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Full text of "Les missions du Roi des Belges auprés du Saint-Siége depuis 1830"

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s    MISSIONS 


DU 


ROI    DES    BELGES 


AUPRES  DU  SAINT-SIÈGE  DEPUIS  1830 


le  baron  de  HAULLEVILLE 


BRUXELLES 

BUREAUX  DE  LA  REVUE  GÉNÉRALE 

35,     RUE    DES    URSULINBS,      35, 


t888 


LES  MISSIONS  DU  ROI  DES  BELGES  AUPRÈS  DU  SAINT-SIÈ&E  DEPUIS  1830. 


LES    MISSIONS 


DU 


ROI    DES    BELGES 

AUPRÈS  DU  SAINT-SIÈGE  DEPUIS  1830 


le  baron  de  HAULLEVILLE 


>GG8a^< 


BRUXELLES 

BUREAUX    DE    LA    REVUE    GÉNÉRALE 

35,     RUE    DES     URSULINES,     35, 

1888 


LES  MISSIONS  DU  ROI  DES  BELGES 

AUPRÈS   DU    SAINT-SIÈGE   DEPUIS    i83o  (i). 


1.  Le  vicomte  Charles  Vilain  XIIIl,  envoyé  extraordinaire 
et  ministre  plénipotentiaire  le  23  novembre  1832. 

Charles  Vilain  XIIII,  qui  avait  pris  une  part  active  à  la 
révolution  de  i83o,  fut  l'un  des  secrétaires  du  Congrès 
National,  et  même  un  des  plus  jeunes,  car  il  avait  à  peine 
vingt-sept  ans  à  cette  époque. 

Il  fut  envoyé  à  Rome  pour  la  première  fois,  sur  la  proposi- 
tion du  général  Goblet,  ministre  des  affaires  étrangères  (2). 
C'était  une  mission  de  pure  courtoisie,  une  mission  extraordi- 
naire et  temporaire,  qui  avait  pour  but  de  notifier  au 
Souverain-Pontife  et  aux  chefs  des  divers  États  italiens  l'avè- 
nement du  roi  Léopold  P*"  au  trône  :  on  voulait  faire  entrer 
définitivement  la  Belgique,  après  la  ratification  du  traité  du 
i5  novembre  i83i,  dans  le  concert  des  nations  européennes. 
Charles  Vilain  XIIII  fut  reçu  par  le  Pape  Grégoire  XVI  le 
23  novembre  i832.  Le  Pape  l'accueillit  à  bras  ouverts,  comme 
le  constate  M.  Frère  dans  son  Exposé  (3). 

"  Je  vous  charge  (t.  I,  p.  viii),  dit  Sa  Sainteté,  d'exprimer 
»  au  Roi  toute  ma  reconnaissance  de  la  loyauté  avec  laquelle 
y>  il  maintient  l'article  de  la  Constitution  qui  a  rendu  à  l'Église 

(1)  Fragment  d'une  Histoire  des  relations  diplomatiques  de  la  Belgique  avec  la 
Cour  de  Rome  depuis  1830. 

(2)  Les   autres  membres  du  cabinet  étaient  :  MM.  Joseph  Lebeau  (justice), 
Charles  Rogier  (intérieur),  Duvivier  (finances),  le'général  Evain  (guerre). 

(3)  Dépêche  du  V'^  Gh.  Vilain  XIII,  26  janvier  1833. 

1     • 


—  6  — 

n  son  indépendance  du  pouvoir  civil  et  au  Saint-Siège  ses 
?'  droits  sur  le  gouvernement  de  l'Église.  La  religion  est  par- 
«  faitement  libre  en  Belgique...  Depuis  la  promulgation  de  la 
w  Constitution,  le  Concordat  de  1827  n'existe  plus  pour  la 
jî  Belgique,  «  Le  Pape,  à  cette  occasion,  loua  fort  le  clergé 
belge  qu'il  trouvait  bon,  pieux  et  fidèle,  tout  en  regrettant 
qu'il  manquât  parfois  de  sagesse  et  de  prudence  (1). 

Il  n'est  pas  inutile  de  citer  ces  paroles,  parce  qu'elles 
démontrent  que  le  Saint-Siège  ne  songeait  pas  plus  à  cette 
époque  que  plus  tard  à  condamner  la  Constitution  belge  de 
i83i.  En  effet,  l'Encyclique  Mirarl  vos  (an  i5  août  i832), 
dirigée  contre  les  doctrines  de  M.  de  Lamennais,  avait  déjà 
été  publiée  trois  mois  auparavant.  Plus  tard,  après  trente 
années  de  réflexion,  l'esprit  de  parti  découvrit  dans  ce  docu- 
ment vénérable  une  incompatibilité  entre  la  foi  des  citoyens 
catholiques  et  leur  serment  d'allégeance  à  la  Constitution.  Je 
prie  le  lecteur  de  prendre  note  de  ces  faits,  car  nous  aurons 
plus  d'une  fois  l'occasion  de  les  rappeler. 

Chose  remarquable,  le  Saint-Siège  qui,  le  premier  de  tous 
les  États  européens,  reconnut  l'indépendance  de  la  Belgique, 
n'avait  cependant  pas  montré  pour  la  Révolution  de  i83o  une 
tendresse  particulière.  Le  gouvernement  de  Grégoire  XVI, 
quinze  ans  après  le  Congrès  de  Vienne,  voyait  avec  une  cer- 
taine inquiétude  se  relâcher  les  liens  de  la  Sainte- Alliance. 
Cette  inquiétude  était  justifiée  par  les  tentatives  violentes  et 
les  conspirations  périodiques  dont  l'autorité  temporelle  du  Pape 
était  elle-même  lobjet.  Les  principaux  conseillers  de  la  Cour 
de  Rome,  pour  les  affaires  belges,  étaient  Mgr  Capaccini,  un 
prélat  de  l'école  deConsalvi,  puis  Mgr  Antonucci,  qui  lui  avait 
succédé  à  La  Haye.  Capaccini,  qui  était  l'ami  du  prince 
d'Orange, croyait  que  la  meilleure  solution  de  la  question  belge 
était  le  maintien  du  royaume  des  Pays-Bas,  tel  qu'il  était 
sorti  des  délibérations  du  Conseil  de  Vienne,  avec  la  couronne 
sur  la  tête  du  prince  royal  et  un  bon  concordat  dans  le 
genre  de  celui  de  1827.  La  Cour  de  Rome  n'avait  pas  une 

(1)  Dépêche  du  vicomte  Vilain  XIIII,  23  novembre  1832. 


—  7  — 

confiance  absolue  dans  le  maintien  du  régime  issu  de  la 
révolution.  Elle  n'était  pas  seule  en  Europe  à  nourrir  ces 
doutes  ;  car  jusqu'aux  traités  de  iSSg,  la  restauration  de  la 
dynastie  d'Orange-Nassau  n'était  pas  une  chose  impossible. 
Ajoutons  toutefois  que  la  prudence  de  la  Cour  de  Rome  fut 
telle  qu'elle  ne  se  brouilla  ni  avec  les  grandes  puissances,  ni 
avec  le  cabinet  de  La  Haye,  ni  avec  celui  de  Bruxelles.  Si 
M.  Frère  avait  réfléchi  à  ces  diverses  circonstances,  il  n'aurait 
pas  écrit  avec  tant  d'étonnement  : 

«  Le  Pape,  circonvenu  par  ses  conseillers,  se  prit  à  douter 
de  l'abrogation  du  concordat  de  1827,  c'est-à-dire  de  la  vali- 
dité même  de  l'acte  par  lequel  il  nous  avait  reconnus  ;  il  se 
refusa  à  pourvoir  à  la  vacance  du  diocèse  de  Bruges  ;  il  Mlut 
deux  mois  de  persistants  efforts  pour  le  déterminer  à  foire 
usage  du  droit  que  lui  assurait  la  Constitution  belge  de  nom- 
mer, sans  l'intervention  de  l'Etat,  un  titulaire  à  l'archevêché 
de  Namur  "  (1). 

M.  Frère  semble  avoir  aperçu  dans  les  hésitations  de  la  Cour 
de  Rome  une  preuve  de  son  mauvais  vouloir  contre  les  Belges. 
Elles  lui  étaient  inspirées,  au  contraire,  par  l'amour  de  la 
paix  ;  car,  évidemment,  le  régime  de  la  Constitution  belge  de 
i83 1  vaut  mieux  pour  l'Eglise  que  celui  du  concordat  de  1827; 
et,  à  Rome,  cette  supériorité  n'était  pas  ignorée.  Le  seul 
tort  de  la  Cour  de  Rome,  si  c'en  est  un,  est  de  n'avoir  pas  eu 
une  confi.ance  plus  robuste  dans  l'avenir  du  royaume  de  Bel- 
gique. 

Charles  Vilain  XIIII  ne  demeura  pas  longtemps  à  Rome. 

«  Jugeant  sévèrement  les  actes  et  les  principes  du  Gouver- 
nement pontifical,  dit  M.  Frère  (Exposé,  t.  I,  p.  ix),  il  ne 
s'en   cacha  ni  dans  ses  entretiens,  ni  dans  sa  correspondance; 

(î)  Je  cite  d'après  jLrt  Belgique  et  le  Vatican.  Documents  et  travaux  législatifs 
concernant  la  rupture  des  relations  diplomatiques  entre  le  gouvernement  des  Belges 
et  le  Saint-Siège,  précédés  d'un  exposé  historique  des  rapports  qui  ontexisté  entre 
eux  depuis  1830.  Bruxelles,  1880-1881, 3  vol.  in  8°,  chez  Bruyland  Christophe  et  G'". 

Il  est  regrettable  qu'il  ne  soit  pas  permis  en  Belgique  de  consulter  les  archives 
du  département  des  affaires  étrangères  pour  les  périodes  qu'on  peut  appeler 
"  éteintes  „.  J'ai  vainement  demandé  la  permission  de  consulter  ces  archives.  Quel 
inconvénient  y  a-t-il  k  laisser  lire  par  les  historiens  les  dépêches  officielles 
jusqu'en  1850,  par  exemple  ? 


—  8  — 

des  froissements  se  produisirent,  et,  le  i5  avril  i833,  notre 
Ministre  quitta  Rome,  sans  y  laisser,  dans  les  sphères  offi- 
cielles, aucune  espèce  de  regret.  » 

M.  Frère  est  incomplet  :  si  je  suis  bien  informé,  Charles 
Vilain  XIIII  avait  reçu  officieusement  un  concilium  abeundi. 
Il  avait  été  envoyé  à  Rome,  non  «  pour  juger  sévèrement  les 
»  actes  et  les  principes  du  Gouvernement  pontifical  »,  mais 
pour  remplir  une  mission  de  courtoisie.  Si  M.  Le  Hon,  à 
Paris,  le  baron  de  Loé,  à  Vienne,  ou  le  général  de  Mercx,  à 
Berlin,  s'étaient  rendus  coupables  de  pareilles  incartades,  on 
les  aurait  priés  publiquement  de  reprendre  le  chemin  de 
Bruxelles.  Ce  dernier  dut  quitter  son  poste  parce  qu'il  avait 
réclamé  son  droit  d'être  présenté  à  la  princesse  Marianne  des 
Pays-Bas,  femme  du  prince  Albert  de  Prusse,  et  qu'il  avait 
fait  pleurer  celle-ci  de  dépit.  Le  jeune  vicomte  Vilain  XIIII, 
sans  expérience  diplomatique,  eut  aussi  le  malheur  d'avoir 
un  secrétaire  très  intelligent,  mais  très  intrigant,  qui  trahit 
les  secrets  de  sa  Chancellerie,  M.  Blondeel.  Quand  celui-ci 
avait  copié  une  dépêche  de  son  chef  pour  l'envoyer  àBruxelles, 
il  lui  arrivait,  paraît-il,  d'en  prendre  une  seconde  copie  pour 
la  remettre  au  chef  de  la  police  romaine,  et  l'on  assure  que 
les  dépêches  du  Ministre  belge  étaient  très  «  sévères  "  et 
très  mordantes  pour  les  hommes  et  les  choses  de  la  Cour  de 
Rome.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si,  après  cinq  mois  de 
séjour  à  Rome,  il  dut  quitter  la  Ville  Éternelle  «  sans  y  laisser 
aucune  espèce  de  regret  v. 

Charles  Vilain  XIIII  ne  se  corrigea  jamais  des  défauts 
diplomatiques  qui  le  brouillèrent  avec  le  Saint-Siège.  On  con- 
naît l'histoire  du  fameux  «  Jamais  «,  prononcé  par  lui  en  i856. 
Le  comte  de  Cavour,  secrètement  d'accord  avec  le  gouverne- 
ment de  Napoléon  III,  était  prêt  à  nous  sacrifier  à  l'ambition 
de  cet  allié  de  l'Italie  future.  La  campagne  diplomatique  à 
diriger  contre  la  Belgique  commença  officiellement  au  Congrès 
de  Paris  par  une  proposition  du  Ministre  piémontais  deman- 
dant que  le  gouvernement  du  Roi  des  Belges  réprimât  les 
éccirts  de  la  presse  dans  ce  "  nid  de  démagogues  ".  Le  ministre 
.de  France  à  Bruxelles,  M.  Ad.  Barrot,  un  diplomate  person- 


—  9  — 

nellement  bienveillant  pour  les  intérêts  nationaux  de  la  Belgi- 
que, fut  chargé  de  notifier  au  Cabinet  de  Bruxelles  les  vœux  du 
Congrès  de  Paris,  qui  cadraient  si  bien  avec  les  désirs  de  son 
propre  gouvernement.  Le  Conseil  des  ministres  examina  avec 
soin  cette  grave  question,  en  cherchant  à  être  aussi  agréable 
que  possible  à  son  puissant  voisin  de  l'Ouest;  mais  il  fut 
forcé  de  reconnaître  qu'il  était  impossible  de  toucher  à  la  presse 
d'une  manière  efficace,  dans  le  sens  des  idées  de  M.  de  Cavour, 
sans  reviser  la  Constitution  de  i83 1 .  Ces  faits  ne  tardèrent  pas 
à  devenir  de  notoriété  publique.  Un  représentant  pour  Bru- 
xelles, M.  Aug.  Orts,  dans  le  but  de  calmer  l'émotion  du  public 
et  aussi  un  peu  d'embarrasser  le  Ministère  De  Decker,  annonça 
un  jour  à  la  Chambre  qu'il  interpellerait  à  ce  sujet  M.  le  Minis- 
tre des  affaires  étrangères  (Ch.  Vilain  XIIII).  Les  Ministres 
tinrent  conseil  et  délibérèrent  sur  la  réponse  à  faire  à  M.  Orts. 
La  question  était  d'une  délicatesse  extrême,  car  il  importait 
à  la  fois  de  respecter  les  institutions  belges  et  de  ne 
pas  blesser  le  gouvernement  de  Napoléon  III,  qui  jouait  à 
cette  époque  le  premier  rôle  dans  le  concert  européen.  Une 
formule,  très  nette  quant  au  fond,  mais  excessivement  limée 
et  polie  quant  à  la  forme,  fut  trouvée  et  même  rédigée,  séance 
tenante,  par  l'un  des  Ministres.  Le  lendemain  (7  mai  i856), 
M.  Orts  développa  son  interpellation.  Le  vicomte  Charles 
Vilain  XIIII,  au  lieu  de  lire  la  déclaration  collective,  dont  les 
termes  avaient  été  mûrement  pesés  en  conseil,  préféra  parler 
de  son  chef.  On  connaît  sa  réponse  restée  célèbre  :  «  M.  Orts 
"  désire  savoir  si  l'un  des  gouveriiements  représentés  au  Con- 
r>  grès  a  demandé  au  Gouvernement  belge  quelque  modifica- 
r»  tion  à  la  Constitution  :  «  Aucune  « .  M.  Orts  demande  enfin 
"  si  le  Cabinet,  dans  le  cas  où  une  pareille  demande  lui  serait 
y>  faite,  serait  disposé  à  proposer  à  la  Chambre  quelque  chan- 
y>  gement  à  la  Constitution  :  "  Jamais  » .  Cette  réponse  obtint 
au  sein  de  la  Chambre  et  au  dehors  un  grand  succès.  La  séance 
fut  levée  au  milieu  des  applaudissements  frénétiques  de  la 
gauche  et  des  tribunes.  Mais,  quelques  heures  plus  tard,  le 
Ministre  de  France  se  présentait  menaçant  à  l'hôtel  des  Affaires 
étrangères,  accusant  le  vicomte  Vilain  XIIII  et  les  ministres 


—    lO   — 

du  Roi  de  braver  son  Gouvernement  et  demandant  des  expli- 
cations satisfaisantes  ou  ses  passeports —  Le  lendemain,  ces 
explications  étaient  publiées  au  Moniteur  dans  une  forme  très 
modeste,  très  douce  et  pleine  de  gentillesse  pour  les  ombra- 
geux protecteurs  de  la  Belgique,  Voilà  un  des  traits  de  la 
diplomatie  du  vicomte  Vilain  XIIII,  noble,  généreux,  mais 
irréfléchi  et  imprudent.  Sans  M.  Barrot,  il  aurait  peut-être 
brouillé  son  pays  avec  la  France  et  l'Europe. 

Charles  Vilain  XIIII,  d'une  antique  famille  de  la  châtelenie 
de  Gand,  était  né  à  Bruxelles  le  i5  mai  i8o3.  Sa  mère  était 
la  baronne  de  Feltz,  dernier  rejeton  de  cette  race  chevale- 
resque du  Luxembourg.  Son  père  était  l'arrière  petit-fils  du 
célèbre  économiste  du  xviif  siècle.  Son  grand-père  avait  fait 
partie  de  la  députation  belge  qui  alla  à  Vienne  réclamer 
auprès  de  Joseph  II  contre  le  régime  de  ce  prince  intelligent 
et  mal  inspiré.  L'Empereur,  mécontent,  ne  sut  pas  cacher  ses 
sentiments.  En  passant  devant  le  comte  Vilain  XIIII,  il  lui 
dit  :  «  Eh  bien.  Monsieur,  vous  êtes  toujours  numéroté 
r.  comme  les  fiacres?  5»  —  «  Oui,  Sire,  répliqua  le  flamand,  et 
y>  comme  les  Rois!  «  Joseph  II  tourna  sur  ses  talons  rouges. 

Le  petit-fils  de  ce  fier  gantois  fit  ses  premières  études  au 
Lycée  de  Bruxelles,  les  continua  au  Lycée  Henri  IV  de  Paris, 
où  il  eut  pour  professeur  de  chimie  Raspail,  et  les  acheva  chez 
les  Jésuites,  à  Saint- Acheul.  De  retour  en  Belgique,  il  suivit 
les  cours  de  droit  à  l'Université  de  Liège. 

Marié  de  bonne  heure  avec  Pauline,  fille  du  baron  de 
Billehé  de  Valensart  (f  de  la  rougeole  en  1840),  il  entra, 
très  jeune  aussi,  dans  les  rangs  de  l'opposition  catholique.  Il 
fut  élu  au  Congrès  national,  dont  il  fut,  comme  il  a  été  dit 
plus  haut,  l'un  des  plus  jeunes  membres  et  un  des  secrétaires, 
à  côté  de  J.-B.  Nothomb,  de  Liedts  et  de  M.  Henri  de 
Brouckère. 

Au  retour  de  sa  première  (1)  mission  à  Rome,  il  fut  nommé 
gouverneur  de  la  Flandre  Orientale,  fonction  qu'il  n'occupa 
pas  longtemps.  Il  rentra  à  la  Chambre,  où  il  joua  un  rôle  assez 

(1)  Voy.  plus  loin,  p.  468. 


—  11  — 

effacé  jusqu'en  i855,  époque  à  laquelle  il  accepta  le  porte- 
feuille de  Ministre  des  affaires  étrangères  dans  le  cabinet  de 
Decker. 

Après  la  chute  de  celui-ci,  Charles  Vilain  XIIII  se  renferma 
dans  un  mutisme  presqu'absolu,  jusqu'en  1870.  Cette  année 
vit  revenir  au  Parlement  une  majorité  catholique,  qui  l'élut 
président  de  la  Chambre.  Il  exerça  avec  une  rare  dignité  ces 
fonctions  éminentes,  mais  il  ne  les  conserva  pas  longtemps, 
car  il  ne  se  sentait  pas  les  aptitudes  nécessaires  pour  dominer 
de  haut  le  déchaînement  de  l'esprit  de  parti.  Il  mourut  plein 
d'honneurs  et  d'années  en  1878. 

Trois  épisodes  de  sa  vie  achèveront  de  faire  connaître  son 
caractère  original.  En  i83i,  il  prit,  au  Congrès,  avec  l'excel- 
lent abbé  Andries,  la  défense  des  Saint-Simoniens,  qu'on  vou- 
lait poursuivre  en  Belgique. 

Après  le  coup  d'État  de  décembre,  le  docteur  Raspail  s'était 
réfugié  en  Belgique,  à  Boitsfort,  d'où  l'administrateur  de  la 
sûreté  publique  voulait  l'expulser.  Charles  Vilain  écrivit  au 
vieux  révolutionnaire,  son  ancien  professeur  :  Mon  domicile 
est  inviolable,  venez  sous  mon  toit,  vous  vivrez  avec  moi. 
Raspail,  qui  était  sans  ressources,  accepta  une  hospitalité,  si 
noblement  offerte,  et  put,  grâce  à  elle,  remonter  la  pente  de 
l'exil  et  de  la  misère.  C'était  l'époque  où  le  Charivari  écrivait  : 
«  Raspail  est  arrêté;  qu'en  ferons-nous?  Camphrons-le.  v 

Enfin,  en  1857,  au  milieu  des  «  spontanéités  foudroyantes  « 
des  journées  de  mai,  la  canaille  de  la  rue  chercha  à  insulter  le 
nonce,  Mgr  Gonella.  Charles  Vilain  quittait  précisément  la 
Chambre  avec  un  membre  du  corps  diplomatique.  Il  s'élança 
vers  l'envoyé  du  Saint-Siège,  lui  offrit  le.  bras  et  traversa 
fièrement  ainsi  la  foule  interdite  et  silencieuse. 


12 


2.  Interruption  dans  les  relations. 
(i5    Avril    i833  —  Janvier    i836.) 

En  quittant  Rome,  le  vicomte  Charles  Vilain  XIIII  n'y 
laissa  personne  pour  représenter  la  Belgique.  Mais  M.  Blon- 
deel  continua  de  résider  dans  la  capitale  du  monde  chrétien, 
ou  dans  sa  petite  propriété  de  Bargo  San  Sepolcro. 

La  Cour  de  Rome  croyait  ne  pas  avoir  à  se  louer  des  pro- 
cédés diplomatiques  du  cabinet  de  Bruxelles;  mais  elle  ne 
perdait  pas  de  vue  les  intérêts  religieux  de  la  Belgique.  Aussi, 
sans  attendre  une  décision  nouvelle  de  la  part  du  gouverne- 
ment du  Roi,  prit-elle  l'initiative  du  rétablissement  de  rap- 
ports meilleurs.  Mgr  Gizzi  fut  nommé  internonce  apstolique  à 
Bruxelles  et  agréé  comme  tel  par  le  gouvernement  du  Roi  ;  il 
présenta  ses  lettres  de  créance  le  5  juillet  i835. 

Nous  avons  raconté  ailleurs  comment  ces  avances  furent 
accueillies  parle  gouvernement  du  Roi  et  par  les  Chambres. 
Cependant,  une  mission  permanente  auprès  des  Cours  d'Italie, 
avec  résidence  à  Rome,  fut  décrétée. 

Le  ministère  belge  commit  la  faute  impardonnable  de  nom- 
mer à  ce  poste  le  vicomte  Charles  Vilain  XIIII  (4  décembre 
1 835),  avant  même  d'avoir  fait  sonder  la  Cour  de  Rome,  comme  il 
est  d'usage.  Le  vicomte  avait  étépersona  ingratissima  et  avait 
été  forcé  en  quelque  sorte  de  quitter  Rome  en  i833.  Le  cabi- 
net de  Bruxelles  aurait  voulu  braver  la  Cour  de  Rome  qu'il 
n'aurait  pas  agi  autrement.  Les  questions  de  forme  dans  la 
diplomatie  ont,  comme  devant  les  Cours  de  justice,  une 
importance  extrême  :  on  peut  dire  même  que  la  diplomatie 
vit  de  formes,  puisque  c'est  à  leur  aide  qu'elle-  garantit  en  . 
temps  de  paix  les  intérêts  du  droit  international. 

M.  Frère,  dans  son  Exposé,  nous  apprend  qu'on  manifesta 
contre  le  vicomte  «  de  telles  répugnances  que  son  départ  fut 
»  retardé  de  plus  d'un  an  ».  En  attendant,  M.  Blondeel, 
nommé  le  4  décembre  i835  secrétaire  de  légation,  fut  chargé 
des  affaires  de  la  légation  ad  intérim.  Il  arriva  à  Rome  en 
janvier  i836. 


—  i3  — 

3.  M.  Blondeel  van  Ceulebroeck,  changé  d^ affaires. 
(Janvier  i836  —  Juin  1837.) 

Voici  une  figure  originale  :  Blondeel  entra  dans  la  vie  d'une 
manière  irrégulière  (1).  Son  prédicat  de  Ceulebroek  provien- 
drait même  de  cette  irrégularité.  Sa  mère  était  de  Thourout, 
où  elle  exerçait  le  métier  de  couturière. 

Il  était  né  le  14  décembre  1809,  à  Gand,  où  sa  sœnr  occu- 
pait, à  l'époque  de  la  révolution,  une  position  modeste  dans 
un  magasin  de  détail,  rue  Maghelein. 

Blondeel  n'avait  pas  fait  de  grandes  études,  mais  il  était 
très  intelligent  et  avait  beaucoup  de  savoir  faire.  En  i83o,  il 
était  à  Cologne  où  il  donnait,  je  crois,  des  leçons  de  français 
au  cachet.  On  dit  qu'il  était  commis-voyageur  en  vins,  quand 
il  rencontra  à  Spa  le  général  Goblet,  au  fils  duquel  il  donna 
des  leçons. 

Le  général  s'intéressa  à  son  sort  et  le  fit  entrer  au  ministère 
des  affaires  étrangères  en  qualité  de  commis  de  2^  classe  (le 
3i  octobre  i832). 

Capaccini  en  arrivant  en  qualité  d'internonce  à  Bruxelles, 
avant  i83o,  avait  une  lettre  de  recommandation  pour  la  com- 
tesse de  Robiano  d'Ostreignies.  Celle-ci  loua  pour  lui  un 
appartement  dans  une  maison  sise  à  côté  de  l'hôtel  Robiano, 
rue  Bodenbroek,  la  maison  de  feu  M.  Lefebvre,  un  des  avo- 
cats les  mieux  achalandés  de  Bruxelles,  mort  échevin  de  la 
ville  en  1828.  C'est  ainsi  que  prirent  naissance  les  relations 

(1)  Voici  les  actes  que  j'ai  trouvés  dans  les  registres  de  l'état-civil  de  la  ville  de 
Gand  : 

"  Acte  de  naissance  d'Edouard  Blondeel,  né  hier  à  midi  (14  décembre  1809),  fils 
,  naturel  de  Marie  Thérèse,  âgée  de  27  ans,  couturière  à  Thourout  et  domiciliée  à 
„  Gand,  marché  aux  Bœufs,  section  de  la  Liberté,  fille  de  feu  Jean-Baptiste  et  de 
,  Thérèse  De  Bakker.  Le  sexe  de  l'enfant  a  été  reconnu  rnâle.  „ 

Le  7  avril  1834,  Edouard  Blondeel  a  été  adopté,  dans  les  formes  ordinaires  de 
l'adoption  entre-vifs,  par  Floribert  van  Ceulebroeck  : 

"  Den  7  april  1834,  voor  ons  Hamerlinck,  schepen  van  Gent,  zijn  verschenen, 
,  Floribert  Van  Ceulebroeck,  oud  55  jaren,  négociant,  geboortig  van  Seeverghem, 
,  wonende  binnen  deze  stad,  Augustinen  Kaai  ;  en  Edouard  Blondeel,  oud  '24  jaren 
„  particulière,  geboortig  dezer  stad,  wonende  te  Brussel,  natuurlijke  zoon  van 
„  Marie  Thérèse  Blondeel,  dewelke  ons  hebben  aangeboden  een  vonnis  uitgespro- 
„  ken  door  de  rechtbank  van  l''»"  aanleg,  etc.... , 


—  14  - 

de  Capaccini  avec  Mad.  Lefebvre.  Celle-ci  alla  habiter,  après 
la  révolution,  une  maison  située  rue  du  Bois-Sauvage  et 
appartenant  à  Mad.  de  Koekelberghe,  née  Basen  d'Houtain 
(cette  maison,  rebâtie  plus  tard  par  M.  Boreel,  appartient 
aujourd'hui  à  Mad.  Mathieu). 

Lorsqu'il  arriva  à  Bruxelles,  Blondeel  prit  un  appartement 
dans  cette  maison  de  Mad.  Lefebvre,  qui  recevait  beaucoup  de 
monde.  C'est  par  la  musique  qu'il  entra  dans  ce  salon.  Auda- 
cieux, beau  causeur,  il  y  joua  bientôt  son  petit  rôle.  La  fille 
de  Mad.  Lefebvre  avait  une  légère  déviation  de  la  colonne 
vertébrale.  Blondeel  ne  recula  pas  devant  ce  désagréable 
défaut  :  il  épousa  cette  bossue  et  sa  fortune. 

Quand  on  organisa  la  première  légation  du  Roi  à  Rome, 
Capaccini,  qui  avait  conservé  des  relations  avec  les  Lefebvre  et 
qui  occupait  alors  un  poste  élevé  dans  le  Gouvernement  pon- 
tifical, fit  agir  les  influences  qu'il  avait  gardées  à  Bruxelles 
pour  faire  entrer  Blondeel  dans  le  personnel  de  cette  mission. 
Il  précéda  Charles  Vilain  XIIII  à  Rome,  mais  il  ne  fut  nommé 
secrétaire  que  plus  tard. 

Le  protégé  de  Capaccini  emmena  en  Italie  sa  belle- 
mère,  sa  sœur  et  sa  femme.  Sa  sœur  épousa  bientôt  un 
gentilhomme  de  Borgo-San-Sepolcro,  où  toute  la  famille  alla 
ensuite  résider,  où  Blondeel  avait  acheté  un  petit  bien,  où 
enfin  sa  belle-mère,  sa  femme,  sa  sœur  (1871)  et  lui-même 
furent  enterrés  successivement. 

Peu  de  diplomates  ont  eu  une  carrière  plus  agitée.  A  Rome, 
grâce  à  la  protection  de  Capaccini,  grâce  aussi  à  son  intelli- 
gence ambitieuse,  il  se  fit  rapidement  une  excellente  position 
dans  le  monde.  QuandVilain  XIIII  arriva,  c'était  lui,  Blondeel, 
qui  était  le  véritable  ministre  :  le  secrétaire  protégeait  son 
chef  et,  dit-on,  le  trahit.  Son  but  était,  ajoute-t-on,  de  rendre 
la  place  impossible  à  Vilain  XIIII  et  de  l'obtenir  ensuite  pour 
lui-même.  On  raconte  à  ce  sujet  des  histoires  et  des  scènes  de 
haute  comédie  italienne.  Charles  Vilain  XIIII  se  crut  même 
obligé  un  jour  de  faire  forcer  le  secrétaire  de  Blondeel  pour 
y  trouver  les  preuves  de  sa  trahison. 

Quoi  qu'il  en  fut,  Blondeel  fit  une  rapide  carrière  malgré 


—  i5  — 

les  plaintes  amères  de  sou  chef.  Déjà  le  3o  septembre  iSSy  il 
était  nommé  consul  général  à  Alexandrie.  Puis  successivement 
consul  général  chargé  d'affaires  à  Mexico,  où  il  n'alla  pas 
(i  avril  1845),  commissaire  du  {Gouvernement  au  Guatemala, 
chargé  d'affaires  à  Constantinople  (3 1  octobre  1848),  ministre 
résident  au  même  poste  (6  décembre  i853),  d'où  il  fut  ren- 
voyé après  un  conflit  retentissant  avec  le  gouvernement  turc 
qui  lui  remit  ses  passeports  ;  ministre  résident  à  Washington 
(25  décembre  iSSy),  envoyé  extraordinaire  au  môme  poste 
(i5  juin  1859),  envoyé  extraordinaire  à  Mexico  (1  janvier 
i865)  :  prévoyant  la  chute  de  l'empereur  Maximilien,  il  avait 
eu  soin  de  se  faire  délivrer  un  congé  ;  voilà  pourquoi  il  apprit 
la  catastrophe  de  Queretaro  dans  sa  villa  d'Italie.  Mis  en 
disponibilité  le  10  décembre  1867,  il  était  nommé,  l'année 
suivante,  envoyé  extraordinaire  en  Espagne  (3o  avril  1868). 
Il  mourut  à  Madrid  le  i3  septembre  1872. 

L'année  précédente  (7  octobre  1871),  il  s'était  remarié  à 
Londres  avec  une  veuve  sur  le  retour,  une  américaine  de 
Philadelphie,  M'"^  E.  Willing,  qui  reçut  le  cordon  de  Marie- 
Louise  sous  le  roi  Amédée  d'Espagne.  Lui-môme  avait  obtenu 
du  pape  Grégoire  XVI  un  titre  de  comte. 

Le  roi  Léopold  F''  avait  une  haute  idée  des  talents  de  Blon- 
deel  et  l'employa  très  fréquemment  dans  des  missions  plus  ou 
moins  secrètes,  en  Egypte,  à  Francfort,  dans  les  Principau- 
tés danubiennes,  en  Abyssinie,  en  Italie,  au  Guatemala,  etc. 
A-t-il  réellement  été  en  Abyssinie  ?  Il  est  certain  qu'il  rencon- 
tra, à  Alexandie,  l'Abouna,  nom  que  porte  le  métropolitain 
Copte  de  l' Abyssinie,  avec  lequel  il  entra  en  arrangement 
pour  une  colonisation  belge  dans  les  pays,  où  les  Italiens 
dépensent  aujourd'hui  tant  d'argent  et  de  sang.  A  son  retour 
en  Europe,  Blondeel  rédigea  un  beau  rapport  au  Roi  sur 
l'Abyssinie,  où  il  avait  mené  une  vie  pleine  d'aventures. 

Ses  démêlés  avec  le  gouvernement  turc  à  Constantinople  et 
dans  les  Principautés  danubiennes,  le  rôle  qu'il  joua  au 
Mexique  et  dans  l'incident  dont  fut  victime  M.  Eugène  de 
Kerckhove,  ministre  de  Turquie  à  Bruxelles,  etc.,  etc.,  sont 
un  peu  oubliés  aujourd'hui,  mais  démontrent  son  activité  et 
son  esprit  inventif. 


—  i6  — 

4.    Le  vicomte  Charles   Vilain  XIIII  [pour  la  seconde  fois], 
envoyé  exU'aordinaire,  ministre  plénipotentiaire. 

(Juin    1837— SoOctobre  1887.) 

La  seconde  mission  de  Charles  Vilain  XIIII  est  une  preuve 
éclatante  de  la  longanimité  du  Saint-Siège  et  de  sa  bienveil- 
lance pour  la  Belgique. 

Nous  disions  plus  haut  que  la  personne  du  noble  vicomte 
était  à  Rome  mgratissima,  à  tort  ou  à  raison.  Le  Cabinet  de 
Bruxelles  avait  commis  la  faute  de  le  nommer  une  seconde 
fois,  sans  demander  auparavant  et  directement  s'il  serait  agréé. 
Il  commit  une  deuxième  faute  en  s'obstinant  à  l'envoyer  à  son 
poste,  malgré  le  Gouvernement  pontifical.  Vis-à-vis  de  la 
France,  de  la  Prusse  ou  de  l'Angleterre,  on  se  serait  abstenu 
avec  soin  et  prudence  de  prendre  une  attitude  aussi  arrogante 
et  si  peu  diplomatique.  La  Cour  de  Rome  résista,  comme  c'était 
son  droit.  Dans  son  Exposé,  M.  Frère,  oubliant  ce  qu'il  avait 
écrit  deux  pages  plus  haut,  fait  les  aveux  suivants  (v.  T.  I, 
p.  xi): 

«  C'est  un  simple  chargé  d'affaire,  M.  Blondeel,  qui  ouvre, 
en  janvier  i836,  nos  relations  diplomatiques  avec  Rome. 
Grégoire  XVI,  comme  le  cardinal  Lambruschini,  ne  laissent 
passer  aucune  occasion  de  lui  témoigner  qu'ils  ne  désirent  pas 
de  changement  à  cette  situation,  qu'ils  ne  sont  nullement 
pressés  de  recevoir  le  Ministre  belge.  Cependant,  vers  la  fin 
de  i836,  M.  de  Muelenaere  d'abord,  et  bientôt  après  son  suc- 
cesseur au  ministère  des  affaires  étrangères.  M,  de  Theux, 
firent  des  démarches  pressantes  pour  obtenir  l'agréation  de 
M.  Vilain  XIIII  ;  une  double  négociation  s'engagea,  à  Rome 
par  notre  chargé  d'affaires,  à  Bruxelles  par  l'intermédiaire 
de  l'internonce,  Mgr  Gizzi.  On  sut  alors  que  le  principal  grief 
du  Gouvernement  pontifical  contre  notre  Ministre  ne  consis- 
tait pas  tant  dans  son  adhésion  antérieure  aux  doctrines  de 
Lamennais,  dont  on  pouvait  le  croire  revenu,  puisqu'il  ne 
s'était  pas  insurgé  contre  l'encyclique  de  i832,  que  c'étaient 
surtout  les  jugements  rigoureux  émis  par  lui,  à  l'époque  de  sa 


-   17  — 

première  mission,  sur  l'administration  temporelle  des  Etats 
romains,  qu'on  ne  pouvait  lui  pardonner.  » 

M.  Frère  reconnaît  donc  que  l'Encyclique  Mirari  Vos  n'a 
été  pour  rien  dans  le  refus  d'agréation  du  vicomte  Charles 
Vilain  XIIII. 

Le  Cabinet  de  BruxpUes  (M.  de  Theux  était  alors  ministre 
des  affaires  étrangères)  ne  voulut  pas  céder  aux  légitimes 
réclamations  de  la  Cour  de  Rome.  Ce  fut  encore  une  fois  le 
Pape  qui  donna  l'exemple  de  la  conciliation.  Une  transaction 
intervint,  grâce  à  sa  royale  condescendance. 

«  Il  fut  convenu  (Voy.  Exposé,  T.  I,  p.  xii)  que  le  Souverain 
Pontife  recevrait  M.  le  vicomte  Vilain  XIIII  pour  la  remise 
de  ses  lettres  de  créance,  et  qu'aussitôt  après  celui-ci  quitte- 
rait Rome.  Ce  compromis  reçut  son  exécution,  avec  cette 
circonstance  aggravante  que  la  réception,  d'après  un  billet  du 
cardinal  Lambruschini  du  i3  juin  iSSy,  eut  lieu  en  audience 
privée. 

^'^  Jusqu'en  août  1889,  époque  ou  sa  mission  prit  fin,  notre 
ministre  résida  tour  à  tour  à  Naples  ou  à  Florence,  mais  il  ne 
reparut  plus  à  Rome,  où  la  Belgique  continua  d'être  représen- 
tée par  un  chargé  d'affaires  :  ce  fut  M.  Blondeel  d'abord, 
M.  Vermersch  ensuite.  » 

Ces  tiraillements,  dont  la  .responsabilité  incombait  exclu- 
sivement au  Cabinet  de  Bruxelles,  n'étaient  pas  faits  pour  amé- 
liorer les  rapports  de  la  Belgique  avec  la  Cour  de  Rome. 
Aussi,  la  mission  de  Mgr  Gizzi,  dont  les  débuts  avaient  été  si 
heureux,  fut-elle  arrêtée  subitement  :  l'internonce  quittait 
Bruxelles  (1 5  juin  iSSy),  au  moment  même  où  le  Ministre 
belge  désigné  était  reçu  en  audience  par  le  pape  (  1 3  juin  1  SSy)  ; 
le  cardinal-secrétaire  d'État,  en  le  rappelant,  «  pour  des 
motifs  de  santé  »  ,  l'avait  engagé  à  presser  le  plus  possible 
son  départ.  La  nonciature  fut  gérée  ad  intérim  pendant  plus 
de  dix  mois  par  Mgr  Spinelli. 

A  l'occasion  du  départ  de  Mgr  Gizzi,  le  Cabinet  de  Bruxelles 
(toujours  M.  de  Theux  étant  ministre  des  affaires  étrangères) 
commit  une  troisième  faute,  greffée  sur  une  ignorance  déplo- 
rable des  usages  diplomatiques. 


«  D'après  un  usage  généralement  suivi  par  la  chancellerie 
romaine,  Mgr  Gizzi  n'avait  pas  remis,  en  prenant  congé  du 
Roi,  des  lettres  de  rappel  (i).M.  deTlieux,  ignorant  l'existence 
de  cette  règle,  fut  froissé  d'une  omission  qui  lui  parut  bles- 
sante. Après  quatre  mois  d'attente,  il  manda  à  M.  Vilain  XIIII 
de  considérer  sa  mission  auprès  du  Pape  comme  terminée,  de 
solliciter  une  audience  de  congé  du  Saint-Père  et  d'accréditer 
auprès  de  son  secrétaire  d'État  M.  Vermersch  en  qualité  de 
chargé  d'affaires.  C'était  la  stricte  réciprocité  des  procédés  du 
Vatican  (2)  :  les  lettres  de  rappel  ne  devaient  être  expédiées 
que  lorsqu'on  aurait  reçu  celles  de  l'internonce  (3). 

«  Ce  ne  fut  pas  toutefois  ce  motif  seul  qui  dicta  en  cette  cir- 
constance les  résolutions  du  gouvernement.  M.  de  Theux,  en 
prescrivant  à  notre  Ministre  de  prendre  congé  du  Pape  "  dès 
la  réception  de  sa  dépêche  «  ,  et  de  se  faire  remplacer  par  un 
chargé  d'affaires  avant  le  19  octobre,  exécutait  un  engagement 
contracté  envers  la  Cour  pontificale.  On  se  rappelle  que 
M.  Vilain  XIIII  avait  dû  quitter  Rome  immédiatement  après 
sa  réception  par  le  Pape  ;  il  paraît  avoir  été  convenu ,  en 
outre,  qu'il  ne  resterait  guère  plus  de  quatre  mois  accrédité 
auprès  du  Saint-Siège.  En  effet,  en  annonçant  l'exécution 
ponctuelle  des  instructions  qui  lui  étaient  transmises,  il  écri- 
vait à  M.  de  Theux  : 

«  Il  m'a  semblé  qu'il  était  de  mon  devoir  de  constater  offi- 
y>  ciellement  vis  à  vis  du  Saint-Siège  la  détermination  du  gou- 
"  vernement  prise  en  temps  utile  pour  remplir  des  engagements 
«  antérieurs  (4).  «  Une  indisposition  de  M.  Vermersch,  qui  hi 
força  de  s'arrêter  quelques  jours  à  Genève,  retarda  l'arrivée  de 
ces  instructions.  M.  Vilain  XIIII  ne  les  reçut  que  le  1 9  octobre  ; 
il  se  trouvait  alors  à  Florence.  C'est  de  là  qu'il  écrivit  le  même 
jour  au  cardinal  Lambruschini  pour  lui  notifier  la  fin  de  la 
mission  qu'il  remplissait  près  du  Gouvernement  pontifical  et 
son  départ  immédiat  pour  Rome  dans  le  but  de  prendre  coiigé 


(1)  Voy.  Exposé,  t.  II,  p.  vi-vui. 

(:2)  Stricte  réciprocité  ?  Je  ne  comprends  pas, 

(3)  Dépêche  de  M.  de  Theux,  2  octobre  1837.  • 

(4)  Dépêche  du  vicomte  Vilain  XIIII,  20  octobre  1837. 


—  19  — 

du  Saint-Père.  Ce  fut  le  substitut  du  cardinal,  Mgr  Capaccini, 
qui  lui  répondit  que  le  Pape,  «  ayant  appris  que  Son  Excel- 
r>  lence  ne  mettait  pas  un  intérêt  particulier  à  obtenir  une 
»  audience  avec  les  formalités  habituelles,  ce  qui  n'aurait  pu 
7>  avoir  lieu  qu'nprès  la  fête  de  saint  Martin,  la  recevrait  avec 
r>  plaisir  le  lundi  soir  à  une  heure  de  la  nuit  (i).  " 

«  Rien  n'indique,  ni  dans  les  instructions  de  M.  de  Theux, 
ni  dans  la  demande  d'audience  du  vicomte  Vilain  XIIII,  que  le 
Ministre  de  Belgique  dût  ou  entendît  être  reçu  autrement  que 
dans  les  conditions  ordinaires.  Si  sa  demande  avait  un  carac- 
tère d'urgence,  elle  ne  l'avait  qu'au  point  de  vue  du  gouver- 
nement, qui  exécutait  un  engagement.  La  Cour  de  Rome 
aurait  pu  prolonger  le  délai  et  on  lui  en  aurait  su  gré  ;  elle 
n'en  fit  rien.  M.  Vilain  XIIII  fut  donc  reçu  au  Vatican  en 
audience  privée  à  son  départ  comme  il  l'avait  été  à  son  arrivée. 

w  Le  !"■  novembre,  M.  Vilain  XIIII  écrit  de  nouveau  au 
cardinal  Lambruschini  et  lui  demande  une  entrevue  pour  lui 
présenter  notre  chargé  d'affaires,  M.  Vermersch.  Ce  fut 
encore  Mgr  Capaccini  qui  répondit,  le  même  jour,  qu'il  se 
chargerait  lui-même  de  ce  soin  à  la  place  du  cardinal  absent.  » 

En  réalité,  la  seconde  mission  du  vicomte  Charles  Vilain 
XIIII  n'eut  d'autre  importance  que  celle  que  lui  accorda  la 
bonté  de  la  Cour  de  Rome.  Celle-ci  ne  voulut  pas  faire  injure 
au  Ministre  belge,  qui  fut  reçu,  par  courtoisie,  puis  partit 
pour  ne  plus  revenir.  Son  action  diplomatique  fut  nulle.  Il  fut 
reçu  une  fois  en  audience  privée  à  son  arrivée,  puis,  une  autre 
fois,  en  audience  privée  pour  son  départ.  Officiellement,  il 
fut  accrédité  pendant  quatre  mois  auprès  du  Pape.  En  réalité, 
il  ne  fit  que  passer  par  Rome  et  se  rendre  à  Naples  et  à  Flo- 
rence. Après  octobre  iSSy,  sa  mission  était  terminée  à  Rome. 
A  Naples  et  à  Florence  elle  dura  jusqu'en  août  1889. 

M.  Frère,  qui  admet  aisément  qu'on  se  passe  de  l'avis  de 
la  Cour  de  Rome,  dans  les  choses  importantes  de  la  vie  morale 
des  nations,  loue  le  vicomte  Ch.  Vilain  XIIII  de  s'être  mêlé, 
lui.  Ministre  belge  à  Naples,  des  affaires  du  clergé  belge  dans 

(1)  Vers  six  heures  du  soir.  —  Lettre  de  Mgr  Capaccini,  28  octobre  1837. 


—    20    — 

ses  rapports  avec  les  troubles  religieux  des  provinces  rhéna- 
nes : 

«  La  seconde  mission  du  vicomte  Vilain  XIIII  à  Rome  n'a 
donc  eu,  dit-il  (i),  qu'une  durée  effective  de  quatre  mois.  Elle 
avait  cessé  quand  ce  ministre  signalait  de  Naples,  le  i3  décem- 
bre 1837,  les  dangers  que  faisait  courir  au  pays  l'attitude  du 
clergé  belge  à  l'égard  du  gouvernement  prussien,  dans  le  conflit 
soulevé  à  l'occasion  des  mariages  mixtes.  Les  démarches  du 
chargé  d'aiïaires  de  cette  puissance  à  Bruxelles  confirmaient,  à 
cette  époque,  les  informations  de  M,  Vilain  XIIII.  Le  comte  de 
Galen  se  plaignait  des  agissements  de  notre  Episcopat  ;  il  lui 
reprochait  d'intervenir  dans  les  difficultés  intérieures  d'un 
Etat  étranger  et  de  soutenir  l'opposition  du  clergé  allemand 
dans  le  diocèse  de  Cologne.  Ces  reproches  s'adressaient  spé- 
cialement à  l'évêque  de  Liège,  auquel  M.  de  Theux  crut  devoir 
demander  des  explications. 

»  Le  Prélat, mis  en  cause, se  défend  vivement, dans  une  lon- 
gue lettre  qui  porte  la  date  du  i3  décembre  1837.  Il  nie  que 
des  sermons  provocateurs  envers  le  gouvernement  de  la 
Prusse  aient  été  prononcés  dans  son  diocèse  à  propos  de  l'Ar- 
chevêque de  Cologne,  M.  Droste  de  Vischering.  Un  seul  pré- 
dicateur étranger  a  qualifié  cet  acte  d'événement  déplorable, 
mais  sans  aucune  excitation  à  la  révolte.  L'évêque  de  Liège 
rétorque  l'accusation  et  dénonce  l'hostilité  systématique  de 
l'administration  prussienne,  et  d'une  presse  placée  sous  sa 
censure,  envers  lui-même  comme  envers  son  clergé  qu'on  ap- 
pelle le  parti  prêtre  belge  révolutionnaire  fomentant  un  sou- 
lèvement dans  les  provinces  rhénanes.  Il  se  plaint  d'avoir  été 
en  quelque  sorte,  à  son  tour,  décrété  de  prise  de  corps  en 
Prusse,  alors  —  il  affirme  ce  fait  sur  l'honneur  —  qu'il  n'avait 
eu  avec  l'archevêque  de  Cologne,  malgré  d'anciens  rapports 
d'amitié,  «  aucune  espèce  de  communication  ni  directe  ni  indi- 
«  recte,  ni  orale  ni  par  lettres,  confidents  ou  confidences  ora- 
»  les  ».  Cette  lettre  justificative  coïncidait  à  peu  près  jour 
par  jour  avec  la  dépêche  de  M.  Vilain  XIIII,  auquel  M.   de 

(1)  Exposé,  T.  II,  p.  VIII,  sq. 


—    21    — 

Theux  crut  devoir  en  donner  communication.  Elle  ne  paraît 
guère  avoir  atteint  son  but,  puisqu'en  iSSg  les  défiances  du 
gouvernement  prussien  envers  notre  clergé  n'étaient  rien 
moins  qu'apaisées.  " 

Mais,  comme  le  démontra  Mgr  van  Bomel,  les  «  défiances 
du  gouvernement  prussien  »  étaient  injustifiées.  Tout  aussi 
injustifiée  était  l'intervention  de  Charles  Vilain  XIIII  en  cette 
affaire. 

5.  M.  Vermersch,  chargé  d'affaires. 
(Novembre  iSSy  —  Mars  1840.) 

Charles  Vilain  XIIII,  reçu  en  juin  iSSy  par  Grégoire  XVI, 
devait  se  faire  remplacer  par  un  chargé  d'affaires  «  avant  le 
ig  octobre  w.  M..  Vermersch,  qui  lui  apportait  ses  instruc- 
tions, était  tombé  malade  à  Genève.  Le  ministre  fut  reçu 
par  le  Pape  en  audience  privée  à  la  fin  d'octobre.  C'est  Mgr 
Capaccini,  sous-secrétaire  d'Etat,  qui,  en  l'absence  du  cardi- 
nal Lambruschini,  présenta  M.  Vermersch  en  qualité  de 
chargé  d'affaires. 

M.  Vermersch,  qui  avait  été  attaché  à  la  Légation  de  M. 
Le  Hon,  à  Paris,  avait  été  nommé  en  i836  deuxième  secré- 
taire de  la  mission  de  Charles  Vilain  XIIII  à  Rome  —  Naples 
—  Florence.  Quand  M.  Blondeel,  qui  était  devenu  premier 
secrétaire,  se  brouilla  avec  son  chef  et  fut  envoyé  en  Egypte  en 
septembre  iSSy,  M.  Vermersch  prit  sa  place. 

Il  occupa  honorablement  pendant  deux  ans  les  fonctions  de 
chargé  d'affaires  ad  intérim  jusqu'à  la  nomination  du  comte 
d'Oultremont,  en  qualité  de  ministre  plénipotentiaire. 

Nommé  en  iSSg  premier  secrétaire  à  La  Haye  et  placé  sous 
les  ordres  du  prince  de  Chimay,  père  du  ministre  actuel  et 
envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  à  la  cour 
du  roi  Guillaume   (1),  M.   Vermersch  fut   promu,   en   1847, 

(1)  C'est  à  la  Haye  que  M.  Vermersch  épousa  la  fille  du  comte  de  Heerdt,  un 
des  compagnons  d'exil  du  roi  Guillaume  P^  De  ce  mariage  sont  issus  3  enfants  : 
un  fils  et  deux  tilles.  Le  fils  est  capitaine  en  1^"'  adjoint  d'état  major.  Une  des  filles 
a  épousé  M.  de  Santa-Maria,  ministre  résident  des  Etats-Unis  de  Colombie  à 
Bruxelles,  depuis  1878. 

2 


—    22    — 

chargé  d'affaires  à  Athènes,  où  il  ne  resta  que  deux  ans.  A 
son  retour  il  refusa  d'aller  au  Mexique  et  jDréféra  accepter 
(i852)  les  fonctions  de  commissaire  d'arrondissement  à  Has- 
selt,   qu'il  occupe  encore  aujourd'hui. 

6.  Le  comte  d'Oultremont,  envoyé  extraordinaire  et 
ministre  plénijpotentiaire . 

(i5  Novembre  iSSg  —  1844.) 

Il  est  digne  de  remarque  que  nos  relations  diplomatiques  ne 
prirent  un  aspect  un  peu  satisfaisant  qu'après  l'avènement 
du  cabinet  libéral  de  1840,  Il  est  vrai  que  le  ministre  chargé 
du  portefeuille  des  affaires  étrangères  était  Joseph  Lebeau, 
un  homme  de  parti,  assurément,  mais  aussi  un  homme  d'État 
d'une  espèce  malheureusement  très  rare,  surtout  dans  le  parti 
libéral.  Lebeau  dans  un  grand  pays  serait  devenu  un  homme 
illustre.  Il  est  regrettable  que  les  chefs  du  parti  libéral  n'aient 
pas  su  plus  tard  imiter  la  conduite  d'un  ministre  dont  l'action 
à  Rome  avait  été  immédiatement  si  féconde. 

Il  est  vrai  de  dire  aussi  qu'à  cette  époque  il  y  avait  à  Bru- 
xelles un  nonce  d'une  valeur  exceptionnelle.  Le  Saint-Siège, 
malgré  tous  ses  griefs  contre  le  Cabinet  de  Bruxelles, avait  pris 
encore  une  fois,  pour  la  troisième  fois  depuis  1832,  l'initiative 
de  négociations  conciliatrices  :  le  23  avril  i838  Mgr  Fornari 
était  arrivé  à  Bruxelles  en  qualité  de  chargé  d'affaires. 

A  cet  acte  diplomatique,  le  gouvernement  ne  répondit  par 
un  acte  de  même  valeur  qu'au  mois  de  mars  1889,  en  nom- 
miant  le  comte  d'Oultremont,  ministre  plénipotentiaire  auprès 
du  Saint-Siège.  M.  d'Oultremont  avait  été  choisi  par  les  mem- 
bres du  Cabinet  de  M.  de  Theux  ;  mais  il  fut  maintenu  en  fonc- 
tion par  le  ministère  libéral  qui  lui  succéda.  Parfaitement 
accueilli  à  Rome  («  avec  empressement  " ,  dit  M.  Frère,  Exposé, 
t.  I,  p.  xiii),  le  nouveau  ministre  belge  y  jouit  d'un  grand  cré- 
dit et  y  joua  un  rôle  conforme  à  son  haut  rang  social  et  à  sa 
grande  fortune.  Malheureusement,  pour  les  intérêts  belges,  il 
n'avait  accepté  le  poste  qu'à  la  condition  qu'il  pourrait  passer 


—    23    — 

les  étés  en  Belgique.  Pendant  ses  fréquentes  absences,  la 
légation  fut  gérée  par  Prosper  Noyer,  conseiller  de  légation. 
Reçu  par  le  Pape  Grégoire  XVI  le  i5  novembre  i83g,  le 
nouveau  ministre  prenait  déjà,  le  7  avril  1840,  un  congé 
pour  revenir  en  Belgique. 

Émile-Charles-Désiré-Antoine-Joseph,  comte  d'Oultremont 
de  Wégimont  et  de  Warfusée,  était  né  à  Anvers  le  1 1  juillet 
1787.  Membre  de  l'ordre  équestre  de  la  province  de  Liège,  il 
V  fut  un  des  membres  les  plus  actifs  de  l'opposition  catholique 
avant  i83o.  Élu  député  suppléant  au  Congrès  National,  il 
devint  membre  effectif  de  cette  assemblée  illustre  le  18  mai 
i83i,  ensuite  sénateur  depuis  l'institution  de  ce  premier  corps 
de  l'Etat  jusqu'en  1837.  Il  avait  épousé,  le  2g  juin  1814, 
M^^*'  Marie  Béatrix  de  Lierneux,  baronne  de  Presles.  Le  comte 
d'Oultremont  est  mort  au  château  de  Warfusée  le  4  août  i85 1 . 

La  mission  du  comte  d'Oultremont  a  été  très  féconde.  A 
elle  seule,  elle  a  été  la  démonstration  vivante  de  la  nécessité 
de  nos  relations  diplomatiques  permanentes  avec  le  Saint- 
Siège.  Il  n'est  pas  inutile  en  effet  d'examiner  rapidement  les 
principaux  faits  de  l'activité  diplomatique  de  cette  mission  :  le 
maintien  de  bons  rapports  du  Saint-Siège  avec  le  Cabinet 
libéral  de  1840,  le  retrait  de  la  proposition  Brabant-Dubus, 
la  loi  sur  l'enseignement  primaire,  l'incident  Garibaldi,  la 
question  des  jésuites  et  de  l'université  de  Louvain,  etc.,  etc. 

Quant  aux  rapports  du  ministère  libéral  de  1840  avec  la 
Cour  de  Rome, le  Ministre  des  affaires  étrangères  exprima  lui- 
même,  dans  une  dépêche  du  8  mai  1840,  le  vœu  de  voir  régner 
des  sentiments  de  bienveillance  et  de  confiance  réciproque 
entre  le  Gouvernement  belge  et  le  Saint-Siège.  M.  Noyer, 
chargé  d'affaires  à  ce  moment,  entretint  de  ces  dispositions 
le  cardinal  Lambruschini. 

«  Peu  nous  importe  —  répondit  celui-ci  —  quels  sont  les 
noms  des  personnes  qui  gouvernent,  pourvu  que  le  gouverne- 
ment reste  bon  et  attaché  au  Saint-Siège  ;  c'est  avec  sensibilité 
que  je  vois  les  égards  que  M.  le  Ministre  des  affaires  étran- 
gères me  témoigne.  Le  Gouvernement  pontifical  a  sa  résolu- 
tion bien  arrêtée  dans  cette  circonstance  :  «  Si  l'Église  veut 


-    24   — 

y>  être  protégée  par  le  Gouvernement,  ce  doit  être  à  la  condition 
T  que  le  Gotwernement  soit  fortifié  par  elle.  r> 

y>  J'annonçai  à  son  Eminence  l'intention  de  rapporter  fidè- 
lement ces  paroles,  parce  qu'il  était  à  désirer  que  ce  respec- 
table concours  fût  connu  à  Bruxelles.  Son  Eminence  me 
déclara  que  non  seulement  elle  m'y  autorisait,  mais  que  les 
instructions  qu'Elle  adresserait  à  la  Nonciature  apostolique 
à  Bruxelles  seraient  conçues  dans  les  mêmes  termes,  afin 
qu'au  besoin  les  influences  convenables  partissent  de  là. 

n  Son  Eminence  paraissait  avoir  de  cet  entretien  autant  de 
satisfaction  que  moi-même,  car  son  accueil  a  été  pour  moi 
d'une  bienveillance  dont  je  ne  puis  assez  me  louer  (i).  y> 

L'expression  de  cette  satisfaction  n'empêche  pas  M.  Frère 
d'ajouter  immédiatement  (T.  II,  x  et  xi)  : 

"  Un  an  après,  cette  administration  libérale,  qui  n'avait  donné 
à  l'Eglise  ni  à  son  chef  aucun  sujet  de  plainte,  était  violem- 
ment renversée  du  pouvoir,  dans  la  crainte  qu'elle  n'entreprît 
de  trancher  la  question  pendante  de  l'organisation  de  l'ensei- 
gnement primaire,  et,  aux  élections  du  mois  de  juin  1841,  le 
Saint  -  Siège  intervenait  directement  pour  l'empêcher  d'y 
remonter.  » 

J'ignore  sur  quels  documents  V Exposé  s'appuie  pour  affir- 
mer aussi  catégoriquement  un  fait  d'une  telle  portée.  Il  cite 
une  note  du  cardinal  Lambruschini,  secrétaire  d'Etat,  en  date 
du  6  mai  1841,  mais  cette  note  semble  démontrer  précisément 
le  contraire.  Il  cite  aussi  une  pastorale  du  cardinal  Sterckx, 
invitant  les  fidèles  de  son  diocèse  à  se  rendre  au  scrutin  ; 
mais  cette  pastorale  ne  prouve  rien  contre  les  loyales  inten- 
tions du  Saint-Siège,  si  bien  interprétées  à  Bruxelles  par  Mgr 
Fornari  :  on  peut  affirmer  que  le  Saint-Siège  n'a  rienioAi  pour 
renverser  le  Cabinet  de  1840,  qu'il  a  profité  au  contraire  de 
la  présence  de  ce  dernier  au  pouvoir  pour  améliorer  ses  rela- 
tions avec  notre  pays,  et  qu'il  a  agi  en  toute  circonstance  avec 
une  circonspection  exemplaire.  La  mémoire  de  M.  d'Oultre- 
mpnt  doit  être  louée,  puisque  le  noble  comte  contribua  à 
édifier  un  état  de  choses  diplomatiques  si  satisfaisant. 

(1)  Dépêche  de  M.  P.  Noyer,  29  mai  1840. 


—  •25    — 

U Exposé  reconnaît  aussi  que  c'est  grâce  aux  efforts  combinés 
du  comte  d'Oultremont  et  de  Mgr  Fornari  que  le  Saint-Siège 
réussit  à  persuader  aux  évêques  de  demander  le  retrait  de  la 
proposition  Brabant-Dubus  (i). 

On  sait  ce  qu'était  cette  proposition.  M.  Brabant,  représen- 
tant pour  Namur,  et  M.  du  Bus,  représentant  pour  Tournai, 
usant  de  leur  droit  d'initiative  parlementaire,  avaient  proposé 
un  projet  de  loi  qui  aurait  donné  à  l'Université  de  Louvain  la 
personnification  civile.  Cette  proposition  si  simple  d'un  état  de 
choses  légal,  qui  a  existé  ^comme  droit  commun  chez  nous  et 
en  Europe  pendant  des  siècles,  qui  existe  encore  en  Angle- 
terre et  aux  États-Unis,  fit  jeter  les  hauts  cris  au  parti  libéral. 
On  eût  dit  qu'il  s'agissait  du  renversement  de  la  Constitution, 
Les  appréhensions  du  parti  libéral  étaient,  selon  moi,  d'autant 
moins  justifiées  que  la  personnification  civile  de  l'Université  de 
Louvain  entraînait  la  publicité  de  ses  comptes,  l'ingérence 
annuelle  de  Monsieur  l'Etat  dans  ses  affaires  et  la  discussion 
quotidienne  de  son  administration  par  la  presse.  Quoi  qu'il 
en  soit,  le  parti  libéral  redoutait  l'adoption  de  la  proposition, 
à  un  tel  point,  que  son  retrait,  dû  aux  conseils  de  Grégoire  XVI 
et  de  son  envoyé,  Fornari,  fut  considéré  par  les  libéraux  du 
temps  comme  un  service  signalé  rendu  au  pays  par  le  Saint- 
Siège. 

L'exposé  complet  de  la  question  des  jésuites  et  de  l'Univer- 
sité de  Louvain  demanderait  de  très  longs  développements. 
Bornons-nous  à  dire  qu'on  prêtait  à  la  compagnie  de  Jésus  le 
projet  d'user  de  son  influence  à  Rome  pour  prendre  la  direc- 
tion de  l'Université  catholique  ou  tout  au  moins  pour  accaparer 
la  faculté  de  théologie,  comme  ci-devant  dans  diverses  univer- 
sités d'Espagne,  d'Allemagne  et  d'Italie.  Certains  jésuites 
influents  de  notre  pays  ont  protesté  contre  les  intentions  qu'on 
leur  prêtait.  C'est  le  cas  de  répéter  qu'on  ne  prête  qu'aux 
riches  ;  car  dans  les  actes  diplomatiques  de  nos  divers  agents 


(1)  M.  Frère  dit  dans  son  Exposé  (T.  II,  p.  xir)  :  "  Grégoire  XVItw^ose  à  l'Episco- 
pat  l'abandon  de  la  proposition  Biabant-Dubus.  „  Le  verbe  imposer  dépasse  la 
mesure.  L'évêque  de  Rome  n'impose  quelque  chose  aux  apôtres,  ses  frères,  les 
évèques,  que  dans  des  cas  excessivement  rares  dans  l'histoiie  de  l'Eglise. 


—    26    — 

à  Rome  cette  question  est  agitée  et  indiquée  comme  tenant  au 
cœur  de  nos  gouvernants  et  de  nos  évéques,  très  hostiles  à 
toute  ingérence  de  la  compagnie  de  Jésus  dans  les  affaires  de 
l'Université  de  Louvain  et  des  établissements  d'instruction 
créés  par  le  clergé  et  les  fidèles. 

Mgr  Fornari  et  le  comte  d'Oultremont  s'employèrent  acti- 
vement pour  tranquilliser  les  évêques  et  reçurent  les  éloges 
de  nos  divers  gouvernants,  surtout  ceux  des  libéraux  de 
1840  et  des   «   Mixtes  »  qui  leur  succédèrent  en  1841. 

J'ai  traité  ailleurs  de  l'incident  Garibaldi.  Je  dois  encore 
en  citer  ici  un  détail  important.  Grâce  à  la  prompte  interven- 
tion du  comte  d'Oultremont,  la  nomination  de  Mgr  Garibaldi 
n'avait  pas  été  "  consommée  »  (c'est  le  terme  dont  se  sert 
V Exposé,  t.  I,  p.  xvii).  Le  Saint-Siège  «  voulait  »»  le  nom- 
mer nonce  à  Bruxelles,  mais  ne  le  nomma  pas  parce  que  la 
Cour  de  Bruxelles  avait  refusé  d'agréer  cette  nomination.  Le 
Cabinet  belge,  au  contraire,  avait  nommé  en  i835  le  vicomte 
Charles  Vilain  XIIII,  sans  demander  l'agréation  de  son  can- 
didat par  le  Saint-Siège  et,  malgré  ce  fait  blâmable  en 
matière  diplomatique,  cet  homme  distingué  fut  reçu  à  Rome 
de  la  manière  qui  a  été  rapportée  plus  haut,  et  cela  pour 
obliger  le  gouvernement  belge.  Cette  différence  dans  les 
procédés  diplomatiques  des  deux  cours  est'  à  noter.  C'est  à 
la  suite  des  réclamations  du  comte  d'Oultremont  que  Mgr  Pecci 
fut  nommé,  au  lieu  de  Mgr  Garibaldi. 

Quant  à  l'élaboration,  à  la  discussion  et  à  l'application  de 
l'excellente  loi  de  1842  sur  l'enseignement  primaire,  loi  qui 
fut  votée  presqu'à  l'unanimité  par  le  Parlement  et  qui  pendant 
36  ans  a  fonctionné  pour  le  bien  de  notre  peuple  et  de  notre 
patrie,  le  rôle  de  la  nonciature  et  celui  de  notre  légation  à 
Rome  ont  servi  admirablement  les  bonnes  intentions  du  gou- 
vernement du  Roi.  Le  baron  Nothomb  s'en  est  expliqué  en 
plus  d'une  occasion.  Mgr  Fornari  n'a  cessé  d'appuyer  de  son 
autorité  toutes  les  prétentions  du  gouvernement  dans  ce 
quelles  avaient  de  légitime.  Il  est  regrettable  qu'en  i85o 
et  en  1878  le  gouvernement  n'ait  pas  suivi  les  traditions 
de  1842:  nous  aurions  fait  de  meilleure  besogne  législative  et 
évité  de  graves  inconvénients. 


—   27   — 

La  Cour  de  Rome  vit  partir  à  regret  le  comte  d'Oultrcmont, 
qui  présenta  ses  lettres  de  rappel  au  printemps  de  1844. 

Sa  légation  comprenait  au  commencement  un  personnel 
assez  nombreux  :  M.  Prosper  Noyer,  le  baron  V.  d'Hoogh- 
vorst,  beau-fils  du  comte  d'Oultremont,  le  comte  Charles 
d'Oultremont,  son  fils,  et  le  baron  Amand  van  den  Steen  de 
Jehay. 

Après  le  départ  du  comte  d'Oultremont,  Prosper  Noyer 
remplit  les  fonctions  de  chargé  d'afiaires  jusqu'à  la  fin  de 
l'année  1844. 

7.  Le  baron  van  den  Steen  de  Jehay,  envoyé  extraordinaire  et 
ministre  plénipotentiaire . 

(20  Décembre  1844- 13  Mai  1846.) 

J'ignore  pour  quel  motif  le  comte  d'Oultremont  ne  fut  pas 
immédiatement  remplacé.  Son  successeur  ne  tarda  pas  cepen- 
dant à  être  désigné,  car  déjà  le  17  octobre  1844  Mgr  Pecci 
donnait  à  Bruxelles,  en  l'honneur  du  nouvel  envoyé  à  Rome, 
le  baron  van  den  Steen,  un  grand  dîner  auquel  assistaient, 
outre  ce  dernier  et  sa  famille,  les  Ministres  du  Roi,  quelques 
Ministres  étrangers  et  des  dignitaires  de  la  Cour, 

Armand  Charles  Herman  Joseph  van  den  Steen  naquit  à 
Liège  le  29  mars  1 78 1  du  mariage  de  Lambert  Armand  baron 
van  den  Steen,  vicomte  d'Harduémont,  baron  de  Jehay,  Sai- 
vre,  etc.,  échevin  de  la  Souveraine  Cour  de  Justice  de  la 
principauté,  et  de  Charlotte  de  Trappe  de  Lozange-Bondorf. 
Après  l'invasion  française,  il  suivit  ses  parents  dans  l'émigra- 
tion en  Allemagne.  En  1804,  il  rentra  dans  son  pays  natal  et 
alla  étudier  le  droit  à  Paris.  Il  fut  reçu  avocat  en  1808.  Rap- 
pelé à  Liège  par  la  maladie  mortelle  de  sa  mère,  il  fut  dési- 
gné, l'année  suivante,  pour  faire  partie  des  gardes  d'honneur, 
une  invention  adroite  de  Napoléon  P^'  pour  se  procu- 
rer de  nouveaux  soldats.  Le  jeune  garde  d'honneur  n'eut 
pas  l'occasion  de  verser  son  sang  pour  la  cause  du  césarisme. 
En  1808,  il  fut  nommé  aspirant  auditeur  au  Conseil  d'État, 


—    28    — 

mais  il  se  démit  bientôt  de  ces  fonctions  pour  aller  se  marier  à 
Liège  avec  M"®  de  Grumsel  d'Emal. 

Lors  de  la  création  du  royaume  des  Pays-Bas,  M.  van  den 
Stecn  fit  partie  de  l'assemblée  des  notables  appelée  à  adhérer 
à  la  Loi  Fondamentale,  et  siégea  sur  le  banc  des  membres 
qui  rejetèrent  le  projet  de  Constitution  comme  contraire  à  la 
liberté  d'enseignement  et  aux  intérêts  de  l'Église.  Il  refusa 
plus  tard  de  prêter  le  serment  exigé  des  fonctionnaires  publics 
et  n'accepta  aucun  des  emplois  qui  lui  furent  offerts,  se  bor- 
nant à  siéger  aux  États  provinciaux  dans  l'ordre  delà  noblesse. 
En  1828,  il  prit  une  part  active  au  mouvement  des  pétitions 
pour  le  redressement  des  griefs. 

11  ne  contribua  pas  en  personne  à  la  révolution  de  i83o  ; 
mais  après  la  constitution  définitive  du  royaume  de  Belgique, 
il  accepta  de  faire  partie  du  Sénat,  où  il  siégea  pendant  deux 
ans,  non  sans  distinction.  En  i832,  il  accepta  les  fonctions  de 
gouverneur  de  la  province  de  Liège,  qu'il  remplit  avec  zèle  et 
intelligence  pendant  douze  années. 

C'est  du  gouvernement  provincial  de  Liège  que  M.  van  den 
Steen  passa,  en  1844,  à  la  légation  de  Rome.  Il  avait  eu 
quelque  peine  à  se  décider  à  accepter  cette  mission.  On  dirait 
qu'il  avait  eu  le  pressentiment  de  sa  fin  prochaine.  Le  climat 
de  l'Italie  fut  fatal  à  sa  santé.  Il  mourut  à  Rome  le  i3  mai 
1846,  après  trois  mois  de  souffrances. 

Dans  une  lettre  de  P.  Noyer,  du  24  mai  1846,  à  sa  famille, 
j'ai  lu  le  touchant  récit  de  la  mort  édifiante  de  cet  homme  de 
bien.  Voici  la  fin  de  cette  lettre  : 

«  Est-ce  bien  la  peine,  en  vérité,  de  se  tourmenter,  de  s'agi- 
ter, de  se  ronger  l'âme  pour  s'élever,  pour  arriver  à  tel  titre 
plutôt  qu'à  tel  autre  :  l'important  n'est  pas  de  réussir  à  satis- 
faire son  ambition,  mais  de  faire  la  volonté  de  Celui  qui  a  ses 
vues  particulières  et  qui  sait  mieux  que  nous  ce  qui  nous  est 
bon.  Une  conviction  que  j'ai  retirée  aussi  de  tout  cela,  c'est 
que  l'homme  est  bien  misérable  sur  la  fin,  c'est  que  les  bonnes 
œuvres,  les  bonnes  prières  ne  se  font  plus  au  dernier  moment, 
et  que  la  santé  n'est  donnée  que  pour  les  actions  vertueuses  et 
les  résolutions  utiles,  v 


—   29   — 

Noyer,  cinq  semaines  plus  tard,  devait  en  faire  lui-même 
l'expérience. 

8.   M.  Prosper  Noyer,  chargé  d'affaires. 
(i3Mai  1846-28  Juin  1846.) 

Après  la  mort  du  baron  van  den  Steen  (créé  comte  par  Gré- 
goire XVI),  M.  Noyer  devint  encore  une  fois  chargé  d'affaires. 
C'estle  moment  d'esquisser  la  vie  de  ce  diplomate  sympathique. 

Prosper  Edouard  Noyer  était  né  à  Bruxelles,  le  lo  décem- 
bre 1810,  du  mariage  d'Antoine  et  de  Florentine  van  der 
Putten.  Il  entra  le  24  août  i83i  comme  commis  de  i'*"  classe 
au  ministère  des  affaires  étrangères,  sur  les  conseils  de  Constant 
Materne,  son  ami,  qui  devint  plus  tard  secrétaire  général  de 
ce  département. 

Noyer  fit  de  médiocres  études  au  Lycée  de  Bruxelles  ;  il 
n'était  pas  fort  en  thèmes,  mais,  à  l'université  de  Liège,  où  il 
fit  son  droit,  il  révéla  des  facultés  maîtresses ^et  s'adonna  sur- 
tout à  la  littérature.  En  i83o,  il  fut  reçu  docteur  en  droit. 

Nous  connaissons  de  lui  deux  oeuvres  dramatiques  :  Siméon 
ou  les  Zingaris  et  Jacqueline  de  Bavière  :  cette  dernière  pièce 
fut  jouée  pour  la  première  fois  au  théâtre  royal  de  Bruxelles 
le  14  octobre  1834.  Son  succès  eut  un  certain  retentissement. 
Les  amis  delà  littérature  nationale  fondaient  de  grandes  espé- 
rances sur  le  jeune  écrivain  ;  mais  celui-ci  ne  les  réalisa  pas 
tout  à  fait,  car  les  occupations  professionnelles  étouffèrent 
bientôt  sa  vocation  littéraire.  Il  a  laissé  cependant  quelques 
œuvres  inédites,  entre  autres,  un  roman  historique,  intitulé 
Liège  au  Lion/',  une  volumineuse  étude  sur  la  comparaison  de 
Rome  antique  et  de  Rome  moderne,  riche  en  descriptions 
intéressantes  ;  et  enfin  des  études  d'art,  de  littérature,  de 
politique  et  de  philosophie. 

Noyer  avait  une  âme  d'artiste.  Il  a  composé  des  romances 
et  jouait  passablement  du  violon.  Il  illustra  ses  notes  de  voya- 
ges de  dessins  originaux  et  compta  beaucoup  d'amis,  nos 
artistes,  Gallait,  Portaels  (qui  a  fait  son  portrait),  Mathieu, 


—  3o  — 

Robert,  Soubre,  Wappers,  Vieuxtemps,  etc.  Il  avait  connu 
la  plupart  des  personnages  de  l'époque  de  la  révolution  de 
i83o,  et  conserva  avec  plusieurs  d'entre  eux  des  relations 
suivies,  avec  Jules  van  Praet  et  Constant  Materne,  par  exem- 
ple. Sa  correspondance  était  très  étendue,  à  en  juger  d'après 
les  lettres  que  j'ai  lues  de  lui  avec  Fornari,  le  cardinal  Lam- 
bruschini,  Mgr  Pecci,  Mgr  Clementi,  l'auditeur  de  ce  dernier, 
le  cardinal  Wiseman,  Mgr  de  Saint-Marsan,  le  prince  de 
Ligne,    le  duc  d'Arenberg.,  etc,  etc. 

Noyer  avait  épousé  à  Bruxelles,  le  27  mars  1887,  Éléonore 
Steddy,  née  à  Willesborough  (Angleterre),  qui  abjura  le  pro- 
testantisme en  l'église  du  Collège  Anglais  à  Rome  et  y  fut 
baptisée  le  3  mai  1840  par  Mgr  Wiseman,  alors  recteur  de  cet 
établissement  et  évêque  titulaire  de  Negopotamos.  M""®  Noyer 
est  décédée  à  Bruxelles  le  20  octobre  i865,  laissant  deux 
filles:  la  première  est  religieuse  du  Sacré-Cœur  à  Jette,  près 
Bruxelles  ;  la  seconde  a  épousé  M.  Julien  Bareel,  actuelle- 
ment juge  au  tribunal  de  Tournai,  fils  de  l'ancien  secrétaire- 
général  du  ministère  des  travaux  publics.  La  mère  de 
M'"®  Noyer  était  une  Kemp,  dont  la  famille  donna  un  car- 
dinal a  l'Eglise  romaine. 

Ajoutons  que  la  sœur  de  Noyer  fut  la  première  femme  de 
l'excellent  M.  Heger,  l'ancien  préfet  des  études  de  l'athénée 
de  Bruxelles  et  le  maître  incomparable  de  la  jeunesse. 

Noyer  était  un  homme  de  cœur,  d'un  commerce  agréable 
et  de  relations  sûres.  Très  dévoué  à  ses  devoirs,  c'était 
un  chrétien  plein  d'aménité  et  de  charité.  Ses  lettres  à  ses 
vieux  parents,  que  j'ai  lues,  sont  des  modèles  de  délicatesse 
et  de  piété  filiale. 

Successivement  chef  de  bureau  (20  février  i833),  secrétaire 
des  consulats  (29  nov.  i836).  Noyer  fut  nommé  secrétaire  de 
légation  de  i'"^  classe  le  12  juillet  1889  et  adjoint  à  la  mission 
du  comte  d'Oultremont,  qui  l'avait  expressément  demandé. 
Pendant  les  fréquentes  absences  du  noble  comte.  Noyer  rem- 
plissait avec  distinction  les  fonctions  de  chargé  d'affaires 
ad  intérim.  Il  fut  chargé  aussi  de  plusieurs  missions  à  Naples, 
notamment  en  1840  et  en  1841.  Nommé  conseiller  de  légation 


—  Si- 
en  1845,  il   fut  chargé  d'affaires   après  le  départ  du   comte 
d'Oultremont  et,  encore  une  fois,  après  le  décès  du  baron  van 
den  Steen. 

Il  occupait  ces  fonctions  à  la  mort  de  Grégoire  XVI.  Le 
1 1  juin,  il  présentait  devant  le  cardinal  Macchi,  sous-doyen 
du  Sacré-Collège,  les  condoléances  du  Roi.  En  sortant  de  cette 
audience,  il  rencontra  l'abbé  Clementi,  qui  était  alors  à  Rome. 
Celui-ci  lui  trouva  mauvaise  mine  et  le  força  de  se  mettre  au 
lit.  Dix-sept  jours  plus  tard,  le  28  juin  1846,  il  était  mort. 
Son  corps  était  encore  au  Palais  Savorelli,  où  il  habitait 
avec  sa  famille,  quand  les  habitants  de  Rome  illuminaient 
déjà  leurs  fenêtres  en  l'honneur  de  Pie  IX,  le  nouveau  Pape. 

Il  a  été  inhumé  en  l'église  de  Saint-Julien  des  Belges, 
où  ses  nombreux  amis  lui  ont   fait  construire  un  monument. 

Noyer  et  van  Overstraeten  (1),  qui  sont  tous  deux  morts 
au  delà  des  monts,  méritent  d'être  cités  parmi  les  diplomates 
belges  les  plus  distingués  que  nous  ayons  envoyés  en  Italie. 

Noyer  était  très  aimé  à  Rome  et  y  jouissait  de  la  pleine 
confiance  du  Pape  Grégoire  XVI,  qui  lui  donna  plusieurs 
preuves  éclatantes  de  sa  bienveillance.  Dans  plusieurs  occa- 
sions le  jeune  diplomate,  si  prématurément  enlevé  à  son  pays, 
eut  à  lutter  contre  de  graves  difficultés.  Noyer  parvint  tou- 
jours à  concilier  son  profond  dévouement  aux  intérêts  reli- 
gieux avec  son  patriotisme  ardent  et  les  instructions  de  son 
gouvernement. 

9.  Le  prince  de  Chimay,  envoyé  extraordinaire  et  ambassadeur. 
(3  Août  18461  —  847.) 

Pour  remplncer  le  baron  van  den  Steen,  le  gouvernement 
du  Roi  choisit  le  prince  de  Chimay,  qui  avait  été  ministre 
plénipotentiaire  à  La  Haye  et  gouverneur  de  la  province  de 
Luxembourg.  A  cette  occasion,  le  ministre  des  affixires  étran- 

(i)  Le  baron  van  Overstraeten  repose  au  Campo  Santo  de  Pise.  Il  était  né  à 
Louvain  le  24  avril  1817  et  il  est  mort  le  21  février  1878.  Voy.  Un  Puhliciste  belge, 
br.  8°  de  80  pp.,  chez  Polleunis,  Geuterick  et  Lefébure,  Bruxelles,  1887. 


—    32    - 

gères  (M.  A.  Dechamps)  renouvela  la  faute  qui  avait  été  com- 
mise si  souvent  par  le  Cabinet  de  Bruxelles,  en  interprétant 
à  sa  guise  les  règles  et  les  usages  de  la  diplomatie  européenne. 

Les  nonces  ayant  rang  d'ambassadeur,  le  ministère  de  Theux 
voulut  être  gracieux  envers  le  prince  de  Chimay  en  lui  attri- 
buant la  même  dignité,  sans  attendre  l'agréât  ion  de  la  Cour 
de  Borne.  Cette  velléité  diplomatique  fut  l'origine  d'un  nouveau 
conflit,  que  l'auteur  de  YExposé  raconte  en  ces  termes  (T.  I, 
p.  xviii)  : 

«  Le  3  août  1846,  le  prince  de  Chimay  fut  nommé  envoyé 
extraordinaire  auprès  de  Pie  IX,  avec  rang  d'ambassadeur  ; 
trois  jours  auparavant,  le  Nonce  avait  reçu  à  ce  sujet  une 
communication  l verbale,  et  notre  chargé  d'affaires  à  Rome 
avait  dû  faire,  de  son  côté,  la  notification  d'usage.  Le  prince 
de  Chimay  était  en  route  vers  l'Italie,  quand  on  apprit  que  la 
Cour  de  Rome  refusait  de  l'accueillir.  Le  3o  août,  le  Nonce  fit 
savoir  au  ministre  des  affaires  étrangères,  M.  Dechamps,  que 
la  France,  l'Autriche,  l'Espagne  et  le  Portugal  étaient  les 
seules  puissances  qui  eussent  le,  droit  d'accréditer  au  Vatican 
des  agents  diplomatiques  du  rang  d'ambassadeur.  Des  négo- 
ciations s'engagèrent  ;  il  fut  convenu  avec  le  Nonce  que  l'en- 
voyé belge  serait  reçu  à  Rome  comme  ambassadeur  en  mission 
spéciale  et  temporaire,  motivée  par  l'avènement  de  Pie  IX, 
mais  qu'il  partirait  ensuite  pour  Florence,  d'où  il  ferait  savoir 
s'il  lui  convenait  de  retourner  à  Rome  en  qualité  de  ministre 
plénipotentiaire.  Cette  solution  semblait  admise  quand,  à  la 
fin  de  septembre,  le  Nonce,  alléguant  qu'il  avait  mal  inter- 
prété ses  instructions,  vint  déclarer  que  le  prince  de  Chimay 
ne  serait  pas  admis  avec  le  titre  d'ambassadeur,  même  en 
mission  temporaire. 

»  Le  motif  invoqué  parle  Saint-Siège,  dans  le  but  d'amoindrir 
le  rang  du  représentant  de  la  Belgique,  était  évidemment  peu 
fondé.  Le  droit  d'ambassade  qu'exercent  à  Rome  les  quatre 
puissances  catholiques,  en  vertu  d'anciennes  traditions,  ne 
saurait  être  exclusif  à  l'égard  des  agents  diplomatiques  des 
autres  puissances  ;  tout  au  plus  pourrait-on  prétendre  qu'il 
l'est  au  point  de  vue  des  prérogatives  attribuées  spécialement 


^  33  — 

à  ces  puissances,  notamment  en  cas  de  vacance  du  Saint- 
Siège  (i).  Mais  le  gouvernement  belge  ne  revendiquait  aucune 
situation  privilégiée  :  le  titre  d'ambassadeur  dont  il  avait  revêtu 
son  agent  était  plutôt  un  hommage  au  Souverain  Pontife. 
Néanmoins,  la  Cour  de  Rome  y  mit  tant  d'obstination,  que  la 
mission  belge  resta  encore  pendant  deux  mois  en  suspens  ;  ce 
ne  fut  que  le  7  décembre  1846  que  le  prince  de  Chimay  fut  reçu 
comme  ambassadeur  pour  complimenter  Pie  IX,  et,  à  la  fin  de 
cette  même  audience,  il  remit  des  lettres  de  créance  de 
ministre  plénipotentiaire.  Le  jour  même  de  sa  réception,  il 
sortait  donc  du  Vatican  dépouillé  du  caractère  qu'il  y  avait 
apporté.  Ce  compromis  bizarre  et  assurément  exceptionnel  fut 
signalé  à  la  Chambre  des  représentants,  le  23  février  1847, 
par  M.  Verhaegen,  comme  peu  compatible  avec  la  dignité 
nationale,  d'autant  plus  que  le  Nonce  apostolique  en  Belgique 
jouit  comme  tel  des  prérogatives  de  l'ambassadeur.  Le  Ministre 
des  affaires  étrangères,  M.  Dechamps,  ne  crut  pas  devoir 
entrer  dans  les  détails  de  l'incident  ;  il  se  contenta  d'affirmer  que 
la  mission  du  prince  de  Chimay  avait  été  et  restait  essentiel- 
lement temporaire.  En  présence  de  la  condition  qui  lui  était 
faite,  celui-ci,  en  effet,  ne  prolongea  guère  son  séjour  à  Rome  ; 
il  se  rendit  à  Naples  et  revint  en  Belgique  au  mois  de  mai. 
Un  chargé  d'affaires,  M.  'de  Meester,  continua  de  gérer  la 
légation.  " 

On  remarquera  : 

1°  Qu'il  est  d'usage  de  ne  nommer  un  ambassadeur  que  de 
l'avis  conforme  et  préalable  de  la  Cour  auprès  de  laquelle  il 
doit  être  accrédité  ; 

2°  Que  la  création  d'une  ambassade  est  soumise  à  des  règles 
générales,  sanctionnées  par  le  droit  coutumier  diplomatique  ; 

3°  Qae  le  Cabinet  de  Bruxelles,  lequel  tenait  à  une  noncia- 
ture (témoin  les  dépêches  de  M.  Dechamps  après  le  rappel  de 


(1)  La  prince  de  Ligne  fut  reçu  en  1848  comme  ambassadeur  et  resta  avec  ce 
titre  en  mission  permanente,  moyennant  quelques  réserves  relatives  à  ces  préro- 
gatives, ainsi  qu'à  la  préséance.  Ce  n'était  donc  pas  "  dans  le  but  d'amoindrir  le 
rang  du  représentant  de  la  Belgique  „,  que,  la  Cour  de  Rome  faisait  ses  objections. 


-34- 

Mgr  Pecci),  n'avait  pas  le  droit  d'imposer  une  ambassade  à  la 
Cour  de  Rome  ; 

4°  Que  le  gouvernement  belge  n'aurait  pas  osé  user  de 
pareil  procédé  envers  la  Prusse,  l'Angleterre  ou  l'Autriche  ; 

5°  Que,  malgré  les  torts  évidents  du  Cabinet  de  Bruxelles,  la 
Cour  de  Rome,  toujours  conciliante  à  notre  égard,  chercha  un 
joint  de  transaction,  pour  ne  pas  blesser  le  prince  de  Chiniay 
et  ne  pas  embarrasser  davantage  le  Gouvernement  du  roi 
Léopold  P"",  qui  avait  agi  à  la  légère  ; 

6°  Que  le  Cabinet  de  Bruxelles  avait  fait,  dans  l'aifaire  du 
prince  de  Chimay,  un  pas  de  clerc,  d'où  il  se  tira  honorable- 
ment, grâce  seulement  à  la  bienveillance  et  à  la  patience  du 
Saint-Siège. 

Remarquons-le  surtout,  toutes  les  difficultés  que  nous 
avons  rencontrées  à  la  Cour  de  Rome,  de  i832  à  1848,  ont  pris 
leur  source  dans  l'ignorance  diplomatique  des  divers  minis- 
tères qui  se  sont  succédés  au  pouvoir  en  Belgique.  Le  Congrès 
de  Vienne  n'a  pas  défendu  aux  États  secondaires  d'accréditer 
des  ambassadeurs;  mais  il  existe  en  cette  matière  des  tradi- 
tions respectables  et  des  conventions  tacitement  acceptées  par 
toutes  les  puissances  policées.  La  Belgique,  seule  parmi  les 
États  de  second  ordre,  a  émis  la  prétention  d'avoir  des  ambas- 
sadeurs. Cette  prétention,  qui  n'est  pas  absolument  contraire 
au  droit  internationnal,  lui  a  valu  à  diverses  reprises  de 
grands  embarras.  Dans  l'afFaire  du  prince  de  Chimay,  le  Cabi- 
net de  Bruxelles  avait  agi  avec  une  légèreté  vraiment  regret- 
table, et  sa  conduite  fut  sévèrement  jugée  dans  les  chancel- 
leries européennes. 

L'arrêté  de  nomination  du  prince  de  Chimay  a  été  soumis 
au  Roi  le  3o  juillet  1846  ;  le  1^''  août,  le  ministre  des  affiiires 
étrangères  écrivit  au  chargé  d'affaires  belge  à  Rome  pour  le 
prier  de  fair«  la  notification  ;  le  3  août,  l'arrêté  de  nomina- 
tion était  signé,  et  le  6  août,  le  prince  de  Chimay  possédait  le 
texte  de  ses  lettres  de  créance,  au  moment  même  où  le  cardi- 
nal secrétaire  d'État  recevait  la  première  nouvelle  de  l'envoi 
d'un  ambassadeur... 

Joseph  de  Riquet,  prince  de  Chimay  et  de  Caraman,  grand 


—  35  — 

d'Espagne  de  i'"^  classe,  était  né  le  20  août  1808  et  avait 
épousé,  le  25  août  i83o,  M'^""  Emilie  Pélaprat,  veuve  du 
comte  de  Brigode.  Avant  iSSo  il  était  entré  jeune  dans  la 
diplomatie.  La  révolution  belge,  à  laquelle  il  ne  prit  aucune 
part,  arrêta  un  instant  sa  carrière.  En  1839,  après  la 
signature  des  traités  qui  réglèrent  définitivement  les  relations 
du  royaume  des  Pays-Bas  avec  la  Belgique,  le  gouvernement 
du  roi  Léopold  P''  s'empressa  d'utiliser  les  services  du  jeune 
diplomate  et  l'accrédita  près  la  cour  de  la  Haye.  La  mission 
qui  lui  était  confiée  était  délicate  et  honorable.  Le  prince  de 
Chimay  l'accomplit  avec  succès.  Son  intelligence,  son  affabilité 
et  son  dévouement  aux  intérêts  de  son  pays  furent  remarqués. 
Malheureusement,  le  climat  néerlandais  ne  convenait  pas  à 
sa  santé.  Au  mois  de  novembre  1841,  il  rentra  en  Belgique 
pour  occuper  les  fonctions  de  gouverneur  de  la  province  de 
Luxembourg,  où  il  resta  jusqu'au  19  juin  1842,  après  avoir 
déployé  des  qualités  administratives.  Il  voulait  rentrer  dans 
la  diplomatie  :  nommé  ministre  du  Roi  à  Francfort  (10 
décembre  1842),  il  allait  se  rendre  à  son  poste,  quand  la  mort 
de  son  père  le  retint  en  Belgique.  Il  demanda  sa  mise  en  dis- 
ponibilité jusqu'en  1846,  époque  à  laquelle  il  fut  nommé 
ambassadeur  à  Rome,  Florence,  Naples. 

De  1843  à  i856,  il  représenta  l'arrondissement  de  Thuin  à 
la  Chambre  des  représentants.  Très  souvent  il  prit  part  aux 
discussions  parlementaires,  surtout  aux  débats  relatifs  au 
budget  de  la  guerre  et  à  l'organisation  de  l'armée.  Il  n'était  pas 
orateur  ;  c'était  un  debater  à  l'anglaise.  L'esprit  très  ouvert, 
s'intéressant  aux  questions  économiques  du  temps,  surtout 
aux  travaux  publics  de  l'Etat,  de  la  province  et  de  la  com- 
mune, le  prince  de  Chimay  était,  dans  toute  la  force  du  terme, 
un  citoyen  émincnt. 

Après  i856,  il  n'occupa  plus  aucune  fonction  publique, 
mais  il  ne  cessa  pas  de  suivre  avec  attention  et  patriotisme  le 
mouvement  des  hommes  et  des  choses  en  Belgique.  Le  roi 
Léopold  P''  l'aimait  beaucoup  et  le  chargea  plusieurs  fois  de 
missions  délicates  et  confidentielles,  notamment  à  Paris  auprès 
de  Napoléon  III.  C'est  à  lui  que  ce  potentat  du  moment  dit  un 


—  sé- 
jour, à  propos  de  la  neutralité  de  la  Belgique  :  un  État  neutre 
qui  ne  sait  pas  défendre  sa  neutralité  est  exposé  à  la  perdre. 

Le  prince  de  Chimay  était  un  causeur  charmant  ;  la  loyauté 
de  son  caractère  et  la  générosité  de  ses  intentions  lui  créaient 
partout  des  amis.  Aussi  quand  il  mourut  en  mars  1 886  fut-il 
universellement  regretté. 

En  quittant  Rome,  le  prince  de  Chimay  y  laissa  comme 
chargé  d'affaires  ad  intérim  M.  le  chevalier  de  Meester  de 
Ravestyn. 

Mais  nous  ne  sommes  pas  au  bout  du  récit  de  nos  impairs 
diplomatiques  à  Rome. 


lo.  Le  comte  van  der  Straten  Ponthoz,  envoyé  extraordinaire 
et  ministre  plénipotentiaire  (7  Juillet  1847.)  —  Inci- 
dent Leclercq. 

A  la  fin  de  la  session  parlementaire  de  1846-1847,  plu- 
sieurs membres  de  l'opposition,  en  faisant  allusion  aux  ffxits 
du  nouveau  règne  pontifical,  celui  de  Pie  IX,  demandèrent  au 
gouvernement  du  Roi  de  donner  immédiatement  un  succes- 
seur au  prince  de  Chimay.  Le  ministre  des  affaires  étrangères 
(M.  Ad.  Dechamps)  en  prit  l'engagement  avec  d'autant  plus 
d'empressement  que  des  sollicitations  analogues  lui  venaient 
de  la  part  du  cardinal  Sterckx  et  de  l'évêque  de  Liège  (le 
D'"  van  Bomel),  qui  tous  deux  désiraient  vivement  l'interven- 
tion de  l'envoyé  de  Belgique  à  Rome  dans  l'intérêt  de  leur 
opinion  sur  les  affaires  de  l'Université  de  Louvain.  Dans  le 
courant  du  mois  de  mai  1846,  le  choix  de  M.  Dechamps  était 
fixé  :  il  avait  résolu  de  proposer  au  Roi  la  nomination  du 
comte  Camille  de  Briey  ou,  si  celui-ci  refusait,  celle  du  comte 
van  der  Straten  Ponthoz  ;  en  même  temps,  il  s'informait  auprès 
du  nonce  à  Bruxelles  et  auprès  de  la  Légation  belge  à  Rome 
si  le  choix  de  l'un  ou  de  l'autre  de  ces  deux  candidats  serait 
éventuellement  agréé  par  le  gouvernement  du  Pape.  Celui-ci 
répondit  affirmativement.  La  personne  du  comte  van  der 
Straten  était  particulièrement  sympathique  à  la  Cour  de  Rome, 


-37- 

à  cause  des  bons  souvenirs  qu'il  avait  laissés  à  Stokholm  dans 
la  colonie  catholique,  pendant  sa  mission  auprès  du  roi  Ber- 
nadotte.  Au  commencement  du  mois  de  juin,  avant  les  élections 
législatives,  qui  n'étaient  pas  douteuses  pour  le  Cabinet  (i),  le 
poste  de  Rome  fut  offert  au  comte  de  Briey,  officieusement. 
M.  Ad.  Dechamps  eut  le  tort  de  ne  faire  officiellement  cette 
proposition  que  le  1 1  juin,  trois  jours  après  les  élections  qui 
avaient  renversé  la  majorité  parlementaire  sur  laquelle  le 
ministère  s'appuyait,  et  la  veille  même  du  jour  où  ce  dernier 
donna  sa  démission.  Les  négociations  continuèrent  avec  le 
comte  de  Briey,  qui  finit  par  refuser.  Le  i®'"  juillet,  la  nomina- 
tion du  comte  van  der  Straten  fut  soumise  à  la  signature  du 
Roi.  Le  5  juillet  notification  en  fut  transmise  à  M.  de  Meester, 
chargé  d'affaires  à  Rome.  L'arrêté  fut  signé  le  7  juillet  1847. 
M.  Dechamps  avait  laissé  traîner  cette  affaire  pendant  six 
semaines  ;  cette  négligence  lui  coûta,  à  lui  et  à  ses  amis,  des 
embarras  cuisants. 

Quand  le  Cabinet  du  12  août  1847  P^i^'  ^®  pouvoir,  il  avait, 
auprès  du  Roi,  fait  du  retrait  de  la  nomination  du  comte  van 
der  Straeten  une  condition  de  son  acceptation.  Cette  attitude 
du  ministère  Rogier-Frère  était  parfaitement  correcte.  Il  en 
donna  de  longues  explications  pendant  la  discussion  de 
l'adresse,  au  commencement  de  la  session  de  1847-1848. 

«  Le  Cabinet,  disait  M.  d'Hoffschmidt,  ministre  des  affaires 
étrangères,  attachait  une  importance  toute  spéciale  à  ce  que 
le  poste  de  Rome  fût  occupé  par  un  homme  de  son  choix.  On 
conçoit,  en  effet,  de  quel  haut  intérêt  il  est  pour  le  ministère 
sorti  des  rangs  de  l'opinion  libérale  que  le  véritable  caractèra 
de  sa  politique  soit  parfaitement  connu,  expliqué  et  apprécié 
à  la  Cour  de  Rome  ;  que  l'on  ne  s'y  méprenne  point  sur  ses 
principes,  sur  ses  intentions,  sur  ses  tendances  ;  qu'en  un  mot, 
on  y  ait  une  juste  idée  de  son  respect  sincère  pour  la  reli- 
gion et  pour  les  libertés  consacrées  par  la  Constitution  (2).  « 

(1)  Le  comte  de  Theux  avait  poussé  la  confiance  jusqu'à  dire  à  l'un  de  ses  amis: 
*  notre  majorité  sera  trop  forte  „. 

(2)  Séance  de  la  Chambre  des  représentants,  12  novembre  1847. 


—  38  — 

Le  Cabinet  libéral  du  12  août  était  dans  son  rôle,  en 
parlant  ainsi  :  il  avait  le  droit  de  donner  un  successeur  à 
M.  le  comte  van  der  Straten.  Mais  il  n'avait  pas  le  droit 
d'imposer  au  Saint-Siège  le  choix  de  la  personne  de  ce 
successeur.  Son  devoir  était  de  prévenir  la  Cour  de  Rome 
qu'il  ne  laisserait  pas  partir  le  comte  van  der  Straten,  lequel 
n'avait  pas  sa  confiance,  et  qu'il  proposait  confidentiellement  \q 
choix  de  M.  Leclercq.  Au  lieu  d'agir  ainsi,  il  nomma  d'emblée 
et  avec  fracas  cet  honorable  magistrat  et  il  manifesta  la  pré- 
tention inadmissible  et  bruyante  d'imposer  ce  choix  au  Saint- 
Siège. 

Je  me  permets  de  dire  que  le  cardinal  Ferretti,  en  propo- 
sant à  Pie  IX  de  ne  pas  agréer  M.  Leclercq,  un  homme 
sage,  catholique  de  religion  et  un  jurisconsulte  éminent, 
quoique  peu  familiarisé  avec  les  choses  de  la  diplomatie, 
s'est  laissé  influencer  par  des  rapports  évidemment  erro- 
nés (ils  ne  provenaient  pas  du  nonce,  Mgr  de  Saint  Mar- 
san (1)).  Mais  cette  erreur  du  cardinal  secrétaire  d'État 
de  Sa  Sainteté  ne  diminuait  en  rien  le  droit  d'agréation  du 
Pape.  On  demandait  un  jour  à  Paul  Devaux  pourquoi,  il  en 
voulait  au  comte  de  Tlieux.  "  Son  nez  me  déplait  ^,  aurait 
répondu  le  célèbre  député  doctrinaire.  Dans  l'agréation  des 
envoyés  diplomatiques,  les  gouvernements  se  laissent  souvent 
guider  par  des  jugements  de  la  même  force.  On  peut  les  criti- 
quer, mais  il  est  prudent  de  les  subir  de  bonne  grâce,  sinon  le 
droit  d'agréation  deviendrait  illusoire.  De  simples  questions 
de  sympathie  ou  d'antipathie  personnelle  jouent  très  souvent 
le  premier  rôle  dans  les  décisions  du  gouvernement  interroge 
sur  le  choix  d'un  diplomate.  Un  gouvernement  bien  avisé 
se  gardera  bien'  de  résister  à  un  refus  (motivé  ou  non)  d'agréa- 
tion, car  il  serait  la  première  victime  de  son  obstination,  si 
celle-ci  pouvait  avoir  un  résultat  utile.  En  effet,  de  quelle 

(1)  Ils  ne  provenaient  pas  non  plus  du  comte  van  der  Straten,  qu'on  accusa 
dans  certains  journaux  d'avoir  utilisé  en  ce  sens  l'influence  des  parents  que  possé- 
dait dans  l'aristocratie  romaine  sa  femme,  fille  du  duc  de  Beaufort-Spontin.  I^e 
comte  a  même  énergiquement  protesté  contre  ces  insinuations  dans  une  lettre 
que  d'Autriche,  où  il  résidait  alors,  il  adressa',  le  12  octobre  1847,  à  M.  le  ministre 
des  affaires  étrangères  et  à  M.  Leclercq  lui-même. 


-  39- 

autorité  jouirait  un  diplomate  auprès  de  la  Cour  qui  aurait  été 
«  contrainte  «  de   le   recevoir  ? 

Dans  les  explications  que  M.  d'Hoffschmidt  donna  à  la 
Chambre,  nous  lisons  : 

«  Vous  n'ignorez  pas  que  l'envoi  d'un  chef  de  mission  doit 
être  précédé  d'une  communication  directe  ou  indirecte  au  gou- 
vernement près  duquel  cet  agent  va  être  accrédité.  Mais  il 
n'existe  pas  sur  ce  point  de  règle  uniforme  et  absolue.  Ni  les 
auteurs  qui  ont  écrit  sur  le  droit  public,  ni  les  divers  États 
n'entendent  tous  de  la  même  façon  l'application  du  principe. 
Quelques-uns  vont  même  jusqu'à  le  contester.  Plusieurs  voient 
dans  la  notification  préalable  un  acte  de  simple  déférence, 
dont  on  peut,  à  la  rigueur,  se  dispenser  ;  d'autres  gouverne- 
ments y  voient  une  obligation  plus  stricte.  Ils  sont,  du  reste, 
à  peu  près  unanimes  à  reconnaître  qu'en  tout  'cas,  le  refus- 
d'agréation  doit  être  fondé  sur  des  motifs  sérieux  et  formelle- 
ment énoncés. 

«  Quant  aux  formalités  pour  notifi:er  soit  la  nomination 
accomplie  ou  projetée,  soit  la  non  agréation,  elles  varient 
également  selon  les  pays  et  le  degré  d'intimité  qui  règne  entre 
les  deux  Etats.  D'ordinaire, ces  questions  se  traitent  verbale- 
ment entre  le  ministre  des  affaires  étrangères  de  la  Cour  qui 
nomme  et  l'envoyé  de  la  Cour  près  de  laquelle  l'agent  doit 
être  accrédité...  » 

Tous  ces  préceptes  résumés,  pour  les  besoins  de  la  cause, 
par  M.  d'Hoffschmidt,  sont  plus  ou  moins  contestables.  Mais 
nous  ne  discuterons  point.  Il  est  un  fait  qui  prime  tous  les 
raisonnements  des  casuistes  du  droit  international  :  sans 
agréation  obtenue  de  bonne  grâce  la  mission  d'un  diplomate 
est  pratiquement  irréalisable.  Essayez  donc  d'imposer  à  M.  de 
Bismarck,  par  exemple,  un  envoyé  qui  lui  déplairait... 

Le  comte  Le  Hon,  dans  cette  même  discussion  de  l'adresse, 
a  cité  le  cas  de  l'abbé  Laurent  de  Villanueva,  membre  des 
Cortés,  nommé  en  1822  ministre  d'Espagne  et  non  agréé  par 
la  Cour  de  Rome.  M.  d'Hoffschmidt  ajouta  à  cet  exemple  le  fait 
de  l'Empereur  de  Russie  refusant  en  i832  de  recevoir  .comme 
ambassadeur  d'Angleterre  sir  Strafford  Cannincr  :  malgré  ce 


—  40  — 

refus,  lord  Palmerston  maintint  la  nomination  de  sir  Strafford 
Canning  et  l'Angleterre  ne  fut  plus,  pendant  deux  ans,  repré- 
sentée à  Pétersbourg  que  par  un  chargé  d'affaires.  Un  conflit 
du  même  genre  éclata,  au  mois  d'avril  1847,  entre  la  Prusse 
et  le  Hanovre,  où  l'on  n'avait  pas  agréé  le  choix  du  comte  de 
Westphalen  nommé  en  remplacement  du  baron  de  Secken- 
dorf  :  un  simple  chargé  d'affaires  fut  nommé  par  la  Prusse. 
On  pourrait  citer  encore  d'autres  exemples. 

Mais  que  prouvent-ils?  C'est:  1°  que  les  puissances  comme 
l'Angleterre  et  des  ministres  comme  lord  Palmerston  ont  dû 
finir  par  où  ils  auraient  dû  commencer,  en  nommant  une 
persona  grata  en  remplacement  du  diplonate  non  agréé  ;  2°  que 
la  Belgique,  un  petit  pays,  aurait  tort  d'imiter  les  allures  cas- 
santes de  la  perfide  Albion  en  i832  et  qu'elle  a  intérêt  à  se 
montrer  aussi  aimable  et  aussi  modeste  envers  les  Etats 
faibles  qu'envers  les  grandes  puissances. 

Le  12  août,  le  jour  même  de  la  constitution  du  Cabinet, 
M.  d'Hoffschmidt  informait  notre  chargé  d'afiaires  à  Rome  que 
la  mission  confiée  par  son  prédécesseur  à  M.  le  comte  van  der 
Straten-Ponthoz  n'aurait  pas  lieu. 

«  Des  considérations  dont  nous  ne  saurions  méconnaître 
l'importance  «,  disait-il,  «  et  qui  ont  été  parfaitement  com- 
prises par  Mgr  le  Nonce  apostolique  auquel  j'ai  eu  l'hon- 
neur de  les  exposer,  ^déterminent  le  gouvernement  du  Roi 
à  charger  de  cette  importante  mission  un  homme  dont  le 
nom  ne  puisse  servir  d'aliment  aux  incriminations  des  partis. 
Ses  vues  se  sont  portées  sur  un  ancien  ministre,  placé  au 
premier  rang  de  la  magistrature,  et  qui  occupe  une  place 
non  moins  haute  dans  l'estime  publique.  Je  veux  parler  de 
M.  Leclercq,  procureur-général  à  la  Cour  de  cassation,  qui 
a  dirigé  avec  éclat  le  département  de  la  justice  et  a  fait  partie 
du  Congrès  national  et  de  la  Chambre  des  représentants. 
M.  Leclercq  est  par  ses  antécédents,  sa  position  et  son  carac- 
tère, un  des  hommes  les  plus  considérables  et  les  plus  consi- 
dérés du  pays.  Toutes  les  opinions  s'accordent  à  rendre  hom- 
mage à  sa  modération  et  à  ses  lumières.  Peu  de  noms  sont 
entourés  d'une  sympathie  aussi  marquée.  » 


—  41   — 

y>  Cette  dépêche,  dit  \ Exposé  (t.  I,  p.  xxvi)  devait  être 
communiquée  au  cardinal  secrétaire  d'Etat,  Mgr  Ferretti,  et 
fut,  à  sa  demande,  transmise  au  Saint-Père.  Le  Nonce  à 
Bruxelles  reçut  une  communication  dans  des  termes  analo- 
gues. On  poussa  jusqu'au  scrupule  l'observation  des  for- 
malités d'usage,  car  la  nomination  de  M.  Leclercq  fut  tenue 
en  suspens,  contrairement  à  celle  du  prince  de  Chimay,  qui 
avait  suivi,  de  trois  jours  la  notification.  La  '|Cour  de  Rome 
montra  d'abord  quelque  hésitation  ;  elle  avait  connu  et 
approuvé  le  choix  de  M.  le  comte  van  der  Straten,  et  se  laissa 
influencer,  semble-t-il,  par  des  considérations  personnelles. 
Au  bout  de  trois  semaines,  elle  n'avait  pas  fait  connaître  ses 
intentions  ;  ce  ne  fut  que  le  1 3  septembre  que  Mgr  de  Saint 
Marsan  annonça  au  gouvernement  que  Sa  Sainteté  n'avait 
pas  agréé  le  choix  de  M.  Leclercq.  » 

UExposé  renferme  ici  une  petite  erreur  :  la  nomination  de 
M.  Leclercq  ne  fut  pas  tenue  en  suspens;  il  fut  nommé  offi- 
ciellement avant  qu'on  n'eût  reçu  la  réponse  de  la  Cour  de 
Rome.  C'est  précisément  dans  ce  fait  que  réside  le  tort  du 
Cabinet  de  Bruxelles,  et  il  a  été  la  source  de  tout  ce  conflit. 
Le  Cabinet  de  Bruxelles,  je  le  répète,  avait  le  droit  de  choisir 
"un  autre  représentant  du  gouvernenement  du  Roi  à  Rome, 
mais  il  était  de  son  intérêt  d'attendre  patiemment  et  gracieu- 
sement la  réponse  du  Saint-Siège. 

Un  autre  tort  du  Cabinet  de  Bruxelles  en  cette  aflaire 
a  été  de  discuter  ou  de  laisser  discuter  trop  longuement  la 
personne  de  M.  Leclercq.  Il  harcela  le  nonce  de  Bruxelles  et 
le  secrétaire  d'Etat  du  Pape  de  questions.  Au  lieu  de  cher- 
cher tranquillement,  en  silence,  un  autre  diplomate  ayant  sa 
confiance,  il  força  en  quelque  sorte  la  Cour  de  Rome  de  lui 
dire  officiellement,  pourquoi  elle  refusait  d'agréer  le  choix  de 
M.  Leclercq. 

Le  23  septembre  1847,  ainsi  sollicité,  le  nonce  laissa  à 
M.  d'Hoffschmidt  une  copie  d'un  extrait  d'une  dépêche  du 
cardinal  Ferretti  : 

«  Tout  bien  considéré,  il  a  été  facile  à  S. S.  de  décider 
y>  que,  dans  les  circonstances  graves^où  elle  se  trouve,  elle 


—  42  — 

«  ne  pourrait,  en  aucune  manière,  accepter  comme  ministre 
»  de  la  Belgique,  que  des  personnes  qui  auraient  offert,  par 
»  leurs  antécédents,  beaucoup  plus  de  garanties  que  celles 
T  que  lui  offre  M.  Leclercq.  r, 

A  cette  communication,  le  Cabinet  de  Bruxelles  répondit  le 
28  septembre,  en  disant  qu'il  lui  était  impossible  de  proposer 
au  Roi  la  désignation  d'une  autre  personne.  C'était  avouer 
que  le  parti  libéral  était   bien  pauvre   en  hommes. 

Quelle  était,  au  fond,  la  pensée  de  la  Cour  de  Rome,  en 
refusant  d'agréer  le  choix  de  M.  Leclercq  ?  Dans  cette  dis- 
cussion de  l'adresse,  le  comte  Félix  de  Mérode  me  paraît  avoir 
donné  les  meilleures  raisons. 

«  J'ai  cherché  à  me  rendre  compte  des  motifs  du  Pape 
Pie  IX,  pour  ne  pas  trouver  des  garanties  suffisantes  dans 
les  précédents  de  l'honorable  plénipotentiaire  nommé  pour 
Rome,  après  la  révocation  de  M.  le  comte  van  der  Straten 
Ponthoz.  Quel  que  soit  le  mérite  du  savant  magistrat,  il  est 
certain,  Messieurs,  que  pendant  sa  carrière  parlementaire,  il 
s'est  presque  toujours  placé  dans  les  oppositions  à  la  majorité 
des  Chambres,  successivement  élues,  selon  le  sens  de  la  majo- 
rité du  Congrès  de  i83o,  où  figuraient  i3  ecclésiastiques. 

r>  Le  libéralisme  sincère  de  ceux-ci ,  bien  antérieur  à  l'avè- 
nement du  Pape  qui  gouverne  aujourd'hui  l'Eglise,  doit  être 
de  même  nature  que  le  sien,  il  serait  en  effet  difficile  de  croire 
qu'il  en  adopte  un  autre  ;  et  certes  le  libéralisme  proclamé 
maintenant  vainqueur  en  Belgique  n'est  pas  celui  que  le  Saint- 
Père  désire  propager  dans  les  Etats  romains.  Il  serait  même 
fort  dangereux  pour  leur  tranquillité  et  leur  prospérité  future, 
car  l'on  ne  doit  pas  oublier  que  la  Souveraineté  de  Rome  a  un 
caractère  particulièrement  ecclésiastique.  L'honorable  M. 
Leclercq  a  fait  même,  je  crois,  une  opposition  assez  vive  à 
MM.  Lebeau  et  Rogier,  quand  celui-ci  était  élu  à  l'aide  du 
concours  accepté  du  clergé  de  la  Campine,  concours  que 
M.  le  Ministre  de  l'intérieur  considérait  alors  comme  parfai- 
tement légitime. 

»  Ces  précédents,  qui  ne  touchent  en  rien  à  l'honneur  privé 
de  M.  Leclercq,  peuvent   avoir   été   considérés  par  le  Pape 


-  43  - 

Pie  IX  comme  inquiétants  pour  sa  politique  libérale,  à  lui, 
politique  qu'il  a  besoin  d'entourer  de  beaucoup  de  précautions, 
de  beaucoup  de  prudence,  car,  si  l'œuvre  qu'il  entreprend 
est  noble  et  digne  de  son  cœur  généreux,  elle  est  accompagnée 
de  dangers  graves,  on  ne  peut  se  le  dissimuler. 

?»  Dans  cette  situation  sérieuse,  il  est  facile  de  concevoir 
que  l'opposition  ancienne  et  constante  de  M.  Leclercq  aux 
majorités  de  même  couleur  que  celle  du  Congrès,  se  combi- 
nant avec  la  préférence  subite  que  lui  accordait  le  Ministère 
nouveau,  dont  la  politique  nouvelle  consiste  surtout  à  desti- 
tuer les  Belges  les  plus  attachés  au  Saint-Siège,  n'était  pas 
propre  à  donner  à  Rome  toute  confiance.  Et  ici,  je  répéterai 
ce  que  j'ai  déjà  dit  sur  la  convenance  qu'il  y  a  de  considérer 
les  fonctions  intérieures  ou  les  missions  extérieures  établies 
aux  frais  de  l'Etat  et  pour  l'État,  dans  un  intérêt  plus  essen- 
tiel, plus  élevé  que  l'intérêt  d'un  ministère  ou  d'un  parti. 

w  Faire  comprendre  au  Pape  les  vues  du  gouvernement 
actuel  de  la  Belgique  me  paraît  un  but  assez  mesquin.  Tout 
ce  que  pourrait  dire  à  ce  sujet  M.  Leclercq  ou  tout  autre, 
non  moins  habile,  ne  saurait  affaiblir  la  perspicacité  d'une 
intelligence  comme  celle  de  Pie  IX.  Ce  qu'il  fallait  donc  en 
politique  large  et  bien  conçue,  dans  les  circonstances  (et  ce 
qui  est  bien  conçu  n'est  jamais  dans  les  vues  étroites),  ce  qu'il 
fallait,  dis-je,  c'était  de  laisser  aller  à  Rome  M.  le  comte  van 
der  Straten  Ponthoz,  qui  étant,  après  tout,  homme  d'hon- 
neur, ne  devait  pas  abuser  de  la  confiance  du  Ministère  et  ne 
pouvait  pas  manquer  ainsi  de  communiquer  au  Saint-Siège  les 
intentions  du  Cabinet,  comme  il  eût  été  chargé  de  les  expli- 
quer. 

»  Tout  gouvernement.  Messieurs,  doit,  avant  d'accréditer 
un  chargé  d'affaires  près  d'une  puissance  amie,  examiner  la 
position  où  elle  se  trouve.  Si  l'Autriche  était  menacée  d'une 
révolution  dont  le  but  serait  à  la  fois  libéral  et  catholique,  le 
ministère  français  aurait  mauvaise  grâce  de  lui  expédier, 
comme  ambassadeur,  un  pair  de  France  connu  par  ses  efforts 
pour  la  cause  belge,  la  cause  polonaise,  la  franche  liberté 
religieuse  en  tout  pays,  et  qu'on  le  pense  estimé  dans  le  sien 


—  44  — 

comme  peut  l'être  M.  Leclercq  en  Belgique.  Quand  on  parle 
diplomatiquement  de  garanties,  il  ne  s'agit  donc  pas  des  qua- 
lités personnelles,  mais  bien  de  considérations  qui  ne  tiennent 
nullement  à  ces  qualités.  La  position  du  Pape  Pie  IX  réclame 
des  ménagements  tout  particuliers,  cela  n'est  pas  douteux,  et 
l'inquiéter  directement  ou  indirectement,  ne  serait  pas  une 
œuvre  libérale,  une  œuvre  de  progrès. 

»  Maintenant  l'honorable  M.  Leclercq  a  déclaré  publique- 
ment son  intention  positive  de  ne  plus  accepter  la  mission  de 
Rome;  d'autre  part,  je  reconnais  que  le  ministère  ne  peut 
actuellement  rétablir  dans  ce  poste  M.  le  comte  van  der 
Straten  Ponthoz.  Qu'il  cherche  donc  à  aplanir  ultérieurement 
les  obstacles  qui  se  sont  présentés  et  qui  sont  nés  en  même 
temps  qu'une  politique  nouvelle  très  malheureuse,  c'est-à-dire 
la  politique  qui,  présentant  la  majorité  comme  un  vainqueur 
et  la  minorité  comme  un  vaincu,  frappe  de  révocation,  de  des- 
titutions préventives  des  hommes  parfaitement  capables  de 
remplir  les  emplois  acquis  par  leur  travail  et  de  bons  services, 
et  fausse  ainsi  les  plus  généreuses  traditions  du  Congrès. 

"  Quant  à  moi,  je  le  dis  franchement,  la  victoire  ainsi 
appliquée  sur  mes  concitoyens  me  serait  plus  odieuse  que  la 
défaite,  et  j'aimerais  mieux  perdre  une  place,  me  fût-elle  très 
utile,  que  d'ôter  à  un  honnête  homme  celle  qu'il  possède,  pour 
m'en  emparer  ou  en  pourvoir  des  vainqueurs,  mes  amis.  « 

Je  ne  reproduis  ici  qu'à  titre  de  document  ces  «  motifs  « 
donnés  par  l'illustre  comte  de  Mérode  ;  car  s'ils  prouvent  que 
la  Cour  de  Rome  n'avait  pas  agi  à  la  légère,  comme  on  le  lui 
avait  reproché,  ils  sont,  d'après  moi,  inutiles  pour  la  justifica- 
tion du  cardinal  Ferretti.  Celui-ci  ne  s'opposait  pas  au  rem- 
placement du  comte  van  der  Straten,  il  n'avait  aucune  plainte 
à  diriger  contre  les  vertus  privées  de  M.  Leclercq.  Seule- 
ment, il  préférait  qu'on  envoyât  une  autre  personne. 

En  résumé,  il  est  peut-être  regrettable  que  la  Cour  de 
Rome  n'ait  pas  agréé  d'emblée  la  nomination  de  M.  Leclercq, 
qui  dans  la  Ville  éternelle  aurait  fait  honneur  à  notre  pays 
et  aurait,  j'en  suis  persuadé,  édifié  le  Saint-Siège;  mais  il 
est  encore  plus  regrettable  que  notre  Gouvernement  ait  fait 


-43  - 

tant  de  tapage  pour  ébranler  le  droit  incontestable  de  la 
diplomatie  romaine.  Si  le  Cabinet  de  Bruxelles  avait  été  mieux 
inspiré,  il  n'aurait  pas  laissé  ébruiter  sa  proposition  du  choix 
de  M.  Leclercq  :  il  se  serait  adressé  confidentiellement  au 
Saint-Siège  et,  en  cas  de  refus  d'agréation  de  celui-ci,  il  aurait 
fait  choix  de  quelqu'autre  diplomate  de  ses  amis,  que  la  Cour 
de  Rome  aurait  alors  accepté.  Enfin,  il  n'aurait  pas  rendu  à 
M.  le  procureur  général  Leclercq,  que  tout  le  monde  respecte 
chez  nous,  le  mauvais  service  de  le  laisser  discuter  en  public, 
sans  profit  pour  la  cause  libérale  d'alors  et  pour  la  renommée 
de  notre  diplomatie. 

Un  détail  piquant,  qui  révèle  le  désarroi  et  l'ignorance  des 
membres  du  Cabinet  qui  commettaient  cette  faute.  On  raconte 
que  le  Ministre  des  affaires  étrangères,  M.  C.  d'Hoifschmidt, 
demandait,  dans  un  entretien,  au  nonce  Mgr  de  Saint-Marsan, 
pourquoi  la  Cour  de  Rome  refusait  de  recevoir  M.  Leclercq. 
—  «  On  dit,  Excellence,  qu'il  est  joséphiste.  —  Oh!  Monsei- 
y>  gneur,  répliqua  le  ministre,  je  puis  vous  garantir  que 
y^  M.  Leclercq  n'a  jamais  fait  partie  de  la  Congrégation  des 
»  Josephistes.  »  —  Le  bon  M.  d'Hoffschmidt  confondait  les 
Josephistes,  les  Fébroniens,  les  libéraux  du  temps  de  Joseph  II, 
avec  les  religieux  joséphites  de  Louvain  et  de  Melle! 

M.  Leclercq  fut  plus  sage  que  ses  «  amis  »  du  ministère. 
Dans  une  lettre  qu'il  adressa,  le  23  septembre  1847,  ^^ 
Ministre  des  affaires  étrangères,  il  déclara  qu'il  déclinait 
désormais,  quelque  explication  qui  pût  intervenir  ultérieure- 
ment, la  mission  qu'il  avait  d'abord  acceptée  ;  il  protestait  en 
même  temps  contre  «  l'injure  qui  lui  était  faite  »  {Exposé,  t.  I, 
p.  xxxi).  Or^  cette  «  injure  »  lui  avait  été  faite,  grâce  à  la 
maladresse  du  ministère  Rogier.  Quand  un  galant  se  présente 
discrètement  pour  épouser  une  fille  de  bonne  maison  et  qu'il 
est  discrètement  éconduit,  il  n'y  a  pas  pour  lui  une  «  injure^» 
dans  ce  fait  si  naturel  :  sa  situation  ne  devient  embarrassante 
que  lorsque  ses  «^  amis  »  vont  raconter  partout,  en  protestant 
et  en  gesticulant,  les  divers  incidents  de  la  négociation. 

Au  lieu  de  laisser  tomber  cet  incident,  peu  glorieux  pour  sa 
diplomatie,  le  Cabinet  du  12  août  et  ses  amis  du  Parlement 


-46- 

firent  là  dessus  comme  on  dit  aujourd'hui,  toute  une  campagne, 
plus  ou  moins  «  anti-cléricale  »,  dans  la  presse,  dans  les 
clubs  libéraux,  à  la  Chambre  même,  où  la  majorité  approuva, 
dans  le  vote  de  l'adresse,  les  incroyables  prétentions  du  Gou- 
vernement. 

Celui-ci,  enhardi  par  ces  approbations,  alla  jusqu'à  dire  dans 
une  circulaire  diplomatique  du  12  décembre  1847  à  ses  agents 
«  qu'il  ne  reprendrait  officiellement  ses  relations  avec  la  Cour 
"  de  Rome  que  moyennant  l'agréation  pure  et  simple  de 
7^  M.  Leclercq.  »  Cette  vaillance  obtint  naturellement  la 
bruyante  approbation  du  parti  du  ministère.  Le  Saint-Siège  est 
une  de  ces  puissances  aux  dépens  desquelles  il  est  facile  de 
cueillir  des  lauriers  d'héroïsme  militaire,  et  sans  coup  férir.  Je 
ne  crois  pas  injurier  la  mémoire  des  membres  du  Cabinet  du 
1 2  août  en  disant  qu'ils  ne  se  seraient  pas  permis  de  lancer, 
les  dans  mêmes  conditions,  une  circulaire  contre  la  France, 
l'Allemagne  ou  l'Angleterre. 

En  1834,  le  roi  de  Prusse  refusa  de  recevoir  le  général 
Goblet,  en  qualité ,  d'envoyé  extraordinaire  et  ministre  pléni- 
potentiaire, parce  qu'il  n'estimait  pas  le  militaire.  On  se  garda 
soigneusement  à  Bruxelles  d'ébruiter  la  mésaventure  du 
général,  qui  fut  très  tranquillement  remplacé  par  le  comte 
de  Baillet. 

Ce  fut,  encore  une  fois,  le  Saint-Siège  qui  donna  l'exemple 
de  la  sagesse,  de  la  modération  et  de  la  conciliation.  Nous 
lisons,  en  effet,  dans  V Exposé  (t.  I,  p.  xxxiii)  : 

«  Des  pourparlers  s'engagèrent  et  se  prolongèrent  pendant 
un  mois  ;  la  révolution  de  février  qui  s'accomplit  dans  l'inter- 
valle et  l'admirable  exemple  que  donna  en  ce  moment  la  Bel- 
gique en  face  de  la.  conflagration  générale  dissipèrent  bien 
des  préventions.  Le  Vatican  céda,  non  sans  essayer  de  couvrir 
sa  retraite.  Dans  les  premiers  jours  de  mars,  le  Saint-Siège  fit 
savoir  à  Bruxelles  «  qu'il  verrait  avec  plaisir  M.  Leclercq 
remplir  la  mission  temporaire  qu'on  avait  l'intention  de  lui  con- 
fier ».  Le  Gouvernement  n'accepta  pas  cette  demi-concession  ; 
il  exigea  et  obtint  une  satisfaction  complète.  Le  27  mars, 
M.  de  Meester,  notre  chargé  d'afiaires,  mandait  que  le  cardi- 


—  47  — 

nal  Antonelli  lui  avait  annoncé  «  que  le  Saint-Père  verrait  avec 
beaucoup  de  plaisir  M.  Leclercq  à  Rome  comme  représentant 
de  la  Belgique  ;  que  c'était  une  agréation  pure  et  simple  et  sans 
commentaire,  comme  nous  l'avions  demandée  ;  que  c'était  la 
meilleure  solution  d'un  incident  qui  n'avait  été  causé  que  par 
un  malentendu  •».  Quelques  jours  plus  tard,  le  nonce  faisait  à 
Bruxelles  une  communication  dans  les  mêmes  termes. 

"  Le  conflit  était  dès  lors  aplani,  mais  les  événements  exté- 
rieurs retardèrent  l'envoi  d'un  ministre  régulièrement  accré- 
dité auprès  du  Saint-Siège.  M.  Leclercq,  à  qui  on  offrit  de- 
rechef cette  mission,  la  déclina  pour  des  motifs  auxquels  il 
déclarait  qu'aucun  ressentiment  personnel  n'avait  la  moindre 
part.  » 

Si  M.  Leclercq  avait  gardé  quelque  ressentiment,  c'est, 
assurément,  contre  le  Cabinet  du  12  août  qu'il  aurait  dû  le 
diriger;  car  ce  sont  ses  amis  du  Ministère  qui  seuls  exposèrent 
sa  personne  respectable  et  respectée  aux  inconvénients  que 
nous  avons  décrits,  et  c'est  le  Saint-Siège  qui  a  fait  tout  ce 
qui  dépendait  de  lui  pour  tirer  l'éminent  procureur-général 
de  la  position  ridicule  où  l'avait  placé  le  ministère  du  1 2  août. 

La  Cour  de  Rome  donnait  ainsi  une  éclatante  satisfaction 
au  Cabinet  de  Bruxelles,  qui  ne  la  méritait  guère.  Malgré  son 
droit  incontestable  d'agréation,  elle  y  renonçait,  pour  être 
agréable  au  Gouvernement  du  roi  Léopold  F'"  et  aussi  pour 
rendre  justice  à  M.  Leclercq,  dont  la  légèreté  ou  la  passion 
politique  des  ministres  belges  avait  livré  la  personnalité  si 
honorable  à  la  malignité  des  discussions  publiques. 

En  vérité,  il  est  étrange  qu'après  40  années  de  réflexion  on 
vienne  faire  au  Saint-Siège  un  grief  de  son  affection  pour  notre 
pays  et  de  sa  condescendance  pour  les  circulaires  de 
M.  d'Hoffschmidt.  Ce  dernier  avait  obtenu  du  Saint-Siège 
ce  que  «  lord  Firebrand  ^  n'avait  pu  arracher  au  czar  Nicolas. 

Quant  au  comte  van  der  Straten,  il  fut  mis  en  disponibi- 
lité. Sa  personne  avait  été  d'autant  plus  agréable  à  Rome, 
qu'elle  y  était  très  favorablement  connue  depuis  i838,  à 
cause  des  services  qu'il  avait  rendus  à  cette  époque  à  la  mis- 
sion catholique  de  Stockholm  et  qui   lui  valurent  la  croix  de 


-48- 

commandeur  du  Christ  Romain,  honneur  rare.  Pie  IX  n'ou- 
lia  pas  les  incidents  de  1847  :  le  23  mai  i85i  il  conféra  au 
noble  comte  la  grand  croix  de  l'ordre  de  Saint  Grégoire  le 
Grand. 

Théodore  Joseph  comte  van  der  Straten  Ponthoz  est  né 
le  18  mai  1809.  ^1  ^st  le  fils  aîné  de  Louis.  Marie  Hyacinthe 
Joseph  et  de  Gabrielle  de  Laittres,  fille  de  Robert  Joseph  de 
Laittres,  baron  de  Brandebourg,  seigneur  de  Rossignol  et 
de  Saint  Mard,  dans  le  Luxembourg.  Louis  Marie  Hyacinthe 
Joseph,  chef  de  la  branche  cadette  de  cette  famille  originaire 
de  Bruges  (1),  avait  servi  dans  sa  jeunesse  dans  les  gardes 
wallonnes  d'Espagne,  qu'il  quitta  en  i8o3  pour  revenir  dans 
le  Condroz.  Il  siégea  au  Sénat  de  i833  à  1843  (en  dernier  lieu 
pour  l'arrondissement  de  Liège)  et  mourut  le  7  août  1844  (il 
était  né  le  18  mars   1775),  laissant  une  nombreuse  postérité. 

Le  comte  Théodore  van  der  Straten,  après  avoir  travaillé, 
avant  la  révolution,  au  gouvernement  provincial  à  Maestricht, 
entra  dans  la  diplomatie  en  i83i  et  fit  partie  des  légations 
de  Paris  et  de  Vienne.  En  1837(25  février),  il  fut  nommé 
chargé  d'affaires  en  Danemark  et  en  Suède,  où  il  connut  le 
roi  Bernadotte,  et  rendit  à  notre  pays  de  précieux  services. 
Mis  en  disponibilité  le  29  janvier  1839  pour  motifs  de  santé, 
il  fut  tenu  à  l'écart  jusqu'en  1847. 

Sa  mission  éphémère  de  Rome  rendait  sa  position  délicate, 
à  partir  de  l'avènement  du  ministère  Rogier.  Cependant  il  ne 
s'occupait  guère  de  politique  active.  Sa  retraite  dura  jusqu'en 
i855  :  le  4  août  de  cette  année  il  fut  chargé  de  représenter  le 
Roi  au  couronnement  du  roi  dom  Pedro  V  de  Portugal,  En 
1 858,  le  roi  Léopold  P''  le  nomma  grand  maréchal  de  sa  Cour, 
dignité  dans  laquelle  il  fut  confirmé  par  le  roi  Léopold  II,  le 
10  décembre  i865.  Enfin  le  18  janvier  1868,  le  comte  van 
der  Straten  fut  chargé  d'assister,  à  Vienne,  aux  funérailles  de 
l'archiduc  Maximilien,  empereur  du  Mexique,  en  qualité  d'en- 


(1)  Voy.  Notice  historique  et  généalogique  de  la  maison  de  Straten  par  Charles 
Piot,  archiviste  général  du  royaume,  1  vol.  in-4",  371  p.,  Bruxelles  1877.  chez 
Bruylant-Christophe. 


—  49  — 

voyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  auprès  de 
S.  M.  l'Empereur  d'Autriche. 

Il  a  épousé  à  Vienne,  le  20  octobre  i835,  Valérie,  comtesse 
de  Beaufort  Spontin,  dame  de  l'ordre  de  la  Croix  étoilée  d'Au- 
triche (en  1843)  et  de  l'ordre  de  Marie-Louise  d'Espagne  (en 
1846),  dame  du  palais  de  S.  M.  la. reine  Louise  des  Belges 
(28  juin  1845),  fille  de  Frédéric  duc  de  Beaufort  Spontin  et 
d'Ernestine,  princesse  de  Starhemberg,  morte  à  Bruxelles  le 
7  janvier  1887.  De  ce  mariage  sont  issus  deux  enfants,  une 
fille,  morte  le  3i  janvier  1869,  qui  avait  épousé  le  comte 
Albert  de  Robiano,  et  un  fils,  le  comte  Rodolphe,  qui  est  né 
le  7  octobre  i85i  et  qui  a  épousé,  le  29  avril  1876,  M^^'' Marie 
Pallavicini,  fille  du  margrave  de  ce  nom  et  de  Gabrielle,  fille 
du  landgrave  de  Furstenberg,  dont  la  mère  est  une  princesse 
de  Schwartzenberg. 

Le  comte  van  der  Straten  Ponthoz  est  un  des  diplomates 
belges  les  plus  érudits  et  les  plus  aimables,  La  distinction  de 
son  esprit  n'a  d'égale  que  la  simplicité  de  ses  manières.  Plein 
de  tact  et  de  mesure,  il  possède  une  connaissance  exquise  des 
besoins  de  la  société  contemporaine.  C'est  un  homme  de  bon 
conseil  et  un  citoyen  éminent,  profondément  dévoué  à  son 
pays. 


11.  —  Le  prince  de  Ligne,  ambassadeur. 
(3o  Septembre    1848    —    Septembre    1849.) 

Le  29  septembre  1847,  Mgr  de  Saint-Marsan,  nonce  apos- 
tolique, répondait  à  M.  d'Hoffschmidt,  qui  lui  avait  fait  part, 
la  veille,  de  <^  l'impossibilité  »  où  se  trouvait  le  Cabinet  de 
proposer  au  Roi  la  désignation  d'une  personne  capable  d'être 
nommée  à  la  place  de  M.  Leclercq  : 

«  Je  puis  assurer  votre  Excellence  que  le  Saint-Père  appren- 
dra avec  un  sensible  regret  cette  résolution  qui  doit  le  priver 
provisoirement  de  la  vive  satisfaction  qu'il  aurait  éprouvée  en 
accueillant  bientôt  à  Rome  un  successeur  de  M,  le  prince  de 
Chimay. 


—  5o  — 

y>  L'attachement  sincère  et  les  profonds  sentiments  d'estime 
de  Sa  Sainteté  pour  l'auguste  personne  du  Roi,  sa  cordiale  et 
toute  paternelle  bienveillance  pour  la  Belgique,  doivent  lui 
faire  vivement  désirer  que  cette  vacance  et  les  pénibles  circon- 
stances qui  l'ont  occasionnée  ne  se  prolongent  pas  long- 
temps. » 

Malgré  cette  invitation  pressante  et  même  touchante,  le 
gouvernement  laissa  le  poste  de  Rome  Vcicant,  se  bornant  à  y 
laisser  M.  de  Meester  comme  chargé  d'affaires  ad  intérim. 

Ce  n'est  qu'après  une  année  de  bouderie  que  l'on  songea  à 
donner  un  successeur  au  comte  van  der  Straten. 

M.  Leclercq  ayant  renoncé  au  poste  qu'on  lui  offrait  de  nou- 
veau, le  Cabinet  de  Bruxelles  proposa  à  l'agréation  du  Saint- 
Siège  une  des  personnalités  les  plus  éminentes  du  royaume, 
S.  A.  S.  le  prince  de  Ligne,  qui  venait  de  quitter  Paris. 
Comme  il  avait  été  ambassadeur  auprès  du  roi  Louis-Philippe, 
le  Gouvernement  du  roi  Léopold  F'"  demanda aiu  Pape  Pie  IX 
de  recevoir  le  prince  en  la  même  qualité.  La  Cour  de  Rome, 
constate  Y  Exposé  (t.  I,  p.  xxxiv),  accueillit  ce  choix  «  avec 
une  satisfaction  toute  particulière  ".  Seulement,  le  titre 
d'ambassadeur  donna  lieu  à  quelques  réserves  de  préséance 
qui  furent  admises  à  Bruxelles. 

Voici  en  quels  termes  l'auteur  de  Y  Exposé  (t.  I,  p.  xxxiv) 
résume  les  instructions  données  au  prince  de  Ligne  : 

«  Les  esprits  étaient  vivement  surexcités  dans  toute 
l'Europe;  parmi  les  questions  qui  les  préoccupaient  le  plus, 
figurait  celle  des  rapports  de  l'Etat  et  de  l'Eglise,  de  leurs 
droits  et  de  leurs  devoirs  réciproques.  L'opinion  publique 
réclamait  depuis  plusieurs  , années  chez  nous  la  solution  d'un 
certain  nombre  de  problèmes  relevant  de  cet  ordre  idées  :  tels 
étaient  l'organisation  de  l'enseignement  de  l'Etat,  l'interven- 
tion du  clergé  dans  les  élections,  les  rapports  du  clergé  infé- 
rieur avec^  l'épiscopat  et  leurs  droits  respectifs  vis  à  vis  de 
l'État,  l'administration  du  temporel  des  cultes,  etc.  En  pré- 
sence des  graves  événements  qui  renouvelaient  l'aspect  de 
l'Europe  et  imprimaient  un  puissant  élan  aux  esprits,  il  sembla 
que  l'heure  était  également  venue  d'assigner  à  notre  mission 
auprès  du  Saint  Siège  un  but  sérieux  et  pratique. 


—  5i  — 

r>  Les  instructions  du  prince  de  Ligne  portent  la  date  du 
3  novembre  1848;  elles  sont  conçues  dans  cette  pensée.  Au 
sujet  des  rapports  entre  l'autorité  civile  et  les  influences 
ecclésiastiques,  notre  ambassadeur  devait  donner  au  Saint- 
Siège  l'assurance  que  le  Gouvernement,  si  des  obstacles  ne 
devaient  entraver  sa  marche,  ferait  œuvre  de  conciliation 
réelle  et  durable.  A  des  défiances  regrettables  il  veut  substi- 
tuer des  rapports  de  bienveillance  et  de  sympathie,  en  sous- 
trayant à  la  fois  l'autorité  religieuse  et  le  pouvoir  civil  à  des 
soupçons  mutuels  d'envahissement  et  de  domination.  Le  prince 
de  Ligne  veillera  à  ce  que  sur  ce  point  Sa  Sainteté  ne  soit  pas 
induite  en  erreur.  Il  ne  faut  pas  qu'Elle  se  méprenne  sur  lé 
caractère  de  nos  luttes  intérieures^  qui  sont  exclusivement 
politiques,  malgré  la  dénomination  de  catholique  donnée  à 
l'un  de  nos  partis.  L'intérêt  le  plus  évident  de  la  religion  est 
de  tenir  ses  ministres  en  dehors  des  luttes  de  parti. 

59  N'était-ce  pas  le  sentiment  de  Pie  IX  lui-même  qui,  dans  sa 
première  entrevue  avec  le  prince  de  Chimay,  le  6  novembre 
1846,  lui  disait  que  «  la  religion  ne  doit  jamais  se  meth'e  au 
y>  service  d'un  parti  sous  peine  de  s'amoindrir.   r> 

Ces  instructions  générales  devaient  recevoir  et  reçurent  en 
effet  des  applications  pratiques  ;  mais  la  marche  des  événe- 
ments en  entrava  constamment  l'exécution. 

Au  moment  où  le  prince  de  Ligne  arrivait  en  Italie,  la  révo- 
lution se  développait  rapidement.  Le  comte  Rossi,  ministre 
du  Pape,  fut  assassiné.  Pie  IX  se  réfugia  à  Gaëte  (y oy. Exposé, 
T.  I,  p.  XXXV  et  sq.)  : 

«  Deux  jours  après,  le  cardinal  Antonelli  invitait,  au  nom  du 
Saint-Père,  le  corps  diplomatique  aie  Rejoindre  à  Gaète,  où  il 
s'était  retiré.  Le  prince  de  Ligne  se  trouvait  alors  à  Turin  : 
mais  notre  chargé  d'affaires,  M.  de  Meester  obtempéra,  comme 
tous  ses  collègues,  à  cette  invitation,  et  le  Gouvernement 
approuva  sa  conduite.  L'ambassadeur  lui-même,  arrivé  le  7  à 
Naples,  présenta  dès  le  lendemain  ses  lettres  de  créance  à 
Gaëte  ;  son  empressement  toucha  beaucoup  le  Souverain  Pon- 
tife. Bien  que  le  prince  eût  devancé  à  cet  égard  ses  instruc- 
tions, le  Cabinet  de  Bruxelles  approuva  pleinement  sa  démar- 
che. 


—    52    — 

r>  Lorsque,  à  la  fin  de  janvier,  Pie  IX  adressa  de  Gaëte  à 
tous  les  Gouvernements  avec  lesquels  il  était  en  rapport,  un 
exposé  des  motifs  qui  l'avaient  contraint  à  s'éloigner  de  Rome, 
le  Ministère  belge  répondit  à  cette  communication  dans  les 
termes  les  plus  sympathiques.  La  Républiqne  romaine  fut  pro- 
clamée le  9  février  1 849  ;  mais  il  ne  fut  pas  un  moment  ques- 
tion de  reconnaître  le  Gouvernement  insurrectionnel  à  Rome. 

y>  La  mission  du  prince  de  Ligne  n'eut  qu'une  durée  de  dix 
mois  ;  elle  lui  fournit  l'occasion  de  soulever,  dans  ses  rapports 
avec  le  Saint-Siège,  la  question  de  l'intervention  du  clergé 
dans  les  affaires  politiques  et  celle  de  la  position  des  desser- 
vants à  l'égard  des  évêques.  Les  négociations  qu'il  ouvrit  à  ce 
sujet  n'avaient  pas  atteint  leurterme  au  moment  de  son  départ.  " 

Après  dix  mois  de  séjour  seulement,  le  prince  de  Ligne 
demanda  son  rappel  pour  pouvoir  siéger  au  Sénat,  dont  il  fut 
élu  président  pendant  25  ans. 

Son   départ  causa  de  grands  regrets  à  la  Cour  de  Pie  IX 

12.  M.  Henri  de  Brouckere,  envoyé  extraordinaire  et  ministre 
plénipotentiaire. 

(Septembre   1849.) 

Après  le  prince  de  Ligne,  il  n'y  avait  pas  dans  le  parti 
libéral  d'alors  de  personnalité  plus  considérable  que  celle  de 
M.  Henri  de  Brouckere,  fils  de  l'ancien  gouverneur  du  Lim- 
bourg  et  frère  d'un  des  membres  les  plus  distingués  des  pre- 
miers ministères  constitués  après  la  révolution.  M.  Henri  de 
Brouckere  avait  siégé  au  Congrès  et  avait  été,  lui  aussi,  gou- 
verneur de  province.  Il  était  un  des  membres  les  plus  en  vue 
de  la  Chambre  des  représentants,  dont  il  était  à  cette  époque 
un  des  vice-présidents. 

M.  de  Brouckere  n'avait  pas  sollicité  l'honneur  de  repré- 
senter le  Roi  à  Rome.  Il  n'accepta  le  poste  qu'après  beau- 
coup d'insistance  de  la  part  des  ministres  et  même  du  Roi.  Sa 
nomination  était  un  trait  d'habileté  de  la  part  du  ministère  ; 
car  personne,  dans  le  parti  libéral  d'alors,  n'avait  plus  de  titres 


—  53  — 

pour  représenter  dignement  le  pays  à  l'étranger.  M.  H.  de 
Brouckere  était  un  de  ces  «  libéraux  de  i83o  ",  qui  sont  deve- 
nus de  plus  en  plus  rares.  Sa  nomination,  qui  n'était  pas  désa- 
gréable aux  catholiques  belges,  fut  agréée  avec  empressement 
à  Rome.  A  Anvers  et  à  Liège,  où  il  avait  été  gouverneur,  catho- 
liques et  libéraux  avaient  loué  son  administration.  Le  cardinal 
Sterckx  et  Mgr  van  Bomel  le  tenaient  en  haute  estime,  et 
quand  il  partit  pour  Rome,  celui  qui  se  réjouit  le  plus  de  son 
acceptation  fut  le  comte  d'Oultremont,  l'un  de  ses  prédéces- 
seurs. 

Il  est  intéressant  de  connaître  les  instructions  qui  furent 
données  au  successeur  du  prince  de  Ligne  (V.  Expoaé,  t.  I, 
p.  xxxvii).  Elles  portent  la  date  du  3o  octobre  1849.  Citons 
textuellement  : 

Elles  visent  directement  trois  ordres  de  questions  :  1°  l'in- 
dépendance du  pouvoir  civil,  notamment  sur  le  terrain  de 
l'enseignement  ;  2°  la  transformation  du  clergé  en  corps  poli- 
tique ;  3°  le  règlement  de  certaines  matières  de  droit  public 
d'un  caractère  mixte,  concernant  les  rapports  de  l'Eglise  avec 
l'Etat.  C'est  à  ce  triple  point  de  vue  que  nous  aurons  à  con- 
stater le  résultat   de  cette  mission. 

Un  exposé  général  des  principes  qui  dirigent  notre  politi- 
que extérieure  et  de  l'application  qui  en  a  été  faite  aux 
Etats  du  Saint-Siège  forme  l'introduction  des  instructions 
du  ministre  belge. 

«  Le  Gouvernement  n'a  pas  reconnu  le  pouvoir  issu  de  la 
révolution  romaine  ;  son  représentant  a  suivi  le  Saint-Père  à 
Gaëte,  et  c'est  là  que  le  prince  de  Ligne  est  venu  lui  remettre 
ses  lettres  de  créance.  Cette  attitude  n'était  pas  seulement 
dictée  par  les  règles  du  droit  international,  elle  était  l'expres- 
sion des  profonds  sentiments  de  sympathie  qu'avaient  éveillés 
en  Belgique  les  généreux  efforts  du  Pontife  et  ses  doulou- 
reuses épreuves.  Elle  n'a  pu  manquer  d'être  comprise  à  Rome; 
ainsi  que  l'affirmait,  du  reste,  le  prince  de  Ligne  dans  une 
de  ses  dernières  communications,  elle  a  dû  dissiper  bien 
d'anciennes  préventions.  Le  Gouvernement  n'a  rien  négligé 
pour  empêcher  toute  fausse  appréciation  des  principes  de  sa 

i 


-  54  - 

politique  intérieure,  toute  erreur  au  sujet  des  dispositions  qui 
l'animent  à  l'égard  de  la  religion  et  de  l'Eglise.  »  Après  avoir 
déclaré  que  la  seule  chose  qui  pourrait  compromettre  désor- 
mais les  bons  rappprts  établis  avec  la  Cour  de  Rome,  c'est  le 
développement  croissant  de  l'action  politique  du  clergé,  et 
signalé  les  mouvements  de  cette  confusion  des  intérêts  spiri- 
tuels et  temporels,  les  instructions  poursuivent  en  ces  termes  : 
«  Il  est  une  conviction  dont  il  est  essentiel  que  le  Saint-Siège 
soit  pénétré  :  c'est  qu'en  Belgique,  tout  ce  qui  a  l'apparence 
d'un  empiétement  sur  le  domaine  civil  inquiète  et  blesse  les 
esprits,  et,  par  une  réaction  naturelle,  menace  les  intérêts 
religieux  eux-mêmes. 

r>  Qu'on  s'en  afflige  on  qu'on  y  applaudisse,  il  est  un  fait 
qu'il  faut  bien  reconnaître  ;  c'est  qu'aujourd'hui  s'achève  parmi 
nous  un  long  travail  de  sécularisation.  Plusieurs  attributions, 
confiées  jadis  au  clergé,  ont  passé  à  l'autorité  laïque  ;  celle-ci 
jouit  des  unes  sans  partage  et  sans  contestation;  mais  il 
existé,  pour  les  autres,  dans  les  rangs  des  corps  qui  se  sont  vus 
dépossèdes,  certains  regrets,  certaines  répugnances,  certaines 
espérances  peut-être  qui  éveillent  les  susceptibilités  et  les 
craintes  de  la  société  nouvelle.  Que  ces  susceptibilités  soient 
légitimes  ou  non,  que  ces  craintes  soient  bien  ou  mal  fondées, 
peu  importe  ;  toujours  est-il  qu'elles  existent  et  qu'il  serait 
d'une  haute  imprudence  de  n'en  tenir  pas  compte. 

y>  Or,  tout  le  monde  ne  parait  pas  être  suffisamment  con- 
vaincu d'un  danger  qui  est,  à  nos  yeux,  évident.  De  là,  les 
controverses  auxquelles  nous  assistons  tous  les  jours  sur 
l'application  des  lois  relatives  à  la  gestion  des  biens  légués 
aux  pauvres  et  sur  les  questions  autrement  importantes  de 
l'enseignement  primaire  et  de  l'enseignement  supérieur  et 
moyen. 

'y>  Je  n'ai  pas  besoin  de  préciser  l'objet  et  la  nature  des 
débats  auxquels  je  fais  allusion.  Vous  connaissez  parfaitement 
les  vues  du  Gouvernement  en  ces  matières.  Il  ne  vous  sera 
pas  malaisé  de  les  défendre,  car  elles  ont  pour  base  des  prin- 
cipes vrais  et  empreints  d'une  incontestable  modération. 

r>  Vous  rappellerez  que  raisonnablement  l'Église  n'a  plus 


—  55.  - 

rien  à  demander  en  fait  de  libertés.  Notre  pays  jouit  sous  ce 
rapport  d'un  régime  bien  autrement  libéral,  bien  autrement 
large  que  celui  que  se  sont  donné  des  Etats  voisins,  malgré 
leur  prétention  de  consacrer  toutes  les  libertés.  Et  ces  droits 
si  complets  dans  l'ordre  religieux  et  dans  l'ordre  civil,  il  y  a 
bientôt  vingt  ans  que  nous  en  avons  le  paisible  exercice,  car 
ils  sont  dus  à  cette  noble  assemblée  dont  vous  avez  fait  partie, 
Monsieur  le  Ministre,  à  ce  Congx'ès  national  auquel  la  Bel- 
gique reconnaissante  érige  un  monument,  symbole  de  patrio- 
tisme et  d'union.  » 

En  d'autres  termes,  M.  H.  de  Brouckere  était  chargé  d'ob- 
tenir le  concours  du  Saint-Siège  pour  les  projets  du  ministère 
du  12  août  1847  ^^  matière  d'enseignement,  moyen  et  pour  le 
triomphe  des  prétentions  du  curé  van  Moorsel,  de  Xhavée, 
contre  l'évêque  de  Liège. 

Le  projet  de  loi  sur  l'enseignement  moyen  fut  déposé  à  la 
Chambre  le  14  février  i85o.  Dans  l'exposé  des  motifs  de  ce 
projet  et  même  dans  son  texte,  le  ministère  n'affichait  pas  les 
prétentions  «  sécularisatrices  »,  qui  furent  ouvertement  avouées 
plus  tard  par  son  parti  et  qui  alors  n'étaient  manifestées  que 
par  quelques  enfants  perdus  du  libéralisme  dans  la  presse  ou 
dans  les  clubs.  Le  but  de  la  loi  de  i85o  était  de  transformer 
l'Etat  belge  en  concurrent  des  citoyens,  voués  librement  à 
l'enseignement,  et  spécialement  des  collèges  créés,  pour  le 
salut  des  âmes  et  pour  l'exaltation  de  la  science,  soit  par  cer- 
taines congrégations  religieuses,  soit  par  l'épiscopat,  soit 
par  des  associations  de  citoyens  catholiques.  Le  mo3'en  d'ac- 
tion de  la  loi  proposée  était  la  neutralisation  de  l'ensei- 
gnement. C'était  la  première  tentative  de  création,  en  Bel- 
gique, d'une  irréligion  d'Etat. 

Les  adversaires  de  ce  projet,  les  citoyens  catholiques, 
appuyés  par  les  évêques,  résistèrent  énergiquement  aux  ten- 
dances du  Gouvernement,  comme  ils  avaient  combattu  celles 
du  Gouvernement  du  roi  Guillaume,  celles  de  l'Empire  et 
de  la  République  et  celles  de  l'empereur  Joseph  IL,  L'ar- 
ticle 17  de  la  Constitution  avait  eu  pour  but  de  mettre  enfin 
un  terme  aux  tentatives  de  l'État   de  s'emparer  de  l'ensei- 


—  56  — 

gnement,  aux  frais  des  contribuables.  On  sait  que,  pour 
justifier  des  prétentions  plus  modernes,  le  parti  libéral 
invoque  le .  §  second  de  cet  article  17  :  «  L'instruction 
r,  publique  donnée  aux  frais  de  l'Etat  est  également  réglée 
y>  par  la  loi  r>.  Or,  ce  paragraphe,  dans  l'esprit  du  Congrès, 
n'a  en  vue  que  l'insuffisance  de  l'initiative  privée  et  ne  supposé 
pas  l'organisation  d'une  vast«  machine  administrative  destinée 
à  organiser  un  enseignement  officiel  à  tous  les  degrés.  Le 
rapporteur  de  cet  article  au  Congrès,  Charles  de  Brouckere, 
n'a  pas  manqué  de  rappeler  ces  principes  constitutionnels 
pendant  la  discussion  de  la  loi  de  i85o.  Mais  le  parti  libéral 
fit  la  sourde  oreille  et  ne  cessa  pas  de  réclamer  l'organisation 
d'un  vaste  enseignement  offi^ciel  acatholique,  sinon  anticatho- 
lique. 

La  loi  sur  l'enseignement  primaire  de  1842  avait  été  votée 
par  la  presqu'unanimité  des  membres  du  Parlement,  grâce  à 
une  transaction  heureuse,  qui  ménageait  à  la  fois  les  intérêts 
religieux  de  la  nation  et  les  prérogatives  du  pouvoir  civil. 
Mais  des  transactions  de  ce  genre  ne  faisaient  pas  les  affaires 
de  l'esprit  de  secte  qui  grandissait  dans  le  parti  libéral.  On 
demandait,  dans  les  sociétés  secrètes,  de  faire  un  pas  de  plus. 
Telle  était  la  raison  d'être  du  projet  de  loi  de  i85o  sur  l'en- 
seignement moyen.  p]n  1878,  la  «  revision  «  de  la  loi  de  1842 
sur  l'enseignement  primaire  devait  compléter  le  «  système 
libéral  »  :  la  «  neutralisation  »,  c'est-à-dire,  la  «  sécularisa- 
tion «  absolue  de  l'enseignement  donné  aux  frais  de  tous  les 
contribuables. 

Et  c'était  pour  atteindre  un  pareil  résultat  qu'on  cherchait  à 
obtenir  le  concours,  sinon  la  complicité  du  Saint-Siège 
Apostolique!  Je  n'affirme  pas  carrément  que  MM.  Rogier, 
Frère  et^  d'Hoffschmidt  avaient,  en  i85o,  des  pensées  aussi 
nettement  hostiles  à  l'Eglise  et  à  sa  mission  moralisatrice  et 
civilisatrice  ;  mais  je  dis  que  telle  était,  pour  les  esprits 
clairvoyants,  la  conséquence  inévitable  des  projets  du  Gouver- 
nement. 

Ce  n'est  pas  le  lieu  ici  d'analyser  longuement  les  actes  diplo- 
matiques de  la  mission  de  M.  H.  de  Brouckere.  Cette  mission, 


-  57  - 

accomplie  avec  talent,  zèle,  modération  et  sagesse  devait 
fatalement  échouer.  Le  Saint-Siège  ne  se  préoccupait  pas, 
qu'on  le  remarque  avec  soin,  du  texte  et  de  l'esprit  de  l'article 
17  de  la  Constitution;  de  son  point  de  vue  élevé,  universel, 
catholique,  il  ne  contestait  pas  à  l'État  belge  le  droit  d'orga- 
niser des  établissements  officiels.  Préoccupé  uniquement  de  son 
devoir  apostolique,  il  soutenait,  à  bon  droit,  qu'il  ne  pouvait 
pas  approuver  une  loi,  dont  l'application  devait  être,  directe- 
ment ou  indirectement,  contraire  aux  intérêts  chrétiens  de  la 
société. 

Si  les  intentions  du  Ministère  de  1847  avaient  été  sincères, 
il  n'est  pas  douteux  qu'une  entente!  aurait  pu  se  faire.  Ce  qui 
le  démontre  c'est  que  le  négociateur  belge,  le  même  M.  Henri 
de  Brouckere,  lorsqu'il  prit  le  pouvoir  quelques  années  plus 
tard,  trouva  facilement  les  termes  d'une  transaction,  sur  cette 
même  question. 

MM.  Rogier  et  d'Hoffschmidt  auraient,  eux  aussi,  j'en  suis 
persuadé,  prêté  l'oreille  à  des  propositions  plus  conciliantes. 
Malheureusement,  M.  Frère,  qui  s'était,  presque  seul,  opposé 
à  l'adoption  de  la  loi  de  1842  sur  l'enseignement  primaire, 
imprima  au  Ministère  de  1847  ^^^^®  direction  plus  radicale,  qui 
aboutit  enfin  à  la  fatale  loi  de  1878  sur  l'enseignement  pri- 
maire, pour  le  malheur  du  pays  et  même  du  parti  libéral. 

J'ai  dit  un  mot  plus  haut  de  l'affaire  du  curé  de  Xhavée, 
lequel,  si  j'ai  bonne  mémoire,  avait  été  le' client  de  M.  Frère, 
alors  avocat  près  la  Cour  de  Liège.  La  discussion  de  ce  des- 
servant avec  son  évêque  était  du  ressort  exclusif  de  l'autorité 
religieuse.  Et  cependant  le  Gouvernement,  dont  M.  Frère 
faisait  partie,  eut  la  pensée  bizarre  de  s'en  mêler  et  de  faire  de 
cet  objet  un  paragraphe  spécial  des  instructions  de  M.  de 
Brouckere.  L'aveuglement  du  Cabinet  libéral  de  Bruxelles 
alla  si  loin  qu'il  osa  proposer  au  Saint-Siège  la  création  en 
Belgique  d'un  tribunal  canonique,  qui  aurait  connu  des  con- 
testations entre  les  desservants,  inamovibles  ou  non,  et  leur 
évêque.  Ai-je  besoin  de  dire  que  ce  projet  gallican  d'interven- 
tion de  l'État  belge  dans  les  affaires  intérieures  de  l'Eglise 
vint  échouer  contre  le  bon  sens  et  la  sagesse  du  Saint-Siège  ? 


—  58  — 

Le  troisième  point  des  instructions  de  M.  de  Brouckere 
concernait  «  la  transformation  du  clergé  en  corps  politique  "  . 
Le  Ministère  du  12  août  1847  s'était  fait  l'écho  d'une  des  accu- 
sations les  plus  banales  de  son  parti  :  défendons  l'indépen- 
dance du  pouvoir  civil  contre  les  empiétements  du  clergé.  Le 
vague  de  cette  grosse  accusation  en  faisait  la  principale  valeur. 
II  est  naturel  que,  dans  un  pays  profondément  catholique,  les 
prêtres  catholiques  possèdent  une  certaine  influence,  même 
politique.  Sous  l'empire  des  lois  de  i83o,  les  prêtres  jouissent 
de  facultés  politiques  comme  tous  les  citoyens  ;  et  s'ils  en 
usent,  ils  exercent  un  droit.  Pourquoi  alors  «  l'indépendance 
du  pouvoir  civil  ^  serait-elle  plus  menacée  par  les  citoyens 
prêtres  catholiques  que  par  les  citoyens  francs-maçons?  Les 
libéraux,  en  déclamant  sur  «  l'indépendance  du  pouvoir  civil  », 
n'ont  jamais  pu  citer  des  faits  positifs  à  l'appui  de  leurs  accu- 
sations. En  réalité,  ils  n'ont  fait  au  clergé  qu'un  procès  de 
tendance. 

Je  ne  voudrais  pas  affirmer  cependant  que  depuis  i83o 
nous  n'ayons  pas  assisté  à  tel  ou  tel  abus  que  faisaient  de 
leur  autorité  spirituelle  et  même  de  leurs  droits  politiques  tels 
ou  tels  membres  du  clergé  catholique  belge.  Je  me  plais  à 
constater,  en  même  temps,  que  ces  faits  ont  été  très  rares. 
J'affirme  aussi  qu'ils  n'ont  jamais  été  approuvés  à  Rome. 
Chaque  fois  qu'ils  ont  été  officiellement  signalés  à  l'attention 
soit  de  Grégoire  XVI,  soit  de  Pie  IX,  soit  de  Léon  XIII,  par 
la  légation  du  Roi  au  Vatican,  la  réponse  a  toujours  été  la 
même  :  nous  ne  voulons  pas  à  Rome  que  les  prêtres  belges 
sortent  de  leur  rôle  spirituel. 

Seulement,  il  faut  bien  s'entendre  ici  sur  les  termes. 

Quand  un  évêque,  faisant  usage  de  ses  droits  civils  et 
politiques,  signale  à  la  vigilante  attention  de  ses  diocésains 
les  funestes  conséquences  que  doit  avoir,  pour  la  foi  et  pour 
l'église,  telle  ou  teUe  loi  sur  l'enseignement,  ou  telle  ou  telle 
loi  sur  le  temporel  du  culte,  il  ne  manque  pas  de  libéraux 
qui  crient  au  secours  contre  les  empiétements  du  clergé  sur 
le  domaine  du  pouvoir  civil. 

A  ce  compte  là,  il  n'y  aurait  plus  en  Belgique  qu'une  seule 


-  59  - 

catégorie  de  «  bons  prêtres  ",  ceux  qui  ne  font  pas  leur 
devoir  sacerdotal,  ou  ceux  qui  font  chorus  avec  les  incroyants 
et  les    adversaires  de   l'Eglise. 

L'Exposé  de  M.  Frère  est  rempli  de  citations  qui  prouvent 
que  Jamais  les  excès  constatés  des  prêtres  catholiques  n'ont 
été  ni  approuvés  ni  encouragés  à  Rome,  et  que  toujours  le 
Saint-Siège  a  promis  son  concours  au  Gouvernement  belge, 
pour  contenir  l'influence  sociale  et  politique  du  clergé  dans 
des  bornes  légitimes.  ' 

A  ce  point  de  vue  seul,  la  permanence  dé  nos  relations 
diplomatiques  avec  la  Cour  de  Rome  a  été  d'un  prix  inesti- 
mable. 

Il  m'est  toutefois  désagréable  de  constater  que  la  mission 
de  M.  H.  de  Brouckere,  si  maladroitement  préparée  et  ^i 
inhabilement  soutenue  à  Bruxelles  par  le  Gouvernement  belge, 
n'eut  pour  nous  aucun  résultat  utile,  et  cela  par  la  faute  même 
de  nos  gouvernants.  L'inhabileté,  l'inexpérience  et  la  pré- 
somption de  ceux-ci  exposèrent  M.  de  Brouckere,  qui  méri- 
tait mieux,  à  des  insuccès  qu'on  aurait  pu  si- aisément  lui 
éviter. 

L'auteur  de  V Exposé  fait  grand  état  d'un  passade  de  l'allo- 
cution prononcée,  conformément  aux  antiques  traditions  du 
Saint-Siège  apostolique,  par  le  Pape  Pie  IX  dans  le  con- 
sistoire secret  du  20  mai  i85o.  Voici  ce  passage  : 

<i  Nous  ne  pouvons  nous  défendre,  dans  notre  sollicitude 
»  paternelle  pour  l'illustre  nation  des  Belges,  qui  s'est  tou- 
y^  jours  fait  remarquer  par  son  zèle  pour  la  religion  catho- 
n  lique,  de  témoigner  notre  douleur  à  la  vue  des  périls  qui 
»  menacent  chez  elle  la  religion  catholique.  Nous  avons  la 
»  confiance  que  désormais  son  Roi  sérénissime  et  tous  ceux 
y  qui  dans  ce  royaume  tiennent  lé  timon  des  affaires  réflé- 
»  chiront,  dans  leur  sagesse,  combien  l'Eglise  catholique  et  sa 
y  doctrine  servent  à  assurer  même  la  tranquillité  et  la  prôs- 
"  périté  temporelle  des  peuples  ;  qu'ils  voudront  conservëi* 
y^  dans  son  intégrité  la  force  salutaire  de  cette  même  Eglise 
«  et  s'attacheront  à  protéger  et  à  défendre  les  saints  prélats 
r^  et  les  ministres  de  cette  Eglise  et  à  lés  seconder  dans  leur 
»  œuvre  bienfaisante!.  y>  ... 


—  6o  — 

Ce  langage  modéré,  calme  et  paternel  n'était  pas  de  nature 
à  inquiéter  la  conscience  d'hommes  d'Etat  bien  avisés.  Le 
Cabinet  de  Bruxelles  y  découvrit  les  plus  noires  intentions  et 
même  de  la  perfidie.  En  effet,  cette  allocution  ne  fut  publiée 
que  le  25  mai,  le  lendemain  du  jour  où  M.  de  Brouckere  avait 
quitté  Rome  pour  jouir  d'un  congé.  Le  i5  mai,  il  avait  vu  le 
cardinal  Antonelli,  qui  s'était  montré  satisfait  de  ses  explica- 
tions dernières,  mais  ne  dissimulait  pas  les  inquiétudes  que 
lui  inspirait  la  création  d'un  vaste  système  d'établissements 
officiels,  dont  la  concurrence  écraserait  les  collèges  libres 
catholiques.  Cependant,  Sa  Sainteté  avait  reconnu  que  cette 
considération  ne  pouvait  être  opposée  à  l'État  belge  comme 
un  motif  d'exclusion  (ceci  est  à  noter).  Dans  une  dépêche 
adressée  en  ce  même  jour  à  M.  d'Hoffschmidt,  M.  de  Brouc- 
kere écrivait  "  que  la  Cour  de  Rome  persistera  dans  le  silence 
y>  et  l'abstention  qu'elle  a  observés  jusqu'ici,  et  que  ses  rela- 
xations avec  le  Gouvernement  continueront  à  être  aussi  bien- 
r  veillantes  qu'elles  l'ont  été  à  aucune  époque  » .  Il  était  con- 
vaincu, de  plus,  que  le  nouveau  nonce,  Mgr  Gonella,  «  arri- 
»  vera  à  Bruxelles  avec  des  instructions  très  conciliantes  » . 
Le  lendemain  de  l'allocution,  le  21  mai,  M.  de  Brouckere  eut 
une  audience  du  Pape  et  s'attacha  de  nouveau  à  rassurer  Sa 
Sainteté  sur  la  portée  du  projet  de  loi  sur  l'enseignement 
moyen.  Pie  IX  lui  répondit  qu'il  avait  appris  avec  satisfaction 
les  modifications  que  le  projet  avait  subies  au  sein  de  la 
Chambre  des  représentants,  mais  qu'elles  ne  le  rassuraient 
pas  entièrement.  Comme  de  juste,  le  Pape  ne  dit  rien  de  l'al- 
locution prononcée  dans  un  consistoire  secret.  M.  de  Brouc- 
kere, dans  une  dépêche  du  22  mai  à  M.  d'Hoffschmidt,  écrivit  : 
«  On  assure  que  l'allocution  a  été  très  modérée,  même  sur  les 
»  affaires  du  Piémont  y>.  Ce  qui  était  la  vérité. 

L'auteur  de  VExposé  considère  ces  faits  si  simples  comme 
s'ils  démontraient  toute  une  ténébreuse  intrigue,  combinée  par 
la  Cour  de  Rome  pour  jouer  et  M.  de  Brouckere  et  le  Cabinet 
de  Bruxelles.  M.  d'Hoffschmidt,  le  ministère,  la  majorité 
parlementaire,  le  parti  libéral  protestèrent  bruyamment,  et 
demandèrent  satisfaction,  comme  si  le  Pape  avait  voulu  les 


—  6i  — 

injurier.  Le  passage  cité  de  l'allocution,  un  document  exclusi- 
vement religieux,  œuvre  personnelle  du  Souverain  Pontife, 
n'était  ni  injurieux,  ni  injuste,  ni  même  blessant.  Le  Pape  y 
exprimait,  dans  une  forme  très  légitime,  les  vœux  les  plus 
sincères  en  faveur  du  bonheur  de  la  Belgique  et  de  la  pacifica- 
tion religieuse.  L'esprit  de  parti  chercha  dans  ces  paternelles 
paroles  une  portée  désagréable  pour  l'envoyé  belge  ;  mais  en 
vain  :  elles  n'atteignaient  en  aucune  façon  ni  son  caractère,  ni 
sa  personne,  ni  ses  talents  diplomatiques. 

M.  H.  de  Brouckere,  personnellement  estimé  par  le  cardinal 
Antonelli,  secrétaire  d'Etat,  et  comblé  de  faveurs  par  le  Pape 
Pie  IX,  quitta  Rome  le  25  mai  i85o,  et  il  n'y  reparut  plus. 
Pendant  deux  ans  encore,  il  resta  accrédité,  en  fait,  auprès 
de  divers  États  italiens,  et  en  droit  auprès  du  Saint-Siège. 

Le  Cabinet  de  Bruxelles,  mécontent,  ne  nomma  pas  de 
nouvel  agent.  M.  de  Meester  de  Ravestyn,  destiné,  semble- 
t-il,  à  faire  toutes  les  mauvaises  commissions,  fut  nommé 
chargé  d'affaires  et  resta  à  Rome  jusqu'en  iSSy.  Le  Cabinet 
de  Bruxelles,  seul  responsable  de  la  diminution  de  notre 
influence  auprès  du  Saint-Siège,  bouda.  Les  nonces,  Saint  Mar- 
san d'abord  et  Gonella  ensuite,  continuèrent  à  résider  à 
Bruxelles  ;  mais  nos  relations  directes  avec  la  Cour  de  Rome 
furent  minces  et  sans  portée,  malheureusement  pour  nous. 

Henri-Gislain-Joseph-AIarie  de  Brouckere,  né  à  Bruges  le 
24  janvier  1801,  est  un  des  fils  de  Charles  de  Brouckere,  qui 
fut,  sous  l'Empire,  Président  de  la  Cour  impériale  de  Bruxelles, 
membre  du  Corps  législatif  de  France,  et,  sous  le  gouverne- 
ment des  Pays-Bas,  Gouverneur  de  la  province  de  Limbourg, 
Conseiller  d'Etat,  membre  de  la  première  Chambre  des  Etats- 
Généraux,  membre  de  l'Ordre  équestre  de  la  Flandre  occiden- 
tale, et  de  Charlotte  de  Stoop.  Il  fit  ses  études  au  lycée  de 
Bruxelles  et  au  collège  de  Maestricht,  où  il  remporta  le  prix 
d'excellence  en  rhétorique,  et  à  l'université  de  Liège  où  il 
obtint  en  1820  la  médaille  d'or  dans  le  concours  de  droit  au- 
quel pouvaient  prendre  part  les  élèves  de  six  universités 
du  royaume  des  Pays-Bas.  Nommé  substitut  du  procureur 
du  Roi  près  le  tribunal  de   Maestricht  en  i832,  avec    dis- 


—    62    ^ 

pense  d'âge,  il  fut  promu  procureur  du  Roi  près  le  tribunal 
de  Ruremonde  en  1823,  avec  une  nouvelle  dispense  d'âge. 
Un  procureur  du  Roi  de  22  ans  !  Il  était  encore  à  Rul^emonde 
quand  survinrent  les  événements  de  i83o.  Sans  rompre  ouver- 
tement avec  le  gouvernement  des  Pays-Bas,  il  se  laissa  élire 
membre  du  Congrès  national,  en  se  conformant  scrupuleu- 
sement au  texte  et  à  l'esprit  de  la  proclamation  du  prince 
d'Orange.  On  connaît  ce  document  intéressant  : 


««  Belges  ! 

"  Depuis  que  je  me  suis  adressé  à  vous  par  ma  proclama- 
,tion  du  5  du  présent  mois,  j'ai  étudié  avec  soin  votre  posi- 
tion, je  la  comprends  et  vous  reconnais  comme  Nation 
indépendante  ;  c'est  vous  dire  que  dans  des  provinces  mêmes 
où  j'exerce  un  grand  pouvoir,  je  ne  m'opposerai  en  rien  à 
vos  droits  de  citoyens  ;  choisissez  librement  et  par  le  même 
mode  que  vos  compatriotes  des  autres  provinces,  des  députés 
pour  le  Congrès  national  qui  se  prépare  et  allez-y  débattre 
les  intérêts  de  la  patrie. 

"  Je  me  mets  ainsi,  dans  les  provinces  que  je  gouverne,  à 
la  tête  du  mouvement  qui  vous  mène  vers  un  état  de  choses 
nouveau  et  stable,  dont  la  nationalité  fera  la  force. 
"  Voilà  le  langage  de  celui  qui  versa  son  sang  pour  l'indé- 
pendance de  votre  sol,  et  qui  veut  s'associer  à  vos  efforts 
pour  établir  votre  nationalité  politique. 

n  Donné  à  Anvers  le  16  octobre  i83o. 

«  Guillaume,  prince  d'Orange.   " 


Les  événements  trahirent  les  bonnes  et  loyales  intentions 
du  prince  d'Orange.  Le  Congrès  national  se  tranforma  immé- 
diatement en  Assemblée  constituante.  M.  de  Brouckere, 
devenu  l'un  de  ses  secrétaires,  donna  sa  démission  de  procureur 


-^  63  — 

du  Roi  et  fut  nommé  conseiller  à  la  Cour  d'appel  de  Bruxelles. 
En  i83i,il  fut  élu  membre  de  la  Chambre  des  représentants. 
Puis  il  devint  successivement  gouverneur  de  la  province  d'An- 
vers en  1840,  gouverneur  de  la  province  de  Liège  en  1844, 
ministre  d'État,  en  1849  et,  la  même  année,  envoyé  extra- 
ordinaire et  ministre  plénipotentiaire  à  Rome  et  auprès  des 
Cours  d'Italie.  En  1 852,  le  Roi  le  nomma  chef  de  Cabinet  et 
ministre  des  affaires  étrangères. 

Dans  sa  verte  vieillesse,  M.  Henri  de  Brouckere,  jouissant 
de  toutes  ses  facultés  intellectuelles,  préside  encore  régulière- 
ment les  séances  du  conseil  d'administration  de  la  Caisse 
d'épargne  et  du  conseil  d'administration  du  Crédit  communal. 
Il  est  avec  MM.  Leclercq  et  de  Lehaye,  tous  deux  plus  âgés  que 
lui,  un  des  derniers  et  des  plus  nobles  représentants  des 
«  libéraux  de  i83o  ».  Comme  M.  Leclercq  il  est  aveugle 
depuis  une  dizaine  d'années  ;  mais  son  intelligence  claire  et 
lucide  ne  souffre  en  aucune  façon  de  cette  infirmité,  qu'il 
supporte  avec  une  résignation  vraiment  charmante. 

M.  Henri  de  Brouckere  avait  une  sœur  et  deux  frères. 
L'un  de  ceux-ci  mourut  jeune  :  il  était  fonctionnaire  au  départe- 
ment des  affaires  étrangères.  L'autre  frère  fut  Charles  De  Brou- 
ckere, le  populaire  bourgmestre  de  Bruxelles.  La  soeur  est 
morte  religieuse  au  monastère  des  chànoinesses  régulières  de 
Saint-Augustin  de  Berlaymont. 

Haulleville. 


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