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Full text of "Les moeurs et la vie privée d'autrefois. Filles nobles et magiciennes"

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FILLES    NOBLES 


ET 


MAGICIENNES 


CALMANN-LÉVY,  ÉDITEURS 


DU  MÊME  AUTEUR 

Format  in-18. 

LES    MŒURS    ET    LA    VI£     PRIVÉE     d'aUTREFOIS. 

I.    NOS    ANCÊTRES    CHEZ    EUX 1    VOl. 

II.    AUBERGES   ET   SALONS — 

m.    FILLES    NOBLES     ET    MAGICIEMNES.     ...  — 


Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés 
pour  tous  les  pays. 


Copyright,  1913,  by  calmann-lévy. 


E.  GREVIN   —  IMPRIMERIE   DE  LAGNY 


LES  MŒURS  ET  LA  VIE  PRIVÉE  D'AUTREFOIS 


FILLES   NOBLES 


ET 


MAGICIENNES 


PAR 


HUMBERT    DE    GALLIER 

'I; 


PARIS 
CALMANN-LÉVY,   ÉDITEURS 

3,     RUE    ACBER,     3 


Pc:- 
33 


PRÉFACE 


Je  dois  au  public  qui  veut  bien  suivre  mes 
études  sur  les  mœurs  et  la  vie  privée  d'autrefois, 
une  courte  explication  au  sujet  du  titre  choisi 
pour  le  présent  volume.  Bien  que  je  ne  me  pique 
pas  d'une  logique  rigoureuse  dans  le  groupement 
de  ces  diverses  études,  il  pourrait  paraître  étrange 
que  j'aie  réuni,  au  point  de  les  confondre,  dans  un 
même  ou\Tage,  celles  ayant  trait  aux  filles  de 
la  noblesse  et  celles  qui  concernent  les  diseuses 
de  bonne  aventure.  Serait-ce  donc  qu'après  avoir 
suivi   ces  jeunes    filles   dans   les  trois   carrières 

a 


il  PRKFACE 

qui  s'ouvraient  à  elles,  le  plus  ordinairement,  à 
savoir  :  le  Chapitre  noble,  le  couvent  et  le  mariage, 
j'aurais  prétendu  insinuer  qu'à  défaut  de  ces 
trois  voies  également  respectables,  elles  n'avaient 
plus  d'autre  ressource  que  de  se  rejeter  sur  un 
métier  fort  décrié  alors,  et  que,  n'ayant  pu  ou 
voulu  être  chanoinesses,  religieuses  ou  mères  de 
famille,  elles  se  faisaient  magiciennes?  On  ne  le 
croira  pas. 

Mais  puisque  aussi  bien  il  ne  sera  question  ici 
que  de  femmes,  en  dépit  de  l'impertinence  appa- 
rente, peut-être  n'était-il  pas  tout  à  fait  inconsé- 
quent, de  les  montrer  ailleurs  que  dans  les  cloî- 
tres ou  dans  les  salons  de  la  maison  familiale,  en 
cet  endroit  où  elles  couraient  si  volontiers,  sans  se 
cacher  trop,  en  cet  endroit  où  les  attiraient  à  la  fois 
leur  amour  du  merveilleux,  la  curiosité  naturelle 
à  leur  sexe,  et  souvent  les  soucis  galants,  c'est  chez 
la  sorcière  que  je  veux  dire. 

Étudiant  la  vie  féminine  sous  l'ancien  régime, 
il  ne  se  pouvait  guère  qu'on  passât  sous  silence 
ou  que  l'on  parût  ignorer  l'importance  considé- 
rable que  la  société  du  xvi%  du  xvii%  du  xviii'  siè- 
cles, et  précisément  les  femmes,  attachaient  à 
la  magie,  à  la  sorcellerie,  à  la  divination.  Dirai- 
je  que  c'est   par  ce  côté  que   beaucoup   de  uos 


PREFACE  III 

femmes  d'aujourd'hui  se  reconnaîtront  dans  leurs 
aïeules?  Elles  ont  perlu  jusqu'au  souvenir  du 
charme  discret  et  pénétrant  des  asiles  distin- 
gués que  l'on  appelait  les  Chapitres  nobles;  nos 
jeunes  filles  modernes  (qui  le  leur  reprocherait  ?) 
manquent  d'ardeur  pour  le  cloître  ;  nos  maîtresses 
de  maison  semblent  peu  soucieuses  en  général 
de  ressusciter  les  traditions  perdues  et  s'accom- 
moderaient mal  d'obligations  et  de  devoirs  qu'elles 
estiment  trop  lourds,  à  moins  qu'une  disposition 
d'esprit  fort  à  la  mode  les  leur  fasse  juger  infé- 
rieurs et  peu  compatibles  avec  leur  dignité  ;  mais 
toutes  ou  presque  toutes,  femmes  et  jeunes  filles, 
comme  au  bon  vieux  temps,  continuent  d'aller 
chercher  des  avis,  des  conseils  et  des  consolations 
chez  les  pythonisses  en  vogue.  La  Chesnault  ni 
Lenormand  ne  sont  mortes,  et  Cagliostro  est  tou- 
jours roi! 

On  m'excusera  donc  de  «  confondre  les  genres  », 
comme  aurait  pu  dire  le  regretté  Brunetière, 
et  d'avoir  fait  voisiner,  sans  souci  des  conve- 
nances, dans  un  même  volume,  de  vénérables 
chanoinesses  et  d'impudentes  tireuses  de  cartes. 
De  telles  rencontres  seraient  bien  pour  dérouter 
le  lecteur,  si  j'avais  apporté  la  moindre  malice  à 
les  favoriser.  Mais  la  faute,  si  faute  il  y  a,  incombe 


IV  PREFACE 

tout  entière  à  une  actualité,  que,  d'ailleurs,  je  n'ai 
point  recherchée  et  qui,  fort  au  contraire,  s'est 
imposée  à  moi.  Car  l'histoire,  chacun  le  sait,  de 
quelque  côté  qu'on  l'envisage  et  si  minces  soient 
les  détails  par  lesquels  on  s'évertue  à  la  reconsti' 
tuer,  se  rattache  toujours  à  l'actualité,  puisque 
l'histoire,  en  somme,  c'est  de  la  vie. 

Paris,  juin  4913. 


FILLES   NOBLES 
ET   MAGICIENXES 


LES  CHAPITRES  NOBLES  DE  FILLES 


Parmi  tant  d'institutions  qui  se  sont  éva- 
nouies au  souffle  brutal  de  la  Révolution,  et  au 
nombre  des  plus  regrettables,  il  faut  compter 
les  chapitres  nobles  de  filles.  Ces  asiles,  qui 
n'étaient  point  des  couvents,  où  beaucoup  de 
jeunes  filles  ne  faisaient  que  passer,  le  temps 
seulement,  dirait-on,  d'y  goûter  le  charme  pé- 
nétrant d'une  existence  semi-religieuse,  avant 
de  s'engager  dans  les  réalités  prosaïques  de  la 
vie  mondaine,  et  où  tant  d'autres,  déshéritées 
du  sort,  trouvaient  l'abri  définitif,  étaient  mer- 
veilleusement adaptés  aux  idées,  aux  habi- 
tudes, au  concept  général  de  la  vie  d'autrefois. 

1 


2  FILLES     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

II  serait  téméraire  d'affirmer  que  de  tels  lieux 
de  quiétude  n'auraient  pas  leur  utilité  aujour- 
d'hui encore.  Mais  sans  doute  leur  reconstitu- 
tion s'accommoderait-elle  assez  mal  de  nos 
illusions  démocratiques. 

Combien  sensées  pourtant  (et  l'on  pourrait 
ajouter,  si  ce  mot  n'était  affreux),  combien 
utilitaires,  ces  maisons  de  retraite  volontaire, 
assez  fermées  pour  que,  aux  chanoinesses  qui 
désiraient  la  paix  religieuse  ou  l'oubli  de  quel- 
que infortune,  les  bruits  du  monde  n'arrivassent 
que  singulièrement  apaisés  et  ouatés,  assez 
ouvertes  sur  la  vie  cependant,  pour  que  celles 
qui  considéraient  de  telles  maisons  comme  un 
simple  lieu  de  passage,  y  fussent  agréablement 
diverties  par  ces  bruits  sans  en  être  étourdies. 
Volières  parfois  somptueuses,  d'ordinaire  très 
simples,  dont  on  savait  bien  que  les  grilles 
n'étaient  point  trop  serrées,  et  que  la  porte  en- 
tre-bâillée  permettait  aux  oiseaux  de  s'envoler  à 
leur  aise  ;  cages  sans  maussaderie  où  il  était 
loisible  aux  prisonnières  de  se  blottir  tout  au 
fond,  dans  le  recueillement  et  la  prière,  ou  de 
mettre  la  tête  aux  barreaux  dans  l'attente  du 
prince  charmant. 

A  ces  considérations  d'ordre  moral,  on  en 


LES    CHAPITRES    NOBLES     DE    FILLES  6 

pourrait  joindre  d'autres  sur  les  facilités  que 
procuraient  aux  jeunes  filles  pauvres  des  asiles 
où  elles  trouvaient,  parmi  d'autres  femmes  de 
leur  monde  et  dans  une  société  choisie,  le 
moyen  de  vivre  honorablement,  en  dépit  d'une 
modicité  de  ressources  qui  n'étonnait  personne 
puisqu'elle  était  commune  à  toutes. 

Tels  étaient,  sans  s'attarder  à  d'autres  ré- 
flexions, quelques-uns  des  avantages  de  cette 
institution  des  chapitres  nobles  dans  lesquels 
nous  allons  essayer  de  pénétrer,  puisque  aussi 
bien  la  porte  n'en  est  pas  rigoureusement 
close  au  profane. 


Ce  que  c'était  que  les  chapitres  nobles.  —  Nomina- 
tion des  abbesses  par  le  roi.  —  Nécessité  de  trans- 
former certains  couvents  en  institutions  plus  souples. 

—  Entorses  données  à  la  règle.  —  Difficultés  entre 
religieuses  et  évéques.  —  Montfleury  et  l'évéque 
Le  Camus.  —  Madame  de  Rochechouart  et  l'auto- 
rité ecclésiastique.  —  Une  lettre  de  madame  de  Main- 
tenon.  —  Les  démêlés  de  Bossuet  et  des  abbesses  de 
Jouarre.  —  Tendance  des  couvents  à  se  soustraire  à 
la  domination  épiscopale.  —  Pourquoi  les  rois  sou- 
tiennent les  couvents.  —  Le  sort  des  filles  de  la  no- 
blesse sous  l'Ancien  régime.  —  Les  vocations.  —  Il  ne 
faut  rien  exagérer.  —  Les  jeunes  filles  n'étaient  pas 
contraintes  d'entrer  dans  les  cloîtres. —  Dispositions 
légales  sauvegardant  leurs  intérêts.  —  Motifs  qui 
poussent  les  parents  à  désirer  la  sécularisation  de 
plusieurs  monastères.  —  Établissement  des  cha- 
pitres nobles.  —  Chapitres  réguliers  et  chapitres 
sécularisés.  —  Comment  s'obtenait  la  sécularisation. 

—  Oppositions  et  protestations  diverses. 


FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 


Avant  de  pousser  la  grille  qui  ouvre  sur  la 
cour  du  monastère,  établissons  nettement  La 
différence  qu'il  y  avait  entre  les  abbayes  pro- 
prement dites  et  les  chapitres  noblesx 

Plusieurs  de  ces  chapitres  avaient  été  primi- 
tivement des  abbayes,  c'est-à-dire  des  couvents 
réguliers  soumis  aux  règles  habituelles  de 
l'Eglise,  et  occupés  par  des  religieuses  ayant 
fait  leurs  vœux.  Des  abbayes  pas  plus  que  de 
nos  couvents  modernes,  les  religieuses  ne 
pouvaient  revenir  dans  le  monde,  ni  aban- 
donner le  costume,  ni  se  délier  des  vœux,  sans 
une  autorisation  spéciale  de  Rome.  Mais  à 
mesure  que  le  pouvoir  royal  s'était  étendu  et 
fortifié,  il  ne  lui  avait  pas  déplu  de  substituer 
dans  la  mesure  du  possible  son  autorité  à  celle 
de  l'Eglise,  en  tout  ce  qui  ne  concernait  pas 
les  questions  de  dogme  pur.  C'est  ainsi  que 
François  I®'',  en  1516,  par  le  concordat  passé 
avec  le  pape  Léon  X,  avait  obtenu  le  droit  de 
nommer  à  toutes  les  abbayes  françaises, 
d'hommes  et  de  femmes,  sauf  à  celles  de 
Gluny,  Cîteaux  et  Prémontré.  11  existait  donc 
deux  sortes  d'abbayes,  les  abbayes  en   règle, 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE     FILLES  7 

OÙ  le  droit  d'élection  avait  été  conservé,  et  les 
abbayes  royales  où  le  roi  nommait  l'abbé  ou 
l'abbesse.  Depuis  longtemps  d'ailleurs,  malgré 
les  protestations  de  la  cour  romaine,  les  abbés 
commendataires,  laïques  tonsurés  et  hauts  per- 
sonnages, négligeaient  de  recevoir  les  ordres 
dans  l'année  ainsi  que  l'Eglise  leur  en  faisait 
un  devoir  strict.  Ils  restaient  laïques  et  se 
contentaient  de  toucher  les  revenus  de  leurs 
abbayes,  renonçant  à  exercer  les  pouvoirs  spi- 
rituels qu'ils  déléguaient  au  prieur  claustral. 

En  dépit  de  la  nomination  des  abbesses  par 
le  roi,  les  abbayes  demeuraient  des  couvents 
réguliers.  Sans  doute  les  règles  de  saint 
Benoît  avaient  subi  nombre  de  modifications,  et 
des  abus  de  toutes  sortes,  peu  à  peu,  s'étaient 
glissés  qui  en  atténuaient  singulièrement  les 
sévérités.  Ce  n'en  était  pas  moins  des  couvents, 
dont  la  claustration  et  les  vœux  constituaient 
toujours  les  principes  immuables. 

Sachant  combien  était  considérable  autre- 
fois le  nombre  des  jeunes  filles  qui  entraient  au 
couvent  (et  nous  ne  parlons  même  point  ici  de 
celles  que  l'on  contraignait  de  s'y  enfermer,  ce 
qui  était  beaucoup  plus  rare  en  somme  qu'on  ne 
le  croit)  sans  vocation  bien  déterminée  ou  sans 


5  FILLES     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

vocation  aucune,  uniquement  pour  des  raisons 
de  convenance,  d'ambition  ou  simplement 
d'argent,  faut-il  s'étonner  que  beaucoup  d'entre 
elles  aspirassent  après  des  règles  moins  rigou- 
reuses, plus  élastiques?  Gomment  être  surpris 
qu'elles  désirassent  surtout  être  libérées  de  ce 
cauchemar  qu'était  pour  plusieurs  le  caractère 
irrévocable  de  vœux  éternels?  De  là  à  chercher 
un  adoucissement  à  leur  claustration  et  à 
souhaiter  la  transformation  du  couvent  en  une 
institution  plus  souple  qui  leur  permît  à  la 
fois  de  vivre  dans  la  paix  et  la  retraite,  mais 
sans  obligation  définitive  et  d'avoir  un  pied 
dans  le  monde,  il  n'y  avait  pas  loin. 

Au  vrai,  ces  aspirations  ne  se  firent  pas  jour 
d'abord  sous  une  forme  bien  précise.  C'est 
par  des  entorses  continues  données  aux  règles, 
par  des  réclamations  dé  plus  en  plus  pressantes 
adressées  aux  évêques,  dont  l'autorité  parfois 
un  peu  rude  leur  pesait,  que  certaines  mo- 
niales arrivaient  insensiblement  à  l'affranchis- 
sement relatif,  souhaité,  entrevu,  mais  non 
point  défini. 

Dans  ces  querelles  fréquentes  les  mettant 
aux  prises  avec  l'autorité  épiscopale  sur  des 
détails    de    règlement   qui,   à   distance,   nous 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES  9 

paraissent  un  peu  puérils,  mais  où  les  abbesses, 
très  jalouses  de  leurs  droits  réels  ou  supposés, 
apportaient  d'autant  plus  de  hauteur  et  de  téna- 
cité, semble-t-il,  qu'elles  étaient  moins  sûres 
peut-être  de  l'excellence  de  ces  droits,  la  pro- 
tection royale  leur  faisait  rarement  défaut. 

Lors  de  la  lutte  entreprise  par  les  religieuses 
de  Montfleury  contre  l'évêque  de  Grenoble, 
Le  Camus,  qui  prétendait  avec  quelque  appa- 
rence de  raison,  leur  interdire  des  libertés 
qu'elles  avaient  prises,  notamment  de  s'affran- 
chir de  la  clôture,  de  donner  des  concerts  à 
voix  et  instruments  et  de  recevoir  à  leur  table 
des  séculiers,  lutte  fort  longue,  fort  aigre,  au 
cours  de  laquelle  les  combattants  témoignèrent 
d'une  égale  ardeur,  toute  la  noblesse  du  pays 
se  range  derrière  la  prieure,  madame  de  la 
Groix-Ghevrières,  et  le  roi  lui-même,  interve- 
nant en  sa  faveur,  annule  l'ordonnance  de 
l'évêque  K 

Un  fait  identique  se  produit  en  1701  à  Fon- 
tevrault.  L'évêque  ayant  manifesté  l'intention 
de  rappeler  les  dames  de  cette  abbaye  à  une 
observance  plus  stricte  de  leurs  statuts,  l'ab- 

1.  Henri  de  Mailiefaud  :  Recherches  historiques  sur  le 
monastère  royal  ou  chapitre  noble  de  Montfleury  (1837). 

1. 


10  FILLES    NOBLES     ET    MAGICIEi^XES 

besse,  madame  de  llochechouart,  lance  contre 
lui  trois  mémoires  énergiques  dans  lesquels  elle 
s'efforce  de  démontrer  et  de  défendre  ses  pré- 
rogatives en  ces  matières.  Elle  implore  la  pro- 
tection du  roi,  et  demande  qu'il  «  lui  plaise  de 
faire  finir  une  bonne  fois  une  prétention  qui 
jusqu'ici  n'a  aucun  fondement  et  qui  ne  va 
qu'à  troubler  la  paix,  la  discipline  du  cloître  et 
le  repos  des  consciences  ».  Elle  menace  d'en 
appeler  au  parlement,  multiplie  les  suppliques 
au  roi,  s'agite,  se  démène  comme  un  beau 
diable,  dirait-on,  n'était  le  respect.  Or,  non  seu- 
lement le  roi  lui  donne  raison,  mais  encore  elle 
obtient  l'approbation  de  madame  de  Maintenon, 
rigide  pourtant  en  de  telles  matières  qui  tou- 
chent de  si  près  à  la  religion.  Voici  la  lettre, 
curieuse  à  plus  d'un  titre,  qu'adressait  à  l'ab- 
besse,  à  propos  de  cette  affaire,  la  sévère  gar- 
dienne des  traditions  catholiques  :  «  Le  roi 
m'ordonne,  madame,  de  vous  mander  qu'il  a 
lu  votre  lettre  avec  attention,  qu'il  trouve  bon 
que  vous  disiez  vos  raisons  à  M.  le  Chancelier 
et  que,  bien  loin  de  vous  retrancher  ce  qui  est 
permis  aux  autres,  il  vous  accorderait  volon- 
tiers par  son  inclination  ce  qu'il  refuserait  au 
reste   du   monde.  .le  me  réjouis    avec   vous, 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         11 

madame,  de  cette  continuation  de  la  considé- 
ration que  j'ai  toujours  vue  au  roi  pour  vous*.» 
On  sait  les  démêlés  qui  surgirent  entre 
Bossuet  et  mesdames  Henriette  de  Lorraine  et 
Marguerite  de  Rohan,  successivement  abbesses 
de  Jouarre.  Ces  dames  prétendaient  recevoir 
les  religieuses  au  gré  de  leur  propre  volonté, 
sans  avoir  recours  au  scrutin  prévu  par  les 
règlements.  L'évèque  protestait  de  toutes  ses 
forces  contre  un  tel  abus,  mais  ses  exigences, 
si  légitimes  qu'elles  fussent,  se  heurtèrent  de 
la  part  des  abbesses  à  une  opposition  que  la 
cour  soutenait  en  dessous*.  D'autres  chapitres, 
celui  de  Salles,  en  particulier,  entrèrent  en 
discussions  vives  avec  l'autorité  ecclésiastique. 
Mais  il  est  juste  d'ajouter  que  ces  discussions 
allèrent  rarement  jusqu'à  la  révolte  ouverte, 
ainsi  qu'il  advint  à  Remiremont  où  les  dames 
encoururent  l'excommunication  temporaire 
pour  avoir,  aidées  de  leurs  petites  servantes, 
leurs  «  bourguignottes  »,  démoli  à  coups  de 
hache  une  porte  de  clôture  qu'on  voulait  leur 
imposera 

1.  Archives  nat.,  L.  1019,  dossier  7. 

2.  H.  Tiercelin,  Le  monastère  de  Jouarre. 

3.  Eugène  Méhu,  Salles  en  Beaujolais. 


12  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

La  tendance  des  couvents  à  se  soustraire  à 
l'autorité  épiscopale  ne  cesse  de  s'accentuer 
depuis  la  fin  du  xvi"  siècle.  Nommées  par 
lettres  patentes  et  tirées  souvent  de  monas- 
tères étrangers,  les  abbesses  prenaient  posses- 
sion de  leur  siège  comme  des  chefs  militaires 
eussent  pu  le  faire  de  leur  gouvernement*. 

D'autre  part,  les  rois  de  France  s'accommo- 
daient de  moins  en  moins  des  entraves 
qu'avait  laissé  subsister  le  concordat  de  lol6. 
Pour  légères  qu'elles  fussent,  ils  les  jugeaient 
trop  étroites  encore,  et  bien  éloignés  pourtant, 
cela  va  sans  dire,  de  toute  préoccupation  anti- 
religieuse, ils  cherchaient  néanmoins  à  les 
détendre,  sinon  à  les  secouer  tout  à  fait  et  à 
s'en  débarrasser.  Si,  d'avoir  été  trop  long- 
temps triturés  dans  les  «  mares  stagnantes  », 
les  mots  de  «  cléricalisme  »  et  «  d'anticlérica- 
lisme »  n'avaient  perdu  leur  exacte  et  précise 
signification,  il  serait  juste  de  dire  que  les 
gouvernements  de  Louis  XIV  et  de  Louis  XV 
furent  nettement  anticléricaux.  La  volonté 
ferme  de  rattacher  directement  au  pouvoir 
royal  tout  ce  qui,  sans  froisser  les  consciences 

1.  H.  Tiercclin,  Le  monastère  de  Jouarre,  op.  cit. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         13 

et  sans  diminuer  en  rien  l'autorité  morale  du 
clergé,  non  plus  que  sa  situation  matérielle, 
pouvait  être  distrait  de  son  omnipotence,  se 
poursuit  constamment  au  cours  du  xvii'  et  du 
xviii^  siècles.  On  en  suit  la  trace  dans  les 
affaires  les  plus  graves  comme  dans  les  événe- 
ments mesquins  en  apparence  dont  nous  avons 
cité  quelques  exemples. 

Dans  ces  conditions,  et  ces  deux  tendances 
bien  établies  :  tendance  des  religieuses  à  se 
libérer  plus  ou  moins  de  l'autorité  des  évo- 
ques en  vue  d'adoucir  dans  une  certaine 
mesure  les  rigueurs  de  la  règle  monastique; 
tendance  de  la  couronne  à  s'affirmer  de  plus 
en  plus  prépondérante  jusque  dans  les  ques- 
tions touchant  à  la  religion,  sinon  au  dogme, 
les  demandes  de  sécularisation  devaient  fata- 
lement se  multiplier.  Le  gouvernement  leur 
faisait  bon  accueil  et  les  appuyait  avec  énergie, 
quand  d'ailleurs  il  ne  les  provoquait  pas  lui- 
même. 

Il  avait  pour  cela  d'autres  raisons  encore 
que  celles  que  je  viens  d'indiquer.  A  bon 
droit,  il  se  préoccupait  du  sort  des  filles  de  la 
noblesse,  auxquelles  on  avait  trop  peu  songé 
jusqu'à  la  fin  du  xvi«  siècle.  Au  Moyen  âge, 


il  FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

époque  de  grande  foi,  il  avait  paru  tout  naturel 
que  les  jeunes  lilles,  quand  leur  mariage 
n'était  pas  utile  à  la  fortune  ou  à  la  grandeur 
de  la  maison,  se  consacrassent  à  Dieu  et  pas- 
sassent leur  temps  à  prier  tandis  que  les  pères 
et  les  frères,  à  grands  coups  d'épée,  se  taillaient 
des  fiefs  ou,  rangés  derrière  la  bannière  royale, 
conquéraient  peu  à  peu  les  territoires  dont  la 
réunion  devait  former  un  jour  le  «  doux  pays 
de  France  )>.  En  ces  siècles  de  luttes,  la 
femme  ne  pouvait  avoir  que  deux  destinées  :  la 
maternité  ou  le  cloître.  Dans  la  société  d'alors, 
il  n'y  avait  point  de  place  pour  d'autres 
femmes  que  la  mère  ou  la  religieuse.  Durant 
les  périodes  qui  suivirent,  ce  xv"  siècle  tout 
fumant  des  guerres  contre  l'étranger,  ce 
xvi"  siècle  tout  sanglant  des  guerres  fratri- 
cides, la  royauté  souvent  aux  abois,  réduite  à 
se  défendre,  obligée  de  veiller  au  salut  du  pays 
comme  au  sien  propre,  pouvait-elle  s'attarder 
à  l'étude  de  questions  secondaires  auxquelles 
l'intérêt  général  n'était  pas  lié  et  qui  n'allaient 
à  rien  de  plus  qu'à  fournir  quelques  avantages 
à  un  certain  nombre  de  filles  nobles,  cadettes 
de  bonnes  maisons. 

Il  en  est   autrement   au    xvii®   siècle.   La 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         15 

monarchie  définitivement  assise,  délivrée  des 
dangers  pressants  venus  de  Textérieur  ou  du 
sein  de  la  France,  peut  à  loisir  condescendre  à 
des  réformes  d'administration  intérieure.  Il  ne 
lui  échappe  pas  que  la  situation  des  tilles  de  la 
noblesse  est  douloureuse,  que  le  couvent  con- 
sidéré comme  le  refuge  naturel  de  toute  cette 
jeunesse  désemparée  apparaît  à  beaucoup 
comme  une  prison  mal  déguisée  et  imméritée. 
Quelques  scandales  retentissants  ont  montré 
que  la  règle  monastique  n'oppose  qu'une  bien 
faible  barrière  aux  cœurs  sensibles  qu'une 
vocation  sincère  n'a  pas  détachés  des  choses  de 
ce  monde,  et  que  les  passions  humaines,  se 
riant  des  clôtures,  viennent  trop  souvent  cor- 
rompre les  âmes  quand  celles-ci  ne  sont  point 
pénétrées  par  l'àpre  douceur  du  renoncement 
et  du  sacrifice.  Puis,  la  foi,  pour  sincère 
qu'elle  soit  encore  en  France  au  temps  de 
Louis  XIV  parmi  les  gens  de  qualité,  n'a  plus 
cette  ardeur,  cette  profondeur,  cette  pureté 
par  quoi  s'est  distinguée  la  foi  du  Moyen  ùge, 
non  plus  cette  énergie  batailleuse  que  lui  a 
redonnée  la  lutte  contre  le  protestantisme.  Les 
monastères,  où  les  jeunes  filles  d'alors  entraient 
avec  élan,  comme  dans  des  lieux  sacrés  où  les 


16  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

appelait  la  voix  de  Dieu,  ne  semblent  plus 
aux  jeunes  filles  du  xvii®  siècle  que  des 
retraites  moroses  auxquelles  les  condamnent 
les  exigences  de  leur  situation,  les  conve- 
nances, parfois  l'avarice  de  leurs  parents.  A 
beaucoup,  à  trop  de  celles  qui  prennent  le 
voile  désormais,  il  manque  la  spontanéité  des 
sentiments,  la  volonté  de  s'immoler  —  la  voca- 
tion. 

Ne  poussons  pas  cependant  les  choses  trop  au 
noir.  L'opinion  générale  est  que  le  monastère 
offrait  autrefois  un  moyen  commode  et,  pour 
ainsi  dire,  usuel,  de  se  débarrasser  des  filles  et 
des  garçons  que,  pour  une  raison  ou  pour  une 
autre,  on  ne  parvenait  pas  à  marier.  Il  res- 
terait à  savoir  si  cette  opinion  repose  sur  une 
base  solide.  N'a-t-on  pas  un  peu  exagéré? 
Quand  la  Harpe,  dans  sa  Mélanie,  et  Chénier, 
dans  sa  Victime  cloîtrée  peignaient  sous  des 
couleurs  si  sombres  la  barbarie  des  parents 
en  ces  circonstances,  ne  dépassaient-ils  pas 
la  mesure  ?  On  ne  saurait  oublier  que  l'or- 
donnance de  Blois  et  le  concile  de  Trente 
avaient  pris  certaines  dispositions  sauvegar- 
dant l'intérêt  des  jeunes  filles  et  jeunes  gens 
en   leur  permettant   de    se    pourvoir    devant 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         17 

l'évêque  pour  faire  déclarer  leurs  vœux  nuls  si 
la  contrainte  ou  quelque  autre  motif  les  y 
engageait.  Des  témoignages  particuliers  mon- 
treront que  cette  dureté  des  parents  souffrait 
du  moins  des  exceptions.  Dans  son  Livre  de 
raison,  Jean  d'Aguesseau,  trésorier  de  France, 
dit  :  «  Marguerite,  notre  fille,  ayant  témoigné 
vouloir  être  religieuse,  nous  l'avons  fait 
revenir  chez  nous  pour  mieux  connaître  sa 
vocation  ;  à  quoi  ayant  toujours  persisté,  elle 
entre  à  la  Visitation  et  prend  l'habit*  (1656).  » 
€  Si  j'eusse  eu  de  la  tentation  pour  le  monde, 
écrira  mademoiselle  de  Ventadour,  qui  m'eust 
pu  forcer  d  être  religieuse-?  »  Grégoire  de 
Viviers  met  ses  trois  filles  au  couvent,  «  après 
avoir  éprouvé  leur  vocation  pendant  deux 
ans^  ». 

D'autre  part,  voici  la  présidente  Murât  qui 
écrit  en  1778  :  «  On  m'a  mandé  la  vocation  de 
mademoiselle  Brison  pour  être  religieuse  à 
Sainte-Marie,  ce  qui  m'a  étonnée,  aujourd'hui 


1.  Livre  de  raison  de  deux  seigneurs  picards,  publié  par 
A.  Ledieu. 

2.  Lettre  de  mademoiselle  de  Lévis-Ventadour  à  M.  de 
la  Grange,  31  juillet  1616.  (Arch.  du  château  du  Vergier.) 

3.  Livre  de  raison  de  F.  du  Viviers. 


18  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

que  les  demoiselles  les  moins  riches  prennent 
peu  ce  parti'.  » 

Mais  revenons  à  notre  sujet. 

Dans  les  familles  comme  à  la  cour,  les  aven- 
tures fâcheuses  dont  plusieurs  monastères 
avaient  été  le  théâtre  avaient  retenti  de  façon 
désagréable^.  Presque  aussi  péniblement  frap- 
paient les  nouvelles  chaque  jour  plus  fré- 
quentes de  demandes  de  relèvement  de  vœux 
introduites  à  Rome. 

Aussi  bien  les  parents  ne  sont  pas  insen- 
sibles aux  plaintes  de  leurs  filles.  Maintenant 
il  leur  paraît  presque  aussi  cruel  qu'à  elles- 
mêmes  de  ne  leur  réserver  que  le  triste  avenir 
delà  claustration.  L'heure  semble  donc  venue 
d'atténuer  la  rigueur  du  dilemme  où  la  société 
les  a  enfermées  jusqu'ici  :  mariage  ou  monas- 
tère. Entre  l'état  de  femme  mariée  et  celui  de 
nonne,  n'était-il  pas  possible  d'établir  une  sorte 

1.  Lettre  de  la  présidente  Murât  à  mademoiselle  de  Fran- 
quières,  janvier  1777.  (Arch.  de  Cibeins.) 

2.  «  J'ay  cogneu,  disait  déjà  Brantôme,  de  son  temps,  une 
abbesse  de  Tarascon,  sœur  de  madame  d'Uzès,  de  la  mai- 
son de  Tallard,  qui  se  défroqua  et  sortit  de  religion  à  l'âge 
de  plus  de  cinquante  ans  et  se  maria  avec  le  grand  Chanay, 
qu'on  a  veu  grand  joueur  à  la  cour.  Force  autres  reli- 
gieuses ont  fait  de  tels  tours,  en  mariage  ou  autrement.  » 
{Brantôme,   Des  Dames,  t.  IX,  p.  332.) 


LES    CHAPITRES     NOBLES     DE    FILLES         19 

de  situation  mixte  en  quelque  sorte,  qui 
permît  aux  jeunes  filles  de  vivre  dans  une 
retraite  honorable  sans  leur  enlever  à  tout 
jamais  la  faculté  de  rentrer  dans  le  monde  et 
de  s'y  créer  un  foyer?  De  là  l'institution  des 
chapitres  nobles  séculiers,  qui  atteignait  parfai- 
tement le  but  que  l'on  s'était  proposé.  Nous 
avons  déjà  dit  un  mot  des  avantages  que  pré- 
sentait la  sécularisation  de  certaines  abbayes. 
Il  nous  faut  y  revenir  rapidement.  Au  lieu  de 
végéter  chez  elles,  dans  la  maison  familiale 
devenue  la  propriété  d'un  frère  marié,  ou  de 
se  lier  par  des  vœux  irrévocables,  les  jeunes 
filles  désormais  allaient  trouver  dans  les  cha- 
pitres nobles  un  abri  paisible  oii  elles  se  ren- 
contreraient avec  d'autres  femmes  de  leur  con- 
dition, une  communauté  qui  n'exigeait  aucun 
engagement  et  où,  dans  une  certaine  mesure 
cependant,  elles  se  voyaient  sauvegardées  des 
séductions  du  monde  et  de  ses  calomnies.  De 
semblables  institutions,  il  faut  le  reconnaître, 
s'harmonisaient  exactement  avec  les  coutumes 
d'alors,  avec  les  règles  de  succession,  avec  l'or- 
ganisation même  de  la  société .  Elles  étaient  mie  ux 
qu'une  simple  réforme  bienveillante  et  libérale  ; 
elles  répondaient  nettement  à  un  besoin  social. 


20  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Mais  il  convient  de  faire  encore  ici  une  dis- 
tinction. Plusieurs  chapitres  nobles,  dont  les 
religieuses  portaient  également  le  titre  de 
chanoinesse,  ne  furent  jamais  sécularisés,  tel 
Montfleury  près  de  Grenoble.  Ces  chapitres 
dits  réguliers  ne  différaient  des  couvents  ordi- 
naires qu'en  ceci  :  que  les  religieuses  avaient 
droit  à  des  prébendes.  Par  ailleurs,  ils  obéis- 
saient à  une  règle  monastique,  celle  de  saint 
Benoît  ou  de  saint  Augustin,  règles  que  les 
chanoinesses  régulières  s'efforçaient  de  faire 
fléchir,  notamment,  on  l'a  vu,  en  ce  qui  con- 
cernait l'obligation  de  clôture,  de  façon  à  s'as- 
similer le  plus  possible  aux  chanoinesses 
séculières  ^ . 

Pour  obtenir  la  sécularisation,  il  fallait 
d'abord  un  brevet  du  roi.  Le  plus  souvent,  la 
demande  était  faite  par  les  chanoinesses  elles- 
mêmes.  Ainsi  en  fut-il  pour  l'Argentière  et 
bien  d'autres  chapitres  ^.  Il  arrivait  toutefois 
que  le  roi  accordait  ce  brevet  de  son  propre 

1.  Ce  titre  de  chanoinesse  était  également  porté  par  les 
religieuses  de  certains  couvents.  Les  dames  de  Bellechasse 
et  celles  de  Sainte-Geneviève  de  Chaillot,  entre  autres,  y 
avaient  droit.  Arch.  nat.,  L.  1016  et  S.  4513.  Cf  aussi  Le- 
feuve,  Les  anciennes  maisons  de  Paris. 

2.  Arch.  nat.,  G'  120. 


LES    CHAPITRES    NOBLES     DE    FILLES         21 

mouvement.  Bourbourg,  par  exemple,  fut 
sécularisé  sur  les  instances  de  Marie-Antoi- 
nette qui  souhaitait  voir  se  multiplier  en 
France  les  chapitres  séculiers  de  filles  nobles, 
sur  le  modèle  de  ceux  existant  en  Autriche  '. 
Jourcey  en  Forez,  érigé  en  chapitre  noble  par 
brevet  royal  du  29  avril  1789  *,  Lavesne,  érigé 
en  1781,  constituent  autant  de  preuves  de  la 
sollicitude  de  la  reine  pour  les  filles  nobles  et 
de  la  tendance  que  le  pouvoir  avait  à  sécula- 
riser en  dehors  même  des  sollicitations  des 
intéressées  ^.  Quand  Louis  XV  veut  trans- 
former le  simple  prieuré  de  Neuville  en  Bresse 
en  chapitre  séculier,  (à  la  vérité  cette  fois,  sur 
les  instances  des  chanoinesses),  il  se  déclare 
désireux  de  «  faire  en  France  un  nouvel  établis- 
sement semblable  à  celui  de  Remiremont*.  » 
Le  brevet  royal  n'eut  point  suffi  naturelle- 
ment à  transformer  un  couvent  en  un  chapitre 
séculier.  Il  était  nécessaire  que  le  pape  accor- 
dât son  autorisation  et,  par  une  bulle,  érigeât 
l'église  du  couvent  en  collégiale,  puis  relevât 

1.  Arch.  nat.,  G'  124. 

2.  Id.  G'  137. 

3.  Marcellin  Boudet,    Un  chapitre  de  chanoinesses. 

4.  A.  Bouchet,  Histoire   des  prieurés  de  l'ancien  chapitre 
de  Neuville, 


22  FILLES    ^■OBLES    ET    MAGICIENNES 

les  dames  actuelles  de  leurs  vœux.  Non  de 
tous,  car  le  vœu  de  chasteté  était  maintenu, 
encore  que  les  futures  chanoinesses  n'en  dus- 
sent point  faire  profession. 

A  vrai  dire,  l'Eglise  ne  se  montrait  guère 
disposée  à  suivre  le  pouvoir  laïque  dans  la 
voie  de  ces  sécularisations  qu'elle  estimait  trop 
fréquentes  et  non  sans  danger.  Le  cardinal  de 
Tencin  eut  grand'peine  à  obtenir  l'autorisation 
papale  pour  la  sécularisation  du  chapitre  de 
Neuville,  que  le  roi  l'avait  chargé  de  négo- 
cier ^  Plus  difficile  encore  fut  celle  de  La- 
vesne  ^.  On  avait  cru  bien  faire  en  demandant 
à  cette  occasion  la  protection  de  madame 
Louise,  tante  du  roi.  Mais  celle-ci,  indignée, 
écrivit  une  lettre  fort  catégorique  à  monsei- 
gneur de  Bonal,  en  s'élevant  contre  la  ten- 
dance à  séculariser  les  couvents,  tendance 
qu'elle  jugeait  déplorable.  L'influence  de  ma- 
dame Louise  était  considérable  à  Rome,  où  son 
esprit  d'intrigue  se  jouait  d'autant  plus  à  l'aise 
que  la  renommée  de  ses  vertus  réelles  y  avait 
plus    profondément  pénétré.  Il  ne   fallut  rien 

1.  A.  Bouchet,  Histoire  des  prieurés  de  V ancien  chapitre 
de  Neuville,  op.  cit. 

2.  M.  Boudet,  l/îz  chapitre  de  chanoinesses,  op.  cit. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         23 

de  moins  que  l'énergie  de  la  reine  Marie-An- 
toinette et  l'intervention  dévouée  du  cardinal 
de  La  Rochefoucauld  pour  avoir  entin  gain  de 
cause. 

D'autres  fois  on  se  heurtait  à  des  difficultés 
d'un  ordre  spécial.  Quand  il  s'agit  d'installer 
le  chapitre  noble  de  Saint- Antoine,  auquel  on 
attribuait  les  revenus  de  l'ancienne  abbaye 
appartenant  aux  chevaliers  de  Malte,  ceux-ci 
soulevèrent  des  oppositions  sans  fin,  tant  et  si 
bien  que  l'installation  décidée  en  1779  ne  fut 
définitive  qu'en  1787.  Force  avait  été  de 
recourir  au  parlement  de  Grenoble.  En  1785, 
M.  de  Marzin  écrivait  :  «  11  y  a  déjà  eu  de 
nouvelles  lettres  patentes  enregistrées  au 
parlement  purement  et  simplement  par  ordre 
de  la  cour  *.  » 

1.  Lettre  de  M.  de  Marzin  au  marquis  de  Toornon,  1787. 

(Arch.  du  Vergier.) 


II 


Nombre  des  chapitres  nobles  en  France,  en  1789.  — 
Leur  organisation.  —  L'abbesse.  —  Les  dignitaires. 

—  Compétitions  qui  se  font  jour  à  chaque  nomina- 
tion d'abbesse.  —  Cérémonies  d'intronisation.  —  La 
prérogative  royale.  —  Une  nomination  d'abbesse  en 
1404  manque  de  déchaîner  la  guerre  civile.  —  L'af- 
faire de  Remiremont.  —  Droits  abbatiaux.  —  Faste 
qui  entoure  l'abbesse.  —  La  doyenne.  — Les  secrètes. 

—  Les  fonrières.  —  Les  chanoinesses  titulaires.  — 
Les  nièces.  —  Elles  sont  le  sourire  des  chapitres. 

—  Les  chanoinesses  honoraires. 


Il  existait  en  France,  en  1789,  trente  cha- 
pitres nobles  réguliers  ou  sécularisés,  à  savoir  : 
Alix,  Andlau  l'Argentière,  Avesne,  Baume-les- 
Dafnes,  Beaulieu,  Blesle,  Bourbourg,  Chàteau- 
Chalon,    Epinal,   Estrun,    Jourcey,    Lavesne, 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         25 

Leigneux,  Lons-le-Saulnier,  Maubeuge,  Mi- 
gette,  Montfleury,  Montigny,  Neuville-en- 
Bresse,  Notre-Dame  de  Bouexières,  Notre- 
Dame  de  Ronceray,  Poulangy,  Poussay,  Saint- 
Louis  de  Metz,  Saint-Marc  de  Martel,  Saint- 
Antoine  de  Viennois,  Saint-Martin  de  Salles, 
Saint-Pierre  de  Remiremont,  et  Saint-Rem- 
froid  de  Denain. 

Dans  les  uns,  aufcun  lien  irrévocable  ne  rete- 
nait les  chanoinesses.  Elles  pouvaient  rentrer 
dans  le  monde,  au  gré  de  leur  désir,  et  s'y 
marier.  Seules,  lesabbesses  et  les  doyennes  de 
certains  chapitres  étaient  astreintes  au  vœu  de 
chasteté,  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans  ^  Ce  vœu, 
au  contraire,  était  obligatoire  pour  les  chanoi- 
nesses qui  entraient  à  Baume-les-Dames,  à 
Château-Ghalon,  à  Estrun,  à  Lons-le-Saul- 
nier, à  Migette,  à  Montfleury,  chapitres  non 
sécularisés.  Quant  au  vœu  de  pauvreté,  il 
n'était  obligatoire  nulle  part,  mais  les  chanoi- 
»esses  perdaient  tous  leurs  droits  à  la  légitime 
et  n'héritaient  plus  ab  intestat.  Elles  pouvaient 

1.  Encore  pouvaient-elles  s'en  dispenser,  en  obtenant  tous 
les  cinq  ans  un  bref  du  pape,  ainsi  que  fit  mademoiselle 
de  Lillebonne,  abbesse  de  Remiremont,  qui  n'avait  pas 
même  fait  ce  vœu  en  1765,  malgré  qu'elle  fût  fort  âgée. 
(Expilly,  Dictionnaire  de  la  France,  4775.) 

2 


26  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

cependant  avoir  des  propriétés  dont  elles  gar- 
daient la  libre  disposition,  et  accepter  des  dona- 
tions ou  legs,  en  capital  dans  les  chapitres 
sécularisés,  en  rentes  viagères,  dans  les  autres. 

Voyons  maintenant  quelle  était  l'organisa- 
tion des  chapitres  nobles. 

Tout  chapitre  comporte  trois  sortes  de 
chanoinesses  :  les  chanoinesses  titulaires  ou 
prébendées,  les  chanoinesses  nièces  ou  surnu- 
méraires, et  les  chanoinesses  honoraires. 

A  la  tête  du  chapitre  est  placée  l'abbesse  ou 
la  prieure  K  Les  autres  dignitaires  sont  la 
doyenne,  qui  est,  non  pas  la  chanoinesse  la 
plus  âgée,  mais  la  plus  ancienne,  la  secrète,  et 
l'économe,  appelée  parfois  fonrière. 

Chacune  de  ces  dames  a  des  attributions 
bien  définies,  car  le  chapitre  noble  est  une  mo- 
narchie tempérée  et  élective,  mais  dont  l'orga- 
nisation ne  laisse  pas  d'être  stricte  et  dans 
laquelle  la  confusion  des  pouvoirs  n'est  pas  à 
craindre.  L'abbesse  ou  prieure  préside  le  cha- 

1.  Le  titre  d'abbesse  fut  maintenu  dans  les  chapitres 
nobles  qui  avaient  été  primitivement  des  abbayes  :  ainsi 
Remiremont.  Celui  de  prieure  était  réservé  aux  chapitres 
tant  réguliers  que  séculiers  qui  n'avaient  élé  d'abord  que 
des  prieurés  comme  Neuville  ou  de  simples  couvents  dé- 
pendant dune  abbaye,  comme  Salles. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         27 

pitre,  veille  à  l'observation  des  règlements, 
administre  les  biens,  à  charge  par  elle  de 
rendre  compte  de  sa  gestion.  Elle  nomme  à 
tous  les  offices  de  justice  dépendant  des  terres 
et  seigneuries  du  monastère  et,  seule,  désigne 
les  titulaires  des  cures  et  bénéfices  *. 

Sa  nomination  donne  toujours  lieu  à  des 
compétitions  nombreuses,  quand  ce  n'est  pas 
à  de  profondes  intrigues.  En  principe,  le  droit 
d'élection  de  l'abbesse  par  les  chanoinesses  est 
demeuré  en  vigueur,  mais  il  est  soumis  à  de 
telles  restrictions  qu'il  est  devenu  presque 
illusoire  et  que  cette  nomination  dépend  en 
somme  du  roi.  C'est  le  roi,  en  effet,  qui 
donne  au  chapitre  l'autorisation  de  s'assem- 
bler en  cette  occasion.  C'est  le  roi  qui  choisit 
les  commissaires  chargés  de  surveiller  le 
scrutin.  C'est  le  roi  qui  désigne,  sur  une  liste 
de  trois  noms  proposés  par  le  chapitre,  l'heu- 
reuse titulaire  de  l'anneau  abbatial  et  lui  con- 
fère titres  et  pouvoirs  par  lettres  patentes  -.  Il 

1.  Arch.  nat.,  L.  997.  —  S.  42i.  —  G»  124,  147,  149.  —  Cf. 
aussi  :  Babeur,  Histoire  religieuse  de  Maubeuge.  Toutefois, 
les  décisions  dune  certaine  importance  (les  baux  â  dresser, 
par  exemple)  dépendaient  du  chapitre  réuni. 

2.  Nomination  par  le  roi  Louis  XY  de  Charlotte  de  Groy- 
Beaufort,  comme  abbesse  du  chapitre  noble  de  Sainle-Alde- 


28  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIEXXES 

est  à  remarquer  que  la  cérémonie  d'intronisa- 
tion religieuse  est  précédée  d'une  sorte  de 
cérémonie  civile,  par  quoi  se  marque  la  préro- 
gative royale.  Madame  de  Guyot  de  Mance- 
nans  devient  abbesse  de  Montigny,  suivant 
brevet  expédié  de  Versailles  le  16  juillet  1787. 
Elle  prête  serment  entre  les  mains  de  Messire 
Claude-AnLoine-Catherine  de  Bocquet  de  Gour- 
bouzon,  président  à  mortier  du  parlement  de 
Besançon;  après  quoi,  se  rendant  à  l'église,  elle 
remet  au  père  Braconnier  le  dit  brevet  et  la 
prestation  du  serment.  Le  père  en  fait  lecture, 
puis  préside  à  la  bénédiction  de  la  dite  dame 
dans  la  forme  ordinaire.  Il  la  conduit  au  siège 
qui  lui  est  réservé,  puis  on  chante  le  Te  Deum 
et  les  dames  défilent  devant  elle,  la  reconnais- 
sant pour  leur  abbesse  et  supérieure  K 

Dans  la  pratique,  la  prérogative  royale  elle- 
même  était  fort  tempérée  par  l'usage  qui  per- 
mettait aux  prieures  de  se  choisir,  de  leur 
vivant,  une  coadjutrice  *,  d'ordinaire  une  nièce 

gonde  de  Maubeuge,  en  remplacement  de  la  dame  de  Horne 
(Horn)  décédée  le  20  décembre  1741.  (Arch.  nat.,  T.  3173.  - 
Naturellement  ces  nominations  étaient  par  la  suite  sou- 
mises à  l'approbation  du  pape,  qui  ne  la  refusait  jamais. 

1.  Arch.  départementales  de  la  Haute-Saône,  dossier  II.  940. 

2.  Madame  Anne-Marguerite  de  Rohan,  abbesse  de  Jouarrc, 


LES    CHAPITRES    XOBLES    DE    FILLES        2f 

destinée  à  leur  succéder  dans  leur  charge.  11 
était  rare  que  le  chapitre  ou  le  roi  fissent  une 
opposition  quelconque  à  ce  choix. 

Si  fortes  que  fussent  les  ambitions,  si  ardenteFS 
les  cupidités,  on  n'en  était  tout  de  même  plus 
à  l'époque  où  la  nomination  d'une  abbesse  ris- 
quait d'amener  une  véritable  guerre  civile, 
ainsi  qu'il  advint  en  1404,  lors  de  la  mort  de 
Jeanne  de  Lorraine,  abbesse  de  Remiremont, 
Divisées  entre  elles,  les  chanoinesses  n'ont 
donné  la  majorité  à  aucune  des  postulantes. 
On  s'adresse  des  reproches  amers  et  l'on  se 
sépare  sans  avoir  pu  terminer  le  scrutin.  La 
doyenne  prend  alors  l'intérim.  Mais  ces  diffi- 
cultés ont  eu  leur  retentissement  au  dehors.  Le 
grand  prévôt,  Jean  de  Blamont,  essaie  de  faire 
nommer  sa  fille,  et,  pour  cela,  s'efforce  de 
gagner  certaines  chanoinesses.  Celles  qu'il  n'a 
pu  convaincre  se  révoltent  à  la  pensée  que  l'oa 
s'ingère  dans  leurs  affaires  intérieures,  et-, 
l'orgueil  aidant,  se  mettent  d'accord  pour  élire 
Henriette  d'Amoncourt.  Furieux,  Jean  de  Bla- 
mont, certain  d'être  soutenu  par  la  bourgeoisie 

est  morte  dans  sa  cinquante-sixième  année.  La  dame  de 
Soubise,  sa  nièce  et  coadjutricc,  lui  succède.  {Gazette  de 
France  du  28  juin  1721.) 

2. 


30  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

de  Remiremont,  appelle  à  son  aide  son  frère 
Henri,  ainsi  que  ses  neveux  Thibaut  etOlry.  Au 
moment  où  commencent  les  cérémonies  d'ins- 
tallation de  la  nouvelle  abbesse,  les  Blamont, 
suivis  de  leurs  hommes  d'armes,  font  irruption 
dans  l'église.  Les  chanoinesses,  folles  de  ter- 
reur, veulent  fuir.  On  les  cerne  comme  un 
troupeau,  tandis  que  Jean  et  Henri  de  Blamont 
enlèvent  Henriette  d'Amoncourt  et  la  déposent 
dans  une  salle  voisine.  Thibaut  et  Olry  placent 
alors  leur  cousine  Catherine  sur  l'autel  et  la 
font  acclamer  abbesse  par  l'assistance.  Les 
dames  fidèles  aux  Blamont  viennent  alors  baiser 
la  main  de  leur  nouvelle  supérieure.  Mais  les 
archers  partis ,  les  chanoinesses  reprennent 
courage  et  refusent  d'obéir  à  Catherine.  On 
porte  plainte  à  Rome.  Benoit  XIH  évite  de  se 
prononcer  et  se  borne  à  défendre  de  célébrer 
le«  offices  dans  l'église  profanée.  Ce  n'est 
qu'en  1412  que  le  pape  Jean  XXHI  reconnut 
Henriette  comme  seule  abbesse  et  lui  permit 
d'entrer  en  fonctions.  Coupable  de  profanation 
d'église,  Jean  de  Blamont  fut  condamné  à  payer 
au  chapitre  2.170  florins  d'or,  quinze  muids  de 
vin ,  cinq  bœufs  gras  et  293  quartiers  de  froment  ' . 

1.  Comtesse  de  Bcdiior,  Le  chapitre  de  Pœmiremonl. 


LES    CHAPITRES    NOBLES     DE    FILLES         31 

Sans  que  les  choses  en  arrivassent  à  de 
telles  extrémités  S  on  sait  que  les  compétitions 
furent  toujours  vives,  lorsqu'il  s'agissait  de 
pourvoir  à  la  vacance  de  certains  sièges  abba- 
tiaux. La  situation  d'abbesse,  appréciable  même 
si  le  chapitre  n'est  pas  des  plus  considérables, 
est  unique,  quand  Remiremont,  Maubeuge  et 
quelques  autres  chapitres  nobles  sont  en  jeu. 
L'abbesse  est  une  véritable  souveraine,  avec 
droits  de  haute,  moyenne  et  basse  justice  sur 
le  territoire  de  l'abbaye  *.  Elle  peut  imposer 
taille  à  sa  volonté.  A  Remiremont,  elle  est  pour 
moitié  dans  la  justice  de  la  ville  et  des  fau- 
bourgs. Elle  perçoit  moitié  des  revenus  des 
poids  et  mesures,  le  quart  de  ceux  fournis  par 
la  pêche  dans  les  fossés  et  de  ceux  qui  pro- 
viennent des  droits  d'entrée.   On  lui  rend  des 

1.  Mais  elles  allaient  encore  assez  loin  au  xviii»  siècle. 
Ne  voyons-nous  pas,  en  1728,  le  duc  de  Lorraine  menacer 
d'exiler  de  ses  États  les  chanoinessesd'Épinal  qui  ne  donne- 
raient pas  -leur  voix  à  mademoiselle  de  Craon.  Inutile  de 
dire  que  ces  menaces  furent  efficaces  et  que  mademoiselle 
de  Craon  fut  nommée  abbesse  ;  elle  avait  quatorze  ans. 

2.  Ce  droit,  les  chanoinesses  le  défendaient  avec  âpreté. 
Lors  d'un  procès  qui  eut  lieu  en  1764,  Elisabeth  de  Watte- 
ville,  abbesse  de  Chàteau-Chalon,  revendique  hautement  des 
droits  de  justice  qui,  dit  le  mémoire  fait  en  sa  faveur, 
sont  immémoriaux.  {Mémoire  et  consultation  pour  servir  à 
l'histoire  de  V abbaye  de  Chàleau-Chalon.\ 


32  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

honneurs  pareils  à  ceux  que  reçoivent  les  évê 
ques.  Aux  jours  de  fêtes,  elle  marche  escortée 
d'une  foule  de  seigneurs,  parmi  les  acclamations 
des  peuples  et  au  son  des  cloches.  Le  jour  de 
son  intronisation,  on  lui  remet  les  clefs  des 
portes  de  la  cité.  Dans  les  processions,  une 
sorte  de  pallium  antique,  que  le  chapitre  dit 
avoir  recueilli  des  mains  de  Léon  IX,  est  dressé 
devant  elle.  Des  dames  d'honneur  soutiennent  la 
queue  de  sa  robe  et  son  sénéchal  porte  la  crosse 
d'or.  Le  diacre  et  le  sous-diacre  la  conduisent  à 
sa  place,  le  trône  abbatial,  dans  l'église  et  lui 
donnent  l'évangile  à  baiser.  Enfin,  lors  de  cer- 
taines solennités  elle  bénit  les  chanoinesses 
agenouillées  à  ses  pieds.  De  tels  honneurs,  ce 
n'est  pas  seulement  au  cœur  de  son  petit 
royaume  qu'ils  lui  sont  rendus.  Encore  qu'il 
tienne  parfois  rigueur  à  madame  l'abbesse,  le 
pape  la  considère  comme  une  puissance  avec 
laquelle  il  est  bon  de  compter  et  la  cour  de 
France  traite  avec  elle  sur  un  pied  de  condes- 
cendante égalité. 

Immédiatement  derrière  ce  haut  personnage 
dont  l'anneau  abbatial  symbolise  l'autorité, 
vient  la  doyenne.  Celle-ci  a  des  droits  spéciaux. 
C'est  à  elle    qu'il    appartient    d'examiner  les 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         33 

preuves  de  noblesse  des  chanoinesses  postu- 
lantes*, le  pouvoir  de  convoquer  le  chapitre,  de 
prononcer  les  ordonnances  capitulaires  ;  sous 
la  direction  de  la  prieure,  elle  veille  encore  à 
l'observation  des  règlements.  Gomme  la  prieure, 
elle  couvre  sa  tète  du  chaperon  noir  doublé 
d'hermine;  comme  elle,  elle  a  son  siège  au 
chœur,  et  vis-à-vis  la  chaire  abbatiale. 

Les  secrètes  ont  la  charge  des  choses  de 
l'église  et  de  la  sacristie.  Leur  pouvoir  n-e 
s'étend  pas  au  delà  de  l'ombre  projetée  par  le 
clocher  de  la  canoniale. 

Aux  économes  ou  fonrières,  appartienneal 
le  maniement  des  fonds,  la  tenue  des  livres  et 
des  comptes.  Elles  encaissent  les  revenus, 
paient  les  dépenses,  contrôlent  les  prébendes, 
enregistrent  les  délibérations  capitulaires  rela- 
tives aux  baux  et  fermages.  L'économe  est, 
pour  tout  dire,  le  ministre  des  finances  de  la 
communauté  -.  Une  telle  fonction,  nous  le 
verrons  tout  à  l'heure,  n'est  point  une  siné- 


1.  L'examen  des  preuves  n'appartenait  pas  à  la  doyenne 
seule.  Pour  Alix,  Neuville,  Leigneux,  par  exemple  les  cha- 
noines comtes  de  Lyon  décidaient  en  dernier  ressort.  (Abbé 
Sachet  :  La  croix  des  chanoines  comtes  de  Lyon.) 

■2.  Arch.  nat.  :  1016;  1034.  —  G»  149;  157,  etc. 


Bi  FILLES     NOBLES     ET    JIAG  I  CI  E.V  NES 

cure,  pas  plus  dans  les  chapitres  nobles  que 
dans  les  abbayes. 

Ces  diverses  dignitaires  sont  nommées  à 
félection  par  le  chapitre  réuni,  et  quand  j'en 
serai  à  retracer  la  vie  intime  des  chapitres 
nobles,  j'aurai  l'occasion  de  montrer  que  ces 
élections  suscitaient  bien  des  troubles  au  sein 
des  paisibles  communautés. 

Les  chanoinesses  titulaires  jouissaient  de 
prébendes  plus  ou  moins  importantes.  Depuis 
que  les  chapitres  étaient  sécularisés,  et  même 
avant,  elles  avaient  pris  l'habitude  de  renoncer 
à  la  vie  commune  et  possédaient  chacune  une 
maison  dans  l'enceinte  du  monastère. 

Les  chanoinesses  nièces  étaient,  à  propre- 
ment parler,  des  surnuméraires.  Elles  ne  pou- 
vaient être  admises  que  lorsqu'elles  étaient 
adoptées  par  une  chanoinesse  prébendée  et, 
naturellement,  après  avoir  fait  leurs  preuves 
de  noblesse.  Il  était  loisible  à  une  chanoinesse 
d'adopter  plusieurs  nièces  et  ce  nom  de  nièces 
n'impliquait  pas  toujours  une  parenté  véritable. 
L'adoption  se  faisait  dans  toutes  les  règles. 
Le  28  août  1785,  par  exemple,  madame  de 
Chaussecourte  du  Bort,  chanoinesse  comtesse 
de  Lavesne,  adopte  en  qualité  de  nièce  demoi- 


LES    CHAPITRES    NOBLES     DE    FILLES         35 

-elle  Anne  Claudine  des  Roys,  «  par-devant 
M^Joubert,  notaire  à  Lavesne '.  »  Par  l'acte 
d'adoption,  la  chanoinesse  s'engageait  à  prendre 
la  jeune  fille  dans  sa  maison  canoniale,  à  l'y 
instruire  et  à  l'y  nourrir,  elle  et  une  suivante, 
moyennant  une  pension  fixée  d'un  commun 
accord  avec  les  parents  de  l'adoptée.  Nulle  ne 
pouvait  être  reçue  en  qualité  de  nièce  avant 
l'âge  de  douze  ans  *.  Les  chanoinesses  nièces 
succédaient  par  rang  d'ancienneté  aux  pré- 
bendes, et,  par  privilège,  à  la  maison  cano- 
niale, ainsi  qu'au  mobilier  de  leur  tante  et 
à  l'argent  monnayé  jusqu'à  concurrence  de 
600  livres  ■'  ;  le  surplus  faisait  retour  à  la  famille. 
Une  chanoinesse  ne  pouvait  se  défaire  de  sa 
maison  ni  en  acquérir  une  autre  sans  le  con- 
sentement de  ses  nièces. 


1.  Un  chapitre  de  chanoinesses,  op.  cit. 

2.  De  quatre  ans,  à  Épinal.  {Dicl.  géographique.) 

3.  Avec  cette  restriction  toutefois  que  «  les  dites  nièces 
soient  coiffées  et  revêtues  de  l'habit  religieux  au  temps  de 
la  mort  des  dites  dames  tantes  et  qu'elles  persévèrent  dans 
cet  état  ».  (Lettres  patentes  de  février  1732  accordées  àMon- 
tigny  et  reproduites  dans  la  pétition  do  dame  Benoîte  de 
Chaillot,  abbesse  de  ilontigny,  à  MM.  les  administrateurs 
composant  le  directoire  du  déparlement  de  la  Haute-Saône.) 
(Arch.  de  la  Haute-Saône,  H  940.)  La  restriction  dont  il 
est  ici  parlé  ne  visait  que  les  chapitres  réguliers. 


S6  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Les  chanoinesses  nièces  sont  le  sourire  des 
diapitres.  Dans  la  gravité  de  ces  asiles  un  peu 
mélancoliques,  leur  jeunesse  apporte  de  la  grâee 
et  je  ne  sais  quelle  poésie,  comme  parmi  les 
vêtements  sombres  des  titulaires,  leurs  robes 
branches  mettent  une  jolie  note  de  fraîcheur 
et  de  clarté. 

Quant  aux  chanoinesses  honoraires,  on  les 
choisissait  d'ordinaire  de  haute  distinction  et 
assez  riches  pour  payer  sans  difficulté  un 
droit  annuel  relativement  élevé.  Soumises  aux 
preuves  habituelles  de  noblesse,  elles  n'étaient 
pas  astreintes  à  la  résidence,  vivaient  dans 
le  monde  et  pouvaient  être  attachées  à  la  mai- 
son des  princesses. 

Telle  est,  sommairement  exposée,  l'organisa- 
tion des  chapitres  nobles  en  France,  avant  la 
Révolution.  Voyons  maintenant  qui  y  était 
admis  et  comment  on  y  entrait. 


m 


Conditions  pour  être  reçue  dans  un  chapitre  noble.  — 
Preuves  de  noblesse.  —  Divers  degrés  de  noblesse  exi- 
gés par  chaque  chapitre.  —  La  rigueur  des  preuves 
était  parfois  susceptible  d'adoucissement.  —  Droits 
de  réception.  —  Adoption  des  nièces.  —  Pourquoi 
elles  entraient  dans  les  chapitres.  —  Le  roi  fixe  lui- 
même  le  nombre  des  chanoinesses.  —  Les  chapitres 
sont  de  véritables  fiefs  pour  certaines  familles.  -^ 
Avantages  attachés  au  titre  dechanoinesse.  — Vanité 
satisfaite.  —  Médiocres  avantages  pécuniaires. 


La  condition  première  pour  être  reçue  dans 
un  chapitre  noble  de  femmes  est  de  pouvoir 
faire  ses  preuves  de  noblesse.  Là  où  l'Église 
indulgente  abaisse  les  barrières  claustrales,  et 
condescend  à  accueillir  comme  siennes  des 
jeunes  filles  qui  ne  contractent  vis-à-vis  d'elle 

3 


38  FILLES     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

aucun  engagement,  le  monde  élève  à  son  tour 
d'autres  barrières  orgueilleuses  et  profanes. 
En  conclure  que  l'institution  des  chapitres 
nobles  était  œuvre  de  pure  vanité  et  consé- 
quemment  inutile,  serait  commettre  une  lourde 
erreur.  Nous  avons  vu  et  nous  verrons  encore 
quels  services  réels  ces  demi-couvents  ren- 
daient aux  jeunes  filles  de  la  société,  et  quels 
progrès  ils  constituaient  en  somme  sur  les  mo- 
nastères purement  religieux  où  tant  de  demoi- 
selles pauvres  s'enfermaient  sans  vocation  et 
sans  espoir.  Établis  en  vue  précisément  d'offrir 
un  refuge,  souvent  passager,  à  de  jeunes  per- 
sonnes appartenant  aux  familles  nobles  du 
royaume,  il  était  naturel,  il  n'était  que  logique 
même,  dira-t-on,  que  par  un  triage  approprié, 
on  leur  assurât  dans  ces  communautés  des  com- 
pagnes sorties  des  mêmes  rangs  sociaux.  Aussi 
bien,  ne  l'oublions  pas,  l'entrée  dans  un  chapitre 
devait  être  considérée  comme  un  honneur  et  cet 
honneur  ne  se  pouvait  procurer  qu'àbon  escient. 
11  n'en  reste  pas  moins  que  les  preuves  de 
noblesse  exigées  et  dont  l'idée  première  avait 
été  prise  aux  ordres  de  Malte  et  de  Saint-Jean 
dé  Jérusalem,  les  dépassaient  parfois  en  ri- 
gueur.  On  me  permettra  de  les  indiquer  ici. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         39 

Alix  et  l'Argentière  demandent  huit  degrés  pa- 
ternels et  trois  maternels,  sans  anoblisse- 
ment; Avesne,  Jourcey,  Château-Chalon,  Lons- 
le-Saulnier,  Poussay,  Migelte,  huit  degrés  pa- 
ternels et  huit  degrés  maternels.  Plus  sévère, 
Baume-les- Dames  veut  les  seize  quartiers  d'an- 
cienne chevalerie.  Il  en  est  de  même  à  Andlau. 
Pour  Estrun  et  Ronceray,  quatre  degrés  pater- 
nels et  quatre  degrés  maternels  suffisent.  Mêmes 
preuves  pour  le  chapitre  de  Saint-Marc.  Pou- 
langy  veut  neuf  degrés  paternels  et  trois 
maternels,  non  compris  le  présent.  Neuville, 
Leigneux  et  Montfleury  se  contentent  respecti- 
vement de  neuf,  cinq  et  quatre  degrés  paternels. 
Montigny  en  demande  huit  du  côté  du  père  et 
quatre  du  côté  de  la  mère'.  Saint-Martin  de 
Salles,  huit  paternels  et  trois  maternels.  A  La- 
vesne  et  à  Bourbourg,  il  faut  montrer  patte 
blanche,  sous  forme  de  preuves  de  noblesse 
depuis  l'an  quatorze  cent.  Depuis  quatorze  cent 
également  il  faut  prouver  sa  noblesse  pour  entrer 
à  Saint-Louis  de  Metz,  mais  seulement  du  côté 
paternel.  Maubeuge  exige  huit  générations  de 
noblesse  chevaleresque  et  militaire;  Epinal  et 

1.  Portés  à  huit  maternels  et  huit  paternels  par  lettres 
patentes  de  1732.  (Arch.  de  la  Haute-Saône,  dossier  H  490.) 


40  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Remiremont,  deux  cents  ans  de  noblesse  che- 
valeresque ;  Saint-Remfroid  de  Denain,  seize 
quartiers  de  noblesse  militaire.  Beaulieu  et 
Saint- Antoine  en  Viennois  réclament  huit  quar- 
tiers prouvés,  ainsi  que  la  Bouexière,  qui 
demande  en  outre  des  preuves  d'ancienne  che- 
valerie. Pour  Blesle,  qui  paraît  avoir  été  le 
moins  difficile  d'accès,  on  y  pouvait  entrer  avec 
quatre  degrés  de  simple  noblesse  ^ 

Avoir  une  fille  dans  un  de  ces  chapitres,  et 
surtout  dans  certains  d'entre  eux,  constituait 
donc,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  un  honneur,  puisque 
l'obtention  du  titre  de  chanoinesse  montrait  de 
façon  en  quelque  sorte  officielle  l'ancienneté 
de  la  race.  Dans  ces  conditions,  on  le  com- 
prend, les  familles  s'efforçaient  de  faire  ad- 
mettre la  postulante  dans  un  des  chapitres  les 
plus  exigeants  en  matière  de  preuves.  Ces 
preuves  n'étaient  pas  toujours  très  aisées  à  éta- 
blir, même  pour  les  jeunes  filles  de  race  cheva- 
leresque, et  il  fallait,  en  bien  des  cas,  s'en 
rapporter  à  la  tradition  et  au  témoignage  de 
gentilshommes  qui  suppléaient  par  leurs  ser- 
ments au  défaut  de  papiers  et  d'actes  authen- 

1.  Arch.  nat.  L  964,  991,  997;  S  421;  G*  627. 


LES    CHAPITRES     NOBLES    DE    FILLES         41 

tiques,  dont  beaucoup  avaient  été  égarés, 
quand  ils  n'avaient  pas  été  brûlés  au  cours  des 
guerres  très  fréquentes  alors.  Si  une  fois  les 
preuves  avaient  été  faites  par  une  famille  à 
une  époque  quelconque,  les  choses  allaient 
plus  vite  et  se  trouvaient  singulièrement  faci- 
litées, car  on  n'en  exigeait  pas  de  nouvelles. 
Citons  comme  exemple  cet  acte  d'admission  : 
«Aujourd'hui,  vingt  sixièmejour  de  l'année  1788, 
mesdames  du  chapitre  établi  à  Saint  Antoine, 
assemblées  capitulairement  à  la  manière  ordi- 
naire, madame  la  grande  prieure  en  tête...  leur 
a  communiqué  la  demande  qui  lui  a  été  faite  de 
la  part  de  mesdemoiselles  de  Tournon,  inscrites 
au  nom  des  aspirantes,  pour  être  admises  au  dit 
chapitre  en  qualité  de  chanoinesses  surnumé- 
raires, sur  les  preuves  de  Malte  de  MM.  de 
Tournon  leurs  frères,  reçus  chevaliers  dans 
l'ordre  de  Malte.  Sur  quoi  ayant  délibéré,  ont 
consenti  d'une  voix  unanime  à  l'admission  de 
mesdemoiselles  de  Tournon  sur  les  preuves  de 
MM.  leurs  frères  en  produisant  1°  l'extrait  en 
forme  du  procès-verbal  des  dites  preuves  et  de 
leur  admission  ;  2°  les  extraits  baptistaires  des 
dites  demoiselles  et  d'un  de  leurs  frères;  3"  un 
certihcat  signé  de   quatre   gentilshommes  qui 


4^2  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

attestent  qu'ils  sont  issus  des  mêmes  père  et 
mère;  4°  la  quittance  du  paiement  de  deux 
mille  livres  exigées  pour  le  droit  de  réception. 
»  Le  chapitre  a  pareillement  arrêté  qu'il 
serait  envoyé  à  mesdemoiselles  de  Tournon 
copie  de  la  présente  délibération. 

»  Signé  :  Chabon,  grande  prieure 
du  chapitre  de  Saint  Antoine  ; 
Murât,  Ghaponay,  Ruffo,  Ba- 
l'onat,  Galien  de  Ghabon, 
Monthroux,  Montfaucon. 
»  GALIEN  DE  CHABON  Secrétaire K 
»  Fait  à  Saint-Antoine  le  vingt-six  de  janvier  11 


1/88.    » 


Il  est  probable   que  la   rigueur  apportée  à 
1  examen  des  preuves,  au  moins  en  ce  qui  con- 
cerne   quelques    chapitres    secondaires,    était 
susceptible   d'adoucissement.  Ce   qu'il  eût  été 
impossible  de  tenter   à  Maubeuge,    à   Remi- 
remont,    à    Epinal,  voire    à    Lavesne,  où  les 
plus  grands  noms  de  France  semblaient  s'être 
donné    rendez-vous     et     qui   brillaient    d'un 
mcomparable   éclat   avec    leurs   prieures    qui 
s  appelaient    Lorraine,    Gondé,    Bourbon   ou 

1.  Archives  du  château  du  Vergier. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         43 

Rohan,  chapitres  fastueux,  riches  de  gloire 
et  d'argent,  comblés  des  faveurs  royales, 
devenait  sans  doute  plus  aisé  dans  des  cha- 
pitres pauvres,  réservés  à  la  noblesse  de 
province,  et  dépourvus  de  ce  rayonnement  qui 
illuminait  les  autres.  On  imagine  assez  volon- 
tiers qu'en  certains  cas  l'esprit  d'intrigue  d'une 
part,  l'amitié,  la  pitié  peut-être  de  l'autre,  réus- 
sissaient à  tromper  la  vigilance  ou  à  gagner 
l'indulgence  des  personnes  chargées  de  l'exa- 
men des  preuves.  Il  ne  faudrait  pas  jurer  que 
partout  et  toujours  cet  examen  fut  impi- 
toyable, et  que  quelque  quartier  douteux  ne 
fût  tenu  pour  bon  et  valable. 

Ceci,  hâtons-nous  de  le  dire,  ne  pouvait  être 
qu'une  exception.  Et,  d'une  façon  générale,  on 
peut  affirmer  au  contraire  que  les  chanoinesses 
apportaient  un  zèle  extrême  à  ne  point  laisser 
surprendre  leur  bonne  foi  et  à  fermer  impi- 
toyablement l'entrée  de  leur  chapitre  aux 
jeunes  lilles  dont  l'arbre  généalogique  comptait 
quelques  branches  tremblantes  ou  s'encom- 
brait de  feuilles  parasitaires. 

La  demande  introduite  et  les  preuves  faites, 
il  restait  à  payer  les  droits  de  réception,  appelés 
droits  de  passage.  Sauf  à  Remiremont,  Epinal 


44  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

et  Maubeuge,  où  ils  s'élevaient  à  quatre  mille 
francs,  cinq  mille  même,  en  1767  ces  droits  ne 
dépassaient  guère  deux  mille  francs  dans  les 
autres  chapitres.  C'est  ce  que  paient  mesdemoi- 
selles de  Tournon  et  de  Leusse  à  Saint-An- 
toine, mademoiselle  de  Montjustin  à  Montigny, 
mademoiselle  de  Watteville  àChâteau-Chalon^ 
A  l'Argentière,  ils  ne  sont  que  de  quinze  cents 
francs^.  Là  ne  se  bornent  point  naturellement 
les  frais  imposés  aux  familles  par  l'admission 
d'une  jeune  fille  dans  un  chapitre  noble.  S'il 
s'agit  d'une  enfant,  d'une  nièce,  surtout  si 
aucun  lien  de  parenté  ne  lie  celte  enfant  à  la 
chanoinesse  qui  l'adopte,  cette  dernière  de- 
mande d'ordinaire  une  certaine  somme  au 
comptant,  indépendante  de  la  pension  qui  lui 
sera  payée  annuellement.  «  Nous  n'avons  pu 
tomber  d'accord  avec  madame  de  Maranches, 
écrit  M.  de  Parvy  au  sujet   de    l'argent    que 


1.  Quittance  délivrée  à  M.  de  Tournon  par  la  trésorière 
du  chapitre  de  Saint-Antoine  (1788)  (Arch.  du  Vergier.)  — 
Quittance  délivrée  la  même  année  à  M.  de  Leusse.  (Arch. 
du  Colombier,  citée  par  le  baron  de  Leusse  dans  Vie  du 
marquis  de  Leusse.)  —  Quittance  de  mademoiselle  de  Mont- 
justin (Arch.  de  la  Haute-Saône.)  —  Quittance  de  mademoi- 
selle de  Watteville  (1759).  (Arch.  nat.,  G«  127.) 

2.  Statuts  et  règlements  du  chapitre  noble  de  l'Argentière. 


LES    CHAPITRES     NOBLES    DE    FILLES         45 

celle-ci  exigeait  de  moi  pour  l'adoption  de  ma 
iille^  »  «  Adressez- vous  donc  à  Blesle,  pour 
l'adoption  de  vos  deux  cadettes,  écrit-on  à  ma- 
dame de  Tournefort  :  on  y  dit  ces  dames  plus 
accommodantes  que  les  nôtres  -.  » 

En  outre  de  ces  débours  immédiats  S  charges 
déjà  fort  lourdes  pour  bien  des  familles,  il  était 
dû  encore  à  la  tante  adoptive,  tant  que  la 
petite  chanoinesse  restait  surnuméraire,  six 
cents  livres  de  pension  annuelle  pour  elle  et  sa 
femme  de  chambre,  plus  six  cents  autres  livres 
par  an,  pour  son  entretien  *.  Tout  ceci,  bien 
entendu,  non  compris  le  trousseau  qu'elle  était 
tenue  d'apporter.  Enfin,  quand  la  postulante 
entrait  directement  au  chapitre  en  qualité  de 
chanoinesse  titulaire,  elle  devait  acheter  ou  faire 
construire  à  ses  frais  une  maison  canoniale^. 

1.  Arch.  de  la  Haute-Saône,  dossier  H.  938. 

2.  Lettre  sans  signature  adressée  à  madame  de  Tourne- 
fort,  à  Évreux,  1772  (collect.  part.) 

3.  Auxquels  il  faut  ajouter  une  dot  variable  selon  les  cha- 
pitres, mais  qui  est  de  1.333  livres,  17  sols  4  d.  à  Montigny, 
des  revenus  de  laquelle  la  postulante  jouira  sa  vie  durant, 
mais  qui,  après  sa  mort,  sera  versée  à  la  mense  capitu- 
laire  (Arch.  de  la  Haute-Saône,  lettres  patentes  de  1732).  Le 
chapitre  de  Bourbourg  était  le  seul  où  l'on  reçut  des  demoi- 
selles nobles  sans  dot. 

4.  Statuts  et  règlements  de  VArgentière,  op.  cit. 

a.  Cette  maison  coûtait  de  16  à  25.000  livres  à  Salles. 


46  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIE  NiS'ES 

Vers  ces  maisons  d'apparence  assez  mo- 
deste et  d'où,  quoiqu'on  en  ait  dit,  le  luxe 
est  absent,  c'est,  à  certaines  époques  sur- 
tout, une  envolée  de  jeunes  filles,  dont  beau- 
coup sont  encore  des  enfants,  toutes  apparte- 
nant à  la  bonne,  à  la  meilleure  noblesse  de 
France,  noblesse  éclatante  de  cour,  noblesse 
solide  et  vaillante,  d'ailleurs  si  peu  opulente,  de 
province.  A  mesure  que  les  goûts  se  sont  modi- 
fiés, que  l'amour  du  bien-être  a  pénétré  dans 
les  châteaux  perdus  au  fond  des  Gévennes  ou 
des  Pyrénées,  et  jusque  dans  les  villages,  le 
mariage  s'est  fait  plus  difficile  et  plus  rare. 
Car  les  fortunes,  loin  de  suivre  une  progres- 
sion parallèle  à  celle  qui  se  fait  sentir  dans  les 
besoins,  ont  plutôt  diminué  et  les  dots  restent 
petites.  Etablir  des  filles  a  été  de  tout  temps  un 
souci.  Au  XVII''  siècle,  davantage  encore  au 
siècle  suivant,  cela  devient  un  problème 
presque  insoluble.  Elles  sont  nombreuses  ; 
quatre,  cinq  filles  dans  une  même  famille,  ce 
n'est  point  chose  rare.  Que  faire  d'elles,  si  le 
hasard  ne  vient  en  aide?  Elles-mêmes  com- 
prennent la  médiocrité  du  sort  qui  les  attend 
entre  une  dot  insuffisante  et  une  légitime 
plus  mince  encore.  Elles  perçoivent  ce  que  sera 


LES    CHAPITRES     NOBLES    DE    FILLES         47 

leur  vie  aux  côtés  d'un  frère  marié,  chargé 
d'enfants,  et  d'une  belle-sœur  qui  deviendra 
la  maîtresse  du  logis.  Beaucoup  sans  doute, 
si  on  les  eût  consultées,  mais  on  ne  les  consultait 
pas  toujours,  eussent  préféré  jadis  cette  exis- 
tence, si  précaire  qu'elle  put  être,  à  la  perspec- 
tive douloureuse  du  cloître.  Mais,  à  présent 
que  plusieurs  de  ces  monastères  transformés 
leur,  offrent  un  abri  plein  de  dignité  sans  obli- 
gation de  renoncement,  comment  n'accepte- 
raient-elles pas  avec  une  facile  résignation  d'y 
aller  couler  des  jours  exempts  d'inquiétude  et 
de  mesquins  tracas?  Comment,  plutôt  que  les 
ennuis  quotidiens  de  la  vie  familiale  autour 
d'un  foyer  qui  n'est  plus  le  leur,  ne  choisi- 
raient-elles pas  le  chapitre  noble  avec  l'indé- 
pendance que  leur  assurera  plus  tard  la  pré- 
bende, et  l'agrément  des  honneurs  auxquels 
elles  auront  droit,  sans  compter  le  titre  de  com- 
tesse, qui,  ajouté  à  celui  de  clianoinesse,  n'est 
pas  sans  flatter  infiniment? 

C'est  donc  avec  bonne  humeur  que  fillettes 
ou  jeunes  filles  s'en  viennent  frapper  à  la  porte 
du  chapitre  où,  si  elles  ne  doivent  pas  rester 
toujours  (et  sans  doute  bien  peu  envisagent 
cette  extrémité),  elles  auront  passé  quelques 


45  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

années  agréables  au  milieu  de  femmes  distin- 
guées qui,  mieux  que  quiconque,  leur  appren- 
dront les  beaux  usages,  les  manières  de  cour  et 
l'art  de  converser,  et  toutes  les  délicatesses  mon- 
daines que  l'habitude  des  pratiques  religieuses 
affine  encore  d'on  ne  sait  quelle  grâce  discrète. 
Aussi  les  places  sont-elles  rarement  libres. 
Il  faut  s'y  prendre  longtemps  à  l'avance  pour 
obtenir  une  maison  canoniale  ou  une  adoption. 
Le  nombre  des  chanoinesses  est  limité.  Le  roi 
l'a  fixé  par  les  lettres  patentes  de  transforma- 
tion ou  de  sécularisation.  Il  ne  peut  y  avoir 
que  21  chanoinesses  titulaires  à  Montigny, 
75  à  Remiremont,  36  à  Lavesne,  28  à  Salles 
(en  1789),  25  à  Jourcey  (et  encore  sur  ces  vingt- 
cinq  places  capitulaires,  onze  seulement  jouis- 
sent de  prébendes  entières).  Le  droit  accordé 
aux  chanoinesses  tenant  ménage  d'adopter 
une  ou  plusieurs  nièces  s'étant  très  vite  géné- 
ralisé, il  en  résulte  que  ces  dames  recueillent 
le  plus  grand  nombre  possible  de  leurs  jeunes 
parentes.  Il  y  a  donc  des  chapitres  où  les 
mêmes  familles  s'implantent  comme  en  pays 
conquis.  Vers  1700,  trois  demoiselles  de  Croix 
sont  chanoinesses  d'Estrun.  Admettons  qu'elles 
aient  adopté  chacune  deux  nièces  ;  voici,  quel- 


LES    CHAPITRES    NOBLES     DE    FILLES         49 

ques  années  plus  tard,  neuf  chanoinesses 
sinon  du  même  nom,  du  moins  de  même  sang 
dans  une  seule  abbaye.  On  pourrait  multi- 
plier les  exemples.  A  Montigny,  en  1767,  on 
trouve  trois  demoiselles  du  Tremblay,  dont 
l'une  est  doyenne,  deux  demoiselles  de  Klin- 
glin,  deux  demoiselles  Dinteville,  trois  demoi- 
selles de  Monnier,  sans  compter  leurs  nièces. 
D'autres  familles  paraissent  avoir  le  privilège 
de  caser  les  filles  dans  les  chapitres  ou  abbayes. 
Ainsi  les  Béthisy,  les  Beaurepaire,  les  Vaudrey, 
les  Ormesson.  Marie-Charlotte  de  Lannoy  est 
chanoinesse  de  Denain,  en  1754,  ainsi  que  sa 
sœur  Ferdinande.  A  la  même  époque,  il  y  a 
trois  autres  Lannoy  chanoinesses  de  Nivelles, 
tandis  qu'une  autre  encore  est  chanoinesse 
de  Maubeuge.  Trois  demoiselles  de  Pons  sont 
en  même  temps  chanoinesses,  l'une  de  Denain, 
l'autre  d'Epinal,  la  dernière  d'Avesne.  Il  y  en 
a  une,  chanoinesse  de  Montigny,  dont  les  deux 
nièces,  toujours  des  Pons,  sont  chanoinesses 
de  Poulangy  et  de  Leigneux.  En  1724,  deux 
demoiselles  de  Croix  sont  chanoinesses  de 
Mons,  une  autre  de  Denain.  A  Maubeuge,  on 
ne  compte  pas  les  Aremberg,  les  Biron,  les 
Montmorency,    les    Ligne,    les   Mérode,    les 


oO  FILLES     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Béthune.  Pareillement,  il  est  des  abbayes  ou 
chapitres  nobles  qui  semblent  de  véritables 
fiefs  entrés  peu  à  peu  dans  telle  ou  telle  mai- 
son. Remiremont,  pendant  un  siècle,  ne  voit 
presque  que  des  princesses  de  la  maison  de 
Lorraine  se  succéder  sur  le  trône  abbatial.  A 
Fontevrault,  les  Rochechouart  régnent  en 
maîtresses  durant  de  longues  années'. 

Est-ce  donc  qu'en  dehors  des  avantages  que 
l'on  connaît  déjà,  il  y  en  aurait  d'autres?  Au 
passage,  j'ai  dit  un  mot  des  titres  attachés  à 
celui  de  chanoinesse,  dans  les  chapitres  sécu- 
larisés. De  par  lettres  patentes  toutes  ces 
dames  ont  droit  au  titre  de  comtesse.  Les 
abbesses  d'Andlau  et  de  Remiremont  sont,  en 
cette  qualité,  princesses  du  Saint-Empire. 

Ajoutons  à  cette  satisfaction  de  vanité,  dont 
on  jugerait  mal  l'importance  à  la  considérer 
sous  un  angle  visuel  trop  démocratique  et 
moderne,  une  autre  satisfaction,  toute  hu- 
maine, à  la  vérité,  mais  fort  concevable,  celle 
d'appartenir  à  des  chapitres  de  réputation  si 
haute  et  de  si  illustre  origine.  Est-ce  que  le 
monastère  de  Lavesne  n'avait  pas  été  fondé 

1.  La  plupart  de  ces  renseignements  sont  tirés  de  divers 
ouvrages  généalogiques. 


LES    CHAPITRES     NOBLES     DE    FILLES         51 

par  Pierre  le  Vénérable,  abbé  de  Cluny,  et  sa 
mère,  la  bienheureuse  Raingarde  de  Montbois- 
sier?  Est-ce  que  Remiremont,  dont  la  fonda- 
tion remonte  à  l'an  800,  ne  compte  pas  presque 
autant  de  filles  de  sang  royal  que  d'abbesses? 
Est-ce  que  Leigneux  qui,  au  nombre  de  ses 
prieurés,  possédait  le  monastère  de  Souvigny, 
ce  Saint-Denis  des  Bourbons,  où  les  rois  ve- 
naient jadis  en  pèlerinage,  Andlau,  l'Argen- 
tière,  Maubeuge,  «  la  plus  glorieuse  maison 
de  l'univers  »  fondée  par  sainte  Aldegonde,  et 
Poulangy,  et  Epinal,  et  Jourcey,  ne  furent  pas 
d'abord  comme  des  jardins  sacrés  où  s'épa- 
nouissaient humblement  d'angéliques  vertus? 
Tant  de  princesses,  tant  de  femmes  de  race 
pure  et  noble,  tant  de  saintes,  n'avaient-elles 
pas  tressé  au-dessus  de  ces  couvents,  mainte- 
nant transformés,  une  couronne  où  les  fleu- 
rons des  grandeurs  périssables  alternent  désor- 
mais agréablement  avec  les  perles  divines? 

Aux  raisons  diverses  qui  peuvent  attirer  les 
jeunes  filles  nobles  vers  les  chapitres  qui  leur 
sont  ouverts,  convient-il  d'adjoindre  d'autres 
motifs,  et  notamment  quelques  avantages 
d'ordre  matériel?  C'est  ce  que  nous  allons  voir, 
en  étudiant  rapidement  leur  situation  financière. 


IV 


Situation  financière  des  chapitres  nobles.  —  Biens 
inaltérables.  —  La  fortune  de  Remiremont.  —D'une 
façon  générale,  les  ressources  des  autres  chapitres 
étaient  insuffisantes.  —  Les  charges.  —  Les  pré- 
bendes, —  A  combien  elles  se  montaient.  —  Plaintes 
et  doléances.  —  Cris  de  détresse.  —  L'église  d'Alix. 

—  Demandes  de  secours.  —  La  vie  chère!  —  Com- 
ment on  relevait  les  revenus  d'un  chapitre.  —  Salles 
et  les  chanoines  de  Beaujeu.  —  Les  dames  de  Neu- 
ville plus  riches  de  titres  que  d'argent.  —  Montigny. 

—  Mauvaise  gestion  des  biens. 


Les  terres  appartenant  au  monastère  pri- 
mitif, celles  qui  avaient  pu  être  achetées  ou  qui 
lui  avaient  été  octroyées  depuis  l'érection  en 
chapitre,  les  prieurés  en  dépendant,  ainsi  que 
les  dons  et  legs  qu'il  avait  recueillis  formaient 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         00 

les  biens  inaltérables  du  chapitre  noble.  Les 
revenus  de  ces  biens  auxquels  il  est  nécessaire 
d'ajouter  ceux  qui,  comme  à  Remiremont  et 
ailleurs,  provenaient  de  droits  seigneuriaux, 
appelés  revenus  capitulaires,  étaient  partagés 
en  prébendes,  ainsi  que  nous  le  verrons  tout 
à  l'heure.  Il  n'est  pas  besoin  de  dire  que  la 
plus  grande  inégalité  régnait  entre  les  cha- 
pitres au  point  de  vue  de  leur  fortune  et  de 
leurs  ressources.  Si  tel,  comme  Remiremont, 
pouvait  se  flatter  de  posséder  dans  son  trésor 
capitulaire  700.000  livres  en  1750  et  si,  à  di- 
verses reprises,  les  ducs  de  Lorraine  d'abord, 
le  roi  de  France  ensuite  avaient  eu  recours  à 
l'abbesse  en  des  heures  financières  critiques  ', 
c'était  bien  plutôt  d'ordinaire  les  chapitres  qui 
imploraient  secours  du  roi.  Pour  quelques-uns 
qui  sont  riches,  Remiremont,  Maubeuge,  dont 
les  revenus  étaient  avant  1789  de  deux  cent 
mille  livres,  combien  d'autres  dont  les  res- 
sources étaient  médiocres,  souvent  insuffi- 
santes. Par  les  chiffres  qui  vont  suivre,  il  sera 
facile  déjuger  quelle  erreur  est  celle  des  histo- 

1.  Dans  la  détresse  des  finances  du  royaume,  Louis  XVI 
fait  appel  aux  chanoinesses  de  Maubeuge  qui  accordent 
147.000  livres.  {Histoire  religieuse  de  Maubeuge,  op.  cil.) 


34  FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

riens  modernes  (et  de  quelques  écrivains 
d'avant  la  Révolution)  qui  nous  peignent  si 
volontiers  les  abbayes  et  les  chapitres  nobles 
comme  des  sanctuaires  du  dieu  Baal,  où  l'or 
coulait  à  flots,  où  l'on  amassait,  thésaurisait, 
empilait  inutilement  des  sommes  énormes.  En 
ceci  comme  en  bien  d'autres  choses,  il  est  bon 
de  ne  pas  généraliser.  Les  faits  finissent  tou- 
jours par  avoir  raison  des  déclamations  qui 
n'ont  que  le  verbe  pour  base.  Quoi  de  plus 
faux  que  la  légende  qui  nous  montre  les 
abbayes  et  couvents,  ou  encore  les  chapitres 
nobles,  écrasés  sous  le  poids  de  leurs  richesses  I 
Voyons  un  peu. 

Déduction  faite  des  charges  qui  pèsent  sur 
lui,  le  chapitre  des  chanoinesses  comtesses  de 
Neuville  en  Bresse  jouit  d'un  revenu  de 
6.949  livres^  Les  revenus  de  Baume-les- 
Dames,  charges  non  déduites,  sont,  en  1762,  de 
7  à  8.000  livres.  Ceux  de  Beaulieu,  toujours 
charges  non  déduites,  montent  à  10.000  livres*. 
Si  Jourcey  a   30.000  livres   de  rentes,  Mon- 


1.  Histoire  des  pi-ieiirés  de  Neuville,  op.  cit.  —  Ce  chiffre 
est  celui  du  revenu  net  après  réunion  de  l'abbaye  de 
Tournus.  Cf.  aussi  Arch.  nat.  G'  140. 

2.  Dictionnaire  géographique,  op.  cit. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         00 

tigny  en  a  tout  juste  2.356  en  1768,  plus,  il 
est  vrai,  5.400  livres  qui  sont  partagées  entre 
les  douze  plus  anciennes  titulaires'. 

N'était  la  crainte  de  fatiguer  le  lecteur, 
je  pourrais  poursuivre  cette  énumération , 
signaler  les  o.OOO  livres  de  rente  de  Blesle, 
les  6.000  livres  de  Migette,  etc.,  etc.  Mais  pour 
indiquer  la  modicité  de  telles  ressources  finan- 
cières, n'est-il  pas  préférable  encore  d'inven- 
torier un  certain  nombre  de  prébendes? 

Ces  prébendes  n'étaient  pas  partagées  selon 
un  mode  uniforme,  et  parfois  leur  répartition 
semble  au  premier  abord  un  peu  compliquée. 
La  règle  générale  est  que,  sur  le  total  des  pré- 
bendes, une  part  est  réservée  au  paiement  des 
charges,  une  autre  attribuée  à  la  prieure,  et  la 
troisième  aux  chanoinesses  titulaires.  Mais 
cette  règle  souffre  des  exceptions.  L'abbesse 
de  Remiremont,  par  exemple,  a  droit  à  trente- 
six  prébendes,  les  chanoinesses  s'en  partagent 
soixante-quinze,  tandis  que  vingt-neuf  seule- 
ment vont  aux  charges.  Et,  par  charges,  n'en- 
tendez ici  que  les  douze  chapelains,  le  grand 
sénéchal,    le    grand    sourier    ou    maître    des 

i.  Arch.  nat.,  G«  137. 


56  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

lois,  et  quelques  officiers,  «  tous  gens  de 
qualité'  ».  A  Lavesne,  une  fois  prélevée  la 
part  des  charges,  une  prébende  est  en  outre 
accordée  aux  chapelains  et  à  l'aumônier. 
L'abbesse  a  double  prébende.  Dans  certains 
chapitres,  il  y  a  ce  qu'on  nomme  des  semi- 
prébendes.  Celles  de  Jourcey  sont  toujours 
réservées,  quatre  à  des  jeunes  filles  ayant  été 
élevées  à  Saint-Cyr,  et  quatre  à  d'anciennes 
élèves  de  la  maison  même.  En  ce  qui  concerne 
les  prébendes  vacantes,  la  règle  ne  semble  pas 
non  plus  bien  fixe.  C'est  ainsi  qu'à  Epinal,  les 
chanoinesses  en  disposent  à  tour  de  rôle,  et 
suivant  le  rang  de  leur  ancienneté,  en  sorte 
que  leur  revenu  augmente  ainsi  de  moitié,  car 
elles  jouissent  pendant  leur  vie  de  la  moitié 
des  prébendes  qu'elles  ont  données^.  Autre 
organisation  à  Remiremont.  Ici,  les  chanoi- 
nesses sont  rangées  en  vingt  et  une  compa- 
gnies. De  ces  compagnies,  il  y  en  a  cinq  de 
cinq  chanoinesses,  huit  de  quatre  chanoi- 
nesses, six  de  trois  chanoinesses  et  deux  de 
deux  chanoinesses.  Chaque  chanoinesse  est 
appréhendée   sur   une   de    ses  compagnes  et 

1.  Abùé  Didelot,  Remiremont. 

2.  Arch.  nat.,  G'  137. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         57 

regarde  les  autres  comme  ses  compagnes  de 
prébende.  Toutefois,  si  une  dame  se  trouve 
seule  dans  une  compagnie  de  cinq,  elle  est 
obligée  de  faire  trois  nièces,  c'est  à  dire,  d'ap- 
prébender  trois  demoiselles,  l'une  sur  les  deux 
premières  prébendes,  l'autre  sur  les  deux 
d'après  et  la  troisième  sur  ce  qui  reste.  Mesure 
fort  sage  qui  empêche  l'accumulation  des  pré- 
bendes sur  une  même  tête. 

On  excusera  ces  détails  monotones  et  forcé- 
ment arides.  Ils  étaient  nécessaires  pour  per- 
mettre de  bien  saisir  l'organisation  et  le 
fonctionnement  de  ces  établissements  dont 
l'existence  nous  paraît  si  lointaine. 

A  combien  donc  se  montaient  ces  pré- 
bendes? La  prébende  était  de  i.OOO  livres  ' 
au  chapitre  de  Maubeuge,  dont  l'abbesse  tou- 
chait de  douze  à  quinze  mille  livres.  Il  semble 
que  ce  fut  de  beaucoup  la  plus  considérable. 
Une  chanoinesse  de  Remiremont  n'avait  que 
1.200  livres  environ.  Mais  l'abbesse,  qui  s'at- 
tribuait trente-six  prébendes,  jouissait  d'un  re- 
venu qui  approchait  de  quarante  mille  livres  *. 

1.  C'est  du  moins  le  chiffre  doùné  par  Marcellin  Boudet. 
Un  chapitre  de  chanoinesses,  op.  cit.  Expilly  donne  le  chiffire 
de  1.000  livres;  je  le  crois  plus  près  de  la  vérité. 

2.  Remiremont,  op.  cit.  —  M.  Ravaisson  estime  aussi  très 


58  FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

La  prébende  à  Epinal  variait  entre  G  et 
700  livres  par  an,  suivant  les  époques  ^  Elle 
ne  dépasse  pas  700  livres  à  Jourcey^.  Dans 
beaucoup  de  chapitres,  si  les  chanoinesses 
n'avaient  reçu  une  pension  de  leur  famille,  il 
leur  eût  été  impossible  de  vivre.  En  effet, 
les  prébendes  de  Lavesne  n'atteignent  pas 
300  livres  ^,  non  plus  que  celles  de  l'Argen- 
tière^  A  Baume,  elles  montent  à  400  livres; 
mais  les  dames  de  Poulangy  doivent  se  con- 
tenter de  200  livres  S  celles  de  Montfleury  de 
100  livres.  Guère  plus  heureuses,  les  chanoi- 
nesses de  Lons-le-Saulnier;  du  moins,  si  elles 
ne  touchent  pas  plus  de  200  à  230  livres,  ont- 
elles  droit,  en  outre,  à  une  distribution  an- 
nuelle de  vin  et  de  blé  ®. 

Nous  voilà  loin  de  la  légende,  n'est-il  pas 
vrai?  Etant  donné  ces  chiffres,  il  est  à  pré- 
minimes les  prébendes  de  Remiremont.  Mais  il  fait  pro- 
bablement erreur  en  ne  portant  la  part  de  l'abbesse  qu'à 
15.000  livres.  En  revanche,  il  est  tout  à  fait  dans  le  vrai 
quand  il  dit  (Histoire  de  la  Bastille,  t.  II)  que  Remiremont 
était  le  refuge  des  filles  pauvres. 

1.  Dict.  géographique,  op.  cit. 

2.  Arch.  nat„  G»  127. 

3.  Arch.  nat.,  G»  140.      • 

4.  Arch.  nat  ,  G'  120. 

5.  Arch.  nat.,  G'  157. 

6.  Un  chapitre  de  chanoinesses,  op.  cit. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE     FILLES         o9 

sumer  que  si  la  cupidité  des  familles  se  trou- 
vait tentée  par  la  recherche  de  la  crosse  abba- 
tiale et  des  prébendes,  ce  n'était  que  bien 
exceptionnellement  et  seulement  pour  de  rares 
chapitres. 

La  plupart  n'avaient  que  peu  de  ressources, 
nous  l'avons  vu.  Ce  sont,  à  chaque  instant,  de 
la  part  des  chanoinesses,  réclamations,  plaintes, 
doléances.  Du  sein  des  chapitres  nobles  tout 
comme  des  abbayes*  sortent  les  mêmes  lamen- 
tations, s'échappent  les  mêmes  cris  de  détresse. 
S'agit-il  de  reconstruire  l'église  d'Alix?  Ces 
dames  ne  peuvent  fournir,  en  se  saignant  aux 
quatre  veines,  que  dix  mille  livres.  Hélas,  le 
devis  monte  à  44.600  livres.  Le  roi  en  accorde 
30.000  en  1867.  Deux  ans  plus  tard,  la  prieure, 
madame  de  Muzy  de  Veronin,  implore  encore 
la  bienveillance  royale.  Cette  fois  il  faut  douze 
mille  livres  pour  consolider  le  clocher  de 
l'abbaye  qui  menace  ruine.  Comment  le  cha- 
pitre pourrait-il  faire  face  à  de  telles  dépenses? 
Ses  revenus  sont  de  4.429  livres  et  les.  dé- 
penses ordinaires  atteignent,  bon  an  mal  an, 

1.  Les  plus  considérables,  Chelles,  Fontevrault.  Jouarre, 
se  débattent,  au  xvii*  et  au  xviii'  siècles,  au  milieu  d'em- 
barras financiers  très  graves. 


60  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

près  de  quatre  mille  livres'.  En  1773,  la  com- 
mission instituée  pour  le  soulagement  des 
communautés  de  filles  est  saisie  d'une  de- 
mande de  secours  par  le  chapitre  noble  de 
Blesle.  Le  secours  est  accordé.  Autant  en 
emporte  le  vent!  «  Pardonnez,  je  vous  en  sup- 
plie, écrit  de  nouveau  la  prieure,  madame  de 
Pons  à  l'évêque  de  Saint-Flour,  le  1*'  dé- 
cembre 1770,  pardonnez  au  besoin  extrême 
que  nous  avons  de  la  continuation  de  vos 
bontés,  la  liberté  que  je  prends  d'importuner 
encore  Votre  Eminence  des  cris  de  notre 
misère.  Votre  Eminence  est  sûrement  ins 
truite  de  la  révolution  extraordinaire  qui  s'est 
faite  depuis  un  an  dans  ce  pays-ci,  dans 
tout  ce  qui  est  de  nécessité  première;  le 
prix  en  a  triplé^.  »  La  vie  chère,  déjà!... 
Vers  1782,  le  chapitre  de  Salles  est  si  em- 
barrassé pécuniairement  que  l'on  se  voit 
obligé  de  recourir  à  des  moyens  extraordi- 
naires en  vue  de  remettre  ce  pauvre  navire 
à  flot.  Ses  biens,  par  suite  de  circonstances 
diverses,  ont  fort  diminué.  Comment  les 
relever?    Justement,    non   loin  de  Salles,   se 

1.  Arch,  nat.,  G»  118. 

2.  Arch.  nat.,  G'  123. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         61 

trouve  l'abbaye  de  Beaujeu.  Celte  abbaye  de 
chanoines  n'a  plus  de  raison  d'exister  depuis 
que  le  château  de  Beaujeu  est  abandonné.  Il 
faut  le  supprimer  et  passer  une  partie  de  ses 
biens  au  chapitre  de  Salles.  C'était  compter 
sans  les  chanoines.  Ceux-ci  protestent  avec 
énergie  contre  un  arrangement  qu'ils  déclarent 
illégal,  «  les  lois  canoniques  et  civiles  ayant 
toujours  déclaré  abusives  les  suppressions, 
divisions  et  réunions  de  bénéfices  n'ayant  pas 
pour  cause  une  nécessité  évidente  ;  injustes, 
le  chapitre  de  Beaujeu  n'ayant  jamais  démé- 
rité ».  Au  surplus,  les  chanoines  ne  refusent 
pas  de  faire  à  ces  dames  de  Salles  don  de 
mille  mesures  de  froment  par  an,  ce  qui  aug- 
mentera leur  revenu  de  4.000  livres  environ  *. 
Les  dames  de  Neuville  semblent  elles  aussi 
avoir  été  plus  riches  de  titres  que  d'argent.  De 
1770  à  1777,  elles  accablent  la  commission  de 
demandes.  Les  revenus  des  prébendes  sont 
insuffisants.  Une  somme  de  huit  mille  francs 
est  urgente  pour  des  réparations  et  reconstruc- 
tions. La  commission  s'exécute.  Mais  les  solli- 
citations n'en  cessent  point   pour  cela,  à  en 

1.  Eugène  Méhu,  Salles  en  Beaujolais. 


62  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

juger  par  ce  billet  pressant  adressé  au  cardinal 
de  Luynes  par  la  comtesse  Diane  de  Polignac  : 
«  La  comtesse  de  Polignac  est  venue  pour 
avoir  l'honneur  de  voir  M.  le  cardinal  de 
Luynes  et  lui  présenter  le  nouveau  mémoire; 
elle  espère  que  Son  Eminence  voudra  bien 
faire  attention  à  la  modestie  de  cette  nouvelle 
demande  et  aux  besoins  réels  du  chapitre  (de 
Neuville),  etc^  »  Les  revenus  de  Neuville 
n'étaient  pourtant  pas  des  plus  faibles.  Ils  se 
montaient  à  22.663  livres  environ.  Mais  les 
charges  ordinaires  s'élevant  à  11.110  livres, 
il  restait  tout  juste  11.553  livres,  dont  un  tiers 
allait  au  chœur  ;  les  deux  autres  tiers  dispo- 
nibles étaient  répartis  entre  les  vingt  chanoi- 
nesses  titulaires,  ce  qui  leur  laissait  à  chacune 
350  livres  à  peu  près.  Par  son  ordonnance  du 
25  septembre  1781,  Louis  XVI  supprimait 
l'abbaye  de  Tournus  et  partageait  les  re- 
venus de  cette  abbaye  par  moitié  entre  l'évêque 
de  Chalon  et  le  chapitre  de  Neuville.  Grâce  à 
ce  secours,  Neuville,  qui  n'avait  guère  plus  de 
20.000  livres  de  revenu,  en  possède  désormais 
54.321.  Toujours  le  système  d'habiller  Pierre 

1.  Arch.  nat ,  G»  149. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         63 

aux  dépens  de  Paul,  comme  nous  l'avons  vu  à 
Salles!  Mais  tout  n'était  pas  bénéfice  dans 
cette  opération,  car  les  charges,  bien  entendu, 
s'accroissaient  proportionnellement.  Les  cha- 
noinesses  devaient  pourvoir  à  l'entretien  de 
nombreuses  églises,  payer  redevance  à  l'évê- 
ché  de  Mâcon,  fournir  des  rentes  à  21  curés 
et  vicaires.  Celui  de  Xeuville  seul  touchait 
l.OoO  livres  par  an  K 

La  communauté  de  Montigny  (car  les  dames 
de  ce  chapitre  vivent  en  communauté)  dépense 
annuellement  six  mille  livres.  En  dehors  de 
quelques  biens  fonciers,  elle  possède  le  revenu 
des  dots  apportées  par  les  dames  défuntes.  Ces 
rentes  servies  par  les  familles  n'atteignent  pas 
2.000  livres,  qui  sont  divisées  en  vingt  parts 
égales.  L'abbesse  en  perçoit  deux  qui  lui  valent 
200  livres,  5  sols,  6  deniers,  et  les  dix-huit  plus 
anciennes  dames,  chacune  une  part,  qui  vaut 
100  livres,  2  sols,  9  deniers  -. 

Tout  ceci  n'est  pas  brillant,  et  il  me  paraît 
inutile  d'insister  davantage  pour  montrer  à  quel 
point  la  situation  des  chapitres  nobles  ou  du 
moins  de  la  plupart  d'entre  eux,  était  précaire. 

1.  Histoire  du  prieuré  de  Neuville,  op.  cit. 

2.  Arch.  nat.,  G'  147. 


Qi  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

A  cette  pénurie  de  ressources,  si  l'on  ajoute 
une  fort  mauvaise  gestion,  un  désordre  sou- 
vent déplorable,  une  certaine  manie  de  cons- 
truire que  les  ordres  religieux  n'ont  pas  tous, 
ni  complètement  perdue,  et,  par  suite,  une 
accumulation  de  dettes  qui  aggrave  singulière- 
ment l'état  de  leurs  finances,  pourra-t-on  s'é- 
tonner de  ces  demandes  de  secours,  de  ces 
plaintes,  de  ces  désespoirs?  Encore  moins  sera- 
t-on  surpris  de  voir  les  chanoinesses  de  Neu- 
ville, enfin  prudentes,  quand  une  fois  elles 
sont  mises  en  possession  des  biens  de  l'abbaye 
de  Tournus,  réclamer  elles-mêmes  par  la  voix 
de  la  prieure,  madame  de  Beaurepaire,  que 
l'administration  de  ces  biens  soit  confiée  à  mes- 
sieur  les  syndics  des  trois  ordres  de  Bresse, 
jusqu'à  extinction  des  dettes  du  chapitre*. 

1.  Arch.  nat.,  G»  149. 


Physionomie  des  chapitres  sécularisés.  —  Les  maisons 
canoniales.  —  Salles,  envisagé  comme  type  de  l'ar- 
chitecture des  chapitres.  —  La  vie  intérieure.  —  L'ou- 
verture des  portes.  —  Différents  costumes  portés  par 
les  chanoinesses.  —  Les  cordons.  —  La  croix.  —  Les 
devises. 


Ainsi  qu'il  a  été  dit  plus  haut,  l'obligation 
de  vivre  en  communauté  ou  plutôt  en  commun, 
ayant  été  supprimée  dans  les  abbayes  et  cou- 
vents transformés  en  chapitres  nobles,  partout 
où  cela  avait  été  possible,  on  s'était  hâté  de 
jouir   de    celte    faveur  *.    La    disposition   des 

i.  Dans  certains  chapitres,  notamment  à  Neuville,  aucune 
chanoinesse  ne  pouvait  vivre  en  son  particulier  avant  l'âge 
de  vingt-cinq  ans  accomplis. 

4. 


66  FILLES    NOBLES     ET    MAfilCIENNES 

lieux  ne  se  prêtait  pas  toujours  à  une  métamor- 
phose complète  et  je  ne  serais  pas  surpris 
que  la  construction  d'une  petite  maison  à  l'u- 
sage de  chaque  chanoinesse  ait  été  difficile, 
sinon  impossible,  en  certains  cas.  Il  est  ma- 
laisé de  savoir  aujourd'hui  très  exactement  sur 
quels  plans  étaient  élevés  les  bâtiments  des 
chapitres,  si  ces  plans  étaient  partout  iden- 
tiques et  jusqu'à  quel  point  on  avait  pu  tirer 
parti  des  constructions  anciennes.  Bien  peu  de 
chapitres  sont  encore  debout.  Le  temps,  quand 
la  main  des  hommes  ne  s'est  pas  chargée  de  le 
faire,  a  malheureusement  jeté  bas  la  plupart 
de  ces  demeures  d'où  la  Révolution  avait  chassé 
les  habitantes.  D'après  des  gravures  de  l'épo- 
que, il  serait  certes  permis  de  reconstituer  mor- 
ceau par  morceau  tel  ou  tel  monastère,  si, 
par  bonheur,  nous  n'avions  mieux.  L'un  d'eux, 
en  effet,  par  suite  de  circonstances  favorables, 
se  dresse  encore  maintenant  dans  toute  la 
pureté  de  ses  lignes.  Par  lui,  nous  pouvons 
nous  rendre  compte  de  la  physionomie  des 
chapitres  nobles,  car  il  est  vraisemblable  que 
tous  ou  presque  tous  présentaient  le  même 
aspect. 

Salles  en  Beaujolais  a  conservé  à  peu  près 


LES    CHAPITRES    NOBLES     DE    FILLES         67 

intacte  sa  configuration  générale.  Sur  une  col- 
line peu  élevée,  mais  d'où  la  vue  s'étend  néan- 
moins assez  loin  sur  les  plaines  vallonnées  et 
riantes  qui  descendent  vers  la  Saône,  l'ancien 
chapitre  noble  étale  fièrement  ses  bâtisses  ras- 
semblées en  une  sorte  de  polygone,  fermé  sur 
trois  côtés.  Dans  le  fond,  un  assez  grand  édi- 
fice, qui  fut  autrefois  la  demeure  de  l'abbesse  €t 
qui  comprenait  en  outre  les  salles  communes, 
notamment  la  salle  capitulaire.  Cet  édifice  est 
flanqué  de  l'église.  En  retour  deux  ailes  s'avan- 
cent, formées  de  maisonnettes  séparées  les 
unes  des  autres,  toutes  construites  sur  un  mo- 
dèle à  peu  près  uniforme,  mais  que  l'inégalité 
du  terrain  suffit  à  différencier  agréablement. 
Ces  maisons,  comme  le  bâtiment  principal, 
s'ouvrent  sur  une  vaste  cour,  aujourd'hui  fort 
mal  entretenue,  mais  qui,  jadis,  devait  avoir 
belle  allure,  et  que  ferme  une  grille.  Les  petits 
jardins  sur  quoi  donnaient  par  derrière  les 
fenêtres  des  maisons  de  chanoinesses  ont  dis- 
paru. Disparu  aussi  le  parc  qui  s'étendait  au 
delà  des  bâtiments  conventuels.  Acquises  par 
les  paysans,  les  maisonnettes  qui  abritèrent 
tant  de  personnes  de  qualité  sont  certes  fort 
délabrées.  Une  vie  mélancolique  anime  encore 


68  FILLES    xXOBLES    ET    MAGICIENNES 

cependant  ces  lieux  mutilés.  On  surprend  cette 
même  vie  furtive  sur  les  visages  ridés  et  dans 
les  yeux  éteints  de  certains  vieillards  tout 
dépaysés  par  des  vêtements  ignorés  de  leur 
jeunesse,  quand  le  souvenir  du  passé  amène 
un  sourire  à  leurs  lèvres  fatiguées. 

Les  nouveaux  possesseurs  des  maisons  cano- 
niales ont  pu  les  laisser  se  dégrader;  ils  ont  pu 
blanchir  à  la  chaux  les  murs  que  recouvraient 
autrefois  des  tapisseries,  œuvre  délicate  des 
chanoinesses.  Ils  ont'  pu  négliger  de  réparer 
les  degrés  de  pierre  qui  conduisaient  à  la  porte 
extérieure  et  que  foulèrent  des  pas  menus.  Ils 
n'ont  pu  ni  détruire  les  escaliers  majestueux 
aux  rampes  de  fer  forgé,  si  joliment  ouvra- 
gées, ni  rompre  l'harmonieux  ensemble  de 
toutes  ces  constructions  adroitement  groupées 
comme  les  alvéoles  d'une  ruche,  mais  d'une 
ruche  pleine  de  silence  et  de  recueillement. 

Six  heures  ont  sonné  à  l'horloge  du  chapitre. 
La  portière,  dont  c'est  l'office  spécial,  a  ouvert 
toute  grande  la  grille  de  la  cour,  de  cette  cour 
pavée  comme  celle  du  château  de  Versailles, 
et  qu'un  soleil  matinal  éclaire  de  ses  premiers 
rayons.  Une  à  une  les  portes  de  chaque  mai- 
son canoniale  s'entre-bàillent   à  leur  tour  et 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         69 

voici  les  chanoinesses  qui,  revêtues  de  leur 
long  manteau  sombre,  sortant  de  leur  habita- 
tion, se  rendent  à  l'église  pour  la  messe  chapi- 
trale.  Profitons  de  ce  qu'elles  vont  prier  pour 
dire  quelques  mots  de  leur  costume. 

Le  costume  porté  par  les  chanoinesses  n'é- 
tait pas  le  même  partout.  Il  a  varié  également, 
suivant  les  époques,  dans  un  même  chapitre, 
et  il  serait  assez  difficile  de  les  décrire  tous. 
Bornons-nous  à  donner  quelques  indications. 
A  Montfleury,  chapitre  régulier,  les  dames  ont 
la  robe  blanche  avec  le  scapulaire  blanc  et  le 
manteau  noir.  En  hiver,  elles  mettent  par-des- 
sus une  sorte  de  robe  noire  ouverte  sur  le 
devant,  descendant  jusqu'à  mi-jambe  et  bordée 
d'hermine.  Elles  couvrent  leur  front  d'une 
pointe  noire  semblable  à  celles  en  usage  pour 
les  veuves  au  seizième  siècle.  Les  dames  de 
Lavesne  portent  au  chœur  un  manteau  noir 
fourré  d'hermine  du  haut  en  bas.  Ce  même  man- 
teau est  porté  aussi  par  les  dames  de  Maubeuge  S 
de  Bourbourg,  de  Denain,  d'Estrun  et  de  plu- 
sieurs autres  chapitres.  Hors  du  chœur,  chaque 

1.  Dict.  géographique,  op.  cit.  —  L'n  chapitre  de  chanoi- 
nesses, op.  cil.  Histoire  religieuse  de  Maubeuge,  op. 
cit.  etc.,  etc. 


70  FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

chanoinesse  peut  s'habiller  à  sa  guise,  sauf 
qu'elle  ne  doit  se  servir  ni  de  violet,  «  cou- 
leur réservée  aux  évêques  »,  ni  du  rose,  «  cou- 
leur de  fête  ».  Les  chanoinesses  d'Épinal, 
lorsqu'elles  vont  au  chœur,  revêtent  le  manteau 
noir  à  longue  queue  traînante,  bordée  de  four- 
rure blanche.  Elles  ont  sur  la  tète  une  bande 
de  toile,  large  de  deux  pouces,  sur  laquelle  est 
un  petit  ruban  noir;  elles  attachent  cette  bande 
de  toile  sur  leur  bonnet,  l'appelent  «  un  mari  » 
et  ne  le  quittent  point,  non  plus  à  la  ville 
qu'au  chapitre  ^  Voici  une  chanoinesse  de 
Salles.  Aucune  forme  spéciale  ne  paraît  impo- 
sée pour  la  robe,  qui  ne  peut  être  que  noire 
ou  blanche.  Un  col  simple  s'ouvre  non  sans 
grâce  sur  une  chemisette  à  petits  plis.  Quand 
elle  ne  met  pas  la  coiffe,  qui  est  réservée  pour 
l'église,  elle  noue  sur  sa  tête  une  sorte  de 
mince  fichu  fort  élégant.  Primitivement,  la 
coiffure  était  le  voile,  qu'on  baissait  en  cer- 
taines circonstances.  Mais  l'usage  de  l'abaisser 
se  perdit  vite.   Le  voile   lui-même    diminua, 


1.  Leurs  coiffes  noires  sont  beaucoup  plus  grandes  que 
celles  des  autres  chanoinesses.  Elles  ne  les  lient  que  sous 
le  menton  et  laissent  pendre  les  bouts  par  derrière.  {Dict. 
géographique,  op.  cit.) 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         71 

devint  fichu...  Aux  jours  de  cérémonie, 
elle  endosse  pour  aller  chanter  l'office  le 
manteau  traditionnel  bordé  d'hermine.  Hé- 
las !  ces  dames  de  Salles  n'étaient  pas  très 
riches,  semble-t-il;  d'indiscrètes  factures  re- 
trouvées à  Lyon  révèlent  que  cette  blanche 
hermine  n'était  souvent  que  du  lapin  M  Les  sta- 
tuts de  l'Argentière  précisent  sévèrement  les 
ordonnances  concernant  le  costume  des  dames 
de  ce  chapitre.  «  Elles  seront,  disent-ils,  tou- 
jours vêtues  de  noir  et  d'une  étoffe  unie  ;  leurs 
robes  n'auront  point  de  garnitures  en  blondes, 
en  gaze  ni  autres  ornements  mondains  ;  elles 
auront  sur  le  milieu  de  leur  bonnet  leur  ruban 
blanc  bordé  de  noir.  Les  manchettes  et  fichus 
ne  seront  que  de  gaze  ou  filet,  sans  blondes. 
Leur  chaussure  sera  noire,  blanche  ou  grise  et 
jamais  d'autre  couleur.  Elles  ne  sortiront  pas 
de  l'enceinte  du  chapitre  et  ne  paraîtront  point, 
même  dans  leur  famille,  autrement  qu'en  noir 
avec  le  cordon.  Au  chœur,  elles  porteront  la 
coiffe  uniforme  de  taffetas  ou  de  gaze  noire 
pour  les  professes,  blanche  pour  les  agrégées. 
Le  manteau  sera  noir,  traînant,  et  bordé  d'her- 

1.  Arch.  du  Lyonnais. 


72  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

mine,  ainsi  que  le  collet.  »  Ces  statuts  inter- 
disent aux  chanoinesses  d'aller  au  spectacle, 
au  bal,  et  aux  autres  assemblées  de  même  na- 
ture, ainsi  que  de  se  mettre  du  rouge,  ni  aucun 
fard*.  11  serait  téméraire  d'affirmer  que  cette 
dernière  obligation  ait  toujours  été  suivie  à  la 
lettre. 

Sur  ce  costume,  ou,  si  l'on  préfère,  sur  ces 
costumes  toujours  un  peu  sévères,  les  chanoi- 
nesses arboraient  fièrement  le  cordon  et  la 
croix,  signes  distinctifs  de  leur  profession.  Ces 
cordons,  ces  rubans,  que  la  chanoinesse  por- 
tera tantôt  en  écharpe,  tantôt,  à  la  ville,  sous 
forme  d'un  simple  nœud  épingle  sur  la  poitrine 
du  côté  du  cœur  et  auquel  est  attachée  la  croix 
d'or  émaillé,  c'est  le  roi  quij  par  lettres  patentes, 
l'a  accordé  à  chaque  chapitre;  c'est  le  roi  qui 
en  choisit  les  couleurs.  Le  ruban  d'Alix  est 
ponceau  ;  celui  de  Bourbourg,  jaune  liseré  de 
noir;  celui  de  Château-Ghalon,  noir  liseré  d'or. 
Entièrement  noir  sont  les  rubans  de  Lons-le- 
Saulnier  et  de  Montigny.  L'Argentière  a  le 
cordon  vert,  reten»  à  l'épaule  par  des  ganses 
d'or.  Les  dames  de  Migette  portent  le  ruban 

1.  Statuts  et  règlements  de  V Arc/entière,  op.  oit. 


LES    CHAPITRES    .NOBLES    DE    FILLES         73 

bleu  liseré  de  blanc,  et  celles  de  Saint-Louis  de 
Metz,  d'Estrun  et  de  Leigneux,  l'ont  blanc, 
liseré  de  bleu.  Neuville,  Poussay,  Poulangy, 
Remiremont  ont  le  ruban  bleu,  mais  le  pre- 
mier et  le  quatrième  s'ourlent  de  rouge,  le 
second  de  noir  et  le  troisième  d'or.  Les  cha- 
noinesses  de  Salles  portent  le  cordon  moiré 
violet,  liseré  d'or;  celles  de  Lavesne  et  d'Épi- 
nal,  le  cordon  entièrement  bleu,  large  comme 
celui  du  Saint-Esprit... 

Aux  rubans,  était  suspendue  une  croix, 
généralement  en  or  émaillé  de  blanc,  quelque- 
fois de  lilas,  comme  celle  de  Lavesne,  dans 
la  forme  des  croix  de  Malte,  à  huit  pointes 
anglées  de  fleurs  de  lis.  Neuville,  Leigneux, 
Alix  et  l'Argentière  avaient  adopté  la  croix  des 
chanoines  comtes  de  Lyon,  dont  ces  dames 
dépendaient  pour  les  preuves.  Elle  était  d'or 
émaillé  de  blanc,  bordée  d'or,  à  huit  pointes 
cantonnées  de  quatre  fleurs  de  lis,  le  tout  sur- 
monté d'une  couronne  comtale.  Au  centre  de 
ces  croix,  une  médaille  à  double  face  repré- 
sentait tantôt  la  Vierge  et  saint  Benoît,  tantôt, 
à  Epinal,  par  exemple,  saint  Gouéry,  tantôt 
encore,  saint  Martin  ou  quelque  autre  saint 
auquel  le  chapitre  avait  voué  une  dévotion  par- 

5 


74  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

ticulière.  A  Lavesne  et  à  Bourbourg,  spéciale- 
ment patronnés  par  la  reine,  la  médaille  por- 
tait d'un  côté  l'effigie  de  Marie-Antoinette,  de 
l'autre,  celle  du  cardinal  de  La  Rochefoucauld, 
abbé  de  Gluny.  En  exergue  se  lisait  une  courte 
légende  :   Virtutis,  nobilitatisque  Deus...  Pie- 
tati  et   nobilitati  fundavit..»    Genus,    Decus, 
Virtus...  parfois  simplement  la  date  de  la  fon- 
dation avec  ces  mots  au  revers  :  comtesses  de 
Salles  ;  comtesses  de  l'Argentière,  etc.,  etc.  Sur 
certaines,  on   pouvait  lire,  autour  de  l'image 
d'un  saint  ou  de  la  Vierge  :  «  Louis  XV  le  bien 
aimé  a  honoré  de  cette  distinction  son  chapitre 
noble  de...  en  '...  » 

N'est-il  pas  piquant  de  voir  ces  excellentes 
chanoinesses  mettre  ainsi  en  quelque  sorte 
leur  vertu  sous  l'égide  de  Louis  XV  !... 


1.  Ainsi  à  Leigneux  et  à  Alix.  Cf.  La  croix  des  chanoines 
comtes  de  Lyon,  op.  cit. 


VI 


Obligations  et  règlements.  —  Demi-liberté.  —  Ferme- 
ture des  portes.  —  Le  rôle  de  la  portière.  —  Les 
chanoinesses  ne  sont  pas  astreintes  à  la  résidence, 
toute  l'année.  —  Calomnies  répandues  sur  le  compte 
des  chanoinesses.  —  Diderot  et  M.  Homais.  —  La 
littérature  du  xyiii"  siècle  et  les  chanoinesses.  — 
Essayons  de  dire  la  vérité.  —  Les  chanoinesses  ne 
sont  pas  cloîtrées.  —  Elles  peuvent  recevoir  parents 
et  amis.  —  Les  petits-cousins  et  les  nièces.  —  Flirts 
et  mariages.  — .  Ces  réunions  de  vieilles  dames  et  de 
jeunes  flUes  appartenant  toutes  à  la  meilleure  société 
avaient  beaucoup  de  charme.  —  Les  visiteurs  ne 
chôment  pas.  —  Quelques  chanoinesses  de  Lavesne. 

—  Madame  de  Lestrange.  —  Madame  de  Vichy.  — 
Madame  de  Ligniville.  —  Aventure  arrivée  à  cette 
dernière.  —  Les  nièces  n'engendrent  pas  mélancolie. 

—  Plaisirs  des  chapitres.  —  La  causerie,  les  con- 
certs, les  jeux.  —  La  vie  à  Salles.  —  Les  diners.  — 
Les  hommes,  exclus  en  principe,  participent  quand 
même   à    ces  réunions.  —   Liaisons    de    cœur.   — 


76  FILLES    XOBLES    ET    MA(;  ICIE  N\ES 

Vieilles  coutumes  naïves,  —  Cérémonies  religieuses, 
—  Mariages  dans  l'église  conventuelle.  —  Les  chanoi- 
nesses  à  la  chasse!... 


Il  ne  faudrait  pas  croire  que  les  chanoi- 
nesses  ne  soient  soumises  à  aucune  règle.  Si 
large  que  soit  devenue  celle-ci,  elle  n'en  com- 
porte pas  moins  quelques  obligations.  La 
messe  chapitrale  est  au  nombre  de  ces  obliga- 
tions quotidiennes.  Avec  les  heures,  que  toutes 
les  dames  sont  tenues  de  venir  psalmodier  au 
chœur  dans  l'après-midi,  ce  sont,  il  est  vrai,  les 
seuls  actes  de  piété  en  commun  auxquels  le 
chapitre  soit  astreint,  au  moins  pour  les  jours 
non  fériés  ^  Aucun  autre  devoir  professionnel 
n'est  imposé  aux  chanoinesses  le  long  d'une 
journée  qu'elles  sont  libres  d'employer  à  leur 
guise. 

Si  complète  qu'elle  paraisse,  cette  liberté  ne 
va  pas  jusqu'à  l'anarchie.  N'oublions  pas  que 
nous  sommes  dans  des  établissements  semi- 
religieux  où  la  tradition  des  monastères, 
encore  que  très  atténuée,  ne  s'est  "pas  tout  à 

1.  A  Épinal,  on  chante  matines  à  sept  heures  et  demie; 
on  entend  la  messe  à  neuf  heures;  on  dit  les  vêpres  à  six 
heures. 


I.KS     CHAPITRES     NOliLES     HE     FILLES  ii 

fait  éteinte.  N'oublions  pas  surtout  que  nous 
nous  trouvons  chez  des  personnes  distinguées, 
bien  élevées,  soucieuses  de  leur  renommée  et, 
ajuste  titre,  jalouses  de  leur  réputation  davan- 
tage encore  que  de  leur  indépendance.  Les  sta- 
tuts de  l'Argeiitière  nous  apprennent  notam- 
ment que  «  les  portes  du  chapitre  doivent  être 
fermées  à  la  tombée  de  la  nuit  et  les  clefs 
déposées  chez  la  prieure  à  dix  heures  du  soir  ». 
Us  ajoutent  que  l'office  de  portière  ne  «  peut 
être  confié  qu'à  une  personne  de  mœurs  irré- 
prochables et  d'un  âge  mûr  ».  Sa  mission  ne 
se  borne  pas  là  d'ailleurs.  Elle  est  chargée 
d'aviser  la  supérieure  de  tous  les  étrangers  qui 
entrent  dans  l'enceinte  du  chapitre  et  de 
nommer  les  chanoinesses  qui  les  reçoivent. 
D'autre  part,  si  ces  dames  ont  toute  facilité 
pour  sortir,  elles  ne  le  peuvent  faire  cepen- 
dant qu'après  avoir  averti  la  prieure*.  Et  l'on 
se  plaît  à  croire  qu'elles  n'y  manquaient  pas. 
Aussi  bien,  n'étaient-elles  rigoureusement 
astreintes  à  la  résidence  que  neuf  mois  par  an. 
Dans  le  cas  où  leur  absence  se  prolongeait  au 
delà  de  douze  semaines,  elles  en  étaient  quittes 

1.  Statuts  et  règlements  de  TArgentiére,  op.  cit. 


78  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

pour  une  retenue  de  vingt-quatre  livres  par 
mois  sur  leur  prébende.  Une  si  légère  pénalité 
suffisait-elle  à  faire  rentrer  plus  vite  au  monas- 
tère les  chanoinesses  que  leurs  affaires,  leurs 
amitiés  ou  les  sollicitations  de  leur  famille 
retenaient  au  dehors?  On  en  peut  douter. 

Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  d'en  rencon- 
trer si  souvent  dans  le  monde;  elles  y  sont 
fort  appréciées,  recherchées  et  honorées... 
«  Monsieur  et  madame  de  Sainte-Croix  du 
Breuil  me  sont  venus  voir  avec  une  de  leurs 
filles,  chanoinesse  de  Neuville  ))S  écrira  ma- 
dame de  Meximieux.  Nous  lirons  dans  une 
lettre  de  madame  de  Moncla  :  «  On  se  réunit 
beaucoup  cet  hiver.  Nos  chanoinesses  sont 
de  toutes  les  parties  ;  on  ne  saurait  se  passer 
d'elles  2.  ))  Il  en  résulte  que  les  chapitres  sont 
fréquemment  assez  déserts.  «  La  maison  des 
dames  (Saint-xVntoine)  est  réduite  à  quatre. 
Madame  l'abbesse  reste  chez  son  frère  ;  madame 
de  Murât  à  Autun  auprès  de  la  prieure  son 
amie  ;  mesdames  de  Lary  chez  son  frère,  de 


1.  Lettre  de  madame  de  Meximieux  à  la  présidente  Gho- 
lier,  10  décembre  1768.  (Arch.  de  Gibeins.) 

2.  Lettre  de  madame  de  Moncla  à  la  marquise  de  Venange, 
17  janvier  1781.  (Arch.  part.) 


LES    CHAPITRES    NOBLES     DE    FILLES         79 

Baronal  à  Romans,  chez  madame  Dunoyer, 
etc.,  etc.  »  nous  dira  M.  de  Marzin'. 

Mais  laissons  les  vagabondes;  occupons- 
nous  seulement  de  celles  qui  sont  au  bercail. 

Que  la  vie  des  chapitres  nobles,  comme  celle 
des  couvents,  ait  été  l'objet  de  basses  plaisan- 
teries et  de  calomnies,  voilà  ce  que  l'on  sait 
de  reste.  Depuis  la  Religieuse  de  Diderot 
(et  bien  avant)  jusqu'aux  élucubrations  vomies 
par  les  plumes  révolutionnaires,  la  liste  serait 
inépuisable  des  pamphlets,  des  facturas,  des 
libelles,  des  brochures  et  des  livres,  les  uns 
d'allure  dogmatique  et  pédante,  les  autres 
affectant  une  désinvolture  libertine,  mais  qui 
tous  poursuivaient  le  but  glorieux  de  traîner 
des  femmes  dans  la  boue.  La  simple  énumé- 
ration  de  quelques  titres  propres  à  ces  sortes 
d'ouvrages,  serait  pour  donner  la  nausée  au 
lecteur.  On  la  lui  épargnera  ici.  Une  aussi  noble 
tradition  ne  s'est  d'ailleurs  pas  perdue.  Il 
existe  encore  à  l'heure  actuelle  toute  une  litté- 
rature (si  l'on  peut  ainsi  parler)  dont  certains 
esprits  font  leurs  délices,  uniquement  consa- 
crée à   flétrir  les  mœurs  des   moniales    et  à 

1.  Lettre  de  M.  de  Marzin  au  marquis  de  Tournon,  1787. 
(Arch,  du  Vergier.) 


80  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

déverser  sur  elles  des  sarcasmes  de  haut 
goût  qui  siiflisent,  paraît-il,  à  tenir  en  joie 
M.  Homais,  quand  une  fois  il  a  fini  de  boire. 

Le  cadre  de  cette  étude  ne  saurait  compor- 
ter un  plaidoyer  en  faveur  des  monastères. 
D'autres  se  sont  chargés  de  les  disculper  des 
accusations  absurdes  lancées  contre  eux  et  de 
remettre  les  choses  au  point.  Mais  ceux-là 
mêmes  qui  ont  apporté  dans  leur  défense  le 
plus  de  chaleur,  d'ardeur  généreuse  et  de  so- 
lides arguments,  n'ont  jamais  prétendu  que 
tout  ait  toujours  été  pour  le  mieux  dans  tous 
les  couvents  du  Moyen  âge  et  du  xvin"  siècle; 
ils  n'ont  jamais  nié  que  sur  tant  de  milliers 
et  de  milliers  de  femmes  qui  s'étaient  consa- 
crées à  Dieu,  souvent  sans  s'y  sentir  appelées 
par  une  vocation  bien  déterminée,  quelques- 
unes,  beaucoup  d'entre  elles  sans  doute, 
s'aperçurent  un  peu  tard  que  leur  nature, 
leurs  aspirations,  leurs  goûts  les  portaient  da- 
vantage vers  les  plaisirs  terrestres  que  vers  le 
mysticisme,  et  que,  s'en  étant  aperçu,  elles 
abandonnèrent  l'un  pour  tomber  dans  les 
autres.  Et  voilà  qui  suffît  à  la  vérité  historique. 

Mais  sans  descendre  aux  œuvres  de  mau- 
vaise  foi  et   de   haine,   il  faut    convenir  que 


LES    CHAPITRES     NOBLES    DE    FILLES         81 

la  mode  autorisa  nombre  d'écrivains  du 
XVIII''  siècle  à  parler  très  légèrement  des 
dames  chanoinesses.  Dans  les  pièces  de  théâtre 
et  dans  les  romans  on  leur  attribuait  volontiers 
un  rôle  sinon  tout  à  fait  pervers,  du  moins 
passablement  scabreux.  Et  le  public,  mal  ins- 
truit de  la  situation  exacte  de  ces  personnes 
qui  vivaient  dans  des  sortes  de  couvents, 
ignorant  ou  oubliant  qu'aucun  vœu  religieux 
ne  retenait  la  plupart  d'entre  elles,  trouvait 
une  sorte  de  ragoût  malsain  à  suivre  les  aven- 
tures auxquelles  il  plaisait  à  l'auteur  de  les 
mêler.  Bien  des  écrivains  s'amusèrent  ainsi  à 
conduire  leurs  lecteurs  dans  l'intérieur  des 
chapitres  nobles  et  à  faire  se  dérouler  les  évé- 
nements les  plus  étranges  et  les  moins  cano- 
niques dans  le  cadre  discret  de  ces  asiles  que 
n'eussent  dû,  semble-t-il,  troubler  que  le  bruit 
des  chants  et  le  murmure  des  prières. 

A  la  fantaisie  de  tableaux  tracés  par  l'ima- 
gination, essayons  d'opposer  un  dessin  plus 
proche  de  la  vérité. 

Les  chanoinesses  ne  sont  point  cloîtrées  ; 
elles  aiment  à  recevoir,  non  seulement  en 
visite,  mais  à  demeure.  La  vertu  de  l'hospita- 
lité, si  répandue  aux  xvii"  et  xviii*  siècles,  ne 

5. 


82  FILLES    .\OBLES    ET    MAGICIENNES 

s'est  pas  glacée  dans  leur  cœur  le  jour  qu'elles 
sont  entrées  au  chapitre.  En  principe,  elles  ne 
peuvent  guère  admettre  auprès  d'elles  que  des 
personnes  de  leur  parenté.  Ceci  déjà  permet 
d'avoir  nombreuse  compagnie,  car  l'on  sait 
combien  les  parentés  les  plus  lointaines  res- 
taient vivaces  autrefois  et  jusqu'où  s'étendait 
le  cousinage,  principalement  en  province. 
Quelle  chanoinesse  n'a  pas  dans  ses  entours 
un  ou  deux  chevaliers  de  Malte?  L'analogie  de 
leur  position  sociale  est  bien  faite  pour 
éveiller  entre  eux  et  elles  de  mutuelles  sym- 
pathies. Ceux  dont  l'âge  offre  une  garantie 
font  donc  chez  leurs  parentes  de  véritables  sé- 
jours, qui  ne  semblent  trop  longs  ni  aux  hôtes 
ni  à  l'hôtesse.  Les  commandeurs  de  Ligondès 
et  de  Culhat,  MM.  de  Seyssel  et  de  Ferré,  les 
chevaliers  de  Courtesserre  et  de  Clialus  vien- 
nent ainsi  fréquemment  à  Lavesne  partager  la 
vie  modeste  de  chanoinesses  de  leur  famille. 
Ils  y  retrouvent  le  frère  de  madame  de  Bosré- 
don,  le  frère  de  mademoiselle  des  Roys,  l'une 
chanoinesse  titulaire,  l'autre  simple  surnumé- 
raire*.  Voici  encore   de  jeunes  étourdis   que 

i.  Un  chapitre  7wble  de  chanoinesses,  op.  cit. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         83 

l'on  envoie  à  leurs  tantes  pour  les  faire  gron- 
der de  quelque  fredaine.  A  ceux-là,  qui  n'ont 
pas  l'âge  requis,  les  chanoinesses  n'offrent  que 
la  table.  Force  leur  est  de  se  loger  au  dehors. 
La  grille  du  chapitre,  à  dix  heures  du  soir,  met 
une  infranchissable  barrière  entre  eux  et  les 
jeunes  nièces,  avec  qui  d'ailleurs  il  ne  leur  a 
pas  été  interdit  d'échanger  d'aimables  propos 
durant  la  journée.  Sans  doute  les  petites 
nièces  ont-elles  eu  l'art  d'adoucir  l'effet  de  la 
semonce  qu'ils  étaient  venus  chercher  auprès 
de  la  tante  sévère,  car  certains  s'éloignent  tout 
fiers,  l'air  très  peu  marri  d'avoir  été  répri- 
mandés. Quelques-uns  reviendront  dans  un 
an,  dans  deux  ans,  non  plus  cette  fois  pour 
subir  une  admonestation,  mais  pour  emmener 
dans  un  beau  carrosse  la  petite  nièce  consola- 
trice, qui,  plus  tard,  de  sa  courte  vie  de  surnu- 
méraire se  rappellera  seulement  la  première 
visite  du  mauvais  sujet  dont  elle  est  mainte- 
nant la  femme. 

On  conçoit  aisément  que  cette  colonie  de 
vieilles  dames  et  de  jeunes  filles,  entourées  de 
respect  et  d'honneurs,  mêlant  aux  traditions 
de  la  bonne  compagnie  la  simplicité  d'une  vie 
sans  ambition,  placée  ainsi  loin  des  villes,  ait 


84  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

eu  un  charme  tout  particulier  pour  les   per- 
sonnes  du  dehors.  Il   était  donc  rare  qu'une 
journée  se  passât  sans  amener  des  visiteurs  au 
chapitre.  Les  châtelains  des  environs  s'y  ren- 
daient à  jour  fixe.  A  Lavesne,  M.  de  Ghazenal, 
intendant   de    la   province,  et  M.   de  Barante 
étaient  considérés    comme    des    habitués.   Le 
cardinal  de  La  Rochefoucauld  venait  souvent 
aussi   s'y  reposer  durant  quelques  jours   au 
milieu  de  ses  chères  chanoinesses,  qui,  dans 
les  années  précédant  immédiatement  la  Révo- 
lution, formaient,  en  vérité,  la  société  la  plus 
choisie,    la   plus    variée,   la    plus   séduisante. 
L'abbesse,   madame  de  Lestrange,  est  bonne, 
accueillante,  bienveillante  à  tous.  Son  grand 
âge  la  force  de  se  tenir  un  peu  à  l'écart.  Pour 
la  conversation,  on  lui  préfère  madame  d'Or- 
dan-Legroing,  dont  l'esprit  est  des  plus  vifs. 
Veuve,  elle  s'est  retirée  à  Lavesne  avec  ses 
trois  filles,  qui  y  sont  également  chanoinesses. 
C'est  une  femme  excellente  et  fort  serviable, 
dont  le  seul  travers  est  de  vouloir  un  peu  trop 
diriger.  Chanoinesses,  visiteurs  et  visiteuses, 
se  réunissent  plus  volontiers  encore  chez  ma- 
dame  de   V'ichy.  La  maison   de  cette  femme 
infiniment  spirituelle,   et  pleine  de  cœur,   est 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES        85 

«  la  maison  de  tout  le  monde  ».  Musicienne 
accomplie,  madame  de  Vichy  enseigne  la 
harpe  et  le  clavecin  aux  jeunes  filles,  organise 
de  petits  concerts  où  elle  fait  briller  ses 
élèves.  Elle  préside  aux  jeux  des  nièces  avec  un 
entrain  et  une  gaieté  qui  ne  permettent  guère 
de  lui  reconnaître  quarante  ans.  Enfin,  cette 
aimable  cousine  de  madame  du  Deffand  possède 
au  suprême  degré  la  finesse  diplomatique,  qui 
n'est  pas  toujours  inutile  dans  les  couvents. 
Nulle  comme  elle  ne  s'entend  à  prévenir  les 
brouilles,  à  apaiser  les  menus  conflits,  à  étouf- 
fer les  animosités  qui  naissent  jusque  dans  la 
paix  des  cloîtres...  Sa  voisine  est  madame 
Louise  de  Ligniville.  Celle-ci  a  quelque  vingt 
ans;  elle  cause  «  comme  une  fée  ».  Si  elle  ne 
se  souvenait  peut-être  trop  aisément  qu'elle 
est  la  cousine  de  la  reine  de  France  et  de  l'em- 
pereur d'Autriche,  sa  bonté,  ses  qualités 
d'esprit  et  de  cœur  ne  seraient  ternies  d'aucune 
ombre.  Un  chagrin  d'amour  l'a  poussée  à  La- 
vesne.  On  le  croit  apaisé.  Mais  voici  qu'un 
soir,  en  un  moment  d'égarement,  elle  se  jette 
dans  le  puits  de  la  maison  de  madame  de 
Vichy.  A  peine  sent-elle  le  contact  de  l'eau 
que   l'instinct  de  la  conservation  reprenant  le 


86  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

dessus,  elle  pousse  les  hauts  cris.  On  accourt. 
Le  puits  était  heureusement  peu  profond.  On 
la  tire  de  là  et,  en  manière  de  consolation, 
quelque  temps  après,  on  la  nomme  coadju- 
trice  de  l'abbesse. 

Puis  ce  sont  encore  madame  de  Pons,  qui, 
peu  d'années  plus  tard,  mourra  surl'échafaud; 
mademoiselle  de  Montmorency-Laval,  qui, 
elle,  ne  s'éteindra  qu'en  1831  et  sera  la  der- 
nière à  porter  la  décoration  du  chapitre  de 
Lavesne  ;  mademoiselle  d'Albignac  ;  mesdames 
de  Chalus  et  de  Bonnevin,  ces  deux  dernières 
très  âgées,  établies  à  Lavesne  bien  avant  la 
sécularisation  et  regrettant  leurs  chers  cloîtres 
feutrés  de  silence  où  ne  bourdonnait  pas 
comme  aujourd'hui  toute  une  joyeuse  jeu- 
nesse. Car  les  nièces  sont  nombreuses  et  n'en- 
gendrent point  mélancolie.  On  s'efforce  d'ail- 
leurs à  les  distraire.  Il  est  touchant  de  voir  les 
tantes  s'ingénier  à  leur  procurer  d'innocentes 
distractions.  Le  jour,  chacun  reste  chez  soi  et 
l'on  respecte  scrupuleusement  les  heures  con- 
sacrées aux  exercices  religieux.  Le  soir,  en 
revanche,  on  se  réunit  tantôt  dans  une  maison, 
tantôt  dans  une  autre;  les  personnes  âgées 
jouent  au   trictrac    ou   aux    cartes  ;   les    plus 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         87 

jeunes  font  de  la  musique.  Madame  de  Vichy  a 
l'art  d'improviser  chez  elle  de  petites  sauteries. 
Parfois,  on  joue  la  comédie  dans  la  grande 
salle  du  chapitre,  tout  comme  à  Saint-Cyr,  du 
temps  de  madame  de  Maintenon;  enfin,  ma- 
dame de  Lestrange  n'est  pas  la  seule  abbesse 
qui  donne  des  dîners  fort  appréciés  de  tous, 
invités  et  chanoinesses. 

La  vie  à  Salles  ne  paraît  pas  avoir  différé 
sensiblement  de  celle  que  l'on  menait  à  La- 
vesne  et  ailleurs.  Là  aussi,  les  tantes  s'occu- 
paient avec  une  inlassable  patience  de  leurs 
nièces.  Chacune  en  avait  deux  ou  trois  et, 
comme  on  les  leur  envoyait  fort  jeunes,  force 
était  bien  de  terminer  leur  éducation.  Seule- 
ment, si  nous  en  croyons  Lamartine,  les  tantes 
eussent  souvent  été  bien  embarrassées  de  con- 
fier à  leurs  nièces  une  science  à  laquelle  elles- 
mêmes  étaient  quelque  peu  étrangères.  Aussi 
y  avait-il  dans  tous  les  chapitres  une  maîtresse 
d'institution  qui  «  réunissait  les  petites  filles  et 
leur  apprenait  le  français,  le  latin  et  un  peu  de 
liturgie  ».  Ces  devoirs  remplis,  et  l'on  peut 
penser  qu'ils  ne  prenaient  pas  trop  de  temps, 
les  heures  de  loisir  ne  manquaient  pas.  D'or- 
dinaire,  la  prieure    faisait  sa   partie  avec  les 


00  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

chanoinesses  les  plus  sédentaires,  la  passion 
du  jeu  ayant  dès  longtemps  franchi  les  grilles 
des  chapitres.  Les  autres  se  promenaient  avec 
leurs  nièces  ou  avec  des  visiteurs.  Que  parmi 
ces  visiteurs  il  s'en  trouve  quelques-uns  de 
jeunes,  on  a  tôt  fait  d'inventer  des  amusements 
divers  et  voici,  sous  les  arbres  ou  sur  les  pe- 
louses du  parc,  les  petites  nièces  courant,  sau- 
tant, se  poursuivant  avec  des  cris  de  joie, 
toutes  fraîches  de  plaisir  dans  leurs  robes 
blanches  que  parent  le  large  ruban  et  la  croix 
étincelante. 

Toujours  sociables,  les  chanoinesses  s'in- 
vitent à  dîner  les  unes  les  autres.  C'est  une 
habitude  qui  se  transforme  en  une  sorte  de 
devoir  pour  celles  dont  la  maison  accueille  un 
étranger  ou  une  étrangère  de  passage.  M.  de 
Marzin  vient  à  Saint-Antoine.  Il  y  dîne  chez 
madame  l'abbesse,  avec  M.  de  Baronat,  la  sœur 
de  ce  dernier  qui  est  chanoinesse  et  deux  sur- 
numéraires, mesdemoiselles  de  Chabot  et  de 
Varax,  qu'on  nomme  «  mesdames  »  *.  Madame 
de  Gontaud  se  déclare  «  enchantée  du  souper 
que  lui  a  offert  à  Maubeuge,  une  dame  du  cha- 

1.  Lettre  de  M.  de  Marzin  au  marquis  de  Tournon,  1787. 
(Arch.  du  Vergier.) 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         89 

pitre  dans  sa  maison  canoniale,  où  elle  a  trouvé 
belle  et  bonne  compagnie»  *.  Et  M.  de  Rochefort 
écrit  :  «  Le  jour  que  nous  fûmes  voir  madame 
de  Vaudrey  (à  Poulangy),  elle  nous  retint  à 
dîner;  outre  ses  trois  nièces,  il  y  avait  deux 
dames  du  chapitre.  Madame  l'abbesse,  priée 
aussi,  n'avait  pu  venir,  ayant  du  monde^.  »  Le 
soir,  on  se  réunit.  Les  hommes  sont,  en  principe, 
exclus  de  ces  assemblées,  ainsi  que  je  l'ai  dit 
déjà.  Mais  la  règle  permet  à  toute  chanoinesse 
d'hospitaliser  ses  frères  pendant  quelques  jours. 
Ne  les  pas  présenter  à  ses  amies  du  chapitre 
serait  une  incorrection,  qu'aucune  dame  ne 
commettrait,  car  quelle  femme  de  la  cour  sait 
plus  parfaitement  son  monde?  Un  des  reproches 
que  Le  Camus,  évêque  de  Grenoble,  adressait 
aux  dames  de  Montigny  était  précisément  leur 
trop  grande  sociabilité  et  les  chanoinesses  se 
défendaient  en  répliquant  que  «  les  hommes 
n'étaient  admis  qu'aux  collations,  que  si  elles 
se  promenaient  avec  des  hommes,  ce  n'était 
jamais  tète  à  tête,  mais  toujours  en  compagnie 


1.  Lettre  de  madame  de  Gontaud  à  madame  de  Croixmare, 
rue  du  Luxembourg,  à  Paris  (16  avril  1779).  (CoUect.  part.) 

2,  Lettre  de  M.  de  Rochefort  à  la  comtesse  de  Chavigny, 
12  octobre  1788.  (Collect.  part.) 


90  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

d'assistantes,    sous    les    fenêtres   de   toute   la 
maison  et  à  la  vue  des  lieux  voisins ^  » 

Là  se  formaient,  dira  encore  Lamartine  «  des 
liaisons  de  cœur  fort  tendres  ;  là  se  préparaient 
parfois  des  enlèvements.  Mais  en  général,  une 
pieuse  réserve,  une  décence  irréprochable  pré- 
sidaient à  ces  rapports  d'intimité  si  délicate.  » 
Quoi  qu'il  en  soit,  on  joue,  on  cause,  on  fait 
des  lectures  «  sans  autre  règle  que  celle  du 
goût  »  ;  on  se  livre  à  des  travaux  de  tapisserie  ; 
dans  un  coin,  les  nièces  chantent  au  clavecin 
et  papotent  entre  elles,  sous  la  surveillance  de 
quelque  vieille  matrone,  gardienne  indulgente 
de  leurs  ébats.  Le  temps  n'était  plus  des  cou- 
tumes naïves,  comme  il  y  en  eut  dans  certains 
chapitres,  à  Remiremont  par  exemple,  cou- 
tumes qui  ne  devaient  pas  compter  au  nombre 
des  plus  médiocres  distractions.  Ces  dames 
avaient,  en  effet,  le  droit,  à  l'occasion  de  di- 
verses fêtes,  de  banqueter  dans  l'église,  puis 
de  danser  sur  la  place  publique,  et  encore,  lors 
de  certaines  autres  solennités  religieuses,  de  se 
promener  «  masquées  ou  revêtues  d'habits 
séculiers  en  chantant  par  rioUes  et  places^.  » 

i.  Recherches  stir  Monlfletenj,  op.  cit. 
2.  Salles  en  Beaujolais,  op.  cit. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         91 

Nos  chanoinesses  du  xviii®  siècle  ne  con- 
naissaient plus  que  par  ouï-dire  ces  usages 
lointains,  dont  elles  souriaient  sans  doute, 
comme  nous  en  sourions  aujourd'hui,  et  qui 
n'étaient  que  l'exercice  de  droits  acquis  jalou- 
sement conservés.  Elles  n'avaient  plus  besoin 
de  semblables  distractions,  dont  la  rusticité  eût 
répugné  à  leur  délicatesse.  Les  heures  d'ailleurs 
s'écoulaient  pour  elles  sans  ennui.  Les  céré- 
monies nombreuses  apportaient  beaucoup  de 
variété  dans  leur  vie  en  apparence  monotone. 
Présentations,  admissions,  vêtures,  adoptions, 
prises  d'habit,  professions,  nominations  à  des 
charges,  toutes  ces  choses  donnaient  lieu  à  des 
solennités  plus  ou  moins  magnifiques,  mais 
toujours  fort  longues.  Si  l'on  y  ajoute  les  exer- 
cices religieux  quotidiens,  les  chants  au  chœur, 
les  fêtes  des  saints  que  l'on  célébrait  en  grand 
apparat,  ne  "voilà-t-il  pas  de  quoi  remplir 
les  journées  ? 

Et  nous  ne  parlons  pas  des  mariages!  Mais 
oui,  des  mariages.  A  certaines  chanoinesses 
titulaires  ou  surnuméraires  convolant  en 
justes  noces,  il  était  accordé  exceptionnelle- 
ment de  faire  bénir  leur  union  dans  l'église 
du  chapitre.    Ainsi   en    fut-il    à   Salles    pour 


92  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

les  demoiselles  des  Roys^  Enfin,  ne  vous 
récriez  pas  si  ces  dames  sont  invitées  à  des 
parties  de  chasse.  Nous  avons  le  récit  de  l'une 
de  ces  parties,  organisée  à  la  Rochefolle,  pour 
la  Saint-Hubert.  Deux  chanoinesses  de  Salles 
y  étaient  conviées.  Le  marquis  de  Montmelas 
vint  au-devant  d'elles,  et  bientôt,  elles  se  trou- 
vèrent au  milieu  de  toute  la  bonne  société  du 
pays.  L'histoire  ne  dit  pas  si  ce  fut  à  l'une  de 
ces  jeunes  chanoinesses  qu'allèrent  les  hon- 
neurs du  pied.  Tout  ce  que  nous  savons,  c'est 
que  le  maire  du  village  de  Vaux  ayant  apporté 
son  violon,  la  chasse  fut  bientôt  oubliée  pour 
la  danse  et  que  cela  se  termina,  comme  dans 
les  comédies  morales,  par  un  mariage-... 

1.  Salles  en  Beaujolais,  op   cil. 

2.  Ibid. 


VII 

Faut-il  reprocher  aux  chanoinesses  leur  légèreté?  — 
Elles  ne  faisaient  aucun  vœu.  —  Elles  ne  portaient 
même  pas  l'habit  religieux.  —  Leurs  distractions, 
non  conformes  aux  sévérités  de  la  vie  monastique, 
n'avaient  rien  de  répréhensible  aux  yeux  du  monde. 

—  N'avaient-elles  rien  d'autre  à  se  reprocher?  —  La 
galanterie  n'abdiquait  pas  ses  droits.  —  Intrigues.  — 
Étourderies.  —  L'esprit  de  cabale.  —  Dissensions 
intestines.  —  Mesdames  de  Montjoie  et  de  Ferrette. 

—  Les  chapitres  durant  les  guerres.  —  Les  chanoi- 
nesses de  Remiremont  à  la  défense  de  leur  ville.  — 
Les  chanoinesses  poétesses.  —  Mesdames  de  Mons- 
pey.  —  Les  chapitres  se  modernisent.  —  On  s'y 
laisse  gagner  aux  idées  nouvelles.  —  Désillusions 
amères.  —  Inventaires  et  dissolution  des  chapitres 
nobles.  —  On  regrette  les  chanoinesses  pour  leur 
charité.  —  Madame  de  Ligniville,  héroïne  révolution- 
naire. —  La  fin  des  chanoinesses. 


Voudra-t-on  inférer  de  ce  qui  précède  que  la 
conduite  des  chanoinesses  était  peu  digne  de 


94  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

personnes  retirées  dans  un  couvent?  Faut-il 
répéter  qu'aucun  vœu  ne  les  rattachait  à  l'Église, 
qu'elles  avaient  liberté  entière  de  quitter  le 
chapitre  à  leur  guise  et  que  rien  ne  les  condam- 
nait au  célibat^?  Dans  ces  conditions,  que  pou- 
vaient avoir  de  répréhensibles  des  amusements 
que  l'on  ne  saurait  reprocher  à  des  femmes 
vivant  dans  le  monde^?  Mais,  dira-t-on,  l'habit 
qu'elles  portaient?  Il  n'avait  rien  de  commun 
avec  le  costume  religieux.  Et  nous  avons  vu 
ailleurs  que  si,  au  chœur  et  dans  l'enceinte  du 
chapitre,  les  chanoinesses  revêtaient  des  robes 
et  des  manteaux  rappelant  les  robes  et  man- 
teaux des  moniales  cloîtrées,  il  leur  était  loi- 


1.  On  ne  compte  pas  les  chanoinesses  surnuméraires  ou 
titulaires  qui  abandonnaient  le  chapitre  pour  se  marier. 
Citera-t-on  mademoiselle  de  Foligny,  chanoinessc  de  Remi- 
remont,  qui  devint  marquise  de  Grolier;  mademoiselle  des 
Roys  qui  fut  la  mère  de  Lamartine;  mademoiselle  de  Choi- 
seul,  plus  tard  duchesse  de  Gramont,  etc.,  etc? 

2.  M.  de  Franquières  voyageant  en  Belgique  écrit  :  «  J'ai 
trouvé  les  chanoinesses  de  Nivelles  fort  jolies,  mais  l'air 
un  peu  léger.  J'ai  assisté  à  leur  grand'messe  où  elles  chan- 
taient en  riant  de  fort  bon  cœur.  Elles  étaient  coiffées  à 
ravir.  Un  petit  voile  de  gaze,  dont  le  jeu  était  bien  adroit, 
rendait  leur  physionomie  très  piquante.  Tout  cela  m'a  paru 
des  vocations  fort  agréables.  »  (Lettre  de  Laurent  de  Fran- 
quières, 1773,  citée  par  A.  Gallicr  :  La  Vie  de  province  au 
XVIII'  siècle. 


LES    CHAPITRES    NOBLES     DE    FILLES         95 

sible  de  s'habiller  à  leur  gré,  sitôt  qu'elles 
mettaient  le  pied  hors  du  couvent.  Sauf  le  ruban 
et  la  croix  qu'elles  ne  quittaient  jamais,  mais 
qui  étaient  bien  plutôt  des  distinctions  honori- 
fiques que  des  insignes  religieux,  il  eût  été 
difficile  de  les  distinguer,  quant  à  leur  toilette, 
des  autres  femmes  de  la  société.  Elles  évitaient, 
il  est  vrai,  les  couleurs  trop  voyantes,  telles 
que  le  rouge  et  le  rose;  cette  réserve  n'était 
en  somme  qu'un  rappel  bien  discret  de  leur 
situation. 

Au  surplus,  les  distractions  que  nous  avons 
énumérées  (et  sans  doute  aussi  quelques  autres) 
n'étaient  point,  semble-t-il,  pour  blesser  la  mo- 
rale. M.  Boudet  me  paraît  dans  le  vrai,  lorsque 
disculpant  les  chanoinesses  d'accusations  fort 
injustes  et  le  plus  souvent  tout  à  fait  calom- 
nieuses, il  écrit  :  «  Bonnes  et  vénérables 
femmes!  Ne  pouvaient-elles  pas  se  promener 
avec  des  chevaliers  de  Malte  au  bord  de  l'eau, 
sans  y  noyer  leur  vertu?  Fallait-il  quitter  sa 
bonne  renommée  en  se  décorant  de  la  croix 
dorée?  Et  n'étaient-ce  pas  des  distractions  inno- 
centes, celles  que  procuraient  à  des  compagnes 
de  dix,  de  vingt,  de  cinquante  ans,  le  cuisinier 
de  quelque  abbesse  un  peu  gourmande?  N'y 


96  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

avait-il  pas  assez  de  quinze  ou  vingt  matrones 
pour  surveiller  ces  actrices  de  seize  ans  qui  ne 
trouvaient  pas  le  spectacle  à  leur  goût  s'il  ne 
se  terminait  par  des  tartes  et  des  rondes? 
Pauvres  enfants,  elles  auraient  peut-être  pu 
supprimer  quelques  gavottes  ;  elles  ont  peut- 
être  trop  joué  Athalie  devant  les  messieurs  du 
voisinage.  Ce  furent  là  leurs  plus  grands  torts.  » 
Leurs  plus  grands  torts  !  Il  ne  faudrait  pas 
jurer  que  certaines  chanoinesses  n'en  eussent 
jamais  eu  à  se  reprocher  de  plus  graves.  On 
n'affirmera  pas  ici  (à  quoi  bon  vraiment?)  que 
la  coquetterie  ait  perdu  tous  ses  droits  dans  le 
cœur  et  dans  la  tête  de  toutes  les  chanoinesses, 
ni  môme  que  l'amour,  dieu  malin,  n'ait  pas  su, 
au  travers  des  grilles,  jeter  çà  et  là  des  flèches 
dont  les  blessures  ne  se  fermèrent  pas  toujours 
sous  l'influence  d'un  baume  bien  légitime. 
Dans  un  siècle  si  fort  adonné  au  libertinage 
élégant,  le  goût  de  la  galanterie  devait  forcer 
jusqu'aux  portes  des  maisons  canoniales.  Que 
des  intrigues  se  soient  nouées  sous  les  ombrages 
de  Remiremont,  de  Bourbourg,  de  Neuville,  de 
l'Argentière  ou  de  Salles,  intrigues  dont  le 
dénouement  laissait  à  désirer  au  point  de  vue 
moral,  il  se  peut;  que  des  «  étourderies  »,  pour 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         97 

parler  comme  Lamartine,  aient  été  commises, 
il  est  probable.  Mais  rien  n'autorise  à  dire  ni 
à  penser  que  ces  intrigues  ou  ces  «  élourde- 
ries  »,  comme  on  voudra  les  appeler,  aient  été 
fréquentes,  encore  moins  qu'elles  suffisent  à 
entacher  l'honorabilité  de  femmes  dont  beau- 
coup furent  de  véritables  saintes  et  dont  la 
plupart  vécurent  simplement,  modestement, 
dans  la  pratique  des  vertus  communes  et  selon 
les  principes  de  l'éducation  la  plus  parfaite.  En 
faisant  des  chanoinesses  les  héroïnes  de  tant  de 
petits  contes  polissons,  la  littérature  se  divertit 
aux  dépens  de  la  vérité  et  fait  la  nique  à  l'his- 
toire. 

Si  la  galanterie  n'abdiquait  pas  entièrement 
dans  les  chapitres  nobles,  l'esprit  de  cabale 
aurait  eu  plutôt  tendance  à  s'y  aggraver.  Ce 
penchant  dont  tout  être  humain  porte  en  soi  le 
germe,  et  qui,  dit-on,  s'exaspère  dans  les 
cloîtres,  gardait  bien  de  la  virulence  encore  au 
sein  de  ces  demi-monastères  où  les  charges 
étaient  électives.  L'écho  des  dissensions  intes- 
tines auxquelles  donnaient  lieu  ces  élections 
parvenait  rarement  au  dehors,  et  nous  man- 
querions de  renseignements  précis  sur  ce  point 
.si  nous  n'avions  comme  exemple  les  divisions 

6 


98  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

profondes  que  creusa  à  Remiremont  l'ëlection 
d'une  simple  dame  secrète,  autrement  dit,  d'une 
sacristine.  En  1782,  Marie-Christine  de  Saxe 
étant  abbesse,  le  chapitre  se  partagea  en  deux 
et  donna  un  nombre  de  voix  égales  à  madame 
de  Montjoye  et  à  madame  de  Ferrette.  On  se 
défendit  de  part  et  d'autre  avec  une  telle  cha- 
leur, que  les  deux  partis  échangèrent  trente 
factums  dont  quelques-uns  ont  cent  cinquante 
pages!  La  nomination  de  madame  de  Montjoye 
fut  enfin  déclarée  nulle,  mais  l'histoire  ne  dit 
pas  si  cette  décision  ramena  le  calme  dans  les 
esprits'. 

Elles  avaient  eu  de  meilleures  occasions  de 
montrer  leur  énergie.  Gomme  beaucoup  d'ab- 
bayes, Remiremont  avait  souvent  souffert  des 
guerres  dont  les  pays  de  l'Est  étaient  le  théâtre. 
En  1633,  malgré  leur  désir  de  rester  neutres 
dans  la  lutte  entre  Charles  de  Lorraine  et  la 
France,  les  chanoinesses  se  virent  entraînées 
au  plus  fort  de  la  bagarre.  Richelieu,  craignant 
qu'elles  ne  favorisent  les  révoltés  de  Lorraine, 
leur  envoie  le  gouverneur  d'Epinal,  M.  de  la 
Huchette,    avec   douze  cents   hommes.    Mais 

1.  Didelot  :  Remiremont,  op.  cil. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES         99 

(le  Ville,  gouverneur  de  Remiremont,  n'entend 
pas  capituler  sans  combat.  Et  voilà  les  chanoi- 
nesses  courant  par  la  ville,  excitant  les  soldats 
à  la  défense,  portant  des  bois,  jetant  des  fas- 
cines, gâchant  le  mortier.  Leur  exemple  entraîne 
femmes  et  filles  de  la  cité.  Du  haut  des  rem- 
parts l'abbesse,  madame  Catherine  de  Lorraine, 
encourage  les  dames  et  assiste  à  la  bataille. 
Fort  heureusement,  M.  de  la  Huchette,  redou- 
tant de  voir  arriver  des  troupes  fraîches  sur  ses 
derrières,  s'éloigne  en  hâte,  et  aussitôt,  les  cha- 
noinesses  désireuses  de  reprendre  leur  vie  tran- 
quille, s'adressent  à  Louis  XIII  qui  accorde 
la  neutralité  aux  villes  de  Remiremont,  Epinal, 
Saint-Dié,  etc.,  etc.'. 

Remiremont  avait  l'habitude  de  ces  faits 
guerriers.  Attaquée  en  1595  par  les  bandes 
que  commandait  le  sire  de  Tremblecourt,  on 
vit  l'abbesse  Barbe  de  Salm,  vieille  et  infirme, 
se  faire  transporter  sur  les  remparts,  afin  d'in- 
citer les  habitants  à  la  défense  de  leur  ville. 

Tandis  que  nombre  de  chanoinesses  passent 
ainsi  leur  temps  à  susciter  de  petites  machina- 
tions  à   propos    d'une    obtention   de    charge, 

1.  Le  chapitre  de  Remiremont,  op.  cil. 


100        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

tandis  que  d'autres  se  gendarment  contre  une 
abbesse  qui  prétend  leur  imposer  le  retour  à 
des  règles  plus  sévères  *,  d'autres  encore  se 
livrent  aux  douceurs  de  la  poésie.  Il  y  a 
cinq  dames  de  Monspey  à  Remiremont  au 
xviii^  siècle.  Toutes  les  cinq  sacrifient  aux 
Muses  et  l'une  d'elles  collabore  même  au 
journal  le  Mercure  français,  sous  le  pseudo- 
nyme d'Annette  -. 

Les  chapitres  se  modernisent.  Ouverts 
comme  ils  sont  à  tous  les  bruits  du  monde, 
ils  ne  peuvent  se  fermer  aux  idées  à  la  mode. 
A  peine  échappent-ils  aux  passions  qui  gron- 
dent. Bien  des  chanoinesses  se  laissent  griser 
comme  d'autres  femmes  par  les  promesses 
vagues,  par  les  théories  alléchantes  qui  com- 
posèrent le  prélude  sentimental  d'une  révolu- 
tion sanglante.  A  ce  titre,  la  lettre  suivante  est 
curieuse  :  «  Gardez-vous,  cousine,  écrit  ma- 
dame de  Chabon,   prieure   de  Saint-Antoine, 

1.  Elle  avait  supprimé  des  abus,  l'admission  des  personnes 
séculières  dans  le  chœur,  l'élrange  habitude  do  conduire  en 
procession,  le  jour  des  Palmes,  la  figure  du  Christ  montée 
sur  un  âne,  etc.  Mais  quand  elle  voulut  imposer  des  règles 
plus  strictes,  elle  se  heurta  à  une  telle  opposition,  qu'elle 
dut  quitter  l'abbaye  et  se  retirer  à  Nancy,  où  elle  fonda  un 
monastère  plus  conforme  à  l'austérité  de  ses  mœurs. 

2.  Marquise  de  Monspey  :  Lettres  royales  inédites. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES       lOl 

gardez-vous  de  dire  du  mal  du  Tiers.  Il  fait 
toute  notre  gloire  en  ce  moment.  On  vous  a 
mal  instruit.  C'est  le  clergé  et  une  partie  de 
la  noblesse  qui  ont  failli  à  amener  une  scis- 
sion, etc.,  etc.  '  » 

Généreuse  illusion  qui  ne  va  pas  tarder  à 
recevoir  des  événements  un  rude  démenti. 
L'heure  approche,  en  effet,  où  de  singuliers 
apôtres  de  la  liberté  viendront  inventorier  les 
chapitres,  interroger  les  chanoinesses,  s'ef- 
forcer de  tirer  d'elles  l'aveu  tant  espéré  qu'elles 
ne  sont  là  que  par  contrainte,  et  devant  leur 
réponse,  partout  identique,  «  qu'elles  sont  au 
chapitre  de  leur  plein  gré  et  qu'elles  espèrent 
y  vivre  et  y  mourir  »,  s'éloigner  furieux  et 
menaçants.  Ces  hommes  d'ailleurs  ne  font 
qu'en  précéder  d'autres  qui,  tout  à  l'heure, 
s'empareront  purement  et  simplement  des  bâti- 
ments des  chapitres,  des  maisons  construites 
par  les  chanoinesses  de  leurs  propres  deniers, 
et  les  vendront  à  l'encan.  Quand  les  officiers 
municipaux  arrivent  à  Salles,  la  prieure,  ma- 
dame de  Ruffey,  essaye  bien  de  leur  expliquer 

1.  Lettre  du  17  janvier  1789,  de  madame  de  Ghaboo  à  la 
marquise  de  Leusse,  citée  par  le  baron  de  Leusse  :  Vie  du 
marquis  de  Leusse,  op.  cit. 

0. 


102         FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

que  les  chanoinesses  «  ont  employé  tous  leurs 
biens  à  faire  construire  les  maisons  qui  les 
abritent,  et  qu'en  conséquence,  elles  ont  sur 
ces  maisons  un  droit  que  la  justice  et  la  nation 
ne  sauraient  méconnaître.  »  La  justice  et  la 
nation!  Les  officiers  municipaux  durent  bien 
rire*...  Tout  fut  vendu,  ou  presque.  Quelques 
maisons  restèrent  sans  acquéreur,  et,  la  tour- 
mente passée,  les  chanoinesses  à  qui  apparte- 
naient ces  maisonnettes  invendues  vinrent  s'y 
blottir  à  nouveau,  manquant  de  tout,  n'ayant 
plus  même  les  meubles  indispensables  et 
réduites  à  accepter  les  secours  que  leur  don- 
naient les  gens  du  voisinage. 

On  eût  pu  épargner  ces  pauvres  femmes, 
semble-t-il,  et  leur  présence  au  fond  de  chapi- 
tres qu'avait  singulièrement  assombris  la  chute 
de  la  monarchie,  ne  devait  pas  fah'e  courir 
grand  risque  à  la  république  triomphante.  Le 
peuple,  au  nom  duquel  on  parlait  sans  cesse, 
mais  que  l'on  consultait  fort  peu,  ne  deman- 
dait point  que  les  dames  chanoinesses  fus- 
sent chassées .  Il  se  souvenait  qu'elles  étaient 

1.  Même  protestation  fort  digne  à  Neuville,  de  la  part  de 
l'abbesse,  madame  de  Charbonnier,  et  des  autres  dames, 
qui  déclarent  ne  céder  qu'à  la  force. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES        103 

bonnes,  paisibles,  point  dures  avec  les  tenan- 
ciers de  leurs  terres,  et  que  leur  charité  s'éten- 
dait libéralement  aux  alentours  du  chapitre. 
L'année  était-elle  mauvaise,  l'abbesse  de  Mau- 
beuge  faisait  remise  aux  fermiers  des  four- 
rages. En  temps  de  disette,  elle  envoyait  aux 
halles  de  la  ville,  blé,  viandes,  charbon,  pour 
y  être  vendus  à  prix  réduit  ^  A  Lavesne,  tous 
les  jeudis,  une  grande  table  est  dressée  dans 
la  cour  d'honneur  du  monastère,  et  tous  les  pau- 
vres, les  miséreux,  tous  ceux  qui  ont  faim, 
peuvent  venir  s'y  rassasier.  Les  chanoinesses 
président  elles-mêmes  à  ces  repas  -.  Quoique 
peu  riches,  le^  dames  de  Salles  ne  manquent 
pas  de  faire  des  distributions  quotidiennes  de 
pain  et  de  viande,  parfois  de  vêtements.  A  2Seu- 
ville,  elles  font  «  des  charités  considérables  ^  ». 
11  en  est  de  même  partout,  et  la  municipalité 
de  Remiremont  adresse  des  remontrances  à 
l'Assemblée  nationale  au  sujet  de  la  fermeture 
du  chapitre,  «  qui  procure  aux  habitants  de  la 
montagne  la  plus   grande   partie    des    grains 


1.  Histoire  religieuse  de  Maubeuge,  op.  cit. 

2.  Un  chapitre  de  chanoinesses,  op.  cit. 

3.  Histoire  du  prieuré  de  Neuville,  op.  cit. 


lOi         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIEXXES 

qu'ils  consomment,  à  des  prix  modiques  et  le 
plus  souvent  à  crédit  \  » 

L'intérêt  supérieur  de  la  nation  exigeait  pro- 
bablement la  suppression  des  chapitres  nobles, 
car,  en  dépit  des  protestations  des  braves  gens 
qui,  vivant  près  des  chanoinesses,  avaient 
appris  à  les  connaître  et  appréciaient  leurs 
bienfaits,  elles  furent  expulsées  de  ces  petites 
maisons  qu'elles  avaient  construites  ou  dont 
elles  avaient  hérité  et  qu'elles  s'étaient  plu  à 
orner,  à  décorer  du  travail  de  leurs  mains. 

La  plupart  retournèrent  dans  leur  famille  et 
partagèrent  avec  elles  les  destinées  que  leur 
réservaient  les  événements.  Beaucoup  périrent 
surl'échafaud.  Quelques-unes,  comme  madame 
de  Chalus,  moururent  du  saisissement  que 
leur  causa  la  dissolution  de  leur  ordre  ^.  Il 
en  est  même  qui  s'enthousiasmèrent  pour  la 
Révolution.  On  imagine  que  celles-ci  furent 
rares.  Du  moins  en  connaît-on  une,  madame 
de  Ligniville,  celle  que  nous  avons  vue  se 
jeter  dans  un  puits  chez  madame  de  Vichy,  à 
Lavesne.  Toujours  exaltée,  quand  le  chapitre 
fut  fermé,  elle  vint  à  Paris,  fréquenta  les  clubs, 

1.  Remiremont,  op.  cit. 

2.  Un  chapitre  de  chanoinesses,  op.  cit. 


LES    CHAPITRES    NOBLES    DE    FILLES        105 

pérora,  et  écrivit  des  extravagances  en  faveur 
de  ceux  qui  allaient  tuer  la  reine,  sa  cousine 
et  sa  bienfaitrice.  Elle  finit  par  épouser  un 
maître  d  école  et  sombra  dans  l'oubli  *. 

Vers  la  fin  du  règne  de  Louis-Philippe,  on 
rencontrait  encore,  dans  quelques  salons  de 
Paris  ou  de  province,  d'anciennes  chanoinesses. 
Elles  étaient  partout  l'objet  du  respect  le  plus 
profond,  mais  aussi  d'une  curiosité  dont  on  se 
défendait  mal.  Elles  représentaient  une  époque 
qui  semblait  si  lointaine,  si  lointaine  !  C'est  à 
peine  si  on  ne  les  considérait  point  avec  l'éton- 
nement  un  peu  craintif  que  susciterait  l'appa- 
rition de  personnes  revenant  de  l'autre  monde. 
Elles  avaient  conservé  les  manières  de  la  cour 
et  le  ton  de  la  meilleure  compagnie  du 
XVI II"  siècle,  causaient  avec  esprit,  gardaient 
de  leur  passage  au  chapitre  une  certaine  réserve 
un  peu  hautaine  et  s'accommodaient  assez  mal 
des  usages  nouveaux.  Leur  fidélité  au  passé 
les  rendait  peu  indulgentes  pour  le  présent. 
Si  quelques-unes  avaient  eu  des  illusions  à 
l'aurore  de  la  Révolution,  elles  en  étaient  bien 
revenues.  Les  hommes  qui  avaient  tué  le  roi, 
bouleversé  les  rangs  sociaux,  fermé  leurs  cha- 

I.  Un  chapitre  de  chanoinesses,  op.  cit. 


106         FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

pitres,  ne  pouvaient  être  que  les  suppôts  de 
Satan  !  N'avaient-elles  pas  un  peu  le  droit  de 
les  maudire,  ces  hommes  qui  les  avaient  brus- 
quement jetées  hors  des  asiles  qu'elles  s'étaient 
choisis,  qui  s'étaient  emparés  de  leurs  maigres 
biens,  les  avaient  vendus  au  plus  offrant,  ou, 
ne  pouvant  les  vendre,  les  avaient  dispersés 
ou  détruits?  De  quel  regard  devaient-elles 
voir  les  broussailles  et  les  ronces  pousser  dru 
sur  ces  lieux  qui  avaient  été  Alix,  Bourbourg, 
Neuville  !  Pour  pardonner  ces  destructions 
inutiles  et  sauvages,  il  eût  fallu  être  des 
saintes.  Et  les  chanoinesses  n'étaient  pas 
—  toutes  —  des  saintes... 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES 


L'idée  ne  m'est  pas  venue,  un  instant,  je 
l'avoue,  de  retracer,  fût-ce  sommairement, 
l'histoire  des  abbayes  de  femmes.  J'ignore  si 
cette  tâche  colossale  a  été  entreprise.  Il  existe 
de  nombreuses  monographies  de  couvents  et 
d'abbayes,  mais  un  travail  d'ensemble,  sur  un 
sujet  aussi  vaste,  absorberait  la  vie  entière  de 
l'homme  assez  téméraire  pour  le  tenter  et  peu 
de  personnes,  sans  doute,  auraient  la  patience 
de  le  lire.  Car,  si  l'on  sait  bien  qu'il  y  a  des  bé- 
nédictins capables  d'écrire  de  puissants  in- 
folios sur  les  questions  les  plus  graves  et  les 
plus  rébarbatives,  on  connaît  moins  de  béné- 
dictins parmi  les  lecteurs. 


108         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIE.XXES 

La  genèse  de  la  présente  étude  est  très 
modeste.  C'est  en  cherchant  un  peu  partout 
des  renseignements  sur  les  chanoinesses  des 
chapitres  nobles  que  peu  à  peu  je  me  suis  sur- 
pris à  jeter  un  regard  peut-être  indiscret  dans 
les  abbayes  et  dans  quelques  couvents  dont  la 
vie  intérieure  nous  est  révélée  en  partie  par 
des  documents  d'archives. 

Ne  s'agissant  ici  que  d'une  rapide  incursion 
dans  cette  vie  intime,  j'ai  dû  passer  presque 
sans  m'y  arrêter  sur  la  fondation  des  abbayes, 
m'interdire  toute   réflexion   sur    le  rôle    que 
plusieurs  d'entre  elles  ont  joué  et  laisser  tout 
à  fait  à  l'écart  leur  histoire  politique  et  sociale, 
me   bornant  à   suivre   les    abbesses   et   leurs 
ouailles  dans  le  petit  traintrain  de  leur  exis- 
tence quotidienne.  Pour  atteindre  ce  but  avec 
quelque  chance   de  véracité,   j'ai  volontaire- 
ment renoncé,  dans  la  plupart  des  cas,  à  uti- 
liser les   monographies   dont  je  parlais  plus 
haut,  m'en  tenant  aux   pièces   originales  qui 
fournissent  d'ailleurs  une  abondante  moisson. 
J'aimerais  que  l'on  consentît  à  me  suivre  au 
fond  de  ces  cloîtres  mieux  clos  que  ceux  des 
chapitres  nobles,  mais  où,  malgré  tout,  la  vie 
religieuse  est   encore  troublée  par    bien  des 


DANS    LES    ABBAYES     DE    FEMMES  109 

querelles,  bien  des  préoccupations  qui  ne  sont 
pas  toujours  d'essence  évangélique.  Moyen- 
nant quoi,  ces  abbayes,  dont  l'historique  devrait 
offrir  une  lourde  monotonie  peuvent,  au  con- 
traire, faire  l'objet  d'un  tableau  assez  vivant 
où  les  faits,  qui  seuls  parleront,  se  chargent 
de  mettre  les  tons  et  les  couleurs.  Mais  n'ou- 
blions pas  que  ces  intérieurs  de  couvents, 
ainsi  que  l'a  très  bien  dit  Sainte-Beuve,  s'ac- 
commodent mal  du  grand  jour  et  qu'il  y  faut 
pénétrer  beaucoup  et  y  habiter  longtemps 
pour  s'y  intéresser  un  peu. 


Abbayes  de  femmes  en  1768  et  en  1788.  —  Leur  fon- 
dation. —  Illustrations  de  leurs  fondateurs  et  de 
leurs  bienfaiteurs.  —  Héloïse  à  Paraclet.  —  Beauté 
architecturale  des  abbayes,  —  Les  grains  du  cha- 
pelet. —  Règles  de  saint  Benoît  et  de  saint  Augustin. 

—  Gouvernement.  —  Le  chapitre  souverain.  —  L'ab- 
besse,  en  réalité,  est  la  maîtresse  à  peu  près  absolue. 

—  Privilèges  de  la  fonction.  —  Ces  fonctions  réser- 
vées aux  filles  de  haute  noblesse  et  aux  princesses 
du  sang.  —  Avoir  une  abbaye  constitue  une  grosse 
affaire.—  Intrigues  pour  obtenir  la  crosse  abbatiale. 

—  Mademoiselle  d'Aulan  et  sa  tante  du  Deffand.  — 
Nécessité  de  caser  les  filles. 


Il  existait  en  France,  lors  de  l'édit  de  1768, 
deux  cent  trente-neuf  abbayes  de  femmes,  y 
compris  les    chapitres    nobles.   En    1788,    ce 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    111 

nombre  avait  passé  à  deux  cent  quarante-quatre. 
Toutes  ces  abbayes  étaient  dites  «  de  nomina- 
tion royale»,  parce  que,  ainsi  que  je  l'ai  exposé 
déjà,  le  roi  en  nommait  l'abbesse.  Il  y  avait 
encore  quelques  abbayes  «  en  règle  »  où  le 
droit  d'élection  s'était  conservé.  Quant  aux 
simples  couvents,  dont  j'aurai  d'ailleurs  peu  à 
m'occuper,  ils  étaient  innombrables  et  la  statis- 
tique en  serait  dénuée  d'intérêt. 

La  fondation  de  ces  abbayes  remontait  sou- 
vent aux  époques  les  plus  reculées.  Ceci 
n'était  point  indifférent.  Les  religieuses  se 
montraient  très  justement  tlères  de  l'ancien- 
neté de  leurs  monastères  et  y  attachaient  un 
prix  au  moins  égal  à  celui  que  les  gens  de  no- 
blesse attachaient  à  l'antiquité  de  leur  race.  Un 
couvent  fondé  en  1207,  comme  l'Abbaye-au- 
Bois,  en  1260,  comme  Longchamps,  considé- 
raient de  haut  et  avec  quelque  pitié  ceux  qui 
ne  dataient  que  du  xvi*  ou  du  xvii*  siècle. 

L'illustration  du  fondateur  ou  de  la  fonda- 
trice n'était  pas  non  plus  un  mince  sujet  d'or- 
gueil. Il  arrivait  que  tel  couvent  obscur  malgré 
son  ancienneté  devînt  tout  à  coup  fameux,  de 
par  la  protection  d'un  personnage  de  marque. 
Ainsi  en    fut-il  pour   le    Val-de-Gràce.  Cette 


112         FILLES    NOBLES     ET    MAGICIEXNES 

abbaye,  établie  depuis  le  ix'  siècle  dans  une 
vallée  près  de  Bièvre-le-Ghâtel,  était  demeurée 
fort  inconnue  jusqu'au  jour  où  la  reine  Anne 
d'Autriche  payant  de  ses  deniers  les  36.000  livres 
que  l'on  demandait  aux  religieuses  pour  un 
terrain  à  Paris,  se  déclara  leur  protectrice.  On 
sait  ce  qu'il  advint.  Leur  église  obtint  le  privi- 
lège de  porter  les  armoiries  de  France  et  d'in- 
humer les  cœurs  des  princes  de  la  famille 
royale.  C'était  la  célébrité!  Sans  compter  que 
cette  église,  c'est  Mansard  qui  la  bâtit.  Un  peu 
de  la  gloire  du  couvent  rejaillit  ainsi  sur  toute 
la  France. 

Si  l'Abbaye-au-Bois  se  peut  flatter  d'avoir 
eu  pour  fondatrice  Charlotte  de  Bavière,  du- 
chesse d'Orléans,  n'est-ce  donc  rien  pour  un 
monastère  que  d'avoir  été  créé  par  Abeilard, 
et  d'avoir  été  gouverné  par  Héloïse,  comme  le 
fut  Paraclet? 

Rappellerai-je  les  noms  des  abbayes  les  plus 
célèbres?  Qui  n'a  entendu  parler  de  Fonte- 
vrault,  de  Chelles,  de  Jouarre?  Qui  n'a  lu 
quelque  récit  concernant  Panthémont,  Long- 
champs,  Bellechasse?  Port-Royal  n'a-t-il  pas 
fait  l'objet  de  toute  une  littérature?  L'abbaye 
de  Montmartre,  celles  de  Montmirault,  de  Gif, 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    113 

de  Saint-Louis  de  Poissy,  de  Faremouliers,  de 
la  Déserte,  de  Jumièges,  deBomport,  de  Beau- 
mont-les-Tours  ne  sont  pas  moins  renommées. 
Par  la  beauté  et  la  richesse  de  leur  architec- 
ture comme  par  la  grandeur  de  leur  passé, 
elles  faisaient  partie  de  ce  patrimoine  national 
dont  on  souhaiterait  que  jamais  une  parcelle, 
si  mince  soit-elle,  n'eût  été  distraite.  Ces 
admirables  joyaux  de  pierre,  où  les  saintes 
fondatrices  avaient  laissé,  semblait-il,  quelque 
chose  de  leur  àme  pieuse,  s'échelonnaient  sur 
le  territoire  de  la  France,  élevant  au  sommet  des 
collines  ou  dans  le  fond  des  vallées  ombreuses 
leurs  murailles  pacifiques  et  leurs  clochers 
ajourés.  C'était,  par  tout  le  pays,  comme  un 
chapelet  de  prières  muettes  dont  les  grains, 
sertis  avec  un  art  délicat  et  fervent,  eussent 
été  les  fleurs  mystiques.  La  main  brutale  des 
hommes,  la  main  lourde  du  temps  ont  brisé 
peu  à  peu  les  chaînes  adorables.  Un  à  un,  les 
grains  se  sont  détachés,  emportant  chaque  fois 
avec  eux  un  peu  de  notre  croyance  et  de  nos 
rêves...  De  toutes  ces  dentelles  architecturales 
qui  paraient  nos  campagnes  et  nos  cités,  les 
mines,  majestueuses  encore,  demeurent  l'uni- 
que témoignage.  La  mort,  souveraine  taciturne. 


114         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

règne  seule  en  ces  lieux  d'où  montaient  jadis 
vers  le  ciel  les  chants  liturgiques  de  vie... 

Etablis  selon  les  règles  de   saint  Benoît  ou 
de  saint  Augustin,   les    statuts  qui  régissaient 
les  abbayes  ne  laissaient  pas  d'être  fort  sévères. 
Mais  il  est  à  supposer  qu'un  certain  relâche- 
ment dans  la  discipline  ne  tarda  pas  à  se  pro- 
duire, car,  dès  le  xii"  siècle,  il  n'est  bruit  dans 
le  monde   ecclésiastique    que   de    réformes  à 
opérer  en  vue  de  forcer  les  religieuses  à  rentrer 
dans  la  stricte  observance.  Les  protestations 
des  évêques   et  des  légats  contre  les  libertés 
que  prennent  la  plupart  des  monastères  sont 
aussi  fréquentes,  aussi  véhémentes  au  Moyen 
âge  qu'elles  pourrontl'être  en  plein  xviii^siècle. 
De  tout  temps,  les  prédicateurs,  à  commencer 
par  saint   Grégoire  de  Nazianze,    ont  fulminé 
contre  les  mœurs  de  leur  époque.  Et,  sans  doute, 
n'avaient-ils  pas  tort.  On  imagine  assez  bien,  en 
effet,  que  les  mœurs  n'ont  ni  gagné  ni  perdu, 
depuis  que  le  monde  est  monde  et  que,  à  des 
détails  près,  la  moralité  ne  s'est  modifiée  en 
bien  ou  en  mal  que  dans  la  mesure  où  nous 
nous   plaisons  à  la  considérer  sous  l'angle  de 
nos  préjugés,  des  conventions  et  de  nos  illu- 
sions du  moment. 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    115 

Quoi  qu'il  en  soit,  dès  la  fondation  des  monas- 
tères, un  règlement  intervint,  fixant  d'une 
manière  fort  précise,  les  titres,  prérogatives, 
fonctions  et  droits  attribués  à  chaque  membre 
de  la  communauté  religieuse. 

Cette  communauté  est  gouvernée  adminis- 
trativement  par  un  chapitre  composé  de  la 
prieure  ou  abbesse,  de  la  sous-prieure,  de  la 
trésorière,  de  la  sacristine,  auxquelles  se  join- 
dront plus  tard  la  coadjutrice  et  la  première 
maîtresse  de  pension  dans  les  maisons  qui 
accepteront  des  élèves. 

Le  chapitre,  souverain  en  certaines  matières, 
ne  se  réunit  en  fait  que  rarement.  Il  s'occupe 
des  baux,  des  fermages  ;  l'abbesse  l'appelle 
aussi  pour  délibérer  au  sujet  de  fondations 
pieuses.  Ainsi  voit-on  les  dames  de  Panthé- 
mont  s'assembler  en  chapitre  solennel  en  vue 
de  décider  de  la  fondation  d'une  messe  chantée, 
tous  les  ans,  le  jour  de  Sainte-Glotilde,  en  com- 
mémoration des  bienfaits  que  le  couvent  a  reçus 
du  roi.  La  dernière  assemblée  dont  le  registre 
capitulaire  de  Panthémont  fasse  mention,  est 
celle  du  2  mars  1789,  au  cours  de  laquelle 
le  chapitre  nommait  M.  Jean  de  Clermetz  de 
Lamerie,    prêtre  de    l'église    de    Beauvais,  à 


116         FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

l'effet  de  le  représenter  à  l'assemblée  des  trois 
ordres  et  de  concourir  avec  lui  à  la  rédaction 
du  cahier  des  plaintes,  doléances  et  remon- 
trances K    , 

En  réalité,  l'abbesse  est  maîtresse  absolue 
dans  son  petit  royaume,  dont  les  habitantes 
sont  partagées  en  religieuses  professes  du 
chœur,  converses,  novices  ou  postulantes. 

Je  ne  reviendrai  pas  sur  la  situation  des 
abbesses.  On  a  vu  combien  celle-ci  était  consi- 
dérable et  considérée.  Le  récit  suivant  en  don- 
nera une  nouvelle  et  éclatante  preuve.  Il  s'agit 
de  l'intronisation  d'une  abbesse  de  Fonte- 
vrault,  Madeleine  Gabrielle  de  Rochechouart. 
«  La  princesse  Jeanne-Baptiste  de  Bourbon,  la 
reine,  Monsieur,  Mesdemoiselles  les  Princesses 
et  Messieurs  les  Princes  assistaient  à  la  céré- 
monie de  l'installation  à  laquelle  présidait  mon- 
seigneur Harlay  de  Ghampvallon.  Le  cardinal  de 
Bouillon  et  le  nonce  étaient  également  présents 
à  cette  cérémonie  qui  eut  lieu  au  couvent  des 
Filles-Dieu,  une  des  maisons  de  l'ordre.  Ma- 
dame de  Rochechouart  était  la  première  abbesse 
qui  eût  été  bénie  à  Paris.  Les  religieuses  de 

1.  Arch.  nat.  LL.  1C07. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  117 

l'ordre  alors  en  cette    ville  vinrent  baiser    la 
main  gantée  de  l'abbesse,  puis  les  religieuses 
professes,  les  sœurs  laies  et  enfin  les  officiers 
domestiques.  Elle  partit  au  mois  de  mars  pour 
Fontevrault.  On  lui  rendit  toutes  sortes  d'hon- 
neurs sur  la  roule,  et  toutes  les  communautés 
et  les  magistrats  des  lieux  où  elle   passait,  la 
haranguèrent.  Lorsqu'elle  arriva  à  Fontevrault, 
plus  de  dix  mille  étrangers  accoururent  de  toutes 
parts  et  auraient  rendu  la  fête  fort  tumultueuse 
sans  le  bon  ordre  qu'on  y  apporta.  A  Orléans, 
elle  avait  failli  être  étouffée  par  la  multitude  '.  » 
La  charge  d'abbesse  est  d'ordinaire  réservée 
à  des  femmes  de  haute  naissance.  On  ne  compte 
pas  les  princesses  de  sang  royal  qui  gouver- 
nèrent des  monastères,  quelques-unes  en  véri- 
tables saintes,  comme  Ysabel  de  France,  sœur 
de    saint    Louis,    fondatrice    de   Lonchamps  ; 
quelques-unes  en  grandes   politiques,  comme 
Jeanne  de  Lorraine,  abbesse  de  Jouarre  ;  quel- 
ques autres  d'une  manière  beaucoup  plus  mon- 
daine   et  même    un   peu    inquiétante,  comme 
madame  de  Chartres,  abbesse  de  Chelles.  Der- 


1.  Relation  manuscrite  :  Abrégé  des  i~ies  de  mesdames  les 
abbesses  de  Fontevrault.  Arch.  nat.,  L.  1019,  dossier  5, 
pièce  4. 


118         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

rière  ces  princesses,  toute  la  noblesse  de  France 
s'évertue  à  obtenir  des  abbayes  pour  les  trop 
nombreuses  filles   que  les   duretés    de    la  vie 
écartent  du  mariage.    Le   profit  matériel   est 
médiocre.  Nous  aurons  l'occasion  de  constater 
tout  à  l'heure  combien  rares  étaient  les  abbayes 
pourvues  de  revenus   importants.   Mais  l'hon- 
neur était  grand.  Cela   suffisait    pour  que  le 
sceptre  d'abbesse  fût  recherché  avec  une  sin- 
gulière âpreté.  A  Longchamps,  voici  Jeanne 
des  Essarts,  Jacqueline  de  Mailly,  madame  de 
Bellièvre,  Agnès  d'Harcourt.';,\'^oici,  à  l'Abbaye- 
au-Bois,  des  Harlay,  des  Richelieu,  des  Cha- 
brillan,   des  Mézières.   Une    Beauvilliers,  une 
Rochechouart,    une    La    Rochefoucauld,   une 
Montmorency  tiennent  tour  à   tour   la  crosse 
abbatiale  de  Montmartre.   Des    Scépeaux,  des 
Soyecourt,   des  Ghabannes,    des    Virieu,    des 
Rohan,  des   Boufflers   régnent  à  la  Vaisin,  à 
Panthémont,  à  Sainte-Geneviève  de  Chaillot,  à 
Port-Royal,  à  Gonflans  et  ailleurs.  Faut- il  citer 
mademoiselle  de    Beauvilliers    qui,    en    cette 
abbaye  de  la  Joie,  si  bien  nommée,  ne  donnait 
pas  l'exemple  de  la  vertu,  et  mademoiselle  de 
Séry  qui,  au  contraire,  édifia  les  religieuses  de 
Gomerfontaine? 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    119 

A  dresser  la  liste  des  abbesses  on  épuiserait 
l'armoriai. 

Il  va  sans  dire  que,  seules,  les  abbayes  de 
nomination  royale  sont  ainsi  recherchées. 
Dans  les  autres,  en  effet,  depuis  1631,  l'auto- 
rité ecclésiastique  a  établi  une  règle  dite  du 
triennat,  par  laquelle  les  abbesses  sont  tenues 
de  remettre  leurs  pouvoirs  entre  les  mains  du 
supérieur  au  bout  de  trois  années  de  fonction. 
Elles  peuvent  être  réélues,  il  est  vrai,  mais 
aux  difficultés  que  les  abbesses  soulèvent  par- 
fois avant  de  se  soumettre  à  ce  règlement,  il 
est  facile  de  voir  que  cette  réélection  n'est  pas 
toujours  assurée.  Dans  les  abbayes  royales,  au 
contraire,  Tabbesse,  nommée  par  le  roi,  con- 
serve sa  charge  sa  vie  durant,  sauf  des  excep- 
tions peu  nombreuses  et  des  circonstances 
extraordinaires. 

Avoir  une  abbaye  constitue  donc  une  grosse 
affaire.  Pour  la  réussir,  cette  affaire,  ce  n'est 
pas  trop  d'y  intéresser  ses  parents,  ses  amis, 
tout  ce  qui,  de  près  ou  de  loin,  peut,  à  l'heure 
décisive,  vous  être  d'un  secours  quelconque 
soit  auprès  du  roi,  soit  auprès  de  l'évêque  dé- 
tenteur de  la*  feuille  des  bénéfices. 

Quand  la  marquise  d'Aulan  se  met  en  tête 


120         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

d'obtenir  une  abbaye  pour  sa  fille  aînée,  reli- 
gieuse bénédictine,  elle  met  le  monde  entier  à 
contribution.  Par  sa  sœur  du  Deffand,  par  sa 
cousine,  la  duchesse  de  Luynes,  elle  a  des  ap- 
puis à  Paris;  par  l'évéque  de  Dax,  elle  pense 
tenir  le  clergé.  Il  faut  voir  comme  elle  harcèle 
les  gens.  Dans  cette  louable  tâche,  elle  apporte 
plus  de  zèle  que  d'adresse.  En  bonne  provin- 
ciale, elle  multiplie  les  impairs,  ce  qui  lui  at- 
tire des  semonces  de  la  part  de  madame  du 
Deffand  visiblement  énervée.  Un  jour  qu'elle 
s'est  avisée  d'écrire  directement  à  madame  de 
Ghoiseul,  madame  du  Deffand  lui  fait  ces 
aigres  remontrances  :  «  Je  suis  bien  fâchée, 
ma  chère  sœur,  d'avoir  à  vous  dire  des  choses 
qui  ne  vous  seront  pas  agréables.  Je  fus  voir 
hier  madame  de  Ghoiseul;  elle  m'apprit  qu'elle 
recevait  constamment  de  vos  lettres...  Songez, 
ma  chère  sœur,  que  vous  ne  connaissez  point 
madame  de  Ghoiseul,  que  vous  n'avez  jamais 
eu  d'autres  relations  avec  elle  que  de  lui  faire 
faire  des  bas  de  soie.  Ce  service  n'est  pas  d'un 
genre  à  vous  donner  le  droit  de  lui  rien  de- 
mander ^  »  Madame  d'Aulan  ne  s'en  tient  pas 

1.  Lettre  inédite  de  la  marquise  du  Deffand   à  sa  sœur, 
15  sept.  1762. 


DANS    LES    ABBAYES     DE    FEMMES  121 

là.  Elle  se  répand  en  lamentations  contre  ceux 
qui  ne  lui  paraissent  pas  assez  bien  disposés  en 
faveur  de  sa  fille  ou  qui  témoignent  à  son  gré 
trop  de  tiédeur  dans  leurs  démarches.  Cela 
s'ébruite  et  risque  de  tout  gâter.  Madame  du 
Deffand  administre  à  sa  sœur  une  nouvelle 
volée  de  bois  vert  :  «  Si  madame  de  Luynes, 
lui  écrit-elle,  avait  la  moindre  connaissance  de 
ce  que  vous  dites,  elle  serait  bien  découragée 
de  s'intéresser  à  vous,  et  si  M.  de  Digne  venait 
à  savoir  de  quelle  manière  vous  jugez  à  propos 
qu'on  traite  avec  lui,  je  crois  que  vous  sauriez 
bientôt  à  quoi  vous  en  tenir  et  qu'il  vous  di- 
rait que  votre  fille  n'aura  jamais  rien.  Quel 
droit  a-t-on  pour  lui  parler  avec  hauteur  et  fer- 
meté? Est-ce  à  vous  qu'il  doit  sa  place?  Man- 
quera-t-il  à  son  devoir,  sera-t-il  déshonoré 
quand  il  ne  placera  pas  votre  fille?  Quelle  est 
l'insulte  qu'il  vous  a  faite? Quels  sont  les  enga- 
gements qu'il  a  pris?  »  Et  la  lettre  se  poursuit 
de  ce  ton  K 

Qui  n'a-t-on  pas  fait  agir?  L'évêque  de  Li- 
sieux,  la  maréchale  de  Luxembourg,  le  cardi- 
nal  de   La  Rochefoucauld,  le  vice-Légat,   la 

1.  Lettres  inédites  du  Deffand,  21  et  29  déc.  1757. 


122         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

maréchale  de  Mirepoix  se  sont  entremis  avec 
bienveillance.  Il  n'est  pas  jusqu'à  la  reine  que 
madame  d'Aulan  n'eût  rêvé  de  faire  intervenir 
si  madame  du  Deffand  ne  s'y  était  opposée  en 
déclarant  que  l'expédient  ne  serait  pas  de  son 
goût,  ((  cette  princesse  lïe  voulant  jamais  se 
mêler  de  rien*  ».  Par  malheur,  au  cours  des 
négociations,  M.  de  Mirepoix  étant  mort,  la 
feuille  des  bénéfices  a  changé  de  mains.  C'est 
maintenant  l'évêque  de  Digne  qui  la  possède. 
D'oii,  nouveaux  retards  et  nouvelles  combinai- 
sons à  mettre  sur  pied.  On  a  d'abord  songé  à 
l'abbaye  de  la  Déserte,  mais  on  craint  «  des 
contradictions  de  la  part  du  cardinal  de  Ten- 
cin  ».  D'ailleurs,  elle  est  donnée  à  une  autre 
postulante.  On  a  songé  aussi  à  l'abbaye  de 
Préaux,  vacante  par  la  mort  de  madame  de 
Brancas.  Celle-là  encore  échappe  à  mademoi- 
selle d'Aulan.  Il  faut  s'en  consoler,  car,  «  les 
bâtiments  tombent  en  ruine  et  la  situation  en 
est  affreuse-  ».  Un  moment,  il  a  été  question 
de  l'abbaye  d'Ulysse.  Encore  «  faudrait-il  savoir 
ce  quelle  vaut  ».  Finalement,  madame  d'Aulan 
se  rabat  sur  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  à  Mar- 

1.  Lettres  inédites  du  Detïand,  19  août  1757. 

2.  Ici.,  20  avril  1758. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  123 

seille.  Madame  du  Deffand  n'a  qu'une  médiocre 
confiance,  «c  J'ai  bien  peur,  mande-t-elle  à  sa 
sœur,  que  madame  de  Vernon,  abbesse  de 
Saint-Sauveur  se  moque  de  vous  et  ne  vive 
encore  quelques  années.  Je  verrai  madame  de 
Luynes;  je  lui  parlerai  de  ma  nièce,  mais  si 
cette  abbesse  est  éternelle,  à  quoi  cela  servira-t- 
il*?  »  Personne  n'étant  immortel,  même  les 
abbesses,  celle  de  Saint-Sauveur  finit  par 
mourir  et  mademoiselle  d'Aulan  prend  sa 
place.  Il  était  temps.  Cette  importante  affaire 
avait  duré  sept  ans,  de  janvier  1737  àmars  1763, 
époque  où  madame  du  Deffand  peut  enfin 
écrire  :  «  Oh  !  ma  chère  sœur,  je  suis  comblée 
de  joie.  Votre  fille  à  l'abbaye.  Voilà  les  bulles 
de  ma  nièce;  elles  coûtent  840  livres.  M.  l'ar- 
chevêque de  Toulouse  a  voulu  en  faire  les 
avances-.  »  Répétons-le;  il  était  temps.  Ma- 
dame d'Aulan,  en  dépit  des  avertissements, 
accumulait  maladresses  sur  maladresses  et 
madame  du  Deffand,  encore  qu'elle  ne  cessât 
d'exhorter  sa  sœur  à  la  patience,  était  elle-même 
excédée.  Solliciter  pour  les  autres,  fût-ce  pour 
des  personnes  de  sa  famille,   n'entrait  guère 

1.  Lettres  inédites  du  Deffaud,  5  mai  1762. 

2.  Jbid.,  27  mars  et  1.3  juin  1763. 


124         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

dans  ses  habitudes  non  plus  que  dans  ses 
goûts. 

Par  cet  exemple  dont  j'ai  tenu  à  souligner 
les  détails,  il  est  facile  de  se  rendre  compte  à 
quel  point  ces  charges  d'abbesses  étaient 
souhaitées,  combien  il  était  malaisé  de  les 
avoir,  même  lorsqu'on  se  pouvait  flatter  de 
protection,  et  quelle  ténacité  les  familles 
nobles  savaient  apporter  dans  les  intrigues  de 
ce  genre. 

La  nécessité  de  caser  des  filles  sans  dot  ou 
pourvues  de  dots  trop  insuffisantes  pour  tenter 
un  mari,  les  honneurs  attachés  à  la  dignité 
d'abbesse,  étaient  sans  doute  les  principales 
causes  de  cette  course  à  la  crosse,  car,  ainsi 
que  je  l'ai  montré  ailleurs  pour  les  chapitres 
nobles,  l'intérêt  pécuniaire  ne  saurait  entrer  ici 
en  ligne  de  compte.  Certes,  il  y  avait  en  France 
des  abbayes  puissamment  riches  mais  com- 
bien? La  plupart  avaient  de  la  peine  à  vivre  et 
la  situation  des  abbesses  dans  tous  ces  monas- 
tères n'était  pas  brillante  sous  le  rapport  de 
l'argent.  Une  abbesse  parvenait  à  vivre  au  fond 
de  son  couvent,  tandis  qu'elle  aurait  eu  quelque 
difficulté  à  tenir  son  rang  dans  le  monde.  Mais 
supposer  qu'elle  y  filait  des  jours  tissés  d'or 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  123 

et  de  bien-être  serait  très  peu  conforme  à  la 
vérité. 

Un    coup  d'œil  jeté  sur  les   finances   des 
abbayes  nous  édifiera  sur  ce  point. 


II 


État  des  revenus  des  abbayes  en  17C8.  —  Pour  quelques 
abbayes  riches,  combien  d'abbayes  pauvres  !  Les 
monastères  toujours  aux  abois.  —  Manie  de  la  cons- 
tructrbn  et  manie  d'acquérir  des  terrains.  — L'Abbaye- 
au-Bois  et  fiellechasse.  —  Panthémont.  —  Les  abbayes 
ploient  sous  le  faix  des  dettes.  —  Chez  l'épicier.  — 
Dépenses  de  première  nécessité.  —  Le  livre  de 
comptes  de  l'abbaye  de  Longchamps.  —  Dépenses 
de  l'abbaye  du  Val-de-Grâce.  —  Mercier  et  les 
abbesses.  —  Honoraires  des  médecins  et  des  confes- 
seurs. —  Les  dépenses  de  sacristie.  —  Les  res- 
sources en  regard  des  charges.  —  Dons  et  legs.  — 
Rien  ne  parvient  à  boucher  les  trous  creusés  dans 
les  budgets.  —  Les  religieuses  deviennent  ingénieuses. 
—  La  vente  des  sirops,  des  dentelles,  des  rubans.  — 
On  va  jusqu'à  raccommoder  les  matelas.  —  Dans 
leur  détresse,  les  religieuses  vendent  l'argenterie 
abbatiale  et  des  reliques.  — Elles  s'adressent  à  leurs 
familles.  —  Mademoiselle  de  Ventadour  et  son 
père. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  127 

Lors  de  l'édit  de  1768,  l'état  des  revenus  des 
abbayes  fut  établi  d'une  manière  assez  précise. 
Il  ressort  de  cet  état  que  si  certaines  abbayes 
jouissaient  de  rentes  considérables  (Fonte- 
vrault,  80,000  livres;  Notre-Dame  de  Saintes, 
60.000:  La  Trinité  de  Caen,  ori.OOO;  Jouarre, 
50.000;  Chelles,  .30.000)',  d'autres,  en  re- 
vanche, devaient  se  contenter  de  revenus  si 
minimes  qu'on  a  peine  à  croire  qu'ils  aient  pu 
suffire  aux  besoins  d'une  communauté.  J'indi- 
querai seulement  les  1.400  livres  de  rentes  de 
l'abbaye  de  Bonlieu  et  les  1 .000  livres  qui  cons- 
tituaient toutes  les  ressources  annuelles  de  La 
Ferté  (diocèse  de  Nîmes)  et  de  l'abbaye  de  Nid 
d'Oiseau  (ce  nom  ne  vous  ravit-il  pas?)  aux 
alentours  d'Angers.  Gomerfontaine,  Maubuis- 
son,  Saint-Sauveur  d'Evreux  peuvent  compter 
sur  des  revenus  de  2o  à  30.000  livres.  Le 
prieuré  de  Saint-Pardoux,  en  Limousin,  en  a 
14.000    environ-.    Plusieurs    monastères    ont 

1.  Almanach  royal.  —  J'ai  vu  dans  beaucoup  d'auteurs 
que  des  abbayes  avaient  100,  200  et  jusqu'à  300.000  livres 
de  rentes.  Aucune  pièce  originale  ne  m'a  permis  de  confir- 
mer ces  chiffres. 

2.  Roger  Drouault,  Recherches  sur  le  monastère  et  le  bourg 
de  Saint-Pardoux. 


128         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

10.000  livres  de  rentes;  un  plus  grand  nombre, 
5.000  seulement.  La  moyenne  ne  se  peut  fixer 
à  plus  de  4.000  livres.  Avouons  que  c'est 
peu. 

Les  chiffres  de  ces  revenus,  est-il  besoin  de 
l'ajouter,  varient  d'année  en  année.  Panthé- 
mont  qui,  en  1790,  a  37.821  livres  de  rentes, 
n'en  avait  que  34.459  en  1769.  Port-Royal  a 
63.932  livres  de  rentes  en  1767;  un  an  après, 
il  ne  dispose  plus  que  de  5o.7o6  livres  et 
53.916  en  1769.  En  1790,  les  recettes  sont 
tombées  à  48.644  livres  K 

De  tels  revenus  sont  encore  assez  imposants. 
Certes  !  à  condition  de  ne  regarder  que  du  côté 
des  recettes.  Mais  voici  où  les  choses  se  gâtent. 
En  regard  de  ces  revenus  il  est  bon  de  consi- 
dérer les  charges.  Prenons  le  budget  de  l'ab- 
baye de  Panthémont  pour  l'année  1769.  Nous 
avons  vu  que  le  revenu  était  de  34.459  livres. 
Or,  les  charges,  et  par  charges,  il  faut  en- 
tendre ici  l'intérêt  des  sommes  empruntées, 
les  rentes  viagères  et  les  décimes,  montent  à 
13.026  livres.  Il  reste  21.432  livres,  dont  on 
doit  encore  déduire  12.000  livres  pour  payer 

1.  Arch.  nat.,  II.  4.036,4.050. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  129 

divers  créanciers.  La  somme  restant  liquide  à 
la  communauté  est  de  9.432  livres  ^ 

Les  sources  de  revenus  fixes,  si  l'on  peut 
employer  ce  terme,  se  divisent  en  trois  catégo- 
ries principales,  les  biens  fonds  en  terre,  les 
propriétés  bâties,  les  rentes  sur  le  roi,  les 
villes,  etc.  L'abbaye  du  Val-de-Grâce,  qui,  on 
le  verra  plus  loin,  n'avait  pas  été  toujours  aussi 
riche,  possédait,  en  1790,  un  revenu  de 
77.000  francs  environ  qui  se  répartissait  ainsi  : 
fermages,  31.000  livres,  loyers  des  maisons 
et  appartements,  22.000  livres,  rentes,  4.416 
livres.  Lengchamps  tirait  13.000  livres  de  ses 
terres  et  12.000  livres  lui  étaient  fournies  par 
des  rentes  sur  le  roi  ou  les  tailles  -. 

D'autres  ressources  venaient  aux  couvents, 
à  certains  d'entre  eux  tout  au  moins,  grâce  à 
des  dons  ou  encore,  grâce  aux  pensions  payées 
par  les  élèves.  Mais  les  religieuses  se  voyaient 
obligées  de  recourir  à  toutes  sortes  de  combi- 
naisons plus  ingénieuses  que  fructueuses  pour 
se  procurer  le  nécessaire. 

On  n'imagine  pas  en  effet  combien  les 
monastères  paraissant  les  mieux  pourvus  sont 

1.  Arch.  nàt.,  H.  4.038. 

2.  Ibid.,  H.  3.858. 


130         FILLES    XOBLES     ET    MAGICIENNES 

sans  cesse  aux  abois.  Nous  avons  constaté 
l'état  précaire  de  la  plupart  des  chapitres 
nobles.  La  situation  des  abbayes  n'était  pas 
meilleure.  Nul  ne  songerait  à  accuser  les 
excellentes  religieuses  de  n'avoir  point  su  tenir 
leurs  comptes  ou  de  les  avoir  tenu  avec  noncha- 
lance. Grands  dieux,  non  !  Aucun  comptable 
de  banque  ou  d'entreprise  commerciale  n'ali- 
gnerait avec  plus  de  conscience  le  doit  en 
face  de  l'avoir.  J'ai  sous  les  yeux  le  grand- 
livre  de  l'abbaye  de  Port-Royal.  Nous  le  feuil- 
letterons de  compagnie  tout  à  l'heure.  Il  est 
minutieusement  à  jour.  Le  désordre  ne  pro- 
vient pas  de  causes  si  minimes.  C'est  dans  une 
mauvaise  administration  générale  qu'il  faut  le 
chercher.  De  tout  temps  les  religieuses  ont  eu 
la  faiblesse  de  bâtir,  d'acheter  des  terrains,  des 
immeubles,  d'arrondir  leurs  domaines,  sans 
se  soucier  toujours  de  faire  cadrer  ces  dépenses 
considérables  avec  leurs  disponibilités  finan- 
cières. Elles  vont  de  l'avant,  confiantes  dans 
l'avenir,  convaincues  que  le  bon  Dieu  ne  les 
laissera  pas  dans  l'embarras  et  que,  le  moment 
venu  de  payer,  l'argent  leur  tombera  du  ciel. 
Malheureusement,  il  arrive  que  le  bon  Dieu, 
sans  doute  pour  éprouver  ses  fidèles  servantes, 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  131 

ne  se  prête  pas  toujours  à  dételles  conjectures 
et  déjoue  leurs  pieux  calculs,  en  sorte  que  les 
communautés  succombent  sous  le  poids  de 
dettes  dont  elle  n'avaient  jamais  voulu  entre- 
voir les  fatales  conséquences.  Que  ce  soit  au 
XY*,  au  xvi%  au  xvii^ou  au  xviii*  siècle,  ces 
dettes  jettent  une  perturbation  profonde  dans  la 
plupart  des  abbayes.  Les  religieuses  de  Long- 
champs  poussent  un  véritable  cri  de  détresse 
en  1552.  c  Les  bestes  rousses  »  ayant  fait  du 
tort  à  leur  blé,  elles  n'ont  de  quoi  se  nourrir 
et  sont  réduites  à  emprunter  pour  vivre'.  A 
diverses  époques,  Fontevrault  ploie  sous  le  faix 
de  200  et  300.000  livres  de  dettes  pressantes*. 
Pour  avoir  voulu  agrandir  ses  domaines  et  «  con- 
struire un  nouveau  bâtiment  destiné  à  loger 
le  pensionnat  qu'elle  avait  formé  pour  l'éduca- 
tion des  jeunes  demoiselles  de  la  première 
qualité  »,  madame  de  Ghabrillan,  abbesse  de 
l'Abbaye-au-Bois,  dépense  280.000  livres,  dont 
elle  doit  encore  129.715  en  1783,  laquelle 
somme  vient  s'ajouter  aux  100.000  livres  dont 
l'abbaye  était  déjà  endettée  avant  son  arrivée ^ 

1.  Arch.  nat.,  LL.  1604. 

2.  Ibid.,  L.  1018-19. 

3.  Arch.  nat.,  G'  118.  —  M.  Delarue,  notaire,  écrit  à  ma- 


132         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Ces  dames  de  l'Abbaye-au-Bois  avaient 
déployé  une  énergie  sans  égale  pour  acheter 
vers  1759  une  partie  du  terrain  laissé  libre  par 
la  démolition  du  couvent  des  Petites  Corde- 
lières, voisin  du  leur.  De  nombreuses  compé- 
titions s'élevaient  et  la  chose  n'alla  pas  toute 
seule.  L'évêque  de  Metz  souhaitait  le  voir 
acquérir  par  son  neveu,  le  marquis  de  Saint- 
Simon,  ((  qui  n'est  nullement  solvable  »,  répli- 
quait l'archevêque  de  Paris,  qui  avait  pris  le 
parti  des  religieuses.  Bref,  celles-ci  multiplient 
si  bien  les  requêtes  et  les  suppliques  qui, 
toutes,  sont  fidèlement  déposées  entre  les 
mains  de  madame  de  Pompadour,  que,  grâce  à 
la  protection  de  cette  aimable  personne,  les 
saintes  filles  purent  enfin  acheter  le  terrain 
objet  de  leurs  convoitises  *. 

Les  religieuses  de  Bellechasse,  qui  ne  sont 
guère  riches,  ne  songent  pourtant  qu'à  acqué- 
rir. Par  contrat  passé  en  1633,  elles  achètent  au 
sieur  Barbier  un  grand  clos  encerclé  de  murs 
pour  le  prix  de  90.000  livres.  Soyons  justes; 


dame  de  Chabrillan,  pour  lui  rappeler  «  qu'il  y  a  trente  ans 
qu'elle  n'a  compté  avec  lui  des  honoraires  et  déboursés  qui 
lui  sont  dus.  »  Arch.  nat.,  T.  1602. 
1.  Arch.  nat.,  G«  140. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  133 

elles  ne  mettent  guère  que  trente  ans  à  le 
payer.  Mais  comment  le  paient-elles?  Au  moyen 
d'emprunts  successifs.  Tant  et  si  bien  qu'en 
1680,  leurs  dettes  montent  à  120.000  livres. 
Ceci  n'est  pas  pour  les  effrayer.  Six  ans  plus 
tard,  elles  achètent  un  nouvel  arpent,  rue 
Saint-Dominique  ;  coût  :  14.020  livres.  .J'ignore 
si  ce  dernier  achat  fut  réglé  au  comptant, 
n'ayant  pas  trouvé  trace  d'un  paiement  de  ce 
genre.  Il  est  probable  qu'on  le  régla  avec  le 
produit  d'un  autre  emprunt,  à  une  date  ulté- 
rieure. Toujours  est-il  que,  grâce  à  ces  acqui- 
sitions, le  couvent  de  Bellechasse  possédait 
vers  le  milieu  du  xviii*  siècle,  9.046  toises  de 
terrain,  dont  7.888  consacrées  aux  cours  et 
jardins  *. 

Traversons  la  rue.  Nous  sommes  au  couvent 
de  Panthémont.  Au  cours  du  xviii'  siècle,  cette 
abbaye  ne  cesse  de  demander  des  secours.  Ce 
sont  toujours  les  bâtiments  qui  sont  en  cause. 
Il  faut  agrandir;  il  faut  reconstruire.  De  ce 
chef,  les  dépenses  atteignent  473.437  livres  en 
1733.  Là-dessus  on  a  payé  assez  aisément 
366.000  livres,  mais    on  est    aux  abois  pour 

1.  Arch.  nat.,  S.  4406. 


134         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

50.000  francs  qu'on  sollicite  de  la  commission 
des  secours.  Le  cardinal  de  Luynes  qui  présidé 
cette  commission  accorde,  en  1734,  92.000 
livres,  à  toucher  par  parts  égalesjusqu'en  1757. 
Ici  encore,  on  avait  payé  au  moyen  d'em- 
prunts, car  je  vois  qu'en  1765,  les  dettes 
dépassent  de  nouveau  300.000  livres  et  que  le 
Dauphin  fait  accorder  au  couvent  une  rente  de 
12.000  livres  sur  l'abbaye  de  Beaubec,  rente  qui 
sera  versée  pendant  trente  ans,  «  à  charge  par 
la  dame  de  Béthisy  et  les  abbesses  qui  lui  succé- 
deront de  justifier  devant  le  parlement  chaque 
année  de  l'emploi  de  ces  12.000  livres  qui  de- 
vront être  utilisées  à  donner  des  acomptes  aux 
maçons,  charpentiers  et  autres  créanciers  de 
l'abbaye  ».  Cet  engagement,  sur  lequel  Sa  Ma- 
jesté a  bien  voulu  mettre  son  «  bon  »,  est  signé 
par  Louis-Justin  de  Jarçnte,  évêque  d'Orléans'. 
En  1772,  madame  de  Béthisy  écrit  en 
manière  de  justification  :  «  On  ne  rétablit  pas 
une  abbaye  royale  en  totalité  sans  être  aidée. 
(Nous  venons  de  voir  que  les  secours  ne  lui 
avaient  pas  manqué.)  Ce  n'a  pas  été  sur  les 
fonds  que  j'ai  pu  acquitter  730.000  livres,  puis- 

1.  Arch.  nat.,  T.  24. 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    135 

que  quand  j'ai  pris  possession  de  l'abbaye,  elle 
ne  jouissait  que  de  16.300  livres  de  rentes.  »  La 
lettre  se  termine  par  une  nouvelle  demande  de 
20.000  francs.  Et  comme  elles  sont  fines  les 
bonnes  religieuses,  comme  elles  s'entendent 
à  amadouer  les  membres  de  la  commission  des 
secours  I  «  J'avais  flatté  mademoiselle  de  Choi- 
seul,  mandera  cette  même  madame  de  Béthisy 
au  cardinal  de  Luynes,  qu'elle  aurait  le  bon- 
heur de  vous  voir  ;  elle  désire  de  tout  son  petit 
coeur  vous  faire  sa  cour*...  » 

Il  est  à  croire  que  les  choses  finirent  par 
s'arranger,  puisque  le  couvent  de  Panthémont 
n'a  plus,  en  1790,  que  24.294  livres  de  dettes. 
Le  chiffre  est  modeste.  En  revanche,  ces  dettes 
sont  criardes.  Il  ne  s'agit  plus  ici  d'un  pro- 
priétaire bénévole  ou  d'un  entrepreneur  de 
construction,  maître  maçon  ou  charpentier,  qui 
peuvent  attendre  et  font  de  longs  crédits.  On 
doit  1.247  livres  à  un  épicier;  2.193  à  un  autre; 
441  livres  au  vitrier,  etc.,  etc.  Et  il  n'y  a  que 
536  livres  en  caisse*! 

Si  nous  nous  en  rapportons  à  la  déclaration 

1.  Lettre    de   madame   de   Béthisy,  23    décembre   1769. 
(Arch.  nat.,  G»  150.) 

2.  Arch.  nat.,  T.  24. 


136         FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

faite  par  les  dames  du  couvent  de  Longchamps 
en  cette  même  année  1790,  leurs  dettes  mon- 
tent à  174.713  livres.  Là  aussi,  beaucoup 
d'arriérés  pressants  :  à  madame  Prudhomme, 
bouchère,  il  est  dû  22.042  livres  ;  au  boulanger 
Pharoux,  24.819  livres  ;  à  un  autre  boucher, 
Lhomme,  36.206  livres.  Le  jardinier  attend  ses 
gages  depuis  quatre  ans  ;  le  médecin  apothi- 
caire, depuis  deux  années  et  trois  mois.  11  y  a, 
en  outre,  10.000  francs  d'intérêts  en  souf- 
france ^ . 

Sauvai  dit  qu'au  début  de  l'année  1598,  l'ab- 
baye de  Montmartre  n'avait  que  2.000  livres  de 
rentes  et  devait  10.000  francs  qu'elle  ne  savait 
comment  payer.  Le  jardin  était  en  friche  ;  le 
réfectoire  converti  en  bûcher;  le  cloître,  les 
dortoirs  et  le  chœur  en  promenades  ^. 

Soutiendra-t-on  que  tant  d'argent  ne  pouvait 
être  absorbé  par  les  constructions  et  remanie- 
ments d'édifices?  Supposera-t-on  qu'une  partie 
au  moins  de  ces  fonds  était,  soit  dissipée  en 
choses  frivoles,  soit  consacrée  au  bien-être  des 
religieuses?  Ce  serait,  je  crois,  tout  à  fait 
inexact.  Qu'il  y  ait  eu  dans  ces  grandes  com- 

1.  Arch.  nat.,  T.  1C02. 

2.  Sauvai,  Antiquités  de  Paris,  livre  VI,  p.  354. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  137 

munautés  un  peu  de  coulage  parfois  et  de 
désordre  dans  l'administration  intérieure,  cela 
est  possible.  Mais  il  serait  injuste,  me  semble-t- 
il,  d'accuser  les  religieuses,  même  celles  qui 
ne  prenaient  pas  leur  vocation  très  au  sérieux, 
d'avoir  exagéré  les  recherches  de  la  table  et  du 
luxe  en  général. 

Si  le  lecteur  n'est  pas  rebuté  par  l'accumu- 
lation des  chiffres,  qu'il  veuille  bien  me  suivre 
encore  un  instant  et  jeter  avec  moi  un  regard 
sur  quelques  détails  de  comptes.  Ce  n'est  point 
sortir  de  mon  sujet,  d'ailleurs,  mais  bien  au 
contraire  y  pénétrer  plus  au  fond,  puisque 
c'est  entrer  davantage  dans  l'intimité  de  la  vie 
des  abbayes. 

Les  dépenses  que  nous  appellerons  de  pre- 
mière nécessité  sont  naturellement  très  varia- 
bles. Elles  sont  subordonnées  au  nombre  des 
personnes  habitant  l'abbaye  et  aux  fluctuations 
que  subissent  les  prix  des  denrées.  Ouvrons  le 
livre  de  comptes  de  l'abbaye  de  Port-Royal, 
pour  les  années  1767-68-69.  Il  est  paraphé  à 
chaque  fin  d'exercice  par  l'abbesse,  madame  de 
Mompessons.  Je  ne  saurais  dire  quel  était 
exactement  le  nombre  des  personnes  nourries 
au   couvent.     Il    y    a  cinquante    religieuses, 

8. 


138         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

environ  trente  élèves;  maisje  n'ai  pas  le  chiffre 
du  personnel  domestique.  En  tablant  sur  cent 
personnes    en  tout,   nous  ne  nous  écarterons 
pas  beaucoup  de  la  vérité. 
Les  dépenses  sont  : 

1767 

En  pain.  .   .  L.   .       4.227 


En  vin.    .   .   . 
En  viande  .    . 
En  beurre  et  œufs 
En  chauffage . 


4.274 
5.813 
5.041 

7.885 


1768 

1769 

5.878 

3.595 

2.234 

5.788 

4.188 

8.674 

3.072 

2.459 

3.504 

4.425 

11  -manque  la  dépense  de  l'épicerie.  Nous  la 
retrouverons  dans  le  tableau  qui  indique  la 
dépense  d'une  journée,  3  octobre  1768. 

Cinq  douzaines  de  saucisses  (41.  16);  deux 
poulets  rôtis  et  une  cuisson  (2  1.  17)  ;  un  litron 
de  graine  de  lin  (0,8  sols);  une  bouteille  de 
bière  (4  s.  6  deniers);  huit  tourtes  et  neuf 
pâtés  (0,17  s.);  treize  choux-fleurs  (1  1.  10); 
treize  carpes,  quatre  morceaux  de  morue  et  de 
hareng  (16  1.  8);  une  raie,  deux  carpes,  un 
brochet,  deux  harengs  (lo  1.  10);  deux  fro- 
mages de  Brie  et  trois  de  Gruyère  (5  1.5);  une 
andouille  (0,15)  ;  huit  poulets (8  1.);  un  poulet 
rôti  (1  1.  6);  dix  livres  et  cinq  onces  de  sucre 
(5   1.   7)  ;   une  douzaine  d'huitres   (0,6)  ;    huit 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  139 

autres  douzaines  d'huîtres  (21.  7)  ;  vingt-quatre 
livres  de  café  (31  1.  4)  ;  une  bouteille  de 
Vichy  (5  L)^ 

On  ne  voit  pas  sans  étonnement  des  achats 
de  poulets  rôtis.  Que  faisaient  donc  les  cuisi- 
nières du  couvent?  Que  pense-t-on,  en  outre, 
de  cette  bouteille  d'eau  de  Vichy  qui  coûte 
0  livres-!  Je  note  encore  que  l'on  consomme 
beaucoup  d  huîtres,  principalement  en  carême. 
On  achète  40  ou  30  poulets  par  mois,  ce  qui 
est  fort  peu,  si  l'on  admet  qu'ils  étaient  servis 
à  la  table  des  religieuses.  Quant  au  beurre 
fondu,  il  vient  d'Isigny  et  on  le  paie  à  raison 
de  551  francs  les  1.200  livres. 

A  l'abbaye  du  Val-de-Grâce  où  il  y  a  67  reli- 
gieuses, tant  professes  que  novices,  sans  parler 
des  élèves  et  domestiques,  la  nourriture  coûte 
19.800  livres  par  an.  Dans  cette  somme  la 
viande,  les  volailles  et  le  lard  entrent  pour 
•■).189  livres,  les  poissons,  le  beurre,  les  œufs, 

1,  Arch.  nat.,  H.  4039-4054. 

2.  Ce  n"est  pas  une  erreur  de  plume,  car  je  constate  un 
peu  plus  loin  que  six  bouteilles  d'eau  de  Forges  et  une  de 
Vichy  sont  comptées  9  livres.  La  bouteille  de  Forges  ne 
revenant  qu'à  10  sols,  soit  environ  3  livres  pour  les  3,  il 
reste  donc  bien  que  le  prix  de  la  bouteille  de  Vichy  est  de 
5  livres.  Il  ne  faisait  vraiment  pas  bon  à  cette  époque 
souffrir  du  foie!... 


140         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

le  laitage,  pour  o.3G8  livres.  Bon  an,  mal  an, 
on  mange  pour  8  ou  900  livres  de  pâtisseries, 
légumes  et  fruits.  Le  vin,  le  vinaigre  et  le  ver- 
jus, que  fournit  M.  de  la  RoUe,  reviennent  à 
o.OlO  livres  par  an.  Il  est  bon  de  remarquer 
que  la  dépense  en  vin  est  assez  forte,  égale  à 
celle  de  la  viande  bien  souvent,  et  presque  tou- 
jours supérieure  à  celle  du  pain.  Le  bois  et  le 
charbon  exigent  3.559  livres.  L'épicerie,  le 
sel,  les  chandelles  réclament  3.178  livres,  mais 
il  y  a  des  années  où  l'on  verse  entre  les  mains 
de  l'épicier  près  de  10.000  livres  d'arriéré*. 

En  définitive,  ces  dépenses  de  bouche  sont 
assez  modestes.  Elles  justifient  mal,  en  tout 
cas,  la  mauvaise  boutade  de  Mercier  qui  trace 
un  portrait  d'abbesse  dont  les  traits  paraissent 
bien  chargés.  Il  la  représente  «  l'âme  énervée 
par  la  succulence  des  aliments,  masse  froide 
et  insensible,  ne  sentant  point  la  peine  de 
celles  qui  souffrent  dans  sa  règle.  Le  calme 
de  la  froideur  s'est  étendu  sur  sa  ronde  face 
unie  ;  elle  est  devenue  lisse  et  dure  comme  le 
bois  qui  forme  le  tour  de  son  couvent,  etc., 
etc.  -  »  C'est  de  la  fantaisie  et  quelle  fantaisie!... 

1.  Arch.  nat.,  II.  4039-4034. 

2.  Mercier  :  Tableau  de  Paris. 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    141 

Descendons-nous  aux  autres  dépenses?  Les 
journées  de  lessive  pour  l'année  1777  revien- 
nent à  20  livres  par  mois.  Chaque  mois  aussi 
il  faut  pour  7  ou  8  livres  de  balais  neufs.  Ces 
dames  prisent  un  peu.  Le  tabac  coûte  87  francs 
les  24  livres.  Ce  n'est  pas  tout.  Mademoiselle 
Justinet,  lingère,  fait  les  robes  moyennant  un 
forfait  de  1.200  livres  par  an.  MM.  Levé  et 
Gochin  fournissent  la  toile  noire  destinée  aux 
voiles.  On  leur  en  achète  pour  1.134  livres, 
en  1771  K 

Le  médecin-chirurgien  touche  des  hono- 
raires fixes  de  120  livres  par  an.  Le  médecin, 
M.  Moreau,  lui,  est  payé  à  la  visite  et  se  fait 
108  livres  en  1771.  Comme  de  juste,  les  méde- 
cins des  âmes  sont  favorisés  de  traitements 
un  peu  plus  élevés.  M.  le  confesseur  de  Port- 
Royal,  outre  qu'il  est  logé  dans  une  dépen- 
dance de  l'abbaye,  a  396  livres  par  an,  y  com- 
pris le  chauffage.  J'ignore  ce  que  reçoit  celui 
du  Val-de-Gràce,  mais  sa  nourriture  et  celle 
de  quatre  autres  personnes  (sans  doute  atta- 
chées à  son  service)  coûtaient  2.000  livres.  Les 
deux  confesseurs  de  Longchamps  ont  chacun 

1.  Arch.  nat.,  H.  3830. 


142         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

300  livres  et  l'organiste  est   payé  100  livres'. 

Nous  sommes  loin  d'avoir  énuméré  toutes 
les  dépenses  qui  incombaient  aux  abbayes.  Les 
réparations  des  bâtiments  entrent  pour  une 
large  part  dans  les  charges.  A  Port-Royal,  ce 
chapitre  varie,  pour  le  couvent,  entre  2.300  et 
").300  livres  par  année,  pour  les  fermes,  de 
4.000  à  7.000  livres.  Le  Val-de-Grace  inscrit 
à  son  budget  7.000  livres  par  an;  Jouarre, 
6.000;  Montigny,  2.000.  Encore  ne  s'agit-il, 
bien  entendu,  que  de  réparations  de  toute  pre- 
mière nécessité,  réfection  des  toits,  remplace- 
ment de  vitres  cassées,  etc-. 

Que  n'y  a-t-il  pas  encore?  Les  dépenses  de 
sacristie,  par  exemple,  qui  vont  à  800  livres 
à  Port-Royal,  à  3.240  livres  au  Val-de-Grùce, 
pour  atteindre  7.200  livres  à  Ghelles,  9.000  à 
Fontevrault^  S. 000  à  Montmartre,  8.000  à  Fare- 
moutier '. 

Pour  faire  face  à  tant  de  charges  diverses, 
auxquelles  il  conviendrait   d'ajouter  les  frais 

1.  Arch.  nat.,  H.  4039-54,  et  T.  1C02, 

2.  Arch.  nat.,  H.  4050  et  H.  3858.-Cf.  aussi  —  H.  Tiercelin,  Le 
Monastère  de  Jouarre  et  Arch.  de  la  Haute-Saône,  H.  1003. 

3.  Arcii.  nat.,  II.  4050  et  3858.  —Cf.  aussi  Bcrlhault,  L'abbaye 
de  Ckelles.  Arch.  nat.,  7J  2449  et  S.  4459.  —  Puis,  Mémoire  sur 
la  7îécessité  de  changer  le  système  des  maisons  religieuses. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  143 

occasionnés  par  les  procès,  si  nombreux,  si 
longs,  si  dispendieux  *,  que  possèdent  les 
abbayes?  r^ous  avons  vu  ce  qu'étaient  leurs 
revenus  fixes  et  à  quel  point  insuffisants  la 
plupart  du  temps.  Si  les  religieuses  n'avaient 
pu  compter  sur  d'autres  ressources,  que  se- 
raient-elles devenues? 

Mais,  en  dehors  des  secours  exceptionnels 
que  leur  accorde  la  commission  dès  qu'elle  est 
instituée,  les  dons  volontaires  sont  aussi  nom- 
breux qu'importants.  Ni  les  hauts  person- 
nages, ni  la  charité  publique  ne  se  désintéres- 
saient du  sort  des  moniales.  J'en  donnerai  une 
légère  idée  en  citant  encore  quelques  chiffres, 
dût  le  lecteur  me  vouer  aux  gémonies.  C'est 
que  les  chiffres,  pour  être  ennuyeux,  ce  dont 
je  conviens  volontiers,  n'en  ont  pas  moins  leur 
nécessité,  à  défaut  de  l'éloquence  qu'on  leur 
prête  bien  inconsidérément... 

Donc,  voici  qu'en  trois  années  (1716,  1717 
et  1718),  le  couvent  des  chanoinesses  régu- 
lières de  Sainte-Geneviève  de  Chaillot  reçoit 
de  la  duchesse  d'Orléans  570  livres  une  pre- 

1.  Port-Royal  consacre  1.200  livres  par  an  à  cet  objet,  et 
ces  dames  du  Val-de-Gràce  laissent  13.483  livres  entre  les 
mains  des  gens  de  justice,  en  la  seule  année  1783. 


144         FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

mière  fois,  puis  6.000  livres  sur  les  lots  non 
réclamés  des  loteries  tirées  à  Paris  ;  4.000  livres 
du  cardinal  de  Noailles;  3.000  livres  de  M.  Le 
Feure,  notaire.  Si  je  compte  bien,  cela  fait 
près  de  14.000  livres  en  trois  ans,  et  je  ne  pré 
tends  pas  avoir  eu  connaissance  de  tous  les 
dons  faits  au  couvent  durant  cette  période  ^ 
Certaines  abbesses  font  aussi  des  largesses 
considérables.  Dame  Glaude-Ysabel  de  Mailly 
comble  Longchamps  de  ses  libéralités.  La 
reine  Anne  d'Autriche,  toujours  si  bien  dis- 
posée en  faveur  de  l'abbaye  du  Val-de-Grâce, 
ajoute  dix  mille  livres  aux  aumônes  recueillies 
chez  des  particuliers  en  vue  d'achever  les  répa- 
rations de  l'église  ^  Quand  mademoiselle  de 
Chartres  entre  à  Chelles,  le  Régent  donne 
50.000  livres  au  monastère,  après  avoir  fait 
remettre  à  chaque  religieuse  20  livres  de  bou- 
gie, 20  livres  de  chocolat  et  du  sucre ^..  Un 
autre  jour  qu'il  vient  la  voir,  il  lui  donne 
100.000  livres  pour  payer  les  dettes  de  l'abbaye 
et  faire  quelques  accommodements  dans  la 
maison  '*.  Madame  de  Béthisy  abandonne  à  son 

i.  Arch.  nat.,  LL.  1G08. 

2.  Jbid  :  LL.  1604. 

3.  Abbé  Torchet,    Histoire  de  l'Abbaye  de  Chelles. 

4.  Dangean,  aoiit  1719. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  145 

abbaye  de  Panthémont  les  10.000  livres  de 
renies  dont  le  roi  l'a  graliOée  «  pour  services 
rendus  à  rÉtat*  ». 

Nous  n'en  finirions  pas.  Par  malheur,  ces 
libéralités,  non  plus  que  les  legs  énormes 
souvent  faits  aux  abbayes  par  des  religieuses 
riches  qui  viennent  à  y  mourir,  ou  par  des 
dames  pensionnaires  ou  par  des  princes  du 
sang,  non  plus  que  les  fondations  pieuses  si 
importantes  et  si  nombreuses  -  ne  suffisent  pas 
à  combler  les  trous  qui  sans  relâche  se  creu- 
sent aux  budgets  des  communautés.  L'éduca- 
tion des  jeunes  filles  constitua  un  des  pallia- 
lifs  imaginés  pour  équilibrer  ces  budgets. 
Maigres  ressources.  La  pension  ne  dépasse 
guère  600  livres  par  an  et  descend  parfois  jus- 
qu'à 200,  à  168  livres,  ainsi  qu'il  arrive  à 
Conflans  quand  il  s'agit  d'élèves  peu  aisées*. 
Bientôt  l'usage  s'établira  chez  les  religieuses 
de   donner  asile  à  des   femmes    qui,   tout   en 


1.  Arch.  nat.,  S.  4311. 

2.  Madame  de  Montespan  fonde  dans  la  chapelle  des  Anges 
de  l'abbaye  de  Fontevrault,  moyennant  3.000  livres  annuelles, 
une  messe  basse  à  perpétuité  pour  chaque  jour  de  l'année,  à 
l'intention  de  ses  enfants  morts,  le  comte  de  Vexin  et  la 
princesse  Louise-Marianne.  (Arch.  nat.,  L.  1019,  dossier  7.; 

3.  Arch.  de  la  Ilaute-Saône,  H.  1003. 

9 


146         FILLES     NOBLES    ET    MAC  ICIEX.XES 

voulant  demeurer  dans  le  monde,  cherchent 
un  peu  de  paix  et  de  tranquillité.  Elles  s'ins- 
tallent dans  des  appartements  que  l'abbesse 
leur  loue  dans  les  dépendances  et  y  conser- 
vent leurs  habitudes  mondaines  avec  cet  avan- 
tage qu'elles  dépensent  beaucoup  moins  là 
qu'elles  ne  dépenseraient  à  Paris  ou  à  Ver- 
sailles. Nous  reviendrons  sur  ce  sujet  plus  à 
loisir. 

Mais  tout  ceci  encore  ne  suffit  pas.  Il  faut 
s'ingénier  pour  se  créer  des  revenus  supplé- 
mentaires. C'est  ainsi  que  les  religieuses  de 
Sainte-Geneviève  de  Chaillot  vendent  du  sirop 
balsamique,  dont  elles  tirent  2.000  livres  K  Les 
dames  de  Conflans  vendent  une  foule  de 
choses,  des  crayons,  des  rubans,  de  la  den- 
telle, des  fleurs  d'hiver,  du  romarin,  des 
nappes  brodées,  des  cendres!  Que  ne  ven- 
dent-elles pas?  Des  coiffes,  des  meubles,  des 
bourses  qu'elles  fabriquent  elles-mêmes.  A  l'oc- 
casion, elles  débitent  des  drogues.  Hélas,  de 
si  multiples  industries  ne  les  enrichissent  pas. 
Le  tout  leur  rapporte  péniblement  473  livres 
en  1771,  634,  en  1772;  1.019,  en  1780.  Aussi 

1.  Arch.  nat.,  H.  1608. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  147 

en  arrivent-elles  à  raccommoder  des  matelas  à 
raison  d'une  livre  16  sols  la  pièces 

Déjà  en  1598  on  avait  vu  les  religieuses  de 
Montmartre  travailler  pour  vivre  et  mourir 
presque  de  faim  ;  les  vieilles  gardaient  les 
vaches  ^ 

En  certaines  circonstances  très  pressantes 
on  fait  flèche  de  tout  bois.  Ne  voyons-nous  pas 
madame  de  Villars,  abbesse  de  Chelles,  obli- 
gée, pour  parer  aux  difficultés  financières,  de 
vendre  une  statue  d'argent  et  toute  sa  vais- 
selle personnelle  de  même  métaP.  Madame 
de  Tournefort  n'en  est-elle  pas  réduite,  pour 
sauver  son  abbaye  de  Sainte-Geneviève  de 
Chaillot  en  1733,  à  mettre  en  loterie  ses  menus 
bijoux  et  à  se  contenter  des  600  livres  que 
produit  cette  loterie  ^?  II  y  a  mieux.  On  va  jus- 
qu'à vendre  des  reliques.  Devant  la  misère 
qui  menace  son  couvent  de  Longchamps, 
l'abbesse  Marie  de  la  Poterne  n'hésite  pas, 
en  1438,  à  se  défaire  «  d'une  table  d'argent 
doré  sur  quoi  étaient  les  images  de  madame 


1.  Arch.  de  la  Haute-Saône,  H.  1003. 

2.  Antiquités  de  Paris,  op.  cit. 

3.  Hist.  de  l'abbaye  de  Chelles,  op.  cit. 

4.  Arch.  nat.,  LL.  1608. 


148         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Blanche  el  de  saint  Louis,  roi  de  France  ^  » 
Car  la  détresse  est  grande,  si  grande  que  les 
religieuses  s'adressent  à  leurs  familles  pour  em 
tirer  quelques  subsides;  les  familles  n'étaient 
pas  toujours  bien  disposées.  «  Je  ne  sçay  qui 
vous  a  dit,  écrit  mademoiselle  de  Ventadour  au 
sieur  de  la  Grange,  que  j'estai  mal  contente 
du  refus  de  monsieur  (son  père,  le  duc  de  Ven- 
tadour) je  vous  asseure  que  j'y  suis  si  accou- 
tumée que  je  le  prends  à  cette  heure  quasi  par 
coustume.  Néanmoins  je  suis  humaine  comme 
une  autre  et  pour  être  abbesse  et  religieuse  je 
n'en  suis  pas  moins  despo.urvue  de  naturel  et 
de  ressentiments  d'une  fille  à  un  père  et  que 
cela  me  peut  beaucoup  toucher  de  voir  le  refus 
et  le  peu  de  compte  qu'il  a  de  moi-.  » 

Au  fond,  la  situation  de  ces  religieuses  dans 
la  plupart  des  abbayes  serait  presque  intenable 
si  plusieurs  d'entre  elles  ne  jouissaient  de 
rentes  viagères  que  leur  servent  le  roi  ou  leurs 
familles  (car  tous  les  parents  n'étaient  pas 
aussi  rudes  que  le  duc  de  Lévis- Ventadour). 
Mesdames  de  Cambis,  de  Lauselle,  de  Salaise, 

1.  Arch.  nat.,  LL  1604. 

2.  Lettre  du  31  juillet  1616.  Citée  par  E.  Nicod,  Un  secré- 
taire du  duc  de  Fa/e?i/tnofs.(RevueduVivarais,  15 mars  1505.) 


DAXS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    149 

pour  nous  borner  à  quelques  exemples,  tou- 
chent sur  le  trésor  royal  des  rentes  de  500, 
1.200  et  2.000  livres  ^  C'est  à  dessein  que  je 
néglige  les  rentes  capitulaires,  constituées  par 
les  revenus  des  dots,  et  que  les  abbayes  de- 
vaient servir  régulièrement  aux  religieuses, 
pour  la  bonne  raison  que  ces  rentes  capitu- 
laires n'étaient  autant  dire  jamais  payées  aux 
intéressées. 

1.  Arch.  nat.,  H.  4050. 


III 


La  situation  des  abbayes  était  fort  précaire.  —  On  ne 
peut  attribuer  ce  désordre  au  goût  du  bien-être  ni  du 
luxe.  —  Inventaire  de  certains  couvents.  —  Médio- 
crité des  ameublements.  —  Chaillot.  —  Le  Val-de- 
Grâce.  —  Le  «  salon  de  la  reine  ».  —  Port-Royal.  — 
Mobilier  de  l'abbesse.  —  Panthémont.  —  Le  confort 
à  l'Abbaye-au-Bois.  —  Conflans,' Yerres,  etc.  —  Du 
luxe,  il  n'y  en  avait  que  dans  les  églises. 


Nous  voici  édifiés,  je  suppose,  sur  la  situa- 
tion générale  des  abbayes  sous  le  rapport 
financier,  car  je  n'aurais  éprouvé  aucune  dif- 
ficulté, n'eût  été  la  crainte  de  fatiguer  le  lec- 
teur, à  multiplier  les  comptes  et  à  montrer  que 
la  très  grande  majorité  des  couvents  en  France 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    131 

se  débattait  au  milieu  de  soucis  et  de  besoins 
d'argent  tout  pareils  ^ 

On  verra  maintenant  que  le  luxe  ne  paraît 
pas  non  plus  avoir  pénétré  dans  les  monas- 
tères réputés  les  plus  riches,  ni  dans  ceux  vers 
lesquels  les  personnes  bien  nées  se  dirigeaient 
le  plus  volontiers,  et  non  pas  même  dans  ces 
couvents  dont  la  réputation  de  moralité  laissait 
beaucoup  à  désirer  et  qui  restaient  le  plus  lar- 
gement ouverts  aux  aventures  profanes. 
'  Du  degré  de  ce  luxe,  il  nous  sera  facile  d'avoir 
une  idée  à  peu  près  juste  en  glanant  quelques 
détails  dans  les  inventaires  dressés  de  1788  à 
1 790  de  tout  le  mobilier  trouvé  dans  les  abbayes 
et  couvents  existants  alors. 

Veut-on  savoir  de  quoi  se  composait  l'abba- 
tiale (maison  de  l'abbesse)  de  Sainte-Perinne 
de  Ghaillot?  Dans  le  salon,  deux  fauteuils  et 
quatre  chaises  formées  de  bourre  de  crin  cou- 
verts de  velours  d'Utrecht  jaune;  deux  bras  de 


1.  Le  fisc  était  dur.  Aussi  les  religieuses  ne  portaient-elles 
pas  ses  agents  dans  leur  cœur.  «  Après  votre  départ,  écrit  l'ab- 
besse de  Chazes,  j'ai  reçu  la  visite  de  Mil.  des  Eaux  et  Forêts. 
Je  les  regarde  comme  des  oiseaux  de  rapine,  mayant  emporté 
23  pisloles  et  croyant  m'avoir  fait  grâce...  »  (Lettre  inédite 
de  madame  de  Lugeac,  abbessede  Chazes,  au  comte  de  Tour- 
non,  7  janvier  1706.  (Arch.  du  Vergier.) 


If32         FILLES    iXOBLES    ET    MAGICIENNES 

cheminée  à  doubles  branches  de  cuivre  ;  deux 
chandeliers  en  tôle  ;  un  écran  de  bois  de  poi- 
rier. Dans  une  autre  pièce,  deux  vieux  fau- 
teuils, quatre  chaises  foncées  recouvertes  de 
velours  d'Utrecht;  une  vieille  table  à  écrire, 
plus  quelques  petits  meubles  sans  valeur.  La 
chambre  à  coucher  a  vue  sur  les  jardins.  On  y 
remarque  deux  chenets  de  cuivre  avec  orne- 
ments en  pyramides,  des  pincettes  et  tenailles, 
un  soufflet  de  bois  noirci,  un  garde-feu  de  fer- 
blanc.  Une  vieille  table  à  écrire,  un  vieux 
bureau  de  bois  plaqué  à  plusieurs  tiroirs,  une 
petite  commode  de  la  Régence  en  bois  plaqué, 
dont  l'entrée  de  serrure  et  les  poignées  sont  orne- 
mentées, une  chiffonnière,  un  petit  secrétaire 
en  armoire  occupent  trois  côtés  de  la  pièce.  Il 
y  a  encore  dans  un  coin,  une  toilette  de  cam- 
pagne et  une  bergère  en  paille  garnie  de  dos- 
siers de  crin  et  de  coussins  de  plumes.  Voici 
le  lit.  C'est  une  couchette  à  colonne  montée 
sur  des  roulettes  à  équerre,  garnie  d'un  som- 
mier de  crin  et  de  deux  matelas  couverts  de 
futaine  blanche,  avec  un  oreiller,  un  traversin, 
un  couvre-pied  d'indienne,  un  second  de  taf- 
fetas jaune.  La  housse,  la  courtepointe  et  les 
soubassements  sont  en  camelot  moiré  jaune. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  153 

Si  nous  ajoutons  des  rideaux  de  camelot,  deux 
portières  de  vieille  satinade,  un  tabouret,  une 
pendule  c  au  nom  de  Lépreuse  »,  une  autre 
pendule  de  cheminée  à  cadran  d'émail,  nous 
aurons  l'état  complet  du  mobilier  garnissant 
les  appartements  de  l'abbesse  ^ 

Entrons  au  Val-de-Gràce,  couvent  où,  à  vrai 
dire,  il  y  a  peu  de  religieuses  nobles,  mais  sur 
lequel  plane  encore  l'ombre  protectrice  de  la 
reine  Anne  qui  s'y  était  retirée,  qu'elle  avait 
comblé  de  bienfaits  et  auquel  elle  avait  fait 
réunir  en  1657,  afin  d'augmenter  les  revenus 
de  la  communauté,  l'abbaye  de  Saint-Cor- 
neil  de  Compiègne^,  où  elle  était  morte  enfin. 
Bornons-nous  à  pénétrer  précisément  dans  la 
salle  appelée  c  salon  de  la  reine  ».  Qu'y 
voyons-nous?  Quelques  portraits  de  la  famille 
royale,  des  fauteuils  de  vieille   moire,  divers 

.  i.  Procès  verbal  d'inventaire  du  20  mai  1788.  (Arch.  nat., 
T.  1602.) 

2.  La  bulle  d'union,  datée  de  mars  1657,  mentionnait  la  dé- 
mission entre  les  mains  du  roi  de  l'abbé  commendataire  de 
Sîùnt-Corneil,  Simon  le  Gras,  évèque  de  Soissons.  Les  reve- 
nus de  la  mense  abbatiale  étaient  de  30.385  livres,  dont  17.450 
étaient  laissés  aux  religieux  de  Saint-Corneil  pour  acquit  et 
paiement  des  charges.  Les  religieux  conservaient  aussi  la 
juridiction  temporelle  avec  création  des  offices,  les  revenus 
de  certaines  terres,  etc.  (Arch.  nat.,  LL.  1619-21).   . 

9. 


134        FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

autres  tableaux,  des  ployants  en  vieille  moire, 
deux  couverts  de  vermeil,  un  lit  de  repos  garni 
de  deux  petits  matelas,  courtepointes  et  oreil- 
lers de  soie,  un  cabinet  sur  pied  formant  toi- 
lette. La  moindre  bourgeoise  du  Marais  est 
mieux  logée...  Madame  de  Jarry,  qui  est  ab- 
besse  en  1790,  déclare  que  ses  religieuses  ont 
chacune  pour  leur  service  une  paire  de  draps 
et  deux  habits,  l'un  pour  l'été,  l'autre  pour 
l'hiver,  et  un  grand  habit  de  chœur  ^ 

Vous  plait-il  d'aller  maintenant  à  Port- 
Royal  et,  malgré  l'impertinence,  de  risquer  un 
regard  dans  les  cellules  des  moniales  ?  Ces 
petites  chambres  renferment  1  lit  composé  de 
3  planches  sur  2  tréteaux,  d'une  paillasse, 
d'un  traversin  de  paille  et  de  2  couvertures 
de  laine  avec  oreillers  de  plume.  Les  draps  et 
les  taies  d'oreiller  sont  en  laine.  Gomme  au- 
tres meubles,  1  petite  table,  1  custaire  en  bois 
de  chêne,  2  chaises  de  paille.  Notons  encore 
1  crucifix,  1  bénitier  en  terre  et  3  images  de 
papier  sur  carton.  Et  n'oublions  pas  1  balai 
de  crin. 
Mais    l'abbesse,  cette  abbesse   que  Mercier 

1.  Procès  verbal  de  février  et  aoi'it  1790.  (Arch.  nat.,  T.  1002), 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  155 

nous  représente  comme  une  sorte  de  satrape 
femelle?  Ah!  l'abbesse  est  mieux  pourvue. 
Qu'on  en  juge!  Elle  a  1  vieux  lit  de  drap 
violet,  garni  d'un  sommier  de  crin,  de  2  mate- 
las, de  traversins  et  oreillers,  d'une  couver- 
ture de  laine  et  d'une  housse  pour  l'été,  en 
vieille  indienne.  On  trouve  chez  elle  2  com- 
modes anciennes  à  dessus  de  marbre,  1  buffet 
en  mauvais  état,  1  poêle  de  faïence,  2  secré- 
taires, 4  commodes  de  bois  de  noyer,  1  autre, 
plus  petite,  à  dessus  de  marbre,  plusieurs  pe- 
tites tables  fort  usées,  4  armoires  contenant  le 
linge  et  les  bardes  de  madame  l'abbesse,  ainsi 
que  le  linge  de  table  de  l'abbatiale  et  la  vais- 
selle de  faïence,  parmi  laquelle  on  remarque 
§  douzaines  d'assiettes  de  différentes  porcelaines 
données  à  mesdames  les  abbesses,  avec  jattes, 
quelques  plats,  1  cafetière  et  3  cabarets  de 
6  tasses  chacune,  de  médiocre  porcelaine.  Aux 
murs,  quelques  tableaux  de  piété  et  portraits 
de  famille.  Çà  et  là,  2  pendules  antiques, 
2  lampes  de  cuivre  argenté.  Le  reste  du  mobi- 
lier consiste  en  fauteuils  et  chaises  «  qui  n'ont 
de  prix  que  leur  ancienneté  et  leur  simplicité.  » 
Au  réfectoire,  on  compte  52  douzaines  de 
serviettes,  23  nappes,  5  douzaines  de  tabliers 


156         FILLES    -\OBLES    ET    MAGICIENNES 

et  16  essuie-mains.  A  la  cuisine,  1  batterie 
assez  complète  de  8  marmites,  12  poêles,  24  cas- 
seroles, poissonnières,  écumoires;  30  couverts 
pour  couvrir  les  plats;  la  vaisselle  pour  l'usage 
de  la  communauté,  des  pots  et  gobelets  cou- 
verts, en  buis;  1  grande  chaudière  pour  l'eau 
chaude  * . 

Panthémont  ne  semble  pas  beaucoup  mieux 
outillé  ni  plus  riche  en  mobilier.  On  y  voit 
cependant  un  peu  d'argenterie  :  1  douzaine 
d'assiettes,  1  plat  à  soupe;  o  plats  de  service, 

1  petite  cafetière,  20  couverts  à  filets,  2  cuil- 
lères à  ragoût,  2  douzaines  de  cuillères  à 
café,  2  écuelles.  «  Il  est  observé  qu'il  existe  en- 
core dans  l'appartement  de  madame  l'abbesse, 

2  chandeliers  et  2   bougeoirs  d'argent  ^.  » 
Le  procès-verbal  dressé  à  l'Abbaye-au-Bois 

témoigne  d'un  confort  tout  aussi  relatif.  Les 
meubles  y  sont  peu  nombreux,  fort  usés  et  de 
qualité  médiocre.  Le  linge  est  peu  abondant, 
ce  qui  est  assez  surprenant  à  une  époque  où, 
dans  les  maisons  les  moins  aisées,  on  l'empilait 
en  quantité  considérable  dans  les  armoires.  Il 
n'y  a  que  36  paires  de  draps  et  3  douzaines 

1.  Arch.  nat.,  T.  1602. 

2.  Ibid.  Procès-verbal  d'inventaire  du  11  juin  1790. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  157 

de  serviettes  à  l'usage  des  domestiques.  L'ar- 
genterie de  table  se  réduit  à  quelques  pièces 
dont  l'abbesse  se  sert  quand  elle  a  du  monde, 
21  couverts,  4  cuillères  à  ragoût,  1  à  potage, 
18  cuillères  à  café,  2  cafetières.  Le  surplus, 
représentant  la  somme  de  4.629  livres,  a  été 
envoyé  à  la  Monnaie  par  l'abbesse,  en  guise  de 
don  patriotique.  Quant  à  l'argenterie  de  la 
communauté,  elle  se  borne  au  couvert  et  au 
gobelet  que  chaque  religieuse  apporte  en  en- 
trant au  couvent*. 

Les  cellules  de  Longchamps  ressemblent  à 
celles  des  autres  monastères.  Même  lit  garni 
d'une  paillasse,  de  matelas,  de  couvertures; 
même  commode;  quelques  chaises,  1  bou- 
geoir, 1  chandelier,  1  lampe,  des  livres  de 
piété.  Dans  chacune  des  infirmeries,  on  signale 
1  baignoire  et  1  demi-baignoire  en  cuivre. 
L'abbesse,  madame  Jouy,  a,  dans  sa  chambre, 
4  meubles  anciens,  1  canapé  de  calamande,  des 
fauteuils  et  chaises  de  canne  et  paille.  Son 
salon  est  orné  de  tableaux  et  estampes  «  sans 
valeur  ^  » . 

Sont-ce  là  des  mobiliers  trahissant  des  goûts 

1.  Arch.  nat.,  Procès-verbal  du  18  juin  1790.  T.  1602. 

2.  Ibid.,  T.  1602. 


158         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

de  bien-être  et  de  luxe  ?  Il  est  difficile,  j'ima- 
gine, que  nos  couvents  modernes  soient  meu- 
blés de  façon  plus  sobre  et  plus  conforme  à  la 
simplicité  monastique.  Et  si  quelques-unes  des 
religieuses  enfermées  dans  ces  abbayes,  sou- 
vent sans  vocation,  oubliaient  leur  devoir,  il 
faut  convenir  que  ce  n'était  pas  dans  un  cadre 
ni  dans  un  décor  fort  galants. 

Ne  généralisez  pas,  me  dira-t-on.  Vous  par- 
lez de  certaines  abbayes.  Il  en  était  d'autres 
où,  peut-être,  au  contraire,  régnait  le  plus 
grand  luxe.  J'avoue  n'avoir  pas  tenté  de  véri- 
fier tous  les  inventaires  de  toutes  les  abbayes. 
Le  labeur  eût  été  passablement  oiseux.  Mais 
je  me  demande  pourquoi  des  abbayes  infi- 
niment moins  riches  que  celles  dont  il  vient 
d'être  parlé,  eussent  été  plus  élégamment  et 
plus  magnifiquement  installées.  Ce  n'est  pas 
Conflans,  en  tout  cas,  où  l'abbatiale  renferme 
en  tout  et  pour  tout,  1  misérable  lit,  quelques 
chaises  et  fauteuils  dont  les  «  crins  s'échappent 
de  toutes  parts  *  »,  ni  Brionne,  où  la  vente  du 
mobilier  produisit  à  peine  2.400  livres,  ni 
Yères,  ni  Jarry,  ni  Montmartre,  dont  les  reli- 

1.  Arclî.  de  la  Haute-Saône,  H.  1003. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  159 

gieuses  ne  savaient  depuis  longtemps  comment 
vivre'.  Alors  quoi?  Fontevrault ?  Il  n'apparaît 
pas  qu'il  en  fut  là  différemment  qu'ailleurs. 
Chelles?  Ecoutons  M.  l'abbé  Torchet  ;  «c  Les 
cellules,  dit-il,  ressemblaient  à  celles  de  tous 
les  couvents,  et  mademoiselle  de  Chartres  s'en 
contenta  pendant  le  temps  de  son  noviciat.  Sa 
cellule,  ses  vêtements,  sa  nourriture  ne  diffé- 
raient en  aucune  manière  de  ceux  des  autres 
religieuses  -.  »  11  est  très  vrai  que,  dans  la 
période  que  M.  Torchet  a  appelée  «  la  période 
dissipée  de  la  vie  de  la  princesse  »,  celle-ci 
organisa  tout  un  train  de  maison,  avec  écuyers, 
cochers,  laquais,  palefreniers,  qu'elle  roulait 
carrosse  en  grand  gala,  et  ne  donnait  l'exemple 
d'aucun  renoncement.  Mais  il  est  juste  d'ajou- 
ter que  cette  conduite  souleva  Tindignation 
générale  et  fit  scandale,  ce  qui  ne  fût  sans 
doute  pas  arrivé  si  l'on  avait  été  dans  l'habi- 
tude de  voir  beaucoup  d'abbesses  conserver 
une  désinvolture  aussi  fâcheusement  mon- 
daine. 

Le  luxe,  si  luxe  il  y  a,  on  le  verra  dans  les 


1.  Arch.  nat.,    Z*  2449. 

2.  Histoire  de  T Abbaye  de  Chelles,  op.  cit. 


160         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

églises.  Avouons  qu'il  y  est  parfaitement  à  sa 
place  et  qu'on  serait  mal  venu  de  reprocher  à 
des  religieuses  d'orner  le  plus  somptueusement 
possible  les  chapelles  de  leur  couvent.  La  sa- 
cristie de  Port-Royal  renferme  i  croix  d'ar- 
gent pour  les  processions,  1  crosse  dont  le 
bâton  seul  est  argenté,  2  petits  flambeaux  pour 
la  table  de  communion  et  divers  objets  néces- 
saires au  culte,  en  argent,  vermeil  ou  cuivre 
doré.  L'ostensoir  est  un  soleil  de  vermeil  en- 
touré de  diamants.  Tous  les  reliquaires  sont  en 
argent.  Dans  l'église  même,  12  grands  et 
12  petits  chandeliers  d'argent,  1  grande  croix, 
1  autre  plus  petite,  des  lampes,  des  navettes 
en  cuivre  argenté,  1  lustre  à  6  branches  en 
verre  de  Bohême,  1  exposition  du  Saint-Sacre- 
ment dont  le  pied  est  en  ébène,  le  reste  en 
cuivre  argenté  et  doré  *.  Cette  église  n'était  pas 
la  plus  riche.  Celle  de  Chelles,  celle  de  Fonte- 
vrault,  celle  de  la  Trinité  de  Caen,  cent  autres 
contenaient  de  vrais  trésors,  joyaux  admira- 
bles d'orfèvrerie,  ciselés  avec  un  goût  exquis 
par  les  artistes  les  plus  fameux,  accumulation 
prodigieuse  de  pierres  et  de  gemmes  enchàs- 

1.  Arch.  nat.,  T.  1602. 


DANS    LES    ABBAYES     DE    FEMMES  161 

sées  dans  des  reliquaires,  des  croix,  des  ciboi- 
res, précieux  et  sacrés  bijoux  recueillis  au 
cours  des  siècles  et  que  la  furie  révolutionnaire, 
en  un  jour,  dispersa... 


IV 


Ce  qu'était  la  vie  dans  les  monastères  de  femmes.  — 
Difficulté  de  le  savoir  exactement.  —  La  tranquillité 
des  cloîtres  n'était  qu'apparente.  —  Les  abbayes  en 
temps  de  guerre.  —  Histoire  de  Longchamps.  — 
Exodes  successifs  à  Paris.  —  Les  guerres  civiles,  — 
Catherine  deChabannes  et  les  Huguenots.  — Dissen- 
sions intérieures.  —  Un  cordelier  mal  reçu  à  Long- 
champs.  —  Comment  il  se  venge.  —  Opposition  des 
religieuses  à  toute  réforme  tendant  à  resserrer  la 
règle.  —  Le  Père  Roussel.  —  Un  couvent  en  ébulli- 
tion.  —  Le  Parlement  s'en  mêle.  —  Deux  candidates 
à  l'abbatiat.  —  Discussions  et  révoltes. —  On  empoi- 
sonne une  abbesse!  —  Autre  aventure.  —  Une  novice 
qu'on  enlève.  —  Seigneur  et  paysans  prêts  à  en  venir 
aux  mains.  —  L'abbesse  malade  de  la  fièvre. 


Ce  qu'était  la  vie  dans  ces  monastères    de 
femmes,  voilà  ce  que  j'aurais  voulu  pénétrer. 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    163 

Cela  n'est  point  si  facile  qu'il  y  paraît.  Me 
borner  à  dénombrer  les  exercices  de  piété  aux- 
quels les  religieuses  étaient  assujetties  par  la 
règle,  dresser  le  tableau  des  messes,  vêpres, 
cérémonies  de  toutes  sortes  dont  leurs  églises 
étaient  le  théâtre  pieux,  parler  de  leurs  morti- 
fications, de  leurs  jeûnes,  de  leurs  dévotions 
particulières  à  tel  ou  tel  saint,  de  leur  concep- 
tion souvent  assez  étroite  de  la  religion,  conter 
leurs  mystiques  exaltations,  c'eijt  été  traiter  de 
choses  qui  ne  sont  nullement  de  ma  compé- 
tence et  prétendre,  sans  y  avoir  droit,  écrire 
un  traité  d'édification. 

Il  restait,  dira-t-on,  à  nous  entretenir  des 
anecdotes  extra-monacales,  car  l'histoire,  ou 
du  moins  une  certaine  histoire  ne  laisse  rien 
ignorer  des  scandales  dont  bon  nombre  de 
religieuses  furent  les  peu  intéressantes  hé- 
roïnes. Grand  merci!  Je  ne  me  sens  aucun 
goût  pour  ces  racontars  soigneusement  enre- 
gistrés et  copieusement  aggravés,  au  cours 
des  temps,  par  la  malignité  ou  la  fantaisie 
d'historiographes  mués  en  pamphlétaires.  Non 
pas  que  j'entende  me  dérober.  On  le  verra  bien 
tout  à  l'heure.  Mais,  entre  ces  deux  extrêmes, 
peut-être   n'était-il  pas  impossible  de  recher- 


IG-i         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

cher  ce  qu'avait  été  la  vie  dans  les  couvents 
en  dehors  des  heures  consacrées  aux  devoirs 
religieux  comme  aussi  en  dehors  de  ces  aven- 
tures très  profanes  auxquelles  il  serait  puéril 
de  nier  que  certaines  religieuses  s'abandon- 
nèrent. 

Cette  existence  de  couvent  était  fatalement 
traversée  par  des  événements  grands  ou  petits, 
qui  en  modifiaient  la  régularité,  en  détruisaient 
passagèrement  la  paisible  harmonie,  en  rom- 
paient l'apparente  monotonie. 

Elles  eussent  été  trop  heureuses,  ces  mo- 
niales (je  fais  exception  pour  celles  qui 
n'avaient  de  la  religieuse  que  le  nom  et  l'habit 
et  non  point  du  tout  l'âme),  elles  eussent  été 
trop  heureuses  si  elles  avaient  pu  couler  leurs 
jours  dans  la  paix  et  l'oubli,  sous  les  ombrages 
des  parcs  endormis  enclosant  les  vieux  cloîtres. 
Combien  un  tel  rêve  était  vain  !  Les  murs  du 
couvent,  sans  cesse  s'ébranlent  sous  les  chocs 
venus  de  l'extérieur,  comme  si  le  Dieu  qu'elles 
priaient  se  refusait  à  les  protéger  contre  les 
événements  d'un  monde  qu'elles  avaient  fui. 

L'état  de  guerre  perpétuel  dans  lequel  vit  la 
France  du  Moyen  âge,  du  xv*  et  du  xvi"  siècle, 
n'est  pas  pour  favoriser  la  retraite  de  ces  filles 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  165 

qui  croyaient,  en  s' agenouillant  au  fond  d'un 
cloître,  avoir  conquis  à  tout  jamais  le  repos 
ici-bas. 

L'existence  d'un  grand  nombre  de  monas- 
tères fut,  au  contraire,  singulièrement  mouve- 
mentée, et  celle  d'une  infinité  de  religieuses,  à 
chaque  instant  bouleversée  par  le  fait  de  ces 
guerres  incessantes.  A  ces  époques  troublées, 
où  la  France  n'était  pas  encore  une  forte  nation 
consciente  de  son  unité,  où  les  possesseurs  de 
fiefs  entraient  si  souvent  en  lutte  contre  la  sou- 
veraineté, où  l'on  ne  savait  jamais  au  juste  si 
tel  grand  feudataire  soutiendrait  la  couronne 
ou  s'allierait  contre  elle  avec  les  ennemis  du 
royaume,  il  était  malaisé  de  chercher  un  pro- 
tecteur efficace.  D'autre  part,  la  situation  par- 
ticulière des  abbayes  de  filles,  les  bruits  qui 
couraient  sur  la  richesse  de  leurs  églises  ten- 
taient les  troupes  amies  autant  que  les  troupes 
étrangères.  Aux  heures  de  guerre,  les  abbayes 
avaient  presque  autant  à  redouter  des  unes 
que  des  autres.  On  sait  ce  qu'étaient  ces  troupes 
mal  organisées,  mal  surveillées,  encore  imbues 
des  vieilles  et  funestes  traditions  communes 
aux  bandes  recrutées  un  peu  au  hasard  et  qui 
formèrent  jusqu'au  xvii''   siècle,   la    majeure 


166         FILLES     XOBLES     ET    MAGICIENNES 

partie  des  armées  de  tous  les  pays.  Les  cou- 
vents sont  une  proie  toute  désignée  pour  des 
troupes  qui,  sous  quelque  drapeau  qu'elles 
combattent,  ne  rêvent  que  massacre,  pillage, 
incendie  et  le  reste.  Quelle  aubaine  pour  elles, 
ce  monastère  sans  défense,  occupé  par  des 
femmes  et  dont  l'assaut  ne  sera  qu'un  jeu 
d'enfant  *  ! 

J'ai  dit  que  les  religieuses  ne  redoutaient 
pas  moins  les  armées  du  roi  que  celles  de 
l'ennemi  et  qu'elles  avaient  d'ordinaire  raison. 
Quand,  en  lo4o,  au  cours  de  la  guerre  entre 
François  I*'  et  Charles-Quint,  les  soldats  du 
comte  de  Bourbon,  duc  de  Montpensier,  arri- 
vent près  de  Ghelles,  les  nonnes  affolées  empa- 
quettent précipitamment  leurs  reliques,  leurs 
chartes,  leurs  objets  les  plus  précieux  et  se 
réfugient  en  hâte  à  Paris.  Le  duc  de  Mont- 
pensier avait  l'ordre  de  garder  l'abbaye,  mais 
les  pauvres  religieuses  se  méfiaient  et  préférè- 
rent céder  la  place.  Sans  doute  eurent-elles 
tort,  puisque  le  duc  tint  sévèrement  la  main  à  ce 
que  rien  ne  fut  touché  dans  le  couvent.  Mais 

i.  A  Juvigny,  où  pendant  six  mois  les  religieuses  furent 
menacées  de  voir  arriver  une  armée  allemande  (11517),  elles 
la  redoutaient  comme  si  elle  eût  été  composée  de  desmons. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  167 

elles  savaient  trop  par  ouï-dire  combien  il  était 
périlleux  pour  des  religieuses  de  demeurer  à 
la  merci  de  ceux-là  mêmes  qui  venaient  vers 
elles  en  protecteurs.  Aussi,  lorsque,  en  1562, 
Chelles  fut  de  nouveau  menacé  par  l'approche 
des  troupes,  l'abbesse  Renée  de  Bourbon-Ven- 
dôme n'eut-elle  rien  de  plus  pressé  que  d'en- 
voyer ses  religieuses  au  nombre  de  quarante-six 
demander  asile  à  Paris  au  Cardinal  de  Bourbon, 
qui  les  logea  à  Saint-Germain-des-Prés.  Quel- 
ques années  plus  tard,  Marie  de  Lorraine  fera 
de  même. 

L'histoire  de  l'abbaye  de  Longchamps  n'est, 
pendant  des  siècles,  qu'une  suite  d'aventures 
de  ce  genre.  Laissons  parler  la  religieuse  qui 
rédigea  l'historique  de  cette  communauté.  «  La 
XP  abbesse,  durant  qu'elle  fut  en  sa  charge, 
eut  de  très  grandes  fâcheries  et  pertes  à  raison 
des  guerres  des  Anglais.  De  son  temps  le  cou- 
vent a  été  deux  fois  à  Paris  dont  il  y  a  eu  perte 
de  grands  meubles  *.  »  Sous  la  douzième 
abbesse,  Marie  de  Gueux  (celle  qui  donna  de 
si  grands  biens  au  couvent  et  fit  écrire  un 
«  antiphonier  »),  les  guerres  furent  si  violentes 

1.  Ai'ch.  nat.,  LL.  1604. 


168         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

que  les  religieuses  durent  demeurer  trois 
années  à  Paris.  Vers  1416,  durant  l'abbatiat 
d'Agnès  d'Issy,  nouvel  émoi.  Les  ennemis  sont 
à  Nanterre.  Pleines  de  frayeur,  les  sœurs  quit- 
tent Longchamps  et  se  dirigent  vers  la  capi- 
tale. L'abbesse  a  fait  mettre  sur  un  chariot  les 
principales  reliques,  le  coffre  de  son  office  » 
qui  était  l'argent  de  dépôt  »,  et  laisse  le  monas- 
tère sous  la  garde  de  six  religieuses  plus  mortes 
que  vives.  On  avait  chargé  des  meubles  sur 
six  autres  chariots  que  l'on  espérait  sauver, 
mais  l'ennemi  se  jeta  sur  la  caravane  et  la  pilla 
en  conscience.  Cependant  les  fugitives  «  souf- 
fraient de  grandes  pauvretés,  et  sans  les  au- 
mônes de  plusieurs  bons  Parisiens,  elles  n'au- 
raient eu  le  moyen  d'avoir  de  la  cire  pour  la 
sainte  messe.  Plusieurs  tombèrent  malades  de 
la  rougeoUe.  »  Quand  l'ennemi  arriva  à  Long- 
champs,  il  crut  que  les  religieuses  cachaient 
du  blé  dans  leur  réfectoire  et  menacèrent  de 
tout  brûler.  Par  bonheur,  «  Dieu  les  apaisa  ». 
Mais  les  pauvres  nonnes  qu'on  avait  chargées  de 
garder  l'abbaye  passaient  leur  temps  à  négocier 
avec  le  vainqueur  et  se  nourrissaient  «  de 
fèves  et  de  pois  récoltés  à  grand'peine  dans  le 
jardin  ». 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  169 

Le  couvent  n'était  pas  réintégré  que  déjà  une 
nouvelle  alerte  y  semait  la  terreur.  Le  18  juil- 
let 1418,  des  gens  d'armes  font  irruption  à 
minuit  dans  le  monastère,  emportant  tout  ce 
qu'ils  trouvent,  et  «  pour  qu'ils  ne  pénètrent 
pas  dans  le  dortoir  ni  dans  la  sacristie,  l'abbesse, 
madame  des  Essars,  dut  promettre  cent  sols 
d'or  qu'il  fallut  donner  pour  apaiser  leur  fu- 
reur. Ces  gredins  emmenaient  avec  eux  les 
chevaux,  tout  le  bestial,  et  il  ne  fut  possible  de 
rien  ravoir.  »  Finalement,  grâce  à  la  protection 
de  madame  Marie  de  France  qui  demeurait  à 
l'abbaye  de  Jouy,  Longchamps  rentra  en  pos- 
session de  trente  vaches  et  de  quelques  autres 
animaux. 

Un  siècle  environ  s'écoula  dans  un  calme 
relatif,  mais  voici  qu'en  1537  les  guerres  reli- 
gieuses amènent  des  désastres.  Les  sœurs  se 
dispersent.  Quelques-unes  rentrent  dans  leurs 
familles.  Une  vingtaine  s'en  vont  à  Paris  chez 
une  demoiselle  de  Lestinolle.  Il  ne  reste  à 
Longchamps  que  huit  religieuses.  Madame 
Georgette  de  Cœur  se  démet  de  ses  fonctions 
d'abbesse.  Elle  est  remplacée  par  Louise  de 
Senesme  qui  fait  rentrer  ses  brebis  au  bercail 
en  1549.  Pas  pour  bien  longtemps.  De  1561  à 

10 


170         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

1562,  le  couvent  est  sans  cesse  sur  le  point 
d'être  pris,  dévalisé,  brûlé.  Gondé,  à  la  tête 
des  Huguenots,  saccage  tout  aux  alentours, 
brûle  les  livres  pieux,  les  images  saintes,  sème 
les  reliques  aux  quatre  vents,  emporte  les 
objets  d'or  et  d'argent,  transforme  les  églises 
en  écuries.  Terrorisées,  les  malheureuses  sœurs 
de  Longchamps  reprennent  une  fois  de  plus 
la  route  de  Paris,  sauf  dix  qui  restent  au  logis. 
Des  gens  d'armes  arrivent  pour  les  protéger, 
mais  ((  ils  faisaient  la  même  œuvre  que  les 
Huguenots  ».  Sans  M.  de  Piennes,  leur  capi- 
taine, qui  accourut,  ils  incendiaient  tout  et  lais- 
saient les  religieuses  «  sans  pain  ni  bled  ». 
Elles  ne  sont  pas  au  bout  de  leurs  peines. 
Depuis  la  journée  des  Barricades  jusqu'à  l'en- 
trée de  Henri  IV  dans  sa  bonne  ville,  les  gens 
d'armes  de  tous  les  partis  semblent  se  succéder 
à  Longchamps,  enlevant  le  bétail,  exigeant  des 
rançons.  Pendant  quatre  années,  les  pauvres 
lilles  vivent  au  milieu  de  transes  perpétuelles 
et  ne  se  nourrissent  que  de  pain  et  de  vin. 
L'abbesse  faisait  <M)urageusement  la  navette 
entre  le  couvent  et  Paris  ou  Saint-Denis,  où 
elle  allait  implorer  des  secours,  et  courut  plu- 
sieurs fois  de  véritables  dangers,  dont  les  ren- 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES     171 

contres   avec  des  corps  de  troupes   n'étaient 
pas  les  moindres*. 

Une  dernière  retraite  a  lieu  dans  la  capitale, 
en  1662,  toujours  causée  par  l'état  de  guerre 
et  la  terreur,  pleinement  justifiée  d'ailleurs,  on 
l'a  vu,  que  l'approche  des  armées  inspirait  aux 
religieuses. 

Ce  paraît  avoir  été  une  habitude,  ces  retraites 
sur  la  capitale,  du  moins  pour  les  couvents 
établis  aux  environs,  car,  au  moment  des 
troubles  de  la  Fronde,  les  sœurs  de  Nanterre 
abandonnent  aussi  leur  monastère  et  viennent 
se  réfugier  chez  M.  le  Président  Pinon.  Le 
séjour  de  Paris  leur  plut,  semble-t-il,  puis- 
qu'elles achetèrent  un  terrain  à  M.  de  Prats,  et 
s'y  installèrent  sous  le  nom  de  chanoinesses 
régulières  de  Sainte-Geneviève  de  Chaillot^. 

Mais  toutes  les  abbayes  n'étaient  pas  à  proxi- 
mité d'une  grande  ville  dont  les  solides  mu- 
railles pussent  offrir  un  refuge  aux  religieuses 
épeurées.  Que  d'autres  furent  brûlés,  dévastés, 
sous  les  yeux  mêmes  de  leurs  occupantes  ! 
L'abbaye  de  la  Vaisin,  notamment,  eut  terrible- 
ment à  souffrir  du  passage   des  Calvinistes. 

i.  Arch.  nat.,  LL.  1604 
2.  Arch.  nat.,  LL.   1608. 


172         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIE JN'iNES 

Beaucoup  de  religieuses  furent  massacrées,  les 
autres  chassées  sans  pain  et  sans  ressources;  le 
couvent  fut  mis  à  sac,  incendié  en  partie,  et  ne 
put  se  relever  de  ses  ruines  que  bien  des 
années  plus  tard,  grâce  au  dévouement  de  son 
abbesse,  Hélène  de  Ghabannes^ 

Nombreux  furent  ceux  qui  ne  se  relevèrent 
jamais.  Que  pouvaient,  en  effet,  contre  la  rage 
calviniste  ou  la  fureur  de  l'ennemi,  ces  filles 
sans  défense?  Se  résigner  et  mourir,  parfois  au 
milieu  des  pires  supplices.  Toutes  cependant 
ne  tendaient  pas  bénévolement  le  col  à  leurs 
bourreaux.  On  en  vit  qui  surent,  soit  par  la 
ruse,  soit  même  par  la  force,  opposer  une 
résistance  opiniâtre  ou  à  défaut  essayer  de  tirer 
vengeance  de  leurs  persécuteurs.  Je  n'en  citerai 
qu'un  exemple  qui  donne  une  juste  idée  de  ce 
qu'étaient  devenues  les  mœurs  et  combien  aux 
âmes  les  plus  douces,  la  férocité  était  alors 
familière.  Vers  1560,  une  bande  de  protestants 
armés  vient  piller  l'abbaye  de  Bonnesaigne. 
Leur  œuvre  accomplie,  les  soldats  s'éloignent 
et  vont  s'installer  pour  la  nuit  dans  des  granges, 
au  village  de  Monclausson,  lequel  n'était  dis- 

1,  Henri  de  Chabannes  :   Histoire  de  la  maison  de  Cha- 
bannes. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  173 

tant  du  couvent  que  de  trois  kilomètres.  Aus- 
sitôt ont-ils  disparu  que  l'abbesse,  Catherine 
de  Ghabannes,  fait  prévenir  et  lever  sans  bruit 
les  paysans  qui  ferment  les  portes  des  granges, 
et,  sur  son  ordre,  mettent  le  feu  aux  couverts 
qui  étaient  en  paille,  en  sorte  que  les  Hugue- 
nots, ivres  de  vin  et  de  sommeil,  y  sont  rôtis 
comme  des  poulets.  Vengeance  pour  ven- 
geance, naturellement.  Quand,  deux  ans  plus 
tard,  Goligny  passe  dans  ces  parages,  il  ne 
manque  pas  d'incendier  l'abbaye*. 

Par  bonheur,  si  les  couvents  traversaient 
des  difficultés  fréquentes  qui  troublaient  plus 
qu'il  n'était  souhaitable  la  vie  des  bonnes  reli- 
gieuses, ces  difficultés  n'étaient  pas  toujours 
aussi  tragiques. 

Les  cloîtres,  grâce  au  ciel,  ne  retentiss  aient  pas 
constamment,  surtout  à  partir  du  xvii^  siècle, 
des  bruits  terribles  et  imprévus  en  de  tels  lieux 
des  armes  qui  s'entre-choquent  ou  du  cliquetis 
des  armures.  Bien  souvent,  en  revanche,  ils 
étaient  agités  par  des  querelles  intestines  dont 
le  diapason  montait  si  haut  que  la  cloche  apai- 
sante de  l'église  capitulaire  paraissait  impuis- 
sante à  le  dominer  comme  à  l'éteindre. 

1.  Histoire  de  la  maison  de  Chabannes,  op.  cit. 

10. 


174        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Un  beau  jour  de  1439,  deux  religieux  se  pré- 
sentent au  couvent  de  Longchamps  de  la  part 
du  Père  général.  L'abbesse  ne  les  ayant  pas 
reçus,  selon  leur  dire,  avec  assez  de  respect  et 
de  cérémonie,  ils  portent  plainte  au  Père  géné- 
ral qui,  sans  s'informer  davantage,  lance  une 
bulle  déposant  cette  abbesse,  Jeanne  des  Essars, 
et  la  remplaçant  par  Martine  Fromonde.  Le 
4  juillet,  un  Cordelier,  François  Lucas,  vient 
lire  la  sentence  et  procéder  à  l'installation  de 
la  nouvelle  abbesse.  Mais,  conseillées  par  les 
religieux  du  couvent  et  par  nombre  d'amis,  les 
nonnes,  sauf  dix,  dont  Martine  Fromonde, 
refusent  d'obtempérer  à  ces  ordres,  au  moins 
jusqu'à  ce  que  «  justice  en  ait  ainsi  ordonné  ». 
Le  Père  général  s'obstine.  A  son  tour,  le  car- 
dinal de  la  Croix  prend  parti  pour  les  récalci- 
trantes, avec  beaucoup  de  grands  seigneurs,  et 
soutient  Jeanne  des  Essars,  sur  le  compte  de 
laquelle  il  propose  d'ouvrir  une  enquête.  Pen- 
dant ce  temps,  le  couvent  est  en  ébullition. 
Tandis  qu'on  fait  défense  aux  religieuses,  par 
ministère  d'huissier,  d'obéir  à  Jeanne,  d'autres 
huissiers  leur  interdisent  de  reconnaître  Mar- 
tine Fromonde.  Le  procès  engagé  contre  la 
décision  arbitraire  du  père  général  donne  lieu  à 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    i75 

de  vifs  débats  et  «  l'on  ne  peut  dire  combien  le 
couvent  a  vendu  de  reliques,  de  joyaux,  de 
vaisselle  d'argent  pour  le  soutenir  » .  Tout  finit 
par  s'arranger.  Mais  la  lutte  a  duré  des  mois. 
Quelques  années  plus  tard,  Longcliamps  est 
de  nouveau  en  émoi,  mais  pour  un  motif  moins 
grave.  A  la  faveur  des  guerres  et  des  troubles 
qui  ensanglantèrent  le  royaume,  bien  des  abus 
se  sont  glissés  dans  les  monastères.  Long- 
champs  n'avait  pas  échappé  à  cette  décadence. 
Les  religieuses  en  étaient  arrivées  à  pratiquer 
de  larges  échancrures  dans  le  tissu  trop  serré 
des  règles  conventuelles.  Aussi,  quand  le  Père 
Roussel,  ministre  provincial,  à  la  suite  d'une 
cérémonie  magnilique,  où,  après  le  chant  du 
Te  Deum,  on  lui  avait  apporté  à  baiser  les 
reliques  de  la  vraie  Croix,  déclara  froidement 
aux  religieuses  qu'elles  devaient  renoncer  à 
l'habit  blanc  qu'elles  avaient  pris  et  revenir  à 
l'habit  gris  imposé  par  sadnt  François,  et  que 
de  même,  elles  devaient  abandonner  les  revenus 
et  pensions  dont  quelques-unes  jouissaient  per- 
sonnellement, pour  en  faire  une  masse  générale 
qui  servirait  aux  besoins  de  la  communauté, 
ces  dames,  on  le  pense  bien,  ne  furent  pas  très 
satisfaites.    Elles   tentèrent  d'échapper  à   ces 


176        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIEXXES 

réformes,  se  défendirent  de  leur  mieux,  discu- 
tèrent. Mais  le  Père  Roussel  était  énergique  : 
elles  durent  se  soumettre. 

Ceci  se  passait  en  1632.  Les  rancunes  ne 
s'apaisèrent  pas  vite.  Une  certaine  agitation 
régnait  dans  les  cœurs,  et  le  moindre  prétexte 
devait  suffire  à  transformer  quelques-unes  des 
sœurs  les  plus  excitées  en  rebelles.  Ce  prétexte, 
l'échéance  du  triennat  de  1648  le  fournit.  L'ab- 
besse,  Marie  Placin,  ayant  prétendu  que  le 
Père  Habert,  venu  pour  procéder  à  l'élection, 
n'avait  pas  l'autorité  nécessaire,  étant  en  diffi- 
culté avec  les  religieux  de  la  province,  demanda 
délai.  Quelques  religieuses  ne  voulant  voir  là 
qu'un  méchant  dessein,  se  méfient  et  obligent 
le  Père  à  procéder  à  l'élection.  L'abbesse  ainsi 
que  dix  autres  religieuses  refusent  d'y  prendre 
part.  Le  scrutin  a  lieu  néanmoins  et  la  sœur 
Valence  Gognard  est  proclamée  abbesse.  Le 
couvent  est  scindé  en  deux  partis,  «  ce  qui  causa 
bien  des  querelles  et  mauvaises  paroles  y>.  Ce 
désordre  se  prolongea  deux  années  entières  et 
«  ce  fut  la  ruine  totale  de  la  charité,  paix  et 
bien  spirituel  de  cette  maison  ».  L'autorité 
civile  intervient.  Deux  graves  conseillers  à  la 
Cour  du  Parlement  de  Paris,   en  qualité  de 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  177 

commissaires  délégués  s'installent  au  couvent. 
«  Ils  nous  firent  grande  peine  »,  ajoute  la  bonne 
rédactrice  du  registre.  Ils  prétendent  obliger 
les  nonnes  à  reconnaître  la  mère  Placin,  et 
comme  celles-ci,  en  majorité,  s'y  refusent 
absolument,  le  Parlement  ordonne  alors  de 
déposer  les  deux  abbesses  et  d'en  nommer  une 
troisième.  Il  fut  ainsi  fait  et  madame  deBellièvre 
fut  élue.  Elle  réussit  à  «  réunir  tous  les  cœurs 
et  terminer  les  querelles  ».  Ce  ne  dut  pas  être 
sans  peine.  Et  l'on  peut  dire  qu'il  était  temps. 
Le  couvent  était  devenu  un  enfer. 

Voici,  n'est-il  pas  vrai,  des  aventures  tout  à 
fait  propres  à  maintenir  dans  les  abbayes  ce 
calme  et  cette  tranquillité  que  l'on  y  était  venu 
chercher  !  Il  y  en  avait  d'autres,  hélas,  et  de 
plus  ennuyeuses,  comme  celle  qui  advint  en 
1662,  toujours  à  Longchamps,  par  suite  du 
retrait  d'un  certain  droit  de  pacage  que  le 
couvent  possédait  et  qui  permettait  aux  reli- 
gieuses de  faire  paître  leurs  vaches  et  leurs 
cochons.  L'abbesse,  accompagnée  de  quatre  de 
ses  religieuses,  court  à  Paris  où  son  frère,  le 
marquis  de  Mailly,  lui  donne  asile.  Elle  voit  le 
roi  et  les  deux  reines,  leur  expose  ses  doléances 
et  reçoit  les  meilleures  promesses.   Mais  ces 


178         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIEXXES 

promesses  restent  vaines.  Elle  repart,  saisit  le 
roi  au  sortir  de  la  messe  et  lui  remet  un  placet. 
Nouvelles  promesses,  qui  cette  fois  sont  tenues. 
Seulement,  de  telles  démarches  n'ont  pas  été 
sans  coûter  deux  cent  quatre-vingt-douze  livres 
et,  dit  le  Registre,  «  il  fallut  payer  bien  cher  les 
trois  factums  et  placets  au  sieur  Dorcy,  notre 
avocat  ». 

Je  n'entrerai  pas  dans  le  détail  d'une  autre 
dissension  qui  éclata  dans  ce  même  couvent, 
en  1663.  La  lutte  pour  l'abbatiat,  lors  de  la 
succession  de  madame  de  Bragnelongne  fut 
épique.  Les  deux  concurrentes,  mesdames  de 
Bellièvre  et  de  Mailly  firent  preuve  des  plus 
rares  qualités  de  candidates,  et  leurs  menées, 
leurs  intrigues,  leurs  ruses  de  guerre  mirent  le 
monastère  à  feu  et  à  sang  —  au  figuré  s'entend 
— car  les  langues  seules  firent  office  de  dagues 
et  de  mousquets  ^ 

Il  serait  fastidieux  de  nous  immiscer  dans 
toutes  ces  querelles  de  couvent.  Elles  étaient 
incessantes  et  Longchamps  n'en  avait  pas  le 
monopole.  «  Ce  que  vous  me  mandez  sur  la 
jalousie  qui  règne  dans  le  couvent  de  ma  nièce 

1.  Arch.  liai.,  H.  :1C04. 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    179 

me  donne  un  peu  d'inquiétude,  »  écrira  madame 
du  Deffand  à  sa  sœur  d'AuIan*.  On  les  vovait 
éclater  non  seulement  à  propos  d'élections 
d'abbesses,  mais  encore  à  propos  du  choix  de 
dignitaires  d'un  rang  beaucoup  moins  élevé  :  à 
vrai  dire,  à  propos  de  tout  et  de  rien.  Le  lec- 
teur se  fatiguerait  vite  aussi  à  sui\Te  les  reli- 
gieuses au  cours  de  leurs  discussions  avec  les 
autorités  ecclésiastiques,  discussions  passion- 
nées dont  j'ai  donné  une  idée  dans  le  chapitre 
consacré  aux  chanoinesses  séculières.  A  peine 
notera-t-on  encore  les  révoltes  contre  certaines 
abbesses  qui  prétendaient  ramener  leur  monas- 
tère à  l'observance  plus  stricte  des  règlements*, 
révoltes  qui,  fort  heureusement,  ne  se  tradui- 
saient pas  toujours  par  une  tentative  d'empoi- 
sonnement, ainsi  qu'il  arriva  à  l'abbaye  de 
Montmartre,    où    les    religieuses    exaspérées 

1.  Ltittro  inédite  du  25  janvier  1737. 

2.  Malgré  la  douceur  de  ses  procédés  et  sa  prudence, 
madame  de  Livron-Bourbonne,  abbesse  de  Juvigny,  se  vit 
en  butte  aux  plus  incroyables  menées  de  la  part  de  ses 
religieuses  qui  so  révoltèrent  et  poussèrent  leurs  parents  à 
engager  toute  la  noblesse  de  Lorraine  à  prendre  leur  parti. 
Devant  les  princes,  l'abbesse  obtint  gain  de  cause  (1615- 
1617).  [Abrégé  de  la  vie  de  madame  Scholastique-Gabrielle 
de  Livron-Bourbonne).  Je  dois  copie  de  ce  manuscrit  à 
l'obligeante  communication  de  mademoiselle  de  Ghabans. 


186         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIEXXES 

contre  madame  de  Beauvilliers,  leur  abbesse, 
essayèrent  de  se  débarrasser  d'elle  en  lui  faisant 
avaler  un  poison  violent,  dont  un  émétique 
énergique  parvint  à  neutraliser  les  effets.  A  la 
vérité,  je  ne  me  porte  point  garant  du  fait  rap- 
porté par  Sauvai  sans  preuves  à  l'appuie 

Autre  aventure,  mais  celle-là  tout  à  fait 
extraordinaire  et  qui  causa  une  émotion  pro- 
fonde dans  le  couvent  de  Longchamps.  Elle 
vaut  d'être  retracée  à  grands  traits. 

Nous  sommes  en  l'année  loo2.  Le  couvent 
est  en  fête.  Déjà  on  a  paré  l'église  comme  on 
a  coutume  de  le  faire  pour  les  grandes  solen- 
nités. Françoise  Mouchy,  novice  depuis  neuf 
années,  va  faire  sa  profession.  La  veille  de  la 
cérémonie,  à  l'heure  de  vêpres,  voici  que  des 
piétinements  de  chevaux  se  font  entendre  dans 
la  cour.  Bientôt  on  voit  descendre  de  sa  litière 
une  très  vieille  dame.  C'est  madame  de  Sénar- 
pont,  la  grand'mère  de  mademoiselle  de  Mou- 
chy. Trente  personnes  au  moins  l'accompa- 
gnent. Tout  ce  monde  viendrait-il  pour  assister 
à  la  fête  religieuse  qui  se  prépare?  On  ne 
tarde  pas  à  être  iixé  à  ce  sujet.  Madame  de  Sé- 

i.  Antiquités  de  Paris,  op.  cit. 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    181 

narpont,  après  avoir  salué  l'abbesse,  a  fait  de- 
mander sa  petite-fille  et  lui  dit  :  «  Ma  fille,  il 
faut  que  vous  obéissiez  à  votre  père  et  vous 
en  reveniez.  »  Et  Sénarpont,  son  frère,  d'ajou- 
ter :  «  Ma  sœur,  je  ne  m'accorde  pas  que  vous 
fassiez  profession;  je  veux  vous  parler  en  par- 
ticulier. »  La  jeune  fille  se  rend  à  l'église  avec 
son  frère,  tandis  que  les  autres  parents  s'ef- 
forcent de  tenir  les  religieuses  à  l'écart.  Ce- 
pendant le  temps  s'écoule.  C'est  l'heure  de 
compiles.  Les  religieuses  veulent  y  conduire 
la  novice.  Madame  de  Sénarpont  les  repousse 
avec  rudesse  en  menaçant  d'emmener  immé- 
diatement sa  petite-fille.  Le  soir  vient.  L'ab- 
besse supplie  les  Sénarpont  de  se  retirer. 
Arrivée  à  la  porte,  brusquement,  madame  de 
Sénarpont  cherche  à  entraîner  la  jeune  Fran- 
çoise. Celle-ci  se  débat,  appelle  la  portière  à 
son  aide.  On  la  délivre  et  elle  se  réfugie  dans 
le  cloître.  Ce  que  voyant,  M.  de  Sénarpont  fait 
signe  à  trois  hommes  armés  qui  se  mettent  à 
courir  l'épée  nue  à  travers  la  maison,  criant, 
jurant  comme  des  furieux.  Ils  pénètrent  dans 
l'infirmerie,  frappent  les  infirmières  à  coups  de 
pommeaux  d'épée,  ce  dont  les  malades  pensent 
mourir  de  peur,  brisent  les  portes  de  l'église 

11 


182         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

OÙ  les  religieuses  épouvantées  essayent  de 
chanter  le  Salve  Regina,  qu'elles  interrompent 
de  cris  d'effroi.  Les  trois  reîtres  terminent  leur 
visite  par  le  dortoir  où  ils  se  mettent  en  devoir 
de  relever  les  custodes  des  lits.  Cependant,  le 
Père  provincial  prévenu  du  désordre  a  fait 
sonner  la  cloche  d'alarme.  Les  bonnes  gens 
du  village,  croyant  que  le  feu  est  au  monas- 
tère, accourent  en  hâte.  Les  voici,  au  nombre 
de  quatre  cents.  On  retrouve  la  novice  plus 
morte  que  vive.  On  la  traîne  à  l'église  où  on  la 
laisse  sous  la  garde  de  deux  hommes  sûrs. 
L'abbesse,  alors,  s'adressant  aux  parents,  leur 
intime  l'ordre  de  sortir  du  couvent.  Les  sei- 
gneurs qui  accompagnent  les  Sénarpont  lui 
répondent  par  des  invectives  et  des  menaces. 
De  part  et  d'autre  on  va  s'élancer  ;  les  paysans 
lèvent  leurs  fourches,  les  soldats,  leurs  épées... 
«  Il  y  eût  eu  grande  tuerie,  si  le  Père  provincial 
n'eût  réussi  à  apaiser  les  paysans  et  la  bande 
des  Sénarpont.  Devant  tout  le  monde  réuni,  il 
demanda  à  la  novice  si  elle  voulait  quitter  le 
couvent,  si  elle  a  été  contrainte  en  quelque 
manière.  La  novice  répliqua  que  non  et  qu'elle 
entendait  rester.  Sur  cette  déclaration,  les 
parents  consentirent  à   s'en  aller  sans   elle. 


DANS     LES    ABBAYES    DE    FEMMES  183 

D'une  traite  ils  coururent  à  Paris,  où  ils 
avaient  le  bras  long...  »  Ayant  été  les  premiers 
à  se  plaindre,  ils  rapportèrent  les  choses  à  leur 
façon,  tant  et  si  bien  que  le  lendemain,  made- 
moiselle de  Mouchy  dut,  par  ordre  royal, 
rentrer  dans  sa  famille.  Le  confesseur  du  cou- 
vent était  arrêté  et  enfermé  à  Saint-Martin-des- 
Champs.  On  le  relâcha  d'ailleurs  peu  de  jours 
après. 

J'ignore  ce  qu'il  advint  de  la  novice  rendue 
au  monde  malgré  elle  ;  ce  que  je  sais  seule- 
ment, c'est  qu'à  la  suite  de  cette  terrible 
journée  au  cours  de  laquelle  le  monastère  avait 
failli  être  transformé  en  champ  de  bataille,  la 
pauvre  abbesse  fut  malade  des  fièvres.  Il  faut 
avouer  qu'elle  eût  pu  l'être  à  moins ^.. 

1.  Registre  manuscrit  contenant  la  nomenclature  des 
abbesses  qui  ont  gouverné  l'abbaye  de  Longchamps  depuis 
l'an  1260  jusqu'en  1737.  (Arch.  nat.,  LL.  1604.) 


Au  milieu  de  toutes  ces  aventures,  que  devient  la  paix 
des  cloîtres?  —  Comment  les  prédicateurs  jugeaient 
les  religieuses.  —  Degré  de  confiance  qu'il  convient 
d'accorder  à  ces  accusations,  —  Religieuses  sans 
vocation.  — Elles  méritent  l'indulgence.  — Désordre 
général  dans  les  esprits,   les  institutions,  les  idées. 

—  Si  les  monastères  avaient  été  aussi  corrompus 
qu'on  se  plaît  à  le  dire,  les  personnes  vraiment 
pieuses  s'en  seraient  écartées.  —  Fontevrault.  — 
Chelies.  —  Mademoiselle  de  Chartres.  —  Aventures 
qui  lui  sont  faussement  attribuées.  —  Une  lettre 
apocryphe  de  saint  Vincent  de  Paul.  —  Perspicacité 
admirable  de  ceux  qui  prétendent  pouvoir  jauger  la 
vertu  des  femmes  ayant  vécu  il  y  a  deux  ou  six  siècles  ! 

—  Longchamps.  —  Sa  mauvaise  réputation.  —  De 
l'Opéra  au  couvent  et  du  couvent  à  l'Opéra.  —  Con- 
certs profanes.  —  Les  foudres  de  l'Archevêque.  — 
Promenades  autour  du  couvent.  —  Les  rapports  de 
police.  —  Imprudences  des  religieuses.  —  Un  gé- 
néral dans  un  couvent.  —  Les  monastères  galants. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  183 

—  Montmartre.  —Une  abbesse  qui  jure.  —L'abbaye 
de  la  Joie.  —  Cérémonies  religieuses.  —  Baptême 
de  cloches.  —  Réception  de  reliques. 


Guerres,  difficultés  intestines,  exodes  for- 
cées, différends  avec  les  évêques,  aventures 
diverses  plus  ou  moins  émotionnantes,  n'en 
voilà-t-il  pas  déjà  trop  pour  la  paix  des  cloîtres? 
D'autres  aventures  d'un  genre  un  peu  spécial 
contribuaient  encore  à  troubler  cette  paix,  et 
nous  sommes  amenés  à  effleurer  cette  question 
des  mœurs  qui  a  fait  couler  tant  d'encre  et  sur 
laquelle  il  serait  sans  doute  inutile  de  revenir, 
si  l'on  ne  devait  s'efforcer  de  rechercher  dans 
quelle  mesure  sont  exactes  les  accusations  por- 
tées —  de  tout  temps  —  contre  l'immoralité 
des  abbayes  de  femmes. 

Si  l'on  s'en  tient  aux  sermons  de  certains 
prédicateurs,  force  est  bien  d'admettre  que  dès 
les  premiers  siècles  de  l'Eglise,  la  corruption 
s'était  introduite  dans  nombre  de  couvents.  Les 
diatribes  violentes  et  grossières  prononcées  en 
ce  langage  si  cru  propre  à  quelques  orateurs 
sacrés,  doivent-elles  être  prises  au  pied  de  la 
lettre?  Quand,  sans  remonter  plus  haut,  Bar- 
bette ou   Nicolas   de    Clémangis,  docteur    en 


186         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Sorbonne,  lancent  à  l'égard  des  abbayes  de 
femmes  la  menace  et  l'injure,  les  accablant 
sous  les  accusations  les  plus  horribles,  nous 
trouvons-nous  en  face  de  réquisitoires  basés  sur 
des  faits  évidents  ou  s'agit-il  seulement  de 
mouvements  oratoires  d'un  goût  discutable? 
Oh  sont  les  preuves  de  ce  qu'avancent  ces  pré- 
dicateurs au  verbe  si  vulgaire?  Quels  témoi- 
gnages invoquent-ils  dont  on  puisse  apprécier 
la  véracité?  N'y  a-t-il  pas  lieu,  en  tout  cas,  de 
faire  la  part  de  l'exagération,  de  ce  besoin 
qu'avaient  alors  si  généralement  les  moines 
prêcheurs,  d'effrayer,  de  terroriser  leurs  audi- 
toires par  la  peinture  volontairement  poussée 
au  noir  des  mœurs  de  leur  époque.  Il  est  assez 
d'usage,  faut-il  le  répéter,  que  ces  mœurs 
trouvent  d'ordinaire  dans  les  membres  du 
clergé,  des  censeurs  peu  enclins  à  la  bienveil- 
lance. Je  ne  pense  pas  que  dans  la  collection 
complète  des  sermons  prononcés  depuis  l'ori- 
gine du  christianisme,  on  en  puisse  découvrir 
un  seul  où  les  mœurs  du  temps  soient  jugées 
plus  pures  que  celles  des  siècles  précédents. 
Cette  coutume  de  tenir  les  mœurs  présentes 
pour  les  plus  déplorables  et  les  plus  perverses 
était  poussée  jusqu'à  la  manie  par  les  orateurs 


DANS    LES    ABBAYES     DE    FEMMES  187 

du  Moyen  âge  et  du  xvi°  siècle.  C'est  là  une 
première  raison  pour  ne  pas  accorder  à  ces 
imputations  une  confiance  illimitée.  Mais 
lorsque,  d'autre  part,  on  voit  combien,  plus 
près  de  nous,  au  xvii®  ou  au  xviii*  siècle,  par 
exemple,  les  actes  reprochés  aux  religieuses 
ont  été  dénaturés  et  faussés,  on  en  vient  à  se 
demander  quel  degré  de  créance  méritent  ces 
prédicateurs  fougueux  dont  l'intempérance  de 
langage,  loin  de  nous  convaincre,  inspire  je  ne 
sais  quelle  méfiance  et,  malgré  tout,  nous  laisse 
fort  sceptiques. 

•Je  veux  bien  que  les  mœurs  des  religieuses 
aient  été  ici  et  là  passablement  dissolues.  Un 
grand  nombre  de  jeunes  filles  entraient  au 
couvent  sans  l'ombre  même  d'une  vocation  et 
n'y  demeuraient  que  contraintes  et  forcées, 
non  par  la  volonté  de  leurs  parents,  mais  par 
tout  un  ensemble  de  circonstances  au  milieu 
desquelles  elles  se  seraient  débattues  aussi 
vainement  que  si  on  les  eût  emmaillotées  dans 
un  filet.  A  celles-là,  comment  reprocher  trop 
durement  d'avoir  cherché"  des  distractions  peu 
conformes  à  un  habit  qu'elles  ne  souhaitaient 
rien  tant  que  de  quitter?  Faut-il  rappeler  aussi 
à  quel  point  la  vie  des  monastères  fut  traversée 


188         FILLES     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

d'orages?  Ces  exodes  sur  Paris,  ces  pillages, 
ces  transes  continuelles  parmi  des  pays  ra- 
vagés, au  milieu  de  troupes  brutales,  tout  cela 
était-il  donc  fait  pour  permettre  aux  reli- 
gieuses de  distinguer  nettement  le  bien  d'avec 
le  mal  ? 

En  des  temps  paisibles,  où  la  vie  du 
monastère  s'écoulait  sans  heurt  ni  tracas,  si 
quelque  religieuse  venait  à  manquer  aux  de- 
voirs de  son  état,  il  appartient  à  ceux  qui  n'ont 
jamais  failli  de  les  écraser  de  leurs  sarcasmes 
et  de  leur  mépris.  Mais  quand  l'existence  des 
couvents  est  telle  que  nous  l'avons  pu  voir, 
quand  de  tous  côtés,  c'est  la  menace,  ou  la 
tentation,  quand  le  pays  lui-même  semble  dé- 
séquilibré, prêt  à  ployer  sous  le  poids  des 
ennemis,  quand  les  umes  flottent  indécises 
entre  l'expérience  d'une  religion  séculaire  et 
les  séductions  d'un  dogme  nouveau,  quand,  de 
toutes  parts,  c'est  la  confusion,  le  désordre,  la 
lutte  dans  les  esprits,  les  idées,  les  institutions, 
comment  exiger  des  religieuses  —  qui  sont  des 
êtres  humains  et,  par  surcroît,  des  femmes  — 
que  seules,  dans  ce  tumulte  général,  elles 
conservent  toutes  dans  leur  cœur  un  calme 
céleste,  dans  leur  raison  une  inébranlable  fer- 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    189 

meté,  et  dans  leurs  âmes  désemparées  une  in- 
domptable vertu?... 

En  définitive,  et  sans  vouloir  nier  l'évidence, 
l'exagération  paraît  avoir  singulièrement  grossi 
toutes  ces  histoires  plus  ou  moins  scanda- 
leuses. Il  serait  bon  de  se  rendre  compte  que 
si  tous  les  couvents  avaient  joui  d'une  réputa- 
tion aussi  fâcheuse  qu'on  le  prétend,  les  per- 
sonnes vraiment  pieuses  (on  accordera  qu'il  y 
en  avait)  s'en  fussent  écartées  et  en  eussent 
écarté  leurs  filles.  Allons  plus  loin.  Quoi  que 
l'on  puisse  penser  de  la  moralité  du  roi 
Louis  XV,  et  je  conviens  que  celle-ci  était 
mince,  croit-on  qu'il  eût  envoyé  ses  filles  à 
Fonte vrault,  si  cette  abbaye  avait  été  réputée 
pour  ses  mœurs  douteuses? 

Ne  nous  attardons  pas  à  Fontevrault,  dont, 
à  la  vérité,  il  ne  fut  jamais  très  mal  parlé. 

Chelles  fut  bien  autrement  attaqué.  Peut- 
être  ce  monastère  doit-il,  en  partie,  sa  mau- 
vaise réputation  à  cette  fille  du  Régent,  made- 
moiselle de  Chartres,  qui  en  fut  nommée 
abbesse,  le  6  juin  1719,  succédant  à  madame 
de  Villars,  démissionnaire  un  peu  malgré  elle. 
Or,  même  quand  il  s'agit  de  mademoiselle  de 
Chartres,    voici    comme    on    écrit   l'histoire. 

H. 


190         FILLES     XOBLES    ET    MAGICIENNES 

Après  beaucoup  d'autres  écrivains  d'ailleurs, 
madame  Lucien  Perey  raconte  dans  son  His- 
toire d'une  grande  dame  au  X  VHP  siècle,  que 
la  princesse  aurait  été  l'héroïne  de  multiples 
aventures,  lorsqu'elle  était  abbesse  de  l'Ab- 
baye-au-Bois.  Elle  cite  à  l'appui  quelques 
anecdotes  qui  ne  laisseraient  pas  d'être  pi- 
quantes si  elles  étaient  exactes.  Mais,  si  elles 
sont  exactes,  du  moins  ne  se  rapportent-elles 
pas  à  mademoiselle  de  Chartres,  pour  l'excel- 
lente raison  que  mademoiselle  de  Chartres  ne 
fut  jamais  abbesse  de  l'Abbaye-au-Bois . 
M.  Torchet  a  démontré  de  façon  péremptoire 
qu'à  l'époque  incriminée,  l'abbesse  de  l'Ab- 
baye-au-Bois était  madame  du  Harlay  de 
Champvallon  qui  demeura  en  charge  de  1705 
à  1722.  Lucien  Perey  ajoute  que  la  princesse 
causa  aussi  quelque  scandale  à  Saint-Antoine 
quand  elle  gouverna  cette  abbaye.  Mais  l'ab- 
baye de  Saint-Antoine  avait  pour  abbesse 
Gabrielle  de  Scaglier- Verrue,  à  laquelle  suc- 
céda la  princesse  Eléonore  de  Bourbon-Gondé 
et  mademoiselle  de  Chartres  ne  mit  jamais  les 
pieds  à  Saint-Antoine*.  Alors?... 

.   1.  Histoire  de  l'Abbaye  de  Chclles,  op.  cit. 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  19i 

Prenons  un  autre  exemple.  Il  a  été  fait  un 
certain  état  d'une  lettre  qu'aurait  écrite  saint 
Vincent  de  Paul,  relative  aux  débordements 
du  couvent  de  Longehamps,  Il  n'y  a  qu'un 
petit  malheur,  dit  M.  Duchesne,  qui  a  étudié  de 
près  la  question,  c'est  que  la  lettre  est  apo- 
cryphe ;  le  faussaire  n'a  oublié  qu'une  chose,  à 
savoir  qu'à  la  date  qu'il  inscrivait  sur  le  papier, 
saint  Vincent  était  mort  depuis  sept  ans^ 

En  présence  de  ces  deux  simples  faits,  il 
semble  que  la  plus  grande  prudence  doive 
s'imposer.  En  dehors  de  quelques  aventures 
notoires,  comment  démêler  la  vérité  touchant 
les  mœurs  si  souvent  et  si  lourdement  incri- 
minées des  religieuses  et  abbesses  des  cou- 
vents d'autrefois?  S'il  est  assez  malaisé  de 
mesurer  avec  exactitude  le  degré  de  vertu  de 
nos  contemporains  et  contemporaines,  des  per- 
sonnes même  de  notre  entourage  et  de  celles 
qui  nous  tiennent  de  plus  près,  n'est-il  pas  un 
peu  présomptueux  vraiment  de  prétendre  ap- 
précier avec  certitude  la  moralité  de  femmes 
ayant  vécu  il  y  a  quelque  deux  cents  ans  ou 
bien  voici  sept  siècles?  Envions  ceux  qui  se 

1.  G.  Duchesne  :  Histoire  de  l'abbaye  de  Longehamps. 


192         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

sentent  capables  de  porter  de  tels  jugements  et 
de  si  précis.  Leur  perspicacité  est  admirable  de 
savoir  débrouiller  le  vrai  dans  le  fatras  des 
gazetins,  des  mémoires,  des  «  potins  »  du 
temps  parvenus  jusqu'à  nous... 

Parmi  les  monastères  qui  passaient  pour  fort 
galants  (Dieu  me  pardonne  de  nier  qu'il  y  en 
eut  à  qui  ce  renom  fut  fort  mérité),  Longchamps 
vaudrait  qu'on  s'y  arrêtât  un  instant.  Ce  cou- 
vent n'était  pas  très  recherché  des  filles  de  la 
noblesse.  Si  nous  en  exceptons  l'abbesse,  qui, 
là  comme  ailleurs,  appartient  d'ordinaire  à 
l'aristocratie,  les  autres  religieuses  sont  pour 
la  plupart  d'extraction  bourgeoise  ou  rotu- 
rière. Jusqu'à  la  fin  du  xvi"  siècle,  rien  ne 
vient  ternir  sa  réputation.  Mais  le  siège  de 
Paris  par  Henri  IV  paraît  lui  avoir  été  fatal. 
C'est  du  moins  de  cette  époque  que  date  le  re- 
lâchement qu'on  observe  dans  la  discipline. 
Les  religieuses  abandonnent  la  robe  grise  pour 
adopter  l'habit  blanc,  plus  seyant  et  moins 
austère.  Plusieurs  d'entre  elles  commencent  à 
mener  une  existence  très  peu  édifiante,  reçoi- 
vent qui  bon  leur  semble,  en  prennent  à  leur 
aise  avec  la  clôture,  témoignent  enfin  d'une 
indépendance  incompatible  avec  leur  profes- 


DAXS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    193 

sion.  Faut-il  attribuer  ces  abus  aux  périodes 
de  troubles  que  le  monastère  venait  de  traver- 
ser, périodes  durant  lesquelles  les  religieuses 
avaient  été  laissées  sans  surveillance  aucune  de 
la  part  de  leurs  supérieurs,  ce  qui  leur  avait 
permis  de  prendre  avec  la  règle,  des  libertés 
dont  elles  ne  voulaient  plus  perdre  l'agréable 
habitude?  Il  se  peut.  Ce  qui  paraît  sûr,  c'est 
que  dès  les  premières  années  du  xvii^  siècle, 
d'assez  mauvais  exemples  leur  furent  apportés 
par  les  femmes  élégantes  de  Paris  qui  s'étaient 
engouées  de  deux  cordeliers  habitant  dans  le 
voisinage  de  Longchamps,  confesseurs  à  la' 
mode,  qu'elles  venaient  consulter  en  grand 
équipage.  A  ces  femmes  de  la  société  n'avaient 
pas  tardé  à  se  joindre  des  dames  peu  rigou- 
reuses dans  leurs  mœurs,  et  bientôt  des  demoi- 
selles tout  à  fait  déclassées.  Il  est  clair  que, 
déjà  à  cette  époque,  le  monastère  de  Long- 
champs  avait  de  trop  fréquentes  et  trop  intimes 
accointances  avec  le  monde  pour  conserver 
intacte  sa  bonne  réputation.  Ce  fut  bien  pis 
au  siècle  suivant. 

On  ne  sait  quel  vent  profane  a  soufflé  sur  le 
couvent.  Voici  qu'on  y  célèbre  les  offices  avec 
une  pompe  théâtrale  qui  attire  tout  le  Paris 


194         FILLES     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

d'alors.  L'office  des  ténèbres  notamment  est 
suivi  par  toute  la  noblesse  désœuvrée  et  riche 
à  laquelle  se  mêle  la  foule  des  curieux.  Voici, 
par  surcroît,  que  mademoiselle  de  Maure,  can- 
tatrice de  l'Opéra  adulée,  choyée,  quittant 
brusquement  le  monde,  s'avise  de  venir  prendre 
le  voile  à  Longchamps.  Elle  ne  tarde  pas  à  y 
être  suivie  par  une  autre  cantatrice  non  moins 
appréciée,  mademoiselle  de  Fel.  11  serait  exa- 
géré de^dire  que  ces  demoiselles,  si  bien  inten- 
tionnées qu'elles  fussent,  apportaient  au  cou- 
vent des  habitudes  strictement  monacales. 
Priées  de  chanter,  elles  s'exécutent  de  bonne 
grâce  et,  accompagnées  d'un  orchestre  com- 
plet, donnent  dans  l'église  des  concerts  qui 
n'ont  rien  à  envier  à  ceux  que  l'on  entend  à 
l'Opéra.  Quand,  regagnée  par  les  séductions 
de  la  vie  libre,  mademoiselle  de  Maure  jettera 
son  voile  aux  orties  pour  revêtir  à  nouveau  les 
oripeaux  de  théâtre,  le  branle  est  donné.  Les 
concerts  continuent  de  plus  belle,  concerts  qui 
n'ont  plus  de  religieux  que  le  lieu  où  l'on  vient 
les  entendre,  et  pour  lesquels  on  engage  des 
acteurs  et  des  chœurs  de  l'Opéra.  Le  public, 
est-il  besoin  de  le  dire,  trouve  du  piquant  à  ce 
genre  de  spectacle;  il  afflue,  et  les  femmes  fai- 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  195 

sanl  assaut  de  toilettes,  l'église  du  monastère 
prend  aux  jours  de  cérémonies  un  aspect  sé- 
millant et  coquet  que  n'avait  certes  pas  prévu 
la  sainte  fondatrice  de  Longchamps,  dame 
Ysabel  de  France... 

L'archevêque  de  Paris  finit  par  intervenir 
et,  brusquement,  fait  fermer  l'église  du  cou- 
vent. Voilà  les  concerts  interrompus  !  Mais  la 
mode  reste  la  plus  forte.  Si  l'église  est  close, 
si  l'archevêque  empêche  qu'on  y  vienne  ouïr 
de  la  musique,  il  ne  peut  interdire  aux  gens 
de  se  promener  aux  alentours  du  monastère. 
Cela  devient  l'endroit  en  vogue  ;  chaque  jour, 
c'est  une  succession  de  beaux  carrosses  qui, 
lentement,  font  le  tour  des  bâtiments  ;  on  s'ar- 
rête, on  cause,  on  goûte.  Les  portes  de  ces 
bâtiments  étaient-elles  assez  bien  barricadées 
pour  qu'il  fût  impossible  à  quelques  jeunes 
seigneurs  aventureux  d'y  pénétrer?  Je  ne  l'af- 
firmerais pas,  et,  sans  doute,  les  uns  ou  les 
autres  gagnèrent-ils  les  faveurs  de  certaines 
religieuses  peu  résignées  au  cloître. 

Il  serait  puéril  d'ajouter  une  foi  trop  absolue 
aux  rapports  de  police  qui  sont  inépuisables 
sur  Longchamps.  Les  rapports  de  police  sont 
toujours  sujets  à   caution.   Ceux  dont  je  me 


196         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIEXiNES 

suis  servi  pour  retracer  ces  quelques  faits, 
dénués  de  tout  commencement  de  preuves  et 
basés  sur  des  racontars,  ne  méritent  qu'une 
confiance  limitée.  Toutefois,  il  faut  bien 
admettre  que  tout  n'était  pas  faux  dans  ce  que 
les  policiers  relataient  si  copieusement.  Il  est 
avéré  que  la  galanterie  de  certaines  religieuses 
eut  des  résultats  fâcheux  encore  que  naturels. 
D'autre  part,  il  est  non  moins  vrai  que,  pres- 
sées d'argent,  les  nonnes  avaient  jugé  à  propos 
de  louer  des  appartements  et  des  maisonnettes 
dans  l'enceinte  de  leur  monastère  sans  pren- 
dre souci  de  se  renseigner  au  préalable  sur  la 
qualité  des  personnes  qu'elles  admettaient 
ainsi,  en  quelque  sorte,  dans  l'intimité  de  leur 
vie.  Cela  donnait  fort  à  causer,  et  le  seul  fait 
d'avoir  cédé  à  bail  un  petit  jardin  à  un  officier 
général  nommé  Beaudoin,  suffisait  à  excuser 
les  gens  qui  crient  volontiers  au  scandale. 

D'autres  abbayes  étaient  l'objet  d'accusa- 
tions très  vives,  qui  n'étaient  point  toutes 
calomnieuses.  L'abbaye  de  Montmartre  était 
de  ce  nombre.  Au  temps  du  bon  roi  Henri, 
pour  qui  l'abbesse  avait  eu  des  bontés  trop 
certaines,  ce  monastère  passait  pour  n'engen- 
drer   pas   mélancolie.     Dans    la    galerie    des 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    197 

abbayes  plus  profanes  que  dévoles  et  plus 
galantes  que  mystiques  (encore  ne  faudrait-il 
pas  généraliser  et  jeter  sur  toutes  les  reli- 
gieuses de  ces  couvents  le  discrédit  que, 
seules,  quelques-unes  d'entre  elles  méri- 
taient), on  pourrait  ranger  encore  l'abbaye  de 
Maubuisson,  gouvernée  par  une  princesse  qui 
c  jurait  peu  canoniquement  et  se  conduisait 
de  même  >,  Chaillot,  où  le  duc  de  Richelieu 
enleva  successivement  (mais  parmi  les  élèves, 
ce  qui  prouve  tout  au  plus  qu'on  les  gardait 
assez  mal),  sa  maîtresse  et  sa  femme  *  :  l'abbaye 
de  la  Joie,  dont  l'abbesse,  mademoiselle  de 
Beauvilliers,  ne  fut  pas  cruelle,  dit-on,  au 
beau  Ségur,  et  ce  monastère  du  Traisnel  où 
d'Argenson,  s'il  faut  l'en  croire,  aurait  établi 
sa  demeure  privée  auprès  de  la  gracieuse 
et  adroite  abbesse  que  fut  mademoiselle  de 
Villemont. 

Mais  quoi,  je  n'écris  pas  ici  l'histoire  des 
couvents  galants  au  xvii*  ou  au  xviii^  siècle. 
Je  n'ai  parlé  de  quelques-uns  que  pour  ne  pas 
laisser  tout  à  fait  dans  l'ombre  un  des  côtés 


1.  Peut-être  était-ce  un  jour  où  la  porte  du  couvent  était 
gardée  par  une  élève  !  (\'oir  chapitre  \i). 


198         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

les  plus  connus  et  les  plus  rebattus  de  la  vie 
monastique  d'autrefois,  et  aussi  pour  essayer 
de  faire  voir  combien  s'impose  une  prudente 
circonspection  dans  l'examen  des  faits  et  des 
circonstances  qui,  en  apparence,  prêtent  le 
plus  à  la  glose  et  soulevèrent  les  commentaires 
malveillants. 

Toutes  les  cérémonies  n'avaient  pas  le  carac- 
tère profane  de  celles  dont  nous  avons  parlé. 
Dans  ce  même  couvent  de  Longchamps,  il  y 
en  eut  de  fort  pieuses  et  de  fort  édifiantes, 
témoin  cette  grande  fête  que  présidait  l'arche- 
vêque de  Paris,  monseigneur  de  Ventadour,  en 
1630,  à  l'occasion  de  l'ouverture  de  la  tombe 
de  dame  Ysabel  de  France.  Cette  ouverture 
fut  pratiquée  en  présence  de  la  princesse  de 
Gondé,  du  jeune  prince  son  fils,  de  mademoi- 
selle de  Bourbon,  de  la  duchesse  d'Aiguillon 
«  et  de  plusieurs  autres  dames  de  bonne  com- 
pagnie ».  Une  demoiselle,  paralytique  de  tous 
ses  membres,  qui  s'était  fait  apporter  en 
chaise,  fut  guérie  à  l'ouverture  du  tombeau  et 
commença  à  marcher  seule  dans  l'église,  «  ce 
qui  apporta  grand  étonnement  et  admira- 
tion au  dit  seigneur  archevêque  et  à  toute  la 
société   ».  Les  cloches  aussitôt  de  sonner  en 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  199 

volées  et  le  Te  Deum  de  retentir  sous  les 
voûtes  de  la  chapelle.  Les  restes  de  dame 
Ysabel  déposés  dans  une  châsse  provisoire, 
furent,  trois  années  plus  tard,  enfermés  dans 
une  autre  châsse  dorée  et  ciselée  qui  pesait 
soixante-quinze  marcs  d'argent  et  coûtait 
3.7o0  livres. 

Non  moins  somptueuse,  mais  conservant 
toujours  un  caractère  exclusivement  religieux, 
fut  la  fête  organisée  pour  le  haptême  des  clo- 
ches nouvellement  refondues.  La  première, 
nommée  Marie,  avait  pour  parrain  M.  le  Prési- 
dent de  Bellièvre  et  pour  marraine  madame 
Motte,  femme  du  procureur  général  (voilà  une 
cloche  prédestinée  à  sonner  l'heure  de  la  jus- 
tice!); les  autres,  Ysabel  et  Louise,  eurent 
des  parrains  et  marraines  plus  modestes. 

Mais  qu'est  cela  auprès  de  la  cérémonie  si 
naïvement  touchante  à  laquelle  donna  Heu  la 
remise  au  couvent  de  Longchamps  d'une  reli- 
que bien  précieuse,  puisqu'il  ne  s'agissait  plus 
d'un  lambeau  de  vêtement  porté  par  quelque 
saint  ou  d'un  éclat  d'os  provenant  de  quelque 
martyr,  mais  du  corps  entier  de  saint 
Alexandre  !  Cette  relique  arriva  aii  couvent 
dans  le   courant   de   septembre    1662.  On   la 


200         FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

déposa  dans  une  armoire  du  trésor  où  elle 
resta  un  an.  «  L'abbesse  ayant  demandé  au  Père 
Faucemberge  de  qui  il  la  tenait,  celui-ci  expli- 
qua que  le  Pape  lui  avait  permis  de  choisir 
dans  la  trentaine  de  corps  de  martyrs  récem- 
ment retrouvés  à  Rome,  celui  qu'il  voudrait,  et 
qu'il  avait  lui-même  retiré  du  caveau  le  corps 
de  saint  Alexandre  avec  une  fiole  de  nacre  de 
perle  contenant  de  son  sang  et  une  petite 
lampe  de  terre.  Le  tout  avait  été  mis  dans  un 
cercueil  de  bois  aromatisé  qui  fat  ensuite 
recouvert  d'une  châsse  fort  riche  ^  » 

Nous  avons  vu  que  les  intronisations  d'ab- 
besses  fournissaient  aussi  prétexte  à  des  céré- 
monies religieuses  imposantes.  Il  en  était 
pareillement  des  vêtures  qui  empruntaient  un 
éclat  spécial  à  la  situation  des  familles  de  la 
jeune  novice.  Plus  de  six  cents  personnes 
assistent  à  la  prise  de  voile  de  mademoiselle 
de  Chartres  à  Ghelles.  L'église  parée  de  fleurs, 
inondée  de  lumières,  resplendit  encore  de 
toute  la  richesse  des  parures  arborées  par  les 
dames  de  la  cour,  des  feux  des  diamants,  des 
broderies,   des  chamarrures.   Le    cardinal    de 

1.  Arch.  nat.,  LL.  1604. 


DANS    LES    ABBAYES     DE    FEMMES  201 

Noailles  officie  ^  S'agit-ii  d'une  humble  fille 
qui  vient  se  consacrer  à  Dieu  ou  d'une  prin- 
cesse que  la  cour  accompagne  et  dont  elle 
salue  la  hautaine  fantaisie?  En  vérité,  on  ne 
sait  plus. 

1.  On  raconte  qu'une  jeune  fille,  éblouie  par  la  majesté 
d'une  fête  religieuse  à  laquelle  prenaient  part  une  grande 
quantité  d'évêques,  s'écria  :  «  N'est-ce  point  là  le  paradis  ? 
—  Eh  non,  lui  répondit  quelqu'un,  il  n'y  aurait  pas  tant 
d'évêques!  »  Ce  mot  qu'on  a  prêté  à  une  assistante  de  la 
cérémonie  de  Chelles,  est  en  réalité  une  réédition  d'un  mot 
de  madame  de  Sévigné. 


VI 


L'éducation  des  jeunes  filles.  —  Ce  qu'elle  était.  — 
Les  devoirs  du  ménage.  —  Pourquoi  on  mettait  les 
enfants  de  si  bonne  heure  au  couvent.  —  Prix  des 
pensions.  —  Les  filles  de  Louis  XV  à  Fontevrault. 
—  Régimes  d'exception.  —  Pensionnaires  libres.  — 
Mode  de  se  réfugier  dans  les  couvents.  —  L'Abbaye- 
au-Bois;  —  Bellechasse,  et  leurs  hôtes.  —  Un 
bureau  d'esprit  chez  les  religieuses.  —  Marie  d'Esté 
à  Chaillot.  —  Madame  du  Deffand  à  Saint-Joseph.  — 
Son  installation.  —  Le  mobilier  «  bouton  d'or.  »  — 
Madame  de  Montespan.  —  Un  Stuart  caché  à  Saint- 
Joseph. —  Un  mobilier  de  petite-maîtresse.  — Prix  de 
divers  logements  dans  les  abbayes.  —  Inconvénients 
de  la  présence  de  personnes  étrangères  dans  les 
monastères.  —  Le  vent  de  frivolité  souffle  dans  les 
cloîtres.  —  La  diminution  de  l'esprit  religieux.  — 
Le  Révolution  le  ranime.  —  11  faut  que  les  portes 
des  couvents  soient  fermées. 


DANS    LES    xVBBAYES    DE    FEMMES  203 


Au  nombre  des  ressources  que  les  abbayes 
avaient  cherché  à  se  créer,  figuraient,  on  ne 
l'a  pas  oublié,  l'éducation  des  jeunes  filles  et 
la  retraite  offerte  aux  femmes  de  la  société. 

Je  dirai  ici  quelques  mots  des  unes  et  des 
autres. 

Qu'on  se  rassure  ;  je  ne  tenterai  pas  une  his- 
toire de  l'éducation  des  filles  aux  siècles 
passés.  Cette  histoire  a  été  faite  et,  sans  doute, 
de  façon  définitive  par  des  écrivains  spécia- 
lisés en  la  matière.  L'éminent  académicien 
qu'est  M.  le  marquis  de  Ségur,  au  cour^  d'une 
conférence  publiée  plus  tard  avec  d'autres 
études  savoureuses  S  a  su,  en  des  pages 
pleines  d'érudition,  avec  un  sens  très  fin  et 
une  grande  indépendance  d'esprit,  résumer  la 
question  beaucoup  mieux  que  je  ne  saurais  le 
faire  moi-même.  Je  me  garde  donc  de  vouloir 
dresser  le  bilan  de  l'éducation  féminine  au 
XV II*  et  au  xviii^  siècle,  non  plus  que  de 
rechercher  si  elle  répondait  exactement  aux 
besoins  du  temps  et  pas  davantage  de  signaler 

i.  Marquis  de  Ségur  :  Esquisses  et  Récits. 


204         FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

les  modifications  successives  que  lui  imposa 
la  mode.  La  part  faite  à  l'instruction  propre- 
ment dite  était  minime.  Un  peu  d'histoire, 
«  dont  les  faits  sont  rapportés  sèchement  et 
sans  détails  »,  un  peu  de  géographie  rudimen- 
taire,  la  mythologie,  le  style,  des  éléments  de 
calcul  ;  c'est  à  peu  près  tout.  Une  assez  large 
place  est  accordée  à  la  théologie,  au  moins 
jusqu'au  xviii®  siècle,  où  on  la  remplace  par 
des  lectures  «  les  plus  disparates  et  les  notions 
les  plus  confuses  sur  tous  les  sujets  à  la 
fois  ».  En  revanche,  et  ceci  est  appréciable, 
l'on  s'efforce  d'inculquer  aux  jeunes  filles  le 
goût  et  l'habitude  des  devoirs  du  ménage. 
Elles  sont  astreintes  aux  plus  humbles  beso- 
gnes. «  C'est  ainsi,  dit  M.  de  Ségur,  qu'on  voit 
à  l'Abbaye-au-Bois,  mesdemoiselles  de  Mont- 
barrey  et  de  la  Roche-Aymont  préparer  le  linge 
de  la  maison,  mesdemoiselles  de  Beaumont  et 
d'Armaillé  préposées  aux  comptes,  mademoi- 
selle de  Barbentane  à  la  surveillance  de  la 
porte,  mademoiselle  de  Vogué  à  la  cuisine, 
mesdemoiselles  d'Uzès  et  de  Boulainvilliers  au 
balayage,  mesdemoiselles  de  Rohan,  de  Galard, 
d'Harcourt,  à  l'allumage  et  à  l'entretien  des 
lampes.  De  ces  labeurs  modestes,  les  élèves 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  205 

passaient  sans  transition  aux  arts  d'agrément, 
dessin,  musique,  chant  et  danse,  vers  lesquels 
il  est  permis  de  supposer  qu'elles  se  sen- 
taient plus  attirées  que  vers  le  nettoyage  des 
lampes.  » 

L'usage  de  confier  les  jeunes  filles  aux  cou- 
vents, depuis  l'âge  le  plus  tendre  jusqu'à 
l'heure  de  la  majorité,  provenait  pour  une  part 
de  ce  que,  jusqu'au  xviii''  siècle,  beaucoup 
des  filles  étaient  vouées  au  cloître.  N'est-il  pas 
préférable,  pensait-on,  que  des  jeunes  per- 
sonnes destinées  à  prendre  le  voile,  soient  dès 
l'enfance  accoutumées  à  la  discipline  des 
monastères,  et  quelle  nécessité  y  a-t-il  à  leur 
faire  connaître  une  société  dont  elles  resteront 
à  l'écart?  Le  goût  du  monde  ne  risque-t-il  pas 
de  leur  venir,  au  cours  de  ces  années  qui  s'é- 
couleront entre  la  fin  de  leur  éducation  et  leur 
noviciat?  Quand,  au  xviii*  siècle,  on  s'avisera 
que  l'habit  religieux  ne  pouvait  être  imposé  aux 
jeunes  filles  et  que  d'ailleurs,  celles-ci  com- 
mencèrent à  trouver  fort  mauvais  qu'on  les 
en  revêtit  contre  leur  gré,  sans  avoir  au  moins 
essayé  de  les  marier,  la  mode  persista  de 
les  mettre  de  bonne  heure  entre  les  mains 
des  religieuses,    à  sept  ou  huit  ans   d'ordi- 

12 


206         FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

naire  S  c'est-à-dire  vers  l'époque  de  leur 
première  communion  et  de  les  y  laisser  presque 
jusqu'au  moment  du  mariage.  Mais  il  est  juste 
d'ajouter  que  les  mariages  étant  fort  précoces, 
la  durée  de  l'internat  se  trouvait  ainsi,  dans 
la  plupart  des  cas,  très  abrégée. 

Les  pensions  étaient  minimes,  allant  de  300 
à  600  livres  par  an.  Ce  dernier  chiffre  paraît 
avoir  été  un  maximum.  C'est  le  prix  que  l'on 
paie  à  l'Abbaye-au-Bois,  un  des  couvents  les 
mieux  fréquentés  de  Paris  ^.  L'abbaye  de  Pan- 
thémont,  et  sans  doute  ce  couvent  n'était-il  pas 
le  seul,  avait  deux  sortes  de  pensionnaires.  Les 
classes  ou  petite  pension  coûtaient  500  livres  et 
le  couvent  fournissait  les  femmes  de  chambre. 
Mais  il  fallait  apporter  les  meubles ,  lit , 
table.  Le  linge  de  table  et  de  toilette,  les  draps. 
Les  maîtres  d'agrément  se  payaient  à  part. 

«Il  y  a  une  autre  sorte  de  pensionnaires, dont 
les  pensions  sont  plus  fortes,  à  cause  du  loge- 
ment qui  est  plus  grand  et  de  la  nourriture  de 
la  femme  de  chambre  que  la  demoiselle  doit 

1.  Mademoiselle  de  Montpensier,  fille  du  Régent,  fut  mise 
au  couvent  de  Chelles  à  l'âge  de  deux  ans. 

2.  Arch.  nat.,  H.  3240.  Elle  va  à  800  livres  par  an  aux 
Dames  anglaises  et  au  Saint-Sacrement,  mais  «  sans  bois 
ni  chandelle.  » 


DAXS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  207 

amener  avec  elle.  Le  prix  est  arbitraire  et  à  la 
volonté  de  l'abbesse.  '» 

Il  est  vraisemblable  que  les  demoiselles  de 
très  haut  rang,  les  princesses  du  sang  devaient 
jouir  d'un  de  ces  arrangements  spéciaux,  plus 
confortables  encore,  et  que  la  pension  s'en  res- 
sentait dans  de  notables  proportions.  Je  vois 
notamment  qu'il  est  versé  à  l'abbaye  de  Beau- 
mont-les-Tours,  pour  solde  d'une  demi-année 
de  la  pension  de  mademoiselle  de  Verman- 
dois  (1720),  la  somme  de  1.270  livres.  J'ignore 
ce  que  Mesdemoiselles  de  France,  filles  de 
Louis  XV,  payaient  à  Fonte vrault.  On  sait  que 
Mesdames  Quatre,  Cinq,  Six,  et  Sept,  comme 
on  les  désignait,  y  furent  élevées.  «  Elles  sont 
parties  le  16  de  ce  mois,  écrit  en  juin  17-38  le 
commissaire  Dubuisson  au  marquis  de  Gau- 
mont  :  elles  avaient  avec  elles  un  bagage  im- 
mense. Les  femmes  qui  ont  demandé  à  rester 
auprès  d'elles  y  resteront.  Un  maître  queux  sera 
maître  d'hôtel  perpétuel  des  princesses  là-bas. 
Ce  sera  lui  qui  fera  toute  les  dépenses  dont  il 
sera  cru  et  remboursé  sur  son  mémoire  certifié. 
On  lui   donne  trente  mille  francs   pour  com- 

1.  Lettre  inédite,  sans  signature,  adressée  au  comte  de 
TournoB,  hôtel  Languedoc  à  Paris,  1779.  (Arch.  du  Vergier.) 


208         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

mencer  ses  fournitures,  et,  si  son  emploi  dure, 
il  y  a  gros  à  parier  que  les  enfants  de  ce 
maître  queux  pourront  être  maîtres  de  re- 
quêtes \  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  régimes  constituaient  des 
régimes  d'exception  sur  lesquels  ne  pouvaient 
compter  de  façon  certaine  les  abbayes,  et  il  est 
trop  clair  que  les  pensionnaires  ordinaires  ne 
devaient  pas  leur  procurer  de  bien  importants 
bénéfices^. 

Plus  considérables  étaient  les  ressources 
fournies  par  les  appartements  que  les  abbayes 
louaient  aux  dames  de  la  société.  Déjà  répandu 
au  temps  de  Louis  XIV,  l' usage  pour  les  femmes 
du  monde,  qu'elles  fussent  veuves  ou  séparées 
de  leur  mari,  même  momentanément,  de  venir 
s'abriter  derrière  les  murs  d'un  couvent,  était 
devenu  excessivement  fréquent  au  xviii*'  siècle. 
Quelques-unes  de   ces  dames,  âgées   ou  déta- 

1.  Lettre  du  Commissaire  Dubuisson  au  marquis  de 
Seylres-Caumonl. 

2,  On  admettait  parfois  d'étranges  élèves  En  1678  le  cou- 
vent de  iSaint-Pardoue  reçoit  une  demoiselle  de  Camp  qui 
ne  tarde  pas  à  y  accoucher  d'une  fille,  et  les  religieuses,  un 
peu  surprises  d'abord  sans  doute,  se  montrent  si  tolérantes 
qu'elles  permettent  à  une  autre  élève  d'être  la  marraine  de 
l'enfant.  (Recherches  sur  le  monastère  et  le  bourg  de  Saint- 
Pardoux,  op.  cit.) 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  209 

chées  du  siècle,  s'y  retiraient  dans  une  pensée 
de  recueillement  et  de  retraite  spirituelle,  y 
louaient  un  petit  logement  dans  lequel  elles 
vivaient  à  fort  peu  près  de  la  même  vie  que  celle 
des  religieuses,  suivant  les  offices,  participant 
aux  prières,  parfois  même  partageant  les  repas 
de  la  communauté. 

Les  autres,  beaucoup  plus  nombreuses,  ve- 
naient au  couvent,  guidées  par  un  certain  souci 
de  dignité,  de  décorum,  et  pour  sauvegarder  les 
apparences,  en  confiant  à  une  maison  respectée 
le  soin  d'abriter  leur  jeunesse,  leur  abandon, 
leur  beauté,  à  moins  que  ce  ne  fût  simplement 
et  très  prosaïquement  par  souci  de  commodité 
ou  par  motif  d'économie.  Plutôt  que  de  prendre 
un  appartement  dans  un  hôtel  particulier,  on 
en  louait  un  dans  un  couvent  ou  une  abbaye, 
assez  spacieux  souvent  pour  qu'il  fût  loisible 
d'y  héberger  des  amis  ou  des  parents.  Les 
locataires  conservaient  naturellement  la  plus 
parfaite  indépendance.  Madame  du  Deffand, 
locataire  des  Filles  de  Saint-Joseph,  n'obéit 
évidemment  qu'à  des  raisons  matérielles  et  elle 
eût  trouvé  fort  mauvais  que  sa  liberté  fût  en- 
travée le  moins  du  monde.  Elle  avait  même 
peu  de  rapports  avec  ses  propriétaires  et  n'eût 

12. 


210  FILLES     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

pas  souffert  que  les  religieuses  la  vinssent  re- 
lancer jusque  dans  son  domaine. 

Peu  à  peu,  la  mode,  là  encore,  fit  des  siennes. 
Il  était  bien  porté  et  de  bon  ton  d'habiter  dans 
une  abbaye,  et,  tandis  que  les  religieuses  s'effor- 
çaient d'attirer  chez  elles  le  plus  grand  nombre 
possible  de  pensionnaires,  les  femmes  du 
monde  désireuses  d'habiter  le  couvent  ne  se 
souciaient  pas  de  choisir  au  hasard.  11  n'était  pas 
indifférent  d'entrer  ici  ou  là,  car  il  y  avait  des 
couvent  chics  et  des  couvents  pas  chics,  comme 
on  dirait  aujourd'hui. 

Celui  de  l'Abbaye-au-Bois  fut  toujours  parmi 
les  plus  achalandés.  Entrons.  Nous  y  trouve- 
rons madame  de  Poissy,  madame  de  Mérode, 
madame  de  Vintimille,  madame  de  Ravignan. 
Si  nous  prolongions  notre  visite,  nous  y  ver- 
rions, au  xix"  siècle,  madame  Récamier,  qui 
dans  une  retraite  peu  rigoureuse  passait  là  les 
dernières  annés  de  sa  vie*. 

Bellechasse  était  aussi  très  recherché.  La 
princesse  de  Beauffremont  s'y  installe  conforta- 
blement aux  côtés  de  mesdames  de  Mesgrigny, 
deSabran,  de  Tingry,  de  Saluées,  d'Autichamp. 
Lors  d'un  vilain  procès  qu'elle  soutient  contre 

1,  Lefeuve,   Les  anciennes  maisons  de  Paris. 


DANS    LES    ABBAYES'  DE    FEMMES  211 

Richelieu,  madame  de  Saint- Vincent  se  réfugie 
là,  comme  si  cette  demeure  austère  devait  aux 
yeux  du  monde  redonner  quelque  lustre  à  sa 
vertu  fort  décolorée.  Madame  de  Genlis  y  habite, 
durant  un  certain  temps,  un  petit  pavillon  très 
coquet  où  elle  fait  venir  ses  élèves,  les  princes 
et  princesses  d'Orléans,  sans  avouer,  bien  en- 
tendu, qu'elle  a  parfois  recours  aux  religieuses 
pour  parfaire  leur  instruction  ^ 

Toutes  ces  dames  mènent  une  existence 
mondaine,  reçoivent,  vont  à  la  cour,  et  ce  n'est 
pas  un  des  côtés  les  moins  piquants  de  ce 
XVIII*  siècle,  si  fertile  en  contrastes,  que  de  voir, 
par  exemple,  madame  Doublet  de  Persan  tenir 
bureau  d'esprit  —  et  d'impiété  —  sous  l'égide 
des  bonnes  sœurs  de  Saint-Thomas  ^  ! 


1.  Arch.  nat.,  S.  4406. 

2.  Quel  genre  de  pensionnaires  n'accueillaient  pas  les 
couvents!  Une  Fille  du  Calvaire  de  la  rue  de  Vaugirard, 
une  certaine  demoiselle  Charmer,  «  fille  de  condition, 
native  de  Turin,  »  s'installe  un  beau  jour,  moyennant 
pension  de  2  000  livres.  Elle  s'attire  les  bonnes  grâces  des 
religieuses  et,  sa  réputation  franchissant  les  murs  du 
cloitre,  des  personnes  distinguées,  la  princesse  de  Cari- 
gnan  notamment,  demandent  à  faire  sa  connaissance.  Or, 
cette  édifiante  personne  était  une  fille  Cenai  ou  Roux, 
qui  voulait  jouer  aux  femmes  d'honneur  et  de  qualité.  » 
(Rapports  de  police,  cités  par  Camille  Piton  :  Paris  sous 
Louis  AT.) 


212         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Combien  différente  la  conduite  de  Marie 
d'Esté,  veuve  de  Jacques  II,  roi  d'Angleterre  ? 
Elle  s'était  retirée,  vers  1688,  dans  le  couvent 
de  la  Visitation  de  Chaillot,  sans  se  préoccuper 
de  savoir  si  ce  monastère  était  à  la  mode  ou 
non  et  son  existence,  toute  de  piété,  de  prière 
et  de  méditation,  faisait  l'admiration  des  reli- 
gieuses, qui  n'étaient  pas  éloignées  de  la  tenir 
pour  une  sainte.  Elle  payait  trois  mille  livres 
par  an  de  pension.  Mais  cette  pension  était 
souvent  en  retard.  En  1712,  la  pauvre  reine 
n'avait  encore  versé  que  dix-neuf  mille  livres  et 
en  devait  cinquante  mille,  lesquelles  cinquante 
mille  livres  elle  s'engage  partestament  à  payer 
aussitôt  le  rétablissement  du  roi  son  fils  en  Angle- 
terre. Les  tentatives  malheureuses  du  «chevalier 
de  Saint-Georges  »  pour  reconquérir  le  trône 
de  ses  pères  disent  assez  que  les  religieuses  de 
Chaillot  ne  virent  jamais  un  sol  de  la  somme 
qui  leur  était  due...  Le  prétendant  écrivant  à 
l'abbesse,  en  1723,  à  l'occasion  de  la  mort  de 
l'ancienne  supérieure  madame  le  Vayer,  se 
plaint  du  malheur  des  temps  et  du  triste  état 
où  il  se  trouve  réduit  *. 

1.  Arch.  nat.,  K.  1303. 


DAXS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  2l3 

Sainte-Périne  de  Chaillot  offrait,  vers  la 
même  époque,  un  asile  modeste  aux  femmes 
peu  favorisées  de  la  fortune  ou  à  celles  qui 
désiraient  s'écarter  tout  à  fait  du  monde.  A  la 
fin  du  xviii^  siècle,  plusieurs  religieuses  qui 
avaient  abandonné  leur  couvent  pour  raison  de 
santé  ou  autre  étaient  venues  s'y  installer. 
Nous  y  voyons  une  dame  de  Momelas  (probable- 
ment Montmelas)  religieuse  Ursuline  de  Màcon, 
madame  Rosalie  de  Barbarin,  religieuse  à 
l'abbaye  royale  de  Poissy,  madame  Gabrielle 
de  Durefort  (sic),  chanoinesse  de  Neuville,  et 
aussi,  la  femme  d'un  capitaine  de  vaisseau, 
madame  de  Jouenne.  Ces  dames  avaient  cha- 
cune leur  femme  de  chambre  et  leur  loyer  ne 
dépassait  pas  300  livres*. 

Beaucoup  moins  sévère,  on  le  sait,  fut  la 
retraite  que  madame  du  Deffand  s'était  choisie 
au  couvent  de  Saint-Joseph.  La  piété  n'était 
pas  son  fort  et  je  doute  qu'elle  ait  souvent 
pénétré  dans  la  tribune  de  l'église  avec  laquelle 
pourtant  son  appartement  communiquait  direc- 
tement. Si  elle  avait  élu  domicile  dans  ce 
monastère,   c'est  qu'elle  avait  essayé  de  vivre 

1.  Arch    nat.,  T.  1602. 


214-         FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

à  Montrouge  avec  son  frère  l'abbé  de  Vichy, 
qu'elle  était  lasse  de  cette  cohabitation  et  que, 
avide  d'indépendance  absolue,  ses  ressources 
peu  considérables  ne  lui  permettaient  guère  de 
la  chercher  ailleurs.  La  bonne  dame  qui  avait 
cessé  d'être  galante  (à  sa  liaison  avec  Ilénault 
près)  et  qui  se  montrait  fort  «  regardante  »  sur 
le  chapitre  de  l'argent,  trouvait  agréable  de  se 
loger  à  des  prix  raisonnables  et  dans  des  con- 
ditions à  la  fois  décentes  et  pratiques. 

Suivons  un  instant  l'aimable  marquise.  Elle 
nous  donnera  elle-même  sur  son  logement  des 
détails  qui  nous  permettront  de  juger  ce  que 
pouvaient  être  des  installations  de  ce  genre, 

L'appartement  où  elle  succédait  à  l'évêque 
de  Fréjus,  situé  au  fond  de  la  cour  extérieure 
du  couvent  de  Saint- Joseph,  comprend  deux 
petites  antichambres,  un  office,  un  grand  salon 
qui  a  vue  sur  le  jardin,  un  cabinet  avec  une 
garde-robe,  de  laquelle  un  escalier  de  menui- 
serie conduit  à  l'entresol.  Tel  quel,  il  lui  plaît, 
«  bien  qu'il  y  ait  plusieurs  incommodités  aux- 
quelles on  ne  peut  remédier  ».  Son  bail  est 
faitmoyennanthuitcentslivres  de  loyer  annuel. 
Quand  elle  prendra  mademoiselle  de  Lespinasse 
avec  elle,  elle  louera  un  petit  appartement  se- 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  215 

paré  donnant  sur  la  même  cour,  et  composé 
d'une  grande  chambre  au  premier  étage,  d'un 
salon  et  de  deux  chambres  de  domestiques,  le 
tout  pour  oOÛ  livres  de  plus. 

C'est  là  que  dès  1746,  elle  espère  entrer  ; 
mais  elle  avait  compté  sans  les  maçons  et 
menuisiers  qui  n'en  finissent  pas  de  remettre 
l'appartement  à  neuf,  tant  et  si  bien  qu'elle  ne 
peut  s'y  installer  qu'en  octobre  1747.  Depuis 
longtemps,  elle  avait  chargé  sa  sœur,  la  mar- 
quise d'AuIan ,  de  faire  tisser  à  Avignon 
l'étoffe  pour  ses  meubles,  cette  fameuse  étoffe 
de  moire  «  bouton  d'or  ornée  de  nœuds  cou- 
leur de  feu  y>  dont  parlent  tous  ses  amis.  La 
pauvre  madame  d'Aulan  se  voit,  pendant  deux 
ans,  accablée  de  demandes,  de  plaintes,  de  ré- 
clamations au  sujet  de  cette  maudite  étoffe'. 
«  J'ay  reçu,  ma  chère  sœur,  lui  écrit  madame 
du  Deffand,  le  taffetas  jaune  et  je  compte  rece- 
voir demain  les  vingt-cinq  aulnes  de  serge  ; 
grâce  à  vos  soins,  mon  meuble  sera  bientôt 
fini.  »  «  Vous  ne  me  répondez  pas,  écrit-elle 

1.  Afin  de  ne  pas  multiplier  les  références  inutiles,  j'in- 
dique ici,  une  fois  pour  toutes,  que  tout  ce  passage  est  tiré 
de  la  correspondance  inédite  de  madame  du  Deffand  à  sa 
sœur  madame  d'Aulan,  de  1746  à  1750. 


216         FILLES    KOBLES    ET    MAGICIENNES 

quelques  jours  plus  tard,  d'un  ton  déjà  plus 
aigrelet,  sur  les  trente  aulnes  d'étoffe  que  je 
vous  ai  prié  de  faire  faire.  Gomme  c'est  pour  la 
continuation  de  mon  meuble,  il  est  important 
que  la  couleur  soit  la  même.  »  Et  comme  cela 
ne  va  pas  toujours  à  son  gré,  la  soie  étant 
tantôt  trop  foncée,  tantôt  trop  brillante,  elle  se 
fâche,  devient  hargneuse,  se  désespère.  Et  puis, 
elle  a  des  inquiétudes.  La  tapisserie  n'est  point 
de  si  bon  goût,  en  sorte  «  qu'il  ne  faut  pas  que 
l'étoffe  des  meubles  soit  trop  belle  de  peur 
qu'elle  n'enlaidisse  encore  plus  la  tapisserie.  » 
Outre  cette  étoffe  destinée  aux  chaises  et  fau- 
teuils, il  faut  encore  du  taffetas  rose  et  du  taf- 
fetas blanc.  Cela  n'en  finit  pas.  Sans  compter 
celles  que  M.  le  marquis  de  Ségur  a  publiées, 
j'ai  sous  les  yeux  plus  de  cinquante  lettres 
inédites,  dans  lesquelles  madame  du  Deffand 
revient  inlassablement  sur  cet  objet  qui  lui 
lient  si  fort  à  cœur. 

On  n'a  pas  le  détail  exact  de  son  mobilier. 
Son  testament  fait  mention  de  quelques  meubles 
et  bibelots  qu'elle  lègue  à  des  amis,  la  garni- 
ture de  cheminée  de  sa  chambre  à  coucher, 
une  table  à  thé  avec  porcelaine  et  bouillotte, 
une  lampe  d'argent,  une  petite  armoire  en  bois 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  217 

d'acajou  garnie  d'ornements  en  cuivre  doré 
qu'elle  laisse  à  la  vicomtesse  de  Camby,  une 
table  garnie  de  marbre  et  bordée  de  cuivre 
doré  (sa  table  à  ouvrage).  Citons  encore  les 
girandoles  de  cristal  qui  lui  venaient  de  Pont- 
de-Veyle  et  des  livres,  beaucoup  de  livres, 
puisqu'elle  en  donne  cinq  cents  au  prince  de 
Beauvau  «  à  choisir  dans  sa  bibliothèque  ». 
Et  comment  oublier  le  «  tonneau  »,  l'illustre 
fauteuil  où  elle  avait  coutume  de  s'asseoir  et 
autour  duquel  vint  «  causer  »  tout  ce  que 
Paris,  la  France,  l'Europe  comptait  de  gens 
intelligents,  spirituels  et  lettrés. 

Ce  couvent  de  Saint-Joseph  avait  eu  d'ail- 
leurs des  hôtes  de  marque.  Madame  de  Mon- 
tespan  y  avait  fait  des  retraites  pieuses  dont 
les  intervalles  étaient  moins  édifiants.  C'est  là 
encore  qu'habita  cette  charmante  princesse  de 
Talmont  qui  offrait,  la  nuit,  au  prétendant 
Stuart,  l'hospitalité  que,  dans  le  même  couvent, 
madame  de  Vassé  lui  assurait  durant  la 
journée*. 

Pour  1.610  livres,  madame  de  Nicolaï  a  un 
grand  et  bel  appartement  à  l'abbaye  de   Port- 

1.  Correspondance  de  madame  du  Deffand,  édit.  Lescure. 
Préface. 

13 


218         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Royal  des  Champs;  six  pièces  dont  un  salon, 
une  salle  à  manger,  non  compris  les  chambres 
de  domestiques  et  les  dépendances.  La  chambre 
à  coucher  entièrement  tendue  de  (c  grosse  soie 
verte  à  fleurs  »,  des  meubles  fort  élégants,  par- 
tout une  recherche  de  haut  goût.  Il  y  a  un  ca- 
binet dans  lequel  se  tient  d'ordinaire  la  maî- 
tresse de  céans,  dont  la  description  rappellerait 
celle  du  boudoir  de  quelque  «  folie  ».  Ce  ne 
sont  que  tables  en  bois  de  rose,  consoles  aux 
cuivres  délicatement  ouvragés,  glaces,  tru- 
meaux galants,  sans  parler  d'une  petite  fontaine 
de  marbre  «  du  plus  joli  effet^  ». 

De  ces  appartements  loués  dans  les  cou- 
vents, même  à  Port-Royal,  abbaye  pourtant 
des  plus  fréquentées  par  la  meilleure  société, 
il  y  en  a  pour  toutes  les  bourses.  Si  madame 
de  Perthuis  paie  le  sien  960  livres,  la  duchesse 
de  Beauvilliers  se  contente  d'un  logement  de 
290  livres  :  madame  de  Villemagne  paie  300  li- 
vres; madame  Dugard,  400  seulement;  encore 
cette  dernière  a-t-elle  une  gouvernante  qui  ne 
la  quitte  pas  2. 

A  Panthémont,  il  est  loisible  à  une  femme 

1.  Arch.  nat.,  T.  1602. 

2.  Arch.  nat.,  Id. 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES    219 

de  se  loger  très  décemment  pour  200  livres, 
comme  madame  de  Permanye.  Mais  les  loyers 
paraissent  plutôt  avoir  varié  entre  7  et  800  li- 
vres pour  l'ordinaire.  Ce  sont  les  prix  qu'attei- 
gnent les  appartements  occupés  par  la  com- 
tesse de  Boisse,  mesdames  d'Andresal,  de  Sé- 
rières,  etc*. 

Sans  vouloir  rejeter  sur  les  dames  pension- 
naires la  responsabilité  des  inconséquences 
dont  certains  couvents  étaient  parfois  le  théâ- 
tre, il  est  légitime  de  penser  que  leur  pré- 
sence n'était  pas  faite  pour  accroître  la  sérénité 
ni  le  recueillement  de  ces  cloîtres  où  l'air  du 
monde  soufflait  déjà  trop  aisément.  Encore 
que  la  plupart  de  ces  pensionnaires  fussent 
des  personnes  d'âge,  qu'elles  menassent  une 
vie  fort  honnête  et  que  la  malignité  publique 
n'ait  pas  eu  grand'chose  à  leur  reprocher, 
leur  présence  seule  suffisait  pour  attirer  dans 
l'abbaye  un  mouvement  de  visiteurs  et  de  visi- 
teuses assez  propre  à  jeter  le  désarroi  dans  le 
troupeau  des  nonnes  et  à  troubler  l'esprit  de 
celles  dont  la  vocation  était  mal  assurée.  Der- 
rière ces  gentilshommes  et  ces  femmes  de  la 

1.  Arch,  nat.,  LL.  1607. 


220         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

société,  fort  libres  dans  leurs  propos  comme 
dans  leurs  manières,  plus  soucieux  d'élégance 
et  de  raffinement  que  de  correction  et  de  grâce 
que  de  raison,  ne  pénétrait-il  pas  quelque 
chose  de  la  frivolité  qui  s'attachait  à  leurs 
basques  ou  à  leurs  paniers?  Derrière  ces  ar- 
tistes, ces  gens  de  lettres,  ces  philosophes,  ces 
encyclopédistes  qui  parlaient  trop  haut  et  trop 
fort  pour  qu'il  fût  possible  de  ne  pas  les  en- 
tendre par  delà  les  murs  de  la  clôture,  un  peu 
de  leur  scepticisme,  de  leurs  théories  sus- 
pectes ou  de  leur  franche  incrédulité  ne  ris- 
quait-il pas  de  filtrer  petit  à  petit  au  travers 
de  cloisons  dont  l'étanchéité  ne  devait  pas  être 
de  nature  à  empêcher  d'écouter  des  oreilles 
attentives? 

De  toute  façon,  le  couvent,  l'abbaye,  per- 
daient à  ce  commerce  leur  caractère  nettement 
religieux.  Ils  se  mondanisaient;  partant  ils  se 
diminuaient.  La  Révolution,  là  comme  ailleurs 
encore,  en  accomplissant  sa  terrible  et  abomi- 
nable besogne,  va,  bien  contre  son  gré,  balayer 
l'ivraie  qui  pousse  dru  dans  les  cloîtres  de  fem- 
mes. Elle  ramènera  beaucoup  de  brebis  qui 
s'égaraient  de  la  route  droite  et  dont  le  cœur 
chancelant  hésitait  maintenant  au  carrefour  de 


DANS    LES    ABBAYES    DE    FEMMES  221 

la  vie.  De  quelques-unes  de  ces  religieuses, 
ainsi  surprises  en  pleine  crise  morale,  elle 
fera  des  défroquées  et  des  renégates;  d'un 
grand  nombre,  d'humbles  martyres;  des  autres, 
de  toutes  les  autres,  de  vraies  religieuses  qui, 
ayant  senti  passer  sur  leurs  têtes  l'effroyable 
orage,  d'une  âme  désormais  affermie,  se  rejet- 
teront avec  confiance  et  sans  plus  regarder 
autour  d'elles,  dans  le  sein  de  l'époux  qu'elles 
s'étaient  choisi.  Ainsi  montrèrent-elles  aux 
filles  pieuses  qui  devaient  leur  succéder  dans 
les  cloîtres  et  qui  ont  si  parfaitement  et  si  di- 
gnement profité  de  la  leçon,  que  rien  n'est  per- 
nicieux pour  les  couvents  comme  de  les  lais- 
ser envahir  par  les  bruits  du  monde  et  que, 
pour  eux  du  moins,  le  proverbe  n'est  point 
vrai  qui  dit  «  une  porte  doit  être  ouverte  ou 
fermée  ».  Le  xvii*  et  le  xviii*  siècles  ont 
démontré  que  les  portes  des  couvents  doivent 
être  fermées  —  et  les  fenêtres  aussi... 


LES 

MAITRESSES  DE  MAISON 


Grâce  au  ciel  et  quelque  fût  l'embarras  que 
l'on  éprouvait  à  établir  les  filles  delà  noblesse, 
toutes  ne  prenaient  point  le  chemin  du  cloître 
non  plus  que  du  chapitre  noble.  Celles-ci 
n'étaient  au  contraire  que  l'exception.  La  plu- 
part s'engageaient  de  bonne  heure  dans  une 
autre  voie  plus  conforme  sans  doute  aux  lois 
de  la  nature,  ce  qui  n'entend  pas  qu'elle  fût 
toujours  agréable,  facile  et  douce  à  suivre  : 
celle  du  mariage. 

Comment  ces  jeunes  filles  devenues  des 
femmes  comprenaient  leur  rôle  de  mères  de 
famille  ;  comment  elles  envisageaient  les  multi- 
ples devoirs  de  leur  charge  ;  comment  surtout 


224         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

elles  remplissaient  la  lâche  de  «  maîtresse  de 
maison  »  qui  impliquait  alors  des  occupations 
si  variées,  si  précises,  à  la  fois  si  nobles  et 
si  terre  à  terre,  voilà  ce  que  je  voudrais  indi- 
quer, me  rapportant  de  préférence,  pour  tracer 
cette  esquisse,  à  des  documents  inédits,  à  des 
lettres  d'où  s'échappe  encore,  me  semble-t-il, 
un  peu  de  vie  palpitante. 

Ces  maîtresses  de  maison,  nous  les  verrons 
aux  prises  avec  les  difficultés  de  leur  état,  mais 
aussi  dans  la  paix  de  leur  existence  laborieuse 
et  simple,  ici  comme  là,  toujours  vaillantes, 
toujours  fortes,  égales  à  elles-mêmes,  accom- 
plissant avec  bonhomie  et  bonne  humeur  une 
besogne  parfois  lourde,  souvent  ingrate  ;  sans 
répugnance  pour  les  ouvrages  vulgaires  et  sans 
révolte  contre  un  sort  plus  riche  en  obliga- 
tions sévères  qu'en  plaisirs;  modestes  et  pour- 
tant singulièrement  jalouses  de  leurs  droits  ; 
compagnes  dévouées  du  mari  que  les  parents 
leur  ont  choisi,  partageant  sa  vie  sans  défail- 
lances, collaborant  étroitement  avec  lui  dans  la 
haute  mission  de  soutenir  ou  de  relever  la 
maison,  de  maintenir  ou  d'accroître  la  fortune, 
de  sauvegarder  l'honneur,  la  vitalité,  la  situa- 
tion de  la  famille. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      225 

Allons  un  peu  chez  nos  aïeules.  Quand 
même  nous  ne  serions  pas  disposés  à  imiter 
toute  leur  sagesse  ni  à  partager  toutes  leurs 
idées,  au  moins  pourrons-nous  trouver  auprès 
d'elles  de  bons  et  fortifiants  exemples. 


13. 


Comment  madame  de  Genlis  jugeait  les  maîtresses  de 
maison  de  l'ancien  régime.  —  Opinion  de  Mercier. 
—  Différence  entre  l'éducation  des  jeunes  filles,  jadis 
et  de  nos  jours.  —  Celle  qu'elles  recevaient  avant  la 
Révolution  était  conforme  à  l'idée  qu'on  se  faisait 
alors  du  rôle  social  que  la  femme  était  appelée  à 
jouer.  —  La  jeune  fille  était  préparée  à  conduire 
une  maison.  —  Les  femmes  tiennent  les  comptes.  — 
Elles  sont  les  collaboratrices  de  leur  mari  dans 
l'administration  générale  de  la  fortune.  —  Quel- 
ques exemples  de  femmes  entendues  en  affaires.  — 
La  marquise  de  Tournon;  madame  de  Fay;  madame 
de  Sévigné;  madame  de  Longevialle.  —  Les  femmes 
au  Moyen  âge.  —  Comment  on  les  récompensait.  — 
Encore  quelques  maîtresses  femmes  du  xviii*  siècle  : 
la  duchesse  d'Uzès;  madame  de  la  Valette.  —  Une 
boutade  de  Guillaume  Budé.  —  Le  maréchal  du 
Plessis  entend  rester  maître  chez  lui. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON     227 


Avant  de  voir  de  près  comment  nos  grand'- 
mères  entendaient  leurs  devoirs  de  maîtresses 
de  maison,  écoutons  ce  que  nous  disent  d'elles 
deux  écrivains  d'un  genre  bien  différent  : 
madame  de  Genlis  et  Mercier. 

Sur  la  fin  de  sa  vie,  et  un  peu  revenue  de 
Rousseau  et  de  la  Rousseauterie,  l'ancienne 
gouvernante  des  princes  d'Orléans  s'avisa  de 
publier  sur  les  choses  de  l'ancien  régime  des 
notes  où  elle  fait  preuve  d'un  bon  sens  dont  il 
est  fâcheux  pour  sa  mémoire  qu'elle  n'ait  pas 
paru  jouir  dans  sa  jeunesse.  «  Voici,  dit-elle, 
en  quoi  consiste  cette  espèce  de  mérite  indis- 
pensable à  toutes  les  femmes  à  la  tète  d'un  petit 
ménage  ou  d'une  grande  maison  ;  car,  lorsqu'on 
ne  conduit  pas  soi-même  une  maison,  il  faut 
savoir  diriger  ceux  qu'on  charge  de  ce  soin. 
Une  bonne  ménagère  doit  donc  connaître  le 
prix  des  choses,  surtout  des  comestibles;  celui 
des  meubles  de  première  nécessité;  celui  du 
linge  et  des  raccommodages,  du  blanchissage 
et  de  la  lessive,  dans  la  maison  et  au  dehors. 
Elle  doit  avoir  un  livre  de  comptes  bien  tenu 
et  compter  régulièrement  tous  les  matins  et 


228         FILLES    .XOBLES    ET    MAGICIENNES 

non  tous  les  soirs,  parce  qu'il  ne  faut  pas  empê- 
cher le  cuisinier  ou  le  maître  d'hôtel  de  se 
coucher  de  bonne  heure.  Je  puis  assurer  qu'a- 
vant la  Révolution,  les  femmes  les  plus  riches 
et  toutes  les  dames  de  la  cour  comptaient  fort 
régulièrement  tous  les  matins  avec  leur  maître 
d'hôtel  et  qu'en  général,  elles  réglaient  parfai- 
tement bien  la  dépense  de  leur  maison*.  » 

Pour  le  monde  de  la  cour,  où  le  désordre 
était  passé  à  l'état  aigu,  je  crois  qu'il  y  aurait 
lieu  de  faire  quelques  restrictions  et  que  ma- 
dame de  Genlis  exagère  un  peu  ;  mais  elle  est 
tout  à  fait  dans  le  vrai  s'il  s'agit  de  la  bour- 
geoisie, de  la  petite  noblesse  et  même  d'un  très 
grand  nombre  de  familles  appartenant  à  la 
haute  aristocratie  de  province. 

Mercier,  dès  1771,  donnait  une  note  un  peu 
moins  optimiste.  «  Nos  grand'mères,  lisons- 
nous  dans  son  Tableau  de  Paris,  n'étaient 
pas  si  bien  vêtues  que  nos  femmes,  mais  elles 
apercevaient  d'un  coup  d'oeil  tout  ce  qui  pou- 
vait intéresser  le  bien-être  de  la  famille.  Elles 
n'étaient  pas  aussi  répandues  ;  on  ne  les  voyait 
pas  incessamment  hors  de  leurs  maisons  ;  con- 

1.  Comtesse  de  Genlis  :  DicHonnaire  critique  et  raisonné 
des  étiquettes  de  la  cour. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  229 

tentes  d'une  royauté  domestique,  elles  regar- 
daient comme  très  importantes  toutes  les  par- 
ties de  cette  administration.  Telle  était  la 
source  de  leurs  plaisirs  et  le  fondement  de 
leur  gloire.  »  Que  dirait-il  aujourd'hui,  où  les 
femmes  ne  rêvent  de  rien  de  moins  que  d'ad- 
ministrer le  pays!  «  Les  détails  de  la  table, 
ajoutait  Mercier,  ceux  du  logement,  de  l'entre- 
tien, exerçaient  leurs  facultés;  l'économie  sou- 
tenait les  maisons  les  plus  opulentes  qui 
s'écroulent  maintenant.  Leurs  filles,  formées 
de  bonne  heure,  concouraient  à  faire  régner 
dans  les  maisons  les  charmes  paisibles  et  doux 
de  la  vie  privée.  Que  nous  sommes  loin  de  ces 
devoirs  si  simples,  si  attachants  !  ^  y>  Ce  bon- 
homme Mercier  parlait  d'or.  Je  ne  sais  si  on 
l'écoutait  de  son  temps.  Il  aurait  peu  de 
chances  d'être  entendu  de  nos  jours.  Nous 
sommes  encore  beaucoup  plus  loin  du  tableau 
enchanteur  qu'il  nous  trace  de  la  vie  de 
famille,  et  les  femmes  ne  paraissent  pas  près 
de  revenir  aux  conseils  qu'il  donnait.  Les 
détails  de  la  table,  de  l'entretien...  Fi  donc! 
Ces  dames  n'ont-elles  pas  mieux  à  faire  et 
pour  qui  les  prenez-vous? 

1.  Mercier,  Tableau  de  Paris,  p.  65. 


230 


FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 


On  constate  par  les  lignes  de  Mercier  (et  il 
serait  aisé  d'en  fournir  d'autres  preuves)  que, 
dès  la  seconde  moitié  du  xviii®  siècle,  les 
vieux  usages  commençaient  à  perdre  de  leur 
force  et  que  l'on  entrait  dans  cette  voie  du  pro- 
grès où,  las  de  marcher,  nous  courons  main- 
tenant, sans  doute  avec  l'espoir  d'atteindre 
plus  vite  au  bonheur  universel. 

C'est  que  l'éducation,  sans  être  orientée  dans 
le  Sens  où  elle  l'est  présentement,  s'éloignait 
déjà  de  la  théorie  tenue  jusque-là  pour  bonne. 
Je  conviens  volontiers  que  cette  éducation  était 
assez  sommaire  en  ce  qui  regardait  l'instruc- 
tion proprement  dite  et  je  me  garderais  de 
regretter  un  temps  où  l'on  pensait  avoir  assez 
fait  pour  l'enseignement  des  jeunes  filles, 
quand  une  fois  on  leur  avait  inculqué  des 
principes  d'écriture,  de  calcul,  d'histoire  et 
qu'on  leur  avait  appris,  d'ordinaire  très  mal, 
l'orthographe.  Il  ne  se  pouvait  rien  de  plus 
impertinent  qu'une  telle  façon  de  laisser  en 
friche  l'intelligence  de  jeunes  filles,  que  l'on 
condamnait  ainsi  à  n'être  que  des  épouses,  des 
mères  de  famille  —  et  des  maîtresses  de 
maison. 

On  pourrait  se  demander  si  nous  ne  versons 


LES    MAÎTRESSES     DE    MAISON  231 

pas  dans  un  excès  contraire  en  donnant  à 
l'instruction  féminine  une  extension  qui,  de 
prime  abord,  paraît  peu  conforme  au  rôle 
social  de  la  femme,  et  si,  en  faisant  tant  de 
bachelières,  de  doctoresses  et  de  licenciées,  ce 
n'est  pas  au  détriment  de  la  famille,  de  la  race, 
du  pays,  peut-être  de  la  femme  elle-même.. 

Il  n'importe  d'ailleurs,  puisque  aussi  bien  je 
n'entends  nullement  discuter  ici  ce  grave  pro- 
blème. Toujours  est-il  que  l'on  ne  songeait  pas 
alors,  fût-ce  à  la  fin  du  xviii*  siècle,  à  pré- 
parer les  jeunes  personnes  du  sexe  faible  à 
d'autre  mission  qu'à  celles  auxquelles  la  na- 
ture semble  les  avoir  destinées.  On  ne  voulait 
pas  faire  d'elles  des  savantes,  mais  de  bonnes 
ménagères.  Si  triviales  que  nous  semblent  ces 
conceptions,  elles  étaient  celles  de  l'époque. 
Quand  une  jeune  fille  avait  son  petit  bagage 
d'instruction  réglementaire,  que,  de  plus,  elle 
était  versée  dans  les  arts  d'agrément,  on  ne  lui 
demandait  plus  que  de  savoir  mener,  tenir  et 
faire  prospérer  une  maison.  La  femme  souf- 
frait-elle de  cette  infériorité  intellectuelle,  pour 
parler  jargon?  On  me  permettra  de  croire  que 
non  et  j'imagine  que  les  hommes  n'en  souf- 
fraient pas  davantage.  Pourquoi  d'ailleurs  envi- 


232         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

sager  la  question  avec  partialité?  De  ce  que  les 
femmes  d'autrefois  étaient  plus  aptes  à  gou- 
verner leur  intérieur  et  daignaient  s'abaisser  à 
des  besognes  ménagères,  faut-il  donc  penser 
qu'elles  étaient  incapables  de  s'intéresser  aux 
choses  de  l'esprit?  Tout  ce  que  nous  savons 
des  siècles  écoulés  démontre  le  contraire.  Les 
femmes  du  temps  passé,  tout  aussi  bien  et 
mieux  que  celles  d'aujourd'hui,  goûtaient  les 
plaisirs  de  l'intelligence  et  en  prenaient  leur 
part.  Elles  y  apportaient  moins  de  façons, 
voilà  tout.  Qui  de  nous,  ayant  franchi  l'âge 
mûr,  n'a  connu  quelque  vieille  douairière, 
élevée  encore  selon  les  traditions  d'autrefois? 
Sans  doute  eussent-elles  été  dans  l'impossi- 
bilité de  plaider  au  Palais,  ni  d'ouvrir  scientifi- 
quement des  estomacs  ou  des  ventres;  sans 
doute,  ne  couraient-elles  pas  les  feuilles  et 
les  gazetiers  en  vue  d'obtenir  la  consécration 
bruyante  de  leurs  talents  littéraires.  Cela  ne 
les  empêchait  pas  d'avoir  un  joli  brin  de  plume 
à  leur  service,  de  trousser  des  lettres  comme 
bien  peu  de  nos  femmes  modernes  seraient 
susceptibles  d'en  écrire,  et,  bien  qu'elles  fis- 
sent leurs  confitures,  de  causer  avec  autant  de 
grâce  que  d'esprit. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  233 

Mais,  pour  savoir  faire  les  confitures,  il  est 
nécessaire  d'avoir  appris.  J'ai  déjà  parlé  des 
besognes  matérielles  auxquelles  on  soumettait, 
dans  les  couvents,  les  mains  délicates  des 
élèves  les  plus  aristocratiques.  Dès  que  les 
jeunes  filles  avaient  passé  de  la  classe  blanche 
dans  les  classes  supérieures,  désignées  par  des 
rubans  bleus  ou  rouges,  elles  étaient  chargées 
à  tour  de  rôle,  de  différents  services  du  cou- 
vent :  sacristie,  apothicairerie,  lingerie,  cui- 
sine, réfectoire,  dortoir,  raccommodaient  les 
chasubles,  veillaient  au  balayage,  mettaient 
le  couvert,  et,  lorsqu'elles  sortaient  de  repré- 
sentations théâtrales  oii  elles  avaient  figuré 
avec  des  robes  couvertes  de  diamants,  prépa- 
raient des  tisanes  et  des  cataplasmes  à  l'inGr- 
merie^  Evidemment,  on  ne  forme  pas  ainsi  de 
futures  Nietzschéennes!  Du  moins,  formait-on 
de  futures  maîtresses  de  maison.  Et  tel  était 
le  but  poursuivi.  Il  était  modeste,  mais  sage. 

Ainsi  élevées,  ces  jeunes  filles  devenaient 
parfaitement  aptes  à  conduire  leur  barque  et  à 
diriger  une  maison  jusque  dans  ses  détails, 
mesquins  en  apparence.  Ayant  appris  à  obéir, 

1.  A.  Babeau,  Paris  en  4789. 


234         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

elles  savaient  commander.  Et  d'abord,  c'est 
la  femme  qui,  d'ordinaire  tient  les  comptes. 
«  Sur  le  même  livre  (car  on  économisait  le 
papier  à  cette  époque)  où  le  mari  note  ses 
impressions,  oïl  le  magistrat  prépare  ses  mer- 
curiales, où  le  hobereau  minute  ses  lettres 
importantes,  la  femme,  d'une  orthographe 
généralement  peu  correcte,  inscrit  les  dé- 
penses K  y> 

Besogne  courante.  Si  la  femme  d'autrefois 
se  fût  bornée  à  ce  médiocre  labeur,  on  pour- 
rait justement  prétendre  qu'elle  n'occupait 
dans  la  famille  qu'une  place  inférieure.  Mais 
il  n'en  va  point  ainsi.  A  aucune  époque,  je 
pense,  la  femme  ne  fut  davantage  la  collabo- 
ratrice de  son  mari  dans  toutes  les  affaires  qui 
concernent  la  bonne  administration  du  bien 
familial.  Elle  a  voix  au  chapitre,  et  voix  pré- 
pondérante souvent.  Bien  mieux,  c'est  elle 
qui  prend,  dans  la  plupart  des  cas,  les  déci- 
sions, se  charge  de  les  faire  exécuter.  S'agit-il 
de  l'achat  d'une  terre  seigneuriale,  opération 
diffîcultueuse,  grosse  de  responsabilités,  com- 
pliquée et  délicate,  on  devrait  croire  que  c'est 

1.  A.  de  Gallior,  Les  Tournonnais  dignes  de  mémoire. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  235 

au  chef  de  la  famille  qu'il  appartient  d'en  dis- 
cuter les  clauses.  Point.  J'ai  sous  les  yeux 
toute  une  correspondance  échangée  à  l'occa- 
sion de  l'achat  de  la  terre  seigneuriale  de  Gla- 
veyson,  en  Dauphiné,  entre  la  comtesse  de 
Tournon,  femme  de  l'acquéreur,  et  la  marquise 
de  Saint-Vallier,  femme  du  vendeur.  Ce  sont 
elles  qui  débattent  non  seulement  les  condi- 
ditions  de  prix,  mais  toutes  ces  questions  sin- 
gulièrement ardues  des  droits  seigneuriaux  qui 
se  greffent  lune  sur  l'autre,  s'enchevêtrent  à 
plaisir.  Un  tiers,  le  chevalier  d'Urre,  croyant 
ses  droits  particuliers  lésés  par  les  Saint- 
Vallier,  intervient  dans  la  discussion.  A  qui 
s'adresse-t-il?  A  M.  de  Tournon?  Que  non  pas. 
A  sa  femme  ^  De  même,  lors  d'un  désaccord  au 
sujet  des  péages  de  Serves,  c'est  encore  avec  elle 
que  controverse  le  chevalier  de  Chastelard^  Ces 
faits  ne  sont  pas  exceptionnels.  On  en  pourrait 
multiplier  les  exemples.  Désirant  son  repos, 
Jean  de  Fay  abandonne  à  sa  femme,  Jeanne 
de  Mua,  l'administration  de   la  fortune   com- 


i.  Correspondance  entre  la  comtesse  de  Tournon,  la  mar- 
quise de  Saint-Vallier  et  le  chevalier  d'Urre.  (Arch.  du  Ver- 
gier.) 

2.  Lettres  de  M.  du  Chastelard.  (Arch.  du  Vergier.) 


236         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

mune*.  Paul  de  Bonnot  de  Villevrain  écrit  à 
son  oncle;  le  marquis  de  Rochegude  :  «  Il 
paraît  que  ma  mère,  par  son  épargne  et  sa 
bonne  administration,  a  remis  de  l'ordre  dans 
la  part  qui  lui  revenait  de  feu  ma  grand'mère 
d'Acquéria.  Elle  a  très  considérablement  aug- 
menté son  bien.  Elle  m'écrit  dans  le  moment 
qu'elle  donne  tous  ses  soins  à  la  circonstance 
de  la  récolte  des  grains  et  qu'elle  fait  surveiller 
les  vers  à  soie^.  »  C'était  aussi  une  maîtresse 
femme  que  cette  comtesse  de  Fay  qui  refit 
toute  la  fortune  de  sa  fille,  fortune  que  son 
gendre,  M.  de  Saint-Priest,  s'empressa  d'ail- 
leurs de  dissiper  à  nouveau  '. 

On  sait  assez  comment  madame  de  Sévigné, 
veuve  il  est  vrai,  donnait  son  temps  et  ses 
peines  à  l'administration  et  à  la  restauration 
d'une  fortune  que  son  mari  lui  avait  léguée  en 
piteux  état  et  qu'elle  parvenait  mal  à  défendre 
contre  les  sottises  de  son  fils,  «  Je  presse  et 
dispose  mes  affaires  sans  y  perdre  un  moment. 
J'ai  une  terre  à  affermer  »,  écrit-ôlle  en  1685. 


1.  E.  Nicod  :  La  maison  de  Faij-Peyraud,  dans  la  Revue 
du  Vivarais,  sept.  1903. 

2.  H.  de  Longevialle,  La  marquise  de  ViUevrain. 

3.  La  maison  de  Faij-Peyraud,  op.  cit. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  237 

Avec  quelle  maternelle  sollicitude  elle  surveille 
ses  fermiers,  ses  champs,  ses  coupes  de  bois! 
Un  jour,  elle  dira  gaiement  :  «  Que  faire  aux 
Rochers  à  moins  que  l'on  ne  plante?  »  Hélas! 
elle    a  beau   s'ingénier,  son  fils    fait  abattre 
plus  d'arbres  qu'elle  n'en  peut  planter.  A  de 
certains  moments,  on  la  surprend  toute  décou- 
ragée :    «  Je  n'ai  que   de    vilaines  terres   qui 
deviennent  des  pierres  au  lieu  d'être  du  foin.  » 
Mais   rien    ne   réussit   à    l'arrêter    dans    son 
désir,  dans  sa  volonté  de  reconstituer  le  bien 
de  ses  enfants  ;  tout  au  plus  a-t-elle  parfois  un 
petit    sentiment    d'orgueil    qui,   pour    revêtir 
une   forme  plaisante,  n'en  est  pas  moins  sin- 
cère :  «  Vous  croyez  que  mon  fils  est  habile  et 
qu'il  sait  se  faire  servir;  il  n'y  entend  rien  du 
tout,  Larmechin  non   plus,  et  moi,  que  vous 
méprisez  tant,  je  suis  l'Aigle  et  on  ne  juge 
rien  sans  avoir  regardé  la  mine  que  je  fais  ^  » 
M.  de  Rochechinard  va-t-il  à  Paris,  sa  femme 
reste  au    logis  «  pour  avoir  soin  des  affaires 
auxquelles  elle  s'entend  beaucoup  mieux  que 
lui'  ».  Quelle  femme  de  tête  également,  cette 

1.  Lettres  de  madame  de  Sévigné. 

2.  Madame  de  Franquières  à  madame  Cholier,  18  juil- 
let 1744.  (Arch.  de  Cibeins.) 


238         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

madame  de  Flagheac  qui  dirige  si  adroitement 
sa  fortune  et  donne  de  si  sages  conseils  à  son 
gendre  sur  la  conduite  de  la  sienne  M 

Je  voudrais  mettre  encore  sous  les  yeux  du 
lecteur  quelques  pages  de  la  correspondance 
d'une  autre  femme  du  xviir  siècle,  de  ce 
siècle  qu'on  regarde  (et  je  m'accuse  de  l'avoir 
trop  souvent  jugé  ainsi)  comme  le  plus  frivole 
et  le  plus  désordonné.  M.  de  Longevialle  est 
aux  armées.  C'est  madame  de  Longevialle  qui 
s'occupe  des  propriétés  et  gère  tous  les  biens. 
Elle  ne  manque  pas  de  tenir  son  mari  au  cou- 
rant de  tout  ce  qu'elle  fait,  entre  dans  les  plus 
minces  circonstances,  mettant  ainsi  l'époux 
retenu  dans  les  camps  à  même  de  participer 
aux  moindres  incidents  du  foyer  :  «  J'ai  payé 
135  livres  pour  la  capitation  et  tous  les  domes- 
tiques... J'ai  donné  ordre  ce  soir  pour  acheter 
une  paire  de  bœufs  ;  tout  le  reste  va  son 
train.  Etienne  (un  fermier)  a  pris  son  parti  et 
je  lui  ai  fait  son  compte...  Le  dit  (nom  illi- 
sible) mon  laquais,  est  un  triste  pistolet,  mais 
attentif,    sage,   exact...   La  sécheresse   désole 


1.  Correspondance  de  madame  de  Rostaing-Flagheac  avec 
M.  Christophe  d'Apchier.  (Arch.  de  Vaurenard.) 


LES    MAÎTRESSES    DE    JIAISOX  239 

notre  récolte;  je  ne  sais  comme  tout  tournera; 
je  ne  vends  presque  pas  de  blé  et  suis  embar- 
rassée où  trouver  de  l'argent.  » 

A  diverses  reprises,  madame  de  Longevialle 
revient  sur  les  récoltes,  s'excuse  d'être  arrivée 
en  retard  dans  une  de  leurs  propriétés,  car 
elle  en  a  plusieurs  à  gérer  et  à  des  distances 
assez  grandes  ;  elle  s'inquiète  des  débiteurs, 
ne  sait  comment  leur  faire  rendre  gorge,  les 
harcèle,  mais,  hésite  toujours,  en  femme  pru- 
dente, à  les  poursuivre  devant  la  justice,  car, 
dit-elle  :  «  Il  faut  avancer  beaucoup  de  frais 
qui  ne  rentrent  jamais.  »  Avec  une  singulière 
énergie  elle  poursuit  sa  tâche,  se  multipliant 
pour  être  partout  où  sa  présence  est  néces- 
saire. «  Je  suis  toujours  dans  l'intention  d'al- 
ler à  Longevialle  ;  de  là,  j'irai  au  Malzieu  et 
resterai  quelques  jours  àChambaron  pour  faire 
emporter  le  blé  qu'il  y  a,  étant  obligée  de 
refaire  le  devant  de  la  maison  qui  menace 
ruine.  Le  grenier  de  la  Vacheresse  est  dans 
le  cas  d'être  réparé,  ainsi  que  la  grange,  et, 
dans  aucun  de  ces  endroits,  je  ne  puis  laisser 
de  blé.  J'ai  projeté  de  le  faire  porter  ici  (à  Au- 
mont).  •»  Suivent  de  nouveaux  renseignements 
concernant  les  réparations  à  effectuer.  Elle  ne 


240        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

perd  rien  de  vue.  Il  n'est  rien  qui  échappe  à 
son  regard  avisé  et  vigilant. 

Si  préoccupée  qu'elle  puisse  être  de  l'admi- 
nistration générale  des  biens,  elle  ne  se  laisse 
pas  absorber,  descend  aux  détails,  remarque 
que  l'argenterie  de  Longevialle  n'est  pas  au 
complet,  qu'il  manque  six  couverts  et  des  cuil- 
lères à  café.  Elle  en  écrit  à  son  mari.  Au  sur- 
plus, ses  loisirs  elle  les  emploie  à  faire  des  bas 
pour  ce  mari  et  ses  enfants.  Sans  doute  est- 
elle  demi-morte  de  fatigue  et  se  plaint-elle  de 
cette  existence  surmenée  1  Ecoutons-la  :  «  Pour 
moi,  Dieu  merci,  je  jouis  d'une  santé  aussi 
bonne  que  celle  d'un  charretier  ;  à  la  vérité 
elle  m'est  très  nécessaire  (on  le  croit  sans 
peine!).  Vous  n'ignorez  pas  que  j'ai  trois 
domaines  sur  les  bras.  On  lève  la  récolte;  le 
temps  nous  a  fort  contrariés,  un  jour  entre 
autres.  Je  suis  accompagnée  de  six  Rouergues 
depuis  dix-sept  jours.  Nous  finîmes  lundi  et 
je  n'en  suis  pas  fâchée.  »  Mais  si  elle  paie  de 
sa  personne,  elle  est  exigeante  :  «  Je  suis  assez 
contente  de  mes  domestiques  qui  ont  travaillé 
comme  des  forçats  dans  les  jours  critiques*.  » 

1.  Correspondance   de  madame  de  Longevialle,  1783-85. 
(Arch.  de  Vaurenard.) 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  241 

M.  de  Longevialle  peut  être  tranquille  ;  ses 
affaires  sont  en  bonnes  mains.  Il  le  sait.  Aussi 
écrit-il  à  sa  compagne  :  «  Je  suis  sans  inquié- 
tude sur  la  manutention;  je  m'en  rapporte  à 
cet  égard  bien   plus  à  toi  qu'à  moi-même*.  » 

De  tout  temps  en  France,  les  femmes 
avaient  ainsi  participé  d'une  manière  effective 
à  l'administration  des  propriétés  et  des  terres. 
Elles  vivaient  beaucoup  de  la  vie  des  champs. 
Les  plus  nobles  ne  craignaient  point  de  se- 
conder journellement  leurs  maris,  et,  au 
Moyen  âge,  ceux-ci  témoignaient  fréquem- 
ment leur  reconnaissance  en  léguant  à  ces  col- 
laboratrices dévouées  des  biens  particuliers. 
Ainsi  voit-on  Elzéar  de  Sabran,  dans  son  testa- 
ment de  juillet  1313,  donner  à  sa  femme  Del- 
phine les  troupeaux  et  animaux  de  toute 
espèce  qui  sont  dans  ses  domaines,  «  en  gra- 
titude des  services  qu'elle  lui  a  rendus  dans 
la  conduite  de  ses  terres  -  »  . 

Nous  aurons  l'occasion  tout  à  l'heure  de 
suivre  encore  une  femme  de  la  haute  société, 
la  marquise  de  Villeneuve,  dans  l'accomplis- 

1.  M.  de  Longevialle  à  sa  femme,  3  août  1785  (td.).  Arch. 
de  Vaurenard. 

2.  Ch.  de  Ribbe,  La  société  française  à  la  fin  du  Moyen  âge. 

14 


242        FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

sèment  de  la  tâche  qu'elle  s'était  imposée  de 
gérer  elle  même  son  patrimoine.  Elle  avait  de 
qui  tenir  d'ailleurs.  Sa  mère,  la  comtesse  de 
Simiane-Moncha,  de  Paris  où  elle  habite,  ne 
cesse  de  veiller  sur  ses  propriétés  du  Midi, 
réclamant  des  précisions,  discutant  ses  baux, 
suivant  de  près  un  procès  qu'elle  a  contre  un 
M.  de  Ghabrillan,  trouvant  encore  le  moyen 
de  s'occuper  de  celui  que  sa  fille  soutient 
contre  un  homme  d'affaires.  *  Citerons-nous 
cette  duchesse  d'Uzès  dont  il  existe  de  si 
curieuses  lettres  relatives  à  l'achat  d'une 
terre?  Quel  avoué,  quel  avocat  saurait,  mieux 
qu'elle  ne  fait,  jauger  les  revenus  probables, 
les  agréments  et  les  inconvénients,  apprécier 
la  position  du  lieu,  ses  avantages,  ses  dé- 
fauts, supputer  les  charges,  exiger  des  sûre- 
tés? Qui  réussirait  mieux  à  obtenir  des  délais 
pour  les  paiements^?  Voici  encore  une  dame 
de  Belmont  qui,  comme  un  homme,  traite 
avec  le  marquis  de  Tournon  de  sérieuses 
affaires  de  billets  à  ordre,  d'emprunts  à  ré- 


1.  Lettres  de  madame  de  Villeneuve  et  correspondance  de 
M.  de  Roche,  curé  de  Tournon.  (Arch.  du  Vergier.) 

2.  Lettres  de  la  duchesse  d'Uzès  au  marquis  de  Tournon, 

1767-68  (îd.). 


LES  MAITRESSES  DE  MAISON      243 

gler,  de  droits  à  sauvegarder  sur  l'héritage  de 
sa  sœur  madame  de  Lestrange,  qui  a  ins- 
titué l'hôpital  d'Annonay  son  légataire  uni- 
versel ^  Dans  une  famille  du  Lyonnais,  je 
trouve  un  nouvel  exemple  de  ces  femmes  si 
pleines  de  zèle,  d'adresse,  d'énergie  dans  le 
gouvernement  de  la  fortune  commune.  Ma- 
dame de  la  Valette  préside  elle-même  à  la 
coupe  de  ses  bois.  «  Notre  récolte,  mande- 
t-elle  à  sa  sœur,  n'a  pas  été  si  bonne  cette 
année;  la  taille  étant  beaucoup  plus  jeune; 
elle  monte  pourtant  à  douze  mille  livres;  les 
années  suivantes  seront  meilleures.  »  Elle  fait 
bâtir  une  basse-cour  «  qui  ne  laisse  pas  de 
coûter,  ayant  pris  un  plan  assez  vaste-  ».  Mais 
cette  basse-cour  aura  ses  avantages.  «  Elle  de- 
viendra un  coup  d'œil  pour  le  château  et  ôtera 
la  domination  du  presbytère  qui  était  fort 
ennuyeux.  »  Qu'il  s'agisse  de  constructions 
ou  de  récoltes,  madame  de  la  Valette  s'en 
fie  beaucoup  plus  à  elle  même  qu'à  son  mari  : 
((  Il  est  trop  coulant,  écrit-elle,  trop  généreux  ; 


1.  Madame  de  Belmont,   née  Baudiné,   au  marquis   de 
Tournon,  6  mars  1788  (Arch.  du  Vergier). 

2.  Madame  de  la  Valette  à  madame  Cholier,  1784-85.  (Arch. 
de  Cibeins.) 


244        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

il  n'épluche  pas  les  comptes  ;  il  voit  grand  et 
ne  regarde  pas  à  la  dépense  ;  il  faut  que  je 
m'en  occupe  moi-même.  *  »  Madame  Cholier  agit 
tout  pareillement  dans  son  petit  royaume. 
C'est  elle  qui  décide  des  fruits  et  des  légumes 
qu'il  convient  d'envoyer  à  Lyon  pour  la  vente  *. 
Il  est  si  accoutumé  aux  femmes  du  temps 
de  mener  la  barque  et  de  diriger  tout  ce  qui 
concerne  la  maison,  que  cette  boutade  de  Guil- 
laume Budé  ne  nous  surprend  plus.  Un  jour 
que  le  feu  avait  pris  chez  lui,  et  qu'on  avait 
couru  l'en  aviser,  il  répondit  tranquillement  : 
«  Avertissez  ma  femme,  vous  savez  bien  que 
je  ne  mêle  pas  des  affaires  du  ménage'.  » 

Bien  peu  nombreux  étaient  les  maris  qui, 
comme  le  maréchal  duPlessis,  disait  à  la  maré- 
chale un  jour  que  celle-ci  gourmandait  un 
page  :  «  Ma  chère  dame,  mêlez-vous  de  dire 
votre  chapelet  et  de  prier  Dieu  pour  moi  et  mes 
enfants,  et  du  reste,  j'en  scay  plus  que  vous  ; 
laissez-moi  conduire  mes  affaires ^  » 


1.  Madame  de  la  Valette   à   madame  Cholier,  24  oct., 
22  sept.  1784  et  12  août  1785. 

2.  Papiers  Cholier.  (Arch.  de  Cibeins.) 

3.  Souvenirs  d'anciennes  familles,  op.  cit. 

4.  Journal  inédit  de  M.   de   Johanyn  de  Chantemerle, 
1648-1712.  (Arch.  de  Cibeins.) 


II 


La  mère  de  famille  et  ses  enfants.  —  Les  nourrices.  — 
Les  «  victimes  de  Rousseau.  >  —  La  miaiilée.  — 
L'enfant  à  la  maison.  —  Sévère  éducation  des  gar- 
dons. —  Régime  aussi  dur  pour  les  filles.  —  Rap- 
ports entre  parents  et  enfants.  —  Madame  d'Ober- 
kirch;  Talleyrand;  le  marquis  de  Mirabeau.  —  Les 
soins  de  santé.  —  Exagérations  répandues  à  ce  sujet. 

—  La  mortalité  infantile.  —  A  quoi  il  faut  l'attribuer. 

—  Ignorance  et  insuffisance  des  médecins.  —  L'ins- 
truction était-elle  négligée?  —  La  mère  dirige  celle 
de  ses  filles.  —  Le  lycée.  —  L'orthographe,  peu  en 
honneur.  —  Symptômes  qui  font  prévoir  que  l'on 
commence  à  sentir  la  nécessité  d'écrire  sans  fautes. 

—  Sollicitude  des  mères  pour  leurs  fils  sortis  de 
tutelle.  —  Anecdotes  diverses  à  ce  propos.  —  Le 
mariage  des  enfants  est  la  grande  préoccupation  des 
mères  de  famille.  —  Les  mariages  de  raison,  seuls 
considérés  comme  sérieux,  dans  la  société  d'autre- 
fois. —  Longueur  des  négociations.  —  Oncles  à 
Jiéritage  !  —  Détails  dans  lesquels  on  entre.  —  Robes 

i4. 


246         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

et  trousseaux.  —  Les  cérémonies  de  mariage  à 
Paris  et  en  province.  —  Les  fêtes  de  Vogue.  — 
D'Urfé,  historiographe  d'une  noce  au  xvi*  siècle.  — 
Table  ouverte  pendant  six  mois. 


Cette  femme  si  ferrée  sur  la  gestion  des 
fortunes  est-elle  aussi  soucieuse  de  ses  enfants? 
Oui  et  non,  selon  qu'on  l'entend.  Il  paraît 
certain  que  l'on  se  préoccupait  relativement 
peu  des  enfants  en  bas  âge.  Une  coutume 
déplorable  voulait  qu'ils  fussent  confiés  aux 
soins  d'une  nourrice  qui  ne  résidait  pas  dans 
la  maison  de  famille.  Un  revirement  s'était 
produit  à  la  veille  de  la  Révolution,  et  la  mode 
était  venue  pour  les  jeunes  mères  de  nourrir 
elles-mêmes.  Fières  de  leurs  fonctions  mater- 
nelles, elles  se  faisaient  apporter  leur  nour- 
risson au  salon  où,  devant  trente  ou  quarante 
personnes,  elles  allaitaient  «  cette  pauvre  vic- 
time de  Rousseau,  dira  M.  de  Frénilly,  ce  petit 
martyr  des  idées  nouvelles  qui,  au  lieu  de  téter 
en  bon  air  le  sein  d'une  robuste  paysanne, 
venait  prendre  dans  un  salon  de  fête  le  lait 
échauffé  de  sa  sensible  mère^  » 

Jusque-là  on  était  demeuré  fidèle  aux  nour- 

1.  Souvenirs  du  ba7-on  de  Frénilly. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      247 

ricesqui,  le  plus  souvent  habitaient  des  villages 
éloignés.  Les  conditions  dans  lesquelles  se 
faisaient  ces  voyages  de  marmots  nouveau- 
nés  étaient  parfois  navrantes.  La  police  arrête 
un  soir,  sur  la  route  d'Alençon,  certain  meneur 
d'enfants  «  qu'il  avait  entassés  pêle-mêle  dans 
sa  charrette,  au  nombre  de  vingt-deux,  avec  les 
vingt-deux  nourrices,  sans  compter  deux  voies 
de  charbon  de  terre,  quatre  balles  de  cuir  gras 
et  autres  denrées  du  même  genre'  ».  D'autre 
part,  toutes  ces  nourrices  ne  sont  pas  égale- 
ment consciencieuses,  alors  même  qu'elles  ne 
remplacent  pas,  comme  celle  dont  parle  madame 
de  Genlis,  leur  lait  insuffisant  par  la  miaulée, 
affreux  mélange  de  vin  et  d'eau  épaissi  de 
farine  de  seigle.  Dans  un  temps  où  l'hygiène 
était  si  peu  connue,  il  ne  faudrait  pas  non  plus 
s'attendre  à  la  rencontrer  chez  ces  paysannes 
ignorantes.  A  défaut  de  connaissances  qui 
manquent  encore  trop  aujourd'hui  aux  femmes 
du  peuple,  elles  apportaient  du  moins,  en 
général,  dans  leurs  fonctions  une  bonne 
volonté,  une  honnêteté,  une  douceur,  un 
dévouement   à  toute  épreuve.    Le   grand   air 

1.  Marquis  de  Ségur,  Esquisses  et  Récils. 


248         FILLES     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

aidant,  au  bout  de  deux  ou  trois  ans,  elles 
ramenaient  sous  le  toit  maternel  des  enfants 
solides,  pleins  de  «  belle  santé  et  les  joues 
comme  des  pommes  »,  écrira  M.  de  Viviès,  qui 
mit  ses  cinq  enfants  en  nourrice  à  la  campagne 
et  payait,  de  ce  chef,  entre  trois  et  quatre  livres 
par  mois  pour  chaque  bambin  *. 

Dès  qu'il  revient  à  la  maison,  l'enfant  est 
assujetti  à  des  règlements  qui  nous  paraissent 
Lien  rigoureux.  Si  c'est  un  garçon,  à  peine  sait-il 
marcher  que  son  père  le  met  à  un  rude  appren- 
tissage. Le  cheval,  les  armes,  ne  sont  point 
•considérés  comme  des  amusements  ou  des 
récréations.  On  ne  ménage  guère  ses  forces.  Il 
couche  sur  la  dure,  et,  par  tous  les  moyens,  on 
cherche  à  briser  son  corps  à  la  fatigue.  Pour  la 
iille,  autre  régime,  aussi  pénible.  A  l'âge  le 
plus  tendre,  il  faut  qu'elle  s'accoutume  au 
supplice  des  robes  à  paniers,  des  bustes  qui 
l'emprisonnent  comme  dans  une  gaine  de  fer  ; 
on  lui  met  du  rouge  aux  joues;  on  lui  apprend 
à  sourire,  à  se  tenir,  à  marcher  avec  élégance, 
à  parader  avec  dignité.  Huit  jours  avant  son 
mariage,  mademoiselle  de  Montmirail  est  con- 

i .  Livre  de  7'aîson  de  Grégoire  de  Viviès,  publié  par  A.  de 
Puybusque. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      249 

damnée  par  sa  mère  à  dîner  seule  à  une  petite 
table  de  pénitence,  parce  qu'elle  avait  mal  fait 
sa  révérence  au  salon*.  Dans  ce  dressage  savant 
que  devient  la  gaieté  naturelle  de  l'enfant?  que 
lui  reste-t-il  de  sa  spontanéité,  de  sa  grâce 
native?  Encore,  si  tout  cela  était  corrigé,  com- 
pensé par  beaucoup  de  tendresse  qui  achau- 
dirait  son  cœur.  Mais  la  tendresse  des  parents, 
dans  la  société  d'autrefois,  pour  profonde  et 
sincère  qu'elle  soit,  se  manifeste  peu,  ne  s'exté- 
riorise pas,  se  dissimule  sous  les  formules 
rigides  de  politesse  imposées  à  l'enfant,  sous 
des  formes  toujours  hautaines  et  froides  de  la 
part  des  parents. 

Le  côté  sérieux  de  la  maternité  est,  il  faut  le 
reconnaître,  un  peu  délaissé  au  xviii^  siècle, 
au  moins  dans  les  familles  de  haute  noblesse 
et  dans  celles  vivant  à  la  cour.  Madame  d'Ober- 
kich  écrivait  qu'elle  ne  s'appartenait  plus  à 
Paris,  «  qu'elle  avait  à  peine  le  temps  de  causer 
avec  son  mari  et  d'embrasser  ses  enfants  ». 
Taine  rapporte  que  jamais  Talleyrand  n'avait 
habité  la  maison  paternelle.  Le  marquis  de 
Mirabeau  prétendait  n'avoir  jamais  fait  «  qu'en- 

1.  Vie  de  madame  de  La  Rochefoucauld,  duchesse  de  Dou- 
deauville. 


250         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

trevoir  monsieur  son  père  devant  les  gens  de 
service*  ». 

En  province  et  dans  la  bourgeoisie,  ces  ma- 
nières ne  sont  pas  de  mode,  mais  si  l'on  s'oc- 
cupe des  enfants,  la  coutume  persiste  là  aussi 
de  les  traiter  avec  une  certaine  réserve  qui 
exclut  toute  familiarité  de  leur  part.  Est-ce  un 
bien,  est-ce  un  mal?  A  d'autres  d'en  décider. 
Bornons-nous  à  constater  le  fait  sans  tirer  de 
conclusions. 

Quelques  historiens  ont  voulu  laisser  croire 
que  les  parents  allaient  jusqu'à  négliger  la 
santé  de  leurs  enfants.  L'exagération  est  évi- 
dente. Sans  doute  était-on  moins  douillet  que 
nous  le  sommes  aujourd'hui  et  les  mères  ne 
perdaient-elles  pas  la  tête  au  moindre  bobo. 
Sans  doute  encore,  une  fermeté  de  caractère 
qui  a  bien  diminué  de  nos  jours,  jointe  à  une 
profonde  résignation  chrétienne,  risquent  de 
donner  le  change  sur  la  réalité  des  sentiments 
paternels  et  maternels.  Certaines  mentions  que 
Ton  peut  lire  dans  les  livres  de  raison,  où  le 
père  de  famille  enregistre  froidement  la  mort 
d'un  fils  ou  d'une  fille  sans  autre  commentaire 

1.  Henri  Bouchot,  La  famille  d'autrefois. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      251 

qu'un  bref  :  «  Dieu  l'a  voulu  »  ou  «  Dieu  est 
bien  le  maître  »,  ne  sauraient  constituer  des 
preuves  d'indifférence  ou  de  sécheresse  de 
cœur.  Pour  èlre  juste,  il  est  besoin  de  remarquer 
que  les  familles  d'alors  étaient  infiniment  plus 
nombreuses  qu'elles  ne  le  sont  à  présent  et 
que,  si  douloureuse  qu'elle  pût  être,  la  perte 
d'un  enfant  ne  revêtait  pas  le  caractère  cruel 
qu'elle  acquiert  quand  il  s'agit  d'un  fils  ou 
d'une  fille  unique.  D'autre  part,  la  mortalité 
infantile  était  considérable  à  cette  époque,  et, 
dût  pareille  constatation  paraître  mélancolique, 
il  est  évident  que  la  sensibilité  s'émoussait  peu 
à  peu.  A  voir  mourir  tant  de  petits  êtres,  le 
cœur  le  plus  aimant  finissait  par  se  résigner. 
La  mort  d'un  enfant,  cette  chose  horrible, 
contre  nature,  en  tout  cas  la  plus  effroyable  qui 
soit,  en  arrivait,  tant  elle  était  prévue  et 
attendue,  à  sembler  presque  normale,  et  pour 
ainsi  parler,  inévitable. 

Certes,  on  s'efforçait  bien  d'éviter  de  sem- 
blables malheurs;  on  soignait  les  enfants. 
Peut-être  ne  les  soignait-on  pas  toujours 
comme  il  eût  fallu.  Mais,  doit-on  rendre  les 
parents  responsables  de  l'ignorance  des  pra- 
ticiens? Si  Louis  XIV  perd  cinq  enfants  en  bas 


252         FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

âge,  par  la  sottise  des  médecins,  affirmera 
madame  de  Sévigné,  comment  supposer  que 
hobereaux  et  bourgeois  réussiront  à  sauver  les 
leurs?  Que  peuvent  valoir  les  médecins  de 
province  quand  ceux  de  la  Cour  sont  si  malha- 
biles? Aussi  bien,  des  médecins,  il  n'y  en  a  pas 
partout.  C'est  souvent  par  correspondance  que 
l'on  demande  des  consultations.  A  une  dame 
qui  lui  écrit  au  sujet  d'une  fluxion  dont  soufïre 
sa  fille,  Calvet,  docteur  réputé  d'Avignon, 
répond  par  une  longue  lettre  dans  laquelle  il 
indique  le  traitement  à  suivre ^  Mais  tout  le 
monde  ne  peut  s'adresser  à  Calvet  et  toutes  les 
maladies  ne  sont  pas  de  nature  à  être  soignées 
par  correspondance,  surtout  en  des  temps  où 
la  poste  me  marche  guère  vite. 

Reprocher  aux  mères  de  famille  d'avoir  for- 
fait à  un  devoir  aussi  sacré  que  celui  de  soigner 
leurs  enfants  serait  donc  inique.  Si  tant  d'entre 
eux  périssaient,  la  faute  en  incombe  à  une 
déplorable  entente  de  l'hygiène,  aux  épidémies 
contre  lesquelles  la  Faculté  était  impuissante, 
et  à  la  balourdise  des  Diafoirus  de  village  et 
même  de  villes  qui  pensaient  avoir  tout  fait 

1.  Lettre  de  Calvet  à  la  comtesse  de  Tournon,  13  oct.  1782. 
(Arch.  du  Vergier.) 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  253 

lorsqu'ils  avaient  marmotté  quelques  sornettes 
en  latin,  tout  comme  ceux  du  xx'  siècle 
estiment  leur  principale  mission  remplie,  quand 
une  fois  ils  ont  réussi  à  cataloguer  la  maladie 
dont  se  meurt  le  patient... 

.Je  ne  crois  pas  non  plus  que  l'instruction  fût 
négligée  aut<int  qu'on  le  veut  bien  dire.  La 
mère,  puisque  nous  nous  occupons  ici  presque 
exclusivement  des  femmes,  la  mère  ne  se  désin- 
téressait nullement  de  celle  de  ses  filles. 
D'ordinaire,  c'était  elle  qui  leur  donnait  les 
premières  notions  de  lecture  et  d'écriture,  elle 
encore,  qui  leur  enseignait  les  premiers  élé- 
ments de  la  religion*.  Nous  en  voyons  quel- 
ques-unes comme  madame  de  Frénilly,  qui  se 
flattent  de  terminer  elles-mêmes  l'éducation  de 
leur  fils-.  Mais,  madame  de  Frénilly  possédait 
ses  auteurs  latins  et  doit  donc  être  tenue  pour 

1.  Quelquefois,  c'est  une  sœur  aînée  qui  remplit  cet 
office.  Madame  Elisabeth,  rebutée  par  les  difficultés  de 
l'alphabet,  prétendait  quelle  n'avait  pas  besoin  d'apprendre, 
les  princes  et  les  princesses  ayant  toujours  auprès  d'eux  des 
hommes  et  des  femmes  dont  c'était  la  charge  de  penser 
pour  eux.  Ce  fut  sa  sœur,  madame  Clotilde,  qui,  jouant  à 
la  maman,  par  de  petits  conseils,  finit  par  améliorer  son 
écriture  et  lui  apprendre  à  lire.  (Savine,  Madame  Elisabeth 
et  ses  amies.) 

2.  Souvenirs  du  baron  de  Frénilly,  op.  cit. 

15 


254         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

une  exception.  En  revanche,  toutes  les  mères 
de  famille,  si  elles  ne  peuvent  faire  l'institutrice, 
s'attachent  à  en  avoir  une  qui  soit  capable  et 
digne  de  conliance.  En  ce  cas,  elles  surveilleront 
les  progrès  de  l'enfant,  s'en  assureront  au 
moyen  de  petits  examens,  feront  venir  le  curé 
pour  contrôler  les  leçons,  quand  ce  n'est  pas 
toutefois  le  curé  qui  sert  d'institutrice,  car  il 
est  souvent  le  seul  qui,  dans  la  contrée,  puisse 
enseigner  la  lecture  ou  l'écriture. 

La  jeune  fille  revient-elle  du  couvent  avec 
son  bagage  léger  d'instruction,  elle  n'en  est  pas 
quitte.  Sauf  dans  la  bourgeoisie  et  dans  les 
campagnes  très  déshéritées,  où  l'on  ne  saurait 
pousser  plus  avant  l'éducation,  la  mère  lui 
impose  des  professeurs  qui  achèveront  de  déve- 
lopper son  intelligence.  A  Paris,  on  fait  mieux 
encore.  Quoiqu'on  en  ait  dit,  l'instruction  avait 
réalisé  de  notables  progrès  dès  le  miheu  du 
xviiiV  siècle,  principalement  l'instruction  se- 
condaire qui,  de  tout  temps  d'ailleurs,  avait 
été  l'objet  de  la  vigilance  royale.  N'était-ce 
donc  rien  que  ce  lycée  où  Marmontel  ensei- 
gnait l'histoire;  Monge,  la  physique;  Laharpe, 
la  littérature  ;  Fourcroy,  la  chimie,  et  où 
les  jeunes  filles  étaient   admises  à  suivre  les 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      255 

cours'.  Si  elles  y  étaient  nombreuses, je  ne  puis 
l'affirmer.  Peut-être,  en  définitive,  eùt-il  mieux 
valu  qu'elles  se  bornassent  à  mettre  convena- 
blement l'orthographe.  Bien  peu  de  femmes 
ont  cette  coquetterie  au  xvii*  siècle,  et  pas 
davantage  au  siècle  suivant.  L'orthographe  était 
en  piètre  estime.  Il  semblerait  néanmoins  que 
la  nécessité  d'écrire  sans  fautes  commençât  de 
se  faire  sentir  dès  le  règne  de  Louis  XV.  Les 
lignes  que  je  vais  citer  sont  à  ce  sujet  caracté- 
ristiques :  «  Dans  la  lettre  que  j'écris  à  mon 
frère,  dit  la  marquise  de  Meximieux,  je  tâche 
bien  de  l'engager  à  prendre  du  cœur  pour 
l'orthographe,  qu'il  est  indispensable  à  un 
homme  de  savoir*.  »  Sur  quoi,  elle  s'empresse 
d'ajouter  :  «  La  justesse  d'esprit  est  bien  préfé- 
rable à  toutes  les  sciences.  »  Elle  n'a  point 
tort,  mais  les  deux  choses  ne  sont  pas  inconci- 
liables... 

Avec  ou  sans  orthographe,  les  mères,  en 
admettant  qu'elles  aient  montré  un  peu  d'in- 
souciance vis-à-vis  de  leurs  enfants  au  maillot, 
se  rattrapent  plus  tard.    On   dirait  que  leur 

1;  Parts  en  4789,  op.  cit. 

2»   Madame  de  Meximieux   à  sa   mère,  6  janvier  1768. 
(Arch.  de  Cibeins.) 


25G         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

affection  pour  eux  s'accroît  à  mesure  qu'ils 
grandissent.  Leur  sollicitude  se  fait  plus  tendre 
et  plus  active,  tandis  qu'ils  avancent  dans  la 
vie.  Cette  conception  n'est  pas  entièrement 
fausse.  A  quelle  époque  de  notre  existence 
avons-nous  le  plus  besoin  de  conseils,  de  sou- 
tien, d'appui  moral  qu'à  l'heure  où  précisé- 
ment nous  commençons  à  vouloir  voler  de 
nos  propres  ailes  et  où  nous  sortons  des  mains 
maternelles  ? 

Des  filles,  les  mères  n'ont  guère  à  s'in- 
quiéter. Le  mariage  ou  le  couvent  les  leur  a 
prises  à  peine  adolescentes.  Ce  sont  les  fils 
qu'elles  épient,  avec  d'autant  plus  d'attention 
qu'ils  leur  échappent  davantage.  Les  fils  d'ail- 
leurs portent  le  nom  ;  ils  sont  destinés  à  per- 
pétuer la  famille  et  la  race,  à  en  soutenir  l'éclat 
et  la  bonne  renommée.  Rien  de  ce  qu'ils  font 
ne  saurait  être  insignifiant;  leurs  actes  risquent 
d'engager  l'avenir  de  la  maison. 

Je  voudrais  pouvoir  citer  ici  la  lettre  admi- 
rable dans  laquelle  une  mère,  la  marquise  de 
Tournon,  indique  à  son  fils  la  façon  dont  il 
doit  s'y  prendre  pour  s'attirer  la  sympathie  des 
personnes  bien  placées  dans  le  monde  et  pour 
mériter  la  protection  de  son  colonel,  le  comte 


LES    MAÎTRESSES     DE    MAISON  2^37 

de  Livron.  Elle  entre  dans  le  détail  des  sollici- 
tations qu'elle  a  entamées  elle-même  en  vue 
d'obtenir  au  jeune  homme  une  compagnie  de 
cavalerie.  C'est  une  merveille  de  précision,  de 
délicatesse  féminine,  de  tendresse  maternelle,  et 
quelle  connaissance  du  cœur  humain,  quelle 
parfaite  entente  des  choses  de  la  vie  '  î 

Voici  une  autre  mère  aux  prises  avec  des  dif- 
ficultés que  lui  a  créées  son  fils  par  des  enga- 
gements pris  à  la  légère  vis-à-vis  d'une  jeune 
fille  qui  n'est  digne  ni  de  l'honneur  qu'il  lui 
veut  faire,  ni  des  sentiments  qu'il  lui  a  voués. 
Affaire  épineuse.  Le  père  de  la  jeune  fille  est 
officier  dans  le  même  régiment  que  legalantin. 
Toute  une  cabale  s'est  organisée.  Le  ministre, 
trompé  par  de  faux  rapports,  menace.  Il  y  va 
de  l'avenir  du  jeune  homme,  de  sa  carrière. 
Elle,  la  mère,  d'un  coup  a  vu  le  danger.  Toute 
une  correspondance  s'engage  entre  elle,  le 
père  de  la  demoiselle,  le  colonel  et  Choiseul. 
Elle  perce  l'intrigue,  fait  éclater  la  vérité,  oblige 
le  ministre  à  reconnaître  qu'il  s'est  fourvoyé, 
obtient  pleinement  gain  de  cause  pour  elle  et 
son  fils.  Or  cette  femme  qui  lutte  ainsi  contre 

1.  Papiers  de  la  maison  de  Tournon.  (Arch.  du  Vergier.) 


258         FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

les  efforts  de  gens  puissants,  qui  ne  craint  pas 
d'entrer  en  discussion  avec  Choiseul,  qui  pousse 
jusqu'au  roi,  c'est  une  veuve,  sans  grande  for- 
tune, habitant  au  fond  d'une  province,  privée 
de  hautes  protections  à  la  Cour,  sans  autre 
appui  que  la  bonté  de  sa  cause,  la  loyauté  d'un 
colonel  et  le  sentiment  général  du  corps  des 
officiers  qui  lui  est  favorable  ^ 

Les  lettres  de  madame  de  Blacons  à  divers 
correspondants  au  sujet  de  son  fils  sont  égale- 
ment révélatrices  de  l'énergie  avec  laquelle  les 
femmes  d'autrefois  savaient  se  plier  aux  circons- 
tances les  plus  ardues.  Ce  fils  fait  mille  sot- 
tises. 

Quel  mal  se  donne  madame  de  Blacons  pour 
surveiller  les  affaires  d'un  garçon  sans  cervelle, 
pour  empêcher  le  désastre  où  il  court,  pour 
prendre  des  arrangements  secrets  afin  de  payer 
ses  dettes  sans  qu'il  le  sache,  de  manière  qu'il 
demeure  effrayé  lui-même  du  gouffre  qu'il  a 
creusé.  H  y  a  là  des  complications  d'intérêts 
composés  (très  composés  !),  de  billets  renou- 
velés, de  cessions  de   créances,  tout  un  fatras 

1.  Correspondance  de  madame  de  Gallier  avec  le  mar- 
quis de  Comeiras,  le  chevalier  de  Maille,  le  duc  de  Choi- 
seul, etc.  (Papiers  de  famille.) 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      2o9 

au  milieu  duquel  elle  se  débrouille  avec  une 
dextérité  surprenante  ^ 

Si  les  mères  de  famille  se  préoccupent  à  ce 
point  et  jusqu'à  la  minutie  des  actes  de  leur 
fils,  combien  doivent-elles  s'intéresser  à  leur 
établissement?  Le  mariage  sous  l'ancien  régime 
avait  une  importance  que  nous  ne  lui  accor- 
dons pas  toujours  à  présent.  Les  idées  sur  le 
rôle  de  la  famille  dans  toute  société  régulière- 
ment constituée  imprimaient  à  l'union  de  deux 
êtres  (et  nonobstant  les  libertés  que  chacun 
d'eux  pouvait  parfois,  dans  la  suite,  prendre 
avec  le  sacrement)  un  caractère  solennel,  fai- 
saient d'elle  un  acte  capital  de  la  vie,  et  non 
point  seulement  de  la  vie  particulière  d'un 
homme  ou  d'une  femme,  mais  de  la  vie  de  la 
famille.  Dans  les  Mœurs  et  la  Vie  privée 
cC autrefois^  j'ai  dit  comment  et  dans  quelles 
conditions  se  concluaient  ces  mariages,  montré 
à  quels  mobiles  on  obéissait  en  choisissant  tel 
jeune  homme  ou  telle  jeune  fille,  quelles  rai- 
sons d'orgueil,  de  vanité,  de  lucre,  mais  aussi, 
le  plus  souvent,  de  dignité,  de  sagesse,  de  con- 

1.  Correspondance  de  madame  de  Blacons  (1880-87)  (Arch. 
du  Vergier.) 

2.  Calmann-Lévy,  édit. 


260         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

venances  et  de  prudence  parfaite  inspiraient 
les  parents  dans  le  choix  d'un  gendre  ou  d'une 
bru.  Je  n'y  reviens  pas.  Tout  au  plus  essaierai- 
je  de  marquer  la  part  que  la  mère  de  famille 
prenait  aux  négociations  lointaines  par  quoi  se 
préparaient  les  alliances. 

En  principe,  surtout  dès  que  l'on  sort  de  la 
bourgeoisie,  l'Amour  n'est  pas  le  dieu  que  l'on 
invoque  de  préférence.  Les  jeunes  gens  se  lais- 
seraient volontiers  guidés  par  des  inclinations 
sentimentales.  Mais  les  parents  voient  le  ma- 
riage sous  un  aspect  tout  différent.  «  J'ai  ouï 
dire  depuis  que  j'existe,  écrit  M.  de  la  Valette, 
que  les  mariages  de  raison  et  de  convenances 
sont  les  meilleurs.  A  vingt  ans,  je  ne  pouvais 
pas  le  croire  et  je  pensais  qu'il  y  avait  une 
sorte  de  barbarie  de  la  part  des  parents  à  unir 
pour  la  vie  deux  individus  qui  se  connaissaient 
à  peine.  Depuis  que  j'ai  passé  cet  âge  heureux, 
j'ai  vu  que  la  plupart  de  ces  mariages  tour- 
naient mal'.  »  Même  note  chez  M.  de  Montfort, 
qui  toutefois  ajoute  qu'en  province  on  goûte 
peu  la  trop  grande  disproportion  d'âge.  «  Nous 
n'avons  pas  ici  les  mœurs  de  Paris  qui  allie  la 

1.  M.  de    la  Valette  à   la  marquise  de  Harrenc,   2  jan- 
vier 1789.  (Arch.  deCibeins.) 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      261 

tendre  enfance  enchaînée  avec  la  caducité  qui 
procure  la  liberté.  Nous  désirons  autant  qu'il 
se  peut  la  conformité  et  le  rapport  des  âges  qui 
permet  de  s'entr'aider  à  supporter  les  charges 
et  les  ennuis  de  l'hymen*.  » 

Mais  quelles  longues  et  scrupuleuses  inves- 
tigations nécessitent  les  mariages  dits  de 
raison  ou  de  convenances  !  On  ne  laisse  rien 
au  hasard.  «  Si  l'on  prend  des  renseignements 
sur  toute  affaire,  comment  n'en  prendrait-on 
pas  sur  un  objet  de  cette  importance?  »  deman- 
dera avec  une  certaine  justesse  madame  de 
V^illiers*.  Aussi  bien  ne  s'en  fait-on  pas  faute. 
On  discute  les  dots,  les  avantages,  les  espé- 
rances, très  ouvertement,  sans  nulle  hypocrisie 
de  forme,  dirons-nous  avec  quelque  cynisme? 
calculant  bonnement  les  chances  qu'un  oncle  à 
héritage  peut  avoir  de  vivre  encore  deux  ou  dix 
ans^  Cette  simplicité,  cette  franchise  qui  nous 

1.  M.  de  Montfort  à  M.  de  Longevialle,  28  août  1785.  (Arch. 
de  Vauronard.) 

2.  Madame  de  Villiers  à  M.  de  Longevialle.  Id. 

3.  A  propos  du  mariage  desbn  fils,  le  marquis  de  Maubec, 
avec  mademoiselle  de  Chàteau-Ghinon,  madame  de  la  Valette 
écrit  :  «  Le  grand-oncle  de  la  mariée  qui  a  élé  fermier 
général  est  regardé  comme  le  patriarche  de  la  famille.  C'est 
lui  qui  prête  les  vingt  raille  livres  à  la  mère  pour  le  trous- 
seau... Il  est  fort  âgé.  On  ne  croit  pas  qu'il  puisse  vivre 

15. 


262         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

choquent  un  peu,  semblaient  toutes  naturelles 
à  nos  aïeules  qui  n'y  entendaient  point  malice 
et  trouvaient  «  aussi  logique  de  supputer  la 
mort  plus  ou  moins  prochaine  d'un  parent  que 
d'appeler  chat  un  chat*  ».  Les  questions  d'ar- 
gent ne  viennent  pas  en  toutes  circonstances  au 
premier  rang.  La  noblesse  de  province  est  très 
à  cheval  sur  les  avantages  du  nom.  Mais  même 
derrière  cette  façade  de  vanité  apparaissent 
encore  des  motifs  d'intérêts  matériels.  «  Je 
cherche  pour  ma  fille,  écrit  madame  de  Bacon 
de  la  Chevalerie  à  M.  de  Tournon,  un  gentil- 
homme. Nous  venons  de  refuser  un  homme 
riche  qui  n'était  que  roturier  ;  vous  sçavez  que 
les  gens  de  condition  ont  plus  de  ressources 
que  tous  les  autres  pour  pouvoir  placer  les  en- 
fants et  qu'il  y  a  mille  débouchés  pour  s'en  dé- 
faire. »  Peu  après,  elle  revient  sur  ce  sujet. 
«  Je  ne  donnerai  jamais  les  mains  que  pour  lui 
faire  épouser  un  bon  gentilhomme;  je  vous  en 
ai  dit  les  raisons,  etc.  ^  » 

encore  deux  années  ;  vous  savez  qu'il  laissera  toute  sa  for- 
tune à  la  mère.  Parla,  la  situation  sera  bien  dillV'rente  d'à 
présent,  etc.  » 

1.  Madame     de     Monti    à    la    comtesse     d'Hérouville, 
2  juin  1721.  (Collect.  part.) 

2.  Madame  Bacon  de  la  Chevalerie  au  marquis  de  Tour- 
non,  1"  et  15  juin  1771.  (Arch.  Verg.) 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  263 

Aucun  détail  n'est  négligé.  Par  avance,  c'est 
entre  les  mères  un  échange  de  conditions  qui 
descendent  aux  plus  minces  pièces  du  trous- 
seau. «  Il  demeure  bien  convenu,  madame, 
lisons-nous  dans  une  lettre  de  la  marquise  de 
Brégy,  que  mademoiselle  votre  fille  apportera 
une  robe  de  velours  incarnat,  deux  grandes 
robes  sur  panier,  sans  compter  les  nippes  dont 
nous  sommes  entendu*  ».  «  On  donne  bien  des 
robes,  mais  le  linge  me  paraît  peu  fourni, 
écrit  madame  de  Dampierre;  mon  fils  en  est 
fâché,  car  il  est  homme  raisonnable  qui  ne  se 
prend  pas  à  ce  qui  luit^!  »  A  son  fils,  madame 
de  Gallier  mande  un  jour  :  c  Votre  fiancée  est 
bien  fournie  en  toilettes  d'apparat;  elle  a  une 
robe  de  brocart,  deux  grandes  de  soie  de  Lyon 
fort  belles,  et  d'autres  dont  je  vous  ferai  le 
détail.  Madame  de  Nève  donne  ses  bijoux  et 
l'oncle,  une  bague  qu'il  a  promise.  »  Elle  dira 
encore  :  «  Tout  est  bien  réglé  pour  les  toilettes 
et  le  linge  que  la  famille  donnera  ;  ce  sont 
gens  accommodants  et  honnêtes;  on  a  plaisir 


1.  La   marquise  de  Brëgy  h   la  vicomtesse  de   Rogère, 
2  mai  1767.  (CoUect.  part.) 

2.  Madame  de  Dampierre  à  la  comtesse  de   Villeneuve- 
Trans  (22  nov.  1749). 


264         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

à  traiter  avec  eux.  Madame  de  Nève  veut  que 
sa  fille  ait  tout  en  abondance,  particulière- 
ment l'utile*  ».  Après  avoir  énuméré  les  pré- 
sents que  recevra  mademoiselle  de  Ghàteau- 
Chinon,  madame  de  La  Valette  ajoute  :  «  M.  de 
Vichy  donne  la  toilette  et  je  m'imagine  que 
madame  de  La  Mallarye,  fille  du  grand-oncle, 
et  ses  deux  fils  feront  aussi  quelques  cadeaux. 
Je  voudrais  que  ce  fût  en  choses  utiles  pour 
monter  le  ménage  ^.  »  Mais  aussi,  comme  les 
propos  s'aigrissent  quand  les  arrangements 
pris  n'ont  pas  été  tenus.  A  peine  accompli  le 
mariage  de  son  fils  avec  mademoisolle  d'Ac- 
quéria,  M.  Bonnot  de  Villevrain,  dans  une 
lettre  adressée  à  son  ami  M.  de  Garcin,  se 
plaint  en  ces  termes  ;  «  Je  sais  la  façon  dont 
madame  d'Acquéria  usait  avec  sa  fille  en  lui 
donnant  pour  tout  linge  neuf,  douze  chemises, 

1.  Madame  de  Gallier  à  son  fils,  capitaine  dans  la  Légion 
de  Condé  (1774). 

2.  Madame  de  la  Valette  à  sa  sœur  (janv.  1772).  —  Dirait- 
on  pas  qu'on  attend  après  les  cadeaux  pour  installer  le 
jeune  ménage?  Or,  M.  de  Maubec,  en  épousant  mademoi- 
selle de  (^hâteau-Chinon,  recevait  la  terre  de  La  Valette, 
8.000  livres  de  rentes  en  contrat,  24.000  livres  en  argent 
comptant;  il  avait  en  outre  sa  solde  d'officier  et  la  jouis- 
sance d'un  appartement  dans  la  maison  de  ses  parents  à 
Paris.  «  Malgré  cela,  il  ne  sera  pas  bien  riche  »,  se  lamente 
madame  de  La  Valette. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      265 

vingt-quatre  mouchoirs  et  un  corset  !  Madame 
d'Acquéria,  malgré  toute  sa  richesse,  est  la 
première  mère  qui  marie  sa  fille  sans  lui  faire 
cadeau  d'un  quarteron  d'épingles...  Elle  s'était 
engagée  à  donner  à  sa  fille  tout  le  linge  con- 
venable, une  coifîure  en  dentelles  d'Angleterre 
et  une  robe  en  or  qu'elle  ne  donnera  jamais'.  » 
Ces  mariages,  dont  les  négociations  ont  été 
si  minutieuses,  sont  l'occasion  de  fêtes  sans  fin 
aussi  bien  dans  la  bourgeoisie  que  dans  la 
noblesse.  Là  encore,  la  mère,  la  maîtresse  de 
maison  a  sa  lourde  part  de  charges.  Il  ne 
s'agissait  pas  alors,  comme  de  nos  jours,  de 
cérémonies  banales  qui  le  plus  ordinairement 
se  bornent  à  un  dîner  de  fiançailles,  une  ma- 
tinée de  contrat,  et,  le  jour  des  noces,  à  quel- 
que courte  réception  agrémentée  d'un  buffet 
froid.  Nos  mœurs  modernes,  principalement 
à  Paris,  goûtent  fort  cette  simplicité.  Encore 
serions-nous  tentés  de  la  vouloir  plus  absolue. 
En  province,  on  se  souvient  davantage  des 
anciennes  coutumes,  et  la  bourgeoisie  riche, 
les  paysans  de  certaines  contrées  les  font  revi- 
vre, en  partie  du  moins,  et  dans  une  mesure 

1.  La  marquise  de  Villevrain,  op.  cit. 


266         FILLES     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

qui  semblerait  encore  bien  mesquine  à  nos 
aïeux  s'il  leur  était  permis  de  venir  assister  au 
mariage  de  leurs  descendants. 

Quand  mademoiselle  Mélian  épouse  M.  d'Ar- 
genson,  en  1718,  après  la  bénédiction  donnée 
par  M.  d'Embrun,  il  y  a  grand  dîner  chez  les 
Argenson.  «  Deux  tables  de  vingt  couverts, 
l'une  présidée  par  madame  d'Argenson  pour 
les  dames  et  les  jeunes  mariés,  l'autre,  par 
le  garde  des  sceaux  pour  les  hommes, 
toutes  deux  servies  magnifiquement.  On  se 
met  à  dîner  à  trois  heures  et  demie  ;  on  sort 
de  table  à  sept  heures.  Après  cela,  jeu  et  mu- 
sique composée  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  meil- 
leur à  l'Opéra.  »  Voilà  qui  nous  paraîtrait  suf- 
fisant. Nul  ne  s'en  serait  contenté  autrefois.  A 
onze  heures,  un  ambigu  est  servi  et  l'appétit 
est  sans  doute  revenu,  car  ce  nouveau  repas  ne 
se  termine  qu'à  deux  heures  du  matin,  où  l'on 
va  enfin  mettre  les  mariés  au  lit*.  Ayant  une 
idée  de  ce  qui  se  fait  à  Paris  dans  ces  circons- 
tances solennelles,  allons  maintenant  en  pro- 
vince. 

Nous  sommes  au  29  février    1732.   II  y  a 

1.  Marquis  de  Barthélémy,  Les  Correspondants  de  la  mar- 
quise de  Balleroy. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      267 

grandes  réjouissances  au  château  de  Vogué 
pour  le  mariage  de  Charles-François  Elzéar 
avec  Madeleine  de  Truchet.  Le  cortège  ame- 
nant la  mariée  arrive  à  la  nuit.  Aussitôt  on 
prend  place  pour  le  souper  auquel  soixante 
personnes  sont  conviées,  tandis  que  la  popula- 
tion allume  des  feux  de  joie  sur  les  montagnes 
et  tire  des  fusées  dans  les  rochers.  La  soirée 
se  termine  par  le  jeu.  Le  lendemain,  qui  est 
un  dimanche,  dès  le  matin,  les  cavaliers  d'Au- 
benas  viennent  camper  dans  le  parc.  Après  la 
messe,  les  divertissements  commencent,  qui 
occuperont  toute  la  journée  ,  manœuvres  des 
troupes,  déiilé  dans  l'allée  des  marronniers, 
r-imagrée  de  l'ambassadeur  turc,  puis  grand 
dîner.  La  salle,  le  salon,  les  appartements  du 
rez-de-chaussée  sont  encombrés  de  tables  au- 
tour desquelles  s'installent  cent  cinquante- 
quatre  convives.  Le  repas  comporte  quatre 
services.  Il  y  a  d'autres  tables  de  cent  couverts 
pour  la  suite  et  les  serviteurs.  Les  dames  sont 
à  une  table  spéciale  dressée  dans  une  chambre. 
(Cette  coutume  de  séparer  les  femmes  des 
hommes  dans  les  dîners  de  noces  est  assez 
curieuse.)  «  Durant  le  dîner,  sonneries  de 
trompettes  alternant  avec  un  quatuor  de   cas- 


268         FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

tagnettes  et  violons.  A  la  fin  du  repas,  chacun 
passe  devant  le  marié  avec  une  rasade  à  la 
main,  buvant  à  sa  santé  puis  brisant  son  verre. 
Le  chevalier  de  Villeneuve  ouvre  ensuite  le 
bal  qui  dura  jusqu'au  soir  que  les  troupes 
remontèrent  à  cheval  pour  regagner  Aubenas 
non  sans  avoir  au  préalable  passé  sous  les 
fenêtres  du  château  en  tirant  des  coups  de  pis- 
tolet. »  Les  fêtes  ne  prennent  pas  fin  si  vite  ! 
A  Aubenas,  elles  reprennent  de  plus  belle.  Et 
voilà  de  nouveau  des  dîners,  des  bals,  le  jeu, 
les  concerts.  «  Pendant  une  semaine  entière, 
à  Vogué,  ce  ne  sont  que  réceptions,  visites, 
députations.  Naturellement,  la  table  est  en 
permanence  pour  tout  ce  monde  qui  arrive  à 
chaque  instant.  Le  vin  coule  à  flots  ;  les  vic- 
tuailles disparaissent  comme  par  enchante- 
ment. Tout  se  termine  par  un  dernier  dîner 
offert  à  la  cour  du  bailliage,  et,  comme  ce  dîner 
est  maigre,  on  a  dû  faire  venir  de  Marseille  et 
du  Teil,  des  brochets,  des  thons,  des  rascas- 
ses, sans  compter  les  anguilles  de  l'Ardè- 
che  '  ».  Gomment  on  résistait  à  de  pareilles 
frairies?  Mystère  et  solidité  d'estomac!... 

1.  Marquis  de  Vogùé,  Une  fêle  à  Anbenas  en  1732.  (Revue 
du  Vivarais,  mai  1912.) 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      269 

Que  si  l'on  voulait  lire  une  curieuse  descrip- 
tion et  fort  complète  d'une  autre  fête  nuptiale, 
à  une  date  un  peu  plus  reculée,  il  suffirait 
d'ouvrir  un  délicieux  petit  volume,  assez  rare 
d'ailleurs,  où  sont  relatées  les  cérémonies  aux- 
quelles donna  lieu  l'entrée  dans  sa  bonne  ville, 
de  Madeleine  de  La  Rochefoucauld,  qui  venait 
d'épouser  le  seigneur  de  Tournon  *.  Le  bon- 
homme d'Urfé  ne  tarit  pas  sur  les  festins,  les 
jeux,  les  danses  auxquels  prirent  part  quinze 
cents  étudiants  en  costume  ecclésiastique.  Un 
autre  Tournon,  Just-Louis,  à  l'occasion  du 
mariage  de  son  fils,  Just-Henri  avec  made- 
moiselle de  Ventadour,  t  tient  table  ouverte 
pendant  six  mois,  menant  le  bal,  courant  la 
bague,  rompant  des  lances  -  ». 

Mais  les  mariages,  si  fréquents  qu'ils  soient, 
à  une  époque  où  les  familles  sont  nombreuses, 
n'exigent  en  somme  des  maîtresses  de  maison 
que  des  soins  momentanés  et  ne  constituent, 
pour  ainsi  parler,  que  des  hors-d'œuvre  dans 
leur  tâche  quotidienne. 

1 .  Honoré  d'Urfé,  La  magnifique  entrée  de  Madeleine  de 
La  Rochefoucauld,  dame  de  Tournon.  ' 

2.  Essai  sur  la  noblesse   vivaroise.  (Revoe  du  Vivarais  ) 


III 


L'installation,  premier  devoir  des  maîtresses  de  mai- 
son. —  Variations  de  la  mode.  —  Transformations 
dans  l'ameublement.  —  Les  tentures  au  grenier.  — 
Une  chambre  de  grande  dame  au  xvin«  siècle.  — 
La  manie  des  glaces.  —  Les  tapisseries.  —  Le  bibe- 
tot-roi  !  —  Luxes  divers.  —  Les  chevaux;  les  équi- 
pages. —  Le  luxe  n'est  pas  général.  —  La  disposi- 
tion des  maisons  et  châteaux,  plus  favorable  à  la 
vie  simple  qu'au  faste.  —  Part  faite  aux  cuisines, 
caves,  bûchers.  —  Abondance  des  communs.  —  La 
cuisine,  centre  de  la  maison  et  siège  ordinaire  de 
la  famille. 


Le  premier  devoir  d'une  femme  nouvelle- 
ment mariée  est  de  procéder  à  l'installation  de 
son  intérieur.  Dans  la  société  riche,  la  mode 
impose  au  surplus  de  constantes  modifications. 
Tandis  que  la  bourgeoisie  reste  assez  fidèle 
aux  ameublements  anciens  et  qu'elle  se  montre 


LES  MaItRESSES  DE  MAISON      271 

longtemps  réfractaire  à  la  manie  du  «  joli  », 
dans  la  noblesse  appartenant  de  près  ou  de 
loin  au  monde  de  la  cour  ou  se  flattant  de 
l'imiter,  il  n'est  de  sacrifices  que  l'on  fasse 
pour  se  mettre  au  dernier  ton.  Ainsi  ont  déjà 
disparu,  dès  la  Régence,  au  fond  des  greniers 
ou  dans  les  caves,  hélas  !  les  magnifiques  tapis- 
series de  haute  lisse  que  l'on  remplace  par  des 
boiseries  de  tonalité  claire  agrémentées  de 
filets  d'or  et  d'ornements  en  plâtre  et  bois 
sculpté.  Aux  meubles  raides  et  inconfortables 
du  Moyen  âge,  aux  meubles  larges  mais  tou- 
jours un  peu  rigides  du  grand  siècle,  ont  suc- 
cédé ces  délicats  fauteuils,  plus  petits,  plus 
légers,  dont  les  formes  s'arrondissent  en 
molles  et  galantes  courbes,  ces  bergères  aux 
multiples  coussins  qui  invitent  à  la  paresse, 
ces  tables  de  boudoir,  chiffonniers,  toilettes, 
secrétaires  en  bois  précieux,  pleins  de  grâce, 
de  sveltesse,  de  souriante  familiarité  et  qui, 
bien  mieux  que  des  meubles,  signés  de  noms 
fameux,  sont  des  joyaux.  C'est  la  maîtresse  de 
maison  qui  se  charge  de  ces  transformations 
grâce  auxquelles  toutes  ces  pièces  austères 
d'autrefois,  vont  prendre  un  aspect  de  coquet- 
terie raffinée. 


272         FILLES    NOBLES    ET    MAGIGIEXXES 

Il  suffit  de  pousser  la  porte  de  l'hôtel  Morte- 
mart  et  de  pénétrer  dans  la  chambre  à  coucher 
de  la  duchesse  pour  juger  des  changements 
qui  se  sont  opérés  dans  le  mobilier  des  mai- 
sons élégantes.  Voici  la  couchette  à  deux  che- 
vets et  à  colonnes  en  bois  peint  en  blanc,  avec 
pantes  et  draperies  de  damas  jaune  brodé  en 
soie  des  Indes.  Les  rideaux  et  la  courtepointe 
en  damas  de  trois  couleurs  sont  doublés  de 
vert  pâle.  La  même  étoffe  de  damas  jaune  revêt 
les  chaises  à  coussins,  les  deux  chaises  simples 
et  les  fauteuils  «  à  la  dauphine  ».  Puis  voici 
des  bergères  formant  tabouret,  des  écrans  de 
damas  sur  châssis  de  bois  peint  en  blanc,  des 
paravents  en  papier  de  la  Chine,  des  tables  et 
des  consoles  aux  galeries  dorées,  de  petits 
meubles  en  l)ois  de  rose  et  palissandre  ;  et  puis 
des  appliques  dorées,  une  pendule  signée  Col- 
lier ^  Tout  ce  blanc,  tout  cet  or,  toutes  ces 
couleurs  claires,  vives,  gaies,  c'est  bien  du  pur 
XV m'*  siècle. 

Dans  nombre  de  châteaux,  l'exemple  venu  de 
Paris  a  été  suivi.  Plus  de  salles  nues,  plus  de 
fresques,  plus  de  toiles  peintes  ni  de  tentures. 

1.  Inventaire  de  la  duchesse  de  Mortemart,  nde  Nicolaï. 
(Arch.  nat.  MM.  749.) 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      273 

Les  lourds  bahuts  ont  fait  place  aux  consoles  ; 
les  majestueux  sièges  de  bois  sculpté,  aux 
chaises  longues,  aux  «  caqueteuses  t.  Les 
chaises  menues,  aux  dossiers  finement  tarabis- 
cotés, aux  pailles  dorées  tressées  avec  art  font 
oublier  les  solides  chaises  de  noyer  garnies  de 
Cadix  vert,  telles  qu'on  en  voyait  encore  chez 
les  Surville  en  1687,  et  les  chaises  de  noyer 
brut,  comme  celles  dont  parle  Tinventaire  de 
Jean  de  Ghaves,  en  1669  *.  La  mode  des  glaces 
a  gagné  toutes  les  classes  de  la  société.  On  en 
veut  partout.  La  coquetterie  des  femmes  y 
trouve  son  compte.  Aussi  voit-on  ces  dames 
lutter  de  zèle  pour  en  garnir  leurs  salons,  leurs 
boudoirs,  leurs  chambres  et  jusqu'aux  corri- 
dors. Quel  malheur  qu'elles  soient  si  coû- 
teuses !  c  J'ai  fait  venir  des  glaces  pour  orner 
le  salon;  elles  sont  très  belles  et  font  très 
bon  effet.  Mais  elles  sont  fort  chères,  reve- 
nant avec  les  frais  à  13.3  livres-.  » 

Ce  goût  pour  les  glaces  et  les  miroirs,  on 
l'avait  eu  jadis  pour  les  tapisseries  et  il  avait 
persisté  longtemps.  En    1617,  le   château  de 

1.  Revue  du  Virarais. 

2.  Madame  de  La  Valette  à  madame  Cholier,  18  juin  17... 
(Arcb.  de  Cibeins.) 


274         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Tournon  n'en  possédait  pas  moins  de  vingt- 
cinq  grandes  de  Flandre  de  haute  lisse,  repré- 
sentant des  sujets  mythologiques,  sans  men- 
tionner les  treize  grands  et  petits  tapis  de 
Turquie  ^  Au  château  de  Peyraud,  chez  les 
Fay,  où  il  y  a  de  grands  et  petits  appartements 
«  comme  à  Versailles  »,  la  chambre  d'honneur 
est  entièrement  tendue  de  tapisserie  de  verdure, 
et  le  lit  ((  à  la  duchesse  »  est  recouvert  de 
velours  frangé  d'argent  -. 

Enfin,  le  bibelot  n'est-il  pas  devenu  roi?  Il 
ne  s'agit  plus  de  divers  objets  d'art,  pieuse- 
ment conservés  dans  une  salle  spéciale,  comme 
celle  du  château  de  Tournon  où  les  seigneurs 
du  lieu  ont  réuni  «  un  grand  damier  couvert 
de  plaques  d'argent  doré,  auxquelles  sont  em- 
preintes les  armes  de  feu  le  Cardinal  ;  cinq 
pièces  de  vaisselle  de  Venise  ;  des  layettes  do- 
rées; des  marbres.  »  11  ne  s'agit  pas  non  plus 
de  tableaux  accumulés  dans  une  seule  pièce  et 
formant  une  espèce  de  galerie,  ainsi  qu'on 
en  voit,  toujours  au  même  château,  où  dans 
le  cabinet  de  Just-Louis  sont  disposés  «  cent 
trois  tableaux  de  princes,  seigneurs  de  la  cour 

1*  p.  Falgairolle,  Inventaire  de  la  maison  de  Tournon  (1617). 
2.  La  maison  de  Faij-Peyraud,  op.  cit. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      275 

et  enfants  de  la  maison  de  Tournon,  tous  à 
l'huile  *.  »  Cette  régularité  froide  n'est  plus  de 
mise.  La  maîtresse  de  maison  s'ingénie  mainte- 
nant à  varier  l'aspect  de  chacune  des  pièces  de 
son  habitation.  Les  tableaux,  les  portraits  se- 
ront accrochés  un  peu  partout  au  gré  de  la 
fantaisie  et  du  caprice.  Les  objets  précieux, 
loin  d'être  jalousement  gardés  ainsi  que  dans 
un  musée,  on  les  répandra  sur  les  tables,  sur 
les  cheminées  ;  on  les  sèmera  ici  et  là  avec  une 
apparente  négligence  qui,  de  suite,  donnera  au 
logis  un  petit  air  familier  et  avenant.  «  J'ai 
quelques  porcelaines  de  la  Chine,  écrira  ma- 
dame de  Belleval  ;  je  les  ai  placées  sur  les  con- 
soles du  salon  ;  d'autres  sont  dans  ma  chambre; 
ainsi  pourrai-je  en  jouir  à  toute  heure  *.  »  Taba- 
tières, montres,  cachets,  futilités  charmantes 
et  coûteuses  encombrent  désormais  salons, 
cabinets,  alternant  avec  les  vases  de  Sèvres, 
les  biscuits,  les  saxes  aux  fines  nuances,  et  tout 
cela  qui  papillote,  chatoie,  miroite,  dans  ces 
intérieurs  jusque-là  si  guindés,  jette  de  la 
lumière  et  de  la  vie. 


1.  Inventaire  de  la  maison  de  Tournon,  op.  cit. 

2.  Madame  de  Belleval  à  M.  de  Sassenage,  22  janrier  1767. 
(Collect.  part.) 


276         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Ailleurs,  le  luxe  se  concentre  surtout  dans 
les  écuries.  Les  Rietz,  sans  grande  fortune,  ont 
néanmoins  vingt-cinq  chevaux,  dont  «  quatre 
de  carrosse  sous  poil  noir  » .  En  Dauphiné,  M.  de 
Montchenu  est  célèbre  pour  la  beauté  de  ses 
équipages,  ainsi  que  madame  d'Hauterive  qui 
«  fait  l'admiration  des  baigneurs  d'Aix  avec 
ses  chevaux  et  carrosses  *  ».  Henry  de  Fay,  se 
rendant  vers  1672  à  Nîmes,  pour  un  procès, 
se  fait  accompagner  de  son  gentilhomme,  d'un 
valet  de  chambre,  de  son  homme  d'affaires, 
d'un  cuisinier,  de  4  laquais  et  emmène 
10  chevaux-. 

En  vérité,  le  luxe  est  loin  d'être  général.  La 
disposition  des  maisons  et  celle  des  gentilhom- 
mières se  prêtent  moins  à  une  existence  fas- 
tueuse qu'à  la  vie  simple  qui  sera  presque 
jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime,  en  usage  chez 
nos  ancêtres.  Les  pièces  sont  plus  vastes  que 
nombreuses.  Au  château  de  l'Espinasse  qui  ap- 
partient aux  Sallemard,  outre  une  grande  salle, 
il  n'y  a  guère  que  4  chambres  et  2  cabi- 
nets, mais  qui  ont  17  ou  18  pieds  de  hauteur. 

i.  Correspondance  de  M.  de  Marzin  avec  le  marquis  de 
Tournon.  (Arch.  du  Vergier.) 
2.  La  maison  de  Faij-Peyraud,  op.  cit. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      277 

Une  part  beaucoup  plus  large  est  faite  aux  cui- 
sines, caves,  offices,  bûchers*.  Jamais  les  com- 
muns ne  semblent  trop  abondants.  On  ne  ré- 
pugne pas  à  les  installer  tout  contre  la  maison 
d'habitation.  Sachant  leur  nécessité,  on  ne 
cherche  pas  à  les  dissimuler.  Il  en  va  de  même 
pour  les  fermes  qui,  bien  souvent,  sont  atte- 
nantes au  château,  quand  elles  ne  font  pas  exac- 
tement corps  avec  lui.  M,  de  Vougy  opérant 
des  restaurations  et  arrangements  dans  son  cas- 
tel,  fait  construire  toute  une  aile  nouvelle  en 
retrait  sur  la  cour,  destinée  à  contenir  une 
grange  à  blé,  un  pressoir,  trois  écuries,  des 
caves  voûtées-.  Dans  bien  des  maisons,  la  cui- 
sine est  la  pièce  la  plus  spacieuse  et  la  plus 
importante.  Au  château  de  Maisonseule,  elle 
occupe  une  partie  du  rez-de-chaussée,  ce  qui 
n'empêche  qu'il  y  ait  encore  dans  les  sous-sols 
un  grand  four  et  deux  petits  fours  à  pâtis- 
serie'. Les  inventaires  de  nos  maisons  patriar- 
cales présentent  tous  la  même  particularité  :  la 
grandeur  imposante  de  la  cuisine.   Devant  la 


1.  Paul  de  Varax,    Généalogie  de   la   maison   de   Sainte- 
Colombe. 

2.  Marquis  delà  Jonquière,  Noies  sur  la  famille  de  Vougy. 

3.  René  Tartary,  Le  château  de  Maisonseule. 

16 


278         FILLE-S     NOBLES    ET    MAGICIENNES 

haute  cheminée  aux  grands  chenets  de  fer,  les 
maîtres  viennent  parler  des  événements  de  la 
journée  et  donner  leurs  ordres  pour  le  lende- 
main. C'est  du  reste  dans  la  cuisine,  remar- 
quera fort  justement  M.  de  Vaissière,  que  se 
concentre  toute  la  vie  de  la  gentilhommière. 
((  Bien  que  les  repas  se  prennent  d'ordinaire 
dans  la  salle,  c'est  dans  la  cuisine,  autour  du 
grand  âtre,  que  s'écoulent  les  heures  des  jours 
mauvais  et  les  longues  veillées  d'hiver.  Le 
maître  de  céans  y  devise  bonnement  avec  ses 
gens,  leur  conte  des  faits  extraordinaires  dont 
ses  aïeux  et  lui-même  ont  été  parfois  les  héros, 
histoires  de  guerres  et  de  revenants  '.  »  Cette 
vie  simple,  nous  allons  la  suivre  un  instant. 

1.  De  Vaissière,  Gentilshommes  campagnards. 


IV 


La  vie  patriarcale.  —  L'existence  chez  les  Lamartine. 

—  La  noblesse  est  près  du  peuple.  —  Fossé  creusé 
entre  elle  et  lui  par  la  Révolution.  —  Communauté  des 
intérêts  sous  l'Ancien  régime.  — Facilité  des  relations. 

—  Les  paysans.  —  Ils  n'étaient  pas  malheureux.  — 
La  garde-robe  d'une  fermière  sous  Louis  XIV.  —  Le 
paysan  de  La  Bruyère  et  le  paysan  d'aujourd'hui.  — 
L'hospitalité.  —  Comment  elle  se  pratiquait.  —  Les 
vingt-six  convives  de  madame  de  Sévery.  —  Échange 
de  toilettes.  —  L'habillement.  —  Les  portraits.  — 
«  Croûtes  de  famille!  »  —  Les  nobles  demeurent 
très  attachés  à  leurs  droits.  —  Visite  chez  les  fer- 
miers. —  Les  nobles  à  la  messe.  —  Pain  bénit.  — 
Bancs  d'église.  —  Un  chapitre  du  Lutrin.  —  Le  banc 
de  l'église  d'Apt. 


Lamartine  avait  pu  en  jouir  encore  dans  sa 
prime  jeunesse.  Il  nous  en  a  laissé  un  tableau 


280         FILLES    NOBLES    ET    MAG  ICIENiNES 

pris  sur  le  vif  :  «  Après  la  prière,  dit-il,  nous 
allions  déjeuner  à  la  cuisine  de  la  soupe  des 
vignerons,  sur  les  genoux  de  nos  bonnes...  Le 
soir,  on  filait  le  chanvre  à  la  maison  ou  bien 
l'on  cassait  des  noix,  à  la  lueur  d'une  lampe 
appelée  «  creuse-yeux.  »  La  maîtresse  de  la 
maison  rassemblait  autour  de  la  table  de  la  cui- 
sine ses  enfants,  ses  domestiques,  ses  voisins  ; 
les  hommes  apportaient  de  la  cave  les  sacs  de 
noix  dont  le  brou  à  demi  pourri  se  détachait  de 
l'écaillé,  et  les  ouvraient  sur  le  plancher...  Il 
en  était  ainsi  du  filage  du  chanvre.  Nous  pre- 
nions part  à  tous  ces  travaux  avec  nos  ser- 
vantes et  nos  domestiques.  On  causait  des 
récoltes,  du  prix  des  vins,  des  mariages  de 
telle  fille  ou  de  tel  garçon,  des  gages  des  ser- 
viteurs qui,  généralement,  consistaient  en  dix 
écus  par  an,  six  aunes  de  toile  écrue  pour  les 
chemises,  deux  paires  de  sabots,  quelques 
aunes  d'étoffe  pour  les  jupons  des  femmes  et 
cinq  francs  d'étrennes  au  jour  de  l'an  '.  » 

La  noblesse,  si  l'on  excepte  celle  de  la  cour 
(et  encore  celle-ci  montrait-elle  bien  moins  de 
morgue  qu'on  l'a  prétendu),    la  noblesse   de 

1.  Mémoires  de  Lamartine. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  281 

province  était,  en  somme,  plus  près  du  peuple 
que  ne  l'est  la  bourgeoisie  actuelle,  et  M.  de 
Vaissière  a  pleinement  raison  lorsqu'il  observe 
que  «  le  noble  campagnard  en  arrivait  sou- 
vent depuis  Louis  XIII,  où  l'existence  de  la 
noblesse  cesse  d'être  féodale,  à  n'être  plus 
qu'un  paysan.  La  femme  ne  joue  plus  à  la 
châtelaine  ;  c'est  la  bonne  ménagère,  avant  tout 
soucieuse  de  l'ordre  et  de  l'économie  de  la 
maison,  de  la  tâche  des  domestiques,  de  l'en- 
tretien du  potager,  de  la  basse-cour  ».  Même 
quand  cette  noblesse  n'abandonne  pas  tout  à 
fait  la  vie  mondaine,  qu'elle  tient  son  rang, 
se  livre  aux  plaisirs  que  procure  l'aisance,  elle 
demeure  malgré  tout  proche  du  peuple,  dont 
elle  partage  nombre  de  sentiments,  de  préjugés, 
d'habitudes  séculaires.  Il  n'y  a  pas  de  fossé 
entre  elle  et  lui.  Ce  fossé,  c'est  la  Révolution  qui 
le  creusera  de  ses  rudes  mains  en  créant  une 
rivalité  factice  entre  les  intérêts  des  paysans 
et  ceux  de  la  classe  possédante.  Avant  elle, 
avant  l'absorption  par  le  peuple  des  sophismes 
dont  elle  le  grisa,  la  grande  famille  terrienne 
de  France  ignorait  ces  dissensions  qui  ont  eu 
pour  principal  résultat  de  ruiner  à  demi  pro- 
priétaires, fermiers,  ouvriers  agricoles,  et  de 

16. 


282         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

les  éloigner  les  uns  comme  les  autres,  chaque 
jour  davantage,  de  la  terre,  leur  mère  com- 
mune. Si  ce  n'est  pas  là  la  raison  unique  de  la 
désertion  des  campagnes  au  profit  des  villes,  il 
est  néanmoins  certain  que  l'état  de  suspicion, 
de  méfiance  et  parfois  d'animosité  violente  qui 
s'observe  depuis  plus  de  cent  ans  et  qui  n'a 
fait  que  s'aggraver,  entre  propriétaires,  tenan- 
ciers et  cultivateurs,  y  ait  puissamment  con- 
tribué. Il  en  allait  autrement  jadis  ;  la  commu- 
nauté des  intérêts,  en  dépit  de  quelque 
jalousie  bien  excusable  et  d'ailleurs  aisément 
apaisée,  paraissait  évidente  à  tous  ;  les  rela- 
tions s'en  trouvaient  singulièrement  facilitées. 
Une  grande  et  parfaite  bonhomie  présidait 
aux  rapports  qui  s'étaient  établis  peu  à  peu 
entre  la  noblesse  rurale  et  les  paysans.  Ceux- 
ci,  à  vrai  dire,  n'étaient  point  aussi  malheureux 
qu'on  va  le  répétant  sans  preuves.  Prise  dans 
son  ensemble,  la  population  des  campagnes 
vivait  dans  une  certaine  aisance,  aisance  qu'il 
serait  téméraire  de  vouloir  apprécier  selon 
nos  idées  modernes  et  juger  d'après  notre 
époque  où  les  besoins  se  sont  accrus  plus  vite 
encore  que  n'ont  grandi  les  progrès  matériels 
de    l'existence.    Une   paysanne    du   temps   de 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      283 

Louis  XIV  ne  portait  évidemment  pas  de  cha- 
peaux à  plumes  ni  de  bas  en  simili  soie  venu  de 
quelque  grand  magasin  de  la  capitale  ;  mais  une 
simple  fermière,  en  1.677,  possède  «  une  cotte 
de  serge  bleue,  garnie  d'un  corps  passementé 
de  passements  gris  ;  une  cotte  de  serge   bleue 
avec  corps  de  damas  rouge  ;  une  cotte  de  tire- 
taine  avec  corps  de  serge;  une  cotte  de  serge 
pourpre,   une  autre  de  même   étoffe    avec  un 
corps  de  satin  et  manches  de  canisy  blanc,  deux 
autres  corps  de  satin.  »   M.  Alfred  Babeau*,-à 
qui  j'emprunte  ces   détails,    pense,  non  sans 
raison,  que  La  Bruyère  a  fort  exagéré  lorsqu'il 
a   parlé  de  «  ces  paysans  qui  ressemblent  à 
des  animaux  farouches,    noirs,  livides  et  tout 
brûlés  par    le   soleil    ».    Sans  doute  les  eût-il 
décrits  de  toute  autre  manière  s'il  les  avait  vus 
aux    heures  de  repos  et  dans  leurs  habits  de 
fête-.   Et   puis    quoi!   N'oublions  pas  que  La 
Bruyère  était  un   littérateur  qui,  comme  tout 
bon    littérateur,    voyait    les   choses  sous  un 
angle  un  peu  spécial.  Un  paysan,  de  nosjours, 
bien  qu'électeur,  ressemble  fort  quand  il  tra- 
vaille la  terre  à  celui  que  dépeint  La  Bruyère, 

1.  A.  Babeau,  Un  château  et  une  ferme  sous  Louis  XIV. 

2.  Ibid. 


28i         FILLES     NOBLES    ET    MAGLCIENNES 

mais,  en  revanche,  il  n'est  pas  du  tout  sûr  que 
nos  paysannes  aient  une  garde-robe  aussi 
bien  fournie  que  l'était  celle  de  la  fermière  dont 
parle  M.  Babeau. 

Malgré  le  mauvais  exemple  venu  de  la  Cour, 
la  vie  continue  à  être  très  patriarcale,  en  France, 
jusqu'aux  dernières  années  de  la  monarchie. 
L'hospitalité  se  pratique  d'une  façon  large, 
mais  simple.  Autant  elle  est  fastueuse  chez 
quelques  grands  seigneurs,  Rohanou  Choiseul, 
autant  elle  est  dépourvue  de  tout  apparat  dans 
la  noblesse  ordinaire  et  dans  la  bourgeoisie. 
Chacun  en  use  avec  la  plus  grande  liberté  vis- 
à-vis  de  ses  amis,  de  ses  voisins,  de  ses  rela- 
tions. Et  ce  ne  doit  pas  être  une  des  moindres 
préoccupations  des  maîtresses  de  maison  d'être 
ainsi  toujours  sur  le  qui-vive  et  de  voir  soudain 
tomber  chez  elles  toute  une  bande  d'amis  qui 
demandent  non  seulement  à  dîner,  mais  à  cou- 
cher. On  s'en  tire  comme  l'on  peut,  sans 
phrases,  sans  embarras  de  part  ni  d'autre. 
Madame  de  Sévery  recevant  à  l'improviste  dix- 
huit  personnes  à  Gorcelles,  ne  s'en  montre  pas 
émue  et  n'a  pas  un  instant  d'inquiétude.  Elle 
met  «  la  vicomtesse  de  Pons  dans  le  cabinet 
rose,    madame     de    Saint-Giergues    dans    le 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      285 

cabinet  de  M.  de  Gorcelles;  on  empile  les 
autres  dans  les  chambres  des  domestiques  qu'on 
envoie  coucher  dans  les  greniers  et  les  écu- 
ries* ».  Cette  simplicité  est  dérègle.  Elle  ne 
surprend  personne. 

Pas  plus  qu'on  ne  met  d'affectation  dans  la 
manière  de  recevoir,  on  n'en  apporte  dans  une 
foule  de  détails  usuels.  Une  dame,  même  fort 
riche  et  nullement  avare,  ne  se  croit  pas  desho- 
norée d'échanger  des  toilettes  avec  ses  amies. 
Madame  de  Sévery  se  félicite  d'avoir  troqué 
c  quatre  vieux  rogatons  affreux  contre  une 
belle  robe  ».  En  dehors  des  toilettes  de  gala, 
l'habillement  est  sans  recherche  excessive,  à 
la  campagne  comme  à  la  ville.  Pour  la  façon 
d'une  robe  ou  d'un  jupon,  madame  de  Leyde 
(de  la  maison  de  Groy)  paie  à  Paris,  12  livres 
à  sa  couturière*.  Nous  verrons  tout  à  l'heure 
que  bien  des  femmes  confectionnaient  elles- 
mêmes  leurs  toilettes.  Désire-t-on  avoir  son 
portrait?  La  chose  est  aisée.  Pourquoi  s'adresser 
à  un  peintre  fameux?  Paris  et  les  villes  de 
province  regorgent  de  médiocres  artistes  qui 

1.  Monsieur  et  madame  de  Sévery,  La  rie  de  société  dans 
le  pays  de  Vaud  à  la  fin  du  xviii*  siècle. 

2.  Dossier  Groy-Leyde.  (  Àrcli.  nat.,  T.  317.) 


286         FILLES     NOBLES    ET    MASICIEXXES 

fixent  vos  traits  sur  la  toile,  moyennant  un 
salaire  des  plus  minimes.  La  marquise  de 
Charcy  donne  u7  livres  pour  son  portraits  Ce 
n'est  pas  le  prix  d'une  bonne  photographie 
aujourd'hui.  Mais  voilà  qui  explique  le  nombre 
formidable  de  vieilles  «  croûtes  »  horribles  que 
l'on  conserve  dans  les  familles,  à  titre  de  sou- 
venir ! 

Pour  simples  qu'ils  soient  nos  aïeux  ne  tran- 
sigent pas  avec  ce  qu'ils  considèrent  comme 
leurs  droits.  Aucun  noble,  aucun  bourgeois  ne 
songerait  à  renoncer  à  des  usages  que  le  temps 
a  consacrés.  Quand  l'un  ou  l'autre  va  visiter 
ses  fermiers  pour  lever  la  rente  de  ses  terres 
ou  pour  toute  autre  affaire,  ainsi  que  fait  Geof- 
froy deSallemard,  seigneur  de  Ressis,  en  1026, 
le  fermier  doit  lui  laisser  les  chambres  libres 
pour  s'y  retirer.  Il  doit  aussi  fournir  le  foin  et 
l'avoine  pour  la  nourriture  des  chevaux  ^. 

D'autre  part,  certaines  questions  qui  nous 
paraissent  bien  futiles,  prenaient  alors  une 
gravité  considérable.  Le  dimanche,  le  noble 
redevient  lui-même.  Il  assiste  à  la  messe  de 
son  banc  seigneurial,  après   avoir  reçu   l'eau 

1.  Dossier  Groy-Leydc.  (Arch.  nal.  T.  317.) 

2.  Généalogie  de  la  maison  de  Sainte-Colombe,  op.  cit. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISO.N  287 

bénite  sous  le  porche.  Il  exige  le  coup  d'en- 
censoir et  le  pas  à  la  procession.  On  écrirait 
un  nouveau  Lutrin  avec  les  discussions,  les 
cabales,  les  intrigues  auxquelles  donnait  lieu 
la  propriété  des  bancs  d'église.  Madame  de 
Bréda  ayant  prétendu  se  faire  donner  le  pain 
bénit  immédiatement  après  monsieur  et  madame 
de  Montataire  et  avant  les  autres  membres  de 
leur  famille  qui  étaient  avec  eux  dans  leur 
banc,  madame  de  Montataire  imagine  de 
prendre  elle-même  le  plateau  et  d'offrir  le  paia 
à  ses  enfants  placés  près  d'elle.  La  querelle 
s'envenime  ;  on  se  menace  ;  les  curés  intervien- 
nent, s'efforcent  d'apaiser  les  parties.  L'affaire 
se  complique  d'une  histoire  de  garde-chasse 
des  Montataire  rencontré  par  M.  de  Bréda  sur 
ses  propres  domaines.  Bref,  cette  petite  guerre, 
avant  de  se  terminer  par  un  traité  de  paix,  se 
poursuit  trois  ans  au  milieu  des  libelles,  des  in- 
jures, des  procès,  et  manque  d'amener  un  duel  ^  ! 
C'était  bien  du  bruit  pour  de  la  brioche,  fût-elle 
bénite  !  J'ai  sous  les  yeux  une  lettre  fort 
longue,  adressée  à  M.  de  Chaslan  d'Ortigues, 
par  le  vicaire  général  d'Aix,  au  sujet  du    banc 

1.  Baron  de  Condé,  Hùtoired'un  vieux  château  de  France  : 
Montataire. 


288         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

de  l'église  d'Apt,  lettre  par  laquelle  on  voit 
combien  ce  vieil  usage  seigneurial  était  sévè- 
rement réglementé  :  «  M.  l'archevêque  me 
charge  de  vous  dire  que  M.  le  maréchal  de 
Brancas,  son  frère,  lui  a  renvoyé  votre  lettre. 
M.  l'archevêque  a  déterminé  qu'il  vous  sera 
permis  de  prendre  place  au  banc  et  d'empêcher 
qu'aucun  autre  s'y  installe  ;  bien  entendu  quand 
ceux  de  la  famille  des  Brancas  seront  à  Apt, 
vous  ne  pourrez  prendre  place  au  banc,  etc., 
etc.  *.  »  Dirait-on  pas  qu'il  s'agit  d'une  terre 
domaniale  et  de  grand  rapport!... 

i.  Lettre  de  Revard,  vicaire  général  d'Aix,  à  M.  deChastau 
d'Ortigues,  2  août  1742.  (Arch.  du  Vergier.) 


Les  maîtresses  de  maisons  et  les  jardins.  —  Ceux-ci 
sont  leur  distraction.  —  Elles  ont  fort  à  faire  avec 
la  domesticité.  —  Histoires  de  domestiques.  —  M.  de 
Digoine  et  la  Planquet.  —  Le  cuisinier  de  madame 
Cholier.  —  La  marquise  de  Villeneuve  et  ses  cochers. 

—  Il  faut  surveiller  les  domestiques,  —  La  lessive. 

—  Le  linge.  —  On  le  tisse  à  domicile  ou  au  village. 

—  Les  dames  ourlent  le  linge,  le  brodent,  font  leurs 
robes.  —  Travaux  d'art  sortis  de  leurs  mains.  —  On 
tricote  pour  les  pauvres.  —  La  table.  —  Les  maî- 
tresses de  maison  à  la  cuisine.  —  Elles  préparent 
certains  plats.  —  Aucune  ne  néglige  de  veiller  de 
près  sur  le  cuisinier.  —  Nécessité  d'avoir  des  pro- 
visions chez  soi.  —  Difficulté  des  approvisionne- 
ments. —  La  viande  de  boucherie.  —  Les  veaux  du 
cardinal  Mazarin  !  —  Recettes  de  cuisine  et  de  médi- 
caments. —  Arrangements  passés  avec  les  fournis- 
seurs. —  Si  occupée  qu'elle  soit,  la  maîtresse  de 
maison  écrit  beaucoup.  —  La  manie  épistolaire.  — 
Un  poulet  en  pathos  ! 

i7 


290         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Mais  j'ai  hâte  de  retrouver  nos  maîtresses  de 
maison  dans  l'accomplissement  de  leurs  devoirs 
quotidiens. 

Tout  le  monde  a  lu  dans  les  lettres  de 
madame  de  Sévigné,  les  récits  qu'elle  fait  à  sa 
fille  touchant  l'intérêt  qu'elle  porte  au  jardin 
des  Rochers.  On  se  rappelle  avec  quel  soin 
elle  plante  «  une  infinité  de  petits  arbres  »  ;  on 
se  rappelle  le  «  labyrinthe  »  qu'elle  installe  et 
d'où  «  l'on  ne  sortira  pas  sans  le  fil  d'Ariane  »  ; 
on  se  rappelle  aussi  les  noms  dont  elle  décore 
quelques  allées  du  parc  ;  «  l'allée  du  solitaire  ; 
la  place-madame;  l'humeur  de  ma  fille  *.  »  A 
ce  point  de  vue  madame  de  Sévigné  ne  diffère 
pas  des  autres  maîtresses  de  maison  de  son 
siècle  ou  du  siècle  suivant.  Le  même  zèle  se 
perçoit,  à  cent  ans  de  distance,  chez  madame 
de  Meximieux,  digne  fille  de  la  présidente 
Cholier  :  «  Il  me  faut  regarnir  le  jardin,  écrit- 
elle  à  sa  mère,  j'envoie  le  jardinier  à  Lyon 
pour  acheter  des  graines  et  des  arbres  à  fruits. 
Je  travaille  aussi  à  accommoder  le  parterre.  » 
En  femme  économe,  elle  ajoute  aussitôt  : 
«  Avec  le   cabinet  de  M.  de  Meximieux  que  je 

1.  Lettres  de  madame  de  Sévigné. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      291 

Fais  refaire,  nous  bornerons  là  notre  dépense 
pour  cette  année  *.  » 

Les  jardins  sont  la  distraction,  l'agrément  de 
;es  vies  occupées  et  actives.  Dans  le  Midi, 
[los  bonnes  grand'mères  prenaient  plaisir  à 
îmbellir  ces  jardins,  à  y  faire  pousser  les 
[leurs  rares,  rosiers  de  la  Chine,  tubéreuses, 
billets  diaprés  que  l'on  plaçait  dans  des  vases 
i^ernissés.  De  temps  à  autre,  des  Génois  vê- 
laient ravitailler  les  amateurs  et  leur  offrir  de 
petits  orangers  à  vingt  sous,  et  des  jasmins  à 
iix  sous  le  plant  *. 

Ceci  n'est  qu'un  passe-temps,  et,  comme  je 
'ai  dit,  une  sorte  de  récréation.  Il  y  a  des 
jccupations  plus  sérieuses,  plus  pressantes. 
La  première  de  toutes  consiste  peut-être  à 
iiriger  la  domesticité.  On  sait  qu'elle  était 
lombreuse.  Il  faut  se  garer,  ne  pas  choisir  au 
lasard.  La  duchesse  d'Uzès  refuse  une  demoi- 
;elle  Chalazé  qu'on  lui  offre  comme  femme  de 
îhambre,  parce  qu'elle  «  est  trop  à  son  aise  et 
{u'elle    peut  se  passer  de  servir,  ce   qui  fera 


1.  Madame  de  Meximieux  à    sa  mère,   1767.  (Arch.  de 
^ibeins.) 

2.  Albert  Puech,    Les  Nimois  dans  la  seconde  moitié  du 
cvn«  siècle. 


292        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENiXES 

d'elle  une  personne  à  ménager*.  »  Je  citera 
encore  à  ce  propos  une  autre  lettre  de  la  du- 
chesse qui  nous  renseignera  sur  l'état  d'une 
maison  bien  tenue,  sans  luxe  cependant.  «  J'ai 
rendu  mon  service  facile  et  court.  Je  souscris 
aux  gages  de  trente  écus,  vin  compris,  que 
vous  avez  avancé,  quoiqu'ils  soient  bien  forts 
pour  la  province.  Pour  mieux  connaître  ce 
qu'il  me  faut,  voici  comment  est  composée  ma 
maison  :  une  cuisinière,  une  fille  de  cuisine, 
un  cocher,  deux  laquais  et  une  fille  propre  à 
remplir  l'objet  de  femme  de  chambre  et  de 
gouvernante.  Depuis  l'achat  de  ma  maison  et 
mes  réparations,  j'ai  dû  diminuer  de  beaucoup 
ma  dépense  et  le  nombre  de  mes  gens.  Mon 
intention  est,  par  la  suite,  de  l'augmenter'.  » 
Ces  domestiques  ne  sont  pas  toujours  déli- 
cats. La  Plonquet,  profitant  de  ce  que  madame 
de  Digoine  et  son  fils  sont  malades,  demande 
brusquement  son  compte.  Mandant  cette  petite 
mésaventure,  M.  de  Digoine  se  plaint  de  l'im- 
pertinence de  cette  fille  qui  «  prétendait  être 
payée  en  outre  de  son  voyage  »,  et  ajoute  :  «  Si 

1.  La  duchesse   d'Uzès   douairière    à    M.    de    Tournon, 
23  janvier  1770.  (Arcli.  du  Vergier.) 

2.  Ibid.,  2  février  177a. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      293 

ce  n'avait  été  le  respect  qu'on  doit  au  beau 
sexe,  je  l'aurais  mise  hors  delà  maison  à  coups 
de  pied  dans  le  derrière*.  » 

Écoutons  encore  cette  historiette  :  «  J'ai, 
vous  le  savez,  écrit  madame  Cholier,  remplacé 
mon  cuisinier  par  un  autre  que  m'a  recom- 
mandé madame  de  Chamousset,  chez  qui  il  a 
servi  dix-neuf  ans.  L'ancien  qui  était  habile , 
économe,  mais  original,  jureur,  et  qui  faisait 
bien  le  maître,  piqué  au  fond  d'être  remplacé, 
a  prévenu  sous  main  son  successeur  qu'il  ne 
resterait  pas,  trouvant  trop  d'économie  et  pas 
assez  d'ouvrage  dans  la  maison.  Gela  a  monté 
la  tête  de  ce  garçon  qui,  hier,  comme  je  lui 
défendais  de  laisser  le  feu  allumé  toute  la  nuit 
pour  cuire  des  pois,  m'a  quittée  de  suite  avec  la 
plus  parfaite  impertinence  ^.  » 

La  marquise  de  Villeneuve,  bien  qu'elle  ait 
mille  affaires  sur  les  bras  et  s'occupe  avec  une 
incroyable  précision  d'esprit  de  ses  terres,  de 
ses  procès,  de  l'éducation  de  ses  neveux,  ne 
néglige  pas  pour  cela  sa  domesticité.  Sur  son 


1.  Le  comte  de  Digoine  au  marquis  de  Tournon,  23  août 
1T73.  (Arch.  du  Vergior.) 

2.  Lettre  de  madame  Cholier,  22  février  1768.   (Arch.  de 
CibeiDs.) 


294         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

grand  livre,  elle  ne  manque  pas  d'inscrire  la 
date  de  l'entrée  à  son  service  de  son  nouveau 
cocher  Gibert,  engagé  à  raison  de  vingt-cinq 
livres  par  an,  ni  de  noter  qu'elle  adonné  «  à  la 
Roche,  catorze  livres  moiennant  quoy  il  est 
maintenant  payé  de  ces  gages  de  saingt  mois 
qu'il  a  demeuré  avec  moy.  »  Ah,  évidemment, 
elle  ne  sait  pas  l'orthographe,  mais  elle  sait 
joliment  bien  calculer  que  la  nourriture  de  ses 
chevaux  pendant  huit  mois  lui  est  revenue  à 
327  livres  7  sols  et  que  pour  habiller  son  cocher 
et  deux  grands  laquais,  elle  a  dû  acheter  «  huit 
olnes  de  drap  d'holande  véritable  pour 
172  livres,  16  et  deux  olnes  de  drap  vert  pour 
15  livres,  plus  quatre  olnes  serge  verte  pour 
doublure  au  prix  de  7  livres^  ». 

Une  bonne  maîtresse  de  maison  ne  se  con- 
tente pas  de  choisir  de  son  mieux  le  personnel 
domestique;  elle  le  surveille  sans  cesse.  Les 
serviteurs  d'autrefois  étaient  d'ordinaire  de 
braves  gens,  fort  dévoués  à  leurs  maîtres,  res- 
pectueux et  consciencieux,  mais  enfin  ils 
n'étaient  pas  des  anges  et  l'esprit  d'initiative 
leur  faisait  souvent  défaut.  De  là,  nécessité  de 

1.  Livre  de  raison  de  la  marquise  de  Villeneuve.  (Arcli. 
du  Vergier.) 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON'      295 

les  guider,  de  leur  préciser  la  besogne  de 
chaque  jour,  d'en  vérifier  l'exécution.  La  maî- 
tresse de  maison  met  volontiers  les  mains  à  la 
pâte.  Aux  jours  de  lessive,  si  elle  ne  trempe 
pas  le  linge  elle-même  (et  encore!...)  du  moins 
est-elle  présente  à  cette  importante  opération 
qui  se  renouvelle  fréquemment,  surtout  à 
partir  du  xvii*  siècle,  ainsi  qu'en  témoigne 
l'augmentation  considérable  de  la  consomma- 
tion des  savons  de  ménage  dès  cette  époque*. 
En  traitant  de  la  manière  dont  on  dépensait 
autrefois',  j'ai  eu  l'occasion  de  signaler  l'abon- 
dance du  linge  dans  les  intérieurs  les  plus 
modestes.  C'est  le  vrai  luxe  des  classes  nobles 
comme  des  classes  bourgeoises  et  paysannes. 
Sans  répit,  la  maîtresse  de  maison  est  occupée 
à  en  ïsiive  tisser,  he  Livre  de  raison  d'Alexandre 
de  Viviès  est  instructif  sous  ce  rapport.  En 
1741,  madame  de  Viviès  calcule  qu'elle  a 
46  draps  de  toile  fine  et  15  de  grosse  toile, 
33  nappes,  24  douzaines  de  serviettes.  Néan- 
moins, elle  commande  encore  6  douzaines 
de   serviettes  et  quelques   nappes.   Deux   ans 

1.  Les  Nimois,  op.  cit. 

2.  Les  Mœurs  et  la  Vie  privée  d'autrefois.  (Calmann-Lévy, 
édit.) 


296        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

plus  tard,  elle  fait  faire  8  draps,  3  dou- 
zaines de  serviettes  et  trois  nappes.  En  1748, 
on  lui  fournit  encore  8  draps,  dont  le  nombre 
est  ainsi  porté  à  68,  dit-elle,  et  5  douzaines 
de  serviettes  fines*.  Madame  de  Villeneuve 
note  que  ((  pour  faire  quatre  cannes  de  cinq 
pans  de  large  pour  des  draps  à  son  usage,  il 
faut  cinquante-quatre  livres  de  fil  et  que  la 
façon  de  la  toile  a  coûté  dix  sols  par  aune.  Les- 
dits  vingt  quatre  cannes  m'ont  fait  trois  paires 
de  draps  dont  une  pas  si  grande  que  les  deux 
autres.  C'est  un  nommé  Jean  Gaspard  qui  est 
de  Simiane,  qui  me  les  a  faits*.  »  Il  en  est 
partout  ainsi.  Une  femme  qui  laisserait  s'écouler 
une  année  sans  accroître  la  provision  du  linge 
domestique  serait  considérée  comme  une  mau- 
vaise ménagère.  Or,  ce  linge,  on  ne  l'achète 
pas  ;  on  le  fait  tisser  spécialement,  soit  dans  le 
village,  soit  dans  la  maison  même,  et  ceci  ne 
va  pas  sans  réclamer  une  vigilance  active. 

Si  les  maîtresses  de  maison  ne  participent 
pas  directement  au  travail  du  tissage,  elles  em- 
ploient fréquemment  les    soirées   à  ourler  le 

1.  Livre  de  raison  d' Alexandre  de  Viviès,  publié  en  frag- 
ments par  M.  de  Puy busqué. 

2.  Livre  de  raison  de  la  marquise  de  Villeneuve. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  297 

linge,  à  le  raccommoder,  à  le  broder.  Beau- 
coup aussi  font  leurs  robes.  Répondant  à 
madame  Cholier,  madame  de  La  Valette  lai 
explique  :  «  Une  robe  en  chenille,  c'est  un 
satin  des  Indes  à  grandes  rayes  vert  et  blanc 
que  j'avais  acheté  mal  à  propos.  Denise  fait  la 
robe  et  moi  le  jupon.  II  ne  laisse  pas  d'y  avoir 
de  l'ouvrage.  Je  crois  que  la  robe  sera  noble 
et  honnête,  mais  je  doute  qu'elle  soit  achevée 
avant  mon  départ*.  »  Jetons  les  yeux  sur 
d'autres  correspondances;  nous  verrons  d'au- 
tres mères  de  famille  penchées  sur  des  be- 
sognes toutes  semblables,  usant  leurs  yeux  à 
coudre  des  vêtements  pour  leurs  enfants,  à 
confectionner  leurs  propres  toilettes,  à  broder 
de  leurs  doigts  agiles  et  vaillants  des  écrans, 
des  bourses,  à  faire  au  petit  poi/it  d'admirables 
tapisseries  qui  serviront  à  recouvrir  les  meubles 
de  leur  salon  ou  de  leurs  chambres  à  coucher, 
véritables  travaux  de  fée,  dont  quelques-uns 
sont  parvenus  jusqu'à  nous,  témoignage  vivant 
de  leur  adresse,  de  leur  patience  et  de  leur 
goût. 

Les  malheureux  ne  sont  pas  oubliés.  Il  est 

1.  Madame  de  la  Valette  à  madame  Cholier  (sans  date}. 

17. 


298         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

de  règle  dans  chaque  maison  noble  ou  bour- 
geoise de  distribuer  à  l'entrée  de  l'hiver  aux 
pauvres  de  la  contrée,  des  bas  et  autres  objets 
de  laine,  tricotés  par  la  maîtresse  du  logis  et 
par  ses  filles.  «  Nous  avons  bien  travaillé, 
maman  et  nous,  lisons-nous  dans  une  lettre 
du  temps,  mais  nous  sommes  récompensées  par 
la  joie  de  tous  ces  malheureux  qui  seront  à 
l'abri  du  froid  cet  hivers  » 

De  tant  de  soucis  qui  incombent  à  la  maî- 
tresse de  maison  pour  la  bonne  tenue  et  l'éco- 
nomie de  son  ménage,  nous  n'avons  pas  en- 
core cité  la  principale  :  la  cuisine.  On  n'ignore 
pas  l'importance  de  la  table  dans  la  vie  de  nos 
ancêtres.  Dans  l'intimité  même,  on  ne  lésinait 
point  sur  les  dépenses  de  bouche.  Les  repas 
sont  copieux  et  comme,  à  la  campagne  surtout, 
les  ressources  manquent  un  peu,  il  appartient 
à  la  maîtresse  de  maison  de  s'ingénier  pour 
varier  la  nourriture  et  satisfaire  des  estomacs 
aussi  robustes  qu'exigeants.  C'est,  aussi  bien, 
dans  cette  tâche  difficultueuse  qu'elle  triomphe. 
Que  la  maison  soit  fastueuse  ou  modeste,  que 
la  valetaille  soit  nombreuse  ou  restreinte,  la 

1.  Mademoiselle  deMeximieuxàla  marquise  de  Harrenc, 
octobre  1788. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      299 

maîtresse  dirige  tout,  descend  plusieurs  fois 
par  jour  à  la  cuisine,  veille  de  près  à  la  con- 
fection des  mets,  alors  même  qu'elle  ne  trousse 
pas  ses  manches  pour  lier  une  sauce  ou  faire 
ses  confitures.  Elle  est  là  quand  on  fait  le  pain 
du  ménage,  car,  à  cette  époque,  hors  des  villes, 
le  pain  se  fait  toujours  à  la  maison  ;  c'est  elle 
qui  indique  comment  se  préparent  «  les  tourtes 
aux  épinards,  »  les  «  tourtes  aux  poireaux,  »  les 
«  tôt  faits  ;  »  elle  qui  surveille,  après  en  avoir 
fourni  les  recettes,  la  fabrication  des  ratafias, 
liqueur  des  quatre  fruits,  vin  d'anis,  de  fleurs 
d'oranger,  eaux  de  coing,  d'angélique,  de  jas- 
min, dont  on  remplit  les  armoires  des  offices. 
«  Mademoiselle  Mélanie  de  Gallier,  ma 
grand'mère,  dit  M.  de  Pavin  de  Lafarge,  se 
levait  à  cinq  heures  du  matin,  et,  en  petitjupon 
court,  trottait  dans  la  maison  en  donnant  ses 
ordres,  grondait  ses  servantes,  passait  à  la  cui- 
sine le  temps  nécessaire  pour  que  le  repas  fût 
bien  préparé  et  bien  servi,  puis,  à  onze  heures, 
faisait  sa  toilette  pour  le  dîner*.  »  Toute  maî- 
tresse de  maison  appliquée  à  ses  devoirs  agis- 
sait comme  madame  de  Lafarge.  La  duchesse 

1.  E,  de  Pavin  de  Lafarge,  Souvenirs  de  famille. 


300         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

de  Nevers,  encore  qu'elle  eût  un  train  princier, 
ne  manquait  jamais  de  faire  un  tour  de  cui- 
sine deux  fois  dans  la  journée  et  prétendait 
réussir  les  gimblettes  mieux  que  son   maître 
queux.  «  Je  surveille  étroitement  mon  cuisi- 
nier, écrit  la  comtesse  de  Tressan  ;  quand  je  ne 
suis  pas  sur  ses  talons,  il  gâte  tout^  »  Et  la 
duchesse  d'Uzès  conte  qu'elle  va  chaque  matin 
et  chaque   soir  à  la  cuisine  «  pour  voir  com- 
ment on  en  use  avec  ce  qu'elle  a  commandé^  ». 
En  un  temps  où  les  communications  sont 
lentes  et  où,  si  l'on    est  proche  d'une  ville, 
celle-ci  n'offre  que  des  ressources  illusoires, 
force   est  bien    de   se  débrouiller  comme  l'on 
peut.  Il  faut  aller  si  loin  pour  les  provisions  et 
par   quels  chemins!    Guillaume    de   Lamotte, 
syndic  de  Largentière,  est  obligé  de  faire  les 
siennes  à  Montferrand,  le  jour  de  la  foire  et 
d'en  rapporter    du  poisson    pour  tout  le  ca- 
rême^  Dans  ces  conditions,  on  apprend  à  ne 
compter  que  sur  soi.  La  basse-cour  est  d'ail- 
leurs bien  garnie  ;  c'est   l'orgueil  d'une  maî- 


1.  Madame  de  Tressan  à  madame  de  Lestrange.  1786. 

2.  Correspond.  d'Uzès,  12  juillet  1767. 

3.  François  de  Charbonncl,  Guillaume  de  Charbonnel  de 
Lamotte. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      301 

tresse  de  maison  ;  la  chasse  presque  partout 
fournit  du  gibier  en  quantité  suffisante  et  les 
ruisseaux  sont  poissonneux.  De  la  viande  de 
boucherie  on  se  passe  le  plus  ordinairement. 
Elle  est  peu  appréciée  et  jusque  vers  la  fin  du 
xviii^siècle,  elle  n'apparaît  guère  sur  lestables 
élégantes,  surtout  à  la  campagne.  Peut-être  s'y 
fût-on  accoutumé  plus  vite  si  chacun  avait  pu, 
comme  Mazarin,  faire  nourrir  d'une  manière 
particulière  les  veaux  qu'il  devait  manger,  «  en 
leur  faisant  téter  des  vaches  nourries  elles- 
mêmes  en  perfection,  et  en  leur  faisant  avaler 
un  grand  nombre  de  jaunes  d'œufs  chaque 
jour  avec  une  quantité  de  bisquis,  ce  qui  ren- 
dait ces  animaux  d'une  graisse  et  délicatesse 
extrême*.  » 

Pour  le  commun  des  mortels,  il  est  bon  d'a- 
voir d'amples  réserves  à  domicile  et  de  savoir 
exécuter  surplace  bien  des  choses.  Nos  grand'- 
mères,  on  le  sait,  avaient  d'innombrables  re- 
cettes de  cuisine  qui  leur  permettaient  de  parer 
au  plus  pressé  et  de  préparer  chez  elles,  à  bon 
compte  et  de  façon  honnête,  une  grande  quan- 
tité de  comestibles   que  les  commerçants  des 

i.  Mémoires  inc'dits  de  M.  de  JohanDyn.  (Arch.  de  Ci- 
beiDS.) 


302        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

villes  ne  se  gênaient  pas  toujours,  dès  cette 
époque,  pour  frelater  abominablement.  Cha- 
cune a  la  sienne,  les  siennes  plutôt,  dont  elle 
est  fière,  qu'elle  ne  communique  pas  à  tout  le 
monde,  et  seulement  à  bon  escient.  Il  faut  être 
fort  de  ses  amis  pour  qu'elle  consente  à  révéler 
le  secret  de  sa  pâte  de  coing  ou  de  ses  conserves 
d'abricots.  Les  livres  de  raison  sont  pleins  de 
ces  recettes  dont  quelques-unes  ont  franchi  les 
âges  et  demeurent  fort  appréciées  de  nos  gour- 
mets modernes.  Celui  de  la  marquise  de  Ville- 
neuve est  une  mine  sous  ce  rapport,  non  seu- 
lement en  ce  qui  touche  la  gourmandise,  mais 
pour  les  remèdes  :  «  Manière  de  faire  la  paste 
d'amande  ;  manière  de  faire  l'eau  jonne  ;  ma- 
nière de  faire  l'hidromelle  ;  manière  de  faire  un 
bon  gâteau  d'amande  ;  manière  de  faire  sécher 
les  groseilles  rouges,  en  grappe  »...  Il  y  en  a 
comme  cela  des  pages  et  des  pages.  Et  la  re- 
cette pour  atténuer  les  douleurs  de  fluxion, 
«  mâcher  du  tabac  »,  et  celle  pour  guérir  les 
engelures,  et  celle  pour  faire  passer  les  rou- 
geurs de  la  peau^  et  mille  autres  qui,  se  trans- 
mettant de  générations  en  générations,  étaient 

1.  Livre  de  raison  de   la  marquise  de  Villeneuve.  (Arch. 
du  Vergier.) 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      303 

pieusement    conservées    et    scrupuleusement 
utilisées. 

Dans  les  maisons  très  riches  et  nombreuses, 
on  passait  volontiers  des  marchés  avec  un  ou 
plusieurs  commerçants  qui,  moyennant  un 
forfait,  se  chargeaient  de  fournir  les  viandes, 
les  fruits,  etc.  La  maison  du  cardinal  de  Ri- 
chelieu était  montée  sur  ce  pied.  Un  contrat 
obligeait  tel  fournisseur  à  pourvoir  la  cave  de 
vin  «  pur  et  légal,  à  savoir,  pour  la  bouche  du 
cardinal,  du  meilleur  qui  soit  à  dix  lieues  à  la 
ronde,  à  6  sols  la  pinte  ;  pour  sa  suite,  du  meil- 
leur qui  se  trouve  dans  le  quartier,  à  4  sols  ; 
et,  pour  le  commun,  à  3  sols.  »  Tel  autre  devra 
procurer  le  bois,  cotteret,  bûcher  ou  fagots, 
moyennant  23  livres  par  jour.  Chez  les  Ne- 
mours, marché  semblable  est  passé  avec  un 
blanchisseur  qui  doit  laver  9  nappes  par  jour, 
48  serviettes  et  le  linge  de  corps  de  o4  per- 
sonnes, au  prix  forfaitaire  de  13o  livres  par 
mois.  Les  Vendôme  ont  des  contrats  pour  la 
viande,  le  gibier,  le  poisson  ;  pour  les  fruits, 
le  sieur  La  Porte  s'engage  à  en  fournir  16  bons 
plats  chaque  jour,  plus  le  sel  et  les  œufs,  à 
raison  de  12  livres  par  jour.  Le  duc  de  Gan- 
dalle  paie  à  forfait  la  nourriture  de  toute  sa 


301         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

maison  43.462  livres  par  an,  non  compris 
l'extraordinaire  «  qui  sera  débattu  à  part*  ». 

Sur  une  échelle  beaucoup  plus  modeste,  cer- 
taines ménagères  avisées,  vers  la  fin  du 
XVIII*  siècle,  commencent  dans  les  villes  de 
province  et  dans  les  campagnes  qui  ne  sont 
pas  trop  écartées  d'un  centre,  à  adopter  ce  sys- 
tème, mais  seulement  pour  la  viande  de  bou- 
cherie, le  poisson  et,  quelquefois,  pour  les 
épices. 

Ces  arrangements  ne  diminuaientd'ailleurs  en 
rien  la  tâche  que  s'imposaient  les  maîtresses  de 
maison.  Cette  tâche  n'était  pas  mince,  on  l'a  vu. 
Elle  ne  les  empêchait  pas  néanmoins  de  prendre 
encore  le  temps  d'écrire.  La  correspondance 
tient  une  place  importante  dans  la  vie  d'autre- 
fois. Chaque  lettre  contient  des  exposés  minu- 
tieux de  l'existence  quotidienne,  des  réflexions 
sur  les  personnes  qu'on  a  vues,  sur  celles  qui 
annoncent  leur  arrivée,  sur  celles  qu'on  espère 
voir  bientôt  ;  des  détails  de  ménage,  de  santé, 
avec  d'interminables  notes  sur  les  procès  en 
cours,  les  difficultés  avec  les  voisins.  Voilà 
pour  les   lettres  intimes.    Quand  les  gens  ne 

1.  Vicomte  de   Grouchy,  Compies  de  maison  du  cardinal 
de  Richelieu,  des  ducs  de  Nemours,  Candalle,  etc. 


LES    MAITRESSES    DE    MAISON  303 

sont  pas  très  liés,  les  lettres  qu'ils  échangent 
sont  plus  courtes,  mais  combien  soignées, 
dosées  savamment  selon  l'âge,  le  rang,  le  sexe, 
la  situation  de  celui  ou  de  celle  à  qui  elles  s'a- 
dressent. Le  moindre  objet  donne  lieu  à  une 
missive  souvent  cérémonieuse,  et  parfois,  sur- 
tout entre  provinciaux,  fort  alambiquées.  Je 
n'en  citerai  qu'un  exemple.  La  présidente  Cho- 
lier  ayant  envoyé  à  une  dame  de  Serre  quel- 
ques confitures  et  des  fleurs,  celle-ci  lui  écrit 
ce  poulet  :  «  Un  bouquet  et  des  confitures, 
madame,  sont  des  bienfaits  d'une  trop  grande 
conséquence,  quand  ils  portent  votre  nom,  pour 
ne  pas  dire  que  je  les  ai  reçus  aussi  pour  ce 
qu'ils  viennent  de  vous,  madame,  que  j'aye 
tant  d'obligations  d'honorer.  Voilà  tout  ce  que 
j'aye  la  liberté  de  vous  dire  :  laissez-moi  celle 
dépenser  quelque  chose  de  plus  et  trouvez  bon 
que  je  ne  m'explique  pas  autrement  qu'en  vous 
assurant  qu'on  ne  saurait  jamais  estre  avec 
autant  de  respect  que  je  le  suis,  votre  très 
humble  et  très  obéissante  servante*.  » 

Il  est  sans  doute  possible  d'être  plus  clair, 
mais  non  plus  poli!... 

1.  Madame  de  Serre    à  madame  Cholier,  octobre  1796. 
(Arch.  de  Cibeins.) 


306        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  écrit  beaucoup,  mais  ce 
surcroît  de  besogne  entrait  peut-être  dans  les 
distractions  que  se  donnaient  les  maîtresses  de 
maison,  quand  une  fois  leurs  devoirs  de  bonnes 
ménagères  était  rempli. 


VI 


Abandon  des  sports.  —  La  promenade  est  à  la  mode. 
Le  colin-maillard  et  autres  jeux.  —  Louis  XIV  dans 
un  portemanteau!  —  Les  petits  jeux,  bouts-rimés 
et  autres. —  Montesquieu  galantin.  —  Les  cartes.  — 
Le  whist.  —  L'impériale.  —  Le  piquet.  —  Travaux 
d'aiguille.  —  Tapisseries  célèbres.  —  Le  parfilage. 

—  Madame  de  Genlis  déclare  cet  ouvrage  honteux. 

—  Obligation  de  s'occuper  à  la  maison.  —  Pénurie 
de  distractions  extérieures.  —  Le  mari  voyage  seul. 

—  La  femme  demeure  au  logis.  —  Fêtes  des  ven- 
danges. —  Le  carnaval.  —  L'habitude  vient  de  quitter 
la  campagne,  l'hiver.  —  Encore  la  vie  de  château. 

—  La  lecture  en  commun.  —  3L  de  Montgaillard  en- 
dort ses  auditeurs.  —  Monotonie  de  l'existence  ru- 
rale. —  Une  bonne  aubaine.  —  Le  duc  de  Glocester 
sur  la  grande  route.  —  Le  rôle  véritable  des  maî- 
tresses de  maison.  —  Comment  elles  entendaient 
leur  mission.  —  Hier  et  aujourd'hui. 


308        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Disons-le  tout  de  suite,  nulle  époque  ne  fut 
moins  sportive  que  les  xvii*  et  xviii^  siècles. 
En  dehors  du  cheval  et  de  la  chasse,  il  semble 
que  l'on  ait  renoncé  à  tous  les  exercices  du 
corps.  Le  jeu  de  boule  ne  compte  plus  que  de 
rares  amateurs;  celui  de  la  paume,  si  en  hon- 
neur durant  tout  le  xvi^  siècle  et  avant,  est 
chaque  jour  plus  délaissé.  Sur  trois  établisse- 
ment destinés  à  ce  jeu,  que  possédait  la  ville 
de  Nîmes  vers  I08O,  il  n'y  en  a  plus  qu'un,  cent 
ans  plus  tard,  et  encore  ne  se  maintient-il  que 
parce  qu'on  y  a  annexé  des  billards^  Les  jeux 
de  ballon,  de  chicane,  tombent  en  désuétude. 

Plus  propice  à  la  causerie,  la  marche,  la 
promenade  tendent  à  conquérir  la  faveur  gé- 
nérale. Déjà  fort  à  la  mode  au  temps  de 
Louis  XIV,  à  mesure  que  la  passion  des  beaux 
jardins  a  gagné  les  gentilhommières,  elle 
devient  une  fureur  sitôt  que  Rousseau  a  dé- 
veloppé dans  les  imaginations  le  goût  des 
plaisirs  champêtres,  en  révélant  les  beautés 
naturelles  de  la  campagne.  «  Marcher  à  tra- 
vers près  et  bois,  en  devisant,  quel  plus  grand 
et  plus  noble  plaisir  !  »  s'écriera  une  femme  de 

1.  Les  Nîmois,  etc.,  op.  cit. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  309 

la  Cour.  Et  c'est  là  comme  un  mot  d'ordre. 
«  Je  remplis  mes  loisirs  par  des  promenades 
journalières  à  ma  campagne,  mande  M.  de 
Montfort,  malgré  le  grand  mais  beau  froid 
que  nous  subissons*.  »  D'ordinaire  c'est  avant 
le  dîner  que  l'on  s'en  va  ainsi  par  les  champs. 
Madame  de  Sévigné,  elle,  ne  sortait  guère 
de  son  parc.  Mais  elle  n'avait  pas  prévu  Rous- 
seau!... Au  xviii*  siècle,  on  ne  se  contente 
plus  des  allées  ombreuses  et  bien  sablées  des 
jardins  ;  il  faut  de  plus  larges  espaces  et  des 
horizons  plus  vastes.  Il  est  de  bon  ton  d'em- 
mener ses  invités  goûter  dans  une  ferme  du 
voisinage,  de  s'y  abreuver  de  lait  pur  en  man- 
geant du  pain  noir.  En  été,  les  promenades 
du  soir  sont  fréquentes.  Au  clair  de  la  lune 
ou  des  étoiles,  toute  la  compagnie  s'en  va  par 
les  chemins,  par  les  sentiers,  vers  quelque 
ruisseau  ou  quelque  clairière.  Là,  on  s'assied 
un  instant  ;  on  cause  ;  si  la  nuit  est  lumineuse, 
un  petit  colin-maillard  est  tôt  improvisé.  La 
jeunesse  y  trouve  son  compte,  et  parfois  aussi 
les  personnes  plus  âgées-... 

1.  M.  de  Montfort  à  M.  de  Longevialle,   20  février  1782. 

2.  Cf.  Mémoires  de  madame  d'Hovdetot,  de  madame  Cam- 
pait, etc. 


310        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Car  le  colin-maillard  est  resté  au  nombre 
des  plaisirs  les  plus  appréciés,  comme  la 
guerre-pampan,  la  descamp ation,  la  main- 
chaude,  et,  pour  les  jambes  de  vingt  ans,  les 
parties  de  cache-cache.  Celles-ci,  favorisées 
par  la  disposition  des  lieux,  sont  interminables. 
Tous  ces  châteaux,  ces  vieilles  maisons  bour- 
geoises, tant  à  la  ville  qu'à  la  campagne,  ren- 
ferment une  quantité  de  petits  réduits  obscurs, 
d'alcôves  fort  bien  dissimulées,  des  greniers 
immenses,  des  tourelles  depuis  longtemps 
abandonnées,  où  l'on  se  blottit  avec  un  déli- 
cieux frisson  de  terreur,  et  qui  facilitent  -singu- 
lièrement ces  sortes  d'amusements.  Louis  XIV, 
qui  dans  sa  jeunesse  aimait  beaucoup  ce  jeu, 
«  se  cacha  si  bien,  un  jour  qu'il  était  chez  le 
maréchal  du  Plessis,  qu'on  ne  le  put  trouver. 
Il  s'était  fourré  dans  le  portemanteau  du  ma- 
réchal*. » 

Voici  venir  une  mode  nouvelle,  celle  des 
petits  jeux,  qui  a  si  fort  sévi  depuis.  Les  bouts- 
rimés,  les  devinettes,  les  charades,  tous  ces 
passe-temps  un  peu  puérils  et  souvent  pré- 
tentieux sont  très  en  honneur.  A  cette  mode 

1,  Mémoires  inédits  de  M.  Johannyn. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON  311 

se  joint  celle  des  portraits,  dont  on  a  hérité  le 
goût  du  xvii^  siècle.  Les  mémoires  du  temps 
nous  en  ont  conservé  quelques-uns  qui  sont 
charmants,  pleins  de  finesse,  de  grâce  mali- 
cieuse, et  qui  devaient  être  ressemblants.  Cer- 
tains, signés  de  madame  du  Deffand,  du 
prince  de  Ligne,  du  président  Hénault,  de- 
meurent célèbres.  Les  personnages  les  plus 
graves  ne  dédaignaient  pas  ce  divertissement, 
à  commencer  par  Montesquieu,  qui  trempait 
sa  plume  habituée  à  des  exercices  plus  sévères, 
dans  de  l'encre  passablement  galante  pour 
tracer  un  joli  portrait  de  madame  de  Mire- 
poix. 

De  la  cour,  où  elle  faisait  les  ravages  que 
l'on  sait,  la  manie  du  jeu  avait  dès  longtemps 
gagné  la  pro\T[nce  et  les  campagnes.  Je  ne 
m'appesantirai  pas  sur  ce  sujet  déjà  traité 
ailleurs  K  Parmi  les  jeux  de  société  les  plus 
usités  alors,  citons  le  whist,  que  M.  de  Mont- 
fort  et  beaucoup  de  provinciaux  appellent  le 
«  wouisk  »,  et  auquel  il  joue  régulièrement 
au  retour  de  sa  promenade,  et  l'Impériale, 
en  vogue  surtout  au  xvii'  siècle.   En  Viva- 

1.  Le$  Moeurs  et  la  Vie  privée  d'autrefois. 


312        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

rais,  c'est  le  piquet  que  l'on  préfère.  Dans 
certaines  maisons,  on  le  joue  dès  le  mâtiné 
Le  trictrac  a  aussi  ses  partisans  parmi  les 
gens  qui  n'aiment  point  les  cartes.  Mais,  le 
plus  souvent,  tandis  que  les  hommes  se  livrent 
à  ces  distractions  diverses,  les  femmes  occu- 
pent leurs  loisirs  d'une  façon  plus  utile.  La 
broderie,  la  tapisserie  ne  chôment  point.  La 
tapisserie  était  poussée  jusqu'à  devenir  un  art. 
D'illustres  exemples  encourageaient  les  dames 
à  ce  genre  de  travaux.  La  tapisserie  de 
Bayeux  représentant  les  victoires  de  Guil- 
laume le  Conquérant  n'était-elle  pas  l'œuvre 
de  sa  femme  Mathilde?  La  cathédrale  de  Mi- 
lan ne  possédait-elle  pas  un  portrait  de  saint 
Charles-Borromée  fait  en  tapisserie  par  une 
femme  nommée  Peregrina?  Miss  Moret 
n'avait-elle  pas  décoré  de  ses  mains  la  cathé- 
drale d'York  ?  Lady  Knowl  n'avait-elle  pas  fait 
le  portrait  du  roi  d'Angleterre  en  broderie  et 
ne  connaissait-on  point,  au  moins  par  ouï- 
dire,  le  superbe  lit  en  tapisserie,  voilé  d'or 
et  de  petites  perles  fines,  exécuté  par  madame 
de  Maintenon  elle-même?  De  tout  temps,  en 

1.  Essai  sur  la  noblesse  vivaraise. 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON'  313 

France,  les  femmes  avaient  excellé  dans  la 
confection  des  menus  ouvrages  de  broderie*, 
lacs,  écharpes,  manches,  ceintures.  «  Parfois 
elles  entremelaient.de  leurs  cheveux  dans  les 
broderies  de  ces  précieuses  parures.  En  gage 
d'affection,  elles  donnaient  souvent  à  leur 
ami  une  manche  brodée,  que  celui-ci  portait 
en  souvenir  de  sa  belle  ^.  »  Beaucoup  moins 
compréhensible  fut  la  mode  du  parfilage.  Cela 
consistait  à  séparer  l'or  de  la  soie  des  galons, 
vieilles  épaulettes  d'or,  vieux  nœuds  d'épée, 
que  l'on  demandait  à  tous  les  hommes  de  sa 
connaissance.  On  le  vendait  à  son  profit.  Aux 
étrennes,  on  recevait  des  bobines  d'or  ou  de 
petits  meubles  couverts  d'or,  que  de  même 
on  parfilait  et  vendait.  Le  duc  de  Lauzun 
donne  à  une  dame  de  la  société  une  fausse 
harpe  de  grandeur  naturelle  toute  recouverte 
d'or  de  bobines.  Une  habile  parfileuse  pouvait 
gagner  communément  à  cet  étrange  métier 
cent  louis  par  an.  Madame  de  Genlis  se  vante 
d'avoir  contribué  à   faire  tomber   cette  mode 

1.  Les  hommes  faisaient  aussi  de  la  tapisserie.  Beaucoup 
de  vieux  gentilshommes  un  peu  perclus,  s'efforçaient  d'ou- 
blier la  chasse  et  le  cheval  en  brodant  un  petit  point. 

2.  Viollet-le-Duc,  Dictionnaire  raisonné  du  mobilier  fran- 
çais, 

18 


314         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

qu'elle  qualifie  d'extravagante  et  de  très  ignoble, 
ce  qui  est  peut-être  exagéré*. 

Chacun  éprouvait,  plus  profondément  qu'au- 
jourd'hui, la  nécessité  de  se  distraire  dans  son 
intérieur,  d'où  l'on  ne  sortait  ni  aussi  fré- 
quemment, ni  avec  autant  de  facilité  qu'on  le 
fait  à  présent.  Les  grands  seigneurs  partageaient 
bien  leur  temps  entre  la  cour  et  leurs  châteaux; 
beaucoup  de  gens  aisés  avaient  maison  à  la 
ville  et  maison  aux  champs.  Mais  les  châtelains, 
en  grande  majorité,  passaient  toute  l'année 
dans  leurs  manoirs.  S'il  arrive  au  maître  de 
céans  d'être  dans  l'obligation  d'effectuer  cer- 
tains déplacements  rendus  indispensables  par 
les  convenances  mondaines  ou  ses  affaires,  il 
part  seul.  Sa  femme  reste  au  logis  avec  les 
enfants  et  les  domestiques,  poursuivant  sans 
relâche  sa  besogne  féconde.  A  part  les  visites 
qu'elle  fait  dans  son  voisinage  immédiat^, 
quelques  parties  de  campagne  organisées  dans 

1,  Les  Étiquettes  de  la  cour,  op.  cit. 

2.  La  vie  de  société  avait  commencé  de  bonne  heure 
en  France.  J'ai  lu  quelque  part  qu'en  Vivarais,  elle  ne  se 
développa  qu'au  xviii»  siècle.  Il  se  peut,  les  communica- 
tions étant  particulièrement  difficiles  dans  cette  région 
montagneuse.  Partout  ailleurs,  elle  me  paraît  avoir  été  très 
intense  dès  le  milieu  du  xvi*  siècle,  en  tout  cas,  au  xvii*. 
Cf.  Usages  et  mœurs  d'autrefois.  (Calraann-Lévy,  édit.). 


LES    MAÎTRESSES    DE    MAISON'  315 

les  environs,  de  petits  séjours  chez  des  amis  ou 
parents  point  trop  éloignés,  elle  ne  perd  point 
son  temps  en  voyages  inutiles.  Par  exemple, 
on  va  volontiers  vendanger  les  uns  chez  les 
autres.  C'est  alors  grande  fête.  Le  soir  venu, 
maîtres  et  serviteurs  dansent  sur  l'herbe  en 
commun,  au  son  d'un  violon  ou  d'une  corne- 
muse. La  bonhomie  des  siècles  passés  s'accom- 
modait aisément  de  ces  plaisirs  rustiques,  et 
les  divertissements  populaires  effarouchaient 
d'autant  moins  les  gens  du  monde  qu'ils  en 
prenaient  leur  part.  Ainsi  le  carnaval  avait-il 
une  importance  qu'il  est  loin  d'avoir  conservée. 
Avec  les  jours  de  marché  S  c'était  une  des 
occasions  clairsemées  où  les  gentilshommes 
campagnards  allaient  passer  quelques  jours  à 
la  ville. 

Dès  le  règne  de  Louis,  XV  cependant, 
l'habitude  se  généralisa  d'y  avoir  un  apparte- 
ment et  de  s'y  installer  pendant  toute  cette 
période^.  «  J'ai  passé  l'hiver  à  Lyon,  au  milieu 
des  plaisirs  du  carnaval,  écrira  madame  de  La 


1.  Lettres  de  M.  de  Lenferna  à  M.  de  Longevialle,  19  fé- 
vrier 1779  (Arch.  de  Vaurenard)  et  de  madame  de  Fran- 
quières  à  madame  Cholier  (1768). 

2.  Correspondance  La  RoUière.  (CoUect.  part.) 


316         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Valette,  je  n'y  ai  participé  que  rarement,  mon 
goût  me  portant  à  préférer  les  livres,  le  coin 
de  mon  feu  et  mes  ouvrages  de  broderie  au 
brouhaha  des  fêtes,  mais  toutes  nos  dames  s'en 
sont  donné  à  cœur  joie*.  »  A  Draguignan,  il  y 
a  des  bals  tous  les  jours  avant  le  carême.  «  C'est 
la  mode  en  Provence  de  se  masquer  en  chauve- 
souris  simplement  avec  un  drap  de  lit  et  de 
courir  les  bals  pour  donner  des  cassades,  c'est- 
à-dire,  que  sous  ce  déguisement,  il  est  admis 
de  se  dire  à  l'oreille  aux  hommes  et  aux  femmes 
tout  ce  qu'on  sait  de  leur  vie  sans  qu'il  soit 
permis  de  se  fâcher*.  »  Le  révolution  avait 
coupé  court  à  des  réjouissances  vers  lesquelles 
personne  ne  se  sentait  plus  attiré.  Mais  à  peine 
l'ordre  rétabli,  le  carnaval  reprenait  toute  sa 
splendeur  bruyante.  D'une  lettre  datée  de  1803, 
il  ressort  qu'à  Grenoble  et  dans  d'autres  villes, 
le  vieil  usage  n'avait  pas  tardé  à  reparaître. 
«  Si  l'on  a  été  pendant  douze  ans  sans  s'amuser, 
on  cherche  ici  à  s'en  dédommager  aimablement 
depuis  deux  ans.  Nous  avons  eu  des  dîners, 
soupers,  et  bals  sans  fin,  mais  ce  qui  n'avait 

1.  Madame  de  La  ValeUo  à  sa  sœur,  7  mars  1788.  (Arch. 
Cibeins.) 

2.  Mémoires  Johannyn. 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      317 

pas  lieu  avant  la  Révolution,  dès  le  mercredi 
des  cendres,  chacun  a  fermé  sa  porte  et  cherche 
à  se  suffire  à  lui-même*.  » 

Au  nombre  des  distractions  des  châteaux  et 
maisons  de  campagne,  il  serait  injuste  d'oublier 
la  lecture.  Madame  de  Genlis,  qui  n'est  pas 
toujours  tendre  pour  la  vie  privée  des  gens  de 
l'Ancien  régime,  dit  quelque  part  :  «  Autrefois, 
chez  les  princes  et  chez  presque  tous  les  parti- 
culiers à  la  campagne,  on  se  rassemblait  après 
le  dîner  (on  dînait  à  deux  heures)  pour  faire 
une  lecture  tout  haut  avant  l'heure  de  la  pro- 
menade. On  lisait  communément  de  bons 
ouvrages,  des  pièces  de  théâtre,  des  voyages, 
des  livres  d'histoire.  Les  lectures  d'ouvrages 
manuscrits  étaient  beaucoup  plus  fréquentes 
qu'elles  ne  le  sont  aujourd'hui'.  »  Tandis  que 
les  dames  brodaient  ou  parfilaient,  l'un  des 
hommes  présents,  d'ordinaire  le  maître  de 
maison  faisait  une  lecture  que  l'on  interrompait 
parfois  pour  discuter  avec  passion  tel  passage, 
telle  idée,  car  l'esprit  critique  a  toujours  été  vif 
en  France.  Ainsi  se  passaient  la  plupart  des 

1.  Madame  de  La  Valette  à  la  marquise  de  Harrenc, 
3  mars  1803. 

2.  Les  Étiquettes  de  la  cour,  op.  cit. 

18. 


318        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

veillées  chez  madame  de  La  Bruguière  à  Uzès, 
chez  madame  de  Ponchalon,  où  «  en  un  hiver 
on  absorbe  toutes  les  tragédies  de  Corneille  », 
chez  les  Frénilly,  chez  les  Franquières,  qui 
((  goûtent  particulièrementles  livres  d'histoire  », 
tandis  que  M.  de  Monteynard  avoue  «  n'aimer 
que  les  contes  ».  Une  exquise  maîtresse  de 
maison,  la  marquise  de  Harrenc,  se  plaint 
((  que  son  mari  fasse  des  lectures  trop  sévères 
auxquelles  ses  amis  et  elle  n'entendent  point^  ». 
Plus  frivoles  sont  celles  que  l'ont  fait  le  soir 
chez  le  président  de  Brosses,  et  si  frivoles 
qu'elles  effarouchent  les  dames.  Quant  aux 
éternels  Mémoires  scientifiques  que  lit  M.  de 
Montgaillard,  ils  sont  si  ennuyeux  que  «  toute 
la  compagnie  s'endort  »  et  que  «  seule,  la  chape 
que  je  brode  me  tient  les  yeux  ouverts  »,  avoue 
ingénument  madame  de  La  Valette-.  Je  ne  sais 
si  on  lisait  au  château  de  Tournon,  mais  les 
livres  n'y  manquaient  pas.  L'inventaire  delG17 
en  mentionne  plus  de  1.500,  dont  les  œuvres 
de  Virgile  magnifiquement  gainées  de  velours 


1.  Madame  de  Harrenc  à  madame  de  La  Valette,  17  mars 
1778. 

.2.  Madame  de  La  Valette  à  madame  Franquières,  août  1782. 
(Gollect.  part.) 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      319 

rouge  cramoisi  avec  deux  agrafes  d'argent*. 
En  une  seule  année,  M.  de  Vougy  achète 
environ  500  volumes,  tant  de  mathématiques 
que  d'histoire,  pièces  de  théâtre  et  romans-. 
Les  lectures  en  commun  aidaient  fort  heu- 
reusement, quand  elles  n'étaient  pas  aussi 
ennuyeuses  que  ceUe  que  faisait  M.  de  Mont- 
gaillard,  à  faire  passer  les  heures  qui  précé- 
daient le  dîner  et  celles  plus  longues  encore 
de  la  soirée.  Car  cette  vie  de  campagne,  si 
remplie,  si  dignement  et  si  sagement  distribuée 
qu'elle  soit,  ne  va  pas,  bien  entendu,  sans 
quelque  monotonie.  Peu  propices  à  l'épanouis- 
sement de  la  sociabilité,  nos  chemins  de  fer, 
nos  automobiles  l'ont  pourtant  favorisée,  en  un 
sens,  puisque  ces  moyens  de  transport  rapides 
et  faciles  permettent  d'accroître  le  cercle  de  nos 
relations  et  leur  fait  gagner  en  étendue  ce 
qu'elles  perdent  en  profondeur.  Jadis,  dans  la 
mauvaise  saison  principalement,  ou  lorsqu'on 
habitait  des  régions  reculées,  il  fallait  vivre 
beaucoup  en  soi.  Les  distractions  du  dehors 
étaient  peu  nombreuses,  et  leur  écho  même  ne 
parvenait  pas  toujours  jusqu'à  la  maison  ou  au 

i.  Inventaire  du  château  de  Tournon,  1617. 
2.  Notes  sur  la  famille  de  Vougy,  op.  cit. 


320        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

château  isolé.  Aussi  le  moindre  petit  événement 
imprévu  était-il  accueilli  avec  joie.  Du  haut  de 
la  terrasse  d'une  propriété  près  de  Tullins, 
voici  qu'un  beau  jour  on  aperçoit  tout  un 
cortège  qui  s'avance  sur  la  route.  C'est  le  duc 
de  Glocester  avec  son  épouse,  force  dames, 
femmes  de  chambre,  pages,  enfin  toute  sa 
maison.  «  Il  y  avait  quatre  diligences  à  six 
chevaux  et  courriers  en  avant,  raconte  M.  de 
Marzin.  Comme  le  duc  était  à  pied,  dans  la 
descente  de  Tullins,  je  l'entendis  parler  anglais 
avec  son  fils  qu'il  tenait  par  la  main.  C'est  un 
homme  de  quarante-quatre  ans,  très  grand.  Il 
est  lourd,  d'une  taille  assez  robuste.  A  son 
chapeau,  la  cocarde  noire  qu'il  avait  mis  sur 
une  bonette.  Un  habit  d'écarlate  avec  de  petits 
boutons  d'or,  des  bas  blancs  et  des  bottines.  Sa 
façon  est  de  se  tenir  toujours  sur  le  siège  du 
cocher  avec  son  fils  pour  admirer  le  pays.  Il 
était  six  heures  du  soir  et  allait  coucher  à  Gre- 
noble*. »  Une  telle  aubaine  suffisait  à  alimenter 
la  correspondance  pour  plusieurs  semaines  et 
la  conversation  pour  plusieurs  soirées... 
Ainsi  s'écoulait  lentement  la  vie  paisible  dans 

1.  Lettre  de  M.  de  Marzin  au  marquis  de  Tournon,  1780. 
(Arcli.  du  Vergier.) 


LES  MAÎTRESSES  DE  MAISON      32i 

les  gentilhommières,  les  châteaux,  les  maisons 
bourgeoises.  Au  milieu  de  celte  existence  uni- 
forme et  un  peu  austère,  la  maîtresse  de  maison 
nous  apparaît  non  pas,  ainsi  qu'on  Ta  trop  dit, 
comme  une  ménagère  uniquement  occupée  des 
soins  matériels  et  de  la  surveillance  de  la 
domesticité,  mais  comme  la  véritable  souve- 
raine du  logis,  et,  en  tout  cas,  comme  la  colla- 
boratrice assidue  et  intime  du  chef  de  la  famille. 
Son  rôle,  qu'il  ne  faut  pas  rapetisser,  était  de 
ceux  qui  honorent  la  femme  car,  s'il  descendait 
jusqu'aux  menus  détails  de  la  surveillance 
intérieure,  il  se  haussait  aussi  à  la  direction 
générale  de  la  fortune,  à  toutes  les  décisions 
qui  intéressaient  l'avenir  des  enfants,  et,  par  là, 
celui  de  la  race.  Autant  qu'aujourd'hui,  du 
moins  d'une  manière  plus  sensible  et  plus  effi- 
cace, elle  avait  sa  part  dans  le  gouvernement 
de  cette  petite  nation  en  miniature  que  consti- 
tuait la  famille,  telle  qu'on  la  concevait  autre- 
fois. De  ce  qu'elle  confectionnait  parfois  elle- 
même  des  pâtisseries  ou  aidait  à  tremper  la 
lessive,  la  maîtresse  de  maison  ne  se  trouvait 
pas  diminuée  aux  yeux  du  monde  non  plus 
qu'aux  siens  propres.  Les  côtés  un  peu  mes- 
quins et  vulgaires  de  la  tâche  qu'elle  assumait 


322        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

disparaissaient  derrière  la  noble  et  haute  mis- 
sion sociale  que  cette  tâche  même  comportait. 
La  maîtresse  de  maison  d'autrefois  comprenait 
ses  devoirs  autrement  que  les  mères  de  famille 
actuelles,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  d'ailleurs  que 
celles-ci  l'entendent  mal.  L'avenir  seul  pourra 
décider  qui  avait  raison,  de  nos  femmes  mo- 
dernes, toutes  plus  ou  moins  éprises  d'émanci- 
pation, avides  d'égalité  entre  les  sexes,  jalouses 
d'une  autorité  qu'elles  préfèrent  demander  à  la 
loi  comme  si  elles  craignaient  ne  plus  pouvoir 
l'attendre  de  l'affection  de  leur  mari,  de  la 
tendresse  et  du  respect  de  leurs  enfants,  ou  de 
nos  grand'mères  qui,  peu  sensibles  aux  appa- 
rences, savaient  se  créer  de  leurs  propres  mains, 
sans  bruit  et  sans  fracas,  au  foyer  familial,  la 
place  qui  leur  était  due. 

Autres  temps,  autres  mœurs,  dira-t-on.  Sans 
doute.  Il  s'agirait  seulement  de  savoir  si  les 
nôtres  sont  meilleures  et  plus  profitables  à  la 
société  en  général,  à  la  femme  elle-même.  Et 
cela  n'est  pas  bien  sûr... 


MAGICIENNES 


ET 


DISEUSES  DE  BONNE  AVENTURE 


Nulle  curiosité  n'est  aussi  enracinée  au  cœur 
de  l'homme  que  celle  qui  le  pousse  à  connaître 
son  destin.  Nulle,  il  faut  le  dire,  ne  paraît  plus 
naturelle  et,  en  quelque  sorte,  plus  légitime. 
La  soif  de  savoir  dévore  l'humanité.  Devant  le 
mystère  de  l'avenir,  l'homme,  pauvre  et  frêle 
chose,  aie  sentiment  très  net  de  sa  faiblesse  et 
de  son  impuissance.  En  face  de  la  nuit  pro- 
fonde qu'est  pour  lui  ce  simple  mot  :  demain, 
l'être  le  mieux  constitué  moralement  comprend 
tout  à  coup  l'inanité  de  son  effort,  la  vanité  de 
ses  desseins,  l'effroyable  incertitude  du  sort 


324        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

qui  attend  ses  actes  les  plus  réfléchis,  ses  com- 
binaisons les  plus  savamment  ourdies.  Une 
angoisse  l'étreint  dont  l'objet  n'est  rien  de 
moins  que  sa  vie  même.  Delà  son  désir  furieux 
de  percer  le  voile  qui  lui  dérobe  l'horizon,  d'ar- 
racher ses  secrets  à  la  nature  et  de  la  violenter 
jusqu'à  lui  faire  avouer  les  arrêts  de  sa  des- 
tinée, afin  d'en  pouvoir  diriger  le  cours.  Sous 
l'influence  de  désirs  impérieux  qu'aucun  raison- 
nement, aucun  calcul,  aucune  science  humaine 
n'a  su  et  ne  saurait  satisfaire,  l'esprit  humain 
s'est  instinctivement  senti  attiré  par  le  mer- 
veilleux, seul  capable,  pensait-il,  de  lui  divul- 
guer la  troublante  et  éternelle  énigme. 

Un  tel  penchant,  outre  qu'il  plongeait 
l'homme  dans  un  abîme  de  préjugés  et  de 
superstitions,  présentait  pour  lui  un  autre  dan- 
ger encore.  Il  était  inévitable,  en  effet,  que 
cette  crainte  de  l'avenir,  mêlée  à  celte  passion 
de  le  connaître,  le  mettait  à  la  merci  de  tous 
ceux  qui,  par  cupidité,  par  intérêt  ou  par  am- 
bition, auraient  la  volonté,  l'adresse  la  possibi- 
lité de  les  exploiter  à  ses  dépens. 


La  curiosité  humaine  et  les  forces  surnaturelles.  — 
Sciences  occultes.  —  La  superstition  chez  les  anciens. 

—  Transmission  des  rites.  —  Les  rebouteux. —  Nos 
Parisiennes  et  les  paysannes  de  l'an  mille.  —  Per- 
sistance de  la  superstition. —  Intervention  du  diable. 

—  Sorcières  et  hystériques.  —  Les  belles  dames 
du  xvii^  siècle.  —  Les  esprits.  —  Jusqu'à  la  fin  du 
xviii^  siècle,  on  voit  le  diable  partout.  —  Une  fille 
de  joie  qui  porte  la  bannière  à  la  guerre.  —  La  bé- 
guine de  Nivelles.  —  L'Écossais  Le  More.  —  Peines 
édictées  contre  les  sorciers.  —  Les  papes  soupçonnés 
de  sorcellerie. —  Un  évêque  qui  consulte  les  devins. 


Qu'il  s'agisse  de  magnétisme,  de  sorcellerie, 
d'astrologie  ou  d'art  divinatoire,  on  retrouve  à 
l'origine  de  ces  sciences  ^  le  même  principe,  qui 

1.  Ce  mot  ne  saurait  évidemment  être  pris  ici  dans  son 
sens  rigoureux  et  précis. 

19 


326         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

est  l'intervention  d'une  force  surnaturelle  mise 
au  service  de  la  curiosité  humaine,  le  même 
but,  qui  est  de  satisfaire  à  cette  curiosité.  Si 
toutes  ces  sciences  (et  tant  d'autres  qu'il  serait 
superflu  d'énumérer  quant  à  présent)  sont  fort 
différentes  par  leurs  procédés,  leurs  lois,  le 
plus  ou  moins  de  solidité  de  leur  base,  —  et 
par  leurs  prétentions  ;  si  les  unes  ont  dérivé 
vers  le  charlatanisme  pur  tandis  que  d'autres,  au 
moyen  de  transformations  successives,  ont  peu 
à  peu  quitté  les  régions  de  l'occulte  pour  se 
rapprocher  des  doctrines  scientifiques  considé- 
rées comme  rationnelles,  il  n'en  reste  pas 
moins  que  leur  origine  est  commune,  qu'elles 
sont  vieilles  comme  le  monde,  et  très  probable- 
ment nées  avec  lui,  car  l'homme  sitôt  qu'il  fut 
créé  dut  éprouver  avec  le  besoin  de  savoir 
pourquoi  il  existait,  l'àpre  tentation  de  prévoir 
son  destin.  De  suite,  il  chercha,  et  ne  trouvant 
pas  la  réponse  dans  son  propre  raisonnement, 
il  l'alla  demander  à  ceux  qu'iljugeait  plus  aptes 
que  lui  à  le  lui  apprendre. 

Ne  nous  attardons  pas  dans  ces  périodes 
lointaines;  ne  nous  noyons  pas  dans  le  déluge. 
Bornons-nous  simplement  à  constater  que  les 
sciences  occultes,  dont  celle  qui  consistait  à 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  327 

prédire  l'avenir,  étaient  connues  de  tous  les 
peuples  anciens,  aussi  loin  qu'on  puisse  remon- 
ter dans  l'histoire  des  âges.  Les  procédés  des 
magiciens,  sorciers  et  devins,  paraissent 
n'avoir  pas  changé  depuis  la  préhistoire. 
Philtres,  breuvages  magiques,  rubans,  ba- 
guettes, conjurations  de  toutes  sortes,  s'em- 
ployaient déjà  chez  les  vieilles  races  Ghamites 
et  Touraniennes  habitant  la  Chaldée  avant  les 
Assyriens  classiques  '  On  sait  tout  le  parti  que 
les  prêtres  égyptiens  tiraient  des  croyances  po- 
pulaires et  comme  ils  s'entendaient  à  rendre  des 
oracles.  Que  dire  de  la  Grèce  qui  ne  soit 
connu?  La  Pythie  de  Delphes  n'a-t-elle  fait 
l'objet  de  longues  et  patientes  études?  Les 
Grecs  ne  font  un  pas  ni  n'accomplissent  un 
acte,  même  de  très  minime  importance,  sans 
consulter  les  dieux  par  l'intermédiaire  de 
prêtres  ou  de  devins.  Il  en  est  de  même  à 
Rome.  Soit  que  l'on  y  demande  le  secret  de 
l'avenir  aux  entrailles  fumantes  des  animaux 
et  que  l'on  s'adresse  aux  augures,  soit  que, 
comme  les  matrones  opulentes,  on  fasse  venir 
à  grands   frais   du   fond   des   Indes   ou    de   la 

1.  Th.  de  Gauzons,  La  sorcellerie  en  France. 


328         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Phrygie  des  devins  versés  dans  la  connaissance 
des  influences  sidérales,  soit  que  l'on  se  con- 
tente de  faire  le  tour  du  cirque  avant  de  livrer 
ses  mains  et  son  visage  aux  sybilles  édentées 
et  haillonneuses  de  SuburreS  c'est  toujours  au 
merveilleux  que  l'on  sacrifie  ;  c'est  toujours 
l'intervention  d'une  puissance  extra-terrestre 
dont  on  implore  le  secours. 

11  se  peut  qu'en  soi,  la  sorcellerie  (le  mot 
sorcier  n'apparaît  qu'au  vi*  siècle  d'ailleurs^, 
et  finit  par  se  confondre  avec  celui  de  devin), 
soit  assez  différente  de  la  magie  qui  consiste 
surtout  dans  l'art  de  faire  des  prodiges  à 
l'aide  du  démon  ou  de  quelque  autre  force  sur- 
naturelle. Le  peuple,  en  tout  cas,  ne  se  don- 
nait guère  la  peine  d'établir  une  ligne  de  dé- 
marcation entre  ceci  et  cela.  Ces  distinctions 
subtiles  lui  échappaient  —  et  lui  échappent 
encore  complètement.  Devins,  sorciers,  nécro- 
mants,  magiciens  ou  enchanteurs  lui  semblaient 
gens  de  même  espèce  et  de  même  confrérie. 
Tous  étaient  à  ses  yeux  des  personnages  un 
peu  mystérieux,  un  peu  inquiétants  et  somme 
toute  redoutables,  en  communication   directe 

1.  La  sorcellerie  en  France,  op.  cit. 

2.  De  sourcier  ou  découvreur  de  sources. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  329 

avec  les  dieux,  pensait-on  dans  l'antiquité, 
avec  le  diable,  affirmera  le  Moyen  âge. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'est  pas  douteux  que  la 
magie  et  l'art  divinatoire  ont  précédé  de  beau- 
coup l'établissement  du  christianisme.  La  reli- 
gion victorieuse  les  reçut  en  legs  du  paga- 
nisme à  son  déclin. 

Mais  comment  expliquer  cette  transmission 
de  rites  bizarres  et  de  croyances  étranges? 
Pour  peu  qu'on  y  réfléchisse,  on  ne  manquera 
pas  d'être  frappé,  non  moins  que  de  la  péren- 
nité de  certaines  superstitions  grossières,  par 
la  ressemblance  entre  les  procédés  qu'em- 
ployaient les  mages  et  les  devins  anciens  et 
ceux  encore  en  usage  aujourd'hui  dans  le 
monde  des  charlatans,  diseuses  de  bonne  aven- 
tures et  sorciers,  car  il  ne  faudrait  pas  croire 
que  ces  derniers  aient  complètement  disparu, 
ni  qu'en  bien  des  campagnes,  ils  n'exercent 
une  influence  dont  il  est  malaisé  de  mesurer 
l'importance  exacte.  N'oublions  pas  que  rien 
ne  se  transmet  mieux  ici-bas  et  de  façon  plus 
sûre  que  les  choses  secrètes.  Pense-t-on  que 
les  rites  et  formules  de  la  Maçonnerie  par 
exemple  se  fussent  perpétués  parmi  les  adhé- 
rents de  cette  secte  avec  autant  de  précision  et 


330         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

dans  une  intégralité  aussi  parfaite,  s'ils  eussent 
été  pratiqués  à  découvert?  Or,  les  sorciers  dans 
l'antiquité  constituaient  une  caste  fermée,  dans 
laquelle  on  n'était  admis  qu'après  un  stage, 
caste  ou  si  l'on  veut,  école,  où  de  générations 
en  générations,  se  passaient  les  formules  et  les 
secrets  propres  à  faire  impression  sur  les  non- 
initiés.  C'est  donc  par  la  tradition  très  proba- 
blement que  sont  venus  jusqu'à  nous  la  plu- 
part des  paroles  et  des  gestes  dont  les  magi- 
ciens et  prophètes  se  servent  encore  de  nos 
jours.  Ceci  est  surtout  sensible  en  ce  qui  con- 
cerne les  rebouteux. 

Tous  vaguement  sorciers  à  l'occasion,  ils 
emploient  volontiers  des  mots  obscurs,  bizar- 
rement déformés,  qu'ils  utilisent  religieuse- 
ment, bien  que  le  sens  leur  en  échappe  désor- 
mais. Ainsi  marmottent-ils  :  Coride7n,Nardac, 
Haviem,  Dagon,  sans  se  douter  que  ce  sont  là 
des  lanbeaux  d'incantations  druidiques  ou  gau- 
loises. Ainsi,  ne  manqueront-ils  pas  non  plus, 
lorsqu'il  s'agit  de  guérir  les  foulures  ou  les 
entorses  des  chevaux,  de  prononcer  tout  bas  : 
((  Otay  de  Satay,  suralay,  AvaldelK  » 

1.  E.  Gilbert,  Sorciers  et  magiciens. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  33i 

Ils  seraient  bien  empêchés  les  pauvres  diables 
de  vous  dire  pourquoi  !  A  un  degré  moindre, 
peut-être,  mais  de  façon  évidente  cependant, 
nos  somnambules  et  chiromanciennes  ont  con- 
servé précieusement  une  partie  du  bagage 
pseudo-scientiûque  et  du  fatras  de  langage 
chers  à  leurs  devanciers  et  devancières  de  la 
Renaissance,  sinon  de  l'antiquité.  Un  tel  résul- 
tat peut-il  être  attribué  à  la  seule  vitalité  de  la 
tradition?  On  me  permettra  de  n'en  rien  croire. 
Si  les  magiciens  contemporains  utilisent  des 
moyens  fort  analogues  à  ceux  q^u'employaient 
les  devins  médiévaux,  ne  serait-ce  pas  surtout 
qu'ils  ont  trouvé  instinctivement  des  méthodes 
propres  à  satisfaire  une  clientèle  qui,  bien 
qu'il  y  paraisse,  ne  présente  en  somme  aucune 
différence  notable  avec  la  clientèle  moyen- 
âgeuse. Xe  vous  récriez  point.  La  petite  Pari- 
sienne, habituée  des  five-o' cloks  ultra-chics, 
toute  imprégnée  d'un  joli  modernisme,  pou- 
drerizée  de  scepticisme  élégant,  rieuse,  frou- 
froutante, un  peu  intellectuelle  aussi,  comme 
il  convient,  très  sûre  d'elle-même,  religieuse, 
oui,  sans  doute  dans  le  fond,  mais  pas  bigote 
pour  deux  sous,  cette  petite  Parisienne  qui  s'en 
va  chaque  mois  ou  chaque  semaine  consulter 


332         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

madame  X  ou  madame  Z,  les  célèbres  voyantes  y 
dans  les  somptueux  appartements  où  celles-ci 
rendent  leurs  oracles,  a  exactement  la  même 
mentalité,  est  dans  le  même  état  d'âme  que  la 
paysanne  de  l'an  mille  qui  tendait  sa  main  effa- 
rouchée à  quelque  bohémienne  traversant  le 
village. 

Oui,  à  des  nuances  près,  que  nous  indique- 
rons tout  à  l'heure,  la  clientèle  des  sorcières 
barbues  de  jadis  ou  celle  des  pythonisses  mo- 
dernes, c'est  la  même.  Un  sentiment  identique 
les  anime,  la  foi.  Cette  croyance  commune  qui 
les  rapproche  —  si  éloignées  qu'elles  puissent 
paraître  l'une  de  l'autre  —  suffît  à  les  faire 
semblables. 

La  persistance  des  superstitions,  et  notam- 
ment de  la  confiance  dans  les  devins  et  devine- 
resses n'est  pas  pour  surprendre.  Le  chris- 
tianisme ne  pouvait  les  faire  disparaître.  En 
apportant  à  la  nouvelle  société  religieuse  leurs 
personnes,  les  masses  populaires  lui  apportaient 
en  même  temps  leurs  tendances  à  des 
croyances  matérialisées,  leur  goût  des  rites, 
leur  amour  des  images.  Le  peuple  ne  pouvait 
sauter  brusquement  du  panthéisme  au  mono- 
théisme.   S'il   acceptait   la  notion   d'un    dieu 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  333 

unique,  notion  si  conlraire  à  sa  mentalité  et  à 
ses  habitudes,  au  moins  lui  fallait-il  comme  des 
intermédiaires  entre  Dieu  et  lui,  toute  une  série 
de  demi-dieux  avec  qui  il  se  sentît  plus  à  l'aise 
et  à  qui  il  pût  s'adresser  avec  une  confiance 
moins  troublée.  Le  culte  de  la  madone,  au  début 
de  l'ère  chrétienne,  ne  fit  que  remplacer,  pour  le 
peuple,  le  culte  de  Vesta,  de  Cérès  ou  de  Diane. 
Les  lampes  allumées  devant  une  image  lui  rap- 
pelaient celles  qui  brillaient  devant  ses  dieux 
lares,  et  il  attribua  d'autant  plus  facilement  à 
chaque  saint  une  vertu  particulière  qu'il  était 
accoutumé  à  implorer  la  protection  de  Mercure, 
de  Vulcain  ou  de  Mars,  selon  les  circonstances 
de  la  vie. 

Conservant  ainsi,  à  peine  transformées,  ses 
usages  païens,  à  plus  forte  raison  se  débarras- 
sait-il difficilement  de  sa  crédulité  dans  les  pro- 
phéties, les  augures,  dans  tout  ce  qu'il  pensait 
être  capable  de  lui  révéler  quelque  chose  de 
son  destin. 

Si  tout  ceci  explique  que  la  sorcellerie  ait 
résisté  à  la  guerre  que  l'Église  lui  avait  déclaré 
dès  le  début  du  christianisme,  cela  ne  suffît 
pas  à  justifier  sa  recrudescence  formidable  au 
Moyen  âge. 

19. 


334         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Les  Croisades  sont  ici  la  grande  coupable. 
Dans  ce  pêle-mêle  tumultueux  où  tant  de  races 
se  pénétraient  pour  la  première  fois,  un  échange 
de  mœurs  et  d'idées  devait  fatalement  se  pro- 
duire. Les  peuples  du  nord  apportaient  à  ceux 
du  sud  leurs  légendes  nébuleuses;  ceux  du  sud 
communiquaient  aux  peuples  du  nord  leur  goût 
pour  les  fables  et  la  mythologie  latine,  et  tous, 
au  contact  des  peuples  d'Orient  apprenaient  à 
connaître  d'autres  légendes  plus  étranges  en- 
core, venues  du  fond  de  la  Perse  ou  de  l'Inde, 
dont  le  mystère  et  la  fantastique  obscurité 
étaient  pour  eux  pleins  d'attrait. 

Comprend-on  à  quel  point  cet  amas  de  tra- 
ditions, de  récits  et  de  contes  amalgamés  avec 
des  superstitions  de  tout  genre,  des  bribes  de 
sciences  médicales  et  de  charlatanisme  toura- 
nien,  des  formules  inconnues,  déconcertantes, 
des  symboles  impénétrables,  devait  frapper  les 
imaginations  déjà  surexcitées  par  les  fatigues, 
la  souffrance,  les  combats? 

Enfin,  ne  l'oublions  pas,  si,  de  tout  temps, 
on  s'était  efforcé  de  se  concilier  les  bonnes 
grâces  des  esprits  mauvais,  et  de  les  apaiser 
au  moyen  de  sacrifices  ou  d'offrandes  ;  si  de 
tout  temps,  la  crédulité  publique  s'était  laissé 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  333 

influencer  par  la  peur  des  calamités  que  pou- 
vait répandre  sur  la  terre  la  colère  des  divi- 
nités sinistres,  davantage  que  par  l'attente  des 
bienfaits  qu'il  y  avait  à  espérer  des  dieux  favo- 
rables ;  si,  devins,  magiciens  et  enchanteurs 
semblaient  se  prévaloir  de  relations  plus 
directes  avec  ces  dieux  malfaisants,  il  n'en 
reste  pas  moins  vrai  que  l'antiquité  ne  s'adresse 
pas  spécialement  à  eux  pour  obtenir  des 
faveurs,  ni  pour  demander  des  oracles,  ni 
pour  solliciter  des  actes  miraculeux.  En  syn- 
thétisant l'esprit  du  mal  dans  le  démon,  en 
faisant  de  cet  ange  déchu  l'ennemi  personnel 
de  Dieu,  en  lui  accordant  le  génie  de  l'astuce, 
de  la  ruse,  une  habileté  infernale,  une  puis 
sance  sinon  divine  certes,  mais  formidable 
encore  et  dépassant  tout  ce  que  l'imagination 
humaine  peut  concevoir,  en  concrétant  sa 
figure  aux  yeux  des  foules,  l'Eglise  désignait 
elle-même  le  diable  comme  la  seule  force 
capable  d'entrer  en  lutte  avec  Dieu,  consé- 
quemment  comme  la  seule  à  laquelle  il  con- 
vînt d'avoir  recours  sitôt  que  l'on  voulait 
connaître  le  secret  ou  quelque  chose  du  secret 
qu'il  ne  plait  point  à  Dieu  de  révéler.  Et  je 
me  garde  de  prétendre  que  le  diable  tel  que  le 


336         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

conçoit  l'Eglise  catholique  n'est  point  vraiment 
le  diable,  ni  même  qu'il  soit  possible  de  le 
concevoir  autrement;  tout  ce  que  je  veux  faire 
saisir,  c'est  le  parti  que  les  sciences  occultes 
avaient  l'occasion  de  tirer  de  ce  personnage 
déchu  de  sa  divinité,  mais  non  de  sa  puissance 
et  qu'elles  en  tirèrent  en  effet. 

Le  diable,  a-t-on  dit,  c'est  toute  la  sorcel- 
lerie. Voici  qui  est  parfaitement  vrai,  à  condi- 
tion de  s'entendre.  L'intervention  du  diable 
dans  les  opérations  de  magie,  de  sorcellerie, 
d'envoûtement,  de  divination  est  excessivement 
rare,  si  tant  est  qu'elle  se  produise  jamais.  La 
grande,  la  profonde  erreur  du  Moyen  âge  et 
des  siècles  qui  ont  suivi,  a  été  précisément  de 
voir  des  diableries  là  où  la  folie,  l'hystérie,  les 
maladies  nerveuses,  des  phénomènes  naturels 
encore  ignorés  ou  de  simples  jongleries  et 
charlatanismes  étaient  en  jeu.  Les  sorciers 
et  sorcières  qui  furent  brûlés  par  la  main  du 
bourreau  n'étaient  sans  doute,  pour  la  plupart, 
que  des  malades  ou  des  imposteurs.  Une  jus- 
tice moins  hâtive  et  plus  éclairée  se  fût  con- 
tentée de  condamner  les  uns  pour  filouterie, 
et  de  mettre  les  autres  à  l'hôpital.  A  vrai  dire, 
beaucoup  d'entre  eux  étaient  de  tristes  indi- 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  337 

vidus,  dont  la  conscience  était  passablement 
chargée  et  qui  mêlaient  à  leurs  pratiques  habi- 
tuelles diverses  industries  tout  à  fait  propres 
à  leur  mériter  la  potence.  Mais,  en  revanche, 
les  gens  qui  s'adressaient  à  ces  sorciers,  magi- 
ciens et  devins  les  croyaient  en  bons  rapports 
avec  le  diable.  Ils  ne  leur  attribuaient  un  pou- 
voir extraordinaire  qu'en  raison  même  de  cette 
circonstance  et  le  diable  seul,  à  leurs  yeux, 
avait  une  puissance  assez  considérable  pour 
accorder  les  faveurs  (révélation  d'avenir,  sup- 
pression d'ennemis,  mort  d'un  rival  ou  encore 
la  richesse,  ou  encore  et  surtout  l'amour  d'un 
être  désiré  et  chéri),  faveurs  que  l'on  n'osait 
demander  à  Dieu,  soit  parce  que  l'on  avait  le 
sentiment  que  l'on  ne  pouvait  solliciter  de  lui 
des  choses  contraires  aux  lois  divines,  soit 
parce  que  l'on  éprouvait  de  la  timidité  à 
recourir  à  lui,  soit  enfin  parce  que  l'on  esti- 
mait le  diable  plus  fort  que  Dieu  lui-même  ou 
plus  compatissant  aux  désirs,  aux  haines,  aux 
passions  des  humains.  Voici  en  quoi  et  dans 
quelle  mesure  il  est  exact  de  dire  que  le  diable 
est  au  fond  de  toute  sorcellerie.  Il  n'y  est  point 
mais  on  l'y  cherche. 

"Vraie  pour  le  Moyen  âge,  cette  observation 


338         FILLES    ISOBLES    ET    MACxICIENNES 

l'est  aussi  pour  les  autres  périodes  de  l'his- 
toire. Au  fond,  les  belles  dames  qui  venaient 
chez  la  Voisin  comme  celles  qui,  bien  des 
années  plus  tard,  se  fiaient  aux  prophéties  de 
Cagliostro,  et  pas  seulement  les  femmes,  mais 
les  hommes,  et  parmi  ces  derniers,  les  moins 
croyants,  un  Richelieu,  un  Choiseul,  même 
s'ils  ne  l'avouent  pas,  dans  toutes  ces  sorcelle- 
ries, magies,  conjurations,  cherchent  le  diable, 
espèrent  en  son  intervention,  demeurent  con- 
vaincus de  sa  présence.  C'est  le  diable  qu'ils 
veulent  voir,  à  qui  ils  veulent  parler;  c'est  le 
diable  dont  ils  attendent  le  succès  de  leurs 
démarches  auprès  de  la  sorcière,  du  devin,  du 
nécromant. 

Superstition,  dira-t-on,  superstition  ridicule  I 
Il  se  peut.  Singulièrement  persistante,  en  tout 
cas.  Car,  si  par  une  sorte  de  fausse  honte  et 
d'étrange  scrupule,  les  générations  actuelles 
qui  se  flattent  volontiers  d'athéisme  ou  de 
libre-pensée,  mais  qui  davantage  encore  tien- 
nent à  se  parer  d'un  scepticisme  élégant,  rou- 
gissent d'avoir  affaire  au  diable,  comme  de 
simples  bigots  du  Moyen  âge,  refusent  de 
croire  à  son  intervention  dans  les  opérations  de 
magie,  de  sorcellerie  ou  de  spiritisme,  et  la  rem- 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  339 

placent  par  l'intervention  des  esprits,  elles  ne 
changent  rien  au  principe.  Ce  principe  reste  le 
même.  Qu'il  s'agisse  du  diable  ou  des  esprits, 
n'est-ce  pas  toujours  aux  forces  supra-terrestres 
qu'on  a  recours?  N'est-ce  pas  en  elles  qu'on 
espère?  En  quoi,  je  vous  prie,  la  superstition 
est-elle  moindre?... 

De  cette  digression,  un  peu  longue  peut-être, 
il  ressortira  que, jusqu'à  la  fin  du  xviii*  siècle, 
on  ne  concevait  guère  la  sorcellerie,  voire 
la  divination  sans  que  le  démon  s'y  mêlât*. 
Ceci  n'empêchait  point,  bien  au  contraire, 
la  foule  de  se  précipiter  dans  les  antres  des 
sorcières,  les  grands  seigneurs  d'avoir  leurs 
magiciens  attitrés,  les  rois  d'ajouter  foi  aux 
prédictions  des  astrologues.  La  confiance  dans 
les  prophéties  est  presque  incroyable.  Durant 
les  guerres  de  Flandre,  les  Flamands  avaient 
choisi  pour  porter  leur  bannière  une  devine- 
resse, fille  de  mauvaise  vie,  qui  leur  avait 
annoncé  que  la  victoire  serait  à  eux,  si  elle 
«  tirait  le  premier  sang  aux  Français  »  ;  le  mal- 


1.  Cf.,  à  ce  sujet,  Traite  sur  les  apparitions  des  esprits, 
par  le  R.  P.  Calmet,  abbé  de  Senons,  2.  vol.  1741,  elTrailé 
hist.  et  dogmatique  sur  les  apparitions,  par  Lenglet-Dufres- 
noy,  2  vol.;  1741. 


340         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

heur  ayant  voulu  qu'elle  soit  tuée  au  début  de 
l'action,  les  Flamands  aussitôt,  découragés,  de 
s'enfuir,  convaincus  que  désormais  ils  ne  peu- 
vent plus  vaincre  ^  Si  Philippe  le  Hardi  veut 
découvrir  l'assassin  du  roi  Louis  ou  du  moins 
ceux  qui  l'on  fait  mourir,  à  qui  s'adresse-t-il? 
A  une  béguine  de  Nivelles  qui  avait  la  réputa- 
tion d'être  prophétesse  et  magicienne,  et  il 
la  fait  interroger  par  des  abbés  et  des  évê- 
ques^. 

Comme  si  les  sorciers  de  France  ne  suffi- 
saient pas,  on  va  jusqu'en  Ecosse  en  consulter 
un  qui  jouit  d'une  grande  réputation  et  qu'on 
connaît  sous  le  nom  de  More  ^  Jamais  les 
magiciens  ne  prirent  une  pareille  importance. 
On  en  fait  venir  au  chevet  des  rois  malades. 
J'ai  conté  ailleurs*  ce  qu'il  advint  d'Arnaud 
Guillaume  et  de  deux  autres  sorciers  de 
Dijon  appelés  auprès  de  Charles  VI.  Mais  si 
l'on  a  recours  à  eux  dans  tant  de  circons- 
tances, ce  n'est  pas  sans  danger.  Rigoureuses, 

i.  Baron   de  Barante,  Histoire  des   ducs   de  Bourgogne, 
t.  1,  p.  254. 

2.  Dulaure,  Histoire  de  Paris. 

3.  Histoire  des  ducs  de  Bourgogne,  op.  cit.,  p.  325,  t.  II. 

4.  Les  Mœurs  et  la  Vie  privée  d'autrefois.  (Galmann-Lévy, 
édit.) 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  341 

en  effet,  sont  les  peines  édictées  contre  les  sor- 
ciers et  autres  magiciens  et  contre  ceux  qui 
utilisent  leurs  services.  Aussi  est-ce  une  accu- 
sation terrible  que  celle  de  sorcellerie.  La 
lancer  à  la  légère  contre  quelqu'un  équivaut  à 
commettre  un  crime,  car  c'est  vouer  un  mal- 
heureux à  peu  près  sûrement  au  bûcher.  On  ne 
se  prive  pourtant  pas  de  le  faire.  Le  rang  ne 
suffit  pas  toujours  à  vous  en  préserver.  Le 
comte  d'Etampes  faillit  payer  de  sa  tête  l'accu- 
sation d'avoir,  par  des  sortilèges,  fait  mourir 
Charles,  comte  de  Charolais.  Que  dis-je?  Les 
papes  eux  mêmes  sont  soupçonnés  :  Benoît  IX, 
Jean  XX,  Boniface  VII,  Grégoire  VII,  tant  est 
grande  la  réputation  des  sorciers,  la  crainte 
qu'ils  inspirent  et  la  manie  d'en  voir  partout*. 
S'il  faut  en  croire  divers  documents,  les  prêtres 
n'auraient  pas  été  des  derniers  à  consulter 
devins  et  sorcières.  Raymond  Dupuy,  sorcier 
établi  à  Sorrèze  vers  1260,  n'avait  pas  de 
meilleur  client  que  Raymond  du  Falze  de  Mire- 
mont,  évêque  de  Toulouse-. 

1.  La  sorcellerie  en  France,  op.  cit. 

2.  Monseigneur  Douais,  Documents  pour  servira  Fhisloire 
de  r Inquisition  dans  le  Languedoc.  Introduction,  1. 1,  p.  78, 


II 


Diverses  branches  de  la  sorcellerie.  —  L'art  de  prédire 
l'avenir.  — L'ornithomancie,  la  captotromancie,  etc., 
etc.  —  La  sorcellerie  en  Italie.  —  La  célèbre  Rodo- 
gine.  —  Catherine  de  Médicis  et  Ruggieri.  —  Com- 
ment l'Estoile  traitait  les  devins.  —  h'Esptit  de  Mar- 
guerite de  Valois.  —  Nos  rois  et  les  astrologues.  — 
Brantôme  satisfait.  —  Les  bohémiens.  —  Nombreux 
sorciers,  mages  et  devins,  en  province,  au  Moyen 
âge  et  au  xvi«  siècle.  —  La  sorcellerie  qu'on  pense 
avoir  détruit  renaît  à  chaque  instant  sous  des  formes 
nouvelles.  —  Les  almanachs.  — Nostradamus.  —  Un 
prophète  incendiaire. 


Le  moment  paraît  venu  d'indiquer  ici  briève- 
ment quelques-unes  des  branches  principales 
de  cet  arbre  colossa  u'  est  la  sorcellerie, 
branches   nombreuses,    souvent  d'apparences 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  343 

très  diverses,  mais  qui  toutes  appartiennent 
bien  au  même  tronc,  participent  à  la  même 
sève.  Nous  ne  nous  attarderons  pas  aux  alchi- 
mistes et  astrologues  qui  constituent  une  sorte 
d'aristocratie  dans  le  monde  des  sorciers.  Qui 
n'a  entendu  parler  des  rebouteux?  Il  en  existe 
aujourd'hui  encore  bon  nombre  dans  nos  cam- 
pagnes, mais  je  dois  dire  qu'ils  paraissent  avoir 
renoncé  à  toute  opération  de  magie.  Il  n'en 
allait  pas  de  même  autrefois.  Tous  ou  presque 
tous,  loin  de  se  contenter  de  pratiquer  des 
massages  et  de  guérir  les  animaux,  voire  quel- 
quefois les  hommes,  au  moyen  de  simples  et 
de  drogues  souvent  fort  répugnants,  se  flat- 
taient de  faire  connaître  le  diable  à  leurs  cré- 
dules clients  et  de  leur  attirer  ses  bonnes 
grâces  ou  sa  vengeance.  Les  jeteurs  de  sorts, 
d'ordinaire  aussi  rebouteux  de  leur  métier, 
étaient  à  tort  ou  a  raison  jugés  susceptibles  de 
faire  mourir  le  bétail  par  leurs  incantations,  de 
rendre  les  hommes  impuissants,  les  femmes 
stériles.  Il  ne  serait  pas  malaisé,  sans  chercher 
beaucoup,  de  découvrir  en  France,  à  l'heure 
actuelle,  des  villages  où  les  jeteurs  de  sort  sont 
redoutés  à  l'égal  de  ceux  de  jadis.*  Aussi  bien, 
1.  On  trouvera  de  curieux  détails  sur  les  magiciens  et 


344         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

leur  pouvoir  ne  s'arrêtait  pas  là.  Ils  savaient 
faire  retrouver  les  objets  perdus,  et  compo- 
saient des  philtres  d'amour  dont  on  usait 
sans  ménagement.  Venaient  ensuite,  si  nous 
laissons  de  côté  les  sorciers  proprement  dits 
(mais  ce  serait  là  une  classification  purement 
arbitraire,  car,  rebouteux,  jeteurs  de  sorts,  ou 
alchimistes,  comme  d'ailleurs  les  magiciens 
et  devins,  peuvent  être  catalogués  sous  la 
dénomination  générale  de  sorciers),  venaient 
ensuite,  disais-je,  les  devins  qu'on  pourrait 
aussi  diviser  en  plusieurs  catégories,  selon  les 
pratiques  auxquelles  ils  se  livraient. 

L'art  de  prédire  l'avenir  par  les  astres  paraît 
être  la  plus  ancienne  de  ces  pratiques.  Il  avait 
pris  naissance  en  Egypte  probablement,  car 
c'est  sur  les  données  religieuses  de  ce  pays 
que  les  prêtres  de  Ghaldée  essayèrent  de  déter- 
miner les  jours  fastes  et  les  jours  néfastes  et 
d'établir  une  règle  des  relations  possibles  entre 
l'évolution  des  astres  et  les  destinées  humaines*. 

rebouteux  de  la  .Corrèze,  dans  un  article  du  Tour  du 
Monde  (1883).  L'envoûtement  par  «  l'image  reflétée  »  ou 
par  «  le  eœurde  bœuf  »  sans  compter  la  «  consultation  de 
la  braise  »  fleurissent  dans  ces  régions  tout  comme  au 
Moyen  âge. 
1.  La  sorcellerie  en  France,  op.  cit. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  345 

L'Ornithomancie,  ou  science  des  augures,  si 
vénérée  à  Rome,  ne  fit  son  apparition  que 
plus  tard.  A  Rome  aussi,  mais  davantage 
encore  durant  le  Moyen  âge,  on  se  prit  à  lire 
l'avenir  en  fixant  un  objet  brillant,  miroir, 
boule  de  métal,  épée,  ongle,  acier,  ivoire.  Ces 
méthodes  de  consultation  et  de  divination, 
appelées  Captotromancie,  Gristallomancie,  Dac- 
tylomancie,  Onychomancie,  etc.,  étaient  comme 
de  juste,  compliquées  d'invocations  et  de  for- 
mules obscures.  Que  de  façons  de  dire  la  bonne 
aventure!  Pardon...  (Je  n'ignore  pas  combien  ce 
terme  vulgaire  est  tenu  en  piètre  estime  par 
les  personnes  qui  nous  font  l'honneur  de  nous 
révéler  notre  destinée!)  que  de  façons  donc  de 
lire  dans  le  secret  de  l'avenir!  Les  lignes  de 
la  main,  le  marc  de  café  (beaucoup  moins  dis- 
tingué!), la  cartomancie,  ne  sont  rien  auprès 
des  anciennes  sciences  qui  ont  nom  :  la  Géo- 
mancie, manière  de  connaître  l'avenir  au 
moyen  d'une  poignée  de  terre  ;  l'Alfridarie, 
espèce  d'Astrologie,  la  Xylomancie,  qui  permet 
de  savoir  son  destin  grâce  à  la  figure  des  bois 
rencontrés  en  chemin:  l'Arithmancie,  divina- 
tion par  les  nombres,  et  la  Pédomancie,  et 
l'Ingromancie  et  la  Phyllorhodomancie,  et  la 


346         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Pyromancie,  et  la  Lychnomancie.  Arrêtons- 
nous,  non  sans  avoir  signalé  pourtant  à  l'hono- 
rable M.  Bertillon,  grand  dénicheur  de  cou- 
pables, rOculomancie,  ou  art  «  de  découvrir 
un  larron  suivant  la  manière  dont  il  tourne  les 
yeux...  » 

Loin  de  diminuer,  la  fringale  démoniaque  ne 
fait  qu'augmenter  et  se  développer  au  xv'  et 
au  XV  i"  siècles.  Louis  XI  donnait  l'exemple  de 
la  superstition  la  plus  saugrenue.  Et  lui,  si 
fier,  s'inclinait  aisément  devant  les  magiciens, 
en  raison  des  forces  secrètes  dont  il  les  croyait 
dépositaires'.  La  foi  aux  sorciers  se  fait  plus 
ardente  et  plus  soumise  chez  les  riches  comme 
chez  les  pauvres.  Du  degré  de  cette  foi  dépend 
d'ailleurs  le  succès  des  opérations,  la  réussite 
du  sort...  «  Je  vous  guérirai  de  la  fièvre  quarte, 
dit  un  savetier  sorcier  à  un  malade,  en  vous 
touchant  simplement,  si  vous  avez  confiance.  » 
«  Fiez-vous  à  moi,  ordonnera  un  sorcier  de 
Mirebeau  à  Charles  des  Gars,  évêque  de 
Langres,  et  je  vous  enlèverai  votre  fièvre.  » 
Et  l'évêque,  ayant  cru,  fut  guéri  ^.  Ceci  est 
important,  si  l'on  considère  que  les  religions 

1.  Sorciers  et  Magiciens,  op.  cit. 

2.  Bodin,  Démonomanie, 


DISEUSES    DE    BON>E    AVENTURE  347 

exigent  également  la  foi  du  suppliant  qui 
souhaite  de  voir  s'accomplir,  un  miracle  en  sa 
faveur,  plus  important  encore,  si  Ton  veut  bien 
réfléchir  que  les  médecins  n'ignorent  pas  com- 
bien la  confiance  d'un  malade  en  leur  science 
et  leur  dévouement  influe  sur  son  rétablisse- 
ment. M.  de  Cauzons  n'a  donc  pas  tort  quand 
il  trouve  une  certaine  analogie  entre  le  prêtre, 
le  médecin  et  le  sorcier*. 

La  France  n'avait  pas  le  privilège  de  posséder 
des  devins,  pas  plus  que  les  Français  n'avaient 
le  privilège  de  croire  en  eux. 

De  tout  temps,  la  superstition  avait  été  pro- 
fonde en  Espagne  et  en  Italie.  Mais  la  stréga, 
sorcière  italienne,  est  un  peu  différente  de  ses 
émules  du  Nord.  Chez  elle,  point  de  rêverie 
hystérique.  Elle  exerce  un  métier  et  entend 
qu'il  soit  fructueux.  Son  champ  d'action  est 
vaste,  mais  les  intrigues  d'amour  fournissent 
le  plus  clair  de  sa  moisson.  C'est  une  agente 
de  plaisir,  dira  très  justement  M.  Burchardt*. 
De  telles  femmes,  âpres  au  gain,  ne  reculent 
devant  aucune  extrémité  et  l'empoisonnement 

1.  La  sorcellerie  en  France,  op.  cit. 

2.  Burchardt,  La    civilisation   en  Italie  au  temps  de  la 
Renaissance. 


348         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

est  leur  péché  mignon.  Les  clients  ne  les  con- 
sultent qu'avec  une  certaine  terreur.  Aussi 
cherche-t-on  à  leur  arracher  tout  ou  partie  de 
leurs  secrets  pour  opérer  soi-même.  Horace 
avait  déjà  décrit  les  artifices  empruntés  aux 
sciences  magiques  dont  les  courtisanes  de  son 
temps  se  servaient  pour  accroître  les  charmes 
de  leurs  personnes.  Cette  tradition  ne  se  perdit 
point,  si  l'on  en  juge  par  le  Ragîonamente  del 
Zappino,  qui  nous  apprend  que  les  femmes 
galantes  au  Moyen  âge  puisaient  leur  science 
lubrique  surtout  dans  la  fréquentation  des 
sorcières  juives  qui  possédaient  des  malie. 
Arétin,  qui  paraît  avoir  beaucoup  fréquenté  ces 
Juives,  nous  renseigne  très  exactement  sur 
leurs  pratiques  et  énumère  avec  complaisance 
les  hideux  objets  que  l'on  trouvait  réunis  dans 
leurs  armoires  :  cheveux,  crânes,  côtes,  dents, 
vêtements  volés  dans  les  tombeaux  et  jusqu'à 
des  yeux  de  morts. 

Auprès  de  ces  sorcières,  on  voit  Yincanta- 
tore,  le  magicien,  le  conjurateur.  La  chiro- 
mancie était  aussi  fort  en  vogue,  principalement 
parmi  les  soldats.  Vers  liM3,  une  chiroman- 
cienne, Rodogine,  de  Ferrare,  attirait  tous  les 
grands  de  Lombardie,  avides  d'obtenir  d'elle  la 


4 


DISEUSES    DE    BONNE   AVENTURE  349 

révélation  de  leur  avenir.  En  revanche,  les 
Italiens  s'accommodaient  mal  de  l'astrologie, 
dont  les  vagues  et  confuses  théories  n'étaient 
pas  pour  plaire  à  leur  esprit  clair,  épris  de 
netteté,  ce  qui  n'empêchait  pas  bon  nombre  de 
seigneurs  et  de  princes  de  s'entourer  d'astro- 
logues et  de  ne  prendre  aucune  décision  sans 
avoir  recueilli  leurs  conseils. 

Venant  en  France,  Catherine  de  Médicis  ne 
se  contentait  pas  d'apporter  avec  elle  toutes  les 
superstitions  de  son  pays;  elle  traînait  dans  ses 
bagages  quelques  magiciens  réputés,  dont  le 
plus  connu,  Come  Ruggieri,  qui  ne  mourut 
que  fort  âgé,  en  161o,  touchait  encore  à  cette 
époque  du  roi  Louis  XIII  une  pension  de 
3.000  livres. 

Démêlera-t-on  jamais  le  véritable  caractère 
de  Catherine,  femme  remarquable  à  bien  des 
égards,  singulièrement  douée,  dont  la  figure, 
si  elle  écarte  toute  sympathie,  reflète  néan- 
moins une  grandeur  tragique?  Curieux  mélange 
de  finesse  et  de  brutalité,  d'énergie  et  de 
lâcheté,  capable  de  dévouement  comme  des 
plus  basses  trahisons,  Catherine,  éminemment 
pratique,  est  pourtant  rêveuse.  Elle  est  ambi- 
tieuse, cruelle  et  chaste.  Elle  poursuit  son  but 

20 


350         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

par  des  moyens  dont  la  moralité  et  la  légiti- 
mité ne  lui  importent  en  aucune  façon.  Elle 
travaille  passionnément,  sans  relâche,  à  la 
gloire,  à  l'unité  d'un  pays  aux  mœurs  duquel 
elle  ne  se  pliera  jamais,  d'un  pays  dont  elle  ne 
sera  jamais,  ni  par  le  cœur,  ni  par  l'esprit,  ni 
par  les  idées,  car  cette  reine  de  France,  qui 
gouverne  trois  rois  et  sait  au  travers  des  évé- 
nements les  plus  difficiles,  les  plus  douloureux, 
les  plus  effroyables,  conserver  le  trône  à  ses 
fils,  restera  toujours  une  Italienne,  avec  tous 
les  défauts,  les  préjugés,  les  vices  de  sa  race. 
Nul  n'a  déchiré  le  voile  qui  masque  ce  visage 
énigmatique.  Nul,  sans  doute,  ne  réussira  à 
descendre  au  fond  de  cette  âme  tourmentée  et 
violente,  si  ferme  et  pourtant  si  encline  à 
toutes  les  croyances  les  plus  enfantines.  Et 
l'on  en  vient  à  se  demander  si  elle  était  vrai- 
ment confiante  dans  toutes  ces  manigances  de 
sorcellerie  et  d'astrologie  ou  si,  au  contraire, 
elle  ne  paraissait  s'y  complaire  que  pour  les 
faire  servir  à  ses  desseins  afin  d'en  mieux  dis- 
simuler la  trame. 

Que  Catherine  ait  cru  ou  non  à  l'efficacité 
des  diableries  de  son  astrologue  en  titre,  il 
n'importe.  On  est  en  droit  de  penser  que  si  elle 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  351 

ajoutait  quelque  foi  à  ses  prédictions,  c'était 
seulement  quand  elle  en  avait  elle-même  pré- 
paré soigneusement  la  réussite,  et  par  des 
moyens  qui  n'avaient  rien  à  voir  avec  la  magie. 
Tout  ce  qu'il  est  permis  de  conclure  de  ses 
rapports  avec  Ruggieri,  c'est  qu'elle  utilisa  ses 
services,  et  qu'en  diverses  circonstances,  il  sut, 
grâce  à  ses  procédés  équivoques,  faciliter  la 
tâche  qu'elle  s'était  donnée.  Malgré  qu'elle  se 
montrât  impitoyable  dans  la  poursuite  des  sor- 
ciers, elle  se  garda  bien  de  laisser  jamais 
toucher  à  son  magicien,  et,  quand  celui-ci  est 
régulièrement  condamné  aux  galères  pour 
avoir  fabriqué  des  figures  de  cire  dans  le  but 
de  conquérir  au  seigneur  de  la  Môle  le  cœur 
de  Marguerite  de  Valois,  ou  de  faire  mourir 
Charles  IX  (on  n'a  jamais  bien  su  au  juste), 
non  seulement  elle  le  soustrait  à  la  prison, 
mais  encore  elle  lui  accorde  l'abbaye  de  Saint- 
Mahé  en  Bretagne.  Ceci  est  plus  que  suffisant 
pour  démontrer  leur  complicité'. 

Ce  Ruggieri  était  un  gaillard  qui  avait  fait  sa 
spécialité  des  envoûtements.  Prédire  l'avenir, 
aider  à  trouver  des  trésors,  bagatelles  !  Amener 

1.  Histoire  de  Paris,  op.  cil. 


352         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

une  femme  dans  les  bras  de  l'homme  qui  la 
désire;  supprimer  un  mari  gênant;  bâter  une 
succession  qui  tarde  à  venir;  délivrer  celui-ci 
d'un  ennemi  redoutable,  celui-là  d'un  affidé  ou 
d'un  témoin  dont  la  discrétion  sera  d'autant 
mieux  assurée  qu'ils  seront  dans  l'autre  monde, 
voilà  de  la  besogne  fructueuse,  digne  d'un 
magicien  ! 

Ils  pullulent  ces  magiciens,  au  xvi*  siècle. 
L'Etoile,  en  parlant  de  l'un  d'eux  appelé 
Miraille  qui  fut  pendu  en  1387,  dit  :  «  Du 
temps  de  Charles  IX,  cette  vermine  était  par- 
venue à  une  telle  impunité  qu'il  y  en  avait 
jusqu'à  trente  mille  à  Paris,  comme  le  con- 
fessait leur  chef  en  1572*.  »  Je  suppose  que 
ce  chef  exagérait  un  peu.  Toutefois,  il  est  hors 
de  doute  que,  de  plus  en  plus,  on  prenait  goût 
en  France  aux  choses  de  magie  et  que,  de  plus 
en  plus,  on  avait  tendance  à  recourir  aux 
offices  des  sorciers  et  des  sorcières.  Cela  tour- 
nait  à  la  monomanie,  à  une  monomanie  dan- 
gereuse. Non  seulement  on  consultait  les  de- 
vins, mais  beaucoup  de  gens,  à  force  de  fré- 
quenter cette  «  vermine  »,  finissaient  par  se 

1.  Journal  de  l'Étoile. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  353 

croire  eux-mêmes  inspirés.  Marguerite  de 
Valois  se  vantait  d'être  en  communication  avec 
un  esprit  qui  lui  annonçait  d'avance  les  évé- 
nements fâcheux  qu'elle  avait  à  redouter. 
«  J'avouerai,  écrit-elle  dans  ses  Mémoires, 
n'avoir  jamais  été  proche  de  quelques  signalés 
accidents  ou  sinistres  ou  heureux,  que  je  n'en 
aie  eu  quelque  avertissement  ou  en  songe  ou 
autrement'.  » 

Les  rois  n'échappaient  pas  à  cette  mode. 
Henri  II,  qui  avait  été  fort  ému  par  la  prédiction 
de  Luca  Gaurico,  astrologue  et  mathématicien, 
évêque  de  Givita-Castellana,  cherchait  à  savoir 
d'autres  sorciers  si  cette  prédiction  était 
appuyée  sur  des  symptômes  caractéristiques, 
dans  les  astres  ou  ailleurs-.  Charles  IX,  vic- 
time, croit-on,  de  maléfices  et  qui,  en  tout  cas, 
avait  été  toute  sa  vie  en  butte  à  des  tentatives 
d'envoûtement,  ne  manqua  pas  de  consulter 
Nostradamus  lors  de  son  passage  en  Provence. 
Si  sceptique  qu'il  soit,  Brantôme,  lui  aussi,  se 
laisse  gagner  par  la  folie  de  l'époque.  Traver- 
sant Florence,  en  1557,  il  va  trouver  un  devin 

1.  Mémoires  de  Marguerite  de  Valois. 
2.*  Brantôme,  Le  grand  roi  Henri  II,  p.  281.  Cf.  aussi  de 
Thou,  livre  XXII. 

iO. 


334         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

qui  lui  prédit  «  qu'il  sera  chéri  du  roi  et  qu'il 
sera  heureux  sur  terre  et  sur  mer,  qu'il  aimait 
une  dame  de  la  cour  qui,  jeune  de  vingt  ans, 
eschaufferait  son  âme'.  »  Voici  enfin  un  devin 
comme  on  les  aime,  un  devin  réconfortant  ! 
Brantôme  le  quitta  tout  ragaillardi. 

Parmi  les  sorciers  de  tout  poil  qui  avaient 
la  faveur  du  public,  il  faut  mentionner  ici  les 
bohémiens.  Le  Midi  de  la  France  en  était  infesté 
depuis  longtemps,  et  ils  fréquentaient  la  foire 
de  Beaucaire  dès  l'an  1300.  Mais  ils  ne  firent 
leur  apparition  à  Paris  qu'en  1427^.  Leur  venue 
contribua  dans  une  large  mesure  à  étendre  et 
à  populariser  les  pratiques  de  la  magie  blanche. 
Tout  Paris  s'était  pressé  vers  le  village  de  La 
Ghapelle-Saint-Denis  où  on  les  avait  parqués. 
Tout  Paris  s'enthousiasma  pour  ces  vagabonds 
mystérieux,  à  physionomie  diabolique  qui  fai- 
saient toutes  sortes  de  tours  et  disaient  la 
bonne  aventure  avec  des  paroles  et  des  sen- 
tences inconnues  et  baroques.  Leur  succès  ne 
se  démentit  pas  au  xvi*^  siècle,  et  François  I*"" 
s'amusait  parfois  à  faire  venir  au  château  de 
Madrid  un  bohémien,  nommé  Gonin,  qui  était 

1.  Brantôme,  Poésies,  p.  414.  • 

2.  V.  Fournel,  Le  vieux  Paris. 


DISEUSES    DE    BOXXE    AVENTURE  dOO 

passé    maître    en    l'art   de    dévoiler    l'avenir. 

Si  Paris  compte  tant  de  magiciens  et  sorciers, 
plus  encore  de  magiciennes  et  sorcières  (nous 
verrons  pourquoi  tout  à  l'heure),  la  province 
n'en  manque  pas  non  plus.  Certaines  régions 
paraissent  avoir  été  particulièrement  leurs 
proies.  Dans  l'espace  de  quarante  ans,  le  seul 
comté  de  Montbéliard  remet  aux  mains  de  la 
justice  ecclésiastique  de  Besançon  plus  de  cin- 
quante sorciers.  C'est  Claude  Verrier,  en  1572; 
c'est  Marguerite  Jol,  femme  de  Perrin  Maury, 
en  1573  ;  ^Nicolas  Grévillot,  la  même  année. 
Ce  sont  encore,  la  veuve  Gardel  et  sa  fille; 
Valentine  Roudin;  Jean  Thiébaut;  la  femme 
Carlin,  condamnée  à  mort  en  1611  ;  Marguerite 
Godard,  la  femme  Paris,  et  encore  sept  ou  huit 
femmes  de  la  seigneurie  de  Ganges,  etc.,  etc^ 

La  plupart  de  ces  gens,  hommes  ou  femmes, 
accusés  de  sorcellerie,  sont  sévèrement  com- 
damnés,  car  les  lois,  on  l'a  dit  déjà,  restent  et 
resteront  longtemps  cruelles  en  ces  matières. 
Charlemagne  ordonnait  de  chasser  de  ses  Etals 
tous  les  magiciens,  augures  et  devins.  Au 
Moyen  âge,  on  les  emprisonnait,  on  les  tortu- 

1.  Archives  nationales,  K.  2030-2032. 


356         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

rait,  on  les  brûlait,  encore  que  plusieurs 
d'entre  eux  rencontrassent  des  protecteurs 
chez  les  plus  grands  seigneurs  et  jusqu'à  la 
Cour  K  En  vain,  Charles  VIII  renouvellera 
contre  eux  des  ordonnances  très  dures,  ordon- 
nances édictées  dans  les  formes  les  plus  im- 
pressionnantes, en  présence  du  lieutenant  cri- 
minel, Jean  de  la  Porte,  et  du  procureur  royal, 
Quatre-Livres.  En  vain,  brûle-t-on  à  grand  ren- 
fort de  fagots,  la  veuve  Basin,  en  1573;  l'an- 
née suivante,  Jeanne  d'Avesne,  puis  l'Italien 
Dominique  Murot  et  sa  belle-mère  Marguerite, 
ces  deux  derniers  en  vertu  d'une  sentence  du 
bailli  de  Mantes,  cette  «  vermine  »  de  sorciers, 
enchanteurs,  magiciens,  ne  diminue  pas.  Les 
exemples  ne  suffisent  point  à  restreindre  leurs 
exploits.  Véritable  protée,  la  sorcellerie,  qu'on 
a  pensé  détruire  sous  une  forme,  reparaît 
sous  une  autre,  se  cache,  se  dissimule,  mais 
persiste  !  «  Les  pronostiqueurs  ou  faiseurs  d'ho- 
roscopes connus  et  condamnés  sous  le  nom  gé- 
nérique de  mathématiciens,  prétendent  n'être 
point   visés  par   les  ordonnances  concernant 

1.  Louis  le  Débonnaire,  fort  amateur  de  «  merveilleux  », 
les  traita  avec  beaucoup  d'indulgence.  (D^  Perry,  Les  som- 
nambules extra-lucides.) 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  357 

les  sorciers  *.  »  Il  faut  prendre  Je  nouvelles 
mesures  à  leur  égard.  On  sait  que  le  crime  de 
sorcellerie  avait  été  réservé  à  la  juridiction 
ecclésiastique.  L'État,  peu  à  peu,  tendait  à  lui 
substituer  la  justice  civile  et  englobait  sous  la 
dénomination  de  sorciers  les  devins  et  astro- 
logues, malgré  la  protestation  de  ces  derniers. 
Après  l'affaire  de  la  Voisin,  Louis  XIV  publiera 
un  édit  condamnant  «  au  bannissement  toutes 
personnes  se  disant  devins  et  devineresses;  à 
mort  celles  assez  méchantes  pour  ajouter,  à 
la  superstition,  l'impiété  et  le  sacrilège,  sous 
prétexe  de  magie  ;  à  mort  également  celles  qui 
seraient  convaincues  d'avoir  usé  de  vénéfices  et 
de  poisons.  »  On  voit  que  l'adoucissement 
apporté  aux  lois  anciennes  était  plus  apparent 
que  réel. 

Le  «  sacrilège  »  et  1'  «  impiété  »  n'étaient 
en  somme  que  des  mots  nouveaux  rempla- 
çant ceux  de  «  diableries  »,  et  il  n'était  pas 
plus  difficile  aux  juges  de  convaincre  un  ac- 
cusé de  sacrilège  que  de  commerce  avec  le 
diable*. 

1.  Traité  de  la  police,  op.  cit. 

2.  Nous  observons  plus  loin  que  celle  ordonnance  élait 
par  certains  côlés  fort  habile. 


358         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Commerce  avec  le  diable!  Voilà  ce  qui  ne 
se  pardonne  point.  Voilà  ce  qui  attire  à  la  fois 
la  clientèle  et  les  mesures  répressives.  Bran- 
tôme prétend  qu'un  curé  dans  son  horreur  des 
sorciers  s'écriait  en  plein  sermon  :  «  que  sans 
se  donner  au  diable,  il  ne  fallait  qu'aller  chez 
les  apothicaires  et  en  acheter  de  bonnes  poi- 
sons, qu'il  nommait  par  nom,  et  puis  en  donner 
à  boire  et  à  manger;  en  un  rien,  on  faisait 
mourir  qui  on  voulait,  sans  se  donner  au 
diable  *  » . 

Non  contents  de  pourchasser  ainsi  les  devins, 
les  pouvoirs  publics  traquaient  encore  les  alma- 
nachs.  Nostradamus  avait  fait  école.  Sa  renom- 
mée avait  été  grande.  Catherine  de  Médicis, 
l'ayant  attiré  auprès  d'elle  et  lui  ayant  fait 
tirer  l'horoscope  des  jeunes  princes,  Paris 
s'était  engoué  de  lui.  Ses  Centuries,  qu'il  publia 
de  1550  à  1567,  obtinrent  un  succès  prodi- 
gieux dans  toutes  les  classes  de  la  société.  Ce 
fatras  de  prédictions,  formulées  dans  un  style  à 
dessein  obscur  et  sibyllin,  devait  plaire  au 
public  du  xvi^  siècle  qui  ne  jurait  que  par  les 
sorciers,  en  voyait  partout  et  les  recherchait 

1.  Brantôme,  t.  V,  p.  153. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  359 

avec  autant  d'avidité  qu'il  les  redoutait.  On 
connaît  la  courte  et  médiocre  carrière  du  fils 
de  Nostradamus.  Grisé  par  les  triomphes  de 
son  père,  ce  jeune  homme  s'avisa  de  continuer 
son  almanach.  Il  est  à  croire  qu'il  lui  manquait 
«  la  manière  »,  car  sa  publication  resta  sans 
lecteurs.  Piqué  au  jeu,  il  s'imagina  de  prédire 
que  la  ville  du  Pouzin  périrait  par  les  flammes, 
et,  afin  de  rendre  plus  sûr  le  succès  de  son 
oracle,  il  mit  lui-même  le  feu  à  plusieurs  mai- 
sons de  la  ville.  On  n'est  jamais  si  bien  servi 
que  par  soi-même,  n'est  ce  pas,  et  la  prophétie, 
cette  fois  du  moins,  avait  quelque  chance  de 
se  réaliser.  Par  malheur,  il  choisit  pour  accom- 
plir ce  bel  exploit  l'heure  où  les  troupes 
royales  entraient  dans  la  cité.  Il  fut  tué,  comme 
il  achevait  de  placer  des  fagots  devant  les 
portes. 

Toutefois,  la  mode  des  almanachs  survécut  *. 
Elle  n'est  pas  disparue  tout  à  fait.  Les  colporteurs 
vendent  encore  dans  les  campagnes  de  ces  pe- 
tites brochures  où  les  prédictions  concernant 

1.  L' Almanach  de  Liège,  de  Mathieu  Laensberg',  était  des 
plus  appréciés.  «  Il  se  vend  à  un  prix  fou.  On  croit  y  voir, 
clairement  prédites,  les  discussions  relatives  aux  protes- 
tants, etc.,  etc.  »  [Corresp.  secrète,  édit,  Lescure,  t.  II, 
p.  222.) 


360        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

la  température  se  mêlent  à  une  foule  d'autres 
aussi  dénuées  de  sens  que  d'intérêt,  mais  qui 
amusent  les  paysans  un  peu  arriérés.  Ces  alma- 
nachs,  infiniment  plus  répandus  autrefois, 
furent  l'objet  de  plusieurs  ordonnances  et  no- 
tamment d'une,  en  date  de  1628,  dans  laquelle 
il  est  dit  :  «  Ayant  considéré  que  ceux  qui  se 
permettent  de  faire  des  almanachs  de  prédiction, 
au  lieu  de  demeurer  dans  les  bornes  du  devoir, 
y  emploient  beaucoup  de  choses  inutiles  et  sans 
fondement  certain  qui  ne  peuvent  servir  qu'à 
embarrasser  les  esprits  faibles  qui  y  ont  quel- 
que croyance,  etc.,  etc.,  les  condamne  à  la  con- 
fiscation, aux  peines  corporelles  et  à  600  livres 
d'amende*.  »  C'était  sagement  parler. 

^  1.  Traité  de  la  police,  op.  cit. 


ni 


Impuissance  des  lois  à  réprimer  le  charlatanisme.  — 
Crédulité  générale.  —  Le  peuple  craint  le  diable.  — 
Henri  IV  et  Thomassin.  —  Le  devin  Inglis.  —  Nos- 
tradamus  et  M.  de  Villayer.  —  Le  pauvre  Malvat.  — 
Louis  XIV  et  la  diseuse  de  bonne  aventure.  —  M.  de 
Créquy  paie  les  pots  cassés  !  —  La  Voisin.  —  Fidé- 
lité de  ses  clients.  —  La  Voisin  et  le  duc  d'Orléans.  — 
Louis  XIV  et  l'affaire  des  poisons.  —  L'art  divina- 
toire qualiflé  de  «  vaine  profession  ».  La  chiro- 
mancie ;  la  cartomancie.  —  Le  tarot.  —  Marie  Am- 
bruguet.  —  Prédiction  de  la  victoire  de  Denain.  — 
Quelques  célèbres  diseuses  de  bonne  aventure  au 
xvni*  siècle.  —  Jacques  Aymard.  —  Pourquoi  les 
femmes  s'adonnent  plus  volontiers  que  les  hommes 
à  l'art  divinatoire. 


C'était  sagement  parler,  mais  aucune  de  ces 
ordonnances  n'aboutissait  à  un  résultat  pra- 

21 


362         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

tique.  Elles  ne  réduisaient  ni  le  nombre  des 
prophètes,  ni  celui  de  leurs  clients.  On  ne  mo- 
difie pas  un  état  d'esprit  à  coups  de  décrets  ou 
de  lois.  Il  n'y  a  pas  d'exemple  que  la  volonté 
d'un  homme  non  plus  que  les  sévérités  de  la 
justice  soient  jamais  parvenues  à  détruire  les 
croyances  ou  les  superstitions  d'un  peuple.  La 
persécution  même,  loin  de  faciliter  cette  tâche, 
la  condamne  à  un  échec  définitif. 

Or,  le  peuple  continue  à  croire  aux  sor- 
ciers; il  continue  à  soupçonner  la  présence  du 
démon  derrière  cette  façade  de  charlatanerie 
dont  l'appareil  mystérieux  le  trouble  délicieu- 
sement, et  son  influence  dans  les  joies  ou  les 
malheurs  qui  l'atteignent.  Ce  n'est  pas  qu'il 
aime  le  diable.  Ah,  que  non  pas!  Le  peuple  du 
XVII®  siècle  est  encore  trop  bon  chrétien  pour 
cela.  Il  a  trop  de  religion,  et  de  la  plus  sincère, 
et  de  la  plus  profonde.  Bien  sûr,  il  n'aime  point 
le  diable  !  Mais  il  le  craint.  Et,  les  personnes 
que  l'on  craint,  si  l'on  ne  peut  les  éviter,  le 
plus  sage  n'est-il  pas  de  les  amadouer,  d'apai- 
ser leur  méchanceté,  de  se  les  rendre  favora- 
bles, si  faire  se  peut.  Puis,  ce  diable,  trop 
malin  pour  qu'on  lui  échappe,  dès  l'instant 
qu'on  en  est  réduit  à  traiter  avec  lui,  pour- 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  363 

quoi  n'utiliserait-on  pas  sa  puissance?  Sait-on 
jamais?  Peut-être  n'est-il  pas  maladroit  de  s'a- 
dresser à  lui,  en  certains  cas...  Ainsi  raisonne 
le  peuple  dans  sa  naïveté  craintive. 

Pour  qu'il  raisonne  autrement  et  de  façon 
plus  logique,  il  conviendrait  que  le  bon  exemple 
lui  vînt  de  haut,  de  très  haut,  du  roi.  Mais  le 
roi,  si  ardent  qu'il  paraisse  à  poursuivre  les 
sorciers  et  devins,  se  sert  d'eux.  Henri  IV, 
comme  ses  prédécesseurs,  n'a-t-il  pas  fait  venir 
l'astrologue  Larivière  pour  tirer  l'horoscope  de 
son  fils?  Est-ce  qu'au  vu  et  su  de  tous,  il  ne 
consulte  pas  fréquemment  Thomassin,  qui  lui 
conseille  de  se  garder  du  mois  de  mai,  et  va 
jusqu'à  lui  désigner  «  l'heure  et  le  jour  aux- 
quels il  devait  être  assassiné  *  ».  Et,  sans  doute, 
dès  le  seizième  siècle,  l'astrologue,  ce  n'est 
plus  un  sorcier  vulgaire.  Il  prétend  appuyer 
ses  oracles  sur  des  données  scientifiques  —  ou 
presque!  Le  peuple,  est-il  besoin  de  le  dire', 
n'entend  goutte  à  tout  ceci.  Pour  lui,  ai-je  dit 
déjà,  le  nécromant,  le  devin,  l'astrologue,  c'est 
toujours  :  un  sorcier.  A-t-il  tout  à  fait  tort? 

Se  tournera-t-il  vers  les  grands  seigneurs, 

1.  L'Etoile,  Journal  du  règne  de  Henri  IV. 


364         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

vers  ceux  qu'il  sait  instruits,  qu'il  regarde 
comme  étant  d'une  essence  supérieure,  et  qu'il 
a  coutume  de  considérer  comme  «  des  gens  à 
qui  on  n'en  fait  pas  accroire  ».  Mais  ces  grands 
seigneurs  ont  gardé  toutes  les  superstitions  du 
Moyen  âge  et  du  xvi"  siècle.  Ils  courent 
chez  les  pythonisses,  notamment  chez  Marthe 
Brossier,  «  sorcière  très  experte,  dit  de  Thou, 
en  l'art  de  prédire  l'avenir  »,  mais  q^ai  ne  fit 
pas  fortune,  semble-t-il,  car  elle  mourut  à 
l'hôpital. 

Tallemant,  qui  fait  volontiers  l'esprit  fort, 
nous  parle  non  sans  une  sorte  d'admiration 
de  l'écossais  Inglis,  devin  de  grande  réputa- 
tion. M.  de  Sancy  l'avait  consulté  et  il  lui 
avait  annoncé  qu'il  ferait  le  voyage  de  Cons- 
tantinople.  M.  de  Sancy  fit,  en  effet,  le  voyage, 
ayant  été  nommé  ambassadeur  auprès  du 
Grand  Turc.  Tallemant  raille  bien  un  peu  ce 
pauvre  Inglis,  qui,  sollicitant  une  charge  de 
la  reine,  avait  prédit  que  celui  qui  l'occupait 
mourrait  dans  huit  jours,  «  ce  qui  se  trouva 
vrai  »,  mais  non  point  que  «  lui-même  mour- 
rait quatre  jours  devant  ».  Son  ironie  dissimule 
mal  un  étonnement  sympathique.  «  Nostra- 
damus,  rapporte-t-il,  avait  prédit  par-devant 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  365 

notaire  au  frère  de  Villayer  :  1°,  qu'il  serait 
marié  deux  fois  ;  2'  qu'il  aurait  une  fille  qui 
serait  mariée  à  un  tel  ;  3°  que  de  son  second 
mariage,  lui  viendraient  trois  fils,  dont  deux 
seraient  tués  à  la  guerre  et  le  troisième  à  un 
siège  fameux  (ce  fut  Gazai).  Il  dit  encore  que 
ses  filles  mourraient  devant  lui.  Toutes  ces 
prédictions  se  réalisèrent  de  point  en  point.  » 
Mais  le  plus  curieux  fut  que  Nostradamus  avait 
encore  prédit  à  Villayer  qu'il  ferait  couper  le 
cou  à  sa  première  femme.  Voilà  qui  n'est  pas 
banal.  «  Gela  est  arrivé,  avoue  Tallemant.  Il 
lui  fit  couper  le  cou  pour  adultère  et  pour 
empoisonnement.  En  Bretagne,  l'adultère  suf- 
fit, et  Villayer  est  de  ce  pays-là  *.  ))rs 'est-ce  pas 
troublant?  Maintenant,  le  sceptique  Tallemant 
peut  bien  sourire  en  contant  l'histoire  d'un 
garçon,  nommé  Malvat,  «  qui  ayant  appris  par 
son  horoscope  qu'il  mourrait  entre  six  et  sept 
heures,  le  7  août  1653,  de  peur  de  tomber 
malade  à  la  campagne,  quand  approcha  la  date 
fatale,  s'échauffa  en  s'enfuyant  vers  Paris, 
prit  une  bonne  pleurésie  dont  il  mourut  le 
7  d'août,  à  trois  heures  du  matin.  »   Oui,  il 

1.  Tallemant,  Mémoires,  t.  IV. 


366         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIEXXES 

peut  sourire.  Nous   le  sentons  tout  de  même 
impressionné  par  la  coïncidence  !  * 

On  reprochera  bien  des  choses  à  Louis  XIV  ; 
on  ne  lui  déniera  pas  le  bon  sens.  11  en  avait 
beaucoup  et  du  plus  ferme.  Cependant,  il  lui 
arriva  de  céder  à  la  manie  du  moment  et  de 
consulter  une  chiromancienne.  Comme  de 
juste,  et  selon  l'usage  lors  de  sa  naissance,  on 

1.  Une  note  obligeamment  communiquée  par  M.  du  Besset 
tendrait  à  faire  supposer  que  la  manie  des  horoscopes  ëtait 
assez  générale  en  France  à  une  certaine  époque.  Il  s'agit 
d'un  «livre  déraison  »  de  la  famille  Véron  de  la  Borie.  Ces 
Véron  de  la  Borie  appartenaient  à  la  bourgi.>oise  du  Velay. 
De  père  en  fils  on  inscrivait  sur  le  «  livre  de  raison  »,  en 
marge  de  la  mention  de  naissance  des  enfants,  leur  horos- 
cope. Jean  Véron,  signalant  la  naissance  de  son  premier  en- 
fant le  13  septembre  1598,  écrit  :  «Né  sous  la  planète  du  soleil 
et  au  signe  Virgo,  commandera  volontiers  à  la  femme, 
sera  grand,  ménager  et  ingénieux  solliciteur,  à  l'instance 
de  quoi  il  besognera.  Il  sera  heureux  et  de  grand  courage... 
Il  surmontera  ses  ennemis.  A  grand'peine  fera-t-il  avec  sa 
première  femme  et  sera  formé  h  trente  ans.  Il  ne  saura 
point  ce  qu'il  aime  et  sera  en  péril  d'eau;  il  aura  une 
plaie  par  feu  et  vivra  70  ans,  selon  le  cours  do  la  nature.  » 
Un  autre  écrit  :  «  Balthasard,  mon  premier  fils  (9  mars  1G30), 
entre  jour  et  nuit  à  la  planète  de  Saturne...  cheminera 
beaucoup,  sera  fornicaleur,  moqueur,  codvoiteur,  etc..  » 
D'un  autre  enfant,  il  est  dit  qu'  «  il  gouvernera  bêtes  à 
quatre  pieds,  sera  riche  par  femme  et  conducteur  de  pucel- 
les...  » 

Il  serait  intéressant  de  savoir  si  ces  horoscopes  étaient 
tirés  par  les  pères  ou  si,  au  contraire,  on  faisait  appel  aux 
lumières  de  quelque  astrologue  ou  sorcières  du  pays. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  367 

avait  fait  établir  son  horoscope.  L'astronome 
Morin  avait  été  chargé  de  ce  soin.  Cet  horos- 
cope ne  satisfaisait-il  pas  le  roi?  «  Toujours 
curieux  de  l'avenir,  nous  dit  Dangeau,  se  trou- 
vant à  Saint-Germain,  il  demanda  qu'on  fit 
venir  une  femme  qui  disait  des  merveilles. 
On  la  reçoit  dans  les  combles  du  château 
et  le  roi,  sans  ordre  et  avec  un  habit  fort 
simple,  y  monte.  La  femme  examine  sa  main, 
puis,  après  avoir  longtemps  pensé,  lui  dit 
qu'elle  ne  sait  qui  il  est,  mais  qu'elle  voit  bien 
qu'il  est  au-dessus  de  ce  qu'il  paraît;  qu'il 
est  marié,  mais  pourtant  un  maître  galant  et 
qui  a  eu  bien  des  bonnes  fortunes  ;  qu'il 
deviendra  veuf  et  tout  de  suite  se  prendra 
d'une  veuve  déjà  surannée,  de  la  plus  basse 
condition  et  le  reste  de  tout  le  monde  ;  que  sa 
conduite  ne  lui  sera  pas  inconnue,  mais  qu'elle 
ne  l'arrêtera  pas;  qu'il  l'épousera  et  qu'elle  le 
gouvernera  et  mènera  toute  sa  vie  par  le  bout 
du  nez,  et  qu'enfin,  ressentant  la  sottise  qu'il 
a  faite,  il  prendra  cette  femme  en  aversion  et 
mourra  de  douleur  et  de  honte.  » 

Après  cette  belle  prédiction,  dont  la  fin  est 
entièrement  fausse,  note  prudemment  Dan- 
geau, le  roi  redescendit  chez  lui  et  rit  beau- 


368         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

coup  de  tout  cela  avec  M.  de  Gréquy  qui  avait 
assisté  à  la  séance.  Mais  «  dès  que  Louis  XIV 
se  fut  attaché  à  madame  de  Maintenon,  il  prit 
Créquy  en  aversion  et  Téloigna  *  ». 

Voici  l'heure  venue  de  l'apothéose  pour  la 
sorcellerie.  A  aucune  époque,  pas  plus  au 
Moyen  âge  qu'au  xvi®  siècle,  elle  n'aura 
atteint  à  de  tels  triomphes,  occupé  à  tel  point 
les  esprits,  surexcité  à  un  degré  pareil  les  ima- 
ginations, causé  des  troubles  si  profonds  et  de 
si  étonnantes  catastrophes.  C'est  qu'à  nulle 
époque,  sorcière  ne  fut  plus  adroite,  plus  intel- 
ligente, ne  connut  mieux  le  cœur  humain,  ne 
sut  mieux  découvrir  les  passions,  les  faire 
naître,  les  exploiter;  c'est  qu'en  vérité,  jamais 
peut-être  sorcière  ne  fit  preuve  d'une  aussi 
monstrueuse  hardiesse  que  Catherine  Des- 
hayes,  femme  d'Antoine  Montvoisin.  La  Voi- 
sin! Son  histoire  est  trop  connue  pour  que  je 
m'attarde  à  la  refaire  ici.  Que  resterait-il  à 
glaner  après  que  1'  «  affaire  des  poisons  » 
nous  a  été  si  magistralement  exposée  dans 
ses  moindres  détails  par  M.  Funck-Brentano  ? 
Mais   quelle  femme  que  celle  qui  sait  attirer 

1.  Dangeau,  Journal,  février  1C87.  L'entrevue  avait  eu 
lieu  en  1663  ou  16G4,  rapporte  l'auteur. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  369 

dans  sa  maison  une  clientèle  allant  du  plus 
humble  croquant  au  duc  et  pair,  aux  princes  du 
sang!  Que  de  cordes  n'a-t-elle  pas,  il  est  vrai, 
à  son  arc  ?  Sans  doute,  ce  qui  fera  sa  réputa- 
tion, ce  qui  lui  donnera  une  lugubre  renom- 
mée, ce  sont  ses  crimes,  ceux  du  moins  qu'elle 
facilite  par  des  moyens  à  elle.  Pour  la  posté- 
rité, la  Voisin  reste  et  restera  une  empoison- 
neuse. Peut-être  fut-elle  beaucoup  moins  une 
inspiratrice  de  crimes  qu'une  simple  manœuvre 
qui  d'abord  céda  à  la  tentation  du  gain,  à  la 
peur  aussi,  qui  sait?  puis,  entraînée  peu  à  peu 
par  sa  réputation,  prisonnière  de  ses  propres 
agissements,  finit  par  ne  plus  pouvoir  sortir 
des  filets  qu'elle  avait  elle-même  tendus.  Em- 
poisonneuse !  Telle  est  l'épithète  infamante  et 
d'ailleurs  méritée  qui  s'attachera  éternellement 
à  son  nom.  Ses  contemporains  ne  la  connurent 
pas  sous  cette  unique  dénomination.  Son  vrai 
métier,  celui  qu'elle  exerçait  ouvertement  et 
qui  la  faisait  rechercher  avec  passion  par  tous 
les  gens  crédules,  autant  dire  par  tout  le 
monde,  c'était  de  prédire  l'avenir.  Elle  est 
devineresse,  et  n'aurait  peut-être  pas  mieux 
demandé  de  n'être  jamais  autre  chose.  Elle 
fait  aussi  voir  le  diable,  pour  de  l'argent.  Le 

21. 


370         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

commerce  était  fructueux;  il  nourrissait  son 
homme.  Il  l'eût  nourrie.  Car,  en  dehors  des 
personnes  qui  vont  chez  elle  dans  un  but 
notoirement  coupable,  pour  y  chercher  de  la 
poudre  de  succession,  que  d'autres  ont  recours 
à  elle  dans  des  circonstances  plus  anodines. 
On  parle  d'ordinaire  seulement  de  ses  clients 
et  clientes  compromis  lors  de  son  procès,  de 
madame  de  Soissons,  de  la  duchesse  de 
Bouillon,  qui  alla,  dit  madame  de  Sévigné, 
«  demander  à  la  Voisin  un  peu  de  poison  pour 
faire  mourir  un  vieux  mari  qu'elle  avait  qui  la 
faisait  mourir  d'ennui^  »,  de  la  princesse  de 
Tingry,  qui  mourut  en  1706,  «  fort  délaissée  », 
de  ce  Feuquières  accusé  de  maléfices  et  qui 
mourut  aussi,  raconte  Saint-Simon,  «  aban- 
donné, obscur,  et  pauvre  »,  de  madame  du 
Roure,  plus  ou  moins  convaincue  d'avoir  voulu 
empoisonner  La  Vallière,  de  madame  de  Poli- 
gnac,  et  du  pauvre  maréchal  de  Luxembourg, 
qui,  je  crois  bien,  n'avait  voulu  faire  mourir 
personne,  mais  qui,  bien  qu'échaudé,  sitôt 
l'orage  passé,  incapable  de  résister  à  sa  ma- 
rotte, se  remit  à  courir  les  sorcières. 

1.   Lettres  de  madame  de  Sévigné,  24  et  30  janvier  1680. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  371 

Or,  la  Voisin  avait  d'autres  clients.  Le  che- 
valier de  Lorraine,  le  comte  d'Effiat,  le  comte 
de  Beuvron  comptaient  parmi  ses  plus  fidèles. 
Fouquet,  jusqu'à  l'heure  de  la  disgrâce,  lui  fait 
une  forte  pension,  A  peine  nommé  cardinal, 
l'abbé  d'Auvergne  va  chez  la  sorcière  à  la 
mode,  déguisé  en  savoyard,  afin  de  tirer  d'elle 
quelques  révélations  au  sujet  d'un  trésor  que 
M.  de  Turenne  aurait  caché.  Et  cet  homme 
qui  se  glisse  à  la  nuit  close,  par  la  petite  porte 
ouvrant  sur  le  jardin,  qui  donc  est-ce?  Le  duc 
d'Orléans  lui-même.  Il  désire  savoir  ce  qu'a 
pu  advenir  un  enfant  mâle  dont  sa  première 
femme,  Henriette,  était  grosse  en  1668  et  dont 
il  affirme  ne  pas  être  le  père.  La  Voisin 
retrouve  l'enfant  que  protège  le  roi  d'Angle- 
terre, affirme-t-elle.  Mais  le  duc,  furieux, 
dit  qu'il  connaît  le  père  et  que  c'est  le  roi 
Louis  XIV.  La  Voisin  se  garde  de  le  contre- 
dire. Le  duc  lui  fait  donner  250  louis.  Avec 
dédain,  elle  les  laisse  aux  valets  chargés  de  les 
lui  remettre.  Loin  de  se  fâcher,  le  duc  lui 
expédie  sur  l'heure  4.000  pistoles,  un  diamant 
qui  en  valait  le  double  et  deux  rangs  de  perles 
qfu'elle  revendit  12.000  livres  ^  On  voit  que  le 

1.  Peuchetjlfémoires  tirés  des  archives  de  la  police  de  Paris. 


372         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

métier  avait  du  bon  !  D'ailleurs,  le  duc  d'Or- 
léans ne  s'en  tint  pas  là.  Peu  de  mois  après,  il 
appela  la  Voisin  à  Meudon.  Cette  fois,  il  vou- 
lait qu'elle  lui  montrât  le  diable.  Je  ne  sais  si 
elle  y  réussit,  mais  il  est  sûr  qu'il  paya  comme 
s'il  l'avait  vu...  Quand  M.  de  Lauzun,  inquiet 
au  sujet  des  suites  de  son  mariage  avec  Made- 
moiselle, veut  savoir  si  le  roi  le  reconnaîtrait, 
à  qui  s'adresse-t-il ?  A  la  Voisin.  On  ignore  si 
elle  lui  promit  l'acceptation  du  roi,  mais  elle 
lui  annonça  qu'il  aurait  le  cordon  bleu.  Si 
M.  de  Lauzun  versa  la  forte  somme  pour  cette 
consultation,  il  fut  volé,  car  il  n'eut  jamais 
le  cordon.  Mais  la  reine...  Eh!  bien,  oui  la 
reine  interroge  la  Voisin,  au  moins  une  fois  , 
et  la  Voisin  lui  tire  les  cartes,  et  par-dessus 
le  marché,  lui  offre  un  philtre  qui  rendra  le 
roi  uniquement  amoureux  d'elle.  A  quoi,  la 
reine  répond  «  qu'elle  préfère  pleurer  sur 
l'abandon  de  son  mari  que  de  lui  faire  avaler 
un  breuvage  qui  pourrait  lui  être  nuisible  »  . 
Si  toutes  les  femmes  qui  consultaient  la  Voisin 
avaient  montré  une  pareille  discrétion,  mes- 
dames de  Sévigné,  de  Chaulnes,  de  Fiesques 
et  autres  dames  de  la  cour  n'eussent  pas  eu 
roccasion  de   voir   passer,    des    fenêtres    de 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTLTRE  373 

l'hôtel  de  Sully,  le  cortège  qui,  le  22  fé- 
vrier 1680,  conduisait  la  sorcière  en  place  de 
Grève. 

A  distance,  nous  nous  rendons  compte  de 
l'effroyable  scandale  que  causa  l'affaire  de 
la  Voisin,  cette  lugubre  tragédie  éclatant 
comme  un  coup  de  tonnerre  au  milieu  des 
fêtes  de  la  Cour,  dans  une  société  hiérar- 
chisée, policée,  élégante,  que  le  roi  croyait, 
de  bonne  foi,  la  plus  honnête  sinon  la  plus 
vertueuse  qui  fût  au  monde.  Apparat,  richesse, 
majesté,  dignité  hautaine,  et  cette  grandeur  et 
cette  noblesse,  tout  cela  n'était  donc  qu'un 
masque  derrière  lequel  les  passions  les  plus 
basses,  les  plus  viles  s'agitaient,  vibraient  avec 
une  impétuosité,  une  fougue,  un  cynisme 
sauvages  !  Tant  de  délicatesses,  de  grâces 
apparentes,  n'étaient  donc  que  l'armure  dorée 
d'àmes  féroces  et  de  cœurs  pourris!  On  revit 
avec  le  roi  ces  journées  atroces  durant  les- 
quelles, peu  à  peu,  pièces  par  pièces,  il  appre- 
nait la  vérité.  On  devine  l'angoisse  qui  l'étrei- 
gnait,  la  peur  qui  lui  montait  à  la  gorge,  oui, 
la  peur.  Où  s'arrêterait  la  liste  des  personnes 
compromises?  Les  marches  du  trône  écla- 
boussées, le  trône    lui-même  allait-il  l'être  ? 


374         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Et  ne  l'était-il  pas  un  peu?  La  Montespan  ne 
sortait  pas  indemne  des  terribles  révélations. 
Oii  qu'il  tournât  ses  regards,  Louis  XIV, 
jusque  dans  ses  appartements  privés,  pouvait 
voir  des  coupables  et,  sur  son  passage,  des 
êtres  aimés  évitaient  son  regard  attristé  de  jus- 
ticier. Peu  ou  prou,  par  des  parents  directs,  des 
alliés,  des  amis,  une  grande  partie  de  la  no- 
blesse, et  la  bourgeoisie  et  jusqu'aux  écrivains 
qui  donnaient  tant  de  lustre  au  siècle  se  sen- 
taient atteints.  Le  doux  Racine  n'échappait  pas 
aux  soupçons.  On  ne  peut  que  s'incliner  devant 
la  force  d'àme  dont  Louis  XIV  fit  preuve  alors, 
admirer  combien,  dans  cette  catastrophe,  il  sut 
demeurer  calme,  fier  et  droit .  Lui  reprochera- 
t-on  d'avoir  laissé  échapper  quelques  coupables 
qui  tenaient  à  son  sang?  Il  s'en  accusa  le  pre- 
mier. Cette  faiblesse  pesait  à  sa  conscience. 
«  Madame,  dit-il  à  madame  de  Carignan,  j'ai 
bien  voulu  que  madame  la  comtesse  de  Sois- 
sons  soit  sauvée.  Peut-être  en  rendrai-je  un 
jour  compte  à  Dieu  et  à  mes  peuples  ^  » 

Ces  poudres,  ces  pommades,  dont  la  Voisin 
tenait  boutique  et  que  ses  complices,  la  Vigou- 

1.  Lettres  de  madame  de  Sévigné,  24  janvier  1680. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  375 

reux,  Guibourg,  Adam  Cœuvrel,  dit  Lesage, 
et  autres,  l'aidaient  à  préparer  ou  à  vendre, 
elle  en  avait  le  secret  de  Sainte-Croix  et  de 
la  Brinvilliers,  qui,  elle,  bornait  ses  talents  à 
empoisonner  les  gens  sans  trop  se  donner  la 
peine  d'agrémenter  ses  opérations  de  pratiques 
cabalistiques  et  sans  appeler  Satan  à  son  aide. 
Nous  n'avons  donc  pas  à  nous  occuper  d'elle. 

Le  supplice  de  la  Voisin  et  de  ses  partenaires 
ne  laissa  pas  de  porter  un  coup  sérieux  à  la 
sorcellerie,  en  France  du  moins.  Poursuivis 
avec  une  rigueur  nouvelle  et  zélée,  les  gens 
qui  faisaient  métier  de  prédire  l'avenir  et,  de 
près  ou  de  loin,  donnaient  dans  les  «  diable- 
ries y>  se  terrent,  s'efforcent  d'échapper  à  la 
justice.  Ce  serait  s'illusionner  cependant  de 
croire  que  des  exemples,  si  implacables  et  si 
répétés  qu'ils  soient,  puissent  avoir  raison  de 
la  superstition  ou  décourager  ceux  qui  se  don- 
nent mission  de  l'exploiter. 

La  sorcellerie  n'abdique  pas.  Elle  se  trans- 
forme seulement.  La  possession  devient  moins 
fréquente  ;  on  n'ose  plus  trop  parler  du  diable, 
offrir  de  vous  mener  au  sabbat.  Toute  cette 
charlatanerie  se  localise  pour  un  temps  dans 
la  cartomancie  et  la  chiromancie. 


376         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Mieux  que  le  supplice  de  la  Voisin,  l'habile 
ordonnance  de  juillet  1682  a  fait  fléchir  le 
crédit  des  sorciers.  Cette  ordonnance  qualifie 
l'art  divinatoire  de  «  vaine  profession  »  et  ceux 
qui  l'exercent  n'y  sont  plus  traités  que  de  «  cor- 
rupteurs de  l'esprit  public,  d'imposteurs  et  de 
sacrilèges  ».  Les  sorciers  et  devins  sont  con- 
damnés comme  «  trompeurs,  profanateurs  ou 
comme  de  vulgaires  criminels  ».  On  ne  leur 
fait  plus  l'honneur  de  les  traiter  en  person- 
nages mystérieux  ayant  commerce  avec  le 
diable  ^  Dès  l'instant  où  les  tribunaux  refusent 
de  croire  à  la  puissance  supra-terrestre,  des 
devins,  ceux-ci  perdent  beaucoup  de  leur  in- 
fluence. 

Toutefois,  faut-il  le  répéter,  ce  mouvement 
de  recul  que  l'on  observe  dans  la  crédulité 
populaire,  comme  ce  discrédit  jeté  sur  les  sor- 
ciers ne  seront  que  momentanés  et  de  surface. 
La  chiromancie,  la  cartomancie,  si  florissantes 
depuis  le  milieu  du  xvii"  siècle  sont  là  pour 
prouver  que  l'état  d'esprit  général  ne  s'est  pas 
profondément  modifié. 

1.  Traité  de  police,  op.   cit.  —  L'affaire  des  «  Bergers  » 
de  la  Brie  fut  la  première  affaire  jugée  dans  ces  conditions 
ouvelles. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTLRE  377 

J'ai  dit  un  mot  de  la  chiromancie  ou  art  de 
lire  le  passé  et  l'avenir  dans  les  lignes  de  la 
main,  art  pratiqué  dès  la  plus  haute  antiquité 
et  qui  se  rattache  par  certains  côtés  à  l'astro- 
logie. Mes  lecteurs  et  surtout  mes  lectrices 
sont,  j'en  suis  sûr,  admirablement  documentés 
sur  cette  pseudo-science  qui  compte  actuelle- 
ment d'innombrables  prêtresses.  La  carto- 
mancie n'est  ni  moins  connue,  ni  moins  appré- 
ciée de  nos  jours.  C'est  aussi  un  art  très  ancien 
et  qui  a  ses  lettres  de  noblesse.  Il  a  pris  nais- 
sance dans  la  mystérieuse  Egypte.  La  légende 
prétend  que  Thot  ou  Thaut,  l'Hermès  tris- 
mégiste,  le  Mercure  des  Egyptiens,  institua  les 
hiéroglyphes.  Ce  serait  un  manuscrit  de  Thot 
qui  formerait  les  78  tarots,  ce  livre  du  destin 
nommé  A.  Rosh,  de  la  lettre  Af  doctrine, 
science  et  rosh,  Mercure,  qui,  joints  à  l'article  T, 
signifient  :  tableau  de  la  doctrine  de  Mercure. 
Mais  comme  rosh  veut  dire  aussi  commence- 
ment, ce  traité  Ta-rosh  fut  particulièrement 
consacré  à  la  cosmogonie*.  Quoi  qu'il  en  soit 
de  ces  origines  obscures,  le  tarot  égyptien 
avec  hiéroglyphes  n'est  pas  arrivé  intact  jus- 

1.  A.  Boiirgade,  Noutel  art  de  tirer  les  cartes. 


378         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

qu'à  nous.  Il  a  été  dénaturé,  non  dans  son 
sens,  mais  dans  son  image.  Les  coupes,  ni  les 
épées  des  tarots  les  plus  anciens  ne  reprodui- 
sent fidèlement  les  figures  primitives.  C'est 
toujours  cependant  le  tarot  de  Thot.  Venu 
d'Egypte  aux  Indes  (à  moins  que  ce  ne  soit  le 
contraire  !)  passé  en  Chine,  il  fut  introduit  en 
Europe  par  les  bohémiens,  lors  de  leur  pre- 
mière apparition,  vers  la  fin  du  xiii"  siècle. 
Il  faut  croire  que,  au  cours  de  cette  ran- 
donnée, quelques  tarots  s'égarèrent,  car  ces 
cartes  mystérieuses  et  symboliques  ne  nous 
sont  pas  toutes  parvenues,  paraît-il.  Nous  en 
consolerons-nous  jamais?  De  soixante-dix-huit, 
nous  n'en  possédons  que  cinquante-deux. 
Hélas!  Les  Italiens,  au  xiv"  siècle,  mirent  à 
la  mode  de  nouveaux  tarots,  conformes, 
assure-t-on,  à  ceux  d'Egypte,  où  les  Arcanes 
(secrets)  majeurs  étaient  toujours  le  Bateleur, 
le  Despote  africain,  le  Pendu,  la  Roue  de  la 
fortune,  la  Justice,  etc.  etc. 

D'innombrables  modifications  et  simplifica- 
tions ont  été  successivement  apportées  aux 
tarots.  On  pense  bien,  en  effet,  que  les  pauvres 
petites  diseuses  de  bonne  aventure  qui  courent 
encore  nos  champs  de  foire  seraient  fort  embar- 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  379 

rassées  d'utiliser  les  jeux  égyptiens  qui,  par 
surcroît,  coûtent  cher.  Mais,  bien  qu'il  y  ait 
des  accommodements,  même  avec  les  tarots, 
tenez  pour  certain  que  si  l'on  ne  vous  tire  pas 
les  cartes  au  moyen  de  ce  jeu  compliqué,  sym- 
bolique et  inintelligible  aux  esprits  non  initiés, 
vous  êtes  dupes.  On  ne  vous  en  donne  pas 
pour  votre  argent... 

Marie  Ambruguet,  certes,  n'eût  jamais  con- 
senti à  se  servir  de  cartes  ordinaires  pour 
prédire  l'avenir.  Elle  jouissait  d'une  telle  répu- 
tation aux  alentours  de  1708  que  le  roi,  qui 
avait  un  peu  oublié  la  Voisin  et  la  Brinvilliers, 
se  décida  à  la  mander  à  Versailles.  Elle  lui 
annonça  la  victoire  de  Denain  —  simplement! 
—  Aussi,  quand  cette  victoire  arriva,  qui  sau- 
vait la  France,  Louis  XIV  s'empressa-t-il 
d'accorder  à  Marie  Ambruguet  une  gratifica- 
tion de  6.000  livres.  En  même  temps  qu'on 
lui  remettait  cette  somme  de  la  part  du  roi,  on 
lui  recommandait  expressément  de  se  taire, 
car  on  se  souciait  probablement  peu  de  lui 
faire  ce  qu'on  appellerait  aujourd'hui  de  la 
«  réclame  ».  La  dame,  toute  tière  de  son 
succès,  n'eut  garde  de  celer  une  si  belle  pré- 
diction. Elle  la  fit  valoir,  au  contraire,  en  sorte 


380         FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

que  sa  maison  déjà  bien  achalandée  ne  désem- 
plit plus.  Chacun  voulait  tirer  d'elle  quelque 
assurance  touchant  son  avenir  et,  comme  elle 
faisait  payer  grassement  ses  consultations  et 
ses  horoscopes,  elle  ne  tarda  pas  à  pouvoir 
s'acheter  une  propriété  importante  appelée  le 
Minil,  près  de  Saint-Germain-en-Laye. 

Cette  Ambruguet  doit  être  comptée  au 
nombre  des  aristocrates  de  la  cartomancie. 
Toutes  les  diseuses  de  bonne  aventure  ne  pou- 
vaient prétendre  à  ce  titre;  toutes  n'étaient 
pas  en  droit  d'exiger  de  leur  clientèle  des 
rémunérations  aussi  élevées.  La  Fleury,  pour- 
tant bien  connue  des  amateurs,  qui  «  tire  la 
chiromancie  »  à  madame  Frémy,  et  «  la  pédo- 
mancie  »  à  une  femme  qui  sans  doute  a  plus 
de  confiance  dans  les  lignes  de  son  pied  que 
dans  celles  de  sa  main,  ne  reçoit  pour  cet 
office  que  38  sols!  Ce  n'était  pourtant  pas  la 
première  venue.*  Elle  se  vantait  d'avoir  eu 
madame  de  Maintenon  pour  cliente,  car 
madame  de  Maintenon  n'était  pas  exempte  de 
superstition  et  reconnaissait  volontiers  que  sa 
haute    fortune    lui  avait   été  prédite   par   un 

1.  Elle  habitait  rue  des  Cordeliers,   vis-à-vis  la  petite 
poste.  (Bibliothèque  de  l'Arsenal.) 


DISEUSES     DE    BONNE    AVENTURE  381 

maçon,  et  d'avoir  annoncé  à  M.  de  Chamillart 
tout  ce  qui  lui  était  arrivé.  La  Fleury  gardait 
auprès  d'elle  une  jeune  fille  qu'elle  disait  être 
fille  naturelle  du  comte  Philippe  de  Soissons 
et  de  mademoiselle  de  Lussan.  Elle  lui  avait 
appris  quelques  bribes  de  son  art,  mais  une 
fois  sa  mère  adoptive  arrêtée,  la  jeune  per- 
sonne abandonna  vite  le  métier.  <(  Très  noire, 
très  longue,  très  louche  »,  s'il  faut  en  croire 
le  peu  galant  rapport  de  police  dressé  par 
l'agent  Loir,  elle  avait  l'esprit  délicat,  tra- 
vailla, et  se  mit  à  composer  des  romans  qui 
obtinrent  quelque  succès.  Plus  heureuse  que 
la  Fleury,  qui  finit  ses  jours  en  prison,  elle 
mourut  d'indigestion  en  17o8! 

Une  concurrente  redoutable  de  Marie  Ambru- 
guet  fut  Marie  Anne  Delaville,  dont  la  vogue 
ne  se  démentit  pas  jusqu'à  son  arrestation  en 
1703.  M.  de  Feuquières,  ancien  client  de  la 
Voisin,  venait  constamment  lui  demander  des 
talismans  pour  le  jeu,  l'amour  et  la  guerre. 
Madame  de  Grancey,  maîtresse  de  Monsieur, 
frère  du  roi,  essayait,  par  son  intermédiaire, 
de  soutirer  à  l'esprit  diabolique  qu'elle  appelait 
Babel  et  avec  qui  elle  assurait  être  fort  bien, 
l'argent  que  Monsieur,  peu  généreux  de  son 


382         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

naturel,  lui  refusait.  Cet  esprit  promettait  tout 
ce  qu'on  voulait.  Il  donna  de  si  grandes  espé- 
rances à  madame  de  Rosemain,  que  celle-ci 
faillit  en  devenir  folle.  Heureusement  qu'elles 
ne  se  réalisèrent  pas;  moyennant  quoi,  la 
pauvre  femme  recouvra  une  partie  de  sa  rai- 
son. 

Sur  une  échelle  plus  modeste  opérait  la  Che- 
nault,  dite  Deprade.  A  son  métier  de  diseuse 
de  bonne  aventure,  elle  joint  celui  de  faire 
croire  à  l'existence  de  trésors  cachés.  Ce  genre 
de  filouterie  n'est  pas  nouveau.  Il  réussissait 
à  merveille,  au  xvii^  siècle,  à  faire  de  nom- 
breuses dupes  jusque  dans  les  rangs  de  la 
bonne  société.  Durant  les  troubles  de  la 
Fronde,  bien  des  personnes  avaient  dissimulé 
leur  argent,  leurs  bijoux,  l'argenterie  et 
autres  objets  précieux.  La  plupart  de  ces  per- 
sonnes craintives  ou  prudentes  s'étaient  natu- 
rellement empressées,  sitôt  le  calme  revenu, 
de  courir  à  leur  cachette  et  d'en  retirer  ce 
qu'elles  y  avaient  mis.  Mais  cela  avait  suffi 
pour  éveiller  dans  le  peuple  et  ailleurs  des 
curiosités  et  d'âpres  convoitises.  Notre  Ghe- 
nault,  qui  était  femme  d'un  soldat  aux  gardes, 
et  ne  se  piquait  pas  d'instruction,  ne  visait  pas 


DISEUSES     DE    BONNE    AVENTURE  383 

la  clientèle  élégante.  Elle  recrutait  parmi  les 
servantes  ses  victimes  préférées.  2s e  pouvant 
songer  en  obtenir  grand  argent,  elle  se  con- 
tentait de  quelques  écus,  et,  au  besoin,  de 
nippes.  De  la  fille  Blonde,  servante  chez  le 
notaire  Duport,  elle  reçoit  néanmoins  30  écus 
neufs  et  des  vêtements.  Je  suppose  que  pour 
ce  prix  la  Chenault  avait  accordé  plusieurs 
séances  à  la  trop  naïve  domestique. 

La  Fauconnier  et  la  Fougère,  son  associée, 
disent  l'avenir,  fabriquent  des  poudres  propres 
à  faire  réussir  les  mariages  et  débitent  des 
trèfles  à  quatre  feuilles  qu'elles  vendent  trois 
sols. 

La  marquise  de  Choiseul,  la  comtesse  de 
Puylaurens,  madame  de  Lowendal,  le  cheva- 
lier de  Langle  sont  assidus  chez  la  veuve 
Valentin.  Affaires  de  cœur,  affaires  d'argent, 
qu'est-ce  qui  les  attire  dans  ce  bouge  de  la 
rue  du  Cloître  ^Sotre-Dame?*  Peut-être  y  vien- 
nent-ils,  comme   ce  bourgeois  du  Marais  qui 

i.  Elle  aurait  aussi  logé  dans  une  maison  de  la  rue  du  Bac, 
proche  de  l'hôtel  des  Mousquetaires  gris.  Un  passage  dune 
lettre  adressée  à  madame  Voisin  de  Saint-Paul  par  un 
avocat  au  Parlement  de  Paris  tendrait  à  le  faire  croire. 
Mais  le  nom  étant  orthographié  Valentan,  je  ne  réponds 
pas  qu'il  s'agisse  de  la  même  pythonisse. 


384         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

donne  10  louis  à  la  Valentin  pour  lui  avoir 
fait  retrouver  une  bague  dérobée  par  un  de 
ses  valets  ;  ou  encore  comme  cette  dame  du 
faubourg  Saint-Germain,  à  qui  elle  indique 
le  lieu  ou  était  cachée  une  écuelle  d'argent; 
à  moins  que  ce  ne  soit  comme  celte  jeune 
fille  à  qui  elle  a  promis  une  drogue  pour  se 
faire  aimer  !  Il  y  a  foule  aussi  chez  la  Rous- 
seau, paroisse  Saint-Eustache,  qui  a  la  spé- 
cialité de  prédire  des  mariages  ;  chez  la 
Devaux,  qui  «  explique  si  bien  les  songes  » 
et  qui  finit  par  être  arrêtée  sur  la  demande 
de  messieurs  les  prêtres  de  Saint-Nicolas; 
chez  la  Rochefort,  «  insigne  friponne  »  égale- 
ment destinée  à  Bicêtre;  chez  la  Siamoise  S 
chez  Jouan  de  Monti,  mis  à  la  Bastille  pour 
sorcellerie  2  ;  chez  Marescot,  qu'on  enferme 
en  1704,  avec  ordre  «  de  le  faire  travailler 
dans  sa  prison  ».  Malgré  le  dédain  réel  ou 
affecté  que  le  roi  et  les  ministres  professent 
pour  les  devins  et  devineresses,  ils  ne  man- 
quent pas,  en  effet,  de  chercher  à  leur  faire 
prononcer  des  oracles,  notamment  en  ce  qui 

i.  J'ai  recueilli  bon  nombre  de  ces  détails  dans  l'ouvrage 

si  documenté  de  M.  Ravaisson  :  Les  Archives  de  la  Bastille. 

2.  Note  de  René  d'Argenson,  lieut.  de  police,  8  mai  1703. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  383 

touehe  les  trésors  cachés  ;  celui  de  l'Etat 
étant  singulièrement  à  sec,  le  hasard  serait 
béni,  qui  permettrait  de  le  remplir  un  peu. 

Tandis  qu'à  Paris,  la  crédulité  semble 
croître  à  mesure  que  s'enhardissent  les  char- 
latans, la  province  ne  demeure  pas  en  reste. 
II  n'est  pas  de  ville  en  France  où  l'on  ne 
compte  une  ou  plusieurs  devineresses.  Rouen 
possède  la  Gascon  ;  Etampes  a  la  Pigeon  ; 
Laon,  la  Saurin  ;  Lyon  s'enorgueillit  de  Jac- 
ques Aymard  qui,  à  l'aide  de  sa  baguette 
magique,  découvre  non  seulement  des  sources 
et  des  trésors,  comme  tout  bon  sourcier,  mais 
les  maléfices,  les  voleurs,  les  assassins.  La 
Gazette  et  le  Mercure  ne  tarissent  pas  sur 
ce  sorcier  dont  l'habileté  a  permis  à  la  police 
de  mettre  la  main  sur  l'assassin  d'un  marchand 
de  vin*.  On  y  parle  aussi  de  la  femme  Bazin, 
qui  n'a  pas  «  sa  pareille  pour  dévoiler  l'avenir  et 
ramener  les  amants  infidèles  -  »  ;  Bourges  a 
la  Filliard;  Dijon,  la  Rousset^  Que  sais-je? 

1.  V.  Fournel,    Le  vieux  Paris. 

2.  LettredeM.deHarrenc,  17  mai  1689,  (Arch.  de  Cibeins.) 

3.  «  La  Roussel  est  toujours  appréciée  de  nos  daines  à 
qui  elle  annonce  des  choses  merveilleuses.  »  Lettre  de 
M.  Ruolz  de  Bourquet  à  madame  de  Sainte-Pallaye,  28  oct. 
1701  (Coll.  part.) 

22 


386         FILLES    NOBLES    ET    xMAGICIENNES 

La  justice  laisse  les  pythpnisses  à  peu  près 
tranquilles  maintenant.  0.n  les  arrête  bien  de 
temps  à  autre;  la  Bastille  en  accueille  un 
grand  nombre,  mais  ne  les  abrite  d'ordinaire 
que  peu  de  mois.  On  ne  les  y  maintient  que 
si  elles  joignent  à  leur  métier  avoué  quelque 
autre  industrie  coupable,  ce  qui  est  fréquent 
d'ailleurs.  En  prison  elles  sont  traitées  de  façon 
assez  douce;  on  a  pour  elles  certains  égards; 
et  quand  la  Suleau  est  arrêtée  en  1691,  le  roi 
se  charge  de  sa  fille  qu'il  fait  mettre  dans  une 
pension  oii  il  paye  300  livres  par  an  pour 
elle'. 

A  ceux  qui  s'étonneraient  que  parmi  toutes 
les  personnes  dont  il  vient  d'être  parlé  je  n'aie 
guère  mentionné  que  des  femmes,  je  pourrais 
répondre  par  le  mot  bien  connu  de  madame 
de  Genlis  :  «  Toute  femme,  en  naissant,  con- 
tient une  pythonisse.  »  Mais  l'explication  serait 
un  peu  sommaire.  Et  si  j'ajoutais,  comme 
dans  Carmen  :  «  Quand  il  s'agit  de  tromperie, 
de  duperie,  de  volerie...  »  ce  serait  tout  à 
fait  injuste.  Il  me  paraît  simplement  que  la 
femme,    plus    fine  que    l'homme  et   chez  qui 

1.  Arch.  de  la  Bastille,  op.  cil. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  387 

Tintuition  est  beaucoup  plus  développée,  plus 
adroite  aussi,  plus  apte  à  faire  son  profit  de 
ce  qu'elle  surprend  sur  le  visage  ou  dans  les 
paroles  du  patient,  est  infiniment  mieux  pré- 
parée que  l'homme  à  exercer  un  métier  qui 
exige  précisément  des  qualités  de  pénétration, 
de  la  délicatesse,  du  doigté  et  une  grande 
assurance.  Si  les  femmes  font  du  charlata- 
nisme pur,  elles  y  doivent  réussir,  l'art  du 
mensonge  leur  étant  facile  ;  si,  par  hasard,  elles 
sont  de  bonne  foi,  leur  succès  n'est  pas  moins 
probable,  car  leurs  facultés  nerveuses  leur 
permettent,  à  un  degré  étonnant,  de  s'auto- 
suggestionner  et  d'en  arriver  à  croire  vraiment 
en  l'efficacité  de  ce  qu'elles  appelent  leur 
science.  Toutes,  même  les  plus  communes, 
parviennent  à  acquérir  un  tact  que  l'homme 
ne  saurait  posséder  et  la  forme  souvent  cap- 
tieuse des  questions  qui  leur  sont  posées  finis- 
sent par  les  rendre  «  fines  comme  de  \'ieux 
juges*.  » 

1.  Souvenirs  historiques  de  Lenoir,  cités  par  Peuchet. 


IV 


La  sorcellerie  plus  puissante  que  jamais  au  xvm«  siècle. 

—  La  foi  religieuse  et  la  superstition.  —  Désir  de 
s'enrichir,  de  connaître  l'avenir,  d'entrer  en  relations 
avec  Satan.  —  Manifestations  nerveuses  collectives. 

—  Le  fils  du  Régent  adepte  de  la  métempsycose.  — 
M.  de  Boulainvilliers.  —  Une  dame  qui  meurt  de  la 
peur  de  mourir.  —  L'auto-suggestion.  —  Le  régent 
et  les  devins.  —  Les  roués.  —  «  Voyantes  »  du 
XVI116  siècle.  —  La  Bontemps.  —  Ses  prédictions 
curieuses.  —  Saint-Germain.  —  Cagliostro.  —  Un 
prophète-gentilhomme.  —  Sa  pleutrerie.  —  Devins- 
escamoteurs.  —  La  femme  Laloux.  —  Mademoiselle 
de  Cruzols.  —  Une  grande  dame  aux  prises  avec  les 
diables  de  Montrouge.  —  Richelieu  à  Vienne.  —  Un 
prophète  qui  guérit.  —  Eteila.  —  Les  fous  et  la  lote- 
rie. —  Anecdotes  diverses. 


Nous  atteignons  le  xviii"  siècle  et  il  n'appa- 
raît pas  que  les  doctrines  philosophiques  à  la 


DISEUSES    DE    BOXE    AVE.XTURE  389 

mode,  non  plus  que  les  progrès  pourtant  sen- 
sibles déjà  de  l'instruction,  fassent  en  rien 
baisser  la  faveur  dont  la  sorcellerie,  la  divina- 
tion, la  magie  jouissent  auprès  du  public  en 
général.  Le  xviii"  siècle,  esprit  fort,  qui  ne 
croit  pas  en  l'évangile  et  qui  ne  croit  guère  en 
Dieu,  croit  en  Saint-Germain  et  en  Cagliostro. 
Voilà  le  fait  brutal.  Donne-t-il  raison  à  ceux 
qui  affirment  que  partout  où  le  sentiment  reli- 
gieux a  tendance  à  disparaître,  la  crédulité 
augmente,  que  la  superstition  se  glisse  aux 
lieu  et  place  de  la  religion  et  que  la  confiance 
dans  le  sorcier  s'accroît  dans  la  mesure  exacte 
où  diminue  la  confiance  en  Dieu?  C'est  une 
théorie  assez  répandue.  Elle  ne  me  semble  pas 
très  justifiée.  Je  veux  bien  que  ce  qui  s'est 
passé  au  temps  de  Louis  XV  comme  ce  qui  se 
passe  à  l'heure  présente  soit  assez  probant  à 
cet  égard.  La  société  sceptique  du  xviii^  siècle 
s'inclinait  devant  le  charlatanisme  d'un  Caglios- 
tro; nos  contemporains  et  nos  contemporaines, 
dont  la  foi  est  hésitante,  sinon  tout  à  fait  nulle, 
courent  chez  les  devineresses  comme  au  feu. 
Sans  doute.  Mais  nulle  époque  ne  fut  plus 
sincèrement  attachée  à  la  foi  religieuse  ni  plus 
respectueuse  des  lois  de  l'église  que  le  Moyen 

22. 


390         FILLES    .NOBLES    ET    MAGICIEWES 

âge,  et  pourtant  le  Moyen  âge  donna  fort  dans 
la  sorcellerie. 

Dans  sa  soif  inépuisable  de  croire,  l'âme  qui 
ne  se  tourne  pas  vers  Dieu  est  mûre  pour 
toutes  les  superstitions,  même  les  plus  gros- 
sières. Inquiète,  elle  s'agite  et  se  trouble;  elle 
s'effare  du  vide  où  elle  se  meut  ;  la  voici  désem- 
parée, pantelante,  toute  prête  à  subir  n'importe 
quelle  influence,  pourvu  que  désormais,  tel 
l'homme  qui  se  noie  et  agrippe  de  sa  main 
crispée  la  moindre  brindille  d'herbe  flottanle 
011  il  met  son  suprême  espoir,  elle  puisse  accro- 
cher, quelque  part,  un  lambeau  de  sa  croyance. 
Qui  le  conteste?  Et  cependant,  je  persiste  à 
penser  que  les  âmes  sincèrement  religieuses 
peuvent  fort  bien  se  laisser  gagner  par  une 
confiance  presque  incroyable  dans  les  pratiques 
de  magie,  sorcellerie,  divination  ou  par  celles 
plus  troublantes  encore  du  spiritisme.  Il  n'est 
pas  sûr  qu'il  y  ait  incompatibilité  entre  ces  deux 
croyances,  celle  que  nous  avons  en  Dieu  et 
celle  que  nous  pouvons  avoir  dans  les  thau- 
maturges. Elles  ne  s'excluent  pas  à  priori  et 
rien  ne  s'oppose,  me  semble-t-il,  à  ce  qu'elles 
cohabitent  dans  une  seule  et  même  âme. 
L'amour  du  merveilleux  n'est  pas  forcément 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  39i 

banni  des  cœurs  pieux.  «  Il  nous  séduit  tou- 
jours, dit  Mercier,  parce  que  sentant  confusé- 
ment combien  nous  ignorons  les  forces  de  la 
nature,  tout  ce  qui  nous  conduit  à  quelque 
découverte  de  ce  genre  est  reçu  avec  trans- 
port*. »  Gardons-nous  donc  de  conclure  trop 
rigoureusement  que  les  siècles  et  les  hommes 
incrédules  sont  seuls  susceptibles  de  mordre  à 
l'appât  de  l'occultisme  sous  quelque  forme  qu'il 
se  présente. 

En  ce  qui  concerne  le  xviii"  siècle,  il  importe 
de  noter  que  les  manifestations  du  merveilleux, 
toujours  aussi  nombreuses,  revêtent  une  forme 
assez  bénigne.  Les  exploiteurs  spéculent  sur  la 
crédulité  humaine,  inguérissable  autant  qu'in- 
sondable. Les  convaincus  s'obstinent  à  vouloir 
accaparer  la  puissance  des  esprits  ;  des  entêtés 
s'acharnent  à  la  découverte  de  la  pierre  philo- 
sophale;  mais  les  crimes  sont  rares.  Si  des 
personnes  affolées  vont  jusqu'à  demander  au 
liable  de  les  délivrer  d'un  joug  détesté,  par  la 
mort  de  ceux  qui  les  font  souffrir,  ces  souhaits 
n'impliquent  plus  que  rarement  une  action 
directe.  Nous  sommes  loin  des  envoûtements 

!.. Mercier,  Tableau  de  Paris,  édit.  de  Hambourg,  p.  269. 


392        FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

du  Moyen  âge  et  des   empoisonnements  qui 
assombrirent  le  xvii"  siècle. 

Deux  désirs  caractérisent  la  passion  du  mer- 
veilleux désormais  :  celui  de  se  procurer  de 
grandes  richesses  et  celui  de  connaître  l'avenir, 
ce  dernier,  poussé  à  l'exaspération.  Ne  négli- 
geons pas  la  curiosité  de  voir  le  diable,  curio- 
sité qui  ne  se  lassera  pas  de  longtemps.  Enfin, 
l'éclosion,  tout  au  moins  le  développement  de 
la  névrose,  favorisé  par  des  circonstances  par- 
ticulières va  produire  ces  troubles  et  ces  désor- 
dres nerveux  qui,  en  se  communiquant  à  la 
manière  d'une  épidémie,  amèneront  des  mani- 
festations hystériques  de  la  foule.  Nous  aurons 
alors  les  convulsionnaires  de  Saint-Médard  et 
les  assemblées  des  Elisiens.  Je  ne  m'occuperai 
pas  de  ces  manifestations  collectives,  en  tout 
cas  de  la  première  ;  elles  sortent  du  cadre  de 
cette  étude.  Mais  je  préciserai  quelques  cas 
spéciaux  qui  s'y  rattachent  d'une  certaine  ma- 
nière. Un  tel  état  endémique  de  névrose  pro- 
duisait des  effets  variés.  Chez  le  duc  d'Orléans, 
tils  du  Régent \  par  exemple,  il  se  traduisait 
par  une  croyance  à  la  métempsycose.  Pour 

i.  Louis  III,  duc  d'Orléans,  1703-1752. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  393 

lui,  ni  Louis  XIV,  ni  Henri  IV  n'étaient  morts, 
non  plus  que  mesdames  de  Gontaud,  d'Alin- 
court  et  quelques  autres.  Ce  prince  cependant 
était  pieux,  intelligent,  instruit  et  distingué 
dans  les  sciences.  Le  comte  de  Boulainvilliers, 
dont  Saint-Simon  loue  les  connaissances  éten- 
dues et  le  sérieux  de  l'esprit,  s'occupait  d'as- 
trologie et  se  flattait  de  prédire  l'avenir.  On 
voit  par  là  que  l'intelligence  et  l'instruction, 
pas  plus  que  la  foi  religieuse,  ne  mettent  les 
hommes  à  l'abri  des  superstitions. 

Ce  bon  M.  de  Boulainvilliers,  dont  la  manie 
de  prophétiser  toujours  dangereuse,  l'est  beau- 
coup plus  encore,  ainsi  que  le  fait  remarquer 
Luynes,  quand  on  réussit  quelquefois,  ne  se 
trompa  que  de  huit  jours  sur  la  date  de  sa  mort. 
Avant  de  tomber  juste  pour  lui-même,  il  s'était 
fait  une  réputation.  On  le  consultait  de  toutes 
parts.  Madame  de  Nointel  fut  de  ses  clientes. 
Il  lui  annonça  qu'un  grand  malheur  la  mena- 
çait vers  l'âge  de  quarante  ans.  Pensant  que  le 
plus  grand  malheur  qui  lui  pût  arriver  était  de 
mourir,  elle  ne  douta  plus  que  ce  fût  sa  mort 
que  Boulainvilliers  lui  avait  prédite.  A  mesure 
que  la  date  fatale  approchait,  elle  s'alarmait; 
son  imagination  travailla  ;  elle  prit  la  fièvre  ; 


394         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

les  nerfs  s'en  mêlèrent;  bref,  elle  trépassa  un 
peu  avant  d'avoir  atteint  la  quarantaine  ^ 

Il  y  a  là  un  exemple  très  net  du  travail 
d'auto-suggestion  qui  peut  se  faire  dans  un 
esprit  fortement  impressionné.  Le  docteur 
Perry  a  signalé  ce  danger  réel  auquel  s'exposent 
les  personnes  qui  «  se  font  dire  la  bonne  aven- 
tura ».  Ce  n'est  pas  le  seul.  «  Les  somnambules, 
ajoute-t-il,  cartomanciennes  et  chiromanciennes 
exercent  une  action  néfaste  sur  la  santé  men- 
tale des  consultants.  Selon  le  terrain  rencontré, 
elles  peuvent,  par  leurs  consultations,  donner 
naissance  à  des  névroses  et  à  des  psycho- 
névroses plus  ou  moins  graves  -.  »  Mais  pas- 
sons. 

On  sait  que  le  Régent  était  un  fervent  de 
sorcellerie.  Un  peu  par  désœuvrement,  un  peu 
par  curiosité,  un  peu  aussi  par  superstition, 
encore  qu'il  s'en  défendît,  il  aimait  voir  des 
sorciers,  les  interrogeait,  s'intéressait  à  leurs 
pratiques.  Il  ne  doute  pas,  pendant  longtemps, 
des  prodiges  accomplis  par  Jacques  Aymard. 
Il  l'avait  installé  au  Palais-Royal  et  lui  faisait 
faire  des  expériences  devant  toute  la  cour.  Un 

1.  Argenson  :  Mcmoires,  édit.  clz.,  t.  II,  p.  208. 

2.  tes  somnambules  extra-lucides,  op.  cit. 


DISEUSES    DE    BONXE    AVEMURE  395 

moment,  il  s'engoue  de  Sollier,  autre  devin 
célèbre.  Il  rend  visite  incognito  à  un  tailleur, 
réputé  comme  devin'.  Les  femmes  de  la 
Régence,  madame  de  Sabran,  madame  de  Pha- 
laris,  madame  de  Parabère,  suivant  en  cela 
d'ailleurs  le  goût  de  la  duchesse  de  Berry, 
remplaçaient  volontiers  la  messe  par  des 
séances  chez  la  chiromancienne.  Et  les  roués, 
Broglie  surtout,  dont  le  sang  italien  restait 
vivace,  tout  en  niant  bien  haut  Dieu  et  le 
diable,  passaient  leur  temps  à  blasphémer  l'un 
et  à  courir  les  sorcières  qui  leur  promettaient 
de  leur  montrer  l'autre. 

Parmi  les  «  voyantes  »  les  plus  renommées 
du  xv!!!*"  siècle,  on  n'aurait  garde  d'oublier  la 
Bontemps.  S'il  faut  ajouter  foi  à  ce  que  nous 
en  dit  madame  du  Hausset,  il  est  clair  que  cette 
femme  eût  vraiment,  en  diverses  occasions,  ce 
que  l'on  pourrait  appeler  «  d'heureuses  ren- 
contres ».  Elle  avait  prédit  à  madame  de  Brancas 
que  la  tète  de  sa  meilleure  amie  était  menacée, 
mais  qu'il  n'arriverait  rien  de  fâcheux.  Effecti- 
vement, peu  de  jours  après,  madame  de  Pom- 
padour  fat  blessée  par  un  portrait  du  roi  qui 

1.  Mé/noiiC  '        . 


396         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

lui  tomba  sur  la  tête  au  moment  où  elle  fermait 
son  secrétaire.  Elle  avait  dit  à  Bernis  :  «  Vous 
êtes  venu  au  monde  presque  noir.  »  Et  Bernis 
affirmait  que  c'était  vrai.  (Sans  doute  le  savait- 
il  par  ouï-dire,  car  il  n'y  a  pas  apparence  qu'il 
s'en  souvînt...)  Elle  lui  avait  dit  encore,  un 
jour  :  «  Vous  avez  bien  de  l'argent  avec  vous, 
mais  il  ne  vous  appartient  pas.  »  Effectivement, 
cet  argent  était  au  duc  de  la  Vallière.  Enfin,  à 
lui  toujours,  elle  avait  prédit  le  petit  accident 
arrivé  à  la  Pompadour,  dont  il  a  été  fait  men- 
tion. Madame  du  Hausset,  dans  ses  Mémoires, 
relate  tout  au  long  la  consultation  donnée  à  la 
favorite  par  la  Bontemps.  Madame  de  Pompa- 
dour, voilée,  méconnaissable,  se  fit  tirer  son 
horoscope  «  qui  se  trouva  juste  en  presque  tous 
les  points  ».  Mais  ce  qui  frappa  le  plus  madame 
du  Hausset  au  cours  de  cette  consultation,  c'est 
que  la  Bontemps  parla  constamment  d'  «  un 
consolateur  qu'avait  la  patiente  et  qui  jouait  un 
grand  rôle  dans  sa  vie  ».  Or,  madame  de  Pom- 
padour avait,  en  effet,  un  oncle  qui  avait  pris 
soin  d'elle  et  lui  avait  rendu  les  plus  signalés 
services ^ 

1.  Mémoires  de  madame  du  Hausset. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  397 

Une  autre  prédiction  de  la  Bontemps,  qui, 
celle-ci  encore,  se  réalisa,  est  curieuse  par  l'in- 
vraisemblance qu'elle  soulevait.  N'avait-elle 
pas  annoncé  que  mademoiselle  Bontemps  épou- 
serait un  homme  de  bon  rang,  riche  de  soixante 
mille  francs  de  rentes?  Quelle  probabilité!  Cela 
fut  pourtant.  Mademoiselle  Bontemps  épousa 
le  président  Beaudoin,  homme  fort  riche  et 
bien  en  cour.  La  jeune  femme  mourut  en 
couches  de  son  premier  enfant,  ainsi  que  l'avait 
assuré  sa  mère.  Mais  rien  n'empêche  de  voir 
ici  un  de  ces  cas  d'influence  néfaste  dont  parle 
le  docteur  Perry.  La  Bontemps,  je  dois  l'avouer, 
dussé-je  lui  attirer  le  dédain  de  nos  chiroman- 
ciennes modernes,  prisait  peu  les  lignes  de  la 
main  et  préférait  demander  au  marc  de  café  les 
secrets  des  destins. 

Elle  avait,  est-il  besoin  de  le  dire,  des  con- 
currents en  masse.  Le  faubourg  Saint-Marceau, 
on  ne  sait  trop  pourquoi,  était  particulièrement 
bien  fourni  de  devineresses,  de  magiciennes, 
d'astrologues.  Au  fond  de  ruelles  puantes,  dans 
des  logements  obscurs,  misérables,  sordides  *, 
combien  différents  de  ceux  habités  de  nos  jours 

1.  De  Luchet,  Mémoires  authentiques  pour  servir  à  ffiù- 
toire  de  Caglioslro. 

23 


398         FILLES    XOBLES     ET    MAGICIENNES 

par  les  sibylles  à  la  mode,  les  unes  essayaient 
de  faire  de  l'or  ;  les  autres  composaient  des 
élixirs  ;  ceux-ci  tentaient  de  grossir  des  dia- 
mants ;  ceux-là,  plus  modestes,  travaillaient 
simplement  à  grossir  leur  bourse  en  tirant  les 
cartes  aux  grisettes. 

«  On  n'est  pas  des  princes  !  »  Il  n'est  pas  donné 
à  tout  le  monde  d'avoir  pignon  sur  rue,  et  le 
métier  serait  trop  beau,  qui  permettrait  à  tous 
ceux  qui  l'exercent  de  parader,  vêtus  de  velours 
et  de  soie,  la  poitrine  chamarrée,  dentelles  aux 
manches,  jabot  au  menton,  épée  au  flanc,  dans 
les  salons,  chez  les  princes,  à  la  cour,  comme 
Saint-Germain.  Petit,  maigre,  plein  d'esprit,  cet 
aventurier  de  haut  vol  se  faulile  partout, 
éblouit  les  uns,  étonne  les  autres,  prédit  l'ave- 
nir, «  fait  disparaître  les  taches  des  diamants*  », 
se  vante  de  fabriquer  de  l'or,  conte  négligem- 
ment qu'il  a  vécu  au  temps  de  Jésus-Christ.  Le 
plus  invraisemblable  n'est  pas  qu'il  le  dise, 
mais  qu'on  le  croie.  Toute  la  société  l'écoute 
avec  admiration  ;  on  l'entoure,  on  le  choie,  on 
le  craint  vaguement.  Louis  XV  est  plein  de 
considération  pour  lui^.   Pendant  des  années, 

1.  Mémoires  de  madame  du  Hausse t,  op.  cit. 

2.  Jbid. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  399 

il  poursuit  sa  carrière.  Quelle  carrière!  Qu'est- 
il  au  juste?  Un  peu  sorcier,  un  peu  charlatan, 
un  peu  spirite,  sans  doute.  Mystificateur,  à 
coup  sûr;  d'aucuns  diront,  un  peu  espion.  Bon 
homme,  au  fond,  avouant  dans  l'intimité  qu'il 
n'est  pas  très  assuré  d'avoir  vécu  dans  l'anti- 
quité, mais  qu'il  est  enchanté  de  le  laisser 
croire.  Il  constituerait  un  exemple  frappant  de 
ce  que  peuvent  la  hardiesse,  le  cynisme,  l'im- 
pudence, jointes  à  quelque  esprit,  lorsqu'il 
s'agit  d'en  imposer  à  la  crédulité  et  à  la  sottise 
publiques,  si  par  ailleurs  nous  n'en  avions  un 
exemple  plus  extraordinaire  en  la  personne  de 
Cagliostro. 

Sur  Cagliostro  comme  sur  Saint-Germain, 
tout  a  été  dit,  et  le  lecteur  ne  me  pardonnerait 
pas  d'insister  longuement  sur  cette  physionomie 
trop  connue.  Parti  fort  besogneux  dePalerme, 
il  erre  d'abord  en  Italie,  vivant  de  menues 
filouteries,  escroquant  par-ci,  escroquant  par- 
là,  moitié  bateleur,  moitié  ruffian,  cherchant 
sa  voie.  Il  semble  bien  que,  de  son  entrée  dans 
la  Maçonnerie,  datent  et  son  ambition  et  le 
commencement  de  sa  fortune.  Celle-ci  fut  pro- 
digieuse. Avait-il,  ainsi  qu'on  l'a  cru,  rencontré 
Saint-Germain,  alors  expulsé  de  France  et  lui 


400         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

aurait-il  emprunté  quelques-uns  de  ses  trucs, 
de  ses  boniments  et  ses  recettes?  C'est  pro- 
bable, car,  surtout  au  début  de  son  séjour  en 
Allemagne,  il  l'imite  visiblement.  Mais  c'est  un 
imitateur  qui  ne  tardera  pas  à  dégager  sa  per- 
sonnalité. Son  grand  art  fut  de  savoir  jeter  de 
la  poudre  aux  yeux.  Il  n'ignore  pas  que  le 
peuple  —  et  même  les  grands,  —  sont  sensibles 
aux  apparences  de  la  richesse,  et  combien 
l'extérieur  agit  sur  les  imaginations.  Aussi  a- 
t-il  soin  de  ne  paraître  jamais  que  somptueuse- 
ment vêtu,  couvert  de  diamants,  (faux  d'ail- 
leurs, mais  qui  s'en  serait  avisé?)  suivi  d'une 
valetaille  nombreuse  dont  la  livrée  magnifique 
coûte  vingt  louis  ;  il  voyage  dans  une  chaise  de 
poste  des  plus  confortables,  roule  Paris  dans  un 
carrosse  de  gala,  sème  l'argent  à  pleines  mains. 
Ce  n'est  pas  un  charlatan,  c'est  le  charlatan. 
Mieux,  c'est  un  psychologue,  et  un  psycho- 
logue fort  averti.  Sur  ses  pas,  la  foule  s'amasse, 
s'enthousiasme,  tombe  dans  le  délire.  Berlin, 
Leipzig,  Venise,  l'ont  accueilli  avec  transports 
et  ne  voilà-t-il  pas  que  les  habitants  de  Mittau 
en  veulent  faire  leur  maître  aux  lieu  et  place  de 
leur  prince,  le  dac  de  Courlande,  qui  a  cessé 
de  leur   plaire.  Varsovie  lui  tresse  des  cou- 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  401 

ronnes.  Le  roi  l'accueille  comme  un  égal,  et  il 
suffit  qu'il  annonce  à  une  vieille  dame  qu'elle 
aura  prochainement  un  accident  de  voiture,  ce 
qui  se  réalise,  pour  que  toute  la  Pologne  soit  à 
ses  pieds.  Il  quitte  ce  pays,  «  emportant  pour 
plus  de  trente  mille  francs  de  diamants  (vrais, 
ceux  ci  î),  des  pierres  précieuses  et  des  sommes 
immenses*. 

Au  cours  de  cette  marche  triomphale,  il  ne 
paraît  pas  douteux  qu'il  fut  singulièrement  aidé, 
poussé,  soutenu  par  la  franc-maçonnerie  dont 
il  était  un  actif  agent  et  dont  l'influence  qu'il 
avait  prise  sur  ses  clients  servait  admirable- 
ment les  desseins.  Cela  suffit-il  à  expliquer  la 
vogue  du  fameux  charlatan?  Je  ne  le  pense  pas. 
L'élément  principal  de  ce  succès,  c'est  dans 
l'état  d'àme  du  xviii'  siècle  qu'il  le  faut  cher- 
cher. Une  société  brillante,  corrompue,  in- 
quiète, curieuse,  légère,  assoiffée  de  nouveauté, 
en  quête  d'un  idéal  facile,  devait  mordre  à 
l'hameçon  qu'on  lui  tendait.  Elle  y  mord. 
L'engouement  ne  connaît  bientôt  plus  de  bor- 
nes. Ségur,  Vergennes,  Miromesnil,  émus  jus- 
qu'aux larmes   par  le  récit  des    bienfaits  de 

1.  H.  d" Aimeras,  Cagliostro.  Cf.  aussi  :  Confessions  du 
comte  de  Cagliostro. 


402         FILLES    NOBLES     ET    MAGICIENNES 

Gagliostro  à  Strasbourg,  lui  décernent  un 
brevet  flatteur  d'honorabilité  (l'ancien  ruffian 
de  Vérone  et  de  Milan  dut  rire  sous  cape).  Ily 
est  question  de  sa  figure  qui  exprime  le  génie, 
de  ses  yeux  qui  lisent  dans  les  âmes,  etc.  A 
Strasbourg,  d'ailleurs,  il  a  trouvé  son  homme, 
qu'il  ne  lâchera  plus  et  conduira  à  la  honteuse 
affaire  du  collier:  Rohan,  pour  lui,  est  mieux 
qu'un  client,  un  ami,  un  protecteur,  une  sau- 
vegarde. A  l'abri  de  sa  soutane  rouge,  il  va 
pouvoir  se  livrer  impunément  à  ses  fantaisies,  à 
ses  opérations  louches,  à  toutes  les  aventures 
les  plus  cyniques. 

Aussi  bien  la  renommée  de  Gagliostro  a  gagné 
les  provinces.  Du  fond  de  son  abbaye,  la  prin- 
cesse de  Rohan-Rochefort  écrit  :  «  Ma  santé,  qui 
est  dans  un  état  déplorable,  m'a  "obligé  à  rester 
ici  plus  longtemps  que  je  n'avais  compté; 
cette  même  raison  m'a  empêché  de  suivre  le 
projet  que  j'avais  d'aller  en  Alsace  suivre  le 
traitement  de  Gagliostro,  n'étant  pas  en  état  de 
supporter  le  voyage  *.  »  Lyon,  où  il  séjour- 
nera un  an  (1784-1785)  à  l'hôtel  du  Parc,  le 


■1.  Lettre  de  la  princesse  de  Rohan-Rochefort  à  madame 
de  Tournon,  28  juillet  1781.  (Arch.  du  Vergier.) 


DISEUSES    DE    BON^E    AVENTURE  403 

comble  de  cadeau  et    lui  rend  des    honneurs 
incroyables'. 

Mais  si  l'étranger  et  la  province  raffolent  de 
lui,  quel  terrain  il  trouve  à  Paris!  Ce  milieu 
nerveux,  surexcité,  maladif,  lui  est  acquis 
d'avance.  Derrière  Rohan,  Richelieu,  d'Estaing, 
Boufflers,  tous  les  grands,  mais  les  femmes 
surtout,  les  femmes  les  plus  riches,  les  plus 
honorables,  toutes  les  femmes,  la  comtesse  de 
Brienne,  mesdames  de  Polignac,  de  Brancas, 
de  Ghoiseul,  d'Espinchal,  de  Genlis,  de  Lo- 
ménie,  de  la  Blache,  toutes,  toutes,  s'engouf- 
frent dans  la  «  chambre  égyptienne  »  de  l'ap- 
partement qu'il  occupe  rue  Saint-Claude,  appar- 
tement désormais  historique  et  sur  lequel 
M.  Lenôtre  nous  a  donné  de  si  intéressants  dé- 
tails-. Dans  ce  local  somptueux  (Ah!  que  nous 
sommes  loin  de  la  maison  borgne  de  la  Voisin!) 
le  Maître  rend  ses  oracles,  fait  lire  l'avenir  par 
sa  «  voyante  »  Lorenza,  rencontrée  par  lui  quel- 
que part,  qu'on  appelle  maintenant  Séraphine, 
depuis  qu'il  l'a  élevée  à  la  dignité  d'épouse, 
et  qui  charme  tout  le  monde  par  sa  distinc- 
tion, «  encore  qu'elle  ait  un  peu  trop  de  goût 

1.  Péricault,   Séjour  de  Caglioslro  à  Lyon. 

2.  G.  Lenôtre,   Vieilles  tnaisons,  vieux  papiers,  1"  série. 


404         FILLES    XOBLES    ET    MAGICIENNES 

pour  les  couleurs  vives*  ».  Là  il  promet  à  l'un 
de  lui  fournir  de  l'or,  à  l'autre  de  le  rajeunir, 
à  ceux-ci  de  les  faire  aimer  de  leurs  maîtresses, 
à  celles-là  de  les  débarrasser  de  leurs  amants  ; 
il  vaticine,  pontifie,  prophétise  dans  un  baragouin 
que  rend  plus  incompréhensible  encore  son 
accent  sicilien;  là  enfin,  remplaçant  Mesmer 
démodé  et  voué  aux  gémonies,  il  tranche  du 
médecin  pour  le  moins  autant  que  du  sorcier. 
Médecin,  il  prétend  l'être,  comme  il  se  prétend 
fils  du  Chérif  de  la  Mecque  et  avec  autant  de 
raison  !  Rien  ne  manque  à  sa  gloire,  pas  même 
de  voir  ses  traits  immortalisés  par  Houdon 
dans  la  splendeur  du  marbre^. 

Or,  ce  charlatan  qui  joue  au  gentilhomme^, 
au  fond  est  un  pleutre.  A  Saverne,  chez  Rohan, 
un  soir  à  table,  il  traite  le  marquis  de  Noailles 
d'impertinent.  «  Sortez,  monsieur,  lui  dit 
Noailles;  vous  me  rendrez  raison  sur-le-champ. 
—  Oui,  oui,  sortons,  crie  Cagliostro,  qui  cepen- 
dant se  faisait  tenir  à  quatre,  c'est  une  affaire 

1.  Cagliostro,  op.  cit. 

2.  Correspondance,  secrète,  l'^sept.  1785. 

3.  Un  occultiste  a  tenté  récemment  une  sorte  de  réhabi- 
litation de  Cagliostro,  qu'il  qualifie  «  d'être  génial  et 
bon  ».  C'est  aller  loin  quand  il  s'agit  d'un  aussi  notoire 
escroc. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  405 

de  la  vie  ou  de  la  mort,  bisogno  quoun  des 
deux  y  reste.  Choisissez  une  arme.  —  Eh!  par- 
bleu, Tépée,  fait  Noailles. — Bon  cela,  reprend 
Cagliostro,  moi  je  choisis  mon  arme.  —  Eh! 
quelle  donc? —  Eh!  parbleu,  l'émétique...  Vous 
me  passez  votre  épée  à  travers  le  corps,  je  vous 
passe  mon émétique  à  travers  le  gosier;  après, 
vivra  qui  pourrai...  »  Quoique  le  marquis 
fût  rouge  de  colère,  il  fallut  bien  rire,  car 
toute  la  société  riait'.  »  C'est  un  pleutre  doublé 
d'un  bouffon.  Et  cela  ne  fait-il  pas  rêver,  ce  pitre 
italien  qui,  parce  qu'il  se  dit  un  peu  sorcier, 
pendant  des  années,  voit  la  Cour  et  la  Ville,  que 
dis-je,  les  cours  et  les  villes  à  ses  genoux!... 

Près  de  cet  astre  de  première  grandeur, 
gravitaient  de  multiples  satellites.  Sans  compter 
les  somnambules  et  magiciens  qui  encombrent 
le  Pont-Neuf,  foule  anonyme  de  sorciers 
c  pour  petites  gens  »,  que  d'autres  ont  su  se 
faire  une  place  enviable  !  La  Lebon  est  morte, 
à  qui  madame  de  Pompadour  faisait  une  pen- 
sion, pour  lui  avoir  entendu  dire  qu'elle  serait 
la  maîtresse  du  roi.  Mais  nous  avons  toujours 
Bleton,  que  M.  de  la  Lande  attaquait  si  fort, 

4.  Souvenirs  du  baron  de  Frenilly. 

23. 


406         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

disant  qu'il  «  aimerait  mieux  croire  en  Jésus- 
Christ  qu'en  Bleton*  »  ;  le  juif  Jonas,  Pinetti, 
Ledru-Comus  (grand-père  de  Ledru-Rollin), 
Rupano,  Augier,  ces  derniers  qui  joignent  à 
leur  métier  de  devin  celui  d'escamoteur  ;  nous 
avons  cet  individu,  dont  parle  le  comte  de  Ro- 
chefort,  qui  attirait  la  curiosité  de  la  Cour  par 
son  lutrin  enchanté  ^  ;  nous  avons  les  séances 
chez  madame  de  Goislin,  où  une  jeune  per- 
sonne, magnétisée  par  Puységur,  fait  sans  hé- 
siter tout  ce  qui  lui  est  commandé^;  nous 
avons  la  femme  Laloux.  Celle-ci  avait  dit  à 
Choiseul  qu'il  mourrait  dans  une  sédition,  ce 
qui  ne  fut  pas  tout  à  fait  inexact,  puisque  l'an- 
cien ministre  mourut  entouré  de  douze  méde- 
cins qui  se  disputaient  violemment  sur  les 
moyens  propres  à  le  guérir  !  Quelques  années 
plus  tôt,  une  diseuse  de  bonne  aventure  avait 
eu  son  heure  de  célébrité.  Elle  se  faisait  ap- 
peler mademoiselle  de  Gruzolset  fut  longtemps 
l'hôte  de  la  marquise  de  Gastelnau.  Connaissant 
une  quantité  de  secrets,  se  flattant  de  posséder 
«  le  livre  des  planètes  »  et  «  les  clavicules  de 

1.  Correspondance  secrète,  édit.  Lescure,  p.  493,  t.  I. 

2.  Souvenirs  du  comte  de  Roche  fort. 

3.  Correspondance  secrète,  cdit    Lescure,  11  avril  1785. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  407 

Salomon  »,  elle  était  surtout  recherchée  par 
ceux  qui  voulaient  voir  le  diable  ^  Cette  manie 
n'avait  pas  disparu.  Le  duc  d'Olonne  et  la 
comtesse  de  Montboissier  firent  tous  les  sacri- 
fices pour  entrer  en  communication  avec  «  les 
diables  de  Montrouge  »,  à  qui  ils  demandaient 
des  sommes  considérables.  Madame  de  Mont- 
boissier, pour  sa  part,  n'exigeait  pas  moins  de 
quinze  millions  qu'elle  entendait  trouver  <  dans 
son  petit  cabinet  vert  ».  Pour  arriver  à  ce  beau 
résultat,  le  duc  et  la  comtesse  s'étaient  mis 
entre  les  mains  d'un  certain  Lafosse,  homme 
fort  spirituel,  et  galant,  que  madame  de  Bé- 
thune  protégeait,  et  qui  s'occupait  de  sorcel- 
lerie, grâce  aux  relations  qu'il  avait  avec  des 
esprits  célestes  :  Varcan  roi,  Gassiel  prince, 
Anciel  et  Mathael.  Comment  se  termina  toute 
cette  aventure  où  figurent  de  nombreux  com- 
parses, il  serait  trop  long  de  le  rapporter  ici. 
Ni  le  duc  ni  la  comtesse  ne  recueillirent,  bien 
entendu,  les  sommes  qu'ils  attendaient  ;  en 
revanche,  ils  en  déboursèrent  d'assez  fortes 
qui  passèrent  dans  la  poche  de  Lafosse.  Un 
procès  eut  lieu,  mais  seuls  les  comparses  furent 

i.  Bibliothèque  de  l'Arsenal:  niss.  10880. 


408         FILLES    JSOBLES    ET    MAGICIENNES 

condamnés,  notamment  ceux  qui  avaient  joué 
le  rôle  des  diables  ^ 

Vers  le  même  temps,  Richelieu  était  soup- 
çonné d'avoir,  étant  à  Vienne,  assisté  avec  le 
comte  de  Westerloo  et  l'abbé  de  Zinzendorf,  à 
des  séances  de  magie  organisées  par  un  char- 
latan qui  se  faisait  fort  de  leur  montrer  Belzé- 
buth^ 

Vers  le  même  temps  encore,  un  homme  qui 
annonçait  qu'il  s'enfermerait  dans  une  bouteille, 
un  faiseur  de  miracles,  Gosse,  dit  Elie,  entraî- 
nait tout  Paris.  Trente  mille  personnes  cou- 
raient chaque  jour  rue  des  Ciseaux  où  il  tenait 
ses  assises.  Aveugles,  mendiants,  éclopés,  boi- 
teux, bossus,  toutes  les  lèpres,  toutes  les  souf- 
frances, toutes  les  infortunes  se  donnent  ren- 
dez-vous dans  la  demeure  de  ce  magicien,  de 
ce  prophète  qui  guérit  un  malade  rien  qu'en 
le  touchant.  «  Sans  la  police,  on  l'aurait 
fait  dieu»,  dit  Mercier^  Songez  quel  brave 
homme;  il  n'accepte  pas  d'argent!  Sa  femme, 
il  est  vrai,  l'accepte  pour  lui...  Ainsi  n'y  perd- 

1.  Ch.  de  Coynard,  Les  malheurs  d'une  grande  dame  sous 
Louis  XV. 

2.  Journal  de  Barbier  t.  II,  p.  9.  Cf.  aussi  Duclos,  t.  II, 
p.  265. 

3.  Mercier,  Tableau  de  Paris. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  409 

il  rien.  Il  se  retirera  dans  une  honnête  aisance. 

Riche  également  deviendra  Eteila,  le  cé- 
lèbre Eteila,  professeur  de  magie,  mais  sur- 
tout devin,  dont  les  consultations  attirent  la 
meilleure  société  dans  son  infâme  logis  de  la 
rue  Fromenteau.  Les  grands  seigneurs  n'é- 
sitent  pas  à  crotter  leurs  bas  de  soie,  ni  les 
jolies  femmes  à  risquer  leurs  petits  souliers  de 
satin  dans  la  boue  gluante  de  cette  rue  sordide, 
non  plus  qu'à  monter  les  cinq  étages  qui  con- 
duisent à  son  taudis.  Il  se  refuse,  en  effet,  à 
changer  de  logement.  Il  suit  fidèlement  la  tra- 
dition des  sorciers  du  vieux  temps  qui  recher- 
chaient de  préférence  les  galetas  sombres  et 
sales,  les  masures  borgnes  et  branlantes, 
comme  rappelant  mieux  l'antre  de  la  sibylle*. 

Pourquoi  ne  consulterait-on  pas  ce  devin 
peu  ragoûtant,  quand  la  manie  superstitieuse 
est  poussée  à  un  tel  degré  qu'on  consulte  même 
des  fous.  «  Deux  dames  sont  allées  aux  Petites 
Maisons,  lit-on  dans  les  Mémoires  secrets,  la 
veille  du  tirage  de  la  loterie  génoise,  pour  se 
faire  choisir  cinq  numéros.  Le  fou  à  qui  elles 
s'adressèrent  rêva  avec  beaucoup  d'attention, 

1.  Le  vieux  Paris,  op.  cit. 


110         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

écrivit  hâtivement  cinq  numéros  sur  un  petit 
papier,  le  roula,  l'avala,  en  disant  :  «  Mes- 
dames, je  vous  assure  qu'ils  sortiront  demain.  » 
Eh!  Eh!  cet  hôte  des  Petites  Maisons  n'était 
peut-être  pas  si  fou  qu'il  paraissait  l'être... 

Les  femmes  surtout  continuent  de  se  mon- 
trer enragées.  Rien  ne  les  arrête,  rien  ne  les 
fait  reculer.  Signale-t-on  quelque  nouvelle  pro- 
phétesse,  elles  n'ont  cesse  d'y  voler,  au  risque 
de  tomber  dans  un  guet-apens.  C'est  ce  qui 
advient  à  la  marquise  de  l'Hôpital  et  à  la  mar- 
quise de  la  Force.  Ayant  entendu  parler  d'une 
étrangère  qui  «  prédit  l'avenir  comme  un 
ange  »,  elles  se  font  conduire  dans  le  quartier 
habité  par  la  donzelle,  laissent  leur  carosse  vis- 
à-vis  d'une  église  voisine,  et  délibérément,  ga- 
gnant à  pied  une  ruelle  déserte,  grimpent  l'es- 
calier boiteux  d'une  maison  de  vilaine  appa- 
rence. La  sorcière  leur  déclare  que  si  elles 
veulent  causer  avec  le  diable,  il  convient  d'a- 
bord qu'elles  se  dépouillent  de  tous  leurs  vête- 
ments. A  quoi,  les  folles  n'ont  garde  de  man- 
quer. La  sorcière,  alors,  emporte  les  habits, 
en  disant  qu'elle  va  revenir,  ferme  la  porte  et 
décampe.  Les  deux  dames,  comprenant  enfin, 
jettent  des  cris  ;  des  voisins  accourent  ;  on  les 


DISEUSES     DE    BONNE    AVENTL'RE  411 

délivre;  la  police,  les  prenant  pour  des  drô- 
lesses,  les  veut  conduire  en  prison.  Il  fallut 
qu'elles  donnassent  leurs  noms*.  Ce  tour  les 
guérit-elles  de  leur  manie?  On  n'en  jurerait 
pas. 

A  une  autre  dame,  dont  le  nom  n'est  pas 
parvenu  jusqu'à  nous,  il  arriva  une  aventure 
également  singulière.  Elle  aussi  voulait  voir 
Satan.  La  sorcière  qu'elle  avait  mandée  à  son 
domicile,  la  fait  déshabiller,  selon  les  bonnes 
traditions,  mais  voilà  que  soudain,  le  mari  entre. 
Il  aperçoit  sa  femme  toute  nue,  croit  à  quelque 
galant  caché  et  le  cherche  avec  fureur.  Il  finit 
par  découvrir  la  vieille  pythonisse  derrière  un 
rideau,  flaire  la  vérité,  remet  son  épée  au  four- 
reau et,  comprenant  qu'il  ne  s'agit  que  du 
diable,  se  montre  bon  prince.  Il  avait  craint 
beaucoup  pis... 

1.  Argenson  :  Mémoires  édit.  eizev.,  t.  IV,  p.  71.  —  Cette 
anecdote,  comme  la  suivante,  se  trouvent  aussi  dans  les 
Mémoires  secrets,  16  octobre  1775  et  22  mars  1777 . 


Les  voyantes  et  la  Révolution.  —  Les  hommes  de  la 
Révolution  croyaient-ils  aux  prédictions  ?  —  On  n'a- 
vait pas  le  temps  de  s'occuper  de  l'avenir.  —  Le  Di- 
rectoire, époque  triomphale  pour  les  diseuses  de 
bonne  aventure.  —  Martin.  —  Madame  Michel.  — 
L'épouse  du  sieur  Garic.  —  Crise  de  crédulité  due 
aux  événements  extraordinaires  que  l'on  a  sous  les 
yeux.  —  L'Impératrice  Joséphine.  —  Mademoiselle 
Lenormand.  —  Napoléon  était-il  crédule?  —  En- 
core mademoiselle  Lenormand.  Elle  a  de  nombreuses 
émules  en  province.  —  Mais  elle  est  la  dernière 
grande  cartomancienne.  —  Les  annonces.  —  Gué- 
rison  de  la  timidité.  —  Ne  sourions  pas  des  per- 
sonnes qui  croient  aux  prophéties.  —  Les  médiums.  — 
Forces  psychiques  inconnues.  —  Intelligence  possible 
de  l'avenir  et  charlatanisme.  —  Nos  sibylles  mo- 
dernes. 

Si   toutes   ces   sibylles,   si    nombreuses  au 
XVIII*  siècle,  si  toutes  ces  devineresses,  si  tous 


DISEUSES    DE    BOXE    AVENTURE  413 

ces  magiciens  ne  sont  pas  de  simples  charla- 
tans, exploiteurs  de  la  naïveté  publique,  comme 
ils  ont  dû  lire  de  terribles  choses  dans  les 
cartes,  dans  le  marc  de  café,  ou  dans  les  lignes 
des  petites  mains  tremblantes  d'émotion  jolie 
que  leur  tendaient  tant  de  femmes  élégantes, 
nobles,  insouciantes  et  crédules.  On  raconte 
bien  que  Ga20tte  vit  dans  une  carafe  des  tètes 
coupées,  des  tètes  sanglantes,  et  qu'à  quel- 
ques-unes des  futures  victimes  de  l'échafaud, 
il  prédit  leur  sort.  '  On  aimerait  savoir  à  com- 
bien de  ces  gentilshommes  qui  pivotent  encore 
sur  leurs  talons  rouges,  à  combien  de  ces 
femmes  de  la  Cour,  on  prophétisa  l'exil,  la 
prison,  la  mort  —  le  genre  de  mort  qui  les 
guette!  Quels  sont  ceux  ou  celles  dont  la  vie 
souriante  fut  traversée  par  l'horrible  vision 
soudain  entrevue  à  la  clarté  d'une  prédiction  ? 
Mais,  aussi  bien,  quel  est  celui,  quelle  est  celle 
qui  n'eût  pouffé  d'entendre  la  pythie  parler  de 
prison  ou  d'échafaud  ?  La  prison,  l'échafaud! 
bon  pour  ces  sorcières  qui  peu  ou  prou  entre- 
tiennent  commerce  avec    le   diable,  ce  dont 

1.  Au  dire  de  La  Harpe,  qui  place  la  scène  chez  la  Du- 
chesse de  Gramont,  Bailly,  Viq  d'Azir,  Malesherbes, 
Chamfort,  Nicolaï  y  assistaient. 


414         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

l'officialité  pourrait  bien  un  jour  s'offusquer  à 
nouveau  et  leur  demander  compte,  comme  au 
Moyen  âge  ! 

Prison,  échafaud,  les  voici  pourtant!  Et  ce 
ne  sont  point  les  sorcières  qui  vont  dans  l'une, 
montent  à  l'autre.  Vous  ne  leur  aviez  pas 
prédit  cette  fin  lamentable,  à  vos  clientes, 
diseuses  de  bonne  aventure,  tireuses  de  cartes, 
voyantes.  Aviez- vous  donc  peur  de  les  effrayer? 
Mais  aviez-vous  prévu  que  Marat  serait  demi- 
dieu  et  que  M.  de  Robespierre  demanderait 
cent  mille  têtes  ? 

J'eusse  été  curieux,  je  l'avoue,  de  découvrir 
quelques  renseignements  sur  la  part  de  supers- 
tition qui  avait  pu  subsister  dans  le  cœur  des 
hommes  de  la  Révolution,  dont  la  plupart 
avaient  connu  les  dernières  années  d'engoue- 
ment pour  Gagliostro  et  autres  magiciens.  Il  eut 
été  amusantd'apprendre  que  Danton,  Saint-Just, 
Desmoulins  ou  encore  l'aimable  Fouquier-Tin- 
ville,  entre  deux  discours  sanguinaires  ou  entre 
deux  «  charrettes  »,  se  glissaient  dans  l'antre 
d'une  pythonisse  et  s'efforçaient  de  lui  arracher 
quelque  révélation  sur  leur  avenir,  sur  le  len- 
demain. A  vrai  dire,  je  ne  suis  pas  surpris  de 
n'avoir  rien  trouvé  sur  ce  sujet.  Les  hommes 


DISEUSES    DE    BOXXE    AVENTURE  415 

de  la  Révolution,  pour  superstitieux  que  pus- 
sent être  restés  beaucoup  d'entre  eux,  ne 
devaient  guère  songer  à  consulter  les  devins. 
Les  temps  vont  trop  vite.  L'avenir,  c'est  l'heure 
qui  va  suivre,  c'est  tout  de  suite!  C'est  cet 
homme  qui  se  lève  à  la  tribune  et  qui  va  vous 
dénoncer;  c'est  ce  sans-culotte  qui  vous  heurte, 
et  qui,  pris  de  vin,  hurle  «  à  l'aristocrate  ». 
L'avenir,  on  le  joue  à  toute  minute,  et,  à  toute 
minute,  on  le  peut  perdre.  Allez  donc  tendre 
la  main  à  la  sibylle,  quand,  sans  relâche,  on 
tend  à  la  guillotine  son  cou. 

Il  faut  que  le  bourreau  se  lasse  un  peu  pour 
que  reprenne  le  commerce  de  la  divination. 
Nous  ne  goûtons  sincèrement  la  curiosité  de 
connaître  notre  avenir  qu'à  la  condition  de  le 
croire  à  peu  près  assuré  et,  pour  s'intéresser 
aux  secrets  de  sa  propre  vie,  il  n'est  rien  que 
d'être  d'abord  à  peu  près  sûr  de  vivre. 

Or,  je  le  demande,  quand  parut-on  aussi 
certain  de  vivre  qu'à  l'époque  du  Directoire. 
Parce  que  l'échafaud  avait  été  démonté  et  que 
le  sang  ne  giclait  plus  tous  les  jours  sur  les 
places  publiques,  il  semblait  à  chacun  que  la 
mort  était  indéfiniment  éloignée,  qu'on  avait 
rayé  la   mort  !  Tout  homme  après  un  grand 


416         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

danger  couru,  où  sa  vie  fut  en  jeu,  s'imagine  un 
instant  qu'il  est  désormais  immortel.  Impres- 
sion délicieuse,  malheureusement  trop  courte. 
Ce  fut  exactement  celle  que  l'on  ressentit  au 
lendemain  de  Thermidor,  et  voilà  pourquoi,  en 
même  temps  qu'on  se  ruait  aux  bals,  aux  fêtes, 
aux  amusements  les  plus  divers,  les  plus  vio- 
lents et  les  moins  choisis,  comme  dans  une  furie 
de  jouissance,  on  se  précipitait  aussi  chez  les 
cartomanciennes,  car,  maintenant  qu'on  allait 
vivre,  c'était  bien  le  moins  qu'on  sût  comment  et 
dans  quelles  conditions  de  fortune  et  de  bonheur. 
Comme  toujours,  les  femmes  sont  les  plus 
empressées.  Elles  ont  perdu  l'habitude  de 
croire  en  Dieu,  mais  non  pas  de  croire  en  la 
tireuse  de  cartes.  Mon  amant  me  reviendra- 
t-il,  qui  me  quitta  hier?  Trouverai-je  un  mari 
riche,  en  remplacement  de  celui  d'avec  qui  j'ai 
divorcé  ce  matin?  Ma  bague,  ma  bague  que  je 
perdis  à  Tivoli,  où  est-elle?  me  la  rendra-t-on? 
Si  tu  me  fais  rapporter  mon  petit  chien  qui 
s'est  égaré  ou  qu'on  m'a  volé,  tu  auras  cent 
livres  en  assignats,  bonne  sorcière.  Barras 
quittera-t-il  Thérézia  pour  moi?  Quelle  robe 
dois-je  mettre  aujourd'hui  pour  attirer  les 
regards  du  divin  Garât?... 


DISEUSES    DE    BOXXE    AVENTURE  417 

Où  trouver  réponse  à  des  questions  si  graves? 
Mais,  rue  de  Lancry,  par  exemple,  chez  ma- 
dame Villeneuve,  qui  du  tarot  sait  tirer  des 
oracles  précis.  N'est-ce  point  à  elle  que  Bour- 
rienne  attribuera  la  fameuse  prédiction  faite  à 
Joséphine,  durant  la  campagne  d'Egypte? 
Affirmation  controversée,  d'ailleurs,  mais 
qu'importe?  Ira-t-on  chez  Martin,  plus  célèbre, 
plus  achalandé?  Il  habite,  ce  Martin,  rue  d'An- 
jou-Dduphine,  un  abominable  logis,  poussié- 
reux, vermineux,  meublé  de  chaises  de  paille 
et  d'une  table  de  bois  dégoûtante  de  crasse. 
Vilain  comme  un  singe,  cul-de-jatte,  par- 
dessus le  marché,  les  yeux  chassieux,  il  se  tient 
derrière  cette  table  boiteuse,  un  jeu  de  tarots 
graisseux  entre  les  doigts.  Ce  gnome  est  plein  de 
gaieté,  de  cynisme  et  d'impertinence.  Il  accueille 
par  des  plaisanteries  vulgaires  débitées  avec  un 
fort  accent  italien,  la  foule  de  visiteurs  et  de 
visiteuses  qui  m'ont  pas  craint  de  venir  jusqu'à 
lui  et  paient  très  cher  ses  consultations.  On 
estime  son  gain  à  sept  ou  huit  louis  par  jour. 
Chaque  avenir  a  son  tarif,  et  la  cote  de  l'am- 
bition n'est  pas  la  même  que  celle  de  l'amour ^.. 

1.  Le  vieux  Paris,  op.  cit.  Cf.  aussi  d' Aimeras,  La  vie 
parisienne  sous  la  Révolution  et  le  Directoire. 


4-18         FILLES    .\OBLES     ET    MAGICIENNES 

Madame  Michel,  non  moins  appréciée,  lit  le 
destin  dans  le  blanc  d'œuf.  C'est  une  spécia- 
liste à  laquelle  s'adressent  de  préférence  les 
personnes  en  quête  d'un  trésor.  Et  l'on  pense 
si  la  clientèle  est  fournie  !  De  la  clientèle,  il  y 
en  a  pour  tous  les  devins,  pour  toutes  les  pro- 
phétesses.  Le  Directoire  est  l'âge  d'or  de  la 
sorcellerie.  Certes,  il  est  beaucoup  moins  ques- 
tion de  revenants,  de  fantômes,  de  diables, 
mais  les  petits  livres  de  secrets  magiques  four- 
millent à  tous  les  étalages  de  librairies.  Les 
murs  sont  couverts  d'affiches  indiquant  les 
moyens  infaillibles  de  gagner  à  la  loterie,,  la 
clef  des  songes,  l'explication  des  pronostics. 
Carrefours,  places,  boulevards  sont  remplis 
dlastrologues  et  de  devins  des  deux  sexes.  Il  y 
en  a  plus  de  cinquante  établis  entre  la  Made- 
leine et  la  rue  Vieille-du-Temple  ^  Ces  prophé- 
tesses  au  rabais  se  faisaient  connaître  au  public 
par  des  réclames  plus  ou  moins  ingénieuses. 
Je  dois  à  l'obligeance  de  l'érudit  et  prestigieux 
évocateur  du  vieux  Paris,  M.  Georges  Gain, 
d'avoir  tenu  entre  mes  mains  un  de  ces  pros- 
pectus que  les  sibylles  de  l'époque  faisaient  dis- 

1.  Kotzebue  :  Souvenirs  de  Paris. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  419 

tribuer  au  coin  des  rues.  Le  voici  :  «  V épouse 
du  sieur  Garic  donne  ses  avis  sur  le  passe'  et 
Vavenire  tracer  la  conduite  du  Bien.  Donner  le 
préservatif  du  Maie.  Elle  est  visible  jusqu'à 
midi  place  du  Gué,  lY"*  43,  près  la  porte  du 
fage  o  premier.  »  Espérons  que  cette  devine- 
resse était  plus  forte  sur  Vavenire  que  sur  Tor- 
thographe!... 

Sous  l'empire,  et  après  l'empire,  la  crise  de 
crédulité  devient  plus  aiguë.  Que  de  parents, 
que  de  femmes  veulent  se  renseigner  sur  le 
sort  d'un  fils,  d'un  mari,  d'un  frère,  drainé 
comme  tant  d'autres  par  l'impitoyable  cons- 
cription, parti  derrière  le  terrible  mangeur 
d'hommes,  ayant  avec  lui  promené  la  gloire 
sur  toutes  les  routes  de  l'Europe,  et  dont  depuis 
un  an,  cinq  ans,  dix  ans,  on  ne  savait  pl-us 
rien.  Que  de  fortunes  en  déshérence  par  suite 
de  la  disparition  du  légitime  propriétaire?  Où 
était-il  celui-là?  Avait-il  péri  dans  quelque 
prison  révolutionnaire?  Etait-il  tombé  au  cours 
de  quelque  émeute  obscure  ?  L'avait-on  aban- 
donné dans  les  steppes  de  Russie?  Tout  con- 
courait à  surexciter  l'inquiétude,  l'ambition, 
la  curiosité.  Etrange  époque  où  les  choses  les 
plus  extraordinaires  se  réalisaient,  devenaient 


420         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

communes.  En  voyait-on  de  ces  hommes  qu'on 
avait  cru  morts  et  que  l'on  avait  oubliés,  repa- 
raître soudain,  réclamer  un  héritage  déjà  passé 
en  des  mains  étrangères  ?  En  voyait-on  errer 
par  les  chemins  à  la  recherche  d'une  famille 
dispersée,  de  biens  vendus,  de  fortunes  jadis 
confiées  h  quelque  serviteur  qu'on  croyait 
fidèle  ou  simplement  cachées  hâtivement  dans 
un  mur,  au  fond  d'un  parc,  ou  dans  un  châ- 
teau dont  il  ne  reste  plus  maintenant  pierre 
sur  pierre  ! . . . 

Si  la  superstition  et  la  crédulité  ont  jamais 
eu  d'excuse,  convenons  que  c'est  bien  à  ces 
heures  troublées,  tourmentées,  où  le  merveil- 
leux semblait  s'être  humanisé  au  point  que  les 
événements  auxquels  on  assistait  tenaient  eux- 
mêmes  du  prodige.  Ces  nations  qui  demandent 
grâce,  ces  royaumes  qui  passent  comme  des 
muscades,  ces  capitales  dont  la  France  fait  de 
simples  préfectures,  ces  rois  dépouillés,  ces 
soldats  qu'on  fait  rois,  ce  mince  officier  d'ar- 
tillerie qui  s'installe  sur  le  trône  des  Bourbons, 
et  puis  le  retour  de  la  fortune,  la  défaite  qu'on 
ne  connaissait  plus,  et  de  nouveau,  les  rois  qui 
reprennent  leur  place  et  l'empereur  qu'on 
exile,   qu'on  chasse,   qu'on   emprisonne   dans 


DISEUSES    DE    BON.VE    AVENTURE  421 

une  île  lointaine,  et  tous  ces  gens  qui  n'étaient 
rien  et  qui  sont  ducs  et  princes,  et  tous  ces 
autres  qui  commandaient,  gouvernaient,  et  qui 
ne  sont  plus  rien.  A  qui  entendre?  Comment 
ne  pas  perdre  la  tête?  Est-on  bien  sûr  de  ne 
point  rêver?  Et,  pour  s'y  reconnaître,  dans  ce 
tourbillon,  dans  ce  chaos,  vraiment  ce  n'est 
pas  trop  qu'il  y  ait  des  prophètes,  des  devins  pour 
expliquer,  annoncer,  mettre  un  peu  d'ordre 
et  vous  aider  à  déchiffrer  l'énigme  où  l'on  vit. 

Mademoiselle  Lenormand,  malgré  toute  sa 
sagacité  et  les  lumières  dont  elle  dispose,  n'y 
voit  pas  toujours  clair. 

C'est  à  Joséphine  qu'elle  doit  une  bonne 
partie  de  sa  renommée.  Joséphine  n'est  pas 
pour  rien  fille  des  îles  où  les  sorciers  jouissent 
d'une  influence  au  moins  égale  à  leurs  préten- 
tions. Est-il  vrai  qu'étant  enfant,  à  la  Marti- 
nique, une  vieille  femme  qui  disait  la  bonne 
aventure  lui  ait  assuré  «  qu'elle  serait  reine  de 
France  »  et  que  mademoiselle  de  la  Pagerie 
ayant  d'abord  traité  cette  prédiction  d'absurde , 
puis  l'ayant  oubliée,  ne  commença  d'y  attacher 
de  l'importance  que  le  jour  où  elle  devint  veuve 
de  Beauharnais*?  Il  se  peut  bien.  Toujours est- 

1.  Mémoires  sur  rimpératrice  Joséphine.  Paris,  1828. 

24 


422         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

il  qu'elle  conserva  beaucoup  de  goût  pour  les 
devineresses  et  qu'elle  ne  se  défendait  pas  de 
croire  à  leurs  oracles.  Mademoiselle  Lenor- 
mand  ne  pouvait  manquer  de  la  séduire  et  la 
séduisit  en  effet.  Il  n'est  pas  bien  certain  que 
mademoiselle  Lenormand  lui  ait  prédit  que  son 
fils  deviendrait  prince  et  que  sa  fille  épouserait 
un  soldat  qui  serait  roi.  Gela  a  pu  être  arrangé 
après  coup.  Il  n'en  reste  pas  moins  que  les 
relations  entre  la  sibylle  et  la  femme  de  Napo- 
léon furent  constantes.  «  Joséphine  honora 
mademoiselle  Lenormand  de  son  amitié,  dit  la 
margrave  d'Anspach,  et  répandit  sur  elle  de 
nombreux  bienfaits  K  »  Ce  serait  elle  plutôt 
que  la  Villeneuve  qui  lui  aurait  prophétisé  le 
trône.  En  ce  cas,  on  comprendrait  la  reconnais- 
sance de  Joséphine  comme  aussi  la  confiance 
qu'elle  lui  témoignait.  On  affirme  qu'elle  lui 
avait  prédit  le  divorce.  Il  s'agirait  de  savoir 
quand.  Si  l'entrevue  au  cours  de  laquelle 
Lenormand  fit  cette  prophétie,  eut  lieu,  ainsi 
qu'on  le  dit,  dans  les  premiers  jours  de  dé- 
cembre 1809,  avouons  que  pas  n'était  besoin 
d'être  sorcier  pour  faire  une  telle  prédiction  à 

1.  Mémoire  de  la  margrave  d'Anspach. 


DISEUSES    DE    BOXXE    AVENTURE  423 

la  veille  même  du  jour  où  Napoléon  rompait 
avec  Joséphine.  Le  divorce  était  à  cette  date  le 
secret  de  polichinelle. 

Napoléon  n'aimait  guère  mademoiselle  Le- 
normand.  Il  voyait  d'un  assez  mauvais  œil 
cette  intrigante  aller  et  venir  dans  les  apparte- 
ments de  l'impératrice  avec  autant  de  désin- 
volture qu'elle  avait  fait  chez  la  veuve  de 
Beauharnais  ou  chez  la  citoyenne  Bonaparte. 
«  Dites-lui  bien  de  ne  pas  se  mêler  de  mes 
affaires  »,  recommande-t-il  à  Joséphine,  un  jour 
que  celle-ci  lui  raconte  je  ne  sais  quelle  pré- 
diction de  sa  pythonisse  favorite  *.  Au  vrai,  il 
s'inquiète  beaucoup  moins  de  ce  que  débite  Le- 
normandque  de  ce  que  Joséphine  peut  lui  dire. 
Il  sait  sa  femme  bavarde  et  combien  facile- 
ment on  lui  arrache  un  secret.  Qu'il  ne  tienne 
pas  à  mettre  mademoiselle  Lenormand  au 
courant  de  ses  desseins,  de  ceux-mêmes  qu'il 
révèle  à  l'impératrice  et  qui  ne  sont  pas  des 
plus  grands,  c'est  fort  naturel.  Il  la  fait  arrêter 
trois  fois,  en  1803,  en  180o  et  en  1809,  la 
relâche  presque  aussitôt,  sans  doute  sur  les 
prières  de  Joséphine.   On  sent  qu'elle  l'agace, 

1.  Mémoires  sur  l'impératrice  Joséphine,  op.  cit. 


424         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

qu'il  voudrait  ne  plus  entendre  parler  d'elle.  A 
son  art,  à  sa  prétendue  science,  il  ne  croit  pas. 
n'a  jamais  cru,  traite  ses  oracles  de  billevesées 
et  d'enfantillages.  Il  n'est  point  crédule.  On 
pourrait  penser  qu'il  n'a  pas  entièrement 
dépouillé  le  Corse,  que  le  sang  italien  qui 
coule  dans  ses  veines  a  laissé  des  traces  et  que, 
comme  tout  bon  transalpin,  il  craint  la  jetta- 
tura,  garde  au  fond  de  son  cœur  une  vague 
confiance  dans  les  pratiques  des  astrologues, 
tireuses  de  cartes,  et  magiciens.  J'inclinais  à 
le  penser.  J'avais  tort.  L'homme  au  monde  qui 
connaît  le  mieux  Napoléon,  qui  a  le  plus  profon- 
dément pénétré  sa  pensée,  comme  il  a  le  mieux 
conté  sa  vie,  élevant  à  sa  mémoire  un  monu- 
ment impérissable,  M.  Frédéric  Masson,  m'a 
fait  l'honneur  de  me  détromper.  «  L'empereur 
n'a  jamais  été  superstitieux,  dit-il,  et  la  seule 
habitude  qu'il  ait  conservée  était  ce  geste 
familier  aux  Italiens  qui  consiste  à  faire  sou- 
vent, surtout  en  cas  d'ennuis,  de  difficultés 
ou  de  danger,  des  petits  signes  de  croix  ra- 
pides. » 

Mais  revenons  à  mademoiselle  Lenormand. 
Elle  en  vaut  la  peine.  N'est-elle  pas  la  patronne 
de    nos  somnambules  modernes?  Ces  dames 


DISEUSES     DE    BONNE    AVENTURE  425 

ne  se  disent-elles  pas  toutes  «  élèves  de  made- 
moiselle Lenormand  »  ! 

Elle-même,  née  à  Alençon,  de  famille 
obscure,  venue  à  Paris  où  elle  exerce  le  métier 
de  couturière,  eut  pour  initiateur  dans  l'art 
divinatoire,  le  fameux  Gall,  phrénologue 
anglais  qui  avait  développé  l'art  de  la  chiro- 
mancie d'après  les  conjectures  de  Lavater*.  Dès 
la  fin  du  règne  de  Louis  XVI,  son  succès  est 
considérable  à  Paris.  On  la  perd  un  peu  de  vue 
durant  les  premières  années  de  la  Révolution, 
mais,  soupçonnée,  probablement  en  raison  de 
ses  rapports  avec  Hébert,  elle  est  enfermée 
à  la  Petite  Force  où  elle  fait  la  connais- 
sance de  madame  de  Beauharnais.  Pendant 
tout  le  Directoire  et  l'Empire,  elle  est  la  devi- 
neresse à  la  mode.  De  toutes  parts,  on  accourt 
pour  la  consulter.  Sa  réputation .  devient 
européenne.  Son  art  est  divers  d'ailleurs.  Elle 
lit  dans  la  main,  mais  elle  utilise  aussi  le  marc 
de  café  et  n'a  garde  de  méconnaître  les  vertus 
des  tarots.  On  lui  reprochera  même  -  de  n'avoir 
pas  imité  le  grand  Eteila  sous  ce  rapport  et 

1.  X-.  H.  Cellier  du  Fayel,  La  vérité  sur  mademoiselle  Lenor- 
mand. 

2.  Nouvel  art  de  tirer  les  cartes,  op.  cit. 

24. 


426         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

d'avoir  négligé  les  vieux  tarots  égyptiens  pour 
se  servir  d'un  tarot  tout  à  fait  fait  fictif  quoi- 
que très  ingénieusement  composé. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  public  s'en  contentait. 
On  ne  tarissait  pas  sur  la  beauté,  la  vérité  de 
ses  prédictions.  Gomment  ne  pas  admirer  l'avis 
qu'elle  donne  à  madame  Moreau  de  faire  fuir 
le  général,  en  1803?  Dira-t-on  que  liée  comme 
elle  l'était  avec  madame  Bonaparte,  il  ne  lui 
était  pas  impossible  de  savoir  le  danger  que 
courait  Moreau?  N'ergotons  pas...  Et  comme 
elle  s'entend  à  impressionner  son  public!  Dans 
le  bel  appartement  qu'elle  occupera  longtemps 
au  numéro  5  delà  rue  de  Tournon,  au  rez-de- 
chaussée,  l'antichambre  où  l'on  attend  est 
sévère,  d'aspect  glacial,  avec  ses  meubles 
sobres,  malgré  la  profusion  des  tableaux  et 
gravures  accrochés  aux  murs.  On  entre  dans 
le  sanctuaire.  De  suite,  on  demeure  frappé 
par  l'acuité  de  son  regard  inquisiteur.  D'un  ton 
bref,  elle  demande  :  «  Quel  jeu  voulez-vous? 
Est-ce  celui  de  six,  de  dix  ou  de  vingt  francs?  » 
Et  quand  le  client  à  fait  son  choix,  commence 
l'interrogatoire.  C'est  là  qu'elle  excelle.  L'habi- 
tude, peut-être  une  habileté  réelle,  lui  permet- 
tent de  poser  des  questions  comme  au  hasard, 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  427 

mais  captieuses  et  si  adroites  que  le  patient  n'y 
voit  que  du  feu.  Puis  elle  fait  couper  les  cartes 
de  la  main  gauche  et,  tranquillement,  déjà  aux 
trois  quarts  édifiée  sur  la  nature,  les  désirs,  le 
degré  de  naïveté  du  consultant,  elle  vati- 
cine. 

Durant  son  séjour  à  Bruxelles  où  le  gouver- 
nement de  la  Restauration  l'avait  envoyée  con- 
tinuer ses  petites  expériences,  et  au  cours 
duquel  elle  eut  maille  à  partir  avec  la  police,  le 
prince  Wolkonski  lui  envoie  un  diamant  de  la 
part  de  l'empereur  de  Russie,  accompagné 
d'une  lettre  flatteuse.  Cela  dut  la  consoler  de 
bien  des  déboires'.  Elle  mourut  en  1815,  «  dans 
toute  sa  pureté  native,  ainsi  que  cela  a  été 
constaté  »,  affirme  M.  Cellier  du  Fayel-. 

J'ai  voulu  revoir  cette  maison  de  la  rue  de 
Tournon  où  vécut  «  la  plus  grande  devineresse 
moderne  y>,  comme  elle  s'intitulait  modeste- 
ment. L'immeuble  est  en  partie  occupé  par 
uneinstitutionde  jeunes  filles.  Rien  ne  subsiste 
de  l'ancien  appartement  qu'illustra  mademoi- 
selle Lenormand.  Mais,  son  àme,  sans  doute, 

1.  Mémoire  justificatif  de  mademoiselle  Lenormand. 
Bruxelles,  1821. 

2.  La  tenté  sur  mademoiselle  lenormand,  op.  cit. 


428         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

voltige  encore  dans  ces  parages,  car,  quelques 
pas  plus  loin,  au  numéro  9,  un  encadreur 
expose  dans  sa  vitrine  des  jeux  de  tarots... 

Au  début  du  siècle  passé,  les  sorcières  et 
somnambules  pullulaient  en  province.  La 
Beauce  notamment  en  comptait  un  grand 
nombre.  Celles  de  Vilquier  et  de  Bronville 
étaient  célèbres.  11  y  avait  aussi  une  servante 
de  ferme  à  Oysonville  (nom  prédestiné!),  qui 
moyennant  la  modique  somme  de  0  fr.  73,  pré- 
disait l'avenir  avec  sagacité.  Une  demoiselle 
Farfin,  de  Nogent-le-Kotrou,  annonça  trois 
jours  d'avance  l'émeute  du  24  juin  1848:  elle 
voyait  «  le  sang  couler  à  grands  flots  dans  les 
rues  de  Paris  ».  Mais  elle  ne  sut  pas  voir  où 
était  l'argent  volé  à  un  de  ses  clients,  M.  Hua, 
et  cela  diminua  sa  popularité*. 

Sans  vouloir  médire  des  diseuses  de  bonne 
aventure  qui  font  actuellement  les  délices  des 
gens  du  peuple  comme  des  personnes  de  la 
société,  et,  sans  prétendre  diminuer  en  rien 
leurs  mérites,  je  crois  bien  que  mademoiselle 
Lenormand  fut  la  dernière  devineresse  de  grand 
style.  J'ai  dit  qu'elle  avait  fait,  souvent  à  son 

1.  Ad.  Lecocq,  Empiriques,  somnambules,  rebouteux. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  429 

insu,  d'innombrables  élèves  .  Aucune  n'attei- 
gnit à  sa  renommée  universelle.  Les  journaux, 
depuis  quatre-vingts  ans,  fourmillent  d'an- 
nonces indiquant  le  domicile  et  les  talents  de 
cartomanciennes,  chiromanciennes  et  autres 
pythonisses.  Leur  manière  de  se  révéler  au 
public  n'a  guère  changé,  non  plus  que  leurs  pro- 
cédés. Si  j'ouvre  un  numéro  du  Constitutionnel 
de  1848,  j'y  lis: 

«  Mademoiselle  Henriette,  somnambule  très 
lucide,  ayant  prédit  quatre  mois  à  l'avance 
Vavène?nent  de  Napoléon  à  la  présidence. 
Consultations  tous  les  jours,  20,  rue  Basse- 
du-Rempart  »  ;  ou  bien  :  «  Sibylle  moderne 
extra  lucide.  Avenir  politique  et  privé.  Explique 
les  songes.  Prédictions,  prévisions,  renseigne- 
ments divers.  De  six  à  cinq  heures,  rue  de 
Seine,  16,  au  premier.  On  peut  consulter  par 
correspondance.  » 

Voulez-vous  maintenant  jeter  les  yeux  sur 
un  journal  de  juillet  1912?  Nous  y  verrons 
cette  réclame  parmi  cent  autres  du  même 
genre. 

«  A  tous,  madame  X...,  la  célèbre  carto- 
mancienne, dit  tout  à  date  fixe  par  les  cartes, 
lignes  de  la  main.  Extraordinaire  par  ses  pré- 


130         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

dictions  toutes  justes.  Jamais  de  déceptions 
Reçoit  tous  les  jours,  43,  rue. . .  Consultations 
par  correspondance.  » 

Ces  dames,  on  le  voit,  ne  se  mettent  pas 
en  frais  d'imagination.  La  vieille  formule  de- 
meure la  bonne.  Quelques  cartomanciennes  de 
jadis  joignaient  à  leur  métier  celui  de  «  guérir 
les  maladies  invétérées  et  incurables.  »  Aujour- 
d'hui, elles  n'osent  pas  trop  se  servir  de  cette 
phrase  qui  tomberait  sous  le  coup  de  la  loi. 
Mais  j'en  vois  une  qui  «  guérit  la  timidité  ». 
N'est-ce  pas  alléchant?... 

Ne  sourions  pas.  A  quoi  bon  affliger  les 
gens  qui  croient  aux  prédictions,  aux  oracles 
de  nos  cartomanciennes  et  chiromanciennes, 
filles  et  héritières  des  anciennes  sorcières?  La 
crédulité  sera  toujours  la  crédulité.  Vous 
n'empêcherez  pas  certaines  personnes  d'ajouter 
la  foi  la  plus  aveugle  à  des  prophéties,  souvent 
sensationnelles,  qui  les  plongent  tour  à  tour 
dans  la  joie  ou  dans  la  terreur.  Une  confiance 
si  enracinée  ne  se  peut  arracher.  Elle  résiste  à 
toutes  les  désillusions,  à  tous  les  raisonne- 
ments ;  elle  résiste  aux  faits  eux-mêmes.  Ce 
qu'il  y  a  d'admirable  dans  les  prophéties  —  et 
voilà  justement  ce  qui  leur  assure  un  éternel 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  431 

succès —  c'est  que  les  termes  vagues  et  confus 
dans  lesquels  elles  sont  conçues,  permettent 
d'y  entendre  tout  ce  que  l'on  veut.  En  s'y  prê- 
tant un  peu,  il  n'est  pas  malaisé  de  trouver 
prédits,  dans  les  Centuries  de  Nostradamus,  la 
mort  de  Henri  II,  la  Révolution,  l'avènement 
de  Napoléon,  les  Cent  Jours  et  même  l'accident 
qui  coûta  la. vie  au  duc  d'Orléans,  fils  de 
Louis-Philippe.  Que  de  prophètes  en  France, 
depuis  l'astrologue  Loriel  qui  vaticinait  aux 
alentours  de  l'an  1200,  jusqu'à  l'ineffable  made- 
moiselle Couesdon  !  Maistre  Pierre  Turrel,  dans 
son  livre  L'Etat  et  mutation  des  temps  paru 
en  l-ooO,  lui  aussi  avait  prévu  la  Révolution, 
l'Empire,  la  Restauration.  Saint  Paterne,  dont  le 
manuscrit  précieux  fut  retrouvé  en  1743,  n'était 
pas  moins  bien  informé  des  grands  événements 
qui  devaient  se  produire  plusieurs  siècles  après 
sa  mort'.  Les  devins,  assure-t-on,  ont  prophé- 
tisé tous  les  faits  importants  de  l'histoire.  Com- 
bien serait-il  plus  exact  et  plus  juste  de  dire 
que  l'on  n'a  jamais  manqué  de  découvrir  — 
après  coup  —  que  ces  faits  importants  avaient 
été  annoncés. 

1.  J.-H.  Pézieux,  Fin  de  la  Révolution. 


432         FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

Est-ce  à  dire  que  l'on  doive  nier  a  priori  les 
facultés  spéciales  et  déconcertantes  que  pos- 
sèdent certains  médiums'^  Certes  non.  Les 
sciences  psychiques  sont,  de  toute  évidence, 
dans  l'enfance  encore.  Il  serait  puéril  de  vou- 
loir dès  à  présent  leur  assigner  une  limite. 
Qu'il  existe  en  nous  des  forces  inconnues,  cela 
ne  paraît  pas  douteux.  Que  ces  forces  se 
manifestent  de  façon  plus  ou  moins  incons- 
ciente, cela  est  démontré.  Il  est  probable,  il  est 
même  à  peu  près  sûr  que  les  expérimentateurs 
(j'entends  ceux  qui  sont  de  bonne  foi,  mais  il 
est  précisément  très  difficile  de  distinguer 
actuellement  la  part  de  charlatanisme  ou  de 
sottise  qui  entre  dans  les  expériences  de  spiri- 
tisme), il  est  néanmoins  à  peu  près  sûr  que 
ces  expérimentateurs  de  bonne  foi  jouent,  pour 
l'instant,  avec  ces  forces  psychiques,  mon  Dieu, 
à  la  façon  dont  nous  jouons  avec  l'électricité, 
dont  nous  tirons  de  si  stupéfiants  résultats  avant 
que  de  savoir  même  ce  qu'elle  est  au  juste. 
Mais  nous  sommes  loin  d'avoir  obtenu  des 
effets  aussi  concluants  du  magnétisme  et  du 
spiritisme.  Le  voile  n'est  point  déchiré.  Peut- 
être  nos  petits-neveux  verront-ils  la  solution 
de  ces  problèmes  angoissants. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  433 

Je  ne  voudrais  pas  affirmer  non  plus  que, 
dans  quelques  cas,  très  rares  évidemment,  ces 
forces  inconnues  qui  vibrent  en  nous,  plus 
développées  chez  certaines  personnes,  ne  leur 
permettent  d'avoir  quelque  intelligence  de 
l'avenir.  Tout  est  possible  et  l'esprit  humain 
n'est  pas  au  bout  de  ses  découvertes.  Mais  de 
là  à  supposer  que  la  moindre  faculté  divina- 
toire puisse  être  accordée  à  toutes  les  aimables 
dames,  jeunes  ou  vieilles,  qui  font  métier  de 
tirer  les  cartes,  de  lire  dans  les  lignes  de  la 
main,  de  voir  votre  sort  dans  le  marc  de  café, 
dans  le  blanc  d'oeuf  ou,  comme  les  pythonisses 
arabes,  de  le  deviner  en  faisant  sauter  de 
petits  cailloux  dans  leurs  paumes,  il  y  a  un 
abîme. 

Nos  sibylles  d'aujourd'hui  ont  renoncé  aux 
hiboux  empaillés,  aux  têtes  de  mort,  aux  chats 
noirs  miaulant  lugubrement,  à  tout  l'attirail 
suranné  de  leurs  devancières;  elles  se  logent 
dans  des  appartements  qui  ne  rappellent  en 
rien  les  bouges  où  se  blottissaient  la  Voisin,  la 
Chenault,  la  Fleury  ou  Martin.  Elles  ont  aban- 
donné des  traditions  beaucoup  plus  vénérables, 
et  il  ne  leur  viendrait  certainement  plus  à 
l'idée  de  nous  faire  baiser  le  pied  du  diable, 

25 


434  FILLES    NOBLES    ET    MAGICIENNES 

non  plus  que  son  derrière.  Grâces  leur  soient 
rendues!  Témoignons-leur,  en  remerciement, 
quelque  indulgence  si  elles  s'amusent  aux 
dépens  de  notre  sottise. 

Comment,  diront  beaucoup  de  mes  lectrices, 
comment  refuser  à  ces  pythonisses  le  don  de 
la  divination?  Ne  tombent-elles  pas  juste  la 
plupart  du  temps?  Excusez-moi;  d'abord  elles 
ne  tombent  pas  juste  si  fréquemment  que  vous 
voulez  bien  le  croire.  Ensuite,  que  faites-vous 
des  cas  où  elles  se  trompent  —  et  grossière- 
ment? Je  vois  encore  l'indignation  avec 
laquelle  s'exprimait  un  officier  de  ma  connais- 
sance au  sortir  d'une  consultation  que  lui  avait 
accordée  une  de  nos  chiromanciennes  les  plus 
appréciées.  «  Groiriez-vous,  me  dit-il,  qu'elle 
n'a  pas  su  voir  que  j'avais  servi  trente  ans 
dans  la  cavalerie  !  »  La  longue  barbe  qu'il  por- 
tait avait  suffi  à  dérouter  la  bonne  dame,  qui 
ne  se  figurait  pas  qu'un  colonel  de  cuirassiers 
pût  porter  autre  chose  que  la  moustache.  Elles 
en  sont  toutes  là.  Si,  parfois,  elles  devinent 
quelque  chose  de  votre  passé  et  démêlent  vague- 
ment des  bribes  de  votre  avenir  (mais  cela 
est  très  rare,  je  le  répète),  c'est  un  peu  que  le 
hasard  les  a  favorisées,  et  surtout  parce  que. 


DISEUSES    DE    BONNE    AVENTURE  435 

sans  s'en  douter,  les  hommes  qui  les  consul- 
tent et  bien  davantage  encore,  les  femmes, 
leur  livrent  tout  ou  partie  de  leurs  secrets,  de 
leurs  craintes,  de  leurs  désirs,  de  leurs  pas- 
sions. Avec  de  l'expérience,  avec  du  toupet, 
avec  une  certaine  puissance  d'intuition,  souvent 
très  développée  et  qui  devient  parfois  surai- 
guë chez  les  professionnelles  bien  douées,  avec 
enfin  les  confidences  qu'elles  vous  auront  arra- 
chées par  un  interrogatoire  habile  et  savant, 
tenez  pour  assuré  qu'elles  vous  donneront 
toujours  l'illusion  devons  avoir  dit  <  des  choses 
étonnantes  >.  Au  surplus,  peut-être  ne  leur  en 
demande-t-on  pas  davantage.  Que  si  elles 
réussissent  à  vous  procurer  cette  illusion, 
pourquoi  ne  s'estimerait-on  pas  satisfait?  C'est 
de  l'illusion  à  bon  marché,  en  somme,  puisque 
elle  ne  dépasse  guère  la  modeste  somme  de 
vingt  francs  (pour  le  grand  jeu).  Il  en  est 
de  plus  chères,  si  d'ailleurs  il  n'en  est  pas,  je 
crois  bien,  de  plus  trompeuses... 


PIN 


INDEX  DES  NOMS   CITÉS 


ABEILARD,   112, 

AGQUÉRIA     DE     ROCHEGODE 

(marquis  d'),  236. 

AGQUÉRIA     DE     ROCHEGUDE 

(marquise  d'),  236,  264,  265. 

AGQUÉRIA     DE     ROCHEGUDE 

(mademoiselle  d'),  264. 
AGUEssEAU  (Jean  d'),  17. 
AGUEssEAU  (Marguerite  d'), 

17. 
AIGUILLON'     (duchesse    d'), 

198. 
ALBiGNAc  (mademoiselle d'), 

chanoinesse,  86. 
ALDKGONDE  (sainte), 51. 
ALEXANDRE  (saint),  199,  200. 


ALIX  COURT  (madame  d'), 
393. 

AMBRUGUET  (Marie),  carto- 
mancienne, 379,  380,  381 . 

AMONCouRT  ^Henriette  d'), 
29,  30. 

ANNE  d'autriche  (la  reine), 
112,  144,  153. 

a.n'dresal  (madame  d'),219. 

ANSPACH  (le  margrave  d'}, 
422. 

AREMBBRG  (leS  d'),  49. 
ARÉTIN,  348. 

ARGENsoN  (marquis  d'),  197, 
266. 

ARGENSON  (comte  d'),  266. 

ARGEXsox  (madame d'),  266. 

ARM  aillé  (mesdemoiselles 
d'),  204. 

ARNAUD  (Guillaume),  sor- 
cier, 340. 


138 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


AUGiER,  devin,  406. 
AUGUSTIN  (saint),  20,  114. 
AULAN    (marquise    d'),    119, 

120,  122,  179,  215. 
AULAN     (mademoiselle     d'), 

121,  122,  123. 
AUTicHAMP     (madame     d'), 

210. 
AUVERGNE  (Fabbé  d'),  371. 
AYMARD   (Jacques),    sorcier, 

385,  394. 


BABEAU  (Alfred),  283,284. 

BACON    DE    LA    CHEVALERIE 

(madame),  262. 

BAiLLY,  413,  note. 

BARANTE  (M.  de),  84. 

BARBARiN  (madame  de),  213. 

BARBENTANE  (mademoiselle 
de),  204. 

BARBETTE,  prédicateur,  185. 

BARBIER  (le  sieur),  132. 

BARONAT  (M.  de),  88, 

BARONAT  (madame  de),  cha- 
noinesse,  42,  79. 

BARRAS,  416. 

BAS  IN  (femme),  sorcière, 
356. 

BAVIÈRE  (Charlotte  de),  voir 
Orléans. 

BAZIN  (femme),  cartoman- 
cienne, 385. 


BEAUDOiN  (officier),  196. 
B  E  A  u  D  0 1 N  (le  président),  397. 
BEAUFFREMONT  (laprinccsse 

de),  210. 
BEAU  M  ONT      (mademoiselle 

de),  204. 
BEAUREPAiRE  (madame  de), 

64. 

BEAUREPAIRE   (ICs),  49. 

BEAuvAU   (prince  de),  217. 

BEAUVILLIERS         (  dUChcSSC 

de),  218. 
BEAUVILLIERS  (madame  de), 

abbesse,  118,  180. 
BEAUVILLIERS  (madame  de), 

abbesse  de  la  Joye,  l'.'T. 
BELLEVAL  (madame de), 27.', . 
BELLiÈvRE    (madame    de), 

118,  177,  178. 
BELLIÈVRE  (le  président  dc), 

199. 
BELMONT  (madame  de), 2 U'. 
BENOIT    (saint),    7,    20,    73, 

114. 
BENOIT  IX  (le  pape),  341. 
BENOIT  XIII  (le  pape),  30. 
BERNis  (le  cardinal  de),  3'.Ni. 
BERTiLLON  (docteur),  340. 
BERRY  (duchesse  de),  395. 
B  ES  SET  (M.  J.du^  366,  note. 
B  ÉTUIS  Y  (les),  49. 
B  ÉTUIS  Y   (madame  de),    ab- 
besse, 134,  135,144. 
BÉTUUNE  (les),  50. 
BÉTHUNE  (madame  de),  407. 
BEUVRON  (le  comte  de),  371. 
BiRON  (les),  49. 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


439 


BLACOE    (madame    de    la), 

403. 
B LAÇONS  (madame  de),  258. 
BLAMOXT  (Catherine  de),  30. 
BLAMONT  (Henri  de),  30. 
BLAMOXT  (Jean  de),  29,  30. 
BLAMONT  (Olry  de),  30. 
BLAMONT  (Thibaut  de),  30. 
BLETO.N,  devin,  403,  406. 
BLONDE  (la),  servante,  382. 
BoissE  (la  comtesse  de),  219. 
BON  AL  (monseigneur  de),  22. 
BONNEViN  (madame  de),  86. 

BONNOT        DE       VILLEVRAIN 

(Paul  de),  236,  264. 

BONiFACE  VII  lie  pape), 341. 

BONTEMPs  (mademoiselle), 
397. 

BONTEMPS  (la),  cartoman- 
cienne, 393,  396. 

BORROMÉE  (saint  Charles-), 
312. 

BosRÉDON  (madame  de),  82. 

BOSSU  ET,  11. 

BOUDET  (Marcelin),  95. 
BouFFLERs    (le  comtc    de), 

403. 
BOUFFLERS  (mesdames  de), 

118. 
BOUILLON  (le   cardinal  de), 

116. 
BOUILLON  (la  duchesse  de), 

370. 

BOULAINYILLIERS        (  COmte 

de),  393. 
BOULAINYILLIERS     (made- 
moiselle de),  204. 


BOURBON    (le  cardinal    de), 

167. 
BOURBON  (mademoiselle  de), 

198. 
BOURBON  (la  princesse  J.-B, 

de),  116. 
B  0 u R B  o N-v E NI) o M E     (  prin- 

cesse  Renée  de),  abbesse, 

167. 
BOURBONS  (les),  31,  420. 

BOURRIENNE,  417. 

BRAGNELONGNE      (madame 
de),  178. 

BRACONNIER  (le  P.),  28. 

B  RANG  AS  (M.  de),  archevêque 

d'Aix,  288. 
B  RANG  A  s   (le  maréchal  de), 

288. 
B  RANG  A  3  (duchesse  de),  395. 
BRANGAs  (madame  de),  ab- 
besse, 122. 
BRANCAs  (madame  de),  403, 
BRANTÔME,    18,    uote,    353, 

354,  358. 
BRÉDA  (M.  de),  287. 
BRÉDA  (madame  de),  287. 
BRÉGY  (marquise  de),  263. 
BRiENNE  (comtesse  de),  403. 
BRiNviLLiERs  (marquisede), 

375,  379. 
BRisoN    (mademoiselle  de), 

17. 
BROGLiE  (le  comte  de),  395. 
BROSSES   (le   président  de), 

318. 
B  ROSS  1ER  (Marthe),  sorcière, 

364. 


440 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


BRUGUiÈRE     (madame     de 

Carmes  de  la),  318. 
BUDÉ  (Guillaume),  244. 

BURCHARDT,  347. 


CAGLIOSTRO,  338,  389,  399, 

402,  404,  405,414. 
CAiN  (Georges),  418. 
G  AL  VET  (docteur),  252, 
GAMBis  (madame  de),  148. 
GAMBY  (vicomtesse  de),  217. 
CAMP  (mademoiselle de), 208, 

note. 
CAMUS  (Le),  évêque  de  Gre- 
noble, 9,  89. 
CANDALLE  (le  duc  de),   303. 
GARiGNAN  (la  prlnccsse  de), 

211,  note. 
GARIGNAN  (madame  de),  374. 
GARLiN  (la),  sorcière,  355. 
CARS  (Charles  des),   évêque 

de  Langres,  346. 
CASTELNAu    (marquise  de), 

406. 
G  AUX  ONT  (marquis  de  Sey- 

tres-),  207. 
<:auzons  (M.  de),  346. 

CAZOTTE,  413. 

ghabannes  (Catherine  de), 

173. 
chabannes  (Hélène  de),  172. 
cHABANNEs  (mesdames  de), 

118. 


ciiABON   (madame   de),    42, 

100. 
CHABON  (madame  Galliende), 

42, 
CHABOT  (mademoiselle  de), 

88. 
CHABRiLLAN  (M.  de),  242. 
GHABRiLLAN  (madame   de), 

abbesse,  131,  132,  note. 
CHAiLLOT  (Benoîte  de),  35, 

note. 
CHALAZÉ  (la),  291. 
ciiALUs  (ie  chevalier  de),  82. 
c  II A  LU  s  (madame    de),   cha- 

noinesse,  86, 104. 
CIIAMILLART  (M.  de),  381. 
GHAMFORT,  413,  notC. 

cHAMoussET  (madame  de), 

293. 
GiiANAY  (M.  de),  18,  note.       1 
ciiAPONAY  (madame  de), 42.    * 
CHARBONNIER  (madame  de), 

102.  note, 
G  H  ARC  Y  (marquise  de),  286. 

GIIARLEMAGNE,  355. 
CHARLES    VI,   340. 
CHARLES   VIII,  356. 

CHARLES  IX,  351,  352,  353. 

CHARLES-QUINT,  166. 

CHARMER     (mademoiselle), 

211,  note. 
cHAROLAis  (Charles,  comte 

de),  341. 
CHARTRES       (mademoiselle 

de),  117,  144,  189,  190,200. 

c  HAST  AN  d'or  TIGUES(M.de), 

287. 


IXDEX    DES    NOMS    CITES 


441 


CHASTELARD  (le  chevalief 
de),  235. 

c  H  A  T  E  A  u-G  H I X  0  N  (mademoi- 
selle de),  261,  note,  264. 

GHAULNEs  (madame  de),  372. 

GHAUSSEGOURTE      DU     BORT 

(madame  de),  34. 
CHAVEs  (Jean  de),  273. 
CHAZERAL  (M.  de),  84. 
G  H  E  N  A  u  L  T  (femme),  sorcière, 

382,  383,  433. 

GHÉNIER,  16. 

CHOisECL  (duc  de),  257,  258, 

284,  338,  406. 
GBOisEUL  (duchesse de),  120. 
CHOïsECL  (marquisede),  383, 

403. 
G  H  0  r  s  E  u  L  (mademoiselle  de), 

voir  Gramont. 
G  H  G I  s  E  c  L  (mademoiselle  de), 

135. 
CHOLIER  (madame),  244,  290, 

293,  297,  305. 

CELLIER    DU   FAYEL,  427. 

GLÉMANGis  (Nicolas de),  185. 

CLERMETZ  DE  LAMERIE(Jean 

de).  Ho. 

GOCHIN',    141. 

CŒUR  (madame  de),  abbesse, 

169. 
CŒUVREL  (Adam^,  375. 
coGNARD  (Valence),  abbesse, 

176. 
coisLiN  (madame  de),  406. 
coLiGNY  (amiral  de),  173. 

COLLIER,  272. 

coNDÉ  (le  prince  de),  170. 


coNDÉ  (la  princesse  de),  190. 
coRGELLBs  (M.  de),  285. 

CORNEILLE,  318. 

COSSE,  voir  Elie. 
cooESDOX    (mademoiselle), 

431. 
COUR  LANDE  (le  duc  de),  400. 
couRBouzoN  (Bocquet  de), 

28. 
couRTESERRE  (le  chcvalier 

de),  82. 
CRAON    (mademoiselle    de), 

31,  note. 
CRÉQUY  (M.  de),  368. 
CROIX  (mesdemoiselles  de), 

48,  49. 
CROIX  (cardinal  de  la),  174. 
cROix-cHEVRiÈ  R  E  s     (ma- 
dame de  la),  9. 
CROY-BEAUFORT     (madame 

de),  27,  note. 
CRUzoLs  (mademoiselle  de), 

406. 
CULHAT  (le  commandeur  de), 

82. 


DAJCPiERRE     (madame    de), 
263. 

DANGEAU,  367. 
DANTON,  414. 

DÀX  (l'évêque  de),  120. 
DEFFAND  (marqulse  du),  85, 

120,  121,  122,123,179,209, 

213,  215,  216,  311. 

25. 


442 


IXDEX    DES    NOMS    CITES 


DELARUE,  notaire,  131,  note. 

DELAviLLE  (Marie- Anne), 
cartomancienne,  381. 

DESMOULINS  (Camille),  414. 

DE  VAUX  (la),  cartoman- 
cienne, 384. 

DIDEROT,   79. 

DIGNE  (l'évêque  de),  121. 

DiGoiNE  (M.  de),  292. 

DiGoiNE  (madame  de),  292. 

DiNTEviLLE  (mademoiselle), 
49. 

DOUBLET  DE  PERSAN  (ma- 
dame), 211. 

DORCY,  avocat,  173. 

DUBUISSON,   207. 
DUCHESNE    (M.  G.^   191. 

DUGARD  (madame),  218. 
DUNOYER  (madame),  79. 
DUPUY   (Raymond),   sorcier, 

341. 
DupoRT,  notaire,  382. 
DUREFORT  (madame  de),  213. 


EFFIAT  (le  comte  d'),  371. 

ELiE,  sorcier,  408. 

EMBRUN  (l'évêque  d'),  266. 

E  s  s  A  R  s  (Jeanne  des),  abbesse, 
118,  169,  174. 

ESPiNCHAL  (madame  d'), 
403. 

ESTE  (Marie  d'),  reine  d'An- 
gleterre, 212. 


ESTAiNG  (comte  d'),  403. 
ETAMPEs  (le  comte  d'),  341. 
ETEiLA,  devin,  409,  425. 
ETOILE  (Pierre  de  1'),  352.     i 


FALZE  (Raymond  du),  évêque 

de  Toulouse,  341. 
FARFiN  (mademoiselle),  428. 

FAUCEMBERGE  (le  P.),  200. 

FAUCONNIER  (la),  cartomau- 
cienne,  383. 

FA  Y  (Henri  de),  276. 

FA  Y  (Jean  de),  235. 

FAY  (comtesse  de),  236. 

FA  Y  (les),  274. 

FEL  (mademoiselle  de),  194. 

FERRÉ  (M.  de),  82. 

FERRETTE  (madame  de),  ab- 
besse, 98. 

FEUQUiÈREs    (M.    de),    370, 
381. 

FEURE  (Le),  notaire,  144. 

fiesqi;es  (madame  de),  372. 

FiLLiARD     (la),     cartoman- 
cienne, 385. 

FLAGHEAC  (madame de),  238. 

FLEURY     (la),     cartoman- 
cienne, 380^  381,  433. 

FOLiGNY,  voir  Grolier. 

FORCE  (marquise  delà),  410. 

FOUGÈRE     (la),    cartoman- 
cienne, 383. 

FOUQUET   (le  surintendant), 
371. 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


443 


FODQUIBR-THINVILLE,     414. 
FOURCROT,  234. 

FRANCK  (Blanche  de),  148. 
FRANCE    (madame    Clotilde 

de),  253,  note. 
FRANCE  (madame  Elisabeth 

de),  233,  note. 
FRANCE  (madame  Louise  de), 

22. 
FRANCE  (mesdemoiselles de), 

filles  de  Louis  XV,  207. 
FRANCE  (Marie  de),  169. 
FRANCE  (Ysabel  de  ,  117, 193, 

198,  199. 
FRANÇOIS  I«^  6,  166,  334. 
FRANÇOIS  (saint),  173. 
FRANQCiÈRES    (M.    de),   94, 

note. 

FRANQUIÈRES  (les),   318. 

FRÉJUs  (l'évêque  de),  214. 
FRÉMY  (madame),  380. 
FRÉNiLLY  (le  baron  de),  246. 
FRÉNiLLY  (madame  de), 253. 

FRÉNILLT    (les),   318. 

F  R  0  M  0  N  D  E     (  Martine  ) ,    ab- 
besse,  174. 

FUNCK-BREXTANO,  368. 


GALARD  (mademoiselle  de), 

204. 
GALL,  phrénologue,  423. 
GALLiER  (madame  de),  263. 
GALLiER  (mademoiselle  de), 

voir  Lafarge. 


GARAT,  416. 

GARCiN  (M.  de  ,  264. 

GARDEi.  (veuve),  sorcière, 
333. 

GARic  (femme),  cartoman- 
cienne, 419. 

GASCON  (la),  cartoman- 
cienne, 383. 

GAURico  (Luca),  évêque  de 
e  Civita  Castellana  >,  333. 

GENLis  (marquise  de),  211, 
227,  228,  247,  313, 317,  386, 
403. 

GiBERT,  cocher,  294. 

GLOCESTER  (le  duc  de),  320. 

GODARD  (Marguerite),  sor- 
cière, 335. 

GONiN,  sorcier,  334. 

GONTAOD  (la  comtesse  de), 
393. 

GONTAUD  (madame  de),  88. 

GOUÉRY  (saint',  73. 

GRAMONT  (duchesse  de),  née 
Choiseul,  94,  note,  413, 
note. 

GRANCEY  (madame  de),  381. 

GRANGE  (le  sieur  de  la),  148. 

GRAS  (Simon  Le),  133,  note. 

GRÉGOIRE  vu  (le  pape),  341. 

GRÉGOIRE        DE       NAZIANZE 

(saint),  114. 

GRÉviLLOT  iNicolas),  sor- 
cier, 333. 

GROLiER  (marquise  de),  née 
Foligny,  94,  note. 

GUEUX  (Marie  de),  abbesse, 
167. 


444 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


GUI  BOURG  (l'abbé),  sorcier, 
375. 

GUILLAUME  LE  CONQUÉ- 
RANT, 312. 

GUYOT  DE  MANCENANs  (ma- 
dame), abbesse,  28. 

H 

HABERT  (le  P.),   176. 

II AR COURT  (Agnès  d'),  ab- 
besse, 118. 

HARCOURT  (mademoiselle 
d'),  204. 

IIARLAY    DE      CHAMPVALLON 

(madame),  abbesse,  190. 

HARLAY     DE    CHAMPVALLON 

(monseigneur),  ii6. 
HARRENC  (marquise  de),  318. 
HAUSSET  (madame  du),  395, 

396. 
HAUTERivE     (madame     d'), 

276. 

HÉBERT,  425. 
HÉ  LOIS  E,   112. 

HÉNAULT  (le  président),  214, 

311. 
HENRI  II,  353,  431. 
HENRI  IV,  170,  192,  196,  363. 
HENRIETTE  (mademoiselle), 

somnambule,  429. 
HOPITAL    (marquise    de    1'), 

410. 

HORACE,  348. 

HORN  (madame  de),  abbesse, 
28,  note. 


HOUDON,   404. 

HUA,  428. 

nucHETTE  (M.  de  la),  98,  99. 


iNGLis,  sorcier,  364. 

ISS  Y  (Agnès  d'),  abbesse,  168. 


JACQUES  1 1 ,  roi  d'Angleterre, 

212. 
JARENTE   (L.-J.  de),  évêque 

d'Orléans,  134. 
j  A R  R  Y  (madame  de),  abbesse, 

154. 
JEAN  XX  (le  pape),  341. 
JEAN  XXII  (le  pape),  30. 

JEAN-GASPARD,   296. 

JEANNE  d'avesne, sorcière, 

356. 
JOL,  voir  Mausy. 
JONAS,  devin,  406. 
JOSÉPHINE    (l'impératrice), 

417,    421,    422,    423,    425, 

426. 

JOUAN    DE    MONTI,    384. 

jouBERT  (M«,  notaire),  35. 
J0UENNE  (madame  de),  213. 
jouY  (madame  de),  abbesse, 

157. 
JUSTINE!  (mademoiselle), 

lingère,  141. 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


445 


KiNGLiN  (mademoiselle  de), 

49. 
KNOWL  (lady),  312. 


LAENSBERG  (Mathieu),  359. 

LA    BRUYÈRE,  283. 

LAFARGE    (M.  de  Pavin  de\ 

299. 
LAFARGE  (madame  de  Pavin 

de),  née  de  Gallier,  299. 
LAFOSSE,  devin,  407. 
LA  HARPE,  16,234, 413,  note. 
LALOux  (femme),  cartoman- 
cienne, 406. 
LAMARTINE,  87,  90,  94,  DOte, 

97,  279. 
LAMOTTE     (Guillaume    de), 

300. 
LANDE  (M.  de  la),  405. 
LANGLE   (le    chevalier    de), 

383. 
LANNOY  (Charlotte  de),  49. 
LANNOY  (Fernande  de),  49. 
LANNOY  (mademoiselle  de), 

49. 

LA    PORTE,  303. 
LARMECHI.V,    237. 

LARiviÈRE,  astrologue,  363. 
LA  ROCUE,  cocher,  294. 


LARY  (madame  de),  78. 
LAUSELLE  (madame de),  148. 
LAUzuN  (le  duc  de),  372. 
LAuzuN  (le  duc  de),  Biron, 
313. 

LAVATER,  425. 

LEBON  (la),  cartomancienne, 

405. 
LEDRu-coMus,  devln,  406. 

LEDRU-ROLLIN,  406. 

LÉGAT  (le  vice-),  121. 

LENORMAND  (mademoiselle), 
cartomancienne,  421,  422, 
423,  424,  423,  427,  428. 

LENOTRE   (G.',  403. 

LÉON  IX  (le  pape),  32. 
LÉON  X  (le  pape},  6. 
LESPINASSE    (mademoiselle 

de),  214. 
LESTiNOLLE    (mademoiselle 

de),  169. 
LESTRANGE     (madame    de), 

243. 
LESTRANGE    (madame    de), 

abbesse,  84. 
LEVÉ,  141. 
L  EUS  SE    (mademoiselle  de), 

44. 

LÉVIS-VENTADOUR      (le     duC 

de),  148. 

LÉvis-vENTADouR  (made- 
moiselle de),  148. 

LÉvis-vENTADOUR  (made- 
moiselle de),  voir  Toumon. 

LE  VUE  (madame  de),  285. 

LHOMME,  boucher,  136. 

LIGNE  (le  prince  de^  311. 


446 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


LIGNE  (les),  49. 
LiGNiviLLE     (mademoiselle 

de),  85,  104. 
LiGONDÈs   (le    commandeur 

de),  82. 
LiLLEBONNE   (madame    de), 

abbesse,  25,  note. 
LisiEUx  (l'évêque  de),  121. 
LivRON  (le  comte  de),  257. 
LivRON-BOURBONNE     (ma- 
dame   de),    abbesse,     179, 

note. 
LOIR,  policier,  381. 
LOMÉNiE  (madame  de),  403. 
LONGEviALLE  {M.  de),  238, 

241. 
LONGEVIALLE  (madame  de), 

238,  239. 

LORENZA,  403. 

LORiEL,  sorcier,  431. 

LORRAINE  (le  chevalier  de), 
371. 

LORRAINE  (le  duc  Charles 
de),  98. 

LORRAINE  (le  duc  de),  31, 
note. 

LORRAINE  (Catherine  de), 
abbesse,  99. 

LORRAINE  (Henriette  de),  ab- 
besse, U. 

LORRAINE  (Jeanne  de),  ab- 
besse, 29,  117. 

LORRAINE  (Marie  de),  ab- 
besse, 167. 

LORRAINE  (les  ducs  de),  53. 

LORRAINE  (les  princesses 
de),  50. 


LOUIS  1 1 ,  le  Débonnaire,  356, 

note. 
LOUIS  IX,  117,  148. 
LOUIS  XI,  346. 
LOUIS   XIII,  99,  281,  349. 
LOUIS   XIV,  12,  15,  208,  251, 

283,  308,  310,357,366,368, 

371,  379,  393. 
LOUIS  XV,  12,  21,  27,  note, 

74,  189,  207,  255,  315,  374, 

389,  398. 
LOUIS  XVI,  53,  note,  62,  425. 
LOUISE  (madame),  v.  France. 

LOUIS-PHILIPPE,  105. 

Low  END  AL  (madame  de),  383. 
LUCAS  (François),  cordelier, 

174. 
LUGEAC   (madame    de),    ab- 
besse, 151,  note. 
LUS  s  AN    (mademoiselle  de), 

381. 
LUYNEs  (le  cardinal  de),  62, 

134,  135. 
LUYNES  (le  duc  de),  393. 
LUYNES  (la  duchesse  de),  120, 

121,  123. 
LUXEMBOURG    (le   maréclial 

de),  370. 
LUXEMBOURG  (la  maréchale 

de),  121. 

M 

MADEMOISELLE   (la  grande), 

371. 
MAiLLY  (marquis  de),  177. 


INDEX    DES    NOMS    GITES 


447 


MAiLLY  (Claude-Ysabelle  de), 

abbesse,  144. 
MAILLY  (Jacqueline  de),  118, 

177,  178. 
MAiNTENON    (marquise    de), 

10,  87,  312,  368,  380. 

MALE  s  HERBES,  413,  notC. 

MALLARY  (madame  de  la), 
264. 

M  AL  V  AT,   365. 
MANSARD,  112, 

MARANCHEs  (madame  de), 
44. 

XIARAT,  414. 

MAREscoT,  sorcier,  384. 

MARIANNE  (princesse  Louise;, 
fille  naturelle  de  Louis  XIV, 
145,  note. 

MARiE-AXTOiNETTE  (la  rei- 
ne), 21,  22,  74. 

MARMONTEL,    254. 

MARTIN,  devin,  417,  433, 

MARTIN  (saint),  73. 

MARZiN  (M,  de),  23,  79,  88, 
320. 

MAssoN  (Frédéric),  424. 

jiATHiLDE,  femme  de  Guil- 
laume le  Conquérant,  312. 

MAUBEC  (marquis  de),  261, 
note,  264,  note. 

MAURE  (mademoiselle  de), 
194. 

M  A  us  Y  (Marg-Jol.,  femme), 
sorcière,  335. 

MAZARIN,  301. 

MÉDicis  (Catherine  de),  349, 
350,  358. 


MÉLiAN  (mademoiselle), 266. 
MERCIER,  140,  1.54,  227,  228, 

229,  2.30,391,  408. 
MÉRODE  (madame  de),  210. 
MÉRODE  (les),  49. 
MESGRiGNY   -(madame    de), 

210. 

MESMER,   404. 

METZ  (l'évéque  de),  132. 
MExiMiEux  (M.  de),  290. 
MExiMiEux    (madame    de), 

290, 
MÉziÈREs    (mesdames    de), 

118, 
MICHEL  (madame),  cartoman- 
cienne, 418, 
MIRABEAU  (le  marquis  de), 

249, 
MiRAiLLE,  sorcier,  352. 
MIRE  POIX  [SI.    de),    évêque, 

122, 
MIRE  POIX  (la  maréchale  de), 

122. 
MIRE  POIX  (la  marquise  de), 

311, 

MIROMESNIL  (M,  de),  401. 

MÔLE  (M.  de  la),  331. 

MO  MB  LAS  (madame  de),  213. 

MOMPEssoNs    (madame  de), 

abbesse,  137. 
MONCLA  (madame  de),  78, 
MONGE,  254, 
MONNiER    (mesdemoiselles 

de),  49. 
MONSPEY      (mesdemoiselles 

de),  100. 
MONTATAiRE  (M.  de),  287. 


448 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


MONTAT  AIRE    (madame  de), 

287. 
MONTBARREY  (mademoiselle 

de),  204. 
MONTBOissiER  (la  blenhcu- 

reuse  Raingarde  de),  51. 
MONTBoissiER  (la  comtesse 

des  407. 
MONTCHENU  (M.  de),   276 
MONTESpAN   (marquise   de), 

145,  note,  217,  374. 

MONTESQUIEU,    311  . 
MONTEYNARD  (M.  de),  318. 

MONTFAucoN  (madame  de), 

42. 
MONTFORT  (M.  de),  260,  309, 

311. 

MONTGAILLARD   (M.  de),  318, 

319. 
MONTJOYE  (madame  de),  98. 
MONTJUSTIN    (mademoiselle 

de),  44. 
MONTMELAS  (marquis de),  92. 
MONTMiRAiL   (mademoiselle 

de),  248. 
MONTMORENCY  (madamedc), 

abbesse,  118. 

MONTMORENCY  (ICS),  49. 

MONTMORENCY-LAVAL  (ma- 
demoiselle de),  86. 

MONTPENsiER  (le  duc  de), 
166 

MONTPENSIER  (mademoiselle 
de),  206,  note. 

MONTiiROUx  (mademoiselle 
de],  chanoinesse,  42. 

MORE  (Le),  sorcier,  340. 


MOREAu  (le  général),  426. 

MOREAu  (la  générale),  426. 

MOREAU  (médecin),  141. 

MORET  (miss),  312. 

MORTE  M  ART  (la  duchcssc  de), 
272. 

MORiN,  astrologue,  367. 

MOTTE  (madame),  199. 

MOuciiY  (mademoiselle  de), 
180,  181,  183. 

MUA  (mademoiselle  de),  235. 

MURAT  (madame  de), chanoi- 
nesse, 42,  78. 

MURAT  (la  présidente),  17. 

MUROT  (Dominique), sorcier, 
356. 

MuzY  DE  vERONiN  (madame 
de),  59. 


N 


NAPOLÉON  I",  422,  423,  424, 

431. 
NEMOURS  (les),  303. 
NÉvE  (madame  de  Revoyrat 

de),  263,  264. 
NEVERs  (laduchesse  de),  300. 
NicoLAï  (madame  de),  217. 
NicoLAï,  413,  note. 
NOAiLLEs    (le  cardinal  de), 

144,  201. 
NOAILLES    (le   marquis  de), 

404,  405. 
NOiNTEL  (madame  de),  393. 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


449 


.NOSTRADAMLs,     père,     353, 

358,  364,  365,  431. 
NOSTRADAÎirS,  fils,  3o9. 


OBERKiRCH  (baronne  d'), 
249. 

OLONKE  (duc  d'),  407. 

ORDAN-LKGROiNG  (madame 
d'),  84. 

ORDAN-LEGRoixG  (mesde- 
moiselles d'),  84. 

ORLÉANS  (Louis  III,  duc  d'), 
392. 

ORLÉANS  (Philippe  I*',  duc 
d'),  371,  372,  381. 

ORLÉANS  (le  duc  d'i,  régent, 
144,  189,  206,  note,  394. 

ORLÉANS  {duc  d'),  431. 

ORLÉANS  'Charlotte  de  Ba- 
vière, duchesse  d'),  112. 

ORLÉANS  (Henriette  d'),  371. 

ORLÉANS  (duchesse  d'i,  143. 

ORMEssoN  (les),  49. 


p  A  R  A  B  È  R  E  (madame  de),  395. 
PARIS  (l'archevêque  de),  195. 
PARIS  (femme  ,  sorcière,  355. 
PARVY  (M.  de),  44. 
PATERNE  (saint,  431. 


PEREGRINA   '^la),    312. 

PERET  (Lucien),  190. 
FERMANTE  i  madame  de),  2l9. 
PERTBUis  (madame  de),  218. 
PERRY  (docteur),  394,  397. 
PHALARis  (duchesse  de).  395. 
PHAROUX,  boulanger,  136. 

PHILIPPE   LE   HARDI,    340. 

PIGEON  (Ia>,  sorcière,  385. 
piENNES  (M.  de),  170. 

PIERRE   LE   VÉNÉRABLE,  51. 

piNETTi,  devin,  406. 
piNON  (le  président»,  171. 
PLACiN  (Marie),  abbesse,  176, 

177. 
PLESsis    (le   maréchal  du), 

241,  310. 
PLESSIS  (la  maréchale  du), 

241. 
PLONQUET(la\  servante, 292. 
poissY  (madame  de),  210, 
POLIGNAC   (comtesse   Diane 

de),  12. 
POLIGNAC  (comtesse de),  403. 
POLIGNAC  (madame  de),  370. 
POMPA  DO  UR   (marquise  de), 

132,  395,  396,  405. 
PONCUALON    i^madame    de), 

318. 
PONS  (mademoiselle de),  284. 
PONS    (mesdemoiselles   de), 

49. 
PONS  (madame  de),  abbesse, 

60. 
PONS  (madame  de),  chanoi- 

nesse,  86. 
PONS  (la  vicomtesse  de) ,  284. 


450 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


PONT   DE   VEYLE,  217. 

PORTE  (Jean  de  la),  356. 
POTERNE  (Marie  de  la),  ab- 

besse,  147. 
PRADTS  (M.  de),  171. 
PRUDHOMME  (madame),  136. 
PUYLAURENS  (comtessc  de), 

383. 
puYSÉGUR  (M.  de),  406. 


Q 


QUATRE-LivREs     (Pierre), 
356. 


RACINE,  374. 

RAYiGNAN  (madame  de),  210. 
RÉ c AMIE R  (madame),  210. 
RICHELIEU  (le  cardinal  de), 

98,  303. 
RICHELIEU  (le  maréchal  de), 

197,  338,  403,  408. 
RiETZ  (les),  276. 

ROBESPIERRE,    414. 

ROGUE-AYMOND  (mademoi- 
selle de),  204. 

ROCHEFOUCAULD  (le  Cardi- 
nal de  la),  23,  74,  84,  121. 

ROCHEFOUCAULD  (madame 
de  la),  abbesse,  118. 

ROCHEFOUCAULD  (Madeleine 
de  la),  voir  Tounion. 


ROC  HE  eu  IN  ARD  (M.  de),  237. 
ROCHEcuouART    (madame 

de),  abbesse  de  Montmar-' 

tre,  118. 
ROCHECHOUART     (madame 

de),  abbesse  de  Fontevrault, 

10,  116. 

ROCHECHOUART  (Ics),  50. 

ROCHEFORT  (la),  cartomaii- 

cienne,  384. 
ROCHEFORT   (le    comte    de), 

406. 
ROCHEFORT  (M.   de),   89. 
ROCHEGUDE  (le  marquis  de), 

voir  Acquéria. 

RODOGINE,  348. 

ROUAN  (le  cardinal  de),  284, 
402,  403,  404. 

ROUAN  (Marguerite  de),  ab- 
besse, 11,  28,  note. 

ROUAN  (mesdames  de),  118. 

ROUAN  (mademoiselle  de), 
204. 

ROHAN-ROCHEFORT      (  p  r  i  n- 

cesse  de),  402. 

ROLLE  (M.  de  la),  140. 

ROSEMAiN  (madame  de),  382. 

R  0  u  D I N  (Valentine),  sorcière, 
355. 

uouRE  (madame  du),  370. 

ROUSSEAU  (J.-J.),  227,  246, 
308,  309. 

ROUSSEAU  (la),  cartoman- 
cienne, 384. 

ROUSSEL  (le  P.),  175,  176. 

ROussET  (la),  cartoman- 
cienne, 385. 


IXDEX    DES    XOMS    GITES 


451 


ROYs    (Anne-Claudine    des), 

33. 
ROYS  (mademoiselle des), 82. 
ROYS    (mesdemoiselles  des,) 

92. 
RUFFEY    (madame    de),    ab- 

besse,  101. 
RUFFO  (madame  de),  42. 
RUGGiERi  (Come),  349,  331. 
ROPANo,  devin,  406. 


SABRAN  (Elïéar  de),  241. 
SABRAN  (comtesse  de),  393. 
SABRAN  (Delphine  de),  241. 
SABRAX  (madame  de),  210. 
SAiJîT-ci ERGUEs  (madame 

de),  284. 
sAiNT-FLOUR  (l'évêque  de), 

60. 
SAINT-GEORGES  (le  chevalicr 

de),  212. 
SAINT-GERMAIN,  dcvin,  389, 

398,  399. 

SAINT-JUST,    414. 

SAINT-PRIE3T  (M.  de),  236. 
SAINT-SIMON  (leduc  del,370. 
SAINT-SIMON  (lemarquisde), 

132. 
SAiNT-VALLiER  (marquisc 

de),  233. 
SAINT-VINCENT    (madame 

de),  211. 

SAINTE-BEUVE,    109. 

SAINTE-CROIX,  devin,  373. 


SAINTE-CROIX     DU      BREUIL 

(M.  et  madame  de'i,  78. 

SAINTE-CROIX     DU      BREUIL 

(mademoiselle  de),  78. 
SALAISE  (madame  de),  148. 
SALLEMARD    (GeoffroY    de), 
286. 

SALLEMARD   (les),   276. 

SALM    (Barbe    de"i,    abbesse, 

99. 
sALUCEs  ^madame  de),  210. 
SANGY  (M.  de),  364. 
SAUR  IN  (la),  sorcière,  383. 
SAUVAL,   136,   180. 
SAXE     ;  Marie-Christine    de), 

abbesse,  98. 
scALiGER-vERRUE  (madame 

de),  abbesse,  190. 
scÉPEAUx  (madame de),  118. 
sÉGUR  (le  comte  de),  197. 
sÉGUR  (M.  de  ,  401. 
SÉGUR  (le  marquis  de),  203, 

204,  216. 
sÉNARPONT    (madame    de), 

180,  181. 
SÉNARPONT  (M.  de),  181. 
SENESME     '.madame    Louise 

de),  abbesse,  169, 
SERRE  (madame  de),  303. 
sÉRiÈREs  (madame  de^219. 
sÉRY  (mademoiselle  de'»,  118. 
s  É  VER  Y    (madame  de),    284, 

283. 
sÉviGNÉ  (marquise  de),  201, 

note,    236,   232,  290,   309, 

370,  372. 
SEYSSEL  (M.  de),  82. 


452 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


SIAMOISE  (la),  cartoman- 
cienne, 384. 

SIMIANE-MONCHA     (cOmtCSSe 

de),  242. 

soissoNs  (comte  Ph.  de), 
38d. 

SOISSONS  (la  comtesse  de), 
370,  374. 

SOLLIER,  devin,  395. 

S  ou  BISE  (madame  de),  ab- 
besse,  29,  note. 

soYEcouRT  (mesdames  de), 
US. 

STUART  (le  prétendant),  217. 

suLEAU  (la),  cartoman- 
cienne, 386. 

SURVILLE  (les),  273. 


TAINE,  249. 

TALLARD    (maison  de),    18, 
note. 

TALLEMANTDES  RÉ  AUX,  364, 

365. 

TALLEYRAND,  249. 

TALMONT  (princesse  de),  217. 

TENGiN  (le  cardinal  de),  22, 
122. 

THÉREziA      (madame     Tal- 
lien),  416. 

THiÉBAUT    (Jean),    sorcier, 
355. 

THOMASsiN,  devin,  363. 
HÔT  (ou  Thaut),  dieu  égyp- 
tien, 377,  378. 


THou  (de),  364. 
TiNGRY  (madame  de),  210. 
TiNGRY  (laprincessede),  370. 
TORGHET   (l'abbé),  159,   190. 
TOULOUSE  (l'archevêque  de), 

123. 
TOURNEFORT  (madame  de\ 

45. 
TOURNEFORT  (madame    de), 

abbesse,  147. 
TOUR  NON    (le   cardinal   de), 

274. 
T  o  u  R  N  0  N    (  Just-Henri    de  ), 

269. 
TOURNON    (Just-Louis    de), 

269,  274. 
TOURNON    (le   marquis   de), 

242,  262. 
TOURNON  (le  comte  de),  235. 
TOURNON  (la  marquise  de), 

256. 
TOURNON   (la  comtesse   de), 

235. 
TOURNON  (mademoiselle  de), 

41,  42,  44. 
TOURNON  (MM.  de),  41. 
TOURNON    (Madeleine   de  la 

Rochefoucauld,  dame  de), 

269. 
TOURNON  (mademoiselle  de 

Ventadour,    comtesse   de), 

269. 
TREMBLAY     (mademoiselle 

du),  49. 
TREMBLEGOURT  (le  sire  de), 

99. 
TRESSAN  (comtesse  de),  300. 


INDEX     DES    NOMS    CITES 


453 


T R OC HET  (mademoiselle  de), 

267. 
TU  RENNE   (le  maréchal  de), 

371. 
TURRBL  (Pierre),  431. 


URRE  (le  chevalier  à'),  235. 
URFÉ  (Honoré  d'),  269. 
DZBS  (madame  d'),  18,  note. 
nzBs  (la  duchesse  d'),   242, 

291,  300. 
uzÈs  (mademoiselle  d'),  204. 


vaissière(M.  de),  278,  281. 

VA  LENT  IN  (la),  cartoman- 
cienne, 384. 

VALETTE  (M.  de  la),  260. 

VALETTE  (madame  de  la), 
243,  261,  note,  264,  note, 
297,  316,  318. 

VALOIS  (Marguerite  de),  331, 
353. 

VALLIÈRE  (duc  de  la),  396. 

V  ALLIÉ  RE  (mademoiselle  de 
la),  370. 

VARAX  (mesdemoiselles  de), 
88. 

VASSÉ  (madame  de),  217. 

VAUDRET  (les),  49. 

VAUDRET  (madame  de),  89. 

VATER  (madame  Le),  212. 


VENDOME  (les;,  303. 
VENTADOCR     (monscigncur 

de),  198. 
VENTA  D  ou  R    (mademoiselle 

de),  17. 
VENTA  DOUR    (mademoiselle 

de),  voir  Toumon. 
vERGENNEs  (comte  de),  401. 
vERMANDois  (mademoiselle 

de),  207. 
VBRNON  (madame  de),  123. 

VBRON     DB     LA     BORIB    (Ics), 

366,  note. 
VERRIER    (Claude),   sorcier, 

355. 
vExiN  (comte  de",  143,  note. 
VICHY  (l'abbé  de),  214. 
viCHT  (M.  de),  264. 
VICHY  (madame  de),  84,  85, 

87,  104. 
VIGOUREUX   (la),   cartoman- 
cienne, 374. 
viLLARs   (madame  de),    ab- 

besse,  147,  189. 
viLLATBR  (M.  de),  365. 
VILLE  (M.  de),  99. 
viLLEMAGNB  (madame  de), 

218. 
viLLBMONT  ( madame  de),  ab- 

besse,  197. 
VILLENEUVE    (le    chevalier 

de),  268. 
VILLENEUVE    (la    marquise 

de),  241,  293,  296,  302. 
VILLENEUVE  (la),  cartomau- 

cienne,  417. 
viLLiBRS  (madame  de),  261. 


454 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


VINCENT      DE     PAUL     (saint), 

191. 
viNTiMiLLE    (madame    de), 

210. 
viQ   d'azir,  413,  note, 
VIRGILE,  318. 

viRiEu  (madame  de),  118. 

viviÈs  (Alexandre  de),  293. 

viviÈs  (Grégoire de),  17,248. 

viviÈs  (madame  de),  295. 

VOGUÉ  (Ch.-F.  Elzéar  de),  267. 

VOGUÉ  (mademoiselle  de), 
204. 

VOISIN  (la),  338,  357,  368, 
369,  370,  371,  372,374,375, 
376,  379,  403,  433. 

VOISIN  DE  SAINT-PAUL  (ma- 
dame), 383. 


vouGY  (M.  de),  275,  319. 


W 

w  ATT  E  VIL  LE  (Elisabeth  de), 

abbesse,  31,  note. 
WATTEviLLE   (madame  de), 

chanoinesse,  44. 
WESTERLOO  (comte de),  408. 
woLKONSKi  (le  prince),  427. 


ziNZENDORF  (abbé  de),  408. 


TABLE 


LES  CHAPITRES  NOBLES  DE  FILLES 

I.  —  Ce  que  c'était  que  les  chapitres  nobles.  — 
Nomination  des  abbesses  par  le  roi.  —  Nécessité 
de  transformer  certains  couvents  en  institutions 
plus  souples.  —  Entorses  données  à  la  règle. 

—  Difficultés  entre  religieuses  et  évêques.  — 
Montfleury  et  l'évêque  Le  Camus.  —  Madame  de 
Rochechouart  et  l'autorité  ecclésiastique.  — 
Une  lettre  de  madame  de  Maintenon.  —  Les 
démêlés  de  Bossuet  et  des  abbesses  de  Jouarre. 

—  Tendance  des  couvents  à  se  soustraire  à  la 
domination  épiscopale.  —  Pourquoi  les  rois 
soutiennent  les  couvents.  —  Le  sort  des  filles 
de  la  noblesse  sous  l'Ancien  régime.  —  Les 
vocations.  —  Il  ne  faut  rien  exagérer.  —  Les 
jeunes  filles  n'étaient  pas  contraintes  d'entrer 
dans  les  cloîtres.  —  Dispositions  légales  sauve- 
gardant leurs  intérêts.  —  Motifs  qui  poussent 
les  parents  à  désirer  la  sécularisation  de  plu- 


^ 


/ 


456  TABLE 

sieurs  monastères.  —  Établissement  des  cha- 
pitres nobles.  —  Chapitres  réguliers  et  chapitres 
sécularisés.  —  Comment  s'obtenait  la  séculari- 
sation. —  Oppositions  et  protestations  diverses.        5 

II.  —  Nombre  des  chapitres  nobles  en  France, 
en  1789.  —  Leur  organisation.  —  L'abbesse.  — 
Les  dignitaires.  —  Compétitions  qui  se  font 
jour  à  chaque  nomination  d'abbesse.  —  Céré- 
monies d'intronisation.  —  La  prérogative  royale. 

—  Une  nomination  d'abbesse  en  1404  manque 
de  déchaîner  la  guerre  civile.  —  L'affaire  de 
Remiremont.  —  Droits  abbatiaux.  —  Faste  qui 
entoure  l'abbesse.  —  La  doyenne.  —  Les  se- 
crètes. —  Les  fonrières.  —  Les  chanoinesses 
titulaires.  —  Les  nièces.  —  Elles  sont  le  sou- 
rire des  chapitres.  —  Les  chanoinesses  hono- 
raires        24 

III.  —  Conditions  pour  être  reçue  dans  un  cha- 
pitre noble.  —  Preuves  de  noblesse.  —  Divers 
degrés  de  noblesse  exigés  par  chaque  chapitre. 

—  La  rigueur  des  preuves  était  parfois  suscep- 
tible d'adoucissement.  —  Droits  de  réception. 

—  Adoption  des  nièces.  —  Pourquoi  elles  en- 
traient dans  les  chapitres.  —  Le  roi  fixe  lui- 
même  le  nombre  des  chanoinesses.  —  Les  cha- 
pitres sont  de  véritables  fiefs  pour  certaines 
familles.  —  Avantages  attachés  au  titre  de 
chanoinesse.  —  Vanité  satisfaite.  —  Médiocres 
avantages  pécuniaires 37 

IV.  —  Situation  financière  des  chapitres  nobles. 

—  Biens  inaltérables.  —  La  fortune  de  Remire- 
mont.  —  D'une  façon  générale,  les  ressources 
des  autres  chapitres  étaient  insuffisantes.  — 


TABLE  457 

Les  charges.  —  Les  prébendes.  —  A  combien 
elles  se  montaient.  —  Plaintes  et  doléances.  — 
Cris  de  détresse.  —  L'église  d'Alix.  —  Demandes 
de  secours.  —  La  vie  chère  !  —  Comment  on 
relevait  les  revenus  d'un  chapitre.  —  Salles  et 
les  chanoines  de  Beaujeu.  —  Les  dames  de 
Neuville  plus  riches  de  titres  que  d'argent.  — 
Montigny.  —  Mauvaise  gestion  des  biens.  ...       52 

V.  —  Physionomie  des  chapitres  sécularisés.  — 
Les  maisons  canoniales.  —  Salles,  envisagé 
comme  type  de  l'architecture  des  chapitres.  — 
La  vie  intérieure.  —  L'ouverture  des  portes.  — 
Différents  costumes  portés  par  les  chanoinesses. 

—  Les  cordons.  —  La  croix.  —  Les  devises  .   .       65 

VI.  —  Obligations  et  règlements.  —  Demi-liberté. 

—  fermeture  des  portes.  —  Le  rôle  de  la  por- 
tière. —  Les  chanoinesses  ne  sont  pas  astreintes 
à  la  résidence,  toute  l'année.  —  Calomnies 
répandues  sur  le  compte  des  chanoinesses.  — 
Diderot  et  M.  Homais.  —  La  littérature  du 
XVIII*  siècle  et  les  chanoinesses.  —  Essayons 
de  dire  la  vérité.  —  Les  chanoinesses  ne  sont 
pas  cloîtrées.  —  Elles  peuvent  recevoir  parents 
et  amis.  —  Les  petits- cousins  et  les  nièces.  — 
Flirts  et  mariages.  —  Ces  réunions  de  vieilles  ' 
dames  et  de  jeunes   filles  appartenant  toutes 

à  la  meilleure  société  avaient  beaucoup  de 
charme.  —  Les  visiteurs  ne  chôment  pas.  — 
Quelques  chanoinesses  de  Lavesne.  —  Ma- 
dame de  Lestrange.  —  Madame  de  Vichy.  — 
Madame  de  Ligniville.  —  Aventure  arrivée  à 
cette  dernière.  —  Les  nièces  n'engendrent  pas 
mélancolie.  —  Plaisirs  des  chapitres.  —  La 

26 


438  TABLE 

causerie,  les  concerts,  les  jeux.  —  La  vie  à 
Salles.  —  Les  dîners.  —  Les  hommes,  exclus 
en  principe,  participent  quand  même  à  ces 
réunions.  —  Liaisons  de  cœur.  —  Vieilles  cou- 
tumes naïves.  —  Cérémonies  religieuses.  — 
Mariages  dans  l'église  conventuelle.  —  Les  cha- 
noinesses  à  la  chasse  ! 75 

Vn.  —  Faut-il  reprocher  aux  chanoinesses  leur 
légèreté  ?  —  Elles  ne  faisaient  aucun  vœu.  — 
Elles  ne  portent  même  pas  l'habit  religieux.  — 
Leurs  distractions,  non  conformes  aux  sévé- 
rités de  la  vie  monastique,  n'avaient  rien  de 
répréhensible  aux  yeux  du  monde.  —  N'avaient- 
elles  rien  d'autre  à  se  reprocher?  —  La  galan- 
terie n'abdiquait  pas  ses  droits.  —  Intrigues.  — 
Étourderies.  —  L'esprit  de  cabale.  —  Dissen- 
sions intestines.  —  Mesdames  de  Montjoie  et  de 
Ferrette.  —  Les  chapitres  durant  les  guerres. 

—  Les  chanoinesses  de  Remiremont  à  la  défense 
de  leur  ville.  —  Les  chanoinesses  poétesses.  — 
Mesdames  de  Monspey.  —  Les  chapitres  se 
modernisent.  —  On  s'y  laisse  gagner  par  les 
idées  nouvelles.  —  Désillusions  amères.  — 
Inventaires  et  dissolution  des  chapitres  nobles. 

—  On  regrette  les  chanoinesses  pour  leur  cha- 
rité. —  Madame  de  Ligniville,  héroïne  révolu- 
tionnaire. —  La  fin  des  chanoinesses 9â 


DANS  LES  ABBAYES  DE  FEMMES 


I.  —  Abbayes  de  femmes  en  1768  et  en  1788.  — 
Leur  fondation.  —  Illustrations  de  leurs  fon- 


TABLE  459 

dateurs  et  de  leurs  bienfaiteurs.  —  Iléloïse  à 
Paraclet.  —  Beauté  architecturale  des  abbayes. 

—  Les  grains  du  chapelet.  —  Règles  de  saint 
Benoit  et  de  saint  Augustin.  —  Gouvernement. 

—  Le  chapitre  souverain.  —  L'abbesse,  en 
réalité,  est  la  maîtresse  à  peu  près  absolue.  — 
Privilèges  de  la  fonction.  —  Ces  fonctions  ré- 
servées aux  filles  de  haute  noblesse  et  aux 
princesses  du  sang.  —  Avoir  une  abbaye  cons- 
titue une  grosse  affaire.  —  Intrigues  pour  obte- 
nir la  crosse  abbatiale.  —  Mademoiselle  d'Au- 
lan  et  sa  tante  du  Deffand.  —  Nécessité  de 
caser  les  filles ^^0 

II.  —  État  des  revenus  des  abbayes  en  1768.  — 
Pour  quelques  abbayes  riches,  combien  d'ab- 
bayes pauvres  t  Les  monastères  toujours  aux 
abois.  —  Manie  de  la  construction  et  manie 
d'acquérir  des  terrains.  —  L'Abbaye  au  Bois  et 
Bellechasse.  —  Panthémont.  —  Les  abbayes 
ploient  sous  le  faix  des  dettes.  —  Chez  l'épicier. 

—  Dépenses  de  première  nécessité.  —  Le  livre 
de  comptes  de  l'abbaye  de  Longchamps.  — 
Dépenses  de  l'abbaye  du  Val-de-Grâce.  —  Mer- 
cier et  les  abbesses,  —  Honoraires  des  méde- 
cins et  des  confesseurs.  —  Les  dépenses  de 
sacristie.  —  Les  ressources  en  regard  des 
charges.  —  Dons  et  legs.  —  Rien  ne  parvient  à 
boucher  les  trous  creusés  dans  les  budgets.  — 
Les  religieuses  deviennent  ingénieuses.  —  La 
vente  des  sirops,  des  dentelles,  des  rubans.  — 
On  va  jusqu'à  raccommoder  les  matelas.  — 
Dans  leur  détresse,  les  religieuses  vendent 
l'argenterie  abbatiale  et  des  reliques.  —  Elles 


460  TABLE 

s'adressent  à  leurs  familles.  —  Mademoiselle  de 
Ventadour  et  son  père 126 

III.  —  La  situation  des  abbayes  était  fort  pré- 
caire. —  On  ne  peut  attribuer  ce  désordre  au 
goût  du  bien-être  ni  du  luxe.  —  Inventaire  de 
certains  couvents.  —  Médiocrité  des  ameuble- 
ments. —  Chaillot.  —  Le  Val-de-Grâce.  —  Le 
«  salon  de  la  reine  ».  —  Port-Royal.  —  Mobi- 
lier de  l'abbesse.  —  Panthémont.  —  Le  confort 
à  l'Abbaye-au-Bois.  —  Conflans,  Terres,  etc.  — 

Du  luxe,  il  n'y  en  avait  que  dans  les  églises.  .     150 

IV.  —  Ce  qu'était  la  vie  dans  les  monastères  de 
femmes.  —  Difficulté  de  le  savoir  exactement. 
—  La  tranquillité  des  cloîtres  n'était  qu'appa- 
rente. —  Les  abbayes  en  temps  de  guerre.  — 
Histoire  de  Longchamps.  —  Exodes  successifs 
à  Paris.  —  Les  guerres  civiles.  —  Catherine  de 
Chabannes  et  les  Huguenots.  —  Dissensions 
intérieures.  —  Un  cordelier  mal  reçu  à  Long- 
champs.  —  Comment  il  se  venge.  —  Opposi- 
tion des  religieuses  à  toute  réforme  tendant  à 
resserrer  la  règle.  —  Le  Père  Roussel.  —  Un 
couvent  en  ébuUition.  —  Le  Parlement  s'en 
mêle.  —  Deux  candidates  à  l'abbatiat.  —  Dis- 
cussions et  révoltes.  —  On  empoisonne  une 
abbesse  I  —  Autre  aventure.  —  Une  novice 
qu'on  enlève.  —  Seigneur  et  paysans  prêts  à 
en  venir  aux  mains.  —  L'abbesse  malade  de  la 
fièvre. 162 

V.  —  Au  milieu  de  toutes  ces  aventures,  que 
devient  la  paix  des  cloîtres?  —  Comment  les 
prédicateurs  jugeaient  les  religieuses.  —  Degré 
de  confiance  qu'il  convient  d'accorder  à  ces 


TABLE  461 

accusations.  —  Religieuses  sans  vocation.  — 
Elles  méritent  l'indulgence.  —  Désordre  géné- 
ral dans  les  esprits,  les  institutions,  les  idées. 

—  Si  les  monastères  avaient  été  aussi  cor- 
rompus qu'on  se  plait  à  le  dire,  les  personnes 
vraiment  pieuses  s'en  seraient  écartées.  — 
Fontevrault.  —  Chelles.  —  Mademoiselle  de 
Chartres.  —  Aventures  qui  lui  sont  faussement 
attribuées.  —  Cne  lettre  apocryphe  de  saint 
Vincent  de  Paul.  —  Perspicacité  admirable  de 
ceux  qui  prétendent  pouvoir  jauger  la  vertu 
dés  femmes  ayant  vécu  il  y  a  deux  ou  six 
siècles  !  —  Longchamps.  —  Sa  mauvaise  répu- 
tation. —  De  l'Opéra  au  couvent  et  du  couvent 
à  l'Opéra.  —  Concerts  profanes.  —  Les  foudres 
de  l'Archevêque.  —  Promenades  autour  du 
couvent.  —  Les  rapports  de  police.  —  Impru- 
dences des  religieuses.  —  Un  général  dans  un 
couvent.  —  Les  monastères  galants.  —  Mont- 
martre. —  Une  abbesse  qui  jure.  —  L'abbaye 
de  la  Joie.  —  Cérémonies  religieuses.  —  Bap- 
tême de  cloches.  —  Réception  de  reliques.  .    .     184 

VL  —  L'éducation  des  jeunes  filles.  —  Ce  qu'elle  \ 
était.  —  Les  devoirs  du  ménage.  —  Pourquoi 
on  mettait  les  enfants  de  si  bonne  heure  au 
couvent.  —  Prix  des  pensions.  —  Les  filles  de 
Louis  XV  à  Fontevrault.  —  Régimes  d'excep- 
tion. —  Pensionnaires  libres.  —  Mode  de  se 
réfugier  dans  les  couvents.  —  L'Abbaye-au-Bois; 
Bellechasse,  et  leurs  hôtes.  —  Un  bureau 
d'esprit  chez  les  religieuses.  —  Marie  d'Esté  à 
Chaillot.  —  Madame  du  Deffand  à  Saint-Joseph. 

—  Son  installation.  —  Le  mobilier  t  bouton 

26. 


462  TABLE 

d'or  ».  —  Madame  de  Montespan.  —  Un  Stuart 
caché  à  Saint-Joseph.  —  Un  mobilier  de  petite- 
maîtresse.  —  Prix  de  divers  logements  dans 
les  abbayes.  —  Inconvénients  de  la  présence 
de  personnes  étrangères  dans  les  monastères. 

—  Le  vent  de  frivolité  souffle  dans  les  cloîtres. 

—  La  diminution  de  l'esprit  religieux.  —  La 
Révolution  le  ranime.  —  Il  faut  que  les  portes 

des  couvents  soient  fermées  .   .   .   • 202 


LES  MAITRESSES  DE  MAISON 

I.  —  Comment  madame  de  Genlis  jugeait  les 
maîtresses  de  maison  de  l'ancien  régime.  — 
Opinion  de  Mercier.  —  Différence  entre  l'édu- 
cation des  jeunes  filles,  jadis  et  de  nos  jours. 

—  Celle  qu'elles  recevaient  avant  la  Révolution 
était  conforme  à  l'idée  qu'on  se  faisait  alors  du 
rôle  social  que  la  femme  était  appelée  à  jouer. 

—  La  jeune  fille  était  préparée  à  conduire  une 
maison.  —  Les  femmes  tiennent  les  comptes. 

—  Elles  sont  les  collaboratrices  de  leur  mari 
dans  l'administration  générale  de  la  fortune.  — 
Quelques  exemples  de  femmes  entendues  en 
affaires.  —  La  marquise  de  Tournon  ;  ma- 
dame de  Fay;  madame  de  Sévigné;  madame  de 
Longevialle.  —  Les  femmes  au  Moyen  âge.  — 
Comment  on  les  récompensait.  —  Encore  quel- 
ques maîtresses  femmes  du  xvni<=  siècle  :  la 
duchesse  d'Uzès;  madame  de  la  Valette.  —  Une 
boutade  de  Guillaume  Budé.  —  Le  maréchal 

du  Plessis  entend  rester  maître  chez  lui.   .   .   .     226 


TABLE 


463 


II.  —  La  mère  de  famille  et  ses  enfants.  —  Les 
nourrices.  —  Les  c  victimes  de  Rousseau  i.  — 
La  miaidée.  —  L'enfant  à  la  maison.  —  Sévère 
éducation  des  garçons.  —  Régime  aussi  dur 
pour  les  filles.  —  Rapports  entre  parents  et 
enfants.  —  Madame  d'Oberkirch  ;  Talleyrand  ; 
le  marquis  de  Mirabeau.  —  Les  soins  de  santé. 

—  Exagérations  répandues  à  ce  sujet.  —  La 
mortalité  infantile.  —  A  quoi  il  faut  l'attribuer. 

—  Ignorance  et  suffisance  des  médecins.  — 
L'instruction  était-elle  négligée  ?  —  La  mère 
dirige  celle  de  ses  filles.  —  Le  lycée.  —  L'ortho- 
graphe, peu  en  honneur.  —  Symptômes  qui 
font  prévoir  que  l'on  commence  à  sentir  la 
nécessité  d'écrire  sans  fautes.  —  Sollicitude 
des  mères  pour  leurs  fils  sortis  de  tutelle.  — 
Anecdotes  diverses  à  ce  propos.  —  Le  mariage 
des  enfants  est  la  grande  préoccupation  des 
mères  de  famille.  —  Les  mariages  de  raison, 
seuls  considérés  comme  sérieux,  dans  la  société 
d'autrefois.  —  Longueur  des  négociations.  — 
Oncles  à  héritage  !  —  Détails  dans  lesquels  on 
entre.  —  Robes  et  trousseaux.  —  Les  cérémo- 
nies de  mariage  à  Paris  et  en  province.  —  Les 
fêtes  de  Vogue.  —  D'Urfé,  historiographe  d'une 
noce  au  xvie  siècle.  —  Table  ouverte  pendant 

six  mois 245 

III.  —  L'installation,  premier  devoir  des  maî- 
tresses de  maison.  —  Variations  de  la  mode, 

—  Transformations  dans  l'ameublement.  —  Les 
tentures  au  grenier.  —  Une  chambre  de  grande 
dame  au  xviii*  siècle.  —  La  manie  des  glaces. 

—  Les  tapisseries.  —  Le  bibelot-roi  !  —  Luxes 


TABLE 

divers.  —  Les  chevaux  ;  les  équipages.  —  Le 
luxe  n'est  pas  général.  —  La  disposition  des 
maisons  et  châteaux,  plus  favorable  à  la  vie 
simple  qu'au  faste.  —  Part  faite  aux  cuisines, 
caves,  bûchers.  —  Abondance  des  communs. 

—  La  cuisine,  centre  de  la  maison  et  siège  ordi- 
naire de  la  famille 270 

IV.  —  La  vie  patriarcale.  —  L'existence  chez  les 
Lamartine.  —  La  noblesse  est  près  du  peuple. 

—  Fossé  creusé  entre  elle  et  lui  par  la  révolu- 
tion. —  Communauté  des  intérêts  sous  l'ancien 
régime.  —  Facilité  des  relations.  —  Les  paysans. 

—  Ils  n'étaient  pas  malheureux.  —  La  garde- 
robe  d'une  fermière  sous  Louis  XIV.  —  Le 
paysan  de  La  Bruyère  et  le  paysan  d'aujour- 
d'hui. —  L'hospitalité.  —  Comment  elle  se  pra- 
tiquait. —  Les  vingt-six  convives  de  madame  de 
Sévery.  —  Échange  de  toilettes.  —  L'habille- 
ment. —  Les  portraits.  —  «  Croûtes  de  famille  !  » 

—  Les  nobles  demeurent  très  attachés  à  leurs 
droits.  — Visite  chez  les  fermiers.  —  Les  nobles 
à  la  messe.  —  Pain  bénit.  —  Bancs  d'église.  — 
Un  chapitre  du  Lutnn.  —  Le  banc  de  l'église 
d'Apt 279 

V.  —  Les  maîtresses  de  maison  et  les  jardins.  — 
Ceux-ci  sont  leur  distraction.  —  Elles  ont  fort 
à  faire  avec  la  domesticité.  —  Histoires  de 
domestiques.  —  M.  de  Digoine  et  la  Planquet. 

—  Le  cuisinier  de  madame  Cholier.  —  La  mar- 
quise de  Villeneuve  et  ses  cochers.  —  Il  faut 
surveiller  les  domestiques.  —  La  lessive.  —  Le 
linge.  —  On  le  tisse  à  domicile  ou  au  village. 

—  Les  dames  ourlent  le  linge,  le  brodent,  font 


TABLE 


465 


leurs  robes.  —  Travaux  d'art  sortis  de  leurs 
mains.  —  On  tricote  pour  les  pauvres.  —  La 
table.  —  Les  maîtresses  de  maison  à  la  cuisine. 

—  Elles  préparent  certains  plats.  —  Aucune  ne 
néglige  de  veiller  de  près  sur  le  cuisinier.  — 
Nécessité  d'avoir  des  provisions  chez  soi.  — 
Difficulté  des  approvisionnements.  —  La  viande 
de  boucherie.  —  Les  veaux  du  cardinal  Maza- 
rin  !  —  Recettes  de  cuisine  et  de  médicaments. 

—  Arrangements  passés  avec  les  fournisseurs. 

—  Si  occupée  qu'elle  soit,  la  maîtresse  de  mai- 
son écrit  beaucoup.  —  La  manie  épistolaire. 

—  Un  poulet  en  pathos  ! 289 

VL  —  Abandon  des  sports.  —  La  promenade  est 
à  la  mode.  —  Le  colin-maillard  et  autres  jeux. 

—  Louis  XIV  dans  un  portemanteau  !  —  Les 
petits  jeux,  bouts-rimés  et  autres.  —  Montes- 
quieu galantin.  —  Les  cartes.  —  Le  whist.  — 
L'impériale.  —  Le  piquet.  —  Travaux  d'aiguille. 

—  Tapisseries  célèbres.  —  Le  parfilage.  — 
Madame  de  Genlis  déclare  cet  ouvrage  hon- 
teux. —  Obligation  de  s'occuper  à  la  maison. 

—  Pénurie  de  distractions  extérieures.  —  Le 
mari  voyage  seul.  —  La  femme  demeure  au 
logis.  —  Fêtes  des  vendanges.  —  Le  carnaval. 

—  L'habitude  vient  de  quitter  la  campagne, 
l'hiver.  —  Encore  la  vie  de  château.  —  La  lec- 
ture en  commun.  —  M.  de  Montgaillard  endort 
ses  auditeurs.  — Monotonie  de  l'existence  rurale. 

—  Une  bonne  aubaine.  —  Le  duc  de  Glocester 
sur  la  grande  route.  —  Le  rôle  véritable  des 
maîtresses  de  maison.  —  Comment  elles  enten- 
daient leur  mission.  —  Hier  et  aujourd'hui  ,   .     307 


466  TABLE 


MAGICIENNES 
ET  DISEUSES  DE  BONNE  AVENTURE 

I.  —  La  curiosité  humaine  et  les  forces  surnatu- 
relles. —  Sciences  occultes.  —  La  superstition 
chez  les  anciens.   —  Transmission  des  rites. 

—  Les  rebouteux.  —  Nos  Parisiennes  et  les 
paysannes  de  l'an  mille. .—  Persistance  de  la 
superstition.  —  Intervention  du  diable.  —  Sor- 
cières et  hystériques.  —  Les  belles  dames  du 
xvii^  siècle.  —  Les  esprits.  —  Jusqu'à  la  fin  du 
xviii"  siècle,  on  voit  le  diable  partout.  —  Une 
fille  de  joie  qui  porte  la  bannière  à  la  guerre. 

—  La  béguine  de  Nivelles.  —  L'Écossais  Le 
More.  —  Peines  édictées  contre  les  sorciers.  — 
Les  papes  soupçonnés  de  sorcellerie.  —  Un 
évéque  qui  consulte  les  devins 325 

II.  —  Diverses  branches  de  la  sorcellerie.  — 
L'art  de  prédire  l'avenir.  —  L'ornithomancie, 
la  captotromancie,  etc.,  etc.  —  La  sorcellerie 
en  Italie.  —  La  célèbre  Rodogine.  —  Catherine 
de  Médicis  et  Ruggieri.  —  Comment  l'Estoile 
traitait  les  devins.  —  L'Esprit  de  Marguerite  de 
Valois.  —  Nos  rois  et  les  astrologues.  —  Bran- 
tôme satisfait.  —  Les  bohémiens.  —  Nombreux 
sorciers,  mages  et  devins,  en  province,  au 
Moyen  âge  et  au  xvie  siècle.  —  La  sorcellerie 
qu'on  pense  avoir  détruite  renaît  à  chaque  ins- 
tant sous  des  formes  nouvelles.  —  Les  alma- 
nachs.  —  Nostradamus.  —  Un  prophète  incen- 
diaire   342 


TABLE  467 

III.  —  Impuissance  des  lois  à  réprimer  le  char- 
latanisme. —  Crédulité  générale.  —  Le  peuple 
craint  le  diable,  —  Henri  IV  et  Thomassin.  — 
Le  devin  Inglis.  —  Nostradamus  et  M.  de  Vil- 
layer.  —  Le  pauvre  Malvat.  —  Louis  XIV  et  la 
diseuse  de  bonne  aventure.  —  M.  de  Créquy 
paie  les  pots  cassés  !  —  La  Voisin.  —  Fidélité 
de  ses  clients.  —  La  Voisin  et  le  duc  d'Orléans. 

—  Louis  XIV  et  l'affaire  des  poisons.  —  L'art 
divinatoire  qualifié  de  «  vaine  profession  ».  — 
La  chiromancie  ;  la  cartomancie.  —  Le  tarot. 

—  Marie  Ambruguet.  —  Prédiction  de  la  vic- 
toire de  Denain.  —  Quelques  célèbres  diseuses 
de  bonne  aventure  au  xvin«  siècle.  —  Jacques 
Aymard.  —  Pourquoi  les  femmes  s'adonnent 
plus  volontiers  que  les  hommes  à  l'art  divina- 
toire   


iV.  —  La  sorcellerie  plus  puissante  que  jamais 
au  xviiie  siècle.  —  La  foi  religieuse  et  la 
superstition.  —  Désir  de  s'enrichir,  de  con- 
naître l'avenir,  d'entrer  en  relations  avec  Satan. 

—  Manifestations  nerveuses  collectives.  —  Le 
fils  du  Régent  adepte  de  la  métempsycose.  — 
M.  de  Boulainvilliers.  —  Une  dame  qui  meurt 
de  la  peur  de  mourir.  —  L'auto-suggestion.  — 
Le  régent  et  les  devins.  —  Les  roués.  — 
c  Voyantes  j  du  xvni«  siècle.  —  La  Bontemps. 

—  Ses  prédictions  curieuses.  —  Saint-Germain. 

—  Cagliostro.  —  Un  prophète-gentilhomme.  — 
Sa  pleutrerie.  —  Devins-escamoteurs.  —  La 
femme  Laloux.  —  Mademoiselle  de  Cruzols.  — 
Une  grande  dame  aux  prises  avec  les  diables 
de  Montrouge.  —  Richelieu  à  Vienne.  —  Un 


361 


468  TABLE 

prophète  qui  guérit.  —  Eteila.  —  Les  fous  et  la 
loterie.  —  Anecdotes  diverses 388 

V.  —  Les  voyantes  et  la  Révolution.  —  Les 
hommes  de  la  Révolution  croyaient-ils  aux 
prédictions  ?  —  On  n'avait  pas  le  temps  de 
s'occuper  de  l'avenir.  —  Le  Directoire,  époque 
triomphale  pour  les  diseuses  de  bonne  aven- 
ture. —  Martin.  —  Madame  Mochel.  —  L'épouse 
du  sieur  Garic.  —  Crise  de  crédulité  due  aux 
événements  extraordinaires  que  l'on  a  sous  les 
yeux.  —  L'Impératrice  Joséphine.  —  Mademoi- 
selle Lenormand.  —  Napoléon  était-il  crédule? 
—  Encore  mademoiselle  Lenormand.  Elle  a 
de  nombreuses  émules  en  province.  —  Mais 
elle  est  la  dernière  grande  cartomancienne.  — 
Les  annonces.  —  Guérison  de  la  timidité.  — 
Ne  sourions  pas  des  personnes  qui  croient 
aux  prophéties.  —  Les  médiums.  —  Forces 
psychiques  inconnues.  —  Intelligence  possible 
de  l'avenir  et  charlatanisme.  —  Nos  sybilles 
modernes 412 

INDEX    DES    NOMS    CITÉS 437 


E.    GREVIN    —   IMPRIMERIE   DE   LAGNY  —    3594-9-13. 


iv^ii^\ai  OE.^  I .  nu\j  t-  ~r  0UU 


DC  Gallier,  Humbert  de 

33  Les  moeurs  et  la  vie 

•4  privée  d'autrefois 
G3 


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