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BIBLIOTHÈQUE
DES MERVEILLES
PUBLIEE SODS LA DIRECTION
DE M. EDOUARD CHARTON
LES MERVEILLES
DE LA LOCOMOTION
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21960. — TARIS, TYPOGRAPHIE LAIIU!!E
Rue (If FJeurus, 9
BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES
LES MERVEILLES
DE
LA LOCOMOTION
E. DEHARME
Deuxième édition
ILLUSTRÉE DE 77 VIGNETTES DESSINÉES SUR BOlb
i PAR
B. BONNAFOUX, A. JAHANDIER ET A. MARIE
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C'«
79, BOULEVARD SÂINT-GERMAIN, 79
1878
3roiU de propriété et de traduction réservé»
LES MERVEILLES
LA LOCOMOTION
CHAPITRE PREMIER
Le mouvement et l'attraction universels. — Mouvements des minéraux, des
végétaux et des animaux. — Carinère offerte au mouvement de l'homme,
— L'air indispensable à tous ses mouvements.
Tout est mouvement dans la nature. Que nos yeux
se dirigent sur la terre ou s'élèvent vers le ciel, ils ne
voient que mouvement et progrès. Ici, des transfor-
mations géologiques, des îles qui s'abîment et des
volcans qui jaillissent, une mer immense montant
soir et matin ; des graines qui germent et des forêts -
qui s'élèvent ; et, pour régner sur ce monde, des ani-
maux qui s'y agitent sans cesse ; le tout emporté dans
l'espace d'un mouvement régulier, dont nous ne pou-
vons prévoir la fin. Là haut, ce sont des mondes dont
2 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
les révolutions s'exécutent avec la môme régularité et
dont les mouvements sont liés à celui de notre planète
comme celui-ci Test aux leurs, tous ces mouvements
enchaînés par cette loi fatale que la chute d'une
pomme a révélé au génie de Newton et qui s'appelle
V attraction universelle.
Mais tous ces mouvements ne sont pas de même
nature. Des différences marquées existent entre
eux et nous font apparaître la vie sous ces divers
aspects.
Nous voyons les corps du règne minéral (ils sont
70 à peine) s'unir les uns aux autres, en obéissant à
leurs affinités réciproques, — ces affections de la ma-
tière, — et constituer l'infmie variété de corps que la
chimie et la minéralogie apprennent à connaître.
Nous les voyons changer de forme et se mouvoir,
passer d'un état d'équilibre à un autre, jaillir en gerbe
au-dessus du sol, bondir en cascades ou s'écouler pai-
siblement vers rOcéan, en se soumettant aux lois
physiques sur lesquelles repose l'harmonie de l'uni-
vers. Tous ces mouvements, les uns passagers, les
autres permanents, ont lieu avec une passivité abso-
lue de la part des corps qui les exécutent.
Ce caractère se modifie dans le règne végétal, et les
mouvements de certaines plantes deviennent instinc-
tifs. C'est ainsi que les feuilles se dirigent du côté
d'où leur viennent l'air et le soleil, que les racines se
cramponnent au morceau d'engrais qui leur apporte
une nourriture plus riche ; qu'au moment de la flo-
raison, les étamines embrassent le pistil et que cer-
I>TRODUCTION. 3
taines plantes quittent le fond des eaux pour venir
éclore leur fleur à la surface.
L'intelligence enfin, s'élevant au-dessus de l'instinct
aveugle, se révèle chez les animaux, et c'est, non-seu-
lement dans leurs rapports avec l'homme, mais encore
dans leur vie privée qu'on en voit des preuves écla-
tantes. Leurs mouvements ne sont plus automatiques,
ni instinctifs, ils sont raisonnes, conscients.
Au-dessus de ces êtres des trois règnes, dont les dé-
placements ne sont que des infiniment petits auprès
des mouvements accomplis dans l'espace par les
mondes qui les portent, s'élève l'homme, soumis comme
eux aux forces naturelles et à l'instinct qui les guide,
mais possédant à un degré supérieur l'intelligence qui
règle chacun de ses pas.
Mais cette intelligence, qui étend son empire, rend
en même temps ses membres impuissants à lui en
faire parcourir les différentes parties. Ses seuls efforts
ne peuvent le conduire bien loin. 11 use de sa supé-
riorité sur tous les êtres de la création pour les sou-
mettre à ses volontés, et, si les animaux eux-mêmes
ne le servent pas assez selon ses désirs, il asservit les
forces naturelles, les dompte comme il a fait de ces
animaux, s'en fait souvent un levier sur lequel il s'ap-
puie pour courir sur la terre ou pénétrer dans son
sein, pour franchir l'Océan ou s'enfoncer dans ses
eaux, ou bien enfin pour s'élever dans l'air.
Être supérieur vis-à-vis de tous les autres êtres de
la création, c'est, il est vrai, un pygmée vis-à-vis du
4 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Créateur lui-même, mais un pygmée grandissant sans
cesse et pour qui le progrès est une loi aussi fatale
que le mouvement est un besoin inné.
Nous nous proposons de faire connaître dans ce
livre les moyens les plus remarquables employés par
l'homme pour se mouvoir sur la terre ou dans la terre.
Tandis que la plupart des animaux ne peuvent vivre
que dans un milieu spécial el peu étendu, l'homme
est moins qu'aucun d'eux l'esclave de ses habitudes.
S'il aime ses dieux lares et le ciel de sa patrie, il peut
cependant changer de gite et de climat pour son in-
térêt, pour ses plaisirs même.
Les insectes ont chacun leur loge secrète, ceux-ci
dans la terre, ceux-là dans le tissu des végétaux ou
des animaux ; les poissons ne peuvent vivre que dans
l'eau : froide pour ceux-ci, tempérée pour ceux-là,
douce pour les uns, salée pour les autres, calme au
sein des lacs, açjitée au cours des torrents, coulant en
mince filet dans les petits ruisseaux, dormant en
grande masse dans les bas-fonds de TOcéan. Le lion et
la panthère se plaisent au désert, l'ours blanc au mi-
lieu des glaces des mers polaires, le serpent et la
chauve-souris dans l'atmosphère lourde et viciée des
cavernes, le condor dans l'air raréfié des plus hauts
pics de la Cordillère des Andes; c'est enfin pour vivre
toujours dans une atmosphère plus douce que l'hiron-
delle regagne à l'approche de l'hiver les pays du soleil
et revient, avec les feuilles, faire son nid sous le toit
qui l'a abritée pendant ses premières années.
I^'TRO DICTION. 5
Les grandes agglomérations humaines se sont fixées
dans les pays tempérés, mais les régions équatoriales
et polaires sont aussi habitées, et si l'Abyssin et le
Lapon ne quittent pas leur pays, ils sont visités sou-
vent par les Européens. L'homme se lance sans crainte
sur l'Océan, et s'il ne peut, comme les sirènes, vivre
avec la même facilité dans l'eau que dans l'air, il sait
plonger au sein de la masse liquide pour y cueillir le
corail et les huîtres perlières aussi aisément qu'il s'en-
fonce dans la terre à la recherche du charbon et des
métaux précieux. Grâce aux procédés ingénieux qu'il
emploie pour varier ses vêtements et sa demeure, il
vit dans l'air humide des mines comme dans l'air com-
primé du scaphandre ou dans l'air raréfié des hautes
régions de l'atmosphère ^
Avec de l'air en provision, il peut tout braver : les
miasmes délétères des exploitations souterraines, l'in-
connu des vallées sous-océaniques, le feu même.
* Hauteur comparée de quelques lieux habiles :
mèlres.
nièlrcs.
. . . âMi
Quito (Am. Sud) . . .
Bogota (.\m. Sud). . .
29'5
Maison de poste d'
Apo (Am
. . 2601
Sud)
4382
Hosnirp rlii rirnii(l-*sn!nf-Tîpr-
Tacora (Am. Sud).
4175
nanl (Europe) . . .
. . 2475
Gya (Asie). . . .
4129
Sainl-Veran (rranco) .
. . 2040
Potosi(Am. Sud).
4105
Zermatt (Europe^ . . .
. . 1618
Mouktinath (Asie).
,
4012
Gavarnie (Franco). . .
. . 1555
La Paz (Am. Sud .
3726
Briançon (France). . .
. . 1521
L'Hassa (Asie) . .
.
5563
Madrid (Europe) . . .
. . 608
Ouadula (Al'riqun).
.
2026
Vr.ih (Scir.e, à l"cli:!gf)
. . 20
6 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
I. — LA LOCOMOTION SUR LA TERRE.
A. — Insuffisance de l'appareil locomoteur de l'homme. — Les animaux
moteurs. — Origine de la voilure. — Le traîneau.
Pour des courses lono^ues et souvent aventureuses,
les jambes de l'homme sont trop fragiles et trop
courtes, et celles des animaux doivent lui venir en
aide. Le chameau sert de monture et de bête de
somme, le bœuf est béte de trait, et le cheval sert à
la fois aux deux usasses.
A côté de ces animaux viennent s'en placer quel-
ques autres, utilisés seulement en certains pays, ou
consacrés à des usages spéciaux : l'àne et le mulet
auxiliaires du cheval, mais moins forts et rendant de
moindres services; l'hémione remplaçant ce dernier
dans rinde ; le yack et le bison, parents du bœuf et
qui peuvent le suppléer dans certains cas ; l'éléphant
servant de monture dans l'Inde, le chameau dans le
désert et l'autruche dans quelques parties de l'Afrique;
le renne et le chien enfin, les bêtes de trait des pays
glacés.
Tels sont, en résumé, les animaux dont l'homme a
emprunté le secours. Les plus puissants d'entre eux
ne portant encore que des charges bien faibles, il a
fallu, pour le transport des lourds fardeaux, recourir à
la voiture.
C'est à Cyrus que l'invention en est généralement
attribuée ; mais il est très-permis de croire que l'emploi
des roues est de beaucoup antérieur à lui et l'on peut
LA LOCOMOTION SUR LA TERRE. 9
rechercher quels ont été les faits ou les idées qui ont
dû conduire à cette simple découverte. Il est vraisem-
blable que, ne pouvant charger telle bête de somme
de tout le fardeau qu'il avait à lui imposer, l'homme
aura imaginé de le lui faire tirer. De là le traîneau,
qui, selon toute probabilité, a été le point de départ
de la voiture. Quelques pierres auront été placées sous
le véhicule improvisé, peut-être même des pièces de
bois de forme arrondie, des rouleaux enfin, différant
peu de ceux qui servent dans nos chantiers de con-
struction actuels pour le transport des lourds maté-
riaux, pierre, bois ou fer; et des rouleaux à la roue,
la transition est simple. La roue n'est qu'une tranche
du rouleau, rendue plus légère par des évidements
intelligemment ménagés, et plus résistante par la fer-
rure destinée à la garantir de l'usure et des chocs pro-
duits par les inégalités du chemin.
Cette série d'hypothèses, d'ailleurs très-naturelles,
se trouve parfaitement justifiée par la forme des roues
des premiers chars dans l'antiquité, forme rudimen-
taire que l'on retrouve encore aujourd'hui, dans toute
sa simplicité, aux roues des chariots catalans. Ces
roues sont de simples disques ferrés, ayant 4 ou 5 cen-
timètres de largeur, assujettis d'une façon grossière
au véhicule qu'ils supportent et produisant dans les
chemins montueux des Pyrénées un bruit strident et
criard que prolonge encore la lente allure des bœufs
qui y sont attelés.
Le traîneau, cet état primitif du plus somptueux de
nos carrosses ou de nos wagons d'aujourd'hui, est
40 LES MEUYEILLES DE LA LOCOMOTION.
d'ailleurs utilisé avec avantage dans plusieurs pays, et
notamment dans les contrées septentrionales et dans
les pays de montagnes.
Dans les contrées septentrionales , deux raisons
principales en ont maintenu et en maintiendront
l'usage : la dureté de la terre glacée et l'absence ou
la rareté des voies de communication. Quel que soit
l'objet qu'on ait à faire mouvoir sur le sol, on favori-
sera son mouvement en réduisant le frottement qui se
produit lorsqu'on cherche à ie déplacer, frotlement
qui dépend tout d'abord de la nature des surfaces en
contact. Le sol glacé des pays du Nord se prête mer-
veilleusement à ce déplacement. Les surfaces du patin
et du sol acquièrent par l'usage un poli essentiellement
favorable au mouvement. Qu'arriverait-il si des roues
étaient substituées aux longs patins de gUssemcnt?
Elles pénétreraient dans la neige au lieu de rester à la
surface et deviendraient un obstacle à la marche. Le
véhicule procéderait par ressauts et par saccades, se
fatigant lui-même, fatigant ceux qui y seraient placés
et la bête qui le tirerait. Le traîneau, en abaissant
le centre de gravité du véhicule presque au niveau
du sol, et en lui fournissant une large base de sus-
tentation, empêche ces accidents de se produire. Le
traîneau passe partout, la roue sur les bons chemins
seulement.
Tout le monde connaît le sabot qu'employaient nos
anciennes diligences. A la montée d'une côte, tous le^
voyageurs descendaient et suivaient au pas le véhicule
pesamment chargé. Au sommet, on remontait en voi-
Il
LA LOCOMOTION SUR LA TERRE. 13
ture, le Soibot était assujetti sous l'une des roues de
derrière pour descendre le versant et les chevaux par-
taient. La voiture devenait momentanément un traî-
neau : trois des roues con'ê'ervaient leur liberté et le
frottement de roulement de la quatrième était trans-
formé en frottement de glissement. C'est en traîneau
qu'on faisait une partie de la traversée du Mont-Cenis,
avant que le chemin de fer de Fell, qui a précédé
l'ouverture du souterrain, fût établi.
Les forêts, dans les pays de montagnes, sont exploi-
tées de la sorte. De jeunes arbres, ou même des bran-
ches à peine dégrossies, réunis par quelques liens
tordus, servent à improviser un traîneau, qui est dé-
membré à l'arrivée ou que le charbonnier remonte
sur ses épaules. Le lit d'un ravin est le chemin suivi;
les pierres roulent sous le véhicule et descendent avec
lui.
D'autres fois, ce sont des rondins de sapin couchés
en travers de la percée ouverte au milieu du bois et
fixés au sol par des piquets placés à leurs deux extré-
mités. Tels sont les chemins de schlitt qui servent à
l'exploitation des forêts.
C'est en traîneau qu'on fait parcourir aux touristes
certains passages rapides des Alpes ou des Pyrénées.
Une de ces descentes renommées est celle de Brame-
Farine, près d'AUevard, dans le département de
l'Isère.
A Madère, la circulation s'effectue de la manière la
plus pittoresque : toujours à cheval ou en traîneau.
Quand il s'agit de monter, les traîneaux sont tirés par
14 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
des bœufs; pour descendre, les frêles véhicules sont
lancés sur les pentes, conduits et à peine retenus à
l'arrière à l'aide de cordes par un ou plusieurs guides
dont les principaux efforts consistent à éviter les
chocs aux tournants, parfois très-brusques.
Avant de décrire la première de ces voitures à roues
dont l'invention a été un progrès considérable demeuré
sans date dans l'histoire de la locomotion, arrêtons-
nous pour esquisser rapidement les faits si intéressants
qui expliquent l'avantage de la voiture sur le traîneau,
puis du wagon de nos chemins de fer sur la voiture
elle-même.
B. — Frottement entre le véhicule et la voie qui le porte. — Le dé et la
bille d'ivoire. — Frottement de glissement et de roulement. — Ce qu'on
sait des lois du frottement. — Difficultés inhérentes aux observations. —
hnpressionnabililé de la matière. — Moyens de diminuer le frottement.
— Lubrifaction des parties frottantes. — Accroissement du diamètre des
roues.
Tous les progrès de la locomotion reposent sur les
améliorations apportées aux deux surfaces en contact
durant le mouvement : patin et roue d'une part,
chaussée ou rail d'une autre. Les améliorations intro-
duites dans la construction du véhicule lui-même
n'ont été que la conséquence des premières. L'emploi
de la vapeur comme moteur a marqué une nouvelle
étape que nous décrirons avec tous les développements
qu'elle comporte.
Lorsqu'on examine à la loupe les objels les mieux
polis, on aperçoit à leur surface une innombrable
quantité d'aspérités et de cavités, qui forment, entre
;>^^
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/ /
LA LOCOMOTION SUR L.\ TERRE. 17
deux objets rapprochés, comme autant de petites dents
d'engrenage s'enchevêtrant les unes dans les autres.
Chacun des deux objets agit sur celui qui lui est opposé
comme un morceau de pierre ponce sur la main. Il y a
entre eux :
1° Production d'une résistance au mouvement qu'on
veut déterminer et qui est le frottement;
2° Destruction des aspérités existantes , polissage
des surfaces, d'où usure.
C'est l'effet qui se produit lorsqu'on pousse un dé
d'ivoire sur le drap d'un billard. L'impulsion cessant,
le dé s'arrête ; mais si nu ^é on substitue une bille, la
moindre impulsion produit un mouvement qui se pro-
longe encore après que l'action a cessé d'être exercée.
Le frottement n'est pas détruit, il est seulement ré-
duit par le changement de forme de la surface. Dans
le premier cas, û -^ Si\àii frottement de glissement ;
dans le second, il y a frottement de roulement.
Si, au lieu de placer cette bille d'ivoire sur une
table recouverte de drap, nous la plaçons sur une table
polie de bois ou de métal, une impulsion bien moindre
que la première suffira à lui faire parcourir le même
chemin.
Ces faits, tout simples et tout familiers, que nous
venons d'observer sur une petite échelle, se produisent
en grand.
Qu'un traîneau glisse sur le sol, qu'une voiture
roule sur une chaussée, ou un wagon sur des rails,
qu'un bateau se meuve sur l'eau ou un ballon dans
l'air, il y a frottement. Une force se développe, au
2
18 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
moment où le mouvement commence, de la part du
sol, de Teau ou de l'air avec lequel le véhicule est en
contact. Elle est faible, presque insignifiante dans
l'air, elle est plus grande dans l'eau ou à sa surface,
et prend des valeurs très-diverses et parfois considé-
rables sur le sol. En somme, on peut dire, d'une ma-
nière générale, que toutes les fois que deux corps, en
contact, viennent à être animés de vitesses variables,
— ou l'un d'une certaine vitesse, l'autre restant à
l'état de repos, — il se produit une force retardatrice
du mouvement, et il y a frottement.
Quelles sont les lois du frottement? Les géomètres
et les ingénieurs ont cherche beaucoup et longtemps,
et cherchent encore, car les opinions les plus opposées
se sont produites. Nous n'avons pas l'intention de les
relater toutes ici ; mais il convient d'indiquer les faits
principaux, ceux sur lesquels on est généralement
tombé d'accord et qui sont, par suite, hors de con-
teste.
Amontons est le premier qui s'occupa de la recherche
des lois du frottement. Il se servait, pour ses expé-
riences, d'un plan mobile autour d'une charnière
et dont il faisait varier l'inclinaison. Mais les résultats
auxquels il fut conduit paraissent contradictoires.
Coulomb, en 1781, reprit ces recherches.
Sur deux madriers horizontaux juxtaposés il fixait
un troisième madrier en chêne, long de 8 pieds, large
de 16 pouces. Un traîneau, en forme de caisse, de
18 pouces de large, qu'il chargeait de poids, pouvait
glisser sur ce dernier madrier, et le parcourir dans sa
LA LOCOMOTION SUR LA TERRE. l'J
longueur. Une corde flexible, «ntlachée au traîneau,
venait, dans une direction horizontale, s'enrouler sur
la gorge d'une poulie très-mobile. Un plateau attaché
à son extrémité recevait des poids et pouvait descendre
dans un puits de 4 pieds de profondeur. Les poids,
successivement placés dans le plateau, déterminaient
le mouvement du traîneau. Un pendule, battant les
demi-secondes, permettait d'étudier ainsi la loi du
mouvement. La nature et l'étendue des surfaces frot-
tantes, modifiées tour à tour, donnaient le moyen de
varier à l'inhui les conditions de ces expériences.
Le général Morin, en 1851, M. J. Poirée, en 1851,
M. Bochet, en 1856 d'abord, puis en 1861, ont repris
et étendu les études commencées par Coulomb.
On admettait, avant les travaux de ces deux der-
niers ingénieurs, que le frotlement était proportion-
nel à la pression normale que les surfaces exercent
l'une sur l'autre, qu'il variait selon la nature et l'état
des surfaces en contact, et qu'il était indépendant de
la vitesse et de l'étendue de ces surfaces.
M. Poirée a démontré que, pour des vitesses supé-
rieures à 4 ou 5 mètres par seconde, le frottement di-
minuait à mesure que la vitesse augmentait.
Dans un mémoire fort intéressant, et à la suite de
nomb euses expériences exécutées sur le chemin de
fer de l'Ouest avec un wagon-traîneau du système
Didier, M. Bochet a réfuté les premières lois admises
et a conclu :
1" Que le frottement diminue à mesure que la vi-
tesse augmente ;
20 LES :.IERV£ILLES DE LA LOCO:,IOTIO>'.
2° Que le frottement n'est plus proportionnel à la
pression et, par suite, n'est plus indépendant de I'q-
tendue des surfaces frottantes, dès que la pression
cesse d'être petite ;
o*' Qu'il n'y à pas, en général, de frottement spé-
cial au départ.
Ces nouvelles lois viennent renverser les opinions
précédemment admises. Est-ce à dire, pour cela,
qu'elles sont la dernière expression de la vérité et
qu'elles ne souffriront pas de modifications? Nous
n'oserions pas l'aftirmer.
On ne peut se faire une idée exacte des difficultés
qui entourent l'exécution de ces expériences : les
circonstances, qui semblent les plus insignifiantes,
exercent souvent une influence considérable, qui
échappe même aux yeux les plus perspicaces, à l'at-
tention la plus vigilante. L'observation de ces phé-
nomènes, où la constitution moléculaire des corps est
immédiatement en jeu, présente bien autrement d'ob-
slacles que celle des faits chimiques où les qualités et
les aftînités particulières de ces mêmes moliécules se
révèlent.
Nombre d'opérations, exécutées dans des condi-
tions en apparence complètement identiques , don-
nent des résultats différents et déroutent l'expérimen-
tateur ; nous disons : en apparence identiques, car nos
yeuxod nos moyens de mesure ou de contrôle doivent
nous égarer. Les deux morceaux de fer que nous fai-
sons frotter l'un contre l'autre, bien qu'ils soient pris
dans une masse que nous croyons homogène et qui a
LA LOCOMOTION Sl'R LA TERRE. 21
subi les mêmes opérations préparatoires, peuvent pré-
senter, et présentent sans cloute, des différences de con-
texture que nous ne pouvons saisir. Les fibres de tel
morceau de bois ne sont pas dirigées comme celles de
tel autre; les parties tendres sont plus nombreuses
dans celui-ci que dans celui-là ; l'état hygroscopique
des deux échantillons est différent. En somme, 17<o-
mogénéite\ Videntité, dans le sens le plus absolu et
le plus général que l'on accorde à ces deux mots,
n'existent pas. Les différences constatées n'offrent
donc rien de surprenant.
Il en est absolument, de ce qui se passe entre ces
deux morceaux de matière, comme de ce qui se pro-
duit entre deux individus de mœurs, de caractères
et d'esprits bien définis et entraînés dans une action
commune. Il n'est pas douteux que les circonstances
les plus inappréciables peuvent agir sur l'un et l'autre
ou sur l'un des deux seulement, et modifier d'une
manière très-sensible le résultat qu'ils poursuivent
de concert? Est-il déraisonnable de croire que des
influences d'une autre nature, mais tout aussi bien
modificatrices, aient pu agir sur la constitution molé-
culaire des deux échantillons mis en contact, et n'est-
il pas permis de supposer à ces atomes matériels et
inertes une impressionnabilité que nous constatons
chez les êtres vivants et matériels aussi?
Lorsque nous modifions, par l'interposition d'un
nouveau corps ou par une altération quelconque des
surfaces en contact, les conditions de ces expériences,
nous obtenons les résultats les plus divers. Des aspé-
22 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
rites, des stries, l'application sur l'une des surfaces
de bandes de cuir ou de caoutchouc, en multipliant
les points de connexion et d'enclievètrement, créent
un obstacle au mouvement, tandis que l'interposition
d'un corps gras, de plombagine , de suif ou de telle
ou telle huile, en unissant et en polissant les surfaces
rapprochées, diminue le frottement. De là, l'avantage
que l'on retire de l'emploi des matières lubrifiantes.
Le cri strident des chars catalans, dont nous avons
parlé, celui de toutes les voitures dont les roues sont
insuffisamment graissées, résultent d'une attaque plus
ou moins profonde des surfaces en contact. Ce grin-
cement est accompagné d'un échauffement de ces sur-
faces, qui, s'il n'y est porté remède, peut avoir les
conséquences les plus graves.
Les faits que l'on constate dans l'étude du frotte-
ment de glissement s'observent dans celle du frotte-
ment de roulement, mais avec cette différence qu'ils
sont moins accusés. Les aspérités de la surface rou-
lante s'engagent dans les cavités de la surface fixe et
réciproquement, et le mouvement s'opère sans déter-
miner ces arrachements et ces érosions particulaires
qui constituent, en grande partie, le frottement et qui
exigent sans cesse, de la part du moteur, une produc-
tion de force additionnelle. Les deux surfaces s'épou-
sent successivement l'une l'autre, les petites aspérités
abandonnent leur mutuelle étreinte avec d'autant plus
de facilité qu'elles se sont plus facilement réunies,
et que la pénétration a eu lieu dans une direction
plus normale à la surface fixe, ou que le diamètre
LA LOCOMOTION SUR LA TERRE. 23
de la surface roulanle a été choisi de plus grande
dimension.
L'accroissement du diamètre des roues des véhi-
cules, est, en effet, le but vers lequel tendent les
constructeurs , mais divers obstacles les arrêtent,
entre autres l'instabilité de la machine de transport,
accrue par l'élévation de son centre de gravité. Ils
cherchent alors des artifices pour abaisser la charge,
ils la placent parfois en dessous des essieux, ainsi que
cela s'est fait pour certaines voitures et pour quelques
fardiers, destinés au transport des matériaux de con-
struction : ils réalisent ainsi des combinaisons plus ou
moins ingénieuses, et qui répondent d'une manière
plus ou moins satisfaisante à des besoins déterminés.
C. — La voie. — Chaussées empierrées, pavées, à ornières de bois et de
mélaL — Les anciennes voies de communication. — Les chaussées ro-
maines, les chaussées de Brunehaut. — Les rues sous Philippe Auguste
et les voies sous Colbcrt. — Les routes impériales, départementales; les
chemins vicinaux et ruraux. — Importance de la circulation. — Le per-
sonnel des ponts et chaussées et celui des chemins de fer. — Ce que
coûte un ingénieur des ponts et chaussées et des mines, d'après M. Fia-
chat.
Des préoccupations de l'ingénieur, la principale est
celle qui a pour objet la diminution des aspérités des
deux surfaces en contact. Tel est le but que remplis-
sent les cercles garnissant les roues des véhicules,
les semelles métalliques fixées aux patins des traî-
neaux. Pour diminuer les aspérités de la surface de
roulement, on emploie les pavés de granit ou de grès,
ou les cailloux fichés dans une forme incompressible^
en sable et que les lourdes charges et les temps aller-
24 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
nalivcment secs et pluvieux ne peuvent facilement
déformer. On choisit les cailloux de la meilleure qua-
lité pour les chaussées empierrées ou macadamisées,
et avant de les livrer à la circulation des voitures,
on a soin d'en comprimer la surface à l'aide de ces
rouleaux tantôt en pierre, tantôt en métal, chargés
de sable, de pavés ou d'eau et que remorquent péni-
blement de longs attelages de chevaux, ou, plus aisé-
ment, une machine à vapeur superposée. A cette
chaussée imparfaite, aux ornières, aux aspérités ou
aux dépressions plus ou moins profondes, on substitue
des poutres ou longrines en bois, des morceaux de
fonte ou des lames de fer et d'acier, et on a le merveil-
leux moyen de transport qui s'appelle un chemin de fer.
Adieu les durs cahots avec les vieilles pataches
dans les mauvais chemins ! adieu la musique des
grelots au collier des chevaux, interrompue de temps
en temps par les coups de fouet du postillon ou par la
trompette du conducteur! adieu ces relations qui se
nouaient au cours du voyage et se prolongeaient par-
fois après lui! On ne met plus que dix heures au lieu
de onze jours, pour aller de Paris à Strasbourg. Quel-
ques coups de sifflet et, comme en un songe, durant
une nuit, on passe du Nord au Sud ou du Levant au
Couchant.
Yoyez-vous ce tombereau qui ne contient qu'une
tonne de cailloux? Un cheval a peine à le tirer sur
cette route bien entretenue. Voyez à côté : un même
cheval fait avancer sur ces rails un wagon chargé de
8 à 10 tonnes.
U LOCOMOTION SUR LA TERRE. 25
Mais les rails de fer n'offrent pas de garanties de
durée suffisantes lorsque la voie est très-inclinée et
doit résister à l'usage réitéré des freins ou au passage
fréquent de lourdes charges. Dans ce cas, on les rem-
place par des rails d'acier.
Les progrès de la carrosserie et du charronnage,
nous le verrons plus loin, sont contemporains des
progrès apportés à la construction des chemins et des
routes, et le degré de civilisation d'un peuple est en
rapport intime avec l'état de ses voies de communi-
cation. Que l'on considère les pays excentriques de
notre Europe : la Russie, la Turquie, et, sans aller
chercher si loin, l'Espagne, dont nous connaissons les
chemins par les récits de Théophile Gautier et les
dessins de Gustave Doré. Ne Irouve-t-on pas les
mêmes ornières à l'esprit qu'à la chaussée ? Le chemin
de fer a contribué à faire le dix-neuvième siècle. Sans
lui, nous n'aurions pas accompli ces progrès rapides
que tout le monde admire.
Qu'on ne se méprenne pas cependant sur l'impor-
tance du rôle que peut jouer un chemin de fer et
qu'on ne le croie pas capable d'opérer des transfor-
mations dans un pays qui n'offre des ressources ni par
l'esprit ou l'industrie de ses habitants , ni par la
richesse ou la fertilité de son sol. C'est pour avoir
cru à la possibilité de semblables transformations que
de nombreux chemins de fer, construits en pays
étranger, n'ont produit d'autre résultat que la ruine
de ceux qui les avaient entrepris, sans changer d'une
manière notable la face des pays déshérités qui en
23 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
avaient été dotés. Nous ne nous arrêterons pas, d'ail-
leurs, à cette question économique qui nous ferait
sortir de notre sujet et n'a d'ailleurs rien que de très-
facile à expliquer.
Les anciens avaient bien compris tout l'intérêt que
peuvent offrir de bonnes voies de communication. Ils
employaient à leur construction les peuples vaincus,
et les établissaient avec une telle solidité qu'on en
retrouve encore aujourd'hui quelques-unes en parfait
état de conservation. Les Voies Romaines étaient re-
marquables par leur beauté et leur solidité. Elles
étaient formées de blocs énoi mes de pierre de taille,
parfois superposés, reposant sur une couche épaisse
de béton, c'est-à-dire de pierres cassées réunies entre
elles par un ciment très-résistant. Si nos pères ne
connaissaient pas les causes de l'hydrauhcité des
chaux et des ciments révélées par Yicat, ils connais-
saient du moins les mélanges capables d'acquérir par
le temps une dureté comparable à celle de la pierre
la plus dure.
En première ligne, étaient les voies consulaires,
prétoriennes ou militaires destinées au passage des
armées ; puis les voies secondaires. Leur largeur,
d'ailleurs variable, atteignait 60 pieds romains
(17 mètres). Les voies secondaires étaient, à propre
ment parler, les routes du commerce. Leur largeur
excédait rarement 5 mèlres. Tenaient ensuite Vactus,
dont la largeur moyenne était moindre de moitié,
Viter, per quod itur^ à pied ou à cheval , enfin le
semi iter, semila, simple sentier de piétons.
LA LOCOMOTION SUR LA TERRE. 27
Les plus célèbres voies qui nous restent de l'anti-
quité sont celles qu'on connaît sous les noms de voies
Appienne, Aurélienne, Flaminienne, etc. La voie
Appienne doit son nom au censeur Appius Claudius
(511 avant J.-C), qui la prolongea jusqu'au delà de
Capoue , sur une longueur de 142 milles. La voie
Aurélienne, la première qui ait été conduite d'Italie
en Gaule, menait de Rome à Arles en longeant la
Méditerranée. Elle desservait Nice j)ar le col de l'Es-
carène, en empruntant la route actuelle du Col de
Tende. La voie Flaminienne allait de Rome à Arimi-
num (aujourd'hui Rimini). Elle avait 560 milles de
longueur. Commencée par le consul Flaminius, en
222 avant J.-C, elle fut prolongée ensuite jusqu'à
Aquilée, au fond de l'Adriatique. Comme la voie Au-
rélienne, elle aboutissait à Arles, mais elle passait par
Milan, Turin et Suse pour atteindre Briançon et
Embrun par le mont Genèvre. De Gap, une bifurca-
tion se dirigeait sur Lyon par Die, Valence et Vienne.
Quelques autres voies romaines existent encore
au travers des Alpes. Deux documents d'une grande
valeur donnent sur ces routes des renseignements
pleins d'intérêt. « Ce sont l'Itinéraire des provinces,
dressé au deuxième siècle par les ordres d'Antonin le
Pieux et la Table de Théodore, datant de la fin du
douzième siècle et plus communément appelée Table
de Peutinger, du savant antiquaire qui en prépara la
publication ^ »
* Charles Duiier, Journal officiel, 1875.
28 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Ces documents étaient l'Indicateur Cliaix de cette
époque !
Dans le nord de la France, en Belgi(jue et en Bour-
gogne, on rencontre encore de belles chaussées, aux-
quelles on a donné le nom de Brunehaut, mais dont
la construction remonte sans doute aux Romains. Il
est peu probable que cette reine , au milieu des
troubles qui ont agité son règne, ait pu donner ses
soins à l'exécution • des grands travaux qu'on lui
attribue.
Ce qui est certain, c'est que les chaussées dont
nous venons de parler, dues ou non à Brunehaut, re-
montent à une date très-ancienne. Leur existence ac-
tuelle ne fait que mieux prouver l'excellence de leur
construction.
Mais ce qu'ont pu faire les Romains, grâce aux
armées dont ils disposaient et malgré des moyens
d'exécution grossiers, est devenu après eux, et pour
longtemps, tout à fait impossible.
A la lin du douzième siècle, Philippe Auguste a
amélioré les rues et les routes de son royaume.
Plus tard, Colbert a créé de nouveaux moyens de
communication. Il s'est occupé de la réparation des
routes existantes et de la construction de voies nou-
velles. C'est lui, rappelons-le en passant, qui a fait
construire le célèbre canal du Languedoc et projeté
celui de Bouro^oa^ne.
A cette époque, le corps des ponts et chaussées
était déjà créé. Sa fondation remonte à Louis XIII,
mais c'est seulement à dater de 1759, époque de son
LA LOCOMOTION SUR LA TERRE. 29
organisation par Trudaine et Perronnet, que les Ira-
vaux do viabilité reçurent une impulsion considérable :
les grands ponts de Neuilly, de Mantes et d'Orléans
furent construits. Toutefois , le corps des ponts et
chaussées ne reçut sa constitution définitive qu'à dater
du décret impérial du 7 fructidor, an XII (25 août
1804}, complété par les décrets des 15 octobre 1851
et 17 juin 1854.
Dès lors , on s'occupa de la construction de ces
routes magnifiques, à chaussée entièrement pavée,
mesurant, y compris les accotements destinés aux
piétons, jusqu'à 14 mètres de largeur.
A côté des routes nationales, réparties en trois
classes, selon qu'elles unissent Paris à un Etat voi-
sin ou à un port militaire, — à une des principales
villes de France, — ou qu'elles établissent une com-
munication transversale entre plusieurs départements,
— se placent les routes départementales construites
et entretenues avec les fonds votés par les conseils
généraux des départements, — puis, les chemins vici-
naux, qui relient les routes aux villages ou les vil-
lages entre eux, et enfin les chemins ruraux destinés
à faciliter les travaux de l'agriculture et entretenus,
comme les précédents, par les communes intéressées.
Nous comptons :
Roules nalionales el dùparleiuciitales. . 80,028 Lilom.
Chemins vicinaux 518,000 —
La circulation sur les routes nationales a été l'objet
de comptages qui permettent d'en apprécier l'impor-
30 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
tance. Elle est de 5,200 millions de colliers à 1 kilo-
mètre ce qui signifie qu'elle est représentée par envi-
ron i 800000 tonnes transportées à la même distance.
Quant au nombre des inspecteurs généraux, ingé-
nieurs en chef, ingénieurs ordinaires et élèves-ingé-
nieurs chargés des travaux de construction et d'entre-
tien des routes nationales, il est de 575. Indépendam-
ment du service des routes nationales, ces ingénieurs
ont encore celui des rivières, des canaux, des ports
et des travaux maritimes, etc., et sont, d'ordinaire,
chargés des travaux à exécuter pour les routes dépar-
tementales.
On peut se faire une idée des sacrifices que fait
l'État pour la construction et l'entretien des voies de
communication, par les sommes énormes qu'il con-
sacre à V enseignement du personnel auquel il confie
la direction des travaux. Un ingénieur des ponts et
chaussées, à sa sortie de l'école, se trouve avoir coûté
à l'État 20 000 francs ; un ingénieur des mines plus
du triple : 61 000 francs ^ •
Les voies de terre perdant de leur importance, de-
puis l'impulsion donnée à la construction des voies
ferrées, les ingénieurs des ponts et chaussées passent
au service des compagnies et contribuent avec les
ingénieurs sortis de l'École Centrale et de quelques
autres écoles à la construction et à l'exploitation de
ces nouvelles voies.
Le personnel qui appartient aux compagnies de
* Compte rendu de la société des ingénieurs civils. — Séance du
8 janrier 18G9.
LA LOCOMOTION SUR L'EAU. 31
chemins de fer est considérable. Peu de personnes
s'en font une idée exacte. Voici, à cet égard, les ren-
seignements que nous extrayons de l'ouvrage de
M. Jacqmin, Directeur de la Compagnie de l'Est.
Le seul personnel de l'exploitation de la Compagnie
de l'Est se composait, au 51 décembre 1865, de :
5517 hommes commissionnés. . ) _„^,
o//n 1 ' • 1 ^S^t) agents.
2449 nommes en régie ) °
Ce chiffre étant pris comme base, le nombre des
agents attachés à l'exploitation des voies ferrées, en
France, serait de 60 000 environ.
DE LA LOCOMOTION SUR L EAU.
La feuille, la branche, le tronc d'arbre et le ])atoau. — Rivières, fleuves,
canaux, lacs, mers, océan. — Les ondulations. Les marées, les courants
et les vents. — Les vagues, la tempête et les navires transatlantiques. —
Le réseau des voies navigables en France.
La sécurité de la locomotion sur le sol, sur cette
terre, qui est notre élément, cesse au moment où nous
l'abandonnons pour nous lancer sur l'eau. Nous n'a-
vons plus cette base ferme et solide sur laquelle nos
pieds, malgré leur faible étendue, trouvaient un appui
suffisant, et, poumons soutenir sur l'eau, nous devons
nous développer de tout notre corps et fournir la plus
grande surface possible.
Encore ne nous éloignons-nous jamais du rivage au-
quel nos forces épuisées nous rappellent bientôt. Pour
tenter de longs voyages, nous devons emprunter un
32 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION-
vélîiculc et nous demandons à nos bras, au flot lui-
même, au vent, à la vapeur, enfin, un secours indis-
pensable. Il est impossible de dire, avec Gessner, quel
fut le « premier navigateur. » Le premier homme qui
tenta l'aventure vit-il une feuille tombée dans Peau,
emportée par le vent, ou bien une branche, un roseau
peut-être, ou un tronc d'arbre entraîné par un courant,
et l'idée lui vint-elle de faire comme la fourmi sur la
feuille ou l'oiseau sur la branche? On ne sait : mais
bientôt il creusa l'arbre pour le rendre plus léger, se
fit une voile d'un morceau de toile, ima^jina la rame
et le gouvernail.
Qui saurait dire ce que le sombre gouffre a en-
glouti de victimes et de combien de vies a été payé
chaque progrès accompli dans l'art de la navigation !
Les rivières, les fleuves et encore moins les canaux
n'offrent, eu égard à leur faible largeur et à leur fai-
ble profondeur, aucun danger sérieux dont la naviga-
tion ne se soit rendue maîtresse depuis longtemps. Un
cours plus ou moins rapide, un lit plus ou moins
profond, pas plus de vent que sur la terre et un abor-
dage presque toujours facile à tout moment du par-
cours, telles sont les conditions générales de la navi-
gation fluviale, qui n'a d'autre inconvénient que sa
lenteur ; telles sont aussi les conditions de la naviga-
tion sur les lacs, à cela près que, sur quelques-uns
d'entre eux, le vent soulève parfois des bourrasques,
devant lesquelles les légères embarcations doivent fuir
et regagner la rive.
Mais, il en est tout autrement de celte grande éten-
LA LOCOMOTION SUR L'EAU. 53
due d'eau salée qui couvre les trois quarts de uotre
globe, de l'Océan et des mers secondaires.
Combien diffère du sol qui conserve la trace éternelle
des travaux de l'homme, cette masse liquide inces-
samment mobile, incessamment agitée, plissée d'on-
dulations que le moindre zéphir gonfle, grossit, et que
le vent grandissant fait éclater en tempêtes, vaste champ
d'observations que l'homme ne connaît pas encore,
vaste corps insondé dont les savants n'ont pu mesurer
encore les capricieuses pulsations !
Le problème, que nous avons indiqué, de la recher-
che des lois du frottement entre deux corps solides,
problème dont la solution dernière n'a pas encore été
donnée, paraît bien simple à côté de celui du dépla-
cement d'un corps solide à la surface des eaux. Les
plus grands géomètres ont cherché à le résoudre :
Newton, Lagrange, Laplace, Cauchy, Airy, Fronde,
Macquorne Rankine, etc.; et cette question, si elle a
été quelque peu éclaircie, ne laisse pas que d'être en-
core enveloppée de ténèbres épaisses.
Une pierre jetée dans l'eau donne naissance à des
courbes dessinant à sa surface des cercles concentri-
ques d'un rayon croissant. L'eau paraît fuir le centre
frappé, et pourtant elle ne se déplace pas. Ce phéno-
mène n'est autre que celui qu'on produit avec une
corde étendue sur le sol, puis relevée et abaissée brus-
quement. Les divers points de la corde montent et
descendent et, l'action cessant, reprennent sensible-
ment leur position première. Les cercles concentriques,
qui se sont produits sur l'eau, sont le résultat de l'in-
5
34 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
compressibilité du liquide, de son élasticité. Com-
primées par la chute de la pierre, les molécules
aqueuses, placées sous celle-ci, ont soulevé celles qui
étaient à l'entour en un cercle. saillant. Celles-ci, s'a-
baissant en vertu de leur poids, ont déterminé la for-
mation d'un second cercle, celui-ci d'un troisième et
ainsi de suite ; les saillies diminuant, les intervalles
augmentant, les ondulations se sont éteintes et, après
une série d'oscillations, le calme s'est rétabli.
Quelles sont les lois de ces ondulations dues à la
chute d'un corps dans l'eau, dues aussi à la progres-
sion d'un corps solide à sa surface ?
Il n'y a que trouble dans l'esprit des savants sur la
nature, la direction et l'amplitude du mouvement
moléculaire dans l'ondulation.
Ils sont à peu près d'accord sur ce fait : que la di-
rection du mouvement est verticale ou sensiblement
verticale ; mais sur ce point seul ils s'entendent.
Indépendamment de ces mouvements que prend la
masse liquide sous l'action du navire qui progresse à
sa surface, il s'en produit encore d'autres qui sont dus
aux attractions de la lune et du soleil combinées, au
mouvement de rotation de la terre, aux différences de
densité résultant des différences de température et de
salure des eaux, enfin aux courants et aux vents.
Le soleil et la lune exercent sur les eaux une attrac-
tion d'autant plus sensible que l'étendue des mers est
plus considérable. Telle est la cause du phénomène
des marées.
La surface des mers se trouve, dans son immense
LA LOCOMOTION SUR L'EAU. 35
étendue, soumise à des différences de température, —
élévation dans les régions équatoriales, abaissement
dans les régions tropicales, — à des différences de
salure qui déterminent des différences de densité.
L'équilibre cesse tous les jours d'exister dans la masse
des eaux, les mêmes causes amenant les mêmes varia-
tions de densité. Les parties les plus denses gagnent
l'équateur, sous l'influence du mouvement de rotation
de la terre ; les parties les moins denses ou les plus
légères se dirigent, au contraire, vers les pôles, où
elles se refroidissent de nouveau.
La masse d'air, qui règne au-dessus des mers, est
soumise aux mêmes causes de perturbation que celle
des eaux. L'air enlève des quantités de vapeur consi-
dérables, qui gagnent les parties supérieures de l'at-
mosphère où elles se condensent. Les mêmes varia-
tions de densité déterminent, à des degrés divers, les
mêmes mouvements dans la masse gazeuse et donnent
naissance aux vents, d'intensité et de direction fixes ou
variables.
Ainsi donc, trois causes, incessamment reciaissantes,
troublent la surface des eaux : les marées ^ les cou-
rants eVles vents. ^
Les marées ne produisent d'action sensible sur la
navigation que dans le voisinage des côtes et passent
inaperçues au milieu de l'Océan. Les marins doivent
cependant avoir égard aux mouvement» d'élévation
et d'abaissement des eaux qui se produisent dans cer-
taines mers. « La Manche et la mer du Nord se vident
et se remplissent. L'Adriatique subit une différence
56 LES MERVEILLES DE LA LOCO:.IOTIO>'.
de niveau à laquelle la Méditerranée semble ne partici-
per que faiblement, La mer Rouge subit des différences
de niveau de un à deux mètres, et dans le golfe Per-
sique ces différences sont beaucoup plus fortes K »
Les courants, aussi bien que les vents, sont des auxi-
liaires ou des entraves pour la navigation. Aussi, les
navires à voile, qui se rendent dans certains pays, ont-
ils soin de faire coïncider l'époque de leur voyage avec
celle des courants et des vents favorables dans les mers
qu'ils doivent parcourir. C'est ainsi, par exemple, que
les navires à voile parcourant la mer Rouge, allant de
Suez aux Indes, exécutent ce voyage en avril et mi-
septembre, — période durant laquelle soufflent les
vents du nord, — et reviennent du détroit de Bab-el-
Mandeb à Suez entre octobre et avril, époque à laquelle
les vents ont changé de direction et soufflent du sud.
La vitesse des courants généraux varie, en mer,
entre 0^,25 et 0'",75 par seconde ; les courants locaux,
dus aux marées, dépassent rarement 2 mètres. En cer-
tains points, cependant, cette vitesse peut atteindre
5 mètres par seconde.
Mais la principale cause d'agitation de la mer est
l'action du vent, dont l'intensité varie depuis la brise
jusqu'à l'ouragan, depuis une vitesse nulle jusqu'à
45 mètres par seconde et peut exercer, dans cet inter-
valle, des pressions variables deO à277kilogram. par
mètre carré ; c'est alors l'ouragan qui déracine les ar-
bres, renverse les édifices, et que les navires doivent fuir.
* Flachat.
LA LOCOMOTION SUR L'EAU. 57
Jusqu'à quelle profondeur s'étend cette agitation de
la mer sous l'action du vent? On ne sait. La vie ani-
male se maintient à 160 mètres. L'extraction du fond
de la mer de tronçons de câbles sous-marins a prouvé
qu'elle avait lieu à 2,000 et 5,000 mètres, mais il
est peu probable que l'agitation de la mer atteigne
ces grandes profondeurs, et l'on doit plutôt attribuer les
mouvements qui ont été constatés à des différences
de densité dont la fonction est de maintenir un équi-
libre de composition, une homogénéité constante
entre les diverses parties des Océans.
L'agitation de la mer se traduit à sa surface par la
formation des ondulations que, dans le langage ordi-
naire, on nomme des vagues. Tant que le vent reste
faible, les va^^ues sont peu accusées, et il ne se pro-
duit qu'un phénomène de soulèvement et d'abaisse-
ment alternatifs de la surface liquide, phénomène
absolument semblable à celui que l'on constate, au
moment de la moisson, à la surface d'un grand champ,
de blé ; les épis s'inclinent, se relèvent, puis s'incli-
nent encore et se relèvent de nouveau, par zones plus
ou moins étendues ; les o^illations se succèdent à
intervalles plus rapprochés, quand la violence du vent
augmente ; les épis semblent fuir et cependant restent
fixés au sol. Il faut une tempête violente pour les en
arracher et les transporter au loin. De même, quand
sur la mer les ondulations grandissent et les vagues
s'élèvent, le vent qui frappe leur crête la brise et la
rejette en une volute d'écume sur le flanc de la vague.
Il y a, dans ce cas, un réel mouvement de translation.
58 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Les vagues ne sont pas, d'ailleurs, ces montagnes
liquides qu'a cru voir une imagination trop vive au
fort de la tempête. Les navigateurs les plus expéri-
mentés, dont les observations méritent le plus de
créance, n'ont pas constaté de hauteurs supérieures à
15 mètres. C'est le quart du chiffre indiqué, d'une
manière approximative, par certaines personnes dont
les yeux seuls ont servi d'instrument de mesure. Les
dangers auxquels on est exposé au milieu d'une tem-
pête, sont assez nombreux pour qu'on cherche à dé-
truire les préjugés que l'ignorance ou la frayeur ont
fait naître.
11 ne faut pas juger non plus des secousses que
ces vagues peuvent produire sur la coque d'un bâti-
ment, par les effets qui résultent de leur choc contre
les falaises, les jetées ou les murs de quais, obstacles
immobiles opposés à la fureur de la mer. Sous un
effort trop violent, le bâtiment s'incline, puis, l'effort
cessant, se redresse. Mais si la falaise est de roche peu
résistante, si le mur n'est pas fait de bons matériaux,
reliés par le meilleur mortier, s'il n'est pas suffisam-
ment épais, la vague l'ébranlé et bientôt le détruit.
La seule condition à remplir pour que le navire ré-
siste, c'est qu'il constitue une masse parfaitement indé-
formable et de dimensions assez grandes pour rester
insensible aux agitations de l'Océan. Ces dimensions
sont celles des bâtiments qui font aujourd'hui le ser-
vice de l'Amérique et de l'Australie.
Résumons les quelques indications qui précèdent :
LA LOCOMOTION SUR L'EAU. 59
L'immense plaine nue de l'Océan est la carrière libre
des vents, et les véhicules ou les navires qui se lancent
à sa surface n'ont ni un sol solide comme appui, ni
une atmosphère calme comme milieu; instabilité
constante au-dessous, instabilité constante au-dessus,
toutes deux indissolublement unies, mais non pas sans
limites dans leurs ébranlements et dans leurs fureurs.
Au-dessus de ces tempêtes de l'air et des eaux s'é-
lève l'homme, plus fort de son expérience que de ses
calculs, car c'est à peine s'il a entrevu la vérité dans
tous ces phénomènes qui le frappent et pénétré l'un
des innombrables mystères qui se passent au sein des
eaux.
Peut-on chiffrer l'importance des moyens de com-
munications maritimes offerts à l'activité des nations?
Le réseau des voies navigables intérieures qui sillon-
nent notre pays, comprend :
500 kilom. de rivières flottables:
JOOO liilom. de rivières
4800 kilom. de canaux.
7000 kilom. de rivières navigables :
Soit, en totalité, 12,300 kilomètres.
La mer appartient à tous les peuples, et l'on peut dire
que sa surface, presque tout entière, est ouverte à leur
commerce et à leur industrie.
Les cinq Océans ont une surface de plus de 575 mil-
lions de kilomètres carrés ainsi répartis :
40
LES .MERVEILLES DE LA LOGOMOTIO>'.
Océan glacial du KorcI
— du Sud
Océan Atlantique
Océan Indien
Superficie
en millions
de
kilomètres carrés.
Rapport
surface totale
du globe.
11.0
20. -0
100.0
67.8
175.0
1.2
5.9
19.0
45.5
55.0
Grand Océan ou Océan Pacifique .
Les cinq océans
Europe
575.8
75.0
10.0
50.2
41.8
10.9
24.2
19.1
2.0
5.9
8.2
2.2
4.9
5.8
Afrique
Asie
Occanie
. , . i du ^ord
•^■"^'■■"I"» î du Sud
Les cinq parties du monde .
Continents et Océans. . . .
15(3.2
27.0
510
100
Grâce à la navigation à vapeur, le voyage autour du
monde est devenu chose facile. On compte :
milles.
De San Francisco à Yokohama 4700
De Yokohama à Hong-Kong ...... 1600
De Hong-Kong à Calculla 5500
De Calcutta à Bombay 1400
De Bombay à Suez 5600
De Suez à Alexandrie 225
D'Alexandrie à Brindisi 850
De Brindisi à Londres 1200
De Londres à ]Se\v-York 5200
De >'e\v-York à San-Francisco 5294
milles.
25 500
LA LOCOMOTION DAMS L'AIK. 41
Ce voyage peut être effectué en moins de 5 mois,
82 jours, dit-on, etmoyennant la somme de 1145 dol-
lars (monnaie d'or).
D'Europe, aussi bien que d'Amérique, le voyage est
entrepris. Il offre trop d'attraits pour que nous ne
croyions pas au succès de ces nouveaux trains de
plaisir.au long cours. Heureux ceux qui peuvent y
prendre part l
III. — DE LA LOCOMOTION DANS LAIR.
Les vonls. — La chute d'un corps dans Tair et dans le vide. — Les oiseaux
et les ballons. — La direction des ballons paraît une utopie. — Invention
d'un moteur à poudre.
Nous connaissons déjà l'air par ce que nous en avons
dit à propos des tempêtes qu'il soulève à la surface
des mers, et nous n'avons pas besoin d'insister de
nouveau sur la violence des mouvements dont sa masse
est souvent agitée pour faire comprendre les difficultés
que trouve l'homme à s'y mouvoir dans une direction
déterminée. En passant de la terre sur l'eau, du corps
solide sur le corps liquide, les points d'appui qui
doivent servir de base à la locomotion perdent de leur
fixité, et le véhicule ne devient stable qu'en intéressant
à ses mouvements une grande masse de liquide ; dans
l'air, dont les propriétés essentielles sont la mobilité
s et la compressibilité, les points d'appui manquent
presque absolument, nous disons presque, car le vide
seul admet dans ce cas l'absolu : un morceau de pa-
42 . LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
picr, que nous laissons tomber dans l'air tranquille,
ne descend jamais verticalement ; il est dévié de cette
direction par Tair qui presse sa surface ; dans un tube,
où nous aurons fait le vide, ce même morceau de pa-
pier tombera dans une direction qui se rapprochera
d'autant plus de la verticale que le vide aura été fait
d'une manière plus parfaite, et il suivra rigoureuse-
ment la verticale, si le vide est absolu.
C'est seulement en comprimant la masse gazeuse
environnante que le véhicule aérien se crée un appui
et peut se mouvoir dans telle ou telle direction.
L'air est le lieu de locomotion de tous les animaux
ailés qui le parcourent en dépit du vent — tant que
ce vent n'est pas tempête — avec une vitesse qui
varie selon l'espèce, et dans toutes les directions, en
demeurant toutefois dans une zone qui ne s'étend pas
au delà de 7 000 mètres au-dessus du niveau de la mer.
C'est à la limite des neiges éternelles au sommet de la
Cordillère des Andes, entre 5500 et 4800 mètres
au-dessus du niveau de la mer, que le condor fixe d'or-
dinaire sa demeure. La frégate s'avance en mer à des
distances de plus de 400 lieues, saisissant au vol à la
surface de l'eau les poissons dont elle fait sa nour-
riture.
Mais quels appareils merveilleux que ces ailes qm
servent aux oiseaux à se soutenir et à progresser dans
l'air! Voyez d'abord leur charpente, la solidité des
points d'attache de leurs os au thorax, la construction
de ces os, tubes creux et cellulaires, unissant la force
à la légèreté, voyez maintenant les rémiges, les barbes,
LA LOCOMOTION DANS L'AIR. 45
rames à large surface, capables de prendre des incli-
naisons diverses et de concourir avec les pennes rec-
trices de la queue à gouverner leur vol I Et quelle
force dans l'oiseau, eu égard à la petitesse de sa taille,
pour faire mouvoir ces instruments si simples et si
complets !
Qu'on rapproche maintenant cette admirable struc-
ture de la construction grossière des appareils avec
lesquels, jusqu'à présent, on s'est élevé dans l'air. Un
globe énorme de forme sphéroïdale, gonflé d'un gaz
plus léger que l'air, dont la force ascensionnelle croît
en raison de son volume et de la différence des den-
sités, voilà l'appareil. On a donné à l'aérostat jusqu'à
6000 mètres cubes de capacité, avec une surface
exposée au vent d'environ 400 mètres carrés; telles
sont les dimensions du Géant; tel est l'appareil que
les aéronautes ont eu parfois la pensée de gouverner,
à l'aide de trois ou quatre palettes d'une surface rela-
tivement insignifiante, à l'aide d'une ou de plusieurs
hélices, d'une ou de plusieurs roues !
Il n'est personne qui n'ait éprouvé l'effet d'un vent
un peu violent et qui ne se soit senti entraîné par lui.
Et cependant la plus grande surface que notre corps
offre au vent n'est guère que de 1 mèire carré. Qu'on
juge par là de la pression que produit sur la surface
400 fois plus grande d'un corps qui ne repose sur
aucun point solide, un vent dont la direction peut
changer à chaque instant et dont la vitesse est va-
riable, depuis 50 mètres par minute pour le vent le
plus faible, jusqu'à 2700 mètres pour l'ouragan, ce
44 LES MERVEILLES DE LA LOCUMOTIO^'
qui, dans ce dernier cas, représente 16'2 kilomètres à
l'heure, c'est-à-dire trois fois environ la vitesse du
train rapide de Paris à Marseille !
M. Babinet a dit à l'Association polytechnique :
« La théorie de la direction des ballons est absurde.
Comment faire ?
« Comment faire résister et manœuvrer, contre les
courants j des ballons comme leFlesselles, par exemple,
qui mesurait 120 pieds de diamètre? Il faudrait une
force de 400 chevaux pour mettre en lutte à peu près
égale avec le vent une voile de vaisseau. Supposez, ce
qui est impossible, qu'un ballon pût emporter avec lui
une force de 400 chevaux ; ce grand effort ne servi-
rait absolument à rien, car nous apprécions tout de
suite que, sous cette pression, votre ballon s'écraserait
dans sa fragile enveloppe.
« Supposez tous les chevaux d'un régiment attachés
par une corde à la nacelle d'un ballon, vous obtiendriez
pour tout résultat de voir voler en éclats votre ballon.
« C'est tout à fait ailleurs que l'homme doit cher-
cher les moyens de s'élever, ce qui veut dire en même
temps de se diriger dans l'air. »
Les faits qui précèdent sont si simples qu'on ne s'ex-
plique pas comment un si grand nombre d'inventeurs
n'en ont pas été frappés et ont vainement poursuivi la
recherche de la direction des ballons.
Le problème de la navigation aérienne, comme
celui de la navigation maritime, est double. Le véhicule
doit trouver sa base de sustentation sur le milieu, eau
ou air, qu'il doit parcourir; il doit, en outre, être di-
LA LOCOMOTION DANS L'AIR. 45
rigeable. Les ballons satisfont à la première partie de
la question, mais leur volume rend incompatibles les
deux parties du problème. La seule ressource de l'aé-
ronaute est de s'élever ou de s'abaisser dans l'air, à la
recherclie d'un courant soufflant dans la direction qu'il
veut suivre. S'il ne le trouve pas, il doit abandonner
la lutte, car il ne pourra que s'éloigner de sa destina-
tion. En résumé, la direction des ballons est entourée
de telles difficultés qu'on peut la considérer comme
irréalisable.
La question nous paraît donc devoir se poser de la
manière suivante : Trouver un înoteur qui^ sous un
volume restreint, réunisse une très-grande puis-
sance à une très-grande légèreté. On peut être cer-
tain que le jour où ce moteur sera trouvé, la direction
des ballons le sera du même coup, car il ne s'agira
plus que de l'application d'une force à un appareil ailé
dont la nature nous offre un assez grand nombre de
spécimens et que l'homme pourra construire de toutes
pièces dans un temps certainement limité. La question
du gouvernement de l'appareil deviendra l'objet d'une
étude pratique dont un certain nombre d'expériences
fourniront la solution.
Il est incontestable que l'une des voies qui pourraient
conduire à la découverte du moteur nécessaire est celle
qui reposerait sur l'utilisation d'une des propriétés
physiques ou chimiques de l'air, ou de l'un de ses gaz
constituants, oxygène ou azote, et plutôt du premier,
source de combustion et de vie, que du second, qui
n'a que des propriétés négatives. Le moteur aurait ain§i
46 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
son aliment au sein de la masse même où il se meut.
Il y a des corps que l'homme a trouvé le moyen de
lancer et de diriger dans l'air, avec une vitesse qui défie
celle des vents, au plus fort de l'ouragan. Ce sont les
projectiles qui sortent des armes à feu et qui ont été
utilisés comme moyens de transport, comme porte-
amarres, etc. La poudre vient d'élre appliquée récem-
ment aux sonnettes qui servent à enfoncer les pieux.
La charge d'un fusil suffit pour actionner un mouton
de 180 kilogrammes. Que le lecteur ne sourie pas!
Nous n'avons pas l'intention de le mettre à cheval sur
un boulet ou sur un javelot ailé et de le lancer ainsi
dans l'air, à la vitesse vertigineuse que produit l'explo-
sion de la poudre ou celle d'un picrate quelconque ;
mais, en raison des effets foudroyants dus à la com-
bustion instantanée et à l'explosion de certaines ma-
tières fulminantes, n'cst-il pas permis de supposer que
l'homme pourra fixer le régime de ces sources de for-
ces, en rendre l'action continue et la régler enfin selon
le but particulier qu'il se propose ?
L'homme doit-il prétendre lutter contre toutes les
tempêtes de l'atmosphère? Nous ne le croyons pas.
Ses efforts doivent tendre à triompher du vent, tant
que son intensité ne dépasse pas certaines limites, à
tirer parti des courants naturels de l'air, comme il le
fait de ceux de la mer ou des rivières, ces chemins
qui marchent, ainsi qu'a dit Pascal; mais il doit se
résigner, quant à présent, à fuir les ouragans de l'air
comme il fuit ceux de l'Océan, se rappelant sans cesse
son infimité vis-à-vis du grand maître de la nature.
CHAPITRE II
LES ANIMAUX MOTEURS
I. — LHOMME MARCHEUR, COUREUR, PATINEUR, ÉCHASSIER
Quelle a dû être la situation de notre premier père
à sa sortie des mains du Créateur, et quel ressort a pu
le pousser à se mettre sur ses jambes et à quitter la
place où Dieu l'avait fait naître? Est-ce la faim, est-ce
le désir de contempler les beautés du monde terrestre
qui lui était donné comme séjour? Est-ce une sensa-
tion, est-ce un sentiment qui a parlé le premier? L'être
matériel s'est-il révélé avant l'être moral? Les philo-
sophes résoudront, s'il leur plaît, cette question. Pour
nous, nous supposerons tout simplement que les mus-
cles de la locomotion ont bien pu être impressionnés
par ceux de l'estomac et que, la manne ne tombant
pas du ciel, l'homme alla chercher des fruits pour sa-
tisfaire son appétit.
Quant à ses descendants, ils suivirent l'exemple de
leur père, à cela près que peut-être ils commencèrent
48 LES MERVEILLES DE L.\ LOCOMOTION.
à marcher à quatre pattes, pour ne plus marcher
bientôt que sur deux et pour finh' avec trois, comme
l'a fait remarquer le fils de Laïus et de Jocaste.
'Mais nous laissons l'enfance et la vieillesse de
l'homme pour ne nous occuper que de son âge mûr et
de l'individu à l'état parfait.
Tandis que la plante meurt où elle a poussé, que la
bête broute le sol qui l'a vu naître, l'homme seul va
chercher bien loin les aliments nécessaires à sa vie
matérielle, à sa vie intellectuelle. Aussi comprend-on
bien que les anciens aient tenu en si grand honneur
les exercices de la marche et de la course, les seuls
moyens qu'avait l'homme, aux époques primitives,
d'entretenir les forces de son corps et de pourvoir à
l'activité de son cerveau.
On sait que des couronnes étaient réservées aux
vainqueurs des courses aux jeux olympiques. C'est
qu'alors on attachait plus d'importance qu'on n'en
donne aujourd'hui à la forte constitution de l'homme.
La guerre était le but principal dans lequel on formait
des jeunes gens vigoureux, mais les travaux de la paix
bénéficiaient aussi des exercices du gymnase, et la
santé du corps, l'équilibre maintenu dans l'accom-
plissement de toutes ses fonctions n'étaient pas sans
influence sur les productions du cerveau : Athènes et
Rome resteront le berceau toujours admiré des lettres,
des sciences et des arts.
La jeunesse tout entière était formée aux exercices
du corps, les hommes étaient généralement bon mar-
cheurs (on se rappelle l'usage qui existait à Sparte de
LES ANIMAUX MOTEURS. 40
sacrifier, dès leur naissance, les enfants difformes).
Mais, parmi tous ces hommes, quelques-uns se sont
trouvés doués de cette poitrine plus large, de ces
jambes mieux musclées et plus longues, dont les mé-
dailles où les vases anciens nous ont laissé l'image et
dont les historiens et les poètes nous ont raconté les
hauts faits.
Sans parler d'Achille aux pieds légers, que tout le
monde connaît, on peut citer Hermogène, de Xante
(en Lycie) , qui remporta huit victoires en trois olym-
piades, Lasthine le Thébain, qui battit un cheval à la
course, et Polymestor, jeune chevrier de Milet, qui
attrapait un lièvre à la course.
Au moyen âge, on trouve des coureurs émérites au
service de la noblesse. De grands gaillards « foy^t bien
fendus, » à l'haleine longue, au costume léger, ornés
de plumes, de clochettes, de rubans, s'en allaient en
avant du carrosse de leur maître pour annoncer son
arrivée. Tantôt ils étaient pieds nus, tantôt ils n'a-
vaient que des chaussures légères. Ils portaient à la
main une longue canne terminée par une pomme d'ar-
gent, dans laquelle ils enfermaient leur repas. Inutile
de dire que ces hommes vivaient peu et que, du jour
où leurs membres épuisés réclamaient le repos, le
corps tout entier cédait à l'excès de la fatigue, et ils
succombaient.
De ces coureurs, il n'est guère resté que le nom; il
existe encore des valets de pied en France et des
footmen en Angleterre; mais l'aristocratie a très-
heureusement renoncé au privilège qu'elle tenait de
4
50 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
la féodalité d'avoir à son service des hommes dont
elle faisait des esclaves, honteusement soumis à tous
ses caprices. Les valets de pied usent maintenant des
voitures comme leurs maîtres, et ce n'est plus qu'aux
cortèges des rois, à des occasions solennelles, qu'on
les voit cheminer à côté des chevaux d'apparat, dont
ils servent à régler l'alhu-e et à diriger la marche.
On rencontre encore des coureurs dans quelques
pays primitifs, où ils sont chargés du service de la
poste, chez les Cafres, par exemple. Munis du message
de leur maître pour un chef voisin, les coureurs par-
tent dans le plus simple appareil, mâchant seulement
quelques feuilles de tabac, dont le jus sert à tromper
leur soif. Dès qu'ils ont la réponse attendue, ils re-
partent en courant.
Les plus singuliers coureurs sont ces petits négril-
lons, à peine vêtus de lambeaux, qui se cramponnent
à la queue des chevaux arabes et les suivent à la course.
Le cheval arrêté, ils vont de la queue à la tête et gar-
dent le coursier pendant que le maître vaque à ses
plaisirs ou à ses affaires.
Mais s'il n'y a plus d'autres coureurs que ceux que
l'on voit paraître en maillot, de temps en temps, dans
les villes de province et qui en font le tour pour
quelques pièces de monnaie, il y a encore des mar-
cheurs.
Ceux que j'admire le plus sont ces soldats qui, avec
des charges de 15 à 20 kilogrammes, des vêtements
étouffants et une coiffure aussi pesante que ridicule,
font des étapes variables de 50 à 40 kilomètres pen-
LES ANIMAUX MOTEURS. 51
(laiit quinze à vingt jours consécutifs; et je mets au
nombre des faits les plus remarquables, les marches
forcées des armées en campagne. Les distances par-
courues en un jour, durant les guerres du premier
empire, ont atteint 48 et même 60 kilomètres. Qu'on
se rappelle le passage des Alpes ou la retraite de
Russie : dans un cas, un faîte à franchir avec des
canons et tout un matériel de guerre; dans l'autre,
une longue marche à fournir dans la neige ou dans la
boue, en dépit du froid et de la faim. Il faut, chez les
hommes qui accomplissent de semblables hauts faits,
une force physique doublée d'une force morale excep-
tionnelle, comme peuvent seuls en faire naître des
événements extraordinaires. Mais fallait-il exciter tant
de vertu pour verser tant de sang ?
Le soldat rentrant au village devient souvent facteur
rural ; nous le voyons, dans certaines parties monta-
gneuses de la France, faire, pour un salaire des plus
modestes, un service des plus fatigants. Les véloci-
pèdes, dont nous parlerons plus loin, viendront-ils
quelque jour rendre leur tâche moins rude? Nous n'o-
sons l'espérer; car, tandis que le facteur passe partout,
à travers champs, dans les sentiers, sur les rochers,
le vélocipède ne passe que sur les chemins frayés, sur
les chaussées unies et peu inclinées. Combien de nos
chemins vicinaux ne pourraient convenir à ces légers
véhicules !
Indépendamment de ces marcheurs de profession,
il apparaît de loin en loin quelque marcheur hors li-
gne. L'un des plus remarquables est le capitaine Bar-
52 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
clay. C'était en juillet 1809; il paria 3000 livres ster-
ling (75000 francs), qu'il parcourrait en 1000 heures
consécutives un espace de 1000 milles. Les paris
s'élevèrent même jusqu'à 100 000 livres sterling
('2 500 000 francs) : 41 jours et 41 nuits de marche
non interrompue ! La distance de 1000 milles corres-
pond à 1609 kilomètres ou 402 lieues. Le pari fut
gagné, et le retour du capitaine Barclay salué par les
cloches sonnant à toute volée.
Mais qu'importent ces tours de force, aussi dépour-
vus d'utilité pour celui qui les exécute que d'intérêt
réel pour celui qui les observe? La marche des Landais
dans les pays marécageux qui s'étendent entre la Ga-
ronne et l'Adour, depuis la Gélise jusqu'aux dunes de
l'Océan, ou des Hollandais sur le miroir glacé de leurs
canaux, nous paraît plus digne de fixer l'attention.
C'est du haut de ses échasses, qui l'élèvent de
1 mètre à 1°',60 au-dessus du sol, que le berger lan-
dais garde son troupeau. Un bourrelet de bois, de corne
ou d'os, appelé cret ou 'pedis, garnit la partie infé-
rieure de ces échasses et les empêche de pénétrer dans
la vase. Le pâtre porte à la main un long bâton, appelé
yaou tchanqueij, et qui lui sert de balancier quand il
marche ou de point d'appui quand il veut se reposer.
Ainsi perché sur ces chanquesy il domine la bruyère,
traverse les marais, garde ses troupeaux et se garde
lui-même des attaques des loups. Il s'en va ainsi tous
les jours, insoucieux, entre ciel et terre, et tricotant
quelque paire de bas de laine couleur de bête.
C'est au moment où l'hiver semble ralentir l'acli-
pisIllIglSilll'
LES ANIMAUX MOTEURS. 55
vite de tous les êtres que les Hollandais se livrent
au plaisir tant aimé de Klopstock et de Goethe. La
surface polie des canaux qui sillonnent la Hollande
forme comme autant de chemins propres à la circula-
tion. Ce sont, non-seulement des champs ouverts à
leurs jeux et sur lesquels ils se livrent, hommes et
femmes, à des courses de vitesse, ce sont encore des
voies de communication rapide, que les femmes sui-
vent pour aller au marché, les hommes pour se rendre
à leurs travaux. Le patin est aussi appliqué à l'art mi-
litaire, et il s'est formé, dans différents pays du Nord,
des corps de patineurs, armés à la légère, et qui,
grâce à la rapidité de leur course, peuvent rendre,
dans certains cas, de très-utiles services.
Mais le patin et Péchasse ne s'emploient que dans ces
cas particuliers où la surface du sol est fangeuse ou
glacée. Hors de là, l'homme retombe sur ses jambes,
c'est-à-dire sur des organes qui ne doivent fournir,
d'une manière normale, qu'une course de peu d'éten-
due. Que l'on rapproche, en effet, la constitution ana-
tomique de l'homme de celle des animaux le mieux
doués pour la marche, ou pour la course, et l'on re-
marque qu'il manque de ces deux qualités essentielles,
qui font le mérite de ces animaux : la foi^ce des mus-
cles des membres locomoteurs, le développement de
la capacité thoracique et des organes respiratoires qui
y sont renfermés.
56 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
II. — LE CHEVAL, LANE, LE MULET, LHEMIONE,
LE BCEUF, LE YACK, LE BISON, LE CHAMEAU, l'ÉLÉPHANT, LE RENNE,
UE CHIEN, l'autruche.
L'homme s'est emparé du cheval et l'a dompté.
« La plus noble conquête que l'homme ait jamais
faite est celle de ce fier et fougueux animal... », a dit
Buffon. « Non-seulement il fléchit sous la main de
celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs ;
et, obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit,
il se précipite, se modère ou s'arrête et n'agit que pour
y satisfaire. C'est une créature qui renonce à son être
pour n'exister que par la volonté d'un autre ; qui sait
même la prévenir, qui, par la promptitude et la pré-
cision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute; qui
gent autant que l'on désire et ne rend qu'autant qu'on
veut; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien,
sert de toutes ses forces, s'excède et même meurt pour
mieux obéir. »
Selon la Fable, les dieux s'en servaient comme
de monture ordinaire ou l'attelaient à leurs chars.
La Bible, dans Esther, raconte « que l'on envoya des
lettres par des courriers à cheval sur des coursiers
rapides, sur des dromadaires issus de juments ».
Le cheval semble avoir toujours été l'auxiliaire de
l'homme. Chez tous les peuples, on le rencontre à l'é-
tat domestique. Dans le nord de l'Afrique, on trouve le
cheval arabe, le kochlané ou pur sang, le type de la race,
LES AMMAUX MOTEURS. 57
OU le kadisclié provenant de croisements inconnus,
tous deux reniarquables par l'élégance de leurs for-
mes et la rapidité de leur course. Dans la Barbarie, on
emploie des chevaux pour le manège ; en Espagne, des
chevaux pour le manège ou la cavalerie; en Angle-
terre, des chevaux de course, et dans les différentes
régions de la France, des chevaux pour tous les
usages. En Normandie, ce sont des chevaux de trait et
de manège; dans le Limousin, des chevaux de selle;
dans la Franche-Comté, des chevaux de trait; en
Auvergne, on élève le bidet et dans le Poitou le mulet.
Le cheval se plie à tous les travaux qu'on lui im-
pose, prend le pas, le trot, l'amble ou le galop, selon
le bon plaisir de celui qui le dirige. C'est avec la même
allure résignée qu'il suit le sillon de la charrue, l'or-
nière du chemin, la piste du champ de courses ou du
manège. Il ira en ligne droite le long d'une voie ferrée,
tournera en cercle pour élever l'eau du maraîcher, ou
marchera sur lui-même sans avancer, comme l'écu-
reuil dans sa cage, ou comme le chien du cloutier.
C'est enfin le premier instrument de l'agriculture et
de l'industrie.
Sans vitesse, il peut produire un effort de 360 ki-
logrammes; à la vitesse moyenne de 1 mètre par
seconde, cet effort n'est plus que de 80 à 90 kilo-
grammes ; encore faut-il que le travail ne soit pas trop
prolongé. Aussi ne compte-t-on d'ordinaire que sur
70 kilogrammes seulement.
Des expériences très-nettes ont permis de comparer
le travail de l'homme et celui du cheval : tandis que
58 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
l'homme, qui roule un fardeau sur une voiture à deux
roues et revient au point de départ chercher un nou-
veau chargement, peut travailler durant dix heures,
avec une vitesse de 50 centimètres par seconde et exer-
cer un effort moyen de 100 kilogrammes, le cheval
peut, travaillant le même temps, mais avec une vi-
tesse de 60 centimètres par seconde, exercer un effort
moyen de 700 kilogrammes. La quantité de travail
journalière est représentée, pour l'homme, par
1800 000 kilogrammètres\ et pour le cheval, par
15 120 000 kilogrammètres . — Tandis que le porte-
faix peut exercer, durant une journée de 7 heures, et
à une vitesse de 75 centimètres par seconde, un effort
moyen de 40 kilogrammes, le cheval chargé sur le
dos, peut, durant 10 heures de travail et en marchant
avec une vitesse de l'",1 0 par seconde., développer un
effort moyen de 120 kilogrammes.
Ces chiffres représentent, hien entendu, des résul-
tats moyens; car le poids que l'homme peut porter
s'élève jusqu'à 150 kilogrammes. Il a même atteint le
chiffre de 450 kilogrammes. Les portefaix de Rive-de-
Gier, qui chargent les bateaux, portent un hectolitre
de houille de 85 kilogrammes à 56 mètres, et font de
290 à 500 voyages par jour.
Il est assez intéressant de comparer aussi les vitesses
que peuvent prendre l'homme et le cheval à la
course.
La vitesse du coureur peut être de 13 mètres par
* Le kilogrammèlre, ou unité de travail, est le travail dû au poids
de 1 kilogramme élevé à 1 mètie de hauteur.
LES ANIMAUX MOTEURS. 59
seconde pendant quelques instants; la vitesse ordi-
naire est de 7 mètres. (Le marcheur ne s'avance qu'a-
vec une vitesse de 2 mètres, et le voyageur ne parcourt
que 1"\60 par seconde.)
La plus grande vitesse que puisse prendre un cheval
dans une course d'un quart d'heure, ne dépasse pas 14
à 15 mètres. La vitesse au galop est de 10 mètres, au
trot de 5'", 50 à 4 mètres, au grand pas de 2 mètres et
au petit pas de 1 mètre.
Il y a quelques années, le service des postes em-
ployait un grand nombre de chevaux de choix, que
les chemins de fer ont presque complètement dis-
persés. Les chevaux des malles-postes traînaient
500 kilogrammes à la vitesse de 4"", 44, et parcouraient
20 kilomètres par jour; ceux des diligences allant
moins vite (3"\55 par seconde), traînaient 800 kilo-
grammes et parcouraient 24 kilomètres par jour. En-
fin, les chevaux des chasse-marée, qui parcourent
52 kilomètres par jour, avec une vitesse de 2™, 20 par
seconde, ne traînent que 560 kilogrammes.
Moins vif, moins valeureux, moins beau que le cheval,
L'àne est son suppléant et non pas son rival.
Il n'en est pas moins vrai que le coursier de Silène,
qui l'emporte sur son maître par sa sobriété, rend,
comme porteur, de précieux services à l'agriculture.
Les petites exploitations Tutilisent avec avantage
pour les transports à faible distance, et les gens pau-
vres le préfèrent à raison de la facilité qu'ils ont à le
60 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
nourrir et à le loger. C'est le souffre-douleur de la
famille domestique, c'est pour lui que sont tous les
coups. Qui n'a pris en pitié le sort de ces pauvres
bêtes, en Espagne et en Afrique, où on leur voit suivre
par troupes nombreuses des chemins à peine tracés.
Fig. 5. — Éléphant portant un a'méry.
pliant sous la charge de lourds sacs de blé ou sous le
faix de longs Arabes, aux jambes traînantes?
Le mulet est le cheval du montagnard. A lui les
chemins étroits dans les rochers, et le transport du
bois réduit en charbon. Bon pied, bon œil, tête sûre,
LES ANIMAUX MOTEURS. 01
à l'abri du vertige et défiant les précipices ; mais al-
lure lente, justifiée par l'ampleur de sa taille.
Plus vite que les meilleurs chevaux arabes court
l'hémione, et nous nous demandons pourquoi le
0. — Éléphant portant un hauclah.
Dziggetai, très-répandu dans le pays des Katch, au nord
de Guzzerat, dans l'Inde, et dont on se sert à Bombay
comme cheval de selle et de trait, n'a pas encore été
acclimaté.
Puisque nous sommes dans l'Inde, nous parlerons
62 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIO^^
de l'éléphant, le géant des bêtes de transport, sinon la
plus utile, et dont on se sert dans diverses contrées
de l'Asie. L'éléphant peut parcourir 80 kilomètres par
jour, en portant un poids de 1000 kilogrammes.
D'après le chev. P. Armandi, auteur d'un ouvrage
fort intéressant sur l'histoire militaire des éléphants,
Fig. 7. — Petits éléphants du Jardin d'acclimatation.
ces animaux ne pouvaient faire, avec une semblable
charge, que 12 à 15 lieues par jour (48 à 60 kilomè-
tres). « La marche ordinaire de l'éléphant, dit cet
écrivain, n'est guère plus rapide que celle du cheval;
mais, quand on le pousse, il prend une sorte de pas
d'amble, qui, pour la vitesse, équivaut au galop. 11 a
le pied très-sûr, il marche avec circonspection et il
fcc
LES ANIMAUX MOTEURS. C5
lui arrive rarement de broncher. Malgré cela, c'est
toujours une monture incommode, à cause de son ba-
lancement continuel et de son allure saccadée. »
L'éléphant était autrefois employé dans les combats
et portait sur son dos une tour abritant cinq ou six
soldats au plus, armés de piques ou de traits. Plus
tard, le sénat romain attela deux éléphants aux chars
des empereurs revenant vainqueurs de l'Orient. Au-
jourd'hui, l'éléphant sert aux voyages dans l'Inde.
On lui met sur le dos soit une galerie découverte, de
construction légère, simplement garnie de coussins,
appelée /lot^da/i ou haudafi, et qui peut contenir deux
ou trois voyageurs, ou bien, pour les dames ou les
grands personnages, une galerie couverte de rideaux
de soie, ornée de banderoles et connue sous le nom
à'crmery.
Mais l'éléphant ne se reproduit pas dans la vie do-
mestique ; il lui faut la profondeur et le silence des
forêts ; aussi n'y a-t-il guère à espérer qu'il se répande
jamais en Europe.
Le chameau, de taille plus modeste, l'emporte sur
l'éléphant par les services qu'il rend aux populations
africaines. C'est le navire du désert, a-t-on dit avec
beaucoup de vérité. Et, en effet, les sables sahariens
ne forment-ils pas une vaste mer mouvante qui a ses
tempêtes, quand^souffle le Simoun (les poisons), ou
comme les Arabes le nomment : le Kamsin, « qui
sèche l'eau des puits » . « Dans le désert, l'homme
redevient promptement un animal féroce ; le soin de
son propre salut le préoccupe à ce point qu'il ne se
66 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION,
retournerait seulement pas pour secourir son semblable
en danger ^ » Si l'Arabe n'avait le chameau, quel
autre animal pourrait lui faire parcourir le désert?
Admirable prévoyance de Dieu qui, à côté de la vaste
plaine brûlante, a rais la monture propre à en faciliter
l'accès !
Tout le monde connaît la sobriété du chameau. 11
peut marcher pendant des semaines entières, à raison
de 16 à 18 heures par jour, avec un fardeau de 400 ki-
logrammes en moyenne, sans demander autre chose
qu'un litre d'eau chaque jour, et une livre d'une
nourriture quelconque : paille, orge, chardons, lier-
bes ou noyaux de dattes. Pour une traversée de 40 à
50 heures, comme celle du Caire à Suez, il peut se
passer de toute boisson et de toute nourriture.
La soumission du chameau, sa patience, sont égales
à celles du bœuf; mais tandis que l'un rentre dans
la catégorie des bétes de somme, l'autre appartient
plus spécialement à celle des bétes de trait. De même
que le cheval, le bœuf se trouve dans tous les pays et
partage avec lui les rudes travaux de l'agriculture.
C'est dans les régions montagneuses et dans les pays
chauds que l'usage du bœuf est le plus répandu. Là,
il tire la charrue et fait tous les transports qui ne
réclament pas de vitesse. Attelé au manège d'une
noria, il peut développer un effort moyen de 60 kilo-
grammes, tandis que le cheval n'est capable de pro-
duire qu'un effort de 45 kilogrammes ; sa vitesse, il
€st vrai, n'est, dans ce cas, que de 0'",60 par seconde,
* M. du Camp, Orient et Italie,
LES ANIMAUX MOTEURS, 69
tandis que celle du cheval est de moitié plus grande,
ou de 0"\90 dans le même temps.
A côté du bœuf viennent se ranger les membres de
la même famille : le yack, des montagnes du Thibet,
qui se monte, et dont l'agilité est supérieure à celle
du bœuf; le bison, qui abonde dans l'Amérique
septentrionale, et que M. Lamare-Picquot a proposé
d'acclimater en 1849, comme bête de trait et de bou-
cherie.
Les usages que l'on tire du bœuf, lorsque l'âge ne
lui permet plus de fournir un service actif, sont plus
nombreux encore que ceux que l'on obtient des diffé-
rentes parties du corps du chameau. Sa chair, sa peau,
sa graisse, son poil, ses cornes, ses os, ses nerfs, ses
intestins, son sang, ses issus même, sont utilisés.
Aussi, en pensant au culte public que les Egyptiens
rendaient au bœuf Apis, est-on surpris qu'il n'ait pro-
duit de nos jours que l'insignifiante et ridicule masca-
rade du bœuf gras, où les grands prêtres sont rem-
placés par des garçons bouchers, travestis en hercules
assommeurs.
L'homme n'a pas d'autres auxiliaires dans les pays
chauds et dans les pays tempérés que les animaux dont
nous venons de parler.
Dans les contrées septentrionales, en Russie, en
Norwége, le renne remplace avantageusement le
cheval. Il sert à la fois de bête de trait et de somme
et peut faire jusqu'à 120 kilomètres par jour, se con-
tentant seulement de quelques bourgeons, d'écorces
ou de lichen qu'il déterre sous la neige.
70 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Comme le renne, le chien se met au traîneau et
rend au voyageur qui se lance sur les glaces des mcjrs
polaires de précieux services. Le docteur J.-J. Hayes,
chirurgien de la marine des États-Unis, raconte ainsi
la dernière partie de son voyage à la mer libre du
pôle arctique : « Notre traversée n'a pas eu sa pareille
dans les aventures arctiques.... Les soixante-quinze
derniers kilomètres, où nous n'avions plus que nos
chiens, nous ont pris quatorze journées ; et l'on com-
prendra mieux combien la tâche était rude, si l'on se
rappelle qu'une semblable étape peut être parcourue
en cinq heures par un attelage de force moyenne sur
de la glace ordinaire, et ne le fatiguerait pas moitié
autant qu'une seule heure de tirage au milieu de ces
hummocks qui semblaient se multiplier sous nos pas.
— Le chien de cette race court plus volontiers sur la
glace unie avec un fardeau de cent livres qu'il n'en
traîne vingt-cinq sur une route qui le force à marcher
à pas lents. »
Nous avons parlé de la plupart des quadrupèdes que
l'homme emploie à le porter ou à le traîner. Mais il
est un bipède que certains peuples de l'Afrique em-
ploient aussi comme coursier : l'autruche. Sa force ne
le cède en rien à la rapidité de sa course. Il semble
voler ; et l'on se fera une idée de sa vitesse quand on
saura que le chasseur qui la poursuit est souvent forcé
de courir huit à dix heures avant de l'atteindre.
Ainsi qu'on le voit, dans quelque pays, sous quel-
* que latitude que l'homme se place, il trouve à ses
côtés l'animal capable de suppléer à sa faiblesse et de
LES ANIMAUX MOTEURS. 73
prolonger sa course aussi loin qu'il le désire : mers
de glaces ou de sables brûlants, il peut tout aborder.
Est-il seul à voyager? il enfourche une monture? a-t-il
lourd à porter? il attelle la bête à un véhicule. Le
repos du corps laisse entière l'activité de l'esprit.
CHAPITRE III
LES VÉHICULES DANS L'ANTIQUITÉ
BIGA, CARPENTUM, CISIUM, PILENTUr/l, BENNA, CHARS D HÉLIOGABALE,
CHAR FUNÈBRE d'aLEXANDRE, LITIÈRES ET BASTERNES.
Les véhicules le plus en usage dans les temps an-
ciens, ceux dont les bas-reliefs de la Grèce ou de
Rome nous ont conservé l'image, et dont les histo-
riens nous font le récit, sont les chars à deux roues
qui servaient dans les combats, dans les courses du
cirque, dans les fêtes triomphales ou dans les céré-
monies religieuses.
La biga était une sorte de caisse montée sur
deux roues, ouverte à l'arrière et sans aucun siège.
Elle était tirée par deux chevaux attelés de front de
chaque côté d'une flèche unique ou timon. Cette
caisse était tantôt en bois, tantôt en métal et plus
ou moins ornée suivant les circonstances. Dans les
jeux du cirque, le lutteur conduisait lui-même l'atte-
lage ; à la guerre , un conducteur spécial dirigeait
LES YËIIIGULES DANS L'ANTIQUITE. 77
les chevaux pour laisser au combattant le libre usage
de ses armes.
Nous ne voyons plus ces chars qu'aux courses de
l'Hippodrome, à Paris. Tous les ans aussi, Florence a
ses courses de chars. Des cocchi, vêtus à la romaine,
montés sur leur t/ieda, soulèvent des nuages de pous-
sière dans des courses de vitesse aux applaudisse-
ments de la foule qui entoure la place Sainte-Maric-
Nouvelle.
Ces chars s'appelaient autrefois bigœ, trigœ^ qua-
drigœ, suivant qu'ils étaient traînés par deux, trois
ou quatre chevaux de front. Il y avait aussi des sejugœ,
ou chars à six chevaux, et des septijugœ ou chars à
sept chevaux.
On attribue l'invention des chars à Erichthonius,
roi d'Athènes, qui institua les fêtes des Panathénées,
si célèbres dans toute la Grèce. D'autres historiens
croient pouvoir en faire remonter la découverte jus-
qu'à Triptolème, ou même jusqu'à Pallas ou à Nep-
tune. Nous ne chercherons pas à vider le différend
qui les divise à ce sujet. L'invention des chars date
de la plus haute antiquité, c'est incontestable; mais
nous doutons fort que les dieux de la Fable aient fait,
de leurs mains, les chars sur lesquels on les repré-
sente si souvent montés et à l'aide desquels ils voya-
gent au milieu de l'éther ou sur les vagues de l'Océan,
tirés par des coursiers ardents, des dauphins moitié
chevaux, moitié poissons, ou même de simples
papillons.
Le carpentum était la riche voiture à deux ou à
78 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
quatre roues et à deux ou à quatre chevaux, attelés de
front, la voiture de cérémonie. Le carpentum était
d'ordinaire couvert et servait aux prêtres et aux dames
romaines. C'était la voiture de la mariée, celle qu'en
Grèce on appelait apène.
Notre cabriolet moderne portait autrefois le nom
de cisium, mais il différait notablement de celui que
nous connaissons. Il s'ouvrait par devant et avait un
siège ; la caisse n'était pas suspendue , le siège
seul était porté par des courroies destinées à adoucir
les chocs des chemins, à cette époque très imparfaits.
On sait, en effet, qu'à part les quelques voies straté-
giques qui furent faites de bonne heure en Italie, et
qui réunissaient Rome aux principales villes de la pé-
ninsule, les voies de communication manquaient pres-
que complètement. Le cisium, n'ayant que deux roues,
pouvait, plus facilement que le carpentum, passer
dans tous les chemins : aussi l'employait-on comme
voiture de voyage.
La voiture de ville des matrones romaines, celle
des vestales, dont la loi interdisait l'usage aux cour-
tisanes, s'appelait puentum. Elle était découverte, à
deux places, à deuîL ou à quatre roues. Des colonnettes
en bois, en cuivre, ou même en argent ou en ivoire,
richement sculptées, soutenaient la toiture de la voi-
ture. Les arabas des dames du sérail et des patri-
ciennes musulmanes d'aujourd'hui ont quelque res-
semblance avec le pilentum. Les arabas sont les voi-
tures dans lesquelles l'aristocratie féminine musul-
mane va se promener, à certains jours de liesse, aux
LES VEHICULES DANS L'ANTIQUITE. 79
Eaux douces d'Europe ou d'Asie, sur la rive orientale
du Bosphore de Thrace : lourds carrosses, tirés par des
bœufs à la lente allure, et conduits par des eunuques ^
Un diminutif de ces voitures, destiné à être traîné
Fig. 12. — L'Aruba.
par des chèvres, est au musée de Trianon à Versailles.
11 a été donné par le sultan au prince impérial.
Une voiture très à la mode depuis quelques années,
le panier^ la voiture de campagne, était aussi très en
vogue autrefois. On la trouve chez les Romains où
elle s'appelle sirpea, chez les Spartiates où elle se
nomme canathra, chez les Grecs où elle porte le nom
Voyage Illustré des Deux Mondes, Mornand et Vilboit.
80 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIO>\
de jylecta, et enfin chez les Gaulois qui l'appellent
benna. La benna servait à la guerre au transport des
personnes et, durant la paix, au transport des per-
sonnes et des choses.
Telles étaient les principales voitures en usage dans
l'antiquité ; mais, à côté de ces voitures dont chacun
se servait suivant ses fonctions ou dans telle ou telle
circonstance, il s'en est trouvé de particulièrement re-
marquables par le luxe de leur construction.
« Héliogabale, le Sardanapale de Rome, nous dit
M. Ramée, dans son histoire des chars, carrosses, etc.,
d'apl'ès rhistorien Lampride, avait des voitures cou-
vertes de pierres précieuses et d'or, ne faisant aucun
cas de celles qui étaient garnies d'argent, d'ivoire ou
d'airain. Il attelait parfois à un char deux, trois et
quatre femmes des plus belles, ayant le sein découvert,
et par lesquelles il se faisait traîner. Cet empereur,
n'étant encore que particulier, ne se mettait jamais
en route avec moins de soixante chariots. Empereur,
il se faisait suivre de six cents voitures, alléguant que
le roi des Perses voyageait avec dix mille chameaux
et Néron avec cinq cents carrosses. »
Le même Héliogabale avait pour son dieu Elégabale
un char orné d'or et de pierres précieuses, traîné par
six chevaux blancs richement caparaçonnés. Le dieu
conduisait ou^ mieux semblait conduire. Héliogabale
allait en avant du char à reculons. Le chemin à par-
courir était couvert de poudre d'or pour prévenir ses
faux pas et l'empêcher de glisser sous les pieds des
chevaux dont il réglait l'allure.
LES VÉHICULES DANS L'ANTIQUITÉ. 81
L'un des chars les plus remarquables est celui dont
Diodore de Sicile donne la description, et qui transporta
le corps d'Alexandre deBabylone en Egypte. La voûte
était d'or, recouverte d'écaillés en pierres précieuses
au sommet. Le trône et les ornements placés sur ce
char étaient en or ; les raies et les moyeux des roues
étaient dorés. Soixante-quatre mules, par seize de front,
Fig. 13. — Litière à deux porteurs.
portant des couronnes d'or et des colliers de pierres
précieuses, traînaient ce char, dont la construction
avait exigé deux années de travail.
Indépendamment des chars de différents genres qui
sont venus jusqu'à nous plus ou moins transformés, les
anciens avaient encore les litières et les basternes, qui
ont donné naissance aux palanquins et aux chaises
à porteurs.
82 LES MERVEILLES DE L\ LOCOMOTION-
La litière était le plus souvent portée par des hom-
mes, mais quelquefois on la plaçait sur un chameau
ou sur un éléphant. Elle subit, avec le luxe croissant,
les modifications des autres moyens de transport. Elle
Fig. 14. — Litière à quatre porteurs.
fut d'abord découverte et très-simple. On la couvrit
plus tard, et on l'orna.
La basterne n'était autre chose qu'une grande chaise
à porteurs à deux places portée par deux chevaux,
deux mules ou deux bœufs.
La litière employée aujourd'hui dans le Dahomey
n'est pas plus primitive que la litière des anciens. Aux
extrémités d'une longue perche sont fixées les attaches
d'un hamac dans lequel le promeneur est étendu. Une
LES VÉHICULES DANS L'ANTIQUITE, 83
draperie tendue sur un cadre, relié lui-même à cette
perche, fait tente au-dessus de la litière et garantit des
ardeurs du soleil. Deux nègres vigoureux la portent en
courant. De temps en temps, deux hommes se déta-
chent de la petite troupe d'esclaves qui sert d'escorte
Fisr. 15. — Litière au Dahomev.
et viennent les remplacer, de manière que l'allure ne
soit jamais ralentie.
Ce moyen de transport primitif, où l'homme rem-
place la bête et porte l'homme, rappelle ce qui se
passait au temps de la domination romaine où les es-
claves étaient forcés de se plier honteusement aux vo-
lontés et aux caprices de leurs maîtres.
CHAPITRE IV
LES VEHICULES DEPUIS L'ANTIQUITE
JUSQU'AU DIX-HU ITIÈME SIÈCLE
Les moyens de transport se perfectionnent avec une
lenteur extrême. Le cheval est celui qu'on emploie de
préférence.
Éginhard, le premier
de nos historiens, nous
raconte commentles prin-
ces de la famille des Mé-
rovingiens s'en allaient
en voyage. « S'il était
nécessaire que l'un d'eux
allât quelque part, dit-il,
il voyageait monté sur un
chariot traîné par des
bœufs qu'un bouvier con-
duisait à la manière des
paysans. C'est ainsi qu'il se rendait à l'Assemblée gé-
nérale de la nation, qui se réunissait une foischaque
Un abbé en vova-ïe
LES VEHICULES DEPUIS L'A>TIQUITE. 85
année pour les affaires du royaume. » Il nous faut aller
aujourd'hui en Turquie et dans l'Inde pour trouver des
attelages du même genre.
On peut juger de la manière dont voyageaient les
simples citoyens par la manière dont voyageaient les
rois. Les routes étaient rares, et celles qui existaient
^5"
Fig. 17. — Voiture de promenade dans l'Inde.
étaient en très mauvais état. Les seigneurs féodaux, qui
auraient dû les faire entretenir par leurs vassaux, ne
s'en occupaient nullement. Ils concédaient le droit de
conduite sur les routes pour escorter les marchands,
«mais on n'entendait parler que de brigandages sur les
voies publiques ». « Des brigands, ceints du glaive, ra-
conte Guillaume, archevêque de Tyr, assiégeaient les
86 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
routes, dressaient des embûches et n'épargnaient ni
les étrangers ni les hommes consacrés à Dieu. Les
villes et les places fortes n'étaient pas même à l'abri
de ces calamités; des sicaires en rendaient les rues et
les places dangereuses pour les gens de bien. » Cet
état de choses dura plusieurs siècles, pendant lesquels
la sécurité ne régna nulle part. Au douzième siècle, ce
sont les Routiers, Brabançons et Gottereaux; au qua-
torzième, les Malandrins et lesEcorcheurs, qui pillent
et dévalisent. « Tout le pays en était rempli, et per-
sonne n'osait sortir des villes et châteaux, par crainte
de ces mécréants qui n'avaient nul souci de Dieu. » On
pouvait être tranquille à l'intérieur des villes ou dans
leur voisinage, mais les paysans n'osaient se risquej
dans la campagne, loin des châteaux forts et des mo-
nastères. Durant la belle saison, ils restaient aux
champs; mais, à l'approche de l'hiver, ils rentraient
avec le bétail dans les faubourgs. Le marchand, le
commis voyageur d'autrefois devaient payer un droit
d'escorte à chaque seigneur dont il traversait les terres
pour être garantis de toute rapine.
Les seigneurs ne dédaignaient pas de s'associer par-
fois à ces détrousseurs de grands chemins. C'est ainsi
que Richard Cœur-de-Lion, n'étant encore que duc
d'Aquitaine, se fit le compagnon de Mercadier,chef de
routiers célèbre, et lui donna plus tard les biens d'un
seigneur du Périgord. L'archevêque de Bordeaux lui
même fit ravager sa province par le même Mercadier,
à ce que rapporte le pape Innocent III
Les rois de France, à différentes époques, s'efforce-
LES VÉHICULES DEPUIS L'ANTIQUITÉ. 87
rent de porter rem|de à cette déplorable situation.
Louis VI était toujours à cheval et la lance au poing
pour châtier les nobles qui pillaient les voyageurs.
Philippe Auguste, jaloux de relever la France au point
où Charlemagne l'avait placée, continua la lutte. Il
réprima les brigandages des grands seigneurs, fit paver
les rues et les places de Paris, qui étaient en tel état
que les chevaux et les voitures, remuant la boue, en
faisaient sortir des odeurs insupportables. On se fait
une idée de ce que pouvaient être les routes de la
France, à cette époque, par ce qu'étaient les rues de
sa capitale.
Saint Louis remit en vigueur un capitulaire de Char-
lemagne qui forçait les seigneurs prenant péage à en
tretenir les routes et à garantir la sûreté des voya-
geurs.
Qui donc aurait osé entreprendre de longs voyages
en ces temps de troubles et de force brutale ? Les sei-
gneurs seuls pouvaient courir ces aventures, et encore
ne sortaient-ils guère de leurs domaines ou de ceux de
leurs voisins amis. Allaient-ils à quelque fête, c'était
sur des palefrois , richement caparaçonnés. Leurs
dames les accompagnaient, chevauchant à leurs côtés
sur des haquenées ou des mules encore plus brillam-
ment ornées.
Certaines de ces montures sont restées célèbres dans
les annales de la chevalerie. Les quatre fils Aymon,
Renaud, Guichard, Alard et Richardet, combattaient
sur un seul cheval qui s'appelait Bayard.
Le légendaire paladin Roland, avec sa Durandal qui
88 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
fendait roc et granit, son olifant (cor enchanté), dont
Bruient li mont et li vauls resona ;
Bien quinze lieues li oies en ala.
montait Bride d'or.
Oger le Danois, immortalisé par nos jeux de cartes
sous le nom d'Hogier, avait Beiffror et Flori.
Charlemagne avait deux palefrois : Blanchard et En-
tencendur. Enfin le Cid avait sa Babiera, et, plus
tard, don Quichotte a eu Rossinante.
Les chariots ne servaient, au moyen âge, que pour
le transport des choses et peu pour celui des gens.
Lorsque Thomas Becket, plus tard archevêque de
Cantorbéry, vint en France demander la main de Mar-
guerite, fille de Louis VII, pour le fils aîné de Henri II,
roi d'Angleterre, il se fit suivre de deux cents cava-
liers, tant soldats que serviteurs, tous habillés à ses
couleurs et richement vêtus. Quand il entrait dans les
villes et les villages, tout le monde se pressait pour
voir défiler le long cortège du chancelier, son armée
de serviteurs, ses chariots qui faisaient retentir les
pierres, ses écuyers, ses chiens, ses oiseaux, ses singes.
Il avait douze chariots pour les présents destinés au
roi, un pour ses tapis, un pour sa vaisselle, un
pour sa cuisine, un pour sa chapelle et ses livres,
Qije ne sais combien pour ses bagages et ceux de ses
gens.
Les litières n'étaient employées que pour les per-
sonnes malades et pour les dames à certaines cérémo-
nies d'apparat. C'est ainsi que le comte de Toulouse
LES VÉHICULES DEPUIS L'ANTIQUITÉ. 89
Raymond VI, étant malade en Aragon, se fit construire
une litière pour aller à Toulouse.
Isabelle de Bavière fit son entrée à Paris le 20 août
1389. La cérémonie surpassa en magnificence tout ce
qu'on avait vu jusqu'alors. Le cortège se forma à Saint-
Denis. Les seigneurs et les dames s'étaient portés dans
celte ville à la rencontre de la princesse : les plus hauts
barons rivalisaient de luxe et tenaient à honneur d'es-
corter les litières des duchesses de Berry, de Bour-
gogne, d'Orléans et de la reine Isabelle.... La suite
de la fête fut un vrai triomphe. Les litières dont
il est question dans ce récit étaient-elles portées
par des hommes ou par des bêtes de somme,
mules ou chevaux? C'est ce que l'histoire ne nous
dit pas.
Les Houspilleurs, les Ecorcheurs et les Retondeurs,
qui avaient continué l'œuvre de déprédation des Rou-
tiers, furent poursuivis par Charles VII, qui réorga-
nisa l'armée et protégea enfin les bourgeois et les
paysans.
Louis XI rendit les routes plus sûres que n'étaient
les environs de son redoutable château de Plessis-les-
Tours. Le service des postes fut organisé par lui, le
19 juin 1464. Un grand maître était nommé par le
roi, avec des maîtres-coureurs royaux sous ses ordres,
et deux cent trente courriers pour agents. La circula-
tion devenait donc plus facile. Des nuntii volantes,
qui se chargeaient du transport des lettres, des pa-
quets et des personnes, avaient bien été établis précé-
demment par l'Université pour les relations des éco-
90 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
liers avec leurs familles, mais aucun service d'ensemble
n'avait été organisé.
Sous le règne de Louis XII, « les poules couraient
aux champs hardiment et sans risques », car les pil-
lards étaient exécutés ; mais sous François I", le pil-
lage recommença dans les campagnes, et les Mauvais
Garçons et les Bandouliers continuèrent les exploits
des Routiers et autres Malandrins des siècles précé-
dents. Le fds du roi, lui-même, le duc d'Orléans, s'en
allait, par partie de plaisir, ferrailler contre les laquais
sur les ponts de Paris. Les bons chemins et les voi-
tures étaient rares. Charles-Quint, le 10 mai 1552,
malade de la goutte et poursuivi par Maurice de Saxe,
fut forcé de fuir dans une litière au milieu d'un affreux
orage, par des sentiers impraticables, à la lueur des
torches.
Les moyens de transport les plus vulgaires étaient
alors employés par les gens riches.
On rapporte que Gilles le Maître, premier président
du Parlement sous Henri II, stipula, dans un bail avec
un de ses fermiers, qu'aux « quatre bonnes fêtes de
l'année et aux vendanges, on lui amènerait une char-
rette couverte et de la paille fraîche dedans, pour y
asseoir sa femme et sa fille, et, de plus, un ànonou une
ànesse pour sa chambrière, lui se contentant d'aller
devant, sur sa mule, accompagné de son clerc à pied. »
Cependant la France s'unitiait ; les gens d'armes,
de création récente, faisaient la guerre aux pillards ;
la Renaissance s'ouvrait comme une ère d'apaisement
favorable à la fois au commerce, à l'industrie, au
LES VÉHICULES DEPUIS L'ANTIQUITÉ. 91
développement des voies de communication, leurs
auxiliaires naturels, des moyens de transport, enfin,
leurs instruments indispensables.
C'est sous le règne de François P"" que l'on voit ap-
paraître les premiers carrosses. Isabelle, la détestable
femme de Charles VI, s'était bien montrée, en 1405,
dans un chariot branlant, la première, ou du moins
l'une des premières voitures suspendues. Mais ce n'est
qu'un fait isolé et sans portée.
Les chroniqueurs font surtout mention des car-
rosses qui ont appartenu à Diane, fille naturelle
de Henri II, et à Jean de Laval Bois-Dauphin, homme
obèse et qui ne pouvait monter achevai. Les uns pré-
tendent que les voitures restèrent en petit nombre ;
d'autres, au contraire, « que les dames les plus qua-
lifiées ne tardèrent pas à s'en procurer. Le faste, ajou-
tent-ils, fut porté si loin qu'en 1565, lors de l'enre-
gistrement des lettres patentes de Charles IX pour la
réformation du luxe, le Parlement arrêta que le roi
serait supplié de défendre les coches par la ville. Les
conseillers et présidents continuèrent d'aller au Palais
sur des mules jusqu'au commencement du dix-sep-
tième siècle. »
Les voitures n'étaient certainement pas encore en
grand nombre à cette époque.
Le passage suivant, extrait de Brantôme, le montre
d'ailleurs bien nettement. Il nous fait connaître ce
qu'était un maître général des postes sous Henri III.
Brusquet avait une centaine de chevaux dans ses
écuries, et « je vous laisse à penser le gain qu'il pou-
92 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
voit faire de sa poste, n'y ayant point alors de coches,
de chevaux de rclays, ny de louage que peu, comme
j'ay dict, pour lors dans Paris, et prenant pour chas-
que cheval vingt solz, s'il estoit françois, et vingt-cinq
s'il estoit espagnol, ou autre étranger ».
Les voitures étaient encore peu nombreuses sous le
règne de Henri IV; on peut en juger par ce qu'en avait
le bon roi : « Je ne sçaurois vous aller voir aujour-
d'hui, parce que ma femme se sert de ma coche. » Il
n'eut donc, à une certaine époque, qu'une voiture pour
lui et la reine. Le nombre de ses équipages augmenta
sans doute par la suite, car on trouve dans les Estampes
de la Bibliothèque les dessins de plusieurs carrosses
armoriés aux initiales royales et qui ont dû appartenir
à la cour.
Ces voitures diffèrent notablement de celles que
nous voyons aujourd'hui. Elles se composent d'une
caisse rectangulaire non suspendue, pouvant recevoir
quatre personnes sous une toiture ou impériale que
supportent des colonnettes en quenouilles sculptées.
De simples rideaux, ordinairement relevés sous la toi-
ture ou contre les colonnes, servent à garantir des
injures du temps ou de l'ardeur du soleil. — Cette
voiture primitive ne peut mieux se comparer qu'à nos
tapissières modernes, enrichies, mais moins légères.
Sully, qui réunissait dans ses mains les charges les
plus importantes du royaume, qui était à la fois c< su-
perintendant des fortifications, bâtiments, ouvrages
publics, ports, havres, canaux et navigations des ri-
vières, grand maître de l'artillerie et grand voyer de
LES VÉHICULES DEPUIS L'ANTIQUITÉ. 95
France, etc. », prenant en aussi grand souci les inté-
rêts de l'agriculture que ceux du commerce et de l'in-
dustrie, améliora les moyens de communication, fit
planter, le long des routes, ces ormes qui, suivant
les uns, devaient servir à réparer les affûts brisés des
canons, mais, suivant d'autres, à abriter les voya-
geurs. 11 se connaissait en chevaux et ne dédaignait
pas d'en faire commerce, encourageant ainsi l'élève des
auxiliaires les plus indispensables de l'agriculture.
N'a-t-il pas dit « que le labourage et le pâturage
étaient les deux mamelles qui nourrissaient la France,
les vrais mines et trésors du Pérou ». A l'Assemblée
du commerce, qui fut réunie en 1604, le roi proposa
la fondation d'un haras, pour éviter l'achat des che-
vaux à l'étranger. Les postes, aussi bien que l'artil-
lerie, devaient profiter de cette nouvelle création, car
ce service prenait une importance ^proissante. Les che-
vaux de poste faisaient partie du domaine royal et
étaient marqués de l'H fleurdelisée.
Le ministre de Henri IV, malgré son horreur pour
les superfluités et les excès en habits, pierreries et
festins, bâtiments et carrosses, ne laissait pas que
d'avoir de touchants regrets pour la cour du roi
Henri, lorsqu'il la quitta, après la mort de son maî-
tre. Nous ne pouvons résister au désir de rappeler
les jolis vers dans lesquels il peint son chagrin. Le
ministre se fait poète :
Adieu maison, chasteaux, armes, canons du roy;
Adieu conseils, trésors, déposez à ma foy;
94 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Adieu munitions; adieu grands équipages;
Adieu tant de rachapis, adieu tant de mesnages;
Adieu • .
Adieu soin de l'Estat, amour de ma patrie;
Laissez-moi en repos finir aux champs ma vie.
Sur tout adieu, mon maistre, ô mon cher maistre, adieu;
Nous arrivons au règne de Louis XIIÏ et de Louis XIV,
de Richelieu et de Mazarin.
Les voitures se multiplient, aussi bien à Paris qu'en
province. Le maréchal de Bassompierre rapporte d'Ita-
lie, en 1599, le premier carrosse avec des glaces*.
L'ancien chariot branlant d'Isabelle est devenu un
carrosse suspendu sur des soupentes, avec cocher au
devant et laquais par derrière. Les rues de Paris, celles
de plusieurs villes du royaume, sont pavées et bien
entretenues : la sécurité y règne durant le jour, et si,
la nuit, quelques-unes sont encore obscures, le guet
aide à les franchir. Les lanternes de la Reynie ont suc-
cédé aux flambeaux à chandelle de Laudati, aux fa-
lots alimentés de goudron ou de résine de Pierre des
Essarts, et Paris devient la grand'ville, la ville du
Roi-Soleil.
L'ancien coche, appelé corbillard, assez semblable
d'ailleurs aux voitures actuelles des pompes funèbres,
a fait place au carrosse. La forme est devenue plus
* Selon d'autres, cette importation serait postt^rieure et daterait de
1660 ; eLle aurait été faite par le prince de Condé, au retour de son
exil à Bruxelles.
LES VÉHICULES DEPUIS L'ANTIQUITÉ. 95
gracieuse. Les côtés de la voiture, le devant et le fond
ne sont plus fermés de leurs mantelets de cuir ou
d'étoffe, mais de parties pleines, ajourées par des
glaces. La saillie des portières n'existe plus. Celles-ci
ont toute la hauteur de la voiture et sont garnies de
glaces mobiles. Le carrosse a sept pieds de longueur
sur quatre pieds quatre pouces de largeur à la ceinture
et cinq pieds neuf pouces de hauteur à la portière. Sa
construction est solide, mais il est lourd et convient
mieux aux grands attelages de la cour qu'à ceux plus
modestes des petits seigneurs. Les uns ont quatre ou
six chevaux, les autres en ont huit.
Tels étaient les carrosses dans lesquels on allait se
promener au Cours-la-Reine, à l'extrémité des Tuile-
ries. On y faisait assaut de plumes, de rubans, de ca-
nons..., de toilettes, enfin, comme on fait aujourd'hui
aux Champs-Elysées ou au Bois. Ou bien, on allait à la
foire Saint-Germain, qui durait deux mois, à partir du
5 février. Dans les ruelles obscures de ce marché, où
Ton vendait toutes choses, comme dans celles de
lliôtel Rambouillet, ou dans la maison du Baigneur,
les « raffinés » d'alors, devenus les « petits crevés »
ou les c< gommeux » d'aujourd'hui, étalaient leurs
dentelles et leur esprit. On y causait, un masque au
visage, en jouant à la loterie, au profit des religieux
du couvent voisin.
Les riches n'étaient pas seuls à user de la faculté
d'aller en voiture. Nicolas Sauvage avait établi rue
Saint-Martin, à l'enseigne de Saint-Fiacre, des remises
de carrosses qu'il louait à l'heure ou à la journée.
96 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
L'enseigne donna son nom anx voitures. C'est ainsi
que les Meritor ia véhicula des Romains se sont ap-
pelés des fiacres sous la minorité de Louis XIV.
D'autres industriels suivirent l'exemple de Sauvage.
Après Charles Yillerme, M. de Givry, en mai 1657,
puis les frères Francini, en septembre 1666, se firent
entrepreneurs de voitures publiques.
M. de Givry avait obtenu « la faculté de faire établir
dans les carrefours, lieux publics et commodes de la
ville et faubourgs de Paris, tel nombre de carrosses,
calèches et chariots attelés de deux chevaux chacun,
qu'il jugerait à propos, pour y être exposés depuis les
sept heures du matin jusqu'à sept heures du soir et
être loués à ceux qui en auraient besoin, soit par heure,
demi-heure, journée ou autrement, à la volonté de
ceux qui voudraient s'en servir pour être menés d'un
lieu à un autre où leurs affaires les appelleraient, tant
dans la ville et faubourgs de Paris qu'à quatre et cinq
lieues aux environs; soit pour les promenades des par-
ticuliers, soit pour aller à leurs maisons de campagne. »
Un règlement de 1688 fixa l'emplacement des sta-
tions, et une ordonnance du 20 janvier 1696 le tarif
des fiacres ; on payait 25 sous pour la première heure
et 20 sous pour les suivantes.
Ce qui nous semble si naturel aujourd'hui était à
cette époque l'objet d'un grand étonnement. « Ce fut
en ce temps-là, dit Voltaire, qu'on inventa la commo-
dité magnifique de ces carrosses, ornés de glaces et
suspendus par des ressorts ; de sorte quun citoyen
de Paris se promenait dans cette grande ville avec
LES VÉHICULES DEPUIS L'ANTIQUITÉ. 97
plus de luxe que les citoyens romains n'allaient au-
trefois au Capitole. »
Le Catéchisme des courtisans de la cour de Mazarin
(1649) n'est pas moins expressif: « Qu'est-ce que
Paris? — Le paradis des femmes, le purgatoire des
hommes et l'enfer des chevaux ! »
A côté des fiacres, les carrosses à cinq sols, les om-
nibus circulent. Pascal en est l'inventeur. Ils furent
inaugurés le 18 mars 1662, ainsi que le constate Jean
Loret, poète normand, dans sa muse historique :
L'élablissement des carrosses,
Tirez par des chevaux non rosses
( Mais qui pourraient à l'avenir
Par le travail le devenir).
A commencé d'aujourd'hui même.
Commodité sans doute extrême,
Et que les bourgeois de Paris,
Considérant le peu de prix
Qu'on donne pour chaque voyage,
Prétendent bien mettre en usage.
Le dix-huit de mars, notre veine,
D'écrire cecy prit la peine.
Mais ce ne fut pas l'auteur des Provinciales qui tira
parti de sa découverte. Des lettres patentes de jan-
vier 1662 confèrent au duc de Roanès et aux marquis
de Sourches et de Crenan la faculté d'établir des car-
rosses, en tel nombre qu'ils jugeront à propos, aux
lieux qu'ils trouveront le plus commodes, à des heures
déterminées pour chaque route, chaque voyageur ne
payant qu'un prix modique.
7
98 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
L'administration laissait plus de latitude, à cette
époque, aux concessionnaires d'entreprises de ce genre
qu'elle n'en donne aujourd'hui. Le prix des places fut
fixé à cinq sols ; le nombre des voyageurs, qui n'était
primitivement que de six, fut porté à huit. Ce n'était
pas la grande voiture démocratique, égalitaire de nos
jours, où, moyennant payement, quiconque peut pren-
dre place. Il était interdit à tous soldats, pages, laquais
et tous autres gens de livrée, manœuvres et gens de
bras, d'y entrer, pour la plus grande commodité et li-
berté des bourgeois, lit-on sur un placard, — pour la
plus grande commodité et liberté des gens de mérite,
lit-on à côté.
Les voitures n'étaient autres que ces lourds carrosses
que nous avons déjà décrits. Il y en avait sept par
ligne ou par route, comme on les appelait alors, et cinq
routes furent successivement créées du 18 mars au
5 juillet 1662. Les armes de la ville étaient peintes sur
les voitures. Des ûeurs de lis, en plus ou moins grand
nombre, servaient à les distinguer. Les cochers étaient
aussi vêtus aux couleurs de la ville, et galonnés de
différentes nuances selon les routes qu'ils desser-
vaient.
Les innovations de la capitale furent promptement
connues en province. Le service des postes devenait
plus parfait et s'étendait chaque jour. Le port d'une
lettre de Paris à Lyon n'était que de deux sous (au-
jourd'hui quinze centimes). En 1655, la petite poste
fut établie à Paris, pour l'intérieur de la ville. On se
fait d'ailleurs une idée de l'importance croissante prise
LES VÉHICULES DEPUIS L'ANTIQUITE. 99
par les postes en rapprochant le prix des baux payés
par les contrôleurs généraux à différentes époques.
En 1602, la ferme des postes était de 97,800 livres;
en 1700, elle s'élevait à 2,500,000 livres.
Louis XIV, en 1676, voulut réunir en une seule et
même administration les divers services des coches,
des carrosses, des messageries et des postes. Mais cette
tentative de centralisation n'aboutit pas, et, au bout
de quelques années, les services de voitures publiques
furent donnés à bail, à prix débattu, à divers entre-
preneurs.
Tandis qu'en 1517 il n'existait qu'un service public
de carrosses de Paris à Orléans, les coches, en 1610,
cent ans après environ, desservaient Orléans, Châlons,
Yitry, Château-Thierry et quelques autres villes. Sous
l'administration de Richelieu et de Mazarin, de nou-
veaux services étaient établis, et à la fin du dix-sep-
tième siècle les principales villes du royaume étaient
en relation avec la capitale.
La France n'était pas seule à se servir de carrosses.
En Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en Italie,
les voitures se répandaient.
Selon Andersen, les premières voitures auraient été
importées d'Allemagne en Angleterre par Fitz Allan,
comte d'Arundel. Certains commentateurs prétendent,
au contraire, qu'un Hollandais, Guylliam Boonen, au-
rait introduit l'usage des voitures en Angleterre,
vers 1564. D'autres enfin indiquent une date plus
récente et rapportent que Walter Ripon fabriqua
en 1555 un carrosse pour le comte de Rutland,
400 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
carrosse ayant un train de devant mobile et tour-
nant.
Mais si la date de l'apparition du premier carrosse
est incertaine, il n'est, du moins, pas douteux que
l'usage des voitures se répandit promptement. L'Italie,
où la France alla chercher ces artistes de tous genres
qui firent briller la Renaissance d'un si vif éclat,
l'Italie était au premier rang par le luxe qu'elle dé-
ployait dans la construction de ses voitures.
Dans le récit de la solennité organisée à Rome, le
8 janvier 1687, en rhormeurducomtedeCastelmaine,
ambassadeur extraordinaire de Jacques II, roi d'An-
gleterre, auprès du pape Innocent XI, se trouvent la
description et les dessins des voitures dans lesquelles
l'ambassadeur se rendit à l'audience du saint-père.
Nous traduisons cette description de l'italien de l'é-
poque, en l'abrégeant et en ne laissant qu'une partie
des nombreux superlatifs qui s'y trouvent. « La ma-
chine doit sa grandeur et sa merveilleuse majesté tant
aux étranges et très remarquables ciselures qui l'or-
nent et l'enrichissent qu'aux grandes proportions, au
goût, à la bonne direction qui ont été donnés à ce grand
ouvrage. Il n'y a, dans toute la voiture, aucune partie
qui ne soit majestueusement enrichie de figures d'un
dessin parfait, de grandeur naturelle, de feuillages ri-
ches et gracieux, de ferrements ciselés et contournés
en merveilleuses arabesques. Tout est recouvert d'or
et fait avec tant de richesses qu'il semble à l'œil que
la masse ait été coulée d'une seule pièce avec du
métal pur.
LES VÉHICULES DEPUIS L'ANTIQUITÉ. 103
« Le grand coffre et le plafond du carrosse sont dou-
blés extérieurement du plus riche et du plus remar-
quable velours cramoisi qu'il soit possible de trouver.
Sur cette doublure, qui sert de fond, ressortent de nom-
breuses et somptueuses arabesques de broderies d'or,
entièrement en relief, fixées d'une manière nouvelle
et splendide avec les clous les plus riches, sur les
arêtes, les panneaux, les portières et les autres par-
ties du carrosse. De grandes et magnifiques volutes
naissent des replis d'une riche coquille placée au mi-
lieu de la bordure du haut et vont en grandissant vers
les quatre coins, dans les proportions indiquées par le
dessin. Elles se détachent de cette bordure et viennent
former, avec un arrangement de feuillage des plus
somptueux, de riches fleurons brodés d'or, se dressant
en grandes gerbes à plusieurs palmes de hauteur et
retombant sur le plafond du carrosse qu'elles recou-
vrent en grande partie, de façon à produire un bel et
pompeux effet.
« La richesse de l'ornementation ne nuit pas, comme
il arrive souvent, aux proportions du dessin et à la va-
leur de la matière, grâce aux petits espaces de couleur
qui, de distance en distance, ont été laissés à découvert
pour ne pas aveugler les regards par une trop grande
vivacité.
« A l'intérieur, le plafond est caché, sur cinq palmes
de longueur et quatre de largeur, par les armoiries de
Son Excellence, brodées en relief en argent et en or et
nuancées selon les règles de la science héraldique.
« Les arabesques des quatre coins se raccordent à
104 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
ces armoiries. En dedans comme en dehors, une grande"
frange d'argent et d'or garnit la bordure et se développe
comme une dentelle en flocons et cascades, d'un éclat
éblouissant. L'intérieur du coffre est doublé du plus
riche brocart. Les rideaux sont faits d'une superbe
bande semée de fleurs.
« La partie postérieure du carrosse est merveilleu-
sement ornée de feuillages et de figures d'une compo-
sition et d'une exécution remarquables, exprimant la
grandeur de la puissance de la Grande-Bretagne. La
possession des vastes royaumes soumis à la couronne
d'Angleterre est symbolisée par la déesse Cybèle et
par Neptune, le souverain de la mer.
« Ces personnages, à l'attitude majestueuse, sou-
tiennent chacun d'une main la couronne royale, s'ap-
puyant de l'autre sur deux grands tritons, enlacés de
gracieux feuillages. La licorne et le lion, soutien des
armes d'Angleterre, paraissent entraîner toute la ma-
chine. Entre eux s'agitent deux gracieux enfants.
« Du côté du timon, éclate la richesse de ferrements
refouillés de la manière la plus variée et la plus riche,
recouverts d'or comme le reste. Au milieu, le siège
soutenu par deux tritons. Deux dauphins supportent
une coquille remarquablement grande, qui sert d'ap-
puie-pieds pour le cocher, et en avant de laquelle un
enfant semble indiquer la route.
« Tout, au dedans comme au dehors de la voiture,
est si parfaitement et si complètement achevé qu'une
simple description et un dessin peuvent difficilement
le faire concevoir. Il faudrait voir de près. »
LES VÉHICULES DEPUIS L'ANTIQUITÉ. 105
Ainsi qu'on le comprend par la profusion des épi-
thètes qu'aemployées Giovanni Michèle, majordome du
comte de Castelmaine, auteur de ce récit, ce carrosse
devait être tout ce que l'art du temps pouvait produire
de plus beau et de plus achevé. La richesse du texte et
des gravures destinées à faire passer à la postérité le
souvenir de si grandes merveilles montre que rien ne
pouvait être trop beau pour une voiture si rare.
Nous le verrons bientôt : les plus riches carrosses de
Fig. 19. — Voiture d'apparat.
nos jours ne sont pas plus remarquables par leurs or-
nements que celui dont nous venons de rapporter la
description, mais ils l'emportent tous sans exception
sur celui-ci par la légèreté de leurs formes et la grâce
de leurs contours. Le fer et l'acier prennent sous la
main de nos ouvriers les formes les plus diverses et les
plus contournées. Les bois les plus précieux se travail-
lent et se découpent comme de fines dentelles. Les
étoffes enfin sont plus riches et plus remarquables
qu'elles n'ont jamais été.
106 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIO>'.
Les voitures ressemblent aux habitations. Les dé-
tails de leur construction exigent le concours d'artistes
nombreux, qui poursuivent tous isolément ce même
but, dont ils approchent de plus près chaque jour,
sans jamais l'atteindre, la perfection.
CHAPITRE V
LES VÉHICULES AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE ET LEURS PROGRÈS
JUSQU'A NOS JOURS
Le faste du règne de Louis XIV, le luxe et les
plaisirs du règne de Louis XV développent au dix-
huitième siècle le goût des carrosses et déterminent
leurs nombreuses variétés.
A côté des voitures de la cour qui se distinguent
par la richesse de leur ornementation, l'ampleur de
leurs formes, mais aussi par leur poids, circulent les
caî^rosses modejmes, les berlines, les diligences.
Les voitures qui donnent l'idée la plus exacte de
ce qu'étaient les berlines d'autrefois sont nos fiacres
actuels. Les berlines (on prétend qu'elles furent in-
ventées à Berlin) étaient d'abord portées par des sou-
pentes de cuir attachées aux deux extrémités du train ;
ces soupentes ont été plus tard remplacées par des
ressorts. Elles contenaient quatre personnes assises
sur deux sièges. Au-dessous de la voiture était souvent
un coffre appelé cave, où l'on plaçait les provisions
de voyage.
108 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
La berline ne contenait parfois que deux places et
prenait alors le nom de vis-à-vis.
Les diligences, carrosses-coupés ou berlingots ne
ô</-A.
Fig. 20. — Coupé.
sont autres que des berlines rendues plus légères par
la suppression de la partie située en avant de la por-
Berline.
tière. Ces voitures ne contiennent plus alors que deux
personnes placées sur le siège de derrière, ou trois
lorsqu'il existe un strapontin. La désobligeante n'est
PROGRÈS DES VÉHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 109
autre que la diligence réduite de moitié dans le sens
de la largeur ou que le vis-à-vis coupé au milieu de
sa longueur. Il ne donne place qu'à une personne.
Telles sont les voitures de ville, qui ont donné nais-
sance à nos élégantes voitures modernes : la berline^
le coupé, le coupé trois-quarts et leurs variétés. Les
longues soupentes et leurs moutons, les ressorts qui se
remontaient avec des crics, ont été remplacés par les
"if 277^7
Fig. 22. — Landau.
ressorts en col de cygne et par les ressorts à pincettes.
La caisse est devenue plus légère ; les formes massives
commandées par le mauvais état des voies publiques
ont disparu; les roues d'autrefois, dont nos paysans
voudraient à peine aujourd'hui pour leurs voitures de
foire, débarrassées d'un trop lourd fardeau, se font
remarquer maintenant par cette exquise finesse dont
V araignée offre le plus remarquable spécimen.
Les voitures de campagne, on l'a déjà pressenti,
étaient encore plus lourdes que les voitures de ville.
110 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
On avait la gondole, qui pouvait contenir douze per-
sonnes assises. C'était un grand coffre, avec banquette
sur les quatre faces, éclairé par huit petites fenêtres,
trois de chaque côté, une à l'avant, une à l'arrière.
• Au-dessous du plancher se trouvait, comme dans la
plupart des voitures de cette époque, la cave destinée
à contenir les provisions et les hardes. D'ailleurs
cette voiture était extrêmement lourde, d'un accès
difficile, et semblait refuser aux voyageurs, par la
petitesse de ses ouvertures, l'air qu'ils allaient cher-
cher à la campagne.
La berline à quatre portières, ou berline allemande,
était aussi voiture de campagne. Le roi et les princes
s'en servaient bien à la ville, mais elle s'employait spé-
cialement pour les promenades. Elle ne contenait que
six personnes, disposées tout autrement que dans la
gondole : au lieu d'un siège circulaire, il y avait trois
banquettes parallèles, deux contre les fonds, une au
milieu. 11 y avait donc deux ruelles desservies cha-
cune par deux portières, une sur chaque face latérale.
La gondole mesurait 8 pieds sur 4 pieds 5 pouces
en movenne à la ceinture. La berline allemande était
un peu plus petite : 6 pieds 1/2 de longueur sur
44 à 46 pouces de largeur.
On le voit, la différence est grande de ces voitures
dans lesquelles nos arrière-grands-pères allaient res-
pirer Tair des champs, à celles que nous avons au-
jourd'hui. Quel sentiment de gêne et de malaise
n'éprouverions-nous pas s'il nous fallait changer notre
calèche découverte, qui permet de respirer librement,
PROGRÈS DES VÉHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 111
de s'allonger, de jouir à l'aise de la vue de la cam-
pagne, pour une de ces grandes et lourdes boîtes
fermées, privées d'air et de lumière, et où l'on ne
pouvait s'étendre pour dormir qu'à la condition d'en
défoncer les parties antérieure et postérieure, pour
y passer la tête et les jambes ! Dans les dormeuses
d'autrefois, le fond et le devant de la voiture, au lieu
d'être fixes comme dans les voitures ordinaires, étaient
rendus mobiles à l'aide de cbarnières. Le fond s'abais-
sait sous les reins du voyageur, une petite niche
creuse se formait à l'avant, dans laquelle il pouvait
loger ses pieds !
Ces artifices de construction ne seraient plus admis
aujourd'hui que dans les voitures de malades.
Notre landau moderne, pouvant s'ouvrir et se fer-
mer à volonté, servir à la ville ou à la campagne, par
le beau ou par le mauvais temps, l'emporte de beau-
coup sur toutes les voitures anciennes dépourvues de
grâce et de légèreté, aussi bien que de confortable.
11 peut servir à mesurer les progrès qu'a faits la car-
rosserie depuis l'époque où Roubo, le fils, écrivait
son Arl du menuisier-carrossier, c'est-à-dire depuis
cent ans.
Ces progrès sont encore plus appréciables dans la
carrosserie de voyage que dans la carrosserie de ville
ou de campagne.
Les voitures de voyage du siècle dernier s'appelaient
coches. Les codées qui faisaient le service de Paris à
Lyon étaient composés d'une caisse, mesurant 7 pieds
de longueur sur 5 pieds de largeur à la ceinture,
112 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
éclairée par trois fenêtres étroites sur chaque face et
suspendue à l'aide de soupentes sur un train portant
à l'avant le c§cher et à l'arrière les bagages. Le coche
de Lyon avait reçu le nom de diligence, ce qui tend à
montrer la rapidité du trajet : cinq jours l'été et six
jours l'hiver ! Douze personnes pouvaient prendre place
dans la diligence, à raison de 100 livres par voyageur,
nourriture comprise.
Aujourd'hui, la distance de Paris à Lyon est fran-
chie en dix heures, moyennant 65*, 05, 47^o0, ou
54S70, selon qu'on prend place en l", en 2*^ ou en
5^ classe.
Pour aller à Strasbourg, le coche mettait douze
jours! La vapeur met douze heures.
La voiture de Lille mettait deux jours. Le voyage
coûtait 55 livres, y compris la nourriture, ou 48 livres
sans nourriture. Aujourd'hui, on va à Lille en 4*^50™,
moyennant 50*, 80 en l""^ classe.
La voiture de Rouen partait trois fois par semaine
et mettait un jour et demi à faire le trajet. Le prix
des places était de 12 livres. Aujourd'hui, le prix des
places pour Rouen est de 16^75, 12^50, 9*,20, et la
durée du trajet en train rapide est de ^''IQ'".
Il y avait aussi des coches ou des carrosses pour
Chartres, Rennes, Orléans, Angers, Arras, etc., par-
tant à des heures régulières et accomplissant leur
service dans une durée plus ou moins longue suivant
le temps, les accidents de la route, la promptitude des
hôteliers et des aubergistes chez lesquels on s'ar-
rêtait pour prendre les repas et passer les nuits.
PROGRÈS DES VÉHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 115
Les mauvaises voitures publiques qui existent encore
sur quelques routes de la France et qui font le service
de la correspondance des cliemins de fer sont des mo-
dèles de perfection à côté de celles qui existaient au
siècle dernier. C'est seulement en 1775 que les Messa-
geries royales s'établirent rue Notre-Dame des Victoires,
oii elles sont encore, après avoir changé de nom sous
les divers régimes qu'elles ont traversés, s'appelant
tantôt royales, tantôt nationales, tantôt impériales. Les
grandes entreprises de transport perfectionnent leur
matériel, grâce aux capitaux importants dont elles dis-
posent : après la turgotine des Messageries qui vécut
de longues années, on vit apparaître, en 1818, les
8
114 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
grandes diligences à trois compartiments : coupé, in-
térieur, rotonde, surmontés d'une impériale pour les
bagages avec banquette pour les fumeurs. Ces diligen-
ces disparaissent tous les jours, ou sont refoulées
loin des grands centres et dans les pays de montagnes.
Là, elles se modifient pour répondre à de nouvelles
exigences. Le plus souvent, leurs dimensions dimi-
nuent, et au lieu des cinq chevaux d'autrefois, deux
ou trois restent au véhicule amoindri. Sur les routes
accidentées de la Suisse, il faut augmenter leur stabi-
lité, sans réduire leurs dimensions. Les bagages sont
placés à la base de l'édifice roulant, les voyageurs
sont élevés pour mieux jouir des beautés du paysage,
et, le centre de gravité étant abaissé, le véhicule court
moins de risques de rouler au fond des précipices ou
de verser sur les talus rapides des voies do montagne.
Nous nous rappelons avoir vu, il y a une vingtaine
d'années, une modification assez curieuse du train des
grandes diligences des Messageries royales. Elle con-
sistait dans l'adjonction d'un troisième essieu aux deux
essieux primitifs. La charge placée sur ces grandes
dilisfences aux abords de Paris était devenue telle-
ment considérable que, pour attribuer à chaque essieu
une charge moindre, pour moins fatiguer les chaussées,
et donner enfin plus de stabililé à ces grands édifices
roulants, on avait cru devoir augmenter le nombre
des supports et créer un troisième essieu. Mais cette
tentative n'eut pas de suite. Les inconvénients qu'elle
présentait la firent promptement abandonner, et l'on
revint à l'ancienne diligence à quatre roues.
PROGRÈS DES VEHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 115
A côté des diligences destinées au public, circu-
laient il y a quelques années les chaises de poste,
devenues bien rares aujourd'hui. Le postillon est une
espèce disparue. Les fourgons du Petit Journal à
Paris, les voitures de quelque fils de famille, qui veu-
lent faire du bruit.... avec des grelots, nous en mon-
trent seuls de rares spécimens. Mais disons d'abord
ce qu'étaient les chaises en général.
c( Ces voitures, dit Roubo, sont à une ou deux places
et diffèrent des carrosses-coupes ou diligences en ce
que leur caisse descend plus bas que les brancards de
leur train, de sorte qu'il ne peut y avoir de portières
par les côtés, puisqu'elles ne pourraient pas s'ouvrir,
mais qu'au contraire il n'y a qu'une portière par de-
vant, dont la ferrure est placée horizontalement, de
sorte que la portière se renverse au lieu de s'ouvrir.
Ces espèces de chaises sont d'une nouvelle invention
(1771); les plus anciennes, que l'on nomme chaises
de poste, n'ont été construites dans l'état où nous les
voyons maintenant qu'en 1664. Celles qui existaient
auparavant, quoique peu antérieures à ces dernières,
n'étaient qu'une espèce de fauteuil suspendu entre
deux brancards supportés par deux roues. » On attri-
bue l'invention des chaises de poste à un certain
de la Grugère. Le privilège exclusif en fut accordé au
marquis de Crenan, qui les nomma chaises de Crenan.
Les chaises de Crenan furent trouvées trop pesantes,
et on leur substitua une autre espèce de voiture rou-
lante, faite sur le modèle de celles dont on se servait
en Allemagne depuis longtemps et qui subsistaient
116 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
encore, au milieu du siècle dernier, sons le nom de
soufflets .
Les chaises de poste, encore très en usage au com-
mencement de ce siècle, disparaissent tous les jours.
Elles ne peuvent offrir ni la rapidité ni le confor-
table de nos chemins de fer, et il faut aimer l'isole-
ment, les secousses et les aventures, plus que déraison,
pour les préférer aux avantages d'un coupé ou d'un
wagon-salon, qu'une bourse bien garnie peut toujours
se donner.
Une autre voiture de voyage, très employée en An-
gleterre, et dans la construction de laquelle les carros-
siers anglais ont montré un art tout particulier, est le
coach-mall : c'est l'ancienne voilure des postes. Une
grande caisse centrale, dans laquelle prennent place les
domestiques, est précédée et suivie de plusieurs ban-
quettes destinées aux maîtres de l'équipage. Deux
grands coffres servent à loger les paniers ou les caisses
qui contiennent les vivres et les ustensiles de service
nécessaires pour faire un repas en plein air ou sur le
turf. On pourrait parfaitement leur conserver le nom
de caves des voitures d'autrefois, car les vins gêné
reux y sont toujours en abondance. Quatre chevaux
ornés de rubans, de fleurs, de grelots ou de clochettes,
conduits en poste ou à grandes guides, traînent le
véhicule et lui donnent cet air de noblesse qui con-
vient à l'aristocratie britannique. ;
C'est là, à notre avis, la vraie voiture de voyage, la
vraie voilure de touriste. Toute une famille, avec ses
serviteurs, peut y prendre place et entreprendre le
PROGRÈS DES VÉHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 117
plus grand voyage continenlal. Par le beau temps, les
maîtres sont au dehors, sur les banquettes;, s'il vient
à pleuvoir, ils rentrent. Les chevaux se reposent pen-
dant les repas et l'heure de la sieste ; et l'on va ainsi,
par monts et par vaux, libre de tous soucis, oublier
bien loin l'énervante activité, l'atmosphère accablante
Fig. 24. — Volante havanaise.
de la grande ville et se replonger dans le sein de la
mère nature, sous les ombrages frais et l'air du ciel
qui vivifient.
Mais différons encore ces longues et attrayantes en-
treprises, et revenons à nos chaises.
Nous ne pouvons donner une meilleure idée de ces
118 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
voitures qu'en les comparant à notre cabriolet à deux
roues, ou tilbury moderne, à cela près que la caisse
de la cbaise était fermée, comme celle d'un coupé.
Fixée en avant de l'essieu, elle pesait lourdement sur
le cheval, lorsqu'elle n'était pas équilibrée par le poids
des laquais ou des bagages placés sur la plate-forme
d'arrière. Les conditions d'équilibre étaient aussi mal
observées que dans la volante havanaise, vaste cabrio-
let découvert, pesant lourdement sur le petit cheval
qui y est attelé et sur le dos duquel on a placé,
comme par surcroit, un postillon nègre, en grande
livrée.
Les chaises à porteurs sont assez semblables, pour
la forme de la caisse, aux chaises dont nous venons
de parler, mais l'usage en est tout différent. La chaise
proprement dite est une voiture, tandis que la chaise
à porteurs dérive du palanquin, de la litière. Le palan-
quin, usité encore dans les Indes, en Chine, dans les
pays chauds et dans quelques parties de l'Amérique,
convient aux habitudes indolentes et paresseuses des
Orientaux. Un dais et des éventails garantissent des
ardeurs du soleil ; la pluie est rarement à redouter.
L'air peut circuler autour des colonnettes et des ten-
tures de ce léger édifice.
Dans nos climats, on doit prendre d'autres précau-
tions. Les litières et les chaises à porteurs sont fer-
mées. Les premières peuvent contenir deux personnes,
elles sont portées par des chevaux ou des mulets au
moyen de brancards passant de chaque côté de la caisse,
qui mesure d'ordinaire 24 à 26 pouces de largeur,
PROGRÈS DES VÉHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 121
5 pieds de long et 4 pieds 8 pouces de hauteur. Les
secondes, ne contenant qu'une personne, ont seule-
ment 22 pouces à 2 pieds de largeur, 50 pouces de
longueur, 4 pieds 6 pouces de hauteur.
Nous n'avons pas besoin de dire que les chaises à
porteurs, aussi bien que les litières, ont complète-
ment disparu. Elles pouvaient convenir à une époque
où la circulation était moins active qu'elle ne l'est
aujourd'hui, à une époque où le temps avait moins de
prix et la vitesse moins de valeur qu'au temps où nous
vivons. On n'en voit plus de spécimen que dans quel-
ques opéras et au musée de Trianon à Versailles. Là,
on conserve précieusement deux chaises à porteurs,
dont les panneaux enrichis de peintures sont de
vraies œuvres d'art : l'une a appartenu à Marie
Leczinska, elle est peinte par Watteau ; l'autre, celle
de Marie-Antoinette, est peinte par Boucher.
D'autres voitures étaient en usage à la même époque
que la chaise à porteurs. Les brouettes étaient montées
sur roues et, au lieu de deux porteurs, avaient un
traîneur, ce qui, malgré V usage ^ ne faisait pas
beaucoup dlionneur à Vurbanité française.
Il y avait aussi des chaises de jardin, à une seule ou
à plusieurs banquettes, mais ces voitures sont sans
intérêt. C'est le type qui s'est maintenu jusqu'à nos
jours, et qui a fourni la voiture de malade, \a voiture-
invalide, avec ou sans leviers, pédales ou manivelles.
Nous ne nous y arrêterons donc pas.
Une seule de ces nombreuses voitures du siècle
dernier s'est conservée, nous a-t-on dit, sans modifi-
m LES MERVEILLES DE L\ LOCOMOTION.
cation notable. Le woiirst ou wource, voiture de
chasse, importée d'Allemagne, se retrouve encore
dans les montagnes de la Savoie. Le wourst est une
voiture à quatre roues, qui se compose essentielle-
ment d'une longue banquette sur laquelle les chas-
seurs se placent à califourchon. Une banquette à deux
places, à l'avant, reçoit le conducteur. Une banquette
semblable est placée à l'arrière. Enfin une large ta-
blette, reposant sur l'essieu de derrière, reçoit les
Fig. 20. — "Wourst.
paquets et les provisions que les chasseurs emportent
avec eux. La voiture est très-effilée, les roues sont
aussi rapprochées que possible, de manière à passer
facilement dans les sentiers étroits des forêts.
La calèche, le char à bancs, le break, sont généra-
lement employés aujourd'hui comme voitures de
chasse. Le wourst pouvait satisfaire à certaines exi-
gences, mais il n'avait pas les avantages recherchés
dans toutes les voitures modernes.
A mesure que les peuples se civilisent, leur goût
pour le confortable et pour le luxe augmente. En gé-
néral, pour qu'une nouvelle voiture obtienne quelque
s uccès, il faut que ses formes extérieures aient la grâce
PROGRÈS DES VÉHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 125
qui convient aux choses de luxe et que son aménage-
ment intérieur offre le confortable auquel nos habi-
tations modernes nous ont accoutumés.
M. Brice Thomas, dans son Guide du Carrossier
nous dit avoir connu un inventeur qui avait trouvé
le moyen de transformer une voiture à deux roues et à
deux places, en voiture à quatre roues et à six ou huit
places. La voiture à deux roues était un tilbury monté
sur quatre ressorts en châssis. On la transformait en
phaéton, et il n'y avait plus qu'à rapporter un avant-
train mobile; le tilbury à deux roues devenait ainsi
voiture à quatre roues et à quatre places. Voulait-on
obtenir deux places de plus : on sortait un second
tiroir du premier, pour recevoir un autre siège, et
ainsi de suile.
Une autre disposition permet de changer le cocher
en groom et vice versa, en plaçant le siège tantôt
devant, tantôt derrière la voiture, sans s'inquiéter
des modifications qui en résultent pour la suspen-
sion, ou bien à faire du cocher un postillon, ou du
postillon un cocher, en supprimant le siège de devant
ou en le maintenant.
11 est certain qu'il faut des ressorts complaisants
pour se plier ainsi à tous les caprices du maître, et que
ce n'est pas sans porter gravement atteinte à la soli-
dité de la voiture qu'on peut tour à tour la charger en
avant ou en arrière, selon son bon plaisir.
Les voitures de luxe varient donc à l'infmi : le goût
du constructeur, le pays, le climat et la saison où on
les emploie, le but auquel on les destine, modifient
124 LES MERVEILLES DE LÀ LOCOMOTION.
complètement leurs dispositions; mais c'est toujours
une caisse montée sur roues et supportée par des res-
sorts. Le génie des inventeurs ou le caprice des gens
riches a modifié de mille manières les diverses parties
de la voiture, les roues seules ont résisté ; on n'a pas
su encore faire autre chose qu'un cercle.
Dans cette foule de voitures de toute espèce qui
sillonnent Paris dans tous les sens, on retrouve tou-
jours en plus grand nombre ces fiacres à l'aHure mo-
deste, avec leurs deux chevaux trottinant lentement,
— plus lentement à l'heure qu'à la course, — et leur
cocher sorti de la Lorraine, de la Normandie, de
l'Auvergne ou de la Savoie ou du sein même de Paris,
de celte classe à part qui se recrute, dit-on, parmi
les huissiers sans contrainte et les photographes sans
ouvrage.
Tels sont les descendants de Sauvage, qui ont tour
à tour conduit dans la grande ville les citadines, les
urbaines, les lutéciennes, les mylords, les thérèses,
les cabs et toutes ces variétés plus ou moins disparues
qui ont fait place aux petites voitures de la Compagnie
générale et de quelques autres entrepreneurs.
Paris grandissant, les exigences de la circulation se
sont accrues. Le nombre des voitures de louage, qui
n'était que de 170 en 1755, était de 4487 en 1855. Il
est en ce moment de plus de 9000, dont un tiers de
voitures de grande remise. Ces voitures appartiennent
à dix-huit cents entrepreneurs et à la Compagnie gé-
nérale, qui, en 1855, a racheté tous les numéros rou-
TROGUES DES VEHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 425
larits des entrepreneurs qui ont consenti à se retirer.
Elle seule présente des types de voitures convena-
bles, aux formes étudiées, sans luxe, à la vérité, mais
ayant le confortable qui convient au public, ouvrier
ou bourgeois, habitué à s'en servir. L'ancien cabriolet
a complètement disparu, ce cabriolet à deux roues où
l'on avait \e plaisir de causer avec le cocher. Il n'y a
plus que des voitures à quatre roues, ouvertes ou fer-
mées ; les unes et les autres sont à quatre places ou à
deux places, et valent en moyenne 1,007 fr. 66.
La Compagnie les construit elle-même. Elle a ses
ateliers, ses machines, ses ouvriers, et produit annuel-
lement environ 500 de ces voitures, dont la durée
varie de 10 à 12 ans.
En 1866, la Compagnie générale avait mis en cir-
culation 5,200 voitures, desservies par 10,741 che-
vaux, d'une valeur moyenne de 650 à 800 francs, et
d'une valeur totale de près de 8 miUions.
Les grandes industries parisiennes méritent d'être
étudiées d'une manière spéciale : il faut pénétrer au
sein de leur organisation et se rendre un compte
exact de leur importance pour comprendre les exigen-
ces de cette population dont la lièvre est l'état normal.
M. Maxime du Camp, dans son ouvrage intitulé Paris,
ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde
moitié du dix-neuvième siècle, décrit de main de
maitre ce grand Paris incessamment agité.
Dans son chapitre des fiacres, auquel nous emprun-
tons quelques-uns des renseignements qui précèdent,
il nous dit encore : « Les fourrages consommés en 1866
120 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
ont représenté la somme de 9,115,750 fr, 88 c., soit
près de 25,000 francs par jour, 7 fr. 64 par voitm^e
et 2 fr. 42 par ration.
Les seuls dépôts, non compris les stations de re-
mise louées dans divers quartiers, représentent une
valeur de plus de 15 millions.
Les contributions de toute sorte montent à plus de
2 millions.
Le personnel se compose de 6,800 agents envi-
ron.
Ces charges sont énormes, et il arrive, quand les
fourrages sont chers, que les recettes n'équilibrent pas
les dépenses. Enl864, chaque voiture coûtait 15 fr. 42
par jour et rapportait 14 fr. 55 : bénéfice 1 fr. 60.
En 1865, au contraire, bien que la recette se soit
élevée à 14 fr. 67, la dépense a été de 15 fr. 27 et a
entraîné une perte de 0 fr. 60 par voiture, ou de 700
à 800 francs pour l'année.
On comprend ce qu'il faut de science dans la di-
rection d'une semblable entreprise, où les petites dé-
penses sont multipliées par de si gros coefficients,
pour équilibrer les recettes et les dépenses, et pour
faire en outre que les actionnaires, aux assemblées
générales, ne s'entendent pas dire quelque phrase de
ce genre : « Messieurs, Tannée que nous avons eu à
traverser n'a pas été heureuse pour notre entreprise ;
nous avons eu à lutter..., etc. » Quand le mot de lutte
apparaît, la défaite n'est pas loin.
Quoi qu'il en soit, on ne peut que rendre hommage
au mérite des hommes qui conduisent ces grandes
PROGRÈS DES VÉHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 129
affaires. Il faut connaître les difficultés, sans cesse re-
naissantes qu'ils ont à vaincre, et l'énergie qu'ils
niettent à les combattre, pour les apprécier comme il
convient.
La Compagnie des Omnibus n'est pas moins intéres-
sante que celle desPetites Voitures. Les services qu'elle
rend à la population parisienne ne méritent pas moins
l'attention que les détails intimes de son excellente
organisation.
En 1872, la Compagnie des Omnibus a transporté
près de 109 millions de voyageurs, c'est-à-dire plus
de cinquante fois la population de Paris, et ces trans-
ports ont eu lieu à l'aide de 644 voitures.
Leur trajet annuel est de 22 millions de kilomètres
environ, ou plus de 65 fois la distance de la terre à la
lune.
Il faut considérer les voitures de la Compagnie au
point de vue de l'ingénieur pour bien comprendre la
valeur de chacune des dispositions, quelquefois insi-
gnifiantes en apparence, qui ont été adoptées. Les amé-
liorations apportées à la construction de ces voitures
depuis leur création sont considérables. La plus impor-
tante est la création de l'impériale. C'est par là que
l'omnibus, presque exclusivement réservé, à cause du
prix de ses places, à la classe bourgeoise, est devenu
aussi la voiture du peuple. Tandis qu'au dedans on
trouve souvent des toilettes parfumées, on voit sur
l'impériale des ouvriers en blouse, la pipe à la bouche.
On pourrait presque dire que l'agrandissement de Paris
130 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIO:^.
a eu pour conséquence la création des impériales, sans
lesquelles la population ouvrière, reléguée dans les
quartiers éloignés, n'aurait pu venir au centre où ses
travaux l'appellent.
Ces impériales ont aujourd'hui 12 places; à l'ori-
gine, elles n'en avaient que 10. lia fallu, pour placer
deux nouveaux voyageurs, avancer le cocher, établir
le passage d'arrière un peu en porte-à-faux. Le centre
de gravité du véhicule s'est élevé lorsque le charge-
ment a été réparti entre le dedans et le dehors. On ne
pouvait abaisser les pssieux sans diminuer le diamètre
des roues : on les a coudés.
Les sièges ont été améliorés ; les marchepieds, les
mains courantes sont mieux établis. 11 n'est pas jus-
qu'aux écriteaux, jusqu'au moindre boulon, qui n'ait
été l'objet d'études spéciales, et que l'on n'ait modifié
et perfectionné conformément aux indications de la
pratique.
Les omnibus ont donc aujourd'hui 26 voyageurs :
14 au dedans, 12 sur l'impériale, soit 28 avec le co-
cher et le conducteur. La voiture pesant 1,700 kilog.,
et les voyageurs 70 kilog. en moyenne, l'ensemble
pèse 5,660 kilog., c'est-à-dire 1,850 kilog. par che-
val.
Il faut, pour remorquer de telles charges, dans les
conditions difficiles delà circulation parisienne, des
chevaux d'une vigueur exceptionnelle : la Normandie,
le Perche, les Ardcnnes, la Bretagne les fournissejit,
et leur ration revient à 2 fr. 55 par jour. Aussi bien
que les voitures, les chevaux sont examinés avec soin
PROGRÈS DES VÉHICULES JUSQU'A NOS JOURS. loi
et doivent nvoir, pour êlrc admis, des qualités spé-
ciales, et surloiit de bonnes jambes de devant, capa-
bles de résister longtemps à la fatigue de ces arrêts
prompts et répétés de la voiture à laquelle ils sont
attelés.
La Compagnie des Omnibus possède environ 8,500
chevaux. Son matériel roulant et sa cavalerie sont
répartis dans 40 dépôts qui occupent une surface con-
sidérable. Il faut des cours très-vastes pour laver les
voitures, des remises très-étendues pour les garer et
des écuries très-spacieuses pour que les chevaux qui
desservent (par dix) cliajue voiture, s'y trouvent â
l'aise et sainement : certaines écuries sont à deux
étages. Il faut enfin des hangars, des greniers, des
magasins considérables pour contenir les approvision-
nements de grains et de fourrages nécessaires à la
nourriture de tous ces animaux.
Leurs repas sont réglés, aussi bien que la durée de
leur travail quotidien, qui est de 16 kilomètres en
moyenne, — aussi bien que leur fatigue, car on leur
adjoint des renforts pour gravir les rues trop rapides, —
aussi bien que la vitesse de leur marche, car les co-
chers sont surveillés attentivement.
Comme la Compagnie des Petites Voitures, la Com-
pagnie des Omnibus fabrique elle-même ses voitures.
Elle se les procure ainsi à meilleur marché et est plus
sûre de les avoir solides et bien construites. Chaque
voiture revient à 5,500 francs environ.
Le tableau suivant donne, d'une manière succincte,
une iilée de l'importance de l'entreprise :
132 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Établissements immobiliers, écuries,
greniers 19 567 000 fr.
Chevaux 7 700 000
Fourrage en approvisionnement. . . 1760 000
Matériel roulant (voitures, harnais). . 4120 000
Ateliers, outillage, rechange, mobilier
industriel 5 599 000
Voie ferrée et son matériel d'exploi-
tation 2144 000
Divers, fonds de roulement 2 510 000
Total 41 000 000 fr.
Le public réclame parfois la mise en service d'une
voilure nouvelle ou la création d'une ligne. Les chif-
fres qui précèdent lui apprendront qu'une voiture
nouvelle exige un capital de 56,810 francs, et une
ligne de 20 voitures une somme de 1,100,000 francs.
L'existence d*une aussi vaste entreprise au dedans
du mur d'octroi élève dans de très-fortes proportions
les dépenses annuelles.
En 1872, la recette a été de . . . . 21 802 297 fr.
et la dépense, de 19 898146
D'où résulte un produit net de. . . . 1 904 151 fr.
Auquel correspond, par journée de voiture,
un produit de 89 fr. 74
Or, chaque voiture coûte, par jour .... 84 40
Reste comme produit net ... 5 fr. 54
Qui croirait, à voir ces omnibus si souvent complets,
que le revenu soit aussi faible? Les choses sont telles
cependant et, fait remarquable, mais que le calcul dé-
PROGRÈS DES VÉHICULES JUSQU'A NOS JOURS. 153
montre nettement, l'omnibus serait-il complet tout le
jour de la station de départ à la station d'arrivée, la
Compagnie serait en perte. Le renouvellement du
voyageur durant le trajet produit seul un bénéfice.
La Compagnie des Omnibus possède encore une
partie importante du réseau des tramways. Nous y
reviendrons dans un chapitre spécial.
Nous allons aborder maintenant la description de la
locomotive sur les voie ferrées. A.u lieu des rues limi-
tées d'une cité, nous allons parcourir le territoire d'un
pays tout entier; au lieu du souffle borné du cheval,
nous aurons le souffle puissant d'une machine qui
travaille presque aussi longtemps qu'elle a du charbon
et de l'eau à digérer; au lieu de l'industrie de quel-
queshabitants, nousallons servirl'industried'unpeuple
ou d'uncontinent. Les frontières s'abaissent et la civili-
sation étend ses limites.
CHAPITRE VI
LES CHEMINS DE FER
IMPORTANCE DES CHEMINS DE FER.
De toutes les découvertes de ce siècle qui comptera
certainement parmi les plus féconds en productions
nouvelles, il n'en est aucune qui soit plus importante
dans son application, plus considérable dans ses résul-
tais que celle des chemins de fer. Les rails sont aux
produits de l'industrie humaine ce que les caractères
de l'imprimerie sont à ceux de la pensée. Les noms de
Stephenson et de Séguin doivent être incrits à côté de
celui de Gutenberg.
Tout instrument qui contribue à rendre le travail de
l'homme plus parfait en multipliant les ressources dont
il dispose et en associant de la manière la plus favo-
rable les mérites et les aptitudes variés des peuples
répandus à la surface de la terre, est certainement ap-
pelé à en accroître la valeur dans de très-grandes pro-
portions. Or, tel est le résultat des chemins de fer que
LES CHEMINS DE FER. 155
leur développement rapide rend chaque jour plus re-
marquable. Ces nouvelles voies unissent les intérêts
des nations comme en un même faisceau et font entre-
voir la base d'une alliance universelle. Ils effacent les
frontières et contribuent bien plus que les traités de
paix, — œuvres essentiellement fragiles, — à resserrer
les liens sur lesquels repose l'union des membres de la
grande famille humaine. Les pays déshérités changent
de face sous leur influence régénératrice. L'ignorance
disparaît et, où régnait la misère, apparaît le bien-être.
La communauté des intérêts entraîne la commuante
des affections : élévation matérielle, intellectuelle et
morale, tel est le triple résultat de l'invention des
chemins de fer.
Quelques chiffres suffisent à donner la mesure du
développement actuel des voies ferrées (1" janvier
1876) :
295 159 kilomètres dans le monde entier, 74 milliards dépensés;
143 758 — en Europe, 57 —
[21596 — en France, 10 —
Près de 5000 millions de francs de recette brute annuelle.
— 13000 millions de francs d'économie annuelle sur les an-
ciens transports.
— 2540 millions de francs d'économie annuelle sur les an-
ciens transports pour la France seulement.
On compte : en Amérique. . . . 133,920 kilomètres exploités.
— en Europe. . .
— en Asie. , . .
— en Afrique. . .
— en Océanie . .
Soit dans le monde entier.
143,758
12,302
2,339
2,820
295,139 kilomètres exploités.
156
LES MERVEILLES DE LA. LOCOMOTION.
Le tableau suivant indique la situation des chemins
de fer exploités dans les différents États de l'Europe.
STTCATION DES CHEMINS DE FER EX EXPLOITATION DAKS LES DIVERS ETATS
DE l'eUROPE.
(Annuaire officiel des chemins de fer, année 1876.
EXPLOITEES.
j kilom.
Belgique 5.499
Gr.-Bretasne et Irlande. 26.870
Pays-Bas et Luxembourg 1 . 894
Allemagne 27.956
Suisse 2.081)
France 21.596
Danemark 1.260
Autriche-Hongrie.. . . 17.368
Italie 7.688
Espagne 5.796
Portugal 954
Suède et Norwége . . . 4.466
Turquie , Roumanie ,
Grèce 2.781
Russie 19.550
Totaux et movennes. 145,758
kilom. c.
29.455
515.640
52.840
530.567
41.418
545. OSl
58.250
620.400
284.225
494.946
89.555
758.585
566.089
4.973.786
9.518.585
POrCLATIOîî.
habitants.
4.897.794
50.000.000
5.628.468
58.525.8.58
2.510.494
58.19-2.064
1.755.787
51.550.002
25.527.915
15.752:607
5.927.592
5.874.856
kil.
10.18
8-51
5
5.27
5.02
3.97
3.50
2.80
kil.
714
892
77 522
7-29
830
565
717
550
2.70 501
1.16,567
1.07 242
0.591 760
17.786.052 0.49 156
61.251.523 0.59 519
281.938.775
1.54 509
Ces résultats nous rappellent les paroles que pro-
nonçait un ministre, à la tribune, après une visite qu'il
venait de faire au chemin de Liverpool. « Il n'y a pas
aujourd'hui, disait-il, huit ou dix lieues de chemins
de fer eu France, et, pour mon compte, si l'on venait
m'assurer qu'on en fera cinq par année, je me tiendrais
pour fort heureux... Il faut voir la réalité ; c'est que,
même en supposant beaucoup de succès aux chemins
LES CHEMINS DE FER. 157
de fer, le développement ne serait pas ce que l'on avait
supposé. — Vous voulez que je propose aux Chambres
de vous concéder le chemin de Rouen, disait le même
ministre un ou deux ans plus tard, je ne le ferai certai-
nement pas ; on me jetterait en bas de la tribune !....»
On pouvait alors penser ainsi, mais heureusement,
les économistes, les ingénieurs, les capitalistes, les
Michel Chevalier, les Séguin, les Talabot, les Didion,
les Clapeyron, les Flachat, les Perdonnet, les Pereire
et les Rothschild entrevoyaient l'avenir réservé aux
chemins de fer.
LA CONSTRUCTION.
L'étude d'un chemin de fer comprend deux parties
distinctes : la voie, qui est le moyen de transport ; le
matériel roulant, véhicules et machines, qui sont les
instruments du transport. L'un, en diminuant le frot-
tement, produit l'économie ; l'autre donne la vitesse ;
tous deux concourent d'ailleurs à ce double résultat :
Economie de temps et d'argent,
et par suite :
Accroissement de vie et de capital.
A ces deux parties constitutives d'un chemin de fer
se rapportent deux périodes distinctes de son exis-
tence : la construction et V exploitation, toutes deux
pleines du plus vif intérêt par les problèmes multiples
qu'elles donnent tous les jours à résoudre.
Nous passerons rapidement en revue les faits qui se
rapportent à la construction.
138 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
A. — Études. — Évaluation des dépenses et des produits.
Une première période, période d'incubation, pré-
cède toujours le premier coup de pioche. C'est celle des
études. Lorsque les deux points extrêmes d'une ligne
ont été déterminés, il reste à fixer les points intermé-
diaires qu'elle doit desservir. Les considérations les
plus diverses interviennent dans la solution de ce pro-
blème; les unes sont de l'ordre purement moral, les
autres de l'ordre matériel, en ce qui touche, du moins,
à la science de l'ingénieur, et si la nature du sol est
l'un des premiers éléments du problème à résoudre, il
n'est pas tel du moins qu'il impose d'une manière ab-
solue le tracé qui doit être adopté.
Le tracé sera-t-il direct, sera-t-il indirect? Quelles
sont les limites d'inclinaison et de courbure qu'il con-
vient d'imposer à son exploitation; aura-t-il deux voies,
ou n'en aura-t-il qu'une seule et quelle sera la largeur
de cette voie ou de ces voies? Quel sera le moteur?
Toutes ces questions qui se rattachent à la question
capitale du tracé exigent de la part de l'ingénieur une
série d'études préliminaires très-délicates, qui sont la
base de ce qu'on appelle un avanl-projet. Après avoir
reconnu le terrain et construit le futur chemin sur le
papier, il doit se transporter par l'esprit au temps de
l'exploitation, chiffrer les revenus, estimer l'impor-
tance du trafic et rapprocher la recette probable des
dépenses approximatives de construction et d'exploi-
tation. Ce n'est jamais qu'après de longs tâtonnements
LKS CHEMINS DE FER. 159
qu'il arrive à tracer la ligne qui répond de la manière
la plus satisfaisante aux intérêts des populations tra-
versées et à ceux des actionnaires qui ont engagé
leurs capitaux dans l'entreprise.
Les études de chemins de fer, en France, où nous
avons la superbe carte de l'état-major, et dans les pays
dont la topographie a été bien représentée, sont géné-
ralement faciles ; mais, dans les pays neufs, en Russie,
en Espagne, en Afrique et dans tant d'autres qu'on a
abordés sans aucun guide sûr, le travail est plein de
difficultés. On part comme le soldat à la recherche de
l'ennemi, bagages et intrumenls sur le dos, on campe
en plein champ, on mange comme on peut, on boit
quand on a de l'eau, on se repose quand on tombe de
fatigue et on dort souvent à la belle étoile. On lance
des lignes d'opération dans différentes directions et
souvent, après avoir laissé sa peau et ses vêtements aux
ronces du chemin, on vient se butter contre une mon-
tagne que les rampes les plus rapides ou les souterrains
les plus longs ne pourront fianchir. Force est de re-
brousser chemin et de chercher un passage dans une
nouvelle direction. Les pays de montagnes fournissent
souvent des accidents de ce genre. Nous pourrions citer
telle cbaîne dans l'Andalousie contre laquelle trois
brigades d'études dirigées par des ingénieurs différents
sont venues successivement se heurter et qu'une qua-
trième enfin a réussi à forcer ; travaux pénibles, longs
et difficiles, réclamant un coup d'œil juste, une préci-
sion rigoureuse et une grande persévérance.
Cette étude du sol qui doit porter l'édifice, n'exige
140 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
pas des soins moins délicats que la recherche des élé-
ments qui doivent servir à l'évaluation des produits de
la future ligne. Partout où la circulation des gens et
des choses aété notée d'une manière exacte, le travail
est facile ; mais, ailleurs, il faut se lancer dans le
champ des tâtonnements et des hypothèses. En France,
l'administration des ponts et chaussées a fait constater
par des comptages, opérés à différentes époques de
l'année, l'importance de la circulation sur les routes.
Les relevés des contributions indirectes sont une autre
source de renseignements précieux. Les octrois des
villes et des communes sont aussi d'un puissant secours.
Enfin, les indications fournies par les industriels, les
grands négociants, complètent la série des documents
sur lesquels on peut baser une évaluation sérieuse.
Mais, si les premiers éléments d'information méritent
une confiance absolue, les seconds, plus ou moins in-
téressés, réclament un contrôle minutieux et attentif.
L'intérêt général disparait devant l'intérêt privé chez
l'usinier qui compte sur l'établissement du chemin de
fer pour obtenir ses matières premières à meilleur
marché et revendre ses produits à plus haut prix ; chez
l'agriculteur qui voit par avance monter le prix de ses
propriétés et celui de ses récoltes. Luttes de villes, de
communes, d'individus, réclamations de toutes sortes
s'élèvent durant l'étude du tracé et au moment des en-
quêtes. L'ingénieur doit tout entendre et se constituer
juge suprême du débat. L'administration souveraine
prononce, mais sur les rapports qui lui sont fournis
par les ingénieurs.
LES CHEMINS DE FER. 141
B. — Infrastri'ctuke. — Installations préliminaires. — Travaux. — Terras-
sements : l'homme, le cheval, la machine, les principales tranchées. —
Ouvrages d'art : souterrains, tracé, percement, accidents ; les principaux
souterrains; le tunnel des .\ipes. — Viaducs en pieri-e, en bois, en fer, en
fonte. Principaux viaducs. — Principaux ponts. Pont du Niagara.
Aux avant-projets généralement étudiés dans diffé-
rentes directions, succèdent les projets ; à l'esquisse,
le tracé définitif. Les balises, les jalons, les piquets
sont plantés, et sur le coteau ou dans la plaine on
voit se dessiner la ligne future. Les études d'ensem-
ble sont suivies des études de détail. Les ouvrages
destinés au maintien de la circulation et à l'écoule-
ment des eaux sont projetés à la rencontre des che-
mins et des cours d'eau. Les souterrains et les viaducs
sont projetés. Les variantes du tracé, sont étudiées et
comparées au tracé primitif, les terrains sont recon-
nus par des sondages dans l'emplacement des tran-
chées à ouvrir, des souterrains à percer ou des ponts
à établir, les matériaux de construction sont recher-
chés, les carrières ouvertes, les briqueteries et les
fours à chaux mis en feu.
L'œuvre se prépare : l'appareilleur dresse l'aire sur
laquelle il dessine ses épures de coupes de pierre, le
charpentier approvisionne ses bois, élève les baraques,
entreprend la construction des brouettes, des wagons
de terrassement, des chariots, des chèvres, des grues,
des engins et des échafaudages de toutes sortes, né-
cessaires à l'exécution des travaux de terrassement et
des ouvrages en maçonnerie. Les magasins se garnis-
sent, le fer .'irrive ; voici df^s rails pour l'établissement
142 LES MERVEILLES TE LA LOCOMOTION
des voies provisoires, puis des pompes pour les épui-
sements, des ventilateurs, des machines d'extraction
pour le percement des souterrains, des locomobiles
pour la mise en marche de ce gros matériel, enfin des
locomotives pour le transport rapide des terres dé-
blayées.
Le travail va commencer. Les contre-maîtres en-
voyés dans différentes directions pour raccoler des ou-
vriers, reviennent avec de nombreuses recrues : ce
sont des terrassiers belges, des mineurs piémontais,
des maçons ou des tailleurs de pierre d'Ivrée ou de
Bielle (dans les États Sardes), des Limousins pour la
construction des stations et des maisons de garde. Il a
fallu prévoir l'arrivée de toute cette armée d'ouvriers.
Les auberfjes des localités situées dans le voisinaf]^e du
tracé sont ou trop rares, ou insuffisantes pour abriter
tout ce monde. Des cantines sont construites, des ba-
raquements installés, des magasins de vivres appro-
visionnés, des ambulances fournies de leur matériel
et de leur personnel d'iniirmiers, de sœurs de charité
et de médecins, pour les premiers soins à donner en
cas d'accidents, ou pour suppléer à l'absence ou à l'in-
suffisance des maisons de secours existantes. Enfin,
on a dû penser aux besoins de la religion, construire
une chapelle pour le culte le plus répandu et lui don-
ner un desservant. Et comme le représentant du Dieu
de paix est souvent impuissant à maintenir la bonne
harmonie entre ces ouvriers venus de tous les pays
et qui trouvent dans l'alcool et dans des liqueurs fre-
latées le sou Lien de leurs forces, — à coté de la cha-
LES CHEMINS DE FER. 443
pelle, on a installé un corps-de-garde pour le cas où
l'on serait forcé de recourir à des moyens plus persua-
sifs, à des arguments plus énergiques que la parole.
Telles sont, en résumé, les installations que néces-
site la construction d'un chemin de fer, installations
préliminaires et qui ne laissent pas que d'avoir une
influence notable sur la bonne et la prompte exécution
des travaux.
Les tranchées sont attaquées et nos Belges à la grande
encolure poussent la brouette. Dans un bon chan-
tier, jamais la brouette pleine ne touche terre. Lors-
qu'un rouleur arrive au relai, il ralentit sa marche,
son camarade se présente de côté, prend la brouette
pleine, fléchit les reins, souvent découverts jusqu'à
la ceinture, ei reçoit de la main de son camarade l'im-
pulsion du départ. Même reprise au relai suivant, et
ainsi de suite jusqu'à la décharge.
Lorsque la distance de transport atteint 100 mètres,
les brouettes cèdent la place aux tombereaux, qui bien-
tôt sont remplacés par des wagons traînés par des che-
vaux ou par la locomotive. Une plus grande activité
se déploie sur le chantier, des pentes sont ménagées
pour faciliter le transport des déblais, personne ne
chôme. Depuis l'enfant qui porte le bidon à l'eau aro-
matisée de vinaigre, de café ou d'eau-de-vie, qui ma-
nœuvre l'aiguille et s'occupe du graissage des wagons
jusqu'au cheval au large poitrail, à la croupe solide
et brillante, tout le monde rivalise d'ardeur. i\.vez-
vous remarqué jamais l'intelligence de ces chevaux
qui, sur les grands chantiers, leur a fait attribuer
144 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
des fonctions spéciales ? Attelés au tomberau, ils
vont sans guide de la charge à la décharge, sans
jamais abandonner le chemin tracé sur l'étroit rem-
blai qu'ils doivent parcourir. Arrivés au but, ils tour-
nent; un homme ou un enfant culbute le véhicule et
la bête revient chercher une nouvelle charge. Attelé
au wagon, le cheval prend le nom de lanceur. A quel-
que distance de la décharge, il fait, sur un cri du char-
retier, un effort énergique, tend ses traits, raidit ses
muscles, fléchit ses jarrets, et de tout son corps élevé
sur ses jambes de derrière et buté sur les traverses de
la voie, il entraine sa lourde charge. Pendant quelques
secondes, il chemine entre les deux rails. Mais l'im-
pulsion donnée est déjà suffisante pour que le wagon
atteigne seul les traverses formant barrage à l'extré-
mité de la voie ; l'attelage est rompu au moyen d'une
ficelle et d'une attache à ressort. D'un bond, le cheval
escalade le rail et les traverses saillantes qui le por-
tent, et se range sur le côté du remblai. Le wagon
vidé, il se retourne et l'entraîne à quelques pas sur
une voie d'évitement. Tout cela se passe en moins de
temps que nous n'en mettons à le dire. Le cheval en-
tend, voit, suit toutes ces manœuvres et les exécute
avec une intelligence merveilleuse.
Même docilité, même soumission dans les travaux
souterrains. Une lanterne fixée à la joue de son collier,
il passe dans les galeries les plus étroites, sur un sol
constamment inégal, tantôt rocher, tantôt terre, tan-
tôt poussière, tantôt boue; il se ghsse, tourne au mi-
lieu des étais, se heurte parfois, mais sans jamais
LES CHEMINS DE FER. 145
refuser ses services. Il se met au manège, s'attelle à
la corde d'une grue, se meut en ligne droite ou en
cercle avec la même facilité. Admirable animal, que
ne protègent pas assez nos lois contre la brutalité de
ses gardiens !
Ne voulant pas faire de la technologie, nous n'en-
trerons dans aucun détail sur l'installation des grands
chantiers de chemins de fer ; nous nous conten-
terons de dire que, tandis qu'aujourd'hui l'exécution
d'une voie ferrée est devenue familière à nos entrepre-
neurs, elle était à l'origine chose complètement neuve.
L'ouverture d'un canal, que l'on mettait des années à
creuser, s'opérait à de si rares intervalles et dans des
conditions si différentes, qu'elle n'avait formé aucun
ouvrier expert ; aussi, les ingénieurs qui eurent à cons-
truire les premiers chemins de fer durent-ils se façon-
ner eux-mêmes à ce nouveau genre de travaux, en
dressant leurs entrepreneurs comme leurs propres em-
ployés. Aucune difficulté n'existe plus de ce côté de-
puis longtemps. L'expérience est faite désormais.
Rappelons seulement les noms des plus grandes
tranchées donnant passage à des voies ferrées :
La tranchée de Tring sur le chemin de Birmingham,
mesurant 1 100 000 mètres cubes ;
Gadelbach, sur le chemin d'Ulm à Augsbourg, un
million de mètres ;
Tabatsofen : 860 000 mètres cubes ;
Cowran, sur le chemin de Carliste : 700 000 mètres
cubes ;
146 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIO>'.
Blisworth, sur le chemin de Birmingham : 620 000
mètres cubes ;
Poincv, au chemin de Strasbourcf : 500 000 mètres
cubes ;
Pont-sur- Yonne, au chemin de Lyon : 470 000 mè-
très cubes ;
Clamart, sur le chemin de Versailles, rive gauche :
400 000 mètres environ.
Les tranchées n'ont jamais plus de ] h mètres de
profondeur, à moins qu'elles ne soient très-courtes.
Si la voie doit être placée plus profondément dans
le so], on perce un souterrain : il y a économie. Quant
aux talus des tranchées, leur inclinaison varie entre
la verticale et une ligne inclinée à 45*^ sur l'horizon.
On ne descend au-dessous de ce chiffre qu'à la traver-
sée des terrains d'une très-mauvaise nature, sans con-
sistance et dont les éboulements fréquents nécessite-
raient un entretien trop'coùteux.
Les remblais s'élèvent aux deux extrémités des tran-
chées avec les déblais qui en sont sortis. Si ces déblais
sont en excès, on les met en dépôt; si, au contraire,
ils sont insuffisants, on a recours à un emprunt, qui
se fait, suivant les cas, en élargissement dans la tran-
chée ou sur les côtés du remblai à construire. La hau-
teur des remblais n'excède pas 20 mètres et l'incli-
naison des talus est le plus souvent de 1 1/2 de base
pour 1 de hauteur.
L'ingénieur ne cherche pas, comme il le fait pour
la construction d'une route, à équilibrer rigoureuse-
ment les volumes des déblais et des remblais. Les con-
LES CHEMINS DE FER. 147
ditions de tracé d'un chemin de fer sont autrement
impérieuses. Les questions de pente et de courbure do-
minent toute autre considération, et la compensation,
même approximative, des terres à déblayer et à rem-
blayer n'est pour lui qu'une préoccupation secondaire.
L'un des premiers travaux attaqués et celui qui
exige de la part de l'ingénieur les soins les plus assidus
au point de vue du tracé, au point de vue de la con-
duite des travaux, est le percement des souterrains.
Qu'on se figure un trou de plusieurs kilomètres de lon-
gueur parfois, d'une section de 50 à 50 mètres carrés,
percé sous le sol, tantôt en ligne droite, tantôt suivant
une courbe régulière au moyen d'attaques multipliées
dont le nombre a varié depuis 2 jusqu'à 50, et instal-
lées au fond d'une autre série de trous verticaux ou de
puits, dont la profondeur atteint souvent 200 mètres,
et au fond desquels on trouve tout d'abord un air vi-
cié par la fumée de la poudre et par la respiration des
ouvriers, des infiltrations plus ou moins abondantes,
qu'une pierre, un caillou qui tombe peut faire dégé-
nérer en ruisseaux envahissants.
Une ligne droite ou une courbe est dessinée à l'aide
de jalons, de pieux au travers du faite à franchir. Tan-
tôt elle monte sur un mamelon, tantôt elle descend
dans une crevasse ; là elle traverse un bois, là elle
plonge dans une source voilée sous un bouquet d'ar-
bres, et ne ménage aucune habitation. Tous les points
bas qu'elle a touchés, sont notés, espacés régulière-
ment, plus ou moins, selon les difficultés présumées
du percement et la durée probable de leur exécution.
148 LES MERVEILLES DE L\ LOCOMOTION.
Eii chacun de ces points se trouve l'ouverture d'un
puits. On se met à l'œuvre. Le puits descend ; le ma-
nège ou la locomobile s'installe, fait marcher le ven-
tilateur et le treuil. Tout va bien : les premières cou-
ches tendres sont traversées sans difficultés ; on blinde
avec quelques planches, un peu de foin, des étais ;
parfois on a recours au cuvelage en maçonnerie ; mais
de légers suintements se produisent, il est nécessaire
d'installer des pompes; on descend, l'eau augmente,
les pompes sont insuffisantes, on en installe de nou-
velles, la locomobile est doublée; on continue. Un
caillou, comme une noix, se détaclie de la paroi du
puits, un homme tombe pour ne plus se relever, pre-
mière victime ; — un éboulement survient, l'eau en-
vahit le puits, plusieurs hommes sont ensevelis; du
secours au plus vile, on ne retire que des cadavres.
C'est une alerte permanente, qui se répète en dix,
quinze, vingt points différents.
Enfin on arrive à la profondeur voulue. Il faut in-
diquer la direction des attaques : nouvelle opération
et Tune des plus délicates, sinon la plus délicate, à
accomplir. Les ouvriers sont écartés. La locomobile
reste en feu, quelques hommes sont au fond du puits,
quelques autres à la surface. On trace à l'orifice un
petit élément, une petite fraction de cette grande li-
gne dessinée sur le faite, et, à l'aide de plombs sus-
pendus à de légers fils, on reproduit au fond du puits
cette petite ligne tracée à son ouverture. Le plus grand
calme, le plus grand silence règne autour des opéra-
tions. H semble que le bruit seul de la voix va trou-
LES CHEMINS DE FER. . 149
hier le repos attendu de ces deux fils ou agiter l'air
au milieu duquel ils sont suspendus. Le plomb est
trop léger, on en augmente le poids; le fil se rompt,
et Ton recommence : les heures se passent et les ou-
vriers attendent. On fait plonger le grave dans un
vase plein d'eau. Enfin les deux fils sont immobiles,
ou leurs oscillations d'assez peu d'étendue pour qu'on
puisse en prendre aisément la mesure et partager
leur amplitude. Les points sont fixés et, sur ce petit
tronçon de ligne comme base, on va construire toute
une nouvelle ligne, la vraie cette fois, que maintes
opérations nouvelles viendront encore contrôler, car
la certitude en pareil cas ne résulte que de la multi-
plicité des tracés.
Souvent, la difficulté est augmentée par la situation
des puits en dehors de l'axa du souterrain, disposition
adoptée pour faciliter les manœuvres futures; mais
poursuivons notre description.
Les ouvriers reprennent possession de leur chantier
souterrain, qui présente désormais deux attaques di-
rigées en sens contraire. L'activité s'accroît. La pou-
dre et les bois descendent, les déblais remontent; les
hommes se remplacent toutes les six heures, le travail
ne chôme pas un instant. En avant, marche la petite
galerie que le tracé accompagne et dirige. Derrière,
vient le battage au large, l'ouverture à grande section.
Un muraillement ou un revêtement général est à faire ;
on procède alors par tronçons ou par chambres alter-
natives, les éventails sont établis, les cintres sont
dressés, les maçons suivent les boiseurs, et chaque
150 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
jour, à pas lents, au milieu d'incidents sans gravité
ou d'accidents épouvantables, le travail avance. C'est
un yrai trou de taupe, car dans certains terrains l'hom-
me le creuse avec ses mains, tantôt sur le ventre, tan-
tôt sur le côté, tantôt sur le dos. L'ouvrier des souter-
rains s'identifie à sa besogne; h la lumière du soleil,
il préfère celle de sa lampe, au grandair l'atmosphère
humide, fumeuse et parfois fétide de son chantier.
Son visage a pris une teinte pâle uniforme; ses yeux,
ses narines et ses lèvres sont d'un rose maladif et ses
cheveux sont parfois décolorés. On croirait à la souf-
france, si le soleil, l'air vivifiant du dehors, une nour-
riture plus forte et plus substantielle, ne venaient le
transformer et lui donner la force brutale qu'il montre
dans ces rixes qu'amène parfois la jalousie ou la co-
lère, et que termine trop souvent le couteau.
Les souterrains les plus remarquables sont :
La Nerthe, entre Avignon et Marseille, d'une lon-
gueur de 4,600 mètres ;
Blaisy, entre Tonnerre et Dijon, de 4100 mètres;
Le Credo, sur le chemin de Lyon à Genève, de 50.00
mètres ;
Rilly, sur l'embranchement deReims, de 5500 mè-
tres ;
Le tunnel dos Alpes ou du Mont-Cenis, de 12 220
mètres de longueur.
L'un des tunnels les plus connus est celui de Blaisy,
à 288 kilomètres de Paris. Il est percé sous les monts
de la Côte-d'or, à la limite du bassin de la Seine et de
celui de la Saône. Voici quelques détails sur la cons-
LES CHEMINS DE FER. 151
truction de ce remarquable ouvrage : sa longueur,
avons-nous dit, est de 4100 mètres, sa largeur entre
les pieds-droits de 8 mètres et sa hauteur sous clef de
8 mètres également. On a percé 22 puits pour sa con-
struction; le plus profond a 197 mètres de hauteur.
Quinze de ces puits sont conservés pour l'aérage du
souterrain. L'ensemble des 22 puits a coûté deux mil-
lions. Le cube des déblais extraits du souterrain est
évalué à 550 000 mètres et celui des matériaux de
construction à 150 000. On a employé plus de
150 000 kilogrammes de poudre. Ce souterrain a
coûté, sans les puits, 1900 francs par mètre courant,
soit 7 900000 francs pour l'ensemble.
Disons quelques mots encore du tunnel des Alpes.
Ce qui distingue essentiellement cet ouvrage des au-
tres souterrains construits jusqu'à présent, c'est sa
grande longueur (12''*\220) et l'impossibilité où l'on
a été, en raison de la i:frahde hauteur de la calotte su-
perposée, de l'attaquer par des puits. Il n'y a donc eu
que deux chantiers partis des deux têtes, de Modane et
de Bardonèche, et allant à la rencontre l'un de
l'autre. L'ouverture à l'exploitation remonte au mois
d'octobre 1871. Il a fallu, en raison du nombre res-
treint des attaques, employer les moyens de perforation
les plus rapides. Yoici ce qu'on a fiût. On a appliqué
à la compression de l'air la force produite par la chute
des cours d'eau descendant du faite. L'air comprimé,
à son tour, a servi à mettre en mouvement de petites
machines perforatrices qui remplacent le travail lent
et pénible des ouvriers. MM. Grandis, Grattone etSom-
152 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
meiller sont les inventeurs de ces machines. Aujour-
. d'hui, une voie nouvelle, qui réduit la durée de la tra-
versée à 20 ou 25 minutes, remplace l'ancienne route
de la montagne, que les chevaux de poste mettaient
10 à 12 heures à parcourir et que le chemin de fer
Fell^ dont nous aurons bientôt à parler, a fait franchir
en 5 heures seulement. Maintenant, nne communion
plus intime peut s'établir entre la France et l'Italie et
permettre à notre industrie d'aller puiser de nouvelles
et vivifiantes inspirations dans la péninsule; — à nos
voisins de venir étudier nos procédés rapides ef perfec-
tionnés de fabrication.
La nécessité de traverser de larges fleuves et des
vallées profondes, imposée par le tracé des grandes
voies ferrées, a donné naissance à des ouvrages dont
nos pères n'abordaient la construction qu'à de rares
intervalles et qu'ils mettaient de longues années à éle-
ver. Nous voulons parler d'abord de ces imposants
viaducs en maçonnerie qui l'emportent bien, à notre
avis, sur les aqueducs tant vantés des Romains et des
Sarrazins, puis de ces ouvrages en tôle portés sur pi-
les en maçonnerie ou sur piles métalliques, dont la
construction remonte à quelques années seulement et
qui a déjà reçu de nombreuses applications, tant elle
fournit un moyen économique et facile de franchir
les vallées profondes.
Les viaducs en maçonnerie, construits pour le pas-
* Un chemin de fer, d'un système analogue, permet de monler au
sommet du Righi.
LES C1IE3IINS DE FER. 155
sage des chemins de fer, sont remarquables à divers
titres : leur longueur, leur hauteur, la mauvaise na-
ture du terrain qui les supporte, augmentent les dif-
ficultés de leur construction et en élèvent le prix de
revient..
Parmi les viaducs les plus longs, on cite surtout ce-
lui qui a été construit sur les lagunes de Venise pour
le passage du chemin de Yicence, et qui a 5,598 mè-
tres de longueur ;
Celui qui traverse la ville de Nîmes de 1 ,670 mètres
de longueur, sur le chemin de Tarascon à Cette ;
Celui de AVittemberg, qui a 1,147 mètres de lon-
gueur;
Enfin celui d'Arles, sur le chemin de Lyon à Mar-
seille, et qui a 769 mètres de longueur.
La hauteur la plus grande de ces viaducs ne dépasse
pas 15 mètres.
Les viaducs les plus remarquables par leur grande
longueur et par leur grande hauteur, sont : celui de
Nogent-sur-Marne, qui a une longueur totale de 850
mètres et une hauteur de 29 mètres. Ce viaduc fran-
chit la rivière au moyen de trois arches de 50 mètres
d'ouverture. Il a été construit en dix-huit mois. Le
viaduc de l'Indre mesure 751 mètres de longueur to-
tale et 25 mètres de hauteur maxima.
L'un des ouvrages les plus renommés par sa légè-
reté est le viaduc de Chaumont, sur le chemin de Mul-
house à Gray. Sa longueur est de 600 mètres et sa plus
grande hauteur de 50 mètres. Il a été exécuté en quinze
mois.
154 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
L'un des viaducs les plus remarquables par ses di-
mensions et le plus grand de ceux construits en Alle-
magne pour le jDassage d'un chemin de fer, est celui
du Goeltzschthal, sur le chemin de fer saxo-bavarois,
entre Reichenbach et Plauen. Il a 579 mètres de lon-
gueur et sa hauteur maxima est de SO"",^! , c'est à peu
|)rès la même que celle de notre aqueduc de Roquefa-
vour, qui a 81 mètres. C'est la hauteur des tours de
Notre-Dame.
Nous pourrions citer encore plusieurs ouvrages en
maçonnerie dignes de fixer l'attention; la France, les
environs de Paris même en offrent de nombreux, mais
nous devons indiquer maintenant quelques-uns des
magnifiques travaux en charpente construits en Amé-
rique, en Allemagne et en Russie, et qui, forêts sus-
pendues, sont de véritables merveilles d'assemblage.
Les uns sont à poutres droites, comme celui de Peacok,
celui du Connccticut (584 mètres de longueur, avec
des travées de 54 mètres).
Celui de Landore (496 mètres de longueur) ;
Celui delà Mesta, sur le chemin de Saint-Pétersbourg
à Moscou (547 mètns de longueur, avec des travées de
GO mètres et une hauteur maxima de 5'2 mètres);
Les autres sont en arc de cercle, comme celui de
Williugton (519 mètres de longueur avec des arcs de
59 à 55 mètres de largeur) :
Celui de la rivière PEtherow (long de 158 mètres,
avec une arche de 54 mètres d'ouverture et une hau-
teur maxima de 41 mètres) ;
Celui de la cascade -Glen (présentant un arc de cer-
ii>uL?;-
Fijî. 22.
Yiaduc de Secrellown (Califoniie). UuO piedà de Ion.
sur le chemin de fer Central-racific.
LES CHEMINS DE FER. 157
cle de 84 mètres d'ouverture, le plus grand qu'on ait
encore construit, et 55 mètres de hauteur).
Mais le plus remarquable de ces ouvrages est le
pont du Haut-Portage sur le chemin de Bulfalon à
New- York; sa longueur est de 267 mètres et sa hau-
teur de 79"\50!
Le fer vient parer d'une manière avantageuse aux
inconvénients des constructions en charpente. On peut
dire que la construction des chemins de fer a produit
les ponts en tôle, de môme aussi que ces combles lé-
gers abritant nos grandes gares et une foule de con-
structions métalliques de différents genres.
Les ponts en tôle sont ou à poutres droites, pleines
ou à treillis, ou en arc de cercle. Les plus remarqua-
bles, parmi les premiers, sont : le grand pont Bri-
tannia, sur le détroit de Menai, dont l'ingénieur est
Robert Stephenson (longueur entre culées : 455 mètres
en quatre travées ; hauteur de la pile du milieu
67 mètres) ;
Le viaduc de Crumlin, pour le chemin de fer de
Pontypool à Swansea (longueur ; 498 mètres, 10 tra-
vées de 45™, 75, hauteur du rail, au-dessus du fond de
la vallée : 58",56) ;
Le grand pont sur la Vistule, à Dirschau (chemin
de fer de l'Est de la Prusse : six travées de 158'", 40 de
long chacune ; longueur totale, 882 mètres) ;
Le pont sur le Sitter (165 mètres de long en trois
travées, 62 mètres de hauteur) ;
Le pont de Marienbourg (en deux travées de 106
mètres chacune).
158 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Le premier pont en tôle construit en France est
celui d'Asnières, sur le chemin de l'Ouest, qui est dû
à M. Eug. Flachat ; il a remplacé le pont de bois brûlé
en 1848 (sa longueur est de 168 mètres en cinq tra-
vées).
D'autresponts dumême genre se sont succédé bientôt
en grand nombre. On remarque surtout le pont deLan-
gon (228 mètres en trois travées) et celui de Bordeaux
(629"',11), sur la Garonne. — Dans ces dernières
années, on a c-onstruit sur le Rhin le fameux pont de
Kehl (255 mèt^^es de longueur), qui réunit le duché
de Bade à la France, et que ses fondations, sur un sol
de gravier d'une profondeur indéfinie, rendent par-
ticulièrement remarquable. Il a coûté 8 millions.
Nous ne citerons, comme type de légèreté des ponts
en arc, que le pont d'Arcole, construit à Paris, en face
de l'Hôtel de ville, pour remplacer l'ancien pont sus-
pendu, qui donnait seulement passage aux piétons.
Mentionnons aussi le fameux pont de Saltash, sur
le bras de mer de Hamoaze, près de Plymouth, et dont
Brunel est l'ingénieur (deux travées de 158™, 68 cha-
cune, laissent aux navires, au moment de la haute
mer, un passage libre de 50°^, 48 de hauteur).
Mais un des ouvrages construits avec le plus de har-
diesse est celui quia été lancé par l'ingénieur Rœbling
au-dessus des chutes du Niagara (249™, 75 de longueur
en une seule travée, à 74 mètres nu-dessus de la ri-
vière). Ce pont est à la fois en treillis et suspendu.
Quatre câbles s'appuient sur les piles élevées, placées
sur les deux rives ; deux supportent le tablier supé-
LES CI1E:.IINS de fer. 159
rieur sur lequel passe la voie unique de fer, deux au-
tres supportent le tablier inférieur qui sert au pas-
sage des voitures et des piétons. Mais, comme les
grands vents, qui soufflent dans ces parages, auraient
pu soulever le tablier, des haubans, partant des parois
de la roche, viennent s'attacher, en divergeant, à dif-
férents points du tablier et lui donner une rigidité
considérable. Cet ouvrage n'a coûté que deux mil-
lions.
Parmi les ponts en fonte, nous ne citerons que le
beau pont de Tarascon (592 mètres de longueur, sept
arches de 60 mètres d'ouverture), et le viaduc de
Newcastle (408 mètres de longueur, six travées de
59 mètres). Tous les ouvrages en fonte, dès qu'ils at-
teignent une portée de 8 à 10 mètres, sont en arc;
les défauts inhérents à la fabrication de la fonte, ne
permettent pas son emploi en grandes poutres droites.
On vient d'entreprendre en Ecosse les fondations
d'un pont de 9 kilomètres de longueur sur le Forth,
ce pont a une hauteur maxima de 30 mètres et sa
construction, qui doit durer cinq ou six ans, entraî-
nera une dépense d'une trentaine de millions.
Tels sont les plus remarquables des grands ouvra-
ges dont les chemins de fer ont nécessité l'exécution.
Ils occupent, dans la construction des vois ferrées,
une place si importante et ils excitent à un si haut
point l'admiration, que nous n'avons pas cru devoir
négliger de faire connaître au moins leurs noms et
leurs principales dimensions.
160 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
C. — SupERsTRiCTCRE. — Slatioiis et maisons de garde. — La voie : Les or-
nières des mines de ^'ewcaslle. Ornières creuses et saillantes. Roues plates
et à rebords. — Rails méplats, à champignon simple, à double champignon,
Vignole, Brunel, Barlow, Hartwitcli; i^ails en acier. — Traverses en bois et
métilliques. — Coussinets, coins, éclisses, boulons, crampons, chevil-
lettes, etc.
La plate-forme du chemin est dressée, Vinfrastruc-
ture est maintenant terminée. Les stations et les
maisons de garde s'élèvent, depuis l'humble halte,
qui n'a parfois qu'une femme pour tout personnel,
jusqu'à la f^rande gare avec ses centaines d'agents. Les
rails et les traverses sont en dépôt aux extrémités, de
la ligne et sur divers points de son parcours. La pose
commence, les wagons, les locomotives la suivent ; le
ballast, cette matière perméable et élastique qui doit
former son lit, est apporté, et la commission adminis-
trative peut procéder à la réception du chemin.
Avant de parler des machines et des wagons, du
matériel locomoteur, en un mot, — aiTêtons-nous au
matériel fixe, à ces humbles barres de fer couchées sur
la poudre des chemins, comme on les a nommées.
C'est à la fin du dix-huitième siècle que l'on fait
remonter l'emploi des premières ornières saillantes
en bois, et c'est dans le voisinage des mines de
Newcastle que ces rails furent employés pour la pre-
mière fois. Les wagonnets, ou chaldrons, pleins de
houille, allaient sur les voies artificielles de l'orifice
du puits aux bords de la Tyne, où ils déchargeaient
leur contenu dans les bateaux. Mais ces bois s usaient,
se fendillaient et exigeaient un remplacement fréquent
LES CHEMINS DE FER. 161
et coûteux. L'action alternative du soleil et delà pluie
hâtait leur lin. C'est alors qu'on eut l'idée de les
recouvrir, pour en prolonger la durée, de bandes de
fer dans les parties les plus sujettes aux détériorations.
Cette amélioration partielle de la voie de transport de-
vint bientôt générale : le bois, enfin, fut écarté comme
rail et remplacé par la fonte. Cette application est due
à l'ingénieur William Reynolds et date de cent ans
environ. Elle remonte à l'année 1768, selon les uns,
à l'année 1780, selon les autres. Mais les rails n'a-
vaient pas la forme qu'ils ont aujourd'hui ; ils étaient
plats, avec un rebord saillant intérieur, la roue était
semblable à colle des voitures ordinaires. Vers 1789,
Jessop transforma la jante des roues et leur donna
le rebord qu'on voit aujourd'hui aux roues des wa-
gons ; les rails se réduisirent alors à de simples barres
de fer fixées sur des traverses en bois.
Pour utiliser toute la résistance du fer, ces barres ou
mieux ces lames de fer étaient placées sur leur tran-
che ou de champ, comme disent les ouvriers, et
maintenues dans cette position par le serrage d'un coin
en bois dans l'entaille d'une traverse. La voie était
donc bien simple : rails, traverses et coins, c'était
tout. Los petites voies de terrassement ne sont pas
autres encore aujourd'hui. Les rails en fer s'obtenaient
par le laminage ; c'était la méthode appliquée depuis
plus de deux siècles à la fabrication des monnaies, à
Paris, et que l'Angleterre pratiquait depuis l'année
1665.
Les améliorations de la voie actuelle de nos chemins
11
162 LES MERVEILLES DE LA L0C0MOTIO>'.
de fer résultent principalement des perfectionnements
qui ont été apportés à la confection de ses parties
essentielles. On reconnut bientôt que les rails méplats,
sous les fortes charges, creusaient des sillons dans
la jante des roues et les mettaient promptement hors
de service, qu'au passage des courbes et sous l'action
de la force centrifuge ils se déjetaient en dehors de
Fi^'. 29.
Rail à (jouldc chaiU|.rigiif!ii.
la courbe et faisaient ventre entre leurs supports. De
là, la nécessité d'abandonner la forme méplate, pour
donner aux rails une saillie latérale, capable à la fois
d'empêcher .ces déformations et de fournir une sur-
face de roulement bombée et non plus tranchante. Le
champignon du rail était inventé. Le désir d'utiliser le
rail après l'usure de son champignon supérieur, donna
l'idée de lui ajouter un champignon inférieur, symé-
LES GlfEMlNS DE TEF..
163
trique du premier, permettant son retournement dans
ses supports et donnant un nouveau service.
Notre rail actuel, à double champignon, n'est autre
que celui que nous venons de décrire. C'est le propre
des grandes inventions d'atteindre dès le début le
degré de perfectionnement qu'elles ne doivent guère
dépasser. Tantôt Vâme du rail est plus haute et plus
T
F'm. 50. — Rail Yisnoles.
étroite, le champignon plus ou moins bombé, plus ou
moins large; mais ces variations se chiffrent par mil-
limètres ou par fractions de millimètre. La forme
et les dimensions générales varient peu. Il en est de
môme du coussinet ou chair, de cette main de Ibnte
dans laquelle on serre le rail à Taide d'un coin en bois,
et de ce coin lui-même.
La traverse est une bille de bois, de forme quadran-
gulaire, triangulaire ou semi-circulaire, dont la nature
varie suivant les pays. En France et en Belgique, en
Allemagne, en Angleterre, on emploie le chêne, le
164 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
hêtre, le sapin elle pin préparé. En Suisse, on emploie
le mélèze; en Amérique, on a employé le gaïae.
Les coins sont en chêne et ne présentent rien de
particulier.
Une autre espèce de rail est employée en Amérique,
en Allemagne, et sur quelques-unes de nos lignes
françaises. C'est le riï'ûàpatin^ américain, ouVignoles,
du nom de l'ingénieur anglais qui, le premier, J'a
employé en Angleterre. Il ne diffère du rail à douhle
.^^
Fi;r. ol. — Rail RiuneL Fij?. 52. — Rail Rarlow.
champignon qu'en ce que le champignon inférieur a
été remplacé par un patin qui lui sert d'appui sur la
traverse, à laquelle il est relié par des crampons en
fer. Ce rail ne peut donc pas être retourné comme le
premier, mais l'avantage dont il est privé est diverse-
ment apprécié par les ingénieurs et contesté par cer-
tains d'entre eux.
?y'Ous indiquerons encore deux sortes de rails, dont
l'usage tend de plus en plus à disparaître et que les
Compagnies utilisent seulement aujourd'hui pour l'é-
tablissement de leurs voies de garage; ce sont : le rail
Brunel (bridge-rail), qui a la forme d'un U renversé.
LES CHEMLNS DE l'EK. 165
se posant sur longrines, et le nul Bariow, dant la sec-
tion est celle d'un V renversé, s'appuyant directement
sur le ballast.
L'Exposition universelle de 1867 a fait connaître
une nouvelle espèce de rail employée en Allemagne,
et qui présenterait des avantages notables sur les pré-
cédents, c'est le rail lïartwich, essayé sur les chemins
de fer de Goblentz à Oberlahustein et de Enskirchen à
Mechernich. Ce rail n'est autre que le rail Vignoles
dont l'àme a augmenté de hauteur, et dont le patin
s'est élargi. Il se pose directement dans le ballast sans
aucun intermédiaire. Mais il pèse 60 kilogr. environ le
mètre courant : il coûte par conséquent fort cher. Et,
comme le temps seul permet de porter un jugement
sur les mérites de ce rail, on doit, avant d'aban-
donner les systèmes déjà essayés, attendre, pour
l'adopter, que l'expérience ait fait connaître sa véri-
table valeur.
Les charges imposées aux véhicules des chemins de
fer, wagons et machines, ont tellement augmenté de-
puis leur origine, que, pour nepas voiries rails s'écraser
et se déformer promptement, on a dii en augmenter
aussi la résistance en en forçant les dimensions et par
conséquent le poids. Les premiers rails employés au
chemin de Saint-Etienne à/ Lyon, pesaient 15 kilogr.
le mètre coui'ant. Bientôt ce poids dut être porté à
25 kilogr., et aujourd'hui, sur nos grandes lignes, il
est de 50 à 58 kilogr. Ce poids s'élève même parfois
à 46 kilogr. Encore les rails ne durent-ils guère qu'ime
quinzaine d'années ! On comprend que ce chiffre varie
106 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
dans d'assez grandes limites, suivant la qualité des
rails, leur position en plaine, en rampe ou en courbe,
et la circulation qui s'opère à leur surface. Au bout
de ce temps, ils ont perdu environ 1 00 francs par tonne
de leur valeur, repassent à la forge, où ils sont em-
ployés à fabriquer des rails neufs, qui rentrent dans
les parcs de la voie et bientôt après sont utilisés sur de
nouvelles lignes.
Malgré l'économie qui résulte de ce réemploi des
vieux rails, l'opération de la réfection des voies ne
laisse pas que d'être très-coûteuse : aussi a-t-on cherché
à employer des rails capables de résister plus long-
temps aux causes de destruction rapide auxquelles ils
sont soumis dans certains cas. On a associé le fer à
l'acier, celui-ci occupant la surface des tables de rou-
lement, qui s'altèrent par le frottement, mais on a été
peu satisfait du résultat obtenu, le fer et l'acier ne se
soudant que diflicilement. On en est venu à fabriquer
des rails exclusivement en acier fondu Bessemer. Plu-
* Le nombre de tonnes de rails en fer et en acier aclietées par les clie-
niinsde fer françtus aux usines françaises, pendant le cours des années
1870 et 1877. est le suivant :
Année 1870
— 1877
r.AILS
• eu fer.
KAILS
en acior.
TOTAL.
57.950
. 48.889
150.081
157.149
188.017
180.058
Par rapport ij Augmentation . .
à 1870 ( Diminution . . ,
9.047
0.i08
»
»
2.579
LliS CHEMINS DE FER. 167
sieurs Compagnies en ont fait drjà des commandes im-
portantes pour les parties les plus fatiguées de leur
réseau. Aujourd'hui, cet usage se généralise, et le
prix de l'acier diminuant, on peut entrevoir l'époque
où toutes les grandes lignes seront exclusivement pour-
vues de rails d'acier.
Quant aux traverses, on cherche de plus en plus à
substituer la tôle au bois. La durée et la résistance du
fer, qualités si précieuses pour des travaux dont l'exis-
tence doit être indéfinie, justifient ces recherches ; mais
des difficultés sérieuses, telles que le mode de fixation
du lail sur la traverse, le bourrage facile de celle-ci,
retardent la solution du problème. Onne peut, d'ailleurs,
contrairement à un préjugé asîez répandu, adopter
promptement toutes les innovations qui sont proposées
pour l'amélioration des voies. Les Compagnies tra-
vaillent sans cesse à perfectionner ce qui existe ; leurs
essais sont constants, mais elles sont trop soucieuses
delà sécurité des voyageurs (elles savent ce que coûtent
les bras ou les jambes cassés), elles sont trop sou-
cieuses aussi des intérêts qui leur sont confiés (l'em-
ploi d'un rail, trop promptement adopté, a coûté à
une Compagnie 14 millions et a entraîné une perte de
8 millions), pour s'engager à la légère dans des inno-
vations d'une valeur incertaine et que leur application
sur une grande échelle peut rendre des plus compro-
mettantes.
On se fera une idée de l'importance de ces questions
quand on saura qu'au cours de 200 francs la tonne,
la valeur des rails du réseau exploité était représentée.
168 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
en 1876, par une somme de ioO millions de francs
environ.
Mais revenons aux traverses métalliques. Les essais
continuent, les Compagnies font des commandes, con-
statent leurs avantages et leurs inconvénients. Elles
procèdent avec la prudence qu'exige le renouvellement,
au fur et à mesure des besoins, de '25 millions de
traverses en bois, qui, au prix variable de 5 à 6 francs,
représentent un capital de 115 millions de francs. En
comptant les traverses en tôle à 180 francs la tonne,
leur ensemble coûterait 180 millions, soit 67 millions
de plus. Quelle en serait la durée? Là est la question
L'avenir répondra .
Nous ne nous arrêterons pas aux pièces accessoires,
éclisses, selles, boulons, chevillettes, crampons, etc.,
qui servent à réunir deux rails qui se suivent, à leur
fournir un appui sur la traverse ou à les fixer à celle-ci.
Ce sont choses de détail. Nous parlerons maintenant
des véhicules des chemins de fer.
LES WAGONS.
A. — Les wagous en général. — Voilures à 2, i, G cL S roues. — Consliuc-
tion d'un wagon : chàs'-i';, caisse.
La construction de la ])remière voiture de chemin
de fer n'a pas été aussi simple qu'on serait tout d'abord
tenté de le croire. Il semble, en effet, a priori, qu'il
y a bien moins de difficulté à faire suivre aux roues
munies de boudins d'un véhicule, deux ornières sail-
lantes ou deux ornières creuses, qu'à les faire courir
LES CHEMINS LE FER. 109
sur un chemin semé d'obstacles. Il n'en est rien.
On a reconnu, dès le début, que l'emploi des voi-
tures à deux roues était absolument impossible.
On a essayé alors des voitures à quatre roues, en
laissant aux essieux la faculté de se placer dans une
direction normale aux courbes parcourues, et aux
roues la mobilité sur ces essieux qu'on regardait
aussi comme indispensable au parcours de chemins
de différentes longueurs sur les deux files de rails.
Mais la pratique, ainsi qu'il arrive parfois, a renversé
ces prévisions, et l'on a bientôt reconnu que le véhi-
cule ne pouvait être maintenu sur le rail qu'à la double
condition d'avoir ses essieux toujours parallèles et so-
lidaires du châssis du véhicule, et les roues jumelles
invariablement fixées sur l'essieu qui les porte.
On a créé ainsi des résistances accessoires, mais on
a assuré le maintien du véhicule sur la voie.
Du wagon à quatre roues, on est passé au wagon à
six roues, l'un des essieux pouvant se déplacer d'une
petite quantité dans un plan parallèle à celui de la
voie, de manière à prendre, au passage d'une courbe,
la direction de son rayon; les roues restant, d'ailleurs
toujours calées sur les essieux.
Enfin, on a fait des wagons à huit roues, en grou-
pant les essieux deux par deux et composant deux
trucks indépendants, reliés à la caisse du véhicule au
moyen de chevilles ouvrières, comme celles qui sont à
l'avant-train des voitures ordinaires.
Ces premières expériences achevées, on s'est occupé
de la construction proprement dite du wagon, en fai-
170 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
sant de chacune de ses parties appelées à répondre à
des besoins nouveaux, une étude minutieuse.
Il fallait établir les aitachcs des wagons les uns
aux autres, parer aux chocs des wagons entre eux, à
la suspension du véhicule sur les roues, aux moyens
de modérer la vitesse à certains moments de la marche.
On composa un cJiàssis, sorte de cadre en charpente,
rendu indéformable par des pièces mises en croix et
des ferrures convenablement disposées; on eut une
carcasse s'appliquant, d'une manière à peu près géné-
rale, à tous les véhicules quelle que fût leur destination
spéciale, et portant, à ses extrémités, les crochets d'at-
telage et les tampons de choc, les premiers reliés à la
partie centrale, les seconds aux extrémités des ressorts
disposés au centre du châssis; sur les côtés, les plaques
de garde qui assurent le parallélisme des essieux tout en
permettant les mouvements d'oscillation des boîtes à
graisse sous l'action des ressorts de suspension.
A ces parties essentielles, on ajouta quelques pièces
accessoires, des chaînes de sûreté et, selon la desti-
nation du wagon, des marchepieds, un frein, etc.
U. — W.\GO>S A MAHClIAMil^F.> , A Bt-UALX LT MVKUS. — WagOnS pOlll' Ip
transport du ballast, du coke, du charbon, des inarihandises, du Init, des
l)estiaux. — Transport dos filets de bœuf, du gibier, du vin de Cham-
pagne, des fraises, des fromages. — ^Vagons à écurie, à bagages, ih's
postes.
Sur le châssis, que nous avons décrit, se place une
caisse appropriée au transport auquel le véhicule est
destiné. On a des wagons pour le transport des dé-
blais, du ballr.st, de la bouille, du coke, du charbon
LES CIIEMIINS DE FEU. 171
de bois, des marchandises de diverses natures, des
voitures de rouliers et des voitures ordinaires, montées
sur leurs roues, des diligences, des bestiaux de grande
et de petite taille, des chevaux, du lait, des bagages,
des pièces de charpente, et enQn des voyageurs.
Leswai^onsde terrassement sont d'une construction
grossière, ainsi qu'il convient à l'usage auquel ils sont
destinés. Leur caisse est placée en porte-à-faux, de
Diligence montée sur un truck.
manière à pouvoir basculer aisément et se vider d'elle-
même. Les ^vagons à ballast sont, d'ordinaire, des wa-
gons plats que l'on vide à la pelle.
Pour le transport des houilles, on a employé long-
temps des wagons de forme trapézoïdale se vidant par
le fond au moyen d'une trappe ; on y a renoncé et on
n'emploie plus que des ^vagons de forme prismatique
se vidant par les portes. Le transport du coke s'effectue
17-2 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
souvent à l'aide de caisses posées sur le wagon et que
de puissantes grues élèvent et basculent au lieu de dé-
chargement. La quantité des houilles et cokes trans-
portés, en 1865, parles six Compagnies françaises a été
de 9,548,540 tonnes. Elle augmente tous les jours.
Le transport du charbon de bois s'opère parfois de
la même manière, au moyen de caisses qui peuvent
tenir, au nombre de quatre, sur un wagon, (-'est la
même caisse qui passe de la voiture du charbonnier
en forêt sur le wagon qui la mène à l'usine. Lorsque
le transport du charbon se fait dans des sacs, on
dispose ceux-ci sur des plates-formes qui viennent de
la meule au dépôt de la ville et qui sont transbordées
successi N'ornent de la charrette sur le wagon, et de
celui-ci sur la charrette.
Les voitures de rouliers se chargent sur des wagons
plats appelés maringottes. Les chaises de poste passent
avec leurs roues sur des wagons plates formes, de même
que les diligences, mais les roues de celles-ci sont en-
levées au départ et remises à l'arrivée. Ce transport a,
d'ailleurs, beaucoup perdu de l'importance qu'il avait
à l'origine des chemins de fer, alors que les voies fer-
rées présentaient de nombreuses discontinuités. On se
rappelle les émotions qu'on éprouvait en arrivant sous
la Lime charorée d'enlever le lourd véhicule, et chacun
de se dire : « Si l'une des chaînes cassait !^ » Une
fois séparée de ses essieux, la diligence était em-
portée latéralement par le treuil roulant auquel elle
était suspendue, puis redescendue sur le wagon qui
devait l'emporter. A l'arrivée, c'était une manœuvre
LES CHEMINS DE FER. 175
inverse. Les chaînes ne cassaient pas, mais les cra-
quements qu'elles faisaient entendre en s'enroulant
ou en se déroulant, ne contribuaient pas peu à aug-
menter les craintes qu'on avait à cette époque sur les
voyages en chemin de fer.
Quant aux wagons destinés au transport des mar-
chandises, ils sont généralement de deux formes. Ce
sont des wagons plais, munis de bâches en toile ou en
bourre de soie et recouvertes d'un enduit dont la base
est le caoutchouc ; ou bien des wagons à parois laté-
raies, les uns couverts, les autres découverts. Ces wa-
gons, à l'origine des chemins de fer, ne recevaient que
de faibles charges, cinq tonnes seulement; aujourd'hui,
ce poids a beaucoup augmenté ; il est généralement
porté au double, soit dix tonnes, et le rapport du
poids mort au poids utile s'est ainsi abaissé de 0,90
à 0,47.
Le transport du lait s'effectue dans de grandes boîtes
en fer-blanc de vingt litres, qui peuvent se charger
au nombre de deux cents dans une caisse à claire-
voie.
La ville de Paris a reçu en moyenne, chaque jour de
l'année 1865, 260,621 litres de lait. On estime la con-
sommation journalière à 520,000 litres. Les quatre
cinquièmes sont donc fournis par les chemins de fer,
et si leur service venait à manquer subitement, fait
remarquer M. Jacqmin, Directeur de la Compagnie de
l'Est, au livre duquel nous empruntons ces chiffres,
700 à 800 mille personnes seraient chaque matin
privées de leur tasse de café au lait.
174 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Les bestiaux se transportent dans des wagons qu
diffèrent peu des wagons à marchandises couverts,
nous parlons des bestiaux de grande taille; quant aux
moutons, on les superpose et on les fait voyager dans
des voitures à deux étages, munies de planchers étan-
ches. Aux prix des tarifs généraux, les moutons, les
brebis, les agneaux et les chèvres payent en petite
vitesse 0 fr. 02 par kilomètre et par tète; les veaux et
les porcs payent le double ; les bœufs, les vaches, les
taureaux, les chevaux, les mulets et les bêtes de trait
payent 0 fr. 10. Les tarifs spéciaux sont pour eux de?,
tarifs de faveur, mais le transport en grande vitesse
double le prix de leur place. Lorsque ces animaux sont
envoyés aux concours agricoles pour y faire admirer
la rondeur de leurs formes ou leurs belles proportions,
les Compagnies leur accordent encore une réduction
de 50 ])Our 100 sur les prix des tarifs généraux.
Veut-on savoir maintenant à quel chiffre énorme s'est
élevé le transport des bestiaux en 1865 sur les six
grands réseaux français? A 4145 287. Les moutons
seuls entrent dans ce chiffre pour 2 loi 956.
Les transports de bestiaux, amenés à Paris seule-
ment, ont nécessité dans la même année 79 054 wa-
gons, ce qui donne environ 1 500 000 têtes.
Quant aux filets de bœuf nmenés par la Compagnie
de LEst, de la Suisse allemande et du grand-duché de
Bade, le poids, qui n'était que de 602 6 1 5 kilogrammes
en 1865, s'est élevé à 1421050 kilogrammes en
1866.
De même qu'on a aménagé un navire, le Frigo-
LES CIlEMirs'S DE FER. 175
rifîque, pour le transport on Europe des viandes à
l'état frais provenant de l'Amérique, de même on a
fabriqué des wagons spéciaux avec coffres à glace et
ventilateur actiomié par le mouvement des roues, pour
permettre le transport par voies ferrées et à de
grandes distances des viandes abattues, dans une
atmosphère incessamment rafraîchie.
A l'époque de la chasse, les arrivages de gibier se
sont élevés, certains jours, jusqu'à 50000 kilogram-
mes, soit : 6,000 lièvres et 500 chevreuils.
Oui aurait deviné, il y a trente ans, que les chemins
de fer donneraient lieu à des transports d'une telle
nature et d'une telle importance?
Et puisque nous parlons du transport des choses
délicates au goût, nous dirons ce qu'il sort de vins
mousseux par le chemin de fer, de la seule Cham-
pagne : 17 940 000 bouteilles en 1866; ce chiffre
n'était que de 9 210000 bouteilles en 1845, et tandis
que l'Amérique ne nous en enlevait que 4 580000
bouteilles en 1 845, elle en a pris 10 415 000 en 1866.
Je laisse à penser si le tout est du pur jus de la vigne !
La bière arrive d'Alsace et des pays d'Outre-Rhin
dans des wagons spéciaux, à double enveloppe, ga-
rantie de la chaleur extérieure par une couche de glace
interposée. Il existe aussi, pour le transport des vins
en provenance des régions du Midi, des wagons-
citernes : la forme extérieure est celle d'un wagon
ordinaire ; l'intérieur renferme un ou plusieurs grands
réservoirs de métal avec pompe, tuyaux, etc., destinés
à oi)érer le remplissage dans les pays vignobles et
176 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIO>'.
le transvasement dans les lieux de consommation.
Le transport des fromages de Brie, venant de Meaux
seulement, chaque samedi, exige douze ou quinze wa-
gons ; parfois trente wagons ont été nécessaires.
Les chevaux se transportent dans des wagons spé-
ciaux, appelés ivagons'écuriesy qui ne diffèrent des
wagons à bestiaux, employés souvent à cet usage, que
par une division de la caisse en stalles isolant ces
animaux les uns des autres. Les portes sont placées
sur les parois extrêmes, l'une s'abat pour servir de
pont, l'autre se relève en forme de toit; les cloisons
étant mobiles sur charnières, les portes livrent toutes
deux accès aux chevaux dans toute la longueur du
wagon. Un compartiment spécial est réservé au pale-
frenier qui les accompagne.
Les wagons à bagages sont de grands w^agons fermés,
à portes roulantes, ayant, d'ordinaire, une guérite de
vigie pour le conducteur du train, quelques petites ar-
moires ou casiers pour le rangement des petits colis,
pour les valeurs, pour la boîte de secours et deux ou
trois niches à chiens. La Compagnie du Midi a fait
construire des fourgons à bagages destinés au service
des trains express et qui contiennent des water-
closets, avec deux petits compartiments d'attente,
dans lesquels un voyageur peut se tenir durant le
trajet entre deux stations.
Le service des postes, depuis l'ouverture de nos
grandes voies ferrées, a lieu dans les wagons mêmes
qui servent au transport des dépêches. Toutes les opé-
rations de classement, de triage, qui se faisaient au-
12
LES CHEMINS DE FER. 171)
Irelois avant le départ du courrier, se font maintenant
durant le trajet. Les postes ont, dansée but, de grands
wagons, appelés bureaux ambulants, garnis de ta-
blettes et de casiers, cbaut'fés et éclairés comme le
seraient des bureaux ordinaires.
Ces voitures, en Angleterre, ])résentent latéralement
des filets destinés à prendre les dépèches et à les
laisser au passage des stations. Lorsque le transport
des dépêches exige plusieurs wagons, des ponts vo-
lants s'abaissent sur les tampons, abrités par des
espèces de cages à soui'tlet, en cuir, qui s'appliquent
exactement contre les parois des baies de communi-
cation. En Prusse, on a aussi un filet pour les dépèches
à prendre en marche; mais poiu* celles qu'on doit
laisser, on se contente de les jeter sur le trottoir. En
France, nous n'avons rien ni pour prendre les dépèches,
ni pour les laisser !
C. — Wago.ns a voyageurs. — Maléiiel français, anglais, allcniand, améri-
cain. — Voilures spéciales des chemins du Grand-Tronc , du Mont-Ceuis
de Sceaux. — Valeur du matériel roulant. — Nombre de véhicviles sur
tous les diemins du "lol)e.
Nous arrivons enfin à la description des voitures à
voyageurs, mais les détails de leur agencement sont
tellement connus aujourd'hui que nous nous borne-
rons à appeler l'attention sur les innovations récentes
introduites dans leur construction.
On apprécie les progrès déjà réalisas quand on se
rappelle les anciennes voitures de troisième classe,
ouvertes à l'origine et sans toiture, des chemins de
180 LES 5IERYEILLES DE LA L0C0M0T10>-.
Rouen, d'Orléans et d'Alsace. Plus tard, ces voitures
ont été couvertes ; elles n'avaient pour parois que de
légers fdets en ficelle livrant passage au soleil, durant
l'été, auvent et à la pluie, durant l'hiver. Les voitures
de troisième classe, sans être aujourd'hui tout ce que
l'on peut désirer, sont néanmoins complètement
exemptes des défauts de leur origine et, ce qui prouve
qu'elles ne sont pas si désagréables qu'on le dit bien
souvent, c'est qu'elles sont fréquentées, pour tous les
petits parcours, par une foule de personnes qui pré-
fèrent une économie à un plus grand confortable.
En France, le matériel le plus répandu se compose
de voitures de première, de seconde et de troi:ïième
classe, montées sur quatre roues (le nombre des voi-
tures à six roues est très-limité), de voitures mixtes
contenant des compartiments de différentes classes et
qui servent spécialement au transport sur les petites
lignes. Toutes ces voitures n'ont qu'un élage et con-
tiennent de 24 à 50 voyageurs.
Les lignes de banlieue, établies dans le voisinage
des grandes villes, qui ne servent [qu'à de petits par-
cours, ont des voitures à impériale couverte. On accède
à ces impériales au moyen d'escaliers placés aux extré-
mités du véhicule. La voiture contient alors 72 places.
La Compagnie de l'Est avait exposé, en 1867, une voi-
ture à deux étages, de 78 ploces (système Vidard et
Bournique), dont l'impériale était fermée et réservée
a^ix voyageurs de troisième classe. Au rez-de-chaussée
dr la voiture se trouvaient les compartiments de pre-
mière, de deuxième classe et un compartiment de troi-
LES G11E:,I1>S de 1ER. 185
sième classe pour les personnes peu valides. Ces voi-
tures sont aujourd'hui nombreuses sur son réseau.
Ainsi qu'on le voit, les recherches des ingénieurs,
chargés de la carrosserie dans les Compagnies de che-
mins de fer, tendent toujours à diminuer le rapport
du poids mort au poids utile; ces recherches abou-
tissent, mais ce n'est pas évidemment sans porter plus
ou moins atteinte au confortable que les voyageurs de
toutes classes réclament avec tant d'insistance.
On construit en Angleterre, et on commence à
construire en France, des wagons qui contiennent
des compartiments dos trois classes et, en outre, un
compartiment pour les bagages. Ces wagons sont des-
tinés à faire le service des lignes d'embranchement :
ils permettent de faire passer voyageurs et bagages, sans
transbordement, de ces lignes sur les lignes princi-
pales et vice versa, de simplifier les manœuvres et de
réduire la durée des arrêts aux points de raccordement.
Les personnes qui ont voyagé en Angleterre et en
France s'accordent généralement à reconnaître la su-
périorité de notre matériel sur celui de nos voisins. Si
les voitures de première classe se valent, celles de
deuxième et de troisième classe sont assurément
moins bonnes que leurs similaires françaises. Les
sièges laissent à désirer, les dossiers manquent dans
les secondes classes, les rideaux sont absents dans
les secondes et dans les troisièmes classes. C'est le né-
cessaire, mais rien de plus.
Les Compagnies françaises travaillent incessamment
à l'amélioration du matériel roulant de leurs lignes.
184 LES MERVEILLES DE L.\ LOCOMOTION.
La création de trains rapides sur les grandes artères
a donné lieu à la construction de voitures plus spa-
cieuses, mieux suspendues, pourvues d'annexés (ca-
binets de toilette, water-closets) et de menus acces-
soires divers propres à en augmenter la commodité et
le confortable.
Le chauffage, limité d'abord aux voitures de pre-
mière classe, a été étendu aux voitures des trois classes
pour les parcours d'une certaine importance.
Enfin, l'iutroduction des wagons-lits, sleeping-cars,
dans la composition des trains de nuit circulant sur
qwelques-unes de nos grandes lignes et la faculté ac-
cordée aux voyageurs dans certains cas, de rester cou-
chés dans le wagon en attendant Theure à laquelle ils
pourront vaquer à leurs affaires sont des améliorations
de nature à rendre les voyages chaque jour plus faciles
et plus nombreux.
On trouve en Allemagne des voitures à quatre, six
et huit roues. Les voitures à huit roues se rapprochent
parleur construction des voitures américaines ; les au-
tres ressemolent à nos voitures françaises. Les grandes
voitures à huit roues tendent, d'ailleurs, à disparaître
et le matériel à s'uniformiser. Ces longs véhicules avec
portières extrêmes, couloir central, banquettes trans-
versales ne sont plus en usage que dans le Wurtem-
berg, et les voitures parties du centre de l'Autriche ou
de l'Allemagne peuvent arriver et arrivent chaque jour
dans la gare de l'Est. Mieux que les montages, les
barrières qui séparent les peuples s'abaissent, et les
chemins de fer, en nivelant le sol, effacent ou tendeni
LES ClIEMmS DE FER.
à effacer les jalousies et
les vieilles rancunes, et
à faire naître entre eux
de ))ons rapports et des
amitiés durables ^
En Amérique, ce pays
de la liberté, sinon de
l'égalité, il n'y a qu'une
seule classe de voitures,
mais les crens de couleur
cl
sont placés dans les wa-
gons à bagages ! Les véhi-
cules, portes sur deux
trucks de quatre roues
chacun, ont jusqu'à d8
mètres de longueur. Un
couloir règne au centre,
les banquettes , recou-
vertes en crin noir, sont
disposées transversale-
ment, et les voyageurs
peuvent passer d'une voi-
ture à l'autre et se pro-
mener dans toute la lon-
gueur du train. Ces wa-
* Ces lignes étaient écrites
avant la guerre désastreuse que
nous venons de soutenir contre
l'Âllennasne. Pvien ne faisait
187
^
pressentir à ce moment les événenicn'.s ([i:i se soi;t accomplis.
188 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
gons peuvent contenir jusqu'à quatre -vingts per-
sonnes. Autre pays ! autres mœurs î
Le plus remarquable modèle que les Américains
nous aient donné de leurs voitures est celui qui figu-
rait à l'Exposition dernière et qui était destiné au
chemin du Grand-Tronc. On a réuni dans cette voi-
ture, comme dans ces superbes paquebots qui font le
service des deux continents, tout ce qui est nécessaire
à la vie. Le chemin qui va de ?s'ew-York à San-
Francisco et traverse l'Amérique septentrionale dans
toute sa largeur, n'a pas moins de 5000 kilomètres
de longueur, au milieu de pays déserts et parfois
habités par des peuplades sauvages; le trajet dure
.sept jours. Les voyageurs qui font ce long parcours
ont besoin d'être logés, chauffés, éclairés, nourris.
Ils le sont presque aussi convenablement que dans
nos meilleurs hôtels.
Avec les moyens de locomotion en usage aujour-
d'hui, on peut faire le tour du monde en quatre-vingts
jours. C'est le temps qu'autrefois un grand seigneur
aurait mis à faire le voyage de Paris à Saint-Pétersbourg.
Voici quelques nouvelles indications sur ce voyage
dont nous avons déjà parlé précédemment :
De Pmms à New-Xorlv 11 jours.
De New- York à San-Fr;incisco ( chemin de
fer) , . . . 7 —
De San-Francisco à Yokohama (bateau à
vapeur) 21 —
De Yokohama ii Hong-Kong (bateau à va-
peur) Ct —
LKS CIIEMLNS 1>E ITJl. l'Jl
De Iloiig-Kang à Calcutiii (biUcau à v.ipeurK 1^2 —
De CàlcuUa îi Bombay (cliemiii de fer). . . ô —
De Bombay au Caire (bateau à vapeur et
chemin de fer) \ ï — ■
Du Caire à Paris (baloau à vapeur et chemin
de fer) (i —
Total. . 80 jours.
Sur cet immense parcours il n'y n c[iie 140 milles
niiglais, enlre Alahabad et Bombay, cjue l'on soit
obligé de parcom^ir sans le secours de la vapeur;
mais cette lacune sera bientôt comblée, car on tra-
va lie à l'établissement d'un cliemin de fer.
Nous avons parlé de la voilure de nos grandes li-
gnes, de la voiture Vidard à deux étages pour les che-
mins départementaux, de la voiture américaine pour
les longs trajets dans des pays sans ressources, faisons
connaître rtiaintenant la voiture du chemin de fer de
montagjie. MM. Chevalier, Cheylus ont construit pour
le chemin de fer Fell du Mont-Cenis une voilure qui
présente les dispositions de nos omnibus : un couloir
central de chaque côté duquel peuvent se ranger .-ix
])ersonnes. Ces voitures communiquent entre elles au
moyen de ponts jetés sur les tampons, d'où les voya-
geurs peuvent aller contempler les forets de sapins et
les âpres beautés du paysage. Ces voitures sont surtout
remarquables par les freins spéciaux qui leur sont ap-
pliqués. Ce sont des espèces de mâchoires qui étreignent
le rail central et viennent en aide aux freins ordinaires
à sabots dont ces véhicules sont également pourvus.
L'aménarrement du train d'ambulance de la Société
a
1U2 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
de secuius aux blessés montre les heureuses dispo-
sitions que permet de réaliser le matériel des grandes
voies ferrées.
Depuis de longues années, un petit chemin des en-
virons de Paris, construit dans des conditions excep-
tionnelles, fait son exploitation avec un matériel d'une
construction particulière. C'est le chemin de Sceaux,
dont le tracé présente une série de courbes de très-
petits rayons ; le matériel employé a été inventé par
M. Arnoux, cl pcii'cctionné par son fils, auquel il a
Fiu. o'J. — Svstôme de wagons arliciilcs de M. Ainoux.
valu le grand prix de mécanique, décerné par l'Aca-
démie. Les dispositions spéciales du wagon Arnoux
consistent dans le montage des essieux sur chevilles
ouvrières et dans la mobilité laissée aux roues sur ces
essieux. L'essieu de la première voiture est assujetti à
un système de quatre gros galets inclinés sur les rails,
qui servent à donner à cet essieu une direction nor-
male à la courbe et à annihiler le frottement qui se
produit, en pareil cas, avec les wagons ordinaires. La
même direction est donnée aux essieux des voitures
.suivantes au moyen de chaînes croisées dans le sys-
tè:iie de M. Arnoux père, et à l'aide de tringles rigides^
LES CHEMINS DE FER 193
OU bielles dans le système perfectionné de M. Arnoux
fils. C'est une très-remarquable invention, mais que
sa complication rend d'un usage incommode et qui
ne paraît pas devoir se répandre.
Ainsi donc, selon le pays, selon les produits à trans-
porter, selon le tracé de la ligne, le véhicule de che-
min de fer varie. On se fait une idée des études qu'a
exigées la construction de ce matériel dans des condi-
tions si variées. Il faut avoir ^uivi les travaux des bu-
reaux techniques de nos chemins de fer pour savoir
avec quel soin chaque menu détail est étudié, est cal-
culé, est représenté : le moindre boulon, la plus petite
ferrure sont refaits bien des fois avant d'être défini-
tivement adoptés. Il n'y a, en effet, dans tous ces tra-
vaux, aucun détail insignifiant, tant l'application est
étendue, tant le but h atteindre est élevé.
Donnons quelques chiffres.
On évalue, en France, à 25 000 francs, en moyenne,
là dépense kilométrique de premier établissement
afférente au matériel roulant des chemins de fer. Pour
les 21596 kilomètres exploités en 1876, c'est une
dépense de 540 millions.
Et, si Ton prend seulement 20000 francs comme
moyenne pour tous les chemins du globe, la dépense
ressort à 5 milliards 900 millions pour les 295 000 ki-
lomètres environ, aujourd'hui exploités.
A quel nombre de véhicules correspond celle
énorme dépense? Le calcul en est facile. On compte,
en France, par kilomètre de chemin exploité, un nom-
15
194 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
bre moyen de voitures représenté par 0,75 (soit 3 voi-
lures pour 4 kilomètres), et un nombre moyen de
fourgons et wagons représenté par 7,25 (soit 29 par
4 kilomètres) ; ces chiffres étant pris comme bases, on
trouve pour les 295 000 kilomètres de voies ferrées
du globe :
J^^*"^^^- •. ^lillil^ \ soit 2,360,000 véhicules.
Fourgons el wagons. . 2,139,000 ) '
IV. — LA TRACTION. — LES MOTEURS ANIMES ET INANIMES.
LA VAPEUR.
Nous arrivons à la partie la plus intéressante de
riiistoire des chemins de fer, à celle où les découvertes
se pressent, fécondes en résultats inattendus et mer-
veilleux. De grands travaux ont été exécutés, des ou-
vrages gigantesques ont été élevés pour supporter cette
voie de fer, peu différente aujourd'hui, après ses qua-
rante ans d'existence, de ce qu'elle était à son ori-
gine, pour donner passage à ces véhicules de formes
diverses.
La découverte de la machine à vapeur et son appli-
cation à la locomotion ouvrent une ère nouvelle aux
chemins de fer. L'avenir se révèle, et c'est avec un
véritable respect que nous écrivons les noms de Cu-
gnot, de Stephenson, de Séguin, les inventeurs de la
locomotive.
LES CHEMINS DE FER. 195
A. — MoTEUKS ANIMÉS ET INANIMÉS. — Lc cheval et les chemins de fer dans
les villes et dans les mines. — La pesanteur et les plans automoteurs. —
L'eau, la machine à vapeur fixe et les plans inclinés. — L'air et le système
atmosphérique. — Papia, Medhurst, Vallance.
Qu'étaient les chemins de fer avant l'invention de
la locomotive? Ce qu'on les voit aujourd'hui encore sur
presque tous les points où un autre mode de traction
a été adopté ou conservé : des instruments imparfaits,
coûteux, et par-dessus tout lents et d'un usage incom-
mode.
Au lieu d'une locomotive aux entrailles de fer, à la
respiration active et pressée, on n'a, comme moteur,
qu'un coursier dont les poumons sont fragiles, et qui,
malgré ses jambes aux sabots ferrés, se fatigue et s'use
vite, rendant des services assurément, mais incompa-
rablement moindres que ceux de la locomotive, s'al-
telant aux wagons des mines, aux wagons à voyageurs
dans certains cas particuliers, mais toujours res-
treints.
Dans l'intérieur des villes d'Amérique, les stations
sont placées le plus près possible du centre des affaires.
Les wagons en partent tirés par des chevaux pour
aller, dans une partie moins populeuse de la cité,
former des trains qui sont alors remorqués par des
locomotives.
A New-York, le chemin de Hudson-River et le
New-York and Alem-Bahn ont leur station de voya-
geurs dans le voisinage de la Maison de Ville, tandis
que le point de départ des locomolivcs a lieu à 4 ki-
196 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
lomèlres de là. A Philadelphie, au contraire, les loco-
motives pénètrent jusqu'au centre de la ville.
Tandis qu'à New-York on comptait, en 1858, 42 ki-
lomètres de chemin à double voie, il y en avait 96 en
exploitation à Philadelphie. Boston, qui n'a que
200000 habitants, avait 40 kilomètres, et sur une
portion de ces chemins de 27 kilomètres seulement, la
circulation, cette même année, était de huit millions
de voyageurs.
Il faut dire que le tracé des rues dans les villes, en
Amérique, permet ce large développement des voies
ferrées, qui serait à peu près impossible dans les villes
françaises, en dépit des grandes voies rectilignes ou-
vertes par nos municipalités modernes. Notre esprit
national, àl'encontre de celui des Américains, se prête
peu à l'introduction des chemins de fer au centre de*
villes, et ce n'est pas sans lutter que les Compao^nies
obtiennent l'établissement de voies ferrées sur les
quais de nos principaux ports et leur exploitation au
moyen de locomotives. Là encore, le cheval prévaut
et le temps seul peut amener à dissiper les craintes des
populations trop promptes à s'effrayer.
L'homme s'est appliqué à tirer parti de toutes les
forces qui s'offrent naturellement à lui avant d'en
chercher de nouvelles. Avant d'imaginer la locomo-
tive, il avait inventé les plans automoteurs, ces voies
inclinées le long desquelles un train de wagons pleins
fait, à l'aide d'un cable et d'une poulie, et par la seule
action de la pesanteur, remonter un train de wagons
vides.
LES CHEMINS DE FER. 197
Le système des plans automoteurs est très en usage
dans les mines, où il fournit un moyen économique
d'opérer les transports. Dans certains cas, le poids de
l'eau est employé comme moteur. On en remplit, au
sommet du plan incliné, des chariots en tôle dont le
poids fait remonter des wagons chargés de charbon et
de minerai.
Robert Stephenson pensait même que ce système
pourrait être appliqué au service des plans automo-
teurs dans les régions montagneuses de la Suisse ; mais
le système funiculaire ne laisse pas que de présenter
toujours de graves inconvénients, et, à notre connais-
sance, il n'a pas été appliqué dans ces conditions au
transport des voyageurs.
Les chevaux, la pesanteur, agissant sur le corps
transporté utilement, ou sur l'eau, tels ont été les seuls
moteurs appliqués aux voies ferrées avant l'invention
de la machine à vapeur. On conçoit que les inventeurs
n'aient pas eu recours à l'action du vent, qui est trop
irrégulière et trop variable pour pouvoir être toujours
employée utilement.
C'est après l'application de la machine à vapeur à
l'élévation des eaux, à l'épuisement des mines, et vers
l'année 1786, aux différents usages de l'industrie,
que l'on a pensé à l'employer au remorquage des wa-
gons. Les bennes remontaient dans les puits d'extrac-
tion : il ne paraissait pas plus difficile de remonter
des wagons sur un plan incliné.
On a fait plusieurs applications remarquables de ce
mode de traction ; les principales sont les suivantes :
198 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Le chemin de Biide ; longueur : 80 mètres; hau-
teur à racheter: 50 mètres; rampe: 0",62 par mètre.
Le chemin du Leopoldsberg; longueur: 725 mè-
tres; hauteur 343 mètres; rampe : 0'",54 par mètre;
trajet effectué en 5 minutes; vitesse 145 mètres par
minute ; 5000 personnes transportées par jour.
Le chemin de Pittsburg; longueur: 192 mètres;
hauteur : 111 mètres; rampe : 0°',58 par mètre;
trajet effectué en 1 minute 1/2; vitesse 128 mètres
par minute. Ce chemin est, sur presque toute sa lon-
gueur, un pont en fer supporté par des piles en fer.
Le chemin de la Croix Rousse à Lyon ; longueur :
489 mètres; hauteur : 70 mètres; rampe : O'^^O par
mètre; trajet effectué en 3 minutes; vitesse 143 mè-
tres par minute; 30 000 personnes transportées par
jour.
Les plans inclinés de Liège, longeur: 1980 mètres
chacun ; hauteur : 55 mètres, rampes variables de
0'",14 à 0",30 par mètre.
Dans les exploitations des environs de Newcastle,
de Sunderland, de Manchester, .etc., dans les comtés
de Northumberland et de Durham et dans le Lancas-
hire, on trouve de même de nombreuses applications
du système funiculaire.
Une ou plusieurs machines à vapeur mettent en
mouvement de grands tambours, ou cylindres hori-
zontaux, sur lesquels s'enroule un câble en chanvre,
en fer ou en acier, rond ou plat, dont les extrémités
sont réunies ou laissées libres'. A ce câble on attache
le wagon de tête d'un train et les autres wagons sui-
LES CHEMINS DE FER. 199
vent. Des freins puissants sont appliqués aux tambours
et aux wagons eux-mêmes pour modérer la vitesse
qu'ils tendent à prendre au moment de la descente
du train, sous l'action de la pesanteur. Ces derniers
sont, d'ordinaire, construits de telle sorte qu'ils peu-
vent agir automatiquement en cas de rupture du câ-
ble, étreindre, comme des mâchoires, les rails de la
voie ou transformer instantanément le wagon en un
traîneau en rendant immobiles les roues qui le por-
tent.
MM. Riggenbach et Tschokke ont proposé de faire
agir le câble moteur sur une poulie fixée à chaque
véhicule et actionnant par l'intermédiaire d'un engre-
nage une roue dentée portant sur une crémaillère
placée au milieu de la voie; mais ce système n'a pas
encore reçu d'application.
Un autre mode de traction a été encore imaginé
pour le remorquage des véhicules avant l'invention de
la locomotive. C'est le système atmosphérique. Chacun
sait que l'atmosphère exerce sur les objets qui y sont
plongés une pression dont le baromètre donne la
mesure ; chacun sait que si l'on vient à extraire, au
moyen d'une pompe, l'air contenu dans un tuyau en
dessous d'un piston mobile, ce piston se déplacera
sous la pression de l'air agissant sur l'autre face et
entraînera avec lui une charge plus ou moins consi-
dérable, selon le diamètre plus ou moins grand du pis-
ton et le vide plus ou moins complet qui aura été fait
dans le tuyau. L'existence de l'atmosphère constitue
200 ILES MERVEILLES UE LA LOCOMOTION.
donc une force. Et, l'aurait-on soupçonné? l'idée d'uti-
liser cette force revient précisément à l'homme qui
montra le parti qu'on pouvait tirer de la production
et de la condensation de la vapeur d'eau, à Papin.
Les savants de la fin du dix-septième siècle s'étaient
vivement préoccupés des moyens d'utiliser la pression
de l'atmosphère, les uns pour en faire un moteur mé-
canique d'une application générale à l'industrie, les
autres uniquement pour répondre au désir du grand
roi, qui voulait doter ses jardins de Versailles de nou-
veaux charmes, en y amenant les eaux de la Seine.
Papin essaya du vide obtenu au moyen de pompes
pneumatiques et expérimenta sa machine, en 1687,
devant la Société royale de Londres; plus tard, il se
servit de la poudre à canon dans le même but (mais
cependant après l'abbé d'Hautefeuille) ; en 1690, en-
fin, il publia dans les Actes de Leipsick la descri])tion
de son cylindre à vapeur, où il obtenait encore le vide
(vide relatif) au moyen de la production et de la con-
densation successives de la vapeur, découverte qui à
elle seule immortalisera son nom. Les expériences de
Papin sur le vide, faites à l'aide de pompes aspi-
rantes, ne réussirent qu'imparfaitement, et l'idée resta
dans l'oubli jusqu'en 1810, époque à laquelle parurent
les premières locomotives.
Un ingénieur danois, Medhurst, proposa d'appli-
quer la pression atmosphérique au transport des mar-
chandises, des lettres et des journaux à l'intérieur
d'un tube. (Disons, en passant, que c'est au moyen de
la pression de l'air, comprimé dans un tuyau, que
LES CHEMINS DE FER. '201
s'opère à Londres et à Paris, — entre certaines sta-
tions, — le transport des dépêches.) L'idée de Medlmrst
fut reprise, en 18*24, par Vallance, qui proposa de
substituer les voyageurs aux marchandises et qui fit
l'essai de son système sur la route de Brighton. Se
confier, vivant, à une machine pénétrant dans un sou-
terrain, où l'air manquait, où la lumière pouvait
Fig. 40. — Coupe transversale du tube atmosphérique.
manquer, n'était pas du goût du public du temps. La
tentative de Vallance demeura sans succès. .
Trois ans après, Medhurst proposa de substituer au
grand tube de Vallance un tube de plus petit diamètre,
couché entre les rails ; le tube contenant le piston loco-
moteur et les rails portant les wagons à voyageurs. Une
fente longitudinale ménagée sur le tube devxiit servir au
passage d'une tige reliant les wagons au piston. La
difficulté était de trouver une soupape pouvant fermer
hermétiquement cette fente et se soulever aisément
au passage du train. Après des essais nombreux et
202
LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION,
infructueux, on expérimenta, en 1858, la soupape de
MM. Clegg et Samiida, qui donna de bons résultats.
En 1845, on fit une épreuve en grand sur le chemin
de Kingstown à Dalkey, en Irlande. L'expérience
réussit, la France s'en émut et, sur le rapport fa-
vorable de M. Mallet, inspecteur général des ponts
et chaussées, il fut décidé que la traction sur le
t'ig. 41. — Coupe loii£i;iliidiuale du tube atmosphérique.
chemin de Saint-Germain, dans la partie comprise
entre Nanterre et Saint-Germain, s'effectuerait suivant
le système de l'ingénieur danois. On voit encore à
Nanterre et à Çhatou les bâtiments destinés à recevoir
les pompes qui devaient faire le vide dans le tuyau
atmosphérique. Les pompes magnifiques, les machines
à vapeur et la batterie de chaudières placées pn haut
de la rampe (0",055 par mètre) qui mène du Pecq à
Saint Germain, ont disparu et cet énorme attirail, su-
LES CHEMINS DE FER. 203
perbe agencement de forces impuissantes, objet de
j'attention et de l'admiration de tant de visiteurs,
n'a plus fourni qu'un amas de pièces inutiles, bonnes
à renvoyer à la fonderie ou à la forge.
Le système atmosphérique, après quatorze années
d'essai, a été abandonné entre le Pecq et Saint-
Germain. Les locomotives remontent seules tous les
trains, et le prix de la traction par train et par kilo-
mètre est descendu de o fr. 80 ou 4 fr. à 1 fr. 32.
C'est dire que le système atmosphérique est mort, et
sans chances de revivre.
B. — Invention de la locomotive. — Voilures de Ciignot, d'Oliver Evans. —
Locomotive do Trewithick et Vivian, de Blenkir-sop, de Brunton, de Sle-
phenson. — Séguin invente la chaudière tubulaire et Stephenson le je:
de vapeur.
C'est vers l'année 1759, nous apprend le célèbre
Watt, que le docteur Kobinson, alors élève à l'Univer-
sité de Glascow, eut l'idée d'appliquer la vapeur au
mouvement des roues des véhicules. Watt lui-même,
en 1784, a décrit une machine inventée par lui dans
le même but ; mais les idées de Robinson, aussi bien
que celles de Watt, n'ont reçu aucune réalisation,
L'honneur d'avoir le premier construit une voiture
se mouvant à l'aide de la vapeur, appartient au Fran-
çais Cugnot. Les premiers essais deCugnot eurent lieu
en 1765. A lui revient l'idée, — au maréchal deSaxe,
au général de Gribeauval, au duc de Choiseul, mi-
nistre de la guerre de Louis XV, revient l'honneur
d'avoir contribué à sa réalisation.
ti04 LES MERVEILLES LE LA LOCOMOTION.
La voiture de Ciignot était un fardier à trois roues,
destiné au transport des canons. La vapeur produite
dans une chaudière placée en porte-à-faux, agissait
dans deux cylindres en bronze dont les pistons, alter-
nativement soulevés et abaissés, actionnaient un petit
arbre à manivelle relié au moyen d'engrenages à la
roue d'avant. Cette roue était garnie d'uri large cercle
faisant prise sur le sol au moyen de fortes saillies et
pouvait, à l'aide d'engrenages placés sous la main du
Fi-."42.
Voilure (le Cu^not.
conducteur, se déplacer sur elle-même de manière à
faire prendre au véhicule les directions variées de la
route à parcourir.
Mais la voiture de Cugnot ne pouvait faire que
quatre kilomètres à l'heure, — c'est la vitesse d'un
cheval au pas ; — au bout de peu de temps, l'eau
manquait et elle s'arrêtait. Elle était bien imparfaite,
à la vérité, mais elle laissait deviner l'avenir. Il appar-
tient aux hommes de génie de lever le voile qui couvre
certaines découvertes et de voir dans un embryon
toute une destinée, ^apoléon, à son retour d'Italie,
LES CHEMINS DE FER. 205
apprend Texistence de la voiture de Cugnot et ex-
prime l'avis qu'on peut en tirer im grand parti! Le
génie de la guerre a entrevu l'instrument de la paix
à venir.
Le Conservatoire des Arts-et-Métiers et le Ministère
de la guerre se disputèrent longtemps la machine de
Cugnot; le premier finit par l'obtenir. C'est dans
une des salles de ce musée qu'elle est encore, donnant
la mesure des progrès accomplis depuis 70 ans.
Quant à Cugnot, qui avait eu, sur la proposition du
général de Gribeauval, une pension de 600 livres et
qui en avait été privé au moment de la Révolution,
il serait mort de misère si une dame charitable de
Bruxelles ne lui ftit venue en aide. 11 avait soixante-
quinze ans quand Bonaparte, premier consul, lui ren-
dit sa pension et en éleva le chiffre à 1,000 livres.
11 vécut encore quatre ans et mourut en 1804, pauvre,
mais heureux comme on doit l'être, après une vie de
labeur, en voyant grandir l'œuvre dont il avait été le
premier artisan. A ce moment, les locomotives com-
mencent à fonctionner dans les mines de Newcastle.
C'est en Amérique et en Angleterre que se pour-
suivent dès lors les essais d'application de la vapeur à
la locomotion.
Oliver Evans, en 1800, construit une voiture à.
vapeur qu'il fait circuler dans les rues de Philadelphie.
Trewithick et Yivian, mécaniciens de Cornouailles,
prennent, en 1802, un brevet pour une voiture du
même genre, et font marcher leur première locomo-
tive, on 1804, sur les rails du chemin de Merthyr-
206 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Tydwill, dans le pays de Galles. Mais il semble que
l'adhérence manque : on croit devoir recourir à l'em^
ploi de stries sur la jante des roues.
En 1811, parait la locomotive de M. Blenkinsop,
directeur des houillères de Middleton. Cette machine
avait quatre roues porteuses et s'avançait sur les rails
à l'aide d'une roue dentée s'engrenant dans une cré-
maillère couchée entre les deux rails. Deux cylindres
Fig. 45. — Macliine de Blenkinsop (18M).
verticaux, placés au-dessus de la chaudière transmet-
taient, au moyen de bielles, de manivelles et de pi-
gnons, le mouvementé cette roue dentée. La chaudière
était un corps cylindrique traversé par un gros tube
ayant à l'une de ses extrémités le foyer et à l'extrémité
opposée la cheminée.
En 1815, un ingénieur, du nom de Brunton, rem-
place la roue dentée et la crémaillère par des béquilles
s'appuyant sur les rails, comme la gaffe du batelier
LES CHEMINS DE FER. 207
sur le fond de la rivière à la surface de laquelle che-
mine son bateau *.
M. Blackett étudie dans le courant de cette même
année la question de l'adhérence qui, jusque-là insuf-
fisamment approfondie, avait paralysé tout progrès. Il
Fig. 44. — Machine de G. Stephenson (1814).
reconnaît que Te frottement qui s'exerce entre la roue
de fonte de la locomotive (car, à cette époque, les
roues étaient entièrement en fonte) et les rails, est
* MM. Fortin-Hermann construisent en ce moment (1878), pour les
chemins de fer à fortes'rampes, une locomotive à patins qui paraît avoir
certaine analogie avec celle de Brunton.
208 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
suffisant pour produire la progression de celle-ci el des
wagons à remorquer.
L'année suivante, George Stephenson utilise toute
l'adhérence des roues de sa machine en réunissant
ces roues par une chaîne sans fin, qui rend leurs mou-
vements solidaires. Le mode de suspension de cette
machine mérite de fixer l'attention : la chaudière
repose sur les roues par l'intermédiaire de tiges reliées
à des pistons sur lesquels agissent l'eau et la vapeur
contenues dans la chaudière. On rapporte que cette
locomotive a remorqué 50 tonnes à une vitesse de
0500 mètres à l'heure.
En 1815, G. Stephenson perfectionne sa machine.
Les cylindres de suspension sont remplacés par des
ressorts. A la chaîne sans fin, M. Hackworth substitue,
en 1825, une bielle d'accouplement. Ce n'est pas en-
core notre locomotive actuelle, mais, telle qu'elle est,
la machine de Stephenson rend déjà des services pour
le transport des charbons.
Jusqu'en 1827, il n'y a pas de progrès nouveau
dans la construction des locomotives. Cependant, le
chemin de Saint-Etienne à Lyon s'achève ; en vue
d'une prochaine exploitation, on fait venir deux des
locomotives inventées par Stephenson et en usage en
Angleterre. Le directeur du chemin de Saint-Etienne,
Marc Séguin, les examine. Il est tout d'abord frappé
de leur faible production de vapeur et, pour y remé-
dier, il leur applique le perfectionnement qu'il venait
d'apporter aux chaudières servant à la navigation du
Rhône : au gros tube faisant foyer de ces machines, il
LES CHEMINS DE FER. 209
substitue uu grand nombre de petits tubes. La chau-
dière tubulaire est inventée ; mais cette grande division
des produits de la combustion ralentit le tirage. Pour
obvier à cet inconvénient capital, Seguin a recours au
ventilateur à force centrifuge; il arrive ainsi à pro-
duire jusqu'à 1200 kilogrammes de vapeur par heure,
avec des chaudières de 5 mètres de longeur et de
0'",80 de diamètre, renfermant 45 tuyaux de 0™,04 de
diamètre. Ce moyen d'opérer artificiellement le tirage
du foyer n'a pas toute la simplicité nécessaire. Ste-
phenson, adoptant la chaudière tubulaire, se trouve
en face du même problème et, pour le résoudre, il
imagine de conduire dans la boite à fumée la vapeur
qui, après son action dans les cylindres, se perd dans
l'air. L'idée n'est pas nouvelle, elle remonte aux temps
les plus reculés, mais l'application est neuve et détrône
le ventilateur de Séguin.
La locomotive est désormais inventée. En octobre
1829, un concours est organisé sur le chemin de
Liverpool à Manchester ; le prix est décerné à la Fusée
(the Rocket), sortie des ateliers de Stephenson, qui
remorque, avec une vitesse de six lieues à l'heure, une
charge de près de 15,000 kilogrammes. Sans charge,
elle fournit une course de dix lieues à l'heure.
A partir de cette époque, de nombreux perfection-
nements viennent chaque jour s'ajouter à ceux dont
la nouvelle machine a été dotée : Des foyers ingénieu-
sement disposés sont inventés en vue de mieux utiliser
le combustible employé. Des coulisses de changement
de marche de dispositions variées sont adoptées par les
14
210 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
divers constructeurs. Dans ces dernières années,
M. Giffard remplace la pompe d'alimentation par l'in-
jecteur qui porte son nom, M. Lechàtelier applique
la contre-vapeur au ralentissement de la vitesse des
trains; des inventeurs sans nombre poursuivent avec
ardeur la recherche du frein le meilleur. Et l'Exposi-
tion de 1878 nous montre, se disputant la palme, le
frein par le vide et le frein à air comprimé, qui mettent
dans la main du mécanicien le moyen d'agir sur les
freins de tous les véhicules d'un train et d'obtenir
l'arrêt le plus rapide qu*on ait eu jusqu'à présent.
Mais ces perfectionnements n'ont qu'une importance
secondaire vis-à-vis des inventions premières de Séguin
et de Stephenson.
L'usage de la locomotive s'étend de plus en plus. Sa
vitesse et sa puissance augmentent, ses dimensions s'ac-
croissent. Les différentes parties du mécanisme se per-
fectionnent en même temps que le travail dans les
ateliers et, grâce à des études plus sérieuses et plus
approfondies, à des expériences plus nombreuses et
plus précises, on est parvenu à construire une ma-
chine qui, si elle n'est pas parfaite, dans le sens absolu
du mot, touche de bien près à la perfection.
G. — La locomotive. — Différents types. — Machines à voyageurs à moyenne
et à grande vitesse; Crampton. — Machines mixtes. — Machines à mar-
chandises de moyenne et de grande puissance : Engerth, Beugnot. — Pro-
grès accomplis dans la construction des locomotives; leur puissance.
Des types sont créés pour les divers services effec-
tués par ces nouvelles machines. Les uns servent au
LES CHEMINS DE FER. 211
transport des voyageurs, les autres au transport des
marchandises, d'autres enfin, dans les gares ou sur
les lignes de faible longueur.
Il ne faut pas s'attendre à trouver un ou deux
types spéciaux pour chacun des services que nous
venons d'indiquer. Il n'en est pas des choses de la
science appliquée comme de celles de la science pure,
et l'on est bien loin de s'entendre sur un fait de mé-
canique comme on s'entend sur un théorème de géo-
métrie ou sur une question d'algèbre. Aussi, suivant
les Compagnies, les types varient-ils, et, à part certains
caractères généraux, il serait assez difficile d'indiquer
les différences qui existent entre les divers modèles
adoptés. Ces différences sont, d'ailleurs, en partie légi-
timées par les conditions variées où se trouve placée
l'exploitation de chaque chemin : tracé de la voie en
plan et en profil, fréquence des stations, tonnage à re-
morquer, nature du combustible, etc., il faut avoir
un moteur dont la construction, — qu'on nous per-
mette la comparaison, — dont les entrailles, dont les
jambes répondent à la nourriture qu'on lui donne, à
la course qu'il doit fournir, au travail enfin qu'on lui
demande.
Les machines à voyageurs sont destinées à un ser-
vice de moyenne vitesse (trains omnibus) ou à un ser-
vice de grande vitesse (trains express).
Dans le premier cas, elles sont construites pour
marcher à 55 ou 40 kilomètres ; dans le second, à
70 kilomètres à l'heure. Ce qui distingue essentielle-
ment ces deux types, c'est la dimension des roues mo-
212 LES iMERYEILLES DE LA LOCOMOTION.
trices, qui ont, dans le second, jusqu'à 2", 60 de dia-
mètre, et leur position assez générale en arrière du
foyer, l'essieu passant sous les pieds du mécanicien.
On conçoit que pour un même nombre de coups de
piston ou de tours de roue, elles parcourent, grâce au
grand développement de leur circonférence, un plus
grand espace que les premières, dont les roues n'ont
jamais un diamètre supérieur à l'",80. — On peut
dire de ces machines, dont l'ingénieur Crampton est
l'inventeur, qu'elles courent ventre à terre. La marche
rapide qu'elles doivent fournir exigeait un puissant
organe respiratoire et digestif, une longue chaudière,
par conséquent ; elle demandait encore une grande
stabilité; aussi, le centre de gravité a-t-il été placé
le plus bas possible, les différentes parties du méca-
nisme étant groupées de chaque côté du corps cylin-
drique et rendues ainsi d'une surveillance plus facile.
Entre les machines à voyageurs et les machines à
marchandises se placent les machines mixtes, desti-
nées à faire un service commun sur les lignes de peu
d'importance et à remorquer des trains composés de
wagons à voyageurs et de wagons à marchandises. Il
faut, pour ce service spécial, des locomotives d'une
vitesse supérieure à celle des trains de marchandises
ordinaires, et d'une puissance plus considérable que
celle des locomotives destinées spécialement aux trains
de voyageurs.
L'indépendance des roues, qui était le caractère pro-
pre des machines précédentes, n'est plus possible. 11
faut, comme on dit, faire feu des quatre pieds et ob-
LES CHEMINS DE FER. 215
tenir une adhérence plus grande. On arrive à ce résul-
tat en rendant le mouvement d'une des deux paires
de roues, précédemment laissées libres, solidaire de
celui des roues motrices. On conjugue les essieux,
c'est-à-dire qu'on les réunit au moyen de tiges ou de
bielles à' accouplement, ce qui nécessite, comme point
de départ, qu'elles aient le même diamèlre. Ainsi
donc : deux paires de roues d'égal diamètre, reliées
Fig. 40. — Machine Petict (Nord
entre elles, tel est le caractère essentiel de la ma-
chine mixte. Une troisième paire de roues d'un dia-
mètre plus petit ( l'^jOO, tandis que les grandes ont jus-
qu'à J"\,74 de diamètre) accompagne celles-ci et con-
tribue avec elles à porter le lourd véhicule. La vitesse
des trains mixtes résulte du diamètre des roues mo-
trices de la locomotive qui les remorque ; leur résis-
tance au mouvement est surmontée, grâce à l'accou-
plement de ces mêmes roues.
216 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
On pressent déjà les dispositions que doivent pré-
senter les machines à marchandises. Qui ne connaît
le scolopendre^ ce myriapode, vulgairement appelé
mille-pieds, au corps allongé, divisé en nombreux seg-
ments, aux pieds terminés par un crochet, qui, dans
nos climats, n'a pas plus de 5 à 8 centimètres et qui,
dans l'Inde, a jusqu'à ôO centimètres de longueur?
Cet animal repoussant est cependant remarquable par
la puissance de son appareil locomoteur : 74 paires
de pattes ! La machine Beugnot, l'un des types les plus
puissants, l'une de celles qui en a le plus, en a dix
fois moins : 7 paires de roues seulement.
Les machines à petite vitesse sont de deux espèces,
celles de moyenne puissance, qui font le remorquage
des trains ordinaires de marchandises sur les lignes
peu accidentées et peu sinueuses, et celles de très-
grande puissance, qui doivent circuler sur des lignes
d'un tracé difficile, en traînant après elles des convois
lourdement chargés.
Les machines de moyenne puissance ont d'ordi-
naire trois paires de roues de même diamètre accou-
plées. Le diamètre de ces roues est toujours faible et
ne dépasse guère 1"S50. Elles sont généralement ra-
massées, de forme trapue, comme ces hommes qui sont
capables de fournir de leurs reins et de leurs jambes
de grands efforts.
Dans les machines de grande puissance, spéciale-
ment destinées à remorquer de lourdes charges sur
des chemins rapides et à courbes de petit rayon, le
corps cylindrique s'allonge, car il faut une abondante
LES CHEMINS DE FER. 219
production de vapeur; le nombre des roues augmente,
car il faut user de toute l'adhérence ; le mécanisme
enfin se complique, car il faut donner à ce grand
corps de métal la souplesse nécessaire à une marche
sinueuse.
C'est pour franchir la montagne du Sommering,
avec des pentes de 25 millimètres, que l'ingénieur
autrichien Engerth a construit la puissante locomo-
tive qui porte son nom et dans laquelle il a réuni sur
Fig. 48. — Machine Jefterson.
dix roues le tender et la machine, de manière à pro-
fiter de toute l'adhérence possible, en laissant aux
deux parties du système la possibilité de se mouvoir
et de s'inscrire dans des courbes de 190 mètres de
rayon.
Le problème de la locomotion, dès qu'il s'agit de
fortes pentes, en courbes de faible rayon, présente les
plus grandes difficultés. Chaque jour les ingénieurs
font un nouveau pas vers la solution, mais celle-ci
220 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
n'est point encore atteinte et on ne peut prévoir l'épo-
que où la machine de montagne, celle qui se rappro-
chera le plus de notre scolopendre, par sa force et sa
souplesse, sera trouvée.
A côté de ces lourdes machines, aux formes massi-
ves et athlétiques auxquelles incomhent les transports
les plus importants, se trouvent des machines plus
légères, plus rapides à la course : les machine s-tender s,
qui portent avec elles leur provision d'eau et de com-
bustihle pour les courts trajets qu'elles doivent accom-
plir. Les machines-tenders servent à la traction sur les
lignes de banlieue, et sont utilisées dans les gares pour
les manœuvres de composition et de décomposition des
trains , trop lentes avec des chevaux ou à hras
d'hommes.
Mais au fur et à mesure que s'étend le réseau des
voies ferrées, l'importance des transports fournis par
les régions nouvellement desservies diminue, et la
nécessité d'arriver à une construction plus économi-
que se fait plus vivement sentir. On commence à
comprendre que le système de la voie étroite peut
présenter dans des cas nombreux des avantages mar-
qués sur le système de la voie actuellement employée
de l"s50 de largeur.
L'Exposition de 1878 nous montre de remarquables
spécimens des machines construites pour les voies ré-
duites de l'^OO, de 0'"60 et même de 0'"50 de largeur.
La Société des BatignoUes a exposé une locomotive-
tender pour la voie de 1"^00, qui pèse 15 tonnes 600,
en ordre de marche, et qui est étudiée pour permettre
LES CIIEMLNS DE FER. 221
des modifications, soit dans la chaudière (surface de
grille, surface de chauffe, pression), soit dans le dia-
mètre des roues, soit dans la capacité des caisses à
eau ; pour permettre, en résumé, de modifier son al-
lure comme vitesse, sa puissance de traction et de va-
porisation. Les roues de 0'",80, peuvent être rempla-
cées par des roues de 0'"96. Les surfaces de chauffe et
de grille et la puissance de traction peuvent être
augmentées de 0.50 7o- ^^ poids sur les roues peut
être ainsi porté à 16 ou 17 tonnes, suivant la capacité,
modifiée ou non, des caisses à eau.
On comprend l'intérêt que présente la possibilité
d'effectuer ces transformations. Le trafic d'un chemin
étant peu important à ses débuts, une machine d'une
faible puissance suffit. Ce trafic augmentant, la puis-
sance de traction doit augmenter. Le mode de con-
struction de la machine permet de parer à cette né-
cessité, sans qu'il y ait lieu de recourir à la construc-
tion d'une machine nouvelle.
La maison Cail a exposé des types de machines-
tender de 10 tonnes, à 6 roues couplées, de 5 tonnes
à 4 roues couplées, enfin de 1 tonne 500 à 4 roues
couplées pour la voie de 0'",60. Dans cette dernière, la
chaudière est verticale et la machine n'a qu'un cylin-
dre vertical dont le piston actionne un pignon engre-
nant avec une roue dentée placée sur l'essieu d'avant.
Enfin, MM. Corpet et Bourdon ont exposé une petite
machine : Liliput, pour la voie de 0'",50, qui est une
véritable merveille de construction mécanique. La
voie de 0'",50 tend de plus en plus à se répandre. C'est
222 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
ccUe qui se prête le mieux par sou bas prix d'établis-
sement, par sa flexibilité aux difterentes applications
industrielles. Les résultats donnés par le remarquable
chemin du Festinio^ (voie de 60 centimètres), en An-
gleterre, dont les recettes annuelles dépassent 28,000
francs par kilomètre et qui rapporte 12.5 "/q du capi-
tal dépensé, sont bien faits pour convaincre les adver-
saires les plus opposés de la voie étroite. Aux machi-
nes England ctC''' de 8 tonnes, à 4 roues couplées, em-
ployées dès 1865, ont succédé, en 1869, les machines
Fairlie, de 19 tonnes, 5, montées sur deux trucks
ayant chacun 4 roues couplées, consommant 25 7o ^^
moins que les autres machines et qui ont permis
d'atteindre des vitesses de 56 kilomètres à l'heure. Le
nom de Little AVonder donné à la première de ces ma-
chines n'est pas, comme on le voit, une usurpation.
La souplesse de la voie étroite est telle, disons-le
en passant, qu'elle permet de triompher de difficultés
jugées insurmontables avec la voie ordinaire. C'est
ainsi qu'on a pu récemment prolonger le Colorado
Central Railroad de Black-Haw à Central en Améri-
que. Ces deux villes ne sont distantes que de 1600 mè-
tres ; mais leur raccordement ferré a exigé la construc-
tion d'un chemin en zig-zag de 6 kilom., rachetant
une hauteur de 171 met., et en pente de près de
0,27 par mètre.
Tels sont, très en résumé, les divers types de ma-
chines nécessaires à l'exploitation des voies ferrées, et
que l'on trouve dans le matériel de toutes les Compa-
LES CHEMINS DE FER. 225
gnies (le France ou de l'étranger, avec les différences
naturelles que les conditions locales leur imposent.
Nous avons dit déjà plusieurs fois que l'instrument
de transport sur les \oies ferrées, si parfait qu'il soit
déjà, n'est pas encore, dans tous les cas, tout ce que
l'on peut désirer. Il ne faut pas que le chemin qui est
à parcourir nous empêche de reconnaître les amélio-
rations accomplies.
On sait que la puissance d'une machine dépend des
dimensions de ses entrailles, nous voulons dire de
rétendue de sa surface de chauffe. A l'origine, les
machines du chemin de Versailles mesuraient 56 mè-
tres carrés ; ce chiffre a été à peu près quadruplé ; les
grosses machines du chemin de fer du Nord ont jus-
qu'à 215™ %55 de surface de chauffe. Au lieu de
450 kilogrammes d'eau, elles digèrent ou évaporent
dix fois plus, et jusqu'à 5,000 kilogrammes d'eau par
heure. Le corps cylindrique, qui n'avait que 2'", 45 de
longueur dans les anciennes machines Sharp, a au-
jourd'hui jusqu'à 4'",89 dans les Engerth.
L'augmentation de poids est la conséquence natu-
relle de l'augmentation des dimensions. La Fusée
pesait 4 tonnes 50 et, sans remonter si loin, les an-
ciennes machines Buddicom pesaient 1 7 tonnes ; au-
jourd'hui , les Engerth , avec leur tender , pèsent
62 tonnes 80. L'adhérence a augmenté avec le poids
et, tandis que la charge remorquée par les anciennes
machines n'était que de 40 tonnes, à la vitesse de
10 kilomètres à l'heure, elle est aujourd'hui : de
700 tonnes, à une vitesse de 25 kilomètres pour les
t>24 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Engeiih, ou de 88 tonnes, à une vitesse de 80 kilo-
mètres pour les Crampton.
A rencontre de ce qui arrive pour les chevaux, cpii
produisent en raison de la nourriture qu'on leur
donne (parce que nous n'avons pas encore trouvé le
moyen de diminuer leurs facultés digestives et assi-
milatrices, sans réduire leur quantité de travail, l'œu-
vre de Dieu étant parfaite), la consommation des ma-
chines s'est améliorée : par de meilleures proportions
données au foyer, à la chaudière et aux différentes
parties du mécanisme , la quantité de combustible
brûlée pour transporter une tonne à 1 kilomètre a été
réduite de 0^,45 à O^'^OSS, c'est-à-dire dans la propor-
tion de 14 à 1. '
Le travail des ateliers s'est perfectionné, le prix des
machines s'est notablement abaissé, et cela en dépit
du prix de la main-d'œuvre, qui va constamment en
croissant. L'unité-cheval a notablement baissé. Et
quelle perfection plus grande dans la construction !
Or, ce cheval, pris pour unité de la mesure des lo-
comotives et des machines à vapeur en général, et
qu'on appelle cheval-vapeur, n'est pas l'équivalent du
cheval ordinaire de nos voitures. Le cheval-vapeur
équivaut à 75 kilogrammètres (c'est-à-dire à la force
nécessaire pour élever , par seconde , un poids de
75 kilogrammes à 1 mètre de hauteur), tandis que la
force du cheval ordinaire est évaluée à 45 kilogram-
mètres seulement). Et, comme ce dernier ne peut tra-
vailler que huit heures environ sur vingt-quatre, il en
résulte qu'il faudrait 5, 5 chevaux ordinaires pour
LES CHEMINS DE FER. 225
l'équivalent d'un cheval-vapeur, ou mieux 11 chevaux
ordinaires pour remplacer 2 chevaux-vapeur.
Cette définition étant donnée, nous serons compris
en disant que les locomotives aujourd'hui en usage
développent un travail soutenu de 200 à 500 chevaux-
vapeur, ou de 1,100 à 1,650 chevaux ordinaires.
Les Compagnies françaises avaient, au 51 décembre,
11,725 locomotives , et les Compagnies anglaises
8,619.
On compte, en général, pour l'exploitation des che-
mins de fer, 0,54 locomotives par kilomètre (ou une
machine environ pour 5 kilomètres), ce qui donne,
pour les 295,000 kilomètres exploités aujourd'hui,
environ 100,500 locomotives, produisant un travail de
25,075,000 chevaux-vapeur, ou de 157,912,000 chc
vaux ordinaires. L'esprit se rend difficilement compte
des quantités que ces chiffres représentent. Cependant,
si l'on suppose que tuus ces chevaux soient attelés en
flèche et n'occupent chacun qu'une longueur de 2 mè-
tres, l'attelage aura comme longueur 520 fois la dis-
tance de Paris à Marseille, ou sera les f environ de
la distance moyenne de la terre à la lune!
Nous ne pouvons mieux finir cette courte analyse
du chemin de fer qu'en transcrivant ici les lignes par
lesquelles deux des rapporteurs de la classe 65 (ma-
tériel du chemin de fer), à l'Exposition universelle de
1867, MM. E. Flachat et de Goldschmidt, terminaient
leur exposé économique.
« Quelque découverte qui puisse être faite dans
linduslrie et dans les arts, il n'y en a pas qui vaille
!i26 LES MEUVEÏLLKS DE LA LOCOMOTION.
celle qui a abaissé de 4 à 1 le prix du transport de
toutes choses, en augmentant la vitesse dans le rap-
port de 1 à 5.
« Il y a dix années au plus que ce nouvel état de
choses exerce son influence sur l'industrie générale, et
déjà l'Exposition universelle nous montre une égalité
menaçante pour les uns, consolante pour les autres
providentielle pour tous, dans les moyens de produc
tion. C'est comme une abondance qui monte et qu
doit enrichir l'humanité sur tous les points du globe
A voir l'ardeur qui nous entraîne et qui nous unit
pour améliorer demain ce qui a été fait hier, qui dou-
terait du mieux qui va suivre et n'aurait confiance
dans ce que l'avenir prépare? » '
Cette prédiction se réalise tous les jours.
V. — SYSTÈMES DIVERS.
A côté des locomotives dont nous venons d'esquisser
l'histoire et de faire connaître les principaux types, se
placent un certain nombre de machines diverses : les
unes fonctionnent encore au moyen de h vapeur, les
autres au moyen de l'air ou de l'eau comprimés, d'au-
tres enfin au moyen de l'électricité : nous allons en
faire connaître les dispositions principales.
A. — Multiplication m nombre hks (Ylindres. — Système Vorpilloui. —
Machines du Nord, Meyer, Dupleix, Flacliat.
Nous parlerons d'abord de quelques locomotives re-
marquables par le nombre de leurs organes propul-
seurs.
LES CHEMINS DE FER 227
La difficulté qu'éprouvent les constructeurs à conju-
guer le mouvement de plusieurs paires de roues sur
les lignes à courbes de petit rayon, les a conduits à
transmettre d'une manière indépendante aux roues de
la machine le mouvement de va-et-vient produit par
l'action de la vapeur dans les cylindres et, par suite, à
multiplier le nombre de ces derniers, — une paire de
cylindres agissant, comme à l'ordinaire, sur les roues
d'avant de la machine, une seconde paire agissant sur
Fig. 49. — jlachine Peliet (Nord), à quatre cylindres.
les roues d'arrière, sur celles du tender ou même sur
celles des divers véhicules. Tel est le système, en prin-
cipe.
Il a été appliqué pour la première fois sur le chemin
de Sainl-Étienne, par M. Verpilleux qui disposait deux
cylindres sous le tender ; puis, au chemin de fer du
Nord, où de superbes loromotives ont été construites
pour les services de petite et de grande vitesse.
La machine à marchandises du Nord est montée
sur douze roues, groupées et accouplées par six. Chaque
2t>8 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIO'.
groupe est commandé par deux cylindres, les uns pla-
cés en tète, les autres en queue de la machine. Une
longue chaudière, surmontée d'un dessiccateur, est
couchée sur les six essieux. Autour de ses flancs se
trouvent l'eau et le charhon nécessaires à son alimen-
tation, et le tout pèse 59,7 tonnes et, est capable de
remorquer des charges de 655 tonnes, brutes en
rampe de 0,005 avec une vitesse moyenne de 25 ki-
lomètres à l'heure, ou de 80 tonnes, en rampe de
0,05 par mètre. Ces grandes dimensions, cette grande
puissnnce ont fait donner parfois à cette machine le
nom de machine-chameau.
Une machine du même système (4 cylindres), mais
avec une paire de roues de moins (5 au lieu de 6), a
été construite pour le service des express du Nord,
qui sont très-chargés. Les deux paires de roues mo-
trices d'i'tvant et d'arrière ont un diamètre de 1™,60,
ce qui ne pourrait suffire à un service de grande vi-
tesse, si Ton n'avait pris soin d'augmenter le nombre
des coups de piston et, par suite, celui des tours de
roues par unité de temps.
La locomotive de M. Meyer ne diffère de la locomo-
tive à marchandises du Nord que par l'isolement des
deux groupes de six roues, montés sur deux trucks in-
dépendants et non plus sur un même châssis. La chau-
dière repose sur les deux trucks, comme la caisse des
Avagons américains sur les trains qui la portent; des
tuyaux articulés servent à la distribution de la vapeur
dans les quatre cylindres et à son échappement dans la
cheminée. Cette disposition donne à la machine la sou-
LES CHEMINS DE FER. 220
plesse nécessaire à son passage dans les courbes de
petit rayon, sans lui ôter la rigidité et la solidité qui
sont la condition vitale de ces grands corps métalli-
ques.
La machine Queensland, du système Fairlie, en usage
aux colonies anglaises, résout le même problème d'une
manière différente.
M. Ilaswell a construit une machine, à grande vi-
tesse, diteDupleix, dans laquelle les quatre cylindres,
au lieu d'être isolés, comme dans les machines précé-
Fiff. 50. — Machine Fairlie.
dentés, sont superposés deux par deux et agissent sur
une manivelle à deux bras, de manière à éviter l'em-
ploi des contre-poids : disposition compliquée et in-
suffisamment justifiée.
Enfin M. Eugène Flachat, qui a si puissamment, et
pendant de si longues années, contribué à la construc-
tion et au perfectionnement de nos voies ferrées, a
proposé non plus quatre paires de cylindres, mais au-
tant de cylîridres que de trucks porteurs de véhicules.
La chaudière destinée à engendrer la vapeur nécessaire
à tous ces cylindres est placée en avant du train sur
230 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
deux trucks, et des tuyaux articulés la répartissent
dans toute la longueur du train. Le poids et, par suite,
les dimensions de chaiiue véhicule peuvent être aug-
mentés. L'emploi des voitures du système américain
à long couloir intérieur se trouve naturellement in-
diqué.
On emploie depuis deux ans sur le petit chemin de
fer de Bayonne à Biarritz des machines du systèm.e
Compound, dans lesquelles la vapeur agit à pleine
pression dans un premier cylindre, puis par sa dé-
tente dans un cylindre spécial de plus grande dimen-
sion. C'est d'après ce système que sont établies les
machines marines. Jusqu'à présent ces machines ont
donné des résultats satisfaisants. Il faut attendre qu'une
expérience plus complète et plus longue en soit faite
pour pouvoir se prononcer sur leur réelle valeur.
B. — Sv.'îTÈMES DIVERS. — Locomolivc lie Jouffroy. — Système Séguier. —
Loconiolive Fell, du mont Cénis. — Machines rotatives. — Système Agudio,
l'uniculaire et à rail central. — Systèmes Larmanjat, Saint-Pierre etGoudal.
La locomotive de M. de Jouffroy diffère complète-
ment des précédentes, et c'est d'une tout autre ma-
nière que cet inventeur a cherché à résoudre le même
problème de la locomotion en pays de montagnes. Il
place la chaudière sur un châssis porté par deux
grandes roues à jante plate, et le mécanisme sur un
autre chcàssis supporté en son milieu par une roue
unique en fer, garnie d'une jante en bois destinée à
se mouvoir sur un rail strié, qui occupe le milieu de
LES CIIEMENS DE FER
la voie. Cette roue
est la roue motrice.
Elle est comme la
roue d'avant d'un
tricycle, portant sur
ses deux roues de
derrière la chau-
dière et ses acces-
soires. Les deux par-
ties dont se compose
le châssis de ce tri-
cycle sont réunies au
moyen d'une articu-
lation verticale, qui
augmente encore sa
souplesse propre. On
voit que l'inventeur
a cherché à obtenir
une grande adhé-
rence , en même
temps qu'une grande
légèreté et une
grande flexibilité de
son matériel. D'ail-
leurs, son système
de i^randes roues à
jante plate, mobiles
sur des rails à re-
bords, n'est pas ex-
clusif à sa machine.
251
232 LES MERVEILLES DE LA L0C03I0TI0N.
Sos voitures sont aussi montées sur un seul essieu
porté par deux grandes roues et réunies les unes aux
autres au moyen d'articulations à axe vertical qui
permettent un facile déplacement dans le plan de la
voie. C'est là assurément une conception ingénieuse,
une solution du problème, mais elle emprunte des
Fi g. 52. — Voiture Jouffroy.
moyens dont la pratique a révélé les défauts et n'a
pu consacrer l'usage. Aussi n'est-il pas appliqué.
Nous retrouvons encore le rail central dans une
autre invention, mais non plus ce rail avec ses stries
et ses dentelures, qui le font ressembler à une cré-
maillère, mais un rail semblable à ceux de la voie or-
dinaire, à la hauteur près à laquelle il se trouve placé
au-dessus du ballast. Il ne sert plus au passage d'une
roue verticale comme celle de M. de Jouffroy, mais au
LES CHEMINS DE FER. '2Ô5
passage de deux couples de roues horizontales qui le
pressent entre elles, comme feraient les extrémités de
tenailles dont les mâchoires tranchantes , devenues
circulaires, seraient animées d'un mouvement de ro-
tation. Tel est le système de M. le haron Séguier, que
différents inventeurs, MM. Duméry, Giraud et Fedit,
et enfin M. Fell, ont cherché à rendre pratique.
Nous ne nous arrêterons pas à la description des ma-
chines proposées par les premiers, mais nous dirons
quelques mots de celle de M. Fell, en raison de l'a-
venir que des essais heureux paraissent lui réserver.
« On se fera une idée sommaire, mais exacte de
cette machine, dit M. Couche dans son rapport sur les
locomotives exposées en 1867, en concevant une lo-
comotive à huit roues couplées dont quatre verticales
et porteuses et quatre horizontales commandées par les
mêmes pistons, au moyen de hielles motrices distinctes
et pinçant entre elles un rail central. On a donc, d'une
part, l'adhérence ordinaire due au poids entier de l'ap-
pareil; et, de l'autre, l'adhérence facultative, en quel-
que sorte illimitée, due à la pression exercée par des
ressorts, et que le mécanicien règle à volonté. »
La machine de M. Fell a fait le service de la li-
ane de 80 kilomètres étahlie sur la route du mont
Cénis, en attendant le percement du souterrain. Elle
mettait cinq heures à opérer ce trajet, franchissant des
rampes de 0'",08 par mètre, et passant dans des courhes
de 40 mètres de rayon, avec un train de trois wagons
attelés à sa suite. Rien de plus pittoresque que ce voyage
tantôt à ciel ouvert, ntôt sous les longs souterrains
234 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
en charpente destinés à garantir la voie des avalan-
ches.
MM. Riggenbach et Zschokke ont établi pour gravir
la montagne du Righi, si aimée des touristes, un che-
min de fer avec crémaillère centrale sur laquelle agit
un pignon denté placé sous la machine. Les rampes à
franchir atteignent 0",20 par mètre. Chaque train
peut contenir quatre-vingts personnes. Les voyageurs
prenant le chemin de fer jouissent de l'avantage de
voir les deux côtés de la montagne, qu'ils abordent
par Yitznau, du côté du lac de Lucerne et qu'ils redes-
cendent par Goldau et Arth, sur les bords du lac de
Zug, après avoir admiré la ravissante beauté du pa-
norama du Kulm. En 1874, le nombre des voyageurs
a atteint 54 000. Le nombre des machines de ce che-
min, qui n'était que de 5 au début, est de 50 aujour-
d'hui.
Deux systèmes ont été proposés pour l'établissement
des chemins de fer à bon marché, au moyen d'un seul
rail : l'un est le système Larmanjat, l'autre le système
uno-rail de MM. Saint-Pierre et Goudal. Tous deux s'é-
tablissent sur les accotements des routes, le premier en
terrain plat, le second en pays de montagnes plus
spécialement.
Les véhicules de M. Larmanjat sont à quatre roues,
deux sur l'axe longitudinal ; l'une à l'avant, l'autre à
l'arrière et portant sur le rail ; deux latérales : une à
droite, l'autre à gauche, reposant sur le sol et fonc-
tionnant comme roues d'équilibre. Les premières por-
tent la plus grande partie de la charge, et, placées
mim
LES ClIEMl^'S DE FER. 237
sur le rail, elles réduisent le frottement et, par suite,
l'effort de traction.
On voit que la chaussée parcourue par les trains de
M. Larmanjat doit être parfaitement de niveau pour
que les voyageurs ne soient pas soumis à des oscilla-
Fig. 54. — Système Larmanjat.
tions qui ne manqueraient pas de devenir fatigantes et
désagréables. Un essai de ce système a été fait entre
le Raincy et Montfermeil, sur une longueur de 5 kilo-
mètres, et a paru donner d'assez bons résultats.
D'après M. Larmanjat, le kilomètre de rail placé
sur le côté de la route macadamisée reviendrait à
7000 francs; placé sur l'un des bas côtés, avec maca-
258 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
dam à droite et à gauche, à 10 000, et enfin avec lon-
grines en bois, à 14 000 francs.
Le matériel roulant est aussi à très-bas prix : les
machines coûtent de 10 000 à 20 000 francs et les
wagons de 2 oOO à 5 500 francs. Ces prix peuvent donc
rendre possibles un grand nombre de petites lignes à
trafic restreint.
M. Larmanjat a exposé en 1878 une machine spé-
ciale destinée pu remorquage des trains sur des voies
ferrées à forte déclivité. Dans le système proposé par
cet ingénieur, la locomotive utilise, indépendamment
de Tadhéreiice des roues porteuses sur les rails, la
résistance due à l'action d'une roue dentée spéciale
sur une crémaillère latérale au rail. Ainsi qu'on le
voit, ce système a quelque analogie avec différents
systèmes dont nous avons déjà parlé. Jl demande à un
organe spécial le supplément d'adhérence qui lui est
nécessaire pour gravir des rampes exceptionnelles.
L'avenir nous apprendra les avantages que présente
cette nouvelle disposition.
Les voitures et la locomotive de MM. Saint-Pierre et
Goudal sont portées sur quatre roues à large jante qui
se meuvent sur des bandes en asphalte comprimé ;
ces roues n'ont rien de particulier. En dessous des
véhicules j^e trouvent deux paires de roues presque
horizontales, étreignant entre elles le rail central,
connue dans le système Fell. Ces roues ont même dia-
mètre que les premières : leur pression sur le rail
peut être graduée. Les huit roues reçoivent leur mou-
vement de deux cylindres placés à l'avant.
LES CIIEMIî^S DE FER.
259
D'après les inventeurs, cette locomotive-tender, du
poids de 10 tonnes, d'une force normale de 50 clic-
Fig. 55. — Machine Saint-Pierre et Goudal (élévation).
Fis. 5G.
Uacliinc Saint-Pierre et Goudal (coupe transversale).
vaux, peut traîner un poids utile de 20 à 22 tonnes,
en rampe de 0'",05 par mètre, à une vitesse de 6 à 8
kilomètres.
240 LES MERVEILLES DE L\ LOCOMOTION
Il ne nous est pas possible de nous prononcer sur
la valeur de ce pystème. Nous n'avons pas ouï dire
qu'il ait encore reçu d'application. Quelle sera la durée
des bandes asphaltées? Quelle sera la durée des ma-
chines elles-mêmes, dont le mécanisme est compliqué?
Comment résisteront-elles aux secousses produites par
les imperfections de la voie, si difficile à réparer. Il
est impossible de répondre à toutes ces questions.
Les inventeurs et les ingénieurs ne se sont pas seule-
ment préoccupés des améliorations à apporter au mé-
canisme locomoteur, ils ont cherché aussi à simplifier
le mode d'action de la vapeur. C'est ainsi qu'on a es-
sayé d'appliquer des machines rotatives à la mise en
mouvement des roues des locomotives. Ces tentatives
n'ont pas réussi jusqu'à présent, et l'on a renoncé à cette
application, malgré la simplicité et l'attrait qu'elle
présentait. Peut-être faut-il attendre que les machines
rotatives se soient perfectionnées; la science, de ce
côté, n'a pas dit son dernier mot.
Nous avons parlé déjà des plans inclinés et des ma-
chines fixes placées à leur sommet qui opèrent à l'aide
d'un câble le remorquage des wagons sur ces plans.
De grands inconvénients existent dans l'emploi de ce
système. C'est par des modifications profondes que
M. Agudio les a surmontés.
Chacun connaît le touage en usage sur les rivièi es
et les canaux : une chaîne couchée dans le fond de la
rivière sert d'amarre à un bateau sur le pont duquel
de gros tambours sont disposés. Une machine à vapeur
LES CHEMINS DE FER. 241
fait tourner ces tambours, sur lesquels la chaîne s'en-
roule deux ou trois fois, pour retomber ensuite dans
l'eau à l'arrière du bateau. Cette chaîne, comme on le
voit, présente une grande analogie avec le rail central
Séguier. M. Agudio a remplacé la chaîne de touage par
un câble métallique fixé à ses deux extrémités ; ce câble
s'enroule deux fois sur les gorges de deux tambours
disposés sur le train du locomoteur. La machine à
vapeur du bateau-toueur est remplacée par deux ma-
chines fixes, l'une en haut, l'autre en bas du plan in-
cliné. Chacune de ces machines tire un des brins du
second câble, dont les extrémités ont été réunies après
avoir été passées sur deux nouveaux tambours du loco-
moteur. On comprend le jeu de l'appareil : le câble
sans fin transmet, par ses deux brins, aux tambours
qui le portent, le mouvement qu'il a reçu des machi-
nes. Ces tambours le transmettent à leur tour au tam-
bour qui porte le câble toueur, immobile sur le sol et
le long duquel il s'avance, entraînant à sa suite le
train tout entier.
Le locomoteur est porté sur deux trucks munis de
freins puissants.
Ce système, tel que nous venons de le décrire, pré-
sente déjà de sérieux avantages : flexibilité et légèreté
de la machine, simplicité des organes de transmission,
sécurité à la montée comme à la descente. Mais M. Ac^u-
dio l'a encore perfectionné en remplaçant son Ccàble
toueur fi«e par le rail central du système Séguier ou
Fell. Les poulies du locomoteur, dans le nouvel appa-
reil, sont disposées horizontalement et étreignent for-
16
242 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
tement le rail. Enfin le poids du locomoteur, qui est
de 12 tonnes et qui se répartit sur les roues porteuses,
donne lieu à une certaine adhérence dont il a aussi
tiré parti.
On étudie, en ce moment, l'application du système
Agudio-Fell à la traversée du Simplon. Sur le versant
nord, où se trouvent des rampes de 0",10 par mètre,
on se propose d'employer le locomoteur Agudio, et
sur le versant sud, beaucoup moins abrupt, la loco-
motive Fell.
G. — L*EAC ET l'air coMi'RiMÉ. L'ÉLECTRICITÉ. — Locomolivcs Andraud, Pec-
queur. — Chemins coliques Andraud. — L'air comprimé et rarélié : le
chemin de Sydenhara. Tunnel sous la Manche. — L'air chaud. — L'eau
comprimée : système Girard. — Machines électro-magnétiques.
Jusqu'à présent, la vapeur d'eau a été le seul agent
employé dans les machines fixes ou locomotives dont
nous avons parlé,, mais elle n'a pas été le seul agent
essayé.
Nous vivons dans une atmosphère gazeuse, compres-
sible, élastique, que nous pouvons utiliser comme
moyen de propulsion. Nous pouvons profiter des chutes
ou des cours d'eau improductifs pour comprimer l'air,
faire provision de la masse, ainsi réduite à un faible
volume, et le faire agir dans les cylindres de la loco-
motive, au lieu de la vapeur d'eau. C'est le système
proposé par M. Andraud.
Deux chiffres font saisir immédiatement les diffi-
cultés que présente l'emploi de l'air comprimé dans
les locomotives : 1 mètre cube d'air et 1 mètre cube
LES CHEMINS DE FER. 243
de vapeur, à môme pression, produisent le même effet
dans le cylindre de la machine, mais cette vapeur, à
l'éttit d'eau, n'occupe dans le tender qu'un volume de
5 litres 50, qui est les 0,0053 de celui qu'occuperait
l'air : il faudrait donc des réservoirs d'une capacité
considérable pour emmagasiner l'air comprimé.
M. Andraud propose de comprimer l'air à 50 atmo-
sphères, mais il faut alors un récipient très-résistant
et, par conséquent, très-lourd : nouvelle difficulté.
L'addition d'un foyer et l'emploi de l'air chaud ne
conduisent pas à de meilleurs résultats. On a constaté
sur les machines fixes qu'on ne peut guère dépasser
la force de quatre chevaux sans augmenter démesu-
rément la masse.
M. Pecqueur, reprenant les idées de M. Andraud, a
eu l'idée de disposer, le long de la voie, un long tube
servant de réservoir où la machine en marche puise-
rait l'air comprimé. Mais il suffit d'énoncer un sem-
blable projet pour faire entrevoir toutes les difficultés
attachées à sa réalisation. M. Pecqueur, indépendam-
ment de cette locomotive à air comprimé, a inventé
aussi un piston locomoteur comme celui que nous
avons décrit en parlant du système atmosphérique,
mais qu'il fait mouvoir au moyen de Pair comprimé,
au lieu de l'air raréfié.
M. Andraud, à qui revient l'idée de la locomotive à
air comprimé, a proposé des chemins éoliques, dont
le succès nous paraît encore plus problématique. Voici
la disposition qu'il propose : Entre les deux files de
rails se trouve un madrier et, de chaque côté de ce
244 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
madrier, un tube en étoffe flexible et imperméabl-e à
l'air, une sorte de gros boyau. Ces deux boyaux sont
accompagnés d'un gros tube latéral résistant, qui sert
de réservoir d'air comprimé.
Que l'on suppose vides, un moment, les deux tubes
placés au milieu de la voie, et qu'après les avoir saisis
à l'aide de deux rouleaux opposés, faisant mâchoires,
on introduise l'air, celui-ci gonflera les tubes flexibles,
pressera les rouleaux et les fera avancer. On n'a plus
qu'à disposer sur les tubes autant de paires de rou-
leaux ou de mâchoires qu'on voudra, au-dessus de ces
rouleaux des wagons reliés, et le système progressera.
Théoriquement, il n'y a rien à dire ; mais pratique-
ment, c'est autre chose. Que coûtera l'ensemble? Et,
sans même aborder la question de prix, que dure-
ront ces tubes? A'oit-on les fuites se produire et les
cantonniers, transformés en couturières, chargés de
mettre des pièces. Tout cela nous paraît inabordable.
Aussi préférons-nous l'obscurité du tunnel de Sy-
denham à l'insécurité de semblables systèmes.
Nous résumons un article du Railway News, du
5 septembre 1864, qui rend compte de l'expérience,
nouvelle application de l'idée de A allance, faite entre
Londres et Sydenham.
La voie est établie dans un tunnel circulaire en bri-
ques de 5"\20 de diamètre, capable de recevoir les
grandes voitures du Great- Western. Le véhicule res-
semble à un long omnibus et porte un disque au mi-
lieu duquel il se trouve placé, comme le serait l'acro-
bate retenu au centre du cerceau garni de papier qu'il
LES CHEMINS DE FER. 245
traverse clans les jeux du cirque. Ce disque ferme la
section du tunnel et fonctionne comme piston. La force
qui le fait mouvoir est produite par un grand ventila-
teur ou éjecteur, à surface concave, de 6"\70 de dia-
mètre, mis en mouvement par une petite machine à
vapeur.
La voiture doit-elle descendre? Ses freins sont des-
serrés, elle s'engage dans le tunnel en passant sur une
longue ouverture grillée par laquelle l'air arrive. Le
ventilateur tourne. Une porte en tôle ferme l'entrée
du tunnel, et la voiture descend, poussée par l'air in-
troduit. Le ventilateur s'arrête avant l'arrivée du
wagon, la vitesse acquise suffit à le conduire à la fin
de sa course; les freins sont serrés, il s'arrête. —
Doit-il remonter? C'est alors par aspiration que fonc-
tionne l'appareil, et le véhicule s'avance dans le sou-
terrain, comme l'eau s'élève aspirée dans un cha-
lumeau.
On voit l'avantage que présente ce système sur le
système atmosphérique que nous avons décrit précé-
demment. Au lieu d'un petit piston, dont la faihle sur-
face réclame, pour produire un effet voulu, une pres-
sion élevée en chacun de ses points, on n'a plus besoin
que d'une faible pression répartie sur la grande surface
du nouveau piston. Par suite, les fuites si redoutées
dans le premier cas sont bien moindres et bien moins
à craindre dans celui-ci. Enfin, — et cet avantage ne
sera pas sans intérêt pour certains voyageurs délicats,
— l'air circule et se renouvelle dans l'intérieur du
souterrain, de manière à dissiper les craintes de ceux
246 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
qui, comme le grand Arago, redouteraient encore les
maladies causées par l'air humide des souterrains.
Quel sera le sort de cette nouvelle application de
Fair à la locomotion? Construira-t-on des souterrains
sur le versant des montagnes pour les franchir plus
aisément? Fera-t-on un tunnel sous la Manche, et Fair
comprimé sera-t-il le moteur adopté? On ne peut rien
affu'mer, mais il résulte évidemment de l'expérience
que nous venons de rapporter qu'un nouveau moyen,
aussi puissant que simple, a été mis à la disposition
des ingénieurs, qui sauront l'utiliser dans les circon-
stances les plus avantageuses.
Uu système, qui a fait beaucoup de bruit dans
ces dernières années, est le système hydraulique de
M. Girard.
Un sentiment inné porte l'ingénieur à imiter ce
qu'il voit dans la nature, et à tirer parti des forces
inutilisées qu'il ne faut que dompter pour les rendre
utiles et productives. C'est à un sentiment de ce
genre qu'a ohéi M. Girard en imaginant son chemin
de fer hydraulique.
Le frottement des véhicules sur les rails est déjà bien
faible dans les chemins de fef : M. Girard a cherché à
le réduire encore et à le rapprocher de ce qu'il est
entre le bateau et l'eau qui le porte. Des chutes d'eau,
d'une puissance considérable, se précipitent des mon-
tagnes dans les vallées sans que, le plus souvent, on
en tire le moindre parti. M. Girard a voulu les uti-
liser. Pour cela, il dispose, le long de la voie, une
conduite d'eau qui, au passage des wagons, fournit le
LES CHEMINS DE FER.
247
liquide nécessaire à leur mise en mouvement. Deux
groupes de turbines agissent sur les roues. Selon que
l'eau frappe les turbines de l'un onde l'autre groupe,
la progression a lieu dans un sens ou en sens contraire.
Tel est le premier système proposé par M. Girard. Plus
Fif
Svstème Girard.
tard, il est revenu sur cette première conception et a
remplacé les roues par des patins cannelés portant sur
un rail plat. C'est alors entre le patin et le rail qu'il
introduit de l'eau comprimée, de manière à adoucir
le frottement des deux surfaces, et à le réduire, a-t-il
prétendu, au millième de la charge.
248 LES MERVEILLES DE LA LOCO:,IOTIO>'.
Mais pourquoi faut-il que la pratique se trouve si
souvent en désaccord avec la théorie, et que les faits
les plus simples en apparence rencontrent dans l'appli-
cation de si grandes difficultés? Le système de M. Girard
a été essayé à la Jonchère, près de Rueil ; une commis-
sion a été nommée pour constater les résultats obtenus,
et son rapport n'a pas été favorable à cette nouvelle
invention. Aux chances de fuites que les moindres mou-
vements de la voie peuvent produire, et qu'une forte
pression, donnée à Teau pour obtenir de grandes vi-
tesses peut aggraver, s'ajoute la difficulté d'avoir tou-
jours une grande quantité d'eau et de la conserver
liquide dans les conduites en dépit des grands froids.
Nous ne croyons donc pas que le système Girard soit
appelé à renverser les locomotives.
Nous en dirons autant des machines électro-magné-
tiques qui, en l'état de la science, doivent élre exclues
du domaine de la pratique. Les savants sont, à cet
égard, d'un avis unanime. Un cheval de force, obtenu
au moyen de la vapeur, coûte environ 10 centimes par
heure ; obtenu par un courant électrique, il coûte
20 francs, disait M. Aristide Dumont à l'Académie des
sciences, en 1851. Depuis cette époque, la construction
des machines électro-motrices a fait des progrès, mais
ils ne sont pas tels qu'on puisse, d'ores et déjà, prévoir
leur application prochaine à l'industrie des transports.
Tel est, à cette heure, l'état des découvertes rela-
tives à la locomotion sûr les voies ferrées. D'immenses
LES CHEMINS DE FER. 249
efforts, on le voit, ont été faits depuis l'origino, de la
part de tous les hommes et de tous les peuples qui
marchent à l'avant-garde de la science. Tous y ont
contribua dans la mesure de leur génie et de leurs
intérêts; nous ne chercherons pas à qui revient lapins
large part de gloire : devant la grandeur du résultat
s'efface la petitesse des amours-propres. Et cependant
nous ne touchons pas certainement au terme des pro-
grès qui doivent s'accomplir : les grandes voies sont
faites, les petites restent à faire, à chacun leur mo-
teur; celui des premières continuera à se perfection-
ner, celui des secondes est presque à créer. Enfin il
faudra trouver un moteur spécial pour nos routes or-
dinaires, qui nous permette de tirer de celles-ci le
meilleur parti possible.
CHAPITRE Vil
LES TRAMWAYS
I. — CONSTRUCTION DES CHEMINS DE FER SUR LES CHAUSSÉES.
A. — Période préliminaire. — Chemin américain Loubat : Versailles, Saint-
Cloud, Rueil. — Chemin de fer intra muras du siège de Paris.
Les avantages que présente la traction sur voie fer-,
rée comparés à la traction sur chaussée empierrée ou
pavée ont depuis longtemps porté à rechercher les
moyens de transformation compatibles avec le main-
tien de la circulation ordinaire. Les voies publiques
présentent une plate-forme tout établie; l'infrastruc-
ture n'est plus à faire : il n'y a plus ni terrassements
ni ouvrages d'art à exécuter ; il ne reste que la su-
perstructure, la pose ce la voie seulement.
Le mot de tramway vient de tram (rail plat) et est
appliqué aujourd'hui à tous les chemins de fer établis
sur routes, quelle que soit d'ailleurs la forme du
rail, quel que soit aussi le mode de traction employé.
Il est opposé à celui de railway réservé par les An-
glais aux chemins à rail saillant, qui, d'ordinaire, ne
LES TRAMWAYS. 251
permettent pas la circulation de niveau des véhicules
ordinaires.
Le premier tramway établi en France date de d85o.
Il est dû à M. Loubat, qui, après un long séjour en
Amérique, installa à Paris le chemin à ornière de la
place de la Concorde à Passy, auquel on donna tout
d'abord, à cause de son origine, le nom de chemin de
fer américain. Ce premier tronçon fut prolongé ensuite
jusqu'à Versailles d'un côté, et jusqu'au rond-point
de Boulogne de l'autre, à la porte de Samt-Cloud, aidant
ainsi au transport des nombreux promeneurs qui affec-
tionnent les parcs de ces deux résidences princières.
Le chemin de la station de Rueil à Bougival et à
Port-Marly date à peu près de la même époque. La
traction sur ces deux lignes s'opérait au moyen de
chevaux, ainsi que cela a lieu encore aujourd'hui sur
celles de Versailles et de Saint-Cloud. Plusieurs années
s'écoulèrent sans qne la longueur des tramways aug-
mentât en France. On semblait redouter l'établisse-
ment de chemins de fer sur les voies publiques des
grandes villes, on appréhendait la gène que la circu-
lation de véhicules de grandes dimensions suivant
une direction obligée imposerait aux autres voitures.
Il fallut que la guerre et l'investissement de Paris
vinssent détruire les craintes mal fondées qui exis-
taient dans les esprits pour que l'on se décidât à sui-
vre les Américains dans la voie où ils étaient entrés
avec tant d'ardeur depuis de longues années.
Pendant le siège de Paris, une voie de fer avec rails
ordinaires avait été placée sur le boulevard intra
252 DES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
muros qui entoure les fortifications. Cette voie servit
à des transports nombreux; des trains de matériel,
d'approvisionnements de différentes natures y circu-
lèrent pendant plusieurs mois, traversant les grandes
artères qui pénètrent dans la ville et qui, pour être
moins fréquentées à cette époque qu'elles ne le sont
aujourd'hui, ne laissaient pas que de présenter encore
une circulation très-importante. On s'accoutuma à
voir ainsi aller et venir des trains au milieu des voies
publiques, et l'on remarqua que si à ces trains on
substituait des voitures isolées, à ces machines des che-
vaux, on pourrait, sans plus d'inconvénient, pénétrer
plus avant dans la ville, faciliter les relations avec la
banlieue, les déplacements même à l'intérieur. Un
conseil municipal nouveau, désireux de se faire bien
venir de la population qui l'avait appelé aux affaires,
se montra favorable aux désirs du public, et Ton vit
surgir, comme par enchantement, une quantité de
projets d'établissements de tramways. De Paris, cette
fièvre gagna la province, puis bientôt l'étranger, et la
longueur des tramways alla se développant avec ra-
pidité.
B. — Développement des U^amways à Paris, en province et à l'étranger.
La longueur actuelle des tramways en exploitation
à Paris se subdivise de la manière suivante :
Chemins de fer parisiens (t^amways-^'ord) . . 57 kilomètres.
Tramways de Paris (réseau Sud) 60 —
Compagnie générale des omnibus 67 —
(non compris les voies ferrées provenant de la con-
LES TRA:>nVAYS. 253
cession Loubat, et qui compt^ennent les lignes de Bou-
logne et de Saint- Cloud, de Sèvres et du Louvre à
Vincennes.) C'est-à-dire près de 200 kilomètres (in-
tra et extra mu7^os) .
Il est hors de doute que cette longueur s'accroîtra
encore et que de nouvelles lignes et de nouveaux
raccordements de lignes existantes entre elles vien-
dront s'ajouter à celJes-ci.
Les principales villes de province, suivant cet
exemple, sont déjà pourvues de tramways; Lille a été
l'une des premières. Rouen emploie la traction à va-
peur. D'autres villes sont déjà sillonnées, ou sont à la
veille d'être sillonnées de voies de fer : Versailles,
Roubaix, Tourcoing, Montpellier, Bordeaux. Stras-
bourg vient d'autoriser la circulation des machines au
travers de la ville.
A l'étranger : Londres, Bruxelles, Vienne, Edimbourg
ont été dotées de tramways dès l'origine de l'importa-
tion en Europe de ces nouvelles voies de communi-
cation. Berlin, Hambourg, Wiesbaden,Cassel, Genève,
Zurich, Milan, Naples, Turin, Gènes, Constantinople
même, ont aussi ou vont avoir leurs -tramways.
Ce grand mouvement date de six ou sept ans à
peine. 11 a été lent à se produire, mais à voir la fa-
veur qui l'accueille, on a tout lieu de supposer qu'il
n'est pas prêt de s'arrêter. Et l'on peut prévoir qu'a-
près avoir satisfait aux intérêts des villes, il s'étendra
aux campagnes et donnera naissance à l'organisation
sur les routes de services mixtes de vovas^eurs et de
marchandises.
254 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
G. — Construction proprement dite des tramways, — Rails en fer, en fonte,
en acier.
Le mode de construction des tramways varie peu.
Il consiste, en général, dans l'emploi d'un rail à or-
nière en fer fixée sur une pièce de chêne longitudi-
nale, enchâssée dans le cailloutis ou entre les pavés
de la chaussée. Les deux files de rails sont maintenues
à distance constante l'une de l'autre au moyen d'en-
tretoises en bois. La largeur de l'ornière varie de
0™,052 à0™,04 de manière à permettre le passage,
sans trop de frottement dans les courbes, du boudin
des roues, sans que les roues des voitures ordinaires
puissent y pénétrer.
La largeur de la voie est la mémo que celle des
voies ferrées ordinaires : l'",44 ; cependant on a em-
ployé aussi l'écartement de 1"\54, dans le but de fa-
ciliter le passage entre les deux rails des deux chevaux
qui traînent la voiture.
La plupart des tramways sont à deux voies. Les li-
gnes dont la fréquentation est faible n'ont qu'une
seule voie, avec des évitements de distance en dis-
tance, de manière à permettre le croisement des véhi-
cules, s'il y a lieu.
L'emplacement qu'occupe la voie unique, ou les
deux voies, sur la chaussée, est variable. Lorsque
celle-ci est très-large, la voie de fer est placée au mi-
lieu, de manière à laisser aux toitures ordinaires le
libre accès des habitations qui la bordent. Lorsqu'au
contraire elle est très-étroite, il d^ïvient indispensable
LES TRAMWAYS. 257
(le la placer latéralement, de manière à ménager sur
le côté opposé une largeur suffisante pour le passage
des autres voitures.
Les rails des tramways pèsent généralement de 18 à
'20 kilogrammes le mètre courant. Pour des lignes do
peu d'importance, on peut admettre des rails de 15
kilogrammes.
Le prix de revient des tramways est assez variable.
La voie Loubat coûtait à l'époque à laquelle elle a été
établie 27 000 francs le kilomètre. Ce prix peut être
abaissé à 20 000 francs, et même à 15 000 francs
dans des conditions faciles et en employant des rails
très-légers. On conçoit, en effet, que la nature de la
chaussée dans laquelle le tramway doit être placé
peut entraîner pour son rétablissement des dépenses
très-élevées.
La ligne de l'Etoile au Trône, appartenant à la
Compagnie générale des Omnibus, revient à 76 468
francs le kilomètre de voie double, soit à 38 254 francs
le kilomètre de voie simple, y compris les raccorde-
ments des dépôts.
Nous avons indiqué le mode de construction le plus
habituel des tramways. Il en est un autre de beau-
coup préférable, quoique un peu plus coûteux, et dont
l'application a été faite à Lille, par M. Coulanghon.
Il consiste dans l'emploi d'un rail Yignole ordinaire,
pesant 14 kilogrammes le mètre courant, et auquel
on juxtapose un contre-rail de 11 kilogrammes dont
le champignon est déjeté sur un des côtés, de telle
sorte qu'en le tournant dans un sens ou dans l'autre
17
258 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
on obtient à volonté un écartement de 3 centimètres
pour les voies à voyageurs, ou de 45 millimètres pour
les voies mixtes sur lesquelles les wagons pesant 14
tonnes peuvent être admis. Ce vide permet l'échappe-
ment facile des poussières et des eaux. L'ornière reste
plus aisément libre et ne s'encombre pas des détritus
de la chaussée qui nuisent à la circulation du véhicule
en augmentant le frottement au passage des roues.
Les rails peuvent être placés sur traverses ou sur
longrines ad libitum; et la chaussée établie dans l'in-
tervalle comme dans l'autre système. Ce n'est autre
chose que la disposition adoptée aux passages à ni-
veau des voies ferrées ordinaires. Elle permet la tran-
sition facile de la voie établie sur une chaussée à celle
qui se place sur son accotement, en supprimant le
contre-rail et en laissant à la voie une saillie de 0'",05
à 0'",04 au-dessus de son ballast. Cette voie revient à
25 000 francs par kilomètre, y compris un mois d'en-
tretien du pavage à la charge de l'entrepreneur.
On a expérimenté un rail en fonte, ayant la forme
d'un U renversé, et porté par des longrines, sur l'une
des lignes de tramv^ay les plus fatiguées de la ville
d'Anvers. Il ne présente qu'une demi-ornière à la par-
tie supérieure. L'avenir dira ce qu'il faut attendre de
cet essai.
Par contre, on a mis en service, à Glasç^ow, un rail
en acier, imaginé par MM. Aldred et Spielmann de
Londres. Ce rail peut se retourner, se poser facilement
et les remplacements peuvent être effectués sans in-
terrompre la circulation des voitures. Ce rail est
LES TRAinVAYS. 259
maintenu au moyen d'un renflement venu de fonle
avec le coussinet qui sert de support et, du côté op-
posé au moyen d'un coin en bois, qui fonctionne
avec le coussinet comme une éclisse ; il n'y a pas de
trous à percer.
Pour effectuer les retournements, il n'y a que
quelques pavés à enlever de part et d'aulre des cous-
sinets.
II. — VOITURES DES TRAMWAYS.
A. — Différents modèles adoptés par les Compagnies de tramways.
Les véhicules employés sur les tramways sont gé-
néralement de deux espèces, dont les types nous son
fournis : pour l'un, par les grandes -voitures de la
Compagnie générale des Omnibus de Paris ; pour
l'autre, par les petites voitures de la Compagnie des
chemins de fer parisiens (Tramw^ays-Nord).
La différence essentielle consiste dans le nombre
des places, qui est de 26 à l'intérieur ou sur la plate-
forme, et de 22 sur. l'impériale des voitures de la
Compagnie des Omnibus, soit 48 places, et qui n'est
que de 16 à l'intérieur et de 8 sur chacune des plates-
formes des voitures des tramways Nord, dépourvues
d'impériale, soit 52 places. Les premières n'ont
qu'une plate-forme et un escalier à l'arrière; le siège
du cocher étant placé à la partie supérieure comme
dans les voitures ordinaires. Les secondes sont abso-
lument symétriques : une plate-forme est ménagée à
chaque extrémité ; le cocher se tient généralement
260 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
debout, il a devant lui la manivelle du frein. Il résulte
de cette disposition qu'à chaque extrémité de ligne
les grandes voitures doivent être tournées, tandis que
les petites, attelées dans un sens pour l'aller, sont
attelées en sens inverse pour le retour.
Les voitures de la Compagnie des tramways de
Paris (réseau Sud) sont un peu plus. petites que les
premières décrites et plus grandes que les secondes.
Comme les unes, elles ont une impériale ; comme les
autres, elles sont complètement symétriques et le co-
cher, qui se tient à la partie inférieure, alterne à cha-
que voyage avec le conducteur chargé de la percep-
tion. Elles ont 46 places, dont 12 de plate-forme au
lieu de 6 seulement.
En Amérique, où la tendance est toujours de sim-
plifier, où l'on cherche sans cesse à supprimer les
organes inutiles, le conducteur fait défaut. Une boîte
spéciale est disposée à proximité du cocher. Le voya-
geur y dépose, ou y fait déposer par un voisin le prix
de sa place ; l'argent, en trébuchant sur une ta-
blette métallique, est compté par le cocher. Il n'y a
pas de monnaie à rendre, pas de correspondance à
donner, et les fraudes, dit-on, sont très-rares. Pour-
rions-nous nous flatter d'en faire autant?
Quel est celui des deux types de voitures : grand ou
petit, avec ou sans impériale, qui est le meilleur?
Cette question a donné lieu aux plus vives contro-
verses. D'une manière générale, on peut dire que le
choix doit être déterminé par les circonstances dans
lesquelles on est placé, par les habitudes des popula-
LES TRAM^VAYS. 261
lions à desservir. La Compagnie des trannways-Nord a
défendu longtemps le système de la voiture de petite
contenance : elle se fondait sur l'inconvénient de traî-
ner un poids mort plus considérable aux heures creuses
de la journée et sur les exemples tirés de l'étranger.
Certaines personnes sont d'avis qu'il est préférable
d'avoir un plus grand nombre de voitures que d'avoir
des voitures de plus grandes dimensions. Aujourd'hui,
la Compagnie des tramways-Nord revient sur sa ma-
nière de voir et reconnaît que l'inconvénient de traî-
ner inutilement un poids mort à certaines heures est
plus que racheté par l'avantage d'enlever à d'autres
heures des masses plus considérables de voyageurs.
Elle a reconnu qu'à certains jours elle laissait aux
stations un grand nombre de personnes que l'exiguité
des voitures ne permettait pas de transporter, et elle
est maintenant convaincue que la voiture à impériale
est dans les vœux de la population parisienne. Elle a
constaté enfin sur une de ses lignes des augmentations
de 18 à 50 pour 100, soit de o6 pour 100 en moyenne,
dans ses recettes obtenues au moyen des voitures à
impériales. Les chevaux doivent être plus forts à la vé-
rité, et naturellement plus chers sous le rapport du
prix d'achat et de la nourriture ; mais, tout compte
fait, r.ivantage que présente l'emploi des grandes voi-
tures est certain.
La construction des voitures de tramways n'offre,
d'ailleurs, aucune particularité très-remarquable. Elle
tient à la fois de celle des omnibus ordinaires et de
celle des wagons. Appelées à circuler à des vitesses
262 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
moindres que ceux-ci, elles sont construites plus légè-
rement : les roues, les essieux qui les portent sont
beaucoup plus faibles. Le frein mis à la portée du
cocher est plus puissant et d'une action plus prompte
que celui des omnibus ordinaires. La Compagnie des
omnibus a laissé à l'essieu d'avant de ses voitures la
faculté de se mouvoir au passage des courbes de petit
rayon. Elle a obtenu ce résultat au moyen de deux
petits segments de cercle disposés sous les longerons
de caisse de chaque côté de la voiture et contre les-
quels glissent deux pièces reliées aux ressorts de sus-
pension et à l'essieu lui-même. Le timon de la voi-
ture, à l'entrée de la courbe et sous l'action des
chevaux qui la suivent décrit un angle; le mouvement
est transmis à l'essieu qui se déplace à son tour, et ce
déplacement empêche la production du frottement qui
résulterait du maintien du parallélisme des essieux.
Quant à l'intérieur des voitures, il présente plus
de confortable que celui des omnibus : places plus
spacieuses, couloir plus large et plus élevé, ouver-
tures ménagées pour un aérage facile, stores pour ga-
rantir du soleil, dispositions de nature à gagner com-
plètement la faveur du public.
B. — Résultats de l'exploitation des tramways par la Compagnie des om-
nibus. — Importance du mouvement parisien en omnibus, sur terre et
sur rails.
Il y a lieu de faire connaître par quelques chiffres
l'importance d'une des exploitations de tramways de
Paris, de la Compagnie des Omnibus.
LES TUA^nVAYS. 'iOô
Le nombre maximum des voitures de tramways
mises en service par cette compagnie en d877 a été
de 88.
Chacune de ces voitures a parcouru en moyenne,
par jour, 92 kilomètres 815 mètres. Les 48 voitures
employées journellement ont fourni 4451 kilomètres
par jour et 1624 789 kilomètres pendant l'année
entière.
L'effectif moyen des chevaux présents dans les écu-
ries a été de 685 par jour, et le travail moyen des
chevaux de rang et de relais a été, par jour, de 14 ki-
lomètres 950 mètres. Pour chaque journée de voiture
de tramway, le nombre moyen de chevaux, y com-
pris ceux d'infirmerie, de labour, de corvée et d'ins-y
pection, a été de 14,65.
Le nombre des voyageurs transportés par les seuls
tramways de la Compagnie des Omnibus a été, en
1877, de 14 859 570, soit 40656 par jour, 847 par
voiture et 50 par course.
La recette moyenne par voyageur a été de 046 65.
La recette moyenne réalisée par chaque kilomètre
parcouru par les voitures a été de 1 fr. 52.
11 est intéressant de se rendre compte de l'accrois-
sement réalisé par l'exploitation (omnibus et tramways)
de la Compagnie des Omnibus depuis l'origine. Les chif-
fres suivants permettent d'en faire la comparaison :
264
LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Nombre maximum de voitures en service.
— de chevaux
Nombre de voyageurs transportés , . .
ANNÉES
1854
1877
400
3.728
3i.000
793
10.352
129.511.105
Près de 150 millions de voyageurs! Ce chiffre est
presque double du nombre de voyageurs transportes
par tous les chemins de fer français réunis.
La Compagnie des Tramways-Nord a, de son côté,
transporté 21 678176 voyageurs. Ce qui donne envi-
ron 150 millions pour ces deux Compagnies. Quoique
ce nombre ne comprenne pas celui des voyageurs
transportés par la Compagnie des Tramways-Sud, il
permet de se faire une idée de l'importance du mou-
vement de la population parisienne : il correspond à
plus de 4 fois la population de la France!
c. — Traction des tramways. — Omnibus à vapeur d'Edimbourg. — Wagon-
machine Evrard, Cabany et C'^ — Machine Loubat. — Locomotive à va-
jieur des Trannvays-Sud, de Winterthur. — Locomotive à air comprime
3Iékarski. — Locomotive à eau surchauffée, sans foyer, Franck. — Chemin
de fer aérien de New-York.
La plupart des tramways en exploitation fonction-
nent au moyen de chevaux. Dans les pays agricoles et
à faible trafic, il peut y avoir intérêt à employer la
traction animale. Mais dès que les transports ont une
certaine importance, et que le charbon n'est pas grevé
de frais exceptionnels, l'emploi des machines devient
plus avantageux.
TRAMWAYS. 265
L'un des premiers essais qui ait été fait dans ce
sens est celui d'un omnibus à vapeur employé à Edim-
bourg. La chaudière du système Field, le combustible
et le mécanicien étaient placés dans un compartiment
spécial à l'avant. Le mécanisme, formé de 5 cylin-
dres, était à l'arrière. L'échappement de la fumée
avait lieu par une cheminée qui passait sous la ban-
quette de l'impériale et débouchait à l'arrière, de ma-
nière à éviter la projection des escarbilles sur les
voyageurs.
L'Exposition de 1878 nous montre plusieurs spé-
cimens de grandes dimensions de wagons-machines de
cette espèce, mais qui sont plutôt destinés à des che-
mins de fer à faible trafic en rase campagne, ou à des
voyages d'inspection sur les grandes lignes qu'à un
service de tramways urbain ou suburbain. Ces voitures
n'en sont pas moins remarquables, car elles offrent
une solution intéressante du problème de l'associa-
tion du moteur et du véhicule, problème qui ne
peut manquer de se présenter lors de l'exploitation
d'un grand nombre de lignes dont on prévoit déjà la
construction.
On peut augmenter les dimensions de la voiture
jusqu'à lui donner la longueur des wagons améri-
cains, couvrir et fermer l'impériale, établir des com-
partiments de différentes classes, faire porter la voi-
ture sur des trucs, de manière à faciliter le passage
dans les courbes de petit rayon.
Les wagons-machines Evrard (Compagnie belge) et
Cabany et Cie sont composés de deux grands compar-
266 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
timents, l'un de première classe, l'autre de deuxième
classe et d'un compartiment pour les bagages. La chau-
dière, avec foyer latéral, est placée à l'avant. Le mé-
canisme est disposé au-dessous du véhicule dans une
sorte de bâche en tôle, amovible de manière à facili-
ter les réparations. On peut arriver, avec des voitures
de ce genre qui n'exigent qu'un personnel restreint,
à établir dans certains cas un service de voyageurs
économicjue.
Dans d'autres cas, il y a avantage à maintenir une
Fig. 59. — Wagons-machines Evrard et Cabany et G'"'.
complète indépendance entre le véhicule remorqueur
et le véhicule porteur. Une avarie se produit à la ma-
chine ou à la chaudière, il importe que le wagon ne
soit pas paralysé.
L'une des expériences les plus anciennes qui ait été
faite, d'une machine capable d'être appliquée au re-
morquage des trains sur les tramways et les chemins
de fer sur routes, est celle de M. Loubat sur la route
Nationale du pont de Neuilly à Courbevoie. Une voie
fut établie sur un des accotements de la chaussée, et
pendant plusieurs mois on circula sur cette portion de
LES TRAMWAYS. ,267
route qui présente des déclivités dépassant parfois
0,04 par mètre. La machine ne^ présentait comme
disposition particulière qu'un jeu d'engrenages qui
permettait de réduire la vitesse au profit de la puis-
i^ance lorsqu'on gravissait une rampe exceptionnelle.
Tout le mécanisme était enfermé dans un wagon
destiné à le soustraire à la vue des chevaux. Nous
n'avons pas ouï dire que cette machine ait été em-
ployée sur aucune ligne.
Mais l'expérience la plus importante qui ait été
faite est celle de la Compagnie des Tramways-Sud de
Paris sur les lignes de la Bastille à Montparnasse et à
Saint-Mandé (ouvertes les 9 août 1876 et 15 septem-
bre 1877) et sur celle de l'Étoile à Montparnasse (ou-
verte le 12 avril 1876). L'exploitation par la vapeur
sur ces liones a duré jusqu'au 28 février J878, soit
près de deux années. Elle n'a été supprimée que parce
que la Société qui avait entrepris la traction à la va-
peur réclamait une augmentation de prix qui n'a pas
paru pouvoir être acceptée.
La machine se composait d'une chaudière montée
sur un petit truc à quatre roues, entièrement couvert,
et la partie basse garantie par des écrans protecteurs.
Elle ne présentait d'ailleurs aucune particularité re-
marquable. Le sifflet était remplacé par une corne
placée entre les mains du chauffeur, qui fonctionnait
aussi comme aiguilleur aux changements de direc-
tion. Cette expérience a démontré la possibilité de se
servir de la vapeur pour remorquer des voitures de
tramways. Quelques accidents ont eu lieu, mais il est
268 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
habituel qu'ils se produisent au début de toutes les
entreprises nouvelles, et les chevaux se sont vite ha-
bitués, comme les gens, à voir circuler au milieu
d'eux des véhicules de forme nouvelle, dépourvus des
moteurs animés qui jusque-là avaient été seuls em-
ployés à les remorquer.
D'après la Compagnie des Tramways-Sud, il y aurait
lieu de tenir compte, dans l'établissement de la trac-
tion à vapeur, de l'augmentation d'usure de la voie et
du matériel qui serait très-considérable, et l'emploi
des machines ne serait avantageux qu'à la condition
que le prix soit suffisamment inférieur à celui de la
traction animale pour compenser cette augmentation
de dépenses.
Cette expérience de deux années, bien qu'elle n'ait
pas été continuée, a cependant porté ses fruits.
La Compagnie des Tramways-Nord vient d'organiser
un service nouveau sur la ligne de Courbevoic à l'E-
toile, au moyen des petites machines de Winterlhur
(Suisse), établies sur les brevets Brown, par MM. L.
Corpet et Ch. Bourdon, constructeurs à Paris. Ces
machines présentent cette disposition remarquable
d'un cylindre placé au-dessus des roues et qui leur
communique le mouvement par l'intermédiaire d'un
balancier vertical placé entre elles. On évite ainsi les
inconvénients qui résultaient dans les machines où les
cylindres sont placés à la hauteur des roues toujours
très-basses, c'est-à-dire à quelques centimètres au-
dessus du sol, de la poussière et de la boue des chau!^-
sées sur lesquelles ces machines sont appelées à cir-
LES TRAMWAYS.
269
Ciller. Ces machines sont légères, d'une marche régu-
hère, faciles à arrêter et à mettre en marche, ne
donnent ni bruit, ni fumée. Une expérience de plu-
sieurs mois les a rendues populaires à Genève, oii
elles fonctionnent sur les tramways de la ville. Aux
jours de fêles, elles enlèvent de six en six minutes
deux voitures attelées, à impériale couverte, et conle-
Fig. 60. — Locomotive de Winterlhur.
nant 92 voyageurs : un train en miniature, qui a déjà
conquis la faveur des nombreux promeneurs du Bois
de Boulogne et du Jardin d'acclimatation.
La Compagnie des Tramways-Nord ne doit pas limi-
ter à cette ligne la substitution des moteurs mécani-
ques aux moteurs animés. Elle a traité avec M. Mé-
karski pour l'établissement de la traction au moyen
270 LES .MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
(les machines à air comprimé de son invention sur les
lignes de Saint-Denis à la place Moncey et à la place
Jessaint et sur leurs prolongements éventuels.
L'air comprimé au moyen des machines fixes (50
chevaux sont nécessaires par locomotive à charger en
une heure : 5 kilogrammes de houille par kilomètre
parcouru) est emmagasiné dans un réservoir en tôle
de 0™,014 d'épaisseur éprouvé à 55 atmosphères et
porté sur un truc à 4 roues. Il faut 5500 litres d'air
pour remorquer 45 à 50 voyageurs. Cet air est distri-
hué aux cylindres par un détendeur automatique, qui
rend la puissance développée indépendante de la dé-
croissance de la pression et permet de faire varier
cette pression suivant la résistance à vaincre. L'air
comprimé barhotte, au sortir du réservoir, dans de
l'eau portée à \Q0'^ au départ et arrive aux cylindres
chaud et saturé de vapeur, ce qui permet de le faire
agir avec détente. La dépense d'air comprimé est de
1 kilogramme par tonne de train et par kilomètre par-
couru, et l'approvisionnement au départ sous une
pression de 50 atmosphères, à 15*^, pèse 200 kilo-
grammes. Le poids du train est de 12 tonnes et la
machine peut faire 15 kilomètres sans être chargée de
nouveau. Elle peut gravir des rampes de 0™,05 par
mètre avec une voiture et de 0'",05 par mètre avec
2 voitures. Elle ne donne ni bruit, ni vapeur, ni fu-
mée; elle se trouve donc exempte des inconvénients
que présente la plupart des machines à vapeur em-
ployées au centre des villes. Elle est, en outre, mu-
nie d'un frein à vapeur et à eau combinées agissant
LES TRAMWAYS.
271
sur les quatre roues et qui assure un arrêt aussi
prompt qu'on puisse le désirer, même en \itesse et
sur les déclivités prononcées.
Le difficile problème de la traction mécanique sur
les tramways et les chemins de fer routiers a reçu une
autre solution et donné naissance à de nouvelles ma-
chines, dans lesquelles on s'est proposé d'éviter tous
Fig. 01. — Locomotion sans foyer, système Franck.
les inconvénients résultant du chauffage en cours de
route : projection de fumée, d'escarbilles, lueur pen-
dant la nuit, etc. Ces machines ont reçu le nom de
locomotives sans foyer.
L'invention du docteur Lamm, qui a servi de point
de départ aux perfectionnements de M. Franck, est
appliquée à la Nouvelle-Orléans depuis 1872, et pro-
duit, dit-on, une économie de 55 pour 100 sur l'em-
ploi des chevaux. Elle consiste dans l'emmagasinement
de la force motrice dans l'eau surchauffée. Cette eau
272 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
se transforme en vapeur pendant le trajet et la pres-
sion s'abaisse de 15 à 5 atmosphères, chaque kilo-
gramme d'eau fournissant 1790 kilogrammètres à la
jante des roues. L'eau est réchauffée rapidement du-
rant l'arrêt par l'injection d'un courant de vapeur à
haute pression débité par un générateur fixe.
« Avec ce système, dit M. Malézieux, ingénieur en
chef des ponts et chaussées, il n'y a plus d'explosions
à craindre, pas de chances d'avaries pour la chau-
dière, pas de variations dans la température occasion-
née par l'inexpérience du chauffeur, point de foyer
lumineux, ni d'escarbilles incandescentes pour effrayer
les chevaux le soir dans les rues fréquentées, pas de
flammèches ni de fumée, arrêts immédiats sans se-
cousse, démarrage rapide. Un cocher quelconque peut
remplir les fonctions de mécanicien. »
Les machines de ce système ont été adoptées
par le chemin de fer routier de Rueil à Marly et
les tramways de Paris, Sèvres, Yersailles, Montpel-
lier, etc. ^
On voit donc que, née depuis quelques années seu-
lement, la question de la traction mécanique sur les
tramways a rapidement progressé. Les difficultés que
l'on considérait au début comme des obstacles infran-
chissables ont été vaincues, ou n'ont plus arrêté quand
le but a été presque atteint. Aujourd'hui les muni-
cipalités, désireuses de marcher à l'avant-garde du
progrès, vont même jusqu'à faire de l'emploi d'un
moteur spécial l'objet d'une obligation pour les Com-
LES TRÂM^YAYS. 273
pagnies auxquelles elles concèdent l'établissement des
tramways.
C'est ce qui vient de se produire à Zurich, ville po-
puleuse et à rues étroites. C'est ce qui a lieu à Ge-
nève, où, aux jours de fête, on attèle jusqu'à trois
voitures derrière une petite locomotive. La traction
mécanique va être adoptée à Strasbourg, à Rouen, à
Cassel, et bientôt à Berlin.
D'ailleurs, lorsque les chaussées elles-mêmes des
villes ne suffiront plus à l'établissement des tramways,
lorsque le sous-sol ne permettra pas, à moins de trop
grandes difficultés, l'établissement de chemins sou-
terrains, comme ceux qui existent à Londres, on pro-
cédera comme on l'a fait à New-York et on fera un
chemin au-dessus de la chaussée. L'essai du Métro-
politan elevated railroad^ ou chemin de fer aérien
métropolitain établi dans cette ville, date du 1^'^ mai
1878. Une locomotive a été hissée sur la voie. On a
atteint une vitesse moyenne de 24 kilomètres à l'heure
dans les parties en ligne droite ; dans les courbes, cette
vitesse a été réduite à 9'^,500. L'ouverture à l'exploi-
tation a eu lieu au commencement de juin 1878, et,
depuis cette époque, les trains se succèdent à des
intervalles de o, 5 et 6 minutes, de six heures du
matin à huit heures du soir. Plus tard, les trains cir-
culeront jusqu'à minuit et même au delà.
Comme on le voit, nous sommes en France moins
avancés qu'on ne l'est en Amérique !
18
CHAPITRE VIII
LES VOITURES A VAPEUR
A. — Les voitures à vapeur avant l'époque actuelle. — Opinion
des ineénieurs sur la locomotive routière.
Nous avons tu, au commencement du chapitre pré-
cédent, que l'honneur des premiers essais tentés pour
remorquer un véhicule sur une route ordinaire à l'aide
de la vapeur, revient à Tofficier français Cugnot. Ces
essais datent de 1765. Nous avons rapidement décrit
sa machine et fait connaître ses nombreuses imperfec-
tions. !1 était impossible, en effet, de construire, à
cette époque, une machine ne laissant rien à désirer.
En supposant que l'inventeur ait eu cette puissance
créatrice supérieure, qui sait triompher des plus
grands obstacles, il n'aurait pas possédé l'art de tra-
vailler les métaux, de les forger, de les tourner, de
les limer, de les approprier par des manipulations
diverses aux usages auxquels ils sont destinés, ce que
la pratique seule peut donner. Cugnot ne pouvait donc
construire qu'une voiture imparfaite.
LES VOITURES A VAPEUR. '275
Trente ans se sont écoulés, et c'est seulement en
1 801 que Trewithick et Vivian ont repris la question
de la locomotion sur les routes.
La voiture pour l'invention de laquelle ces con-
structeurs ont pris un brevet, était un tricycle comme
celle de Cugnot. Entre les roues de derrière, de
grand diamètre, se trouvait le foyer entouré d'eau
de tous côtés. La vapeur agissait dans îin long cylin-
dre, dont le piston mettait en mouvement un système
de bielles, de manivelles et de roues dentées, reliées,
à l'essieu d'arrière. Un volant, monté sur l'arbre de la
première roue dentée, aidait à surmonter les obstacles
du chemin; un frein, appuyé contre la jante de ce
volant, servait à ralentir la marche du véhicule aux
descentes rapides.
La roue d'avant était montée sur une fourche à
laquelle s'attachait un levier faisant fonction de gou-
vernail.
La caisse, destinée à contenir des voyageurs, était
placée entre les deux roues d'arrière, au-dessus du
mécanisme.
Mais cette voiture n'était appelée, comme celle de
Cugnot, qu'à marquer une nouvelle étape dans la voie
qui devait conduire à l'invention des locomotives. On
ne put en tirer parti ; il fallut l'abandonner. Les con-
structeurs trouvèrent plus commode de triompher des
difficultés du problème en les négligeant et de sur-
monter les aspérités des routes en plaçant leurs
nouveaux véhicules sur une voie ferrée, unie et ré-
sistante.
276 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
On alla presque jusqu'à déclarer le problème im-
possible, et c'est avec un étonnement toujours nou-
veau que nous relisons ces lignes par lesquelles
M. Perdonnct, qui a si puissamment aidé aux progrès
des voies ferrées, termine son Traité des Chemins de
fer:
« Il faudrait, pour qu'on pût se servir avec quelque
avantage des locomotives sur les routes ordinaires :
1° que le tracé en remplît à peu près les mêmes con-
ditions que celui des chemins de fer, ce qui en ren-
drait l'établissement excessivement coûteux ; '2"* qu'on
les maintînt dans un état d'entretien tel, que la sur-
face en restât presque aussi unie que celle d'un che-
min de fer, ce qui serait aussi fort dispendieux, si ce
n'était absolument impossible.
« Aussi a-t-on définitivement, en Angleterre comme
en France, abandonné les essais tentés dans le but
d'employer les locomotives sur les routes ordinaires. »
Il est incontestable que si les locomotives routières
ne pouvaient exister qu'aux conditions posées par^
M. Perdonnet, on ne devrait pas prétendre les voir
jamais autre chose qu'un objet de curiosité; mais rien
n'implique que le problème de la locomotion routière
ne puisse recevoir une autre solution que celui de la
locomotive sur voie ferrée, et nous croyons qu'il faut
bien se garder de poser des barrières aux conquêtes
du génie industriel : ce qui est impossible aujour-
d'hui peut être reconnu possible demain.
LES VOITURES A YAPEl'U. 277
B, — La question r(^priso. — Nouvelles recherches. — Les machines Lolz,
Aveling et Porter, Larmanjat, Fougères, BoHée et Le Cordier,
Il y a des problèmes qui s'imposent naturellement
et dont la solution, pour être tardive, ne demeure pas
moins assurée. Le réseau des grandes voies ferrées,
dites de premier ordre, est achevé en France et dans
les pays avancés du centre de l'Europe ; celui des che-
mins de second ordre est également terminé ou sur le
point de l'être ; enfin, on a mis la main d'une ma-
nière très-active à l'exécution des lignes du troisième
réseau. On connaît les facilités que la loi avait créées
pour la construction de ces nouvelles lignes, destinées
à répondre plus spécialement aux besoins intercom-
munaux du pays.
Les résultats n'ont pas répondu complètement à
l'espoir qu'elle avait fait concevoir ; mais il n'est pas
douteux que des dispositions nouvelles ne viennent
avant peu donner un nouvel essor au parachèvement
du réseau ferré, si impatiemment désiré.
Il reste encore à satisfaire aux besoins locaux, aux
besoins de l'agriculture et de l'industrie, aux par-
cours à petite distance ; il reste à utiliser, de la ma-
nière la plus profitable, un réseau de voies de com-
munication empierrées, que les voies ferrées ont rem-
placées sur certains points et qui sont appelées désor-
mais à devenir leurs auxiliaires.
Tel est le problème que les locomotives routières
doivent servir à résoudre.
Les transports ne s'opéreront jamais, on ne peut y
278 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
prétendre, à des prix aussi bas que ceux en vigueur sur
les chemins de fer, mais il est permis d'espérer des prix
inférieurs à ceux du roulage, attendu que si l'on dé-
couvrait un moteur nouveau applicable aux routes et
préférable aux locomotives, ce moteur serait immé-
diatement placé sur des rails et rendrait aux chemins
de fer la supériorité qui leur est propre. '
Au moment où l'on commençait les travaux de fon-
Fig. 02. — Locomotive routière Lotz remorqueuse.
dation du palais de l'Industrie, au Champ de Mars,
en novembre 1865, une machine routière sortit des
ateliers de MM. Lotz, constructeurs à Nantes, et vint à
Paris.
Yoici comment elle était construite :
La machine présentait trois parties distinctes : 1° la
chaudière avec son foyer et sa cheminée ; T le méca-
nisme moteur ; o" le train destiné à porter l'ensemble.
LES VOITURES A VAI'EUR. 279
1° La chaudière était tabulaire comme celle des
locomotives, le tirage était produit par le jet de vapeur
dans la cheminée.
2" Le mécanisme moteur se composait essentielle-
ment de deux cylindres placés à la partie supérieure
de la chaudière, comme dans les locomobiles, et agis-
sant sur un arbre transversal portant les excen-
triques de distribution, le volant et enfin un pignon
Fis. 05. — W.'i
ngon a voyageurs pour tram roulier
denté qui transmettait le mouvement à la roue de
droite au moyen d'une chaîne de Gall. Contrairement
à ce qui a lieu dans les locomotives, les roues étaient
mobiles sur les essieux, condition indispensable pour
que la machine puisse tourner. Une des roues pouvait
être rendue solidaire de son essieu au moyen d'un
mécanisme spécial.
5° A l'avant de la machine, sur la partie antérieure
du train qui forme la charpente de l'édifice locomo-
teur, se trouvait le gouvernail. 11 consistait en une
280 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
paire de petites roues (0'",50 environ de diamètre),
indépendantes sur un petit essieu relié au véhicule au
moyen d'une cheville ouvrière. L'ensemble de ces
deux roues était gouverné par un pilote à l'aide d'un
système de pignon et de vis sans fin, et servait à diri-
ger le véhicule.
Telle était la première machine routière de MM. Lotz.
Un wagon-omnibus à impériale s'attelait à la suite
Fig. 64. — "SVa;;on à iiiaich<inili<îL's pour tiMin loiitier.
et recevait les voyageurs. Nous avons assisté à un
voyage d'essai de cette locomotive.
Ce train, composé de la machine et de son wagon,
partit du pont de l'Aima et alla bravement franchir la
montée du Trocadéro, en rampe de 0'",04 environ par
mètre. Il se dirigea vers la gare de Passy, s'arrêta au
puits artésien de l'Arc de l'Étoile et redescendit par
l'avenue des Champs-Elysées. Là, quelques chevaux,
d'une nature trop nerveuse, s'effrayèrent au bruit de
la machine, mais le plus grand nombre accueillirent
en ami leur nouveau camarade, V Avenir.
LES VOITURES A VAPEUR. 281
Comme on le voit, il y a loin déjà de ce véhicule au
fardier de Cugnot et à la voiture de Trewithick et Vi-
vian. Si le temps écoulé n'a pas produit d'œuvre nou-
velle, il a du moins servi à la préparation des perfec-
tionnements qui vont suivre.
La machine V Avenir avait encore de nombreux dé-
fauts : elle était trop lourde, faisait trop de bruit,
projetait de petits débris de charbons incandescents,
tournait plus volontiers à gauche qu'à droite, etc.,
mais on ne pouvait plus dire que les locomotives rou-
tières étaient impossibles, et le gouvernement, con-
vaincu des services qu'elles pouvaient rendre, prenait,
le 20 avril 1866, un Arrêté concernant la circulation
des locomotives sur les routes ordinaires.
Les locomotives routières avaient à peine vu le jour,
qu'on reconnut la nécessité de créer des types, ainsi
qu'on a fait pour les locomotives. MM. Lotz ont con-
struit trois types de machines :
1° La locomotive routière remorqueuse ;
2" La locomotive routière mixte porteuse ;
5° La locomotive routière à voyageurs.
La première peut marcher à des vitesses variables
de 4 à 8 kilomètres, en charge, et de 8 à 12 kilomè-
tres, à vide. '
La seconde peut prendre les mêmes vitesses. Ses
dispositions ne diffèrent de celles de la précédente
qu'en ce qu'elle peut recevoir directement une charge
variable de 5,000 à 6,000 kilogrammes.
Enfin, la dernière est, à proprement parler, la voi-
ture à vapeur, et porteries voyageurs en même temps
282 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
que le moteur. Sa vitesse est variable, suivant les con-
ditions, de 10 à 20 kilomètres.
En trois ou quatre ans, MM. Lotz ont considérable-
ment modifié leur système primitif de locomotive rou-
tière. Ils ont remplacé la chaudière horizontale par
une chaudière verticale et les deux cylindres à vapeur
par un seul. Ils ont ainsi reporté la plus grande partie
de la charge sur les roues motrices et laissé au méca-
nicien une plate-forme étendue par laquelle il com-
munique aisément avec le pilote, ce qui, dans la
première machine, était presque impossible. Trois pi-
gnons, de diamètres variables, peuvent donner trois
vitesses différentes ; un volant régularise la marche
de la machine. Ces dispositions permettent de triom-
pher des inégalités du chemin et des obstacles acci-
dentels et de gravir les parties en rampe.
Indépendamment de la pompe et de l'appareil
Giffard, qui assurent l'alimentation, une pompe à eau
spéciale peut être mise en mouvement par le cylindre
moteur, la machine étant au repos, et servir à son
approvisionnement en un point quelconque de sa
route. Au départ ou à l'arrivée, la force de la machine
peut, de même, être appliquée à la manœuvre de
grues ou d'appareils de chargement, et, en cas de
chômage des transports, à la mise en mouvement d'un
atelier mécanique ou de machines agricoles.
Il est très-remarquable assurément qu'à peine la lo-
comotive routière construite, alors qu'elle ne satisfait
encore qu'incomplètement aux données du problème
qu'elle est appelée à résoudre, on cherche à en faire
IE6 VOITURES A VAPEUR.
283
un instrument aussi souple que le cheval, dont la force
se prête à des usages si divers. Le moyen est à coup
sûr excellent pour lutter contre les préjugés que ren-
contre toujours une machine nouvelle. Mais ne vau-
drait-il pas mieux chercher tout d'abord la locomotive
Fig. 65. — Locomotive routière à voyageurs.
routière parfaite, ce qui doit être le desideratum des
constructeurs, pour l'approprier ensuite aux exigences
nouvelles et spéciales auxquelles il conviendra de la
soumettre.
Nous ne nous arrêterons pas aux détails, et nous ne
dirons rien des roues, des freins, des leviers de sûreté
ou de reculement placés à l'arrière de la machine et
284 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
destinés à arrêter le mouvement de recul de celle-ci,
s'il venait à se produire par suite de la rupture d'un
de ses organes ou de la négligence de ceux qui la di-
rigent, alors qu'elle gravit une rampe.
Nous mentionnerons seulement la substitution qui
a été faite d'une roue unique directrice au système des
deux roues de la première locomotive. Cette roue est
plus solidement fixée au bâti de la machine, sa ma-
nœuvre est plus facile et les tournants ou les coudes
sont franchis aisément.
Telles sont les dispositions principales des machines
routières remorqueuses de MM. Lotz.
Disons ce qu'elles coûtent ; tandis que le prix des
premières varie de 11,000 à 19,000 francs, celui des
dernières n'est que de 4,000 à 5,000 francs.
La comparaison des frais de transport par locomotive
routière et par chevaux s'établit aisément. Voici les
chiffres fournis par MM. Lolz, en supposant un trans-
port journalier de 50 kilomètres par locomotive rou-
tière et de 50 kilomètres par chevaux (ce qu'il est
possible de faire sans relai).
MATÉRIEL DE TRACTION.
Une locomotive routière avec tous
ses accessoires 15,000 fr. »
Quatre voitures ou wagons , à
1200 fr. l'un 4,800 4,800 fr.
Installations diverses 500 »
Seize chevaux, à 700 fr. l'un. . . » 11,200
Seize harnais et accessoires. ... » 2,800
Total du prix du matériel. . . 20,500 fr. 18,800 fr.
LES VOITURES A VAPEUR. 285
Le prix de premier établissement de la locomotion
mécanique est plus élevé que celui de la locomotion
animale, mais l'économie ressort de la comparaison
des frais annuels : il faut nourrir les chevaux tous les
jours et à peu près aussi confortablement les jours de
repos que les jours de travail, tandis qu'il n'y a rien
à dépenser pour la locomotive lorsqu'elle est sous la
remise. Elle ne coûte donc que lorsqu'elle marche.
Voici les chiffres :
FRAIS ANNUELS.
25 p. 100 amorlissemont et entre-
lien du matériel 5,075 fr. 4,700 fr.
6 p. 100 intérêt du capital . . . 1,218 1,128
Un mécanicien à Tannée 1,800 »
Un conducteur et un chef de train
serre-frein 2,500 »
Nourriture de 16 chevaux, à
1000 fr. l'un » 10,000
Quatre charretiers à 1200 fr. l'un . » 4,800
Total des frais annuels. . . 10,593 fr. 26,628 fr.
Pour la traction à vapeur, il faut ajouter par jour de
marche :
500 kilogr. de charhon à 56 fr. . . 18 fr.
Huile, suif, coton, etc 5
Total 25 fr.
Les données qui précèdent conduisent aux chiffres
suivants :
28C
LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
NOMBRE DE JOLRS
DE SERVICE
PEMiANT l'a>.\ÉE.
A VAPEUR.
20 tounes, 50 kilomètres.
PAR CHEVAUX.
20 tonnes, ôOkiloni.
Par jour.
Pjf tonne
et par kiloni.
Par joor.
Par tonne
et parkilom.
150 jours, soit 3000 f.
250 jours, soit cOOOf.
70f,62-+-25f = 93f,62
i-2,ô7+-25 =65,57
Of,00-i
0,065
177f.52
106 ,51
0^,295
0 ,177
Il résulte de ce tableau que pour un service de 1 50
jours (o mois) seulement par an, et pour un transport
de 20 tonnes par jour, ce qui correspond- au charge-
ment de 2 à 5 de nos wagons de chemins de fer, le
prix de revient de la traction à vapeur est plus de trois
fois moindre que celui de la traction par chevaux.
Pour un travail de 250 jours, le prix est encore près
de trois fois moins élevé.
Les Anglais ne se sont pas laissés devancer par nous
dans la construction des locomotives routières ; l'usage
de ces machines est aujourd'hui beaucoup plus ré-
pandu en Angleterre qu'il ne l'est en France : le char-
bon, chez nos voisins, remplace les pâturages et le métal
se trouve à meilleur compte que les bêtes de traction.
MM. Aveling et Porter, de Rochester (Kent), se sont
spécialement occupés de la construction des machines
routières et des appareils de culture à vapeur.
Leur machine diffère notablement de celle de
MM. Lotz, et nous devons en donner la description. Ce
n'est plus un tricycle, mais une voiture à cinq roues.
La chaudière n'est plus verticale, elle est horizontale
et porte à la fois sur les roues motrices placées à Par-
LES VOITURES A VAPEUR. 287
rière et sur l'avant-train. Un double système d'engre-
nages lui permet de marcher à deux vitesses diffé-
rentes : 5 à 4 kilomètres à l'heure en charge et 5 à
6 kilomètres à l'heure à vide. Elle n'a qu'un seul cy-
lindre comme celle des constructeurs français, mais il
est horizontal et se trouve placé à l'avant de la chau-
dière. Les roues motrices ont r",974 de diamètre et
0'",457 de largeur de jante. On a ménagé sur ces der-
nières des trous pour y placer au besoin des chevilles-
crampons qui aident à passer sur les terrains mous.
Les mouvements de rotation des deux roues motrices
sont indépendants, ce qui facilite le passage des tour-
nants très-courts. Un frein puissant se trouve sous la
main du mécanicien et un pilote, ])lncé sur l'avant-
train formant tricycle, tient la tige directrice à l'aide
de laquelle il oriente le disque d'avant. Celui-ci ne
porte sur le sol que par son poids, et sa manœuvre est
à ce point facile qu'un enfant peut en être chargé.
D'après MM. Aveling et Porter, l'économie résultant
de l'emploi de leur machine est de près des deux tiers
de la dépense de la traction par chevaux, tout en
admettant 50 pour 100 par an, pour intérêt, amortis-
sement et entretien du matériel.
Nous venons de faire connaître sommairement deux
des principales locomotives routières, l'une franraiso,
l'autre anglaise, qui ont été l'objet des expériences les
plus sérieuses de la part des ingénieurs des deux pays
et qui ont fourni les meilleurs résultats. Un grand
nombre d'autres constructeurs ont exposé, en 1867 et
dans les concours de ces dernières années, des ma-
288 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIO>\
chines de leur fabrication, qui se rapprochent plus ou
moins de celles que nous avons décrites. Ce sont
M. Pilter, MM. Clayson, Shuttleworth et C'% M. Ran-
somes, M. Underhill et MM. Albaret et Calla. Nous ne
nous y arrétei'ons donc pas.
Mais nous ne devons pas passer sous silence la ma-
chine de M. Larmanjat, en raison des particularités
qu'elle présente et qui consistent essentiellement dans
un système de leviers, à l'aide duquel on peut faire
porter à volonté le véhicule sur les roues du premier
ou sur les roues du second essieu, de différents dia-
mètres. Les roues qui ne sont pas en prise à un mo-
ment donné fonctionnent comme volants. Il résulte de
cette ingénieuse disposition que lorsqu'on est en
palier, on utilise les roues de grand diamètre et on
marche à la vitesse de 16 à 18 kilomètres à l'heure.
Lorsqu'au contraire on gravit une rampe ou un pas-
sage difficile, on emploie les petites roues et on marche
avec une vitesse de 7 à 8 kilomètres seulement. Mais
cette disposition n'est applicable, on le conçoit, qu'à
uns machine de faible poids, remorquant, par consé-
quent, de faibles charges. On ne peut donc l'utiliser
que dans la construction des locomotives routières,
destinées au transport des voyageurs.
Un autre constructeur, M. Victor Feugères, a ima-
giné une locomotive routière, dite : moteur-porteur,
qui diffère essentiellement des précédentes par les
principes qui ont présidé à sa conception. D'après cet
inventeur, l'adhérence doit toujours être en rapport
avec la charge à remorquer, eu égard aux rampes à
LES VOITURES A VAPEUR. 289
franchir ; la vitesse de la machine doit être en raison
inverse de cette charge et le mouvement doit être
donné aux roues directrices de l'avant-train et non à
celles de l'arrière-lrain.
M. Feugères compose un avant-train suspendu sur
ressorts et porté sur deux roues motrices à action so-
lidaire, ou indépendantes à volonté, qui reçoivent le
mouvement de quatre cylindres, groupés deux à deux,
disposés à effet contraire et actionnant deux arbres
contigus, à mouvements indépendants. Selon la vitesse,
à laquelle on veut marcher, la transmission est directe,
ou s'opère au moyen d'une chaîne. Signalons enfin la
chaudière, qui est verticale et à système inexplosible,
avec retour de flamme et, comme détail intéressant,
les barres à crémaillères que le conducteur tient de son
siège et manie comme le cocher d'une voiture ordi-
naire, selon qu'il veut avancer, s'arrêter, reculer ou
tourner.
Celte machine est certainement l'une des plus inté-
ressantes de celles qui ont été produites pour résoudre
l'intéressant problème de la locomotion routière. Et si
elle ne triomphe pas de toutes les difficultés qu'il pré-
sente, elle met au jour des idées nouvelles, dont la
pratique ne peut manquer de tirer un parti avanta-
geux.
M. A.Bollée a présenté à l'Exposition de 1878 deux
machines : VObëissante (1875), grand break de pro-
menade à 14 places, et la Mancelle (1878), calèche à
0 banquettes pouvant porter, outre le mécanicien,
8 personnes, dont une sert de pilote,
19
200
LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Le mécanicien se lient à l'arrière et s'occupe de la
chaudière et donne ses soins à la machine. Le pilote,
placé à l'avant, a sous la main le gouvernail, un
robinet régulateur de vitesse, lo volant du frein, le
levier de changement de marche, les leviers de change-
ment de vitesse ou de débrayage aux arrêts pour l'ali-
mentation, enfin les clefs de purge des cylindres. Sous
i' i|,^ 00. — Calèche à viipeur BoUée,
les pieds, il a deux pédales qui commandent l'intro-
duction de la vapeur dans les cylindres de droite, ou
dans ceux de gauche, ou dans les 4 cylindres à la fois.
La chaudière est du système Field.
Chaque paire de cylindres, dans la première ma-
chine, actionne une des roues folles sur l'essieu. Des
chaînes de Gall servent à la transmission des mouve-
ments et un système d'engrenages à obtenir une aug-
LES VOITURES A VAPEUR. 291
mentation de vitesse aux dépens de la puissance, ou
inversement.
Les roues de devant sont directrices. Elles sont
montées sur deux petits essieux indépendants, et peu*
vent pivoter sur elles-mêmes comme la roue d'avant
d'un vélocipède. Les organes qui les commandent sont
construits de telle façon que la roue de gauche, — si
l'on veut aller à gauche, — devient plus oblique, par
rapport à Taxe longitudinal du véhicule, que la roue
de droite. Les positions prises simultanément par ces
deux roues sous la main du pilote sont telles, que les
petits essieux qui les portent, supposés prolongés,
\ont concourir en un même point de l'essieu d'ar-
rière, qui devient pour un instant le centre général
de rotation de tout le véhicule.
Grâce à la complète indépendance des quatre roues,
il n'y a ni ripage, ni torsion, ni patinage ; la ma-
nœuvre est facile et les mouvements parfaitement
souples, aussi bien dans la marche en avant que dans
la marche en arrière.
La dépense de la première machine est de 4'', 500
de charbon et de 20 litres d'eau par kilomètre.
La seconde machine est un perfectionnement de la
précédente. Sa consommation n'est que de '2 kilo-
grammes de charbon par kilomètre. Les roues d'ar-
rière sont actionnées, non plus par quatre pistons,
mais par un seul, dont la manivelle franchit le point
mort sous l'influence d'un petit volant et grâce à un
système d'engrenages coniques, produisant le mouve
ment différentiel dit de Pecqueur, chacune des roues
292 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
d'arrière, sans cesser d'être indépendante de l'autre,
reste motrice en courbe comme en ligne droite.
Tout le mécanisme, ainsi réduit à un très-petit vo-
lume, est renfermé dans une caisse en tôle, située à
l'avant de la voiture et soustrait à la poussière. Les
caisses et les chaînes du gouvernail de la première
voiture sont remplacées par des bielles.
M. Le Cordier cherche, en ce moment, à mettre à
profit les perfectionnements remarquables apportés
par M. Bollée dans la construction des machines rou-
tières, en organisant sur les chaussées ordinaires des
services pour le transport des voyageurs et des mar-
chandises.
Il est à souhaiter que ses tentatives soient couron-
nées de succès.
C. — L'avenir de la locomotion routière à vapeur. — Usages actuels
eu agriculture, en industrie.
Nous avons fait connaître sommairement les prin-
cipales machines routières aujourd'hui employées
et décrit rapidement les organes dont ces machines
se composent. Il nous reste à indiquer maintenant les
principaux usages auxquels elles ont été jusqu'ici ap-
pliquées et ceux auxquels elles conviennent le mieux,
puis à faire connaître les causes qui arrêtent, en ce
moment leur perfectionnement et s'opposent à leur
prompte adoption par l'industrie.
En général, les lourds transports à de longues dis-
tances sont ceux qui conviennent le mieux aux locomo-
tives routières. Aussi les a-t-on employées avec succès
LES VOITURES A VAPEUR. 293
au remorquage des bateaux sur les canaux. Des ma-
chines ont circulé ainsi le long des canaux qui réu-
nissent Saint-Omer et Caen à la mer et ont fait un
excellent service.
Les briqueteries, les sucreries, les papeteries et gé-
néralement les industries qui mettent en œuvre ou pro-
duisent une grande quantité de matières lourdes, ont
intérêt à se servir de ces machines, qu'elles utilisent
fréquemment, au départ ou à l'arrivée, pourle charge-
ment ou le déchargement des matières transportées . Les
mines, les houillères peuvent encore, dans certaines
circonstancesparliculières, uliliser ces précieux engins.
En Angleterre, en Irlande, les machines routières sont
employées avec avantage pour les travaux d'empierre-
ment de routes. La machme prend dans la carrière les
matériaux qu'elle va répandre aux points voulus et
dont elle règle ensuite la surface par son passage. Les
roues sont alors de larges cylindres compresseurs,
placés deux à l'avant, deux à l'arrière du véhicule et
suivant des frayées différentes.
Les locomotives routières ont été appliquées à l'en-
lèvement des vidanges. La môme force, qui enlève If^s
matières de la fosse et les fait monter dans les ton-
neaux, est employée à remorquer ceux-ci et à les con-
duire en rase campagne. La désinfection est même
rendue inutile par un procédé ingénieux de combus-
tion des gaz méphitiques. L'économie considérable et
les avantages de ce système contribueront, il faut
l'espérer, à en étendre l'usage.
Malheureusement, les vieilles habitudes ont de telles
294 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
racines qu'on ne peut les détruire qu'avec le temps
et à force de persévérance. Aussi, les transports agri-
coles s'exécuteront-ils pendant longtemps encore au
moyen des bêtes de trait. Dans ia ferme, en effet, on
doit le reconnaître, le matériel existe et on ne peut at-
teler une locomotive routière à une charrette, comme
Fig. 07. _ — Machine routière avec grue,
on fait d'un cheval, d'un àne ou d'un mulet que Ton
tient à l'écurie, pour lequel on a toujours un peu de
fourrage, et qui, en échange, donne un fumier pré-
cieux. Tout petit agriculteur a, au moins, l'un de ces
animaux à son service, mais une locomotive routière
ne peut convenir qu'à une grande exploitation, qui a
LES VOITURES A VAPEUR. 295
de vastes champs à labourer, d'importants transports,
des travaux de battage ou d'une autre nature à opé-
rer. Aussi, croyons-nous que la locomotive routière
ne viendra sérieusement en aide à la petite culture
que le jour où, dans les campagnes, circuleront des
entrepreneurs qui loueront leur matériel pour un
temps ou pour un travail déterminé, comme ils louent
Rouleaux compresseurs.
déjà des machines à battre, des pressoirs ou des appa-
reils de distillation portatifs durant le temps néces-
saire à chacune de ces opérations.
Ainsi donc, en admettant la locomotive routière
actuelle parfaite, nous voyons tous les obstacles qu'il
lui faudra vaincre pour l'emporter sur les moteurs ani-
més, utilisés en agriculture et en industrie. Et comme
296
LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
elle est loin de la perfection ! Que de difficultés en-
core à surmonter î Nous en ferons connaître quelques-
unes en raison de leur importance spéciale.
Les locomotives routières sont destinées à remplacer
le cheval et les autres bêtes de trait que nous con-
naissons, c'est-à-dire ^une grande variété d'animaux
appartenant à des races aux aptitudes diverses, capa-
Fig. 69. — Labourage à vapeur.
bles de prendre les uns une allure rapide en remor-
quant une charge légère, les autres une marche lente
en traînant une lourde charge, ceux-ci ne pouvant
marcher que sur une route en bon état, ceux-là ha-
bitués aux traverses et aux mauvais chemins, enfin
quelques-uns ne pouvant travailler que peu d'heures
par jour, d'autres capables, au contraire, de fournir
un travail prolongé. Et pour remplacer tous ces ani-
maux, que propose-t-on ? Le plus souvent, une seule
LES VOITURES A VAPEUR. 299
et même machine, munie parfois d'engrenages qui
permettent l'emploi de deux ou trois vitesses diffé-
rentes et de roues dont la jante a une largeur cons-
tante et peut être garnie de nervures destinées à faci-
liter la prise avec le sol. Quelques constructeurs
présentent différents types de machines. Tous com-
pliquent le problème en construisant une machine
capable de servir à d'autres usages qu'à la traction
proprement dite, et la mettent souvent par cela
même hors d'état de répondre d'une manière sa-
tisfaisante à la principale des fonctions qu'elle doit
remplir.
Simplifier, c'est résoudre. Que l'on considère, en
effet, les progrès accomplis dans la construction des
machines à vapeur, ou mieux encore, dans celle des
locomotives, et l'on reconnaît que c'est du jour où
l'on a créé des types de machines pour telle ou telle
nature de transport, sur une voie au profil plat ou ac-
cidenté, au tracé rectilicrne ou tourmenté, enfin sur
un programme simple et nettement défini, qu'on a
perfectionné les machines employées jusqu'alors. Et
combien le problème des locomotives routières est
plus difficile à résoudre que celui des locomotives des
des voies ferrées; quelle complication résulte de la
substitution de la route rugueuse et accidentée à la
voie unie des chemins de fer! Aussi, tandis que les
types de locomotives sont nombreux, doit-on consi-
dérer comme très-considérable le nombre des types
de locomotives routières à créer?
. D'où il suit que l'on ne doit attendre de perfection-
500 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
nements dans la construction de ces nouvelles ma-
chines que des compagnies assez puissantes pour
entreprendre ces essais multipliés et coûteux qui seuls
permettent d'arriver à un résultat sérieux.
Que des compagnies, comme les Messageries à va-
peur, poursuivent la création du type de locomotives
routières propres au transport des voyageurs ; que la
compagnie des Omnibus recherche le type tout parti-
culier de locomotive routière capable de s'accom-
moder à la circulation dans les grandes villes, que
des compagnies de transport encore à créer perfec-
tionnent le type de la locomotive routière à marchan-
dises, et, dans quelques années, la question sera
résolue ; mais il n'est pas possible que des industriels
risquent des ressources souvent très-limitées dans des
essais dont la durée est illimitée.
Voilà, croyons-nous, de quelle manière il faut es-
pérer voir des améliorations sérieuses se produire.
Passant de cette considération générale aux questions
de détail, qu'il nous soit permis d'appeler l'attention
sur certaines dispositions adoptées d'ordinaire par les
constructeurs et qui nous semblent défectueuses.
L'une des plus grandes difficultés de la construction
des locomotives routières consiste dans l'établisse-
ment des deux mécanismes directeur et propulseur.
Sur les locomotives des voies ferrées, ce dernier seul
existe, l'action des rails sur les boudins des roues rem-
plaçant le premier. Les moteurs animés, attelés à une
voiture, en dirigent la marche en même temps qu'ils
en produisent le mouvement. Il y a, de la part des
LES VOITURES A VAPEUR. 301
moteurs, simultanéité des deux actions directrice et
propulsive. Pourquoi le plus grand nombre des loco-
motives routières ne satisfait-il pas à cette condition
et comment prétend-on obtenir une action efficace d'un
système de roues si légèrement chargées que la main
du mécanicien seule suffît à le déplacer ? Pourquoi ne
pas chercher à commander ces deux roues du train
d'avant comme un cocher commande ses chevaux, en
leur imprimant à volonté des vitesses variables ; et
pourquoi ne pas faire des roues d'arrière, jusqu'ici
motrices, de simples roues porteuses, comme celles
des véhicules ordinaires? Nous posons une question,
et nous ne la résolvons pas, mais nous croyons qu'a-
vant d'abandonner un système généralement suivi, il
faut voir s'il ne satisfait pas mieux que toute concep-
tion nouvelle au problème qu'on s'est donné, sauf à y
renoncer définitivement si la pratique le démontre
inacceptable.
Un fait qui, a priori, ne frappe pas l'attention,
constitue cependant une des principales difficultés
du problème à résoudre : nous entendons parler de
la différence des nombres de tours effectués par les
quatre roues du véhicule, qui oblige à l'indépen-
dance complète des organes transmettant le mou-
vement et multiplie le nombre de ces organes.
Ces quatre roues, faisant des nombres de tours
différents, marchent avec des vitesses différentes,
qu'elles reçoivent, en général, d'organes animés des
mêmes vitesses, concourant tous à produire comme
résultat unique : la progression du véhicule suivant
502 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
une ligne qui varie à chaque instant avec les obstacles
rencontrés.
Que l'on ajoute à cette première difficulté toutes les
autres, moins graves à la yérité, de changement de vi-
tesse suivant le profil du chemin ou l'état de sa sur-
face, de maintien du niveau de l'eau dans la chaudière
sur une pente quelconque, d'alimentation de la ma-
chine, d'arrêt rapide de celle-ci et du train qu'elle
remorque, au moment de la rupture subite d'une des
pièces du mécanisme, de bruit produit par le tirage dû
au jet de vapeur, d'échappement des escarbilles par
la cheminée, et on se fera une idée des efforts que
doivent encore faire nos constructeurs pour perfec-
tionner la machine routière.
Et encore, quelle masse énorme à remuer pour faire
avancer un train relativement peu chargé ! Quelle
quantité de métal, de charbon et d'eau pour produire
l'effet nécessaire ! L'esprit admet avec peine que la
production de la puissance exige l'accumulation et
l'association de si grandes quantités de matières.
CHAPITRE IX
LES VELOCIPEDES
Insl ruinent raide
En 1er battu,
Qui dépossède
Le char tortu ;
Vélocipède,
lîail impromptu.
Fils d'Archiméde,
D'où nous viens-lu':
Ch. Monselet.
Nous ne pouvons terminer ce petit livre sans dire
quelques mots des véloces en général, qui ont été
l'objet d'un si grand engouement, pour lesquels on a
monté des ateliers considérables, engagé des sommes
folles, comme s'il s'agissait d'un véhicule capable de
modifier profondément, ou de remplacer l'un de ceux
dont nous nous servons depuis longtemps.
Un écrivain, qui s'appelle le Grand Jacques et dont
la plume célèbre les prouesses du vélocipède, écrit :
« Le vélocipède est un des signes du temps.
« Après le coche, la diligence ; — après la dili-
gence, le chemin de fer ; — après le chemin de fer,
le vélocipède.... »
304 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Si cette phrase n'était qu'un simple énoncé chrono-
logique, nous n'aurions rien à dire, mais elle vise plus
haut. Elle indique plus qu'un perfectionnement dans
l'art de la carrosserie, elle annonce un progrès dans
la science des moyens de transport.
Notre avis est qu'il ne faut pas attribuer à ces légers
^^?^s5>^^SÏ^
^'^^^"-^^'^^m-xli^^^m^^^-
Fig. 71. — Yélocipcde Michaux.
appareils une vertu si grande. On ne pourra nous con-
tester qu'un véhicule est d'autant plus parfait qu'il
réclame pour se mouvoir une arène ou une voie moins
parfaite. Or, la condition première d'emploi du vélo-
cipède et des véloccs, en général, est l'existence d'une
route bitumée ou macadamisée en bon état. Le pavé,
qui convient si bien aux voitures, cause une fatigue
LES VÉLOCIPÈDES. 305
insupportable aux velocemen par les cahots iitces-
sants qu'il produit. Les ornières rendent la marche
impossible. — Quelle est la cause de l'infériorité des
locomotives? C'est qu'on n'a réussi, jusqu'à présent,
à les employer avantageusement que dans les pays plats
ou peu accidentés. Quelle est la cause de l'infériorité
des locomotives routières? C'est, entre autres choses,
qu'elles exigent une voie solide et durcie pour se
mouvoir dans de bonnes conditions.
Nous avons commencé par faire le procès du véloci-
pède, disons maintenant ce qu'il a de bon.
Chacun sait qu'il est plus facile de rouler un fardeau
que de le porter sur ses épaules. L'homme est à lui-
même son propre fardeau. S'il marche, il se porte ;
s'il est monté sur un véloce, il se roule.
L'homme pèse, en moyenne, de 65 à 70 kilo-
grammes et marche avec une vitesse de linjSO par se-
conde. Il développe donc un travail de 100 kilogram-
mètres environ (nous avons dit précédemment le sens
de ce mot.) Si l'homme pouvait se rouler sans aucun
intermédiaire, l'effort de traction qu'il aurait à fournir
sur une route ordinaire, en bon état, serait le j^ de
son poids ou 2*'s'",14 à 2»^s",31, et le travail corres-
pondant, en admettant la même vitesse de l'^SO par
seconde, varierait de 3''s»s21 à 5*'°'",46.
Mais il faut tenir compte du travail absorbé par le
vélocipède lui-même. Nous l'évaluerons à 2 kilogram-
mètres, la vitesse étant de l'^'iSO, ou à 8 kilogram-
mètr€s, la vitesse étant de 6 mètres par seconde, vi-
tesse normale du vélocipède.
20
:06 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIOK.
Dans cette nouvelle hypothèse, le travail que doit dé-
velopper le voyageur pour son propre déplacement, la
vitesse étant quadruplée, devient 12'^8'^,84 àl5'^8'",84.
Ces chiffres ajoutés aux 8 kilogrammètres, travail
du vélocipède, donnent : lO'^s^'^Sé à 21>'S'",84.
Rapprochant ces chiffres du premier que nous avons
posé: 100 kilogrammètres, travail de l'homme en
marche, — nous voyons que le vélocipède bicycle a
pour effet de réduire le travail dans le rapport de 20
à 100 ow f/e 1 à 0, en quadruplant V effet produit^
c'est-à-dire la vitesse obtenue.
On admet dans tout ce qui précède un terrain
horizontal et en bon état. Si la route présente des
montées ou des accidents, l'avantage du vélocipède
disparaît promptement. Par contre, il est vrai, le
véhicule devient automoteur aux descentes et le voya-
geur se laisse entraîner sans fatigue.
Nous bornerons à ces quelques lignes la théorie du
vélocipède, ajoutant seulement que, lorsque du bi-
cycle on passe au tricycle, on perd en force dépensée
ce que l'on gagne en stabilité.
A quelle époque remonte l'invention du vélocipède ?
Nous n'irons pas, comme on l'a fait, fouiller les
monuments égyptiens ou passer en revue les fresques
des villes enfouies sous la lave, à la recherche des
trénies ailés ou des amours à cheval sur un bâton
monté sur des roues. Autant vaudrait parler de la
Fortune, qui, plus adroite que nos velocemen modernes,
a résolu depuis longtemps le problème tant cherché du
monocycle.
LES VÉLOCIPÈDES. 307
Il nous suffira de dire que le vélocipède est le per-
fectionnement du célérifère, construit pour la pre-
mière fois en 1818. Le célérifère consiste en un bloc
de bois de forme allongée, monté sur deux roues en
flèche, d'assez faible diamètre pour que le cavalier
puisse avoir ses pieds sur le sol. Celui-ci enfourche
sa monture de bois et, poussant à droite, poussant à
gauche, il s'avance à grandes enjambées ou à grands
tours de roue.
Le tricycle est beaucoup plus ancien que le véloci-
pède. Depuis bien des années, on voit des amateurs
de promenade, désireux défaire l'économie d'un che-
val, parcourir les abords des grandes villes sur ces
légers véhicules, formés essentiellement d'un essieu
doublement coudé, mis en mouvement par les pieds
ou par les mains, et d'une roue dont le plan, mobile
à volonté, forme l'avant-train. Ce n'est pas autre chose
que la voiture dont se servent les invalides ou les para-
508 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
lytiques et qu'ils actionnent à la main au moyen de
deux leviers.
On nous a raconté qu'un jour un de ces tricycles
fut apporté à la maison Michaux, moins connue alors
qu'elle ne l'était il y a quelques années, pour y être
réparé. Le fils de la maison joue avec l'appareil. Au
lieu de trois roues, il n'en met que deux, et il actionne
la roue d'avant avec les pieds. Il essaye, il se lance, il
tombe. Use lance encore, sa course devient plus sûre.
Chaque chute excite son courage. Le véhicule n'a plus
que deux roues. L'homme court sur cet appareil, qui
ne peut se tenir droit au repos, et le vélocipède est in-
venté. La maison Michaux se fonde, puis donne nais-
sance à la Compagnie parisienne. Des vélocipèdes se
fabriquent et s'expédient de tous côtés. Des machines
sont inventées pour les fabriquer plus promptement
et d'une manière plus parfaite. Aussi, ce qui existe
aujourd'hui de véloces suffira-t-il à tous les besoins
pour de longues années et cette industrie est-elle en
ce moment dans le marasme !
La vitesse que l'homme peut atteindre, monté sur
un vélocipède, est la cause de l'enthousiasme dont
on s'est pris pour ce nouveau moyen de transport.
Cette vitesse varie, on le comprend, avec la force du
veloceman, avec la nature et l'inclinaison de la voie
parcourue, et selon la plus ou moins bonne construc-
tion de l'appareil. Le club Bernois évalue à 10 kilo-
mètres la vitesse à l'heure des vélocemen sur les routes
qui entourent Berne. A Paris, sur les bonnes prome-
nades, dit le Vélocipède illustré^ la vitesse normale
LES VÉLOCIPÈDES. 509
est de 15 kilomètres. Dans une grande quantité de
courses et sur des pistes accidentées, les "vélocipé-
distes exercés parcourent 1 kilomètre en 2 minutes,
soit 50 kilomètres à l'heure. Et sur une piste asphaltée,
d'un niveau parfait, la vitesse peut atteindre 40 kilo-
mètres.
Ces derniers chiffres constituent, en réalité, des
exceptions. Car 50 kilomètres à l'heure pour un vélo-
cipède à roue motrice d'un mètre de diamètre repré-
sentent près de 10,000 tours de pédales : 5 tours en-
viron par seconde ! On conçoit qu'il faut un jarret doué
d'une vigueur exceptionnelle pour fournir pendant un
certain temps un semblable travail.
De longs voyages ont été entrepris sur des véloci-
pèdes. On cite, entre autres, celui de deux véloci-
pédistes qui ont accompli en six jours une course de
150 lieues: la distance de Paris à Bordeaux; ce qui
donne une vitesse moyenne de 25 lieues, ou 100 kilo-
mètres par jour.
On trouve encore dans les annales de la vélocipédie
qu'une course de 250 kilomètres a été faite en vingt
heures consécutives, y compris le temps du repos.
C'est 500 mètres par minute ou \'2^'\h à l'heure.
Citons encore le suivant :
Un jeune homme partit de Bordeaux le 15 juin, en
compagnie de trois amis ; il passa par Angoulême,
Poitiers, Tours, où il resta deux jours, et Orléans;
enfin il arriva à Paris le 21. Après une semaine dans
cette ville, il se dirigea seul sur Lille, d'où il repartit
le 14 juillet au matin. Il traversa successivement Bé-
510 LES MERVEILLES DE L.\ LOCOMOTION.
thune, Abbeville, Rouen, Alençon, Le Mans, La Flèche,
où il passa un jour chez ses amis; Angers, Saumur,
Niort, Saintes ; et enfin il rentra à Bordeaux le 20 au
soir, après avoir parcouru environ à son retour 900 ki-
lomètres en six jours, en moyenne 150 kilomètres par
jour.
Mais ces tours de force, si remarquables qu'ils
soient d'ailleurs, au double point de vue de la vitesse
obtenue et de la durée de la course, ne doivent être
considérés que comme des faits exceptionnels, dus à
des circonstances spéciales, et, en premier lieu, à l'ex-
cellence du véloceman.
Nous ne saurions trop le répéter : le véloce, d'une
manière générale, ne deviendra un véhicule réelle-
ment pratique que le jour où il n'exigera plus des
voies parfaites. Alors, le facteur rural s'en servira
pour faire ses tournées quotidiennes : plusieurs facteurs
s'en servent dès à présent d'une manière régulière ;
des percepteurs, des employés des contributions les
ont aussi adoptés; le maraîcher, la laitière, pour
porter, celui-ci ses légumes et celle-là son lait à la
ville. Le véloce pourra détrôner l'àne, ce cheval du
pauvre, car, si élevé que soit resté son prix d'achat,
sa nourriture préoccupera moins encore que les char-
dons, les ronces ou l'herbe vaine qui pousse dans les
fossés des chemins.
LES VÉLOCIPÈDES. 511
DES VARIÉTÉS DU VÉLOCE.
Il y n peu d'inventions aussi simples que celle du
vélocipède ; il y en a peu qui aient été l'objet déplus
de brevets pris dans un temps plus court.
Ce que l'on a inventé de soi-disant perfectionnnc-
ments qui ne sont, pour la plupart, que des complica-
tions inutiles, est inimaginable. Ces inventions ont trait
les unes à la forme générale du véloce, les autres à
telle ou telle de ses parties. On a cherché enfin à em-
ployer des moteurs autres que la force de l'homme :
le vent, la vapeur, l'électricité. Nous dirons rapide-
ment quelques mots des idées les plus curieuses qui se
sont produites.
Mille moyens ont été proposés, chaque constructeur
a le sien pour réunir les deux roues du bicycle et poser
sur la pièce qui les assemble la selle du cavalier. La
roue d'avant est généralement motrice, directrice et
porteuse. Certains vélocipèdes reçoivent, au contraire,
leur direction par l'arrière, tel est celui dont le dessin
est donné ci-dessous. Nous ne croyons pas que cette
solution soit avantageuse.
Les tricycles varient à l'infini, tantôt ils sont à une
place, tantôt à deux places, mus par les pieds ou par
les mains, ou par les pieds et les mains à la fois. De là
des variétés innombrables.
Nous ne parlerons pas des quatricycles, nous retom-
berions dans la voiture ordinaire.
Quant au monocycle, on est encore à le chercher.
312 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
Placer le véloceman au-dessus de la roue, nous doutons
que son équilibre soit bien stable. Le placer au centre,
il ne nous semble pas beaucoup plus solide : la roue se
trouve réduite à une jante assez facilement déforma-
ble, et la transmission de mouvement ne paraît pas
devoir être simple. On dit cependant que le problème
Vélocipède-raquette.
serait résolu. M. Jackson aurait fait un voyage de
Paris à Versailles ou à Saint-Cloud sur un monocycle
Dans ce cas, le véloceman, placé au milieu du cercle,
était porté par une circonférence concentrique à la
roue, et qui frotte sur des galets. C'est en incli-
nant le corps, à droite ou à gauche, qu'il dirigeait
l'appareil. Il n'y a là rien d'impossible, assurément,
LES VELOCIPEDES. 515
mais l'adresse de l'homme nous paraît merveil-
leuse.
Néanmoins, nous aimons la simplicité du monocycle
du Vélocipède illustré : la sphère !
Le mode d'actionnement, s'il ne donne pas toute
Fig. 74. — Monocycle-sphère.
satisfaction, est du moins tellement primitif, qu'il ne
le cède à aucun autre.
Le champ reste, d'ailleurs, ouvert aux inventeurs.
Les perfectionnements des différentes parties des
véloces ont été généralement plus heureux que ceux
qui ont porté sur l'ensemble.
Les manivelles, ou les pédivelles (comme on devrait
les nommer), ont été améliorées. Le frein, le gouver-
514 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
nail, la lanterne, les burettes de graissage, la selle, se
font aujourd'hui avec un soin et une perfection qui
seront difficilement dépassés.
La jante a été d'abord garnie d'un boudin plein,
rond ou rectangulaire , en caoutchouc , servant
à empêcher les chocs produits par les inégalités
et les aspérités du chemin. Aujourd'hui, ce boudin
est creux et contient un fil de fer dont les extrémités
sont réunies au moyen d'un écrou à deux pas con-
traires et serrant le caoutchouc contre la jante de
la roue.
Les inventeurs ont souvent cherché à simplifier
le moyen de transmission du moteur à l'appareil.
Ils ont proposé des pédales disposées de diverses
manières, dans le but de remplacer le mouvement
de rotation des pieds par un simple mouvement de
va-et-vient. Aucun de ces moyens n'a réussi. Tous
ont été trop compHqués et ont absorbé une telle
fraction de la force motrice qu'il n'y avait plus avan-
tage à les employer.
Les métaux de la meilleure fabrication et les plus lé-
gers ont été appliqués à la fabrication des vélocipèdes.
Le fer a, de bonne heure remplacé le bois, puis on
s'estservi de l'acier. Enfin, on a employé le bronze d'alu-
minium. Le but que tous les constructeurs se sont pro-
posé a été de fabriquer un appareil qui unisse la plus
grande légèreté à la plus grande solidité. On a succes-
sivement diminué les dimensions des différentes par-
ties du véhicule jusqu'au moment où elles sont deve-
nues si faibles qu'on a dû s'arrêter, dans la crainte de
LES VÉLOCIPÈDES. 315
ne pas les voir résister aux efforts auxquels elles peu-
vent être soumises.
L'un des changements les plus importants (on ne
saurait dire encore si c'est un perfectionnement) con-
siste dans la substitution des roues métalliques à ten-
Fig. 75. — Vélocipède à voile.
sion auxrouesen bois. Chaque rais se trouve tendu par
un écrou rattaché au moyeu et dont l'action se règle à
volonté. Les roues, entièrement métalliques, sont gar-
nies de caoutchouc coulé à chaud et \ulcanisé sur le
fer. Les roues en bois, qu'on ne peut introduire dans
olG LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
les chaudières à vulcaniser, sont cerclées de bandages
en caoutchouc ordinaire.
Emprunter à un agent, autre que le cavalier, la
force nécessaire à la mise en mouvement de l'appareil,
présentait un vif intérêt. Le problème était difficile.
On s'est donné libre carrière et on a proposé pour le
résoudre les moyens les plus excentriques.
La vapeur tout d'abord î Et comme le véloceman au-
rait du remplir ses poches de charbon, on a proposé de
remplacer ce combustible par le pétrole, d'un trans-
port plus facile. Nous avons vu à l'Exposition de 1878
un vélocipède et un tricycle à vapeur, dont la puissance,
au dire de l'inventeur, était de 4 à 6 kilogrammètres,
et qui pouvaient donner des vitesses de 5 à 6 lieues à
l'heure. L'emploi delà vapeur ne nous paraît pas plus
possible que celui de l'air comprimé ou de l'air
chaud. On n'installe pas aisément sur un de ces légers
appareils, tout le lourd attirail de cylindres, de bielles,
de générateurs, de pièces mécaniques qu'exige l'em-
ploi d'un de ces agents. Autant vaudrait charger un
canon sur des araignées.
Nous devons dire cependant qu'un vélocipède à
vapeur a fonctionné à Marseille : joujou curieux, mais
nullement pratique. C'est peut-être un de ceux dont
nous venons de parler, car les spécimen sont rares.
L'électricité, que les Américains ont appliquée à la
mise en mouvement des locomotives, deviendra-t-elle
quelque jour le moteur des véloces? On ne peut rien
aflîrmer, mais les résultats obtenus jusqu'à présent ne
font pas entrevoir cet événement comme prochain.
LES VÉLOCIPÈDES. 517
Un essai a été fait dans les ateliers de la Compagnie
parisienne. Le projet semblait promettre un bon résul-
tat ; mais l'appareil, construit à moitié, était déjà d'un
poids inadmissible. Il a fallu y renoncer.
Le vent reste le seul moteur facilement applicable au
vélocipède. Une voile légère peut être ajoutée à l'in-
strument, sans qu'il en résulte aucun inconvénient
pour le cavalier, lorsque le calme ou une direction
contraire le force à la laisser fermée. Le Vélocipède
illustré, que nous avons déjà cité plusieurs fois, rap-
porte qu'une vitesse de 25 kilomètres à l'heure a pu
être obtenue sans fatigue, à l'aide d'une voile, surun
terrain plat ; 3 kilomètres ont été parcourus sans que
les pieds touchent les pédales.
C'est là, croyons-nous, un auxiliaire précieux qui
pourra rendre, dans certains cas, d'utiles services.
Et l'homme désormais suivant les hirondelles,
PomTa dire aux oiseaux : Me voici, j'ai des ailes!
CHAPITRE X
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL
ET DANS DIVERS SENS
A. — Locomotion au-dessus du sol et a faible hauteur.
a. — Les cordes. — Les échelles. — Les escaliers. — Les ascenseurs.
Les échelles et les machines de sauvetage des incendies.
Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des moyens
employés par l'homme pour se mouvoir à la surface
de la terre, et nous n'avons rien dit de ceux qu'il
emploie pour s'élever au-dessus ou pour s'abaisser au-
dessous de sa surface. Tel va être le sujet de ce chapi-
tre, qui comprendra trois divisions.
Nous raconterons, dans un premier paragraphe, les
procédés employés pour atteindre aux plus hauts points
de la terre; puis, dans un second, les moyens en usage
pour pénétrer dans son sein, aux plus grandes profon-
deurs connues et pour en rapporter les matières pré-
cieuses qui y sont cachées.
Enfin, dans une troisième division, nous décrirons
le moyen de locomotion tantôt aérien, tantôt souter-
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 519
rain, tantôt sous-marin, employé dans quelques cas
particuliers au transport des menus objets et, en parti-
culier, au transport des dépèches.
Nos pères n'avaient que des moyens primitifs pour
s'élever au-dessus du sol. De leur temps, il est vrai,
les habitations n'avaient pas huit étages ! Les maisons
ressemblaient aux temples, et le grenier, qui régnait
au-dessus du rez-de-chaussée, n'était pas habité. L'é-
chelle était le seul moyen de communication. Elle
s'est conservée dans les campagnes, où le confortable
des escaliers est trop coûteux. Son invention remonte
aux temps les plus reculés. Elle servait dans l'antiquité,
non-seulement aux usages domestiques, mais encore à
la guerre pour franchir les remparts ennemis ou pour
gravir les passages difficiles. Les hommes des habita-
tions lacustres l'employaient pour monter de leurs ba-
teaux dans leurs demeures, comme certaines peuplades
sauvages l'emploient pour atteindre leurs cases con-
struites sur les arbres ou sur de hautes perches.
L'homme des bois a pour s'élever la liane qui pend
aux branches du cocotier, le pauvre des campagnes a
l'échelle; l'homme aisé, l'escalier aux marches en
pente douce ; le riche, l'ascenseur.
Nous ne parlons pas du plan incliné. A part quel-
ques cas particuliers, il n'est pas employé. Nous n'en
connaissons que deux exemples remarquables, celui
de la Giralda de Séville, maravilla octava ! et celui de
la Tour de la Trinité, à Copenhague. Une rampe douce,
pavée en briques, interrompue par vingt-huit paliers,
conduit jusqu'à la plate-forme de la vieille tour de
520 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
lluever, haute de 250 pieds au-dessus du Patio de los
Naranjos. Deux cavaliers, marchant de front, peuvent,
à cheval, arriver au sommet. Œuvre curieuse, admi-
rable, comme toute la cathédrale qui s'étend à ses
pieds, mais absolument dépourvue d'utilité.
L'église de la Trinité, à Copenhague, est flanquée
de cette tour célèbre, la Toui^ ronde ^ haute de 38
mètres et demi, que a servi d'observatoire. L'inté-
rieur est disposé en spirale, de manière à permet-
tre d'y monter en voiture, comme l'a fait Pierre le
Grand.
Les escaliers n'ont rien de remarquable, au point
de vue qui nous occupe, que leur grande hauteur. Les
plus hauts monuments sont donc pour nous les plus
intéressants. Au premier rang se place la cathédrale
de Rouen; dont la flèche a 150 mètres de hauteur,
puis vient le munster, la tour de la cathédrale de
Strasbourg. Ce monument a 142™,! 12 de hauteur (deux
mètres de moins que la plus haute pyramide d'Egypte) ,
et l'escalier, qui se termine à la base de la flèche,
compte 560 marches.
La flèche des Invalides a une hauteur de. 105 mètres.
Le sommet du Panthéon 79 —
La balustrade de la tour Notre-Dame . . 66 —
La colonne de la place Vendôme .... 45 —
L'ascenseur vient enfin prêter son aide aux boiteux
et aux paralytiques, aussi bien qu'aux gens riches. Les
ascenseurs sont d'espèces variées. Tout moyen de trac-
tion mécanique appliqué à une corde ou à une chaîne,
LOCO:,IOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. Ô21
portant un plateau guidé verticalement, donnera un
ascenseur. Que l'agent producteur du mouvement soit
la vapeur d'eau ou l'air dilaté, qu'il soit la pression de
l'eau ou toute autre force, ce sera toujours le même
ascenseur.
Les premiers appareils de ce genre, établis eu
Fig. 76. — Ascenseur méi-aniijue.
France, étaient mis en mouvement par des moteurs à
gaz. On connaît ces ingénieuses petites machines, in-
ventées par M. Lenoir, où la force est produite par la
dilatation d'un mélange d'air et de gaz d'éclairage
enflammé par une étincelle électrique. Le gaz circule
aujourd'hui dans toutes les grandes villes; il suffit
d'un hrauchenient et d'une pile de quelques éléments
21
522 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTIO'.
pour donner la vie à cette machine. En arrivant sur
le plateau de l'ascenseur, on pousse le bouton et l'on
s'élève. Yeut-on s'arrêter à un étage quelconque, on
tire une corde, le robinet se ferme et l'on quitte l'ap-
pareil. Yeut-on descendre, on s'abandonne à la pesan-
teur en modérant son action par l'usage d'un frein.
Toutes ces manœuvres ont l'inconvénient d'être
compliquées et de ne pouvoir être faites par qui con-
que, sans une instruction préalable. Le concierge de
la maison où est établi l'ascenseur ou mieux un méca-
nicien attitré, ainsi que cela a lieu dans les hôtels
importants, est chargé de la direction de l'appareil,
mais on comprend qu'une semblable sujétion équi-
vaut souvent à une impossibilité, et qu'une telle ma-
chine devient plutôt une charge et une gêne qu'un
auxiliaire avantageux.
L'exposition de 1867 a fait faire un pas notable aux
ascenseurs, et a vu surgir de nouveaux appareils, au-
trement pratiques que c^ux qui les avaient précédés.
M. Édoux en est l'inventeur. (Ju'on se fii^ure une Ion-
gue tige cylindrique de métal, de la hauteur d'une
juaison, et pouvant disparaître dans un cylindre qui
l'enveloppe et s'enfonce dans le sol. L'eau des conduites
urbaines est introduite en dessous de cette grande tige
cylindrique faisant piston, et sa pression détermine
l'ascension du plateau superposé et des personnes qui
y sont placées. Ce plateau, guidé dans ses mouvements,
e<t surmonté d'une cage portant les ascensionnistes et,
au besoin, garnie de sièges. Une corde passe dans
l'angle de la cage ; elle s'étend du haut en bas de la
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 523
tourelle parcourue par l'appareil. Il suffit de la tirer
de bas en haut ou de haut en bas, selon qu'on veut
monter ou descendre. Dans un cas, on ouvre le robi-
net d'accès de l'eau: dans l'autre, le robinet d'échap-
pement. La fermeture des deux robinets, amenée par
un état de tension convenable de la corde, détermine
l'arrêt.
Comme on le voit, cet appareil est d'une manœuvre
infiniment plus simple que celui que nous avons dé-
crit tout d'abord, mais son emploi ne laisse pas que
d'être encore assez coûteux. Paris possède aujourd'hui
un grand nombre de ces appareils.
Deux ascenseurs ont été établis dans les tours du
Trocadéro, à l'occasion de l'Exposition de 1878, l'un
par M. Édoux,. l'autre par. MM. Bon et Lustrement.
La hauteur parcourue est de 70 mètres, la plate-forme,
esta 120 mètres au-dessus du niveau de la Seine, soit
à 1 40 mètres environ au-dessus de niveau de la mer. Il
est remarquable d'avoir pu construire une tige parfai-
tement verticale et cylindrique d'une pareille longueur.
La cage est guidée par 4 colonnes et son poids, ainsi
que celui du piston, sont constamment équilibrés par
des chaînes formant conlre-poids; de sorte que l'effort
à vaincre est seulement celui que nécessitent les voya-
geurs qui opèrent cette ascension. Et ils sont nom-
breux : On en a compté 100 000 à l'ascenseur Edoux
pendant le mois d'août!
Indépendamment de ces ascenseurs, deux escaliers
de 400 marches permettent l'ascension des tours.
Il y a loin de ces moyens d'ascension perfectionnés
5'24 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
à la corde à nœuds du badigeonneur, à l'échelle de
corde du ravaleur, du marin ou du pompier. Chacun
de CCS engins suffit à la tâche qu'il sert à accomplir,
et sa simplicité fait son plus grand mérite. Et puisque
nous parlons du pompier, disons un mot des instru-
ments de sauvetage qui servent à fuir le haut des ha-
bitations dont l'escalier est devenu inaccessible.
C'est à l'aide d'une simple petite échelle brisée en
deux segments, de 2 mètres chacun, et dont les mon-
tants se terminent en forme de grands crochets, capa-
Fig. 77. — Échelles de pompier.
bles (l'embrasser l'épais.-^eur d'un appui de fenêtre,
que les pompiers montent d'étage en étage jusqu'au
sommet des habitations. Mais souvent les murs eux-
mêmes ne peuvent fournir un appui : la base brûle et
il faut arriver au quatrième, au cinquième étage ou
au comble. On fait usage alors d'appareils mobiles que
l'on dresse aussi près que possible des lieux à atteindre,
et au sommet desquels on peut rapidement monter.
Ces appareils sont de différentes sortes. Nous don-
• nerons une idée de leur construction.
On connaît ces croisillons en bois, figurant une
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SUL. 525
série de losanges juxtaposés, dont les articulations sont
formées par de petites chevilles sur lesquelles les en-
fants fixent des soldais. Selon qu'on rapproche ou
qu'on éloigne deux sommets opposés de l'un des lo-
sanges, on allonge ou l'on raccourcit le petit appareil,
et l'on groupe ou l'on fait marcher en avant le corps
d'armée qu'il supporte.
Il en est de même de l'échelle à incendie de Jan-
deau. Deux systèmes de losanges, dont les plans sont
disposés à angle droit pour donner à l'ensemhle la ri-
gidité voulue, sont portés sur un chariot. Les losanges,
formés de pièces de charpente articulées, sont refermés
sur eux-mêmes. Ils s'entr'ouvrent et leur squelette s'é-
lève vers la maison embrasée, lorsque les extrémités
des deux branches inférieures sont rapprochées l'une
de l'autre. Une plate-forme et une cage, disposées à la
partie supérieure, reçoivent les incendiés.
Un autre appareil, qui nous semble beaucoup plus
pratique, consiste en une série d'anneaux de char-
pente, entrés les uns dans les autres comme les an-
neaux d'un télescope, et dont la succession forme une
haute tourelle qui peut atteindre jusqu'au sommet des
habitations. Une cage, devant laquelle s'abaisse un
petit pont-levis, donne accès aux incendiés, qui sont
ensuite descendus à terre. Telle est l'échelle à incen-
die, inventée par Kermarec, maître de la compagnie
des pompiers de la marine, au port de Brest.
Ce sont là les moyens lents de descente, mais il en
est de rapides et de beaucoup plus simples dont l'em-
ploi, quand il est possible, est assurément préférable.
526 LES MERVEILLES DE L.\ LOCOMOTION
Un long boyau en fort treillis de toile, attaché au bal-
con d'une fenêtre, descend sur le sol en s'infléchissanl.
Les gens et les choses y sont successivement engagés
et descendent à l'extrémité inférieure, convenable-
ment soutenus pour éviter tout choc dangereux. Tous
les objets précieux sont ainsi rapidement enlevés et
soustraits au fléau destructeur.
On a inventé récemment un petit appareil fort
simple, appelé descenseur à spirale destiné à per-
mettre la descente rapide des habitants d'une maison
incendiée. Cet appareil se compose d'une corde que
l'on altacbe au balcon d'une fenêtre ou au pied d'un
lit et qui pend le long du mur de la maison. Celte
corde s'enroule sur une gorge creusée en hélice à la
surface d'un petit cylindre en fer de 0'",10 à O'",!^
delongeur, dans laquelle elle est maintenue au moyen
d'une plaque métallique enveloppatitc. Un crochet est
placé à la partie iiiférieure de ce petit appareil. Les ob-
jets à descendre y sont attachés; les personnes y sont
suspendues au moyen de bretelles en lisières; aban-
données à elles-mêmes, elles descendent lentement,
grâce au frottement qui s'excerce entre la corde et le
cylindre qui la porte.
Après unepremière descente, l'appareil estremonté,
retourné et piêt à servir à un second sauvetage.
Ce petit aj)pareil serait très-répandu si nous étions
plus accontumés que nous ne le sommes généralement
aux exercices <Mmnastiuucs.
Fig-. 78. — Les échelles, le boyau de toile des incendie;
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. ."29
b. — Les chèvres et les grues à bras, à manège, à vapeur, à eau (système
Armstrong) . — Les tourelles. — Les monle-charges à vapeur, hydrauliques .
— La toile sans lin. — La chaîne à godets. — La vis d'Archimède. — Le
tii) hydraulique et à contre-poids. — Le dro}}.
Il faudrait un énorme volume pour décrire les prin-
cipaux systèmes employés pour élever, non plus
l'homme, dont le transport impose des^conditions spé-
ciales, mais les fardeaux de toutes sortes. Aussi n'a-
vons-nous pas la prétention de les faire connaître tous
dans les quelques pages qui vont suivre. Nous dirons
seulement quelques mots des appareils les plus remar-
quables.
Le poids, le volume, la nature, le nombre des far-
deaux qu'on peut avoir à soulever varient à l'infini. La
hauteur à laquelle on doit monter ou descendre est
aussi très-variable. Il en est de même de la distance
horizontale à laquelle le transport doit avoir lieu et de
la vitesse avec laquelle les mouvements doivent s'ac-
complir. C'est donc un problème très-complexe et in-
finiment varié que celui de la construction de ces ap-
pareils locomoteurs.
Les chèvres et les grues sont des assemblages de
pièces de charpente, ou de métal, quelquefois de bois
et de métal en même temps, tantôt fixes, tantôt mo-
biles, tantôt roulant, à portée constante, à portée va-
riable, à une, à deux ou à plusieurs vitesses et mus
par l'homme, par les animaux, par la vapeur ou par
l'eau.
Les grues sont les bras de l'industrie. Si ces appa-
550
LES MERVEILLES DE ]A LOCOMOTION.
reils venaient à manquer, on verrait en même temps
tous les chantiers, tous les ateliers s'arrêter. Les ports
se fermeraient, car les bateaux pleins conserveraient
leurs chargements et les bateaux vicies n'en pourraient
recevoir de nouveaux; les gares de chemins de fer ne
pourraient livrer les marchandises arrivées, et n'en
pourraient expédier de nouvelles; les chantiers de
construction, les ateliers où se forgent ces énormes
pièces de machines qui excitent à un si haut point l'ad-
.:^^^^55^^^-N^;\\^x;. . . .. ........... .V. . . . .
Fig. 79. — Grue roulante, à double volée.
miration, devraient suspendre lenrs travaux. Tout
s'arrêterait, les bras disparaissant.
C'est tantôt la vapeur et tantôt l'eau qui les anime.
Dans les grandes machines, des batteries de chau-
dières, monstres de métal allonges sur la flamme, pro-
duisent la vapeur qu'un ensemble de canaux distribue
à tous les appareils, prêts à marcher à chaque instant.
Dans les ports importants, dans les docks, indépen-
damment des grues qui poitent elles-mêmes leur ma-
l'iii'. NO. — Grue roulaïUe.
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 555
chines à vapeur, il existe souvent une circulation d'eau
à haute pression qui alimente toutes les grues em-
ployées au chargement et au déchargement des navi-
res. M. Armstrong est l'inventeur de cet ingénieux
système.
Dans Victoria-dock, MM. William Cory et C% mar-
chands de charbons à Londres, ont fait une installa-
tion de six grues au-dessus du niveau du quai. La tra-
vail de décliargement des charbons amenés par les
navires se continue jour et nuit ; la cale du steamer
est éclairée au moyen du gaz que des tubes flexibles
en caoutchouc conduisent dans toutes les directions.
En douze heures, une grue décharge 500 tonnes,
c'est-à-dire le contenu de cinquante wagons, à Taide
de 7ieuf hommes, dont six occupés au remplissage
des bennes et trois à la manœuvre de la grue et à
celle des wagons. Aussi le prix de revient, par tonne
débarquée, n'est-il que de 0',1'27.
Dans certaines gares de chemins de fer, à Paris,
par exemple, aux deux gares de l'Ouest, et dans les
usines métallurgiques, à côlé des hauts-fourneaux, on
trouve des appareils appelés monte -charges et qui
sont destinés à monter les bagages à la hauteur des
voies, ou les matières premières : charbon, minerai,
castine, au niveau du gueulard^ du haut-fourneau.
Le monte-charge de la gare Montparnasse a été éta-
bli par M. Baude. Les wagonnets chargés de bagages
sont amenés sur un grand plateau, qui est élevé par
* C'est ainsi qu'on appelle lonlice supérieur de ces grands appaieils.
354 LES :.IERVEILLES DE LÀ LOCOMOTION.
une chaîne s'enroiilant sur une poulie à gorge héliçoi-
dale. Tandis qu'un plateau monte les bagages au ni-
veau du quai du départ, un autre descend à la salle
des bagages un wagonnet qui doit recevoir un nou-
veau chargement. Chacun des plateaux est équilibré
par un contre-poids en fonte relié au piston d'un cy-
lindre dans lequel on introduit Teau de la ville. L'ar-
rivée du liquide, en détruisant l'équilibre, détermine
le mouvement de l'appareil.
Le monte-charge de la gare Saint-Lazare, établi par
M.Flachat, fonctionne d'une manière différente. Dans
un cylindre se meut un piston à double tige. Selon
que l'eau est introduite sur l'une ou sur l'autre des
faces du piston, le mouvement a lieu dans un sens ou
en sens contraire. Il en est de même des deux plateaux
qui sont attachés à chaque extrémité.
Les monte-charges hydrauliques établis pour le
montage des matériaux des maisons en construction,
à Paris, sont plus simples que les précédents. Les
deux plateaux du monte-charge sont des caisses en tùle
qui se font équilibre. Quand on veut élever les maté-
riaux placés sur l'un des plateaux, on remplit l'autre
de l'eau prise aux conduites de la ville. La descente de
ce plateau, devenu plus lourd, détermine Tascension
de l'autre. C'est une véritable balance hydraulique.
Dans les usines métallurgiques où Teau est abon-
dante, on l'utilise pour faire mouvoir les monte-char-
ges. Dans les établissements où elle est rare, on a re-
cours à la vapeur. Voici comment on procède : on re-
cueille, au gueulard du haut-fourneau, les gaz prove-
LOCOMOTIOiN AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. ô5o
nant des actions chimiques qui s'y produisent et
qu'on laissait perdre autrefois, et on les dirige vers
des générateurs de vapeur. Cette vapeur à son tour,
est conduite à de puissantes machines qui mettent à
la fois en mouvement les souffleries et les monte-char-
ges.
A Pont-â-Mousson, on a réuni dans un même bâti-
ment (le 18 mètres de hauteur, l'escalier qui sert à la
montée et à la descente des ouvriers, les deux tou-
relles pour le montage des wagonnets de houille et de
minerai, et enfin un monte-charge à plateaux.
Ce dernier appareil est semblable, aux dimensions
près, à celui qu'on emploie dans les briqueteries pour
monter les briques et les poteries fraîches dans les
séchoirs disposés au-dessus des fours. Il est semblabi
aussi à ces appareils qui servent, dans les raffineries,
au transport des pains de sucre. Deux chaînes sans fin,
disposées dans des plans parallèles, ont leurs chaînons
réunis deux à deux par des tiges transversales qui font
articulation et auxquelles on accroche, par des moyens
divers, les objets à transporter ou les caisses destinées
à les recevoir. Les chaînes s'enroulent sur des tam-
bours auxquels on donne un mouvement de rotation
au moyen d'une machine quelconque.
S'il s'agit d'une drague, c'est une puissante ma-
chine à vapeur ; s'il s'agit simplement d'un monte-
plats, c'est un contre-poids ou même une hélice en
tôle placée dans la cheminée de la cuisine et que l'é-
chappement des produits de la combustion anime
d'un mouvement rapide ; s'il s'agit dune noria, c e^t
Ô50 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
un cheval, un bœuf ou un âne : selon les applications,
le moteur varie.
Un moyen de transport fréquemment employé dans
la construction des machines et pour le transport des
matières premières ou des produits entre deux étages
d'une usine, est la vis d'Archimèdc : une hélice enfer-
mée dans un cylindre et qui reçoit un mouvement de
rotation. C'est au moyen d'appareils de ce genre qu'on
opère le transport des grains dans les silos et celui du
tabac dans les manufEictures.
Nous avons déjà parlé des grues hydrauliques em-
ployées à l'embarquement des charbons dans les ports
anglais. Ce ne sont pas les seuls appareils en usage.
Il n'était certainement pas facile défaire passer, du
^vagon dans le fond de la cale des bâtiments, le cliar-
bon qui, sans être une matière précieuse, perd nota-
blement de sa valeur lorsqu'il se divise, ce qui arrive
à chacune des manipulations qu'on lui fait subir.
On a imaginé des appareils appelés drops, à l'aide
desquels le charbon est pris dans le wagon et descen-
du jusqu'au fond du bâtiment, Qu'on se figure une
longue bigue ou flèche en bois, articulée à sa base et
portant une poulie à sa partie supérieure. C'est le bras
qui prend sur le wagon la caisse pleine de charbon,
la soulève, l'abaisse et la descend au fond du navire.
A son arrivée dans la cale, deux volets à charnières,
qui forment le fond de la caisse, s'entr'ouvrent et
laissent tomber son contenu. On réduit ainsi la hau-
teur de chute à son mininmm et on évite les déchets
autant qu'il est possible.
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 057
A côté des drops, s'élèvent souvent d'autres ma-
chines appelées Hps^ et qui servent aussi à l'embar-
quement des charbons. Le travail de ces machines est
encore plus rapide que celui des drops. Un wagon ar-
rive sur la plate-forme du tip, il est soulevé, puis ren-
versé, et le charbon glisse par l'extrémité ou par le
fond du wagon dans un long couloir qui s'avance au-
dessus du navire. Le Avagon reprend sa position hori-
zonta-le, redescend et s'en va. Un autre le remplace,
et toutes ces manœuvres s'opèrent avec une vitesse de
1000 tonnes en douze heures, soit plus de 85 tonnes
à l'heure et au prix surprenant de 0*,0'2d par tonne.
Tous ces mouvements s'exécutent au moyen de ces
moteurs hydrauliques dont nous avons parlé précédem-
ment. Pour faire avancer les wagons sur les voies de
garage, on ouvre un robinet : un cabestan se met à
tourner et tire la chaîne fixée au crochet d'attelage
du wagon. L'eau comprimée distribue la vie à tous
les appareils et toutes les manœuvres s'opèrent sans
bruit, sans déploiement apparent de force et comme
par enchantement.
B, — Locomotion au-dessous du sol et a toute profondeur.
a. — Les sentiers. — Les échelles. — La corde. — Le panier. — La benne.
— La Caisse. — Les Fahrkunst.
Lorsque la tarière ou le trépan sont descendus aux
profondeurs où l'on trouve les métaux et la houille,
après avoir creusé pendant des mois ou des années, il
22
558 LES .MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
reste à organiser l'extraction des produits de la mine
et tout d'abord le transport des ouvriers.
Si l'exploitation est peu profonde et à flanc de co-
teau, c'est par des sentiers, en pentes plus ou moins
rapides, ou par des échelles que \ont et viennent les
ouvriers. Mais dès que l'exploitation atteint une cer-
taine profondeur, et lorsqu'aucune galerie horizon-
tale ou peu inclinée n'aboutit aujour, il faut avoir re-
cours aux moyens d'ascension verticale les plus sim-
ples, les plus sûrs et les plus prompts à la fois.
Que l'on suppose, en effet, un puits de 400 mètres
de profondeur, et 500 ouvriers nécessaires à l'exploi-
tation. A la vitesse de 5 mètres par seconde, il faudra
2 minutes pour le trajet et, en comptant le temps né-
cessaire au départ et à l'arrivée pour monter et des-
cendre, 2 minutes et demie, ce qui permet 20 voyages
par lieure. Il faudra donc une heure et demie pour
descendre les 500 ouvriers au fond du puits, en admet-
tant qu'on en descende 10 à la fois. Et si, comme le
fait remarquer M. Burat, la machine d'extraction mar-
che 1 1 heures par jour, il ne restera que 8 heures
pour l'extraction des produits de la mine.
On organise donc à l'orifice des puits de puissantes
machines à vapeur qui mettent en mouvement de
grandes bobines sur lesquelles s'enroule la corde, la
chaîne ou le câble d'extraction. On a des cables plats,
formés de câbles ronds juxtaposés, et qui pèsent de 4
à 7 kilogrammes le mètre couiant. Un câble de 500
mètres pèse environ 5500 kilogrammes, bien qu'il ne
doive pas enlever de chargp supérieure à 5000 kilo-
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 559
grammes. Et comms le câble doit être d'autant plus
résistant qu'il est plus rapproché de l'orifice, on le
fait parfois de forme conique, de sorte qu'il devient
plus mince et plus léger à sa partie inférieure. On peut,
avec de tels câbles, atteindre des profondeurs de 700
mètres.
C'est tantôt le fil de fer, tantôt le chanvre, tantôt le
fer et le chanvre associés, qui servent à leur fabrication.
Enfin, on s'est servi de fer feuillard dans une mine de
Belgique. On désigne sous ce nom ce fer en mince ru-
ban, semblable à celui dont on cercle les tonneaux.
A l'extrémilé du câble on attache le panier, la benne
ou la caisse qui doit recevoir les mineurs, et, comme
il faut prévoir le cas de la rupture de ce câble, on in-
terpose ce qu'on appelle un parachute^ ingénieux ap-
pareil dont l'action inslantanée immobilise la benne
dans le puits, en produisant l'enfoncement dans ses
parois ou dans les guides de puissantes grilles de fer
aciérées.
Que d'accidents et que de morts ont déjà été évités
parées parachutes ! Nous n'en citerons qu'un, qui mon-
tre tout le soin que réclament la construction et l'em-
ploi de ces appareils : « Le 20 juillet 1856, un câble
se rompit au puits du Magny, près Blanzy, la cage
étant un peu au-dessus de l'accrochage, en un point
où les guides en bois étaient doublés de tôle; l'appa-
reil ne put mordre sur" cette tôle et la cage tomba
avec une vitesse effrayante; mais, dès qu'elle arriva
sur un point où le bois des guides était à nu, l'appa-
reil agit et la cage s'arrêta après 5 mètres de cette ac-
540 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
tion et malgré le poids de 260 mètres de câble tombé
sm-la cage. Sm- cette hauteur de 5 mètres, l'épaisseur
du bois des guides a été réduite de moitié, sans qu'au-
cune pièce du parachute se soit faussée. »
Les câbles et les bennes sont les moyens le plus com-
munément adoptés pour le transport dans les puits de
mine. Cependant, on a imaginé une machine à monter,
appelée échelles mobiles ou fahrkunst, et qui sert aux
mouvements du personnel des mines. Qu'on se figure
deux échelles placées en regard l'une de l'autre et ani-
mées toutes deux d'un mouvement d'oscillation alter-
natif, de sorte que quand Tune monte, l'autre descend.
Supposons qu'un homme monté sur la première, l'a-
bandonne, alors qu'elle va descendre, pour passer sur
la seconde qui va monter. Il montera avec elle. Suppo-
sons encore qu'au moment où celle-ci s'arrête, il la
quitte pour repasser sur la première qui va maintenant
s'élever. Il montera avec cette seconde échelle et, con-
tinuant ainsi cette manœuvre, s'élevant tantôt avec
Tune tantôt avec l'autre, il arrivera à la surface. Des
ouvriers peuvent ainsi se placer sur toute la hauteur
des échelles et monter d'une manière continue.
Les premiers fahrkunst datent de 1855. Ils se com-
posaient de pièces de bois équilibrées, suspendues à
des balanciers et portant de petits marchepieds. Puis,
on fit des échelles en fil de fer au moyen de câbles
dont le diamètre allait en diminuant, à mesure qu'on
s'enfonçait. On est descendu ainsi jusqu'à 500 mètres
de profondeur.
M. Warocquéde Mariemont a construit un appareil
Fig. 81 _ Les échelles mobiles [fahrkumt].
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 543
qui se compose de deux longues tiges en bois, descen-
dant dans le puits et portant des paliers à balustrade,
de trois mètres en trois mètres. Des tiges métalliques
terminent ces échelles à leur partie supérieure et por-
tent chacune un piston mobile dans un cylindre dont
la longueur est égale â la course des échelles. Les mou-
vements des deux pistons sont rendus solidaires l'un
de l'autre au moyen d'un certain volume d'eau qui
passe d'un cylindre dans l'autre tantôt par le haut,
tanlôt par le bas. Il suffit tlonc d'imprimer un mouve-
ment de va-et-vient à l'un des deux pistons pour que
l'autre fasse les mêmes mouvements en sens contraire.
Le résultat est obtenu au moyen d'un cylindre à va-
peur placé au-dessus de Lun des cylindres à eau. Les
échelles font 12 à 14 oscillations par minute, et un
ouvrier remonte en 6 minutes les 212 mètres qui sé-
parent l'exploitation de l'orifice.
b. — La roue à chc^villos — La machine à molettes. — Chevalets et bobines.
— Chariot, bennes roulantes, berlines, wagonnets et wagons.
Tout le monde connaît la cage où tourne l'écureuil,
la roue à l'intérieur de laquelle se meut le chien de
l'aiguiseur ou du cloutier, pour tourner la meule ou
souffler !a forge. C'est au dedans d'une roue semblable
que tourne le carrier pour élever au jour les pierres
employées â la construction. La roue à chevilles est
très-fréquemment employée aux environs de Paris,
mais elle ne peut servir que pour une exploitation peu
importante et peu profonde.
Dès que l'extraction prend une certaine activité et
344 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
que les produits sont tirés d'une grande profondeur, la
force de Fliomme devient insuffisante ; il faut employer
celle des chevaux, de la vapeur ou des chutes d'eau.
Au lieu d'un simple treuil à axe horizontal, on éta-
blit une machine à moletles avec bobines ou tam-
bours (V enroulement.
Au-dessus du puits d'extraction, deux grandes pou-
lies de renvoi, appelées molettes^ portent les deux
brins du câble : l'un montant, l'autre descendant, et
les dirigent vers deux cônes tronqués rapprochés par
leur grande base, mobiles sur un axe vertical et qui
servent l'un à l'enroulement, l'autre au dévidage du
câble. Deux chevaux donnent le mouvement à cet arbre
et complètent la machine, qui a une entière ressem-
blance avec les manèges des maraîchers.
Les tambours dont nous venons déparier sont sou-
vent remplacés par des bobines. Ces bobines sont des
tambours de la largeur du càb!e et sur les(juels les
spires se superposent, au lieu de se juxtaposer, dispo-
sition essentiellement favorable à la régularité de l'ex-
traction.
Telles sont, en abrégé, les dispositions adoptées dans
les mines pour le montage des produits. Les véhicules
qui servent au transport varient presque à l'infini et
si, dans une môme localité, on trouve parfois des cha-
riots, des bennes, des berlines, des wagonnets ou des
wagons de la même forme, il est rare que cette res-
semblance ait lieu dans deux pays un peu éloignés.
Un grand nondjre de raisons motivent ces différences
et les justifient : en premier lieu, l'allure de la cou-
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 545
che- ou du gisement, sa direction, son épaisseur,
puis le mode d'exploitation adopté, la hauteur, la lar-
Fig. 82. — Roues à chevilles des carriers.
geur des galeries, etc.. L'ingénieur a le champ libre
pour le choix des moyens les meilleurs à employer.
546 LES MERVEILLES DE LA LOCOMOTION.
A Blanzy, on fait usage, pour le transport de la
houille, de chariots en bois de 14 hectolitres, se vi-
dant à l'avant par un panneau mobile sur charnière.
Dans les mêmes mines on se sert aussi de la benne rou-
lante ; c'est un tonneau avec un seul fond et monté sur
roues en fonte. A Anzin, on emploie le wagon en tôle
de M. Cabany, monté bas sur les rails et dont la caisse
¥ig. 83. — Pliin automoleur dans une mine.
évasée permet un bon chargement, eu égard au poids
mort; dans le pays de Liège, des berlines moins per-
fectionnées portant des crochets à leur partie supé-
rieure, à l'aide desquels on peut les superposer et les
accrocher les unes aux autres pour les élever au jour.
Lorsque cet accrochage immédiat des bennes entre
elles n'a pas lieu et que la machine est assez puis-
sante pour remonter plusieurs véhicules à la fois, on
réunit ceux-ci par deux ou par quatre dans une cage
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 347
en bois ou en métal, ayant deux ou quatre étages.
Pour empêcher les chocs contre les parois du puits,
les bennes ou les cages sont guidées par des câbles en
fil de fer ou par des longrines verticales en bois de
chêne, qu'elles embrassent au moyen de coulisses en
fer ou en fonte.
Outre les manèges et les machines à vapeur desti-
nés à la mise en mouvement des appareils d'extraction,
on emploie encore les moteurs hydrauliques et l'on
crée, dans certains cas, des chutes d'eau d'une grande
puissance, C'est ce qui a lieu dans le Hartz et dans la
Saxe. Qu'on suppose un cours d'eau amené près du
puits. A quelques mètres au-dessous de l'orifice, on
creuse une chambre, où l'on installe une première
roue ; quelques mètres plus bas, on en installe une se-
conde; plus bas encore, une troisième, et l'eau qui est
introduite passe successivement d'une roue à la sui-
vante et sert d'abord à l'extraction des produits, puis
à l'épuisement des eaux de la mine. Les eaux motrices
s'échappent par une galerie latérale et s'écoulent en-
suite dans la vallée. De la sorte, l'extraction a lieu dans
les conditions économiques les plus avantageuses.
Les moyens usités pour les transports dans les gale-
ries très-inclinées des mines sont les mêmes que ceux
qu'on emploie dans les puits verticaux : mais, toutes
les fois qu'on le peut, on s'arrange de manière à faire
descendre les wagons chargés pour n'avoir à remonter
que les wagons vides et l'on organise alors des plans
automoteurs, le wagonnet roulant directement sur les
rails, si l'inclinaison n'est pas trop forte, ou étant
548 LES MERVEILLES DE L.V LOCOMOTION.
porté sur un châssis roulant ou berceau, qui le main-
tient horizontal et empêche le chargement de se ré-
pandre.
LoCOMOirON SUIVANT UNE LIGNE HOIilZONT.M.E 01 INCLINÉE AL-DESSIS DL' SOL.
Chemin à la Palincr. — Chemins funiculaires.
Certaines circonstances ont conduit parfois à l'éta-
blissement de transports au-dessus du sol suivant une
ligne horizontale ou inclinée, par exemple : la mau-
vaise nature du sol sur lequel on aurait dû établir une
voie, des accidents de terrains trop prononcés, elc.
On a adopté, suivant les cas, différents systèmes, des
chemins de fer à un rail, appelés chemins à la Pal-
mer, du nom de leur inventeur et des chemins funi-
culaires^ où le rail est remplacé par un câble en fd de
fer.
Le chemin à la Palmer se compose d'un rail porté
par une longrine qui repose elle-même sur des poteaux.
Une roue à gorge se meut sur le rail et porte à droite
et à gauche deux caisses entre lesquelles la charge
doit se répartir également. Nous ne pouvons mieux
donner une idée de la manière dont le véhicule repose
sur la voie qu'en comparant ces deux caisses aux deux
paniers du bât qu'on met sur le dos des bêtes de somme
et qui doivent être également chargés pour qu'il y ait
équilibre. Ce moyen de transport n'a été employé que
dans l'intérieur d'un petit nombre d'établissements in-
dustriels (chemin du bureau des navires à Deptfort,
près de Londres) ; transport de marchandises peu im-
LOCOMOTIOiN AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 549
portant (chemin des fonrs à chaux et de la briqueterie
de Cheshunt au canal de Lee), service de la brique-
terie de Posen ; mines de houille (à Rive-de-Gier) et
travaux de terrassements (fortifications de Paris au bois
de Boulogne) .
Les cadres en charpente des galeries de mines ont
permis de simplifier ce moyen de transport à l'inté-
rieur des exploitations souterraines et, en soutenant
¥ig. 84. — Chemin à la Palmer (au jour).
latéralement la longrine et le rail, de placer la caisse
au-dessous de la voie, ce qui rend inutile la division
de la charge. Les bennes, en arrivant au jour, glissent
sur leurs patins, ou sont transportées au moyen de
trucks sur des voies ordinaires.
Dans certaines exploitations à cielouvert, on a par-
fois à transporter d'un côté à l'autre de la carrière
des matières sans valeur, des terres provenant de la
découverte, ou des détritus. On pourrait avec un che-
min de fer opérer ces transports,_mais il faudrait dres-
550 LES MERVEILLES DE L\ LOCOMOTION.
ser une plate-forme, faire de grands détours, ce qui
deviendrait coûteux. On tend un câble au travers de
Texploitation. Avec trois petites poulies assemblées en
triangle, on fait une chape, comme celle des bacs à la
traversée des rivières, et à la chape on suspend un pe-
tit bateau, chargé des matières à transporter. Une
corde attachée à chacune des extrémités du batelet
Fi^ 85. — Chemin à la Palmer (dans une galerie de fiiine].
règle sa course et les transports s'opèrent rapidement
et à peu de frais.
Cet emploi du câble métallique a été généralisé ré.
cemmentparM. Hodgson, pour le transport du granit
sortant des carrières de Bardon-Hill, à trois lieues de
Leicester, qui s'opérait entre les carrières et le chemin
de fer, sur une distance d'une lieue, au moyen de char-
rettes et réclamait un nombreux personnel. Une corde
métallique sans fin et soutenue sur des poulies qui sont
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 553
portées par de forts poteaux, éloignés ordinairement
de 50 mètres les uns des autres. Celte corde passe à
une extrémité sur une poulie mise en mouvement par
une locomobile et reçoit une vitesse de 6 à 9 kilomè-
tres à l'heurp. Des caisses sont suspendues au cable
par un crampon de forme particulière, qui maintient
la charge en équilibre et permet le passage des points
d'appui sans difficulté.
Dans le cas où on a de fortes charges, on met deux
cordes pour soutiens et une corde sans fin comme
moyen de transmission. On conçoit que la nature du
terrain sur lequel on passe importe peu, le cable peut
se poser aussi aisément que le fil du télégraphe.
Le prix d'établissement pour une ligne à une corde
portant 50 tonnes par jour (l'équivalent de 5 grands
wagons de chemins de fer) dans des boîtes pesant 25
kilogrammes n'est que de 5,900 francs par kilomètre.
On pressent tous les avantages que l'on pourra tirer
de ce nouveau moyen de transport.
D. — Locomotion en tous sens, dans toute direction et dans tout milieu.
C'est vers 1560, à ce que l'on rapporte, que Gutter
de Nuremberg inventa le fusil à air comprimé. Philon
de Bysance parle même d'un tube construit par Cté-
sibius, dans lequel l'air comprimé lançait un trait et
qu'il nomme aérotone. Peut-être n'est-ce tout simple-
ment que la sarbacane qu'emploient les écoliers pour
lancer des boules d'argile aux oiseaux.
Quoi qu'il en soit, l'invention dont nous voulons
25
554 LES MERVEILLES DE L\ LOCOMOTIO>'.
parler Lemonte, quant à son principe, aux temps les
plus reculés. Les effets qu'on peut obtenir de l'air
comprimé comme propulseur, sont connus depuis
longtemps ; mais c'est d'une époque toute récente
que date son application au transport des petits
paquets.
L'Angleterre nous a précédés dans cette voie, nous
avons déjà eu l'occasion de le constater. Après avoir
rendu hommage à son esprit d'initiative, nous expli-
querons de quelle manière s'opère à Paris le trans-
port des dépèches télégraphiques au moyen de l'air
comprimé.
Un tube de six centimètres et demi de diamètre in-
térieur, suspendu à la voûte des égouts, réunit entre
eux les six bureaux télégraphiques de la rue de Gre-
nelle-Saint-Germain (Administration centrale), de la
rue Boissy-d'Anglas, du Grand-Hôtel, de la Bourse, de
l'Avenue de l'Opéra (près du Théâtre-Français) et de
la rue des Saints-Pères, formant un polygone fermé de
6718'°. 80 de longueur. Chacun des côtés de ce poly-
gone a de 900 à 1400 mètres de longueur et se com-
pose d'éléments droits ou courbes, horizontaux, in-
clinés, parfois même verticaux. Le rayon le plus petit
à l'angle de deux rues est de 12 mètres et la pente la
plus forte de O^SOo par mètre, sauf aux abords des bu-
reaux, où ce rayon atteint o mètres et où le tube de-
vient vertical. Telle est la voie.
Le matériel de transport se compose d'étuis en fer
garnis de cuir, ayant 0'",06 de diamètre et 0'",12 à
G'", 15 de longueur. Chacun d'eux porte gravé le nom
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 557
de la station à laquelle il est destiné. Ce sont les iva-
gons.
Le propulseur est des plus simples. 11 est renfermé
dans deux cylindres en tôle, mesurant chacun 4 à 5
mètres cubes et, dans lesquels on comprime de l'air.
Nous avons déjà vu quelle ressource offrent les con-
duites de Paris, dont l'eau peut s'élever à unehauteur
de 15 mètres et possède, par conséquent, une pression
représentée par une colonne d'eau équivalente. Un
Fig. 89. — Piston et boîte à dépêches du télégraphe atmosphérique.
troisième cylindre reçoit l'eau de la ville et chasse l'air
dans les deux premiers cylindres où on le puise quand
on en a besoin.
Il est inutile d'insister sur les robinets, niveaux,
manomètres, qui sont le complément indispensable de
ces appareils et qui servent à en suivre la marche, à
en régler le fonctionnement. Disons seulement que les
moyens employés pour comprimer l'air varient. Nous
en avons indiqué un, c'est le plus simple. On fait
usage aussi de petites turbines et on emploiera bien-
tôt une machine à vapeur, actionnant des pompes à
558 LES :.IERYEILLES DE LA LOCOMOTION.
air. Enfin, on a imaginé un appareil d'entraînement,
dont le principe, qui rappelle l'injecteur Giffard, ser-
vant cà l'alimentation des locomotives, est celui de la
trompe ou soufflerie des forges catalanes. C'est un jet
d'eau arrivant au centre d'un tuyau en communication
avec l'air extérieur et sur lequel il agit mécanique-
ment pour l'entraîner et le comprimer.
Nous avons décrit le réseau principal. A ce réseau
se rattachent des réseaux secondaires ; deux d'entre
eux sont reliés à la Bourse, et forment un réseau de
18 kilomètres. Le réseau de Paris, avant peu d'années,
sera porté à 50 kilomètres. Nous avons fait connaître
le matériel et le propulseur. Assistons au départ d'un
train du bureau central.
La station de départ prévient par le télégraphe la
station voisme, qu'un train est prêt à partir. Celle-ci
répond par trois coups frappés sur le timbre qu'elle
l'attend. Une petite porte est ouverte sur le tuyau.
Les wagons y sont engagés : un ou plusieurs pour
chaque station, selon le nombre de dépèches, et un ou
plusieurs wagons omnibus pour les dépêches de sta-
tion à station. A leur suite, on met le piston, qui ne
diffère des wagons que par une rondelle en cuir em-
boutie à Tune de ses extrémités. On ferme la porte,
et l'air est introduit par un robinet. 11 siffle et le train
part. Un ronflement a lieu, une minute se passe, puis
plus rien ; le train est à destination. On referme le
robinet d'air et, en manœuvrant les robinets du cy-
lindre à eau, on prépare une nouvelle provision d'air
comprimé.
LOCOMOTION AU-DESSUS ET AU-DESSOUS DU SOL. 559
Au bureau central, il part et il arrive un train tous
les quarts d'hevu^e. Les dépêches à destination de la
province ou de l'étranger sont remontées immédiate-
uient à l'aide d'une corde et d'un panier dans la
grande salle du départ et réparties entre les différents
appareils, qui communiquent avec le réseau télégra-
phique.
Tout cela est bien simple, mais ce résultat si mer-
veilleux n'a été obtenu qu'après de longs efforts et des
essais multipliés. On a essayé au moins vingt wagons
d'espèces différentes avant de s'arrêter à celui qui est
employé 1 Aujourd'hui, si tous les essais ne sont pas
terminés, — car on travaille toujours et on perfec-
tionne, — ils sont, du moins, en si bonne voie que
toute incertitude est levée et que le système qui fonc-
tionne depuis plusieurs années peut être considéré
comme ayant reçu du temps la sanction qui le con-
sacre.
Le tube peut passer dans l'air, sous le sol et dans
l'eau ; il suffît que les joints soient hermétiques pour
que son fonctionnement soit parfait. C'est assurément
l'un des moyens de locomotion les plus remarquables,
un de ceux qui rendent déjà et pourront rendre dans
l'avenir les plus grands services.
F iX
TABLE DES FIGURES
J. Traîneau impérial à Sainl-Pétorsl)onrîr 7
2. Traîneaux à Now-Yorlv Il
3. Brouetle primitive (marclianil forain en Cliine). . . . 15
A. Habitants des Landes fô
5. Éléphant portant un a'méry GU
(3. Élcpliant portant un haudaii 61
7. Petits éléphants du Jardin d'acdinialion 62
8. Chameau du nord de la Chine 65
9. Caravane dans le désert 67
10. Traîneau tiré par des chiens. 71
11. Chariot primitif (cultivateur en Chine). 75
12. L'araba 79
13. Litière à deux porteurs 81
14. Litière à quatre porteur? 82
15. Litière au Dahomey 83
16. Un abbé en voyage 84
17. Voiture de promenade daus l'Inde 85
18. Voiture du comte de Castelmaine, ambassadeur extraordinaire de
Jacques II 101
19. Voiture d'apparat 105
20. Coupé 108
21. Berline ; 108
22. Landau 109
25. Diligence 113
24 Volante havanaise 117
25. Chaise à porteurs en Chine 119
26. Wourst 122
TABLE DES FIGURES.
27. L'omnibus des boulevards 127
28. Viaduc de Secrettown (Californie) I55
29. Rail à double champiguou -162
50. Rail Vignoles 165
51. Rail Bruncl 164
52. Rail Barlow ^64
55. Diligence nionlée sur un truck 171
54. Wagon-salon américain (Palace-car) I77
55. Intérieur d'un wagon américain, dit Pulman's car 181
56. Sleeping car I85
57. Wagon américain Ig7
58. Train dambulance 189
59. Système do wagons articulés de M. Arnoux. ; 192
40. Tube atmosphérique (coupe transversale) 291
41. Tube atmosphérique (coupe longitudinale) et voiture de lête. . . . 202
42. Voiture de Cuguot 204
45. Machine de Blenkinsop (1811) 206
44. Machine de G. Stephenson (181 i) • 207
45. Machine Crampton 215
46. Machine Petiet 21o
47. Une station en Amérique 217
48. Machine Jefferson 219
49. îlachine Petiet (.Nord), à quatre cylindres 227
50. Machine Fairlie 229
51. Machine Jouffroy 251
52. Voiture Jouffroy 252
55. Le chemin de fer du Righi 253
54. Système Larmanjat 257
55. Machine Saint-Pierre et Goudal (élévation) 259
56. La même (coupe transversale) 259
57. Système Girard 247
î)8. Tramway à Vienne 235
59. Wagon-machine Evrard et Cabany et Cie 266
60. Locomotive de Winterthur 269
61. Locomotive sans foyer, système Franck 271
62. Locomotive routière Lotz remorqueuse 278
65. Wagon à voyageurs pour train routier 279
64. Wagon à marchandises pour train routier 280
63. Locomotive routière à voyageurs 285
66. Calèche à vapeur Bollée 290
67. Machine routière avec grue 294
68. Rouleau compresseur 295
69. Labourage à vapeur 296
70. Les messageries à vapeur 297
TABLE DES FIGURES. 563
71. Vélocipède Michaux 304
72. Célérifère de 1818 507
75. Vélocipède-raquette 512
7-i. Monocycle-sphère 515
70. Vélocipède à voile 515
76. Ascenseur mécanique 321
77. Échelle de sauvetage 524
78. Sauvetage opéré au moyen des échelles et du hoyau en treillis de
toile 527
79. Grue roulante, à douhle volée 550
80. Grue à vapeur 551
81. Les échelles mobiles, ou Fohrkunsi 541
82. Roues à chevilles des carriers 543
85. Plan automoteur dans une raine 546
84. Chemin à la Palmer (au jour) 549
80. Chemin à la Palmer (dans une galerie de mine) 530
86. Transport par câble métallique (système Hodgson) 531
87. Boites, supports, poulies extrêmes du système Hodgson 531
88. Appareil de transmission par l'air comprimé. . 533
89. Piston et boîte à dépèches du télégraphe atmosphérique 557
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE PREMIER,
lutroduction.
Le mouvement et l'atlraclion universels. — 3Iouvements des minéraux,
des végétaux et des animaux. — Carrière offerte au mouvement de
l'homme. — L'air indispensable à tous ses mouvements 1
L — LA LOCOMOTION SUR LA TERRE.
A. — Insuffispnce de l'appareil locomoteur de l'homme. — Les ani-
maux moteurs. — Origine de la voiture. — Les traîneaux G
B. — Frottement entre le véhicule et la voie qui le porte. — Le dé
et la bille d'ivoire. — Frottement de glissement et de roulement.
— Ce qu'on sait des lois du frottement. — Difficultés inhérentes
aux observations. — Impressionnabilité de la matière. — Moyens de
diminuer le frottement. — Lubrifaclion de.s parties frottantes. —
Accroissement du diamètre des roues 14
G. — La voie. — Chaussées empierrées, pavées, à ornières de bois
et de métal. — Les anciennes voies de communication. — Les
chaussées romaines, les chaussées de Brunehaut. — Les rues sous
Piiilippe-Auguste et les voies sous Colbert. — Les roules natio-
nales, départementales; les chemins vicinaux et ruraux. — Impor-
tance de la circulation. — Le personnel des ponts et chaus>ées et
celui des chemins de fer. — Ce que coûte un ingénieur des ponis
et chaussées et des mines, d'après M. Flacbat 25
II. — LA LOCOMOTION SUR l'eAU.
La feuille, la branche, le tronc d'arbre et le baler.u. — Rlvièies,
fleuves, canaux, lacs, mers, océan. — Les ondulations. — Les
marées , les courants et les vents. — Les vagues , la tempête et
les navires transatlantiques. — Le réseau des voies navigables en
France, 51
56S TABLE DES MATIÈRES.
in. — LA LOCOMOTION DANS l'aIR.
Les vents. — La chute d'un corps dans l'air et dans le vide. — Les
oiseaux et les ballons. — La direction des ballons paraît nne uto-
pie. _ Invention d'un moteur à poudre 41
CHAPITRE IL
Les animaux moteurs.
I, _ Vhoiiime marcheur, coureur, patineur, échassier. ..... 47
II. Le cheval, l'âne, le mulet, l'hémioiie, le bœuf, le yack, le bi-
son, le chameau, l'éléphant, le renne, le chien, l'autruche. , 56
CHAPITRE m.
Les véhicules dans l'antiquité.
Bipa, carpen'.um, cisium, pilenlum, benna. Chars d'Héliogahale, char
funèbre d'Alexandre. Litières et basternes 74
CHAPITRE IV.
Les véhicules depuis l'antiquité jusqu'au dix-huitième siècle.
Uaquenées et palefrois — Chariots et litières. — Coches et carrosses
sous Henri IV. — Les fiacres de Nicolas Sauvage. — Les carrosses
à cinq sols du duc de Roanès. — Voiture du comte de Caslelmaine. 84
CHAPITRE V.
Les véhicules au dix-huitième siècle et leurs progrès jusqu'à
nos jours.
Berlines. — Diligences. — Vis-à-vis. — Coupés. — Berlingots. — Désobli-
«^eantes. — Gondoles. — Landau. — Berline allemande. — Calèche.
— Dormeuse. — Coches. —Diligences. — Chaises. — Les messageries.
Soufflets. — Coach-mall. — Volante havanaise. — Chaises à por-
teurs. — Palanquins. — Litières. — Brouettes. — AVourst. — Break.
— Voitures à transformation 10"
CHAPITRE VI.
Les chemins de fer.
L — IMPORTANCE DES CHEMINS DE FER - . . . 154
11. — LA CONSTRICTION 1^7
\. fAudes. — Évaluation des dépenses et des produits lôS
li. Infrastructure. — Installations préliminaires. — Travaux.
Terrassements: l'iiomme, h^ cheval, la machine. — Principales
irinchées. — Ouvrages d'art souterrains, tiacé, percement, acci-
TABLE DES MATIERES. 307
dents. Les principaux sonlerrains; le tunnel des Alpes. — Viaducs
en pierre, en bois, en fer, en foute. — Les principaux viaducs.
Le pont du Niapara 141
G. — Superstructure. — Stations et maisons de garde. — La voie :
les ornières des mines de Newcaslle. — Ornières creuses et sail-
lantes. — Roues plates et à rebords, — Rails méplats, à champi-
gnon simple , à double champignon , Vignoles , Brunel , Barlow ,
Hartwitch; rails en acier. — Ti^averses en bois et en fer. — Cous-
sinets, coins, éclisses, boulons, crampons, chevillettes, etc. . . . 160
in. — LES WAGONS.
A. — Les wagons en général. — Voitures à 2, 4, 6 et 8 roues. —
Construction d'un wagon : châssis, caisse 168
B. — Wagons à marchandises, à bestiaux et divers. — AVagous
pour le transport du ballast, du coke, du charbon, des marchan-
dises, du lait, des bestiaux. — Transport des Jilets de bœuf, du
gibier, du vin de Champagne, des fraises, des fromages. — Wa-
gons à écurie, à bagages, des postes 170
G. — Wagons à voyageurs. — Matériel français, anglais, allemand,
américain. — Voitures spéciales des chemins du Grand-Tronc, du
Mont-Cenis, de Sceaux. — Valeur du matériel roulant. — Nombre
de véhicules sur tous les chemins du globe 179
lY. — LA TRACTION.
Les moteurs animés et inanimés. — La vapeur 194
A. — Moteurs animés et inanimés. — Le cheval et les chenuns de
fer dans les villes et dans les mines. — La pesanteur et les plans
automoteurs. — L'eau, la machine à vapeur lixe et les plans in-
clinés. — L'air et le système atmosphérique. — Papin, Mcdhurst,
Wallance 195
B. — Invention de La locunwLive. — Voitures de Cugnol, d'OUver
Evans. — Locomotive de Trewitick et Vivian, de Blenkinsop, de
Brunton, de Stephenson. — Séguin invente la chaudière tubulaire
et Siephenson le jet de vapeur 203
C. — La locomotive. — Différents types. — Macliiues à voy;igcurs à
moyenne et à grande vitesse : Cramplon. — Machines mixtes. —
Machines à marchandises de moyenne et de grande puissance ; Ln-
gerth, Beugnot. — Progrès accomplis dans la construction des lo-
comotives; leur puissance 210
V. — SYSTÈMES DIVERS.
A. — Multiplication du nombre des cylindres. — Système Verpil-
leux. —Machines du Nord, Meyer, Dupleix, Flachàt 226
B. — Systèmes divers. — Locomotive de Joulfroy. — Système Sé-
guier. — Locomotive Fell du Mont-Cenis. — Machines rotatives. —
Système Agudio , funiculaire et à rail central. — Systèmes Lar-
manjat, Saint-Pierre et Coudai 250
C. — L'eau et l'air comprimé. L'électricité. — Locomotives An-
draud, Pecqueur. — Chemins éoliques Andraud. — L'air com-
pi'imé et raréfié : le chemin de Sydenham. Tunnel sous la Manche.
— L'air chaud. — L'eau comprimée : système Girard. — Machines
électro-magnétiques 242
568 TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE VII.
Les tramways.
A. — CONSTRUCTION DES CHEMINS DE FER SLK LES CHAUSSÉES '250
B. — VOITURES DES TRAMWAYS 259
G. — TRACTION DES TRAMWAYS 264
CHAPITIŒ VllI.
Les voitures à vapeur.
A. — Les voitures à vapeur avant l'époque actuelle. — Opinion des
ingénieurs sur la locomotive routière 274
B. — La question reprise. — Nouvelles rcciierches. — Les machines
Lotz, Aveling et Porter, Larmanjat, Feugères, Bollée et Le Cordier. 277
C. — L'avenir de la locomotion routière à vapeur. — Usages actuels
en agriculture, en industrie 292
CHAPITRE IX.
Les vélocipèdes 305
Des variétés du véloce 311
CHAPITRE X.
Locomotion au-dessus et au-dessous du sol et dans divers sens.
\. — LOCOMOTION AU-DESSUS DU SOL ET A FAIBLE HAUTEUR.
a. — Les cordes. — Les échelles. — Les escaliers. — Les ascenseurs.
— Les échelles et les machines de sauvetage des incendies . . . . 518
i,_ — Les chèvres et les grues à hras, à manège, à vapeur, à eau
(système Armstrong). — Les tourelles. — Les monte-charges à va-
peur, hydrauliques. — La toile sans fin. — La chaîne à godets. —
La vis d'Archimède. — Le tip hydraulique et à contre-poids. — Le
drop ' 529
B. — LOCOMOTION AU-DESSOUS DU SOL ET A TOUTE PROFONDEUR.
a — Les sentiers. — Les échelles. — La corde. — Le panier. — La
benne. — La caisse. — Les Fahrkunst 537
h. — La roue à chevilles. — La machine à molettes. — Chevalets et
bobines. — Chariots , bennes i^oulantes , berlines , wagonnets et
wagons 343
C. — LOCOMOTION SUIVANT UNE LIGNE HORIZONTALE OU INCLINÉE AU-DESSUS
DU SOL.
Chemins à la Palmer. — Chemins funiculaires 348
D. — LOCOMOTION EN TOUS SENS, D.\NS TOUTE DIRECTION ET DANS TOUT MILIEU. 5o5
[21960] — Typographie Lahurc, rue de Fleurus, 9, à Paris.