 
compliment  dont  les  monarques  doivent  être  peu  flattés.  Il  est 


Fig.  51.  —  Aigle  impérial,  Aquila  heliacu. 


probable  qu'une  certaine  analogie  de  mœurs  entre  le  Lion  et 
l'Aigle,  la  grande  force  de  ces  animaux,  leur  vie  solitaire,  lems 
habitudes  guerroyantes,  ont  été,  dans  les  âges  de  barbarie,  l'ori- 
gine d'un  titre  qui  correspondait  alors  aux  idées  qu'on  se  faisait 
de  la  souveraineté.  C'est,  en  effet,  à  ce  point  de  vue  que  s'est 
placé  Bnffon  pour  faire  la  description  du  caractère  de  cet  oiseau. 
«  L'Aigle,  dit  l'illustre  écrivain,  a  plusieui-s  convenances  phy- 
siques et  morales  avec  le  Lion.  La  force,  et  par  conséquent  l'em- 


KAI.COMDKS.  117 

pire  sur  les  autres  oiseaux,  comme  le  TJon  sur  les  quadrupèdes. 
La  mafiuauimiLé  :  ils  dédaigueuL  égalemeuL  les  petits  animaux  et 
méprisent  leurs  insultes;  ce  n'est  (pi'après  avoir  été  longtemj)s 
})r()vo(pié  j)ar  les  eiis  importuns  de  la  Corneille  on  de  la  Pie  (pu; 
l'Aigle  se  détermine  à  les  jjniiir  de  mort;  d'ailleurs  il  ne  vent 
d'autre  bien  que  celui  cpi'il  coiupiiert,  d'autje  proie  que  celle 
qu'il  pr(>nd  Ini-mème.  La  ti'mpérance  :  il  ne  mange  prescpic 
jamais  son  gibier  en  entier,  et  il  laisse,  comme  le  Lion,  les  débris 
et  les  restes  aux  autres  animaux.  Quelque  affamé  qu'il  soit,  il  ne 
se  jetle  jamais  sur  les  cadavres.  Il  est  encore  solitaire  conmie  le 
Lion,  habitant  d'un  désert  dont  il  défend  l'entrée  et  l'usage  de 
la  chasse  à  tous  les  autres  oiseaux  ;  car  il  est  peut-être  plus  rare 
de  voir  deux  paires  d'Aigles  dans  la  même  portion  de  montagne 
que  deux  familles  de  Lions  dans  la  même  partie  de  forêt;  ils  se 
tiennent  assez  loin  les  uns  des  autres  pour  que  l'espace  qu'ils  se 
sont  départi  leur  fournissent  une  ample  subsistance  ;  ils  ne  comp- 
tent la  valeur  et  l'étendue  de  leur  royaume  que  par  le  produit  de 
la  chasse.  L'Aigle  a  de  plus  les  yeux  étincelants  et  à  peu  près  de 
la  môme  couleur  que  ceux  du  Lion,  les  ongles  de  la  même  forme, 
l'haleine  tout  aussi  forte,  le  cri  également  effrayant.  Nés  tous 
deux  pour  le  combat  et  la  proie,  ils  sont  également  léroces,  éga- 
lement tiers  et  difficiles  à  réduire;  on  ne  peut  les  apprivoiser 
(pi'en  les  prenant  tout  petits.  » 

On  verra  tout  à  l'heure  ce  qu'il  laut  rabattre  de  ce  tableau. 

Commençons  par  bien  caractériser  ce  genre,  des  plus  remar- 
(piables  dans  l'ordre  des  rapaces  par  la  vigueur  des  espèces  qui 
le  conq)osent,  par  leur  audace  et  par  l'énergie  de  leurs  a})pétits, 
connue  par  la  grandeur  de  leur  tiiille.  Leur  bec  est  puissant, 
fortement  recourbé  au  sommet;  leurs  ailes  sont  pointues  et  aussi 
longues  que  la  queue;  celle-ci  est  carrée,  égale  ou  étagée;  leurs 
tarses  sont  conq)létement  emplumés  jusqu'à  la  naissance  des 
doi^its. 


118  QUINZIÈME  LEÇON. 

Los  Aigles  reclierchent  généralement  nnc  proie  vivante,  qu'ils 
emportent  dans  leurs  aires,  placées  sur  les  rochers  les  plus  inac- 
cessibles; mais,  pressés  par  la  faim,  il  ne  dédaignent  pas  la 
chair  morte. 

Ils  vivent  sur  les  plus  hautes  montagnes,  et  ne  descendent 
qu'accidentellement  dans  les  plaines;  ils  sont  répandus  sur  toute 
la  surface  du  globe ,  et  une  espèce  habite  la  Nouvelle-Hollande 
et  se  fait  distinguer  des  autres  par  sa  queue  étagée. 

11  y  a  peu  de  chasseurs  qui  puissent  se  vanter  d'avoir  tué  un 
de  ces  rois  des  oiseaux.  L'Aigle  de  Jupiter  ne  se  laisse  pas  tuer 
comme  un  simple  volatile,  lui  que  nous  n'apercevons  guère  que 
par  delà  des  nuages,  traversant  majestueusement  les  cieux. 
Au-dessus  de  l'Aigle  ne  peut  voler  aucun  être  vivant;  entre  lui 
et  le  soleil  il  n'y  a  rien,  comme  dit  le  spirituel  et  savant  chas- 
seur naturaliste,  Ch.  Boner,  que  cet  au  delà  que  nous  appelons 
V espace.  C'est  dans  cette  région  qu'il  se  repose  siu'  ses  larges 
ailes  dorées  par  les  rayons  qui  les  inondent.  C'est  de  cette  élé- 
vation prodigieuse,  de  ce  désert  sans  limite,  qu'il  regarde  notre 
planète,  et  qu'avec  une  puissance  de  vision  presque  surnaturelle 
il  examine  les  mouvements  de  tout  ce  qui  vit  à  plusieurs  milliers 
de  pieds  plus  bas.  Rien  n'échappe  à  cette  perspicacité,  qui  ne 
saurait  être  égalée  que  par  l'œil  prophétique  d'un  devin.  Com- 
ment donc  s'étonner  que  les  anciens  aient  fait  de  l'Aigle  le  mi- 
nistre du  Dieu  suprême  et  armé  ses  serres  des  carreaux  de  la 
foudre?  L'Aigle  royal  a  été  souvent  aperçu  plus  haut  que  tel  som- 
met de  onze  cents  à  douze  cents  pieds  au-dessus  de  la  mer.  Les 
chasseurs  de  l'Oberland  affirment  que  son  essor  surpasse  celui  du 
Gypaète,  qui  ne  le  cède  lui-même  qu  au  Condor.  Son  immense 
énergie  musculaire  lui  permet  de  lutter  contre  les  vents  les  plus 
impétueux  et  les  plus  violents.  Ramond  raconte  que,  quand  il 
atteignit  le  sommet  du  mont  Perdu,  le  point  le  plus  élevé  des  Pyré- 
nées, il  ne  vit  aucune  créature  vivante,  si  ce  n'est  un  Aigle  qui 


I  AIAIOMDÉS.  119 

passa  au-dessus  lU' sa  tète,  volant  avec  uni'  laiiidilr.cNlraortliuaiie 
coulic  un  vêiil  liiiicuxqui  soulllail  du  siid-oiicsl. 


rig.  r>i.  —  Aiyle  royal,  AquilachrusactûS. 


Ou  sait  à  quelle  distance  iucroyalde  un  Aigic  royal  peut  décou- 
vrir sa  proie;  mais  on  a  rarement  été  témoin  d'un  aussi  grand 
déploiement  de  cette  faculté  rpic  dans  l'exemple  cité  par  M.  Saint- 
John.  En' parcourant  la  magnifique  et  déserte  contrée  entre  Ki- 
leskaet  Incluiadampli,  en  Ecosse,  ce  chasseur  naturaliste  vit  un 
de  ces  oiseaux  ])laner  sur  le  versant  de  la  montagne  (pii  s'élève 
majestueusement  aux  yeux  des  voyageurs.  L'Aigle  se  trouvait  si 
haut  dans  les  airs  qu'on  l'aurait  pris  pour  un  ])oint  noir,  lors- 


120  QUINZIÈME    LEÇON. 

(|uc  do  cctlc  liant  ur  prodigieuse  il  aperçut  tout  à  couj)  une 
(jeliuolte  dans  la  jjruyère.  Trop  éloigné  pour  foudre  directement 
sur  elle,  il  ierma  presque  entièrement  les  ailes  et  descendit,  en 
décrivant  une  longue  spirale,  jusqu'à  une  certaine  distance  de 
terre.  Pendant  ce  temps,  la  Gelinotte  était  probablement  parve- 
nue à  s'éclipser,  car  l'Aigle  s'arrêta  quilques  minutes  à  planer, 
tournant  la  tête  de  tous  côtés  comme  s'il  avait  perdu  de  vue  sa 
victime.  Mais,  découvrant  subitement  la  pauvre  bête,  il  s'élança 
les  jambes  tendues  et  ne  faisant,  en  apparence,  qu'effleurer  les 
bruyères,  il  saisit  la  Gelinotte,  avec  laquelle  il  prit  son  vol  vers  la 
])lus  bîiute  crête  de  la  montagne.  L'Aiglon,  lui-même,  a  déjà  la 
vue  très-développée,  car  il  reconnaît  l'approclie  de  son  père  et  de 
sa  mère,  invisibles  encore  à  l'bomme  qui  les  épie  dans  le  voisi- 
nage de  l'aire. 

Au  poids  du  corps  de  l'Aigle  ajoutez,  dit  Ch.  Boner,  celui  de 
la  proie  qu'il  tient  dans  ses  serres;  rappelez-vous  que  cette  proie 
est  souvent  enlevée  à  des  distances  considérables,  du  fond  d'une 
vallée  jusqu'à  la  cime  d'un  mont;  rappelez-vous  que  quelquefois 
l'Aigle  IVancbit  la  cbaiiie  alpestre  qui  sépare  dcux^  royaumes.  Cal- 
culez ensuite  la  force  musculaire  que  la  nature  a  donnée  à  FAigle, 
([uand  cette  proie  est,  par  exemple,  un  jeune  Cbamois  ou  un 
Mouton,  et  vous  aurez  une  idée  de  la  vigueur  et  de  la  puissance 
tie  cet  oiseau.  Voyez  de  quel  feu  brille  son  regard  même  dans  la 
cage,  lorsqu'il  n'est  plus  qu'un  roi  captif,  et  vous  comprendrez 
ses  instincts. 

L'Aigle,  par  sa  taille,  par  son  a})pétit  et  par  la  puissance  de  ses 
armes,  est  un  des  mieux  nommés  parmi  les  Rapaces.  Mais  ceux 
qui  n'ont  vu  ces  terribles  oiseaux  que  dans  les  cages  de  nos  jar- 
dins zoologiques  ne  peuvent  se  former  qu'une  bien  faible  idée 
de  ce  qu'ils  sont  en  liberté  au  milieu  des  rochers  et  des  monta- 
gnes. ((  J'ai  eu,  dit  le  docteur  J.  Franklin,  le  bonheur  de  voir  de 
près  ces  oiseaux  dans  leurs  farouches  retraites,  et  je  n'oublierai 


r: 


jamais  riiiijUL'ssioii  ([iic  juodiiisil.  siii'  moi  la  JaiiNc  cl  hiiilalc 
majoslr  de  ces  lyiaiis  ilc  l'air.  La  doriiicrc  luis  (jiic  je  rencontrai 
un  Aiiile,  cétaiten  Auvergne.  Je  liaversais  alors  la  France,  en 
rcvenanlde  rdiiciil,  par  Marseille.  Je  venais  d'escalader  les  hau- 
teurs de  celle  volcaniciue  province,  el  je  me  trouvais  au  milieu 
des  noirs  précipices  creusés  pai"  les  ancicmies  convulsions  de  la 
nature.  Une  cascade  se  précipitait  avec  un  bruit  de  toiuierre.  Au 
milien  des  rugissements  de  l'eau,  un  cri  court  et  perçant,  qui 
semblait  sortir  dos  nuages,  Irappa  mon  oreille.  En  regardant 
dans  la  direction  d'où  était  parti  ce  bruit,  j'apeiçus  bientôt  un 
petit  point  noir  ([ui  se  mouvait  rapidement  vers  moi.  C'était  un 
Aigle  royal  ou  Aigle  doré.  L'oiseau  veinit  évidennnent  des  plaines 
qui  s'étendent  sous  les  cbaînes  de  montagnes.  Il  semblait  flotter, 
ou,  pour  mieu\  dire,  faire  voile  dans  l'océan  d'un  air  relativ(;- 
iiienl  calme.  De  tenqts  à  autre  cependant  il  irappait  lentement 
de  l'aile  connue  pour  affermir  son  vol.  Voyant  qu'il  ai)procliait 
dans  une  ligne  direcle,  nous  nous  cacbàmes,  mon  guide  et  moi, 
derrière  un  rocher,  et  nous  observâmes  ses  mouvements  à  l'aide 
d'une  longue-vue.  Lorsijue  nous  avions  commencé  àl'apeicevoir, 
il  i)ouvait  être  à  la  distance  d'un  ou  deux:  kilomètres;  mais,  en 
moins  d'une  minute,  il  se  montra  à  la  portée  d'un  coup  de  fusil. 
Après  avoir  regardé  deux  ou  trois  fois  autour  de  lui,  il  laissa 
pendre  ses  serres,  trembla  légèrement  et  s'abattit  sur  un  roc. 
Pendant  un  moment  il  promena  encore  çà  et  là  ses  yeux  perçants 
et  brillants,  connue  pour  s'assurer  qu'il  n'avait  rien  à  craindre, 
ensuite  il  fourra  sa  tête  sous  une  de  ses  ailes  éployées  et  rangea 
ses  plumes  avec  le  bec.  Cela  fait,  il  étendit  le  cou  et  regarda  fixe- 
ment le  ciel  du  côté  d'où  il  était  venu,  puis  il  poussa  (pud(pies 
cris  rapides.  Il  resta  là  environ  dix  minutes,  manifestant  une 
grande  in(piiétii(le,  foulant  le  granit  avec  ses  serres  crochues, 
toujours  impatient,  toujours  agité,  lorsque  soudain  il  sendjla  voir 
ou  entendre  (piehpie  chose.  Tout  à  cou[)  il  s  éleva  du  rocher  sui' 
T.  ;i.  11 


122  QUINZIÈME    LEÇON, 

lequel  il  s'était  posé,  se  lança  dans  l'air  et  flotta  comme  aupara- 
vant, en  faisant  entendre  le  même  cri  aigu.  Uegardant  alors 
autour  de  nous  pour  connaître  la  cause  de  son  émotion,  nous 
vîmes  approcher  de  lui  sa  femelle.  Il  vola  à  sa  rencontre,  et 
bientôt  les  deux  oiseaux  devinrent  invisil)les.  C'était  le  grand 
Aigle  doré;  espèce  qui  se  rencontre  accidentellement  en  Angle- 
terre et  en  Ecosse,  mais  plus  souvent  en  Irlande.  » 

Les  Aigles,  surtout  ceux  de  grande  taille,  ont  été,  eu  effet,  pen- 
dant longtemps  assez  communs  dans  les  parties  désertes  et  mon- 
tagneuses de  l'Ecosse.  De  jour  en  jour  ils  deviennent  plus  rares 
dans  les  Iles  Britanniques.  L'influence  de  l'homme  a  chassé  ces 
brigands  de  l'air  des  hautes  positions  naturelles  qu'ils  occupaient 
dans  les  temps  anciens.  A  une  époque  sans  doute  peu  éloignée, 
et  peut-être  arrivée  à  l'heure  où  nous  écrivons,  ces  superbes  ani- 
maux auront  disparu  de  la  Grande-Bretagne.  Il  y  a  une  ving- 
taine d'années,  on  voyait  encore  des  Aigles  sur  les  hauteurs  de 
Mar  et  d'Athol,  dans  le  Sutlierland.  Aujourd'hui,  c'est  presque  uni- 
quement  dans  les  solitudes  reculées  desHighlands,  dans  quelques 
îk's  situées  au  nord-ouest  des  côtes  de  l'Ecosse  et  dans  'es  déserts  du 
nord  de  l'Irlande  qu'on  rencontre  parfois  des  Aigles  ayant  les 
proportions  majestueuses  que  présentaient  ces  oiseaux  dans  les 
temps  primitifs  de  l'Europe.  Même  dans  ces  montagnes,  la  ci- 
vilisation a  trouvé  le  moyen  de  détruire,  du  moins  en  partie, 
ces  incommodes  voisins  qui  par  leurs  ravages,  monaçaient  la  sé- 
curité de  l'homme  et  des  troupeaux.  Les  sociétés  d'éleveurs  en 
ont  encouragé  la  destruction  à  l'aide  de  primes  offertes  aux  chas- 
seurs; et  les  gardes-chasse  anglais  ont  achevé  l'œuvre  au  moyen 
des  pièges.  Ces  magnifiques  oiseaux  se  rencontrent  néanmoins 
encore  dans  toutes  les  parties  niontucuses  de  l'Europe.  L'Aigle 
royal  est  celui  qu'on  y  remarque  le  plus  fréquenmient,  surtout 
au  noid;  il  est  plus  commun  et  même  sédentaire  en  Suisse,  en 
France,  dans  les  basses  Alpes  et  sur  les  montagnes  du  Dauj)liiné; 


I  Al.COMhKS.  123 

[iliis  riUT"  (l;ms  Il's  Pyiviiées;  mais  il  semijliî  que,  coniparalive- 
iiiciil  à  CL's  localilrs,  il  uIioikK'  (hiiis  les  lli^lilaiuls  d'Ecosse. 

H  liai  il,  sou  aiie  dans  les  eavilés  de  loelieis  à  pie  et  inaccessi- 
bles, sur  (|uelque  rebord  de  précipice,  où  l'Aiglon  grandira  à 
l'abri  des  animaux  (jui  Tattaipieraient  en  l'absence  du  père  et  de 
la  mère  :  un  roc  (pii  fait  face  au  midi  est  celui  qui  leur  convient 
lemii'ux,  parce  que  celte  situation  conserve  plus  longtemps  la 
cbaleur  de  l'œuf  (piand  la  mère  le  quitte.  Comme  ces  rocs  inac- 
cessibles ne  se  rencontrent  pas  aisément,  une  fois  que  l'Aigle 
s'est  installé  dans  celui  qui  lui  paraît  le  plus  commode  et  le  plus 
sur,  il  y  re^ieut  cba(pie  année  à  l'époque  de  la  iionte,  et  il  y  est 
bientôt  remplacé  s'il  l'abandonne.  Tel  est  le  rocber  de  Robrmoos, 
cité  par  M.  Cb.  Boner,  et  qui  se  trouve  dans  le  domaine  appar- 
tenant au  prince  Frédéric  Waldburg-Wolfegg-Waldsée,  à  qua- 
rante kilomètres  environ  du  lac  de  Constance.  Ce  rocber,  occupé 
depuis  un  temps  immémorial,  l'était  encore  en  mars  1 861 ,  quoi- 
que les  occupants  de  l'année  précédente  eussent  été  tués.  Quel- 
quefois cependant,  dans  des  localités  encore  plus  désertes,  l'Aigle 
place  son  aire  sur  des  points  moins  inabordables 

Construite  avec  des  tiges  et  des  racines  de  bruyère,  la  de- 
meure de  l'Aigle  dure  effectivement  plusieurs  années,  et  peut, 
à  l'aide  de  cpielques  réparations  légères,  abriter  plusieurs  géné- 
rations. C'est  réellement  un  ouvrage  assez  considérable  pour 
n'être  fait  ([u'une  fois,  et  assez  solide  pour  durer  longtemps.  Ce 
nid  est  construit  à  peu  près  comme  un  plancber,  avec  de  petites 
percbes  ou  bâtons  de  cinq  à  six  pieds  de  longueur,  appuyés  par 
les  deux  bouts  et  traversés  ou  entrelacés  par  des  branches  sou- 
ples recouvertes  de  plusieurs  lits  de  joncs  et  de  bruyères.  Ce 
])lancber  solide  est  large  de  plusieurs  pieds  et  assez  ferme,  non- 
seulement  pour  soutenir  l'Aigle,  sa  femelle  et  ses  petits,  mais 
pour  supporter  encore  le  poids  d'une  grande  quantité  de  vivres. 
On  a  trouvé  en  Angleterre,  dans  le  Derbysbire,  un  nid  construit 


124  QUINZIEME    LEÇON, 

avec  de  grands  bâtons;  il  reposait  d'un  côté  sur  le  coin  d'un  ro- 
cher très-escarpé,  et  de  l'autre  sur  deux  bouleaux  qui  avaient  eu 
la  fantaisie  de  végéter  dans  cet  endroit.  Il  contenait  un  Aiglon, 
un  Lièvre  mort  et  un  Agneau. 

Les  œufs,  dont  la  coquille  est  forte  et  de  grande  dimension, 
sont  au  nombre  de  deux,  rarement  trois  ou  quatre.  Leur  forme, 
cà  peu  d'exceptions  près,  est  généralement  ovalaire;  les  bouts  aussi 
obtus  l'un  que  l'autre;  leur  coquille,  d'un  grain  moins  épais  que 
celles  Vautours,  est  blanche  et  légèrement  bleuâtre  dans  sa  trans- 
parence, et  extérieurement  poreuse,  quoique  unie,  mate  et  sans 
reflet.  La  couleur  de  l'œuf  de  IWigle  doré  ou  Aigle  fauve,  dont 
nous  nous  occupons  principalement  ici,  est  d'un  blanc  très-légè- 
rement teinté  de  bleuâtre,  et  presque  toujours  maculé  de  nom- 
breuses taches  variant  du  brun  violacé  au  brun  jaunâtre,  et  de 
quelques  autres  taches  d'un  gris  lilas,  ressemblant  le  plus  sou- 
vent, les  unes  et  les  autres,  à  des  éclaboussures  dirigées  du  gros 
bout  vers  le  petit,  et  en  partie  clair-semées  distinctement,  ou 
réunies  en  larges  plaques;  parfois  le  blanc  de  la  coquille  paraît 
teinté  de  jaune  sale  et  simplement  moucheté  par  intervalles  de 
teintes  de  cette  couleur.  Les  diamètres  sont  de  sept  centimètres 
et  demi  à  six  centimètres  sur  cinq  et  demi.  Quel  que  soit  le 
nombre  de  ces  œufs,  il  y  a  rarement  plus  de  deux  petits,  et  le 
plus  souvent  un  seul',  ce  qui  est  déjà  beaucoup,  à  cause  des 
difficultés  qu'éprouvent  le  père  et  la  mère  à  trouver  une  nour 
ritui-e  suffisante. 

Le  mâle  prend  part  aux  travaux  de  l'aire  et  couve  à  son  tour.  Si 
même  la  femelle  vient  à  périr,  il  se  charge  seul  du  soin  des  œufs 
ou  des  Aiglons.  Pendant  les  huit  ou  dix  premiers  jours,  le  jeune 
Aiglon  est  nourri  avec  des  morceaux  tendres,  comme  les  entrailles 
d'animaux,  puis  avec  des  chairs  séparées  de  l'os,  bientôt  enfin 
on  lui  jette  des  carcasses  entières,  qu'il  dépèce  et  dévore  comme 
il  ])eiit.  Le  père  et  la  mère  restent  à  peine  six  ou  linil  secondes 


rAI.COMDKS.  125 

dans  le  nid  cliaciuo  fois  (jii'ils  y  vioiiinMii,  et  deux  jours  s'écou- 
lent souveiil  entre  deux  visites;  l'Ai^^lon  est  ainsi  (!X})Osé  à  jeû- 
ner -il  n'a  reçu  qu'une  provision  insuflisante.  Mais  une  fois 
sortis  (in  nid,  les  Aillions  sont  en  (juelquc  sorte  baïuiis  par  leurs 
parenis,  et  doivent  elierelier  en\-iiiènies  leur  subsistance.  11  ne 
l'ant  i)as  croire,  dit  M.  Ch.  Boner,  à  qui  nous  devons  ces  nouvelles 
et  minutieuses  observations,  que,  parce  que  l'Aigle  parcourt  un 
vaste  espace,  il  doive  nécessairement  trouver  des  aliments  en 
abondance.  La  nalnre  y  a  pourvu  en  rendant  l'oiseau,  même 
nouvellement  éclos,  et  contrairement  aux  besoins  impérieux  des 
an!  res  jeunes  oiseaux,  susceptible  de  jcnner  des  jours  entiers,  et 
jnsipi'à  une  ou  deux  S(;maines,  connue  le  font  le  Hibou  et  le 
firand-Duc.  Aussi  l'Aii^le  se  gorge-t-il,  si  le  gibier  abonde,  et 
cinq  à  six  livres  de  viande  disparaissent  en  un  seul  repas,  quand 
il  a  subi  une  longue  abstinence. 

Loin  de  justifier  sa  réputation  de  courage  et  de  magnani- 
mité, l'Aigle  est  un  oiseau  vorace,  avide  d'aliments  impurs,  et 
paresseux  tant  qu'il  n'est  pas  harcelé  par  la  faim.  Quoiqu'il  ait 
des  ongles  et  un  bec  en  état  d'entanier  une  peau  très-dure,  il 
préfère  conserver  sa  proie  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  corrompue;  et 
malgré  sa  vigueur  et  son  agilité  sans  pareilles,  il  aimera  mieux 
dévorer  une  charogne  que  se  mettre  en  chasse.  Rencontre-t-il 
quel([ue  carcasse  de  Mouton  ou  de  Chien,  il  se  gorgera  comme 
un  Vautour,  jusqu'à  ce  qu'il  ne  puisse  plus  s'envoler.  Des  Aigles, 
surpris  dans  cet  état  d'engourdissement,  ont  été  tués  à  coups  do 
bâton.  Quand  il  n'a  pu  choisir  sa  proie  au  milieu  d'un  troupeau, 
il  attaque  les  Lièvres  et  les  Tétras  Ptarmigans.  A  la  suite  des 
inondations  et  des  ouragans  de  neige,  l'Aigle  se  met  en  quête 
des  Brebis  noyées  ou  étouffées.  De  loin  en  loin,  il  arrive  qu'un 
(^erf  blessé  à  mort  vient  expirer  dans  la  solitude  et  lui  fournit 
une  provision  durable.  Il  prend  (jnelquefois,  mais  rarement,  des 
Gelinottes  au  vol. 

M. 


126  QUINZIEME    EEÇON. 

L'Aigle  n'a  pas  les  mêmes  avantages  qne  le  Fancon  pour  saisir 
sa  proie.  Ce  dernier  n'attaquant  en  liberté  que  des  oiseaux  génu- 
ralement  plus  petits  que  lui,  ne  rencontre  aucune  résistance.  Il 
n'a  point  à  se  défier  d'un  danger  personnel  quand  il  chasse;  il 
exécute  tous  ses  mouvements  avec  la  prestesse  qui  appartient  à 
sa  taille,  et  s'introduit  dans  des  lieux  relativement  étroits,  inter- 
dits à  l'envergure  de  l'Aigle.  L'Aigle  n'enlève  que  des  objets 
qu'il  peut  saisir  dans  son  essor  oblique.  11  ne  descend  sur  au- 
cune partie  du  sol  qu'avec  la  certitude  de  pouvoir  remonter  en 
décrivant  la  même  courbe  hardie.  Il  ne  se  hasardera  pas  à  être 
cerné  dans  un  passage  resserré;  en  un  mot,  pour  saisir  un  Agneau 
ou  tout  autre  animal,  il  lui  faut  le  même  champ  qu'à  l'Hiron- 
delle pour  attraper  les  insectes  qui  volent  sur  une  pièce  d'eau. 
C'est  ce  qui  protège  maintes  créatures  contre  un  si  formidable 
ennemi.  Le  moindre  buisson  devient  un  abri  pour  les  oiseaux  ou 
les  petits  animaux  qu'il  poursuit,  car  l'Aigle  pourrait  y  engager 
ses  serres,  mais  il  manquerait  d'espace  pour  développer  ses  ailes. 
Dans  ce  cas  il  aime  mieux  jeûner  que  se  mettre  dans  l'embarras. 
Bulibn  cite  un  Aigle  qui,  pris  dans  un  piège,  vécut  environ  qua- 
rante jours  sans  aliments,  et  qui  ne  parut  affaibli  que  vers  les 
huit  derniers  jours;  on  le  tua  pour  ne  pas  le  laisser  languir  plus 
longtemps.  Cette  disposition  à  supporter  facilement  l'abstinence 
n'est  d'ailleurs  point  restreinte  à  l'Aigle  :  tous  les  animaux  de 
proie  sont  organisés  de  manière  à  supporter  de  longs  jeûnes. 

La  vue  perçante  de  l'Aigle  embrasse  en  vain  tout  un  canton;  il 
rencontre  souvent  de  nombreuses  difficultés;  le  troupeau  parmi 
lequel  il  semblerait  n'avoir  qu'à  choisir  une  victime  a  aussi  son 
instinct  craintif,  qui  lui  révèle  l'approche  de  Tennemi  et  le  moyen 
de  parer  ses  attaques.  Les  Moutons  se  serrent  les  uns  contre  les 
autres  en  troupe  compacte,  les  Brel)is  autour  de  leurs  Agneaux, 
et  s'ils  ont  pu  se  réfugier  sous  un  arbre,  contre  une  haie  ou  sur  le 
revers  d'une  colline,  et  qu'ils  se  sentent  dans  une  position  avaii- 


1  A 1X0 M  DÉ  s.  127 

tagcusc,  ils  s'nuiincnl  de  comMi^c  cl  (r(S[u'iiiiiro.  Dans  ce  cas 
l'AigU^  ne  songe  niillcuiciil,  à  ;ill;i(|ii('i',  snrluiil,  si  le  Iroiipcan  ost 
sous  la  gardi'  d  un  Ikhiiihc  ou  |tivs  de  son  lialiihiliun.  ('oninie 
tous  los  animaux  sauvages,  l'Aigle  craint  riioinmc,  cl,  lidèle  à  sa 
tacli(iuc  de  sui[)iis(',  il  lu;  livre  jamais  le  condialàun  adversaire 
qui  })eut  lui  opposer  nne  ai  me  dont  mi  coup  rendrait  la  victoire 
même  dangereuse.  On  a  vu  un  Chamois,  abrité  par  derrière,  faire 
reculer  un  aigle  avec  ses  cornes.  Grellet,  dans  ses  Mémoires,  ra- 
conte qu'il  découvrit  un  jour  un  Loup  et  un  Aigle  morts  à  côté 
l'un  de  l'autre.  Le  duel,  dents  contre  serres,  avait  été  l'uneste  à 
l'oiseau  comme  au  quadru})ède. 

Les  montagnes  de  la  Ikwière  al)ondent  en  Chamois,  et  l'Aigle 
leur  l'ait  11 équenmient  la  chasse;  il  a  recours,  ou  à  peu  près,  aux 
manœuvres  que  nous  avons  vu  pratiquer  par  le  Gypaète.  L'occa- 
sion se  présente  souvent  d'étudier  ces  manœuvres  de  chasse  et  les 
ruses  de  l'Aigle  modifiées  par  les  circonstances.  Un  Cliamois 
adulte,  raconte  M.  Boner,  s'était  aventuré  sur  la  crête  d'un  ro- 
cher, comme  cela  arrive  si  souvent  h  ces  animaux;  il  est  bientôt 
aperçu  par  un  Aigle,  qui,  ne  pouvant,  à  cause  de  son  immense 
envergure,  descendre  assez  près  du  rocher  pour  y  saisir  sa  proie, 
feint  cependant  de  s'élancer  sur  elle,  de  manière  à  la  faire  recu- 
ler pas  à  pas  jusqu'au  bord  du  précipice;  et  là,  simulant  un  der- 
nier assaut,  TAigle  fait;  perdre  pied  au  Chamois,  qui  tombe 
selon  son  calcul,  et  roule  de  saillie  en  saillie.  Mais,  au  moment 
où  l'Aigle  croyait  jiouvoir  le  saisir  avant  qu'il  se  noyât  dans  un 
lac  qui  était  au-dessous,  il  découvre  deux  bateliers  qui,  ayant 
suivi  tous  les  mouvements  stratégiques  de  l'oiseau,  le  forcent  5 
battre  lui-même  en  retraite  et  s'emparent  du  butin. 

Le  même  chasseur  a  vu  un  Aigle,  traquant  un  Lièvre  dans  un 
champ  couvert  de  neige,  précipiter  son  vol  circulaire  avec  une 
telle  rapidité  tpie  la  pauvre  bête  ne  pouvait  fuir  d'aucun  côté 
sans  êhe  immédiatement  dislancée  par  son  tyran,  rpii  s'arrêtait 


128  OTIINZIÈME    LEÇON. 

soudain  et  semjjlait  jouir  de  la  terreur  de  sa  craintive  victime. 

Quelque  extraordinaires  que  paraissent  les  distances  parcou- 
rues parTAigle,  on  s'en  étonne  moins  lorsqu'on  sait  que  chaque 
coup  d'aile  lui  fait  franchir  un  espace  de  soixante  pieds  en  une 
seconde.  Cette  rapidité  d'essor  est  un  attribut  de  puissance  qui 
frappe  l'imagination,  et  cependant  il  y  a  quelque  chose  de  plus 
imposant  et  de  plus  majestueux  encore  dans  cette  progression  à 
travers  les  airs,  c'est  le  calme  de  l'oiseau,  ailes  déployées  comme 
les  voiles  d'un  navire,  et  porté  en  avant  par  le  simple  acte  de  sa 
volonté.  On  ne  peut  s'expliquer  comment  il  reste  ainsi  suspendu 
sans  un  seul  mouvement  apparent,  et  naviguant  dans  une  direc- 
tion parfaitement  horizontale,  sur  près  de  deux  kilomètres  d'é- 
tendue. Au  milieu  du  vol  le  plus  rapide,  l'Aigle  s'arrête  instan- 
tanément et  descend,  ailes  repliées,  d'une  hauteur  de  trois  ou 
quatre  mille  pieds,  tomhant  ainsi  en  quelques  secondes  comme 
un  corps  inerte,  puis  tout  à  coup  ses  ailes  s'ouvrent,  forment  un 
immense  éventail,  et  l'oiseau  se  relève  élégamment  et  sans  effort, 
tenant  dans  ses  serres  l'objet  qu'il  a  saisi  trop  rapidement  pour 
qu'on  ait  pu  s'apercevoir  de  ce  temps  de  son  mouvement. 

On  a  vu  des  Aigles  tuer  leur  victime  en  la  frappant  d'un  couj) 
d'aile,  et  sans  la  toucher  avec  leurs  serres.  Beaucoup  de  gens 
hésitent  pourtant  encore  à  croire  que  ces  oiseaux  aient  une  force 
suffisante  pour  enlever  les  enfants  et  les  Moutons.  Si  cette  accu- 
sation reposait  seulement  sur  deux  ou  trois  récits  plus  ou  moins 
vagues,  on  pourrait  encore  douter;  mais  les  faits  sont,  au  con- 
traire, très-nomhreux  et  attestés  par  des  témoins  dignes  de  foi. 
Les  naturalistes  qui  contestent  sur  ce  point  le  récit  des  voyageurs, 
en  parlent  fort  à  leur  aise.  «  J'avoue,  dit  le  docteur  Franklin,  que 
les  Aigles  de  leurs  collections  ne  sont  jamais  venus  les  trouver 
au  coin  du  feu,  ni  les  alarmer  sur  le  sort  de  leurs  enfuits;  mais, 
si  nos  sceptiques  acîadémiciens  avaient  vécu  dans  les  i)ays  où  ces 
oiseaux  commettent  toutes  sortes  de  hrigandages,  ils  modifie- 


FAIXONTDÉS.  129 

raient  peu t-êtir  leur  opinion.  »  L'évê([U(!  Iléber  raconte  (pic  pen- 
dant un  (le  ses  voyages  dans  les  niontaf^nes  d(i  l'Inde,  il  a[»i)rit 
(ju'on  se  plaignait  heaueonp  des  cidrvcnients  d'cnrants  }»ar  les 
Aigles.  Mais  il  n'est  i)oint  nécessaiie  d'aller  si  loin  pour  trouver 
les  traces  de  si  ciu(3ls  niéi'aits.  Dans  l'ilc  de  Syke,  en  Ecosse,  une 
femme  avait  laissé  son  enfant,  pour  un  temps  fort  court,  dans  un 
champ  :  un  Aigle  emporta  cet  enfant  dans  ses  serres,  et  traversa 
au  vol  toute  la  longueur  d'un  lac.  Quelcpies  gens  de  la  campagne 
qui  gardaient  leurs  troupeaux  aperçurent  l'oiseau  déposer  son 
fardeau  sur  lui  rocher,  et,  entendant  les  cris  de  l'enfant,  ils  se 
rendirent  en  toute  hâte  sur  le  lieu  de  la  scène,  où  ils  trouvèrent 
la  victime  saine  et  sauve. 

En  Suède,  il  y  a  une  douzaine  d-'années,  une  femme  travail- 
lant dans  un  \)i\vc  de  brebis  avait  déposé  son  enfant  sur  le  sol,  à 
une  petite  dislance;  un  Aigle  s'abattit  et  enleva  l'enfant.  Pendant 
longtemps  la  malheureuse  mère  entendit  la  pauvre  victime 
criant  dans  l'air;  mais  il  n'y  avait  aucnn  moyen  de  lui  porter 
secours.  Bientôt  les  cris  cessèrent;  la  mère  devint  immédiate- 
ment folle,  et,  au  dire  du  docteur  Franklin,  elle  vivait  encore,  il 
y  a  (pielques  années,  dans  une  maison  d'aliénés. 

Au  printemps  de  1847,  un  Aigle,  furieux  de  la  perte  de  ses 
aiglons,  avait  enlevé  un  enfant  de  dix  ans,  dans  la  commune  de 
Héry-sur-Alby  (nous  ne  savons  si  ce  nom  est  l)ien  orthographié), 
dans  le  canton  de  Genève.  Cet  enfant  fut  déposé  à  environ  six 
cents  mètres  de  l'endroit  où  il  avait  été  saisi.  H  fut  heureuse- 
ment délivré  par  des  bergers  témoins  du  fait,  et  qui  accoururent. 
L'enfant  n'avait  qneqnebpies  blessnres  faites  par  les  serres. 

A  Tirst-Ilolin,  Tune  des  îles  Feroë,  placée  entre  le  nord  de 
l'Ecosse  et  1  Irlande,  un  Aigle  enleva  un  enfant  qui  se  trouvait  à 
une  petite  dislance  de  sa  mère,  et  l'emporta  dans  son  aire,  placée 
sur  la  pointe  d'un  grand  roc,  si  escarpé  que  les  plus  hardis  na- 
vaient  jamais  osé  le  gravir.  La  courageuse  mère  trouva  seule  le 


lôO  OIINZIHME    LEÇON, 

moyen  d'escalader  ce  rocher.  Mais,  bêlas  !  il  était  trop  tard  :  l'en- 
fant était  mort. 

En  Amérique,  dans  la  paroisse  de  Saint-Anibroise,  près  de 
New-York,  deux  garçons,  l'un  âgé  de  sept  ans,  l'autre  de  cinq, 
étaient  en  train  de  faire  la  moisson,  pendant  que  leurs  parents 
dînaient.  Un  grand  Aigle,  fendant  l'air  à  toutes  ailes,  essaya  de 
saisir  l'aîné,  mais  il  manqua  heureusement  son  coup,  et  s'abattit 
à  petite  distance  ;  quelques  instants  après  il  recommença  son  at- 
taque. Mais  le  jeune  et  courageux  moissonneur  se  défendit  brave- 
ment avec  sa  faucille,  et  au  moment  où  l'Aigle  fondit  sur  lui 
l)Our  la  seconde  fois,  il  lui  porta  sur  l'aile  gauche  un  coup  si  vi- 
goureux que  cette  aile  fut  entamée  et  que  la  pointe  de  l'instru- 
ment traversa  les  côtes  et  pénétra  dans  le  corps  du  ravisseur,  qui 
resta  sur  place.  La  faim  seule  peut  expliquer  une  pareille  au- 
dace. Les  grands  Aigles  sont  très-communs  dans  cette  partie  du 
nouveau  monde;  ils  emportent  souvent  de  grosses  volailles  et  des 
pièces  de  bétail,  mais  c'est  le  seul  exemple  qu'on  cite  dans  le 
pays,  d'une  attaque  dirigée  contre  des  enfants. 

Enlin,  le  docteur  Tschucli  rapporte  que  dans  un  village  des 
montagnes  des  Grisons,  en  Suisse,  un  Aigle  fondit  sur  un  enfant 
de  deux  ans  et  l'emporta.  Aux  cris  de  la  victime,  le  père  accou- 
rut et  poursuivit  le  ravisseur  sur  les  rochers.  Coiume  le  fardeau 
était  lourd,  l'Aigle,  avait  lâché  sa  proie,  mais  le  pauvre  enfant 
était  mort,  et  il  avait  les  yeux  crevés.  Le  père  désolé  promit  de 
se  venger  et  guetta  longtemps  le  meurtrier,  qui  rôdait  continuel- 
lement dans  le  voisinage.  Il  réussit  un  jour  à  le  prendre  vivant 
dans  un  piège  à  renard.  Dans  sa  colère  et  son  empressement  à 
s'en  saisir,  il  se  jeta  sur  lui  si  imprudemment,  qu'avec  son  bec 
et  la  patte  qui  lui  restait  libre  l'oiseau  le  blessa  grièvement. 
Des  voisins  accourus  cà  propos  tuèrent  l'Aigle  à  coups  de  bâton. 
On  voit,  par  ces  nombreux  exemples,  et  contrairement  à  l'o- 
pinion généralentent  accréditée  dans  la  science,  que  si  l'Aigle  est 


!■  Al.r.oMDKS.  loi 

(•;i|ialtl('  (le  voler  à  iiiic  ((iiisidnnl'lc  dislaiicc  avec  un  aLiiicaii  ou 
un  mouton  dans  ses  sonos;  il  [iciil  pairailcuicnL  iticn  aussi  cn- 
levor  uu  oiilaut. 

Une  autre  es|icee,  rAii^le  des  nKtnlaiines  ou  Ai;jle  à  (|ueue  éla- 
nce, es!  [tour  rhéinis|»lière  du  ^m\   ee  (pTesi  l'Aii^le  royal  [loui' 


i[MOiie  élagw,  Aqidla  fucosa,  (rupii-sGouli 


le  noire.  C'est  VAquila  fucosa  de  Cuvier,  le  Wol-dja  des  abori- 
gènes dos  montagnes  et  des  plaines  de  l'Anstralie  oeeidentalo, 
l'Aiglo-Faucon  des  colons.  Il  est  répandn  généralement  sur  tonte 
la  partie  méridionale  de  l'Australie;  on  le  rencontre  en  grand 
nombi'c  à  l;i  toire  do  Van-Diomen  et  sur  les  grandes  îles  i]u  dé- 


152  OUINZIÈME    LECUN. 

tioit  de  Bass,  et  selon  toute  probabilité,  on  doit  le  trouver,  au 
midi,  aussi  rapprocbé  des  tropiques  que  dans  le  nord  on  trouve 
l'Aigle  royal  rapproché  du  pôle.  Doué  d'une  grande  force  et  féroce 
à  l'excès,  il  est  le  fléau  des  bergers  et  des  éleveurs,  qui  lui  font  une 
guerre  à  mort  et  le  poursuivent  sans  relâche.  M.  Gould  en  tua  un 
(pii  pesait  neuf  livres  et  mesurait  six  pieds  huit  pouces  d'enver- 
gure, mais  ce  naturaliste  en  a  vu  de  plus  grands.  On  peut  se 
faire  ime  idée  de  la  force  de  cet  oiseau  par  celui  dont  parle  Collins  : 
Il  avait  été  pris  par  le  capitaine  Waterhouse,  dans  son  expédition 
il  Broken-Bay,  et  quoique  attaché  au  fond  du  bateau  et  les  jambes 
liées,  il  enfonça  ses  serres  dans  le  pied  de  l'un  des  hommes  de 
l'équipage.  Pendant  les  dix  jours  que  dura  sa  captivité  il  ne  vou- 
lut accepter  de  nourriture  que  d'une  seule  personne.  Les  naturels 
le  reg^ardaient  avec  terreur  et  affirmaient,  en  l'examinant,  qu'il 
était  de  force  à  enlever  un  Kang'^ourou  de  moyenne  taille.  Le 
captif  ne  put  supporter  sa  prison,  et,  un  beau  matin,  on  ne  trouva 
plus  que  ses  entraves,  dont  il  avait  su  se  débarrasser. 

Cet  Aigle  se  nourrit  principalement  de  Kangourous  de  la  petite 

espèce.   Il  a  les  mêmes  habitudes  et  les  mêmes  instincts  que 

l'Aigle  royal,  il  attaque  des  Outardes,  deux  fois  aussi  grosses  que 

lui;  mais  le  Kangoiu'ou  est  sa  nourriture  de  prédilection.  C'est  le 

capitaine  Flinders  qui  découvrit  cet  Aigle  en  Australie.  Ce  voya- 

eur  se  promeiiait  un  jour  avec  quelques-uns  de  ses  officiers, 

juand  un  grand  Aigle,  à  l'aspect  farouche  et  aux  ailes  déployées, 

approcha  tout  d'un  bond,  puis,  s'arrêtant  court  cà  une  distance 

'environ  vingt  mètres,  il  s'éleva  dans  un  arl)re.  Bientôt  après 

un  oiseau  de  la  même  espèce  se  montra,  et,  volant  au-dessus  de  la 

tête  des  promeneurs,  il  p;u^ut  vouloir  s'abattre  sur  eux  ;  mais  il 

changea  d'avis  avant  de  les  toucher.  Le  capitaine  Flinders  su})posa 

([ue  ces  Aigles  le  i)renaient,  lui  et  ses  compagnons,  [lour  une 

bande  de  Kangourous  qui,  lorsqu'ils  se  tiennent  sur  leurs  pattes 

de  derrière',  comme  c'est  leur  hal)itude,  ont,  jus([u'à  un  certain 


I  A  ICO  MI)  i;  s.  153 

|K)iiil,  l;i  (aille  êl,  la  joriiic  (liiii  lioiiiiiic.  Ihii'  cii-coiislaiice  i'éo- 
gi'apln(Hic  cloiiiiait  (iiiclinic  viaiscmblaiicc  à  i'liy[)oLli('S(3  du  capi- 
laiiic.  (l'ost  ([lie  la  contivc  élail  alisolumciiL  déseilc  cl  sans  au- 
cimc  Iracc  (riialiilalioii,  de  sorte  (|iic  ces  Aigles  pouvaient  bien 
n'avoir  encore  jamais  vu  d'hommes.  Mais  à  présent  le  mouton  se 
promène  où  bondissait  autrefois  le  Kan-^ourou,  et  le  terrilde  oi- 
seau à  queue  élagée  lait  uue  énorme  consommation  d'agneaux. 
Il  ne  dédaigne  cependant  pas  la  cliarogne,  car  M.  Gould,  dans 
l'une  de  ses  expéditions  dans  l'intérieur  des  plaines  septentrio- 
nales de  Liverpool  (Australie^  n'en  vit  pas  moins  de  trente  à 
([uarante  autour  d'une  carcasse  de  buffle.  Quelques-uns,  gorgés 
jusqu'au  bec,  étaient  perchés  sur  les  arbres  voisins;  le  reste  de 
la  bande  continuait  le  festin.  Il  ajoute  même  que  cet  Aigle  suit 
les  cliasseurs  de  Kangourous  des  journées  eutières,  pour  profiter 
des  débris  que  jettent  ceux-ci  lorsqu'ils  vident  leur  gibier. 

Il  y  a  quelqjies  exceptions  à  l'amour  des  Aigles  pour  les  soli- 
tudes :  on  en  reueontre  ([uelquefois  daus  d'autres  parties  de  la 
Grande-Bretagne  moins  sauvages  que  les  déserts  des  Ilighlands. 
Le  docteur  J.  Franklin  rapporte  qu'un  gentleman  lui  a  raconté 
avoir  été  visiter,  en  Ecosse,  un  ami  près  de  la  maison  duquel 
était  un  nid  qui,  pendant  plusieurs  étés,  avait  été  habité  pai' 
deux  Aigles.  Cette  aire  se  trouvait  placée  sur  une  montagne  ro- 
cheuse, à  quelque  distance  d'un  bloc  de  pierre  d'environ  six 
pieds  carrés.  Le  maître  de  la  maison  et  ses  gens  trouvaient 
sur  ce  bloc,  pendant  le  temps  que  les  deux  Aigles  avaient  des 
petits,  une  provision  de  Coqs  de  bruyère,  de  Perdrix,  de  Lièvres, 
de  Lapins,  de  Canards,  de  Bécasses,  et,  de  temps  à  autre,  des 
Chevreaux,  des  Faons  et  des  Agneaux.  Lorsque  les  Aiglons 
étaient  assez  forts  pour  sauter  sur  cette  pierre,  les  Aigles  appor- 
taient des  Lièvres  et  des  Lapins  vivants,  et  apprenaient  à  leurs 
petits  à  immoler  les  victimes.  Mais  de  temps  en  temps  les  Liè- 
vres, les  Lapins,  les  Rats,  n'étant  pas  suffisamment  affaiblis  par 

T.    II.  12 


154  QUI>'Z1EME    LEÇOiN. 

leurs  l)lessuics,  i)arveiiaieiit  à  s'échapper  de  la  serre  des  Aiglons. 
Comme  les  Aigles  avaient  fait  de  la  pierre  de  la  montagne  une 
sorte  de  garde-manger,  toutes  les  fois  que  des  visiteurs  venaient 
à  r improviste,  le  maître  de  la  maison  avait  coutume  de  recou- 
rir à  cet  en  cas.  Il  envoyait  ses  domestiques  pour  savoir  ce  que 
ses  voisins  du  rocher  tenaient  en  réserve,  et  rarement  ils  reve- 
naient sans  gibier.  Lorsque  le  gentleman  ou  ses  gens  enlevaient 
ces  provisions,  les  Aigles  n'étaient  pas  longtemps  sans  apporter 
d'autres  vivres.  Mais,  lorsque  le  fruit  de  leur  chasse  ne  leur 
était  point  enlevé,  le  père  et  la  m?re  se  promenaient  çà  et  là  aux 
environs,  et  semblaient  jouer  avec  leurs  petits,  jusqu'à  ce  que 
les  provisions  fussent  tout  à  fait  épuisées.  Pendant  tout  le  temps 
que  la  femelle  couvait,  le  mâle  apportait  seul  de  copieuses  pro- 
visions sur  le  bloc.  Ces  deux  Aigles  faisaient  bon  ménage,  soi- 
gnaient bien  leurs  petits  jusqu'au  moment  oi^i  ils  pouvaient  pren- 
dre leur  volée.  Dès  lors  les  Aiglons  devaient  quitter  non-seulement 
leur  berceau,  mais  la  contrée,  et  on  ne  les  revoyait  plus.  Ces 
exigences  brutales  se  retrouvent,  comme  nous  l'avons  déjà  dit, 
chez  tous  les  carnassiers.  Il  leur  faut  un  domaine  assez  vaste 
pour  suffire  à  leur  appétit,  et  qu'ils  exploitent  sans  concurrence. 

Ce  fait  d'approvisionnement  facile  aux  dépens  des  Aigles  n'est 
pas  unique.  On  cite  encore  un  pauvre  habitant  du  comté  de  Karry, 
en  Angleterre,  qui  pourvut  abondamment  à  la  subsistance  de  sa 
famille  pendant  un  été  entier,  en  prenant  dans  le  nid  d'un  Aigle 
royal  le  gibier  qu'y  appoitaient  le  père  et  la  mère;  et,  pour  pro- 
longer la  durée  des  soins  des  parents  et  de  l'approvisionnement 
au  delà  du  terme  ordinaire,  il  guetta  le  moment  où  les  Aigles 
étaient  en  chasse,  coupa  les  plumes  des  ailes  des  Aiglons,  et  re- 
tarda ainsi  beaucoup  leur  départ. 

Un  fliit  assez  curieux  de  1  histoire  des  Aigles  et  en  rapport 
avec  leurs  instincts  chasseurs,  ferait  croire  que  ces  oiseaux 
n'exercent  pas  leur  industrie  dans  le  voisinage  de  leur  aire  et 


lALCONlDÉS.  135 

qu'ils  préfèrent  niarniidcr  nu  loin.  Aux  îlos  Sliianf,  ^Toupo  (h 
rociiers  situés  culro  los  Hébrides,  les  habitants  assurent  que  les 
Aigles,  qui  sont  assez  nombreux,  surtout  dans  la  saison  de  l'in- 
eul)ation,  s';d)sli('nueiil  (1(>  iioiurir  leurs  [)elits  avec  les  animaux 
appartenant  à  l'île  dans  laquelle  ils  oui  fixé  leur  domicile.  Ils  les 
apportent  invariablement  des  îles  voisines,  et  souvent  d'une  dis- 
lance de  plusieurs  kilomètres. 

Chez  les  Romains,  l'Ai^^le  marchait  à  la  tète  des  aimées;  mais 
il  ne  finit  point  perdre  de  vue  le  témoignage  de  Pline,  le  natura- 
liste :  «  L'Aigle,  dit-il,  fut  substitué  aux  autres  enseignes  par 
Caïus  Marins.  Ce  n'était  pas  d'altord  l'oiseau  de  la  nation,  c'était 
celui  de  la  dictature.  » 

Le  caractère  intraitable,  le  poids  de  l'Aigle  et  sa  force,  dont  il 
est  toujours  prêt  à  abuser,  ne  permettent  guère  de  l'employer  à 
la  chasse.  Les  anciens  fauconniers  de  l'Occident  ne  s'en  servaient 
pas;  ce  n'est  qu'en  Russie  et  dans  les  pays  orientaux  qu'il  a  été 
possible  de  le  dresser.  Nous  voyons  en  effet  que  les  Tnr tares 
prennent  de  jeimes  Aiglons  et  les  dressent  à  la  chasse  du  Lièvre, 
du  Renard,  de  l'Antilope  et  même  du  Loup.  Il  se  peut,  néan- 
moins, que  l'oiseau  employé  par  eux  et  désigné  par  les  voyageurs 
sous  le  nom  d'Aigle,  ne  soit  réellement  pas  un  Aigle,  mais  une 
grande  espèce  de  Faucon.  On  cite  surtout  une  tribu  des  Kirguis 
comme  affectionnant  ce  genre  de  chasse.  Le  Kirguis,  monté  à 
cheval,  place  sur  le  devant  de  la  selle  l'oiseau  de  proie,  dont  la 
tête  est  couverte  d'un  capuchon.  Dès  que  le  chasseur  aperçoit 
l  animal  qu'il  se  propose  d'atteindre,  il  découvre  la  tête  de  l'oi- 
seau, qui  s'élance  tout  à  coup  sur  sa  proie,  l'étreint  dans  ses  fortes 
serres  et  ne  lâche  prise  que  lorsque  son  maître  vient  la  lui  en- 
lever. Cette  espèce  d'Aigle,  qui  est  appelée  Barkout  par  les  Kir- 
guis, est  tellement  estimée  de  ces  peuples,  qu'ils  font  volontiers 
le  sacrifice  d'un  de  leurs  Chevaux  et  de  leuis  prisonniers  pour 
posséder  un  de  ces  oiseaux  chasseurs. 


136  QUINZIÈME    LEÇON. 

Un  professeur  allemand,  Reisner,  publia,  il  y  a  une  trentaine 
fVannées,  une  brochure  sur  l'emploi  qu'on  pourrait  faire  de 
l'Aigle  pour  diriger  les  ballons.  Il  précise  le  nombre  de  ces  oi- 
seaux à  atteler  suivant  la  proportion  de  l'aérostat,  et  indique  la 
manière  de  harnacher,  d'instruire  et  de  guider  ces  coursiers  de 
l'air.  Cette  excentricité  peut  être  ajoutée  à  celle  de  Santiago  Car- 
denas,  qui,  dans  le  même  but,  proposait  aussi  d'atteler  des  Con- 
dors. 

Quoique  l'Aigle  soit  d'un  mauvais  naturel,  on  a  des  exemples 
de  sa  soumission.  En  1807,  un  Aigle  d'une  grande  beauté  était 
conservé  à  la  ménagerie  du  Muséum  de  Paris,  et  il  portait  à  l'une 
de  ses  pattes  un  anneau  d'argent.  Il  avait  été  pris  au  milieu  de 
la  forêt  de  Fontainebleau,  dans  une  trappe  à  Renard,  dont  le  res- 
sort lui  brisa  une  patte.  Sa  guérison  fut  longue  et  le  traitement 
pénible.  Il  fallut  recourir  à  une  opération  douloureuse;  l'Aigle  la 
supporta  avec  une  grande  patience.  Pendant  cette  opération,  sa 
tête  seule  était  libre;  mais  il  ne  chercha  nullement  à  s'opposer 
par  des  coups  de  bec  au  pansement  de  sa  blessure,  dont  il  fallut 
extraire  plusieurs  esquilles.  11  n'essaya  pas  non  plus  de  déranger 
l'appareil  qu'exigeait  la  fracture.  Enveloppé  dans  un  linge  et 
couché  sur  le  flanc,  il  passa  toute  la  nuit  sur  la  paille,  sans  faire 
le  moindre  mouvement.  Le  lendemain,  lorsque  la  consolidation 
de  l'appareil  permit  de  démaillottcr  le  blessé,  il  se  plaça  de  lui- 
même  sur  un  perchoir,  où  il  resta  toute  la  journée,  appuyé  sur 
sa  bonne  patte,  sans  faire  aucune  tentative  pour  s'échapper, 
quoique  les  fenêtres  fussent  ouvertes.  Cependant  il  refusa  toute 
nourriture  jusqu'au  treizième  jour  de  sa  captivité.  Ce  jour-là, 
on  lui  présenta  un  Lapin,  qu'il  tua  d'un  coup  de  bec  et  qu'il 
mangea.  Pendant  vingt  et  un  jours,  il  ne  bougea  pas  de  son  per- 
choir. Le  vingt-deuxième  jour  il  commença  à  essayer  le  membre 
blessé,  sans  déranger  en  rien  l'appareil,  et  il  reprit  peu  à  peu 
l'usage  de  sa  patte.  Cet  oiseau  passa  trois  mois  dans  la  chambre 


FALCONIDÉS.  i'.T 

(lu  prdc'  im\  soins  ilnquol  il  rhiiUonlic.  Aussitôt  qiin  lo  fou  était 
allumé,  il  ;nriv;iit  se  cliMiilTcr  et  se  laissait  caresser.  A  l'heure 
du  couchei-,  il  rciiKuilail  sur  sou  |i('ivli(»ir  et  se  plaçait  aussi  près 
que  possible  du  lit  de  sou  cauiaïade  de  eliambre;  mais,  aussitôt 
(pie  la  lumière  était  éti'iute,  il  s'éloignait  à  l'autre  extrémité  du 
perchoir.  La  confiance  (pi'il  avait  dans  sa  force  semblait  bannir 
chez  lui  toute  défiance,  il  est  impossible  de  montrer  plus  décourage, 
plus  de  résignation,  on  pourrait  dire  plus  de  raison,  que  n'en 
montra  cet  Aigle  pendant  la  longue  période  de  sa  maladie. 
Avant  de  venir  au  Jardin  des  Plantes,  il  avait  appartenu  à  l'im- 
pératrice Joséphine.  On  l'avait  habitué  à  vivre  avec  un  jeune  Coq 
anglais,  qui  finit  malheureusement  victime  d'un  accès  de  colère 
de  son  compagnon.  Ce  fait  et  plusieurs  autres  prouvent  qu'il 
n'est  pas  impossible  d'apprivoiser  l'Aigle. 

Le  village  d'Eblingen,  près  du  lac  de  Brientz,  dans  l'Oberland 
bernois,  est  renommé  pour  ses  nids  d'Aigle.  A  une  lieiie  à  peu 
près  de  ce  pays,  dans  une  paitie  sauvage  et  dénudée  des  monta- 
gnes, il  est  un  endroit  que  les  Aigles  affectionnent  tout  particu- 
lièrement. Perchés  sur  des  pics  inaccessibles,  ils  dominent  et 
inspectent  la  grande  vallée  des  Lacs.  Les  chasseurs  Eblingenois 
leur  font  une  guerre  perpétuelle  et  les  attirent  dans  leur  voisi- 
nage en  accrochant  aux  arbres  des  animaux  morts,  et  surtout 
des  Chats  à  demi  grillés.  Cela  se  passe  en  été,  et  comme  alors 
l'Aigle  n'est  pas  ali  dépourvu  et  qu'il  peut  choisir  des  mets  plus 
friands,  il  dédaigne  souvent  la  curée.  En  hiver,  les  chasseurs 
mettent  leurs  appâts  à  terre  et  les  y  attachent  avec  des  pieux. 
L'Aigle. ne  peut  pas  s'enlever  de  terre  aussi  rapidement  qu'il  le 
ferait  d'un  perchoir  élevé,  et,  quand  une  fois  il  est  attablé,  il  y 
reste  souvent  des  heures  entières.  Les  amorces  sont  placées  de 
manière  à  être  vues  du  village  à  l'aide  de  lorgnettes.  Les  chas- 
seurs, pour  qui  ce  genre  d'exercice  est  une  passion,  font  conti- 
nuellement le  guet  à  leiu's  fenêtres.  Quand  ils  voient  un  Aigle  à 

12. 


138  QUINZIÈME   LEÇON, 

la  cnrée,  ils  partent,  et,  bien  qu'ils  aient  une  bonne  lieue  à  fiiire 
à  travers  les  rocs  et  les  broussailles  avant  d'arriver  à  portée  de 
fusil  de  l'oiseau,  ce  dernier  leur  échappe  rarement.  Les  environs 
si  éminemment  pittorescpies  d'Eblingen  offrent  partout  aux  yeux 
du  touriste  le  spectacle  dégoûtant  de  ces  charognes,  qui  se  ba- 
lancent aux  branches  des  arbres  :  ici  c'est  un  Chevreau  putréfié, 
là  c'est  une  tête  de  Cheval  infecte,  plus  loin  c'est  un  Chat  à 
moitié  rongé. 

11  est  extrêmement  difficile  de  parvenir  à  Taire  d'un  Aigle  et 
de  se  procurer  des  œufs  de  cet  oiseau  ou  des  Aiglons.  C'est,  en  gé- 
néral, en  profitant  de  l'absence  des  Aigles  occupés  à  la  chasse 
que  les  dénicheurs,  souvent  en  exposant  leur  vie,  se  font  des- 
cendre, à  l'aide  de  cordes,  jusqu'à  l'aire.  Guidés  tantôt  par  l'es- 
poir du  gain,  tantôt  par  le  désir  de  voir  le  couple  abandonner 
une  région  qu'il  dévaste  chaque  jour,  ils  ont  la  précaution  de  se 
munir  de  pistolets  ou  de  bâtons  ferrés,  pour  le  cas  où  le  pcre  et 
la  mère  viendraient  les  attaquer  en  les  surprenant  pendant  l'en- 
lèvement de  leurs  petits.  M.  Bailly,  conservateur  du  Muséum 
d'histoire  naturelle  de  Savoie,  a  eu  occasion  de  voir,  à  Saint- 
Michel-des-Déserts,  un  homme  de  trente  ans  qui  s'était  ainsi 
laissé  surprendre  par  le  père  et  la  mère  de  deux  Aiglons.  Il  a 
assuré  qu'il  aurait  infailliblement  péri  des  coups  de  bec  et  de 
poitrine  que  le  mâle  et  sa  femelle  essayaient  de  lui  porter  à  la 
tête,  en  plongeant  alternativement  sur  lui,  s'il  n'avait  eu  soin 
de  s'armer  d'un  bâton  ferré  à  la  pointe,  avec  lequel  il  put  se 
défendre. 

L'escarpement  inaccessible  des  lieux  où  l'Aigle  place  son  aire, 
la  hauteur  de  son  vol,  la  puissance  de  sa  vision,  la  prudence  qui 
le  tient  loin  des  habitations,  expliquent  comment  il  est  si  rare, 
aujourd'hui  surtout,  qu'un  chasseur  ait  la  bonne  fortune  de  tuer 
un  si  formidable  oiseau.  Un  Bavarois,  Joseph  Solacher,  est  cité 
pour  en  avoir  tué  trois,  et  le  hasard  seul  lui  procura  le  Iroi- 


FALCONIDÉS.       '  139 

sicmo.  Mais  lo  grand  tiioiir  d'Aigles  de  ce  siècle  est  le  comie 
Max  d'Arco,  (|ui  en  a  liir  dix,  don!  qiialre  dans  le  voisinage  de  . 
leur  aire,  et  les  aiilrcs  (|iril  avait  adciidii  à  raflùL,  en  exposant 
nn  Clievicau  on  nii  Clianiois  comme  a|)[iàl.  Le  jonniid  de  cet  in- 
trépide cliassi'ni"  est  très-intéressant,  el  il  peint  heanconp  mieux 
les  mo^nrs  des  Aigles  qne  la  j)lnpait  des  livres  spécianx;  mal- 
lienrensement  nons  ne  ponvons  le  reprodnire,  à  canse  de  son 
étendue. 

La  durée  de  la  vie  d'un  Aigle  est  évaluée  à  plus  de  cent  ans 
par  un  grand  nombre  de  naturalistes;  et  Klein  cite  l'exemple 
d'un  Aigle  qui  vécut  en  captivité,  à  Vienne,  pendant  cent  qua- 
tre ans. 

On  compte  douze  espèces  d'Aigles  réparties  dans  les  diverses 
contrées  du  globe,  dont  deux  seules,  cosmopolites,  se  retrouvent 
dans  l'Amérique  septentrionale  :  c'est,  d'une  part,  notre  Aigle 
doré  on  royal,  de  l'autre,  l'Aigle  impérial. 


MATIERES  DES  LEÇONS 

DE    LA    PREMIÈRE    PARTIE    DU   TROISIÈME    VOLUME 

iiistoire,  description,  mœurs  des  oiseaux  grimpeurs,  perroquets  el  pics 
Cette  cinquième  Partie  est  sous  presse  et  paraîtra  le  25  octobre. 

PRIX 

Chaque  demi -volume,  figures  noires T»!'.  50  c 

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