s MISSIONS
DU
ROI DES BELGES
AUPRES DU SAINT-SIÈGE DEPUIS 1830
le baron de HAULLEVILLE
BRUXELLES
BUREAUX DE LA REVUE GÉNÉRALE
35, RUE DES URSULINBS, 35,
t888
LES MISSIONS DU ROI DES BELGES AUPRÈS DU SAINT-SIÈ&E DEPUIS 1830.
LES MISSIONS
DU
ROI DES BELGES
AUPRÈS DU SAINT-SIÈGE DEPUIS 1830
le baron de HAULLEVILLE
>GG8a^<
BRUXELLES
BUREAUX DE LA REVUE GÉNÉRALE
35, RUE DES URSULINES, 35,
1888
LES MISSIONS DU ROI DES BELGES
AUPRÈS DU SAINT-SIÈGE DEPUIS i83o (i).
1. Le vicomte Charles Vilain XIIIl, envoyé extraordinaire
et ministre plénipotentiaire le 23 novembre 1832.
Charles Vilain XIIII, qui avait pris une part active à la
révolution de i83o, fut l'un des secrétaires du Congrès
National, et même un des plus jeunes, car il avait à peine
vingt-sept ans à cette époque.
Il fut envoyé à Rome pour la première fois, sur la proposi-
tion du général Goblet, ministre des affaires étrangères (2).
C'était une mission de pure courtoisie, une mission extraordi-
naire et temporaire, qui avait pour but de notifier au
Souverain-Pontife et aux chefs des divers États italiens l'avè-
nement du roi Léopold P*" au trône : on voulait faire entrer
définitivement la Belgique, après la ratification du traité du
i5 novembre i83i, dans le concert des nations européennes.
Charles Vilain XIIII fut reçu par le Pape Grégoire XVI le
23 novembre i832. Le Pape l'accueillit à bras ouverts, comme
le constate M. Frère dans son Exposé (3).
" Je vous charge (t. I, p. viii), dit Sa Sainteté, d'exprimer
» au Roi toute ma reconnaissance de la loyauté avec laquelle
y> il maintient l'article de la Constitution qui a rendu à l'Église
(1) Fragment d'une Histoire des relations diplomatiques de la Belgique avec la
Cour de Rome depuis 1830.
(2) Les autres membres du cabinet étaient : MM. Joseph Lebeau (justice),
Charles Rogier (intérieur), Duvivier (finances), le'général Evain (guerre).
(3) Dépêche du V'^ Gh. Vilain XIII, 26 janvier 1833.
1 •
— 6 —
n son indépendance du pouvoir civil et au Saint-Siège ses
?' droits sur le gouvernement de l'Église. La religion est par-
« faitement libre en Belgique... Depuis la promulgation de la
w Constitution, le Concordat de 1827 n'existe plus pour la
jî Belgique, « Le Pape, à cette occasion, loua fort le clergé
belge qu'il trouvait bon, pieux et fidèle, tout en regrettant
qu'il manquât parfois de sagesse et de prudence (1).
Il n'est pas inutile de citer ces paroles, parce qu'elles
démontrent que le Saint-Siège ne songeait pas plus à cette
époque que plus tard à condamner la Constitution belge de
i83i. En effet, l'Encyclique Mirarl vos (an i5 août i832),
dirigée contre les doctrines de M. de Lamennais, avait déjà
été publiée trois mois auparavant. Plus tard, après trente
années de réflexion, l'esprit de parti découvrit dans ce docu-
ment vénérable une incompatibilité entre la foi des citoyens
catholiques et leur serment d'allégeance à la Constitution. Je
prie le lecteur de prendre note de ces faits, car nous aurons
plus d'une fois l'occasion de les rappeler.
Chose remarquable, le Saint-Siège qui, le premier de tous
les États européens, reconnut l'indépendance de la Belgique,
n'avait cependant pas montré pour la Révolution de i83o une
tendresse particulière. Le gouvernement de Grégoire XVI,
quinze ans après le Congrès de Vienne, voyait avec une cer-
taine inquiétude se relâcher les liens de la Sainte- Alliance.
Cette inquiétude était justifiée par les tentatives violentes et
les conspirations périodiques dont l'autorité temporelle du Pape
était elle-même lobjet. Les principaux conseillers de la Cour
de Rome, pour les affaires belges, étaient Mgr Capaccini, un
prélat de l'école deConsalvi, puis Mgr Antonucci, qui lui avait
succédé à La Haye. Capaccini, qui était l'ami du prince
d'Orange, croyait que la meilleure solution de la question belge
était le maintien du royaume des Pays-Bas, tel qu'il était
sorti des délibérations du Conseil de Vienne, avec la couronne
sur la tête du prince royal et un bon concordat dans le
genre de celui de 1827. La Cour de Rome n'avait pas une
(1) Dépêche du vicomte Vilain XIIII, 23 novembre 1832.
— 7 —
confiance absolue dans le maintien du régime issu de la
révolution. Elle n'était pas seule en Europe à nourrir ces
doutes ; car jusqu'aux traités de iSSg, la restauration de la
dynastie d'Orange-Nassau n'était pas une chose impossible.
Ajoutons toutefois que la prudence de la Cour de Rome fut
telle qu'elle ne se brouilla ni avec les grandes puissances, ni
avec le cabinet de La Haye, ni avec celui de Bruxelles. Si
M. Frère avait réfléchi à ces diverses circonstances, il n'aurait
pas écrit avec tant d'étonnement :
« Le Pape, circonvenu par ses conseillers, se prit à douter
de l'abrogation du concordat de 1827, c'est-à-dire de la vali-
dité même de l'acte par lequel il nous avait reconnus ; il se
refusa à pourvoir à la vacance du diocèse de Bruges ; il Mlut
deux mois de persistants efforts pour le déterminer à foire
usage du droit que lui assurait la Constitution belge de nom-
mer, sans l'intervention de l'Etat, un titulaire à l'archevêché
de Namur " (1).
M. Frère semble avoir aperçu dans les hésitations de la Cour
de Rome une preuve de son mauvais vouloir contre les Belges.
Elles lui étaient inspirées, au contraire, par l'amour de la
paix ; car, évidemment, le régime de la Constitution belge de
i83 1 vaut mieux pour l'Eglise que celui du concordat de 1827;
et, à Rome, cette supériorité n'était pas ignorée. Le seul
tort de la Cour de Rome, si c'en est un, est de n'avoir pas eu
une confi.ance plus robuste dans l'avenir du royaume de Bel-
gique.
Charles Vilain XIIII ne demeura pas longtemps à Rome.
« Jugeant sévèrement les actes et les principes du Gouver-
nement pontifical, dit M. Frère (Exposé, t. I, p. ix), il ne
s'en cacha ni dans ses entretiens, ni dans sa correspondance;
(î) Je cite d'après jLrt Belgique et le Vatican. Documents et travaux législatifs
concernant la rupture des relations diplomatiques entre le gouvernement des Belges
et le Saint-Siège, précédés d'un exposé historique des rapports qui ontexisté entre
eux depuis 1830. Bruxelles, 1880-1881, 3 vol. in 8°, chez Bruyland Christophe et G'".
Il est regrettable qu'il ne soit pas permis en Belgique de consulter les archives
du département des affaires étrangères pour les périodes qu'on peut appeler
" éteintes „. J'ai vainement demandé la permission de consulter ces archives. Quel
inconvénient y a-t-il k laisser lire par les historiens les dépêches officielles
jusqu'en 1850, par exemple ?
— 8 —
des froissements se produisirent, et, le i5 avril i833, notre
Ministre quitta Rome, sans y laisser, dans les sphères offi-
cielles, aucune espèce de regret. »
M. Frère est incomplet : si je suis bien informé, Charles
Vilain XIIII avait reçu officieusement un concilium abeundi.
Il avait été envoyé à Rome, non « pour juger sévèrement les
» actes et les principes du Gouvernement pontifical », mais
pour remplir une mission de courtoisie. Si M. Le Hon, à
Paris, le baron de Loé, à Vienne, ou le général de Mercx, à
Berlin, s'étaient rendus coupables de pareilles incartades, on
les aurait priés publiquement de reprendre le chemin de
Bruxelles. Ce dernier dut quitter son poste parce qu'il avait
réclamé son droit d'être présenté à la princesse Marianne des
Pays-Bas, femme du prince Albert de Prusse, et qu'il avait
fait pleurer celle-ci de dépit. Le jeune vicomte Vilain XIIII,
sans expérience diplomatique, eut aussi le malheur d'avoir
un secrétaire très intelligent, mais très intrigant, qui trahit
les secrets de sa Chancellerie, M. Blondeel. Quand celui-ci
avait copié une dépêche de son chef pour l'envoyer àBruxelles,
il lui arrivait, paraît-il, d'en prendre une seconde copie pour
la remettre au chef de la police romaine, et l'on assure que
les dépêches du Ministre belge étaient très « sévères " et
très mordantes pour les hommes et les choses de la Cour de
Rome. Il ne faut donc pas s'étonner si, après cinq mois de
séjour à Rome, il dut quitter la Ville Éternelle « sans y laisser
aucune espèce de regret v.
Charles Vilain XIIII ne se corrigea jamais des défauts
diplomatiques qui le brouillèrent avec le Saint-Siège. On con-
naît l'histoire du fameux « Jamais «, prononcé par lui en i856.
Le comte de Cavour, secrètement d'accord avec le gouverne-
ment de Napoléon III, était prêt à nous sacrifier à l'ambition
de cet allié de l'Italie future. La campagne diplomatique à
diriger contre la Belgique commença officiellement au Congrès
de Paris par une proposition du Ministre piémontais deman-
dant que le gouvernement du Roi des Belges réprimât les
éccirts de la presse dans ce " nid de démagogues ". Le ministre
.de France à Bruxelles, M. Ad. Barrot, un diplomate person-
— 9 —
nellement bienveillant pour les intérêts nationaux de la Belgi-
que, fut chargé de notifier au Cabinet de Bruxelles les vœux du
Congrès de Paris, qui cadraient si bien avec les désirs de son
propre gouvernement. Le Conseil des ministres examina avec
soin cette grave question, en cherchant à être aussi agréable
que possible à son puissant voisin de l'Ouest; mais il fut
forcé de reconnaître qu'il était impossible de toucher à la presse
d'une manière efficace, dans le sens des idées de M. de Cavour,
sans reviser la Constitution de i83 1 . Ces faits ne tardèrent pas
à devenir de notoriété publique. Un représentant pour Bru-
xelles, M. Aug. Orts, dans le but de calmer l'émotion du public
et aussi un peu d'embarrasser le Ministère De Decker, annonça
un jour à la Chambre qu'il interpellerait à ce sujet M. le Minis-
tre des affaires étrangères (Ch. Vilain XIIII). Les Ministres
tinrent conseil et délibérèrent sur la réponse à faire à M. Orts.
La question était d'une délicatesse extrême, car il importait
à la fois de respecter les institutions belges et de ne
pas blesser le gouvernement de Napoléon III, qui jouait à
cette époque le premier rôle dans le concert européen. Une
formule, très nette quant au fond, mais excessivement limée
et polie quant à la forme, fut trouvée et même rédigée, séance
tenante, par l'un des Ministres. Le lendemain (7 mai i856),
M. Orts développa son interpellation. Le vicomte Charles
Vilain XIIII, au lieu de lire la déclaration collective, dont les
termes avaient été mûrement pesés en conseil, préféra parler
de son chef. On connaît sa réponse restée célèbre : « M. Orts
" désire savoir si l'un des gouveriiements représentés au Con-
r> grès a demandé au Gouvernement belge quelque modifica-
r» tion à la Constitution : « Aucune « . M. Orts demande enfin
" si le Cabinet, dans le cas où une pareille demande lui serait
y> faite, serait disposé à proposer à la Chambre quelque chan-
y> gement à la Constitution : " Jamais » . Cette réponse obtint
au sein de la Chambre et au dehors un grand succès. La séance
fut levée au milieu des applaudissements frénétiques de la
gauche et des tribunes. Mais, quelques heures plus tard, le
Ministre de France se présentait menaçant à l'hôtel des Affaires
étrangères, accusant le vicomte Vilain XIIII et les ministres
— lO —
du Roi de braver son Gouvernement et demandant des expli-
cations satisfaisantes ou ses passeports — Le lendemain, ces
explications étaient publiées au Moniteur dans une forme très
modeste, très douce et pleine de gentillesse pour les ombra-
geux protecteurs de la Belgique, Voilà un des traits de la
diplomatie du vicomte Vilain XIIII, noble, généreux, mais
irréfléchi et imprudent. Sans M. Barrot, il aurait peut-être
brouillé son pays avec la France et l'Europe.
Charles Vilain XIIII, d'une antique famille de la châtelenie
de Gand, était né à Bruxelles le i5 mai i8o3. Sa mère était
la baronne de Feltz, dernier rejeton de cette race chevale-
resque du Luxembourg. Son père était l'arrière petit-fils du
célèbre économiste du xviif siècle. Son grand-père avait fait
partie de la députation belge qui alla à Vienne réclamer
auprès de Joseph II contre le régime de ce prince intelligent
et mal inspiré. L'Empereur, mécontent, ne sut pas cacher ses
sentiments. En passant devant le comte Vilain XIIII, il lui
dit : « Eh bien. Monsieur, vous êtes toujours numéroté
r. comme les fiacres? 5» — « Oui, Sire, répliqua le flamand, et
y> comme les Rois! « Joseph II tourna sur ses talons rouges.
Le petit-fils de ce fier gantois fit ses premières études au
Lycée de Bruxelles, les continua au Lycée Henri IV de Paris,
où il eut pour professeur de chimie Raspail, et les acheva chez
les Jésuites, à Saint- Acheul. De retour en Belgique, il suivit
les cours de droit à l'Université de Liège.
Marié de bonne heure avec Pauline, fille du baron de
Billehé de Valensart (f de la rougeole en 1840), il entra,
très jeune aussi, dans les rangs de l'opposition catholique. Il
fut élu au Congrès national, dont il fut, comme il a été dit
plus haut, l'un des plus jeunes membres et un des secrétaires,
à côté de J.-B. Nothomb, de Liedts et de M. Henri de
Brouckère.
Au retour de sa première (1) mission à Rome, il fut nommé
gouverneur de la Flandre Orientale, fonction qu'il n'occupa
pas longtemps. Il rentra à la Chambre, où il joua un rôle assez
(1) Voy. plus loin, p. 468.
— 11 —
effacé jusqu'en i855, époque à laquelle il accepta le porte-
feuille de Ministre des affaires étrangères dans le cabinet de
Decker.
Après la chute de celui-ci, Charles Vilain XIIII se renferma
dans un mutisme presqu'absolu, jusqu'en 1870. Cette année
vit revenir au Parlement une majorité catholique, qui l'élut
président de la Chambre. Il exerça avec une rare dignité ces
fonctions éminentes, mais il ne les conserva pas longtemps,
car il ne se sentait pas les aptitudes nécessaires pour dominer
de haut le déchaînement de l'esprit de parti. Il mourut plein
d'honneurs et d'années en 1878.
Trois épisodes de sa vie achèveront de faire connaître son
caractère original. En i83i, il prit, au Congrès, avec l'excel-
lent abbé Andries, la défense des Saint-Simoniens, qu'on vou-
lait poursuivre en Belgique.
Après le coup d'État de décembre, le docteur Raspail s'était
réfugié en Belgique, à Boitsfort, d'où l'administrateur de la
sûreté publique voulait l'expulser. Charles Vilain écrivit au
vieux révolutionnaire, son ancien professeur : Mon domicile
est inviolable, venez sous mon toit, vous vivrez avec moi.
Raspail, qui était sans ressources, accepta une hospitalité, si
noblement offerte, et put, grâce à elle, remonter la pente de
l'exil et de la misère. C'était l'époque où le Charivari écrivait :
« Raspail est arrêté; qu'en ferons-nous? Camphrons-le. v
Enfin, en 1857, au milieu des « spontanéités foudroyantes «
des journées de mai, la canaille de la rue chercha à insulter le
nonce, Mgr Gonella. Charles Vilain quittait précisément la
Chambre avec un membre du corps diplomatique. Il s'élança
vers l'envoyé du Saint-Siège, lui offrit le. bras et traversa
fièrement ainsi la foule interdite et silencieuse.
12
2. Interruption dans les relations.
(i5 Avril i833 — Janvier i836.)
En quittant Rome, le vicomte Charles Vilain XIIII n'y
laissa personne pour représenter la Belgique. Mais M. Blon-
deel continua de résider dans la capitale du monde chrétien,
ou dans sa petite propriété de Bargo San Sepolcro.
La Cour de Rome croyait ne pas avoir à se louer des pro-
cédés diplomatiques du cabinet de Bruxelles; mais elle ne
perdait pas de vue les intérêts religieux de la Belgique. Aussi,
sans attendre une décision nouvelle de la part du gouverne-
ment du Roi, prit-elle l'initiative du rétablissement de rap-
ports meilleurs. Mgr Gizzi fut nommé internonce apstolique à
Bruxelles et agréé comme tel par le gouvernement du Roi ; il
présenta ses lettres de créance le 5 juillet i835.
Nous avons raconté ailleurs comment ces avances furent
accueillies parle gouvernement du Roi et par les Chambres.
Cependant, une mission permanente auprès des Cours d'Italie,
avec résidence à Rome, fut décrétée.
Le ministère belge commit la faute impardonnable de nom-
mer à ce poste le vicomte Charles Vilain XIIII (4 décembre
1 835), avant même d'avoir fait sonder la Cour de Rome, comme il
est d'usage. Le vicomte avait étépersona ingratissima et avait
été forcé en quelque sorte de quitter Rome en i833. Le cabi-
net de Bruxelles aurait voulu braver la Cour de Rome qu'il
n'aurait pas agi autrement. Les questions de forme dans la
diplomatie ont, comme devant les Cours de justice, une
importance extrême : on peut dire même que la diplomatie
vit de formes, puisque c'est à leur aide qu'elle- garantit en .
temps de paix les intérêts du droit international.
M. Frère, dans son Exposé, nous apprend qu'on manifesta
contre le vicomte « de telles répugnances que son départ fut
» retardé de plus d'un an ». En attendant, M. Blondeel,
nommé le 4 décembre i835 secrétaire de légation, fut chargé
des affaires de la légation ad intérim. Il arriva à Rome en
janvier i836.
— i3 —
3. M. Blondeel van Ceulebroeck, changé d^ affaires.
(Janvier i836 — Juin 1837.)
Voici une figure originale : Blondeel entra dans la vie d'une
manière irrégulière (1). Son prédicat de Ceulebroek provien-
drait même de cette irrégularité. Sa mère était de Thourout,
où elle exerçait le métier de couturière.
Il était né le 14 décembre 1809, à Gand, où sa sœnr occu-
pait, à l'époque de la révolution, une position modeste dans
un magasin de détail, rue Maghelein.
Blondeel n'avait pas fait de grandes études, mais il était
très intelligent et avait beaucoup de savoir faire. En i83o, il
était à Cologne où il donnait, je crois, des leçons de français
au cachet. On dit qu'il était commis-voyageur en vins, quand
il rencontra à Spa le général Goblet, au fils duquel il donna
des leçons.
Le général s'intéressa à son sort et le fit entrer au ministère
des affaires étrangères en qualité de commis de 2^ classe (le
3i octobre i832).
Capaccini en arrivant en qualité d'internonce à Bruxelles,
avant i83o, avait une lettre de recommandation pour la com-
tesse de Robiano d'Ostreignies. Celle-ci loua pour lui un
appartement dans une maison sise à côté de l'hôtel Robiano,
rue Bodenbroek, la maison de feu M. Lefebvre, un des avo-
cats les mieux achalandés de Bruxelles, mort échevin de la
ville en 1828. C'est ainsi que prirent naissance les relations
(1) Voici les actes que j'ai trouvés dans les registres de l'état-civil de la ville de
Gand :
" Acte de naissance d'Edouard Blondeel, né hier à midi (14 décembre 1809), fils
, naturel de Marie Thérèse, âgée de 27 ans, couturière à Thourout et domiciliée à
„ Gand, marché aux Bœufs, section de la Liberté, fille de feu Jean-Baptiste et de
, Thérèse De Bakker. Le sexe de l'enfant a été reconnu rnâle. „
Le 7 avril 1834, Edouard Blondeel a été adopté, dans les formes ordinaires de
l'adoption entre-vifs, par Floribert van Ceulebroeck :
" Den 7 april 1834, voor ons Hamerlinck, schepen van Gent, zijn verschenen,
, Floribert Van Ceulebroeck, oud 55 jaren, négociant, geboortig van Seeverghem,
, wonende binnen deze stad, Augustinen Kaai ; en Edouard Blondeel, oud '24 jaren
„ particulière, geboortig dezer stad, wonende te Brussel, natuurlijke zoon van
„ Marie Thérèse Blondeel, dewelke ons hebben aangeboden een vonnis uitgespro-
„ ken door de rechtbank van l''»" aanleg, etc.... ,
— 14 -
de Capaccini avec Mad. Lefebvre. Celle-ci alla habiter, après
la révolution, une maison située rue du Bois-Sauvage et
appartenant à Mad. de Koekelberghe, née Basen d'Houtain
(cette maison, rebâtie plus tard par M. Boreel, appartient
aujourd'hui à Mad. Mathieu).
Lorsqu'il arriva à Bruxelles, Blondeel prit un appartement
dans cette maison de Mad. Lefebvre, qui recevait beaucoup de
monde. C'est par la musique qu'il entra dans ce salon. Auda-
cieux, beau causeur, il y joua bientôt son petit rôle. La fille
de Mad. Lefebvre avait une légère déviation de la colonne
vertébrale. Blondeel ne recula pas devant ce désagréable
défaut : il épousa cette bossue et sa fortune.
Quand on organisa la première légation du Roi à Rome,
Capaccini, qui avait conservé des relations avec les Lefebvre et
qui occupait alors un poste élevé dans le Gouvernement pon-
tifical, fit agir les influences qu'il avait gardées à Bruxelles
pour faire entrer Blondeel dans le personnel de cette mission.
Il précéda Charles Vilain XIIII à Rome, mais il ne fut nommé
secrétaire que plus tard.
Le protégé de Capaccini emmena en Italie sa belle-
mère, sa sœur et sa femme. Sa sœur épousa bientôt un
gentilhomme de Borgo-San-Sepolcro, où toute la famille alla
ensuite résider, où Blondeel avait acheté un petit bien, où
enfin sa belle-mère, sa femme, sa sœur (1871) et lui-même
furent enterrés successivement.
Peu de diplomates ont eu une carrière plus agitée. A Rome,
grâce à la protection de Capaccini, grâce aussi à son intelli-
gence ambitieuse, il se fit rapidement une excellente position
dans le monde. QuandVilain XIIII arriva, c'était lui, Blondeel,
qui était le véritable ministre : le secrétaire protégeait son
chef et, dit-on, le trahit. Son but était, ajoute-t-on, de rendre
la place impossible à Vilain XIIII et de l'obtenir ensuite pour
lui-même. On raconte à ce sujet des histoires et des scènes de
haute comédie italienne. Charles Vilain XIIII se crut même
obligé un jour de faire forcer le secrétaire de Blondeel pour
y trouver les preuves de sa trahison.
Quoi qu'il en fut, Blondeel fit une rapide carrière malgré
— i5 —
les plaintes amères de sou chef. Déjà le 3o septembre iSSy il
était nommé consul général à Alexandrie. Puis successivement
consul général chargé d'affaires à Mexico, où il n'alla pas
(i avril 1845), commissaire du {Gouvernement au Guatemala,
chargé d'affaires à Constantinople (3 1 octobre 1848), ministre
résident au même poste (6 décembre i853), d'où il fut ren-
voyé après un conflit retentissant avec le gouvernement turc
qui lui remit ses passeports ; ministre résident à Washington
(25 décembre iSSy), envoyé extraordinaire au môme poste
(i5 juin 1859), envoyé extraordinaire à Mexico (1 janvier
i865) : prévoyant la chute de l'empereur Maximilien, il avait
eu soin de se faire délivrer un congé ; voilà pourquoi il apprit
la catastrophe de Queretaro dans sa villa d'Italie. Mis en
disponibilité le 10 décembre 1867, il était nommé, l'année
suivante, envoyé extraordinaire en Espagne (3o avril 1868).
Il mourut à Madrid le i3 septembre 1872.
L'année précédente (7 octobre 1871), il s'était remarié à
Londres avec une veuve sur le retour, une américaine de
Philadelphie, M'"^ E. Willing, qui reçut le cordon de Marie-
Louise sous le roi Amédée d'Espagne. Lui-môme avait obtenu
du pape Grégoire XVI un titre de comte.
Le roi Léopold F'' avait une haute idée des talents de Blon-
deel et l'employa très fréquemment dans des missions plus ou
moins secrètes, en Egypte, à Francfort, dans les Principau-
tés danubiennes, en Abyssinie, en Italie, au Guatemala, etc.
A-t-il réellement été en Abyssinie ? Il est certain qu'il rencon-
tra, à Alexandie, l'Abouna, nom que porte le métropolitain
Copte de l' Abyssinie, avec lequel il entra en arrangement
pour une colonisation belge dans les pays, où les Italiens
dépensent aujourd'hui tant d'argent et de sang. A son retour
en Europe, Blondeel rédigea un beau rapport au Roi sur
l'Abyssinie, où il avait mené une vie pleine d'aventures.
Ses démêlés avec le gouvernement turc à Constantinople et
dans les Principautés danubiennes, le rôle qu'il joua au
Mexique et dans l'incident dont fut victime M. Eugène de
Kerckhove, ministre de Turquie à Bruxelles, etc., etc., sont
un peu oubliés aujourd'hui, mais démontrent son activité et
son esprit inventif.
— i6 —
4. Le vicomte Charles Vilain XIIII [pour la seconde fois],
envoyé exU'aordinaire, ministre plénipotentiaire.
(Juin 1837— SoOctobre 1887.)
La seconde mission de Charles Vilain XIIII est une preuve
éclatante de la longanimité du Saint-Siège et de sa bienveil-
lance pour la Belgique.
Nous disions plus haut que la personne du noble vicomte
était à Rome mgratissima, à tort ou à raison. Le Cabinet de
Bruxelles avait commis la faute de le nommer une seconde
fois, sans demander auparavant et directement s'il serait agréé.
Il commit une deuxième faute en s'obstinant à l'envoyer à son
poste, malgré le Gouvernement pontifical. Vis-à-vis de la
France, de la Prusse ou de l'Angleterre, on se serait abstenu
avec soin et prudence de prendre une attitude aussi arrogante
et si peu diplomatique. La Cour de Rome résista, comme c'était
son droit. Dans son Exposé, M. Frère, oubliant ce qu'il avait
écrit deux pages plus haut, fait les aveux suivants (v. T. I,
p. xi):
« C'est un simple chargé d'affaire, M. Blondeel, qui ouvre,
en janvier i836, nos relations diplomatiques avec Rome.
Grégoire XVI, comme le cardinal Lambruschini, ne laissent
passer aucune occasion de lui témoigner qu'ils ne désirent pas
de changement à cette situation, qu'ils ne sont nullement
pressés de recevoir le Ministre belge. Cependant, vers la fin
de i836, M. de Muelenaere d'abord, et bientôt après son suc-
cesseur au ministère des affaires étrangères. M, de Theux,
firent des démarches pressantes pour obtenir l'agréation de
M. Vilain XIIII ; une double négociation s'engagea, à Rome
par notre chargé d'affaires, à Bruxelles par l'intermédiaire
de l'internonce, Mgr Gizzi. On sut alors que le principal grief
du Gouvernement pontifical contre notre Ministre ne consis-
tait pas tant dans son adhésion antérieure aux doctrines de
Lamennais, dont on pouvait le croire revenu, puisqu'il ne
s'était pas insurgé contre l'encyclique de i832, que c'étaient
surtout les jugements rigoureux émis par lui, à l'époque de sa
- 17 —
première mission, sur l'administration temporelle des Etats
romains, qu'on ne pouvait lui pardonner. »
M. Frère reconnaît donc que l'Encyclique Mirari Vos n'a
été pour rien dans le refus d'agréation du vicomte Charles
Vilain XIIII.
Le Cabinet de BruxpUes (M. de Theux était alors ministre
des affaires étrangères) ne voulut pas céder aux légitimes
réclamations de la Cour de Rome. Ce fut encore une fois le
Pape qui donna l'exemple de la conciliation. Une transaction
intervint, grâce à sa royale condescendance.
« Il fut convenu (Voy. Exposé, T. I, p. xii) que le Souverain
Pontife recevrait M. le vicomte Vilain XIIII pour la remise
de ses lettres de créance, et qu'aussitôt après celui-ci quitte-
rait Rome. Ce compromis reçut son exécution, avec cette
circonstance aggravante que la réception, d'après un billet du
cardinal Lambruschini du i3 juin iSSy, eut lieu en audience
privée.
^'^ Jusqu'en août 1889, époque ou sa mission prit fin, notre
ministre résida tour à tour à Naples ou à Florence, mais il ne
reparut plus à Rome, où la Belgique continua d'être représen-
tée par un chargé d'affaires : ce fut M. Blondeel d'abord,
M. Vermersch ensuite. »
Ces tiraillements, dont la .responsabilité incombait exclu-
sivement au Cabinet de Bruxelles, n'étaient pas faits pour amé-
liorer les rapports de la Belgique avec la Cour de Rome.
Aussi, la mission de Mgr Gizzi, dont les débuts avaient été si
heureux, fut-elle arrêtée subitement : l'internonce quittait
Bruxelles (1 5 juin iSSy), au moment même où le Ministre
belge désigné était reçu en audience par le pape ( 1 3 juin 1 SSy) ;
le cardinal-secrétaire d'État, en le rappelant, « pour des
motifs de santé » , l'avait engagé à presser le plus possible
son départ. La nonciature fut gérée ad intérim pendant plus
de dix mois par Mgr Spinelli.
A l'occasion du départ de Mgr Gizzi, le Cabinet de Bruxelles
(toujours M. de Theux étant ministre des affaires étrangères)
commit une troisième faute, greffée sur une ignorance déplo-
rable des usages diplomatiques.
« D'après un usage généralement suivi par la chancellerie
romaine, Mgr Gizzi n'avait pas remis, en prenant congé du
Roi, des lettres de rappel (i).M. deTlieux, ignorant l'existence
de cette règle, fut froissé d'une omission qui lui parut bles-
sante. Après quatre mois d'attente, il manda à M. Vilain XIIII
de considérer sa mission auprès du Pape comme terminée, de
solliciter une audience de congé du Saint-Père et d'accréditer
auprès de son secrétaire d'État M. Vermersch en qualité de
chargé d'affaires. C'était la stricte réciprocité des procédés du
Vatican (2) : les lettres de rappel ne devaient être expédiées
que lorsqu'on aurait reçu celles de l'internonce (3).
« Ce ne fut pas toutefois ce motif seul qui dicta en cette cir-
constance les résolutions du gouvernement. M. de Theux, en
prescrivant à notre Ministre de prendre congé du Pape " dès
la réception de sa dépêche « , et de se faire remplacer par un
chargé d'affaires avant le 19 octobre, exécutait un engagement
contracté envers la Cour pontificale. On se rappelle que
M. Vilain XIIII avait dû quitter Rome immédiatement après
sa réception par le Pape ; il paraît avoir été convenu , en
outre, qu'il ne resterait guère plus de quatre mois accrédité
auprès du Saint-Siège. En effet, en annonçant l'exécution
ponctuelle des instructions qui lui étaient transmises, il écri-
vait à M. de Theux :
« Il m'a semblé qu'il était de mon devoir de constater offi-
y> ciellement vis à vis du Saint-Siège la détermination du gou-
" vernement prise en temps utile pour remplir des engagements
« antérieurs (4). « Une indisposition de M. Vermersch, qui hi
força de s'arrêter quelques jours à Genève, retarda l'arrivée de
ces instructions. M. Vilain XIIII ne les reçut que le 1 9 octobre ;
il se trouvait alors à Florence. C'est de là qu'il écrivit le même
jour au cardinal Lambruschini pour lui notifier la fin de la
mission qu'il remplissait près du Gouvernement pontifical et
son départ immédiat pour Rome dans le but de prendre coiigé
(1) Voy. Exposé, t. II, p. vi-vui.
(:2) Stricte réciprocité ? Je ne comprends pas,
(3) Dépêche de M. de Theux, 2 octobre 1837. •
(4) Dépêche du vicomte Vilain XIIII, 20 octobre 1837.
— 19 —
du Saint-Père. Ce fut le substitut du cardinal, Mgr Capaccini,
qui lui répondit que le Pape, « ayant appris que Son Excel-
r> lence ne mettait pas un intérêt particulier à obtenir une
» audience avec les formalités habituelles, ce qui n'aurait pu
7> avoir lieu qu'nprès la fête de saint Martin, la recevrait avec
r> plaisir le lundi soir à une heure de la nuit (i). "
« Rien n'indique, ni dans les instructions de M. de Theux,
ni dans la demande d'audience du vicomte Vilain XIIII, que le
Ministre de Belgique dût ou entendît être reçu autrement que
dans les conditions ordinaires. Si sa demande avait un carac-
tère d'urgence, elle ne l'avait qu'au point de vue du gouver-
nement, qui exécutait un engagement. La Cour de Rome
aurait pu prolonger le délai et on lui en aurait su gré ; elle
n'en fit rien. M. Vilain XIIII fut donc reçu au Vatican en
audience privée à son départ comme il l'avait été à son arrivée.
w Le !"■ novembre, M. Vilain XIIII écrit de nouveau au
cardinal Lambruschini et lui demande une entrevue pour lui
présenter notre chargé d'affaires, M. Vermersch. Ce fut
encore Mgr Capaccini qui répondit, le même jour, qu'il se
chargerait lui-même de ce soin à la place du cardinal absent. »
En réalité, la seconde mission du vicomte Charles Vilain
XIIII n'eut d'autre importance que celle que lui accorda la
bonté de la Cour de Rome. Celle-ci ne voulut pas faire injure
au Ministre belge, qui fut reçu, par courtoisie, puis partit
pour ne plus revenir. Son action diplomatique fut nulle. Il fut
reçu une fois en audience privée à son arrivée, puis, une autre
fois, en audience privée pour son départ. Officiellement, il
fut accrédité pendant quatre mois auprès du Pape. En réalité,
il ne fit que passer par Rome et se rendre à Naples et à Flo-
rence. Après octobre iSSy, sa mission était terminée à Rome.
A Naples et à Florence elle dura jusqu'en août 1889.
M. Frère, qui admet aisément qu'on se passe de l'avis de
la Cour de Rome, dans les choses importantes de la vie morale
des nations, loue le vicomte Ch. Vilain XIIII de s'être mêlé,
lui. Ministre belge à Naples, des affaires du clergé belge dans
(1) Vers six heures du soir. — Lettre de Mgr Capaccini, 28 octobre 1837.
— 20 —
ses rapports avec les troubles religieux des provinces rhéna-
nes :
« La seconde mission du vicomte Vilain XIIII à Rome n'a
donc eu, dit-il (i), qu'une durée effective de quatre mois. Elle
avait cessé quand ce ministre signalait de Naples, le i3 décem-
bre 1837, les dangers que faisait courir au pays l'attitude du
clergé belge à l'égard du gouvernement prussien, dans le conflit
soulevé à l'occasion des mariages mixtes. Les démarches du
chargé d'aiïaires de cette puissance à Bruxelles confirmaient, à
cette époque, les informations de M, Vilain XIIII. Le comte de
Galen se plaignait des agissements de notre Episcopat ; il lui
reprochait d'intervenir dans les difficultés intérieures d'un
Etat étranger et de soutenir l'opposition du clergé allemand
dans le diocèse de Cologne. Ces reproches s'adressaient spé-
cialement à l'évêque de Liège, auquel M. de Theux crut devoir
demander des explications.
» Le Prélat, mis en cause, se défend vivement, dans une lon-
gue lettre qui porte la date du i3 décembre 1837. Il nie que
des sermons provocateurs envers le gouvernement de la
Prusse aient été prononcés dans son diocèse à propos de l'Ar-
chevêque de Cologne, M. Droste de Vischering. Un seul pré-
dicateur étranger a qualifié cet acte d'événement déplorable,
mais sans aucune excitation à la révolte. L'évêque de Liège
rétorque l'accusation et dénonce l'hostilité systématique de
l'administration prussienne, et d'une presse placée sous sa
censure, envers lui-même comme envers son clergé qu'on ap-
pelle le parti prêtre belge révolutionnaire fomentant un sou-
lèvement dans les provinces rhénanes. Il se plaint d'avoir été
en quelque sorte, à son tour, décrété de prise de corps en
Prusse, alors — il affirme ce fait sur l'honneur — qu'il n'avait
eu avec l'archevêque de Cologne, malgré d'anciens rapports
d'amitié, « aucune espèce de communication ni directe ni indi-
« recte, ni orale ni par lettres, confidents ou confidences ora-
» les ». Cette lettre justificative coïncidait à peu près jour
par jour avec la dépêche de M. Vilain XIIII, auquel M. de
(1) Exposé, T. II, p. VIII, sq.
— 21 —
Theux crut devoir en donner communication. Elle ne paraît
guère avoir atteint son but, puisqu'en iSSg les défiances du
gouvernement prussien envers notre clergé n'étaient rien
moins qu'apaisées. "
Mais, comme le démontra Mgr van Bomel, les « défiances
du gouvernement prussien » étaient injustifiées. Tout aussi
injustifiée était l'intervention de Charles Vilain XIIII en cette
affaire.
5. M. Vermersch, chargé d'affaires.
(Novembre iSSy — Mars 1840.)
Charles Vilain XIIII, reçu en juin iSSy par Grégoire XVI,
devait se faire remplacer par un chargé d'affaires « avant le
ig octobre w. M.. Vermersch, qui lui apportait ses instruc-
tions, était tombé malade à Genève. Le ministre fut reçu
par le Pape en audience privée à la fin d'octobre. C'est Mgr
Capaccini, sous-secrétaire d'Etat, qui, en l'absence du cardi-
nal Lambruschini, présenta M. Vermersch en qualité de
chargé d'affaires.
M. Vermersch, qui avait été attaché à la Légation de M.
Le Hon, à Paris, avait été nommé en i836 deuxième secré-
taire de la mission de Charles Vilain XIIII à Rome — Naples
— Florence. Quand M. Blondeel, qui était devenu premier
secrétaire, se brouilla avec son chef et fut envoyé en Egypte en
septembre iSSy, M. Vermersch prit sa place.
Il occupa honorablement pendant deux ans les fonctions de
chargé d'affaires ad intérim jusqu'à la nomination du comte
d'Oultremont, en qualité de ministre plénipotentiaire.
Nommé en iSSg premier secrétaire à La Haye et placé sous
les ordres du prince de Chimay, père du ministre actuel et
envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à la cour
du roi Guillaume (1), M. Vermersch fut promu, en 1847,
(1) C'est à la Haye que M. Vermersch épousa la fille du comte de Heerdt, un
des compagnons d'exil du roi Guillaume P^ De ce mariage sont issus 3 enfants :
un fils et deux tilles. Le fils est capitaine en 1^"' adjoint d'état major. Une des filles
a épousé M. de Santa-Maria, ministre résident des Etats-Unis de Colombie à
Bruxelles, depuis 1878.
2
— 22 —
chargé d'affaires à Athènes, où il ne resta que deux ans. A
son retour il refusa d'aller au Mexique et jDréféra accepter
(i852) les fonctions de commissaire d'arrondissement à Has-
selt, qu'il occupe encore aujourd'hui.
6. Le comte d'Oultremont, envoyé extraordinaire et
ministre plénijpotentiaire .
(i5 Novembre iSSg — 1844.)
Il est digne de remarque que nos relations diplomatiques ne
prirent un aspect un peu satisfaisant qu'après l'avènement
du cabinet libéral de 1840, Il est vrai que le ministre chargé
du portefeuille des affaires étrangères était Joseph Lebeau,
un homme de parti, assurément, mais aussi un homme d'État
d'une espèce malheureusement très rare, surtout dans le parti
libéral. Lebeau dans un grand pays serait devenu un homme
illustre. Il est regrettable que les chefs du parti libéral n'aient
pas su plus tard imiter la conduite d'un ministre dont l'action
à Rome avait été immédiatement si féconde.
Il est vrai de dire aussi qu'à cette époque il y avait à Bru-
xelles un nonce d'une valeur exceptionnelle. Le Saint-Siège,
malgré tous ses griefs contre le Cabinet de Bruxelles, avait pris
encore une fois, pour la troisième fois depuis 1832, l'initiative
de négociations conciliatrices : le 23 avril i838 Mgr Fornari
était arrivé à Bruxelles en qualité de chargé d'affaires.
A cet acte diplomatique, le gouvernement ne répondit par
un acte de même valeur qu'au mois de mars 1889, en nom-
miant le comte d'Oultremont, ministre plénipotentiaire auprès
du Saint-Siège. M. d'Oultremont avait été choisi par les mem-
bres du Cabinet de M. de Theux ; mais il fut maintenu en fonc-
tion par le ministère libéral qui lui succéda. Parfaitement
accueilli à Rome (« avec empressement " , dit M. Frère, Exposé,
t. I, p. xiii), le nouveau ministre belge y jouit d'un grand cré-
dit et y joua un rôle conforme à son haut rang social et à sa
grande fortune. Malheureusement, pour les intérêts belges, il
n'avait accepté le poste qu'à la condition qu'il pourrait passer
— 23 —
les étés en Belgique. Pendant ses fréquentes absences, la
légation fut gérée par Prosper Noyer, conseiller de légation.
Reçu par le Pape Grégoire XVI le i5 novembre i83g, le
nouveau ministre prenait déjà, le 7 avril 1840, un congé
pour revenir en Belgique.
Émile-Charles-Désiré-Antoine-Joseph, comte d'Oultremont
de Wégimont et de Warfusée, était né à Anvers le 1 1 juillet
1787. Membre de l'ordre équestre de la province de Liège, il
V fut un des membres les plus actifs de l'opposition catholique
avant i83o. Élu député suppléant au Congrès National, il
devint membre effectif de cette assemblée illustre le 18 mai
i83i, ensuite sénateur depuis l'institution de ce premier corps
de l'Etat jusqu'en 1837. Il avait épousé, le 2g juin 1814,
M^^*' Marie Béatrix de Lierneux, baronne de Presles. Le comte
d'Oultremont est mort au château de Warfusée le 4 août i85 1 .
La mission du comte d'Oultremont a été très féconde. A
elle seule, elle a été la démonstration vivante de la nécessité
de nos relations diplomatiques permanentes avec le Saint-
Siège. Il n'est pas inutile en effet d'examiner rapidement les
principaux faits de l'activité diplomatique de cette mission : le
maintien de bons rapports du Saint-Siège avec le Cabinet
libéral de 1840, le retrait de la proposition Brabant-Dubus,
la loi sur l'enseignement primaire, l'incident Garibaldi, la
question des jésuites et de l'université de Louvain, etc., etc.
Quant aux rapports du ministère libéral de 1840 avec la
Cour de Rome, le Ministre des affaires étrangères exprima lui-
même, dans une dépêche du 8 mai 1840, le vœu de voir régner
des sentiments de bienveillance et de confiance réciproque
entre le Gouvernement belge et le Saint-Siège. M. Noyer,
chargé d'affaires à ce moment, entretint de ces dispositions
le cardinal Lambruschini.
« Peu nous importe — répondit celui-ci — quels sont les
noms des personnes qui gouvernent, pourvu que le gouverne-
ment reste bon et attaché au Saint-Siège ; c'est avec sensibilité
que je vois les égards que M. le Ministre des affaires étran-
gères me témoigne. Le Gouvernement pontifical a sa résolu-
tion bien arrêtée dans cette circonstance : « Si l'Église veut
- 24 —
y> être protégée par le Gouvernement, ce doit être à la condition
T que le Gotwernement soit fortifié par elle. r>
y> J'annonçai à son Eminence l'intention de rapporter fidè-
lement ces paroles, parce qu'il était à désirer que ce respec-
table concours fût connu à Bruxelles. Son Eminence me
déclara que non seulement elle m'y autorisait, mais que les
instructions qu'Elle adresserait à la Nonciature apostolique
à Bruxelles seraient conçues dans les mêmes termes, afin
qu'au besoin les influences convenables partissent de là.
n Son Eminence paraissait avoir de cet entretien autant de
satisfaction que moi-même, car son accueil a été pour moi
d'une bienveillance dont je ne puis assez me louer (i). y>
L'expression de cette satisfaction n'empêche pas M. Frère
d'ajouter immédiatement (T. II, x et xi) :
" Un an après, cette administration libérale, qui n'avait donné
à l'Eglise ni à son chef aucun sujet de plainte, était violem-
ment renversée du pouvoir, dans la crainte qu'elle n'entreprît
de trancher la question pendante de l'organisation de l'ensei-
gnement primaire, et, aux élections du mois de juin 1841, le
Saint - Siège intervenait directement pour l'empêcher d'y
remonter. »
J'ignore sur quels documents V Exposé s'appuie pour affir-
mer aussi catégoriquement un fait d'une telle portée. Il cite
une note du cardinal Lambruschini, secrétaire d'Etat, en date
du 6 mai 1841, mais cette note semble démontrer précisément
le contraire. Il cite aussi une pastorale du cardinal Sterckx,
invitant les fidèles de son diocèse à se rendre au scrutin ;
mais cette pastorale ne prouve rien contre les loyales inten-
tions du Saint-Siège, si bien interprétées à Bruxelles par Mgr
Fornari : on peut affirmer que le Saint-Siège n'a rienioAi pour
renverser le Cabinet de 1840, qu'il a profité au contraire de
la présence de ce dernier au pouvoir pour améliorer ses rela-
tions avec notre pays, et qu'il a agi en toute circonstance avec
une circonspection exemplaire. La mémoire de M. d'Oultre-
mpnt doit être louée, puisque le noble comte contribua à
édifier un état de choses diplomatiques si satisfaisant.
(1) Dépêche de M. P. Noyer, 29 mai 1840.
— •25 —
U Exposé reconnaît aussi que c'est grâce aux efforts combinés
du comte d'Oultremont et de Mgr Fornari que le Saint-Siège
réussit à persuader aux évêques de demander le retrait de la
proposition Brabant-Dubus (i).
On sait ce qu'était cette proposition. M. Brabant, représen-
tant pour Namur, et M. du Bus, représentant pour Tournai,
usant de leur droit d'initiative parlementaire, avaient proposé
un projet de loi qui aurait donné à l'Université de Louvain la
personnification civile. Cette proposition si simple d'un état de
choses légal, qui a existé ^comme droit commun chez nous et
en Europe pendant des siècles, qui existe encore en Angle-
terre et aux États-Unis, fit jeter les hauts cris au parti libéral.
On eût dit qu'il s'agissait du renversement de la Constitution,
Les appréhensions du parti libéral étaient, selon moi, d'autant
moins justifiées que la personnification civile de l'Université de
Louvain entraînait la publicité de ses comptes, l'ingérence
annuelle de Monsieur l'Etat dans ses affaires et la discussion
quotidienne de son administration par la presse. Quoi qu'il
en soit, le parti libéral redoutait l'adoption de la proposition,
à un tel point, que son retrait, dû aux conseils de Grégoire XVI
et de son envoyé, Fornari, fut considéré par les libéraux du
temps comme un service signalé rendu au pays par le Saint-
Siège.
L'exposé complet de la question des jésuites et de l'Univer-
sité de Louvain demanderait de très longs développements.
Bornons-nous à dire qu'on prêtait à la compagnie de Jésus le
projet d'user de son influence à Rome pour prendre la direc-
tion de l'Université catholique ou tout au moins pour accaparer
la faculté de théologie, comme ci-devant dans diverses univer-
sités d'Espagne, d'Allemagne et d'Italie. Certains jésuites
influents de notre pays ont protesté contre les intentions qu'on
leur prêtait. C'est le cas de répéter qu'on ne prête qu'aux
riches ; car dans les actes diplomatiques de nos divers agents
(1) M. Frère dit dans son Exposé (T. II, p. xir) : " Grégoire XVItw^ose à l'Episco-
pat l'abandon de la proposition Biabant-Dubus. „ Le verbe imposer dépasse la
mesure. L'évêque de Rome n'impose quelque chose aux apôtres, ses frères, les
évèques, que dans des cas excessivement rares dans l'histoiie de l'Eglise.
— 26 —
à Rome cette question est agitée et indiquée comme tenant au
cœur de nos gouvernants et de nos évéques, très hostiles à
toute ingérence de la compagnie de Jésus dans les affaires de
l'Université de Louvain et des établissements d'instruction
créés par le clergé et les fidèles.
Mgr Fornari et le comte d'Oultremont s'employèrent acti-
vement pour tranquilliser les évêques et reçurent les éloges
de nos divers gouvernants, surtout ceux des libéraux de
1840 et des « Mixtes » qui leur succédèrent en 1841.
J'ai traité ailleurs de l'incident Garibaldi. Je dois encore
en citer ici un détail important. Grâce à la prompte interven-
tion du comte d'Oultremont, la nomination de Mgr Garibaldi
n'avait pas été " consommée » (c'est le terme dont se sert
V Exposé, t. I, p. xvii). Le Saint-Siège « voulait »» le nom-
mer nonce à Bruxelles, mais ne le nomma pas parce que la
Cour de Bruxelles avait refusé d'agréer cette nomination. Le
Cabinet belge, au contraire, avait nommé en i835 le vicomte
Charles Vilain XIIII, sans demander l'agréation de son can-
didat par le Saint-Siège et, malgré ce fait blâmable en
matière diplomatique, cet homme distingué fut reçu à Rome
de la manière qui a été rapportée plus haut, et cela pour
obliger le gouvernement belge. Cette différence dans les
procédés diplomatiques des deux cours est' à noter. C'est à
la suite des réclamations du comte d'Oultremont que Mgr Pecci
fut nommé, au lieu de Mgr Garibaldi.
Quant à l'élaboration, à la discussion et à l'application de
l'excellente loi de 1842 sur l'enseignement primaire, loi qui
fut votée presqu'à l'unanimité par le Parlement et qui pendant
36 ans a fonctionné pour le bien de notre peuple et de notre
patrie, le rôle de la nonciature et celui de notre légation à
Rome ont servi admirablement les bonnes intentions du gou-
vernement du Roi. Le baron Nothomb s'en est expliqué en
plus d'une occasion. Mgr Fornari n'a cessé d'appuyer de son
autorité toutes les prétentions du gouvernement dans ce
quelles avaient de légitime. Il est regrettable qu'en i85o
et en 1878 le gouvernement n'ait pas suivi les traditions
de 1842: nous aurions fait de meilleure besogne législative et
évité de graves inconvénients.
— 27 —
La Cour de Rome vit partir à regret le comte d'Oultrcmont,
qui présenta ses lettres de rappel au printemps de 1844.
Sa légation comprenait au commencement un personnel
assez nombreux : M. Prosper Noyer, le baron V. d'Hoogh-
vorst, beau-fils du comte d'Oultremont, le comte Charles
d'Oultremont, son fils, et le baron Amand van den Steen de
Jehay.
Après le départ du comte d'Oultremont, Prosper Noyer
remplit les fonctions de chargé d'afiaires jusqu'à la fin de
l'année 1844.
7. Le baron van den Steen de Jehay, envoyé extraordinaire et
ministre plénipotentiaire .
(20 Décembre 1844- 13 Mai 1846.)
J'ignore pour quel motif le comte d'Oultremont ne fut pas
immédiatement remplacé. Son successeur ne tarda pas cepen-
dant à être désigné, car déjà le 17 octobre 1844 Mgr Pecci
donnait à Bruxelles, en l'honneur du nouvel envoyé à Rome,
le baron van den Steen, un grand dîner auquel assistaient,
outre ce dernier et sa famille, les Ministres du Roi, quelques
Ministres étrangers et des dignitaires de la Cour,
Armand Charles Herman Joseph van den Steen naquit à
Liège le 29 mars 1 78 1 du mariage de Lambert Armand baron
van den Steen, vicomte d'Harduémont, baron de Jehay, Sai-
vre, etc., échevin de la Souveraine Cour de Justice de la
principauté, et de Charlotte de Trappe de Lozange-Bondorf.
Après l'invasion française, il suivit ses parents dans l'émigra-
tion en Allemagne. En 1804, il rentra dans son pays natal et
alla étudier le droit à Paris. Il fut reçu avocat en 1808. Rap-
pelé à Liège par la maladie mortelle de sa mère, il fut dési-
gné, l'année suivante, pour faire partie des gardes d'honneur,
une invention adroite de Napoléon P^' pour se procu-
rer de nouveaux soldats. Le jeune garde d'honneur n'eut
pas l'occasion de verser son sang pour la cause du césarisme.
En 1808, il fut nommé aspirant auditeur au Conseil d'État,
— 28 —
mais il se démit bientôt de ces fonctions pour aller se marier à
Liège avec M"® de Grumsel d'Emal.
Lors de la création du royaume des Pays-Bas, M. van den
Stecn fit partie de l'assemblée des notables appelée à adhérer
à la Loi Fondamentale, et siégea sur le banc des membres
qui rejetèrent le projet de Constitution comme contraire à la
liberté d'enseignement et aux intérêts de l'Église. Il refusa
plus tard de prêter le serment exigé des fonctionnaires publics
et n'accepta aucun des emplois qui lui furent offerts, se bor-
nant à siéger aux États provinciaux dans l'ordre delà noblesse.
En 1828, il prit une part active au mouvement des pétitions
pour le redressement des griefs.
11 ne contribua pas en personne à la révolution de i83o ;
mais après la constitution définitive du royaume de Belgique,
il accepta de faire partie du Sénat, où il siégea pendant deux
ans, non sans distinction. En i832, il accepta les fonctions de
gouverneur de la province de Liège, qu'il remplit avec zèle et
intelligence pendant douze années.
C'est du gouvernement provincial de Liège que M. van den
Steen passa, en 1844, à la légation de Rome. Il avait eu
quelque peine à se décider à accepter cette mission. On dirait
qu'il avait eu le pressentiment de sa fin prochaine. Le climat
de l'Italie fut fatal à sa santé. Il mourut à Rome le i3 mai
1846, après trois mois de souffrances.
Dans une lettre de P. Noyer, du 24 mai 1846, à sa famille,
j'ai lu le touchant récit de la mort édifiante de cet homme de
bien. Voici la fin de cette lettre :
« Est-ce bien la peine, en vérité, de se tourmenter, de s'agi-
ter, de se ronger l'âme pour s'élever, pour arriver à tel titre
plutôt qu'à tel autre : l'important n'est pas de réussir à satis-
faire son ambition, mais de faire la volonté de Celui qui a ses
vues particulières et qui sait mieux que nous ce qui nous est
bon. Une conviction que j'ai retirée aussi de tout cela, c'est
que l'homme est bien misérable sur la fin, c'est que les bonnes
œuvres, les bonnes prières ne se font plus au dernier moment,
et que la santé n'est donnée que pour les actions vertueuses et
les résolutions utiles, v
— 29 —
Noyer, cinq semaines plus tard, devait en faire lui-même
l'expérience.
8. M. Prosper Noyer, chargé d'affaires.
(i3Mai 1846-28 Juin 1846.)
Après la mort du baron van den Steen (créé comte par Gré-
goire XVI), M. Noyer devint encore une fois chargé d'affaires.
C'estle moment d'esquisser la vie de ce diplomate sympathique.
Prosper Edouard Noyer était né à Bruxelles, le lo décem-
bre 1810, du mariage d'Antoine et de Florentine van der
Putten. Il entra le 24 août i83i comme commis de i'*" classe
au ministère des affaires étrangères, sur les conseils de Constant
Materne, son ami, qui devint plus tard secrétaire général de
ce département.
Noyer fit de médiocres études au Lycée de Bruxelles ; il
n'était pas fort en thèmes, mais, à l'université de Liège, où il
fit son droit, il révéla des facultés maîtresses ^et s'adonna sur-
tout à la littérature. En i83o, il fut reçu docteur en droit.
Nous connaissons de lui deux oeuvres dramatiques : Siméon
ou les Zingaris et Jacqueline de Bavière : cette dernière pièce
fut jouée pour la première fois au théâtre royal de Bruxelles
le 14 octobre 1834. Son succès eut un certain retentissement.
Les amis delà littérature nationale fondaient de grandes espé-
rances sur le jeune écrivain ; mais celui-ci ne les réalisa pas
tout à fait, car les occupations professionnelles étouffèrent
bientôt sa vocation littéraire. Il a laissé cependant quelques
œuvres inédites, entre autres, un roman historique, intitulé
Liège au Lion/', une volumineuse étude sur la comparaison de
Rome antique et de Rome moderne, riche en descriptions
intéressantes ; et enfin des études d'art, de littérature, de
politique et de philosophie.
Noyer avait une âme d'artiste. Il a composé des romances
et jouait passablement du violon. Il illustra ses notes de voya-
ges de dessins originaux et compta beaucoup d'amis, nos
artistes, Gallait, Portaels (qui a fait son portrait), Mathieu,
— 3o —
Robert, Soubre, Wappers, Vieuxtemps, etc. Il avait connu
la plupart des personnages de l'époque de la révolution de
i83o, et conserva avec plusieurs d'entre eux des relations
suivies, avec Jules van Praet et Constant Materne, par exem-
ple. Sa correspondance était très étendue, à en juger d'après
les lettres que j'ai lues de lui avec Fornari, le cardinal Lam-
bruschini, Mgr Pecci, Mgr Clementi, l'auditeur de ce dernier,
le cardinal Wiseman, Mgr de Saint-Marsan, le prince de
Ligne, le duc d'Arenberg., etc, etc.
Noyer avait épousé à Bruxelles, le 27 mars 1887, Éléonore
Steddy, née à Willesborough (Angleterre), qui abjura le pro-
testantisme en l'église du Collège Anglais à Rome et y fut
baptisée le 3 mai 1840 par Mgr Wiseman, alors recteur de cet
établissement et évêque titulaire de Negopotamos. M""® Noyer
est décédée à Bruxelles le 20 octobre i865, laissant deux
filles: la première est religieuse du Sacré-Cœur à Jette, près
Bruxelles ; la seconde a épousé M. Julien Bareel, actuelle-
ment juge au tribunal de Tournai, fils de l'ancien secrétaire-
général du ministère des travaux publics. La mère de
M'"® Noyer était une Kemp, dont la famille donna un car-
dinal a l'Eglise romaine.
Ajoutons que la sœur de Noyer fut la première femme de
l'excellent M. Heger, l'ancien préfet des études de l'athénée
de Bruxelles et le maître incomparable de la jeunesse.
Noyer était un homme de cœur, d'un commerce agréable
et de relations sûres. Très dévoué à ses devoirs, c'était
un chrétien plein d'aménité et de charité. Ses lettres à ses
vieux parents, que j'ai lues, sont des modèles de délicatesse
et de piété filiale.
Successivement chef de bureau (20 février i833), secrétaire
des consulats (29 nov. i836). Noyer fut nommé secrétaire de
légation de i'"^ classe le 12 juillet 1889 et adjoint à la mission
du comte d'Oultremont, qui l'avait expressément demandé.
Pendant les fréquentes absences du noble comte. Noyer rem-
plissait avec distinction les fonctions de chargé d'affaires
ad intérim. Il fut chargé aussi de plusieurs missions à Naples,
notamment en 1840 et en 1841. Nommé conseiller de légation
— Si-
en 1845, il fut chargé d'affaires après le départ du comte
d'Oultremont et, encore une fois, après le décès du baron van
den Steen.
Il occupait ces fonctions à la mort de Grégoire XVI. Le
1 1 juin, il présentait devant le cardinal Macchi, sous-doyen
du Sacré-Collège, les condoléances du Roi. En sortant de cette
audience, il rencontra l'abbé Clementi, qui était alors à Rome.
Celui-ci lui trouva mauvaise mine et le força de se mettre au
lit. Dix-sept jours plus tard, le 28 juin 1846, il était mort.
Son corps était encore au Palais Savorelli, où il habitait
avec sa famille, quand les habitants de Rome illuminaient
déjà leurs fenêtres en l'honneur de Pie IX, le nouveau Pape.
Il a été inhumé en l'église de Saint-Julien des Belges,
où ses nombreux amis lui ont fait construire un monument.
Noyer et van Overstraeten (1), qui sont tous deux morts
au delà des monts, méritent d'être cités parmi les diplomates
belges les plus distingués que nous ayons envoyés en Italie.
Noyer était très aimé à Rome et y jouissait de la pleine
confiance du Pape Grégoire XVI, qui lui donna plusieurs
preuves éclatantes de sa bienveillance. Dans plusieurs occa-
sions le jeune diplomate, si prématurément enlevé à son pays,
eut à lutter contre de graves difficultés. Noyer parvint tou-
jours à concilier son profond dévouement aux intérêts reli-
gieux avec son patriotisme ardent et les instructions de son
gouvernement.
9. Le prince de Chimay, envoyé extraordinaire et ambassadeur.
(3 Août 18461 — 847.)
Pour remplncer le baron van den Steen, le gouvernement
du Roi choisit le prince de Chimay, qui avait été ministre
plénipotentiaire à La Haye et gouverneur de la province de
Luxembourg. A cette occasion, le ministre des affixires étran-
(i) Le baron van Overstraeten repose au Campo Santo de Pise. Il était né à
Louvain le 24 avril 1817 et il est mort le 21 février 1878. Voy. Un Puhliciste belge,
br. 8° de 80 pp., chez Polleunis, Geuterick et Lefébure, Bruxelles, 1887.
— 32 -
gères (M. A. Dechamps) renouvela la faute qui avait été com-
mise si souvent par le Cabinet de Bruxelles, en interprétant
à sa guise les règles et les usages de la diplomatie européenne.
Les nonces ayant rang d'ambassadeur, le ministère de Theux
voulut être gracieux envers le prince de Chimay en lui attri-
buant la même dignité, sans attendre l'agréât ion de la Cour
de Borne. Cette velléité diplomatique fut l'origine d'un nouveau
conflit, que l'auteur de YExposé raconte en ces termes (T. I,
p. xviii) :
« Le 3 août 1846, le prince de Chimay fut nommé envoyé
extraordinaire auprès de Pie IX, avec rang d'ambassadeur ;
trois jours auparavant, le Nonce avait reçu à ce sujet une
communication l verbale, et notre chargé d'affaires à Rome
avait dû faire, de son côté, la notification d'usage. Le prince
de Chimay était en route vers l'Italie, quand on apprit que la
Cour de Rome refusait de l'accueillir. Le 3o août, le Nonce fit
savoir au ministre des affaires étrangères, M. Dechamps, que
la France, l'Autriche, l'Espagne et le Portugal étaient les
seules puissances qui eussent le, droit d'accréditer au Vatican
des agents diplomatiques du rang d'ambassadeur. Des négo-
ciations s'engagèrent ; il fut convenu avec le Nonce que l'en-
voyé belge serait reçu à Rome comme ambassadeur en mission
spéciale et temporaire, motivée par l'avènement de Pie IX,
mais qu'il partirait ensuite pour Florence, d'où il ferait savoir
s'il lui convenait de retourner à Rome en qualité de ministre
plénipotentiaire. Cette solution semblait admise quand, à la
fin de septembre, le Nonce, alléguant qu'il avait mal inter-
prété ses instructions, vint déclarer que le prince de Chimay
ne serait pas admis avec le titre d'ambassadeur, même en
mission temporaire.
» Le motif invoqué parle Saint-Siège, dans le but d'amoindrir
le rang du représentant de la Belgique, était évidemment peu
fondé. Le droit d'ambassade qu'exercent à Rome les quatre
puissances catholiques, en vertu d'anciennes traditions, ne
saurait être exclusif à l'égard des agents diplomatiques des
autres puissances ; tout au plus pourrait-on prétendre qu'il
l'est au point de vue des prérogatives attribuées spécialement
^ 33 —
à ces puissances, notamment en cas de vacance du Saint-
Siège (i). Mais le gouvernement belge ne revendiquait aucune
situation privilégiée : le titre d'ambassadeur dont il avait revêtu
son agent était plutôt un hommage au Souverain Pontife.
Néanmoins, la Cour de Rome y mit tant d'obstination, que la
mission belge resta encore pendant deux mois en suspens ; ce
ne fut que le 7 décembre 1846 que le prince de Chimay fut reçu
comme ambassadeur pour complimenter Pie IX, et, à la fin de
cette même audience, il remit des lettres de créance de
ministre plénipotentiaire. Le jour même de sa réception, il
sortait donc du Vatican dépouillé du caractère qu'il y avait
apporté. Ce compromis bizarre et assurément exceptionnel fut
signalé à la Chambre des représentants, le 23 février 1847,
par M. Verhaegen, comme peu compatible avec la dignité
nationale, d'autant plus que le Nonce apostolique en Belgique
jouit comme tel des prérogatives de l'ambassadeur. Le Ministre
des affaires étrangères, M. Dechamps, ne crut pas devoir
entrer dans les détails de l'incident ; il se contenta d'affirmer que
la mission du prince de Chimay avait été et restait essentiel-
lement temporaire. En présence de la condition qui lui était
faite, celui-ci, en effet, ne prolongea guère son séjour à Rome ;
il se rendit à Naples et revint en Belgique au mois de mai.
Un chargé d'affaires, M. 'de Meester, continua de gérer la
légation. "
On remarquera :
1° Qu'il est d'usage de ne nommer un ambassadeur que de
l'avis conforme et préalable de la Cour auprès de laquelle il
doit être accrédité ;
2° Que la création d'une ambassade est soumise à des règles
générales, sanctionnées par le droit coutumier diplomatique ;
3° Qae le Cabinet de Bruxelles, lequel tenait à une noncia-
ture (témoin les dépêches de M. Dechamps après le rappel de
(1) La prince de Ligne fut reçu en 1848 comme ambassadeur et resta avec ce
titre en mission permanente, moyennant quelques réserves relatives à ces préro-
gatives, ainsi qu'à la préséance. Ce n'était donc pas " dans le but d'amoindrir le
rang du représentant de la Belgique „, que, la Cour de Rome faisait ses objections.
-34-
Mgr Pecci), n'avait pas le droit d'imposer une ambassade à la
Cour de Rome ;
4° Que le gouvernement belge n'aurait pas osé user de
pareil procédé envers la Prusse, l'Angleterre ou l'Autriche ;
5° Que, malgré les torts évidents du Cabinet de Bruxelles, la
Cour de Rome, toujours conciliante à notre égard, chercha un
joint de transaction, pour ne pas blesser le prince de Chiniay
et ne pas embarrasser davantage le Gouvernement du roi
Léopold P"", qui avait agi à la légère ;
6° Que le Cabinet de Bruxelles avait fait, dans l'aifaire du
prince de Chimay, un pas de clerc, d'où il se tira honorable-
ment, grâce seulement à la bienveillance et à la patience du
Saint-Siège.
Remarquons-le surtout, toutes les difficultés que nous
avons rencontrées à la Cour de Rome, de i832 à 1848, ont pris
leur source dans l'ignorance diplomatique des divers minis-
tères qui se sont succédés au pouvoir en Belgique. Le Congrès
de Vienne n'a pas défendu aux États secondaires d'accréditer
des ambassadeurs; mais il existe en cette matière des tradi-
tions respectables et des conventions tacitement acceptées par
toutes les puissances policées. La Belgique, seule parmi les
États de second ordre, a émis la prétention d'avoir des ambas-
sadeurs. Cette prétention, qui n'est pas absolument contraire
au droit internationnal, lui a valu à diverses reprises de
grands embarras. Dans l'afFaire du prince de Chimay, le Cabi-
net de Bruxelles avait agi avec une légèreté vraiment regret-
table, et sa conduite fut sévèrement jugée dans les chancel-
leries européennes.
L'arrêté de nomination du prince de Chimay a été soumis
au Roi le 3o juillet 1846 ; le 1^'' août, le ministre des affiiires
étrangères écrivit au chargé d'affaires belge à Rome pour le
prier de fair« la notification ; le 3 août, l'arrêté de nomina-
tion était signé, et le 6 août, le prince de Chimay possédait le
texte de ses lettres de créance, au moment même où le cardi-
nal secrétaire d'État recevait la première nouvelle de l'envoi
d'un ambassadeur...
Joseph de Riquet, prince de Chimay et de Caraman, grand
— 35 —
d'Espagne de i'"^ classe, était né le 20 août 1808 et avait
épousé, le 25 août i83o, M'^"" Emilie Pélaprat, veuve du
comte de Brigode. Avant iSSo il était entré jeune dans la
diplomatie. La révolution belge, à laquelle il ne prit aucune
part, arrêta un instant sa carrière. En 1839, après la
signature des traités qui réglèrent définitivement les relations
du royaume des Pays-Bas avec la Belgique, le gouvernement
du roi Léopold P'' s'empressa d'utiliser les services du jeune
diplomate et l'accrédita près la cour de la Haye. La mission
qui lui était confiée était délicate et honorable. Le prince de
Chimay l'accomplit avec succès. Son intelligence, son affabilité
et son dévouement aux intérêts de son pays furent remarqués.
Malheureusement, le climat néerlandais ne convenait pas à
sa santé. Au mois de novembre 1841, il rentra en Belgique
pour occuper les fonctions de gouverneur de la province de
Luxembourg, où il resta jusqu'au 19 juin 1842, après avoir
déployé des qualités administratives. Il voulait rentrer dans
la diplomatie : nommé ministre du Roi à Francfort (10
décembre 1842), il allait se rendre à son poste, quand la mort
de son père le retint en Belgique. Il demanda sa mise en dis-
ponibilité jusqu'en 1846, époque à laquelle il fut nommé
ambassadeur à Rome, Florence, Naples.
De 1843 à i856, il représenta l'arrondissement de Thuin à
la Chambre des représentants. Très souvent il prit part aux
discussions parlementaires, surtout aux débats relatifs au
budget de la guerre et à l'organisation de l'armée. Il n'était pas
orateur ; c'était un debater à l'anglaise. L'esprit très ouvert,
s'intéressant aux questions économiques du temps, surtout
aux travaux publics de l'Etat, de la province et de la com-
mune, le prince de Chimay était, dans toute la force du terme,
un citoyen émincnt.
Après i856, il n'occupa plus aucune fonction publique,
mais il ne cessa pas de suivre avec attention et patriotisme le
mouvement des hommes et des choses en Belgique. Le roi
Léopold P'' l'aimait beaucoup et le chargea plusieurs fois de
missions délicates et confidentielles, notamment à Paris auprès
de Napoléon III. C'est à lui que ce potentat du moment dit un
— sé-
jour, à propos de la neutralité de la Belgique : un État neutre
qui ne sait pas défendre sa neutralité est exposé à la perdre.
Le prince de Chimay était un causeur charmant ; la loyauté
de son caractère et la générosité de ses intentions lui créaient
partout des amis. Aussi quand il mourut en mars 1 886 fut-il
universellement regretté.
En quittant Rome, le prince de Chimay y laissa comme
chargé d'affaires ad intérim M. le chevalier de Meester de
Ravestyn.
Mais nous ne sommes pas au bout du récit de nos impairs
diplomatiques à Rome.
lo. Le comte van der Straten Ponthoz, envoyé extraordinaire
et ministre plénipotentiaire (7 Juillet 1847.) — Inci-
dent Leclercq.
A la fin de la session parlementaire de 1846-1847, plu-
sieurs membres de l'opposition, en faisant allusion aux ffxits
du nouveau règne pontifical, celui de Pie IX, demandèrent au
gouvernement du Roi de donner immédiatement un succes-
seur au prince de Chimay. Le ministre des affaires étrangères
(M. Ad. Dechamps) en prit l'engagement avec d'autant plus
d'empressement que des sollicitations analogues lui venaient
de la part du cardinal Sterckx et de l'évêque de Liège (le
D'" van Bomel), qui tous deux désiraient vivement l'interven-
tion de l'envoyé de Belgique à Rome dans l'intérêt de leur
opinion sur les affaires de l'Université de Louvain. Dans le
courant du mois de mai 1846, le choix de M. Dechamps était
fixé : il avait résolu de proposer au Roi la nomination du
comte Camille de Briey ou, si celui-ci refusait, celle du comte
van der Straten Ponthoz ; en même temps, il s'informait auprès
du nonce à Bruxelles et auprès de la Légation belge à Rome
si le choix de l'un ou de l'autre de ces deux candidats serait
éventuellement agréé par le gouvernement du Pape. Celui-ci
répondit affirmativement. La personne du comte van der
Straten était particulièrement sympathique à la Cour de Rome,
-37-
à cause des bons souvenirs qu'il avait laissés à Stokholm dans
la colonie catholique, pendant sa mission auprès du roi Ber-
nadotte. Au commencement du mois de juin, avant les élections
législatives, qui n'étaient pas douteuses pour le Cabinet (i), le
poste de Rome fut offert au comte de Briey, officieusement.
M. Ad. Dechamps eut le tort de ne faire officiellement cette
proposition que le 1 1 juin, trois jours après les élections qui
avaient renversé la majorité parlementaire sur laquelle le
ministère s'appuyait, et la veille même du jour où ce dernier
donna sa démission. Les négociations continuèrent avec le
comte de Briey, qui finit par refuser. Le i®'" juillet, la nomina-
tion du comte van der Straten fut soumise à la signature du
Roi. Le 5 juillet notification en fut transmise à M. de Meester,
chargé d'affaires à Rome. L'arrêté fut signé le 7 juillet 1847.
M. Dechamps avait laissé traîner cette affaire pendant six
semaines ; cette négligence lui coûta, à lui et à ses amis, des
embarras cuisants.
Quand le Cabinet du 12 août 1847 P^i^' ^® pouvoir, il avait,
auprès du Roi, fait du retrait de la nomination du comte van
der Straeten une condition de son acceptation. Cette attitude
du ministère Rogier-Frère était parfaitement correcte. Il en
donna de longues explications pendant la discussion de
l'adresse, au commencement de la session de 1847-1848.
« Le Cabinet, disait M. d'Hoffschmidt, ministre des affaires
étrangères, attachait une importance toute spéciale à ce que
le poste de Rome fût occupé par un homme de son choix. On
conçoit, en effet, de quel haut intérêt il est pour le ministère
sorti des rangs de l'opinion libérale que le véritable caractèra
de sa politique soit parfaitement connu, expliqué et apprécié
à la Cour de Rome ; que l'on ne s'y méprenne point sur ses
principes, sur ses intentions, sur ses tendances ; qu'en un mot,
on y ait une juste idée de son respect sincère pour la reli-
gion et pour les libertés consacrées par la Constitution (2). «
(1) Le comte de Theux avait poussé la confiance jusqu'à dire à l'un de ses amis:
* notre majorité sera trop forte „.
(2) Séance de la Chambre des représentants, 12 novembre 1847.
— 38 —
Le Cabinet libéral du 12 août était dans son rôle, en
parlant ainsi : il avait le droit de donner un successeur à
M. le comte van der Straten. Mais il n'avait pas le droit
d'imposer au Saint-Siège le choix de la personne de ce
successeur. Son devoir était de prévenir la Cour de Rome
qu'il ne laisserait pas partir le comte van der Straten, lequel
n'avait pas sa confiance, et qu'il proposait confidentiellement \q
choix de M. Leclercq. Au lieu d'agir ainsi, il nomma d'emblée
et avec fracas cet honorable magistrat et il manifesta la pré-
tention inadmissible et bruyante d'imposer ce choix au Saint-
Siège.
Je me permets de dire que le cardinal Ferretti, en propo-
sant à Pie IX de ne pas agréer M. Leclercq, un homme
sage, catholique de religion et un jurisconsulte éminent,
quoique peu familiarisé avec les choses de la diplomatie,
s'est laissé influencer par des rapports évidemment erro-
nés (ils ne provenaient pas du nonce, Mgr de Saint Mar-
san (1)). Mais cette erreur du cardinal secrétaire d'État
de Sa Sainteté ne diminuait en rien le droit d'agréation du
Pape. On demandait un jour à Paul Devaux pourquoi, il en
voulait au comte de Tlieux. " Son nez me déplait ^, aurait
répondu le célèbre député doctrinaire. Dans l'agréation des
envoyés diplomatiques, les gouvernements se laissent souvent
guider par des jugements de la même force. On peut les criti-
quer, mais il est prudent de les subir de bonne grâce, sinon le
droit d'agréation deviendrait illusoire. De simples questions
de sympathie ou d'antipathie personnelle jouent très souvent
le premier rôle dans les décisions du gouvernement interroge
sur le choix d'un diplomate. Un gouvernement bien avisé
se gardera bien' de résister à un refus (motivé ou non) d'agréa-
tion, car il serait la première victime de son obstination, si
celle-ci pouvait avoir un résultat utile. En effet, de quelle
(1) Ils ne provenaient pas non plus du comte van der Straten, qu'on accusa
dans certains journaux d'avoir utilisé en ce sens l'influence des parents que possé-
dait dans l'aristocratie romaine sa femme, fille du duc de Beaufort-Spontin. I^e
comte a même énergiquement protesté contre ces insinuations dans une lettre
que d'Autriche, où il résidait alors, il adressa', le 12 octobre 1847, à M. le ministre
des affaires étrangères et à M. Leclercq lui-même.
- 39-
autorité jouirait un diplomate auprès de la Cour qui aurait été
« contrainte « de le recevoir ?
Dans les explications que M. d'Hoffschmidt donna à la
Chambre, nous lisons :
« Vous n'ignorez pas que l'envoi d'un chef de mission doit
être précédé d'une communication directe ou indirecte au gou-
vernement près duquel cet agent va être accrédité. Mais il
n'existe pas sur ce point de règle uniforme et absolue. Ni les
auteurs qui ont écrit sur le droit public, ni les divers États
n'entendent tous de la même façon l'application du principe.
Quelques-uns vont même jusqu'à le contester. Plusieurs voient
dans la notification préalable un acte de simple déférence,
dont on peut, à la rigueur, se dispenser ; d'autres gouverne-
ments y voient une obligation plus stricte. Ils sont, du reste,
à peu près unanimes à reconnaître qu'en tout 'cas, le refus-
d'agréation doit être fondé sur des motifs sérieux et formelle-
ment énoncés.
« Quant aux formalités pour notifi:er soit la nomination
accomplie ou projetée, soit la non agréation, elles varient
également selon les pays et le degré d'intimité qui règne entre
les deux Etats. D'ordinaire, ces questions se traitent verbale-
ment entre le ministre des affaires étrangères de la Cour qui
nomme et l'envoyé de la Cour près de laquelle l'agent doit
être accrédité... »
Tous ces préceptes résumés, pour les besoins de la cause,
par M. d'Hoffschmidt, sont plus ou moins contestables. Mais
nous ne discuterons point. Il est un fait qui prime tous les
raisonnements des casuistes du droit international : sans
agréation obtenue de bonne grâce la mission d'un diplomate
est pratiquement irréalisable. Essayez donc d'imposer à M. de
Bismarck, par exemple, un envoyé qui lui déplairait...
Le comte Le Hon, dans cette même discussion de l'adresse,
a cité le cas de l'abbé Laurent de Villanueva, membre des
Cortés, nommé en 1822 ministre d'Espagne et non agréé par
la Cour de Rome. M. d'Hoffschmidt ajouta à cet exemple le fait
de l'Empereur de Russie refusant en i832 de recevoir .comme
ambassadeur d'Angleterre sir Strafford Cannincr : malgré ce
— 40 —
refus, lord Palmerston maintint la nomination de sir Strafford
Canning et l'Angleterre ne fut plus, pendant deux ans, repré-
sentée à Pétersbourg que par un chargé d'affaires. Un conflit
du même genre éclata, au mois d'avril 1847, entre la Prusse
et le Hanovre, où l'on n'avait pas agréé le choix du comte de
Westphalen nommé en remplacement du baron de Secken-
dorf : un simple chargé d'affaires fut nommé par la Prusse.
On pourrait citer encore d'autres exemples.
Mais que prouvent-ils? C'est: 1° que les puissances comme
l'Angleterre et des ministres comme lord Palmerston ont dû
finir par où ils auraient dû commencer, en nommant une
persona grata en remplacement du diplonate non agréé ; 2° que
la Belgique, un petit pays, aurait tort d'imiter les allures cas-
santes de la perfide Albion en i832 et qu'elle a intérêt à se
montrer aussi aimable et aussi modeste envers les Etats
faibles qu'envers les grandes puissances.
Le 12 août, le jour même de la constitution du Cabinet,
M. d'Hoffschmidt informait notre chargé d'afiaires à Rome que
la mission confiée par son prédécesseur à M. le comte van der
Straten-Ponthoz n'aurait pas lieu.
« Des considérations dont nous ne saurions méconnaître
l'importance «, disait-il, « et qui ont été parfaitement com-
prises par Mgr le Nonce apostolique auquel j'ai eu l'hon-
neur de les exposer, ^déterminent le gouvernement du Roi
à charger de cette importante mission un homme dont le
nom ne puisse servir d'aliment aux incriminations des partis.
Ses vues se sont portées sur un ancien ministre, placé au
premier rang de la magistrature, et qui occupe une place
non moins haute dans l'estime publique. Je veux parler de
M. Leclercq, procureur-général à la Cour de cassation, qui
a dirigé avec éclat le département de la justice et a fait partie
du Congrès national et de la Chambre des représentants.
M. Leclercq est par ses antécédents, sa position et son carac-
tère, un des hommes les plus considérables et les plus consi-
dérés du pays. Toutes les opinions s'accordent à rendre hom-
mage à sa modération et à ses lumières. Peu de noms sont
entourés d'une sympathie aussi marquée. »
— 41 —
y> Cette dépêche, dit \ Exposé (t. I, p. xxvi) devait être
communiquée au cardinal secrétaire d'Etat, Mgr Ferretti, et
fut, à sa demande, transmise au Saint-Père. Le Nonce à
Bruxelles reçut une communication dans des termes analo-
gues. On poussa jusqu'au scrupule l'observation des for-
malités d'usage, car la nomination de M. Leclercq fut tenue
en suspens, contrairement à celle du prince de Chimay, qui
avait suivi, de trois jours la notification. La '|Cour de Rome
montra d'abord quelque hésitation ; elle avait connu et
approuvé le choix de M. le comte van der Straten, et se laissa
influencer, semble-t-il, par des considérations personnelles.
Au bout de trois semaines, elle n'avait pas fait connaître ses
intentions ; ce ne fut que le 1 3 septembre que Mgr de Saint
Marsan annonça au gouvernement que Sa Sainteté n'avait
pas agréé le choix de M. Leclercq. »
UExposé renferme ici une petite erreur : la nomination de
M. Leclercq ne fut pas tenue en suspens; il fut nommé offi-
ciellement avant qu'on n'eût reçu la réponse de la Cour de
Rome. C'est précisément dans ce fait que réside le tort du
Cabinet de Bruxelles, et il a été la source de tout ce conflit.
Le Cabinet de Bruxelles, je le répète, avait le droit de choisir
"un autre représentant du gouvernenement du Roi à Rome,
mais il était de son intérêt d'attendre patiemment et gracieu-
sement la réponse du Saint-Siège.
Un autre tort du Cabinet de Bruxelles en cette aflaire
a été de discuter ou de laisser discuter trop longuement la
personne de M. Leclercq. Il harcela le nonce de Bruxelles et
le secrétaire d'Etat du Pape de questions. Au lieu de cher-
cher tranquillement, en silence, un autre diplomate ayant sa
confiance, il força en quelque sorte la Cour de Rome de lui
dire officiellement, pourquoi elle refusait d'agréer le choix de
M. Leclercq.
Le 23 septembre 1847, ainsi sollicité, le nonce laissa à
M. d'Hoffschmidt une copie d'un extrait d'une dépêche du
cardinal Ferretti :
« Tout bien considéré, il a été facile à S. S. de décider
y> que, dans les circonstances graves^où elle se trouve, elle
— 42 —
« ne pourrait, en aucune manière, accepter comme ministre
» de la Belgique, que des personnes qui auraient offert, par
» leurs antécédents, beaucoup plus de garanties que celles
T que lui offre M. Leclercq. r,
A cette communication, le Cabinet de Bruxelles répondit le
28 septembre, en disant qu'il lui était impossible de proposer
au Roi la désignation d'une autre personne. C'était avouer
que le parti libéral était bien pauvre en hommes.
Quelle était, au fond, la pensée de la Cour de Rome, en
refusant d'agréer le choix de M. Leclercq ? Dans cette dis-
cussion de l'adresse, le comte Félix de Mérode me paraît avoir
donné les meilleures raisons.
« J'ai cherché à me rendre compte des motifs du Pape
Pie IX, pour ne pas trouver des garanties suffisantes dans
les précédents de l'honorable plénipotentiaire nommé pour
Rome, après la révocation de M. le comte van der Straten
Ponthoz. Quel que soit le mérite du savant magistrat, il est
certain, Messieurs, que pendant sa carrière parlementaire, il
s'est presque toujours placé dans les oppositions à la majorité
des Chambres, successivement élues, selon le sens de la majo-
rité du Congrès de i83o, où figuraient i3 ecclésiastiques.
r> Le libéralisme sincère de ceux-ci , bien antérieur à l'avè-
nement du Pape qui gouverne aujourd'hui l'Eglise, doit être
de même nature que le sien, il serait en effet difficile de croire
qu'il en adopte un autre ; et certes le libéralisme proclamé
maintenant vainqueur en Belgique n'est pas celui que le Saint-
Père désire propager dans les Etats romains. Il serait même
fort dangereux pour leur tranquillité et leur prospérité future,
car l'on ne doit pas oublier que la Souveraineté de Rome a un
caractère particulièrement ecclésiastique. L'honorable M.
Leclercq a fait même, je crois, une opposition assez vive à
MM. Lebeau et Rogier, quand celui-ci était élu à l'aide du
concours accepté du clergé de la Campine, concours que
M. le Ministre de l'intérieur considérait alors comme parfai-
tement légitime.
» Ces précédents, qui ne touchent en rien à l'honneur privé
de M. Leclercq, peuvent avoir été considérés par le Pape
- 43 -
Pie IX comme inquiétants pour sa politique libérale, à lui,
politique qu'il a besoin d'entourer de beaucoup de précautions,
de beaucoup de prudence, car, si l'œuvre qu'il entreprend
est noble et digne de son cœur généreux, elle est accompagnée
de dangers graves, on ne peut se le dissimuler.
?» Dans cette situation sérieuse, il est facile de concevoir
que l'opposition ancienne et constante de M. Leclercq aux
majorités de même couleur que celle du Congrès, se combi-
nant avec la préférence subite que lui accordait le Ministère
nouveau, dont la politique nouvelle consiste surtout à desti-
tuer les Belges les plus attachés au Saint-Siège, n'était pas
propre à donner à Rome toute confiance. Et ici, je répéterai
ce que j'ai déjà dit sur la convenance qu'il y a de considérer
les fonctions intérieures ou les missions extérieures établies
aux frais de l'Etat et pour l'État, dans un intérêt plus essen-
tiel, plus élevé que l'intérêt d'un ministère ou d'un parti.
w Faire comprendre au Pape les vues du gouvernement
actuel de la Belgique me paraît un but assez mesquin. Tout
ce que pourrait dire à ce sujet M. Leclercq ou tout autre,
non moins habile, ne saurait affaiblir la perspicacité d'une
intelligence comme celle de Pie IX. Ce qu'il fallait donc en
politique large et bien conçue, dans les circonstances (et ce
qui est bien conçu n'est jamais dans les vues étroites), ce qu'il
fallait, dis-je, c'était de laisser aller à Rome M. le comte van
der Straten Ponthoz, qui étant, après tout, homme d'hon-
neur, ne devait pas abuser de la confiance du Ministère et ne
pouvait pas manquer ainsi de communiquer au Saint-Siège les
intentions du Cabinet, comme il eût été chargé de les expli-
quer.
» Tout gouvernement. Messieurs, doit, avant d'accréditer
un chargé d'affaires près d'une puissance amie, examiner la
position où elle se trouve. Si l'Autriche était menacée d'une
révolution dont le but serait à la fois libéral et catholique, le
ministère français aurait mauvaise grâce de lui expédier,
comme ambassadeur, un pair de France connu par ses efforts
pour la cause belge, la cause polonaise, la franche liberté
religieuse en tout pays, et qu'on le pense estimé dans le sien
— 44 —
comme peut l'être M. Leclercq en Belgique. Quand on parle
diplomatiquement de garanties, il ne s'agit donc pas des qua-
lités personnelles, mais bien de considérations qui ne tiennent
nullement à ces qualités. La position du Pape Pie IX réclame
des ménagements tout particuliers, cela n'est pas douteux, et
l'inquiéter directement ou indirectement, ne serait pas une
œuvre libérale, une œuvre de progrès.
» Maintenant l'honorable M. Leclercq a déclaré publique-
ment son intention positive de ne plus accepter la mission de
Rome; d'autre part, je reconnais que le ministère ne peut
actuellement rétablir dans ce poste M. le comte van der
Straten Ponthoz. Qu'il cherche donc à aplanir ultérieurement
les obstacles qui se sont présentés et qui sont nés en même
temps qu'une politique nouvelle très malheureuse, c'est-à-dire
la politique qui, présentant la majorité comme un vainqueur
et la minorité comme un vaincu, frappe de révocation, de des-
titutions préventives des hommes parfaitement capables de
remplir les emplois acquis par leur travail et de bons services,
et fausse ainsi les plus généreuses traditions du Congrès.
" Quant à moi, je le dis franchement, la victoire ainsi
appliquée sur mes concitoyens me serait plus odieuse que la
défaite, et j'aimerais mieux perdre une place, me fût-elle très
utile, que d'ôter à un honnête homme celle qu'il possède, pour
m'en emparer ou en pourvoir des vainqueurs, mes amis. «
Je ne reproduis ici qu'à titre de document ces « motifs «
donnés par l'illustre comte de Mérode ; car s'ils prouvent que
la Cour de Rome n'avait pas agi à la légère, comme on le lui
avait reproché, ils sont, d'après moi, inutiles pour la justifica-
tion du cardinal Ferretti. Celui-ci ne s'opposait pas au rem-
placement du comte van der Straten, il n'avait aucune plainte
à diriger contre les vertus privées de M. Leclercq. Seule-
ment, il préférait qu'on envoyât une autre personne.
En résumé, il est peut-être regrettable que la Cour de
Rome n'ait pas agréé d'emblée la nomination de M. Leclercq,
qui dans la Ville éternelle aurait fait honneur à notre pays
et aurait, j'en suis persuadé, édifié le Saint-Siège; mais il
est encore plus regrettable que notre Gouvernement ait fait
-43 -
tant de tapage pour ébranler le droit incontestable de la
diplomatie romaine. Si le Cabinet de Bruxelles avait été mieux
inspiré, il n'aurait pas laissé ébruiter sa proposition du choix
de M. Leclercq : il se serait adressé confidentiellement au
Saint-Siège et, en cas de refus d'agréation de celui-ci, il aurait
fait choix de quelqu'autre diplomate de ses amis, que la Cour
de Rome aurait alors accepté. Enfin, il n'aurait pas rendu à
M. le procureur général Leclercq, que tout le monde respecte
chez nous, le mauvais service de le laisser discuter en public,
sans profit pour la cause libérale d'alors et pour la renommée
de notre diplomatie.
Un détail piquant, qui révèle le désarroi et l'ignorance des
membres du Cabinet qui commettaient cette faute. On raconte
que le Ministre des affaires étrangères, M. C. d'Hoifschmidt,
demandait, dans un entretien, au nonce Mgr de Saint-Marsan,
pourquoi la Cour de Rome refusait de recevoir M. Leclercq.
— « On dit, Excellence, qu'il est joséphiste. — Oh! Monsei-
y> gneur, répliqua le ministre, je puis vous garantir que
y^ M. Leclercq n'a jamais fait partie de la Congrégation des
» Josephistes. » — Le bon M. d'Hoffschmidt confondait les
Josephistes, les Fébroniens, les libéraux du temps de Joseph II,
avec les religieux joséphites de Louvain et de Melle!
M. Leclercq fut plus sage que ses « amis » du ministère.
Dans une lettre qu'il adressa, le 23 septembre 1847, ^^
Ministre des affaires étrangères, il déclara qu'il déclinait
désormais, quelque explication qui pût intervenir ultérieure-
ment, la mission qu'il avait d'abord acceptée ; il protestait en
même temps contre « l'injure qui lui était faite » {Exposé, t. I,
p. xxxi). Or^ cette « injure » lui avait été faite, grâce à la
maladresse du ministère Rogier. Quand un galant se présente
discrètement pour épouser une fille de bonne maison et qu'il
est discrètement éconduit, il n'y a pas pour lui une « injure^»
dans ce fait si naturel : sa situation ne devient embarrassante
que lorsque ses «^ amis » vont raconter partout, en protestant
et en gesticulant, les divers incidents de la négociation.
Au lieu de laisser tomber cet incident, peu glorieux pour sa
diplomatie, le Cabinet du 12 août et ses amis du Parlement
-46-
firent là dessus comme on dit aujourd'hui, toute une campagne,
plus ou moins « anti-cléricale », dans la presse, dans les
clubs libéraux, à la Chambre même, où la majorité approuva,
dans le vote de l'adresse, les incroyables prétentions du Gou-
vernement.
Celui-ci, enhardi par ces approbations, alla jusqu'à dire dans
une circulaire diplomatique du 12 décembre 1847 à ses agents
« qu'il ne reprendrait officiellement ses relations avec la Cour
" de Rome que moyennant l'agréation pure et simple de
7^ M. Leclercq. » Cette vaillance obtint naturellement la
bruyante approbation du parti du ministère. Le Saint-Siège est
une de ces puissances aux dépens desquelles il est facile de
cueillir des lauriers d'héroïsme militaire, et sans coup férir. Je
ne crois pas injurier la mémoire des membres du Cabinet du
1 2 août en disant qu'ils ne se seraient pas permis de lancer,
les dans mêmes conditions, une circulaire contre la France,
l'Allemagne ou l'Angleterre.
En 1834, le roi de Prusse refusa de recevoir le général
Goblet, en qualité , d'envoyé extraordinaire et ministre pléni-
potentiaire, parce qu'il n'estimait pas le militaire. On se garda
soigneusement à Bruxelles d'ébruiter la mésaventure du
général, qui fut très tranquillement remplacé par le comte
de Baillet.
Ce fut, encore une fois, le Saint-Siège qui donna l'exemple
de la sagesse, de la modération et de la conciliation. Nous
lisons, en effet, dans V Exposé (t. I, p. xxxiii) :
« Des pourparlers s'engagèrent et se prolongèrent pendant
un mois ; la révolution de février qui s'accomplit dans l'inter-
valle et l'admirable exemple que donna en ce moment la Bel-
gique en face de la. conflagration générale dissipèrent bien
des préventions. Le Vatican céda, non sans essayer de couvrir
sa retraite. Dans les premiers jours de mars, le Saint-Siège fit
savoir à Bruxelles « qu'il verrait avec plaisir M. Leclercq
remplir la mission temporaire qu'on avait l'intention de lui con-
fier ». Le Gouvernement n'accepta pas cette demi-concession ;
il exigea et obtint une satisfaction complète. Le 27 mars,
M. de Meester, notre chargé d'afiaires, mandait que le cardi-
— 47 —
nal Antonelli lui avait annoncé « que le Saint-Père verrait avec
beaucoup de plaisir M. Leclercq à Rome comme représentant
de la Belgique ; que c'était une agréation pure et simple et sans
commentaire, comme nous l'avions demandée ; que c'était la
meilleure solution d'un incident qui n'avait été causé que par
un malentendu •». Quelques jours plus tard, le nonce faisait à
Bruxelles une communication dans les mêmes termes.
" Le conflit était dès lors aplani, mais les événements exté-
rieurs retardèrent l'envoi d'un ministre régulièrement accré-
dité auprès du Saint-Siège. M. Leclercq, à qui on offrit de-
rechef cette mission, la déclina pour des motifs auxquels il
déclarait qu'aucun ressentiment personnel n'avait la moindre
part. »
Si M. Leclercq avait gardé quelque ressentiment, c'est,
assurément, contre le Cabinet du 12 août qu'il aurait dû le
diriger; car ce sont ses amis du Ministère qui seuls exposèrent
sa personne respectable et respectée aux inconvénients que
nous avons décrits, et c'est le Saint-Siège qui a fait tout ce
qui dépendait de lui pour tirer l'éminent procureur-général
de la position ridicule où l'avait placé le ministère du 1 2 août.
La Cour de Rome donnait ainsi une éclatante satisfaction
au Cabinet de Bruxelles, qui ne la méritait guère. Malgré son
droit incontestable d'agréation, elle y renonçait, pour être
agréable au Gouvernement du roi Léopold F'" et aussi pour
rendre justice à M. Leclercq, dont la légèreté ou la passion
politique des ministres belges avait livré la personnalité si
honorable à la malignité des discussions publiques.
En vérité, il est étrange qu'après 40 années de réflexion on
vienne faire au Saint-Siège un grief de son affection pour notre
pays et de sa condescendance pour les circulaires de
M. d'Hoffschmidt. Ce dernier avait obtenu du Saint-Siège
ce que « lord Firebrand ^ n'avait pu arracher au czar Nicolas.
Quant au comte van der Straten, il fut mis en disponibi-
lité. Sa personne avait été d'autant plus agréable à Rome,
qu'elle y était très favorablement connue depuis i838, à
cause des services qu'il avait rendus à cette époque à la mis-
sion catholique de Stockholm et qui lui valurent la croix de
-48-
commandeur du Christ Romain, honneur rare. Pie IX n'ou-
lia pas les incidents de 1847 : le 23 mai i85i il conféra au
noble comte la grand croix de l'ordre de Saint Grégoire le
Grand.
Théodore Joseph comte van der Straten Ponthoz est né
le 18 mai 1809. ^1 ^st le fils aîné de Louis. Marie Hyacinthe
Joseph et de Gabrielle de Laittres, fille de Robert Joseph de
Laittres, baron de Brandebourg, seigneur de Rossignol et
de Saint Mard, dans le Luxembourg. Louis Marie Hyacinthe
Joseph, chef de la branche cadette de cette famille originaire
de Bruges (1), avait servi dans sa jeunesse dans les gardes
wallonnes d'Espagne, qu'il quitta en i8o3 pour revenir dans
le Condroz. Il siégea au Sénat de i833 à 1843 (en dernier lieu
pour l'arrondissement de Liège) et mourut le 7 août 1844 (il
était né le 18 mars 1775), laissant une nombreuse postérité.
Le comte Théodore van der Straten, après avoir travaillé,
avant la révolution, au gouvernement provincial à Maestricht,
entra dans la diplomatie en i83i et fit partie des légations
de Paris et de Vienne. En 1837(25 février), il fut nommé
chargé d'affaires en Danemark et en Suède, où il connut le
roi Bernadotte, et rendit à notre pays de précieux services.
Mis en disponibilité le 29 janvier 1839 pour motifs de santé,
il fut tenu à l'écart jusqu'en 1847.
Sa mission éphémère de Rome rendait sa position délicate,
à partir de l'avènement du ministère Rogier. Cependant il ne
s'occupait guère de politique active. Sa retraite dura jusqu'en
i855 : le 4 août de cette année il fut chargé de représenter le
Roi au couronnement du roi dom Pedro V de Portugal, En
1 858, le roi Léopold P'' le nomma grand maréchal de sa Cour,
dignité dans laquelle il fut confirmé par le roi Léopold II, le
10 décembre i865. Enfin le 18 janvier 1868, le comte van
der Straten fut chargé d'assister, à Vienne, aux funérailles de
l'archiduc Maximilien, empereur du Mexique, en qualité d'en-
(1) Voy. Notice historique et généalogique de la maison de Straten par Charles
Piot, archiviste général du royaume, 1 vol. in-4", 371 p., Bruxelles 1877. chez
Bruylant-Christophe.
— 49 —
voyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire auprès de
S. M. l'Empereur d'Autriche.
Il a épousé à Vienne, le 20 octobre i835, Valérie, comtesse
de Beaufort Spontin, dame de l'ordre de la Croix étoilée d'Au-
triche (en 1843) et de l'ordre de Marie-Louise d'Espagne (en
1846), dame du palais de S. M. la. reine Louise des Belges
(28 juin 1845), fille de Frédéric duc de Beaufort Spontin et
d'Ernestine, princesse de Starhemberg, morte à Bruxelles le
7 janvier 1887. De ce mariage sont issus deux enfants, une
fille, morte le 3i janvier 1869, qui avait épousé le comte
Albert de Robiano, et un fils, le comte Rodolphe, qui est né
le 7 octobre i85i et qui a épousé, le 29 avril 1876, M^^'' Marie
Pallavicini, fille du margrave de ce nom et de Gabrielle, fille
du landgrave de Furstenberg, dont la mère est une princesse
de Schwartzenberg.
Le comte van der Straten Ponthoz est un des diplomates
belges les plus érudits et les plus aimables, La distinction de
son esprit n'a d'égale que la simplicité de ses manières. Plein
de tact et de mesure, il possède une connaissance exquise des
besoins de la société contemporaine. C'est un homme de bon
conseil et un citoyen éminent, profondément dévoué à son
pays.
11. — Le prince de Ligne, ambassadeur.
(3o Septembre 1848 — Septembre 1849.)
Le 29 septembre 1847, Mgr de Saint-Marsan, nonce apos-
tolique, répondait à M. d'Hoffschmidt, qui lui avait fait part,
la veille, de <^ l'impossibilité » où se trouvait le Cabinet de
proposer au Roi la désignation d'une personne capable d'être
nommée à la place de M. Leclercq :
« Je puis assurer votre Excellence que le Saint-Père appren-
dra avec un sensible regret cette résolution qui doit le priver
provisoirement de la vive satisfaction qu'il aurait éprouvée en
accueillant bientôt à Rome un successeur de M, le prince de
Chimay.
— 5o —
y> L'attachement sincère et les profonds sentiments d'estime
de Sa Sainteté pour l'auguste personne du Roi, sa cordiale et
toute paternelle bienveillance pour la Belgique, doivent lui
faire vivement désirer que cette vacance et les pénibles circon-
stances qui l'ont occasionnée ne se prolongent pas long-
temps. »
Malgré cette invitation pressante et même touchante, le
gouvernement laissa le poste de Rome Vcicant, se bornant à y
laisser M. de Meester comme chargé d'affaires ad intérim.
Ce n'est qu'après une année de bouderie que l'on songea à
donner un successeur au comte van der Straten.
M. Leclercq ayant renoncé au poste qu'on lui offrait de nou-
veau, le Cabinet de Bruxelles proposa à l'agréation du Saint-
Siège une des personnalités les plus éminentes du royaume,
S. A. S. le prince de Ligne, qui venait de quitter Paris.
Comme il avait été ambassadeur auprès du roi Louis-Philippe,
le Gouvernement du roi Léopold F'" demanda aiu Pape Pie IX
de recevoir le prince en la même qualité. La Cour de Rome,
constate Y Exposé (t. I, p. xxxiv), accueillit ce choix « avec
une satisfaction toute particulière ". Seulement, le titre
d'ambassadeur donna lieu à quelques réserves de préséance
qui furent admises à Bruxelles.
Voici en quels termes l'auteur de Y Exposé (t. I, p. xxxiv)
résume les instructions données au prince de Ligne :
« Les esprits étaient vivement surexcités dans toute
l'Europe; parmi les questions qui les préoccupaient le plus,
figurait celle des rapports de l'Etat et de l'Eglise, de leurs
droits et de leurs devoirs réciproques. L'opinion publique
réclamait depuis plusieurs , années chez nous la solution d'un
certain nombre de problèmes relevant de cet ordre idées : tels
étaient l'organisation de l'enseignement de l'Etat, l'interven-
tion du clergé dans les élections, les rapports du clergé infé-
rieur avec^ l'épiscopat et leurs droits respectifs vis à vis de
l'État, l'administration du temporel des cultes, etc. En pré-
sence des graves événements qui renouvelaient l'aspect de
l'Europe et imprimaient un puissant élan aux esprits, il sembla
que l'heure était également venue d'assigner à notre mission
auprès du Saint Siège un but sérieux et pratique.
— 5i —
r> Les instructions du prince de Ligne portent la date du
3 novembre 1848; elles sont conçues dans cette pensée. Au
sujet des rapports entre l'autorité civile et les influences
ecclésiastiques, notre ambassadeur devait donner au Saint-
Siège l'assurance que le Gouvernement, si des obstacles ne
devaient entraver sa marche, ferait œuvre de conciliation
réelle et durable. A des défiances regrettables il veut substi-
tuer des rapports de bienveillance et de sympathie, en sous-
trayant à la fois l'autorité religieuse et le pouvoir civil à des
soupçons mutuels d'envahissement et de domination. Le prince
de Ligne veillera à ce que sur ce point Sa Sainteté ne soit pas
induite en erreur. Il ne faut pas qu'Elle se méprenne sur lé
caractère de nos luttes intérieures^ qui sont exclusivement
politiques, malgré la dénomination de catholique donnée à
l'un de nos partis. L'intérêt le plus évident de la religion est
de tenir ses ministres en dehors des luttes de parti.
59 N'était-ce pas le sentiment de Pie IX lui-même qui, dans sa
première entrevue avec le prince de Chimay, le 6 novembre
1846, lui disait que « la religion ne doit jamais se meth'e au
y> service d'un parti sous peine de s'amoindrir. r>
Ces instructions générales devaient recevoir et reçurent en
effet des applications pratiques ; mais la marche des événe-
ments en entrava constamment l'exécution.
Au moment où le prince de Ligne arrivait en Italie, la révo-
lution se développait rapidement. Le comte Rossi, ministre
du Pape, fut assassiné. Pie IX se réfugia à Gaëte (y oy. Exposé,
T. I, p. XXXV et sq.) :
« Deux jours après, le cardinal Antonelli invitait, au nom du
Saint-Père, le corps diplomatique aie Rejoindre à Gaète, où il
s'était retiré. Le prince de Ligne se trouvait alors à Turin :
mais notre chargé d'affaires, M. de Meester obtempéra, comme
tous ses collègues, à cette invitation, et le Gouvernement
approuva sa conduite. L'ambassadeur lui-même, arrivé le 7 à
Naples, présenta dès le lendemain ses lettres de créance à
Gaëte ; son empressement toucha beaucoup le Souverain Pon-
tife. Bien que le prince eût devancé à cet égard ses instruc-
tions, le Cabinet de Bruxelles approuva pleinement sa démar-
che.
— 52 —
r> Lorsque, à la fin de janvier, Pie IX adressa de Gaëte à
tous les Gouvernements avec lesquels il était en rapport, un
exposé des motifs qui l'avaient contraint à s'éloigner de Rome,
le Ministère belge répondit à cette communication dans les
termes les plus sympathiques. La Républiqne romaine fut pro-
clamée le 9 février 1 849 ; mais il ne fut pas un moment ques-
tion de reconnaître le Gouvernement insurrectionnel à Rome.
y> La mission du prince de Ligne n'eut qu'une durée de dix
mois ; elle lui fournit l'occasion de soulever, dans ses rapports
avec le Saint-Siège, la question de l'intervention du clergé
dans les affaires politiques et celle de la position des desser-
vants à l'égard des évêques. Les négociations qu'il ouvrit à ce
sujet n'avaient pas atteint leurterme au moment de son départ. "
Après dix mois de séjour seulement, le prince de Ligne
demanda son rappel pour pouvoir siéger au Sénat, dont il fut
élu président pendant 25 ans.
Son départ causa de grands regrets à la Cour de Pie IX
12. M. Henri de Brouckere, envoyé extraordinaire et ministre
plénipotentiaire.
(Septembre 1849.)
Après le prince de Ligne, il n'y avait pas dans le parti
libéral d'alors de personnalité plus considérable que celle de
M. Henri de Brouckere, fils de l'ancien gouverneur du Lim-
bourg et frère d'un des membres les plus distingués des pre-
miers ministères constitués après la révolution. M. Henri de
Brouckere avait siégé au Congrès et avait été, lui aussi, gou-
verneur de province. Il était un des membres les plus en vue
de la Chambre des représentants, dont il était à cette époque
un des vice-présidents.
M. de Brouckere n'avait pas sollicité l'honneur de repré-
senter le Roi à Rome. Il n'accepta le poste qu'après beau-
coup d'insistance de la part des ministres et même du Roi. Sa
nomination était un trait d'habileté de la part du ministère ;
car personne, dans le parti libéral d'alors, n'avait plus de titres
— 53 —
pour représenter dignement le pays à l'étranger. M. H. de
Brouckere était un de ces « libéraux de i83o ", qui sont deve-
nus de plus en plus rares. Sa nomination, qui n'était pas désa-
gréable aux catholiques belges, fut agréée avec empressement
à Rome. A Anvers et à Liège, où il avait été gouverneur, catho-
liques et libéraux avaient loué son administration. Le cardinal
Sterckx et Mgr van Bomel le tenaient en haute estime, et
quand il partit pour Rome, celui qui se réjouit le plus de son
acceptation fut le comte d'Oultremont, l'un de ses prédéces-
seurs.
Il est intéressant de connaître les instructions qui furent
données au successeur du prince de Ligne (V. Expoaé, t. I,
p. xxxvii). Elles portent la date du 3o octobre 1849. Citons
textuellement :
Elles visent directement trois ordres de questions : 1° l'in-
dépendance du pouvoir civil, notamment sur le terrain de
l'enseignement ; 2° la transformation du clergé en corps poli-
tique ; 3° le règlement de certaines matières de droit public
d'un caractère mixte, concernant les rapports de l'Eglise avec
l'Etat. C'est à ce triple point de vue que nous aurons à con-
stater le résultat de cette mission.
Un exposé général des principes qui dirigent notre politi-
que extérieure et de l'application qui en a été faite aux
Etats du Saint-Siège forme l'introduction des instructions
du ministre belge.
« Le Gouvernement n'a pas reconnu le pouvoir issu de la
révolution romaine ; son représentant a suivi le Saint-Père à
Gaëte, et c'est là que le prince de Ligne est venu lui remettre
ses lettres de créance. Cette attitude n'était pas seulement
dictée par les règles du droit international, elle était l'expres-
sion des profonds sentiments de sympathie qu'avaient éveillés
en Belgique les généreux efforts du Pontife et ses doulou-
reuses épreuves. Elle n'a pu manquer d'être comprise à Rome;
ainsi que l'affirmait, du reste, le prince de Ligne dans une
de ses dernières communications, elle a dû dissiper bien
d'anciennes préventions. Le Gouvernement n'a rien négligé
pour empêcher toute fausse appréciation des principes de sa
i
- 54 -
politique intérieure, toute erreur au sujet des dispositions qui
l'animent à l'égard de la religion et de l'Eglise. » Après avoir
déclaré que la seule chose qui pourrait compromettre désor-
mais les bons rappprts établis avec la Cour de Rome, c'est le
développement croissant de l'action politique du clergé, et
signalé les mouvements de cette confusion des intérêts spiri-
tuels et temporels, les instructions poursuivent en ces termes :
« Il est une conviction dont il est essentiel que le Saint-Siège
soit pénétré : c'est qu'en Belgique, tout ce qui a l'apparence
d'un empiétement sur le domaine civil inquiète et blesse les
esprits, et, par une réaction naturelle, menace les intérêts
religieux eux-mêmes.
r> Qu'on s'en afflige on qu'on y applaudisse, il est un fait
qu'il faut bien reconnaître ; c'est qu'aujourd'hui s'achève parmi
nous un long travail de sécularisation. Plusieurs attributions,
confiées jadis au clergé, ont passé à l'autorité laïque ; celle-ci
jouit des unes sans partage et sans contestation; mais il
existé, pour les autres, dans les rangs des corps qui se sont vus
dépossèdes, certains regrets, certaines répugnances, certaines
espérances peut-être qui éveillent les susceptibilités et les
craintes de la société nouvelle. Que ces susceptibilités soient
légitimes ou non, que ces craintes soient bien ou mal fondées,
peu importe ; toujours est-il qu'elles existent et qu'il serait
d'une haute imprudence de n'en tenir pas compte.
y> Or, tout le monde ne parait pas être suffisamment con-
vaincu d'un danger qui est, à nos yeux, évident. De là, les
controverses auxquelles nous assistons tous les jours sur
l'application des lois relatives à la gestion des biens légués
aux pauvres et sur les questions autrement importantes de
l'enseignement primaire et de l'enseignement supérieur et
moyen.
'y> Je n'ai pas besoin de préciser l'objet et la nature des
débats auxquels je fais allusion. Vous connaissez parfaitement
les vues du Gouvernement en ces matières. Il ne vous sera
pas malaisé de les défendre, car elles ont pour base des prin-
cipes vrais et empreints d'une incontestable modération.
r> Vous rappellerez que raisonnablement l'Église n'a plus
— 55. -
rien à demander en fait de libertés. Notre pays jouit sous ce
rapport d'un régime bien autrement libéral, bien autrement
large que celui que se sont donné des Etats voisins, malgré
leur prétention de consacrer toutes les libertés. Et ces droits
si complets dans l'ordre religieux et dans l'ordre civil, il y a
bientôt vingt ans que nous en avons le paisible exercice, car
ils sont dus à cette noble assemblée dont vous avez fait partie,
Monsieur le Ministre, à ce Congx'ès national auquel la Bel-
gique reconnaissante érige un monument, symbole de patrio-
tisme et d'union. »
En d'autres termes, M. H. de Brouckere était chargé d'ob-
tenir le concours du Saint-Siège pour les projets du ministère
du 12 août 1847 ^^ matière d'enseignement, moyen et pour le
triomphe des prétentions du curé van Moorsel, de Xhavée,
contre l'évêque de Liège.
Le projet de loi sur l'enseignement moyen fut déposé à la
Chambre le 14 février i85o. Dans l'exposé des motifs de ce
projet et même dans son texte, le ministère n'affichait pas les
prétentions « sécularisatrices », qui furent ouvertement avouées
plus tard par son parti et qui alors n'étaient manifestées que
par quelques enfants perdus du libéralisme dans la presse ou
dans les clubs. Le but de la loi de i85o était de transformer
l'Etat belge en concurrent des citoyens, voués librement à
l'enseignement, et spécialement des collèges créés, pour le
salut des âmes et pour l'exaltation de la science, soit par cer-
taines congrégations religieuses, soit par l'épiscopat, soit
par des associations de citoyens catholiques. Le mo3'en d'ac-
tion de la loi proposée était la neutralisation de l'ensei-
gnement. C'était la première tentative de création, en Bel-
gique, d'une irréligion d'Etat.
Les adversaires de ce projet, les citoyens catholiques,
appuyés par les évêques, résistèrent énergiquement aux ten-
dances du Gouvernement, comme ils avaient combattu celles
du Gouvernement du roi Guillaume, celles de l'Empire et
de la République et celles de l'empereur Joseph IL, L'ar-
ticle 17 de la Constitution avait eu pour but de mettre enfin
un terme aux tentatives de l'État de s'emparer de l'ensei-
— 56 —
gnement, aux frais des contribuables. On sait que, pour
justifier des prétentions plus modernes, le parti libéral
invoque le . § second de cet article 17 : « L'instruction
r, publique donnée aux frais de l'Etat est également réglée
y> par la loi r>. Or, ce paragraphe, dans l'esprit du Congrès,
n'a en vue que l'insuffisance de l'initiative privée et ne supposé
pas l'organisation d'une vast« machine administrative destinée
à organiser un enseignement officiel à tous les degrés. Le
rapporteur de cet article au Congrès, Charles de Brouckere,
n'a pas manqué de rappeler ces principes constitutionnels
pendant la discussion de la loi de i85o. Mais le parti libéral
fit la sourde oreille et ne cessa pas de réclamer l'organisation
d'un vaste enseignement offi^ciel acatholique, sinon anticatho-
lique.
La loi sur l'enseignement primaire de 1842 avait été votée
par la presqu'unanimité des membres du Parlement, grâce à
une transaction heureuse, qui ménageait à la fois les intérêts
religieux de la nation et les prérogatives du pouvoir civil.
Mais des transactions de ce genre ne faisaient pas les affaires
de l'esprit de secte qui grandissait dans le parti libéral. On
demandait, dans les sociétés secrètes, de faire un pas de plus.
Telle était la raison d'être du projet de loi de i85o sur l'en-
seignement moyen. p]n 1878, la « revision « de la loi de 1842
sur l'enseignement primaire devait compléter le « système
libéral » : la « neutralisation », c'est-à-dire, la « sécularisa-
tion « absolue de l'enseignement donné aux frais de tous les
contribuables.
Et c'était pour atteindre un pareil résultat qu'on cherchait à
obtenir le concours, sinon la complicité du Saint-Siège
Apostolique! Je n'affirme pas carrément que MM. Rogier,
Frère et^ d'Hoffschmidt avaient, en i85o, des pensées aussi
nettement hostiles à l'Eglise et à sa mission moralisatrice et
civilisatrice ; mais je dis que telle était, pour les esprits
clairvoyants, la conséquence inévitable des projets du Gouver-
nement.
Ce n'est pas le lieu ici d'analyser longuement les actes diplo-
matiques de la mission de M. H. de Brouckere. Cette mission,
- 57 -
accomplie avec talent, zèle, modération et sagesse devait
fatalement échouer. Le Saint-Siège ne se préoccupait pas,
qu'on le remarque avec soin, du texte et de l'esprit de l'article
17 de la Constitution; de son point de vue élevé, universel,
catholique, il ne contestait pas à l'État belge le droit d'orga-
niser des établissements officiels. Préoccupé uniquement de son
devoir apostolique, il soutenait, à bon droit, qu'il ne pouvait
pas approuver une loi, dont l'application devait être, directe-
ment ou indirectement, contraire aux intérêts chrétiens de la
société.
Si les intentions du Ministère de 1847 avaient été sincères,
il n'est pas douteux qu'une entente! aurait pu se faire. Ce qui
le démontre c'est que le négociateur belge, le même M. Henri
de Brouckere, lorsqu'il prit le pouvoir quelques années plus
tard, trouva facilement les termes d'une transaction, sur cette
même question.
MM. Rogier et d'Hoffschmidt auraient, eux aussi, j'en suis
persuadé, prêté l'oreille à des propositions plus conciliantes.
Malheureusement, M. Frère, qui s'était, presque seul, opposé
à l'adoption de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire,
imprima au Ministère de 1847 ^^^^® direction plus radicale, qui
aboutit enfin à la fatale loi de 1878 sur l'enseignement pri-
maire, pour le malheur du pays et même du parti libéral.
J'ai dit un mot plus haut de l'affaire du curé de Xhavée,
lequel, si j'ai bonne mémoire, avait été le' client de M. Frère,
alors avocat près la Cour de Liège. La discussion de ce des-
servant avec son évêque était du ressort exclusif de l'autorité
religieuse. Et cependant le Gouvernement, dont M. Frère
faisait partie, eut la pensée bizarre de s'en mêler et de faire de
cet objet un paragraphe spécial des instructions de M. de
Brouckere. L'aveuglement du Cabinet libéral de Bruxelles
alla si loin qu'il osa proposer au Saint-Siège la création en
Belgique d'un tribunal canonique, qui aurait connu des con-
testations entre les desservants, inamovibles ou non, et leur
évêque. Ai-je besoin de dire que ce projet gallican d'interven-
tion de l'État belge dans les affaires intérieures de l'Eglise
vint échouer contre le bon sens et la sagesse du Saint-Siège ?
— 58 —
Le troisième point des instructions de M. de Brouckere
concernait « la transformation du clergé en corps politique " .
Le Ministère du 12 août 1847 s'était fait l'écho d'une des accu-
sations les plus banales de son parti : défendons l'indépen-
dance du pouvoir civil contre les empiétements du clergé. Le
vague de cette grosse accusation en faisait la principale valeur.
II est naturel que, dans un pays profondément catholique, les
prêtres catholiques possèdent une certaine influence, même
politique. Sous l'empire des lois de i83o, les prêtres jouissent
de facultés politiques comme tous les citoyens ; et s'ils en
usent, ils exercent un droit. Pourquoi alors « l'indépendance
du pouvoir civil ^ serait-elle plus menacée par les citoyens
prêtres catholiques que par les citoyens francs-maçons? Les
libéraux, en déclamant sur « l'indépendance du pouvoir civil »,
n'ont jamais pu citer des faits positifs à l'appui de leurs accu-
sations. En réalité, ils n'ont fait au clergé qu'un procès de
tendance.
Je ne voudrais pas affirmer cependant que depuis i83o
nous n'ayons pas assisté à tel ou tel abus que faisaient de
leur autorité spirituelle et même de leurs droits politiques tels
ou tels membres du clergé catholique belge. Je me plais à
constater, en même temps, que ces faits ont été très rares.
J'affirme aussi qu'ils n'ont jamais été approuvés à Rome.
Chaque fois qu'ils ont été officiellement signalés à l'attention
soit de Grégoire XVI, soit de Pie IX, soit de Léon XIII, par
la légation du Roi au Vatican, la réponse a toujours été la
même : nous ne voulons pas à Rome que les prêtres belges
sortent de leur rôle spirituel.
Seulement, il faut bien s'entendre ici sur les termes.
Quand un évêque, faisant usage de ses droits civils et
politiques, signale à la vigilante attention de ses diocésains
les funestes conséquences que doit avoir, pour la foi et pour
l'église, telle ou teUe loi sur l'enseignement, ou telle ou telle
loi sur le temporel du culte, il ne manque pas de libéraux
qui crient au secours contre les empiétements du clergé sur
le domaine du pouvoir civil.
A ce compte là, il n'y aurait plus en Belgique qu'une seule
- 59 -
catégorie de « bons prêtres ", ceux qui ne font pas leur
devoir sacerdotal, ou ceux qui font chorus avec les incroyants
et les adversaires de l'Eglise.
L'Exposé de M. Frère est rempli de citations qui prouvent
que Jamais les excès constatés des prêtres catholiques n'ont
été ni approuvés ni encouragés à Rome, et que toujours le
Saint-Siège a promis son concours au Gouvernement belge,
pour contenir l'influence sociale et politique du clergé dans
des bornes légitimes. '
A ce point de vue seul, la permanence dé nos relations
diplomatiques avec la Cour de Rome a été d'un prix inesti-
mable.
Il m'est toutefois désagréable de constater que la mission
de M. H. de Brouckere, si maladroitement préparée et ^i
inhabilement soutenue à Bruxelles par le Gouvernement belge,
n'eut pour nous aucun résultat utile, et cela par la faute même
de nos gouvernants. L'inhabileté, l'inexpérience et la pré-
somption de ceux-ci exposèrent M. de Brouckere, qui méri-
tait mieux, à des insuccès qu'on aurait pu si- aisément lui
éviter.
L'auteur de V Exposé fait grand état d'un passade de l'allo-
cution prononcée, conformément aux antiques traditions du
Saint-Siège apostolique, par le Pape Pie IX dans le con-
sistoire secret du 20 mai i85o. Voici ce passage :
<i Nous ne pouvons nous défendre, dans notre sollicitude
» paternelle pour l'illustre nation des Belges, qui s'est tou-
y^ jours fait remarquer par son zèle pour la religion catho-
n lique, de témoigner notre douleur à la vue des périls qui
» menacent chez elle la religion catholique. Nous avons la
» confiance que désormais son Roi sérénissime et tous ceux
y qui dans ce royaume tiennent lé timon des affaires réflé-
» chiront, dans leur sagesse, combien l'Eglise catholique et sa
y doctrine servent à assurer même la tranquillité et la prôs-
" périté temporelle des peuples ; qu'ils voudront conservëi*
y^ dans son intégrité la force salutaire de cette même Eglise
« et s'attacheront à protéger et à défendre les saints prélats
r^ et les ministres de cette Eglise et à lés seconder dans leur
» œuvre bienfaisante!. y> ...
— 6o —
Ce langage modéré, calme et paternel n'était pas de nature
à inquiéter la conscience d'hommes d'Etat bien avisés. Le
Cabinet de Bruxelles y découvrit les plus noires intentions et
même de la perfidie. En effet, cette allocution ne fut publiée
que le 25 mai, le lendemain du jour où M. de Brouckere avait
quitté Rome pour jouir d'un congé. Le i5 mai, il avait vu le
cardinal Antonelli, qui s'était montré satisfait de ses explica-
tions dernières, mais ne dissimulait pas les inquiétudes que
lui inspirait la création d'un vaste système d'établissements
officiels, dont la concurrence écraserait les collèges libres
catholiques. Cependant, Sa Sainteté avait reconnu que cette
considération ne pouvait être opposée à l'État belge comme
un motif d'exclusion (ceci est à noter). Dans une dépêche
adressée en ce même jour à M. d'Hoffschmidt, M. de Brouc-
kere écrivait " que la Cour de Rome persistera dans le silence
y> et l'abstention qu'elle a observés jusqu'ici, et que ses rela-
xations avec le Gouvernement continueront à être aussi bien-
r veillantes qu'elles l'ont été à aucune époque » . Il était con-
vaincu, de plus, que le nouveau nonce, Mgr Gonella, « arri-
» vera à Bruxelles avec des instructions très conciliantes » .
Le lendemain de l'allocution, le 21 mai, M. de Brouckere eut
une audience du Pape et s'attacha de nouveau à rassurer Sa
Sainteté sur la portée du projet de loi sur l'enseignement
moyen. Pie IX lui répondit qu'il avait appris avec satisfaction
les modifications que le projet avait subies au sein de la
Chambre des représentants, mais qu'elles ne le rassuraient
pas entièrement. Comme de juste, le Pape ne dit rien de l'al-
locution prononcée dans un consistoire secret. M. de Brouc-
kere, dans une dépêche du 22 mai à M. d'Hoffschmidt, écrivit :
« On assure que l'allocution a été très modérée, même sur les
» affaires du Piémont y>. Ce qui était la vérité.
L'auteur de VExposé considère ces faits si simples comme
s'ils démontraient toute une ténébreuse intrigue, combinée par
la Cour de Rome pour jouer et M. de Brouckere et le Cabinet
de Bruxelles. M. d'Hoffschmidt, le ministère, la majorité
parlementaire, le parti libéral protestèrent bruyamment, et
demandèrent satisfaction, comme si le Pape avait voulu les
— 6i —
injurier. Le passage cité de l'allocution, un document exclusi-
vement religieux, œuvre personnelle du Souverain Pontife,
n'était ni injurieux, ni injuste, ni même blessant. Le Pape y
exprimait, dans une forme très légitime, les vœux les plus
sincères en faveur du bonheur de la Belgique et de la pacifica-
tion religieuse. L'esprit de parti chercha dans ces paternelles
paroles une portée désagréable pour l'envoyé belge ; mais en
vain : elles n'atteignaient en aucune façon ni son caractère, ni
sa personne, ni ses talents diplomatiques.
M. H. de Brouckere, personnellement estimé par le cardinal
Antonelli, secrétaire d'Etat, et comblé de faveurs par le Pape
Pie IX, quitta Rome le 25 mai i85o, et il n'y reparut plus.
Pendant deux ans encore, il resta accrédité, en fait, auprès
de divers États italiens, et en droit auprès du Saint-Siège.
Le Cabinet de Bruxelles, mécontent, ne nomma pas de
nouvel agent. M. de Meester de Ravestyn, destiné, semble-
t-il, à faire toutes les mauvaises commissions, fut nommé
chargé d'affaires et resta à Rome jusqu'en iSSy. Le Cabinet
de Bruxelles, seul responsable de la diminution de notre
influence auprès du Saint-Siège, bouda. Les nonces, Saint Mar-
san d'abord et Gonella ensuite, continuèrent à résider à
Bruxelles ; mais nos relations directes avec la Cour de Rome
furent minces et sans portée, malheureusement pour nous.
Henri-Gislain-Joseph-AIarie de Brouckere, né à Bruges le
24 janvier 1801, est un des fils de Charles de Brouckere, qui
fut, sous l'Empire, Président de la Cour impériale de Bruxelles,
membre du Corps législatif de France, et, sous le gouverne-
ment des Pays-Bas, Gouverneur de la province de Limbourg,
Conseiller d'Etat, membre de la première Chambre des Etats-
Généraux, membre de l'Ordre équestre de la Flandre occiden-
tale, et de Charlotte de Stoop. Il fit ses études au lycée de
Bruxelles et au collège de Maestricht, où il remporta le prix
d'excellence en rhétorique, et à l'université de Liège où il
obtint en 1820 la médaille d'or dans le concours de droit au-
quel pouvaient prendre part les élèves de six universités
du royaume des Pays-Bas. Nommé substitut du procureur
du Roi près le tribunal de Maestricht en i832, avec dis-
— 62 ^
pense d'âge, il fut promu procureur du Roi près le tribunal
de Ruremonde en 1823, avec une nouvelle dispense d'âge.
Un procureur du Roi de 22 ans ! Il était encore à Rul^emonde
quand survinrent les événements de i83o. Sans rompre ouver-
tement avec le gouvernement des Pays-Bas, il se laissa élire
membre du Congrès national, en se conformant scrupuleu-
sement au texte et à l'esprit de la proclamation du prince
d'Orange. On connaît ce document intéressant :
«« Belges !
" Depuis que je me suis adressé à vous par ma proclama-
,tion du 5 du présent mois, j'ai étudié avec soin votre posi-
tion, je la comprends et vous reconnais comme Nation
indépendante ; c'est vous dire que dans des provinces mêmes
où j'exerce un grand pouvoir, je ne m'opposerai en rien à
vos droits de citoyens ; choisissez librement et par le même
mode que vos compatriotes des autres provinces, des députés
pour le Congrès national qui se prépare et allez-y débattre
les intérêts de la patrie.
" Je me mets ainsi, dans les provinces que je gouverne, à
la tête du mouvement qui vous mène vers un état de choses
nouveau et stable, dont la nationalité fera la force.
" Voilà le langage de celui qui versa son sang pour l'indé-
pendance de votre sol, et qui veut s'associer à vos efforts
pour établir votre nationalité politique.
n Donné à Anvers le 16 octobre i83o.
« Guillaume, prince d'Orange. "
Les événements trahirent les bonnes et loyales intentions
du prince d'Orange. Le Congrès national se tranforma immé-
diatement en Assemblée constituante. M. de Brouckere,
devenu l'un de ses secrétaires, donna sa démission de procureur
-^ 63 —
du Roi et fut nommé conseiller à la Cour d'appel de Bruxelles.
En i83i,il fut élu membre de la Chambre des représentants.
Puis il devint successivement gouverneur de la province d'An-
vers en 1840, gouverneur de la province de Liège en 1844,
ministre d'État, en 1849 et, la même année, envoyé extra-
ordinaire et ministre plénipotentiaire à Rome et auprès des
Cours d'Italie. En 1 852, le Roi le nomma chef de Cabinet et
ministre des affaires étrangères.
Dans sa verte vieillesse, M. Henri de Brouckere, jouissant
de toutes ses facultés intellectuelles, préside encore régulière-
ment les séances du conseil d'administration de la Caisse
d'épargne et du conseil d'administration du Crédit communal.
Il est avec MM. Leclercq et de Lehaye, tous deux plus âgés que
lui, un des derniers et des plus nobles représentants des
« libéraux de i83o ». Comme M. Leclercq il est aveugle
depuis une dizaine d'années ; mais son intelligence claire et
lucide ne souffre en aucune façon de cette infirmité, qu'il
supporte avec une résignation vraiment charmante.
M. Henri de Brouckere avait une sœur et deux frères.
L'un de ceux-ci mourut jeune : il était fonctionnaire au départe-
ment des affaires étrangères. L'autre frère fut Charles De Brou-
ckere, le populaire bourgmestre de Bruxelles. La soeur est
morte religieuse au monastère des chànoinesses régulières de
Saint-Augustin de Berlaymont.
Haulleville.
Si«»fflf,,V,!l"Ens,Tv
3 "97 22465 9265
"A
,_/mv.
, 1^7Vf' ;;"^'yOfe