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FILLES NOBLES
ET
MAGICIENNES
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
DU MÊME AUTEUR
Format in-18.
LES MŒURS ET LA VI£ PRIVÉE d'aUTREFOIS.
I. NOS ANCÊTRES CHEZ EUX 1 VOl.
II. AUBERGES ET SALONS —
m. FILLES NOBLES ET MAGICIEMNES. ... —
Droits de traduction et de reproduction réservés
pour tous les pays.
Copyright, 1913, by calmann-lévy.
E. GREVIN — IMPRIMERIE DE LAGNY
LES MŒURS ET LA VIE PRIVÉE D'AUTREFOIS
FILLES NOBLES
ET
MAGICIENNES
PAR
HUMBERT DE GALLIER
'I;
PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, RUE ACBER, 3
Pc:-
33
PRÉFACE
Je dois au public qui veut bien suivre mes
études sur les mœurs et la vie privée d'autrefois,
une courte explication au sujet du titre choisi
pour le présent volume. Bien que je ne me pique
pas d'une logique rigoureuse dans le groupement
de ces diverses études, il pourrait paraître étrange
que j'aie réuni, au point de les confondre, dans un
même ou\Tage, celles ayant trait aux filles de
la noblesse et celles qui concernent les diseuses
de bonne aventure. Serait-ce donc qu'après avoir
suivi ces jeunes filles dans les trois carrières
a
il PRKFACE
qui s'ouvraient à elles, le plus ordinairement, à
savoir : le Chapitre noble, le couvent et le mariage,
j'aurais prétendu insinuer qu'à défaut de ces
trois voies également respectables, elles n'avaient
plus d'autre ressource que de se rejeter sur un
métier fort décrié alors, et que, n'ayant pu ou
voulu être chanoinesses, religieuses ou mères de
famille, elles se faisaient magiciennes? On ne le
croira pas.
Mais puisque aussi bien il ne sera question ici
que de femmes, en dépit de l'impertinence appa-
rente, peut-être n'était-il pas tout à fait inconsé-
quent, de les montrer ailleurs que dans les cloî-
tres ou dans les salons de la maison familiale, en
cet endroit où elles couraient si volontiers, sans se
cacher trop, en cet endroit où les attiraient à la fois
leur amour du merveilleux, la curiosité naturelle
à leur sexe, et souvent les soucis galants, c'est chez
la sorcière que je veux dire.
Étudiant la vie féminine sous l'ancien régime,
il ne se pouvait guère qu'on passât sous silence
ou que l'on parût ignorer l'importance considé-
rable que la société du xvi% du xvii% du xviii' siè-
cles, et précisément les femmes, attachaient à
la magie, à la sorcellerie, à la divination. Dirai-
je que c'est par ce côté que beaucoup de uos
PREFACE III
femmes d'aujourd'hui se reconnaîtront dans leurs
aïeules? Elles ont perlu jusqu'au souvenir du
charme discret et pénétrant des asiles distin-
gués que l'on appelait les Chapitres nobles; nos
jeunes filles modernes (qui le leur reprocherait ?)
manquent d'ardeur pour le cloître ; nos maîtresses
de maison semblent peu soucieuses en général
de ressusciter les traditions perdues et s'accom-
moderaient mal d'obligations et de devoirs qu'elles
estiment trop lourds, à moins qu'une disposition
d'esprit fort à la mode les leur fasse juger infé-
rieurs et peu compatibles avec leur dignité ; mais
toutes ou presque toutes, femmes et jeunes filles,
comme au bon vieux temps, continuent d'aller
chercher des avis, des conseils et des consolations
chez les pythonisses en vogue. La Chesnault ni
Lenormand ne sont mortes, et Cagliostro est tou-
jours roi!
On m'excusera donc de « confondre les genres »,
comme aurait pu dire le regretté Brunetière,
et d'avoir fait voisiner, sans souci des conve-
nances, dans un même volume, de vénérables
chanoinesses et d'impudentes tireuses de cartes.
De telles rencontres seraient bien pour dérouter
le lecteur, si j'avais apporté la moindre malice à
les favoriser. Mais la faute, si faute il y a, incombe
IV PREFACE
tout entière à une actualité, que, d'ailleurs, je n'ai
point recherchée et qui, fort au contraire, s'est
imposée à moi. Car l'histoire, chacun le sait, de
quelque côté qu'on l'envisage et si minces soient
les détails par lesquels on s'évertue à la reconsti'
tuer, se rattache toujours à l'actualité, puisque
l'histoire, en somme, c'est de la vie.
Paris, juin 4913.
FILLES NOBLES
ET MAGICIENXES
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES
Parmi tant d'institutions qui se sont éva-
nouies au souffle brutal de la Révolution, et au
nombre des plus regrettables, il faut compter
les chapitres nobles de filles. Ces asiles, qui
n'étaient point des couvents, où beaucoup de
jeunes filles ne faisaient que passer, le temps
seulement, dirait-on, d'y goûter le charme pé-
nétrant d'une existence semi-religieuse, avant
de s'engager dans les réalités prosaïques de la
vie mondaine, et où tant d'autres, déshéritées
du sort, trouvaient l'abri définitif, étaient mer-
veilleusement adaptés aux idées, aux habi-
tudes, au concept général de la vie d'autrefois.
1
2 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
II serait téméraire d'affirmer que de tels lieux
de quiétude n'auraient pas leur utilité aujour-
d'hui encore. Mais sans doute leur reconstitu-
tion s'accommoderait-elle assez mal de nos
illusions démocratiques.
Combien sensées pourtant (et l'on pourrait
ajouter, si ce mot n'était affreux), combien
utilitaires, ces maisons de retraite volontaire,
assez fermées pour que, aux chanoinesses qui
désiraient la paix religieuse ou l'oubli de quel-
que infortune, les bruits du monde n'arrivassent
que singulièrement apaisés et ouatés, assez
ouvertes sur la vie cependant, pour que celles
qui considéraient de telles maisons comme un
simple lieu de passage, y fussent agréablement
diverties par ces bruits sans en être étourdies.
Volières parfois somptueuses, d'ordinaire très
simples, dont on savait bien que les grilles
n'étaient point trop serrées, et que la porte en-
tre-bâillée permettait aux oiseaux de s'envoler à
leur aise ; cages sans maussaderie où il était
loisible aux prisonnières de se blottir tout au
fond, dans le recueillement et la prière, ou de
mettre la tête aux barreaux dans l'attente du
prince charmant.
A ces considérations d'ordre moral, on en
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 6
pourrait joindre d'autres sur les facilités que
procuraient aux jeunes filles pauvres des asiles
où elles trouvaient, parmi d'autres femmes de
leur monde et dans une société choisie, le
moyen de vivre honorablement, en dépit d'une
modicité de ressources qui n'étonnait personne
puisqu'elle était commune à toutes.
Tels étaient, sans s'attarder à d'autres ré-
flexions, quelques-uns des avantages de cette
institution des chapitres nobles dans lesquels
nous allons essayer de pénétrer, puisque aussi
bien la porte n'en est pas rigoureusement
close au profane.
Ce que c'était que les chapitres nobles. — Nomina-
tion des abbesses par le roi. — Nécessité de trans-
former certains couvents en institutions plus souples.
— Entorses données à la règle. — Difficultés entre
religieuses et évéques. — Montfleury et l'évéque
Le Camus. — Madame de Rochechouart et l'auto-
rité ecclésiastique. — Une lettre de madame de Main-
tenon. — Les démêlés de Bossuet et des abbesses de
Jouarre. — Tendance des couvents à se soustraire à
la domination épiscopale. — Pourquoi les rois sou-
tiennent les couvents. — Le sort des filles de la no-
blesse sous l'Ancien régime. — Les vocations. — Il ne
faut rien exagérer. — Les jeunes filles n'étaient pas
contraintes d'entrer dans les cloîtres. — Dispositions
légales sauvegardant leurs intérêts. — Motifs qui
poussent les parents à désirer la sécularisation de
plusieurs monastères. — Établissement des cha-
pitres nobles. — Chapitres réguliers et chapitres
sécularisés. — Comment s'obtenait la sécularisation.
— Oppositions et protestations diverses.
FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Avant de pousser la grille qui ouvre sur la
cour du monastère, établissons nettement La
différence qu'il y avait entre les abbayes pro-
prement dites et les chapitres noblesx
Plusieurs de ces chapitres avaient été primi-
tivement des abbayes, c'est-à-dire des couvents
réguliers soumis aux règles habituelles de
l'Eglise, et occupés par des religieuses ayant
fait leurs vœux. Des abbayes pas plus que de
nos couvents modernes, les religieuses ne
pouvaient revenir dans le monde, ni aban-
donner le costume, ni se délier des vœux, sans
une autorisation spéciale de Rome. Mais à
mesure que le pouvoir royal s'était étendu et
fortifié, il ne lui avait pas déplu de substituer
dans la mesure du possible son autorité à celle
de l'Eglise, en tout ce qui ne concernait pas
les questions de dogme pur. C'est ainsi que
François I®'', en 1516, par le concordat passé
avec le pape Léon X, avait obtenu le droit de
nommer à toutes les abbayes françaises,
d'hommes et de femmes, sauf à celles de
Gluny, Cîteaux et Prémontré. 11 existait donc
deux sortes d'abbayes, les abbayes en règle,
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 7
OÙ le droit d'élection avait été conservé, et les
abbayes royales où le roi nommait l'abbé ou
l'abbesse. Depuis longtemps d'ailleurs, malgré
les protestations de la cour romaine, les abbés
commendataires, laïques tonsurés et hauts per-
sonnages, négligeaient de recevoir les ordres
dans l'année ainsi que l'Eglise leur en faisait
un devoir strict. Ils restaient laïques et se
contentaient de toucher les revenus de leurs
abbayes, renonçant à exercer les pouvoirs spi-
rituels qu'ils déléguaient au prieur claustral.
En dépit de la nomination des abbesses par
le roi, les abbayes demeuraient des couvents
réguliers. Sans doute les règles de saint
Benoît avaient subi nombre de modifications, et
des abus de toutes sortes, peu à peu, s'étaient
glissés qui en atténuaient singulièrement les
sévérités. Ce n'en était pas moins des couvents,
dont la claustration et les vœux constituaient
toujours les principes immuables.
Sachant combien était considérable autre-
fois le nombre des jeunes filles qui entraient au
couvent (et nous ne parlons même point ici de
celles que l'on contraignait de s'y enfermer, ce
qui était beaucoup plus rare en somme qu'on ne
le croit) sans vocation bien déterminée ou sans
5 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
vocation aucune, uniquement pour des raisons
de convenance, d'ambition ou simplement
d'argent, faut-il s'étonner que beaucoup d'entre
elles aspirassent après des règles moins rigou-
reuses, plus élastiques? Gomment être surpris
qu'elles désirassent surtout être libérées de ce
cauchemar qu'était pour plusieurs le caractère
irrévocable de vœux éternels? De là à chercher
un adoucissement à leur claustration et à
souhaiter la transformation du couvent en une
institution plus souple qui leur permît à la
fois de vivre dans la paix et la retraite, mais
sans obligation définitive et d'avoir un pied
dans le monde, il n'y avait pas loin.
Au vrai, ces aspirations ne se firent pas jour
d'abord sous une forme bien précise. C'est
par des entorses continues données aux règles,
par des réclamations dé plus en plus pressantes
adressées aux évêques, dont l'autorité parfois
un peu rude leur pesait, que certaines mo-
niales arrivaient insensiblement à l'affranchis-
sement relatif, souhaité, entrevu, mais non
point défini.
Dans ces querelles fréquentes les mettant
aux prises avec l'autorité épiscopale sur des
détails de règlement qui, à distance, nous
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 9
paraissent un peu puérils, mais où les abbesses,
très jalouses de leurs droits réels ou supposés,
apportaient d'autant plus de hauteur et de téna-
cité, semble-t-il, qu'elles étaient moins sûres
peut-être de l'excellence de ces droits, la pro-
tection royale leur faisait rarement défaut.
Lors de la lutte entreprise par les religieuses
de Montfleury contre l'évêque de Grenoble,
Le Camus, qui prétendait avec quelque appa-
rence de raison, leur interdire des libertés
qu'elles avaient prises, notamment de s'affran-
chir de la clôture, de donner des concerts à
voix et instruments et de recevoir à leur table
des séculiers, lutte fort longue, fort aigre, au
cours de laquelle les combattants témoignèrent
d'une égale ardeur, toute la noblesse du pays
se range derrière la prieure, madame de la
Groix-Ghevrières, et le roi lui-même, interve-
nant en sa faveur, annule l'ordonnance de
l'évêque K
Un fait identique se produit en 1701 à Fon-
tevrault. L'évêque ayant manifesté l'intention
de rappeler les dames de cette abbaye à une
observance plus stricte de leurs statuts, l'ab-
1. Henri de Mailiefaud : Recherches historiques sur le
monastère royal ou chapitre noble de Montfleury (1837).
1.
10 FILLES NOBLES ET MAGICIEi^XES
besse, madame de llochechouart, lance contre
lui trois mémoires énergiques dans lesquels elle
s'efforce de démontrer et de défendre ses pré-
rogatives en ces matières. Elle implore la pro-
tection du roi, et demande qu'il « lui plaise de
faire finir une bonne fois une prétention qui
jusqu'ici n'a aucun fondement et qui ne va
qu'à troubler la paix, la discipline du cloître et
le repos des consciences ». Elle menace d'en
appeler au parlement, multiplie les suppliques
au roi, s'agite, se démène comme un beau
diable, dirait-on, n'était le respect. Or, non seu-
lement le roi lui donne raison, mais encore elle
obtient l'approbation de madame de Maintenon,
rigide pourtant en de telles matières qui tou-
chent de si près à la religion. Voici la lettre,
curieuse à plus d'un titre, qu'adressait à l'ab-
besse, à propos de cette affaire, la sévère gar-
dienne des traditions catholiques : « Le roi
m'ordonne, madame, de vous mander qu'il a
lu votre lettre avec attention, qu'il trouve bon
que vous disiez vos raisons à M. le Chancelier
et que, bien loin de vous retrancher ce qui est
permis aux autres, il vous accorderait volon-
tiers par son inclination ce qu'il refuserait au
reste du monde. .le me réjouis avec vous,
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 11
madame, de cette continuation de la considé-
ration que j'ai toujours vue au roi pour vous*.»
On sait les démêlés qui surgirent entre
Bossuet et mesdames Henriette de Lorraine et
Marguerite de Rohan, successivement abbesses
de Jouarre. Ces dames prétendaient recevoir
les religieuses au gré de leur propre volonté,
sans avoir recours au scrutin prévu par les
règlements. L'évèque protestait de toutes ses
forces contre un tel abus, mais ses exigences,
si légitimes qu'elles fussent, se heurtèrent de
la part des abbesses à une opposition que la
cour soutenait en dessous*. D'autres chapitres,
celui de Salles, en particulier, entrèrent en
discussions vives avec l'autorité ecclésiastique.
Mais il est juste d'ajouter que ces discussions
allèrent rarement jusqu'à la révolte ouverte,
ainsi qu'il advint à Remiremont où les dames
encoururent l'excommunication temporaire
pour avoir, aidées de leurs petites servantes,
leurs « bourguignottes », démoli à coups de
hache une porte de clôture qu'on voulait leur
imposera
1. Archives nat., L. 1019, dossier 7.
2. H. Tiercelin, Le monastère de Jouarre.
3. Eugène Méhu, Salles en Beaujolais.
12 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
La tendance des couvents à se soustraire à
l'autorité épiscopale ne cesse de s'accentuer
depuis la fin du xvi" siècle. Nommées par
lettres patentes et tirées souvent de monas-
tères étrangers, les abbesses prenaient posses-
sion de leur siège comme des chefs militaires
eussent pu le faire de leur gouvernement*.
D'autre part, les rois de France s'accommo-
daient de moins en moins des entraves
qu'avait laissé subsister le concordat de lol6.
Pour légères qu'elles fussent, ils les jugeaient
trop étroites encore, et bien éloignés pourtant,
cela va sans dire, de toute préoccupation anti-
religieuse, ils cherchaient néanmoins à les
détendre, sinon à les secouer tout à fait et à
s'en débarrasser. Si, d'avoir été trop long-
temps triturés dans les « mares stagnantes »,
les mots de « cléricalisme » et « d'anticlérica-
lisme » n'avaient perdu leur exacte et précise
signification, il serait juste de dire que les
gouvernements de Louis XIV et de Louis XV
furent nettement anticléricaux. La volonté
ferme de rattacher directement au pouvoir
royal tout ce qui, sans froisser les consciences
1. H. Tiercclin, Le monastère de Jouarre, op. cit.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 13
et sans diminuer en rien l'autorité morale du
clergé, non plus que sa situation matérielle,
pouvait être distrait de son omnipotence, se
poursuit constamment au cours du xvii' et du
xviii^ siècles. On en suit la trace dans les
affaires les plus graves comme dans les événe-
ments mesquins en apparence dont nous avons
cité quelques exemples.
Dans ces conditions, et ces deux tendances
bien établies : tendance des religieuses à se
libérer plus ou moins de l'autorité des évo-
ques en vue d'adoucir dans une certaine
mesure les rigueurs de la règle monastique;
tendance de la couronne à s'affirmer de plus
en plus prépondérante jusque dans les ques-
tions touchant à la religion, sinon au dogme,
les demandes de sécularisation devaient fata-
lement se multiplier. Le gouvernement leur
faisait bon accueil et les appuyait avec énergie,
quand d'ailleurs il ne les provoquait pas lui-
même.
Il avait pour cela d'autres raisons encore
que celles que je viens d'indiquer. A bon
droit, il se préoccupait du sort des filles de la
noblesse, auxquelles on avait trop peu songé
jusqu'à la fin du xvi« siècle. Au Moyen âge,
il FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
époque de grande foi, il avait paru tout naturel
que les jeunes lilles, quand leur mariage
n'était pas utile à la fortune ou à la grandeur
de la maison, se consacrassent à Dieu et pas-
sassent leur temps à prier tandis que les pères
et les frères, à grands coups d'épée, se taillaient
des fiefs ou, rangés derrière la bannière royale,
conquéraient peu à peu les territoires dont la
réunion devait former un jour le « doux pays
de France )>. En ces siècles de luttes, la
femme ne pouvait avoir que deux destinées : la
maternité ou le cloître. Dans la société d'alors,
il n'y avait point de place pour d'autres
femmes que la mère ou la religieuse. Durant
les périodes qui suivirent, ce xv" siècle tout
fumant des guerres contre l'étranger, ce
xvi" siècle tout sanglant des guerres fratri-
cides, la royauté souvent aux abois, réduite à
se défendre, obligée de veiller au salut du pays
comme au sien propre, pouvait-elle s'attarder
à l'étude de questions secondaires auxquelles
l'intérêt général n'était pas lié et qui n'allaient
à rien de plus qu'à fournir quelques avantages
à un certain nombre de filles nobles, cadettes
de bonnes maisons.
Il en est autrement au xvii® siècle. La
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 15
monarchie définitivement assise, délivrée des
dangers pressants venus de Textérieur ou du
sein de la France, peut à loisir condescendre à
des réformes d'administration intérieure. Il ne
lui échappe pas que la situation des tilles de la
noblesse est douloureuse, que le couvent con-
sidéré comme le refuge naturel de toute cette
jeunesse désemparée apparaît à beaucoup
comme une prison mal déguisée et imméritée.
Quelques scandales retentissants ont montré
que la règle monastique n'oppose qu'une bien
faible barrière aux cœurs sensibles qu'une
vocation sincère n'a pas détachés des choses de
ce monde, et que les passions humaines, se
riant des clôtures, viennent trop souvent cor-
rompre les âmes quand celles-ci ne sont point
pénétrées par l'àpre douceur du renoncement
et du sacrifice. Puis, la foi, pour sincère
qu'elle soit encore en France au temps de
Louis XIV parmi les gens de qualité, n'a plus
cette ardeur, cette profondeur, cette pureté
par quoi s'est distinguée la foi du Moyen ùge,
non plus cette énergie batailleuse que lui a
redonnée la lutte contre le protestantisme. Les
monastères, où les jeunes filles d'alors entraient
avec élan, comme dans des lieux sacrés où les
16 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
appelait la voix de Dieu, ne semblent plus
aux jeunes filles du xvii® siècle que des
retraites moroses auxquelles les condamnent
les exigences de leur situation, les conve-
nances, parfois l'avarice de leurs parents. A
beaucoup, à trop de celles qui prennent le
voile désormais, il manque la spontanéité des
sentiments, la volonté de s'immoler — la voca-
tion.
Ne poussons pas cependant les choses trop au
noir. L'opinion générale est que le monastère
offrait autrefois un moyen commode et, pour
ainsi dire, usuel, de se débarrasser des filles et
des garçons que, pour une raison ou pour une
autre, on ne parvenait pas à marier. Il res-
terait à savoir si cette opinion repose sur une
base solide. N'a-t-on pas un peu exagéré?
Quand la Harpe, dans sa Mélanie, et Chénier,
dans sa Victime cloîtrée peignaient sous des
couleurs si sombres la barbarie des parents
en ces circonstances, ne dépassaient-ils pas
la mesure ? On ne saurait oublier que l'or-
donnance de Blois et le concile de Trente
avaient pris certaines dispositions sauvegar-
dant l'intérêt des jeunes filles et jeunes gens
en leur permettant de se pourvoir devant
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 17
l'évêque pour faire déclarer leurs vœux nuls si
la contrainte ou quelque autre motif les y
engageait. Des témoignages particuliers mon-
treront que cette dureté des parents souffrait
du moins des exceptions. Dans son Livre de
raison, Jean d'Aguesseau, trésorier de France,
dit : « Marguerite, notre fille, ayant témoigné
vouloir être religieuse, nous l'avons fait
revenir chez nous pour mieux connaître sa
vocation ; à quoi ayant toujours persisté, elle
entre à la Visitation et prend l'habit* (1656). »
€ Si j'eusse eu de la tentation pour le monde,
écrira mademoiselle de Ventadour, qui m'eust
pu forcer d être religieuse-? » Grégoire de
Viviers met ses trois filles au couvent, « après
avoir éprouvé leur vocation pendant deux
ans^ ».
D'autre part, voici la présidente Murât qui
écrit en 1778 : « On m'a mandé la vocation de
mademoiselle Brison pour être religieuse à
Sainte-Marie, ce qui m'a étonnée, aujourd'hui
1. Livre de raison de deux seigneurs picards, publié par
A. Ledieu.
2. Lettre de mademoiselle de Lévis-Ventadour à M. de
la Grange, 31 juillet 1616. (Arch. du château du Vergier.)
3. Livre de raison de F. du Viviers.
18 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
que les demoiselles les moins riches prennent
peu ce parti'. »
Mais revenons à notre sujet.
Dans les familles comme à la cour, les aven-
tures fâcheuses dont plusieurs monastères
avaient été le théâtre avaient retenti de façon
désagréable^. Presque aussi péniblement frap-
paient les nouvelles chaque jour plus fré-
quentes de demandes de relèvement de vœux
introduites à Rome.
Aussi bien les parents ne sont pas insen-
sibles aux plaintes de leurs filles. Maintenant
il leur paraît presque aussi cruel qu'à elles-
mêmes de ne leur réserver que le triste avenir
delà claustration. L'heure semble donc venue
d'atténuer la rigueur du dilemme où la société
les a enfermées jusqu'ici : mariage ou monas-
tère. Entre l'état de femme mariée et celui de
nonne, n'était-il pas possible d'établir une sorte
1. Lettre de la présidente Murât à mademoiselle de Fran-
quières, janvier 1777. (Arch. de Cibeins.)
2. « J'ay cogneu, disait déjà Brantôme, de son temps, une
abbesse de Tarascon, sœur de madame d'Uzès, de la mai-
son de Tallard, qui se défroqua et sortit de religion à l'âge
de plus de cinquante ans et se maria avec le grand Chanay,
qu'on a veu grand joueur à la cour. Force autres reli-
gieuses ont fait de tels tours, en mariage ou autrement. »
{Brantôme, Des Dames, t. IX, p. 332.)
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 19
de situation mixte en quelque sorte, qui
permît aux jeunes filles de vivre dans une
retraite honorable sans leur enlever à tout
jamais la faculté de rentrer dans le monde et
de s'y créer un foyer? De là l'institution des
chapitres nobles séculiers, qui atteignait parfai-
tement le but que l'on s'était proposé. Nous
avons déjà dit un mot des avantages que pré-
sentait la sécularisation de certaines abbayes.
Il nous faut y revenir rapidement. Au lieu de
végéter chez elles, dans la maison familiale
devenue la propriété d'un frère marié, ou de
se lier par des vœux irrévocables, les jeunes
filles désormais allaient trouver dans les cha-
pitres nobles un abri paisible oii elles se ren-
contreraient avec d'autres femmes de leur con-
dition, une communauté qui n'exigeait aucun
engagement et où, dans une certaine mesure
cependant, elles se voyaient sauvegardées des
séductions du monde et de ses calomnies. De
semblables institutions, il faut le reconnaître,
s'harmonisaient exactement avec les coutumes
d'alors, avec les règles de succession, avec l'or-
ganisation même de la société . Elles étaient mie ux
qu'une simple réforme bienveillante et libérale ;
elles répondaient nettement à un besoin social.
20 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Mais il convient de faire encore ici une dis-
tinction. Plusieurs chapitres nobles, dont les
religieuses portaient également le titre de
chanoinesse, ne furent jamais sécularisés, tel
Montfleury près de Grenoble. Ces chapitres
dits réguliers ne différaient des couvents ordi-
naires qu'en ceci : que les religieuses avaient
droit à des prébendes. Par ailleurs, ils obéis-
saient à une règle monastique, celle de saint
Benoît ou de saint Augustin, règles que les
chanoinesses régulières s'efforçaient de faire
fléchir, notamment, on l'a vu, en ce qui con-
cernait l'obligation de clôture, de façon à s'as-
similer le plus possible aux chanoinesses
séculières ^ .
Pour obtenir la sécularisation, il fallait
d'abord un brevet du roi. Le plus souvent, la
demande était faite par les chanoinesses elles-
mêmes. Ainsi en fut-il pour l'Argentière et
bien d'autres chapitres ^. Il arrivait toutefois
que le roi accordait ce brevet de son propre
1. Ce titre de chanoinesse était également porté par les
religieuses de certains couvents. Les dames de Bellechasse
et celles de Sainte-Geneviève de Chaillot, entre autres, y
avaient droit. Arch. nat., L. 1016 et S. 4513. Cf aussi Le-
feuve, Les anciennes maisons de Paris.
2. Arch. nat., G' 120.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 21
mouvement. Bourbourg, par exemple, fut
sécularisé sur les instances de Marie-Antoi-
nette qui souhaitait voir se multiplier en
France les chapitres séculiers de filles nobles,
sur le modèle de ceux existant en Autriche '.
Jourcey en Forez, érigé en chapitre noble par
brevet royal du 29 avril 1789 *, Lavesne, érigé
en 1781, constituent autant de preuves de la
sollicitude de la reine pour les filles nobles et
de la tendance que le pouvoir avait à sécula-
riser en dehors même des sollicitations des
intéressées ^. Quand Louis XV veut trans-
former le simple prieuré de Neuville en Bresse
en chapitre séculier, (à la vérité cette fois, sur
les instances des chanoinesses), il se déclare
désireux de « faire en France un nouvel établis-
sement semblable à celui de Remiremont*. »
Le brevet royal n'eut point suffi naturelle-
ment à transformer un couvent en un chapitre
séculier. Il était nécessaire que le pape accor-
dât son autorisation et, par une bulle, érigeât
l'église du couvent en collégiale, puis relevât
1. Arch. nat., G' 124.
2. Id. G' 137.
3. Marcellin Boudet, Un chapitre de chanoinesses.
4. A. Bouchet, Histoire des prieurés de l'ancien chapitre
de Neuville,
22 FILLES ^■OBLES ET MAGICIENNES
les dames actuelles de leurs vœux. Non de
tous, car le vœu de chasteté était maintenu,
encore que les futures chanoinesses n'en dus-
sent point faire profession.
A vrai dire, l'Eglise ne se montrait guère
disposée à suivre le pouvoir laïque dans la
voie de ces sécularisations qu'elle estimait trop
fréquentes et non sans danger. Le cardinal de
Tencin eut grand'peine à obtenir l'autorisation
papale pour la sécularisation du chapitre de
Neuville, que le roi l'avait chargé de négo-
cier ^ Plus difficile encore fut celle de La-
vesne ^. On avait cru bien faire en demandant
à cette occasion la protection de madame
Louise, tante du roi. Mais celle-ci, indignée,
écrivit une lettre fort catégorique à monsei-
gneur de Bonal, en s'élevant contre la ten-
dance à séculariser les couvents, tendance
qu'elle jugeait déplorable. L'influence de ma-
dame Louise était considérable à Rome, où son
esprit d'intrigue se jouait d'autant plus à l'aise
que la renommée de ses vertus réelles y avait
plus profondément pénétré. Il ne fallut rien
1. A. Bouchet, Histoire des prieurés de V ancien chapitre
de Neuville, op. cit.
2. M. Boudet, l/îz chapitre de chanoinesses, op. cit.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 23
de moins que l'énergie de la reine Marie-An-
toinette et l'intervention dévouée du cardinal
de La Rochefoucauld pour avoir entin gain de
cause.
D'autres fois on se heurtait à des difficultés
d'un ordre spécial. Quand il s'agit d'installer
le chapitre noble de Saint- Antoine, auquel on
attribuait les revenus de l'ancienne abbaye
appartenant aux chevaliers de Malte, ceux-ci
soulevèrent des oppositions sans fin, tant et si
bien que l'installation décidée en 1779 ne fut
définitive qu'en 1787. Force avait été de
recourir au parlement de Grenoble. En 1785,
M. de Marzin écrivait : « 11 y a déjà eu de
nouvelles lettres patentes enregistrées au
parlement purement et simplement par ordre
de la cour *. »
1. Lettre de M. de Marzin au marquis de Toornon, 1787.
(Arch. du Vergier.)
II
Nombre des chapitres nobles en France, en 1789. —
Leur organisation. — L'abbesse. — Les dignitaires.
— Compétitions qui se font jour à chaque nomina-
tion d'abbesse. — Cérémonies d'intronisation. — La
prérogative royale. — Une nomination d'abbesse en
1404 manque de déchaîner la guerre civile. — L'af-
faire de Remiremont. — Droits abbatiaux. — Faste
qui entoure l'abbesse. — La doyenne. — Les secrètes.
— Les fonrières. — Les chanoinesses titulaires. —
Les nièces. — Elles sont le sourire des chapitres.
— Les chanoinesses honoraires.
Il existait en France, en 1789, trente cha-
pitres nobles réguliers ou sécularisés, à savoir :
Alix, Andlau l'Argentière, Avesne, Baume-les-
Dafnes, Beaulieu, Blesle, Bourbourg, Chàteau-
Chalon, Epinal, Estrun, Jourcey, Lavesne,
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 25
Leigneux, Lons-le-Saulnier, Maubeuge, Mi-
gette, Montfleury, Montigny, Neuville-en-
Bresse, Notre-Dame de Bouexières, Notre-
Dame de Ronceray, Poulangy, Poussay, Saint-
Louis de Metz, Saint-Marc de Martel, Saint-
Antoine de Viennois, Saint-Martin de Salles,
Saint-Pierre de Remiremont, et Saint-Rem-
froid de Denain.
Dans les uns, aufcun lien irrévocable ne rete-
nait les chanoinesses. Elles pouvaient rentrer
dans le monde, au gré de leur désir, et s'y
marier. Seules, lesabbesses et les doyennes de
certains chapitres étaient astreintes au vœu de
chasteté, à l'âge de vingt-cinq ans ^ Ce vœu,
au contraire, était obligatoire pour les chanoi-
nesses qui entraient à Baume-les-Dames, à
Château-Ghalon, à Estrun, à Lons-le-Saul-
nier, à Migette, à Montfleury, chapitres non
sécularisés. Quant au vœu de pauvreté, il
n'était obligatoire nulle part, mais les chanoi-
»esses perdaient tous leurs droits à la légitime
et n'héritaient plus ab intestat. Elles pouvaient
1. Encore pouvaient-elles s'en dispenser, en obtenant tous
les cinq ans un bref du pape, ainsi que fit mademoiselle
de Lillebonne, abbesse de Remiremont, qui n'avait pas
même fait ce vœu en 1765, malgré qu'elle fût fort âgée.
(Expilly, Dictionnaire de la France, 4775.)
2
26 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
cependant avoir des propriétés dont elles gar-
daient la libre disposition, et accepter des dona-
tions ou legs, en capital dans les chapitres
sécularisés, en rentes viagères, dans les autres.
Voyons maintenant quelle était l'organisa-
tion des chapitres nobles.
Tout chapitre comporte trois sortes de
chanoinesses : les chanoinesses titulaires ou
prébendées, les chanoinesses nièces ou surnu-
méraires, et les chanoinesses honoraires.
A la tête du chapitre est placée l'abbesse ou
la prieure K Les autres dignitaires sont la
doyenne, qui est, non pas la chanoinesse la
plus âgée, mais la plus ancienne, la secrète, et
l'économe, appelée parfois fonrière.
Chacune de ces dames a des attributions
bien définies, car le chapitre noble est une mo-
narchie tempérée et élective, mais dont l'orga-
nisation ne laisse pas d'être stricte et dans
laquelle la confusion des pouvoirs n'est pas à
craindre. L'abbesse ou prieure préside le cha-
1. Le titre d'abbesse fut maintenu dans les chapitres
nobles qui avaient été primitivement des abbayes : ainsi
Remiremont. Celui de prieure était réservé aux chapitres
tant réguliers que séculiers qui n'avaient élé d'abord que
des prieurés comme Neuville ou de simples couvents dé-
pendant dune abbaye, comme Salles.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 27
pitre, veille à l'observation des règlements,
administre les biens, à charge par elle de
rendre compte de sa gestion. Elle nomme à
tous les offices de justice dépendant des terres
et seigneuries du monastère et, seule, désigne
les titulaires des cures et bénéfices *.
Sa nomination donne toujours lieu à des
compétitions nombreuses, quand ce n'est pas
à de profondes intrigues. En principe, le droit
d'élection de l'abbesse par les chanoinesses est
demeuré en vigueur, mais il est soumis à de
telles restrictions qu'il est devenu presque
illusoire et que cette nomination dépend en
somme du roi. C'est le roi, en effet, qui
donne au chapitre l'autorisation de s'assem-
bler en cette occasion. C'est le roi qui choisit
les commissaires chargés de surveiller le
scrutin. C'est le roi qui désigne, sur une liste
de trois noms proposés par le chapitre, l'heu-
reuse titulaire de l'anneau abbatial et lui con-
fère titres et pouvoirs par lettres patentes -. Il
1. Arch. nat., L. 997. — S. 42i. — G» 124, 147, 149. — Cf.
aussi : Babeur, Histoire religieuse de Maubeuge. Toutefois,
les décisions dune certaine importance (les baux â dresser,
par exemple) dépendaient du chapitre réuni.
2. Nomination par le roi Louis XY de Charlotte de Groy-
Beaufort, comme abbesse du chapitre noble de Sainle-Alde-
28 FILLES NOBLES ET MAGICIEXXES
est à remarquer que la cérémonie d'intronisa-
tion religieuse est précédée d'une sorte de
cérémonie civile, par quoi se marque la préro-
gative royale. Madame de Guyot de Mance-
nans devient abbesse de Montigny, suivant
brevet expédié de Versailles le 16 juillet 1787.
Elle prête serment entre les mains de Messire
Claude-AnLoine-Catherine de Bocquet de Gour-
bouzon, président à mortier du parlement de
Besançon; après quoi, se rendant à l'église, elle
remet au père Braconnier le dit brevet et la
prestation du serment. Le père en fait lecture,
puis préside à la bénédiction de la dite dame
dans la forme ordinaire. Il la conduit au siège
qui lui est réservé, puis on chante le Te Deum
et les dames défilent devant elle, la reconnais-
sant pour leur abbesse et supérieure K
Dans la pratique, la prérogative royale elle-
même était fort tempérée par l'usage qui per-
mettait aux prieures de se choisir, de leur
vivant, une coadjutrice *, d'ordinaire une nièce
gonde de Maubeuge, en remplacement de la dame de Horne
(Horn) décédée le 20 décembre 1741. (Arch. nat., T. 3173. -
Naturellement ces nominations étaient par la suite sou-
mises à l'approbation du pape, qui ne la refusait jamais.
1. Arch. départementales de la Haute-Saône, dossier II. 940.
2. Madame Anne-Marguerite de Rohan, abbesse de Jouarrc,
LES CHAPITRES XOBLES DE FILLES 2f
destinée à leur succéder dans leur charge. 11
était rare que le chapitre ou le roi fissent une
opposition quelconque à ce choix.
Si fortes que fussent les ambitions, si ardenteFS
les cupidités, on n'en était tout de même plus
à l'époque où la nomination d'une abbesse ris-
quait d'amener une véritable guerre civile,
ainsi qu'il advint en 1404, lors de la mort de
Jeanne de Lorraine, abbesse de Remiremont,
Divisées entre elles, les chanoinesses n'ont
donné la majorité à aucune des postulantes.
On s'adresse des reproches amers et l'on se
sépare sans avoir pu terminer le scrutin. La
doyenne prend alors l'intérim. Mais ces diffi-
cultés ont eu leur retentissement au dehors. Le
grand prévôt, Jean de Blamont, essaie de faire
nommer sa fille, et, pour cela, s'efforce de
gagner certaines chanoinesses. Celles qu'il n'a
pu convaincre se révoltent à la pensée que l'oa
s'ingère dans leurs affaires intérieures, et-,
l'orgueil aidant, se mettent d'accord pour élire
Henriette d'Amoncourt. Furieux, Jean de Bla-
mont, certain d'être soutenu par la bourgeoisie
est morte dans sa cinquante-sixième année. La dame de
Soubise, sa nièce et coadjutricc, lui succède. {Gazette de
France du 28 juin 1721.)
2.
30 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
de Remiremont, appelle à son aide son frère
Henri, ainsi que ses neveux Thibaut etOlry. Au
moment où commencent les cérémonies d'ins-
tallation de la nouvelle abbesse, les Blamont,
suivis de leurs hommes d'armes, font irruption
dans l'église. Les chanoinesses, folles de ter-
reur, veulent fuir. On les cerne comme un
troupeau, tandis que Jean et Henri de Blamont
enlèvent Henriette d'Amoncourt et la déposent
dans une salle voisine. Thibaut et Olry placent
alors leur cousine Catherine sur l'autel et la
font acclamer abbesse par l'assistance. Les
dames fidèles aux Blamont viennent alors baiser
la main de leur nouvelle supérieure. Mais les
archers partis , les chanoinesses reprennent
courage et refusent d'obéir à Catherine. On
porte plainte à Rome. Benoit XIH évite de se
prononcer et se borne à défendre de célébrer
le« offices dans l'église profanée. Ce n'est
qu'en 1412 que le pape Jean XXHI reconnut
Henriette comme seule abbesse et lui permit
d'entrer en fonctions. Coupable de profanation
d'église, Jean de Blamont fut condamné à payer
au chapitre 2.170 florins d'or, quinze muids de
vin , cinq bœufs gras et 293 quartiers de froment ' .
1. Comtesse de Bcdiior, Le chapitre de Pœmiremonl.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 31
Sans que les choses en arrivassent à de
telles extrémités S on sait que les compétitions
furent toujours vives, lorsqu'il s'agissait de
pourvoir à la vacance de certains sièges abba-
tiaux. La situation d'abbesse, appréciable même
si le chapitre n'est pas des plus considérables,
est unique, quand Remiremont, Maubeuge et
quelques autres chapitres nobles sont en jeu.
L'abbesse est une véritable souveraine, avec
droits de haute, moyenne et basse justice sur
le territoire de l'abbaye *. Elle peut imposer
taille à sa volonté. A Remiremont, elle est pour
moitié dans la justice de la ville et des fau-
bourgs. Elle perçoit moitié des revenus des
poids et mesures, le quart de ceux fournis par
la pêche dans les fossés et de ceux qui pro-
viennent des droits d'entrée. On lui rend des
1. Mais elles allaient encore assez loin au xviii» siècle.
Ne voyons-nous pas, en 1728, le duc de Lorraine menacer
d'exiler de ses États les chanoinessesd'Épinal qui ne donne-
raient pas -leur voix à mademoiselle de Craon. Inutile de
dire que ces menaces furent efficaces et que mademoiselle
de Craon fut nommée abbesse ; elle avait quatorze ans.
2. Ce droit, les chanoinesses le défendaient avec âpreté.
Lors d'un procès qui eut lieu en 1764, Elisabeth de Watte-
ville, abbesse de Chàteau-Chalon, revendique hautement des
droits de justice qui, dit le mémoire fait en sa faveur,
sont immémoriaux. {Mémoire et consultation pour servir à
l'histoire de V abbaye de Chàleau-Chalon.\
32 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
honneurs pareils à ceux que reçoivent les évê
ques. Aux jours de fêtes, elle marche escortée
d'une foule de seigneurs, parmi les acclamations
des peuples et au son des cloches. Le jour de
son intronisation, on lui remet les clefs des
portes de la cité. Dans les processions, une
sorte de pallium antique, que le chapitre dit
avoir recueilli des mains de Léon IX, est dressé
devant elle. Des dames d'honneur soutiennent la
queue de sa robe et son sénéchal porte la crosse
d'or. Le diacre et le sous-diacre la conduisent à
sa place, le trône abbatial, dans l'église et lui
donnent l'évangile à baiser. Enfin, lors de cer-
taines solennités elle bénit les chanoinesses
agenouillées à ses pieds. De tels honneurs, ce
n'est pas seulement au cœur de son petit
royaume qu'ils lui sont rendus. Encore qu'il
tienne parfois rigueur à madame l'abbesse, le
pape la considère comme une puissance avec
laquelle il est bon de compter et la cour de
France traite avec elle sur un pied de condes-
cendante égalité.
Immédiatement derrière ce haut personnage
dont l'anneau abbatial symbolise l'autorité,
vient la doyenne. Celle-ci a des droits spéciaux.
C'est à elle qu'il appartient d'examiner les
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 33
preuves de noblesse des chanoinesses postu-
lantes*, le pouvoir de convoquer le chapitre, de
prononcer les ordonnances capitulaires ; sous
la direction de la prieure, elle veille encore à
l'observation des règlements. Gomme la prieure,
elle couvre sa tète du chaperon noir doublé
d'hermine; comme elle, elle a son siège au
chœur, et vis-à-vis la chaire abbatiale.
Les secrètes ont la charge des choses de
l'église et de la sacristie. Leur pouvoir n-e
s'étend pas au delà de l'ombre projetée par le
clocher de la canoniale.
Aux économes ou fonrières, appartienneal
le maniement des fonds, la tenue des livres et
des comptes. Elles encaissent les revenus,
paient les dépenses, contrôlent les prébendes,
enregistrent les délibérations capitulaires rela-
tives aux baux et fermages. L'économe est,
pour tout dire, le ministre des finances de la
communauté -. Une telle fonction, nous le
verrons tout à l'heure, n'est point une siné-
1. L'examen des preuves n'appartenait pas à la doyenne
seule. Pour Alix, Neuville, Leigneux, par exemple les cha-
noines comtes de Lyon décidaient en dernier ressort. (Abbé
Sachet : La croix des chanoines comtes de Lyon.)
■2. Arch. nat. : 1016; 1034. — G» 149; 157, etc.
Bi FILLES NOBLES ET JIAG I CI E.V NES
cure, pas plus dans les chapitres nobles que
dans les abbayes.
Ces diverses dignitaires sont nommées à
félection par le chapitre réuni, et quand j'en
serai à retracer la vie intime des chapitres
nobles, j'aurai l'occasion de montrer que ces
élections suscitaient bien des troubles au sein
des paisibles communautés.
Les chanoinesses titulaires jouissaient de
prébendes plus ou moins importantes. Depuis
que les chapitres étaient sécularisés, et même
avant, elles avaient pris l'habitude de renoncer
à la vie commune et possédaient chacune une
maison dans l'enceinte du monastère.
Les chanoinesses nièces étaient, à propre-
ment parler, des surnuméraires. Elles ne pou-
vaient être admises que lorsqu'elles étaient
adoptées par une chanoinesse prébendée et,
naturellement, après avoir fait leurs preuves
de noblesse. Il était loisible à une chanoinesse
d'adopter plusieurs nièces et ce nom de nièces
n'impliquait pas toujours une parenté véritable.
L'adoption se faisait dans toutes les règles.
Le 28 août 1785, par exemple, madame de
Chaussecourte du Bort, chanoinesse comtesse
de Lavesne, adopte en qualité de nièce demoi-
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 35
-elle Anne Claudine des Roys, « par-devant
M^Joubert, notaire à Lavesne '. » Par l'acte
d'adoption, la chanoinesse s'engageait à prendre
la jeune fille dans sa maison canoniale, à l'y
instruire et à l'y nourrir, elle et une suivante,
moyennant une pension fixée d'un commun
accord avec les parents de l'adoptée. Nulle ne
pouvait être reçue en qualité de nièce avant
l'âge de douze ans *. Les chanoinesses nièces
succédaient par rang d'ancienneté aux pré-
bendes, et, par privilège, à la maison cano-
niale, ainsi qu'au mobilier de leur tante et
à l'argent monnayé jusqu'à concurrence de
600 livres ■' ; le surplus faisait retour à la famille.
Une chanoinesse ne pouvait se défaire de sa
maison ni en acquérir une autre sans le con-
sentement de ses nièces.
1. Un chapitre de chanoinesses, op. cit.
2. De quatre ans, à Épinal. {Dicl. géographique.)
3. Avec cette restriction toutefois que « les dites nièces
soient coiffées et revêtues de l'habit religieux au temps de
la mort des dites dames tantes et qu'elles persévèrent dans
cet état ». (Lettres patentes de février 1732 accordées àMon-
tigny et reproduites dans la pétition do dame Benoîte de
Chaillot, abbesse de ilontigny, à MM. les administrateurs
composant le directoire du déparlement de la Haute-Saône.)
(Arch. de la Haute-Saône, H 940.) La restriction dont il
est ici parlé ne visait que les chapitres réguliers.
S6 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Les chanoinesses nièces sont le sourire des
diapitres. Dans la gravité de ces asiles un peu
mélancoliques, leur jeunesse apporte de la grâee
et je ne sais quelle poésie, comme parmi les
vêtements sombres des titulaires, leurs robes
branches mettent une jolie note de fraîcheur
et de clarté.
Quant aux chanoinesses honoraires, on les
choisissait d'ordinaire de haute distinction et
assez riches pour payer sans difficulté un
droit annuel relativement élevé. Soumises aux
preuves habituelles de noblesse, elles n'étaient
pas astreintes à la résidence, vivaient dans
le monde et pouvaient être attachées à la mai-
son des princesses.
Telle est, sommairement exposée, l'organisa-
tion des chapitres nobles en France, avant la
Révolution. Voyons maintenant qui y était
admis et comment on y entrait.
m
Conditions pour être reçue dans un chapitre noble. —
Preuves de noblesse. — Divers degrés de noblesse exi-
gés par chaque chapitre. — La rigueur des preuves
était parfois susceptible d'adoucissement. — Droits
de réception. — Adoption des nièces. — Pourquoi
elles entraient dans les chapitres. — Le roi fixe lui-
même le nombre des chanoinesses. — Les chapitres
sont de véritables fiefs pour certaines familles. -^
Avantages attachés au titre dechanoinesse. — Vanité
satisfaite. — Médiocres avantages pécuniaires.
La condition première pour être reçue dans
un chapitre noble de femmes est de pouvoir
faire ses preuves de noblesse. Là où l'Église
indulgente abaisse les barrières claustrales, et
condescend à accueillir comme siennes des
jeunes filles qui ne contractent vis-à-vis d'elle
3
38 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
aucun engagement, le monde élève à son tour
d'autres barrières orgueilleuses et profanes.
En conclure que l'institution des chapitres
nobles était œuvre de pure vanité et consé-
quemment inutile, serait commettre une lourde
erreur. Nous avons vu et nous verrons encore
quels services réels ces demi-couvents ren-
daient aux jeunes filles de la société, et quels
progrès ils constituaient en somme sur les mo-
nastères purement religieux où tant de demoi-
selles pauvres s'enfermaient sans vocation et
sans espoir. Établis en vue précisément d'offrir
un refuge, souvent passager, à de jeunes per-
sonnes appartenant aux familles nobles du
royaume, il était naturel, il n'était que logique
même, dira-t-on, que par un triage approprié,
on leur assurât dans ces communautés des com-
pagnes sorties des mêmes rangs sociaux. Aussi
bien, ne l'oublions pas, l'entrée dans un chapitre
devait être considérée comme un honneur et cet
honneur ne se pouvait procurer qu'àbon escient.
11 n'en reste pas moins que les preuves de
noblesse exigées et dont l'idée première avait
été prise aux ordres de Malte et de Saint-Jean
dé Jérusalem, les dépassaient parfois en ri-
gueur. On me permettra de les indiquer ici.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 39
Alix et l'Argentière demandent huit degrés pa-
ternels et trois maternels, sans anoblisse-
ment; Avesne, Jourcey, Château-Chalon, Lons-
le-Saulnier, Poussay, Migelte, huit degrés pa-
ternels et huit degrés maternels. Plus sévère,
Baume-les- Dames veut les seize quartiers d'an-
cienne chevalerie. Il en est de même à Andlau.
Pour Estrun et Ronceray, quatre degrés pater-
nels et quatre degrés maternels suffisent. Mêmes
preuves pour le chapitre de Saint-Marc. Pou-
langy veut neuf degrés paternels et trois
maternels, non compris le présent. Neuville,
Leigneux et Montfleury se contentent respecti-
vement de neuf, cinq et quatre degrés paternels.
Montigny en demande huit du côté du père et
quatre du côté de la mère'. Saint-Martin de
Salles, huit paternels et trois maternels. A La-
vesne et à Bourbourg, il faut montrer patte
blanche, sous forme de preuves de noblesse
depuis l'an quatorze cent. Depuis quatorze cent
également il faut prouver sa noblesse pour entrer
à Saint-Louis de Metz, mais seulement du côté
paternel. Maubeuge exige huit générations de
noblesse chevaleresque et militaire; Epinal et
1. Portés à huit maternels et huit paternels par lettres
patentes de 1732. (Arch. de la Haute-Saône, dossier H 490.)
40 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Remiremont, deux cents ans de noblesse che-
valeresque ; Saint-Remfroid de Denain, seize
quartiers de noblesse militaire. Beaulieu et
Saint- Antoine en Viennois réclament huit quar-
tiers prouvés, ainsi que la Bouexière, qui
demande en outre des preuves d'ancienne che-
valerie. Pour Blesle, qui paraît avoir été le
moins difficile d'accès, on y pouvait entrer avec
quatre degrés de simple noblesse ^
Avoir une fille dans un de ces chapitres, et
surtout dans certains d'entre eux, constituait
donc, ainsi que je l'ai dit, un honneur, puisque
l'obtention du titre de chanoinesse montrait de
façon en quelque sorte officielle l'ancienneté
de la race. Dans ces conditions, on le com-
prend, les familles s'efforçaient de faire ad-
mettre la postulante dans un des chapitres les
plus exigeants en matière de preuves. Ces
preuves n'étaient pas toujours très aisées à éta-
blir, même pour les jeunes filles de race cheva-
leresque, et il fallait, en bien des cas, s'en
rapporter à la tradition et au témoignage de
gentilshommes qui suppléaient par leurs ser-
ments au défaut de papiers et d'actes authen-
1. Arch. nat. L 964, 991, 997; S 421; G* 627.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 41
tiques, dont beaucoup avaient été égarés,
quand ils n'avaient pas été brûlés au cours des
guerres très fréquentes alors. Si une fois les
preuves avaient été faites par une famille à
une époque quelconque, les choses allaient
plus vite et se trouvaient singulièrement faci-
litées, car on n'en exigeait pas de nouvelles.
Citons comme exemple cet acte d'admission :
«Aujourd'hui, vingt sixièmejour de l'année 1788,
mesdames du chapitre établi à Saint Antoine,
assemblées capitulairement à la manière ordi-
naire, madame la grande prieure en tête... leur
a communiqué la demande qui lui a été faite de
la part de mesdemoiselles de Tournon, inscrites
au nom des aspirantes, pour être admises au dit
chapitre en qualité de chanoinesses surnumé-
raires, sur les preuves de Malte de MM. de
Tournon leurs frères, reçus chevaliers dans
l'ordre de Malte. Sur quoi ayant délibéré, ont
consenti d'une voix unanime à l'admission de
mesdemoiselles de Tournon sur les preuves de
MM. leurs frères en produisant 1° l'extrait en
forme du procès-verbal des dites preuves et de
leur admission ; 2° les extraits baptistaires des
dites demoiselles et d'un de leurs frères; 3" un
certihcat signé de quatre gentilshommes qui
4^2 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
attestent qu'ils sont issus des mêmes père et
mère; 4° la quittance du paiement de deux
mille livres exigées pour le droit de réception.
» Le chapitre a pareillement arrêté qu'il
serait envoyé à mesdemoiselles de Tournon
copie de la présente délibération.
» Signé : Chabon, grande prieure
du chapitre de Saint Antoine ;
Murât, Ghaponay, Ruffo, Ba-
l'onat, Galien de Ghabon,
Monthroux, Montfaucon.
» GALIEN DE CHABON Secrétaire K
» Fait à Saint-Antoine le vingt-six de janvier 11
1/88. »
Il est probable que la rigueur apportée à
1 examen des preuves, au moins en ce qui con-
cerne quelques chapitres secondaires, était
susceptible d'adoucissement. Ce qu'il eût été
impossible de tenter à Maubeuge, à Remi-
remont, à Epinal, voire à Lavesne, où les
plus grands noms de France semblaient s'être
donné rendez-vous et qui brillaient d'un
mcomparable éclat avec leurs prieures qui
s appelaient Lorraine, Gondé, Bourbon ou
1. Archives du château du Vergier.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 43
Rohan, chapitres fastueux, riches de gloire
et d'argent, comblés des faveurs royales,
devenait sans doute plus aisé dans des cha-
pitres pauvres, réservés à la noblesse de
province, et dépourvus de ce rayonnement qui
illuminait les autres. On imagine assez volon-
tiers qu'en certains cas l'esprit d'intrigue d'une
part, l'amitié, la pitié peut-être de l'autre, réus-
sissaient à tromper la vigilance ou à gagner
l'indulgence des personnes chargées de l'exa-
men des preuves. Il ne faudrait pas jurer que
partout et toujours cet examen fut impi-
toyable, et que quelque quartier douteux ne
fût tenu pour bon et valable.
Ceci, hâtons-nous de le dire, ne pouvait être
qu'une exception. Et, d'une façon générale, on
peut affirmer au contraire que les chanoinesses
apportaient un zèle extrême à ne point laisser
surprendre leur bonne foi et à fermer impi-
toyablement l'entrée de leur chapitre aux
jeunes lilles dont l'arbre généalogique comptait
quelques branches tremblantes ou s'encom-
brait de feuilles parasitaires.
La demande introduite et les preuves faites,
il restait à payer les droits de réception, appelés
droits de passage. Sauf à Remiremont, Epinal
44 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
et Maubeuge, où ils s'élevaient à quatre mille
francs, cinq mille même, en 1767 ces droits ne
dépassaient guère deux mille francs dans les
autres chapitres. C'est ce que paient mesdemoi-
selles de Tournon et de Leusse à Saint-An-
toine, mademoiselle de Montjustin à Montigny,
mademoiselle de Watteville àChâteau-Chalon^
A l'Argentière, ils ne sont que de quinze cents
francs^. Là ne se bornent point naturellement
les frais imposés aux familles par l'admission
d'une jeune fille dans un chapitre noble. S'il
s'agit d'une enfant, d'une nièce, surtout si
aucun lien de parenté ne lie celte enfant à la
chanoinesse qui l'adopte, cette dernière de-
mande d'ordinaire une certaine somme au
comptant, indépendante de la pension qui lui
sera payée annuellement. « Nous n'avons pu
tomber d'accord avec madame de Maranches,
écrit M. de Parvy au sujet de l'argent que
1. Quittance délivrée à M. de Tournon par la trésorière
du chapitre de Saint-Antoine (1788) (Arch. du Vergier.) —
Quittance délivrée la même année à M. de Leusse. (Arch.
du Colombier, citée par le baron de Leusse dans Vie du
marquis de Leusse.) — Quittance de mademoiselle de Mont-
justin (Arch. de la Haute-Saône.) — Quittance de mademoi-
selle de Watteville (1759). (Arch. nat., G« 127.)
2. Statuts et règlements du chapitre noble de l'Argentière.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 45
celle-ci exigeait de moi pour l'adoption de ma
iille^ » « Adressez- vous donc à Blesle, pour
l'adoption de vos deux cadettes, écrit-on à ma-
dame de Tournefort : on y dit ces dames plus
accommodantes que les nôtres -. »
En outre de ces débours immédiats S charges
déjà fort lourdes pour bien des familles, il était
dû encore à la tante adoptive, tant que la
petite chanoinesse restait surnuméraire, six
cents livres de pension annuelle pour elle et sa
femme de chambre, plus six cents autres livres
par an, pour son entretien *. Tout ceci, bien
entendu, non compris le trousseau qu'elle était
tenue d'apporter. Enfin, quand la postulante
entrait directement au chapitre en qualité de
chanoinesse titulaire, elle devait acheter ou faire
construire à ses frais une maison canoniale^.
1. Arch. de la Haute-Saône, dossier H. 938.
2. Lettre sans signature adressée à madame de Tourne-
fort, à Évreux, 1772 (collect. part.)
3. Auxquels il faut ajouter une dot variable selon les cha-
pitres, mais qui est de 1.333 livres, 17 sols 4 d. à Montigny,
des revenus de laquelle la postulante jouira sa vie durant,
mais qui, après sa mort, sera versée à la mense capitu-
laire (Arch. de la Haute-Saône, lettres patentes de 1732). Le
chapitre de Bourbourg était le seul où l'on reçut des demoi-
selles nobles sans dot.
4. Statuts et règlements de VArgentière, op. cit.
a. Cette maison coûtait de 16 à 25.000 livres à Salles.
46 FILLES NOBLES ET MAGICIE NiS'ES
Vers ces maisons d'apparence assez mo-
deste et d'où, quoiqu'on en ait dit, le luxe
est absent, c'est, à certaines époques sur-
tout, une envolée de jeunes filles, dont beau-
coup sont encore des enfants, toutes apparte-
nant à la bonne, à la meilleure noblesse de
France, noblesse éclatante de cour, noblesse
solide et vaillante, d'ailleurs si peu opulente, de
province. A mesure que les goûts se sont modi-
fiés, que l'amour du bien-être a pénétré dans
les châteaux perdus au fond des Gévennes ou
des Pyrénées, et jusque dans les villages, le
mariage s'est fait plus difficile et plus rare.
Car les fortunes, loin de suivre une progres-
sion parallèle à celle qui se fait sentir dans les
besoins, ont plutôt diminué et les dots restent
petites. Etablir des filles a été de tout temps un
souci. Au XVII'' siècle, davantage encore au
siècle suivant, cela devient un problème
presque insoluble. Elles sont nombreuses ;
quatre, cinq filles dans une même famille, ce
n'est point chose rare. Que faire d'elles, si le
hasard ne vient en aide? Elles-mêmes com-
prennent la médiocrité du sort qui les attend
entre une dot insuffisante et une légitime
plus mince encore. Elles perçoivent ce que sera
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 47
leur vie aux côtés d'un frère marié, chargé
d'enfants, et d'une belle-sœur qui deviendra
la maîtresse du logis. Beaucoup sans doute,
si on les eût consultées, mais on ne les consultait
pas toujours, eussent préféré jadis cette exis-
tence, si précaire qu'elle put être, à la perspec-
tive douloureuse du cloître. Mais, à présent
que plusieurs de ces monastères transformés
leur, offrent un abri plein de dignité sans obli-
gation de renoncement, comment n'accepte-
raient-elles pas avec une facile résignation d'y
aller couler des jours exempts d'inquiétude et
de mesquins tracas? Comment, plutôt que les
ennuis quotidiens de la vie familiale autour
d'un foyer qui n'est plus le leur, ne choisi-
raient-elles pas le chapitre noble avec l'indé-
pendance que leur assurera plus tard la pré-
bende, et l'agrément des honneurs auxquels
elles auront droit, sans compter le titre de com-
tesse, qui, ajouté à celui de clianoinesse, n'est
pas sans flatter infiniment?
C'est donc avec bonne humeur que fillettes
ou jeunes filles s'en viennent frapper à la porte
du chapitre où, si elles ne doivent pas rester
toujours (et sans doute bien peu envisagent
cette extrémité), elles auront passé quelques
45 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
années agréables au milieu de femmes distin-
guées qui, mieux que quiconque, leur appren-
dront les beaux usages, les manières de cour et
l'art de converser, et toutes les délicatesses mon-
daines que l'habitude des pratiques religieuses
affine encore d'on ne sait quelle grâce discrète.
Aussi les places sont-elles rarement libres.
Il faut s'y prendre longtemps à l'avance pour
obtenir une maison canoniale ou une adoption.
Le nombre des chanoinesses est limité. Le roi
l'a fixé par les lettres patentes de transforma-
tion ou de sécularisation. Il ne peut y avoir
que 21 chanoinesses titulaires à Montigny,
75 à Remiremont, 36 à Lavesne, 28 à Salles
(en 1789), 25 à Jourcey (et encore sur ces vingt-
cinq places capitulaires, onze seulement jouis-
sent de prébendes entières). Le droit accordé
aux chanoinesses tenant ménage d'adopter
une ou plusieurs nièces s'étant très vite géné-
ralisé, il en résulte que ces dames recueillent
le plus grand nombre possible de leurs jeunes
parentes. Il y a donc des chapitres où les
mêmes familles s'implantent comme en pays
conquis. Vers 1700, trois demoiselles de Croix
sont chanoinesses d'Estrun. Admettons qu'elles
aient adopté chacune deux nièces ; voici, quel-
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 49
ques années plus tard, neuf chanoinesses
sinon du même nom, du moins de même sang
dans une seule abbaye. On pourrait multi-
plier les exemples. A Montigny, en 1767, on
trouve trois demoiselles du Tremblay, dont
l'une est doyenne, deux demoiselles de Klin-
glin, deux demoiselles Dinteville, trois demoi-
selles de Monnier, sans compter leurs nièces.
D'autres familles paraissent avoir le privilège
de caser les filles dans les chapitres ou abbayes.
Ainsi les Béthisy, les Beaurepaire, les Vaudrey,
les Ormesson. Marie-Charlotte de Lannoy est
chanoinesse de Denain, en 1754, ainsi que sa
sœur Ferdinande. A la même époque, il y a
trois autres Lannoy chanoinesses de Nivelles,
tandis qu'une autre encore est chanoinesse
de Maubeuge. Trois demoiselles de Pons sont
en même temps chanoinesses, l'une de Denain,
l'autre d'Epinal, la dernière d'Avesne. Il y en
a une, chanoinesse de Montigny, dont les deux
nièces, toujours des Pons, sont chanoinesses
de Poulangy et de Leigneux. En 1724, deux
demoiselles de Croix sont chanoinesses de
Mons, une autre de Denain. A Maubeuge, on
ne compte pas les Aremberg, les Biron, les
Montmorency, les Ligne, les Mérode, les
oO FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Béthune. Pareillement, il est des abbayes ou
chapitres nobles qui semblent de véritables
fiefs entrés peu à peu dans telle ou telle mai-
son. Remiremont, pendant un siècle, ne voit
presque que des princesses de la maison de
Lorraine se succéder sur le trône abbatial. A
Fontevrault, les Rochechouart régnent en
maîtresses durant de longues années'.
Est-ce donc qu'en dehors des avantages que
l'on connaît déjà, il y en aurait d'autres? Au
passage, j'ai dit un mot des titres attachés à
celui de chanoinesse, dans les chapitres sécu-
larisés. De par lettres patentes toutes ces
dames ont droit au titre de comtesse. Les
abbesses d'Andlau et de Remiremont sont, en
cette qualité, princesses du Saint-Empire.
Ajoutons à cette satisfaction de vanité, dont
on jugerait mal l'importance à la considérer
sous un angle visuel trop démocratique et
moderne, une autre satisfaction, toute hu-
maine, à la vérité, mais fort concevable, celle
d'appartenir à des chapitres de réputation si
haute et de si illustre origine. Est-ce que le
monastère de Lavesne n'avait pas été fondé
1. La plupart de ces renseignements sont tirés de divers
ouvrages généalogiques.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 51
par Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, et sa
mère, la bienheureuse Raingarde de Montbois-
sier? Est-ce que Remiremont, dont la fonda-
tion remonte à l'an 800, ne compte pas presque
autant de filles de sang royal que d'abbesses?
Est-ce que Leigneux qui, au nombre de ses
prieurés, possédait le monastère de Souvigny,
ce Saint-Denis des Bourbons, où les rois ve-
naient jadis en pèlerinage, Andlau, l'Argen-
tière, Maubeuge, « la plus glorieuse maison
de l'univers » fondée par sainte Aldegonde, et
Poulangy, et Epinal, et Jourcey, ne furent pas
d'abord comme des jardins sacrés où s'épa-
nouissaient humblement d'angéliques vertus?
Tant de princesses, tant de femmes de race
pure et noble, tant de saintes, n'avaient-elles
pas tressé au-dessus de ces couvents, mainte-
nant transformés, une couronne où les fleu-
rons des grandeurs périssables alternent désor-
mais agréablement avec les perles divines?
Aux raisons diverses qui peuvent attirer les
jeunes filles nobles vers les chapitres qui leur
sont ouverts, convient-il d'adjoindre d'autres
motifs, et notamment quelques avantages
d'ordre matériel? C'est ce que nous allons voir,
en étudiant rapidement leur situation financière.
IV
Situation financière des chapitres nobles. — Biens
inaltérables. — La fortune de Remiremont. —D'une
façon générale, les ressources des autres chapitres
étaient insuffisantes. — Les charges. — Les pré-
bendes, — A combien elles se montaient. — Plaintes
et doléances. — Cris de détresse. — L'église d'Alix.
— Demandes de secours. — La vie chère! — Com-
ment on relevait les revenus d'un chapitre. — Salles
et les chanoines de Beaujeu. — Les dames de Neu-
ville plus riches de titres que d'argent. — Montigny.
— Mauvaise gestion des biens.
Les terres appartenant au monastère pri-
mitif, celles qui avaient pu être achetées ou qui
lui avaient été octroyées depuis l'érection en
chapitre, les prieurés en dépendant, ainsi que
les dons et legs qu'il avait recueillis formaient
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 00
les biens inaltérables du chapitre noble. Les
revenus de ces biens auxquels il est nécessaire
d'ajouter ceux qui, comme à Remiremont et
ailleurs, provenaient de droits seigneuriaux,
appelés revenus capitulaires, étaient partagés
en prébendes, ainsi que nous le verrons tout
à l'heure. Il n'est pas besoin de dire que la
plus grande inégalité régnait entre les cha-
pitres au point de vue de leur fortune et de
leurs ressources. Si tel, comme Remiremont,
pouvait se flatter de posséder dans son trésor
capitulaire 700.000 livres en 1750 et si, à di-
verses reprises, les ducs de Lorraine d'abord,
le roi de France ensuite avaient eu recours à
l'abbesse en des heures financières critiques ',
c'était bien plutôt d'ordinaire les chapitres qui
imploraient secours du roi. Pour quelques-uns
qui sont riches, Remiremont, Maubeuge, dont
les revenus étaient avant 1789 de deux cent
mille livres, combien d'autres dont les res-
sources étaient médiocres, souvent insuffi-
santes. Par les chiffres qui vont suivre, il sera
facile déjuger quelle erreur est celle des histo-
1. Dans la détresse des finances du royaume, Louis XVI
fait appel aux chanoinesses de Maubeuge qui accordent
147.000 livres. {Histoire religieuse de Maubeuge, op. cil.)
34 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
riens modernes (et de quelques écrivains
d'avant la Révolution) qui nous peignent si
volontiers les abbayes et les chapitres nobles
comme des sanctuaires du dieu Baal, où l'or
coulait à flots, où l'on amassait, thésaurisait,
empilait inutilement des sommes énormes. En
ceci comme en bien d'autres choses, il est bon
de ne pas généraliser. Les faits finissent tou-
jours par avoir raison des déclamations qui
n'ont que le verbe pour base. Quoi de plus
faux que la légende qui nous montre les
abbayes et couvents, ou encore les chapitres
nobles, écrasés sous le poids de leurs richesses I
Voyons un peu.
Déduction faite des charges qui pèsent sur
lui, le chapitre des chanoinesses comtesses de
Neuville en Bresse jouit d'un revenu de
6.949 livres^ Les revenus de Baume-les-
Dames, charges non déduites, sont, en 1762, de
7 à 8.000 livres. Ceux de Beaulieu, toujours
charges non déduites, montent à 10.000 livres*.
Si Jourcey a 30.000 livres de rentes, Mon-
1. Histoire des pi-ieiirés de Neuville, op. cit. — Ce chiffre
est celui du revenu net après réunion de l'abbaye de
Tournus. Cf. aussi Arch. nat. G' 140.
2. Dictionnaire géographique, op. cit.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 00
tigny en a tout juste 2.356 en 1768, plus, il
est vrai, 5.400 livres qui sont partagées entre
les douze plus anciennes titulaires'.
N'était la crainte de fatiguer le lecteur,
je pourrais poursuivre cette énumération ,
signaler les o.OOO livres de rente de Blesle,
les 6.000 livres de Migette, etc., etc. Mais pour
indiquer la modicité de telles ressources finan-
cières, n'est-il pas préférable encore d'inven-
torier un certain nombre de prébendes?
Ces prébendes n'étaient pas partagées selon
un mode uniforme, et parfois leur répartition
semble au premier abord un peu compliquée.
La règle générale est que, sur le total des pré-
bendes, une part est réservée au paiement des
charges, une autre attribuée à la prieure, et la
troisième aux chanoinesses titulaires. Mais
cette règle souffre des exceptions. L'abbesse
de Remiremont, par exemple, a droit à trente-
six prébendes, les chanoinesses s'en partagent
soixante-quinze, tandis que vingt-neuf seule-
ment vont aux charges. Et, par charges, n'en-
tendez ici que les douze chapelains, le grand
sénéchal, le grand sourier ou maître des
i. Arch. nat., G« 137.
56 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
lois, et quelques officiers, « tous gens de
qualité' ». A Lavesne, une fois prélevée la
part des charges, une prébende est en outre
accordée aux chapelains et à l'aumônier.
L'abbesse a double prébende. Dans certains
chapitres, il y a ce qu'on nomme des semi-
prébendes. Celles de Jourcey sont toujours
réservées, quatre à des jeunes filles ayant été
élevées à Saint-Cyr, et quatre à d'anciennes
élèves de la maison même. En ce qui concerne
les prébendes vacantes, la règle ne semble pas
non plus bien fixe. C'est ainsi qu'à Epinal, les
chanoinesses en disposent à tour de rôle, et
suivant le rang de leur ancienneté, en sorte
que leur revenu augmente ainsi de moitié, car
elles jouissent pendant leur vie de la moitié
des prébendes qu'elles ont données^. Autre
organisation à Remiremont. Ici, les chanoi-
nesses sont rangées en vingt et une compa-
gnies. De ces compagnies, il y en a cinq de
cinq chanoinesses, huit de quatre chanoi-
nesses, six de trois chanoinesses et deux de
deux chanoinesses. Chaque chanoinesse est
appréhendée sur une de ses compagnes et
1. Abùé Didelot, Remiremont.
2. Arch. nat., G' 137.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 57
regarde les autres comme ses compagnes de
prébende. Toutefois, si une dame se trouve
seule dans une compagnie de cinq, elle est
obligée de faire trois nièces, c'est à dire, d'ap-
prébender trois demoiselles, l'une sur les deux
premières prébendes, l'autre sur les deux
d'après et la troisième sur ce qui reste. Mesure
fort sage qui empêche l'accumulation des pré-
bendes sur une même tête.
On excusera ces détails monotones et forcé-
ment arides. Ils étaient nécessaires pour per-
mettre de bien saisir l'organisation et le
fonctionnement de ces établissements dont
l'existence nous paraît si lointaine.
A combien donc se montaient ces pré-
bendes? La prébende était de i.OOO livres '
au chapitre de Maubeuge, dont l'abbesse tou-
chait de douze à quinze mille livres. Il semble
que ce fut de beaucoup la plus considérable.
Une chanoinesse de Remiremont n'avait que
1.200 livres environ. Mais l'abbesse, qui s'at-
tribuait trente-six prébendes, jouissait d'un re-
venu qui approchait de quarante mille livres *.
1. C'est du moins le chiffre doùné par Marcellin Boudet.
Un chapitre de chanoinesses, op. cit. Expilly donne le chiffire
de 1.000 livres; je le crois plus près de la vérité.
2. Remiremont, op. cit. — M. Ravaisson estime aussi très
58 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
La prébende à Epinal variait entre G et
700 livres par an, suivant les époques ^ Elle
ne dépasse pas 700 livres à Jourcey^. Dans
beaucoup de chapitres, si les chanoinesses
n'avaient reçu une pension de leur famille, il
leur eût été impossible de vivre. En effet,
les prébendes de Lavesne n'atteignent pas
300 livres ^, non plus que celles de l'Argen-
tière^ A Baume, elles montent à 400 livres;
mais les dames de Poulangy doivent se con-
tenter de 200 livres S celles de Montfleury de
100 livres. Guère plus heureuses, les chanoi-
nesses de Lons-le-Saulnier; du moins, si elles
ne touchent pas plus de 200 à 230 livres, ont-
elles droit, en outre, à une distribution an-
nuelle de vin et de blé ®.
Nous voilà loin de la légende, n'est-il pas
vrai? Etant donné ces chiffres, il est à pré-
minimes les prébendes de Remiremont. Mais il fait pro-
bablement erreur en ne portant la part de l'abbesse qu'à
15.000 livres. En revanche, il est tout à fait dans le vrai
quand il dit (Histoire de la Bastille, t. II) que Remiremont
était le refuge des filles pauvres.
1. Dict. géographique, op. cit.
2. Arch. nat„ G» 127.
3. Arch. nat., G» 140. •
4. Arch. nat , G' 120.
5. Arch. nat., G' 157.
6. Un chapitre de chanoinesses, op. cit.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES o9
sumer que si la cupidité des familles se trou-
vait tentée par la recherche de la crosse abba-
tiale et des prébendes, ce n'était que bien
exceptionnellement et seulement pour de rares
chapitres.
La plupart n'avaient que peu de ressources,
nous l'avons vu. Ce sont, à chaque instant, de
la part des chanoinesses, réclamations, plaintes,
doléances. Du sein des chapitres nobles tout
comme des abbayes* sortent les mêmes lamen-
tations, s'échappent les mêmes cris de détresse.
S'agit-il de reconstruire l'église d'Alix? Ces
dames ne peuvent fournir, en se saignant aux
quatre veines, que dix mille livres. Hélas, le
devis monte à 44.600 livres. Le roi en accorde
30.000 en 1867. Deux ans plus tard, la prieure,
madame de Muzy de Veronin, implore encore
la bienveillance royale. Cette fois il faut douze
mille livres pour consolider le clocher de
l'abbaye qui menace ruine. Comment le cha-
pitre pourrait-il faire face à de telles dépenses?
Ses revenus sont de 4.429 livres et les. dé-
penses ordinaires atteignent, bon an mal an,
1. Les plus considérables, Chelles, Fontevrault. Jouarre,
se débattent, au xvii* et au xviii' siècles, au milieu d'em-
barras financiers très graves.
60 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
près de quatre mille livres'. En 1773, la com-
mission instituée pour le soulagement des
communautés de filles est saisie d'une de-
mande de secours par le chapitre noble de
Blesle. Le secours est accordé. Autant en
emporte le vent! « Pardonnez, je vous en sup-
plie, écrit de nouveau la prieure, madame de
Pons à l'évêque de Saint-Flour, le 1*' dé-
cembre 1770, pardonnez au besoin extrême
que nous avons de la continuation de vos
bontés, la liberté que je prends d'importuner
encore Votre Eminence des cris de notre
misère. Votre Eminence est sûrement ins
truite de la révolution extraordinaire qui s'est
faite depuis un an dans ce pays-ci, dans
tout ce qui est de nécessité première; le
prix en a triplé^. » La vie chère, déjà!...
Vers 1782, le chapitre de Salles est si em-
barrassé pécuniairement que l'on se voit
obligé de recourir à des moyens extraordi-
naires en vue de remettre ce pauvre navire
à flot. Ses biens, par suite de circonstances
diverses, ont fort diminué. Comment les
relever? Justement, non loin de Salles, se
1. Arch, nat., G» 118.
2. Arch. nat., G' 123.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 61
trouve l'abbaye de Beaujeu. Celte abbaye de
chanoines n'a plus de raison d'exister depuis
que le château de Beaujeu est abandonné. Il
faut le supprimer et passer une partie de ses
biens au chapitre de Salles. C'était compter
sans les chanoines. Ceux-ci protestent avec
énergie contre un arrangement qu'ils déclarent
illégal, « les lois canoniques et civiles ayant
toujours déclaré abusives les suppressions,
divisions et réunions de bénéfices n'ayant pas
pour cause une nécessité évidente ; injustes,
le chapitre de Beaujeu n'ayant jamais démé-
rité ». Au surplus, les chanoines ne refusent
pas de faire à ces dames de Salles don de
mille mesures de froment par an, ce qui aug-
mentera leur revenu de 4.000 livres environ *.
Les dames de Neuville semblent elles aussi
avoir été plus riches de titres que d'argent. De
1770 à 1777, elles accablent la commission de
demandes. Les revenus des prébendes sont
insuffisants. Une somme de huit mille francs
est urgente pour des réparations et reconstruc-
tions. La commission s'exécute. Mais les solli-
citations n'en cessent point pour cela, à en
1. Eugène Méhu, Salles en Beaujolais.
62 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
juger par ce billet pressant adressé au cardinal
de Luynes par la comtesse Diane de Polignac :
« La comtesse de Polignac est venue pour
avoir l'honneur de voir M. le cardinal de
Luynes et lui présenter le nouveau mémoire;
elle espère que Son Eminence voudra bien
faire attention à la modestie de cette nouvelle
demande et aux besoins réels du chapitre (de
Neuville), etc^ » Les revenus de Neuville
n'étaient pourtant pas des plus faibles. Ils se
montaient à 22.663 livres environ. Mais les
charges ordinaires s'élevant à 11.110 livres,
il restait tout juste 11.553 livres, dont un tiers
allait au chœur ; les deux autres tiers dispo-
nibles étaient répartis entre les vingt chanoi-
nesses titulaires, ce qui leur laissait à chacune
350 livres à peu près. Par son ordonnance du
25 septembre 1781, Louis XVI supprimait
l'abbaye de Tournus et partageait les re-
venus de cette abbaye par moitié entre l'évêque
de Chalon et le chapitre de Neuville. Grâce à
ce secours, Neuville, qui n'avait guère plus de
20.000 livres de revenu, en possède désormais
54.321. Toujours le système d'habiller Pierre
1. Arch. nat , G» 149.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 63
aux dépens de Paul, comme nous l'avons vu à
Salles! Mais tout n'était pas bénéfice dans
cette opération, car les charges, bien entendu,
s'accroissaient proportionnellement. Les cha-
noinesses devaient pourvoir à l'entretien de
nombreuses églises, payer redevance à l'évê-
ché de Mâcon, fournir des rentes à 21 curés
et vicaires. Celui de Xeuville seul touchait
l.OoO livres par an K
La communauté de Montigny (car les dames
de ce chapitre vivent en communauté) dépense
annuellement six mille livres. En dehors de
quelques biens fonciers, elle possède le revenu
des dots apportées par les dames défuntes. Ces
rentes servies par les familles n'atteignent pas
2.000 livres, qui sont divisées en vingt parts
égales. L'abbesse en perçoit deux qui lui valent
200 livres, 5 sols, 6 deniers, et les dix-huit plus
anciennes dames, chacune une part, qui vaut
100 livres, 2 sols, 9 deniers -.
Tout ceci n'est pas brillant, et il me paraît
inutile d'insister davantage pour montrer à quel
point la situation des chapitres nobles ou du
moins de la plupart d'entre eux, était précaire.
1. Histoire du prieuré de Neuville, op. cit.
2. Arch. nat., G' 147.
Qi FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
A cette pénurie de ressources, si l'on ajoute
une fort mauvaise gestion, un désordre sou-
vent déplorable, une certaine manie de cons-
truire que les ordres religieux n'ont pas tous,
ni complètement perdue, et, par suite, une
accumulation de dettes qui aggrave singulière-
ment l'état de leurs finances, pourra-t-on s'é-
tonner de ces demandes de secours, de ces
plaintes, de ces désespoirs? Encore moins sera-
t-on surpris de voir les chanoinesses de Neu-
ville, enfin prudentes, quand une fois elles
sont mises en possession des biens de l'abbaye
de Tournus, réclamer elles-mêmes par la voix
de la prieure, madame de Beaurepaire, que
l'administration de ces biens soit confiée à mes-
sieur les syndics des trois ordres de Bresse,
jusqu'à extinction des dettes du chapitre*.
1. Arch. nat., G» 149.
Physionomie des chapitres sécularisés. — Les maisons
canoniales. — Salles, envisagé comme type de l'ar-
chitecture des chapitres. — La vie intérieure. — L'ou-
verture des portes. — Différents costumes portés par
les chanoinesses. — Les cordons. — La croix. — Les
devises.
Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'obligation
de vivre en communauté ou plutôt en commun,
ayant été supprimée dans les abbayes et cou-
vents transformés en chapitres nobles, partout
où cela avait été possible, on s'était hâté de
jouir de celte faveur *. La disposition des
i. Dans certains chapitres, notamment à Neuville, aucune
chanoinesse ne pouvait vivre en son particulier avant l'âge
de vingt-cinq ans accomplis.
4.
66 FILLES NOBLES ET MAfilCIENNES
lieux ne se prêtait pas toujours à une métamor-
phose complète et je ne serais pas surpris
que la construction d'une petite maison à l'u-
sage de chaque chanoinesse ait été difficile,
sinon impossible, en certains cas. Il est ma-
laisé de savoir aujourd'hui très exactement sur
quels plans étaient élevés les bâtiments des
chapitres, si ces plans étaient partout iden-
tiques et jusqu'à quel point on avait pu tirer
parti des constructions anciennes. Bien peu de
chapitres sont encore debout. Le temps, quand
la main des hommes ne s'est pas chargée de le
faire, a malheureusement jeté bas la plupart
de ces demeures d'où la Révolution avait chassé
les habitantes. D'après des gravures de l'épo-
que, il serait certes permis de reconstituer mor-
ceau par morceau tel ou tel monastère, si,
par bonheur, nous n'avions mieux. L'un d'eux,
en effet, par suite de circonstances favorables,
se dresse encore maintenant dans toute la
pureté de ses lignes. Par lui, nous pouvons
nous rendre compte de la physionomie des
chapitres nobles, car il est vraisemblable que
tous ou presque tous présentaient le même
aspect.
Salles en Beaujolais a conservé à peu près
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 67
intacte sa configuration générale. Sur une col-
line peu élevée, mais d'où la vue s'étend néan-
moins assez loin sur les plaines vallonnées et
riantes qui descendent vers la Saône, l'ancien
chapitre noble étale fièrement ses bâtisses ras-
semblées en une sorte de polygone, fermé sur
trois côtés. Dans le fond, un assez grand édi-
fice, qui fut autrefois la demeure de l'abbesse €t
qui comprenait en outre les salles communes,
notamment la salle capitulaire. Cet édifice est
flanqué de l'église. En retour deux ailes s'avan-
cent, formées de maisonnettes séparées les
unes des autres, toutes construites sur un mo-
dèle à peu près uniforme, mais que l'inégalité
du terrain suffit à différencier agréablement.
Ces maisons, comme le bâtiment principal,
s'ouvrent sur une vaste cour, aujourd'hui fort
mal entretenue, mais qui, jadis, devait avoir
belle allure, et que ferme une grille. Les petits
jardins sur quoi donnaient par derrière les
fenêtres des maisons de chanoinesses ont dis-
paru. Disparu aussi le parc qui s'étendait au
delà des bâtiments conventuels. Acquises par
les paysans, les maisonnettes qui abritèrent
tant de personnes de qualité sont certes fort
délabrées. Une vie mélancolique anime encore
68 FILLES xXOBLES ET MAGICIENNES
cependant ces lieux mutilés. On surprend cette
même vie furtive sur les visages ridés et dans
les yeux éteints de certains vieillards tout
dépaysés par des vêtements ignorés de leur
jeunesse, quand le souvenir du passé amène
un sourire à leurs lèvres fatiguées.
Les nouveaux possesseurs des maisons cano-
niales ont pu les laisser se dégrader; ils ont pu
blanchir à la chaux les murs que recouvraient
autrefois des tapisseries, œuvre délicate des
chanoinesses. Ils ont' pu négliger de réparer
les degrés de pierre qui conduisaient à la porte
extérieure et que foulèrent des pas menus. Ils
n'ont pu ni détruire les escaliers majestueux
aux rampes de fer forgé, si joliment ouvra-
gées, ni rompre l'harmonieux ensemble de
toutes ces constructions adroitement groupées
comme les alvéoles d'une ruche, mais d'une
ruche pleine de silence et de recueillement.
Six heures ont sonné à l'horloge du chapitre.
La portière, dont c'est l'office spécial, a ouvert
toute grande la grille de la cour, de cette cour
pavée comme celle du château de Versailles,
et qu'un soleil matinal éclaire de ses premiers
rayons. Une à une les portes de chaque mai-
son canoniale s'entre-bàillent à leur tour et
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 69
voici les chanoinesses qui, revêtues de leur
long manteau sombre, sortant de leur habita-
tion, se rendent à l'église pour la messe chapi-
trale. Profitons de ce qu'elles vont prier pour
dire quelques mots de leur costume.
Le costume porté par les chanoinesses n'é-
tait pas le même partout. Il a varié également,
suivant les époques, dans un même chapitre,
et il serait assez difficile de les décrire tous.
Bornons-nous à donner quelques indications.
A Montfleury, chapitre régulier, les dames ont
la robe blanche avec le scapulaire blanc et le
manteau noir. En hiver, elles mettent par-des-
sus une sorte de robe noire ouverte sur le
devant, descendant jusqu'à mi-jambe et bordée
d'hermine. Elles couvrent leur front d'une
pointe noire semblable à celles en usage pour
les veuves au seizième siècle. Les dames de
Lavesne portent au chœur un manteau noir
fourré d'hermine du haut en bas. Ce même man-
teau est porté aussi par les dames de Maubeuge S
de Bourbourg, de Denain, d'Estrun et de plu-
sieurs autres chapitres. Hors du chœur, chaque
1. Dict. géographique, op. cit. — L'n chapitre de chanoi-
nesses, op. cil. Histoire religieuse de Maubeuge, op.
cit. etc., etc.
70 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
chanoinesse peut s'habiller à sa guise, sauf
qu'elle ne doit se servir ni de violet, « cou-
leur réservée aux évêques », ni du rose, « cou-
leur de fête ». Les chanoinesses d'Épinal,
lorsqu'elles vont au chœur, revêtent le manteau
noir à longue queue traînante, bordée de four-
rure blanche. Elles ont sur la tète une bande
de toile, large de deux pouces, sur laquelle est
un petit ruban noir; elles attachent cette bande
de toile sur leur bonnet, l'appelent « un mari »
et ne le quittent point, non plus à la ville
qu'au chapitre ^ Voici une chanoinesse de
Salles. Aucune forme spéciale ne paraît impo-
sée pour la robe, qui ne peut être que noire
ou blanche. Un col simple s'ouvre non sans
grâce sur une chemisette à petits plis. Quand
elle ne met pas la coiffe, qui est réservée pour
l'église, elle noue sur sa tête une sorte de
mince fichu fort élégant. Primitivement, la
coiffure était le voile, qu'on baissait en cer-
taines circonstances. Mais l'usage de l'abaisser
se perdit vite. Le voile lui-même diminua,
1. Leurs coiffes noires sont beaucoup plus grandes que
celles des autres chanoinesses. Elles ne les lient que sous
le menton et laissent pendre les bouts par derrière. {Dict.
géographique, op. cit.)
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 71
devint fichu... Aux jours de cérémonie,
elle endosse pour aller chanter l'office le
manteau traditionnel bordé d'hermine. Hé-
las ! ces dames de Salles n'étaient pas très
riches, semble-t-il; d'indiscrètes factures re-
trouvées à Lyon révèlent que cette blanche
hermine n'était souvent que du lapin M Les sta-
tuts de l'Argentière précisent sévèrement les
ordonnances concernant le costume des dames
de ce chapitre. « Elles seront, disent-ils, tou-
jours vêtues de noir et d'une étoffe unie ; leurs
robes n'auront point de garnitures en blondes,
en gaze ni autres ornements mondains ; elles
auront sur le milieu de leur bonnet leur ruban
blanc bordé de noir. Les manchettes et fichus
ne seront que de gaze ou filet, sans blondes.
Leur chaussure sera noire, blanche ou grise et
jamais d'autre couleur. Elles ne sortiront pas
de l'enceinte du chapitre et ne paraîtront point,
même dans leur famille, autrement qu'en noir
avec le cordon. Au chœur, elles porteront la
coiffe uniforme de taffetas ou de gaze noire
pour les professes, blanche pour les agrégées.
Le manteau sera noir, traînant, et bordé d'her-
1. Arch. du Lyonnais.
72 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
mine, ainsi que le collet. » Ces statuts inter-
disent aux chanoinesses d'aller au spectacle,
au bal, et aux autres assemblées de même na-
ture, ainsi que de se mettre du rouge, ni aucun
fard*. 11 serait téméraire d'affirmer que cette
dernière obligation ait toujours été suivie à la
lettre.
Sur ce costume, ou, si l'on préfère, sur ces
costumes toujours un peu sévères, les chanoi-
nesses arboraient fièrement le cordon et la
croix, signes distinctifs de leur profession. Ces
cordons, ces rubans, que la chanoinesse por-
tera tantôt en écharpe, tantôt, à la ville, sous
forme d'un simple nœud épingle sur la poitrine
du côté du cœur et auquel est attachée la croix
d'or émaillé, c'est le roi quij par lettres patentes,
l'a accordé à chaque chapitre; c'est le roi qui
en choisit les couleurs. Le ruban d'Alix est
ponceau ; celui de Bourbourg, jaune liseré de
noir; celui de Château-Ghalon, noir liseré d'or.
Entièrement noir sont les rubans de Lons-le-
Saulnier et de Montigny. L'Argentière a le
cordon vert, reten» à l'épaule par des ganses
d'or. Les dames de Migette portent le ruban
1. Statuts et règlements de V Arc/entière, op. oit.
LES CHAPITRES .NOBLES DE FILLES 73
bleu liseré de blanc, et celles de Saint-Louis de
Metz, d'Estrun et de Leigneux, l'ont blanc,
liseré de bleu. Neuville, Poussay, Poulangy,
Remiremont ont le ruban bleu, mais le pre-
mier et le quatrième s'ourlent de rouge, le
second de noir et le troisième d'or. Les cha-
noinesses de Salles portent le cordon moiré
violet, liseré d'or; celles de Lavesne et d'Épi-
nal, le cordon entièrement bleu, large comme
celui du Saint-Esprit...
Aux rubans, était suspendue une croix,
généralement en or émaillé de blanc, quelque-
fois de lilas, comme celle de Lavesne, dans
la forme des croix de Malte, à huit pointes
anglées de fleurs de lis. Neuville, Leigneux,
Alix et l'Argentière avaient adopté la croix des
chanoines comtes de Lyon, dont ces dames
dépendaient pour les preuves. Elle était d'or
émaillé de blanc, bordée d'or, à huit pointes
cantonnées de quatre fleurs de lis, le tout sur-
monté d'une couronne comtale. Au centre de
ces croix, une médaille à double face repré-
sentait tantôt la Vierge et saint Benoît, tantôt,
à Epinal, par exemple, saint Gouéry, tantôt
encore, saint Martin ou quelque autre saint
auquel le chapitre avait voué une dévotion par-
5
74 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
ticulière. A Lavesne et à Bourbourg, spéciale-
ment patronnés par la reine, la médaille por-
tait d'un côté l'effigie de Marie-Antoinette, de
l'autre, celle du cardinal de La Rochefoucauld,
abbé de Gluny. En exergue se lisait une courte
légende : Virtutis, nobilitatisque Deus... Pie-
tati et nobilitati fundavit..» Genus, Decus,
Virtus... parfois simplement la date de la fon-
dation avec ces mots au revers : comtesses de
Salles ; comtesses de l'Argentière, etc., etc. Sur
certaines, on pouvait lire, autour de l'image
d'un saint ou de la Vierge : « Louis XV le bien
aimé a honoré de cette distinction son chapitre
noble de... en '... »
N'est-il pas piquant de voir ces excellentes
chanoinesses mettre ainsi en quelque sorte
leur vertu sous l'égide de Louis XV !...
1. Ainsi à Leigneux et à Alix. Cf. La croix des chanoines
comtes de Lyon, op. cit.
VI
Obligations et règlements. — Demi-liberté. — Ferme-
ture des portes. — Le rôle de la portière. — Les
chanoinesses ne sont pas astreintes à la résidence,
toute l'année. — Calomnies répandues sur le compte
des chanoinesses. — Diderot et M. Homais. — La
littérature du xyiii" siècle et les chanoinesses. —
Essayons de dire la vérité. — Les chanoinesses ne
sont pas cloîtrées. — Elles peuvent recevoir parents
et amis. — Les petits-cousins et les nièces. — Flirts
et mariages. — . Ces réunions de vieilles dames et de
jeunes flUes appartenant toutes à la meilleure société
avaient beaucoup de charme. — Les visiteurs ne
chôment pas. — Quelques chanoinesses de Lavesne.
— Madame de Lestrange. — Madame de Vichy. —
Madame de Ligniville. — Aventure arrivée à cette
dernière. — Les nièces n'engendrent pas mélancolie.
— Plaisirs des chapitres. — La causerie, les con-
certs, les jeux. — La vie à Salles. — Les diners. —
Les hommes, exclus en principe, participent quand
même à ces réunions. — Liaisons de cœur. —
76 FILLES XOBLES ET MA(; ICIE N\ES
Vieilles coutumes naïves, — Cérémonies religieuses,
— Mariages dans l'église conventuelle. — Les chanoi-
nesses à la chasse!...
Il ne faudrait pas croire que les chanoi-
nesses ne soient soumises à aucune règle. Si
large que soit devenue celle-ci, elle n'en com-
porte pas moins quelques obligations. La
messe chapitrale est au nombre de ces obliga-
tions quotidiennes. Avec les heures, que toutes
les dames sont tenues de venir psalmodier au
chœur dans l'après-midi, ce sont, il est vrai, les
seuls actes de piété en commun auxquels le
chapitre soit astreint, au moins pour les jours
non fériés ^ Aucun autre devoir professionnel
n'est imposé aux chanoinesses le long d'une
journée qu'elles sont libres d'employer à leur
guise.
Si complète qu'elle paraisse, cette liberté ne
va pas jusqu'à l'anarchie. N'oublions pas que
nous sommes dans des établissements semi-
religieux où la tradition des monastères,
encore que très atténuée, ne s'est "pas tout à
1. A Épinal, on chante matines à sept heures et demie;
on entend la messe à neuf heures; on dit les vêpres à six
heures.
I.KS CHAPITRES NOliLES HE FILLES ii
fait éteinte. N'oublions pas surtout que nous
nous trouvons chez des personnes distinguées,
bien élevées, soucieuses de leur renommée et,
ajuste titre, jalouses de leur réputation davan-
tage encore que de leur indépendance. Les sta-
tuts de l'Argeiitière nous apprennent notam-
ment que « les portes du chapitre doivent être
fermées à la tombée de la nuit et les clefs
déposées chez la prieure à dix heures du soir ».
Us ajoutent que l'office de portière ne « peut
être confié qu'à une personne de mœurs irré-
prochables et d'un âge mûr ». Sa mission ne
se borne pas là d'ailleurs. Elle est chargée
d'aviser la supérieure de tous les étrangers qui
entrent dans l'enceinte du chapitre et de
nommer les chanoinesses qui les reçoivent.
D'autre part, si ces dames ont toute facilité
pour sortir, elles ne le peuvent faire cepen-
dant qu'après avoir averti la prieure*. Et l'on
se plaît à croire qu'elles n'y manquaient pas.
Aussi bien, n'étaient-elles rigoureusement
astreintes à la résidence que neuf mois par an.
Dans le cas où leur absence se prolongeait au
delà de douze semaines, elles en étaient quittes
1. Statuts et règlements de TArgentiére, op. cit.
78 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
pour une retenue de vingt-quatre livres par
mois sur leur prébende. Une si légère pénalité
suffisait-elle à faire rentrer plus vite au monas-
tère les chanoinesses que leurs affaires, leurs
amitiés ou les sollicitations de leur famille
retenaient au dehors? On en peut douter.
Aussi ne faut-il pas s'étonner d'en rencon-
trer si souvent dans le monde; elles y sont
fort appréciées, recherchées et honorées...
« Monsieur et madame de Sainte-Croix du
Breuil me sont venus voir avec une de leurs
filles, chanoinesse de Neuville ))S écrira ma-
dame de Meximieux. Nous lirons dans une
lettre de madame de Moncla : « On se réunit
beaucoup cet hiver. Nos chanoinesses sont
de toutes les parties ; on ne saurait se passer
d'elles 2. )) Il en résulte que les chapitres sont
fréquemment assez déserts. « La maison des
dames (Saint-xVntoine) est réduite à quatre.
Madame l'abbesse reste chez son frère ; madame
de Murât à Autun auprès de la prieure son
amie ; mesdames de Lary chez son frère, de
1. Lettre de madame de Meximieux à la présidente Gho-
lier, 10 décembre 1768. (Arch. de Gibeins.)
2. Lettre de madame de Moncla à la marquise de Venange,
17 janvier 1781. (Arch. part.)
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 79
Baronal à Romans, chez madame Dunoyer,
etc., etc. » nous dira M. de Marzin'.
Mais laissons les vagabondes; occupons-
nous seulement de celles qui sont au bercail.
Que la vie des chapitres nobles, comme celle
des couvents, ait été l'objet de basses plaisan-
teries et de calomnies, voilà ce que l'on sait
de reste. Depuis la Religieuse de Diderot
(et bien avant) jusqu'aux élucubrations vomies
par les plumes révolutionnaires, la liste serait
inépuisable des pamphlets, des facturas, des
libelles, des brochures et des livres, les uns
d'allure dogmatique et pédante, les autres
affectant une désinvolture libertine, mais qui
tous poursuivaient le but glorieux de traîner
des femmes dans la boue. La simple énumé-
ration de quelques titres propres à ces sortes
d'ouvrages, serait pour donner la nausée au
lecteur. On la lui épargnera ici. Une aussi noble
tradition ne s'est d'ailleurs pas perdue. Il
existe encore à l'heure actuelle toute une litté-
rature (si l'on peut ainsi parler) dont certains
esprits font leurs délices, uniquement consa-
crée à flétrir les mœurs des moniales et à
1. Lettre de M. de Marzin au marquis de Tournon, 1787.
(Arch, du Vergier.)
80 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
déverser sur elles des sarcasmes de haut
goût qui siiflisent, paraît-il, à tenir en joie
M. Homais, quand une fois il a fini de boire.
Le cadre de cette étude ne saurait compor-
ter un plaidoyer en faveur des monastères.
D'autres se sont chargés de les disculper des
accusations absurdes lancées contre eux et de
remettre les choses au point. Mais ceux-là
mêmes qui ont apporté dans leur défense le
plus de chaleur, d'ardeur généreuse et de so-
lides arguments, n'ont jamais prétendu que
tout ait toujours été pour le mieux dans tous
les couvents du Moyen âge et du xvin" siècle;
ils n'ont jamais nié que sur tant de milliers
et de milliers de femmes qui s'étaient consa-
crées à Dieu, souvent sans s'y sentir appelées
par une vocation bien déterminée, quelques-
unes, beaucoup d'entre elles sans doute,
s'aperçurent un peu tard que leur nature,
leurs aspirations, leurs goûts les portaient da-
vantage vers les plaisirs terrestres que vers le
mysticisme, et que, s'en étant aperçu, elles
abandonnèrent l'un pour tomber dans les
autres. Et voilà qui suffît à la vérité historique.
Mais sans descendre aux œuvres de mau-
vaise foi et de haine, il faut convenir que
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 81
la mode autorisa nombre d'écrivains du
XVIII'' siècle à parler très légèrement des
dames chanoinesses. Dans les pièces de théâtre
et dans les romans on leur attribuait volontiers
un rôle sinon tout à fait pervers, du moins
passablement scabreux. Et le public, mal ins-
truit de la situation exacte de ces personnes
qui vivaient dans des sortes de couvents,
ignorant ou oubliant qu'aucun vœu religieux
ne retenait la plupart d'entre elles, trouvait
une sorte de ragoût malsain à suivre les aven-
tures auxquelles il plaisait à l'auteur de les
mêler. Bien des écrivains s'amusèrent ainsi à
conduire leurs lecteurs dans l'intérieur des
chapitres nobles et à faire se dérouler les évé-
nements les plus étranges et les moins cano-
niques dans le cadre discret de ces asiles que
n'eussent dû, semble-t-il, troubler que le bruit
des chants et le murmure des prières.
A la fantaisie de tableaux tracés par l'ima-
gination, essayons d'opposer un dessin plus
proche de la vérité.
Les chanoinesses ne sont point cloîtrées ;
elles aiment à recevoir, non seulement en
visite, mais à demeure. La vertu de l'hospita-
lité, si répandue aux xvii" et xviii* siècles, ne
5.
82 FILLES .\OBLES ET MAGICIENNES
s'est pas glacée dans leur cœur le jour qu'elles
sont entrées au chapitre. En principe, elles ne
peuvent guère admettre auprès d'elles que des
personnes de leur parenté. Ceci déjà permet
d'avoir nombreuse compagnie, car l'on sait
combien les parentés les plus lointaines res-
taient vivaces autrefois et jusqu'où s'étendait
le cousinage, principalement en province.
Quelle chanoinesse n'a pas dans ses entours
un ou deux chevaliers de Malte? L'analogie de
leur position sociale est bien faite pour
éveiller entre eux et elles de mutuelles sym-
pathies. Ceux dont l'âge offre une garantie
font donc chez leurs parentes de véritables sé-
jours, qui ne semblent trop longs ni aux hôtes
ni à l'hôtesse. Les commandeurs de Ligondès
et de Culhat, MM. de Seyssel et de Ferré, les
chevaliers de Courtesserre et de Clialus vien-
nent ainsi fréquemment à Lavesne partager la
vie modeste de chanoinesses de leur famille.
Ils y retrouvent le frère de madame de Bosré-
don, le frère de mademoiselle des Roys, l'une
chanoinesse titulaire, l'autre simple surnumé-
raire*. Voici encore de jeunes étourdis que
i. Un chapitre 7wble de chanoinesses, op. cit.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 83
l'on envoie à leurs tantes pour les faire gron-
der de quelque fredaine. A ceux-là, qui n'ont
pas l'âge requis, les chanoinesses n'offrent que
la table. Force leur est de se loger au dehors.
La grille du chapitre, à dix heures du soir, met
une infranchissable barrière entre eux et les
jeunes nièces, avec qui d'ailleurs il ne leur a
pas été interdit d'échanger d'aimables propos
durant la journée. Sans doute les petites
nièces ont-elles eu l'art d'adoucir l'effet de la
semonce qu'ils étaient venus chercher auprès
de la tante sévère, car certains s'éloignent tout
fiers, l'air très peu marri d'avoir été répri-
mandés. Quelques-uns reviendront dans un
an, dans deux ans, non plus cette fois pour
subir une admonestation, mais pour emmener
dans un beau carrosse la petite nièce consola-
trice, qui, plus tard, de sa courte vie de surnu-
méraire se rappellera seulement la première
visite du mauvais sujet dont elle est mainte-
nant la femme.
On conçoit aisément que cette colonie de
vieilles dames et de jeunes filles, entourées de
respect et d'honneurs, mêlant aux traditions
de la bonne compagnie la simplicité d'une vie
sans ambition, placée ainsi loin des villes, ait
84 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
eu un charme tout particulier pour les per-
sonnes du dehors. Il était donc rare qu'une
journée se passât sans amener des visiteurs au
chapitre. Les châtelains des environs s'y ren-
daient à jour fixe. A Lavesne, M. de Ghazenal,
intendant de la province, et M. de Barante
étaient considérés comme des habitués. Le
cardinal de La Rochefoucauld venait souvent
aussi s'y reposer durant quelques jours au
milieu de ses chères chanoinesses, qui, dans
les années précédant immédiatement la Révo-
lution, formaient, en vérité, la société la plus
choisie, la plus variée, la plus séduisante.
L'abbesse, madame de Lestrange, est bonne,
accueillante, bienveillante à tous. Son grand
âge la force de se tenir un peu à l'écart. Pour
la conversation, on lui préfère madame d'Or-
dan-Legroing, dont l'esprit est des plus vifs.
Veuve, elle s'est retirée à Lavesne avec ses
trois filles, qui y sont également chanoinesses.
C'est une femme excellente et fort serviable,
dont le seul travers est de vouloir un peu trop
diriger. Chanoinesses, visiteurs et visiteuses,
se réunissent plus volontiers encore chez ma-
dame de V'ichy. La maison de cette femme
infiniment spirituelle, et pleine de cœur, est
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 85
« la maison de tout le monde ». Musicienne
accomplie, madame de Vichy enseigne la
harpe et le clavecin aux jeunes filles, organise
de petits concerts où elle fait briller ses
élèves. Elle préside aux jeux des nièces avec un
entrain et une gaieté qui ne permettent guère
de lui reconnaître quarante ans. Enfin, cette
aimable cousine de madame du Deffand possède
au suprême degré la finesse diplomatique, qui
n'est pas toujours inutile dans les couvents.
Nulle comme elle ne s'entend à prévenir les
brouilles, à apaiser les menus conflits, à étouf-
fer les animosités qui naissent jusque dans la
paix des cloîtres... Sa voisine est madame
Louise de Ligniville. Celle-ci a quelque vingt
ans; elle cause « comme une fée ». Si elle ne
se souvenait peut-être trop aisément qu'elle
est la cousine de la reine de France et de l'em-
pereur d'Autriche, sa bonté, ses qualités
d'esprit et de cœur ne seraient ternies d'aucune
ombre. Un chagrin d'amour l'a poussée à La-
vesne. On le croit apaisé. Mais voici qu'un
soir, en un moment d'égarement, elle se jette
dans le puits de la maison de madame de
Vichy. A peine sent-elle le contact de l'eau
que l'instinct de la conservation reprenant le
86 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
dessus, elle pousse les hauts cris. On accourt.
Le puits était heureusement peu profond. On
la tire de là et, en manière de consolation,
quelque temps après, on la nomme coadju-
trice de l'abbesse.
Puis ce sont encore madame de Pons, qui,
peu d'années plus tard, mourra surl'échafaud;
mademoiselle de Montmorency-Laval, qui,
elle, ne s'éteindra qu'en 1831 et sera la der-
nière à porter la décoration du chapitre de
Lavesne ; mademoiselle d'Albignac ; mesdames
de Chalus et de Bonnevin, ces deux dernières
très âgées, établies à Lavesne bien avant la
sécularisation et regrettant leurs chers cloîtres
feutrés de silence où ne bourdonnait pas
comme aujourd'hui toute une joyeuse jeu-
nesse. Car les nièces sont nombreuses et n'en-
gendrent point mélancolie. On s'efforce d'ail-
leurs à les distraire. Il est touchant de voir les
tantes s'ingénier à leur procurer d'innocentes
distractions. Le jour, chacun reste chez soi et
l'on respecte scrupuleusement les heures con-
sacrées aux exercices religieux. Le soir, en
revanche, on se réunit tantôt dans une maison,
tantôt dans une autre; les personnes âgées
jouent au trictrac ou aux cartes ; les plus
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 87
jeunes font de la musique. Madame de Vichy a
l'art d'improviser chez elle de petites sauteries.
Parfois, on joue la comédie dans la grande
salle du chapitre, tout comme à Saint-Cyr, du
temps de madame de Maintenon; enfin, ma-
dame de Lestrange n'est pas la seule abbesse
qui donne des dîners fort appréciés de tous,
invités et chanoinesses.
La vie à Salles ne paraît pas avoir différé
sensiblement de celle que l'on menait à La-
vesne et ailleurs. Là aussi, les tantes s'occu-
paient avec une inlassable patience de leurs
nièces. Chacune en avait deux ou trois et,
comme on les leur envoyait fort jeunes, force
était bien de terminer leur éducation. Seule-
ment, si nous en croyons Lamartine, les tantes
eussent souvent été bien embarrassées de con-
fier à leurs nièces une science à laquelle elles-
mêmes étaient quelque peu étrangères. Aussi
y avait-il dans tous les chapitres une maîtresse
d'institution qui « réunissait les petites filles et
leur apprenait le français, le latin et un peu de
liturgie ». Ces devoirs remplis, et l'on peut
penser qu'ils ne prenaient pas trop de temps,
les heures de loisir ne manquaient pas. D'or-
dinaire, la prieure faisait sa partie avec les
00 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
chanoinesses les plus sédentaires, la passion
du jeu ayant dès longtemps franchi les grilles
des chapitres. Les autres se promenaient avec
leurs nièces ou avec des visiteurs. Que parmi
ces visiteurs il s'en trouve quelques-uns de
jeunes, on a tôt fait d'inventer des amusements
divers et voici, sous les arbres ou sur les pe-
louses du parc, les petites nièces courant, sau-
tant, se poursuivant avec des cris de joie,
toutes fraîches de plaisir dans leurs robes
blanches que parent le large ruban et la croix
étincelante.
Toujours sociables, les chanoinesses s'in-
vitent à dîner les unes les autres. C'est une
habitude qui se transforme en une sorte de
devoir pour celles dont la maison accueille un
étranger ou une étrangère de passage. M. de
Marzin vient à Saint-Antoine. Il y dîne chez
madame l'abbesse, avec M. de Baronat, la sœur
de ce dernier qui est chanoinesse et deux sur-
numéraires, mesdemoiselles de Chabot et de
Varax, qu'on nomme « mesdames » *. Madame
de Gontaud se déclare « enchantée du souper
que lui a offert à Maubeuge, une dame du cha-
1. Lettre de M. de Marzin au marquis de Tournon, 1787.
(Arch. du Vergier.)
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 89
pitre dans sa maison canoniale, où elle a trouvé
belle et bonne compagnie» *. Et M. de Rochefort
écrit : « Le jour que nous fûmes voir madame
de Vaudrey (à Poulangy), elle nous retint à
dîner; outre ses trois nièces, il y avait deux
dames du chapitre. Madame l'abbesse, priée
aussi, n'avait pu venir, ayant du monde^. » Le
soir, on se réunit. Les hommes sont, en principe,
exclus de ces assemblées, ainsi que je l'ai dit
déjà. Mais la règle permet à toute chanoinesse
d'hospitaliser ses frères pendant quelques jours.
Ne les pas présenter à ses amies du chapitre
serait une incorrection, qu'aucune dame ne
commettrait, car quelle femme de la cour sait
plus parfaitement son monde? Un des reproches
que Le Camus, évêque de Grenoble, adressait
aux dames de Montigny était précisément leur
trop grande sociabilité et les chanoinesses se
défendaient en répliquant que « les hommes
n'étaient admis qu'aux collations, que si elles
se promenaient avec des hommes, ce n'était
jamais tète à tête, mais toujours en compagnie
1. Lettre de madame de Gontaud à madame de Croixmare,
rue du Luxembourg, à Paris (16 avril 1779). (CoUect. part.)
2, Lettre de M. de Rochefort à la comtesse de Chavigny,
12 octobre 1788. (Collect. part.)
90 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
d'assistantes, sous les fenêtres de toute la
maison et à la vue des lieux voisins ^ »
Là se formaient, dira encore Lamartine « des
liaisons de cœur fort tendres ; là se préparaient
parfois des enlèvements. Mais en général, une
pieuse réserve, une décence irréprochable pré-
sidaient à ces rapports d'intimité si délicate. »
Quoi qu'il en soit, on joue, on cause, on fait
des lectures « sans autre règle que celle du
goût » ; on se livre à des travaux de tapisserie ;
dans un coin, les nièces chantent au clavecin
et papotent entre elles, sous la surveillance de
quelque vieille matrone, gardienne indulgente
de leurs ébats. Le temps n'était plus des cou-
tumes naïves, comme il y en eut dans certains
chapitres, à Remiremont par exemple, cou-
tumes qui ne devaient pas compter au nombre
des plus médiocres distractions. Ces dames
avaient, en effet, le droit, à l'occasion de di-
verses fêtes, de banqueter dans l'église, puis
de danser sur la place publique, et encore, lors
de certaines autres solennités religieuses, de se
promener « masquées ou revêtues d'habits
séculiers en chantant par rioUes et places^. »
i. Recherches stir Monlfletenj, op. cit.
2. Salles en Beaujolais, op. cit.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 91
Nos chanoinesses du xviii® siècle ne con-
naissaient plus que par ouï-dire ces usages
lointains, dont elles souriaient sans doute,
comme nous en sourions aujourd'hui, et qui
n'étaient que l'exercice de droits acquis jalou-
sement conservés. Elles n'avaient plus besoin
de semblables distractions, dont la rusticité eût
répugné à leur délicatesse. Les heures d'ailleurs
s'écoulaient pour elles sans ennui. Les céré-
monies nombreuses apportaient beaucoup de
variété dans leur vie en apparence monotone.
Présentations, admissions, vêtures, adoptions,
prises d'habit, professions, nominations à des
charges, toutes ces choses donnaient lieu à des
solennités plus ou moins magnifiques, mais
toujours fort longues. Si l'on y ajoute les exer-
cices religieux quotidiens, les chants au chœur,
les fêtes des saints que l'on célébrait en grand
apparat, ne "voilà-t-il pas de quoi remplir
les journées ?
Et nous ne parlons pas des mariages! Mais
oui, des mariages. A certaines chanoinesses
titulaires ou surnuméraires convolant en
justes noces, il était accordé exceptionnelle-
ment de faire bénir leur union dans l'église
du chapitre. Ainsi en fut-il à Salles pour
92 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
les demoiselles des Roys^ Enfin, ne vous
récriez pas si ces dames sont invitées à des
parties de chasse. Nous avons le récit de l'une
de ces parties, organisée à la Rochefolle, pour
la Saint-Hubert. Deux chanoinesses de Salles
y étaient conviées. Le marquis de Montmelas
vint au-devant d'elles, et bientôt, elles se trou-
vèrent au milieu de toute la bonne société du
pays. L'histoire ne dit pas si ce fut à l'une de
ces jeunes chanoinesses qu'allèrent les hon-
neurs du pied. Tout ce que nous savons, c'est
que le maire du village de Vaux ayant apporté
son violon, la chasse fut bientôt oubliée pour
la danse et que cela se termina, comme dans
les comédies morales, par un mariage-...
1. Salles en Beaujolais, op cil.
2. Ibid.
VII
Faut-il reprocher aux chanoinesses leur légèreté? —
Elles ne faisaient aucun vœu. — Elles ne portaient
même pas l'habit religieux. — Leurs distractions,
non conformes aux sévérités de la vie monastique,
n'avaient rien de répréhensible aux yeux du monde.
— N'avaient-elles rien d'autre à se reprocher? — La
galanterie n'abdiquait pas ses droits. — Intrigues. —
Étourderies. — L'esprit de cabale. — Dissensions
intestines. — Mesdames de Montjoie et de Ferrette.
— Les chapitres durant les guerres. — Les chanoi-
nesses de Remiremont à la défense de leur ville. —
Les chanoinesses poétesses. — Mesdames de Mons-
pey. — Les chapitres se modernisent. — On s'y
laisse gagner aux idées nouvelles. — Désillusions
amères. — Inventaires et dissolution des chapitres
nobles. — On regrette les chanoinesses pour leur
charité. — Madame de Ligniville, héroïne révolution-
naire. — La fin des chanoinesses.
Voudra-t-on inférer de ce qui précède que la
conduite des chanoinesses était peu digne de
94 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
personnes retirées dans un couvent? Faut-il
répéter qu'aucun vœu ne les rattachait à l'Église,
qu'elles avaient liberté entière de quitter le
chapitre à leur guise et que rien ne les condam-
nait au célibat^? Dans ces conditions, que pou-
vaient avoir de répréhensibles des amusements
que l'on ne saurait reprocher à des femmes
vivant dans le monde^? Mais, dira-t-on, l'habit
qu'elles portaient? Il n'avait rien de commun
avec le costume religieux. Et nous avons vu
ailleurs que si, au chœur et dans l'enceinte du
chapitre, les chanoinesses revêtaient des robes
et des manteaux rappelant les robes et man-
teaux des moniales cloîtrées, il leur était loi-
1. On ne compte pas les chanoinesses surnuméraires ou
titulaires qui abandonnaient le chapitre pour se marier.
Citera-t-on mademoiselle de Foligny, chanoinessc de Remi-
remont, qui devint marquise de Grolier; mademoiselle des
Roys qui fut la mère de Lamartine; mademoiselle de Choi-
seul, plus tard duchesse de Gramont, etc., etc?
2. M. de Franquières voyageant en Belgique écrit : « J'ai
trouvé les chanoinesses de Nivelles fort jolies, mais l'air
un peu léger. J'ai assisté à leur grand'messe où elles chan-
taient en riant de fort bon cœur. Elles étaient coiffées à
ravir. Un petit voile de gaze, dont le jeu était bien adroit,
rendait leur physionomie très piquante. Tout cela m'a paru
des vocations fort agréables. » (Lettre de Laurent de Fran-
quières, 1773, citée par A. Gallicr : La Vie de province au
XVIII' siècle.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 95
sible de s'habiller à leur gré, sitôt qu'elles
mettaient le pied hors du couvent. Sauf le ruban
et la croix qu'elles ne quittaient jamais, mais
qui étaient bien plutôt des distinctions honori-
fiques que des insignes religieux, il eût été
difficile de les distinguer, quant à leur toilette,
des autres femmes de la société. Elles évitaient,
il est vrai, les couleurs trop voyantes, telles
que le rouge et le rose; cette réserve n'était
en somme qu'un rappel bien discret de leur
situation.
Au surplus, les distractions que nous avons
énumérées (et sans doute aussi quelques autres)
n'étaient point, semble-t-il, pour blesser la mo-
rale. M. Boudet me paraît dans le vrai, lorsque
disculpant les chanoinesses d'accusations fort
injustes et le plus souvent tout à fait calom-
nieuses, il écrit : « Bonnes et vénérables
femmes! Ne pouvaient-elles pas se promener
avec des chevaliers de Malte au bord de l'eau,
sans y noyer leur vertu? Fallait-il quitter sa
bonne renommée en se décorant de la croix
dorée? Et n'étaient-ce pas des distractions inno-
centes, celles que procuraient à des compagnes
de dix, de vingt, de cinquante ans, le cuisinier
de quelque abbesse un peu gourmande? N'y
96 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
avait-il pas assez de quinze ou vingt matrones
pour surveiller ces actrices de seize ans qui ne
trouvaient pas le spectacle à leur goût s'il ne
se terminait par des tartes et des rondes?
Pauvres enfants, elles auraient peut-être pu
supprimer quelques gavottes ; elles ont peut-
être trop joué Athalie devant les messieurs du
voisinage. Ce furent là leurs plus grands torts. »
Leurs plus grands torts ! Il ne faudrait pas
jurer que certaines chanoinesses n'en eussent
jamais eu à se reprocher de plus graves. On
n'affirmera pas ici (à quoi bon vraiment?) que
la coquetterie ait perdu tous ses droits dans le
cœur et dans la tête de toutes les chanoinesses,
ni môme que l'amour, dieu malin, n'ait pas su,
au travers des grilles, jeter çà et là des flèches
dont les blessures ne se fermèrent pas toujours
sous l'influence d'un baume bien légitime.
Dans un siècle si fort adonné au libertinage
élégant, le goût de la galanterie devait forcer
jusqu'aux portes des maisons canoniales. Que
des intrigues se soient nouées sous les ombrages
de Remiremont, de Bourbourg, de Neuville, de
l'Argentière ou de Salles, intrigues dont le
dénouement laissait à désirer au point de vue
moral, il se peut; que des « étourderies », pour
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 97
parler comme Lamartine, aient été commises,
il est probable. Mais rien n'autorise à dire ni
à penser que ces intrigues ou ces « élourde-
ries », comme on voudra les appeler, aient été
fréquentes, encore moins qu'elles suffisent à
entacher l'honorabilité de femmes dont beau-
coup furent de véritables saintes et dont la
plupart vécurent simplement, modestement,
dans la pratique des vertus communes et selon
les principes de l'éducation la plus parfaite. En
faisant des chanoinesses les héroïnes de tant de
petits contes polissons, la littérature se divertit
aux dépens de la vérité et fait la nique à l'his-
toire.
Si la galanterie n'abdiquait pas entièrement
dans les chapitres nobles, l'esprit de cabale
aurait eu plutôt tendance à s'y aggraver. Ce
penchant dont tout être humain porte en soi le
germe, et qui, dit-on, s'exaspère dans les
cloîtres, gardait bien de la virulence encore au
sein de ces demi-monastères où les charges
étaient électives. L'écho des dissensions intes-
tines auxquelles donnaient lieu ces élections
parvenait rarement au dehors, et nous man-
querions de renseignements précis sur ce point
.si nous n'avions comme exemple les divisions
6
98 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
profondes que creusa à Remiremont l'ëlection
d'une simple dame secrète, autrement dit, d'une
sacristine. En 1782, Marie-Christine de Saxe
étant abbesse, le chapitre se partagea en deux
et donna un nombre de voix égales à madame
de Montjoye et à madame de Ferrette. On se
défendit de part et d'autre avec une telle cha-
leur, que les deux partis échangèrent trente
factums dont quelques-uns ont cent cinquante
pages! La nomination de madame de Montjoye
fut enfin déclarée nulle, mais l'histoire ne dit
pas si cette décision ramena le calme dans les
esprits'.
Elles avaient eu de meilleures occasions de
montrer leur énergie. Gomme beaucoup d'ab-
bayes, Remiremont avait souvent souffert des
guerres dont les pays de l'Est étaient le théâtre.
En 1633, malgré leur désir de rester neutres
dans la lutte entre Charles de Lorraine et la
France, les chanoinesses se virent entraînées
au plus fort de la bagarre. Richelieu, craignant
qu'elles ne favorisent les révoltés de Lorraine,
leur envoie le gouverneur d'Epinal, M. de la
Huchette, avec douze cents hommes. Mais
1. Didelot : Remiremont, op. cil.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 99
(le Ville, gouverneur de Remiremont, n'entend
pas capituler sans combat. Et voilà les chanoi-
nesses courant par la ville, excitant les soldats
à la défense, portant des bois, jetant des fas-
cines, gâchant le mortier. Leur exemple entraîne
femmes et filles de la cité. Du haut des rem-
parts l'abbesse, madame Catherine de Lorraine,
encourage les dames et assiste à la bataille.
Fort heureusement, M. de la Huchette, redou-
tant de voir arriver des troupes fraîches sur ses
derrières, s'éloigne en hâte, et aussitôt, les cha-
noinesses désireuses de reprendre leur vie tran-
quille, s'adressent à Louis XIII qui accorde
la neutralité aux villes de Remiremont, Epinal,
Saint-Dié, etc., etc.'.
Remiremont avait l'habitude de ces faits
guerriers. Attaquée en 1595 par les bandes
que commandait le sire de Tremblecourt, on
vit l'abbesse Barbe de Salm, vieille et infirme,
se faire transporter sur les remparts, afin d'in-
citer les habitants à la défense de leur ville.
Tandis que nombre de chanoinesses passent
ainsi leur temps à susciter de petites machina-
tions à propos d'une obtention de charge,
1. Le chapitre de Remiremont, op. cil.
100 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
tandis que d'autres se gendarment contre une
abbesse qui prétend leur imposer le retour à
des règles plus sévères *, d'autres encore se
livrent aux douceurs de la poésie. Il y a
cinq dames de Monspey à Remiremont au
xviii^ siècle. Toutes les cinq sacrifient aux
Muses et l'une d'elles collabore même au
journal le Mercure français, sous le pseudo-
nyme d'Annette -.
Les chapitres se modernisent. Ouverts
comme ils sont à tous les bruits du monde,
ils ne peuvent se fermer aux idées à la mode.
A peine échappent-ils aux passions qui gron-
dent. Bien des chanoinesses se laissent griser
comme d'autres femmes par les promesses
vagues, par les théories alléchantes qui com-
posèrent le prélude sentimental d'une révolu-
tion sanglante. A ce titre, la lettre suivante est
curieuse : « Gardez-vous, cousine, écrit ma-
dame de Chabon, prieure de Saint-Antoine,
1. Elle avait supprimé des abus, l'admission des personnes
séculières dans le chœur, l'élrange habitude do conduire en
procession, le jour des Palmes, la figure du Christ montée
sur un âne, etc. Mais quand elle voulut imposer des règles
plus strictes, elle se heurta à une telle opposition, qu'elle
dut quitter l'abbaye et se retirer à Nancy, où elle fonda un
monastère plus conforme à l'austérité de ses mœurs.
2. Marquise de Monspey : Lettres royales inédites.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES lOl
gardez-vous de dire du mal du Tiers. Il fait
toute notre gloire en ce moment. On vous a
mal instruit. C'est le clergé et une partie de
la noblesse qui ont failli à amener une scis-
sion, etc., etc. ' »
Généreuse illusion qui ne va pas tarder à
recevoir des événements un rude démenti.
L'heure approche, en effet, où de singuliers
apôtres de la liberté viendront inventorier les
chapitres, interroger les chanoinesses, s'ef-
forcer de tirer d'elles l'aveu tant espéré qu'elles
ne sont là que par contrainte, et devant leur
réponse, partout identique, « qu'elles sont au
chapitre de leur plein gré et qu'elles espèrent
y vivre et y mourir », s'éloigner furieux et
menaçants. Ces hommes d'ailleurs ne font
qu'en précéder d'autres qui, tout à l'heure,
s'empareront purement et simplement des bâti-
ments des chapitres, des maisons construites
par les chanoinesses de leurs propres deniers,
et les vendront à l'encan. Quand les officiers
municipaux arrivent à Salles, la prieure, ma-
dame de Ruffey, essaye bien de leur expliquer
1. Lettre du 17 janvier 1789, de madame de Ghaboo à la
marquise de Leusse, citée par le baron de Leusse : Vie du
marquis de Leusse, op. cit.
0.
102 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
que les chanoinesses « ont employé tous leurs
biens à faire construire les maisons qui les
abritent, et qu'en conséquence, elles ont sur
ces maisons un droit que la justice et la nation
ne sauraient méconnaître. » La justice et la
nation! Les officiers municipaux durent bien
rire*... Tout fut vendu, ou presque. Quelques
maisons restèrent sans acquéreur, et, la tour-
mente passée, les chanoinesses à qui apparte-
naient ces maisonnettes invendues vinrent s'y
blottir à nouveau, manquant de tout, n'ayant
plus même les meubles indispensables et
réduites à accepter les secours que leur don-
naient les gens du voisinage.
On eût pu épargner ces pauvres femmes,
semble-t-il, et leur présence au fond de chapi-
tres qu'avait singulièrement assombris la chute
de la monarchie, ne devait pas fah'e courir
grand risque à la république triomphante. Le
peuple, au nom duquel on parlait sans cesse,
mais que l'on consultait fort peu, ne deman-
dait point que les dames chanoinesses fus-
sent chassées . Il se souvenait qu'elles étaient
1. Même protestation fort digne à Neuville, de la part de
l'abbesse, madame de Charbonnier, et des autres dames,
qui déclarent ne céder qu'à la force.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 103
bonnes, paisibles, point dures avec les tenan-
ciers de leurs terres, et que leur charité s'éten-
dait libéralement aux alentours du chapitre.
L'année était-elle mauvaise, l'abbesse de Mau-
beuge faisait remise aux fermiers des four-
rages. En temps de disette, elle envoyait aux
halles de la ville, blé, viandes, charbon, pour
y être vendus à prix réduit ^ A Lavesne, tous
les jeudis, une grande table est dressée dans
la cour d'honneur du monastère, et tous les pau-
vres, les miséreux, tous ceux qui ont faim,
peuvent venir s'y rassasier. Les chanoinesses
président elles-mêmes à ces repas -. Quoique
peu riches, le^ dames de Salles ne manquent
pas de faire des distributions quotidiennes de
pain et de viande, parfois de vêtements. A 2Seu-
ville, elles font « des charités considérables ^ ».
11 en est de même partout, et la municipalité
de Remiremont adresse des remontrances à
l'Assemblée nationale au sujet de la fermeture
du chapitre, « qui procure aux habitants de la
montagne la plus grande partie des grains
1. Histoire religieuse de Maubeuge, op. cit.
2. Un chapitre de chanoinesses, op. cit.
3. Histoire du prieuré de Neuville, op. cit.
lOi FILLES NOBLES ET MAGICIEXXES
qu'ils consomment, à des prix modiques et le
plus souvent à crédit \ »
L'intérêt supérieur de la nation exigeait pro-
bablement la suppression des chapitres nobles,
car, en dépit des protestations des braves gens
qui, vivant près des chanoinesses, avaient
appris à les connaître et appréciaient leurs
bienfaits, elles furent expulsées de ces petites
maisons qu'elles avaient construites ou dont
elles avaient hérité et qu'elles s'étaient plu à
orner, à décorer du travail de leurs mains.
La plupart retournèrent dans leur famille et
partagèrent avec elles les destinées que leur
réservaient les événements. Beaucoup périrent
surl'échafaud. Quelques-unes, comme madame
de Chalus, moururent du saisissement que
leur causa la dissolution de leur ordre ^. Il
en est même qui s'enthousiasmèrent pour la
Révolution. On imagine que celles-ci furent
rares. Du moins en connaît-on une, madame
de Ligniville, celle que nous avons vue se
jeter dans un puits chez madame de Vichy, à
Lavesne. Toujours exaltée, quand le chapitre
fut fermé, elle vint à Paris, fréquenta les clubs,
1. Remiremont, op. cit.
2. Un chapitre de chanoinesses, op. cit.
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES 105
pérora, et écrivit des extravagances en faveur
de ceux qui allaient tuer la reine, sa cousine
et sa bienfaitrice. Elle finit par épouser un
maître d école et sombra dans l'oubli *.
Vers la fin du règne de Louis-Philippe, on
rencontrait encore, dans quelques salons de
Paris ou de province, d'anciennes chanoinesses.
Elles étaient partout l'objet du respect le plus
profond, mais aussi d'une curiosité dont on se
défendait mal. Elles représentaient une époque
qui semblait si lointaine, si lointaine ! C'est à
peine si on ne les considérait point avec l'éton-
nement un peu craintif que susciterait l'appa-
rition de personnes revenant de l'autre monde.
Elles avaient conservé les manières de la cour
et le ton de la meilleure compagnie du
XVI II" siècle, causaient avec esprit, gardaient
de leur passage au chapitre une certaine réserve
un peu hautaine et s'accommodaient assez mal
des usages nouveaux. Leur fidélité au passé
les rendait peu indulgentes pour le présent.
Si quelques-unes avaient eu des illusions à
l'aurore de la Révolution, elles en étaient bien
revenues. Les hommes qui avaient tué le roi,
bouleversé les rangs sociaux, fermé leurs cha-
I. Un chapitre de chanoinesses, op. cit.
106 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
pitres, ne pouvaient être que les suppôts de
Satan ! N'avaient-elles pas un peu le droit de
les maudire, ces hommes qui les avaient brus-
quement jetées hors des asiles qu'elles s'étaient
choisis, qui s'étaient emparés de leurs maigres
biens, les avaient vendus au plus offrant, ou,
ne pouvant les vendre, les avaient dispersés
ou détruits? De quel regard devaient-elles
voir les broussailles et les ronces pousser dru
sur ces lieux qui avaient été Alix, Bourbourg,
Neuville ! Pour pardonner ces destructions
inutiles et sauvages, il eût fallu être des
saintes. Et les chanoinesses n'étaient pas
— toutes — des saintes...
DANS LES ABBAYES DE FEMMES
L'idée ne m'est pas venue, un instant, je
l'avoue, de retracer, fût-ce sommairement,
l'histoire des abbayes de femmes. J'ignore si
cette tâche colossale a été entreprise. Il existe
de nombreuses monographies de couvents et
d'abbayes, mais un travail d'ensemble, sur un
sujet aussi vaste, absorberait la vie entière de
l'homme assez téméraire pour le tenter et peu
de personnes, sans doute, auraient la patience
de le lire. Car, si l'on sait bien qu'il y a des bé-
nédictins capables d'écrire de puissants in-
folios sur les questions les plus graves et les
plus rébarbatives, on connaît moins de béné-
dictins parmi les lecteurs.
108 FILLES NOBLES ET MAGICIE.XXES
La genèse de la présente étude est très
modeste. C'est en cherchant un peu partout
des renseignements sur les chanoinesses des
chapitres nobles que peu à peu je me suis sur-
pris à jeter un regard peut-être indiscret dans
les abbayes et dans quelques couvents dont la
vie intérieure nous est révélée en partie par
des documents d'archives.
Ne s'agissant ici que d'une rapide incursion
dans cette vie intime, j'ai dû passer presque
sans m'y arrêter sur la fondation des abbayes,
m'interdire toute réflexion sur le rôle que
plusieurs d'entre elles ont joué et laisser tout
à fait à l'écart leur histoire politique et sociale,
me bornant à suivre les abbesses et leurs
ouailles dans le petit traintrain de leur exis-
tence quotidienne. Pour atteindre ce but avec
quelque chance de véracité, j'ai volontaire-
ment renoncé, dans la plupart des cas, à uti-
liser les monographies dont je parlais plus
haut, m'en tenant aux pièces originales qui
fournissent d'ailleurs une abondante moisson.
J'aimerais que l'on consentît à me suivre au
fond de ces cloîtres mieux clos que ceux des
chapitres nobles, mais où, malgré tout, la vie
religieuse est encore troublée par bien des
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 109
querelles, bien des préoccupations qui ne sont
pas toujours d'essence évangélique. Moyen-
nant quoi, ces abbayes, dont l'historique devrait
offrir une lourde monotonie peuvent, au con-
traire, faire l'objet d'un tableau assez vivant
où les faits, qui seuls parleront, se chargent
de mettre les tons et les couleurs. Mais n'ou-
blions pas que ces intérieurs de couvents,
ainsi que l'a très bien dit Sainte-Beuve, s'ac-
commodent mal du grand jour et qu'il y faut
pénétrer beaucoup et y habiter longtemps
pour s'y intéresser un peu.
Abbayes de femmes en 1768 et en 1788. — Leur fon-
dation. — Illustrations de leurs fondateurs et de
leurs bienfaiteurs. — Héloïse à Paraclet. — Beauté
architecturale des abbayes, — Les grains du cha-
pelet. — Règles de saint Benoît et de saint Augustin.
— Gouvernement. — Le chapitre souverain. — L'ab-
besse, en réalité, est la maîtresse à peu près absolue.
— Privilèges de la fonction. — Ces fonctions réser-
vées aux filles de haute noblesse et aux princesses
du sang. — Avoir une abbaye constitue une grosse
affaire.— Intrigues pour obtenir la crosse abbatiale.
— Mademoiselle d'Aulan et sa tante du Deffand. —
Nécessité de caser les filles.
Il existait en France, lors de l'édit de 1768,
deux cent trente-neuf abbayes de femmes, y
compris les chapitres nobles. En 1788, ce
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 111
nombre avait passé à deux cent quarante-quatre.
Toutes ces abbayes étaient dites « de nomina-
tion royale», parce que, ainsi que je l'ai exposé
déjà, le roi en nommait l'abbesse. Il y avait
encore quelques abbayes « en règle » où le
droit d'élection s'était conservé. Quant aux
simples couvents, dont j'aurai d'ailleurs peu à
m'occuper, ils étaient innombrables et la statis-
tique en serait dénuée d'intérêt.
La fondation de ces abbayes remontait sou-
vent aux époques les plus reculées. Ceci
n'était point indifférent. Les religieuses se
montraient très justement tlères de l'ancien-
neté de leurs monastères et y attachaient un
prix au moins égal à celui que les gens de no-
blesse attachaient à l'antiquité de leur race. Un
couvent fondé en 1207, comme l'Abbaye-au-
Bois, en 1260, comme Longchamps, considé-
raient de haut et avec quelque pitié ceux qui
ne dataient que du xvi* ou du xvii* siècle.
L'illustration du fondateur ou de la fonda-
trice n'était pas non plus un mince sujet d'or-
gueil. Il arrivait que tel couvent obscur malgré
son ancienneté devînt tout à coup fameux, de
par la protection d'un personnage de marque.
Ainsi en fut-il pour le Val-de-Gràce. Cette
112 FILLES NOBLES ET MAGICIEXNES
abbaye, établie depuis le ix' siècle dans une
vallée près de Bièvre-le-Ghâtel, était demeurée
fort inconnue jusqu'au jour où la reine Anne
d'Autriche payant de ses deniers les 36.000 livres
que l'on demandait aux religieuses pour un
terrain à Paris, se déclara leur protectrice. On
sait ce qu'il advint. Leur église obtint le privi-
lège de porter les armoiries de France et d'in-
humer les cœurs des princes de la famille
royale. C'était la célébrité! Sans compter que
cette église, c'est Mansard qui la bâtit. Un peu
de la gloire du couvent rejaillit ainsi sur toute
la France.
Si l'Abbaye-au-Bois se peut flatter d'avoir
eu pour fondatrice Charlotte de Bavière, du-
chesse d'Orléans, n'est-ce donc rien pour un
monastère que d'avoir été créé par Abeilard,
et d'avoir été gouverné par Héloïse, comme le
fut Paraclet?
Rappellerai-je les noms des abbayes les plus
célèbres? Qui n'a entendu parler de Fonte-
vrault, de Chelles, de Jouarre? Qui n'a lu
quelque récit concernant Panthémont, Long-
champs, Bellechasse? Port-Royal n'a-t-il pas
fait l'objet de toute une littérature? L'abbaye
de Montmartre, celles de Montmirault, de Gif,
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 113
de Saint-Louis de Poissy, de Faremouliers, de
la Déserte, de Jumièges, deBomport, de Beau-
mont-les-Tours ne sont pas moins renommées.
Par la beauté et la richesse de leur architec-
ture comme par la grandeur de leur passé,
elles faisaient partie de ce patrimoine national
dont on souhaiterait que jamais une parcelle,
si mince soit-elle, n'eût été distraite. Ces
admirables joyaux de pierre, où les saintes
fondatrices avaient laissé, semblait-il, quelque
chose de leur àme pieuse, s'échelonnaient sur
le territoire de la France, élevant au sommet des
collines ou dans le fond des vallées ombreuses
leurs murailles pacifiques et leurs clochers
ajourés. C'était, par tout le pays, comme un
chapelet de prières muettes dont les grains,
sertis avec un art délicat et fervent, eussent
été les fleurs mystiques. La main brutale des
hommes, la main lourde du temps ont brisé
peu à peu les chaînes adorables. Un à un, les
grains se sont détachés, emportant chaque fois
avec eux un peu de notre croyance et de nos
rêves... De toutes ces dentelles architecturales
qui paraient nos campagnes et nos cités, les
mines, majestueuses encore, demeurent l'uni-
que témoignage. La mort, souveraine taciturne.
114 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
règne seule en ces lieux d'où montaient jadis
vers le ciel les chants liturgiques de vie...
Etablis selon les règles de saint Benoît ou
de saint Augustin, les statuts qui régissaient
les abbayes ne laissaient pas d'être fort sévères.
Mais il est à supposer qu'un certain relâche-
ment dans la discipline ne tarda pas à se pro-
duire, car, dès le xii" siècle, il n'est bruit dans
le monde ecclésiastique que de réformes à
opérer en vue de forcer les religieuses à rentrer
dans la stricte observance. Les protestations
des évêques et des légats contre les libertés
que prennent la plupart des monastères sont
aussi fréquentes, aussi véhémentes au Moyen
âge qu'elles pourrontl'être en plein xviii^siècle.
De tout temps, les prédicateurs, à commencer
par saint Grégoire de Nazianze, ont fulminé
contre les mœurs de leur époque. Et, sans doute,
n'avaient-ils pas tort. On imagine assez bien, en
effet, que les mœurs n'ont ni gagné ni perdu,
depuis que le monde est monde et que, à des
détails près, la moralité ne s'est modifiée en
bien ou en mal que dans la mesure où nous
nous plaisons à la considérer sous l'angle de
nos préjugés, des conventions et de nos illu-
sions du moment.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 115
Quoi qu'il en soit, dès la fondation des monas-
tères, un règlement intervint, fixant d'une
manière fort précise, les titres, prérogatives,
fonctions et droits attribués à chaque membre
de la communauté religieuse.
Cette communauté est gouvernée adminis-
trativement par un chapitre composé de la
prieure ou abbesse, de la sous-prieure, de la
trésorière, de la sacristine, auxquelles se join-
dront plus tard la coadjutrice et la première
maîtresse de pension dans les maisons qui
accepteront des élèves.
Le chapitre, souverain en certaines matières,
ne se réunit en fait que rarement. Il s'occupe
des baux, des fermages ; l'abbesse l'appelle
aussi pour délibérer au sujet de fondations
pieuses. Ainsi voit-on les dames de Panthé-
mont s'assembler en chapitre solennel en vue
de décider de la fondation d'une messe chantée,
tous les ans, le jour de Sainte-Glotilde, en com-
mémoration des bienfaits que le couvent a reçus
du roi. La dernière assemblée dont le registre
capitulaire de Panthémont fasse mention, est
celle du 2 mars 1789, au cours de laquelle
le chapitre nommait M. Jean de Clermetz de
Lamerie, prêtre de l'église de Beauvais, à
116 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
l'effet de le représenter à l'assemblée des trois
ordres et de concourir avec lui à la rédaction
du cahier des plaintes, doléances et remon-
trances K ,
En réalité, l'abbesse est maîtresse absolue
dans son petit royaume, dont les habitantes
sont partagées en religieuses professes du
chœur, converses, novices ou postulantes.
Je ne reviendrai pas sur la situation des
abbesses. On a vu combien celle-ci était consi-
dérable et considérée. Le récit suivant en don-
nera une nouvelle et éclatante preuve. Il s'agit
de l'intronisation d'une abbesse de Fonte-
vrault, Madeleine Gabrielle de Rochechouart.
« La princesse Jeanne-Baptiste de Bourbon, la
reine, Monsieur, Mesdemoiselles les Princesses
et Messieurs les Princes assistaient à la céré-
monie de l'installation à laquelle présidait mon-
seigneur Harlay de Ghampvallon. Le cardinal de
Bouillon et le nonce étaient également présents
à cette cérémonie qui eut lieu au couvent des
Filles-Dieu, une des maisons de l'ordre. Ma-
dame de Rochechouart était la première abbesse
qui eût été bénie à Paris. Les religieuses de
1. Arch. nat. LL. 1C07.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 117
l'ordre alors en cette ville vinrent baiser la
main gantée de l'abbesse, puis les religieuses
professes, les sœurs laies et enfin les officiers
domestiques. Elle partit au mois de mars pour
Fontevrault. On lui rendit toutes sortes d'hon-
neurs sur la roule, et toutes les communautés
et les magistrats des lieux où elle passait, la
haranguèrent. Lorsqu'elle arriva à Fontevrault,
plus de dix mille étrangers accoururent de toutes
parts et auraient rendu la fête fort tumultueuse
sans le bon ordre qu'on y apporta. A Orléans,
elle avait failli être étouffée par la multitude '. »
La charge d'abbesse est d'ordinaire réservée
à des femmes de haute naissance. On ne compte
pas les princesses de sang royal qui gouver-
nèrent des monastères, quelques-unes en véri-
tables saintes, comme Ysabel de France, sœur
de saint Louis, fondatrice de Lonchamps ;
quelques-unes en grandes politiques, comme
Jeanne de Lorraine, abbesse de Jouarre ; quel-
ques autres d'une manière beaucoup plus mon-
daine et même un peu inquiétante, comme
madame de Chartres, abbesse de Chelles. Der-
1. Relation manuscrite : Abrégé des i~ies de mesdames les
abbesses de Fontevrault. Arch. nat., L. 1019, dossier 5,
pièce 4.
118 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
rière ces princesses, toute la noblesse de France
s'évertue à obtenir des abbayes pour les trop
nombreuses filles que les duretés de la vie
écartent du mariage. Le profit matériel est
médiocre. Nous aurons l'occasion de constater
tout à l'heure combien rares étaient les abbayes
pourvues de revenus importants. Mais l'hon-
neur était grand. Cela suffisait pour que le
sceptre d'abbesse fût recherché avec une sin-
gulière âpreté. A Longchamps, voici Jeanne
des Essarts, Jacqueline de Mailly, madame de
Bellièvre, Agnès d'Harcourt.';,\'^oici, à l'Abbaye-
au-Bois, des Harlay, des Richelieu, des Cha-
brillan, des Mézières. Une Beauvilliers, une
Rochechouart, une La Rochefoucauld, une
Montmorency tiennent tour à tour la crosse
abbatiale de Montmartre. Des Scépeaux, des
Soyecourt, des Ghabannes, des Virieu, des
Rohan, des Boufflers régnent à la Vaisin, à
Panthémont, à Sainte-Geneviève de Chaillot, à
Port-Royal, à Gonflans et ailleurs. Faut- il citer
mademoiselle de Beauvilliers qui, en cette
abbaye de la Joie, si bien nommée, ne donnait
pas l'exemple de la vertu, et mademoiselle de
Séry qui, au contraire, édifia les religieuses de
Gomerfontaine?
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 119
A dresser la liste des abbesses on épuiserait
l'armoriai.
Il va sans dire que, seules, les abbayes de
nomination royale sont ainsi recherchées.
Dans les autres, en effet, depuis 1631, l'auto-
rité ecclésiastique a établi une règle dite du
triennat, par laquelle les abbesses sont tenues
de remettre leurs pouvoirs entre les mains du
supérieur au bout de trois années de fonction.
Elles peuvent être réélues, il est vrai, mais
aux difficultés que les abbesses soulèvent par-
fois avant de se soumettre à ce règlement, il
est facile de voir que cette réélection n'est pas
toujours assurée. Dans les abbayes royales, au
contraire, Tabbesse, nommée par le roi, con-
serve sa charge sa vie durant, sauf des excep-
tions peu nombreuses et des circonstances
extraordinaires.
Avoir une abbaye constitue donc une grosse
affaire. Pour la réussir, cette affaire, ce n'est
pas trop d'y intéresser ses parents, ses amis,
tout ce qui, de près ou de loin, peut, à l'heure
décisive, vous être d'un secours quelconque
soit auprès du roi, soit auprès de l'évêque dé-
tenteur de la* feuille des bénéfices.
Quand la marquise d'Aulan se met en tête
120 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
d'obtenir une abbaye pour sa fille aînée, reli-
gieuse bénédictine, elle met le monde entier à
contribution. Par sa sœur du Deffand, par sa
cousine, la duchesse de Luynes, elle a des ap-
puis à Paris; par l'évéque de Dax, elle pense
tenir le clergé. Il faut voir comme elle harcèle
les gens. Dans cette louable tâche, elle apporte
plus de zèle que d'adresse. En bonne provin-
ciale, elle multiplie les impairs, ce qui lui at-
tire des semonces de la part de madame du
Deffand visiblement énervée. Un jour qu'elle
s'est avisée d'écrire directement à madame de
Ghoiseul, madame du Deffand lui fait ces
aigres remontrances : « Je suis bien fâchée,
ma chère sœur, d'avoir à vous dire des choses
qui ne vous seront pas agréables. Je fus voir
hier madame de Ghoiseul; elle m'apprit qu'elle
recevait constamment de vos lettres... Songez,
ma chère sœur, que vous ne connaissez point
madame de Ghoiseul, que vous n'avez jamais
eu d'autres relations avec elle que de lui faire
faire des bas de soie. Ce service n'est pas d'un
genre à vous donner le droit de lui rien de-
mander ^ » Madame d'Aulan ne s'en tient pas
1. Lettre inédite de la marquise du Deffand à sa sœur,
15 sept. 1762.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 121
là. Elle se répand en lamentations contre ceux
qui ne lui paraissent pas assez bien disposés en
faveur de sa fille ou qui témoignent à son gré
trop de tiédeur dans leurs démarches. Cela
s'ébruite et risque de tout gâter. Madame du
Deffand administre à sa sœur une nouvelle
volée de bois vert : « Si madame de Luynes,
lui écrit-elle, avait la moindre connaissance de
ce que vous dites, elle serait bien découragée
de s'intéresser à vous, et si M. de Digne venait
à savoir de quelle manière vous jugez à propos
qu'on traite avec lui, je crois que vous sauriez
bientôt à quoi vous en tenir et qu'il vous di-
rait que votre fille n'aura jamais rien. Quel
droit a-t-on pour lui parler avec hauteur et fer-
meté? Est-ce à vous qu'il doit sa place? Man-
quera-t-il à son devoir, sera-t-il déshonoré
quand il ne placera pas votre fille? Quelle est
l'insulte qu'il vous a faite? Quels sont les enga-
gements qu'il a pris? » Et la lettre se poursuit
de ce ton K
Qui n'a-t-on pas fait agir? L'évêque de Li-
sieux, la maréchale de Luxembourg, le cardi-
nal de La Rochefoucauld, le vice-Légat, la
1. Lettres inédites du Deffand, 21 et 29 déc. 1757.
122 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
maréchale de Mirepoix se sont entremis avec
bienveillance. Il n'est pas jusqu'à la reine que
madame d'Aulan n'eût rêvé de faire intervenir
si madame du Deffand ne s'y était opposée en
déclarant que l'expédient ne serait pas de son
goût, (( cette princesse lïe voulant jamais se
mêler de rien* ». Par malheur, au cours des
négociations, M. de Mirepoix étant mort, la
feuille des bénéfices a changé de mains. C'est
maintenant l'évêque de Digne qui la possède.
D'oii, nouveaux retards et nouvelles combinai-
sons à mettre sur pied. On a d'abord songé à
l'abbaye de la Déserte, mais on craint « des
contradictions de la part du cardinal de Ten-
cin ». D'ailleurs, elle est donnée à une autre
postulante. On a songé aussi à l'abbaye de
Préaux, vacante par la mort de madame de
Brancas. Celle-là encore échappe à mademoi-
selle d'Aulan. Il faut s'en consoler, car, « les
bâtiments tombent en ruine et la situation en
est affreuse- ». Un moment, il a été question
de l'abbaye d'Ulysse. Encore « faudrait-il savoir
ce quelle vaut ». Finalement, madame d'Aulan
se rabat sur l'abbaye de Saint-Sauveur à Mar-
1. Lettres inédites du Detïand, 19 août 1757.
2. Ici., 20 avril 1758.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 123
seille. Madame du Deffand n'a qu'une médiocre
confiance, «c J'ai bien peur, mande-t-elle à sa
sœur, que madame de Vernon, abbesse de
Saint-Sauveur se moque de vous et ne vive
encore quelques années. Je verrai madame de
Luynes; je lui parlerai de ma nièce, mais si
cette abbesse est éternelle, à quoi cela servira-t-
il*? » Personne n'étant immortel, même les
abbesses, celle de Saint-Sauveur finit par
mourir et mademoiselle d'Aulan prend sa
place. Il était temps. Cette importante affaire
avait duré sept ans, de janvier 1737 àmars 1763,
époque où madame du Deffand peut enfin
écrire : « Oh ! ma chère sœur, je suis comblée
de joie. Votre fille à l'abbaye. Voilà les bulles
de ma nièce; elles coûtent 840 livres. M. l'ar-
chevêque de Toulouse a voulu en faire les
avances-. » Répétons-le; il était temps. Ma-
dame d'Aulan, en dépit des avertissements,
accumulait maladresses sur maladresses et
madame du Deffand, encore qu'elle ne cessât
d'exhorter sa sœur à la patience, était elle-même
excédée. Solliciter pour les autres, fût-ce pour
des personnes de sa famille, n'entrait guère
1. Lettres inédites du Deffaud, 5 mai 1762.
2. Jbid., 27 mars et 1.3 juin 1763.
124 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
dans ses habitudes non plus que dans ses
goûts.
Par cet exemple dont j'ai tenu à souligner
les détails, il est facile de se rendre compte à
quel point ces charges d'abbesses étaient
souhaitées, combien il était malaisé de les
avoir, même lorsqu'on se pouvait flatter de
protection, et quelle ténacité les familles
nobles savaient apporter dans les intrigues de
ce genre.
La nécessité de caser des filles sans dot ou
pourvues de dots trop insuffisantes pour tenter
un mari, les honneurs attachés à la dignité
d'abbesse, étaient sans doute les principales
causes de cette course à la crosse, car, ainsi
que je l'ai montré ailleurs pour les chapitres
nobles, l'intérêt pécuniaire ne saurait entrer ici
en ligne de compte. Certes, il y avait en France
des abbayes puissamment riches mais com-
bien? La plupart avaient de la peine à vivre et
la situation des abbesses dans tous ces monas-
tères n'était pas brillante sous le rapport de
l'argent. Une abbesse parvenait à vivre au fond
de son couvent, tandis qu'elle aurait eu quelque
difficulté à tenir son rang dans le monde. Mais
supposer qu'elle y filait des jours tissés d'or
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 123
et de bien-être serait très peu conforme à la
vérité.
Un coup d'œil jeté sur les finances des
abbayes nous édifiera sur ce point.
II
État des revenus des abbayes en 17C8. — Pour quelques
abbayes riches, combien d'abbayes pauvres ! Les
monastères toujours aux abois. — Manie de la cons-
tructrbn et manie d'acquérir des terrains. — L'Abbaye-
au-Bois et fiellechasse. — Panthémont. — Les abbayes
ploient sous le faix des dettes. — Chez l'épicier. —
Dépenses de première nécessité. — Le livre de
comptes de l'abbaye de Longchamps. — Dépenses
de l'abbaye du Val-de-Grâce. — Mercier et les
abbesses. — Honoraires des médecins et des confes-
seurs. — Les dépenses de sacristie. — Les res-
sources en regard des charges. — Dons et legs. —
Rien ne parvient à boucher les trous creusés dans
les budgets. — Les religieuses deviennent ingénieuses.
— La vente des sirops, des dentelles, des rubans. —
On va jusqu'à raccommoder les matelas. — Dans
leur détresse, les religieuses vendent l'argenterie
abbatiale et des reliques. — Elles s'adressent à leurs
familles. — Mademoiselle de Ventadour et son
père.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 127
Lors de l'édit de 1768, l'état des revenus des
abbayes fut établi d'une manière assez précise.
Il ressort de cet état que si certaines abbayes
jouissaient de rentes considérables (Fonte-
vrault, 80,000 livres; Notre-Dame de Saintes,
60.000: La Trinité de Caen, ori.OOO; Jouarre,
50.000; Chelles, .30.000)', d'autres, en re-
vanche, devaient se contenter de revenus si
minimes qu'on a peine à croire qu'ils aient pu
suffire aux besoins d'une communauté. J'indi-
querai seulement les 1.400 livres de rentes de
l'abbaye de Bonlieu et les 1 .000 livres qui cons-
tituaient toutes les ressources annuelles de La
Ferté (diocèse de Nîmes) et de l'abbaye de Nid
d'Oiseau (ce nom ne vous ravit-il pas?) aux
alentours d'Angers. Gomerfontaine, Maubuis-
son, Saint-Sauveur d'Evreux peuvent compter
sur des revenus de 2o à 30.000 livres. Le
prieuré de Saint-Pardoux, en Limousin, en a
14.000 environ-. Plusieurs monastères ont
1. Almanach royal. — J'ai vu dans beaucoup d'auteurs
que des abbayes avaient 100, 200 et jusqu'à 300.000 livres
de rentes. Aucune pièce originale ne m'a permis de confir-
mer ces chiffres.
2. Roger Drouault, Recherches sur le monastère et le bourg
de Saint-Pardoux.
128 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
10.000 livres de rentes; un plus grand nombre,
5.000 seulement. La moyenne ne se peut fixer
à plus de 4.000 livres. Avouons que c'est
peu.
Les chiffres de ces revenus, est-il besoin de
l'ajouter, varient d'année en année. Panthé-
mont qui, en 1790, a 37.821 livres de rentes,
n'en avait que 34.459 en 1769. Port-Royal a
63.932 livres de rentes en 1767; un an après,
il ne dispose plus que de 5o.7o6 livres et
53.916 en 1769. En 1790, les recettes sont
tombées à 48.644 livres K
De tels revenus sont encore assez imposants.
Certes ! à condition de ne regarder que du côté
des recettes. Mais voici où les choses se gâtent.
En regard de ces revenus il est bon de consi-
dérer les charges. Prenons le budget de l'ab-
baye de Panthémont pour l'année 1769. Nous
avons vu que le revenu était de 34.459 livres.
Or, les charges, et par charges, il faut en-
tendre ici l'intérêt des sommes empruntées,
les rentes viagères et les décimes, montent à
13.026 livres. Il reste 21.432 livres, dont on
doit encore déduire 12.000 livres pour payer
1. Arch. nat., II. 4.036,4.050.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 129
divers créanciers. La somme restant liquide à
la communauté est de 9.432 livres ^
Les sources de revenus fixes, si l'on peut
employer ce terme, se divisent en trois catégo-
ries principales, les biens fonds en terre, les
propriétés bâties, les rentes sur le roi, les
villes, etc. L'abbaye du Val-de-Grâce, qui, on
le verra plus loin, n'avait pas été toujours aussi
riche, possédait, en 1790, un revenu de
77.000 francs environ qui se répartissait ainsi :
fermages, 31.000 livres, loyers des maisons
et appartements, 22.000 livres, rentes, 4.416
livres. Lengchamps tirait 13.000 livres de ses
terres et 12.000 livres lui étaient fournies par
des rentes sur le roi ou les tailles -.
D'autres ressources venaient aux couvents,
à certains d'entre eux tout au moins, grâce à
des dons ou encore, grâce aux pensions payées
par les élèves. Mais les religieuses se voyaient
obligées de recourir à toutes sortes de combi-
naisons plus ingénieuses que fructueuses pour
se procurer le nécessaire.
On n'imagine pas en effet combien les
monastères paraissant les mieux pourvus sont
1. Arch. nàt., H. 4.038.
2. Ibid., H. 3.858.
130 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
sans cesse aux abois. Nous avons constaté
l'état précaire de la plupart des chapitres
nobles. La situation des abbayes n'était pas
meilleure. Nul ne songerait à accuser les
excellentes religieuses de n'avoir point su tenir
leurs comptes ou de les avoir tenu avec noncha-
lance. Grands dieux, non ! Aucun comptable
de banque ou d'entreprise commerciale n'ali-
gnerait avec plus de conscience le doit en
face de l'avoir. J'ai sous les yeux le grand-
livre de l'abbaye de Port-Royal. Nous le feuil-
letterons de compagnie tout à l'heure. Il est
minutieusement à jour. Le désordre ne pro-
vient pas de causes si minimes. C'est dans une
mauvaise administration générale qu'il faut le
chercher. De tout temps les religieuses ont eu
la faiblesse de bâtir, d'acheter des terrains, des
immeubles, d'arrondir leurs domaines, sans
se soucier toujours de faire cadrer ces dépenses
considérables avec leurs disponibilités finan-
cières. Elles vont de l'avant, confiantes dans
l'avenir, convaincues que le bon Dieu ne les
laissera pas dans l'embarras et que, le moment
venu de payer, l'argent leur tombera du ciel.
Malheureusement, il arrive que le bon Dieu,
sans doute pour éprouver ses fidèles servantes,
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 131
ne se prête pas toujours à dételles conjectures
et déjoue leurs pieux calculs, en sorte que les
communautés succombent sous le poids de
dettes dont elle n'avaient jamais voulu entre-
voir les fatales conséquences. Que ce soit au
XY*, au xvi% au xvii^ou au xviii* siècle, ces
dettes jettent une perturbation profonde dans la
plupart des abbayes. Les religieuses de Long-
champs poussent un véritable cri de détresse
en 1552. c Les bestes rousses » ayant fait du
tort à leur blé, elles n'ont de quoi se nourrir
et sont réduites à emprunter pour vivre'. A
diverses époques, Fontevrault ploie sous le faix
de 200 et 300.000 livres de dettes pressantes*.
Pour avoir voulu agrandir ses domaines et « con-
struire un nouveau bâtiment destiné à loger
le pensionnat qu'elle avait formé pour l'éduca-
tion des jeunes demoiselles de la première
qualité », madame de Ghabrillan, abbesse de
l'Abbaye-au-Bois, dépense 280.000 livres, dont
elle doit encore 129.715 en 1783, laquelle
somme vient s'ajouter aux 100.000 livres dont
l'abbaye était déjà endettée avant son arrivée ^
1. Arch. nat., LL. 1604.
2. Ibid., L. 1018-19.
3. Arch. nat., G' 118. — M. Delarue, notaire, écrit à ma-
132 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Ces dames de l'Abbaye-au-Bois avaient
déployé une énergie sans égale pour acheter
vers 1759 une partie du terrain laissé libre par
la démolition du couvent des Petites Corde-
lières, voisin du leur. De nombreuses compé-
titions s'élevaient et la chose n'alla pas toute
seule. L'évêque de Metz souhaitait le voir
acquérir par son neveu, le marquis de Saint-
Simon, (( qui n'est nullement solvable », répli-
quait l'archevêque de Paris, qui avait pris le
parti des religieuses. Bref, celles-ci multiplient
si bien les requêtes et les suppliques qui,
toutes, sont fidèlement déposées entre les
mains de madame de Pompadour, que, grâce à
la protection de cette aimable personne, les
saintes filles purent enfin acheter le terrain
objet de leurs convoitises *.
Les religieuses de Bellechasse, qui ne sont
guère riches, ne songent pourtant qu'à acqué-
rir. Par contrat passé en 1633, elles achètent au
sieur Barbier un grand clos encerclé de murs
pour le prix de 90.000 livres. Soyons justes;
dame de Chabrillan, pour lui rappeler « qu'il y a trente ans
qu'elle n'a compté avec lui des honoraires et déboursés qui
lui sont dus. » Arch. nat., T. 1602.
1. Arch. nat., G« 140.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 133
elles ne mettent guère que trente ans à le
payer. Mais comment le paient-elles? Au moyen
d'emprunts successifs. Tant et si bien qu'en
1680, leurs dettes montent à 120.000 livres.
Ceci n'est pas pour les effrayer. Six ans plus
tard, elles achètent un nouvel arpent, rue
Saint-Dominique ; coût : 14.020 livres. .J'ignore
si ce dernier achat fut réglé au comptant,
n'ayant pas trouvé trace d'un paiement de ce
genre. Il est probable qu'on le régla avec le
produit d'un autre emprunt, à une date ulté-
rieure. Toujours est-il que, grâce à ces acqui-
sitions, le couvent de Bellechasse possédait
vers le milieu du xviii* siècle, 9.046 toises de
terrain, dont 7.888 consacrées aux cours et
jardins *.
Traversons la rue. Nous sommes au couvent
de Panthémont. Au cours du xviii' siècle, cette
abbaye ne cesse de demander des secours. Ce
sont toujours les bâtiments qui sont en cause.
Il faut agrandir; il faut reconstruire. De ce
chef, les dépenses atteignent 473.437 livres en
1733. Là-dessus on a payé assez aisément
366.000 livres, mais on est aux abois pour
1. Arch. nat., S. 4406.
134 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
50.000 francs qu'on sollicite de la commission
des secours. Le cardinal de Luynes qui présidé
cette commission accorde, en 1734, 92.000
livres, à toucher par parts égalesjusqu'en 1757.
Ici encore, on avait payé au moyen d'em-
prunts, car je vois qu'en 1765, les dettes
dépassent de nouveau 300.000 livres et que le
Dauphin fait accorder au couvent une rente de
12.000 livres sur l'abbaye de Beaubec, rente qui
sera versée pendant trente ans, « à charge par
la dame de Béthisy et les abbesses qui lui succé-
deront de justifier devant le parlement chaque
année de l'emploi de ces 12.000 livres qui de-
vront être utilisées à donner des acomptes aux
maçons, charpentiers et autres créanciers de
l'abbaye ». Cet engagement, sur lequel Sa Ma-
jesté a bien voulu mettre son « bon », est signé
par Louis-Justin de Jarçnte, évêque d'Orléans'.
En 1772, madame de Béthisy écrit en
manière de justification : « On ne rétablit pas
une abbaye royale en totalité sans être aidée.
(Nous venons de voir que les secours ne lui
avaient pas manqué.) Ce n'a pas été sur les
fonds que j'ai pu acquitter 730.000 livres, puis-
1. Arch. nat., T. 24.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 135
que quand j'ai pris possession de l'abbaye, elle
ne jouissait que de 16.300 livres de rentes. » La
lettre se termine par une nouvelle demande de
20.000 francs. Et comme elles sont fines les
bonnes religieuses, comme elles s'entendent
à amadouer les membres de la commission des
secours I « J'avais flatté mademoiselle de Choi-
seul, mandera cette même madame de Béthisy
au cardinal de Luynes, qu'elle aurait le bon-
heur de vous voir ; elle désire de tout son petit
coeur vous faire sa cour*... »
Il est à croire que les choses finirent par
s'arranger, puisque le couvent de Panthémont
n'a plus, en 1790, que 24.294 livres de dettes.
Le chiffre est modeste. En revanche, ces dettes
sont criardes. Il ne s'agit plus ici d'un pro-
priétaire bénévole ou d'un entrepreneur de
construction, maître maçon ou charpentier, qui
peuvent attendre et font de longs crédits. On
doit 1.247 livres à un épicier; 2.193 à un autre;
441 livres au vitrier, etc., etc. Et il n'y a que
536 livres en caisse*!
Si nous nous en rapportons à la déclaration
1. Lettre de madame de Béthisy, 23 décembre 1769.
(Arch. nat., G» 150.)
2. Arch. nat., T. 24.
136 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
faite par les dames du couvent de Longchamps
en cette même année 1790, leurs dettes mon-
tent à 174.713 livres. Là aussi, beaucoup
d'arriérés pressants : à madame Prudhomme,
bouchère, il est dû 22.042 livres ; au boulanger
Pharoux, 24.819 livres ; à un autre boucher,
Lhomme, 36.206 livres. Le jardinier attend ses
gages depuis quatre ans ; le médecin apothi-
caire, depuis deux années et trois mois. 11 y a,
en outre, 10.000 francs d'intérêts en souf-
france ^ .
Sauvai dit qu'au début de l'année 1598, l'ab-
baye de Montmartre n'avait que 2.000 livres de
rentes et devait 10.000 francs qu'elle ne savait
comment payer. Le jardin était en friche ; le
réfectoire converti en bûcher; le cloître, les
dortoirs et le chœur en promenades ^.
Soutiendra-t-on que tant d'argent ne pouvait
être absorbé par les constructions et remanie-
ments d'édifices? Supposera-t-on qu'une partie
au moins de ces fonds était, soit dissipée en
choses frivoles, soit consacrée au bien-être des
religieuses? Ce serait, je crois, tout à fait
inexact. Qu'il y ait eu dans ces grandes com-
1. Arch. nat., T. 1C02.
2. Sauvai, Antiquités de Paris, livre VI, p. 354.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 137
munautés un peu de coulage parfois et de
désordre dans l'administration intérieure, cela
est possible. Mais il serait injuste, me semble-t-
il, d'accuser les religieuses, même celles qui
ne prenaient pas leur vocation très au sérieux,
d'avoir exagéré les recherches de la table et du
luxe en général.
Si le lecteur n'est pas rebuté par l'accumu-
lation des chiffres, qu'il veuille bien me suivre
encore un instant et jeter avec moi un regard
sur quelques détails de comptes. Ce n'est point
sortir de mon sujet, d'ailleurs, mais bien au
contraire y pénétrer plus au fond, puisque
c'est entrer davantage dans l'intimité de la vie
des abbayes.
Les dépenses que nous appellerons de pre-
mière nécessité sont naturellement très varia-
bles. Elles sont subordonnées au nombre des
personnes habitant l'abbaye et aux fluctuations
que subissent les prix des denrées. Ouvrons le
livre de comptes de l'abbaye de Port-Royal,
pour les années 1767-68-69. Il est paraphé à
chaque fin d'exercice par l'abbesse, madame de
Mompessons. Je ne saurais dire quel était
exactement le nombre des personnes nourries
au couvent. Il y a cinquante religieuses,
8.
138 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
environ trente élèves; maisje n'ai pas le chiffre
du personnel domestique. En tablant sur cent
personnes en tout, nous ne nous écarterons
pas beaucoup de la vérité.
Les dépenses sont :
1767
En pain. . . L. . 4.227
En vin. . . .
En viande . .
En beurre et œufs
En chauffage .
4.274
5.813
5.041
7.885
1768
1769
5.878
3.595
2.234
5.788
4.188
8.674
3.072
2.459
3.504
4.425
11 -manque la dépense de l'épicerie. Nous la
retrouverons dans le tableau qui indique la
dépense d'une journée, 3 octobre 1768.
Cinq douzaines de saucisses (41. 16); deux
poulets rôtis et une cuisson (2 1. 17) ; un litron
de graine de lin (0,8 sols); une bouteille de
bière (4 s. 6 deniers); huit tourtes et neuf
pâtés (0,17 s.); treize choux-fleurs (1 1. 10);
treize carpes, quatre morceaux de morue et de
hareng (16 1. 8); une raie, deux carpes, un
brochet, deux harengs (lo 1. 10); deux fro-
mages de Brie et trois de Gruyère (5 1.5); une
andouille (0,15) ; huit poulets (8 1.); un poulet
rôti (1 1. 6); dix livres et cinq onces de sucre
(5 1. 7) ; une douzaine d'huitres (0,6) ; huit
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 139
autres douzaines d'huîtres (21. 7) ; vingt-quatre
livres de café (31 1. 4) ; une bouteille de
Vichy (5 L)^
On ne voit pas sans étonnement des achats
de poulets rôtis. Que faisaient donc les cuisi-
nières du couvent? Que pense-t-on, en outre,
de cette bouteille d'eau de Vichy qui coûte
0 livres-! Je note encore que l'on consomme
beaucoup d huîtres, principalement en carême.
On achète 40 ou 30 poulets par mois, ce qui
est fort peu, si l'on admet qu'ils étaient servis
à la table des religieuses. Quant au beurre
fondu, il vient d'Isigny et on le paie à raison
de 551 francs les 1.200 livres.
A l'abbaye du Val-de-Grâce où il y a 67 reli-
gieuses, tant professes que novices, sans parler
des élèves et domestiques, la nourriture coûte
19.800 livres par an. Dans cette somme la
viande, les volailles et le lard entrent pour
•■).189 livres, les poissons, le beurre, les œufs,
1, Arch. nat., H. 4039-4054.
2. Ce n"est pas une erreur de plume, car je constate un
peu plus loin que six bouteilles d'eau de Forges et une de
Vichy sont comptées 9 livres. La bouteille de Forges ne
revenant qu'à 10 sols, soit environ 3 livres pour les 3, il
reste donc bien que le prix de la bouteille de Vichy est de
5 livres. Il ne faisait vraiment pas bon à cette époque
souffrir du foie!...
140 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
le laitage, pour o.3G8 livres. Bon an, mal an,
on mange pour 8 ou 900 livres de pâtisseries,
légumes et fruits. Le vin, le vinaigre et le ver-
jus, que fournit M. de la RoUe, reviennent à
o.OlO livres par an. Il est bon de remarquer
que la dépense en vin est assez forte, égale à
celle de la viande bien souvent, et presque tou-
jours supérieure à celle du pain. Le bois et le
charbon exigent 3.559 livres. L'épicerie, le
sel, les chandelles réclament 3.178 livres, mais
il y a des années où l'on verse entre les mains
de l'épicier près de 10.000 livres d'arriéré*.
En définitive, ces dépenses de bouche sont
assez modestes. Elles justifient mal, en tout
cas, la mauvaise boutade de Mercier qui trace
un portrait d'abbesse dont les traits paraissent
bien chargés. Il la représente « l'âme énervée
par la succulence des aliments, masse froide
et insensible, ne sentant point la peine de
celles qui souffrent dans sa règle. Le calme
de la froideur s'est étendu sur sa ronde face
unie ; elle est devenue lisse et dure comme le
bois qui forme le tour de son couvent, etc.,
etc. - » C'est de la fantaisie et quelle fantaisie!...
1. Arch. nat., II. 4039-4034.
2. Mercier : Tableau de Paris.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 141
Descendons-nous aux autres dépenses? Les
journées de lessive pour l'année 1777 revien-
nent à 20 livres par mois. Chaque mois aussi
il faut pour 7 ou 8 livres de balais neufs. Ces
dames prisent un peu. Le tabac coûte 87 francs
les 24 livres. Ce n'est pas tout. Mademoiselle
Justinet, lingère, fait les robes moyennant un
forfait de 1.200 livres par an. MM. Levé et
Gochin fournissent la toile noire destinée aux
voiles. On leur en achète pour 1.134 livres,
en 1771 K
Le médecin-chirurgien touche des hono-
raires fixes de 120 livres par an. Le médecin,
M. Moreau, lui, est payé à la visite et se fait
108 livres en 1771. Comme de juste, les méde-
cins des âmes sont favorisés de traitements
un peu plus élevés. M. le confesseur de Port-
Royal, outre qu'il est logé dans une dépen-
dance de l'abbaye, a 396 livres par an, y com-
pris le chauffage. J'ignore ce que reçoit celui
du Val-de-Gràce, mais sa nourriture et celle
de quatre autres personnes (sans doute atta-
chées à son service) coûtaient 2.000 livres. Les
deux confesseurs de Longchamps ont chacun
1. Arch. nat., H. 3830.
142 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
300 livres et l'organiste est payé 100 livres'.
Nous sommes loin d'avoir énuméré toutes
les dépenses qui incombaient aux abbayes. Les
réparations des bâtiments entrent pour une
large part dans les charges. A Port-Royal, ce
chapitre varie, pour le couvent, entre 2.300 et
").300 livres par année, pour les fermes, de
4.000 à 7.000 livres. Le Val-de-Grace inscrit
à son budget 7.000 livres par an; Jouarre,
6.000; Montigny, 2.000. Encore ne s'agit-il,
bien entendu, que de réparations de toute pre-
mière nécessité, réfection des toits, remplace-
ment de vitres cassées, etc-.
Que n'y a-t-il pas encore? Les dépenses de
sacristie, par exemple, qui vont à 800 livres
à Port-Royal, à 3.240 livres au Val-de-Grùce,
pour atteindre 7.200 livres à Ghelles, 9.000 à
Fontevrault^ S. 000 à Montmartre, 8.000 à Fare-
moutier '.
Pour faire face à tant de charges diverses,
auxquelles il conviendrait d'ajouter les frais
1. Arch. nat., H. 4039-54, et T. 1C02,
2. Arch. nat., H. 4050 et H. 3858.-Cf. aussi — H. Tiercelin, Le
Monastère de Jouarre et Arch. de la Haute-Saône, H. 1003.
3. Arcii. nat., II. 4050 et 3858. —Cf. aussi Bcrlhault, L'abbaye
de Ckelles. Arch. nat., 7J 2449 et S. 4459. — Puis, Mémoire sur
la 7îécessité de changer le système des maisons religieuses.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 143
occasionnés par les procès, si nombreux, si
longs, si dispendieux *, que possèdent les
abbayes? r^ous avons vu ce qu'étaient leurs
revenus fixes et à quel point insuffisants la
plupart du temps. Si les religieuses n'avaient
pu compter sur d'autres ressources, que se-
raient-elles devenues?
Mais, en dehors des secours exceptionnels
que leur accorde la commission dès qu'elle est
instituée, les dons volontaires sont aussi nom-
breux qu'importants. Ni les hauts person-
nages, ni la charité publique ne se désintéres-
saient du sort des moniales. J'en donnerai une
légère idée en citant encore quelques chiffres,
dût le lecteur me vouer aux gémonies. C'est
que les chiffres, pour être ennuyeux, ce dont
je conviens volontiers, n'en ont pas moins leur
nécessité, à défaut de l'éloquence qu'on leur
prête bien inconsidérément...
Donc, voici qu'en trois années (1716, 1717
et 1718), le couvent des chanoinesses régu-
lières de Sainte-Geneviève de Chaillot reçoit
de la duchesse d'Orléans 570 livres une pre-
1. Port-Royal consacre 1.200 livres par an à cet objet, et
ces dames du Val-de-Gràce laissent 13.483 livres entre les
mains des gens de justice, en la seule année 1783.
144 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
mière fois, puis 6.000 livres sur les lots non
réclamés des loteries tirées à Paris ; 4.000 livres
du cardinal de Noailles; 3.000 livres de M. Le
Feure, notaire. Si je compte bien, cela fait
près de 14.000 livres en trois ans, et je ne pré
tends pas avoir eu connaissance de tous les
dons faits au couvent durant cette période ^
Certaines abbesses font aussi des largesses
considérables. Dame Glaude-Ysabel de Mailly
comble Longchamps de ses libéralités. La
reine Anne d'Autriche, toujours si bien dis-
posée en faveur de l'abbaye du Val-de-Grâce,
ajoute dix mille livres aux aumônes recueillies
chez des particuliers en vue d'achever les répa-
rations de l'église ^ Quand mademoiselle de
Chartres entre à Chelles, le Régent donne
50.000 livres au monastère, après avoir fait
remettre à chaque religieuse 20 livres de bou-
gie, 20 livres de chocolat et du sucre ^.. Un
autre jour qu'il vient la voir, il lui donne
100.000 livres pour payer les dettes de l'abbaye
et faire quelques accommodements dans la
maison '*. Madame de Béthisy abandonne à son
i. Arch. nat., LL. 1G08.
2. Jbid : LL. 1604.
3. Abbé Torchet, Histoire de l'Abbaye de Chelles.
4. Dangean, aoiit 1719.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 145
abbaye de Panthémont les 10.000 livres de
renies dont le roi l'a graliOée « pour services
rendus à rÉtat* ».
Nous n'en finirions pas. Par malheur, ces
libéralités, non plus que les legs énormes
souvent faits aux abbayes par des religieuses
riches qui viennent à y mourir, ou par des
dames pensionnaires ou par des princes du
sang, non plus que les fondations pieuses si
importantes et si nombreuses - ne suffisent pas
à combler les trous qui sans relâche se creu-
sent aux budgets des communautés. L'éduca-
tion des jeunes filles constitua un des pallia-
lifs imaginés pour équilibrer ces budgets.
Maigres ressources. La pension ne dépasse
guère 600 livres par an et descend parfois jus-
qu'à 200, à 168 livres, ainsi qu'il arrive à
Conflans quand il s'agit d'élèves peu aisées*.
Bientôt l'usage s'établira chez les religieuses
de donner asile à des femmes qui, tout en
1. Arch. nat., S. 4311.
2. Madame de Montespan fonde dans la chapelle des Anges
de l'abbaye de Fontevrault, moyennant 3.000 livres annuelles,
une messe basse à perpétuité pour chaque jour de l'année, à
l'intention de ses enfants morts, le comte de Vexin et la
princesse Louise-Marianne. (Arch. nat., L. 1019, dossier 7.;
3. Arch. de la Ilaute-Saône, H. 1003.
9
146 FILLES NOBLES ET MAC ICIEX.XES
voulant demeurer dans le monde, cherchent
un peu de paix et de tranquillité. Elles s'ins-
tallent dans des appartements que l'abbesse
leur loue dans les dépendances et y conser-
vent leurs habitudes mondaines avec cet avan-
tage qu'elles dépensent beaucoup moins là
qu'elles ne dépenseraient à Paris ou à Ver-
sailles. Nous reviendrons sur ce sujet plus à
loisir.
Mais tout ceci encore ne suffit pas. Il faut
s'ingénier pour se créer des revenus supplé-
mentaires. C'est ainsi que les religieuses de
Sainte-Geneviève de Chaillot vendent du sirop
balsamique, dont elles tirent 2.000 livres K Les
dames de Conflans vendent une foule de
choses, des crayons, des rubans, de la den-
telle, des fleurs d'hiver, du romarin, des
nappes brodées, des cendres! Que ne ven-
dent-elles pas? Des coiffes, des meubles, des
bourses qu'elles fabriquent elles-mêmes. A l'oc-
casion, elles débitent des drogues. Hélas, de
si multiples industries ne les enrichissent pas.
Le tout leur rapporte péniblement 473 livres
en 1771, 634, en 1772; 1.019, en 1780. Aussi
1. Arch. nat., H. 1608.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 147
en arrivent-elles à raccommoder des matelas à
raison d'une livre 16 sols la pièces
Déjà en 1598 on avait vu les religieuses de
Montmartre travailler pour vivre et mourir
presque de faim ; les vieilles gardaient les
vaches ^
En certaines circonstances très pressantes
on fait flèche de tout bois. Ne voyons-nous pas
madame de Villars, abbesse de Chelles, obli-
gée, pour parer aux difficultés financières, de
vendre une statue d'argent et toute sa vais-
selle personnelle de même métaP. Madame
de Tournefort n'en est-elle pas réduite, pour
sauver son abbaye de Sainte-Geneviève de
Chaillot en 1733, à mettre en loterie ses menus
bijoux et à se contenter des 600 livres que
produit cette loterie ^? II y a mieux. On va jus-
qu'à vendre des reliques. Devant la misère
qui menace son couvent de Longchamps,
l'abbesse Marie de la Poterne n'hésite pas,
en 1438, à se défaire « d'une table d'argent
doré sur quoi étaient les images de madame
1. Arch. de la Haute-Saône, H. 1003.
2. Antiquités de Paris, op. cit.
3. Hist. de l'abbaye de Chelles, op. cit.
4. Arch. nat., LL. 1608.
148 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Blanche el de saint Louis, roi de France ^ »
Car la détresse est grande, si grande que les
religieuses s'adressent à leurs familles pour em
tirer quelques subsides; les familles n'étaient
pas toujours bien disposées. « Je ne sçay qui
vous a dit, écrit mademoiselle de Ventadour au
sieur de la Grange, que j'estai mal contente
du refus de monsieur (son père, le duc de Ven-
tadour) je vous asseure que j'y suis si accou-
tumée que je le prends à cette heure quasi par
coustume. Néanmoins je suis humaine comme
une autre et pour être abbesse et religieuse je
n'en suis pas moins despo.urvue de naturel et
de ressentiments d'une fille à un père et que
cela me peut beaucoup toucher de voir le refus
et le peu de compte qu'il a de moi-. »
Au fond, la situation de ces religieuses dans
la plupart des abbayes serait presque intenable
si plusieurs d'entre elles ne jouissaient de
rentes viagères que leur servent le roi ou leurs
familles (car tous les parents n'étaient pas
aussi rudes que le duc de Lévis- Ventadour).
Mesdames de Cambis, de Lauselle, de Salaise,
1. Arch. nat., LL 1604.
2. Lettre du 31 juillet 1616. Citée par E. Nicod, Un secré-
taire du duc de Fa/e?i/tnofs.(RevueduVivarais, 15 mars 1505.)
DAXS LES ABBAYES DE FEMMES 149
pour nous borner à quelques exemples, tou-
chent sur le trésor royal des rentes de 500,
1.200 et 2.000 livres ^ C'est à dessein que je
néglige les rentes capitulaires, constituées par
les revenus des dots, et que les abbayes de-
vaient servir régulièrement aux religieuses,
pour la bonne raison que ces rentes capitu-
laires n'étaient autant dire jamais payées aux
intéressées.
1. Arch. nat., H. 4050.
III
La situation des abbayes était fort précaire. — On ne
peut attribuer ce désordre au goût du bien-être ni du
luxe. — Inventaire de certains couvents. — Médio-
crité des ameublements. — Chaillot. — Le Val-de-
Grâce. — Le « salon de la reine ». — Port-Royal. —
Mobilier de l'abbesse. — Panthémont. — Le confort
à l'Abbaye-au-Bois. — Conflans,' Yerres, etc. — Du
luxe, il n'y en avait que dans les églises.
Nous voici édifiés, je suppose, sur la situa-
tion générale des abbayes sous le rapport
financier, car je n'aurais éprouvé aucune dif-
ficulté, n'eût été la crainte de fatiguer le lec-
teur, à multiplier les comptes et à montrer que
la très grande majorité des couvents en France
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 131
se débattait au milieu de soucis et de besoins
d'argent tout pareils ^
On verra maintenant que le luxe ne paraît
pas non plus avoir pénétré dans les monas-
tères réputés les plus riches, ni dans ceux vers
lesquels les personnes bien nées se dirigeaient
le plus volontiers, et non pas même dans ces
couvents dont la réputation de moralité laissait
beaucoup à désirer et qui restaient le plus lar-
gement ouverts aux aventures profanes.
' Du degré de ce luxe, il nous sera facile d'avoir
une idée à peu près juste en glanant quelques
détails dans les inventaires dressés de 1788 à
1 790 de tout le mobilier trouvé dans les abbayes
et couvents existants alors.
Veut-on savoir de quoi se composait l'abba-
tiale (maison de l'abbesse) de Sainte-Perinne
de Ghaillot? Dans le salon, deux fauteuils et
quatre chaises formées de bourre de crin cou-
verts de velours d'Utrecht jaune; deux bras de
1. Le fisc était dur. Aussi les religieuses ne portaient-elles
pas ses agents dans leur cœur. « Après votre départ, écrit l'ab-
besse de Chazes, j'ai reçu la visite de Mil. des Eaux et Forêts.
Je les regarde comme des oiseaux de rapine, mayant emporté
23 pisloles et croyant m'avoir fait grâce... » (Lettre inédite
de madame de Lugeac, abbessede Chazes, au comte de Tour-
non, 7 janvier 1706. (Arch. du Vergier.)
If32 FILLES iXOBLES ET MAGICIENNES
cheminée à doubles branches de cuivre ; deux
chandeliers en tôle ; un écran de bois de poi-
rier. Dans une autre pièce, deux vieux fau-
teuils, quatre chaises foncées recouvertes de
velours d'Utrecht; une vieille table à écrire,
plus quelques petits meubles sans valeur. La
chambre à coucher a vue sur les jardins. On y
remarque deux chenets de cuivre avec orne-
ments en pyramides, des pincettes et tenailles,
un soufflet de bois noirci, un garde-feu de fer-
blanc. Une vieille table à écrire, un vieux
bureau de bois plaqué à plusieurs tiroirs, une
petite commode de la Régence en bois plaqué,
dont l'entrée de serrure et les poignées sont orne-
mentées, une chiffonnière, un petit secrétaire
en armoire occupent trois côtés de la pièce. Il
y a encore dans un coin, une toilette de cam-
pagne et une bergère en paille garnie de dos-
siers de crin et de coussins de plumes. Voici
le lit. C'est une couchette à colonne montée
sur des roulettes à équerre, garnie d'un som-
mier de crin et de deux matelas couverts de
futaine blanche, avec un oreiller, un traversin,
un couvre-pied d'indienne, un second de taf-
fetas jaune. La housse, la courtepointe et les
soubassements sont en camelot moiré jaune.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 153
Si nous ajoutons des rideaux de camelot, deux
portières de vieille satinade, un tabouret, une
pendule c au nom de Lépreuse », une autre
pendule de cheminée à cadran d'émail, nous
aurons l'état complet du mobilier garnissant
les appartements de l'abbesse ^
Entrons au Val-de-Gràce, couvent où, à vrai
dire, il y a peu de religieuses nobles, mais sur
lequel plane encore l'ombre protectrice de la
reine Anne qui s'y était retirée, qu'elle avait
comblé de bienfaits et auquel elle avait fait
réunir en 1657, afin d'augmenter les revenus
de la communauté, l'abbaye de Saint-Cor-
neil de Compiègne^, où elle était morte enfin.
Bornons-nous à pénétrer précisément dans la
salle appelée c salon de la reine ». Qu'y
voyons-nous? Quelques portraits de la famille
royale, des fauteuils de vieille moire, divers
. i. Procès verbal d'inventaire du 20 mai 1788. (Arch. nat.,
T. 1602.)
2. La bulle d'union, datée de mars 1657, mentionnait la dé-
mission entre les mains du roi de l'abbé commendataire de
Sîùnt-Corneil, Simon le Gras, évèque de Soissons. Les reve-
nus de la mense abbatiale étaient de 30.385 livres, dont 17.450
étaient laissés aux religieux de Saint-Corneil pour acquit et
paiement des charges. Les religieux conservaient aussi la
juridiction temporelle avec création des offices, les revenus
de certaines terres, etc. (Arch. nat., LL. 1619-21). .
9.
134 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
autres tableaux, des ployants en vieille moire,
deux couverts de vermeil, un lit de repos garni
de deux petits matelas, courtepointes et oreil-
lers de soie, un cabinet sur pied formant toi-
lette. La moindre bourgeoise du Marais est
mieux logée... Madame de Jarry, qui est ab-
besse en 1790, déclare que ses religieuses ont
chacune pour leur service une paire de draps
et deux habits, l'un pour l'été, l'autre pour
l'hiver, et un grand habit de chœur ^
Vous plait-il d'aller maintenant à Port-
Royal et, malgré l'impertinence, de risquer un
regard dans les cellules des moniales ? Ces
petites chambres renferment 1 lit composé de
3 planches sur 2 tréteaux, d'une paillasse,
d'un traversin de paille et de 2 couvertures
de laine avec oreillers de plume. Les draps et
les taies d'oreiller sont en laine. Gomme au-
tres meubles, 1 petite table, 1 custaire en bois
de chêne, 2 chaises de paille. Notons encore
1 crucifix, 1 bénitier en terre et 3 images de
papier sur carton. Et n'oublions pas 1 balai
de crin.
Mais l'abbesse, cette abbesse que Mercier
1. Procès verbal de février et aoi'it 1790. (Arch. nat., T. 1002),
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 155
nous représente comme une sorte de satrape
femelle? Ah! l'abbesse est mieux pourvue.
Qu'on en juge! Elle a 1 vieux lit de drap
violet, garni d'un sommier de crin, de 2 mate-
las, de traversins et oreillers, d'une couver-
ture de laine et d'une housse pour l'été, en
vieille indienne. On trouve chez elle 2 com-
modes anciennes à dessus de marbre, 1 buffet
en mauvais état, 1 poêle de faïence, 2 secré-
taires, 4 commodes de bois de noyer, 1 autre,
plus petite, à dessus de marbre, plusieurs pe-
tites tables fort usées, 4 armoires contenant le
linge et les bardes de madame l'abbesse, ainsi
que le linge de table de l'abbatiale et la vais-
selle de faïence, parmi laquelle on remarque
§ douzaines d'assiettes de différentes porcelaines
données à mesdames les abbesses, avec jattes,
quelques plats, 1 cafetière et 3 cabarets de
6 tasses chacune, de médiocre porcelaine. Aux
murs, quelques tableaux de piété et portraits
de famille. Çà et là, 2 pendules antiques,
2 lampes de cuivre argenté. Le reste du mobi-
lier consiste en fauteuils et chaises « qui n'ont
de prix que leur ancienneté et leur simplicité. »
Au réfectoire, on compte 52 douzaines de
serviettes, 23 nappes, 5 douzaines de tabliers
156 FILLES -\OBLES ET MAGICIENNES
et 16 essuie-mains. A la cuisine, 1 batterie
assez complète de 8 marmites, 12 poêles, 24 cas-
seroles, poissonnières, écumoires; 30 couverts
pour couvrir les plats; la vaisselle pour l'usage
de la communauté, des pots et gobelets cou-
verts, en buis; 1 grande chaudière pour l'eau
chaude * .
Panthémont ne semble pas beaucoup mieux
outillé ni plus riche en mobilier. On y voit
cependant un peu d'argenterie : 1 douzaine
d'assiettes, 1 plat à soupe; o plats de service,
1 petite cafetière, 20 couverts à filets, 2 cuil-
lères à ragoût, 2 douzaines de cuillères à
café, 2 écuelles. « Il est observé qu'il existe en-
core dans l'appartement de madame l'abbesse,
2 chandeliers et 2 bougeoirs d'argent ^. »
Le procès-verbal dressé à l'Abbaye-au-Bois
témoigne d'un confort tout aussi relatif. Les
meubles y sont peu nombreux, fort usés et de
qualité médiocre. Le linge est peu abondant,
ce qui est assez surprenant à une époque où,
dans les maisons les moins aisées, on l'empilait
en quantité considérable dans les armoires. Il
n'y a que 36 paires de draps et 3 douzaines
1. Arch. nat., T. 1602.
2. Ibid. Procès-verbal d'inventaire du 11 juin 1790.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 157
de serviettes à l'usage des domestiques. L'ar-
genterie de table se réduit à quelques pièces
dont l'abbesse se sert quand elle a du monde,
21 couverts, 4 cuillères à ragoût, 1 à potage,
18 cuillères à café, 2 cafetières. Le surplus,
représentant la somme de 4.629 livres, a été
envoyé à la Monnaie par l'abbesse, en guise de
don patriotique. Quant à l'argenterie de la
communauté, elle se borne au couvert et au
gobelet que chaque religieuse apporte en en-
trant au couvent*.
Les cellules de Longchamps ressemblent à
celles des autres monastères. Même lit garni
d'une paillasse, de matelas, de couvertures;
même commode; quelques chaises, 1 bou-
geoir, 1 chandelier, 1 lampe, des livres de
piété. Dans chacune des infirmeries, on signale
1 baignoire et 1 demi-baignoire en cuivre.
L'abbesse, madame Jouy, a, dans sa chambre,
4 meubles anciens, 1 canapé de calamande, des
fauteuils et chaises de canne et paille. Son
salon est orné de tableaux et estampes « sans
valeur ^ » .
Sont-ce là des mobiliers trahissant des goûts
1. Arch. nat., Procès-verbal du 18 juin 1790. T. 1602.
2. Ibid., T. 1602.
158 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
de bien-être et de luxe ? Il est difficile, j'ima-
gine, que nos couvents modernes soient meu-
blés de façon plus sobre et plus conforme à la
simplicité monastique. Et si quelques-unes des
religieuses enfermées dans ces abbayes, sou-
vent sans vocation, oubliaient leur devoir, il
faut convenir que ce n'était pas dans un cadre
ni dans un décor fort galants.
Ne généralisez pas, me dira-t-on. Vous par-
lez de certaines abbayes. Il en était d'autres
où, peut-être, au contraire, régnait le plus
grand luxe. J'avoue n'avoir pas tenté de véri-
fier tous les inventaires de toutes les abbayes.
Le labeur eût été passablement oiseux. Mais
je me demande pourquoi des abbayes infi-
niment moins riches que celles dont il vient
d'être parlé, eussent été plus élégamment et
plus magnifiquement installées. Ce n'est pas
Conflans, en tout cas, où l'abbatiale renferme
en tout et pour tout, 1 misérable lit, quelques
chaises et fauteuils dont les « crins s'échappent
de toutes parts * », ni Brionne, où la vente du
mobilier produisit à peine 2.400 livres, ni
Yères, ni Jarry, ni Montmartre, dont les reli-
1. Arclî. de la Haute-Saône, H. 1003.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 159
gieuses ne savaient depuis longtemps comment
vivre'. Alors quoi? Fontevrault ? Il n'apparaît
pas qu'il en fut là différemment qu'ailleurs.
Chelles? Ecoutons M. l'abbé Torchet ; «c Les
cellules, dit-il, ressemblaient à celles de tous
les couvents, et mademoiselle de Chartres s'en
contenta pendant le temps de son noviciat. Sa
cellule, ses vêtements, sa nourriture ne diffé-
raient en aucune manière de ceux des autres
religieuses -. » 11 est très vrai que, dans la
période que M. Torchet a appelée « la période
dissipée de la vie de la princesse », celle-ci
organisa tout un train de maison, avec écuyers,
cochers, laquais, palefreniers, qu'elle roulait
carrosse en grand gala, et ne donnait l'exemple
d'aucun renoncement. Mais il est juste d'ajou-
ter que cette conduite souleva Tindignation
générale et fit scandale, ce qui ne fût sans
doute pas arrivé si l'on avait été dans l'habi-
tude de voir beaucoup d'abbesses conserver
une désinvolture aussi fâcheusement mon-
daine.
Le luxe, si luxe il y a, on le verra dans les
1. Arch. nat., Z* 2449.
2. Histoire de T Abbaye de Chelles, op. cit.
160 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
églises. Avouons qu'il y est parfaitement à sa
place et qu'on serait mal venu de reprocher à
des religieuses d'orner le plus somptueusement
possible les chapelles de leur couvent. La sa-
cristie de Port-Royal renferme i croix d'ar-
gent pour les processions, 1 crosse dont le
bâton seul est argenté, 2 petits flambeaux pour
la table de communion et divers objets néces-
saires au culte, en argent, vermeil ou cuivre
doré. L'ostensoir est un soleil de vermeil en-
touré de diamants. Tous les reliquaires sont en
argent. Dans l'église même, 12 grands et
12 petits chandeliers d'argent, 1 grande croix,
1 autre plus petite, des lampes, des navettes
en cuivre argenté, 1 lustre à 6 branches en
verre de Bohême, 1 exposition du Saint-Sacre-
ment dont le pied est en ébène, le reste en
cuivre argenté et doré *. Cette église n'était pas
la plus riche. Celle de Chelles, celle de Fonte-
vrault, celle de la Trinité de Caen, cent autres
contenaient de vrais trésors, joyaux admira-
bles d'orfèvrerie, ciselés avec un goût exquis
par les artistes les plus fameux, accumulation
prodigieuse de pierres et de gemmes enchàs-
1. Arch. nat., T. 1602.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 161
sées dans des reliquaires, des croix, des ciboi-
res, précieux et sacrés bijoux recueillis au
cours des siècles et que la furie révolutionnaire,
en un jour, dispersa...
IV
Ce qu'était la vie dans les monastères de femmes. —
Difficulté de le savoir exactement. — La tranquillité
des cloîtres n'était qu'apparente. — Les abbayes en
temps de guerre. — Histoire de Longchamps. —
Exodes successifs à Paris. — Les guerres civiles, —
Catherine deChabannes et les Huguenots. — Dissen-
sions intérieures. — Un cordelier mal reçu à Long-
champs. — Comment il se venge. — Opposition des
religieuses à toute réforme tendant à resserrer la
règle. — Le Père Roussel. — Un couvent en ébulli-
tion. — Le Parlement s'en mêle. — Deux candidates
à l'abbatiat. — Discussions et révoltes. — On empoi-
sonne une abbesse! — Autre aventure. — Une novice
qu'on enlève. — Seigneur et paysans prêts à en venir
aux mains. — L'abbesse malade de la fièvre.
Ce qu'était la vie dans ces monastères de
femmes, voilà ce que j'aurais voulu pénétrer.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 163
Cela n'est point si facile qu'il y paraît. Me
borner à dénombrer les exercices de piété aux-
quels les religieuses étaient assujetties par la
règle, dresser le tableau des messes, vêpres,
cérémonies de toutes sortes dont leurs églises
étaient le théâtre pieux, parler de leurs morti-
fications, de leurs jeûnes, de leurs dévotions
particulières à tel ou tel saint, de leur concep-
tion souvent assez étroite de la religion, conter
leurs mystiques exaltations, c'eijt été traiter de
choses qui ne sont nullement de ma compé-
tence et prétendre, sans y avoir droit, écrire
un traité d'édification.
Il restait, dira-t-on, à nous entretenir des
anecdotes extra-monacales, car l'histoire, ou
du moins une certaine histoire ne laisse rien
ignorer des scandales dont bon nombre de
religieuses furent les peu intéressantes hé-
roïnes. Grand merci! Je ne me sens aucun
goût pour ces racontars soigneusement enre-
gistrés et copieusement aggravés, au cours
des temps, par la malignité ou la fantaisie
d'historiographes mués en pamphlétaires. Non
pas que j'entende me dérober. On le verra bien
tout à l'heure. Mais, entre ces deux extrêmes,
peut-être n'était-il pas impossible de recher-
IG-i FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
cher ce qu'avait été la vie dans les couvents
en dehors des heures consacrées aux devoirs
religieux comme aussi en dehors de ces aven-
tures très profanes auxquelles il serait puéril
de nier que certaines religieuses s'abandon-
nèrent.
Cette existence de couvent était fatalement
traversée par des événements grands ou petits,
qui en modifiaient la régularité, en détruisaient
passagèrement la paisible harmonie, en rom-
paient l'apparente monotonie.
Elles eussent été trop heureuses, ces mo-
niales (je fais exception pour celles qui
n'avaient de la religieuse que le nom et l'habit
et non point du tout l'âme), elles eussent été
trop heureuses si elles avaient pu couler leurs
jours dans la paix et l'oubli, sous les ombrages
des parcs endormis enclosant les vieux cloîtres.
Combien un tel rêve était vain ! Les murs du
couvent, sans cesse s'ébranlent sous les chocs
venus de l'extérieur, comme si le Dieu qu'elles
priaient se refusait à les protéger contre les
événements d'un monde qu'elles avaient fui.
L'état de guerre perpétuel dans lequel vit la
France du Moyen âge, du xv* et du xvi" siècle,
n'est pas pour favoriser la retraite de ces filles
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 165
qui croyaient, en s' agenouillant au fond d'un
cloître, avoir conquis à tout jamais le repos
ici-bas.
L'existence d'un grand nombre de monas-
tères fut, au contraire, singulièrement mouve-
mentée, et celle d'une infinité de religieuses, à
chaque instant bouleversée par le fait de ces
guerres incessantes. A ces époques troublées,
où la France n'était pas encore une forte nation
consciente de son unité, où les possesseurs de
fiefs entraient si souvent en lutte contre la sou-
veraineté, où l'on ne savait jamais au juste si
tel grand feudataire soutiendrait la couronne
ou s'allierait contre elle avec les ennemis du
royaume, il était malaisé de chercher un pro-
tecteur efficace. D'autre part, la situation par-
ticulière des abbayes de filles, les bruits qui
couraient sur la richesse de leurs églises ten-
taient les troupes amies autant que les troupes
étrangères. Aux heures de guerre, les abbayes
avaient presque autant à redouter des unes
que des autres. On sait ce qu'étaient ces troupes
mal organisées, mal surveillées, encore imbues
des vieilles et funestes traditions communes
aux bandes recrutées un peu au hasard et qui
formèrent jusqu'au xvii'' siècle, la majeure
166 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
partie des armées de tous les pays. Les cou-
vents sont une proie toute désignée pour des
troupes qui, sous quelque drapeau qu'elles
combattent, ne rêvent que massacre, pillage,
incendie et le reste. Quelle aubaine pour elles,
ce monastère sans défense, occupé par des
femmes et dont l'assaut ne sera qu'un jeu
d'enfant * !
J'ai dit que les religieuses ne redoutaient
pas moins les armées du roi que celles de
l'ennemi et qu'elles avaient d'ordinaire raison.
Quand, en lo4o, au cours de la guerre entre
François I*' et Charles-Quint, les soldats du
comte de Bourbon, duc de Montpensier, arri-
vent près de Ghelles, les nonnes affolées empa-
quettent précipitamment leurs reliques, leurs
chartes, leurs objets les plus précieux et se
réfugient en hâte à Paris. Le duc de Mont-
pensier avait l'ordre de garder l'abbaye, mais
les pauvres religieuses se méfiaient et préférè-
rent céder la place. Sans doute eurent-elles
tort, puisque le duc tint sévèrement la main à ce
que rien ne fut touché dans le couvent. Mais
i. A Juvigny, où pendant six mois les religieuses furent
menacées de voir arriver une armée allemande (11517), elles
la redoutaient comme si elle eût été composée de desmons.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 167
elles savaient trop par ouï-dire combien il était
périlleux pour des religieuses de demeurer à
la merci de ceux-là mêmes qui venaient vers
elles en protecteurs. Aussi, lorsque, en 1562,
Chelles fut de nouveau menacé par l'approche
des troupes, l'abbesse Renée de Bourbon-Ven-
dôme n'eut-elle rien de plus pressé que d'en-
voyer ses religieuses au nombre de quarante-six
demander asile à Paris au Cardinal de Bourbon,
qui les logea à Saint-Germain-des-Prés. Quel-
ques années plus tard, Marie de Lorraine fera
de même.
L'histoire de l'abbaye de Longchamps n'est,
pendant des siècles, qu'une suite d'aventures
de ce genre. Laissons parler la religieuse qui
rédigea l'historique de cette communauté. « La
XP abbesse, durant qu'elle fut en sa charge,
eut de très grandes fâcheries et pertes à raison
des guerres des Anglais. De son temps le cou-
vent a été deux fois à Paris dont il y a eu perte
de grands meubles *. » Sous la douzième
abbesse, Marie de Gueux (celle qui donna de
si grands biens au couvent et fit écrire un
« antiphonier »), les guerres furent si violentes
1. Ai'ch. nat., LL. 1604.
168 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
que les religieuses durent demeurer trois
années à Paris. Vers 1416, durant l'abbatiat
d'Agnès d'Issy, nouvel émoi. Les ennemis sont
à Nanterre. Pleines de frayeur, les sœurs quit-
tent Longchamps et se dirigent vers la capi-
tale. L'abbesse a fait mettre sur un chariot les
principales reliques, le coffre de son office »
qui était l'argent de dépôt », et laisse le monas-
tère sous la garde de six religieuses plus mortes
que vives. On avait chargé des meubles sur
six autres chariots que l'on espérait sauver,
mais l'ennemi se jeta sur la caravane et la pilla
en conscience. Cependant les fugitives « souf-
fraient de grandes pauvretés, et sans les au-
mônes de plusieurs bons Parisiens, elles n'au-
raient eu le moyen d'avoir de la cire pour la
sainte messe. Plusieurs tombèrent malades de
la rougeoUe. » Quand l'ennemi arriva à Long-
champs, il crut que les religieuses cachaient
du blé dans leur réfectoire et menacèrent de
tout brûler. Par bonheur, « Dieu les apaisa ».
Mais les pauvres nonnes qu'on avait chargées de
garder l'abbaye passaient leur temps à négocier
avec le vainqueur et se nourrissaient « de
fèves et de pois récoltés à grand'peine dans le
jardin ».
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 169
Le couvent n'était pas réintégré que déjà une
nouvelle alerte y semait la terreur. Le 18 juil-
let 1418, des gens d'armes font irruption à
minuit dans le monastère, emportant tout ce
qu'ils trouvent, et « pour qu'ils ne pénètrent
pas dans le dortoir ni dans la sacristie, l'abbesse,
madame des Essars, dut promettre cent sols
d'or qu'il fallut donner pour apaiser leur fu-
reur. Ces gredins emmenaient avec eux les
chevaux, tout le bestial, et il ne fut possible de
rien ravoir. » Finalement, grâce à la protection
de madame Marie de France qui demeurait à
l'abbaye de Jouy, Longchamps rentra en pos-
session de trente vaches et de quelques autres
animaux.
Un siècle environ s'écoula dans un calme
relatif, mais voici qu'en 1537 les guerres reli-
gieuses amènent des désastres. Les sœurs se
dispersent. Quelques-unes rentrent dans leurs
familles. Une vingtaine s'en vont à Paris chez
une demoiselle de Lestinolle. Il ne reste à
Longchamps que huit religieuses. Madame
Georgette de Cœur se démet de ses fonctions
d'abbesse. Elle est remplacée par Louise de
Senesme qui fait rentrer ses brebis au bercail
en 1549. Pas pour bien longtemps. De 1561 à
10
170 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
1562, le couvent est sans cesse sur le point
d'être pris, dévalisé, brûlé. Gondé, à la tête
des Huguenots, saccage tout aux alentours,
brûle les livres pieux, les images saintes, sème
les reliques aux quatre vents, emporte les
objets d'or et d'argent, transforme les églises
en écuries. Terrorisées, les malheureuses sœurs
de Longchamps reprennent une fois de plus
la route de Paris, sauf dix qui restent au logis.
Des gens d'armes arrivent pour les protéger,
mais (( ils faisaient la même œuvre que les
Huguenots ». Sans M. de Piennes, leur capi-
taine, qui accourut, ils incendiaient tout et lais-
saient les religieuses « sans pain ni bled ».
Elles ne sont pas au bout de leurs peines.
Depuis la journée des Barricades jusqu'à l'en-
trée de Henri IV dans sa bonne ville, les gens
d'armes de tous les partis semblent se succéder
à Longchamps, enlevant le bétail, exigeant des
rançons. Pendant quatre années, les pauvres
lilles vivent au milieu de transes perpétuelles
et ne se nourrissent que de pain et de vin.
L'abbesse faisait <M)urageusement la navette
entre le couvent et Paris ou Saint-Denis, où
elle allait implorer des secours, et courut plu-
sieurs fois de véritables dangers, dont les ren-
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 171
contres avec des corps de troupes n'étaient
pas les moindres*.
Une dernière retraite a lieu dans la capitale,
en 1662, toujours causée par l'état de guerre
et la terreur, pleinement justifiée d'ailleurs, on
l'a vu, que l'approche des armées inspirait aux
religieuses.
Ce paraît avoir été une habitude, ces retraites
sur la capitale, du moins pour les couvents
établis aux environs, car, au moment des
troubles de la Fronde, les sœurs de Nanterre
abandonnent aussi leur monastère et viennent
se réfugier chez M. le Président Pinon. Le
séjour de Paris leur plut, semble-t-il, puis-
qu'elles achetèrent un terrain à M. de Prats, et
s'y installèrent sous le nom de chanoinesses
régulières de Sainte-Geneviève de Chaillot^.
Mais toutes les abbayes n'étaient pas à proxi-
mité d'une grande ville dont les solides mu-
railles pussent offrir un refuge aux religieuses
épeurées. Que d'autres furent brûlés, dévastés,
sous les yeux mêmes de leurs occupantes !
L'abbaye de la Vaisin, notamment, eut terrible-
ment à souffrir du passage des Calvinistes.
i. Arch. nat., LL. 1604
2. Arch. nat., LL. 1608.
172 FILLES NOBLES ET MAGICIE JN'iNES
Beaucoup de religieuses furent massacrées, les
autres chassées sans pain et sans ressources; le
couvent fut mis à sac, incendié en partie, et ne
put se relever de ses ruines que bien des
années plus tard, grâce au dévouement de son
abbesse, Hélène de Ghabannes^
Nombreux furent ceux qui ne se relevèrent
jamais. Que pouvaient, en effet, contre la rage
calviniste ou la fureur de l'ennemi, ces filles
sans défense? Se résigner et mourir, parfois au
milieu des pires supplices. Toutes cependant
ne tendaient pas bénévolement le col à leurs
bourreaux. On en vit qui surent, soit par la
ruse, soit même par la force, opposer une
résistance opiniâtre ou à défaut essayer de tirer
vengeance de leurs persécuteurs. Je n'en citerai
qu'un exemple qui donne une juste idée de ce
qu'étaient devenues les mœurs et combien aux
âmes les plus douces, la férocité était alors
familière. Vers 1560, une bande de protestants
armés vient piller l'abbaye de Bonnesaigne.
Leur œuvre accomplie, les soldats s'éloignent
et vont s'installer pour la nuit dans des granges,
au village de Monclausson, lequel n'était dis-
1, Henri de Chabannes : Histoire de la maison de Cha-
bannes.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 173
tant du couvent que de trois kilomètres. Aus-
sitôt ont-ils disparu que l'abbesse, Catherine
de Ghabannes, fait prévenir et lever sans bruit
les paysans qui ferment les portes des granges,
et, sur son ordre, mettent le feu aux couverts
qui étaient en paille, en sorte que les Hugue-
nots, ivres de vin et de sommeil, y sont rôtis
comme des poulets. Vengeance pour ven-
geance, naturellement. Quand, deux ans plus
tard, Goligny passe dans ces parages, il ne
manque pas d'incendier l'abbaye*.
Par bonheur, si les couvents traversaient
des difficultés fréquentes qui troublaient plus
qu'il n'était souhaitable la vie des bonnes reli-
gieuses, ces difficultés n'étaient pas toujours
aussi tragiques.
Les cloîtres, grâce au ciel, ne retentiss aient pas
constamment, surtout à partir du xvii^ siècle,
des bruits terribles et imprévus en de tels lieux
des armes qui s'entre-choquent ou du cliquetis
des armures. Bien souvent, en revanche, ils
étaient agités par des querelles intestines dont
le diapason montait si haut que la cloche apai-
sante de l'église capitulaire paraissait impuis-
sante à le dominer comme à l'éteindre.
1. Histoire de la maison de Chabannes, op. cit.
10.
174 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Un beau jour de 1439, deux religieux se pré-
sentent au couvent de Longchamps de la part
du Père général. L'abbesse ne les ayant pas
reçus, selon leur dire, avec assez de respect et
de cérémonie, ils portent plainte au Père géné-
ral qui, sans s'informer davantage, lance une
bulle déposant cette abbesse, Jeanne des Essars,
et la remplaçant par Martine Fromonde. Le
4 juillet, un Cordelier, François Lucas, vient
lire la sentence et procéder à l'installation de
la nouvelle abbesse. Mais, conseillées par les
religieux du couvent et par nombre d'amis, les
nonnes, sauf dix, dont Martine Fromonde,
refusent d'obtempérer à ces ordres, au moins
jusqu'à ce que « justice en ait ainsi ordonné ».
Le Père général s'obstine. A son tour, le car-
dinal de la Croix prend parti pour les récalci-
trantes, avec beaucoup de grands seigneurs, et
soutient Jeanne des Essars, sur le compte de
laquelle il propose d'ouvrir une enquête. Pen-
dant ce temps, le couvent est en ébullition.
Tandis qu'on fait défense aux religieuses, par
ministère d'huissier, d'obéir à Jeanne, d'autres
huissiers leur interdisent de reconnaître Mar-
tine Fromonde. Le procès engagé contre la
décision arbitraire du père général donne lieu à
DANS LES ABBAYES DE FEMMES i75
de vifs débats et « l'on ne peut dire combien le
couvent a vendu de reliques, de joyaux, de
vaisselle d'argent pour le soutenir » . Tout finit
par s'arranger. Mais la lutte a duré des mois.
Quelques années plus tard, Longcliamps est
de nouveau en émoi, mais pour un motif moins
grave. A la faveur des guerres et des troubles
qui ensanglantèrent le royaume, bien des abus
se sont glissés dans les monastères. Long-
champs n'avait pas échappé à cette décadence.
Les religieuses en étaient arrivées à pratiquer
de larges échancrures dans le tissu trop serré
des règles conventuelles. Aussi, quand le Père
Roussel, ministre provincial, à la suite d'une
cérémonie magnilique, où, après le chant du
Te Deum, on lui avait apporté à baiser les
reliques de la vraie Croix, déclara froidement
aux religieuses qu'elles devaient renoncer à
l'habit blanc qu'elles avaient pris et revenir à
l'habit gris imposé par sadnt François, et que
de même, elles devaient abandonner les revenus
et pensions dont quelques-unes jouissaient per-
sonnellement, pour en faire une masse générale
qui servirait aux besoins de la communauté,
ces dames, on le pense bien, ne furent pas très
satisfaites. Elles tentèrent d'échapper à ces
176 FILLES NOBLES ET MAGICIEXXES
réformes, se défendirent de leur mieux, discu-
tèrent. Mais le Père Roussel était énergique :
elles durent se soumettre.
Ceci se passait en 1632. Les rancunes ne
s'apaisèrent pas vite. Une certaine agitation
régnait dans les cœurs, et le moindre prétexte
devait suffire à transformer quelques-unes des
sœurs les plus excitées en rebelles. Ce prétexte,
l'échéance du triennat de 1648 le fournit. L'ab-
besse, Marie Placin, ayant prétendu que le
Père Habert, venu pour procéder à l'élection,
n'avait pas l'autorité nécessaire, étant en diffi-
culté avec les religieux de la province, demanda
délai. Quelques religieuses ne voulant voir là
qu'un méchant dessein, se méfient et obligent
le Père à procéder à l'élection. L'abbesse ainsi
que dix autres religieuses refusent d'y prendre
part. Le scrutin a lieu néanmoins et la sœur
Valence Gognard est proclamée abbesse. Le
couvent est scindé en deux partis, « ce qui causa
bien des querelles et mauvaises paroles y>. Ce
désordre se prolongea deux années entières et
« ce fut la ruine totale de la charité, paix et
bien spirituel de cette maison ». L'autorité
civile intervient. Deux graves conseillers à la
Cour du Parlement de Paris, en qualité de
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 177
commissaires délégués s'installent au couvent.
« Ils nous firent grande peine », ajoute la bonne
rédactrice du registre. Ils prétendent obliger
les nonnes à reconnaître la mère Placin, et
comme celles-ci, en majorité, s'y refusent
absolument, le Parlement ordonne alors de
déposer les deux abbesses et d'en nommer une
troisième. Il fut ainsi fait et madame deBellièvre
fut élue. Elle réussit à « réunir tous les cœurs
et terminer les querelles ». Ce ne dut pas être
sans peine. Et l'on peut dire qu'il était temps.
Le couvent était devenu un enfer.
Voici, n'est-il pas vrai, des aventures tout à
fait propres à maintenir dans les abbayes ce
calme et cette tranquillité que l'on y était venu
chercher ! Il y en avait d'autres, hélas, et de
plus ennuyeuses, comme celle qui advint en
1662, toujours à Longchamps, par suite du
retrait d'un certain droit de pacage que le
couvent possédait et qui permettait aux reli-
gieuses de faire paître leurs vaches et leurs
cochons. L'abbesse, accompagnée de quatre de
ses religieuses, court à Paris où son frère, le
marquis de Mailly, lui donne asile. Elle voit le
roi et les deux reines, leur expose ses doléances
et reçoit les meilleures promesses. Mais ces
178 FILLES NOBLES ET MAGICIEXXES
promesses restent vaines. Elle repart, saisit le
roi au sortir de la messe et lui remet un placet.
Nouvelles promesses, qui cette fois sont tenues.
Seulement, de telles démarches n'ont pas été
sans coûter deux cent quatre-vingt-douze livres
et, dit le Registre, « il fallut payer bien cher les
trois factums et placets au sieur Dorcy, notre
avocat ».
Je n'entrerai pas dans le détail d'une autre
dissension qui éclata dans ce même couvent,
en 1663. La lutte pour l'abbatiat, lors de la
succession de madame de Bragnelongne fut
épique. Les deux concurrentes, mesdames de
Bellièvre et de Mailly firent preuve des plus
rares qualités de candidates, et leurs menées,
leurs intrigues, leurs ruses de guerre mirent le
monastère à feu et à sang — au figuré s'entend
— car les langues seules firent office de dagues
et de mousquets ^
Il serait fastidieux de nous immiscer dans
toutes ces querelles de couvent. Elles étaient
incessantes et Longchamps n'en avait pas le
monopole. « Ce que vous me mandez sur la
jalousie qui règne dans le couvent de ma nièce
1. Arch. liai., H. :1C04.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 179
me donne un peu d'inquiétude, » écrira madame
du Deffand à sa sœur d'AuIan*. On les vovait
éclater non seulement à propos d'élections
d'abbesses, mais encore à propos du choix de
dignitaires d'un rang beaucoup moins élevé : à
vrai dire, à propos de tout et de rien. Le lec-
teur se fatiguerait vite aussi à sui\Te les reli-
gieuses au cours de leurs discussions avec les
autorités ecclésiastiques, discussions passion-
nées dont j'ai donné une idée dans le chapitre
consacré aux chanoinesses séculières. A peine
notera-t-on encore les révoltes contre certaines
abbesses qui prétendaient ramener leur monas-
tère à l'observance plus stricte des règlements*,
révoltes qui, fort heureusement, ne se tradui-
saient pas toujours par une tentative d'empoi-
sonnement, ainsi qu'il arriva à l'abbaye de
Montmartre, où les religieuses exaspérées
1. Ltittro inédite du 25 janvier 1737.
2. Malgré la douceur de ses procédés et sa prudence,
madame de Livron-Bourbonne, abbesse de Juvigny, se vit
en butte aux plus incroyables menées de la part de ses
religieuses qui so révoltèrent et poussèrent leurs parents à
engager toute la noblesse de Lorraine à prendre leur parti.
Devant les princes, l'abbesse obtint gain de cause (1615-
1617). [Abrégé de la vie de madame Scholastique-Gabrielle
de Livron-Bourbonne). Je dois copie de ce manuscrit à
l'obligeante communication de mademoiselle de Ghabans.
186 FILLES NOBLES ET MAGICIEXXES
contre madame de Beauvilliers, leur abbesse,
essayèrent de se débarrasser d'elle en lui faisant
avaler un poison violent, dont un émétique
énergique parvint à neutraliser les effets. A la
vérité, je ne me porte point garant du fait rap-
porté par Sauvai sans preuves à l'appuie
Autre aventure, mais celle-là tout à fait
extraordinaire et qui causa une émotion pro-
fonde dans le couvent de Longchamps. Elle
vaut d'être retracée à grands traits.
Nous sommes en l'année loo2. Le couvent
est en fête. Déjà on a paré l'église comme on
a coutume de le faire pour les grandes solen-
nités. Françoise Mouchy, novice depuis neuf
années, va faire sa profession. La veille de la
cérémonie, à l'heure de vêpres, voici que des
piétinements de chevaux se font entendre dans
la cour. Bientôt on voit descendre de sa litière
une très vieille dame. C'est madame de Sénar-
pont, la grand'mère de mademoiselle de Mou-
chy. Trente personnes au moins l'accompa-
gnent. Tout ce monde viendrait-il pour assister
à la fête religieuse qui se prépare? On ne
tarde pas à être iixé à ce sujet. Madame de Sé-
i. Antiquités de Paris, op. cit.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 181
narpont, après avoir salué l'abbesse, a fait de-
mander sa petite-fille et lui dit : « Ma fille, il
faut que vous obéissiez à votre père et vous
en reveniez. » Et Sénarpont, son frère, d'ajou-
ter : « Ma sœur, je ne m'accorde pas que vous
fassiez profession; je veux vous parler en par-
ticulier. » La jeune fille se rend à l'église avec
son frère, tandis que les autres parents s'ef-
forcent de tenir les religieuses à l'écart. Ce-
pendant le temps s'écoule. C'est l'heure de
compiles. Les religieuses veulent y conduire
la novice. Madame de Sénarpont les repousse
avec rudesse en menaçant d'emmener immé-
diatement sa petite-fille. Le soir vient. L'ab-
besse supplie les Sénarpont de se retirer.
Arrivée à la porte, brusquement, madame de
Sénarpont cherche à entraîner la jeune Fran-
çoise. Celle-ci se débat, appelle la portière à
son aide. On la délivre et elle se réfugie dans
le cloître. Ce que voyant, M. de Sénarpont fait
signe à trois hommes armés qui se mettent à
courir l'épée nue à travers la maison, criant,
jurant comme des furieux. Ils pénètrent dans
l'infirmerie, frappent les infirmières à coups de
pommeaux d'épée, ce dont les malades pensent
mourir de peur, brisent les portes de l'église
11
182 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
OÙ les religieuses épouvantées essayent de
chanter le Salve Regina, qu'elles interrompent
de cris d'effroi. Les trois reîtres terminent leur
visite par le dortoir où ils se mettent en devoir
de relever les custodes des lits. Cependant, le
Père provincial prévenu du désordre a fait
sonner la cloche d'alarme. Les bonnes gens
du village, croyant que le feu est au monas-
tère, accourent en hâte. Les voici, au nombre
de quatre cents. On retrouve la novice plus
morte que vive. On la traîne à l'église où on la
laisse sous la garde de deux hommes sûrs.
L'abbesse, alors, s'adressant aux parents, leur
intime l'ordre de sortir du couvent. Les sei-
gneurs qui accompagnent les Sénarpont lui
répondent par des invectives et des menaces.
De part et d'autre on va s'élancer ; les paysans
lèvent leurs fourches, les soldats, leurs épées...
« Il y eût eu grande tuerie, si le Père provincial
n'eût réussi à apaiser les paysans et la bande
des Sénarpont. Devant tout le monde réuni, il
demanda à la novice si elle voulait quitter le
couvent, si elle a été contrainte en quelque
manière. La novice répliqua que non et qu'elle
entendait rester. Sur cette déclaration, les
parents consentirent à s'en aller sans elle.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 183
D'une traite ils coururent à Paris, où ils
avaient le bras long... » Ayant été les premiers
à se plaindre, ils rapportèrent les choses à leur
façon, tant et si bien que le lendemain, made-
moiselle de Mouchy dut, par ordre royal,
rentrer dans sa famille. Le confesseur du cou-
vent était arrêté et enfermé à Saint-Martin-des-
Champs. On le relâcha d'ailleurs peu de jours
après.
J'ignore ce qu'il advint de la novice rendue
au monde malgré elle ; ce que je sais seule-
ment, c'est qu'à la suite de cette terrible
journée au cours de laquelle le monastère avait
failli être transformé en champ de bataille, la
pauvre abbesse fut malade des fièvres. Il faut
avouer qu'elle eût pu l'être à moins ^..
1. Registre manuscrit contenant la nomenclature des
abbesses qui ont gouverné l'abbaye de Longchamps depuis
l'an 1260 jusqu'en 1737. (Arch. nat., LL. 1604.)
Au milieu de toutes ces aventures, que devient la paix
des cloîtres? — Comment les prédicateurs jugeaient
les religieuses. — Degré de confiance qu'il convient
d'accorder à ces accusations, — Religieuses sans
vocation. — Elles méritent l'indulgence. — Désordre
général dans les esprits, les institutions, les idées.
— Si les monastères avaient été aussi corrompus
qu'on se plaît à le dire, les personnes vraiment
pieuses s'en seraient écartées. — Fontevrault. —
Chelies. — Mademoiselle de Chartres. — Aventures
qui lui sont faussement attribuées. — Une lettre
apocryphe de saint Vincent de Paul. — Perspicacité
admirable de ceux qui prétendent pouvoir jauger la
vertu des femmes ayant vécu il y a deux ou six siècles !
— Longchamps. — Sa mauvaise réputation. — De
l'Opéra au couvent et du couvent à l'Opéra. — Con-
certs profanes. — Les foudres de l'Archevêque. —
Promenades autour du couvent. — Les rapports de
police. — Imprudences des religieuses. — Un gé-
néral dans un couvent. — Les monastères galants.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 183
— Montmartre. —Une abbesse qui jure. —L'abbaye
de la Joie. — Cérémonies religieuses. — Baptême
de cloches. — Réception de reliques.
Guerres, difficultés intestines, exodes for-
cées, différends avec les évêques, aventures
diverses plus ou moins émotionnantes, n'en
voilà-t-il pas déjà trop pour la paix des cloîtres?
D'autres aventures d'un genre un peu spécial
contribuaient encore à troubler cette paix, et
nous sommes amenés à effleurer cette question
des mœurs qui a fait couler tant d'encre et sur
laquelle il serait sans doute inutile de revenir,
si l'on ne devait s'efforcer de rechercher dans
quelle mesure sont exactes les accusations por-
tées — de tout temps — contre l'immoralité
des abbayes de femmes.
Si l'on s'en tient aux sermons de certains
prédicateurs, force est bien d'admettre que dès
les premiers siècles de l'Eglise, la corruption
s'était introduite dans nombre de couvents. Les
diatribes violentes et grossières prononcées en
ce langage si cru propre à quelques orateurs
sacrés, doivent-elles être prises au pied de la
lettre? Quand, sans remonter plus haut, Bar-
bette ou Nicolas de Clémangis, docteur en
186 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Sorbonne, lancent à l'égard des abbayes de
femmes la menace et l'injure, les accablant
sous les accusations les plus horribles, nous
trouvons-nous en face de réquisitoires basés sur
des faits évidents ou s'agit-il seulement de
mouvements oratoires d'un goût discutable?
Oh sont les preuves de ce qu'avancent ces pré-
dicateurs au verbe si vulgaire? Quels témoi-
gnages invoquent-ils dont on puisse apprécier
la véracité? N'y a-t-il pas lieu, en tout cas, de
faire la part de l'exagération, de ce besoin
qu'avaient alors si généralement les moines
prêcheurs, d'effrayer, de terroriser leurs audi-
toires par la peinture volontairement poussée
au noir des mœurs de leur époque. Il est assez
d'usage, faut-il le répéter, que ces mœurs
trouvent d'ordinaire dans les membres du
clergé, des censeurs peu enclins à la bienveil-
lance. Je ne pense pas que dans la collection
complète des sermons prononcés depuis l'ori-
gine du christianisme, on en puisse découvrir
un seul où les mœurs du temps soient jugées
plus pures que celles des siècles précédents.
Cette coutume de tenir les mœurs présentes
pour les plus déplorables et les plus perverses
était poussée jusqu'à la manie par les orateurs
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 187
du Moyen âge et du xvi° siècle. C'est là une
première raison pour ne pas accorder à ces
imputations une confiance illimitée. Mais
lorsque, d'autre part, on voit combien, plus
près de nous, au xvii® ou au xviii* siècle, par
exemple, les actes reprochés aux religieuses
ont été dénaturés et faussés, on en vient à se
demander quel degré de créance méritent ces
prédicateurs fougueux dont l'intempérance de
langage, loin de nous convaincre, inspire je ne
sais quelle méfiance et, malgré tout, nous laisse
fort sceptiques.
•Je veux bien que les mœurs des religieuses
aient été ici et là passablement dissolues. Un
grand nombre de jeunes filles entraient au
couvent sans l'ombre même d'une vocation et
n'y demeuraient que contraintes et forcées,
non par la volonté de leurs parents, mais par
tout un ensemble de circonstances au milieu
desquelles elles se seraient débattues aussi
vainement que si on les eût emmaillotées dans
un filet. A celles-là, comment reprocher trop
durement d'avoir cherché" des distractions peu
conformes à un habit qu'elles ne souhaitaient
rien tant que de quitter? Faut-il rappeler aussi
à quel point la vie des monastères fut traversée
188 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
d'orages? Ces exodes sur Paris, ces pillages,
ces transes continuelles parmi des pays ra-
vagés, au milieu de troupes brutales, tout cela
était-il donc fait pour permettre aux reli-
gieuses de distinguer nettement le bien d'avec
le mal ?
En des temps paisibles, où la vie du
monastère s'écoulait sans heurt ni tracas, si
quelque religieuse venait à manquer aux de-
voirs de son état, il appartient à ceux qui n'ont
jamais failli de les écraser de leurs sarcasmes
et de leur mépris. Mais quand l'existence des
couvents est telle que nous l'avons pu voir,
quand de tous côtés, c'est la menace, ou la
tentation, quand le pays lui-même semble dé-
séquilibré, prêt à ployer sous le poids des
ennemis, quand les umes flottent indécises
entre l'expérience d'une religion séculaire et
les séductions d'un dogme nouveau, quand, de
toutes parts, c'est la confusion, le désordre, la
lutte dans les esprits, les idées, les institutions,
comment exiger des religieuses — qui sont des
êtres humains et, par surcroît, des femmes —
que seules, dans ce tumulte général, elles
conservent toutes dans leur cœur un calme
céleste, dans leur raison une inébranlable fer-
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 189
meté, et dans leurs âmes désemparées une in-
domptable vertu?...
En définitive, et sans vouloir nier l'évidence,
l'exagération paraît avoir singulièrement grossi
toutes ces histoires plus ou moins scanda-
leuses. Il serait bon de se rendre compte que
si tous les couvents avaient joui d'une réputa-
tion aussi fâcheuse qu'on le prétend, les per-
sonnes vraiment pieuses (on accordera qu'il y
en avait) s'en fussent écartées et en eussent
écarté leurs filles. Allons plus loin. Quoi que
l'on puisse penser de la moralité du roi
Louis XV, et je conviens que celle-ci était
mince, croit-on qu'il eût envoyé ses filles à
Fonte vrault, si cette abbaye avait été réputée
pour ses mœurs douteuses?
Ne nous attardons pas à Fontevrault, dont,
à la vérité, il ne fut jamais très mal parlé.
Chelles fut bien autrement attaqué. Peut-
être ce monastère doit-il, en partie, sa mau-
vaise réputation à cette fille du Régent, made-
moiselle de Chartres, qui en fut nommée
abbesse, le 6 juin 1719, succédant à madame
de Villars, démissionnaire un peu malgré elle.
Or, même quand il s'agit de mademoiselle de
Chartres, voici comme on écrit l'histoire.
H.
190 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
Après beaucoup d'autres écrivains d'ailleurs,
madame Lucien Perey raconte dans son His-
toire d'une grande dame au X VHP siècle, que
la princesse aurait été l'héroïne de multiples
aventures, lorsqu'elle était abbesse de l'Ab-
baye-au-Bois. Elle cite à l'appui quelques
anecdotes qui ne laisseraient pas d'être pi-
quantes si elles étaient exactes. Mais, si elles
sont exactes, du moins ne se rapportent-elles
pas à mademoiselle de Chartres, pour l'excel-
lente raison que mademoiselle de Chartres ne
fut jamais abbesse de l'Abbaye-au-Bois .
M. Torchet a démontré de façon péremptoire
qu'à l'époque incriminée, l'abbesse de l'Ab-
baye-au-Bois était madame du Harlay de
Champvallon qui demeura en charge de 1705
à 1722. Lucien Perey ajoute que la princesse
causa aussi quelque scandale à Saint-Antoine
quand elle gouverna cette abbaye. Mais l'ab-
baye de Saint-Antoine avait pour abbesse
Gabrielle de Scaglier- Verrue, à laquelle suc-
céda la princesse Eléonore de Bourbon-Gondé
et mademoiselle de Chartres ne mit jamais les
pieds à Saint-Antoine*. Alors?...
. 1. Histoire de l'Abbaye de Chclles, op. cit.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 19i
Prenons un autre exemple. Il a été fait un
certain état d'une lettre qu'aurait écrite saint
Vincent de Paul, relative aux débordements
du couvent de Longehamps, Il n'y a qu'un
petit malheur, dit M. Duchesne, qui a étudié de
près la question, c'est que la lettre est apo-
cryphe ; le faussaire n'a oublié qu'une chose, à
savoir qu'à la date qu'il inscrivait sur le papier,
saint Vincent était mort depuis sept ans^
En présence de ces deux simples faits, il
semble que la plus grande prudence doive
s'imposer. En dehors de quelques aventures
notoires, comment démêler la vérité touchant
les mœurs si souvent et si lourdement incri-
minées des religieuses et abbesses des cou-
vents d'autrefois? S'il est assez malaisé de
mesurer avec exactitude le degré de vertu de
nos contemporains et contemporaines, des per-
sonnes même de notre entourage et de celles
qui nous tiennent de plus près, n'est-il pas un
peu présomptueux vraiment de prétendre ap-
précier avec certitude la moralité de femmes
ayant vécu il y a quelque deux cents ans ou
bien voici sept siècles? Envions ceux qui se
1. G. Duchesne : Histoire de l'abbaye de Longehamps.
192 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
sentent capables de porter de tels jugements et
de si précis. Leur perspicacité est admirable de
savoir débrouiller le vrai dans le fatras des
gazetins, des mémoires, des « potins » du
temps parvenus jusqu'à nous...
Parmi les monastères qui passaient pour fort
galants (Dieu me pardonne de nier qu'il y en
eut à qui ce renom fut fort mérité), Longchamps
vaudrait qu'on s'y arrêtât un instant. Ce cou-
vent n'était pas très recherché des filles de la
noblesse. Si nous en exceptons l'abbesse, qui,
là comme ailleurs, appartient d'ordinaire à
l'aristocratie, les autres religieuses sont pour
la plupart d'extraction bourgeoise ou rotu-
rière. Jusqu'à la fin du xvi" siècle, rien ne
vient ternir sa réputation. Mais le siège de
Paris par Henri IV paraît lui avoir été fatal.
C'est du moins de cette époque que date le re-
lâchement qu'on observe dans la discipline.
Les religieuses abandonnent la robe grise pour
adopter l'habit blanc, plus seyant et moins
austère. Plusieurs d'entre elles commencent à
mener une existence très peu édifiante, reçoi-
vent qui bon leur semble, en prennent à leur
aise avec la clôture, témoignent enfin d'une
indépendance incompatible avec leur profes-
DAXS LES ABBAYES DE FEMMES 193
sion. Faut-il attribuer ces abus aux périodes
de troubles que le monastère venait de traver-
ser, périodes durant lesquelles les religieuses
avaient été laissées sans surveillance aucune de
la part de leurs supérieurs, ce qui leur avait
permis de prendre avec la règle, des libertés
dont elles ne voulaient plus perdre l'agréable
habitude? Il se peut. Ce qui paraît sûr, c'est
que dès les premières années du xvii^ siècle,
d'assez mauvais exemples leur furent apportés
par les femmes élégantes de Paris qui s'étaient
engouées de deux cordeliers habitant dans le
voisinage de Longchamps, confesseurs à la'
mode, qu'elles venaient consulter en grand
équipage. A ces femmes de la société n'avaient
pas tardé à se joindre des dames peu rigou-
reuses dans leurs mœurs, et bientôt des demoi-
selles tout à fait déclassées. Il est clair que,
déjà à cette époque, le monastère de Long-
champs avait de trop fréquentes et trop intimes
accointances avec le monde pour conserver
intacte sa bonne réputation. Ce fut bien pis
au siècle suivant.
On ne sait quel vent profane a soufflé sur le
couvent. Voici qu'on y célèbre les offices avec
une pompe théâtrale qui attire tout le Paris
194 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
d'alors. L'office des ténèbres notamment est
suivi par toute la noblesse désœuvrée et riche
à laquelle se mêle la foule des curieux. Voici,
par surcroît, que mademoiselle de Maure, can-
tatrice de l'Opéra adulée, choyée, quittant
brusquement le monde, s'avise de venir prendre
le voile à Longchamps. Elle ne tarde pas à y
être suivie par une autre cantatrice non moins
appréciée, mademoiselle de Fel. 11 serait exa-
géré de^dire que ces demoiselles, si bien inten-
tionnées qu'elles fussent, apportaient au cou-
vent des habitudes strictement monacales.
Priées de chanter, elles s'exécutent de bonne
grâce et, accompagnées d'un orchestre com-
plet, donnent dans l'église des concerts qui
n'ont rien à envier à ceux que l'on entend à
l'Opéra. Quand, regagnée par les séductions
de la vie libre, mademoiselle de Maure jettera
son voile aux orties pour revêtir à nouveau les
oripeaux de théâtre, le branle est donné. Les
concerts continuent de plus belle, concerts qui
n'ont plus de religieux que le lieu où l'on vient
les entendre, et pour lesquels on engage des
acteurs et des chœurs de l'Opéra. Le public,
est-il besoin de le dire, trouve du piquant à ce
genre de spectacle; il afflue, et les femmes fai-
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 195
sanl assaut de toilettes, l'église du monastère
prend aux jours de cérémonies un aspect sé-
millant et coquet que n'avait certes pas prévu
la sainte fondatrice de Longchamps, dame
Ysabel de France...
L'archevêque de Paris finit par intervenir
et, brusquement, fait fermer l'église du cou-
vent. Voilà les concerts interrompus ! Mais la
mode reste la plus forte. Si l'église est close,
si l'archevêque empêche qu'on y vienne ouïr
de la musique, il ne peut interdire aux gens
de se promener aux alentours du monastère.
Cela devient l'endroit en vogue ; chaque jour,
c'est une succession de beaux carrosses qui,
lentement, font le tour des bâtiments ; on s'ar-
rête, on cause, on goûte. Les portes de ces
bâtiments étaient-elles assez bien barricadées
pour qu'il fût impossible à quelques jeunes
seigneurs aventureux d'y pénétrer? Je ne l'af-
firmerais pas, et, sans doute, les uns ou les
autres gagnèrent-ils les faveurs de certaines
religieuses peu résignées au cloître.
Il serait puéril d'ajouter une foi trop absolue
aux rapports de police qui sont inépuisables
sur Longchamps. Les rapports de police sont
toujours sujets à caution. Ceux dont je me
196 FILLES NOBLES ET MAGICIEXiNES
suis servi pour retracer ces quelques faits,
dénués de tout commencement de preuves et
basés sur des racontars, ne méritent qu'une
confiance limitée. Toutefois, il faut bien
admettre que tout n'était pas faux dans ce que
les policiers relataient si copieusement. Il est
avéré que la galanterie de certaines religieuses
eut des résultats fâcheux encore que naturels.
D'autre part, il est non moins vrai que, pres-
sées d'argent, les nonnes avaient jugé à propos
de louer des appartements et des maisonnettes
dans l'enceinte de leur monastère sans pren-
dre souci de se renseigner au préalable sur la
qualité des personnes qu'elles admettaient
ainsi, en quelque sorte, dans l'intimité de leur
vie. Cela donnait fort à causer, et le seul fait
d'avoir cédé à bail un petit jardin à un officier
général nommé Beaudoin, suffisait à excuser
les gens qui crient volontiers au scandale.
D'autres abbayes étaient l'objet d'accusa-
tions très vives, qui n'étaient point toutes
calomnieuses. L'abbaye de Montmartre était
de ce nombre. Au temps du bon roi Henri,
pour qui l'abbesse avait eu des bontés trop
certaines, ce monastère passait pour n'engen-
drer pas mélancolie. Dans la galerie des
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 197
abbayes plus profanes que dévoles et plus
galantes que mystiques (encore ne faudrait-il
pas généraliser et jeter sur toutes les reli-
gieuses de ces couvents le discrédit que,
seules, quelques-unes d'entre elles méri-
taient), on pourrait ranger encore l'abbaye de
Maubuisson, gouvernée par une princesse qui
c jurait peu canoniquement et se conduisait
de même >, Chaillot, où le duc de Richelieu
enleva successivement (mais parmi les élèves,
ce qui prouve tout au plus qu'on les gardait
assez mal), sa maîtresse et sa femme * : l'abbaye
de la Joie, dont l'abbesse, mademoiselle de
Beauvilliers, ne fut pas cruelle, dit-on, au
beau Ségur, et ce monastère du Traisnel où
d'Argenson, s'il faut l'en croire, aurait établi
sa demeure privée auprès de la gracieuse
et adroite abbesse que fut mademoiselle de
Villemont.
Mais quoi, je n'écris pas ici l'histoire des
couvents galants au xvii* ou au xviii^ siècle.
Je n'ai parlé de quelques-uns que pour ne pas
laisser tout à fait dans l'ombre un des côtés
1. Peut-être était-ce un jour où la porte du couvent était
gardée par une élève ! (\'oir chapitre \i).
198 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
les plus connus et les plus rebattus de la vie
monastique d'autrefois, et aussi pour essayer
de faire voir combien s'impose une prudente
circonspection dans l'examen des faits et des
circonstances qui, en apparence, prêtent le
plus à la glose et soulevèrent les commentaires
malveillants.
Toutes les cérémonies n'avaient pas le carac-
tère profane de celles dont nous avons parlé.
Dans ce même couvent de Longchamps, il y
en eut de fort pieuses et de fort édifiantes,
témoin cette grande fête que présidait l'arche-
vêque de Paris, monseigneur de Ventadour, en
1630, à l'occasion de l'ouverture de la tombe
de dame Ysabel de France. Cette ouverture
fut pratiquée en présence de la princesse de
Gondé, du jeune prince son fils, de mademoi-
selle de Bourbon, de la duchesse d'Aiguillon
« et de plusieurs autres dames de bonne com-
pagnie ». Une demoiselle, paralytique de tous
ses membres, qui s'était fait apporter en
chaise, fut guérie à l'ouverture du tombeau et
commença à marcher seule dans l'église, « ce
qui apporta grand étonnement et admira-
tion au dit seigneur archevêque et à toute la
société ». Les cloches aussitôt de sonner en
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 199
volées et le Te Deum de retentir sous les
voûtes de la chapelle. Les restes de dame
Ysabel déposés dans une châsse provisoire,
furent, trois années plus tard, enfermés dans
une autre châsse dorée et ciselée qui pesait
soixante-quinze marcs d'argent et coûtait
3.7o0 livres.
Non moins somptueuse, mais conservant
toujours un caractère exclusivement religieux,
fut la fête organisée pour le haptême des clo-
ches nouvellement refondues. La première,
nommée Marie, avait pour parrain M. le Prési-
dent de Bellièvre et pour marraine madame
Motte, femme du procureur général (voilà une
cloche prédestinée à sonner l'heure de la jus-
tice!); les autres, Ysabel et Louise, eurent
des parrains et marraines plus modestes.
Mais qu'est cela auprès de la cérémonie si
naïvement touchante à laquelle donna Heu la
remise au couvent de Longchamps d'une reli-
que bien précieuse, puisqu'il ne s'agissait plus
d'un lambeau de vêtement porté par quelque
saint ou d'un éclat d'os provenant de quelque
martyr, mais du corps entier de saint
Alexandre ! Cette relique arriva aii couvent
dans le courant de septembre 1662. On la
200 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
déposa dans une armoire du trésor où elle
resta un an. « L'abbesse ayant demandé au Père
Faucemberge de qui il la tenait, celui-ci expli-
qua que le Pape lui avait permis de choisir
dans la trentaine de corps de martyrs récem-
ment retrouvés à Rome, celui qu'il voudrait, et
qu'il avait lui-même retiré du caveau le corps
de saint Alexandre avec une fiole de nacre de
perle contenant de son sang et une petite
lampe de terre. Le tout avait été mis dans un
cercueil de bois aromatisé qui fat ensuite
recouvert d'une châsse fort riche ^ »
Nous avons vu que les intronisations d'ab-
besses fournissaient aussi prétexte à des céré-
monies religieuses imposantes. Il en était
pareillement des vêtures qui empruntaient un
éclat spécial à la situation des familles de la
jeune novice. Plus de six cents personnes
assistent à la prise de voile de mademoiselle
de Chartres à Ghelles. L'église parée de fleurs,
inondée de lumières, resplendit encore de
toute la richesse des parures arborées par les
dames de la cour, des feux des diamants, des
broderies, des chamarrures. Le cardinal de
1. Arch. nat., LL. 1604.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 201
Noailles officie ^ S'agit-ii d'une humble fille
qui vient se consacrer à Dieu ou d'une prin-
cesse que la cour accompagne et dont elle
salue la hautaine fantaisie? En vérité, on ne
sait plus.
1. On raconte qu'une jeune fille, éblouie par la majesté
d'une fête religieuse à laquelle prenaient part une grande
quantité d'évêques, s'écria : « N'est-ce point là le paradis ?
— Eh non, lui répondit quelqu'un, il n'y aurait pas tant
d'évêques! » Ce mot qu'on a prêté à une assistante de la
cérémonie de Chelles, est en réalité une réédition d'un mot
de madame de Sévigné.
VI
L'éducation des jeunes filles. — Ce qu'elle était. —
Les devoirs du ménage. — Pourquoi on mettait les
enfants de si bonne heure au couvent. — Prix des
pensions. — Les filles de Louis XV à Fontevrault.
— Régimes d'exception. — Pensionnaires libres. —
Mode de se réfugier dans les couvents. — L'Abbaye-
au-Bois; — Bellechasse, et leurs hôtes. — Un
bureau d'esprit chez les religieuses. — Marie d'Esté
à Chaillot. — Madame du Deffand à Saint-Joseph. —
Son installation. — Le mobilier « bouton d'or. » —
Madame de Montespan. — Un Stuart caché à Saint-
Joseph. — Un mobilier de petite-maîtresse. — Prix de
divers logements dans les abbayes. — Inconvénients
de la présence de personnes étrangères dans les
monastères. — Le vent de frivolité souffle dans les
cloîtres. — La diminution de l'esprit religieux. —
Le Révolution le ranime. — 11 faut que les portes
des couvents soient fermées.
DANS LES xVBBAYES DE FEMMES 203
Au nombre des ressources que les abbayes
avaient cherché à se créer, figuraient, on ne
l'a pas oublié, l'éducation des jeunes filles et
la retraite offerte aux femmes de la société.
Je dirai ici quelques mots des unes et des
autres.
Qu'on se rassure ; je ne tenterai pas une his-
toire de l'éducation des filles aux siècles
passés. Cette histoire a été faite et, sans doute,
de façon définitive par des écrivains spécia-
lisés en la matière. L'éminent académicien
qu'est M. le marquis de Ségur, au cour^ d'une
conférence publiée plus tard avec d'autres
études savoureuses S a su, en des pages
pleines d'érudition, avec un sens très fin et
une grande indépendance d'esprit, résumer la
question beaucoup mieux que je ne saurais le
faire moi-même. Je me garde donc de vouloir
dresser le bilan de l'éducation féminine au
XV II* et au xviii^ siècle, non plus que de
rechercher si elle répondait exactement aux
besoins du temps et pas davantage de signaler
i. Marquis de Ségur : Esquisses et Récits.
204 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
les modifications successives que lui imposa
la mode. La part faite à l'instruction propre-
ment dite était minime. Un peu d'histoire,
« dont les faits sont rapportés sèchement et
sans détails », un peu de géographie rudimen-
taire, la mythologie, le style, des éléments de
calcul ; c'est à peu près tout. Une assez large
place est accordée à la théologie, au moins
jusqu'au xviii® siècle, où on la remplace par
des lectures « les plus disparates et les notions
les plus confuses sur tous les sujets à la
fois ». En revanche, et ceci est appréciable,
l'on s'efforce d'inculquer aux jeunes filles le
goût et l'habitude des devoirs du ménage.
Elles sont astreintes aux plus humbles beso-
gnes. « C'est ainsi, dit M. de Ségur, qu'on voit
à l'Abbaye-au-Bois, mesdemoiselles de Mont-
barrey et de la Roche-Aymont préparer le linge
de la maison, mesdemoiselles de Beaumont et
d'Armaillé préposées aux comptes, mademoi-
selle de Barbentane à la surveillance de la
porte, mademoiselle de Vogué à la cuisine,
mesdemoiselles d'Uzès et de Boulainvilliers au
balayage, mesdemoiselles de Rohan, de Galard,
d'Harcourt, à l'allumage et à l'entretien des
lampes. De ces labeurs modestes, les élèves
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 205
passaient sans transition aux arts d'agrément,
dessin, musique, chant et danse, vers lesquels
il est permis de supposer qu'elles se sen-
taient plus attirées que vers le nettoyage des
lampes. »
L'usage de confier les jeunes filles aux cou-
vents, depuis l'âge le plus tendre jusqu'à
l'heure de la majorité, provenait pour une part
de ce que, jusqu'au xviii'' siècle, beaucoup
des filles étaient vouées au cloître. N'est-il pas
préférable, pensait-on, que des jeunes per-
sonnes destinées à prendre le voile, soient dès
l'enfance accoutumées à la discipline des
monastères, et quelle nécessité y a-t-il à leur
faire connaître une société dont elles resteront
à l'écart? Le goût du monde ne risque-t-il pas
de leur venir, au cours de ces années qui s'é-
couleront entre la fin de leur éducation et leur
noviciat? Quand, au xviii* siècle, on s'avisera
que l'habit religieux ne pouvait être imposé aux
jeunes filles et que d'ailleurs, celles-ci com-
mencèrent à trouver fort mauvais qu'on les
en revêtit contre leur gré, sans avoir au moins
essayé de les marier, la mode persista de
les mettre de bonne heure entre les mains
des religieuses, à sept ou huit ans d'ordi-
12
206 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
naire S c'est-à-dire vers l'époque de leur
première communion et de les y laisser presque
jusqu'au moment du mariage. Mais il est juste
d'ajouter que les mariages étant fort précoces,
la durée de l'internat se trouvait ainsi, dans
la plupart des cas, très abrégée.
Les pensions étaient minimes, allant de 300
à 600 livres par an. Ce dernier chiffre paraît
avoir été un maximum. C'est le prix que l'on
paie à l'Abbaye-au-Bois, un des couvents les
mieux fréquentés de Paris ^. L'abbaye de Pan-
thémont, et sans doute ce couvent n'était-il pas
le seul, avait deux sortes de pensionnaires. Les
classes ou petite pension coûtaient 500 livres et
le couvent fournissait les femmes de chambre.
Mais il fallait apporter les meubles , lit ,
table. Le linge de table et de toilette, les draps.
Les maîtres d'agrément se payaient à part.
«Il y a une autre sorte de pensionnaires, dont
les pensions sont plus fortes, à cause du loge-
ment qui est plus grand et de la nourriture de
la femme de chambre que la demoiselle doit
1. Mademoiselle de Montpensier, fille du Régent, fut mise
au couvent de Chelles à l'âge de deux ans.
2. Arch. nat., H. 3240. Elle va à 800 livres par an aux
Dames anglaises et au Saint-Sacrement, mais « sans bois
ni chandelle. »
DAXS LES ABBAYES DE FEMMES 207
amener avec elle. Le prix est arbitraire et à la
volonté de l'abbesse. '»
Il est vraisemblable que les demoiselles de
très haut rang, les princesses du sang devaient
jouir d'un de ces arrangements spéciaux, plus
confortables encore, et que la pension s'en res-
sentait dans de notables proportions. Je vois
notamment qu'il est versé à l'abbaye de Beau-
mont-les-Tours, pour solde d'une demi-année
de la pension de mademoiselle de Verman-
dois (1720), la somme de 1.270 livres. J'ignore
ce que Mesdemoiselles de France, filles de
Louis XV, payaient à Fonte vrault. On sait que
Mesdames Quatre, Cinq, Six, et Sept, comme
on les désignait, y furent élevées. « Elles sont
parties le 16 de ce mois, écrit en juin 17-38 le
commissaire Dubuisson au marquis de Gau-
mont : elles avaient avec elles un bagage im-
mense. Les femmes qui ont demandé à rester
auprès d'elles y resteront. Un maître queux sera
maître d'hôtel perpétuel des princesses là-bas.
Ce sera lui qui fera toute les dépenses dont il
sera cru et remboursé sur son mémoire certifié.
On lui donne trente mille francs pour com-
1. Lettre inédite, sans signature, adressée au comte de
TournoB, hôtel Languedoc à Paris, 1779. (Arch. du Vergier.)
208 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
mencer ses fournitures, et, si son emploi dure,
il y a gros à parier que les enfants de ce
maître queux pourront être maîtres de re-
quêtes \ »
Quoi qu'il en soit, ces régimes constituaient des
régimes d'exception sur lesquels ne pouvaient
compter de façon certaine les abbayes, et il est
trop clair que les pensionnaires ordinaires ne
devaient pas leur procurer de bien importants
bénéfices^.
Plus considérables étaient les ressources
fournies par les appartements que les abbayes
louaient aux dames de la société. Déjà répandu
au temps de Louis XIV, l' usage pour les femmes
du monde, qu'elles fussent veuves ou séparées
de leur mari, même momentanément, de venir
s'abriter derrière les murs d'un couvent, était
devenu excessivement fréquent au xviii*' siècle.
Quelques-unes de ces dames, âgées ou déta-
1. Lettre du Commissaire Dubuisson au marquis de
Seylres-Caumonl.
2, On admettait parfois d'étranges élèves En 1678 le cou-
vent de iSaint-Pardoue reçoit une demoiselle de Camp qui
ne tarde pas à y accoucher d'une fille, et les religieuses, un
peu surprises d'abord sans doute, se montrent si tolérantes
qu'elles permettent à une autre élève d'être la marraine de
l'enfant. (Recherches sur le monastère et le bourg de Saint-
Pardoux, op. cit.)
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 209
chées du siècle, s'y retiraient dans une pensée
de recueillement et de retraite spirituelle, y
louaient un petit logement dans lequel elles
vivaient à fort peu près de la même vie que celle
des religieuses, suivant les offices, participant
aux prières, parfois même partageant les repas
de la communauté.
Les autres, beaucoup plus nombreuses, ve-
naient au couvent, guidées par un certain souci
de dignité, de décorum, et pour sauvegarder les
apparences, en confiant à une maison respectée
le soin d'abriter leur jeunesse, leur abandon,
leur beauté, à moins que ce ne fût simplement
et très prosaïquement par souci de commodité
ou par motif d'économie. Plutôt que de prendre
un appartement dans un hôtel particulier, on
en louait un dans un couvent ou une abbaye,
assez spacieux souvent pour qu'il fût loisible
d'y héberger des amis ou des parents. Les
locataires conservaient naturellement la plus
parfaite indépendance. Madame du Deffand,
locataire des Filles de Saint-Joseph, n'obéit
évidemment qu'à des raisons matérielles et elle
eût trouvé fort mauvais que sa liberté fût en-
travée le moins du monde. Elle avait même
peu de rapports avec ses propriétaires et n'eût
12.
210 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
pas souffert que les religieuses la vinssent re-
lancer jusque dans son domaine.
Peu à peu, la mode, là encore, fit des siennes.
Il était bien porté et de bon ton d'habiter dans
une abbaye, et, tandis que les religieuses s'effor-
çaient d'attirer chez elles le plus grand nombre
possible de pensionnaires, les femmes du
monde désireuses d'habiter le couvent ne se
souciaient pas de choisir au hasard. 11 n'était pas
indifférent d'entrer ici ou là, car il y avait des
couvent chics et des couvents pas chics, comme
on dirait aujourd'hui.
Celui de l'Abbaye-au-Bois fut toujours parmi
les plus achalandés. Entrons. Nous y trouve-
rons madame de Poissy, madame de Mérode,
madame de Vintimille, madame de Ravignan.
Si nous prolongions notre visite, nous y ver-
rions, au xix" siècle, madame Récamier, qui
dans une retraite peu rigoureuse passait là les
dernières annés de sa vie*.
Bellechasse était aussi très recherché. La
princesse de Beauffremont s'y installe conforta-
blement aux côtés de mesdames de Mesgrigny,
deSabran, de Tingry, de Saluées, d'Autichamp.
Lors d'un vilain procès qu'elle soutient contre
1, Lefeuve, Les anciennes maisons de Paris.
DANS LES ABBAYES' DE FEMMES 211
Richelieu, madame de Saint- Vincent se réfugie
là, comme si cette demeure austère devait aux
yeux du monde redonner quelque lustre à sa
vertu fort décolorée. Madame de Genlis y habite,
durant un certain temps, un petit pavillon très
coquet où elle fait venir ses élèves, les princes
et princesses d'Orléans, sans avouer, bien en-
tendu, qu'elle a parfois recours aux religieuses
pour parfaire leur instruction ^
Toutes ces dames mènent une existence
mondaine, reçoivent, vont à la cour, et ce n'est
pas un des côtés les moins piquants de ce
XVIII* siècle, si fertile en contrastes, que de voir,
par exemple, madame Doublet de Persan tenir
bureau d'esprit — et d'impiété — sous l'égide
des bonnes sœurs de Saint-Thomas ^ !
1. Arch. nat., S. 4406.
2. Quel genre de pensionnaires n'accueillaient pas les
couvents! Une Fille du Calvaire de la rue de Vaugirard,
une certaine demoiselle Charmer, « fille de condition,
native de Turin, » s'installe un beau jour, moyennant
pension de 2 000 livres. Elle s'attire les bonnes grâces des
religieuses et, sa réputation franchissant les murs du
cloitre, des personnes distinguées, la princesse de Cari-
gnan notamment, demandent à faire sa connaissance. Or,
cette édifiante personne était une fille Cenai ou Roux,
qui voulait jouer aux femmes d'honneur et de qualité. »
(Rapports de police, cités par Camille Piton : Paris sous
Louis AT.)
212 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Combien différente la conduite de Marie
d'Esté, veuve de Jacques II, roi d'Angleterre ?
Elle s'était retirée, vers 1688, dans le couvent
de la Visitation de Chaillot, sans se préoccuper
de savoir si ce monastère était à la mode ou
non et son existence, toute de piété, de prière
et de méditation, faisait l'admiration des reli-
gieuses, qui n'étaient pas éloignées de la tenir
pour une sainte. Elle payait trois mille livres
par an de pension. Mais cette pension était
souvent en retard. En 1712, la pauvre reine
n'avait encore versé que dix-neuf mille livres et
en devait cinquante mille, lesquelles cinquante
mille livres elle s'engage partestament à payer
aussitôt le rétablissement du roi son fils en Angle-
terre. Les tentatives malheureuses du «chevalier
de Saint-Georges » pour reconquérir le trône
de ses pères disent assez que les religieuses de
Chaillot ne virent jamais un sol de la somme
qui leur était due... Le prétendant écrivant à
l'abbesse, en 1723, à l'occasion de la mort de
l'ancienne supérieure madame le Vayer, se
plaint du malheur des temps et du triste état
où il se trouve réduit *.
1. Arch. nat., K. 1303.
DAXS LES ABBAYES DE FEMMES 2l3
Sainte-Périne de Chaillot offrait, vers la
même époque, un asile modeste aux femmes
peu favorisées de la fortune ou à celles qui
désiraient s'écarter tout à fait du monde. A la
fin du xviii^ siècle, plusieurs religieuses qui
avaient abandonné leur couvent pour raison de
santé ou autre étaient venues s'y installer.
Nous y voyons une dame de Momelas (probable-
ment Montmelas) religieuse Ursuline de Màcon,
madame Rosalie de Barbarin, religieuse à
l'abbaye royale de Poissy, madame Gabrielle
de Durefort (sic), chanoinesse de Neuville, et
aussi, la femme d'un capitaine de vaisseau,
madame de Jouenne. Ces dames avaient cha-
cune leur femme de chambre et leur loyer ne
dépassait pas 300 livres*.
Beaucoup moins sévère, on le sait, fut la
retraite que madame du Deffand s'était choisie
au couvent de Saint-Joseph. La piété n'était
pas son fort et je doute qu'elle ait souvent
pénétré dans la tribune de l'église avec laquelle
pourtant son appartement communiquait direc-
tement. Si elle avait élu domicile dans ce
monastère, c'est qu'elle avait essayé de vivre
1. Arch nat., T. 1602.
214- FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
à Montrouge avec son frère l'abbé de Vichy,
qu'elle était lasse de cette cohabitation et que,
avide d'indépendance absolue, ses ressources
peu considérables ne lui permettaient guère de
la chercher ailleurs. La bonne dame qui avait
cessé d'être galante (à sa liaison avec Ilénault
près) et qui se montrait fort « regardante » sur
le chapitre de l'argent, trouvait agréable de se
loger à des prix raisonnables et dans des con-
ditions à la fois décentes et pratiques.
Suivons un instant l'aimable marquise. Elle
nous donnera elle-même sur son logement des
détails qui nous permettront de juger ce que
pouvaient être des installations de ce genre,
L'appartement où elle succédait à l'évêque
de Fréjus, situé au fond de la cour extérieure
du couvent de Saint- Joseph, comprend deux
petites antichambres, un office, un grand salon
qui a vue sur le jardin, un cabinet avec une
garde-robe, de laquelle un escalier de menui-
serie conduit à l'entresol. Tel quel, il lui plaît,
« bien qu'il y ait plusieurs incommodités aux-
quelles on ne peut remédier ». Son bail est
faitmoyennanthuitcentslivres de loyer annuel.
Quand elle prendra mademoiselle de Lespinasse
avec elle, elle louera un petit appartement se-
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 215
paré donnant sur la même cour, et composé
d'une grande chambre au premier étage, d'un
salon et de deux chambres de domestiques, le
tout pour oOÛ livres de plus.
C'est là que dès 1746, elle espère entrer ;
mais elle avait compté sans les maçons et
menuisiers qui n'en finissent pas de remettre
l'appartement à neuf, tant et si bien qu'elle ne
peut s'y installer qu'en octobre 1747. Depuis
longtemps, elle avait chargé sa sœur, la mar-
quise d'AuIan , de faire tisser à Avignon
l'étoffe pour ses meubles, cette fameuse étoffe
de moire « bouton d'or ornée de nœuds cou-
leur de feu y> dont parlent tous ses amis. La
pauvre madame d'Aulan se voit, pendant deux
ans, accablée de demandes, de plaintes, de ré-
clamations au sujet de cette maudite étoffe'.
« J'ay reçu, ma chère sœur, lui écrit madame
du Deffand, le taffetas jaune et je compte rece-
voir demain les vingt-cinq aulnes de serge ;
grâce à vos soins, mon meuble sera bientôt
fini. » « Vous ne me répondez pas, écrit-elle
1. Afin de ne pas multiplier les références inutiles, j'in-
dique ici, une fois pour toutes, que tout ce passage est tiré
de la correspondance inédite de madame du Deffand à sa
sœur madame d'Aulan, de 1746 à 1750.
216 FILLES KOBLES ET MAGICIENNES
quelques jours plus tard, d'un ton déjà plus
aigrelet, sur les trente aulnes d'étoffe que je
vous ai prié de faire faire. Gomme c'est pour la
continuation de mon meuble, il est important
que la couleur soit la même. » Et comme cela
ne va pas toujours à son gré, la soie étant
tantôt trop foncée, tantôt trop brillante, elle se
fâche, devient hargneuse, se désespère. Et puis,
elle a des inquiétudes. La tapisserie n'est point
de si bon goût, en sorte « qu'il ne faut pas que
l'étoffe des meubles soit trop belle de peur
qu'elle n'enlaidisse encore plus la tapisserie. »
Outre cette étoffe destinée aux chaises et fau-
teuils, il faut encore du taffetas rose et du taf-
fetas blanc. Cela n'en finit pas. Sans compter
celles que M. le marquis de Ségur a publiées,
j'ai sous les yeux plus de cinquante lettres
inédites, dans lesquelles madame du Deffand
revient inlassablement sur cet objet qui lui
lient si fort à cœur.
On n'a pas le détail exact de son mobilier.
Son testament fait mention de quelques meubles
et bibelots qu'elle lègue à des amis, la garni-
ture de cheminée de sa chambre à coucher,
une table à thé avec porcelaine et bouillotte,
une lampe d'argent, une petite armoire en bois
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 217
d'acajou garnie d'ornements en cuivre doré
qu'elle laisse à la vicomtesse de Camby, une
table garnie de marbre et bordée de cuivre
doré (sa table à ouvrage). Citons encore les
girandoles de cristal qui lui venaient de Pont-
de-Veyle et des livres, beaucoup de livres,
puisqu'elle en donne cinq cents au prince de
Beauvau « à choisir dans sa bibliothèque ».
Et comment oublier le « tonneau », l'illustre
fauteuil où elle avait coutume de s'asseoir et
autour duquel vint « causer » tout ce que
Paris, la France, l'Europe comptait de gens
intelligents, spirituels et lettrés.
Ce couvent de Saint-Joseph avait eu d'ail-
leurs des hôtes de marque. Madame de Mon-
tespan y avait fait des retraites pieuses dont
les intervalles étaient moins édifiants. C'est là
encore qu'habita cette charmante princesse de
Talmont qui offrait, la nuit, au prétendant
Stuart, l'hospitalité que, dans le même couvent,
madame de Vassé lui assurait durant la
journée*.
Pour 1.610 livres, madame de Nicolaï a un
grand et bel appartement à l'abbaye de Port-
1. Correspondance de madame du Deffand, édit. Lescure.
Préface.
13
218 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Royal des Champs; six pièces dont un salon,
une salle à manger, non compris les chambres
de domestiques et les dépendances. La chambre
à coucher entièrement tendue de (c grosse soie
verte à fleurs », des meubles fort élégants, par-
tout une recherche de haut goût. Il y a un ca-
binet dans lequel se tient d'ordinaire la maî-
tresse de céans, dont la description rappellerait
celle du boudoir de quelque « folie ». Ce ne
sont que tables en bois de rose, consoles aux
cuivres délicatement ouvragés, glaces, tru-
meaux galants, sans parler d'une petite fontaine
de marbre « du plus joli effet^ ».
De ces appartements loués dans les cou-
vents, même à Port-Royal, abbaye pourtant
des plus fréquentées par la meilleure société,
il y en a pour toutes les bourses. Si madame
de Perthuis paie le sien 960 livres, la duchesse
de Beauvilliers se contente d'un logement de
290 livres : madame de Villemagne paie 300 li-
vres; madame Dugard, 400 seulement; encore
cette dernière a-t-elle une gouvernante qui ne
la quitte pas 2.
A Panthémont, il est loisible à une femme
1. Arch. nat., T. 1602.
2. Arch. nat., Id.
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 219
de se loger très décemment pour 200 livres,
comme madame de Permanye. Mais les loyers
paraissent plutôt avoir varié entre 7 et 800 li-
vres pour l'ordinaire. Ce sont les prix qu'attei-
gnent les appartements occupés par la com-
tesse de Boisse, mesdames d'Andresal, de Sé-
rières, etc*.
Sans vouloir rejeter sur les dames pension-
naires la responsabilité des inconséquences
dont certains couvents étaient parfois le théâ-
tre, il est légitime de penser que leur pré-
sence n'était pas faite pour accroître la sérénité
ni le recueillement de ces cloîtres où l'air du
monde soufflait déjà trop aisément. Encore
que la plupart de ces pensionnaires fussent
des personnes d'âge, qu'elles menassent une
vie fort honnête et que la malignité publique
n'ait pas eu grand'chose à leur reprocher,
leur présence seule suffisait pour attirer dans
l'abbaye un mouvement de visiteurs et de visi-
teuses assez propre à jeter le désarroi dans le
troupeau des nonnes et à troubler l'esprit de
celles dont la vocation était mal assurée. Der-
rière ces gentilshommes et ces femmes de la
1. Arch, nat., LL. 1607.
220 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
société, fort libres dans leurs propos comme
dans leurs manières, plus soucieux d'élégance
et de raffinement que de correction et de grâce
que de raison, ne pénétrait-il pas quelque
chose de la frivolité qui s'attachait à leurs
basques ou à leurs paniers? Derrière ces ar-
tistes, ces gens de lettres, ces philosophes, ces
encyclopédistes qui parlaient trop haut et trop
fort pour qu'il fût possible de ne pas les en-
tendre par delà les murs de la clôture, un peu
de leur scepticisme, de leurs théories sus-
pectes ou de leur franche incrédulité ne ris-
quait-il pas de filtrer petit à petit au travers
de cloisons dont l'étanchéité ne devait pas être
de nature à empêcher d'écouter des oreilles
attentives?
De toute façon, le couvent, l'abbaye, per-
daient à ce commerce leur caractère nettement
religieux. Ils se mondanisaient; partant ils se
diminuaient. La Révolution, là comme ailleurs
encore, en accomplissant sa terrible et abomi-
nable besogne, va, bien contre son gré, balayer
l'ivraie qui pousse dru dans les cloîtres de fem-
mes. Elle ramènera beaucoup de brebis qui
s'égaraient de la route droite et dont le cœur
chancelant hésitait maintenant au carrefour de
DANS LES ABBAYES DE FEMMES 221
la vie. De quelques-unes de ces religieuses,
ainsi surprises en pleine crise morale, elle
fera des défroquées et des renégates; d'un
grand nombre, d'humbles martyres; des autres,
de toutes les autres, de vraies religieuses qui,
ayant senti passer sur leurs têtes l'effroyable
orage, d'une âme désormais affermie, se rejet-
teront avec confiance et sans plus regarder
autour d'elles, dans le sein de l'époux qu'elles
s'étaient choisi. Ainsi montrèrent-elles aux
filles pieuses qui devaient leur succéder dans
les cloîtres et qui ont si parfaitement et si di-
gnement profité de la leçon, que rien n'est per-
nicieux pour les couvents comme de les lais-
ser envahir par les bruits du monde et que,
pour eux du moins, le proverbe n'est point
vrai qui dit « une porte doit être ouverte ou
fermée ». Le xvii* et le xviii* siècles ont
démontré que les portes des couvents doivent
être fermées — et les fenêtres aussi...
LES
MAITRESSES DE MAISON
Grâce au ciel et quelque fût l'embarras que
l'on éprouvait à établir les filles delà noblesse,
toutes ne prenaient point le chemin du cloître
non plus que du chapitre noble. Celles-ci
n'étaient au contraire que l'exception. La plu-
part s'engageaient de bonne heure dans une
autre voie plus conforme sans doute aux lois
de la nature, ce qui n'entend pas qu'elle fût
toujours agréable, facile et douce à suivre :
celle du mariage.
Comment ces jeunes filles devenues des
femmes comprenaient leur rôle de mères de
famille ; comment elles envisageaient les multi-
ples devoirs de leur charge ; comment surtout
224 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
elles remplissaient la lâche de « maîtresse de
maison » qui impliquait alors des occupations
si variées, si précises, à la fois si nobles et
si terre à terre, voilà ce que je voudrais indi-
quer, me rapportant de préférence, pour tracer
cette esquisse, à des documents inédits, à des
lettres d'où s'échappe encore, me semble-t-il,
un peu de vie palpitante.
Ces maîtresses de maison, nous les verrons
aux prises avec les difficultés de leur état, mais
aussi dans la paix de leur existence laborieuse
et simple, ici comme là, toujours vaillantes,
toujours fortes, égales à elles-mêmes, accom-
plissant avec bonhomie et bonne humeur une
besogne parfois lourde, souvent ingrate ; sans
répugnance pour les ouvrages vulgaires et sans
révolte contre un sort plus riche en obliga-
tions sévères qu'en plaisirs; modestes et pour-
tant singulièrement jalouses de leurs droits ;
compagnes dévouées du mari que les parents
leur ont choisi, partageant sa vie sans défail-
lances, collaborant étroitement avec lui dans la
haute mission de soutenir ou de relever la
maison, de maintenir ou d'accroître la fortune,
de sauvegarder l'honneur, la vitalité, la situa-
tion de la famille.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 225
Allons un peu chez nos aïeules. Quand
même nous ne serions pas disposés à imiter
toute leur sagesse ni à partager toutes leurs
idées, au moins pourrons-nous trouver auprès
d'elles de bons et fortifiants exemples.
13.
Comment madame de Genlis jugeait les maîtresses de
maison de l'ancien régime. — Opinion de Mercier.
— Différence entre l'éducation des jeunes filles, jadis
et de nos jours. — Celle qu'elles recevaient avant la
Révolution était conforme à l'idée qu'on se faisait
alors du rôle social que la femme était appelée à
jouer. — La jeune fille était préparée à conduire
une maison. — Les femmes tiennent les comptes. —
Elles sont les collaboratrices de leur mari dans
l'administration générale de la fortune. — Quel-
ques exemples de femmes entendues en affaires. —
La marquise de Tournon; madame de Fay; madame
de Sévigné; madame de Longevialle. — Les femmes
au Moyen âge. — Comment on les récompensait. —
Encore quelques maîtresses femmes du xviii* siècle :
la duchesse d'Uzès; madame de la Valette. — Une
boutade de Guillaume Budé. — Le maréchal du
Plessis entend rester maître chez lui.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 227
Avant de voir de près comment nos grand'-
mères entendaient leurs devoirs de maîtresses
de maison, écoutons ce que nous disent d'elles
deux écrivains d'un genre bien différent :
madame de Genlis et Mercier.
Sur la fin de sa vie, et un peu revenue de
Rousseau et de la Rousseauterie, l'ancienne
gouvernante des princes d'Orléans s'avisa de
publier sur les choses de l'ancien régime des
notes où elle fait preuve d'un bon sens dont il
est fâcheux pour sa mémoire qu'elle n'ait pas
paru jouir dans sa jeunesse. « Voici, dit-elle,
en quoi consiste cette espèce de mérite indis-
pensable à toutes les femmes à la tète d'un petit
ménage ou d'une grande maison ; car, lorsqu'on
ne conduit pas soi-même une maison, il faut
savoir diriger ceux qu'on charge de ce soin.
Une bonne ménagère doit donc connaître le
prix des choses, surtout des comestibles; celui
des meubles de première nécessité; celui du
linge et des raccommodages, du blanchissage
et de la lessive, dans la maison et au dehors.
Elle doit avoir un livre de comptes bien tenu
et compter régulièrement tous les matins et
228 FILLES .XOBLES ET MAGICIENNES
non tous les soirs, parce qu'il ne faut pas empê-
cher le cuisinier ou le maître d'hôtel de se
coucher de bonne heure. Je puis assurer qu'a-
vant la Révolution, les femmes les plus riches
et toutes les dames de la cour comptaient fort
régulièrement tous les matins avec leur maître
d'hôtel et qu'en général, elles réglaient parfai-
tement bien la dépense de leur maison*. »
Pour le monde de la cour, où le désordre
était passé à l'état aigu, je crois qu'il y aurait
lieu de faire quelques restrictions et que ma-
dame de Genlis exagère un peu ; mais elle est
tout à fait dans le vrai s'il s'agit de la bour-
geoisie, de la petite noblesse et même d'un très
grand nombre de familles appartenant à la
haute aristocratie de province.
Mercier, dès 1771, donnait une note un peu
moins optimiste. « Nos grand'mères, lisons-
nous dans son Tableau de Paris, n'étaient
pas si bien vêtues que nos femmes, mais elles
apercevaient d'un coup d'oeil tout ce qui pou-
vait intéresser le bien-être de la famille. Elles
n'étaient pas aussi répandues ; on ne les voyait
pas incessamment hors de leurs maisons ; con-
1. Comtesse de Genlis : DicHonnaire critique et raisonné
des étiquettes de la cour.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 229
tentes d'une royauté domestique, elles regar-
daient comme très importantes toutes les par-
ties de cette administration. Telle était la
source de leurs plaisirs et le fondement de
leur gloire. » Que dirait-il aujourd'hui, où les
femmes ne rêvent de rien de moins que d'ad-
ministrer le pays! « Les détails de la table,
ajoutait Mercier, ceux du logement, de l'entre-
tien, exerçaient leurs facultés; l'économie sou-
tenait les maisons les plus opulentes qui
s'écroulent maintenant. Leurs filles, formées
de bonne heure, concouraient à faire régner
dans les maisons les charmes paisibles et doux
de la vie privée. Que nous sommes loin de ces
devoirs si simples, si attachants ! ^ y> Ce bon-
homme Mercier parlait d'or. Je ne sais si on
l'écoutait de son temps. Il aurait peu de
chances d'être entendu de nos jours. Nous
sommes encore beaucoup plus loin du tableau
enchanteur qu'il nous trace de la vie de
famille, et les femmes ne paraissent pas près
de revenir aux conseils qu'il donnait. Les
détails de la table, de l'entretien... Fi donc!
Ces dames n'ont-elles pas mieux à faire et
pour qui les prenez-vous?
1. Mercier, Tableau de Paris, p. 65.
230
FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
On constate par les lignes de Mercier (et il
serait aisé d'en fournir d'autres preuves) que,
dès la seconde moitié du xviii® siècle, les
vieux usages commençaient à perdre de leur
force et que l'on entrait dans cette voie du pro-
grès où, las de marcher, nous courons main-
tenant, sans doute avec l'espoir d'atteindre
plus vite au bonheur universel.
C'est que l'éducation, sans être orientée dans
le Sens où elle l'est présentement, s'éloignait
déjà de la théorie tenue jusque-là pour bonne.
Je conviens volontiers que cette éducation était
assez sommaire en ce qui regardait l'instruc-
tion proprement dite et je me garderais de
regretter un temps où l'on pensait avoir assez
fait pour l'enseignement des jeunes filles,
quand une fois on leur avait inculqué des
principes d'écriture, de calcul, d'histoire et
qu'on leur avait appris, d'ordinaire très mal,
l'orthographe. Il ne se pouvait rien de plus
impertinent qu'une telle façon de laisser en
friche l'intelligence de jeunes filles, que l'on
condamnait ainsi à n'être que des épouses, des
mères de famille — et des maîtresses de
maison.
On pourrait se demander si nous ne versons
LES MAÎTRESSES DE MAISON 231
pas dans un excès contraire en donnant à
l'instruction féminine une extension qui, de
prime abord, paraît peu conforme au rôle
social de la femme, et si, en faisant tant de
bachelières, de doctoresses et de licenciées, ce
n'est pas au détriment de la famille, de la race,
du pays, peut-être de la femme elle-même..
Il n'importe d'ailleurs, puisque aussi bien je
n'entends nullement discuter ici ce grave pro-
blème. Toujours est-il que l'on ne songeait pas
alors, fût-ce à la fin du xviii* siècle, à pré-
parer les jeunes personnes du sexe faible à
d'autre mission qu'à celles auxquelles la na-
ture semble les avoir destinées. On ne voulait
pas faire d'elles des savantes, mais de bonnes
ménagères. Si triviales que nous semblent ces
conceptions, elles étaient celles de l'époque.
Quand une jeune fille avait son petit bagage
d'instruction réglementaire, que, de plus, elle
était versée dans les arts d'agrément, on ne lui
demandait plus que de savoir mener, tenir et
faire prospérer une maison. La femme souf-
frait-elle de cette infériorité intellectuelle, pour
parler jargon? On me permettra de croire que
non et j'imagine que les hommes n'en souf-
fraient pas davantage. Pourquoi d'ailleurs envi-
232 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
sager la question avec partialité? De ce que les
femmes d'autrefois étaient plus aptes à gou-
verner leur intérieur et daignaient s'abaisser à
des besognes ménagères, faut-il donc penser
qu'elles étaient incapables de s'intéresser aux
choses de l'esprit? Tout ce que nous savons
des siècles écoulés démontre le contraire. Les
femmes du temps passé, tout aussi bien et
mieux que celles d'aujourd'hui, goûtaient les
plaisirs de l'intelligence et en prenaient leur
part. Elles y apportaient moins de façons,
voilà tout. Qui de nous, ayant franchi l'âge
mûr, n'a connu quelque vieille douairière,
élevée encore selon les traditions d'autrefois?
Sans doute eussent-elles été dans l'impossi-
bilité de plaider au Palais, ni d'ouvrir scientifi-
quement des estomacs ou des ventres; sans
doute, ne couraient-elles pas les feuilles et
les gazetiers en vue d'obtenir la consécration
bruyante de leurs talents littéraires. Cela ne
les empêchait pas d'avoir un joli brin de plume
à leur service, de trousser des lettres comme
bien peu de nos femmes modernes seraient
susceptibles d'en écrire, et, bien qu'elles fis-
sent leurs confitures, de causer avec autant de
grâce que d'esprit.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 233
Mais, pour savoir faire les confitures, il est
nécessaire d'avoir appris. J'ai déjà parlé des
besognes matérielles auxquelles on soumettait,
dans les couvents, les mains délicates des
élèves les plus aristocratiques. Dès que les
jeunes filles avaient passé de la classe blanche
dans les classes supérieures, désignées par des
rubans bleus ou rouges, elles étaient chargées
à tour de rôle, de différents services du cou-
vent : sacristie, apothicairerie, lingerie, cui-
sine, réfectoire, dortoir, raccommodaient les
chasubles, veillaient au balayage, mettaient
le couvert, et, lorsqu'elles sortaient de repré-
sentations théâtrales oii elles avaient figuré
avec des robes couvertes de diamants, prépa-
raient des tisanes et des cataplasmes à l'inGr-
merie^ Evidemment, on ne forme pas ainsi de
futures Nietzschéennes! Du moins, formait-on
de futures maîtresses de maison. Et tel était
le but poursuivi. Il était modeste, mais sage.
Ainsi élevées, ces jeunes filles devenaient
parfaitement aptes à conduire leur barque et à
diriger une maison jusque dans ses détails,
mesquins en apparence. Ayant appris à obéir,
1. A. Babeau, Paris en 4789.
234 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
elles savaient commander. Et d'abord, c'est
la femme qui, d'ordinaire tient les comptes.
« Sur le même livre (car on économisait le
papier à cette époque) où le mari note ses
impressions, oïl le magistrat prépare ses mer-
curiales, où le hobereau minute ses lettres
importantes, la femme, d'une orthographe
généralement peu correcte, inscrit les dé-
penses K y>
Besogne courante. Si la femme d'autrefois
se fût bornée à ce médiocre labeur, on pour-
rait justement prétendre qu'elle n'occupait
dans la famille qu'une place inférieure. Mais
il n'en va point ainsi. A aucune époque, je
pense, la femme ne fut davantage la collabo-
ratrice de son mari dans toutes les affaires qui
concernent la bonne administration du bien
familial. Elle a voix au chapitre, et voix pré-
pondérante souvent. Bien mieux, c'est elle
qui prend, dans la plupart des cas, les déci-
sions, se charge de les faire exécuter. S'agit-il
de l'achat d'une terre seigneuriale, opération
diffîcultueuse, grosse de responsabilités, com-
pliquée et délicate, on devrait croire que c'est
1. A. de Gallior, Les Tournonnais dignes de mémoire.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 235
au chef de la famille qu'il appartient d'en dis-
cuter les clauses. Point. J'ai sous les yeux
toute une correspondance échangée à l'occa-
sion de l'achat de la terre seigneuriale de Gla-
veyson, en Dauphiné, entre la comtesse de
Tournon, femme de l'acquéreur, et la marquise
de Saint-Vallier, femme du vendeur. Ce sont
elles qui débattent non seulement les condi-
ditions de prix, mais toutes ces questions sin-
gulièrement ardues des droits seigneuriaux qui
se greffent lune sur l'autre, s'enchevêtrent à
plaisir. Un tiers, le chevalier d'Urre, croyant
ses droits particuliers lésés par les Saint-
Vallier, intervient dans la discussion. A qui
s'adresse-t-il? A M. de Tournon? Que non pas.
A sa femme ^ De même, lors d'un désaccord au
sujet des péages de Serves, c'est encore avec elle
que controverse le chevalier de Chastelard^ Ces
faits ne sont pas exceptionnels. On en pourrait
multiplier les exemples. Désirant son repos,
Jean de Fay abandonne à sa femme, Jeanne
de Mua, l'administration de la fortune com-
i. Correspondance entre la comtesse de Tournon, la mar-
quise de Saint-Vallier et le chevalier d'Urre. (Arch. du Ver-
gier.)
2. Lettres de M. du Chastelard. (Arch. du Vergier.)
236 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
mune*. Paul de Bonnot de Villevrain écrit à
son oncle; le marquis de Rochegude : « Il
paraît que ma mère, par son épargne et sa
bonne administration, a remis de l'ordre dans
la part qui lui revenait de feu ma grand'mère
d'Acquéria. Elle a très considérablement aug-
menté son bien. Elle m'écrit dans le moment
qu'elle donne tous ses soins à la circonstance
de la récolte des grains et qu'elle fait surveiller
les vers à soie^. » C'était aussi une maîtresse
femme que cette comtesse de Fay qui refit
toute la fortune de sa fille, fortune que son
gendre, M. de Saint-Priest, s'empressa d'ail-
leurs de dissiper à nouveau '.
On sait assez comment madame de Sévigné,
veuve il est vrai, donnait son temps et ses
peines à l'administration et à la restauration
d'une fortune que son mari lui avait léguée en
piteux état et qu'elle parvenait mal à défendre
contre les sottises de son fils, « Je presse et
dispose mes affaires sans y perdre un moment.
J'ai une terre à affermer », écrit-ôlle en 1685.
1. E. Nicod : La maison de Faij-Peyraud, dans la Revue
du Vivarais, sept. 1903.
2. H. de Longevialle, La marquise de ViUevrain.
3. La maison de Faij-Peyraud, op. cit.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 237
Avec quelle maternelle sollicitude elle surveille
ses fermiers, ses champs, ses coupes de bois!
Un jour, elle dira gaiement : « Que faire aux
Rochers à moins que l'on ne plante? » Hélas!
elle a beau s'ingénier, son fils fait abattre
plus d'arbres qu'elle n'en peut planter. A de
certains moments, on la surprend toute décou-
ragée : « Je n'ai que de vilaines terres qui
deviennent des pierres au lieu d'être du foin. »
Mais rien ne réussit à l'arrêter dans son
désir, dans sa volonté de reconstituer le bien
de ses enfants ; tout au plus a-t-elle parfois un
petit sentiment d'orgueil qui, pour revêtir
une forme plaisante, n'en est pas moins sin-
cère : « Vous croyez que mon fils est habile et
qu'il sait se faire servir; il n'y entend rien du
tout, Larmechin non plus, et moi, que vous
méprisez tant, je suis l'Aigle et on ne juge
rien sans avoir regardé la mine que je fais ^ »
M. de Rochechinard va-t-il à Paris, sa femme
reste au logis « pour avoir soin des affaires
auxquelles elle s'entend beaucoup mieux que
lui' ». Quelle femme de tête également, cette
1. Lettres de madame de Sévigné.
2. Madame de Franquières à madame Cholier, 18 juil-
let 1744. (Arch. de Cibeins.)
238 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
madame de Flagheac qui dirige si adroitement
sa fortune et donne de si sages conseils à son
gendre sur la conduite de la sienne M
Je voudrais mettre encore sous les yeux du
lecteur quelques pages de la correspondance
d'une autre femme du xviir siècle, de ce
siècle qu'on regarde (et je m'accuse de l'avoir
trop souvent jugé ainsi) comme le plus frivole
et le plus désordonné. M. de Longevialle est
aux armées. C'est madame de Longevialle qui
s'occupe des propriétés et gère tous les biens.
Elle ne manque pas de tenir son mari au cou-
rant de tout ce qu'elle fait, entre dans les plus
minces circonstances, mettant ainsi l'époux
retenu dans les camps à même de participer
aux moindres incidents du foyer : « J'ai payé
135 livres pour la capitation et tous les domes-
tiques... J'ai donné ordre ce soir pour acheter
une paire de bœufs ; tout le reste va son
train. Etienne (un fermier) a pris son parti et
je lui ai fait son compte... Le dit (nom illi-
sible) mon laquais, est un triste pistolet, mais
attentif, sage, exact... La sécheresse désole
1. Correspondance de madame de Rostaing-Flagheac avec
M. Christophe d'Apchier. (Arch. de Vaurenard.)
LES MAÎTRESSES DE JIAISOX 239
notre récolte; je ne sais comme tout tournera;
je ne vends presque pas de blé et suis embar-
rassée où trouver de l'argent. »
A diverses reprises, madame de Longevialle
revient sur les récoltes, s'excuse d'être arrivée
en retard dans une de leurs propriétés, car
elle en a plusieurs à gérer et à des distances
assez grandes ; elle s'inquiète des débiteurs,
ne sait comment leur faire rendre gorge, les
harcèle, mais, hésite toujours, en femme pru-
dente, à les poursuivre devant la justice, car,
dit-elle : « Il faut avancer beaucoup de frais
qui ne rentrent jamais. » Avec une singulière
énergie elle poursuit sa tâche, se multipliant
pour être partout où sa présence est néces-
saire. « Je suis toujours dans l'intention d'al-
ler à Longevialle ; de là, j'irai au Malzieu et
resterai quelques jours àChambaron pour faire
emporter le blé qu'il y a, étant obligée de
refaire le devant de la maison qui menace
ruine. Le grenier de la Vacheresse est dans
le cas d'être réparé, ainsi que la grange, et,
dans aucun de ces endroits, je ne puis laisser
de blé. J'ai projeté de le faire porter ici (à Au-
mont). •» Suivent de nouveaux renseignements
concernant les réparations à effectuer. Elle ne
240 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
perd rien de vue. Il n'est rien qui échappe à
son regard avisé et vigilant.
Si préoccupée qu'elle puisse être de l'admi-
nistration générale des biens, elle ne se laisse
pas absorber, descend aux détails, remarque
que l'argenterie de Longevialle n'est pas au
complet, qu'il manque six couverts et des cuil-
lères à café. Elle en écrit à son mari. Au sur-
plus, ses loisirs elle les emploie à faire des bas
pour ce mari et ses enfants. Sans doute est-
elle demi-morte de fatigue et se plaint-elle de
cette existence surmenée 1 Ecoutons-la : « Pour
moi, Dieu merci, je jouis d'une santé aussi
bonne que celle d'un charretier ; à la vérité
elle m'est très nécessaire (on le croit sans
peine!). Vous n'ignorez pas que j'ai trois
domaines sur les bras. On lève la récolte; le
temps nous a fort contrariés, un jour entre
autres. Je suis accompagnée de six Rouergues
depuis dix-sept jours. Nous finîmes lundi et
je n'en suis pas fâchée. » Mais si elle paie de
sa personne, elle est exigeante : « Je suis assez
contente de mes domestiques qui ont travaillé
comme des forçats dans les jours critiques*. »
1. Correspondance de madame de Longevialle, 1783-85.
(Arch. de Vaurenard.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 241
M. de Longevialle peut être tranquille ; ses
affaires sont en bonnes mains. Il le sait. Aussi
écrit-il à sa compagne : « Je suis sans inquié-
tude sur la manutention; je m'en rapporte à
cet égard bien plus à toi qu'à moi-même*. »
De tout temps en France, les femmes
avaient ainsi participé d'une manière effective
à l'administration des propriétés et des terres.
Elles vivaient beaucoup de la vie des champs.
Les plus nobles ne craignaient point de se-
conder journellement leurs maris, et, au
Moyen âge, ceux-ci témoignaient fréquem-
ment leur reconnaissance en léguant à ces col-
laboratrices dévouées des biens particuliers.
Ainsi voit-on Elzéar de Sabran, dans son testa-
ment de juillet 1313, donner à sa femme Del-
phine les troupeaux et animaux de toute
espèce qui sont dans ses domaines, « en gra-
titude des services qu'elle lui a rendus dans
la conduite de ses terres - » .
Nous aurons l'occasion tout à l'heure de
suivre encore une femme de la haute société,
la marquise de Villeneuve, dans l'accomplis-
1. M. de Longevialle à sa femme, 3 août 1785 (td.). Arch.
de Vaurenard.
2. Ch. de Ribbe, La société française à la fin du Moyen âge.
14
242 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
sèment de la tâche qu'elle s'était imposée de
gérer elle même son patrimoine. Elle avait de
qui tenir d'ailleurs. Sa mère, la comtesse de
Simiane-Moncha, de Paris où elle habite, ne
cesse de veiller sur ses propriétés du Midi,
réclamant des précisions, discutant ses baux,
suivant de près un procès qu'elle a contre un
M. de Ghabrillan, trouvant encore le moyen
de s'occuper de celui que sa fille soutient
contre un homme d'affaires. * Citerons-nous
cette duchesse d'Uzès dont il existe de si
curieuses lettres relatives à l'achat d'une
terre? Quel avoué, quel avocat saurait, mieux
qu'elle ne fait, jauger les revenus probables,
les agréments et les inconvénients, apprécier
la position du lieu, ses avantages, ses dé-
fauts, supputer les charges, exiger des sûre-
tés? Qui réussirait mieux à obtenir des délais
pour les paiements^? Voici encore une dame
de Belmont qui, comme un homme, traite
avec le marquis de Tournon de sérieuses
affaires de billets à ordre, d'emprunts à ré-
1. Lettres de madame de Villeneuve et correspondance de
M. de Roche, curé de Tournon. (Arch. du Vergier.)
2. Lettres de la duchesse d'Uzès au marquis de Tournon,
1767-68 (îd.).
LES MAITRESSES DE MAISON 243
gler, de droits à sauvegarder sur l'héritage de
sa sœur madame de Lestrange, qui a ins-
titué l'hôpital d'Annonay son légataire uni-
versel ^ Dans une famille du Lyonnais, je
trouve un nouvel exemple de ces femmes si
pleines de zèle, d'adresse, d'énergie dans le
gouvernement de la fortune commune. Ma-
dame de la Valette préside elle-même à la
coupe de ses bois. « Notre récolte, mande-
t-elle à sa sœur, n'a pas été si bonne cette
année; la taille étant beaucoup plus jeune;
elle monte pourtant à douze mille livres; les
années suivantes seront meilleures. » Elle fait
bâtir une basse-cour « qui ne laisse pas de
coûter, ayant pris un plan assez vaste- ». Mais
cette basse-cour aura ses avantages. « Elle de-
viendra un coup d'œil pour le château et ôtera
la domination du presbytère qui était fort
ennuyeux. » Qu'il s'agisse de constructions
ou de récoltes, madame de la Valette s'en
fie beaucoup plus à elle même qu'à son mari :
(( Il est trop coulant, écrit-elle, trop généreux ;
1. Madame de Belmont, née Baudiné, au marquis de
Tournon, 6 mars 1788 (Arch. du Vergier).
2. Madame de la Valette à madame Cholier, 1784-85. (Arch.
de Cibeins.)
244 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
il n'épluche pas les comptes ; il voit grand et
ne regarde pas à la dépense ; il faut que je
m'en occupe moi-même. * » Madame Cholier agit
tout pareillement dans son petit royaume.
C'est elle qui décide des fruits et des légumes
qu'il convient d'envoyer à Lyon pour la vente *.
Il est si accoutumé aux femmes du temps
de mener la barque et de diriger tout ce qui
concerne la maison, que cette boutade de Guil-
laume Budé ne nous surprend plus. Un jour
que le feu avait pris chez lui, et qu'on avait
couru l'en aviser, il répondit tranquillement :
« Avertissez ma femme, vous savez bien que
je ne mêle pas des affaires du ménage'. »
Bien peu nombreux étaient les maris qui,
comme le maréchal duPlessis, disait à la maré-
chale un jour que celle-ci gourmandait un
page : « Ma chère dame, mêlez-vous de dire
votre chapelet et de prier Dieu pour moi et mes
enfants, et du reste, j'en scay plus que vous ;
laissez-moi conduire mes affaires ^ »
1. Madame de la Valette à madame Cholier, 24 oct.,
22 sept. 1784 et 12 août 1785.
2. Papiers Cholier. (Arch. de Cibeins.)
3. Souvenirs d'anciennes familles, op. cit.
4. Journal inédit de M. de Johanyn de Chantemerle,
1648-1712. (Arch. de Cibeins.)
II
La mère de famille et ses enfants. — Les nourrices. —
Les « victimes de Rousseau. > — La miaiilée. —
L'enfant à la maison. — Sévère éducation des gar-
dons. — Régime aussi dur pour les filles. — Rap-
ports entre parents et enfants. — Madame d'Ober-
kirch; Talleyrand; le marquis de Mirabeau. — Les
soins de santé. — Exagérations répandues à ce sujet.
— La mortalité infantile. — A quoi il faut l'attribuer.
— Ignorance et insuffisance des médecins. — L'ins-
truction était-elle négligée? — La mère dirige celle
de ses filles. — Le lycée. — L'orthographe, peu en
honneur. — Symptômes qui font prévoir que l'on
commence à sentir la nécessité d'écrire sans fautes.
— Sollicitude des mères pour leurs fils sortis de
tutelle. — Anecdotes diverses à ce propos. — Le
mariage des enfants est la grande préoccupation des
mères de famille. — Les mariages de raison, seuls
considérés comme sérieux, dans la société d'autre-
fois. — Longueur des négociations. — Oncles à
Jiéritage ! — Détails dans lesquels on entre. — Robes
i4.
246 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
et trousseaux. — Les cérémonies de mariage à
Paris et en province. — Les fêtes de Vogue. —
D'Urfé, historiographe d'une noce au xvi* siècle. —
Table ouverte pendant six mois.
Cette femme si ferrée sur la gestion des
fortunes est-elle aussi soucieuse de ses enfants?
Oui et non, selon qu'on l'entend. Il paraît
certain que l'on se préoccupait relativement
peu des enfants en bas âge. Une coutume
déplorable voulait qu'ils fussent confiés aux
soins d'une nourrice qui ne résidait pas dans
la maison de famille. Un revirement s'était
produit à la veille de la Révolution, et la mode
était venue pour les jeunes mères de nourrir
elles-mêmes. Fières de leurs fonctions mater-
nelles, elles se faisaient apporter leur nour-
risson au salon où, devant trente ou quarante
personnes, elles allaitaient « cette pauvre vic-
time de Rousseau, dira M. de Frénilly, ce petit
martyr des idées nouvelles qui, au lieu de téter
en bon air le sein d'une robuste paysanne,
venait prendre dans un salon de fête le lait
échauffé de sa sensible mère^ »
Jusque-là on était demeuré fidèle aux nour-
1. Souvenirs du ba7-on de Frénilly.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 247
ricesqui, le plus souvent habitaient des villages
éloignés. Les conditions dans lesquelles se
faisaient ces voyages de marmots nouveau-
nés étaient parfois navrantes. La police arrête
un soir, sur la route d'Alençon, certain meneur
d'enfants « qu'il avait entassés pêle-mêle dans
sa charrette, au nombre de vingt-deux, avec les
vingt-deux nourrices, sans compter deux voies
de charbon de terre, quatre balles de cuir gras
et autres denrées du même genre' ». D'autre
part, toutes ces nourrices ne sont pas égale-
ment consciencieuses, alors même qu'elles ne
remplacent pas, comme celle dont parle madame
de Genlis, leur lait insuffisant par la miaulée,
affreux mélange de vin et d'eau épaissi de
farine de seigle. Dans un temps où l'hygiène
était si peu connue, il ne faudrait pas non plus
s'attendre à la rencontrer chez ces paysannes
ignorantes. A défaut de connaissances qui
manquent encore trop aujourd'hui aux femmes
du peuple, elles apportaient du moins, en
général, dans leurs fonctions une bonne
volonté, une honnêteté, une douceur, un
dévouement à toute épreuve. Le grand air
1. Marquis de Ségur, Esquisses et Récils.
248 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
aidant, au bout de deux ou trois ans, elles
ramenaient sous le toit maternel des enfants
solides, pleins de « belle santé et les joues
comme des pommes », écrira M. de Viviès, qui
mit ses cinq enfants en nourrice à la campagne
et payait, de ce chef, entre trois et quatre livres
par mois pour chaque bambin *.
Dès qu'il revient à la maison, l'enfant est
assujetti à des règlements qui nous paraissent
Lien rigoureux. Si c'est un garçon, à peine sait-il
marcher que son père le met à un rude appren-
tissage. Le cheval, les armes, ne sont point
•considérés comme des amusements ou des
récréations. On ne ménage guère ses forces. Il
couche sur la dure, et, par tous les moyens, on
cherche à briser son corps à la fatigue. Pour la
iille, autre régime, aussi pénible. A l'âge le
plus tendre, il faut qu'elle s'accoutume au
supplice des robes à paniers, des bustes qui
l'emprisonnent comme dans une gaine de fer ;
on lui met du rouge aux joues; on lui apprend
à sourire, à se tenir, à marcher avec élégance,
à parader avec dignité. Huit jours avant son
mariage, mademoiselle de Montmirail est con-
i . Livre de 7'aîson de Grégoire de Viviès, publié par A. de
Puybusque.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 249
damnée par sa mère à dîner seule à une petite
table de pénitence, parce qu'elle avait mal fait
sa révérence au salon*. Dans ce dressage savant
que devient la gaieté naturelle de l'enfant? que
lui reste-t-il de sa spontanéité, de sa grâce
native? Encore, si tout cela était corrigé, com-
pensé par beaucoup de tendresse qui achau-
dirait son cœur. Mais la tendresse des parents,
dans la société d'autrefois, pour profonde et
sincère qu'elle soit, se manifeste peu, ne s'exté-
riorise pas, se dissimule sous les formules
rigides de politesse imposées à l'enfant, sous
des formes toujours hautaines et froides de la
part des parents.
Le côté sérieux de la maternité est, il faut le
reconnaître, un peu délaissé au xviii^ siècle,
au moins dans les familles de haute noblesse
et dans celles vivant à la cour. Madame d'Ober-
kich écrivait qu'elle ne s'appartenait plus à
Paris, « qu'elle avait à peine le temps de causer
avec son mari et d'embrasser ses enfants ».
Taine rapporte que jamais Talleyrand n'avait
habité la maison paternelle. Le marquis de
Mirabeau prétendait n'avoir jamais fait « qu'en-
1. Vie de madame de La Rochefoucauld, duchesse de Dou-
deauville.
250 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
trevoir monsieur son père devant les gens de
service* ».
En province et dans la bourgeoisie, ces ma-
nières ne sont pas de mode, mais si l'on s'oc-
cupe des enfants, la coutume persiste là aussi
de les traiter avec une certaine réserve qui
exclut toute familiarité de leur part. Est-ce un
bien, est-ce un mal? A d'autres d'en décider.
Bornons-nous à constater le fait sans tirer de
conclusions.
Quelques historiens ont voulu laisser croire
que les parents allaient jusqu'à négliger la
santé de leurs enfants. L'exagération est évi-
dente. Sans doute était-on moins douillet que
nous le sommes aujourd'hui et les mères ne
perdaient-elles pas la tête au moindre bobo.
Sans doute encore, une fermeté de caractère
qui a bien diminué de nos jours, jointe à une
profonde résignation chrétienne, risquent de
donner le change sur la réalité des sentiments
paternels et maternels. Certaines mentions que
Ton peut lire dans les livres de raison, où le
père de famille enregistre froidement la mort
d'un fils ou d'une fille sans autre commentaire
1. Henri Bouchot, La famille d'autrefois.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 251
qu'un bref : « Dieu l'a voulu » ou « Dieu est
bien le maître », ne sauraient constituer des
preuves d'indifférence ou de sécheresse de
cœur. Pour èlre juste, il est besoin de remarquer
que les familles d'alors étaient infiniment plus
nombreuses qu'elles ne le sont à présent et
que, si douloureuse qu'elle pût être, la perte
d'un enfant ne revêtait pas le caractère cruel
qu'elle acquiert quand il s'agit d'un fils ou
d'une fille unique. D'autre part, la mortalité
infantile était considérable à cette époque, et,
dût pareille constatation paraître mélancolique,
il est évident que la sensibilité s'émoussait peu
à peu. A voir mourir tant de petits êtres, le
cœur le plus aimant finissait par se résigner.
La mort d'un enfant, cette chose horrible,
contre nature, en tout cas la plus effroyable qui
soit, en arrivait, tant elle était prévue et
attendue, à sembler presque normale, et pour
ainsi parler, inévitable.
Certes, on s'efforçait bien d'éviter de sem-
blables malheurs; on soignait les enfants.
Peut-être ne les soignait-on pas toujours
comme il eût fallu. Mais, doit-on rendre les
parents responsables de l'ignorance des pra-
ticiens? Si Louis XIV perd cinq enfants en bas
252 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
âge, par la sottise des médecins, affirmera
madame de Sévigné, comment supposer que
hobereaux et bourgeois réussiront à sauver les
leurs? Que peuvent valoir les médecins de
province quand ceux de la Cour sont si malha-
biles? Aussi bien, des médecins, il n'y en a pas
partout. C'est souvent par correspondance que
l'on demande des consultations. A une dame
qui lui écrit au sujet d'une fluxion dont soufïre
sa fille, Calvet, docteur réputé d'Avignon,
répond par une longue lettre dans laquelle il
indique le traitement à suivre ^ Mais tout le
monde ne peut s'adresser à Calvet et toutes les
maladies ne sont pas de nature à être soignées
par correspondance, surtout en des temps où
la poste me marche guère vite.
Reprocher aux mères de famille d'avoir for-
fait à un devoir aussi sacré que celui de soigner
leurs enfants serait donc inique. Si tant d'entre
eux périssaient, la faute en incombe à une
déplorable entente de l'hygiène, aux épidémies
contre lesquelles la Faculté était impuissante,
et à la balourdise des Diafoirus de village et
même de villes qui pensaient avoir tout fait
1. Lettre de Calvet à la comtesse de Tournon, 13 oct. 1782.
(Arch. du Vergier.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 253
lorsqu'ils avaient marmotté quelques sornettes
en latin, tout comme ceux du xx' siècle
estiment leur principale mission remplie, quand
une fois ils ont réussi à cataloguer la maladie
dont se meurt le patient...
.Je ne crois pas non plus que l'instruction fût
négligée aut<int qu'on le veut bien dire. La
mère, puisque nous nous occupons ici presque
exclusivement des femmes, la mère ne se désin-
téressait nullement de celle de ses filles.
D'ordinaire, c'était elle qui leur donnait les
premières notions de lecture et d'écriture, elle
encore, qui leur enseignait les premiers élé-
ments de la religion*. Nous en voyons quel-
ques-unes comme madame de Frénilly, qui se
flattent de terminer elles-mêmes l'éducation de
leur fils-. Mais, madame de Frénilly possédait
ses auteurs latins et doit donc être tenue pour
1. Quelquefois, c'est une sœur aînée qui remplit cet
office. Madame Elisabeth, rebutée par les difficultés de
l'alphabet, prétendait quelle n'avait pas besoin d'apprendre,
les princes et les princesses ayant toujours auprès d'eux des
hommes et des femmes dont c'était la charge de penser
pour eux. Ce fut sa sœur, madame Clotilde, qui, jouant à
la maman, par de petits conseils, finit par améliorer son
écriture et lui apprendre à lire. (Savine, Madame Elisabeth
et ses amies.)
2. Souvenirs du baron de Frénilly, op. cit.
15
254 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
une exception. En revanche, toutes les mères
de famille, si elles ne peuvent faire l'institutrice,
s'attachent à en avoir une qui soit capable et
digne de conliance. En ce cas, elles surveilleront
les progrès de l'enfant, s'en assureront au
moyen de petits examens, feront venir le curé
pour contrôler les leçons, quand ce n'est pas
toutefois le curé qui sert d'institutrice, car il
est souvent le seul qui, dans la contrée, puisse
enseigner la lecture ou l'écriture.
La jeune fille revient-elle du couvent avec
son bagage léger d'instruction, elle n'en est pas
quitte. Sauf dans la bourgeoisie et dans les
campagnes très déshéritées, où l'on ne saurait
pousser plus avant l'éducation, la mère lui
impose des professeurs qui achèveront de déve-
lopper son intelligence. A Paris, on fait mieux
encore. Quoiqu'on en ait dit, l'instruction avait
réalisé de notables progrès dès le miheu du
xviiiV siècle, principalement l'instruction se-
condaire qui, de tout temps d'ailleurs, avait
été l'objet de la vigilance royale. N'était-ce
donc rien que ce lycée où Marmontel ensei-
gnait l'histoire; Monge, la physique; Laharpe,
la littérature ; Fourcroy, la chimie, et où
les jeunes filles étaient admises à suivre les
LES MAÎTRESSES DE MAISON 255
cours'. Si elles y étaient nombreuses, je ne puis
l'affirmer. Peut-être, en définitive, eùt-il mieux
valu qu'elles se bornassent à mettre convena-
blement l'orthographe. Bien peu de femmes
ont cette coquetterie au xvii* siècle, et pas
davantage au siècle suivant. L'orthographe était
en piètre estime. Il semblerait néanmoins que
la nécessité d'écrire sans fautes commençât de
se faire sentir dès le règne de Louis XV. Les
lignes que je vais citer sont à ce sujet caracté-
ristiques : « Dans la lettre que j'écris à mon
frère, dit la marquise de Meximieux, je tâche
bien de l'engager à prendre du cœur pour
l'orthographe, qu'il est indispensable à un
homme de savoir*. » Sur quoi, elle s'empresse
d'ajouter : « La justesse d'esprit est bien préfé-
rable à toutes les sciences. » Elle n'a point
tort, mais les deux choses ne sont pas inconci-
liables...
Avec ou sans orthographe, les mères, en
admettant qu'elles aient montré un peu d'in-
souciance vis-à-vis de leurs enfants au maillot,
se rattrapent plus tard. On dirait que leur
1; Parts en 4789, op. cit.
2» Madame de Meximieux à sa mère, 6 janvier 1768.
(Arch. de Cibeins.)
25G FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
affection pour eux s'accroît à mesure qu'ils
grandissent. Leur sollicitude se fait plus tendre
et plus active, tandis qu'ils avancent dans la
vie. Cette conception n'est pas entièrement
fausse. A quelle époque de notre existence
avons-nous le plus besoin de conseils, de sou-
tien, d'appui moral qu'à l'heure où précisé-
ment nous commençons à vouloir voler de
nos propres ailes et où nous sortons des mains
maternelles ?
Des filles, les mères n'ont guère à s'in-
quiéter. Le mariage ou le couvent les leur a
prises à peine adolescentes. Ce sont les fils
qu'elles épient, avec d'autant plus d'attention
qu'ils leur échappent davantage. Les fils d'ail-
leurs portent le nom ; ils sont destinés à per-
pétuer la famille et la race, à en soutenir l'éclat
et la bonne renommée. Rien de ce qu'ils font
ne saurait être insignifiant; leurs actes risquent
d'engager l'avenir de la maison.
Je voudrais pouvoir citer ici la lettre admi-
rable dans laquelle une mère, la marquise de
Tournon, indique à son fils la façon dont il
doit s'y prendre pour s'attirer la sympathie des
personnes bien placées dans le monde et pour
mériter la protection de son colonel, le comte
LES MAÎTRESSES DE MAISON 2^37
de Livron. Elle entre dans le détail des sollici-
tations qu'elle a entamées elle-même en vue
d'obtenir au jeune homme une compagnie de
cavalerie. C'est une merveille de précision, de
délicatesse féminine, de tendresse maternelle, et
quelle connaissance du cœur humain, quelle
parfaite entente des choses de la vie ' î
Voici une autre mère aux prises avec des dif-
ficultés que lui a créées son fils par des enga-
gements pris à la légère vis-à-vis d'une jeune
fille qui n'est digne ni de l'honneur qu'il lui
veut faire, ni des sentiments qu'il lui a voués.
Affaire épineuse. Le père de la jeune fille est
officier dans le même régiment que legalantin.
Toute une cabale s'est organisée. Le ministre,
trompé par de faux rapports, menace. Il y va
de l'avenir du jeune homme, de sa carrière.
Elle, la mère, d'un coup a vu le danger. Toute
une correspondance s'engage entre elle, le
père de la demoiselle, le colonel et Choiseul.
Elle perce l'intrigue, fait éclater la vérité, oblige
le ministre à reconnaître qu'il s'est fourvoyé,
obtient pleinement gain de cause pour elle et
son fils. Or cette femme qui lutte ainsi contre
1. Papiers de la maison de Tournon. (Arch. du Vergier.)
258 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
les efforts de gens puissants, qui ne craint pas
d'entrer en discussion avec Choiseul, qui pousse
jusqu'au roi, c'est une veuve, sans grande for-
tune, habitant au fond d'une province, privée
de hautes protections à la Cour, sans autre
appui que la bonté de sa cause, la loyauté d'un
colonel et le sentiment général du corps des
officiers qui lui est favorable ^
Les lettres de madame de Blacons à divers
correspondants au sujet de son fils sont égale-
ment révélatrices de l'énergie avec laquelle les
femmes d'autrefois savaient se plier aux circons-
tances les plus ardues. Ce fils fait mille sot-
tises.
Quel mal se donne madame de Blacons pour
surveiller les affaires d'un garçon sans cervelle,
pour empêcher le désastre où il court, pour
prendre des arrangements secrets afin de payer
ses dettes sans qu'il le sache, de manière qu'il
demeure effrayé lui-même du gouffre qu'il a
creusé. H y a là des complications d'intérêts
composés (très composés !), de billets renou-
velés, de cessions de créances, tout un fatras
1. Correspondance de madame de Gallier avec le mar-
quis de Comeiras, le chevalier de Maille, le duc de Choi-
seul, etc. (Papiers de famille.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 2o9
au milieu duquel elle se débrouille avec une
dextérité surprenante ^
Si les mères de famille se préoccupent à ce
point et jusqu'à la minutie des actes de leur
fils, combien doivent-elles s'intéresser à leur
établissement? Le mariage sous l'ancien régime
avait une importance que nous ne lui accor-
dons pas toujours à présent. Les idées sur le
rôle de la famille dans toute société régulière-
ment constituée imprimaient à l'union de deux
êtres (et nonobstant les libertés que chacun
d'eux pouvait parfois, dans la suite, prendre
avec le sacrement) un caractère solennel, fai-
saient d'elle un acte capital de la vie, et non
point seulement de la vie particulière d'un
homme ou d'une femme, mais de la vie de la
famille. Dans les Mœurs et la Vie privée
cC autrefois^ j'ai dit comment et dans quelles
conditions se concluaient ces mariages, montré
à quels mobiles on obéissait en choisissant tel
jeune homme ou telle jeune fille, quelles rai-
sons d'orgueil, de vanité, de lucre, mais aussi,
le plus souvent, de dignité, de sagesse, de con-
1. Correspondance de madame de Blacons (1880-87) (Arch.
du Vergier.)
2. Calmann-Lévy, édit.
260 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
venances et de prudence parfaite inspiraient
les parents dans le choix d'un gendre ou d'une
bru. Je n'y reviens pas. Tout au plus essaierai-
je de marquer la part que la mère de famille
prenait aux négociations lointaines par quoi se
préparaient les alliances.
En principe, surtout dès que l'on sort de la
bourgeoisie, l'Amour n'est pas le dieu que l'on
invoque de préférence. Les jeunes gens se lais-
seraient volontiers guidés par des inclinations
sentimentales. Mais les parents voient le ma-
riage sous un aspect tout différent. « J'ai ouï
dire depuis que j'existe, écrit M. de la Valette,
que les mariages de raison et de convenances
sont les meilleurs. A vingt ans, je ne pouvais
pas le croire et je pensais qu'il y avait une
sorte de barbarie de la part des parents à unir
pour la vie deux individus qui se connaissaient
à peine. Depuis que j'ai passé cet âge heureux,
j'ai vu que la plupart de ces mariages tour-
naient mal'. » Même note chez M. de Montfort,
qui toutefois ajoute qu'en province on goûte
peu la trop grande disproportion d'âge. « Nous
n'avons pas ici les mœurs de Paris qui allie la
1. M. de la Valette à la marquise de Harrenc, 2 jan-
vier 1789. (Arch. deCibeins.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 261
tendre enfance enchaînée avec la caducité qui
procure la liberté. Nous désirons autant qu'il
se peut la conformité et le rapport des âges qui
permet de s'entr'aider à supporter les charges
et les ennuis de l'hymen*. »
Mais quelles longues et scrupuleuses inves-
tigations nécessitent les mariages dits de
raison ou de convenances ! On ne laisse rien
au hasard. « Si l'on prend des renseignements
sur toute affaire, comment n'en prendrait-on
pas sur un objet de cette importance? » deman-
dera avec une certaine justesse madame de
V^illiers*. Aussi bien ne s'en fait-on pas faute.
On discute les dots, les avantages, les espé-
rances, très ouvertement, sans nulle hypocrisie
de forme, dirons-nous avec quelque cynisme?
calculant bonnement les chances qu'un oncle à
héritage peut avoir de vivre encore deux ou dix
ans^ Cette simplicité, cette franchise qui nous
1. M. de Montfort à M. de Longevialle, 28 août 1785. (Arch.
de Vauronard.)
2. Madame de Villiers à M. de Longevialle. Id.
3. A propos du mariage desbn fils, le marquis de Maubec,
avec mademoiselle de Chàteau-Ghinon, madame de la Valette
écrit : « Le grand-oncle de la mariée qui a élé fermier
général est regardé comme le patriarche de la famille. C'est
lui qui prête les vingt raille livres à la mère pour le trous-
seau... Il est fort âgé. On ne croit pas qu'il puisse vivre
15.
262 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
choquent un peu, semblaient toutes naturelles
à nos aïeules qui n'y entendaient point malice
et trouvaient « aussi logique de supputer la
mort plus ou moins prochaine d'un parent que
d'appeler chat un chat* ». Les questions d'ar-
gent ne viennent pas en toutes circonstances au
premier rang. La noblesse de province est très
à cheval sur les avantages du nom. Mais même
derrière cette façade de vanité apparaissent
encore des motifs d'intérêts matériels. « Je
cherche pour ma fille, écrit madame de Bacon
de la Chevalerie à M. de Tournon, un gentil-
homme. Nous venons de refuser un homme
riche qui n'était que roturier ; vous sçavez que
les gens de condition ont plus de ressources
que tous les autres pour pouvoir placer les en-
fants et qu'il y a mille débouchés pour s'en dé-
faire. » Peu après, elle revient sur ce sujet.
« Je ne donnerai jamais les mains que pour lui
faire épouser un bon gentilhomme; je vous en
ai dit les raisons, etc. ^ »
encore deux années ; vous savez qu'il laissera toute sa for-
tune à la mère. Parla, la situation sera bien dillV'rente d'à
présent, etc. »
1. Madame de Monti à la comtesse d'Hérouville,
2 juin 1721. (Collect. part.)
2. Madame Bacon de la Chevalerie au marquis de Tour-
non, 1" et 15 juin 1771. (Arch. Verg.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 263
Aucun détail n'est négligé. Par avance, c'est
entre les mères un échange de conditions qui
descendent aux plus minces pièces du trous-
seau. « Il demeure bien convenu, madame,
lisons-nous dans une lettre de la marquise de
Brégy, que mademoiselle votre fille apportera
une robe de velours incarnat, deux grandes
robes sur panier, sans compter les nippes dont
nous sommes entendu* ». « On donne bien des
robes, mais le linge me paraît peu fourni,
écrit madame de Dampierre; mon fils en est
fâché, car il est homme raisonnable qui ne se
prend pas à ce qui luit^! » A son fils, madame
de Gallier mande un jour : c Votre fiancée est
bien fournie en toilettes d'apparat; elle a une
robe de brocart, deux grandes de soie de Lyon
fort belles, et d'autres dont je vous ferai le
détail. Madame de Nève donne ses bijoux et
l'oncle, une bague qu'il a promise. » Elle dira
encore : « Tout est bien réglé pour les toilettes
et le linge que la famille donnera ; ce sont
gens accommodants et honnêtes; on a plaisir
1. La marquise de Brëgy h la vicomtesse de Rogère,
2 mai 1767. (CoUect. part.)
2. Madame de Dampierre à la comtesse de Villeneuve-
Trans (22 nov. 1749).
264 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
à traiter avec eux. Madame de Nève veut que
sa fille ait tout en abondance, particulière-
ment l'utile* ». Après avoir énuméré les pré-
sents que recevra mademoiselle de Ghàteau-
Chinon, madame de La Valette ajoute : « M. de
Vichy donne la toilette et je m'imagine que
madame de La Mallarye, fille du grand-oncle,
et ses deux fils feront aussi quelques cadeaux.
Je voudrais que ce fût en choses utiles pour
monter le ménage ^. » Mais aussi, comme les
propos s'aigrissent quand les arrangements
pris n'ont pas été tenus. A peine accompli le
mariage de son fils avec mademoisolle d'Ac-
quéria, M. Bonnot de Villevrain, dans une
lettre adressée à son ami M. de Garcin, se
plaint en ces termes ; « Je sais la façon dont
madame d'Acquéria usait avec sa fille en lui
donnant pour tout linge neuf, douze chemises,
1. Madame de Gallier à son fils, capitaine dans la Légion
de Condé (1774).
2. Madame de la Valette à sa sœur (janv. 1772). — Dirait-
on pas qu'on attend après les cadeaux pour installer le
jeune ménage? Or, M. de Maubec, en épousant mademoi-
selle de (^hâteau-Chinon, recevait la terre de La Valette,
8.000 livres de rentes en contrat, 24.000 livres en argent
comptant; il avait en outre sa solde d'officier et la jouis-
sance d'un appartement dans la maison de ses parents à
Paris. « Malgré cela, il ne sera pas bien riche », se lamente
madame de La Valette.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 265
vingt-quatre mouchoirs et un corset ! Madame
d'Acquéria, malgré toute sa richesse, est la
première mère qui marie sa fille sans lui faire
cadeau d'un quarteron d'épingles... Elle s'était
engagée à donner à sa fille tout le linge con-
venable, une coifîure en dentelles d'Angleterre
et une robe en or qu'elle ne donnera jamais'. »
Ces mariages, dont les négociations ont été
si minutieuses, sont l'occasion de fêtes sans fin
aussi bien dans la bourgeoisie que dans la
noblesse. Là encore, la mère, la maîtresse de
maison a sa lourde part de charges. Il ne
s'agissait pas alors, comme de nos jours, de
cérémonies banales qui le plus ordinairement
se bornent à un dîner de fiançailles, une ma-
tinée de contrat, et, le jour des noces, à quel-
que courte réception agrémentée d'un buffet
froid. Nos mœurs modernes, principalement
à Paris, goûtent fort cette simplicité. Encore
serions-nous tentés de la vouloir plus absolue.
En province, on se souvient davantage des
anciennes coutumes, et la bourgeoisie riche,
les paysans de certaines contrées les font revi-
vre, en partie du moins, et dans une mesure
1. La marquise de Villevrain, op. cit.
266 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
qui semblerait encore bien mesquine à nos
aïeux s'il leur était permis de venir assister au
mariage de leurs descendants.
Quand mademoiselle Mélian épouse M. d'Ar-
genson, en 1718, après la bénédiction donnée
par M. d'Embrun, il y a grand dîner chez les
Argenson. « Deux tables de vingt couverts,
l'une présidée par madame d'Argenson pour
les dames et les jeunes mariés, l'autre, par
le garde des sceaux pour les hommes,
toutes deux servies magnifiquement. On se
met à dîner à trois heures et demie ; on sort
de table à sept heures. Après cela, jeu et mu-
sique composée de tout ce qu'il y a de meil-
leur à l'Opéra. » Voilà qui nous paraîtrait suf-
fisant. Nul ne s'en serait contenté autrefois. A
onze heures, un ambigu est servi et l'appétit
est sans doute revenu, car ce nouveau repas ne
se termine qu'à deux heures du matin, où l'on
va enfin mettre les mariés au lit*. Ayant une
idée de ce qui se fait à Paris dans ces circons-
tances solennelles, allons maintenant en pro-
vince.
Nous sommes au 29 février 1732. II y a
1. Marquis de Barthélémy, Les Correspondants de la mar-
quise de Balleroy.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 267
grandes réjouissances au château de Vogué
pour le mariage de Charles-François Elzéar
avec Madeleine de Truchet. Le cortège ame-
nant la mariée arrive à la nuit. Aussitôt on
prend place pour le souper auquel soixante
personnes sont conviées, tandis que la popula-
tion allume des feux de joie sur les montagnes
et tire des fusées dans les rochers. La soirée
se termine par le jeu. Le lendemain, qui est
un dimanche, dès le matin, les cavaliers d'Au-
benas viennent camper dans le parc. Après la
messe, les divertissements commencent, qui
occuperont toute la journée , manœuvres des
troupes, déiilé dans l'allée des marronniers,
r-imagrée de l'ambassadeur turc, puis grand
dîner. La salle, le salon, les appartements du
rez-de-chaussée sont encombrés de tables au-
tour desquelles s'installent cent cinquante-
quatre convives. Le repas comporte quatre
services. Il y a d'autres tables de cent couverts
pour la suite et les serviteurs. Les dames sont
à une table spéciale dressée dans une chambre.
(Cette coutume de séparer les femmes des
hommes dans les dîners de noces est assez
curieuse.) « Durant le dîner, sonneries de
trompettes alternant avec un quatuor de cas-
268 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
tagnettes et violons. A la fin du repas, chacun
passe devant le marié avec une rasade à la
main, buvant à sa santé puis brisant son verre.
Le chevalier de Villeneuve ouvre ensuite le
bal qui dura jusqu'au soir que les troupes
remontèrent à cheval pour regagner Aubenas
non sans avoir au préalable passé sous les
fenêtres du château en tirant des coups de pis-
tolet. » Les fêtes ne prennent pas fin si vite !
A Aubenas, elles reprennent de plus belle. Et
voilà de nouveau des dîners, des bals, le jeu,
les concerts. « Pendant une semaine entière,
à Vogué, ce ne sont que réceptions, visites,
députations. Naturellement, la table est en
permanence pour tout ce monde qui arrive à
chaque instant. Le vin coule à flots ; les vic-
tuailles disparaissent comme par enchante-
ment. Tout se termine par un dernier dîner
offert à la cour du bailliage, et, comme ce dîner
est maigre, on a dû faire venir de Marseille et
du Teil, des brochets, des thons, des rascas-
ses, sans compter les anguilles de l'Ardè-
che ' ». Gomment on résistait à de pareilles
frairies? Mystère et solidité d'estomac!...
1. Marquis de Vogùé, Une fêle à Anbenas en 1732. (Revue
du Vivarais, mai 1912.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 269
Que si l'on voulait lire une curieuse descrip-
tion et fort complète d'une autre fête nuptiale,
à une date un peu plus reculée, il suffirait
d'ouvrir un délicieux petit volume, assez rare
d'ailleurs, où sont relatées les cérémonies aux-
quelles donna lieu l'entrée dans sa bonne ville,
de Madeleine de La Rochefoucauld, qui venait
d'épouser le seigneur de Tournon *. Le bon-
homme d'Urfé ne tarit pas sur les festins, les
jeux, les danses auxquels prirent part quinze
cents étudiants en costume ecclésiastique. Un
autre Tournon, Just-Louis, à l'occasion du
mariage de son fils, Just-Henri avec made-
moiselle de Ventadour, t tient table ouverte
pendant six mois, menant le bal, courant la
bague, rompant des lances - ».
Mais les mariages, si fréquents qu'ils soient,
à une époque où les familles sont nombreuses,
n'exigent en somme des maîtresses de maison
que des soins momentanés et ne constituent,
pour ainsi parler, que des hors-d'œuvre dans
leur tâche quotidienne.
1 . Honoré d'Urfé, La magnifique entrée de Madeleine de
La Rochefoucauld, dame de Tournon. '
2. Essai sur la noblesse vivaroise. (Revoe du Vivarais )
III
L'installation, premier devoir des maîtresses de mai-
son. — Variations de la mode. — Transformations
dans l'ameublement. — Les tentures au grenier. —
Une chambre de grande dame au xvin« siècle. —
La manie des glaces. — Les tapisseries. — Le bibe-
tot-roi ! — Luxes divers. — Les chevaux; les équi-
pages. — Le luxe n'est pas général. — La disposi-
tion des maisons et châteaux, plus favorable à la
vie simple qu'au faste. — Part faite aux cuisines,
caves, bûchers. — Abondance des communs. — La
cuisine, centre de la maison et siège ordinaire de
la famille.
Le premier devoir d'une femme nouvelle-
ment mariée est de procéder à l'installation de
son intérieur. Dans la société riche, la mode
impose au surplus de constantes modifications.
Tandis que la bourgeoisie reste assez fidèle
aux ameublements anciens et qu'elle se montre
LES MaItRESSES DE MAISON 271
longtemps réfractaire à la manie du « joli »,
dans la noblesse appartenant de près ou de
loin au monde de la cour ou se flattant de
l'imiter, il n'est de sacrifices que l'on fasse
pour se mettre au dernier ton. Ainsi ont déjà
disparu, dès la Régence, au fond des greniers
ou dans les caves, hélas ! les magnifiques tapis-
series de haute lisse que l'on remplace par des
boiseries de tonalité claire agrémentées de
filets d'or et d'ornements en plâtre et bois
sculpté. Aux meubles raides et inconfortables
du Moyen âge, aux meubles larges mais tou-
jours un peu rigides du grand siècle, ont suc-
cédé ces délicats fauteuils, plus petits, plus
légers, dont les formes s'arrondissent en
molles et galantes courbes, ces bergères aux
multiples coussins qui invitent à la paresse,
ces tables de boudoir, chiffonniers, toilettes,
secrétaires en bois précieux, pleins de grâce,
de sveltesse, de souriante familiarité et qui,
bien mieux que des meubles, signés de noms
fameux, sont des joyaux. C'est la maîtresse de
maison qui se charge de ces transformations
grâce auxquelles toutes ces pièces austères
d'autrefois, vont prendre un aspect de coquet-
terie raffinée.
272 FILLES NOBLES ET MAGIGIEXXES
Il suffit de pousser la porte de l'hôtel Morte-
mart et de pénétrer dans la chambre à coucher
de la duchesse pour juger des changements
qui se sont opérés dans le mobilier des mai-
sons élégantes. Voici la couchette à deux che-
vets et à colonnes en bois peint en blanc, avec
pantes et draperies de damas jaune brodé en
soie des Indes. Les rideaux et la courtepointe
en damas de trois couleurs sont doublés de
vert pâle. La même étoffe de damas jaune revêt
les chaises à coussins, les deux chaises simples
et les fauteuils « à la dauphine ». Puis voici
des bergères formant tabouret, des écrans de
damas sur châssis de bois peint en blanc, des
paravents en papier de la Chine, des tables et
des consoles aux galeries dorées, de petits
meubles en l)ois de rose et palissandre ; et puis
des appliques dorées, une pendule signée Col-
lier ^ Tout ce blanc, tout cet or, toutes ces
couleurs claires, vives, gaies, c'est bien du pur
XV m'* siècle.
Dans nombre de châteaux, l'exemple venu de
Paris a été suivi. Plus de salles nues, plus de
fresques, plus de toiles peintes ni de tentures.
1. Inventaire de la duchesse de Mortemart, nde Nicolaï.
(Arch. nat. MM. 749.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 273
Les lourds bahuts ont fait place aux consoles ;
les majestueux sièges de bois sculpté, aux
chaises longues, aux « caqueteuses t. Les
chaises menues, aux dossiers finement tarabis-
cotés, aux pailles dorées tressées avec art font
oublier les solides chaises de noyer garnies de
Cadix vert, telles qu'on en voyait encore chez
les Surville en 1687, et les chaises de noyer
brut, comme celles dont parle Tinventaire de
Jean de Ghaves, en 1669 *. La mode des glaces
a gagné toutes les classes de la société. On en
veut partout. La coquetterie des femmes y
trouve son compte. Aussi voit-on ces dames
lutter de zèle pour en garnir leurs salons, leurs
boudoirs, leurs chambres et jusqu'aux corri-
dors. Quel malheur qu'elles soient si coû-
teuses ! c J'ai fait venir des glaces pour orner
le salon; elles sont très belles et font très
bon effet. Mais elles sont fort chères, reve-
nant avec les frais à 13.3 livres-. »
Ce goût pour les glaces et les miroirs, on
l'avait eu jadis pour les tapisseries et il avait
persisté longtemps. En 1617, le château de
1. Revue du Virarais.
2. Madame de La Valette à madame Cholier, 18 juin 17...
(Arcb. de Cibeins.)
274 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Tournon n'en possédait pas moins de vingt-
cinq grandes de Flandre de haute lisse, repré-
sentant des sujets mythologiques, sans men-
tionner les treize grands et petits tapis de
Turquie ^ Au château de Peyraud, chez les
Fay, où il y a de grands et petits appartements
« comme à Versailles », la chambre d'honneur
est entièrement tendue de tapisserie de verdure,
et le lit (( à la duchesse » est recouvert de
velours frangé d'argent -.
Enfin, le bibelot n'est-il pas devenu roi? Il
ne s'agit plus de divers objets d'art, pieuse-
ment conservés dans une salle spéciale, comme
celle du château de Tournon où les seigneurs
du lieu ont réuni « un grand damier couvert
de plaques d'argent doré, auxquelles sont em-
preintes les armes de feu le Cardinal ; cinq
pièces de vaisselle de Venise ; des layettes do-
rées; des marbres. » 11 ne s'agit pas non plus
de tableaux accumulés dans une seule pièce et
formant une espèce de galerie, ainsi qu'on
en voit, toujours au même château, où dans
le cabinet de Just-Louis sont disposés « cent
trois tableaux de princes, seigneurs de la cour
1* p. Falgairolle, Inventaire de la maison de Tournon (1617).
2. La maison de Faij-Peyraud, op. cit.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 275
et enfants de la maison de Tournon, tous à
l'huile *. » Cette régularité froide n'est plus de
mise. La maîtresse de maison s'ingénie mainte-
nant à varier l'aspect de chacune des pièces de
son habitation. Les tableaux, les portraits se-
ront accrochés un peu partout au gré de la
fantaisie et du caprice. Les objets précieux,
loin d'être jalousement gardés ainsi que dans
un musée, on les répandra sur les tables, sur
les cheminées ; on les sèmera ici et là avec une
apparente négligence qui, de suite, donnera au
logis un petit air familier et avenant. « J'ai
quelques porcelaines de la Chine, écrira ma-
dame de Belleval ; je les ai placées sur les con-
soles du salon ; d'autres sont dans ma chambre;
ainsi pourrai-je en jouir à toute heure *. » Taba-
tières, montres, cachets, futilités charmantes
et coûteuses encombrent désormais salons,
cabinets, alternant avec les vases de Sèvres,
les biscuits, les saxes aux fines nuances, et tout
cela qui papillote, chatoie, miroite, dans ces
intérieurs jusque-là si guindés, jette de la
lumière et de la vie.
1. Inventaire de la maison de Tournon, op. cit.
2. Madame de Belleval à M. de Sassenage, 22 janrier 1767.
(Collect. part.)
276 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Ailleurs, le luxe se concentre surtout dans
les écuries. Les Rietz, sans grande fortune, ont
néanmoins vingt-cinq chevaux, dont « quatre
de carrosse sous poil noir » . En Dauphiné, M. de
Montchenu est célèbre pour la beauté de ses
équipages, ainsi que madame d'Hauterive qui
« fait l'admiration des baigneurs d'Aix avec
ses chevaux et carrosses * ». Henry de Fay, se
rendant vers 1672 à Nîmes, pour un procès,
se fait accompagner de son gentilhomme, d'un
valet de chambre, de son homme d'affaires,
d'un cuisinier, de 4 laquais et emmène
10 chevaux-.
En vérité, le luxe est loin d'être général. La
disposition des maisons et celle des gentilhom-
mières se prêtent moins à une existence fas-
tueuse qu'à la vie simple qui sera presque
jusqu'à la fin de l'ancien régime, en usage chez
nos ancêtres. Les pièces sont plus vastes que
nombreuses. Au château de l'Espinasse qui ap-
partient aux Sallemard, outre une grande salle,
il n'y a guère que 4 chambres et 2 cabi-
nets, mais qui ont 17 ou 18 pieds de hauteur.
i. Correspondance de M. de Marzin avec le marquis de
Tournon. (Arch. du Vergier.)
2. La maison de Faij-Peyraud, op. cit.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 277
Une part beaucoup plus large est faite aux cui-
sines, caves, offices, bûchers*. Jamais les com-
muns ne semblent trop abondants. On ne ré-
pugne pas à les installer tout contre la maison
d'habitation. Sachant leur nécessité, on ne
cherche pas à les dissimuler. Il en va de même
pour les fermes qui, bien souvent, sont atte-
nantes au château, quand elles ne font pas exac-
tement corps avec lui. M, de Vougy opérant
des restaurations et arrangements dans son cas-
tel, fait construire toute une aile nouvelle en
retrait sur la cour, destinée à contenir une
grange à blé, un pressoir, trois écuries, des
caves voûtées-. Dans bien des maisons, la cui-
sine est la pièce la plus spacieuse et la plus
importante. Au château de Maisonseule, elle
occupe une partie du rez-de-chaussée, ce qui
n'empêche qu'il y ait encore dans les sous-sols
un grand four et deux petits fours à pâtis-
serie'. Les inventaires de nos maisons patriar-
cales présentent tous la même particularité : la
grandeur imposante de la cuisine. Devant la
1. Paul de Varax, Généalogie de la maison de Sainte-
Colombe.
2. Marquis delà Jonquière, Noies sur la famille de Vougy.
3. René Tartary, Le château de Maisonseule.
16
278 FILLE-S NOBLES ET MAGICIENNES
haute cheminée aux grands chenets de fer, les
maîtres viennent parler des événements de la
journée et donner leurs ordres pour le lende-
main. C'est du reste dans la cuisine, remar-
quera fort justement M. de Vaissière, que se
concentre toute la vie de la gentilhommière.
(( Bien que les repas se prennent d'ordinaire
dans la salle, c'est dans la cuisine, autour du
grand âtre, que s'écoulent les heures des jours
mauvais et les longues veillées d'hiver. Le
maître de céans y devise bonnement avec ses
gens, leur conte des faits extraordinaires dont
ses aïeux et lui-même ont été parfois les héros,
histoires de guerres et de revenants '. » Cette
vie simple, nous allons la suivre un instant.
1. De Vaissière, Gentilshommes campagnards.
IV
La vie patriarcale. — L'existence chez les Lamartine.
— La noblesse est près du peuple. — Fossé creusé
entre elle et lui par la Révolution. — Communauté des
intérêts sous l'Ancien régime. — Facilité des relations.
— Les paysans. — Ils n'étaient pas malheureux. —
La garde-robe d'une fermière sous Louis XIV. — Le
paysan de La Bruyère et le paysan d'aujourd'hui. —
L'hospitalité. — Comment elle se pratiquait. — Les
vingt-six convives de madame de Sévery. — Échange
de toilettes. — L'habillement. — Les portraits. —
« Croûtes de famille! » — Les nobles demeurent
très attachés à leurs droits. — Visite chez les fer-
miers. — Les nobles à la messe. — Pain bénit. —
Bancs d'église. — Un chapitre du Lutrin. — Le banc
de l'église d'Apt.
Lamartine avait pu en jouir encore dans sa
prime jeunesse. Il nous en a laissé un tableau
280 FILLES NOBLES ET MAG ICIENiNES
pris sur le vif : « Après la prière, dit-il, nous
allions déjeuner à la cuisine de la soupe des
vignerons, sur les genoux de nos bonnes... Le
soir, on filait le chanvre à la maison ou bien
l'on cassait des noix, à la lueur d'une lampe
appelée « creuse-yeux. » La maîtresse de la
maison rassemblait autour de la table de la cui-
sine ses enfants, ses domestiques, ses voisins ;
les hommes apportaient de la cave les sacs de
noix dont le brou à demi pourri se détachait de
l'écaillé, et les ouvraient sur le plancher... Il
en était ainsi du filage du chanvre. Nous pre-
nions part à tous ces travaux avec nos ser-
vantes et nos domestiques. On causait des
récoltes, du prix des vins, des mariages de
telle fille ou de tel garçon, des gages des ser-
viteurs qui, généralement, consistaient en dix
écus par an, six aunes de toile écrue pour les
chemises, deux paires de sabots, quelques
aunes d'étoffe pour les jupons des femmes et
cinq francs d'étrennes au jour de l'an '. »
La noblesse, si l'on excepte celle de la cour
(et encore celle-ci montrait-elle bien moins de
morgue qu'on l'a prétendu), la noblesse de
1. Mémoires de Lamartine.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 281
province était, en somme, plus près du peuple
que ne l'est la bourgeoisie actuelle, et M. de
Vaissière a pleinement raison lorsqu'il observe
que « le noble campagnard en arrivait sou-
vent depuis Louis XIII, où l'existence de la
noblesse cesse d'être féodale, à n'être plus
qu'un paysan. La femme ne joue plus à la
châtelaine ; c'est la bonne ménagère, avant tout
soucieuse de l'ordre et de l'économie de la
maison, de la tâche des domestiques, de l'en-
tretien du potager, de la basse-cour ». Même
quand cette noblesse n'abandonne pas tout à
fait la vie mondaine, qu'elle tient son rang,
se livre aux plaisirs que procure l'aisance, elle
demeure malgré tout proche du peuple, dont
elle partage nombre de sentiments, de préjugés,
d'habitudes séculaires. Il n'y a pas de fossé
entre elle et lui. Ce fossé, c'est la Révolution qui
le creusera de ses rudes mains en créant une
rivalité factice entre les intérêts des paysans
et ceux de la classe possédante. Avant elle,
avant l'absorption par le peuple des sophismes
dont elle le grisa, la grande famille terrienne
de France ignorait ces dissensions qui ont eu
pour principal résultat de ruiner à demi pro-
priétaires, fermiers, ouvriers agricoles, et de
16.
282 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
les éloigner les uns comme les autres, chaque
jour davantage, de la terre, leur mère com-
mune. Si ce n'est pas là la raison unique de la
désertion des campagnes au profit des villes, il
est néanmoins certain que l'état de suspicion,
de méfiance et parfois d'animosité violente qui
s'observe depuis plus de cent ans et qui n'a
fait que s'aggraver, entre propriétaires, tenan-
ciers et cultivateurs, y ait puissamment con-
tribué. Il en allait autrement jadis ; la commu-
nauté des intérêts, en dépit de quelque
jalousie bien excusable et d'ailleurs aisément
apaisée, paraissait évidente à tous ; les rela-
tions s'en trouvaient singulièrement facilitées.
Une grande et parfaite bonhomie présidait
aux rapports qui s'étaient établis peu à peu
entre la noblesse rurale et les paysans. Ceux-
ci, à vrai dire, n'étaient point aussi malheureux
qu'on va le répétant sans preuves. Prise dans
son ensemble, la population des campagnes
vivait dans une certaine aisance, aisance qu'il
serait téméraire de vouloir apprécier selon
nos idées modernes et juger d'après notre
époque où les besoins se sont accrus plus vite
encore que n'ont grandi les progrès matériels
de l'existence. Une paysanne du temps de
LES MAÎTRESSES DE MAISON 283
Louis XIV ne portait évidemment pas de cha-
peaux à plumes ni de bas en simili soie venu de
quelque grand magasin de la capitale ; mais une
simple fermière, en 1.677, possède « une cotte
de serge bleue, garnie d'un corps passementé
de passements gris ; une cotte de serge bleue
avec corps de damas rouge ; une cotte de tire-
taine avec corps de serge; une cotte de serge
pourpre, une autre de même étoffe avec un
corps de satin et manches de canisy blanc, deux
autres corps de satin. » M. Alfred Babeau*,-à
qui j'emprunte ces détails, pense, non sans
raison, que La Bruyère a fort exagéré lorsqu'il
a parlé de « ces paysans qui ressemblent à
des animaux farouches, noirs, livides et tout
brûlés par le soleil ». Sans doute les eût-il
décrits de toute autre manière s'il les avait vus
aux heures de repos et dans leurs habits de
fête-. Et puis quoi! N'oublions pas que La
Bruyère était un littérateur qui, comme tout
bon littérateur, voyait les choses sous un
angle un peu spécial. Un paysan, de nosjours,
bien qu'électeur, ressemble fort quand il tra-
vaille la terre à celui que dépeint La Bruyère,
1. A. Babeau, Un château et une ferme sous Louis XIV.
2. Ibid.
28i FILLES NOBLES ET MAGLCIENNES
mais, en revanche, il n'est pas du tout sûr que
nos paysannes aient une garde-robe aussi
bien fournie que l'était celle de la fermière dont
parle M. Babeau.
Malgré le mauvais exemple venu de la Cour,
la vie continue à être très patriarcale, en France,
jusqu'aux dernières années de la monarchie.
L'hospitalité se pratique d'une façon large,
mais simple. Autant elle est fastueuse chez
quelques grands seigneurs, Rohanou Choiseul,
autant elle est dépourvue de tout apparat dans
la noblesse ordinaire et dans la bourgeoisie.
Chacun en use avec la plus grande liberté vis-
à-vis de ses amis, de ses voisins, de ses rela-
tions. Et ce ne doit pas être une des moindres
préoccupations des maîtresses de maison d'être
ainsi toujours sur le qui-vive et de voir soudain
tomber chez elles toute une bande d'amis qui
demandent non seulement à dîner, mais à cou-
cher. On s'en tire comme l'on peut, sans
phrases, sans embarras de part ni d'autre.
Madame de Sévery recevant à l'improviste dix-
huit personnes à Gorcelles, ne s'en montre pas
émue et n'a pas un instant d'inquiétude. Elle
met « la vicomtesse de Pons dans le cabinet
rose, madame de Saint-Giergues dans le
LES MAÎTRESSES DE MAISON 285
cabinet de M. de Gorcelles; on empile les
autres dans les chambres des domestiques qu'on
envoie coucher dans les greniers et les écu-
ries* ». Cette simplicité est dérègle. Elle ne
surprend personne.
Pas plus qu'on ne met d'affectation dans la
manière de recevoir, on n'en apporte dans une
foule de détails usuels. Une dame, même fort
riche et nullement avare, ne se croit pas desho-
norée d'échanger des toilettes avec ses amies.
Madame de Sévery se félicite d'avoir troqué
c quatre vieux rogatons affreux contre une
belle robe ». En dehors des toilettes de gala,
l'habillement est sans recherche excessive, à
la campagne comme à la ville. Pour la façon
d'une robe ou d'un jupon, madame de Leyde
(de la maison de Groy) paie à Paris, 12 livres
à sa couturière*. Nous verrons tout à l'heure
que bien des femmes confectionnaient elles-
mêmes leurs toilettes. Désire-t-on avoir son
portrait? La chose est aisée. Pourquoi s'adresser
à un peintre fameux? Paris et les villes de
province regorgent de médiocres artistes qui
1. Monsieur et madame de Sévery, La rie de société dans
le pays de Vaud à la fin du xviii* siècle.
2. Dossier Groy-Leyde. ( Àrcli. nat., T. 317.)
286 FILLES NOBLES ET MASICIEXXES
fixent vos traits sur la toile, moyennant un
salaire des plus minimes. La marquise de
Charcy donne u7 livres pour son portraits Ce
n'est pas le prix d'une bonne photographie
aujourd'hui. Mais voilà qui explique le nombre
formidable de vieilles « croûtes » horribles que
l'on conserve dans les familles, à titre de sou-
venir !
Pour simples qu'ils soient nos aïeux ne tran-
sigent pas avec ce qu'ils considèrent comme
leurs droits. Aucun noble, aucun bourgeois ne
songerait à renoncer à des usages que le temps
a consacrés. Quand l'un ou l'autre va visiter
ses fermiers pour lever la rente de ses terres
ou pour toute autre affaire, ainsi que fait Geof-
froy deSallemard, seigneur de Ressis, en 1026,
le fermier doit lui laisser les chambres libres
pour s'y retirer. Il doit aussi fournir le foin et
l'avoine pour la nourriture des chevaux ^.
D'autre part, certaines questions qui nous
paraissent bien futiles, prenaient alors une
gravité considérable. Le dimanche, le noble
redevient lui-même. Il assiste à la messe de
son banc seigneurial, après avoir reçu l'eau
1. Dossier Groy-Leydc. (Arch. nal. T. 317.)
2. Généalogie de la maison de Sainte-Colombe, op. cit.
LES MAÎTRESSES DE MAISO.N 287
bénite sous le porche. Il exige le coup d'en-
censoir et le pas à la procession. On écrirait
un nouveau Lutrin avec les discussions, les
cabales, les intrigues auxquelles donnait lieu
la propriété des bancs d'église. Madame de
Bréda ayant prétendu se faire donner le pain
bénit immédiatement après monsieur et madame
de Montataire et avant les autres membres de
leur famille qui étaient avec eux dans leur
banc, madame de Montataire imagine de
prendre elle-même le plateau et d'offrir le paia
à ses enfants placés près d'elle. La querelle
s'envenime ; on se menace ; les curés intervien-
nent, s'efforcent d'apaiser les parties. L'affaire
se complique d'une histoire de garde-chasse
des Montataire rencontré par M. de Bréda sur
ses propres domaines. Bref, cette petite guerre,
avant de se terminer par un traité de paix, se
poursuit trois ans au milieu des libelles, des in-
jures, des procès, et manque d'amener un duel ^ !
C'était bien du bruit pour de la brioche, fût-elle
bénite ! J'ai sous les yeux une lettre fort
longue, adressée à M. de Chaslan d'Ortigues,
par le vicaire général d'Aix, au sujet du banc
1. Baron de Condé, Hùtoired'un vieux château de France :
Montataire.
288 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
de l'église d'Apt, lettre par laquelle on voit
combien ce vieil usage seigneurial était sévè-
rement réglementé : « M. l'archevêque me
charge de vous dire que M. le maréchal de
Brancas, son frère, lui a renvoyé votre lettre.
M. l'archevêque a déterminé qu'il vous sera
permis de prendre place au banc et d'empêcher
qu'aucun autre s'y installe ; bien entendu quand
ceux de la famille des Brancas seront à Apt,
vous ne pourrez prendre place au banc, etc.,
etc. *. » Dirait-on pas qu'il s'agit d'une terre
domaniale et de grand rapport!...
i. Lettre de Revard, vicaire général d'Aix, à M. deChastau
d'Ortigues, 2 août 1742. (Arch. du Vergier.)
Les maîtresses de maisons et les jardins. — Ceux-ci
sont leur distraction. — Elles ont fort à faire avec
la domesticité. — Histoires de domestiques. — M. de
Digoine et la Planquet. — Le cuisinier de madame
Cholier. — La marquise de Villeneuve et ses cochers.
— Il faut surveiller les domestiques, — La lessive.
— Le linge. — On le tisse à domicile ou au village.
— Les dames ourlent le linge, le brodent, font leurs
robes. — Travaux d'art sortis de leurs mains. — On
tricote pour les pauvres. — La table. — Les maî-
tresses de maison à la cuisine. — Elles préparent
certains plats. — Aucune ne néglige de veiller de
près sur le cuisinier. — Nécessité d'avoir des pro-
visions chez soi. — Difficulté des approvisionne-
ments. — La viande de boucherie. — Les veaux du
cardinal Mazarin ! — Recettes de cuisine et de médi-
caments. — Arrangements passés avec les fournis-
seurs. — Si occupée qu'elle soit, la maîtresse de
maison écrit beaucoup. — La manie épistolaire. —
Un poulet en pathos !
i7
290 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Mais j'ai hâte de retrouver nos maîtresses de
maison dans l'accomplissement de leurs devoirs
quotidiens.
Tout le monde a lu dans les lettres de
madame de Sévigné, les récits qu'elle fait à sa
fille touchant l'intérêt qu'elle porte au jardin
des Rochers. On se rappelle avec quel soin
elle plante « une infinité de petits arbres » ; on
se rappelle le « labyrinthe » qu'elle installe et
d'où « l'on ne sortira pas sans le fil d'Ariane » ;
on se rappelle aussi les noms dont elle décore
quelques allées du parc ; « l'allée du solitaire ;
la place-madame; l'humeur de ma fille *. » A
ce point de vue madame de Sévigné ne diffère
pas des autres maîtresses de maison de son
siècle ou du siècle suivant. Le même zèle se
perçoit, à cent ans de distance, chez madame
de Meximieux, digne fille de la présidente
Cholier : « Il me faut regarnir le jardin, écrit-
elle à sa mère, j'envoie le jardinier à Lyon
pour acheter des graines et des arbres à fruits.
Je travaille aussi à accommoder le parterre. »
En femme économe, elle ajoute aussitôt :
« Avec le cabinet de M. de Meximieux que je
1. Lettres de madame de Sévigné.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 291
Fais refaire, nous bornerons là notre dépense
pour cette année *. »
Les jardins sont la distraction, l'agrément de
;es vies occupées et actives. Dans le Midi,
[los bonnes grand'mères prenaient plaisir à
îmbellir ces jardins, à y faire pousser les
[leurs rares, rosiers de la Chine, tubéreuses,
billets diaprés que l'on plaçait dans des vases
i^ernissés. De temps à autre, des Génois vê-
laient ravitailler les amateurs et leur offrir de
petits orangers à vingt sous, et des jasmins à
iix sous le plant *.
Ceci n'est qu'un passe-temps, et, comme je
'ai dit, une sorte de récréation. Il y a des
jccupations plus sérieuses, plus pressantes.
La première de toutes consiste peut-être à
iiriger la domesticité. On sait qu'elle était
lombreuse. Il faut se garer, ne pas choisir au
lasard. La duchesse d'Uzès refuse une demoi-
;elle Chalazé qu'on lui offre comme femme de
îhambre, parce qu'elle « est trop à son aise et
{u'elle peut se passer de servir, ce qui fera
1. Madame de Meximieux à sa mère, 1767. (Arch. de
^ibeins.)
2. Albert Puech, Les Nimois dans la seconde moitié du
cvn« siècle.
292 FILLES NOBLES ET MAGICIENiXES
d'elle une personne à ménager*. » Je citera
encore à ce propos une autre lettre de la du-
chesse qui nous renseignera sur l'état d'une
maison bien tenue, sans luxe cependant. « J'ai
rendu mon service facile et court. Je souscris
aux gages de trente écus, vin compris, que
vous avez avancé, quoiqu'ils soient bien forts
pour la province. Pour mieux connaître ce
qu'il me faut, voici comment est composée ma
maison : une cuisinière, une fille de cuisine,
un cocher, deux laquais et une fille propre à
remplir l'objet de femme de chambre et de
gouvernante. Depuis l'achat de ma maison et
mes réparations, j'ai dû diminuer de beaucoup
ma dépense et le nombre de mes gens. Mon
intention est, par la suite, de l'augmenter'. »
Ces domestiques ne sont pas toujours déli-
cats. La Plonquet, profitant de ce que madame
de Digoine et son fils sont malades, demande
brusquement son compte. Mandant cette petite
mésaventure, M. de Digoine se plaint de l'im-
pertinence de cette fille qui « prétendait être
payée en outre de son voyage », et ajoute : « Si
1. La duchesse d'Uzès douairière à M. de Tournon,
23 janvier 1770. (Arcli. du Vergier.)
2. Ibid., 2 février 177a.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 293
ce n'avait été le respect qu'on doit au beau
sexe, je l'aurais mise hors delà maison à coups
de pied dans le derrière*. »
Écoutons encore cette historiette : « J'ai,
vous le savez, écrit madame Cholier, remplacé
mon cuisinier par un autre que m'a recom-
mandé madame de Chamousset, chez qui il a
servi dix-neuf ans. L'ancien qui était habile ,
économe, mais original, jureur, et qui faisait
bien le maître, piqué au fond d'être remplacé,
a prévenu sous main son successeur qu'il ne
resterait pas, trouvant trop d'économie et pas
assez d'ouvrage dans la maison. Gela a monté
la tête de ce garçon qui, hier, comme je lui
défendais de laisser le feu allumé toute la nuit
pour cuire des pois, m'a quittée de suite avec la
plus parfaite impertinence ^. »
La marquise de Villeneuve, bien qu'elle ait
mille affaires sur les bras et s'occupe avec une
incroyable précision d'esprit de ses terres, de
ses procès, de l'éducation de ses neveux, ne
néglige pas pour cela sa domesticité. Sur son
1. Le comte de Digoine au marquis de Tournon, 23 août
1T73. (Arch. du Vergior.)
2. Lettre de madame Cholier, 22 février 1768. (Arch. de
CibeiDs.)
294 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
grand livre, elle ne manque pas d'inscrire la
date de l'entrée à son service de son nouveau
cocher Gibert, engagé à raison de vingt-cinq
livres par an, ni de noter qu'elle adonné « à la
Roche, catorze livres moiennant quoy il est
maintenant payé de ces gages de saingt mois
qu'il a demeuré avec moy. » Ah, évidemment,
elle ne sait pas l'orthographe, mais elle sait
joliment bien calculer que la nourriture de ses
chevaux pendant huit mois lui est revenue à
327 livres 7 sols et que pour habiller son cocher
et deux grands laquais, elle a dû acheter « huit
olnes de drap d'holande véritable pour
172 livres, 16 et deux olnes de drap vert pour
15 livres, plus quatre olnes serge verte pour
doublure au prix de 7 livres^ ».
Une bonne maîtresse de maison ne se con-
tente pas de choisir de son mieux le personnel
domestique; elle le surveille sans cesse. Les
serviteurs d'autrefois étaient d'ordinaire de
braves gens, fort dévoués à leurs maîtres, res-
pectueux et consciencieux, mais enfin ils
n'étaient pas des anges et l'esprit d'initiative
leur faisait souvent défaut. De là, nécessité de
1. Livre de raison de la marquise de Villeneuve. (Arcli.
du Vergier.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON' 295
les guider, de leur préciser la besogne de
chaque jour, d'en vérifier l'exécution. La maî-
tresse de maison met volontiers les mains à la
pâte. Aux jours de lessive, si elle ne trempe
pas le linge elle-même (et encore!...) du moins
est-elle présente à cette importante opération
qui se renouvelle fréquemment, surtout à
partir du xvii* siècle, ainsi qu'en témoigne
l'augmentation considérable de la consomma-
tion des savons de ménage dès cette époque*.
En traitant de la manière dont on dépensait
autrefois', j'ai eu l'occasion de signaler l'abon-
dance du linge dans les intérieurs les plus
modestes. C'est le vrai luxe des classes nobles
comme des classes bourgeoises et paysannes.
Sans répit, la maîtresse de maison est occupée
à en ïsiive tisser, he Livre de raison d'Alexandre
de Viviès est instructif sous ce rapport. En
1741, madame de Viviès calcule qu'elle a
46 draps de toile fine et 15 de grosse toile,
33 nappes, 24 douzaines de serviettes. Néan-
moins, elle commande encore 6 douzaines
de serviettes et quelques nappes. Deux ans
1. Les Nimois, op. cit.
2. Les Mœurs et la Vie privée d'autrefois. (Calmann-Lévy,
édit.)
296 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
plus tard, elle fait faire 8 draps, 3 dou-
zaines de serviettes et trois nappes. En 1748,
on lui fournit encore 8 draps, dont le nombre
est ainsi porté à 68, dit-elle, et 5 douzaines
de serviettes fines*. Madame de Villeneuve
note que (( pour faire quatre cannes de cinq
pans de large pour des draps à son usage, il
faut cinquante-quatre livres de fil et que la
façon de la toile a coûté dix sols par aune. Les-
dits vingt quatre cannes m'ont fait trois paires
de draps dont une pas si grande que les deux
autres. C'est un nommé Jean Gaspard qui est
de Simiane, qui me les a faits*. » Il en est
partout ainsi. Une femme qui laisserait s'écouler
une année sans accroître la provision du linge
domestique serait considérée comme une mau-
vaise ménagère. Or, ce linge, on ne l'achète
pas ; on le fait tisser spécialement, soit dans le
village, soit dans la maison même, et ceci ne
va pas sans réclamer une vigilance active.
Si les maîtresses de maison ne participent
pas directement au travail du tissage, elles em-
ploient fréquemment les soirées à ourler le
1. Livre de raison d' Alexandre de Viviès, publié en frag-
ments par M. de Puy busqué.
2. Livre de raison de la marquise de Villeneuve.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 297
linge, à le raccommoder, à le broder. Beau-
coup aussi font leurs robes. Répondant à
madame Cholier, madame de La Valette lai
explique : « Une robe en chenille, c'est un
satin des Indes à grandes rayes vert et blanc
que j'avais acheté mal à propos. Denise fait la
robe et moi le jupon. II ne laisse pas d'y avoir
de l'ouvrage. Je crois que la robe sera noble
et honnête, mais je doute qu'elle soit achevée
avant mon départ*. » Jetons les yeux sur
d'autres correspondances; nous verrons d'au-
tres mères de famille penchées sur des be-
sognes toutes semblables, usant leurs yeux à
coudre des vêtements pour leurs enfants, à
confectionner leurs propres toilettes, à broder
de leurs doigts agiles et vaillants des écrans,
des bourses, à faire au petit poi/it d'admirables
tapisseries qui serviront à recouvrir les meubles
de leur salon ou de leurs chambres à coucher,
véritables travaux de fée, dont quelques-uns
sont parvenus jusqu'à nous, témoignage vivant
de leur adresse, de leur patience et de leur
goût.
Les malheureux ne sont pas oubliés. Il est
1. Madame de la Valette à madame Cholier (sans date}.
17.
298 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
de règle dans chaque maison noble ou bour-
geoise de distribuer à l'entrée de l'hiver aux
pauvres de la contrée, des bas et autres objets
de laine, tricotés par la maîtresse du logis et
par ses filles. « Nous avons bien travaillé,
maman et nous, lisons-nous dans une lettre
du temps, mais nous sommes récompensées par
la joie de tous ces malheureux qui seront à
l'abri du froid cet hivers »
De tant de soucis qui incombent à la maî-
tresse de maison pour la bonne tenue et l'éco-
nomie de son ménage, nous n'avons pas en-
core cité la principale : la cuisine. On n'ignore
pas l'importance de la table dans la vie de nos
ancêtres. Dans l'intimité même, on ne lésinait
point sur les dépenses de bouche. Les repas
sont copieux et comme, à la campagne surtout,
les ressources manquent un peu, il appartient
à la maîtresse de maison de s'ingénier pour
varier la nourriture et satisfaire des estomacs
aussi robustes qu'exigeants. C'est, aussi bien,
dans cette tâche difficultueuse qu'elle triomphe.
Que la maison soit fastueuse ou modeste, que
la valetaille soit nombreuse ou restreinte, la
1. Mademoiselle deMeximieuxàla marquise de Harrenc,
octobre 1788.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 299
maîtresse dirige tout, descend plusieurs fois
par jour à la cuisine, veille de près à la con-
fection des mets, alors même qu'elle ne trousse
pas ses manches pour lier une sauce ou faire
ses confitures. Elle est là quand on fait le pain
du ménage, car, à cette époque, hors des villes,
le pain se fait toujours à la maison ; c'est elle
qui indique comment se préparent « les tourtes
aux épinards, » les « tourtes aux poireaux, » les
« tôt faits ; » elle qui surveille, après en avoir
fourni les recettes, la fabrication des ratafias,
liqueur des quatre fruits, vin d'anis, de fleurs
d'oranger, eaux de coing, d'angélique, de jas-
min, dont on remplit les armoires des offices.
« Mademoiselle Mélanie de Gallier, ma
grand'mère, dit M. de Pavin de Lafarge, se
levait à cinq heures du matin, et, en petitjupon
court, trottait dans la maison en donnant ses
ordres, grondait ses servantes, passait à la cui-
sine le temps nécessaire pour que le repas fût
bien préparé et bien servi, puis, à onze heures,
faisait sa toilette pour le dîner*. » Toute maî-
tresse de maison appliquée à ses devoirs agis-
sait comme madame de Lafarge. La duchesse
1. E, de Pavin de Lafarge, Souvenirs de famille.
300 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
de Nevers, encore qu'elle eût un train princier,
ne manquait jamais de faire un tour de cui-
sine deux fois dans la journée et prétendait
réussir les gimblettes mieux que son maître
queux. « Je surveille étroitement mon cuisi-
nier, écrit la comtesse de Tressan ; quand je ne
suis pas sur ses talons, il gâte tout^ » Et la
duchesse d'Uzès conte qu'elle va chaque matin
et chaque soir à la cuisine « pour voir com-
ment on en use avec ce qu'elle a commandé^ ».
En un temps où les communications sont
lentes et où, si l'on est proche d'une ville,
celle-ci n'offre que des ressources illusoires,
force est bien de se débrouiller comme l'on
peut. Il faut aller si loin pour les provisions et
par quels chemins! Guillaume de Lamotte,
syndic de Largentière, est obligé de faire les
siennes à Montferrand, le jour de la foire et
d'en rapporter du poisson pour tout le ca-
rême^ Dans ces conditions, on apprend à ne
compter que sur soi. La basse-cour est d'ail-
leurs bien garnie ; c'est l'orgueil d'une maî-
1. Madame de Tressan à madame de Lestrange. 1786.
2. Correspond. d'Uzès, 12 juillet 1767.
3. François de Charbonncl, Guillaume de Charbonnel de
Lamotte.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 301
tresse de maison ; la chasse presque partout
fournit du gibier en quantité suffisante et les
ruisseaux sont poissonneux. De la viande de
boucherie on se passe le plus ordinairement.
Elle est peu appréciée et jusque vers la fin du
xviii^siècle, elle n'apparaît guère sur lestables
élégantes, surtout à la campagne. Peut-être s'y
fût-on accoutumé plus vite si chacun avait pu,
comme Mazarin, faire nourrir d'une manière
particulière les veaux qu'il devait manger, « en
leur faisant téter des vaches nourries elles-
mêmes en perfection, et en leur faisant avaler
un grand nombre de jaunes d'œufs chaque
jour avec une quantité de bisquis, ce qui ren-
dait ces animaux d'une graisse et délicatesse
extrême*. »
Pour le commun des mortels, il est bon d'a-
voir d'amples réserves à domicile et de savoir
exécuter surplace bien des choses. Nos grand'-
mères, on le sait, avaient d'innombrables re-
cettes de cuisine qui leur permettaient de parer
au plus pressé et de préparer chez elles, à bon
compte et de façon honnête, une grande quan-
tité de comestibles que les commerçants des
i. Mémoires inc'dits de M. de JohanDyn. (Arch. de Ci-
beiDS.)
302 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
villes ne se gênaient pas toujours, dès cette
époque, pour frelater abominablement. Cha-
cune a la sienne, les siennes plutôt, dont elle
est fière, qu'elle ne communique pas à tout le
monde, et seulement à bon escient. Il faut être
fort de ses amis pour qu'elle consente à révéler
le secret de sa pâte de coing ou de ses conserves
d'abricots. Les livres de raison sont pleins de
ces recettes dont quelques-unes ont franchi les
âges et demeurent fort appréciées de nos gour-
mets modernes. Celui de la marquise de Ville-
neuve est une mine sous ce rapport, non seu-
lement en ce qui touche la gourmandise, mais
pour les remèdes : « Manière de faire la paste
d'amande ; manière de faire l'eau jonne ; ma-
nière de faire l'hidromelle ; manière de faire un
bon gâteau d'amande ; manière de faire sécher
les groseilles rouges, en grappe »... Il y en a
comme cela des pages et des pages. Et la re-
cette pour atténuer les douleurs de fluxion,
« mâcher du tabac », et celle pour guérir les
engelures, et celle pour faire passer les rou-
geurs de la peau^ et mille autres qui, se trans-
mettant de générations en générations, étaient
1. Livre de raison de la marquise de Villeneuve. (Arch.
du Vergier.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 303
pieusement conservées et scrupuleusement
utilisées.
Dans les maisons très riches et nombreuses,
on passait volontiers des marchés avec un ou
plusieurs commerçants qui, moyennant un
forfait, se chargeaient de fournir les viandes,
les fruits, etc. La maison du cardinal de Ri-
chelieu était montée sur ce pied. Un contrat
obligeait tel fournisseur à pourvoir la cave de
vin « pur et légal, à savoir, pour la bouche du
cardinal, du meilleur qui soit à dix lieues à la
ronde, à 6 sols la pinte ; pour sa suite, du meil-
leur qui se trouve dans le quartier, à 4 sols ;
et, pour le commun, à 3 sols. » Tel autre devra
procurer le bois, cotteret, bûcher ou fagots,
moyennant 23 livres par jour. Chez les Ne-
mours, marché semblable est passé avec un
blanchisseur qui doit laver 9 nappes par jour,
48 serviettes et le linge de corps de o4 per-
sonnes, au prix forfaitaire de 13o livres par
mois. Les Vendôme ont des contrats pour la
viande, le gibier, le poisson ; pour les fruits,
le sieur La Porte s'engage à en fournir 16 bons
plats chaque jour, plus le sel et les œufs, à
raison de 12 livres par jour. Le duc de Gan-
dalle paie à forfait la nourriture de toute sa
301 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
maison 43.462 livres par an, non compris
l'extraordinaire « qui sera débattu à part* ».
Sur une échelle beaucoup plus modeste, cer-
taines ménagères avisées, vers la fin du
XVIII* siècle, commencent dans les villes de
province et dans les campagnes qui ne sont
pas trop écartées d'un centre, à adopter ce sys-
tème, mais seulement pour la viande de bou-
cherie, le poisson et, quelquefois, pour les
épices.
Ces arrangements ne diminuaientd'ailleurs en
rien la tâche que s'imposaient les maîtresses de
maison. Cette tâche n'était pas mince, on l'a vu.
Elle ne les empêchait pas néanmoins de prendre
encore le temps d'écrire. La correspondance
tient une place importante dans la vie d'autre-
fois. Chaque lettre contient des exposés minu-
tieux de l'existence quotidienne, des réflexions
sur les personnes qu'on a vues, sur celles qui
annoncent leur arrivée, sur celles qu'on espère
voir bientôt ; des détails de ménage, de santé,
avec d'interminables notes sur les procès en
cours, les difficultés avec les voisins. Voilà
pour les lettres intimes. Quand les gens ne
1. Vicomte de Grouchy, Compies de maison du cardinal
de Richelieu, des ducs de Nemours, Candalle, etc.
LES MAITRESSES DE MAISON 303
sont pas très liés, les lettres qu'ils échangent
sont plus courtes, mais combien soignées,
dosées savamment selon l'âge, le rang, le sexe,
la situation de celui ou de celle à qui elles s'a-
dressent. Le moindre objet donne lieu à une
missive souvent cérémonieuse, et parfois, sur-
tout entre provinciaux, fort alambiquées. Je
n'en citerai qu'un exemple. La présidente Cho-
lier ayant envoyé à une dame de Serre quel-
ques confitures et des fleurs, celle-ci lui écrit
ce poulet : « Un bouquet et des confitures,
madame, sont des bienfaits d'une trop grande
conséquence, quand ils portent votre nom, pour
ne pas dire que je les ai reçus aussi pour ce
qu'ils viennent de vous, madame, que j'aye
tant d'obligations d'honorer. Voilà tout ce que
j'aye la liberté de vous dire : laissez-moi celle
dépenser quelque chose de plus et trouvez bon
que je ne m'explique pas autrement qu'en vous
assurant qu'on ne saurait jamais estre avec
autant de respect que je le suis, votre très
humble et très obéissante servante*. »
Il est sans doute possible d'être plus clair,
mais non plus poli!...
1. Madame de Serre à madame Cholier, octobre 1796.
(Arch. de Cibeins.)
306 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Quoi qu'il en soit, on écrit beaucoup, mais ce
surcroît de besogne entrait peut-être dans les
distractions que se donnaient les maîtresses de
maison, quand une fois leurs devoirs de bonnes
ménagères était rempli.
VI
Abandon des sports. — La promenade est à la mode.
Le colin-maillard et autres jeux. — Louis XIV dans
un portemanteau! — Les petits jeux, bouts-rimés
et autres. — Montesquieu galantin. — Les cartes. —
Le whist. — L'impériale. — Le piquet. — Travaux
d'aiguille. — Tapisseries célèbres. — Le parfilage.
— Madame de Genlis déclare cet ouvrage honteux.
— Obligation de s'occuper à la maison. — Pénurie
de distractions extérieures. — Le mari voyage seul.
— La femme demeure au logis. — Fêtes des ven-
danges. — Le carnaval. — L'habitude vient de quitter
la campagne, l'hiver. — Encore la vie de château.
— La lecture en commun. — 3L de Montgaillard en-
dort ses auditeurs. — Monotonie de l'existence ru-
rale. — Une bonne aubaine. — Le duc de Glocester
sur la grande route. — Le rôle véritable des maî-
tresses de maison. — Comment elles entendaient
leur mission. — Hier et aujourd'hui.
308 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Disons-le tout de suite, nulle époque ne fut
moins sportive que les xvii* et xviii^ siècles.
En dehors du cheval et de la chasse, il semble
que l'on ait renoncé à tous les exercices du
corps. Le jeu de boule ne compte plus que de
rares amateurs; celui de la paume, si en hon-
neur durant tout le xvi^ siècle et avant, est
chaque jour plus délaissé. Sur trois établisse-
ment destinés à ce jeu, que possédait la ville
de Nîmes vers I08O, il n'y en a plus qu'un, cent
ans plus tard, et encore ne se maintient-il que
parce qu'on y a annexé des billards^ Les jeux
de ballon, de chicane, tombent en désuétude.
Plus propice à la causerie, la marche, la
promenade tendent à conquérir la faveur gé-
nérale. Déjà fort à la mode au temps de
Louis XIV, à mesure que la passion des beaux
jardins a gagné les gentilhommières, elle
devient une fureur sitôt que Rousseau a dé-
veloppé dans les imaginations le goût des
plaisirs champêtres, en révélant les beautés
naturelles de la campagne. « Marcher à tra-
vers près et bois, en devisant, quel plus grand
et plus noble plaisir ! » s'écriera une femme de
1. Les Nîmois, etc., op. cit.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 309
la Cour. Et c'est là comme un mot d'ordre.
« Je remplis mes loisirs par des promenades
journalières à ma campagne, mande M. de
Montfort, malgré le grand mais beau froid
que nous subissons*. » D'ordinaire c'est avant
le dîner que l'on s'en va ainsi par les champs.
Madame de Sévigné, elle, ne sortait guère
de son parc. Mais elle n'avait pas prévu Rous-
seau!... Au xviii* siècle, on ne se contente
plus des allées ombreuses et bien sablées des
jardins ; il faut de plus larges espaces et des
horizons plus vastes. Il est de bon ton d'em-
mener ses invités goûter dans une ferme du
voisinage, de s'y abreuver de lait pur en man-
geant du pain noir. En été, les promenades
du soir sont fréquentes. Au clair de la lune
ou des étoiles, toute la compagnie s'en va par
les chemins, par les sentiers, vers quelque
ruisseau ou quelque clairière. Là, on s'assied
un instant ; on cause ; si la nuit est lumineuse,
un petit colin-maillard est tôt improvisé. La
jeunesse y trouve son compte, et parfois aussi
les personnes plus âgées-...
1. M. de Montfort à M. de Longevialle, 20 février 1782.
2. Cf. Mémoires de madame d'Hovdetot, de madame Cam-
pait, etc.
310 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Car le colin-maillard est resté au nombre
des plaisirs les plus appréciés, comme la
guerre-pampan, la descamp ation, la main-
chaude, et, pour les jambes de vingt ans, les
parties de cache-cache. Celles-ci, favorisées
par la disposition des lieux, sont interminables.
Tous ces châteaux, ces vieilles maisons bour-
geoises, tant à la ville qu'à la campagne, ren-
ferment une quantité de petits réduits obscurs,
d'alcôves fort bien dissimulées, des greniers
immenses, des tourelles depuis longtemps
abandonnées, où l'on se blottit avec un déli-
cieux frisson de terreur, et qui facilitent -singu-
lièrement ces sortes d'amusements. Louis XIV,
qui dans sa jeunesse aimait beaucoup ce jeu,
« se cacha si bien, un jour qu'il était chez le
maréchal du Plessis, qu'on ne le put trouver.
Il s'était fourré dans le portemanteau du ma-
réchal*. »
Voici venir une mode nouvelle, celle des
petits jeux, qui a si fort sévi depuis. Les bouts-
rimés, les devinettes, les charades, tous ces
passe-temps un peu puérils et souvent pré-
tentieux sont très en honneur. A cette mode
1, Mémoires inédits de M. Johannyn.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 311
se joint celle des portraits, dont on a hérité le
goût du xvii^ siècle. Les mémoires du temps
nous en ont conservé quelques-uns qui sont
charmants, pleins de finesse, de grâce mali-
cieuse, et qui devaient être ressemblants. Cer-
tains, signés de madame du Deffand, du
prince de Ligne, du président Hénault, de-
meurent célèbres. Les personnages les plus
graves ne dédaignaient pas ce divertissement,
à commencer par Montesquieu, qui trempait
sa plume habituée à des exercices plus sévères,
dans de l'encre passablement galante pour
tracer un joli portrait de madame de Mire-
poix.
De la cour, où elle faisait les ravages que
l'on sait, la manie du jeu avait dès longtemps
gagné la pro\T[nce et les campagnes. Je ne
m'appesantirai pas sur ce sujet déjà traité
ailleurs K Parmi les jeux de société les plus
usités alors, citons le whist, que M. de Mont-
fort et beaucoup de provinciaux appellent le
« wouisk », et auquel il joue régulièrement
au retour de sa promenade, et l'Impériale,
en vogue surtout au xvii' siècle. En Viva-
1. Le$ Moeurs et la Vie privée d'autrefois.
312 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
rais, c'est le piquet que l'on préfère. Dans
certaines maisons, on le joue dès le mâtiné
Le trictrac a aussi ses partisans parmi les
gens qui n'aiment point les cartes. Mais, le
plus souvent, tandis que les hommes se livrent
à ces distractions diverses, les femmes occu-
pent leurs loisirs d'une façon plus utile. La
broderie, la tapisserie ne chôment point. La
tapisserie était poussée jusqu'à devenir un art.
D'illustres exemples encourageaient les dames
à ce genre de travaux. La tapisserie de
Bayeux représentant les victoires de Guil-
laume le Conquérant n'était-elle pas l'œuvre
de sa femme Mathilde? La cathédrale de Mi-
lan ne possédait-elle pas un portrait de saint
Charles-Borromée fait en tapisserie par une
femme nommée Peregrina? Miss Moret
n'avait-elle pas décoré de ses mains la cathé-
drale d'York ? Lady Knowl n'avait-elle pas fait
le portrait du roi d'Angleterre en broderie et
ne connaissait-on point, au moins par ouï-
dire, le superbe lit en tapisserie, voilé d'or
et de petites perles fines, exécuté par madame
de Maintenon elle-même? De tout temps, en
1. Essai sur la noblesse vivaraise.
LES MAÎTRESSES DE MAISON' 313
France, les femmes avaient excellé dans la
confection des menus ouvrages de broderie*,
lacs, écharpes, manches, ceintures. « Parfois
elles entremelaient.de leurs cheveux dans les
broderies de ces précieuses parures. En gage
d'affection, elles donnaient souvent à leur
ami une manche brodée, que celui-ci portait
en souvenir de sa belle ^. » Beaucoup moins
compréhensible fut la mode du parfilage. Cela
consistait à séparer l'or de la soie des galons,
vieilles épaulettes d'or, vieux nœuds d'épée,
que l'on demandait à tous les hommes de sa
connaissance. On le vendait à son profit. Aux
étrennes, on recevait des bobines d'or ou de
petits meubles couverts d'or, que de même
on parfilait et vendait. Le duc de Lauzun
donne à une dame de la société une fausse
harpe de grandeur naturelle toute recouverte
d'or de bobines. Une habile parfileuse pouvait
gagner communément à cet étrange métier
cent louis par an. Madame de Genlis se vante
d'avoir contribué à faire tomber cette mode
1. Les hommes faisaient aussi de la tapisserie. Beaucoup
de vieux gentilshommes un peu perclus, s'efforçaient d'ou-
blier la chasse et le cheval en brodant un petit point.
2. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné du mobilier fran-
çais,
18
314 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
qu'elle qualifie d'extravagante et de très ignoble,
ce qui est peut-être exagéré*.
Chacun éprouvait, plus profondément qu'au-
jourd'hui, la nécessité de se distraire dans son
intérieur, d'où l'on ne sortait ni aussi fré-
quemment, ni avec autant de facilité qu'on le
fait à présent. Les grands seigneurs partageaient
bien leur temps entre la cour et leurs châteaux;
beaucoup de gens aisés avaient maison à la
ville et maison aux champs. Mais les châtelains,
en grande majorité, passaient toute l'année
dans leurs manoirs. S'il arrive au maître de
céans d'être dans l'obligation d'effectuer cer-
tains déplacements rendus indispensables par
les convenances mondaines ou ses affaires, il
part seul. Sa femme reste au logis avec les
enfants et les domestiques, poursuivant sans
relâche sa besogne féconde. A part les visites
qu'elle fait dans son voisinage immédiat^,
quelques parties de campagne organisées dans
1, Les Étiquettes de la cour, op. cit.
2. La vie de société avait commencé de bonne heure
en France. J'ai lu quelque part qu'en Vivarais, elle ne se
développa qu'au xviii» siècle. Il se peut, les communica-
tions étant particulièrement difficiles dans cette région
montagneuse. Partout ailleurs, elle me paraît avoir été très
intense dès le milieu du xvi* siècle, en tout cas, au xvii*.
Cf. Usages et mœurs d'autrefois. (Calraann-Lévy, édit.).
LES MAÎTRESSES DE MAISON' 315
les environs, de petits séjours chez des amis ou
parents point trop éloignés, elle ne perd point
son temps en voyages inutiles. Par exemple,
on va volontiers vendanger les uns chez les
autres. C'est alors grande fête. Le soir venu,
maîtres et serviteurs dansent sur l'herbe en
commun, au son d'un violon ou d'une corne-
muse. La bonhomie des siècles passés s'accom-
modait aisément de ces plaisirs rustiques, et
les divertissements populaires effarouchaient
d'autant moins les gens du monde qu'ils en
prenaient leur part. Ainsi le carnaval avait-il
une importance qu'il est loin d'avoir conservée.
Avec les jours de marché S c'était une des
occasions clairsemées où les gentilshommes
campagnards allaient passer quelques jours à
la ville.
Dès le règne de Louis, XV cependant,
l'habitude se généralisa d'y avoir un apparte-
ment et de s'y installer pendant toute cette
période^. « J'ai passé l'hiver à Lyon, au milieu
des plaisirs du carnaval, écrira madame de La
1. Lettres de M. de Lenferna à M. de Longevialle, 19 fé-
vrier 1779 (Arch. de Vaurenard) et de madame de Fran-
quières à madame Cholier (1768).
2. Correspondance La RoUière. (CoUect. part.)
316 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Valette, je n'y ai participé que rarement, mon
goût me portant à préférer les livres, le coin
de mon feu et mes ouvrages de broderie au
brouhaha des fêtes, mais toutes nos dames s'en
sont donné à cœur joie*. » A Draguignan, il y
a des bals tous les jours avant le carême. « C'est
la mode en Provence de se masquer en chauve-
souris simplement avec un drap de lit et de
courir les bals pour donner des cassades, c'est-
à-dire, que sous ce déguisement, il est admis
de se dire à l'oreille aux hommes et aux femmes
tout ce qu'on sait de leur vie sans qu'il soit
permis de se fâcher*. » Le révolution avait
coupé court à des réjouissances vers lesquelles
personne ne se sentait plus attiré. Mais à peine
l'ordre rétabli, le carnaval reprenait toute sa
splendeur bruyante. D'une lettre datée de 1803,
il ressort qu'à Grenoble et dans d'autres villes,
le vieil usage n'avait pas tardé à reparaître.
« Si l'on a été pendant douze ans sans s'amuser,
on cherche ici à s'en dédommager aimablement
depuis deux ans. Nous avons eu des dîners,
soupers, et bals sans fin, mais ce qui n'avait
1. Madame de La ValeUo à sa sœur, 7 mars 1788. (Arch.
Cibeins.)
2. Mémoires Johannyn.
LES MAÎTRESSES DE MAISON 317
pas lieu avant la Révolution, dès le mercredi
des cendres, chacun a fermé sa porte et cherche
à se suffire à lui-même*. »
Au nombre des distractions des châteaux et
maisons de campagne, il serait injuste d'oublier
la lecture. Madame de Genlis, qui n'est pas
toujours tendre pour la vie privée des gens de
l'Ancien régime, dit quelque part : « Autrefois,
chez les princes et chez presque tous les parti-
culiers à la campagne, on se rassemblait après
le dîner (on dînait à deux heures) pour faire
une lecture tout haut avant l'heure de la pro-
menade. On lisait communément de bons
ouvrages, des pièces de théâtre, des voyages,
des livres d'histoire. Les lectures d'ouvrages
manuscrits étaient beaucoup plus fréquentes
qu'elles ne le sont aujourd'hui'. » Tandis que
les dames brodaient ou parfilaient, l'un des
hommes présents, d'ordinaire le maître de
maison faisait une lecture que l'on interrompait
parfois pour discuter avec passion tel passage,
telle idée, car l'esprit critique a toujours été vif
en France. Ainsi se passaient la plupart des
1. Madame de La Valette à la marquise de Harrenc,
3 mars 1803.
2. Les Étiquettes de la cour, op. cit.
18.
318 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
veillées chez madame de La Bruguière à Uzès,
chez madame de Ponchalon, où « en un hiver
on absorbe toutes les tragédies de Corneille »,
chez les Frénilly, chez les Franquières, qui
(( goûtent particulièrementles livres d'histoire »,
tandis que M. de Monteynard avoue « n'aimer
que les contes ». Une exquise maîtresse de
maison, la marquise de Harrenc, se plaint
(( que son mari fasse des lectures trop sévères
auxquelles ses amis et elle n'entendent point^ ».
Plus frivoles sont celles que l'ont fait le soir
chez le président de Brosses, et si frivoles
qu'elles effarouchent les dames. Quant aux
éternels Mémoires scientifiques que lit M. de
Montgaillard, ils sont si ennuyeux que « toute
la compagnie s'endort » et que « seule, la chape
que je brode me tient les yeux ouverts », avoue
ingénument madame de La Valette-. Je ne sais
si on lisait au château de Tournon, mais les
livres n'y manquaient pas. L'inventaire delG17
en mentionne plus de 1.500, dont les œuvres
de Virgile magnifiquement gainées de velours
1. Madame de Harrenc à madame de La Valette, 17 mars
1778.
.2. Madame de La Valette à madame Franquières, août 1782.
(Gollect. part.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 319
rouge cramoisi avec deux agrafes d'argent*.
En une seule année, M. de Vougy achète
environ 500 volumes, tant de mathématiques
que d'histoire, pièces de théâtre et romans-.
Les lectures en commun aidaient fort heu-
reusement, quand elles n'étaient pas aussi
ennuyeuses que ceUe que faisait M. de Mont-
gaillard, à faire passer les heures qui précé-
daient le dîner et celles plus longues encore
de la soirée. Car cette vie de campagne, si
remplie, si dignement et si sagement distribuée
qu'elle soit, ne va pas, bien entendu, sans
quelque monotonie. Peu propices à l'épanouis-
sement de la sociabilité, nos chemins de fer,
nos automobiles l'ont pourtant favorisée, en un
sens, puisque ces moyens de transport rapides
et faciles permettent d'accroître le cercle de nos
relations et leur fait gagner en étendue ce
qu'elles perdent en profondeur. Jadis, dans la
mauvaise saison principalement, ou lorsqu'on
habitait des régions reculées, il fallait vivre
beaucoup en soi. Les distractions du dehors
étaient peu nombreuses, et leur écho même ne
parvenait pas toujours jusqu'à la maison ou au
i. Inventaire du château de Tournon, 1617.
2. Notes sur la famille de Vougy, op. cit.
320 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
château isolé. Aussi le moindre petit événement
imprévu était-il accueilli avec joie. Du haut de
la terrasse d'une propriété près de Tullins,
voici qu'un beau jour on aperçoit tout un
cortège qui s'avance sur la route. C'est le duc
de Glocester avec son épouse, force dames,
femmes de chambre, pages, enfin toute sa
maison. « Il y avait quatre diligences à six
chevaux et courriers en avant, raconte M. de
Marzin. Comme le duc était à pied, dans la
descente de Tullins, je l'entendis parler anglais
avec son fils qu'il tenait par la main. C'est un
homme de quarante-quatre ans, très grand. Il
est lourd, d'une taille assez robuste. A son
chapeau, la cocarde noire qu'il avait mis sur
une bonette. Un habit d'écarlate avec de petits
boutons d'or, des bas blancs et des bottines. Sa
façon est de se tenir toujours sur le siège du
cocher avec son fils pour admirer le pays. Il
était six heures du soir et allait coucher à Gre-
noble*. » Une telle aubaine suffisait à alimenter
la correspondance pour plusieurs semaines et
la conversation pour plusieurs soirées...
Ainsi s'écoulait lentement la vie paisible dans
1. Lettre de M. de Marzin au marquis de Tournon, 1780.
(Arcli. du Vergier.)
LES MAÎTRESSES DE MAISON 32i
les gentilhommières, les châteaux, les maisons
bourgeoises. Au milieu de celte existence uni-
forme et un peu austère, la maîtresse de maison
nous apparaît non pas, ainsi qu'on Ta trop dit,
comme une ménagère uniquement occupée des
soins matériels et de la surveillance de la
domesticité, mais comme la véritable souve-
raine du logis, et, en tout cas, comme la colla-
boratrice assidue et intime du chef de la famille.
Son rôle, qu'il ne faut pas rapetisser, était de
ceux qui honorent la femme car, s'il descendait
jusqu'aux menus détails de la surveillance
intérieure, il se haussait aussi à la direction
générale de la fortune, à toutes les décisions
qui intéressaient l'avenir des enfants, et, par là,
celui de la race. Autant qu'aujourd'hui, du
moins d'une manière plus sensible et plus effi-
cace, elle avait sa part dans le gouvernement
de cette petite nation en miniature que consti-
tuait la famille, telle qu'on la concevait autre-
fois. De ce qu'elle confectionnait parfois elle-
même des pâtisseries ou aidait à tremper la
lessive, la maîtresse de maison ne se trouvait
pas diminuée aux yeux du monde non plus
qu'aux siens propres. Les côtés un peu mes-
quins et vulgaires de la tâche qu'elle assumait
322 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
disparaissaient derrière la noble et haute mis-
sion sociale que cette tâche même comportait.
La maîtresse de maison d'autrefois comprenait
ses devoirs autrement que les mères de famille
actuelles, ce qui ne veut pas dire d'ailleurs que
celles-ci l'entendent mal. L'avenir seul pourra
décider qui avait raison, de nos femmes mo-
dernes, toutes plus ou moins éprises d'émanci-
pation, avides d'égalité entre les sexes, jalouses
d'une autorité qu'elles préfèrent demander à la
loi comme si elles craignaient ne plus pouvoir
l'attendre de l'affection de leur mari, de la
tendresse et du respect de leurs enfants, ou de
nos grand'mères qui, peu sensibles aux appa-
rences, savaient se créer de leurs propres mains,
sans bruit et sans fracas, au foyer familial, la
place qui leur était due.
Autres temps, autres mœurs, dira-t-on. Sans
doute. Il s'agirait seulement de savoir si les
nôtres sont meilleures et plus profitables à la
société en général, à la femme elle-même. Et
cela n'est pas bien sûr...
MAGICIENNES
ET
DISEUSES DE BONNE AVENTURE
Nulle curiosité n'est aussi enracinée au cœur
de l'homme que celle qui le pousse à connaître
son destin. Nulle, il faut le dire, ne paraît plus
naturelle et, en quelque sorte, plus légitime.
La soif de savoir dévore l'humanité. Devant le
mystère de l'avenir, l'homme, pauvre et frêle
chose, aie sentiment très net de sa faiblesse et
de son impuissance. En face de la nuit pro-
fonde qu'est pour lui ce simple mot : demain,
l'être le mieux constitué moralement comprend
tout à coup l'inanité de son effort, la vanité de
ses desseins, l'effroyable incertitude du sort
324 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
qui attend ses actes les plus réfléchis, ses com-
binaisons les plus savamment ourdies. Une
angoisse l'étreint dont l'objet n'est rien de
moins que sa vie même. Delà son désir furieux
de percer le voile qui lui dérobe l'horizon, d'ar-
racher ses secrets à la nature et de la violenter
jusqu'à lui faire avouer les arrêts de sa des-
tinée, afin d'en pouvoir diriger le cours. Sous
l'influence de désirs impérieux qu'aucun raison-
nement, aucun calcul, aucune science humaine
n'a su et ne saurait satisfaire, l'esprit humain
s'est instinctivement senti attiré par le mer-
veilleux, seul capable, pensait-il, de lui divul-
guer la troublante et éternelle énigme.
Un tel penchant, outre qu'il plongeait
l'homme dans un abîme de préjugés et de
superstitions, présentait pour lui un autre dan-
ger encore. Il était inévitable, en effet, que
cette crainte de l'avenir, mêlée à celte passion
de le connaître, le mettait à la merci de tous
ceux qui, par cupidité, par intérêt ou par am-
bition, auraient la volonté, l'adresse la possibi-
lité de les exploiter à ses dépens.
La curiosité humaine et les forces surnaturelles. —
Sciences occultes. — La superstition chez les anciens.
— Transmission des rites. — Les rebouteux. — Nos
Parisiennes et les paysannes de l'an mille. — Per-
sistance de la superstition. — Intervention du diable.
— Sorcières et hystériques. — Les belles dames
du xvii^ siècle. — Les esprits. — Jusqu'à la fin du
xviii^ siècle, on voit le diable partout. — Une fille
de joie qui porte la bannière à la guerre. — La bé-
guine de Nivelles. — L'Écossais Le More. — Peines
édictées contre les sorciers. — Les papes soupçonnés
de sorcellerie. — Un évêque qui consulte les devins.
Qu'il s'agisse de magnétisme, de sorcellerie,
d'astrologie ou d'art divinatoire, on retrouve à
l'origine de ces sciences ^ le même principe, qui
1. Ce mot ne saurait évidemment être pris ici dans son
sens rigoureux et précis.
19
326 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
est l'intervention d'une force surnaturelle mise
au service de la curiosité humaine, le même
but, qui est de satisfaire à cette curiosité. Si
toutes ces sciences (et tant d'autres qu'il serait
superflu d'énumérer quant à présent) sont fort
différentes par leurs procédés, leurs lois, le
plus ou moins de solidité de leur base, — et
par leurs prétentions ; si les unes ont dérivé
vers le charlatanisme pur tandis que d'autres, au
moyen de transformations successives, ont peu
à peu quitté les régions de l'occulte pour se
rapprocher des doctrines scientifiques considé-
rées comme rationnelles, il n'en reste pas
moins que leur origine est commune, qu'elles
sont vieilles comme le monde, et très probable-
ment nées avec lui, car l'homme sitôt qu'il fut
créé dut éprouver avec le besoin de savoir
pourquoi il existait, l'àpre tentation de prévoir
son destin. De suite, il chercha, et ne trouvant
pas la réponse dans son propre raisonnement,
il l'alla demander à ceux qu'iljugeait plus aptes
que lui à le lui apprendre.
Ne nous attardons pas dans ces périodes
lointaines; ne nous noyons pas dans le déluge.
Bornons-nous simplement à constater que les
sciences occultes, dont celle qui consistait à
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 327
prédire l'avenir, étaient connues de tous les
peuples anciens, aussi loin qu'on puisse remon-
ter dans l'histoire des âges. Les procédés des
magiciens, sorciers et devins, paraissent
n'avoir pas changé depuis la préhistoire.
Philtres, breuvages magiques, rubans, ba-
guettes, conjurations de toutes sortes, s'em-
ployaient déjà chez les vieilles races Ghamites
et Touraniennes habitant la Chaldée avant les
Assyriens classiques ' On sait tout le parti que
les prêtres égyptiens tiraient des croyances po-
pulaires et comme ils s'entendaient à rendre des
oracles. Que dire de la Grèce qui ne soit
connu? La Pythie de Delphes n'a-t-elle fait
l'objet de longues et patientes études? Les
Grecs ne font un pas ni n'accomplissent un
acte, même de très minime importance, sans
consulter les dieux par l'intermédiaire de
prêtres ou de devins. Il en est de même à
Rome. Soit que l'on y demande le secret de
l'avenir aux entrailles fumantes des animaux
et que l'on s'adresse aux augures, soit que,
comme les matrones opulentes, on fasse venir
à grands frais du fond des Indes ou de la
1. Th. de Gauzons, La sorcellerie en France.
328 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Phrygie des devins versés dans la connaissance
des influences sidérales, soit que l'on se con-
tente de faire le tour du cirque avant de livrer
ses mains et son visage aux sybilles édentées
et haillonneuses de SuburreS c'est toujours au
merveilleux que l'on sacrifie ; c'est toujours
l'intervention d'une puissance extra-terrestre
dont on implore le secours.
11 se peut qu'en soi, la sorcellerie (le mot
sorcier n'apparaît qu'au vi* siècle d'ailleurs^,
et finit par se confondre avec celui de devin),
soit assez différente de la magie qui consiste
surtout dans l'art de faire des prodiges à
l'aide du démon ou de quelque autre force sur-
naturelle. Le peuple, en tout cas, ne se don-
nait guère la peine d'établir une ligne de dé-
marcation entre ceci et cela. Ces distinctions
subtiles lui échappaient — et lui échappent
encore complètement. Devins, sorciers, nécro-
mants, magiciens ou enchanteurs lui semblaient
gens de même espèce et de même confrérie.
Tous étaient à ses yeux des personnages un
peu mystérieux, un peu inquiétants et somme
toute redoutables, en communication directe
1. La sorcellerie en France, op. cit.
2. De sourcier ou découvreur de sources.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 329
avec les dieux, pensait-on dans l'antiquité,
avec le diable, affirmera le Moyen âge.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux que la
magie et l'art divinatoire ont précédé de beau-
coup l'établissement du christianisme. La reli-
gion victorieuse les reçut en legs du paga-
nisme à son déclin.
Mais comment expliquer cette transmission
de rites bizarres et de croyances étranges?
Pour peu qu'on y réfléchisse, on ne manquera
pas d'être frappé, non moins que de la péren-
nité de certaines superstitions grossières, par
la ressemblance entre les procédés qu'em-
ployaient les mages et les devins anciens et
ceux encore en usage aujourd'hui dans le
monde des charlatans, diseuses de bonne aven-
tures et sorciers, car il ne faudrait pas croire
que ces derniers aient complètement disparu,
ni qu'en bien des campagnes, ils n'exercent
une influence dont il est malaisé de mesurer
l'importance exacte. N'oublions pas que rien
ne se transmet mieux ici-bas et de façon plus
sûre que les choses secrètes. Pense-t-on que
les rites et formules de la Maçonnerie par
exemple se fussent perpétués parmi les adhé-
rents de cette secte avec autant de précision et
330 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
dans une intégralité aussi parfaite, s'ils eussent
été pratiqués à découvert? Or, les sorciers dans
l'antiquité constituaient une caste fermée, dans
laquelle on n'était admis qu'après un stage,
caste ou si l'on veut, école, où de générations
en générations, se passaient les formules et les
secrets propres à faire impression sur les non-
initiés. C'est donc par la tradition très proba-
blement que sont venus jusqu'à nous la plu-
part des paroles et des gestes dont les magi-
ciens et prophètes se servent encore de nos
jours. Ceci est surtout sensible en ce qui con-
cerne les rebouteux.
Tous vaguement sorciers à l'occasion, ils
emploient volontiers des mots obscurs, bizar-
rement déformés, qu'ils utilisent religieuse-
ment, bien que le sens leur en échappe désor-
mais. Ainsi marmottent-ils : Coride7n,Nardac,
Haviem, Dagon, sans se douter que ce sont là
des lanbeaux d'incantations druidiques ou gau-
loises. Ainsi, ne manqueront-ils pas non plus,
lorsqu'il s'agit de guérir les foulures ou les
entorses des chevaux, de prononcer tout bas :
(( Otay de Satay, suralay, AvaldelK »
1. E. Gilbert, Sorciers et magiciens.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 33i
Ils seraient bien empêchés les pauvres diables
de vous dire pourquoi ! A un degré moindre,
peut-être, mais de façon évidente cependant,
nos somnambules et chiromanciennes ont con-
servé précieusement une partie du bagage
pseudo-scientiûque et du fatras de langage
chers à leurs devanciers et devancières de la
Renaissance, sinon de l'antiquité. Un tel résul-
tat peut-il être attribué à la seule vitalité de la
tradition? On me permettra de n'en rien croire.
Si les magiciens contemporains utilisent des
moyens fort analogues à ceux q^u'employaient
les devins médiévaux, ne serait-ce pas surtout
qu'ils ont trouvé instinctivement des méthodes
propres à satisfaire une clientèle qui, bien
qu'il y paraisse, ne présente en somme aucune
différence notable avec la clientèle moyen-
âgeuse. Xe vous récriez point. La petite Pari-
sienne, habituée des five-o' cloks ultra-chics,
toute imprégnée d'un joli modernisme, pou-
drerizée de scepticisme élégant, rieuse, frou-
froutante, un peu intellectuelle aussi, comme
il convient, très sûre d'elle-même, religieuse,
oui, sans doute dans le fond, mais pas bigote
pour deux sous, cette petite Parisienne qui s'en
va chaque mois ou chaque semaine consulter
332 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
madame X ou madame Z, les célèbres voyantes y
dans les somptueux appartements où celles-ci
rendent leurs oracles, a exactement la même
mentalité, est dans le même état d'âme que la
paysanne de l'an mille qui tendait sa main effa-
rouchée à quelque bohémienne traversant le
village.
Oui, à des nuances près, que nous indique-
rons tout à l'heure, la clientèle des sorcières
barbues de jadis ou celle des pythonisses mo-
dernes, c'est la même. Un sentiment identique
les anime, la foi. Cette croyance commune qui
les rapproche — si éloignées qu'elles puissent
paraître l'une de l'autre — suffît à les faire
semblables.
La persistance des superstitions, et notam-
ment de la confiance dans les devins et devine-
resses n'est pas pour surprendre. Le chris-
tianisme ne pouvait les faire disparaître. En
apportant à la nouvelle société religieuse leurs
personnes, les masses populaires lui apportaient
en même temps leurs tendances à des
croyances matérialisées, leur goût des rites,
leur amour des images. Le peuple ne pouvait
sauter brusquement du panthéisme au mono-
théisme. S'il acceptait la notion d'un dieu
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 333
unique, notion si conlraire à sa mentalité et à
ses habitudes, au moins lui fallait-il comme des
intermédiaires entre Dieu et lui, toute une série
de demi-dieux avec qui il se sentît plus à l'aise
et à qui il pût s'adresser avec une confiance
moins troublée. Le culte de la madone, au début
de l'ère chrétienne, ne fit que remplacer, pour le
peuple, le culte de Vesta, de Cérès ou de Diane.
Les lampes allumées devant une image lui rap-
pelaient celles qui brillaient devant ses dieux
lares, et il attribua d'autant plus facilement à
chaque saint une vertu particulière qu'il était
accoutumé à implorer la protection de Mercure,
de Vulcain ou de Mars, selon les circonstances
de la vie.
Conservant ainsi, à peine transformées, ses
usages païens, à plus forte raison se débarras-
sait-il difficilement de sa crédulité dans les pro-
phéties, les augures, dans tout ce qu'il pensait
être capable de lui révéler quelque chose de
son destin.
Si tout ceci explique que la sorcellerie ait
résisté à la guerre que l'Église lui avait déclaré
dès le début du christianisme, cela ne suffît
pas à justifier sa recrudescence formidable au
Moyen âge.
19.
334 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Les Croisades sont ici la grande coupable.
Dans ce pêle-mêle tumultueux où tant de races
se pénétraient pour la première fois, un échange
de mœurs et d'idées devait fatalement se pro-
duire. Les peuples du nord apportaient à ceux
du sud leurs légendes nébuleuses; ceux du sud
communiquaient aux peuples du nord leur goût
pour les fables et la mythologie latine, et tous,
au contact des peuples d'Orient apprenaient à
connaître d'autres légendes plus étranges en-
core, venues du fond de la Perse ou de l'Inde,
dont le mystère et la fantastique obscurité
étaient pour eux pleins d'attrait.
Comprend-on à quel point cet amas de tra-
ditions, de récits et de contes amalgamés avec
des superstitions de tout genre, des bribes de
sciences médicales et de charlatanisme toura-
nien, des formules inconnues, déconcertantes,
des symboles impénétrables, devait frapper les
imaginations déjà surexcitées par les fatigues,
la souffrance, les combats?
Enfin, ne l'oublions pas, si, de tout temps,
on s'était efforcé de se concilier les bonnes
grâces des esprits mauvais, et de les apaiser
au moyen de sacrifices ou d'offrandes ; si de
tout temps, la crédulité publique s'était laissé
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 333
influencer par la peur des calamités que pou-
vait répandre sur la terre la colère des divi-
nités sinistres, davantage que par l'attente des
bienfaits qu'il y avait à espérer des dieux favo-
rables ; si, devins, magiciens et enchanteurs
semblaient se prévaloir de relations plus
directes avec ces dieux malfaisants, il n'en
reste pas moins vrai que l'antiquité ne s'adresse
pas spécialement à eux pour obtenir des
faveurs, ni pour demander des oracles, ni
pour solliciter des actes miraculeux. En syn-
thétisant l'esprit du mal dans le démon, en
faisant de cet ange déchu l'ennemi personnel
de Dieu, en lui accordant le génie de l'astuce,
de la ruse, une habileté infernale, une puis
sance sinon divine certes, mais formidable
encore et dépassant tout ce que l'imagination
humaine peut concevoir, en concrétant sa
figure aux yeux des foules, l'Eglise désignait
elle-même le diable comme la seule force
capable d'entrer en lutte avec Dieu, consé-
quemment comme la seule à laquelle il con-
vînt d'avoir recours sitôt que l'on voulait
connaître le secret ou quelque chose du secret
qu'il ne plait point à Dieu de révéler. Et je
me garde de prétendre que le diable tel que le
336 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
conçoit l'Eglise catholique n'est point vraiment
le diable, ni même qu'il soit possible de le
concevoir autrement; tout ce que je veux faire
saisir, c'est le parti que les sciences occultes
avaient l'occasion de tirer de ce personnage
déchu de sa divinité, mais non de sa puissance
et qu'elles en tirèrent en effet.
Le diable, a-t-on dit, c'est toute la sorcel-
lerie. Voici qui est parfaitement vrai, à condi-
tion de s'entendre. L'intervention du diable
dans les opérations de magie, de sorcellerie,
d'envoûtement, de divination est excessivement
rare, si tant est qu'elle se produise jamais. La
grande, la profonde erreur du Moyen âge et
des siècles qui ont suivi, a été précisément de
voir des diableries là où la folie, l'hystérie, les
maladies nerveuses, des phénomènes naturels
encore ignorés ou de simples jongleries et
charlatanismes étaient en jeu. Les sorciers
et sorcières qui furent brûlés par la main du
bourreau n'étaient sans doute, pour la plupart,
que des malades ou des imposteurs. Une jus-
tice moins hâtive et plus éclairée se fût con-
tentée de condamner les uns pour filouterie,
et de mettre les autres à l'hôpital. A vrai dire,
beaucoup d'entre eux étaient de tristes indi-
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 337
vidus, dont la conscience était passablement
chargée et qui mêlaient à leurs pratiques habi-
tuelles diverses industries tout à fait propres
à leur mériter la potence. Mais, en revanche,
les gens qui s'adressaient à ces sorciers, magi-
ciens et devins les croyaient en bons rapports
avec le diable. Ils ne leur attribuaient un pou-
voir extraordinaire qu'en raison même de cette
circonstance et le diable seul, à leurs yeux,
avait une puissance assez considérable pour
accorder les faveurs (révélation d'avenir, sup-
pression d'ennemis, mort d'un rival ou encore
la richesse, ou encore et surtout l'amour d'un
être désiré et chéri), faveurs que l'on n'osait
demander à Dieu, soit parce que l'on avait le
sentiment que l'on ne pouvait solliciter de lui
des choses contraires aux lois divines, soit
parce que l'on éprouvait de la timidité à
recourir à lui, soit enfin parce que l'on esti-
mait le diable plus fort que Dieu lui-même ou
plus compatissant aux désirs, aux haines, aux
passions des humains. Voici en quoi et dans
quelle mesure il est exact de dire que le diable
est au fond de toute sorcellerie. Il n'y est point
mais on l'y cherche.
"Vraie pour le Moyen âge, cette observation
338 FILLES ISOBLES ET MACxICIENNES
l'est aussi pour les autres périodes de l'his-
toire. Au fond, les belles dames qui venaient
chez la Voisin comme celles qui, bien des
années plus tard, se fiaient aux prophéties de
Cagliostro, et pas seulement les femmes, mais
les hommes, et parmi ces derniers, les moins
croyants, un Richelieu, un Choiseul, même
s'ils ne l'avouent pas, dans toutes ces sorcelle-
ries, magies, conjurations, cherchent le diable,
espèrent en son intervention, demeurent con-
vaincus de sa présence. C'est le diable qu'ils
veulent voir, à qui ils veulent parler; c'est le
diable dont ils attendent le succès de leurs
démarches auprès de la sorcière, du devin, du
nécromant.
Superstition, dira-t-on, superstition ridicule I
Il se peut. Singulièrement persistante, en tout
cas. Car, si par une sorte de fausse honte et
d'étrange scrupule, les générations actuelles
qui se flattent volontiers d'athéisme ou de
libre-pensée, mais qui davantage encore tien-
nent à se parer d'un scepticisme élégant, rou-
gissent d'avoir affaire au diable, comme de
simples bigots du Moyen âge, refusent de
croire à son intervention dans les opérations de
magie, de sorcellerie ou de spiritisme, et la rem-
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 339
placent par l'intervention des esprits, elles ne
changent rien au principe. Ce principe reste le
même. Qu'il s'agisse du diable ou des esprits,
n'est-ce pas toujours aux forces supra-terrestres
qu'on a recours? N'est-ce pas en elles qu'on
espère? En quoi, je vous prie, la superstition
est-elle moindre?...
De cette digression, un peu longue peut-être,
il ressortira que, jusqu'à la fin du xviii* siècle,
on ne concevait guère la sorcellerie, voire
la divination sans que le démon s'y mêlât*.
Ceci n'empêchait point, bien au contraire,
la foule de se précipiter dans les antres des
sorcières, les grands seigneurs d'avoir leurs
magiciens attitrés, les rois d'ajouter foi aux
prédictions des astrologues. La confiance dans
les prophéties est presque incroyable. Durant
les guerres de Flandre, les Flamands avaient
choisi pour porter leur bannière une devine-
resse, fille de mauvaise vie, qui leur avait
annoncé que la victoire serait à eux, si elle
« tirait le premier sang aux Français » ; le mal-
1. Cf., à ce sujet, Traite sur les apparitions des esprits,
par le R. P. Calmet, abbé de Senons, 2. vol. 1741, elTrailé
hist. et dogmatique sur les apparitions, par Lenglet-Dufres-
noy, 2 vol.; 1741.
340 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
heur ayant voulu qu'elle soit tuée au début de
l'action, les Flamands aussitôt, découragés, de
s'enfuir, convaincus que désormais ils ne peu-
vent plus vaincre ^ Si Philippe le Hardi veut
découvrir l'assassin du roi Louis ou du moins
ceux qui l'on fait mourir, à qui s'adresse-t-il?
A une béguine de Nivelles qui avait la réputa-
tion d'être prophétesse et magicienne, et il
la fait interroger par des abbés et des évê-
ques^.
Comme si les sorciers de France ne suffi-
saient pas, on va jusqu'en Ecosse en consulter
un qui jouit d'une grande réputation et qu'on
connaît sous le nom de More ^ Jamais les
magiciens ne prirent une pareille importance.
On en fait venir au chevet des rois malades.
J'ai conté ailleurs* ce qu'il advint d'Arnaud
Guillaume et de deux autres sorciers de
Dijon appelés auprès de Charles VI. Mais si
l'on a recours à eux dans tant de circons-
tances, ce n'est pas sans danger. Rigoureuses,
i. Baron de Barante, Histoire des ducs de Bourgogne,
t. 1, p. 254.
2. Dulaure, Histoire de Paris.
3. Histoire des ducs de Bourgogne, op. cit., p. 325, t. II.
4. Les Mœurs et la Vie privée d'autrefois. (Galmann-Lévy,
édit.)
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 341
en effet, sont les peines édictées contre les sor-
ciers et autres magiciens et contre ceux qui
utilisent leurs services. Aussi est-ce une accu-
sation terrible que celle de sorcellerie. La
lancer à la légère contre quelqu'un équivaut à
commettre un crime, car c'est vouer un mal-
heureux à peu près sûrement au bûcher. On ne
se prive pourtant pas de le faire. Le rang ne
suffit pas toujours à vous en préserver. Le
comte d'Etampes faillit payer de sa tête l'accu-
sation d'avoir, par des sortilèges, fait mourir
Charles, comte de Charolais. Que dis-je? Les
papes eux mêmes sont soupçonnés : Benoît IX,
Jean XX, Boniface VII, Grégoire VII, tant est
grande la réputation des sorciers, la crainte
qu'ils inspirent et la manie d'en voir partout*.
S'il faut en croire divers documents, les prêtres
n'auraient pas été des derniers à consulter
devins et sorcières. Raymond Dupuy, sorcier
établi à Sorrèze vers 1260, n'avait pas de
meilleur client que Raymond du Falze de Mire-
mont, évêque de Toulouse-.
1. La sorcellerie en France, op. cit.
2. Monseigneur Douais, Documents pour servira Fhisloire
de r Inquisition dans le Languedoc. Introduction, 1. 1, p. 78,
II
Diverses branches de la sorcellerie. — L'art de prédire
l'avenir. — L'ornithomancie, la captotromancie, etc.,
etc. — La sorcellerie en Italie. — La célèbre Rodo-
gine. — Catherine de Médicis et Ruggieri. — Com-
ment l'Estoile traitait les devins. — h'Esptit de Mar-
guerite de Valois. — Nos rois et les astrologues. —
Brantôme satisfait. — Les bohémiens. — Nombreux
sorciers, mages et devins, en province, au Moyen
âge et au xvi« siècle. — La sorcellerie qu'on pense
avoir détruit renaît à chaque instant sous des formes
nouvelles. — Les almanachs. — Nostradamus. — Un
prophète incendiaire.
Le moment paraît venu d'indiquer ici briève-
ment quelques-unes des branches principales
de cet arbre colossa u' est la sorcellerie,
branches nombreuses, souvent d'apparences
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 343
très diverses, mais qui toutes appartiennent
bien au même tronc, participent à la même
sève. Nous ne nous attarderons pas aux alchi-
mistes et astrologues qui constituent une sorte
d'aristocratie dans le monde des sorciers. Qui
n'a entendu parler des rebouteux? Il en existe
aujourd'hui encore bon nombre dans nos cam-
pagnes, mais je dois dire qu'ils paraissent avoir
renoncé à toute opération de magie. Il n'en
allait pas de même autrefois. Tous ou presque
tous, loin de se contenter de pratiquer des
massages et de guérir les animaux, voire quel-
quefois les hommes, au moyen de simples et
de drogues souvent fort répugnants, se flat-
taient de faire connaître le diable à leurs cré-
dules clients et de leur attirer ses bonnes
grâces ou sa vengeance. Les jeteurs de sorts,
d'ordinaire aussi rebouteux de leur métier,
étaient à tort ou a raison jugés susceptibles de
faire mourir le bétail par leurs incantations, de
rendre les hommes impuissants, les femmes
stériles. Il ne serait pas malaisé, sans chercher
beaucoup, de découvrir en France, à l'heure
actuelle, des villages où les jeteurs de sort sont
redoutés à l'égal de ceux de jadis.* Aussi bien,
1. On trouvera de curieux détails sur les magiciens et
344 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
leur pouvoir ne s'arrêtait pas là. Ils savaient
faire retrouver les objets perdus, et compo-
saient des philtres d'amour dont on usait
sans ménagement. Venaient ensuite, si nous
laissons de côté les sorciers proprement dits
(mais ce serait là une classification purement
arbitraire, car, rebouteux, jeteurs de sorts, ou
alchimistes, comme d'ailleurs les magiciens
et devins, peuvent être catalogués sous la
dénomination générale de sorciers), venaient
ensuite, disais-je, les devins qu'on pourrait
aussi diviser en plusieurs catégories, selon les
pratiques auxquelles ils se livraient.
L'art de prédire l'avenir par les astres paraît
être la plus ancienne de ces pratiques. Il avait
pris naissance en Egypte probablement, car
c'est sur les données religieuses de ce pays
que les prêtres de Ghaldée essayèrent de déter-
miner les jours fastes et les jours néfastes et
d'établir une règle des relations possibles entre
l'évolution des astres et les destinées humaines*.
rebouteux de la .Corrèze, dans un article du Tour du
Monde (1883). L'envoûtement par « l'image reflétée » ou
par « le eœurde bœuf » sans compter la « consultation de
la braise » fleurissent dans ces régions tout comme au
Moyen âge.
1. La sorcellerie en France, op. cit.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 345
L'Ornithomancie, ou science des augures, si
vénérée à Rome, ne fit son apparition que
plus tard. A Rome aussi, mais davantage
encore durant le Moyen âge, on se prit à lire
l'avenir en fixant un objet brillant, miroir,
boule de métal, épée, ongle, acier, ivoire. Ces
méthodes de consultation et de divination,
appelées Captotromancie, Gristallomancie, Dac-
tylomancie, Onychomancie, etc., étaient comme
de juste, compliquées d'invocations et de for-
mules obscures. Que de façons de dire la bonne
aventure! Pardon... (Je n'ignore pas combien ce
terme vulgaire est tenu en piètre estime par
les personnes qui nous font l'honneur de nous
révéler notre destinée!) que de façons donc de
lire dans le secret de l'avenir! Les lignes de
la main, le marc de café (beaucoup moins dis-
tingué!), la cartomancie, ne sont rien auprès
des anciennes sciences qui ont nom : la Géo-
mancie, manière de connaître l'avenir au
moyen d'une poignée de terre ; l'Alfridarie,
espèce d'Astrologie, la Xylomancie, qui permet
de savoir son destin grâce à la figure des bois
rencontrés en chemin: l'Arithmancie, divina-
tion par les nombres, et la Pédomancie, et
l'Ingromancie et la Phyllorhodomancie, et la
346 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Pyromancie, et la Lychnomancie. Arrêtons-
nous, non sans avoir signalé pourtant à l'hono-
rable M. Bertillon, grand dénicheur de cou-
pables, rOculomancie, ou art « de découvrir
un larron suivant la manière dont il tourne les
yeux... »
Loin de diminuer, la fringale démoniaque ne
fait qu'augmenter et se développer au xv' et
au XV i" siècles. Louis XI donnait l'exemple de
la superstition la plus saugrenue. Et lui, si
fier, s'inclinait aisément devant les magiciens,
en raison des forces secrètes dont il les croyait
dépositaires'. La foi aux sorciers se fait plus
ardente et plus soumise chez les riches comme
chez les pauvres. Du degré de cette foi dépend
d'ailleurs le succès des opérations, la réussite
du sort... « Je vous guérirai de la fièvre quarte,
dit un savetier sorcier à un malade, en vous
touchant simplement, si vous avez confiance. »
« Fiez-vous à moi, ordonnera un sorcier de
Mirebeau à Charles des Gars, évêque de
Langres, et je vous enlèverai votre fièvre. »
Et l'évêque, ayant cru, fut guéri ^. Ceci est
important, si l'on considère que les religions
1. Sorciers et Magiciens, op. cit.
2. Bodin, Démonomanie,
DISEUSES DE BON>E AVENTURE 347
exigent également la foi du suppliant qui
souhaite de voir s'accomplir, un miracle en sa
faveur, plus important encore, si Ton veut bien
réfléchir que les médecins n'ignorent pas com-
bien la confiance d'un malade en leur science
et leur dévouement influe sur son rétablisse-
ment. M. de Cauzons n'a donc pas tort quand
il trouve une certaine analogie entre le prêtre,
le médecin et le sorcier*.
La France n'avait pas le privilège de posséder
des devins, pas plus que les Français n'avaient
le privilège de croire en eux.
De tout temps, la superstition avait été pro-
fonde en Espagne et en Italie. Mais la stréga,
sorcière italienne, est un peu différente de ses
émules du Nord. Chez elle, point de rêverie
hystérique. Elle exerce un métier et entend
qu'il soit fructueux. Son champ d'action est
vaste, mais les intrigues d'amour fournissent
le plus clair de sa moisson. C'est une agente
de plaisir, dira très justement M. Burchardt*.
De telles femmes, âpres au gain, ne reculent
devant aucune extrémité et l'empoisonnement
1. La sorcellerie en France, op. cit.
2. Burchardt, La civilisation en Italie au temps de la
Renaissance.
348 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
est leur péché mignon. Les clients ne les con-
sultent qu'avec une certaine terreur. Aussi
cherche-t-on à leur arracher tout ou partie de
leurs secrets pour opérer soi-même. Horace
avait déjà décrit les artifices empruntés aux
sciences magiques dont les courtisanes de son
temps se servaient pour accroître les charmes
de leurs personnes. Cette tradition ne se perdit
point, si l'on en juge par le Ragîonamente del
Zappino, qui nous apprend que les femmes
galantes au Moyen âge puisaient leur science
lubrique surtout dans la fréquentation des
sorcières juives qui possédaient des malie.
Arétin, qui paraît avoir beaucoup fréquenté ces
Juives, nous renseigne très exactement sur
leurs pratiques et énumère avec complaisance
les hideux objets que l'on trouvait réunis dans
leurs armoires : cheveux, crânes, côtes, dents,
vêtements volés dans les tombeaux et jusqu'à
des yeux de morts.
Auprès de ces sorcières, on voit Yincanta-
tore, le magicien, le conjurateur. La chiro-
mancie était aussi fort en vogue, principalement
parmi les soldats. Vers liM3, une chiroman-
cienne, Rodogine, de Ferrare, attirait tous les
grands de Lombardie, avides d'obtenir d'elle la
4
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 349
révélation de leur avenir. En revanche, les
Italiens s'accommodaient mal de l'astrologie,
dont les vagues et confuses théories n'étaient
pas pour plaire à leur esprit clair, épris de
netteté, ce qui n'empêchait pas bon nombre de
seigneurs et de princes de s'entourer d'astro-
logues et de ne prendre aucune décision sans
avoir recueilli leurs conseils.
Venant en France, Catherine de Médicis ne
se contentait pas d'apporter avec elle toutes les
superstitions de son pays; elle traînait dans ses
bagages quelques magiciens réputés, dont le
plus connu, Come Ruggieri, qui ne mourut
que fort âgé, en 161o, touchait encore à cette
époque du roi Louis XIII une pension de
3.000 livres.
Démêlera-t-on jamais le véritable caractère
de Catherine, femme remarquable à bien des
égards, singulièrement douée, dont la figure,
si elle écarte toute sympathie, reflète néan-
moins une grandeur tragique? Curieux mélange
de finesse et de brutalité, d'énergie et de
lâcheté, capable de dévouement comme des
plus basses trahisons, Catherine, éminemment
pratique, est pourtant rêveuse. Elle est ambi-
tieuse, cruelle et chaste. Elle poursuit son but
20
350 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
par des moyens dont la moralité et la légiti-
mité ne lui importent en aucune façon. Elle
travaille passionnément, sans relâche, à la
gloire, à l'unité d'un pays aux mœurs duquel
elle ne se pliera jamais, d'un pays dont elle ne
sera jamais, ni par le cœur, ni par l'esprit, ni
par les idées, car cette reine de France, qui
gouverne trois rois et sait au travers des évé-
nements les plus difficiles, les plus douloureux,
les plus effroyables, conserver le trône à ses
fils, restera toujours une Italienne, avec tous
les défauts, les préjugés, les vices de sa race.
Nul n'a déchiré le voile qui masque ce visage
énigmatique. Nul, sans doute, ne réussira à
descendre au fond de cette âme tourmentée et
violente, si ferme et pourtant si encline à
toutes les croyances les plus enfantines. Et
l'on en vient à se demander si elle était vrai-
ment confiante dans toutes ces manigances de
sorcellerie et d'astrologie ou si, au contraire,
elle ne paraissait s'y complaire que pour les
faire servir à ses desseins afin d'en mieux dis-
simuler la trame.
Que Catherine ait cru ou non à l'efficacité
des diableries de son astrologue en titre, il
n'importe. On est en droit de penser que si elle
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 351
ajoutait quelque foi à ses prédictions, c'était
seulement quand elle en avait elle-même pré-
paré soigneusement la réussite, et par des
moyens qui n'avaient rien à voir avec la magie.
Tout ce qu'il est permis de conclure de ses
rapports avec Ruggieri, c'est qu'elle utilisa ses
services, et qu'en diverses circonstances, il sut,
grâce à ses procédés équivoques, faciliter la
tâche qu'elle s'était donnée. Malgré qu'elle se
montrât impitoyable dans la poursuite des sor-
ciers, elle se garda bien de laisser jamais
toucher à son magicien, et, quand celui-ci est
régulièrement condamné aux galères pour
avoir fabriqué des figures de cire dans le but
de conquérir au seigneur de la Môle le cœur
de Marguerite de Valois, ou de faire mourir
Charles IX (on n'a jamais bien su au juste),
non seulement elle le soustrait à la prison,
mais encore elle lui accorde l'abbaye de Saint-
Mahé en Bretagne. Ceci est plus que suffisant
pour démontrer leur complicité'.
Ce Ruggieri était un gaillard qui avait fait sa
spécialité des envoûtements. Prédire l'avenir,
aider à trouver des trésors, bagatelles ! Amener
1. Histoire de Paris, op. cil.
352 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
une femme dans les bras de l'homme qui la
désire; supprimer un mari gênant; bâter une
succession qui tarde à venir; délivrer celui-ci
d'un ennemi redoutable, celui-là d'un affidé ou
d'un témoin dont la discrétion sera d'autant
mieux assurée qu'ils seront dans l'autre monde,
voilà de la besogne fructueuse, digne d'un
magicien !
Ils pullulent ces magiciens, au xvi* siècle.
L'Etoile, en parlant de l'un d'eux appelé
Miraille qui fut pendu en 1387, dit : « Du
temps de Charles IX, cette vermine était par-
venue à une telle impunité qu'il y en avait
jusqu'à trente mille à Paris, comme le con-
fessait leur chef en 1572*. » Je suppose que
ce chef exagérait un peu. Toutefois, il est hors
de doute que, de plus en plus, on prenait goût
en France aux choses de magie et que, de plus
en plus, on avait tendance à recourir aux
offices des sorciers et des sorcières. Cela tour-
nait à la monomanie, à une monomanie dan-
gereuse. Non seulement on consultait les de-
vins, mais beaucoup de gens, à force de fré-
quenter cette « vermine », finissaient par se
1. Journal de l'Étoile.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 353
croire eux-mêmes inspirés. Marguerite de
Valois se vantait d'être en communication avec
un esprit qui lui annonçait d'avance les évé-
nements fâcheux qu'elle avait à redouter.
« J'avouerai, écrit-elle dans ses Mémoires,
n'avoir jamais été proche de quelques signalés
accidents ou sinistres ou heureux, que je n'en
aie eu quelque avertissement ou en songe ou
autrement'. »
Les rois n'échappaient pas à cette mode.
Henri II, qui avait été fort ému par la prédiction
de Luca Gaurico, astrologue et mathématicien,
évêque de Givita-Castellana, cherchait à savoir
d'autres sorciers si cette prédiction était
appuyée sur des symptômes caractéristiques,
dans les astres ou ailleurs-. Charles IX, vic-
time, croit-on, de maléfices et qui, en tout cas,
avait été toute sa vie en butte à des tentatives
d'envoûtement, ne manqua pas de consulter
Nostradamus lors de son passage en Provence.
Si sceptique qu'il soit, Brantôme, lui aussi, se
laisse gagner par la folie de l'époque. Traver-
sant Florence, en 1557, il va trouver un devin
1. Mémoires de Marguerite de Valois.
2.* Brantôme, Le grand roi Henri II, p. 281. Cf. aussi de
Thou, livre XXII.
iO.
334 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
qui lui prédit « qu'il sera chéri du roi et qu'il
sera heureux sur terre et sur mer, qu'il aimait
une dame de la cour qui, jeune de vingt ans,
eschaufferait son âme'. » Voici enfin un devin
comme on les aime, un devin réconfortant !
Brantôme le quitta tout ragaillardi.
Parmi les sorciers de tout poil qui avaient
la faveur du public, il faut mentionner ici les
bohémiens. Le Midi de la France en était infesté
depuis longtemps, et ils fréquentaient la foire
de Beaucaire dès l'an 1300. Mais ils ne firent
leur apparition à Paris qu'en 1427^. Leur venue
contribua dans une large mesure à étendre et
à populariser les pratiques de la magie blanche.
Tout Paris s'était pressé vers le village de La
Ghapelle-Saint-Denis où on les avait parqués.
Tout Paris s'enthousiasma pour ces vagabonds
mystérieux, à physionomie diabolique qui fai-
saient toutes sortes de tours et disaient la
bonne aventure avec des paroles et des sen-
tences inconnues et baroques. Leur succès ne
se démentit pas au xvi*^ siècle, et François I*""
s'amusait parfois à faire venir au château de
Madrid un bohémien, nommé Gonin, qui était
1. Brantôme, Poésies, p. 414. •
2. V. Fournel, Le vieux Paris.
DISEUSES DE BOXXE AVENTURE dOO
passé maître en l'art de dévoiler l'avenir.
Si Paris compte tant de magiciens et sorciers,
plus encore de magiciennes et sorcières (nous
verrons pourquoi tout à l'heure), la province
n'en manque pas non plus. Certaines régions
paraissent avoir été particulièrement leurs
proies. Dans l'espace de quarante ans, le seul
comté de Montbéliard remet aux mains de la
justice ecclésiastique de Besançon plus de cin-
quante sorciers. C'est Claude Verrier, en 1572;
c'est Marguerite Jol, femme de Perrin Maury,
en 1573 ; ^Nicolas Grévillot, la même année.
Ce sont encore, la veuve Gardel et sa fille;
Valentine Roudin; Jean Thiébaut; la femme
Carlin, condamnée à mort en 1611 ; Marguerite
Godard, la femme Paris, et encore sept ou huit
femmes de la seigneurie de Ganges, etc., etc^
La plupart de ces gens, hommes ou femmes,
accusés de sorcellerie, sont sévèrement com-
damnés, car les lois, on l'a dit déjà, restent et
resteront longtemps cruelles en ces matières.
Charlemagne ordonnait de chasser de ses Etals
tous les magiciens, augures et devins. Au
Moyen âge, on les emprisonnait, on les tortu-
1. Archives nationales, K. 2030-2032.
356 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
rait, on les brûlait, encore que plusieurs
d'entre eux rencontrassent des protecteurs
chez les plus grands seigneurs et jusqu'à la
Cour K En vain, Charles VIII renouvellera
contre eux des ordonnances très dures, ordon-
nances édictées dans les formes les plus im-
pressionnantes, en présence du lieutenant cri-
minel, Jean de la Porte, et du procureur royal,
Quatre-Livres. En vain, brûle-t-on à grand ren-
fort de fagots, la veuve Basin, en 1573; l'an-
née suivante, Jeanne d'Avesne, puis l'Italien
Dominique Murot et sa belle-mère Marguerite,
ces deux derniers en vertu d'une sentence du
bailli de Mantes, cette « vermine » de sorciers,
enchanteurs, magiciens, ne diminue pas. Les
exemples ne suffisent point à restreindre leurs
exploits. Véritable protée, la sorcellerie, qu'on
a pensé détruire sous une forme, reparaît
sous une autre, se cache, se dissimule, mais
persiste ! « Les pronostiqueurs ou faiseurs d'ho-
roscopes connus et condamnés sous le nom gé-
nérique de mathématiciens, prétendent n'être
point visés par les ordonnances concernant
1. Louis le Débonnaire, fort amateur de « merveilleux »,
les traita avec beaucoup d'indulgence. (D^ Perry, Les som-
nambules extra-lucides.)
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 357
les sorciers *. » Il faut prendre Je nouvelles
mesures à leur égard. On sait que le crime de
sorcellerie avait été réservé à la juridiction
ecclésiastique. L'État, peu à peu, tendait à lui
substituer la justice civile et englobait sous la
dénomination de sorciers les devins et astro-
logues, malgré la protestation de ces derniers.
Après l'affaire de la Voisin, Louis XIV publiera
un édit condamnant « au bannissement toutes
personnes se disant devins et devineresses; à
mort celles assez méchantes pour ajouter, à
la superstition, l'impiété et le sacrilège, sous
prétexe de magie ; à mort également celles qui
seraient convaincues d'avoir usé de vénéfices et
de poisons. » On voit que l'adoucissement
apporté aux lois anciennes était plus apparent
que réel.
Le « sacrilège » et 1' « impiété » n'étaient
en somme que des mots nouveaux rempla-
çant ceux de « diableries », et il n'était pas
plus difficile aux juges de convaincre un ac-
cusé de sacrilège que de commerce avec le
diable*.
1. Traité de la police, op. cit.
2. Nous observons plus loin que celle ordonnance élait
par certains côlés fort habile.
358 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Commerce avec le diable! Voilà ce qui ne
se pardonne point. Voilà ce qui attire à la fois
la clientèle et les mesures répressives. Bran-
tôme prétend qu'un curé dans son horreur des
sorciers s'écriait en plein sermon : « que sans
se donner au diable, il ne fallait qu'aller chez
les apothicaires et en acheter de bonnes poi-
sons, qu'il nommait par nom, et puis en donner
à boire et à manger; en un rien, on faisait
mourir qui on voulait, sans se donner au
diable * » .
Non contents de pourchasser ainsi les devins,
les pouvoirs publics traquaient encore les alma-
nachs. Nostradamus avait fait école. Sa renom-
mée avait été grande. Catherine de Médicis,
l'ayant attiré auprès d'elle et lui ayant fait
tirer l'horoscope des jeunes princes, Paris
s'était engoué de lui. Ses Centuries, qu'il publia
de 1550 à 1567, obtinrent un succès prodi-
gieux dans toutes les classes de la société. Ce
fatras de prédictions, formulées dans un style à
dessein obscur et sibyllin, devait plaire au
public du xvi^ siècle qui ne jurait que par les
sorciers, en voyait partout et les recherchait
1. Brantôme, t. V, p. 153.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 359
avec autant d'avidité qu'il les redoutait. On
connaît la courte et médiocre carrière du fils
de Nostradamus. Grisé par les triomphes de
son père, ce jeune homme s'avisa de continuer
son almanach. Il est à croire qu'il lui manquait
« la manière », car sa publication resta sans
lecteurs. Piqué au jeu, il s'imagina de prédire
que la ville du Pouzin périrait par les flammes,
et, afin de rendre plus sûr le succès de son
oracle, il mit lui-même le feu à plusieurs mai-
sons de la ville. On n'est jamais si bien servi
que par soi-même, n'est ce pas, et la prophétie,
cette fois du moins, avait quelque chance de
se réaliser. Par malheur, il choisit pour accom-
plir ce bel exploit l'heure où les troupes
royales entraient dans la cité. Il fut tué, comme
il achevait de placer des fagots devant les
portes.
Toutefois, la mode des almanachs survécut *.
Elle n'est pas disparue tout à fait. Les colporteurs
vendent encore dans les campagnes de ces pe-
tites brochures où les prédictions concernant
1. L' Almanach de Liège, de Mathieu Laensberg', était des
plus appréciés. « Il se vend à un prix fou. On croit y voir,
clairement prédites, les discussions relatives aux protes-
tants, etc., etc. » [Corresp. secrète, édit, Lescure, t. II,
p. 222.)
360 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
la température se mêlent à une foule d'autres
aussi dénuées de sens que d'intérêt, mais qui
amusent les paysans un peu arriérés. Ces alma-
nachs, infiniment plus répandus autrefois,
furent l'objet de plusieurs ordonnances et no-
tamment d'une, en date de 1628, dans laquelle
il est dit : « Ayant considéré que ceux qui se
permettent de faire des almanachs de prédiction,
au lieu de demeurer dans les bornes du devoir,
y emploient beaucoup de choses inutiles et sans
fondement certain qui ne peuvent servir qu'à
embarrasser les esprits faibles qui y ont quel-
que croyance, etc., etc., les condamne à la con-
fiscation, aux peines corporelles et à 600 livres
d'amende*. » C'était sagement parler.
^ 1. Traité de la police, op. cit.
ni
Impuissance des lois à réprimer le charlatanisme. —
Crédulité générale. — Le peuple craint le diable. —
Henri IV et Thomassin. — Le devin Inglis. — Nos-
tradamus et M. de Villayer. — Le pauvre Malvat. —
Louis XIV et la diseuse de bonne aventure. — M. de
Créquy paie les pots cassés ! — La Voisin. — Fidé-
lité de ses clients. — La Voisin et le duc d'Orléans. —
Louis XIV et l'affaire des poisons. — L'art divina-
toire qualiflé de « vaine profession ». La chiro-
mancie ; la cartomancie. — Le tarot. — Marie Am-
bruguet. — Prédiction de la victoire de Denain. —
Quelques célèbres diseuses de bonne aventure au
xvni* siècle. — Jacques Aymard. — Pourquoi les
femmes s'adonnent plus volontiers que les hommes
à l'art divinatoire.
C'était sagement parler, mais aucune de ces
ordonnances n'aboutissait à un résultat pra-
21
362 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
tique. Elles ne réduisaient ni le nombre des
prophètes, ni celui de leurs clients. On ne mo-
difie pas un état d'esprit à coups de décrets ou
de lois. Il n'y a pas d'exemple que la volonté
d'un homme non plus que les sévérités de la
justice soient jamais parvenues à détruire les
croyances ou les superstitions d'un peuple. La
persécution même, loin de faciliter cette tâche,
la condamne à un échec définitif.
Or, le peuple continue à croire aux sor-
ciers; il continue à soupçonner la présence du
démon derrière cette façade de charlatanerie
dont l'appareil mystérieux le trouble délicieu-
sement, et son influence dans les joies ou les
malheurs qui l'atteignent. Ce n'est pas qu'il
aime le diable. Ah, que non pas! Le peuple du
XVII® siècle est encore trop bon chrétien pour
cela. Il a trop de religion, et de la plus sincère,
et de la plus profonde. Bien sûr, il n'aime point
le diable ! Mais il le craint. Et, les personnes
que l'on craint, si l'on ne peut les éviter, le
plus sage n'est-il pas de les amadouer, d'apai-
ser leur méchanceté, de se les rendre favora-
bles, si faire se peut. Puis, ce diable, trop
malin pour qu'on lui échappe, dès l'instant
qu'on en est réduit à traiter avec lui, pour-
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 363
quoi n'utiliserait-on pas sa puissance? Sait-on
jamais? Peut-être n'est-il pas maladroit de s'a-
dresser à lui, en certains cas... Ainsi raisonne
le peuple dans sa naïveté craintive.
Pour qu'il raisonne autrement et de façon
plus logique, il conviendrait que le bon exemple
lui vînt de haut, de très haut, du roi. Mais le
roi, si ardent qu'il paraisse à poursuivre les
sorciers et devins, se sert d'eux. Henri IV,
comme ses prédécesseurs, n'a-t-il pas fait venir
l'astrologue Larivière pour tirer l'horoscope de
son fils? Est-ce qu'au vu et su de tous, il ne
consulte pas fréquemment Thomassin, qui lui
conseille de se garder du mois de mai, et va
jusqu'à lui désigner « l'heure et le jour aux-
quels il devait être assassiné * ». Et, sans doute,
dès le seizième siècle, l'astrologue, ce n'est
plus un sorcier vulgaire. Il prétend appuyer
ses oracles sur des données scientifiques — ou
presque! Le peuple, est-il besoin de le dire',
n'entend goutte à tout ceci. Pour lui, ai-je dit
déjà, le nécromant, le devin, l'astrologue, c'est
toujours : un sorcier. A-t-il tout à fait tort?
Se tournera-t-il vers les grands seigneurs,
1. L'Etoile, Journal du règne de Henri IV.
364 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
vers ceux qu'il sait instruits, qu'il regarde
comme étant d'une essence supérieure, et qu'il
a coutume de considérer comme « des gens à
qui on n'en fait pas accroire ». Mais ces grands
seigneurs ont gardé toutes les superstitions du
Moyen âge et du xvi" siècle. Ils courent
chez les pythonisses, notamment chez Marthe
Brossier, « sorcière très experte, dit de Thou,
en l'art de prédire l'avenir », mais q^ai ne fit
pas fortune, semble-t-il, car elle mourut à
l'hôpital.
Tallemant, qui fait volontiers l'esprit fort,
nous parle non sans une sorte d'admiration
de l'écossais Inglis, devin de grande réputa-
tion. M. de Sancy l'avait consulté et il lui
avait annoncé qu'il ferait le voyage de Cons-
tantinople. M. de Sancy fit, en effet, le voyage,
ayant été nommé ambassadeur auprès du
Grand Turc. Tallemant raille bien un peu ce
pauvre Inglis, qui, sollicitant une charge de
la reine, avait prédit que celui qui l'occupait
mourrait dans huit jours, « ce qui se trouva
vrai », mais non point que « lui-même mour-
rait quatre jours devant ». Son ironie dissimule
mal un étonnement sympathique. « Nostra-
damus, rapporte-t-il, avait prédit par-devant
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 365
notaire au frère de Villayer : 1°, qu'il serait
marié deux fois ; 2' qu'il aurait une fille qui
serait mariée à un tel ; 3° que de son second
mariage, lui viendraient trois fils, dont deux
seraient tués à la guerre et le troisième à un
siège fameux (ce fut Gazai). Il dit encore que
ses filles mourraient devant lui. Toutes ces
prédictions se réalisèrent de point en point. »
Mais le plus curieux fut que Nostradamus avait
encore prédit à Villayer qu'il ferait couper le
cou à sa première femme. Voilà qui n'est pas
banal. « Gela est arrivé, avoue Tallemant. Il
lui fit couper le cou pour adultère et pour
empoisonnement. En Bretagne, l'adultère suf-
fit, et Villayer est de ce pays-là *. ))rs 'est-ce pas
troublant? Maintenant, le sceptique Tallemant
peut bien sourire en contant l'histoire d'un
garçon, nommé Malvat, « qui ayant appris par
son horoscope qu'il mourrait entre six et sept
heures, le 7 août 1653, de peur de tomber
malade à la campagne, quand approcha la date
fatale, s'échauffa en s'enfuyant vers Paris,
prit une bonne pleurésie dont il mourut le
7 d'août, à trois heures du matin. » Oui, il
1. Tallemant, Mémoires, t. IV.
366 FILLES NOBLES ET MAGICIEXXES
peut sourire. Nous le sentons tout de même
impressionné par la coïncidence ! *
On reprochera bien des choses à Louis XIV ;
on ne lui déniera pas le bon sens. 11 en avait
beaucoup et du plus ferme. Cependant, il lui
arriva de céder à la manie du moment et de
consulter une chiromancienne. Comme de
juste, et selon l'usage lors de sa naissance, on
1. Une note obligeamment communiquée par M. du Besset
tendrait à faire supposer que la manie des horoscopes ëtait
assez générale en France à une certaine époque. Il s'agit
d'un «livre déraison » de la famille Véron de la Borie. Ces
Véron de la Borie appartenaient à la bourgi.>oise du Velay.
De père en fils on inscrivait sur le « livre de raison », en
marge de la mention de naissance des enfants, leur horos-
cope. Jean Véron, signalant la naissance de son premier en-
fant le 13 septembre 1598, écrit : «Né sous la planète du soleil
et au signe Virgo, commandera volontiers à la femme,
sera grand, ménager et ingénieux solliciteur, à l'instance
de quoi il besognera. Il sera heureux et de grand courage...
Il surmontera ses ennemis. A grand'peine fera-t-il avec sa
première femme et sera formé h trente ans. Il ne saura
point ce qu'il aime et sera en péril d'eau; il aura une
plaie par feu et vivra 70 ans, selon le cours do la nature. »
Un autre écrit : « Balthasard, mon premier fils (9 mars 1G30),
entre jour et nuit à la planète de Saturne... cheminera
beaucoup, sera fornicaleur, moqueur, codvoiteur, etc.. »
D'un autre enfant, il est dit qu' « il gouvernera bêtes à
quatre pieds, sera riche par femme et conducteur de pucel-
les... »
Il serait intéressant de savoir si ces horoscopes étaient
tirés par les pères ou si, au contraire, on faisait appel aux
lumières de quelque astrologue ou sorcières du pays.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 367
avait fait établir son horoscope. L'astronome
Morin avait été chargé de ce soin. Cet horos-
cope ne satisfaisait-il pas le roi? « Toujours
curieux de l'avenir, nous dit Dangeau, se trou-
vant à Saint-Germain, il demanda qu'on fit
venir une femme qui disait des merveilles.
On la reçoit dans les combles du château
et le roi, sans ordre et avec un habit fort
simple, y monte. La femme examine sa main,
puis, après avoir longtemps pensé, lui dit
qu'elle ne sait qui il est, mais qu'elle voit bien
qu'il est au-dessus de ce qu'il paraît; qu'il
est marié, mais pourtant un maître galant et
qui a eu bien des bonnes fortunes ; qu'il
deviendra veuf et tout de suite se prendra
d'une veuve déjà surannée, de la plus basse
condition et le reste de tout le monde ; que sa
conduite ne lui sera pas inconnue, mais qu'elle
ne l'arrêtera pas; qu'il l'épousera et qu'elle le
gouvernera et mènera toute sa vie par le bout
du nez, et qu'enfin, ressentant la sottise qu'il
a faite, il prendra cette femme en aversion et
mourra de douleur et de honte. »
Après cette belle prédiction, dont la fin est
entièrement fausse, note prudemment Dan-
geau, le roi redescendit chez lui et rit beau-
368 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
coup de tout cela avec M. de Gréquy qui avait
assisté à la séance. Mais « dès que Louis XIV
se fut attaché à madame de Maintenon, il prit
Créquy en aversion et Téloigna * ».
Voici l'heure venue de l'apothéose pour la
sorcellerie. A aucune époque, pas plus au
Moyen âge qu'au xvi® siècle, elle n'aura
atteint à de tels triomphes, occupé à tel point
les esprits, surexcité à un degré pareil les ima-
ginations, causé des troubles si profonds et de
si étonnantes catastrophes. C'est qu'à nulle
époque, sorcière ne fut plus adroite, plus intel-
ligente, ne connut mieux le cœur humain, ne
sut mieux découvrir les passions, les faire
naître, les exploiter; c'est qu'en vérité, jamais
peut-être sorcière ne fit preuve d'une aussi
monstrueuse hardiesse que Catherine Des-
hayes, femme d'Antoine Montvoisin. La Voi-
sin! Son histoire est trop connue pour que je
m'attarde à la refaire ici. Que resterait-il à
glaner après que 1' « affaire des poisons »
nous a été si magistralement exposée dans
ses moindres détails par M. Funck-Brentano ?
Mais quelle femme que celle qui sait attirer
1. Dangeau, Journal, février 1C87. L'entrevue avait eu
lieu en 1663 ou 16G4, rapporte l'auteur.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 369
dans sa maison une clientèle allant du plus
humble croquant au duc et pair, aux princes du
sang! Que de cordes n'a-t-elle pas, il est vrai,
à son arc ? Sans doute, ce qui fera sa réputa-
tion, ce qui lui donnera une lugubre renom-
mée, ce sont ses crimes, ceux du moins qu'elle
facilite par des moyens à elle. Pour la posté-
rité, la Voisin reste et restera une empoison-
neuse. Peut-être fut-elle beaucoup moins une
inspiratrice de crimes qu'une simple manœuvre
qui d'abord céda à la tentation du gain, à la
peur aussi, qui sait? puis, entraînée peu à peu
par sa réputation, prisonnière de ses propres
agissements, finit par ne plus pouvoir sortir
des filets qu'elle avait elle-même tendus. Em-
poisonneuse ! Telle est l'épithète infamante et
d'ailleurs méritée qui s'attachera éternellement
à son nom. Ses contemporains ne la connurent
pas sous cette unique dénomination. Son vrai
métier, celui qu'elle exerçait ouvertement et
qui la faisait rechercher avec passion par tous
les gens crédules, autant dire par tout le
monde, c'était de prédire l'avenir. Elle est
devineresse, et n'aurait peut-être pas mieux
demandé de n'être jamais autre chose. Elle
fait aussi voir le diable, pour de l'argent. Le
21.
370 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
commerce était fructueux; il nourrissait son
homme. Il l'eût nourrie. Car, en dehors des
personnes qui vont chez elle dans un but
notoirement coupable, pour y chercher de la
poudre de succession, que d'autres ont recours
à elle dans des circonstances plus anodines.
On parle d'ordinaire seulement de ses clients
et clientes compromis lors de son procès, de
madame de Soissons, de la duchesse de
Bouillon, qui alla, dit madame de Sévigné,
« demander à la Voisin un peu de poison pour
faire mourir un vieux mari qu'elle avait qui la
faisait mourir d'ennui^ », de la princesse de
Tingry, qui mourut en 1706, « fort délaissée »,
de ce Feuquières accusé de maléfices et qui
mourut aussi, raconte Saint-Simon, « aban-
donné, obscur, et pauvre », de madame du
Roure, plus ou moins convaincue d'avoir voulu
empoisonner La Vallière, de madame de Poli-
gnac, et du pauvre maréchal de Luxembourg,
qui, je crois bien, n'avait voulu faire mourir
personne, mais qui, bien qu'échaudé, sitôt
l'orage passé, incapable de résister à sa ma-
rotte, se remit à courir les sorcières.
1. Lettres de madame de Sévigné, 24 et 30 janvier 1680.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 371
Or, la Voisin avait d'autres clients. Le che-
valier de Lorraine, le comte d'Effiat, le comte
de Beuvron comptaient parmi ses plus fidèles.
Fouquet, jusqu'à l'heure de la disgrâce, lui fait
une forte pension, A peine nommé cardinal,
l'abbé d'Auvergne va chez la sorcière à la
mode, déguisé en savoyard, afin de tirer d'elle
quelques révélations au sujet d'un trésor que
M. de Turenne aurait caché. Et cet homme
qui se glisse à la nuit close, par la petite porte
ouvrant sur le jardin, qui donc est-ce? Le duc
d'Orléans lui-même. Il désire savoir ce qu'a
pu advenir un enfant mâle dont sa première
femme, Henriette, était grosse en 1668 et dont
il affirme ne pas être le père. La Voisin
retrouve l'enfant que protège le roi d'Angle-
terre, affirme-t-elle. Mais le duc, furieux,
dit qu'il connaît le père et que c'est le roi
Louis XIV. La Voisin se garde de le contre-
dire. Le duc lui fait donner 250 louis. Avec
dédain, elle les laisse aux valets chargés de les
lui remettre. Loin de se fâcher, le duc lui
expédie sur l'heure 4.000 pistoles, un diamant
qui en valait le double et deux rangs de perles
qfu'elle revendit 12.000 livres ^ On voit que le
1. Peuchetjlfémoires tirés des archives de la police de Paris.
372 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
métier avait du bon ! D'ailleurs, le duc d'Or-
léans ne s'en tint pas là. Peu de mois après, il
appela la Voisin à Meudon. Cette fois, il vou-
lait qu'elle lui montrât le diable. Je ne sais si
elle y réussit, mais il est sûr qu'il paya comme
s'il l'avait vu... Quand M. de Lauzun, inquiet
au sujet des suites de son mariage avec Made-
moiselle, veut savoir si le roi le reconnaîtrait,
à qui s'adresse-t-il ? A la Voisin. On ignore si
elle lui promit l'acceptation du roi, mais elle
lui annonça qu'il aurait le cordon bleu. Si
M. de Lauzun versa la forte somme pour cette
consultation, il fut volé, car il n'eut jamais
le cordon. Mais la reine... Eh! bien, oui la
reine interroge la Voisin, au moins une fois ,
et la Voisin lui tire les cartes, et par-dessus
le marché, lui offre un philtre qui rendra le
roi uniquement amoureux d'elle. A quoi, la
reine répond « qu'elle préfère pleurer sur
l'abandon de son mari que de lui faire avaler
un breuvage qui pourrait lui être nuisible » .
Si toutes les femmes qui consultaient la Voisin
avaient montré une pareille discrétion, mes-
dames de Sévigné, de Chaulnes, de Fiesques
et autres dames de la cour n'eussent pas eu
roccasion de voir passer, des fenêtres de
DISEUSES DE BONNE AVENTLTRE 373
l'hôtel de Sully, le cortège qui, le 22 fé-
vrier 1680, conduisait la sorcière en place de
Grève.
A distance, nous nous rendons compte de
l'effroyable scandale que causa l'affaire de
la Voisin, cette lugubre tragédie éclatant
comme un coup de tonnerre au milieu des
fêtes de la Cour, dans une société hiérar-
chisée, policée, élégante, que le roi croyait,
de bonne foi, la plus honnête sinon la plus
vertueuse qui fût au monde. Apparat, richesse,
majesté, dignité hautaine, et cette grandeur et
cette noblesse, tout cela n'était donc qu'un
masque derrière lequel les passions les plus
basses, les plus viles s'agitaient, vibraient avec
une impétuosité, une fougue, un cynisme
sauvages ! Tant de délicatesses, de grâces
apparentes, n'étaient donc que l'armure dorée
d'àmes féroces et de cœurs pourris! On revit
avec le roi ces journées atroces durant les-
quelles, peu à peu, pièces par pièces, il appre-
nait la vérité. On devine l'angoisse qui l'étrei-
gnait, la peur qui lui montait à la gorge, oui,
la peur. Où s'arrêterait la liste des personnes
compromises? Les marches du trône écla-
boussées, le trône lui-même allait-il l'être ?
374 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Et ne l'était-il pas un peu? La Montespan ne
sortait pas indemne des terribles révélations.
Oii qu'il tournât ses regards, Louis XIV,
jusque dans ses appartements privés, pouvait
voir des coupables et, sur son passage, des
êtres aimés évitaient son regard attristé de jus-
ticier. Peu ou prou, par des parents directs, des
alliés, des amis, une grande partie de la no-
blesse, et la bourgeoisie et jusqu'aux écrivains
qui donnaient tant de lustre au siècle se sen-
taient atteints. Le doux Racine n'échappait pas
aux soupçons. On ne peut que s'incliner devant
la force d'àme dont Louis XIV fit preuve alors,
admirer combien, dans cette catastrophe, il sut
demeurer calme, fier et droit . Lui reprochera-
t-on d'avoir laissé échapper quelques coupables
qui tenaient à son sang? Il s'en accusa le pre-
mier. Cette faiblesse pesait à sa conscience.
« Madame, dit-il à madame de Carignan, j'ai
bien voulu que madame la comtesse de Sois-
sons soit sauvée. Peut-être en rendrai-je un
jour compte à Dieu et à mes peuples ^ »
Ces poudres, ces pommades, dont la Voisin
tenait boutique et que ses complices, la Vigou-
1. Lettres de madame de Sévigné, 24 janvier 1680.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 375
reux, Guibourg, Adam Cœuvrel, dit Lesage,
et autres, l'aidaient à préparer ou à vendre,
elle en avait le secret de Sainte-Croix et de
la Brinvilliers, qui, elle, bornait ses talents à
empoisonner les gens sans trop se donner la
peine d'agrémenter ses opérations de pratiques
cabalistiques et sans appeler Satan à son aide.
Nous n'avons donc pas à nous occuper d'elle.
Le supplice de la Voisin et de ses partenaires
ne laissa pas de porter un coup sérieux à la
sorcellerie, en France du moins. Poursuivis
avec une rigueur nouvelle et zélée, les gens
qui faisaient métier de prédire l'avenir et, de
près ou de loin, donnaient dans les « diable-
ries y> se terrent, s'efforcent d'échapper à la
justice. Ce serait s'illusionner cependant de
croire que des exemples, si implacables et si
répétés qu'ils soient, puissent avoir raison de
la superstition ou décourager ceux qui se don-
nent mission de l'exploiter.
La sorcellerie n'abdique pas. Elle se trans-
forme seulement. La possession devient moins
fréquente ; on n'ose plus trop parler du diable,
offrir de vous mener au sabbat. Toute cette
charlatanerie se localise pour un temps dans
la cartomancie et la chiromancie.
376 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Mieux que le supplice de la Voisin, l'habile
ordonnance de juillet 1682 a fait fléchir le
crédit des sorciers. Cette ordonnance qualifie
l'art divinatoire de « vaine profession » et ceux
qui l'exercent n'y sont plus traités que de « cor-
rupteurs de l'esprit public, d'imposteurs et de
sacrilèges ». Les sorciers et devins sont con-
damnés comme « trompeurs, profanateurs ou
comme de vulgaires criminels ». On ne leur
fait plus l'honneur de les traiter en person-
nages mystérieux ayant commerce avec le
diable ^ Dès l'instant où les tribunaux refusent
de croire à la puissance supra-terrestre, des
devins, ceux-ci perdent beaucoup de leur in-
fluence.
Toutefois, faut-il le répéter, ce mouvement
de recul que l'on observe dans la crédulité
populaire, comme ce discrédit jeté sur les sor-
ciers ne seront que momentanés et de surface.
La chiromancie, la cartomancie, si florissantes
depuis le milieu du xvii" siècle sont là pour
prouver que l'état d'esprit général ne s'est pas
profondément modifié.
1. Traité de police, op. cit. — L'affaire des « Bergers »
de la Brie fut la première affaire jugée dans ces conditions
ouvelles.
DISEUSES DE BONNE AVENTLRE 377
J'ai dit un mot de la chiromancie ou art de
lire le passé et l'avenir dans les lignes de la
main, art pratiqué dès la plus haute antiquité
et qui se rattache par certains côtés à l'astro-
logie. Mes lecteurs et surtout mes lectrices
sont, j'en suis sûr, admirablement documentés
sur cette pseudo-science qui compte actuelle-
ment d'innombrables prêtresses. La carto-
mancie n'est ni moins connue, ni moins appré-
ciée de nos jours. C'est aussi un art très ancien
et qui a ses lettres de noblesse. Il a pris nais-
sance dans la mystérieuse Egypte. La légende
prétend que Thot ou Thaut, l'Hermès tris-
mégiste, le Mercure des Egyptiens, institua les
hiéroglyphes. Ce serait un manuscrit de Thot
qui formerait les 78 tarots, ce livre du destin
nommé A. Rosh, de la lettre Af doctrine,
science et rosh, Mercure, qui, joints à l'article T,
signifient : tableau de la doctrine de Mercure.
Mais comme rosh veut dire aussi commence-
ment, ce traité Ta-rosh fut particulièrement
consacré à la cosmogonie*. Quoi qu'il en soit
de ces origines obscures, le tarot égyptien
avec hiéroglyphes n'est pas arrivé intact jus-
1. A. Boiirgade, Noutel art de tirer les cartes.
378 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
qu'à nous. Il a été dénaturé, non dans son
sens, mais dans son image. Les coupes, ni les
épées des tarots les plus anciens ne reprodui-
sent fidèlement les figures primitives. C'est
toujours cependant le tarot de Thot. Venu
d'Egypte aux Indes (à moins que ce ne soit le
contraire !) passé en Chine, il fut introduit en
Europe par les bohémiens, lors de leur pre-
mière apparition, vers la fin du xiii" siècle.
Il faut croire que, au cours de cette ran-
donnée, quelques tarots s'égarèrent, car ces
cartes mystérieuses et symboliques ne nous
sont pas toutes parvenues, paraît-il. Nous en
consolerons-nous jamais? De soixante-dix-huit,
nous n'en possédons que cinquante-deux.
Hélas! Les Italiens, au xiv" siècle, mirent à
la mode de nouveaux tarots, conformes,
assure-t-on, à ceux d'Egypte, où les Arcanes
(secrets) majeurs étaient toujours le Bateleur,
le Despote africain, le Pendu, la Roue de la
fortune, la Justice, etc. etc.
D'innombrables modifications et simplifica-
tions ont été successivement apportées aux
tarots. On pense bien, en effet, que les pauvres
petites diseuses de bonne aventure qui courent
encore nos champs de foire seraient fort embar-
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 379
rassées d'utiliser les jeux égyptiens qui, par
surcroît, coûtent cher. Mais, bien qu'il y ait
des accommodements, même avec les tarots,
tenez pour certain que si l'on ne vous tire pas
les cartes au moyen de ce jeu compliqué, sym-
bolique et inintelligible aux esprits non initiés,
vous êtes dupes. On ne vous en donne pas
pour votre argent...
Marie Ambruguet, certes, n'eût jamais con-
senti à se servir de cartes ordinaires pour
prédire l'avenir. Elle jouissait d'une telle répu-
tation aux alentours de 1708 que le roi, qui
avait un peu oublié la Voisin et la Brinvilliers,
se décida à la mander à Versailles. Elle lui
annonça la victoire de Denain — simplement!
— Aussi, quand cette victoire arriva, qui sau-
vait la France, Louis XIV s'empressa-t-il
d'accorder à Marie Ambruguet une gratifica-
tion de 6.000 livres. En même temps qu'on
lui remettait cette somme de la part du roi, on
lui recommandait expressément de se taire,
car on se souciait probablement peu de lui
faire ce qu'on appellerait aujourd'hui de la
« réclame ». La dame, toute tière de son
succès, n'eut garde de celer une si belle pré-
diction. Elle la fit valoir, au contraire, en sorte
380 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
que sa maison déjà bien achalandée ne désem-
plit plus. Chacun voulait tirer d'elle quelque
assurance touchant son avenir et, comme elle
faisait payer grassement ses consultations et
ses horoscopes, elle ne tarda pas à pouvoir
s'acheter une propriété importante appelée le
Minil, près de Saint-Germain-en-Laye.
Cette Ambruguet doit être comptée au
nombre des aristocrates de la cartomancie.
Toutes les diseuses de bonne aventure ne pou-
vaient prétendre à ce titre; toutes n'étaient
pas en droit d'exiger de leur clientèle des
rémunérations aussi élevées. La Fleury, pour-
tant bien connue des amateurs, qui « tire la
chiromancie » à madame Frémy, et « la pédo-
mancie » à une femme qui sans doute a plus
de confiance dans les lignes de son pied que
dans celles de sa main, ne reçoit pour cet
office que 38 sols! Ce n'était pourtant pas la
première venue.* Elle se vantait d'avoir eu
madame de Maintenon pour cliente, car
madame de Maintenon n'était pas exempte de
superstition et reconnaissait volontiers que sa
haute fortune lui avait été prédite par un
1. Elle habitait rue des Cordeliers, vis-à-vis la petite
poste. (Bibliothèque de l'Arsenal.)
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 381
maçon, et d'avoir annoncé à M. de Chamillart
tout ce qui lui était arrivé. La Fleury gardait
auprès d'elle une jeune fille qu'elle disait être
fille naturelle du comte Philippe de Soissons
et de mademoiselle de Lussan. Elle lui avait
appris quelques bribes de son art, mais une
fois sa mère adoptive arrêtée, la jeune per-
sonne abandonna vite le métier. <( Très noire,
très longue, très louche », s'il faut en croire
le peu galant rapport de police dressé par
l'agent Loir, elle avait l'esprit délicat, tra-
vailla, et se mit à composer des romans qui
obtinrent quelque succès. Plus heureuse que
la Fleury, qui finit ses jours en prison, elle
mourut d'indigestion en 17o8!
Une concurrente redoutable de Marie Ambru-
guet fut Marie Anne Delaville, dont la vogue
ne se démentit pas jusqu'à son arrestation en
1703. M. de Feuquières, ancien client de la
Voisin, venait constamment lui demander des
talismans pour le jeu, l'amour et la guerre.
Madame de Grancey, maîtresse de Monsieur,
frère du roi, essayait, par son intermédiaire,
de soutirer à l'esprit diabolique qu'elle appelait
Babel et avec qui elle assurait être fort bien,
l'argent que Monsieur, peu généreux de son
382 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
naturel, lui refusait. Cet esprit promettait tout
ce qu'on voulait. Il donna de si grandes espé-
rances à madame de Rosemain, que celle-ci
faillit en devenir folle. Heureusement qu'elles
ne se réalisèrent pas; moyennant quoi, la
pauvre femme recouvra une partie de sa rai-
son.
Sur une échelle plus modeste opérait la Che-
nault, dite Deprade. A son métier de diseuse
de bonne aventure, elle joint celui de faire
croire à l'existence de trésors cachés. Ce genre
de filouterie n'est pas nouveau. Il réussissait
à merveille, au xvii^ siècle, à faire de nom-
breuses dupes jusque dans les rangs de la
bonne société. Durant les troubles de la
Fronde, bien des personnes avaient dissimulé
leur argent, leurs bijoux, l'argenterie et
autres objets précieux. La plupart de ces per-
sonnes craintives ou prudentes s'étaient natu-
rellement empressées, sitôt le calme revenu,
de courir à leur cachette et d'en retirer ce
qu'elles y avaient mis. Mais cela avait suffi
pour éveiller dans le peuple et ailleurs des
curiosités et d'âpres convoitises. Notre Ghe-
nault, qui était femme d'un soldat aux gardes,
et ne se piquait pas d'instruction, ne visait pas
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 383
la clientèle élégante. Elle recrutait parmi les
servantes ses victimes préférées. 2s e pouvant
songer en obtenir grand argent, elle se con-
tentait de quelques écus, et, au besoin, de
nippes. De la fille Blonde, servante chez le
notaire Duport, elle reçoit néanmoins 30 écus
neufs et des vêtements. Je suppose que pour
ce prix la Chenault avait accordé plusieurs
séances à la trop naïve domestique.
La Fauconnier et la Fougère, son associée,
disent l'avenir, fabriquent des poudres propres
à faire réussir les mariages et débitent des
trèfles à quatre feuilles qu'elles vendent trois
sols.
La marquise de Choiseul, la comtesse de
Puylaurens, madame de Lowendal, le cheva-
lier de Langle sont assidus chez la veuve
Valentin. Affaires de cœur, affaires d'argent,
qu'est-ce qui les attire dans ce bouge de la
rue du Cloître ^Sotre-Dame?* Peut-être y vien-
nent-ils, comme ce bourgeois du Marais qui
i. Elle aurait aussi logé dans une maison de la rue du Bac,
proche de l'hôtel des Mousquetaires gris. Un passage dune
lettre adressée à madame Voisin de Saint-Paul par un
avocat au Parlement de Paris tendrait à le faire croire.
Mais le nom étant orthographié Valentan, je ne réponds
pas qu'il s'agisse de la même pythonisse.
384 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
donne 10 louis à la Valentin pour lui avoir
fait retrouver une bague dérobée par un de
ses valets ; ou encore comme cette dame du
faubourg Saint-Germain, à qui elle indique
le lieu ou était cachée une écuelle d'argent;
à moins que ce ne soit comme celte jeune
fille à qui elle a promis une drogue pour se
faire aimer ! Il y a foule aussi chez la Rous-
seau, paroisse Saint-Eustache, qui a la spé-
cialité de prédire des mariages ; chez la
Devaux, qui « explique si bien les songes »
et qui finit par être arrêtée sur la demande
de messieurs les prêtres de Saint-Nicolas;
chez la Rochefort, « insigne friponne » égale-
ment destinée à Bicêtre; chez la Siamoise S
chez Jouan de Monti, mis à la Bastille pour
sorcellerie 2 ; chez Marescot, qu'on enferme
en 1704, avec ordre « de le faire travailler
dans sa prison ». Malgré le dédain réel ou
affecté que le roi et les ministres professent
pour les devins et devineresses, ils ne man-
quent pas, en effet, de chercher à leur faire
prononcer des oracles, notamment en ce qui
i. J'ai recueilli bon nombre de ces détails dans l'ouvrage
si documenté de M. Ravaisson : Les Archives de la Bastille.
2. Note de René d'Argenson, lieut. de police, 8 mai 1703.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 383
touehe les trésors cachés ; celui de l'Etat
étant singulièrement à sec, le hasard serait
béni, qui permettrait de le remplir un peu.
Tandis qu'à Paris, la crédulité semble
croître à mesure que s'enhardissent les char-
latans, la province ne demeure pas en reste.
II n'est pas de ville en France où l'on ne
compte une ou plusieurs devineresses. Rouen
possède la Gascon ; Etampes a la Pigeon ;
Laon, la Saurin ; Lyon s'enorgueillit de Jac-
ques Aymard qui, à l'aide de sa baguette
magique, découvre non seulement des sources
et des trésors, comme tout bon sourcier, mais
les maléfices, les voleurs, les assassins. La
Gazette et le Mercure ne tarissent pas sur
ce sorcier dont l'habileté a permis à la police
de mettre la main sur l'assassin d'un marchand
de vin*. On y parle aussi de la femme Bazin,
qui n'a pas « sa pareille pour dévoiler l'avenir et
ramener les amants infidèles - » ; Bourges a
la Filliard; Dijon, la Rousset^ Que sais-je?
1. V. Fournel, Le vieux Paris.
2. LettredeM.deHarrenc, 17 mai 1689, (Arch. de Cibeins.)
3. « La Roussel est toujours appréciée de nos daines à
qui elle annonce des choses merveilleuses. » Lettre de
M. Ruolz de Bourquet à madame de Sainte-Pallaye, 28 oct.
1701 (Coll. part.)
22
386 FILLES NOBLES ET xMAGICIENNES
La justice laisse les pythpnisses à peu près
tranquilles maintenant. 0.n les arrête bien de
temps à autre; la Bastille en accueille un
grand nombre, mais ne les abrite d'ordinaire
que peu de mois. On ne les y maintient que
si elles joignent à leur métier avoué quelque
autre industrie coupable, ce qui est fréquent
d'ailleurs. En prison elles sont traitées de façon
assez douce; on a pour elles certains égards;
et quand la Suleau est arrêtée en 1691, le roi
se charge de sa fille qu'il fait mettre dans une
pension oii il paye 300 livres par an pour
elle'.
A ceux qui s'étonneraient que parmi toutes
les personnes dont il vient d'être parlé je n'aie
guère mentionné que des femmes, je pourrais
répondre par le mot bien connu de madame
de Genlis : « Toute femme, en naissant, con-
tient une pythonisse. » Mais l'explication serait
un peu sommaire. Et si j'ajoutais, comme
dans Carmen : « Quand il s'agit de tromperie,
de duperie, de volerie... » ce serait tout à
fait injuste. Il me paraît simplement que la
femme, plus fine que l'homme et chez qui
1. Arch. de la Bastille, op. cil.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 387
Tintuition est beaucoup plus développée, plus
adroite aussi, plus apte à faire son profit de
ce qu'elle surprend sur le visage ou dans les
paroles du patient, est infiniment mieux pré-
parée que l'homme à exercer un métier qui
exige précisément des qualités de pénétration,
de la délicatesse, du doigté et une grande
assurance. Si les femmes font du charlata-
nisme pur, elles y doivent réussir, l'art du
mensonge leur étant facile ; si, par hasard, elles
sont de bonne foi, leur succès n'est pas moins
probable, car leurs facultés nerveuses leur
permettent, à un degré étonnant, de s'auto-
suggestionner et d'en arriver à croire vraiment
en l'efficacité de ce qu'elles appelent leur
science. Toutes, même les plus communes,
parviennent à acquérir un tact que l'homme
ne saurait posséder et la forme souvent cap-
tieuse des questions qui leur sont posées finis-
sent par les rendre « fines comme de \'ieux
juges*. »
1. Souvenirs historiques de Lenoir, cités par Peuchet.
IV
La sorcellerie plus puissante que jamais au xvm« siècle.
— La foi religieuse et la superstition. — Désir de
s'enrichir, de connaître l'avenir, d'entrer en relations
avec Satan. — Manifestations nerveuses collectives.
— Le fils du Régent adepte de la métempsycose. —
M. de Boulainvilliers. — Une dame qui meurt de la
peur de mourir. — L'auto-suggestion. — Le régent
et les devins. — Les roués. — « Voyantes » du
XVI116 siècle. — La Bontemps. — Ses prédictions
curieuses. — Saint-Germain. — Cagliostro. — Un
prophète-gentilhomme. — Sa pleutrerie. — Devins-
escamoteurs. — La femme Laloux. — Mademoiselle
de Cruzols. — Une grande dame aux prises avec les
diables de Montrouge. — Richelieu à Vienne. — Un
prophète qui guérit. — Eteila. — Les fous et la lote-
rie. — Anecdotes diverses.
Nous atteignons le xviii" siècle et il n'appa-
raît pas que les doctrines philosophiques à la
DISEUSES DE BOXE AVE.XTURE 389
mode, non plus que les progrès pourtant sen-
sibles déjà de l'instruction, fassent en rien
baisser la faveur dont la sorcellerie, la divina-
tion, la magie jouissent auprès du public en
général. Le xviii" siècle, esprit fort, qui ne
croit pas en l'évangile et qui ne croit guère en
Dieu, croit en Saint-Germain et en Cagliostro.
Voilà le fait brutal. Donne-t-il raison à ceux
qui affirment que partout où le sentiment reli-
gieux a tendance à disparaître, la crédulité
augmente, que la superstition se glisse aux
lieu et place de la religion et que la confiance
dans le sorcier s'accroît dans la mesure exacte
où diminue la confiance en Dieu? C'est une
théorie assez répandue. Elle ne me semble pas
très justifiée. Je veux bien que ce qui s'est
passé au temps de Louis XV comme ce qui se
passe à l'heure présente soit assez probant à
cet égard. La société sceptique du xviii^ siècle
s'inclinait devant le charlatanisme d'un Caglios-
tro; nos contemporains et nos contemporaines,
dont la foi est hésitante, sinon tout à fait nulle,
courent chez les devineresses comme au feu.
Sans doute. Mais nulle époque ne fut plus
sincèrement attachée à la foi religieuse ni plus
respectueuse des lois de l'église que le Moyen
22.
390 FILLES .NOBLES ET MAGICIEWES
âge, et pourtant le Moyen âge donna fort dans
la sorcellerie.
Dans sa soif inépuisable de croire, l'âme qui
ne se tourne pas vers Dieu est mûre pour
toutes les superstitions, même les plus gros-
sières. Inquiète, elle s'agite et se trouble; elle
s'effare du vide où elle se meut ; la voici désem-
parée, pantelante, toute prête à subir n'importe
quelle influence, pourvu que désormais, tel
l'homme qui se noie et agrippe de sa main
crispée la moindre brindille d'herbe flottanle
011 il met son suprême espoir, elle puisse accro-
cher, quelque part, un lambeau de sa croyance.
Qui le conteste? Et cependant, je persiste à
penser que les âmes sincèrement religieuses
peuvent fort bien se laisser gagner par une
confiance presque incroyable dans les pratiques
de magie, sorcellerie, divination ou par celles
plus troublantes encore du spiritisme. Il n'est
pas sûr qu'il y ait incompatibilité entre ces deux
croyances, celle que nous avons en Dieu et
celle que nous pouvons avoir dans les thau-
maturges. Elles ne s'excluent pas à priori et
rien ne s'oppose, me semble-t-il, à ce qu'elles
cohabitent dans une seule et même âme.
L'amour du merveilleux n'est pas forcément
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 39i
banni des cœurs pieux. « Il nous séduit tou-
jours, dit Mercier, parce que sentant confusé-
ment combien nous ignorons les forces de la
nature, tout ce qui nous conduit à quelque
découverte de ce genre est reçu avec trans-
port*. » Gardons-nous donc de conclure trop
rigoureusement que les siècles et les hommes
incrédules sont seuls susceptibles de mordre à
l'appât de l'occultisme sous quelque forme qu'il
se présente.
En ce qui concerne le xviii" siècle, il importe
de noter que les manifestations du merveilleux,
toujours aussi nombreuses, revêtent une forme
assez bénigne. Les exploiteurs spéculent sur la
crédulité humaine, inguérissable autant qu'in-
sondable. Les convaincus s'obstinent à vouloir
accaparer la puissance des esprits ; des entêtés
s'acharnent à la découverte de la pierre philo-
sophale; mais les crimes sont rares. Si des
personnes affolées vont jusqu'à demander au
liable de les délivrer d'un joug détesté, par la
mort de ceux qui les font souffrir, ces souhaits
n'impliquent plus que rarement une action
directe. Nous sommes loin des envoûtements
!.. Mercier, Tableau de Paris, édit. de Hambourg, p. 269.
392 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
du Moyen âge et des empoisonnements qui
assombrirent le xvii" siècle.
Deux désirs caractérisent la passion du mer-
veilleux désormais : celui de se procurer de
grandes richesses et celui de connaître l'avenir,
ce dernier, poussé à l'exaspération. Ne négli-
geons pas la curiosité de voir le diable, curio-
sité qui ne se lassera pas de longtemps. Enfin,
l'éclosion, tout au moins le développement de
la névrose, favorisé par des circonstances par-
ticulières va produire ces troubles et ces désor-
dres nerveux qui, en se communiquant à la
manière d'une épidémie, amèneront des mani-
festations hystériques de la foule. Nous aurons
alors les convulsionnaires de Saint-Médard et
les assemblées des Elisiens. Je ne m'occuperai
pas de ces manifestations collectives, en tout
cas de la première ; elles sortent du cadre de
cette étude. Mais je préciserai quelques cas
spéciaux qui s'y rattachent d'une certaine ma-
nière. Un tel état endémique de névrose pro-
duisait des effets variés. Chez le duc d'Orléans,
tils du Régent \ par exemple, il se traduisait
par une croyance à la métempsycose. Pour
i. Louis III, duc d'Orléans, 1703-1752.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 393
lui, ni Louis XIV, ni Henri IV n'étaient morts,
non plus que mesdames de Gontaud, d'Alin-
court et quelques autres. Ce prince cependant
était pieux, intelligent, instruit et distingué
dans les sciences. Le comte de Boulainvilliers,
dont Saint-Simon loue les connaissances éten-
dues et le sérieux de l'esprit, s'occupait d'as-
trologie et se flattait de prédire l'avenir. On
voit par là que l'intelligence et l'instruction,
pas plus que la foi religieuse, ne mettent les
hommes à l'abri des superstitions.
Ce bon M. de Boulainvilliers, dont la manie
de prophétiser toujours dangereuse, l'est beau-
coup plus encore, ainsi que le fait remarquer
Luynes, quand on réussit quelquefois, ne se
trompa que de huit jours sur la date de sa mort.
Avant de tomber juste pour lui-même, il s'était
fait une réputation. On le consultait de toutes
parts. Madame de Nointel fut de ses clientes.
Il lui annonça qu'un grand malheur la mena-
çait vers l'âge de quarante ans. Pensant que le
plus grand malheur qui lui pût arriver était de
mourir, elle ne douta plus que ce fût sa mort
que Boulainvilliers lui avait prédite. A mesure
que la date fatale approchait, elle s'alarmait;
son imagination travailla ; elle prit la fièvre ;
394 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
les nerfs s'en mêlèrent; bref, elle trépassa un
peu avant d'avoir atteint la quarantaine ^
Il y a là un exemple très net du travail
d'auto-suggestion qui peut se faire dans un
esprit fortement impressionné. Le docteur
Perry a signalé ce danger réel auquel s'exposent
les personnes qui « se font dire la bonne aven-
tura ». Ce n'est pas le seul. « Les somnambules,
ajoute-t-il, cartomanciennes et chiromanciennes
exercent une action néfaste sur la santé men-
tale des consultants. Selon le terrain rencontré,
elles peuvent, par leurs consultations, donner
naissance à des névroses et à des psycho-
névroses plus ou moins graves -. » Mais pas-
sons.
On sait que le Régent était un fervent de
sorcellerie. Un peu par désœuvrement, un peu
par curiosité, un peu aussi par superstition,
encore qu'il s'en défendît, il aimait voir des
sorciers, les interrogeait, s'intéressait à leurs
pratiques. Il ne doute pas, pendant longtemps,
des prodiges accomplis par Jacques Aymard.
Il l'avait installé au Palais-Royal et lui faisait
faire des expériences devant toute la cour. Un
1. Argenson : Mcmoires, édit. clz., t. II, p. 208.
2. tes somnambules extra-lucides, op. cit.
DISEUSES DE BONXE AVEMURE 395
moment, il s'engoue de Sollier, autre devin
célèbre. Il rend visite incognito à un tailleur,
réputé comme devin'. Les femmes de la
Régence, madame de Sabran, madame de Pha-
laris, madame de Parabère, suivant en cela
d'ailleurs le goût de la duchesse de Berry,
remplaçaient volontiers la messe par des
séances chez la chiromancienne. Et les roués,
Broglie surtout, dont le sang italien restait
vivace, tout en niant bien haut Dieu et le
diable, passaient leur temps à blasphémer l'un
et à courir les sorcières qui leur promettaient
de leur montrer l'autre.
Parmi les « voyantes » les plus renommées
du xv!!!*" siècle, on n'aurait garde d'oublier la
Bontemps. S'il faut ajouter foi à ce que nous
en dit madame du Hausset, il est clair que cette
femme eût vraiment, en diverses occasions, ce
que l'on pourrait appeler « d'heureuses ren-
contres ». Elle avait prédit à madame de Brancas
que la tète de sa meilleure amie était menacée,
mais qu'il n'arriverait rien de fâcheux. Effecti-
vement, peu de jours après, madame de Pom-
padour fat blessée par un portrait du roi qui
1. Mé/noiiC ' .
396 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
lui tomba sur la tête au moment où elle fermait
son secrétaire. Elle avait dit à Bernis : « Vous
êtes venu au monde presque noir. » Et Bernis
affirmait que c'était vrai. (Sans doute le savait-
il par ouï-dire, car il n'y a pas apparence qu'il
s'en souvînt...) Elle lui avait dit encore, un
jour : « Vous avez bien de l'argent avec vous,
mais il ne vous appartient pas. » Effectivement,
cet argent était au duc de la Vallière. Enfin, à
lui toujours, elle avait prédit le petit accident
arrivé à la Pompadour, dont il a été fait men-
tion. Madame du Hausset, dans ses Mémoires,
relate tout au long la consultation donnée à la
favorite par la Bontemps. Madame de Pompa-
dour, voilée, méconnaissable, se fit tirer son
horoscope « qui se trouva juste en presque tous
les points ». Mais ce qui frappa le plus madame
du Hausset au cours de cette consultation, c'est
que la Bontemps parla constamment d' « un
consolateur qu'avait la patiente et qui jouait un
grand rôle dans sa vie ». Or, madame de Pom-
padour avait, en effet, un oncle qui avait pris
soin d'elle et lui avait rendu les plus signalés
services ^
1. Mémoires de madame du Hausset.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 397
Une autre prédiction de la Bontemps, qui,
celle-ci encore, se réalisa, est curieuse par l'in-
vraisemblance qu'elle soulevait. N'avait-elle
pas annoncé que mademoiselle Bontemps épou-
serait un homme de bon rang, riche de soixante
mille francs de rentes? Quelle probabilité! Cela
fut pourtant. Mademoiselle Bontemps épousa
le président Beaudoin, homme fort riche et
bien en cour. La jeune femme mourut en
couches de son premier enfant, ainsi que l'avait
assuré sa mère. Mais rien n'empêche de voir
ici un de ces cas d'influence néfaste dont parle
le docteur Perry. La Bontemps, je dois l'avouer,
dussé-je lui attirer le dédain de nos chiroman-
ciennes modernes, prisait peu les lignes de la
main et préférait demander au marc de café les
secrets des destins.
Elle avait, est-il besoin de le dire, des con-
currents en masse. Le faubourg Saint-Marceau,
on ne sait trop pourquoi, était particulièrement
bien fourni de devineresses, de magiciennes,
d'astrologues. Au fond de ruelles puantes, dans
des logements obscurs, misérables, sordides *,
combien différents de ceux habités de nos jours
1. De Luchet, Mémoires authentiques pour servir à ffiù-
toire de Caglioslro.
23
398 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
par les sibylles à la mode, les unes essayaient
de faire de l'or ; les autres composaient des
élixirs ; ceux-ci tentaient de grossir des dia-
mants ; ceux-là, plus modestes, travaillaient
simplement à grossir leur bourse en tirant les
cartes aux grisettes.
« On n'est pas des princes ! » Il n'est pas donné
à tout le monde d'avoir pignon sur rue, et le
métier serait trop beau, qui permettrait à tous
ceux qui l'exercent de parader, vêtus de velours
et de soie, la poitrine chamarrée, dentelles aux
manches, jabot au menton, épée au flanc, dans
les salons, chez les princes, à la cour, comme
Saint-Germain. Petit, maigre, plein d'esprit, cet
aventurier de haut vol se faulile partout,
éblouit les uns, étonne les autres, prédit l'ave-
nir, « fait disparaître les taches des diamants* »,
se vante de fabriquer de l'or, conte négligem-
ment qu'il a vécu au temps de Jésus-Christ. Le
plus invraisemblable n'est pas qu'il le dise,
mais qu'on le croie. Toute la société l'écoute
avec admiration ; on l'entoure, on le choie, on
le craint vaguement. Louis XV est plein de
considération pour lui^. Pendant des années,
1. Mémoires de madame du Hausse t, op. cit.
2. Jbid.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 399
il poursuit sa carrière. Quelle carrière! Qu'est-
il au juste? Un peu sorcier, un peu charlatan,
un peu spirite, sans doute. Mystificateur, à
coup sûr; d'aucuns diront, un peu espion. Bon
homme, au fond, avouant dans l'intimité qu'il
n'est pas très assuré d'avoir vécu dans l'anti-
quité, mais qu'il est enchanté de le laisser
croire. Il constituerait un exemple frappant de
ce que peuvent la hardiesse, le cynisme, l'im-
pudence, jointes à quelque esprit, lorsqu'il
s'agit d'en imposer à la crédulité et à la sottise
publiques, si par ailleurs nous n'en avions un
exemple plus extraordinaire en la personne de
Cagliostro.
Sur Cagliostro comme sur Saint-Germain,
tout a été dit, et le lecteur ne me pardonnerait
pas d'insister longuement sur cette physionomie
trop connue. Parti fort besogneux dePalerme,
il erre d'abord en Italie, vivant de menues
filouteries, escroquant par-ci, escroquant par-
là, moitié bateleur, moitié ruffian, cherchant
sa voie. Il semble bien que, de son entrée dans
la Maçonnerie, datent et son ambition et le
commencement de sa fortune. Celle-ci fut pro-
digieuse. Avait-il, ainsi qu'on l'a cru, rencontré
Saint-Germain, alors expulsé de France et lui
400 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
aurait-il emprunté quelques-uns de ses trucs,
de ses boniments et ses recettes? C'est pro-
bable, car, surtout au début de son séjour en
Allemagne, il l'imite visiblement. Mais c'est un
imitateur qui ne tardera pas à dégager sa per-
sonnalité. Son grand art fut de savoir jeter de
la poudre aux yeux. Il n'ignore pas que le
peuple — et même les grands, — sont sensibles
aux apparences de la richesse, et combien
l'extérieur agit sur les imaginations. Aussi a-
t-il soin de ne paraître jamais que somptueuse-
ment vêtu, couvert de diamants, (faux d'ail-
leurs, mais qui s'en serait avisé?) suivi d'une
valetaille nombreuse dont la livrée magnifique
coûte vingt louis ; il voyage dans une chaise de
poste des plus confortables, roule Paris dans un
carrosse de gala, sème l'argent à pleines mains.
Ce n'est pas un charlatan, c'est le charlatan.
Mieux, c'est un psychologue, et un psycho-
logue fort averti. Sur ses pas, la foule s'amasse,
s'enthousiasme, tombe dans le délire. Berlin,
Leipzig, Venise, l'ont accueilli avec transports
et ne voilà-t-il pas que les habitants de Mittau
en veulent faire leur maître aux lieu et place de
leur prince, le dac de Courlande, qui a cessé
de leur plaire. Varsovie lui tresse des cou-
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 401
ronnes. Le roi l'accueille comme un égal, et il
suffit qu'il annonce à une vieille dame qu'elle
aura prochainement un accident de voiture, ce
qui se réalise, pour que toute la Pologne soit à
ses pieds. Il quitte ce pays, « emportant pour
plus de trente mille francs de diamants (vrais,
ceux ci î), des pierres précieuses et des sommes
immenses*.
Au cours de cette marche triomphale, il ne
paraît pas douteux qu'il fut singulièrement aidé,
poussé, soutenu par la franc-maçonnerie dont
il était un actif agent et dont l'influence qu'il
avait prise sur ses clients servait admirable-
ment les desseins. Cela suffit-il à expliquer la
vogue du fameux charlatan? Je ne le pense pas.
L'élément principal de ce succès, c'est dans
l'état d'àme du xviii' siècle qu'il le faut cher-
cher. Une société brillante, corrompue, in-
quiète, curieuse, légère, assoiffée de nouveauté,
en quête d'un idéal facile, devait mordre à
l'hameçon qu'on lui tendait. Elle y mord.
L'engouement ne connaît bientôt plus de bor-
nes. Ségur, Vergennes, Miromesnil, émus jus-
qu'aux larmes par le récit des bienfaits de
1. H. d" Aimeras, Cagliostro. Cf. aussi : Confessions du
comte de Cagliostro.
402 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Gagliostro à Strasbourg, lui décernent un
brevet flatteur d'honorabilité (l'ancien ruffian
de Vérone et de Milan dut rire sous cape). Ily
est question de sa figure qui exprime le génie,
de ses yeux qui lisent dans les âmes, etc. A
Strasbourg, d'ailleurs, il a trouvé son homme,
qu'il ne lâchera plus et conduira à la honteuse
affaire du collier: Rohan, pour lui, est mieux
qu'un client, un ami, un protecteur, une sau-
vegarde. A l'abri de sa soutane rouge, il va
pouvoir se livrer impunément à ses fantaisies, à
ses opérations louches, à toutes les aventures
les plus cyniques.
Aussi bien la renommée de Gagliostro a gagné
les provinces. Du fond de son abbaye, la prin-
cesse de Rohan-Rochefort écrit : « Ma santé, qui
est dans un état déplorable, m'a "obligé à rester
ici plus longtemps que je n'avais compté;
cette même raison m'a empêché de suivre le
projet que j'avais d'aller en Alsace suivre le
traitement de Gagliostro, n'étant pas en état de
supporter le voyage *. » Lyon, où il séjour-
nera un an (1784-1785) à l'hôtel du Parc, le
■1. Lettre de la princesse de Rohan-Rochefort à madame
de Tournon, 28 juillet 1781. (Arch. du Vergier.)
DISEUSES DE BON^E AVENTURE 403
comble de cadeau et lui rend des honneurs
incroyables'.
Mais si l'étranger et la province raffolent de
lui, quel terrain il trouve à Paris! Ce milieu
nerveux, surexcité, maladif, lui est acquis
d'avance. Derrière Rohan, Richelieu, d'Estaing,
Boufflers, tous les grands, mais les femmes
surtout, les femmes les plus riches, les plus
honorables, toutes les femmes, la comtesse de
Brienne, mesdames de Polignac, de Brancas,
de Ghoiseul, d'Espinchal, de Genlis, de Lo-
ménie, de la Blache, toutes, toutes, s'engouf-
frent dans la « chambre égyptienne » de l'ap-
partement qu'il occupe rue Saint-Claude, appar-
tement désormais historique et sur lequel
M. Lenôtre nous a donné de si intéressants dé-
tails-. Dans ce local somptueux (Ah! que nous
sommes loin de la maison borgne de la Voisin!)
le Maître rend ses oracles, fait lire l'avenir par
sa « voyante » Lorenza, rencontrée par lui quel-
que part, qu'on appelle maintenant Séraphine,
depuis qu'il l'a élevée à la dignité d'épouse,
et qui charme tout le monde par sa distinc-
tion, « encore qu'elle ait un peu trop de goût
1. Péricault, Séjour de Caglioslro à Lyon.
2. G. Lenôtre, Vieilles tnaisons, vieux papiers, 1" série.
404 FILLES XOBLES ET MAGICIENNES
pour les couleurs vives* ». Là il promet à l'un
de lui fournir de l'or, à l'autre de le rajeunir,
à ceux-ci de les faire aimer de leurs maîtresses,
à celles-là de les débarrasser de leurs amants ;
il vaticine, pontifie, prophétise dans un baragouin
que rend plus incompréhensible encore son
accent sicilien; là enfin, remplaçant Mesmer
démodé et voué aux gémonies, il tranche du
médecin pour le moins autant que du sorcier.
Médecin, il prétend l'être, comme il se prétend
fils du Chérif de la Mecque et avec autant de
raison ! Rien ne manque à sa gloire, pas même
de voir ses traits immortalisés par Houdon
dans la splendeur du marbre^.
Or, ce charlatan qui joue au gentilhomme^,
au fond est un pleutre. A Saverne, chez Rohan,
un soir à table, il traite le marquis de Noailles
d'impertinent. « Sortez, monsieur, lui dit
Noailles; vous me rendrez raison sur-le-champ.
— Oui, oui, sortons, crie Cagliostro, qui cepen-
dant se faisait tenir à quatre, c'est une affaire
1. Cagliostro, op. cit.
2. Correspondance, secrète, l'^sept. 1785.
3. Un occultiste a tenté récemment une sorte de réhabi-
litation de Cagliostro, qu'il qualifie « d'être génial et
bon ». C'est aller loin quand il s'agit d'un aussi notoire
escroc.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 405
de la vie ou de la mort, bisogno quoun des
deux y reste. Choisissez une arme. — Eh! par-
bleu, Tépée, fait Noailles. — Bon cela, reprend
Cagliostro, moi je choisis mon arme. — Eh!
quelle donc? — Eh! parbleu, l'émétique... Vous
me passez votre épée à travers le corps, je vous
passe mon émétique à travers le gosier; après,
vivra qui pourrai... » Quoique le marquis
fût rouge de colère, il fallut bien rire, car
toute la société riait'. » C'est un pleutre doublé
d'un bouffon. Et cela ne fait-il pas rêver, ce pitre
italien qui, parce qu'il se dit un peu sorcier,
pendant des années, voit la Cour et la Ville, que
dis-je, les cours et les villes à ses genoux!...
Près de cet astre de première grandeur,
gravitaient de multiples satellites. Sans compter
les somnambules et magiciens qui encombrent
le Pont-Neuf, foule anonyme de sorciers
c pour petites gens », que d'autres ont su se
faire une place enviable ! La Lebon est morte,
à qui madame de Pompadour faisait une pen-
sion, pour lui avoir entendu dire qu'elle serait
la maîtresse du roi. Mais nous avons toujours
Bleton, que M. de la Lande attaquait si fort,
4. Souvenirs du baron de Frenilly.
23.
406 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
disant qu'il « aimerait mieux croire en Jésus-
Christ qu'en Bleton* » ; le juif Jonas, Pinetti,
Ledru-Comus (grand-père de Ledru-Rollin),
Rupano, Augier, ces derniers qui joignent à
leur métier de devin celui d'escamoteur ; nous
avons cet individu, dont parle le comte de Ro-
chefort, qui attirait la curiosité de la Cour par
son lutrin enchanté ^ ; nous avons les séances
chez madame de Goislin, où une jeune per-
sonne, magnétisée par Puységur, fait sans hé-
siter tout ce qui lui est commandé^; nous
avons la femme Laloux. Celle-ci avait dit à
Choiseul qu'il mourrait dans une sédition, ce
qui ne fut pas tout à fait inexact, puisque l'an-
cien ministre mourut entouré de douze méde-
cins qui se disputaient violemment sur les
moyens propres à le guérir ! Quelques années
plus tôt, une diseuse de bonne aventure avait
eu son heure de célébrité. Elle se faisait ap-
peler mademoiselle de Gruzolset fut longtemps
l'hôte de la marquise de Gastelnau. Connaissant
une quantité de secrets, se flattant de posséder
« le livre des planètes » et « les clavicules de
1. Correspondance secrète, édit. Lescure, p. 493, t. I.
2. Souvenirs du comte de Roche fort.
3. Correspondance secrète, cdit Lescure, 11 avril 1785.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 407
Salomon », elle était surtout recherchée par
ceux qui voulaient voir le diable ^ Cette manie
n'avait pas disparu. Le duc d'Olonne et la
comtesse de Montboissier firent tous les sacri-
fices pour entrer en communication avec « les
diables de Montrouge », à qui ils demandaient
des sommes considérables. Madame de Mont-
boissier, pour sa part, n'exigeait pas moins de
quinze millions qu'elle entendait trouver < dans
son petit cabinet vert ». Pour arriver à ce beau
résultat, le duc et la comtesse s'étaient mis
entre les mains d'un certain Lafosse, homme
fort spirituel, et galant, que madame de Bé-
thune protégeait, et qui s'occupait de sorcel-
lerie, grâce aux relations qu'il avait avec des
esprits célestes : Varcan roi, Gassiel prince,
Anciel et Mathael. Comment se termina toute
cette aventure où figurent de nombreux com-
parses, il serait trop long de le rapporter ici.
Ni le duc ni la comtesse ne recueillirent, bien
entendu, les sommes qu'ils attendaient ; en
revanche, ils en déboursèrent d'assez fortes
qui passèrent dans la poche de Lafosse. Un
procès eut lieu, mais seuls les comparses furent
i. Bibliothèque de l'Arsenal: niss. 10880.
408 FILLES JSOBLES ET MAGICIENNES
condamnés, notamment ceux qui avaient joué
le rôle des diables ^
Vers le même temps, Richelieu était soup-
çonné d'avoir, étant à Vienne, assisté avec le
comte de Westerloo et l'abbé de Zinzendorf, à
des séances de magie organisées par un char-
latan qui se faisait fort de leur montrer Belzé-
buth^
Vers le même temps encore, un homme qui
annonçait qu'il s'enfermerait dans une bouteille,
un faiseur de miracles, Gosse, dit Elie, entraî-
nait tout Paris. Trente mille personnes cou-
raient chaque jour rue des Ciseaux où il tenait
ses assises. Aveugles, mendiants, éclopés, boi-
teux, bossus, toutes les lèpres, toutes les souf-
frances, toutes les infortunes se donnent ren-
dez-vous dans la demeure de ce magicien, de
ce prophète qui guérit un malade rien qu'en
le touchant. « Sans la police, on l'aurait
fait dieu», dit Mercier^ Songez quel brave
homme; il n'accepte pas d'argent! Sa femme,
il est vrai, l'accepte pour lui... Ainsi n'y perd-
1. Ch. de Coynard, Les malheurs d'une grande dame sous
Louis XV.
2. Journal de Barbier t. II, p. 9. Cf. aussi Duclos, t. II,
p. 265.
3. Mercier, Tableau de Paris.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 409
il rien. Il se retirera dans une honnête aisance.
Riche également deviendra Eteila, le cé-
lèbre Eteila, professeur de magie, mais sur-
tout devin, dont les consultations attirent la
meilleure société dans son infâme logis de la
rue Fromenteau. Les grands seigneurs n'é-
sitent pas à crotter leurs bas de soie, ni les
jolies femmes à risquer leurs petits souliers de
satin dans la boue gluante de cette rue sordide,
non plus qu'à monter les cinq étages qui con-
duisent à son taudis. Il se refuse, en effet, à
changer de logement. Il suit fidèlement la tra-
dition des sorciers du vieux temps qui recher-
chaient de préférence les galetas sombres et
sales, les masures borgnes et branlantes,
comme rappelant mieux l'antre de la sibylle*.
Pourquoi ne consulterait-on pas ce devin
peu ragoûtant, quand la manie superstitieuse
est poussée à un tel degré qu'on consulte même
des fous. « Deux dames sont allées aux Petites
Maisons, lit-on dans les Mémoires secrets, la
veille du tirage de la loterie génoise, pour se
faire choisir cinq numéros. Le fou à qui elles
s'adressèrent rêva avec beaucoup d'attention,
1. Le vieux Paris, op. cit.
110 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
écrivit hâtivement cinq numéros sur un petit
papier, le roula, l'avala, en disant : « Mes-
dames, je vous assure qu'ils sortiront demain. »
Eh! Eh! cet hôte des Petites Maisons n'était
peut-être pas si fou qu'il paraissait l'être...
Les femmes surtout continuent de se mon-
trer enragées. Rien ne les arrête, rien ne les
fait reculer. Signale-t-on quelque nouvelle pro-
phétesse, elles n'ont cesse d'y voler, au risque
de tomber dans un guet-apens. C'est ce qui
advient à la marquise de l'Hôpital et à la mar-
quise de la Force. Ayant entendu parler d'une
étrangère qui « prédit l'avenir comme un
ange », elles se font conduire dans le quartier
habité par la donzelle, laissent leur carosse vis-
à-vis d'une église voisine, et délibérément, ga-
gnant à pied une ruelle déserte, grimpent l'es-
calier boiteux d'une maison de vilaine appa-
rence. La sorcière leur déclare que si elles
veulent causer avec le diable, il convient d'a-
bord qu'elles se dépouillent de tous leurs vête-
ments. A quoi, les folles n'ont garde de man-
quer. La sorcière, alors, emporte les habits,
en disant qu'elle va revenir, ferme la porte et
décampe. Les deux dames, comprenant enfin,
jettent des cris ; des voisins accourent ; on les
DISEUSES DE BONNE AVENTL'RE 411
délivre; la police, les prenant pour des drô-
lesses, les veut conduire en prison. Il fallut
qu'elles donnassent leurs noms*. Ce tour les
guérit-elles de leur manie? On n'en jurerait
pas.
A une autre dame, dont le nom n'est pas
parvenu jusqu'à nous, il arriva une aventure
également singulière. Elle aussi voulait voir
Satan. La sorcière qu'elle avait mandée à son
domicile, la fait déshabiller, selon les bonnes
traditions, mais voilà que soudain, le mari entre.
Il aperçoit sa femme toute nue, croit à quelque
galant caché et le cherche avec fureur. Il finit
par découvrir la vieille pythonisse derrière un
rideau, flaire la vérité, remet son épée au four-
reau et, comprenant qu'il ne s'agit que du
diable, se montre bon prince. Il avait craint
beaucoup pis...
1. Argenson : Mémoires édit. eizev., t. IV, p. 71. — Cette
anecdote, comme la suivante, se trouvent aussi dans les
Mémoires secrets, 16 octobre 1775 et 22 mars 1777 .
Les voyantes et la Révolution. — Les hommes de la
Révolution croyaient-ils aux prédictions ? — On n'a-
vait pas le temps de s'occuper de l'avenir. — Le Di-
rectoire, époque triomphale pour les diseuses de
bonne aventure. — Martin. — Madame Michel. —
L'épouse du sieur Garic. — Crise de crédulité due
aux événements extraordinaires que l'on a sous les
yeux. — L'Impératrice Joséphine. — Mademoiselle
Lenormand. — Napoléon était-il crédule? — En-
core mademoiselle Lenormand. Elle a de nombreuses
émules en province. — Mais elle est la dernière
grande cartomancienne. — Les annonces. — Gué-
rison de la timidité. — Ne sourions pas des per-
sonnes qui croient aux prophéties. — Les médiums. —
Forces psychiques inconnues. — Intelligence possible
de l'avenir et charlatanisme. — Nos sibylles mo-
dernes.
Si toutes ces sibylles, si nombreuses au
XVIII* siècle, si toutes ces devineresses, si tous
DISEUSES DE BOXE AVENTURE 413
ces magiciens ne sont pas de simples charla-
tans, exploiteurs de la naïveté publique, comme
ils ont dû lire de terribles choses dans les
cartes, dans le marc de café, ou dans les lignes
des petites mains tremblantes d'émotion jolie
que leur tendaient tant de femmes élégantes,
nobles, insouciantes et crédules. On raconte
bien que Ga20tte vit dans une carafe des tètes
coupées, des tètes sanglantes, et qu'à quel-
ques-unes des futures victimes de l'échafaud,
il prédit leur sort. ' On aimerait savoir à com-
bien de ces gentilshommes qui pivotent encore
sur leurs talons rouges, à combien de ces
femmes de la Cour, on prophétisa l'exil, la
prison, la mort — le genre de mort qui les
guette! Quels sont ceux ou celles dont la vie
souriante fut traversée par l'horrible vision
soudain entrevue à la clarté d'une prédiction ?
Mais, aussi bien, quel est celui, quelle est celle
qui n'eût pouffé d'entendre la pythie parler de
prison ou d'échafaud ? La prison, l'échafaud!
bon pour ces sorcières qui peu ou prou entre-
tiennent commerce avec le diable, ce dont
1. Au dire de La Harpe, qui place la scène chez la Du-
chesse de Gramont, Bailly, Viq d'Azir, Malesherbes,
Chamfort, Nicolaï y assistaient.
414 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
l'officialité pourrait bien un jour s'offusquer à
nouveau et leur demander compte, comme au
Moyen âge !
Prison, échafaud, les voici pourtant! Et ce
ne sont point les sorcières qui vont dans l'une,
montent à l'autre. Vous ne leur aviez pas
prédit cette fin lamentable, à vos clientes,
diseuses de bonne aventure, tireuses de cartes,
voyantes. Aviez- vous donc peur de les effrayer?
Mais aviez-vous prévu que Marat serait demi-
dieu et que M. de Robespierre demanderait
cent mille têtes ?
J'eusse été curieux, je l'avoue, de découvrir
quelques renseignements sur la part de supers-
tition qui avait pu subsister dans le cœur des
hommes de la Révolution, dont la plupart
avaient connu les dernières années d'engoue-
ment pour Gagliostro et autres magiciens. Il eut
été amusantd'apprendre que Danton, Saint-Just,
Desmoulins ou encore l'aimable Fouquier-Tin-
ville, entre deux discours sanguinaires ou entre
deux « charrettes », se glissaient dans l'antre
d'une pythonisse et s'efforçaient de lui arracher
quelque révélation sur leur avenir, sur le len-
demain. A vrai dire, je ne suis pas surpris de
n'avoir rien trouvé sur ce sujet. Les hommes
DISEUSES DE BOXXE AVENTURE 415
de la Révolution, pour superstitieux que pus-
sent être restés beaucoup d'entre eux, ne
devaient guère songer à consulter les devins.
Les temps vont trop vite. L'avenir, c'est l'heure
qui va suivre, c'est tout de suite! C'est cet
homme qui se lève à la tribune et qui va vous
dénoncer; c'est ce sans-culotte qui vous heurte,
et qui, pris de vin, hurle « à l'aristocrate ».
L'avenir, on le joue à toute minute, et, à toute
minute, on le peut perdre. Allez donc tendre
la main à la sibylle, quand, sans relâche, on
tend à la guillotine son cou.
Il faut que le bourreau se lasse un peu pour
que reprenne le commerce de la divination.
Nous ne goûtons sincèrement la curiosité de
connaître notre avenir qu'à la condition de le
croire à peu près assuré et, pour s'intéresser
aux secrets de sa propre vie, il n'est rien que
d'être d'abord à peu près sûr de vivre.
Or, je le demande, quand parut-on aussi
certain de vivre qu'à l'époque du Directoire.
Parce que l'échafaud avait été démonté et que
le sang ne giclait plus tous les jours sur les
places publiques, il semblait à chacun que la
mort était indéfiniment éloignée, qu'on avait
rayé la mort ! Tout homme après un grand
416 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
danger couru, où sa vie fut en jeu, s'imagine un
instant qu'il est désormais immortel. Impres-
sion délicieuse, malheureusement trop courte.
Ce fut exactement celle que l'on ressentit au
lendemain de Thermidor, et voilà pourquoi, en
même temps qu'on se ruait aux bals, aux fêtes,
aux amusements les plus divers, les plus vio-
lents et les moins choisis, comme dans une furie
de jouissance, on se précipitait aussi chez les
cartomanciennes, car, maintenant qu'on allait
vivre, c'était bien le moins qu'on sût comment et
dans quelles conditions de fortune et de bonheur.
Comme toujours, les femmes sont les plus
empressées. Elles ont perdu l'habitude de
croire en Dieu, mais non pas de croire en la
tireuse de cartes. Mon amant me reviendra-
t-il, qui me quitta hier? Trouverai-je un mari
riche, en remplacement de celui d'avec qui j'ai
divorcé ce matin? Ma bague, ma bague que je
perdis à Tivoli, où est-elle? me la rendra-t-on?
Si tu me fais rapporter mon petit chien qui
s'est égaré ou qu'on m'a volé, tu auras cent
livres en assignats, bonne sorcière. Barras
quittera-t-il Thérézia pour moi? Quelle robe
dois-je mettre aujourd'hui pour attirer les
regards du divin Garât?...
DISEUSES DE BOXXE AVENTURE 417
Où trouver réponse à des questions si graves?
Mais, rue de Lancry, par exemple, chez ma-
dame Villeneuve, qui du tarot sait tirer des
oracles précis. N'est-ce point à elle que Bour-
rienne attribuera la fameuse prédiction faite à
Joséphine, durant la campagne d'Egypte?
Affirmation controversée, d'ailleurs, mais
qu'importe? Ira-t-on chez Martin, plus célèbre,
plus achalandé? Il habite, ce Martin, rue d'An-
jou-Dduphine, un abominable logis, poussié-
reux, vermineux, meublé de chaises de paille
et d'une table de bois dégoûtante de crasse.
Vilain comme un singe, cul-de-jatte, par-
dessus le marché, les yeux chassieux, il se tient
derrière cette table boiteuse, un jeu de tarots
graisseux entre les doigts. Ce gnome est plein de
gaieté, de cynisme et d'impertinence. Il accueille
par des plaisanteries vulgaires débitées avec un
fort accent italien, la foule de visiteurs et de
visiteuses qui m'ont pas craint de venir jusqu'à
lui et paient très cher ses consultations. On
estime son gain à sept ou huit louis par jour.
Chaque avenir a son tarif, et la cote de l'am-
bition n'est pas la même que celle de l'amour ^..
1. Le vieux Paris, op. cit. Cf. aussi d' Aimeras, La vie
parisienne sous la Révolution et le Directoire.
4-18 FILLES .\OBLES ET MAGICIENNES
Madame Michel, non moins appréciée, lit le
destin dans le blanc d'œuf. C'est une spécia-
liste à laquelle s'adressent de préférence les
personnes en quête d'un trésor. Et l'on pense
si la clientèle est fournie ! De la clientèle, il y
en a pour tous les devins, pour toutes les pro-
phétesses. Le Directoire est l'âge d'or de la
sorcellerie. Certes, il est beaucoup moins ques-
tion de revenants, de fantômes, de diables,
mais les petits livres de secrets magiques four-
millent à tous les étalages de librairies. Les
murs sont couverts d'affiches indiquant les
moyens infaillibles de gagner à la loterie,, la
clef des songes, l'explication des pronostics.
Carrefours, places, boulevards sont remplis
dlastrologues et de devins des deux sexes. Il y
en a plus de cinquante établis entre la Made-
leine et la rue Vieille-du-Temple ^ Ces prophé-
tesses au rabais se faisaient connaître au public
par des réclames plus ou moins ingénieuses.
Je dois à l'obligeance de l'érudit et prestigieux
évocateur du vieux Paris, M. Georges Gain,
d'avoir tenu entre mes mains un de ces pros-
pectus que les sibylles de l'époque faisaient dis-
1. Kotzebue : Souvenirs de Paris.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 419
tribuer au coin des rues. Le voici : « V épouse
du sieur Garic donne ses avis sur le passe' et
Vavenire tracer la conduite du Bien. Donner le
préservatif du Maie. Elle est visible jusqu'à
midi place du Gué, lY"* 43, près la porte du
fage o premier. » Espérons que cette devine-
resse était plus forte sur Vavenire que sur Tor-
thographe!...
Sous l'empire, et après l'empire, la crise de
crédulité devient plus aiguë. Que de parents,
que de femmes veulent se renseigner sur le
sort d'un fils, d'un mari, d'un frère, drainé
comme tant d'autres par l'impitoyable cons-
cription, parti derrière le terrible mangeur
d'hommes, ayant avec lui promené la gloire
sur toutes les routes de l'Europe, et dont depuis
un an, cinq ans, dix ans, on ne savait pl-us
rien. Que de fortunes en déshérence par suite
de la disparition du légitime propriétaire? Où
était-il celui-là? Avait-il péri dans quelque
prison révolutionnaire? Etait-il tombé au cours
de quelque émeute obscure ? L'avait-on aban-
donné dans les steppes de Russie? Tout con-
courait à surexciter l'inquiétude, l'ambition,
la curiosité. Etrange époque où les choses les
plus extraordinaires se réalisaient, devenaient
420 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
communes. En voyait-on de ces hommes qu'on
avait cru morts et que l'on avait oubliés, repa-
raître soudain, réclamer un héritage déjà passé
en des mains étrangères ? En voyait-on errer
par les chemins à la recherche d'une famille
dispersée, de biens vendus, de fortunes jadis
confiées h quelque serviteur qu'on croyait
fidèle ou simplement cachées hâtivement dans
un mur, au fond d'un parc, ou dans un châ-
teau dont il ne reste plus maintenant pierre
sur pierre ! . . .
Si la superstition et la crédulité ont jamais
eu d'excuse, convenons que c'est bien à ces
heures troublées, tourmentées, où le merveil-
leux semblait s'être humanisé au point que les
événements auxquels on assistait tenaient eux-
mêmes du prodige. Ces nations qui demandent
grâce, ces royaumes qui passent comme des
muscades, ces capitales dont la France fait de
simples préfectures, ces rois dépouillés, ces
soldats qu'on fait rois, ce mince officier d'ar-
tillerie qui s'installe sur le trône des Bourbons,
et puis le retour de la fortune, la défaite qu'on
ne connaissait plus, et de nouveau, les rois qui
reprennent leur place et l'empereur qu'on
exile, qu'on chasse, qu'on emprisonne dans
DISEUSES DE BON.VE AVENTURE 421
une île lointaine, et tous ces gens qui n'étaient
rien et qui sont ducs et princes, et tous ces
autres qui commandaient, gouvernaient, et qui
ne sont plus rien. A qui entendre? Comment
ne pas perdre la tête? Est-on bien sûr de ne
point rêver? Et, pour s'y reconnaître, dans ce
tourbillon, dans ce chaos, vraiment ce n'est
pas trop qu'il y ait des prophètes, des devins pour
expliquer, annoncer, mettre un peu d'ordre
et vous aider à déchiffrer l'énigme où l'on vit.
Mademoiselle Lenormand, malgré toute sa
sagacité et les lumières dont elle dispose, n'y
voit pas toujours clair.
C'est à Joséphine qu'elle doit une bonne
partie de sa renommée. Joséphine n'est pas
pour rien fille des îles où les sorciers jouissent
d'une influence au moins égale à leurs préten-
tions. Est-il vrai qu'étant enfant, à la Marti-
nique, une vieille femme qui disait la bonne
aventure lui ait assuré « qu'elle serait reine de
France » et que mademoiselle de la Pagerie
ayant d'abord traité cette prédiction d'absurde ,
puis l'ayant oubliée, ne commença d'y attacher
de l'importance que le jour où elle devint veuve
de Beauharnais*? Il se peut bien. Toujours est-
1. Mémoires sur rimpératrice Joséphine. Paris, 1828.
24
422 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
il qu'elle conserva beaucoup de goût pour les
devineresses et qu'elle ne se défendait pas de
croire à leurs oracles. Mademoiselle Lenor-
mand ne pouvait manquer de la séduire et la
séduisit en effet. Il n'est pas bien certain que
mademoiselle Lenormand lui ait prédit que son
fils deviendrait prince et que sa fille épouserait
un soldat qui serait roi. Gela a pu être arrangé
après coup. Il n'en reste pas moins que les
relations entre la sibylle et la femme de Napo-
léon furent constantes. « Joséphine honora
mademoiselle Lenormand de son amitié, dit la
margrave d'Anspach, et répandit sur elle de
nombreux bienfaits K » Ce serait elle plutôt
que la Villeneuve qui lui aurait prophétisé le
trône. En ce cas, on comprendrait la reconnais-
sance de Joséphine comme aussi la confiance
qu'elle lui témoignait. On affirme qu'elle lui
avait prédit le divorce. Il s'agirait de savoir
quand. Si l'entrevue au cours de laquelle
Lenormand fit cette prophétie, eut lieu, ainsi
qu'on le dit, dans les premiers jours de dé-
cembre 1809, avouons que pas n'était besoin
d'être sorcier pour faire une telle prédiction à
1. Mémoire de la margrave d'Anspach.
DISEUSES DE BOXXE AVENTURE 423
la veille même du jour où Napoléon rompait
avec Joséphine. Le divorce était à cette date le
secret de polichinelle.
Napoléon n'aimait guère mademoiselle Le-
normand. Il voyait d'un assez mauvais œil
cette intrigante aller et venir dans les apparte-
ments de l'impératrice avec autant de désin-
volture qu'elle avait fait chez la veuve de
Beauharnais ou chez la citoyenne Bonaparte.
« Dites-lui bien de ne pas se mêler de mes
affaires », recommande-t-il à Joséphine, un jour
que celle-ci lui raconte je ne sais quelle pré-
diction de sa pythonisse favorite *. Au vrai, il
s'inquiète beaucoup moins de ce que débite Le-
normandque de ce que Joséphine peut lui dire.
Il sait sa femme bavarde et combien facile-
ment on lui arrache un secret. Qu'il ne tienne
pas à mettre mademoiselle Lenormand au
courant de ses desseins, de ceux-mêmes qu'il
révèle à l'impératrice et qui ne sont pas des
plus grands, c'est fort naturel. Il la fait arrêter
trois fois, en 1803, en 180o et en 1809, la
relâche presque aussitôt, sans doute sur les
prières de Joséphine. On sent qu'elle l'agace,
1. Mémoires sur l'impératrice Joséphine, op. cit.
424 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
qu'il voudrait ne plus entendre parler d'elle. A
son art, à sa prétendue science, il ne croit pas.
n'a jamais cru, traite ses oracles de billevesées
et d'enfantillages. Il n'est point crédule. On
pourrait penser qu'il n'a pas entièrement
dépouillé le Corse, que le sang italien qui
coule dans ses veines a laissé des traces et que,
comme tout bon transalpin, il craint la jetta-
tura, garde au fond de son cœur une vague
confiance dans les pratiques des astrologues,
tireuses de cartes, et magiciens. J'inclinais à
le penser. J'avais tort. L'homme au monde qui
connaît le mieux Napoléon, qui a le plus profon-
dément pénétré sa pensée, comme il a le mieux
conté sa vie, élevant à sa mémoire un monu-
ment impérissable, M. Frédéric Masson, m'a
fait l'honneur de me détromper. « L'empereur
n'a jamais été superstitieux, dit-il, et la seule
habitude qu'il ait conservée était ce geste
familier aux Italiens qui consiste à faire sou-
vent, surtout en cas d'ennuis, de difficultés
ou de danger, des petits signes de croix ra-
pides. »
Mais revenons à mademoiselle Lenormand.
Elle en vaut la peine. N'est-elle pas la patronne
de nos somnambules modernes? Ces dames
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 425
ne se disent-elles pas toutes « élèves de made-
moiselle Lenormand » !
Elle-même, née à Alençon, de famille
obscure, venue à Paris où elle exerce le métier
de couturière, eut pour initiateur dans l'art
divinatoire, le fameux Gall, phrénologue
anglais qui avait développé l'art de la chiro-
mancie d'après les conjectures de Lavater*. Dès
la fin du règne de Louis XVI, son succès est
considérable à Paris. On la perd un peu de vue
durant les premières années de la Révolution,
mais, soupçonnée, probablement en raison de
ses rapports avec Hébert, elle est enfermée
à la Petite Force où elle fait la connais-
sance de madame de Beauharnais. Pendant
tout le Directoire et l'Empire, elle est la devi-
neresse à la mode. De toutes parts, on accourt
pour la consulter. Sa réputation . devient
européenne. Son art est divers d'ailleurs. Elle
lit dans la main, mais elle utilise aussi le marc
de café et n'a garde de méconnaître les vertus
des tarots. On lui reprochera même - de n'avoir
pas imité le grand Eteila sous ce rapport et
1. X-. H. Cellier du Fayel, La vérité sur mademoiselle Lenor-
mand.
2. Nouvel art de tirer les cartes, op. cit.
24.
426 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
d'avoir négligé les vieux tarots égyptiens pour
se servir d'un tarot tout à fait fait fictif quoi-
que très ingénieusement composé.
Quoi qu'il en soit, le public s'en contentait.
On ne tarissait pas sur la beauté, la vérité de
ses prédictions. Gomment ne pas admirer l'avis
qu'elle donne à madame Moreau de faire fuir
le général, en 1803? Dira-t-on que liée comme
elle l'était avec madame Bonaparte, il ne lui
était pas impossible de savoir le danger que
courait Moreau? N'ergotons pas... Et comme
elle s'entend à impressionner son public! Dans
le bel appartement qu'elle occupera longtemps
au numéro 5 delà rue de Tournon, au rez-de-
chaussée, l'antichambre où l'on attend est
sévère, d'aspect glacial, avec ses meubles
sobres, malgré la profusion des tableaux et
gravures accrochés aux murs. On entre dans
le sanctuaire. De suite, on demeure frappé
par l'acuité de son regard inquisiteur. D'un ton
bref, elle demande : « Quel jeu voulez-vous?
Est-ce celui de six, de dix ou de vingt francs? »
Et quand le client à fait son choix, commence
l'interrogatoire. C'est là qu'elle excelle. L'habi-
tude, peut-être une habileté réelle, lui permet-
tent de poser des questions comme au hasard,
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 427
mais captieuses et si adroites que le patient n'y
voit que du feu. Puis elle fait couper les cartes
de la main gauche et, tranquillement, déjà aux
trois quarts édifiée sur la nature, les désirs, le
degré de naïveté du consultant, elle vati-
cine.
Durant son séjour à Bruxelles où le gouver-
nement de la Restauration l'avait envoyée con-
tinuer ses petites expériences, et au cours
duquel elle eut maille à partir avec la police, le
prince Wolkonski lui envoie un diamant de la
part de l'empereur de Russie, accompagné
d'une lettre flatteuse. Cela dut la consoler de
bien des déboires'. Elle mourut en 1815, « dans
toute sa pureté native, ainsi que cela a été
constaté », affirme M. Cellier du Fayel-.
J'ai voulu revoir cette maison de la rue de
Tournon où vécut « la plus grande devineresse
moderne y>, comme elle s'intitulait modeste-
ment. L'immeuble est en partie occupé par
uneinstitutionde jeunes filles. Rien ne subsiste
de l'ancien appartement qu'illustra mademoi-
selle Lenormand. Mais, son àme, sans doute,
1. Mémoire justificatif de mademoiselle Lenormand.
Bruxelles, 1821.
2. La tenté sur mademoiselle lenormand, op. cit.
428 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
voltige encore dans ces parages, car, quelques
pas plus loin, au numéro 9, un encadreur
expose dans sa vitrine des jeux de tarots...
Au début du siècle passé, les sorcières et
somnambules pullulaient en province. La
Beauce notamment en comptait un grand
nombre. Celles de Vilquier et de Bronville
étaient célèbres. 11 y avait aussi une servante
de ferme à Oysonville (nom prédestiné!), qui
moyennant la modique somme de 0 fr. 73, pré-
disait l'avenir avec sagacité. Une demoiselle
Farfin, de Nogent-le-Kotrou, annonça trois
jours d'avance l'émeute du 24 juin 1848: elle
voyait « le sang couler à grands flots dans les
rues de Paris ». Mais elle ne sut pas voir où
était l'argent volé à un de ses clients, M. Hua,
et cela diminua sa popularité*.
Sans vouloir médire des diseuses de bonne
aventure qui font actuellement les délices des
gens du peuple comme des personnes de la
société, et, sans prétendre diminuer en rien
leurs mérites, je crois bien que mademoiselle
Lenormand fut la dernière devineresse de grand
style. J'ai dit qu'elle avait fait, souvent à son
1. Ad. Lecocq, Empiriques, somnambules, rebouteux.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 429
insu, d'innombrables élèves . Aucune n'attei-
gnit à sa renommée universelle. Les journaux,
depuis quatre-vingts ans, fourmillent d'an-
nonces indiquant le domicile et les talents de
cartomanciennes, chiromanciennes et autres
pythonisses. Leur manière de se révéler au
public n'a guère changé, non plus que leurs pro-
cédés. Si j'ouvre un numéro du Constitutionnel
de 1848, j'y lis:
« Mademoiselle Henriette, somnambule très
lucide, ayant prédit quatre mois à l'avance
Vavène?nent de Napoléon à la présidence.
Consultations tous les jours, 20, rue Basse-
du-Rempart » ; ou bien : « Sibylle moderne
extra lucide. Avenir politique et privé. Explique
les songes. Prédictions, prévisions, renseigne-
ments divers. De six à cinq heures, rue de
Seine, 16, au premier. On peut consulter par
correspondance. »
Voulez-vous maintenant jeter les yeux sur
un journal de juillet 1912? Nous y verrons
cette réclame parmi cent autres du même
genre.
« A tous, madame X..., la célèbre carto-
mancienne, dit tout à date fixe par les cartes,
lignes de la main. Extraordinaire par ses pré-
130 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
dictions toutes justes. Jamais de déceptions
Reçoit tous les jours, 43, rue. . . Consultations
par correspondance. »
Ces dames, on le voit, ne se mettent pas
en frais d'imagination. La vieille formule de-
meure la bonne. Quelques cartomanciennes de
jadis joignaient à leur métier celui de « guérir
les maladies invétérées et incurables. » Aujour-
d'hui, elles n'osent pas trop se servir de cette
phrase qui tomberait sous le coup de la loi.
Mais j'en vois une qui « guérit la timidité ».
N'est-ce pas alléchant?...
Ne sourions pas. A quoi bon affliger les
gens qui croient aux prédictions, aux oracles
de nos cartomanciennes et chiromanciennes,
filles et héritières des anciennes sorcières? La
crédulité sera toujours la crédulité. Vous
n'empêcherez pas certaines personnes d'ajouter
la foi la plus aveugle à des prophéties, souvent
sensationnelles, qui les plongent tour à tour
dans la joie ou dans la terreur. Une confiance
si enracinée ne se peut arracher. Elle résiste à
toutes les désillusions, à tous les raisonne-
ments ; elle résiste aux faits eux-mêmes. Ce
qu'il y a d'admirable dans les prophéties — et
voilà justement ce qui leur assure un éternel
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 431
succès — c'est que les termes vagues et confus
dans lesquels elles sont conçues, permettent
d'y entendre tout ce que l'on veut. En s'y prê-
tant un peu, il n'est pas malaisé de trouver
prédits, dans les Centuries de Nostradamus, la
mort de Henri II, la Révolution, l'avènement
de Napoléon, les Cent Jours et même l'accident
qui coûta la. vie au duc d'Orléans, fils de
Louis-Philippe. Que de prophètes en France,
depuis l'astrologue Loriel qui vaticinait aux
alentours de l'an 1200, jusqu'à l'ineffable made-
moiselle Couesdon ! Maistre Pierre Turrel, dans
son livre L'Etat et mutation des temps paru
en l-ooO, lui aussi avait prévu la Révolution,
l'Empire, la Restauration. Saint Paterne, dont le
manuscrit précieux fut retrouvé en 1743, n'était
pas moins bien informé des grands événements
qui devaient se produire plusieurs siècles après
sa mort'. Les devins, assure-t-on, ont prophé-
tisé tous les faits importants de l'histoire. Com-
bien serait-il plus exact et plus juste de dire
que l'on n'a jamais manqué de découvrir —
après coup — que ces faits importants avaient
été annoncés.
1. J.-H. Pézieux, Fin de la Révolution.
432 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
Est-ce à dire que l'on doive nier a priori les
facultés spéciales et déconcertantes que pos-
sèdent certains médiums'^ Certes non. Les
sciences psychiques sont, de toute évidence,
dans l'enfance encore. Il serait puéril de vou-
loir dès à présent leur assigner une limite.
Qu'il existe en nous des forces inconnues, cela
ne paraît pas douteux. Que ces forces se
manifestent de façon plus ou moins incons-
ciente, cela est démontré. Il est probable, il est
même à peu près sûr que les expérimentateurs
(j'entends ceux qui sont de bonne foi, mais il
est précisément très difficile de distinguer
actuellement la part de charlatanisme ou de
sottise qui entre dans les expériences de spiri-
tisme), il est néanmoins à peu près sûr que
ces expérimentateurs de bonne foi jouent, pour
l'instant, avec ces forces psychiques, mon Dieu,
à la façon dont nous jouons avec l'électricité,
dont nous tirons de si stupéfiants résultats avant
que de savoir même ce qu'elle est au juste.
Mais nous sommes loin d'avoir obtenu des
effets aussi concluants du magnétisme et du
spiritisme. Le voile n'est point déchiré. Peut-
être nos petits-neveux verront-ils la solution
de ces problèmes angoissants.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 433
Je ne voudrais pas affirmer non plus que,
dans quelques cas, très rares évidemment, ces
forces inconnues qui vibrent en nous, plus
développées chez certaines personnes, ne leur
permettent d'avoir quelque intelligence de
l'avenir. Tout est possible et l'esprit humain
n'est pas au bout de ses découvertes. Mais de
là à supposer que la moindre faculté divina-
toire puisse être accordée à toutes les aimables
dames, jeunes ou vieilles, qui font métier de
tirer les cartes, de lire dans les lignes de la
main, de voir votre sort dans le marc de café,
dans le blanc d'oeuf ou, comme les pythonisses
arabes, de le deviner en faisant sauter de
petits cailloux dans leurs paumes, il y a un
abîme.
Nos sibylles d'aujourd'hui ont renoncé aux
hiboux empaillés, aux têtes de mort, aux chats
noirs miaulant lugubrement, à tout l'attirail
suranné de leurs devancières; elles se logent
dans des appartements qui ne rappellent en
rien les bouges où se blottissaient la Voisin, la
Chenault, la Fleury ou Martin. Elles ont aban-
donné des traditions beaucoup plus vénérables,
et il ne leur viendrait certainement plus à
l'idée de nous faire baiser le pied du diable,
25
434 FILLES NOBLES ET MAGICIENNES
non plus que son derrière. Grâces leur soient
rendues! Témoignons-leur, en remerciement,
quelque indulgence si elles s'amusent aux
dépens de notre sottise.
Comment, diront beaucoup de mes lectrices,
comment refuser à ces pythonisses le don de
la divination? Ne tombent-elles pas juste la
plupart du temps? Excusez-moi; d'abord elles
ne tombent pas juste si fréquemment que vous
voulez bien le croire. Ensuite, que faites-vous
des cas où elles se trompent — et grossière-
ment? Je vois encore l'indignation avec
laquelle s'exprimait un officier de ma connais-
sance au sortir d'une consultation que lui avait
accordée une de nos chiromanciennes les plus
appréciées. « Groiriez-vous, me dit-il, qu'elle
n'a pas su voir que j'avais servi trente ans
dans la cavalerie ! » La longue barbe qu'il por-
tait avait suffi à dérouter la bonne dame, qui
ne se figurait pas qu'un colonel de cuirassiers
pût porter autre chose que la moustache. Elles
en sont toutes là. Si, parfois, elles devinent
quelque chose de votre passé et démêlent vague-
ment des bribes de votre avenir (mais cela
est très rare, je le répète), c'est un peu que le
hasard les a favorisées, et surtout parce que.
DISEUSES DE BONNE AVENTURE 435
sans s'en douter, les hommes qui les consul-
tent et bien davantage encore, les femmes,
leur livrent tout ou partie de leurs secrets, de
leurs craintes, de leurs désirs, de leurs pas-
sions. Avec de l'expérience, avec du toupet,
avec une certaine puissance d'intuition, souvent
très développée et qui devient parfois surai-
guë chez les professionnelles bien douées, avec
enfin les confidences qu'elles vous auront arra-
chées par un interrogatoire habile et savant,
tenez pour assuré qu'elles vous donneront
toujours l'illusion devons avoir dit < des choses
étonnantes >. Au surplus, peut-être ne leur en
demande-t-on pas davantage. Que si elles
réussissent à vous procurer cette illusion,
pourquoi ne s'estimerait-on pas satisfait? C'est
de l'illusion à bon marché, en somme, puisque
elle ne dépasse guère la modeste somme de
vingt francs (pour le grand jeu). Il en est
de plus chères, si d'ailleurs il n'en est pas, je
crois bien, de plus trompeuses...
PIN
INDEX DES NOMS CITÉS
ABEILARD, 112,
AGQUÉRIA DE ROCHEGODE
(marquis d'), 236.
AGQUÉRIA DE ROCHEGUDE
(marquise d'), 236, 264, 265.
AGQUÉRIA DE ROCHEGUDE
(mademoiselle d'), 264.
AGUEssEAU (Jean d'), 17.
AGUEssEAU (Marguerite d'),
17.
AIGUILLON' (duchesse d'),
198.
ALBiGNAc (mademoiselle d'),
chanoinesse, 86.
ALDKGONDE (sainte), 51.
ALEXANDRE (saint), 199, 200.
ALIX COURT (madame d'),
393.
AMBRUGUET (Marie), carto-
mancienne, 379, 380, 381 .
AMONCouRT ^Henriette d'),
29, 30.
ANNE d'autriche (la reine),
112, 144, 153.
a.n'dresal (madame d'),219.
ANSPACH (le margrave d'},
422.
AREMBBRG (leS d'), 49.
ARÉTIN, 348.
ARGENsoN (marquis d'), 197,
266.
ARGENSON (comte d'), 266.
ARGEXsox (madame d'), 266.
ARM aillé (mesdemoiselles
d'), 204.
ARNAUD (Guillaume), sor-
cier, 340.
138
INDEX DES NOMS CITES
AUGiER, devin, 406.
AUGUSTIN (saint), 20, 114.
AULAN (marquise d'), 119,
120, 122, 179, 215.
AULAN (mademoiselle d'),
121, 122, 123.
AUTicHAMP (madame d'),
210.
AUVERGNE (Fabbé d'), 371.
AYMARD (Jacques), sorcier,
385, 394.
BABEAU (Alfred), 283,284.
BACON DE LA CHEVALERIE
(madame), 262.
BAiLLY, 413, note.
BARANTE (M. de), 84.
BARBARiN (madame de), 213.
BARBENTANE (mademoiselle
de), 204.
BARBETTE, prédicateur, 185.
BARBIER (le sieur), 132.
BARONAT (M. de), 88,
BARONAT (madame de), cha-
noinesse, 42, 79.
BARRAS, 416.
BAS IN (femme), sorcière,
356.
BAVIÈRE (Charlotte de), voir
Orléans.
BAZIN (femme), cartoman-
cienne, 385.
BEAUDOiN (officier), 196.
B E A u D 0 1 N (le président), 397.
BEAUFFREMONT (laprinccsse
de), 210.
BEAU M ONT (mademoiselle
de), 204.
BEAUREPAiRE (madame de),
64.
BEAUREPAIRE (ICs), 49.
BEAuvAU (prince de), 217.
BEAUVILLIERS ( dUChcSSC
de), 218.
BEAUVILLIERS (madame de),
abbesse, 118, 180.
BEAUVILLIERS (madame de),
abbesse de la Joye, l'.'T.
BELLEVAL (madame de), 27.', .
BELLiÈvRE (madame de),
118, 177, 178.
BELLIÈVRE (le président dc),
199.
BELMONT (madame de), 2 U'.
BENOIT (saint), 7, 20, 73,
114.
BENOIT IX (le pape), 341.
BENOIT XIII (le pape), 30.
BERNis (le cardinal de), 3'.Ni.
BERTiLLON (docteur), 340.
BERRY (duchesse de), 395.
B ES SET (M. J.du^ 366, note.
B ÉTUIS Y (les), 49.
B ÉTUIS Y (madame de), ab-
besse, 134, 135,144.
BÉTUUNE (les), 50.
BÉTHUNE (madame de), 407.
BEUVRON (le comte de), 371.
BiRON (les), 49.
INDEX DES NOMS CITES
439
BLACOE (madame de la),
403.
B LAÇONS (madame de), 258.
BLAMOXT (Catherine de), 30.
BLAMONT (Henri de), 30.
BLAMOXT (Jean de), 29, 30.
BLAMONT (Olry de), 30.
BLAMONT (Thibaut de), 30.
BLETO.N, devin, 403, 406.
BLONDE (la), servante, 382.
BoissE (la comtesse de), 219.
BON AL (monseigneur de), 22.
BONNEViN (madame de), 86.
BONNOT DE VILLEVRAIN
(Paul de), 236, 264.
BONiFACE VII lie pape), 341.
BONTEMPs (mademoiselle),
397.
BONTEMPS (la), cartoman-
cienne, 393, 396.
BORROMÉE (saint Charles-),
312.
BosRÉDON (madame de), 82.
BOSSU ET, 11.
BOUDET (Marcelin), 95.
BouFFLERs (le comtc de),
403.
BOUFFLERS (mesdames de),
118.
BOUILLON (le cardinal de),
116.
BOUILLON (la duchesse de),
370.
BOULAINYILLIERS ( COmte
de), 393.
BOULAINYILLIERS (made-
moiselle de), 204.
BOURBON (le cardinal de),
167.
BOURBON (mademoiselle de),
198.
BOURBON (la princesse J.-B,
de), 116.
B 0 u R B o N-v E NI) o M E ( prin-
cesse Renée de), abbesse,
167.
BOURBONS (les), 31, 420.
BOURRIENNE, 417.
BRAGNELONGNE (madame
de), 178.
BRACONNIER (le P.), 28.
B RANG AS (M. de), archevêque
d'Aix, 288.
B RANG A s (le maréchal de),
288.
B RANG A 3 (duchesse de), 395.
BRANGAs (madame de), ab-
besse, 122.
BRANCAs (madame de), 403,
BRANTÔME, 18, uote, 353,
354, 358.
BRÉDA (M. de), 287.
BRÉDA (madame de), 287.
BRÉGY (marquise de), 263.
BRiENNE (comtesse de), 403.
BRiNviLLiERs (marquisede),
375, 379.
BRisoN (mademoiselle de),
17.
BROGLiE (le comte de), 395.
BROSSES (le président de),
318.
B ROSS 1ER (Marthe), sorcière,
364.
440
INDEX DES NOMS CITES
BRUGUiÈRE (madame de
Carmes de la), 318.
BUDÉ (Guillaume), 244.
BURCHARDT, 347.
CAGLIOSTRO, 338, 389, 399,
402, 404, 405,414.
CAiN (Georges), 418.
G AL VET (docteur), 252,
GAMBis (madame de), 148.
GAMBY (vicomtesse de), 217.
CAMP (mademoiselle de), 208,
note.
CAMUS (Le), évêque de Gre-
noble, 9, 89.
CANDALLE (le duc de), 303.
GARiGNAN (la prlnccsse de),
211, note.
GARIGNAN (madame de), 374.
GARLiN (la), sorcière, 355.
CARS (Charles des), évêque
de Langres, 346.
CASTELNAu (marquise de),
406.
G AUX ONT (marquis de Sey-
tres-), 207.
<:auzons (M. de), 346.
CAZOTTE, 413.
ghabannes (Catherine de),
173.
chabannes (Hélène de), 172.
cHABANNEs (mesdames de),
118.
ciiABON (madame de), 42,
100.
CHABON (madame Galliende),
42,
CHABOT (mademoiselle de),
88.
CHABRiLLAN (M. de), 242.
GHABRiLLAN (madame de),
abbesse, 131, 132, note.
CHAiLLOT (Benoîte de), 35,
note.
CHALAZÉ (la), 291.
ciiALUs (ie chevalier de), 82.
c II A LU s (madame de), cha-
noinesse, 86, 104.
CIIAMILLART (M. de), 381.
GHAMFORT, 413, notC.
cHAMoussET (madame de),
293.
GiiANAY (M. de), 18, note. 1
ciiAPONAY (madame de), 42. *
CHARBONNIER (madame de),
102. note,
G H ARC Y (marquise de), 286.
GIIARLEMAGNE, 355.
CHARLES VI, 340.
CHARLES VIII, 356.
CHARLES IX, 351, 352, 353.
CHARLES-QUINT, 166.
CHARMER (mademoiselle),
211, note.
cHAROLAis (Charles, comte
de), 341.
CHARTRES (mademoiselle
de), 117, 144, 189, 190,200.
c HAST AN d'or TIGUES(M.de),
287.
IXDEX DES NOMS CITES
441
CHASTELARD (le chevalief
de), 235.
c H A T E A u-G H I X 0 N (mademoi-
selle de), 261, note, 264.
GHAULNEs (madame de), 372.
GHAUSSEGOURTE DU BORT
(madame de), 34.
CHAVEs (Jean de), 273.
CHAZERAL (M. de), 84.
G H E N A u L T (femme), sorcière,
382, 383, 433.
GHÉNIER, 16.
CHOisECL (duc de), 257, 258,
284, 338, 406.
GBOisEUL (duchesse de), 120.
CHOïsECL (marquisede), 383,
403.
G H 0 r s E u L (mademoiselle de),
voir Gramont.
G H G I s E c L (mademoiselle de),
135.
CHOLIER (madame), 244, 290,
293, 297, 305.
CELLIER DU FAYEL, 427.
GLÉMANGis (Nicolas de), 185.
CLERMETZ DE LAMERIE(Jean
de). Ho.
GOCHIN', 141.
CŒUR (madame de), abbesse,
169.
CŒUVREL (Adam^, 375.
coGNARD (Valence), abbesse,
176.
coisLiN (madame de), 406.
coLiGNY (amiral de), 173.
COLLIER, 272.
coNDÉ (le prince de), 170.
coNDÉ (la princesse de), 190.
coRGELLBs (M. de), 285.
CORNEILLE, 318.
COSSE, voir Elie.
cooESDOX (mademoiselle),
431.
COUR LANDE (le duc de), 400.
couRBouzoN (Bocquet de),
28.
couRTESERRE (le chcvalier
de), 82.
CRAON (mademoiselle de),
31, note.
CRÉQUY (M. de), 368.
CROIX (mesdemoiselles de),
48, 49.
CROIX (cardinal de la), 174.
cROix-cHEVRiÈ R E s (ma-
dame de la), 9.
CROY-BEAUFORT (madame
de), 27, note.
CRUzoLs (mademoiselle de),
406.
CULHAT (le commandeur de),
82.
DAJCPiERRE (madame de),
263.
DANGEAU, 367.
DANTON, 414.
DÀX (l'évêque de), 120.
DEFFAND (marqulse du), 85,
120, 121, 122,123,179,209,
213, 215, 216, 311.
25.
442
IXDEX DES NOMS CITES
DELARUE, notaire, 131, note.
DELAviLLE (Marie- Anne),
cartomancienne, 381.
DESMOULINS (Camille), 414.
DE VAUX (la), cartoman-
cienne, 384.
DIDEROT, 79.
DIGNE (l'évêque de), 121.
DiGoiNE (M. de), 292.
DiGoiNE (madame de), 292.
DiNTEviLLE (mademoiselle),
49.
DOUBLET DE PERSAN (ma-
dame), 211.
DORCY, avocat, 173.
DUBUISSON, 207.
DUCHESNE (M. G.^ 191.
DUGARD (madame), 218.
DUNOYER (madame), 79.
DUPUY (Raymond), sorcier,
341.
DupoRT, notaire, 382.
DUREFORT (madame de), 213.
EFFIAT (le comte d'), 371.
ELiE, sorcier, 408.
EMBRUN (l'évêque d'), 266.
E s s A R s (Jeanne des), abbesse,
118, 169, 174.
ESPiNCHAL (madame d'),
403.
ESTE (Marie d'), reine d'An-
gleterre, 212.
ESTAiNG (comte d'), 403.
ETAMPEs (le comte d'), 341.
ETEiLA, devin, 409, 425.
ETOILE (Pierre de 1'), 352. i
FALZE (Raymond du), évêque
de Toulouse, 341.
FARFiN (mademoiselle), 428.
FAUCEMBERGE (le P.), 200.
FAUCONNIER (la), cartomau-
cienne, 383.
FA Y (Henri de), 276.
FA Y (Jean de), 235.
FAY (comtesse de), 236.
FA Y (les), 274.
FEL (mademoiselle de), 194.
FERRÉ (M. de), 82.
FERRETTE (madame de), ab-
besse, 98.
FEUQUiÈREs (M. de), 370,
381.
FEURE (Le), notaire, 144.
fiesqi;es (madame de), 372.
FiLLiARD (la), cartoman-
cienne, 385.
FLAGHEAC (madame de), 238.
FLEURY (la), cartoman-
cienne, 380^ 381, 433.
FOLiGNY, voir Grolier.
FORCE (marquise delà), 410.
FOUGÈRE (la), cartoman-
cienne, 383.
FOUQUET (le surintendant),
371.
INDEX DES NOMS CITES
443
FODQUIBR-THINVILLE, 414.
FOURCROT, 234.
FRANCK (Blanche de), 148.
FRANCE (madame Clotilde
de), 253, note.
FRANCE (madame Elisabeth
de), 233, note.
FRANCE (madame Louise de),
22.
FRANCE (mesdemoiselles de),
filles de Louis XV, 207.
FRANCE (Marie de), 169.
FRANCE (Ysabel de , 117, 193,
198, 199.
FRANÇOIS I«^ 6, 166, 334.
FRANÇOIS (saint), 173.
FRANQCiÈRES (M. de), 94,
note.
FRANQUIÈRES (les), 318.
FRÉJUs (l'évêque de), 214.
FRÉMY (madame), 380.
FRÉNiLLY (le baron de), 246.
FRÉNiLLY (madame de), 253.
FRÉNILLT (les), 318.
F R 0 M 0 N D E ( Martine ) , ab-
besse, 174.
FUNCK-BREXTANO, 368.
GALARD (mademoiselle de),
204.
GALL, phrénologue, 423.
GALLiER (madame de), 263.
GALLiER (mademoiselle de),
voir Lafarge.
GARAT, 416.
GARCiN (M. de , 264.
GARDEi. (veuve), sorcière,
333.
GARic (femme), cartoman-
cienne, 419.
GASCON (la), cartoman-
cienne, 383.
GAURico (Luca), évêque de
e Civita Castellana >, 333.
GENLis (marquise de), 211,
227, 228, 247, 313, 317, 386,
403.
GiBERT, cocher, 294.
GLOCESTER (le duc de), 320.
GODARD (Marguerite), sor-
cière, 335.
GONiN, sorcier, 334.
GONTAOD (la comtesse de),
393.
GONTAUD (madame de), 88.
GOUÉRY (saint', 73.
GRAMONT (duchesse de), née
Choiseul, 94, note, 413,
note.
GRANCEY (madame de), 381.
GRANGE (le sieur de la), 148.
GRAS (Simon Le), 133, note.
GRÉGOIRE vu (le pape), 341.
GRÉGOIRE DE NAZIANZE
(saint), 114.
GRÉviLLOT iNicolas), sor-
cier, 333.
GROLiER (marquise de), née
Foligny, 94, note.
GUEUX (Marie de), abbesse,
167.
444
INDEX DES NOMS CITES
GUI BOURG (l'abbé), sorcier,
375.
GUILLAUME LE CONQUÉ-
RANT, 312.
GUYOT DE MANCENANs (ma-
dame), abbesse, 28.
H
HABERT (le P.), 176.
II AR COURT (Agnès d'), ab-
besse, 118.
HARCOURT (mademoiselle
d'), 204.
IIARLAY DE CHAMPVALLON
(madame), abbesse, 190.
HARLAY DE CHAMPVALLON
(monseigneur), ii6.
HARRENC (marquise de), 318.
HAUSSET (madame du), 395,
396.
HAUTERivE (madame d'),
276.
HÉBERT, 425.
HÉ LOIS E, 112.
HÉNAULT (le président), 214,
311.
HENRI II, 353, 431.
HENRI IV, 170, 192, 196, 363.
HENRIETTE (mademoiselle),
somnambule, 429.
HOPITAL (marquise de 1'),
410.
HORACE, 348.
HORN (madame de), abbesse,
28, note.
HOUDON, 404.
HUA, 428.
nucHETTE (M. de la), 98, 99.
iNGLis, sorcier, 364.
ISS Y (Agnès d'), abbesse, 168.
JACQUES 1 1 , roi d'Angleterre,
212.
JARENTE (L.-J. de), évêque
d'Orléans, 134.
j A R R Y (madame de), abbesse,
154.
JEAN XX (le pape), 341.
JEAN XXII (le pape), 30.
JEAN-GASPARD, 296.
JEANNE d'avesne, sorcière,
356.
JOL, voir Mausy.
JONAS, devin, 406.
JOSÉPHINE (l'impératrice),
417, 421, 422, 423, 425,
426.
JOUAN DE MONTI, 384.
jouBERT (M«, notaire), 35.
J0UENNE (madame de), 213.
jouY (madame de), abbesse,
157.
JUSTINE! (mademoiselle),
lingère, 141.
INDEX DES NOMS CITES
445
KiNGLiN (mademoiselle de),
49.
KNOWL (lady), 312.
LAENSBERG (Mathieu), 359.
LA BRUYÈRE, 283.
LAFARGE (M. de Pavin de\
299.
LAFARGE (madame de Pavin
de), née de Gallier, 299.
LAFOSSE, devin, 407.
LA HARPE, 16,234, 413, note.
LALOux (femme), cartoman-
cienne, 406.
LAMARTINE, 87, 90, 94, DOte,
97, 279.
LAMOTTE (Guillaume de),
300.
LANDE (M. de la), 405.
LANGLE (le chevalier de),
383.
LANNOY (Charlotte de), 49.
LANNOY (Fernande de), 49.
LANNOY (mademoiselle de),
49.
LA PORTE, 303.
LARMECHI.V, 237.
LARiviÈRE, astrologue, 363.
LA ROCUE, cocher, 294.
LARY (madame de), 78.
LAUSELLE (madame de), 148.
LAUzuN (le duc de), 372.
LAuzuN (le duc de), Biron,
313.
LAVATER, 425.
LEBON (la), cartomancienne,
405.
LEDRu-coMus, devln, 406.
LEDRU-ROLLIN, 406.
LÉGAT (le vice-), 121.
LENORMAND (mademoiselle),
cartomancienne, 421, 422,
423, 424, 423, 427, 428.
LENOTRE (G.', 403.
LÉON IX (le pape), 32.
LÉON X (le pape}, 6.
LESPINASSE (mademoiselle
de), 214.
LESTiNOLLE (mademoiselle
de), 169.
LESTRANGE (madame de),
243.
LESTRANGE (madame de),
abbesse, 84.
LEVÉ, 141.
L EUS SE (mademoiselle de),
44.
LÉVIS-VENTADOUR (le duC
de), 148.
LÉvis-vENTADouR (made-
moiselle de), 148.
LÉvis-vENTADOUR (made-
moiselle de), voir Toumon.
LE VUE (madame de), 285.
LHOMME, boucher, 136.
LIGNE (le prince de^ 311.
446
INDEX DES NOMS CITES
LIGNE (les), 49.
LiGNiviLLE (mademoiselle
de), 85, 104.
LiGONDÈs (le commandeur
de), 82.
LiLLEBONNE (madame de),
abbesse, 25, note.
LisiEUx (l'évêque de), 121.
LivRON (le comte de), 257.
LivRON-BOURBONNE (ma-
dame de), abbesse, 179,
note.
LOIR, policier, 381.
LOMÉNiE (madame de), 403.
LONGEviALLE {M. de), 238,
241.
LONGEVIALLE (madame de),
238, 239.
LORENZA, 403.
LORiEL, sorcier, 431.
LORRAINE (le chevalier de),
371.
LORRAINE (le duc Charles
de), 98.
LORRAINE (le duc de), 31,
note.
LORRAINE (Catherine de),
abbesse, 99.
LORRAINE (Henriette de), ab-
besse, U.
LORRAINE (Jeanne de), ab-
besse, 29, 117.
LORRAINE (Marie de), ab-
besse, 167.
LORRAINE (les ducs de), 53.
LORRAINE (les princesses
de), 50.
LOUIS 1 1 , le Débonnaire, 356,
note.
LOUIS IX, 117, 148.
LOUIS XI, 346.
LOUIS XIII, 99, 281, 349.
LOUIS XIV, 12, 15, 208, 251,
283, 308, 310,357,366,368,
371, 379, 393.
LOUIS XV, 12, 21, 27, note,
74, 189, 207, 255, 315, 374,
389, 398.
LOUIS XVI, 53, note, 62, 425.
LOUISE (madame), v. France.
LOUIS-PHILIPPE, 105.
Low END AL (madame de), 383.
LUCAS (François), cordelier,
174.
LUGEAC (madame de), ab-
besse, 151, note.
LUS s AN (mademoiselle de),
381.
LUYNEs (le cardinal de), 62,
134, 135.
LUYNES (le duc de), 393.
LUYNES (la duchesse de), 120,
121, 123.
LUXEMBOURG (le maréclial
de), 370.
LUXEMBOURG (la maréchale
de), 121.
M
MADEMOISELLE (la grande),
371.
MAiLLY (marquis de), 177.
INDEX DES NOMS GITES
447
MAiLLY (Claude-Ysabelle de),
abbesse, 144.
MAILLY (Jacqueline de), 118,
177, 178.
MAiNTENON (marquise de),
10, 87, 312, 368, 380.
MALE s HERBES, 413, notC.
MALLARY (madame de la),
264.
M AL V AT, 365.
MANSARD, 112,
MARANCHEs (madame de),
44.
XIARAT, 414.
MAREscoT, sorcier, 384.
MARIANNE (princesse Louise;,
fille naturelle de Louis XIV,
145, note.
MARiE-AXTOiNETTE (la rei-
ne), 21, 22, 74.
MARMONTEL, 254.
MARTIN, devin, 417, 433,
MARTIN (saint), 73.
MARZiN (M, de), 23, 79, 88,
320.
MAssoN (Frédéric), 424.
jiATHiLDE, femme de Guil-
laume le Conquérant, 312.
MAUBEC (marquis de), 261,
note, 264, note.
MAURE (mademoiselle de),
194.
M A us Y (Marg-Jol., femme),
sorcière, 335.
MAZARIN, 301.
MÉDicis (Catherine de), 349,
350, 358.
MÉLiAN (mademoiselle), 266.
MERCIER, 140, 1.54, 227, 228,
229, 2.30,391, 408.
MÉRODE (madame de), 210.
MÉRODE (les), 49.
MESGRiGNY -(madame de),
210.
MESMER, 404.
METZ (l'évéque de), 132.
MExiMiEux (M. de), 290.
MExiMiEux (madame de),
290,
MÉziÈREs (mesdames de),
118,
MICHEL (madame), cartoman-
cienne, 418,
MIRABEAU (le marquis de),
249,
MiRAiLLE, sorcier, 352.
MIRE POIX [SI. de), évêque,
122,
MIRE POIX (la maréchale de),
122.
MIRE POIX (la marquise de),
311,
MIROMESNIL (M, de), 401.
MÔLE (M. de la), 331.
MO MB LAS (madame de), 213.
MOMPEssoNs (madame de),
abbesse, 137.
MONCLA (madame de), 78,
MONGE, 254,
MONNiER (mesdemoiselles
de), 49.
MONSPEY (mesdemoiselles
de), 100.
MONTATAiRE (M. de), 287.
448
INDEX DES NOMS CITES
MONTAT AIRE (madame de),
287.
MONTBARREY (mademoiselle
de), 204.
MONTBOissiER (la blenhcu-
reuse Raingarde de), 51.
MONTBoissiER (la comtesse
des 407.
MONTCHENU (M. de), 276
MONTESpAN (marquise de),
145, note, 217, 374.
MONTESQUIEU, 311 .
MONTEYNARD (M. de), 318.
MONTFAucoN (madame de),
42.
MONTFORT (M. de), 260, 309,
311.
MONTGAILLARD (M. de), 318,
319.
MONTJOYE (madame de), 98.
MONTJUSTIN (mademoiselle
de), 44.
MONTMELAS (marquis de), 92.
MONTMiRAiL (mademoiselle
de), 248.
MONTMORENCY (madamedc),
abbesse, 118.
MONTMORENCY (ICS), 49.
MONTMORENCY-LAVAL (ma-
demoiselle de), 86.
MONTPENsiER (le duc de),
166
MONTPENSIER (mademoiselle
de), 206, note.
MONTiiROUx (mademoiselle
de], chanoinesse, 42.
MORE (Le), sorcier, 340.
MOREAu (le général), 426.
MOREAu (la générale), 426.
MOREAU (médecin), 141.
MORET (miss), 312.
MORTE M ART (la duchcssc de),
272.
MORiN, astrologue, 367.
MOTTE (madame), 199.
MOuciiY (mademoiselle de),
180, 181, 183.
MUA (mademoiselle de), 235.
MURAT (madame de), chanoi-
nesse, 42, 78.
MURAT (la présidente), 17.
MUROT (Dominique), sorcier,
356.
MuzY DE vERONiN (madame
de), 59.
N
NAPOLÉON I", 422, 423, 424,
431.
NEMOURS (les), 303.
NÉvE (madame de Revoyrat
de), 263, 264.
NEVERs (laduchesse de), 300.
NicoLAï (madame de), 217.
NicoLAï, 413, note.
NOAiLLEs (le cardinal de),
144, 201.
NOAILLES (le marquis de),
404, 405.
NOiNTEL (madame de), 393.
INDEX DES NOMS CITES
449
.NOSTRADAMLs, père, 353,
358, 364, 365, 431.
NOSTRADAÎirS, fils, 3o9.
OBERKiRCH (baronne d'),
249.
OLONKE (duc d'), 407.
ORDAN-LKGROiNG (madame
d'), 84.
ORDAN-LEGRoixG (mesde-
moiselles d'), 84.
ORLÉANS (Louis III, duc d'),
392.
ORLÉANS (Philippe I*', duc
d'), 371, 372, 381.
ORLÉANS (le duc d'i, régent,
144, 189, 206, note, 394.
ORLÉANS {duc d'), 431.
ORLÉANS 'Charlotte de Ba-
vière, duchesse d'), 112.
ORLÉANS (Henriette d'), 371.
ORLÉANS (duchesse d'i, 143.
ORMEssoN (les), 49.
p A R A B È R E (madame de), 395.
PARIS (l'archevêque de), 195.
PARIS (femme , sorcière, 355.
PARVY (M. de), 44.
PATERNE (saint, 431.
PEREGRINA '^la), 312.
PERET (Lucien), 190.
FERMANTE i madame de), 2l9.
PERTBUis (madame de), 218.
PERRY (docteur), 394, 397.
PHALARis (duchesse de). 395.
PHAROUX, boulanger, 136.
PHILIPPE LE HARDI, 340.
PIGEON (Ia>, sorcière, 385.
piENNES (M. de), 170.
PIERRE LE VÉNÉRABLE, 51.
piNETTi, devin, 406.
piNON (le président», 171.
PLACiN (Marie), abbesse, 176,
177.
PLESsis (le maréchal du),
241, 310.
PLESSIS (la maréchale du),
241.
PLONQUET(la\ servante, 292.
poissY (madame de), 210,
POLIGNAC (comtesse Diane
de), 12.
POLIGNAC (comtesse de), 403.
POLIGNAC (madame de), 370.
POMPA DO UR (marquise de),
132, 395, 396, 405.
PONCUALON i^madame de),
318.
PONS (mademoiselle de), 284.
PONS (mesdemoiselles de),
49.
PONS (madame de), abbesse,
60.
PONS (madame de), chanoi-
nesse, 86.
PONS (la vicomtesse de) , 284.
450
INDEX DES NOMS CITES
PONT DE VEYLE, 217.
PORTE (Jean de la), 356.
POTERNE (Marie de la), ab-
besse, 147.
PRADTS (M. de), 171.
PRUDHOMME (madame), 136.
PUYLAURENS (comtessc de),
383.
puYSÉGUR (M. de), 406.
Q
QUATRE-LivREs (Pierre),
356.
RACINE, 374.
RAYiGNAN (madame de), 210.
RÉ c AMIE R (madame), 210.
RICHELIEU (le cardinal de),
98, 303.
RICHELIEU (le maréchal de),
197, 338, 403, 408.
RiETZ (les), 276.
ROBESPIERRE, 414.
ROGUE-AYMOND (mademoi-
selle de), 204.
ROCHEFOUCAULD (le Cardi-
nal de la), 23, 74, 84, 121.
ROCHEFOUCAULD (madame
de la), abbesse, 118.
ROCHEFOUCAULD (Madeleine
de la), voir Tounion.
ROC HE eu IN ARD (M. de), 237.
ROCHEcuouART (madame
de), abbesse de Montmar-'
tre, 118.
ROCHECHOUART (madame
de), abbesse de Fontevrault,
10, 116.
ROCHECHOUART (Ics), 50.
ROCHEFORT (la), cartomaii-
cienne, 384.
ROCHEFORT (le comte de),
406.
ROCHEFORT (M. de), 89.
ROCHEGUDE (le marquis de),
voir Acquéria.
RODOGINE, 348.
ROUAN (le cardinal de), 284,
402, 403, 404.
ROUAN (Marguerite de), ab-
besse, 11, 28, note.
ROUAN (mesdames de), 118.
ROUAN (mademoiselle de),
204.
ROHAN-ROCHEFORT ( p r i n-
cesse de), 402.
ROLLE (M. de la), 140.
ROSEMAiN (madame de), 382.
R 0 u D I N (Valentine), sorcière,
355.
uouRE (madame du), 370.
ROUSSEAU (J.-J.), 227, 246,
308, 309.
ROUSSEAU (la), cartoman-
cienne, 384.
ROUSSEL (le P.), 175, 176.
ROussET (la), cartoman-
cienne, 385.
IXDEX DES XOMS GITES
451
ROYs (Anne-Claudine des),
33.
ROYS (mademoiselle des), 82.
ROYS (mesdemoiselles des,)
92.
RUFFEY (madame de), ab-
besse, 101.
RUFFO (madame de), 42.
RUGGiERi (Come), 349, 331.
ROPANo, devin, 406.
SABRAN (Elïéar de), 241.
SABRAN (comtesse de), 393.
SABRAN (Delphine de), 241.
SABRAX (madame de), 210.
SAiJîT-ci ERGUEs (madame
de), 284.
sAiNT-FLOUR (l'évêque de),
60.
SAINT-GEORGES (le chevalicr
de), 212.
SAINT-GERMAIN, dcvin, 389,
398, 399.
SAINT-JUST, 414.
SAINT-PRIE3T (M. de), 236.
SAINT-SIMON (leduc del,370.
SAINT-SIMON (lemarquisde),
132.
SAiNT-VALLiER (marquisc
de), 233.
SAINT-VINCENT (madame
de), 211.
SAINTE-BEUVE, 109.
SAINTE-CROIX, devin, 373.
SAINTE-CROIX DU BREUIL
(M. et madame de'i, 78.
SAINTE-CROIX DU BREUIL
(mademoiselle de), 78.
SALAISE (madame de), 148.
SALLEMARD (GeoffroY de),
286.
SALLEMARD (les), 276.
SALM (Barbe de"i, abbesse,
99.
sALUCEs ^madame de), 210.
SANGY (M. de), 364.
SAUR IN (la), sorcière, 383.
SAUVAL, 136, 180.
SAXE ; Marie-Christine de),
abbesse, 98.
scALiGER-vERRUE (madame
de), abbesse, 190.
scÉPEAUx (madame de), 118.
sÉGUR (le comte de), 197.
sÉGUR (M. de , 401.
SÉGUR (le marquis de), 203,
204, 216.
sÉNARPONT (madame de),
180, 181.
SÉNARPONT (M. de), 181.
SENESME '.madame Louise
de), abbesse, 169,
SERRE (madame de), 303.
sÉRiÈREs (madame de^219.
sÉRY (mademoiselle de'», 118.
s É VER Y (madame de), 284,
283.
sÉviGNÉ (marquise de), 201,
note, 236, 232, 290, 309,
370, 372.
SEYSSEL (M. de), 82.
452
INDEX DES NOMS CITES
SIAMOISE (la), cartoman-
cienne, 384.
SIMIANE-MONCHA (cOmtCSSe
de), 242.
soissoNs (comte Ph. de),
38d.
SOISSONS (la comtesse de),
370, 374.
SOLLIER, devin, 395.
S ou BISE (madame de), ab-
besse, 29, note.
soYEcouRT (mesdames de),
US.
STUART (le prétendant), 217.
suLEAU (la), cartoman-
cienne, 386.
SURVILLE (les), 273.
TAINE, 249.
TALLARD (maison de), 18,
note.
TALLEMANTDES RÉ AUX, 364,
365.
TALLEYRAND, 249.
TALMONT (princesse de), 217.
TENGiN (le cardinal de), 22,
122.
THÉREziA (madame Tal-
lien), 416.
THiÉBAUT (Jean), sorcier,
355.
THOMASsiN, devin, 363.
HÔT (ou Thaut), dieu égyp-
tien, 377, 378.
THou (de), 364.
TiNGRY (madame de), 210.
TiNGRY (laprincessede), 370.
TORGHET (l'abbé), 159, 190.
TOULOUSE (l'archevêque de),
123.
TOURNEFORT (madame de\
45.
TOURNEFORT (madame de),
abbesse, 147.
TOUR NON (le cardinal de),
274.
T o u R N 0 N ( Just-Henri de ),
269.
TOURNON (Just-Louis de),
269, 274.
TOURNON (le marquis de),
242, 262.
TOURNON (le comte de), 235.
TOURNON (la marquise de),
256.
TOURNON (la comtesse de),
235.
TOURNON (mademoiselle de),
41, 42, 44.
TOURNON (MM. de), 41.
TOURNON (Madeleine de la
Rochefoucauld, dame de),
269.
TOURNON (mademoiselle de
Ventadour, comtesse de),
269.
TREMBLAY (mademoiselle
du), 49.
TREMBLEGOURT (le sire de),
99.
TRESSAN (comtesse de), 300.
INDEX DES NOMS CITES
453
T R OC HET (mademoiselle de),
267.
TU RENNE (le maréchal de),
371.
TURRBL (Pierre), 431.
URRE (le chevalier à'), 235.
URFÉ (Honoré d'), 269.
DZBS (madame d'), 18, note.
nzBs (la duchesse d'), 242,
291, 300.
uzÈs (mademoiselle d'), 204.
vaissière(M. de), 278, 281.
VA LENT IN (la), cartoman-
cienne, 384.
VALETTE (M. de la), 260.
VALETTE (madame de la),
243, 261, note, 264, note,
297, 316, 318.
VALOIS (Marguerite de), 331,
353.
VALLIÈRE (duc de la), 396.
V ALLIÉ RE (mademoiselle de
la), 370.
VARAX (mesdemoiselles de),
88.
VASSÉ (madame de), 217.
VAUDRET (les), 49.
VAUDRET (madame de), 89.
VATER (madame Le), 212.
VENDOME (les;, 303.
VENTADOCR (monscigncur
de), 198.
VENTA D ou R (mademoiselle
de), 17.
VENTA DOUR (mademoiselle
de), voir Toumon.
vERGENNEs (comte de), 401.
vERMANDois (mademoiselle
de), 207.
VBRNON (madame de), 123.
VBRON DB LA BORIB (Ics),
366, note.
VERRIER (Claude), sorcier,
355.
vExiN (comte de", 143, note.
VICHY (l'abbé de), 214.
viCHT (M. de), 264.
VICHY (madame de), 84, 85,
87, 104.
VIGOUREUX (la), cartoman-
cienne, 374.
viLLARs (madame de), ab-
besse, 147, 189.
viLLATBR (M. de), 365.
VILLE (M. de), 99.
viLLEMAGNB (madame de),
218.
viLLBMONT ( madame de), ab-
besse, 197.
VILLENEUVE (le chevalier
de), 268.
VILLENEUVE (la marquise
de), 241, 293, 296, 302.
VILLENEUVE (la), cartomau-
cienne, 417.
viLLiBRS (madame de), 261.
454
INDEX DES NOMS CITES
VINCENT DE PAUL (saint),
191.
viNTiMiLLE (madame de),
210.
viQ d'azir, 413, note,
VIRGILE, 318.
viRiEu (madame de), 118.
viviÈs (Alexandre de), 293.
viviÈs (Grégoire de), 17,248.
viviÈs (madame de), 295.
VOGUÉ (Ch.-F. Elzéar de), 267.
VOGUÉ (mademoiselle de),
204.
VOISIN (la), 338, 357, 368,
369, 370, 371, 372,374,375,
376, 379, 403, 433.
VOISIN DE SAINT-PAUL (ma-
dame), 383.
vouGY (M. de), 275, 319.
W
w ATT E VIL LE (Elisabeth de),
abbesse, 31, note.
WATTEviLLE (madame de),
chanoinesse, 44.
WESTERLOO (comte de), 408.
woLKONSKi (le prince), 427.
ziNZENDORF (abbé de), 408.
TABLE
LES CHAPITRES NOBLES DE FILLES
I. — Ce que c'était que les chapitres nobles. —
Nomination des abbesses par le roi. — Nécessité
de transformer certains couvents en institutions
plus souples. — Entorses données à la règle.
— Difficultés entre religieuses et évêques. —
Montfleury et l'évêque Le Camus. — Madame de
Rochechouart et l'autorité ecclésiastique. —
Une lettre de madame de Maintenon. — Les
démêlés de Bossuet et des abbesses de Jouarre.
— Tendance des couvents à se soustraire à la
domination épiscopale. — Pourquoi les rois
soutiennent les couvents. — Le sort des filles
de la noblesse sous l'Ancien régime. — Les
vocations. — Il ne faut rien exagérer. — Les
jeunes filles n'étaient pas contraintes d'entrer
dans les cloîtres. — Dispositions légales sauve-
gardant leurs intérêts. — Motifs qui poussent
les parents à désirer la sécularisation de plu-
^
/
456 TABLE
sieurs monastères. — Établissement des cha-
pitres nobles. — Chapitres réguliers et chapitres
sécularisés. — Comment s'obtenait la séculari-
sation. — Oppositions et protestations diverses. 5
II. — Nombre des chapitres nobles en France,
en 1789. — Leur organisation. — L'abbesse. —
Les dignitaires. — Compétitions qui se font
jour à chaque nomination d'abbesse. — Céré-
monies d'intronisation. — La prérogative royale.
— Une nomination d'abbesse en 1404 manque
de déchaîner la guerre civile. — L'affaire de
Remiremont. — Droits abbatiaux. — Faste qui
entoure l'abbesse. — La doyenne. — Les se-
crètes. — Les fonrières. — Les chanoinesses
titulaires. — Les nièces. — Elles sont le sou-
rire des chapitres. — Les chanoinesses hono-
raires 24
III. — Conditions pour être reçue dans un cha-
pitre noble. — Preuves de noblesse. — Divers
degrés de noblesse exigés par chaque chapitre.
— La rigueur des preuves était parfois suscep-
tible d'adoucissement. — Droits de réception.
— Adoption des nièces. — Pourquoi elles en-
traient dans les chapitres. — Le roi fixe lui-
même le nombre des chanoinesses. — Les cha-
pitres sont de véritables fiefs pour certaines
familles. — Avantages attachés au titre de
chanoinesse. — Vanité satisfaite. — Médiocres
avantages pécuniaires 37
IV. — Situation financière des chapitres nobles.
— Biens inaltérables. — La fortune de Remire-
mont. — D'une façon générale, les ressources
des autres chapitres étaient insuffisantes. —
TABLE 457
Les charges. — Les prébendes. — A combien
elles se montaient. — Plaintes et doléances. —
Cris de détresse. — L'église d'Alix. — Demandes
de secours. — La vie chère ! — Comment on
relevait les revenus d'un chapitre. — Salles et
les chanoines de Beaujeu. — Les dames de
Neuville plus riches de titres que d'argent. —
Montigny. — Mauvaise gestion des biens. ... 52
V. — Physionomie des chapitres sécularisés. —
Les maisons canoniales. — Salles, envisagé
comme type de l'architecture des chapitres. —
La vie intérieure. — L'ouverture des portes. —
Différents costumes portés par les chanoinesses.
— Les cordons. — La croix. — Les devises . . 65
VI. — Obligations et règlements. — Demi-liberté.
— fermeture des portes. — Le rôle de la por-
tière. — Les chanoinesses ne sont pas astreintes
à la résidence, toute l'année. — Calomnies
répandues sur le compte des chanoinesses. —
Diderot et M. Homais. — La littérature du
XVIII* siècle et les chanoinesses. — Essayons
de dire la vérité. — Les chanoinesses ne sont
pas cloîtrées. — Elles peuvent recevoir parents
et amis. — Les petits- cousins et les nièces. —
Flirts et mariages. — Ces réunions de vieilles '
dames et de jeunes filles appartenant toutes
à la meilleure société avaient beaucoup de
charme. — Les visiteurs ne chôment pas. —
Quelques chanoinesses de Lavesne. — Ma-
dame de Lestrange. — Madame de Vichy. —
Madame de Ligniville. — Aventure arrivée à
cette dernière. — Les nièces n'engendrent pas
mélancolie. — Plaisirs des chapitres. — La
26
438 TABLE
causerie, les concerts, les jeux. — La vie à
Salles. — Les dîners. — Les hommes, exclus
en principe, participent quand même à ces
réunions. — Liaisons de cœur. — Vieilles cou-
tumes naïves. — Cérémonies religieuses. —
Mariages dans l'église conventuelle. — Les cha-
noinesses à la chasse ! 75
Vn. — Faut-il reprocher aux chanoinesses leur
légèreté ? — Elles ne faisaient aucun vœu. —
Elles ne portent même pas l'habit religieux. —
Leurs distractions, non conformes aux sévé-
rités de la vie monastique, n'avaient rien de
répréhensible aux yeux du monde. — N'avaient-
elles rien d'autre à se reprocher? — La galan-
terie n'abdiquait pas ses droits. — Intrigues. —
Étourderies. — L'esprit de cabale. — Dissen-
sions intestines. — Mesdames de Montjoie et de
Ferrette. — Les chapitres durant les guerres.
— Les chanoinesses de Remiremont à la défense
de leur ville. — Les chanoinesses poétesses. —
Mesdames de Monspey. — Les chapitres se
modernisent. — On s'y laisse gagner par les
idées nouvelles. — Désillusions amères. —
Inventaires et dissolution des chapitres nobles.
— On regrette les chanoinesses pour leur cha-
rité. — Madame de Ligniville, héroïne révolu-
tionnaire. — La fin des chanoinesses 9â
DANS LES ABBAYES DE FEMMES
I. — Abbayes de femmes en 1768 et en 1788. —
Leur fondation. — Illustrations de leurs fon-
TABLE 459
dateurs et de leurs bienfaiteurs. — Iléloïse à
Paraclet. — Beauté architecturale des abbayes.
— Les grains du chapelet. — Règles de saint
Benoit et de saint Augustin. — Gouvernement.
— Le chapitre souverain. — L'abbesse, en
réalité, est la maîtresse à peu près absolue. —
Privilèges de la fonction. — Ces fonctions ré-
servées aux filles de haute noblesse et aux
princesses du sang. — Avoir une abbaye cons-
titue une grosse affaire. — Intrigues pour obte-
nir la crosse abbatiale. — Mademoiselle d'Au-
lan et sa tante du Deffand. — Nécessité de
caser les filles ^^0
II. — État des revenus des abbayes en 1768. —
Pour quelques abbayes riches, combien d'ab-
bayes pauvres t Les monastères toujours aux
abois. — Manie de la construction et manie
d'acquérir des terrains. — L'Abbaye au Bois et
Bellechasse. — Panthémont. — Les abbayes
ploient sous le faix des dettes. — Chez l'épicier.
— Dépenses de première nécessité. — Le livre
de comptes de l'abbaye de Longchamps. —
Dépenses de l'abbaye du Val-de-Grâce. — Mer-
cier et les abbesses, — Honoraires des méde-
cins et des confesseurs. — Les dépenses de
sacristie. — Les ressources en regard des
charges. — Dons et legs. — Rien ne parvient à
boucher les trous creusés dans les budgets. —
Les religieuses deviennent ingénieuses. — La
vente des sirops, des dentelles, des rubans. —
On va jusqu'à raccommoder les matelas. —
Dans leur détresse, les religieuses vendent
l'argenterie abbatiale et des reliques. — Elles
460 TABLE
s'adressent à leurs familles. — Mademoiselle de
Ventadour et son père 126
III. — La situation des abbayes était fort pré-
caire. — On ne peut attribuer ce désordre au
goût du bien-être ni du luxe. — Inventaire de
certains couvents. — Médiocrité des ameuble-
ments. — Chaillot. — Le Val-de-Grâce. — Le
« salon de la reine ». — Port-Royal. — Mobi-
lier de l'abbesse. — Panthémont. — Le confort
à l'Abbaye-au-Bois. — Conflans, Terres, etc. —
Du luxe, il n'y en avait que dans les églises. . 150
IV. — Ce qu'était la vie dans les monastères de
femmes. — Difficulté de le savoir exactement.
— La tranquillité des cloîtres n'était qu'appa-
rente. — Les abbayes en temps de guerre. —
Histoire de Longchamps. — Exodes successifs
à Paris. — Les guerres civiles. — Catherine de
Chabannes et les Huguenots. — Dissensions
intérieures. — Un cordelier mal reçu à Long-
champs. — Comment il se venge. — Opposi-
tion des religieuses à toute réforme tendant à
resserrer la règle. — Le Père Roussel. — Un
couvent en ébuUition. — Le Parlement s'en
mêle. — Deux candidates à l'abbatiat. — Dis-
cussions et révoltes. — On empoisonne une
abbesse I — Autre aventure. — Une novice
qu'on enlève. — Seigneur et paysans prêts à
en venir aux mains. — L'abbesse malade de la
fièvre. 162
V. — Au milieu de toutes ces aventures, que
devient la paix des cloîtres? — Comment les
prédicateurs jugeaient les religieuses. — Degré
de confiance qu'il convient d'accorder à ces
TABLE 461
accusations. — Religieuses sans vocation. —
Elles méritent l'indulgence. — Désordre géné-
ral dans les esprits, les institutions, les idées.
— Si les monastères avaient été aussi cor-
rompus qu'on se plait à le dire, les personnes
vraiment pieuses s'en seraient écartées. —
Fontevrault. — Chelles. — Mademoiselle de
Chartres. — Aventures qui lui sont faussement
attribuées. — Cne lettre apocryphe de saint
Vincent de Paul. — Perspicacité admirable de
ceux qui prétendent pouvoir jauger la vertu
dés femmes ayant vécu il y a deux ou six
siècles ! — Longchamps. — Sa mauvaise répu-
tation. — De l'Opéra au couvent et du couvent
à l'Opéra. — Concerts profanes. — Les foudres
de l'Archevêque. — Promenades autour du
couvent. — Les rapports de police. — Impru-
dences des religieuses. — Un général dans un
couvent. — Les monastères galants. — Mont-
martre. — Une abbesse qui jure. — L'abbaye
de la Joie. — Cérémonies religieuses. — Bap-
tême de cloches. — Réception de reliques. . . 184
VL — L'éducation des jeunes filles. — Ce qu'elle \
était. — Les devoirs du ménage. — Pourquoi
on mettait les enfants de si bonne heure au
couvent. — Prix des pensions. — Les filles de
Louis XV à Fontevrault. — Régimes d'excep-
tion. — Pensionnaires libres. — Mode de se
réfugier dans les couvents. — L'Abbaye-au-Bois;
Bellechasse, et leurs hôtes. — Un bureau
d'esprit chez les religieuses. — Marie d'Esté à
Chaillot. — Madame du Deffand à Saint-Joseph.
— Son installation. — Le mobilier t bouton
26.
462 TABLE
d'or ». — Madame de Montespan. — Un Stuart
caché à Saint-Joseph. — Un mobilier de petite-
maîtresse. — Prix de divers logements dans
les abbayes. — Inconvénients de la présence
de personnes étrangères dans les monastères.
— Le vent de frivolité souffle dans les cloîtres.
— La diminution de l'esprit religieux. — La
Révolution le ranime. — Il faut que les portes
des couvents soient fermées . . . • 202
LES MAITRESSES DE MAISON
I. — Comment madame de Genlis jugeait les
maîtresses de maison de l'ancien régime. —
Opinion de Mercier. — Différence entre l'édu-
cation des jeunes filles, jadis et de nos jours.
— Celle qu'elles recevaient avant la Révolution
était conforme à l'idée qu'on se faisait alors du
rôle social que la femme était appelée à jouer.
— La jeune fille était préparée à conduire une
maison. — Les femmes tiennent les comptes.
— Elles sont les collaboratrices de leur mari
dans l'administration générale de la fortune. —
Quelques exemples de femmes entendues en
affaires. — La marquise de Tournon ; ma-
dame de Fay; madame de Sévigné; madame de
Longevialle. — Les femmes au Moyen âge. —
Comment on les récompensait. — Encore quel-
ques maîtresses femmes du xvni<= siècle : la
duchesse d'Uzès; madame de la Valette. — Une
boutade de Guillaume Budé. — Le maréchal
du Plessis entend rester maître chez lui. . . . 226
TABLE
463
II. — La mère de famille et ses enfants. — Les
nourrices. — Les c victimes de Rousseau i. —
La miaidée. — L'enfant à la maison. — Sévère
éducation des garçons. — Régime aussi dur
pour les filles. — Rapports entre parents et
enfants. — Madame d'Oberkirch ; Talleyrand ;
le marquis de Mirabeau. — Les soins de santé.
— Exagérations répandues à ce sujet. — La
mortalité infantile. — A quoi il faut l'attribuer.
— Ignorance et suffisance des médecins. —
L'instruction était-elle négligée ? — La mère
dirige celle de ses filles. — Le lycée. — L'ortho-
graphe, peu en honneur. — Symptômes qui
font prévoir que l'on commence à sentir la
nécessité d'écrire sans fautes. — Sollicitude
des mères pour leurs fils sortis de tutelle. —
Anecdotes diverses à ce propos. — Le mariage
des enfants est la grande préoccupation des
mères de famille. — Les mariages de raison,
seuls considérés comme sérieux, dans la société
d'autrefois. — Longueur des négociations. —
Oncles à héritage ! — Détails dans lesquels on
entre. — Robes et trousseaux. — Les cérémo-
nies de mariage à Paris et en province. — Les
fêtes de Vogue. — D'Urfé, historiographe d'une
noce au xvie siècle. — Table ouverte pendant
six mois 245
III. — L'installation, premier devoir des maî-
tresses de maison. — Variations de la mode,
— Transformations dans l'ameublement. — Les
tentures au grenier. — Une chambre de grande
dame au xviii* siècle. — La manie des glaces.
— Les tapisseries. — Le bibelot-roi ! — Luxes
TABLE
divers. — Les chevaux ; les équipages. — Le
luxe n'est pas général. — La disposition des
maisons et châteaux, plus favorable à la vie
simple qu'au faste. — Part faite aux cuisines,
caves, bûchers. — Abondance des communs.
— La cuisine, centre de la maison et siège ordi-
naire de la famille 270
IV. — La vie patriarcale. — L'existence chez les
Lamartine. — La noblesse est près du peuple.
— Fossé creusé entre elle et lui par la révolu-
tion. — Communauté des intérêts sous l'ancien
régime. — Facilité des relations. — Les paysans.
— Ils n'étaient pas malheureux. — La garde-
robe d'une fermière sous Louis XIV. — Le
paysan de La Bruyère et le paysan d'aujour-
d'hui. — L'hospitalité. — Comment elle se pra-
tiquait. — Les vingt-six convives de madame de
Sévery. — Échange de toilettes. — L'habille-
ment. — Les portraits. — « Croûtes de famille ! »
— Les nobles demeurent très attachés à leurs
droits. — Visite chez les fermiers. — Les nobles
à la messe. — Pain bénit. — Bancs d'église. —
Un chapitre du Lutnn. — Le banc de l'église
d'Apt 279
V. — Les maîtresses de maison et les jardins. —
Ceux-ci sont leur distraction. — Elles ont fort
à faire avec la domesticité. — Histoires de
domestiques. — M. de Digoine et la Planquet.
— Le cuisinier de madame Cholier. — La mar-
quise de Villeneuve et ses cochers. — Il faut
surveiller les domestiques. — La lessive. — Le
linge. — On le tisse à domicile ou au village.
— Les dames ourlent le linge, le brodent, font
TABLE
465
leurs robes. — Travaux d'art sortis de leurs
mains. — On tricote pour les pauvres. — La
table. — Les maîtresses de maison à la cuisine.
— Elles préparent certains plats. — Aucune ne
néglige de veiller de près sur le cuisinier. —
Nécessité d'avoir des provisions chez soi. —
Difficulté des approvisionnements. — La viande
de boucherie. — Les veaux du cardinal Maza-
rin ! — Recettes de cuisine et de médicaments.
— Arrangements passés avec les fournisseurs.
— Si occupée qu'elle soit, la maîtresse de mai-
son écrit beaucoup. — La manie épistolaire.
— Un poulet en pathos ! 289
VL — Abandon des sports. — La promenade est
à la mode. — Le colin-maillard et autres jeux.
— Louis XIV dans un portemanteau ! — Les
petits jeux, bouts-rimés et autres. — Montes-
quieu galantin. — Les cartes. — Le whist. —
L'impériale. — Le piquet. — Travaux d'aiguille.
— Tapisseries célèbres. — Le parfilage. —
Madame de Genlis déclare cet ouvrage hon-
teux. — Obligation de s'occuper à la maison.
— Pénurie de distractions extérieures. — Le
mari voyage seul. — La femme demeure au
logis. — Fêtes des vendanges. — Le carnaval.
— L'habitude vient de quitter la campagne,
l'hiver. — Encore la vie de château. — La lec-
ture en commun. — M. de Montgaillard endort
ses auditeurs. — Monotonie de l'existence rurale.
— Une bonne aubaine. — Le duc de Glocester
sur la grande route. — Le rôle véritable des
maîtresses de maison. — Comment elles enten-
daient leur mission. — Hier et aujourd'hui , . 307
466 TABLE
MAGICIENNES
ET DISEUSES DE BONNE AVENTURE
I. — La curiosité humaine et les forces surnatu-
relles. — Sciences occultes. — La superstition
chez les anciens. — Transmission des rites.
— Les rebouteux. — Nos Parisiennes et les
paysannes de l'an mille. .— Persistance de la
superstition. — Intervention du diable. — Sor-
cières et hystériques. — Les belles dames du
xvii^ siècle. — Les esprits. — Jusqu'à la fin du
xviii" siècle, on voit le diable partout. — Une
fille de joie qui porte la bannière à la guerre.
— La béguine de Nivelles. — L'Écossais Le
More. — Peines édictées contre les sorciers. —
Les papes soupçonnés de sorcellerie. — Un
évéque qui consulte les devins 325
II. — Diverses branches de la sorcellerie. —
L'art de prédire l'avenir. — L'ornithomancie,
la captotromancie, etc., etc. — La sorcellerie
en Italie. — La célèbre Rodogine. — Catherine
de Médicis et Ruggieri. — Comment l'Estoile
traitait les devins. — L'Esprit de Marguerite de
Valois. — Nos rois et les astrologues. — Bran-
tôme satisfait. — Les bohémiens. — Nombreux
sorciers, mages et devins, en province, au
Moyen âge et au xvie siècle. — La sorcellerie
qu'on pense avoir détruite renaît à chaque ins-
tant sous des formes nouvelles. — Les alma-
nachs. — Nostradamus. — Un prophète incen-
diaire 342
TABLE 467
III. — Impuissance des lois à réprimer le char-
latanisme. — Crédulité générale. — Le peuple
craint le diable, — Henri IV et Thomassin. —
Le devin Inglis. — Nostradamus et M. de Vil-
layer. — Le pauvre Malvat. — Louis XIV et la
diseuse de bonne aventure. — M. de Créquy
paie les pots cassés ! — La Voisin. — Fidélité
de ses clients. — La Voisin et le duc d'Orléans.
— Louis XIV et l'affaire des poisons. — L'art
divinatoire qualifié de « vaine profession ». —
La chiromancie ; la cartomancie. — Le tarot.
— Marie Ambruguet. — Prédiction de la vic-
toire de Denain. — Quelques célèbres diseuses
de bonne aventure au xvin« siècle. — Jacques
Aymard. — Pourquoi les femmes s'adonnent
plus volontiers que les hommes à l'art divina-
toire
iV. — La sorcellerie plus puissante que jamais
au xviiie siècle. — La foi religieuse et la
superstition. — Désir de s'enrichir, de con-
naître l'avenir, d'entrer en relations avec Satan.
— Manifestations nerveuses collectives. — Le
fils du Régent adepte de la métempsycose. —
M. de Boulainvilliers. — Une dame qui meurt
de la peur de mourir. — L'auto-suggestion. —
Le régent et les devins. — Les roués. —
c Voyantes j du xvni« siècle. — La Bontemps.
— Ses prédictions curieuses. — Saint-Germain.
— Cagliostro. — Un prophète-gentilhomme. —
Sa pleutrerie. — Devins-escamoteurs. — La
femme Laloux. — Mademoiselle de Cruzols. —
Une grande dame aux prises avec les diables
de Montrouge. — Richelieu à Vienne. — Un
361
468 TABLE
prophète qui guérit. — Eteila. — Les fous et la
loterie. — Anecdotes diverses 388
V. — Les voyantes et la Révolution. — Les
hommes de la Révolution croyaient-ils aux
prédictions ? — On n'avait pas le temps de
s'occuper de l'avenir. — Le Directoire, époque
triomphale pour les diseuses de bonne aven-
ture. — Martin. — Madame Mochel. — L'épouse
du sieur Garic. — Crise de crédulité due aux
événements extraordinaires que l'on a sous les
yeux. — L'Impératrice Joséphine. — Mademoi-
selle Lenormand. — Napoléon était-il crédule?
— Encore mademoiselle Lenormand. Elle a
de nombreuses émules en province. — Mais
elle est la dernière grande cartomancienne. —
Les annonces. — Guérison de la timidité. —
Ne sourions pas des personnes qui croient
aux prophéties. — Les médiums. — Forces
psychiques inconnues. — Intelligence possible
de l'avenir et charlatanisme. — Nos sybilles
modernes 412
INDEX DES NOMS CITÉS 437
E. GREVIN — IMPRIMERIE DE LAGNY — 3594-9-13.
iv^ii^\ai OE.^ I . nu\j t- ~r 0UU
DC Gallier, Humbert de
33 Les moeurs et la vie
•4 privée d'autrefois
G3
PLEASE DO NOT REMOVE
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