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Full text of "Les métamorphoses d'Ovide"

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Harvard  CoUege 
Library 


FROM  THE  FUND  GIVEN  BY 

Stephen  Salisbury 

Clanof  1817 

OF  WORCB8TBR.  MAS8ACHUSBTT8 
For  Oreek  and  Ladn  Liteniture 


L^ 


BIBLIOTHfiQUE  LATINE-FRANQAISE 


LES 


METAMORPHOSES 


DOVIDE 


PARIS.  —  IMP.  SIMON   RAr.O\  ET  COMP.,  RHB  d'BRFDRTH,  1. 


BIItLIOT|lf;QnE  LATIME-FRANQAISE 

LES 

M£TAMORPHOSE§^ 

^■^  D'OVIDE^ 

TRADUGTION  FRANgAISE  DE  GROS 
REFONDUE  AYEC  LE  PLUS  GRAND  SOIN 


■.  CABARET-DUFATT 

Profewur  de  lUniTenite,  auteur  d^oavragas  daBMqiWB 

ET 

PIUc£d£E  D'UNE  notice  sur  oyide 

■.  CHAIIFEHTIEa 


DEUXIEME    l^DITION 


PARIS 

GARNIER  FRSRES,  LIBRAIRES-EDITEURS 

G,  RUE  DES   SAlNTS-PgRES,   ET  PALAIS-ROTAL,   215 

1866 

i 


Lo   i^«  ^^'^ '^ 


PREFACE 


La  poesie  elegiaque,  coinine  les  autres  genres  de  poe- 
sie,  jeta,  au  siecle  d'Auguste,  un  \if  6clat.  CatuUe,  dans 
ses  pieces  l^geres,  d  un  travail  si  delicat  et  si  fin,  et  oii 
plus  de  relenue  ajouterait  encore  au  charme  du  tour  el  de 
la  pensee,  avait  donn^  des  mod^les  dans  cegenre,  et  trouve, 
en  chantant  les  malheurs  d'Ariadne,  ces  accents  profonds 
de  la  passion  qui,  recueillis  par  Virgile,  s'echapperont 
avec  une  si  touchante  tristesse  de  la  bouche  de  Didon.  Ti- 
bulle,  immortaUse  par  Familie  et  les  vers  d'Horace  ainsi 
que  par  ses  propres  elegies,  avait  presque  donne  a  Texpres- 
sion  du  plaisir  la  melancohe  de  la  passion  combattue  et 
attendri  Tame  la  ou  les  sens  seuls  semblaient  int^resses. 
Disciplc  des  Alexandrins,  de  Callimaque,  dePhileias  deCos, 
Properce  a  pris  d'eux  cet  usage  ou  plutdt  cet  abus  de  Tal- 
lusion  mylhologique,  qui  trop  souvent  chez  lui  vient  dc- 

a 


VI  PRfiFACE. 

truire  reffet  d'une  expression  naturelle  ou  d'un  sentiment 
vrai :  poete  brillant  et  gracieux,  mais  qui  laisse  quelque- 
fois  douter  si  c'est  son  esprit  qui  imite  ou  son  ^me  qui 
parle  le  langage  de  la  tendresse.  Ovide  est  de  Tecole  de 
Properce. 
Ovide  naquit  k  Sulmone  Fan  43  avant  J.  C.  : 

Sulmo  mihi  patria  est.  gelidis  uberrimus  undis. 

Gr^ce  aux  soins  de  son  p6re,  il  re^ut  de  bonne  heure 
une  brillante  Mucation;  il  suivit  k  Rome  les  le^ons  des 
maitres  les  plus  c^I^bres,  et  en  proiita  :  «  Des  Tenfance, 
dit-il,  les  myst6res  sacres  furent  pour  moi  pleins  de  char- 
mes,  et  les  muses  m'attir6rent  en  secret  a  leur  culte.  »  II 
c^da  a  cette  vocation  imperieuse.  Son  p^re,  qui  le  desti- 
naitaubarreau,  combattait  ce  penchantalapoesie  :  m  Pour- 
quoi,  lui  disait-il,  tenter  une  6tude  st^rile?  Hom^re  lui- 
m^me  mounit  dans  Tindigence.  »  Lui,  ^branl^  par  ces 
paroles,  t&chait  de  r^sister  a  la  muse  et  de  repondre  au 
d^ir  paternel. 

Si  pectore  possit 

Excussisse  deum... 

Hais  sa  verve  Temportait :  les  mots  venaient  d^eux-m^mes 
remplir  le  cadre  de  la  mesure,  et  chaque  pensee  qu*il  ex- 
primait  6tait  un  vers  : 

Sponte  sua  carmen  nuraeros  veniebat  ad  aptos^ 
Et  quod  tentabam  dicere,  versUs  erat. 

A  vingt  ans,  il  remplit  les  premiers  emplois  accordes  k 
la  jeunesse  :  il  fut  cre6  triumvir.  lA,  nous  dit4I,  se  borna 
sa  carri^re  politique.  II  y  avait  bien  le  s6nat  en  perspec* 
live ;  «  mais  son  esprit,  peu  propre  au  travail  suivi,  fuyait 
les  soucis  de  rambition,  et  les  nymphes  de  rAonie  le  cen- 


PRtFAGE.  Tii 

viaient  a  gouter  de  paisibles  loisirs,  qui  foujours  eurcnt 
pour  lui  mille  charmes.  »  II  cultiva,  il  ch6rit  les  poetcs  de 
son  ^poque*:  Properce  lui  lisait  ses  ^l^gies ;  Horace  char- 
mait  ses  oreiUes  en  chant^nt  sur  la  lyre  ausonienne  ses 
odes  harmonieuses;  il  entrevit  seulement  Virgile,  et  TibuUe 
fut  trop  t6t  ravi  h  son  amiti^.  Malgr^  cette  complaisance 
qu'on  lui  reproche  pour  les  fruils  de  sa  muse,  il  paraitrait 
cependant  que,  dans  les  commencements  du  moins,  Ovide 
ehercha  k  combattre  la  faciht^  de  son  esprit.  a  Je  com- 
posai,  nous  dit-il,  bien  des  pieces;  mais  ceUes  qui  me  pa  * 
rurent  trop  faibles,  je  ne  les  corrigeai  qu*en  les  livrant  aux 
flanunes.  »  Dans  la  soci6t^  des  poetes  illustres  que  nous 
avons  nomm6s,  le  talent  d*Ovide  se  d6veloppa  rapidement. 

Les  Hiroides  furent  son  d^but.  Les  H&roides  sont  en 
quelque  sorte  le  r6sum6  de  la  I^gende  amoureuse  de  ran- 
tiquit^;  on  y  entend  soupirer  toutes  les  tendresses  16gi- 
times  et  non  legitimes  *  P^n^lope  k  cAt^  d*Ariadne,  Ganac^ 
et  Sapho;  m^lange  un  peu  risque,  jeu  de  resprit  plut6t 
qu'emotion  du  coeur,  et  ou  Tironie  semble  prendre  plus 
d'une  fois  la  place  de  lapassion. 

Les  trois  livres  des  Amours  succ^derent  aux  Hiroides. 
Ces  trois  Uvres,  qui  d*abord  en  formaient  cinq,  comme  nous 
Tapprend  r6pigrammequ'0vide  a  mise  en  t6te  de  ce  recueil, 
sont  une  oeuvre  sporitan6e,  une  image  fid^le  et  vive  des 
impressions  personneUes  du  poete,  de  ses  joies,  de  ses 
douleurs,  de  ces  caprices  de  rSme  et  de  rimagination,  de 
ces  ^motions  deUcates  et  fugitives  qui  souvent,  sans  cause, 
font  le  d^sespoir  ou  le  bonheur  des  amants ;  theme  I6ger 
et  monotone  que  resprit  vif  et  souple  du  poete  sait  varier  et 
enrichir  par  mille  d6taUs  charmants,  et  r6peter  sans  Te- 
puiser  jamais.  Dans  les  Amours,  Ovide  est  plein  de  gr^ce, 
dc  naturel  et  de  faciUt^.  L'abus  de  Ferudition,  qui,  dans 
les  Heroides,  trop  souvent  gSte  el  refroidit  le  sentiment,  ici 
ne  vient  pas  ralt^rer  en  le  rendant  pr^tenlieux  et  faux,  en 


vni  PRfiFAGE. 

en  faisant  un  trait  d'esprit  au  lieu  d*une  inspiration  du 
coeur. 

Apr6s  avoir  chant6  les  AmourSy  Ovide  voulut  donner, 
pour  ainsi  dire,  le  code  de  la  tendresse.  VArt  d^aimer  con^ 
tient  tous  les  secrets  que  lui  avait  rev616s  une  longue  .et 
heureuse  exp6rience  :  comment  on  trouve  une  maitresse, 
comment  on  la  captive,  comment  on  la  conserve,  com- 
ment  on  la  quitte,  tous  d6tails  dont  n'avaient  pas  besoin, 
sans  doute,  les  jeunes  gens  de  famille  de  Rome,  et  qui,  du 
reste,  n'ont  rien  de  bien  dMicat.  Voulez-vous  rencontrer 
une  amante,  courez  les  places  publiques,  les  temples,  les 
spectacles,  la  ville,  la  campagne,  les  eaux  de  Baies.  Eh 
quoi?  Tamour  s*apprend-il?  Pour  le  faire  naitre,  pour  le 
fixer,  y  a-t-il  des  r6gles?  je  ne  sais;  mais  je  doute  que  VArt 
d^aimer  d'Ovide,  pas  plus  que  celui  de  Gentil-Bernard,  ait 
jamais  fait  le  bonheur  d'un  amant.  VArt  d'aimer  est  bien 
infi§rieur  aux  Amours  :  il  y  a  la  diffefrence  du  souvenir  h 
rimpression.  Dans  les  Amours^  le  coeur  d'Ovide  suflit  k  ses 
inspirations,  son  esprit  k  Texpression  d'une  passion  tou- 
jours  la  m^me,  toujours  nouvelle;  dans  YArt  d^aimer^  les 
t^pisodes  viennent  souvent  au  secours  du  poete,  et  ces  6pi- 
8odes,  quelquefois  peu  d^cents,  ne  sauraient  racheter  par 
quelques  d^tails  ing^nieux  leur  inutilite  et  leur  longueur. 
Nous  ne  nous  arrSterons  pas  sur  ces  premi^res  poisies 
d'Ovide  :  H.  Jules  Janin,  dans  la  brillante  ^tude  qu'il  a 
mise  en  tdte  d'un  volume  de  cette  collection,  les  a  ap- 
pr^i^es  avec  cegoilit  vif  et  piquant,  cette  gr^ce  de  cri- 
tique  qui  lui  sont  particuliers. 

Ainsi  vivait  Ovide,  heureux  de  ses  vers  et  de  ses  amours,  et 
donmnt  de  son  art  les  charmantes  legons;  accueilli,  sinon 
aim6  d'Auguste,  rev^tu  de  ces  honneurs  qui  pour  lui 
avaient  el^  une  distinction  sans  Stre  une  charge,  rien  ne 
semblait  devoir  troubler  le  calme  de  sa  vie  et  le  bonheur 
de  son  avenir,  Iorsqu'un  coup  impr^vu  le  vint  frapper : 


PR£FACB.  is 

Nec  satis  hoc  fuerat :  stultus  quoque  carmina  feci: 

Artibus  ut  possem  non  rudis  esse  meis, 
Pro  quibus  exsilium  misero  mihi  reddita  merces. 

On  a  souvent  compar^  le  si^cle  d'Auguste  au  si^cle 
Louis  XIV  :  mdmes  troubles  civils,  suivis  de  la  m^me  tran- 
quillit^;  m^megloire  litt^raire;  mdme  ^clat  au  dehors  et 
au  dedans  de  Fempire.  Ces  rapprochements  sont  justes,  et 
mdme  ils  pourraient  ^tre  plus  exacts  et  plus  complets ;  car 
les  si^cles  d'Auguste  et  de  Louis  XIV  ne  se  ressemblent  pas 
seulement  k  leurs  commencements,  dans  leurs  victoires  et 
leurs  prosp6rites,iIs  se  ressemblent  encore  dans  leurs  revers 
et  k  leur  Qn.  De  m^me  que  sous  la  vieillesse  de  Louis  XiV 
il  y  eut  k  rintSrieur  une  r^action  religieuse  et  des  d^stres 
^datants  k  Text^rieur,  ainsi  lademi^re  partie  du  r^e  d'Au- 
guste  pr^sente  de  grandes  defaites  et  un  retour  de  s6v6rit6. 
Si  la  France  eut  son  Villeroi,  Rome  eut  son  Varus.  Auguste, 
sur  la  fin  de  son  r^gne,  s*occupe  de  r^tormer  les  moeurs; 
Louis  XIV  donne  k  ceux  qu'il  a  scandalis^s  par  ses  galante- 
ries  Texemple  de  la  d^votion.Commelacour  de  Versailles, 
le  palais  imp^rial  eut  ses  scrupules  de  conscience  :  Ovide 
fut  une  des  victimes  de  cette  r^action  morale,  comme  chez 
nousla  Fontaine  de  la  rSaction  religieuse.  Domin^  par  Livie, 
comme  Louis  XIV  par  madame  de  Maintenon,  livre  k  des 
pratiques  superstitieuses,  sans  conseil,  sans  ami,  aigri,  d6« 
fiant,  Auguste  vit  aussip^rir  la  moiti^  de  sa  famille;  il 
perdit  Harcellus,  Octavie  et  Drusus ;  mais,  comme  Louis  XIV 
encore,  le  malheur  le  trouva  aussi  grand  que  Tavait  trouy6 
la  prosp^rit^. 

Ce fut  dans  un  de  ces  moments  de  sSv6rit6  quamenaient 
la  vieillesse  et  les  chagrins,  dans  un  acc^s  de  r6forme  mo- 
rale,  qu'Auguste  punit  Ovide  de  la  libert6  de  ses  po^sies. 
La  cause  ou  du  moins  le  pr^texte  de  Texil  d*Ovide,  ce  fut 
YArt  iVAimer^  ouvrage  autrefois  innocent,  mais  devenu 


z  PR^FAGB. 

coupable  depuis  la  rSaction  que  nous  avons  signal^e  comme 
.  un  dernier  caract&re  et  un  fait  trop  peu  observ^  du  r^gne 
d*Auguste.  % 

Quant  aux  causes,  r^elles  ou  suppos^es,  Ovide  en  donne 
deux  :  la  premi&re,  il  la  fait  connaitre;  il  garde  le  silence 
sur  la  seconde  : 

Perdiderunt  quum  me  duo  crimina»  carmen  et  error, 
Alterius  facti  culpa  silenda  mihi  est. 

Quelle  fut  donc  cette  erreur  d*Ovide  et  son  crime  invo- 
lontaire?  Temoin  indiscret  et  malheureux  des  d^bauches 
imp^riales,  a-t-il,  comme  on  le  dit,  surpris  le  secret  des 
incestes  ou  des  adult^res  d'Auguste?  On  Tignore.  Mais  le 
soin  mSme  que  prend  Ovide  de  rappeler  son  erreur  prou- 
verait  que  cette  erreur  n*a  rien  d'offensant  pour  rhonneur 
et  la  conscience  d'Auguste ;  en  effet,  le  moyen  de  croire 
que,  pour  se  justifier,  pour  d^sarmer  le  courroux  d*Au- 
guste,  Ovide  lui  eut  si  souvent  et  sous  tant  de  formes  rap- 
pele  un  souvenir  qui  devait  le  faire  rougir? 

On  a  fait  une  autre  conjecture  :  Ovide  aurait  6t6  non- 
seulement  le  t^moin,  mais  le  complice  des  d6bauches  de 
la  famille  d'Auguste.  Amant  trop  heureux  de  Julie,  qu*il 
aurait,  dit-on,  chant^e  dans  les  Amours  sous  le  nom  de 
Gorinne,  il  aurait  pay6  de  Texil  Thonneur  dangereux  de 
ces  faveurs  imp^riales.  Cette  opinion  semble,  comme  la 
pr^c^dente,  d^mentie  par  les  faits.  D*abord  elie  a,  contre 
elle,  les  objections  que  nous  avons  adress^es  h  celle-ci. 
N'6(ait-ce  pas  ^galement  blesser  Auguste  que  de  lui  rap- 
peler  son  d^shonneur  dans  celui  de  sa  fille?  Et,  si  le  fait 
^tait  vrai,  conunent  Ovide  pouvait-il  Fappeler  une  simple 
erreur?  Ensuite,  quand  Ovide  iut  exil^,  Julie,  fille  d'Au- 
guste,  ^tait  d^j^  relegu6e  sur  un  rocher.  On  a  donc  pens^ 
qu*il  s'agissait,  non  de  la  premiSre,  nmis  de  la  seconde 
Julie,  la  petite-fille  d'Auguste.  Ovide,dit-on,  aurait  ^t^  non 


PR&FACE.  n 

le  complice,  mais  le  timoin  des  disordres  de  cette  seconde 
Julie ;  t6moin  indiscret  et  qui  les  aurait  publi^s  ou  laiM^ 
publier  pfur  ses  amis  et  ses  domestiques : 

Qaid  referam  comitumque  nefas,  famulosque  noceiites, 

nous  dit-il  lui-mSme.  Je  ne  garantis  pas  cette  conjecture, 
mais  j*inclinerais  k  penser  qu*entre  le  bannissement  de 
Julie  et  l'exil  d*Ovide  il  y  a  un  rapport  difQcile  k  prouver, 
mais  tr6s-probable.  On  entrevoit  en  effet,  dans  les  aveux 
comme  dans  le  silence  d'Ovide,  une  atteinte  indiscr^te,  ou 
peut-6tre  t^meraire,  a  la  majest^  imp^riale;  la  comparaison 
que  le  poete  fait  de  son  erreur  avec  celle  d'Act§on,  semble 
indiquer  qu'il  y  a  l^  une  divinit^  bless6e.  Hais  ce  secret 
d'£tat  ou  de  famille,  cette  douleur  poUtique  ou  domes- 
tique,  est  demeurte  impto^trable,  comme  ces  secrets  qui 
irriteront  ^temellement,  sans  la  satisfaire,  la  curiosite  his- 
torique. 

De  nos  jours,  cependant,  un  traducteur  d'Ovide  a  cher- 
ch6  k  donner  de  la  disgr&ce  du  chantre  des  Amours  une 
nouvelle  expUcation,  ing^nieuse,  sinon  plus  soUde  que  les 
autres  conjectures.  Suivant  cecritique,rexild'Ovide  aurait 
eu  une  cause  poUtique  et  honorable  pour  le  poete :  Ovide 
aurait  ^t^,  non  Tamant  de  la  premiSre  JuUe,  mais  le  pro- 
tecteur  de  son  fils,  Agrippa  Posthumus,h6ritier  l£gitime  de 
Tempire,  immole  aux  soup^ns  de  Tib^re  et  dq  livie,  et 
condamne  par  Auguste  k  un  exil  ou  le  fit  mourir  Tib^re.  Le 
poSte,  dans  un  de  ces  moments  d'ennui  qui  assiSgeaient  la 
vieiUesse  d'Auguste,  aurait  cherch6  a  ranimer,  en  faveur 
d'Agrippa,  la  tendresse  et  les  remords  de  Tempereur;  ou 
peut-6tre,  timoin  de  quelque  scSne  violente  et  honteuse 
entre  Tib^re,  Auguste  et  Livie,  il  aurait  paye  par  Texil  cette 
indiscretion  volontaire  oufortuite.  Auguste,  en  effet,se  sen- 
tit  quelque  retour  de  justiee,  sinon  de  tendresse,  pour  son 


xn  PREFAGE. 

petit-fils.  Accompagn^  du  seul  Fabius  Haximus,  son  confl- 
dent  et  son  ami  le  plus  cher,  11  visita  dans  Tile  de  Planasie 
le  malheureux  Agrippa.  Tacite  nous  ie  represente  pleurant 
avec  son  petit-iils  et  le  d^dommageant,  par  les  t^moigna- 
ges  d'une  vive  tendresse,  de  ses  rigueurs  pass^es  et  de  cet 
empire  que  toutefois  il  n  osait  lui  promettre,  ^pouvante 
qu*il  ^tait,  au  sein  mSme  de  cctte  solitude,  des  violences 
de  Livie.  Haxime  confia  ce  secret  important  k  sa  femme, 
et  celle-ci  k  Livie.  Pour  se  punir  de  son  indiscr^tion  ou 
pour  ^chapper  k  Tibere,  Uaxime  se  donna  la  mort,  et 
Ovide  s*accusa  d'en  ^tre  la  cause.  Ovide,  compromis  par  Ta- 
miti^  de  Haxime,  fut  envoy^  en  exih  Gependant  Auguste 
allait  pardonner  k  Ovide  : 

Cceperat  Augustus  decepte  ignoscere  culpe. 

Hais  Tib^re  a  pr^vu  les  dangers  de  la  cl^mence  et  du 
repenfir  d'Auguste :  Augustemeurt  subitement  k  Nole;  son 
petil-fils,  Agrippa,  est  tue  par  un  centurion ;  sa  fille  meurt 
de  faim  dans  rUe  Pandataire,  sur  les  c6tes  de  la  Campanie. 
Enfin  Julie,  petite-fille  d*Auguste  et  SGeur  d'Agrippa,  p6rit, 
aprSs  vingl  ans  d'exil,  Fan  781  de  Rome,  k  Trimetum  (au- 
jourd'hui  Tremiti,  sur  les  c6tes  de  la  Pouille).  Uteormais 
Tib^re  r^gne  sans  rival  et  sans  crainte. 

Aprte  tout,  les  causes  v^ritables  de  la  disgr&ce  d*Ovide 
importent  peu  k  ia  post^rit^.  Cequi  est  plus  malheureux 
pour  lui  que  Fincertitude  de  Thistoire,  c'est  le  peu  de  di- 
gnit^  qu'il  montra  dans  Texil  :  coupable  ou  innocent,  il  ne 
sut  ni  racheter  sa  faute,  ni  ennoblir  son  malheur  par  le 
silence  et  le  courage.  Puni  aussi  pour  des  vers,  J.  B.  Rous- 
seau  soutint  mieux  sa  disgr^ce :  il  refusa  de  rentrer  dans 
sa  patrie  sur  une  ordonnance  du  r^gent,  qui,  en  semblant 
reconnattre  son  innocence,ne  la  proclamait  pas  hautement. 

Quand  la  col^re  d'Auguste  vint  frapper  Ovide  et  le  rel6- 
guftr  i  Tomesy  il  acbevait  les  Mitamorphoses.  Interrompu 


PRfiFAGB.  im 

par  Texil  daus  cette  grande  tdche,  comme  Virgile  ravait  M 
par  la  mort  dans  son  £nSide,  il  vouhit  aussi  livrer  aux 
flammes  ce  monument  imparfait  de  son  g^nie  : 

Sic  cgo  non  meritos,  mecum  perilura,  libelloi 

Imposui  rapidis,  viscera  nostra,  rogis, 
Vel  quod  eram  musaSi  ut  crimina  nostra»  perosus, 

Yel  quod  adhuc  crescens  et  rude  carmen  erat. 

Hais  des  copies  s*en  ^taient  r^pandues  dans  Rome,  et  le 
dteir  sincSre  ou  feint  du  po3te  fut  tromp^. 

Les  Mitamorphoses  sont  roeuvre  capitale  d*Ovide.  Tous 
les  ftges  de  la  po6sie,  de  la  philosophie  et  de  Fhistoire  s'y 
trouvent  rSunis  et  s*y  dSroulent  k  nos  yeux  dans  une  vari^t^ 
pleine  d*ordre  et  de  magnificence.  Cosmogonie  tout  ensem- 
ble  et  th^ologie,  les  Mdtamorphoses  offrent  le  tableau  le  plus 
eomplet  de  toutes  les  croyances,  de  toutes  les  r^volutions 
de  Tanliquit^  paienne  :  rhumanit^  s*y  trouve  h  toutes  ses 
pfariodes;  le  monde  ant^diluvien,  F^tat  barbare  et  pri- 
mitif  dansla  Thrace;  T^tat  h^roique  dans  la  Gr^ce;  T^tat 
civilis^  dans  ritalie,  oii  ces  transformations  successives 
doivent  aboutir  k  rtiistoire  romaine  et  h  Tapoth^ose  d*Au- 
guste.  Yoyez  comme  le  poete  sejoue  agr^ablement  dans 
cette  trame  si  longue  et  sidiverse;  comme  il  se  com- 
phtt  dans  ces  fables  sans  s'y  laisl^er  prendre  pourtant!  il 
tebappe  aux  enchantements  dont  il  nous  captive;  magicien 
habile  qui  dispose,  malgr^  nous,  de  notre  imaginalion  et 
ne  croit  pas  aux  fantdmes  qu'il  ^voque,  parce  qu'il  en  a  le 
secret.  Ainsi,  parmi  les  modemes,  TArioste,  se  jouant  des 
contes  de  la  chevalerie,  comme  Ovide  s'6tait  jou^  des  fables 
da  paganisme,  trahit  h  chaque  instant  par  un  rire  malin, 
parunepiquante  r^flexion,  son  incr^dulit^  k  cesfictions 
magnifiques  qu'il  ^tale  k  nos  yeux.  Ge  n'est  pas  le  seul  trait 
de  ressemblance  que  Tesprit  d*Ovide  ait  avec  Fesprit  mo- 
deme.  Vif,  souple,  facile,  brillant,  il  a  une  mobiUt^  qui  n'est 


X1T  PRfiFAGE. 

pas,  ce  semble,  habituelle  ^rantiquit^;  et  par  \k  aussi  il  d  une 
physionomie  originale.  Gette  facilit6  d'imaguiation  F^gare 
quelquefois ;  car  il  ^puise  un  sujet,  non  pas  h  la  mani^re 
de  Claudien,  en  rexag^rant  et  en  le  conduisant  par  l^  k 
tous  les  degrSs  de  renflure,  mais  en  ne  sachant  pas  s'arr^ 
ter  dans  le  d6veloppement  d*une  pensee,  d*uneexpression, 
d'un  sentiment,  k  cette  juste  mesure  qui  est  la  v^it6  dans 
l'art  comme  dans  la  nature.  Du  reste,  une  admirable  va- 
ri^ti  de  figures,  de  tours,  d'expressions,  Tart  de  pr^senter 
sous  des  formes  toujours  nouvelles  des  situations  sembla- 
bles,  de  rattacher  k  un  m^me  but,  de  faire  concourir  k 
mie  m^me  fin  des  fables  si  diverses  et  si  muUipli^es,  de 
renfermer  dans  un  m^me  cadre  des  figures  si  diff^rentes, 
telles  sont  les  qualit^s  qu'Ovide  poss^de  au  plus  haut  de- 
gr6,  k  ce  degr6  ou  resprit  est  presque  le  g^nie. 

Les  MStamorphoses  ne  sont  pas  le  seul  ouvrage  que  vint 
interrompre  Fexil  d'Ovide  ;  les  Fastes  en  ont  aussi  souf- 
fert.  Ge  poeme  formait  ou  devait  former  douze  chants  : 

Sex  ego  fastoram  scripsi  totidemque  libellos ; 

Gumque  suo  finem  mense  volumen  habet. 
Idque  tuo  nuper  scriptum  sub  nomine,  Csesar, 

£t  tibi  sacralum  sors  mea  rupit  opus. 

C'6tait  le  dessein  du  jpo^te ;  mais  il  n'a  pu  Taccomplir. 
Dans  son  exil,  il  n'a  trouvg  sur  sa  lyre  que  des  sons  pour  la 
doiileur,  dans  son  kme  que  des  inspirations  de  tristesse. 

Cette  lacune,  du  reste,  qu'il  la  faille  atlribuer  aux  mal- 
heurs  et  au  d^couragement  du  poete,  ou  k  Tinjure  du 
temps,  est  une  des  plus  grandes  pertes  qu'ait  pu  faire 
rhistoire.  Les  Fastes  sont  le  monument  le  plus  curieux, 
les  annales  les  plus  pleines  et  les  plus  intSressantes  de  Fan- 
tiquil^  :  c^r^monies  religieuses ,  antiquit^s  sacrees,  ori- 
gines  nationales,  moeurs  domestiques,  traditions  popu- 
laires,  th6ologies  antiques,  toute  la  vie  civile,  int6rieure  et 
publique  de  Rome,  on  la  trouve  dans  les  Fastes.  Ovide  a  la 


PRfiFAGE.  !▼ 

scieiice  de  Fanispice  et  du  grand  prttre,  et  e'est  avec  rai- 
son  qu*un  6crivain  appelle  les  Fastes  un  martyrologe  :  Mar- 
t^rologium  OviMi  de  Fastis;  c'e8t  bien  \h  en  effet  le  livre 
des  saints  de  i*antiquite,  et  pour  ainsi  dire  sa  I6gende. 
Lepoeme  d^Ovide  est  une  des  plus  attachantes  et  des  plus 
instructives  lectures  qui  se  puissent  faire ;  jamais  l*^rudi* 
tion  ne  s'est  montr^e  sous  des  formes  plus  agr^ables  et 
plus  ing^nieuses;  jamais  rhistoire  n'a  revStu  de  plus  bril- 
lantes  couleurs,  trop  brillantes  peut-^tre,  carU,  comme 
dans  ses  autres  ouvrages,  Ovide  ne  sait  pas  toujours  r6sis- 
ter  k  la  fadlite  de  son  imagination,  et  cette  imagination  1*6- 
gare,  en  lui  iaisant  preferer  aux  sev^res  et  profondes  tra- 
ditions  du  Latium  les  riantes  fictions  de  la  Gr^ce. 

L'exil  d*Ovide  ne  fut  pas  cependant  enti^rement  perdu 
pour  la  po6sie  :  les  Tristes^  les  PontiqueSj  charmSrent  sa 
solitude,  en  ces  sauvagesetlointaines  contr^es.  Mais,  quel- 
que  effort  que  fasse  le  poete  pour  retirouver  Tinspiration  de 
ses  jeunes  et  heureuses  ann6es,  il  n*y  peut  parvenir.  Sous 
le  ciel  sombre  et  glace  des  Sarmates,  son  riant  g^nie  sem- 
ble  s'attrister  et  s*6teindre ;  ses  plaintes  ne  sont  pas  seule- 
ment  monotones,  ce  qui  6tait  le  d^faut  presque  in^vitable 
du  sujet,  elles  sont  froides  et  pr^tentieuses  :  on  trouve  des 
traits  d*esprit  \k  ou  on  8'attendait  k  rencontrer  Tabandon 
et  la  simplicite  touchante  de  la  douleur  :  Ovide  semble  plus 
poete  que  malheureux. 

Les  Herotdes,  les  AmourSy  YArt  d^aimer^  les  Metamor- 
phosesy  les  Fastes,  les  Tristes,  les  Pontiques,  tels  sont  les 
ouvrages  les  plus  remarquables  qui  nous  restent  d*Ovide ; 
mais  ce  n'etaient  pas  la  ses  seuls  titres  a  rimmortalit^.  La 
souplesse  et  la  vivacite  de  son  genie  ne  se  sont  pas  bornees 
ala  poesie  ^rotique,  h  Tepopee,  k  la  po^sie  didactiqiie  et  k 
r^I^e  :  Ovide  fut  encore  un  poete  tragique.  Sa  Medee  se 
pla^ait  a  c5te  du  Thyeste  de  Varius. 

Quelques  autres  ouvrages  moins  importants  ont  aussi 


ivi  PREFAGE. 

exerc^  ia  verve  et  lafacilit^  d*Ovide;  t^ls  sont :  le  Remide 
d^amourj  compos^  apr^s  VArt  d'aimer;  espSce  de  palliatif 
k  ce  poeme,  et  rem^de  pire  que  le  mai;  Ylbis,  petit  poeme 
satirique  de  plus  de  six  cents  vers ;  la  PSche,  en  vers  hexa- 
m^tres,  dont  le  commencement  manque;  le  Cosmitique,  en 
vers  el^giaques,  que  Fon  peut  r^arder  comme  le  compl6- 
ment  de  VArt  d'aimer;  la  NoiXj  6I6gie  contest^e,  mais  qui 
ne  parait  pas  indigne  de  notre  poete.  Nul  auteurne  s*est 
pr^t^  k  plus  de  genres,  et  avec  plus  de  grSce  et  de  sou- 
plesse.  Ovide,  pourtant,  n'est  plus  du  grand  si^cle :  inge- 
nieux,  facile,  anim^,  il  continue,  mais  enles  alt^rant,  les  tra- 
ditions  du  r^e  d*Auguste ;  il  est  d'une  nouvelle  g^n^ration 
poitique,  brillante  encore  et  heureusement  dou^e,  mais 
moins  sobre  et  moins  forte  que  la  premi^re,  plus  ^prise  de 
la  forme  que  severe  sur  le  fond,  sacrifiant  trop  a  l*esprit, 
nimium  amator  ingenii  sui^  et  ofTrant  le  signe  certain  de 
la  d^cadence  :  le  d^faut  de  simplicit^  et  Tabus  de  la  des- 
cription. 

Ovide  mourut  en  exil,  a  Tomes,  k  T&ge  de  soixante-deux 
ans,  dix-neuf  ans  apr^s  J^sus-Christ,  sans  avoir  pu  obtemr 
de  revoir  cette  Rome  oii  une  noble  r^signation  Taurait  peut- 
^tre  plus  sihrement  rappele  que  des  flatteries  peu  mesurees 
et  des  pri^res  sans  dignit6. 


I.  P.  CUARPENTIEK. 


METAMORPHOSES 


LlVllE   PKEMlIi:a 


Je  veux  chanter  les  metamorphoses.  Dieiix,  qui  eii  fiites  \cs  au- 
teurs,  secoudez  mon  dessein,  et  conduisez  ce  loiig  poeino  drpuis 
rorigine  du  monde  jusqu'a  nos  jours.  ^ 

=*'      L£  GUAOS  CHANGE  EN  QUATRE  ELEMENTS  DISTINCIS. 

I.  Avant  la  mer,  la  terre  et  rimmense  voute  dos  cioux,  Tu- 
nivers  ofTrait  un  aspect  uniforme  qu'on  appela  Chaos,  niasse  iii- 
forine  et  grossiere,  amas  inerte  et  confus  d^eleinenls  inal  assorlis. 
Le  soleil  n'etait  pas  encore  le  flambeau  du  monde,  et  la  iuiic  uo 

LIUER  PRIMUS 

In  iiovu  feit  auimus  mulalus  dicere  tonnas 
Corpora.  Di,  coeplis,  uara  vos  niulastib  et  illas, 
Adspirale  meis,  primaque  ab  ori<,Mnc  mundi 
Ad  mea  pcrpetuum  deducilc  tcmpora  carmcn. 

CIUOS  m   ELEHENTA   QUATOOR   DISTINGUiTUA. 

1.    Autc  iiidie  et  tellus,  et  quod  tegit  omnia  coelum,  'S 

Inus  erat  loto  naturijc  vultus  iu  orbc, 
Qucm  dixerc  CUaos,  rudis  indigestaque  niolcs ; 
^ec  quidquam,  nisi  pondus  incrs,  congeslaque  codem 
Nou  bene  junctarum  discordia  semina  rerum. 
Kullus  adhuc  mundo  praebebal  lumina  Titan, 


2  METAMOUPHOSES. 

reparait  pas,  daiis  son  cours,  les  pertes  de  sa  clarte.  Tenue  en 
equilibre  par  son  propre  poids,  la  terre  n'6tait  point  suspendue 
au  sein  de  Tair,  et  la  mer  n'etendait  pas  ses  bras  le  long  de  ses 
vastes  rivages.  La  terre,  la  mer  et  Tair,  tout  etait  confondu  :  la 
terre  n*etait  point  fixe,  Teau  navigable,  l'air  transparent.  Nul  ele- 
mant  n'avait  sa  forme.  R^unis  ensemble  et  antipalhiques  les  uns 
aux  autres,  les  corps  froids,  humides,  mous  ou  legers,  combat- 
taient  les  corps  chauds,  secs,  durs  ou  pesants. 
L  Un  dieu,  r6formant  la  nature,  mit  fin  a  cette  lutte :  il  sgparajla 
tenre  du  ciel,  Teau  de  la  terre,  et  l'air  pur  de  Tair  grossier.  Apres 
avoir  dissip^  les  tenebres  et  dclairci  le  Chaos,  il  leur  marqua  des 
|)Iaces  distinctes,  et  les  soumit  aux  Jois  de  Tharmonie.  Le  feu 
subtil  des  etoiles  s'elanQa  vers  la  voAle  celeste,  et  occupa  TEm- 
pyree.  L'air,  presque  aussi  leger,  s'empara  des  lieux  voisins.  La 
terre,  plus  epaisse,  re^ut  les  grands  corps,  et  trouva  son  equi- 
libre  dans  son  propre  poids.  L'eau,  qui  la  baigne  de  toutes  parts, 
eul  la  derniere  place  et  entoura  les  continents. 
Des  que  ce  dieu,.c[uel  qu^il  fut,  eut  debrouille  le  Chaos  et  as- 

Mec  nova  crescendo  reparabal  cornua  Phopbe, 

Nec  circumfuso  pendebat  in  aere  tellus, 

Ponderibus  librata  suis ;  nec  brachia  longo 

Margine  terrarum  porrexerat  Amphilrile. 

Quaque  fuit  tellus,  illic  ct  pontus  et  aer :  f  5 

Sic  erat  instabilis  tellus,  innabilis  unda, 

Lucis  egens  aer.  Nulli  sua  forma  manebat, 

Obstabatque  aliis  aliud,  quia  corpore  in  uuo 

Frigida  pugnabant  calidis,  humentia  siccis, 

Mollia  cum  duris,  sine  pondere  habcntia  pondus.  20 

Hanc  deus  et  melior  litem  natura  direniit; 
Nam  c(f1o  tcrras  et  terris  abscidit  undas, 
ISt  liquidum  spisso  secrevil  ab  aere  ccelum. 
Quae  postquam  evolvit,  caecoque  exemit  acefvo, 
Dissociata  locis  concordi  pace  ligavit.  2a 

Ignea  convexi  vis  et  sine  pondere  coeli 
Emicuit,  summaque  locum  sibi  legit  in  ai^ce. 
Proximus  est  aer  illi  levitatc  locoque. 
Densior  his  tellus,  elementaque  grandia  (raxit, 
Et  pressa  est  gravitate  sui.  Circumfluus  humor  50 

Ultima  possedit,  solidumque  coercuit  orbem. 

6ie  ubi  dispositam,  quisquis  fuit  iilc  Jcaruiu> 


J 


LlVUE  1.  5 

s>igne  sa  place  a  chaque  element)  pour  que  la  lerre  lut  egaleiucnt 
arrondie,  il  lui  donna  la  figure  d'un  vaste  globe;  ensuite  il  or- 
donna  aux  flols  de  se  repandre,  de  s^enfler  au  gre  des  venls  en 
courroux,  et  de  ceindre  la  terre.  II  fit  aussi  les  fontaines,  les 
etangs  et  les  lacs  immenses,  entoura  de  rives  sinueuses  les  fleuves 
rapides,  qui,  dans  leurs  cours  divers,  disparaissent  au  sein  de  la 
lerre  ou  parviennent  jusqu  a  rOcean,  et,  regus  dans  ses  larges 
bassins,  ne  frappent  plus  d^autres  bords  que  ses  rivages.  II  or- 
donna  egaleraent  aux  plaines  de  s'elendre,  aux  vallees  de  sV 
baisser,  aux  forets  de  se  parer  de  feuillage  et  aux  rochers  de 
selever. 

Jl  divisa  le  ciel  en  cinq  zones,  deux  ii  droite,  deux  a  gauche,  et 
Faulre,  plus  ardente,  au  milieu  d^elles.  II  partagea  aussi  sagc- 
ment  nolre  globe  en  cinq  regions  qui  correspondent  aux  cinq 
regions  celestes.  La  zone  torride  est  inhabitable.  Des  neiges  pro- 
fondes  couvrent  les  deux  zones  voisines  des  p6Ies,  el,  dans  respace 
egal  qui  s'etend  a  c6te  de  chacune,  regne  une  douce  temperalure 
produite  par  le  melange  du  froid  el  du  chaud.  Au-dessus  se  ba- 
lance  Tair,  moins  leger  que  le  feu,  comme  Teau  est  moins  pe- 

Congcricra  secuit,  seclamque  in  membra  redcgit, 

Principio  tcrram,  ne  non  xqualis  ab  omni 

Parle  foret,  magni  speciem  glomeravit  in  orbi^.  5S 

Tam  frela  diffundi,  rabidisquc  tumescere  ventis 

Jus5it,  et  ambitae  circumdare  littora  terrs. 

Addidit  et  fontes»  immensaque  stagna,  lacusque} 

Fluminaquc  obliquis  cinxit  declivia  ripis, 

Qu»  diveri^a  locis  pnrlira  sorbcntur  ab  ipsu,  -40 

In  niarc  perveniunt  parlim,  campoque  recepla 

Liberiorib  aquae,  pro  ripis  littora  pulsant. 

iussit  ct  exiendi  campos,  subsidere  valles, 

Frondc  tcgi  silvas,  lapidosos  surgere  montes. 

(Itque  dua3  dextra  coelum,  totidemque  sinistra  45 

Parte  secantzonae,  quinla  est  ardentior  illis; 
Sic  onus  inclusum  numero  distinxit  eodem. 
iJura  dei ;  totidemque  plagae  tellure  premuntiir. 
Ouarum  quaj  media  est,  non  est  habilabilis  aestn. 
Nix  tegit  alta  duas,  Totidem  inler  ulramquc  locavil,  50 

Temperiemque  dedil,  mixla  cum  frigore  flamma. 
Imminct  his  aer,  qui,  quanto  est  pondere  tcrrro 
Tondus  aquajlevius/  lantocst  onerosior  ij^ni. 


4  METAMORPIIOSES.  ' 

sanle  que  la  lerre.  Cest  le  sejour  assigne  par  les  decrels  du  dieu 
aux  nuages,  aux  tonnerres  qui  epouvantent  le  coeur  des  morlels, 
el  aux  venls,  p6res  de  la  Joudre  et  des  frimas. 
rL'architecte  des  mondei'  n'abandonna  pas  a  leurs  caprices  Tera- 
pire  de  Tair.  Aujourd'hui  meme,  quoique  retenus  par  la  loi  qui 
marque  leurs  routes  diverses,  peu  s'en  faul  qu'ils  ne  brisent  le 
monde  :  tant  la  discorde  les  desunit!  Eurus  fut  relegue  dans  le 
royaume  de  FAurore,  dans  Tempire  de  Nabata,  dans  la  Perse  et 
sur  les  montagnes  frappees  des  premiers  rayons  du  jour;  Zephire 
avoisina  Vesper  et  les  contrees  que  rechauffe  le  soleil  couchanl ; 
rhorrible  Boree  envahit  la  Scytliie  et  le  seplenlrioii;  le  pluvicux 
Ausler  s'empara  des  regions  opposees  qu'assiegent  incessamment 
les  humides  brouillards.  Par  dela  lous  les  vents  fut  repandu  l'e- 
tlier,  element  diaphane,  sans  pesanteur,  et  dont  aucun  melange 
terrestre  n'altere  la  purete. 

Des  que  le  dieu  eut  circonscrit  les  divers  corps  daiis  des  limites 
invariables,  les  astres,  longtemps  ensevelis  dans  le  Chaos,  coui- 
nienccrent  a  resplendir  dans  le  ciel  de  tout  reclat  de  leurs  feux. 
Alin  que  nuUe  region  ne  fAt  depourvue  des  felres  qui  lui  convien- 

lllic  cl  ncbulus,  illic  coasistcre  nubcs 

Jussit,  ct  humanas  motura  tonilrua  meules,  o-i 

Et  cum  fulminibus  facientcs  frigora  vcnlos. 

llis  quoque  uon  passim  mundi  fabricator  habeiiiluui 
Aera  permisit.  Vix  nunc  obsistilur  iilis, 
Quum  sua  quisquc  regant  diverso  flamina  tractu, 
(Juin  iauient  mundum:  tanta  est  discordia  fralrum!  60 

Eurus  ad  Auroram  nabatseaque  regna  reccssil, 
Pcrsidaque,  et  radiis  juga  subdita  matutinis. 
Vesper,  et  occiduo  quae  littora  sole  tepescunt, 
Proiima  sunt  Zephyro.  Scythiam  septemquetrioncm 
Horrifcr  invasit  Boreas.  Contraria  tellus  05 

Nubibus  assiduis,  pluvioque  madescit  ab  Auslro. 
Haec  super  imposuit  liquidum  et  gravitate  carcntem, 
iElhera,  nec  quidquam  terreuae  faecis  habentem. 

Vix  e;i  iimitibus  dissepscrat  omnia  certis, 
Quum,  quae  prcssa  diu  massa  latuere  sub  illa,  70 

Sidera  ccBperunt  toto  effervescere  ccelo. 
Ncu  rcgio  foret  ulla  suis  animantibus  orba, 


LIVRE  I.  5 

nent,  les  ^toiles  et  les  dieux  ocaip^rent  le  celeste  parvis ;  les  pois- 
scms  eurent  pour  domaine  les  eaux ;  la  terre  regut  les  b^tes  sau- 
vages,  et  les  oiseaux  fendirent  les  plaines  de  rair.  Un  Mre  plus 
nofole,  doue  d'une  haute  intelligence,  et  fait  pour  commander  a 
tous  les  dtres,  manquait  encore.  L'homme  naquit.  Soit  que  le 
createur  souverain  qui  organisa  runivers  Tait  form^  d'une  es- 
sence  divine;  soitquefa  terre,  vierge  encore,  et  naguere  separ^e 
des  r^gions  superieures  de  T^ther,  retinl  quelque  germe  de  pa- 
rente  avec  le  ciel ;  le  fils  de  Japliet  la  detrempa  dans  les  eaux  d'un 
fleuve,  la  petrit  a  Fimage  des  dieux,  arbitres  du  monde;  et,  tan- 
dis  que  les  autres  animaux  ont  la  face  courb^  vers  la  terre,  il 
ele\a  le  front  de  Thomme,  lui  ordonna  de  contempler  les  cieux 
et  de  fixer  ses  regards  sur  les  astres.  Grdce  a  cette  m^tamorphose, 
la  matiere,  informe  et  grossiere,  rev^tit  la  figure  humaine  jus- 
qu'aIors  inconnue. 

SUGGESSIOM   DES  QUATRE   AGES   DU   MONnE. 

n.  V&ge  d'or  naquit  le  premier.  Sans  lois,  sans  magistrats,  il 
observait  de  lui-mtoe  la  justice  et  la  bonne  foi.  Les  chAtimcnls 

Astra  tenent  coeleste  solum,  formaeque  deorum. 

Gesserunt  nitidis  habitandse  piscibus  undse. 

Terra  feras  cepit;  volucres  agitabilis  aer.  7."i 

Sanctius  his  animal,  mentisque  capacius  alla) 

Drerat  adhuc,  et  quod  dominari  in  cailera  possot. 

Natus  homo  est.  Sive  hunc  divino  semine  fecil 

Ille  opifex  renim,  mundi  melioris  origo; 

Sive  recens  tellus,  seductaque  nuper  ab  allo  SO 

AUhere,  cognati  relinebat  semina  cncli, 

Quam  salus  lapeto,  mixtam  fluvialibus  undis, 

Finxil  in  effigicm  moderantum  cuncta  doorum  ; 

Pronaque  quum  spectent  animalia  caetera  trrram, 

Os  homini  sublime  dedil,  coelumque  tueri  85 

Jn«;sil,  et  erectos  ad  sidera  tollere  vultus. 

Sic,  modo  quai  fuorat  rudis  et  sine  imaginc  loUus, 

Indnil  ignotas  hominum  convcrsa  liguras. 

QnATUOn   MUXDl   ORDINUM    SFHIRS. 

H.     Auroa  prima  sata  n^l  ^sf.is,  qu.r,  r/nr/jccnullo, 
Sponie  sna,  sine  lego,  fifiom  rectnmqiw  nnip]trn.  00 


0  MfiTAMORPHOSES. 

et  la  crainle  elaient  ignores.  Des  arrSts  menagants  ne  se  lisaient 
pas  sur  Tairain,  et  une  foule  suppliante  ne  tremblait  pas  devant 
ses  juges  :  les  mortels  vivaient  tranquilles  sans  leur  secours.  Le 
pin  n'avait  pas  encore  ete  detache  de  ses  montagnes  par  la  hache 
pour  descendre  sur  la  plaine  liquide,  et  aller  visiter  un  monde 
etranger.  Les  hommes  ne  connaissaient  que  leiur  horizon.  Des 
fosses  profonds  n'enlouraient  point  les  cites.  On  n*enlendait  ni 
clairons  ni  trompettes ;  on  ne  voyait  ni  casques  ni  ep6es,  et,  sans 
soldats,  les  peuples,  dans  le  calme  de  la  paix,  jouissaient  des  plus 
heureux  loisirs.  La  terre,  sans  y  6tre  forcee,  sans  6tre  dechfree  par 
la  herse  ou  sillonn^e  par  la  charrue,  prodiguait  d'elle-mtoe  tous 
les  fruits.  Gontents  des  aliments  qu'elle  ofTrait  sans  contrainte,  les 
mortels  cueillaient  les  arbouses,  les  cornouilles,  les  fraises  des 
montagnes,  les  mures  attachees  aux  ronces  epineuses,  et  les 
glands  tombes  du  grand  arbre  de  Jupiter.  Alors  regnait  un  prin- 
temps  6ternel,  et  les  doux  zephyrs,  de  leurs  liedes  haleines,  ca- 
ressaient  les  fleurs  nees  sans  cullure.  Enfm,  les  guerets,  sans 
6tre  rajeunis  par  aucun  labour,  versaient  tous  leurs  tresors,  et 
blanchissaient  sous  de  riches  epis.  Ici  serpentaient  des  ruisseaux 


Poena  metusque  aberanl ;  nec  verba  minacia  fixo 

Mre  legebantur ;  nec  supplex  lurba  timebant 

Judicis  ora  sui ;  sed  erant  sine  judice  tuti. 

^ondum  caesa  suis,  peregrinum  ut  viseret  orbem, 

Montibus,  in  liquidas  pinus  descenderat  undas ;  £5 

Nullaque  mortales,  pncter  sua,  littora  norant. 

Nondum  praecipiles  cingebant  oppida  fossa>. 

Non  tuba  direcli,  non  seris  cornua  flexi, 

Non  galeae,  non  ensis,  crant.  Sine  mililis  usu 

Mollia  secura)  perageiiant  otia  gentcs.  100 

Ipsa  quoque  immunis,  rastroque  inlacla,  nrc  u!iis 

Saucia  vomeribus,  per  se  dabat  omnia  tclliis ; 

(^ontenlique  cibis,  nullo  cogenlc,  creatis, 

Arbuleos  foetus,  montanaque  fraga  legebanl, 

Cornaque,  et  in  duris  hairentia  mora  rubetis,  10"i 

F.t  quae  dcciderant  palula  Jovis  arbore  glnndos. 

Ver  crat  xternum,  placidiquc  tcpentibus  auris 

Mulccbant  Zephyri  natos  ^inc  semine  flores. 

Mox  cliam  fruges  tellus  inarata  ferebat, 

Nec  ronovatus  ager  gravidis  cauplial  arislis.  ijO 


LIYRE  I.  7 

de  lait,  \k  des  fleuves  de  nectar,  et  dii  creux  des  vertes  yeuses 
distillait  un  miel  pur. 

Cependant  Satume  fut  plong6  dans  le  sombre  Tartare,  et  le 
sceptre  du  monde  passa  aux  mains  de  Jupiter.  Alors  conunen^a 
r^e  d'argent,  inferieur  a  T^ge  d'or,  mais  preferable  k  TAge  d'ai- 
rain.  Jupiter  raccourcit  la  duree  de  Tantique  printemps.  L^hiver, 
Tete,  Tautomne  in^al  et  le  printemps,  aujourd^hui  si  court,  par- 
tagSrent  Tannee  en  quatre  saisons.  Pour  la  premi^re  fois,  Tair  fut 
embras^  par  des  dialeurs  d^vorantes,  et  Teau,  durcie  par  les  vents, 
demeurar  suspendueV  Alors,  pour  la  premiere  fois,  les  hommes 
diercherent  des  abris.  Ils  prirent  pour  asiles  des  antres,  d'e- 
paisses  broussailles  et  des  branchages  entrelac^s  d'ecorce.  Alors, 
poor  la  premiere  fois,  les  semences  de  Ceres  furent  ensevelies 
dans  de  longs  sillous,  et  les  taureaux  gemirent  sous  le  joug.  A  ces 
deux  ^es  succeda  r^ge  d'airain,  d'un  caract^re  feroce  etprompt 
a  livrer  d'horribles  combats,  sans  6tre  pourtant  criminel.  Le  der- 
nier  ^ge  est  T^ge  de  fer. 

Tous  les  crimes  se  precipit^rent  en  foule  dans  ce  si^cle  impie. 
Alors  s'enfuirent  la  pudeur,  la  verit^,  la  bonne  foi.  A  leur  place 

Flumina  jam  laclis,  jam  flumina  nectaris  ibant, 
Flavaque  de  viridi  stillabant  ilice  mclla. 

Postquam,  Saturno  tencbrosa  in  tartaia  misso, 
Sub  Jave  mundus  eral;  subiit  argentea  proles, 
Auro  detcrior,  fuWo  pretiosior  sBro.  1 1  *.i 

Jupiter  antiqui  contraxit  tempora  veris, 
Perque  bicmrs,  aestusque,  et  iosequales  aulumnos, 
Ft  brevo  ver,  spaliis  exegit  qualtuor  annum. 
Tum  prinmm  siccis  aer  fervoribus  ustus 
r.anduil,  et  ventis  placics  adstricta  pependit.  1-^ 

Tum  primum  subiere  domos  :  domus  anlra  fuerunt, 
Kt  densi  frutices,  et  vinctae  cortice  virgae. 
Semina  tum  primum  longis  cerealia  sulcis 
Obrula  sunl,  pressique  jugo  gemuere  juvenri. 
Terlia  post  illas  successit  ahenea  proles,  ''-i' 

Sicvior  ingeniis,  et  ad  horrida  promptior  arnia. 
.\cc  sctlcrala  lamen,  De  duro  est  ultima  ferro. 

Prolinus  irrumpit  ven»  pejoris  in  xvum 
\)nme  ueras  :  fiiiifre  pndor,  verumque,  ridesquo; 


8  MftTAMORPHOSES. 

n^gn^rent  la  fraude,  l'artifice,  la  Iraliison,  la  violence  et  la  cou- 
pable  soif  de  Tor.  Sans  les  bien  connaitre,  le  nautonier  abandonna 
sa  voilc  aux  vents ;  et,  apres  avoir  longtemps  sejoume  sur  la  cime 
des  monts,  les  arbres,  transformes  en  vaisseaux,  defierent  nn 
abime  iiiconnu.  La  terre,  jusque-la  commune  a  tous,  comme  Tair 
ct  la  lumiere,  vit  le  laboureur  defiant  assigner  de  longues  limitcs 
a  son  champ.  Cctait  peu  de  demander  a  la  f^condite  du  sol  les 
moissons  et  les  aliments  necessaires ;  on  descendit  jusque  dans 
les  entrailles  de  la  terre ;  on  deterra  ces  Iresors  qu'elle  lenait  ca- 
ch^s  pres  des  ombrcs  du  Styx,  et  qui  ne  servent  qu'a  irriter  nos 
maux.  Deja  le  fer  homicide,  et  Tor,  plus  funeste  encore,  avaient 
paru;  la  guerre  parut  aussi,  la  guerre  qui  combat  aveceux,  et 
dont  la  main  ensanglantee  fnit  retentir  le  cliquetis  des  armes.  On 
vil  de  rapines.  L'h6te  redoute  son  h6te,  et  Ic  beau-pere  son  gen- 
dre.  La  concorde  est  rare  parmi  les  frcres.  Lc  mari  trame  la  perte 
de  sa  femme,  et  la  femme  altente  aux  jours  de  son  mari.  Les  ter- 
ribles  maratres  preparent  des  poisons  mortels.  Le  fiis  cherche 
d'avance  a  connaitre  le  terme  des  annees  de  son  pere.  La  vertu 
est  foulee  aux  pieds,  et  la  vierge  Astr^e,  apres  tous  les  Immoriels, 
abandonne  la  terre  arrosee  de  sang. 

In  quorum  «ubicrc  locum  fraudcsquc,  dolique,  150 

Jnsidiacquc,  cl  vis,  ct  anior  scdcralus  Iiabcndi. 

Vda  dabat  ventis,  nec  adhuc  bene  noverat  illos 

Navita ;  quaBquc  diu  steterant  in  raontilius  altis, 

Fluclibus  ignotis  insultavere  carins; 

Communemque  prius,  ccu  lumina  solis  ct  auras  133 

Cautus  humum  longo  signavit  limite  mcnsor. 

Nec  tantum  segetes  alimcntaque  debita  divcs 

Posccbatur  humus,  sed  itum  est  in  viscera  tcrrse; 

Quasque  rccondiderat,  stygiisque  admoverat  umbris. 

Effodiuntur  opes,  irritamenta  malorum.  140 

Jamque  nocens  ferrum,  ferroque  nocentius  ai^rum 

Prodierant ;  prodit  bellum,  quod  pugnat  utroque, 

Sanguineaque  manu  crepitantia  concutit  arma. 

Vivitur  ex  rapto.  Non  hospes  ab  hospite  tutus, 

Non  socer  a  genero.  Fratrum  quoque  gratia  rara  cst.        li^i 

Imminet  exitio  vir  conjugis,  ilia  maritt. 

Lurida  terribiles  miscent  aconita  novercae. 

Filius  ante  diem  patrios  inquirit  in  annos. 

Victa  jacet  Pietas;  et  virgo  cxde  madentes 

Ultima  coDlestum,  terras  Astrsa  reliquit,  •  150 


LIVRE  I.  9 

CRIMR  ET  PDNTTION  DES  G^IANTS. 

IQ.  L*cmpire  des  dieux,  malgre  sa  liauteur,  ne  fut  pas  plus  en 
sflret^  que  la  terre.  Les  Geants,  pour  le  conquerir,  entass^rent, 
dit-on,  jusqu'aux  astres  montagnes  sur  monlagnes.  Alors  le  puis- 
sant  Jupiler  brisa  l'01ympe  de  sa  foudre,  et  renversa  le  P^lion 
6leye  sur  TOssa.  Tandis  que  ces  affreux  colosses  gisaient  ensevelis 
soQs  les  masses  quMls  avaient  amoncelees,  la  Terre,  inond^  du 
sai^  de  ses  enfants,  vivifia,  dit-on,  ce  sang  par  sa  chaleur  feconde, 
el,  pour  conserver  la  trace  de  leur  origine,  en  forma  d'aulres  fttres 
a  face  humaine.  Mais  cette  race  meprisa  les  dieux,  fut  alt^r^  de 
camage  et  ne  respira  que  la  violence.  On  reconnaissait  qu'elle  ^tait 
nee  du  sang. 

LYCAON   EST  CHANGE   EN   LOUP. 

IV.  Lorsque,  du  haut  de  son  tr6ne,  le  fils  de  Satume  vit  les 
crimes  des  mortels,  il  gemit,  et,  se  rappelant  raffreux  banquet 
servi  par  Lycaon,  trop  recent  encore  pour  6tre  divulgu^,  il  res- 
sentit  un  grand  courroux,  un  courroux  digne  de  Jupiter.  II  con- 

GIGANTUM   SCELUS  ET   P(ENA. 

in.    Neve  foret  terris  securior  arduus  aether, 
Affeclasse  ferunt  regnum  coeleste  Giganlas, 
Altaque  congestos  struxisse  ad  sidera  montes. 
Tum  pater  omnipotens  misso  perfregit  Olympum 
Fulmine,  et  excussit  subjecto  Pelion  Ossse.  155 

Obruta  mole  sua  quum  corpora  dira  jacerent, 
Perfusam  mnlto  natorum  sanguine  Terram 
Incaluisse  ferunt,  calidumque  animasse  cruorem, 
Et,  ne  nulla  suse  stirpis  monumenta  manerent, 
In  faciem  vertisse  hominum.  Sed  et  illa  propago  IGO 

Conteroptrix  Superuro,  saevaeque  avidissima  csedis, 
Et  violenta  fuit :  scires  e  sanguine  nntos. 

LTCAON  IN  LUPUH  MUTATUA. 

IV.  Quae  pater  ut  summa  vidit  saturnius  arce, 
Ingemit ;  et,  facto  nondum  vulgata  recenli, 
Foeda  Lycaoniae  referens  convivia  mensse,  1C5 

Ingentes  animo  et  dignas  Jove  concipil  iras ; 


10  MfiTAMORPUOSES 

voqua  les  dieux.  Aucun  ne  se  fit  attendre.  II  est  dans  rEmpyr^e 
une  voie  d'une  blancheur  eblouissante  que  Ton  decouvre  par  un 
ciel  serein.  On  hnomme  voie  lacUe,  Cest  par  celte  voie  que  les 
Immortels  se  rendent  a  la  superbe  demeure  du  maitre  du  lon- 
nerre.  A  droite  et  a  gauche,  sous  des  portiques  toujours  ouverts, 
resident  les  dieux  du  premier  ordre.  Des  places  sont  assignees  ^a 
et  laaux  divinites  inferieures.  A  Fentree  de  ce  sejour  habitent  les 
dieux  puissants  et  d'un  rang  eleve.  Ce  lieu,  si  un  tel  langage 
m'est  pe.rmis,  j'oserai  rappeler  le  palais  de  rEmpyree.  Les  dieux 
prennent  place  dans  ce  sanctuaire  resplendissant  de  marbre. 
Aussitdt  Jupiter,  assis  sur  un  siege  qui  domine  tous  les  aulres, 
et  la  main  appuyee  sur  son  sceptre  dUvoire,  agile  trois  ou  quatre 
fois  sa  terrible  chevelure  qui  ebranle  la  terre,  la  mer  et  les  as- 
tres.  Puis  il  exhale  son  indignation  en  ces  termes  : 

«  Non,  Tempire  du  monde  ne  me  causa  point  de  plus  vives 
alarmes  a  cette  epoque  fatale  ou  les  Geants  levaient  leurs  cent  bras 
pour  s'emparer  du  ciel.  L'ennemi  sans  doute  etait  redoutable,  mais 
je  n'avais  affaire  qu'a  une  seule  race,  et  la  guerre  n'avail  qu  un 
principe.  Aujourd'hui,  dans  toutes  les  contrees  ou  TOcean  fait 

Conciliumque  vocat.  Tenuit  mora  nuUa  vocatos. 

Est  via  sublimis,  coelo  manifesta  sereno, 

Lactea  nomen  habet ;  candore  notabilis  ipso. 

Hac  iter  est  Superis  ad  magni  tecta  Tonantis,  170 

Regalemque  domum.  Dextra  laevaque  deorum 

Atria  nobilium  valvis  celebrantur  apertis. 

Plebs  habitant  diversa  locis.  A  fronte  potentes 

GoelicolsB,  clarique  suos  posuere  penates. 

Hic  locus  est,  quem,  si  verbis  audacia  detur,  175 

Haud  timeam  magni  diiisse  palatia  coeli. 

Ergo  ubi  marmoreo  Superi  sedere  recessu, 
Gelsior  ipse  loco,  sceptroque  innixus  eburno, 
Territicam  capitis  concussit  tcrque  quaterque 
Gaesariem,  cum  qua  terram,  mare,  sidera,  movit,  180 

Tahbus  inde  modis  ora  indignantia  solvit: 

«  Non  ego  pro  mundi  regno  magis  anxius  illa 
Tempestate  fui,  qua  centum  quisque  parabanl 
Injicere  anguipedum  captivo  bracliia  coelo. 
Nam,  quanquam  ferus  hostis  erat,  Umen  illud  ab  unc      ISo 
Gorpore,  et  cx  una  pendebat  origine  bellum. 
Nunc  mihi,  qua  totum  Nereus  circumtonat  orbem. 


LlYRE  h  n 

retentir  ses  flots,  je  dois  an^antir  le  genre  humain.  Je  le  jure  par 
les  fleuves  des  enfers  qui  baignent  les  bois  du  Styx.  J'ai  d*abord 
tout  tent6.  Mais  la  blessure  est  incurable  :  il  faut  y  porter  le  fer 
pour  que  la  partie  saine  soit  preserv^e  du  mal.  J'ai  sous  mes  lois 
les  demi-dieux,  les  divinites  rusliques,  les  Nymphes,  les  Faunes, 
les  Satyres,  les  Silvains  des  montagnes.  Quoique  je  ne  les  juge 
pas  encore  dignes  des  honneurs  c6Iestes,  ils  doivent  du  raoins 
pouvoir  habiter  la  terre  qui  leur  est  ^chue  en  partage.  Mais,  6 
dieux  immortels !  les  croirez-vous  a  Tabri  du  danger,  lorsque  moi,  • 
le  maitre  de  la  foudre,  moi  qui  ai  sur  vous  une  autorit^  supr^me, 
j'ai  6te  en  butte  aux  pieges  du  feroce  Lycaon?  » 

Tous  les  dieux  fremirent  et  demanderent  avec  empressem^t  la 
punition  du  coupable.  Ainsi,  quand  une  main  barbare  voulut 
eteindre  le  nom  romain  dans  le  sang  de  Gesar,  cette  catastrophe 
imprevue  gla^a  d^effroi  le  genre  humain,  et  Tunivers  frissonna 
d'epouYaiite.  Alors,  Auguste,  les  sentiments  des  Romains  ne  te 
furent  pas  moins  agreables  que  Tindignation  des  dieux  ne  le  fut 
a  Jupiter.  Lorsqu'il  eut,  de  la  voix  et  du  geste,  apaise  leurs  mur- 
mures,  et  que  tous  les  cris  eurent  cesse  devant  sa  majest^  souvc- 


Perdendum  mortale  genus.  Per  flumina  juro 

Infera,  sub  terras  stygio  labentia  luco. 

Cuncta  prius  tentala;  sed  immedicabile  vulnus  190 

Ense  recidendum,  nc  pars  sincera  trahatur. 

Sunt  mihi  semidei,  sunt  rustica  numina,  Nymphae, 

Faunique,  Satyrique,  et  monticolae  Silvani. 

Quos  quoniam  coeli  nondmu  dignamur  honure, 

Quas  dedimus,  certe  terras  habitare  sinamus.  195 

An  salis,  o  Superi,  tutos  fore  creditis  illos, 

Quum  mihi,  qui  fulmen,  qui  vos  habeoque  regoque, 

Struxerit  ins>idias,  notus  feritate  Lycaon?  » 

Confreniucre  omnes,  studiisquc  ardentibus  ausum 
Talia  deposcunt.  Sic,  quum  manus  impia  sievit  200 

Sanguine  caesareo  romanum  exstinguere  nomen, 
Attonilum  tantse  subilo  terrore  ruinae 
Uumanum  genus  est,  totusque  perhorruil  orbis. 
Nec  tibi  grata  minus  pietas,  Auguste,  tuorum, 
Quam  fuit  iila  Jovi.  Qui  postquam  voce  manuque  'iO:i 

Murmura  compressit,  tenucre  silenlia  cuncti. 
Subaiiiil  ut  clamor,  pressus  gravitale  regenlis, 


12  MfiTAMOnPIIOSES. 

raine,  il  rompit  de  nouveau  le  silenee  :  «  Le  coupable,  dit-il,  a 
subi  sa  peine;  n'ayez,  ^  cet  egard,  nulle  inquietude.  Je  vais 
n6anmoins  vous  apprendre  son  forfait  et  son  chatiment.  Le  bruit 
des  debordements  de  ce  siecle  avait  frappe  mes  oreilles.  Desirant 
le  trouver  faux,  je  descendis  du  sommet  de  rOlsTnpe,  et,  pour  vi- 
siter  la  terre,  je  cachai  ma  divinite  sous  la  forme  humaine.  II 
seraittrop  long  d'enumerer  les  crimes  que  je  rencontraiparlcut : 
la  renomm^e  etait  au-dessous  de  la  realile. 

«  J'avais  franchi  le  Menale,  repaire  affreux  des  bStes  sauvages, 
le  Cyllene  et  le  frais  Lycee,  couronne  de  sapin^.  Je  penetrai  vers 
le  crepuscule  du  soir  dans  le  palais  inhospitalier  du  roi  d'Arcadie. 
J^annon^ai  la  presence  d'un  dieu.  Le  peuple  commen^it  a  m'o(Trir 
des  pri^res.  Lycaon  rit  d'abord  de  ces  pieux  hommages.  Bientot, 
ajouta-t-il,  je  saurai,  par  une  ^preuve  manifeste,  s'il  est  dieu  ou 
mortel,  et  la  verite  ne  sera  pas  douteuse.  La  nuit,  quand  j'etais 
enseveli  dans  le  sommeil,  il  s'appr6te  a  m'assassiner.  Voila  com- 
ment  il  veut  s'assurer  de  la  v^rite.  Cest  peu.  II  egorge  un  otage 
que  lui  avaient  envoye  les  Molosses.  II  fait  bouillir  une  parlie  de 


Jupiter  hoc  iterum  sermone  silentia  rumpit: 

«  lUe  quidem  poenas,  curam  hanc  dimittite,  solvit. 

Qiiod  tamen  admissum,  quae  sit  vindicta,  docebo.  210 

Contigerat  nostras  infamia  temporis  aures. 

Quam  cupiens  falsara,  summo  delabor  Olympo, 

Et  deus  humana  lustro  sub  imagiDe  terras. 

Longa  mora  est,  quantum  nox»  sit  ubique  repprtum, 

Enumerare  :  minor  fuit  ipsa  infamia  vero.  215 

«  Maenala  transieram,  latebris  horrenda  fernrum, 
Et  cum  Cyllene  gelidi  pineta  Lycaii. 
Arcados  hinc  sedes  et  inhospita  tecta  lyranni 
Ingrodior,  traherent  quum  sera  crepuscula  noctem. 
Signa  dedi  venisse  deum ;  vulgusque  precari  220 

Coeperat.  Irridet  primo  pia  vota  Lycaon. 
Mox,  ait,  experiar,  deus  hic,  discrimine  apcrto, 
An  sit  mortalis  ;  nec  erit  dubitabile  verum. 
Kocte  gravem  somno  nec  opina  perdere  morle 
Me  parat :  hapc  illi  placet  experientia  veri.  225 

Mec  contentus  eo,  missi  de  gente  molossa 
Obsidis  unius  jugulura  mucrone  resolvit; 
Atque  ita  semineccs  parlim  ferventibus  artus 


MVRE  I.  iz 

5K  merabres  palpitants,  et  rdtir  Taulre  sur  un  brasier.  A  peino 
a-t-il  servi  cel  abominable  repas,  que  ma  foudre  vengeresse  ren- 
versesonpaJais  etses  penales,  dignes  d*un  lel  mallre.  11  fuit  6pou- 
vanle,  et,  dans  le  silence  des  campagnes,  il  pousse  des  hurlements 
et  s'efforce  en  vain  de  parler.  Emporl^  par  sa  fureur  et  par  sa 
soif  du  camage,  il  se  jette  sur  les  troupeaux,  et  il  aime  encore 
a  s'enivrer  de  sang.  Ses  v^temenls  se  changent  en  poils,  et  ses 
bras  en  jambes.  Metamorphose  en  loup,  il  conserve  des  vestiges 
de  sa  premi^re  forme.  M^me  couleur,  m^me  violence  dans  les 
traits,  roSmes  regards  ^tincelants,  m^me  image  de  la  f^rocit^. 
Une  seule  maison  a  peri ;  mais  plus  d'une  a  encouru  la  mdme 
peine.  Sur  toute  Tetendue  de  la  terre  regne  la  cnielle  £rinnys.  On 
dhrait  que  les  mortels  se  sont  voues  au  crime.  Qnlls  subissent  tous 
au  phis  tot  le  ch^timent  quMIs  meritent.  Tel  est  mon  arr^t  irr^ 
vocable.  t 

Une  partie  des  dieux  applaudit  par  ses  paroles  au  discours  de  Jupi- 
ter,  et  ajoute  mtoe  a  safureur;  Fautre  Fapprouve  en  silencc.  Ce- 
pendant  la  ruine  du  genre  humain  excite  parmi  eux  un  regret  g^- 
neral.  IIs  demandent  quel  sera  Taspect  de  la  terre,  veuve  de  ses 
habitants;  qui  portcra  rcncens  sur  leurs  autels?  Jupiter  veut-il 

Mollit  aquis,  partim  subjecto  torruit  igni. 

Quos  simul  imposuit  mensis,  ego  vindicc  flamraa  230 

In  domino  dignos  everti  tecta  penates. 

Territus  ille  fngit;  nactusque  silentia  ruris 

Exululat,  frustraque  loqui  conatur.  Ab  ipso 

r.olligit  os  rabiem,  solitxque  cupidine  cicdis 

Verlilur  in  pecudes,  et  nunc  quoque  sanguino  frandet.      23," 

In  Tillos  al)cunt  vestes,  in  crura  laccrti. 

Fil  lupus,  ct  veteris  servat  vestigia  form» : 

Canitics  eddem  est,  eadem  violentia  vultu; 

Idcm  oculi  lucent,  eadem  feritatis  imago. 

Occidit  una  domus;  sed  non  domus  una  perire  2i0 

Digna  fuit :  qua  terra  patet,  fera  regnat  Erinnys. 

In  facinus  jurasse  putes.  Dent  ocius  omnes, 

Quas  meruere  pati  (sic  stat  sententia)  pocnus.  9 

Dicta  Jovis  pars  voce  probant,  stimulosque  furenli 
Adjicinnt;  alii  partes  assensibus  implent.  245 

Est  tamen  humani  generis  jaetura  dolori 
Omnibus;  et,  quae  sit  terrse,  mortalibns  orbap, 
Forma  fiUura,  rogant;  quis  sit  lalurus  in  ara» 


ii  METAMORPHOSES. 

Iivrer  la  terre  aux  ravages  des  bMes  feroces?  A  ces  questions,  lo 
maitre  des  dieux  repond  qu'il  s^est  r^serve  de  tels  soins,  et  leur 
interdit  loule  alarme.  11  leur  anncnce  une  race  d'hommes  diF- 
ferente  et  d'une  origine  merveilleuse. 

l'uNIVERS   EST  SUBMERGE  FAR  L£  deluge. 

V.  Deja  il  s'appr6tait  a  lancer  ses  foudres  dans  toutes  les  con- 
trees  de  la  terre ;  mais  il  craignit  de  voir  la  demeure  sacree  des 
Immortels  s'enflammer  par  tant  de  feux,  et  le  monde  s'embraser 
d'un  p61e  a  Tautre.  D'ailleurs,  il  se  rappelle  que  les  Deslins  ont 
fixe  Tepoque  ou  la  mer,  la  terre  et  le  palais  des  dieux  seront  de- 
vores  par  les  flammes,  et  ou  Tadmirable  machine  du  monde  de- 
vra  perir.  II  depose  les  traits  forges  par  les  Cyclopes,  et  adopte 
un  autre  ch^timent.  II  veut  submerger  le  genre  humain  sous  les 
eaux  qui  tomberont  de  toutes  les  parties  du  del.  Au  mSme  instant 
il  renferme  dans  les  anlres  d'fiolie  TAquilon  et  les  autres  vents  qui 
dissipent  les  nuages,  et  ne  laisse  souffler  que  TAutan.  TAutan 
s^envole  sur  ses  ailes  humides.  D'epaisses  nuees  couvrent  son  vi- 


Thura?  ferisne  paret  populandas  tradere  terras? 
Talia  quaerentes  (sibi  enim  fore  csetera  curse)  2o0 

Rex  Superum  trepidare  vetat,  sobolemque  priori 
Dissimilem  populo  promittit  origine  mira. 

ORBIS  MERGITUR  DILUVIO. 

V.    Jamque  erat  in  totas  sparsurus  fulmina  terras ; 
Sed  timuit  ne  forte  sacer  tot  ab  ignibus  aether 
Conciperet  flammas,  longusque  ardesceret  aiis.  23a 

Esse  quoque  in  fatis  reminiscitur  affore^tempus, 
Quo  mare,  quo  tellus,  correptaque  regia  coeli 
Ardeat,  et  mundi  moles  operosa  laboret.     ' 
Tiela  reponuntur,  manibus  fabricata  Cyclopum. 
Poena  placet  diversa,  genus  mortale  sub  undis  2G0 

Perdere,  et  ex  omni  nimbos  dimittere  coelo. 
Protinus  aeoliis  Aquilonem  claudit  in  antris, 
Et  qusecumque  fugant  inductas  flamina  nubes ; 
Emittitque  Notum.  Madidis  Notus  evolat  alis, 
Terribiiem  picea  tectus  caligine  vultum.  il&$ 


LIVRE  1.  15 

sage  terrible ;  sa  barbe  est  chargee  de  brouillards ;  1'oiKle  coule 
de  ses  cheveux  blancs ;  sur  son  front  siegent  les  vapeurs ;  l'eau 
degeutte  de  ses  plumes  et  de  son  sein.  A  peine  a-t-il  presse  de  sa 
lai^e  main  les  nuages  suspendiis,  que  soudain  eclate  un  borrible 
fracas,  et  des  torrents  se  precipitent  du  liaut  des  cieux.  La  mes- 
sag^re  de  Junon,  nuancee  de  diverses  couleurs,  Iris  pornpe  les 
eaux  qui  vont  alimenter  les  nuages.  Le  laboureur  eplore  voit  ses 
moissons  renversees,  ses  esperances  detruiles,  et  le  Iravail  d*une 
longue  annee  s'evanouit  en  un  instant. 

Le  courroux  de  Jupiter  ne  ::e  borne  pas  aux  ressources  de  son 
empire;  Neptune,  son  fr^re,  lui  pr^te  le  secours  de  ses  ondes.  11 
convoque  les  fieuves.  Des  qu'ils  sont  accourus  dans  le  palais  de 
leur  roi  :  «  Une  longue  exhortalion,  dit-il,  serait  inutile  en  ce 
moment.  Deployez  vos  forces,  il  le  faut ;  ouvrez  vos  demeures  sou- 
terraines,  brisez  vos  digues,  et  donnez  Tessor  a  toute  la  rapidite 
de  vos  flols.  »  II  dit.  Les  fleuves  rentrent  dans  leurs  retraites, 
repoussent  leurs  barrieres,  et  d'un  cours  impetueux  s'61ancent 
dans  rOc^.  Neptune  lui-m6me  frappe  la  terre  de  son  trident. 
Elle  s'ebranle,  el,  par  cette  secousse,  ouvre  les  reservoirs  des 
eaux.  Les  torrents  debordes  roulent  a  travers  les  campagnes, 

Barba  gravis  nimbis;  canis  fluit  unda  capillis  ; 

Fronte  sedent  nebulae;  rorant  pennseque  sinusque. 

Utque  manu  lata  pendentia  nubila  pressit, 

Fit  fragor;  hinc  densi  funduntur  ab  a.>tliere  nimbi. 

Nuntia  Junonis  varios  induta  colores,  i70 

Concipit  Iris  aquas,  aiimentaque  nubibus  affert. 

Sternuntur  segetos,  et  deplorata  coloni 

Vota  jacent,  longique  labor  perit  irritus  anni. 

Nec  cffilo  contenta  suo  Jovis  ira,  sed  illum 
CaTuleus  frater  juvat  auxiliaribus  undis.  iT!. 

Convocat  hic  amnes.  Qui,  postquam  tecta  tyranni 
Inlrnvere  sui :  «  Non  est  hortamine  longo 
Kunc,  ail,  utendum.  Vires  effundile  vestias; 
Sic  opus  e^l;  aperite  domos,  ac,  molc  romota, 
Fluminibus  vestris  tolas  immitlite  habenas.  »  i'SU 

Jusserat.  lli  redeunl,  ac  fontibu»  ora  relaxant, 
Et  defrenato  volvuntur  in  ajquora  cursu. 
Ipse  tridente  suo  terram  percussit;  at  illa 
Intremuit,  motuque  sinus  patcfeeil  aqiiaruni. 
hi^patiata  ruuut  per  apertos  flumina  ruiiipos,  '-^■' 


16  IIKTAMORPHOSES. 

emporlant  a  la  fois  les  arbres,  les  moissons,  les  Iroupeaux,  les 
maisons  avec  leurs  liabitants,  les  lemples  des  dieux  et  les  objets 
sacrds.  Si  quelque  ^difice  est  reste  debout,  et  a  pu  resister  a  cet 
effroyable  deluge,  son  faite  disparait  sous  les  eaux;  les  tours 
chancellent  et  s'6croulent  dans  rabime. 

D6ja  la  terre  et  les  flots  n*offraient  plus  de  difference.  Tout 
elait  mer,  et  la  mer  n'avait  plus  de  rivages.  L'un  occupe  une 
coUine;  Fautre  se  refugie  dans  un  canot,  et  promene  la  rame 
dans  les  lieux  ou  naguere  il  vient  de  conduire  la  charrue.  Celui- 
ci  vogue  au-dessus  de  ses  guerels  et  de  sa  chaumiere  submergee; 
celui-la  prend  un  poisson  sur  la  cime  d'un  ormeau.  Si  on  jette 
Fancre,  elle  s'arr6te  dans  une  verte  prairie,  et  les  barques  tou- 
chent  des  coteaux  couronnes  de  vignes.  Oii  la  chevre  legere  brou- 
tait  naguere  le  gazon,  repose  maintenant  le  phoque  monstnieux. 
Les  N^reides  sont  surprises  de  voir  sous  les  eaux  des  bois,  des 
villes,  des  maisons.  Les  dauphins  habitent  les  for^ts;  ils  bon- 
dissent  sur  leurs  cimes,  et  se  heurtent  conlre  les  ch^nes.  Le  loup 
nageau  milieu  des  brebis;  Tonde  emporte  les  lions  et  les  tigres. 
Entra!n6  par  le  courant,  le  sanglier  n'est  pas  plus  pr^servQ  par 

Cumque  satis  arbusta  simul,  pccudesquc,  virosquc, 

Tectaque,  cumque  suis  rapiunt  penetralia  sacris. 

Si  ^ua  domus  mansit,  potuitque  resistere  tanto 

Indejecta  malo,  culmen  tamen  altior  hujus 

Unda  tegit,  pressseque  labant  sub  gurgite  turres.  290 

Jamque  mare  et  tellus  millum  discrimen  habebant. 
Omnia  pontus  erant;  deerant  quoque  littora  ponto. 
Occupat  hic  coUem ;  cymba  sedet  alter  adunca, 
Et  ducit  remos  iilic  ubi  nuper  ararat. 
Ille  supra  segetes,  aut  mersn  culmina  villje,  ^        29j 

Navigat;  hic  summa  piscera  deprendit  in  ulmo. 
Figitur  in  viridi,  si  fors  tulit,  anchora  prato; 
Aut  subjecta  terunt  curvae  vineta  carinae ; 
Et,  modo  qua  graciles  gramen  carpsere  capellae, 
Nunc  ibi  deformes  ponunt  sua  corpora  phocae.  300 

Mirantur  STib  aqua  lucos,  urbesque,  domosque, 
Nereides;  silvasquc  tenent  delphines,  et  altis 
Incnrsant  ramis,  agitataque  robora  pulsant. 
Nat  lupus  inter  oves;  fulvos  vphit  unda  leonos; 
Unda  vehit  ligres;  nec  vires  fuiminis  apro,  305 


MVJIE  L  i? 

i  aps  forfnidnbles  dtfei^-^s  que  le  ceif  par  ses  jambes  agiles;  et, 
lll^F^  3¥oir  loBgtemps  clierclie  un  asile  ponr  se  reposer,  roiseni* 
^feU^ii^  replie  scs  ailes  et  tombe  dans  lii  nier.  Les  plus  baiites  eol- 
liiipb;  djsparaii^eiit  daiis  rimmenfie  debordement  des  llols,  el  le 
mnuvant  abtme,  loujoui-s  croissLint,  bat  iD  sommet  des  monlngnes* 
b  pLus  grande  partie  des  bumiiins  perit  dans  le  gouiTre  des  eiiux, 
H  cmx  qu*elles  ont  epai^gnes  succombcnt  aus  longs  tourments  dts 
la  fnim. 

la  Plmcide  sepnrc  les  cliamps  d'Aonie  de  oeux  qui  avoisinenl 
rflEUi^  tcrre  ferlile.  tant  qu'e!le  fut  ierre;  mais  alors  elle  faisait 
paftie  de  rOcean.  et  n'elait  plm  qn^Qne  vasle  plained^eau.  La  un 
inont  escarpe  fetid  les  airs  de  soii  doubla  sommet,  On  rappebe 
hniasse*  Son  rmnt  sW-ve  aii-dessus  des  nues,  Cest  h^,  quand  k 
irier  eut  submcrge  tout  la  resle,  que  s'arr^ta  la  petilc  nacelle  qui 
port3it  Deucalion  et  sa  compa^e-  lls  adres&6rent  leurs  liommages 
m%.  .Njmphes  de  Coryeie,  aux  divinitcs  de  la  montagne,  et  a  The^ 
mk,  qm  ff ndait  alcrs  des  oracles.  Jamais  bomme  ne  lut  pbts  ver- 
Ineux  ni  pbis  jusle  que  Peucalion;  jamais  femme  ne  fut  plus  res- 
pedueusc  que  Pyrrba  envers  les  dieux,  D^s  quc  Jupiler  voit  ln 
lem^  changee  en  un  vasle  ocean,  des  qu*il  voil  qnc,  de  tant  de 


€rura  nec  nblnlo  pmgimt  v^lotja  ecfvo- 

Qii:i;^ili^ue  diTt  terrii,  ubi  sidcrc  Jelur, 

]n  mai^e  Lassalis  vDlucris  t^pi  decidii  alis. 

OljruifTat  tiimtiloii  jtumensa  liccntia  ponli. 

riiisabgnlquE!  novi  montana  c^c^iinina  rincUi^.  SU^ 

KlfiKlma  papi  imsln  rapltur :  (^uibut  unfla  isr^pcrril, 

llilos  lonpa  Jomniit  inopi  ji^juniQ  vnin. 

Snparal  aonjo^  sQlaits  Pboda  ali  arviSp 
TeiTa  rerai,  dum  ima  fuii;  sed  tpmpore  in  illo 
l^irs  mafk,  ei  liLtu&  snbitarEiiin  cAmpuri  iic[n^raiii.  ^l!* 

llons  ibi  verlicibu^  pelit  (irduus  aslra  duobu», 
^ominc  PflrnasstlSt  suporalquc  f^acumiTie  uubc». 
Ilic  ubi  U^ucition  (aam  {.'DcLc^ra  i^xerat  u^quor), 
('iiiii  cjjnsfflrie  lon  parra  ralo  tocIus  adhn^siL, 
Corycida*  Kympbai,  ci  numina  iTn>nit$  ariorant,  aHi) 

Fatidicamr)uc  Thnmin,  quai  tnnc  oraclji  Iriiebat. 
Plon  iiio  melior  quisq;iiJim,  noc  ainjutior  a^q^ui 
Vlr  fuii,  aut  illn  metuc-nLicir  ulla  ilwirnm. 
Jcjpil«r  lU  1iquidi<i  sl[i|!n3r«^  pithidilm?^  oilinm, 


1 


18  MgTAHOnPHOSES. 

milliers  d'hommes  et  de  femmes,  il  ne  reste  que  ce  couple  inno- 
cent  et  religieux,  il  disperse  les  nuages  au  souffle  de  TAquilon,  et 
montre  la  terre  au  ciel  et  le  ciel  a  la  terre.  La  mer  apaise  son 
courroux.  Neptune  depose  son  trident  et  calme  les  ondes.  II  ap- 
pelle  Triton,  qui  elevait  au-dessus  des  abimes  ses  epaules  cou- 
vertes  de  rouges  ecailles,  et  lui  commande  de  faire  r^sonner  sa 
conque  bruyante,  et  de  ramener  par  un  signal  les  flots  et  les 
fleuves  dans  leur  lit.  Triton  saisit  a  riustant  son  instrument  m 
forme  de  lube  recourbe  qui  va  s'elargissant  d'une  extrtoite  jus- 
qu'a  Tautre.  A  peine  Ta-t-il  anime'  de  son  souffle,  que,  du  eou- 
cliant  a  Taurore,  ses  accents  retentissent  sur  tous  les  rivages  de 
la  mer.  Alors  aussi,  appliquee  aux  lAvres  du  dieu  dont  la  barbe 
distillait  encore  Feau,  la  trompe  doLne  le  signal  de  la  retraite 
prescrite  par  Neptune :  et  soudain  elle  est  entendue  sur  les  eaux 
qui  couvrent  la  terre,  comme  sur  celles  de  la  mer.  Partout  od 
penetrent  ses  sons,  ils  enchainent  les  flots.  La  mer  reconnait  enfm 
ses  rivages;  les  fleuves  rentrent  dans  leur  lit;  les  ondes  s'abais- 
sent,  les  collines  semblent  sortir  du  fond  de  Tabime;  la  terre  se 
d^couvre,  et  tous  les  objets  grandissent,  a  mesure  que  les  eaux 

Et  superesse  videt  de  tot  modo  millibus  unum,  325 

Et  superesse  videt  de  tot  modo  millibus  unam, 
Innocuos  ambos,  cultores  numinis  ambos, 
Nubiia  disjecit,  nimbisque  Aquilone  remotis, 
Et  ccelo  terras  ostendit,  et  xlhera  terris. 
Nec  maris  ira  manet;  positoque  tricuspide  telo  3r»() 

Mulcet  aquas  rector  pelagi.  Supraque  profunduni 
Exstantem,  atque  humeros  innato  murice  tectum 
Caeruleum  Tritona  vocat,  concho^quc  sonaci 
Inspirare  jubet,  fluctusque  et  flumina  signo 
Jam  revocare  dato.  Cava  buccina  sumitur  illi  r>^i 

Tortilis,  in  latum  quao  turbine  crescit  ab  imo ; 
Buccina,  quse  medio  concepit  ut  acra  ponto, 
Littora  voce  replet,  sub  utroque  jacentia  Pha>J>o. 
Tum  quoque,  ut  ora  dei  madida  rorantia  barba 
Contigit,  et  cecinit  jussos  inflata  receplus,  7tH) 

Omnibus  audita  est  telluris  ct  tequoris  undis ; 
Et  quibus  est  undis  audita,  coercuit  omnes. 
Jam  mare  littus  habet;  plenos  capit  alveus  anino.<;; 
Flumiua  subsidunt;  coUes  exire  videntur; 
Surgit  humus;  crescunt  loca  decrescentibus  un(Ii>.  345 


LIVRE  I.  19 

diniinuent.  Apr^  de  longsjours  de  d^astres,  lesarhres  montrent 
leuis  dmes  d^pouillto  et  leurs  feuilles  limoneuses. 

DECCALION  ET  PYRRnA  REPEUPLENT  LA  TERRE. 

VI.  L'univers  renaissait.  £n  le  voyant  transforme  en  un  vaste 
desert  ou  r^gne  partout  un  profond  silence,  Deucalion  fond  en 
brmes,  et  parle  ainsi  a  Pyrrha  :  a  0  ma  soBur!  6  mon  epouse! 
seule  femme  echappee  a  la  mort !  toi  qui  m'es  unie  par  une  m^me 
iirigine»  par  la  parente  et  par  les  nocuds  du  mariage,  aujourd'hui 
lediDger  resserre  encorenos  liens.  De  Taurore  au  couchant  nous 
fiMrmoDS  seuls  le  genre  humain ;  la  mer  a  enseveli  tout  le  reste. 
Que  dis^je?  en  ce  moment  m^me,  nos  jours  ne  me  semblent  pas 
kni  a  fait  en  sArete  :  des  nuages  portent  encore  reflroi  dans  mon 
Ime.  Cbdre  Pyrrha,  quel  serait  ton  deslin,  si  tu  eusses  echappe 
ms  moi  k  ce  grand  naufrage?  Gomment,  seule>  aurais-tu  supporte 
lesalarmes?quit'aurait  consolee  dans  ta  doulcur?  Pour  moi,  si  tu 
mis  p^ri  dans  les  filots,  tu  peux  m'en  croire,  je  t'aurais  suivie, 
imon  epouse!  et  la  mer  m*eut  englouti  avec  toi.  Puisse-je,  par 


Po>t(|ue  dicm  longain  nudala  cacumina  silvo} 
Osteadunt,  limumquc  tenent  in  fronde  rclictum. 


UEUCALION   ET   PYURnA    HUMANIIM   KEPARAXT   f.EXrr. 

V].    Ueddilus  orbis  erat.  Quem  postquam  vidit  inaneni, 
Et  desolatas  a^ere  alta  silentiu  terras, 
Deucaiion,  lacrymis  ita  Pyrrham  affatur  obortis  :  3.'H) 

«  0  soror,  o  conjux,  o  femina  sola  superstos, 
Qoain  commune  mihi  genus,  el  patruelis  origo, 
Deinde  torus  junxit;  nune  ipsa  pericula  junguut; 
Terrarum,  quascumque  vident  occasus  et  ortus, 
Nos  duo  turba  sumus ;  possedit  caetera  pontus.  o*  j 

.Nunc  quoque  adhuc  vitae  non  est  fiducia  noslra' 
Certn  satis  :  terrcut  eliainuum  nubila  nienlom. 
Ouid  tibi,  si  sine  ine  fatis  erepta  fuisses, 
^unc  animi,  miseranda,  foret?  quo  sola  timoreni 
Ferre  modo  posses?  quo  consolante  doioj:es?  3G 

.Nuinque  ego,  credo  mihi,  si  le  modo  ponlus  habi  rel, 
io  .-equerer,  conjux,  et  me  quo(|ue  ponlus  hab(^r»'i. 


20  MfeTAMORPHOSES. 

le  raAme  art  qiie  mon  pere,  fa^onner  Tai^ile  et  lui  donner  ]a  vie 
pour  rpnouveler  le  genre  humainl  Seuls.(ainsi  Font  voulu  les 
dicux),  nous  survivons  a  la  race  des  morlels,  et  seuls  nous  attes- 
tons  qu  il  exisla  des  hommes.  » 

A  ces  mots,  ils  repandent  des  pleurs.  Ils  songent  a  invoquer  le 
ciel  et  a  demander  du  secours  aux  oracles.  Aussit6t  ils  se  rendent 
aux  bords  du  Cephise,  dont  les  eaux  n'elaient  pas  encore  limpides, 
mais  coulaient  deja  dans  leur  lil.  lls  versent  Tonde  sacree  sur 
leurs  v^tements  et  sur  leurs  t^tes;  puis  ils  dirigent  leurs  pas  vers 
le  sanctuaire  de  Tauguste  deesse.  Une  mousse  hideuse  en  couvrait 
le  faite,  et  le  feu  ne  bnilait  point  sur  ses  autels.  A  peine  ont-ils 
touche  les  degres  du  temple,  qu'ils  se  proslement  Fun  et  Tautre 
la  face  contre  terre,  et  baisent,  en  tremblant,  le  sol  glac6.  «  Si 
les  pri^res  du  juste,  disent-ils,  flechissent  les  dieux  et  apaisent 
leur  courroux,  Themis,  enseigne-nous  comment  nous  pourrons 
reparer  la  ruine  du  genre  humain.  Montre-toi  propice,  et  daigne 
secourir  notre  infortune.  »  La  deesse  fut  ^mue  et  rendit  cet  oracle  : 
«  Sortez  du  temple,  voilez  votre  tete,  d^liez  votre  ceinture,  et  jetez 
derriere  vous  les  os  de  votre  grande  mere.  »  IIs  restent  longtemps 

0  utinam  possim  populos  reparare  patcrnis 

Artibus,  atque  animas  formalJB  infundere  terrc} ! 

Kunc  genus  in  nobis  restat  mortale  duobus.  365 

Sic  visum  Superis,  hominumque  exeropla  man?mus.  » 

Dixerat,  et  flebant.  Placuit  coeleste  precari 
Numen,  ct  auxilium  per  sacras  qua^rere  sortes. 
NuUa  mora  est:  adeunt  pariler  cephisidas  undas, 
rt  nondum  liquidas,  sic  jam  vada  nota  secantos.  370 

Inde  ubi  libatos  irroravere  liquores 
Vestihus  et  capiti,  flectunt  vestigia  sanctae 
Ad  delubra  dex,  quorum  fastigia  turpi 
Squalebant  musco,  stabanlque  sine  ignibus  arrr. 
L't  templi  tetigere  gradus,  procumbit  uferquc  37o 

Pronus  humi,  gelidoque  pavens  dedit  oscula  saxo. 
Atque  ila  :  «  Si  precibus,  dixerunt,  nuraina  justis 
Yicta  remollescunt,  si  flectitur  ira  deorum ; 
Dic,  Themi,  qua  generis  damnum  reparabile  noslri 
Arte  sit,  et  mersis  fer  opem,  mitissima,  rebus.  »  380 

Mota  dea  est,  sortemqye  dedit :  «  Discedite  templo, 
Et  velatecapul,  cinrtasque  re<«oWitn  vestes; 
Ossaque  post  tergum  majrnnt»  jarlate  parentis.  » 


UYRB  I.  ai 

fdite.  Pyirba^a praoaitoirQinpt le  sHence,  et refuse  d*oMir a 
taae.  D'iiiie  voix  tremUuite,  ^  la  supplie  de  loi  pardomier : 
cAint  d*iiisaUer  aox  mtoes  de  sa  mte  en  dispersanl  sea  os. 
iepeadant  ils  r^^cfaisseQt  aoz  paroles  mysterieuses  de  roracle 
e»  miditent.  Enfin  le  fils  de  Prom^thte  rassure  ainsi  la  fiUe 
pimfth^  :  c  Ou  mon  esprit  me  troinpe,  dit-il,  ou  rorade  est 
Bain,  et  ne  bonseilie  ix»nt  un  sacriMge.  Kotre  grande  tahce, 
t  h  TeiTe.  Les  pierres,  dans  le  corps  de  h  Terre,  sont  sans 
iesesosqu^ilnousordonnede  jeter  derri^nous.  •  Quoiqne 
inlte  par  oetle  int^prtotion,  Pyrrtia  inoeriaine  n^ose  enoore 
ket :  tant  ils  se  di^ent  tous  deux  des  o^tes  conseiLs!  Mais 
ivaient-ils  k  craindre  en  essayant?  Hs  s*dlo^ent,  Toilent  leur 
s,  ddtadient  leur  cdnture»  et,  pour  ob^ir  k  l*oracie»  jettent  des 
rfcs  deirite  ok.  Ges  pierres  (qui  pourrait  le  croire,  si  Tanti- 
ti  ne  Tattestait?)  se  depouillent  peu  k  peu  de  leur  duret§,  et> 
seramoliissanty  se  prfttent  k  de  nouTellesformes.  Bientdtelles 
loBgent,  derieoneiit  moins  insensiUes,  et  prennent  imperoep- 
enent  la  figure  faumaine.  Tel  lei  marbre,  sous  les  premiers 

Obstupuere  diu,  nimpitque  sileniia  voce 

Pyrrha  prior,  jussisque  deae  parere  recusal ;  585 

Delquc  sibi  Teoiain  pavido  rogat  orc,  pavetquu 

LsBdere  jactatis  materaas  ossibus  uinbras. 

lnterea  repetunt  cscis  obscura  latebris 
Verba  dats  sortis  secum,  inter  sequc  volutaiit. 
InUe  Promethides  placidis  Epimethida  dictis  31K) 

Mulcety  et :  «  Aut  fallax,  ait,  est  solertia  nobis, 
Aut  pia  sunt,  nuUumquc  ncfas  oracula  suadent. 
Magna  parens  Terra  est;  lapidcs  in  corpore  Terrx 
Ossa  rcor  dici :  jaccrc  hos  post  terga  jubemur.  » 
Conjugis  augurio  quanquam  Titania  mota  cst,  595 

Spes  tamen  in  dubio  est :  adeo  coelestibu^  ambo 
Diffiduntmonitis!  Sed  quid  tentare  nocebit? 
Discedunt,  velantque  caput,  tunicasque  recingunt, 
Et  jussos  lapidcs  sua  post  vcstigia  mittunt. 
Saxa  (quis  hoc  crcdat,  nisi  sit  pro  teste  vetustas?)  iO'v) 

Poncre  duriticm  ccepere  suumque  rigorem, 
Molliriquc  moru,  moUitaque  duccre  formani. 
Mox,  ubi  ereverunt,  naturaquc  mitior  iliis 
r.outigit,  ut  qu»dam,  sic  non  manifesta,  vidcri 
Fornia  potest  hominis;  sed  uti  de  marmore  coepto  405 


tl  METAX10U1»H0SES. 

coups  de  ciseau,  n'otfre  qu^une  ebauche  imparfaite.  La  partie  des 
pierres  ou  un  suc  liquide  se  m^le  a  la  substance  terreuse  se  m^ 
(amorphose  en  chair ;  la  partie  solide,  que  rien  ne  peut  ramoliir, 
se  change  en  os ;  les  veines  conservent  la  mSme  forme  el  ie  m^rac 
nom.  En  quelques  instants,  par  la  volonte  des  dieux,  les  picri^ 
que  lan^a  Deucalion  rev^tirent  la  forme  de  lliomme,  et  les  fem- 
mes  naquirent  des  pierres  jetees  par  la  main  de  Pyrrha.  Voil5 
])ourquoi  nous  sommes  une  race  dure  et  infatigable  :  tout  en  noii;^ 
revele  nolre  origine. 

APOLLON  TUE  LE  SERrE.NT  PYTnON. 

Vil.  La  lerrc  crea  spontanemenl  les  autres  anunaux  avec  di- 
verses  formes.  Lorsque  l'eau  deposee  dans  son  sein  se  fut  ecliauP 
fee  aux  rayons  du  soleil,  et  que  la  chaleur  eut  mis  en  fermenlation 
le  limon  des  marais,  le  germe  fecond  des  ^tres,  nourri  par  un  sol 
vivifiant,  s'y  developpa,  comme  dans  le  sein  maternel,  ctpritcn 
y  sejournant  une  forme  particuliere.  Ainsi,  quand  le  Ni!  fccond 
quitle  les  campagnes  encore  humides  et  ramene  les  eaux  dans  leuf' 


Non  exacta  satis,  i'udibiisque  simillima  signis. 

Quos  tamen  es  illis  aliquo  pars  humida  succo, 

Et  terrena  fiiit,  versa  cst  in  corporis  usum ; 

Quod  solidum  est,  flectique  ncquit,  mutalur  in  o^tsa; 

Quod  modo  vena  fuit,  sub  eodem  nomine  mansit.  410 

Inque  brevi  spatio,  Superorum  numine,  saxa 

.Missa  viri  manibus  faciem  traxere  virilem, 

Et  de  fcmiueo  reparata  est  femina  jactu. 

Inde  genus  durum  sumus,  experiensque  laborum, 

Et  documenta  damus  qUa  simus  origine  natii  it5 

KTHONEM  APOLLO  IXTERnciT. 

Vll.    Caetera  divci:>is  tcllus  animalia  formis 

Sponte  sua  pcperil.  Poslquam  vetus  bumor  ab  igiic 

Percaluit  solis,  coBUumquo  udieque  paludcs 

Intumuerc  sestu,  fecundaquc  semina  rcrum, 

Vivaci  nutrita  sdlo,  ceu  niatris  in  alvo  l^ 

Cfevcrunt,  fabiemquc  aliquam  cepcrc  nior.iiuliil; 

Sic  ubi  descruit  madidoi  scplcmfluus  a^ros 

Nilus,  ct  autiquo  sua  flumina  reddidil  alveoi 


LIYRE  I.  .»3 

ancien  lit,  les  ardears  du  soleii  echaufleut  le  liuiou  recenuueut 

depose  par  le  ileuve.  Alors  le  laboureur,  en  retoumant  la  glebe, 

fartmTe  im  grand  nombre  d'animaux ;  les  uns  a  peine  formes  et 

au  monient  mSroe  de  leur  naissance;  les  autres  imparfaits,  n'aynnl 

pasenoore  tous  ieurs  membres;  souvent,  dans  le  m^mecorps, 

iine  partie  vit  deja,  tandis  que  Tautre  est  une  argile  grossi^re. 

rhamidit^  et  la  chaleur  combinees  sont,  en  effet,  la  cause  pro- 

ductrice  des  elres;  et,  quoique  le  feu  soit  oppose  a  Teau,  la  va- 

peur  humide  engendre  tout.  Cette  union  de  principes  contraires 

esl  la  source  de  la  gen^ralion.  Aussitot  que  la  terre,  couverte  du 

limon  laisse  par  les  eaux,  eut  ressenti  le  feu  vivifiant  des  rayons 

solaires,  elle  produisit  des  animaux  sans  nombre,  rendit  aux  uns 

lear  andenne  forme,  et  donna  aux  autres  des  formes  nouvelles. 

liiUe  fenfanta  aussi  contre  son  grc,  immense  Python  I  Serpent  in- 

cQnna  jusqn^alors,  tu  fus  pour  les  nouveaux  habitauts  du  globe 

OD  objet  de  terreur  :  tant  tu  occupais  d'espace  sur  la  montagnel 

le  dieu  mak  de  Tarc,  et  dont  les  fleches  n'avaient  jamais  ete 

I  dirigte  que  coutre  les  daims  et  les  chevreuil^  timides,  Taccabla 

k  mille  traits ;  il  ^puisa  presque  son  carquois  pour  donner  la 


.ttlierioquc  reieiis  exaij^it  sidere  liinus, 

Plurima  ciillores  versis  animalia  glebis  i'2'» 

Invcniunt;  et  in  his  qusedam  raodo  ca?pta,  sub  ip>um 

Na^cendi  spatium;  quaedam  imperfecta,  suisqne 

Tninca  videnl  nuineris;  et  eodcm  in  corpore  sypc 

Altera  pars  vivit,  rudis  et  pars  altera  tellus. 

Uuippe,  ubi  lempericm  sumpsere  humorquc  calorquc,      15^1 

Concipiunt,  ct  ab  his  oriuntur  cuncta  duobus; 

Outinique  sit  ignis  aquae  pugnax,  vapor  humidus  oinne? 

Kes  creat,  et  discors  concordia  foelibus  npta  est. 

Ergo  ubi  diluvio  teUus  lutulenta  rcccnti 

Solibu»  ;plberiis,  altoquc  recanduit  xstu,  ioii 

Ktii«iit  innuiiicras  spccics,  partimque  figura? 

Uetlulit  anliquas,  ])arliin  nova  monslra  crcavil. 

lila  «luidcm  nollel,  sed  te  quoque,  maxime  Pyllioii, 

Tmii  ijeiiuit;  populi^que  novis,  incognita  scrpeii>, 

rr.MKM  nas  :  tiuilum  spatii  dc  nionte  lcneba^  I  liO 

llanr  <l.  11-.  .Ticiteiiens,  el  nunquam  lalibus  niiiiij 

Ant»-,  iii>i  in  daiiiis  capreisque  fugacibus,  u-u?, 

Millc  grovem  leli-,  cxhuu^ta  pajnc  pharelra, 


24  METAMORPUOSES. 

V 

mort  au  inonsire,  dont  les  larges  blessures  laissaient  ^happcr 
un  noir  venin ;  el,  afin  de  perpetuer  la  gloire  de  cet  exploit,  il 
inslitua  des  jeux  qui  altiraient  un  nombreux  concours.  Ces  jeux 
furent  appeles  Pythiens,  du  nom  mSme  de  ce  serpent  tombe  sous 
ses  coups.  La,  de  jeunes  athletes,  vainqueurs  au  pugiiat,  a  la 
course  a  pied  ou  a  la  course  des  chars,  recevaient  pour  recompense 
une  couronne  dechene.  Lelaurier  n*existait  pas  encore;  et,  pour 
fixer  sa  longue  clievelure  autour  de  sa  belle  tete,  Apollon  se  ser- 
vait  des  feuilles  d'un  arbre  quelconque. 

UAPIIKE   CHAKGEE   EN   LAUftlEU. 

Yill.  Le  premier  objet  des  amours  d'Apollon  fut  Daphne,  fiile 
du  Penee.  Sa  passion  naquit,  non  d'un  aveugle  hasard,  mais  de 
i'implacdble  ressentiment  de  1'Amour.  Le  dieu  de  Delos,  fier  d  a- 
voir  triomplie  du  serpent  Pylhon,  i'avait  vu  tendre  ies  cordes  de 
son  arc  flexible :  «  Foiatre  enfant,  iui  dit-il,  qu'y  a-t-ii  de  comuimi 
entre  toi  et  ces  terribles  armes  ?  Le  carquois  est  fait  pour  les  epauies 
du  dieu  dont  les  traits  inraillibles  percent  les  ennemis  et  les  bStes 
sauvages,  du  dieu  qui  naguere  a  terrasse,  sous  une  gr^le  de  ile- 


Perdidit,  effuso  poi-  vulucra  nigra  veneuo. 

Neve  opcris  famam  possit  delere  vetustas,  iio 

Instituit  sacros  celebri  ccrtainiue  ludos, 

Pythia  de  domitae  serpentis  noraine  diclos. 

His  juvenum  quicumquo  manu,  pedibusve,  rotave  ^ 

Vicerat,  xsculeic  capiebat  frondis  honorem. 

Nonduni  laurus  crat,  longoque  decentia  crine  liO 

Tempora  ciugebat  ilc  qualibet  arbore  Phcebus.  i 

DArU.NE  IN  LAURCM  CONVERSA.  ^ 

Vill.    Primus  amor  Pheebi  Daphne  peneia,  qucm  noa  ^ 

Foi*3  ignara  dedit,  sed  s»va  Cupidinis  ira.  ^ 
Delius  hunc  nuper,  victa  serpeote  superbus, 

Vidcrat  adducto  flectentem  cornua  nervo  :  '  ^ 

«  Quidque  tibi,  lascivc  puer,  cum  fortibus  arm-s?  J* 

Dixerat :  ista  decent  humeros  gestamina  nostros;  ^ 

Qui  dare  certa  fer»,  dare  vulnera  possumus  hosti ;  ^ 

Qui  modo,  peslifero  tot  jugera  ventre  preraentcm,  -  ^ 


LIVR^  l.  i5 

dMiy  le  moDstrueux  Pytheu»  dont  le  corps  gonfl^  de  poisoi»  oou- 
nwi  tant  d*nrpents.  (kmtente-toi  d^aliumer  avec  ta  torcfae  je  ne 
mk  qoels  feux,  et  garde-toi  d^usurp^  nia  gloire.  »  Le  flls  de 
YteH  hii  nfipond  :  t  Ton  arc,  Apollon,  peut  tout  frapper ;  le  mieo 
le  iinppe  toi-m^me.  Tu  peux  triompher  de  tous  les  animaux, 
HDB  ta  ^oire  le  dkie  a  la  mienne.  »  A  ces  mots,  ii  fend  Fair  de 
tes  ailes  raiudes,  et  s'arr6te  sur  la  dme  omlNragee  du  PSBmasse. 
k  ioo  carquois  il  tire  deui  fl^es  d'une  Tartu  difriSrenle:  Fune 
dttne  ramour,  Tautre  le  fait  naitre.  Celle-ci  est  en  or;  sa  pointe 
est  ao^ree  et  luillante;  oelie-Ui  est  ^moussee  et  gamie  de  plomb. 
le  dieu  lanoe  oe  demier  trait  k  la  filie  du  P^n^;  avec  Tautre»  ii 
Uene  Apollon  jusqu^au  fond  du  cceur. 

An8Bit6t  il  ressent  Famour ;  mais  Daphn^  refuse  le  nom  d*amante. 
femde  de  la  diaste  Diane,  elle  mettait  sm  lionlieur  k  poursuivre  dans 
kiftrtts  les  bdtessauvages  et  iiseparer  de  leurs  d^ouilles.  Une  ban- 
delelte  retenait  ses  cheveux  ^pars.  Piusieurs  demmddrent  sa  main. 
Us  aa  fturoudie  ind^pendance  d^aigna  leurs  tcbux.  EUe  ne  se  plai- 
IHI  (pL*k  paroourir  les  bois  solitaires,  sans  s'inqui§ter  de  ramour  ni 


Slraviiiius  inuumeris,  tumidum  P]fllionu,  &ugillis.  4tiO 

Tu  face,  nescio  quos,  eslo  contentus  amores 

Irritare  tua ;  nec  laudcs  assere  nostras.  » 

Filius  liuic  Veneris  :  «  Figat  luus  omniu,  Phasbe, 

Tc  meus  arcus,  ait;  quuntoque  animalia  cedunt 

Cuucta  tibi,  tauto  miuor  est  tua  gloria  uostru.  •  Hio 

Dixit,  et  eliso  percussis  aere  pennis 

Impiger  umbrosa  Parnassi  constitit  arco; 

Eqae  sagittifera  prompsit  duo  tela  pbaretru 

DiTersorum  openim.  Fugat  hoc,  facit  illud  amorem. 

Quod  facit,  auratum  est,  et  cuspide  fulget  acutu ;  ^iTU 

Quod  fugat,  obtusum  est,  ct  habet  &ub  arundineplumbuni. 

Doc  deus  in  uympha  pcneide  fixit ;  at  il!o 

Lxsit  apoUineas  trajccla  per  ossa  medullas. 

l^otiuus  altcr  amat ;  fugit  altera  nomoa  auiunlis, 
Silvarum  latebris,  cjptivarumque  ferarum  475 

Ciuviis  gaudens,  innuptxque  aemula  Pliocbcs. 
Vitia  coercebat  positos  sinc  lege  capillo:». 
Multi  illam  petierc.  llla  aversata  peteutes, 
Impatiens  expcrsque  viri,  nemorum  avia  lublrui; 
Aec  quid  Uvmen,  quid  Amor,  quid  sint  connub  a,  curul.    480 


'iG  METAMOKPIIOSES. 

du  joug  de  riiynieii.  Souvent  son  pere  lui  disait  :  «  Ma  fille,  tu 
rne  dois  un  gendre.  »  Souvent  il  lui  dlsait  encore  :  «  Ma  fille,  tu 
ine  dois  des  petits-fils.  »  Les  belles  joues  de  Daphne  se  couvraient 
alors  d*une  cliaste  rougeur.  Elle  repoussait  le  flambeau  de  fhy- 
menee  avec  aulant  d'horreur  qu'un  crime,  et,  suspendue  au  cou 
de  son  pere,  qu'elle  pressait  de  ses  douces  ^treintes  :  t  Laisse- 
moi,  disait-elle,  6  mon  pere!  jouir  a  jamais  de  ma  virginit^.  Cest 
une  faveur  que  Jupiter  accorda  jadis  a  Diane.  »  Son  p^re  veut 
exaucer  ses  voeux  :  «  Mais  ta  beaute,  lui  dit-il,  s'oppose  a  tes  de- 
sirs  :  ils  sont  combattus  par  tes  charmes.  »  En  proie  k  famour, 
Apollonbrule  de  s'unir  a  Daphne,  qui  vient  de  frapper  ses  regards. 
(_  Qe  qu'il  desire,  il  Te^ere;  mais  il  est  dupe  de  ses  propres  oracles. 
Semblable  a  la  paille  legere  qu'on  brule,  quand  on  Ta  depouiilee 
des  epis,  ou  bien  pareil  a  ces  haies  qui  s'allument,  si  h  torche  du 
voyageur  en  approche  Irop  pres,  ou  y  est  deposee  aux  premiers 
rayons  du  jour,  Apollon  est  devore  par  sa  passion  :  tout  son  coeur 
s^embrase,  et  f  espoir  nourrit  sa  slerile  flamme.  11  contemple  les 
cheveux  de  Daphne  flottant  sans  art  autour  de  son  cou.  «  Que 
serait-ce  donc,  dit-il,  s'ils  etaient  tresses?  »  II  voit  ses  yeux  etin- 
celer  comme  deux  astres  brillants;  il  voitsabouchc  gracieuse, 


Hiepe  patcr  dixit :  «  Gcncrum  mihi,  fllia,  debes. » 

Sxpc  pater  dixit :  «  Debes  milii,  iiata,  nepotes.  • 

illa,  velut  crimen,  tasdas  exosa  Jugales, 

Pulclira  verecundo  suffundiliu"  ora  ruborc; 

Inque  patris  blandis  hserens  cervice  laccrti^:  i8o 

«  Da  mihi  pcrpetua,  genitor  carissime,  dixil, 

Virginitate  frui.  Dcdit  hoc  pater  anlc  Diana>.  » 

llle  quidem  obsequitur :  «  Sed  te  decor  islc.  quod  optas, 

Esse  tetati  votoque  tuo  tua  forma  repugnat.  » 

PhoBbus  amat,  vissequc  cupit  connubia  Daphncs;  ^^^^^ 

Quaeque  cupit,  sperat,  suaque  illum  oracula  fallunl. 

Utque  leves  stipulac  demptis  adolentur  aristis) 

Ut  facibus  sepes  ardent,  quas  fortc  viator 

Vel  nimis  admovit,  vel  jam  sub  luce  reliquit) 

Sic  deus  in  flammas  abiit ;  sic  pectore  toto  49» 

Uritur,  et  sterilem  sperando  nulrit  amorcin. 

Spectat  inornatos  collo  penderc  capillos, 

Et :  «  Quid,  si  comantur?  »  ait.  Vidct  ignc  micaU  cSj 

Sideribus  similes  oculos;  videt  oscula;  quos  non 


LIYftE  r.  27 

qu'ilne  lui  sufTit  pas  de  Yoir;  il  admire  ses  doigls,  sa  main,  ses 
bras,  qui  monlrent  jusqu'au-dessus  du  coude  leurs  formes  arron- 
dies.  Dans  sa  pensee,  les  charmes  cachds  sont  plus  ravissants  en- 
core.  Plus  l^ere  que  le  vent,  elle  fuit  d'un  pas  rapide.  En  vain  il 
la  rappeiie ;  il  ne  peut  la  retenir. 

•  Nymphe  du  Penee,  je  t'en  conjure,  arr^le.  Ce  n'est  pas  un 
ennemi  qui  te  poursuit.  ArrSte-toi,  Nymphe.  La  brebis  fuit  devant 
le  loup,  la  biche  k  i'aspect  du  lion,  et  un  vol  precipit^  derobe  la 
colombe  aux  serres  de  i'aigle  :  ciiacun  se  soustrait  a  son  ennemi. 
Mais,  si  je  m'elance  sur  tes  traces,  FAmour  en  est  cause.  Je  suis 
bien  malheureux !  Ah !  puisses-tu  ne  pas  tomber !  puissent  les  ronces 
ne  pas  dechirer  tes  pieds  delicats!  Que  je  voudrais  t^epargner  de 
ladouleur!  Les  sentiers  ou  tu  cours  sontrudes.  Moderetes  pas, 
je  t'en  conjure;  suspends  ta  fuite;  je  raodererai  moi-m^me  mon 
ardeur.  Apprends  du  moins  quel  est  celui  que  tu  as  charme.  Je 
ne  suis  ni  un  habitant  des  montagnes,  ni  un  pdtre  hideux,  chargt^ 
du  soin  des  boeufs  ou  des  brebis.  Insens^e,  tu  ne  sais  pas,  non, 
tu  ne  sais  pas  qui  tu  fuis;  et  c'est  pour  cela  que  tu  fuis.  Delphes, 
Qaros,  Ten6dos  et  la  royale  Patare  reconnaissent  mes  lois.  Ju- 
piler  est  monpere.  Je  revele  le  passe,  le  pr^sent,  Favenir.  Cesl 


Est  vidisse  salis.  Laudat  digitosque,  manusque,  5^)0 

Brachiaque,  et  nudos  media  plus  parlc  lacertos. 
Si  iiua  latent,  meliora  putat.  Fugit  ocior  aura 
IUa  levi,  neque  ad  haec  revocantis  verba  rcsistit  : 

«  Kympha,  precor,  penei,  mane  :  non  inscquor  lioslis. 
Nympha,  mane.  Sic  agna  lupum,  sic  cerva  leonem,  i>0o 

Sic  aquilam  penna  fugiunt  trepidante  columba*, 
Uostes  qusBque  suos.  Amor  cst  mihi  causu  scquemh'. 
Me  miserum  1  ne  prona  cadas,  indignave  Ixdi 
Crura  sccent  senles,  et  sim  tibi  causa  doloris. 
Abpera,  qua  proporas,  loca  sunt.  Modeiatius,  oro,  510 

(lurrc,  fugamque  inhibe;  moderatius  insequar  ipso. 
Cui  placeas,  inquire  tamen.  iNon  incoia  monlis, 
Non  ego  sura  pastor ;  non  hic  armenla,  gregesvc 
Horridus  observo.  Nescis,  temeraria,  nescis 
Quem  fugias;  ideoque  fugis.  Mihi  delphica  lellus,  515 

Et  Claros,  el  Tenedos,  patarscaque  regia  servit. 
Jupiler  est  genitor.  Ter  rae,  quod  eritque,  fuitque, 


28  MfiTAMORPHOSES. 

moi  qui  marie  la  voix  aux  accords  de  la  lyre.  Mes  fleches  portent 
dlnevitables  coups;  mais  il  en  estune  plus  inevitable  qui  a  bless^ 
mon  coeur  jusque-la  ferme  k  Tamour.  J'ai  invenle  la  medecine. 
I/univers  me  proclame  son  sauveur,  et  la  puissance  des  simples 
m*appartient.  llelas !  il  n'est  point  d'herbe  capable  de  gii^rir  IV 
mour ;  et  le  p^re  des  arts  utiles  au  genre  humain  n'en  relire  lui- 
I  m^me  aucun  fruit.  » 

II  veut  parler  encore ;  mais  la  fille  du  Penee  fuit  d'un  pas  timide 
et  Tabandonne  avant  la  fm  de  son  discours.  Qu^elie  iui  panit  belle 
alors!  Les  vents  soulevaient  ses  vStements,  et  se  jouaient  en  sens 
contraire  dans  ies  plis  de  sa  robe;  une  brise  I^g^re  faisait  flotter 
sur  son  cou  ses  cheveux  epars,  et  ia  fuite  reliaussait  I'eclat  de  sa 
beaut^.  Le  jeune  dieu  n*a  plus  la  force  dc  iui  adresser  en  vain  des 
paroles  de  lendresse.  Emporte  par  l'amour,  ii  ia  poursuit  avec 
ardeur.  Tel  un  chien  gaulois  qui  apergoit  un  lievre  s'6iance  dans 
ia  plaine  pour  ie  saisir,  fandis  que  sa  proie  cherche  a  se  sauTor. 
Le  chien  semble  deja  s'en  emparer.  Le  cou  tendu,  ii  d6vore  sa 
irace.  Le  iievre  est  sur  ie  point  d'^tre  pris ;  mais  ii  6vite  la  dent 
de  son  ennemi  pres  de  l*atteindre.  Tel  est  le  dieu,  telle  est  la 

Eslque,  patet.  Per  mc  concordant  carmina  nervis. 
Certa  quidem  nostra  cst,  nostra  tamen  una  sagitla 
Certior,  in  vacuo  qnao  vulnera  pectore  fecit.  520 

Inventum  medicina  meum  est,  Opiferque  per  orbem 
Dicor,  et  herbarum  subjecta  potentia  nobis. 
ITei !  mihi,  quod  nullis  amor  est  medicabilis  herbis  ! 
Ncc  prosunt  domino,  quac  prosunt  omnibus  artcs!  » 

Diira  locuturum  limido  Pcnciu  cursu  525 

Fugit,  cumque  ipso  verba  imperfecta  reliquit. 
Tnm  quoque  visa  decens :  nudabant  corpora  venti, 
Obviaquc  adversas  vibrabant  flamina  vesles, 
Et  lcvis  impexos  retro  dabat  aura  capillos; 
Auclaque  fornia  fuga  cst.  Sedcnim  non  sustinol  uUra        tiSO 
Perdcre  blanditias  juvcnis  deus;  utque  movcbat 
IpsR  amor,  rdmisso  sequitur  vcstigia  passu. 
rt  ranis  in  vacuo  leporom  quum  gallicus  arvo 
Vidit,  ct  bic  praedam  pedibus  petit,  ille  salutem. 
Altor  inhajsuro  similis,  jam  jamquc  lcnere  55"» 

Spcrat,  ct  extenlo  stringit  vestigia  roslro ; 
Alter  in  ambiguo  est,  an  sit  dpprensus,  et  ips^is 
Morsihus  eripilur,  langenliaque  ora  relinquit. 


LlVnE  l  20 

Nymphe.  Ils  Yolent,  pousses,  Tun  par  Fesperance,  Fautre  par  la 
crainte.  Mais  Apollon,  port^  sur  les  ailes  de  TAmour,  est  infafi- 
gable  et  plus  agile.  Bient6t  il  va  tenir  la  vierge  fugitive  :  son  ha- 
leine  eflleure  ses  cheveux  flottants.  Gependant  les  forces  de  Daphne 
s*^puisent.  Elle  p^Iit,  elle  cede  a  la  fatigue  d'une  fuite  pr^ipit^e, 
el,  jetant  ses  regards  sur  les  eaux  du  Penee  :  «  0  mon  p6re!  dit- 
elle,  viens  a  mon  aide,  si  toutefois  les  fleuves  ont  quelque  pouvoir. 
0  terre!  engloutis-moi,  ou,  par  une  metamorphose,  d^truis  cetle 
beaute  trop  seduisante  qui  m'expose  a  Toutrage.  » 

A  peine  a-t-elle  acheve  sa  priere,  qu'un  lourd  engourdissement 
eDchaine  ses  membres;  son  sein  delicat  se  couvre  d'une  ^rce 
1^4re ;  ses  cheveux  se  changent  en  feuilles  et  ses  bras  en  rameaux ; 
son  pied,  nagu^fe  si  agile,  s'enracine  dans  le  sol;  sa  t^tedevient 
b  dme  d*un  arbre  :  son  6clat  seul  lui  reste.  Ph^bus  Taime  encore. 
n  pose  la  main  sur  sa  tige,  et,  sous  la  nouvelle  ^corce,  il  sent 
palpiter  un  cceur.  II  Pembrasse,  comme  un  corps  vivant;  il  la 
couvre  de  baisers;  mais  la  tige  les  refuse.  «  Si  tu  ne  peux  fttre 
mon  ^pouse,  lui  dit  alors  le  dieu,  tu  seras  du  moins  Tarbre  d'A- 
pollon.  laurier,  tu  pareras  toujours  ma  chevelure,  ma  lyre,  mon 

Sic  ileus  et  virgo  esl :  liic  spe  celcr,  illa  timore. 

Qui  tamen  insequilur,  pennis  adjulus  Amoris,  f>40 

Ocior  est,  requiemque  negat,  tergoque  fugaci 

Imminet,  et  crinem  spirsum  cervicibus  afllat. 

Virihus  absumptis  expalluit  illa  ;  cilacque 

Victa  labore  fugae,  spectans  peneidas  undas  : 

«  Fer,  pater,  inquit,  opem,  si  flumina  numen  babctis.      545 

Qua  nimium  placuit,  TcUus,  aut  hisce,  vel  istam, 

Quae  facit,  ut  Isdar,  mutando  perde  figuram.  » 

Vix  prore  finita,  torpor  gravis  alligat  artus. 
MoIIia  cinguntur  lenui  praecordia  libro; 
In  frondem  crines,  in  ramos  brachia  crescunt ;  550 

Pes,  modo  tam  velox,  pigris  radicibus  ha?ret; 
Ora  oacumen  obit :  remanet  nitor  unus  in  illa. 
Hanc  quoque  Phoebus  amat,  positaqiio  in  siipilo  dexlra, 
Sentit  adhuc  Irepidare  novo  sub  corlice  peclus. 
Complcxusque  suis  ramos,  ut  mcmbrn,  lacerlis,  555 

Oscula  dat  ligno;  refugit  tameu  oscula  lignum. 
Cui  deus :  «  At  conjux  quoniam  mea  non  poles  psse, 
Arbor  eris  certe,  dixit,  mea.  Semprr  bal>eburit 
Te  coma,  tecitharae,  te  nostrae,  laure,  pharelraj. 


\ 


50  :ifiTAMORPlIOSES. 

carquois.  Tu  serviras  d'ornement  aux  guerriers  du  Lalium,  lors- 
que  retentiront  les  cris  joyeux  de  la  victoire  et  que  le  Capitole 
verra  se  deployer  ses  pompes  triomphales.  Gardienne  fid^le  du 
palais  des  Cesars,  lu  en  ombrageras  les  portes ;  tu  prol^eras  la 
couronne  de  ch^ne  suspendue  pres  de  loi ;  et,  comme  ma  che- 
velure  brille  d'une  eternelle  jeunesse,  ton  feuiUage  conservera 
toujours  sa  fraicheur.  »  Des  qu'ApoHon  eut  cess^  de  parler,  le 
nouveau  laurier  s'inchna,  et  parut  asfiter  sa  l^te  en  signe  d'ap- 
probation. 

N^TAMORPUOSE   d'i0   EM   GENISSE  £T   DE   SYBINX  £N   KOSEAU.    —    MORT 
D*ARGUS.    —    NAISSANCE   D'6pAPHUS. 

IX.  11  est  dans  rilemonie  une  valiee  qu'une  abrupte  forfet  encl6t 
de  toules  parts  :  on  Tappelle  Tempe.  Cest  h  travers  cette  vallee 
que,  sorti  desflancs  du  Pinde,  le  Penee  roule  ses  ondes  ecumeuses. 
Sa  bruyante  cascade  souleye  un  brouillard  qui  se  dissipe  en  va- 
peurs  l^geres,  et  retombe  en  pluie  sur  la  cime  des  arbres.  Le 
bruit  fatigant  de  ses  eaux  retentit  au  loin.  Cest  le  s6jour,  la  re- 
traite  sacree  du  fleuve  puissant;  c'est  la  qu'assis  au  fond  d'un 


Tu  ducibus  latiis  aderis,  quum  Ista,  triumphum  560 

Vox  canct,  el  longas  visent  Capilolia  pompas. 

Postibus  augustis  eadem  iidissima  custos 

Ante  fores  stabis,  mediamque  tuebere  qucrcum. 

Ltque  meum  inlousis  caput  est  juvenile  capillis, 

Tu  quoque  perpetuos  semper  gere  froildis  honorcs.  »        565 

Finierat  Pisan.  Factis  modo  laurea  ramis 

Annuit,  ulque  caput,  visa  cst  agiiasse  cacumen. 

:0  MUTATUR  IN   VACCAM,    SYRINX   IN  ARUNDINEM.    —    ARGUS  NECATUR.  — 
NASCITUR   EPAPHUS. 

IX.    Est  nemus  HaQmonia),  prserupla  quod  undique  claudit 
Sllva.  Vocant  Tempe,  per  quas  Peneus,  ab  imo 
Effusus  Pindo,  spumosis  volvitur  undis,  o70 

Dejectuque  gravi  tenues  agitantia  fumos 
Kubila  conducit,  summasque  aspergine  silvas 
Impliiit,  e(  sonitu  p!us  quam  vicina  fatigat. 
Uuic  doimis,  h;L'c  spdes,  ha;c  suut  penetralia  magni  ^75 

Amnis    In  hoc,  rrsidens  facto  de  cautibus  antro, 


LIYnE  L  M 

)  taill^  dahs  le  roc  il  dicte  des  lois  aiu  (mdes  ei  aux  Nym- 
phes  qui  les  hal»tent.  La  se  r^unissent  d^abord  tous  les  fleum 
de  la  oontrfe,  inoertains  s^ls  doiTent  fi&Iiciler  ou  consoler  le 
plie  de  Daphnd.  G*dtaient  le'  Sperchius»  oouronn^  de  peupUera» 
le  fouguenx  £nip^>  le  Tieil  i^inadus,  le  paisiUd  Ampfaryse  et 
r£as.  Bientdt  accourent  d'autres  fleuves,  qui»  emport&t  par  leur 
courB  imptoenx,  et  las  de  leurs  d^tonrs,  apportent  k  la  mer  ie 
trilHit  de  leurs  eaux.  Inadius  seul  est  absent.  Raiiierm^  dans  sa 
grotte,  il  grossit  les  flots  de  seslarmes.  Au  comble  du  mallieur, 
il  pleure  lo,  sa  fllle,  comme  s'il  FeAt  perdue.  11  ne  sait  si  eHe  vit 
encore,  ou  si  dle  est  descendue  diez  les  ombres.  Mais,  ne  la 
trouTant  nulle  part»  il  pense  qu'die  n'existe  plus.  Son  imagination 
hii  fait  mdme  craindre  de  plus  grands  malheurs.  Jupiler  avait  yu 
lo  reyenir  du  fleuYO  qui  lui  donna  le  jour :  c  Jeune  beaut^  digne 
de  Jupiter,  et  dont  la  couehe  doit  rendre  heureux  je  ne  sais  quel 
mortd»  Ta  dans  les  bob  jouir  de  la  fratcheur,  lui  dit>il  en  lui 
montrant  rombrage  des  arbres.  La  chaleur  est  Tive,  et  le  soleit 
oocupe  le  plus  haut  polnt  de  sa  course.  Si  tu  crains  de  p^n^trer 
seule  dans  la  demeure  des  b^tes  sauvages,  prot^^e  par  un  dieu, 
tu  pourras  favancer  jusqu*au  fond  des  bois.  Je  ne  suis  pas  un  dicu 


Undis  jura  dabat,  Nympbisque  coleDtibus  undas. 

Conveniunt  iUuc  popularia  fiumina  primura, 

Ncscia  gratentur,  consolenturne  parentem, 

Populifer  Spercheos,  et  irrequietus  Enipeus, 

Apidanusque  sencx,  fenisque  Ampbry»os  et  .€as ;  oSO 

Moxque  amncs  alii,  qui,  qua  lulit  impetus  illos, 

In  mare  deducunt  fessas  crroribus  undas. 

Inacbus  unus  abest,  imoque  reconditus  antro 

Fletibus  auget  aquas,  natamque  miserrimus  lo 

Luget,  ut  amissam.  Nescit,  Tilane  fruatur,  ;;gr> 

An  sit  apud  manes.  Sed  quam  non  invcuit  usquam, 

Es!»c  putat  nusquam,  alquo  animo  pejora  vereUir. 

Viderat  a  patrio  redeuntem  Jupitcr  lo 

Flumine,  et:  «  0  virgo  Jove  digna,  tuoque  beatum 

Nescio  quem  fuclura  toro,  pele,  dixerat,  umbras  590 

Altorum  nemorum,  et  nemorum  moDstravorat  umbrc  , 

Dum  calet,  et  nicdio  sol  est  allissimus  orbo. 

Quod  si  sola  times  latebras  intrarc  feraruin, 

Pru'»ide  tuta  deo  uemorum  secreta  subibis. 


3'i  HETAUORPHOSES. 

vulgaire  :  je  porte  le  sceptre  puissant  des  cieux ;  t;'est  moi  qui 
lance  la  foudre  dans  les  airs.  Ne  me  fuis  pas.  »  Elle  fuyait  en 
elTel.  Deja  elle  avait  depasse  les  pSturages  de  Leme  et  les  plaines 
de  Lyrcee,  parseniees  d'arbres.  En  ce  moment,  Jupiter  derobe 
lo  a  tous  les  yeux  dans  un  nuage  qui  enveloppe  au  loin  la  terre, 
Farr^te  dans  sa  fuite  et  triomphe  de  sa  pudeur. 

Cependant  Junon  abaisse  ses  regards  sur  la  campagne.  Elle  s'6- 
tonne  qu'un  nuage  passager  ait  repandu  les  ombres  de  la  nuit  au 
milieu  du  jour.  EUe  voit  que  ce  n'est  pas  une  vapeur  sortie  d'un 
fleuve  ou  de  la  surface  humide  du  soL  EUe  cherche  d  un  oeil 
inquiet  ou  est  son  epoux;  car  elle  sait  combien  de  fois  il  fut  cou- 
pable  d'amours  ill^gitimes.  Ne  pouvant  le  trouver  dans  le  ciel  : 
i  Je  m'abuse,  dit-elle,  ou  je  suis  outrag^e.  »  Du  haut  de  TEm- 
pyr^e  elle  s'elance  sur  la  terre,  et  commande  a  la  nue  de  se  dissi- 
per.  Jupiter  avait  pr^vu  Tarrivee  de  son  epouse,  et  avait  chang^ 
la  fille  dlnachus  en  une  superbe  genisse.  EUe  est  encore  belle 
sous  celte  forme.  Junon  Tadmire,  quoiqu'k  regret.  Elle  s'informe 
k  qui  elle  appartient,  de  quel  pays  elle  est,  et  de  quel  troupeau» 
eomme  si  la  v6rit6  ne  lui  etait  pas  connue.  Pour  mettre  fin  a  ces 


Nec  de  plebe  deo,  sed  qui  coelesUa  magna  r>95 

Sceptra  manu  teneo,  sed  qui  vaga  fulmina  mitto. 

Ne  fuge  me;  »  fugiebat  enim.  Jam  pascua  LernsB, 

Consitaque  arboribus  Lyrceia  reliqueral  arva ; 

Quum  deus  inducta  latas  caligine  terras 

Occuluit,  tenuitque  fugam,  rapuitque  pudorem.  600 

Interea  medios  Juno  despexit  in  agros, 
Et  noctis  faciem  nebulas  fecisse  volucres 
Sub  nitido  mirata  die,  non  fluminis  illas 
Esse,  npc  humenti  sentit  tellure  remitli ; 
Atque  suus  conjux,  ubi  sit,  circumspicit,  ut  qu»  €05 

Deprensi  toties  jam  nosset  furta  mariti. 
Quem  postquam  coelo  non  repperit :  «  Aut  cgo  fallor, 
Aut  ego  laedor,  »  ait;  delapsaque  ab  aethere  summo, 
Gonstitit  in  terris,  nebulasque  recedere  jussit. 
Conjugis  adventum  praesenserat,  inque  nitenlem  610 

Inachidos  vultus  mutaverat  ille  juvencam. 
Bos  quoque  formosa  est.  Speciem  Saturnia  vaccae, 
Quanquam  invita,  probat;  nec  non  et  cnjus,  et  undC; 
Quove  sitarmento,  veri  quasi  nescia,  quoeiit. 


LTVRE  I.  35 

qaestions,  Jupiter  imagine  de  dire  qu'ellc  est  sortie  de  la  terre. 
Junon  la  demande  comme  un  don.  Quel  parli  prendre?  n  est  cruel 
de  livrer  Tobjet  de  son  amour ;  mais  un  refus  serait  suspect.  La 
honte  lui  sugg^re  une  r^soiution ;  Tamour  Ten  detourne.  La  honte 
eiit  cede  a  Tamour ;  mais  un  don  si  i^er,  une  g^nisse  refus^  a 
sa  soeur,  a  la  compagne  de  sa  couche,  peut  faire  croire  que  ce  n'est 
pas  une  genisse. 

Maitresse  de  sa  rivale»  Junon  n'est  pas  d^livree  de  toute  inqui^ 
tude.  EUe  craint  Jupiter  et  de  nouveaux  larcins,  jusau'a  ce  qu*elle 
ait  pr^pos^  a  la  garde  d'Io  Argus,  fils  d'Arestor.  Cent  yeux  cou- 
ronnaient  sa  tSte :  deux  se  fermaient  tour  a  tour;  les  autres  veil- 
laient,  sentinelles  toujours  attentives.  Quelle  que  filt  la  place 
d'Argus,  ses  regards  tombaient  sur  lo ;  elle  etait  sous  ses  yeux, 
lors  mSme  qu'il  se  tournait  du  cdte  oppos^.  Le  jour,  il  lui  permet 
de  pdtre;  mais,  quand  le  soleil  est  cach^  sous  lliorizon,  il  Ten- 
ferme  et  attache  a  son  cou  dMndignes  liens.  Les  feuilles  des  arbres 
et  des  herbes  am^res  lui  sen-ent  de  nourriture;  la  couche  ou  re- 
pose  rinfortunee,  c'est  la  terre  que  le  gazon  ne  couvre  pas  tou- 
jours;  ellea  pour  boisson  une  eau  bourbeuse.  Veut-elle  supplier 


Jupiter  e  lerra  genitam  mcnliliir,  ut  auclor  C15 

Desinat  inquiri.  Tetit  hanc  Satumia  munns. 

Quid  faciat?  Crudele  suos  addicere  anioros ; 

Non  dare,  suspectum.  Pudor  estqui  snadeat  illinc; 

llinc  dissuadet  amor.  Victus  pudor  esset  amore ; 

Sed,  leve  si  munus  socix  gencnsque  toriquc  62«) 

Vacca  negaretur,  poterat  non  vacca  videri. 

PeHice  donata,  non  protinus  exuit  omncm 
Diva  metum,  timuitque  jovem,  et  fuit  anxia  furti, 
Donec  Arestoridae  servandam  tradidit  Argo. 
(^entum  luminibus  cinctum  caput  Argus  babebat.  C2.) 

Inde  suis  vicibus  capiebant  bina  quietem ; 
Caetera  servabant,  atque  in  statione  manebant. 
Constiterat  quocumque  modo,  spectabat  ad  lo  : 
Ante  oculos  lo,  quamvis  aversus,  habebat. 
Luce  sinit  pasci.  Quum  sol  tellure  sub  alta  est,  C30 

r.laudit,  et  indigno  circumdat  vincula  coUo. 
Frondibus  arboreis,  et  amara  pascitur  herba ; 
Proque  toro,  terrs,  non  semper  gramen  habenti, 
Incubat  infelix,  limosaque  flnmina  polat. 


5i  METAMORPHOSES. 

Argus  et  lui  tendre  ses  bras,  elle  ne  les  trouve  plus.  Veut-elle  se 
plaindre,  des  mugisseaients  s'echappent  de  sa  bouche;  elle  en  re- 
doute  le  bruit :  sa  voix  r^pouvanle.  Elle  s'approclie  aussi  des  rives 
qui  furent  souvent  le  theatre  de  ses  jeux,  des  rives  de  rinachus. 
P6s  qu'elle  aper^oit  ses  cornes  dans  Tonde,  elle  frissonne  et  rc- 
cule  d'effroi. 

Les  Naiades  et  Inachus  lui-mSme  ignorent  qui  elle  est.  Eile  suit 
son  pere  et  ses  soeurs,  se  laisse  caresser  et  s^offre  d'elle-ni^.me  a 
leurs  regards  surpris.  Le  vieil  Inachus  cueille  des  herbes  et  les 
lui  presente.  Elle  leche  ses  mains,  couvre  de  baisers  les  bras  de 
son  p6re,  et  ne  peut  relenir  ses  larmes.  Si  elle  pouvait  parier,  elle 
implorerait  son  secours,  elle  dirait  son  nom  et  ses  malheurs.  Ifeds, 
a  d^faut  de  paroles,  des  caracteres  traces  par  son  pied  sur  la  pous- 
siere  ont  revele  sa  fatale  metamorphose.  «  Malheureux  que  je 
suisl  »  s'6crie  Inachus;  et  il  reste  suspendu  aux  cornes  de  la 
genisse  plaintive  et  a  son  cou  d'albMre.  «  Malheareux  que  je 
suis !  s'ecrie-t-il  encore.  Es-tu  bien  ma  fille  que  j'ai  cherchee  dans 
le  monde  entier?  Avant  de  favoir  trouvee,  ma  douleur  etait  plus 
leg^re  qu'au  moment  ou  je  te  revois.  Tu  gardes  le  silence ;  ta  voix 

llla  cliam  supplex  Argo  quum  brachia  v&llut  C35 

Tendere,  non  habuitquae  brachia  tenderet  Argo; 

Conatoque  queri  mugitus  edidit  ore, 

Perlimuitque  sonos,  propriaque  exterrila  voce  est. 

Yenit  et  ad  ripas,  ubi  ludere  ssepe  solebat, 

Inachidas  ripas.  Kovaque  ut  conspexit  in  unda  040 

Cornua,  pertimuit,  seque  externata  refugit. 

Naides  ignorant,  ignorat  et  Inachus  ipse, 
Qu8B  sit.  At  illa  palrem  sequilur,  sequiturque  sorores, 
Et  patitur  tangi,  seque  admirantibus  offcrt. 
Decerptas  senior  porrexerat  Inachus  herbas.  645 

Illa  manus  lambit,  patriisque  dat  oscula  palmis, 
Nec  retinet  lacrymas ;  et,  si  modo  verba  sequantur, 
Oret  opem,  nomenque  suum,  casusque  loquatur. 
Littera  pro  verbis,  quam  pes  in  pulvere  duxit, 
Corpuris  indicium  mutati  triste  peregit.  6^)0 

«  Me  miserum !  »  exclamat  pater  Inachus;  inquegemends 
Cornibus,  et  niveae  pendens  cervice  juvenca;, 
«  Me  miserum!  ingeminat.  Tunc  es  quaesita  ppr  omncs, 
Nata,  mihi  terras?  Tu  non  inventa  reperta 
Luctus  eras  levior.  Retices,  nec  mutua  nostris  655 


LIVRE  !.  35 

ue  rep'_xid  pas  a  la  mienne.  Seulement,  du  fond  de  ton  coeur  s'6- 
diappent  des  soupirs;  et  tout  ce  que  iu  peux,  c'est  de  repondre 
a  mes  paroles  par  des  mugissements.  Et  moi,  ignorant  ion  des- 
tin,  je  preparais  pour  toi  la  couche  nuptiale  et  tes  flambeaux 
d*hymenee !  J'esp^rais  un  gendre  et  des  neveux.  Maintenani  c'est 
dans  un  troupeau  que  tu  dois  cherclier  un  epoux,  c'est  la  que  (u 
dois  chercher  des  enfants;  et  la  mort  ne  peut  mettre  un  ierme 
amon  chagrin  immense!  Je  souffre  d'Stre  immoriei.  La  mort  me 
ferme  ses  abimes,  et  ne  laisse  a  raa  douleur  d'autres  bomes  que 
retemite !  »  Cest  ainsi  que  s'exhale  son  chagrin.  Argus,  doni  les 
yeux sont  comme  autant  deloiles,  eloigne  lo,  Tarraclie  des  bras 
d'un  pSre,  et  Teniraine  dans  d'autres  paturages.  Ensuiie  il  va  se 
poster  a  quelque  distance,  sur  le  sommet  d'une  montagne,  d'ou 
i!  promene  partout  ses  regards. 

Le  maitre  des  dieux  ne  peui  voir  plus  longtemps  la  socur  dc 
Phoronee  accablee  d'une  si  grande  inforiune.  II  mande  le  fiis  que 
luidonna  une  briliante  Pleiade,  et  lui  ordonne  de  livrer  Argus  au 
trepas.  Au  m^e  insidnt»  Mercure  attache  ses  ailes  a  ses  pieds, 
saisitsa  baguette  puissanie  qui  repand  le  sommeil,  ei  rcY^l  sa  tStc 
d'un  casque.  Ainsi  pare,  il  s'elance  des  cieux  vers  la  terre.  La  il 

Dicla  refers ;  allo  lantum  suspiria  ducis 

Pectore ;  quodque  uuum  potes,  ad  raea  verbu  renuigi<!i. 

At  tibi  ego  ignarus  thalamos  tacdasque  parabaiu ; 

Spesque  fuit  generi  mihi  prima,  secunda  nepotum.' 

De  gregc  nunc  tibi  vir,  nuuc  dc  grege  natus  habendus.      060 

Nec  finire  licet  tantos  mihi  raorte  dolores-. 

Sed  nocet  esse  dcum ;  prxclusaque  janua  lcli 

.l^^temum  uostros  luctus  extendit  in  aevuml  > 

Talia  moereuli  stellatus  submovet  Argus, 

Ereptamque  patri  diversa  in  pascua  natam  6Co 

Abstrahit.  Ipsc  procul  moutis  sublime  cacumen 

Occnpal,  unde  sedens  partes  speculetur  iii  ornnc?. 

Nec  Superum  rector  raala  lanta  Photonidos  ullra 
Ferre  potest,  nalumque  vocat,  quem  lucida  partu 
Plcias  enixa  est,  letcque  det,  imperat^  Argum.  070 

Parva  mora  csl,  alas  pedibus,  virgamque  potenli 
Somniferam  sumpsisse  manu,  legiraenque  capillisi 
II.TC  ubi  disposuit,  palria  Jove  nalus  ab  arce 
Debiiit  in  terras.  Illis  togimcnque  removit^ 


30  METAUOUPiiOSES. 

quitte  soii  ciisque,  depose  ses  ailes  et  ne  garde  que  sa  baguetle. 
Sous  Texterieur  dun  berger,  il  conduit  avec  elle,  a  travers  uii 
chemin  d^tourne,  les  ch^vres  qu'il  a  enlevees  en  se  rendant  au- 
pr^s  d'Argus.  11  fabrique  un  chalumeau  et  se  met  a  chanler.  Ces 
accents  nouveaux  ravissent  le  mbiistre  de  Junon.  «  £tranger, 
qui  que  tu  sois,  dit  Argus,  tu  peux  te  reposer  avec  moi  sur  ce 
rocher.  Nulle  part  les  troupeaux  ne  trouvent  de  plus  gras  pAtu- 
rages,  et  lu  vois  que  cette  ombre  est  propice  aux  bergers.  »  Le 
petit-fils  d'Atlas  s'assied ;  ii  charme  par  de  longs  entretiens  les 
heures  qui  s'ecoulent;  et,  par  ses  chants  unis  aux  sons  du  cha* 
iumeau,  il  cherche  a  endormir  la  vigilance  d^Argus.  Gelui-ci  lutte 
contre  les  douceurs  du  sommeil  qui  a  deja  ferme  quelques-uns 
de  ses  yeux.  Cependant  il  veille  encore.  La  flule  venait  d'6tre  in- 
venlee.  II  demande  comment  elle  fut  decouverte. 

Le  dieu  lui  repond  :  «  Au  pied  des  frais  coteaux  de  TArcadic, 
parmi  les  Hamadryades  de  Nonacris,  etait  une  Nymphe  cel^re. 
Scs  compagnes  Tappelaient  Syrinx.  Plus  d'une  fois  elle  avail 
echappe  aux  poursuites  des  Satyres  et  des  autres  dieux  qui  lia- 
bitent  les  bois  sombres  ou  les  plaines  dc  cetle  contrde  fertilc. 


Et  posuil  pennas ;  tantummodo  virga  retenta  cst.  G75 

Uac  agit,  ut  pastor,  per  devia  rura  capellas, 

Dum  venit  abductas,  et  structis  cantat  avenis. 

Voce  nova  captus  custos  junonius  :  «  At  tu, 

Quisquis  es,  hoc  poteras  mecum  considere  saxo, 

Argus  ait ,  neque  enira  pecori  fecundior  uUo  680 

Herba  loco  est,  aptamque  vides  pastoribus  umbraui.  » 

Sedit  Atlantiades,  et  euntem  multa  loquendo 

Detinuit  sermone  diem,  junctisque  canendo 

Vincere  arundinibus  servantia  lumina  tenlat. 

llle  tamen  pugnat  niollcs  evincere  somnos ;  685 

Et,  quamvis  sopor  est  oculorum  parte  receptus, 

Parle  tamen  vigilat;  querit  quoque  (namquc  reperla 

Fistula  nuper  erat),  qua  sit  ratione  rcperla. 

Tuffi  dcus  :  «  Arcadiae  gelidis  sub  monlibus,  iuquit, 
Inler  Hamadryadas  celeberrima  nonacrinas  ^        6^0 

Naias  una  fuit.  Kymphae  SjTinga  vocabant. 
Non  semel  el  Salyros  eluserat  illa  sequenlcs, 
Et  quoscumque  deof  umbrosave  silva,  fcraxvo 
Dua  habet.  Orlygidm  studiisi,  ipsuquc  colebat 


LIYRE  I.  37 

Youee  au  culte  de  Diane  par  son  gout  pour  la  diasse  et  par  sa 
Ghastete»  eile  en  portait  aussi  le  costume.  On  VeHi  confondue  avec 
la  fiile  de  Latone  et  prise  pour  elle,  si  elie  n'avait  port6  un  arc 
de  come,  tandis  que  celui  de  ia  deesse  est  en  or;  et  m^me  on 
s'y  trompait  encore.  Au  moment  ou  eiie  revient  du  mont  Lycee, 
Pan,  ie  front  lierisse  d'mie  couronne  de  pin,  ia  voit  et  iui  parle 
en  ces  termes...  »  li  lui  restait  a  rapporter  ies  paroles  du  dieu,  a 
dire  comment  ses  voeux  furent  dedaign^  par  ia  Nymphe,  qui  s'en- 
fuit  a  travers  des  sentiers  inconnus,  jusque  sur  les  horda  sabion- 
neux  du  paisible  Ladon;  comment,  parvenue  i^  et  arr^lde  par  les 
eaux,  elie  conjura  ses  soeurs  de  se  depouiiler  de  ieur  fluidit^  pour 
prendre  une  forme  nouvelle;  comment  le  dieu,  croyant  saisir 
deja  ia  Nymphe,  a  la  piace  du  corps  de  Syrinx,  n'embrassa  que 
des  roseaux  et  ieur  confia  ses  soupirs ;  comment  aussi  i'air  agite 
dans  ies  roseaux,  ayant  produit  un  son  leger,  semblabie  a  une 
plainte,  le  dieu,  charme  du  nouvei  instrument  et  de  son  harmo- 
nie,  s'^ia :  «  Yoilk  le  iien  de  notre  ^temeile  aliiance !  »  enfiu 
comment  des  roseaux,  de  grandeur  inegale,  unis  par  ia  cire,  con- 
serverent  ie  nom  de  ia  jeune  Nymphe.  Mais,  au  moment  de  faire 
ce  recit,  Mercure  voit  ies  yeux  d'Argus  se  fermer,  et  le  sommeil 

Virginilale  deam ;  rilu  quoque  cincla  Dianaj  695 

FaUeret,  et  credi  posset  Latonia,  si  non 

Comeus  huic  arcus,  si  non  foret  aureus  ilii. 

Sic  quoque  fallebat.  Redeuntem  coUe  lycxo 

Fan  videt  hanc,  pinuque  caput  praecinclus  acula, 

Talia  verba  refcrt... »  Restabat  verba  relerre;  700 

£t  precibus  spretis  fugisse  per  avia  Nympham, 

Donec  arenosi  placidum  Ladonis  ad  umnem 

Vcnerit ;  hic  illi  cursum  impedicntibus  undis, 

Ut  sc  mutarent,  liquidas  orasse  sorores; 

Panaque,  quum  prensam  &ibi  jam  Syringa  putaret,  705 

Corpore  pro  Nymphae  calamos  tcnuisse  paUislres  ; 

Duinque  ibi  suspirat,  motos  in  arundine  veulos 

Effccisse  sonum  tenuem,  similemque  qucrcnli ; 

Artc  nova,  vocisquc  deum  dulcedine  caplum  : 

«  Hoc  mihi  concilium  tecum,  dixisse,  mancbit ;  »  710 

Atque  ila  disparibus  calamis  compagine  cer» 

Inter  sc  junctis  nomen  lcnuissc  puella^. 

Talia  dicturus,  vidit  Cyllenius  omues 

Succubaisse  oculos,  adopertaque  lumina  somno. 


38  METAMOBPHOSES. 

appesantir  ses  paupieres.  Soudain  il  se  tait,  et  rerid  son  sommeil 
plus  profond  en  promenant  sur  ses  yeux  sa  baguette  magique. 
Aussit6t  la  t^te  dWrgus  sUncline.  Mercure  la  frappe  avec  sa  serpe 
k  Tendroit  ou  elle  se  joint  au  cou ;  puis,  il  la  jelte  toute  sanglante 
contre  un  roc  escarpe  qu'elle  rougit.  Argus,  te  voila  donc  sans  vie. 
Eile  est  eteinte,  cette  lumiere  qu'absorbaient  les  regards,  et  tes 
cent  yeux  ne  plongent  plus  que  dans  l'etemelle  nuit.  La  fille  de 
Saturne  les  recueille,  en  parseme  les  plumes  de  Toiseau  qui  lui 
est  consacre,  et  les  repand  sur  sa  queue  comme  autant  de  pierre- 
ries  etincelantes. 

Junon  eclate  aussitdt,  et  sa  colere  n'admet  point  de  retard.  Elle 
offre  rhorrible  Tisiphone  aux  yeux  et  a  la  pensee  de  TArgienne  ai- 
mee  de  Jupiter,  et  lui  inspire  une  aveugle  fureur  qui  Temporte 
errante  dans  tout  l^univers.  0  Nil !  tu  restais  pour  derni^re  limite 
k  ses  immenses  fatigues !  A  peine  a-t-elle  touch^  les  eaux  du  fleuve, 
a  peine  a-t-elle  plie  les  genoux  sur  ses  bords,  que  son  cou  se 
penche  en  arriere  et  sa  t6te  se  dresse.  Ne  pouvant  elever  que  ses 
regards  vers  le  ciel,  elle  les  y  tient  fixes.  Par  des  soupirs,  des 
pleurs  et  un  mugissement  lamentable,  elle  semble  se  plaindre  a 
Jupiter  et  lui  demander  la  fin  de  ses  maux.  Le  dieu  presse  son 


Supprimii  extemplo  vocem,  firmatque  soporem,  7iH 

Languida  permulcens  medicata  lumina  virga. 

Ncc  mora,  falcalo  nutantem  vulnerat  ense, 

Qua  coUo  confine  caput,  saxoque  cruentum 

Dejicit,  et  maculat  pracruptam  sanguine  caulem. 

Arge,  jaccs,  quodque  in  tot  lumina  lumen  habebas  '^ 

Exstinctii^n  est,  centumque  oculos  nox  occupat  una. 

Excipit  Iios,  volucrisque  susb  Saturnia  peunis 

Collocat,  ct  gemmis  caudam  stellantibus  implet. 

Proiinus  exarsit,  nec  tempora  distulit  ine, 
Uoirifcramque  oculis  animoque  objecit  Erinnyn  725 

Pellicis  argolicu!,  stiraulosque  in  pectorc  caccos 
Gondidit,  et  profugam  per  totum  lcrruit  orbem. 
Ultimus  immenso  rcstabas,  Niie,  labori. 
Quem  simul  ac  tetigit,  positisque  in  margino  ripsc 
Procubuit  geuibus,  resupinoque  ardua  collo,  750 

Quos  potuit,  solos  toUens  ad  sidera  vultus, 
El  geniitu,  ct  lucrymis,  ct  luctisono  mugitu 
Ciim  Jovo  visa  qucri  cst,  Unemquc  orarc  malorura. 


LtVHE  I.  .  30 

^use  dans  ses  bras,  et  la  conjure  de  mettre  un  terme  k  sa  vcn- 
geance.  t  Ne  finqui^e  pas  de  Tavenir,  lui  dit-il;  jamais  cetle  ri- 
Tale  ne  te  causera  de  chagrin.  »  Et  il  veut  que  le  Styx  recueille  sa 
promesse.  Junon  s'apaise.  lo  reprend  sa  premi^re  forme,  et  de- 
\ient  ce  quVlIe  fut  autrefois.  Ses  poils  tombent,  ses  oomes  dispa- 
raissent,  Torbite  de  ses  yeux  se  retrecit,  sa  bouche  se  resserre,  ses 
q[)aules  et  ses  mains  reprennent  leur  place,  ses  pieds  s'aIlongent 
endnq  orteils;  enfm  elle  ne  conserve  de  la  g^nisse  que  son  ^la- 
tante  blancheur.  Deux  pieds  suffisent  k  la  Nymphe.  EUe  se  redresse ; 
mais  elle  n'ose  parler,  dans  la  crainte  de  mugir  comme  une  ge- 
nisse.  Elle  ne  hasarde  que  des  paroles  interrompues  et  timides. 
Deesse  aujourd'hui,  elle  re^oit  les  hommages  de  pr^tres  nonn 
breux  rev^tus  de  lin. 

On  lui  donne  pour  fils  ^paplius,  n^,  dit-on,  du  sang  illustre  de 
hipiter.  L'£gypte  a  joint  ses  autels  k  ceux  de  sa  m^re.  D  avait  le 
m^e  caracl^re  et  lem^me  Sge  quePhaethon,  fils  duSoleil.  Un  jour 
oelui-ci,  par  jactance,  ne  voulut  pas  c^der  a  £paphus,  qui  s'enor- 
gueillissait  d'avoir  Phebus  pour  p6re.  Le  petit-fils  d'hiachus  fut 
indign^  de  ses  pretentions.  «  Insense !  lui  dit-il,  tu  crois  aux  im- 


Conjugis  ille  suae  complexus  colla  lacerlis, 

Flniat  ut  pcpnas  tandcm,  rogat :  «  Inque  fulurum  755 

Ponc  metus,  inquit,  nunquam  tibi  causa  doloris 

Uacc  cril;  *  ct  stygias  jubet  hoc  audire  paludes. 

Ut  lenila  dea  est,  vultus  capit  illa  priores, 

Fitquc,  quoil  anle  fuit.  Fugiunt  e  corpore  setoi, 

Cornua  decrescunt,  fit  luminis  arctior  orbis,  7^^ 

Contrahitur  riclus,  redeunt  humerique  roanusquc, 

Ungulaquc  in  quinos  dilapsa  absumitur  ungucs. 

Dc  bove  nil  superest,  formae  nisi  candor,  in  illa. 

Orficioquc  pedum  Nymphc  conlenta  duorum 

Erigitur,  mctuitquc  loqui,  nc  morc  juvencae  Tio 

Uugiat,  et  timide  vcrba  intermissa  rctentat. 

Nunc  dca  linigera  colitur  cclcbemina  turba. 

Uuic  Epaphus  magni  genitus  de  scniiue  tandem 
Crcdilur  csse  Jovis,  perque  urbes  juncia  poicnti 
templa  lenet.  Fuit  huic  animis  sequalis  ct  «mnis  loO 

Solc  satus  Phaethon,  quem  quondam  niagna  loquentem, 
Mec  sibi  ccdcntem,  Phceboque  parenle  superbum, 
Kon  tulit  Inachides,  «  Matrique,  ait,  omnia  dcmcns 


40  •  METAMORPHOSES. 

postures  de  ta  mSre,  et  tu  te  glorifies  d'un  pere  qui  n'est  pas  le 
tieul »  Pbaethon  rougit;  la  honte  etouffe  sa  colere;  il  court  de- 
noncer  cet  affront  sanglant  a  Clymene.  «  Pour  comble  de  dou- 
leur,  6  ma  m^re  I  dit-il,  moi,  si  ind^pendant  et  si  fier,  j'ai  dA  gar- 
der  le  silence.  Quel  opprobre !  j'ai  re^u  un  tel  outrage  sans  pouvoir 
le  repousser  1  Ah !  si  je  suis  du  sang  des  dieux,  efface  la  tache  im- 
primee  a  mon  illustre  origine,  et  montre  que  le  ciel  est  ma  pa- 
trie  l»  A  ces  mots,  il  se  jette  au  cou  de  sa  m6re ;  il  la  conjure 
par  sa  t^te,  par  celle  de  Merops  et  par  Thymen  de  ses  soeurs,  de 
lui  faire  connailre  son  pere  a  des  signes  certains.  Touchee  des 
pri^res  de  Pbaethon,  ou  peut-toe  plus  sensible  encore  au  crime 
qui  lui  est  impute,  Clymene  leve  ses  bras  au  ciel)  et,  les  yeux 
fixes  sur  le  soleii  :  <c  Au  nom  de  cet  astre,  ocean  de  lumiere,  qui 
nous  ecoute  et  nous  voit,  je  ie  jure^  6  mon  fils !  dit-elle,  le  Soleil 
que  tu  contemples,  ie  Soleil  qui  regle  le  monde,  est  ton  pere.  Si 
je  fabuse,  que  ses  rayons  ne  se  montrent  plus  a  moi,  et  que  ce 
jour  soit  pour  moi  le  dernier !  li  ne  te  sera  pas  difficile  de  con- 
naitre  le  palais  ou  tu  es  ne :  ies  portes  de  I*Orient  touchent  a  cette 
contree.  Si  tu  le  desires,  monte,  et  interroge  \e  Soleil  lui-m^me.  » 

Crcdis,  el  cs  tumidus  genitoris  imagine  falsi.  » 

Erubuil  Piiaetlion,  iramque  pudore  repressit,  755 

El  tulit  ad  Ciymenen  Epaphi  convicia  matrem. 

«  Quoque  magis  doleas,  genitrix,  ait,  ille  ego  liber, 

lilc  ferox  tacui.  Pudet  haec  opprobria  nobis 

Et  dici  potuisse,  et  non  potuisse  repelli. 

Al  lu,  si  modo  sum  coelesti  stirpe  crcatus,  760 

Ede  notam  tanti  generis,  meque  assere  coelo.  » 

Dixit,  et  iraplicuit  materno  brachia  collo, 

Pcrquc  suum,  Meropisque  caput,  taedasque  sororura, 

Tradcrcl,  oravit,  vcri  sibi  signa  parentis. 

Ambiguum,  Clyraene  precibus  Phacthontis,  an  ira  7G5 

Mota  magis  dicti  sibi  criminis,  utraque  ccelo 

Brachia  porrexit,  spectansque  ad  lumina  solis: 

«  Per  jubar  hoc,  inquit,  radiis  insigne  coruscis, 

Nate,  tibi  juro,  quod  nos  auditque  videtque; 

Uoc  te,  quem  spectas,  hoc  te,  qui  temperat  orbem,  770 

Sole  satum.  Si  ficta  loquor,  neget  ipse  videndum 

Se  mihi,  sitque  oculis  iux  ista  novissima  nostris. 

Nec  longus  labor  est  patrios  tibi  nosse  penates : 

Unde  oritur,  domus  est  terrae  contermina  nostrte. 

Si  modo  fert  animusi  gradere,  et  scitabei-e  ab  ipso. »      775 


i 


LIYUE  I.  4i 

A  ces  paroles  de  sa  m^ro,  Phaethon,  Iransporli^  de  joio,  so  croil 
deja  dans  les  cieux.  II  franchii  Tlnde  ct  r£thiopie,  en  proio  a  tous 
les  feux  du  soleil,  et  parvient  en  toute  h^te  aux  lieux  que  son  pc^re 
eclaire  de  ses  rayons  naissants. 

Emicat  extemplo  Isetus  post  talia  malris 
Dicta  suaB  Phaethon,  el  concipit  aethera  menle; 
^thiopasque  suos,  positosque  sub  ignibus  Indos 
Sidereis  transit,  patriosque  adit  impiger  orlus. 


LIVRE  DEUXIEME 


PnAETHON  DEMANDE  i  CONDUIRB  LE  CUAR  DU  SOLEIL.  —  FRAPP^  DB  LA 

FOUDRE,  IL  EST  PR£gIP1t£  DU  CIEL.  —  SES  S(EUAS  SONT  CHANG^fiS 

EN   PEUPLIERS. 

I.  Le  palais  du  Soleil  s'elevait  sur  de  hautes  colonnes,  tout  bril- 
laiit  d'or,  lout  6tincelant  du  feu  des  pierreries.  Un  ivoire  eclatant 
en  coiTonnait  le  faite,  et  ses  doubles  portes  d'argent  rayonnaient 
d'une  lumiere  ^blouissante.  L'art  surpassait  la  matiere.  Le  ciseau 
de  Vulcain  y  avait  represente  rOcean  qui  enveloppe  la  terre,  la  terre 
elle-mSme  et  rimmense  voiite  des  cieux,  les  dieux  de  la  mer, 
rharmonieux  Triton,  le  changeant  Prot^e,  £g^on  pressant  deses 
bras  les  enormes  baleines,  Doris  et  ses  filles.  Les  unes  semblent 
nager ;  les  autres,  assises  sur  un  roc,  font  secher  leurs  cheveux 


LIBER  SEGUNDUS 


PnAETHON   CURSUS  SOLARIS  IMPERIUM  AD  DIEM   PETIT.  —  FILMIXE   PERCUSSUS 
E   COJLO   DEJICITUR.   —  PHAETilONTIS  SORORES  IN  POPULOS  MUTANTUR. 

Rogia  Solis  erat  sublimibus  alla  columnis, 
Clara  micanle  auro,  flammasquc  imitanle  pyropo. 
Cujus  ebur  nitidum  fastigia  summa  tencbat;  ^ 

Argenti  bifores  radiabant  lumine  valvse. 
Materiem  superabat  opus ;  nam  Bfulcibcr  illic  5 

^quora  caelarat,  medias  cingentia  terras, 
Terrarumque  orbem,  ccelumque,  quod  imrainet  orbi. 
Cxrulcos  habet  unda  deos :  Tritona  canorum, 
Proleaque  ambiguura,  balxnarumque  prementem 
MgXiOna  suis  immania.  terga  lacertis,  10 

Doridaque,  et  natas.  Quarum  pars  nare  videnlur, 
Fars  in  mole  scdcns  virides  siccarc  capilios; 


LIYRE  II.  i"» 

d'azur;  quelques  autres  voguent  sur  des  poissons.  Toutes,  sans 
aToir  le  m^me  visage,  ont  un  air  de  ressemblance  qui  convient  k 
des  soeurs.  Sur  la  terre  figurent  les  hommes,  les  villes,  les  forSls, 
les  bStes  sauvages,  les  fleuves,  les  Nymphes,  et  toutes  les  divinit^ 
champ^tres.  Au-dessus  s'61eve  la  sph^re  brillante  des  cieux  :  six 
constellations  sont  placees  a  droite  et  six  a  gauche. 

Dejalefils  de  Clymene  a  gravi  le  sentier  qui  couduit  a  ce  palais. 
Parvenu  dans  la  demeure  de  celui  qu'il  avaft  hesit^  k  reconnaitre 
pour  son  pere,  il  porte  soudain  ses  pas  vers  lui ;  mais  il  s'arrSte  h 
une  certaine  distance  pour  n'6tre  pas  offusque  de  son  eclat.  Cou- 
vert  d  un  manteau  de  pourpre,  Phebus  etait  assis  sur  un  trdne 
resplendissant  d'emeraudes.  A  droite  et  a  gauche  se  tenaient  les 
iours,  les  Hois,  les  Annees,  les  Si^cles  et  les  Heures  s^par^es  par 
des  intervalles  6gaux.  On  y  voyait  debout  le  Printemps,  couronn6  de 
fleurs  nouvelles ;  Vtl^  nu,  portant  des  guirlandes  d'epis ;  TAu- 
tomne,  tout  noirci  des  raisins  qu'il  a  foul^s,  et  le  glacial  Hiver, 
herisse  de  cheveux  blancs.  Au  milieu  de  tant  de  merveilles,  le 
jeune  Phaethon  est  vivement  frappe  de  la  nouveaute  de  ce  spec- 
tade.  Le  Soleil  jette  sur  lui  ce  regard  qui  embrasse  runivers. 


Pisce  vehi  quaedam.  Facies  non  omnibus  una, 

Nec  diversa  lamen,  qualem  decet  esse  sororum. 

Terra  viros,  urbesque  gerit,  silvasque,  ferasquo,  1J) 

Fluminaquc,  et  Nymphas,  cl  cxtera  numina  ruris. 

Hsec  super  imposita  est  cceli  fulgentis  imago, 

Signaque  sex  foribus  dextris,  totidemque  sinistris. 

Quo  simul  acclivo  clymencia  limitc  proles 
Venit,  et  intravit  dubitati  tccta  parcntis,  20 

Protinus  ad  palrios  sua  fert  vestigia  vultus, 
Consistitque  procul;  neque  enim  propiora  ferebal 
Lumina.  Purpurea  velatus  veste  sedebat 
In  solio  Phoebus,  claris  iucente  smaragdis. 
A  dextra  laBvaque,  Dies,  et  Mensis,  et  Annus,  'il\ 

Seculaque,  et  positae  spatiis  sequalibus  Hor.T. 
Verque  novum  stabat,  cinctum  florente  corou.i ; 
Stabat  nuda  ^stas,  et  spicea  serta  gerebat; 
Stabat  et  Autumnus,  calcatis  sordidus  uvis, 
Et  glacialis  Hiems,  canos  hirsuta  capillos.  r>0 

Inde  loco  medius,  rerum  novitate  paventem 
Sol  oculis  juvenem,  quibus  aspicit  omnia,  vidit. 


/4  MftTAMORPHOSES. 

«  Quel  motif  fam^ne  en  ces  lieux,  hii  dit-il,  et  qu'y  viens-lu 
chercher,  Phaethon,  6  mon  fils !  toi  que  ton  pere  ne  saurait  dfe- 
avouer?  »  U  repond :  «  Flambeau  du  monde,  6  Phebus!  6  mon 
p6re!  si  vous  me  permettez  de  vous  donner  ce  nom;  si  Glymene 
ne  cache  point  sa  faute  sous  une  apparence  trompeuse;  auteur  de 
mes  jours,  prouvez-moi  par  un  gage  infailhble  qiie  je  suis  votre 
fils,  et  d61ivrez-moi  du  doute  qui  m^agite.  » 

II  dit.  Son  pSre  depose  les  rayons  qui  brillent  autour  de  sa 
tMe,  rinvite  a  s^approcher  davantage,  et,  le  pressant  dans  ses 
bras  :  «  Non,  dit-il,  tu  ne  dois  pas  §tre  desavoue  par  moi.  Gly- 
mene  ne  t'a  point  trompe  sur  ta  naissance ;  et,  pour  que  tu  n'en 
doutes  pas,  demande-moi  un  gage  quelconque  de  ma  tendresse : 
tu  Tobtiendras.  J'en  atteste  le  fleuve  par  lequel  jurent  les  dieux 
et  que  mes  yeux  ne  voient  jamais.  »  A  ces  mots,  Phaethon  demande 
la  permission  de  diriger  un  seul  jour  le  char  du  Soleil  et  de  con- 
duire  ses  rapides  coursiers. 

Son  p^re  se  repenl  de  sa  promesse,  et,  secouant  plusieurs  fois 
sa  t6te  rayonnante :  « Ta  demande,  dit^il,  a  rendu  mon  serment 
t^meraire.  Que  ne  puis-je  le  retirer!  Je  l'avoue,  c'est  la  seule 

4t  Qusque  viae  libi  causa?  qnid  hac,  ait,  arce  petisti, 

Progenies,  Phaethon,  haud  inficianda  parenti? » 

Ille  refert :  «  0  lux  immensi  publica  mundi,  35 

PhoBbe  pater,  si  das  hujus  mihi  nominis  usum, 

Nec  falsa  Clymene  culpam  sub  imagine  celat; 

Pignora  da,  genitor,  per  quse  tua  vera  propago 

Gredar,  et  hunc  animis  errorem  detrahe  nostris.  » 

Oixerat.  At  genitor  circum  caput  omne  micantos  40 

Deposuit  radios,  propiusque  accedere  jussit ; 
Amplexuque  dato  :  «  Nec  tu  mcus  esse  negari 
Dignus  es,  et  Clymene  veros,  ait,  edidit  ortus. 
Quoque  minus  dubites,  quodvis  pete  munus,  ut  illud, 
Me  tribuente,  feras.  Promissis  testis  adesto  45 

Dis  juranda  palus,  oculis  incognita  nostris.  » 
Vix  bene  desierat,  currus  rogat  ille  paternos, 
Ii)que  diem  alipedum  jus  et  moderamen  equomm, 

Pffinituit  jurasse  patrem,   ]ui  terque  quaterque 
Concutiens  illustre  caput :  «  Temeraria,  dixit,  !iO 

Vox  mea  facta  tua  est.  Utinara  promissa  liceret 
Non  dare!  confileor,  solum  hoc  tibi,  nate,  negarem. 


LIVRE  11  45 

diose  que  je  te  refuserais,  6  mon  fils !  Je  puis  du  moins  te  dis« 
saader.  Ton  voeu  n'est  pas  sans  peril.  Phaeihon,  Iq^t^che  ou  tu 
aspires  est  grande :  elle  ne  convient  ni  k  tes  forces  ni  a  ta  jeu- 
nesse.  Ton  destin  est  d'un  homme,  ton  ambition  est  d'un  dieu. 
Sans  le  savoir,  tu  veux  farroger  une  prerogative  que  n'ont  pas 
m6me  les  immortels.  Qu'ils  soient  fiers  de  leurs  privileges,  j  y 
consens ;  mais  nul  autre  que  moi  n'a  le  droit  de  s'asseoir  sur  mon 
char  de  feu.  Le  maitre  de  rOlympe  lui-mSme,  dont  la  puissante 
main  lance  la  foudre  terrible,  ne  saurait  le  conduire ;  et  cepen- 
dant  qu'y  a-t-il  de  plus  grand  que  Jupiter?  La  route,  k  Tentr^ 
de  ia  carriere,  est  escarpee.  k  peine,  1e  matin,  mes  coursiers  ra- 
firaichis  par  le  repos  peuvent-ils  la  gravir.  Au  milieu  du  ciel,  sa 
liaateur  est  immense.  De  ce  point,  souvent  saisi  moi-m^me  de 
terreur,  je  n'ose  jeter  les  yeux  sur  la  terre  et  ies  flots.  A  son  de- 
clin,  la  pente  est  abrupte  et  demande  une  main  si!ire.  Quand  j'y 
suis  parvenu,  Tethys,  qui  me  re^oit  dans  ses  ondes,  tremble  tou- 
jours  de  m'y  voir  precipit^. 

•  Que  dis-je  I  le  ciel  est  soumis  a  une  etemelle  revolution  qui 
enlraine  et  fait  rouler  les  astres  dans  un  cercle  rapide.  Je  monte 
en  sens  oppose,  resistant  au  mouvement  qui  emporte  tous  los 

Dissuadere  licet.  Non  est  lua  tnta  voluntas. 

llagna  pelis,  Phaethon,  et  quse  nec  viribus  istis 

llunera  conveniant,  nec  tam  puerilibus  annis.  55 

Sors  tua  mortalis ;  non  est  mortale  quod  optas. 

Plus  etiam,  quam  auod  Superis  contingere  fas  sit, 

Nescius  affectas^Haceat  sibi  quisque  licebit ; 

Non  tamen  ignifeco  quisquam  consistere  in  axe 

Mc  valet  excepto.  Vasti  quoque  rector  Olympi,  GO 

Qui  fera  terribili  jaculalur  fulraina  dcxtra, 

.Non  agat  bos  currus;  et  quid  Jove  majus  habomus? 

Ardua  prima  via  est,  et  qua  vix  mane  recentcs 

Enitantur  equi.  Medio  est  altissima  ccelo, 

Unde  mare  et  terras  ipsi  mibi  saipe  videre  Co 

Fit  timor,  et  pavida  trepidat  formidine  pectus. 

Ullinia  prona  via  est,  et  eget  moderamine- ccrlo. 

Tiinc  etiam,  quos  me  subjectis  excipit  undis, 

Ne  ferar  in  prsceps,  Tethys  soiet  ipsa  vereri. 

«  Adde,  qnod  assidua  rapitur  vertigine  coelum,  70 

Sideraque  alta  trahit,  celerique  volumine  torquet. 
Nitor  in  adversum,  nec  me,  qui  caetera,  vincit 


40  METAMOUPIIOSES. 

corps  celestes,  ct  mon  char  s'avance  par  une  route  contraire.  Sup- 
pose  qu'il  te  soit  confie.  Que  feras-tu  ?  Pourras-tu  lutter  contre 
l'impetueux  mouvement  des  pdles  et  de  Taxe  des  cieux?  Peut-etre 
ton  imagination  y  place-t-elle  des  bocages,  des  viUes,  des  maisons, 
des  temples  enrichis  d'offrandes.  Loin  de  la :  partout  des  pi^ges  el 
des  monslres  sauvages.  Lors  mtoe  que  tu  ne  devierais  pas  un 
instant,  il  te  faudra  passer  a  travers  les  cornes  du  taureau  f oume 
du  cote  de  rOricnt,  Tarc  du  Gentaure,  la  gueule  mena^te  du 
Lion,  les  redoutables  pinces  du  Scorpion  qui  embrassent  un  long 
espace,  et  le  Cancer  qui  couvre  Tespace  oppose.  D'ailleurs,  mes 
coursiers,  briiles  par  le  feu  qu'ils  exhalent  de  leurs  poumons,  de 
leur  bouche  et  de  leurs  naseaux,  ne  sont  pas  faciles  a  gouvemer. 
Quand  leurs  esprits  s^echauffent,  a  peine  souffrent-ils  que  je  les 
dirige :  leur  fougue  resiste  au  frein. 

«  Prends  garde,  6  mon  fils!  je  faccorderais  unefuneste  fisivear. 
Puisqu'il  en  est  temps  encore,  modere  tes  desirs.  Pour  fassurer 
que  tu  es  issu  de  mon  sang,  tu  r^clames  un  gage  cerlain :  je  ie 
Taccorde  en  tremblanl,  et  mes  alarmes  paternelles  prouvent  que 
tu  es  mon  fils.  Vois  mon  visage  altrisle!  Que  ne  peux-tu  lire  aussi 

Impelus,  et  rapiiio  contrarius  evehor  orhi. 

Finge  dalos  currus.  Quid  agas?  polerisnc  rolatis 

0))vius  irc  polis,  ne  te  citus  auferat  axis?  75 

Forsitan  et  iucos  illic,  urbesque,  domosque 

Concipias  animo,  dclubraque  ditia  donis 

Esse.  Ver  insidias  iter  est,  formasque  fcrarum; 

Utquc  viam  tencas,  nulloque  errore  iraharis, 

Pcr  tamen  adversi  gradicris  cornua  Tauri,  W) 

Hocmoniosque  arcus,  violentiquo  ora  Leonis, 

Sa^vaque  circuitu  curvantcra  brachia  longo 

Scorpion,  atque  aliter  curvantem  brachia  Cancriim. 

Nec  tibi  quadrupedes  animosos  ignibus  illis,  } 

Ouos  in  pectorc  habent,  quos  ore  et  naribus  efflanl,  X.'i 

In  promptu  regcre  cst.  Vix  mc  paliuntur,  ut  acrcs  ^ 

Incaluereanimi,  ccrvixque  repugnat  habeiiis.  ^ 

«  At  tu,  funesli  ne  sim  tibi  muncris  auclor,  k 

Kate,  cavc ;  dum  resque  sinit,  lua  corrigc  vota.  ^ 

Scilicet,  ut  nostro  genitum  te  sanguinc  crcdas,  00                  w 

Pignora  ccrta  petis ;  do  pignora  ccrta  timendo,  W 

Et  patrio  pater  essc  mctu  probor.  Aspicc  vultus  k. 

Ecce  moos,  ntinamquc  oculos  in  pectora  po«sos  ^'^. 


LIYRE  11.  47 

dans  mon  coeur  pour  y  decouvrir  les  soucis  qui  le  d^vorerit!  Enfin 
jette  ies  yeux  sur  tous  les  biens  du  monde ;  demande  un  des  tre- 
sors  que  renferment  le  ciel,  la  terre  et  la  mer  :  tu  n*^prouvcras 
point  de  refus.  Je  n'excepte  qu'une  seule  chose,  qui,  h  vrai  dire, 
est  moins  un  don  qu*un  chatiment ;  oui,  c'est  un  ch^timent, 
Phaeton,  et  non  une  grace  que  tu  demandes.  Insense !  pourquoi 
meserrer  tendrement  dans  tes  bras  ?  M*en  doute  point,  je  Tai  jure 
par  les  eaux  du  Styx  :  tes  vceux  seront  exauces ;  mais  puissent-ils 
^e  plus  sages !  » 

Tels  furent  ses  deniiers  avis.  Rebelle  a  la  voix  de  son  pere, 
Pbaeton  persiste  dans  sa  resolution  et  brtkle  de  diriger  son  char. 
Apres  avoir  hesite  longtemps,  Apollon  conduit  eniin  son  fils  pres 
dusuperbe  char,  present  de  Vulcain.  L'essieu,  le  timon  et  le  con- 
toor  des  roues  ^taient  d*or,  et  les  rayons  d'argent.  Des  topazes  el 
des  pierreries  semees  avec  art  sur  le  joug  refl^chissaient  le  vif 
eclat  dtt  Soleil.  Tandis  que  Tambitieux  Phaeton  admirait  la  mer- 
veilleuse  beaute  de  Touvrage,  soudain  rOrient  s'empourpre  defeux, 
etlavigilante  Aurore  ouvre  les  portes  de  son  palais  jonche  de  roses. 
Les  ^toiles  fuient ;  Lucifer  rassemble  ieur  essaim,  et  dispai*ait  le 

Inserere,  et  patrias  intus  deprendere  curasl 

Denique,  quidquid  habet  dives,  circumspice,  mundus ;       93 

Eque  tot  ac  tantis  coeli,  terraeque,  marisque 

Posce  bonis  aliquid  :  nuUam  patiere  repulsam. 

Deprecor  hoc  unum,  quod  vero  nomine  poena, 

Non  honor  est;  poenam,  Phaethon,  pro  munere,  poscis. 

Quid  mea  colla  tenes  blandis,  ignare,  iacertis?  100 

Ne  dnbita,  dabitur,  stygias  juravimus  undas, 

Ouodcumque  optaris;  sed  tu  sapientius  opta.  » 

Finierat  monitus.  Dictis  tamen  ille  repugnat, 
Propositumque  tenet,  flagratque  cupidine  currus. 
Ergo,  qua  licuit,  genitor  cunctatus,  ad  altos  lOf) 

Deducit  juvenem,  vulcania  munera,  currus. 
Aureus  axis  erat,  temo  aureus,  aurea  summae 
Curvatura  rotae ;  radiorum  argenleus  ordo. 
Per  juga  chrysolithi,  positxque  ex  ordine  geromse, 
Clara  repercusso  reddebant  lumina  Phoebo.  liO 

Dumque  ea  magnanimus  Phaethon  miratur,  opusque 
Perspicit,  ecce  vigil  rutilo  paterecit  ab  ortu 
Purpureas  Aurora  fores,  et  plena  rosarum 
Atria.  Diffugiunt  stelle,  quarum  agmina  cogft 


48  M^TAMORPHOSES. 

dernier  de  la  voAle  6theree.  ApoUon  voit  la  terre  et  le  ciel  etinceler 
de  rubis,  et  la  lune  effacer  jusqu'aux  extremiles  de  son  croissant. 
Aussit6t  il  commande  aux  Ileures  agiles  d^atteler  ses  coursiers. 
Dociles  a  ses  ordres,  les  promptes  messageres  d^tachent  de  leur 
cr^che,  pour  les  soumetlre  au  frein,  les  coursiers  vomissant  la 
filamme  et  repus  d'ambroisie.  Le  dieu  repand  alors  une  essence 
divine  sur  le  front  de  son  fils,  afin  qu'il  puisse  supporter  les  bru- 
lantes  atteintes  du  feu,  et  couronne  sa  tele  de  rayons.  Puis,  laissant 
^happer  de  nouveau  des  soupirs  qui  presagent  son  deuil,  il  re- 
prend  ainsi : 

«  Maintenant,  du  moins,  si  tupeux  suivre  les  conseils  d'un  p^re, 
m^nage  Taiguillon,  6  mon  fils !  et  serre  fortement  les  rSnes.  Mes 
coursiers  se  pr^ipitent  d'eux-m6mes ;  la  difficulte  est  de  mod^rer 
leur  ardeur.  £vite  de  diriger  ta  route  le  long  de  la  ligne  qui  coupc 
les  cinq  zones.  Trac^  en  ligne  oblique  et  formant  une  large  courbct 
un  sentier  s'ouvre,  circonscrit  dans  les  limites  des  trois  wmes  dii 
milieu.  Fuis  le  p61e  austral  ainsi  que  rOurse  unie  aux  aquilons, 
et  marche  dans  cette  voie.  Les  roues  de  mon  char  y  ont  laiss^.  une 
visible  empreinte.  Si  tu  veux  dispenser  au  ciel  et  a  la  terre  wie 


Lucifer,  et  cceli  slatione  novissimus  exit.  1 IH 

At  pater  ut  terras,  mundumque  rubescere  vidit, 

Cornuaque  extremse  velut  evanescere  lunsB, 

Jungere  equos  Titan  velocibus  imperat  Horis. 

Jussa  desB  celeres  peragunt;  ignemque  vomentes, 

Ambrosiae  succo  saturos,  praesepibus  altis  l^ 

Quadrupedes  ducunt,  adduntque  sonantia  frena. 

Tum  pater  ora  sui  sacro  medicamine  nati 

Contigit,  et  rapidse  fecit  patientia  flammae; 

Imposuitque  comae  radios,  praesagaque  luclus 

Pectore  soUicito  repetens  suspiria,  dixit :  ^^t 

«  Si  potes  hic  saltem  monitis  parere  palernis, 
Parce,  puer,  stimuHs,  et  fortius  utere  loris. 
Sponte  sua  properant;  labor  esl  inhiberc  volantes. 
Nec  tibi  directos  placeat  via  quinquc  per  arcus. 
Sectus  in  obliquum  est  lalo  curvamine  limes,  1S0 

Zonarumque  trium  contentus  fine,  polumque 
EfTugito  australem,  junctamque  aquilonibus  Arclon. 
Hac  fit  iter;  manifesta  rotae  vestigia  cerncs. 
Vtque  ferant  requos  et  cnelum  et  terra  calores, 


LIVRE  II.  49 

egale  chaleur,  maintiens  le  char  dans  un  juste  degre  d'el^va- 

tion.  Trop  haut,  tu  embraserais  le  ciel ;  trop  bas,  tu  incendie- 

rais  la  terre.  Le  chemin  le  plus  sur  est  entre  les  deux  extr^mes. 

Prends  garde  que  le  char  ne  t  emporte  a  droite  dans  les  noeuds 

da  Serpent,  et  a  gauche  vers  la  region  inclin^e  de  rAutel. 

Resle  k  une  egale  distance  de  ces  deux  constellations.  Je  confie 

le  reste  a  la  Forlune.  Puisse-t-elle  se  montrer  propice  et  veiller 

mienx  que  f oi  sur  tes  jours !  Tandis  que  je  te  parle,  la  Nuit  hu- 

mide  est  parvenue  aux  coniins  de  l'Hesperie.  Nous  ne  pouvons 

plostarder.  On  nousattend.  Le  flambeau  de  TAurore  a  dissip^  les 

ten^bres.  Saisis  les  r^nes,  ou  plut6t,  si  ta  r^solution  n'est  pas  in^ 

branlable,  profile  de  mes  nvis.  et  renonce  amon  char,  tandis  que 

ta  le  peux,  landis  que  tes  pieds  foulent  encore  la  terre  el  que  (u 

n'es  pas  encorc  dans  le  char  ou  fappelle  un  d^ir  insense.  Gon- 

tente-toi  de  jcuir  en  surete  de  la  lumiere,  et  laisse-moi  la  dispen- 

seraumonde. »  Phaethon,  avec  toute  la  fougue  de  la  jeunesse,  s'e- 

lance  sur  le  char  l^er  et  s'y  tient  debout.  II  se  plait  k  manier  los 

r^es  qui  lui  sont  confiees,  et  rend  gr&ces  a  son  p^re,  qui  lui  c^dc 

a  regret. 

Gependant  les  rapides    coursiers   du  Soleil,  Pyroeis,  fious, 

Nec  preme,  nec  summum  molire  per  flethera  currum."       135 

Allius  egressus,  coelestia  tecta  cremabis; 

Inferius,  terras:  medio  tutissirous  ibis. 

Neu  te  dexterior  tortum  declinet  in  Anguem, 

Neve  sinisterior  pressam  rola  ducat  ad  Aram. 

Inter  utrumque  tene.  Fortun»  csetera  mando ;  1 10 

Quae  juvet,  et  melius,  quam  tu  tibi,  consulat,  opto. 

Dum  loquor,  hesperio  positas  in  littore  melas 

Humida  nox  tetigit.  Non  est  mora  libera  nobis. 

Poscimur  :  effulget  tenebris  Aurora  fugatis. 

Corripe  lora  manu ;  vel,  si  mutabile  pecius  \  i*i 

Est  tibi,  consiliis,  non  curribus,  utere  nostris, 

Dum  potes,  ct  solidis  etiamnum  sedibus  adstas, 

Diimque  male  optatos  nondum  premis  inscius  axes. 

Qus  tutus  spectes,  sine  me  dare  lumina  terris.  » 

Occupat  iile  levem  juvenili  corpore  currum,  i:;0 

Statque  super,  manibusque  datas  contingere  habcnas 

Gaudet,  et  invito  grates  agit  inde  parenti. 

Interea  volucres  Pyroeis,  Eous,  et  ^thon, 


50  METAMORPHOSES. 

fithon  et  Phl^gon,  vomissant  la  flamnie,  remplissent  Fair  de 
Jeurs  hennissements,  et  frappent  de  leurs  pieds  les  barri^res.  A 
peine  T^thys,  ignorant  la  destinee  de  son  petit-fils,  les  a-t-elle 
ecartees  pour  leur  ouvrir  un  champ.libre  dans  l'immensit6  des 
cieux,  que  soudain  ils  prennent  leur  essor.  Balances  dans  les  airs, 
Jeurs  piedsfendent  les  nues,  et,  portes  sur  leurs  ailes,  ils  devan- 
cent  ies  vents  sortis  de  la  meme  region.  Mais  le  char  etait  leger; 
Jes  coursiers  ne  pouvaient  le  reconnaitre ;  le  joug  n'avait  plus  son 
poids  ordinaire.  Comme  on  voit  vaciller  un  navire  qui  manque  du 
Jest  convenable,  comme  il  erre  sur  les  ondes,  ballotte  sans  cesse  a 
causede  sa  trop  grande  legerete;  le  char  du  Soleil,  prive  de  son 
poids,  bondit  auhaut  des  airs.  A  ses  profondes  secousses,  on  dirait 
un  char  vide.  Des  que  les  coursiers  s'en  aperQoivent,  ils  se  preci- 
pitent,  abandonnent  le  sentier  battu,  et  ne  courent  plus  dans 
i'ordre  accoutume.  Phaethon  fremit :  il  ne  sait  de  quel  c6te  tour- 
ner  les  r^nes  contiees  a  ses  soins ;  il  ne  connait  point  sa  route ; 
et,  quand  il  la  connaitrait,  pourrait-il  commander  aux  cour- 
siers  ?  Alors,  pour  la  premiere  fois,  les  Trions,  toujours  giac^s, 
s'echaufferent  aux  rayons  du  soleil,  et  voulurent,  mais  en  vain 
se  plonger  dans  les  flots  qui  leur  sont  interdits.  Place  pr^s  du  p6lc 

Solis  equi,  quartusque  Phlegon,  hinnitibus  auras 
Flammiferis  implent,  pedibusque  rcpagula  pulsant.  ibS 

Qusc  postquam  Telhys,  fatorum  ignara  nepotis, 
Rcppulit,  ct  facta  est  immensi  copia  raundi, 
Corripuere  viam,  pedibusque  per  aera  motis 
Obstantes  fmdunt  nebulas,  pennisque  levati 
Pnctereunt  ortos  isdem  de  partibus  Euros.  IGO 

•    Sed  leve  pondus  erat,  nec  quod  cognoscere  possent 
Solis  equi,  solitaque  jugum  gravitate  carebat. 
Utque  labant  curv»  justo  sine  pondere  naves, 
Perque  mare  instabiles  nimia  levilatc  feruntur; 
Sic  onere  insueto  vacuos  dat  in  aera  saltus,  165 

Succutilurque  alte,  similisque  est  currus  inani. 
Quod  simul  ac  sensere,  ruunt,  tritumque  relinquunt 
Quadrijugi  spatium,  nec,  quo  prius,  ordine  currunt. 
Ipse  pavet,  nec  qua  commissas  flectat  babenas, 
Nec  scit  qua  sit  iter;  nec,  si  sciat,  imperet  illis.  170 

Tum  primum  radiis  geUdi  caluere  Triones, 
Et  vetito  frustra  tentarunt  aiquore  tingi. 
Quoique  polo  posita  est  glaciuli  proxima  Serpens, 


LITRt  11.  51 

ghdit^  16  Serpettt.  jiuqiieAttigourdi»  sans  dangerpowrpanoniie, 
pun  dniii  h  dbiriemr  me  foreor  noinreUe.  Toi  ansii,  Bouner,  ta 
fenAni,  diURr,  d'efM,  iiudgr^talento^ 
1—t  da  eiet,  le  malhenrenr  Pha&thoa  toU  la  Aerre  a'diendre  an  loin 
daai  an  borison  Httmaaae.  D  pAlit;  ses  genonz  tremblent  aou* 
diiavet;  dangtm  oc^  de  lumidre,  les  ttoihres  oomrait  ses 
|ieox«Oh!  qii*fltOadraitn*aveirjarafflsguid61esoonrRende8oa 
pte!  Qa*il  regr^  de«onnaltre  son  origine  et  d^annr  cd>t«Qa  sa 
deBandel  H  aanendt  bien  mieux  ^tre  appel6  fila  de  lUrof».  li 
err^  tel  qa**nn  vaisaeau  emportd  par  le  souHQe  imp^turax  de 
Bdrfe,  qoMid  le  fSk\e  famcu  abandonne  le  gou?email,  secon- 
iHit  onx  dieiix  et  ii  des  pri^.  Que  dpit^l  iaire?  Derri^  lui  se 
ma«e  tm  grand  espaoe  des  cieax  d&jk  paiGOuro;  deyant  lui,  un 
eipiee  pb»  grand  eooore :  sa  p^s^  les  mesure  IHm  et  rautre. 
VMitOt  il  rcgarde  le  conchant,  que  le  Destin  ne  lui  permet  pas 
d^Mlflindre ;  tantdt  il  jette  les  y«ix  ms  Torient.  Qud  parti  pren» 
i|ret  ii  rig^MNre,  et  resteiinm<daleid'drroi.  D  ne  peut  ni  Ikfe^  ni 
aemr  le  freih;  n  ne  sait  paa  mtoie  le  nom  des  ooursiers.  Mille 
ptfodigcs  ^pars  {^  et  Ui  dans  les  diverses  n^ions  du  ciel  et  dcs 
inonstres  ^ormes  le  glacent  de  frayeur. 

Frigore  pigra  prius,  nec  formidabiUs  ulli, 

Uie&ltiii,  sump;$itque  novas  ferroribus  iras.  175 

Te  quoque  turbatum  memorant  fugisse,  Boote, 

QaamYis  tardus  eras,  et  te  tua  plaustra  tenebant. 

Ul  vero  snmmo  despe&it  ab  ethere  terras 

Infelix  Phaethon,  penilus  penitustfue  jacentes, 

Palluit,  ei  subito  genua  inUremuere  timore,  IHO 

Sontque  oculis  tenebrm  per  tantum  lumen  obortao. 

Et  jam  mallet  equos  nunquam  tetigisse  paternos, 

Jamque  agnosse  genus  pigel,  el  valuisse  rc^ando; 

Jam  Meropis  dici  cupicns,  ita  ferlur,  ut  acta 

Praecipiti  pinus  Borea,  cui  victa  remisit  185 

Frena  snus  rector,  quam  dis  votisquie  reliquit. 

Quid  faciat?  multum  coeli  post  terga  relictum, 

Ante  oculos  plus  est ;  animo  metitur  ulruraque. 

Et  modo,  quos  illi  fato  contingere  non  est, 

Prospicit  oc^sus ;  interdum  respicit  ortus,  ^OO 

Quidque  agat  ignarus,  stupet;  et  nec  frona  remiltit.. 

Kec  retinere  valet;  nec  nomina  novit  oquornm. 

Sparsa  quoque  iu  vario  passim  miracula  ccelo, 

Vasitarumque  videt  trepidus  simnlacra  ferarum. 


^ 


52  MfiTAMORPHOSES. 

11  est  un  Heu  ou  les  bras  du  Scorpion  s*arrondissent  en  arc.  Sa 
queue  et  ses  pinces  flexibles  couvrent  Tespace  de  deux  signes. 
Tout  degouttant  d'un  noir  venin,  et  pret  k  donner  la  mort  de  son 
dard  recourb^,  il  s'offre  aux  yeux  de  Phaethon.  Hors  de  lui  et 
frissonnanl  d'epouvante,  le  jeune  homme  lache  les  rSnes.  IMs 
que  les  coursiers  les  ont  senties  ilolter  sur  leurs  flancs,  ils  er- 
rent  a  Taventure.  Degages  du  frein,  ils  se  jeltent  dans  des  regions 
jusqu'alors  inconnues,  et  se  precipitent  ou  leur  fougue  les  en- 
traine.  IIs  bondissent  jusqu'aux  astres  dissemines  dans  les 
celestes  espaces,  et  emportent  le  char  a  Iravers  les  abimes. 
Tanl6t  ils  s'elancent  au  haut  de  rEmpyree;  tant6t,  deprecipice 
en  precipice,  ils  tombent  dans  les  r^gions  qui  avoisinent  la  terre. 
La  Lune  voit  avec  surprise  au-dessous  de  ses  coursiers  courir  ceux 
du  Soleil.  Les  nuages  embras^s  s'exhalent  en  fumee;  le  feu  d^ 
vore  les  sommets  les  plus  eleves;  la  terre  s'enlr'ouvre,  sa  surface 
se  dess^che,  les  paturages  blanchissftnt,  les  arbres  s'enflamment 
ayec  leur  feuillage,  et  les  moissons  arides  fournissent  raliraent 
de  leur  ruine  au  feu  qui  les  consume. 

Cest  peu  :  remparts,  dtes,  peuples,  regions,  for^ts,  monlji- 

Esl  locus,  in  geminos  ubi  brachia  conmat  arcus         195 
Scorpios,  et  cauda  flexisque  utrimque  lacerlis, 
Porrigit  in  spatium  signorum  membra  duorura. 
Hunc  puer  ut  nigri  madidum  sudore  veneni 
Vulnera  curvata  minitantem  cuspide  vidit, 
Mentis  inops,  gelida  formidine  lora  remisit.  200 

QuiB  postquam  summum  tetigere  jacentia  lergum, 
Exspatiantur  equi,  nuUoque  inhibente  per  auras 
Ignotac  regionis  eunt,  quaque  impetus  egit, 
Hac  sine  lege  ruunt,  altoque  sub  sthere  fixis 
Incursant  stellis,  rapiuntque  per  avia  currum ;  205 

Et  modo  summa  petunt,  modo  per  de^liva  viasquc 
Praecipites  spatio  terrae  propiore  ferunlur; 
Inferiusque  suis  fraternos  currere  Luna 
Admiratur  equos,  ambustaquc  nubila  fumant. 
Corripitur  flammis,  ut  quseque  altissima,  lellus,  210 

Fissaque  agit  rimas,  et  succis  aret  adcmptis. 
Pabula  canescunt,  cum  frondibus  uritur  arbos, 
Materiamque  suo  prmbet  seges  arida  damno. 

Parva  quoror  :  magnse  pereunt  cum  moenibus  urbcs. 


LIVAS  II.  S3 

gB6i^  foul  pMt,  t0iii  ert  rddoit  ea  oendrM,  toat  jette  des  flam- 
mm.  Vmeeodm  dkme  rAthos;  le  Taorai  <iiii  fravene  la  Gilicie, 
le  laioiiis»  llBa,  ricb  nudnteDant  aride,  et  jiiaqa^alorB  oa^bre 
pvaei  aoQRsei lidooiides;  l^H^lioni,  a^oiir  des  diastes  Ihiaes,  et 
nitans»  «iqiiel  (Eagre  n^amit  pas  enoore  donn§  son  nom.  Les 
km  db  cid  aogmentent  aans  mesore  le  ifolcan  de  l^Etna;  ils 
brtknt  le  PMiaSse  aa  donble  fhntf ,  l^feryx,  le  Gyntfae,  IDthrjfs,  le 
Xbodope»  d£gag6  enfin  de  ses  ndges»  le  MiAias,  le  IMndyme,  le 
IfcrieelleGlth^ron,  destind  aox  fiMes  de  Bacdras.  La  Scythiene 
tr(iQie  point  nne  saavQgarde  dans  ses  frimas.  Les  flanunes  en?a~ 
le  Oanciw,  lt)m»  le  Findie  et  r(Hympe  qai  s^^i^e  ao- 
dea  deaz,  les  Alpes  dont  ladme  se  perd  dans  les  airs,  et 
ks  Apennins  cpii  fendent  les  noes. 

FhiMMm  ^  rineaMlie  s*£taidre  anx  qoatre  eoins  dn  monde, 
et  ne  peat  en  sioutaiir  les  Tiolentes  atteintes.  II  respire  on  air 
enibni6,  oomme  B'il  sortmtdHmefoornaiseprofoiuleyetsentqne 
BOD  diar  est  en  luroie  anx  flammes.  Enfin  les  cendres  et  les  ^n- 
ceHesqai  tolent  antoar  de  lai  ^aisont  ses  forces,  et  one  ftim£e 
«dente  renvkomie  de  toutes  parts.  H  ne  sait  oik  il  est  ni  oA  il  ?a, 
an  miliea  des  ^paisses  t^n^bres  qui  renyeloppent,  et  se  laisse 

Camqne  snis  totas  popnlis  incendia  gentes  215 

In  cmerem  Tertunt;  silve  cnm  monlibns  ardent. 

Ardet  Atbos,  Taurnsqne  cilix,  et  Tmolns,  et  (Ete; 

Bt  nnnc  sieea,  prius  celdierrima  fontibns,  Ide; 

TirgineDsqne  Helicon,  et  nondnm  ceagrins  Hsemos. 

Aidet  in  immensum  geminatis  ignibus  £tne,  220 

PiniaaMisqne  bioq»,  et  Eryz,  et  Gynthns,  et  Othrys,  ^ 

Et  tandem  Rhodope  nivibns  caritura,  Mimasque, 

Dindymaque,  et  Hycale,  natnsque  ad  sacra  CilhaBron. 

Nec  prosunt  Scythiae  sua  frigora.  Caucasus  ardet, 

Ossaque  cum  Pindo,  majorque  ambobus  Olympus;  2^5 

Aerisque  Alpes,  et  nubifer  Apenninus. 

Tunc  vero  Phaethon  cunctis  e  partibus  orbem 
Aspicit  accensum,  nec  tantos  suslinet  lestus; 
Ferrentesque  auras,  velut  e  fornace  profunda, 
Ore  trahit,  cumisque  suos  candescere  sentit.  2^) 

Et  noque  jam  cineres,  ejectatamque  favillara 
Perre  potest,  calidoque  invoWitur  undique  fumo ;  ' 

Qnoque  eat,  aut  ubi  sit,  picea  caligine  tectus. 


5i  METAMORPIIOSES. 

emporter  au  gre  des  rapides  coursiers.  Alors,  dit-on,  le  sang 
lire  a  la  surface  du  corps  donna  aux  Ethiopiens  une  couleur 
b^ne.  La  Libye  perdit  ses  sources  par  cet  embrasement.  Les  N 
phes,  les  clieveux  epars,  pleurerent  leurs  fontaines  et  leurs  ] 
La  B^otie  chercha  Dirce;  Argos,  Amymone;  Ephyre,  les  source 
Krene.  Les  fleuves  dont  la  nature  a  separe  les  rives  par  un  1 
lit  ne  furent  pas  a  Fabri.  Le  Tanais  vit  fumer  ses  ondes,  ainsi 
le  vieux  Penee,  le  Caicus,  voisin  du  mont  Teuthrante,  le  ra 
Ism^nus,  r£rymanthe  qui  baigne  Psophis,  le  Xanthe  destine  i 
nouvel  embrasement,  les  eaux  dorees  du  Lycormas,  le  M^i 
qui  se  joue  dans  son  lit  sinueux,  le  Melas  que  boivent  Ics  1! 
dons,  et  TEurotas  qui  baigne  le  Tenare.  Alors  s^enflamme: 
TEuphrate  qui  arrose  Babylone,  rOronte,  Timp^tueux  Ther 
don,  le  Gange,  le  Phase  et  Tlster.  L'AIphee  bouillonna,  et 
rives  du  Sperchius  s'embras^rent.  Les  flammes  fondirent  Tor 
roule  le  Tage.  Dans  la  Meonie,  sur  les  rives  mtoes  .qu  ils  faisa 
retentir  de  leurs  chants,  les  cygnes  qui  peuplent  le  Caystre  p 
rent  au  milieu  de  ses  ondes  brulantes.  Le  Nil  epouvante  s'en 
aux  confins  du  monde,  et  cacha  sa  source,  qui  reste  encore  inc 

Nescit,  et  arbitrio  volucrum  raptalur  equorum. 

Sanguinc  tum  credunt  in  corpora  summa  vocato,  235 

iEthiopum  populos  nigrum  traxisse  colorem. 

Tum  facta  est  Libye,  raplis  humoribus  aestu, 

Arida;  tum  Nymyhsc  passis  fontesque,  lacusque 

Deflevere  comis.  Quaerit  Boeotia  Dircen, 

Argos  Amymooen,  Ephyre  pirenidas  undas.  240 

Nec  sortila  loco  distantes  flumina  ripas 

Tuta  manenl.  Mediis  Tanais  fumavit  in  undis, 
•Pcneosque  senex,  teuthrantcusque  Caicus, 

Et  celer  Ismenos,  cura  psophaico  Erymantho, 

Arsurusque  ilcrum  Xanthus,  flavusquc  Lycormas,  245 

Quique  recurvatis  ludit  Maeandros  in  undis, 

Mygdoniusquc  Melas,  ct  tsenarius  Eurotas. 

Arsit  et  Euphrates  babylonius,  arsit  Orontes, 

Thermodonque  citus,  Gangesque,  et  Phasis,  et  Istor. 

iEstual  Alpheos ;  ripae  spercheides  ardent;  250 

Quodque  suo  Tagus  amne  vehit,  fluit  ignibus,  aurum; 

Et  quffi  maconias  celebrarant  carmine  ripas, 

Flumineae  volucres  medio  caluere  Caystro. 
•  Nilus  in  extremum  fugit  perterritus  orbera, 

Occuluitquc  caput,  quod  adhuc  latct;  oslia  seplem  2S5 


LIVRE  II.  55 

nue.  Les  sept  bouches  de  ce  fleuve  dessecho  se  transformerent  en 
sept  vall^s  sans  eau.  Le  m^me  incendie  consuma,  autour  de 
rismarus,  IH^bre  et  le  Strymon,  et,  dans  rHesp^rie,  le  Rhin,  lo 
Rh6iie,  le  P6  et  le  Tibre,  appele  a  tenir  Tunivers  sous  ses  lois. 
Bartout  la  terre  fut  sillonnee  de  fentes,  au  travers  desquelles 
pen^tra  jusqu'au  Tartare  la  clart^  du  jour  qui  epouvanla  le  tyran 
des  ombres  et  sacompagne.  La  mer  se  resserra.  Les  c5tes  qu'elle 
couvrait  devinrent  des  plaines  de  sable  aride.  Les  montagnes, 
jQsqu^alors  cachees  sous  les  eaux,  surgirent,  et  augment^rent  le 
noinbre  des  Gyclades  eparses  ga  et  la.  Les  poissons  se  refugierent 
m  fond  des  abimes ;  les  dauphins  n'oserent  plus  elever  au-dessus 
des  flots  leur  croupe  recourbee,  ni,  suivant  leur  coutume,  bondir 
dans  les  airs;  les  phoques,  couches  sur  leur  dos,  flotterent  sans 
lie  k  to  surla^  de  l^yper.  Neree  lui-meme,  dit-on,  ainsique  Doris 
et  ses"mtes"se  cacbirent  dans  leurs  antres  briilants.  Trois  fois 
Rqitane,  le  front  liiena^ant,  voulut  montrer  ses  bras  au-dessus 
des  eaux ;  trois  fois  il  ne  put  supporter  le  contact  de  Tair. 

Cependant  la  Terre,  qu'entoure  rOcean,  placee  entre  les  eaux 
de  la  mer  et  les  sources  appauvries  des  fleuves  qui  s'etaient  caches 
dans  les  entrailles  de  leur  mere,  eleve  au-dessus  des  flols  sa  tete 


Pulverulenta  vacant,  septem  sinc  flumine  valles. 

Fors  cadem  ismarios  Ilebrum  cum  Slrymono  siccat, 

Hesperiosque  amncs,  Rhenum,  Rhodanumque  Padumque, 

Cuique  fuit  rcrum  promissa  potentia,  Tibrim. 

Dissilitomne  solum,  penetratque  in  Tarlara  rimis  2G0 

Lumen,  et  infernum  terret  cum  conjuge  rcgem. 

Et  mare  contrahitur,  siccaequc  est  campus  arenae, 

Quod  modo  pontus  eral;  quosque  altum  texerat  sequor, 

Exsistunt  montcs,  et  sparsas  Cycladas  augcnt. 

Ima  petunt  pisccs,  ncc  se  super  a^quora  curvi  SG5 

ToUere  consuetas  audent  delphines  iii  auras. 

Corpora  phocarum  surnmo  resupina  profundo 

Exanimala  jacent.  Ipsum  quoque  Nerea  fama  est, 

Doridaque,  ct  natas,  tepidis  laluisse  sub  antris. 

Ter  .\eplunus  aquiscum  torvo  brachia  vultu  5,70 

Exserere  ausus  erat,  tcr  non  tulit  aeris  ajslus. 

Alma  tamen  Telhis,  ut  eral  circumdata  ponto, 
Inter  aquas  pelagi.  conlraclosque  undiquc  fontos, 
Qui  .16  condidpraiit   n  opaca?.  viscera  malris, 


50  MBTAMORPHOSES. 

naguere  si  fecondo  et  maintenant  aride.  Elle  met  sa  main  devant 
son  front.  Par  une  forte  secousse  qui  Febranle  jusqu'en  ses  fon- 
dementSy  elle  s^abaisse  d'un  degre  au-dessous  de  sa  place  ordi- 
naire,  et  d'une  voix  alteree  elle  exliale  ces  plaintes  :  «  Souverain 
maitre  des  dieux,  si  telle  est  ta  volonte,  si  j'ai  merit^  mon  mal- 
heur,  pourquoi  ta  foudre  reste-t-elle  oisive?  Destinee  a  p^rir  par 
le  feu,  puiss6-je  perir  par  le  tien !  Je  me  consolerais  de  succomber 
sous  les  coups  d'un  pere.  A  peine  ma  bouche  peut-elle  proferer 
ces  paroles  (la  chaleur  etouffait  sa  voix).  Regarde  mes  cheveux 
consum^s  par  la  flamme;  regarde  mes  yeux  et  ma  bouche  inondes 
de  cendres  brdlantes.  Yoila  donc  ma  r^compense !  Voiia  le  prix  de 
ma  fi&condit^  et  de  mes  largesses!  moi  qui  Jaisse  dechirer  mon 
sein  par  le  soc  et  la  herse !  moi  qui  souffre  mille  douleurs  durant 
toute  Tann^e !  moi  qui  dispense  aux  troupeaux  le  feuillage,  aux 
mortels  une  nourriture  bienfaisante  et  aux  dieux  Fencens !  Sup- 
pose  que  j'aie  merite  ce  desastre :  mais  les  flots  et  ton  frere  ront- 
ils  merite?  Ppurquoi,  placees  sous  son  trident  par  Tarr^t  du  Des- 
tin,  les  mers  retrecies  voient-elles  leurs  ondes  refoul^es  siloindu 
c6leste  parvis?  Si  ton  frere  ni  moi  nous  ne  pouvons  te  fl^hir, 
songe  du  moins  au  ciel,  ton  domaine.  Regarde  de  Tune  k  Tautre 

Sustulit  o(nniferos  collo  tenus  arida  vultus ;  275 

Opposuitque  manuni  fronti,  magnoque  trcmore 

Omnia  concutiens  paulum  subsedit,  et  infra, 

Quam  solet  esse,  fuit,  siccaque  ita  voce  locula  csl : 

«  Si  placet  hoc  meruique,  quid,  o,  tua  fulmina  cessnnt, 

Summe  deum?  Liceat  periturse  viribus  ignis  !280 

Igne  perire  tuo,  clademque  auctore  levare. 

Vix  equidem  fauccs  hsec  ipsa  in  verba  resolvo 

(Presserat  ora  vapor);  tostos  en  aspice  crines, 

Inque  oculis  tantum,  tantum  super  ora  favillae. 

Hosne  mihi  fructus,  hunc  ferlililatis  honorem  28?i 

OflQciique  refers,  quod  adunci  vulnera  aratri, 

Rastrorumque  fero,  totoque  exerceor  anno? 

Quod  pecori  frondes,  alimentaque  mitia,  fruges, 

flumano  generi,  vobis  quod  tura  ministro? 

Sed  tamen  exitium  fac  me  meruisse;  quid  undaR,  290 

Quid  meruit  frater?  Cur  illi  tradita  sortc 

^quora  decrescunt,  et  ab  aelhere  longius  absunl? 

Quod  si  nec  fratris,  nec  te  mea  gratia  tangit, 

At  coeli  miserere  tui.  Circumspicc  utrumquc : 


LIVRE  II.  57 

extremite  :  aux  deux  p61es  s'el^ve  ia  fuiiiee  de  iincendie.  Si  ie 
feu  les  consume,  ton  palais  va  crouler.  Atlas  lui-mSme  chan- 
celle :  a  peine  ses  epaules  soutiennent-elles  Taxe  du  monde  blan- 
cbi  par  la  flamme.  Si  les  mers,  si  la  terre  et  le  palais  des  cieux 
perissent,  nous  allons  retomber  dans  Tancien  Chaos.  Derobe  aux 
mages  du  feu  ce  qui  reste  encore,  et  Yeille  au  salut  de  l'uni- 
Ters.  »  Eile  dit,  et,  ne  pouvant  plus  supporter  la  chaleur  ni 
parler  davantage,  elJe  retire  sa  t§te  dans  son  propre  sein  et  la 
cadie  dans  des  antres  voisins  de  Tempire  des  ombres. 

Le  suprSme  arbitre  du  monde  prend  a  temoin  les  dieux  et  Phe- 
bns  meme,  qui  avait  confie  son  char  a  Phaethon,  que  tout,  s*il  ne 
previent  ce  desastre,  vasuccomber  au  plus  cruel  destin.  II  se  rend 
dans  la  plus  haute  region  du  ciel  d'ou  il  se  plait  a  couvrir  la  terre 
de  nuages,  a  faire  gronder  le  tonnerre  et  k  lancer  la  foudre.  Mais 
ilne  trouve  point  de  nuees  dont  il  puisse  envelopper  la  terre,  plus 
de  torrents  qu'il  puisse  faire  descendre  du  ciel.  II  tonne,  et,  ba- 
laDQant  la  foudre  a  la  hauteur  de  son  front,  il  en  frappe  rimpru- 
dent  conducteur,  lui  enleve  a  la  fois  la  vie  et  le  char,  et  eteint  dans 
la  ilanune  les  ravages  de  Fincendie.  Lafrayeur  egare  les  coursiers. 

Fumat  uterque  polus ;  quos  si  viliaverit  ignis,  29o 

Atria  veslra  ruent.  Atlas  en  ipse  laborat, 

Yixque  suis  humeris  candentem  sustinet  axcm. 

Si  frela,  si  terrae  pereunt,  si  regia  cGeli, 

In  Chaos  antiquum  confundimur.  Eripe  flammis, 

Si  quid  adhuc  superest,  et  rcrum  consule  sumpiac.  »        300 

Dixerat  hxc  Tcllus ;  neque  enim  tolerare  vaporcm 

Ulterius  potuit,  nec  diccre  plura,  suumquc 

Rcttulit  os  in  se,  propioraquc  Hanibus  antra. 

At  Palcr  omnipotens  Superos  tcstalus,  et  ipduui 
Qui  dedcrat  currus,  nisi  opem  fcrat,  omnia  falo  505 

luteritura  gravi.  Summam  pctit  arduus  arceni, 
Unde  solet  lalis  nubes  inducere  tcrris, 
Unde  moTct  tonitrus,  vibrataque  fulmina  jaclat. 
Sed  neque,  quas  possct  tcrris  inducere,  nubes 
Tunc  habuit,  nec,  quos  cobIo  dimitleret,  imbrcs.  510 

Intonat,  et  dextra  libratum  fulmen  ab  aurc 
Misit  in  aurigani,  pariterque  animaque  rolisquc 
Expulit,  et  sajvis  compescuit  ignibus  ignes. 
Gonsleraanlur  cqui,  ct,  saltu  in  conlraria  fuclo, 


58  MKiAMOllPllOSES. 

Ils  bondissent  en  sens  contraire,  derobent  leur  t6te  au  joug,  bri- 
sent  les  rSnes  et  s'en  delivrent.  Ici  git  le  frein,  la  Tessieu  arrache 
du  timon,  ailleurs  les  rayons  des  roues  fracassees,  plus  loin  les 
debris  du  char  qui  vole  en  eclats.  Pha^lhon,  la  chevelure  en  flam- 
mes,  roule  dans  un  tourbillon  de  feu.  Une  longue  trainee  lumi- 
neuse  marque  sa  chute  au  sein  des  airs.  Ainsi  tombe  ou  sembte 
quelquefois  tomber  une  etoile  sous  un  ciel  sans  nuages.  Le  ma- 
jestueux  Eridan  le  re^oit,  loin  de  sa  patric,  dans  rh^misphere  op- 
pose,  et  baigne  dans  ses  ondes  son  visage  fumant. 

Les  Nymphes  de  rHesperie  deposerent  dans  un  tombeau  son 
corps  noirci  par  la  foudre,  et  inscrivirent  ces  vers  sur  le  marbre : 

Ici  de  Pha^thon  tti  vois  le  monument. 
Infortune  martyr  d'unc  ardeur  temcraire, 
S'il  ne  pul  diriger  les  coursicrs  de  son  pcre; 
Dans  son  projet  du  moins  ii  perit  noblement. 

Son  pere,  plonge  dans  la  douleur,  couvrit  son  front  d'un  voile  fu- 
nebre.  Si  Ton  en  croit  la  renommee,  un  jour  s'ecouIa  sans  soleil, 
et  n'eut  d'autre  clarte  que  celle  de  rincendie.  Ce  ddsastre  eut  ainsi 
son  utilite.  Glymene  d'abord  exhale  toutes  les  plaintes  que  peut ' 
inspirer  une  pareille  catastrophe.  Puis,  en  habits  de  deuil,  horS 

CoUa  jugo  cripiunt,  abruptaque  lora  relinquunt.  315 

Illic  frena  jacent,  illic  temone  revulsus 

Axis;  in  hac  radii  fractarum  parte  rotarum, 

Sparsaque  sunt  late  laceri  vestigia  currus. 

At  Phaethon,  rutilos  flamma  populante  capillos, 

Volvitur  in  praeceps,  longoque  per  aera  traclu  520 

Fertur,  ut  interdum  de  coelo  stella  sereno, 

Etsi  non  ccdidit,  potuit  cccidisse  videri. 

Quem  procul  a  patria  diverso  maximus  orbe 

Excipit  Eridanus,  fumanliaque  abluit  ora. 

Naides  Hesperiae  trifida  fumantia  flamma  325 

Corpora  dant  tumulo,  signantque  hoc  carmine  saxuni: 
t  Hic  situs  est  Phaethon,  currus  auriga  patcrni ; 
\    Quem  si  non  tenuit,  magnis  tamen  excidit  ausis.  » 
*^  l^am  paler  obductos  luclu  miserabilis  asgro 

Condideral^^ultus,  et  si  modo  credimus,  unum  3o0 

Isse  diem  sine  sole  ferunt  :  incendia  lumen 
Prajbcbant,  aliquisque  malo  fuit  usus  in  illo. 
At  Clymeue,  postquahi  dixit  quuccumque  fuerunfc 
lu  lantis  diccndu  malis,  lugubris,  ct  amens. 


LIYRE  II.  5U 

e(  86  memlmiint  le  sein,  elle  paroourt  runiven ; 

166  restes  inanlm^  oa  du  moins  les  ob  de  son  fils. 
tronfequesesosensevelis  sur  une  o6(e  ^tnngto.  U,  elle 

baigne  de  ses  pleurs  le  marbre  oili  le  nom  de  Pha^thon 
flrt|nv6p  et  y  applique  avec  tendresse  sa  poitrine  dtomverte:  Les 
IBIiaita  liidi  offreat  avec  le  m^me  amour,  comme  dons  Am^raires, 

(fmm  gtoiswiments  et  leurs  larmes;  elles  se  d^chirent  aussi  le 
SMD.  QBoiqoe  Piit6lOD  ne  puisse  entoidre  leurs  cris  lamentables, 
Hit  et  joor  eUes  Fappellent  et  restent  penchtosur  sa  tombe. 
La  lniie  anrait  d^  quatre  fois  rempli  son  disque  de  lomi^, 
;  dflpnM  que leBfllles  du  Soldl, suivant  leur  oontume  (car  la doo- 
Iflvteit  defenoe  une  habitude  pour  elles),  faisaient  entendre  de 
urs»  lorsque  Vba^thuse,  la  plus  4gte  de  toutes, 
86  proatemer»  se  plaignit  que  ses  pieds  n'^taient  plus 
fleiifales.  EmpreoBte  d*aooourir  aupr^  d'dle,  la  Manche  Lamp^ 
S6  sflnt  tont  k  coup  enchaln^  k  la  terre.  Une  troisidmey  en  vou^ 
lait  B^arradier  les  cheveux»  dStache  des  feuilles  de  sa  tMe.  L'uiie 
$fmt  de  foir  ses  jambes  duuogto  en  un  tronc  immobile»  et  Fau- 
be  de  loir  ses  bras  allong^  en  rameaux.  Tandis  qu'elles  s*eton» 
nent,  F^rce  forme  une  ceinture  autour  de  leurs  flancs,  et,  par 

Et  laniata  sinus,  (bluni  percensuit  orbcm ;  333 

Eianimcdquc  artus  primo,  moi  ossa  reiuirens, 
Repperii  ossa  tamen  peregrina  condita  ripa, 
Incnbaitque  loco;  nomenqne  in  marmore  lectum 
Perfodit  laerymis,  et  aperto  peetore  foTit. 
Kee  minus  Heliades  fletua,  et  inania  morti  540 

Manera,  dant  laerymas,  et  cssaB  pcctora  palinis, 
Non  autlitaram  miseras  Phaethonta  querelas, 
Nocte  dieque  Tocantf  adstemunturque  sepulcro. 

Lnna  quater  junctis  implerat  cornibus  orbem» 
Illa*  more  suo,  nam  morem  fecerat  usus,  345 

Plangorem  dedcrant.  E  queis  Phaethusa  sororuni 
Maxima,  quum  Tcllct  tcrr»  procumberc,  qucsla  cst 
Diriguisse  pcdes.  Ad  quam  conala  venirc 
Candida  Lampetic,  subila  fadice  retenla  cst. 
Tertia,  quum  crinem  manibus  laniare  pararot,  SSiO 

Aycllit  frondes.  Uacc  stipite  crura  teneri, 
illa  dolet  lieri  iougos  sua  bracliia  ramos. 
Dumquo  ea  miranlur,  complcclitur  inguina  cortcz, 


60  HIETAMOKPUOSES. 

degres,  emprisomie  leur  sein,  lem^s  epauies  et  leurs  bras.  ] 
bouclie  seule  reste  intacte  et  repete  le  nom  de  leur  mere.  ! 
que  pouvait  leur  mere,  si  ce  n'est  courir  ^a  et  la  ou  l'egaren 
Femportait,  et,  pendant  qu'il  en  etait  teraps  encore,  unir  ses 
sers  a  ceux  de  ses  filles?  Cetait  trop  peu  :  elle  essaya  de  rei 
leur  corps  du  tronc  de  Tarbre,  et  d'en  briser  avec  ses  mains 
tendres  rameaux.  Mais  il  en  tomba  des  gouttes  de  sang,  cor 
d'une  blessure.  «  Arrete!  je  t'en  conjure,  6  ma  mere !  s'ecria  < 
cune  de  ses  filles  en  se  sentant  blessee ;  arrSte,  je  t'en  conji 
dans  cet  arbre  c'est  notre  corps  que  tu  dechires  :  adieu ! »  L'ec 
etouffa  ces  dernieres  paroles.  De  la  viennent  les  larmes  qu 
distille,  et  qui,  durcies  par  le  soleil,  tombent  en  rayons  d'an 
de  leurs  brancbes  naissantes.  Le  fleuve  les  recueille  dans 
eaux  limpides,  et  les  porte  aux  femmes  du  Latium,  qui  en 
leur  parure. 

CYGiNUS  CHANGI^   EM   CYGNE. 

II.  Ge  prodige  s'opera  sous  les  yeux  de  Gycnus,  fils  de  Sthen( 
Le  sang  de  ta  mere  vous  unissait,  6  Phaethon !  mais  Tamitie  fc 
entre  vous  un  lien  plus  etroit.  Degoute  de  Fempire  (car  les  pei 

Perquegradusuterum,  peclusque,  humerosque,manusquc 
Ambit,  et  exstabant  tantum  ora  vocantia  matrcm.  5a5 

Quid  faciat  mater,  nisi,  quo  trahat  impelus  illam, 
Huc  eat,  atque  illuc,  et,  dum  licet,  oscula  jungat? 
Non  satis  est :  truncis  avellere  corpora  tcntat, 
Et  teneros  manibus  rumos  abrumpere ;  at  inde 
.  Sauguineae  manant,  tanquam  de  vulnerc,  gutta!.  500 

c  Parcc,  precor,  mater,  qusQcumquc  est  saucia  cluniai; 
Parcc,  precor;  nostrum  laniatur  in  arbore  corpus; 
Jamque  vale.  »  Cortex  in  verba  novissima  venit. 
Indo  fluunt  lacrymae,  stillataque  sole  rigescunt 
Dc  ramis  clectra  novis.  Quse  lucidus  amnis  303 

Excipit,  et  nuribus  miltit  geslanda  lalinis. 

CYCNDS  MDTATUB  IN  OLOBEM. 

11.    Adfuit  huic  monstro  proles  stheneleia  Cycnus, 
Qui  libi  materno  quamvis  a  sanguine  junctus, 
Mente  tanien,  Phaelhon,  propior  fuit.  llle  rcliclo, 


LIYRfi  II.  01 

de  la  Ligurie  et  de  gi^des  cit^  obeissaieut  jadis  a  ses  iois),  il 
avait  fait  redire  ses  accents  plaintifs  aux  ^ertes  rives  de  r£ridan, 
k  ses  ondes  et  aux  arbres  dont  ses  soeurs  venaient  d'augmenter  le 
nondbre.  Sa  voix  d'honune  devint  grSle;  des  plumes  bianches 
remplac^rent  ses  cheveux ;  de  sa  poitrine  s^elanga  un  long  cou,  et 
une  membrane  vermeille  unit  ses  doigts ;  des  ailes  couvrirent  ses 
flancs ;  sa  bouche  fit  place  a  un  bec  arrondi.  Cycnus  fut  change  en 
un  oiseau  jusqu'aiors  inconnu.  II  ne  se  confie  ni  a  Tair  ni  a  Jupi- 
ter.  Dans  son  coeur  vit  le  souvenir  des  feux  injustement  lances  par 
le  maitre  du  monde.  II  habile  les  ^tangs  el  les  vasles  marais.  Son 
aT^on  pour  le  feu  lui  fait  choisir  une  demeure  dans  un  ^l^ment 
ooDtraire. 

Gependant  le  Soleil,  en  deuil  et  depouille  de  son  eclat,  tel  qu'il 
est  durant  une  eclipse,  poursuit  de  sa  haine  la  lumiere,  le  jour  et 
Ini-mSme.  II  s^abandonne  a  la  douleur,  et  a  la  douleur  se  joint 
la  colere.  II  refuse  d'^clairer  le  monde.  «  Depuis  Forigine  des 
siecles,  dit-il,  mes  destins  ont  ^te  assez  agit^s.  Je  ne  veux  plus  de 
travaux  sans  t^rme  et  sans  honneur.  Qu'un  autre  conduise  le  char 
de  la  lumiere.  S'il  ne  se  presenle  personne,  si  tous  les  dieux  sV 
Touent  impuissants,  que  Jupiler  le  guide  lui-m^me.  Du  moins, 

Mam  Ligurum  populos,  et  magnas  rexerat  urbes,  370 

Imperio,  ripas  virides  amnemque  querelis 

Eridanum  implerat,  silvamquu  sororibus  auclam; 

Quum  vox  est  tenuata  viro,  canscque  capillos 

Dissimulant  plumae,  collumque  e  pectore  longum 

Porrigitur,  digitosque  ligat  junctura  rubentes,  375 

Penna  latus  vestit,  tenet  os  sine  acumine  roslrum. 

Fit  nova  Gycnus  avis,  nec  se  coeloque,  Joviquc 

Credit,  ul  injuste  missi  memor  ignis  ab  illo, 

Stagna  petit,  patulosque  lacus ;  igncmque  perosus, 

Quse  colat,  elegit  contraria  flumina  flammis.  380 

Squalidus  iuteiea  genitor  Phaetliontis,  ct  expcrs 
Ipse  sui  decoris,  qualis,  quum  deflcit  orbcm, 
Esse  solet,  lucemque  odit,  scquc  ipse,  diemquc, 
Datquc  animum  in  luctus,  ct  iuctibus  adjicit  iraiii, 
OflJciumque  negat  mundo.  «^alis,  inquit,  ab  scvi  58o 

Sors  mea  principiis  fuit  irrequieta,  pigetquc 
Actorum  sine  fine  mihi,  sine  honore,  laborum. 
Quilibet  altcr  agat  portantes  lumina  currus. 
Si  nemo  est,  omnesque  dei  non  posse  faleutur, 


G.!  METAMOUPllOSES. 

landis  qu'il  essayera  de  tenir  mesr6nes,  ildeposera  safoudre,  qui 
ravit  les  enfanls  a  leurs  p^res.  Quand  il  aura  eprouve  la  fougue  de 
mes  coursiers  enflamm^s,  il  saura  qu'il  ne  merita  pas  la  mort, 
celui  qui  ne  put  s'en  rendre  maitre.  »  A  ces  mots,  autour  de  lui  se 
pressent  tous  les  dieux.  D'une  voix  suppliante  iis  le  conjurent  de 
ne  point  plonger  runivers  dans  les  tenSbres.  Jupiter  lui-m^me 
s^excuse  d'avoir  lanc6  ses  feux;  mais,  comme  souverain,  aux 
prieres  il  ajoute  la  menace.  Ph6bus  rassemble  ses  coursiers  encore 
effarouches  et  haletants  de  frayeur.  II  les  dompte  et  les  chdtic 
avec  le  fouet  et  raiguillon ;  car,  dans  sa  fureur,  il  leur  impute  et 
leur  reproche  la  mort  de  son  fils. 

•      GALISTO  CHANGEE   EN   OURSE. 

III.  Le  souverain  maitre  du  monde  parcourt  la  vaste  enceinte  des 
cieux,  et  il  examine  si  leurs  fondements,  ebranles  par  racUon  puis- 
sante  du  feu,  ne  menacent  pointruine.  Quand  il  les  voit  fermes  et 
dans  toule  leur  solidite  primitive,  il  contemple  la  terre  et  ses 
desastres.  Sa  chere  Arcadie  surtout  eveille  sa  sollicitude.  II  rend 
un  libre  cours  aux  fontaines  et  aux  fieuves  qui  n'osaient  encore 

Ipse  ugat;  ut  sullcin,  dum  nostras  lentat  habenas,  S90 

Orbatura  patrcs  aliquando  fulmina  ponat. 

Tum  scict,  ignipedum  vircs'expcrtus  equorum, 

Non  raeruisse  necem,  qui  non  bene  rexerit  illos.  » 

Talia  dicentem  circumstant  omnia  Solem 

Kuniina;  nevc  vclit  tenebras  induccre  rebus,  oOo 

Supplice  vocc  rogant.  Missos  quoque  Jupitcr  igucs 

Kxcusat,  precibusque  minas  regaliter  addit. 

C.olligit  amcntes,  cl  adliuc  terrore  paventcs 

Phoebus  equos,  stimuloquc  domans  ct  verbere  saevit; 

Suivit  cnim^  natumque  objectat,  ct  imputat  illis,  400 

CALISTO   IN  UBSAH   C0NVER9A. 

111.    At  palcr  omnipotens  ingenlia  rooenia  coeli 
Ciicuit,  ct,  ne  quid  labefactum  viribus  ignis 
CoiTuat,  cxplorat.  Qu»  postquam  iirma,  suiquu 
Rohoris  essc  videt,  tcrras,  hominumque  laborcs 
Tcrspicit.  Arcadios  tamen  est  impensior  illi  4'  ii 

Cura  sux  ;  fontesque,  et  nondum  audcnlia  labi 


LIVRE  IL  05 

^  il  ooavre  la.  teite  de  gason,  les  arfores  de  feuillage,  et 
ma  hm  fliHris  de  re|ffeDdre  leiir  Yerdure.  Bans  ses 
Mquentea,  ses  yeux  se  fixent  aur  une  nymphe  de  Nona- 
m^jAVmim  le  ccaisuoie de Ipns  ses  feux.  Elle  ne  s^oociqMit  ni 
kfkr,  la  laiae»  ni  k  parar  sa  cfaevelure  de  mille  atours.  Une  simple 
Tetenait  lefi.plia  de  sa  robe,  et  une  bandelette  blandie  ses 
Le  jarelot  ou  Farc  k  ia  maini  elle  marchait  sur  les 
de  DiaBe.  Jttnais  le  M^en^andt  vu  de  nymphe  plusch^  li 
tesBe.:  Ihis  qudle  &Yettr  est  durable?  Le  Soleii  avait  6&jk 
la  iiioiti6  de  sa  oourse,  quand  la  nymphe  entra  dans  une 
favftC  qne  la  hache  avait  toiqours  respedto.  Eaie  ddtache  le  csrquois 
de  son  Apaule»  d6taid  son  arc  flexible,  et  se  couche  sur  le  gaion, 
h  tlCe  appuyte  sor  son  carquois  ora6  de  miUe  oouleurs.  Jopiter, 
iiirtigate  etsans  gardien :  c  Mon  ^pouse,  dit^U  ignorara 
;  HiaiSk  d&treUe  en  ^tre  instruita,  que  m*importait  ses 
?» 
i.cDupy  prmmntlestraitset  lecostumedeDiane:cJ»me 
I,  dilr4l»  snr  quels  monts  as-tu  chass6?  »  La  nymphe  se 
legaion :  c  Salut,  ditreUe,  d6esse  plus  puissante  k  mes 

Fhunina  restituit;  dat  terrse  gramina,  frondes 

Arboribtts,  laesasque  jubet  revirescere  silvas. 

Dnm  redit,  itque  frequens,  in  virgine  nonacrina 

HssU,  et  accepti  caluere  sub  ossibus  ignes.  410 

Koa  erat  hujus  opus  lanam  mollire  trahendo, 

Kec  positu  Tariarc  comas.  Ubi  fibula  vestem, 

Titta  coercuerat  neglectos  alba  capillos, 

EtmodoUeTe  manu  jaculum,  modo  sumpserat  arcum, 

Miles  erat  Phoebes.  Nec  Msenalon  attigit  ulla  41i; 

Gratior  hac  Trivise ;  sed  nulla  polcntia  longa  cst. 

Ulterius  medio  spatium  sol  altus  habebat, 

Quam  subit  illa  nemus,  quod  nuUa  ceciderat  xtas. 

Exuit  hic  humero  pharetram,  lentosque  retendit 

Arcus;  inque  solo,  quod  texerat  hcrba,  jaccbat;  420 

Et  pictam  posita  pharetram  cervice  premehat. 

Jupiter  ut  vidit  fcssam,  et  custode  vacantem: 

«  IIoc  ccrte  conjux  furtum  raea  nesciet,  inquit ; 

Aut,  si  reseierit,  sunl  o,  sunt  jurgia  tanti?  » 

Protinus  induilur  faciem  cultumque  Diana»,  A^^t 

Atque  ait ;  «  0  comitum,  virgo,  pars  una  mcjnim. 
In  quibus  es  venata  jugis?  »  De  ccspitc  vii^o 
Se  leval,  et :  «  Snlve  numen,  me  judice,  dixit, 


04  METAMORPIIOSES. 

ycux  que  Jupiter ;  oui,  j^oserais  raffirmer  en  sa  preserice.  »  Le 
dieu  sourit  en  l'ecoutant :  il  aime  a  se  voir  preferer  a  lui-m6me. 
II  rembrasse;  ses  baisers  peu  modestes  n'annoncent  point  la 
bouche  d'une  vierge.  Au  moment  oii  elle  s^appr^te  a  raconter 
dans  quelle  for^t  elle  a  chass^,  il  la  presse  dans  ses  bras  et  se  de- 
cSleparun  crime.  EUe  resiste,  autant  du  moinsquelepeut  une 
femme.  Pliit  au  ciel  que  cette  lutte,  6  Junon !  se  fut  engagee  sous 
tes  yeux  :  tu  aurais  pardonne.  La  vierge  combat.  Mais  quelle 
vierge,  quelhomme  peutresister  k  Jupiter?  II  remonte  vainqueur 
dans  rEmpyr6e.  La  Nymphe  maudit  la  for^t  temoin  de  son  deshon- 
neur.  En  la  quitlant,  peu  s'en  faut  qu'elle  n'oublie  d'emporter  son 
carquois,  ses  fleches  et  Tarc  qu'elle  y  avait  suspendu. 

Escort6e  du  chceur  des  Nymphes,  Diane  gravit  les  hauteurs  du 
Menale,  fiere  du  carnage  des  b^les  qu'elle  vient  de  frapper.  EUe 
apergoit  la  Nymphe  et  Tappelle.  Calisto  recule,  et  craint  d'abord 
que  Jupiter  ne  soit  cache  sous  les  traits  de  la  deesse.  Mais,  quand 
elle  voit  les  Nymphes  marcher  a  ses  c6tes,  elle  ne  redoute  plus  de 
piege  et  se  m^Ie  a  leur  troupe.  Helas !  qu'il  est  difficile  de  ne  point 
laisser  lire  sa  faute  sur  son  front  1  A  peine  Idve-t-elle  les  yeux.  Elle 


Audiat  ipse  licet,  majus  Jove.  »  Ridet,  et  audit ; 

Et  sibi  praeferri  se  gaudet,  et  oscula  jungit,  430 

Nec  moderata  satis,  nec  sic  a  virgine  danda. 

Qua  venata  foret  silva  narrare  parantem 

Impedil  amplexu,  nec  se  sine  crimine  prodit. 

Ula  quidem  contra,  quantum  modo  femina  possit, 

Aspiceres  utinam,  Satumia,  mitior  esses!  435 

Illa  quidem  pugnat;  sed  quse  superare  puella, 

Quisve  Jovem  poterat?  Superum  petit  sethera  victor 

Jupitcr.  Huic  odio  nemus  est,  et  conscia  silva. 

Undc  pcdem  referens,  psne  est  oblita  pharetram 

ToUere  cum  telis,  et,  quem  suspendorat,  arcum.  440 

Ecce,  suo  comitata  choro  Dictynna  per  altum 
Msenalon  ingrediens,  ct  csede  superba  ferarum, 
Aspicit  hanc,  visamque  vocat.  Clamata  refugit, 

F.t  limuit  primo,  ne  Jupitcr  esset  in  illa.  ' 

Sed  postquam  pariter  Nymphas  inccdere  vidit,  445 

Sensit  abesse  dolos,  numenimque  acccssit  ad  harum.  * 

Heu!  quam  dirficile  est  crimen  non  prodere  vultu  k 

Vix  ocu'os  attollit  humo ;  nec,  ut  ante  solehat,  ^ 


LIVRE  II.  C5 

xCose  plus,  comme  autrefois,  prendre  rang  ix  c6te  de  la  deesse,  ni 
marchei'  a  la  ttte  de  ses  compagnes.  Elle  garde  le  silence,  et  la 
rougeur  de  son  visage  rev^le  la  tache  imprim^e  a  sa  pudeur.  Si 
Diane  ii'eiit  6te  vierge,  elle  efit  pu  remarquer  mille  vestiges  de  sa 
honle.  Les  nymphes  les  remarqu^rent,  dit-on.  Le  disque  de  la 
lane  se  levait  pour  la  neuvi^me  fois  a  Thorizon,  lorsque  la  deesse 
qui  pr^side  a  la  chasse,  fatiguee  par  la  chaleur  du  soleil,  porta 
ses  pas  dans  un  frais  bocage  d'ou  s^echappait  avec  un  leger  mur- 
mure  un  ruisseau  roulant  sur  un  sable  fm.  £lle  admire  la  beaute 
da  site,  et  de  ses  pieds  effieure  la  surface  de  Teau.  Apr^  en  avoir 
aussi  admir^  la  limpidite  :  c  Nous  sommes  ici,  dit-elle,  sans  te- 
moins.  Quittons  nos  vStements,  et  baignons-nous  dans  Tonde.  » 
La  sceur  de  Parrhasius  rougit.  Si^jk  toutes  ont  d^pose  leurs  voiles : 
seole  elle  diffi&re  encore.  Tandis  qu'elle  hesite,  ses  compagnes  de- 
taehent  sa  robe.  Son  deshonneur  parait  alors  au  grand  jour.  In- 
terdite,  elle  veut  de  sa  main  en  cacher  les  indices  :  «  Fuis  loin  de 
noos!  lui  dit  la  deesse  du  Gynthe,  et  ne  souille  point  cette  onde 
sacr^ ! »  En  mSme  temps  elle  lui  ordonne  de  se  s^parer  de  ses 
oompagnes. 

Depuis  iongtemps  Fepouse  du  puissant  Jupiter  connaissait  ce 
nouyel  affront;  mais  elle  avait  diflere  sa  terrible  vengeance  jus- 

Juncta  des  lateri/nec  toto  est  agmine  prima. 

Sed  silet,  et  laesi  dat  signa  rnbore  pudoris.  450 

Et,  nisi  quod  virgo  est,  poterat  sentire  Diuna 

Mille  notis  culpam.  Nympha:  sensisse  feruntur. 

Orbe  resurgebant  lunaria  cornua  nono, 

Quiim  dea  venatrix,  fraternis  languida  flammis, 

Nacta  ncmus  gelidum,  de  quo  cum  murmure  labens         455 

Ibat,  et  attrilns  versabat  rivus  arenas. 

Ut  loca  laudavit,  snmmas  pede  contigit  undas; 

His  quoque  laudatis  :  t  Procul  est,  ait,  arbiter  omnis. 

Nuda  superfusis  tingamus  corpora  lymphi.',.  » 

Parrhasis  crubuit.  Cuncta:  velamina  ponunt.  4C0 

Una  moras  quserit.  Dubitanli  veslis  adempta  est. 

Qua  posita,  nudo  paluit  cum  corporc  rrimen. 

Attonito^,  manibusque  uterum  cclare  volenti : 

«  I  procul  hinc,  dixit,  nec  sacros  pollue  fonti  s,  m 

Cynthia;  deque  suo  jussit  secederc  coetu.  46fi 

Senserat  hoc  olim  magni  malrona  Tonanlis, 
]>istii1erat((ue  graves  in  idonea  tempora  pornas. 

i. 


C6  M£TAM0UP1I0SES. 

qu'au  moment  propice.  Le  delai  n'est  plus  permis.  Aix-as  (et  c'est 
ce  qiii  allume  le  courroux  de  Junon)  a  deja  re^u  le  jour  d'une 
rivale.  Elle  attache  sur  cet  enfant  ses  regards  irrites  :  a  Infame 
adultere,  dit-elle,  il  ne  te  manquait  plus  que  de  mettre  au  monde 
un  fils  pour  divulguer  mon  deshonneur  par  ta  fecondile,  et  don- 
ner  la  preuve  publique  du  crime  de  Jupiter,  qui  doit  m  apparlenir 
tout  entier.  Ce  ne  sera  pas  impmiement :  je  te  ravirai  cette  beaute 
dont  tii  es  eprise,  et  qui  allume  au  coeur  de  mon  epoux  une  flamme 
criminelle.  » 

A  ces  mots,  se  pla^ant  devant  elle.  Junon  la  saisit  par  les  clie- 
veux  et  la  terrasse.  Galisto  lui  tend  ses  bras  suppliants.  Mais,  au 
m^me  instant,  ses*  bras  se  herissent  de  poils  noirs;  ses  mains, 
armees  d'ongles  aigus,  se  recourbent,  et  lui  servent  de  pieds ;  sa 
bouche,  qu^admira  Jupiter,  devient  largc  et  liideuse ;  et,  afin  que 
ses  prieres  touchantes  ne  fleciiissent  pas  son  cceur,  Junon  lui 
ravit  la  parole.  De  son  gosier  sort  une  voix  rauque,  furieuse,  me- 
naganle  et  terrible.  Elle  est  changee  en  ourse,  et  garde  ses  pre- 
miers  instincts.  Dc  continuels  gemissements  attestent  sa  douleur. 
Ses  mains,  sous  leur  nouvelle  forme,  s'el6vent  vers  le  ciel.  Sa 

(!ausa  raoroi  nuUa  est;  cl  jani  puer  Arcns,  id  ipsum 

Indoluit  Juno,  fueral  de  pellice  nalus. 

Ouo  simul  obvcrtit  saevam  cum  lumine  mcntem  :  '•:!() 

«  Scilicet  hoc  unum  restabat,  adultera,  disil, 

rt  fecunda  foros,  fierclque  injuria  parlu 

Kola,  Jovisque  mei  tcstatum  dedecus  csset. 

llaud  impune  feres.  Adimam  tibi  nempe  figuram, 

Qua  tibi,  quaque  places  nostro  importuna  marilo.  »         475 

Dixit.,  et,  adversa  prensis  a  fronle  capillis, 
Stravit  humi  pronam.  Tendebat  brachia  supplcx; 
Erachia  coeperunt  nigris  horrescere  villis, 
Curvarique  nianus,  et  aduncos  crescere  in  ungucs, 
Oflicioque  pedum  fungi,  laudataquc  quondam  480 

Ora  Jovi,  lato  fieri  deformia  rictu. 
Ncve  preces  animos,  ct  vcrba  potentia  flectant, 
Possc  loqui  cripitur.  Yox  iracunda,  minaxquo, 
Pienaque  terroris  rauco  de  gutture  fertur. 
Mens  antiqua  tamen  facla  quoque  mansit  in  ursa ;  485 

Assiduoquc  suos  gemilu  tcstata  dolorcs, 
0ual('scuin<iue  maiuis  ad  coelum  et  sidora  toliit, 


LIVRE  II.  07 

Toix  nepciit  plus  sans  doule  reprocher  a  Jupiler  son  ingralilude; 
mais  elle  ne  la  soiil  pas  inoins  dans  son  coeur.  Que  de  fois,  n'osant 
se  reposer  soule  dans  la  lor^t,  n*erra-t-elle  pas  devant  la  demeure 
et  dans  les  champs  qu'elle  possedait  jadis !  Que  de  fois  ne  fut-elle 
pas  poursuivie  sur  les  rochers  par  les  aboiements  d'une  meule ! 
Ancienne  chasseresse,  elle  fuit  d^epouvante  devant  des  chasseurs. 
Souvent  elle  se  cache  a  la  vue  des  bStes  sauvages,  oubliant  ce 
qu'elJe  esl.  Ourse,  elle  frissonne  devant  les  ours  qui  parcourent 
les  montagnoj,  et  redoule  les  loups,  quoique  son  p^re  se  trouve 
parmi  eux. 

Cependant,  sans  connaiire  sa  ria^re  sortie  du  sang  de  Lycaon, 
Arcas  comple  pres  de  trois  lustres.  Tandis  qull  poursuit  les  hdtes 
des  forSts,  laudis  qu'il  choisit  les  bois  les  plus  favorables  et  en- 
toure  de  filets  les  bosquets  d'£rymanthe,  il  rencontre  sa  m^re. 
Elle  s'arrete  a  sa  vue  et  semble  le  reconnailre ;  de  son  c6te,  il 
rebrousse  chemin.  Les  yeux  de  Tourse  s'attaclient  sur  lui,  fixes 
et  immobiles.  Arcas  ne  la  reconnait  pas.  11  tremble;  et,  comme 
elle  veut  s'approcher  davantage,  il  s^appr^te  a  plonger  dans  son 
sein  un  dard  meurtrier.  Le  mailre  des  dieux  ecarte  le  trait,  les 
enleve  Tun  etFautre,  et  previent  le  coup  parricido.  Un  tourhillon 


Ingratumque  Jovem,  nequeat  quum  diccro,  senlil 

Ak!  quoties,  sola  non  ausa  quicscere  silva, 

Ante  domum,  quondamque  suis  erravit  in  agris!  400 

Ali!  quoties  per  saxa  canum  latratibus  acta  est, 

Vcnatrixque  raelu  venantum  territa  fugil! 

Saepe  feris  laluit  visis,  oblila  quid  esset; 

LVsaque  conspectos  in  monliLus  horruit  ursos; 

Pertimuitque  lupos,  quamvis  paler  essel  in  illis.  495 

Ecce  lycaonisB  proles  ignara  parentis, 
Arcas  adest,  ter  quinquc  fere  nalalibus  actis. 
Duraque  feras  scquitur,  dum  saltus  eligit  aptos, 
Nexilibusiiue  plagis  silvas  erymanthidas  anibit, 
Jncidit  in  matrcm.  Qus  restitit  Arcadc  viso,  .-ifKl 

Et  cognoscenti  similis  fuit.  llle  refugit, 
Immotosquc  oculos  in  se  sine  fine  teneutem 
Kcscius  estirauit;  propiusquc  accedere  avcnli 
Vulnifico  fuerat  fixurus  pectora  telo. 
Arcuit  omnipoteus,  parilcrque  ipsosque  nefasqiic  ol^"» 


MfiTAMORPIIOSES. 

ipide  les  emporle  a  Iravers  les  espaces,  et  les  place  dans  le  ciel, 

»u  ils  forment  deux  constellalions  voisines. 

Junon,  indignee  de  voir  sa  rivale  briller  parmi  les  astres,  des- 
cerid  dans  la  mer,  sejour  de  la  blonde  Tethys  et  du  vieil  Ocean, 
que  r6verent  eux-memes  les  dieux.  Ils  s'informent  des  motifs  de 
sa  visite : «  Yous  me  demandez,  dit-elle,  pourquoi,  reine  des  dieux 
dans  TEmpyree,  je  suis  venue  pr6s  de  vous?  Une  autre  occupe 
mon  tr6ne  dans  les  cieux.  Qu'on  m^accuse  dMmposture,  si,  lors- 
que  la  nuit  couvrira  Tunivers,  vous  ne  voyez  (et  c'est  \k  ce  qui 
dechire  mon  coeur)  des  etoiles  nouvellement  regues  dans  le  del 
paraitre  a  Tendroit  ou  un  cercle,  place  a  Textremite  de  Taxe  du 
monde,  Tentoure  de  son  etroit  circuit.  Est-il  un  homrae  qui  n'ose 
insulter  Junon  ou  qui  redoute  sa  haine,  lorsque  seule  je  sers  en 
Toulant  nuire  ?  Voila  Feffet  de  mon  courroux !  Oh !  que  mon  pou- 
voirest  grand !  Je  n'ai  pas  voulu  qu'elle  reslSt  mortelle,  et  la  voila 
d^sse !  Cest  ainsi  que  je  punis  les  coupables  :  tant  ma  force  est 
terrible !  Que  Jupiter  lui  rende  son  ancienne  beaute ;  qu'il  lui  6le 
cette  forme  sauvage,  comme  il  fit  autrefois  pour  la  soeur  de  Pho- 
ronee,  qu'Argos  avait  vue  naitre.  Pourquoi  ne  l'epouserait-il  pas, 
apr^s  avoir  chasse  Junon  ?  Pourquoi  ne  la  recevrait-il  pas  dans  ma 

Suslulit,  ct  celeri  raplos  pcr  inania  vento 
Imposuit  ccclo,  vicinaquc  sidera  fccit, 

Intumuit  Juno,  postquam  intcr  sidera  pclicx 
Fulsit,  et  ad  canam  descendit  in  aequora  Tethyn, 
Ocdanumque  senem,  quorum  rcvcrenlia  movit  510 

Saepe  deos,  causamque  visB  scitantibus  infit : 
«  Quxritis,  aethereis  quare  regina  dcorum 
Sedibus  hucadsim?  Pro  me  tenctaltera  coclum. 
Mentiar,  obscurum  nisi  nox  quum  fecerit  orbem, 
Nuper  honoratas  summo,  mea  vulnera,  ccc\o  515 

Viderilis  stellas  illic,  ubi  circulus  axem 
Ultimus  extrcmum  spatioque  brevissimus  ambit. 
Est  vcro,  cur  quis  Junonem  laederc  nolit, 
Offensamquc  trcmat,  qua)  prosim  sola  nocendo? 
En  pgo  quantum  cgi !  quam  vasta  polcntia  nostra  cst !      52U 
Esse  hominem  vetui ;  facla  est  dea.  Sic  ego  poenas 
Sontibus  impono,  sic  esl  mea  magna  poteslns. 
Vindicct  anliquam  faciem,  vuUusque  fwnos 
Detrahat,  argolica  quod  in  antc  rhoronide  forit. 
Cur  non  et  pulsa  ducat  Junono,  meoque  L2j 


LIVRE  II.  (^g 

couche,  et  ne  prendrait-il  pas  Lycaon  pour  beau-p^re?  Mais  vous, 
sirinjure  faite  a  celle  dont  vous  avez  nourri  renfance  vous  touche, 
fennez  vds  flots  d'azur  aux  sept  Trions ;  repoussez  une  constellation 
plac^  par  rinfamie  au  c61este  sejour,  et  qu'nne  vile  adultf^re  ne 
gonille  pas  vos  cbastes  ondes !  » 

LE  CORBEAU  PERD  LA  BLANCHEUR  DB  SON  PLUMAGE,  ET  DEVIEHT  NOIR. 

IV.  Les  dieux  de  la  mer  font  un  signe  d'approbation.  La  fille 
de  Satume  s'elance  dans  les  airs,  portee  sur  son  char  rapide  que 
trainent  des  paons  dont  les  plumes,  teintes  du  sang  d'Argus, 
brillentderiches  couleurs,  depuis  Tepoque  recente  ou  le  corbeau 
perdit  tout  a  coup  par  sa  loquacite  son  ancienne  blancbeur  pour  se 
couvrir  d'un  manteau  noir.  Jadis  son  plumage  aux  reflets  d'argent 
ne  le  c^ait  ni  au  duvet  sans  tache  des  colombes,  ni  a  Toiseau 
vigilant  dont  la  voix  devait  sauver  le  Capitole,  ni  au  cygne  qui 
aime  a  se  jouer  dans  les  eaux.  Sa  langue  le  perdit,  et  son  babil  fit 
succeder  a  sa  blancheur  primitive  la  couleur  d*ebene. 

L'H^monie  enti^re  n^avait  pas  de  beaute  plus  c^iebre  que  Coro- 
nis,  n^e  k  Larisse.  Elle  te  plut,  dieu  de  Delphes,  du  moins  tant 

CoUocet  in  thalamo,  socepuraque  Lycaona  sumal? 

At  Yos,  si  laesse  contemptus  tangit  alumnse, 

Gurgite  caeruleo  septem  prohibete  Trioncs, 

Sideraque  ia  ccelo,  stupri  mercede,  recepla 

Pellite,  ne  puro  tingatur  in  xquore  pellex.  »  S30 

CORVUS  FIT   EX   ALBO   NIGER. 

IV.    Di  maris  annuerant.  Habili  Saturnia  curru 
Ingreditur  liquidum  pavonibus  aera  pictis, 
Tam  nuper  pictis  caeso  pavonibus  Argo, 
Quam  tu  nuper  eras,  quum  candidus  ante  fnisscs, 
Corve  loquax,  subito  nigrantes  versus  in  alas.  cm5 

Nam  fnit  haec  quondam  niveis  argentea  pennis 
Ales,  ut  aequaret  totas  sinc  labe  columbas, 
Nec  seryaturis  vigili  Gapitolia  voce 
r.ederet  anseribus,  ncc  amanti  flumina  cycno. 
Lingua  fuit  damno  :  lingua  facicntc  lo^naci,  540 

Cui  color  albus  erat,  nunc  est  conlrarius  albo, 

Pulchrior  in  tota,  quam  larissaea  Coronis, 
Non  fiiit  Haemonia.  Placuit  tibi,  Dclphice,  rorte. 


70  MfiTAMORPIlOSES. 

qu'elle  fut  chaste  ou  que  tu  ne  reraarquas  pas  ses  infid^lites;  mais 
elles  n'ikhapperent  pas  a  Toiseau  de  Phebus.  Inexorable  delateur, 
ii  allait  reveler  a  son  maitre  un  coupable  mystere,  quand  arriva 
prte  de  lui  Tindiscrete  comeille,  curieuse  de  tout  apprendre.  In- 
struitedu  sujet  de  son  voyage,  elle  lui  dit : « Tu  ne  suis  pas  la  route 
convenable.  Ne  meprise  pas  mes  predictions.  Considere  ce  que 
j'ai6te,  et  ce  que  jesuis.  Apprends  comment  j'ai  merit^  mon  sort. 
Mon  malheur,  tu  le  verras,  est  n6  de  ma  fidelite.  Jadis,  Pallas  avait 
renferme  dana  une  corbeille  d^osier  firichthon  venu  au  monde 
sans  m^re,  et  Tavait  confie  aux  trois  fiUes  de  C^crops,  en  leur 
prescrivant  de  ne  jamais  pen^trer  son  secret.  Cach^e  sous  le  leger 
feuillage  d'un  ormeau  touffu,  j'6piais  leurs  actions.  Deux  d^entre 
elles  laisserent  exactement  ferm^e  la  corbeille  confiee  a  leurs 
soins :  c'6taient  Herse  et  Pandrose.  La  troisieme,  Aglaure,  se  mo- 
qua  de  ses  timides  soeurs,  et  detacha  les  noeuds  de  la  corbeille,  oii 
elles  virent  un  enfant  et  un  serpent  couche  pres  de  lui.  Je  rappor- 
tai  cette  action  a  la  d^esse.  Pour  prix  de  mon  z^le,  la  protection 
de  Minerve  me  fut,  dit-on,  retiree,  et  je  cedai  ma  place  a  Toiseau 
de  la  nuit.  Mon  chMiment  doit  apprendre  au  peuple  aile  a  ne  point 

Dum  vel  casta  fuit,  vel  inobversata.  Sed  ales 

Sensit  adulterium  phcebcius.  Utque  latentem  54r> 

Detegeret  culpam  non  eiLorabilis  index, 

Ad  dominum  tendebat  iter.  Quera  garrula  molis 

Consequitur  pcnnis,  scitetui'  ut  omnia  cornix. 

Auditaque  viae  causa  :  «  Non  utile  carpis, 

Inquit,  iter.  Ne  sperne  meae  prsesagia  linguse.  H50 

Quid  fuerim,  quid  simque,  vide;  meritumque  requiro. 

Invenies  nocuisse  fidem.  Nam  tempore  quodam 

Pallas  Erichthonium,  prolem  sine  matre  cre{»tam, 

Clauserat  aclaeo  texta  de  vimine  cisla, 

Virginibusque  tribus,  gemino  de  Cecrope  natis,  ^•'> 

Hanc  legem  dederat,  sua  nc  secreta  viderent. 

Abdita  fronde  levi  densa  specula])ar  ab  ulmo, 

Quid  facerenl.  Commissa  duae  sine  fraude  tuentur, 

Paudrosos  atque  Herso.  Timidas  vocat  una  sororos 

Aglauros,  nodosque  manu  diducit;  at  intus  aCf) 

Infantemque  vident,  apporreclumquc  draconem. 

Acta  deae  refero.  Pro  quo  mihi  gratia  lalis 

ReilHilur,  ut  dicar  tutela  pulsa  Minerva?, 

Et  ponar  post  noclis  avem.  Mea  pcena  volucres 


LIYKE  II.  71 

se  conipromettre  par  ses  indiscretions.  Ce  n'est,  je  pense,  ni  de 
son  propre  mouvement,  ni  en  cedant  a  des  instances  qu^elle  me 
dioisit.  Yous  pouvez  le  lui  demander  a  elle-mSme.  Malgr^  son 
coiuTOUx,  elie  ne  saurait  me  d^mentir. 

« Au  sein  de  la  Phocide,  Tillustre  Goronee  me  donna  le  jom*.  Ua 
naissance  est  connue  :  je  sors  d'un  sang  royal.  De  ricbes  pr^ten- 
dants  briguerent  ma  main  :  garde-toi  de  me  mepriser.  Ma  beaute 
fit  mon  malheur.  Je  me  promenais  lentement,  selon  ma  cou- 
lume,  sur  le  rivage  de  la  mer.  Le  dieu  des  flots  me  vit  et  bhila 
d'une  we  flamme.  Lorsqu'ii  eut  consum^  en  vain  ses  prieres  et 
ses  douces  paroles,  il  recourut  a  la  violence  et  me  poursuivit.  Je 
pris  la  fuite,  j'abandonnai  ie  terrain  solide,  et  je  me  fatiguai  a 
courir  inutilement  sur  le  sable  qui  cedait  sous  mes  pas.  J'invo- 
quai  les  dieux  et  les  hommes.  Ma  voix  ne  rencontra  pas  d'dme  sen- 
sible.  Une  vierge  seule  eut  pitie  d*une  vierge  et  vint  a  mon  se- 
cours.  J'^levai  mes  bras  au  ciel.  Je  les  sentis  se  couvrir  i^g^rement 
d*un  noir  duvet.  J'essayai  de  repousser  mes  v^tements  loin  de  mes 
^ules.  Ils  ^taient  cbang^s  en  piumes  qui  avaient  jet^  sous  ma 
peau  de  profondesracines.  Je  voulus  me  frapper  le  sein :  jen'avais 

Admouuisse  polest,  ne  voce  pcricula  quoBranl.  5G5 

At,  puto,  non  ultro,  nec  quidquam  tale  rogantem 
Me  petiit.  Ipsa  licet  lioc  ex  Pallade  quseras. 
Quamvis  irata  est,  non  hoc  irata  ncgabit. 

«  Nam  me  phocaica  clarus  tellute  Coroucu:?, 
Nota  loquor,  genuit;  fueramque  ego  regia  virgo,  570 

Divitibusque  procis,  ne  me  contcmne,  pclebar. 
Forma  mihi  nocuit.  Nam  quum  per  littora  lenlis 
Passibus,  ut  soleo,  summa  spaliarcr  arcna, 
Vidit,  et  incaluit  pelagi  deus.  Utque  prccando 
Tempora  cum  blandis  consumpsit  inania  verbi::',  575 

Vim  paral,  et  sequitur.  Fugio,  densumque  relinquo 
Littus,  et  in  molli  nequicquam  lassor  arena. 
Inde  deos  hominesque  voco;  nec  contigit  uUum 
Vox  mea  morlalem.  Mota  est  pro  virgine  virgo, 
Auxiliumque  tulit.  Tendebam  brachia  coclo ;  580 

Brachia  coeperunt  levibus  nigrescerc  pcnnis. 
Rejicere  ex  humeris  vestcm  molibar;  at  illu 
rinma  erat,  inque  cutem  radiccs  edcrat  inias. 
Plangere  nuda  meis  conabar  pectora  palmis) 


72  METAMORPUOS£S. 

plus  ni  niains  ni  poitrine.  Je  conrais,  et  le  sable  ne  retenait  pius 
mes  pas.  Je  m'6ievais  a  la  surface  de  la  terre.  Bientdt  mon  essor 
m'emporta  dans  les  airs,  et  je  devins  la  compagne  irreprochable 
de  Minene.  Mais  qu'importe  cet  honneur,  si,  changee  en  oiseau 
pourun  crime  horrible,  Nyctimcne  me  remplace?  Eh  quoi!  Tat- 
tentat  dont  Lesbos  retentit  n'est  point  parvenu  jusqu'a  vous  ?  Vous 
ignorez  qu'elle  a  souille  la  couche  patemelle?  Elle  est  oiseau 
maintenant ;  mais  la  conscience  de  sa  faute  lui  fait  fuir  la  vue  des 
hommes  et  la  clarte  du  jour.  Elle  cache  sa  honte  dans  les  t^n^br es, 
et  tous  les  oiseaux  la  chassent  des  regions  de  Tair.  • 

Elle  dit.  Le  corbeau  lui  repond  :  «  Que  tes  sinistres  paroles 
retombent  sur  toi !  Je  dedaigne  tes  vains  presages.  »  Sans  quitter 
sa  premi^re  route,  il  va  raconter  a  son  maitre  qu'il  a  vu  Coronis 
dans  les  bras  d'un  jeune  Thessalien.  A  la  nouvelle  de  ce  crime,  le 
dieu,  qui  la  cherit,  laisse  tomber  sa  couronne  de  laurier.  En 
meme  temps  ses  traits  changent ;  le  luth  s'echappe  de  ses  mains ; 
il  palit.  Le  coeur  enilamme  de  courroux,  il  saisit  ses  armes,  tend 
son  arc,  et  d'un  trait  inevitable  frappe  ie  sein  qu-il  pressa  tant  de 
fois  sur  son  sein.  Goronis  bless^  pousse  un  cri,  et  retire  le  fer 

Scd  ncqne  jam  palmas,  nec  pectora  nuda  gerebam.  5H5 

Currcbam;  ncc,  ui  ante,  pedes  retinebat  arena ; 

Sed  siunnia  toUebar  humo.  Mox  acta  per  auras 

Evchor,  ct  dala  sum  comes  inculpata  Minervx. 

(Juid  tamen  hoc  prodest,  si  diro  facta  voluciis 

Criminc,  Nyctimene  nostro  successit  honori?  o90 

An,  quaj  pcr  lolam  res  cst  notissima  Lesbon, 

Non  audila  tibi  est,  patrium  temerasse  cubilc 

^yclimcncn?  Avis  illa  quidem;  sed  conscia  culpx, 

Conspectum  luccmquc  fugit,  tcnebrisque  pudorcui 

Celat,  ct  a  cunclis  cxpcUilur  xthere  tolo.  »  505 

Talia  dicenti :  «  Tibi,  ait,  revocamina,  corvus, 
Sint,  prccor,  isla  mald  1  Nos  vanum  spernimus  omen.  > 
Nec  coeptum  dimitlit  iter,  dominoque  jacentem 
Cum  juvenc  hicnionio  vidisse  Coronida  narrat. 
Laurea  delapsa  cst,  audito  crimine,  amanti ;  600 

Elparitcr  vultu^sque  deo,  plectrumque,  colorque 
Excidit.  Utque  aniraus  tumida  fei-vebat  ab  ira, 
Arma  assucla  rapit,  flexumque  a  cornibus  arcum 
Tcudit,  ct  iila  suo  loties  cum  pectorc  juncla 
Indcvilato  trajecit  pectora  telo.  605 

Icla  dcdit  gemitum,  tractoque  a  vulnere  ferro 


.  LIVKE  II.  75 

de  sa  blessure.  Des  flots  de  sang  rougisseut  soii  corps  d'albalre. 
flPuisse-je,  dit-elle,  avoir  assouvi  ta  vengeance,  6  Phdbus!  Maii 
j'aurais  voulu  d^abord  ^tre  mere.  En  me  frappant  seule,  la  mort 
immole  aujourd'hui  deux  victimes. »  A  ces  mots,  sa  vie  s'^happe 
avec  son  sang,  et  sur  son  corps  inanime  s'etend  le  froid  de  la  ' 
mort.  ApoUon  se  repent  trop  tard  de  sa  crueile  vengeance.  II 
maudit  a  la  fois  sa  foUe  credulite  et  son  aveugle  courroux;  il 
maudit  Toiseau  qui  lui  a  revele  la  faute  de  Coronis  et  le  sujct  de 
son  indignation ;  il  maudit  la  corde  de  son  arc,  son  arc  lui-m^me, 
sa  main  et  les  fleches  qu'elle  a  tem^rairement  lancees.  11  rcl6ve 
Coronis,  la  r^chauffe  conlre  son  sein,  et,  par  des  secours  tardifs, 
essaye  de  triompher  du  Sort.  Mais  il  a  beau  epuiser  les  ressources 
de  son  art,  ses^efforls  sont  vains.  11  voit  s'appr6ter  le  buclier  et 
briller  la  flamme  qui  doit  devorer  les  restes  de  son  amanle.  Alors 
des  sanglots  (car  les  larmes  ne  peuvenl  baigner  le  visage  d*un 
dieu)  s'exhalent  du  fond  de  son  coeur.  Ainsi  g^mit  la  genisse  de- 
venue  mere,  loi*squ'elle  voit  un  bras  vigoureux  frapper  avec  la 
masse  retentissante  la  I6te  de  son  tendre  nourrisson.  Apollon 
repand  sur  le  sein  de  sa  victime  d'inuliles  parfums,  rembrasse  et 


Catidida  punicco  perfudit  uiembra  cruore, 

Et  di\it :  «  Potui  pa'uas  tibi,  Phoebe,  dedi^sc, 

Sed  peperisse  prius  :  duo  nunc  moriemur  in  unu. » 

Uactenus,  et  pariter  vitam  cum  sanguine  fudit:  610 

Corpus  inane  animae  frigus  lethale  secutum  est. 

Poenitet  heu!  sero  poena!  crudelis  amantem; 

Soque,  quod  audierit,  quod  sic  exarserit,  odit. 

Odit  avem,  per  quam  crimen  causamque  dolendi 

Scire  coactus  erat;  nervumque,  arcumque,  manumque      G15 

Odit,  cumque  manu,  temeraria  tela,  sagittas. 

CoUapsamque  fovet,  seraque  ope  vincere  fata 

Nititur,  et  medicas  exercet  inaniter  artes, 

Qux  postquam  frustra  tentata,  rogumquc  parari 

Vidit,  et  arsuros  supremis  ignibus  artus,  620 

Tum  vero  gemitus  (neque  enim  coelestia  tingi 

Ora  licet  lacrymis),  alto  dc  corde  pelitos 

Edidit;  haud  aliter,  quam  quum,  spectantc  juvenca, 

Lactentis  viluli,  dextra  libratus  ab  aure, 

Tempora  discussit  claro  cava  mallcus  ictu.  625 

Ct  tamen  ingratos  in  pectora  fudit  odores, 


74  MfiTAMORPHO&ES. 

s^acquitte  des  devoirs  commandes  par  un  injusle  trepas\  Toutetois 
1  ne  peut  souffrir  que  le  meme  feu  reduise  en  cendres  le  fruit 
de  son  amour.  II  le  retire  des  flanmies  et  du  sein  de  sa  mere  pour 
le  porter  dans  Tanlre  de  Chiron.  Le  corbeau,  qui  attendait  la 
recompense  de  son  fid^e  recit,  ne  compta  plus,  par  Fordre  d'A- 
poUon,  au  nombre  des  oiseaux  distingues  par  la  blancheur  de 
leur  plumage. 

OGYAnO]%  mSTANORPHOSEB  EN  GAVALE. 

V.  Le  monstre  cependant  se  rejouissait  d'avoir  un  nourrisson 
d*une  race  divine :  Thonneur  inherent  a  sa  tache  faisait  son  or- 
gueiL  Tout  a  coup,  arrive,  les  cheveux  flottant  sur  ses  epaules,  la 
blonde  fille  du  Centaure  qu'autrefois  la  Nymphe  Charido  enfanta 
sur  les  rives  d'un  fleuve  rapide  et  qu'elle  nomma  Ocyrhoe.  Elle  ne 
se  contenta  pas  d'apprendre  les  secrets  deson  pere;  elle  predisait 
l'avenir.  A  peine  a-t-elle  con^u  dans  son  sime  une  fureur  prophe- 
tique;  a  peine,  echauffee  par  le  dieu  qu'elie  portait  dans  son 
coeur,  a-^t-elle  vu  renfant :  « Grandis  pour  le  salut  du  monde, 
jeune  enfant !  dit-elle.  Souvent  les  mortels  te  devront  Texistence. 


fit  dedlt  amplexus,  iujustaque  jusla  peregit, 

Non  tulit  in  cineres  labi  sua  Phoebus  cosdeni 

Semina;  sed  natum  flammis  uteroque  parentis 

Eripuit,  geminique  tulit  Chirouis  in  antium;  63U 

Sperantemque  sibi  non  falsae  praimia  lingux, 

later  aves  albas  vetuit  considere  corvum. 

OCYRHOE   MUTAVOIl  IN  EQUAIi. 

V.    Semifer  interea  divinae  stirpis  alumno 
Lsetus  erat,  mixtoque  oneri  gaudebat.bonore. 
Ecce  venit  rutilis  humeros  protecta  capillis  Gdo 

Filia  Centauri,  quam  quoadam  Nympha  Charicio, 
Fluminis  in  rapidi  ripis  enixa,  vocavit 
Ocyrhoen.  Non  hsBC  artes  contenta  patetiias 
Edidici.sse  fuit ;  fatorum  arcana  canebat. 
Ergo  ubi  vaticiuos  concepit  meute  furores,  640 

Incaluitquc  deo,  queni  clausuni  pectore  habebat, 
Aspicil  infauleni,  «  lotique  salulifer  urbi 
Ci^esce,  puer,  dixit.  Tibi  se  uiortalia  ssepe 


LlVUE  11.  IS 

11  te  s«ra  donne  de  raidmer  les  morts.  Mais,  pom*  ravoir  essaye 
ube  fois,  en  d^pit  ducourroux  des  dieux,  la  flamme  de  tou  aieul 
fempMiera  de  le  tenter  encore.  Dieu,  tu  deviendras  un  corps 
kiaiiiin^ ;  puis  dieu,  en  quittant  une  depoiulle  mortelle;  et  deux 
fois  tu  verras  renaitre  tes  destins.  Toi  aussi,  tendre  pere,  toi  qui 
0*68 plus  mortel,  et  que  le  Sort  a  dote  d'une  vie  qui  doit  se  prolon- 
ger  dans  tous  les  temps,  tu  desireras  pouvoir  mourir,  lorsque  le 
venin  d^un  serpent  cruel,  se  giissant  dans  ton  corps  a  travers  une 
blessure,  sera  pour  toi  une  source  de  douleurs.  Immortel,  les 
dieux  te  rendront  sujet  a  la  mort,  et  les  trois  Parques  trancheront 
lefildetesjours.  > 

n  lui  restait  d'autres  myst^res  k  devoiler.  Elle  pousse  un  soupir 
du  fcHMl  de  son  coeur,  et  des  larmes  silionnent  ses  joues.  «  Les 
Destins  m'enemp^ent,  dit-elle;  je  ne  puis  parler  davantage;  la 
TCHx  m^abandonne.  Mon  art  devait-il  m'attirer  ainsi  ie  courroux 
des  dieuz?  Oh!  quUl  eut  mieux  valu  ignorer  Tavenir!  Deja  la 
fonne  humaine  semble  m'^tre  ravie ;  deja  i'herbe  me  pJait  pour 
piture;  deja  Tinstinct  m'entraine  dans  de  vastes  prairies:  mon 
ooqis,  conune  celui  de  mon  pere,  prend  la  forme  du  cheval.  Mais 

Corpora  debebunt.  Animas  lihi  reddere  adcinptab 

Fas  erit;  idquc  semel  dis  indignantibus  ausus,  {i\:\ 

Posse  dare  hoc  iterum  flamma  prohiberis  avita. 

Eque  deo  corpus  fics  exsangue;  dcusque, 

Qui  modo  corpus  eras;  et  bis  tua  fata  novabis. 

tu  quoque,  care  pater,  non  jam  mortalis,  et  aivis 

Omnibus  ut  maneas,  uascendi  legc  crcatus,  (kM) 

Posse  mori  ciipies  tum,  quum  cruciubcre  diru: 

Sanguine  serpentis  per  saucia  membra  reccplo; 

Teque  ex  aetemo  patientem  numina  mortis 

Efficient,  tiriplicesqu6  des  tua  fila  resolvent.  » 

Restabat  fatis  aliquid.  Suspirat  ab  imis  (k):) 

Pectoribus,  lacrymseque  genis  labuntur  oborlac, 
Atque  ita  :  «  Praevertunt,  inquit,  me  fata,  vetorquc 
Plura  loqui,  voci^que  mes  prscluditUr  uSus. 
>'on  fuerant  slrtes  tanti,  quas  numinis  iram 
Contraxere  mihi.  Mallem  nescisse  futurd;  tieO 

Jara  mihi  subduci  facies  humana  videtur; 
Jam  cibuS  berbsl  placet;  yJnn  latis  cutrere  campis 
Jmpctus  cst  :  in  equam,  cognalilquc  corpora  vertdr. 


7G  METAMORPHOSES. 

pourquoi  la  nietaniorphose,  entiere  chez  moi,  est-elle  incomplete 
chez  lui  ?  »  Telles  etaient  ses  plaintes.  Ses  dernieres  paroles  furent 
a  peine  intelligibles  :  tant  elles  ^taient  confuses !  Bientdt  on  n*eii- 
tendil  plus  ni  des  paroles  humaines,  ni  le  hennissement  d'une  ca- 
vale,  mais  un  son  qui  cherchait  a  Timiter.  Peu  d'instants  aprei, 
elle  pousse  de  veritables  hennissements ;  ses  bras  s  agitent  sur  le 
gazon;  ses  doigts  se  tiennent,  et  ses  ongles  reunis  s^arrondissent 
en  un  leger  sabot;  sa  bouche  s'agrandit,  son  cou  s'allonge,  le  bas 
de  sa  robe  trainante  se  change  en  queue,  et  ses  cheveux  epars 
forment  la  criniere  qui  flotte  a  droite  sur  son  ccu.  Elle  prend  en 
mtoe  temps  une  voix  etune  figure  nouvelies,  et  tire  un  noaveau 
nom  de  sa  metamorphose. 

BAll^DS  niTAMORPHOSl  EN  PIERRE. 

VI.  Fondantenlarmes,  le  filsde  Philyraimplorait  en  vain  ton.se- 
Cours,  dieu  de  Delphes.  Tu  nepouvais  enfreindre  les  ordres  du  grand 
Jupiter;  et,  quand  tu  l'aurais  pu,  tu  n*etais  point  pres  de  lui.  Tu 
habitais  Tfilide  et  la  Messenie.  Tu  etais  alors  rev^tu  d'une  peau  de 
berger.  Ta  main  droite  portait  une  branche  d'olivier  sauvage,  et  la 

Tota  tamen  quare?  pater  estmihi  nempc  biformis.  » 

Talia  dicenti  pars  est  extrema  querelae  665 

Inlellecta  panim,  confusaque  verba  fuere, 

Mox  nec  verba  quidem,  nec  equas  sonus  ilie  videtur, 

Sed  simulantis  equam  ;  parvoque  in  lempore  certos 

Edidit  hinnitus,  et  brachia  movit  in  herljas. 

Tum  digiti  coeunt,  et  quinos  alligat  unguos  670 

Perpetuo  cornu  levis  ungula;  crescit  et  oris, 

El  colli  spatium;  longaB  pars  maxima  pallae 

Gauda  fit ;  utque  vagi  crines  per  coUa  jacebant, 

In  dextras  abiere  jubas;  pariterque  novata  est 

Et  vox,  et  facies ;  nomen  quoque  monstra  dedere.  075 

BATTOS  MUTATUR  IN  LAPIDEM. 

VI.  Flebat,  opcmque  tuam  frustra  Philyreius  hcros, 
Delphice,  poscebat.  Nam  nec  rescindere  magni 
Jussa  Jovis  poleras ;  nec,  si  rescindere  posses, 
Tunc  aderas  :  Elin,  messaniaque  arva  colebas. 
!llud  erat  tempus,  quo  te  pastoria  pellis  680 

Texit,  vttusque  fuit  dextrae  silvestris  oliTa; 


LIVRE  II.  77 

gauche  une  Mie  formee  de  sept  roseaux  d'inegale  grandeur.  Tout 
entier  k  l'amour,  tu  faisais  tes  d^lices  de  ton  chalumeau,  lorsque 
des  g^nisses  s'avano§rent,  dit-on,  sans  gardien,  dans  les  ciiamps 
de  Pylos.  Le  fils  de  Maia  les  voit,  et,  grSce  a  son  adresse,  les  de- 
robe  et  les  cache  au  fond  des  bois.  Ce  larcin  ne  fut  remarque  de 
personne,  excepte  d'un  vieillard  connu  dans  les  campagnes  voi- 
sines  :  on  Tappelait  Battus.  II  etait  charge  de  garder  les  bois,  Jes 
gras  p&turages  du  ricbe  Nelee  et  ses  nobles  cavales.  Mercure  le 
redoote.  D*une  main  caressante  il  le  tire  a  part,  et  lui  dit :  « Qui 
qae  tu  sois,  ^tranger,  si  Ton  reclame  ces  troupeaux,  reponds  que  tu 
ne  les  a  point  vus.  Pour  un  tel  service,  re^ois  cette  genisse  su- 
perbe.  »  II  la  lui  donne.  L'6tranger  Taccepte  en  ajoutant :  « Retire- 
tdsans  crainte.Gettepierrerev^IerapIutdtquemoitonlarcin.  »  En 
mtoe  temps  il  lui  montreune  pierre.  Le  fils  de  Jupiter  feint  de 
s*^0]gner.  Bientdt  il  revient  avec  une  voix  et  une  figure  nou- 
Tdks.  €  Berger,  dit-il,  as-tu  vu  des  genisses  errer  dans  ces  cam- 
p9^:nes?  Aide-moi  a  decouvrir  ce  larcin.  Tu  recevras  pour  r6com- 
pense  nne  g^nisse  et  un  taureau.  »  Le  vieillard,  gagn^  par  Tapp^t 
d'un  double  salaire,  lui  repond  :  «  Vous  les  trouverez  derriere  ces 

AUerius,  dispar  septenis  fistula  cannis. 

Dumque  amor  est  curie,  dum  te  tua  fistula  mulcet, 

Incustoditac  pylios  meraorantur  in  agros 

Processisso  boves.  Yidet  has  atlantide  Maia  CS5 

Natus,  et  arle  sua  silvis  occultat  abactas. 

Senserat  hoc  furtum  nemo,  nisi  notus  in  illo 

Ilure  senex  :  Battum  vicinia  tota  vocabant. 

Divitis  hic  saltus  hcrbosaque  pascua  Nelei, 

Nobiliumque  gregcs  custos  servabat  cquarum.  GGU 

Ilunc  tirauit,  blandaque  manu  scduxit,  et  ilii  : 

«  Quisquis  es,  hospes,  ait,  si  forle  arnienla  requiret 

Haec  aliquis,  vidisse  noga.  Neu  gratia  facto 

ISulla  rcpendatur,  nilidam  cape  prajmia  vaccam.  » 

Et  dedit.  Accepta,  voccs  has  reddidit  hospes:  095 

u  Tutus  eas.  Lspis  istc  prius  tua  fuila  loquatur.  » 

Et  lapidera  oslcndit.  Simulat  Jove  natus  ahire. 

Mox  redit,  et,  versa  paritcr  cum  voce  ilgura : 

«  Rustice,  vidii^ti  si  quas  hoc  limite,  dixit, 

Ire  l»oves,  fer  opem  furtoque  silentia  deme.  700 

Inncta  suo  pretium  dabitur  libi  femina  lauro.  » 

At  senior,  postquam  merccs  geminata  ;  «  Sub  illis 


78  METAMORPHOSES. 

montagnes.  »  Elles  y  etaient  en  eflet.  Le  petit-filsdWtlas  se  mit  a 
rire  : «  Perfide,  c'est  moi  que  tu  trahis,  tu  me  Iraliis  moi-mfime !  » 
dit-il ;  et  il  changea  le  parjure  vieillard  en  une  pierre  dure  qu'au- 
jourd'hui  m^me  on  appelle  pierre  de  touche.  Depuis  ces  temps 
anciens  elle  est  marquee  d'une  tache  d*infamie  qu'elle  n'a  point 
meritee. 

AGLAUBE  CHAItGiE  EN  ROGHER. 

Vn.  De  Pylos,  Mercure  prend  son  vol,  et  ses  regards  ddcouvrent 
ies  champs  de  Munychie,  la  contr^e  cherie  de  Minerve  et  le  bois 
qui  couronne  le  Lycee.  Ce  jour-la,  suivant  Tantique  usage,  de 
chastes  vierges  portaient  sur  leurs  tStes,  dans  le  sanctuaire  de 
Pallas  pare  pour  cette  solennite,  des  corbeilles  chai^ees  de  pures 
offrandes.  A  leur  retour,  le  dieu  les  voit.  Des  lors  il  quitte  la  ligne 
droite  et  se  replie  sur  hii-m^me.  Tel,  dans  son  rapide  essor, 
quand  il  aper^oit  les  entrailles  d'une  victime,  le  milan  trace  un 
circuit  dans  les  airs,  tant  que  la  crainte  Tinquiete  et  que  les  prfi- 
tres  environnent  Tautel ;  il  n'ose  s*eloigner  et  plane  avidement 
autour  de  la  proie  qu'il  espere.  Ainsi,  dans  son  vol,  le  dieu  de 


Montibus,  inquit,  enint;  »  et  erant  sub  montibus  illis.  I 

Risit  Atlantiades,  et:  «  He  mihi,  periide,  prodis?  | 

Me  mihi  prodis?  »  ait;  perjuraque  pectora  vertit  705                   j 

In  durum  silicera,  qui  nunc  quoque  dicitur  Index;  J 

Inque  nihil  merito  velus  est  infiamia  saxo.  ' 

AGLAUROS   IN   SAXUM  OBRIGESCIT. 

VII.    Ilinc  se  sustulerat  paribus  Gaducirer  alis,  \ 

Munychiosque  volans  agros,  gratamque  Minerv»  j^ 

Despectabat  huraum,  cuilique  arbusta  Lycei.  710                   ^ 

Illa  forte  die  castse  de  more  pueliae  l 

Vertice  supposito  festas  in  Palladis  arces  -i 
Pura  coronatis  portabant  sacra  canistris. 
Inde  revertentes  deus  aspicit  ales  iterque 

Non  agit  in  rectum,  sed  in  orbem  curvat  eumdcm.  715 

VI  volucris  visis  rapidissima  miluus  extis,  .^ 

Dum  timet,  et  densi  circumstant  sacra  ministri,  .  j  :^ 
Flertitur  in  gyrum,  ncc  longius  audet  abire. 


it 


Sppmque  suam  motis  avidus  circumvolat  alis  ^ 


LIVRE  11.  70 

Cyliene  tourne  au-dessus  des  murs  rrActe  en  dccrivaut  le  m^me 
cercle.  Autant  Lucifer  eclipse  les  etoiles  par  son  eclat,  autant  la 
blondePheb^  feclipse  toi-mdme,  6  Lucifer!  autant  flers^,  par  ses 
attraits,  efface  toutes  les  vierges.  Elle  est  a  la  fois  romement  de 
cette  f§te  et  de  ses  compagnes.  A  la  Tue  de  tant  de  cbarmes,  ie 
fils  de  Jupiter  s'arr^te  immobile.  Suspendu  dans  les  airs,  il  s'en- 
flamme  comme  le  plomb  qui,  lance  par  ia  fronde,  ¥ole  et  s'em- 
brase  en  sillonnant  les  nuages  ou  il  rencontre  des  feux  inconnus. 
n  change  de  route,  ei,  sans  se  deguiser  (tant  il  se  fie  a  ses  ciiar- 
mes!)y  il  quitte  le  ciel  pour  se  diriger  vers  un  autre  point.  Sa 
beaute,  quoique  parfaite,  puise  dans  Tart  un  pouvoir  nouveau.  ii 
arrange  ses  cheveux,  il  fait  flotter  avec  grSce  sa  chlamyde  sur  ses 
epaules,  pour  qu'elle  etale  a  tous  les  yeux  Tor  et  sa  riche  brode* 
rie  de  pourpre;  sa  main  tient  la  baguette  legere  qui  appelle  ou 
bannit  ie  sommeil ;  ses  ailes  briilent  a  ses  pieds. 

Au  fond  du  palais  de  Cecrops  ^taient  trois  appartements  que  d^- 
coraient  l'ivoire  et  recaille.  Le  tien,  Pandrose,  se  trouvait  a  droite, 
ceiui  d'Aglaure  a  gaucbe,  et  celui  d'Herse  au  miiieu.  Aglaure  s'a- 
pergut  ia  premiere*de  Tarrivee  de  Mercure.  Elle  osa  lui  demander 

Sic  super  actaeas  agilis  Cyllenius  arces  7:20 

Inclinat  cursus,  ct  easdem  circinat  auras. 

Quanto  splendidior,  quam  caetera  sidera,  fulgel 

Lucifer;  et  quanto,  te,  Lucifer,  aurea  Phcebe; 

Tanto  virginibus  praestantior  omnibus  Hcrsc 

Ibat,  eratque  decus  pompse  comitumque  suarum.  725 

Obstupuit  forma  Jove  natus,  et  aeibere  pendens 

Non  secus  exarsit,  quam  quum  balearica  plumbtini 

Funda  jacit;  volat  illud,  et  incandescit  cundo, 

Et,  quos  non  habuit,  sub  nubibus  invenit  ignes. 

Vertit  iter,  cceloqud  pelit  diversa  relicto,  730 

Nec  se  dissimulat :  tanta  est  fiducia  formae  I 

Qnae  quanquam  justa  est,  cura  tamen  adjuval  illani, 

Permulcetque  comas,  chlamydemque,  ut  pendeat  aple, 

CoUocat ;  ut  limbus,  totumque  appareat  aurnm ; 

Ut  teres  in  dextra,  qua  somnos  ducit  et  arcet,  7o5 

Virga  sit;  ut  tersis  niteaat  talaria  plantis. 

Pars  secreta  domus  ebore  et  testudine  cultos 
Tres  habuit  thalamos  quorum  tu,  Pandrose,  dextrum, 
Aglauros  laevum,  medium  possederat  Herse. 
Quae  tenuit  laeyum,  Tenientem  prima  notavit  740 

Mercurinm,  nomenqne  dei  scitarier  ausa  est,  » 


80  MfeTAMORPHOSES. 

son  nom  et  le  motif  de  sa  pr^sence.  Le  pelit-fils  d'Atlas  et  de 
Pleion^  lui  r^pondit :  « Je  suis  le  dieu  qui  porle  a  travers  les  airs 
les  ordres  de  mon  pere ;  et  mon  p6re,  c'est  Jupiter  lui-mdme.  Je 
ne  falleguerai  point  de  vains  pretextes.  Seulement,  sois  fid^le  a 
ta  soeur,  et  consens  a  voir  des  neveux  dans  mes  enfants.  Je  viens 
pour  Herse.  Je  l'en  supplie,  favorise  ma  flamme.  »  Aglaure  le  re- 
garde  avec  ces  m^mes  yeux  qui  naguere  penetr^rent  le  secret  de 
Miiierve.  Elle  demande  pour  ce  service  une  somme  consid^rable, 
et  presse  le  dieu  de  sortir  du  palais.  La  deesse  de  la  guerre  lui 
lauce  un  regard  menagant.  Les  profonds  soupirs  qui  s'exhalent  de 
son  coeiu*  font  tressaiUir  sa  forte  poitrine  et  T^ide  qui  la  pro- 
tege.  Elle  se  souvient  qu'Aglaure  d'une  main  profane  devoila  le, 
mystere,  lorsque,  contrela  foi  juree,  elle  porta  les  yeux  sur  le  fils 
du  (lieu  de  Lemnos  qui  venait  de  naitre  sans  mere.  Elle  sent 
qu'AgIaurc  va  gagner  la  faveur  du  dieu  et  de  sa  soeur,  tout  en 
s'enrichissant  par  Tor  qu'exige  sa  cupidit^. 

Aussitdt  elle  se  dirige  vers  le  palais  de  TEnvie  souiUe  d'un  sang 
noir.  Sa  demeure  se  cache  au  fond  d^une  vall6e  inconnue  du  soleil, 
inaccessible  a  tous  les  vents,  triste,  glac^e  d'un  froid  lethargique, 

Et  causam  adventus.  Cui  sic  respondit  Atlantis 

Pleionesque  genus  :  «  Ego  sum,  qui  jussa  per  auras 

Verba  patris  porto.  Pater  est  mihi  Jupiter  ipse. 

Nec  fmgam  causas  :  tu  tantum  fida  sorori  715 

Esse  velis,  prolisque  meae  matertera  dici. 

Herse  causa  via;.  Faveas,  oramus,  amanti.» 

Aspicit  liunc  oculis  isdem,  quibus  abdita  nuper 

Viderat  Aglauros  flava:  secreta  Minervse ; 

Proquc  ministerio  magni  sibi  ponderis  aurum  7.^)0 

Postulat.  Intcrea  lectis  excedere  cogit. 

Vertit  ad  hanc  torvi  dea  bellica  luminis  orbem, 

Et  tanto  penitus  traxit  suspiria  motu, 

Ut  pariter  pectus,  positamque  in  pectoro  forti 

^gida  concuteret.  Subit  hanc  arcana  profana  755 

Delexisse  manu,  tum  quum  sine  matre  creatam 

Lcmnicoiae  stirpem  contra  data  foedera  vidit; 

El  gratamque  deo  fore  jam  gratamque  sorori, 

Ktditem  sumpto,  quod  avara  poposcerit,  auro. 

Protinus  Invidiae,  nigro  squalentia  tabo,  760 

Tecta  pelit.  Domus  est  imis  in  vallibus  aniri 
Abdita,  sole  carens,  non  ulli  pervia  vento, 
Trislis,  et  ignavl  plenissima  frigoris,  et  qun 


LIVRE  II.  81 

toDJours  priv^e  de  feu  et  chargee  de  brouillards.  Parvenue  h  ce  s^ 
joar,  la  d^esse  guerri^re  s'arr6te  devant  la  porte  (car  il  ne  lui  est 
pas  permis  d'entrer)  et  la  frappe  du  bout  de  sa  lance.  A  Tinstant 
k  porte  s*ouvre.  Minerve  voit  TEnyie  couchee  dans  son  antre  et 
d^orant  des  viperes,  aliment  de  ses  fureurs.  Elle  detoume  les 
yeux.  L'Envie  se  l^ve  lentement  de  terre,  abandonne  des  repliles  a 
demi  ronges,  et  se  traine  d  un  pas  languissant.  A  la  vue  de  la 
d^se,  dont  la  beaute  et  les  armes  rehaussent  la  majeste,  elle 
gemit  et  met  sa  figure  en  harmonie  avec  ses  profonds  soupirs.  La 
p^leur  si^e  sur  ses  traits ;  son  corps  est  decharne ;  jamais  son 
regard  ne  se  fixe ;  ses  dents  sont  tartreuses  et  livides ;  le  fiel  gonfle 
son  cceur ;  sa  langue  distille  des  poisons ;  le  sourire  ne  paraitsur 
ses  l^ivres  qu'a  Taspect  des  malheurs.  Tenue  en  dveil  par  mille  sou- 
ds,  elle  ne  ferme  jamais  ses  paupi^res.  La  prosperite  humaine  la 
fait  s^her  de  depit.  En  dechirant  autrui,  elle  se  d^chire  elle- 
m^e :  elle  est  son  propre  bourreau.  Quoique  Minerve  Tabhorre, 
dle  hii  adresse  ce  peu  de  mots  :  a  Repands  ton  venin  dans  le  coeur 
d*uiie  des  filles  de  Gecrops ;  je  le  veux :  Aglaure  est  son  nom.  • 


Jgne  Tacet  semper,  caligiue  semper  abundet. 
Buc  ubl  pervenit  belli  meluenda  virago,  765 

Gonstitit  ante  domum,  neque  enin)  succederc  trclis 
Fas  habct,  et  postes  eitrema  cuspide  pulsat. 
ConcussaB  patuere  fores.  Videt  intus  edentem 
Yipereas  carnes,  vitiorum  alimenta  suorum, 
Invidiam,  visaque  oculos  avertit.  At  illa  770 

Surgit  humo  pigre,  scmesarumque  relinquit 
(lorpora  serpentum,  passuque  incedit  inerti. 
Utque  deam  vidit,  formaque  armisque  decoram, 
In<^emuit,  vultumque  ima  ad  suspiria  duiit. 
Pallor  in  ore  sedet;  macies  in  corpore  toto;  775 

Nusquam  recta  acies;  livent  rubigine  denles; 
Pectora  felle  virent;  lingua  est  suffusa  veneno; 
Risus  abcst,  nisi  quem  visi  movcre  dolores; 
»c  fruilur  somno,  vigilacibus  cxcita  curis; 
Sed  videt  ingralos,  intabe^citquc  videndo.  780 

Successus  hominum;  carpitquc  et  cirpilur  una, 
Suppliciumquc  suum  cst.  Quamvis  tamen  odoral  illam, 
Talibus  afiata  est  breviter  Tritonia  dictis  : 
«  Infice  labe  tua  uatarum  Cecropis  unam; 
Sic  opus  psl :  Ajrlauros  ea  est.  »  Haud  plura  Incnta,  785 

5. 


«2  MfiTAMORPIIOSES. 

Aussiidt  elle  s^enruft  en  repoussant  la  terre  (!u  bout  de  sa  lance. 
L'£nvie  ^uit  la  deesse  d*un  oeil  oblique,  et  fait  entendre  un  sou* 
))ir  qui  atteste  ie  d^plaisir  qu'elle  eprouve  de  travailler  pour  Mi* 
nerve.  Elle  s'arme  d'un  b&ton  h^riss^  d'epines,  et  marche  cou- 
verte  d*un  sombre  nuage.  Partout  ou  elle  passe  elle  foule  sous  ses 
pieds  les  fleurs,  dess^che  les  gazons  et  abat  les  hautes  cimes. 
Peuples,  cit^,  familles,  tout  est  infecte  de  son  souffle  impur.  Enfm 
elle  aper^it  la  ville  de  Minerve,  que  le  genie,  Topulence  et  la  paix 
rendent  heureuse  et  florissante.  A  peine  retiait-elle  ses  pleurs, 
parce  qu*elle  a'y  voit  rien  de  lamentable.  Des  qu'elle  est  entree 
dans  Tapparlement  de  la  fille  de  Cecrops,  elle  accomplit  les  ordres 
de  Minerve.  EUe  applique  sur  le  sein  d'Aglaure  sa  main  ensan- 
glantee,  remplit  son  cceur  de  pointes  decbirantes,  lui  souffle  un 
poison  mortel,  et  fait  circuler  dans  sa  poitrine  un  noir  venin  qui 
penetre  jusqu'a  la  moelle  de  ses  os.  Afin  de  resserrer  dans  un 
m^me  cadre  toutes  les  causes  de  ses  souffrances,  elle  rassemble 
sous  ses  yeux  Hers^,  son  heureux  hymen  et  le  dieu  dont  la  beaute 
Ta  charmee.  £n  mSme  temps  elle  amplifie  tout  ce  qui  est  capable 
d^exciter  dans  le  cceur  dWglaure  une  jalousie  secrete  qui  la  d6- 

Fngit,  et  impressa  tetlurem  reppulit  hasta. 

Illa,  deam  obliquo  fugientem  lumiue  cerneus, 
Murmura  parva  dedi!,  successurumque  Blinerva! 
Indoluit;  baculumque  capit  quod  spiaea  totum 
Vincuia  cingebant.  Adopertaque  nubibus  atris,  IHU 

Quacumque  ingreditur,  florentia  proterit  arva, 
Rxuritque  herbas,  et  summa  cacumina  carpit, 
Afflatuque  sito  populos,  urbesque,  domosque 
Polluil;  ot  tandem  tritonida  conspicit  arcem, 
Ingeniis,  opibusque,  et  festa  pace  virentem;  79^ 

Vixque  tenet  iacrymas,  quia  nil  lacrymabile  ceriiil. 
Sed  postquam  tbalamos  intravit  Cecrope  nata>, 
Jussa  facit,  pectusque  manu  ferrugine  tincla 
Tangit,  et  hamulis  praecordia  sentibus  implet, 
Inspiratque  nocens  virus,  piceumque  per  ossa  ^H)u 

Dissipat,  et  medio  spargit  pulmonc  venenum. 
Nevp  mali  spatium  causne  per  latius  errenl, 
Tiermanam  ante  orulos,  fortunatumque  sororis 
Conjugium,  pulchraque  deum  sub  imagine  ponit. 
runctaqne  magna  facit,  quibus  irritata,  dolore  ^^'» 


i 


LIVRE  IL  83 

chire.  L'infortan4e  gemit  dans  des  tourments  de  nuit  et  de  jour ; 
elle  cede  a  un  poison  lent,  ainsi  que  la  glace  fond  aux  rayons  d'uQ 
soleil  d^hiver^  Le  bonheur  d'Herse  la  minc  comme  le  feu  consume 
sourdementlesplantes  epineuses  sans  qu^elles  jettent  de  flammes. 
Souvent  elle  voulut  mourir  pour  n'^tre  pas  temoin  de  Thymen  de 
sa  soeur;  souvent  elle  voulut  le  reveler  comme  un  crime  a  la 
severit6  de  son  p6re. 

Enfm,  assise  k  la  porte  du  palais,  elle  attend,  pour  le  repousser, 
le  dieu  qui  s'avance  du  c6te  oppose.  En  vain  emploie-t-il  les  ca- 
resses,  les  prieres  et  les  plus  douces  paroles  :  «  Cesse,  lui  dit-eile; 
je  ne  m'eloignerai  d'ici  qu^apres  t'en  avoir  chasse.  —  J'y  consens, » 
r^lique  aussitdt  le  dieu  de  Gyllene ;  et  de  s;i  baguette  il  frappe  les 
portes  ciselees.  Aglaure  veut  se  lever;  mais  les  membres  qui 
plient  quand  nous  nous  asseyons,  enchaines  par  un  engourdisse- 
raent  invincible,  ne  peuvent  se  mouvoir.  Eile  t^che  de  se  redres- 
ser,  mais  les  articulations  de  ses  genoux  se  roidissent ;  le  froid 
circule  dans  son  corps,  et  ses  veines,  privees  de  sang,  perdent  leur 
azur.  Comme  un  cancer  incurable  etend  ses  ravages  et  gagne  in- 
sensiblement  les  parties  saines,  ainsi  les  glaces  de  la  morl,  pene- 

Cecropis  occulto  mordetnr ;  et  anxia  nocle, 

Anxia  luce  gemit;  lenlaque  miserrima  tabe 

Liquitur,  ut  glacies  incerto  sauciu  solc. 

Felicisque  bonis  non  secius  uritur  Herses, 

Quam  quum  spinosis  ignis  supponitur  herbis,  810 

Quse  neque  dant  flammas,  lenique  vapore  cremanlur. 

Ssepe  mori  voluit,  ne  quidquam  tale  videret; 

Sa>pe,  velut  crimen,  rigido  narrare  parenti. 

Denique  in  adverso  venientem  limine  sedit 
Exclusura  deum.  Gui  blandiroenta,  precesque,  H15 

Verbaque  jactanti  mitissima  :  «  Desine,  dixit. 
Hinc  ego  me  non  sum  nisi  te  motura  repulso.  » 
«  Stemus,  ait,  pacto,  velox  Cyllenius,  isto.  » 
Caelatas(]ue  fores  virga  patefecit.  At  illi 
Snrgere  conanli  partes,  quascumque  sedendo  820 

Flectimur,  ignava  nequeunt  gravitate  moveri. 
Illa  quidem  recto  pugnat  se  attollere  truneo; 
Sed  genuum  junctura  riget,  frigusque  per  artus 
Labitnr,  et  pallent  amisso  sanguine  venae. 
Utque  malum  lale  solet  inmiedicabile  cancer  H^io 

Serpere,  et  illsesas  vitiatis  addere  partes; 


84  MfiTAMORPHOSES. 

trant  peu  k  peu  dans  le  coeur  d'Aglaure,  ferment  le  cand  de  la  vie 
et  de  la  respiration.  Elle  ne  fit  aucun  effort  pour  parler.  L'ei!^t-elle 
tent^,  sa  voix  n'aurait  plus  trouv6  d'issue.  Deja  son  cou  etait  pc- 
trifi^;  son  visage  avait  durci.  Eile  etait  chang^e  en  une  sta- 
tue  assise.  La  pierre  m^me  n'6tait  plus  blanche :  son  4me  i'avait 
noircie.  ^ 

JDPITER,   SOUS  LA  FORME  d'uN  TAURBAU,   ENLIiVE  EUROPE. 

YIIL  Cest  ainsi  que  le  petit-fils  d'Atlas  punit  les  insolents  pro- 
pos  d*wie  fille  jalouse.  Aussitdt  il  quitte  la  contree  que  Pallas  de- 
core  de  son  nom,  et,  balance  surses  ailes,  il  rentre  au  c^leste  se- 
jour.  Son  pere  le  prend  a  part,  et,  sans  lui  parler  de  Tamour, 
objet  de  son  nouveau  message  :  <t  Fidele  ministre  de  mes  volon- 
tes,  lui  dit-il,  6  mon  fils !  hate-toi  de  voler  vers  la  terre  avec  la 
vitesse  accoutumee.  Rends-toi  dans  cette  contree  qui  regarde  ta 
mere,  a  notre  gaucbe,  et  que  ses  habitants  appellent  Phenicie 
Emmene  jusqu^aux  bords  de  la  mer  ce  royal  troupeau  que  tu  vois 
paitre  au  loin  sur  la  montagne. »  II  dit,  et  deja  les  taureaux  chass^ 
dans  la  plaine  cheminent  vers  le  rivage,  ou  la  fille  du  puissant  roi 

Sic  lelhalis  hiems  paulatim  in  pectora  venit 

Vitatesque  vias,  et  respiramina  clausit. 

Mec  conata  loqui  est;  nec,  si  conata  fuisset, 

Vocis  haberet  itcr.  Saxum  jam  colla  tenebat,  830 

Oraquc  duruerant,  signumque  cxsangue  sedebat, ' 

Nec  lapis  albus  erat;  sua  mens  infecerat  illam. 

JUPITER,  SUUPTA  TAORI  SPEGIE,   EUROPAU  RAPIT. 

VIII.    Has  ubi  verborum  poenas  mentisque  profanse 
Cepit  Atlantiades,  dictas  a  Pallade  terras 
Linquit,  et  ingreditur  jaclatis  xthera  pennis.  835 

Sevocat  hunc  genitor,  nec  causam  fassus  amoris : 
«  Fide  minister,  ait,  jussorum,  nate,  meorum, 
Pelle  moram,  solitoque  celer  delabere  cursu; 
Quxque  tuam  matrem  tellus  a  parte  sinistra 
Suspicit,  indigenae  Sidonida  nomine  dicunt,  840 

Hanc  pele ;  quodque  procul  montano  gramine  pasci 
Armentum  regale  vides,  ad  litlora  verte. » 
Dixit.  et  expulsi  jamdudum  monte  juvenci 
Littora  ju9sa  petunt,  ubi  magni  filia  regis 


LIVRE  II.  W 

de  la  contr^e  avait  coutume  de  jouer  au  milieu  des  jeunes  Ty- 
ri^uies,  ses  compagnes.  La  majest^  et  Tamour  ne  s'acoordent 
gn^re  et  ne  vont  point  ensemble.  Aussi,  d^posant  son  auguste 
sceptre,  le  p^re  et  le  maitre  des  dieux,  qui  tient  dans  sa  main  la 
foudre  terrible,  et  qui  d'un  signe  ebranle  le  monde,  rev^t  la  forme 
d'un  taureau.  Gonfondu  parmi  les  troupeaux  d'Agenor,  il  mugit  et 
promene  sur  le  tendre  gazon  ses  belles  formes.  II  est  blanc  comme 
la  neige  qui  n'a  pas  encore  ete  foulee  par  un  pied  rustique,  ni 
amollie  par  Thumide  Aquilon.  Ses  muscles  se  gonflent  sur  son 
cou;  son  fanon  se  balance  avec  gr^ce;  ses  comes  sont  petites, 
mais  semblent  polies  par  la  main  d'un  artiste,  et  brillent  plus 
qu^une  pierre  precieuse.  Son  front  n'a  rien  de  menaQant,  son  oeil 
rien  de  terrible  :  la  douceur  regne  dans  tous  ses  traits. 

La  fille  d'Agenor  admire  la  beaut^  de  ce  taureau ;  elle  s*etonne 
qu'il  ne  respire  point  les  combats.  Gependant,  malgre  la  douceur 
de  ranimal,  elle  n'ose  d'abord  le  toucher.  Bientdt  elle  s'en  ap- 
proche,  et  pr^sente  des  ileurs  a  sa  bouche  d'alb^tre.  Son  amant 
tressaille  de  joie ,  et ,  en  attendant  le  bonheur  qu'appellent  ses 
yceuXy  il  baise  la  main  de  la  princesse.  A  peine  peut-il  contenir 


Ludere,  virginibus  tyriis  coinitata,  solebat.  845 

Non  beue  conveniunt,  nec  in  una  sede  morantur 

Majestas  et  amor.  Sceptri  gravitate  relicta, 

Ille  pater  rectorque  deum,  cui  dextra  trisulcis 

Ignibus  armata  est,  qui  nutu  concutit  orbem, 

Induitur  faciem  tauri,  mistusque  juvencis  O 

Mugit,  et  in  teneris  formosus  obambulat  lierbis. 

juippe  color  nivis  e&t,  quam  nec  vebtigia  duri 

Calcavere  pedis,  nec  solvit  aquaticus  Auster. 

Colla  toris  exstant;  armis  palearia  pendent; 

Cornua  parva  quidem,  sed  quse  contendere  possis  So;j 

Facla  manu,  puraque  magis  perlucida  gemma. 

Nullae  in  fronte  minae,  nec  formidabile  lumen; 

Pacem  vultus  habet. 

Miratur  Agcnore  nata, 
Quod  tam  formosus,  quod  prxlia  nulla  minetur. 
Sed,  quamvis  mitem,  metuit  contingere  primo.  8C0 

Mox  adit,  et  tlores  ad  candida  porrigit  ora. 
Gaudet  amans,  et,  dum  veniat  sperala  voluplas, 
Oscula  dat  manibus.  Yix  ah!  vix  caclera  differt. 


86  M^TAMORPHOSES. 

ses  Iransports.  II  joue,  il  bondit  sur  le  vert  gazon.  Tant6t  il  re- 
pose  sur  le  sable  son  corps  ^louissant;  tantdt,  apres  avoir  insen- 
siblement  dissipe  la  frayeur  d'Europe,  il  pr^sente  son  poitrail  a 
ses  caresses ;  fantdt  il  lui  permet  d'enlacer  a  ses  comes  de  fraiches 
guirlandes.  Eniin  la  princesse,  ignorant  quelle  est  sa  divine  mon- 
ture,  ose  s^asseoir  sur  le  taureau.  Le  dieu  alors  s'eloigne  de  la 
terre  et  du  rivage.  Peu  a  peu  il  baigne  sur  le  bord  de  Fonde  ses 
pieds  trompeurs.  Bient6t  il  penetre  plus  avant,  et  emporte  sa 
proie  au  travers  des  flots.  Europe,  effrayde,  tourne  ses  regards  vers 
les  bords  qu'elle  a  quittes  malgre  elle.  Sa  main  droite  tient  une 
corne  du  taureau,  la  gauche  s'appuie  sur  sa  croupe,  et  les  plis  on- 
duleux  de  sa  robe'flottenl  au  gre  des  vents. 


El  nunc  alludit,  viridique  exsultal  in  licrba ; 

Nunc  latus  in  fulvis  niveum  deponit  arcnis ;  865 

Paulatimque  metu  dempto,  modo  pectora  praibel 

Virginea  plaudenda  raanu ;  modo  cornua  sertis 

Impedienda  novis.  Ausa  est  quoque  regia  virgo, 

Nescia  quem  premeret,  tergo  considere  tauri. 

Tum  deus  a  terra,  siccoque  a  littore,  sensira  870 

Falsa  pedum  primis  vestigia  ponit  in  undis. 

Indc  abit  ullerius,  mediique  per  aequora  ponti 

Fert  prsdam.  Pavet  haec,  littusque  abiata  relictum 

Respicit,  et  dextra  cornum  tenet,  altera  dorso 

Imposita  est :  treraulae  sinuantur  flamine  vestes.  875 


LTVRE  TROISIEME 


AG^NOR    ORDONNE    A    RADHU8    DR    GHRRCHER    SA    niXB    QU*1L    VIBIIT 
DE   PRRDRE.    —  COMBAT  DR   GADmiS   AVRC  UN    DRAGOft. 

I.  D^ja  ledieu,  depouiile  de  la  Irompeuse  forme  du  taureau.  s*e- 
tait  fait  connaitre,  et  habitait  la  Crete,  lorsque  le  pere  d'£urope, 
ignorant  dans  quelle  r^ion  avait  ete  transportee  sa  fiile,  enjoignit 
a  Gadmus  de  la  chercher;  et,  se  montrant  a  la  fois  pere  tendreet 
cruel,  le  menaga  de  i'exil  s'il  ne  la  trouvait  pas.  Gadmus  erre  jus- 
jusqu'aux  limites  du  monde.  Mais  qui  pourrait  d^uvrir  les  lar- 
cins  de  Jupiter  ?  Reduit  a  fuir  sa  patrie  pour  se  d^ober  au  cour- 
rouxde  soi)p^re,d'une  voix  suppliante  il  implore  l'oracle  d^Apollon, 
et  lui  demande  quelle  terre  il  doit  habiter. «  Une  g^nisse,  r^pond 
le  dieu,  s'offrira  seule  a  tes  regards  dans  les  campagnes.  Jamais 
elle  n'a  port6  le  joug,  ni  traine  la  charrue.  Prends-la  pour  guide, 

LIBER  TERTIUS 

AOENOR  CADMO   IMPERAT  UT   nLIAM   AMISSAM  QUJ-:nAT.    —    CADMUS    C.VH    M,U:O^Z 
COLLIICTATDR. 

I.    Jainqiie  deus  posita  fallacis  imagine  tauri, 
Se  confessus  erat,  dictsaque  rura  tenebat, 
Ouum  pater  igntrus  Cadmo  perquirere  raplam 
Imperat,  et  poenam,  si  non  invenerit,  addit 
Exsilium,  facto  pius  et  sceleratus  eodem.  f; 

Orbe  pererrato,  quis  enim  deprendere  possit 
Furia  Jovis?  profugus  patriamque,  iramque  paronlis 
Vitat  Agenorides,  Phoebique  oracula  supplex 
Consulit,  et  quui  sit  tellus  habitanda,  requirit. 
«  Bos  tibi,  Phoebus  ait,  solis  occurret  in  arvis,  10 

Nnllnm  passa  jugum,  curvique  immunis  aratri. 


88  METAMORPHOSES. 

el,  dans  la  prairie  ou  lu  la  verras  se  reposer,  fonde  une  ville  ot 
donne  a  la  contr^e  le  nom  de  B^otie.  » 

A  peine  descendu  de  Tantre  de  Gastalie,  Cadmus  voit  s'avancer 
lentement  et  sans  gardien  une  genisse  dont  le  cou  ne  porte  aucune 
empreinte  du  joug.  II  marche  sur  ses  traces  d'un  pas  rapide,  et 
adore  en  silence  le  dieu  qui  lui  ouvre  une  route.  Deja  il  avait  fran- 
chi  les  bords  du  Gephise  et  les  champs  de  Panope.  La  genisse  s*ar- 
r6te,  l^ve  vers  le  ciel  son  large  front  orne  de  cornes  superbes,  et 
remplit  Tair  de  mugissements.  Puis,  toiu-nant  ses  regards  vlrs  ses 
compagnes  qui  la  suivent,  elle  se  couche,  et  de  ses  flancs  presse  le 
tendre  gazon.  Cadmus  remercie  le  dieu,  baise  cette  terre  etran- 
gSre,  et  salue  ces  montagnes  et  ces  plaines  inconnues.  U  s'appr^te 
^offrir  un  sacrifice  a  Jupiter,  et  ordonne  a  ses  compaghons  d'aller 
puiser  de  Teau  vive  pour  les  libations. 

La  s'^levait  une  antique  forSt  que  la  hache  avait  toujours  res- 
pectee.  Au  milieu  etait  une  caverne  couverte  d'epaisses  brous- 
sailles.  L'entree  presentait  une  basse  voute  en  pierres.  II  en 
sortait  une  source  abondante.  Au  fond  de  cette  caverne  6tait  caclie 
le  dragon,  fils  de  Mars.  Sa  cr^te  avait  Teclat  de  Tor;  Ja  flamme 
• 

Hac  duce  carpe  yias,  el,  qua  requieverit  herba, 
Moenia  fac  condas,  boeotiaque  illa  vocalo.  » 

Vix  bene  castalio  Cadmus  descenderat  antro, 
Incustoditam  lente  vide^  ire  juvencam,  15 

NuUum  servitii  signum  cervice  gerentem. 
Subsequitur,  pressoque  legit  vestigia  gressu, 
Auctoremque  viae  Phoebum  taciturnus  adorat. 
Jam  vada  Gephisi,  Panopesque  evaserat  arva. 
Bos  sletit,  et  toUens  spatiosam  cornibus  altis  ^) 

Ad  coelum  frontem,  mugitibus  impulit  auras. 
Atque  ita,  respiciens  comites  sua  terga  sequentes, 
Procubuit,  teneraque  latus  submisit  in  herba. 
Cadmus  agit  grates,  peregrinseque  oscula  tenrae 
Figit,  et  ignotos  montes,  agrosque  salutat.  25 

Sacra  Jovi  facturus  erat.  Jubet  ire  minislros, 
Et  petere  e  vivis  libandas  fontibus  undas. 

Silva  vetus  stabat,  nulla  violata  securi. 
Est  specus  in  mcdio,  virgis  ac  vimine  densus, 
Efficiens  humilem  lapidum  compagibus  arcum,  ^ 

(Jberibus  fecundus  aquis.  Hoc  conditus  antro 
Martlus  anguis  erat,  cristis  praeugnis  et  auro. 


IIVRB  111.  80 

jaiUissait  de  ses  yeux;  son  corps  ^tait  gonfle  de  veriin;  il  dar- 
dait  un  triple  aiguillon,  et  sa  mSchoire  etait  arm^  d'une  triple 
rangee  de  dents.  A  peine  les  Tyriens  ont-ils  porte  leurs  pas 
dans  cette  funeste  for^,  k  peine  I*ume,  jet6e  au  sein  des  eaux, 
a-t-elle  retenti,  que  le  noir  serpent  avance  hors  de  Tantre  sa  lon- 
gue  tfite,  et  fait  entendre  d'horribIes  sifflements.  L'ume  ^appe 
de  leurs  mains;  le  sang  se  glace  dans  leurs  veines,  et  un  subit 
eflroi  agite  tous  leurs  membres.  Le  reptile  replie  en  mille  anneaux 
sa  croupe  flexible,  et  ddcrit  en  bondissant  des  orbes  immenses. 
Plus  de  la  moiti^  de  son  corps  se  dresse  dans  les  airs  et  domine  la 
for^t.  Yu  dans  toute  son  etendue,  il  egale  en  grandeur  le  serpent 
qui  separe  les  deux  Ourses.  Au  mSme  instant,  soit  que  les  Tyriens 
s'appr^tassent  a  combattre  ou  a  fuir,  soit  que  la  crainte  paralysSt 
ieurs  dards  et  leurs  pas,  il  dechire  les  uns  de  ses  morsures,  eten- 
iace  les  autres  de  ses  longs  anneaux,  ou  les  tue  de  son  souflle 
impur. 

Le  Soleil,  au  plus  haut  point  de  sa  course,  avait  enfln  r^tr^ci  les 
ombres.  Le  fiis  d'Agenor  s'etonne  du  relard  de  ses  compagnons 
et  cherche  la  trace  de  leurs  pas.  II  a  pour  v^tement  la  depouiile 


Igne  micant  oculi,  corpus  tumet  omne  vencno, 

Tcesque  vibraut  linguae,  triplici  stant  ordine  dentes. 

Quem  poetquam  tyria  lucum  de  gente  profecli  o^t 

InCausto  tetigere  gradu,  demissaque  in  undas 

Urna  dedit  sonitum,  longum  caput  extulit  antro 

Caeruleus  serpens,  horrendaque  sibila  misit. 

KCQusere  urno!  manibus,  sanguisque  relinquit 

Corpus,  et  attonitos  subitus  tremor  occupat  arlus.  40 

lUe  yolubilibus  squamosos  nexibus  orbes 

Torquet,  et  immensos  saltu  sinuatur  in  arcus  ; 

Ac  media  plus  parte  leves  erectus  in  auras 

Despicit  omne  nemus:  tantoque  est  corporc,  quanlo, 

Si  totum  spectes,  gtmiinas  qui  separat  Arclos.  4;i 

Nec  mora,  Phcenicas,  sive  illi  tela  parabant, 

Sive  fugam,  sive  ipse  timor  prohibebat  ulrumquo, 

Occupat  hos  morsn,  longis  complexibus  illos; 

Hos  necat  afflatos  funesti  tabe  veneni. 

Fecerat  exiguas  jam  sol  altissimus  umbra.-?.  -0 

Quac  mora  sit  sociis  miratur  Agenore  natus, 
Vpstiftatque  viros.  Tegimen  derepta  leoni 


90  MfiTAMORPHOSES. 

d'un  Uon,  |lour  armes  une  lance  au  fer  elincelant,  un  javelot,  et 
son  courage,  preferable  ktoutes  les  armes.  II  entre  dans  la  for^t. 
A  la  vue  des  victimes  que  la  mort  vient  de  frapper,  et  du  vainqueur 
qui  les  couvre  de  son  vaste  corps,  en  lechant  de  sa  langue  ensan. 
glantee  leurs  horribles  blessures,  il  s'ecrie  :  «  Je  serai  votre  ven- 
geur,  mes  fideles  amis,  ou  je  partagerai  votre  sort.  »  A  ces  mots, 
il  soul^ve  un  bloc  enorme,  et,  par  un  effort  supr^me,  parvient  a  le 
lancer.  Le  choc  de  cette  masse  eut  ebranle  des  remparts  couronnes 
de  superbes  tours.  Cuirass^  par  ses  ecailles  et  sa  peau  noire  contre 
ies  coups  les  plus  vigoureux,  le  serpent  resta  sans  blessure.  Mais 
sa  peau,  midgre  toute  sa  durete,  ne  peut  resister  au  javelot  qui 
s'ouvre  un  passage  a  travers  sa  souple  epine,  et  s'y  fixe  en  laissant 
tout  le  fer  dans  ses  entraiiles.  Transporte  de  douleur,  le  monstre 
repUe  sa  t^le  sur  son  dos,  regarde  sa  plaie,  et  mord  le  dard  qui  s'y 
tient  immobile.  li  fait  mille  efforts  pour  l'ebranler  en  tout  sens, 
et  semble  pres  de  l'arracher ;  mais  le  fer  reste  cramponne  a  son 
corps. 

A  sa  fureur  ordinaire  s'ajoute  en  ce  moment  la  douleur  de  sa 
blessure.  Les  veines  de  son  gosier  se  gonflent  de  sang;  une  blan- 

Pdlis  erat,  telum  splendenti  lancea  ferro, 

Et  jaculum,  teloque  animus  pra^stanlior  omni.     ■ 

Ut  nemus  intravit,  lethataque  corpora  vidit,  55 

Yictorcmque  supra  spatiosi  corporis  hostem,  ^ 

Tristia  sanguinea  lambentem  vulnera  lingua  : 

«  Aut  ultor  veslrae,  fidissima  corpora,  mortis, 

Aut  comes,  inquit,  ero.  »  Dixit,  dextraque  molarem 

Sustulit,  et  magnum  magno  conamine  misit.-  60 

IUius  impulsu  quum  turribus  ardua  celsis 

Moenia  mota  forent,  serpeas  sine  vulnere  mansit, 

Loricseque  niodo  squamis  defensus,  et  atraj 

Daritia  pellis  validos  cute  reppulit  ictus. 

At  non  duritia  jaculum  quoque  vincit  eadem,  05 

Quod  medio  lenla;  fixum  curvamine  spinse, 

Constitit,  et  toto  descendit  in  iiia  ferro. 

Ille,  dolore  ferox,  caput  in  sua  terga  retorsit, 

Yulneraque  aspexit,  fixumque  hastile  momordit. 

Idque,  ubi  vi  multa  partem  labefecit  in  omnera,  70 

Vix  tergo  eripuit,  ferrum  lamen  ossibus  hteret 

Tum  vero,  postquam  solilas  accessit  ad  iras 
Plaga  recens,  plenis  tumuerunt  gutlura  venis, 


LIVfiE  UI.  91 

che  ecurao  d6cou]e  de  ses  levres  veninieuses;  la  terre  est  broyee 
sous  ses  ecailles  bruyantes,  et  Tair  est  infecte  du  souffle  qui  s'e- 
chappe  de  sa  gueule  infernale.  Tantdt  son  corps  se  recourbe 
ai  spirales  immenses;  tant6t  il  se  dresse  comme  un  peuplier; 
qndquefois  d'un  vaste  bond  il  s'^Iance,  tel  qu'un  rapide  torrent 
grossi  par  les  orages,  et  de  son  poitrail  il  renverse  les  arbres  qu'il 
rencontre.  Le  fils  d'Agenor  recule  un  peu,  et,  avec  sa  peau  de  lion, 
soutient  les  assauts  du  serpent.  U  oppose  son  javelot  a  sa  gueule 
menagante.  Le  dragon  furieux  attaque  Tacier  par  d'impuissantes 
morsures  et  y  brise  ses  dents.  D^^  de  son  palais  empeste  le  sai^ 
coramen^t  a  couler  et  a  rougir  le  gazon.  Mais  la  blessure  ^tait 
legere.  Tant  quMI  se  derobe  aux  atteintes  en  reculant  sa  tfite,  les 
coups,  d^tonmes  par  ce  mouvement,  ne  peuvent  faire  une  enlaille 
profonde.  Enfin  le  fils  d'Agenor  enfonce  le  fer  dans  le  gosier  du 
serpent,  le  presse  sans  rel&che,  jusqu^i  ce  que  le  monstre  s'appuie 
contre  un  ch^ne,  et  que  son  cou  et  Tarbre  soient  perces  en  m6me 
temps.  Gourb6  par  le  poids  du  dragon,  le  ch^ne  gemit  sous  ses 
cnups  de  qneue.  Tandis  que  Gadmus  contemple  le  corps  gigantes- 

Spumaque  pestiferos  circumfiuit  albida  rictus; 
Terraque  rasa  sonat  squamis;  quique  halitus  exit  75 

Ore  niger  stygio,  vitiatas  inficit  auras. 
Ipse  modo  immensum  spiris  facientibus  orbem 
Gingitur;  interdum  longa  trabe  rectior  exit. 
Impete  nunc  vasto,  ceu  concitus  imbribus  amnis, 
Fertur,  et  obstantes  proturbat  pectore  silvas.  H() 

Cedit  Agenorides  paulum,  spolioque  leonis 
Sustinet  incursus,  instantiaque  ora  retardat 
Cuspide  prxtenta.  Furit  ille,  et  inania  duro 
Vulnera  dat  ferro,  frangitque  in  acumine  dentes. 
Jamque  venenifero  sanguis  manarc  palato  8S 

Coeperat,  et  virides  aspergine  tinxerat  berbas. 
Sed  leve  vulnus  erat,  quia  se  retrahebat  ab  ictu, 
I^saque  colla  dabat  retro,  plagamque  sedere 
•Cedendo  arcebat,  nec  longius  ire  sinebat; 
Donec  Agenorides  conjectum  in  gutture  forrum  90 

ITsque  sequens  pressit,  dum  retro,  quercus  ounti 
Obstitit,  et  fixa  est  paritor  cum  robore  cervix. 
Pondere  serpcntis  curvata  est  arbor,  et  ima 
Parte  flagellari  gemuit  sua  robora  caudae. 
Dum  spatium  ▼ictor  victi  considerat  hostis,  ^^ 


n  m£tamorphoses. 

que  de  son  ennemi  vaincu,  tout  a  coup  une  voix  se  fait  enlendi^o. 
On  ue  peut  reconnaitre  d'ou  elle  est  partie;  mais  elle  prof6re  ces 
mots  :  t  Pourquoi,  fils  d'Agenor,  regarder  le  serpent  que  tu  viens 
de  tuer?  On  te  verra  aussi  sous  la  forme  d'un  serpent.  »  Long- 
tenips  saisi  d^effroi,  Gadmus  pMit,  se  trouble;  son  sang  se  glace  cl 
ses  cheveux  se  dressent  sur  sa  t6te. 

DES  SOLDATS  MAISSENT  DES  DENTS  DU  DRAGON  TUt   PAR  CADMUS. 

n.  Gependant  ia  protectrice  de  Gadmus,  Pallas,  descendue  de  la 
voAte  azuree,  lui  ordonne  de  remuer  la  terre  et  d'y  semer  les 
dents  du  dragon,  d'ou  doit  naitre  un  peuple  nouveau.  11  ob^it;  il 
trace  des  sillons  avec  la  cliarrue,^  et  depose  dans  la  terre  les  dents 
destinees  a  produire  deshommes.  Aussitdt  (6  prodige  incroyable !) 
la  gl^be  commence  a  se  mouvoir.  Du  milieu  des  siilons  surgit  d'a- 
bord  une  for^t  de  lances;  bientdt  des  tStes  s'agitent  sous  des  cas- 
ques  brillants;  ensuite  apparaissent  des  epaules,  des  poitrines,  des 
bras  charges  d'armes,  et  toute  une  moisson  d'hommes  couverts  de 
boucliers.  Ainsi,  dans  les  jeux  solennels,  quand  se  depioie  la  toile 
du  thMtre,  les  statues  semblent  s'61ever.  Elles  montrent  d'abord 

Vox  labito  audita  est,  neque  erat  cognoscerepromptuni, 

Unde;  scd  audita  e>t :  c  Quid,  Agenore  nate,  peremptum 

Serpenlem  speclas?  ef  tu  spectabere  serpens.  > 

lile  diu  pavidus,  pariter  cum  mente  colorem 

Perdiderat,  gelidoque  comae  terrore  rigebant.  100 

E  DENTIBUS   DRACONIS   OCCISI  MIUTES   ENASCONTUR. 

II.    £cce  Tiri  fautrix,  superas  delapsa  per  auras, 
Pallas  adest,  motaeque  jubet  supponere  lerrae 
Yipereos  dentes,  populi  incrementa  futuri. 
Paret,  et,  ut  presso  sulcum  patefecit  aratro, 
Spargit  humi  jussos,  mortalia  semina,  dentes.  1(t5 

Inde  (fide  raajus!)  glebae  coepere  moveri, 
Primaque  de  sulcis  acies  apparuit  hastae. 
Tegmina  mox  capitum  picto  nutantia  cono, 
Moz  humeri  pectusque,  onerataque  brachia  telis 
Exsistunt,  crescitque  seges  clypeata  virorum.  110 

Sic,  ubi  toUuntur  festis  aulaea  theatris, 
Surgere  signa  solent,  primumque  ostendere  vuUum, 


livre:  lii.  u3 

leurs  t^leS,  et  peu  a  peu  ie  reste  du  corps,  jusqu'a  ce  que,  par 
degres  insensibles,  on  les  deoouvre  en  entier,  et  qu'on  aper^ive 
leufs  pieds  sur  le  bord  de  la  scene.  EfTraye  par  ces  nouveaux 
ennemis,  Gadmus  allait  saisir  ses  armes  :  «  Ne  les  prends  pas, 
s*ecne  un  des  enfants  de  la  terre,  et  ne  te  mSle  pas  a  des  com- 
l)ats  impies.  v  A  ces  mots,  il  frappe  de  son  ^pee  un  de  ses 
freres,  et  tombe  a  son  tour  sous  un  javeiot.  Celui  qui  Ta  tue  ne 
survit  pas  longlemps  a  sa  victime,  et  rend  ie  souffle  qu'il  vient 
de  recevoir.  La  ro^me  furetir  s'empare  du  peuple  entier.  Des 
freres  d'un  jour  s'entr'egorgent  avec  leurs  propres  armes,  et  ces 
guerriers  ephem^res  heurtent  d6ja  de  leurs  poitrines  palpitantes 
leur  mere  ensanglantee.  11  n*y  en  eut  que  cinq  qui  survecurent. 
I)e  ce  nombre  fut  £chion.  Par  le  conseil  de  Minerve,  il  mit  bas  les 
armes.  II  demanda  et  donna  a  ses  freres  un  gage  de  paix,  el  ils 
s*associerent  aux  travaux  de  Cadraus  pour  fonder  la  ville  que  i'o- 
racle  d*Apol]on  leur  avait  ordonne  de  bdtir. 

AGliON  METAMORPHOSE  EN  G£RF. 

lll.  I>eja  s'elevaient  les  murs  deThebes;  deja  tii  pouvais,  6 

Cxtera  ^iaulaUin,  placidoque  educta  tenore 

Tota  pateot,  imoque  pedes  in  margine  ponunt. 

Territus  hoste  novo  Cadmus  capere  arma  parabat :  115 

«  Ne  cape,  de  populo,  quem  terra  creaverat,  unub 

Exclamat,  nec  te  civilibus  insere  bellis.  » 

Atque  ita  terrigenis  rigido  de  fralribus  uuuin 

Cominusense  ferit;  jaculo  cadit  eminus  ipse. 

Hic  quoque,  qui  letho  dederat,  non  longius  illo  J20 

Vivit,  et  exspirat,  mbdo  quas  acceperat,  auras, 

Exemploque  pari  fuit  omnis  turba,  suoque 

Harie  cadunt  subiti  per  mutua  vulnera  fralres. 

Jamque  brevis  spatium  vitae  sortita  juventus 

Sangnineam  trepido  plangebant  pectore  matrem,  12S 

Quinque  superstitibus,  quorum  fuit  unus  Echion. 

Is  sua  jecit  humi,  monitu  Tritonidis,  arma, 

Fratemaeque  fidem  pacis  petiitque,  deditquc. 

Hos  operis  comites  habuit  sidonius  hospes, 

Quum  posuit  jussam  phcebeis  sortibus  urbem.  150 

ACTiEON   IN  GEKVUll   CONVEBTITUK. 

lll.    Jam  stabant  Thebs.  Poteras  jam,  Cadme,  videri 


04  MfiTAMOUPHO^ES. 

Gadiuus!  pai'aitre  avoir  trouve  le  bonheur  dans  Texil :  rhyiuen  f  a- 
vait  donne  pour  gendre  k  Mars  et  a  Venus.  Ajoute  a  cet  honneur 
I'iliustre  sang  de  ta  compagne,  tant  de  fils,  tant  de  fiUes,  gages  de 
votre  tendresse,  et  une  posterite  nombreuse,  toule  brillante  de 
jeunesse.  Mais,  helas !  c'est  le  demier  jour  qu  il  faut  loujours  at- 
tendre;  et  nul  homme  ne  doit  ^tre  appele  heureux  avant  que  la 
mort  Tait  place  sur  le  fatal  bucher.  Au  milieu  de  tant  de  prospe- 
rites,  6  Cadmus !  ta  premiere  douleur  te  vint  de  ton  fils.  Son  front 
fut  charge  d'un  bois  etranger,  et  ses  chiens  se  desaltererent  dans 
le  sang  de  leur  maitre.  Gependant,  a  dire  vrai,  le  liasard  seul  fut 
coupable :  ton  fils  n'eut  point  de  crime  a  se  reprocher.  Quel  crime 
pouvait-on  imputer  a  une  erreur  ? 

II  y  avait  une  montagne  baignee  du  sang  des  b^tes  fauves.  Deja 
le  soleii,  au  milieu  de  sa  course,  avait  raccourci  les  ombres,  et  s'e- 
levait  a  une  egale  distance  de  ses  deux  limites,  lorsque  le  jeune  Ac- 
teon  dit  simplement  a  ses  compagnons  errant  dans  des  sentiefs 
detournes :  «  Amis,  nos  toiles  et  nos  armes  sont  teintes  du  sang 
des  animaux :  la  fortune  aujourd*hui  nous  a  ete  propice.  Demain, 
d^s  que  FAurore  ramenera  le  jour  sur  son  char  vermeil,  nous  re- 
prendrons  nos  travaux.  En  ce  moment  le  soleil  est  k  une  egale 

Exsilio  felix  :  soceri  tibi  Marsque  VenUsque 

Cdntigerant.  Htic  addfi  genus  de  conjuge  tanta, 

tot  natos,  natasque»  et,  pignota  cara,  nepotes^ 

Hds  quoque  jam  juVenes.  Sed,  scilicet/ullima  stimpcr       135 

Ktspectanda  dies  homini,  dicique  beatus 

Ante  obitum  nemo  supfemaque  funera  debet. 

ma  nepos  inter  tot  res  tibi,  Cadme,  secundas 
Causa  fuit  lutltus,  alienaque  cdrnua  fronti 
Addita,  Yosque  canes  ssltiatae  sanguine  herili.  i40 

At  bene  si  quaeras,  Foitunae  crimen  in  ilid, 
Non  scelus  invenies.  Quod  enim  dcelUs  error  habebalf 

Mons  erat,  infebtus  vdriarum  c^de  ferarum. 
Jftmque  dies  rehim  medias  contraxerat  umbraS, 
ISt  soi  ex  s^uo  m^ta  distabtlt  ulrdque,  145 

Quum  jutenis  placido  per  devia  lustra  vagante^ 
t^atticipes  o[ierilm  compeliat  Ujfantius  dre  : 
it  Liua  madeilt,  bomites,  ferruinque  ci^iiore  ferslruiii. 
Forlunamqiic  di^s  tiabuit  salis.  Altera  lucciii 
Qlium  croceis  evecta  rotis  Aurora  reduccl,  150 

Proposilum  repetamus  opus.  Nunc  Pbccbus  utraquc 


j     6xs 

lAnl 

* '^ri] 


L1VR£  111.  95 

distance  des  deux  h^mispheres,  et*sa  chaleur  briilanle  entr^ouvre 
le  sol.  Remettez  vos  courses  et  pliez  vos  filets.  »  Dociles  a  ses 
ordres,  ses  compagnons  suspendent  leur  chasse. 

La  s*etendait  la  vallee  de  Gargaphie,  qne  les  pins  et  les  cypres 
oouvraient  de  leur  ombre.  Elle  ^tait  sous  la  protection  de  Diane 
chasseresse.  Au  fond  de  celte  vallee  s'ouvrait  une  grotte  obscure, 
tout  a  fait  etrang^re  a  Tart,  mais  la  nature  Tavait  imit^  en  cintrant 
la  pierre-^nce  et  le  tuf  leger.  A  droite  murmurait  une  source 
dont  les  eaux  limpides  se  promenaient  k  Faise  enlre  deux  rives 
bordees  de  gazon.  G'est  dans  leur  pur  cristal  que  Diane,  fatiguee  de 
la  chasse,  aimait  a  plonger  ses  chastes  appas.  A  peine  y  est-elle 
arivee,  qu'elie  remet  ala  Nymphe  chargee  de  vdller  sur  ses  ar- 
mes  son  javelot,  son  carquois  et  son  arc  delendu.  Une  seconde  re- 
i^oit  la  robe  dont  la  deesse  s'est  depouiilee.  Deux  autres  d^laclient 
Ja  chaussure  de  ses  pieds.  Plus  adroite  que  ses  compagnes,  la  fille 
de  rism^nus,  Crocale,  noue  les  cheveux  epars  sur  le  cou  de  Diane, 
tandis  que  les  siens  ilottent  en  desordre.  Nephele,  Uyaie,  Rhanis, 
Psecas  etPhiale  puisent  de  Teau  et  repanchent  de  leurs  umes  pro- 
fondes.  Tandis  que  la  fille  de  titati  se  baignait,  selon  sa  cou^ 

Di2»lat  idem  terfa,  finditque  vaporibus  arva. 
Sistite  opus  praesens,  nodosaque  tollite  lina.  n 
Jussa  viri  faciunt,  intelrmittnntquc  laborem. 

Vallis  erat  piceis  et  acuta  dcnsa  cupressu,  155 

Nbmine  Gargaphie,  succinctae  cura  Diano!. 
Ctijus  in  extremo  cst  antrum  nemoralc  recessu^ 
Aite  laboratttm  nuUa.  Simulaverat  arlem 
Ingenio  natura  suo;  nam  pumice  vivo» 
Et  levibus  lophis  nativum  duxerat  arcum.  100 

Fons  sonat  a  dextra,  tenui  peirlucidus  unda, 
Margiue  gramineo  patulos  incinclus  hialus. 
llic  dea  silvarum  venalu  fessa,  solebat 
Virgineos.artus  liquido  perfundere  rore. 
Quo  postquam  subiit,  Nympharum  tradidit  tmi  1G5 

Armigera!  jaculum,  pharelramque.  arcusque  rclenlos. 
Altera  depositae  subjecit  brachia  pallae. 
Vincla  duae  pedibus  demunl;  nam  doctior  illis 
Ismenis  Crocale,  sparsos  per  cnlla  capillos 
(lolligit  in  nodum,  quamvis  erat  ipsa  solutis.  170 

Cxcipiuut  laticeiu  Nepiieleque,  Uyalequc,  Rhanisque, 
El  Pseeas,  et  Phiaie,  funduntque  capacibus  uruis. 
Dumque  ibi  perluitur  solita  Titania  lympba. 


9G  M£TAM0RPU0S£S. 

tume,  dans  cette  loutaine,  le  iite  de  Gadmus,  qui  avait  interrompu 
ses  travaux,  porle  soudain  ses  pas  errants  dans  le  bocage  inconnu, 
et  penetre  jusqfu'a  la  grotte  pour  y  subir  sa  destin^. 

II  venait  d'entrer  dans  le  reduit  ou  cette  fontaine  repand  une 
fraiclie  rosee,  lorsque  les  Nymphes  apergoivent  un  homme.  Dans 
leur  etat  de  nudite,  etles  se  frappent  le  sein  et  remplissent  aussit6t 
le  bois  de  leurs  cris.  Elles  se  pressent  autour  de  Dianeetlui  font 
un  rempart  de  leurs  corps.  Mais  la  deesse,  plus  grande  qu'elles, 
les  domine  de  toute  sa  l^le.  Comme  on  voit  un  nuage  frappe  des 
rayons  du  soleil  se  nuancer  de  diverses  couleurs,  ou  le  front  de 
rAiirore  prendre  une  teinte  Yermeille,  ainsi  rougit  Diane  des 
qu'un  honune  l'a  vue  sans  vfetements.  Onoique  entour^e  de  ses 
nombreuses  compagnes,  elle  s'incline  et  detourne  son  visage.  Ses 
fleches.lui  manquent.  Eile  puise  deFeau,  la  jette  4  la  figure  du 
profane  qui  Fa  outragee,  et,  en  arrosant  sa  t^le  de  Tonde  venge- 
resse,  lui  annonce  ainsi  Tinfortune  qui  le  menace  :  «  Mainlenant, 
va  dire,  si  tu  le  peux,  que  tu  m'as  vue  sans  voile.  »  A  ces  mols, 
elle  fait  croitre  sur  le  front  d'Acteon  le  bois  du  c^rf  agile,  elle  al- 


Ecce  uepos  Cadmi,  ililala  parle  laboruu), 

Per  nemus  ignoium  non  certis  passibus  erraiis,  ^"^ 

Pci^venit  in  lucum :  sic  illum  fata  ferebant. 

Qui  simul  iutravit  rorantia  fontibus  antra, 
Sicut  mnt,  viso  nudse  sua  pectora  Nymplias 
Percussere  viro,  subitisque  ululalibus  omne 
Implevere  nemus,  circumfusaeque  Dianam  180 

Corporibus  texere  suis ;  tamen  altior  illis 
Ipsa  dea  est,  cplloque  ienus  supereminet  omncs. 
Qui  color  infectis  adversi  solis  ab  ictu 
Nubibus  esse  soiet,  aut  purpurea)  Aurorc; 
Is  fuit  in  vultu  visae  sine  veste  Dianse.  i85 

Quoi  quanquam  comitum  turba  est  stipala  cuari.m, 
In  latus  obliquum  tamen  adstitit,  oraque  retro 
Flexit;  et  ui  vcllct  promptas  babuisse  sagittas, 
Quas  habuit,  sic  hausit  aquas,  vultumquc  virilcLi 
Perfudit;  spargensque  comas  ultricibus  undis,  190 

Addidit  haec  cladis  praenuntia  verba  futurae : 
«  Nunc  tibi  mc  posilo  visam  velamine  narres, 
Si  poteris  narrare,  licet. »  Nec  plura  minata, 
Dat  sparso  eapiti  vivacis  cornua  cenri, 


LIVRE  III.  97 

loDge  son  cou,  affile  ses  oreiiles,  remplace  ses  mains  par  des 
pieds,  sesbras  par  des  jambes  gr^les,  et  enveloppe  son  corps  d'une 
fourrure  tachetee.  De  plus,  elle  lui  inspire  la  peur.  Le  petit-fils 
d'Autonoe  prend  la  fuite;  et  s'etonne  lui-mSme  de  la  rapidit^  de 
sa  course.  A  peine  a-t-il  vu  sa  ramure  dans  les  eaux  qu'il  avait 
ooutume  de  parcourir,  il  veut  s'ecrier : « Malheureux !  t  Mais  la 
parde  expire  sur  ses  levres.  U  pousse  un  g^missement :  ce  fut  son 
seul  langage,  et  des  larmes  baignerent  ses  traits  nouveaux.  D  ne 
conserya  que  son  ancien  instinct. 

Qaelparti  prendre?  Retoumera-t-il  dans  sa  royale  demeure,  ou 
se  cachera-t-il  au  fond  des  bois?  Tandis  qji^il  flotte  entre  la  crainte 
et  la  honte,  ses  chiens  lapergoivent.  Melampe  et  Fintelligent  Ich- 
nobates,  Tun  venii  de  la  Grete  et  Tautre  de  Sparte,  donnent  le 
premier  signal  par  leurs  cris.  Bient6t  accourent,  plus  prompts 
que  le  vent»  Pamphage,  Dorcee  et  Oribase,  tous  trois  de  FArca- 
die,  le  vigoureux  Nebrophone  et  le  fi^roce  Theron  avec  L^lape ; 
Pterelas  aux  pieds  l^ers  et  Agre  k  Fodorat  fin ;  Hylte,  blesse  na- 
guere  par  un  sanglier  farouche ;  Nape,  issue  d'un  ioup ;  Pemenis» 
qui  jadis  veillait  sur  les  troupeaux ;  Harpye,  accompagn^e  de  ses 

Dat  spatiam  collo,  sammasque  cacuminat  aures ;  1!)5 

Cum  pedibusque  manus,  cum  longis  brachia  mutat 

Graribus,  et  velat  maculoso  yellere  corpus. 

Additus  et  payor  est.  Fugit  autoneius  heros, 

Et  se  tam  celerem  cursu  miratur  in  ipso. 

Ut  vero  solitis  sua  cornua  yidit  in  undis,  200 

Me  miserum !  dicturus  erat :  vox  nuUa  secuta  esl. 

Ingemuit;  tox  illa  fuit;  lacrymsque  per  ora 

Non  sua  fluxerunt :  mens  tantum  pristina  mansit. 

Quid  faciat?  repetatne  domum  et  regalia  tecla? 
An  lateat  silTis?  timor  hoc,  pudor  impedit  iilud.  203 

Dum  dubitat,  videre  canes;  primusque  Melampus, 
Ichnobatesque  sagax,  latratu  signa  dedere, 
Gnosius  lchnobates,  spartana  gente  Melampus. 
Inde  ruunt  alii  rapida  Telocius  aura, 
Pamphagus,  etDorceus,  et  Oribasus,  Arcades  omnes;       210 
Nebrophonosque  valens,  et  trux  cum  Laelape  Theron, 
Et  pedibns  Pterelas,  et  naribus  utiiis  Agre ; 
Hylaeusquc  fero  nuper  percussus  ab  apro, 
Deque  lupo  concepta  Ifape,  pecudesque  secula 
Pcemenis,  et  nati»  comitata  Uarpya  duobus,  215 


ys  mbtamorphoses. 

deux  petits ;  Ladon  de  Sicyone,  aux  maigres  flancs,  Uromas,  Ca- 
nace,  Sticle,  Tigris  et  AIc^;  le  blanc  Leucon,  le  noir  Asbole,  le 
robusle  Lacon,  rimpetueux  Aello,  Thotls,  Fagile  Lycisca  et  son 
Mre  Gyprius ;  Harpale,  dont  la  t^te  noire  porte  une  tache  blan- 
che ;  M^lanee,  Lachne  au  poil  h^riss^,  Labros,  Agriodos,  Hylac- 
tor  a  la  voix  pergante,  n^s  d'un  pSre  cr^tois  et  d'une  mere  iaco- 
nienne,  et  beaucoup  d'autres  qu*il  serait  trop  long  de  nommer. 
Cette  troupe  affamee  de  butin  se  pr^cipite  a  travers  des  rochers 
escarp^s  d'un  s^ord  difficile  ou  sans  acces. 

Acteon  fuit  dans  ces  mSmes  lieux  ou  souvent  ii  avait  poursuivi 
les  bStes  fauves.  H^as !  Jl  fuit  ses  compagnons.  li  veut  ^iever  la 
voix  pour  ieur  dire :  «  Je  suis  Acteon,  reconnaissez  votre  maitre! » 
Mais  les  paroies  iui  manquent.  Des  aboiements  seuls  retentissent 
dans  Fair.  Melanch^tes  est  ie  preraier  qui  ie  i^esse  au  dos ;  puis 
Theridamas ;  Oresitrophos  i'alteint  a  l'6pauie.  Ils  etaient  partis 
apr^  les  autres ;  mais,  en  coupant  ia  montagne  par  un  chemin 
de  traverse,  iis  ies  avaient  devances  tous.  Tandis  quHls  retien* 
nent  leur  maitre,  ia  meute  entiere  arrive  et  d^hire  Acteon.  La 
piace  enfm  manque  aux  biessures.  lig^mit^  et,  si  sesaccents  ne 

Et  substricta  gerens  sicyonius  ilia  Ladon, 

Et  Dromas,  et  Ganace,  Sticteque,  et  Tigris^  et  Alcc, 

Et  niveis  Leucon,  et  villis  Asbolus  atris, 

Praevalidusque  Lacon,  et  cursu  fortis  Aello, 

tt  Thous,  et  C^prio  telo*  cum  fratre  Lyciscej  tiO 

fet  nigram  medio  frontem  distinctus  ab  albo 

Harpalos,  et  MeJaneus,  hirsutaque  corpore  Lachnc ; 

Et  patre  diclaK),  sed  raaU*e  laconide  nati, 

Labros  et  Agriodos,  et  acute  vocis  Hylactor; 

Quosque  referre  ntora  est.  Ea  turba  cupidine  prsedo:         2ib 

Per  rtipes,  scopulosqne,  adituque  carentia  saxa, 

QUa  via  difficills,  ^uaque  est  via  nuUa,  feruntur. 

Illfe  fugit,  per  (juae  fuCrat  loca  saepe  secutus. 
li^u !  famulos  fugit  ipse  suois.  Clamare  libebat: 
«  Actaeon  ego  sum ;  dominum  cognosdte^  vestrum.  »         z3p 
Vei^ba  animo  desunt :  i^esonat  latralibus  aether. 
Prima  Melanchaeles  in  tergo  vultlera  fecil, 
Proxima  Theridamas,  Oresitrophos  UaeiSit  in  arnlo; 
Tslrdius  ezierant,  sed  per  compendia  nlontis 
Anticipata  iia  est;  IJominum  retinentibus  illis,  255 

Csetera  turba  coit,  conferlque  in  corpore  dentes. 
Jam  loca  vulaeribus  desunt.  Gemit  ille,  sonumque, 


LIVRE  III.  99 

8ont  pas  d'un  homme,  un  cerf  du  moins  no  saumit  les  faire  en- 
tendre.  Ses  tristes  plaintes  rempKssent  les  montagnes  qui  lui  sonf 
oonnues.  H  flechit  les  genoux,  et,  dans  Tattitude  d'un  suppliant, 
,  a  defaut  de  bras  qu'il  puisse  tendre,  il  prom^ne  autour  de  lui  ses 
regards  en  silence.  Ses  compagnons,  sans  le  reconnaitre,  pres- 
sent,  comme  k  Tordinaire,  la  troupe  alerte  par  leurs  exhortatioa<%. 
Us  dierchent  Acteon,  et  tous  a  Tenvi  rappellent,  comme  s'il  ^tait 
absait.  II  entend  son  nom  ^t  retoume  la  t^te,  quand  ils  se  plai- 
gnent  de  son  absence  et  de  sa  lenteur  a  venir  contempler  la  proie 
qui  lui  est  ofTerte.  Sans  doute  11  voudrait  ^tre  absent ;  mais  il  est 
la.  II  voudrait  Mre  temoin  des  exploits  de  sa  meute,  sans  en  res- 
sentir  les  crudles  morsures.  Les  chiens,  Tentourant  de  tous  cdtes, 
pkmgait  leurs  gueules  dans  le  corps  de  leur  maitre  chang^ 
en  cerf»  et  le  meitent  en  lambeaux.  Ge  ne  fut  qu'en  exhalant  sa 
vie  a  travers  mille  blessures  qu'il  apaisa,  dit-on,  le  courroux  de 
Diane. 

AJIOUR  DE  JUPITER  POUR  SEM£l1B.    —    JUNON  SE  VENGE  DE  SA  RIVALB. 

IV.  Le  bruit  de  cette  aventure  fut  diversement  accueilli.  Les 
uns  trouverent  h  d^esse  trop  cruelle ;  d'autres  approuv^renl  sa 

Et,  si  non  hominis,  quem  non  lamen  edere  possit 

Cerrus,  habet,  moestisque  replet  juga  nota  querelis ; 

Et  genibus  supplex  posilis,  similisquc  roganti,  240 

•Circurafert  tacitos,  tanquam  sua  brachia,  vultus. 

At  comites  rapidum  solitis  hortatibus  agmen 

Ignari  instigant,  oculisque  Actseona  qusDrunt, 

Et  velut  absentem  ccrlatim  Actseona  cTamQnt. 

Ad  nomen  caput  illc  refert,  ut  abesse  queruntur,  245 

Nec  capere  oblat»  scgnem  spectacula  praedac. 

Vellet  abesse  quidem ;  sed  adest,  velletque  vidcro, 

Non  etiam  sentire  canum  feria  facta  suorum. 

Undique  circumstant,  mersisquc  in  corpore  rostris, 

Dilacerant  falsi  dominum  sub  imagine  cervi.  ^tiO 

Ncc,  nisi  finita  per  plurima  vulnera  vita, 

]ra  pharetratae  fertur  satiata  Dianie. 

JUPITEB  SEMELE  ARDET.   —   JIIXO  RIVALEM   lILCISCITrn. 

IV.    Rumor  in  ambiguo  est.  Aliis  violentior  aiquo 
Visa  dea  est;  alii  laudant,  dignamque  scvera 


IflO  MfiTAMORPHOSES 

vengeance  et  la  proclam^rent  digne  de  son  austere  virgini 
Ghaque  opinion  s*appuya  sur  des  motifs  plausibles.  Seule,  1 
pottse  de  Jupiter  n*exprima  ni  ^loge  ni  censure  :  elle  pensa  pk 
a  se  r^jouir  du  malheur  de  ia  famille  d'Agenor.  La  haine  qu'< 
congut  pour  sa  rivale  de  Tyr  retomba  sur  ses  descendants.  Au  p 
mier  outrage  qui  Tavait  allumee  s'ajouta  un  oulrage  nouve 
EUe  s'indigna  que  le  sein  de  S^ra^le  renfermdt  un  gage  de  la  t 
dresse  du  grand  Jupiter,  et  elle  pronon^a  ces  paroles  amSr 
«  Que  m'est-il  revenu  de  toutes  mes  plaintes?  Cest  ma  ri\ 
m^me  que  je  dois  attaquer.  Je  la  perdrai,  si  je  m&nte  d'6tre 
pel^  la  puissante  Junon,  si  je  suis  digne  de  porter  un  scep 
^tincelant  de  pierreries,  si  je  suis  la  reine  des  dieux,  la  soeui 
r^pouse  de  Jupiter  :  du  moins  en  suis-je  la  soeur.  Mais  peut-^ 
des  ptaisirs  iurtifs  suffisent  a  ma  rivale,  et  IWront  £3iit  a 
couche  n'aura  dur^  qu'un  moment.  Non,  non :  elle  a  con^u 
me  manquait  cet  affront),  et  elle  porle  dans  ses  flancs  un  ten 
gnage  certain  de  ma  honte.  Elle  veut  que  Jupiter  la  rende  me 
quand  moi-mSme  j'eus  k  peine  cet  honneurl  tant  elle  se  fie  a 
beaut^ !  Je  la  ferai  tourner  a  sa  perte.  Je  renonce  k  ^tre  la  fille 
Saturne,  si  son  Jupiter  ne  la  precipite  pas  au  fond  du  Styx !  » 
A  ces  mots,  elle  s^elance  de  son  tr6ne,  et,  voilee  d'un  nui 

Virginitale  vocant;  pars  invenit  utraque  causas.  255 

Sola  Jovis  conjux  non  tam  culpetne  probetne 
Eloquitur,  quam  clade  domus  ab  Agenore  ductae 
Gaudet;  et  a  tyria  coUectum  pellice  transfert 
In  generis  socios  odium.  Subit  ecce  priori 
Gausa  recens,  gravidamque  dolet  de  semine  magni  260. 

Esse  Jovis  Semelem.  Tum  linguam  ad  jurgia  solvit : 
«  Effcci  quid  enim  toties  per  jurgia?  dixit. 
Ipsa  petenda  mifai  est.  Ipsam,  si  maxima  Juno 
Rite  vocor,  perdam,  si  me  gemmantiu  dextra 
Sceptra  tenere  decet,  si  sum  regina,  Jovisque  2G5 

Et  soror,  et  conjux;  certe  soror.  At,  puto,  furto  cst 
Contenta,  et  Ihalami  br^vis  est  injuria  nostri. 
Goncipit  (id  deerat),  manifestaque  crimina  pleno 
Fert  utero,  et  mater,  quod  vix  mihi  contigit  uni, 
De  Jove  vult  lieri :  tanta  est  flducia  formae!  270 

Fallat  eam  faxo;  nec  sim  Saturnia,  si  non 
Ab  Jove  mersa  suo  stygias  penetrabit  ad  undas.  » 
Surgit  ab  his  solio,  fulvaque  recondita  nube. 


IIYRE  III.  101 

d'or,  elle  se  rend  h  la  demeure  de  S6m61^^  Avant  de  dissiper  Fobs- 
curit^  qui  la  d^robe  aux  yeux,  elle  prend  les  traits  d'une  vieille, 
coovre  ses  tempes  de  cheveux  blancs,  ride  son  visage,  courbe  son 
oorps  et  s'avance  d'un  pas  tremblant.  Elie  prend  aussi  ime  voix 
caduque.  G*est  B^ro^  elle-m^me,  la  nourrice  que  Sem^le  regut 
d*£pidaare.  yentretien  s'engage.  Apres  de  longs  d^tours,  le  nom 
de  Jupiter  arrive  enfin.  Alors  la  deesse  soupirant :  t  Je  voudrais 
bi&i,  dit-elle,  que  votre  amant  fiit  Jupiter ;  mais  je  crains  tout. 
Souvent  sous  le  nom  des  dieux  des  mortels  ont  souill^  de  chastes 
couches.  D*ailleurs,  11  ne  suffit  pas  qu'il  soit  Jupiter :  demandez 
un  gage  de  son  amour.  S'il  est  v6ritablement  le  roi  des  cieux, 
exigez  que  la  majestS  et  la  puissance  dont  i1  est  revStu,  quand  il 
se  rend  aupr^s  de  la  superbe  Junon,  le  suivent  dans  vos  bras ; 
qu'il  y  vienne  revdtu  de  Tappareil  de  sa  grandeur.  »  Tels  fureiit 
les  conseils  donn^s  par  Junon  a  l'innocente  fille  de  Cadmus.  Elle 
r^clama  de  Jupiter  un  gage  d'amour,  sans  le  designer :  t  Ghoisis, 
lui  repond  le  dieu,  tu  n'eprouveras  pas  de  refus ;  et,  pour  que  tu 
ajoutes  plus  de  foi  h  mes  paroles,  je  prends  a  t^moin  le  Styx,  effroi 
des  dieux  et  dieu  lui-mtoe.  »  S^mele  se  r^jouit  de  ce  qui  doit  la 
perdre.  Devenue  trop  puissante,  et  pres  de  p6rir  par  la  complai- 


Limen  adit  Semeles.  Nec  nubes  amte  removit, 

Qoam  simulavit  anum,  posuitque  ad  tempora  canos,        ^275 

Sulcavitque  cutem  rugis,  et  curva  trementi 

Membra  tulit  passu.  Vocem  quoque  fecit  anilem ; 

Ipsaque  fit  Beroe,  Semeles  epidauria  nutrix. 

Ergo  ubi,  captato  sermone,  diuque  loquendo, 

Ad  nomen  venere  Jovis,  suspirat,  et :  «  Optem  280 

Jupitcr  ut  sit,  ait.  Metuo  tamen  omnia.  Multi 

Nomine  divorum  thelamos  subiere  pudicos. 

Nec  tamen  esse  Jovis  satis  est.  Det  pignus  araoi  is, 

.Si  modo  verus  is  est ;  quantusque,  et  qualis  ab  alla 

Junone  excipitur,  tantus,  talisque  rogato  28!» 

Det  tibi  complexus,  suaque  ante  insignia  sumat.  » 

Talibus  ignaram  Juno  Cadmeida  dictis 

Formarat.  Rogat  illa  Jovem  sine  nomine  munus. 

<!ui  deus :  t  Elige,  ait;  nullam  patiere  repulsam. 

Quoque  magis  credas,  stygii  quoque  consciu  sunto  290 

Numina  torrentis  :  timor  et  deus  ilie  deorum.  » 

Laeta  malo,  nimiumque  potens,  periluraqi;e  amanlis 

0. 


m  MfiTAMORPHOSES. 

sance  deson  amant,  elle  r^pond  :  «  Que  la  pompe  ou  te  voit  la  fiUe 
de  Saturne,  quand  tu  viens  goAter  dans  ses  bras  les  douceurs  de  Ta- 
mour ,  te  suive  aupi^s  de  moi ! » Le  dieu  voulut  lui  fermer  la  bouche, 
mais  d^ja  ces  paroles  indiscretes  s'etaient  envol^es  dans  les  airs. 
II  gemit;  mais  il  ne  lui  est  point  possible  d'annulerlevoeu  de 
Semele,  ni  de  retracter  son  serment.  Le  coeur  attriste,  il  remonte 
dans  les  cieux.  D'un  signe  de  t^te  il  rassemble  des  nuages  o\i  $a 
main  a  m^le  la  pluie,  les  eclairs,  les  vents,  le  tonnerre  et  la  foudre 
inevitable.  Autant  qu'il  peut  il  essaye  d'affaiblir  ses  armes.  H  ne 
lance  point  les  feux  qui  terrass^rent  Typhoee  aux  cent  bras  :  ils 
seraient  trop  terribles.  II  est  une  autre  foudre  plus  legere,  et  dans 
laquelle  les  Gyclopes  mirent  moins  de  courroux,  de  flamme  et  de 
fureur.  Les  Immortels  Tappellent  foudre  de  second  ordre.  Le  dieii 
la  saisit,  et  pen^tre  dans  le  palais  d'Agenor.  Une  simple  mortelle 
ne  put  supporler  le  fracas  qui  ebranle  les  cieux.  Elle  perit  d^voree 
par  les  flammes  qu'avait  allumees  son  amant.  L'enfant,  encore 
informe,  fut  retire  du  sein  de  sa  mere,  et,  s'il  est  permis  de  le 
croire,  un  lien  Tattacha,  faible  encore,  a  la  cuisse  de  Jupiter.  II  y 
resta  tout  le  temps  qu'il  devait  passer  dans  le  sein  matemel.  La 


Obsequio  Semele :  «  Quaicm  Saturnia,  dixit, 

Te  solet  amplecti,  Veneris  quum  fcedus  initis, 

Da  mihi  te  talem. »  Voluit  deus  ora  loquentis  ^5 

Opprimere  :  exierat  jam  vox  properata  sub  auras. 

Ingemuit,  neque  enim  non  hsec  optasse,  neque  ille 
ISon  jurasse  potest.  Ergo  moestissimus  altum 
JttAhersi  conscendit,  nutuque  sequentia  traxit 
Nnl)ila ;  queis  nimbos,  immixtaque  fulgura  ventis  500 

Addidit,  et  tonitrus,  et  inevitabile  fulmen. 
Qua  tamen  usque  potest,  vires  sibi  demere  tontat; 
Nec,  quo  centimanum  dejecerat  igne  Typhcca, 
Nunc  armatur  ro  :  nimium  ferilatis  in  illo. 
Est  aliud  levius  fulmen,  cui  dextra  Cyclopum  '»'^-» 

SaevitijB,  flammscque  minus,  minus  addidit  iia». 
Tcla  spcunda  vocant  Superi.  Capit  illa,  donuinique 
Intrat  agcnorcam.  Corpus  mortaie  tumultus 
Non  tulit  xtherios,  donisque  jugalibus  arsit. 
Imperfectus  adhuc  infans  genitricis  ab  alvo  rilO 

Eripilur,  patrioque  tener,  si  credere  dignum, 
Insuilur  femori,  maternaque  tempora  complel. 


LITBE  IIM  iOS 

p^lleliblilli  bn,  «itoiiiii.fortifenient.8on  beroeaudespfe-^ 
w  weHm.  H  fdt  isnaite  oonfid  aiBL  Nympheft  Se  Nysa,  qui  le 
(aclipmn  dans  Imn  grotteft  et  ie  noannrent  de  lait. 


■la. 


raisiAS  kmmx  bt  dbyiw. 


Tandis  que  ces  d?§i}em0iits  s^accomplissent  dans  l^uniTers 
par  la  lot  du  Destin,  et  que  le  botseau  de  Bacchus,  n^  deux  fois, 
(^t  u  rabri  de  tout  danger,  Jupiter»  ^y^  par  le  nectar,  quitta, 
M-on,  les  grav^  occupatimis  de  son  empire  pour  s'abandonner  k 
d^s  jeiix  fokMres  aYOC  lunon»  lihre  aiors  de  tout  soud.  c  Sans  doute» 
tni  dit-tJ,  la  TOlupt^  a  pourVoiis  plus  de  douceurs  que  pour  les 
iKiinnies.  —  Nott,  i  r^[iond-elle.  Ik  couTiennent  de  s'en  rapporter 
k  h  deci^ion  (1e  l'habfle  Tiresias,  initi^  aux  plaisirs  des  deux 
mes.  rriin  conp  de  bftton  il  avait  frapp^  deux  ^rmes  reptiles 
»uples  dans  une  ferte  fbrM.  Tout  k  ooup»  6  {Hrodige !  diang^ 
itf^mei  11  eofiierva  sa  noufelle  forme  pendant  sept  antimines. 
Iians  ]&  hiiitieme,  jl  Yit  les  m^mes  serpents.  c  Si  les  blessures  que 
\mm  recevez  sont  assez  puissantes  pour  changar  le  sexe  de  TOtre 
ameuii^  je  rais,  tlit-il,  vous  frapper  encore.  »  A  peine  les  a-t-il 

iPurtjm  tHum  primis  Ino  matertera  cunis 

Educal.  inde  datum  Nymphse  nyseides  antris 

Oeetilizere  mis,  lactisque  alimenta  dedere.  515 

TIBESIAS   KT  CXC.m   ET  VATES. 

Y*    Dninqiic  ea  per  terras  fatali  lege  geruntur, 
TuUqiie  bjg  geniti  sunt  ineunabula  Pacclii, 
Fort£  loyeui  memorant,  diffusum  nectarc,  curas 
Sepoaiii3&e  graves,  vacuaque  agilasse  remissos 
Cnm  Junone  jocos,  el :  «  Hajor  vestra  proffHan  cs(,  3^) 

Qujiiii  qiuc  contingat  riiaribus,  dixisse,  volu|>las.  » 
III»  negaL  Placuit,  quse  sit  sententia  docti 
IJuicrofe  Tiresiae.  Yenus  huic  erat  utraque  no(;\. 
Kam  diiQ  magnorum  viridi  coeuntia  siiva 
Corpom  fcerpentum  baculi  violaverat  ictu;  S--* 

nequevirio  factus,  mirabile!  femina.  septem 
Ef^4?rDt  aulumnos.  Octnvo  rursus  eosdem 
Vidil,  el  z  «  Est  veslrm  si  tanla  potenlia  pla<r?c, 
DiKit,  ut  aueloris  soi  tem  in  contraria  mutet, 
Tkunc  qnoque  vos  feriam.  »  Percussis  anguilius  isdeni       .m() 


104  .  METAMORPHOSES. 

frapp^  de  nouveau,  qu'il  reprend  sa  forme  premiSre  et  semble 
naitre  une  seconde  fois.  Choisi  pour  arbitre  dans  ce  joyeux  debat, 
Tir^sias  adopte  Tavis  de  Jupiter.  La  fille  de  Salurne  en  eprouva, 
dit-on,  une  douleur  trop  vive  et  peu  en  rapport  avec  la  cause  qui 
Tavait  provoquee.  Eile  condamna  les  yeux  de  son  juge  a  une  eter- 
nelle  nuit.  Mais  le  maitre  suprSme  du  monde  (car  aucun  dieu  n'a 
le  droit  d'an^ntir  roeuvre  d'un  autre  dieu)  lui  accorda  la  science 
de  Tavenir  en  ^change  de  la  lumiere  qui  lui  etait  ravie,  et  allegea 
sa  peine  par  cet  honneur. 

£CHO  EST  CDANG^E   EN  SON,   NARGISSE   EN   FLEUR. 

VI.  Au  sein  des  villes  d'Aonie,  remplies  de  sa  renommee,  Tire- 
sias  donnait  des  r^ponses  toujours  infaillibles  au  peuple  qui  venait 
le  consulter.  La  brune  Liriope  fut  la  premiere  qui  re^ut  la  preuve 
de  son  talent  pour  reveler  Tavenir.  Jadis  le  Cephise  Tenlaga  de 
ses  ondes ;  et,  tandis  qu^elie  etait  enfermee  dans  ses  plis  sinueux, 
il  en  triompha  par  la  violence.  De  cette  Nymphe,  modele  de  beaute, 
naquit  un  enfant,  d^  lors  digne  d'Stre  aime  de  ses  compagnes,  et 
qu'on  appela  Narcisse.  Elle  demanda  a  Tiresias  si  cet  enfant  de- 
vait  parvenir  a  une  longue  vieillesse.  «  Oui,  repondit-il,  s'il  ne  se 

Forma  prior  rediit,  genitivaque  rursus  imago. 

Arbiter  hic  igitur  sumptas  de  lite  jocosa, 

Dicla  Jovis  firmat.  Gravius  Satumia  juslo, 

Nec  pro  materia  fertur  doluisse,  suique 

Judicis  seterna  damnavit  lumina  nocte.  35<-> 

At  pater  omnipotens  (neque  enim  licet  irrita  cuiquam 

Facta  dei  fecisse  deo),  pro  lumine  adempto 

Scire  futura  dedit,  poenamque  levavit  honore. 

ECHO  MDTATUR   IN   VOGEM;   NARCISSUS  IN  FI.OREM. 

VI.    Ule  per  aonias,  fama  celeberrimus,  urbes 

Irreprehensa  dabat  populo  responsa  petenti.  540 

Prima  fide  vocisque  rat»  tentamina  sumpsit 

Caerula  Liriope.  Quam  quondam  flumine  curvo 

Implicuit,  claussque  suis  Cephisos  in  undis 

Vim  tulit.  Enixa  est  utero  pulcherrima  pleno 

Infantem,  Nymphis  jam  nunc  qui  posset  amari,  345 

Narcissumque  vocat.  De  quo  consultus,  an  ossel 

Tempora  maturae  visurus  longa  senecte, 

Fatidicus  vales  :  «  Si  se  non  viderit,  »  inqiiil. 


LIYRE  III.  105 

•  LoBgteini»  l^bnde  panit  mentenr ;  mais  il  fut  justifl6 
pa^AMitare  qui  mit  fln  anx  jours  de  Narcisse»  par  le  genre  de 
«  ■iflrt  et  par  son  ^trange  ddlire.  l^k  le  fils  de  G^bise  avait 
4Mtv»  annfe  k  sea  trois  lustres :  Tenduice  et  la  jeunesse  sem- 
Ikiiaat  rembdlir  k  la  l^.  Une  foule'  de  j^mes  gei»  et  de  Nym* 
pkealvttKaieiit  poor  Ini.  Hais»  oomaie  aui  grlces  de  Vige  il  joi* 
giBtde  oNids  dddains,  ii  r^dia  tous  leurs  yqbux. 

Ibi  Jiaar  qnll  poussait  dans  ses  toiles  des  cerfs  limides,  ii  iut 
ip«pi  pir  la  Nymphe  qui  ne  peut  se  taire  quand  on  luiparle,  et 
fu  ae  aait  pmntparler  la  premiSre,  £cho,  dont  la  vok  redit  les 
«M.  Alori  c*teit  une  Nymphe  et  non  une  simple  voix,  Nymphe 
lafailarde»  il  est  vrai,  mais  qui,  conmie  k  pr^ent,  r^tait  seule- 
Mt  Jei  deemkes  paroles.  Junon  Tavait  r^te  k  cet  tot,  parce 
fiW  moiDeiit  o&  dle  aurait  pu  snrprendre  les  Nymphes  dans  les 
km  iB  JapHer  snr  la  montsigne  oili  r^dait  ficho»  cdle-^  pliis 
Tavait  aidroiteinent  retenue  par  de  bngs  entretiens  ponr 
BNymphes  le  tempsdefuir.  La  fllle  de  Satume  dtoo- 
viit  rariiflee.  c  Tu  ne  pourras  te  servir  longtemps  de  cette  langue 
qai  m*a  tromp^,  lui  dit-elle  :  bient6t  Tusage  de  la  voix  te  sera 


?ana  dla  visa  est  vox  auguris.  Exitus  illam, 

Resqae  probat,  lethique  genus,  novitasque  furoris.  3S0 

Jamqae  ter  ad  quinos  unum  Cephisius  annum 

Addiderat,  poteratque  puer  juvenisque  videri. 

Malti  iUmn  juvenes,  muUae  cupiere  puellae. 

Sed  fiiit  in  tenera  tam  dira  superbia  forma, 

Nalli  illom  juvenes;  nuUae  tetigere  puellae.  355 

'    Aspicit  hunc,  trepidos  agitantem  in  retia  cervos, 

YocaUs  Nymphe,  quae  nec  reticere  loquenti, 

Nec  prior  ipsa  loqui  didicit,  resonabilis  Echo. 

Corpus  adhuc  Echo,  non  vox  erat,  et  tamen  usum 

Garmla  non  aHum,  quam  nunc  habet,  oris  habebat,  360 

Reddere  de  muUis  ut  verba  novissima  posset. 

Feeerat  hoc  Juno,  quia,  quum  deprendere  posset 

Sab  Jove  ssepe  suo  Nymphas  in  monte  jacentes, 

llla  deam  longo  prudens  sermone  tenebat, 

nam  fugerent  Nymphae.  Postquam  Satumia  sensit :  36^ 

«  Hujas,  ait,  linguse,  qua  sum  delusa,  potestas 

Panra  tibi  dabitur,  vocisquc  brevissirous  usus.  » 


m  M£TAMORPUOSES. 

ravi. »  L'effol  suivil  la  menace.  ficho  reproduit  les  demierssons 
de  la  voix,  et  rapporle  les  paroles  qu'elle  entend. 

A  peine  Narcisse,  errant  dans  les  bois,  a-t-il  frappe  ses  regards, 
qu'elle  s'enflamme  et  suit  furtivement  ses  pas.  Plus  ell§  s'en  ap- 
proche,  plus  son  coeur  s*embrase.  Ainsi  une  torche  soufree  s'al- 
lume  au  contact  du  feu.  Que  .de-  fois  elle  voulut  Taborder  d*une 
voix  caressante  et  lui  adresser  de  tendres  prieres !  Mais  la  nature 
s*y  opposait  et  lui  defendait  de  cQmmeiif er.  Toutefois  elle  lui  per« 
mit  de  recueillir  les  accents  de  Nareisse*et  de  lui  Tepondre  a  son 
tour.  Par  hasard  Tenfant  separe  de  ses  fideles  compagnons  s*eerie : 
«  Quelqu'un  est-il  pres  de  moi?  —  Moi,  •  r^pond  ficho.  Narcisse 
reste  immobile  de  surprise.  Apr^s  avoir  promen^  ses  regards  de 
tous  c6t^s :  «  Yiens,  »  dit-il  a  haute  voix.  £cho  appelle  celui  qui 
Tappelait.  Narcisse  se  retourne,  et,  ne  voyant  personne  :  •  Pour- 
quoi  me  fuis-tu?  »  ajoute-t-il ;  et  son  oreille  re^oit  autant  de  paroles 
que  sa  bouche  en  a  profere.  Trompe  par  la  voix,  image  de  la 
sienne  :  d  Unissons-nous,  »  poursuit-il.  A  ces  mots,  que  la  voix 
d*ficho  dut  aimer  a  redire  plus  que  tous  les  autres,  elle  repond : 
i  Unissons-nous ! »  Et  ses  d^sirs  interpretent  favorablement  ces 

Reque  minas  firmat.  Tamen  hsec  in  iine  loquendi 
Ingeminat  voces,  auditaque  \erba  reportat. 

Ergo  ubi  Narcissum,  per  devia  iustra  vagantem,  310 

Vidit,  et  incaluit,  sequitur  vestigia  furtim. 
Quoque  magis  sequitur,  flamma  propiore  calescit; 
Non  aliter,  quam  quum  summis  circumlita  ta^dis 
Admolam  rapiunt  vivacia  sulphura  flammam. 
0  quoties  voluit  blandis  accedere  dictis,   .  375 

Et  molles  adhibere  preces !  Natura  repugnat, 
ISec  sinit  incipiat ;  sed  quod  sinit,  illa  parata  est 
Exspeclare  sonos,  ad  quos  sua  verba  remittat. 
Forte  puer  comitum  seductus  ab  agmine  fido, 
Dixerat :  Ecquis  adest  ?  et,  Adest^  responderat  Echo.        380 
llic  stupet;  utque  acicm  partes  dimisit  in  omnes, 
Voce,  Veni,  clamat  magna.  Vocat  illa  vocantem. 
Respicit,  et  nuUo  rursus  veniente,  Quidt  inquit, 
Me  fugis?  et  totidem,  quod  dixit,  verba  recepit. 
Perstat,  et  allerna}  deccptus  imagine  vocis,  385 

Huc  coeamus,  ait;  nullique  libentius  unquam 
Responsuru  sono,  Coeamns,  rettulit  Echo. 
Et  verbis  favct  ipsa  suis;  egressaque  silvis 


LIVRE  III.  107 

paroles.  Elle  soil  du  bocage  et  court»  ravie  d'uii  tendre  espoir, 
press^  dans  ses  bras  Narcisse,  qui  fuit  et  se  derobe  par  la  fuite  a 
BBS  «mbrassements.  «  Plutdt  mourir,  dit-il,  que  de  m'abandonner 
k  tes  d^sirs !  •  £cho  ne  redit  que  ces  paroles :  «  M'abandonner  a 
tesd^sirs.  » 

M^ris^,  elle  se  retire  dans  les  for^ts,  et  cacfae  sous  le  feuil- 
lage  la  rougeur  de  son  iront.  Depuis  ce  moinent  elle  habite  les 
mtres  sditaires ;  mais  dans  son  cceur  vit  Tamour  sans  cesse  irrite 
par  un  reliis.  D'etemels  soucis  ^puisent  et  consument  son  corps, 
la  maigreur  fl^it  son  Tisage,  toute  sa  substance  se  dissipe  dans 
les  airs ;  il  ne  lui  reste  que  la  voix  et  les  os.  Sa  voix  s^est  conser- 
vi6e;  ses  os  ont  pris,  dit-on,  1a  forme  d'un  rocher.  Ensevelie 
m  fond  des  bois,  elie  ne  parait  plus  sur  les  montagnes,  mais 
efle  s^y  feit  entendre  a.  tous  ceux  qui  Tappellent :  c'est  un  son  qui 
vit  en  elle.  Ainsi  £cho  et  d'autres  Nymphes,  nees  au  seui  des 
ondes  ou  sur  les  montagnes,  et,  avant  dles,  une  foule  de  jeunes 
geoSy  farent  en  butte  aux  dedains  de  Narcisse.  Une  victime  de  ses 
mepris,  levant  ses  mains  vers  le  ciel  8'ecria :  «  Puisse-t-il  aimer  et 
ne  jamais  poss^er  Tobjet  de  son  amour !  •  Rhamnusie  exau^ 
cette  juste  priere. 


llMit,  ut  ii;gicer6t  sperato  bi*achia  collo. 

Ille  fugit,  fugiensque,  manus  coniplexibus  auferl :  590 

Aniet  ait,  emoriart  quam  sit  tibi  copia  nostri, 

Kfcttulit  illa  nihil^  nisi,  Sit  tibi  copia  nostri. 

Spreta  lat^t  siivis,  pudibundaquc  froudibus  ora 
Protegit,  et  solis  ex  illo  vixit  in  anlris. 
Sed  tamcu  hseret  amor^  crescitctue  dolorc  repuis«£.  5'Jo 

Attenuant  vigiles  corpus  miserabile  curae, 
Addudtque  cutem  macies,  et  in  aera  succus 
Corporis  dmnis  dbit:  vox  tantum  atque  ossa  supcrsuut. 
Vox  manet;  ossa  ferunt  lapidis  Iraxissc  liguram. 
Inde  latet  silvis,  nuUoque  in  monte  videtur.  400 

Omnibus  auditur  :  sonus  est  qui  vivjt  in  iUa. 
Sic  hanc,  sic  alias,  undis  aut  monlibus  orlas, 
Luserat  hic  Nymphas;  sic  coetus  anlc  viriles. 
Inde  manus  aliquis  despectus  ad  SBthera  tollons : 
«  Sic  amct  iste  licet,  sic  non  potiatur  aniato!  >  40^ 

Bizerat;  assensit  precibus  Bhamnusia  justis. 


108  METAMORPUOSES. 

il  y  avait  une  limpide  fontaine  aux  ondes  argentees.  Jamais  les 
bergers,  ni  les  ch^vres  repues  sur  ]a  montagne,  ni  tout  autre  trou- 
peau,  ne  s'y  elaient  desalteres;  jamais  oiseau,  ni  bSte  sauvage,  ni 
raraeau  detache  d'un  arbre,  n'en  avait  trouble  le  pur  cristal.  Elle 
etait  bordee  d'un  gazon  dont  ses  eaux  entretenaient  la  fraicheur,  et 
d'im  bois  qui  la  rendait  impenetrable  aux  ardeurs  du  soleil.  Narcisse 
s'4tend  sur  la  rive,  fatigue  de  la  chasse  et  epuise  par  la  chaleur. 
Ravi  de  la  beaute  du  site  et  de  la  limpidit^  de  la  source,  il  veut 
^tancher  sa  soif ;  mais  une  autre  soif  se  declare.  Tandis  qu^il  boit, 
^ris  de  son  image  qui  frappe  ses  regards,  il  aime  une  ombre 
vaine  et  lui  prSte  un  corps.  II  reste  en  extase  et  immobile  devant 
son  portrait :  on  dirait  ime  statue  en  marbre  de  Paros.  Gouche  sur 
ie  gazon,  il  contemple  ses  yeux  semblables  a  deux  astres,  sa  che- 
velure  digne  de  Bacchus  et  d'Apollon,  ses  joues  d'adoIescent,  son 
cou  d'ivoire,  sa  bouche  gracieuse,  son  teint  parseme  de  lis  et  de 
roses.  II  admire  les  charmes  qui  le  font  admirer.  Imprudent!  c'est 
a  lui-mSme  que  ses  vceux  s'adressent ;  c'est  lui-m^me  qu'il  loue, 
lui-m^rae  quMl  recherche ;  et  les  feux  qu'il  allume  le  consument 
lui-m^me !  Que  d'inuti1es  baisers  il  imprirae  sur  cette  oude  trora- 

Fons  erat  illimis,  nitidis  argenteus  undis, 
Quem  neque  pastores,  neque  pastae  monte  capellic 
Contigerant,  aliudve  pecus;  quem  nulla  volucris, 
Nec  fera  lurbarat,  nec  lapsus  ab  arbore  ramus.  410 

Gramen  erat  circa,  quod  proximus  humor  alebat, 
Silvaque,  sole  lacum  passura  tepescere  nuUo. 
Hic  puer,  et  studio  venandi  lassus  et  xstu, 
Procubuit,  faciemque  loci,  fontemque  secutus. 
Dumque  sitim  sedare  cupit,  sitis  altera  crevit.  415 

Dumque  bibit,  visae  correptus  imagine  formae, 
Rem  sine  corpore  amat;  corpus  putatesse,  quod  umbraest. 
Adstupet  ipse  sibi,  vultuque  immotus  eodem 
Hieret,  ut  e  pario  formatum  marmore  signuro. 
Spectat  humi  posilus  geminum,  sua  lumina,  sidus,  •liO 

Et  dignos  Baccho,  dignos  et  Apoliine  crines, 
Impubesque  genas,  et  eburoea  colia,  decusque 
Ori.s,  et  in  nivco  mixtum  candore  ruborem; 
Gunclaque  miratur,  quibus  est  mirabiiis.  Ipse 
Sc  cupit  impnidens,  et  qui  probat,  ille  probatur;  Atb 

Dumque  petil,  pelitur ;  pariterque  iucendit,  et  ardet. 
Irrita  fallaci  quoties  dedit  oscuUfontil 


LIVRE  III.  m 

peuse!  que  de  fois  ses  bras  s'y  plongent  poui  ^aisir  le  col  qu'il  a 
▼u,  sans  pouvoir  embrasser  son  image !  il  no  sait  ce  qu'il  voit; 
mais  ce  qu'il  voit  excite  en  lui  mille  feux ;  ses  desirs  s'accroissenl, 
irrites  par  son  illusiou. 

Insense,  pourquoi  vouloir  femparer  d'un  objet  qui  te  fuit?  Cet 
objet  que  tu  recherches  n^existe  pas ;  cet  objet  que  tu  aimes,  si 
tu  toumes  la  tete,  va  s'evanouir.  Le  fantdme  que  lu  vois,  c'est  ton 
ombre  reflechie!  Sans  consistance  par  elle-mtoe,  elle  vient  et 
subsiste  avec  toi;  elle  s'eloignerait  avec  toi,  si  tu  pouvais  feloi- 
gner.  Mais  ni  la  faim,  ni  le  besoin  de  repos,  ne  sauraient  rarrachor 
de  ce  lieu.  Gouche  sur  le  tendre  gazon,  il  contemple  cetteidolesans 
poavoir  s'en  rassasier,  et  sa  contemplation  letue.  Enflnilse  souleve, 
et,  tendant  les  mains  vers  lesarbres  qui  Tentourent :  t  Quel  amant, 
6  for^ls !  s'ecrie-t-il,  fut  jamais  plus  malheureux?  vous  le  savez,  vous 
qui  avez  souvent  offerl  a  Tamour  un  mysterieux  abri.  Vous  sou- 
vienl-il,  apres  lant  de  siecles  qui  ont  passe  sur  vos  t^les,  d\ivoir 
vu,  dans  cette  longue  periode  de  temps,  un  amant  deperir  comme 
moi?  Une  beaule  me  plait,  je  la  vois ;  mais  cet  objet  qui  me  plait 
et  que  je  vois,  je  ne  puis  Tatteindre.  Un  amanl  peut-il  ^tre  le 


In  medias  quotics,  visum  captantia  coUum, 

Brachia  mersil  aquas,  iiec  se  deprcndit  in  illis! 

Quid  videat,  nescit;  scd,  qaod  videt,  uritiir  illo;  430 

Atque  oculos  idem,  qui  decipit,  incitat  error. 

Crcdule,  quid  f^ustra  simulacra  fugacia  captas? 
Quod  petis,  est  nusquam;  quod  amas,  avertere,  pcrdes. 
Ista  repercussa;,  quam  cernis,  imaginis  umbra  cst. 
NiUliabet  ista  sui,  tecumque  venilque,  manctquc  ;  435 

Tecum  discedat,  si  tu  discedere  possis. 
Non  ilium  Cereris,  non  illum  cura  quielis 
Abstrahere  inde  potest;  sed  opaca  fusus  in  herba 
Spectat  inexpleto  mendacem  luminc  formam, 
Perque  oculos  perit  ipse  suos.  Paulumque  lcvatus,  440 

Ad  circumstantes  tendens  sua  brachia  silvas : 
«  Ecquis,  io  silvas,  crudehus,  inquit,  amavit? 
Scitis  enim,  el  multis  iatcbra  opportuna  fuistis. 
Ecqnem,  quum  vestr»  tot  agantur  sxcula  vitae, 
Qui  sic  tabuerit,  lon^o  meministis  in  aevo  ?  445 

Et  placet,  et  video;  sed  quod  vidcoquc,  placetquc, 
Non  tamen  invenio  :  tantus  tenet  error  amanlem ! 


110  METAHORPUOS£S. 

jouet  d'uiie  telle  erreur?  Pour  comble  de  chagrin,  il  n'y  a  entre 
nous  ni  vaste  mer,  ni  distance,  ni  montagnes,  ni  remparts,  ni 
barriere !  Un  peu  d'eau  nous  separe.  L'objet  de  mon  amour  brule 
d'^tre  dans  mes  bras.  Toutes  les  fois  qu'a  travers  Tonde  limpide 
mes  baisers  ont  cherche  a  le  saisir,  il  a  releve  la  tSte  et  s'est  ap- 
proche  de  moi.  Ma  main  semble  le  toucher.  robstacle  le  plus  fai- 
ble  s'oppose  a  notre  bonheur.  Ah !  qui  que  tu  sois,  sors  de  cette 
onde!  Pourquoi,  tendre  objet  de  ma  flamme,  te  jouer  demoi? 
pourquoi  me  fuir,  quand  je  cours  apres  toi?  Certes,  ni  ma  beaute, 
ni  mon  dge,  ne  m6ritent  de  tels  mepris ;  moi-meme,  je  fus  aime 
des  Nymphes.  Tes  yeux  respirent  Tamour,  et  me  donnent  je  ne 
sais  quel  espoir.  Quand  je  tends  mes  bras  vers  toi,  tu  me  tends 
les  tiens;  tu  reponds  a  mon  sourire;  souvent  mfime,  quand  j'ai 
pleure,  j'ai  surpris  dans  tes  yeux  une  larme ;  tes  signes  repro- 
duisent  les  miens,  et,  si  je  dois  en  juger  par  les  mouvements  de 
ta  jolie  bouche,  tu  me  parles;  mais  mon  oreille  ne  peut  recueillir 
tes  accenls.  Je  suis  en  toi,  je  le  sens ;  mon  image  ne  me  trompe 
pomt.  Je  me  consume  moi-mtoe  et  je  nourris  la  flamme  que  j'em- 
porte  avec  moi.  Quel  parti  prendre?  Dois-je  te  prier,  ou  attendre 
que  tu  me  pries?  Mais  que  demander?  Ce  que  je  desire  est  en 
moi  :  j'6prouve  la  pauvrete  au  sein  de  la  richesse.  Ah  I  que  ne 

Quoque  magis  doleam,  nec  nos  maie  separal  iiigcu:?, 

Nec  via,  nec  montes,  nec  clausis  mcenia  portiSi 

Exigua  prohibemur  aqua  :  cupit  ipse  teneri.  ^^^ 

Nam,  quoties  liquidis  porreximus  oscula  lymplii^, 

Hic  tolies  ad  me  resupino  nititur  orc. 

Posse  putes  tangi:  minimum  estquod  amantibus  ubslat. 

Quisquis  es,  huc  exi  1  quid  me,  puer,  unice,  fallis? 

Quove  petitus  abis?  certe  nec  forma,  nec  setas  -i^ 

Est  mea,  quam  fugias;  et  amarunt  me  quoquc  ^ymphx. 

Spem  mihi,  nescio  quam,  vultu  promittis  amico  ; 

Quumque  ego  porrcxi  tibi  bracliia,  porrigis  ultro. 

Quum  risi,  arrides;  lacrymas  quoque  saepe  nolavi, 

Me  lacrymante,  tuas;  nictu  quoque  signa  remittis;  400 

Et,  quantum  motu  formosi  subpicor  oris, 

Verbi  refers,  aures  non  pervenientia  nostras. 

In  te  ego  sum,  sensi;  ncc  me  mea  fallit  imago. 

Uror  amore  mei ;  flanimas  movcoque  feroque. 

Quid  faciam?  roger,  anne  rogcm?  quid  deinde  rogabo?   AQo 

Quod  cupio  mecum  est,  inopcm  me  copia  fecit. 


LIVRE  III.  Hi 

puis-je  me  separer  deinon  corps!  Voeunouveau  ddns  un  aniaiit, 
je  voudrais  Stre  loin  de  Tobjet  de  mon  amour!  Enfin  la  douleur 
epuise  mes  forces;  il  ne  me  reste  plus  que  quelques  moments  a 
vivre.  Je  m'6teins  au  seuil  de  la  vie ;  mais  la  mort  ne  m'est  poinl 
penible  :  elle  va  m^afTranchir  de  ma  douleur.  Puisse^e  voir  sc 
prolonger  les  jours  de  celui  que  je  ch^ris!  Unis  par  des  liens  in- 
dissolubles,  nous  exhalerons  ensemble  ie  dernier  soupir.  » 

II  dit,  et  dans  son  delire  il  revient  considerer  la  mSme  idole. 
Ses  larmes  troublent  la  limpidite  de  Teau,  et  Tagitation  qu'elles 
produisent  obscurcit  ses  trails.  En  voyant  Timage  s^eloigner  :  •  Ou 
ftiis-tu?  s'6cria-t-il ;  oh!  resle,  cruel,  n'abandonne  pas  Tamant 
qui  fadore.  Laisse-moi  contempler  ces  traits  que  je  ne  puis  tou- 
cher,  et  foumir  un  aliment  a  ma  triste  iureur.  »  Au  milieu  de 
ces  plaintes,  il  dechire  ses  v^temenls,  et  meurtrit  de  ses  belles 
mains  sa  poitrine,  qui  se  colore  d'une  rougeur  leg^re  sous  ses 
coups  redoubles.  Ainsi  les  fruits  unissent  la  pourpre  a  ralb^tre; 
ainsi  la  grappe  a  demi  mure  se  nuance  d'un  eclat  vermeil.  Des 
que  Narcisse  .aper^it  son  image  defigur^e  dans  Tonde  redevenuc 
limpide,  son  illusion  Tabandonne.  Semblable  a  la  cire  qui  fond 

0  utinam  nostro  secedere  corpore  possem ! 

Votum  in  amante  novum :  vellem,quod  amamus  abuh:iut. 

Jamquc  dolor  vires  adimit,  nec  tempora  vitie 

Longa  mex  superant,  primoque  exstinguor  in  aivu ;  470 

!Sec  mihi  mors  gravis  est  posituro  morte  dolorcs. 

l!ic,  qui  diiigitur,  vellem  diuturnior  esset. 

Nunc  duo  concordes  anima  moriemur  in  una. » 

Dixit,  ct  ad  faciem  rediit  malesanus  camdufii, 
Et  lacrymis  turbavit  aquas,  obscuraque  moto  475 

Reddita  forma  lacu  cst.  Quam  quum  vidisset  abiru : 
«  Quo  fugis?  0  remane;  nec  me,  crudelis,  amantcm 
Dcsere,  clamavit.  Liceat,  quod  tangere  non  est, 
Aspicere,  ct  misero  prccbere  alimenla  furori. » 
Dumque  dolct,  summa  vestcm.deduxit  ab  ora,  il^O 

^udaque  marmoreis  percu^it  pectora  palmis. 
Pectora  (raxerunt  tenuem  percussa  ruborem, 
>'0D  aliter,  quam  poma  solent,  quai  candida  parlc, 
Parte  rubent;  aut,  ut  variis  solet  uva  raccmis 
Ducere  purpureuni,  nondum  r.ialura,  colorcm.  i^t 

Quae  simul  aspexit  liquefacta  rursus  in  unda, 
Mon  tulit  uUcrius.  Sed,  ut  intabescere  flavec 


112  MfiTAMORPHOSES. 

devant  un  feu  leger,  ou  bien  au  givre  du  malin  qui  disparait  aux 
premiers  rayous  du  soleii,  il  deperit  consume  d'amour,  el  peu  a 
peu  sa  flamme  secrete  le  devore.  Dejk  son  teint  n'est  plus  seme 
de  lis  et  de  roses.  II  perd  sa  sante,  ses  forces,  ses  graces  qui  le 
charmaiejt  naguere,  mi&me  les  formes  seduisantes  qu'aima  jadis 
£cho.  En  le  voyant  dans  cet  etat,  malgre  sa  colere  et  son  ressen- 
timent,  la  Nymphe  gemit,  et  toules  les  fois  que  le  malheureux 
Narcisse  s'etait  ecrie :  «  Helas  I  »  la  voix  d'ficho  avait  rep6te  : 
«  Helas !  »  Lorsque  de  ses  mains  il  avait  frappe  sa  poitrine,  eUe 
avait  reproduit  le  bruit  de  tous  les  coups.  Les  dernieres  paroles 
de  Narcisse,  en  jetant,  selon  sa  coutume,  un  refjard  dans  Toude, 
furent :  «  Helas!  enfant  que  j'ai  en  vain  cheril  »  Echo  repeta  ces 
paroles.  «  Adieu,  »  dit-il;  •  Adieu,  »  )  epondit^^lle.  Sa  t^telan- 
guissante  pencha  sur  la  verdure,  et  )a  nuit  fcrma  ses  yeux  encorc 
epris  de  sa  beaute.  Lors  m^me  qu'il  fut  descendu  au  lenebreux 
sejour,  il  chercha  encore  son  image  dans  ies  eaux  du  IStyx.  Les 
Naiades  pleurerent  ieur  frere,  et  couperent  ieurs  cheveux  pour 
les  deposer  sur  sa  tombe.  Les  Dryades  le  pleurerenl  aussi.  flclio 
redit  leurs  gemissements.  Dejii  le  bucher,  la  torclic  funebre,  le 

Ignc  lcvi  ceraB,  malutinaeque  pruins 

Sole  tepente  solent;  sic  attenuatus  amore 

Liquilur,  et  eieco  paulatim  carpitur  igni.  490 

Et  neque  jara  color  est  mixto  candore  rubori ; 

Nec  vigor,  et  vires,  et  quaj  modo  visa  placebant, 

Nec  corpus  remanet,  quondam  quod  amaverat  Echo. 

Ouae  tamen  ut  vidit,  quamvis  irata  memorque, 

Indoluit;  quotiesque  puer  miserabilis,  Eheul  495 

Dixerat,  haec  resonis  ilerabat  vocibus,  Eheu! 

Quumque  suos  manibus  percusserat  ille  lacertos, 

Haec  quoque  reddcbat  sonitum  plangoris  eumdem. 

Ultima  vox  solilam  fuit  haec  spectantis  in  undam  : 

Heu  l  frustra  dilecle  puer !  totidemque  •  remisit  500 

Verba  locus;  dictoque  Yale^  Vale  inquit  et  Echo. 

Ille  caput  viridi  Tessum  submisit  in  herba; 

Lumina  nox  claudit,  domini  mirantia  formam. 

Tum  quoque  se,  postquam  est  inferna  sede  receplus, 

In  ^Jygia  spectabat  aqua.  Planxere  sorores  505 

^aides,  et  sectos  fralri  posuere  capilios ; 

Planxere  et  Dryades ;  plangenlibus  assonat  Echo. 

Jamque  rogum,  quassasque  faces,  feretrumque  parabanl. 


LniiE  III.  m 

Gercneil,  tout  ^lait  pr6t.  Mais,  k  la  place  du  corps  de  Narcisse, 
on  Irouva  une  fleur  d'un  rouge  pourpre,  couronnee  de  feuilles 
blanches. 


P&NTHEE,  APRES  LA  H^TAMGRPHGSE  DES  MATELOTS  EN  DAUPmHS,  CnARGB 
BACCHCS  DE  CHAINES.  —  A  CAUSE  DB  CE  CRIUE,  IL  EST  MIS  EN  UMBBAUX 
PAR  LBS  BACCHA^TES. 

VII.  Le  bruit  de  cet  evenement,  r6pandu  dans  les  villes  de  la 
Grece,  rendit  justement  celebre  le  devin  Tiresias  :  sa  renomm^ 
s^etendit  au  loin.  II  essuya  pourtant  les  m6pris  de  Penth^.  Ce  fils 
d'£chion,  qui,  seul  dans  la  faraille  de  Cadmus,  ^tait  irr^verent  en- 
yors  les  dieux,  rit  des  paroles  proph6tiques  du  vieillard,  et  lui 
reprocha  les  tenebres  ou  il  etait  plonge  et  la  cause  du  malheur 
qui  lui  ravit  la  lumiere.  L'augure,  secouant  sa  tSte  blanchie  : 
f  Que  tu  serais  heureux,  lui  dit-il,  si,  prive  comme  moi  de  la  lu- 
miere,  tu  ne  voyais  pas  les  f^tes  de  Bacchus !  Un  jour,  et  il  n'est 
pas  loin,  je  te  le  predis,  le  jeune  iils  de  Sem^ie,  Bacchus,  viendra 
dans  ces  lieux.  Si  tu  n^eleves  pas  un  temple  en  son  honneur,  tu 
joncherasla  terre  de  tes  lambeaux,ettu  souilleras  de  ton  sang  les 
for^ls,  ta  mere  et  tes  soeurs.  Ma  prediction  s'accomplira;  car  tu 


Kusquam  corpus  erat.  Croceum  pro  corpore  florero 
InvenVunl,  foliis  medium  cingcntibus  albis.  510 

PENTnEUS  NAUTIS  IN  DELPHINOS  MOTATIS,   DACCHUM   VINCULIS   ALLIGAT 
OB   ID  FACINUS  A  EACCUIS  DISCERPITUR. 

YII.    Cognita  res  merilam  vati  per  achaidas  urbes 

Altulerat  famam,  nomenque  erat  auguris  ingens. 

Spernit  Echionides  tamcn  hunc,  ex  omnibus  unus 

Contemptor  Superum,  Pentheus,  praesagaque  ridet 

Verba  seni'   tenebrasque  et  cladem  lucis  ademptae  515 

Objicil.  lile  movens  alhentia  tempora  canis : 

«  Quam  felix  esses,  si  tu  quoque  luminis  hujus 

Orbus,  ait,  ileres,  nec  bacchia  sacra  videres! 

Jamque  dies  aderit,  jamque  haud  procul  auguror  essc, 

Qua  novus  huc  veniat,  proles  semeleia,  Liher.  5*20 

Quem  nisi  templorum  fueris  dignalus  honore, 

Mille  lacer  spargere  locis,  el  sanguine  silvas 

Fcedabis,  matremque  tuam,  matrisque  sorores. 


1U  MGTAMORPHOSES. 

ne  croiras  pas  Bacchus  digne  des  honneurs  divins.  Alors  tu  (e 
plaindras  que,  malgre  la  nuit  qui  m'environne,  j*aie  Irop  bien  lu 
dans  ravenir.  » 

A  ces  mots,  le  fils  d'Echion  repousse  le  devin.  Cependant  Tevo- 
nement  justifie  ses  paroles,  et  ses  predictions  s'accomplissent. 
Bacchus  arrive,  et  les  champs  retentissent  de  cris  joyeux.  La  foule 
se  precipite.  Ilommes,  femmes,  filles,  grands  et  petits,  accourent 
confondus  a  ses  nouveaux  mysteres.  «  Enfants  d'un  dragon,  no- 
bles  rejetons  de  Mars,  s*ecrie  Penthee,  quel  dehre  s^empare  de 
vous?  Ehquoi!  Tairain  battu  par  Tairain,  des  trompes  et  des  pres- 
tiges  magiques,  ont-ils  donc  tant  de  pouvoir?  Des  hommes  que 
n'epouvantent  ni  Tepee  guerriere,  ni  le  clairon,  ni  les  bataillons 
armes  de  javelots,  sont  aujourd'hui  vaincus  par  des  cris  de  fem- 
mes  qu"agile  Tivresse,  par  ce  vil  troupeau  que  transporte  un  vain 
bruit  de  tambours !  Votre  conduite  me  confond,  vieillards.  Apres 
-  avoir  longtemps  parcouru  les  mers,  vous  avez  fonde  Tyr  et  fixe 
dans  ces  lieux  vos  Penates  errants ;  et  maintenant  vous  seriez  pri- 
sonniers  sans  combattre !  Et  vous,  impetueux  jeunes  gens,  vous 
que  la  fleur  de  f^ge  rapproche  de  moi,  vous  qui  devriez  porter 
Ifs  armes  et  non  le  thyrse,  vous  dont  le  front  devrait  ^tre  couvert 


Evenient;  neque  enim  dignabere  numen  honore, 

Meque  sub  his  tenebris  nimium  vidissc  quereris.  »  52r> 

Talia  dicentera  prolurbat  Echione  halus. 
Dicla  fides  sequilur,  responsaque  vatis  aguntur. 
Liber  adest,  festisque  fremunt  ululatibus  agri  : 
Turba  ruunt,  mixtseque  viris  matresque,  nurusque, 
Vulgusque,  proceresque,  ignota  ad  sacra  feruntur.  830 

«  Quis  furor,  anguigenx,  proles  mavortia,  veslras 
Attonuit  montes?  Pentheus  ait.  iErane  tantum 
JEte  repulsa  valent,  et  adunco  tibia  cornu, 
Et  magicaj  fraudes,  ut,  quos  non  belliger  en^is, 
Non  tuba  terruerint,  non  strictis  agmina  telis,  .'>;>5 

Femineae  voces,  et  mota  insania  vino, 
Obscenique  greges,  et  inania  tympana  vincant? 
Vosae,  senes,  mirer,  qui,  longa  per  aiquora  vecli, 
Hac  Tyron,  hac  profugos  posuistis  sede  Penates, 
Nunc  sinitis  sine  Marte  capi?  Vosne,  acrior  aetas,  540 

0  juvenes,  propriorque  meaB,  quos  arma  lenpre, 
Non  Ihyrsas,  galcaque  tegi,  non  fronde,  decebal? 


LIYRE  III.  115 

d'un  casque  et  non  de  feuillage,  je  vous  en  conjure,  souvenez-vous 
de  votre  origine.  Ayez  le  courage  de  ce  dragon  qui  seul  fit  tant  de 
victimes.  11  succomba  pour  une  fontaine  et  pour  un  lac;  vous, 
sachez  vaincre  pour  Tlionneur  de  volre  nom.  II  mit  a  mort  des 
heros;  vous,  chassez  des  laches,  et  ressuscitez  la  splendeur  de 
votre  race.  Si  les  Destins  ne  veulent  pas  que  Th^bes  reste  long- 
temps  debout,  du  moins  que  le  beiier  et  le  bras  d'hommes  cou- 
rageux  fassent  crouler  ses  murs;  que  le  fer  et  la  flamme  reten- 
tfssent  sur  ses  ruines.  Alors  notre  malheur  sera  pur  de  tout  crime; 
alors  nous  pourrons  deplorer  notre  sort  au  grand  jour,  et  nos 
larmes  couleront  sans  honte.  Eh  quoi!  Thebes  deviendrait  au«» 
jourd^hui  la  conqufite  d^iin  faible  enfant  qui  n^aime  ni  la  guerre, 
ni  les  armes,  ni  les  coursiers,  et  ne  se  plait  qu'a  parfumer  ses 
cheveux,  a  se  parer  moHement  de  couronnes,  ou  a  se  vfttir  de 
pourpre  et  d'or !  Bientdt,  si  vous  Tabandonnez,  je  saurai  le  forcer  de 
reconnaitre  la  faussete  de  son  origine  et  de  ses  myst^res.  Acrisius 
aura  eu  le  courage  de  mepriser  une  divinit^  mensong^re,  et  de 
fermer  a  son  approche  les  portes  d'Argos;  et  Penthee.  et  Th^bes 
entiere,  trembleront  devant  cet^tranger!  Partez  a  Tinstant  (il  s'a- 


Este,  procor,  memores,  qua  sitis  stirpecreali; 
Illiusque  animos,  qui  multos  perdidit  unus. 
Sumite  scrpentis.  Pro  fontibus  ille  lacuque  ;ii;j 

Interiit;  at  vos  pro  fama  vincite  vestra. 
Ille  dedit  letho  fortes?  Vos,  pellitc  moUes, 
Et  patrium  revocate  decus.  Si  fata  vetabant 
Stare  diu  Thebas,  utinam  tormenta  virique 
Moenia  diruerent,  ferrumque  ignisque  sonarent!  5S0 

Essemus  miseri  sinc  crimine,  sorsque  qucrenda, 
Non  celanda  foret,  lacrymaeque  pudore  carercnt. 
At  nunc  a  puero  Thebx  capientur  inermi, 
Ouem  noque  bella  juvant,  nec  tela,  nec  usus  equorum ; 
Sed  madidus  royrrha  crinis,  mollesque  coronae,  5fi5 

Purpuraque,  et  pfctis  inte^Ltum  vestibus  aurum. 
Quem  quidem  ego  actutum,  modo  vos  absistitc,  rosam* 
Assumptumque  patrem,  commentaque  sacra  faten. 
An  satis  Acrisio  est  animi,  contemnero  vanum 
Numen,  et  argolicas  venienti  claudere  porlas,  560 

Penthea  tcrrebit  cum  totis  advena  Thebis? 


116  METAMORPIIOSES.     . 

dressait  k  ses  compagnons) ;  partez,  et  amenez  ici  le  chefde  cette 
troupe  charge  de  chaines.  Obeissez  a  Tinstant.  » 

GadmuS}  son  aieui,  Athamas  et  tous  les  siens  Taccablent  de  re- 
proches,  et  s'efforcentenvainderapaiser  Les  conseils  redoublent 
sa  Tiolence;  sa  fureur  s^irrite  et  s^accroit  sous  le  frein  qui  Tar- 
rfite.  Ainsi  j'ai  vu  un  torrent,  lorsque  rien  ne  g^nait  son  cours, 
s'6couler  doucement  avec  un  leger  murmure.  Mais  des  arbres  ou 
des  rocs  enlasses  s'opposaient-ils  a  son  passage,  il  ecumait,  il 
bouillonnait :  robstacle  le  rendait  furieux.  Gependant  les  soldats 
reviennent  couverts  de  sang.  Leur  maitre  leur  demande  ou  est 
Bacchus.  lls  r6pondent  qu'ils  ne  Tont  point  vu.  «  Mais,  ajoutent- 
ils,  voici  un  de  ses  compagnons,  un  de  ses  ministres,  que  nous 
avons  surpris  celdbrant  ses  mysteres.  »  En  meme  temps  ils  lui 
livrent,  les  mains  liees  derri^re  le  dos,  celui  qui  jadis  avait  quitt^ 
rfitrurie  pour  suivre  le  dieu. 

Penthee  jelte  sur  lui  des  yeux  irrites  et  terribles.  A  peine  peut- 
il  diffSrer  son  supplice.  «  Tu  vas  mourir,  dit-il,  et  ta  mort  servira 
de  legon  aux  autres.  Fais-nous  connaitre  ton  nom,  tes  parents, 
ta  patrie,  et  raconle-nous  pourquoi  tu  celebres  des  mysteres  nou- 

Ite  citi  (famulis  hoc  imperat),  ite,  ducemque 
Attrahite  huc  vinctum.  Jussis  mora  segnis  abesto.  9 

Hunc  avus,  hunc  Athamas,  hunc  coitera  turba  suorum 
Corripiunt  dictis,  frustraque  inhibere  laborant.  565 

Acrior  admonitu  est,  irritaturque  retenta, 
Et  crescit  rabies  :  remorarainaque  ipsa  nocebant. 
Sic  ego  torrentem,  qua  nil  obslabat  eunti, 
Lenius,  et  modico  strepilu  decurrere  vidi. 
At  quacumque  trabes  obstructaque  saxa  tenebant,  570 

Spumeus,  et  fervens,  et  ab  objice  saevior  ibat. 
Ecce  cruentati  redeunt,  et,  Bacchus  ubi  esset 
Quaerenti  domino,  Bacchum  vidisse  negarunt. 
Hunc  dixere,  tamen  comitem,  famulumquo  sacrorum 
Cepimus;  et  tradunt  manibus  post  terga  ligatis,  575 

Sacra  dei  quondam  tyrrhena  gente  secutum. 

Aspicit  hunc  oculis  Pentheus,  quos  ira  tremendos 
Fecerat,  et  quanquam  poenae  vix  tempora  differt: 
«  0  periture,  tuaque  aliis  documenta  dature 
Morte,  ait,  ede  tuum  nomen,  nomenque  parentum,  580 

Et  patrjam,  morisque  novi  cur  sacra  frequenles. 


LIYRE  III.  117 

veaux.  »  L'6tranger  lui  r^pond  sans  se  troubler  :  i  Mon  nom  est 
Acetes,  et  la  M^onie  ma  patrie.  Je  suis  ne  de  parents  obscurs. 
Mon  p6re  ne  m\i  laiss6  ni  champs  labour^s  par  des  taureaux  vi- 
goureux,  ni  brebis  a  la  riche  toison,  ni  troupeaux  de  boeufs.  II 
^tait  pauvre  lui-mtoe.  A  Taide  de  lignes  et  d^hame^ons,  il  amor- 
§ait  le  poisson  et  le  tirait  vivant  du  sein  3es  flots.  Son  industrie 
^tait  toute  sa  fortune.  Lorsqu^il  m'cut  instruit  dans  son  art :  «  Re- 
«  gois,  me  dit-il,  les  richesses  que  je  possede,  toi  Theritier  et  le 
«  successeur  de  mes  travaux ;  »  et,  en  mourant,  il  me  laissa  les 
eaux  pour  heritage  :  c'est  tout  ce  que  je  puis  appeler  mon  patri- 
moine.  Bient6t,  pour  ne  pas  rester  etemellement  enchaine  aux 
mSmes  rochers,  j'appris  a  gouverner  les  navires  avec  la  rame. 
J'observai  Tastre  pluvieux  de  la  chevre  Amallli^e,  la  consteliation 
de  Taygete,  les  Hyades,  l'Ourse,  les  demeures  des  vents  et  les 
ports  propices  aux  vaisseaux. 

«  Un  jour,  me  dirigeant  vers  Delos,  j'approche  des  cdtes  de 
Naxos,  et  la  rame  me  conduit  heureusement  au  rivage.  Je  m'e- 
iance  d'un  bond  leger,  et  je  foule  le  sable  humide.  La  nuit  s^ecoule. 
Des  que  TAurore  ouvre  ses  portes  vermeilles,  je  me  l^ve,  j'engage 
mes  compagnons  a  apporter  de  Teau  vive,  et  je  leur  montre  le 

llle  metu  vacuus :  «  Nomen  mihi,  dixit,  Accetes; 

Patria,  Ma^onia  est;  humili  de  plebe  parentes. 

Mon  mihi,  quae  duri  colerent  pater  arva  juvenci, 

Lanigerosve  greges,  non  uUsi  armenta  reliquit.  585 

Pauper  et  ipse  fuit,  linoque  solebat  et  hamo 

Decipere,  et  calamo  salientes  ducere  pisces. 

Ars  illi  sua  census  erat.  Quum  traderet  ariem  : 

«  Accipe,  quas  habco,  studii  successor  et  hseres, 

«  Dixit,  opes ;  »  moriensque  mihi  nihil  ille  reliquit,         5S0 

Praeter  aquas :  unum  hoc  possum  appellare  paternum. 

Mox  ego,  ne  scopulis  haererem  sempec  in  isdem, 

Addidici  regimen,  dextra  moderante,  carinae 

Flectere;  et  olcnise  sidus  pluviale  Capellae, 

Taygelenque,  Hyadasque  ocuHs  Arctouque  notavi,  595 

Ventorumque  domos,  et  portus  puppibus  aptos. 

«  Forte  petens  Delon,  Dias  telluris  ad  oras 
Applicor,  et  dextris  adducor  littora  remis. 
Doque  leves  saltus,  udajque  innitor  arena;, 
Nox  ubi  consumpta  est.  Aurora  rubescere  primum  600 

Copperat.  Exsurgo,  laticesqnc  inferre  recentes 


118  METAMORPHOSES. 

sentier  qui  m^ne  aux  fontaines.  J'6tudie  ce  que  presage  le  vent 
qui  souffle  de  la  hauteur  voisine;  j'appelle  mes  compagnons,  et 
je  reviens  vers  mon  navire.  «  Nous  voila,  »  s'ecrie  Ophelt^s  avant 
tous;  et,  fier  de  la  proie  qu'il  a  trouvee  dans  leschamps  ddserts, 
il  s'imagine  conduire  un  enfant  d'une  beaute  virginale,  et  qui, 
appesanti  par  le  vin  etle  sommeil,  semble  chanceler  et  le  suivre 
a  peine.  J^examine  ses  v^lements,  sa  figure,  sa  demarche.  Je  n'y 
remarque  rien  qui  annonce  un  mortel.  Je  revelai  alors  mes  pres- 
sentiments  a  mes  compagnons :  «  Je  ne  sais,  leur  dis-je,  quel  dieu 
ii  secachesous  les  traits  de  cet  inconnu;  mais  ils  decelent  un  dieu. 
«  Ah !  qui  que  tu  sois,  sois-nous  propice,  soutiens-nous  dans  nos 
«  dangers,  et  pardonne  a  mes  compagnons.  —  Cesse  de  prier  pour 
c  nous,  j»  s^ecrie  Dictys,  le  plus  prompt  a  s'eiancer  aux  antennes  ou 
a  se  glisser  le  long  des  cordages.  Libys,  le  blond  M^Ianthe  qui  dirige 
la  proue,  et  Alcimedon  applaudissent,  ainsi  qu'Epopee,  qui  com- 
raandait  ou  arr^tait  le  jeu  des  rames  et  encourageait  les  mate- 
lots.  Tous  les  autres  Timitent :  tant  -la  soif  du  butin  les  aveugle! 
«  Non,  je  ne  souffrirai  pas  qu'un  fardeau  impie  profane  ce  vais- 
«  seau,  m'ecriai-je;  c'est  a  moi  surtout  qu^appartient  ici  le  droit  de 

Admoneo,  monstroque  viam  quaB  ducat  ad  undas. 

Ipse,  quid  aura  mihi  tumulo  promittat  ab  alto, 

Prospicio,  comitesque  voco,  repetoque  carinam. 

«  Adsumus  en,  »  inquit  sociorum  primus  Opheltes;  C05 

IJtque  putat,  praedam  deserto  nactus  in  agro, 

Virgiuea  puerum  ducit  pcr  litlora  forma. 

Ille,  mero  somnoqiie  gravis,  titubare  videtur, 

Viique  sequi.  Specto  cultum,  faciemque,  gradumque. 

Nil  ibi,  quod  posset  credi  mortale,  videbam.  010 

Et  sensi,  et  dixi  sociis :  «  Quod  numen  in  isto 

«  Corpore  sit,  dubito;  sed  corpore  numen  in  isto  esl! 

4  Quisquis  es,  o  faveas,  nostrisquc  laboribus  adsis. 

«  nis  quoque  des  veniam.  —  Pro  nobis  milte  prrcaii,  » 

Dictys  ait,  quo  non  alius  conscendere  summas  G15 

Ocior  antennas,  prensoque  rudente  relabi. 

Hoc  Libys,  hoc  flavus,  prorte  tutela,  Melanlhus; 

Hoc  probat  Alcimedon,  et,  qui  requiemquo  modumque 

Voce  dabat  remis  animorum  hortator  Epopeus. 

Hoc  omnes  alii  :  prxdse  tam  caeca  cupido  est!  620 

«  Non  tamen  hanc  sacro  violari  pondere  pinum 

«  Perpcliar,  dixi;  pars  hic  mihi  maxima  jnris.  » 


LIYRE  III.  110 

«  commander. » Je  me  poste  k  Tentr^  pour  en  d^fendre  Tacces. 
La  fureur  s'empare  de  Lycabas,  le  plus  audacieux  des  matelots,  et 
qui,  banni  de  rEtrurie,  expiait  dans  Texil  un  horrible  homicide. 
Je  resiste.  D*un  coup  de  poing  vigoureux  il  me  frappe  a  la  gorge, 
et  d'ime  secousse  il  m'eilt  jete  dans  la  mer,  si,  malgr^  mon  etour- 
disseraent,  je  ne  me  fusse  cramponne  aux  cordages.  La  troupe  sa- 
crilege  approuve  cette  violence.  Alors  Bacchus  (car  c'^tait  Bacchus), 
comme  si  les  cris  eussent  interrompu  son  sommeil  et  rappele  sa 
raison  ensevelie  dans  le  vin  :  «  Que  faites-vous,  dit-il,  et  pourquoi 
<  ces  clameurs?  Matelots,  apprenez-moi  comment  je  suis  ici.  Ou 
«  voulez-vous  me  transporter?  —  Ne  crains  rien,  replique  le  pi- 
«  lote,  et  dis-moi  dans  quel  port  tu  \em.  aborder :  tu  seras  d^pose 
«  ou  tu  le  desires.  -—  Dirigez  votre  course  vers  Naxos,  repond  Bac- 
•  chus.  Laest  mademeure :  vous  y  trouverez  un  sol  hospitalier.  • 
Leur  bouche  mensong^re  jure  par  la  mer  et  par  toutes  les  divi- 
nites  que  son  voeu  sera  exauc^;  et  ils  m'ordonnent  d'abandonner 
]a  voile  aux  vents.  Naxos  toit  a  droite ;  je  dirigeai  le  vaisseau  de 
ce  c6te.  Qiacun  s'ecrie  :  «  Que  fais-tu,  insens^?  QueY  est  ton  aveu- 
«  glement,  Acel^s?  Tourne  a  gauche. » Les  uns  (c'etaitleplus  grand 


Inque  adilu  obsisto.  Furit  audacissimus  omni 

De  numero  Lycabas,  qui  tusca  pulsus  ab  urbe 

Exsilium,  dira  poenam  pro  csBde,  luebat.  <J25 

Is  mihi,  dum  resto,  juvenili  guttura  pugno 

Rupit,  et  excussum  misisset  in  aequora,  si  non 

Haesissem,  qaamvis  amens,  in  fune  retentus. 

Impia  turba  probant  factum.  Tum  denique  Bacchus 

(Bacchns  enim  fuerat),  veluti  clamore  solulus  fi^O 

Sit  sopor,  atque  mero  redeant  in  pectora  sensus  ; 

«  Quid  facitis?  quis  clamor?  ait :  qua,  dicite,  nautae, 

«  Huc  ope  perveni?  quo  me  deferre  paratis? 

«  —  Pone  metum,  Proteus,  et  quos  contingere  portus 

«  Ede  velis,  dixit;  terra  sistere  petita.  *>^»^ 

«  —  Naxon,  ait  Liber,  cursus  advtrtite  vestros. 

«  Illa  mihi  domus  est;  vobis  erit  hospita  tellus.  » 

Per  mare  fallaces,  perquc  omnia  numina  jurant 

Sic  fore,  meque  jubent  pictae  dafe  vela  carin.r. 

Dexlera  Naxos  erat.  Dextra  mihi  lintea  danli :  WO 

•  Quid  facis,  o  demens?  quis  te  furor,  inquit,  Acoete, 

•  Pro  se  quisque,  tenet?  Isevam  pete. »  Maxima  nutu 


120  MfeTAMORPHOSES. 

nombre)  m'indiquent  leur  pensee  par  des  signes;  les  autres  me 
rexpliquent  a  1  oreille.  Immobile  d'horreur  : «  Qu'un  autre  prenne 
«  le  timon  l  »  mtoiai-je ;  et  je  me  derobai  a  un  ministere  de  crime 
et  d^astuce.  Tous  me  gourmandent,  tous  eclatent  en  inurmures  : 
«  Nolre  salut  va-t-il  clependre  de  toi  seul?  »  me  dit  fithalion,  un 
des  matelots.  A  Tinstant  il  saisit  le  gouvernail,  commande  a  ma 
place,  et  s'61oigne  de  Naxos  pour  gagner  le  rivage  oppose. 

«  En  ce  moment  le  dieu,  d'un  air  nioqueur  et  comme  s'il  eiit 
seulement  alors  decouvert  rartifice,  du  haut  de  la  poupe  promene 
ses  regards  sur  la  mer ;  puis,  feignant  de  pleurer  :  «  Ce  ne  sont 
«  pas  la,  nochers,  les  rivages  que  vous  m'avez  promis;  ce  n'est  pas 
«  laterre  que  j'ai  demandee.  Par  quel  crime  ai-je  meriteun  pareil 
«  traitement?  Jeunes  et  nombreux,  quelle  gloire  trouvez-vous  a 
«  tromper  unenfant?  »  Deja  mes  larmes  coulaient;  la  troupe  impie 
se  rit  de  mes  pleurs,  et  fend  les  flots  sous  les  coups  redoubles  de 
la  rame.  Ici  je  pris  a  t^moin  de  la  verit^  de  mon  recit,  quoiqu'il 
parut  peu  vraisemblable,  le  dieu  lui-m^me ;  et  il  n'en  est  pas  de 
plus  puissant.  Le  vaisseau  resta  immobile,  comme  s'ii  se  fut 
trouve  a  sec  dans  une  rade.  Les  matelots  surpris  persistent  a  battre 


Pars  mihi  significal;  pars,  quid  vclit,  aure  susurrat. 

Obstupui :  «  Capiatque  alius  moderamina,  »  dixi ; 

Meque  ministerio  scelerisque  arlisque  removi.  645 

Increpor  a  cunctis,  totumque  immurmurat  agmen. 

E  quibus  MihaMoa  :  «  Te  scilicet  omnis  in  uno 

«  Noslra  salus  posita  est,  ail!  »  Et  subit  ipse,  meumque 

Bxplet  opus,  Naxoque  petit  diversa  relicta. 

«  Tum  jjeus  illudens,  tanquam  modo  denique  fraudem  650 
Senserit,  e  puppi  pontum  prospeclat  adunca. 
Et  flenti  similis  :  «  Non  hajc  mihi  littora,  naut», 
«  Promisistis,  ait;  non  haec  mihi  terra  rogata  est. 
«  Quo  merui  poenim  faclo?  Quae  gloria  vestra  esl, 
«  Si  puerum  juvenes,  si  multi  fallitis  unum?  »  6o5 

Jamdudum  flcbam.  Lacrymas  manus  inipia  noslras  * 
Ridet,  et  impellit  prupcrantibus  xquora  remis. 
Per  tibi  nunc  ipsum  (nec  euim  prxsentior  illo 
Est  deus),  adjuro,  tam  rae  tibi  vera  referre, 
Quam  vcri  majora  fide.  Stctit  xquore  puppis  6C0 

Haud  aliter,  quam  si  siccum  navale  teneret. 
Uli  admiranles  remorum  in  vcrbere  perstant, 


LIVRE  III.  121 

la  mer  avec  leurs  rames;  ils  d^ploient  les  voiles,  et  s'efforcent  d'ac- 
c^l^r  leur  marche  par  ce  double  secours.  Le  lierre  embarrasse 
les  rames,  les  entoure  de  ses  flexibles  rameaux,  et  mftle  la  pour- 
pre  de  ses  grappes  mtires  a  la  blancheur  des  voiles.  Bacchus  lui- 
mSme,  le  front  couronne  de  raisins,  brandit  son  thyrse  om6  de 
pampres.  A  ses  cot^s  gisent  des  spectres  terribles,  des  tigres,  des 
lynx  et  des  panth^res. 

f  Les  nautoniers  se  precipitent  dans  Tonde,  troubles  par  un  ver- 
tige  ou  par  la  peur.  M^don  est  le  premier  dont  le  corps  commence 
a  prendre  des  nageoires  et  a  se  plier  en  arc.  «  Quelle  metamor- 
«  phose!  p  lui  dit  Lycabas;  et,  tandis  qu'il  profere  ces  mots,  sa 
bouche  s^agrandit,  son  noz  s'^largit,  et  sa  peau  durcie  se  couvre 
d'ecailles.  Libys  s^efforce  de  retourner  la  rame;  mais  il  voit  ses 
mains  se  retr^ir  et  se  changer  en  nageoires.  Un  autre  veut  saisir 
les  c^bles  enlaces  par  le  lierre;  mais  il  n'a  plus  de  bras;  il  tombe 
au  fond  de  la  mer,  et  son  corps  cambr6  se  termine  en  une  queue 
semblable  a  une  serpe  ou  au  croissant  de  la  lune.  De  tous  cdt^  ils 
bondissent  et  font  rejaillir  les  flots ;  tour  a  tour  ils  s'^Iancent  de 

Velaque  deducunt,  geminaque  ope  currere  tentant. 

Impediunt  hederaB  remos,  nexuque  recurvo 

Serpunt,  et  gravidis  distinguunt  vela  corymbis.  665 

Ipse,  racemiferis  frontem  circumdatus  uvis, 

Pampineis  agitat  velatam  frondibus  haslam. 

Quem  circa  tigres,  simulacraque  inania  lyncum, 

Pictarumque  jacent  fera  corpora  pantherarum. 

«  Exsiluere  viri  (sive  hoc  insania  fecit,  670 

Sive  timorj,  primusque  Medon  nigrescere  pinnis 
Corpore  depresso,  et  spinrc  curvamina  flecti 
Incipit.  Huic  Lycabas :  «  In  quae  miracula,  dixit, 
«  Verteris?  »  et  lati  rictus,  et  panda  loqucnti 
Naris  erat,  squaraamque  culis  durata  trahebat.  675 

H  Lil)ys,  obstantes  dum  vult  obvertere  remos, 
In  spatium  resilire  manus  breve  vidit,  et  illas 
Jani  non  esse  manus,  jam  pinnas  posse  vocari. 
Altcr  ad  intortos  cupiens  dare  brachia  funes, 
Bracliia  non  habuit,  truncoque  repandus  in  undas  680 

Corpore  desiluit;  falcata  novissima  cauda  est, 
Qualia  dividuae  sinuantur  cornua  lunae. 
Undiquedant  saltus,  multaque  aspergine  rorant; 
Emerguntquc  iteram,  redeuntque  sub  xquora  rursus; 


125  MfiTAMORPHOSES. 

Tabime  et  s'y  replongent ;  ils  nagent  en  groupes,  se  livrent  a  milie 
jeux,  et  rejettent  Tonde  par  leurs  larges  naseaux.  Des  vingt  no- 
chers  que  portait  le  navire  je  restais  seul.  La  frayeur  agite  et 
glace  mes  sens.  A  peine  suis-je  rassure  par  ces  paroles  du  dieu  : 
(I  Bannis  toute  crainte  et  gagne  le  rivage  de  Naxos.  »  Arrive  dans 
cette  ile,  j'allume  la  flamme  sur  un  autel,  et  je  c^lebre  les  mys- 
teres  de  Bacchus. 

«  —  J'ai  longtemps  pr^te  Foreille  a  tes  longs  discours,  dit  Pen- 
thee,  afin  que  ce  delai  put  calmer  ma  colere.  Matelots,  saisissez 
a  rinslant  cet  etranger ;  faites-Iui  subir  les  plus  cruels  tourments, 
et  plongez-Ie  dans  la  nuit  infernale.  »  Acetes  est  entraine  sur-le- 
champ  et  renferme  dans  un  cachot.  Mais,  tandis  qu  on  preparait 
la  flamme  et  le  fer,  terribles  instruments  de  son  supplice,  les 
portes,  dit-on,  s'ouvrirent  d'elles-mtoes,  et  d'elles-ra6mes  les 
chaines  tomberent  de  ses  mains.  Le  fils  d'£chion  persiste.  II 
n'ordonne  plus  d'aller,  il  court  lui-m6me  sur  le  Citheron,  qui, 
choisi  pour  les  mysteres  sacres,  retentit  des  chants  et  des  cris 
aigus  des  Bacchantes.  Ainsi  qu'un  g^nereux  coursier  freniit  et 
respire  le  feu  des  combats,  lorsque  Tairain  sonore  a  donn6  le  si- 

Inque  chori  ludiiiit  speciem,  lascivaque  jactant  68J> 

Corpora,  et  acceptum  patulis  mare  naribus  efflant. 

De  modo  viginti  (tot  enim  ratis  illa  fcrebat), 

Restabam  solus.  Pavidum  gelidumque  trementi 

Corpore,  vixque  meum  firmat  deus  :  «  Excute,  dicens, 

«  Corde  raelum,  Diamquu  tene.  »  Delatus  in  illam,  090 

Accensis  aris,  baccheia  sacra  frequento. 

«  —  Prxbuimus  longis,  Pentheus,  ambagibus  anres, 
Inqiiit,  ut  ira  mora  vires  absumere  posset. 
Prxcipitem  famuli  rapite  hunc;  cruciataque  diris 
Corpora  tormentis  stygias  demittite  nocti.  »  09.% 

.      Protinus  abstractus  solidis  tyrrhenus  Acoetes 
Clauditur  in  tectis;  et,  dum  credulia  jussic 
Instrumenta  necis,  ferrumque  ignisque  parantur, 
Sponte  sua  ^atuisse  fores,  lapsasquc  lacerlis 
Sponte  sua,  fama  est,  nullo  solvente,  catenas.  7(K) 

Perstat  Echionides;  nec  jam  jubet  ire,  sed  ipse 
Yadit,  ubi,  electus  facienda  ad  sacra,  Cithaeron 
Cantibus  et  clara  bacchantum  voce  sonabat. 
Ut  fremit  acer  equus,  quum  bellicus  sre  canoro 
Signa  dedit  tubicen,  pugnaeque  assumit  amorem;  705 


LIYRE  III.  123 

gnal  de  la  guerre,  Penthee,  au  bruit  des  hurlements  qui  se  pro- 
longent  dans  les  airs,  sent  redoubler  sa  fureur. 

Yers  le  milieu  de  la  montagne  est  une  plaine  qu'entoure  une 
for^t,  mais  dont  Tenceinte,  sans  arbres,  s^ofTre  libre  a  roeil  qui  la 
contemple.  La,  tandis  que  Penth^e  porte  un  regard  profane  sur 
les  myst^res,  egaree  par  le  delire,  Agave  sa  m^re  lui  jette,  avant 
toutes  les  autres,  son  thyrse  qui  le  blesse.  o  fivohe,  s^ecrie-l-elle, 
accourez,  mes  soeurs.  Ce  sanglier  enorme  qui  erre  dans  nos  cam- 
pagnes,  c'est  moi  qui  veux  le  frapper.  »  La  troupe  furieuse  fond 
sur  le  malheureux  Penthee.  Tputes  ensemble,  elles  le  poursuiveut, 
tremblant  enfm,  enfin  moins  emporte  dans  son  langage,  se  bl^- 
mant  et  s'avouant  coupabJe.  Atteint  d'un  coup  mortel :  «  Yiens  a 
mon  secours,  dit-il^  Autonoe,  toi  la  soeur  de  ma  m^re;  laisse-toi 
flechir  par  Tombre  d'Acteon.  »  Elle  ignore  ce  que  fut  Acteon,  et 
coupe  la  main  droite  du  suppliant.  Ino  lui  enleve  Tautre.  L'infor- 
tune  n'a  plus  de  bras  qu'il  puisse  tendre  vers  sa  m^re;  mais,  lui 
montrant  ses  membres  mutiles :  «  Regarde,  6  ma  m(^ro !  »  dit-il. 
A  ce  spectacle,  Agave  pousse  des  cris  affreux,  et  livre  ?es  cheveux 

Penthea  sic  ictus  longis  ululatibus  sther 
Movit,  et  audito  clangore  recanduit  ira. 

Ifonte  fere  medio  cst,  cingentibus  uUima  silvis, 
Purus  ab  arboribus,  spectabilis  undique  campns. 
Hic  oculis  illum  cernentem  sacra  profanis  710 

Prima  videt,  prima  est  insano  concita  motu, 
Prima  suum  misso  violavit  Pcnthea  thyrso 
Mater:  «  lo,  gsminae,  clamavil,  adesle,  sorores. 
Ille  aper,  in  nostris  errat  qui  maximus  agris, 
Ille  mihi  feriendus  aper.  »  Ruit  omnis  in  unum  715 

Turba  furens.  Cunct»  cocunt,  cunctoGque  seqViUnlur 
Jam  trepidum,  jam  verba  minus  violenta  loquenlem, 
Jam  se  damnantem,  jam  se  peccasse  fatentcEi. 
Sauciusillc  tamen  :  «  Fer  opem,  matertera,  dixil, 
Autonoe;  moveant  animos  Actsonis  umbrse.  »  72U 

llla,  quid  ActoDon,  nescit;  dextromquc  precanti 
Abstulit.  Inoo  lacerata  est  altera  raptu. 
Non  habet  infelix  quse  matri  brachia  tendat ; 
Trunca  sed  ostendens  disjectis  corpora  membris : 
«  Aspice,  mater,  »  ait.  Visis  ululavit  Agave,  7*2."i 

Collaquc  jactavit,  movitque  per  aera  crinem, 


m  m£tamorphos£S. 

auK  caprices  des  vents.  EUe  prend  dans  ses  mains  ensanglant^es 
la  tSte  de  son  fils  recemment  abattue,  et  s^ecrie  :  «  fivohe !  mes 
compagnes,  cette  victoire  est  mon  ouvrage !  »  Le  vent  froid  de 
Tautomne  ne  frappe  et  ne  detache  pas  plus  vite  les  feuilles  qui 
tiennent  a  peine  a  la  cime  des  arbres  que  les  mains  cruelles  des 
Bacchantes  ne  disperserenl  les  membres  de  Penthee.  Inslruites 
par  cet  exemple,  les  Thebaines  c616brent  les  nouveaux  mysteres, 
offrent  Fencens  et  deposent  leurs  hommages  sur  les  autels  con- 
sacres  h  Bacchus. 


Avulsumque  caput  digitis  complexa  cruentis 

Glamat :  «  lo,  comites,  opus  haec  vicloria  nostrum  est.  » 

Mon  citius  frondes  autumno  frigore  tactas, 

Jamque  raale  baBrentes  aita  rapit  arbore  ventus,  730 

Quam  sunt  membra  viri  manibus  direpta  nefandis. 

Talibus  exemplis  raonitae,  nova  sacra  frequentant, 

Thuraque  danl,  sanctasque  coiunl  IsmeniJes  aras. 


LIVRE  QUATRlfiME 


ALGITnOE  ET  SES  S(EURS  REJETTENT  LE  CULTE  DE  BAGGHUS.  —  AVENTURB 
D£  PYRAME  ET  DE  THISBE.  —  AMOUR  DE  MARS  ET  DE  V^NUS.  — 
AMOUR  d'aPOLLON  ET  DE  LEUCOTHOE.  —  AMOUR  DE  SALMACIS  ET  d'hER- 
MAPURODITE.  —  LES  FILLES  DE  MiNYAS  METAMORPHOSEES  £N  CHAUVfiS- 
SOURIS,  ET  LEURS  TOILES  CHASGEES  EN  PAMPRES. 

I.  Gependant  la  fille  de  Minyas,  Alcithoe,  ne  croit  pas  devoir 
adopter  le  culte  de  Bacchus.  Toujours  tem^raire,  elle  soutient 
qu'il  n'est  pas  fils  de  Jupiter.  Ses  soeurs  partagent  son  impi^t^.  Le 
prMre  ordonne  de  celebrer  les  mysteres ;  il  commande  aux  mai- 
tresses  et  aux  esclaves  d'abandonner  leurs  travaux,  de  couvrir  leur 
sein  d'une  fourrure,  de  delier  les  bandeletles  qui  attachent  leurs 
cheveux,  d'omer  leur  front  de  couronnes  et  leur  maiii  d'un  thyrse 
entoure  de  pampres.  En  mSme  temps  il  annonce  que  le  courroux 
du  dieu  sera  terrible,  s'il  rcQoit  une  offense.  Les  meres  et  les  filles 

LIBER  QUARTUS 

ALarnOE  ET  SOROnES  constanter  baccui  sacra  contemndnt.  —  ptrami  et 

THISBES,  —  MARTIS  ET  VENERIS,  —  APOLLINIS  ET  LEDCOTnOES,  —  SALMACIS 
ET  HERMAPHRODITIS  AMORES.  —  MINEIDES  IN  VESPERTILIONES  MUTATiE,  EARUll- 
gUE  TELiE  IN  VITEM  £T  PAMPINOS. 

I.    At  non  Alcilhoe  Minyeias  orgia  censet 
Accipienda  dei ;  sed  adhuc  temeraria  Bacchum 
Progeniem  negat  esse  Jovis,  sociasque  sorores 
Impietatis  habet.  Feslum  celebrare  sacerdos, 
Immunes  operum  dominas  famulasque  suorum, 
Pectora  pelle  tegi,  crinales  solvere  vitlas, 
Soita  comis,  manibus  frondentcs  sumere  thyrsos, 
Jusserat,  et  saevam  laesi  fore  numinis  iram 
Vaticinatus  erat.  Parent  matresque  nurusque; 


126  MfiTAMORPHOSES. 

oWissent ;  elles  deposent  leur  fuseau,  leur  corbeille  et  leur  toile 
inachevee ;  elles  offrent  de  Tencens  et  invoquent  le  dieu  sous  le 
nom  de  Bacchus,  .de  Bromius,  de  Lyeus,  de  fils  du  feu,  de  dieu 
deux  fois  ne,  le  seul  qui  ait  eu  deux  meres.  Elles  ajoutent  les  noms 
de  Nyseen,  de  Thyonee  k  la  longue  chevelure,  de  Leneus,  de  pere  du 
joyeux  raisin,  de  Nyctelius,  dlacchus,  d^fiieleus,  d'fivan,et  tous  les 
autres  noms  que  te  prodiguent,  6  Bacchus !  les  villes  de  la  Greco. 
«  Ta  jeunesse,  disent-elles,  est  toujours  dans  sa  lleur.  Tu  jouis  d'une 
^temelle  adolescence.  Ta  beaute  te  distingue  au  celeste  sejour,  et 
ton  front,  quand  il  n'est  plus  arme  de  comes,  a  une  grace  vir- 
ginale.  L^Orient  Vesi  soumis  jusqu'aux  bouches  du  Gange  qui  ar- 
rose  les  noirs  Indiens.  Dieu  ven^rable,  Penthee  et  Lycurgue,  arme 
d'une  hache,  ont  expie  sous  tes  coups  leur  sacrilege  audace.  Tu 
precipitas  les  Tyrrheniens  au  fond  des  abimes.  Tu  soumets  a  un 
double  joug  les  lynx  pares  d'un  frein  brillant.  Sur  tes  pas  marchent 
les  Bacchantes,  les  Satyres  et  le  vieiliard  avine  dont  un  baton  sou- 
tientles  pieds  chancelants,  ou  qui  vacille  sur  le  dos  cambre  de  son 
jine.  Partout  ou  tu  passes  retentissent  les  cris  des  jeunes  gens,  les 
voix  des  femmes,  les  bruyants  tambours,  Tairain  concave  et  le  hauf  - 

Telasque,  calathosque  infectaque  pensa  reponunt;  10 

Thuraque  dant;  Bacchumque  vocant,  Uromiumque,  Lyaeumquc, 

Ignigenamque,  satumque  itcrum,  solumque  bimatrom. 

Additur  his  Kyseus,  indetonsusque  Thyoneus, 

Rt  cum  Lenaeo  geniah's  consitor  uvx, 

Nycteliusquc,  Eleleusque  parens,  et  lacchus,  et  Evan  ;         1"» 

Et  qua^  pra^terea  per  graias  plurima  gentes 

Nomina,  Liber,  habes  :  «  Tibi  enim  inconsumpta  jnventas ; 

Tu  puer  aeternus,  tu  rormosissimus  alto 

Conspiceris  coblo;  tibi,  quum  sine  cornibus  adslas, 

Virgincum  caput  est.  Oriens  tibi  viclus,  ad  usquc  t20 

Decolor  extrcmo  qua  tingitur  india  Gangc. 

Penthea  tu,  venerandc,  bipenniferumque  Lycurguiu 

Sacrilegos  maclas;  tyrrhenaque  mittis  in  ajquor 

Corpora ;  tu  bijuguni  pictis  insignia  frenis 

Colla  premis  lyncum;  Bacchai  Salyrique  scquuntur;  2?» 

Quique  sonex  ferula  titubantes  ebrius  artus 

Sustinel,  aut  pando  non  fortiter  haeret  asollo. 

Quacumque  ingrederis,  clamor  juvenilis,  ot  una 

Femina)  voccs,  impulsaque  tympana  palmis, 

Concavaque  cora  sonant,  longoque  foramine  buxns.  3U 


LIYRE  IV.  127 

bois.  Les  Thebaines  implorent  ta  proteclion  et  celebrent  tes  fHes. 
Seules,  au  fond  de  leurs  demeures,  les  filles  -de  Minyas,  profanant 
ton  clilte  par  des  travaux  bors  de  saison,  illent  la  laine,  font  tour- 
ner  leurs  fuseaux,  fagonnent  des  tissus  et  excitent  leurs  esclaves 
^Touvrage. 

L'une  d'elles,  tirant  le  fd  qui  s'aIlonge  entre  ses  doigts  d^Iies, 
s'ecrie,  tandis  que  les  autres  Th^baines  interrompent  leur  travail 
pour  de  vains  mysteres :  «  Nous  que  Pallas,  deesse  plus  sage,  re- 
tient  en  ces  lieux,  mSlons  aux  utiles  occupations  de  nos  mains  di- 
vers  entretiens  qui  les  allegent.  Qu'un  recit  nous  emp^che  de  sen- 
tir  la  longueur  du  lemps  et  charme  nos  oreilles. »  Ses  compagnes 
applaudissent  a  ce  projet  et  la  prient  de  commencer.  EUe  cherche 
dans  son  esprit  quel  sujet  elle  pourra  choisir  parmi  tous  ceux  qui 
lui  sont  connus.  Doit-elle  conter  ton  aventure,  toi  qu'honore  Baby- 
lone,  Dercetis,  toi  que  les  peuples  de  Syrie  croient  resider  au  fond 
de  leurs  lacs  sous  la  forme  d'un  habitant  de  Tonde?  Dira-t-elle 
coBunent  sa  fille,  transfonnee  en  oiseau,  passa  sur  de  hautes  tours 
ses  demieres  annees ;  comment  une  Naiade,  par  ses  chants  et  par 
la  yerhi  trop  efficace  des  simples,  changea  des  jeunes  gens  en  pois- 


Pacalus,  mitisque,  roganl  Ismenides,  adsis; 

Jussaque  sacra  colunt.  Solae  Minyeides  intus, 

Intempestiva  turbantes  festa  Minerva, 

Aut  ducunt  lanas,  aut  stamina  pollice  versant, 

Aut  haerent  telae,  famulasque  laboribus  urgent.  r»'j 

E  quibus  una  levi  dcducens  pollicc  liium, 
Dum  cessant  aliae,  commentaque  sacra  frequentnnt, 
«  Nos  quoque,  quas  Pallas,  melior  dea,  detinet,  inquil, 
rtile  opus  manuum  vario  sermone  levemus; 
Perque  vices  aliquid,  quod  tempora  lonpa  videri  40 

Non  sinat,  in  medinm  vacuas  referamus  ad  auros.  » 
Dicla  probant,  primamque  jubent  narrare  sorores. 
Illa,  quid  e  multis  referut,  nam  plurima  norat, 
Cogitat;  et  dubia  est,  de  te,  babylonia,  narret, 
Derccti,  quam  versa  squamis  velantibus  artus  4?j 

Slagna  Palaestini  credunt  celebrasse  figura  ; 
An  magis  ut  sumptis  illius  filia  pennis 
Extremos  allis  in  turribus  egerit  annos; 
Nais  an  ut  canlu,  nimiumque  potentibus  lierhis, 
Verlerit  in  tacitos  juvenilia  corpora  pisces,  t'A) 


m  MfiTAMORPHOSES. 

sons,  et  subit  a  son  tour  la  m^me  metamorphose ;  comment  enfin 
Tarbre  qui  portait  des  fruits  blancs  en  porte  de  noirs,  depuis  qu'il 
fut  teint  de  sang?  Ce  demier  sujet  lui  plait,  parce  qu'il  n'a  rien  de 
vulgaire ;  et,  tout  en  filant  sa  laine,  elle  commence  ainsi : 

«  Pyrame,  le  plus  beau  des  jeunes  gens  de  son  sige,  et  Thisbe, 
qui  eclipsait  toutes  les  vierges  de  rOrient,  habitaient  des  maisons 
voisines,  dans  le  lieu  ou,  dit-on,  Serairamis  entoura  sa  ville  su- 
perbe  de  remparts  cimentes  de  bitume.  La  cause  de  leur  pre- 
miere  liaison  et  de  ses  progres  fut  ce  \oisinage.  Le  temps  accrut 
leuramour.  Ils  auraient  allume  leflambeau  d'un  hymen  legitime, 
si  leurs  parents  ne  s'y  etaient  oppos^s.  Neanmoins  ils  ne  purent 
emp^cher  que  le  m^me  feu  n'embrasdt  leurs  coeurs  egalement 
6pris.  Leur  amour  n'etait  connu  de  personne ;  il  s'exprimait  par 
des  gestes  et  par  des  signes.  Mais,  plus  leur  flamme  etait  ca- 
chee,  plus  Tincendie  etait  violent.  Une  fente  legere  existait  dans 
le  mur  qui  separait  leur  demeure,  depuis  le  jour  ou  ce  mur  fut 
construit.  De  temps  immemorial  personne  ne  Tavait  remarque. 
Mais  que  ne  voit  pas  Famour?  Vous  la  vites  les  premiers,  vous 
qu'il  inspirait,  et  vous  en  fites  un  porte-voix.  Par  la  vous  piites, 
sans  bruit  et  sans  danger,  vous  adresser  milie  tendres  paroles. 

Donec  idem  passa  esl;  an,  quae  poma  alba  ferebat, 
Ut  nunc  nigra  ferat  contactu  sanguinis  arbor. 
Hjec  placet;  hanc  quoniam  vulgaris  fabula  non  est, 
Talibus  orsa  modis,  lana  sua  iila  sequente : 


A, 


«  Pyramus  et  Thisbe,  juvcnum  pulcherrimus  alter,  C3 

Altera,  quas  Oriens  habuit,  prxlata  puellis, 
Contiguas  lcnuere  domos,  ubi  dicitur  altam 
Coctilibus  muris  cinxisse  Semiramis  urbem. 
Motitiam,  primosque  gradus  vicinia  fecit.' 
Tempore  crevit  amor;  taBdae  quoque  jure  coisscnt,  CO 

Sed  vetuere  patres.  Quod  non  potuere  vetarc, 
Ex  SBquo  caplis  ardebant  mentibus  ambo. 
Conscius  omnis  abest;  nutu  signisque  loquunlur; 
Quoque  magis  tegilur,  tectus  magis  aisluat  ignis. 
Fissus  erat  tenui  rima,  quam  duxerat  olim,  6S 

Quum  fieret  paries  domui  communis  ulrique. 
Id  vitium  nuUi  per  saecula  longa  nolatum, 
(Quid  non  sentit  amor?)  primi  sensistls,  amantes, 
Et  vocis  fecistis  iter;  tutseque  per  iliud 
Murmure  blandiliae  minimo  transire  i^olebant.  70 


LIVRE  IV.  129 

Soavent  Thisbe  d'un  c6te  et  Pyrame  de  l'autre  s'arr6taient  prte 
de  cette  ouverture  pour  respirer  tour  a  tour  leur  haleine.  «  Mur 
« jaloux,  disaient-ils,  pourquoi  fopposer  a  notre  amour?  Que  f en 
«  couterait-il  de  permettre  a  nos  bras  de  s'unir  ?  Si  ce  bonheur  est 
f  trop  grand,  pourquoi  ne  pas  laisser  du  moins  un  libre  passage  a 
f  nos  baisers?  Gependant  nous  ne  sommes  pas  ingrats  :  oui,  c'est 
f  par  toi,  nous  aimons  a  le  reconnaitre,  que  le  langage  de  Tamour 
f  parvient  a  nos  oreiiles.  »  Apres  s'^tre  inutilement  plaints  des 
difficultes  de  leur  position,  le  soir,  iis  se  dirent  adieu,  et  tous 
deux  imprimerent  sur  le  mur  des  baisers  qui  ne  parvenaient  point 
a  leur  but. 

«  Le  lendemain,  a  peine  FAurore  a-t-eile  chasse  les  astres  de  la 
Duit,  a  peine  ies  rayons  du  soleii  ont-ils  dissipe  la  rosee  qui  hu- 
mectait  le  gazon,  qulls  se  retrouvent  au  rendez-vous.  D'abord,  a 
voix  basse,  ils  exhalent  mille  plaintes.  Puis  ils  decident  qu'a  la  fa- 
veur  du  silence  de  la  nuit  ils  tenteront  de  tromper  leurs  gardes  et 
de  quitter  leur  demeure,  resolus,  des  qu'ils  en  auront  franchi  le 
seuil,  a  sortir  de  la  ville.  Afin  de  ne  pas  errer  a  Taventure  dans  la 
campagne,  ils  devront  se  reunir  pres  du  tombeau  de  Ninus  et  se 
cacher  sous  Tarbre  qui  rombrage.  La,  en  effet,  sur  les  bords 

Saepe,  ut  consliterant,  hinc  Thisbe,  Pyramus  iliinc, 

Inque  vicem  fuerat  captatus  anhelitus  oris  : 

«  Invide,  dicebant,  paries,  quid  amantibus  obstas? 

«  Quantum  erat,  ut  sineres  nos  toto  corpore  juugi? 

«  Aut  hoc  si  nimium,  vel  ad  oscula  danda  patercs !  75 

«  Kec  sumus  ingrati  :  libi  nos  debere  fatemur, 

c  Quod  datus  est  verbis  ad  amicas  transitus  aures.  » 

Talia  diversa  nequicquam  sede  locuti, 

Sub  noctem  dixere,  Vale;  partique  dedere 

Oscula  quisque  suae,  non  pervenientia  contra.  oO 

«  Postera  noctumos  Aurora  removerat  igncs, 
Solque  pruinosas  radiis  siccaverat  herbas. 
Ad  solitum  coiere  locum.  Tum  murmure  parvo 
Blulta  prius  questi,  statuunt,  ut  nocte  silenti 
Fallere  custodes,  foribusque  excedere  tentent;  85 

Quumque  domo  exierint,  urbisquoque  claustra  relinquant. 
Neve  sit  errandum  lato  spatiantibus  arvo, 
Conveniant  ad  busta  Nini,  lateantque  sub  umbra 
Arboris.  Arbor  ibi,  niveis  uberrima  pomis, 


130  METAflOllPHOSES. 

tfune  fraiche  fonlaine,  s'elevait  un  grand  murier  charge  de  fruils 
plus  blancs  que  la  neige.  Cette  convention  les  comble  de  joie.  Le 
jour,  qui  semble  fuir  lentement,  se  plonge  enfui  dans  les  flots,  et 
de  ces  mtoes  flots  la  nuit  s'elance.  Thisbe  profite  des  tenebrcs 
pour  faire  tourner  adroitement  la  porte  sur  ses  gonds,  et  sort  en 
trompant  ses  gardes.  Couverte  d'un  voile,  elle  parvient  au  tombeau 
de  Ninus,  et  s^arr^te  sous  Tarbre  designe.  L^amour  lui  donne  de 
Taudace.  Tout  a  coup  une  lionne,  la  gueule  encore  rougie  du 
sang  des  bceufs,  va  etancher  sa  soif  a  la  source  voisine.  Aux 
rayons  de  la  lune,  Thisbe  la  voit  au  loin,  et  d'un  pas  tremblant 
eUe  fuit  pour  se  cacher  dans  un  antre  obscur.  En  fuyant,  elle 
laisse  tornber  le  voile  qui  flottait  sur  ses  epaules.  La  farouche 
honne  ,  apres  s'6tre  desalter^e  dans  la  fontaine,  se  dirige  vers  la 
for^t.  Elle  rencontre  sur  son  chemin  le  leger  v6tement,  et  le  de- 
ciiire  de  sa  gueule  ensanglantee. 

«  Pyrame,  sorti  plus  tard,  remarque  lestraces  delabMe  feroce 
profondement  empreintes  sur  le  sable.  La  paleur  couvre  son  front. 
Bientdt  il  apergoit  aussi  le  voile  de  Thisbe  teint  de  sang :  «  La 
«  m^me  nuit,  dit-il,  verra  mourir  deux  amants;  et  cependant 
«  Thisbe  meritait  une  longue  vie!  Le  criminel,  c'est  moi.  Oui, 

Ardua  morus  erat,  gelido  contermina  fonti.  DO 

Pacta  placent;  et  lux  tarde  decedere  visa 

Prsecipitatur  aquis,  et  aquis  noi  surgit  ab  isdeui. 

Callida  per  tenebras,  versato  cardine,  Thisbe 

Egreditur,  fallitque  suos ;  adopertaque  vuitum 

Pervenit  ad  tumulum,  dictaque  sub  arbore  sedit.  '^'i 

Audacem  faciebat  amor.  Venit  ecce  recenti 

Caede  lexna  boum  spumantcs  obiila  rictus, 

Deposilura  sitim  vicini  fontis  in  unda. 

Quam  procul  ad  Iuusb  radios  babylonia  Thi&bc 

Vidit,  et  obscurum  trepido  pede  fugit  in  aulruni ;  iOO 

Dumque  fugit,  tergo  Tclamina  lapsa  relinquil. 

Dt  laea  sicva  sitim  multa  compescuit  unda, 

Dum  redit  in  silvas,  inTentos  forte  sinc  ipsa 

Ore  cruentato  tenues  laniavit  amictus. 

Serius  egressus;  vestigia  f  idit  in  alto  105 

Pulvere  certa  fera;,  totoque  expalluit  ore 
Pyramus.  Ut  vero  vestem  quoque  sanguine  tinctam 
Repperit :  «  Una  duos  nox,  inquit,  perdet  amantes ;  . 
«  £  quibus  illa  fuit  longa  dignissima  vita. 


LIVRE  IV.  151 

c  infertunee,  c'est  moi  qui  t*ai  perdue,  moi  qui  f  ai  conseill^  de 
«  Tenir,  la  nuit,  dans  ces  lieux  redoutablcs ;  et  je  ne  m'y  suis 
«  point  rendu  le  premier !  Ah  I  mettez  mon  corps  en  lambeaux  et 
«  d^irez  sous  vos  cruelles.morsures  mon  coeur  coupable,  lions 
«  qui  liabitez  ce  roc  sauvage.  Mais  le  Idche  seul  desire  la  mort.  » 
A  ces  mots,  il  emporte  le  voile  de  Thisbe,  le  depose  a  rombre  de 
Tarbre  designe,  et,  couvrant  ce  vfitement  cheri  de  ses  iarmes  et 
de  ses  baisers,  il  s'^crie :  «  Re^ois  aussi  mon  sang !  >  Aussit^t  il 
plonge  dans  son  coeur  le  fer  dont  il  est  arme,  et,  en  mourant,  le 
retire  de  sa  blessure  encore  fumante.  11  tombe  a  la  renverse,  et 
son  sang  jaillit  dans  les  airs.  Ainsi  un  tube  de  plomb  fendu  lance 
au  loin  Feau  qui  s'echappe  par  son  ouverture,  et  qui  siffle  en  se 
frayant  un  passage.  Les  fruits  de  Parbre,  teints  par  cette  pluie  de 
sang,  deviennent  noirs,  et  sa  racine,  qui  en  est  humeciee,  rougit 
la  mure  suspendue  a  ses  rameaux. 

«  Thisbe  n'est  pas  encore  libre  de  toute  crainte;  et  cependant, 
pour  ne  pas  causer  a  son  amant  une  attente  trompeuse,  elle  re~ 
vient  et  le  cherche  avec  ardeur.  EUe  briile  de  lui  raconter  les  ter-* 
ribles  dangers  qu'elie  a  courus.  EUe  reconnait  le  lieu ;  mais  lc 

«  Nostra  noceus  aoima  est.  £go  te,  luiseraQda,  perciui,    110 

«  In  loca  plena  metus  qui  jussi  nocte  vcnires ; 

«  Nec  prior  huc  veni !  Nos(nun  divellite  corpus, 

1  Et  scelerala  fero  consumitc  viscera  morsu, 

«  0  quicumque  sub  hac  habitatis  rupe,  leones ! 

«  Sed  timidi  est  optare  necem.  »  Velamina  Thisbes  ll3 

Tollit,  et  ad  pacla;  secum  fert  arboris  umbram. 

Utque  dedit  noUc  lacrymas,  dedit  oscula  vesti : 

«  Accipe  nunc,  iuquiti  nostri  quoquesanguinishauslus.  » 

Quoque  erat  accinctus  demittit  in  ilia  ferrum. 

Nec  mora,  ferventi  moriens  e  vulnere  traxit.  1'20 

Ut  jacuit  resupinus  humi,  cruor  emicat  alte, 

Non  aliter  quam  quum  vitialo  fistula  plunibo 

Scinditur,  et  tenues  stridente  foramine  longc 

Ejaculatur  aquas,  atque  ictibus  aera  rumpil. 

Arborei  fcctus  asperginc  ca^dis  ia  atram  iT6 

Vertunlur  faciem,  madefactaque  sanguine  radix 

Puniceo  tingit  pendentia  mora  colore. 

c  Ecce,  metu  nondum  posito,  ne  fallat  amuulcm, 
Illa  redit,  juvenemquc  oculis  animoque  requirit, 
Quantaque  vitarit  narrare  pericula  gestit.  lcO 


\ 

j: 


152  MfiTAMORPIIOSES. 

changcment  sbt.venu  dans  Tarbre  el  dans  la  couleur  du  fruit  lui 
cause  de  rincertitude.  EUe  hesite,  ne  sachant  plus  si  c'est  le 
mtoe  arbre.  Soudain  elle  aper^oit  un  corps  palpitaht  sur  la  lerre 
ensanglantee.  Elle  recule,  plus  p&le  que  Falbdtre,  etfremit  comme 
la  mer  quand  un  souffle  leger  en  ride  la  surface.  Bient6t,reconnais- 
sant  robjet  de  son  amour,  elle  frappe  sa  poitrine  de  coups  afireux 
qui  resonnent  au  loin,  s'arrache  les  cheveux,  presse  Pyrame  dans  ses 
bras,  pleure  sur  sa  blessure,  et  m^le  ses  larmes  avec  son  sang. 
Puis,  imprimant  des  baisers  sur  son  front  glace :  «  Pyrame,  s'e- 
«  crie-t-elle,  quel  malheur  Ta  ravi  a  ma  tendresse?  Pyrame,  re- 
«,  ponds-moi.  Cher  ami,  c'est  Thisbe  qui  f  appelle.  Entends  sa  voix 
«  et  releve  ta  t^te. »  Au  nom  de  Thisbe,  il  ouvre  ses  paupieres 
deja  appesanties  par  la  mort,  revoit  son  amante,  et  les  referme. 
Thisbe  recotmait  son  voile,  et  voit  le  fourreau  dHvoire  sans  son 
ep6e  :  «  Ah !  dit-elle,  c*est  par  amour  pour  moi  que  tu  Ves  donne 
«  la  mort,  infortune !  Moi  aussi,  j'ai  un  bras  assez  courageux 
«  pour  trouver  le  trepas.  Oui,  Tamour  me  donnera  assez  de  force 
«  pour  me  percer  d'un  glaive.  Je  te  suivrai.  On  dira  :  Elle  fut  la 
«  cause  deplorable  de  sa  perte  et  Taccompagna  dans  le  tombeau. 

Utque  locum,  et  vcrsam  cognovit  in  arbore  formam, 

Sic  facit  incertam  poroi  color,  haeret.  An  hxc  sit, 

Dum  dubitat,  tremebunda  videt  puliiare  cruenlum 

Membra  solum,  retroque  pedem  tulit;  oraque  buxo 

Pallidiora  gerens,  exhorruit,  aequorls  instar,  135 

Quod  tremit,  exigua  quum  summum  stringitur  aura. 

Sed,  postquam  remorata  suos  cognovit  amores, 

Percutit  indignos  claro  plangore  lacertos; 

Et  laniata  comas,  amplexaque  corpus  amatum, 

Vulnera  supplevit  lacrymis,  fletumque  cruori  140 

Miscuit,  el  gelidis  in  vultibus  oscula  figens  .- 

«  Pyrame,  clamavit,  quis  te  mihi  casus  ademil?  ' 

«  Pyrame,  responde.  Tua  te,  carissime,  Tbisbe 

«  Mominat.  Exaudi,  vultusque  attolic  jacentcs.  » 

Ad  nomen  Thisbes  oculos,  jam  morte  gravatos,  145 

Pyramus  erexit,  visaque  recondidit  iiia. 

Quae  postquam  veslemquc  suam  cognovit,  et  ense 

Vidit  ebur  vacuum  :  «  Tua  te  manus,  inquit,  amorque 

c  Perdidit,  infeiixl  est  et  mihi  fortis  in  unum 

«  lloc  manus ;  est  et  amor  :  dabit  hic  in  vulnera  vires.    150 

«  Prosequar  exstinctum,  lcthiquc  niiserrima  dicar 

«  Causa  comesque  tui.  Quique  a  me  morte  revelli, 


LIVIIE  lY.  133 

i  flelas!  la  mort  seule  pouvail  Teloigner  de  moi ;  elle  ne  le  pourra 

«  plus.  Ah  I  du  moins  exaucez  celte  pri^re,  vous  trop  malheureux 

« parents  de  Thisb^  et  de  Pyrame. L'amour  et  la  derni^re  heure  les 

«  ont  enfin  reunis.  Ne  leur  enviez  pas  le  bonheur  de  reposer  sous 

« la  m^rae  tombe.  Et  loi,  arbre  dont  les  rameaux  ne  couvrent 

«  maintenant  que  les  restes  de  Pyrame,  et  qui  vas  bientdt  couvrir 

«  aussi  les  miens,  porte  toujours  les  marques  de  notre  trepas. 

«  Que  tes  fruits,  embl^me  de  deuil,  attestent  a  jamais  que  deux 

«  amants  font  baigne  de  leur  sang !  »  Elle  dit,  et  enfonce  dans  son 

coeur  la  pointe  de  Tepee  toute  fumante  encore  du  sang  de  Pyrame. 

Leurs  voeux  furent  entendus  des  dieux  et  de  l^urs  parents.  Le 

fruit  de  Tarbre,  parvenu  a  sa  malurite,  prit  la  couleur  du  sang,  et 

leurs  cendres  furent  enfermees  dans  la  m6me  urne.  » 

La  Mineide  avait  acheve  son  recit.  Apres  un  court  intervalle,  Leu- 
conoe  prend  la  parole.  Ses  compagnes  Tecoutent  en  silence. «  Le 
Soleil,  flambeau  du  monde,  a  aussi  ressenti  Tamour.  Racontons 
les  amours  du  Soleil.  Ce  dieu,  dit-on,  fut  le  premier  temoin  du 
commerce  adultere  de  Yenus  et  de  Mars  :  c'est  lui  qui,  le  premier, 
voit  tout.  Indigne  de  ce  crime,  il  decouvre  au  lils  de  Junon  les 

«  Hcu !  sola  poteras,  poteris  nec  niorte  revelli. 

«  Hoc  tamen  amborum  verbis  estote  rogati, 

«  0  multum  miseri,  meus  illiusquc  parentcs,  l^ 

•c  Ut,  quos  serus  amor,  quos  hora  novissima  junxit, 

«  Componi  tumulo  non  invideatis  eodcm! 

«  At  tu,  quaj  ramis  arbor  miserabile  corpus 

«  Nunc  tegis  unius,  mox  es  tectura  duoruni, 

«  Signa  tene  csedis ;  pullosque,  et  luctibus  uptos  160 

«  Semper  habe  foetus,  gemini  monumenta  cruoris.  » 

Dixit,  et  aptato  peclus  mucrone  sub  imum 

Incubuit  ferro,  quod  adhuc  a  ca;de  topcbat. 

Vota  tamcn  tetigere  deos,  tetigere  parentes. 

Nam  color  in  pomo  est,  ubi  pcrmaturuit,  ater ;  165 

Quodque  rogis  superest,  una  requieseit  in  unia.  » 


\    Qu 


Desierat,  mediumque  fuit  breve  tcmpus,  et  orsa  cst 
Dicere  Leuconoe  :  vocem  tenuere  sorores. 
«  Uunc  quoque,  siderea  qui  temperat  omnia  luce, 
Cepit  aiiior  Solem;  Soiis  referemus  amores.  •       170 

Primus  adulterium  Veneris  cum  Marte  putatur 
Hic  vidisse  deus  :  videt  hic  deus  omuia  piimus. 
Indoluit  facto,  Juaonigen»qjue  marito 


154  METAMORPUOSES. 

inlideliles  de  sa  coiiipagiie  et  l'asile  qui  en  est  le  thedlre.  Sa  raison 
lui  echappe,  et  le  fer  qu'il  travaille  tombe  de  ses  mains.  II  fabrique 
aussitdt  de  minces  chaines  d'airain,  des  lacets  et  des  filets  imper- 
ceptibles  qui  ne  le  cedent  en  fmesse  ni  au  tissu  le  plus  delicat,  ni 
a  la  toile  quWrachne  suspend  aux  soUves.  U  fait  en  sorte  qu*ils 
puissent  se  rapprocher  au  plus  leger  mouvenient,  a  la  moindre 
pression,  et  en  enveloppe  avec  adresse  le  lit  des  deux  amants.  A 
peine  Venus  etson  complice  sont-ils  reunis  dans  la  m^me  couche, 
que  Yulcain  les  surprend  dans  ces  iiens  nouveaux  et  les  enlace  au~ 
jniHeu  de  leurs  embrassements.  Aussit6t  irouvre  les  portes  d'i- 
voire  de  son  palais  ei  fait  entrer  les  dieux.  Yenus  et  Mars  parais- 
sent,  enchairies  et  confus.  Plus  d'un  dieu  malin  aurait  voulu  etre 
confus  a  ce  prix.  Les  Immortels  eclaterent  de  rire,  et  cette  aven- 
ture  servit  longtemps  d^entretien  a  la  celeste  cour. 

«  La  deesse  de  Cythere  tire  de  cette  revelation  une  m^morable 
vengeance :  elle  veut  qu'a  son  tour  celui  qui  a  trahi  ses  myste- 
rieuses  amours  soit  trahi  dans  des  amours  semblables.  Que  peu- 
vent,  0  fils  dllyp^rion !  ta  beaute,  ta  chaleur  et  tes  rayons?  Sans 
doute  tes  feux  brulent  au  loin  la  terre,  mais  toi-mtoe  tu  brules 

Kurla  tori,  furtique  locuiu  monstravit.  At  illi 

Kt  mens,  et  quod  opus  fabrilis  dextra  tenebat,  175 

Kscidit.  Extemplo  graciie:»  ex  scre  catenas, 

Hctiaque,  ct  laqueos,  quac  lumina  fallere  possint, 

Elimat.  Non  illud  opus  lenuissima  vincant 

Staraina,  non  summo  qux  pendet  aranea  tigno. 

Utque  lcves  tactus  momentaque  paiva  sequanlur,  1^<' 

Eflicit,  ct  lccto  circuradata  collocat  apte. 

Ut  venerc  torum  conjux  et  adulter  in  unum, 

Arte  viri,  vinclisque  nova  ratione  paratis, 

In  mediis  ambo  deprensi  amplexibus  haerenti 

Lemnius  extemplo  valvas  patcfecit  eburnas,  183 

Admisitquc  deos.  llli  jacucre  Hgali 

Turpitcr,  atque  aliquis  dc  dis  non  tristibus  ojitat 

Sic  fieri  turpis.  Superi  risere,  diuque 

Hxc  fuit  in  toto  notissima  fabula  ccelo. 

«  Exigit  indicii  memorem  Oylhcreia  poenanli  ^-^^ 

Inquc  viccs  ilium,  lectos  qui  laesit  amores, 
LiBdit  aniore  pari.  Quid  nunc,  Hyperione  nalc, 
t^orma,  calorque  tibi  radialaque  lumiiia  piosunt? 
Nerape  tuis  omnes  qui  tcrras  ignibus  uris, 


MVRE  IV.  135 

d'un  feu  nouveau.  Tes  regards  doivent  tout  embrasser,  et  lu  ne 
?ois  que  Leucotho^.  Tu  fixes  sur  une  seule  vierge  tes  regards 
que  r6clan)&  le  monde  entier.  Tu  parais  trop  tdt  aux  portes  de  10- 
rient  ou  tu  descends  trop  tard  dans  Tonde ;  et,  tandis  que  tu  t'ar- 
rfttes  pour  la  contempler,  tu  prolonges  le  jour  dans  la  saison  des 
frimas.  Quelquefois  tu  feclipses.  Le  mal  qui  ronge  ton  coeur  se 
dec^le  sur  ton  front,  et  robscurite  qui  le  couvre  epouvante  les 
mortels.  Tu  p^lis,  et  cependant  la  lune  ne  vient  pas  se  placer  entre 
*ton  disque  et  la  terre,  dont  elle  est  plus  voisine  que  toi.  Cest  ta 
passionqui  fimprime  cette  p^leur  :  tu  tfaimes  que  Leucotho^. 
Clymeng  et  Rhode  ne  regnent  plus  sur  toi,  ni  la  Nymphe  celebre 
par  sa  beaut^  et  qui  donna  le  jour  a  Girce  dans  Tile  d'Ea ;  ni  Gly- 
tie,  qui,  malgre  tes  mepris,  aspirait  encore  a  ta  couche,  et  dans 
ce  temps  mtoe  ressentait  une  profonde  blessure.  De  nombreuses 
rivales  furent  oubliees  pour  Leucotho^,  qu'enfanta  la  belle  Eury- 
nome  dans  la  r^gion  d'oii  nous  viennent  les  parfums.  EUe  grandit. 
Sa  m^re,  qui  efraga  toutes  les  beautes,  est  a  son  tour  effac^e  par  sa 
fille.  Les  Ach^meniens  reconnaissent  les  lois  d^Orchamus,  son  p^re, 
septi^me  rejeton  de  rantique  Belus. 

f  Sous  le  ciel  de  rflesperie  sont  les  paturages  des  coursiers  dii 

Ureris  igne  novo;  quique  omnia  cernere  debes,  195 

Leucothoen  speclas,  et  virgine  figis  in  una, 

Quos  roundo  debes,  ocdlos.  Modo  surgis  eoo 

Temporius  coelo,  modo  serius  incidis  undis. 

Spectandique  mora  brumales  porrigis  horas. 

Dcficis  interdum,  vitiumquc  in  lumina  mcnlis  20(J 

Transit,  et  obscurus  mortalia  pectora  terros, 

Nec,  tibi  quod  lunaj  terris  propioris  imugo 

Obstiterit,  palles  :  facit  hunc  amor  iste  colorem. 

Diligis  hanc  unam  ;  nec  te  Clymeneve,  Rhodosvr, 

Nec  tenet  aeaeai  genilrix  pulcherrima  Circes,  20?» 

Quaeque  tuos  Clytie,  quamvis  despecta,  petebat 

Concubilus,  ipsoque  illo  grave  vulnus  habcbat 

Teropore.  Lencothoe  multarum  oblivia  fecil, 

Gentis  oderifera}  quam  formosissima  partu 

Edidit  F.urynome.  Sed,  postquam  filia  crevil,  '210 

Quam  mater  cunclas,  tam  matrcm  filia  vicit. 

Rexit  achxmenias  urbes  pater  Orchamus,  isqne 

.'?eptimns  a  prisci  numeratur  originc  Beli. 

«  Axc  sub  hesperio  sunt  pascu»  Solis  cquorum. 


i36  MllTAMORPHOSES. 

Soleil.  L'ambroisie  y  croit  k  la  place  du  gazon.  Apres  leurs  fati- 
gues  journalieres,  elle  est  leur  nourriture  et  rafraichit  leur  vi- 
gueur.  Tandis  quMls  se .  repaissent  de  ces  sucs  ceiestes,  la  nuit 
accoraplit  sa  r^volution,  et  le  dieu  penetre  dans  Fasile  de  son 
amante  sous  les  traits  d'Eurynome,  sa  m^re.  Au  milieu  de  douze 
compagnes,  il  voit  Leucothoe  qui,  a  la  clarte  d'une  lampe,  fait 
tourner  son  fuseau  entre  ses  maios  actives.  D^abord  il  lui  donne 
de  tendres  baisers,  comme  une  mere  a  sa  fille  ch6rie ;  puis  il 
ajoute  :  «  II  s'agit  d'un  secret.  Esclaves,  retirez-vous,  et  n'6tez 
0  pas  k  une  m^re  le  droit  de  parler  seule  a  sa  fUIe.  »  Elles  obeis- 
sent.  Le  dieu,  se  voyant  sans  t^moins  :  «  Je  suis,  dit-il,  oelui  qui 
«  mesure  la  longueur  de  i'annee.  Cest  moi  qui  vois  tout  et  par 
«  qui  la  terre  voit  tout :  je  suis  rceil  du  monde.  Crois-moi,  tu  me 
«  plais.  »  La  Nymphe  tremble ;  la  crainte,  qui  fait  tomber  sa  que- 
nouille  et  ses  fuseaux  de  ses  doigts,  rehausse  encore  sa  beaute. 
Apollon  a  Tinstant  reprend  sa  premiere  forme  et  sa  splendeur  or- 
dinaire.  Effrayee  de  ce  changement  soudain,  mais  vaincue  par 
reclat  du  dieu,  Leucothee  c6de  a  la  violence  sans  proferer  au- 
cune  plainte. 

«  Son  bonheur  fait  envie  a  Clytie,  qui  n'avait  pu  renoncer  encore 

Ambrosiam  pro  gramine  habent :  ea  fessa  diarnis  215 

Membra  ministeriis  nutrit,  reparatque  bbori. 
Dumque  ibi  quadrupedcs  coelestia  pabula  carpunt, 
Noxque  vicem  peragit,  thalamos  deus  iutrat  amatos, 
Versus  in  Eurynomes  faciem  genitricis,  et  inter 
Bis  sex  Leucothoen  famulas  ad  lumina  ccrnit  220 

Lsvia  versalo  ducentem  stamina  fuso. 
Ergo  ubi,  ceu  maler,  carae  dedit  oscula  naUe  ; 
«  Res,  ait,  arcana  cst.  Famula},  discedite,  neve 
«  Eripite  arbitrium  matri  secrela  loquenti.  » 
Paruerant,  thalamoque  deus  sine  teste  relicto  :  ^^ 

«  IUe  ego  sum,  dixil,  qui  longum  raetior  annum, 
«  Omnia  qui  video,  per  quem  videt  omnia  telius; 
«  Mundi  oculus :  mihi,  crede,  places.»  Pavet  illa,  metuque 
Et  colus  el  fiisus  digitis  cecidere  remissis. 
Ipse  timor  decuit.  Nec  longius  ille  moratus,  '  230 

In  veram  rediit  faciem,  solitumque  nitorem. 
At  virgo,  quamvis  inopino  territa  visu, 
Victa  nitore  dei,  posila  vim  passa  querela  est. 
«  Jnvidit  Clylie,  neqiic  enim  moderatus  in  illa 


LIVRE  lY.  137 

ia  sa  lendresse  pour  le  Soleil.  Dans  sa  fureur  jalouse,  elle  veut  d^' 
vwler  un  commerce  adultere  et  court  le  r^v^ler  a  Orchamus.  Cruel 
et  sans  pitie,  Orcharaus  se  montre  inflexible  aux  priSres  de  sa 
fiile.  Elle  a  beau  lever  ses  bras  vers  le  Soleil,  et  s'torier  qu'il  a 
triomph^  d'elle  par  la  force;  son  p^re,  toujours  mexorable,  Ten- 
ferme  dans  la  terre,  et  entasse  par-dessus  un  grand  monceau  de 
sable.  Les  rayons  du  Soleil  le  dispersent,  et  fouvrent,  6  Nymphe ! 
une  issue  par  laquelle  ton  front  enseveii  pourra  se  faire  jour.  Mais 
tu  ne  peux  plus  relever  ta  t^te  accabl^e  sous  le  poids  qui  Top- 
presse,  et  ton  sang  s*arr^te  dans  tes  veines.  On  dit  que  jamais,  de- 
puis  rincendie  qui  devora  Phaethon,  le  maitre  des  agiies  coursiers 
du  jour  ne  vit  de  plus  douloureux  spectacle.  D'abord,  par  la  vertu  de 
ses  rayons,  il  essaye  de  ranimer  la  chaleur  dans  les  membres 
deja  glaces  de  son  amie.  Mais  le  Destin  s'oppose  a  ses  efTorts. 
Alors  il  repand  sur  les  restes  de  Leucothoe  et  sur  le  sable  qui 
lesrecouvre  un  nectar  odoriferant.  Puis,  apres  de  longues  plain- 
tes,  il  dit :  «  Tu  monteras  pourtant  au  ciel !  »  Soudain  les  mem- 
bres  de  la  Nymphe,  humectes  de  ressence  divine,  se  ramollis- 
sent,  et  le  sol  est  inond^  de  parfums.  Une  tige  qui  rec^Ie  Tencens 
pousse  insensiblement   des  racines  dans   les   entrailles  de  la 

Solis  amor  fuerat,  slimulataque  peliicis  ira  235 

Vulgat  adulterium,  diffamalumque  parenti 

hidicat.  llie  ferox,  immaosuetusquc  precantom, 

Tendentemque  manus  ad  lumina  Soli^,  et,  «  lUe 

«  Vim  tulit  jnvila»,  »  dicentem,  defodit  alla 

Crudus  humo,  tumulumque  super  ^ravis  addit  arenae.      i^lO 

Dissipat  hunc  radiis  Hyperionc  nalus,  iterque 

Dat  tibi,  quo  possis  defossos  promere  vultus. 

Nec  tu  jam  poteras  enectum  pondere  terrae 

ToUere,  Nympha,  caput,  corpusque  exsangue  jacebas. 

Nil  il!o  fertur  volucrum  moderalor  equorum  243 

Post  phaethonteos  vidisse  dolentius  ignes. 

lUe  quidem  gelidos  radiorum  viribus  artus, 

Si  queat,  in  vivum  tentet  revocare  calorem. 

Sed,  quoniam  tantis  falum  conatibus  obstal, 

Nectare  adoralo  sparsit  corpursquc  locumquo,  230 

Multaque  praquestus  :  «  Taages  tamcn  acther;!,  »  dixit. 

Prolinus  imbutum  coelesti  nectare  corpus 

Delicuit,  terramque  suo  madefecit  odore; 

Virgaque  per  glebas  sensim  radicibus  actis 


m  MeTAMORPHOSES. 

tjsnef  et  brise  en  s'^levant  la  barri^re  que  le  tombeau  lui  oppose. 

«  Quoique  l'amour  pilt  excuser  le  ressentiment  de  Glytie,  et  le 
ressentiment  sa  r^velation,  le  p^re  du  jour  ne  parut  plus  aupr^ 
de  cette  Nymphe,  et  il  cessa  de  Faimer.  En  proie  a  sa  folle  passion, 
elle  deperit  loin  de  ses  compagnes  qu'elle  ne  pouvait  soufTrir. 
Sans  abri,  sans  v^tement,  les  cheveux  epai^,  elle  restanuit  et  jour 
coueh^e  sur  la  terre,  et,  durant  neuf  jours,  sans  boire  ni  manger: 
elle  ne  se  reput  que  de  la  rosee  et  de  ses  larmes.  Jamais  elle  ne 
se  souleva  de  terre,  contemplant  sans  cesse  le  dieu  dans  sa  course 
et  flxant  toujours  ses  regards  sur  lui.  Soii  corps  s'attacha,  dit-on, 
au  sol.  Une  p^leur  mortelle  couvrit  son  corps  chang6enune  tige 
sans  couleur.  Sa  tSte  devint  une  fleur  pareille  a  la  violette,  et, 
quoique  retenue  par  sa  racine,  elle  se  toume  vers  le  Soleil,  qu^elle 
adore  m^me  apr^s  sa  metamorphose.  » 

EUe  dit,  et  cette  aventure  merveilleuse  captive  les  Nymphes.  Les 
unesen  nient  la  possibilit^;  les  autres  soutiennent  que  les  dieux 
v^ritables  peuvent  tout;  mais  Bacchus  n'est  pas  de  ce  nombre.  Quand 
le  silence  est  retabli,  la  parole  est  donnee  a  Alcithoe.  En  prome* 
nant  la  navette  a  travers  son  tissu,  elle  s'exprime  en  ces  termes : 

Thurea  surreiit,  tumulumque  cacumine  nipit.  25ri 

c  At  Glytien,  quamvis  amor  excusare  dolorem 
Indiciumque  dolor  poterat,  non  amplius  auctor 
Lucis  adit,  Venerisque  modum  sibi  fecit  in  illa. 
Tabuit  ex  illo  demenler  amoribus  usa, 
Nympharum  impatiens,  et,  sub  Jove,  nocle  dieque  2r>() 

Sedit  humo  nuda,  nudis  incompta.capillis; 
Perque  novem  luces,  expers  undseque  cibique, 
Rore  mero,  lacrymisque  suis  jejunia  pavit, 
Nec  se  movit  humo.  Tantum  spectabat  euntis 
Ora  dei,  vultnsque  suos  flectebat  ad  illuni.  2Go 

Membra  ferunt  hsesisse  solo,  partemque  coloris 
Luridus  exsangues  pallor  convertit  in  herhas. 
Est  in  parte  rubor,  violaeque  simillimus  oia 
Flos  tegit.  Illa  suum,  quamvis  radice  tenetur, 
Vertitur  ad  Solem,  mutataque  servat  amorem.  »  270 

Dixerat,  et  factum  mirabile  ceperat  aures. 
Pars  lieri  potuisse  negant,  pars  omnia  veros 
Pos-ip  deos  memorant;  sed  non  el  Bacchus  in  illis. 
Poseitur  Alcilhoe,  postquam  siluere  sorores. 
Quae,  radio  stantis  percurrens  stamina  telae:  !275 


LIVRE  IV.  139 

•  Je  tairai  les  amours  trop  connues  du  berger  Daphnis,  ne  sur  le 
mont  Ida,  et  chang^  en  rocher  par  la  colere  d'une  amante  ja- 
loose :  tant  Famour  allume  de  fureur !  Je  ne  dirai  pas  non  plus 
comment,  par  un  renversement  des  lois  de  la  nature,  Scython  fut 
tour  a  tourhomme  et  femme.  Toi,  Gelrois,  aujourd^hui  diamant,  et 
jadi$  nourricier  fidele  de  Jupiter  encore  enfant ;  et  yous,  Guretes, 
n&  d'une  pluie  abondante ;  et  toi,  Grocus,  change  avec  Smilax  en 
deux  petites  fleurs,  je  vous  passe  aussi  sous  silence.  Je  vais,  mes 
amies,  captiver  vos  esprits  par  Tattrait  de  ia  nouveaut^. 

c  Apprenez  pourquoi  Salmacis  est  une  source  detestee  dont  Teau, 
par  sm  contact  funeste,  ^nerve  les  membres.  On  en  ignore  la 
cause,  mais  les  effets  sont  connus.  Un  enfant,  ne  des  amours  d'Her- 
mes  el  d'Aphrodite,  fut  nourri  par  les  Nymphes  dans  les  antres  de 
rida.  0  ^tait  facile  de  reconnaitre  a  ses  traits  les  auteurs  de  ses 
jours.  G*est  d'eux  qu'il  tira  son  nom.  A  son  troisieme  lustre,  il 
quitta  les  montagnes  qui  Tavaient  vu  naitre;  et,  loin  de  rida  ou  il 
fiit  eleve,  il  se  plut  a  errer  dans  des  Ueux  inconnus  et  a  visiter  des 
fleuves  nouveaux  :  sa  curiosite  allegeait  ses  fatigues.  II  parcourut 
aussi  les  villes  de  la  Lycie  et  celles  de  la  Garie  qui  Tavoisine.  11 

«  Vulgatos  taceo,  dixit,  pastoris  amores 

Daphnidis  idaei,  quem  Nymphe  pellicis  ira 

Contulit  in  saxum  :  tantus  dolor  urit  amantes ! 

Nec  ioquor,  ut  quondam  naturse  jure  novato 

Ambiguus  fuerit  modo  vir,  modo  femina,  Scython.  280 

Te  quoquc,  nunc  adamas,  quondam  fidissime  parvo, 

Celmi,  Jovi,  largoque  satos  Curetas  ab  imbri. 

Et  Crocon,  in  parvos  versum  cum  Smilacc  florcs, 

Praetereo,  dulciquc  animos  novitate  tenebo. 

«  Unde  sit  infamis,  quare  male  fortibus  undisi  -85 

Salmacis  enervet,  taclosque  remolliat  artus, 
Discitc.  Causa  latet;  vis  est  notissima  fontis. 
Hcrcurio  puerum  diva  Cytherelde  natum 
Naidcs  ideis  enutrivere  sub  antris. 

Cujus  erat  facies,  in  qua  materque  paterque  290 

Cognosci  possent :  nomen  quoque  traxit  ab  illis. 
Is,  tria  quum  primum  fecit  quinquennia,  montcs 
Deseruit  patrios,  Idaquc  altrice  relicta, 
Ignotis  errare  locis,  ignota  videre 

Flumina  gaudebat,  studio  minuente  laborera.  295 

Ule  etiam  lycias  urbes,  Lycia^que  propinquos 


140  METAMORPnOSES. 

y  trouva  un  lac  dont  le  crisial  laissait  voir  le  sol  au  fond  des 
eaux.  La,  point  de  plantes  marecageuses,  ni  d^algues  steriles,  ni  de 
joncs  aigus  :  Fonde  en  est  limpide.  Ce  lac  est  borde  de  gazon  frais 
et  d'herbes  toujours  vertes.  Une  Nymphe  Thabite.  Inhabile  a  la 
chasse,  elle  n'est  accoutumee  ni  a  tendre  Tarc,  ni  a  suivre  un 
cerf  a  la  course.  Seule  parmi  les  Naiades,  elie  n'est  point  connue 
de  l'agile  Diane.  On  raconte  que  ses  compagnes  lui  disaient  sou- 
vent :  «  Salmacis,  prends  le  javelot  et  le  carquois,  et  m^le  a  tes 
«  loisirs  le  rude  exercice  de  la  chasse.  »  Elle  dedaigne  le  javelot 
et  le  carquois,  et  ne  se  soucie  point  de  mSler  a  ses  loisirs  le  rude 
exercice  de  la  chasse.  Tant6t  elle  baigne  dans  Tonde  pure  son 
corps  gracieux ;  tantdt,  avec  le  buis  du  Cytore,  elle  demfele  ses  che- 
veux  en  consultant  le  miroir  des  eaux  sur  ses  atours.  Quelquefois, 
couverte  d'un  voile  diaphane,  elle  repose  sur  un  lit  de  feuilles  ou 
de  gazon.  Souvent  elle  cueille  des  fleurs.  Peut-6tre  en  cueillait-elle 
aussi  lorsqu*elle  vitlejeune  berger.  En  le  voyant,  elle  desira  de 
le  poss^der. 
•  Avant  de  s'approcher  de  lui,  malgre  toute  son  impatience,  elle 


Caras  adit.  Vldet  hic  stagaum  lucentis  ad  imum 

Usque  solum  lymphs.  Non  illic  cdnna  palustris, 

Mec  steriles  ulvae,  nec  acuta  cuspide  junci. 

Perspicuus  liquor  est ;  stagni  tamen  ultima  vivo  oOO 

Cespite  cinguntur,  semperque  virentibus  herbis. 

Nympha  colit;  sed  nec  venatibus  apta,  nec  arcus 

Flectere  qu»  soleat,  nec  quae  contendere  cursu. 

Solaque  Naiadum  celeri  non  nota  Dianae. 

SaBpe  suas  illi  fama  esC  dixlsse  sorores  :  305 

«  Saimaci,  vel  jaculum,  vel  pictas  sume  pharelras, 

«  Et  tua  cum  duris  venatibus  otia  misce.  » 

Nec  jaculum  sumit,  nec  pictas  illa  pharetras, 

Nec  sua  cum  duris  venatibus  otia  miscet. 

Sed  modo  fonle  suo  formosos  perluit  artus;  310 

SflBpe  cyloriaco  deducit  pectine  crines, 

Et  quid  se  deceat,  spectatas  consulit  undas. 

Nunc  perlucenti  circumdata  corpus  amiclu, 

MoUibus  aut  foliis,  aut  moilibus  incubat  lierbis. 

Sajpe  legit  flores;  et  tunc  quoque  forte  legebal,  315 

Quum  puerum  vidit,  visumque  oplavit  habere. 

«  Nec  tamen  anie  adiit,  clsi  prop«^rabnl  adire, 


LIVRB  IV.  141 

sofgne  sa  panire,  rexamine  d'iin  air  coquet,  et  compose  son  vi- 
sage  de  mani^re  a  paraitre  belle.  «  Enfant,  lui  dit-elle,  tu  merites 
«  d'6tre  pris  pour  un  dieu.  Si  lu  es  un  dieu,  tu  peux  Mre  TAmour. 
f  Si  tu  esun  mortel,  heureux  ceux  qui  font  donne  le  jour!  heu- 
«  reux  est  ton  fr^re,  heureuse  est  ta  soeur,  si  tu  en  asune;  heu- 
fl  reiise  est  la  nourrice  qui  roffrit  son  sein ;  plus  heureuse  encore 
«  et  plus  puissante  celle  qui  est  ta  compagne,  ou  pour  qui  tu  al- 
«  lumeras  le  flambeau  d'hymen6e  I  Si  tu  Tas  choisie,  accorde- 
«  moi  pourlant  un  bonheur  furtif.  Si  ton  choix  n'est  pas  fait, 
«  puisse-je  le  iixer  et  partager  ta  couche !  »  A  ces  mots,  la  rou- 
geur  couvre  les  traits  du  jeune  bei^er,  qui  ne  connait  pas  encore 
Tamour,  et  lui  donne  une  grace  nouvelie.  Telle  est  la  couleur  des 
fruits  exposes  au  soleil,  celle  de  Tivoire  empourpr^,  ou  F^lat  ver- 
meil  de  la  lune,  lorsque  Tairain  sonore  l^appelle  en  vain  sur  la 
terre.  La  Nymphe  veut  au  moins  obtenir  un  de  ces  baisers  qu'une 
soBur  re^oit  de  son  fr^re.  Deja  elle  allait  saisir  le  cou  d'alb4tre 
d^Hermaphrodite :  « Cesse,  ou  je-  fuis,  dit-il,  et  je  te  laisse  seule 
«  en  ces  lieux. »  Sahnacis  tremble :  «  fitranger,  sois  hbre  el  mailre 
d  de  cet  asile, »  repond-«lle ;  et  elle  feint  de  se  retirer.  Mais,  sans 


Quam  se  composuit,  quam  circumspexit  amictus, 

Et  floxit  vultum,  et  meruit  formosa  videri. 

Tunc  sic  orsa  loqui :  t  Puer  o  dignissime  credi  320 

«  Esse  deus;  seu  tu  deus  es,  potes  esse  Cupido; 

«  Sive  est  mortalis,  qui  te  genuere  beati, 

«  Et  frater  felix,  et  fortunata  profecto 

«  Si  qua  tibi  soror  est,  et  quae  dedit  ubera  nutriz. 

«  Sed  longe  cunctis,  longeque  potentior  illis,  525 

«  Si  qua  tibi  sponsa  est,  si  quam  dignabere  tsda. 

«  IIxc  tibi  sive  aliqua  est,  mea  sit  furtiva  voluplas ; 

«  Seu  nuUa  est,  ego  sim,  thalamumque  ineamus  eumdcm.  > 

Mais  ab  his  tacuit.  Pueri  rubor  ora  notavit, 

Nescia  quid  sit  amor;  sed  et  erubuisse  decebat.  330 

Hic  color  aprica  pendentibus  arbore  pomis, 

Aut  ebori  tincto  cst,  aut  sub  candore  rubenti, 

Quum  frustra  resonant  o^ra  auxiliaria  lunx. 

Poscenti  Nymphae  sine  fine  sororia  saltem 

Oscula,  jaraque  manus  ad  eburnea  coUa  ferenti ;  535 

«  Desine,  vel  fugio,  lecumque,  ait,  ista  reliuquo.  » 

Salniacis  extimuit:  «  Locaque  haec  tibi  libera  trado, 

«  llospes,  »  ait;  simulatque  gradu  disccdere  verso. 


142  HjgTAMORPHOSES. 

d^toumer  de  lui  ses  regards,  elle  se  cache  dans  un  bosquet  et  s'y 
tient  k  genoux.  L'enfant,  avec  la  l^erete  de  son  dge,  persuad6 
qne  personne  ne  l'observe  dans  cette  solitudc,  va  et  revient,  baigne 
dans  Teau  transparente  la  plante  de  ses  pieds  et  les  plonge  jus- 
qu'aux  talons.  Bientdt,  s6duit  par  la  douce  temperature  de  Tonde, 
U  d6pouille  le  fin  tissu  qui  enveloppe  on  corps  d^licat. 

fl  Salmacis  tombe  en  extase  devant  les  channes  qui  la  frappent, , 
et  brtde  d'une  flamme  qui  etincelle  dans  ses  yeux.  Ainsi  se  reflechit 
dans  un  miroir  le  disque  brillant  du  soleil.  A  peine,  dans  son  im- 
patience,  peut-elle  voir  diCferer  son  bonheur.  Elle  veut  Tembras- 
ser ;  elle  ne  maitrise  plus  son  d61ire.  Hermaphrodite  lui  donne  un 
coup  l^ger,  et  se  pr^cipite  dans  Fonde.  Ses  bras,  qu'il  agite  tour 
k  tour,  brillent  a  travers  le  cristal  des  eaux,  comm^  une  statue 
d'ivoire  ou  des  lis  6blouissants  sous  le  verre  diaphane.  a  Jetriom- 
t*phe!  il  est  k  moi!  »  s'ecrie  la  Naiade.  A  Tinstant  elle  rejette 
ses  v^tements,  s'elance  au  milieu  des  flots,  saisit  Hermaphrodite 
qui  r^siste,  et,  malgre  ses  efTorte,  lui  ravit  des  baisers.  Ses  mains 
jouent  autour  de  sa  poitrine,  qu'il  cherche  en  vain  k  lui  d^rober : 


Tum  quoque  respiciens,  fruticumque  recondita  silva 

Delituit,  flexumque  genu  submisit.  At  ille,  340 

Ut  puer,  et  vacuis  ut  inobservatus  in  herbis, 

lluc  it,  et  hinc  illuc;  et  in  alludentibus  undis 

Summa  pedum,  taloque  tenus  vestigia  tingit. 

Nec  mora,  temperie  blandarum  captus  aquarum, 

Mollia  de  tenero  velamina  corpore  ponit.  345 

«  Tum  vero  obstupuit,  nudseque  cupidine  forms 
Salmacis  exarsit;  flagrant  quoque  lumina  Nymphes, 
Non  aliter,  quam  quum  puro  nitidissimus  orbe 
Opposita  speculi  referitur  imagine  Phoebus. 
Vixque  moram  patitur,  vix  jam  sua  gaudia  differt.  3tf0 

Jam  cupit  amplecti,  jam  se  male  continet  amens. 
nie,  cavis  velox  applauso  corpore  pahnis, 
Desilit  in  iatices,  alternaque  brachia  ducens 
In  Hquidis  translucet  aquis,  ut  eburnea  si  quis 
Signa  tegat  claro,  vel  candida  iilia,  vitro.  355 

«  Vicimus!  en  meus  est!  »  exclamat  Nais,  et,  omni 
Veste  procul  jacta,  mediis  immittitur  undis, 
Pugnacemque  tenet,  luctantiaque  oscula  carpit, 
Subjectatque  manus,  invitaqne  pectora  tangit. 


LIVRE  IV.  145 

cUe  renchaine  dans  ses  bras.  U  a  beau  lutter  pour  se  soustraire  k 
sesembrassements,  elle  T^treint  comme  le  serpent  enlace  la  tSte 
et  les  pieds  du  roi  des  oiseaux  qui  remporte  au  haut  des  airs,  et 
replie  sa  queue  autour  de  ses  ailes  ^tendues.  Tel  le  Herre  em- 
brasse  le  tronc  d'un  peuplier ;  tel  encore  le  polype  saisit  au  fond 
de  Tonde  son  ennemi,  et  i'enveIoppe  touj;  entier  dans  ses  flexi- 
^bles  lacets.  Le  petit-fils  d^Atlas  r^iste  et  refuse  a  la  Nymphe  le 
bonheur  qu'elle  attend.  Elle  le  presse,  et,  dans  la  plus  vive  ^treinte, 
suspendue  a  son  cou,  elles'ecrie : « Tu  resistes  en  vain,  cruei,  tu 
c  ne  m'^happeras  pas !  Dieux,  ordonnez  que  jamais  rien  ne  le  s^ 
f  pare  de  moi,ni  me  separe  de  lui ! » Sa  pri^re  est  exaucde.  Leurs 
corps  s'unissent  et  se  confondent.  Ainsi  deux  rameaux  croissent 
sous  la  m^me  6corce  et  grandissent  ensemble.  Hermaphrodite  et 
la  Nymphe,  ^troitement  embrasses,  ne  sont  plus  deux  corps  dis- 
tincts.  Ils  ont  une  double  forme;  mais  on  ne  peut  les  ranger  ni 
panni  les  femmes  ni  parmi  les  hommes.  Sans  Stre  d*aucun  sexe, 
ils  sem51entles  avoir  tou.s  les  deux.  Hermaphrodite,  voyant  qu'au 
sortir  d^  eaux,  ou  il  est  descendu  homme,  il  n*est  homme  qu'a 


El  nuQc  hac  juveni,  iiunc  circumfundilur  illac.  360 

Denique  nitentem  conlra,  elabique  volentem 

Implicat,  ut  serpens>  quam  regia  sustinet  ales, 

Sublimemque  rapit;  pendens  caput  illa  pedesque 

Alligat,  ct  cauda  spaliantes  implicat  alas. 

ttve  solent  hederse  longos  intexere  truncos;  365 

Utque  sub  aequoribus  deprensum  polypus  hoslem 

Continet,  ex  omni  dimissis  parte  flagellis. 

Perstat  Atlantiades,  sperataquc  gaudia  Nymp'hae 

Denegat.  IUa  premit ;  commissaque  corpore  tolo 

Sicut  inhxrebat  :  «  Pugnes  licet,  improbe,  dixit,  370 

«  Non  tamcn  effugies.  Ita  di  jubeatis,  et  istum 

«  Nulla  dies  a  me,  nec  me  diducat  ab  isto.  * 

Vota  suos  habuere  deos.  Nam  raixla  duorura 

Corpora  junguntur,  fuciesque  inducitur  illis 

Una,  velut  si  quis  conducla  corlice  ramos  375 

Crescendo  jungi,  pariterquu  adolescere  ceruat. 

Sic  ubi  complexu  coierunt  mcmbra  tenaci, 

ISec  duo  sunl,  et  forma  duplex,  nec  femina  dici, 

Moo  puer  ut  possint,  ncutrumque  et  utrumque  videntur. 

Ergo  ubi  se  liquidas,  quo  vir  dcscenderat,  undas  oSO 

Semimarem  fecisse  videt,  molitaque  in  illis 


m  METAMUHPHOSES. 

demi,  et  que  ses  membres  ont  perdu  leur  force,  leve  ses  bras 
vers  le  ciel,  et  s'ecrie  d*une  voix  qui  n'est  plus  virile  : «  0  mon 
. «  pere !  6  ma  mere !  accordez  une  gr^ce  a  votre  fils  qui  tire  son 
«  nom  de  vous  deux.  Que  tout  homrae,  apres  s'^tre  baigne  dans 
«  ces  eaux,  n'ait,  quand  il  en  sortira,  que  la  moitie  de  son  sexe ! 
«  Puissent-elles,  en  le  touchant,  lui  ravir  soudain  sa  vigueur !  »  Les 
auteurs  de  ses  jours  furent  sensibles  a  ce  voeu ;  ils  Taccomplirent 
et  donnerent  a  cette  source  une  verlu  mysterieuse.  » 

Ainsi  finit  le  recit.  Gependant  les  filles  de  Minyas  poursuivent  leur 
travail,  meprisent  le  dieu  et  profanent  sa  f^te.  Tout  a  coup  d^invi- 
sibles  tambours  font  entendre  un  sourd  murmure ;  la  trompette 
et  Tairain  concave  retentissent;  la  myrrhe  et  le  safran  exhalenl 
leurs  parfums.  0  prodige  incroyable !  les  toiles  commencent  a  verdir 
et  les  tissus  flottants  a  se  changer  en  feuilles  de  lierre.  Une  partie 
se  transforme  en  vignes,  la  laine  fait  place  aux  ceps ;  des  pampres 
sortent  des  fuseaux,  et  les  grappes  se  rev^tent  d'un  eclat  vermeil. 
On  etait  arrive  a  ce  moment  qu'on  ne  peut  appeler  ni  la  lumiere  ni 
la  nuit,  et  qui  sert  de  limite  entre  le  jour  et  une  obscurite  dou- 
teuse.  Soudain  le  toit  s'ebranle ;  des  torches  repandent  une  vive 

Menibra,  inanus  tendens,  sed  jam  non  voce  virili, 

Hermaphroditus  est :  «  Nato  date  munera  veslro, 

«  Et  pater,  et  gcnitrix,  amborum  nomen  habeuti. 

«  Quisquis  in  hos  fontes  vir  venerit,  exeat  indc  385 

«  Semivir,  et  taclis  subito  moUescat  in  undis.  » 

Motus  uterque  parens,  nati  rata  verba  biformis 

Fccit,  et  incerto  fontem  medicamine  tinxit.  » 

l>'mis  crat  dictis,  et  adhuc  minyeia  prolcs 
Urget  opus,  spernitque  deum,  festumque  profanat, 
Tympana  quum  subito  non  apparcntia  raucis 
Obstrepuere  sonis,  et  adunco  tibia  cornu, 
Tinnulaque  ajra  sonant ;  redolent  myrrhaBque  crocique, 
Resquehdc  major!  ccepere  vircscerc  telx, 
Inque  hedcrse  faciem  pendcns  frondescere  vestis.  ^^ 

Pars  abit  in  vites,  et  quse  modo  lila  fuerunt, 
Pahnitc  mutanturj  de  slamine  pampinus  exil; 
Purpura  fulgorem  pictis  accommodat  uvis. 
Jamque  dies  cxactus  erat,  tempusque  subibal, 
Quod  tu  nec  tenebras,  r.ec  possis  dicere  luccni,  400 

5cd  cuui  luce  tamcn  dubiae  confinia  noctis. 
Tecta  repente  quati,  pinguesque  ardere  vidcnlur 


LIVBE  IV.  145 

dart^y  des  feux  etincelants  brillent  au  loin  dans  le  palais,  ou  Ton 
croit  entendre  des  hurlements  affreux  de  b^tes  feroces.  Les  ftli- 
neides  se  dispersent  aussitdt  et  se  cachent  de  tous  c6tes  dans  le  pa- 
kds  fumant  poursederoberal'eblouissement  de  Fincendie.  Tandis 
qu^elles  cherchent  une  retraite,  leurs  membres  r^trecis  se  couvrent 
d'ttne  membrane,  et  des  ailes  legeres  remplacent  leurs  bras.  Les 
,  tenebres  ne  permettent  pas  de  voir  corament  elles  ont  perdu 
leur  premiere  fonne.  Ge  n'est  pas  a  Taide  d'un  plumage  qu'ellcs 
volent :  des  ailes  d'un  lissu  transparent  les  soutiennent  dans  Tair. 
Elles  veulent  parler;  de  leur  faible  corps  s'echappe  une  faible  voix 
et  des  cris  aigus  expriment  seuls  leurs  plaintes.  Elles  habilenl  les 
maisons  et  non  les  forets.  Ennemies  du  jour,  elles  ne  voient  que 
la  nuit,  et  emprunlent  leur  nom  de  Vesper. 

INO  ET  NELICERTE  CHANGES  EN  DIEUX  MARINS,  ET  LEURS  CONPAGNES 
EN  ROCBEBS  ET  EN  OISEAUX. 

II.  Thebes  retentissait  alors  du  nom  de  Bacchus.  La  tante  de  ce 
nouveau  dieu  proclamait  partout  sa  redoutable  puissance.  Parmi 
les  filles  de  Minyas,  une  seule  n'eut  a  souffrir  que  les  maux  caus^s 

Lampades,  el  rutilis  collucere  ignibus  aedcs, 

Falsaque  ssevarum  simulacra  ululare  ferarum. 

Fumida  jamdudum  latitant  per  tecta  sorores,  40S 

Diversxque  locis  ignes  ac  lumina  vitant. 

Dumque  petunt  late))ras,  parvos  membrana  per  artus 

Porrigitur,  tenuique  inducit  brachia  penna; 

^ec,  qua  perdiderint  veterem  ratione  figuram, 

Scire  sinunt  tenebrse.  Non  illas  pluma  levavit,  410 

Suslinuere  tamen  se  perlucentibus  alis; 

Conatseque  loqui,  minimam  pro  corpore  vocem 

Emittunt,  peraguntquu  levi  stridore  querclas. 

Tectaque,  non  silvas,  celebrant;  lucemque  perosae 

Nocte  volant,  seroque  trahunt  a  vespere  nomen.  415 

IXO   ET  MELICERTA   IN  DEOS  IIARINOS   TRANSFOBHATI,   ET   EORUM  FAMULiE 
IN   SAXA   ET   YOLUCRES. 

II.    Tum  vcro  lotis  i3acchi  memorabile  Tbebis 
Numcn  erat,  magnasque  novi  materlcru  vires 
Narrat  ubique  dei ;  de  totque  sororibus  exper:» 
Una  doloris  erat,  nisi  qucm  feceie  soroies. 


j46  METAMOUPHOSES. 

par  ses  soeurs.  Junon  remarqua  combien  elle  etait  fiere  de  ses 
enfants,  de  la  couche  d'Athamas,  et  de  Thonneur  d'avoir  un  dieu 
pour  nourrisson.  Transportee  de  depit :  «  Le  fils  d'une  adultere,  se 
dit-elle,  a  pu  metamorphoser  les  matelots  de  Meonie  et  les  plonger 
dans  Tonde.  11  a  pu  faire  dechirer  un  enfant  par  les  mains  de  sa 
mere,  et  donner  aux  trois  filles  de  Minyas  des  ailes  jusqu'alors  in- 
connues ;  et  Junon  serait  reduite  a  nourrir  dans  les  larmes  son 
impuissante  douleur !  Dois-je  m'en  contenter  ?  Sont-ce  la  les  bor- 
nes  de  mon  empire?  Bacchusan'apprend  ce  que  je  dois  faire.  On  re- 
9oit  des  le^ons  meme  d'un  ennemi.  Le  meurtre  de  Penthee  montre 
assez  ce  que  peut  la  fureur.  Pourquoi,  excit^e  par  cet  exemple, 
Ino  ne  se  precipiterait-elle  pas  dans  les  memes  egarements?  » 

II  est  un  sentier  en  pente,  ombrag^  par  des  ifs  funebres.  A  tra- 
vers  un  silence  profond,  il  conduit  aux  demeures  infemales.  La 
s'el6vent  les  vapeurs  des  eaux  dormantes  du  Styx.  Cest  par  la  que 
descendent  ies  ombresnouvelles  des  morts  qui  ontre^u  les  honneurs 
delasepulture.  La  Paleur  et  un  froid  glacialhabitent  cesejour  affreux, 
ou  gisent  les  m^nes  recemment  arrives,  ne  sachant  ni  quelk  route 
mene  ala  cite  que  baigne  le  fleiive  des  enfers,  ni  ou  se  trouve  le 
redoutable  palais  du  noir  Pluton.  Mille  avenues  et  des  portes  ou- 

Aspicit  hanc  natis,  thalamoquc  Alhamantis  habentem       420 

Sublimes  animos,  et  alumno  numine,  Juno ; 

Nec  tulit,  et  secum  :  «  Potuit  de  pellice  natus 

Verlere  majonios  pelagoquc  immergere  nautas, 

Et  laceranda  suaj  nati  dare  viscera  matri, 

Et  triplices  operirc  novis  Minyeidas  alis;  425 

Kil  poterit  Juno,  nisi  inultos  llere  dolores? 

Idque  mihi  satis  est?  Ilajc  uua  potentia  noslra  esl? 

Ipsc  docet,  quid  agam.  Fas  est  el  ab  hoste  doccri. 

Quidque  furor  valeat,  penthea  cjcdc  satisque 

Ac  super  ostendit.  Cur  non  stimulctur,  eatque  '    430 

Pcr  cognata  suis  exempla  furoribus  Ino  ?  » 

Est  via  declivis,  funesta  nubila  taxo ; 
Ducit  ad  infernas  per  muta  siientia  sedes. 
Styx  nebulas  exhaiat  iners,  umbraeque  recentes 
Dcscendunl  illac,  simulacraque  functa  sepulcris.  -455 

Pallor,  Iliemsquc  tenent  late  loca  scnta;  noviqne, 
Qua  sit  iter  maues,  stygiam  quod  ducil  ad  urbem, 
Ignorant,  ubi  slt  nigri  fcra  rcgia  Dilis. 
3Iiilc  capax  aditus,  ct  apcrla^  undique  porlas 


LIVRE  lY.  147 

f&fes  de  toutes  parts  conduisent  a  cette  ville  iminense.  Semblable 
a  rOcean  qui  re^oit  les  lleuves  de  tous  les  points  de  la  terre,  elle 
admet  toutes  les  ames.  Jamais  trop  etroite  pour  la  foule  qui  s'y 
presse,  elle  ne  la  sent  pas  mSme  approcher.  De  tous  cdtes  se  pro- 
menent  de  pSles  fantdmes  sans  cliair  et  sans  os.  Les  uns  assiegent 
le  tribunal,  d'autres  le  palais  du  souverain  des  ombres ;  plusieurs 
se  livrent  aux  occupations  qu'ils  eurent  durant  leur  vie.  La  (ille 
de  Satmne  consent  a  quitter  les  celestes  demeures  pour  descendre 
dans  ce  lieu :  tant  la  haine  et  la  colere  la  dominent ! 

A  peiney  est-elle  entree,  le  seuil  tremble  sous  ses  pieds  sacres; 
Gerbere  dresse  sa  triple  gueule  et  faitresonner  sa  triple  voix.  Ju- 
non  appelle  les  filles  de  la  Nuit,  divinites  implacabies  et  terribles. 
Assises  devant  la  porte  d'airain  qui  ferme  le  Tartare,  elles  pei- 
gnaient  leurs  cheveux  herisses  de  noirs  serpents.  IMs  qu^elies  rc- 
connaissent  la  reine  des  cieux  a  travers  les  tenebres,  elles  se 
levent.  Leur  demeure  se  nomme  la  region  du  crime.  La  Tityus 
couvre  de  son  corps  sept  arpents,  et  repait  de  ses  enlraiiles  la 
fureur  d'un  vautour;  la,  Tantale,  tu  ne  peux  saisir  i'eau,  et  les 
fruits  qui  pendent  au-dessus  de  ta  t^te  disparaissent  toujours ;  et 
loi,  Sisyphe,  tu  cherches  a  retenir  ou  a  pousser  le  roc  pret  a  rou- 

Urbs  habet.  Utque  frelum  de  tota  flumina  terra,  440 

Sic  omnes  animas  locus  accipit  ille,  nec  ulli 

Exiguus  populo  est,  turbamve  accederc  senlil. 

Errant  exsangues  sinc  corpore  et  ossibus  umbra) ; 

Parsque  forum  celebrant,  pars  imi  tecla  tyruuni, 

Pars  alias  artcs,  antiqux  imitaminu  vit».  448 

Sustinet  ire  illuc,  coelesli  sede  relicta, 

(Tantum  odiis  iro^que  dabat !)  Saturnia  Juuo. 

Quo  simul  intravit,  sacroque  a  {orpore  presaum 
Ibgemuit  limen,  tria  Cerberus  exlulit  ora, 
Et  Ires  latratus  simul  edidit.  llla  sorores  4ti0 

Nocte  v«)cat  genitas,  grave  et  implacabile  numcn. 
Carceris  ante  fores  clausas  adamante  sedebant, 
Deque  suis  atros  pectebant  crinibus  angues. 
Quam  simul  agnorunt  inter  caliginis  umbras, 
Surrexere  deae.  Sedes  scelerala  vocatur.  4oj 

Vibcera  praebebat  Tilyos  lanianda,  novemque 
Jugeribus  distentus  crat.  Tibi,  Tantalc,  nulla; 
Deprcndunlur  aquo;;  quaeqUe  imminet,  effugit  arboi;. 
,    Aut  petis,  aut  urges  ruiturum,  Sisypiie,  saxum. 


148  METAMORPflOSES. 

ler.  La  Ixio»  toume  sur  sa  roue,  et  tour  a  tour  se  poursuit  et 
s'evite.  La,  pour  avoir  ose  donner  la  mort  a  leurs  epoux,  les  fllles 
de  Beius  puisent  i'eau  qui  s'echappe  sans  cesse.  La  fille  de  Sa- 
tume  leur  lance  des  regards  farouciies,  surtout  a  Ixion,  et  ensuite 
les  porte  sur  Sisyphe.  «  Pourquoi,  dit-elle,  parrai  ses  freres  est-il 
seul  condamne  a  un  supplice  eterael,  tandis  que  le  superbe  Atha- 
mas  babite  un  riche  palais,  lui  qui  toujours  afficha  du  raepris  pour 
moi,  ainsi  que  son  epouse?  j>  En  m^me  temps  elieexpose  le  sujet 
de  sa  haine  et  de  son  voyage.  Elle  annonce  qu'elle  veut  quele  pa- 
lais  de  Cadmus  ne  reste  pas  debout,  et  que  les  trois  soeurs  infer- 
nales  entrainent  Athamas  au  crime.  Ordres,  promesses,  prieres, 
elie  a  recours  a  tout,  et  sollicite  vivement  les  trois  deiles.  Tisi- 
phone,  tout  emue,  secoue  alors  ses  cheveux  blancs,  et,  rejetant 
en  arriere  les  couleuvres  suspendues  autour  de  son  front :  «  De 
longs  discours,  repond-elle,  sont  superfius.  Regardez  vos  ordres 
comme  accoraplis.  Sprtez  de  cet  odieux  empire,  et  allez  respirer 
un  air  plus  pur.  » 
Junon  se  retire  triomphante.  Avant  qu'elle  rentre  dans  les 
•  cieux,  la  fille  de  Thaumas,  Iris,  repand  sur  elle  une  eau  lustrale 


Volvitur  Ixion,  et  se  sequilurque  ftigitquc.  4C0 

Molirique  suis  lelhum  patruelibus  ausac, 

Assiduc  repctunt,  quas  perdant,  Belides  undas. 

Quos  omnes  acie  postquam  Saturnia  torva 

Vidit,  et  ante  omues  Ixiona,  rursus  ab  illo 

Sisyphon  aspiciens  :  «  Cur  hic  e  fralribus,  inquit,  4G5 

Perpetuas  patitur  poenas?  Athamanta  superbum 

Regia  dives  habet,  qui  me  cum  conjuge  semper 

Sprevit?  »'et  exponit  causas  odiique  viaeque, 

Quidque  velit.  Quod  vellet,  erat,  ne  regia  Cadmi 

Slaret,  et  in  facinus  trahcrent  Athamanta  sorores.  470 

Imperium,  promissa,  preces  confundit  in  unum, 

So]licitatque  deas.  Sic  haec  Junone  locuta, 

Tisiphone  canos,  ut  erat  turbata,  capillos 

Movit,  et  obstantes  rejecit  ab  ore  colubras. 

Atque  ita  :  «  Non  longis  opus  est  ambagibus,  iuflt.  475 

Facla  puta,  quaicumque  jubes.  luamabile  regnum 

Desere,  teque  refer  coeli  melioris  ad  auras.  » 

Luita  redit  Juno.  Quaiu  coelum  intruro  purantem 
Roralis  luslravit  aquis  Thaumanlias  Irj.s. 


LIVRE  IV.  m 

qui  la  baigne  comme  une  ros^e.  Aussitdt  rimplacable  Tisiphone 
s*anne  d'une  torche  ensanglantee,  et  revSt  un  nianteau  rougi  de 
sang;  Des  serpents  eiitrelaces  forment  sa  ceinture.  Elle  sort  de  sa 
demeure.  A  ses  cdtes  marchent  le  Deuil,  l'Effroi,  la  Terreur,  etla 
Demence  a  la  face  mobile.  Elle  s*arrMe  sur  Je  seuil  du  palais  d'A- 
thamas.  Les  portes  tremblerent,  dit-on,  et  leurs  baltants  d'erable 
se  couvrirent  d*une  couleur  blafarde.  Le  Soleil  s^enfuit.  L^aspect 
du  monstre  epouvanta  Tepouse  d'Athamas  et  Athamas  lui-m^me. 
Ds  veulent  quitter  le  palais.  La  cruelle  Furie  s'y  oppose  et  ferme 
toutes  les  issues.  Elie  etend  ses  bras  enlac^s  de  serpents  et  seooue 
sa  dievelure.  Les  couleuvres  s'agitent  bruyamment,  pendent  sur 
son  ^paule,  sifflent  en  ghssant  autour  de  ses  tempes,  distillent 
leur  venin  et  dardent  leur  aiguillon.  Tisiphone  detache  de  sa  t^te 
deux  serpents  et  les  lance  de  sa  main  homicide.  Ds  errent  sur 
le  sein  dlno  et  d'Athamas,  qu^ils  ijifectent  de  leur  souffle  im- 
pur.  Ds  epargnenl  leurs  corps,  et  font  souffrir  ^  leurs  coeurs  les 
plus  cruels  tourments.  Tisiphone  avait  aussi  apporte  avec  elle  de 
subtils  poisons,  tels  que  Tecume  vomie  par  Cerbere  et  le  venin  de 
rhydre  de  Lferne,  les  vaguies  transports,  les  aberrations,  les  crimes, 

Nec  mora,  Tisiphone  madefactam  sangnrne  sumit  480 

Importuna  facem,  fluidoque  cruorc  rubentem 
Induitur  pallam,  lortoque  incingitur  angue, 
Egrediturque«domo.  Luctus  comitantur  euntem, 
Et  Pavor,  et  Terror,  trepidoque  Insania  vultu. 
Limine  constiterat.  Postes  tremuisse  feruutur  4C5 

^olii,  pallorquc  forcs  infecit  acernas; 
Solque  locum  fugit.  Monstris  exterrita  conjux, 
Territus  est  Athamas;  tectoque  exire  parabant. 
Obstitit  infelix,  aditumque  obsedit  Erinnys; 
Nexaque  vipereis  distendens  brachia  nodis,  490 

Cnsariem  excussit.  Motse  sonuere  colubrae; 
Parsque  jacent  humeris,  pars  circum  tempora  lapsa; 
Sibiladant,  saniemque  vomunt,  linguasque  coruecant. 
Inde  duos  mediis  abrumpit  crinibus  angues, 
Pestiferaque  manu  raptos  immisii.  At  illi  49f> 

Inoosque  sinus,  alhamanteosque  pererrant, 
Inspirantque  graves  animas ;  nec  vulnera  membris 
UlJa  ferunt :  mens  est  quse  diros  sentiat  ictus. 
Attulerat  secum  liquidi  quoque  monstra  veneni, 
Oris  cerberei  spumas,  et  virus  Echidnae,  500 

•  Erroresque  vagos,  caecaeque  oblivia  mentis. 


150  M]gTAHORPHOSES. 

les  pleurs,  la  rage  et  la  soif  du  meurtre.  Elle  en  composa  un  hor- 
rible  jn^lange,  et  les  fit  bouillir  dans  un  vase  d'airain  avec  de  la 
cigue  et  du  sang  nouvellement  repandu.  Les  deux  epoux  fremis- 
sent.  La  Furie  verse  dans  leur  coeur  ce  poison  infemal,  et  l'insinue 
jusqu'au  fond  de  leurs  entrailles.  Puis  elle  fail  tournerrapidement 
sa  torche,  qui  decrit  un  cercle  de  feu.  Siire  de  sa  victoire  et  de  Tac- 
complissement  de  sa  tSche,  elle  regagne  )a  demeure  du  puissant 
roi  des  ombres,  et  denoue  les  serpents  attaches  h  sa  ceinture. 

Tout  a  coup,  en  proie  a  la  fureur,  le  fils  d^fiole  s'6crie  au  mi- 
lieu  de  son  palais  :  «  AUons,  mes  amis,  tendez  vos  filets  dans  ces 
bois.  Je  viens  d'apercevoir  une  lionne  avec  sfes  deux  lionceaiix.  » 
L'insens6  prend  sa  compagne  pour  une  lionne  et  suit  la  trace  de 
ses  pas.  Sur  le  sein  matemel,  L^arque  riait  et  tendait  ses  petits 
bras  vers  son  pere.  Athamas  ie  saisit,  le  fait  touraoyer  deux  ou 
trcHs  fois  dans  les  airs  comm^  une  fronde,  et  en  brise  impitoyable- 
ment  les  os  contre  les  murs.  Alors,  par  Teffet  de  la  douleur  ou  du 
poison  r^pandu  dans  ses  veines,  Ino  pousse  des  hurlemenls.  Hors 
d'elle-m6me,  elle  fuit,  les  cheveux  epars,  femportant  dans  ses 
bras  nus,  jeune  Melicerte !  «  fivohe,  Bacchus!  »  s'ecrie*-t-elle.  A  ce 

Et  scelus,  cl  lacrymas,  rabiemque,  et  cscdis  amorcm, 

Omnia  trita  simul,  Quse  sanguine  mixta  recenti  * 

Coxerat  aere  cavo,  viridi  versata  cicuta. 

Dumque  pavent  illi,  vertit  furiale  venenum  505 

Pcctus  in  amborum,  praecordiaque  intima  moTit. 

Tura  face  jactata  per  eumdem  saepius  orbem, 

Gonsequitur  motos  velociter  ignibus  ignes. 

Sic  victrix,  jussique  potens,  ad  inania  magni 

Regna  redit  Ditis,  sumptumque  recingitur  anguem.  510 

Protinus  ^olides  media  furibundus  in  aula 
Clamat :  «  lo !  comitcs,  his  retia  tendite  silvis. 
Hic  modo  cum  gemina  visa  est  mihi  prole  lciena.  » 
Utque  ferae,  sequitur  vestigia  conjugis  amens, 
Deque  sinu  matris  ridentem,  et  parva  Lcarchum  515 

Brachia  tendentem,  rapil,  et  bis  terquc  per  auras 
More  rotat  fundae,  rigidoquc  infantia  saxo 
Discutit  ossa  ferox.  Tum  dcnique  concita  maler 
(Seu  dolor  hoc  fecit,  seu  sparsi  causa  vencni), 
Exululat,  passisque  fugit  malesana  capillis;  520 

Tequc  f^rens  parvum  nudis,  Melicerta,  lacertis, 
Evoe,  Uacche!  sonat.  Bacchi  sub  nominc  Juno 


LIVRE  IV.  151 

nom,  Junon  souriant :  «  Voila,  dit-elle,  comment  il  te  paye  dcs 
soins  donn^s  a  son  enfance.  »  Un  rocher  dominait  la  mer.  Son 
pied,  creuse  par  les  vagues,  le  protegeai.t  contre  les  temp^tes. 
^Sa  cime  escarpee  s'allongeait  au-dessus  des  ondes.  Ino  trouve 
des  forces  dans  son  delire.  Elle  gravit  ce  rocher,  et,  inacces- 
sible  a  la  crainte,  elle  se  precipite  dans  la  mer  avec  son  far- 
deau  precieux.  Sa  chute  fait  bouillonner  les  flols.  Cependant  Ve- 
nus,  touchee  des  mau.v  que  sa  petite-filie  soufire  injustement, 
cherche  a  desarmer  Neptune  par  cette  priere  :  «  Roi  des  eaux,  toi 
dont  Tempire  ne  le  cede  qu  a  celui  du  ciel,  je  te  demande  une 
grande  faveur.  Prends  pitie  des  miens  que  tu  vois  tourmentes  sur 
les  vastes  mers  de  rionie.  Admets-les  au  nombre  des  dieux  de  ton 
royaurae.  Je  dois  moi-m^me  de  la  reconnaissance  a  la  mer,  s'il 
est  vrai  que  j'ai  ete  formee  de  Tecume  au  fond  des  abimes,  et 
que  je  porte  un  nom  grec  qui  atteste  cette  origine.  »  Neptune  lui 
accorde  sa  demande  par  un  signe  de  t^te.  II  depouille  Melicerte  et 
sa  mere  de  leur  mortalite,  les  rev^t  d'une  majeste  auguste,  et 
change  a  la  fois  leur  nom  et  leur  figure.  L'une  devienl  Leucothee, 
et  Tautre  le  dieu  Palemon. 
Les  compagnes  d'Ino  suivent  ses  traces  autant  qu'elles  peuvent. 

Risit,  et :  «  Hos  usus  praestat  tibi,  dixit,  alumnus.  » 
Imminet  aequoribus  scopulus.  Pars  ima  cavatur 
Fluctibus,  et  tectas  dcfcndit  ab  imbribus  uudas;  525 

Summa  riget,  frontcmque  in  apertum  porrigit  ajqubr, 
Occupat  hunc,  vires  insania  fecerat,  Ino; 
Seque  super  pontum,  nuUo  tardata  timorc, 
Mittit,  onusque  suum  :  porcussa  recanduit  unda. 
At  Venus  immeritac  ueptis  miserata  iaborcs,  550 

Sic  palruo  blandita  suo  cst :  «  0  numen  aquarum, 
Proxima  cui  cceIo  cessit,  Neptune,  potestas, 
Magna  quidem  posco.  Sed  tu  miserere  meorum, 
Jaclari  quos  ncrnis  in  lonio  immenso, 
Et  dis  adde  tuis.  Aliqua  et  mihi  gralia  ponlo  cst,  535 

Si  tamen  in  dio  quondam  concreta  profundo 
Spuma  fui,  graiumque  manet  mihi  nomen  ab  ilia.  » 
Annuit  oranti  Ncptunus,  et  abstulit  illis 
Quod  mortalc  fuit,  majestatemque  verendam 
Imposuit,  riomenque  sinfiul  faciemque  novavit,  540 

Lcucothecque  deum  cum  malre  Palaemona  dixit. 
Sidonise  comites,  quantum  valucro,  secutae 


152  M.fiTAMORPHOSES. 

Elles  voient  la  derniere  .empreinte  de  ses  pas  au  sommet  du  ro- 
cher;  et,  ne  doulant  plus  de  sa  mort,  elles  meurtrissent  leur  sein, 
pleurent  la  famille  de  Gadmus,  dechirent  leurs  vMements  et  s*ar- 
rachent  les  cheveux.  La  reine  *des  dieux,  injuste  et  trop  cruelle# 
envers  une  rivale,  est  jalouse  de  ces  demonstrations,  et  ne  peut 
supporter  leurs  plaintes.  «r  Je  ferai  de  vous,  dit-elle,  le  plus  grand 
monument  de  ma  vengeance. »  Sa  menace  est  bientdt  accomphe. 
Celle  qui  portait  a  Ino  le  plus  vif  attachement  s*6crie :  «  Je  suivrai 
la  reine  au  fond  de  la  mer.  »  Elle  veut  s*y  jeter ;  mais  tout  mou- 
vement  lui  est  interdit,  et  elle  reste  fixee  au  rocher.  Une  se- 
conde  tente  de  frapper  encore  son  sein;  mais  ses  bras  resistent  a 
ses  efTorls.  Une  autre  etend  ses  mains  sur  les  eaux ;  et  ses  mains, 
changees  en  pierre,  demeurent  immobiles.  Une  quatrieme  enfm 
essaye  de  s^arracher  les  cheveux ;  mais  elle  sent  en  m^me  temps 
ses  doigts  et  ses  cheveux  durcis  sur  son  front.  Chacune  garde 
Fattitude  ou  ces  changements  sont  venus  la  surprendre.  Qnel- 
ques-unes,  m^tamorphosees  en  oiseaux,  effleurent  d'une  aile  le- 
g^re  la  surface  des  ondes. 


Signa  pedum,  primo  vidcre  novissima  saxo.  * 

Nec  dubium  de  morte  ratae,  cadraeida  palmis 

Deplanxere  domum,  scissiB  cum  veste  capillos.  -^i'» 

Utque  parum  justse,  nimiumque  in  pellice  Sievx, 

Invidiam  fecere  deae,  convicia  Juno 

Mon  tulit,  et :  <  Faciam  vos  ipsas  maxima,  dixit, 

Soivitise  monumenta  meae.  »  Res  dicta  secuta  cst. 

Nam  quae  praecipue  fuerat  pia  :  «  Prosequar,  inquit,  5;)0 

In  freta  reginam;  »  saltumque  datura,  moveri 

Haud  usquam  potuit,  scopuloque  affixa  coha?sit. 

Altera,  dum  solito  tentat  plangore  ferire 

Pectora,  tentatos  sentit  riguisse  lacertos. 

Illa,  manus  ut  forte  telenderat  in  muris  und:is,  555 

Saxea  facta  manus  in  easdem  porrigit  undas. 

Hujus,  ut  arreplum  laniabat  vertice  crinem, 

Duralos  subito  digitos  iu  crine  videres. 

Quo  quaeque  in  gestu  deprenditur,  haesit  in  illo. 

Pars  volucres  factae,  quae  nunc  quoquc  gurgite  in  illo       5G0 

£quora  destringunt  summis  Ismenides  ahs. 


LIVRE  IV.  153 

m^TAUORPIIOSE  DE  CADMOS  ET   D^HERNIONE  EN  SERPENT8. 

ni.  Gadraus  ignore  que  sa  fille  et  son  pctit-fils  sont  au  nombre 
des  divinit^s  de  la  mer.  Accable  de  chagrin,  vaincu  par  mille  maux 
et  par  tous  les  prodiges  dont  il  fut  le  temoin,  il  quitte  la  ville  qu'il 
vient  de  fonder,  comme  s'il  etait  poursuivi,  non  par  sa  fortune, 
mais  par  une  fatalite  attachee  a  ces  lieux.  Apres  avoir  longtemps 
erre,  il  touche  enfin  aux  limiles  de  riUyrie  avec  son  ^pouse,  com- 
pagne  de  son  exil.  La,  sous  le  poids  des  revers  et  des  ann^s,  ils 
rappellent  Jes  premieres  infortunes  de  leur  famille  et  les  retracent 
dans  leurs  entretiens.  «  £tait-il  donc  consacr^  a  un  dieu,  dit  Cad- 
mus,  le  serpent  que  perga  ma  lance,  et  dont,  en  m'eloignant  de 
Tyr,  j'enfouis  les  dents  au  sein  de  la  terre  qui  n'avait  jamais  re^u 
de  pareilles  semences?  Si,  pour  le  venger,  la  colere  des  dieux  esl 
si  manifeslement  tombee  sur  moi,  puisse-je  voir  mes  membres 
s'allonger  comme  ceux  du  serpent  I » 11  dit,  etses  membres  prennent 
la  forme  du  replile.  II  voit  sa  peau  durcir  et  se  couvrir  dVcailles; 
son  dos  noir  est  parseme  de  taches  d'azur.  II  s^appuie  sur  sa 
poitrine  et  rampe;  ses  jambes  confondues  ensemble  se  recourbent 

CADMCS  ET  HERMIONE  IN   AKGUES    COMVCTANTOR. 

III.    Nescit  Agenorides  natam,  parvumque  nepotem 
iCquons  essR  deos.  Luctu  serieque  malorum 
Victus,  et  ostentis,  quaj  plurima  viderat,  exit 
Conditor  urbe  sua,  tanquam  fortuna  locorum,  rtG5 

Non  sua  se  premcret,  longisque  erratibus  actus, 
Oontigit  iUyricos  profuga  cum  conjuge  fines. 
Jamque  malis  annisque  graves,  dura  prima  retractanl 
Fata  domus,  releguntque  suos  sermone  labores: 
«  Num  sacer  iUe  raea  trajcctus  cuspide  serpens,  570 

Cadmus  ait,  fuerit  lum,  quum  Sidone  profectus 
Vipereos  sparsi  per  humum,  nova  semina,  dentes? 
Quem  si  cura  deum  tam  certa  vindicat  ira, 
Ipse  precor  serpens  in  longam  porrigar  alvum. » 
Dixit,  et,  ut  scrpens,  in  longani  tenditur  alvum,  575 

Durataequc  cuti  squamas  increscerc  sentit, 
Nigraque  caBruleis  variari  corpora  gullis ; 
In  pectusque  cadit  pronus,  commissaquc  in  unum 
Paulatim  tereti  sinuantur  acumine  crurn. 


454  MfiTAMORPHOSES. 

par  degres  en  une  queue  flexible.  11  ne  lui  resle  que  ses  bras :  il 
les  tend  vers  sa  compagne.  Des  larmes  coulent  sur  son  visage,  qui 
a  encore  la  forme  humaine.  «  Approche,  6  mon  epouse  I  approche, 
•  infortunee !  dit-il .  Tandis  que  je  conserve  quelque  chose  derhomme, 
touche-moi.  Prends  cette  main,  puisqu'elle  me  reste,  et  que  le 
serpent  ne  m*a  pas  envahi  tout  entier.  »  11  veut  parler  encore ; 
mais  sa  langue  se  divise  tout  a  coup  en  deux,  et,  malgre  lui,  les 
paroles  lui  manquent.  Le  sifflement  est  le  seul  interprete  de  ses 
plaintes  :  la  nature  ne  lui  'permet  plus  d'autres  sons.  Hermione 
se  frappe  le  sein,  et  s'ecrie  :  «  Cadmus,  attends.  Infortune!  de- 
pouille  cette  forme  hideuse.  Cadmus,  qu'est-ce  donc?  ou  sont  tes 
pieds?  ou  sont  tes  epaules  et  tes  mains?  Tandis  que  je  parle, 
que  devient  ta  figure,  ton  teint  et  tout  ce  qui  fut  en  toi  ?  Dieux ! 
pourquoi  ne  me  changez-vous  pas  aussi  en  serpent?  »  Elle  dit.  Le 
reptile  leche  le  visage  de  son  ancienne  compagne,  s'approche 
de  son  sein  cheri,  comme  s'il  la  reconnaissait,  la  presse  de  ses 
etreintes,  et  veut,  comrae  autrefois,  s^attacher  a  son  cou.  Tous 
ceux  qui  Tentourent  (ce  sont  ses  compagnons)  sont  eflrayes ; 
mais  Hermione  caresse  la  t6te  brillante  du  serpent  surmontee 
d'une   cr6te.  Soudain  ils  forment  un  couple  de  reptiles  qui 

Brachia  jam  restant :  quse  restant.  brachia  tendit,  580 

Et  lacrymis  per  adbuc  humana  fluentibus  ora : 

«  Accede,  o  conjux,  accede,  miserrima,  dixit; 

Dumque  aliquid  superest  de  me,  me  tange;  manumque 

Accipe,  dum  manus  est,  dum  non  totum  occupat  anguis.  » 

lUe  quidem  vult  plura  loqui;  sed  lingua  repente  585 

In  partes  est  fissa  duas;  nec  verba  volenli 

Sufficiunt;  quotiesque  aliquos  parat  edere  queslus, 

Sibilat :  hanc  illi  vocem  natura  relinquit 

Nuda  manu  feriens  exclamat  peclora  conjux  : 

«  Cadme,  mane,  leque  his  infelix  exue  monstris.  .^)90 

Cadme,  (juid  hoc?  ubi  pes?  ubi  sunt  humerique  manusque? 

Et  color,  et  facies,  et,  dum  loquor,  omnia?  Cur  non 

Me  quoquc,  coelestes,  in  eamdem  vortitis  anguem  ?  » 

Dixcrat.  lllc  suoe  lambebat  conjil^is  ora, 

Inque  sinus  caros,  vcluti  cognoscerel,  ibat,  505 

Et  dabat  amplexus,  assuetaque  colla  petebal. 

Quisquis  adest  (aderant  comitcs),  terretur.  Al  illa 

Lubrica  permulcet  cristati  coUa  draconis, 

Et  subito  duo  sunt,  juncloque  voUimine  serpunt. 


LIVRB  IV.  155 

deroulent  ensemble  leurs  anneaux,  jusqu'5  ce  qu'ils  se  soient 
enfonces  dans  la  for6t  voisine.  Auiourdlmi  m^me  ils  ne  fuient 
point  rhomme  et  ne  lui  font  aucune  blessure.  Pleins  de  douceur, 
ils  se  souviennent  de  ce  quMls  furent  jadis. 

ATLAS  EST  CHANGl^  EN  MGNTAGNE. 

IV.  Cependant  ils  trouvaient  de  grandes  consolations  de  cetle 
raelamcrphose  dans  leur  pelit-fils,  qu'adorait  Hnde  vaincue  et 
dont  la  Gr^ce  honorait  les  exploits  par  des  temples  eriges  a  sa 
gloire.  Seul,  un  descendant  d^Abas,  sorti  du  m^me  sang,  Acri- 
sius,  ie  repousse  des  murs  d'Argos;  seul  il  porte  les  armes 
contre  le  dieu,  et  refuse  de  le  regarder  comme  fils  d^  Ju- 
piler.  II  refuse  egalement  ce  nom  a  Persee,  qu'une  pluie  d'or 
fit  naitre  du  sein  de  Danae.  Bient6t  Acrisius  (tant  la  vente 
est  puissante!)  n'est  pas  moins  fdche  d'avoir  offense  le  dieu  que 
d'avoir  meconnu  son  petit-fils.  L'un  est  deja  recu  dans  les  ce- 
lestes  demeures;  Tautre,  portant  la  t6te  d'un  monstre  c^Iebre, 
herissee  de  serpents,  fend  fair  de  ses  ailes  bruyanles,  Tan- 
dis  qu'il  planait  en  vainqueur  au-dessus  des  sables  de  la  Li- 
bye,  des  gouttes  de  sang  tomb^rent  du  front  de  la  Gorgonc.  La 

Donec  in  appo^iti  nemoris  subiere  lalebras.  GOO 

Nunc  quoque  nec  fugiunt  hominem,  nec  vulncrelajdunt, 
Quidque  prius  fuerint,  placidi  meminere  dracones. 

ATLAS   IN    MONTEM   CONVERTITUR. 

IV.    Sed  tamen  ambobus  versaj  solatia  formaB 
Magna  nepos  fuerat,  quem  debellata  colebal 
India,  quem  poaitis  celebrabat  Achaia  lemplis.  6(15 

Solus  Abantiades,  ab  origine  crelus  eadem, 
Acrisius  superest,  qui  moenibus  arceal  urbis 
Argolicae,  conlraque  deum  ferat  arma,  genusque 
Non  putet  esse  Jovis;  neque  enim  Jovis  esse  putabat 
Persca,  quem  pluvio  Danae  conceperat  auro.  61(1 

Mox  tamen  Acrisium  (tanta  est  pi*aesentia  veri !) 
Tain  violasse  deum,  quam  non  agnosse  nepotem, 
Poenilct.  Impositus  jam  ccclo  est  alter;  at  aller, 
Yiperei  referens  spolium  memorabile  monslrl, 
Aera'carpebat  tenerum  stridentibus  alis.     .  Ci:'> 

Quumque  super  libycas  viclor  pondfret  aronas, 
Gorgonei  capitis  gullie  cecidere  cruent.i). 


m  MfiTAMORPIIOSES. 

terre  les  re^ut,  les  dnima  et  les  changea  en  autant  de  repliles 
divers.  De  la  sont  nes  les  serpents  qui  remplissent  et  infestent 
cette  contree.  Bient6t,  emporte  ga  et  la  dans  Vespace  par  des 
vents  contraires,  ii  vole  tel  qu'un  sombre  nuage.  Du  haut  des 
cieux  il  voit  la  terre  s*etendre  au  loin  et  runivers  fuir  sous  ses 
pieds.  Trois  fois  il  aper^oit  TOurse  glacee  et  les  bras  du  Cancer. 
n  est  entrain^,  tantdt  vers  Toccident,  lantot  vers  Porient.  Enfin, 
quand  le  jour  touche  a  son  declin,  il  craint  de  se  confier  a  la 
nuit,  et  s'arr6te  au-dessus  des  regions  de  rilesperie  soumises  aii 
sceptre  d^Atlas.  II  se  livre  quelques  instants  au  repos,  jusqu'a 
rheure  ou  Lucifer  ram^he  les  feux  de  TAurore,  et  TAurore  le  char 
du  Soleil. 

La  regne  le  fils  de  Japet,  Atlas,  que  sa  taille  gigantesque  eleve 
au-dessus  de  tous  les  mortels.  II  tientsous  ses  lois  la  contree  rel^guee 
aux  confins  du  monde,  ainsi  que  la  mer  qui  ouvre  ses  flots  aux 
coursiers  h^letants  du  Soleil,  et  offre  un  asile  k  son  char .  Ses  innom- 
brables  troupeaux  de  brebis  et  de  boeufs  errent  dans  les  prairies, 
et  son  domaine  n'est  point  g6ne  par  un  empire  voisui.  La  le  feuil- 
lage,  les  branches  et  les  fruits  des  arbres  brillent  de  Teclat  de  Tor. 


Quas  humus  exceptas  varios  animavit  in  angues ; 

Unde  frequens  illa  cst,  infestaque  lerra  colubris, 

Inde  per  ilnmensum  ventis  discordihus  aclus,  O^li) 

Nunc  huc,  nunc  illuc,  cxemplo  nubis  aquos?n, 

Fertur,  et  cx  alto  seductas  oithere  longc 

Despcctat  lerras,  totumque  supervolat  orbcm. 

Ter  gelidas  Arctos,  ter  Cancri  brachia  vidit; 

Saepe  sub  occasus,  saepe  est  ablalus  in  ortus.  625 

Jamque  cadentc  dic  veritus  se  credere  nocti 

Constitit  hesperio,  regnis  Atlantis,  in  orbe; 

Kxiguamque  pctit  requiem,  dum  Lucifer  ignes 

Evocet  Auroraj,  currus  Aurora  diurnos. 

Hic  bominum  cunctos  ingenti  corpore  praestans  67)0 

lapetionidcs  Atlas  fuit.  Ultima  tellus 
Rege  sub  hoc,  et  pontus  erat,  qui  Solis  anhelis 
^quora  subdit  equis,  et  fessos  cxcipit  axes. 
Mille  greges  illi,  totidemque  armenta  per  herbas 
Errabant,  et  humum  vicinia  nulla  premebant.  fi.')'i 

Arborcae  frondes,  auro  radiante  virentes, 
Ex  auro  ramos,  nx  auro  poma  tegehanU 


LIVRE  IV.  157 

«  Prince,  lui  dit  Persee,  si  lu  tiens  a  une  illustre  naissance,  Ju- 
piter  est  mon  p^re.  Si  tu  as  de  radmiration  pour  les  hauts  faits, 
tu  admireras  les  miens.  Je  te  demande  Thospitalite  et  le  repos.  » 
Atlas  gardait  le  souvenir  d'un  ancien  oracle  de  Themis  qui,  sur 
le  Pamasse,  lui  devoila  en  ces  mots  ravenir  :  «  Atlas,  un  jour  tes 
arbres  seront  depouilles  de  leurs  pommes  d'or,  et  cette  proie  fera 
la  gloire  d'un  fils  de  Jupiler.  »  Effray^  de  cet  oracle,  Atlas  en- 
toura  ses  vergers  de  solides  murailles,  preposa  a  leur  garde  un 
enorme  dragon,  et  eloigna  tous  les  ^trangers  des  fronti^res  de  son 
empire.  Domin6  alors  par  la  mSme  crainte  :  «  Fuis  loin  d'ici,  re- 
pond-il ;  ni  Ja  gloire  de  tes  pretendus  exploits  ni  Jupiter  lui-m^me 
ne  pourraient  te  sauver.  »  II  joint  la  violence  aux  menaces,  tenle 
de  chasser  de  son  palais  Persee,  qui  hesite  et  lui^arle  avecautant 
de  douceur  que  de  fermete.  Plus  faible  (car  qui  pourrait  6ga- 
ler  la  jprce.  d'Atlas?)  Persee  lui  replique  :  «  Puisque  tu  d^ 
daignes  mon  amitie,  re^ois  ta  recompense.  »  Au  m^me  instant 
il  se  detoume  a  gauche  et  lui  presente  la  hideuse  face  de  Me- 
duse.  Le  colosse  est  soudain  chang6  en  montagne.  Sa  barbe  et 
ses  cheveux  deviennent  des  forSts,  ses  epaules  et  ses  mains 


«  Hospes,  ait  Perseus  illi,  seu  gloria  tangit 

Te  generis  magni,  generis  mihi  Juoiter  auctor; 

Sive  es  miralor  reruni.  mirahere  nostras.  610 

Ilospitium  requiemque  peto.  »  Memor  ille  vetustaj 

Sorlis  crat.  Themis  hanc  dederat  Parnassia  sortom ; 

«  Tempus,  Atla,  veniet,  tua  quo  spoliabitur  auro 

Arhor,  et  hunc  praedse  titulum  Jove  natus  habeiiit.  » 

Id  metuens.  solidis  pomaria  clauscrat  Atlas  64S 

M(vnihus,  et  vasto  dederat  servanda  drnconi, 

Arcehatque  suis  externos  finihus  omnes. 

Uinc  quoque :  «  Vade  procul,  ne  longc  gloria  rerum 

Quas  mentiris,  ait,  longe  tibi  Jupitcr  ahsit.  » 

Vimque  minis  addit,  forihusque  expellerc  tcnlat  BTJO 

Cunclantem,  el  placidis  miscenlem  fortia  dictis. 

Virihus  inferior  (quis  enim  par  esset  Atlanti 

Virihus?) :  «  At  quoniam  parvi  tihi  gratia  nostra  est, 

Accipe  munus,  »  ait;  Isevaque  a  parte.Medusa^ 

Ipsc  relroversus  squnlentia  prodidit  ora.  6.'i5 

Quantus  eral,  mons  factus  Atlas.  Jam  barha  conwque 

In  siilvas  aheunl;  juga  sunt  humerique,  manusque; 


158  METAMORPIIOSES. 

des  coleaux,  sa  t6te  la  cime  du  mont,  ses  os  des  pierres;  enfin 
tout  son  corps  prend  un  immense  accroissement ,  el  le  ciel 
(dieux,  vous  Tavez  ainsi  voulu)  repose  sur  lui  avec  ses  myriades 
d^etoiles. 

PERS^E    D^LIVRE   Ar^DROMilDE. 

V.  fiole  avait  renferme  les  vents  dans  leur  prison  eternelle,  et 
Lucifer,  qui  appelle  les  hommes  au  travail,  brillait  au  ciel  du 
plus  vif  eclat.  Persee  reprend  ses  ailes  et  les  attache  a  ses  pieds. 
II  s'arme  d'un  glaive  recourbe,  et  fend  d'un  vol  rapide  les 
plaines  de  Tair.  D  n^glige  autour  de  lui  et  au-dessous  de  lui  des 
pays  immenses  pour  fixer  ses  regards  sur  les  peuples  d^Ethiopie 
et  les  champs  de  C6phee.  La  Tinnocente  Andromede,  par  ordre 
du  cruel  Ammon,  expiait  le  vaniteux  langage  de  sa  mere.  En 
voyant  ses  mains  attachees  a  un  rocher  sauvage,  si  une  brise  le- 
gere  n^eut  agite  ses  cheveux,-  si  des  larmes  n'eussent  coule  de  ses 
paupieres  tremblantes,  Persee  Taurait  prise  pour  une  statue  de 
marbre.  A  son  insu,  un  feu  soudain  Tembrase.  II  reste  immobile, 
et,  ravi  de  tant  de  charmes,  il  oublie  presque  de  baltre  des  ailes. 

Quod  caput  ante  fuit,  summo  est  in  monte  cacumen ; 
•        Ossa  lapis  fiunt.  Tum  partes  auctus  in  omnes, 
1      Crevit  in  immensum  (sic,  di,  statuistis),  et  omne  660 

•     Cum  tot  sideribus  coelum  requievit  in  i]lo. 


^ 


ANDROMEDAH   L1BERAT   PERSEUS. 

V.    Clauserat  Hippotades  aeterno  carcere  venlos, 
Admonitorque  operum  coelo  clarissimus  alto 
Lucifer  ortus  erat.  Pennis  ligat  itle  resumptis 
Parte  ab  utraquc  pedes,  teloque  accingitur  unco,  (i65 

Et  liquidum  molis  talaribus  aera  iindit. 
Gentibus  innumeris  circumquc  infraque  relictis, 
iflthiopum  populos,  cepheia  conspicit  arva. 
Illic  immeritam  maternas  pendere  lingu:e 
Ahdromedan  pcenas  immitis  jusserat  Ammon.  t»70 

Quam  simul  ad  duras  religalam  brachia  cautes 
Vidit  Abantiades,  nisi  quod  levis  aura  capillos 
Moverat,  et  trepido  manabant  lumina  fletu, 
Marmoreum  ratus  essnt  opus.  Trahit  inscius  ignes, 
Et  slupet,  et  visae  correptus  imagine  formre,  67ri 

Psne  snas  qualere  Ci^t  ohlitu*^  in  aere  pennas. 


LIVRE  IV.  159 

A  peiiie  s*est-il  arr^tS,  il  s'toie  :  «  Non,  tu  n'es  pas  faite  pour  ces 
chaines,  mais  pour  celles  qui  unissent  des  amants.  Apprends-moi 
ton  nom,  celui  de  ces  contr^es,  et  pourquoi  tu  portes  ces  fers.  » 
D'abord  elle  garde  le  silence.  Vierge,  elie  n'ose  parler  a  un  homroe. 
De  ses  mains  elle  eti  cache  son  front  modeste,  si  elles  eussent 
et^  libres.  EUe  ne  peut  que  pleurer,  et  ses  yeux  se  remplissent 
de  larmes.  Persee  redouble  ses  inslances.  Pour  ne  pas  6tre  soup- 
5onn6e  de  cacher  un  crime  par  son  refus,  Androm^de  fait  con- 
naitre  son  nom,  sa  patrie,  et  le  fol  orgueil  que  la  beaut^  avait 
inspire  a  sa  m^re.  Son  r^cit  n'etait  pas  encore  acheve  quand 
soudain  l'onde  fremit :  un  monstre  s'eleve  sur  la  vaste  mer, 
et  couvre  de  son  corps  une  place  inmiense.  La  jeune  fiUe 
pousse  un  cri.  Son  pere  dplore  et  sa  mere  eperdue  etaient  I^, 
tous  deux  c(mstern^s,  surtout  sa  mere;  mais  iis  ne  pouvaient  lui 
ofirir  d'antre  secours  que  des  larmes  dignes  de  son  infortune  et 
des  cris  de  d^spoir.  Us  serrent  dans  leurs  bras  leur  fille  en- 
diain^.  €  Vous  aurez  bien  le  temps  de  pleurer,  dit  Tetranger.  II 
iie  nous  resle  qu'un  instant  pour  la  sauver.  Si  je  briguais  sa 
main,  moi  PersSe,  fils  de  Jupiter  et  de  la  captive  que  Tor  rendit 

Ut  stetit :  «  0,  dixit,  non  istis  digna  catenis, 

Sed  quibus  inter  se  cupidi  jungantur  amantes, 

Pande  requirenti  nomen  terraeque  tuumque, 

Et  cur  vincla  geras.  »  Primo  silet  illa,  nec  audet  C80 

Appellare  virum  virgo ;  manibusque  modestos 

Gelasset  vultus,  si  non  religata  fuisset. 

Luminaf  quod  potuit,  lacrymis  implevit  obortis. 

Saepius  instanti,  sua  ne  delicta  fateri 

Nolle  videretur,  nomen  terraeque  suumque,  685 

Quantaque  maternac  fuerit  fiducia  forma;, 

Indicat;  et  nondum  memoratis  omnibus,  unda 

Insonuit ;  veniensque  immenso  beliua  ponto 

Eminet,  et  latum  sub  pec^ore  possidet  a^quor. 

Conclamat  virgo.  Genitor  lugubris,  ct  amens  &}Q 

Mater  adest ;  ambo  miseri,  sed  justius  illa, 

Nec  secum  auxilium,  sed  dignos  tempore  fletus, 

Plangoremque  ferunt,  vinctoque  in  corpore  adhserent, 

Quum  sic  hospes  ait :  «  Lacrymarum  longa  manere 

tempora  vos  poterunt :  ad  opem  brevis  hora  ferendam  est.    695 

Hanc  cgo  si  peterem  Perseus  Jove  natus,  et  illa 

Quani  clausam  implevit  fecundo  Jupiler  auro, 


160  MtTAMORPHOSES. 

ig<5onde;  moi,  vainqueur  de  la  Gorgone  au  front  li^riss6  de  ser- 
pents,  et  qui,  porte  sur  des  ailes,  osai  traverser  les  plaines  de 
Tair,  sans  doute  parmi  tous  mes  rivaux  je  serais  choisi  pour 
gendre.  A  ces  nobles  titres,  je  veux,  si  les  dieux  me  favorisent, 
ajouter  un  bienfait.  Pour  qu'elle  m'appartienne,  mon  bras  s*en- 
gage  k  la  sauver. »  Les  parents  acceptent.  Qui  eiit  pu  balancer? 
Ds  pressent  Persee  et  lui  promettent,  outre  la  main  de  leur  fille, 
un  royaume  pour  dot. 

Cependant,  telle  qu'un  vaisseau  sillonne  les  ondes,  quand  il  est 
pouss^  par  le  bras  vigoureux  de  jeunes  rameurs,  la  poitrine  du 
raonstre  bat  et  divise  les  flots.  U  y  avait  a  peine  entre  le  rocher 
et  lui  la  distance  que  franchit  le  plomb  lance  par  la  fronde.  D'un 
bond  Pers^e  s'envole  dans  les  airs.  Son  ombre  se  reflechit  sur  la 
surface  des  eaux.  Le  monstre  TaperQoit  et  s'abat  sur  elle  avec  fu- 
reur.  Ainsi  que  Toiseau  de  Jupiter,  des  qu'il  voit  dans  la  plaine 
un  serpent  etaler  au  soleil  son  dos  azure,  Tattaque  par  derriere, 
et,  pour  que  le  reptile  ne  tourne  point  contre  lui  son  dard  meur- 
trier,  plonge  dans  ies  ecailles  de  son  cou  ses  implacables  serres ; 
Persee,  du  haut  des  nues,  fond  d'un  vol  precipit^  sur  le  monstre 


Gorgonis  anguicomae  Perseus  superator,  et  alis 

^therias  ausus  jaclatis  ire  per  auras, 

Praeferrer  cunctis  certe  gener.  Addere  tantis  700 

Dotibus  et  meritum,  faveant  modo  numina,  tento. 

Ut  mea  sit,  servata  mea  virtute,  paciscor.  » 

Accipiiint  legem  (quis  enim  dubitaret?)  et  orant, 

Promittuntque  super  regnum  dotale,  parentes. 

Ecce,  velut  navis,  pra^fixo  concita  roslro,  7Q5 

Sulcat  aquas,  juvenum  sudantibus  acta  lacertis, 
Sic  fera,  dimotis  impulsu  pectoris  undis, 
Tantum  aberat  scopulis,  quantum  balearica  torto 
Funda  potest  plumbo  medii  tran^mittere  cocli ; 
Quum  subito  juvenis,  pedibus  tellure  repulsa,  710 

Arduus  in  nuhes  abiit.  Ut  in  asquore  summo 
Umhra  viri  visa  est,  visam  fera  sscvit  in  umbi*am. 
Utque  Jovls  prxpes,  vacuo  quum  vidit  in  arvo 
Praebentem  PhoBbo  liventia  terga  draconem, 
Occupat  aversum;  neu  saeva  retorqueat  ora,  715 

Squamigeris  avidos  figit  cervicibus  ungues. 
Sic  celeri  fissum  prseceps  per  inane  volatu 


LIVRE  IV.  iCl 

qui  fremit,  et  enfonce  dans  son  flanc  droit  son  cimelerre  jus- 
qu'a  la  garde.  AUeint  d'une  large  blessure,  le  dragon  iantdt  s'e- 
le?e  dans  les  airs,  tantdt  disparait  dans  i'onde,  tantdt  se  roule 
comme  le  sanglier  furieux  qu'effrayent  ies  aboiements  des  chiens. 
D'un  essor  rapide,  Persee  echappe  a  ses  morsures  cruelles.  Sur 
le  dos  du  moiistre  couvert  d'ecailies  epaisses,  sur  ses  ilancs  ou  sur 
sa  queue  effilee  comme  celle  d'un  poisson,  partout  ou  son  glaive 
recourbe  peut  trouver  acc^s,  il  le  frappe  de  mlUe  coups.  Uanimal 
vomit  des  flots  rougis  de  sang,  et  en  humecte  tellement  les  ailcs 
de  Parsee,  que  ce  heros  n'osait  plus  s'y  fier,  quand  il  apergut  un 
roc  dont  la  cime  s^elevait  au-dessus  de  la  mer  lorsqu'elle  est 
calme,  mais  qui  disparaissait  dans  la  temp^te.  II  en  fait  son 
point  d'appui,  et,  saisissant  de  la  main  gaiiche  le  sommet  du 
rocher,  de  Tautre  il  plonge  plusieurs  fois  le  fer  dans  les  ilancs  du 
monstre. 

Des  cris  et  des  applaudissements  retentissent  sur  le  rivage  et 
montent  aux  celestes  demeures.  Transportes  d'allegresse,  Gassiope 
et  Cephee,  pere  d^Androm^de,  saluent  Persee  du  nom  de  gendre 
et  le  proclament  le  defenseur  et  le  sauveur  de  leur  famille.  Objet 


Terga  feraB  pressit,  dexlroque  frcmenlis  in  armo 

Inachides  ferrum  curvo  lenus  abdidit  hamo. 

Yulnere  Isesa  gravi  modo  sc  sublimis  in  auras  720 

AltoUit;  modo  subdit  aquis ;  modo  more  ferocis 

Ver^at  apri,  qucm  turba  canum  circumsona  lcrrot. 

llle  avidos  morsus  velocibus  effugit  abs ; 

Quaque  patent,  nunc  terga  cavis  super  obsitn  ronchis, 

Nunc  laterum  costas,  nunc  qua  tenuissima  caiida  725 

Desinit  in  piscem  falcato  verberat  ense. 

Bcllua  puniceo  mixtos  cum  sanguine  fluctus 

Ore  vomit.  Madutre  graves  aspergine  pennoe, 

Nec  bibulis  ultra  Perseus  talaribus  ausus 

Credere,  conspexit  scopulum.  Cui  vcrlice  summo  730 

Stantibus  exit  aquis,  operitur  ab  acquorc  molo. 

Nixus  eo,  rupisquc  lenens  juga  prima  sinislra, 

Tcr  quater  exegit  rcpetita  pcr  ilia  ferrum. 

Littora  cum  plausu  clamor  superasque  deorum 
Iraplevere  domos.  Gaudent,  generumque  salutant,  75j 

Auxiliumque  domus  servatoremque  fatentur 
Cassiope,  Cepheusque  pater.  Resoluta  catenis 


162  M£TAM0RPH0SES. 

et  recompense  de  cet  exploit,  Androm^de  s'avanoe,  degagee  de  ses 
chaines.  fce  heros  lave  dans  Tonde  ses  mains  victorieuses ;  et, 
pour  que  le  dur  gravier  ne  biesse  point  la  t^te  de  Meduse  he- 
riss^e  de  serpents,  ii  couvre  la  terre  d'un  lit  de  feuilles  sur 
lesquelles  11  6tend  des  plantes  marines,  et  y  place  la  t^te  de 
la  fille  de  Phorcys.  Ces  plantes,  fraiches  encore,  et  d'une  nature 
spongieuse,  en  ressentent  aussitot  la  vertu  et  se  durcissent  a  son 
contact :  leurs  rameaux  et  leurs  feuiiles  eprouvent  une  roideur 
extraordinaire.  Les  Nymphes  de  la  mer  essayent  le  mtoe  prodige 
sur  plusieurs  branches,  et,  charmees  de  le  voir  toujours  repro- 
duit,  elles  en  jettent  plusieurs  fois  les  semences  dans  les  eaux. 
Aujourd'hui  la  m^me  vertu  se  retrouve  dans  le  corail  :  il  durcit 
au  contact  de  Tair,  et  sa  tige,  flexible  dans  Tonde,  se  ptoifie  hors 
des  flots. 

PERS^B   J^POUSE  ANDRONilDE. 

VI.  Persee  el^ve  en  l'hoimeur  de  trois  dieux  trois  autels  de  ga- 
zon  :  Fun  a  gauche  pour  Mercure;  Tautre  a  droite  pour  toi,  vierge 
belliqueuse,  et  celui  du  milieu  pour  Jupiter.  II  immole  a  Minerve 
une  genisse,  a  Mercure  un  veau,  et  a  toi,  souverain  des  dieux,  un 

Incedit  virgo,  pretiumque  ct  causa  laboris. 
•      Ipse  manus  hausta  victrices  abluit  unda, 

Anguiferumque  caput  dura  nc  Ixdat  arena,  740 

Mollit  liumum  foliis,  natasque  sub  iEquore  virgas 

Sternit,  ct  imponit  Pliorcynidos  ora  Medusae. 

Virga  rocens.  bibuljque  ctiamnum  viva  mcdulla, 

Yim  rapuit  monstri,  lactuquc  induruit  hujus, 

Percepilque  novnm  r.iinis  etfrondc  rigorem.  745 

At  pelagi  iNympho:  factimi  mirabilc  tentant 

Pluribus  in  virgis,  ct  idem  contingerc  gaudent, 

Seminaque  ex  illis  iterant  jactata  per  undas. 

Nunc  quoque  curaliis  cadem  nalura  remansit, 

Duritiem  tacto  capiant  ut  ab  aere,  quodque  750 

Vimen  in  aiquorc  crat,  liat  super  ajquora  saxum. 

ANDROMEDAM   PERSEUS   UXOREM   DUCIT. 

VI.    Dis  tribus  ille  focos  totidemde  cespitc  ponit, 
Lajvum  Mercurio;  dexlrum  tibi,  bcllicii  virgo; 
Ara  Jovis  media  cst.  Mactalnr  vacca  Minerv.'e; 
Alipedi  vitulus;  taurns  !ibi,  snmmc  dcorum.  75ii 


LIVRE  IV.  163 

taureau.  Aussit6t  il  emmene  Andromede,  qui,  m^roe  sans  dot,  lui 
suffit  pour  prix  d'un  si  grand  exploit.  L'Hym6nee  et  FAmour  al- 
lument  leurs  flambeaux.  Mille  parfums  s'exhalent  du  feu  sacr^. 
Des  guirlandes  sont  suspendues  aux  lambris.  Le  pipeau,  la  lyre, 
la  ilute  et  les  chants  s'unissent  pour  f^ter  le  bonheur  des  ^poux. 
La  porte  s'ouvre,  Tor  brilie  au  loin  dans  les  vastes  portiques  du 
paiais;  L'elite  des  £thiopiens  prend  place  au  somptueux  banquet 
pr^par^  par  le  roi.  Le  festin  s'anime,  et  un  vin  genereux  echauffe 
les  esprits.  Le  fils  de  Dana^  slnforme  des  moeurs  et  des  usages 
de  cette  conlr^.  Le  fils  de  Lyncee  lui  repond.  Apres  avoir  satisfait 
a  ses  questions  :  cc  Maintenant,  intrepide  Persee,  ajouta-t-il,  dis- 
moi,  je  t'en  prie,  par  quelle  audace  et  par  quel  stralageme  tu  as 
tranche  cette  tete  herissee  de  serpents. 

f  —  Au  pied  du  frais  Atlas,  replique  le  petit-fils  d'Agenor,  est  un 
lieu  proteg^  par  un  roc  ehorme.  A  Tentree  habitaient  deux  soeurs, 
fiUes  de  Phorcys,  qui  n'avaient  qu'un  oeil  dont  elles  se  servaient 
tour  a  tour.  Au  moment  ou  Fune  le  remettait  a  Fautre,  je  m'en 
eroparai  par  ruse,  en  substituant  adroitement  ma  main  a  celle 
quidevaitle  recevoir;  et,  a  travers  des  senliers  caches,  detounies, 

Prolinus  Andromedan,  et  tanti  praemia  facli 
Indotala  rapit.  T^edas  Hymenseus  Amorque 
Pra:cipiunt.  Largis  satiantur  odoribus  ignes; 
Sertaque  dependent  teclis;  lotique,  lyraequc, 
Tibiaque,  et  cantus,  animi  felicia  Iseti  7G0 

Argumenta,  sonanl.  Reseratis  aurea  valvis 
Atria  lota  patent,  pulchroque  instructa  paratu 
Cephenum  proceres  ineunt  convivia  regis. 
'ostquam  epulis  funcli,  generosi  munere  Bacchi 
Di^udere  animos,  cultusque  habitusque  locorum  7G5 

Quaerit  Abaniiades.  Quaercnti  protinus  unus 
Narrat  Lyncides,  moresque  habitusque  virorum. 
Quffi  simul  edocuit :  «  Nunc,  o  fortissime,  dixit, 
Fare,  precor,  Perseu,  quanta  virtute,  quibusque 
Artibus  abstuleris  crinita  draconibus  ora.  »  770 

Narrat  Agenorides,  gelido  sub  Atlante  jacenlem 
Esse  locum,  solidse  tutiun  munimine  molis; 
Cujus  in  introitu  geminas  habitasse  sororcs 
Phorcydas,  unius  partitas  luminis  usum. 
Id  se  solerti  furtim,  dum  Iraditur,  astu  775 

Supposila  cepisse  manu ;  perque  abdita  longe, 


i  *' 


iOi  MfiTAMORPHOSES. 

obstni^  d'epaisses  for^ls  et  de  rochers  affreux,  j'arrivai  jusqu^au 
s^jour  des  Crorgones.  Ca  et  la,  dans  les  champs  et  sur  toutes  les 
routes,  je  vis  des  hommes  et  des  animaux  changes  en  pierre  par 
1'aspect  de  Meduse.  Ses  traits  hideux  s^offrirent  aussitdt  a  mes  re- 
gards,  mais  reflechis  par  le  bouclier  suspendu  a  ma  main  gauche, 
et,  tandis  que  le  monstre  et  ses  serpents  etaient  ensevelis  dans  !e 
sommeil,  je  separai  sa  \He  de  son  cou.  Pegase,  porte  sur  des  ailes 
rapides,  et  son  frere  Chrysaor,  naquirent  alors  du  sang  de  la  Gor- 
gone.  »  Persee  raconle  ensuite  quels  horribles  dangers  Tont  me- 
nace  dans  sa  longue  course,  quelles  mers,  quels  pays  il  a  vus  du 
haut  des  cieux,  quels  astres  il  a  effleur^s  de  ses  ailes,  et  acheve 
son  recit  plus  t6t  qu'on  ne  le  desire.  Un  des  convives  luidemande 
pourquoi,  seule  parmi  ses  soeurs,  Meduseavait  des  serpents  mfeles 
a  ses  cheveux.  11  r^pond  :  «  Ce  que  vous  me  demandez  merite 
d'6tre  raconte :  en  voici  la  cause.  Cel^bre  par  sa  beaut^,  cette  fille 
de  Phorcys  fut  recherchee  par  une  foule  de  pr^tendants  jaloux 
de  Tobtenir.  Sa  chevelure  etait  son  plus  bel  ornement.  J'ai  ren- 
conlre  des  hommes  qui  m'ont  assure  Favoir  vue.  Le  souverain 
des  mers  attenta,  dit-on,  a  son  honneur  dans  un  temple  de  Minerve. 

Deviaque,  et  silvis  horrcntia  saxa  fragosis 

Gorgoneas  tetigisse  domos ;  passimque  per  agros, 

Perque  vi^s  vidisse  hominum  simulacra,  ferarumque 

In  silicem  ex  ipsis  visa  conversa  Medusa.  78U 

Se  tamen  horrendae,  clypei  quod  laBva  gerebat 

>Ere  repercusso,  formam  aspexisse  Medusao. 

Dumque  gravis  somnus  colubrasque  ipsamquc  tonebal, 

Eripuisse  caput  collo;  pennisque  fugaccm 

Pegason.  et  fratrem,  matris  de  sanguine  natos.  785 

Addidit  et  longi  non  falsa  pcricula  cursus ; 

Quae  frcta,  quas  terras  sub  sc  vidisset  ab  allo, 

Et  qujB  jactatis  teligisset  sidera  pennis. 

Ante  exspectalum  tacuit  tamen.  Excipit  unus 

E  numero  procerum,  quaerens,  cur  sola  sororum  793 

Gesseril  alternis  immixtos  crinibus  anguos. 

Hospes  ait :  «  Quoniam  scitaris  digna  relatu, 

Accipe  quaesiti  causam.  Glarissima  forma, 

Multorumque  fuit  spes  invidiosa  procorum 

Illa,  nec  in  tota  conspectior  ulla  capillis  790 

Pars  fuit.  Inveni,  qui  se  vidisse  relerrent. 

Hanc  pelagi  rector  templo  vitiasse  Minervae 


LIYUE  lY.  105 

La  fille  de  Jupiter  detourna  les  yeux,  et  couvrit  de  son  egide  sa 
diaste  figure.  Mais,  afin  de  ne  pas  iaisser  un  pareil  attentat  impuni, 
elle  diangea  les  cheveux  de  la  Gorgoue  en  serpents  aflreux.  Au- 
jourd'hui  m^me,  pour  frapper  ses  ennemis  d'epouvanle,  porte  la 
deesse  sur  son  sein  les  serpents  qu  elle  fit  naitre. » 

Dicitur.  Aversa  est,  et  castos  aegide  vultus 

Na(a  Jovis  texit;  neve  hoc  impune  fuissei, 

Goi^oneum  turpes  crinem  mutavit  in  hydros.  800 

Nunc  quoquc,  ul  ultonitos  formidine  terreat  hostes 

Ptectorc  in  advcrso,  quos  l'ecil|  sustinel  angues.  • 


LTVRE  CINQUltlME 


pebs£e  change  phinbe  et  ses  compagnons  en  rociiers. 

I.  Tandis  quie  le  heros,  fils  de  Danae,  raconle  ces  aveniures  aux 
£thiopiens  assemhles  autour  de  lui,  les  clameurs  de  la  multilude 
remplissent  les  portiqiies  du  roi.  Ce  nelaient  point  des  chants  de 
fete  en  rhonneur  de  rhymenee,  mais  un  bruit  annon^ant  la  fu- 
reur  des  combats.  Tout  a  coup  a  la  joie  du  festin  succede  le  tu- 
multe.  Ainsi  le  courroux  des  vents  trouble  le  calme  de  la  mer  en 
bouleversant  les  flots.  A  la  t6te  des  turbulents,  est  le  temeraire 
auteur  de  cette  guerre,  Phinee,  brandissant  son  javelot  de  frene, 
arme  d'airain.  «  Me  voici,  dit-il,  me  voici  pr^t  a  venger  repouse 
qui  m'est  enlevee.  Ni  tes  ailes,  ni  Jupiter  que  tu  pretends  s'^tre 
change  en  or,  ne  pourront  te  derober  a  mes  coups. » 11  allait  Tancer 
«on  javelot. « Que  fais-tu?  lui  crie  Cephee.  Quel  d6Iire>  6  mon  frere  1 


LIBER  QtlNTUS 

PIIINEbM   CUil   SUIS  PERSEUS  SAIEUU   RI-DDlt< 

h    Diimr|ue  ea  Gcphenum  medio  danaeius  heros 
Agmine  commcmoral.  fremitu  regalia.lurbaR 
Airia  complentur.  Ncc  conjugialia  festa 
Qtii  canat,  cst  clamori  sed  qui  fera  nuntict  arma* 
Inquc  repentinos  convivia  versa  tumuitus  *> 

Assimilare  freto  possis,  quod  sseva  quietum 
Ventorum  rabies  motis  exasperat  undis. 
Prinius  in  his  Phiueus,  belli  temerarius  auctor, 
Fraxineam  quatiens  xratse  cuspidis  hastara  : 
n  En,  ait,  en  adsum  praBreptae  conjugis  ullor.  10 

Nec  niihi  tc  pennse,  nec  falsum  versus  in  aurum 
Jupitcr,  cripicut.  »  Conanti  milterQ  Cepheus  : 
«  Quid  facis?  cxclamat;  quaj  le,  gcrmane,  furcntcm 


LIVRE  V.  1C7 

tepousse  au  crime?  Voila  donc  la  recompense  de  ses  glorieux  ser- 
vices!  Cest  ainsi  que  tu  le  payes  d'avoir  sauve  ma  filie?  Si  tu  veux 
savoir  la  verite,  ce  n'est  point  Persee  qui  t'a  ravi  Andromede, 
c'est  l'implacable  colere  des  N^reides;  c'est  Ammon  adore  sous  les 
traits  d'un  belier;  c'est  le  monstre  qui  traversait  les  flots  pour 
venir  se  repaitre  de  mes  entrailles.  EUe  te  fut  enlevee  des  qu'eile 
dut  mourir.  Cruel,  aurais-tu  pr^fere  qu'elle  perit?  el  ma  douleur 
pourrait-elle  alleger  la  tienne?  N'est-ce  donc  pas  assez  qu'elle  ait 
ete  chargee  de  chaines  en  ta  presence,  sans  que  tu  lui  ^iies  porte 
aucun  secours,  toi,  son  oncle  et  son  pretendant?  Faut-il  encore 
teplaindre  qu'un  autre  Tait  sauvee,  et  lui  derober  son  salaire?  Si 
cette  recompense  te  parait  belle,  que  n'allais-lu  la  saisir  sur  la 
pointe  des  rochers?  Laisse  maintenant  celui  qui  Ta  conquise,  celui 
qui  a  preserve  ma  vieillesse  d'une  perte  cruelle,  jouir  du  prix  con- 
venu  et  si  bien  merite.  Comprends  enfin  que  ce  n'est  pas  a  toi, 
mais  ar  une  raort  certaine  qu'il  est  prefer^.  » 

Pbinee  reste  muet ;  mais  il  jette  tour  a  tour  ses  regards  sur  son 
fr^re  et  sur  Persee,  sans  savoir  sur  lequel  doivent  tomber  ses 
coups.  Apr^s  un  instant  d'hesitalion,  il  lance,  avec  toute  la  force 
que  lui  donne  la  fureur,  son  impuissant  javelot  contre  Persee. 

Mens  agit  in  facinus?  meritisne  hscc  gratia  lanlis 

Redditur?  hac  vitam  servalae  dole  repeudis?  15 

Quam  tibi  non  Perseus,  verum  si  quairis,  adcmit, 

Sed  grave  Nereidum  numen,  sed  corniger  Ammou, 

Sed  quaj  visceribus  veniebat  bellua  ponlo 

Eisaturanda  meis.  Illo  tibi  lempore  rapla  est^ 

Quo  pcrilura  fuit;  nisi  si  crudelis  id  ipsum  20 

txigis,  ut  pereat,  luctuque  levaberc  no^slro. 

Scilicet  haud  satis  est,  quod,  te  spectantc,  reviucla  est; 

Et  nullam  quod  opcm  patruus  sponsusve  tulisti ; 

Insuper,  a  quoquam  quod  sit  servala,  dolebis, 

Praemiaque  eripics?  Qua)  si  tibi  magna  videntur,  23 

£x  illis  scopulis,  ubi  cranl  ailixa,  petisses? 

Nunc  sine,  qui  peliil,  pcr  quem  haic  nOn  orba  senectus, 

Fcrrc,  quod  et  merilis  ct  vocc  est  pactus;  eumque 

Koii  tibi,  sed  ccrlaj  prailalum  inlellige  morli.  » 

Illc  nihil  contra;  scd  ct  hunc,  ct  Pcrsea  vultu  30 

Allcrno  spcclans,  peUit  hunc  ignorat,  an  ilhun; 
Cunclatusquc  brevi,  contorlam  viribus  haslam, 
Quuulas  ira  dabat,  ncquicquam  in  Persca  misit. 


1G8  M^ITAMORPUOSES. 

Au  moment  oii  le  Irail  se  fixe  dans  la  couche  du  heros,  Pers^  se 
levait.  Transporte  de  colere,  il  l'eut  relance  pour  en  percer  le  coeur 
de  son  ennemi,  si  Phinee  ne  se  fut  abrite  derriere  un  autel  qui 
protegea  indignement  un  coupable.  Cependant  le  trait  ne  s'enfonce 
pas  en  vain  dans  le  front  de  Rhelus.  II  tombe,  et,  quand  ie  fer  est 
retire  de  son  cr^ne,  ii  palpite  et  baigne  de  son  sang  ia  table  dressee 
pres de lui.  Alors  la  fureur  des  soldats ne  connait  plus  de bornes.  Ils 
lancent  leurs  traits.  Plusieurs  pretendent  que  Cephee  et  songendre 
ont  merite  ia  mort.  Mais  Cephee  a  deja  franchi  le  seuil  de  son  pa- 
lais,  atlestant  la  justice,  la  bonne  foi  et  les  dieux  protecteurs  de 
fhospitalite,  que  ce  desordre  eclate  malgre  lui.  Pallas  apparait : 
elle  couvre  de  son  egide  le  fils  de  son  frere  et  soulient  son  courage. 
Parmi  les  compagnons  de  Phinee  etait  Flndien  Atliis.  Limnate 
iille  du  Gange,  lui  donna,  dit-on,  le  jour  dans  sa  grotte  de  cristal. 
II  etait  d'une  grande  beaute  que  rehaussait  encore  sa  riche  parure, 
et  coraptait  a  peine  seize  ans.  II  portait  une  robe  de  pourpre  ornee 
de  franges  d'or,  et  son  cou  etait  pare  d'un  collier  du  mtoe  metal. 
Un  bandeau  nouait  ses  cheveux  parfumes  de  myrrhe.  U  savait 
frapper  du  javelot  les  objets  les  plus  eloignes,  et  mieux  encore 

Ut  stetil  illa  toro,  stralis  tum  denique  Perseus 

Exsiluit,  leloque  ferox  inimica  remisso  55 

Pectora  rupisset,  nisi  post  altaria  Piiineus 

Isset,  et  (indignum!)  scelerato  profuit  ara. 

Fronte  tamen  Rhoeti  non  irrita  cuspis  adhxsit. 

Qui  postquam  cecidil,  ferrumque  ex  osse  revuisum  est, 

Palpitat,  et  positas  aspergit  sanguine  mensas.  40 

Tum  vero  indomitas  ardescit  vulgus  in  iras, 

Telaque  conjiciunt;  et  sunt,  qui  Gcphea  dicant 

Gum  genero  debere  mori.  Sed  limine  tecli 

Exierat  Gepheus,  testatus  jusque,  fidemque, 

Hospitiique  deos,  ea  se  prohibente  moveri.  45 

Bellica  Pallas  adest,  et  protegit  segide  fratrem, 

Datquc  animos.  Erat  indus  Athis,  quem  flumine  Gangc 

Edita  Limnate  vilreis  pcperisse  sub  anlris 

Creditur,  egregius  forma,  quam  divite  cultu 

Augebal,  bis  adhiic  octonis  inleger  aunis ;  HO 

Indulus  chlamydem  tyriam,  quam  limbus  obibal 

Aureus;  oruabant  aurata  monilia  colluni, 

Et  niadidos  myrrhu  curvum  crinale  capilios. 

lUe  quidem  jaculu  quamvis  distantia  misso 


LIVllE  V.  100 

lancer  les  fleches.  U  tendait  son  arc  flexible,  lorsque  Persee  Tat- 
teignit  d'un  tison  qui  fumait  au  milieu  de  l'autel,  et  lui  fracassa 
la  mdchoire. 

£n  le  voyant,  si  beau  naguere  et  maintenant  baigne  dans  son 
sang,  TAssyrien  Lycabas,  qui  lui  etait  uni  par  les  liens  du  plus 
tendre  amour  et  n'en  faisait  point  mysterei  pleure  Athis  frappe 
d'un  precoce  trepas.  11  saisit  Tarc  qu'avait  tendu  son  ami :  •  Com- 
bats  avec  moi,  lui  dit-il.  Tu  ne  te  rejouiras  pas  longtemps  de  la 
mort  d'un  enfant.  Elle  fattirera  plus  de  haine  que  de  gloire.  » 
11  n'avait  pas  encore  acheve  ces  mots,  que  la  fleche  s'elance  de  la 
corde.  Persee  Tevite,  et  le  trait  reste  suspendu  aux  plis  de  son  ve- 
tement.  11  leve  sur  la  tete  de  son  ennemi  son  cimeterre  eprouve 
par  la  mort  de  Meduse  et  Tenfonce  dans  son  sein.  Lycabas  mourant 
toume  vers  Athis  ses  yeux  deja  plonges  dans  la  nuit  du  trepas. 
11  se  penche  sur  lui,  et  emporte  aux  enfers  la  consolation  d'avoir 
uni  sa  mort  a  celie  de  son  ami. 

Cependant  le  flls  de  Metliion,  Phorbas  de  Sy^ne,  et  le  Libyen 
Amphimedon,  brulant  de  combattre,  sont  tombes  dans  le  sang 


Figere  doctus  erat,  sed  lendere  doclior  areus.  55 

Tum  quoque  lenta  manu  flectentem  cornua  Perseus 
Stipi^,  qui  media  positus  fumabat  in  ara, 
Perculit,  et  fractis  confudit  in  ossibus  ora. 

Hunc  ubi  laudatos  jactantem  in  sanguinc  vultus 
Assyrius  vidit  Lycabas,  junctissimus  illi  GO 

Et  comes,  et  veri  non  dissimulator  amoris, 
Postquam  exhalantem  sub  acerbo  vulnere  vitam 
Deploravit  Athin.  Quos  ille  tetenderat  arcus 
Arripit,  et :  t  Mecum  tibi  sint  certamina,  dixit; 
Nec  longum  pucri  fato  laetabere,  quo  plus  G3 

Invidix,  quam  laudis,  habes.  .  Uxc  omnia  nondum 
Diierat,  emicuit  nervo  penelrabilc  lelun); 
Vitatumque  tamen  sinuosa  veste  pependit. 
Verlit  in  hunc  harpen  spcclatam  caede  Meduso; 
Acrisioniades,  adigitquc  iu  pectus.  At  ille  70 

Jam  morieus,  oculis  sub  nocle  naluntibus  atra 
Circumspexil  Athin,  sequc  acclinavil  in  illum, 
Et  tulit  ad  nianes  junctx  solatia  mortis. 

tcce  Syenites,  geuitus  Melhione,  Phoibas, 
Et  Libys  Amphimedon,  avidi  committere  puguaui,  "i^ 


170  METARiORPHOSES. 

qui  fume  au  loin  sur  le  parvis.  !ls  veulent  se  relever ;  mais  ils  sonl 
frapp^,  Tun  dans  le  flanc  et  Tautre  a  la  gorge.  Le  fils  d'Actor, 
Erithus,  arme  d'une  hache  terrible,  s'etait  soustrait  au  glaive  re- 
courbe  du  heros.  Mais  pr^s  de  la  etait  un  cratere  d'un  poids  enorme 
et  ciseie  en  relief.  Persee  le  souleve  de  ses  deux  mains  et  en  ecrase 
son  ennemi,  qui  vomit  des  flots  de  sang  et  tombe  expirant  dans 
la  poussiere.  Polydemon,  descendant  de  Semiramis,  Abaris,  ne 
sur  le  Caucase,  et  Lycetus  sur  les  bords  du  Sperchius,  filyx  a  la 
longue  chevelure,  Phlegias  et  Clytus  perissent  sous  les  coups  du 
fiis  de  Dana^,  qui  foule  aux  pieds  des  monceaux  de  victimes.  Phinee 
craint  de  combattre  de  pres  un  pareil  adversaire ;  ii  lui  lance  soii 
javelot.  Le  trail  s^egare  et  va  frapper  Ida,  qui  s'est  en  vain  abstenu 
de  combattre  et  n'a  suivi  aucun  drapeau.  Regardant  d'un  oeil  fa- 
rouche  le  cruel  Phinee  :  «  Puisque  tu  veux,  lui  dit-il,  m'entrainer 
dans  celte  lutte,  defends-toi,  Phinee,  contre  i*ennemi  que  tu  viens 
de  provoquer.  Re^ois  blessure  pour  blessure.  »  Deja  il  s'apprelait 
a  lui  renvoyer  le  fer  arrache  de  son  sein.  Mais  le  sang  s'epuise 
dans  ^s  veines,  et  il  tombe  expirant. 


Sanguinc,  quo  lellus  late  madefacla  tcpebat, 

Conciderant  lapsi.  Surgentibus  obstitit  ensis, 

Alteriiis  costis,  jugulo  Phorbantis  adactus. 

At  non  Acloriden  Erilhon,  cui  lata  bipenuis 

Telum  erat,  hamato  Perseus  petit  ense.  Scd  altis  t>0 

Exstantem  signis,  multseque  in  pondere  inussiC, 

Ingentem  manibus  toUit  cratera  duabus, 

Inrregitque  viro.  Rulilum  vomit  ille  cruorciii, 

Et  resupinus  humum  moribundo  vertice  pulsdt. 

lude  Semiramio  Polydaimona  sanguine  crclum,  85 

Caucasiumque  Abarin,  Sperchionidenque  Lycctuni, 

Intonsumque  comas  Elycen,  Phlegiamque,  ClytuuKiuo 

Sternit,  et  adstructos  morientum  calcat  acervos. 

Nec  Phineus  auSus  concurrere  cominus  hosli, 

Intorquet  jaculum,  quod  detulit  error  in  Idan,  •  90 

Expertem  frustra  belli,  et  neut):a  arma  secutum. 

lile  tuens  oculis  immitem  Phiuea  lorvis  : 

«  Quandoquidem  in  partcs,  ait,  attrahor,  accipe,  Pliiueu, 

Quem  fccisli  hostem,  pensaquc  hoc  vulnere  vuhius>.  *> 

Jamque  remissurus  tractum  de  corporc  telum,  05 

Sanguine  defectos  cecidit  collapsus  in  artus. 


LIVRE  V,  i71 

Alors  Odites,  qui  occupe  la  premi^re  place  apres  le  roi,  perit 
sous  Fepee  de  Clymene.  Hypsee  frappe  Prolenor,  et  Lyncidas 
Hypsee.  Au  miiieu  d'eux  parait  le  vieil  £mathion,  connu  par  son 
amour  pour  la  juslice  et  par  son  respect  envers  les  dieux.  Les 
annees  rempSchent  de  combattre;  mais  il  combat  de  la  voix,  et, 
parcourant  tous  les  rangs,  ii  maudit  celte  lutte  impie.  Tandis 
qu'il  embrasse  Tautel  de  ses  mains  tremblantes,  Chromis  avec 
son  epee  lui  tranche  la  tSte,  qui  roule  dans  les  feux  sacr^.  Lk  sa 
Toix  a  demi  eteinte  profere  des  im];irecations,  et  )e  souffle  de  la 
vies'exhale  au  milieu  des  flammes.  Apr^s  lui,  ies  deux  freres  Bro- 
theas  et  Ammon,  que  le  ceste  eCii  rendus  invincibles,  si  le  ceste 
pouvait  triompher  de  l'epee,  sont  immoles  par  la  main  de  Phinee, 
ainsi  que  le  pr^tre  de  Cer^s,  Ampycus,  dont  ie  front  est  ceint  d'un 
bandeau  eclatant  de  blancheur.  Et  toi,  tils  de  Japet,  tu  n'etais 
point  destine  a  ces  jeipL  sanglants.  Youe  a  un  ministire  de  paix, 
lu  devais  unir  la  voix  aux  accords  de  la  lyre  pour  celebrer  la  joie 
des  festius  et  les  jours  de  f(^te.  Comme  il  se  tenait  a  Tecart,  son 
innocent  archet  a  la  main,  Pettalus  lui  dit  avec  un  rire  moqueur  : 
«  Va  faire  entendre  aux  m^nes  le  reste  de  tes  chants;  »  et  il  lui 
plonge  dans  la  tempe  gauche  la  pointe  de  son  ep^e.  Le  chantre 

Hic  quoque  Cephenum  post  regem  primus  Odi(es 
Ense  jacet  Clymeni.  Protenora  perculil  Hypseus; 
Hypsea  Lyncides.  Fuii  et  grandaevus  in  illis 
Emathion,  squi  cultor,  timidusque  deorum.  1(X) 

Quem  quoniara  prohibent  anni  bellarc,  loquendo 
Pugnat,  ct  incessit,  scelerataque  devovet  armn. 
Huic  Chromis  amplexo  tremulis  altaria  palmis 
Demctit  cnsc  caput,  quod  protinus  incidit  arac ; 
Atquc  ibi  semianimi  verba  cxsecrantia  lingua  103 

Edidit,  ct  medios  animam  exspiravit  in  igncs. 
Hinc  gcmini  fratres,  Broteasque  et  caestibus  Ammon 
Invicti,  vinci  si  possent  csestibus  enses, 
Phinea  cecidere  manu;  Cererisque  sacerdos 
Ampucus,  albenti  velatus  tempora  vitta.  110 

Tu  quoque,  lapetide,  non  hos  adhibendus  in  usus, 
Sed  qui,  pacis  opus,  citharam  cum  voce  moveres, 
Jussu^  eras  celebrare  dapes,  festumque  canendo. 
Cui  procul  adstanti,  plectrumque  imbelle  tenenti, 
Pettalus  :  «  I,  ridens,  stygiis  cane  coBtera,  dixit,  115 

Manibus,  »  et  Iscvo  mucronem  tempore  figit. 


172  MfeTAMORPHOSES, 

tombe  en  laissant  errer  ses  doigts  mourants  snr  les  cordes  de  sa 
lyre,  et  il  expire  en  faisant  entendre  de  plaintifs  accents. 

Le  fier  Lycormas  ne  laisse  point  son  tr^pas  impuni.  11  arrache 
un  des  poteaux  de  la  porte  a  droite,  et  en  brise  le  crane  de  Pet- 
talus,  qui  succombe  comme  un  taureau  sous  le  bras  du  sacrifica- 
leur.  Pelates,  ne  sur  les  bords  du  Cinyps,  fait  une  tentative  pareille. 
Mais,  au  m^me  instant,  sa  main,  percee  par  la lance  duLibyen Co- 
rythus,  resle  fixee  a  la  porte.  Tandis  qu'elle  y  est  retenue,  Abas 
lui  plonge  son  6pee  dans  le  flanc.  II  ne  tombe  pas;  il  expire  sus- 
pendu  par  la  main.  La  p^rissent  aussi  Melanee,  qui  avait  suivi  le 
parti  de  Persee,  et  Dorilas,  le  plus  riche  habitant  du  pays  des  Na- 
samons.  Nul,  dans  cette  contr^e,  ne  possedait  plus  de  terres  et 
ne  recueillait  autant  de  ble.  Le  fer  p^n^tre  obliquement  dans 
Faine,  ou  les  coups  sont  mortels.  A  peine  le  Baclrien  Halcyonee, 
qui  Fa  blesse,  \e  voit-il  rendre  T^me  au  milieu  des  sanglots  et 
rouler  ses  yeux  mourants,  quMl  lui  dit  :  «  L'espace  que  couvre 
ton  corps  te  restera  seul  de  tes  immenses  domaines;  »  et  il  aban- 
donpe  son  cadavre.  Mais  Persee  vainqueur  retire  le  javelot  de  la 
blessure  loule  fumante,  et  le  lui  lance.  Le  fer,  en  atteignant  le 

Concidit,  et  digilis  moricnlibus  ille  retentat 
Fila  lyrac,  casuque  canit  miserabile  carmen. 

Non  sinil  hnnc  impune  fcrox  cccidisse  Lycormas, 
Raptaque  de  dextro  robusta  repagula  posti,  120 

Ossibus  illidit  medise  cervicis ;  at  ille 
Procubuit  terra?,  maclati  more  juvenci. 
Dcmere  tentabat  licvi  quoque  robora  postis 
C.inyphius  Pelales.  Tentanti  dextcra  fixa  cst 
Cuspide  marmaridx  Corythi,  lignoque  cohoisit.  125 

Ilsrenti  latus  hausit  Abas;  nec  corruit  ille, 
Sed  retinentc  manum  morieus  e  poste  pependit. 
Sternilur  et  Melaneus,  perseia  castra  secutus, 
Et  nasamoniaci  Dorylas  ditissimus  agri ; 
Dives  agri  Dorylas,  quo  non  possederat  allcr  150 

Latius,  aut  jtotidcm  tollebat  farris  acervos. 
Uujus  in  obliquo  missum  stetit  inguine  ferrum. 
Lethifer  ille  locus.  Quem  postquam  vulneris  auctor 
Singultantem  animam,  ct  versantem  lumina  vidit 
Bactrius  Halcyoneus :  «  Hoc,  quod  premis,  inquit,  habeto     135 
De  lot  agris  terrae,  »  corpusque  exsangue  reliquit. 
Torquet  in  hunc  hastam  calido  dc  vulnere  raptam 


LIVRB  V.  173 

Bactrien  au  nez,  lui  traverse  le  crAne.  La  fortune  seconde  le  heros. 
U  ^end,  sous  deux  coups  differents,  Glytius  et  Glanis,  nes  de  la 
m^me  mere.  D*un  bras  vigoureux  il  perce  de  part  en  part  les 
cuisses  de  Glytius,  et.  blesse  Glanis  a  la  bouche.  II  terrasse  encore 
G^ladoii  de  Mendes,  Aslree  dont  la  m^re  naquit  en  Palestine,  et 
dont  le  pere  etait  inconnu;  £thion,  qui,  jadis  habile  a  pr^voir 
ravenir,  fut  alors  trompe  par  le  vol  d'un  oiseau;  Thoacte,  ecuyer 
de  Phinee,  et  Agyrt^,  souille  d'un  parricide. 

Gependant  il  reste  plus  de  sang  a  verser  qu'il  n'y  en  a  de 
repandu  :  tous  les  bras  veulent  immoler  Persee.  D^e  toutes  parts 
il  est  assaiUi  par  des  combattants  ligues  pour  une  cause  injuste  et 
criminelle.  II  n*a  d'autressoutiens  que  son  beau-pere,  dont  Tamour 
est  impuissant,  sa  nouvelle  epouse  et  sa  m^re,  qui  remplisscnt  le 
palais  d^affreuses  clameurs  etouffees  par  le  bruit  des  armes  et  les 
cris  des  mourants.  Bellone  arrose  de  ilots  de  sang  le  palais  dejk 
profane  et  renouvelle  toutes  les  horreurs  des  combats.  Phinee  et 
ses  mille  compagnons  fondent  sur  Persee.  Autour  de  lui,  devant 
ses  yeux  et  a  ses  oreilles,  sifile  une  gr^le  de  traits.  II  appuie  son 

Victor  Abantiades,  media  quae  nare  recepta 

Cervice  exacta  est,  in  partesque  eminel  ambas. 

Dumque  manum  fortuna  juvat,  Clytiumque  Claninque       140 

Matre  satos  una,  diverso  vulnere  fudit. 

Nam  Clytii  per  utrumque  gravi  librata  lacerto 

Fraxinus  acta  femur;  jaculum  Clanis  ore  momordit. 

Occidit  et  Celadon  mendesius;  occidit  Astreus, 

Matre  palestina,  dubio  genitore  creatus;  145 

iEthionque  sagax  quondam  ventura  videre, 

Tunc  ave  deceptus  falsa,  regisque  Thoactes 

Armiger,  et  csbso  genitore  infamis  Agyrtes. 

Plus  tamen  exhausto  superest ;  namque  omnibus  unum 
Opprimere  est  animus.  Conjurata  undique  pugnant  150 

Agmina  pro  causa  meritum  impugnante  fidemque. 
Hac  pro  parte  socer  frustra  pius,  et  nova  conjux, 
Cum  genitrice,  favcnt,  ululatuque  alria  complent. 
Sed  sonus  armorum  superat,  gemitusque  cadentum ; 
Pollutosque  semel  multo  Bellona  penates  155 

Sanguine  perfundit,  renovataque  praelia  miscet. 
Circumeunt  unum  Phineus,  et  mille  secnti 
Phinea.  Tela  volant  hiberna  grandine  plura 
Praeter  utrumque  latus,  praeterque  et  lumen,  etaures. 

/ 


174  MfiTAMORPHOSES. 

dos  contre  une  grande  colonne  de  marbre,  et,  siir  qu'il  ne  peut 
plus  ^tre  surpris  par  derriere,  il  fait  face  aux  ennemis,  et  r^siste 
a  toutes  les  attaques.  k  gauche,  il  a  en  tete  Molpee  de  Chaonie; 
a  droite,  TArabe  Ethemou.  Comme  un  tigre,  press^  par  la  faim, 
IbrsquMl  entend  de  deux  vallons  opposes  le  mugissement  des  boeufs, 
ne  sait  ou  il  doit  courir  de  preference,  et  voudrait  s'61ancer  vers 
les  deux  c6tes  a  la  fois ;  Pers^e,  incertain  s'il  doit  se  porter  a  droite 
ou  a  gauche,  frappe  Molp^e  a  la  jambe  et  se  contente  de  le  mettre 
^n  fuite.  fithemon  ne  iui  laisse  point  de  repos.  Emporte  par  sa 
fureur,  et  briilant  d^enfoncer  dans  le  cou  de  Persee  son  epee  jus- 
qu  a  ja  garde,  il  Tattaque  sans  mesurer  ses  forces ;  mais  Tepee 
vole  en  ^clats,  et  sa  pbinte,  repouss6e  par  la  colonne,  vient  se 
plonger  dans  la  gorge  de  son  mattre.  Le  coup  neanmoins  ne  lui 
donne  pas  la  mort.  fithemon  chancelle  et  tend  vainement  ses 
bras  d^sarmes,  Persee  le  frappe  du  cimeterre  que  lui  donna 
Mercure. 

Voyant  enfin  sa  valeur  ,pr6s  de  succomber  sous  le  nombre,  le 
h^ros  s^ecrie- :  «  Puisque  vous  m'y  forcez,  jMmplorerai  le  secours 
d'un  ennemi.  Detournez  vos  regards,  6  mes  amis!  s'il  en  est  ici 


Applicat  hinc  humeros  ad  magnse  saxa  columnac,  IGO 

Tutaque  terga  gerens,  adversaque  in  agmina  versus, 

Sustinet  instantes.  Instabant  parte  sinistra 

Chaonius  Molpeus,  dextra  nabataeus  Ethemon. 

Tigris  ut,  auditis  diversa  valle  duorum 

Exstimulata  fame  mugitibus  armentorum,  165 

Nescit  ulro  potius  ruat,  et  ruere  ardet  utroque; 

Sic  dubius  Perseus,  dextra  laevane  feratur, 

Holpea  trajecli  submovit  vulnere  cruris, 

Contentusque  fuga  est.  Neque  enim  dat  tempus  Ethemon, 

Sed  furit;  et,  cupiens  alto  dare  vulnera  collo,  170 

Non  circumspectis  exactum  viribus  ensem 

Fregit,  et  cxtrema  percussaB  parte  columnae 

Lamina  dissiluit,  dominiquc  in  gutture  fixa  est. 

Non  tamen  ad  lethum  causas  satis  illa  valenles 

Plaga  dedit.  Trepidum  Perseus,  et  incrmia  fruslra  175 

Brachia  tcndentem  cyllenide  confodit  harpe. 

Verum  ubi  virlutem  turbae  succumbere  vidit: 
«  Auxilium,  Perseus,  quoniam  s^ic  cogitis  ipsi, 
Dixit,  ab  hosle  pclam.  Vullus  avertite  vestros, 


LIVRE  V.  175 

pour  moi ;  »  et  en  niftme  temps  il  presente  la  tete  de  la  Goi^one. 
«  Cherche  ailleurs  un  adversaire  qui  se  laisse  effrayer  par  de  vains 
prestiges, »  r^pond  Thescelus.  Mais,  au  moment  oA  sa  main  s'ap- 
prMait  &  lancer  un  trait  fatal.  immobile  dans  cette  attitude,  il  est 
chang^  en  une  statue  de  marbre.  A  ses  cdt^s,  Ampyx  dirige  son 
glaive  contre  la  poitrine  du  magnanime  Lyncidas.  Sa  main  va  lo 
frapper;  mais,  tout  a  coup  petrifiee,  elle  ne  peut  se  mouvoir  en 
aucun  sens.  Nil^e,  qui  se  pretend  fils  du  Nil,  et  qui  sur  son  bou^ 
clier  avaitgrave  en  argent  et  en  or  les  sept  bouches  dece  fleuve, 
dit  aPersee :  «  Regarde  le  berceau  de  ma  famille.  Tu  emporleras 
chez  les  ombres  une  grande  consolation  en  tombant  sous  les  coups 
d'un  illustre  ennemi.  »  Les  derniers  sons  de  sa  voix  sont  6touff6s; 
sa  bouche  entr'ouverte  semble  vouloir  parler ;  mais  elle  n*offre  plus 
d'issue  a  la  parole.  «  Cest  votre  lAchete,  et  non  la  tete  de  la  Gor- 
gone,  qui  enchaine  vos  bras!  ieur  crie  firyx.  Accourezavec  moi,  et 
faites  mordre  la  poussiere  k  ce  jeune  presomptueux  qui  n'a  pour 
armes  que  des  enchantements.  »  U  veut  s'elancer ;  ^es  pieds  restent 
attaches  h  la  terre.  II  n'est  plus  qu'un  rocher  immobile,  sous  les 
Iraits  d'un  guerrier  en  armes. 


Si  quis  amicus  adest, »  et  Gorgouis  extulit  ora.  1SU 

«  Quaere  alium,  tua  quem  moveant  miracula,  »  dixit 

Thescelus;  utque  manu  jaculum  fatale  parabat 

Mittero,  in  hoc  haesit  signum  de  marniore  gestu. 

Proximus  huic  Ampyx  animi  plenissima  magni 

Peclora  Lyncidie  gladio  petit;  inquepetendo  1S5 

Dextera  diriguit,  nec  citra  mota,  nec  ultra. 

At  Nileus,  qui  se  genitum  septemplice  Nilo 

Ementilus  erat,  clypco  quoque  flumina  septem 

Argenlo  parlim,  parlim  cajlaverat  auro  : 

«  Aspice,  ait,  Perseu,  nostrse  primordia  geiUis,  190 

Magna  feres  tacitas  solatia  mortis  ad  umbras 

A  tanto  cecidissc  viro.  »  Pars  ultima  vocis 

In  medio  suppressa  sono  est;  adapertaquc  velle 

Ora  loqui  credas,  nec  sunt  ea  pei'via  verbis. 

Increpat  hos:  «  Vitiociuc  animi,  non  crinibus,  inquil,       195 

Gorgoneis  torpetis,  Eryx.  Incurrile  mecum, 

Et  prosternite  humi  juvenem  magica  arma  moventem.  » 

Incursurus  erat:  tenuit  vestigia  tellus, 

Immotusqiie  silex,  armataque  mansit  imago. 


176  MfeTAMORPIIOSES. 

Ceux-ci  du  moins  m^rilaient  leur  chatiment.  Mais  un  des  sol- 
dats  de  Pers^e,  Acontee,  en  combattant  pour  lui,  regarde  la  Gor- 
gone,  et  lout  a  coup  il  est  transforme  en  rocher.  Astyage  le 
croit  encore  vivant,  et  le  frappe  de  sa  longue  epee,  qui  rend  des 
sons  aigus.  Tandis  qu^il  demeure  stupefait,  il  subit  la  mtoe  me* 
tamorphose,  et  la  surprise  est  empreinte  sur  ses  traits  de  marbre. 
U  serait  trop  long  de  dire  tous  les  noms  des  soldats  de  Phinee.  Deux 
cents  avaient  survecu  au  combat;  deux  cents  furent  petrifies  a 
Taspect  de  la  Gorgone. 

Phinee  d^plore  alors  cette  guerre  injuste.  Mais  que  faire^  il  ne 
voit  que  des  statues  dans  des  attitudes  diverses.  II  reconnait  ses 
compagnons,  les  appelle  par  leur  nom,  et  invoque  leur  secpurs. 
II  ne  peut  en  croire  ses  yeux,  et  porte  sa  main  sur  ceux  qui  se 
trouvent  pres  de  lui :  c'etait  du  marbre.  II  detoume  la  t^te,  et, 
d'un  air  suppliant,  il  tend  ses  bras  en  signe  de  defaite  :  «  Tu 
triomphes,  dit-il,  6  Persee!  Eloigne  ce  monstre  terrible;  ecarle 
cette  t^te  de  MMuse  qui  change  en  rocher ;  ecarte-Ia,  je  Ven  con- 
jure.  Ce  n'est  ni  la  haine  ni  la  soif  de  commander  qui  m'ont 
pousse  a  cette  guerre :  je  n'ai  pris  les  armes  que  pour  une  epouse. 


Hi  tamen  ex  merito  poenam  subiere.  Sed  unus  200 

Miles  erat  Persei,  pro  quo  dum  pugnat,  Aconteus, 
Gorgone  conspecta  saxo  concrevit  oborto. 
Quem  ratus  Astyages  etiamnum  vivere,  longo 
Ense  ferit.  Sonuit  tinnitibus  ensis  aculis. 
Dum  stupet,  Astyages  naturam  traxit  eamdem,  203 

Marmoreoque  manet  vultus  mirantis  in  ore. 
Nomina  longn  mora  est  media  de  plebe  virorum 
Dicere.  Bis  centum  restabant  corpora  pugnaB  ; 
Gorgone  bis  centum  riguerunt  corpora  visa. 

Poenitet  injusti  nunc  denique  Phinea  belli.  210 

Scd  quid  agat?  Simulacra  videt  diversa  figuris; 
Agnoscitque  suos,  et  nomine  quemque  vocatos 
Poscit  opem ;  credensque  parum,  sibi  proxima  tangit 
Corpora  :  marmor  erant.  Avertilur,  atque  ita  supplex 
Gonfessaque  manus,  obliquaque  brachia  tendens:  215 

«  Yincis,  ait,  Perseu.  Remove  fera  monstra,  tuaeque 
Sasificos  vultus,  qusecumque  ea,  tolle  Medusx; 
Tolle,  precor.  Kon  nos  odium,  regnive  cupido 
Compulit  ad  l>eUum  :  pro  conjuge  movimus  arma. 


LIVRB  V.  ^77 

Tes  droits  sont  fondes  sur  tes  serviccs,  el  les  miens  sur  le  temps. 
Je  me  repens  de  ne  pas  favoir  cede.  Vainqueur  intrepide,  laisse- 
moi  la  vie  :  toiit  le  reste  esih  toi.  »  En  proferant  ces  paroles,  il 
n'ose  lever  les  yeux  sur  celui  que  sa  voix  implore  :  «  Pusillanime 
Phinee!  repond  le  heros,  je  puis  me  rendre  a  ta  pri^re  et  t*ac- 
corder  une  faveur  d'un  grand  prix  pour  les  l^ches.  Sois  sans  crainte; 
tu  I'obtiendras  :  le  fer  n'abregera  point  tes  jours.  Que  dis-je?  tu 
seras  un  monument  a  jamais  respecte  par  le  temps.  Dans  le  palais 
de  raon  beau-p6re,  tu  t*offriras  sans  cesse  aux  yeux  de  mon 
epouse,  et  Timage  de  celui  qui  lui  fut  destine  sera  pour  elle  une 
consolation.  » II  dit,  et  tourne  la  t6te  de  la  fille  de  Phorcys  du 
cote  ou  Phinee  portait  ses  regards  tremblants.  En  vain  s*efforce- 
t-il  encore  de  Teviter  :  son  cou  se  roidit,  et  les  larmes  durcissent 
dans  ses  paupieres.  La  peur  respire  dans  tous  ses  traits  :  sous 
le  marbre,  son  air  est  humble,  sa  main  suppliante  et  son  front 
resigne. 

Causa  fuit  meritis  mclior  tU3,  tempore  nostra.  220 

Nod  cessisse  piget.  Nihil,  o  fortissime,  prxter 

Hanc  animam  concede  mihi :  tua  ca^tera  sunto.  » 

Talia  dicenti,  neque  eum,  quem  voce  rogabat, 

Respicere  audenti :  «  Quod,  ait,  timidissime  Phineu, 

Et  possum  tribuisse,  et  magnum  munus  inerti  est,  2?!> 

Pone  metum,  tribuam  :  nuUo  violabere  ferro. 

Quin  etiam  mansura  dabo  monumcnta  per  sevum ; 

Inque  domo  soceri  semper  spectabere  nostri, 

llt  mea  se  sponsi  soletur  imaginc  conjux.  » 

Dixi4,  ct  in  partem  Phorcynida  transtulit  illam,  250 

Ad  quam  se  trepido  Phineus  obverlerat  ore. 

Tunc  quoque  conanti  sua  flectere  lumina,  cervix 

Diriguit,  saxoque  oculorum  induruit  humor. 

Sed  tamen  os  timidum,  vultusque  in  marmore  supplex, 

Submissseque  manus,  faciesque  o1)noxia  mansit.  25S 


478  MfeTAMORPIIOSES. 

PR1£TUS  ET  POLYDECTE  CnANGES  EN  AQCUEIVS.  —  m£tAHORPHOSE  DES  FILLES 
DE  PIEROS  EN  PIES;  —  d'uN  ENFANT  EN  LEZARD;  —  D^ASCALAPHE  EN 
HIBOU;  —  DE  CVANE  ST  dVr^THUSE  EN  FONTAINES;  —  DE  LYNGUS 
EN  LYNX.  —  ENLEVEMEKT  DE  PROSERPINE.  —  VOYAGES  DE  CERIs  ET 
DE  TRIPTOLEME. 

II.  Vainqueur,  le  petit-fils  d'Abas  renlre  avec  sa  compagne  au 
foyer  patemel.  Malgreles  torts  de  son  aieul,  pour  le  venger  il  at- 
taque  Pr6tus  qui  prit  les  armes  contre  son  fr^re,  le  mit  en  fuile 
et  s'empara  de  la  Yille  de  Danae.  Mais  ni  ses  arraes,  ni  la  cita- 
delle  dont  il  s'etait  rendu  maitre  par  un  crime,  ne  peuvent  le 
faire  triompher  de  Taspecl  terrible  du  monstre  herisse  de 
serpents.  Et  toi,  qui  regnes  sur  la  petite  ile  de  Seriphe, 
6  Polydecte !  ni  la  valeur  du  jeune  heros,  eprouvee  par  lant  d*ex- 
ploits,  ni  ses  faligues  ne  peuvent  te  desarmer.  Toujours  cruel,  tu 
nourris  une  haine  implacable;  car  la  haine  injuste  est  sans  terme. 
Tu  rabaisses  mSme  sa  gloire,  et  tu  ne  crois  pas  a  la  mort  de  Me- 
duse.  «  Je  vais  te  prouver  qu'elle  est  vraie,  dit  Persee.  Amis,  de- 
tournez  les  yeux.  »  II  eleve  la  tSte  de  Meduse,  et,  sans  effusion 
dc  sang,  il  change  le  roi  en  rocher. 


PRffiTDS  ET  POlYDEtlES  IN  6AXA  CONVERTDNTDR ;  —  PIERIDES  IN  PICAS;  — 
PDER  IN  STELLIONEM ;  —  ASCALAPHDS  IN  BDBONEM  ;  —  CYANE  ET  ARETIIDSA 
IN  FONTES;  —  LYNCDS  IN  LYXCEM.  —  RAPTDS  PROSERPINiE.  —  CERERIS  ET 
TRIPTOLEUI    PEREGRINATIONES. 

II.    Viclor  Abanliades  patrios  cum  conjugc  muros 
Intrat,  et  immeriti  vindex  uUorque  parentis 
Aggrcditur  Proetum;  nara  fratre  per  arma  fugato 
Acrisioneas  Pro^tus  possederat  arces. 
Sed  nec  ope  armorum,  nec,  quam  male  ceperat,  arce,       240 
Torva  colubriferi  superavit  luraina  moustri. 
Te  tamen,  o  parvae  rector,  Polydecta,  Seripbi, 
Nec  juvenis  virlus,  per  tot  spectata  labores, 
Nec  mala  moUicrant.  Sed  inexoral)ile  durus 
Exerces  odium;  nec  iniqua  finis  in  ira  cst.  ^^ 

Detrcctas  etiam  laudes,  fictamque  Meduso! 
Arguis  essc  necem.  «  Dabimus  tibi  pignora  veri. 
Parcile  luminibus,  »  Pcrseus  ait,  oraque  regis 
Orc  medusxo  silicem  sine  sanguine  fecli. 


LIVRB  V.  170 

Pallas  avait  jusqu'alors  accompagn^  son  frere  iie  d'une  pluie 
d'or.  En  ce  moment,  enveloppte  d'un  nuage,  elle  quitte  Se- 
riphe,  laissant  a  droite  Cythnos  et  Gyare.  Par  lecheminqui  lui 
parait  le  plus  court  au-dessus  des  flots,  elle  se  rend  a  Th^bes  et 
vers  rHehcon,  s^jour  des  chastes  Muses.  Elle  s'arr6le  sur  ce  mont, 
et,  s'adressant  aux  doctes  soBurs  :  «  J'ai  entendu  parler,  leur  dit- 
clle,  de  la  nouvelle  source  qu'un  coursier  aile  a  fait  jaillir  sous 
son  pied  vigoureux.  Elle  est  robjet  de  mon  voyage.  Je  veux  con- 
templer  cette  merveille,  apres  avoir  vu  naitre  ce  coursier  du  sang 
de  sa  m^re. »  Uranie  lui  repond  :  «  Quel  que  soit  le  molif  qui  vous 
engage  a  visiter  nos  demeures,  6  deesse!  vous  portez  la  joie  dans  notre 
ame.  La  renommee  dit  vrai :  Pegase  est  le  pere  de  cette  source.  » 
A  ces  mots,  elle  conduit  Minerve  vers  Tonde  sacree.  La  dtese 
-admire  longtemps  la  fontaine  qu'un  coursier  a  fait  jaillir  en  frap- 
pant  la  terre.  Elle  promene  ses  yeux  autour  de  ces  bois  antiques, 
des  grottes  et  des  prairies  ^maillees  de  mille  fleurs.  EUe-compli- 
raente  les  filles  de  Mnemosyne  sur  leurs  Iravaux  et  sur  leur  se- 
jour.  L'une  d^elles  lui  parle  ainsi : 
•  «  Oui,  si  volre  courage  ne  vous  avait  appelee  a  de  plus  hautes 


Hactenus  aurigonaj  comitem  Tritonia  fratri  250 

Se  dedit.  Inde  cava  circumdata  nube  Seriphon 
Dcserit,  a  dextra  Cythno  Gyaroque  rcliclis. 
Quaque  super  pontum  via  visa  brevissima,  Thcbas, 
Virgineumque  Helicona  pctil.  Quo  monte  potita 
Constitit,  et  doclas  sic  cst  affala  sorores :  25o 

«  Fama  novi  fontis  noslras  pervenit  ad  aures, 
Dura  medusa^i  quem  pracpetis  ungula  rupit. 
Is  inihi  causa  viaj.  Volui  mirabile  monstrum 
Ccrnerc;  vidi  ipsum  niatcruo  sanj^uine  nasci. »» 
Excipit  Uranie  :  «  Quaecumquc  cst  causa  videndi  SGD 

ilas  libi,  diva,  domos,  animo  gralissima  nostro  es. 
Vera  tanieu  fania  est,  et  Pegasus  hujus  origo 
Fontis;  »  et  ad  laticcs  deducit  Pallada  sacros. 
Qux  mirata  diu  factas  pcdis  ictibus  undas, 
Siivarum  lucos  circuraspicit  antiquarum,  2Go 

Antraqucy  et  innumeris  dislinCtas  flbribUs  licrljasj 
{'elicesque  vdcat  pariter  sludiique,  lociquc 
Mnemonida3,  quam  sic  affata  csl  una  sororum : 

i  0,  nisi  lc  virlus  opcra  ad  roajora  lulissjl. 


180  METAMORPUOSES. 

enlreprises,  vous  vous  seriez  m^iee  a  nos  choeurs.  Vous  ne  vous 
trompez  pas  en  donnant  k  nos  occupations  et  a  notre  asile  des 
eloges  merites.  Notre  sort  serait  prosp^re,  sans  les  inquietudes 
qui  nous  agitent.  Mais  est-ii  un  rempart  assure  contre  le  crime? 
Tout  effraye  des  coeurs  de  vierges.  A  mes  yeux  est  toujours  present 
le  barbare  Pyrene,  et  je  n'ai  pu  reprendre  encore  mes  sens.  Le 
cruel  inondait  de  soldats  tbraces  les  plaines  de  Daulis  et  de  la 
Phocide  qu'il  tenait  injustement  sous  le  joug.  Nous  allions  aux 
templesdu  Parnasse.  11  nous  vit  avancer  et  nous  rendit  de  perfides 
hommages  :  «  Filles  de  Mn^mosyne  (car  il  savaitnotre  nom), 
«  arr6tez-vous,  dit-il.  Ne  craignez  pas,  je  vous  en  conjure,  de 
«  chercher  sous  mon  toit  un  abri  contre  Torage  et  la  pluie 
«  (il  pleuvait  en  effet).  Souvent  les  dieux  enlrerent  dans  les  plus 
«  modestes  demeures.  »  Enlrainees  par  ces  paroles  et  par  Torage, 
nous  cedons  a  ses  voeux  :  nous  franchissons  le  seuil  de  sonu  pa- 
lais.  La  pluie  ne  tombait  plus,  TAutan  avait  fui  devant  les  Aqui- 
lons ;  le  del  etait  pur  et  sans  nuages.  Nous  voulons  nous  eloigner. 
Pyrene  ferme  les  portes,  et  s'appr6te  k  user  de  violence.  Nous  ne 
Tevitons  qu'en  nous  elevant  sur  des  ailes.  II  monte  au  liaut  d'une 


In  partem  ventura  chori  Tritonia  nostri,  i70 

Vera  refers;  meritoque  probas  artesque,  locumquc; 

Et  gratam  sortem,  tutse  modo  simus,  habemus. 

Scd,  vetitum  est  adeo  sceleri  nihil.  Orania  tcrrent 

Virgineas  mentes,  dirusque  antc  ora  Pyreneus 

Vertitur;  et  nondum  rae  tota  mente  recepi.  27$ 

Daulia  threicio  phoceaque  milite  rura 

Ceperat  ille  ferox,  injustaque  regna  tenebat. 

Tcmpla  petebamus  parnassia.  Vidit  euntes, 

Kostraque  fallaci  veneratus  numina  cultu  : 

«  Mncmonides  (cognorat  enim),  consistite,  dixit;  280 

«  Nec  dubitale,  precor,  tecto  gravc  sidus  et  imbrem 

•  (Imber  crdt\  vitare  meo.  Subiorc  minores 

«  Saipe  casas  Superi.  »  Dictis  et  tempore  moto} 

Annuimusquu  viro,  primasque  intravimus  aides. 

Desierant  imbres,  victoque  AquiioDibus  Austro  285 

Fusca  repurgalo  fugiebant  nubila  ccelo. 

Impclus  irc  fuil.  Claudit  sua  tecta  Pyrcneus, 

Vimque  parar,  quam  nos  sumptis  cffugimus  alis. 

Ipsc  secuturo  simiiis  stetit  arduus  arce  : 


LIVRB  V.  m 

tour,  comme  pour  nous  suivre  :  «  Quelle  que  soit  votre  route. 
«  dit-il,  ce  sera  la  mienne;  »  et,  dans  le  transport  qui  F^are,  il 
s'^lance  du  faite  de  cette  tour.  II  tombe  sur  la  tSte.  Son  cr&ne 
s'entr'ouvre,  et,  dans  sa  chute,  il  baigne  la  terre  de  son  sang  cri- 
minel.  »  La  Muse  parlait  encore,  lorsqu'un  bruit  d'ailes  retentit 
dans  les  airs  :  une  voix,  qui  semblait  dire  adieu  a  la  deesse,  de^ 
cendit  du  haut  des  branches.  La  fille  de  Jupiter  l^ve  les  yeux  et 
cberche  d'ou  partent  les  sons  distincts  qui  ont  frappe  son  oreiile. 
Elle  croit  avoir  entendu  la  voix  d'un  homme  :  c'etait  celle  d'un 
oiseau.  Au  nombre  de  neuf,  des  pies,  deplorant  leur  destin^e, 
s'^taient  perchees  sur  les  arbres  et  imitaient  le  langage  humain. 

Minerve  s'6tonne,  et  la  Muse  poursuit :  «  Naguere  vaincues 
dans  mi  combat,  celies  que  vous  entendez  ont  augmente  le  nombre 
des  oiseaux.  L'opulent  Pierus  leur  donna  le  jour  dans  les  champs 
de  Pella.  Elles  eurent  pour  m^re  fivippe  de  Peonie,  qui,  neuf 
fois  feconde,  invoqua  neuf  fois  le  secours  de  Lucine.  Ses  filles, 
fieres  de  leur  nombre,  en  con^urent  un  fol  orgueil.  A  travers  les 
villes  de  TH^monie  et  de  rAchale,  elles  vinrent  jusqu'ici  nous 
provoquer  par  ces  insolentes  paroles  : « Cessez  de  seduire  un  igno- 
€  rant  vulgaire  par  vos  doux  accents.  Cest  avec  nous,  si  vous 

«  Quaque  via  est  nobis,  erit  et  mihi,  dixit,  eadem;  »       290 

Seque  jacit  vecors  e  summse  culmine  turris, 

Et  cadit  in  vultus,  discussique  ossibus  oris 

Tundit  humum  moriens  scelerato  sanguine  tinctam.  • 

Musa  loquebatur :  pennse  sonuere  per  auras, 

Yoxque  salutantum  ramis  veniebat  ab  allis.  293 

Suspicit,  el  linguse  quaerit,  tam  certa  loquenles, 

Unde  sonent ;  hominemque  putat  Jove  nata  locutuui. 

Ales  erat,  numeroque  novem,  sua  fata  querentcs, 

Institerant  ramis  imitantes  omnia  picae. 

Miranti  sic  orsa  deae  dea  :  «  Nuper  el  ista  300 

Auxerunt  volucrem  victae  cerlamine  turbam. 
Pieros  has  genuit  pellacis  dives  in  arvis. 
Paeonis  Evippe  nialer  fuiu  IUa  poteutem 
Lucinam  novies,  novies  paritura,  vocavit. 
Intumuit  numero  stolidarum  turba  sororum ;  505 

Perque  tot  hajmonias,  et  per  tot  achaidas  urbe!» 
Huc  venit,  et  tali  committunt  praelia  voce : 
«  Desinite  indoctum  vana  dulcediiie  vulgus 
c  Fallere.  Nobiscum,  si  qua  est  fiducia  vobis, 

11 


m  m£tahorphoses. 

«  avez  quelque  assurance,  quMl  faut  vous  mesurer,  fiUes  de  Thes- 
«  pie.  Vous  ne  remportez  sur  nous  ni  pour  Tart  ni  pour  la  voix, 
«  et  nous  vous  egalons  en  uombre.  Vaincues,  vous  devrez  nous 
tf  abandonner  rflippocrene  et  FAganippe.  Si  nous  succombons, 
«  nous  vous  abandonnerons  TEmathie  jusqu'aux  plaines  glacees 
«  de  la  P6onie.  Les  Nymphes  seront  juges  de  ce  combat.  » 

Une  telle  lutte  etait  honteuse;  mais  il  eut  paru  plus  honteux 
de  ceder.  Les  Nymphes  choisies  pour  arbitres  jurent  par  les 
fleuves,  et  se  placenl  sur  des  sieges  tailles  dans  le  roc.  Aussitdt 
la  Pieride,  qui  proposa  le  defl  sans  consulter  le  sort,  chante  la 
guerre  des  dieux,  exalte  mal  a  propos  la  gloire  des  Geaiits  et  ra- 
baisse  celle  des  habitants  de  1-01  ympe.  EUe  raconte  comment  Ty- 
pho^,  enfant  de  la  Terre,  fit  trembler  les  hnmortels,  qui  prirent 
tous  la  fuite  jusqu'a  ce  que,  epuises  de  fatigue,  ils  s'arr6terent 
en  figypte  sur  les  bords  du  Nil.  EUe  ajoute  qu'il  les  y  poursuivit, 
et  que  les  dieux  alors  se  cacherent  sous  des  figures  d'emprunt. 
€  A  leur  tfite,  dit-elle,  etait  Jupiter,  depuis  ce  temps  adore  en 
Libye,  sous  le  nom  d'Anunon  auxcornesrecourbees;  Apollonse 
transforma  en  corbeau,  le  fils  de  Semele  en  bouc,  la  sceur  de 


«  Thespiades  certate  de».  Nec  yoce,  nec  arte  510 

«  Vincemur;  totidemque  sumus.  Vel  cedite  victae 

«  Fonle  medusipo,  et  hyanlea  Aganippe ; 

«  Vel  nos  emathiis  ad  Paeonas  usque  nivosos 

•  Cedemus  campis.  Dirimant  certamina  ISymphae. » 

Turpe  quidem  contendere  erat ;  sed  cedere  visum         ^15 
Turpius.  Electas  jurant  per  flumina  Nymphae, 
Factaque  de  vivo  pressere  sedilia  saxo. 
Tunc,  sine  sorte  prior,  quae  se  certare  protessa  est, 
Bella  canit  Superum;  falsoque  in  honore  Gigantas 
Ponit,  et  extenuat  inagnorum  facta  deoruiu,  3120 

Emissumque  ima  de  sede  Typhoea  terr» 
Coelitibus  fecisse  metum;  cunclosque  dedisse 
Tcrga  fuga),  donec  fessos  aegyptia  tellus 
Ceporil,  ct  septcm  discretus  in  oslia  Niius. 
Iluc  quoque  terrigenam  venisse  Typhoea  narral,  325 

Et  se  menlitis  Superos  ceiasse  iiguris  : 
»  Duxque  gregis,  dixit,  iit  Jupiter.  Unde  recurvis 
Nunc  quoque  formalus  Libys  est  cuni  cornibus  Ammon; 
Delius  in  corvoj  proles  semeleia  capro; 


LIYRE  V.  483 

Phdbus  en  chatte,  la  fiUe  de  Saturne  en  g^nisse  blanche,  Y^us 
en  poisson  et  Mercure  en  ibis.  »  Tels  sont  les  chants  qu'ellc  fit 
entendre  en  mariant  sa  voix  aux  sons  de  la  lyre.  «  Les  Nymphes 
nous  pressent  de  commencer.  Mais  peut-Slre  ie  temps  et  lc  loisir 
¥0U8  manquent  pour  pr^ter  Toreille  a  nos  accords.  —  Hdtez- 
▼ous,  ditPallas,  de  me  raconter  ie  sujet  de  vos  chants;  »  et  eile 
8'assied  a  Tombre  d'un  riant  bocage.  La  Muse  reprend  :  «  Une 
seule  soutient  tout  ie  poids  du  combat. »  Calliope  se  i^ve,  et,  ras- 
semblant  ses  cheveux  enlaces  de  lierre,  elle  fait  vibrer  sa  lyre 
plaintive,  et  de  ses  accords  elle  accompagne  ce  recit : 

a  Geres  fut  ia  premiere  qui  ouvrit  la  terre  avec  ie  soc  de  ia 
charrue,  la  premiere  qui  nous  donna  le  bl^  et  des  aliments  doux; 
ce  fut  elle  aussi  qui  nous  apprit  les  lois.  Tout  est  un  bienfait  de 
Ger^.  Je  veux  chanter  ses  louanges.  Puisse-je  faire  entendre  des 
accents  dignes  d*eUeI  car  eile  est  digne  de  mes  chants.  La  grande 
He  de  Trinacrie  couvre  les  resles  d'un  Geant,  et  de  son  poids 
enorme  ecrase  Typho^e,  qui  osa  aspirer  au  celeste  sejour.  il  lutte 
contre  cette  masse,  et  s'eflbrce  mille  fois  de  se  relever.  Mais  sa 
main  droite  est  placee  sous  le  Pelore,  voisin  de  TAusonie ;  sa 

Fele  soror  Phoebi;  nivea  Saturnia  yacca;  .  330 

Pisce  Veuus  latuit;  Cyllenius  ibidis  alis.  • 

Hactenus  ad  citharam  vocalia  moverat  ora. 

«  Poscimur  Aonides;  sed  forsitan  otia  non  sunt, 

Nec  nostris  praebere  vacat  tibi  cantibus  aurcm. 

—  Ne  dubita  vestrumque  mihi  refer  ordine  curineu,  »      33S 

Palbs  ait,  nemorisque  lovi  consedit  in  unibra. 

Ijusa  refert :  «  Dedimus  summam  certaminis  uni.  » 

Surgit,  et  immissos  hedera  collecta  capillos 

Calliope  querulas  praetentat  pollice  chordas, 

Atque  hxc  percussis  subjungit  carmina  ncrvis:  oiO 

«  Prima  Cei^es  unco  glebas  dimovit  aratro; 
Prima  dedit  fruges,  alimenlaque  mitia  terris; 
Prima  dedit  leges :  Cereris  sumus  omnia  munus. 
IUa  canenda  mihi  est.  Utinam  modo  dicere  possem 
Carmina  digna  deas !  certe  dea  carmine  digna  est.  Zi^ 

Yasta  giganteis  injecta  est  insula  membris 
Trinacris,  et  magnis  subjectum  molibus  urget 
^therias  ausum  sperare  Typhoea  sedcs. 
Nititur  ille  quidem,  pugnatque  resurgere  ssepe; 
Deztra  sed  ausooio  manus  cst  subjecta  Peloro;  S50 


184  MOTAMORPUOSES. 

gauche,  sous  tes  pieds,  6  Pachynl  et  ses  janibes  sous  le  Lilybee; 
TEtna  pese  sur  sa  t^te.  Cest  par  Je  sommet  de  cette  montagne 
que  Typho^e  lance  des  tourbillons  de  sable,  et  de  sa  bouche  ter- 
rible  vomit  un  torrent  de  feu.  Souvent  il  tente  de  soulever  le  far- 
deau,  et  de  secouer  les  villes  et  les  monts  entasses  sur  son  sein. 
La  terre  tremble  sous  ses  efforts.  Le  roi  des  enfers  craint  qu'elle 
ne  soit  dediir^e  par  une  large  ouverture,  et  qu'en  penetrant  dans 
son  empire  le  jour  n'epouvante  les  ombres.  La  peur  dun  tel  des- 
astre  lui  avait  fait  quitter  son  tenebreux  palais,  et  sur  son  char, 
traine  par  de  noirs  coursiers,  il  parcourait  d'un  oeil  attentif  les 
fondements  de  la  Sicile. 

« Apres  s'^tre  assure  que  rien  ne  chancelle,  il  cesse  de  craindre. 
Tandis  qu'il  erre  de  tous  c6tes,  la  deesse  qui  regne  sur  TEryx 
rapergoit  du  haut  de  ce  mont.  Elle  embrasse  TAmour  et  lui  dit: 
a  0  toi,  mon  appui,  ma  force  et  ma  puissance,  6  mon  fils !  prends 
«  ces  traits  qui  domptent  les  coeurs,  et  frappe  d*une  fl6che  legere 
«  le  dieu  a  qui  le  sort  assigna  le  dernier  des  trois  lots  de  Fem- 
«  pire  du  monde.  Tu  subjugues  les  dieux  du  ciel  et  Jupiter  lui- 
«  ra^me,  les  divinites  de  la  mer  et  le  roi  qui  les  tient  sous  son 


Lseva,  Pachyne,  tibi;  Lilybaeo  crura  premuntur; 

Degravat  JStna  caput,  sub  qua  resupinus  arenas 

Ejectat,  flammamque  fero  vomit  pre  Typhoeus. 

Sxpe  remoiiri  luclatur  pondera  terrse, 

Oppidaque,  et  magnos  evolvere  corpore  montcs.  555 

Inde  tremit  tellus,  et  rex  pavet  ipse  silentum, 

Ke  pateat,  latoque  solum  retegatur  liiatu, 

Immissusque  dies  trepidantes  terreat  umbras. 

Hanc  metuens  cladem  tenebrosa  sede  tyrannus 

Exierat,  curruque  atrorum  vectus  equorum,  oCO 

Ambibat  siculae  caulus  fundamina  terrje, 

«  Postquam  exploratum  satis  est,  loca  nulla  labure, 
Depositique  metus,  videt  hunc  Erycina  vagantcni 
Monte  suo  residens,  nalumque  amplexa  volucrem : 
«  Arma,  maousque  mea;,  mea,  nate,  potentia,  dixit,         365 
(t  Illa  quibus  superas  omncs,  cape  tela,  Cupido, 
«  Inque  dei  peclus  celeres  molire  sagittas, 
«  Gui  triplicis  cessil  fortuna  novissima  regni. 
«  Tu  Superos,  ipsumque  Jovem,  lu  numina  pouli 
«  Victa  domas,  ipsumque  regit  qui  numina  ponti.  S70 


LIVRE  V.  185 

«  sceplre.  Pourquoi  renfer  nous  echappe-t-il?  pourquoi  ne  pas 
«  Fajouler  k  ton  empire  et  a  celui  de  ta  mere?  II  s'agit  de  la 
«  troisi^me  partie  du  monde.  Dans  le  ciei  (voilk  le  fruit  de  notre 
«  patience),  d^ja  on  nous  m^prise.  La  puissance  de  TAmour  et 
«  la  mienne  s'afiaiblissent.  Ne  vois-tu  ppint  Palias  et  Diane  rebelles 
«  a  mes  lois?  II  en  sera  de  m^me  de  la  fille  de  Ceres,  si  nous 
«  mollissons  :  elle  nourrit  celte  esperance.  0  mon  fils !  si  notre 
«  commun  empire  me  donne  quelques  droits  sur  toi»  unis  la 
«  deesse  a  son  oncle.  »  Ainsi  parla  Yenus.  Gupidon  ouvre  son 
carquois.  Au  gre  de  sa  m^re,  parmi  les  mille  fleches  qui  le  gar- 
nissent,  il  choisit  la  plus  ac^ree,  la  plus  si!^re,  la  plus  docile  k 
Timpulsion  de  son  arc.  II  le  courbe  sur  son  genou,  et  plonge  un 
trait  dans  le  coeur  de  Pluton. 

«  Non  loin  des  murs  d'Enna  est  un  lac  profond  qu'on  appelie 
Pergus.  Le  Gaystre»  dans  son  cours,  ne  retentit  pas  du  chant  de 
plus  de  cygnes.  II  est  couronne  d'arbres  qui  Tenveloppent  d'une 
ombre  epaisse  et  le  rendent  impenetrable  aux  rayons  du  soleil. 
Leur  feuillage  rdpand  une  agreable  fraicheur.  La  lerre,  toujours 
bumide,  est  emaillee  de  fleurs  brillantes.  La  r^gne  un  printemps 


<  Tartara  quid  cessanl?  Gur  non  matrisque  tuumque 

«  Imperium  profers?  Agitur  pars  tertia  mundi. 

<^t  tamen  in  coelo  (quse  jam  patienlia  noslra  est!) 

«  Spemimur,  ac  mecum  vires  teniiantur  Amoris. 

c  Pallada  nonne  vides,  jaculatricemque  Dianam  575 

«  Abscessisse  mihi?  Cereris  quoque  filia  virgo, 

«  Si  patiamur,  erit;  nam  spes  a^ectat  easdem. 

«  At  tu,  pro  socio  si  qua  est  mea  gratia  regno, 

«  Junge  deam  patruo.  »  Dixit  Yenus.  Ille  pharetram 

Solvit,  et,  arbitrio  matris,  de  mille  sagittis  380 

Unam  seposuit,  sed  qua  nec  acutior  uUa, 

Nec  minus  incerta  est,  nec  qu»  magis  audiat  arcum; 

Oppositoque  genu  curvavit  flexile  cornu, 

Inque  cor  hamata  percussit  arundine  Ditem. 

•t  Haud  procul  cnnxis  lacus  est  a  mccnibus  altae,  385 

Nomine  Pergus,  aquae.  Non  illo  plura  Caystros 
Carmina  cycnorum  labentibus  audit  in  undis. 
Silva  coronat  aquas,  cingens  latus  omne,  suisque 
Frondibus,  ut  velo,  phoebeos  »ubmovet  ictus. 
Fi^igora  dant  ram/;  tyrios  humus  humida  flores.  29Q 


186  M£TAM0RPH0SES. 

^emel.  Dans  ce  bocage  Proserpine  se  livre  a  mille  jeux.  Elle  y 
cueille  la  violette  et  ie  lis  ^clatant  de  blancheur.  Eile  s^empresse, 
comme  une  ieune  flUe,  d'en  remplir  sa  corbeille  et  son  sein ;  elle 
bnile  d'en  amasser  plus  que  ses  compagnes.  Un  seul  instant  suffit 
h  Pluton  pour  la  voir,  Faimer  et  la  ravir :  tant  Tamour  est  prompt  I 
La  d^esse  effray^e  appelle  d'une  voix  plainlive  sa  m^re  et  ses 
compagnes,  mais  plus  souvent  sa  mere.  Elle  decliire  les  longs 
plis  de  sa  robe,  et  ies  fleurs  qu'elle  a  cueillies  s'en  echappenl. 
Touchante  ing^nuit^  de  son  Sge!  cette  perte  surtout  attriste  son 
coeur  virginal.  Le  ravisseur  pr^dpite  son  char  :  il  anime  ses  cour- 
siers  en  les  designant  par  leur  nom,  et  en  secouant  sur  leur  cou 
et  sur  leur  crini^re  leurs  sombres  r^nes.  II  franchit  les  lacs  pro- 
fonds,  ies  etangs  des  Paliques  d'ou  s'exhale  Fodeur  du  soufre  qui 
bouiilonne  au  sein  de  la  terre  entr'ouverte,  et  les  champs  ou  les 
Bacchiades,  originaires  de  Corinthe,  baign^e  par  deux  mers,  as- 
sirent  une  ville  sur  des  ports  inegaux. 

«  Eiitre  Gyane  et  Ar6thuse,  sortie  de  Pise,  coule  une  mer  res- 
serree  dans  une  gorge  en  forme  de  croissant.  La  r^side  Cyane, 
qui  donna  son  nom  au  lac,  et  iut  celebre  parmi  les  Nymplies  de 

Perpetuum  ver  est.  Quo  dum  Proserpina  luco 

Ludit,  et  aut  violas,  aut  candida  lilia  carpit, 

Dumque  puellari  studio  calathosque  sinumque 

Implet,  et  aequales  cerlat  superare  legendo, 

Paene  simul  visa  est,  dilectaque,  raptaque  Dili :  595 

Usque  adeo  properatur  amor!  Dea  lerrita  moesto 

Et  matrem,  et  comites,  sed  matrem  saepius,  ore 

Glamat;  et,  ut  summa  vestem  laniarat  ab  ora, 

Gollecti  flores  tunicis  cecidere  remissis ; 

Tantaque  simplicilas  puerilibus  adfuit  annis,  400 

Hjbc  quoque  virgineum  movit  jactura  dolorem. 

Raptor  agit  currus,  et  nomine  quemque  vocatos 

Exhortatur  equos ;  quorum  per  coUa  jubasque 

Excutit  obscura  tinctas  ferrugine  habenas ; 

Perque  lacus  altos,  et  olentia  sulfure  ferlur  405 

Stagna  Palicorum,  rupta  ferventia  terra; 

Et  qua  BacchiadaB,  bimari  gens  orta  Corintho, 

Inler  inaequales  posuerunt  moenia  portus. 

«  Est  medium  Cyanes,  et  pisxae  Arethusai, 
Quod  coit  angustis  inclusum  cornibus  ajquor.  410 

Hic  fuit,  a  cujus  stagnum  quoque  nomine  diclum  osr, 
Jnler  sicelidas  Cyane  celeberrima  Nympha*;, 


LIVRE  V.  187 

Sicile.  Elle  se  montre  au-dessus  des  flots  jusqu*k  la  ceinture  et 
reconnait  le  dieu  :  «  Yous  n'irez  pas  plus  loin,  dit-elie.  Vous  ne 
«pouvez,  en  depit  de  G^r^s,  devenir  son  gendre.  II  failait  demander 
«  Proserpine  et  non  la  ravir.  S'il  m^est  permis  de  comparer  le  petit 
«  au  grand,  moi  aussi  je  fus  aim^e  d'Anapis.  Mais,  si  je  lui  donnai  ma 
«  main,  je  c6dai  a  sesprieres,  et  non,  comme  ce!le-ci,  a  la  peur.  » 
Elle  dit,  et,  etendant  ses  bras,  elle  s'oppose  a  la  marche  de  PIu- 
ton.  Le  fils  de  Satume  ne  peut  contenir  sa  colere.  U  presse  ses 
terribles  coursiers,  et  d'un  bras  vigoureux  plonge  son  sceptre  au 
fdnd  des  eaux..  La  terre  ^branlee  lui  ouvre  un  chemin  jusqu'au 
Tartare,  ct  re^oit.son  char,  qui  s'engIoutit  dans  Tabime.  Gyane  d^ 
plore  Fenl^vement  de  la  deesse  et  rinjure  faite  k  son  onde.  EUe 
renferme  dans  son  coeur  sa  douleur  inconsolable,  fond  en  larmes 
et  s'evanouit  dans  ces  m^mes  eaux,  placees  nagu^re  sous  sa  garde 
inviolable.  Ses  membi^es  s'amollissent,  ses  os  deviennentflexibles, 
et  ses  ongles  perdent  leur  duret^;  les  parties  les  plus  souples  de 
son  corps,  sescheveuxnoirs,  ses  doigts,  ses  jambes,  ses  pieds,  sont 
les  premi^res  qui  deviennent  liquides ;  car,  pour  ces  membres 
d^ies,  la  m^tamorphose  en  une  onde  fraiche  est  rapide.  Ensuite 

Gurgile  quae  medio  summa  tenus  exstitit  alvo, 

Agnovitque  deum  :     Nec  longius  ibitis,  inquit. 

<  NoD  potes  inTitae  Gereris  gener  esse.  Boganda,  415 

«  Non  rapienda  fuit.  Quod  si  compQnere  magnis 

«  Parva  mihi  fas  est,  et  me  dilexit  Anapis. 

«  Eiorata  tamen,  nec,  ut  heec,  exterrita  nupsi.  » 

Dixit,  et,  in  partes  diversas  brachia  tendens, 

Obstitit.  Haud  ullra  tenuit  Saturnius  iram,  490 

Terribilesque  hortatus  equos,  in  gurgitis  ima 

Contortum  valido  sceptrum  regale  lacerto 

Gondidit.  Icta  viam  tellus  in  Tartara  fecit, 

Et  pronos  currus  medio  cratere  recepit. 

At  Gyane,  raplamque  deam,  contemplaque  fontis  425 

Jura  sui  moerens,  inconsolabile  vulnus 

Mente  gerit  tacita,  lacrymisque  absumitur  omnis; 

Et  quarum  fuerat  magnum  modo  numen,  in  illas 

Extenuatur  aquas.  Moliiri  membra  videres, 

Ossa  pati  flexus,  ungues  posuisse  rigorem.  430 

Primaque  de  tota  tenuissima  quseque  liquescunt, 

Gaerulei  crines,  digitique,  et  crura,  pedesque ; 

Nam  brevis  in  gelidas  membrisexilibus  undas 


188  M^TAMORPHOSES. 

son  dos,  ses  ^paules,  ses  ilancs,  son  sein,  se  transforment  en  petits 
ruisseaux;  enfin  le  sang  s'eclaircit  dans  ses  veines  et  se  change 
en  eau  :  ii  ne  reste  plus  rien  que  la  main  puisse  saisir. 

«  Gependant  la  mere  de  Proserpine,  inquiete  sur  le  sort  de  sa 
fille,  la  cherche  en  vain  dans  toutes  les  contr^s  de  la  terre  et 
jusqu'au  sein  des  flots.  Ni  Taurore,  deployant  sa  chevelure  ver- 
roeiile,  ni  Yespe  me  Tont  vue  s'arr6ter.  Eile  arrae  ses  mains  d'un 
tison  allum^  dans  TEtna,  et  le  porte  sans  rel^che  au  milieu  des 
froides  tenebres.  Quand  le  soleil  a  efTac^  la  clarte  des  etoiles,  elle 
cberche  sa  fille,  depuis  les  rdgions  ou  cet  astre  se  leve  jusque  dans 
les  oontr^es  ou  il  se  couche.  Accablee  de  fatigue,  elle  eprouve 
une  soif  brdlante,  et  aucune  source  ne  s^offre  pour  Teteindre.  En 
ce  moment  elle  aper^itune  cabane  cachee  sous  le  chaume,  et 
frappe  k  sa  modeste  porte.  Une  vieille  sort  et  voit  la  deesse,  qui 
lui  demande  k  boire.  Eiie  lui  offre  un  doux  breuvage,  compose 
d'eau  et  de  farine  s^ch^  au  feu.  Tandis  que  G6r^  se  desalterait, 
un  enfant,  a  Tair  dur  et  insolent,  s'arr^ta  devant  elle,  et  se  prit  a 
rire  en  Tappelant  gourmande.  La  deesse  en  fut  offensee.  Avant 
d'achever  ce  breuvage,  Ger^s  jette  le  reste  sur  Tenfant  qui  parlait 

Transitus  est.  Post  haec  tergumque,  humcrique,  latusque, 
Pectoraque  in  tenues  abeunt  evanida  rivos.  435 

Denique  pro  vivo  Titiatas  sanguine  venas 
Ljfflpha  subit,  restatque  nihil  quod  prendere  possis. 

c  Interea  pavidaa  nequicquam  lllia  matri 
Omnibus  est  terris,  omni  quaesita  proruudo. 
iUam  non  rutilis  veniens  Aurora  capillis  440 

Cessantem  vidit,  non  Hesperus.  lUa  duabus 
Flammifera  pinus  manibus  succendit  ab  iElna, 
Perque  pruinosas  tuUt  irrequiefa  tenebras. 
Rursus,  ut  alma  dies  hcbetarat  sidera,  natam 
Solis  ad  occasum,  solis  quxrebat  ab  ortu.  445 

Fessa  labore  sitim  coilegerat,  oraque  nuUi 
CbUuerant  fontes,  quum  tectam  stramine  vidit 
Forte  casam,  parvasqne  fores  pulsavit.  At  inde 
Prodit  anus,  divamque  videt,  lymphamque  roganti 
Dulce  dedit,  tosta  quod  coxerat  ante  polenta.  450 

Dum  bibit  iUa  datum,  duri  puer  oris  el  audaz 
Constilit  ante  deam,  risitque,  avidamque  vocavit. 
OfTensa  est,  neque  adhuc  epota  parle,  loquentem 
Cum  liqnido  mixta  perfudit  diva  polenta. 


LIVRE  V.  189 

ei.core.  Soudain  sa  figure  se  couvrit  de  taches ;  ses  bras  firent 
place  a  deux  pattes,  et  une  queue  termina  son  corps.  Rapetiss^, 
pour  qu'il  ne  piit  nuire,  il  n'6tait  plus  qu  un  lezard.  La  vieille, 
surprise  de  cette  metamorphose,  versa  des  pleurs  et  voulut  porler 
sa  main  sur  lui.  Mais  il  s'enfuit  dans  un  endroit  obscur  et  re^ut 
le  nom  de  Stellion,  qui  convient  a  la  couleur  de  sa  peau  parsem^e 
d'etoiles. 

«  II  serait  trop  long  de  dire  quelles  terres  et  quelles  mers  gar^ 
courut  )a  deesse.  L'univers  manquait  a  ses  redierches.  EUe  re* 
vient  en  Sicile,  et,  Texplorant  de  nouveau,  elle  arrive  aupres  de 
Cyane.  Si  cette  Nymphe  n'avait  et^  transformee,  elle  aurait  tout 
raconte.  Mais  elle  essaye  en  vain  de  parler :  elle  n'a  plus  ni  bouche, 
ni  langue,  ni  aucun  moyen  de  se  faire  entendre.  Elle  donne  pour- 
tant  des  indices  certains  en  montrant  a  la  deesse  la  ceinture  de  sa 
fille,  qui,  tombee  par  hasard  dans  l'onde  sacree,  flolte  a  sa  surface. 
Ceres  la  reconnait  aussit6t.  Alors,  comme  si  elle  apprenait  pour 
la  premiere  fois  Tenl^vement  de  Proserpine,  elle  arrache  ses  che- 
veux  ^pars,  et  se  frappe  le  sein  k  coups  redoubles.  Elle  ne  sait 
encore  ou  est  sa  fille,  et  cependant  elle  se  plaint  de  la  terre  en- 


Combibitos  maculas,  et,  qua  modo  brachia  gessit,  -ioo 

Cnira  gerit;  cauda  est  mutatis  addiia  membris; 
Inque  brevem  formam,  ne  sit  vis  magna  nocendi, 
Conlrahitur;  parvaque  minor  mensura  lacerta  est. 
Mirantem,  flentemque,  et  tangere  monstra  parantcm 
Fugit  anum,  latebramque  petit;  aptumque  colori  4G0 

Nomen  babet,  variis  stellatus  corpora  guttis. 

«  Quas  dea  per  terras,  et  quas  erraverit  undas, 
Dicere  longa  mora  est:  quairenti  defuit  orbis. 
Sicaniam  repetit,  dumque  omnia  lustrat  eundo, 
Venit  et  ad  Cyanen.  Ea,  ni  mutata  fuisset,  465 

Omnia  narrasset;  sed  et  os.  et  lingua  volenti 
Dicere  non  aderant,  nec,  quo  loqueretur,  habebat. 
Signa  tamen  manifesta  dcdit,  notamque  parenti, 
Illo  forte  loco  delapsam  gurgite  sacro, 
Persephones  zonam  summis  ostendit  in  undis.  .S70 

Quam  simul  aguovit,  tanquam  tum  denique  raplnm 
Scisset,  inornatos  laniavit  diva  capillos, 
Et  repetita  suis  percussit  pectora  palmis. 
Nfc  srit  adhuc,  uhi  sit,  terras  tamcn  increpatomnes; 

\U 


190  MfiTAMORPHOSES. 

li^re,  Taccuse  d'ingratilude,  et  la  declare  indigne  de  la  fecon- 
dile  qu^elle  lui  donne.  Elle  accuse  surtout  la  Trinacrie,  ou  elle 
trouve  la  trace  de  son  raalheur.  Sa  main  irrit^e  brise  les  char- 
rues  qui  retournent  la  terre.  Dans  son  courroux,  elle  fait  ega- 
lement  perir  le  laboureur  et  le  boeuf,  compagnon  de  ses  Iravaux; 
elle  defend  aux  sillons  de  rendre  le  grain  qui  leur  fut  confie,  et 
le  corromptjusquedanssongerme.  La  fertilite  de  ces  campagnes, 
vanjee  dans  runivers,  s'6puise  a  Tinstant.  Des  sa  naissance,  le  ble 
expire,  tantdt  sous  les  rayons  briilants  du  soleil,  tantdt  sous  des 
torrents  de  pluie.  Les  astres,  les  vents,  exercent  une  maligne  in- 
fluence.  Des  oiseaux  affam^s  devorent  les  grains  d^poses  dans  la 
terre.  L^ivraie,  le  chardon  et  le  funeste  chiendent  etouffent  les 
moissons. 

«  En  ce  moment  Ar6thuse  leve  la  t^te  au-dessus  de  ses  eaux 
qui  d'abord  ont  arros6  Tfilide.  Elle  ^^carte  de  son  front  sa  che- 
velure  humide ,  et  dit :  0  vous  qui  avez  cherche  Proserpine , 
«  votre  fille,  dans  runivers  entier,  vous,  mere  de  tous  les  fruits, 
«  mettez  un  terme  a  vos  immenses  fatigues,  et  ne  poursuivez  pas 
«  de  vos  terribles  vengeances  une  contree  fid^le.  EUe  ne  les  a 
«  pas  meritte  :  c'est  contre  son  gre  qu'elle  a  livr6  passage  au 


Ingratasque  vocat,  nec  frugura  rauneie  dignas,  473 

Trinacriam  ante  alias,  in  qua  vestigia  damni 

Repperit.  Ergo  illic  sseva  vertentia  glebas 

Fregit  aralra  manu,  parilique  irala  colonos 

Ruricolasque  boves  lelho  dedit,  arvaque  jussit 

Fallere  depositum,  vitialaque  semina  fecit.  480 

Fertilitas  terrae,  latum  vulgata  per  orbem, 

Cassa  jacet.  Primis  segstes  moriuntur  in  herbis ; 

Et  raodo  sol  nimius,  nimius  modo  corripit  imber; 

Sideraque,  ventique  nocent,  avidaeque  volucres 

Semina  jacta  legunt;  lolium,  tribulique  fatiganl  485 

Triticeas  messes,  et  inexpugnabile  gramen. 

«  Tum  caput  eleis  Alpheias  extulit  undis, 

Rorantesque  comas  a  fronte  removit  ad  aures, 

Atque  ait :  «  0  toto  quaesitsB  virginis  orbe, 

«  Et  frugura  genitrix,  immensos  sisle  labores,  490 

«  Neve  libi  fidae  violenla  irascerc  terrac, 

«  Terra  nihil  raeniit,  paluitque  invita  rapinie. 


LIVRE  T.  491 

c  raTisseur.  Si  je  tous  implore,  ce  n'est  point  pour  ma  patrie. 

•  Ici  je  suis  etrang^re ;  ma  patrie  est  Pise.  Sortie  de  l'£lide,  j'ai 

•  trouvS  dans  la  Sicile  une  hospitalit^  qui  me  Ta  rendue  plus 
«  chere  que  toute  autre  contree;  et,  sous  le  nom  d'Ar6tlmse,  j'y 
«  ai  fixe  mes  p^nates;  j'en  ai  fait  mon  sejour.  Apaisez  TOtre  co* 
c  l^re  et  daignez  T^pargner.  Je  pourrai  plus  tard  yous  raconter 
«  comment  je  chsmge  de  demeure,  comment,  me  frayant  une 
«  route  sous  les  mers,  j'arrive  jusqu'a  Ortygie.  Mais,  avant 
«  tout,  bannissez  vos  soucis  et  reprenez  votre  calme.  La  terre 
if  m'o£Fre  un  cbemin  dans  ses  antres  profonds,  et,  apr^s  les  avoir 
«  traverses,  je  rel^ve  ma  tSle  en  ce  lieu,  ou  je  revois  les  aslres  qui 
«  s'^laient  d^rob^  a  mes  regards.  En  roulant  mes  eaux  dans  ces 
«  r6gions  soulerraines,  pres  des  gouffres  du  Styx,  j'ai  vu  votre  fille. 
«  Eile  etait  triste,  et  portait  encore  dans  ses  traits  rempreinte  de 
«  la  frayeur.  Mais  elle  regne ;  elle  est  la  souveraine  du  t^^breux 
' «  empire,  la  puissante  compagne  du  dieu  des  enfers.  » 

«  A  ces  mots,  Geres,  immobile  comme  un  marbre,  reste  long- 
temps  plongee  dans  la  stupeur.  Lorsque  le  d^lire  a  fait  place  a  sa 
douleur  profonde,  elieremonte  sursonchar,  etse  dirigeversles 


«  Nec  sum  pro  patria  supplex  :  huc  hospita  veni. 

c  Pisa  mibi  patria  est,  et  ab  Elide  diicimus  ortum. 

«  Sicaniam  peregrina  colo;  sed  gralior  omni  495 

«  Hsec  mihi  terra  solo  est.  Hos  nunc  Arethusa  penates, 

«  Hanc  habeo  sedem,  quam  tu,  mitissima,  serva. 

«  Mota  loco  cur  sim,  tantique  per  sequoris  undas 

«  Advehar  Ortygiam,  veniet  narratibus  hora 

«  Tempestiva  meis,  quum  tu  curisque  levata,  500 

«  Et  vullus  melioris  eris.  Mihi  pervia  tellus 

«  Praebet  iter,  subterque  imas  ablata  cavernas 

«  flic  caput  altoUo,  desuetaque  sldera  cemo. 

«  Ergo,  dum  stygio  sub  terris  gurgile  labor, 

«  Visa  tua  est  oculis  illic  Proserpina  nostris,  50S 

<  Illa  quidem  tristis,  nec  adhuc  interrita  vultu, 

«  Sed  regina  tamen,  sed  opaci  masima  mundi, 

«  Sed  tamen  inferni  pollens  matrona  tyranni.  » 

«  Mater  ad  auditas  stupuit,  ceu  saxea  voces, 
Attonitseque  diu  similis  fuit.  Utque  dolore  510 

Pulsa  gravi  gravis  est  amentia,  curribus  aurat 


198  METAMORPHOSES. 

deuz.  Le  visage  baign6  de  pleurs,  les  cheveux  epars  et  )e  d^s- 
espoir  dans  Vime,  elle  s'arrSte  devant  Jupiter  :  «  Cest  pour 
•  mon  sang  et  pour  le  tien  que  je  viens  Timplorer,  dit-elle.  Si 
i  la  voix  d'une  mere  est  impuissante,  que  ie  sort  de  ma  fiUe 
«  touche  son  p^re.  Je  t'en  conjure,  quoique  je  lui  aie  donne  le 
«  jour,  ne  sois  pas  indifKrent  a  son  malheur.  Apres  de  longues 
«  recherches,  je  Fai  enfin  retrouvee,  si,  a  tes  yeux,  c'est  la  re« 
«  trouver  qu'6tre  plus  certaine  de  Tavoir  perdue ;  si  c'est  la  re- 
«  trouver  que  savoir  oii  elle  est.  Que  ma  fille  me  soit  rendue;  je 
«  ne  me  plaindrai  point  de  son  enlevement;  car  ia  fille  de  Jupiter 
«  ne  doit  pas  Stre  l'^pouse  d'un  ravisseur,  si  toutefois  ma  fille 
«  a  encore  quelque  droit.  »  Jupiter  lui  repond  :  «  Eile  est  tou- 
«  jours  ie  gage  de  notre  tendresse  et  l'objet  de  notre  sollicilude. 
«  Mais  donnons  aux  choses  leur  veritable  nom.  Cet  enlevement 
«  n'est  pas  un  outrage;  il  est  plut6t  Toeuvre  de  Tamour.  Nous 
«  n'aurons  pas  a  rougir  d'un  iel  gendre,  si  tu  consens  a  Taccepter, 
«  6  deesse!  Sans  parler  de  ses  autres  tilres,  quelle  prerogative 
«  d'avoir  Jupiter  pour  fr^re!  Que  dis-je?  rien  ne  lui  manque.  Le 
«  sort  seul  Ta  plac^  au-dessous  de  moi.  Cependant,  si  tu  as  vive- 
«  ment  k  coeur  d'arracher  ta  fille  de  ses  bras,  elle  rentrera  dans 


Exit  in  aelh/erias.  Ibi  toto  nubila  vultu 

Anle  Jovem  passis  stetit  invidiosa  capillis: 

«  Proque  meo  supplex  venio  tibi,  Jupiter,  inquit. 

«  Sanguine,  proque  tuo.  Si  nuUa  est  gratia  matri:»,  515 

«  Nata  patrem  moveat;  neu  sit  tibi  cura,  precamur, 

«  Yilior  illiiis,  quod  nostro  est  edita  partu. 

«  En,  quaesita  diu  tandem  mihi  nata  reperta  est, 

«  Si  reperire  vocas,  amittere  certius;  aut  si, 

«  Scire  ubi  sit,  reperire  vocas.  Quod  rapla,  feremus,        520 

«  Dummodo  reddat  eam;  neque  enim  praedone  marito 

«  Filia  digna  tua  est,  si  jam  mea  filia  digna  est.  » 

Jupiter  excepit :  «  Commune  est  pignus  onusque 

c  Nata  mihi  tecum.  Sed,  si  modo  nomina  rebus 

«  Addere  vera  placet,  non  hoc  injuria  factum,  525 

«  Vernm  amor  est.  Neque  erit  nobis  gener  ille  pudori; 

«  Tu  modo,  diva,  velis.  Ut  desint  caetera,  quantum  esi 

«  Esse  Jovis  fratrem!  Quid,  quod  nec  csetera  desunt, 

«  Nec  cedit  nisi  sorte  mihi.  Sed  tanta  cupido 

«  Si  tibi  discidii  est,  repetet  Proserpina  cGelum,  530 


LIVRE  V.  m 

f  rempire  celeste,  pourvu  qu'aux  enfers  aucun  aliroent  n'ait  ap* 
•  proche  de  ses  levres.  Tel  est  i'arr6t  des  Parques.  • 

8  11  dit.  Ger^s  est  decid^e  a  raroener  sa  fille  de  i'empire  de  PIu- 
ton;  mais  les  Destins  s'y  opposent.  Proserpine  avait  enfreint  la 
loi  qui  lui  interdisait  totile  nourriture.  En  parcourant  les  jardins 
du  Tartare,  elle  avait  innocemment  cueilli  une  grenade  sur  un 
arbre  charge  de  fruits,  et  mange  sept  graines  tirees  de  sa  pSIe 
ecorce.  Ascalaphe  seul  en  avait  ete  t^moin.  Celebre  parmi  les 
Nympbes  de  1'Aveme,  Orpbne,  aimee  de  i'Acheron,  lui  donna, 
dit-on,  le  jour  dans  une  grolte  sombre.  II  avait  vu  Proserpine, 
et,  par  une  cruelle  revelation,  il  empScha  son  retour.  La  reine 
de  l'Erebe  indign^  changea  le  delateur  en  biseau  sinistre,  arrosn 
son  frontde  Teau  du  Phlegethon,  et  lui  donna  un  bec,  des  plumes, 
et  de  grands  yeux.  Depouille  de  sa  premi^re  forme,  il  se  couvrit 
d'ailes  fauves.  Sa  t6te  grossit,  ses  ongles  s'allong6rent  et  prirent 
une  forme  recourbee.  A  peii\e  agite-t-il  les  ailes  paresseuses  qui 
remplacent  ses  bras.  II  n'est  plus  qu'un  oiseau  hideux,  proph^te 
de  malheuf,  un  triste  hibou,  messager  de  funestes  pr^sages. 

«  Du  moins  Ascalaphe  peut  paraitre  avoir  merile  un  pareil  cliA- 

•  Lege  tamen  certa,  si  nullos  contigit  illic 

•  Ore  cibos;  nam  sic  Parcarum  fGedere  caulum  est.  » 
«  Dixerat.  At  Cereri  certum  est  educere  natam. 

Non  ita  fata  sinunt,  quoniam  jejunia  virgo 

SoWerat,  et  cullis  dum  siraplex  errat  in  hortis,  555 

Puniceum  curva  decerpserat  arbore  pomum, 

Sumplaque  pallenti  seplem  de  cortice  grana 

Presserat  ore  suo.  Solusque  ex  omnibus  illud 

Viderat  Ascalaphus,  quem  quopdam  dicitur  Orphne 

Inter  avernales  haud  ignotissima  Nymphas,  •i40 

Ex  Acheronle  suo  furvis  peperisse  sub  antris. 

Vidit,  et  indicio  reditum  crudelis  ademit. 

Ingemuit  regina  Erebi,  testemque  profanam 

Fecit  avem,  sparsumque  caput  phlegelbontide  lymplia 

rosirum,  et  plumas,  ct  grandia  lumina  vertit.  545 

iUe  sibi  ablatus  fulvis  amicitur  ab  alis; 
Inque  caput  crescit,  longosque  reflectilur  ungues, 
Vixque  movet  natas  per  inertia  brachia  pennas; 
Fcedaque  fit  volucris,  venturi  nuntia  luctus, 
Ignavus  bubo,  dirum  morlalibus  omen.  550 

«  Ilic  tamon  indicio  pocnum,  linguaque  videri 


194  METAHORPIIOSES. 

timentparsesrevelations  indiscretes.  Maisvous,  filles  d'Achelous, 
pourquoi  ces  ailes  et  ces  pieds  d'oiseaux  avec  vos  traits  de  vierges? 
Serait-ce  parce  qu'au  moment  ou  Proserpine  cueillait  les  fleurs  du 
printemps  vous  formiez  son  cortege,  6  Sirenesl  Vous  Taviez  en 
vain  cherchee  sur  toule  la  terre.  La  mer  devait  6tre  aussi  temoin 
de  votre  soUicitude,  et  vous  desir&tes  pouvoir  traverser  les  flots, 
soutenues  par  des  ailes  comme  par  des  rames.  Les  dieux  vous 
exaucerent.  Vous  vites  soudain  votre  corps  se  couvrir  de  plumes; 
et,  pour  que  votre  chant,  fait  pour  charmer  les  oreilles,  ainsi  que 
votre  eloquence  ne  fussent  point  perdus,  vous  conservates  vos 
traits  de  vierges  et  la  voix  humaine. 

«  Arbitre  entre  son  frere  et  sa  soeur  infortun^e,  Jupiter  divisa 
Tannee  en  deux  portions  egales,  et  ordonna  que  Proserpine,  tour 
a  tour  divinite  dans  deux  empires,  passerait  six  mois  aupres  de 
sa  mere  et  six  autres  aupres  de  son  epoux.  Tout  a  coup  un  chan- 
gement  s'opere  dans  l'^me  et  sur  les  traits  de  Ceres.  Naguere  son 
front  pouvait  paraitre  triste,  meme  a  Pluton.  Des  ce  moment,  la 
joie  repanouit.  Tel  le  soleii,  d'abord  couvert  d'un  epais  nuage, 
6e  montre  radicux,  quand  il  est  degage  du  voile  qui  renveloppait. 


Commeruisse  potest.  Vobis,  Acheloides,  unde 

Pluma  pedesque  avium,  quum  virginis  ora  geratis? 

An  quia,  quum  legeret  vernos  Proserpiiia  flores, 

In  comitum  numero  mixUe,  Sirenes,  eratis?  5fiJi 

Quam  postquam  toto  frustra  quassistis  in  orbe, 

Protinus  ut  vestram  scntirent  aequora  curam, 

Posse  super  fluctus  alarum  insistere  remis 

Optastis ;  faciiesque  deos  habuistis,  et  artus 

Viditilis  vestros  subitis  flavcscere  pennis.  5C0 

^ie  tamen  ille  canor,  mulcendas  natus  ad  aures, 

Tantaque  dos  oris  linguae  deperderet  usum, 

Virginei  vultus,  et  vox  bumana  remansit. 

«  At  medius  fratrisque  sui  mffistaeque  sororis 
Jupiter  ex  sequo  volventem  dividit  annum.  565 

Munc  dea,  regnorum  numcn  commune  duorum, 
Cum  matre  est  totidem,  totidem  cum  conjuge  mcnses. 
Vertitur  extemplo  facies,  et  mentis,  et  oris. 
Nam,  modo  quas  poterat  Dili  quoque  moesta  videri, 
La^ta  desn  frons  est,  ut  sol,  qui  tectus  aquosis  570 

Nubibus  ante  fuit,  victis  ubi  nubibus  exil. 


LTVRE  V.  m 

fl  La  bienfaisante  C^res,  aprSs  avoir  retrouv^  sa  iille  sans 
crainte  de  la  perdre  une  seconde  fois,  veut  savoir,  Ar6thuse,  quel 
est  le  motif  de  ton  voyage,  et  pourquoi  tu  es  une  source  sacree. 
Ses  ondes  se  taisent.  La  Naiade  leve  sa  tdle  au-dessus  des  flots. 
De  sa  main  elle  essuie  ses  cheveux  d'azur,  et  raconte  les  anciennes 
amours  d'Alphee :  «  Je  fus  une  des  Nyniphes  qui  hahitent  TA- 
«  chaie,  dit-elle.  Aucune  autre  ne  montra  plus  d'ardeur  pour  chas- 

<  ser  dans  les  bois,  ni  pourtendre  les  filets.  Jamais  je  n'ambi* 
«  tionnai  la  gloire  de  la  beaule ;  je  n'aspirais  qu'^  celle  du  cou- 
«  rage.  Gependant  je  passais  pour  belle ;  mais  je  n'aimais  point 
«  les  louanges  prodiguees  a  mes  allraits;  et,  tandis  que  les  autres 
«  Nymplies  s'enorgueillissaient  de  leurs  charmes,  dans  ma  simpli- 
«  cite,  je  rougissais  des  miens  :  plaire  etait  un  crime  a  mes  yeux. 

<  Excedee  de  fatigue,  je  revenais,  il  m*en  souvient,  de  la  for^t 
«  de  Stymphale.  La  chaleur  etait  extrtoe,  et  ma  lassitude  la  ren- 

<  dait  plus  accablante  encore.  Je  renconti^ai  un  ruisseau  qui  rou- 

<  lait  lentement  et  sans  murmure.  II  etait  si  transparent  jusqu'au 
«  fond  de  son  lit,  que,  dans  son  imperceptible  cours,  on  pouvait 
«  y  compter  les  cailloux  disperses  sur  le  sable.  Des  saules  et  des 
a  peupliers,  humectes  de  ses  eaux,  r^pandaient  sur  la  rive  inclin^ 

c  Exigit  alma  Ceres,  nata  secura  recepla, 
QuiB  tibi  causa  vise?  cur  sis,  Arethusa,  sacer  fons? 
Conticuere  undae.  Quarum  dea  sustulit  alto 
Fonte  caput,  viridesque  manu  sicc.ata  capillos  *  575 

Fluminis  elei  veteres  narravit  amores  : 
«  Pars  ego  Nympharum,  quae  sunt  in  Achaide,  dixit, 
«  Una  fui;  nec  me  studiosius  altera  saltus 
«  Lcgit,  nec  posuit  sludiosius  altera  casses. 
(t  Sed,  quamvis  formis  nunquam  mihi  fama  petita  est,       1^0 
«  Quamvis  fortis  eram,  formosaB  nomen  habebam. 
«  Nec  mea  me  facies  nimium  laudata  juvabat; 
•r  Quaque  alisB  gaudere  solent,  ego  rustlca  dote 
«  Gorporis  erubui,  crimenque  placere  putavi. 
«  Lassa  revertebar,  mcmini,  stymphalide  silva.  !>85       ' 

«  ^stus  erat,  magnumque  labor  geminaverat  aestum. 
4  Invenio  sine  vortice  aquas,  sine  murmure  euntes, 
«  Perspicuas  imo,  per  quas  numerabilis  alte 
«  Calculus  omnis  erat;  quas  tu  vix  ire  putares. 
«  Cana  salicta  dabant,  nutritaque  populus  unda,  bJO 

«  Sponte  sua  natas  ripis  declivibus  umbras. 


19«  MtTAMORPHOSES. 

<  un  ombrage  naturel.  J'approchai,  et  d'abord  je  mouillai  dans 
«  Tonde  la  planle  de  mes  pieds.  Ensuiie  je  me  baignai  jusqu'au 
«  genou.  Cetait  trop  peu  :  je  d6tachai  mes  I^ers  vfelements,  je 
«  les  suspendis  aux  saules  flexibles,  et  je  me  plongeai  nue  au 
«  sein  de  Teau.  Je  la  frappai  de  mes  mains,  je  la  divisai  de  mille 
«  fagons  en  me  jouant,  et  j'agitai  mes  bras  dans  tous  les  sens. 
«  J'entendis  sortir  du  ruisseau  je  ne  sais  quel  bruit.  Saisie  d'ef- 
«  froi,  je  m'arr6tai  pres  du  bord  voisin  :  Oufuis-tu,Arethuse?  me 
«  dit  Alph^e  du  milieu  de  ses  eaux;  ou  fuis-tu?  repete  sa  voix 
«  sourde.  Je  m'echappai  sans  vStements  :  ils  etaient  sur  la  rive 
«  opposee.  II  me  poursuit  et  br6le  davantage.  L'elat  ou  il  m'a 
«  surprise  lui  paraft  propice  h  ses  desirs.  PIus  je  me  hdte,  plus, 
«  dans  son  d^Iire,  il  me  presse  vivemenl.  Ainsi  la  colombe,  d'une 
«  aile  tremblante,  fuit  T^pervier;  ainsi  Tepervier  serre  de  pres  la 
«  colombe  tremblante.  Mes  forces  me  suffisaient  encore  pour  pe- 
«  n^trer  jusqu'aux  murs  d'Orchom^ne  et  de  Psophis.  Je  franchis 
«  le  Cyllene,  les  vallons  du  Menale,  le  frais  firymanthe,  et  j'ar- 
«  rivai  dans  TEIIide.  Alphee  n'^tait  pas  plus  agile  que  moi ;  mais  je 
«  ne  pouvais  longtemps  soutenir  ma  course  fugitive  :  mes  forces 
«  s'epuisaienty  tandis  que  mon  amant  etait  accoutume  h  de  lon* 

«  Accessi  primuraque  pedis  vestigia  tinxi ; 
«  Poplite  deindo  tenus.  Neque  eo  contenta,  recingor, 
«  MoUiaque  impono  salid  velamina  curvae, 
«  Nudaque  mergor  aquis.  Quas  dum  ferioque  trahoquo      tiOo 
«  Blille  modis  labens,  excussaque  brachia  jacto, 
«  Nescio  quod  medio  sensi  sub  gurgile  murraur, 
«  Territaque  insisto  propioris  margine  ripae. 
«  Quo  properas,  Arethusa?  suis  Alpheus  ab  undis, 
«  Quo  properas?  iterum  rauco  mihi  dixerat  ore.  GOO 

«  Sicut  eram,  fugio  sine  vestibus.  Altera  vestcs 
«  Ripa  meas  habuit.  Tanto  magis  instat  ct  ardel; 
«  Et  quia  nuda  fui,  sum  visa  paratior  illi. 
«  Sic  ego  currebam,  sic  me  ferus  ille  premebat, 
*        «  Ut  fugere  accipitrem  penna  trepidante  columbae,  603 

«  Ut  solet  accipiter  trepidas  agilare  columbas. 
«  Usque  sub  Orchomenon,  Psophidaque,  Cyllenenque, 
«  Msenaliosque  sinus,  gelidumque  Erimanthon,  et  Elin 
«  Gurrere  sustinui.  Nec  me  velocior  ille; 
«  Sed  tolerare  diu  cursus  ego,  viribus  impar,  ClO 

«  Non  poteram^  longi  paUfHs  erat  ille  laboris. 


LIVRE  V.  197 

«  guas  fatigues.  Cependant  je  courus  a  travers  des  plaines,  des 
«  montagnescouronnees  de  forfets,  despierres,  des  rochers  et  des 
«  lieux  sans  chemin. 

«  Le  soleil  6tait  derriere  moi.  Je  vis  une  grande  ombre  pre- 
«  c^er  mes  pas.  Peut-6tre  etait-ce  une  illusiori  n6e  de  la  peur; 
«  mais  certainement  j'entendis  avec  effroi  la  marche  bruyante 
«  d'AIphee,  et  je  sentis  le  souffle  imp^tueux  de  sa  bouche  sur  la 
«  bandelette  qui  nouait  mes  cheveux.  Harass^  de  fatigue,  je 
«  m'ecriai  :  Dictynne,  je  suis  surprise.  Vole  au  secours  de  la 
«  Nymphe  chargee  de  porter  tes  armes,  celle  a  qui  tu  confias  sou- 
«  vent  ton  arc,  tes  fleches  et  ton  carquois.  »  La  deesse,  touchee 
«  de  ma  pri^re,  jette  sur  moi  un  des  nuages  dont  elle  ^tait  char- 
«  gee.  A  peine  en  suis-je  enveloppee,  que  le  fleuve  me  cherche 
«  dans  ses  flancs  cavemeux.  Deux  fois,  sans  le  savoir,  il  tourne 
«  autour  de  moi;  deux  fois  il  ra^appelle  ;  Ar^thuse,  Ar^lhuse! 
«  Quels  sentiments  s'eleverent  alors  dans  mon  kme  troublee!  Je 
«  fus  comme  la  brebis  qui,  au  fond  de  son  ^table,  entend  les 
«  loups  fremir;  ou  comme  le  li^vre  qui,  blotlisous  un  buisson, 
«  voit  ia  meute  ennemie  sans  oser  faire  le  plus  leger  mouvement. 
«  Alphee  pe  s'eloigne  pas  encore,  parce  qu'ii  n^apergoit  au  dela 


c  Per  tamen  et  campos,  per  operlos  arbore  montes, 
«  Saxa  quoque  et  rupes,  et  qua  via  nllla,  cucurri. 

«  Sol  erat  a  tergo.  Vidi  praecedere  longam 
«  Ante  pedes  umbram,  nisi  si  timor  illa  videbat;  Cl^ 

«  Sed  certe  sonituque  pedum  terrehar,  et  ingens 
«  Crinales  vittas  afDabat  anhelitus  oris. 
«  Fessa  labore  fugae:  «  Fer  opem,  deprendimur,  inquam 
«  Armigerae,  Dictynna,  tuae,  cui  saipe  dedisti 
«  Ferre  tuos  arcus,  inclusaque  tela  pharetra.  »  629 

«  Mota  dea  est,  spissisque  ferens  e  nubibus  unam 
«  Me  super  injecit.  Lustrat  caligine  tectam 
«  Amnis,  et  ignarus  circum  cava  nubiia  quserit, 
«  Bisque  locum,  quo  me  dea  texcrat,  inscius  ambit, 
«  Et  bis,  lo  Arethusa,  lo  Aretbusa,  vocavit.  625 

«  Quid  mihi  tunc  animi  miser»  fuit?  Anne  quod  agn»  cst, 
«  Si  qua  lupos  audit  circum  stabula  alta  frementes? 
«  Aut  lepori,  qui  vepre  latens  hoslilia  cernit 
«  Ora  canuro,  nullosque  audet  dare  corpore  motus? 
<t  Non  tamen  abscedit,  neque  enim  vestigia  cemit  630 


198  METAMORPHOSES. 

«  de  ce  lieu  aucune  trace  de  mes  pas.  Ses  regards  se  fixent  sur  le 
«  nuage  ou  je  suis  cachee.  Je  me  sens  inondee  d'une  froide  sueur, 
«  et  des  gouttes  limpides  decoulent  de  mon  corps.  Partout  Teau 
<  jaillit  sous  mes  pieds;  elle  tombe  de  mes  cheveux,  et  je  suis 
«  changee  en  fontaine  plus  vite  eneore  que  je  ne  vous  raconte 
«  cette  metamorphose.  Le  fleuve  reconnait  dans  l'onde  son  amante 
«  adoree.  11  depouille  la  forme  humaine  dont  il  s'etait  rev^tu,  et 
«c  reprend  sa  forme  liquide  pour  s'unir  a  moi.  Diane  ouvre  la 
«  terre.  Plong6e  dans  ses  antres  obscurs,  je  roule  jusqu'a  Ortygie ; 
«  et,  dans  cette  ile  qui  me  plait,  puisqu'elle.  porte  le  nom  de  ma 
«  bienfaitrice,  je  reparais  enfm  a  la  clarte  des  cieux.  p 

«  Ainsi  parle  Arethuse.  La  deesse  des  guerets  attelle  a  son  char 
deux  dragons,  leur  impose  le  frein,  et  s'elance  entre  la  terre  et 
le  ciel.  Le  char  leger  descend  dans  la  ville  de  Pallas.  Ceres  le 
confie  a  Triptoleme,  et  lui  remet  des  semences,  en  lui  ordon- 
nant  d'en  jeter  une  partie  dans  des  terres  incultes,  et  le  reste 
dans  celles  qui  seront  de  nouveau  cuitivees  apres  un  long  ref^os. 
Bientdt  le  jeune  Triptoleme  a  franchi  dans  les  plaines  etherees 
FEurope  et  TAsie.  II  s'arr6te  sur  les  frontieres  de  la  Scythie. 
La  r^nait  Lyncus.  II  se  rend  au  palais  de  ce  prince,  qui  lui 

«  Longius  ire  pedum.  Servat  nubemque  locumque. 

«  Occupat  obsessos  su(k)r  mihi  frigidus  artus, 

«  Caeruleseque  cadunt  toto  de  corpore  guttai ; 

«  Quaque  pedem  movi,  manat  lacus;  eque  capillis 

«  Ros  cjjdit,  et  citius,  quam  nunc  libi  facta  renarro,        633 

«  In  laticem  mutor.  Sed  enim  cognoscit  amatas 

«  Amnis  aquas;  positoquo  viri,  quod  sumpscrat,  ore, 

«  Verlitur  in  proprias,  ut  sc  mihi  misceat,  undaji. 

«  Delia  rumpit  humum.  Csecis  ego  mcrsa  cavernis 

«  Advehor  Ortygiam.  QuaB  me  cognomine  divaB        ,         GIO 

«  Grata  mea)  superas  eduxit  prima  sub  auras.  » 

«  Hac  Arethusa  tenus.  Geminos  dea  fertilis  angues 
Curribus  admovit,  frenisque  coercuit  ora, 
Et  roedium  coeli  terrseque  per  aera  vecta  est ; 
Atque  levem  currum  tritonida  misit  in  arcem  64"» 

Triptolemo;  partimque  rudi  daUsemina  jussit 
Spargere  humo,  partim  post  tempora  longa  recuUac. 
Jam  super  Europen  sublimis  et  Asida  terras 
Vectus  erat  juvenis.  Scythic^s  advertitur  oras. 
Rex  ibi  Lyncus  erat.  Regis  subit  iJle  penates.  650 


UYRE  Y.  199 

demande  d^oii  il  vient,  d'ou  il  est,  quel  est  son  nom  et  le  but  de 
son  Toyage.  «  Ma  patrie,  dlt-il,  est  la  c^lebre  Alh^nes.  Je  m^ap*- 
«  pelle  Triptol^me.  Pour  me  rendre  en  ces  lieux,  je  n*ai  travers6 
«  ni  la  mer  sur  un  vaisseau,  ni  la  terre  a  pied  :  je  suis  venu  par 
«  la  route  de  Tair.  Je  \ous  apporte  les  presents  de  G^r^.  Ke- 
«  pandus  dans  de  vastes  champs,  ils  produiront  d'abondantes 
«  moissons  et  de  doux  aliments.  »  Le  barbare  Lyncus,  jaloux  d'6tre 
hii-m^me  l'aiiteur  d'un  si  grand  bienfait,  offre  a  Triptol^me  Thos- 
pitalite;  et,  d^s  que  son  h6te  est  appesanti  par  le  sommeil,  il 
s'appr6te  a  Fegorger.  Mais,  au  moment  ou  il  allait  lui  percer  le 
sein,  Cer6s  le  changeaen  lynx,  et  ordonna  au  jeune  Athenien  de 
lancer  de  nouveau  ses  coursiers  sacres  dans  les  airs. 

tf  La  Muse  la  plus  Sgee  d'entre  nous  avait  fini  ses  doctes  chants. 
Les  Nymphes,  d'une  voix  unanime,  decernent  la  palme  aux  d^it^s 
qui  habitent  l^H^licon.  Nos  rivales  vaincues  se  vengent  par  des 
injures.  «  C*est  donc  trop  peu,  leur  dit  Calhope,  d'avoir  merite 
«  votre  ch&timent  en  vousmesurant  avec  moi!  A  cette  faute  vous 
c  ajoutez  Toutrage.  Ma  patience  est  a  bout.  Je  saurai  vous  punir 
«  et  satisfaire  mon  ressenliment.  »  Les  filles  de  Ffimathie  sou- 
rient  et  meprisent  ces  menaces.  Elles  s^efforcent  de  parlor  et 

Qua  veniat,  causamque  viae,  nomenque  rogatus, 
Et  patriam  :  «  Patria  est  clarae  mihi,  dixit,  Athense; 
«  Triptolemus  nomen.  Veni  nec  puppe  per  undas, 
«  Nec  pede  per  terras  :  patuit  mihi  pervius  a;lher. 
«  Dona  fero  Cereris,  latos  quse  sparsa  per  agros  6ii5 

«  Frugiferas  messes,  alimentaque  mitia  reddant.  » 
Barbarus  invidit ;  tantique  ut  muncris  auctor 
Ipse  sit,  hospitio  redpit,  somnoquc  gravatum 
Aggredilur  ferro.  Conantem  figcrc  pcctus 
Lynca  Ceres  fecit,  rursusquo  per  aera  niisit  660 

Mopsopium  juveoem  sacros  agitarc  jugalcs. 
«  Finierat  doclos  e  nobis  maxima  cantus. 
At  Nymphai  vicisse  deas,  Helicona  colentes, 
Concordi  dixerc  sono.  Conviciu  victa; 
Quum  jacerent :  «  Quoniam,  dixit,  certamine  vobis  665 

«  Supplicium  meruisse  parum  est,  malediclaque  culpae 
«  Addilis,  et  non  est  patientia  libera  nobis, 
«  Ibimus  in  poenas,  et  quo  vocat  ira,  sequemur.  » 
Hidcnt  Emathides,  spcrnuntque  minacia  verba ; 
Conalaeque  loqui,  et  magno  clamore  prolervas  670 


300  H^TAMORPHOSES. 

de  lever  sur  nous  leurs  insolentes  mains  en  poussant  de  grands 
cris.  Hais  elles  voient  des  plumes  se  faire  jour  a  travers  leurs 
ongles,  et  leurs  bras  se  munir  d'ailes.  Elles  voient,  Time  apr^s 
Tautrei  leur  bouche  se  changer  en  un  bec  dur.  EUes  deviennent 
des  oiseaux  d'une  nouvelle  espece  qui  vont  peupler  les  for^ts. 
EUes  veulent  frapper  leur  sein;  mais  leurs  bras,  en  s'agitant,  les 
scml^vent  et  les  tiennent  suspendues  dans  les  airs.  M^tamor- 
phos^es  en  pies,  elles  remplissent  les  bois  de  leur  bavardage.  Sous 
cette  forme,  elles  conservent  leur  ancien  caquet,  un  babil  rauque 
et  une  incurable  d^mangeaison  de  parler.  » 


Intentare  manus,  pennas  exire  per  ungues 

Aspexere  suqs,  operid  brachia  plumis ; 

Alteraque  alterius  rigido  concrescere  roslro 

Ora  videt,  volucresque  novas  accedere  silvis. 

Dnmque  volunt  plangi,  per  brachia  mota  levat»,  C75 

Aere  pendcbant,  nemonim  convicia,  picae. 

Nnnc  quoque  in  alitibu«  facundia  prisca  reraansil, 

Raucaque  garrulitas,  studiumque  immane  loqucndi.  t 


LIVRE  SIXIEME 


ARACnNB  UETAirORPHOSiE  EN   ABAIGNEE. 

I.  Pallas  avait  prete  une  oreille  attenlive  a  ce  recit :  elle  avait 
applaudi  aux  chants  des  filles  d'Aonie  et  a  leur  juste  courroux. 
«t  Cest  peu  de  louer,  se  dit-elle.  Meritons  d'^tre  louees  a  notre 
lour,  et  ne  laissons  point  sans  vengeance  Toutrage  fait  a  notre 
divinitc.  »  Des  ce  raoment  elle  ne  songe  qu'a  perdre  la  jeune  Meo- 
nienne  qui  rivalisait,  disait-on,  avec  elle  dans  Tart  de  travailler  la 
laine.  Arachne  ne  devait  sa  cel^brite  ni  au  lieu  de  sa  naissance,  ni 
a  sa  famille,  mais  a  son  talent.  Son  pere,  Idmon  de  Golophon, 
gagnait  sa  vie  en  teignant  la  laine  de  la  pourpre  de  Phoc^e.  EUe 
avait  perdu  sa  mere,  qui,  sortie  des  rangs  du  peuple,  etait  aussi 
obscure  que  son  epoux.  Malgre  son  humble  naissance,  par  son 
industrie  Arachne  avait  acquis  de  la  renommee  dans  les  viHes  de 

LIBER  SEXTUS 

ARACHNE  IN  ARANEAM  MUTATA. 

I.    PrsBbucrat  dictis  Tritonia  talibus  aurem, 
Curminaque  Aonidum,  justamque  probaverat  iram. 
Tum  secuni  :  «  Laudare  parura  est ;  laudemur  et  ipsse, 
Numina  nec  sperni  sine  poena  nostra  sinamus. » 
Maeonixquc  animum  fatis  intendit  Arachnes.  • 

Quam  sibi  laniGcx  non  ccdere  laudibus  artis 
Audier.il.  Non  illa  loco,  nec  origine  gentis 
Clara,  «c;l  arte,  fuit.  Pater  huic  colophonius  Idmon, 
Phocaico  bibulas  tingebat  rourice  lanas. 
Occiderat  mater;  sed  ePhKC  de  plebe,  suoquu  10 

.€qua  viro  fuerat.  Lydias  tamen  illa  per  urbes 
Quaesierat  studio  nomen  mcmorabile,  quamvis 


m  METAMORPUOSES. 

la  Lydie,  et  habitait  le  modeste  bourg  d'Hypepes.  Pour  voir  ses 
merveilleux  ouvrages,  souvent  les  Nymphes  du  Tmolus  abandon- 
haient  leurs  coteaux  couronnes  de  \  ignes ;  souvent  aussi  les  Nym- 
phes  du  Pactole  quittaient  leurs  eaux.  Elles  aimaient  a  considerer 
ses  tissus,  nou-^eulement  quand  ils  etaient  achev^,  mais  lors 
mSme  qu^elle  y  travaillait  :  tant  elle  y  mettait  de  grdce!  Soit 
qu^elle  arrondit  la  laine  en  pelotons,  soit  qu'en  entrela^ant  les 
fils  avec  art,  elle  format  une  toile  aussi  moelleuse  que  la  nue,  soit 
qu'elle  fit  toumer  son  rapide  fuseau  entre  ses  doigts  legers,  soit 
enfin  qu'elle  brodM  a  raiguille,  on  Teiit  prise  pour  Televe  de  Pallas. 
Gependant  elie  repoussait  ce  titre  comme  un  outrage.  «  Qu'eile 
entre  lice  avec  moi,  dit-elle.  Yaincue,  je  me  soumetlrai  a  tout. » 
Minerve  prend  les  traits  d'une  vieille,  couvre  son  front  de  faux 
cheveux  blancs,  et  courbe  son  corps  debile  sur  un  b^ton.  Puis 
elle  adresse  ces  mots  a  sa  rivale :  «  La  vieillesse  est  loin  de  n'ap- 
porter  que  des  maux.  L'experience  est  le  fruit  tardif  de  Tage. 
Ne  dedaignez  pas  mes  avis.  Aspirez  a  la  gloire  de  surpasser  tous 
les  mortels  dans  votre  art ;  mais  cedez  a  une  deesse.  Implorez 
d'une  Yoix  suppliante  le  pardon  de  vos  imprudents  blasphemes. 


Oirta  domo  panra,  patvis  habitabat  Hypaepis. 

Hujus  ut  aspicercnt  opus  admirabile,  saepe 

Deseruere  sui  Nymphai  vineta  Tymoli;  ity 

Deseruere  suas  NjrmphaB  pactolides  undas. 

Nec  faclas  solum  vestes  spectare  juvabat; 

tum  quoque,  quum  fierent:  lantus  decor  adfiiil  arti! 

Sive  rudem  pHmos  lanam  glomerabat  in  orbcs, 

Seu  digitis  subigebat  opus,  repetilaque  lougo  iO 

Vellera  mollibat  nebulas  aequantia  tractu, 

Sive  levi  teretem  vetsabat  pollice  fusUm, 

Seu  pingebat  acu,  scires  a  Pallade  docldni. 

Quod  tameu  ipsa  negat;  tantaque  offensa  magistrU: 

«  Certet,  ait,  mecum.  Kihil  est,  quod  victa  recusem.  »       S5 

Palias  anum  simulat,  falsosque  in  tempora  canos 
Addit,  ct  infirmos  bacuio^quoquc  sustinct  arius. 
Tum  sic  orsa  loqui :  «  Non  omnia  grandior  Tclas, 
Quac  fugiamus,  hubet.  Seris  venit  usus  ah  aunis. 
Consilium  nc  sperne  meum.  Tibi  fama  pcialur  30 

Intcr  raortales  faciendae  maxinia  lanx. 
Cwic  de»,  veniamque  luis  lemeraria  dictis 


LIVRE  VI.  205 

Desarmd^  par  vos  prieres,  elle  vous  raccordera.  »  Aradine  lui 
lance  un  regard  farouche,  quitte  sa  toile,  et  peut  a  peine  con- 
tenir  son  geste.  La  colere  eclate  dans  ses  traits.  Elle  replique  ainsi 
a  la  deesse,  sans  la  reconnaitre  :  «  Insensee !  ton  grand  dge 
t'egare.  On  ne  gagne  rien  a  vivre  trop  longtemps.  Va  compter  ces 
somettes  a  ta  bru  ou  a  ta  fille,  si  tu  en  as.  J'ai  assez  de  sagesse. 
N'attends  rien  de  tes  conseils :  jene  changerai  point.  Pourquoi  ne 
vient-elle  pas  elle-meme?  pourquoi  fuit-elle  le  combal?  —  La 
voici!  »  s'ecrie  la  deesse;  et,  a  ces  mots,  depouillant  ses  Iraits  de 
vieille,  Pallas  se  montre  dans  tout  son  eclat.  Les  Nymphes  et  ies 
femmes  de  Lydie  se  prostement.  Aracline  seule  n'est  point  emue. 
Eile  eprouve  neanmoins  une  impression  de  respect,  et,  malgre 
elle,  ses  joues  se  couvrent  d'une  soudaine  rougeur  qui  s'evanouit 
a  rinstant.  Ainsi  le  ciel  s'empourpre  au  lever  de  Taurore,  et  blan- 
chit  bient6t  aux  rayons  du  soleil.  Arachne  persiste.  Sa  folle  am- 
bition  l'entraine  a  sa  perte ;  car  la  fille  de  Jupiter  accepte  )e  deti. 
Eile  renonce  aux  conseils  et  commence  la  lutte. 
Au  mSme  instant»  chacune  a  part  etend  ses  tlls  delies  sur  un 


Supplice  voce  roga  i  vebiam  dabit  illa  loganti.  » 

Aspicit  hauc  tofvis,  inceplaque  fila  relinquil, 

Vixque  manum  retinens,  confessaque  vultibus  iiam,  3B 

Talibus  ol)scuram  resecuta  est  Pallada  diclis  : 

«  Mentis  inops,  lougaque  venis  confecia  sencctrt, 

Kt  nimium  vixisse  diu  nocet.  Audiat  istas, 

Si  qua  tibi  nurus  est,  si  qua  est  tibi  filiu,  voces. 

Consilii  satis  est  iu  me  niihi.  IVeve  monemio  4() 

Profecisse  putes  :  cadcm  sentcntia  nobis. 

Cur  non  ipsa  venit?  cur  baec  certamina  vilal?» 

Tum  dea  :  «  Ycnit, »  ait ;  formamque  removit  aiiilcm, 

Palladaque  exhibuit.  Yenerantur  numina  Nympha^', 

Mygdonidcsque  iiurus.  Sola  est  non  territa  virgo;  ii» 

Sed  tamen  erubuit,  subitusque  invita  notavit 

Ora  rubor,  rursusquc  evanuit,  ut  solet  aer 

Purpureus  fieri,  quum  primum  aurora  movetur, 

Et  l)revc  post  tcmuus  candcscerc  solis  ab  ortu. 

Pcrslal  iii  incepto,  slolidaequc  cupidine  palmx  50 

In  sua  fata  ruit.  Meque  cnim  Jove  nata  recusal, 

Kec  monct  ultcrius,  ncc  jam  certamina  differl. 

llaud  mora,  consistunt  diversis  partibus  amkc, 


204  m£TAMORPHOSES. 

metier  soutenu  par  deux  traverses.  Leurs  agiles  navettes  courent 
a  travers  la  toile  que  travaillent  leurs  doigts,  et  dont  le  peigne 
resserre  la  trame.  La  robe  repli^e  autour  de  leur  sein,  toutes  deux 
s'empressent  et  font  mouvoir  leurs  mains  savantes  :  le  desir  de 
vaincre  ^loigne  la  fatigue.  La  laine  teinte  de  la  pourpre  tyrienne 
forme  le  fond  avec  de  I6g6res  nuances.  Tels,  r^flechis  par  un  nuage, 
les  rayons  du  soleil  decrivent  dans  le  ciel  un  arc  immense,  bril- 
lant  de  mille  couleurs  vari6es.  Mais  le  passage  de  Fune  a  Fautre 
est  imperceptible  :  tant  les  nuances  se  rapprocheut  sans  se  con- 
fondre !  Toute  la  toile  est  parfilee  d'or,  et  reproduit  une  ancienne 
iiistoire. 

Minerve  brode  la  colline  consacree  a  Mars  pres  de  la  ville  de 
Cecrops,  et  le  debat  auquel  donna  lieu  jadis  le  nom  de  la  contree. 
Les  douze  grands  dieux,  plates  autour  de  Jupiter  sur  des  sieges  ♦ 
eleves,  brillent  d^une  majeste  auguste.  Les  traits  de  chaque  Im- 
mortel  le  font  aisement  reconnaitre.  Dans  Timage  de  Jupiter,  tout 
respire  la  grandeur  royale.  Debout,  le  roi  des  mers  frappe  de  son 
redoutable  trident  un  roc  escarp^..  De  son  flanc  entr'ouvert  il 

Et  gracili  gemiDas  intendunt  stamine  telas. 

Tela  jugo  vincla  est;  stamen  secernit  arundo.  55 

Inseritur  medium  radiis  subtemen  acutis, 

Quod  digiti  expediunt,  atque  inter  stamina  ductum 

Percusso  feriunt  insecti  pectine  dentes. 

Ulraquc  festinant,  cinctasque  ad  pectora  vestes, 

Brachia  docta  movent,  studio  fallente  laborem.  HO 

Illic  et  tyrium  quae  purpura  sensit  ahenum, 

Texitur,  et  tenues  parvi  discriminis  umbrse, 

Qualis  ab  imbre  solet  percussus  solibus  arcus 

Inficere  ingenti  longum  curvaminc  coelum, 

In  quo  diversi  niteant  quum  mille  colores,  65 

Transitus  ipse  tamen  spectantia  lumina  fallit. 

Usque  adeo  quod  tangitidem  est!  tamen  ultima  dislunt. 

lllic  et  lentum  filis  immittitur  aurum, 

f.1  vetus  in  tela  deducitur  argumentum. 

Cecropia  Pallas  scopulum  Mavortis  in  arce  70 

Pingit,  et  antiquam  de  terrae  nomine  litem. 
Bis  sex  ccelestes,  medio  Jove,  sedibus  altis 
Augusta  gravitate  scdent.  Sua  quemque  deorum 
Inscribit  facies.  Jovis  est  regalis  imago. 
Slare  deum  pelagi,  longoque  ferire  tridento  "5 

Aspera  saxa  fucil,  medioque  e  yulnere  saxi 


LIYRE  Yl.  206 

fait  jaillir  un  coursier  pour  placer  la  coutree  sous  sa  protectiou. 
Pallas  se  represente  avec  un  bouclier  et  une  lance  aigue.  Elle  couyre 
son  front  d'un  casque,  et  anne  sa  poitrine  de  l'egide.  EUe  peint 
la  terre  frappee  de  sa  lance,  et  produisant  le  pdle  olivier  charge 
de  fruits.  Les  dieux  sont  dans  l'admiration.  La  victoire  de  la  deesse 
couronne  son  ouvrage.  Cependant,  pour  que  des  exemples  ap- 
prannent  a  sa  rivale  quel  prix  elle  doit  attendre  de  son  incroyable 
audace,  sur  quatre  points  de  son  tissu  elle  trace  quatre  combats 
remarquables  par  la  \ivacite  du  coloris  et  1'exiguit^  des  figures. 
Dans  un  angle,  c'est  Hemus  et  son  dpouse,  Rligdope  de  Thrace, 
aujourd'hui  montagnes  couronnees  de  frimas,  autrefois  mortels 
orgueilleux,  qui  s'arrogerent  les  noms  des  plus  puissantes  divi- 
nites.  Dans  un  autre,  c'est  la  triste  destinee  de  la  mere  des  Pyg- 
mees.  Juuon  la  vainquit,  et,  apres  Tavoir  cbangee  en  grue,  elle 
lui  ordonna  de  faire  la  guerre  a  ses  sujets.  Au  troisieme  angle  fi- 
gure  Antigone,  qui  osa  se  mesurer  avec  Tepouse  du  grand  Jupiter. 
La  reine  des  dieux  la  metamorphosa  eu  oiseau.  La  gloire  d'Uion, 
sa  patrie,  et  de  Laomedon,  son  pere,  ne  put  la  sauver.  Ghangee 
en  cigogne  eclatante  de  blancheur,  elle  s^applaudit  encore  avec 

Exsiluisse  ferum,  (pjo  pignorc  vindicet  urbcui. 

At  sibi  dat  clypeum,  dal  acutac  cuspidis  hastani; 

Dat  galeam  capiti;  defcndilur  spgide  pectus« 

Percussamque  sua  simulat  de  cuspide  terrara  80 

Prodere  cuin  baccis  foctum  cauenlis  olivic, 

Mirarique  deos  :  operi  vicloria  finis. 

Ul  tamen  exemplis  intelligat  aemula  laudis, 

Quod  pretium  sperel  pro  tam  furialibus  ausis, 

Qualluor  ^n  partes  certamina  quattuor  addit  ^'^ 

Clara  colore  suo,  brevibus  distincta  sigillis. 

Threiciam  Rhodopen  habct  angulus  unus,  ct  Ihciiioii, 

Nunc  gelidos  montes,  mortalia  coi-pora  quondani, 

Nomina  summorum  sibi  qui  tribuerc  deoruin. 

Altera  pygm;ea3  fatum  miserabile  malris  90 

Pars  habet.  Hanc  Juno  victam  certamine  jussit 

E>se  gruem,  populisque  suis  indicere  belluni. 

Pingit  et  Antigonen,  ausam  contendere  quondam 

Cum  magni  consorte  Jovis.  Quam  regia  Juno 

Jn  volucrem  vertit.  Kcc  profuit  llion  illi,  C^ 

Laomedonve  pater,  sumptis  quin  candida  pcnnis 

Ipsa  sibi  plaudat  crcpitante  ciconia  rostro. 


206  METAMORPHOSES. 

bruit.  Ginyras,  prive  de  sa  famille,  remplit  le  demier  coin  dutissu. 
II  embrasse  les  marches  du  temple,  formees  des  membres  de  ses 
filles,  et,  etendu  sur  la  pierre,  il  semble  verser  des  pleurs.  Le  pa- 
cifique  olivier  borde  le  tableau.  Tel  en  est  le  plan.  La  deesse  le 
termine  par  Tarbre  qui  lui  est  consacre. 

La  jeune  Meonienne  peint  Euroj)e  trompee  par  Fimage  d*un  tau- 
reau.  On  croirait  que  Tanimal  est  vivant  et  la  mer  v6ritable.  La  prin- 
cesse  parait  lourner  ses  regards  vers  la  tcrre  qu'elle  vient  de  quitter, 
appeler  ses  compagnes,  craindre  Fatteinte  des  flotsqui  rejaillissent 
vers  elle,  et  retirer  ses  pieds  timides.  Arachn^  represente  aussi 
Asterie  dans  les  serres  d'un  aigle  vainqueur,  Leda  reposant  sous 
les  ailes  d'un  cygne,  Jupiter  cache  sous  la  forme  d'un  Satyre  pour 
rendre  mere  de  deux  enfants  la  belie  Antiope,  ou  sous  celle  d'Am- 
phitryon,  pour  te  seduire,  Alcmene.  Elle  le  peint  change  en  pluie 
d'or  pour  tromper  Danae;  en  feu  pour  gagner  la  fiUe  d*Asopus; 
en  berger  pour  Iriompher  de  Mn^mosyne,  ou  en  serpent  pour  ravir 
Proserpine.  La,  Neptune,  sous  les  trails  d'un  taureau  menagant,  tu 
presses  de  tes  flancs  la  jeune  Eolienne ;  tu  deviens  Tfinipee  pour 
donner  le  jour  aux  Aloides,  et  belier  pour  seduire  la  fiUe  de  Bi-» 


Qui  superest  solus  CVifiran  habel  angulus  orbunii 

Isque  gradus  templi,  nalarum  membra  suaruni^ 

Amplectens,  saxoque  jacens,  lacrymare  videlur.  H)0 

Circuit  e&tremas  oleis  pacalibus  oras. 

Is  modus  est,  dporique  sua  facit  arbote  iincmi 

HaBonis  elusam  designat  iniaginc  tuuri  ^ 

turopen*  Verum  taurum,  ft-ela  vera  pularc?. 
Ipsa  videbatur  terras  spectare  relictas,  lO^ 

fet  comites  clamare  suas,  tactumque  vereri 
Assilienlis  aquae,  timidasque  reducere  plunla^. 
Fecit  et  Asterien  aquila  luctante  tcneri ; 
Fecit  olorinis  Ledam  recubare  sub  alis. 
Addidit,  ut  Satyri  celatus  imagine  pulchram  1 10 

Jupiter  implerit  gemino  Nycteida  fcetu ; 
Amphitryon  fuerit,  quum  te,  Tirynthia,  cepit; 
Aureus  utDanaen;  Asopida  luserit  igneus; 
llnemosynen  pastor;  varius  Deoida  serpens. 
Te  quoque  mutatum  torvo,  Neptune,  juvcuco  115 

Virgine  in  seolia  posuit.  Tu  visus  Enipeus 
Gignis  Aloidas;  aries  Bisaltida  fallis: 


LIYRE  YI.  207 

saltus.  Sous  la  figure  d'un  coursier  tu  fais  sentir  tes  ardeurs  a 
la  bienfaisante  m^re  des  moissons,  a  la  blonde  G6res ;  sous  la  forme 
d'un  oiseau,  tu  les  fais  partager  a  la  mere  du  coursier  aile,  a  M^ 
duse,  dont  la  t^te  est  heriss^e  de  vip^res,  et  a  M^Ianthe  sous  celle 
d'un  dauphin.  Arachne  donne  a  tous  les  personnages  eik  tous  les 
lieux  les  traits  qui  leur  apparti^nnent.  La  on  voit  Apollon  tour 
a  tour  sous  un  exlerieur  rustique,  couvert  du  plumage  d'un  eper- 
vier,  de  la  peau  d'un  lion  ou  du  v^tement  d'un  berger  pour  s^ 
duire  Iss6,  la  fille  de  Macaree.  La  Bacchus,  sous  la  trompeuse 
image  d'un  raisin,  abuse  firigone;  et  Satume,  sous  celle  d'un 
coursier,  devient  pere  du  centaure  Chiron.  Autour  du  tissu  flotte, 
corome  une  bordure  d6Iiee,  un  lierre  flexible  entrelace  de  fleurs. 
Ni  Pallas  ni  TEnvie  ne  pourraient  rien  bMmer  dans  cet  ou- 
vrage.  Minerve  en  eprouve  un  d6pit  profond,  et  brise  la  toile  oik 
raiguille  a  reproduit  les  faiblesses  des  dieux.  Sa  main  tient  encore 
la  navette  du  mont  Cylore.  Elle  en  frappe  trois  ou  quatre  fois  la 
t6te  de  la  fille  dldmon.  L'infortunee  ne  peut  supporter  cet  ou- 
trage.  Dans  son  desespoir,  elle  se  pend  a  un  lacet  pour  s'etrangler. 
Pallas  la  voit,  et,  par  compassion,  adoucit  son  destin.  «  Yis,  lui 
dit-elle;  mais,  pour  expier  ton  audace,  tu  resteras  ainsi  suspendue. 


Et  te,  flava  comas,  fruguro  mitissima  mater, 

Sensit  cquum;  te  sensit  avem  crinita  colubris 

Mater  equi  volucris;  sensit  delphina  Melanlho.  120 

Omnibus  his  faciemque  suam,  faciemque  locorum 

Reddidit.  Est  illic  agrestis  imagine  Phoebus ; 

Utque  modo  accipitris  pennas,  modo  terga  lconis 

Gesserit;  ut  pastor  Macareida  luserit  Issen; 

Liber  ut  Erigonen  falsa  deceperit  uva;  125 

Ut  Saturnus  equo  geminum  Chirona  crearil. 

ritima  pars  telae,  tenui  circumdata  limbo,  • 

Nexilibus  flores  hederis  habet  intcrtextos. 

Non  illud  Palbs,  non  illud  carpere  Livor 
Possit  opus.  Doluit  success\i  llava  virago,  130 

Et  rupit  pictas,  ccBleslia  crimina,  vestes. 
Utque  cytoriaco  radium  de  monte  tenebat, 
Ter,  quater,  idmoniac  frontem  percussit  Arachnes. 
Non  tulit  infelix,  laqueoque  animosa  ligavil 
Guttura.  Pendentem  Pallas  miserata  levavit,  13S 

Atque  ita  :  «  Vive  quidem,  pendc  lamen,improba,  dixit. 


208  M^TAMORPHOSES. 

La  mSme  peine  (ne  te  flatte  pas  dun  meilleur  avenir)  est  im- 
posee  a  tes  descendants  jusqu'a  ]a  posterite  la  plus  reculee.  » 
A  ces  mots,  elle  s'eloigne  en  secouant  une  herbe  arros6e  de  sucs 
magiques.  Tout  a  coup  les  cheveux  d'Arachne  tombent,  atteints 
du  fatal  poison.  Son  nez  et  ses  oreilles  disparaissent,  sa  t6te  se 
rapetisse,  tous  ses  membres  s^  resserrent;  des  doigts  eftiles 
s'attachent  a  ses  flancs  et  lui  servent  de  jambes.  Le  reste  du 
corps  forme  son  ventre,  d'ou  elle  tire  les  fils  pour  la  toile  que, 
sous  le  nom  d^araignee,  elle  ourditcomme  autrefois. 

NIOB^,    POUR  s'£iTRE  PREFERl^E  A   LATONE,    EST  CIIANGEE  EN  ROGRER. 

U.  La  Lydie  entiere  fr^mit.  Le  bruit  de  cet  evenement  se  re- 
pandit  dans  les  villes  de  la  Phrygie,  et  la  renommee  en  remplit 
l'univers.  Niobe,  avant  son  hymen,  avait  connu  Arachne,  lorsque, 
vierge  encore,  elle  habitait  la  Meonie  et  le  mont  Sipyle.  Mais,  a 
ses  yeux,  c'etait  une  fille  vulgaire,  et  le  chdtiment  qui  lui  avait 
ete  inflige  ne  Tengageait  ni  a  ceder  aux  dieux,  m  a  mod^rer 
son  langage.  Tout  alimentait  sa  fiert^,  les  talents  de  son  epoux, 
sa  noblesse  jointe  a  celie  de  la  famille  d'Amphion,  et  la  vaste 


Lexqae  eadem  pcenaB  (ne  sis  secura  fuluri), 
Dicla  tuo  generi,  serisque  nepolibus  esto. 
Post  ea  discedens  succis  hecateidos  herbae 
Spargil;  et  extemplo  tristi  medicam>ne  tactae  140 

Defluxere  comae,  cumque  his  et  naris,  et  auris ; 
Fitque  caput  minimum,  totoque  in  corpore  parva  esl; 
In  latere  exiles  dii^iti  pro  cruribus  hxrent.  • 

Gaetera  venter  habet,  de  quo  tamen  illa  remittit 
Stamen,  ct  antiquas  exercet  aranea  telas.  143 

» 

NIOBE  SE   LATONiE  PRiErERT   ET   IN   SAXUM   OBDURESCIT. 

II.    Lydia  tota  fremil,  Phrygiscquc  per  oppida  facti 
Rumor  it,  et  magnum  sermonibus  occupat  orbem. 
Ante  suos  Kiobe  thalamos  cognoverat  illam, 
Tum  quum  Maeoniam  virgo  Sipylumque  colebat. 
Nec  tamen  admonita  est  poena  popularis  Arachnes  150 

Cedere  coelitibus,  verbisque  mlnoribus  uti. 
MuUa  dabant  animos.  Sedenira  nec  conjugis  arti  s, 
JVec  genus  amborum,  magnique  potentia  regni, 


LIVRB  VI.  m 

etendue  de  son  empire.  N^anmoins  tous  ces  avantages  ne  lui 
inspiraient  pas  autant  d'oi^eiI  que  ses  enfants.  Niob^  aurait 
ele  la  plus  heureuse  des  meres,  si  elle  avait  rooins  cru  a  son 
bonbeur.  Lafille  de  Tir^sias,  Manto,  qui  lisait  dans  ravenir,  avait, 
dans  un  transport  divin,  fait  retentir  la  ville  de  ces  paroles  : « Ttie- 
baines,  accourez  en  foule.  OfTrezii  Latone  et  a  ses  deux  enfants 
de  Tencens  et  des  prieres.  Couronnez-vous  de  laurier.  Tel  est 
Fordre  de  Latone. »  On  ob^it.  Toutes  les  Th^baines  parent  leurs 
tdtes  de  feuillage,  et  jettent  dans  le  brasier  sacre  Tencens  dont 
la  fum^e  se  mSle  k  leurs  voix  supplianles. 

Cependant  Niobe  s'avance,  entour^e  d'un  cort^ge  nombreux. 
L'or  Mate  sur  ses  riches  broderies.  Belle,  malgre  la  colere,  elle 
agite  sa  tMe  majestueuse.  Ses  cheveux  flottent  sur  ses  epaules. 
EHe  s'arrSte;  et,  quand  elle  a  fi^rement  promene  autour  d'elle 
un  superbe  regard  :  «  Quelle  folie,  s'ecrie-t-elle,  de  preferer  les 
divinit^s  qu'on  vous  annonce  a  celle  que  vous  voyez!  Pourquoi 
ces  autels  consacres  a  Latone,  lorsque  renceus  ne  brtHIe  pas  en- 
core  en  mon  honneur?  J'ai  pour  pere  Tantale,  qui  seul  s'est  assis 
k  la  table  des  dieux,  et  pour  m^re  la  soeur  des  Pleiadcs;  j'ai  pour 


Sic  placuere  illi,  quamvis  ea  cuncta  placebant, 

Ut  sua  progenies;  et  felicissima  matrum  155 

Dicta  foret  Niobe,  si  non  sibi  visa  fuisset. 

Kam  sata  Tiresia,  venturi  praescia,  Manto 

Per  medias  fuerat,  diviDO  concita  motu, 

Vaticinata  vias  :  «  Ismenides,  ite  frequentes, 

Et  date  Latonae,  Latonigenisque  duobus,  160 

Cum  prece  thura  pia ;  lauroque  inneclite  crinem. 

Ore  meo  Lalona  jubet. »  Paretur;  et  omnes 

Thebaides  jussis  sua  tempora  frondibus  ornant, 

Thuraque  dant  sanctis  et  verba  precantia  flammis. 

Ecce  venit  comitum  Niobe  celeberrima  turba,  1C5  - 

Vestibus  intesto  phrygiis  spectabilis  auro, 
Et  quantum  ira  sinit,  formosa ;  movensque  decoro 
Cum  capite  immissos  humerum  per  utrumque  capillos 
Constitit;  utque  oculos  circumtulit  alta  superbos  : 
«  Quis  furor  auditos,  inquit,  praeponere  visis  170 

CoBlestes?  aut  cur  colitur  Latona  per  aras? 
Numenadhucsine  thuremeum  est?  mihiTantalusauctor, 
Cui  licuii  soU  Sttperorum  tangere  mensas ; 


210  METABIORPHOSES. 

aleul  maternel  le  puissant  Atlas,  dont  la  t^te  supporte  la  voiite 
des  cieux,  et  pour  aieul  patemel  Jupiter;  je  me  glorifie  aussi 
de  Tavoir  pour  beau-pere.  La  Phrygie  tremble  sous  mes  lois; 
je  r^ne  dans  le  palais  de  Gadmus.  Les  murs  ^leves  par  la  lyre 
d'Amphion,  et  le  peuple  qui  les  habite,  nous  reconnaissent  pour 
maitres,  moi  et  mon  eponx.  De  quelque  c6te  que  se  portent  mes 
yeux,  ma  famillem^offre  des  ressources  immenses.  Enfin  ma  beaut^ 
est  digne  d'une  deesse.  Ajoutez  a  tant  d'Mat  sept  filles,  autant 
de  fils  dans  la  fleur  de  F^ge,  et  bientdt  sept  gendres  et  sept  brus. 
Cherchez  maintenant  la  sdurce  de  mon  orgueil.  Osez  me  preferer 
la  fille  de  je  ne  sais  quel  Titan  Ceus,  Latone,  qui,  pour  accoucher, 
ne  put  trouver  jadis  un  coin  sur  toute  la  terre.  Le  ciel,  la  terre 
et  Tonde  refuserent  un  abri  k  votre  deesse.  Elle  erra  exilee  dans 
runivers,  jusqu'au  moment  ou,  par  piti^,  Delps  lui  dit :  «  Nous 
«  sommes  ^lrang^res,  toi  sur  la  terre,  moi  sur  Tonde; »  et  elle  lui 
donna  un  flottant  asile  ou  Latone  mit  au  jour  deux  enfants,  a 
peine  la  septiertie  parlie  de  ceux  qui  me  doivent  la  vie.  Je  suis 
heureuse  •  qui  pourrait  le  nier?  je  le  serai  toujours  :  qui  oserait 
en  douter?  Mon  bonheur  repose  sur  l'abondance  de  mes  biens. 

Pleiadum  soror  est  genitrix  mihi ;  maximus  Atlas 

Est  avus,  aetherium  qui  fert  cervicibus  axera ;  i75 

Jupiter  alter  avus;  socero  quoque  glorior  illo. 

Me  gentes  metuunt  phrygioe ;  me  regia  Gadmi 

Sub  domina  est;  fidibusque  mei  commissa  mariti 

Moenia  cum  populis  a  meque  viroque  reguntur. 

In  quamcumque  domus  ndverlo  lumina  partem,  ISO 

Immensae  spectantur  opes.  Accedit  eodem 

Digna  deae  facies.  Huc  natas  adjice  septem, 

Et  totidem  juvenes,  et  moi  generosque  nurqsque. 

Quaerite  nunc,  habeat  quam  noslra  superbia  causara. 

Nescio  quoque  audete  satam  titanida  Coeo  ISa 

Latonam  praeferre  mihi,  cui  maxiraa  quondam 

Exiguam  sedem  pariturae  terra  negavit. 

Nec  coelo,  nec  humo,  nec  aquis  dea  veslra  recfipta  est. 

Exsul  erat  mundi;  donec  miserala  vaganlem  : 

«  Hospita  tu  terris  erras.  ego,  dixil,  in  undis ; »  1*J0 

Instabilemque  locum  Delos  dedit.  lUa  duobus 

Facla  parens,  uleri  pars  est  haec  septima  nosiri. 

Sum  felix:  quis  enim  neget  hoc?  felixque  manebo; 

IIoc  quoquc  quis  dubitel?  Tutara  me  copia  fecil. 


LIVRE  VI.  211 

Je  suis  trop  haut  pour  que  radversite  puisse  m^atteindre.  Elle  au- 
rait  beau  me  ravir  une  grande  partie  de  ce  que  je  poss^de,  elle 
me  laisserait  beaucoup  plus  encore.  Mes  biens  sont  k  l'abri  de 
toute  crainte.  Supposez  que,  de  ce  peuple  d^enfants,  quelques-uns 
me  soient  enleves ;  cette  perte  ne  saurait  me  r^duire  k  deux  comme 
Latone.  Combien  elle  risque  de  les  voir  mourir!  Hdtez-vous  d'a~ 
bandonner  ces  autels,  et  quittez  le  laurier  dont  vous  avez  ceint 
vos  tStes.  »  Les  Thebaines  Je  d^posent  et  laissent  le  sacrifice  in^ 
terrompu.  Du  moins,  un  dernier  hommage  leur  est  permis  : 
elles  adorent  Latone  a  demi-voix. 

La  deesse  indign^  adresse  ces  paroles  a  ses  deux  enfants  sur  le 
haut  du  Cynthe  :  «  Eh  quoi !  moi,  yotre  mere,  si  fi^re  de  vous  avoir 
donne  le  jour,  moi,  qui  ne  devais  ceder  qu'a  Junon,  je  me  vois 
disputer  le  titre  ^e  deesse !  Ces  autels,  que  tous  les  siecles  m'ont 
consacres,  vont  m'^lre  interdits,  6  mes  enfants !  si  vous  ne  me  pr^tez 
votre  appui.  Encore  ri'est-ce  point  ma  seule  douleur.  A  cet  horrible 
sacril^e  la  fiUe  de  Tantale  ajoute  Tinsulte.  Elie  ose  placer  ses  en- 
fants  au-dessus  de  vous ;  elle  ose  pr6dire  (puisse  un  tel  malheur 
retomber  sur  sa  t^te !)  que  bient6t  je  serai  sans  enfants,  et  sa  langue 
impie  a  renouvele  les  blasphemes  de  son  pere. »  Latone  allait 

Major  sum,  quam  cui  possit  fortuna  nocere;  195 

Multaque  ut  eripiat,  multo  mihi  plura  relinquet. 
Excessere  metum  mea  jam  bona.  Fingile  demi 
Huic  aliquid  populo  natorum  posse  meorum ; 
Non  tamen  ad  numerum  redigar  spoliata  duorum, 
Latonse  turbae.  Quae  quantum  distat  ab  orba?  209 

Ite  saeris,  properate  sacris,  laurumque  capillis 
Ponite.  »  Deponunt,  infectaque  sacra  relinquunt, 
Quodque  licet,  tapito  venerantur  murmurc  numen. 

Indignata  dea  est,  summoque  in  vertice  Cynthi, 
Talibus  est  dictis  gemina  cum  prole  locuta :  2(^ 

«  En  ego  vcstra  parens,  vobis  animosa  creatis, 
Et,  nisi  Junoni,  nuUi  cessura  dearum, 
An  dea  sim,  dubitor  I  perque  omnia  sxcula  cultis 
Arceor,  o  nali,  nisi  vos  succurritis,  aris. 
Nec  dolor  hic  solus  :  diro  convicia  facto  210 

Tantalis  adjecit,  vosque  est  postponere  nalis 
Ausa  suis ;  et  me  (quod  in  ipsam  reccidat  t)  orbam 
Diiit,  et  exhibuit  linguam  scelerata  palernam. » 


212  MfiTANORPHOSES. 

ajouter  la  pri^re  :  «  Gessez  vos  plaintes,  dit  Ph^us.  Le  chfttinient 
se  fait  trop  attendre.  »  Phebe  tient  le  mSme  iangage.  D'un  vol 
rapide  iis  fendent  Tair  et  descendent,  enveloppes  d'un  nuage, 
dans  la  cit^  de  Gadmus.  Pr^s  des  murs  s'etendait  au  loin  une 
large  plaine  sans  cesse  foulee  par  les  chevaux.  Le  sol  s'^tait  ra- 
molli  sous  leurs  pas  et  sous  les  roues  des  chars.  Une  partie  des 
sept  ills  dWmphion  s'elance  sur  de  genereux  coursiers,  pressent 
leurs  flancs  couverts  de  housses  de  pourpre»  et  prennent  en 
main  les  r^nes  garnies  d'or. 

L'un  d'eux,  Ism^ne,  Taine  de  tous,  fait  caracoler  son  cheval, 
et  soumet  au  frein  sa  bouche  ecumante.  Tout  a  coup  ii  s'^crie  : 
«  Je  suis  mortl  »  et  il  est  frappe  d'un  trait  au  milieu  de  la  poi- 
trine.  Sa  main  glacee  laisse  ^happer  les  r^nes,  et  il  tombe  sur  le 
flanc  en  glissant  peu  a  peu  le  long  de  l'epaule  droite  de  son  cour- 
sier.  Pres  de  lui,  Sipyle  a  entendu  Tair  fremir  du  bruit  d'une 
fl^che.  11  Idche  ia  bride  aussi  promptement  qu*a  la  vue  d'un 
nuage  pluvieux  un  pilote  fuit  et  deploie  toutes  les  voiles  pour  re- 
cueillir  jusqu'au  moindre  vent.  Sipyle  abeau  abandonner  les  r^nes, 


Adjectura  preces  eral  his  Latona  relatis  : 

«  Desine,  Phoebus  ait,  poense  mora  longa,  querelas.  215 

Dixit  idem  rhoebe,  celerique  per  aera  lapsu 

Contigerant  tecti  cadmeida  nubibus  arcem. 

Planus  erat,  lateque  patens  prope  mcenia  campus, 

Assiduis  pulsatus  equis,  ubi  turba  rotarum, 

Duraque  mollierant  subjectas  ungula  glebas.  'iCO 

Pars  ibi  de  septem  genitis  Amphione  fortes 

Conscendunt  in  equos,  tyrioque  rubentia  fuco 

Terga  premunt,  auroque  graves  moderantur  habenas. 

E  quibus  Ismenos,  qui  matri  sarcina  quoftdam 
Prima  suae  fuerat,  dum  certum  flectit  in  orbem  '2'2.*i 

Quadrupedes  cursus,  spumantiaque  ora  coercet  : 
«  Hei  mihi !  »  conclamat,  mcdioqite  in  pectore  iixu^ 
Yela  gerit,  frenisquc  manu  morieute  remissis, 
In  latus  a  dextro  paulatim  delluit  armo. 
Proximus,  audito  sonitu  per  inane  pbaretra3,  ioO 

Frena  dabat  Sipylus,  veluti  quum  prxscius  imbri= 
Nube  fugit  visa,  pendentiaque  undique  rector 
Carbasa  deducit,  ne  qua  levis  efiluat  aura, 
Frena  dabat.  Dantem  non  evitabile  teluro 


LIYRK  YI.  815 

le  traitin6vitable  lepoursuit;  la  fl^che  tremblante  reste  attachee 
a  son  cou,  et  la  pointe  sort  par  son  gosier.  Pench^  sur  i'enco- 
lure  de  son  cheval  qu'emporte  un  rapide  essor,  il  roule  le  long 
de  la  crini^re,  et  rougit  la  terre  de  son  sang.  L^infortun^  Phe- 
dimus  et  Tantal^,  h^rilier  du  nom  de  son  aieul,  quittent  la 
course  pour  se  livrer  k  la  lutte  ch^rie  de  la  jeunesse.  D^jk  ils 
entrelaoaient  leurs  bras  et  heurtaient  leurs  poitrines,  iorsqu'un 
trait  s'^chappe  de  l'arc  tendu,  et  les  perce  tous  deux  corps 
a  corps.  IIs  poussent  ensemble  un  gemissemeht,  se  tordent  de 
douleur,  roulent  a  terre,  ferment  leurs  yeux  mourants  et  rendent 
ensemble  le  demier  soupir.  A  cet  aspect,  Alphenon  se  d^chire  la 
poitrine,  et  vole  pour  recevoir  dans  ses  bras  leurs  corps  deji 
glac^;  mais  il  succombe  en  remplissant  ce  pieux  devoir.  Le  dieu 
de  D^los  Tatteint  d»un  trait  mortel.  D  retire  le  fer  dont  la  pointe 
recourbee  entraine  une  parlie  du  poumon,  et  perd  la  vie  avec 
son  sang.  Le  jeune  Damasichthon  re^it  plus  d'une  blessure. 
Atteint  a  Tendroit  ou  commencent  la  jambe  et  le  pli  du  jar- 
ret,  tandis  qu'il  essaye  d'arracher  la  fleche  fatale,  une  aulre 

Consequilur,  summaque  Iremens  cervice  sagitta  233 

Hsesit,  et  exstabat  nudum  de  gutture  ferrum. 

IUe,  ut  erat  pronus,  per  colla  admissa  jubasque 

Yolvitur,  et  calido  tellurem  sanguine  fcedat. 

Pbsedimus  infelix,  et  aviti  nominis  baeres 

Tantalus,  ut  solito  finem  imposuere  labori,  240 

Transierant  ad  opus  nitidae  juvenile  palaestrte, 

Et  jam  contulerant  arcto  luctantia  nesu 

Pectora  pectoribus,  quum  tento  concila  cornu, 

Sicut  erant  juncti,  trajccit  utrumque  sagitta. 

Ingemuere  simul,  simul  incurvata  dolore  245 

Membra  solo  posuere,  simul  suprema  jacentes 

Lumina  versarunt,  animam  simul  exhalarunt. 

Aspicit  Alphenor,  laniataque  pectora  plangens 

Advolat,  ut  gelidos  compiexibus  allevet  artus, 

Inque  pio  cadit  offieio;  nam  Delius  illi  250 

Intima  fatifero  rumpit  prsecordia  ferro. 

Quod  simul  eductum,  pars  est  pulmonis  ia  hamis 

Eruta.  QMmque  anima  cruor  est  effusus  in  auras. 

At  uon  intonsum  simplex  Damasichthona  vulnus 

Adficit.  Ictus  erat,  qua  crus  esse  incipit,  et  qua  235 

NoIIia  nervosus  facit  intemodia  poples ; 

Duraque  manu  tentat  trahere  esitiabile  telum, 


2U  MfeTAMORPnOSES. 

s'enfonce  profond^ment  dans  sa  gorge,  et,  repouss^e  par  le  sang 
qui  jaillit  avec  force,  elle  s^ouvre  au  loin  un  passage  dans  rair.  Le 
dernier  fils  dWmphion,  llionee,  dont  les  prieres  devaient  rester  im- 
puissantes,  leve  ses  bras  vers  le  ciel :  «  0  dieux !  s'6crie-t-il  (igno- 
rant  qu'il  ne  devaitpasles  invoquer  tous),  epargnez-moi !  »  Le  dieu 
a  Tarc  redoutable  fut  touche  desa  priere;  mais  le  trait  6tait  deja 
parli.  Toutefoisla  blessure  qui  lui  ravit  le  jour  fut  peu  douloureuse : 
la  fl^he  n*etait  pas  descendue  bien  avant  dans  son  coeur. 

Le  bruit  de  ces  malheurs,  rafmiction  de  tout  un  peuple  et  les 
iarmes  de  ses  amis  apprennent  a  Niobe  quels  maux  Tont  si  sou- 
dainement  accabl^.  Elle  s'6tonne  que  les  dieux  aient  pu  les  ac- 
complir ;  elle  s^indigne  qulls  Taient  ose,  et  que  leur  empire  &'&- 
tende  si  loin.  Car  Amphion  lui-m^me,  en  se  per^nt  ie  sein,  avait 
en  m6me  temps  mis  fm  k  sa  yie  et  a  ses  douleurs.  Qiiant  a 
Niob^,  h^las !  comlJien  elle  etait  difT^rente  de  cette  Niobe  qui  na- 
gu^re  eloignait  le  peuple  des  autels  de  Latone,  et  portait  fiere- 
ment  ses  pas  au  ihilieu  de  Thebes  1  Alors  son  bonheur  faisait  envie 
h  ses  amis.  Maintenant,  bbjet  de  pitie,  m6me  pour  ses  ennemis, 
elle  se  jette  sur  les  restes  glac^s  de  ses  fils,  et  les  couvre  indis- 


AUera  per  jugulum  pennis  tenus  acta  sagitta  est. 

Expulit  hane  sanguis,  seque  ejaculatus  in  altum 

Emicat,  et  longe  terebrata  prosilit  aura.  260 

Ultimus  Ilioneus  non  profeclura  precando 

Brachia  su&tulerat :  «  Dique  o !  »  communiter  omnes 

Dixerat  (ignarus  non  omnes  esse  rogandos), 

a  Parcite  I  »  Motus  erat,  quum  jam  revocabile  telum 

Non  fuit,  Arciteneus.  Minimo  tamen  occidit  ille  2G5 

Vulnere,  non  alle  percusso  corde  sagitta. 

Fama  mali,  populique  dolor,  lacrymaequc  suorum 
Tam  subilffi  matrem  cerlam  fecere  ruinae, 
Mirantem  poluisse,  irascentemque,  quod  ausi 
Hoc  essent  Superi,  quod  tantum  juris  haberent.  270 

Nam  pater  Amphion,  ferro  per  peclus  adacto, 
Finierat  moriens  pariter  cum  luce  dolorem. 
Heu !  i]uantum  hsec  Niobe  Niobe  distabat  ab  illa, 
QuoB  modo  latois  populum  submoverat  aris, 
Et  mediam  tulerat  gressus  resupina  per  urbem,  ^75 

Invidiosa  suis.  At  nunc  miseranda  vel  hosli, 
Corporibus  gelidis  incurabil,  et  ordine  nullo 


LIVRE  VI.  215 

tiiietenient  de  ses  derniers  baisers.  Eile  s'en  detachc  pour  lever 
ses  bras  livides  vers  le  ciel :  a  Repais-toi  de  ma  douleur,  cruelle 
Latone,  s'ecrie-t-elle;  oui,  repais-loi  de  ma  douleur;  rassasie  de 
mon  deuii  ton  coeur  f^roce  et  tes  entrailles  barbares.  Je  meurs 
s^t  fois.  Triomphe,  mon  ennemie;  enorgueillis-toi  de  ta  victoire. 
Mais  ou  est  donc  cette  victoire?  Dans  mon  infortune,  je  poss^ 
plus  que  toi  dans  ta  prosperite.  M^me  apres  tant  de  coups,  je 
Temporte  encore  sur  toi.  » 

Eile  dit.  La  corde  de  Tarc  resonne  de  nouveau.  Tous,  excepte 
^iobe,  frissonnent  d'effroi.  Son  audace  grandit  avec  ses  malheurs. 
En  habits  funebres  et  les  cheveux  epars,  ses  filles  entouraient  la 
couche  de  leurs  freres.  L'une  d^elles  tente  de  retirer  le  fer  plonge 
dans  sa  poitrine.  Aussitot  sa  tSte  retombe  sur  son  frere,  et  elle 
expire.  Une  autre  veut  consoler  sa  malheureuse  mere.  Elle  perd 
soudain  la  voix.  Son  corps  s'affaisse  perce  par  une  main  invisible, 
et  sabouche  se  ferme  en  rendant  le  demier  soupir.  Celle-ci  meurt 
en  cherchant  vainement  a  fuir;  celle-la  succombe  dans  les  bras 
de  sa  soeur.  L'une  se  cache,  rautre  est  saisie  d'epouvante.  Six 
avaient  subi  le  trepas,  atteintes  de  blessures  diff^renles.  Une-seule 


Oscula  dispensat  natos  suprema  per  omnes, 

A  quibus  ad  coelum  liventia  brachia  tendcns  : 

«  Pascere,  crudelis,  nostro,  Latona,  dolore,  "280 

Pascere,  ait,  satiaque  nieo  lua  pectora  luctu, 

(lorque  ferum  salia,  dixit.  Per  funera  septem 

Kfferor.  Exsulta,  viclrixque  inimica  triumpha. 

Cur  autem  victrix?  Miserac  mihi  plura  supersuut, 

Quam  tibi  felici.  Posl  tot  quoque  fuiiira  vinco.  »  289. 

Dixerat.  Insonuit  conlento  nervus  ab  arcu, 
Hui,  praeter  Nioben  unara,  conterruit  omnesj. 
llla  malo  est  audax.  Slabant  cum  vestibus  atris 
Ante  loros  fratrum  demisso  crine  sorores. 
E  quibus  una,  trahens  haerentia  viscere  tela,  290 

Imposito  fralri  moribunda  relanguit  ore; 
Aitera,  solarl  miseram  conata  parentem, 
Conticuit  subito,  duplicataquc  vulnere  ca}co  est, 
Oraque  compressit,  nisi  postquam  ^piritus  exit. 
Hxc  frustra  fugiens  coUabitur ;  illa  sorori  29^ 

Immoritur  :  latet  hsec;  illam  Irepidare  videres. 
Sexque  datis  letho,  diversaque  valnera  passis, 


216  M^TAMORPHOSES.  .     . 

survivait.  Sa  mere  lui  fait  un  rerapart  de  son  corps  et  la  couvre 
de  ses  vStements.  «  Laisse-moi  cette  fille,  s'ecrie-t-elle,  la  seule 
qui  me  reste,  la  plus  jeune  de  toutes ;  d'un  si  grand  nombre,  je 
demande  la  plus  jeune,  la  seule  qui  vit  encore.  »  Tandis  qu'elle 
prie,  la  tendre  viclime  rend  T^me,  et  Niobe  se  yoit  seule  au  mi- 
lieu  de  ses  fils,  de  ses  filles  et  de  son  epoux  moissonnes  par  la 
la  itiort.  Tant  d'infortunes  Tont  rendue  insensible.  L'air  n^agite 
plus  ses  cheveux,  son  teint  est  pale,  ses  yeux  sont  iixes,  ses  traits 
mornes  :  rien  ne  vit  plus  en  elle.  Sa  langue  se  glace  dans  son  pa- 
lais  durci,  et  le  mouvement  cesse  dans  ses  veines.  Son  cou  ne 
peut  plus  se  plier,  ses  bras  faire  aucun  geste,  ni  ses  pieds  marcher; 
ses  entrailles  m^me  se  petrifient.  EUe  pleure  pourlant.  Un  violent 
tourbillon  Tenveloppe  et  Temporte  dans  sa  patrie.  La,  placee  sur 
le  sommet  d'une  montagne,  elle  est  toujours  humide,  et  des  larmes 
baignent  encore  le  marbre  dont  elle  a  pris  la  forme. 

M^TAMOKPHOSB   DES   PAYSANS  LTCIENS  EN   GRENOUILLES. 

.  Ili.  Des  lors,  hommes  et  femmes,  tous  redouterent  le  courroux 
d'une  si  puissante  divinite,  tous  s'empress6rent  d'honorer  la 


Ultima  rcstabat,  quaiu  tolo  corpore  niater, 

Tota  veste  tegciis  :  «  Unam,  raininiamquc  relinque ; 

De  mulli:>  miniraam  posco,  claraavit,  el  unam.  »  500 

Dumque  vogat,  pro  qua  rogat,  occidit.  Orba  resedit 

Exaniraeb  inler  natos,  nalasque,  Tii^uraque, 

Diriguilque  raalis.  Nulios  movel  aura  capiUos; 

In  vullu  color  e^t  sine  sanguine;  lumina  raoestis 

Stant  iramota  genis  :  nihil  est  in  imagiuc  vivi.        ^  305 

Ipsa  quoque  interius  cum  duro  lingua  palalu 

Congelat,  et  vcnac  desistunl  posse  moveri ; 

Nec  flecti  cervix,  nec  brachia  reddere  gestus, 

Necpes  ire  potest;  intra  quoque  viscera  saxum  esl. 

«       Flet  laraen,  et  validl  circumdata  lurbine  venli  oiO 

In  patriara  rapla  est,  ubi  fixa  cacumine  monlis 

t       Liquilur,  et  lacrymas  eliamnura  marmora  mauanl. 

N  LYCIl    laSTlCI   LN    RANAS    VKKSl. 

*  111.    Tum  vero  lanli  mauifestam  uuminis  irara 

^       Femina  virque  timent,  cultuque  impnnsius  omnes 


LIVUE  VI.  217 

graDde  d^esse  qui  enfanta  deux  jumeaux ;  et,  comiue  d'ordinaire, 
cette  aventure  recente  fit  reraonter  aux  anciennes.  L'un  des  com- 
pagnons  de  Niobe  s'exprima  en  ces  termes  :  «  Jadis  les  paysans 
de  la  fertile  Lycie  ne  mepriserent  pas  non  plus  impunement  La- 
tone.  Le  prodige  que  je  vais  raconter,  peu  connu  parce  qu'il  con- 
cerne  des  honunes  vulgaires,  n  est  pas  moins  surprenant.  J'ai  vu 
moi-mtoe  le  lac  et  les  lieux  qu'il  a  rendus  celebres.  Appesanti 
par  fage  et  incapable  de  supporter  les  fatigues  de  la  route,  mon 
p^re  m^avait  prie  de  lui  amener  des  boBufs  de  la  Lycie,  en  me 
donnant  im  guide  ne  dans  cette  contree.  Nous  parcourions  en- 
semble  les  paturages,  quand  tout  a  coup  nous  vimes  au  milieu  du 
lac  un  autel  antique,  noirci  par  la  fumee  des  sacrifices  et  entourc 
de  roseaux  tremblants.  Mon  guide  s'arr6ta,  et,  saisi  d^clTroi,  il 
murmura  ces  paroles  :  Sois-nous  propice.  Je  repetai  a  voix  basse 
les  memes  paroles.  Je  lui  demandai  si  cet  autel  etait  consacr^  aux 
Naiades,  a  un  Faune  ou  a  un  dieu  du  pays.  II  me  repondit :  «  Cet 
«  autel,  mon  jeune  ami,  n'appartient  pas  a  une  divinite  des  mon- 
«  tagnes,  mais  a  la  deesse  que  la  reine  des  dieux  exila  autrefois 
«  de  runivers.  A  peine  Delos,  vaincue  par  ses  prieres,  lui  offrit-elie 
«  un  asile,  lorsque,  dans  ses  courses  legeres,  cetle  ilc  errait  a 

Hagna  gemelliparaB  venerantur  numina  divte ;  515 

Utque  fit,  a  facto  propiore  priora  renarrant. 
E  quibus  unus  ait :  «  LyciaE  quoque  fertilis  agri» 
Haud  impunc  deam  veteres  sprevere  coloni. 
Kes  obscura  quidem  est  ignobilitate  virorura, 
Mira  tamen.  Vidi  praisens  stagnumque  locuraque  520 

Prodigio  nolum.  Nam  rae  jam  grandior  ajvo, 
Imputiensque  viae  genilor  deducere  lectos 
Jusserat  inde  boves,  gentisque  illius  eunti 
Ipse  ducem  dederat.  Cum  quo  dura  pascua  luslru,  ' 
-    Ecce  lacus  medio,  sacrorum  nigra  favilla  523 

Ara  vetus  stabat,  tremulis  circumdata  cannis. 
Hestitit,  et  pavido,  Faveas  mihi,  murmure  dixit 
Dux  meus;  el  simili,  Faveas,  ego  murmurc  dixi. 
Naiadum,  Faunioe  foret  tamen  ara  rogabani,  r 

Indigensene  dei,  quum  talia  reddidil  hospes  :  350 

«  Non  hac,  o  juvenis,  montanum  numen  in  ara  osl. 
«  Illa  suam  yocat  hanc,  cui  quondam  regia  Juuo 
«  Orbem  interdixit.  Quam  vix  erratica  Delos 
«  Orunlem  accepit,  lum  quura  levis  insula  nabat. 


^ 


218  MfeTAMORPHOSES. 

f  la  surface  des  flols.  La,  couchee  entre  un  palmier  et  Tarbre  de 
«  Pallas,  elle  mit  au  jour  deux  jumeaux,  en  depit  de  leur  impla- 
«  cable  marAtre.  Bevenue  mere,  elle  s'eloigna  de  cette  ile  pour 
«  ^chapper  a  Junon,  emportant  sur  son  sein  ses  deux  enfants,  qui 
«  sont  ranges  parmi  les  dieux.  Parvenue  aux  confins  de  la  Lycie 
<c  ou  naquit  la  Chim^re,  tandis  que  le  soleil  embrasait  la  terre  de 
«  ses  feux,  Latone,  fatiguee  d'une  longue  marche,  se  sentit  devo- 
«  ree  d'une  soif  ardente  au  milieu  d'un  air  enflanmie,  et  ses  en- 
«  fants  alt^res  avaient  tari  son  sein.  EUe  aper^ut  par  hasard  un 
«  petit  lac  au  fond  d'une  vallee.  Les  paysans  coupaient  sur  ses 
«  bords  l'o§ier,  le  jpnc  et  Talgue  amie  des  marais.  La  fllle  de  Geus 
«  approche,  s^agenouille  et  se  penche  pour  se  desalt^rer  dans 
«  Tonde  fraiche.  Les  paysans  Ten  emp6chent.  La  deesse  leur 
«  adresse  ces  paroles  : 

«  Pourquoi  m'interdire  cette  eau  qui  appartient  a  tout  le 
«  monde?  La  nature  n'a  point  voulu  que  le  soleil,  Tair  et  Teau 
«  fussent  la  propriete  d'un  seul.  Ghacun  a  le  droit  de  puiser  ici. 
«  Gependant  je  vous  demande  ce  droit  comme  une  grace.  Je  n'al- 
«  lais  point  me  baigner  pour  me  remettre  de  mes  fatigues ;  j^al- 
«  lais  etancher  ma  soif.  En  vous  parlant,  ma  bouche  devient  aride, 

«  Illic,  incumbeus  cum  Palladis  arbore  palma},  33o 

«  Edidit  invita  geminos  Latona  noverca. 

.<(  Hinc  quoque  Junonem  fugisse  puerpera  ferlur, 

«  Inque  suo  portasse  sinu,  duo  numina,  natos. 

«  Jamque  chimxrifefae,  quum  sol  gravis  urerct  arva. 

«  Finibus  in  Lyci»,  longo  dea  fessa  laborc  3iU 

«  Sidereo  siccala  sitim  collegit  ab  aestu, 

«  Uberaque  ebiberant  avidi  lactanlia  nati. 

«  Fortc  lacum  mediocris  aquae  prospexit  in  imis 

«  Vallibus.  Agrcstes  illic  fruticosa  legebaut 

«  Vimina  cum  juncis,  grutamque  paludibus  ulvaui.  545 

«  Accessit,  positoque  genu  Titania  terram 

«  Prcssit,  ut  hauriret  geiidos  potura  liquores. 

«  Rustica  turba  vetant.  Dea  sic  affala  vetantes : 

«  Quid  prohibetis  aquis?  Usus  communis  aquaruin. 
«  Nec  solem  proprium  Natura,  nec  aera  fecil,  350 

«  Nec  tenues  undas.  Ad  publica  munera  veni. 
«  Quae  tamen,  ut  detis,  supplex  peto.  Non  ego  nostros 
«  Abluere  hic  artus,  lassalaque  mcrabra  parabam 
«  Sed  relevare  sitim.  Carel  os  humore  ioquentis, 


LIVRE  VI.  219 

*  mon  palais  se  desseche,  et  ma  voix  peut  a  peine  se  frayer  uii 
«  passage.  Cette  eau  sera  pour  raoi  du  nectar,  et  je  proclamerai 
4  que  je  vous  dois  la  vie;  oui,  vous  me  la  donnerejs  en  me  per- 
c  mettant  de  boire.  Laissez-vous  fl^chir  par  ces  enfants  suspendus 
«  a  mon  sein,  qui  vous  tendent  leurs  petits  bras  •  (ils  les  tendaient 
c  en  ce  mometft).  Quels  cceurs  ces  toucbantes  paroles  de  Latone 
«  n'auraient-elles  point  attendris  ?  Gependant  la  foule,  insensible 
«  a  sa  priere,  s*obstnie  a  remp^cher  de  boire.  On  la  menace,  on 
«  rinsulte,  si  elle  ne  s'61oigne.  Bien  plus,  chacun  trouble  Teau 
ff  de  ses  pieds  et  de  ses  mains,  et  bondit  malignement  de  tous 
«  cdtes  pour  remuer  la  vase  jusqu'au  fond  du  lac.  La  colere  sus- 
«  pend  la  soif.  La  fille  de  Ceus  ne  descend  plus  k  d'indignes 
c  prieres.  EUe  n'abaisse  plus  son  langage  au-dessous  de  celui 
«  d'une  deesse.  Mais,  levant  ses  mains  au  ciei :  «  Yivez  a  jamais 
«  dans  ce  iac, »  dit-elle.  Ses  vceux  sont  accomplis.  Ces  hommes 
«  grossiers  s'y  precipitent  avec  joie.  Tanl6t  ils  plongent  sous  les 
«  eaux,  tantdt  ils  montrent  leur  t^te  au-dessus  de  T^tang,  ou 
«  nagent  a  sa  surface.  Souvent  ils  se  reposent  sur  la  rive,  souvenl 
tf  ils  s*elancent  de  nouveau  dans  Tonde.  Leur  langue  s'aban- 

«  Et  fauces  arent,  vixque  est  via  vocis  in  illis.  355 

c  Haustus  aquse  mihi  uectar  erit,  vitamque  fatebor 

k  Accepisse  simul ;  vitam  dederitis  in  unda. 

«  Hi  quoque  vos  moveant,  qui  nostro  brachia  teuduut 

«  Parva  sinu.  (Et  casu  tendebant  brachia  naii.) 

u  Quem  non  Dianda  deo}  potuisseQt  verba  movere?  36U 

«  Hi  tamen  orantem  perstant  prohibere,  ii>inasque, 

«  Ni  procul  abscedat,  conviclaque  insuper  addunl. 

«  Nec  satis  hoc,  ipsos  etiam  pedibusque  manuque 

«  Turbavere  lacus,  imoque  e  gurgite  mollem 

«  Huc  illuc  liraum  sallu  movere  maligno.  363 

«  Distulit  ira  sitim.  Neque  enim  jam  filia  CtBi 

<t  Supplicat  indignis,  nec  dicere  suslinet  ultra 

«  Verba  minora  dea;  toUensque  ad  sidera  pahnas, 

«  ^ternum  stagno,  dixitj  vivatis  in  isto. 

«  Eveniunt  oplata  deae.  Juvat  isse  sub  undas,  3l0 

K  £t  modo  tota  cava  submergere  membra  palude, 

i(  Munc  proferre  caput;  summo  modo  gurgite  nare; 

«  Saepe  super  ripam  stagni  considerc ;  ssepe 

«  In  gelidos  resilire  lacus ;  et  nunc  quoque  turpes 

«  Lilibus  eiercent  linguas;  pulsoque  pudore,  '^^ 


220  MgTAMORPllOSES. 

t  donne  mcore  a  des  propos  grossiers,  et,  jusque  sous  les  eaux, 
i  ils  essayeiit  de  cyniques  sarcasmes.  Deja  leur  voix  devient  rauque, 
«  leur  gorge  s^enfie,  et  leur  bouche  ^largie  vomit  Tinjure.  La  t^te 
«  et  les  ^paules  se  confondent,  le  cou  disparait ;  le  dos  est  vert, 
i  ie  ventre  blanc,  et  forme  la  plus  grande  partie  de  leur  corps. 
«  Metamorpboses  en  grenouilles,  ils  sautent  -dans  le  maiais 
«  fangeux.  • 

MARSYAS  CHANGI^    Elf  FLECVE. 

IV.  «  A  peine  mon  guide,  dont  j*ignore  lenom,^eut-il  acheve  le 
recit  de  cet  evenement  funeste  aux  paysans  de  la  Lycie,  qu'un  autre 
rappela  le  chAtiment  inflige  par  le  fils  de  Latone  au  Satyre  vaincu 
dans  le  combat  de  la  fliHte  due  a  Minerve.  «  Pourquoi  m'dcor- 
«  chez-vous?  s'ecriait-iL  Ah!  deplorable  temeritd!  Ah!  fai- 
«  lait-il  que  la  flikte  me  coiitSt  si  cher?  t  Tandis  qu'il  pousse  ces 
cris,  sa  peau  lui  est  arrachee  :  son  corps  n'est  qu'une  plaie ; 
le  sang  coule  de  toutes  parts;  ses  nerfs  sont  mis  a  nu.  On  peui 
voir  a  decouvert  le  mouvement  de  ses  veines,  les  battements  de  son 
coeur,  et  compter  ses  fibres  dans  sa  poitrine.  Les  Faunes,  divini- 


«  Quamvis  sial  sub  aqua  maledicere  teiilant. 

«  Vox  quoque  jam  rauca  est,  iuOataque  colla  lumcscuiil, 

«  Ipsaque  dilatant  patulos  convicia  rictus. 

«  Terga  caput  tangunt;  colla  intercepta  videntur; 

«  Spina  viret ;  venter,  pars  maxima  corporis  albct ;  580 

«  Limosoque  nova)  saliunt  in  gurgite  rante. » 

MARSTAS  FIT   FLUVIU8. 

IV.    «  Sic  ubi  nescio  quis  lycia  dc  gentc  viroruiii 
-Reltulit  exitium,  Satyri  reminiscitur  alter, 
Quem  tritoniaca  Latous  arundine  victum 
Affecit  poena.  «  Quid  me  mihi  detrahis?  inquil.  385 

«  Ah  piget !  ah  non  est,  clamabat,  tibia  tanti !  » 
Glamanti  cutis  est  summos  derepta  per  arlus ; 
Nec  quidquam  nisi  vulnus  erat ;  cruor  undique  mauat ; 
Detectique  patent  nervi;  trepidiequc  biuc  uUa 
Pelle  micanl  venae;  salientia  viscera  possis,  300 

Et  perlnceutes  numerare  in  pectorc  fibras. 
Uium  ruricolae,  silvarum  uumina,  Fauni, 


LIVRE  VI.  m 

t^  des  champs  et  des  for^ts,  les  Satyres  ses  frdres,  Olympus,  d^j^ 
cel^bre,  et  Jes  Nymphes,  ie  pleurerent,  ainsi  que  ceux  qui  font 
paitre  sur  ces  montagnes  les  brebis  et  les  boeufs.  La  terre  fut  bai- 
gnee  des  larmes  qu'elle  regutet  qu'elle  conserva  dans  ses  fi^ondes 
entrailles.  Apres  les  avoir  chang^es  en  eau,  elle  les  ramena  dans  la 
region  des  airs,  d'ou  elles  retomberent  pour  former  le  plus  limpide 
fleuve  de  la  Phrygie,  le  Marsyas,  qui  se  rend  k  la  mer  par  une  pente 
rapide.  • 

PilOPS  PLEURE  NIOb£.  —  LES  DIEUX  LUl  DOMNENT  U«E  iPAULR  D*IV0mE. 

V.  Apr^s  ce  recit,  on  revint  aux  malheurs  dont  Tli^bes  avail 
ete  le  th64tre ;  on  pleura  Amphion  mort  avec  ses  enfants.  La  co- 
l^re  ^data  contre  Niob^.  Pelops  seul,  dit-on,  ddplora  son  sort.  En 
dechirant  ses  v^tements  jusqu'a  la  poitrine,  il  montra  une  ^paule 
d'ivoire.  A  Tepoque  de  sa  naissance,  cette  ^paule  ^tait  de  chair 
conmie  la  droite ;  elle  avait  la  m6me  couleur.  Bientdt  apr^,  ses 
membres  furent  mis  en  lambeaux  par  son  pSre ;  mais  on  pretend 
que  les  dieux  les  reunirent  de  nouveau.  Ils  avaient  6t6  retrouv^, 
h  Texception  d'un  seul,  dont  Tabsence  laissa  entre  la  gorge  et  le 

Et  Satyri  fratres,  et  tunc  quoque  claru«  Olympus, 

Et  NymphaB  flerunt,  ct  quisquis  montibus  illis 

Lanigerosquc  greges  armentaque  bucera  pavit.  395 

Fertilis  immaduit,  madefactaque  terra  caducas 

Goncepit  lacrymas,  ac  venis  perbibit  imis. 

Quas  ubi  fecil  aquam,  yacuas  emisit  in  auras; 

Inde  petens  rapidum  ripis  declivibus  asquoi^ 

Marsya  nomcn  habet,  rbrygiae  liquidissimus  amnis.  »       40() 

NIOBEN  FLET  PELOPS.  —  CUI  DATDR  HOHERUS  EBORNEDS. 

V.    Talibns  extemplo  redil  ad  praesentia  dictis 
Vulgus,  et  exstinctum  cum  stirpe  Amphiona  iugent. 
Mater  in  invidia  est;  tamen  hanc  quoque  dicitur  unus 
Flesse  Pelops,  humeroque.  suas  ad  peclora  postquam 
Deduxit  vestes,  ebur  ostendisse  sinistro.  4(Xi 

Concolor  hic  humerus,  nascendi  tempore,  dextro, 
Corporeusque  fuit.  Hanibus  mox  caesa  patemis 
Membra  ferunt  junxisse  deos,  aliisqne  repertis, 
Qui  locus  est  juguli  medius  summique  lacerti 


222  Ml^TAMORPHOSES. 

bras  un  vide  que  remplit  une  piece  dMvoire.  Par  ce  bienfait,  P6- 
lops  recouvra  tous  ses  mernbres.  ^ 

CHANGEHENT  DE   TJ^REE   EN  HUPPE,    DE  PHILOMbLE  EN  ttOSSIGNOL, 
DE  PROGNlS  EN  HIRONDELLE. 

VI.  Les  princes  voisins  se  reunissent,  et  les  villes  d'alentour 
supplient  leurs  rois  de  les  secourir.  Cetaient  Argos,  Sparte,  My- 
c^nes  ou  devaient  regner  les  Pelopides,  Calydon,  qui  n^etait  pas 
alors  en  butte  au  terrible  courroux  de  Diane,  la  fertile  Orcho- 
m^ne,  Corinthe,  c^lebre  par  son  airain,  la  fiere  Mess^ne,  Patras, 
Fhumble  Cl^ones,  Pylos  oii  r^a  Nelee,  Tr^zene,  que  ne  gouvemait 
pas  encore  Pitth^e,  les  viUes  renferm^es  dans  Tisthme  battu  par 
deux  mers,  et  celles  que,  du  haut  de  cet  isthme,  on  aper^it  au 
delk.  Qui  pourrait  le  croire?  Athenes  resta  seule  impassible.  La 
guerre  rempMia  de  payer  la  dette  de  l'humanite.  Des  i^gions  bar- 
bares  avaient  franchi  les  iners  et  porte  repouvante  dans  les  murs 
de  Mopsus.  T^ree,  roi  de  Thrace,  accouru  au  secours  d'Athenes, 
les  avait  mises  en  deroute,  et  s'6tait  fait  un  grand  nom  par  cette 


Defuit.  Impositum  est  non  comparentis  in  usum  410 

Parlis  ebur;  factoque  Pelops  fuit  integer  illo. 

TEREUS  IX   UPUPAM  TRANSFORMATUR,   PHILOHELA   IN  LnSCINIAM, 
PROCNE  IN  HIRUNDINEM. 

Vf.    Finitimi  proceres  coeunt,  urbesque  propinquaE 
Oravcre  suos  ire  ad  solatia  reges, 
Argosque,  et  Sparte,  pelopciadesque  Mycenae, 
Et  nondum  torvae  Calydon  invisa  Dianae,  415 

Orchomenosque  ferax,  et  nobilis  serc  Corynthos, 
Messeneque  ferox,  Patrseque,  humilesque  Cloonae, 
Et  nelea  Pylos,  neque  adhuc  pittheia  Troezen, 
Quseque  urbrs  aliae  bimari  clauduntur  ab  isthmo, 
Rxteriusque  sitae  bimari  spectantur  ab  isthmo.  4^ 

Credere  quis  possit?  solae  cessatis  Athenae. 
Obstitit  officio  bellum,  subvectaque  ponto 
Barljara  mopsopios  terrebant  agmina  muros. 
Treicius  Tereus  haec  auxiliaribus  armis 
Fuderat,  et  clanim  vincendo  nomen  habebat.  425 


LIVRE  VI.  223 

victoire.  Ind^pendamment  de  ses  immenses  richesses  et  de  ses 
nombreux  sujets,  il  descendait  du  dieu  Mars.  Aussi  Pandion  iui 
donna-t-il  la  main  de  Procne.  Mais  ni  THymen,  ni  Junon,  ni  les 
Gr^ces,  ne  scellerent  cette  union.  Les  Eumenides  allumSrent  ieurs 
torches  a  un  iDiJcher,  et  preparerent  leur  couche  nuptiale,  au  che- 
vet  de  laquelle  vint  se  reposer  un  sinistre  hibou  qui  s'6tait  abattu 
sous  ieur  toit.  Cest  sous  de  tels  auspices  que  s'unirent  les  deux 
epoux;  c'est  sous  de  tels  auspices  quMls  donn^rent  ia  vie  a  un 
enfant.  La  Thrace  les  entoura  d'hommages  et  rendil  grkes  aux 
dieux.  Elle  voulut  que  le  jour  ou  Teree  regut  la  main  de  la  fiUe  de 
rillustre  Pandion,  et  celui  ou  Itys  vint  au  monde,  fussent  des 
jours  de  fSte  :  tant  ravenir  est  enveloppe  de  nuages ! 

Deja  le  soleil  avait  acheve  cinq  fois  sa  r^volution,  lorsque  Procn^, 
avec  Taccent  de  la  tendresse,  dit  a  son  ^poux  :  «  Si  j*ai.qtielque 
empire  sur  ton  sime,  permets-moi  d'aller  aupr^s  de  ma  soeur,  ou 
obtiens  qu'elle  vienne  ici  en  fengageant  a  la  ramener  en  peu  de 
temps  a  mon  pere.  Si  je  te  dois  le  bonheur  de  la  voir,  tu  auras  de 
grands  droits  a  ma  reconnaissance.  »  Teree  fait  lancer  les  vais- 
seaux  a  la  mer ;  il  met  a  la  voile,  et,  gr^ce  a  ses  rameurs,  il  louche 

Quem  sibi  Pandion  opibusque  virisque  potentem, 

Et  genus  a  magno  ducentem  forte  Gradivo, 

Connubio  Procnes  junxit.  Mon  pronuba  Juno, 

Non  Hymenseus  adest,  illi  non  Gratia  lecto. 

Eumenides  tenuere  faces  de  funere  raptas;  430 

Eumenides  stravere  torum ;  tectoque  profanus 

Incubuit  bubo,  thalamique  in  culminc  sedit. 

Hac  ave  sunt  juncti  Procne  Tereusque;  parentes 

Hac  ave  sunt  facti.  Gratata  est  scilicet  illis 

Thracia,  disque  ipsi  grates  egere,  diemque,  435 

Quaque  data  est  claro  Pandione  nata  tyranno, 

Quaque  erat  ortus  Itys,  festam  jussere  vocari : 

Usque  adeo  iatet  utilitas! 

Jnm  tempora  Titan 
Quinque  per  autumnos  rcpetiti  duxerat  anni, 
Quum  blandita  viro  Procne  :  «  Si  gratia,  dixit,  440 

UUa  mea  est,  vel  me  visendae  mitle  sorori, 
Vel  soror  huc  ^eniat.  Redituram  tempore  parvo 
Promittes  socero.  Magni  mihi  numinis  instar 
Germanam  vidisse  dabis.  «  Jubet  ille  carinas 
In  freta  deduci;  veloque,  et  remigeportus  445 


224  WETAMORPHOSES. 

aux  ports  d'Ath^nes  et  entre  dans  le  Piree.  Arrive  chez  son  beau- 
p^re,  il  lui  serre  la  main,  et  Tentretien  commence  sous  d^heureux 
auspices.  D'abord  Teree  fait  connaitre  le  motif  de  son  voyage  et  le 
dfeir  de  son  epouse.  II  s*engage  a  ramener  promptement  Philo- 
mSle  de  la  Thrace. 

Dans  ce  moment,  elle  parait,  riche  de  brillants  atours,  plus  riche 
encore  de  sa  beaut6,  telles  que  les  Naiades  et  les  Dryades  se  mon- 
trent,  dit-on,  au  milieu  des  for^ts,  sans  avoir  toutefois  une  aussi 
magnifique  parure.  A  la  vue  de  la  jeune  princesse,  T6ree  bnile 
comme  une  moisson  miire  qu'on  incendie,  ou  comme  des  feuilies 
et  du  foin  sec  dont  on  approche  le  feu.  Aux  charmes  qui  i^attirent 
se  joint  raiguillon  de  Tamour  :  tant  le  coeur  de  T^ree  est  prompt  a 
s^enflamrner !  II  est  entraine  k  la  fois  par  la  passion  et  par  l*ardeur 
du  sang.  II  cherche  a  corrompre  les  vigilantes  compagnes  de  Philo- 
mele  et  sa  fid^le  nourrice ;  il  essaye  de  la  seduire  elle-mtoe  par  de 
riches  pr&ents,  et  lui  offre  son  royaume.  II  Tenl^vera;  et,  apres 
1'avoir  ravie,  il  soutiendra  une  guerre  terrible  pour  la  garder.  11 
n'est  rien  que  n'ose  son  amour  efifrene ;  sa  flamme  ne  peut  plus  se 
renfermer  au  fond  de  son  coeur.  Dejk  tout  delai  rimporlune ;  il  re- 

Cecropios  intrat;  Pirxaque  littora  tangit« 

Ut  primum  soceri  dala  copia,  dextera  dcMraD 

Jungitur,  et  fausto  committitur  omine  sermo. 

Cceperat,  advAotus  causam,  mandata  rererre 

CuDJugis,  et  celeres  missa  spondere  recursus.  450 

Ecce  venil  magno  dives  Phiiomela  paratu, 
Divitior  forma.  quales  audire  solemus 
Naidas  et  Dryadas  mediis  incedere  silvis, 
Si  modo  des  illis  cultus  similesque  paralus. 
Non  secus  exarsit  conspecta  virgine  Tereus,  4ot> 

Quam  si  quis  canis  ignem  supponat  aristis, 
Aut  frondem.-positasque  crcmet  foenilibus  herbas. 
Digna  quidem  facies;  sed  et  hunc  innata  libido 
Exstimulat,  pronuraque  genus  regionibus  illis 
In  Venerem  est :  flagrat  vitio  genlisque  suoque.  400 

Impetus  est  illi,  comitum  corrumpere  curam, 
Nutricisque  fidem;  necnon  ingentibus  ipsam 
SoUicitare  datis;  totumque  impendere  regnum, 
Aut  rapere,  et  saevo  raptam  defendere  bello; 
El  nihil  est,  quod  non  effreno  captus  amore  4r»r> 

Ausit;  nec  capiunt  inclusas  pectora  flammas. 
Jamque  moras  male  fert,  cupidoque  reveriitur  ore 


LIVRE  VI.  225 

vient  avec  ardeur  aux  d^sirs  de  Procn^ ;  et,  sous  leur  voile,  ce  sont 
les  siens  qu'ii  exprime.  L'amour  le  rend  ^loquent.  Ses  instances 
$ont-elles  trop  vivcs,  c'est  Procnd  qui  Texige.  II  emploie  m^me  les 
pleurs,  comme  si  elle  les  avait  command^.  Dieux !  quel  ablme  de 
ten^bres  que  le  coeur  humain !  Les  efforts  de  T^r^  pour  ex^ter 
soncrime  prcnnent  Tapparence  du  devouement :  il  se  giorifie  de 
son  forfait.  Que  dis-je  ?  Philom^Ie  elle-m^me  s'associe  a  ses  desirs! 
De  ses  bras  caressants  elle  presse  les  ^paules  de  son  p^re ;  elle 
demande  en  m^me  temps,  pour  et  contre  ses  iuterSts,  qu'il  lui 
soit  permis  de  se  rendre  aupres  de  sa  soeur.  T^ree  la  contemple 
eti'enveloppe  de  ses  regards:  Les  baisers  qu'elledonne  k  son  p^re, 
ses  bras  qu'elle  enlace  a  son  cou,  tout  est  pour  Ter^  un  aiguillon 
et  un  feu  qui  alimente  sa  fureur.  Toutes  ses  etreintes  filiales  lui 
font  souhaiter  d'6tre  son  pere  :  ce  titre  n'4teindrait  pas  une  in- 
cestueuse  flamme.  Pandion  cede  aux  pri^res  de  ses  filles.  Philom^le 
s^abandonne  a  la  joie  et  rend  grsices  a  son  p^re.  Infortunee !  elle 
voit  le  bonheur,  pour  sa  soeur  et  pour  elle,  dans  ce  qui  doit  Stre 
poui'  Tune  et  Tautre  un  sujet  de  deuil ! 

Phebus  n'avait  plus  qu*un  etroit  espace  a  parcourir.  D^ja  see 
coursiers  frappaient  de  leurs  pieds  la  region  du  couchant.  Un 

Mandala  ad  Procnes,  et  agit  sua  vota  sub  iliis. 

Facundum  faciebat  ainor;  quotiesque  rogabat 

Ulterius  justo,  Procnen  ita  velle  ferebat.  470 

Addidit  et  lacrymas,  tanquam  mandasset  ct  illas. 

Pro  Superf !  quantum  mortalia  peclora  caecae 

Noclis  habent!  Ipso  sceleris  molimine  Tereus 

Creditur  esse  pius,  laudemque  a  crimine  sumit. 

Quid,  quod  idem  Philomela  cupit?  patriosque  lacertis       47'j 

Blanda  tenens  humeros,  ut  eat  visura  sororem, 

Perque  suam,  contraque  suara,  petit  usque  salutem. 

Spectat  eara  Tereus,  praecontrectatque  videndo; 

Osculaque,  et  coUo  circumdata  brachia  cernens, 

Omnia  pro  stiniulis,  facibusque,  ciboque  furoris  480 

Accipit;  et  quolies  amplectitur  illa  parentem, 

Esse  parens  vellet :  neque  enim  minus  impius  ess  .t. 

Vincitur  ambarum  genitor  prece.  Gaudet,  agitque 

Illa  patiis  grates,  et  successisse  duabus 

Id  putat  infelix,  quod  erit  lugubre  duabus.  485 

Jam  Iftbor  exiguus  Phoebo  restabat,  equiqoe 
Pulsabant  pedibus  spatium  declivis  Olympi. 


m  MfiTAMORPHOSES. 

banquet  est  s&m  avec  une  pompe  royale,  et  le  vin  est  verse  dans 
des  coupes  d'or.  Puis  chacun  va  goiiter  les  douceurs  du  sommeil. 
Le  roi  de  Thrace,  quoique  separ^  de  sa  belle-soeur,  briile  d'a- 
mour  pour  elle.  II  se  rappelle  ses  traits,  son  port,  ses  gestes. 
Quant  aux  charmes  secrets,  son  imagination  seconde  ses  desirs. 
11  attise  lui-m6me  ses  feux,  et  sa  passion  lui  ole  le  sommeil.  Le 
jour  brille.  Pandion  saisit  la  main  de  son  gendre  pr^t  a  partir,  et 
lui  recommande  sa  compagne  en  versant  des  larmes.  « Je  te  la 
confie,  6  mon  gendre  bien-aime!  un  pieuxmotif  m'y  oblige.  Mes 
deux  filles  Tont  voulu ;  tu  l'as  voulu  toi-m^me.  Au  nom  de  la 
bonne  foi  et  de  rs^milie,  au  nom  des  dieux  memes,  je  Ven  conjure, 
veille  sur  elle  avec  ramour  d'un  pere.  Hate-toi  de  me  rendre 
l'appui  et  la  consolation  de  ma  vieillesse.  Tout  delai  sera  trop 
long  pour  moi.  Et  loi,  Philomele  {c'est  assez  que  ta  soeur  vive 
loiu  de  nous),  si  tu  as  quelque  tendresse  pour  ton  pi^re,  presse 
ton  retour.  »  A  ces  mots,  il  couvre  sa  fille  de  baisers,  et  de  douces 
larmes  coulent  de  ses  yeux.  U  prend  la  main  de  Teree  et  celle  de 
sa  fille,  comme  un  gage  de  foi,  et  les  serre  dans  la  sienne.  II  les 
cbarge  de  porter  de  tendres  baisers  a  Procn^  et  a  Itys,  qui  vivent 

Regales  epulsB  mensis  et  Bacchus  in  auro 

Ponitur.  Hinc  placido  dantur  sua  corpora  somno. 

At  rex  odrysius,  quamvis  secessit,  in  illa  490 

^stuat ;  et  repelens  faciem,  motusque,  manusque, 

Qualia  vuU  fingit,  quae  nondum  vidit,  et  ignes 

Ipse  suos  nutrit,  cura  removente  soporem. 

Lux  erat,  et,  generi  dextram  complexus  euntis, 

Pandion  comitem  lacrymis  commcndat  obortis  :  49?> 

«  Hanc  ego,  care  gener,  quoniam  pia  causa  coogit, 

Et  voluere  ambae  voluisti  tu  quoque,  Tereu, 

Do  tibi.  Perque  fidem,  cognataque  pectora  supplex, 

Per  Superos  oro,  patrio  tuearis  amore ; 

Et  mihi  sollicitae  lenimen  dulce  senectae  500 

Quamprimum  (omnis  crit  nobis  mora  longa),  remittas. 

Tu  quoque  quamprimum,  satis  est  procul  esse  sororem, 

Si  pietas  ulla  est,  ad  me,  Philomela,  redito.  » 

Handabat,  pariterque  suae  dedit  oscula  natae, 

Et  lacrymae  mites  inter  mandata  cadebant.  o05 

Utque  fide  pignus  dextras  utriusque  poposcit, 

Inter  seque  datas  junxit ;  natamque  nepotemque 

Absentes,  memori  pro  se  jnbet  ore  salutent; 


LIVRB  VI.  227 

loin  de  lui.  A  peine  leur  a-t-il  dit  adieu  d'une  voix  entrecoup^  de 
sanglots,  que  deja  la  crainte  fait  naitre  de  tristes  pressentiments 
dans  son  dme. 

Cependant  Philomele  est  montee  sur  le  vaisseau  peint  de  riches 
couleurs ;  la  rame  fend  les  flots,  et  la  terre  s'eloigne.  «  Je  triom- 
phe,  s'ecrie  Ter^e,  j'emporte  avec  moi  Tobjet  de  mes  vceux !  »  Le 
barbare  tressaille  de  joie  et  ne  peut  contenir  ses  transports.  Son 
regard  ne  se  detourne  pas  un  moment  de  sa  victime.  Ainsi,  quand 
Toiseau  de  Jupiter  emporte  un  ii^vre  dans  ses  serres  recourbto  et 
le  depose  dans  son  aire,  sa  proie  ne  saurait  fuir,  et  le  ravisseur 
aime  a  la  contempler.  Deja  le  voyage  est  achev^,  ddja  les  matelots 
fatigu^  quitlent  leurs  vaisseaux  et  s'elancent  sur  leur  rivage.  T^ 
ree  entraine  la  fiile  de  Pandion  dans  un  gite  cach^  au  milieu  d'une 
antique  et  sombre  forSt.  La  il  Tenferme,  pSle,  tremblante,  livr^ 
a  mille  craintes,  fondant  en  larmes  et  demandant  ou  est  sa  soeur. 
U  lui  d^voile  alors  ses  infames  desirs,  el  triomphe,  par  la  vio- 
lence,  d*une  vierge  commise  seule  a  sa  garde,  et  dont  la  faible 
voix  ne  cesse  d^implorer  en  vain  son  p6re,  sa  soeur,  et  surtout 
les  dieux.  Philomele  est  saisie  d'effroi.  Telle  une  brebis  timide, 


Supremumque  vale,  pleno  singultibus  ore, 

Vix  dixit,  timuitque  suse  praesagia  mentis.  510 

Ut  semel  imposita  est  pictse  Philomela  carinae, 
Admotumque  fretum  remis,  tellusque  repulsa  : 
«  Vicimus,  exclamat ;  mecum  mea  vota  feruntur !  » 
Exsultatque  animo,  vix  et  sua  gaudia  differt 
Barbarus,  et  nusquam  lumen  detorquet  ab  illa.  515 

Non  aliter,  quam  quum  pedibus  praedator  obuncis 
Deposuit  nido  leporem  Jovis  ales  in  allo, 
Nulla  fuga  est  capto ;  spectat  sua  prsemia  raptor. 
Jamque  itcr  effectum,  jamque  in  sua  littora  fessis 
Puppibus  exierant,  quum  rex  Pandione  natam  520 

In  stabula  alta  trahit,  silvis  obscura  vetustis;  * 
Atque  ibi  pallentem,  trepidamque,  et  cuncta  timenlem, 
Et  jam  cum  lacrymis,  ubi  sit  germana,  rogant«m, 
Includit;  fassusquc  nefas,  et  virginem,  et  unam 
Vi  superat,  frustra  clamato  ssepe  parente,  523 

Sxpe  sorore  sua,  magnis  super  omnia  divis. 
IUa  tremit,  velut  agna  pavens,  quae  saucia  cani 


228  MKTAMORPHOSES. 

apr^  s'Stre  d^rob^e  aux  morsures  d'un  loup  devorant,  ne  se  croit 
pas  a  Tabri  du  danger;  telleune  colombe  dont  les  plumes  ont  ete 
rougies  de  son  sang  tremble  encore  et  redoute  les  serres  cruelles 
dont  elle  a  senti  Tetreinte. 

Enfm,  revenue  a  elle-mtoe,  Pbilom^le  arrache  ses  cheveux 
6pars,  meurtrit  ses  bras,  et,  dans  son  desespoir,  les  mains  levees 
au  ciel :  « Monstre  de  cruaute  etdebarbarie !  s'ecrie-t-elle;  quoi ! 
ni  les  ordres  de  mon  pere,  ni  ses  pieuses  larmes,  ni  le  souvenir 
d'une  soeur,  ni  ma  virginite,  ni  les  droits  de  Thymen,  rien  n  a  pu 
l'6mouvoir !  Tu  as  tout  profane.  Je  suis  la  rivale  de  Procne,  et 
Ter6e  est  l^epoux  de  deux  soeurs !  Ah !  je  ne  meritais  pas  cet 
exces  d^infamie !  Que  ne  m'6tes-lu  la  vie,  perfide,  pour  combler  la 
mesure  du  crime?  Ah!  que  ne  me  Tas-tu  otee  avant  un  horrible 
inceste?  je  serais  descendue  pure  dans  le  sejour  des  ombres!  Si 
pourtant  de  tels  attentats  n'echappent  point  aux  regards  des  dieux, 
s'ils  ont  quelquepuissance,  si  tout  n'a  point  peri  avecmoi,  un  jour 
je  serai  veng6e !  Moi-m^me  je  braverai  la  honte  pour  publier  ton 
forfait.  Si  je  le  puis,  j'irai  le  raconter  a  runivers.  Si  je  suis  ren- 
fermee  dans  les  bois,  je  ferai  retentir  de  mes  plaintes  les  for^ts  e\ 
les  rochers  temoins  de  mon  malheur.  Que  les  dieux  m'exaucent, 

Ore  excussa  lupi,  nondum  sibi  tuta  videtur; 

Ulque  columba,  suo  madefactis  sanguine  plumis, 

Horret  adhuc,  avidosque  timet  quibus  haiseral  unguos.      boO 

Mox  ubi  mens  rediit,  passos  laniata  capillos, 
Lugenti  similis,  caesis  plangore  lacerlis, 
Intendens  palmas  :  «  Pro  diris,  barbare,  factis, 
Pro  crudclis!  ait;  nec  te  mandata  parentis 
Cum  laci*ymis  movere  piis,  nec  cura  sororis,  IJoT^ 

Nec  mea  virginitas,  nec  conjugialia  jura? 
Omnia  turbasti :  pellex  ego  facta  sororis, 
Tu  geminus  conjux.  Mon  haec  mihi  debita  pocna. 
Quin  animam  hanc,  ne  quod  facinus  tibi,  perfide,  rcstct, 
Eripis?  atque  utinam  fecisses  ante  nefandos  5i0 

Concubitus!  vacuas  hal)uissem  criminis  umbras. 
Si  tamen  hxc  Superi  cernunt,  si  numina  divum 
Sunt  aliquid,  si  non  perierunt  omnia  mecum, 
Quandocumque  mihi  poenas  dabis.  Ipsa,  pudore 
Projecto,  tua  facta  loquar.  Si  copia  detur,  oio 

In  populos  veniam.  Si  silvis  clansa  tenebor, 
Implebo  silvas  et  conscia  saxa  querelis. 


LIYRE  VI.  229 

s*il  en  est  au  ciel  (jui  entendent  ma  voix !  •  Ges  menaces  excitent 
dans  Vime  du  tyran  feroce  un  courroux  et  un  effroi  qui  Tega- 
rent.  II  tire  du  fourreau  ie  glaive  suspendu  a  sa  ceinture,  saisit 
Pliilomele  par  les  cbeveux  et  lui  enchaine  les  mains  sur  le  dos. 
L'infortun6e  lui  presente  la  gorge.  A  la  vue  de  Tepee,  elle  avait 
esp^r^  la  mort.  Mais,  tandis  que,  transportee  d'indignation,  elle 
rep^te  incessamment  le  nom  de  son  pere  et  fait  un  demier  effort 
pour  parier,  Ter^e  lui  serre  la  langue  avec  des  pinces  et  la  coupe 
jusqu'a  sa  racine.  La  langue  tombe,  et,  sur  la  terre  qu'elle  rougit 
de  sang,  elle  palpite  et  murmure.  Ainsi  la  queue  d'un  serpent 
mutiM  s'agite  et  cherche,  en  mourant,  a  se  rejoindre  au  reste  du 
corps.  Apr^s  cet  attentat,  on  dit  que  Ter^e  (ie  ne  puis  le  croire) 
fletrit  encore  plus  d'une  fois  sa  victime  de  ses  embrassements. 

Souille  de  tels  forfaits,  il  ose  paraitre  devant  Procn6.  Celle-d, 
en  voyant  son  epoux,  demande  sa  soeur.  T6ree  pousse  des  g6- 
missements  simul^s,  et  annonce  faussement  la  mort  de  Philo- 
mele.  Ses  larmes  confirment  son  recit.  Procne  arrache  de  ses 
epaules  ses  v^tements  brillants  d'or.  Elle  prend  le  deuil,  ^l^ve  un 
cenotaphe,  et  ofTre  des  presents  funebres  a  celle  qu'elle  croit 


Audiat  haec  sther,  et  si  deus  ullus  iu  illu  est !  » 

Talibus  ira  feri  postquam  commota  tyranni, 

Nec  minor  hac  metus  est.  Gausa  stimulatus  utrnque,         fi50 

Qao  fuit  accinctus,  vagina  liberat  cnsem, 

Arreptamque  coma,  fleiis  post  terga  lacertis, 

Vincla  pati  cogit.  Jugulum  Philomcla  parabat, 

Spemque  suae  mortis  viso  conceperat  ense. 

nie  indignanti,  et  nomen  palris  usque  vocanli,  Hr» 

Luctantique  loqui,  compressam  forcipe  lioguam 

Abstulit  ense  fero.  Radix  micat  ultima  linguse, 

Ipsa  jacet,  temeque  tremens  immurmurat  atrac; 

Utqne  salire  solet  mutilats  cauda  colubrae, 

Palpitat,  et  moriens  domin»  vestigia  quxrit.  560 

Hoc  quoque  post  facinus  (vixausim  credere)  ferlur 

Sjcpe  sua  lacerum  repetisse  libidine  corpus. 

Sustinet  hac  Procnen  post  talia  facta  reverti. 
Conjuge  qusB  viso  germanam  quaerit.  At  ille 
Dat  gemilus  fictos,  commentaque  funera  narrat;  ^5 

Et  lacryma}  fecero  fidem.  Velamina  Procne» 
Deripit  ex  humeris,  auro  folgentia  lato, 
Induiturque  atras  vestes,  et  inane  sepulcnim 


230  MlilTAMORPHOSES. 

descendue  chez  les  morts.  Elle  pleure,  mais  ce  ne  sont  point  des 
larmes  qu'exigent  les  destins  de  sa  scBur.  Le  soleil  avait  traverse 
les  douze  signes.  Que  peut  if^hilomele?  Des  gardes  s'opposent  a 
sa  fuite,  et  des  rochers  forment  les  murs  de  sa  prison.  Sa  bouche 
muette  ne  saurait  rev^ler  son  infortune.  Mais  la  douleur  est  in- 
ventive,  et  le  malheur  enfanle  le  genie.  Suivant  Tusage  de  cette 
contree,  elle  dispose  sur  une  toile  des  fils  rouges  et  des  fils  blancs 
pour d^noncer  le  crime  de  Tdree.  Dds  que  l*ouvrage  est  acheve,  elle 
le  donne  k  une  des  femmes  de  sa  sceur,  et  l'invite  par  un  geste  a 
Fapporter  k  sa  maitresse.  Celle-ci  execute  ses  ordres,  sans  deviner 
le  mystere.  L'6pouse  du  cruel  tyran  deroule  le  tissu,  et  apprend 
la  d^plorable  aventure  de  sa  soeur.  Surprise  d'un  attentat  aussi 
abominable,  elle  garde  le  silence.  La  douleur  ^touffe  sa  voix. 
Quelles  paroles  pourraient  suffire  a  son  indignation?  Sans  repandre 
d'inutiles  larmes,  elle  s'elance,  pr^te  a  tout,  et  ne  respire  que  la 
yengeance. 

C'6tait  Fepoque  ou  les  femmes  de  la  Thrace  celebraient  les 
orgies.  La  nuit  pr^side  a  ces  f^tes.  Le  Rhodope  retentit  alors  des 


Constituit,  falsisque  piacula  manibus  infert, 

Et  luget,  non  sic  lugendaB  fata  sororis.  570 

Signa  deus  bis  sex  acto  lustraverat  anno. 

Quid  faciat  Philomela?  fugam  custodia  claudit : 

Structa  rigent  solido  stabulorura  moenia  saxo.        . 

Os  mutum  facti  caret  indice.  Grande  dolori 

Ingenium  est,  miserisque  venit  solertia  rebus.  575 

Stamina  barbarica  suspendit  callida  tela, 

Purpureasque  notas  filis  intcxuit  albis, 

Indicium  sceleris;  perfectaque  tradidit  uni, 

Vtque  ferat  domin»  gestu  rogat.  Illa  rogata 

Perlulit  ad  Procnen;  nec  scit,  quid  tradat  in  illis.  ;i80 

Evolvit.vestes  saevi  matrona  tyranni, 

Germanaeque  suse  carmen  miserabile  legit, 

Et  (mirum  potuisse),  silet  :  dolor  ora  reprcssit. 

Verbaque  quaerenti  satis  indignantia  linguae 

Defuerunl;  nec  flere  vacat;  sed  fasque  nefasque  585 

Confusura  ruit,  poenseque  in  imagine  tota  esl. 

Tempus  erat,  quo  sacra  solent  trieterica  Bacchi 
SithoniPB  cplebrare  nurus.  Nox  conscia  sacris ; 
Noftp  sonat  Rhodopo  linnitibus  aeris  aculi; 


LIYRE  VI.  !23i 

sons  aigus  de  l'airain.  La  reine  sort  de  son  palais  au  milieu  des 
tenebres.  Avec  rajustement  prescrit  pour  ces  fAles,  elle  a  pris 
le  costume  des  Bacchantes.  Son  front  est  couronne  de  parapres; 
la  peau  d'un  cerf  pend  a  son  c6i^  gauche;  un  thyrse  l^er 
repose  sur  son  epaule.  Suivie  d'un  nombreux  cortege  dans  les 
bois  qu'elle  parcourt,  la  terrible  Procne,  en  proie  a  tous  les 
transports  de  ia  douleur,  imite  les  pr^tresses  de  Bacchus.  Elle 
arrive  pres  de  la  demeure  secr^te  ou  Philom^le  est  retenue,  pousse 
des  hurlements,  crie  fivee,  brise  les  portes,  enleve  sa  scour,  la 
revfit  des  insignes  de  Bacchus,  cache  ses  traits  sous  le  lierre,  et 
rentraine,  hors  d*elle-m^me,  dans  son  palais.  A  peine  la  malheu- 
reuse  Philom^le  a-t-elle  touch6  le  seuil  sacril^ge,  elle  fr6mit  d'e- 
pouvante,  et  son  visage  se  couvre  de  pSleur.  Procne  la  m^ne  dans 
un  reduit  isole,  lui  6te  les  v6tements  destines  aux  orgies,  et  de- 
couvre  son  front  qui  rougit  de  honte.  Elle  la  presse  dans  ses 
bras;  mais  Philom^le  n*ose  lever  les  yeux  devant  une  soeur  dont 
elle  se  croit  la  rivale.  Les  regards  attach^s  a  la  terre,  elle  vou- 
drait  jurer,  en  invoquant  les  dieux,  que  la  violence  a  seule  im- 
prim^  une  tache  a  son  honneur.   Le  geste  remplace  la  voix. 


Nocte  sua  est  egrcssa  domo  regina;  deique  580 

Ritibus  instruitur,  furialiaque  accipit  arma. 

Vite  caput  tegitur;  lateri  cervina  sinistro 

Vellera  dependent ;  liumero  levis  incubat  hasta. 

Concita  per  silvas,  turba  comitanle  suarum, 

Tcrriliiiis  Procnc,  furiisque  agilata  doloris,  5Ur> 

Bacchc,  tuas  simulat.  Venit  ad  stabula  avia  tandem, 

Exululatquc,  Evocque  sonat,  portasque  refring!!, 

Gcrmanamquc  rapit,  raptseque  insignia  Bacchi 

Induit,  ct  vullus  hedcrarum  frondibus  abdit, 

Attonilamquc  irahens  intra  sua  limina  ducit.  GOO 

Ut  sensil  tetigissc  domum  T'hilomela  nefandam, 

Horruit  infelix,  totoque  cxpalluit  ore. 

Nacta  locum  Procne,  sacrorum  pignora  demit, 

Oraque  develat  miserni  pudibunda  sorori ; 

Amplexuque  petit.  Sed  non  attollere  coutra  605 

Sustinet  hsec  oculos,  pellex  sibi  visa  sorons. 

Dejectoque  in  humum  vuitu,  jurare  volenti, 

Testarique  deos,  per  vim  sibi  dedecus  illud 

Illatum,  pro  vocc  manus  fuit.  Ardet,  et  iraoi 


232  HfeTAMORPHOSES. 

Procn^.,  eiillammee  de  colere,  et  ne  pouvant  plus  se  contenir, 
arr&te  les  pleurs  de  Philom^le  :  «c  Ge  ne  sont  point  des  larroes  qui 
doivent  nous  venger,  dil-elle,  mais  le  fer,  ou  tout  autre  moyen 
plus  teirible  encore.  Je  suis  resolue  a  tout  entreprendre,  ma  soeur. 
Ou  je  mettrai  le  feu  a  ce  palais,  et  je  precipiterai  le  perfide  Teree 
au  milieu  des  flammes,  ou  je  ferai  tomber  sous  le  fer  sa  langue, 
ses  yeux  et  les  membres  qui  font  ravi  l'honneur;  ou  bien,  par 
milleblessuresje  lui  arracherai  son  &me  criminelle.  Je  suis  pr^te 
k  frapper  un  grand  coup;  mais  je  ne  sais  comment  assouvir  ma 
vengeance. » 

Tandis  qu^elle  exhale  sa  fureur,  Itys  accourt  pres  de  sa  mere. 
Get  enfant  lui  indique  ce  qu'elle  peut  oser.  Elle  lui  lance  un  re- 
gard  farouche :  «  Ah !  dit-elie,  quelle  ressemblance  avec  ton  pere !  » 
Sans  en  dire  davantage,  elle  se  prepare  a  un  crime  ex^rable,  et 
concentre  sa  colere  aufond  de  son  coeur.  Gependantrenfant  s'ap- 
proche,  salue  sa  m^e,  jette  autour  de  son  cou  ses  petits  bras,  et 
mSIe  des  baisers  a  ses  naives  caresses.  Procne  s'attendrit;  son 
courroux  est  suspendu.  Malgr^  elle,  des  larmes  mouillent  ses  yeux. 
Elle  sent  chanceler  son  coeur  de  m^re.  Alors,  contemplant  tour 

Non  capit  ipsa  suam  Procne,  flclumque  sororis  610 

Corripiens :  «  Non  est  lacrymis  hic,  inquit,  agendum, 
Sed  ferro,  sed  si  quid  habes,  quod  vincere  ferrum 
Possit.  In  omne  nefas  ego  me,  germana,  paravi, 
Aut  ego,  quum  facibus  regalia  tecta  cremaro, 
Arlificem  mediis  immittam  Terea  flammis ;  615 

Aut  linguam,  aut  oculos,  aut  quae  tibi  membra  pudoreni 
Abstulerunt,  ferro  rapiam;  aut  per  vulnera  mille 
Sontem  animam  expellam.  Magnum  quodcumque  paravi. 
Quid  sit  adhuc  dubito. » 

Peragit  dum  talia  Procnc, 
Ad  matrem  veniebat  Itys.  Quid  possit  ab  illo  G20 

Admonita  est;  oculisque  tuens  immitibus  :  «  Ali !  qiiam 
Es  similis  palri !  »  dixit.  Nec  plura  locuta, 
Triste  parat  facinus,  tacitaque  exaestuat  ira. 
Ut  tamen  accessil  natus,  matrique  salutem 
Attulit,  et  parvis  adduxit  colla  lacertis,  ^^*^ 

Mixtaque  blanditiis  puerilibus  oscula  junxit, 
Mota  quidem  est  genitrix,  infiractaquc  constitil  ira, 
Invitique  oculi  iacrymis  maduerc  coactis. 
Sed  simul  ex  nimia  matrem  pietate  labatd 


LIVRE  VI.  235 

h  tour  son  fils  et  sasoeur  .  « rourquoi,  dit-elle,  Tun  m*adresse-t-il 
de  douces  paroles,  tandis  que  Tautre  resle  muette?  Si  Tun  me 
liomme  sa  m^re,  pourquoi  Tautre  ne  me  nomme-t-elle  pas  sa 
soeur?  Yois  quel  homme  a  re^u  ta  main,  fiile  de  Pandion.  Tu 
d^eneres  :  la  pitie  pour  un  epoux  tel  que  Ter^  est  un  crime.  » 
Au  m6me  instant,  elle  enleve  Itys,  comme,  sur  les  bords  du  Gange, 
un  tigre  emporte  un  jeune  faon  dans  Tepaisseur  des  bois.  Des 
que  Procne  est  arriv^  au  fond  du  palais,  Tenfant  lui  tend  les 
bras,  et,  pr^voyant  son  malheur,  il  s'ecrie,  en  se  jetant  a  son  cou : 
Ma  mere!  ma  mere!  Procne,  sans  d^tourner  les  yeux,  lui  plonge 
un  poignard  dans  le  sein.  Un  seul  coup  suffisait  pour  lui  donner 
la  mort;  mais  Philomele  le  frappe  aussi  a  la  gorge.  Son  corps 
palpitant  conservait  encore  un  souffle  de  vie.  Elles  le  mettent  en 
lambeaux,  en  font  bouillir  une  partie  dans  des  vases  d'airain,  et 
placent  le  reste  sur  des  charbons  ardents.  Le  palais  ruisselle  de 
sang. 

Procn^  cache  son  crime  k  Teree  et  lui  fait  servir  ce  mels. 
Feignant  un  banquet  ou,  suivant  Tusage  d'Atb^nes,  s(m  ^poux 
seul  peut  assister,  elle  ordonne  au  cort^ge  du  roi  et  k  ses  esclaves 


Sensit,  ab  hoc  iterum  est  ad  vultusversa  sororis;  650 

Inque  vicem  spectans  ambos :  «  Cur  admovet,  inquit, 

Alter  blanditias,  rapta  silet  altera  lingua? 

Quam  vocat  hic  malrem,  cur  non  vocat  illa  sororem? 

Gui  sis  nupla  vide,  Pandione  nata  marito. 

Degeneras :  scelus  est  pielas  in  conjuge  Tereo.  »  Ga5 

Nec  mora,  traxit  Ityn,  veluti  gangetica  cervaj 

Lacleutem  foetum  per  silvas  tigris  opacas. 

Utque  domus  sitae  partem  tenuere  remotam, 

Tendentemque  manus,  et  jam  sua  fata  videntem, 

Et  Mater^  maler!  clamantem,  et  coUa  petentem,  &iO 

Ense  ferit  Procne,  lateri  qua  pectus  adhoiret, 

Nec  vultum  avertit.  Satis  illi  ad  fata  vel  unum 

Vulnus  erat;  jugulum  ferro  Philomela  resolvit. 

Vivaque  adhuc,  animoique  aliquid  retinentia  memlira 

Dilaniant.  Pars  inde  cavis  exsultat  ahenis,  645 

Pars  verubus  slridet.  Mauant  penetralia  tabo. 

His  adhibet  conjux  ignarum  Terea  mensis, 
Et  patrii  moris  sacrum  mentita,  quoduni 
Fas  sit  adire  viro,  comites  famulosque  rcmovit. 


23i  METAMORPHOSES. 

de  se  retirer.  T^r^e,  assis  sur  le  tr6ne  de  ses  aieux,  se  repait  de 
son  sang  et  engloutit  dans  son  sein  ses  propres  entrailles.  a  Ame- 
nez-moi  Itys,  •  dit-il :  tant  il  est  plong^  dans  les  t^nebres !  Procne 
ne  peut  dissimuler  sa  cruelle  joie.  Impatiente  de  lui  apprendre  son 
malheur :  « Gelui  que  tu  demandes  est  avec  toi,  »  repond-elle. 
T^ree  prom^ne  ses  regards  autour  de  lui  et  cherche  son  fils.  Tan- 
dis  qu'ii  le  cherche  et  l'appelle  sans  cesse,  Philomele,  les  cheveux 
^pars  et  ivre  de  sang,  s'avance  et  jette  latSte  sanglante  dltys  a  la 
t6te  de  son  pere.  Jamais  elle  ne  desira  plus  vivement  qu'alors  de  pou- 
voir  parler  pour  exprimer  son  all^esse.  Le  rdi  de  Thrace  repousse 
lebanquet  avec  des  cris  affreux,  et  du  fond  des  enfers  il  evoque  les 
implacables  Furies.  Tantdt  il  voudrait  retirer  de  ses  flancs  entr'ou- 
verts  les  membres  de  son  fils  qui  lui  ontservi  d'horrible  aliment; 
tantdt  il  pleure  et  s'appelle  le  malheureux  tombeau  de  son  fils ; 
tantdt,  Tep^e  k  la  main,  il  poursuit  les  filles  de  Pandion.  On  eut  dit 
que,  port^es  sur  des  ailes,  «Ues  se  balanQaient  dans  les  airs  :  elles 
volaient  en  effet.  L'une  se  refugie  dans  les  bocages ;  Tautre  vol- 
tige  sous  nos  toits.  Les  traces  de  ce  meurtre  ne  sont  pas  encore 
eifacees  sur  leur  sein  :  leur  plumage  est  empreint  de  sang,  Teree, 

Inde  gedens  solio  Tereus  sublimis  avito  650 

Vescitur,  inque  suam  sna  viscera  congerit  alvum. 
Tantaque  nox  animi  est:  «  Ityn  huc  arcessite,  »  dixit. 
Dissimulare  nequit  crudelia  gaudia  Procne ; 
Jamque  suse  cupiens  exsistere  nuntia  cladis  : 
«  Intus  habes,  quod  poscis,  »  ait.  Gircumspicit  iile,  ri:i5 

Atque  ubi  sil  quaerit;  quaerenti,  iterumquc  vocanti, 
Sicut  erat  sparsis  furiali  csede  capillis, 
Prosiliit,  Ityosque  caput  Philomeia  cruentum 
Misit  in  ora  patri;  nec  tempore  maluit  uUo 
Posse  loqui,  et  meritis  testari  gaudia  dictis.  660 

Thracius  ingenti  mensas  clamore  repellit, 
Vipereasque  ciet  stygia  de  valle  sorores; 
Et  modo,  si  possit,  reserato  pectore  diras 
Egerere  inde  dapes,  demersaqne  viscera  geslit ; 
Flet  modo,  seque  vocat  bustum  miserabile  nati ;  6ij^ 

Nunc  sequitur  nudo  genitas  Pandione  ferro. 
Corpora  Cecropidum  pennis  pendere  putares  : 
Pendebant  pennis.  Quarum  petit  allera  siivas, 
Altera  tf>eta  subit.  Neque  adhuc  de  pectore  caedis 
Effluxere  notoe,  signataque  sanguine  pluma  est.  67u 


LIVRE  VI.  235 

transport^  de  douleur  et  alt^re  de  vengeance,  est  aussi  changS 
<m  un  oiseau.  Son  front  est  par^  d'une  aigrette,  et  son  bec,  d'une 
extr^me  longueu^,  prend  la  forme  d'un  dard.  Get  oiseau  se  nomme 
buppe.  Sa  t^te  parait  arm^e.  Ge  desastre  b^ta  la  fin  de  Pandion  : 
11  descendit  au  Tartare  avant  d'avoir  atteint  le  terme  d'une  longue 
Tieillesse. 

BOB£e   ENLtlVE   0R1THTE.    IL  EN  A   DRUX  FILS,   CALAIS  ET   ZET&S, 
QUI   FURENT   AU  NOMBRE   DES   ARGONAUTES. 

VU.  Le  sceptre  et  les  r6nes  de  l'empire  pass^rent  dans  les 
mains  d'firechth6e,  monarque  aussi  cel6bre  par  sa  justice  que  par 
la  puissance  de  ses  armes.  II  avait  quatre  fils  et  autant  de  filles. 
Deux  ^taient  d'une  dgale  beaute..  Tu  fus  Fune  dVUes,  Procris,  et 
Fheureux  Gephale,  issu  du  sang  d'£ole,  avait  obtenu  ta  main. 
Blais  Teree  et  ses  Thraces  nuisirent  a  Tamour  de  Boree.  Sa  ten- 
dresse  pour  Orithye  fut  impuissante,  tanl  qu'il  aima  mieux  rob- 
tenir  par  des  prieres  que  par  la  \iolence.  Enfin,  voyant  que  la 
douceur  n'abouJtissait  a  rien,  il  fremit  de  celle  fureur  terrible  qui 
le  caract^rise  et  ne  lui  appartient  que  trop.  Dans  son  juste  courroux, 
il  s'ecria :  «  Pourquoi  ai-je  quitt^  mes  armes,  rimpetuosile,  la 

Ille  dolore  suo,  pcDnacquc  cupidinc  velox, 

Vertitur  in  volucrem,  cui  stant  in  vertice  cristae ; 

Prominet  immodicum  pro  longa  cuspide  rostrum. 

Nomen  Epops  volucri :  facies  armata  videtur. 

llic  dolor  ante  diem,  longajquc  extrema  senecta>  67.^> 

Tempora,  tartareas  Pandiona  misit  ad  umbras. 

ORITHYAM   BOREAS  RAPIT,    ATQCE   EX  BAPTA   CALAIN  PROCREAT   ET  ZETEX, 
QUI   FDERUNT   EX   ARGONAUTIS. 

VII.    Sceptra  loci,  rcrumque  capit  moderamen  Erechtheus. 
Justitia  dubium,  validisne  potcnlior  urmis. 
Quattuor  illc  quidcm  juvenes,  totidemquc  crcarat 
Femineje  sortis.  Sed  erat  par  forma  duarum,  680 

E  quibus  iEolides  Ceplialus  te  conjugo  felix, 
Procn,  fuit.  Boreai  Tcrcas  Thracesque  nocebant; 
Dilectaqu'3  diu  caruit  deus  Oritliyia, 
Dum  rogat,  ct  precibus  mavult,  quam  viribus,  uti. 
Ast  ubi  blanditiis  agilnr  uihil,  horridus  ira,  68$ 

Quse  solita  est  illi,  nimiumque  domestica,  vento; 
Et  merito,  dixit :  «  Quid  enim  mea  tela  reliqui, 


m  N^TAMORPHOSES. 

force,  la  colere  et  la  menace?  Pourquoi  ai-je  recouru  a  la  priere, 
qui  n*est  pas  faite  pour  moi?  La  violence  est  mon  partage.  Par 
elle  je  dissipe  les  sombres  nuages;  par  elle  fe  bouleverse  les 
fiots,  je  reuyerse  les  robustes  ch^nes,  je  durcis  la  neige  et  j*en- 
voie  la  gr^le  sur  ]a  terre.  Si,  dans  les  plaines  de  l'air  qui  smit 
mon  domaine,  je  rencontre  mes  freres,  je  lulte  avec  de  tels  ef- 
forts,  que  notre  choc  fait  gronder  le  tonnerre  et  jaillir  les  eclairs 
du  sein  des  nues.  Cest  moi  qui,  penetrant  dans  les  entrailles  de 
la  terre,  et  soulevant  fi^rement  mon  dos  dans  ses  cav^mes  pro- 
fondes,  ^pouvante  les  ombres  et  fais  chanceler  runivers.  J'aurais 
dti  faire  valoir  ma  puissance  en  demandant  une  ^pouse ;  j'aurais 
dii  employer  la  violence,  et  non  la  priere,  pour  devenir  le  gendre 
d'firechth6e.  • 

A  peine  Bor^e  a-t-il  profere  ces  paroles  ou  d^autres  non  moins 
superbes,  quMl  secoue  ses  ailes.  Soudain  un  souflfle  violent  boule- 
verse  la  terre,  et  la  mer  fr^mit.  Boree  promene  sur  la  cime  des 
monts  son  manteau  poudreux;  il  balaye  la  terre,  et,  couvert  d'un 
nuage,  il  enveloppe  tendrement  de  ses  sombres  ailes  Orithye 
tremblante  d^effroi.  II  vole,  et  son  essor  donne  a  ses  feux  une 

SiBviliam,  et  vires,  iramque,  aniinoscjue  minaces? 

Admovique  preces,  quarum  me  dedecet  usus? 

Apta  mihi  vis  est :  vi  tristia  nubila  peiio;  690 

Vi  freta  concutio,  nodosaque  robora  verto, 

Induroque  nivcs,  et  terras  grandine  pulso. 

Idem  ego  quum  fratres  ccelo  sum  nactus  aperto, 

(Nam  mihi  campus  is  est),  tanto  molimine  luctor, 

Ut  medius  nostris  concursibus  intonet  aethcr,  G95 

Euiliantque  eavis  elisi  nubibus  igncs. 

Idem  ego,  quum  subii  convexa  foramina  terrse, 

Supposuique  ferox  imis  mea  terga  cavernis, 

SoUicito  manes,  totumque  tremoribus  orbem. 

Hac  ope  debueram  thalamos  petiisse,  socerquc  700 

Non  orandus  erat,  sed  vi  faciendus,  Erechtheus.  » 

HaBC  Boreas,  aut  his  non  inferiora  locutus, 
Excussit  pennas.  Quarum  jactatibus  omnis 
AfQata  est  tellus,  latumque  perhorruit  acqOor ; 
Puivereamque  trahens  per  summa  cacumina  pallam,         70S 
Verrit  humum;  pavidamque  metu  caligine  tertus 
Orilhyian  amans  fulvis  amplectitur  alis. 
Dum  volat,  arserunt  agitati  fortius  ignes; 


LIYRE  VI.  237 

force  nouvelle.  11  n^arr^e  sa  course  aerienne  qu'apres  avoir  at- 
teint  la  region  des  Thraces,  siege  de  son  empire.  G*est  l^  que  la 
jeune  Athenienne  devint  epouse  du  roi  des  frimas  et  en  m^e 
temps  mere.  EUe  donna  le  jour  a  deux  jumeaux  qui  lui  ressem- 
Maient,  et  qui  n'eurent  de  Boree  que  les  ailes.  On  dit  pourtant 
qu*elles  ne  naquirent  point  avec  eux.  Tant  que  la  barbe  ne  se 
montra  point  au-dessous  de  leur  blonde  chevelure,  Galais  et  Zetes 
furent  sans  ailes ;  mais,  des  qu'un  leger  duvet  ombragea  leurs 
joues,  un  plumage  pareil  a  celui  des  oiseaux  revMit  leurs  fldncs. 
Lorsque  Tenfance  eut  fait  place  a  la  jeunesse,  unis  aux  descen- 
dants  de  Minyas,  pour  coiiquerlr  la  toison  d'or,  ils  travers^rent 
sur  le  premier  vaisseau  une  mer  que  la  rame  n'avait  jamais 
sillonnee. 

Nec  prius  aerii  cursus  siippressit  liabenas, 

Quam  Sitiionum  tenuit  populos,  sua  moenia,  raptur.         7J0 

Ulic  et  gelidi  conjux  acUea  tyranni, 

£t  genitrix  facta  est,  partus  enixa  gemellos, 

Csetera  qui  matris,  pennas  geniioris  habercut. 

Non  tamen  has  una  memorant  cum  corpore  natas. 

Barbaque  dum  rutilis  aberat  submissa  capillis,  715 

Implumes  Calaisque  puer,  Zetesque,  fueruiit. 

Mox  pariter  ritu  penna!  coeperc  volucrum 

Cingere  utrumque  latus,  puiiter  flavescerc  malie. 

Ergo,  ubi  concessit  tempus  puerile  juventae, 

Vellera  cuin  Minyis  nitido  radianlia  villo,  720 

Per  marc  non  molum  primu  petieic  curina. 


LIVRE  SEPTlEME 


JASON,  PAR  LE  SECOLHS  DE  MEDBE,  S'eIIPARE  DE  LA  TOISON  I)'OR. 

I.  D6ja  les  Argonautes  fendaientles  ondes  sur  le  navire  construit 
a  Pagase;  d6ja  Phinee,  dont  la  miserable  vieillesse  se  trainait  au 
sein  d  une  ^ternelle  nuit,  s^etait  montre  a  leurs  yeux,  et  les  jeunes 
fils  de  Boree  avaient  chasse  loin  du  malheureux  vieillard  les  oi- 
seaux  a  qui  la  nalure  donna  des  trails  de  vierges.  Sous  la  conduile 
de  riliustre  Jason,  apres  de  longues  traverses,  iis  avaient  touclie 
enfin  les  eaux  rapides  et  limoueuses  du  Phase.  Us  se  rendent  au- 
pres  du  roi,  et  demandent  la  toison  du  b^lier  de  Pliryxus.  U  leur 
apprend  par  quels  penibles  travaux  elle  doit  6tre  conquise.  Ce- 
pendant  un  feu  violent  s^allume  dans  le  coeur  de  la  fille  d'£etes. 
£lle  combat  iongtcmps ;  mais  la  raison  ne  peut  triompher  de  son 
delire»  u  Tu  resistes  en  vain,  Medee,  se  dit-elle;  je  ne  sais  quel 


/T 


LIBER  SEPTIMUS 


JASON,    ADJUVANTE   ME1)EA,   VEILUS  AUREU:>I    REFLUT. 

1.    Jamque  frelum  Min^ae  pagasaea  puppe  secabaiil, 
Perpetuaque  trahens  inopem  sub  nocte  seneclam 
Phincus  visus  erat;  juvenesque  Aquiloue  cren.ti 
Virgineos  volucres  raiseri  senis  ore  fugarant ; 
Multaque  perpessi  claro  sub  lasone,  tandcm  '> 

Contigerant  rapidas  limosi  Phasidos  undas. 
Dumqueadeunt  regem,  phryxeaque  vellera  poscunl, 
Lexque  datur  numeris  magnorum  horrcnda  laboruni, 
Concipit  interea  validos  (Ectias  ignes; 
Et  luctata  diu,  pustquam  rationc  furorem  10 

Vincere  non  poterat :  c  Frustra,  Medca,  i  (.'pugua= , 


LIVRE  Vll.  239 

dieu  rend  mes  efforts  inutiles.  J'6prouve  un  sentiment  qui  m'e- 
tonne;  oui,  il  ressemble  a  ce  qu'on  appelle  l'amour.  Pourquoi 
trouver  cruels  les  ordres  de  mon  pere?  Ordres  cruels,  en  effet! 
Pourquoi  craindre  qu'un  heros  que  j'ai  vu  a  peine  une  fois  ne 
perisse?  Quelle  est  la  cause  d'une  si  vive  crainte?  Malheureuse! 
bannis,  si  tu  lepeux,  deton  coeur  pudique  la  flamme  qui  te  d6- 
vore!  Si  je  le  pouvais,  je  serais  plus  calme. 

«Mais  uneforceinconnue  m'entrainemalgremoi.  L'amour  m*in- 
dique  une  route,  et  la  raison  une  autre.  Je  veux  suivre  la  vertu 
que  j'aime,  et  je  c6de  au  mal.  Issue  du  sang  royal,  pourquoi  bru- 
ler  pour  un  etranger?  Pourquoi  te  marier  loin  de  ta  patrie?  Tu 
peux  trouver  ici  un  objet  digne  de  ton  amour.  Les  dieux  peuvent 
disposer  des  jours  de  Jason.  QuMl  vive!  je  puis  former  ce  vceu, 
m^me  sans  amour.  En  quoi  est-il  coupable?  Quelle  femme»  a 
moins  d'6tre  barbare,  ne  serait  point  louch^e  de  sa  jeunesse,  de 
sa  naissance,  de  son  courage  ?  Quelle  femme,  n'eiit-il  pas  d'autre 
avantage,  serait  insensible  a  sa  beaute  ?  Elle  a  fait  impression  sur 
moi ;  et  cependant,  si  je  ne  lui  prete  mon  appui,  il  sera  en  butte 
aux  flammes  vomies  par  des  taureaux ;  il  succombera  au  milieu 
d'ennemis  semes  par  ses  mains  et  sorlis  du  sein  de  la  terre,  ou 


Nescio  quis  deus  obstat,  ait ;  mirumque,  nisi  hoc  est, 

Aut  aliquid  certe  simile  huic,  quod  amare  vocalur. 

Nam  cur  jussu  patris  nimium  mihi  dura  videntur? 

Sunt  quoque  dura  nimis.  Cur  quera  modo  deuiquc  vidi,     Ib 

Ne  pereal,  timeo?  Qu»  tanti  causa  limoria? 

Excute  virgineo  conceplas  pectore  ilammas> 

Si  potes,  infelix  :  si  possem,  sanior  essem. 

«t  Sed  trahit  invitam  nova  vis,  aliudque  GupidO, 
Meus  aliud  suadct.  Video  meliOra,  proboque ;  20 

Deteriora  sequor.  Quid  in  hospite,  regia  virgo, 
Ureris?  ct  thalamos  alieni  concipis  orbis? 
JliBc  quoquo  terra  polcsl,  quod  ames,  dare.  Vivut,  uu  iiie 
Occidal,  in  dis  esl.  Vivat  lamen;  idquc  precari, 
Vel  sine  amore  licet.  Quid  enim  commisit  lason?  45 

Quani,  nisi  crudelem,  non  tangut  lasonis  oitas, 
Et  genus,  et  virlus?  Quara  non,  ut  caetera  dcsint, 
Fornia  movere  potest?  Cerle  mea  pectora  movit. 
At,  uisi  opem  tulero,  laurorum  afilabitur  ore, 
Coucurretque  su»  segeti,  tcliuro  creatis  30 


240  METAMORPHOSES. 

bien  il  deyiendra  la  proie  d'un  dragon  altere  de  sang.  Ah !  si  jc 
souffrais  de  telles  horreurs,  je  me  croirais  n^e  d'une  tigresse,  et 
je  croirais  porter  un  coeur  de  fer  et  de  roche.  Cependant  pourquoi 
ne  pas  vouloir  fitretemoin  de  sa  mort?  Pourquoi  ne  point  souil- 
ler  mes  yeux  d'un  tel  spectacle  ?  Pourquoi  ne  pas  exciter  contre  lui 
les  taureaux,  les  feroces  enfants  de  la  terre  el  le  dragon  inacces- 
sible  au  sommeil  ?  Que  les  dieux  le  protegent !  Mais  a  quoi  seryent 
mes  voBux,  si  je  ne  Taide  point?  Cependant  dois-je  livrer  le  sceptre 
de  mon  p^re  ?  Irai-je  assurer  le  salut  de  je  ne  sais  quel  etranger 
qui,  sauve  par  moi,  abandonnera  sans  moi  sa  voile  aux  vents,  et 
deviendra  Fepoux  d'une  autre,  tandis  que  je  subirai  la  peine  de 
son  crime  ?  S'il  est  capable  d'une  pareille  trahison,  s'il  peut  me 
sacrifier  a  une  autre  femme,  qu'il  perisse,  Tingrat ! 

«  Mais  la  noblesse  de  ses  traits,  Felevation  de  sonSme,  la  beaute 
de  sa  figure,  rien  ne  me  permet  de  soup^onner  une  pertidie  ou 
roubli  de  mes  bienfaits.  D'ailleurs,  avant  d'^lre  secourU)  il  enga- 
gera  sa  foi,  et  je  le  forcerai  a  invoquer  les  dieux  comme  garanls 
de  ses  promesses.  Pourquoi  trembler,  quand  tout  te  rassure  ? 
Mets-toi  a  Foeuvre  sans  retard.  Jason  te  sera  pour  jamais  enchaine 
par  la  reconnaissance ;  il  allumera  solennellement  le  flambeau  de 

Hoslibus,  aut  avido  dabitur  fera  prseda  draconi. 

Hoc  ego  si  patiar^  tum  me  de  tigride  natam, 

Tum  ferrum  et  scopulos  gestare  in  corde  fatebor.  ' 

Cur  non  et  specto  pereuntem,  oculosque  videndo 

Conscelero?  Cur  non  lauros  exhortor  in  iilum,  35 

Terrigenasque  feros,  insopilumque  draconem  ? 

Di  meliora  velintl  Quanquam  non  ista  prccandu, 

Sed  facienda  mihi.  Prodamne  ego  regna  parentis? 

Atquc  ope  nescio  quis  servabitur  advena  noi^lra, 

Ut  per  me  sospes,  sine  me,  det  lintea  veniis,  40 

Virque  sit  alterius?  PGenac  Mcdea  reliuquar? 

Si  facere  hoc,  aliamve  polest  prseponcre  nohi:?, 

Occidat  ingratus. 

«  Sed  uon  is  vultus  iu  illo, 
Mon  ea  nobiUtas  animo  est,  ea  gratia  forma;, 
Ut  limeam  fraudem,  merilique  oblivia  nostri.  ij 

Kt  dabit  anle  fidem,  cogamque  in  foedera  tesles 
Esse  deos.  Quid  tuta  times?  Accingere,  et  omnem 
Pelle  moram.  Tibi  se  sempcr  debebit  lason; 
Tc  face  solenni  junget  sibi,  pcrque  pdasgas 


LIVRE  VII.  241 

rhymen  pour  s'unir  a  toi,  et,  dans  les  villes  de  la  Gr^,  les  meres 
te  nommeront  la  liberatrice  de  leurs  enfants.  Hais  quoi !  j^aban- 
donnerai  donc  ma  soeur»  mon  fr^re  et  mon  p^re,  et  les  dieux  et 
le  sol  natal,  pour  me  livrer  kla  merci  des  vents?  Oui,  mon  p^re 
est  cruel,  ma  patrie  est  barbare,  mon  fr^re  est  encore  enfant,  et 
ma  sceur  seconde  mes  voeux.  Le  plus  puissant  des  dieux  est  en 
moi.  Je  quitte  une  fortune  obscure  pour  une  brillante  destinee, 
la  gloire  de  sauver  la  jeunesse  de  la  Grece,  et  celle  de  connaitre 
une  contr^  plus  ferlile,  des  villes  dont  la  renommee  est  parvenue 
jusqu'^  nous,  les  moeurs  et  les  arts  de  leurs  habitants,  enfin  le 
fils  d'£son,  pour  qui  je  donnerais  tous  les  tr^sors  de  Tunivers. 
£pouse  fortunee  de  ce  heros,  je  serai  proclameela  favorite  deslm- 
mortels,  et  ma  tSte  s'el6vera  jusqu'aux  cieux. 

«  Que  mMmportent  je  ne  sais  quelles  montagnes  qui  semblent  se 
confondre  au  milieu  des  flots,  et  Tecueil  si  fatal  aux  navigateurs, 
Charybde,  qui  tantdt  absorbe  les  ondes  et  tantdt  les  rejette,  et  la 
devorante  Scylla  entouree  de  chiens  furieux  qui  font  retentir  de 
leurs  aboiements  le  detroit  de  Sicile?  Avec  Tobjet  de  mon  amour, 
pressee  sur  le  sein  de  Jason,  je  parcourrai  toutes  les  mers.  Dans 
sesbras,  jeserai  saiis  effroi,  ou,  si  j'6prouve  quelque  crainte,  je 

Servatrix  urbes  matrum  celebrabere  turba.  J>0 

Ergo  ego  germanam,  fratremque,  patremque,  deosquc, 
Et  natalc  solum,  ventis  ablata,  rclinquam? 
Nempc  pater  ssevus,  nempe  est  mea  barbara  tellus; 
Frater  adhuc  infans;  stant  mecum  vota  sororis. 
Maximus  intra  me  deus  est.  Non  magna  relinquaui ;  55 

Magna  sequar,  titulum  servato:  pubis  achivae, 
Notitiamque  loci  melioris,  et  oppida,  quorum 
Hic  quoque  fama  viget,  cultusque,  artesque  viroruui; 
Quemque  ego  cum  rebus,  quas  totus  possidet  orbis, 
iEsonidem  mutasse  velim.  Quo  conjuge  felix,  G() 

Et  dis  cara  ferar,  et  vertice  sidera  tangam. 

«  Quid,  quod  ncscio  qui  mediis  concurrerc  in  uudis 
Dicuntur  niontes,  ratibusque  inimica  Charybdis, 
?(uuc  sorberc  fretum,  nunc  reddere,  cinctaquc  sicvis 
Scylla  rapax  canibus  siculo  latrarc  profundo?  6j 

Nempc  tenens  quod  amo,  gremioque  in  lasouis  hxrens, 
Per  frela  longa  trahar.  Nihil  illum  ampleia  vcrebor; 
Aul,  si  quid  mcluam,  metuam  de  conjuge  solo. 


242  METAMORPHOSES. 

ne  tremblerai  que  pour  mon  ^poux.  Queparles-tu  d'6poux?  M6- 
d^,  tu  couYres  ta  faute  d'un  nom  specieux.  Regarde  plutdt  quel 
crime  tu  vas  commettre.  fivile-le ;  il  en  est  temps  encore.  »  Eile 
dit.  A  ses  yeux  apparurent  soudain  la  vertu,  la  piete,  l'honneur> 
et  l'Amour  vaincu  s^apprStait  a  prendre  la  fiiite. 

MSdee  portait  ses  pas  vers  les  antiques  autels  d^Hecate»  fille  de 
Pers6e.  Ils  s'elevaient  au  fond  d*un  bois  qui  les  couvrait  d'un 
mysterieux  ombrage.  Son  coeur  raffermi  ne  ressentait  plus  les 
atteintes  de  Tamour,  lorsqu'elle  voit  le  fils  d'£son.  Tout  a  coup 
ses  ardeurs  se  raniment,  la  rougeur  couvre  ses  joues,  et  tous  ses 
traits  s'en£lamment.  Gomme  on  voit  une  faible  etincelle  cachee 
sous  la  cendre  se  d^velopper  au  souffie  du  vent,  et  s'etendre  bientdt 
en  reprenant  sa  force  premi^re,  la  passion  de  Medee,  qui  sem- 
blait  refroidie  et  mourante,  se  rallume  a  Taspect  des  charmes 
dn  jeune  heros.  La  beaut^  du  fils  d'£son  etait,  par  hasard,  en 
ce  jour,  plus  eblouissante  qu'a  fordinaire :  c'etait  une  excuse  pour 
son  amante.  Elle  le  regarde  et  le  devore  des  yeux,  conrnie  si  elle  le 
voyait  pour  la  premiere  fois.  Insensee !  elle  ne  croit  plus  contem- 
pler  les  traits  d'un  mortel,  et  ne  se  d^tourne  pas  un  instant  de  lui. 

Conjugiumne  putas?  speciosaque  nomina  culpae 

Imponis,  Medea,  tu»?  Quin  aspice  quanlum  ^O 

Aggrediare  uefas;  et,  dum  licet,  effuge  crimen. » 

Bixit,  et  ante  oculos  reclum,  pietasque,  pudorque 

Gon&titerant ;  et  victa  dabut  jam  terga  Cupido. 

Ibat  ad  anliquas  Hecates  Perseidos  aras, 
Quas  nemus  umbrosum,  secretaque  silva  tegebaut.  75 

Et  jam  fortis  erat,  pulsusque  rcsederat  ardor, 
Quum  videt  ^souiden,  exstinctaque  fiamma  revixil; 
Et  rubuere  genae,  totoque  recanduit  ore. 
Ut  solet  a  ventis  aiimenta  assumere,  queque 
Parva  sub  inducta  latuit  scintilla  favilla,  80 

Crescere,  et  in  veteres  agitala  resurgere  vires; 
Sic  jam  lentus  amor,  jam  quem  languere  putuics, 
Ut  vidit  juvenem,  specie  praesentis  inarsit. 
Et  casu,  solito  formosior  ^sone  natus 
lUa  luce  fuit  :  posses  ignoscere  amanti.  Sj 

Spectat,  et  iu  vullu,  veluti  tum  denique  viso^ 
Lumina  fixa  teuet,  ncc  se  mortalia  dcuiens 
Ora  videre  putat,  nec  se  declinat  ab  illo. 


LIVRE  VII.  243 

Enfin  r^tranger  commence  a  parler.  II  saisit  sa  main,  implore  son 
appui  d'une  voix  suppliante,  et  la  demande  en  mariage.  Alors  M^ 
d^e,  fondant  en  larmes :  a  Je  sais  bien  ce  que  je  devrais  faire, 
dit-elle,  et  ma  faute  ne  pourra  pas  s'imputer  a  rignorance,  mais  h 
Tamour.  Tu  seras  redevable  de  ton  salut  k  mes  bienfaits.  Sauve 
par  moi,  remplis  tes  promesses. »  Jason  prend  k  temoin  la  triple 
Hecate,  divinite  tutelaire  de  cette  forSt,  le  dieu  dont  les  regards 
embrassent  runivers  et  qui  donna  le  jour  a  son  futur  beau-p^re, 
et  sa  fortune,  et  les  affreux  dangers  qui  Tattendent.  Med^e  re^oit 
ce  serment,  lui-  presente  aussit6t  les  herbes  enchantees  et  lui  en 
apprend  l'usage.  Jason,  transporte  de  joie,  retourne  auprSs  de  ses 
compagnons. 

Le  lendemain,  des  que  TAurore  eut  cliass^  les  etoiles,  les  ha- 
bitants  de  la  contr^  accoururent  vers  le  champ  consacre  au  dieu 
Mars,  et  s'arrelerent  sur  les  hauteurs  qui  le  dominent.  Le  roi  s'as- 
sit  au  milieu  d'eux,  couvert  d'unmanteau  de  pourpre  et  un  sceptre 
dMvoire  k  la  main.  Soudain  les  taureaux  aux  pieds  d'airain  vomissent 
de  leurs  naseaux  de  fer  une  vapeur  ardente  qui  dess^che  et  br^e 
le  gazon.  De  mtoe  que  la  flamme  gronde  dans  un  foyer  rempli  de 
matieres  combustibles,  ou  comme  dans  une  fournaise  la  chaux 

Ut  vero  coppitque  loqui,  dextramquc  prehendit 

Hospes,  et  auxilium  submissa  \oce  rogavit,  90 

Promisitque  torum,  lacrymis  ait  illa  profusis : 

«  Quid  faciam  video;  nec  me  ignoranlia  veri 

Decipiet,  sed  amor.  Servabcre  munerc  nostro. 

Servatus  promissa  dato. »  Per  sacra  iriformi^ 

lUe  deae,  lucoque  forct  quod  numen  in  illo,  95 

Perque  patrem  soceri  cementem  cuncta  futuri, 

Eventusqne  suos,  et  tanta  pericula  jurat. 

Credilus,  accepit  cantatas  protinus  herbas, 

Edidicitque  usum,  laetusque  in  caslra  reccssil. 

Postera  dcpulerat  stellas  Aurora  micantes.  iOU 

Conveniunt  populi  sacrum  Havortis  in  arvum, 
Gonsistuntque  jugis.  Mediorex  ipse  resedit 
Agmine  purpureus,  sceplroque  insignis  eburno. 
Ecco  adamanteis  Vulcanum  naribus  efQanl 
iEripedes  tauri ;  tactseque  vaporibus  herba^ 
Ardent;  utque  solent  pleni  resonare  camini, 
Aul  ubi  terrena  silicos  fornace  soluti 


m  HfiTAVORPHOSES. 

impr^gn^  d*eau  se  dissout  et  bouillonne,  ainsi  la  poitrine  etla  bou* 
cheembras^e  des  taureaux  vomissent  a  grand  bruit  des  tourbillons 
de  feu.  Gependant  le  fils  d'fison  marche  a  leur  rencontre.  Ils  le 
regardent  d*un  air  farouche,  lui  presentent  une  face  terrible  et 
un  front  h^riss^  de  cornes  de  fer.  La  poussi^re  vole  sous  leurs 
pieds,  et  leurs  mugissements,  accompagnes  d'un  nuage  de  fumte, 
i^etentissent  au  loin  dans  la  plaine.  La  crainte  glace  les  Argonautes. 
Jason  affronte  les  feux.  GrSce  k  ses  herbps  enchantees,  il  ne  les 
smit  pas  s'exhaler  autour  de  lui.  D'une  main  bardie  il  caresse  le 
&non  des  taureaux,  les  soumet  au  joug,  les  force  a  trafner  la 
pesante  charrue  et  a  d^chirer  avec  le  soc  une  terre  vierge  encore. 
Les  babitants  de  la  Golchide  restent  immobiles  de  surprise ;  les 
Argonautes  excitent  par  leurs  cris  le  courage  du  h^ros.  Alors  il 
tire  d'un  casque  d'airain  les  dents  du  dragon  de  Mars,  et  les  sSme 
dans  les  sillons  nouvellement  trac^s.  La  terre  ramollit  ces  dents 
humect^sd'un  philtre  puissant.  Elles  croissent  et  produisent  des 
hommes  nouveaux.  Gomme  un  enfant  prend  la  forme  humaine 
dans  les  flancs  de  sa  m^re,  s*y  developpe  par  degres  et  ne  vient  au 
jour  qu'apr^s  avmr  achev^  son  accroissement,  lorsque  des  hom- 


Concipiunt  ignem  liquidaruro  aspergine  aquanim ; 

Pectora  sic  intus  clausas  volventia  flammas, 

Gutturaque  usta  sonant.  Tamen  illis  Jlsone  natus  110 

Obvius  it.  Vertere  truces  venienlis  ad  ora 

Terribiles  vultus,  prsefixaque  cornua  ferro, 

Pulvereumque  solum  pede  pulsavere  bisulco, 

Fumificisque  locum  mugitibus  implevere. 

Diriguere  metu  HiuYaB.  Subit  ille,  nec  ignes  115 

Sensit  anhelatos:  tantum  medicamina  possunt! 

Pendulaque  audaci  mulcet  paiearia  dextra ; 

Suppositosque  jugo  pondus  grave  cogit  aralri 

Ducere,  et  msuetum  ferro  proscindere  campum. 

Mirantur  Colchi;  Minyae  clamoribus  implent,  1*20 

Adjiciuntque  animos.  Galea  tum  sumit  ahena 

Vipereos  dentes^  et  aratos  spargit  in  agros. 

Semina  moUit  humus,  valido  praetincta  veneno, 

Et  crescuul,  fiuntque  sati  nova  corpora  dentes. 

Utquc  honiinis  spccicm  matenia  sumil  in  alvo,  1^^ 

Perque  suos  intus  numeros  compouitur  infans, 

Nec  nisi  maturus  communes  exit  in  auras; 


LIVRE  VII.  245 

mes  ont  ^te  formes  du  germe  d^pos^  dans  le  sein  de  la  terre,  Os 
surgissent  sur  le  sol  qui  les  engendre,  et,  pour  comble  de  prodige, 
ijs  brandissent  des  armes  nees  avec  eux. 

£n  les  voyant  pr6ts  a  tourner  leurs  javelots  contre  le  heros  de 
Thessalie,  )es  Grecs  tremblent  et  baissent  le  front.  La  terreur 
gagne  mSme  Tamante  qui  Favait  rendu  invulnerable.  A  Taspect 
du  jeune  etranger,  seul  en  butle  aux  coups  de  tant  d'ennemis, 
elle  p^t  et  le  sang  se  glace  tout  a  coup  dans  ses  veines.  Grai- 
gnant  que  les  herhes  dont  elle  Fa  pourvu  soient  peu  efQcaces,  elle 
£ut  entendre  des  chanls  magiques  et  appelle  a  son  aide  les  mys- 
teres  de  son  art.  Jason  lance  une  enorme  pierre  k  ses  ennemis,  et 
reporte  sur  eux  Tattaque  qu'il  eloigne  de  lui.  Les  enfants  de  la 
terre  toument  leurs  armes  contre  eux-mSmes,  et  suocombent  vic- 
times  de  la  guerre  civile.  Les  Grecs  felicitent  le  vainqueur;  ils 
l^entourent  et  le  pressent  avidement  dans  leurs  bras.  Toi  aussi, 
tu  voudrais  rembrasser,  princesse  nee  dans  ces  r^ons  barbares. 
Sans  la  pudeur  qui  farrSte,  comme  tu  Taurais  serre  sur  ton  coeur ! 
Mais  lesoin  de  ton  honneur  comprime  tes  d^sirs.  Du  moins,  il  est 
permis  a  ton  amour  de  se  r^jouir  en  silence.  Tu  rends  grAce  k 

Sic  ubi  visceribus  gravidsQ  lclluris  imago 

Effecta  est  hominis,  fceto  consurgit  in  arvo; 

Quodque  magis  mirum,  simul  edita  conculit  arma.  130 

Quos  ubi  viderunt  prseacutae  cuspidis  hastas 
In  caput  hasmonii  juvenis  torquere  paratos, 
Demisere  metu  vultumque  animumque  Pelasgi. 
Ipsa  quoque  extimuit,  quao  lutum  fecerat  illum ; 
Utque  peti  juvenera  tot  v^dit  ab  hostibus  unum,  J!)5 

Palluit,  et  subito  sine  sanguine  frigida  sedit. 
Neve  parum  valeant  a  se  data  gramina,  carmcn 
Auxiliare  canit,  secretasque  advocat  artes. 
Ille,  gravem  medios  silicem  jaculatus  in  hoslcs, 
Ase  depulsum  Martem  convertit  in  ipsos.  1J0 

Terrigenae  pereunt  pcr  mutua  vulnera  fratres, 
Civilique  cadunt  acie.  Gralantur  Achivi, 
Victoremque  tenent,  avidisque  amplexibus  haBrent, 
Tu  quoque  victorem  complecti,  barbara,  vellcs. 
Obstitit  incepto  pudor.  Ut  complexa  fuisses !  145 

Sed  te,  ne  iaceres,  tenuit  revercntia  famse. 
Quod  licet,  affectu  tacito  Isetaris,  agisqu« 

14 


846  MftTAMORPHOSES. 

tes  enchantements,  et  aux  dieux  qui  leur  ont  donn6  tant  de 


Jason  devait  encore  endormir,  par  la  vertu  des  herbes,  le  dra- 
gon  vigilant  arm6  d'une  aigrette,  d'une  triple  langue  et  de  dents 
recourb^es,  monstre  redoutable  qui  gardait  la  toison  d'or.  II  re- 
pandit  sur  sa  tftte  un  suc  soporifique,  et  prononga  trois  fois  les 
paroles  qui  produisent  un  paisible  sommeil,  calment  le  courroux 
des  flots  et  arrMentles  fleuves  debordes.  Lesommeil,  jusqu'alors 
mconnu  au  monstre,  appesantit  ses  yeux.  L'intrepide  fils  d*fison 
s'empare  de  la  riche  proie.  Fier  de  sa  conqufile,  il  emmene  avec 
lui  celle  a  qui  11  la  doit,  et  qui  est  aussi  une  conqu^te,  et  rentre 
avecson  ^pouse  dans  les  ports  d'Iolcos. 

viDiE  RAJEUNIT  LE  VIE1L  l^SON. 

n.  Les  femmes  et  les  vieillards  de  Thessalie  apportent  des  of-' 
frandes  aux  dieux  pour  les  remercier  du  retour  de  leurs  enfants. 
L'encens  brule  sur  le  brasier  sacre,  et,  les  comes  entrelac^es  de 
bandelettes  d'or,  les  victimes  tombent  sous  le  fer  pour  acquitter 
leurs  voeux.  Mais  dans  cette  foule  reconnaissante  on  ne  voit  pas 
£son,  deja  voisin  du  terme  fatal  et  affaisse  sous  le  poids  de  T^ge. 

Carminibus  grates,  et  dis  auctoribus  horum. 

Pervigilcm  superest  herbis  sopire  draconcm, 
Qui  crista  linguisque  tribus  prsesignis,  et  uncis  150 

Dentibus  horrendus,  custos  erat  Arietis  aurei. 
Hunc  postquam  sparsit  lethaei  gramine  succi, 
Verbaque  ter  dixit  placidos  facientia  somnos, 
Quae  mare  turbatum,  quse  concita  flumina  sistant, 
Somnus  in  ignotos  oculos  advenit,  et  auro  155 

Heros  sesonius  potitur;  spolioque  superbus, 
Muneris  aclorem  secum,  spolia  altera,  portans, 
Victor  iolciacos  tetigit  cum  conjuge  portus. 

^SON   E   SENE   IN   JUVENEM   A  MEDEA   VERTITnR. 

II.    Haemoniae  matres  pro  natis  dona  receptis, 
Grandaevique  ferunt  patres;  congestaque  flamma  160 

Vhura  liquefiunt,  inductaque  comibus  aurum 
Victima  vota  cadit.  Sed  abest  gratanlibus  iGson, 
Jam  propior  letho,  fessusqiie  senilibus  annis. 


LIVRE  VII.  247 

Son  fils  alors  fait  entendre  oes  roots :  f  0  toi,  rauteur  de  mon 
salut,  ch^re  ^pouse,  tu  m'as  combl^  de  tesbienfaits,  et  ta  lib^ralit^ 
passe  toute  croyance.  Gependant,  si  elle  peut  aller  jusque-Ia  (et 
que  ne  peuvent  tes  enchantements! ),  retranche  quelques  ann^ 
de  ma  vie,  et  ajoute-les  aux  ann^es  de  moh  p^re.  »  En  parlant 
ainsi»  il  ne  peut  retenir  ses  larmes.  Gette  priere  attendrit  M^ee. 
Son  ccBur,  bien  different  de  celui  de  Jasou,  se  reporle  vers  fiet^s, 
qu*elle  a  quitt^.  Mais  elle  na  laisse  pas  ^clater  son  ^motion.  «  0 
mon  epoux !  dit-ello,  quel  voeu  coupable  est  sorti  de  ta  bouche! 
Quoi!  je  pourrais  prendre  sur  ta  vie  pour  allonger  celle  d'un 
autre!  Ah !  que  jamais  Hecate  ne  me  permette  une  telle  impi^t^! 
Jason,  ta  priere  est  injuste ;  mais  je  tenterai  de  te  procurer  un 
bien  au-dessus  de  ce  que  tu  demandes.  J'essayerai  de  prolonger 
les  jours  de  mon  beau-pere  par  mon  art,  sans  abr^ger  les  tiens, 
pourvu  que  la  triple  llecate  me  seconde  et  consente  k  ce  grand 
ceuvre.  » 

Trois  nnits  devaient  s'ecouler  encore  avant  que  la  lune  form&t 
un  cercle  parfait.  A  peine  son  disque  plein  s*est-il  montre  a  la 
terre,  que  M^ee  sort  de  son  palais.  La  ceinture  flottante,  nu- 
pieds  et  les  cheveux  epars  sur  ses  ^paules  nues,  au  milieu  du  pro- 

Tum  sic  ^sonides  :  «  0  cui  deljere  salutem 
Confiteor,  conjux,  quanquam  mihi  cuncta  dcdisti,  1G5 

Excessitque  fidem  meritorum  summn  tuorum; 
Si  tamen  hoc.possunt  (quid  cnim  non  carmina  possint?) 
Deme  meis  annis,  et  demptos  adde  parenti.  » 
Nec  tenuit  lacrymas;  mota  est  pietite  rogantis, 
Dissimilemquc  anlmum  subiit  iEeta  relictus.  170 

Non  tamen  affectus  talcs  confessa  :  «  Quod,  inquit, 
Excidit,  ore  tuo,  conjux,  scelus?  Ergo  ego  cuiquam 
Posse  tuae  videar  spatium  transcribere  vitai? 
Non  sinat  hoc  Hecate ;  ncc  tu  petis  sequa ;  sed  isto, 
Quod  petis,  experiar  majus  dnre  munus,  lason.  175 

Arte  mea  soceri  longum  lcnlabimus  OBvum, 
Non  annis  revocare  tuis,  modo  diva  triformis 
.    Adjuvet,  ct  praesens  ingentibus  annuat  ausis.  » 
Tres  aberant  noctes,  ut  comua  lota  coircnt, 
Efficercntquc  orbem.  Postquam  plenissima  fulsit,  180 

Et  solida  terras  spectavit  imagine  luna, 
Egreditur  tectis,  vestes  induta  recinctas, 
Nuda  pedem,  nudos  humoris  inftisa  capillos; 


218  MfiTAMORPHOSES. 

fond  silence  de  la  nuit,  elle  erre  sans  compagne.  Hommes,  oiseaux, 
bStes  sauvages,  tout  est  plong^  dans  le  sommeil.  L'aub^pine  est 
muette;  nulle  feuilie  ne  s'agite ;  le  silence  regne  dans  les  humides 
plaines  de  l'air.  Les  etoiles  brillent  seules.  Medee,  les  mains  le* 
v^  vers  la  voiite  c^leste,  tourne  trois  fois  en  cercle,  trois  fois  elle 
repand  sur  ses  cheveux  l'onde  puis^e  dans  un  fleuve,  trois  fois 
elle  fait  entendre  des  cris  affreux,  et,  s'agenouillant  sur  le  sol : 
«  0  niiit^  amie  du  myst^re,  dit-elle,  et  vous,  astres  radieux  dont 
le  flambeau,  comme  celui  de  Ph6b^,  remplace  la  lumiere  du 
jour;  et  toi,  triple  Hecate,  depositaire  et  prolectrice  de  mes 
desseins;  et  vous,  enchantements  et  artiflces  magiques;  et 
toi,  Terre,  qui  fournis  a  mon  art  des  herbes  toutes-puissantes ; 
et  vous,  zephyrs,  vents,  montagnes,  fleuves  et  lacs ;  dieux  des 
for^ts  et  dieux  des  ten^bres,  secondez-moi !  Gr&ce  k  vous,  les 
rivages  etonnes  ont  vu  les  fleuves,  dociles  a  ma  voix,  remonter 
vers  leurs  sources.  Mes  chants  apaisent  la  mer  agitee  ou  boule- 
versent  ses  flots  paisibles.  Je  disperse  ou  rasserable  les  nuages. 
Je  convoque  ou  dissipe  les  vents.  Mes  paroles  magiques  etouffent 
les  vip^res.  Je  deracine  les  rocs,  les  ch^nes  et  les  for^ts  en- 

Fertque  vagos  mediaB  per  muta  silenlia  noctis 

Incomitata  gradus.  Homines,  volucresque,  ferasque  196 

Solverat  alta  quies;  nullo  cum  murmure  sepes, 

Immotaeque  silent  frondcs;  silet  humidus  aer. 

Sidera  sola  micant.  Ad  quae  sua  brachia  tendens, 

Ter  se  convertit,  ter  sumptis  flumine  crinem 

Irroravit  aquis,  ternis  ululatibus  ora  1-H) 

Solvit,  et  in  dura  submisso  poplite  terra : 

«  Nox,  ait,  arcanis  fidissima;  quaBque  diurnis 

Aurea  cum  Luna  succeditis  ignibus,  astra ; 

Tuque  triceps  Hacate,  quaa  cceptis  conscia  nostris, 

Adjulrixque  venis;  cantusque  artesque  magarum;  19^ 

Quaeque  magas,  Tellus,  poUentibus  instruis  herbis ; 

Auraeque,  et  venti,  montesque,  amnesque  lacusque, 

Dique  omnes  nemorum,  dique  omnes  noctis,  adeste. 

Quorum  ope,  quum  volui,  ripis  mirantibus  amnes 

In  fontes  rediere  suos;  concussaque  sisto,  200 

Stantia  concutio  cantu  freta;  nubila  pello, 

Nubilaque  induco;  ventos  abigoque,  vocoque; 

Vipereas  rumpo  verbis  et  carmine  fauces ; 

Tivaque  saxa,  sua  convulsaque  robora  terra^ 


LIVRE  vii.  m 

li^res.  Je  fais  trembler  les  montagnes,  mugir  la  terre,  et  sortir 
les  ombres  des  tombeatix.  Toi  aussi,  Ph6b6,  je  faltire  vers 
moi,  malgr^  Tairain  bruyant  qui  all^e  tes  travaux.  Mes  en- 
chantements  font  mSme  pMir  le  char  de  mon  aleul,  et  mes  phil- 
tres  cdui  de  TAurore.  A  ma  priere,  vous  avez  amorti  la  flamme 
Tomie  par  des  taureaux,  et  assujetti  au  joug  leur  t^te  indocile ; 
Tous  avez  rendu  la  guerre  funeste  aux  enfants  du  dragon ;  vous 
avez  endormi  pour  la  premiere  fois  le  gardien  de  la  toison  d'or,  et 
Iransmis,  en  trompant  sa  vigilance,  cetteriche  depouille  aux  villes 
de  la  Grto.  11  me  faut  maintenant  des  sucs  qui  rendent  alavieil- 
lesse  la  fleur  de  Vige  et  lui  fassent  retrouver  son  printemps.  Oui, 
Tous  me  les  accorderez.  Les  astres  n'auront  pas  vainement  brill^ 
de  tout  leur^clat,  et  un  char  n^aura  pas  ete  vainement  train^  pres 
de  moi  par  des  dragons. »  En  effet,  pres  d'elle  6tait  un  char  des- 
cendu  des  cieux. 

EUe  y  monte,  caresse  le  cou  des  dragons  soumis  au  frein,  agite 
leurs  rSnes,  et  disparait  dans  les  airs.  De  la  eiie  abaisse  ses  re- 
gards  sur  les  vallons  de  la  Thessahe,  et  pousse  son  char  vers  la 
contree  ou  s'616ve  Tfita.  Elle  apergoit  les  herbes  que  produit 
l'Ossa,  et  celles  qui  croissent  sur  le  sommet  du  Pelion,  sur  TG- 

Et  silvas  moveo;  jubeoque  tremiscere  montes ;  S05 

Et  mugire  solum,  manesque  exire  sepulcris; 

Te  quoque,  Luna,  traho;  quamvis  tcmesaia  labores 

^ra  tuos  minuant;  carrus  quoque  carmine  noslro 

Pallet  avi ;  pallet  nostris  Aurora  venenis. 

Vos  mihi  taurorum  flammas  hebetastis,  et  unco  210 

llaud  patiens  oneris  coHum  pressistis  aratro. 

Vos  serpentigcnis  in  se  fera  bella  dedistis, 

Custodemque  rudem  somni  sopistis,  et  aurum, 

Vindice  decepto,  graias  misistis  in  urbes. 

Kunc  opus  est  succis,  per  quos  rcnovata  senectus  ^IF? 

In  florem  redeat,  primosque  recolligat  annos. 

Et  dabitis;  neque  enim  micuerunt  sidera  frustra, 

Nec  frustra  volucrum  iractus  cervice  draconum 

Currus  adest. »  Aderat  demissus  ab  sthere  currus. 

Quo  simul  ascendit,  frenataque  coUa  dracooum  220 

Permulsit,  manibusque  leves  agitavit  habenas, 
Sublimis  rapitur;  sublalaque  thes^ala  Tempe 
Despicit,  ceta^is  regiouibus  applical  angues; 
Et  quas  Ossa  tulit,  quasque  altus  Pelion  herbas, 


m  HeTAMORPHOSES. 

Ihrys,  sur  le  Pinde  et  sur  rOlyrape,  plus  haut  encore  que  le 
Pinde.  Parmi  celles  qui  peuvent  servir  ses  desseins,  elle  en  arrache 
quelques-unes  avec  leur  racine,  et  coupe  les  autres  avec  sa  serpe 
d'airain.  Elle  trouve  plusieurs  herbes  utiles  sur  les  rives  de  TApi- 
dane  et  sur  celles  de  TAmphryse.  Toi  aussi,  lEnip^e,  tu  payes  ton 
tribut.  Le  Pen6e,  le  Sperchius  et  les  bords  du  B6b^s  couverts  de 
joncs  n^en  sont  point  exempts.  Elle  cueille  dans*les  champs  d'An- 
th^don,  vis-a-vis  d'Eub^e,  une  herbe  puissante,  mais  qui  n'etait 
pas  c^ebre  enQpre  par  la  m^tamorphose  de  Glaucus.  Dej^  le  neu- 
vieme  jour  et  la  neuvi^me  nuit  Tavaient  vue  parcourir  les  cam- 
pagnes  sur  son  char  attel6  de  dragons  ail^s.  EUe  retourne,  sans 
que  les  herbes  aient  fait  sentir  leurs  atteintes  aux  dragons  autre- 
ment  que  par  leur  odeur,  et  cependant  ils  quittent  leur  vieille 
depouille. 

Elle  s'arr6te  devant  les  portes  du  palais,  sans  autre  abri  que  les 
Cieux.  EUe  evite  tout  contact  avec  les  hommes,  et  construit  deux 
autels  de  gazon,  Tun  a  droite,  en  Thonneur  d'Htete,  Taulre  a 
gauclie,  en  Thonneur  de  Jouvence.  Apres  les  avoir.  entour^s  de 
verveine  et  de  branches  agrestes,  elle  creuse  dans  le  voisinage 
deux  fosses  et  fait  un  sacriiice.  Elle  egorge  une  brebis  noire  et  en 

Othrysque,  Pindusque,  et  Pindo  major  Olympus,  225 

Perspicit;  et  placita  partim  radice  revellit ; 

Partim  succedit  curvamine  falcis  ahenae. 

Hulta  quoque  Apidani  placuerunt  gramina  ripis, 

Multa  quoque  Amphrysi ;  nec  eras  immunis,  EnipPH  ; 

Mec  non  penese,  nec  non  spercheides  undse  230 

|vj  Contrihuere  aliquid,  juncosaque  littora  Boebes. 

[  Carpit  et  euboica  vivax  Anthedonc  gramen, 

i  N.ondum  mutato  vulgatum  corpore  Glauci. 

Et  jam  nona  dies  curru,  pennisque  draconum, 

Monaque  nox  omnes  luslrantem  vidernt  agros,  235 

Quum  rediit;  nec  erant  tacti,  nisi  odore,  draconos; 

Et  tamen  annosae  pcllcm  posucre  senectx. 
Conslitit  adveniens  citra  limenque,  foresque, 

Et  tantum  coelo  tegitur;  refugitque  viriles 

Contactus;  statuilque  aras  e  cobpite  binas,  240 

Dexteriore  Ilecates,  at  lajva  parte  Juventae. 

Quas  ubi  verbenis,  silvaque  incinxit  agresti, 

Haud  procul  egesta  scrobibus  tellure  duabus 

Sacra  facit;  cultrosque  in  guttura  velloris  atri 


LIVRB  VII.  2M 

r^pand  le  sang  dans  les  deux  fosses.  D^une  coupe  elle  yerse  la  li- 
qaeur  de  Bacchus,  et  d'un  vase  d'airain  du  lait  chaud,  en  prof6- 
rant  quelques  paroles.  Elle  invoque  les  divinites  de  la  terre,  elle 
conjure  le  roi  des  ombres,  et  T^pouse  qu'il  enleva,  de  ne  point 
se  h&ter  de  ravir  le  soufQe  de  la  yie  au  vieillard.  Quand  ces  dieux 
sont  apaises  par  ses  prieres,  accompagnees  d'un  long  murmure, 
Mgd^  ftllt^vaiiuii'  pies  des  aut^li!>'lu  vieii  &uu.  Oub  enchantements 
le  plongent  dans  un  profond  sommeil,  ima^e  de  la  mort.  Elle  Te- 
tend  sur  un  lit  d'herbes.  Puis  elle  ordonne  a  Jason  et  a  sa  suite  de 
se  retirer  et  de  detoumer  leurs  yeux  profanes  de  ses  myst^res. 
ns  s'^loignent.  Les  cheveux  epars,  Mdd^e,  comme  une  Bacchante, 
fait  le  tour  des  autels  ou  le  feu  brille.  EUe  baigne  des  brandons 
fourchus  dans  une  des  fosses  noircies  de  sang,  les  allume  ainsi  jm- 
pregnfe  a  la  flamme  qui  s'el6ve  des  deux  autels,  et  purifie  le  vieil- 
lard  trois  fois  avec  du  feu,  trois  fois  avec  de  Teau,  trois  fois  avec 
dusoufre. 

Gependant  le  philtre  puissant  fermente  dans  un  vaso  d'airain 
place  sur  le  brasier ;  il  bouillonne  et  blanchit  d'4cume.  Les  ra- 
cines  arrachees  dans  les  vallons  de  Thessalie,  les  semences,  ics 


Conjicit,  et  patulas  perfuodit  sauguine  fossas.  'M^ 

Tum  super  invergens  liquidi  carchesia  Bacchi» 

Hneaque  invergens  tepidi  carchesia  lactis, 

Verha  simul  fundit,  terrenaque  numina  poscit ; 

Umbrarumque  rogat  rapta  cum  conjuge  rcgem, 

Ne  properent  artus  anima  fraudarc  seniles.  ioO 

niinis  iil^i  placavit  precibusque,  et  murmure  longo, 

^sonis  effoetum  proferri  corpus  ad  aras 

Jussit,  et  in  plenos  resolutum  carnune  somnos, 

Exanimi  similem,  stratis  porrexit  in  herbis. 

Ifinc  procul  ^soniden,  procul  hinc  jubet  irc  miuistros,    2Sb 

Et  monet  arcanis  oculos  removerc  profanos. 

Diffugiunt  jussi.  Sparsis  Medea  capillis 

Bacchanlum  ritu  flograntes  circuit  aras, 

Multifidasque  faces  in  fossa  sanguinis  atra 

Tingit,  et  inlinclas  geminis  accendit  in  aris,  260 

Tcrque  s€nem  flamma,  ter  aqua,  ter  sulfure  lustrat« 

Interea  validum  posito  medicamen  aheno 
Fervet.  et  exsultat,  spumisque  tumentibus  alhct^ 
IUic  haemonia  radicos  valle  resectas, 


252  METAMORPHOSES. 

fleurs  et  les  sucs  piquants,  cuisent  ensemble.  Elle  y  jette  aussi  des 
pierres  apportees  des  confins  de  l'Orient,  et  du  sable  que  le  reflux 
depose  sur  le  rivage.  EUe  agoute  de  la  gelee  blanche  recueillie  ia 
nuit  aux  rayons  de  la  lune,  les  ailes  et  la  chair  inf;lme  de  l'orfraie, 
les  entrailles  de  ce  loup  qui,  fecond  en  metamorphoseSi  sait  don- 
ner  a  son  corps  les  formes  de  Thomme ;  la  depouille  ^cailleuse  et 
transparente  d'un  serpent  du  Cynips,  le  foie  d'un  vieux  cerf  et  la 
t^te  d'ime  corneille  de  neufsiecles.  De  ces  substances  et  de  mille 
autres  que  je  ne  saurais  designer  par  leur  nom,  elle  compose  le 
pbiltre  destine  a  £son.  Puis,  avec  un  vieux  rameau  d^olivier  sec, 
elle  les  confond  et  les  m^le  en  tous  sens.  Soudain  la  branche  agi- 
tee  dans  le  vase  bouillant  reverdit.  Bientdt  apres  elle  se  couvre  de 
feuilles  et  se  charge  d'olives  miires.  Sur  tous  les  points  ou  le  feu 
fait  jaillir  Tecume  du  fond  de  ce  vase,  chaque  goutte  briilante  pro- 
duit  un  vert  gazon  en  tombant  sur  la  terre ;  les  fleurs  et  les  tendres 
p^turages  surgissent  a  Tinslant.  A  peine  Medeeles  voit-elle  eclore, 
qu'elle  tire  un  glaive  et  ouvre  la  gorge  du  vieillard.  Elle  laisse 
couler  le  vieux  sang  et  le  remplace  par  ses  sucs.  Des  qu'fison  les 

Seminaque,  floresque,  et  succos  incoquit  acrcs.  2Gj 

Adjicit  extremo  lapides  Orientc  pelltos, 

Et,  quas  Oceani  refluum  mare  lavit,  arcuas. 

Addit  et  exceptas  luna  pernocte  pruinas, 

£t  strigis  infames,  ipsis  cum  carnibus,  ulas; 

Inquc  virum  soliti  vullus  mutare  fcrinos  270 

Ambigui  prosecta  lupi.  Ncc  defuit  illic 

Squamea  ciuyphii  tenuis  membrana  chelydri, 

Vivacisque  jecur  cervi;  quibus  insuper  addit 

Ora  caputque  novem  cornicis  saicula  passa;. 

His  et  mille  aliis  postquam  sine  nominc  rebus  ^T5 

Propositum  instruxit  mortali  barbara  «munus, 

Areuti  ramo  jampridem  mitis  oliva! 

Omnia  confundit,  summisque  immiscuit  ima. 

Ecce  vetus  calido  versatus  slipes  aheno, 

Fit  viridis  primo,  nec  longo  terapore  frondem  '280 

Induit,  et  subito  gravidis  oneratur  olivis. 

At  quacumque  cavo  spumas  ejecit  aheno 

Ignis,  et  iu  lciTam  guttae  cecidere  calentos, 

Vcrnat  humus,  floresque,  ct  mollia  pabula  !?iirgunl. 

Quod  simul  ac  vidit,  striclo  Mcdea  recludil  ^Sj 

Ense  scnis  jugulum;  veleremquc  exirc  ciuorcm 

Passa,  replot  succis ;  quos  poslquam  combibii  ^son, 


LIVRE  YU.  ti55 

a  regus  par  sa  bouche  ou  par  sa  blessure,  sa  barbe  et  ses  die- 
Teux,  depouilles  de  leur  blancheur,  noircissent  tout  a  coup ;  sa 
maigreur  disparait ;  sa  pdleur  et  ses  rides  s^evanouisseut ;  un  nou- 
veau  sang  circule  dans  ses  veines,  et  son  corps  prend  de  Tembon- 
point.  £son  etonn^  retrouve  la  vigueur  dont  il  se  souvient  d'^oir 
joui  quarante  ans  auparavant. 

LA  JEUNESSE   EST  REHDUE    AUX  NOURRICBS  DB  BACCHUS. 

ni.  Du  haut  des  cicux  Bacchus  avait  vu  cette  merveilleuse  me- 
tamorphose.  Inslruit  que  ses  nourrices  pouvaient  recouvrer  leur 
jeunesse,  il  demanda  cetle  faveur  pour  elles  a  la  fille  d'£elcs. 

NEDEE  FAIT  TUER  PELIAS  PAR  SES  FILLES. 

IV.  Gependant,  infatigable  dans  ses  perfidies,  MM^e  feint  de 
hair  son  epoux,  et  court  en  suppiiante  au  palais  de  Pelias.  Gomme 
il  etait  accabi^  du  poids  de  YAge,  ses  fiiles  re^oivent  la  princesse. 
En  peu  de  temps  elle  gagne  adroitement  leur  coeur  sous  le  voile  de 
Tamitie.  Au  nombre  de  ses  bienfaits,  elle  place  surtout  le  prodige 

Aut  orc  acceplos,  aut  vulnere,  barba  comaeque 

Canitie  posila  nigrum  rapuere  colorem. 

Pulsa^fugit  macies ;  abeunt  pallorque  silusque;  SUO 

Adjectoque  cavai  supplcntur  sanguine  veux, 

Membraque  luxuriant.  ^son  miratur,  ct  olim 

Ante  quater  denos  hunc  sc  reminiscilur  aunos. 

UACCHI  NUTBiaBUS  JUVENTUS  REDDITUR. 

II].    Yiderat  ex  alto  tanti  miracula  monstri 

Liber,  et  admonitus  juvencs  nutricibus  annos  2Uo 

Po&se  suis  reddi,  petit  hoc  i£elida  munus. 

VEDEA  PELlii   FILUS  DIPELUT  UT  PATHEU    NECEXT. 

IV.    Neve  doli  cessent,  odium  cum  conjuge  faUum 
Phasias  assimulal,  Peliaeque  ad  limina  supplex 
Confugit.  Atque  illam,  quoniam  gravis  ipse  senecta, 
Excipiunt  natas.  Quas  tempore  callida  parvo  300 

Colchis  amicitiae  mendacis  imagine  cepit. 
Dumque  refert,  inler  raeritorum  maxima,  demptos 

15 


«254  METAMORPUOSES. 

qui  a  fait  disparaitre  du  visage  d'£son  les  traces  de  la  vieillesse. 
Elie  s'y  arrete  avec  complaisance,  et  fait  naitre  dans  le  coeur  des 
filles  de  Pelias  Tesperance  de  voir  leur  pere  reverdir  par  le  m^me 
moyen.  EUes  sollicitent  avec  instance  un  si  grand  service,  et  lui 
jurent  une  reconnaissance  eternelle.  M6d6e  garde  un  moment  le 
silence,  comme  si  elle  reflechissait,  et,  par  une  gravite  d'eraprunt, 
tient  leur  esprit  en  suspens.  Enfin  elle  promet.  «  AGn  de  vous 
faire  attendre  avec  plus  de  confiance,  dit-elle,  la  faveur  dont  vous 
allez  m^^tre  redevables,  le  plus  vieux  des  beliers  qui  marche  a  la 
t6te  de  vos  brebis  va,  par  la  vertu  de  mes  philtres,  devenir  un 
agneau.  »  Aussitdt  on  fait  avancer  un  belier  casse  par  l'age,  aux 
tempescreusesetaux  cornes  recourbees.  La  magicienne  enfonce  dans 
sa  gorge  ridee  son  glaive  de  Thessalie.  Quelques  gouttes  de  sang  le 
rougissent  a  peine.  En  mSme  temps  elle  plonge  les  membres  de 
i'animal  dans  une  chaudiere  d'airain  ou  fermentent  ses  sucs  puis- 
sants.  Le  corps  du  belier  diminue,  ses  comes  disparaissent,  etles 
ans  avec  elles.  Du  milieu  du  vase  se  fait  entendre  ie  l)^lement  d^un 
tendre  agneau.  Tandis  que  ce  b^lement  cause  la  plus  vive  surprise, 
tout  a  coup  l'agneau  bondit,  folatre  et  cherche  des  mamelles  qui 
puissent  Tallaiter. 


iiDsonis  esse  situs,  alque  hac  in  pai^te  moratur, 

Spes  est  virginibus  Pelia  subjecta  creatis, 

Arte  suum  parili  revirescere  posse  parenlem.  SOo 

Jamque  petunt,  pretiumque  jubent  sine  fine  pacisci. 

IUa  brevi  spatio  silet,  et  dubitare  videtur, 

Suspendilque  animos  licta  gravitate  rogantes. 

Mox  ubi  pollicita  est :  «  Quo  sit  fiducia  major 

Muneris  hujus,  ait,  qui  vestras  maximus  a3vo  est  310 

bux  gregis  inter  oves,  agnus  medicamine  fiet.  » 

Protinus  innumeris  effo^lus  laniger  annis 

Attrahitur,  flexo  circum  cava  tempora  cornu. 

Cujus  ut  haBmonio  marcentia  gutlura  cultro 

Fodil,  et  exiguo  maculavit  sanguine  ferrum;  315 

Membra  simul  pecudis,  validosque  venefica  succos 

Mergit  in  ajre  cavo.  Minuuntur  corporis  artus, 

Cornuaque  exuitur,  nec  non  cum  cornibus  annos, 

El  tener  auditur  medlo  halatus  aheno. 

Nec  mora,  halatum  mirantibus,  exsilit  agnus,  520 

Lascivilque  fuga,  lactantiaque  ubera  quasrit. 


LIVRE  VII.  255 

Les  fiUes  de  Pelias  demeurent  stup^faites.  Gonyaincues  qu'elles 
peuveut  ajouter  foi  aux  promesses  de  Med6e,  elles  Tassi^ent  des 
phis  vives  instances.  Le  Soleil  avait  trois  fois  d^tache  du  joug  ses 
coursiers  rafraichisdans  les  flots  dlb^rie,  et  les  ^toiles  eclairaient 
la  quatrieme  nuit  de  leurs  feux  ^tincelants,  lorsque  rinsidieuse 
fille  d'felfe  place  sur  le  brasier  une  onde  pure  et  des  herbes  sans 
rertu.  Ddjk,  gr&ce  a  ses  enchantements  et  a  ses  magiques  paroles, 
tm  sommeil  lethargique  enchainait  les  membres  du  roi  et  de  ses 
gardes.  Ses  filles  avaient  rcQu  Tordre  d'entrer  avec  la  princesse  de 
Ck)lchos,  et  se  tenaient  rangees  autour  du  lit  de  leur  p6re.  «  Pour- 
quoi,  leur  dit  Medee,  hesiter  encore  et  rester  dans  Tinaction? 
Armez-vous  de  vos  glaives,  et  larissez  le  vieux  sang,  afin  que  je 
puisse  remplir  de  sang  jeune  ses  veines  ^uisees.  Yous  tenez  dans 
vos  mains  la  vie  et  Tage  de  votre  p^re.  Si  vous  avez  de  ramour 
pour  lui,  si  vous  ne  nourrissez  pas  de  folles  esp^rances,  rendez-lui 
service.  Pour  le  rajeunir,  plongez  le  fer  dans  son  sein,  et  faites 
couler  jusqu'a  la  derni^re  goutte  d'un  sang  appauvri.  »  Par  ces 
exhortations,  la  plus  tendre  devient  la  plus  barbare,  et  se  rend 
parricide  pour  ne  pas  ^tre  criminelle.  Cependant  aucune  n'ose 
regarder  ou  tombent  ses  coups  :  elles  detournent  les  yeux  et  frap- 

Obstupuere  satie  Pelia,  promissaque  postquam 
Eihibuere  fidem,  tum  ▼cro  iropensius  instant. 
Ter  juga  Phoebus  equis,  in  ibero  gurgite  mersis, 
Dempserat,  cl  quarta  radiantia  nocte  micabant  S35 

Sidera,  quum  rapido  fallax  ^Eetias  igni 
Imponit  purum  laticcm,  et  sine  viribus  herbas. 
Jamque  neci  similis,  resoluto  corpore,  regem, 
Et  cum  rcge  suo  custodes  somnus  habebat» 
Quem  dcderant  cantus,  magicaequc  potentia  liuguoB.         330 
Intrarant  jussx  cum  Colchidc  limina  natx,  « 

Ambieranlque  torum :  «  Quid  nunc  dubitatis  inertcs? 
Stringile,  ait,  gladios  vclcremque  hauritc  cruorem, 
Ut  repleam  vacuas  juvcnili  sanguine  venas. 
In  manibus  vcstris  vila  cst,  setasque  parcnlis.  335 

Si  pielas  ulla  est,  nec  spes  agitatis  inancs, 
Dfficium  praestate  patri,  telisque  seneclam 
Etigitc,  et  sauiem  conjecto  emittitc  furro. » 
Uis,  ut  quxque  pia  est,  hortatibus  impia  prima  est ; 
Et  nc  sit  scelerata,  facit  scelus.  Haud  lamen  ictus  340 

llla  suos  spectare  potesl;  oculosquc  reflectuntj 


856  BI£TAMOHPHOS£S. 

pent  au  hasard  d'une  main  impltoyable.  Pelias,  baigne  dans  son 
sang,  se  soul^ve  sur  son  coude.  A  demi  mutile,  il  tente  de  se  dres- 
ser  sur  son  lit,  et»  au  milieu  de  tous  ces  glaives,  tendant  ses  bras 
d^chames  :  «  Que  faites-vous,  mes  filles  ?  leur  dit-il ;  pourquoi 
vous  armer  ainsi  contre  votre  pere  ? »  Elles  sentent  leur  coeur  et 
leurs  mains  defaillir.  £sonallait  parler  encore;  maisla  princesse 
deColchide  luiporte  a  la  gorgeun  coup  qui  lui  6te  la  voix  Apres 
Tavoir  mis  en  pieces,  elle  leplonge  dans  la  chaudiere  bouillante. 

WEDKE  EGORGE  SES  ENFANT8. 

V.  Si  les  dragons  ailes  ne  Teussent  emportee,  elie  n'aurait  pu 
echapper  au  ch&timent.  ^ais,  dans  son  vol,  elle  franchit  le  Pelion, 
couronne  defor^ls,  le  palais  du  fils  de  Philyre,  rOlhrys  et  la  contree 
celebre  par  Taventure  de  Tantique  Cerambus.  Pourvu  d  ailes  par 
ies  Nymphes,  il  s'eleva  dans  les  airs  a  Tepoque  ou  la  terre  etait 
ensevelie  sous  les  eaux,  et  se  deroba  au  deluge  de  Deucalion.  Me- 
dee  laisse  a  sa  gauche  Pitane  d'£oUe,  la  roclie  qui  represente 
un  long  serpent,  le  bois  de  rida  ou  Bacchus  cacha,  sous  l'image 


Caccaque  dant  sacvis  aversai  vulaera  dextris. 

lUe,  cniore  fluens,  cubito  tamen  allevat  artus, 

Semilacerque  toro  consurgere  tentat,  et  inter 

Tot  medius  gladios  pallentia  brachia  tendens :  345 

«  Quid  facitis,  natae?  quid  vos  in  fala  parentis 

Armat?  »  ait.  Cecidere  illis  animique  manusquc 

Plura  locuturo  cum  verbis  gnttura  Colchis 

Abstulit,  et  calidis  laniatum  '  lersit  ahenis. 

MEDEA  FILIOS  SUOS  TRUCIDAT. 

V.    Quod  uisi  pennatis  serpentibus  issot  in  auras,  3a0 

Non  exempta  forct  pocnae.  Fugit  alta,  supcrquc 
Pelion  umbrosum,  philyreiaque  lecta,  superquc 
Othryn  et  eventu  veteris.ioca  nota  Cerambi. 
Uic  ope  Nympharum  sublatus  in  aera  pcnnis, 
Quum  gravis  infuso  tellus  foret  obruta  ponto,  &H5 

Deucalioneas  elTugit  inobrutus  undas, 
^oliam  Pitanen  a  laeva  parte  relinquit, 
Factaquc  de  saxo  longi  simulacra  draconis; 
JdiBumque  nemus;  quo,  oati  furta,  juvencum 


LIVRE  TII.  257 

d'an  cerf,  le  taureau  derobe  par  son  flls,  ]a  contr^  oi!^  le  p^ 
de  Corythe  git  sous  un  sable  l^ger,  les  champs  od  Mera  sema 
r^uvante  par  ses  aboiements  nouveaux,  la  cit^  d'£urypyle,  ou 
le  front  des  femmes  de  Gos  fut  h^riss^  de  comes  lorsque  8'^loi- 
gna  le  troupeau  d'Hercule;  Rhodes,  consacr^  k  Ph^bus,  et 
lalysus,  habitee  par  les  Telchines,  dont  les  regards  ensorcelaient 
tout,  et  que  Jupiter  indigne  pr6cipita  dans  Thumide  empire  de  son 
frere.  Elle  franchit  aussi  Garthee»  bAtie  dans  Tantique  G^os,  et  ou 
Alcidamas  devait  un  jour  voir  avec  surprise  sa  fille  engendrer 
une  douce  colombe.  De  la  ses  yeux  se  portent  sur  le  lac  Hyri6 
et  sur  la  vallee  devenue  c^l^bre  par  la  subite  m^tamorphose  de 
Cycnus.  La  Phyllius,  pour  plaire  k  un  enfant,  lui  donna  des  vau- 
tours  et  un  lion  terrible  qull  avait  apprivois^s.  Gondamn^  a  vain- 
cre  un  taureau,  il  Tavait  vaincu.  Mais,  irrit^  des  mepris  prodigu^ 
a  son  amour,  il  refusa  ce  taureau  demand^  co.nme  un  gage  sn- 
prSme.  L'enfant  lui  dit :  «  Tu  voudras  me  le  donner ;  »  et  ii  s*^ 
lan^  du  haut  d'un  rocher.  On  crut  qu'il  allait  tomber.  Ghang^  en 
oiseau,  il  planait  dans  les  airs  sur  des  ailes  eclatantes  de  blan- 
cheur.  Hyrie,  sa  m^e,  ignorant  qu'il  vivait  encore,  fondit  en  lar- 

Occuluit  Liber  falsi  sub  iraagine  cervi ;  360 

Quaque  pater  Corythi  parva  tumulatus  arena ; 

Et  quos  Maera  novo  latratu  terrnit  agros ; 

Eurypylique  urbem,  qua  coaa  cornua  malres 

Gesserunt,  tum  quum  discederet  Herculis  agmcD ; 

Phcebeamque  Rhodon,  et  ialysios  Telchinas,  365 

Quorum  oculos  ipso  vitiantes  omnia  visu 

Jupiter  exosus,  fratemis  sul)didit  undis. 

Transit  et  antiquae  cartheia  moenia  Ceae, 

Qua  pater  Alcidamas  placidam  dc  corpore  natae 

Miraturus  erat  nasci  potuisse  columbam.  370 

Inde  lacus  Hyries  videt,  et  cycnc.ia  tempe, 

QusB  subitus  celebravit  olor;  nam  Phyllius  illic 

Imperio  pueri  volucresque  ferumque  leonem 

Tradiderat  domitos.  Taurum  quoque  vincere  jussus, 

Vicerat,  et  spreto  toties  iratus  amore,  375 

Praemia  poscenti  taurum  suprema  negarat. 

lUe  indignatus  :  «  Cupies  dare,  »  dixit,  et  alto 

Desiluit  saxo.  Cuncti  cecidisse  putabant : 

Factus  olor  niveis  pendebat  in  aera  pennis. 

At  genilrix  Hyrie,  servati  nescia,  flendo  380 


258  M£TAM0RPH0SES. 

mes,  et  fut  transfonri^e  en  un  ^tang  qui  re^ut  son  nom.  Pres  delk 
s'eleve  Pleuron,  qui  vit  la  fiHe  cl*Ophius,  Combe,  s'envoler  toute 
tremblstnte  pour  echapper  aux  coups  de  ses  enfants.  Ensuite, 
elle  aper^it  les  champs  de  Calaur^e,  consacres  a  Latone,  et  dont 
le  roi  et  la  reine  furent  changes  en  oiseaux.  A  droite  est  Cyllene, 
oijL  Menephron  devait,  comme  les  b^tes  sauvages,  partager  la  cou- 
che  de  sa  mere.  Derriere  elle,  a  une  longue  distance,  se  montre 
Gephise  deplorant  le  destin  de  son  pelit-flls  m^tamorphose  par 
Apollon  en  phoque  difforme,  et  le  palais  d'£umelus,  qui  pleure  sa 
fiHe  envolee  dans  les  airs.  Enfin  ses  dragons  ailes  la  deposent  a  Co- 
rinthe,  qu'arrose  Pirene,  et  ou,  suivant  une  tradition  antique,  des 
inommes  naquirent  jadis  de  champignons  que  la  pluie  avait  fait 
^clore.  Quand  ses  poisons  eurent  consume  la  nouveUe  epouse  de  Ja- 
son,  quand  l'une  et  Tautre  mer  eut  vu  le  palais  du  roi  en  flammes, 
M^dee  teignit  son  glaive  meurtrier  du  sang  de  ses  enfants,  et, 
apres  cette  horrible  vengeance  d'une  mere,  eHe  se  deroba  aux 
armes  de  Jason. 

MEDIBE  S^ENFOIT  A  ATfl&NES,   OU  ELLE  EST  ACCUEILLIE   PAR  ^G^E. 

VI.  Transportee  loin  de  la  par  les  dragons  qu'elle  regut  du  So- 

Deiicuit,  stagnumque  suo  de  noniinc  fecit. 

Adjacet  his  Pleuron,  in  qua  irepidantibus  alis 

Ophias  effugit  natorum  vulnera  Combe. 

Inde  Calaurea)  letoidos  aspicit  arva, 

In  volucrem  versi  cum  conjuge  couscia  regis.  385 

Dextera  Cyllene  est,  in  qua  cum  matre  Blenephron 

Concubiturus  erat,  saBvarum  more  ferarum. 

Cephison  procul  hinc  deflentcm  fata  nepotis, 

Respicit  in  tumidam  phocen  ab  Apolline  versi, 

Eumelique  domum  lugentis  in  aere  natam.  590 

Tandem  vipereis  Ephyren  pirenida  pennis 

Contigit.  Hic  sbvo  veteres  mortalia  primo 

Corpora  vulgarunt  pluvialibus  edita  fungis. 

Sed  postquam  colchis  arsit  nova  nupta  venenis, 

Flagrantemque  domum  regis  mare  vidit  utrumque,  395 

Sanguine  natorum  perfunditur  impius  ensis, 

Ultaque  se  male  mater,  lasonis  effugit  arma 

MEDEA    ATIIEKAS   FUGIT,    UBI  AB  iEGEO    EXCIPITUn. 

VI.    Ilinc  litaniacis  ablata  draconibus,  intrat 


LIVRE  YII.  m 

leil,  elle  entre  dans  la  cit^  de  Pallas,  qui  tous  vit  ^galeraent  vous 
envoler,  toi,  pieuse  Phinis,  et  toi,  vieuxP^riphas ;  elle  vit  aussi  ia 
petite-fille  de  Polypemon  prendre  son  essor  dans  les  airs  sous  une 
forme  nouvelle.  %6e  regoit  M^dee :  c'est  le  seul  reproche  qu*il  ait 
merit^.  Non  content  d'6tre  son  h6te,  il  Tadmet  dans  sa  couche. 
Alors  venait  de  paraitre  dans  le  palais  du  roi,  Thesee,  encore  in* 
connu  k  son  pere,  et  dont  la  valeur  ^vait  pacifie  l'isthme  baign^ 
par  deux  mers.  Pour  le  perdre,  M6d6e  prdpare  le  poison  qu'elle 
apporta  jadis  de  la  Scythie,  et  qui  fut  vomi,  dit-on,  par  le  chien 
n6  de  rhydre  de  Lerne.  U  est  une  caverne  oii  r^ne  une  obscurite 
profonde.  On  y  descend  par  une  pente  rapide.  Cest  par  la  que  le 
h^ros  de  Tirynthe  traina  Cerb^re  attache  k  des  chaines  de  fer.  II 
r^sistait  en  vain,  et  regardait  obliquement  la  vive  elarte  du  soleil. 
Alqrs  eclata  sa  fureur  terrible.  II  fit  retentir  les  airs  de  ses  triples 
aboiements  a  la  fois,  et  couvrit  les  vertes  prairies  d*une  blanche 
ecume  qui,  trouvant,  dit-on,  un  aliment  fecond  dans  le  sein  de  la 
terre,  grandit  et  acquit  une  vertu  nuisible.  Comme  elle  croit  et 
vit  au  milieu  des  rochers,  les  habitants  des  campagnes  Tappellent 
aconit.  Trompe  par  son  epouse,  figee  presenta  lui-m6me  ce  poi- 

Palladias  arces,  quae  te,  justissima  Pbini, 

Teque,  senex  Peripha,  pariter  videre  volanles,  400 

Innixamque  novis  neptem  Polypenionis  alis. 

Excipit  hanc  j^geus,  facto  damnandus  in  uno. 

Nec  satis  hospitium  est,  thalami  quoque  fcedere  jungit. 

Jamque  aderat  Theseus,  proles  ignara  parenti, 

Qui  virtute  sua  bimarem  pacaverat  Isthmon.  405 

Hujus  in  exitium  miscet  Medea,  quod  olim 

Attulerat  secum  scytbicis  aconiton  ab  oris. 

Illud  ecbidneai  memorant  e  dentibus  ortum 

Esse  canis.  Specus  est  tenebroso  cxcus  biatu. 

Est  via  declivis,  per  quam  tiryntbius  beros  4i0 

ResJuntem,  contraque  diem  radiosque  micanles 

Obliquantem  oculos,  nexis  adamanle  catenis, 

Gerberon  abstraxit,  rabida  qui  concitus  im 

Implevit  pariter  ternis  latratibus  auras, 

Et  sparsit  virides  spuifis  albentibus  agros.  415 

Has  concresse  putant,  nactasque  alimenta  feracis 

Fccundique  soli,  vires  cepisse  nocendi. 

Quae,  quia  nascuntur  dura  vivacia  cautc, 

Agrestes  aconita  vocant.  Ea  conjugis  astu 

Ipse  parcns  ^geus  nato  porrexit,  ut  hosli.  420 


200  MfiTAMORPIlOSES. 

son  a  son  fils,  comme  a  un  ennemi.  Th^see,  sans  soup^nner  Tar- 
tifice,  prit  la  coupe  qui  lui  etait  offerte.  Son  pere  alors  reconnut, 
a  ]a  garde  d^ivoire  de  son  epee,  le  sceau  de  sa  famille,  et  repoussa 
le  breuvage  criminel.  Un  nuage  que  formerent  soudain  les  en- 
chantements  de  Medee  la  deroba  a  la  mort. 

£gee  se  rejouitde  voir  son  fils  sauv^  du  danger;  et  cependant, 
encore  ^pouvante  du  crim^  qui  Tavait  mis  a  deux  doigts  de  sa 
perte,  il  alluma  le  feu  sur  les  aulels,  les  chargea  d^offrandes,  et 
fit  tomber  sous  la  hache  des  taureaux  superbes  donl  les  comes 
elaient  entrelacees  de  bandelettes.  Jamais  jour  plus  beau  ne  brilla, 
dit-on,  pour  les  enfants  d'Athenes.  Les  grands  et  le  peuple  s'as- 
sirent  a  un  joyeux  banquet.  Le  vin  inspira  les  esprits,  et,  tous 
ensemble,  firent  entendre  ce  chant :  «  Noble  Thes6e,  Marathon  a 
admire  ton  bras  qui  terrassa  le  taureau  de  la  Crete.  Si  le  labou- 
reur  de  Cromyon  ne  craint  plus  les  ravages  d'une  laie,  ce  bienfait 
esl  ton  ouvrage.  fipidaure  a  vu  le  fils  de  Vulcain,  arme  d'une  mas- 
sue,  tomber  a  tes  pieds.  Les  bords  du  Cephise  ont  vu  perir  le 
barbare  Procuste.  fileusis  ou  regne  Ceres  a  vu  la  mort  de  Cercyon. 
II  a  aussi  succombe  sous  tes  coups,  le  brigand  qui  abusait  de  ses 
forces  prodigieuses,  Sinis,  qui  courbait  les  arbres  et  faisait  plier 

Sumpserat  ignara  Theseus  data  pocula  dexlra, 
Quum  pater  in  capnlo  gladii  cognovit  eburno 
Signa  sui  generis,  facinusque  excussit  ab  ore. 
Erfugit  ilia  necera,  nebulis  per  carmina  motis. 

At  genitor,  quanquam  lactatur  sospite  nato,  4^ 

Attonitus  tantum,  lethi  discrimine  parvo, 
Committi  potuisse  nefas,  fovet  ignibus  aras, 
Muneribusque  deos  implet;  feriuntque  secures 
CoUa  torosa  boura,  vinctorum  cornua  viltis. 
NuUus  Erechthidis  ferlur   celebratior  illo  430 

Illuxisse  dies.  Agitant  convivia  patres, 
Et  medium  vulgus ;  nec  non  et  carmina,  vino 
Ingenium  faciente,  canunt:  «  Te,  maxime  Thescu, 
•    Mirata  est  Marathon  cretiei  sanguine  tauri. 

Quodque  suis  securus  erat  Cromyon»  colonus,  435 

Munus  opusque  tuum  est.  Tellus  cpidauria  pnr  le 

Clavigeram  vidit  Vulcani  occumbere  prolem ; 

Vidit  et  immitem  Cephesias  ora  Procusten  ; 

Cercyonis  lelhum  vidit  Cerealis  Eleusin; 

Oecidit  ille  Sinis,  magnis  male  viribus  usus,  440 


LIVRE  YII.  961 

jusqu*2i  terre  les  pins  destin^  ^  disperser  au  loinles  roembresde 
ses  Yictimes.  Le  tr^pas  de  Sciron  a  ouvert  un  sentier  sAr  qui  con- 
duit  aux  murs  d'Alcathous  ou  r^na  L^lex.  La  terre  et  la  mer  out 
^lement  refus^  un  gtte  au  cadavre  de  oet  assassin.  Quand  il  fut 
reste  longtemps  sans  sepulture,  le  temps  le  changea.  dit-on,  en 
un  rocher  qui  conserve  le  nom  de  Sciron.  Si  nous  voulions  com- 
parer  tes  exploits  au  nombre  de  tes  annto,  tes  exploits  Tempor- 
teraient.  Pour  toi,  magnanime  heros,  nous  formons  des  voeux  pu- 
blics ;  pour  toi  nous  vidons  nos  coupes  remplies  de  vin.  »  Les 
applaudissements  et  les  hommages  de  la  foule  font  retentir  le  pa- 
lais,  et  la  ville  entidre  se  livre  a  rallegresse. 

AWHi  BST  CHANGiB  EN  CHOUETTE.  —  PESTE  D^iCINE.  —  I|£tAM0RPII08B 
DB8  FOURMIS  EN  MTRMIDONS.  —  £aQUB  LBS  ENVOIB  AU  SBCODBS 
D*£6iE. 

YII.  Toutefois  (tant  il  est  vrai  qu'ii  n*y  a  point  de  plaisir  sans 
m^lange,  et  que  ia  peine  se  mSle  toujours  k  la  joie)  tg^e,  en  re- 
trouvant  son  ills,  ne  goCkte  pas  un  plaisir  pur.  Minos  s'appr6te  a  la 
guerre.  Ses  forces  de  terre  et  de  mer  sont  puissantes;  mais  il  est 


Qui  poterat  cunrare  trabes,  et  agebat  ab  alto 

Ad  terram  late  sparsuras  corpora  pinus. 

Tutus  ad  Alcathoen,  lelegeia  moenia,  limes 

Compostto  Scirone  patet;  sparsique  latronis 

Terra  negat  sedera,  sedem  negat  ossibus  unda,  445 

Qu»  jactata  diu  fertur  durasse  vetustas 

In  scopulos.  Scopuiis  nomen  Scironis  inhieret. 

Sl  titulos,  annosque  tuos  numerare  velimus, 

Pacta  premant  annos.  Pro  te,  fortissime,  vota 

Publica  suscipimus.  Bacchi  tibi  sumimus  haustus. »         450 

Coneonat  assensu  populi,  precibusque  faventum 

Regia,  neo  tola  trislis  locus  ullus  in  urbe  est. 

ARNE  IS   MONEDULAH  G0NVER8A.   —   JEGlKiE   PESTIS.   —  FORMICiG    MUTANTUR   IJf 
MTRVIDONES,   QUOS  iEACUS    AD   iEGEUM   AUXILIO  MITTIT. 

Vn.    Nec  tamen  (usque  adeo  uuUi  sincera  voluptas, 
SoIIicitique  aliquid  Iffitis  interrenit !)  £geus 
Gaudia  percepit,  nato  secura  recepto.  455 

Bella  parat  Minos.  Qui  quanquam  milito,  quanquam 

15. 


202  MfiTAMORPHOSES. 

surtout  redoutable  par  son  ressentiment  patemel.  n  cherche  par 
lesarmes  une  juste  vengeance  du  tr^pas  d^Androg^.  Avant  tout  il 
veut  marcher  au  combat  avec  des  allies.  Ses  fiiottes  agiies  p^ndtrent 
parlout  ou  elies  peuvent  a])order.  Elles  gagnent  k  sa  cause  Anaphe 
et  le  peuple  d'Astypaie  (Anaphe  par  des  promesses,  et  ie  peupl^ 
d^Astypaie  par  ies  armes);  puis  la  petite  Mycone,  les  plaines  cre^ 
tac^s  de  Gimoiei  i'opulente  Gytimos,  Scyros,  ia  modeste  S^riphe, 
Paros,  ceiebre  par  ses  marbres,  et  Tiie  que  l'avare  et  coupable 
Am^,  sortie  de  la  Thrace,  iiyra  pour  un  infame  gain.  Elle  fut 
changee  en  un  oiseau  qui  toujours  aime  l*or.  Gomeiiie  maintenan^, 
eiie  a  ies  ailes  et  les  pieds  noirs.  Mais  Oliare,  Didyme,  Tenos^  An- 
dros,  Gyare  et  Peparethe,  fertile  en  olives,  ne  pr^terent  point 
leur  appui  a  la  flotte  du  roi  de  Grete.  II  quitte  ces  iles  et  vogue  a 
gauche  vers  la  contree  ou  regne  taque,  Les  anciens  l'appelaient 
finopie ;  fiaque  lui  donna  le  nom  d'figine,  sa  mere. 

La  foule  se  pr^cipite  a  sa  rencontre  et  brule  de  connaitre  un 
prince  si  c6l^re.  Au-devant  de  Minos  accourent  Telamon,  P^lee, 
plus  jeune  que  Telamon,  et  Phocus,  le  troisieme  fils  d'£aque.  Le 


Classe  valet,  patria  tamen  est  firmissiiTius  ira, 

Androgeique  necem  justis  ulciscitur  armis. 

Ante  tamen,  bello  vires  acquirit  amicas; 

Quaque  patent  aditus,  volucri  freta  classe  per.^rrat.  4C0 

Hinc  Anaphen  sibi  jungit,  et  astypaleia  regna ; 

Promissis  Anapben,  regna  astypaleia  bello. 

Hinc  humilem  Myconon,  crclosaque  rura  Cimoli, 

Florentemque  Cylhnon,  Scyron,  planamque  Seriphon, 

Marmoreamque  Paron,  quamque  impia  prodidit  Arnc         4G5 

Sithonis,  accepto,  quod  avara  poposcerat,  auro. 

Mutata  est  in  avem,  quae  nunc  qnoque  diligit  aurum, 

Migra  pedem,  nigris  velata  monedula  pennis. 

At  non  Oliaros,  DidymaBque,  et  Tenos,  et  Andros, 

Et  Gyaros,  nitidseque  ferax  Peparethos  olivae,  470 

Gnosiacas  juvere  rates.  Latere  inde  sinislro 

(Enopiam  Minos  petit,  aeacideia  regna. 

(Enopiam  veteres  appellavere;  sed  ipse 

iEacus  jEginam  genitricis  nomine  dixit. 

Turba  ruit,  tantaeque  virum  cognoscere  famse  475 

Expetit.  Occurrunt  illi,  Telamonque,  minorquc 
Quam  Telamon,.  Peleus,  et  proles  tertia  Phocus. 


LIVRE  VII.  263 

roi  lni-mSme,  malgre  la  vieillesse  qui  ralentit  sa  marche,  s'avance 
vers  Minos,  et  lui  demande  quel  motif  Fam^ne  en  ces  lieux.  Au 
souvenir  de  ia  douleur  qui  d^chira  son  cocur  patemel,  le  roi  des 
cent  villes  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Soutiens,  je  t'en  conjure, 
ces  armes  que  j'ai  prises  pour  venger  mon  fils.  Associe-toi  a  une' 
guerre  sainte :  je  cherche  a  consoler  ses  manes.  »  Le  petit-fils 
d^Asopus  lui  repond  :  «  Ta  priere  est  inutile,  et  ma  ville  ne  sau- 
rait  Texaucer.  Nulle  contree  n'est  plus  devouee  a  Athenes  :  son  al- 
liance  est  sacree  pour  nous.  i  Minos  se  retire  tristement.  «  Cette 
aliiance  te  coutera  cher, »  dit-il,  persuade  qu'il  vaut  mieux  annon- 
cer  la  guerre  que  de  l'entreprendre  et  de  consumer  en  ce  mor 
mentsesforces  par  des  attaques  prematur^. 

Des  remparts  d'finopie  on  pouvait  encore  apercevoir  la  flotte 
cretoise,  iorsqu*un  vaisseau  athenien  s'avance  a  pleines  voiles  et 
entre  dans  le  port  de  ses  allies,  portant  G6phale  et  les  voeux  de  sa 
patrie.  Quoique  les  fils  d'fiaque  n'eussent  point  ^ii  C^phale  depuis 
longtemps,  ils  le  reconnaissent,  lui  tendent  la  main,  et  le  condui- 
sent  au  palais  de  leur  pere.  Le  h^-os,  dont  les  traits  respirent  la 
noblesse  et  conservent  encore  les  traces  de  son  ancienne  beaute, 


Ipse  quoque  egreditur,  tardus  gravitate  senili, 

^cus,  et  quae  sit  veniendi  causa  requirit. 

Admonitus  patrii  luctus  suspirat,  ct  illi  4S0 

Dicla  refert  rector  populorum  talia  centum  : 

ff  Arma  juves  oro  pro  nalo  sumpta;  piacque 

Pars  sis  militise;  tumulo  solatia  posco. » 

Huic  Asopiades  «  Petis  irrita,  dixit,  et  urbi 

Haud  facienda  mese;  neque  enim  conjunctior  ulla  4S5 

Cecropidis  hac  est  tellus;  ea  fcedera  nobis.  » 

Trislis  abit :  ff  Stabunlque  tibi  tua  foedera  magno,  » 

Dixit,  et  utilius  bellum  putat  esse  minari, 

Quara  gerere,  atque  suas  ibi  praeconsumere  vires. 

Classis  ab  cenopiis  etiamnum  lyclla  muris  490 

Spectari  polerat,  quum  pleno  concita  velo 
Attica  puppis  adest,  in  porlusque  intrat  amicos, 
Quae  Cepbalum,  patriscque  simul  mandata  ferebat. 
^acidae  longo  juvenes  post  tempore  visum 
Agnovere  tamen  Cephalum,  dextrasque  dedere,  40^ 

Inque  patris  duxere  domum.  Speclabilis  heros, 
Et  veteris  retinens  eliaranum  pignora  formse^ 


264  H^TAMORPIIOSES. 

se  pr^sente  avec  une  branche  d'olivier.  A  sa  droite  et  a  sa  gauche 
marchent  Glytus  et  Butes,  deux  fils  de  Pallas,  plus  jeunes  que  lui. 
Admis  pr^s  du  roi,  les  envoyfe  d'Athenes  lui  adressent  les  felici- 
tations  d^usage.  Puis  Cephale,  pour  remplir  sa  mission,  demande 
des  secours  a  £aque,  lui  rappelle  les  traites  et  les  liens  qui  uni- 
rent  leurs  peres,  et  lermine  par  le  tableau  du  danger  prfet  a  fondre 
sur  la  Grece  entiere.  Quand  son  ^loquence  eut  soutenu  les  inter^ls 
qui  lui  etaient  confies,  Eaque,  appuyant  sa  main  gauche  sur  la  poi- 
gnee  de  son  sceptre,  lui  repondit : « N'implore  point  du  secours, 
Athenes,  exige-le.  Regarde  hardiment  comme  ton  bien  les  res- 
sources  de  cet  empire  :  je  les  mets  toutes  a  ta  discr^tion.  Les 
forces  ne  me  manqueht  point.  Tai  assez  de  soldats  pour  me  de- 
fendre  ou  attaquer  mes  ennemis.  Grdce  aux  dieux,  tout  ici  pros- 
p^re,  et  les  conjonctures  ne  laissent  aucun  pretexle  k  un  refus. 
—  Puisse-t-il  en  ^tre  ainsi !  repond  Cephale;  et  puisse  ton  empire 
voir  se  multiplier  tes  sujets !  Naguere,  a  mon  arrivee,  j'ai  eprouve 
de  la  joie,  lorsque  j'ai  vu  accourir  au-devant  de  moi  une  brillante 
foule  toute  composee  de  jeunesgens  du  mSme  3ge.  Cependant  J'y 
cherche  en  vain  plusieurs  guerriers  que  j*ai  connus  jadis  dans  ta 
cit6.  »  fiaque  gemit,  el  d'une  voix  attristee  il  ajoule :  «  Des  temps 

Ingreditur,  ramumque  tenens  popularis  olivaj, 
Et  dexlra  Isevaquc  duos  aetale  roinores 
Major  habet,  Clyton  et  Buten,  Pallante  creatos.  J:00 

Postquam  congressu  primo  sua  verba  tulcrunt 
Cecropida;,  Gephalus  peragit  mandata,  rogatquc 
Auxilium,  foedusque  refert,  et  jura  parentum. 
Imperiumque  peti  totius  .ichaidos  addit. 
Sic  ubi  mandatam  juvit  facundia  causam,  r^Oo 

^acus,  in  capulo  sceptri  nitente  sinislra : 
c  Ne  petite  auxilium,  sed  sumite,  dixit,  Athenx. 
Nec  dubie  vires,  quas  hxc  habet  insula,  vcslras 
Bucite;  et  omnis  eat  rerum  status  iste  mearum. 
■•"  Robora  non  desunt.  Superat  mihi  miles  et  hosti.  tilO 

Gratia  dis  !  felix  et  inexcusabile  tempus. 
—  Immo  ita  sit!  Cephalus,  crcscat  tua  civibus  oplo 
Bes,  ait.  Adveniens  equidem  modo  gaudia  cepi, 
Quum  tam  pulcbra  mihi,  tam  par  aetate  juvcnlus 
Obvia  processiu  Multos  tamcn  inde  requiro,  515 

Quos  quondam  vidi  vestra  prius  urbe  reeoptus.  » 
£acus  ingemuit,  tristiquA.  ita  voce  locutus: 


LIVRE  YII.  265 

malheureux  ont  fait  place  h  une  meilleure  foriune.  Que  ne  puis-je 
te  la  faire  connaitre  sans  remonter  k  d'anciens  d^sastres !  Je  vais 
te  les  raconter  en  f^pargnant  de  longs  d^tails.  Ils  ne  sont  plus 
qu*os  et  poussi^re,  ceux  dont  tu  as  conserv^  le  souvenir !  Helas ! 
que  de  pertes  cruelles  m'ont  alors  frappe ! 

«  Suscit^  par  le  ressentiment  de  la  crueUe  Junon»  qui  d^testalt 
une  contree  a  laquelle  sa  rivale  a  laiss^  son  nom,  un  terrihle  fl^u 
fondit  sur  mes  Etats.  Nous  le  prfmes  pour  un  de  ces  maux  attach^  a 
rhumanite;  et,  tant  que  la  cause  fatale  d'un  si  grandmalheur  resta 
cach^e,  nous  la  combattimes  par  les  ressourcesderart.  Mais  il  triom- 
phaitdenosefforts  :  Tart  s'avoua  vaincu.  D^abordrairs^obscurcit, 
Gommeun^paisbrouiilard^etlesnuages  nous  envoy^rent  une  cha- 
leur  accablante.  Durant  tout  le  temps  que  mit  la  lune  a  remplir 
quatre  fois  son  disque  de  lumi^re  et  a  le  voir  decroitre,  soufYIa  la 
brtilante  haleine  des  mortels  autans.  Les  sources  et  les  lacs  furent 
infectes.  Au  milieu  des  campagnes  incultes  erraient  d'innombra-' 
bles  essaims  de  reptiles  qui  empoisonnaient  les  fontaines.  Les 
chiens,  les  oiseaux,  les  moutons,  les  bceufs  et  les  b^tes  sauvages, 
ressentirent  les  premiers  les  soudaines  atteintes  de  ce  mal.  Le 


«  Flebile  principium  melior  fortnna  secuta  est. 

Hanc  ulinam  possem  vobis  memorare  sine  ilio! 

Ordine  nunc  repetam,  neu  longa  ambage  morer  tos.        590 

Ossa  cinisque  jacenl,  memori  quos  mente  requiris, 

Et  quota  pars  illi  rerum  periere  mearuiri! 

«  Dira  lues  populis  ira  Junonis  iniquse 
.  Incidit,  exosae  dictas  a  pellice  terras. 
Dum  Tisum  mortale  malum,  tantaeque  latebat  5^5 

Causa  nocens  cladis,  pugnatum  est  arte  medcndi. 
Exitium  superabat  opem,  quae  victa  jacebat. 
Principio  coelum  spissa  caligine  terras 
Pressit,  et  ignavos  inclusit  nubibus  xstus. 
Dumque  qualer  junctis  implevit  cornibus  orbcm  ^30 

Luna,  quater  plenum  tenuata  retexuit  orliem, 
Letbiferis  calidi  spirarunt  flatibus  Austri. 
Gonstat  et  in  fontes  vitium^venisse,  lacusque, 
MiUiaque  incultos  serpentum  multa  per  agros 
Errasse,  atque  suis  fluvios  temerasse  venenis.  USS 

Strage  canum  prima,  volucrumque,  oviumque,  boumque, 
Inque  feris  subiti  deprensa  potentia  morbi^ 


266  M^TAHORPHOSES. 

pauYre  laboureur  vii  d'un  oeil  consteme  ses  taureaux  vigoureu^ 
succomber  en  travaillant  et  expirer  au  milieu  des  sillons.  Les 
brebis  poussaient  de  douloureux  b^Iements ;  leur  toison  tombait 
d'elle-mSme  et  leurs  corps  se  d^oomposaient.  Le  coursier,  jadis 
impetueux,  qui  s'etait  couveit  de  palmes  dans  Tarene,  dedaignait 
la  victoire.  Sans  songet*  a  ses  anciens  triomphes,  il  faisait  retentir  la 
cr^e  de  gSmissements  avant  de  mourir  de  langueur.  Le  saugUer 
oubliait  sa  fureur  et  la  biche  ses  pieds  rapides ;  Tours  ne  pensait 
plus  k  fondre  sur  les  grands  troupeaux.  Une  torpeur  lethargique 
enehainait  tous  les  Stres.  Les  forSts,  les  campagnes,  les  routes, 
^taient  jonch^es  de  cadavres  qui  infectaient  Tair.  0  merveilie!  ni 
les  chiens,  ni  les  oiseaux  de  proie,  ni  les  loups  avides  n'en  firent 
leur  pature.  Reduits  en  dissolution,  ces  cadavres  exhalaient  des 
miasmes  deleteres  qui  etendaient  la  contagion  au  loin. 

« La  peste  sevit  particulierement  sur  les  malheureux  habitants  de 
la  campagne ;  puis  elle  etablit  son  empire  dans  cette  grande  cite. 
D'abord  un  feu  devorait  les  entrailles,  et  revelait  ses  ravages  secrets 
par  la  rougeur  du  visage  et  par  une  penible  respiration.  La  langue 
devenait  ipre  et  s'enflait;  la  bouche  aride  s'ouvrait  a  des  vents 
brillants,  et  ne  transmettait  aux  poumons  qu'un  air  corrompu.  On 

Concidere  infelix  validos  miralur  arator 

Inter  opus  tauros,  medioque  recumbere  sulco. 

Lanigeris  gregibus,  balatus  dantibus  segros,  540 

Sponte  sua  laniKque  cadunt,  et  corpora  tabent. 

Acer  equus  quondam,  magnaeque  in  pulvere  famsc, 

Degenerat  palmas,  veterumque  oblilus  honorum, 

Ad  praesepe  gemit,  lelho  moriturus  inerti.  ^ 

Non  aper  irasci  meminit,  nec  fidere  cursu  54ar 

Cerva,  nec  armentis  incurrere  fortibus  ursi. 

Omnialanguor  habet;  silvisque,  agrisque,  viisquc 

Corpora  foeda  jacent.  Vitiantur  odoribus  aurae. 

Mira  loquor  :  non  illa  canes,  avidxque  volucres, 

Non  cani  tetigere  lupi.  Dilapsa  liquescunt,  550 

Afflatuque  nocent,  et  agunt  contagia  ]ate. 

c  Pervenit  ad  miseros  damno  graviore  colonos 
Pestis,  et  in  magnae  dominatur  moenibus  urbis. 
Visccra  torrentur  primo,  flammxque  latentis 
Indicium  rubor  est,  et  ductus  anhelitus  aegre,  555 

Aspera  lingua  tumet,  tepidisquc  arentia  ventis 
Ora  patent,  aurxque  graves  captantur  hiatu. 


LIVRE  Y!I.  267 

ne  pouTait  goaflrir  le  lit  ni  le  plus  leger  vMement.  Cest  oontre 
terre  qu'on  appliquait  sa  poitrine  dechamee.  Ifais  ie  corps,  loin 
de  se  refroidir  par  le  contact  du  sol,  lui  communiquait  sa  chaleur. 
Rien  n'arr^tait  la  fureur  du  mal.  U  se  dechainait  contre  les  mede- 
cins  eux-m^mes,  qui  devenaient  ainsi  victimes  de  leur  art.  Ceux 
que  les  liens  du  sang  ou  de  Tamitie  retenaient  aupres  des  ma- 
lades  succombaient  plus  promptement.  Quand  tout  espoir  elait 
^vanouiy  la  mort  seule  apparaissait  comme  le  terme  des  souf- 
frances.  AIoi^  on  s'abandonnait  a  son  instinct ;  on  ne  cherchait 
plus  quel  remede  pouvait  ^tre  utile ;  et,  en  effet,  il  n'en  existait 
point.  Q^  et  1§,  sans  respect  pour  la  pudeur,  on  se  tenait  nu  au 
bord  des  fontaines,  des  fleuves  et  des  grandes  citemes.  On  buvait ; 
mais  !a  soif  ne  s^^teignait  qu'avec  la.vie.  Aussi  une  foule  de  ma- 
lades,  affaiss^s  sous  le  poids  de  Teau,  ne  pouvaient  se  relever,  et 
trouvaient  la  mort  dans  Tonde  ou  d'autres  mourants  venaient  en- 
core  se  desalt^rer.  Des  malheureux,  pour  se  derober  a  leurs  tour- 
ments,  s^elangaient  hors  de  leur  couche ;  ou,  s'ils  n^avaient  point 
la  force  de  se  soutenir,  ils  se  roulaient  par  terre,  loin  de  leurs 
maisons,  qu'ils  regardaient  comme  un  funeste  sejour  et  qu'ils 
accusaient  d'Stre  la  cause  secrete  du  mal.  Quelques-uns,  a  demi 


Non  stratum,  non  uUa  pati  velamina  possunt; 

Dura  sed  in  terra  ponunt  praccordia;  nec  fit 

Corpus  humo  gelidum,  sed  humus  de  corpore  fervet.       560 

Nec  moderator  adest ;  inque  ipsos  sseva  medenles 

Erumpit  clades,  obsuntque  auctoribus  artes. 

<}uo  propior  quisque  est,  servitque  fidelius  segro, 

In  parlem  lethi  citius  venit.  Utque  salutis 

Spes  abiit,  finemque  vident  in  funere  morbi,  S65 

Indulgent  animis,  et  nulla  (quid  utile?)  cura  est. 

Utile  enim  nihil  est.  Passim,  positoque  pudore 

Fontibus,  et  fluviis,  puteisque  capacibus  hacrent; 

Nec  prius  est  exstincta  sitis,  quam  vita,  bibendo 

Inde  graves  multi  nequeunt  consurgere,  et  ipsis  570 

Immoriuntur  aquis ;  aliquis  tamen  haurit  et  illas. 

Tantaque  sunt  miseris  invisi  tsdia  lecti, 

Prosiliunt;  aut,  si  prohibent  consistere  vires, 

Gorpora  devolvunt  in  humum,  fugiuntque  penates 

Quisque  suos.  Sua  cuique  domus  funesta  videtur ;  575 

Et  quia  causa  latet,  locus  est  in  crimine,  Notis 


268  MtiTAMORPHOSES. 

morts,  erraient  dans  des  sentiers  connus,  tant  qu^ils  pouvaient  se 
tenir  debout ;  d'autres  pleuraient  etendus  sur  le  sol.  Par  un  efTort 
suprSme,  ils  agitaient  encore  leurs  paupieres  appesanties,  et,  les 
bras  lev^  vers  le  ciel,  ils  expiraient  ou  le  hasard  les  avait  con- 
duits.  Quels  sentiments  m*assaillirent  alors !  Oh !  que  je  dus  hair 
la  vie,  et  combien  je  desirai  partager  le  sort  de  mon  peuple ! 
Partout  ou  je  toumais  les  yeux  s^ofTraient  des  monceaux  de  ca- 
davres.  Ainsi  tombent  ies  fruits  g^l^s  des  arbres  que  l'on  secoue; 
ainsi  se  d^tachent  les  glands  du  ch^ne  qu'on  agite. 

«  Tu  vois  vis-k-vis  de  nous  un  temple  ou  Ton  monte  par  de 
longs  degr^s.  11  est  consacre  a  Jupiter.  Qui  de  nous  n*y  fit  bri^ler 
un  encens  inutile?Combien  de  fois  Tepoux,  priant  pour  son  epouse, 
et  le  pere  pour  son  fils,  ne  rendirent-ils  pas  le  dernier  soupir  au 
pied  de  Tautel  insensible !  Gombien  de  fois  ne  trouva-t~on  pas  dans 
leursmains  Tencens  a  demi  consume !  Gombien  de  fois,  tandis  que 
le  prMre  pronon?ait  les  paroles  sacrees  et  versait  un  vinpur  entre 
les  cornes  des  taureaux  conduits  au  temple,  ceux-ci  ne  tombe- 
rent-ils  pas  avant  d'6tre  atteints  par  la  hache!  Un  jour,  j'ofirais 
moi-mSme  un  sacrifice  a  Jupiter  pour  naa  pathe,  pour  mes  trois  en-* 

Semianimes  errare  viis,  dum  stare  valebant, 

Aspiceres,  flenles  alios,  terraeque  jacentes, 

Lassaque  versantcs  supremo  lumina  motu; 

Membraque  pendentis  tendunt  ad  sidcra  cocli,  "iSO 

Hic,  illic  ubi  mors  deprenderat,  exhalantes. 

Quid  mihi  tunc  animi  fuit?  an  quod  debuit  esse/ 

Ut  vitam  odissem,  et  cuperem  pars  esse  meorum? 

Quo  se  cumque  acies  oculorum  flexerat,  illic 

Vulgus  erat  statum ;  veluti  quum  putria  motis  583 

Poma  cadunt  ramis,  agitataque  ilice  g]andes. 

«  Templa  vides  contra,  gradibus  sublimia  longis. 
Jupiter  illa  tenet.  Quis  non  altaribus  illis 
Irrita  thura  tulit?  Quoties  pro  conjuge  conjux, 
Pro  natn  genitor,  dum  verba  precantia  dicit,  3C0 

Plon  exoratis  animam  iinivit  in  aris, 
Inque  manu  thuris  pars  inconsumpta  reperla  esl! 
Admoti  quoties  templis,  dum  vota  sacerdos 
Concipit,  et  fundit  purum  inter  cornua  vinum, 
Haud  exspectato  ceciderunt  vulnere  tauri !  5Qo 

Ipse  ego  sacra  Jovi  pro  me,  patriaque,  tribusque 
Quum  facerem  natis,  mugitus  victima  diros 


L1VRE  YI1.  969 

fonts  et  ponr  moi.  La  Tictime  poussa  de  sinistres  mugissements. 
Tout  k  coup  elle  expira  sans  Mre  frappee,  et  teignit  k  peine  le  fer 
de  quelques  gouttes  de  sang.  Les  fibres  fl^tries  n'indiquaient  ni  la 
y^rit^  ni  la  volont^  des  dieux :  la  contagion  avait  pen^tr^  jusqu'aux 
entrailles  des  victimes.  J'ai  vu  devant  le  seuil  sacr6  des  cadavres 
epars.  Des  malades,  pour  rendre  leur  tr^pas  plus  r^voltant,  s'^ 
tranglaient  eux-m^mes  en  face  des  autels,  et  se  d^robaient  ainsi  k 
la  peur  de  la  mort  en  allant  au-devant  du  sort  qui  les  mena^ait. 
On  ne  rendait  plus  ies  demiers  devoirs.  Les  portes  de  la  ville 
etaient  trop  etroites  pour  les  corl6ges  fun^bres.  Les  morts  gisaieUt 
prives  de  s^pulture,  ou  ^taient  jetds  sans  nulle  cdrdmonie  sur  le 
vaste  bikher.  On  ne  respectait  rien.  On  se  battait  pour  une  tombe 
et  plusieurs  furent  consumes  par  le  feu  allum^  pour  d^autres.  Au- 
cune  larme  n'accompagnait  les  morts.  Les  ombres  des  filles  et  des 
meres,  des  jeunes  geiis  et  des  vieillards,  erraient  frustr^es  des 
honneurs  supr^mes.  La  terre  ne  pouvait  ^uffire  aux  tombeaux,  ni 
le  bois  aux  biichers. 

c  AccabM  par  ce  d^iuge  de  maux  effroyables :  « 0  Jupiter !  m'^ 
c  criai-je,  s'il  est  vrai,  comme  on  le  dit,  que^la  fille  d'Asopus, 
«  Sgine,  f  aitre^u  dans  ses  bras,  si  tu  ne  rcugispas,  dieu  puissant, 

Edidit,  et  subito  collapsa,  sine  ictibus  ullis, 

Exiguo  tinxit  subjectos  sanguine  cultros. 

Fibra  quoque  xgra  notas  veri  monitusque  deorum  600 

Perdiderat :  tristes  penetrant  ad  viscera  morbi. 

Ante  sacros  vidi  projecta  cadavera  postcs. 

Ante  ipsas,  quo  mors  foret  invidiosior,  aras 

Pars  animam  laqueo  claudunt,  mortisque  timorem 

Morte  fugant,  ultroque  vocant  venientia  fata.  605 

Corpora  missa  neci  nuUis  de  more  feruntur 

Funeribus,  neque  enim  capiebant  funera  porls; 

Aut  inhuroata  premunt  terras;  aut  dantur  in  altos 

Indotata  rogos.  El  jam  reverentia  nulla  cst; 

Dcque  rogis  pugnant,  alienisque  ignibus  ardent.  610 

Qui  lacryment,  dcsunl;  indefletxquc  vagantur 

Natarum  matrumque  animse,  juvenumque  senumque; 

lN'ec  locus  in  tumulos,  ncc  sufGcit  arbor  in  ignes. 

c  Altonilus  tanto  miserarum  turbine  rerum, 
«  Jupiler  0,  dixi,  si  te  non  falsa  loquentur  615 

«  Dicta  sub  amplexus  ^ginae  asopidos  isse, 
«  Nec  le,  magne  pater,  nostri  pudet  esse  parentem  , 


270  M£TAM0RPH0S£S. 

f  de in'avoir pourfils, rends-moi mes sujets, ou ensevelisraoi avec 
«  eux  dans  la  tombe ! » Un  ^lair  etun  tonnerrefavorables  m'appri- 
rent  sa  volont^.  «  J'accepte  ce  presage ,  dis-je  aiors  :  puisse-t-il 
«  m'Stre  propice!  Dans  les  signes  que  tu  m'envoies,  je  trouve  la 
«  preuve  d'un  meilleur  destin.  » 

•  «  Pres  de  la  s'elevait  un  ch^ne  consacre  a  Jupiter.  Un  rare  feuii* 
lage  en  couvrait  ies  vasles  rameaux.  II  etait  n^  d'un  gland  de  Do- 
done.  La  nous  voyons  s'avancer  une  longue  file  de  fourmis  char- 
g^  de  grains,  et  transportant  des  fardeaux  bien  lourds  pour  leurs 
faibles  corps.  Elles  suivaient  la  m6me  route  dans  Tecorce  ridee 
du  chSne.  Frappe  de  leur  nombre,  je  m'ecriai :  «  0  mon  p6re ! 
«  dans  ta  bonte,  donne-moi  autant  de  citdyens  pour  repeupler  ma 
«  ville  d^serte !  »  Le  grand  arbre  fremit.  De  ses  branches  agitees 
sans  aucun  soufHe  s'^liappa  une  voix.  Je  me  sentis  glace  d^effroi ; 
mes  cheveux  se  dresserent.  Toutefois  j'imprimai  un  baiser  sur  la 
terre  et  sur  les  fiancs  du  ch^ne,  sans  laisser  deviner  mon  espoir. 
En  effet,  j'esperais,  et  mon  coeur  se  flatlait  de  voir  ses  vceux  ac- 
complis.  La  nuit  arrive,  et  le  sommeil  soulage  les  peines  des  mor- 
tels.  En  dormant,  je  crois  voir  le  mSme  chSne  avec  tous  ses  ra- 
meaux,  et  ces  rameaux  couverts  du  m^me  nombre  dMnsectes.  Jo 

«  Aut  mihi  redde  meos,  aut  me  quoque  conde  sepulcro.  » 
llle  notam  fulgore  dedit,  tonitruque  secundo  : 
«  Accipio,  sintque  isla  precor  felicia  mentis  620 

«  Signa  tuae,  dixi.  Quod  das  mihi,  pigneror,  omcn.  b 

«  Forte  fuit  juxta  patulis  rarissima  ramis, 
Sacra  Jovi,  quercus  de  semine  dodonaeo. 
Hic  nos  frugilegas  aspeximus  agmine  longo 
Grande  onus  exiguo  formicas  ore  gerentes,  625 

Rugosoque  suum  servantes  cortice  callem. 
Dum  numerum  miror :  «  Totidem,  pater  optime,  dixi, 
«  Tu  mihi  da  cives,  et  inania  mncnia  supple.  » 
Intremuit,  ramisque  sonum  sine  flamine  motis 
Alta  dedit  quercus.  Pavido  mihi  membra  limore  650 

Horruerant,  stabantque  comse.  Tamen  oscula  terrae, 
Roboribusque  dedi.  iS'ec  me  sperare  fatebar; 
Sperabam  tamen,  atque  animo  mea  vota  fovebam. 
Mox  subit,  et  curis  exercita  corpora  somnus 
Occupat.  Ante  oculos  eadem  mihi  quercus  adessc,  G5U 

Et  ramos  totidem,  totidemque  auimalia  ramis 


LIVRE  VII.  271 

crois  le  Toir  fr^mir  encore,  et  disperser  au  loin  dans  les  sillons  la 
tronpe  charg^e  de  grains.  Tout  a  coup  ces  fourmis  me  semblent 
grandir,  se  d6velopper,  se  lever  de  terre,  se  dresscr,  perdre  leur 
maigreur,  leurs  pieds  innombrables,  leur  couleur  noire,  et  re\*6tir 
la  forme  humaine.  A  mon  reveil,  je  condamne  mon  songe,  et  je 
me  plains  de  ne  trouver  aucunsecours  dans  les  dieux.Gependant 
mon  palais  retentit  d'un  grand  murmure.  La  voix  liumaine,  qui 
avait  cess6  de  frapper  mes  oreilles,  semble  se  faire  entendre  au 
loin.  Je  craignais  que  ce  ne  filt  encore  une  iliusion,  quand  T61a* 
mon,  accourant  en  toute  h^te,  ouvrit  les  portes  et  s'ecria  :  1 0  mon 
f  pere !  vous  allez  voir  un  prodige  bien  au-dessus  de  vos  esp^ 
«  rances,  et  h  peine  croyable;  venez!  »  Je  sors,  et  ces  hommes 
clont  un  songe  m'avait  offert  Timage,  je  les  vois  rang^  en 
ordre,  comme  je  les  avais  vus.  Je  les  reconnais.  IIs  s*approchent 
et  me  proclament  leur  roi.  Je  rends  grdces  h  Jupiter.  J*assigne 
k  mes  nouveaux  sujets  des  demeures  dans  la  ville  et  dans  la 
campagne  veuve  de  ses  anciens  habitants.  Je  les  appelle  Mynni- 
dons,  afin  que  ce  nom  perpetue  le  souvenir  de  leur  origine.  Vous 
les  avez  vus.  Ils  gardent  leurs  moeurs  primitives.  Cest  un  pcuple 
econome,  infatigable,  int6resse,  et  habile  a  garder  le  fruit  de  ses 

Ferre  suis  visa  est;  pariterque  tremiscere  motu; 

Graniferumque  agmen  subjectis  spargere  in  arvis; 

Grescere  quod  subito,  et  majus  majusque  videri. 

Ac  se  tollere  humo;  rectoque  assistere  trunco;  G40 

Et  maciem  numerumque  pedum,  nigrumque  colorem 

Ponere,  et  humanam  membris  inducere  formam. 

Somnus  abit.  Damno  vigilans  mea  visa,  querorque 

In  Superis  opis  esse  nihil.  At  in  aedibus  ingens 

Murmur  erat,  vocesque  hominum  exaudire  videbar,         645 

Jam  mihi  desuetas.  Dum  suspicor  has  quoque  somni, 

Ecce  venit  Telamon  properus,  foribusque  reclusis  : 

c  Speque  fideque,  pater,  dixit,  majora  videbis. 

«  Egredere.  »  Egredior,  qualesque  in  imaginc  somni. 

Visus  eram  vidisse  viros,  ex  ordine  tales  650 

Aspicio,  agnoscoque.  Adeunt,  regemque  salutant. 

Vota  Jovi  solvo,  populisque  recentibus  urbcm 

Partior,  et  vacuos  priscis  cultoribus  agros ; 

Myrmidonasque  voco,  nec  originc  nomina  fraudo. 

Gorpora  vidisti.  Mores,  quos  ante  gerebant,  655 

Nunc  quoque  habent ;  parcuni  cenus  esl  patiensque  laborum, 


m  Ml^TAMORPHOSES. 

travaux.  £^aux  en  dge  et  en  valeur,  ils  marcheront  au  combat 
avec  vous  aussitdt  que  l'Eurus,  dont  le  souffle  propice  vous  a  con- 
duit  vers  cette  ile  (l'Eurus  l'y  avait  conduit  en  effet),  aura  c^d^ 
sa  place  a  TAutan.  » 

C£PHALB  ET  PROCRIS. 

YIII.  Ces  entretiens  et  d'autres  semblables  remplirent  toute  la 
journee.  Le  soir  fut  consacre  a  un  feslin,  et  la  nuit  au  sommeil. 
Gependant  le  char  radieux  du  Soleil  avait  paru  sur  Thorizon. 
L'£urus  souijflait  encore  et  s'opposait  au  depart.  Aupr^  de  Ge- 
phale,  plus  dge  qu'eux,  se  pressaient  les  enfants  de  Pallas ;  ils 
Taccompagnaient  aupr^  d'£aque,  encore  enseveli  dans  le  som- 
meil.  Un  de  ses  fils,  Phocus,  les  regut  sur  lo  seuil  du  palais»  tan- 
dis  que  Telamon  et  son  aulre  fr^re  enrdlaient  les  citoyens  pour 
la  guerre.  Phocus  conduisit  les  Atheniens  dans  Tinteneur  du  par 
lais,  sous  de  somptueux  portiques,  et  s'assit  aupres  d'eux.  II  re- 
roarqua  dans  les  mains  de  Gephale  un  javelot  fait  d'un  bois  in- 
connu,  et  armd  d  une  pointe  d'or.  Apres  quelques  propos  :  a  Je 


Quaesitique  tenax,  et  qui  quo^sita  reservent. 

Hi  te  ad  bella,  pares  annis  animisque,  sequcntur, 

Quum  primum,  qui  te  feliciter  attulit,  Eurus, 

(Eurus  enim  aitulerat),  fuerlt  mutatus  in  Austros.  »        6C0 

CEPUALUS  ET  PBOCRIS. 

VIII.    Talibus  atque  aliis  longum  sermonibus  illi 
Implevere  diem.  Lucis  pars  ultima  mensaB 
Est  data,  nox  somnis.  Jubar  aurcus  extulerat  sol. 
Flabat  adhuc  Eurus,  redituraque  vela  tenebat^ 
Ad  Cephalum  Pallante  sati,  cui  grandior  aetas,  665 

Ad  regem  Cephalus,  simul  et  Pallanle  creati 
Conveniunt.  Sed  adhuc  regem  sopor  altus  habebat. 
Excipit  iEacides  illos  in  limine  Phocus; 
Nam  Telamon,  fratcrque,  viros  ad  bella  legebant. 
Phocus  in  interius  spatium,  pulchrosque  recessus  670 

Cecropidas  ducit,  cum  queis  simul  ipse  resedit. 
Aspicit  ^oliden  ignota  ex  arbore  factum 
Ferre  manu  jaculum,  cujus  fuit  aurea  cuspis. 
Pauca  prius  mediis  scrmonihus  ille  locutus : 


LIVRE  VII.  273 

sttis,  dit-il,  passiona^  pour  les  forSts  et  pour  la  chasse.  N^niiKHns 
je  cherclie  depuis  longtemps  de  quel  bois  est  fait  ton  jaTclot.  Le 
Mne  est  plus  jaune,  ei  le  cornouiJler  plus  noueux.  J'ignore  son 
origine,  mais  je  n'en  ai  jamais  vu  de  plus  beau.  t  Un  des  trois 
enfants  de  l'Attique  lui  repond :  c  Son  usage  te  paraitra  plus  eton- 
nant  que  sa  beautS.  11  atteint  toujours  le  but;  jamais  il  ne  vole  au 
hasard,  et  il  revient  sanglant  daus  la  main  qui  Ta  lanc^.  • 

Alors  le  petit-fils  de  Neree  multiplie  ses  questions.  «  Pourquoi 
tVt^il  etS  donne?  d'ou  vient-ii?  quel  est  Tauteur  de  ce  rare  pre- 
sent?  •  Gephale  satisfait  a  ses  demandes,  mais  la  honte  rempSche 
de  direpourquoi  il  le  re^ut.  La  perte  de  son  epouse  reveiile  en  liii 
un  douloureux  souvenir  qui  fait  eouler  ses  larmes :  «  Fils  d'une 
deesse,  ce  javelot  (qui  pourrait  le  croire?)  me  coiite  bien  des 
pleurs,  et  il  m'en  coulera  longtemps,  si  les  Destins  m^accordent 
une  longue  vie.  II  a  caus^  ma  perte  et  ceile  de  mon  ^pouse.  Oh ! 
plilt  au  cid  que  je  n'eusse  jamais  re^u  ce  present !  Procris  etait 
soeur  d'Oritiiye.  Peul-^trelenom  dX)rithye,  qu'enlevaBoree,  a-t-il 
pius  souvent  frappe  ton  oreille.  Si  on  les  compare,  Procris,  par  sa 


«  Sum  ncmorum  studiosus,  ait,  caedisque  ferinoj.  675 

Qua  tamen  e  silva  teneas  haslile  recisum, 

Jumdudum  dubilo.  Certe,  si  frasinus  esset, 

Fulva  colore  foret;  si  cornus,  nodus  inesset. 

Unde  sit  ignoro;  sed  non  formosius  isto 

Viderunt  oculi  telum  jaculabile  nostri.  »  080 

Excipit  aclaeis  e  fratribus  alter,  el :  «  Usum 

Majorem  specie  mirabere,  dixit,  in  isto, 

Consequitur  quodcumquc  petit,  fortunaque  missum 

Non  regit,  et  revolat,  nullo  rcferenlc,  cruentum. » 

Tum  vero  juvenis  nereius  omnia  quaeril  G85 

Cur  sit  ct  unde  datnm?  quis  tanti  muneris  auctor? 
Quae  pctil,  ille  refert.  Sed  quae  narriire  pudori  est, 
Qua  tulerit  mercede,  silet;  tactusque  dolore 
Conjugis  amisss,  lacrymis  itu  fatur  obortis  : 
«  Hoc  me,  nale  dea,  quis  possit  credcre?  telum  690 

Flere  facit,  facietque  diu,  si  vivere  nobis 
Fata  diu  dederint.  Hoc  me  cum  conjuge  cara 
Perdidit;  hoc  utinam  caruissem  munerc  scmpcrl 
Procris  eral,  si  forle  magis  pervenit  ad  aurcs 
Orilhyia  luas,  rapt»  soror  Orithyio!.  GOo 


274  M^TAMORPHOSBS. 

beaute  et  par  sa  vertu,  elait  plus  digne  de  trouver  un  ravisseur. 
Son  p^re  £rechthee  l'unit  a  mon  sort ;  l'amour  nous  wiit  aussi. 
Ghacun  me  prodamait  heureux.  Je  Tetais,  et,  si  les  dieux  Teussent 
permis,  je  le  serais  encore.  Le  second  mois  s'ecoulait  depuis  notr& 
hymen.  Je  tendais  mes  toiles  aux  cerfs  legers,  lorsque,  du  haut 
derHymette,toujours  couronn6  de  fleurs,  TAurore  aux  doigls  ver- 
meils,  chassant  les  tenebres  devant  son  char,  m^aper^Ait  et  m'en- 
leva  malgre  moi.  Puis-je  direla  verite,  sans  blesser  la  deesse?  Son 
front  est  parseme  de  roses ;  c^est  elle  qui  tient  le  milieu  enlre  le 
jour  et  la  nuit;  elle  s'abreuve  de  nectar.  Mais  J'aimais  Procris; 
Procris  etait  dans  mon  cceur,  et  j^avais  toujours  son  nom  sur  mes 
levres.  J'alleguai  les  droits  de  rhymen,  la  recente  ivresse  de  Ta- 
mour,  et  le  premier  bonheur  de  son  affection  virginale.  La  deesse 
s'indigna  de  mes  scrupules  :  «  Gesse  tes  plaintes,  ingrat,  dit-elle ; 
«  garde  Procris.  Si  je  sais  lire  dans  Tavenir,  un  jour  tu  voudras  ne 
«  Favoir  jamais  possMee.  »  Et,  dans  sa  colere,  elle  me  renvoya 
k  Procris. 

«  Je  partis,  et,  repassant  en  moi-mtoe  les  paroles  de  la  d^esse, 
je  commen^ai  a  craindre  que  mon  epouse  n'eilt  point  respecte  la 


Si  faciem,  moresque  velis  conferre  duarum, 

Dignior  ipsa  rapi.  Pater  hanc  mihi  junxit  Erechtheus; 

Hanc  mihi  junxit  amor.  Feli\  dicebar,  eramque. 

Non  ita  dis  visum  est,  ac  nunc  quoque  forsitan  esscm. 

Alter  agebatur  post  sacra  jugalia  mensis.  700 

Quum  me,  cornigeris  tendentem  retia  cervis, 

Verticc  de  summo  semper  florentis  Hymetti 

Lutea  mane  videt  pulsis  Aurora  tenebris, 

Invitumque  rapit.  Liceat  mihi  vera  referrc 

Pace  deaj,  quod  sit  roseo  spectabilis  ore,  70o 

Quod  tcneat  lucis,  teneat  confinia  noclis, 

Nectareis  quod  alatur  aquis.  Ego  Procrin  amabam; 

Pectore  Procris  erat,  Procris  mihi  semper  in  ore. 

Sacra  tori,  coitusquc  novos,  thalamosque  recenles, 

Primaque  deserti  referebam  foedera  lecti.  710 

Mota  dea  est,  ct :  «  Siste  tuas,  ingratc,  querelas. 

«  Procrin  habe,  dixit.  Quod  si  mea  provida  mens  cst, 

«  Non  habuisse  voles;  »  mcquc  illi  irata  remisit. 

«  Dum.  redeo,  mccumquc  dcac  nicmorata  rctraclo, 
Esse  metus  coepit,  ne  jura  jugalia  conjux  715 ' 


LIVRB  VII,  275 

intet^  du  lien  Gonjugal.  Sa  beaut^,  son  ^ge,  me  firent  soup^nner 
le  infid^lite,  quoique  sa  vertu  la  rendit  invraisembhble.  Mais 
vais  et^  absent ;  mais  celle  qui  me  quittait  avait  donne  un  mau- 
is  exemple ;  mais  tout  eveille  les  craintes  des  amants.  Je  cherchai 
i  subterfuge  qui  devait  faire  mon  malheur.  Je  m'appliquai  k  sd- 
ire,  par  des  presents,  la  vertu  de  Procris.  L'Aurore  seconda  mes 
lintes ;  elle  alt^ra  mes  traits  (je  crusm'en  apercevoir).  Avant  de 
icher  la  cite  de  Pallas,  je  n'etais  pius  reconnaissable.  J'entrai 
ns  mon  palais.  Nulle  trace  de  crime.  Partout  un  air  dUnnocence 
rinquietude  pour  un  maitre  perdu.  A  peine,  par  miile  d^tours, 
me  frayai  un  acces  aupres  de  la  filie  d'firechthee.  A  son  aspect, 
resiai  immobiie,  et  je  renon^ai  presque  a  mon  projet.  Je  pus  a 
Ine  ^touffer  la  verite  et  m'abstenir  de  i^embrasser,  comme  j'au- 
s  &ii  le  faire.  Eile  etait  triste ;  mais,  malgr^  sa  tristesse,  aucune 
nme  ne  YeM  ^clips^e.  Elle  regrettait  profondement  la  perte  de 
a  mari.  Juge,  Phocus,  de  la  beaute  de  celle  que  rehaussait  mSme 
douleur !  Te  dirai-je  combien  de  fois  sa  vertu  repoussa  mes  at- 
[ues?  Gombien  de  fois  elle  me  dit :  «  J'appartiens  a  un  seul ;  en 
5ueique  lieu  qu'il  soit,  c'est  en  lui  seul  que  je  concentre  mon 
bonheur?  » 

Non  bene  servasset.  Faciesque  setasque  jubebat 

Gredere  adulterium,  prohibebant  credere  mores. 

Sed  tamen  abrueram;  sed  et  haec  erat,  undc  redibam, 

Criminis  exemplum;  sed  cuncta  timemus  amantes. 

Quaerere,  quod  doleam,  studeo,  donisque  pudicam  7^ 

SoUicitarc  fidem.  Favet  huic  Aurora  timori, 

Immutatquc  meam,  vidcor  scnsisse,  figuram. 

Palladias  ineo,  non  cognosccndus,  Athcnas, 

Ingrediorque  donmm.  Culpa  doraus  ipsa  carcbat, 

Castaque  signa  dabat,  dominoque  crat  anxia  raplo.  725 

Vix  adilu  pcr  mille  dolos  ad  Ercchthida  facto, 

Ct  vidi,  obstupui,  meditataque  prene  reliqui 

Tentamenla  lide.  Male  me,  quin  vera  faterer, 

Continui;  male,  quin,  ut  oportuit,  oscula  ferrem. 

Tristis  erat;  sed  nuUa  tamen  formosior  illa  730 

Esse  potest  tristi,  desiderioque  calebat 

Conjugis  abrepti.  Tu  collige  qualis  irt  illa, 

Phoce,  dccor  fuerit,  quam  sic  dolor  ipse  dccebat. 

Quid  refcram,  quotics  tenlamina  nostra  pudici 

Reppulerint  morcs?  quoties  :  «  Ego,  dixerit,  uni  75S 

k  Servor,  ubicumque  est;  uni  mea  gaudia  scrvo?  » 


276  M£TAM0RPU0SES. 

« Quel  homme  raisonnable  n'eiit  vu  dans  ce  langage  une  preuvc 
suflisante  de  sa  fideiit^?  Je  ne  sus  pas  m'en  contentQr,  et  je  mV 
cbamai  a  ma  perte.  Pour  une  seule  nuit  j^ofTris  tous  mes  tresors. 
Texagerai  tellement  mes  promesses,  qu'elle  me  parut  chanceler 
enfm.  Je  m'ecriai  alors : « Je  m^elais  d^guise,  el  sous  les  dehors 
c  d'un  adult^re  se  cachait  le  veritable  epoux!  Perfide!  je  suis 
ff  moi-mSme  t^moin  de  ta  trahison !  »  EUe  ne  repond  rien,  mais, 
ensevelissant  sa  honte  dans  le  silence,  elie  fuit  a  la  fois  un  epoux 
infame  et  un  paiais  criminel.  Enveloppant  tous  les  hommes  dans 
la  haine  que  je  lui  inspirais,  elle  erra  sur  les  montagnes  et  s'y 
livra  aux  exercices  de  Diane.  Ainsi  d^Iaisse,  je  sentis  un  feu  pius 
violent  circuler  dans  mes  veines.  J'implorai  mon  pardon,  j'avouai 
ma  faute,  repetant  que  j'aurais  succomb^  moi-mSme  a  de  tels 
presents»  si  on  me  les  eC^t  offerts.  Ges  aveux  vengerent  sa  pudeur 
outragee.  Procris  me  fut  rendue.  Nos  jours  s^ecoulerent  doucement 
au  sein  de  la  concordfi ;  et,  comme  si  c'etait  trop  peu  de  s'etre  ii- 
vree  elle-mSme,  elle  me  donna  un  chien  que  Diane  lui  avait  cede 
en  disant :  //  surpasserck  tous  les  autres  d  la  course.  En  mtoe 
temps,  elle  me  fit  present  du  javelot  que  vous  voyez  dans  mes 
mains. 

«  Gui  non  ista  fide  satis  experienlia  sano 
Magna  forel?  Non  sum  contentus,  et  in  mea  pugno 
Vulnera,  dum  census  dare  me  pro  nocte  paciscor; 
Nuneraque  augendo  tandem  dubitare  coegi.  140 

Eiclamo  :  «  Male  tectus  ego  en,  male  pactus  adultcr. 
■  Verus  eram  conjux.  Me,  periida,  teste  teneris.  » 
lUa  nihil.  Tacito  tantummodo  victa  pudore 
Insidiosa  malo  cum  conjuge  limina  fugit; 
Offensaque  mei  genus  omne  perosa  virorum  7i5 

Montibus  errabal,  sludiis  operata  Dianx. 
Tum  mihi  deserto  violentior  ignis  ad  ossa 
Pervenit.  Orabam  veniam,  et  pcccasse  fatebar, 
Et  potuisse  datis  simili  succumbere  culpae 
Me  quoque  muneribus,  si  munera  tanta  darentur.  7^0 

Hoc  mihi  confesso  laesum  prius  uUa  pudorem, 
Redditur,  et  dulces  concorditer  exigit  annos. 
Dat  mihi  praeterca,  tanquam  se  parva  dedisset 
Dona,  canem  munus.  Quem  quum  sua  traderc  illi 
Cynthia  :  Currendo  tuperabit,  dixerat,  omnes.  755 

Dat  simul  et  jaculum,  manibus  quod,  cernis,  habemus. 


LIVKB  VII.  277 

c  Yous  desirez  connaitre  quel  fut  le.  sort  de  ce  nouveau  don. 
£coutez :  vous  serez  etonne  de  ce  prodige.  Le  fils  de  Laius  avait,  par 
son  genie,  devine  des  enigmes  imp^netrabies  avant  lui,  et  le  Sphinx 
mysterieux,  oubliant  son  langage  obscur,  s'etait  pr^ipite  du  haut 
de  son  rocher.  Themis  ne  laissa  point  sa  mort  impunie.  Bientdt 
un  autre  fleau,  une  bSte  sauvage,  vint  fondre  sur  Thebes.  Les 
bergers,  saisis  d'effroi,  tremblerent  pour  eux  et  pour  leurs  trou- 
peaux.  Des  lieux  voisins  toute  la  jeunesse  accourut,  et  nous  enve- 
lopp^es  la  vaste  plaine  de  nos  toiles.  D'un  bond  leger,  le  monstre 
agile  s'elanQa  par-dessus.  On  decoupla  les  chiens,  qui  se  mirent 
alepoursuivre;  mais  il  leur  echappa,  plusprompt  que  Foiseau,  et 
se  rit  de  leurs  eif(»*ts.  Les  chasseurs,  d'une  voix  unanime,  me  de- 
manderent  Lelaps,  que  j'avais  re^u  de  Procris.  Lui-mSme  depuis 
longlemps  cherchait  a  briser  la  chahie  qui  retenait  son  ardeur.  k 
peine  libre,  ii  se  precipite,  et  a  i'instant  nous  ne  savons  plus  ce 
qu'il  est  devenu.  La  brulante  poussiere  poi^te  la  trace  de  ses  pas, 
mais  ii  se  d^robe  k  nos  yeux.  La  javeline  ou  le  plomb  que  lance  la 
fronde  n'est  pas  plus  rapide,  et  jamais  ia  flectie  ne  s'envoia  plus 
ISgerement  de  Farc  crelois. 

«  Muneris  alterius  quae  sit  fortuna  requiris? 
Accipe  :  mirandi  novitate  movebere  facti. 
Carmina  Laiades  non  intellecta  priorum 
Solverat  ingeniis,  et  praecipitata  jacebat,  760 

Inmiemc»'  ambagum,  vates  obscura,  suarum. 
Scilicel  alma  Themis  nou  talia  linquit  inulta. 
Protinus  aoniis  immittitur  altera  Tbebis 
Pestis,  et  exitio  mulli  pecorumque  suoque 
Rurigena!  pavere  feram.  Vicina  juventus  .  7G5 

Venimus,  ct  latos  indagine  cinximus  agros. 
Illa  levi  vclox  superabat  retia  saltu, 
Summaque  transibat  positarum  lina  plagarum. 
Copula  dctrahitur  canibus,  quas  illa  sequentes 
EfTugit,  ct  volucri  non  segnius  alite  ludit.  770 

Poscor  et  ipse  mcum  conscnsu  Laelapa  magno, 
Muneris  hoc  nomcn.  Jamdudum  vincula  pugnat 
Exuere  ipse  sibi,  col  oque  morantia  tendit. 
Vix  beue  missus  erat,  nec  jam  poteramus,  ubi  essct. 
Scire.  Pedum  calidus  vestigia  pulvis  habebat.  775 

Ipse  oculis  ereptus  erat :  non  ocior  iilo 
Uasta,  ncc  excussa:  contorto  vcrberc  glandes. 
Ncc  gortyoiaco  calamus  levis  exit  ab  aicu. 

16 


aiS  METAMORPHOSES. 

«(  Au  milieu  d'une  plaine  s^elevaituntertre  qui  la  dominait.  J'en 
occupe  le  sommet,  et  de  la  je  contempleune  lutte  d'un  genre  nou- 
veau.  La  b^te  sauvage  tantdt  parait  atteinte,  et  tant6t  semble  se 
d6rober  aux  poursuites.  Au  lieu  de  fuir  en  ligne  directe  dans  la 
plaine,  elle  revient  sur  ses  pas,  et  trompe  par  ses  artifices  et  ses 
detours  Timpeluosite  de  son  ennemi.  Lelaps  la  presse  et  devore  sa 
trace.  On  dirait  qu'ii  la  tient ;  mais  elle  ecliappe  a  ses  morsures.  J'ai 
recours  alors  &  mon  javelot.Tandis  que  je  le  balance,  les  doigts  enla- 
c&  dans  la  courroie,  je  detoume  les  yeux  et  les  reporte  bient6t  sur 
la  plaine.  0  prodige!  je  vois  deux  statues  de  marbre :  Tune  semble 
fuir,  l'autre  aboyer.  Sans  doute  Lelaps  et  son  ennemi  ^taient  sor- 
tis  de  la  lulte,  Tun  et  Tautre  invincibies  par  la  volonte  d'un  dieu, 
si  un  dieu  etait  venu  h  ieur  aide. »  A  ces  mots,  Cephale  s'arr6te. 
«  Quel  est  le  crime  de  ce  javelot? » dit  Phocus.  «  Le  voici,  reprend 
Gdphale. 

«  Le  bonheur,  Phocus,  fut  pour  moi  la  source  de  tous  les  cha-^ 
grins.  Je  vais  d'abord  te  parler  de  ma  felicite.  Oh !  j'aime  k  rappe- 
ler,  fils  d'fiaque,  ces  premieres  annees  ou  j^etais  heureux  par  mon 
^pouse,  ou  elle  etait  heureuse  par  son  epoux.  Une  tendresse  mu- 

«  CoUis  apex  medii  subjectis  imminet  afvis. 
Tollor  co,  capioque  novi  spectacula  cursus.  780 

Quo  modo  dcprendi,  modo  se  subducere  ab  ipso 
Vulnere  visa  fera  est;  nec  limite  callida  rcclo, 
in  spatiumve  fugit,  sed  decipit  ora  sequentis, 
Et  redit  in  gyrum,  ne  sit  suus  impetus  bosti. 
Imminct  hic,  scquiturque  parcm;  similisque  tcncnti  7So 

Non  lcnet,  et  vacuos  excrcet  in  aera  morsus. 
Ad  juculi  vertcbar  openi.  Quod  dc\tcru  librat 
Dum  mca,  dum  digitos  amentis  inderc  tcnto, 
Lumina  deilcxi,  revocataquc  rursus  codcui 
Rettulcram.  Mcdio,  mirum !  duo  marmora  campo  lOO 

A&picio.  Fugerc  boc,  illud  latrare  putarcs. 
Scllicet  invictos  ambo  cerlaminc  cursus 
Esse  deus  voluit,  si  quis  deus  adfuit  illis;  » 
Hactenus;  ct  tacuit.  «  Jaculo  quod  crimen  in  ipso  t  » 
Phocus  ait.  Jaculi  sic  crimina  reddidit  ille :  793 

«  Gaudia  principium  nostri  sunt,  Phoce,  dolorisi 
Illa  prius  referam.  Juvat  o!  meminisse  bcnti 
Temporisl  Jlacida,  quo  primos  rite  pcr  auncs 
CoDJuge  eram  felix>  felix  erat  illa  marito; 


LIYRE  y.n.  279 

tuelle  et  tout  le  cbarme  de  rintimit^  embellissaient  notre  union. 
Procris  n'ei^t  point  sacrifie  son  amour  a  la  coucbe  de  Jupiter ;  et 
nulle  femme,  pas  mSme  Yenus,  n'aurait  pu  me  s^uire.  Nos  coeurs 
brtdaient  des  mSmes  feux.  Des  que  le  soleil  dorait  de  ses  premiers 
rayons  la  cime  des  montagnes,  j'allais,  avec  Tardeur  de  ]a  jeu- 
nesse,  cbasser  dans  les  forSts.  Mais  je  ne  voulais  ni  compagnons, 
ni  cbevaux,  ni  fins.Hmiers,  ni  filets :  je  n'avais  quemon  javelot. 
Lorsque  j'etais  fatigue  de  chasser  les  b^tes  sauvages,  je  recberdiais 
la  fraidieur  de  Tombre  et  le  zepbyr  qui  souffiait  d'une  sombre  valr 
lee.  Accable  de  cbaleur,  j'invoquais  la  douce  Aura ;  je  Tatlendai^ ; 
elle  me  d^lassait  de  mes  travaux.  II  m'en  souvient,  j'avais  cou- 
tume  de  cbanter :  «  Yiens,  Aura,  viens  all^er  mes  peines  et  porter 
•  dans  mon  sein  ton  souffle  bienfaisant.  Yiens,  comme  toujours, 
«  amortir  la  cbaleur  qui  me  devore. »  Peut-Stre  (ainsi  le  voulait 
ma  destinee)  ajoutais-je  d'autres  expressions  de  tendresse.  «  Oui, 
tf  tu  es  pour  moi  la  volupt^  supr^me,  avais-je  coutume  de  dire; 
«  tu  repares  et  ranimes  mes  forces ;  tu  me  fais  cherir  les  bpis  et 
«  la  solitude ;  ma  boucbe  respire  toujours  avec  bonbeur  ta  doucc 
t(  haleine.» 


Mutua  cura  duos,  et  amor  socialis  habebat.  800 

Nec  Jovls  illa  meo  thalamos  praeferret  amori ; 

Nec  me  qu»  caperet,  non  si  Venus  ipsa  veniret, 

Ulla  erat :  aequales  urebant  pectora  flammsB. 

Sole  fere  radiis  feriente  cacumina  primis 

Venatum  in  silvas  juveniliter  ire  solebam.  805 

Nec  mecum  famulos,  nec  equos,  nec  naribus  aqres 

Ire  canes,  nec  lina  sequi  nodosa  sinebam. 

Tutus  eram  jaculo.  Sed  quum  satiata  ferin» 

Dextera  csedis  erat,  repetebam  frigus  et  umbras, 

Et,  quse  de  gelidis  halabat  vallibus,  auram.  810 

Aura  petebatur  medio  mihi  lenis  in  a^stu ; 

Auram  e^cspcctabam ;  requies  erat  illa  labori : 

«  Aura,  recordor  cnim,  venias,  cantare  solebam; 

«  Mcque  juves,  intresque  sinus,  gratissima,  nostros; 

«  Utque  facis,  relevare  vclis,  quibus  urimur,  aestus.  »         S15 

Forsitan  addiderim  (sic  mc  jnea  fata  trahebant), 

Blanditias  plures,  ct :  «  Tu  mihi  magna  voluptas, 

«  Diccre  sim  solitus ;  tu  me  reficisque  fovesquc. 

«  Tu  facis,  ut  silvas,  ut  amem  loca  sola;  meoque 

«  Spiritus  istc  tuus  scmper  captatur  ab  ore.  »  ^ 


m  METAMORPHOSES. 

f(  Ges  paroles  ambigugs  frapp^rent  je  ne  sais  quelles  oreilles. 
Une  fatale  erreur  fit  prendre  k  quelqu^un  ie  nom  d'Aura,  si  sou- 
vent  invoque,  pour  celui  d'une  Nymphe  que  j*aimais.  Aussitdt  il 
alla  r^v6Ier  indiscr^tement  a  Procns  un  crime  suppos^,  et  Jui 
rapporta  les  paroles  que  j'avais  prononc^es.  L*amour  est  cr^ule. 
A  cette  nouvelle,  penelr^  de  douleur,  Procris  tombe  ^vanouie. 
Lorsque  enfm  elle  a  repris  ses  sens,  elle  maudit  son  maliieur, 
aocuse  son  destin  et  se  plaint  de  ma  foi.  £garee  par  son  illusion, 
elle  craint  un  fantdme,  s'effraye  d'une  chimere,  et  gemit  comme 
si  elle  avait  reellement  une  rivale.  Neanmoins,  souvent  elle  doute. 
Dans  son  infortune,  elle  esperequ'on  Ta  trompee,  et  refused'aJou- 
ter  foi  au  d^ateur.  Avant  d'en  avoir  et^  t^moin  elle-mSme,  elle 
ne  peut  croire  a  rinfideiitS  de  son  epoux.      ^ 

•  Le  lendemain,  quand  les  rayons  de  TAurore  eurent  chass^  la 
nuit,  je  sorlis ;  je  courus  dans  les  bois,  et,  fier  de  ma  chasse,  je 
.m*etendis  sur  le  gazon.  «  Aura,  lui  dis-je,  viens  adoucir  mes  fa- 
c  tigues.  »  Au  mkae  instant  je  crus  entendre  des  g^missements 
se  m6Ier  a  ma  voix.  «  Viens,  toi  que  je  di6ris, »  rep6tai-je  encore. 
Une  feuille  en  tombant  fit  un  leger  bruit.  Gonvaincu  que  c'etait 


«  Vooibus  ambiguis  deceptam  praebuit  aurem 
Nescio  quis ;  noraenque  Aurae  lam  sa?pe  vocatura 
Esse  putans  Nyraphie,  Nympham  mihi  credit  amari. 
Criminis  estemplo  ficti  temerarius  auctor 
Procrin  adit,  linguaque  refert  audita  susurra.  S^." 

Credula  res  amor  est.  Subito  collapsa  dolore 
(Jt  sibi  narralur,  cecidit;  longoque  rcfecta 
Tempore,  se  miseram,  se  fati  dixit  iniqui; 
Deque  fide  questa  est;  et  crimine  concita  vano, 
Quod  nihil  est,  metuit ;  metuit  sine  corpore  nomcn ;        830 
Et  dolet  infelix  veluli  de  pellice  vera. 
Saepe  tamen  dubitat,  speratque  miserrima  falii ; 
Indicioque  fidem  negat;  et  nisi  viderit  ipsa , 
Damnatura  sui  non  cst  delicta  mariti. 

«  Postera  depulerant  Aurora}  lumina  noctem.  .  83S 

Egredior,  silvasque  peto,  victorque  per  herbas ; 
«  Aura,  veni,  dixi,  nostroque  medere  labori.  » 
Et  subito  gemitus  inter  mea  vcrba  videbar 
Nescio  quos  audisse:  «  Veni,  tamen,  optima,  »  dixi. 
Fronde  levem  rursus  strepitum  faciente  caduca,  840 


LIVRE  VU.  281 

ime  proie  cachee,  je  lanQai  mon  jarelot.  C^tait  Procris.  Frappee 
en  pleine  poitrine :  «  Helas !  »  s'^cria-t-e]le.  A  peine  ai-je  reconnu 
la  ▼oix  de  ma  fidele  epouse,  j*accours  ^perdu.  Je  la  trouve  presque 
inanimee,  baignant  de  son  sang  ses  vStements  en  d^sordre,  et  re 
tirant  de  sa  blessure  (6  comble  d'infortune !)  Tarme  dont  elle  mV 
vait  fait  present.  Je  souleve  dans  mes  bras  coupables  celle  qui 
m'est  plus  chere  que  la  vie.  Avec  un  lambeau  du  tissu  qui  couvre 
son  sein,  je  ferme  sa  cruelle  blessure  et  j'essaye  d'arrSter  le  sang. 
Je  la  conjure  de  ne  pas  laisser  peser  siu*  moi  le  crime  de  sa  mort. 
£puisee  et  mourante,  elle  fait  un  demier  effort  pour  m'adresser 
ces  paroles : «  Au  nom  des  droils  sacres  de  notre  hymen,  au  nom 
c  des  dieux  du  ciel  et  des  enfers,  je  Ven  suppiie,  si  j'ai  m^rit^  ta 
«  tendresse,  je  te  le  demande  par  mon  amour,  qui  cause  mon 
«  trepas  et  vit  encore  au  moment  ou  j^expire,  ne  permets  jamais 
«  qu'Aura  partage  notre  couche.  » 

«  A  ces  mots,  je  vois,  j*apprends  enfin  qu'un  nom  a  cause  son 
erreur.  Maisaquoi  bon  Tapprendre?  Eiie  s'evanouit  -  ie  reste  de 
ses  forces  s'echappe  avec  son  sang.  Tant  que  ses  yeux  peuvent  s'ou- 
vrir,  ils  se  fixent  sur  moi.  Cest  sur  mon  sein  qu^elle  meurt ;  ma 


Sum  ratus  esse  feram,  telumque  volatile  misi. 

Procris  erat,  medioque  tenens  iri  pectore  vulnus  : 

«  Hei  mihi !  »  conclamat.  Vox  est  ubi  cognita  fidaB 

Conjugis,  ad  vocem  praeceps  amensque  cucurri. 

Semianimem,  et  sparsasfcedantem  sanguine  vestcs,         815 

Et  sua,  me  miserum!  dc  vulnere  dona  trahentem  . 

Invenio;  corpusque  meo  mihi  carius,  ulnis 

Sontibus  attollo,  scissaque  a  pectore  veste 

Vulnera  saeva  ligo,  conorque  inhiberc  cruorem ; 

Neu  me  morte  sua  sceleratum  deserat,  oro.  850 

Viribus  illa  carens,  et  jam  moribunda,  coegit 

Haec  se  pauca  loqui :  «  Per  nostri  foedera  lecti, 

«  Perque  deos  supplex  oro,  superosque,  mcosque ; 

«  Per  si  quid  merui  de  te  bene ;  perque  manentem 

«  Nuncquoque,  quum  pereo,  causam  mihi  mortis,amorpm;  S55 

«  Ne  thalamis  Auram  pntiarc  innubore  noslris.  » 

«  Dixit,  et  errorem  tum  denique  nominis  csse 
fel  sensi,  ei  docui.  Scd  quid  docuisse  juvabat? 
Labilur,  et  parv»  fugiunt  cum  sanguino  vires. 
Dumque  aliquid  spectare  potest,  mc  sppctat,  et  in  me       860 


m  MfiTAMORPHOSES. 

bouche  recueillele  dernier  souflfle  de  sa  triste  vie;  et  elle  semble 
alors  la  perdre  avec  moins  de  regret.  » 

Durant  ce  r^cit,  les  larmes  de  Phocus  et  des  Pallantides  se 
m^l^rent  a  celles  du  heros.  Soudain  £aque  entra,  suivi  de  ses  deux 
autres  fils  et  de  nouveaux  soldats.  Gephale  les  re^ut,  tenant  a 
la  main  son  javelot  redoutable. 

Infelicem  animam  nostroque  exhalat  in  ore; 

Sed  vultu  meliore  mori  secura  vldetur.  » 

Flentibus  haec  lacrymans  heros  memorabat;  et  ecce 

iBacus  ingreditur  duplici  cum  prole,  novoque 

Uilite,  quem  Cephalus  cum  fortibus  accipit  armis.  865 


LIVRE  HUITlfiME 


mSU8  EST  CHANGW  EN  AIGLE  DR  MER,   ET  SCTLLA,   8A  FILLE, 
EN   AIGRETTE. 

I.  Dej^  reloile  du  malin  chassait  la  nuit  et  rouvrait  les  porles  de  ^^ 
rOrient.  L'Eurus  tombe  et  d^humides  nuages  s'elevent.  Lb  paisible  p^^^^ 
Autan  seconde  le  retour  des  soldats  d'fiaque  et  de  C^phale.  Grsice 
a  son  souffle  heureux,  ils  arrivent  au  port  plus  t6t  qu'ils  ne  Ta- 
vaient  esper^.  Cependant  Minos  ravageait  la  contree  de  LeJex,  et 
faisait  Tessai  de  ses  forces  sous  les  murs  de  la  ville  d^Alcathoiis, 
ou  regnait  Nisus.  Rev6tu  d'un  brillant  manleau  de  pourpre,  ce 
prince  avait  sur  sa  t6te  blanche  et  venerable  un  cheveu  qui  assu- 
rait  la  duree  de  son  noble  empire. 

Le  disque  de  Phebe  renaissait  pour  la  sixi^me  fois,  et  la  victoire 
etait  encorf  incertaine  :  longtemps  balancee  sur  ses  ailes,  elle 

LIBER  OCTAVUS 


NISUS  IN  IIALI^ETDM,    ET   8CYLLA,    EJUS  FILIA,   IN  CIRIN  MUTaNTUR. 

I.    Jam  nitidum  retegente  diem,  noctisque  fugante 
Tcmpora  Lucifero,  cadit  Eurus,  et  humida  surgunt 
Nubila.  Dant  placidi  cursum  redeuntibus  Auslri 
iEacidis  Ccphaloque,  quibus  felicitcr  acti 
Ante  exspectatum  portus  tenuere  petitos.  5 

Interea  Minos  lelcgeia  littora  vastat, 
Prsctentatque  sui  vires  Mavortis  in  urbe 
Alcathoi,  quam  Nisus  habet.  Cui  splendidus  ostro 
Inter  honoratos  medio  de  vertice  canos 
Crinis  inhajrebat,  magui  fiducia  regni.  IQ 

Sexla  resurgebant  orientis  cornua  Phcebes, 
Kt  ppndcbat  adhuc  belli  fortuna,  diuque 


284  M£TANORPHOSES. 

flottait  entre  les  deux  camps.  Une  royale  tour  flsoiquait  les  mttis 
devenus  sonores  depuis  que  le  flls  de  Latone  y  deposa,  dit-on,  sa 
lyre.  Par  son  contact  elJe  communiqua  des  accents  k  la  pierre. 
Souvent,  durant  la  paix,  la  fille  deNisus  montait  dans  cette  tonr,  et 
frappait  avec  une  petite  pierre  la  muraille  harmonieuse.  Souvent 
aussi,  pendant  la  guerre,  elle  contemplait  de  la  les  jeux  sanglants 
de  Mars.  Deja  la  longueur  du  siege  lui  avait  permis  de  connaitre 
les  noms  des  chefs,  les  armes,  les  coursiers,  les  costumes  et  les  arcs 
de  Cydon.  EUe  connaissait  m^me  trop  surtout  la  figure  du  h^ros  k 
qui  Europe  avait  donn^  le  jour.  Le  front  couvert  d'un  casque  om- 
brage  d'un  panache,  ou  le  bras  arm6  d'un  brillant  bouclier  d'ai- 
rain,  Minos  lui  paraissait  egalement  beau.  Deployait-il  sa  vigueur 
pour  lancer  un  javelot,  elle  vantait  son  adresse  et  sa  force.  Pla- 
gait-il  un  trait  sur  son  arc,  elle  jurait  que  c'etait  Taltitude  de 
Ph^bus  pr^t  a  decocher  ses  fl^ches.  Deposait-il  le  casque  et  lais- 
sait-il  voir  son  visage ;  pressait-il,  rev6tu  de  pourpre,  les  flancs 
d'un  cheval  blanc  richement  capara^onn^,  et  soumettait-il  au  frein 
sabouche  ^cumante;  la  fille  de  Nisus  ne  pouvait  se  poss^der.  Ilors 

Inter  utramque  Tulat  dubiis  victoria  pennis. 

Regia  lurris  erat  vocalibus  addila  muris, 

In  quibus  auratam  proles  letoia  fertur  15 

Deposuisse  lyram  :  saxo  sonus  ejus  inhxsit. 

Saepe  illuc  solita  est  ascenderc  filia  Nisi, 

Et  petere  exiguo  resonantia  saxa  lapillo» 

Tum  quum  pax  esset;  bello  quoque  saepe  solcbat 

Spectare  ex  ilia  rigidi  certamina  Martis.  20 

Jamque  mora  belli  procerum  quoque  nomina  noral, 

Armaque,  equosque,  habitusque ,  cydoneasque  pharetras. 

Noverat  ante  alios  faciem  ducis  europaei, 

Plus  etiam,  quam  n^sse  sat  est.  Hac  judice,  Hinos, 

Seu  caput  abdiderat  cristata  casside  pennis,  25 

In  galea  formosus  crat;  seu  sumpserat  aere 

Fulgentem  clypeum,  clypeum  sumpsisse  decobat. 

Torscrat  adductis  hastilia  lenta  iacertis; 

Laudabat  virgo  junctam  cum  viribus  arlcm. 

Imposito  patulos  calamo  sinuaverat  arcus;  CU 

Sic  Phcebum  sumplis  jurabat  slare  sagiltis. 

Quum  vero  faciem  dempto  nudaverat  xre^ 

Purpureusque  albi  slratis  insignia  picJis 

Terga  premebat  equi,  spumantiaque  ora  rpgpbal; 

Vii  sna,  vix  sanan  virgo  niseia  compos  oK 


LIVRE  VIII.  285 

irellMdtoie,  elle  portait  enyie  au  javelot  que  touchait  Ninos,  aux 
rdnes  que  dirigeait  sa  main.  EUe  ei!^t  voulu,  si  elle  avait  pu  c^der 
k  son  d^sir,  marcher  dans  les  rangs  ennemis ;  elle  eilit  voulu,  du 
haut  de  la  tour,  s'4Iancer  dans  le  camp  des  Gr^tois,  ouvrir  a  Ten- 
nemiles  portes  d'airain,  et  se  soumettre  h  tous  les  ordres  de  Minos. 
Du  lieu  ou  elle  se  tenait  habituellement ,  tournant  un  jour  ses 
regards  sur  les  tentes  blanches  du  roi  de  Crete : 

f  Dois-je  me  r^jouir,  dit-elle,  ou  m^afHiger  de  cette  guerre  dd- 
ploraUe  ?  Je  ne  sais.  Je  m'en  afftige,  puisque  Minos  est  Tennemi 
de  celle  qui  Tadore.  Mais,  sans  la  guerre,  Taurais-je  connu  ?  Tou- 
tefois  il  pourrait  me  prendre  pour  otage  et  d^poser  les  armes.  n 
m'aurait  pour  compagne,  pour  garant  de  la  paix.  Si  ta  m^re,  6  toi 
dont  rienn'^ale  la  beaute!  eut  des  traits  semblables  aux  tiens, 
elle  fut  digne  d'embraser  le  coeur  d'un  dieu.  Quel  serait  mon 
JtKmheur^  si  je  pouvais  traverser  Tair  sur  des  ailes,  et  descendre 
dans  le  camp  des  Cretois  !  Je  me  ferais  connaitre,  je  d^uvrirais 
ma  flamme  au  heros,  je  lui  demanderais  a  quel  prix  il  me  don- 
nera  sa  main,  pourvu  qu'il  n'exige  point  que  je  lui  livre  la  citS 
qui  m'a  vue  naitre.  P^risse  rhymen  o\i  j'aspire,  plul6t  que  d'Strc 


Mentis  erat;  felix  jaculum,  quod  tangeret  ille, 

Quaeqne  manu  premeret,  felicia  frena  vocabat. 

Impetus  est  illi,  liceat  modo,  ferre  per  agmen 

Virgineos  hostile  gradus;  est  impetus  illi 

Turribus  e  summis  in  gnosia  mittere  corpus  iO 

Castra,  vel  asratas  hosti  recludere  portas, 

Vel  si  quid  Minos  aliud  velit.  Utque  sedebat, 

Candida  dictaei  spectans  tentoria  regis : 

«  Lseter,  ait,  doleamne  geri  lacrymabile  bellum, 
In  dubio  est.  Doleo  quod  Minos  hostis  amanti  est.  i5 

Sed  nisi  bella  forent,  numquid  mihi  cognitus  essetf 
Me  tamen  arcepla  poterat  deponere  bellum 
Obside;  me  comitem,  me  pacis  pignus  haberet. 
Si,  quae  te  genuit,  talis  pulcherrime  rerum, 
Qualis  es  ipse,  fuit,  merito  deus  arsit  in  illa.  {)0 

0  ego  ter  felix,  si  pennis  lapsa  pcr  auras 
Gnosiasi  possim  castris  insistere  regis. 
Fassaque  me,  flammasquc  meas,  qua  dote,  rogar ?m,  I 
Vellet  emi,  tantum  patrias  ne  posceret  arces. 
Nam  pereant  potius  sperata  cubilia,  quara  sim  £15 


886  M£TAM0RPH0SES. 

heureuse  par  la  trahison,  quoique  souvent  une  dSfaite  ait  trouTd 
sa  justification  dans  la  clemence  d'un  gen^reux  vainqueur.  La 
mort  de  son  fils  lui  fait  soutenir  une  guerre  l^itime.  Sa  cause 
s'appuie  sur  le  droit,  et  il  la  soutient  par  la  force  des  armes.  Nous 
serons  donc  vaincus,  je  n'en  saurais  douter.  Si  tel  est  le  sort  re- 
serv^  a  ma  patrie,  pourquoi  ses  armes  lui  en  ouvriraient-elles  les 
portes  plutdt  que  mon  amour?  Ne  vaut-il  pas  mieux  qu'il  soit 
vainqueur  sans  camage,  sans  retard  et  sans  r^pandre  son  sang  ? 
Gar  je  tremble,  Minos,  qu'une  main  imprudente  ne  te  frappe !  £h ! 
k  moips  de  fattaquer  sans  te  connaitre,  qui  serait  assez  cruel  pour 
diriger  contre  toi  une  lance  meurtriere  ?  Oui,  je  persiste :  je  veux, 
en  me  livrant  moi-mtoe,  lui  offrir  ma  patrie  pour  dot  et  mettre 
fin  ^  la  guerre.  Mais  c'est  peu  de  vouloir.  Des  sentinelles  ferment 
tout  acc^,  et  mon  p^re  lui-m^me  veille  aux  portes  de  la  viUe. 
Mallieureuse !  c'est  lui  seul  que  je  crains ;  seul,  il  s'oppose  a  Tac- 
complissement  de  mes  d^sirs.  Ah !  plilt  aux  dieux  que  je  n'eusse 
plus  de  p^re !  Mais  chacun  devient  un  dieu  pour  lui-m^me,  et  la 
Fortune  ne  resiste  qu'aux  prieres  du  lache.  Deja  une  autre,  bru- 
lant  des  mSmes  feux,  aurait  ^carte  ce  qui  nuit  a  son  amour. 


Proditione  potens,  quamvis  saepe  utile  vinci 

Yictoris  placidi  fecit  clementia  multis. 

Justa  facit  certe  pro  nato  bella  perempto; 

In  causaque  valet,  causamque  tuentibus  armis, 

Ut  puto,  vincemur.  Qui  si  manet  exitus  urbem,  0() 

Gur  suus  hsec  illi  reserabit  moenia  Mavors, 

Et  non  noster  amor?  Melius  sine  caede,  moraque, 

Impensaque  sui  poterit  superare  cruoris. 

Nam  metuo  certe  ne  quis  tua  pectora,  Minos 

Vulneret  imprudens.  Quis  enim  tam  dirus,  ut  in  te  r>a 

Dirigere  immitem,'nisi  nescius,^udeat  hastam? 

Gcepta  placcnt,  et  stat  sententia  tradere  mecum 

Dotalem  patriam,  finemquc  imponere  bello. 

Verum  velle  parum  est :  aditus  custodia  scrvat, 

Claustraque  portarum  genitor  tenet.  Hunc  ego  solum  "0 

Infelix  timeo;  solus  mea  vota  moratur. 

Di  facerent  sine  palre  forem!  Sibi  quisqiic  profeclo 

Fit  deus.  Ignavis  precibus  Fortuna  ropugnat, 

Altera  jamdudum  succensa  cupidine  tanto 

Perdere  gauderet,  quodcumque  obstarct  amori.  ''•> 


LIVRE  YIII.  287 

Eirquoi  une  auire  aurait-elle  plus  de  courage  que  moi  ?  J'oserais 
j  jeter  k  travers  le  fer  et  la  flamme.  Pour  moi,  je  n'ai  besoin  ni 
fjamme  ni  d'§pee.  Un  cheveu  de  pourpre  de  mon  p^re  me 
fit :  plus  precieux  pour  moi  que  tous  les  tresors,  en  coivonnant 
«  d^irs,  il  mettra  le  comble  a  mon  bonheur.  » 
Tandis  qu'elle  profere  ces  paroles,  le  plus  vif  aiguillon  del'a- 
lur,.  la  iiuit  survient.  L'audace  de  Scylla  grandit  au  sein  des  ten^ 
is,  A  peine  le  sommeil  commengait-il  k  calmer  les  peines  des 
(rtels,  elle  p^nelre  en  silence  pr6s  du  lit  de  son  p^re.  0  crime 
•euxl  elleravit  k  Tauteur  de  sesjours  le  faial  cheveu.  Maitresse 
cctte  proie  impie,  elle  emporte  la  d^pouille  qu'elle  doit  a  un 
dl^e,  franchit  les  portes  de  la  ville,  et,  k  travers  les  eniiemis 
nt  le  servicequ'ellerend  aux  Cretois  lui  inspire  deconiiance !), 
;  va  trouver  le  roi,  qui  fremit  a  son  aspect.  «  L'Amour  a  dict^ 
n  crime,  dit^elle.  Je  suis  Scylla,  la  fille  de  Nisus.  Je  te  livre 
patrie,  mon  palais,  et  je  ne  veux  d'autre  recompense  que  toi. 
ir  gage  de  mon  amour,  re^ois  ce  cheveu  de  pourpre.  Ge  n'est 
1  seulement  un  cheveu,  c'est  mon  pere  que  je  te  Uvre ;  crois- 
i.  »  Eu  m^me  temps  sa  main  criminelle  offi'e  ce  pr^ent  k 


El  cur  uUa  foret  me  fortior?  Ire  per  ignes, 

Per  gladios  ausira;  nequc  in  hoc  tamen  ignibus  ullis, 

Aut  gladiis  opus  est;  opus  est  mihi  crine  palerno. 

llle  mihi  esl  auro  prcliosior;  illa  beatam 

Purpura  mc,  votique  mci  factura  potentem.  >  ^ 

Tulia  diceuti,  curarum  maiima  nulrix 
Nox  intervcnit,  tcncbrisquc  audacia  crevil. 
Prima  quies  adcrat,  qua  curis  fcssa  diurnih 
Pectora  somnus  habct.  Thalamos  tacilurna  palcrnos 
Intrat,  et  (heu  facinus !)  fatali  nata  parcntcm  85 

Crinc  suuni  spoliat;  prndaquc  potita  ncfanda 
Fcrt  secum  spoliUm  sceleris,  progressaquc  porta 
Per  racdios  hostcs  (mcritis  fiducia  tanta  est!) 
Pervenit  ad  regcm.  Quem  sic  affata  paventem : 
«  Suasit  amor  facinus.  Proles  ego  rcgia  Kisi  90 

Scylla,  tibi  Irado  patridsquc  mcosque  penates, 
Plracmia  nulla  peto,  nisi  tc.  Cdpe  pignus  amoris 
Purpurcum  crinem;  nec  me  nunc  traderc  ctinem» 
Sed  palrium  tibi  crede  capul.  »  Scelerataque  deztra 


S88  METANORPHOSfiS. 

Minos,  qui  le  repousse.  Indigne  de  ce  forfait  inoui :  «  Que  les 
dieux,  dit-il,  te  bannissent  de  l'univers  soumis  a  leur  empire,  6  toi, 
.Fopprobre  de  notre  si^cle !  Que  la  terre  et  la  mer  te  soient  a  jamais 
ferm^!  Pour  moi,  je  ne  souffrirai  pas  que  le  berceau  de  Jupiter, 
que  la  Crete  ou  je  commande,  re^oive  un  monstre  tel  que  toi !  » 
II  dit,  et,  apres  avoir  impose  aux  baptifs  des  conditions  dictte 
par  la  justice,  11  fait  detacher  la  flottQ  du  rivage  et  avancer  les 
vaisseaux  sous  les  bras  des  rameurs. 

A  Taspect  des  navires  qui  fendent  les  ondes,  Scylla,  con- 
vaincue  que  Minos  lui  refuse  le  prix  de  son  crime,  apres  s'^tre 
^uisee  en  instances,  s'abandonne  aux  transports  de  la  colere. 
Les  mains  tendues  vers  lui,  et  les  cheyeux  epars :  «  Ou  fuis-tu, 
s'ecrie-t-elle  hors  d'elle-m6me,  loin  de  ta  bienfaitrice,  loi  que 
i*ai  prefere  a  ma  patrie,  toi  que  j'ai  prefer^  a  mon  pere  ?  Ou  ftiis- 
tu,  cruel  ?  Ta  vicloire  est  a  la  fois  mon  crime  et  mon  bienfait.  Tu 
n'es  donc  touche  ni  des  services  ni  de  la  tendresse  d'une  amante 
dont  tout  Tespoir  reposait  sur  toi?  Si  tu  me  delaisses,  ou  cher- 
cliorai-je  un  refuge  ?  Dans  ma  patrie  ?  elle  est  vaincue.  Et,  quand 
je  Youdrais  y  rester,  ma  ti^ahison  m'en  interdit  Tacces.  Ghes  mon 

Manera  porrexit.  Minos  porrecla  refugit,  95 

Turbatusque  novi  rebpondit  imagine  facti : 

«  Di  te  submoveant,  o  nostri  infamia  secli, 

Orbc  suo,  tellusque  tibi  ponlusque  negenlur. 

Certe  ego  non  patiar,  Jovis  incunabula,  Creteu, 

Quse  meus  est  orbis,  tantum  contingere  monstrum.  «        100 

Dixit,  ct,  ut  lcges  captis  justissimus  auctor 

Hostibus  iniposuit,  classis  retinacula  solvi 

Jussit,  ct  aeratas  impelli  reroige  puppes.  > 

Scylla,  freto  postquam  deductas  nare  cariuas, 
^ec  prabstare  ducem  sceleris  sibi  praemia  vidit,  105 

Consumptis  prccibus  violentam  transit  in  iram; 
Intendensquc  manus,  sparsis  furibunda  capillis : 
«  Quo  fugis,  exclaroat,  meritorum  auctore  relicta, 
0  patria;  praiL-^te  mcjE,  prjnlate  parenti? 
Quo  fugis,  immitis?  cujus  victoria  nostrum  110 

Et  scelus,  et  meritum  est.  Nec  lc  data  munera,  nec  lc 
Noster  movit  amor,  nec  quod  spes  omnis  in  unum 
Te  mea  congesla  est?  Nam  quo  deserta  rcvertar? 
In  palriani?  superata  jacet.  Sed  linge  manere. 
Proditione  mea  clausa  est  mibi.  Patris  ad  ora?  iV6 


LIVRE  VIII.  289 

p^e?  je  iailrahi  pour  toi.  Tai  merite  la  liaine  de  mes  conci- 
toyens.  Les  peuples  voisins  redoutent  mon  excmple.  Je  me  suis 
fenne  runivers  pour  m'ouvrir  les  seules  portes  de  la  Crete.  Si  lu 
m'en  eloignes,  ingrat,  si  tu  m'abandonnes,  non,  Europe  n'est 
point  ta  mere ;  c'est  une  Syrte  barbare,  une  tigresse  d'Annenie, 
ou  Cbarybde  que  bouleverse  TAutan.  Non,  tu  n'es  pas  le  fils  de 
Jupiter;  nou,  ta  mere  nefut  point  seduile  par  Timagc  d'un  tau- 
reau.  Tout  celan'est  que  mensonges.  Le  taureau  qui  te  donna  le 
jour  etait  un  taureau  sauvage  :  jamats  il  ne  connut  Tamour. 
Venge-toi,  mon  p^re.  Rejouissez-vous  de  mon  maUieur,  remparts 
que  je  viens  de  trahir.  Je  lavoue,  j'ai  merite  la  mort.  AIi I  du 
moins,  puissd-je  mourir  par  la  main  de  ceux  qu'a  perdus  mon 
impiete !  Mais  toi,  qui  as  vaincu  par  mon  crime,  pourquoi  m'en 
punir?  mon  crime  envers  ma  patrie  et  mon  pere  fut  un  bienfait 
pour  toi.  Oui,  tu  cs  le  digne  epoux  de  fadultere  qui,  renfermee 
dans  une  genisse  de  bois  pour  troraper  un  taureau  farouche,  vit 
naitre  de  ses  amours  un  monstre  dilforme.  Entends-tu  mes  re- 
prociics,  iugrat,  ou  sont-ils  emporl^s  par  les  memes  venls  qui 
pousseut  lonvaisseau?  Faut-il  s'etonner  encore  quePasipliae  fait 

Qu»  Ubi  donavi.  Cive»  odere  mereulem. 

Kinilimi  excmplum  metuunt.  ObstruxinmA  orbcm 

Terrarum,  nobis  ul  Crelc  sola  palcrct. 

llac  quoque  ai  proliibcs,  ct  nos,  ingratc,  relinquis, 

Nou  gcnitrix  Europa  tibi,  sed  inhospila  Sjrlis,  120 

Armeniaeve  tigres,  Austrove  agitata  Cbarybdi:>. 

Nec  Jovc  tu  nalus,  ncc  mater  imaginc  tauri 

Ductu  tua  cst.  Gcucris  falsa  est  ea  fabula  ve:jlri ; 

Et  fcrus,  et  captus  nuUius  amore  juvencx, 

Qui  le  progenuit,  taurus  fuit.  Exige  pcenas,  l2o 

Nise  pater.  Gaudete  malis  modo  prodita  nostris 

MoDnia.  Nam  fateor,  mcrui,  et  sum  digna  perirc. 

Me  tamen  cx  illis  aliquis,  quos  impia  ix^i, 

BIc  pcrimat.  Cur,  qui  vicisti  crimine  nostro, 

Insequeris  crimcn?  Scehis  hoc  patrixque,  patrique,  130 

Officium  tibi  sit.  Te  vcre  conjugc  digna  csl, 

Quae  torvum  ligno  decepit  adultcra  tauruni, 

Discordcmquc  utcro  fcetum  tulit.  Ecquid  ad  aurcs 

Tcrvcniunt  mea  dicta  tuas?  An  inania  vcnti 

Vcrba  fcrunt,  idcmque  tuas,  ingratc,  carinas?  ioo 

Jani  jam  Pasiphaen  non  est  mirabile  taurum 

17 


290  METAMOUPUOSES. 

d^sse  pour  un  taureau?  tu  ^tais  plus  cruel  que  lui.  Malheureuse 
que  je  suis!  tu  te  liates  de  fuir  :  les  flots  retentissent  sous  tes. 
rames.  Je  disparais,  helas !  ayee  les  rivages  de  ma  patrie.  Cest  en 
vain  que  tu  as  oubhe  mes  services.  Je  te  suivxai  malgre  toi,  et, 
attachee  k  ton  navire,  je  t'accompagnerai  sur  la  vaste  mer.  » 

A  ces  mots,  eUe  s'elance  dans  les  ondes  et  suit  la  flotte.  LV 
mour  lui  donne  des  forces,  el,  malgre  Ihorreur  qu'elle  inspire, 
eUe  se  cramponne  au  vaisseau  ennemi.  Son  pere  TaperQoit.  Re- 
cemment  chang^  en  aigle  de  mer,  il  se  balangait  dans  les  airs  sur 
ses  ailes  fauves.  11  aUait  fondre  sur  eUe  et  la  dechirer  a  coups  de 
bec,  lorsque,  saisie  d'eflroi,  eUe  se  detacha  du  navire.  Mais,  au 
moment  de  sa  chute,  une  brise  l^gere  parut  la  soutenir  et  la  pre- 
server  des  flots.  EUe  avait  des  ailes;  elle  etait  metamorphos^  en 
aigrette,  oiseau  dont  le  nom  rappelle  le  cheveu  qu^elle  d^roba. 

LA  GOURONNE  dVrIANE   PLAc£e  PARMI  LES  ASTRES. 

II.  Des  que,  au  sortir  de  son  vaisseau,  Minos  eut  foule  le  sol  de  la 
Crete,  il  immola,  pour  acquitter  son  voeu,  une  hecatombe  a  Jupi- 


Praeposuisse  Ubi :  tu  plus  ferilalis  habebas. 

Me  miseram!  propcrare  juvat,  divulsaque  remi:» 

Ljida  soua'.  Mecum  simul,  ah!  mea  terra  recodil. 

M\  agis,  o  frustra  meritorum  oblite  meoruui.  140 

Insequar  invitum,  puppimquc  amplcxa  recurvani, 

Per  frela  longa  trahar.  » 

Vix  dixerat,  insilit  uudas, 
(lousequiturque  rates,  faciente  Cupidine  vires, 
Gnosiacxquc  haeret  comes  invidiosa  carinse. 
Quam  pater  ut  vidit  (nam  jam  pendebat  iu  auras  145 

Et  modo  factus  crat  fulvis  haliaeetos  alis), 
Ibat  ut  haerentem  rostro  laniuret  adunco. 
llla  metu  puppim  dimittit.  At  aura  cadentem 
SustinUisse  levis,  ne  tangeret  sequora,  visa  cst. 
Pluma  fuit;  plumis  in  avem  mutala  vocatur  i,-iO 

Ciris,  et  a  tonso  est  hoe  nomcn  adcpta  capillo; 

ARIADNES  CORONA   iNTEB   SIDERA   lH)Nlturi. 

lU    Vola  Jovi  Miuos  laurorum  corpora  centum 
S<>Iyit,  ut  fegrcssus  ratibus  curctida  terram 


LIYRE  VIll.  291 

i&tf  et  suspendit  de  glorieuses  depouiUes  aux  yotties  de  son  palais. 
Gependant,  ropprobre  de  son  lit,  fruit  d'un  infdme  adultere,  le 
Hinotaure,  grandissait  chaque  jour.  U  Youlut  donc  eloigner  de  sa 
demeure  le  monument  de  sa  honteen  le  renfermant  dans  un  laby. 
rynthe  inexiricable.  Dedale,  architecte  c^lebre,  charge  de  le  con- 
sti^re,  embrouilla  toutes  les  voies  qui  pouvaient  guider  a  travers 
les  miUe  d^tours  ou  se  perdait  la  vue.  Gomme  on  voit  le  iimpide 
M^dre  se  jouer  dans  les  plaines  de  la  Phrygie,  et  promener  ^a 
et  Ja  son  cours  incerlain,  tanl6l  replier  ses  ondes  sinueuses,  tantdt 
remonter  vers  sa  source,  ou  ramener  ses  flots  capricieux  vers  ia 
mer ;  ainsi  Dedale  change  tellement  la  direction  des  innombrables 
routes,  qu'il  peut  a  peine  lui-m^me  en  retrouver  Tissue  :  lant  le 
labyrinthe  presente  de  difficultes  perfides !  Des  que  rarliste  y 
eut  enferm6  le  Minotaure,  Thesee  egorgea  ce  monstre,  deja  repu 
deux  fois  du  sang  athenien,  et  mit  ainsi  fin  au  tribut  qu'on  lui 
payait  tous  les  neuf  ans.  Puis,  a  1  aide  du  iil  que  lui  donna  une 
jeuueprincesse,  il  decouvrit  la  difficile  issue  que  nul  n^avait  franchie 
une  seconde  fois.  Au  m6me  instant  il  enleva  Ariane,  fit  voile  vers 
Naxos,  et  abandonna  cruellement  sa  compagne  sur  le  rivage.  Ariane 

Contigit,  et  spoliis  decorata  esl  regia  fixis. 

Creverat  opprobrium  generis,  foedumque  patebat  155 

Malris  adulterium,  monstri  novilate  biformis. 

Destinat  hunc  Minos  thalamis  removerc  pudorem, 

HuUiplicique  domo,  cascisquc  includerc  lcctis. 

Dacdalus,  ingenio  fabrs  ccleberrimus  artis, 

Ponit  opus,  turbatque  notas,  et  Inmina  flexum  160 

Ducit  in  errorem  varianim  ambage  viarum. 

Non  secus  ac  liquidus  phrygiis  Mseandros  in  arvis 

Ludit,  et  ambiguo  lapsu  refluilque  fluitque, 

Occurrensque  sibi  venturas  aspicit  undas, 

Et  nunc  ad  fontes,  nunc  in  mare  versus  apertum,  1C5 

Incertas  exercet  aquas ;  ita  Dxdalus  implet 

Innumeras  errore  vias,  vixque  ipse  reverti    ' 

Ad  limen  poluit :  tanta  est  fallacia  tecti! 

Quo  postquam  tauri  geminam  juvenisque  figuruni 

Clausit,  et  actoio  bis  pastum  sanguine  monslruui  170 

tcrtia  sors  annis  domuit  repetita  novcnis, 

Utque  ope  virginea,  nuUis  iterata  priorum, 

Janua  difficilis  filo  cst  inventa  rclccto, 

Protiuus  ^gides,  rapta  Minoide,  Diam 

Vela  dedit,  comitemque  suam  crudelis  in  illo  ilb 


m  METAMORPllOSES. 

assourdit  ]es  eclios  de  ses  plaintes.  Bacclius  se  jela  dans  ses  bras, 
lui  pr^ta son appui, et,  pour  qu'elle  brillat dun eclat immortel  au 
milieu  des  astres,  il  detacha  la  couronne  de  son  front  et  ]a  langa 
vers  les  cieux.  Tandis  qu'elle  traversait  rapidemenl  les  airs,  sou- 
dain  les  pierreries  dont  elleetait  parsemee  sc  d  angSrent  en  au- 
tant  de  feux  qui  se  fixerent  dans  r£mpyiee  et  conservdrent  la 
•forme  d'une  couronne.  Sa  place  est  enlre  llcrcule  a  genoux  et  li 
constellalion  qui  regarde  le  Serpent. 

DEDALB    S^ENVOLE    SUR    DES   AILES.    —   IGAHE,   £N     \OLANT    AUP&E     DE 
SON  PfeRE,  PERIT  DANS  LES  FLOTS.  —  METAMORPUOSE  DE  r£RDI\. 

fll.  Cependant  Dedaks  degcuie  de  la  Grete  et  d'un  long  exil, 
brule  de  revoir  son  pays  nalal ;  mais  de  tous  c6tes  lamerlcii  bp- 
pose  un  obstacle.  «  Minos  peut  bien,  dit-il,  m'interdire  la  teire  et 
1'pnde ;  mais  le  ciel  m'esl  ouvert :  c'est  la  que  je  m'ouvrirai  une 
route.  Sil  tient  la  Grete  sous  ses  iois,  Tair,  du moins,  ne  lui  ap* 
partient  pas.  •  A  ces  mots,  il  s'applique  a  decouvrir  un  art  in- 
connu,  ot  demande  a  la  nature  des  sccours  nouveaux.  II  range 
des  plumes   cn  ordre,  en  commenyant  par  les  plus  courtes. 

LiUorc  dcscruit.  Deseitu},  ct  niulla  quciculi, 

Auiplexus  cl  opcai  Libcr  tulit.  Utquc  pereani 

Siderc  claru  forel,  suniplam  de  frontc  coronam 

Inunisit  coclo.  Tenucs  volat  illa  per  auras; 

Duniquc  volat,  gcmmac  subilos  vertunlur  in  ignes,  180 

Con^istuntque  loco,  specic  rcmancnte  corona?, 

(Jui  nicdius  iNixique  gcnu  est,  Anguemque  tucntis. 


DJSrALOS  ALIS   EVOLAT.    —   ICAIIUS,    rOST   PATUF.M   VOLANS,    SDDMEnGITUR. 
PEllDIX  TRAXSFOnMATA. 


^ 


111.    Dajdalus  interca  Crcten,  longumquc  perosus 
Exsiliuin,  tractUbquc  soli  natalis  amore, 
Clausus  crat  pclago  :  «  Terras  licct,  inquit,  et  undas        185 
Obstruat;  at  cculum  ccrto  patct :  ibimus  iliac. 
Oinnia  possidcat,  non  possidet  acra  Minos.  * 
Di.\it,  cl  ignoiis  animuin  dimittit  in  artcs, 
Katuraniquc  ucvat.  Mam  ponit  in  ordinc  peuuas, 


LIYRB  VIII.  205 

Tioment  ensuite  les  plus  longues,  et  ellcs  $'^l^vent  toutes  par 
degr^,  comnie  jadis,  pour  former  le  pipeau  champMre,  furent 
dispos^  des  chalumeaux  dMnegale  grandeur.  II  atlache  cdies  du 
niilieu  avec  du  lin,  et  celles  des  extremit^  avec  de  la  cire.  Apr^s 
les  avoir  ainsi  arrangees,  il  les  courbe  l^gerement,  comme  les 
ailes  d'un  oiseau.  Icare  ^tait  pres  de  son  pere.  Sans  se  douter  qu'il 
pir^parait  son  malheur,  et  le  front  rayonnant  de  joie,  tant6t  il 
touchail  les  plumes  qu'agitait  le  vent,  tant6t  il  pressait  la  cire 
sous  ses  doigls,  et  retardait  par  ses  jeux  radmirable  travaii  de 
son  pere.  £nfni,  apres  avoir  mis  la  derniere  main  a  son  ouvrage, 
Taiiiste  prend  son  essor  et  fend  Tair,  stispendu  sur  ses  ailes.  II  en 
donne  de  semblables  a  son  fils,  et  lui  dit :  «  Ne  fecarte  pas  de 
Tespace  qui  est  entre  la  terre  et  les  cieux ;  je  te  le  conseille,  Icare. 
Plus  bas,  tes  ailes  seraient  appesanties  par  Tonde ;  plus  haut,  le . 
feu  les  consumerait.  Resle  entre  ces  deux  hmites.  Je  te  recom- 
mande  aussi  de  ne  regarder  ni  le  Bouvier,  ni  H^lice,  ni  Orion 
arm4  d'une  epee  nue.  Suis-moi.  »  En  m^me  temps  il  lui  ap- 
prend  Tart  de  voler,  et  attache  a  ses  ^paules  des  ailes  dont 
Tusage  est  tout  nouveau  pour  lui. 


A  minima  cceplas,  longam  breviore  sequenti,  100 

Ut  cliTO  crcvisse  putes.  Sic  rustica  quondam 

Fistula  disparibus  paulatim  surgil  avenis. 

Tum  lino  raedias,  et  ceris  alligat  imas, 

Atque  ita  compositas  parvo  curvaminc  flectit, 

Ut  veras  imilentur  aves.  Puer  Icanis  una  10;i 

Slabat,  et,  ignarus  sua  se  traclarc  pericla, 

Ore  rcnidenti,  modo  quas  vaga  moverat  aura, 

Captabat  plumas,  flavam  modo  pollice  ceram 

MoUibat,  lusuque  suo  mirabile  patris 

Impediebat  opus.  Postquam  manus  ultima  cflDplfs  SiK) 

Imposita  est,  geminas  opifex  libravit  in  alas 

Ipsc  suum  corpus,  motaque  pependit  in  aura. 

Instruit  et  natum  :  «  Medioque  ut  limitn  curras, 

Icare,  ait,  moneo,  nc,  si  demissior  ibis, 

Unda  gravet  pennas;  si  celsior,  ignis  adurat.  205 

Inter  utnimque  vola.  Ncc  te  spectare  Booten 

Aut  Ilelicen  jubco,  strictumvc  Orionis  ensem. 

Me  duco,  carpe  viam.  »  Pariler  prsecepta  volandi 

Tradit;  et  ignotas  humeris  adcommodat  alas. 


20i  M£TAMORPHOSES. 

Pendant  que  le  vieillard  lui  prodigue  ses  soins  et  ses  consdls, 
des  larmes  baignent  ses  joues,  et  ses  mains  patemelles  tremblent. 
U  le  couvre  de  baisers  pour  la  derni^re  fois.  D  \ole  derant  lui  et 
fremit  pour  ses  jours.  Pareil  a  Toiseau  qui  conduit  hors  du  nid  sa 
jeune  couvee  dans  les  airs,  il  exercelcare  ^le  suivre,  et  le  fonne 
a  un  art  p^rilleux.  En  agitant  ses  ailes^  il  a  les  yeux  sur  oelles  de 
son  fi]s.  Le  p^cheur  qui  amorce  les  poissons  au  bout  d'un  flexible 
roseau,  le  berger  et  le  laboureur  appuyes,  run  sur  sa  houlette, 
Tautre  sur  sa  charrue,  apergoivent  Dedale  et  son  fils.  Frapp^s  de 
surprise,  ils  prennent  pour  des  dieux  ces  nouveaux  habitants  de 
Tair.  D6ja  fuyaient,  a  gaudie,  Samos,  cherie  de  Junon,  D6Ios  et 
Paros;  k  droite,  L6binthe  et  Calymne  qui  abonde  en  miel.  Le 
jeune  Icare,  fier  de  son  vol  audacieux,  abandonne  son  guide,  et, 
Jaloux  de  sonder  les  regions  celestes,  il  s^elance  plus  haut.  Le 
brulant  voisinage  du  soleil  ramollit  la  cire  odorante  qui  attache 
ses  ailes.  Elle  fond.  Icare  agite  ses  bras  nus;  mais,  depouille  de 
ses  ailes,  il  ne  se  soutient  plus  dans  les  airs.  II  appelle  son  pere, 
et  tombe  dans  les  flots  d^azur  qui  conservent  son  nom.  Gepen- 
dant  son  pere  infortune,  qui  deja  n'est  plus  pere,  s'ecrie  :  «  Icare, 

Inter  opus  monitusque  genac  maduerc  seniles,  210 

Et  patriae  Iremuere  manus.  Dedit  nscula  nato 
Non  itcrum  repelenda  suo,  pennisque  levatus 
Antevolat,  comitique  timet,  velut  ales,  ab  alto 
QujB  tencram  prolem  produxit  in  aera  nido, 
Hurtaturque  scqui,  damnosasque  erudit  artes,  21b 

Et  movet  ipse  suas,  et  nati  respicit  alas. 
Hos  aliquis,  tremula  dum  captat  amndine  pisces; 
Aut  pastor  baculo,  stivave  innixus  arator, 
Vidit,  et  obstupuit,  quiquc  aelhera  carpere  possent, 
Credidit  esse  deos.  Et  jam  junonia  Ijcva  220 

Parte  Samos  fuerant,  Delosqur.  Parosquc  roliclnp, 
Dextra  Lebinlhos  erant,  fecundaque  melle  Calymne, 
Quum  pucr  audaci  coepit  gaudere  volatu, 
Dcseruitque  duccm,  crrlique  cupidinc  tractus 
Altius  egit  iter.  Rapidi  vicinia  solis  225 

MoUit  odoratas,  pennarum  vincula,  ceras. 
Tabuerant  cerae.  Nudos  quatit  ille  lacertos, 
Remigioque  carens  non  uUas  percipit  auras. 
Oraque  caerulea,  patrium  clamantia  nomcn, 
Excipiuntur  aqua,  qux  nomen  traxit  ab  iilo.  230 

At  pater  infelix,  nec  jam  patcr  :  «  lcare,  dixit. 


LIVRE  VIll.  295 

kare!  ou  es-tu?  ou  irai-je  te  chercher?  Icare!  »  repetait-il  en- 
oore,  quand  il  aper^ut  ses  ailes  a  la  surface  des  eaux.  Alors,  mau- 
dissant  son  art,  ii  renferma  dans  un  tombeau  les  restes  de  son 
fils,  et  le  rivage  prit  le  nom  de  celui  qui  y  avait  ete  enseveh. 

Tandis  que  Dedale  rendait  les  demiers  devoirs  a  son  malheureux 
fils,  une  perdrix  indiscr^te,  cachee  dans  Tepais  feuillage  d'un 
di^ne,  battit  des  ailes  en  le  voyant,  et  poussa  des  cris  de  joie, 
Seul  de  son  espece  et  inconnu  dans  les  premiers  dges,  cet  oiseau 
r^mment  cree  devait  instruire  Tunivers  de  ton  crime,  6  D^- 
dale !  Ta  soeur,  ignorantles  arrSts  du  Destin,  favait  confie  Tedu- 
cation  de  son  iils,  lorsque,  a  peine  arrive  a  sa  douzieme  annee,  ii 
fut  capable  de  recevoir  les  lecons.  Cet  enfant,  ayant  examin^  les 
pointes  qui  herissent  le  dos  des  poissons,  les  prit  pour  mod^le, 
et,  taillant  dans  le  fer  une  rangee  de  dents,  il  inventa  la  scie.  Le 
premier  aussi  il  unit  ensemble  deux  branches  d'acier  que  Fon 
ecarte  a  une  egale  distance  pour  decrire  un  cercle  avec  Tune,  tan- 
dis  que  Tautre  reste  immobile.  Emporte  par  la  jalousie,  Dedale 
precipita  ITnventeur  du  haut  du  temple  de  Minerve,  et  publia  que 
sa  chute  etait  due  au  hasard.  Mais  Pallas,  favorable  au  g^nie, 

Icare,  dixit,  ubi  es?  qua  te  regione  requiram? 

Icarel  »  dicebat.  Pennas  conspexit  in  undis, 

Devovitque  suas  artes,  corpusque  sepulcro 

Gondidit,  et  tellus  a  nomine  dicta  sepulti.  235 

Hunc  miseri  tumulo  ponentem  corpora  nati 
Garrula  ramosa  prospexit  ab  ilice  perdix, 
Et  plausit  pennis,  testataque  gaudia  cantu  est. 
Unica  tunc  volucris,  nec  visa  prioribus  annis, 
Factaque  nuper  avis,  longum  tibi,  Daedale,  crimen.  240 

Namque  huic  tradiderat,  fatorum  ignara,  docendam 
Progeniem  gerraana  suam,  natalibus  actis 
Bis  puerum  senis,  animi  ad  praecepta  capacis. 
llle  ctiam  medio  spinas  in  pisce  notatas 
Traxit  in  exemplum,  ferroque  incidil  aculo  245 

Perpetuos  dentes,  et  serrae  repperit  usum. 
Primus  et  ex  uno  duo  ferrea  brachia  nodo 
Vinxit,  ut,  aequali  spatio  distanlibus  illis, 
Altera  pars  staret,  pars  altera  duceret  orbem. 
Daedalus  invidit,  sacraque  ex  arce  Minervae  250 

Prxcipitem  mittit,  lapsum  mentitus.  At  ilium, 
Qux  favet  ingeniis,  excepit  Pallas,  avemque 


296  Mt:TAMORPHOSE.S. 

soutini  renrant,  le  changea  en  oiseau,  et  le  couvrit  de  plumes 
pendant  qu'il  tombait.  Toule  Tenergie  de  son  esprit,  naguere  si 
actif,  passa  dans  ses  ailes  et  dans  ses  pieds.  II  conserve  son  ancien 
nom.  Toutefois  son  vol  est  humble,  et  il  ne  place  point  son  nid 
dans  le  branchage  ni  a  la  cime  des  arbres.  U  rase  les  sillons,  et 
d^pose  ses  ceufs  dans  les  broussailles.  Le  souvenir  de  son  ancienne 
chulelui  fait  craindre  les  lieux  eleves. 

M^Ii^AGRE  TUE  LE  SANGLIER  DE  GALTDO!!.  —  ALTnEB,   HfeRE  DD  OiROS, 
EN  ACCELERE   LA   MOBT. 

IV.  Deja  Dedale,  epuise  de  fatigue,  etait  parvenu  aux  campagnes 
de  rElna,  et  Cocale,  qui,  touch^  de  ses  prieres,  avait  pris  les  armes 
pour  le  proteger,  entendait  c6I6brer  sa  generosite.  Deja  Ath^nes, 
par  la  valeur  de  Thes6e,  avait  cesse  de  payer  un  lamentable  tribut. 
Les  temples  ^laient  omes  de  guirlandes.  Mille  voix  invoquaient  la 
belliqueuse  Palias,  Jupiler,  et  tous  les  dieux  protecteurs.  Le  sang 
des  victimes  promises  coulait  sur  les  autels  oii  rencens  se  mSlait 
«lux  offrandes.  La  Renommee  avait  porte  de  ville  en  ville,  dans  la 
Gr^ce  enliere,  le  nom  de  Thesee.  Les  peuples  repandus  sur  la  sur- 


Reddidit,  ct  medio  vclavit  in  acre  pennis. 

Sed  vigor  ingenii  quondam  velocis,  in  alas 

Inque  pedes  abiit.  Nomen,  quod  et  anle,  remansit.  255 

Non  tamen  h^c  alte  volucris  sua  corpora  tollit, 

Ncc  facit  in  ramis  altoque  cacumine  nidos. 

Propter  humum  volitat.  ponitque  in  sepibus  ova, 

Anliquique  meraor  metuit  sublimia  casus. 

APRmi   CALYDONIUM   INTERFICIT  MELE.VGER,     CUJDS  MOnTEM   ACCELERAT 
ALTHjEA    MATER. 

IV.    Jamque  fatigatum  tellus  setnsca  tenebat  260 

Daedalon,  et  sumptis  pro  supplice  Cocalus  armis 
Mitis  habebatur;  jam  lamentabile  Athennc 
rcndere  desierant,  thesea  laude,  tributum. 
Templa  coronantur,  bellatricemquc  Minervam 
Cum  Jove,  disque  vocant  aliis,  quos  sanguine  voio,  2C!J 

Muneribusque  datis,  et  acerris  thuris  honorant. 
Sparserat  argolicas  nomen  vaga  fama  per  urbes 
Thespos,  ot  populi,  quos  dives  Achaia  cepil, 


LIVRB  VIII.  W 

Uice  de  celte  riche  contr^  invoquerent  son  appui  dans  les  plus 
grands  dangers.  Galydon,  quoiqu^elle  poss^dAt  Meleagre,  lui  adressa 
aussi  de  vives  instances,  quand  elle  fut  ravagde  par  un  sanglier,  mi- 
nistre  des  vengeances  de  Diane.  (Enee,  dit-on,  combl^  des  faveurs 
de  l'ann6e,  en  avait  ofTert  les  premices  aux  dieux.  le  bl^  k  Ger^s, 
le  vin  a  Baccbus,  et  a  Minerve  la  liqueur  qui  lui  est  consacr^e. 
Apres  les  dieux  champStres,  toutes  les  autres  divinites  re^urent 
les  mSmes  hommages.  Les  autels  de  1a  fille  de  Latone  furent  seuls 
neglig^  et  rest^rent  sans  encens. 

Le  ciel  est,  comme  la  terre,  accessible  au  ressentiment. «  Je  ne 
laisserai  pas  un  tel  affront  impuni,  dit  la  deesse.  Si  les  honneurs 
m'ont  ete  refuses,  on  ne  dira  pas  que  ce  fut  sans  vengeance.  »  A 
ces  mots,  pour  punir  (Enee  de  ses  m^pris,  elle  lance  dans  les  cam* 
pagnes  un  enorme  sanglier  qui  surpasse  par  sa  taille  les  taureaux 
de  la  fertile  £pire  et  ceux  que  nourrissent  les  plaines  de  la 
Sicile.  Ses  yeux  sont  injectes  de  sang  et  de  feu ;  sa  t6te  est  hor- 
rible ;  ses  soies,  comme  une  for^t  de  dards,  presentent  partout 
des  pointes  menagantes.  A  ses  cris  f^roces  se  m^le  une  brililante 
^ume  qui  coule  sur  ses  larges  flancs.  Ses  defenses  ressemblent 
h  celles  de  Felcphant  des  Indes.  Son  boutoir  lance  la  foudrc ; 

Hujus  opem  magnis  imploravere  periclis. 

Hujus  opem  Calydon,  quamvis  Heleagron  haberet,  270 

SoUicita  supplex  petiit  prece.  Causa  petendi 

Sus  erat,  in/estx  famulus  vindexque  Dianac. 

(Enea  namque  ferunt,  pleni  successibus  anni 

Primitias,  fnigem  Cereri,  sua  vina  LyafO, 

Palladios  flavae  laticcs  libasse  Minervx.  275 

Cceptus  ab  agricolis  Superos  pervenit  ad  omnes 

Invidiosu6  honos.  Solas  siqe  thure  relictas 

Praeteritx  cessasse  ferunt  Latoidos  aras. 

Tangit  et  ira  deos  :  <  At  non  impune  feremus; 
Quaeque  inhonoratae,  non  et  dicemur  inulto;,  »  2S0 

Inquit,  et  oeneos  ultorem  spreta  per  agros 
Misit  aprum,  quanto  majores  herbida  tauros 
Non  habet  Rpiros;  sed  habent  sicula  arva  minorcs. 
Sanguine  ct  igne  micant  oculi,  riget  horrida  ccrvix, 
Kt  set»  densis  similes  hastilibus  horrent,  283 

Slantque  vclut  vallum,  velut  alta  hastilia,  set». 
Fcrvida  cum  rauco  latos  stridore  per  armos 
Spuma  fluit;  dentes  aequantur  dentibus  indis; 
Fnlmen  aV  on  venitj  frondes  afAatibus  nrilent. 


m  METAMORPHOSES. 

son  haleine  fletrit  le  feuillage.  Tant6t  il  foule  aux  pieds  les  mois^ 
sons  naissantes;  tantdt  il  les  abat  lorsque  leur  maturit6  allait 
combler  les  voeux  du  laboureur,  et  etouffe  dans  leurs  ^is  les 
dons  de  Cer^s.  En  vain  Taire,  en  vain  le  grenier  attendent  les  tre- 
sors  qui  leur  furent  promis.  II  renverse  les  ceps  aux  longs  bras 
el  les  grappes  remplies  de  suc ;  il  detruit,  avec  ses  rameaux,  les 
fruits  de  l'olivier  toujours  vert.  Sa  fureur  s^etend  sur  les  brebis. 
Ni  les  bergers  ni  les  chiens  ne  peuvent  les  proteger,  et  les  tau- 
reaux  furieux  sont  impuissants  pour  se  d^fendre, 

Les  habitants  de  la  contree  fuient  eperdus.  Les  remparts  des 
villes  leur  paraissent  seuls  un  sur  asile,  lorsqu'enfin  Tamour  de  la 
gloire  rassemble  autour  de  Meleagre  Telite  des  heros.  Ge  sont  les 
deux  fils  de  Tyndare,  qui  excellent,  Tun  a  manier  le  ceste,  Tautre  a 
dompter  les  coursiers ;  Jason,  Finventeur  du  premier  navire ;  Pi- 
rithoiis  et  Thesee,  modeles  des  vrais  amis ;  les  deux  fils  de  Thestius, 
le  fils  d'Apharee,  Lyncee,  et  Tagile  Idas ;  Gen^',  jadis  femme ;  le 
6er  Leucippe ;  Acaste,  habile  a  lancer  le  javelot ;  Hippothous, 
Dryas,  Ph^nix,  fiis  d'Amyntor;  les  deux  fils  d'Actor  et  Phylte  venu 
de  rfilide.  La  se  trouvaient  aussi  Telamon  et  le  p^re  du  grand 


Is  modo  crescenti  segetes  proculcat  in  herba,  290 

Nunc  matura  metil  fleturi  vota  coloni, 

Et  Cererera  in  spicis  intercipit.  Area  frustra, 

Et  frustra  exspectant  promissas  horrea  messes. 

Sternuntur  gravidi  longo  cum  palmite  fcetus, 

Baccaque  cum  ramis  semper  frondentis  olivx.  295 

SsBvit  et  in  pecudes.  Non  has  pastorve  canesve, 

Non  armenta  truces  possunt  defendere  tauri. 

Diffugiunt  populi,  nec  sc,  nisi  rocenibus  urbis, 
Esse  putant  tutos,  donec  Meleagros,  et  una 
Lecta  manus  juvenum  coiere  cupidine  laudis.  300 

Tyndaridae  gemini,  spectatus  caestibus  allcr, 
Aiter  equo ;  primsBque  ratis  molitor  lason; 
Et  curaPirithoo,  felix  concordia,  Theseus; 
Et  duo  Thestiadse,  prolesque  aphareia  Lynceus, 
Et  velox  Idas,  et  jam  non  femina  Caeneus,  305 

Leucippusque  ferox,  jaculoque  insignis  Acastus, 
Hippothoosque,  Dryasque,  ct  cretus  Amyntore  PhoDnix, 
ActoridaBque  pares,  et  missus  ab  Elide  Phyleus* 
Nec  Telamon  aberat,  magnive  creator  Achiliis; 


LIYRE  YIII.  m 

Achille ;  le  fils  de  Ph^r^s,  le  B^olien  lolaiis,  Tinfatigable  Eurytion, 
Scliio»  invincible  a  la  course,  L^lex  de  Naryce,  Panopee,  Hylee,  le 
liouillant  Hippasus,  Nestor,  qui  debutait  dans  la  carri^re  des  ar- 
nies,  et  les  trois  fiis  qu'IIippocoon  avait  envoyes  de  Taniique  Amy- 
clee;  le  beau-p^re  de  Penelope  et  Ancee  d'Arcadie;  le  fils  d'Am- 
pycus,  qui  lisait  dans  Tavenir ;  le  fils  d^EcIeus,  que  son  epouse 
n'avait  pas  encore  trahi,  et  la  chasseresse  de  Tegee,  la  gloire  des 
bois  du  Lycee.  Une  brillante  agrafe  attachait  le  haut  de  sa  robe. 
Ses  cheveux  etaient  rassembles  sans  art  par  un  seul  noeud.  A  son 
epaule  gauche  r^sonnait  un  carquois  d^ivoire  rempli  de  fleches,  et 
sa  main  gauche  portait  un  arc.  Tels  etaient  ses  atours.  Quant  a  sa 
figure,  on  eiit  dit  un  jeune  heros  avec  la  beaute  d*une  yierge,  ou 
une  vierge  avec  les  traits  d'un  jeune  h^ros.  Meleagre  la  voit  et 
Taime  au  m^me  instant.  En  depit  des  dieux,  une  flamme  secrete 
s'allume  dans  son  coeur.  «  Heureux  celui  qu*elle  trouvera  digne 
d'6tre  son  epoux! »  s'ecrie-t-il.  Le  temps  et  la  pudeur  Temp^- 
chent  de  poursuivre.  Une  grande  lulte  Tappelle  a  de  plus  nobles 
travaux. 

Une  epaisse  for^t,  que  la  hache  avait  toujours  respectee,  remori- 
lait  de  la  plaine  sur  une  colline,  d'ou  elle  dominait  au  loin  les 

Cumque  Phcretiade,  et  Uyanteo  lolao,  310 

Inipiger  Eurytion,  et  cursu  Invictus  Echion, 

Naryciusque  Lelex,  Panopcusque,  Hyleusque,  feroxque 

Hippasus,  et  primis  etiamnum  Nestor  in  armis; 

Et  quos  Hippocoon  antiquis  misit  Amyclis; 

Penelopesque  socer,  cum  Parrhasio  Anc.TO;  315 

Ampycidesque  sagax,  et  adhuc  a  conjuge  tutus 

(Eclides;  nemorisque  decus  Tegeaea  Lycei. 

Rasilis  huic  summam  mordebat  fibula  veslem, 

Crinis  erat  simplex,  nodum  collectus  in  unum; 

Ex  humero  pendens  resonabat  eburnea  laevo  320 

Telorum  custos;  arcum  quoque  laeva  tenebat. 

Talis  erat  cultus  ;  facies,  quam  dicere  vcre 

Yirgineam  in  puero,  puerilem  in  virgine  possis. 

Hanc  pariter  vidit,  pariter  calydonius  heros 

Optavit,  renuente  deo,  flammasque  latentes  325 

Hausit,  et :  «  0  felix,  si  quem  dignabitur,  inquit, 

Ista  virura!  »  nec  plura  sinunt  tempusque  pudorque 

Dicere.  Hajus  opus  magni  certaminis  urget. 

Silva  frequens  trabibus,  quam  nuUa  ceciderat  setas, 
lacipit  a  plano,  devexaque  prospicit  arva,  330 


300  METAMORPHOSES. 

campagnes.  Desque  les  cliasseurs  y  sont  parvenus,  lesuns  deploient 
les  toiles,  d^autres  decouplentleschiens;  plusieurs  s'elancent  sur 
la  piste  et  bnilent  d'affronler  le  danger.  Dans  la  for6t  etait  une 
vallee  profonde  ou  se  rendaient  les  torrents  formes  par  la  pluie. 
A  rexlremile  croissaient  le  saule  flexible,  Talgue  leg^re,  le  jonc 
ami  des  etangs,  Tosier,  Thumble  canne  et  le  grand  roseau.  Cest 
de  la  que  le  sanglier  se  precipitait  avec  fureur  sur  ses  ennemis, 
comme  Feclair  qui  jaillit  du  choc  dcs  nuages.  Dans  sa  course  ra- 
pide,  il  portait  le  ravage  au  sein  de  la  for^t.  Les  arbres,  ebranles 
par  son  choc,  tombaient  avec  fracas.  Les  jeunes  combattants  pous- 
sent  des  cris,  et  pr^sentent  d'une  main  ferme  leurs  epieux  armes 
d'un  large  fer.  Le  sanglier  fond  sur  eux,  disperse  les  chiens  qui 
s'opposent  a  son  passage,  et,  par  ses  coups  obliques,  met  en  de- 
route  la  meute  aboyante. 

Le  premier  dard,  lance  par  fichion,  fut  inutile.  A  peine  effleura- 
l-il  un  erable.  Si  le  second  eiit  ete  lance  avec  moins  de  force,  il 
aurait  atteint  le  flanc  de  raiiimal ;  mais  il  depassa  le  but.  U  etait 
parli  dela  main  de  Jason,  le  heros  de  Pagase.  «  ApoIIon,  s^ecrie 
le  fils  d'Ampycus,  si  j'ai  toujours  honore  tes  aulels,  accorde-moi 


Quo  postquam  vcncrc  viri,  pars  retia  tendunt, 

Vincula  pars  adimunt  canibus,  pars  pressa  scquunlur 

Signa  pedum,  cupiuntque  suum  reperire  periclum. 

r.oncava  vallis  erat,  qua  se  demittere  rivi 

Assuerant  pluvialis  aquaj.  Tenet  ima  lacunx  "^T^t 

Lenla  sallx,  ulvajque  leves,  junciquc  paluslres, 

Viminaquc,  et  longa  parvae  sub  arundinc  cann.r. 

Ilinc  aper  excitus  medios  violentus  in  hostes 

Ferlur,  ut  excussis  elisi  nubibus  igncs. 

Stemilur  incursu  nemus,  ct  propulsa  fragorem  ^iO 

Silva  dat.  Exclamant  juvenes,  praBtentaque  forli 

Tela  tcnent  dexlra,  lato  vibrantia  ferro. 

llle  ruit,  spargitque  cancs,  ut  quisquc  ruenli 

Obslat,  el  obliquo  lalrantes  dissipat  ietu. 

Cuspis  ochionio  primum  contorla  lacerlo  r»l;J 

Vana  fuit,  truncoque  dedit  lcve  vulnus  accriio. 
Proxima,  si  nimiis  mittentis  viribus  usa 
Non  forrt,  in  tcrgo  visa  pst  haesura  petilo. 
l.ongius  il :  auctor  teli  pagasaius  lason. 

Phcebe,  ait  Ampycides,  si  tc  colaique  colone,  ^^ 


LIVRE  VIII.  301 

depercer  d*un  trait  si!lr  rennemi  que  nous  poursuivons.  i  Autant 
qu'il  est  en  son  pouvoir,  le  dieu  exauce  sa  priere.  Le  sanglier  est 
atteint,  mais  sans  blessure.  Pendant  que  le  trait  fendait  Tair, 
Diane  en  avait  detach^  le  fer  :  ce  n'6tait  plus  qu'un  bois  toouss^ 
quand  il  arriva  jusqu*au  raonstre.  Cependant  sa  fureur  s'allume ; 
elle  Mate  comme  la  foudre.  Sesyeuxetincellent;  le  feu  sort  de 
sa  poitrine.  Comme  on  voit  d'enormes  quarliers  de  rocs,  lanc^s 
par  la  baliste,  voler  et  frapper  les  remparts  d'une  citadelle,  ou  les 
tours  remplies  de  soldats,  le  formidable  sanglier  fond  d'un  vi- 
goureux  61an  sur  ses  ennemis,  et  terrasse  Eupalamon  et  P^lagon, 
places  a  Taile  droite.  Leurs  compagnons  les  emportent  dans  leurs 
bras.  Bfais  finesime,  un  des  fils  d'Hippocoon,  ne  peut  eviter  un 
coup  mortel.  fpouvant^,  il  allait  fuir ;  mais  ses  jarrets  brises  ne 
le  soutinrent  plus.  Peut-^tre  le  roi  de  Pylos  eut-il  peri  avant  la 
chute  de  Troie;  mais,  s'appuyant  sur  sa  pique  enfonc^e  dans  la 
terre,  il  s^^lan^a  sur  un  arbre  place  pres  de  lui,  et,  du  haut  de 
cel  asile,  il  contempla  le  monstre  qu'il  venait  de  fuir.  Le  sanglier 
furieux  aiguise  ses  defenses  contre  le  tronc  d*un  chSne  et  s'ap- 
pr^te  au  carnage.  Quand  ses  armes  recourbees  ont  re^u  une 
trempe  nouvelle,  il  les  enfonce  avec  fureur  dans  la  cuisse  du  noble 

Da  mihi,  quod  petitur,  ccrlo  contingere  telo. » 

Qua  potuit  precibus  deus  annuit.  Ictus  ab  illo, 

Scd  sine  vulnere,  aper.  Ferrum  Diana  volanti 

Abstulerat  jaculo  :  lignum  sine  acumine  venit. 

Ira  feri  mota  est,  nec  fulmine  lenius  arsit.  ^        355 

Lux  micat  ex  oculis,  spiratque  e  pectore  flamma. 

Utque  volat  moles,  adducto  concita  nervo, 

Quum  petit  aut  mucos,  aut  plenas  milite  turres. 

In  juvenes  vasto  sic  impete  vulnificus  sus 

Fertur,  et  Eupalamon  Pelagonaque  dextra  tuentes  3G0 

Cornua  prosternit.  Socii  rapuere  jacentes. 

At  non  lethiferos  effugit  Enaesimus  ictus, 

Hippocoonte  satus.  Trepidantem  et  terga  parantem 

Verlere,  succiso  liquerunt  poplite  nervi. 

Forsitan  et  Pylius  citra  trojana  perisset  3G5 

Tempora ;  sed  sumpto  po.Mta  conamioe  ab  hasta, 

Arboris  insiluir,  qu»  stabat  proxiroa,  ramis, 

Despexitque  loco  tutus,  quem  fugerat,  hostem. 

Dentibus  ille  ferox  in  querno  stipite  tritis, 

Imroinet  exitio,  frendensque  recenlibus  arroi^,  370 

Actorid»  magni  rostro  femnr  haasit  «dttnco* 


302  M^TAMORPHOSES. 

fils  d'Actor.  Gependant  les  deux  jumeaux,  qui  n^etaieut  pas  encore 
des  astres  au  celeste  parvis,  dignes  tous  deux  de  fixer  les  r^ards, 
et  port^s  sur  des  coursiers  plus  blancs  que  la  neige,  brandissaient 
leurs  javelots,  dont  Teclat  se  reflechissait  dans  les  airs.  IIs  auraient 
blesse  le  terrible  animal,  sMl  ne  se  ftit  cache  dans  un  taillis  impe- 
neirable  aux  chevaux  et  aux  traits.  T^lamon  le  poursuit,  et,  dans 
son  impatience  indiscrete,  retenu  par  la  racine  d'un  arbre,  il 
tombe  la  face  contre  terre. 

Pelee  le  releve.  Au  m^me  instant  la  chasseresse  de  Teg^  combe 
son  arc  et  y  place  une  fleche.  Le  trait  part  et  se  fixe  sous  l'oreilIe 
du  sanglier.  Quelques  gouttes  de  sang  mouillent  ses  soies.  Ce 
succ^s  transporte  d'une  egale  joie  Atalante  et  Meleagre.  II  a  vu  le 
sang  avant  tous ;  avant  tous  il  le  montre  a  ses  compa^ons,  et 
s'ecrie : «  Tu  recevras  la  juste  r^compense  de  ton  courage.  »  Les 
jeunes  combattants  rougissent ;  ils  s'exhortent,  ils  s'animent  mu- 
tuellement  par  des  cris,  et  jettent  leurs  traits  au  hasard.  Le  nom- 
bre  des  assaillants  nuit  a  leurs  efforts  et  devient  un  obstacle  aux 
coups  qu'iIsveulentporter.  Soudain,  arme  d'une  hache,  TArcadien 
s^abandonne  a  une  fureur  qui  doit  hdter  sa  perte.  «■  Gompagnons, 


At  gemini,  nondum  ccelestia  sidera,  fratres, 

Ambo  conspicui,  nive  candidioribus  ambo 

Vectabantur  equis,  ambo  vibrata  per  auras 

Hastarum  tremulo  quatiebant  spicula  motu.  373 

Vulnera  fecissent,  nisi  setiger  inter  opacas, 

Nec  jaculis  isset  nec  equo  loca  pervia,  silvas. 

Persequitur  Telamon,  studioque  incautus  eundi, 

Pronus  ab  arborea  cecidit  radice  retentus. 

Dum  levat  hunc  Peleus,  celerem  Tegesea  sagitlam         380 
Imposuit  nervo,  sinuatoque  expulit  arcu. 
Fixa  sub  aure  feri  summum  destringit  arundo 
Gorpus,  et  exiguo  rubefecit  sanguine  setas. 
Nec  tamen  illa  sui  successu  laetior  ictus, 
Quam  Meleagros  erat.  Primus  vidisse  putatur,  385 

Et  primus  sociis  visum  ostendisse  cruorem, 
El  «  Meritum,  dixisse,  feres  virtutis  hondrem.  » 
Enibuere  viri,  seque  ejhortantur,  et  addunt 
Cum  clamore  animos,  jaciuntque  sine  Drdine  tela. 
Turba  nocet  jactis,  et  quos  petit,  impedit  ictus.  390 

Ecce   urens  contra  sua  fata  bipennifer  'Arcas  : 


LIVRE  7111.  503 

dlt-il,  apprenez  combien  les  exploits  d'un  homme  Temportent  sur 
ceux  d'une  femme,  et  c^ez>moi  le  prix.  En  vain  la  fillede  Latone 
lui  ferait  un  rempart  de  ses  armes ;  il  p6rira  sous  mes  coups, 
malgrS  Diane.  »  Telles  sont  les  menaces  qui  partent  de  sa  bouche 
superbe ;  et,  levant  sa  hache  a  deux  tranchants,  il  se  dresse  sur  la 
pointe  des  pieds.  Le  ^anglier  se  precipite  sur  le  t^meraire,  et 
Talteint  mortellement  en  lui  plongeant  ses  d^fenses  dans  Taine. 
Ancee  tombe ;  ses  entrailles  s'echappent  avec  des  flots  de  sang 
dont  la  terre  est  inondee. 

Alors,  agitant  son  epieu  d'une  main  vigoureuse,  le  fils  d'Ixion, 
Pirithous,  court  au-devant  du  monstre.  Mais  le  fil§  d'Egee  lui 
crie :  «  0  toi  qui  m'es  plus  cher  que  la  vie !  6  toi,  la  moitie  de 
moi-m6me !  arrSte !  Tu  peux  d^ployer  de  loin  ton  courage.  Ancee 
a  6te  victime  d'une  temeraire  ardeur. » II  dit,  et  lance  une  lourde 
pique  arm^e  d'airain.  Elle  etait  bien  dirigee  et  aurait  atteint  son 
but,  si  elle  n*eut  ete  arr^tee  par  les  branches  touffues  d'un  ch6ne. 
Le  fils  d'£son  envoie  aussison  javelot;  mais  le  hasard  le  detourne 
contre  un  innocent  limier  dont  il  traverse  les  flancs,  et  le  trait  va 


«  Discite,  femineis  quid  tela  virilia  praestent, 

0  juvenes,  operique  ineo  concedite,  dixit. 

Ipsa  suis  licet  hunc  Latonia  protegat  armis, 

Hunc  tamcn  invita  pcrimet  mea  dextra  Diana.  »  395 

Talia  magniloquo  tumidus  memoraverat  ore, 

Ancipitemque  manu  toUens  utraque  securim, 

Institerat  digitis,  primos  suspensus  in  artus. 

Occupat  audacem,  quaque  est  via  proxima  letho, 

§ununa  ferus  geminos  direxit  in  inguina  dcntes.  400 

Concidit  Ancaeus,  glomerataque  sanguine  multo 

Viscera  lapsa  fluunt,  madefactaque  teiTa  cruore  est. 

Ibat  in  adversum,  proles  Ixionis,  hostem 
Pirithous,  valida  quatiens  venabula  dextra. 
Cui  «  Procul,  JSgides,  o  me  mihi  carior,  inquit,  405 

Pars  animse  consiste  meae.  Licet  eminus  esse 
Fortibus.  Ancseo  nocuit  temeraria  virtus.  » 
Dixit,  et  serata  torsit  grave  cuspide  cornu. 
Quo  bene  librato,  votique  potentc  futuro, 
Obstitit  aesculea  frondosus  ab  arbore  ramus.  410 

Misit  et  ^sonides  jaculum,  quod  casus  ab  illo 
^«rtit  in  immeriti  fatnm  latrantis,  ef,  inter 


304  N£TAM0RPH0SES. 

se  fixer  dans  la  terre.  Le  fils  d'(Enee  porte  des  coups  avec  un  suc- 
ces  inegal.  De  ses  deux  lances,  Tune  tombe  a  terre,  Tautre  p^ 
n^tre  dans  le  dos  du  sanglier.  Au  m^me  instant  le  monstre,  dans 
sa  fureur,  toume  sur  lui-m6me,  et  vomit  de  nouveau  une  san- 
glante  dcume  en  poussant  d'efTroyables  hurlements.  Le  chasseur 
qui  Ta  bless^  s'avance,  excite  sa  rage,  et  plonge  dans  son  epaule 
un  fer  dtincelant.  Ses  compagnons  font  eclater  leur  joie  par  des 
cris  d'allegresse,  et  le  prient  de  serrer  leurs  mains  de  sa  main 
victorieuse.  Ils  contemplent  avec  surprise  le  monstre  dont  le 
corps  ^norme  couvre  la  terre.  Us  ne  croient  pas  pouvoir  encore  le 
toucher  impun^ment ;  mais  ils  aiment  a  teindre  leurs  annes  de 
8on  sang. 

Meleagre  presse  et  foule  sous  ses  pieds  sa  hure  terrible.  t  Vierge 
de  Nonacris,  dit-il,  prends  la  depouille  qui  m'apparlient,  et  par- 
tage  avec  moi  la  gloire  de  ce  triomphe.  »  Aussit6t  il  donne  k  Ata- 
lante  le  corps  du  sanglier  tout  heriss^  de  soies,  et  sa  hure  garnie 
de  superbes  defenses.  Ge  present,  et  la  main  qui  le  lui  ofire,  com- 
blent  Atalante  de  joie.  Mais  les  autres  combattants  murmurent 
d'envie.  Les  fils  de  Thestius,  levant  leurs  bras,  s'ecrient  a  haute 


llia  conjeclum,  tellure  per  ilia  fixum  est.    '~''    '"' 

At  manus  (Enidse  variat;  missisque  duabus, 

Hasta  prior  teira,  medio  stetit  altera  tergo.  415 

Mec  mora,  dum  saevit,  dum  corpora  versat  in  orbem, 

Stridentemque  novo  spumam  cum  sanguine  fundit, 

Yulneris  auctor  adest,  hostemque  irritat  ad  iram, 

Splendidaque  adversos  venabula  condit  in  armos. 

Gaudia  testantur  socii  clamore  secundo,  4^ 

Viclricemquc  petunt  dextrae  conjungere  dextram ; 

Immanemque  ferum,  multa  tellure  jacentem, 

Mirantes  spectant;  neque  adhuc  contingcre  tutum 

Esse  putant;  sed  tela  tamen  sua  quisque  crucntant. 


^vlpse,  pede  imposito,  caput  exitiabile  prcssit,  43.*i 

AUjfve  ita:  «  Sume  mei  spolium,  Nonacrin,  juris, 
Dixit,  et  in  partem  veniat  mihi  gloria  tecum.  » 
Protinus  exuvias,  rigidis  horrentia  setis 
Terga  dat,  et  magnis  insignia  deulibus  ora. 
Illi  Ixtitix  est  cum  munerc  muneris  nuctor.  430 

nvidere  aVii,  iotoqae  etal  9h%ni\ti(^  mwT\nNa. 
quibus,  ingenU  ieftdeMft%\w»t\\\9kN«>t^\ 


LIVRE  VIII.  505 

▼oix :  f  Depose  ce  buiin,  Atalante,  et  ne  viens  pas  usurper  nos 
droits.  Que  ta  beautd  ne  finspire  pas  une  trompeuse  confiance. 
Prends  garde  que  le  heros  epris  de  tes  charmes  ne  te  soit  d'aucun 
seoours  I  »  £n  mSme  temps  ils  enlevent  a  Tune  le  present  qu'elle 
a  regu,  a  Tautre  le  droit  de  le  faire.  Meleagre  fr^mit  d'indi- 
gnation,  et,  ne  pouvant  relenir  sa  colere :  «  Sachez,  dit-il,  inso^ 
lents  ravisseurs  de  la  gloire  d^autrui,  quelle  distance  il  y  ade  la 
menace  aux  actions ! »  Et  soudain  il  frappe  d'un  fer  criminel  le 
coeur  de  Plexippe.  Toxee.  incerlain,  voudrait  venger  son  frere ; 
mais  il  craint  pour  lui-m^me  un  semblable  tr^pas.  Mel6agre  ne 
le  laisse  pas  douter  longtemps.  II  baigne  dans  son  sang  sa  lance 
encore  fumante  du  meurtre  de  Plexippe. 

Alth^e  presentait  des  offrandes  aux  autels  des  dieux  pour  les 
remercier  de  la  victoire  de  son  fils,  quand  elle  vit  qu'on  lui  rap- 
portait  ses  freres  morls.  Un  cri  de  desespoir  s'echappe  de  son 
coeur.  Elle  remplit  la  ville  de  g^missements,  et  quitle  ses  riches 
atours  pour  des  habits  de  deuil.  Mais  a  peine  le  nom  du  meurtrier 
est-il  prononce,  qu'elle  impose  silence  a  sa  douleur,  et  qu'aux 
larmes  succede  la  soif  de  la  vengeance.  Lorsque  la  fiUe  de  Thes- 
tiiis  venait  de  donner  le  jour  a  Meleagre,  les  Parques  jeterent  un 

«  Pone  age,  nec  titulos  inlercipe,  femina,  nostros, 

Thestiadae  clamant.  Nec  tc  liducia  formae 

Decipiat,  longequc  tuo  sit  captus  amore  45o 

Auctor;  »  et  huic  adimunt  munus,  jus  muneris  illi. 

Non  tulit,  et  tumida  frendens  Mavortius  ira : 

«  Discite,  captores  alieni,  diiit,  honoris, 

Facta  minisquantum  distent;  »  hausitque  nefando 

Pectora  Plexippi,  nil  tale  timentia,  ferro.  440 

Toxea  quid  faciat  dubium,  pariterque  volenlem 

Ulcisci  fralrem,  fraternaque  fata  timentem, 

Haud  patitur  dubitare  diu,  calidumque  priori 

Caede  recalfecit  consorti  sanguine  telura. 

Dona  deum  templis,  nato  victore,  ferebat,  445 

Quum  videt  exstinctos  fratres  Althaea  referri. 
Qu»,  plangore  dato,  mcestis  ululatibus  urbem 
Implet,  ct  auratas  mutavit  vestibus  atris. 
At  simul  est  auctor  necis  editus,  excidit  omnis 
Luctus,  et  a  lacrymis  in  pceno}  versus  amorem  est.  450 

Stipes  erat  quem,  guum  partus  enjxa  jacerei 
Tlwstias,  in  flammam  triplices  posuere  soTwes, 


30G  h£TAMOR^HOS£S. 

tison  dans  un  brasier;  et,  faisant  toumer  ieur  fuseau  pour  filer 
ses  destins  :  «  Enfant  qui  viens  de  naitre»  dirent-elles,  nous  fassi- 
gnons  la  m^me  duree  qu'a  ce  tison. »  Apres  cette  pr^ction»  les 
trois  deesses  s'eloignerent.  Althee  arracha  le  tison  enflamm^,  et 
r^teignit  dans  l'onde.  Longtemps  cache  au  fond  du  palais  d'(£n^e 
et  conserve  par  ta  mere,  jeune  vainqueur,  il  prot^gea  ta  vie.  Al- 
th^e,  en  ce  moment,  le  fait  paraitre  au  jour,  ordonne  qu'on  pr6- 
pare  un  biicher  et  des  torches  qu'elle  approche  de  la  flanune  enne- 
mie.  Quatre  fois  elle  essaye  de  livrer  au  feu  le  bois  fatal,  quatre 
fois  sa  main  s'arr6te.  Une  lutte  s^engage  entre  la  m^re  et  la  soeur, 
et  ces  deux  titres  entrainent^un  m6me  coeur  a  des  r^solutions 
contraires.  Souvent  rhorreur  du  crime  qu^elle  va  commettre  la 
fait  p41ir ;  souvent  la  colere  allume  dans  ses  yeux  une  rougeur 
ardente.  Ses  traits  respirent  tour  a  tour  la  cruaut^,  la  menace  et 
ia  piti6.  Alors  m6me  que  la  vengeance  a  seche  ses  pleurs,  ses 
pleurs  coulent  encore.  Gomme  un  navire,  emporte  dans  des  sens 
opposes  par  les  vents  et  par  les  vagues,  rcQoit  une  double  impul- 
sion  et  ne  sait  a  laquelle  obeir,  la  fiUe  de  Thestius  flotte  entre 
deux  sentiments,  et  tour  a  tour  reprime  sa  colere  ou  lui  donne 

Staminaqne  impresso  falalia  poUice  nentcs  : 

«  Tempora,  dixerunt,  eadem  lignoque  tibiquo, 

0  modo  nale,  damus.  »  Quo  postquam  carmine  dicto       455 

Excesserc  dex.  Flagrantem  mater  ab  igne 

Eripuit  torrem,  sparsitque  liquentibus  undis. 

lUe  diu  Tuerat  penetraUbus  abditus  imis, 

Servatusque  tuos,  juvenis,  servavcrat  annos. 

Protulit  hunc  genitrix,  taedasque  in  fragmina  poni  4G0 

Impcrat,  el  positis  inimicos  admovet  igncs. 

Tum  conata  quater  flammis  imponere  ramum, 

Ccepta  quater  tenuit.  Pugnant  materquc  sororque, 

In  diversa  trahunt  unum  duo  nomina  pcctus. 

Ssepe  metu  scelcris  pallebant  ora  futuri;  405 

Ssepc  suum  fervcns  oculis  dabat  ira  ruborem; 

Et  raodo  nescio  quid  simiUs  crudele  minanli 

Vultus  erat ;  modo  quem  misereri  crederc  posses. 

Quumque  ferus  lacrymas  animi  siccaverat  ardor, 

.nveniebantur  lacrymaj  tamen;  utque  carina,  470 

Quam  ventus,  ventoque  rapit  conlrarius  aestus, 

Vim  geminam  sentil,  paretqae  incerta  duobus; 

Thestias  haud  aliter  dubiis  affectibus  crral, 

nque  vicem  ponit,  positamque  resuscilal  iram. 


LIVRE  VIII.  307 

Tessor.  Enfin  la  soeur  commence  a  triompher  de  la  m^re.  Elleveut 
par  son  propre  sang  apaiser  les  manes  de  ses  fr^res.  Trop  d'a- 
mour  maternel  la  rend  barbare ;  et,  d^s  que  le  feu  vengeur  a  pris 
assez  de  force  :  «  Que  ce  biicher,  dit-elie,  d^vore  mes  entrailles.  t 
Et,  tenant  le  tison  fatal  dans  ses  cruelles  mains,  Tinfortunee  se 
place  devant  Tautel  funeraire,  et  s^ecrie  : 

•  Deesses  des  supplices,  triples  Eum^nides,  jetez  un  regard 
sur  ce  sacrifice  commande  par  vos  fureurs.  Je  punis  et  je  com- 
mets  un  crime.  La  mort  va  expier  la  mort.  Je  dois  ajouter  un 
forfait  a  un  forfait,  des  funerailles  a  des  funerailles.  Que  ma 
famille  perisse  a  travers  mille  desastres!  Eh  quoi!  Theureux 
(Enee  jouira  de  la  victoire  de  son  fils!  et  Thestius  n'aura  plus 
d'enfants!  Ah!  plutdt  soyez  tous  les  deux  condamnes  aux  larmes! 
Ombres  de  mes  freres  descendus  naguere  dans  le  sejour  des 
morts,  soyez  sensibies  a  ma  tendresse!  Agreez  cette  victime 
qui  me  coiite  bien  cher ;  c'est  le  triste  gage  de  ma  fecondite. 
HeJasI  ou  me  laisse-je  egarer?  0  mes  freres!  pardonnez  a  une 
mere  l  Ma  mam  recule  pour  executer  mon  dessein.  Meleagre  a 
merite  la  mort,  je  Tavoue ;  mais  je  blame  celle  qui  s'appr6te  a  la 
lui  donner.  Eh  quoi !  son  crime  resterait  impuni?  il  vivrait?  Vain- 

Incipit  esse  tamen  melior  germana  parente ;  473 

Et,  consanguineas  ut  sanguine  lcniat  umbras, 

Impietate  pia  est.  Nam  postquam  pestifer  ignis 

Convaluit :  «  Rogus  iste  cremet  mea  viscera,  »  diiit. 

Utque  roanu  dira  iignum  falale  lenebat, 

Ante  sepulcrales  infelix  adstitit  aras  ;  480 

«  PcEnarumque  deae  triplices,  furialibus,  inquit, 
Eumenides,  sacris  vultus  advertite  vestros. 
Ulciscor,  facioque  nefas.  Mors  morte  pianda  est. 
In  scelus  addcndum  scelus  est,  in  funera  funus. 
Per  coacervatos  pcreat  domus  impia  lucUis.  4£5 

An  feiix  (Eneus  nalo  victore  fruetur? 
Thestius  orbus  erit?  melius  lugebitis  ambo. 
Vos  modo  fraterni  manes,  animseque  recentes, 
Oflicium  sentite  meum,  raagnoque  paratas 
Accipite  inferias,  uteri  mala  pignora  nostri.  490 

Hei  mihi!  quo  rapior?  fratres,  ignoscite  matri. 
Deficiunt  ad  ccepta  manus.  Meruisse  fatemur 
lllum,  cur  pereat :  mortis  mihi  displicet  auctor. 
Ergo  impune  feret?  vivusque,  et  victor,  et  ipso 


m  MilTAMORPHOSES. 

queur  et  fler  de  son  Iriomphe,  il  regnerait  dans  Galydon?  Et  vous, 
vous  ne  seriez  qu'une  vile  poussiere  et  de  froides  ombres?  Non,  je 
ne  le  soufrrirai  point  J  Perisse  le  barbare !  Qu'il  entraine  dans  sa 
ruine  les  esp^rances  de  son  p6re,  son  royaume  et  sa  patrie !  Mais 
qu*est  devenu  mon  coeur  de  mere?  qu  est  devenu  le  crisacr^du 
sang?  que  sont  devenues  les  douleurs  que  j'ai  endur^es  pendant 
dix  mois?  Ah !  plut  au  ciel  que  la  flamme  allumee  parlesParques 
Vedt  devor^  au  berceau!  Pourquoi  m'y  suis-je  oppc::6e?  Sauv^  par 
mon  bienfait,  tu  p^nras  pour  ton  crime.  Re^ois  ta  rScompense,  et 
rends-moi  une  vie  que  je  t'ai  donnee  deux  fois,  en  te  mettant  au 
monde  et  en  derobant  au  feu  le  falal  tison,  ou  bien  ajoute  ma  d^ 
pouille  a  celle  de  mes  freres !  Je  veux  et  je  ne  puis.  Quel  parti  pren- 
dre  ?  Tant6l  je  vois  les  blessures  de  mes  freres  et  la  cruelle  image 
de  leur  mort ;  tant6t  la  tendresse  et  le  nom  de  m^re  Temportent 
dans  mon  coeur.  Je  suis  bien  malheureuse !  Vous  triompherez  par 
un  crime,  6  mes  freres !  Triomphez,  pourvu  que  je  vous  suive, 
vous  et  la  victime  immolee  pour  consoler  vos  mAncs !  »  A  ces 
mots,  detournant  les  yeux,  d'une  main  tremblante  elle  jette  dans 
les  flammes  le  fun^bre  tison.  II  poussa  ou  parut  pousser  des  g6- 
missements,  et  le  feu  sembla  le  consumer  a  regret. 

Successu  tumidus  regnum  Calydonis  habebit?  495 

Vos  cinis  cxiguus  gelidaeque  jacebitis  umbrse? 

Haud  equidcm  patiar.  Pereat  sceleratus,  et  ille 

Spemque  patris,  regnique  trahat,  patrixque  ruinam. 

Mens  ubi  materna  est?  ubi  nunc  pia  vota  parentum? 

Et,  quos  sustinui,  bis  mensum  quinque  laborcs?  800 

0  utinam  primis  arsisses  ignibus  infans! 

Idque  ego  passa  forem !  Vixisti  munere  nostro ; 

Nunc  merito  moriere  tuo.  Cape  prxmia  facti, 

Bisque  datam,  primum  partu,  mox  stipite  rapto, 

Beddc  aniroam,  vel  me  fraternis  adde  sepulcris.  503 

^t  cupio,  et  ncqueo.  Quid  agam?  Modo  vulnera  fratnim 

Ante  oculos  mihi  sunt,  et  tanla.^  ciedis  imago ; 

Nunc  animum  pietas  maternaquc  nomina  frangunt. 

Me  miseram !  male  vincetis ;  sed  vincite,  fratres, 

Dummodo,  qu»  dedero  vobis  solatia,  vosque  510 

Ipsa  sequar.  »  Dixit,  dextraque  aversa  trementi 

Funereum  torrcm  medios  conjecit  in  ignes, 

Aut  dcdit,  aut  visus  gem\lu%  csV"\\\e  Aft^\s^ 

Slipes,  ct  invitis  correplvia  aib  \^\\i>x%  w^W. 


LIVRE  VIII.  509 

Meleagre  etait  ubsent,  et  ii  ne  savait  pas  que  ce  feu  le  devorait. 
Tout  a  coup  ii  sent  ses  enlrailles  embrasees  d'une  ardeur  se- 
cr^te ;  mais  son  courage surmonte les  plus  vives  douleurs.  II  saf* 
flige  seulement  de  perir  comme  un  liche,  sans  repandre  son 
sang,  et  ii  envie  les  blessures  morteiies  d'Ancee.  D'une  voix  plain- 
live  11  appelle  son  vieux  pere,  son  frere,  ses  soeurs,  celle  qui  dut 
6lre  son  epouse,  et  peut-Stre  aussi  sa  mere.  Sa  souffrance  s'ac- 
croitavec  )a  flamme.  Bientdt  toutes  deux  s^affaiblissent,  s'eleignent 
ensemble,  et  peu  a  peu  la  vie  du  heros  s'exhale  dans  les  airs.  La 
fiere  Gaiydon  est  dans  le  deuil.  Les  jeunes  gens  et  les  vieillards 
fondent  en  larmes,  le  peuple  et  les  grands  gemissent.  Les  che- 
veux  epars,  les  femmes  qui  habitent  les  bords  de  Tfivenus  se  li- 
vrent  au  desespoir.  (Enee  souille  dans  la  poussiere  ses  cheveux 
blancs  et  son  front  venerable ;  il  maudit  une  trop  longue  vie,  et 
Althee,  coupable  d'un  si  cruel  attentat,  se  punit  ellem^me  en 
se  pergant  d'un  fer  meurtrier. 

Non,  quand  le  ciel  m'aurait  donne  ceiit  bouches,  cent  voix, 
un  vaste  genie  et  tous  les  tresors  de  rUelicon,  je  ne  saurais  re- 
dire  les  plaintes  des  malheureuses  SGeurs  de  Meleagre.  Oubliant 


Inscius  atquc  abscns  flanima  Mcleagros  in  illa  5i5 

Uritur,  et  coicis  torreri  viscera  seiitit 
Ignibus;  at  magnos  supcrat  virtule  dolorcs. 
Quod  tanien  ignavo  cadat,  ct  siuc  sanguinc,  lclho, 
Moeret,  ct  Anca?i  felicia  vulnera  dicit; 
Grandxvumque  patrem,  fratremque,  piasque  sororcs        5i0 
Cum  gemitu,  sociamque  tori  vocat  orc  suprcmo, 
Forsitan  et  matrem.  Crescunt  igcisque  dolorque, 
Languescuntque  itcnini.  Simul  est  exstinctus  ulcrque, 
Inque  leves  abiit  paulatim  spiritus  auras. 
Alta  jacet  Calydon;  lugent  juvenesquc  senesquc,  525 

Yulgusquc  proccTcsquc  gemunt;  scissxque  capillos 
Planguntur  niatrcs  caydonides  Eveninae. 
Pulvere  canitiem  genitor,  vullusque  senilcs 
Focdat  huiiii  fusus,  spatiosumque  incrrpat  ajvum. 
^am  de  matre  manus,  diri  sibi  conscia  facti,  530 

Exegit  pccnas,  acto  per  viscera  fcrro. 

Non  mihi  si  ccnlum  deus  ora  sonanlia  liiiguis, 
Ingcniumque  capax,  totumque  Helicona  dcdUsctl, 
TrJstJa  persequcrer  jniscrarum  dicla  sororwm. 


I 


1 


.ilO  ifiTAXlOiUMIOSES. 

leur  beaule»  eWe§  m  fafiurtris&aienl  le  sein.  Taul  que  k  corps  d< 
leur  Trere  conservc  sa  rornie,  elles  lui  prndigueriL  les  plu!?  tendres 
caresses,  et  couvrenl  de  baisers  sa  {iepouille  et  Tasile  ou  il  repose. 
PuiSt  quand  le  feu  Ta  calciiie,  elles  pre^sent  ses  cendres  sur  jei 
poitnne,  se  proslernent  sur  sa  tombc,  y  inscrivenl  son  nom,  ler; 
brassent  et  rarrosent  de  larnies.  La  rillc  de  Latone,  d^^aniiee  en* 
Kn  par  rinfortune  de  h  familie  de  Partbaon»  les  revfet  toutes  de 
plumcs,  excepte  Gorge  et  la  hvu  de  h  celebre  Alcmene,  change 
leurs  bras  eji  ailes,  leur  donne  vni  bec  de  corne^  et,  apres  celle 
tamorphose,  les  lance  dans  les  airs. 

V»  Cependant  Theisee,  affranchi  dn  peril  qnll  avait  partage,  sel 
dirigeait  vers  )a  ville  d'£rechthee  consacree  a  Mincrve.  I/Achelous,  | 
grossi  par  les  orages,  lui  oppose  une  barriere  el  retarde  sa  mar- 
che.  m  Enlre  dans  mon  paiais,  lui  dit-i)^  noble  descendant  de  Ce- 
crops,  et  ne  va  pas  1e  confier  a  mes  ondes  furieuses,  Elles  rouleni 
a^ec  un  epouvanlabte  fraeas  des  arbres  enomiei^  et  des  rochers 
qui  s*oppo3ent  k  mon  passage.  J'ai  vu  les  etabtes  qui  bordaient 

Immemores  decoris  liventia  pectora  tundunt;  535 

Duroque  manet  corpus,  corpus  refoventque,  foventque; 

Oscula  dant  ipsi,  posito  dant  oscula  lecto. 

Posl  cinerem,  cineres  haustos  ad  pectora  pressant, 

ACTusseque  jacent  tumulo,  signataque  saxa 

Nominc  complcxse,  lacrymas  in  nomine  fundunl. 

Quas  parlliaonio}  tandem  Letoia  clade 

Exsatiata  domus,  pra;ter  Gorgenque,  nurumque 

Nobilis  Alcmenx,  nalis  in  corpore  pennis 

AUevat,  et  longas  per  brachia  porrigit  alas, 

Corneaque  ora  facit,  versasque  per  aera  mittit.  5i8 

llf  INSDLAS   ECIIINADES  NAIADES  VI  TANTUft. 

Y.    Interea  Theseus  sociati  parle  laboris 
PuuctuSi  erechtheas  TritOuidos  ibat  ad  arces. 
Clausit  iter,  fecitque  moras  Achelous  eunti, 
Imbre  tumens :  «  Succede  meis,  ait,  inclyte,  tectis, 
(/ecropida,  ncc  te  commilte  rapacibus  undis.  55d 

Ferre  irabes  solidas,  obliquaquc  volvere  magno 
Murmure  saxa  solcnt.  Vidi  contermina  rip9c 


LIYRE  VIII.  511 

mes  riyes  empoitees avecles troupeaux,  et les  boeufs  ne  trouvaient 
pas  plus  de  secours  dans  leurs  forces  *que  les  chevaux  dans  leur 
agiiit^>  Accrus  par  les  neiges  qui  fondent  des  montagnes,  mes 
flots  <mt  aussi  englouti  dans  leurs  tourbillons  une  foule  de  jeunes 
g^s.  II  estprudent  d'attendre  que,  rentres  dans  leur  lit,  ils  aient 
repris leur  cours  ordinaire.  —  Oui,  repond le fils dfigee,  Achelous, 
j^userai  de  ton  hospitalite  et  de  tes  conseils.  »  Et  il  les  accepte 
tous  deux.  II  entre  dans  le  palais  du  fleuve,  construit  de  pierres 
ponces  et  de  rocailles.  Une  tendre  mousse  en  tapisse  le  parvis  Im- 
mide.  Des  coquilles  et  du  murex,  altemativement  places,  en  de- 
corent  le  faite. 

D6ja  le  Soleil  avait  parcouru  les  deux  tiers  de  sa  course.  Thesee 
et  les  compagnons  de  ses  travaux  se  mettent  a  table.  D'un  cdt^ 
c'est  le  fils  d'Ixion ;  de  Tautre  le  heros  de  Trezene,  Mex,  dont 
la  tMe  commence  a  blanchir.  Autour  d'eux  siegent  ceux  qui  ont 
paru  dignes  du  m^me  honneur  au  fleuve  d'Acamanie,  heureux  de 
recevoiruntelhdte.  D'abord  desNymphes,  les  pieds  nus,  servent 
les  mets,  les  enlevent,  et  versent  ensuite  du  vin  dans  des  coupes 
omees  de  pierres  precieuses.  Alors  Thesee,  contemplant  la  mer 
qui  s'etend  sous  ses  yeux,  lui  demande  quelle  est  cetteile.  Et  il  la 

Cuin  gregibus  stabula  alla  trabi;  iicc  fortibus  illic 

Profuit  armeutis,  ncc  equis  velocibus  essc. 

Multa  (juoquo  hic  torrcus,  uivibus  de  monte  solulis,       555 

Corpora  turbineo  juvenilia  vorlice  mersit. 

tutior  est  requies,  solilo  dum  flumina  curraiit 

Limite,  dum  tenucs  capiat  suus  alveus  undas.  » 

Annuit  ^ides  :  «  Utarque,  Acheloe,  domoquc, 

Consilioque  tuo,  »  respondit,  et  usus  utroque  esl.  5G0 

Pumice  multicato,  nec  laivibus  alria  tofis 

Structa  subit.  Molli  tellus  crat  humida  muscd; 

Summa  lacunabant  alterno  murice  conchx. 

Jamque  duas  lucis  partes  Hypcrione  menso, 
biscubuere  toris  Theseus  comilesque  labOrum  :  566 

Uac  Ixionides,  illa  troezenius  heros 
Parte  Lelex,  raris  jflm  sparsus  tempora  canis; 
Quosque  alios  parili  fuerat  dignatus  honore 
Amnis  Acaruanum,  Ixtissimus  hospite  tanto. 
Protinus  appositas  nudie  vestigia  Nymphai  570 

lustruxere  epulis  mensas ;  dapibusque  remolis. 
Ih  gcmma  posuerc  merum,  Tutn  ma\imus  Uotds, 
Etjuora  prospJcJeas  oculis  lubjecU  ;  «  Quw,  in<vi\\, 


312  M£TAMORPUOS£S. 

montre  du  doigt.  «  Quel  cst  sonnom?  dit-il;  apprends-le-moi :  il 
me  semble  quil y  en  a  plrfsieurs. »  Le  Fieuve  lui  repond  :  «  Non, 
ce  n*est  pas  une  seule  ile  que  nous  voyons.  II  y  en  a  cinq ;  la  dis- 
tance  nous  derobe  IMntervalie  qui  les  separe.  Ecoute,  et  tu  seras 
moins  surpris  de  la  vengeance  de  Diane.  Ces  iles  etaient  des 
Naiades.  Un  jour,  apres  avoir  immole  dix  taureaux  et  invite  a  leur 
f&te  les  dieux  de  la  campagne,  elles  se  livrerent,  sans  moi,  au 
plaisir  de  la  danse.  Je  grossis  mes  ondes ;  elles  se  souleverent  a 
une  hauteur  demesuree.  Emporte  par  ia  fureur  qui  bouleversait 
mon  4me  et  mes  flots,  je  detachai  violemment  for^s  et  siilons; 
j  entrainai  dans  rOcean,  avec  la  demeure  des  Nymphes,  les  Nym- 
phes  elles-mtoes,  qui  alors  se  souvinrent  de  moi.  Confondues  avec 
la  mer,  mes  eaux  diviserent  le  terrain,  et  le  partag^rent  en  au- 
tant  de  parties  que  tu  vois  d'iles  s'elever  au  milieu  des  flols.  On 
es  a  nommees  £chinades. 

c  Celle  que  tu  aper^ois,  et  qui  s'est  retiree  seule  loin  des  autres, 
m'est  chere.  Les  navigateurs  la  nomment  Periraele.  Cetait  une 
vierge.  Je  Taimais  et  j^obtins  ses  faveurs.  Son  pere  Hippodamas, 
indigne  de  nos  amours,  la  precipita  du  Iiaut  d'un  roclicr  au  fond 
des  abimes.  Elle  etait  pres  de  perir.  Je  la  recueillis,  ct,  rouipor- 

lllo  locus?  »  (Ji^iloquc  Oblciidil,  cl,  «  iii:>ula  iioiiioii 

Uuod  gcral  illa,  docc,  quanquaru  iiou  uua  vidclur.  »         liT6 

Ainnis  ad  1)U!C :  «  Nou  esl,  inquil,  quod  cerninius,  uuuiu. 

(Juinque  jaccnt  lcrra:  :  spaliuin  discrimina  fallit. 

Quoquc  miuus  i^prcla)  faclum  inircrc  Dianaj, 

Ndidcs  haj  fucrant.  Quaj  quum  bis  quinquc  juvcncos 

Maclasscnt,  rurisquc  dcos  ad  sacra  vocasscnt,  580 

Immcmorcs  nostri  fcstas  duxcrc  choreas. 

Intumui,  quanlusquc  fcror,  quum  plurimus,  unquam, 

Tantus  cram,  pariterquc  animis  immanis  ct  undis, 

A  silvis  silvas,  et  ab  arvis  arva  revclli;       , 

Cumquc  loco  Nymphas,  memorcs  lum  deniquc  noslri,      585 

In  frcla  provolvi.  Fluclus  nosterque  marisque 

Continuam  diduxit  humum,  parlcsquc  rcsolvit 

In  tolidem,  mediis  quot  ccrnis  Echinadas  undis. 

«  Ut  tamcn  ipse  vidcs,  procul,  cn  procul  una  rcccssit 
Insula  grata  mihi  :  Pcrimelcn  navila  dicit.  5U0 

Uuic  ego  virgineum  dilcclac  nomen  adcmi. 
Quod  paler  Uippodamas  aigrc  tulit,  inque  profundum 
Propulit  e  scojmlo  pcrilurrc  corpora  nala;. 


LIYRE  VIII.  313 

tant  tandis  qu  elle  floUait  sur  mes  ondes :  «  0  toi,  in'ecriai-je, 
c  dont  Tempire  ne  le  cede  qu'^  celui  des  cieux^  toi  qui  r^gnes  sur 
c  les  vastes  mers,  dieu  du  trident,  toi  chez  qui  va  finir  roon  cours 
c  et  auquel  nous  allons  tous  apporter  le  tribut  de  nos  eaux,  Nep- 
c  tune,  sois-moi  propice  et  pr6te  Foreille  a  mes  pri^res.  J'ai  fait 
c  le  malheur  de  celle  que  je  tiens  dans  mes  bras.  Si  riiumanit^  et 
«  la  justice  avaient  eu  quelque  pouvoir  sur  le  coeur  de  son  pere, 
c  s*ii  avait  ete  moins  cruel,  il  eut  eu  pitie  d'elle,  il  ra'et!^t  par- 
c  donne  a  moi-meme.  Trotege-la,  je  t'en  coryure.  Accorde  une 
c  place  a  une  fille  jelee  dans  les  flots  par  un  p^re  barbare,  ou 
c  laisse-Ia  se  changer  en  une  ile  que  je  puisse  erabrasser  de  raes 
c  eaux.  •  Le  dieu  des  mers  inclina  sa  t^te,  et  d'un  signe  ebranla  son 
humide  empire.  La  Nymphe  fremit.  Elie  nageait  pourtant,  et  je 
pressais  son  sein  palpitant.  Au  milieu  de  ses  caresses,  je  sentis 
son  corps  se  durcir  et  sa  poitrine  disparailre  sous  une  couche  de 
terre.  Je  parlais  encore,  et  deja  une  autre  couche  avait  couvert  ses 
membres.  La  Nyraphe  etait  raetamorphos^e  en  ile.  » 


Escepi,  iianlemque  fereus  :  «  0  proxima  coclo 

«  Itegiia  vagaj,  dixi,  sorlite,  Tridcntifer,  undx,  JJOS 

«  In  quo  desiuinuis,  quo  sacri  currinms  amnes, 

«  lluc  adcs,  aUiuc  audi  placidus,  Neplune,  prccaulcin. 

«  lluic  cgo,  quam  porlo,  nocui.  Si  niilis  et  a:quu.-, 

«  Si  patrr  Uippodanias,  aut  si  miuus  inipius  cssct, 

«  Dcbuil  illius  miscreri,  ignosccrc  nobis.  COO 

«  Affer  opcm,  mcrsaiquc,  precor,  ferilale  palcrua     • 

«  Da,  Neptune,  locum;  vel  sit  locus  ipsa  licobit, 

«  Uunc  quoque  complectar.  »  Movil  caput  xquorcus  rc:., 

Concussitque  suis  omnes  assensibus  undas. 

Exlimuit  Nympbe.  Nabal  lamen.  Ipsc  natanlis  GOo 

Peclora  langebam  trepido  salicntia  motu. 

Dumque  ca  contrecto,  tolum  duresccre  sensi 

Corpus,  ct  inducla  condi  prxcordia  terra. 

Dutn  loquor,  ample&a  esl  arlus  nova  (erra  nalaulos, 

Et  gravis  incrcvit  mutatis  iusula  racuibris.  »  610 


314  METAMORPIIOSES. 


PHILEHON  ET  BAUCIS. 


VI.  A  ces  mols,  le  Fleuve  se  tut.  Son  recit  merveilleux  avait  toiu 
tous  les  convives.  Mais  leur  cr^dulite  fut  lournee  en  ridicule  par 
le  fils  d'Ixion,  qui  joignait  au  mepris  des  dieux  un  esprit  d'inde- 
pendance.  «  Acheloiis,  dit-il,  tu  nous  debites  des  somettes,  et  tu 
attribues  aux  dieux  trop  de  pouvoir,  si  tu  crois  qu^ils  op^^t  de 
telles  m^tamorphoses.  »  Les  convives,  ^lonn^s,  condanment  ce 
langage  impie.  Le  sage  et  venerable  L^lex  prend  alors  la  parole : 
«  La  puissance  des  dieux,  dit-il,  est  immense  et  ne  connut  point 
de  bornes  :  toutes  leurs  volontes  s'accomplissent.  En  voici  la 
preuve.  Sur  les  coteaux  de  Phrygie,  dans  un  modeste  enclos, 
prte  d'un  tilleul  s'eleve  un  ch^ne.  J'ai  vu  moi-mftme  ce  lieu, 
lorsque  Pitthee  m'envoya  dans  le  pays  ou  regna  P^Iops  son  pere. 
Non  loin  etait  une  plaine  peuplee  d'habitants.  Ghangee  aujourdliui 
enmarais,  elle  n'est  plus  frequentee  que  par  les  foulques  et  les 
plongeons.  Jupiter  visita  ce  sejour  sous  les  traits  d'un  raortel. 
Mercure  Taccompagnait,  apres  avoir  depose  ses  ailes.  lls  se  pre- 
senterent  a  mille  portes  en  demandant  un  asile  et  du  repos. 


pniLEMON    ET   BAUCIS. 

Vi.    Ainiiis  ub  hh  tdcuit.  Fuctum  inirubile  cunctos 
Moverat.  liTidet  credcntes;  utque  deorum 
Sprelor  erat,  menlisque  ferox  Ixioue  natds : 
«  Ficla  refcrs,  nimiunique  pula^,  Acheloc,  polentes 
Esse  deos,  dixit,  si  dant  adimuntque  flgurus.  »  61li 

Obstupuere  omncs,  nee  talia  dicla  proburunt; 
Ante  omnesque  Lelex,  uninio  malurus  et  vavo, 
Sic  ait :  «  Imuiensa  est,  finemque  potentia  coeli 
Non  liabet,  et  quidquid  Superi  voluere,  peractuni  est. 
Quoquc  minus  dubites,  tiliae  contermina  quercus  61^0 

Collibus  est  phrygiis,  modico  circumdata  muro. 
Ipse  locum  vidi ;  nam  mc  pelopeia  Pittheus 
Misit  in  arva,  suo  quondam  regnata  parenti. 
Uaud  procul  hinc  stagnum,  tellus  habitubilis  olini^ 
Kunc  cclebrcs  mcrgis  fulicisquc  palusiribus  und;e.  C:?^ 

Jupiter  huc,  specic  mortali,  cumquc  parente 
Venit  Atlanliades  positis  caducifer  alis. 
Millo  domos  adiere,\ot\Mii  tfc<\\jL\%mcv^^  ^<5,\.twVii%\ 


LIVRB  VIII.  315 

Tootes  les  ^emeures,  hormis  une  seule,  leur  furent  fermto.  C^tait 
une  petite  cabane  eouverte  de  chaume  et  de  roseaux.  Cest  la  que, 
dans  leur  jeunesse,  s'dtaient  unis  la  tendre  Baucis  et  Phii^mon, 
tous  deux aujourdhui  blanchis  par  i'§ge.  Ils  y  avaient  vieilii en- 
semble.  Resignes  a  la  pauvrete,  ils  surent  en  all^er  le  poids  et 
lui  dter  son  amertume.  On  ne  voyait  cliez  eux  ni  maltres  ni  es- 
daves :  seuls  ils  composaient  toute  leur  famille.  Ghacun  executait 
les  (Nrdres*  qu'il  avait  donnes  lui-m^me. 

«  A  peine  ies  dieux  ont-ils  touche  ces  humbles  p^nates,  a  peine 
ont-ils  incline  leur  front  pour  passer  sous  la  porte,  que  le  vieiilard 
leur  offre,  pour  se  reposer,  un  siege  sur  lequel  Baucis  attentive 
j^te  un  tissu  grossier.  Ensuite  elle  ^carte  la  cendre  encore  chaude, 
ranime  le  feu  de  la  veille,  Talimente  de  feuiiles  et  d'ecorces,  et 
active  la  ilamme  de  son  souffle  haletant.  Elle  detache  du  toit  rus- 
(ique  des  rameaux  et  du  menu  bois  qu'elle  casse  et  qu'eUe  appro- 
che  d'une  petite  chaudiere.  Pms  elle  pr^pare  les  Idgumes  cueillis 
par  son  epoux  dans  le  jardin  qu'arrose  une  fontaine.  Phil^mon, 
avec  une  fourche  a  deux  pointes,  enleve  d'une  poutre  noircie  par 
la  fumee  une  pidce  de  lard  poudreuse  qu'ils  gardaient  depuis 

Mille  domos  clausere  serse.  Tamen  una  recepit, 

Parva  quidem,  slipulis  et  canna  tecta  palustri.  630 

Sed  pia  Baucis  auus,  parilique  xlate  Philemon 

lUa  sunt  annis  juncti  juvenilibus;  illa 

Consenuere  casa;  paupertatemque  fatendo 

Effecere  ievem,  nec  iniqua  mente  ferendam. 

Nec  refert,  dominos  illic,  famulosne  requiras;  63S 

Tota  domus  duo  sunt;  Idcm  parentque  jubentquc. 

'(  Ergo  ubi  coelicolas  parvos  teligore  penales, 
Submissoque  Iiumiles  intrarunt  verticc  postes, 
Membra  senex  posito  jussit  relevare  sediii, 
Quo  superinjecit  textum  rude  sedula  Baucis.  040 

Inde  foco  tepidum  cinerem  dimovit,  et  ignes 
Suscitat  hestcrnos ;  foliisque  et  cortice  sicco 
Nutrit,  ct  ad  flamnias  anima  producit  anili; 
Multifidasque  faces,  ramaliaque  arida  teclo 
Dctulit,  et  minuit,  parvoqne  admovit  aheno;  645 

Quodque  suus  conjux  riguo  coliegerat  horlo, 
Truncat  olus  foliis.  Furca  levat  ille  bicorni 
Sordida  terga  suis,  nigro  pendenlia  ligno; 
*  Servatoque  diu  rrsec^t  de  tergore  parlem 


316  METAMORPHOSES. 

longtemps.  U  en  coupe  une  tranche  et  la  fait  bouiUlr.  Cependant 
ils  s'efTorcenl  tous  deux  par  leurs  entretiens  d'abr6ger  les  mo- 
ments  de  Tattente  et  leS  ennuis  du  retard.  Ils  avaient  un  baquet 
de  Iietre  qu'un  clou  fixait  au  mur  par  son  anse.  Phil^nnon  le  rem- 
plit  d*eau  tiMeet  en  lave  les  pieds  des  voyageurs.  La  se  trouvait 
aussi  un  lit  dont  le  corps  et  les  pieds  etaient  en  saule,  et  eouyert 
d'une  natte  de  jonc.  Les  deux  epoux  etendent  sur  ce  meuble  un 
tapis  qu'i!s  ne  deployaient  qu'aux  jours  de  f6te,  quoiqu'ii  fAt 
vieux,  d^Iabr^  et  digne  en  tout  d'un  lit  aussi  simple. 

c  Les  dieux  prennent  place.  Baucis,  empressee  malgre  le  poids 
des  ans,  dresse  une  table  dont  elle  rajuste  avec  un  tesson  le  troi- 
si^mepied,  qui  etaitboiteux.  Apres  avoir  retabli  Tequilibre,  Baucis 
frotte  la  table  avec  de  la  menthe  fraiche.  Elle  sert  ensuite  dans  des 
vases  de  terre  des  olives  mtires,  des  cornouilles  d'automne  con- 
servees  dans  de  la  He  de  vin»  des  laitues,  des  raiforts,  du  lait 
caille  et  des  oeufs  cuils  sous  la  cendre.  Elle  apporte  une  cruche 
d'argile  ciselee,  et  des  tasses  de  h^tre  polies  avec  de  la  cire. 
Tous  deux,  sans  perdre  de  temps,  retirent  les  mets  du  feu,  et 


Exiguam,  scctamquc  domat  ferventibus  undis.  C50 

Interea  medias  fallunt  sermonibus  horas, 

Scntiriquc  moram  prohibent.  Erat  alvcus  iUic 

Fagineus,  curva  clavo  suspcnsus  ab  ansa. 

Is  tepidis  impletur  aquis,  artusquc  fovendos 

Accipit.  In  medio  torus  est  de  mollibus  ulvis  Cjo 

Impositus  lecto,  sponda  pedibusquc  salignis. 

Vestibus  hunc  velant,  quas  non  nisi  tempore  festo 

Sternere  consucrant;  sed  et  haec  vilisque  vetusque 

Vestis  erat,  lecto  non  indignanda  saligno. 

«  Accubuere  dei.  Mensam  succincta  tremensque  G(*U 

Ponit  anus.  Menss  sed  erat  pes  tertius  impar; 
Testa  parem  fccit.  Qu3b  postquam  subdita  clivum 
Sustulit,  aequatam  mcnthae  tersere  virentes. 
Ponitur  hic  bicolor  sincerae  bacca  Mincrvae, 
Conditaque  in  liquida  corna  autumnalia  facce,  CCa 

Intubaque,  ct  radix,  et  lactis  massa  coacti, 
Ovaque,  non  acri  leviter  versata  favilla. 
Omnia  lictilibus.  Post  haec  coilatus  eadem 
Sistitur  argilla  crater,  fabricata(|ue  fago 
Pocula,  qua  cava  sunl,  flavenVWiVLs  \\\\U  to.u%.  (ilO 

Parva  mora  cst,  epu^asque  toci  Tn\\?.oT«i  c;i\fTvv«t%\ 


UVRE  VIll.  517 

pr^entent  un  vin  qui  compte  peu  d*anndes.  Apr6s  un  leger  in- 
tervalle  arrive  le  dessert,  compose  de  noix,  de  figues,  de  dattos, 
de  prunes,  de  pommes  qui  parfument  de  grands  paniers,  et  de 
raisins  cueiUis  sur  leurs  tiges  vermeilles.  Au  milieu  brille  un  blanc 
rayon  de  miel.  Mais  rien  n'^ale  la  bonne  grdce,  les  attentions  ct 
les  petits  soins  des  vieux  epoux. 

«  Gependant  la  cruche,  plusieurs  fois  tarie,  se  remplit  d  elle- 
rndme,  etlevin  neperd  rien  de  son  abondance.  A  ce  spectacle  nou- 
veau,  ^tonn^set  les  mains  levees  au  ciel  quUIs  implorent,  Baucis  et 
le  timide  Philemon  demandent  gracepour  leur  repassans  appr^t. 
Gardienne  de  la  cabane,  une  oie  restait  seule.  Ils  allaient  Timmo- 
ler  a  leurs  celestes  h6tes.  Mais,  fuyant  d'une  aile  rapide,  elle  fa- 
tigue  leurs  pas  tardifs  et  leur  echappe  longtemps.  Enfin  elle  sem- 
ble  chercher  un  asile  aupres  des  Immortels,  qui  defendent  de  la 
tuer.  «  Nous  sommes  des  dieux,  disent-ils ;  vos  voisins  vont  rece- 
«  voir  ta  juste  peine  de  leur  mipiete.  Seuls  vous  serez  a  Tabri  de 
«  notre  vengeance.  Quittez  cette  demeure,  ct  suivez-nous  sur  le 
«  haut  de  la  montagne.  »  Ils  ob^issent,  et,  appuyes  sur  leui^  bi- 

Nec  longiD  rursus  referuntur  vina  scncclae; 

Dantque  locum  mensis  paulum  seducta  secundis. 

Hic  nux,  liic  mixta  est  rugosis  carica  palmis, 

Prunaque,  et  in  palulis  redolentia  mala  canislris,  075 

Et  de  purpureis  coUccUb  vitibus  uva?. 

Candidusln  medio  favus  est.  Super  omnia  vultus 

Accessere  boni,  ncc  incrs  paupcrque  voluntas. 

<  Intcrea,  quoties  haustum  cratera  repleri 
Spontc  sua,  per  seque  vidcnt  succrescere  vina.  080 

Attoniti  novitate  pavent,  manibusquc  supinis 
Concipiunt  Baucisque  preces,  timidusque  rhilpr.ina 
Et  veniam  dapibus,  nullisque  paralibus  orant. 
Unicus  anser  erat,  minimie  cnstodia  villa>, 
Quem  dis  hospitibus  domini  mactarc  parabanl.  (».<>.'» 

llle  celcr  pcnna  tardos  ajtate  faligat, 
Kludilque  diu ;  tandemquc  cst  visus  ad  ipsos 
r.onfugissc  dcos.  Superi  vetuerc  nccari : 
«  Dique  sumus,  mcritasque  luct  vicinia  po^n.ns 
«  Impia,  diierunt.  Vobis  imrounibus  hujus  (100 

«  Esse  mali  dabilur.  Modo  vestra  rclinquilc  tccla, 
«  Ac  nos^tros  comilale  gradus,  cl  in  ardua  montis 
•  Hp  s)mn\.  n  Parenl  ambo,  bacuVisquc  \ovaV\ 


318  5IETAH0RPH0SES. 

lons,  ils  gravissenl  avec  effort  In  c6te  voisine.  D^ja  ils  n'etaient 
plus  eloignes  du  sommet  qu'a  une  portee  de  fl^che.  fls  se  retour- 
nent  et  voient  toule  la  plaine  ensevelie  sous  les  eaux.  Leur  ca- 
bane  seule  en  a  ete  preservee.  Tandis  qu^ils  sont  surpris  de  ce  pro- 
dige  et  deplorent  lc  sort  de  leurs  voisins,  tout  a  coup  ieur  pauvre 
cabane,  naguere  trop  etroite  pour  deux  maitres,  est  diangee  en 
temple.  Les  vieux  troncs  qui  lui  servaient  de  piliers  font  place  a  des 
colonnes ;  le  chaume  jaunit  et  le  toit  parait  d'or ;  les  porles  se 
chargent  de  ciselures,  et  le  sol  est  pave  de  marbre.  Au  mdme  in- 
stant  le  fils  de  Saturne  fait  entendre  ces  bienveillantes  paroles : 

«  Dis-moi,  sage  vieillard,  ettoi,  sa  vertueuse  epouse,  quelssont 
«  vos  desirs.  »  Apres  s'6lre  entendu  un  instant  avec  Baucis,  Piii- 
16mon  fait  connaitre  aux  dieux  le  voeu  qu'ils  ont  forme  :  c  Nous 
«  voudrions  6tre  vos  ministres  pour  veiller  sur  ce  temple;  et, 
c  comme  notre  vie  s'est  ecoulee  au  sein  de  la  concorde,  puisse  la 
«  mfime  heure  y  mettre  fin !  puisse-je  ne  point  voir  le  bucher  de 
c  mon  epouse !  puiss6-je  aussi  ne  pas  ^tre  depose  par  elle  dans  la 
«  tombe!  »  L'evenement  repondit  a  leurs  souhaits  :  ils  furenl 
preposes  a  la  garde  du  lemple  tout  le  reste  de  leur  vie.  Un  jour, 
lorsqu'iIs  se  sentaient  decrepits,  debout  sur  les  marches  sacrees, 

Nitunlur  longo  vesligia  ponere  clivo. 

Tantum  abcrant  summo,  quaulum  semel  ire  sagilta  695 

Mibsa  potest;  flexere  oculos,  et  mersa  paluile 

Caitera  prospiciunt,  tantum  sua  (ecta  manere. 

Dumque  ea  mirantur,  dum  deflent  fata  suorum, 

lUa  vetus,  dominis  etiam  casa  parva  duobus, 

Vertilur  in  templum.  Furcas  subiere  columna;,  700 

Stramina  flavescunt,  aurataque  tecla  videntur, 

Cselatxque  fores,  adoperlaque  raarmore  tellus, 

Talia  quum  placido  Saturnius  cdidit  ore  : 

«  Dicite,  juste  senex,  et  femina  conjuge  juslo 
K  Digna,  quid  optctis.  »  Cum  Daucide  pauca  loculus,        705 
Judicium  Superis  apcrit  commune  Philemon  : 
«  Esse  sacerdotes,  dclubraque  vestra  tucri 
«  Poscimus;  et  quoniam  concordes  egimus  annos, 
«  Auferat  hora  duos  cadem,  nec  conjugis  unquam 
«  Dusta  mesc  videam;  neu  sim  tumulmdus  ab  illa.  »        710 
Vota  fides  sequitur.  Templi  tutela  fuere, 
Donoc  vita  data  est.  Annis  aevoque  soluli 
Anle  gradiis  saxjros  quum  slatexvV.  IotV.^,  \oe\^\>xft 


LIVRE  YIII.  319 

ils  racontaient  les  prodiges  arrives  en  ces  lieux.  Soudain  Philemon 
et  Baucis  se  virent  couverts  d'un  vert  feuillage.  Leurs  fronts  glaces 
firent  place  a  une  cime  qui  grandit  rapidement.  Mais,  tant  qu'ils  le 
purent,  ils  echangerent  leurs  pensees.  «  Adieu,  mon  ^poux!  — 
«  Adieu  mon  epouse !  »  dirent-ils  a  la  fois.  Et,  au  m6me  inslant, 
leurs  bouches  disparurent  sous  Tecorce.  Le  patre  de  Phrygie  mon- 
tre  encore  les  deux  arbres  nes  du  couple  venerable.  Ce  prodige 
m'a  ete  raconte  par  de  veridiques  vieillards  qui  n'avaient  aucun 
inter^t  a  tromper.  J'ai  vu  de  mes  yeux  des  guirlandes  suspendues 
a  leurs  branches ;  j'en  ai  moi-m^me  attache  de  nouvelles,  et  j'ai 
dit :  «  L'homme  pieux  est  cheri  des  Immortels,  et  quiconque  les 
«  honore  est  honore  a  son  tour.  » 

PROTl^E  ET  MESTRA.   —   IMPI^T^  D^ERISIGQTHON  ET   SON   CHAnMENT. 

YII.  Tel  fut  le  recit  de  Lelex.  Cette  aventure  et  rautorite  du 
narraleur  persuadent  les  convives  et  surtout  Thesee.  11  se  montre 
avide  d'apprendre  les  merveilles  des  dieux.  Lc  Fleuve  qui  baigne 
Calydon,  s'appuyant  sur  son  coude,  s'exprime  ainsi :  « Magnanime 
heros,  il  est  des  corps  qui  prennent  une  seule  fois  une  forme  nou- 
veUe  et  la  gardent  toujours;  d'autres  ont  le  privilege  de  subir 

Inciperent  casus,  frondere  Philemona  Baucis, 

Baucida  conspexit  senior  frondere  Philcmon.  713 

Jamque  super  gelidos  crescente  cacumine  vultus, 

Hulua,  dum  licuit,  reddebant  dicta  :  «  Yaleque, 

«  0  conjux,  »  dixere  simul,  simul  abdita  texit 

Ora  fnilex.  Ostendit  adhuc  Tyaneius  illic 

Incola  de  gemino  vicinos  corpore  truncos.  720 

Hsec  mihi  non  vani,  neque  erat  cur  fallere  vellent, 

Narravere  senes.  Equidem  pendentia  vidi 

Serla  super  ramos ;  ponensque  recentia,  dixi : 

«  Cura  pii  dis  sunt;  et,  qui  coluere,  coluntur.  »      -^" 

PROTEUS  ET  MESTRA.    —  ERISICHTHONIS  IIIPIETAS  ET  P(ENA. 

VII.    Desierat,  cunctosque  et  res  et  moverat  auctor,  725 

Thesea  praecipue.  Quem  facta  audire  volentem 
I        Mira  dedm,  nixus  cubito,  calydonius  amnis 

Talibus  alloquilur :  «  Sunt,  o  fortissime,  quorum 

Forma  semel  mota  esl,  et  in  hoc  renovamine  mansit; 

Sunt,  qulhus  ia  plures  jus  est  tran&ire  &gttm,  'VlJ^ 


320  MfeTAMORPlIOSES. 

plusieurs  metamorphoses.  Tu  le  possedes,  toi,  Prolee.  habitant 
des  flots  qui  embrassent  toute  la  lerre.  On  fa  vu  tour  a  tour 
jeune  homme,  hon,  sanglier  furieux,  serpent  redoutable,  taureau 
menaoant.  Souvent  tu  deviens  arbre  ou  rocher ;  quelquefois  tu  te 
dianges  en  fleuve,  et  quelquefois  en  flamme  ennemie  de  I'onde. 

«  L'epouse  d'Autolycus,  fille  d'£risichlhon,  jouit  de  la  m6me 
faveur.  Son  pere  meprisait  les  dieux  et  ne  fit  jamais  fumer  Ten- 
cens  sur  leurs  aulels.  On  dit  mSme  qu'arme  de  la  hache  il 
profana  une  for^t  consacree  a  Ceres,  et  porta  le  fer  sur  un  des 
arbres  que  la  religion  avait  depuis  longtemps  consacres.  La  s'6le- 
vait  un  grand  ch^ne  seculaire  qui  seul  eut  forme  tout  un  bois. 
Son  tronc  etait  par6  de  bandelettes,  de  souvenirs  et  de  guirlandes, 
monuments  de  vceux  exauces.  Souvent  les  Dryades  se  livraient 
a  de  joyeuses  danses  sous  son  vaste  ombrage ;  souvent,  entrela- 
pnt  leurs  mains,  elles  se  rangeaient  autour  du  tronc,  qui  avait 
quinze  brassees  de  contour.  U  dominait  les  autres  arbres,  autant 
qu'ils  s^elevaient  eux-m6mes  au  dessus  du  gazon.  Neanmoins  le 
fils  de  Triopas  ne  le  respecte  point.  II  ordonne  a  ses  esclaves  d'a- 

Ut  tibi,  complexi  terram  maris  incola,  Proteu. 

Nam  modo  te  juvenem,  modo  tc  videre  leonem; 

Nunc  violenlus  aper,  nunc,  quem  tetigisse  timeient, 

Anguis  eras;  modo  te  faciebanl  cornua  taurum; 

Ssepe  lapis  poteras,  arbor  quoque  sacpe  videri.  735 

Interdum  faciem  liquidarum  imitatus  aquarum, 

Flumen  eras;  inlerdum  undis  contrarius  ignis. 

«  Nec  minus  Autolyci  conjux,  Erisichthone  nata, 
Juris  habet.  Pater  hujus  erat,  qui  numina  divftm 
Sperneret,  et  nullos  aris  adoleret  honores.  740 

lUe  etiam  cereale  nemus  violasse  securi 
Dicitur,  et  lucos  ferro  temerasse  vetustos. 
Stabat  in  his  ingens  annoso  robore  quercus, 
Una  nemus.  VittsB  mediam,  memoresque  tabellae, 
Sertaque  cingebant,  voti  argumenta  potentis.  745 

Saepe  sub  hac  Dryades  festas  duxere  choreas ; 
Saepe  etiam,  manibus  neiis  cx  ordinc,  trunci 
Circuiere  modum.  Mensuraquc  roboris  ulnas 
Quinquc  ter  implebat ;  nec  non  et  cactera  tanto 
Silva  sub  hac,  silva  quanto  jacet  herba  sub  omni.  750 

Kon  tamen  idcirco  ferrum  Triopeius  illa 
Abstiniiit,  famulos{\ue  jxibeV  swmAwe  wwvim 


LIVRE  VIII.  521 

battre  |ce  venerable  ch^ne.  Les  voyant  h^siter,  il  arrache  h  run 
d'eux  sa  cogn6e,  et  prof^re  ces  parolcs  coupables :  c  II  abeau  elre 
«  cher  a  la  d^esse ;  ful-il  habite  par  elle,  son  fronl  couronne  de 
«  feuillage  va  frapper  la  terre.  » 

«  II  dit ;  et,  tandis  qu'il  balance  obliquement  le  fer,  Tarbre  de 
G^res  tremble  et  pousse  un  gemissement.  Ses  feuillcs,  ses  glands 
et  ses  longs  rameaux  pAlissent.  Enfin  la  hache  sacrilege  entr'ou- 
vre  ses  flancs,  et  le  sang  jaillit  de  son  ecorce.  Ainsi,  lorsque  le 
taureau  torabe  solennellement  au  pied  des  autelc,  de  sa  gorge 
sYchappent  des  flots  de  sang.  Ses  esclaves  sont  glac^s  d^effroi. 
L'un  deux  ose  dissuader  firisichthon  et  arrSter  son  arme  cruelle. 
Le  Thessalien  lui  lance  un  regard  terrible : «  Re^ois,  dit-il,  le  prix 
«  de  ta  peine. »  En  m^me  temps  il  retoume  le  fer  contre  lui,  abat 
sa  t^te  et  frappe  le  ch^ne  sans  relache.  L'arbre  fait  alors  enten- 
dre  ces  paroles  plaintives  :  «  Nymphe  cherie  de  Cer^s,  jliabite 
«  cette  ^corce.  Pour  me  consoler  du  tr^pas,  je  te  le  declare  en 
«  mourant,  sur  ta  t^te  plane  le  chsitiment  reserve  a  ton  crime.  » 
Erisichthon  consomme  son  sacril^ge.  Le  ch^ne  enfin  chancelle 

Robur;  et  ut  jussos  cunclari  vidit,  ab  uno 

Edidit  hajc  rapta  sceleratus  verba  securi  : 

«  Non  dilccta  dejc  solum,  sod  et  ipsa  licebit  7o5 

«  Sit  dea,  jam  tanget  frondente  cacuminc  terram.  » 

«  Diiit,  et,  obliquos  dum  tcUim  librat  in  ictus, 
Contremuit,  gcmitumque  dedit  dooia  quercus, 
Et  pariter  frondes,  pariter  pallcscere  glandrs 
Cocpere,  ac  longi  pallorem  ducerc  rami.  7CD 

Cujus  ut  in  trunco  fecit  manus  impia  vulnus, 
Haud  aliter  fluxit,  discussa  cort^ce,  sanguis, 
Quam  solet,  antc  aras  ingens  ubi  victima  taurus 
Concidit,  abrupta  cruor  e  cervico  profusus. 
Obstupuere  omnes,  aliquisquc  ex  omnibus  audet  7C.j 

Deterrere  nefas,  sajvamque  inliibere  hipennim. 
Aspicit  hunc :  «  Mentisque  piai  cape  prxmia,  »  disit 
Thessalus,  inque  virum  convertit  ab  arbore  ferrum, 
Delruncatque  caput,  repetitaque  robora  cjcdit; 
Edilus  e  medio  sonus  est  quum  robore  talis :  77J 

«  Nympha  sub  hoc  ego  sum  Cereri  gratissima  ligno, 
«  Quae  tibi  factorum  poenas  instare  tuorum 
«  Vaticinor  moriens,  nostri  solatia  lelhi.  > 
Pfirsequitur  scehs  ille  suum ;  labeiattUqjQfe  V;jiTv^em 


522  METAMORPIIOSES. 

sous  mille  coups.  Entraine  par  un  cSble,  il  succombe  et  renya^se 
un  grand  nombre  d'arbres  sous  son  poids. 

«  Les  Dryades  epouvantees  pleurent  la  for^t  depouillee  de  sa 
gloire  et  la  mort  de  leur  soeur.  Rev^tues  de  deuil,  elles  vont 
trouver  Ceres  en  gemissant,  et  lui  demandent  qu'£risichthon  re- 
^ive  la  peine  de  son  attentat.  La  deesse  accueille  leur  pri^e,  et 
le  mouvement  de  sa  majestueuse  t^te  ebranle  les  guerets  charg^s 
de  riches  moissons.  Elle  prepare  un  chatiment  qui  aurait  attirela 
pitie  sur  £risichthon,  si,  par  un  tel  forfait,  il  n'avait  perdu  tous 
les  droils  a  la  pitie.  Elle  veut  le  livrer  aux  horribles  tourments 
de  la  Famine ;  et,  comme  elle  ne  peut  aborder  elle-mtoe  cette 
deesse,  car  les  Destins  interdisent  tout  commerce  entre  Ger^  et 
la  Famine,  elle  appelle  une  des  divinites  champ^tres  qui  habitent 
sur  les  montagnes,  et  lui  parle  ainsi :  a  Aux  confins  de  la  Scy- 
« thie,  couronnee  de  frimas,  il  existe  une  contree  morne,  sterile, 
«  sans  arbres  et  sans  fruits,  sejour  du  Froid  lethargique,  de  la 
«  Paleur  et  de  Tfipouvante.  Cest  la  que  reside  raffreuse  Famine. 
«  Ordonne-lui  d'aller  se  cacher  dans  le  cceur  criminel  de  Timpie. 
«  Loin  de  ceder  a  Tabondance,  qu'elle  soutienne  la  lutte  jusqu'a 
«  triompher  de  moi-mtoe.  Pour  que  tu  ne  sois  pas  effrayee  de  la 


IcUbus  innumeris,  adducfaque  funibus  arbor  773 

Corruit,  et  multam  prost  ivit  pondere  silvam. 

«  Altonitaj  Dryades  damno  nemorisque,  suoquc, 
Omnes  germanae,  Cererem  cum  veslibus  alris 
Mctrentes  adeunt,  poenamque  Erisiclilbonis  orant. 
Annuit  bis.  capitisque  sui  pulcherrima  molu  780 

Concussit  gravidis  oneratos  mcssibus  agros. 
Moliturque  genus  pocnai  miserabile,  si  non 
Ille  suis  esset  nuUi  miserabilis  aclis, 
Pestifera  laccraro  Fame.  Quae  quatenus  ip.-i 
Non  adeunda  dcai  (ncquc  enim  Cereromque,  Famomquo 
Fata  coire  sinunt);  monlani  numinis  unam 
Talibus  agrestem  compcllat  Orcada  dictis  : 
«  Est  locus  extrcmis  Scytbiae  glacialis  in  oris, 
«  Tristc  solum,  sterilis,  sine  frugo,  sine  arbore  tcllus. 
«  Frigus  iuers  illic  habitant,  Pallorque,  Tromorque,         790 
«  Et  jcjuna  Fames.  Ea  sc  in  prajcordia  condat 
«  Sacrilegi  scelerata  jube ;  ncc  copia  rerum 
((  Vincat  eara,  superelque  roeas  cetv.3iT[\\Tv<i  N\t<i*. 


LIVRE  Ylil.  m 

kMigueur  du  voyage,  prends  mon  char  et  dirige  mes  dragons 
au  haut  des  airs. »  Aussil6t  elle  les  lui  donne.  L  Oreade  s'elance 
r  le  ichar  a  travers  Fespace,  et  arrive  dans  la  Scythie  sur  le  som- 
ii  glace  du  Gaucase.  Apres  avoir  ddtele  les  dragons,  elle  cherche 
Famine.  Elle  Taper^oit  dans  un  cliamp  pierreux  arrachant 
elques  berbes  avec  ses  ongles  et  ses  dents.  Elle  a  les  cheveux 
risses,  les  yeux  creux,  le  teint  p^le,  les  levres  blanches  et 
3hes,  le  gosier  apre  et  enflamme,  la  peau  rude  et  transparente, 
\  rems  courbes,  les  os  saillants,  le  ventre  rentre,  et  sa  poitrine, 
i  semble  detachee,  ne  presente  que  des  c6tes.  La  maigreur  fait 
}Sorlir  avec  une  energie  extrtoe  ses  articulations,  ses  genoux 
ses  talons.  La  Nymphe,  qui  Ta  vue  de  loin,  n'ose  approcher,  et 
transmet  les  ordres  de  Ceres.  Quelques  instants  apr^s  son 
^vee,  quoiqu'elle  se  tienne  a  distance,  elle  croit  sentir  les  at- 
ntes  de  la  faim.  Aussit6t,  s'elevant  dans  lcs  airs,  elle  fait  re- 
Bndre  aux  dragons  la  route  de  la  Thessalie. 
«  La  Famine,  en  tout  temps  opposee  u  Geres,  ex^cute  nean- 
)ins  ses  ordres.  Emport^e  dans  un  tourbillon,  elle  sc  reiid,  de 

«  Kcve  viaj  spalium  lo  lerreat,  accipe  currus; 

«  Accipe,  quos  frenis  alle  modererc,  draconcs.  >»  795 

£t  dcdit.  lUa  dato  subvecta  per  aera  curru 

Dcvcuil  iu  Scylhiani,  rigidique  cacuminc  inoutis, 

Caucason  appcllaut,  scrpcntum  colla  levavii; 

Quacsitaniquc  Famcm  lapidoso  vidit  in  agro 

Unguibus,  ct  rara:?  vcllonlem  denlibus  hcrbas.  800 

Hlrtus  erat  crinis,  cava  lumina,  pallor  in  orc, 

Labra  incana  silu,  scabnc  rubigine  faucis; 

Dura  cutis,  per  quani  spectari  visccra  possciit; 

Ossa  sub  incurvis  cxbtabant  arida  lumbis; 

Vcutris  crat  pro  vciilro  locus;  pendere  pularcs  805 

Pectus,  ct  a  spina!  tantummodo  crate  tencri. 

Auxerat  articulos  iiiacies,  genuunique  rigcbat 

Orbis,  et  immodico  prodibant  tubere  tali. 

Hauc  procul  ut  vidit  (ncque  enim  est  accedcrc  juxla 

Ausa),  refcrt  iiiandala  dcu} ;  paulunique  morala.  810 

Quanquam  abcrat  longe,  quanquam  modo  vcnerul  illtir, 

Visi  lamcn  sensisse  famem,  retroquc  draconos- 

Efiit  in  .l-lmoniam,  vrrsis  sublimis  hayjcnis. 

«  Uicta  Famcs  Ccreris,  quamvis  conlraria  scnipcr 
HJius  est  operl,  peragU;  perquc  aera  venlo  ^^^ 


S2t  METAMORIMIOSES. 

nuil,  31  u  palaii!  qm  lui  est  deslgii^,  et  s^approchti  de  la  couche  de 
riiupic.  Tandis  qti'jl  csl  ensevi^i  dans  un  profond  sommeil,  elle 
renvcloppe  de  sts  den%  ailes,  !ui  entouce  sou  aiguiilon,  lui  soufne 
daus  la  bou^ljc,  dsujs  k  gosjer,  dans  l'estouiac,  et  allunie  dans  se^ 
entrailles  vides  une  faiin  dcvorantc.  Sa  tiche  reiiipUe,  elle  aban- 
donne  celte  eoulree  fertile  pour  regagner  sou  antre  oii  regue  la 
dtseUe. 

u  le  sommeil  vei^sail  sur  firisichtlioii  ses  [dus  doux  pavi>[s,  Uii 
son^e  lui  montre  des  mets  qu^il  veut  prendre ;  mais  sea  l^vres  el 
ses  (lents  se  meuvcrjt  et  se  faliguent  en  vain,  Son  appelit  abuse 
s>xerce  sur  une  nourjiture  illusoire ;  au  Ueu  d'alimenls,  il  n*ab- 
sorbe  que  Fair.  11  s'eveille.  Alors  la  faim  lui  fait  sentir  lotite  sn 
rage,  en  tourmeritnnt  son  gosier  avide  et  scs  enlraiUes  brulantes. 
11  voudrait  qu'a  riustant  la  mer,  la  lerre  et  l'air  fussent  depeu- 
ples  pour  lui.  11  se  pLiint  du  jei!kne  au  milieu  d*un  festin ;  il  ne 
peul  se  repaitre  des  substances  qui  enU^enl  dans  son  estomac.  Ce 
qui  eul  liourri  des  villes  et  tout  un  peupJe  ne  peul  sulfije  ii  kii 
senU  Hus  il  engloutit  de  vivres,  plus  il  eu  {lesirer  Pareil  a  l  Ocean 
qui,  luin  dc  se  contenler  de  ses  eaux,  rev-oit  el  s'assimile  lous  les 

Ad  jussain  delula  domuin  esl.  £l  proliuus  inU'at 

Sacrilcgi  Uialaraos;  altoquc  soporc  solutuin 

(Noctis  crat  tempus),  gemiuis  amplectitur  alis; 

Sequc  viro  inspirat,  faucesque  ct  pectus  ct  ora 

Afflat,  ct  in  vacuis  spargit  jejunia  venis;  BJO 

Functaquc  mandalo  fecundum  deserit  orbcm ; 

Inque  domos  inopcs,  assuela  revcrlitur  anlra. 

«  Lenis  adliuc  somnus  placidis  Erisichthona  pcnnis 
Mulcebat.  Pelit  ille  dapes  sub  imagine  somni, 
Oraque  vana  movet,  dentemque  in  dente  fatigal,  8'2o 

Exercelquc  cibo  delusum  gultur  inani, 
Proque  epuiis  tenues  ncquicquam  devorat  auras. 
Ut  vero  est  expulsa  quies,  furit  ardor  edendi, 
Perque  avidas  fauces  immensaque  visccra  regnal. 
Nec  mora,  quo<i  pontus,  quod  tcrra,  quod  educat  acr,      8511 
Poscit,  ct  apposilis  queritur  jejunia  mensis. 
Inqnc  cpulis  cpulas  quairit ;  quodque  urbibus  cssc, 
Quodquc  salis  populo  potcrat,  non  suflicit  uiii; 
IMusque  cupit,  quo  plura  suam  dcinittit  Jii  alvum. 
Utquc  frctum  rccipit  dc  tola  flumina  leria,  835 

^  Ncc  saiialur  aquis,  percgrinosque  cbibil  amncs; 


LIVRE  VIII.  .-25 

ileuves  de  la  terre,  ou  tel  que  la  flamme  insaliable  qui,  ne  refusant 
jamais  d'aliments,  devore  sans  cesse  de  nouvelles  mati^res  et 
proportionne  a  leur  abondance  ses  ravages  et  ses  fureurs,  Timpie 
firisichthon  convoite  et  mange  a  la  fois  tous  les  mets.  Geux  qu'ii 
avale  augmenlent  son  avidile,  et  son  estomac  se  creuse  a  mesure 
qu'jl  s'emplit.  Deja  les  richesses  de  son  pere  ont  disparu  dans  ie 
gouffredeson  ventre.  Mais  tuconservais  encore  toutes  tes  forces, 
6  Faim  implacable!  Un  feu  inextinguible  embrasait  son  palais. 

«  Tout  son  patrimoine  etait  enfm  devor^.  II  ne  luirestait  qu'une 
fille  digne  d'un  autre  pere.  Dans  sa  detresse,  il  la  vend  aussi.  Mais 
sa  fierte  repousse  son  maitre,  et,  tendant  les  bras  vers  la  mer  voi- 
sine :  «  Derobe-moi,  dit-elle,  a  un  joug  insupportable,  toi  qui  m'as 
«  ravi  rinnocence. » Neptune,  en  effet,  la  lui  avait  ravie.  Le  dieu  lui 
accorde  sa  demande,  et,  presque  sous  ies  yeux  du  maitre  qui  la  sui- 
vait,  il  change  sa  forrae,  lui  donne  les  traits  d'un  homme  et  le  cos- 
tume  d  un  pecheur.  Son  maitre,  la  regardant  sans  la  reconnaitre  : 
«  0  toi,  lui  dit-il,  qui  caches  avec  adresse  sous  uri  leger  app&t  ton 
«  hame^on  perfide,  puisses-tu  trouver  la  mer  toujours  calme !  Puissc 

Utque  rapax  ignis  non  unquam  alimenla  recusat, 

Innumerasque  Irabes  cremat ;  et,  quo  copia  major 

Est  dala,  plura  petit,  turbaque  voracior  ipsa  esl;    . 

Sic  epulus  omncs  Erisichthonis  ora  profani  840 

Accipiunt,  poscuntque  simul.  Cibus  omnis  in  illo 

Causa  cibi  est,  semperque  locus  fit  inanis  edendo. 

Jamquu  Fame  palrias  altique  voragine  vcntris 

Attenuarat  opes;  sed  inatlenuata  manebas 

Tum  quoque,  dira  Fames,  implacataeque  vigebat  8i5 

Flamma  guloi. 

«  Tandcm,  demisso  in  viscera  ctnsu, 
Filia  restabat,  non  iilo  digna  parcnte. 
Hanc  quoque  vendit  inops.  Dominum  generosa  recusal, 
Et  vicina  suas  tendcns  suprr  sequora  palmas  : 
«  Eripc  me  domino,  qui  raplaj  praimia  nobis  850 

«  Virginitatis  habes, »  ait.  Huic  Neptunus  habebat. 
Qui  prece  non  sprcta,  quamvis  modo  visa  sequcnti 
Essct  hero,  formamque  novat,  vultumque  virilem 
ludiiit,  ct  cultus  piscem  capientibus  aptos. 
Ilanc  dominus  spectans:  «  0  qui  pendentia  parvo  855 

«  .€ra  cibo  colas,  moderator  arundinis,  inquit, 
«  Sic  mare  composilunif  *ic  sitlibi  piscis  in  \\u<\vi 


526  MfiTAMORPHOSES. 

«  lepoissoncredulesesuspendretoujoursa  taligne!  UneNymphe, 
«  grossi^rement  v^tue  et  les  cheveux  epars,  vient  de  s'aiTMer 
«  sur  ce  rivage,  Je  Fai  vue  ici.  Pourrais-tu  me  dire  ou  elle 
«  est?  car  elle  ne  peul  pas  etre  loin. »  Metra  comprend  que  le 
dieu  Ta  exaucee.  Ravie  d'entendre  son  maitre  lui  demander  a 
elle-mfeme  ce  qu^elle  est  devenue,  elle  repond :  «  Pardonnez,  qui 
«  que  vous  soyez.  Mes  yeuxbnt  ^6  constamment  fix6s  sur  Tonde, 
«  et  je  n'ai  point  regarde  autour  de  moi.  Je  n'etais  attentif  qu'a 
«  ma  p6che.  Pour  que  vous  n'en  doutiez  pas,  j'atteste  le  roi  des 
«  mers  (puisse-t-il  m'6tre  propice ! )  qu'excepte  moi,  depuis  Jong- 
«  temps  ni  homme  ni  femme  ne  s'est  montre  sur  ce  rivage !  » 
II  la  croit  et  s'eloigne ;  mais  il  se  retire  trompe.  La  Nymphe  re- 
prend  ses  premiers  traits.  firisichlhon,  voyant  que  sa  fille  peut 
subir  plusieurs  metamorphoses,  la  vend  a  divers  maitres.  Elie 
devient  tour  a  tour  cavale,  oiseau,  boeuf,  cerf,  sans  pouvoir  fournir 
une  nourriture  suffisante  a  son  insatiable  pere.  Cependant  le  mal 
qui  le  tourmente  a  tout  consomme ;  mais  tout  n'a  servi  qu'a  Tir- 
riter  davantage.  Alors,  de  ses  dents  il  se  dechire  iui-m^me.  In- 
fortune !  il  n'a  d'autre  pdture  que  son  corps  qui  diminue  chaque 
jour. 

«  Gredulus,  et  nuUos,  nisi  fixus,  scntiat  kamos ! 

«  Qus  modo  cum  vili  turbatis  veste  capillis 

«  Littore  in  hoc  stelerat  (nam  stantem  in  lillorc  vidi),    860 

«  Dic,  ubi  sit;  neque  enim  vestigia  longius  exstant.  » 

lUa  dei  munus  beue  cedere  sentit,  et  a  se 

Se  quaeri  gaudens,  his  est  resecuta  rogantem  : 

«  Quisquis  es,  ignoscas.  In  nullam  lumina  parlcm 

«  Gurgile  ab  hoc  flexi,  studioque  operalus  inha3si.  805 

c  Quoquc  minus  dubites,  sic  has  deus  sequoris  artes 

«  Adjuvet,  ut  nemo  jamdudum  littore  in  isto, 

«  Me  tamen  cxcepto,  nec  femina  constilit  uUa.  d 

Gredidit,  et  verso  dominus  pede  pressit  arenam, 

Elususque  abiit.  llli  sua  reddila  forina  est.  870 

Ast  ubi  haberc  suam  transformia  corpora  sentit, 

Siepe  pater  dominis  Triopeida  vendit.  At  illa 

Nunc  equa,  nunc  ales,  modo  bos,  modo  cervus  abibat, 

Praebebalque  avido  non  justa  alimenta  parenti. 

Vis  tamen  illa  mali  postquam  consumpserat  omnera         875 

Maleriam,  dederatque  gravi  nova  pabula  morbo, 

Ipse  suos  arlus  lacero  d\Ne\\cxe  mot^M 

Ccepjt,  et  infelix  minueudo  eotvxx^  oXeV^^v. 


LIVRE  VIII.  527 

«  Pourquoi  m'arreler  aux  metamorphoses  d'aulrui?  Moi  aussi, 
jeunes  guerriers,  j'ai  ie  pouvoir  de  rev^tir  differentes  formes ; 
mais  le  nombre  en  est  limite.  Tantot  je  suis  tel  que  vous  me 
voyez ;  tantot  je  prends  ia  figure  d'un  serpent ;  d'autres  fois,  arme 
de  cornes  mena^ntes,  je  marche  a  la  t^te  d'un  troupeau.  J'ai  con- 
serve,  tant  que  j'ai  pu,  cette  parure  de  mon  front.  Maintenant, 
vous  le  Yoyez,  j'en  ai  perdu  une  partie. »  Des  gemissements  sui- 
vent  ces  paroles. 


ff  Quid  moror  extcniis?  Eliam  mihi  saspc  novandi 
Corporis,  o  juvenes,  numero  finita  potcstas.  880 

Nam  modo,  quod  nunc  sum,  vidcor;  modo  flector  in  anguepi; 
Armenti  modo  dux  viresin  cornua  surao; 
Cornua,  dum  potui;  nunc  pars  carel  altera  lelo 
Frontis,  ut  ipse  vides.  »  Gemiius  sunt  verba  seculi; 


LIVRE   NEUVIEME 


ACnfiLOOS  VAINCU  PAR  IIEr.COLE.    —  COF.  S£  D^AnONDANCC. 

I.  Le  heros  issu  du  sang  de  Neptune  demande  quelle  est  la 
cause  de  ces  gemissements  et  de  roulrage  fait  par  un  dieu  au 
front  d^Acheloiis.  Le  Fleuve,  dont  les  cheveux  flottent  negUgem- 
raent  sous  une  couronne  de  roseaux,  s'exprime  en  ces  lermes : 
«  Vous  m'imposez  une  tSche  penible.  Quel  vaincu  trouverait  du 
plaisir  a  raconter  sa  defaite?  Jevais  pourtant  retracer  rhisloire  de 
ma  lutle.  J'eus  moins  de  honte  a  succomber  que  de  gloire  a  com- 
battre,  et  la  celebrite  du  vainqueur  est  une  grande  consolalion 
pour  moi.  Peut-^tre  le  nom  de  Dejanire  a-t-il  frappe  votre  oreiile. 
Cetait  une  vierge  connue  par  sa  beaute,  et  que  milie  rivaux  se 
dispulaient  a  Tenvi.  Je  me  rendis  rhoi-meme  aupres  de  son  pere 

LIBER  NONIIS 

ACIIELOUS   AB  IJERCULE   DEVICTDS.    —   C01'LE   COUSU. 

• 

1.    Quac  gcmilus,  Iruncacquc  deo  neptunrus  hcros 
Causa  rogat  frontis,  quum  sic  calydonius  amnis 
Coepil,  inornatos  redimitus  arundine  crines  : 
ff  Trislc  pelis  munus.  Quis  enim  sua  prxlia  victus 
Commemorare  vclil?  Referam  lamcn  ordine.  Ncc  lam  5 

Turpe  fuit  vinci,  quam  contendissc  decorum  cst, 
Magnaque  dat  nobis  tantus  solatia  victor. 
Nomine  si  qua  suo  landem  pcrvenit  ad  aures 
Dejanira  luas,  quondam  pulcherrima  virgo, 
J/uJtorumque  fuil  spcs  invidiosa  procorum.  10 

Cum  qui^His  ut  sotcri  domus  csV.  VwVt^V^  ^tVxvX.  •, 


LIVRE   IX.  320 

avec  eux.  «  Fils  de  Partliaon,  lui  dis-je,  acceptez-moi  pour  gen- 
«  dre.  »  Hercule  tint  le  m6me  langage  :  ies  autres  se  retirerent 
devant  nous.  Hercule  vanta  sa  naissance,  qui  allait  donner  a  la 
jeune  princesse  Jupiter  pour  beau-pere,  la  gloire  de  ses  Iravaux 
commandes  par  une  deesse  jalouse,  et  les  triomphes  qu'il  avait 
obtenus.  Pour  moi,  croyant  qu'un  dieu  ne  pouvait  sans  honte 
ceder  a  un  homme  (car  il  n'etait  pas  encore  au  rang  des  Immortels) : 
«  Vous  voyez,  dis-je,  le  roi  du  fleuve  qui  promene  ses  ondes  si- 
ic  nueuses  dans  vos  fitats.  Vous  n'aurez  pas  enmoi  un  gendre  venu 
«  des  bords  6trangers.  Ne  dans  ce  royaume,  j'en  fais  partie.  Le  suc- 
«  ces  de  mes  esp6rances  serait-il  compromis,  parce  que  la  reine  des 
«  dieux  ne  me  poursuit  pas  de  sa  haine  et  ne  m'a  pas  condamn^a 
«  des  .travaux  ?  Tu  le  glorifies  d'^tre  issu  d*Alcm6ne.  Mais  Jupiter 
«  n'est  point  ton  pere,  ou  il  Test  par  un  crime.  Le  deshonneur  de 
«  celle  a  qui  tu  dois  le  jour  a  pu  seul  te  le  donner  pour  pere.  Qu'ai- 
«  mes-tu  mieux  ?  6tre  le  fils  suppose  du  mailre  des  dieux,  ou  le 
«  fruit  d'un  adult^re?  » 

En  m'entendant  ainsi  parler,  Hercule  me  lance  un  regard 
terrible,  et,  ne  pouvant  plus  contenir  son  courroux,  il  s'ecrie  : 
«  Je  sais  mieux  agir  que  parler.  Pourvu  que  je  sorte  vainqueur 
«  du  combat,  triompbe  par  le  talent  de  la  parole.  »  A  ces  mols, 

«  Accipe  me  generum,  dixi,  Parlhaone  nate.  » 

Diiit  et  Alcides  :  alii  cessere  duobus. 

Ille  Jovem  socerum  dare  se,  famamque  laborum, 

Et  superala  su»  referebat  jussa  novercaj.  13 

Gonlra  ego  turpe  deum  mortali  cedcre  duxi 

(iXondum  erat  ille  deus) :  «  Regcm  me  cernis  aquarum 

«  Cursibus  obliquis  intra  lua  regna  fluentcm. 

«  Nec  gener  eiternis  hospes  tibi  missus  ab  oris, 

«  Sed  popularis  ego,  et  rerura  pars  una  luarum.  2 

«  Tantum  ne  noceat,  quod  me  nec  regia  Juno 

«  Odit,  ct  omnis  abcst  jussorum  pocna  laborum. 

«  Nam  quod  le  jaclas  Alcmena  matre  creatum, 

«  Jupili-r  aut  falsus  pater  est,  autcrimine  verus. 

«  Malris  adultcrio  patrcm  petis  :  elige  ficlum  25 

«  Esse  Jovem  malis,  an  te  pcr  dedecus  ortum.  » 

Talia  dicentem  jamdudum  Imnine  lorvo 
Spectat,  et  accensaj  non  forliter  imperat  ira, 
Verbaque  lot  reddit :  «  Melior  mihi  dexlera  \w%\)l^. 
•  Dmnmodo  pugna^ndo  superem,  lu  mce  Vo<vvLftu^o.»        "^*^ 


330  HilTAMORPHOSES. 

il  se  prepare  fi^rement  k  m'attaquer.  Apr^s  mon  superbe  lan- 
gage,  je  rougis  de  reculer ;  et,  rejetant  ma  robe  emeraude,  les 
bras  tendus  et  les  poings  fermes,  je  me  tiens  pr6t  a  lutter.  fler- 
cule  ramasse  une  poignee  de  poussiere  et  m'en  couvre ;  je  lui  jette 
k  mon  tour  une  poignee  de  sable.  II  saisit  ou  semble  saisir  tant6t 
ma  tSte,  tantdt  mes  jambes  agiles,  et  me  presse  de  toutes  parts. 
Mon  poids  me  protege  et  rend  ses  efibrts  inuliles.  Tel  un  rocher 
assailli  par  les  flots  furieux  reste  immobile  :  sa  masse  le  d^fend, 
Nous  nous  separons  un  instant  pour  recommencer  le  combat, 
fermes  sur  1'arene  et  resolus  de  ne  point  ceder.  Pied .  contre  pied, 
poitrine  contre  poitrine,  je  suis  tous  ses  mouvements ;  mes  doigts 
serrent  ses  doigts,  mon  front  heurte  son  front.  Ainsi  j'ai  vu  deux 
vigoureux  taureaux  fondre  l'un  sur  Taulre,  lorsque  la  plus  belle 
genisse  de  la  prairie  devait  6tre  le  prix  du  combat.  Le  troupeau 
regardait  cette  lutte  terrible,  et  en  atlendait  Tissue  avec  effroi,  ne 
sachant  a  qui  la  victoire  allait  assurer  un  glorieux  empire.  Trois 
fois  sans  succes  Hercule  tache  d'ecarter  ma  poilrine  dela  sienne. 
Par  un  quatrieme  eflbrt  il  s'arrache  k  mes  ^lreintes,  et  s'affranchit 


Gongrcditurque  ferox.  Puduit  modo  magna  locutum 

Cedere.  Rejeci  viridem  de  corpore  vestem, 

Brachiaque  opposui,  lenuique  a  pectore  varas 

In  statione  manus,  et  pugnai  membra  paravi. 

Ille  cavis  hauslo  spargit  me  pulvere  palmis,  55 

Inque  vicem  fulvae  jactu  flavescit  arenai; 

Et  modo  cervicem,  modo  crura  micantia  captat, 

Aut  captare  pules,  omnique  a  parte  lacessit. 

Me  mea  defendit  gravitas,  frustraquc  petebar, 

Ilaud  secus  ac  moles,  quam  magno  murmure  fluctus  40 

Oppugnant  ;  manet  illa,  suoque  est  pondere  tuta. 

Digrcdiniur  paulum,  rursumque  ad  bella  coimus  ; 

Inque  gradu  stetimus.  certi  non  cedcre;  eratque 

Cum  pede  pes  junctus ;  totoque  ego  pectore  pronus 

El  digitos  digitis  et  frontem  fronte  premcbam.  45 

Non  aliler  fortes  vidi  concurrere  tauros, 

Quum  prelium  pugnre,  loto  nitidissima  saltu, 

Expetitur  conjux.  Spectant  armenta,  paventque 

Nescia  quc.m  manoat  tanli  victoria  regni. 

Ter  ,s'jio  profectu  voluit  nitentia  contra  50 

Rejicarc  .\lcides  a  .se  mca  \>ecloTa.  v^uatVci 

Exuit  amplexus,  adductac\ue  \)t;vc;Yv\;v  «AVW, 


LIVRE  IX.  331 

de  mes  bras ;  puis,  me  poussant  de  sa  main  (car  je  dois  tout  dire), 
il  me  retourne  brusquement  et  tombe  pesamment  sur  mon  dos. 
Vous  pouvez  m'en  croire ;  je  ne  cherche  point  la  gloire  par  de 
vaines  impostures  :  je  me  sentis  comme  accable  du  poids  d'une 
montagne.  Je  pus  a  peine  degager  mes  bras  inondds  de  sueur,  et 
me  delivrer  de  ses  rudes  embrassements  ;  il  me  pressait  de  nou- 
veau,  me  coupait  la  respiralion,  et  m'emp^chait  de  reprendre  mes 
forces.  Enfin  il  me  saisit  a  la  gorge.  Mes  genoux  flechirent  sur  le 
sol,  et  je  mordis  la  poussiere. 

f  Voyant  le  combat  inegal,  j'eus  recours  a  la  ruse.  Pour  echap- 
per  a  mon  rival,  je  pris  la  forme.d'un  long  serpent.  Je  deroulai  de 
nombreux  anneaux,  et  j^agitai  un  double  dard  avec  d'horribles  sif- 
flements.  Le  heros  de  Tyrinthe  sourit,  et,  se  moquant  de  mes  ar- 
tifices :  «  Vaincre  des  serpents,  dit-il,  fut  un  jeu  de  mon  berceau. 
«  Tu  l'emportes,  il  est  vrai,  Achelous,  sur  les  autres  serpents ; 
«  mais  qu'es-tu  pres  de  Thydre  de  Lerne  ?  Elle  renaissait  de  ses 
«  blessures  fecondes.  Je  ne  pus  abattre  une  de  ses  cent  t^tes,  sans 
«  la  voir  remplac^e  par  deux  autr^s  plus  terribles.  Heriss6e  de  vi- 
«  p^res  qui  se  multipliaient  sous  le  fer,  elle  puisait  de  nouvelles 

Impulsumquc  manu  (certum  mihi  vera  fateri) 
Protinus  avertit,  tergoque  onerosus  inha;sit. 
Si  qua  fides,  neque  enim  ficta  mihi  gloria  voce  55 

Quseritur,  imposito  pressus  mihi  monte  videbar, 
Vix  tamen  exserui  sudore  fluentia  multo 
Brachia;  vix  solvi  duros  a  pectore  ne\U>. 
Instat  anhelanti,  prohibetque  resumere  vires, 
Et  cervice  mea  potitur.  Tum  denique  tellus  <>0 

Pressa  genu  nostro  est,  et  arenas  ore  raomordi. 
Inferior  virtute,  meas  devertor  ad  artes, 
'    Elaborque  viro,  longum  formatus  in  anguem. 
Qui  postquam  flexos  sinuavi  corpus  in  orbes, 
Cumque  fero  movi  linguam  stridore  bisulcam,  05 

Risit,  et  illudens  nostras  Tirynthius  artes : 
«c  Cunarum  labor  est  angues  superare  raearum, 
«  Dixit,  et,  ut  vincas  alios,  Acheloo,  dracones, 
«  Pars  quota  lernaeae  serpens  cris  unus  Echidnai? 
«  Vulneribus  fecunda  suis  erat  illa,  nec  uUum  "0 

«  De  centum  numero  caput  est  impune  rccisum, 
«  Quin  gemino  cervix  hoerede  valentior  essct. 
«  Hanc  ego  ramosam  nalis  e  cfede  colubris, 


533  BIETAMORPHOSES. 

«  forces  dans  sa  defaite.  Je  la  domptai  pourtant,  et  elle  tomba 
«  sous  mes  coups.  Qu'oses-tu  attendre  des  dehors  trompeurs  d'un 
«  serpent?  Qu'oses-tu  esp^rer,  d^fendu  par  des  armes  ^trang^es 
«  ou  cachd  sous  une  forme  d'emprunt?  »  A  ces  mots,  il  me  serre 
la  gorge  de  sa  main  puissante.  r^touffais  comme  dans  un  etau,  et 
je  t^chais  de  derober  mon  cou  a  sa  robuste  ^treinte.  Vaincu  sous 
cette  forme,  pour  troisi^me  metamorphose  il  me  restait  a  prendre 
les  traits  d'un  taureau  mena^nt.  Je  les  rev^ts,  et  je  soutiens  une 
lutte  nouvelle.  Place  a  ma  gauche,  il  enlace  de  ses  bras  les  mus- 
eles  de  mon  cou.  Je  bondis  en  arriere.  II  veut  m'entrainer,  mais 
il  me  suit.  Enfm,  ii  me  saisit  par  les  comes,  les  enfonce  dans  la 
terre  et  me  renverse  sur  l'arene.  Cest  peu  :  tandis  qu'il  me  tient 
ainsi  de  son  bras  invincible,  il  me  brise  une  corne  et  la  d^tache 
de  mon  front.  Les  Naiades  la  consacrerent,  apres  Tavoir  rem- 
plie  de  fruits  ct  de  fleurs  odoriferantes.  Elle  devint  la  Corne 
d'abondance.  » 

.  II  dit.  Une  des  Nymphes  qui  le  servaient  attache  sa  robe  h  la 
maniere  de  Diane,  et  s'avance  les  cheveux  epars.  De  la  come 
qu'elle  verse,  elle  tire  tous  les  tr^sors  de  Tautomne,  tous  les  fruits 
d^licieux  qui  composent  le  dessert.  Cependant  le  jour  commence, 

«  Crcsccnlcmquc  malo,  domui,  domitamque  peremi. 

«  Quid  forc  le  credis,  falsum  qui  versus  in  anguem  75 

«  Arraa  alicna  moves,  quem  forma  precariacelal?  » 

Dixerat,  et  summo  digilorum  vincula  coUo 

Injicit.  Angebar,peu  guttura  forcipe  prcssus, 

PoUicibusque  meas  pugnabam  evellere  fauces. 

Sic  quoquedcvicto  restabat  tertia  tauri  80 

Forma  trucis.  Tauro  mutatus  membra  rebello. 

Induit  ille  toris  a  Iseva  parle  lacertos, 

Admissumque  trahens  sequitur,  deprensaque  dura 

Coruua  figit  humo,  meque  alta  stemit  arena. 

Nec  satis  id  fuerat :  rigidura  fera  dexlera  cornu  85 

Dum  tenet,  infregit,  truncaque  a  fronte  revellit. 

Naides  hoc,  pomis  et  odoro  flore  repletum, 

Sacrarunt,  divesque  meo  bona  Copia  cornu  cst. » 

Dixerat.  At  Nymphe,  ritu  succincta  Dianae, 
Una  ministrarum,  fusis  utrinque  capillis,  90 

Incessit,  totumque  tulit  prxdivite  cornu 
iiutumnum,  ct  mensas,  ieUcva  vorna,  secundas. 
Lux  subit,  et,  priino  lemYile  c&.c\xm\ti^  ^o\«^> 


LIVRE  IX.  S33 

el  le  soleil  dore  de  ses  rayons  la  cime  des  montagnes.  Les  jeunes 
guerriers  s'61oignent.  Ils  ne  veulent  pas  atlendre  que  le  fleuve  ait 
repris  son  cours  paisible,  ni  que  le  courroux  des  ondes  soit 
apais^.  Achelous  cache  au  sein  des  flots  ses  traits  agresles  et  son 
front  mutile.  La  perte  de  sa  beaute  1'accable  de  chagrin,  quoique 
le  reste  de  son  corps  soit  inlact,  et  qu'il  puisse  m^me  cacher  son 
affront  sous  les  saules  et  les  roseaux  dont  il  est  couronne. 

MORT   DE  N£SSUS. 

n.  Mais  toi,  superbe  Nessus,  tu  peris,  le  dos  perce  d  une  fleche 
rapide,  victime  de  ton  amour  pour  la  m6me  princesse.  Le  fils  de 
Jupiler,  rentrant  avec  sa  nouvelle  epouse  dans  les  murs  de  sa 
patrie,  6tait  arrive  sur  les  bords  de  Timpetueux  fivenus.  Grossi 
extraordinairement  par  les  pluies  de  Fhiver,  le  fleuve  presejilait 
partout  des  tourbillons  que  nul  n'osait  franchir.  Leheros,  tran- 
quille  pour  lui-m6me,  craint  pour  son  epouse.  Le  robuste  Nessus, 
a  qui  tous  les  gues  sont  connus,  s'approche  de  lui  :  «  Ilercule, 
lui  dit-il,  veux-tu  que  je  transporte  ta  compagne  sur  Tautre  rive? 
Reserve  tes  forces  pour  traverser  les  ondes  a  la  nage.  »  Hercule 

Discedunt  juvenes ;  neque  enim  dum  flumina  pacem 

Et  placidos  habeant  lapsus,  motaeque  residant,  U5 

Opperiunlur,  aquse.  Vultus  Achelous  agrestes 

Et  lacerum  cornu  mediis  caput  abdjdit  undis. 

Hunc  tamen  ablaii  domuit  jactura  decoris. 

Caetera  sospes  erat;  capitis  quoque  fronde  saligna, 

Aut  superimposita  celatur  arundine  damnum.  100 

NESSUS  INTERFICITOR. 

II.    At  tc,  Nesse  ferox,  ejusdem  yirginis  ardor 
Perdiderat,  volucri  trajectum  terga  sagitta. 
Kamque,  nova  repetens  patrios  cum  conjuge  muros, 
Venerat  Eveni  rapidas  Jove  natus  ad  undas. 
Uberius  solito  nimbis  hiemalibus  auctus,  105 

Vorlicibusque  frequens  erat,  atque  impervius  amnis. 
Intrepidum  pro  se,  curam  de  conjuge  agenlem 
Nessus  adit,  membrisque  valens,  scitusque  vadorura : 
«  Oflicioque  mea  ripa  sistetur  in  iUa 
Hzc,  aii,  Alcide  :  tu  Tiribas  ulere  nando.  »  ^^^ 


334  METAMORPHOSES. 

lui  confie  la  princesse  de  Calydon  toute  tremblanle,  p^e  d'efIroi, 
redoutant  le  fleuve  et  le  Centaure.  Au  mSme  instant,  charg^  de 
son  carquois  et  de  la  depouille  du  lion  de  Nemee  (car  il  avait  jet6 
sur  le  bord  oppose  sa  massue  et  son  arc  flexible)  :  «  Puisque  j'ai 
commenc^  a  nager,  dit-ii,  je  franchirai  le  fleuve  tout  entier.  »  II 
n'hesite  plus  :  il  ne  cherche  pas  en  quel  endroit  le  fleuve  est  plus 
facile,  et  ne  s'inquiete  point  si  les  eaux  vont  se  pr^ter  docilem^t 
a  son  passage.  Deja,  sur  Tautre  rive,  il  ramassait  Tarc  qu'il  y  avait 
jete,  Iorsqu'il  reconnut  la  voix  de  son  epouse.  Nessus  s*appr^tait 
a  ravir  le  depot  commis  a  sa  garde. « Ou  fegare,  lui  dit  flercule,  une 
folle  confiance  dans  ton  agiiite,  .6  ravisseur  barbare !  Cest  a  toi 
que  je  parle,  monstre  a  deux  formes ;  Nessus,  entends  ma  voix  et 
ne  m'enl^ve  pas  mon  bien.  Si  tu  n'as  aucun  respect  pour  mes  droits, 
la  roue  ou  ton  pere  est  attache  doit  te  detourner  de  coupables 
amours.  Tu  ne  saurais  m^echapper.  En  vain  tu  comptes  sur  ta 
vitesse  de  coursier.  Ce  ne  sont  pas  mes  pieds,  ce  sont  mes  fl^ches 
qui  fatteindront.  »  L^effet  suit  ces  dernieres  paroles.  Dn  trait 
parti  de  sa  main  frappe  le  dos  du  Centaure  qui  s'enfuit,  et  ressort 
a  travers  sa  poitrine.  A  peine  en  est-il  arrache,  que  de  sa  double 
blessure  le  sang  jaillit,  mele  au  venin  de  Thydre.  Nessus  le  re- 

Tradidit  Aonius  pavidam  Galydonida  Nesso, 
Pallenlemque  metu,  fluviumque,  ipsumque  limentera. 
Mox,  ut  erat,  pharetraque  gravis,  spolioque  lconis, 
(iNam  clavam,  et  curvos  Irans  ripam  miscrat  arcus)  : 
«  Quandoquidem  coepi,  superentur  flumina,  »  dixit.  115 

Nec  dubilat,  nec  que  sit  clementissimus  amnis 
Quairit,  et  obsequio  deferri  spernit  aquarum. 
Jamque  lenens  ripam,  missos  quum  lolleret  arcus 
Conjugis  agnovit  vocem,  Nessoque  parante 
Fallere  depositum  :  «  Quo  te  fiducia,  clamat,  120 

Vana  pedum,  violente,  rapit?  tibi,  Ncsse  biformis, 
Dicimus,  exuudi,  nec  rcs  intercipe  nostras. 
Si  te  nulla  mei  reverentia  movit,  al  orbes 
Concubitus  vetitos  poterant  inhibcre  paterni. 
Haud  tamen  effugies,  quamvis  ope  lidis  equina.  125 

Vulnere,  non  pedihus  te  consequar.  »  Lltima  dicla 
Re  probat,  et  missa  fugientia  terga  sagilta 
Trajicit :  exstabat  ferrum  de  pectore  aduncum. 
Qaod  simul  evulsum  esl,  sanguis  per  utrumque  foramen 
Emicuit,  ipixtus  lcrnaei  laibe  \etim.  'Cjft 


LIVRE  IX.  336 

cueille  :  «  Non,  dit-il,  je  ne  mourrai  pas  sans  vengeance.  »  En 
m^me  temps  il  remet  a  celle  qu'il  a  voulu  enlever  sa  tunique 
teinte  de  son  sang  fumant  encore,  comme  un  don  destine  a  ral- 
lumer  les  feux  de  son  epoux. 

TOURMENTS   D^HERGULE   SUR    LE   HONT  (ETA. 

ni.  Longtemps  apres,  les  grands  exploits  d'Hercule  et  la  haine 
de  Junon  avaient  retenti  dans  Tunivers.  Vainqueur,  il  reyenaJt 
dCEchalie,  et,  sur  le  cap  Censeum,  il  allait  s'acquilter  d un  sacri- 
fice  en  rhonneur  de  Jupiter,  lorsque  Tindiscrete  Renommee,  qqi 
se  plait  a  mSler  le  mensonge  a  la  verite  et  a  grandir  par  ses  fio 
tions  les  plus  legeres  rumeurs,  fapprit,  6  Dejanire!  la  passion  qui 
enchainait  le  fils  d'Amphitryon  aupr^  dlole.  Am^nte  cr6duie,  elle 
accueille  ce  bruit.  Surprise  de  celte  infidelite,  la  malheureuse 
s'abandonne  aux  pleurs.  Son  depit  se  manifeste  d^abord  par  des 
larmes,  mais  bientdt  il  eclate.  «  Pourquoi  pleurer  ?  dit-elle.  Ces 
larmes  combleraient  ma  rivale  de  joie.  Eile  approche.  Ilatons- 
nous  de  recourir  a  un  expedient  inconnu,  puisqu'il  en  est  temps, 
et  qu'une  autre  n'a  pas  encore  usurpe  ma  place.  Dois-je  me 
plaindrc  ou  me  laire?  regagner  Calydon  ou  rester  ici?  sortir 

Excipit  hunc  Nessus  :  «  Neque  enim  morieraur  inulti,  » 
Secum  ait,  et  calido  velamina  fincta  cruore 
Dat  munus  raptae,  velut  irrilamen  amoris. 

•  HERCULES  IN   MONTE  OETA  CRUCUTUR. 

III.    Longa  fuit  medii  mora  lemporis,  actaque  magni 

Herculis  implerant  lerras,  odiumque  noverca;.  135 

Victor  ab  (Echalia  cenoco  sacra  parabat 

Vota  Jovi,  quum  fama  loquax  praecessit  ad  aures, 

Dejanira,  tuas,  quaj  veris  addere  falsa 

Gaudct,  et  a  minimo  sua  per  mendacia  crescil, 

Amphitryoniaden  loles  ardore  teneri.  140 

Crcdit  amans,  Venerisque  novae  perterrita  fama 

Indulsit  primo  lacrymis,  flcndoquc  dolorem 

Diffudit  miseranda  suum;  mox  deinde  :  «  Quid  autcm 

Flemus?  ait.  Pellex  lacrymis  IsBtabitur  istis.      '^ 

Quae  quoniam  advenlat,  properandum,  aiiquidque  novandum  est,     145 

Dum  licet,  et  nondum  thalamos  lenet  aitcra  nostrbs. 

Conquerar,  an  sileam?  Repelam  Gal^dona,  movcmfct 


530  HETAHORPHOSES. 

de  ce  palais,  ou,  si  je  ne  puis  davantage,  m'opposer  k  leurs  feux? 
Que  dis-je?  je  me  souviendrai  que  je  suis  ta  sceur,  M^l^agre,  et  je 
saurai  tenter  un  grand  crime.  Je  montrerai,  en  egoiigeant  ma 
rivale,  ce  que  peut  un  affront  et  le  ressentiment  d'une  femme.  i 
Elle  roule  miile  projels.  Enfm  elle  se  d^cide  a  envoyer  a  Hercule 
la  tunique  teinte  du  sang  de  Nessus  pour  ranimer  son  amour  ex- 
pirant;  et,  sans  se  douter  des  chagrins  qu'elle  se  prepare,  elle 
remetcettetunique  a  Lichas,  qui  ignore  quel  d^p6t  on  lui  confie. 
Infortunee!  elle  le  conjure  par  les  plus  douces  instances  de 
porter  ce  present  a  son  epoux.  Ilercule  l^accepte,  sans  en  con- 
naitre  le  danger,  et  couvre  ses  epauies  du  venin  de  rhydre. 

£n  ce  moment  il  deposait  Tencens  dans  le  feu,  en  adressant  ses 
voeux  a  Jupiter  i  une  coupe  a  la  main,  il  arrosait  d'un  vin  pur  le 
marbre  de  Fautel.  Aussitdt  le  poison,  developpe  par  la  chaleur 
du  feu,  circule  dans  les  veines  du  li^ros.  Longlemps  son  courage 
eprouv^  comprime  ia  plainte.  Enfin,  succombant  a  ses  maux, 
il  repousse  Tautel,  et  remplit  de  ses  accents  douloureux  les  forets 
de  r(Eta.  II  veut  arracher  la  tunique  fatale.  Mais,  en  la  dechi- 
rant,  il  se  dechire  iui-mSme.  Apres  d'inuliles  efforts,  (comment- 
le  raconter  sans  horreur  ?)  ie  vetement  resle  coM  a  son  corps, 

Excedam  tcctis  ?  Si  nibil  amplius,  obstem  ? 

Quid,  si  me,  Meleugre,  tuam  memor  esse  sororem, 

Forte  paro  faciaus,  quamtumque  injuria  possit  loO 

Femineusque  dolor,  jugulaia  pellice  testor?  » 

Incursus  animus  varios  babet.  Omnibus  illi 

Praetulit  imbutam  nessxo  sanguine  vestem 

Hitlcre,  qusB  vires  dereclo  reddat  amori ; 

Ignaroque  Lichie,  quid  tradat  nescia,  luctus  155 

Ipsa  suos  tradit;  blandisque  miserrima  verbis 

lH>na  det  illa  viro,  maudat.  Gapit  inscius  heros, 

Induiturque  humeris  lerniieae  virus  Ecbiduie. 

Thura  dabat  primis,  et  verba  precantia,  flammis, 
Vinaque  marmoreas  patera  fundebat  in  aras.  ICO 

Incaluit  vis  illa  mali,  resolutaque  flammis 
Uerculeos  abiit  late  diffusa  per  artus. 
Dum  potuit,  solita  gemitum  virlute  repressit. 
Victa  malis  postquam  paiientia,  reppulit  aras, 
Implevitque  suis  nemorosam  vocibus  (Elen.  1G5 

Nec  mora,  lethiferam  conatur  scindere  vestem. 
Qua  trahilur,  Irahll  \VVa  cuVeta  <^^»«i\\\a<^^  wUlu], 
Aut  lj»rel  membrls  trusVta  VeuV^V?^  \«iNc\\\, 


LTVRB  11,  557 

ou  bien  il  met  a  nu  ses  muscles  et  ses  grands  os.  Son  sang  fr^ 
mit  corome  Tonde  ou  Ton  plonge  un  fer  cliaud.  Un  poison  bri^Iant 
le  consume.  La  ne  s'arr^le  point  le  mal.  Des  flammes  avides  d^ 
Yorentses  entrailles ;  une  sueur  noire  coule  de  tous  ses  membres. 
Ses  nerfs  embrases  petillent,  et  le  venin  cache  fond  la  moelle  de 
ses  os.  Alors,  levant  ses  bras  au  ciel ,  flercule  s^^crie : 

«  Jouis  de  mesmaux,  crucUe  Junon;  jouis-en,  et  contemple  mon 
supplice  du  haut  des  cieux.  Rassasie  ton  coBur  barbare ;  ou,  si  je 
puis  inspirer  de  la  piti6,  m^me  a  une  ennemie  (je  sais  combien 
tu  me  hais),  delivre-moi  d'une  vie  en  proie  a  d'horribles  tour- 
raenls,  d'une  vie  qui  m'est  odieuse,  et  qui  fut,  d^s  son  aurore, 
condamnee  a  tant  de  travaux.  La  mort  sera  un  bienfait  pour  moi, 
et  ce  bienfait  sera  digne  d'une  mardtre.  Oui,  j'ai  immol6  iiusiris, 
qui  souillait  les  temples  du  sang  de  ses  h6les ;  j'ai  ravi  au  terrible 
Antee  les  forces  que  lui  donnait  sa  mere ;  je  n'ai  ^te  effraye  ni  des 
trois  corps  du  berger  d'Ib6rie,  ni  de  ta  triple  gueule,  Cerbere, 
N'est-ce  pas  vous,  mes  bras,  qui  avez  bris6  les  comes  d'un  tau- 
reau  redoutable?L'filide,  les  ondes  du  Stymphale  et  la  foret  de 
Parlb^nie  ont  vu  vos  exploits.  Cest  votre  courage  qui  a  enleve  sur 


Aut  laceros  artus,  et  grandia  detegit  ossa. 

Ipse  cruor,  gelido  ceu  quondam  lamina  candens  170 

Tincla  lacu,  slridit,  coquiturque  ardente  veneno. 

Nec  modus  est :  sorbent  avidte  prxcordia  flammffi, 

Gffiruleusque  fluit  toto  de  corpore  sudor, 

Ambustique  sonant  nervi,  csecaque  medullis 

Tabe  liquefactis,  tendens  ad  sidera  palmas :  175 

*  Cladibus,  exclamat,  Saturnia,  pasccre,  noslris; 
Pascere,  et  hanc  pestem  spccta  crudelis  ab  alto ; 
Corque  ferum  satia ;  vel  si  miserandus  et  hosti 
(Hostis  enim  libi  sum),  diris  cruciatibus  segram, 
Invisamque  animam,  natamque  laboribus,  aufer.  180 

Hors  mihi  munus  erit :  dccet  hsc  data  dona  novercam. 
Ei^o.ego  foedantem  peregrino  templa  cruore 
Busirin  domui;  saevoque  alimenta  parentis 
Antaeo  enpui ;  ncc  me  pastoris  iberi 
Forma  triplcx,  ncc  forma  triplex  tua,  Ceibere,  movit.      18S 
Vosne,  manus,  validi  pressistis  cornua  tauri? 
Vebtrum  opus  Elis  habet,  veslrum  styrophaUde%  \uid^, 
VMiheoiumque  neoiusi  vestra  rirlule  TeUlu& 


558  HETAMORPIIOSES. 

les  bords  du  Thermodon  un  baudrier  d'or,  et  les  fruits  mal  gard^ 
par  un  dragon  vigilant.  Ni  les  Centaures,  ni  le  sanglier  qui  d^vas- 
tait  l'Arcadie,  n'ont  pu  me  resister.  L'hydre  elle-m^me  ne  trouva 
de  secours  ni  dans  ses  t^tes  qui  croissaient  sous  mes  coups,  ni 
dans  ses  forces  renaissantes.  Rappellerai-je  les  chevaux  de  Thrace 
engraisses  de  sang  humain?  J'ai  vu  leurs  creches  remplies  de 
membres  mutiles ;  je  les  ai  vues  et  je  les  ai  dispers^es ;  j'ai  tue  ces 
chevaux  avec  leurs  raaitres.  Mes  bl*as  ont  etouffe  le  formidable  lion 
de  N^mee.  Ma  t6te  a  porte  le  ciel.  L'impitoyable  epouse  de  Jupiter 
s'est  fatigueede  m'imposer  ses  ordres,  et  moi,  je  ne  mesuis  point 
lasse  de  les  accomplir.  Mais  aujourd'hui,  j'ai  affaire  a  un  nouvel 
ennemi  que  je  ne  puis  repousser,  ni  par  ma  valeur,  ni  par  mes 
fl^hes,  ni  par  mes  armes.  Un  feu  rongeur  parcourt  tout  mon 
corps,  et  consume  mes  entrailles.  Eurysthee  triomphe,  et  les 
mortels  croient  encore  a  Texistence  des  dieux.  » 

II  dit,  et,  dechire  par  la  douleur,  il  erre  sur  le  sommet  de  Tffita, 
tel  qu'un  tigre  qui  emporte  un  javelot  dans  son  flanc,  et  cherche 
le  chasseur  qui  Ta  frappe.  Souvent  il  pousse  des  gemissements, 
souvent  il  fremit.  Tantdt  il  veut  mettre  en  lambeaux  le  tissu  fatal, 

Thermodontiaco  caelalus  balteus  auro; 

Pomaque  ab  insomni  male  custodita  draconc.  190 

Nec  mihi  Centauri  potuere  resistere,  nec  ml 

Arcadiae  vastator  aper.  Kec  profuit  hydrae 

Crescere  per  damnum,  geminasque  resumere  vires. 

Quid  ?  quum  thracas  equos,  humano  sanguine  pingues, 

Plenaque  corporibus  laceris  praescpia  vidi,  195 

Visaque  dejeci,  dominumque,  ipsosque  peremi. 

Ilis  elisa  jacet  moles  nemeaea  lacertis. 

Hac  coelum  cervice  tuli.  Defessa  jubendo  est 

Saeva  Jovis  conjux;  ego  sum  indefessus  agendo. 

Sed  nova  pestis  adest,  cui  nec  virtule  resisti,  !200 

tiec  telis  armisve  potest :  pulmonibus  crrat 

Ignis  edax  imis,  perque  omnes  pascilur  arlus. 

At  valet  Eurystheus,  et  sunt  qui  credere  possint 

Esse  deos? » 

Dixit,  perque  altam  saucius  OBten 
Haud  aliler  graditur,  quam  si  venabula  tigris  205 

Corpore  fixa  gerat,  factique  refugerit  auctor. 
Saepe  illum  gemilus  edentem,  saepe  frementem, 
Sxpe  retentantem  tolas  Te\m%we  Nft^sVft?., 


LIVRE  IX.  339 

tant6t  il  renverse  des  arbres,  ou  bien  il  s'irrite  contre  la  montagne 
et  tend  les  bras  vers  le  ciel,  oii  r^gne  son  p^re.  II  aper^oit  Lichas, 
qui  se  cachait  tout  tremblant  dans  le  creux  ^d'un  rocher.  La  dou- 
leur  exalte  sa  rage.  «  N'est-ce  pas  de  toi,  Lichas,  s'ecrie-t-il,  que 
je  tiens  ce  funeste  present?  N'es-tu  point  la  cause  de  ma  mort?  > 
Lichas  tremble,  paie  d'effroi,  et  d'une  voix  timide  il  cherche  a  se 
justifier.  Mais,  tandis  qu'il  s^excuse  et  s^apprMe  a  embrasser  ses 
genoux,  Alcide  le  saisit,  le  fait  tourner  trois  ou  qualre  fois  dans 
les  airs,  et  d'un  bras  plus  vigoureux  que  la  baliste,  il  le  jette  dans 
les  flots  qui  baignenl  TEubee.  Lichas  durciten  traversant  Tespace : 
comme  la  pluie,  condensee  par  la  froide  haleine  des  vents,  se 
change  en  neige,  et  comme  la  neige  forme,  en  toumoyant,  des 
globules  qui  retombent  en  gr^Ie;  de  mSme,  quand  Lichas  est 
lanc^  en  Tair  par  le  bras  nerveux  d^Hercule,  la  peur  giace  son 
sang,  tous  les  principes  humides  de  son  corps  se  dess^chent, 
et  il  devient,  selon  Tantique  tradition,  un  rocherinsensible.  Au- 
jourd^hui  m6me,  c'est  un  petit  6cueil  qui  s^el^ve  dans  la  mer 
d'Eubee  et  conserve  des  vesliges  de  la  figure  humaine.  Les  navi- 
gateurs  craignent  de  le  heurter,  comme  sMl  avait  encore  le  senti- 


Sternentemque  trabes,  irasceatemque  videres 

Montibus,  aut  palrio  tendentem  brachia  coelo.  210 

Ecce  Lichan  trepidum,  et  latitantem  rupe  cavata 

Aspicit;  utque  dolor  rabiem  coUegerat  omnem  : 

«  Tunc,  Licha,  dixit,  feralia  dona  tulisti? 

Tunc  meo}  necis  auctor?  »  Tremit  ille,  pavetque 

Pallidus,  el  timide  verba  cxcusantia  dicit.  215 

Dicentem,  genibusque  manus  adhibere  parantem, 

Corripit  Alcides,  et  terque  quaterque  rotatum 

Mittit  in  euboicas,  tormento  fortius,  undas. 

Ille  per  aerias  pendens  induruit  auras. 

Utque  ferunt  imbres  gelidis  concrescere  ventis,  220 

Inde  nives  fieri,  nivibus  quoque  moUe  rotatis 

Adstringi,  et  spissa  glomerari  grandine  corpus; 

Sic  illum  validis  aclum  per  inane  lacerlis 

Essangunmque  metu,  nec  quidquam  humoris  habentem, 

In  rigidas  versum  silices  prior  edidit  setas.  225 

Nunc  quoque  in  euboico  scopulus  brevis  emicat  alte 

Gurgite,  et  humanic  servat  vestigia  (ornvtB. 

Quem,  quasi  seDsnrum,  oautie  calcare  'vetetiW», 


SiO  U^TAMORPHOSES. 

mexiiy  et  l'appellent  toujours  Lichas.  Mais  toi,  illustre  fils  de  Jupi- 
ter,  tu  abats  les  arbres  du  superbe  (Eta,  tu  construis  un  bticher 
et  tu  pries  le  fils  de  Poean  de  recevoir  ton  arc,  ton  large  carquois 
et  tes  fl^hes  destin^s  a  revoir  liion.  Par  les  mains  de  ce  fidele 
serviteur,  le  feu  est  mis  au  bi!icher ;  et,  tandis  que  la  flamme  le 
consume,  tu  places  sur  le  bois  entasse  la  depouille  du  lion  de 
Nto^e  et  la  massue  ou  ta  t6te  repose  avec  la  serenit^  d'un  con- 
vive  assis  a  un  banquet,  le  front  couronne  de  fleurs,  au  milieu  de 
coupes  pleines  de  vin. 

APOTH^OSE   d'hERGULE. 

IV.  Deja  la  flamme  victorieuse  petillait  et  de  toutes  parts  em- 
brasait  le  bucher  :  elle  attaquait  Timpassible  heros,  qui  semblait 
en  mepriser  les  atteintes.  Les  dieux  tremblaient  pour  le  vengeur 
du  monde.  Le  fiis  de  Satume  voit  leur  douleur,  et,  d'un  air  joyeux» 
ii  leur  parle  ainsi :  «  Dieux  immortels,  vos  alarmes  me  comblent 
d*allegresse.  Je  me  felicile  vivement  d'6tre  appele  le  pere  et  le 
roi  d'un  peuple  reconnaissant.  Mon  fils  trouve  un  nouvel  appui 

Appcllantque  Liclian.  At  tu,  Jovis  inclyta  proles, 

Arboribus  csesis,  quas  ardua  gesserat  (Etc,  250 

Inque  pyram  structis,  arcus  pharetramque  capacem, 

Regnaque  visuras  iterum  trojana  sagittas 

Ferre  jubes  Poeante  satum.  Quo  flamma  minislro 

Subdita,  dumque  avidis  comprendilur  ignibus  agger, 

Congeriem  silvi»  nemeaeo  veliere  summam  23i> 

Sternis,  et  imposita  clavo)  ccrvice  recumbis, 

Ilaud  alio  vullu,  quam  si  conviva  jaceres, 

Inter  plena  mcri  redimitus  pocula  SL-riis. 

HERCDLIS   APOTUEOSIS. 

IV.  Jamque  valens,  et  in  omne  latus  diffusa  sonabat, 

Sccurosque  artus,  conlemptoremque  petebat  240 

Flamma  suum.  Timuere  dii  pro  vindice  terrae. 

Quos  ita  (sensit  enim),  laelo  saturnius  ore 

Jupiter  alloquitur  :  «  Noslra  esl  timor  istc  voluptas, 

0  Superi !  toloque  libens  mihi  p»etore  gralur, 

Ouod  memoris  popu\\  dicor  TecV.ovi\uo.  v^^^H^.^  245 

Ei  mea  progenies  vesVro  (v>3^o<\.\x<i  WiV«c  l^\o\ft  <iA, 


LIVRE  n.  3ii 

dans  TOtre  tendresse.  II  doit  sans  doute  cet  int^rSt  k  d'incroyables 
travaux ;  mais  je  ne  vous  en  remercie  pas  moins.  Que  votre  d^ 
Touement  bannisse  de  vaines  craintes  et  meprise  les  feuxde  TCEta. 
Celui  qui  a  tout  vaincu  les  vaincra  aussi.  Ils  d^truiront  ce  qu'il 
tient  de  sa  mere ;  mais  ce  qu^il  a  re^u  de  moi  est  6ternel,  impe- 
rissable,  inaccessible  a  la  mort  comme  a  la  flamme.  Quand  i| 
aura  termine  ses  epreuves  sur  la  terre,  je  Tadmettrai  au  celesle 
sejour,  et,  je  Tespere,  vous  en  serez  tous  satisfaits.  Si  par  basard 
une  divinit^  voyait  avec  peine  Hercule  place  au  rang  des  dieux, 
elle  pourra  ne  pas  applaudir  d'abord  au  destin  que  je  lui  r^serve ; 
mais  elle  reconnaitra  plus  tard  combien  ce  b^ros  en  est  digne,  et 
elle  m'approuvera  malgre  elle.  »  Les  Immortels  exprimerent  leur 
assentiment.  L'epouse  du  roi  des  dieux  parut  elle-mSme  Fentendre 
sans  peine ;  toutefois  eUe  fron^a  le  sourcil  au  moment  ou  elle  se 
irit  atteinte  par  ses  dernieres  paroles.  Cependant  la  fiamme  avait 
d^vore  ce  qu'elle  pouvait  detruire :  les  traits  d'Hercule  n'etaient 
plus  reoonnaissables.  Tout  ce  qu'il  avait  regu  de  sa  m^re  avait 
disparu,  et  il  ne  conservait  que  ce  qu'll  tenait  de  Jupiter.  Comme 
le  serpent,  rajeuni  sous  une  peau  nouvelle,  aime  h  ^taler  le  vif 

Nam  quaoquam  ipsius  dalur  hoc  immanibus  actis, 

Obligor  ipse  tamen.  Scdcnim  ne  pectora  vano 

Fida  metu  paveant,  cetsas  spernile  flammas. 

Omuia  qui  vicit,  vincet,  quos  cernilis,  ignes;  250 

Nec  nisi  materna  Vulcanum  parte  potentem 

Sentiet :  seternum  est,  a  me  quod  traxit,  et  expers 

Atque  immune  necis,  nuUaque  domabile  flamma. 

Idque  ego  defunctum  terra  cceleslibus  oris 

Accipiam,  cunctisque  meum  laetabile  factum  fSl^ 

Dis  fore  conlido.  Si  quis  tamen  Uercule,  si  quis 

Forte  deo  dolilurus  erit,  data  prsmia  nolet; 

Sed  meruisse  dari  sciet,  invitusque  probabit.  » 

Assensere  dii;  conjux  quoque  regia  visa  est 

Csetera  non  duro,  duro  tamen  ultima  vultu  260 

Dicta  tulisse  Jovis,  seque  indoluisse  notatam. 

Interea  quodcumque  fuit  populabile  flammae 

Mulcibcr  abstulera.t,  nec  cognoscenda  remansit 

Herculis  effigies,  nec  quidquam  ab  imagine  ductum 

Matris  habet;  tanlumque  Jovis  vestigia  scrvat.  2C5 

Utque  novub  scrpens,  posita  cum  pelle  senecVi^ 

luxiuiare  solet,  squainaque  virere  leceiiU; 


342  UETAMORPHOSES. 

eclat  dont  brillent  ses  ecailles,  le  h^ros  de  Tirynthe,  degag^  de 
sa  depouille  mortelie,  vit  dans  la  meilleure  partie  de  lui-mSme  : 
il  grandit  et  semble  rev^tu  d'une  majeste  divine.  Le  souverain 
mailre  des  cieux  i'enveloppe  de  nuages,  remporle  sur  un  qua- 
dpige,  et  le  place  parmi  les  astres  radieux. 


ALCm£;NE  RAGONTE  A  IOLE  SON  ACGOUCHEMENT  LABORIEUX.  —  GALANTHIS 
MI^TAHORPHOSEE    EN  BELETTE. 

V.  Atlas  sentit  un  nouveau  poids.  Cependant  Eurysthee  n'avait 
pas  encore  assouvi  son  ressentiment,  et  nourrissait  contre  le  fils 
du  heros  la  haine  implacable  qu'il  avait  couQue  contre  son  pere. 
Tourmentee  par  d'eternelles  inquietudes,  Alcmene  ne  peut  desor- 
mais  confier  qu'a  lole  les  chagrins  de  sa  vieillesse ;  c'est  a  elle 
seule  qu'elle  peut  raconter  ses  malheurs  et  les  exploits  de  son  fils 
qui  ont  eu  pour  t^moin  Tunivers.  Par  Tordre  dJHercule,  Hyllus  la 
reQut  dans  sa  couche  et  lui  donna  son  coeur.  Elle  portait  deja 
dans  son  sein  le  fruit  de  leur  mutuel  amour,  lorsque  Alcmene  lui 
parla  ainsi :  «  Puissent  les  dieux  f^tre  propices,  et  abreger  tes 
douleurs  au  moment  ou,  parvenue  au  terme  de  ta  delivrance, 


Sic,  ubi  morlales  Tirynthius  exuit  artus, 

Parte  sui  meliore  vigct,  majorque  videri 

Gcepit,  et  augusla  fieri  gravitate  verendus.  270 

Quem  pater  omnipolens  inter  cava  nubila  raplum 

Quadrijugo  curru  radiantibus  inlulit  astris. 

ALCUENA   lOLJE  NAllRAT  DIFFICILEM  PARTUM  SUUM.   —    GALANTUIS 
IN  MDSTELAM  MUTATUR. 

V.    Sensit  Atlas  pondus;  neque  adhuc  stheneleius  iras 
Solverat  Eurystheus,  odiumque  in  prole  paternum 
Kxcrcebat  atrox.  At  longis  anxia  curis  275 

ArgoHs  Alcmene,  questus  ubi  ponat  aniles, 
Cui  referat  nati  teslalos  orbe  labores, 
Cuive  suos  casus,  lolen  habet.  Herculis  illam 
Imperiis,  thalamoque  animoque  recepcrat  Hyllus, 
Impleratquc  uterum  generoso  germine.  Cui  sic  280 

Incipit  Alcmene  :  «  Faveant  tibi  nuraina  saltem, 
Corripiantque  moras,  lum  «vuwm  tft«X\«^  Not^\vv% 


LIYRE  IX.  343 

tu  invoqueras  la  deesse  protectrice  de  la  matemit^  craintive,  Ili- 
thyie,  qui,  pour  gagner  la  faveur  de  Junon,  fut  impitoyable  envers 
moi !  D6ja  approchait  le  jour  de  la  naissance  d^Alcide,  condamn^  a 
tant  de  travaux ;  deja,  sous  le  char  du  soleil,  disparaissait  le  dixieme 
signe,  et  je  sentais  mes  flancs  oppresses  par  un  si  lourd  fardeau, 
qu'on  pouvait  aisement  reconnaitre  Toeuvre  de  Jupiter.  U  m'e6t 
et^  impossihle  de  le  supporter  plus  longlemps.  Aujourd'hui  mSme, 
a  ce  simple  r^cit,  l^efTroi  glace  mes  sens ;  ce  souvenir  est  pour 
moi  une  nouvelle  douleur.  Livree  a  la  torture  pendant  sept  nuits 
et  sept  jours,  je  levais  mes  mains  au  ciel,  et  j'invoquais  a  grands 
cris  Lucine  et  les  dieux  qui  president  a  notre  naissance. 

f  EUe  accourut,  mais  subomee  par  Junon  et  resolue  de  me  sacri- 
fier  a  son  injuste  courroux.  A  peine  entend-elle  mes  gemissements, 
qu'elle  s'assied  sur  Tautel  eleve  a  la  porte  de  ce  palais.  La  jambe 
droite  placee  sur  son  genou  gauche,  elle  tient  ses  doigts  entre- 
laces  pour  paralyser  mes  efforts.  Elle  prononce  a  voix  basse  de 
magiques  paroles  qui  different  le  terme  de  mes  douleurs.  Je  lulte, 
et,  dans  mon  desespoir,  je  m'epuise  en  vains  reproches  contre 
Fingratitude  de  Jupiter,  et  j'appeUe  la  mort.  Mes  plaintes  auraienl 

Prsepositam  timidis  parientibus  Ililhyiam, 

Quam  mihi  difficilem  Junonis  gratia  fecil! 

Namque  laboriferi  quum  jam  natalis  adesset  285 

Herculis,  et  decimum  prcmcretur  sidere  signum, 

Tendebat  gravitas  uterum  mihi ;  quodquc  fcrebam, 

Tantum  erat,  ut  posses  auctorem  dicere  tecli 

Ponderis  esse  Jovem.  Nec  jam  tolerare  laborcs 

Dlterius  poteram.  Quin  nunc  quoque  frigidus  artus,         ^90 

Dum  loquor,  horror  habet,  parsque  est  meminisse  doloris. 

Septem  ego  per  noctes,  totidem  cruciata  diebus, 

Fessa  mali^  tendensque  ad  coeium  brachia,  magno 

Lucinam,  Nixosque  pari  clamore  vocabam. 

Illa  quidem  venit,  sed  prajcorrupta,  meumque  295 

QuDB  donare  caput  Junoni  vellet  iniquic. 
Utque  meos  audit  gemitus,  subsedil  in  illa 
Ante  fores  ara,  dextroque  a  poplite  lajvum 
Prcssa  genu,  digitis  inter  se  pectine  junclis 
Sustinuit  nixus.  Tacila  quoque  earmina  voce  300 

Dixit,  et  inceplos  tenuerunt  carmina  parlus. 
Nitor,  ct  ingrato  facio  convicia  demens 
Vana  Jovi,  cupioque  mori,  moluraque  Axaas 


344  m£:tamorphoses. 

altendri  les  plus  durs  rochers.  Les  femmes  thibaines,  rang^es  au- 
lour  de  moi,  font  des  vcbux  et  m^encouragent  a  supporler  mes 
souflrances.  Parmi  mes  esclaves  se  trouvait  la  blonde  Galanthis. 
Me  dans  un  rang  obscur,  elle  se  faisait  cherir  par  son  empresse- 
ment  a  executer  mes  ordres.  Elle  soup^onne  je  ne  sais  quelle  trame 
ourdie  par  le  ressentiment  de  la  reine  des  dieux.  Dans  ses  allees 
et  venues,  elle  aper^oit  Lucine  assise  sur  Tautel,  et  les  mains 
croisees  sur  ses  genoux  :  «  Qui  que  tu  sois,  lui  dit-elle,  felicite 
f  ma  maitresse.  Alcmene  esl  delivree.  Devenue  mere,  ses  voeux 
«  sont  accompHs.  »  Lucine,  etonnee,  se  leve  brusquement  et  d6- 
tache  ses  mains.  Au  m6me  instant  je  fus  soulagee.  Fi^re  de  Tavoir 
tromp^e,  Galanthis  se  mit,  dit-on,  a  rire.  Elle  riait  encore,  quand 
ia  d^esse  furieuse  la  saisit  par  les  cheveux,  la  traine,  la  renvei-se, 
Temp^che  de  se  relever,  et  change  ses  bras  en  pieds.  Galanthis  con- 
serve  son  ancienne  vivacite ;  elle  a  toujours  sa  premiere  couleur ; 
mais  sa  forme  est  differente.  Comme  sa  bouche,  pour  seconder 
mon  accouchement,  avait  profere  un  mensonge,  m^tamorphosee 
en  belette,  elle  met  bas  par  la  bouclie,  et,  comme  autrefois,  eile 
habite  nos  demeures.  » 


Verba  queror  silices.  Matres  cadmeides  adsunt, 

Votaque  suscipiunt,  exhortanturque  dolentem.  305 

Una  niinislrarum,  media  de  plebe,  Galanthis, 

Flava  comas  aderat,  faciendis  strenua  jussis, 

OfBciis  diiecta  suis.  Ea  sensit  iuiqua 

Nescio  quid  Junone  geri.  Dumque  cxit  et  intrat 

Saepe  fores,  divam  residentem  vidit  in  ara,  310 

Brachiaque  in  genibus  digitis  connexa  tcnentem, 

Et :  «  Qusecumque  es,  ait,  dominae  gratarc.  Lcvata  est 

c  Argolis  Alcmene,  potiturque  puerpera  volo.  »   • 

Exsiiuit,  junctasque  manus  stupefacta  remisit 

Diva  potens  uleri.  Vinclis  levor  ipsa  remissis.  315 

I^umine  dccepto  risisse  Galanthida  fama  cst. 

Ridentem  prensamque  ipsis  dea  sajva  capillis 

Traxit,  et  e  terra  corpus  rclevare  volenlem 

Arcuit,  inque  pedes  mutavit  brachia  primos. 

Strenuitas  antiqua  m£net,  nec  lerga  colorem  3:20 

Amisere  suum :  forma  est  diversa  priori. 

QaXf  quia  raendaci  parientem  juverat  ore, 

Ote  parit,  nostrasque  domos,  uV.  eV.  ^wve,  lt«,<v^^w\aX.»"» 


LIYRE  IX.  345 


DRTOPE  EST  TRANSFORm£e   EN    LOTOS. 

VI.  A  ces  mols,  Alcmene  soupire,  emue  au  souvenir  de  son  an- 
cienne  esclave.  lole  interrompt  ses  gemissements  :  «  0  ma  mere ! 
-si  vous  deplorez  a  ce  point  la  metamorphose  d'une  etrangere, 
quel  sera  votre  chagrin  en  apprenant  Fetrange  destinee  de  ma 
soBur,  pourvu  que  mes  larmes  et  ma  douleur  ne  m'emp^chent  pas 
de  la  raconter,  et  n^etouffent  pas  ma  voix!  Fille  unique  de  sa 
mere  (j^etais  le  fruit  d'un  premier  hymen  de  mon  pere),  Dryope 
fut  la  beaute  la  plus  cel^bre  de  rCEchalie.  Le  dieu  de  Delphes  el 
de  Deios  avait  triomplie  de  sa  pudeur  avanl  qu^elle  etit  donne  sa 
main  a  Andremon,  et  chacun  Testimait  heureux  de  Tavoir  pour 
epouse.  II  est  un  lac  dont  les  bords,  inclines  comme  le  rivage  de 
la  mer,  sont  couronnes  de  myrtes.  Sans  prevoir  sa  destin^e,  Dryope 
s'y  rendit,  et  (ce  qui  augmente  la  pitie  qu^inspire  son  malheureux 
sorl)  elle  allait  oflrir  des  guirlandes  aux  Nymphes  de  ce  lac.  Elle 
portait  sur  son  sein  un  doux  fardeau,  son  flls,  qui  n'avait  pas 
encore  un  an,  et  qu  elle  nourrissait  de  son  lait.  Non  loin  croissait 
le  lotos,  ami  des  eaux,  dont  les  fleurs  ecarlates  promettaient  des 

Dr.YOPE   IN   LOTON  TRANSFOUMATUU. 

VI.    Dixil.  ct,  admonitu  vcteris  cominola  ministrac, 

Ingemuit.  Quam  sic  nurus  est  affala  gemenlem :  325 

c  Tc  tamen,  o  genilrix,  ajiensc  sanguine  vestro 

Rapta  movet  facies.  Quid,  si  tibi  mira  sororis 

Fata  meae  referam?  Quanquam  lacrymxquc  dolorquc 

Impediunt,  prohibcntque  loqui.  Fuit  uoica  matri 

(Me  pater  cx  alia  genuil),  nolissiraa  forma  530 

(Echalidum  Dryope.  Quam  virginilate  carcntom, 

Vimque  dei  passam,  Delplios  DelOnque  tenenlis, 

Excipit  Andrxmon,  et  habetur  conjuge  felix. 

Est  lacus,  acclivi  devexo  margine  formam 

Lilloris  efficiens  :  summum  myrteta  coronant.  355 

Vencrat  huc  Dryope  fatorum  nescia.  Quoquc 

Iridignere  magis,  Nymphis  latura  coronas, 

Inquc  sinu  pucrum,  qiii  nondum  implcverat  annuin, 

Dulcc  ferc1)at  onus,  tepidique  opc  lactis  alebat.  , 

llaud  procul  a  stagno,  tyrios  imitata  colores,  340 

In  spcra  baccarum  florebat  aqua'\ca  \olos. 


340  METAMORPHOSES. 

fruits  abondants.  Dryope  en  cueillit  plusieurs  et  les  domia  a  son 
fils  pour  l'amuser.  A  son  exemple,  j'allais  en  cueillir  moi-m^me; 
car  i'etais  avec  elle.  Je  vis  des  gouttes  de  sang  tomber  de  ces  fleurs, 
et  les  rameaux  de  Farbre  frissonner.  Enfin,  par  une  revelation 
tardive,  les  bergers  de  la  contree  nous  apprirent  que  la  Nymphe 
Lotis,  pour  echapper  aux  infames  d^sirs  de  Priape,  fut  changde  en 
cet  arbre  qui  a  garde  son  nom. 

«  Ma  soeur  ne  connaissait  point  cette  aventure.  Effray^,  elle 
voulait  revenir  sur  ses  pas  et  s'eloigner  des  Nymphes  qu'elle  venait 
d'adorer;  mais  ses  pieds  prirent  racine.  Elle  tenta  en  vain  de  les 
degager :  le  haut  de  son  corps  put  seul  se  mouvoir.  Autour  d^elle 
naquit  une  souple  ecorce  qui  Tenveloppa  jusqu'aux  reins.  A  cet 
aspect,  ma  soeur  voulut  s'arracher  les  cheveux ;  mais  sa  main  se 
remplit  du  feuilla^e  dont  sa  t^te  etait  ombragee.  Amphisse  (c'est 
le  nom  que  Tenfant  avait  re^u  d'Eurytus,  son  aieul)  sentit  le  sein 
de  sa  mere  se  durcir.  Malgre  ses  efforls,  il  ne  donnait  plus  de  lait. 
J-^tais  temoin  de  ta  cruelle  destinee,  6  ma  sceur !  etje  liopouvais 
te  porter  du  secourj.  J'entourai  de  mes  bras  le  tronc  et  les  rd- 
meaux,  et,  autant  que  je  le  pus,  je  retardai  leurs  progres.  J^aurais 


Carpseral  hinc  Dryope,  quos  obleclaniina  nato 

Porrigeret,  flores,  et  idem  faclura  videbar 

(Namque  aderam).  Yidi  gultas  e  flore  crucnlas 

I)ecidere,  et  Ircmulo  ramos  horrore  movcri.  34S 

Scilicet,  ut  referunt  tardi  nunc  denique  agrcsles, 

Lotis  in  hanc  Nymphe,  fugiens  obscena  Priapi, 

Contulerat  versos,  servato  nominc,  vultus. 

<  Nescierat  soror  hoc.  Quse  quum  pcrterrita  rctro 
Itc,  et  adoratis  vellet  discedere  Kymphis,  5S0 

Haeserunt  radice  pedes.  Coi^vellere  pugnat, 
Ncc  quicquam,  nisi  summa,  movet.  Succrescit  ab  imO 
totaque  paulatim  lentus  premit  iuguina  corlex. 
Ut  vidit,  conaia  manu  laniare  capillos 
Fronde  manum  implevit :  frondes  caput  omne  tcnebaut.    353 
At  puer  Araphissos  (namque  boc  avus  Eurylus  illi 
Addidcrat  nomen)  materna  rigescere  sentit 
Ubcra,  ncc  scquitur  ducentcm  lacteus  humoi:. 
Spectatrix  aderam  fati  crudelis,  opemque 
lion  poteram  tibi  ferre,  soi^or ;  quantumquc  valebamj      3G0 
Gfescentetn  truQCum)  raimoy^vie  mxv^W^,  mwte, 


LIVnE  IX.  347 

▼oulu,  je  ravoue,  disparattre  sous  la  m^me  ecorce  que  toi.  Tout 
a  coup  au  bord  du  lac  parurent  son  epoux  Andremon  et  son  pere 
d&espere.  Us  chercherent  Dryope.  Tandis  qu'ils  la  demandaient, 
je  leur  montrai  le  lotos.  Ils  baiserent  sa  tige,  encore  chaude,  et, 
prosternes  aux  pieds  de  Tarbre,  ils  le  serrerent  dans  leurs  bras. 
Enfin  il  ne  restait  en  toi,  ma  chere  sceur,  rien  qui  n'eut  rev^lu 
la  forme  d'un  arbre,  exceple  ton  visage.  Des  larmes  arroserent  les 
feuilles  nees  de  son  corps.  Pendant  qu'il  en  etait  temps,  et  que  sa 
bouche  laissait  un  dernier  passage  a  la  voix,  elle  exhala  ces  plain- 
tes  dans  les  airs  : 

«  Si  les  malheureux  sont  dignes  de  foi,  je  le  jure  par  les  dieux, 
«  je  ne  merite  point  cet  outrage.  Je  suis  punie  sans  etre  coupable. 
«  Ma  vie  fut  pure.  Si  je  mens,  puisse-je  devenir  aride,  et  perdre 
«  mon  feuillage,  puisse  je  tomber  sous  la  hache  et  servir  d'ali- 
«  ment  aux  fiammes !  Gependant,  detachez  cet  enfant  des  rameaux 
«  sortis  des  bras  de  sa  mere;  confiez-Ie  a  une  nourrice.  Qu'il  boive 
«  souvent  son  lait  sous  mon  ombrage,  et  s*y  livre  a  ses  jeux.  Des 
4  qu'il  pourra  parler,  ayez  soin  qu'il  me  salue  du  nom  de  mere,  et 
«  dise  avec  douleur :  Ma  mere  est  cachee  sous  cette  icorce,  Mais 
«  qu'il  craigne  les  lacs,  qu'il  ne  cueilie  jamais  de  fleurs,  et  qu'il 


Et,  faleor,  volui  sub  eodem  cortice  condi. 

Ecce  vir  Andrsemon,  genitorque  miserrimus,  adsunt, 

Et  quaerunt  Dryopen.  Dryopen  quxrenlibus  illis 

Ostendi  loton.  Tepido  dant  oscula  ligno,  365 

Affusiquc  suae  radicibus  arbotis  hserent. 

Nil,  nisi  jam  faciem,  quod  non  foret  arbor,  habebas, 

Cara  soror.  Lacrymse  misero  de  corpore  factis 

Irrorant  foliis;  ac,  dum  licct,  oraque  pneslant 

Vocis  iter,  tales  effundit  in  aera  questus  :  370 

<  Si  qua  fides  miseris,  faoc  me  pcr  numina  jurd 
•  Non  meruisse  nefas.  Patior  sine  crimine  poenam. 
«  Viximus  innocuse.  Si  mentior,  arida  perdam, 
«  Quas  habeo,  frondes,  el  caesa  securibus  urar. 
<t  Hunc  tamen  infantem  maternis  demite  ramis,  575 

«  Et  date  nutrici,  nostraque  sub  arbore  saepe 
«  Lac  facitolc  bibat,  nostraque  sub  arborc  ludal. 
«  Quumque  loqui  poterit,  matrem  facitolc  salutet, 
«  Et  tristis  dicat :  Latet  hoc  sub  slipite  ma(er. 
f  Stagaa  tamea  (imeat,  nec  carpat  a\)  atY^ote  ^0^«%«       ^^ 


348  METAMORPHOSES. 

f  regarde  les  arbres  comme  autant  de  divinites.  Adieu,  moii 
•  epoux,  el  loi,  ma  soeur,  et  toi,  mon  pere.  Si  vous  eAtes  pour 
«  moi  quelque  tendresse,  protegez  mon  feuillage  contre  la  serpe 
f  tranchante  et  la  dent  des  troupeaux.  Comme  je  ne  puis  m'incli- 
«  ner  vers  vous,  approchez-vous  de  moi,  et  venez  recevoir  mes 
«  baisers;  car  vous  pouvez  me  toucher  encore.  filevez  mon  fils 
«  jusqu^a  moi.  Je  ne  saurais  parler  davantage.  La  flexible  enve- 
«  loppe  s'etend  sur  mon  cou  d^albatre,  et  ma  t^te  disparait  sous 
«  la  cime  d'un  arbre.  filoignez  vos  mains  de  mon  front ;  que  F^ 
«  corce,  sans  votre  aide,  couvre  mes  yeux  mourants.  j»  Ellecessa 
au  m^me  instant  de  parler  et  de  vivre.  Apr^s  cette  metamor- 
phose,  les  rameaux  qui  venaient  de  nailre  conserverent  longtemps 
un  reste  de  chaleur. » 

META)IORPnOSE   D^IOLAS   EK   JEUNE   HOMME. 

Vn.  Tandis  qulole  raconte  la  triste  destinee  de  sa  s(Bur,  tandis 
qu'Alcmene  essuie  de  sa  main  les  larmes  de  la  fille  d^Eurytus  et 
qu'elle  pleure  elle-m^me,  un  nouveau  prodige  apaise  leur  douleur. 
Sur  le  seuil  de la  porte  parait  lolas,  tel  quil  fut  dans  son  adoles^ 

•  Et  frutices  omnes  corpus  putet  csse  dearuni. 

«  Care  valc  conjux,  ct  lu  gcnnana,  palcrquc, 

<  Queis,  si  qua  est  pielas,  ab  acuta:  vulnere  falcis, 

«  A  pccoris  morsu,  frondes  defenditc  noslras. 

«  Et  quoniam  milii  fas  ad  vos  incumbcre  non  cst,  385 

«  Erigitc  Iiuc  artus,  ct  ad  oscula  nostra  venitc, 

1  Dum  tangi  possum,  parvumquc  allollite  nalum. 

«  riura  loqui  nequco,  nam  jam  per  candida  mollis 

«  CoUa  liber  serpit,  summoque  cacuminc  condor. 

«  Ex  oculis  removele  manus.  Sinc  muncre  vestro  300 

«  Contegat  inductus  morientia  lumina  cortcx.  » 

Dcsicranl  simul  ora  loviui,  simui  cssc,  diuquc 

Corpore  mutato  rami  calucre  rcconlcs.  » 

lOLAS    IN    JUVENEW   MCTATUll. 

Vll.    Duniquc  refert  lole  factum  miserabile,  dumque 

Eurytidos  lacrymas  admoto  pollice  siocat  3U5 

Alcmenc,  flet  ct  ipsa  tamcn.  compescuit  omncni 
lles  nova  tristitiam.  Nam  liraine  constitit  alto 
Pajne  puer,  dubiaque  legetv?»  Vauvx^^vue  malas 


LIVRE  IX.  349 

cence.  A  peine  un  leger  duvet  ombragc  s^s  joues  :  il  a  repris  les 
traits  du  jeune  ^ge.  La  fille  de  Junon,  llebc,  cedant  aux  prieres 
de  son  epoux,  lui  avait  accorde  ce  bienfait.  Elle  allait  jurer  qu'a 
ravenir  elle  n'accorderait  a  personne  la  m6me  faveur;  mais 
Themis  ren  emp^cha.  «  Deja,  dit-elle,  la  discorde  allume  la  guerre 
au  sein  de  Thebes.  Capanee  ne  pourra  ^tre  vaincu  que  pai'  Jupiler. 
Deux  freres  s'entr'egorgeront.  Un  devin  verra  la  terre  s'entr'ouvrir, 
el  descendra  vivant  dans  les  enfers.  Son  fils,  en  vengeant  Tau- 
teur  de  ses  jours  par  la  mort  de  sa  mere,  se  montrera  en  m^me 
temps  innocent  et  criminel.  fipouvante  de  son  forfait,  banni  de  sa 
patrie  et  frappe  de  demence,  il  sera  poursuivi  par  le  spectre  des 
Furies  et  par  Fombre  de  sa  mere,  jusqu'au  jour  ou  son  ^pouse  lui 
demandera  le  fatal  coUier  d'or,  et  oii  le  glaive  des  fils  de  Pheg^e 
sera  teint  du  sang  de  leur  parent.  Alors  enfin,  la  fille  d'Achelotis, 
Callirhoe,  suppliera  le  puissant  Jupiter  d'avancer  T^ge  de  ses  fils, 
encore  enfants,  el  de  ne  pas  laisser  impunie  la  mort  de  son  ven- 
geur.  Le  roi  des  dieux,  par  condescendance  pour  sa  belle-fille  cl  sa 
bru,  exaucera  ses  vceux  :  ses  fils  seront  hommes  des  Tenfance. » 


Ora  reformatus  primos  lolaus  in  annos. 

lloc  illi  dedcrat  junonia  muncris  Ilebe,  400 

Victa  viri  prccibus.  Quaj  quum  jnrare  pararct 

Dona  tributuram  posthac  sc  talia  nulli, 

Non  cst  passa  Themis  :  «  Nam  jam  discordia  ThcbaB 

Bclla  niovcnt,  dixit,  Capaneusque  nisi  al)  Jove  vinci 

Ilaud  poterit,  ibuntque  pares  in  vulnera  fratres.  405 

Subductaque  suos  mancs  tcllure  videbit 

Vivus  adhuc  vates.  Ultusqjie  parentc  parcntem 

Natus,  erit  facto  pius  rt  scelcratus  eodem. 

Attonitusque  maiis,  cssul  mentisque  domusque, 

Vultibus  Eumenidum,  matrfBtpie  agit-jbitur  umbris,  410 

Donec  eum  conjui  fatale  poposccrit  aurum, 

Cognatumque  latus  phegeius  hauserit  ensis. 

Tum  demum  magno  pelet  hos  acheloia  supplex 

Ab  Jove  Callirhoc  natis  infantibus  annos 

Addat,  ncve  necem  sinat  esse  uUoris  inullam.  15 

Jupitcr  his  motus,  privignaB  dona  nurusquc 

Prtccipict,  facielqne  viros  impubibus  annis.  ^ 


^LV^ 


m 


mxAMosipmsE  m  eveus  ejh  fostainb. 


VIII,  A  ycine  Tliemis,  nui  lit  dans  ravenir,  a-t-alle  proiiautid 
ces  paroles  propheliqiies,  que  des  murmur^s  s'elevcnt  pmmi  les 
Iniraorlels,  *i  Poiirquoi  ne  serait-iJ  point  ptTniis  d'accorder  a  d'au- 
Iresla  m^rae  faveur?  *  repetent  mille  voix  confuses.  La  so&ur  de 
Pallas  se  plaiut  de  la  vicillesse  de  son  epoux  ;  la  bienfaisante  C^r^ 
yemit  tie  voir  Iiision  blandii  par  le^  annces ;  Vulc-aindemaiide  quc 
la  vie  recoramence  pour  Erichthonius ;  Venus  elle-m^me  slnquiete 
pour  raifenirT  el  vcul  que  h  jeunesse  soit  rendue  a  Anchise.  Chaque 
dieu  a  des  favoris  qu^il  prolege*  Tant  d'inter^Ls  accroissent  Je 
tiwble  Gl  le  bruil.  Eniin  Jupiler  fail  entendre  cesmols  ;  «  Si  vous 
avez  quclque  ro^pect  pour  moi,  a  quoi  bon  ce  lunmlte  ?  Qui  de 
vous  tuoit  pouvoir  triornpher  du  Deslin?  C*est  par  lui  qu'Iolas  a 
retrouveses  premieres  annees;  c'est  par  lui  que  le$  enfants  de 
Callirboe  vont  aiTiver  i\  k  forcc  de  Psige.  Mais  ils  n'oiit  obleiiu  ce 
bieiif^ut  ni  parla  brigue  ni  par  les  armes.  Vous  aussr,  vous  ^teSj 
coninie  moi,  sons  la  loi  du  Desiin  :  c'est  une  raison  pour  vous 
d'etoufler  vos  plaintes.  Si  je  pouvais  changer  ses  decrets,  mon  fils 
fiaque  ne  serait  plus  courbe  sous  le  poids  des  ans ;  un  printenips 


BYBLIS  IN  FONTEM  CONVERSA. 

Vlll.    Uacc  ubi  faticano  venturi  praescia  diiit 

Ore  Themis,  vario  Superi  sermone  fremebaut, 

Et,  cur  non  aliis  eadem  dare  dona  liccret,  4*20 

Murmur  erat.  Queritur  veleres  Pallantias  annos 

Conjugis  esse  sui;  queritur  canescere  milii 

lasiona  Ceres;  repetitum  Mulciber  sevum 

Poscit  Erichthonio;  Vcnerem  quoque  cura  fuluri 

Tangit,  et  Anchisaj  renovare  paciscitur  annos.  4'2o 

Cui  studeat,  deus  omnis  habet,  crescitque  favore 

turbida  sedilio,  donec  sua  Jupiler  ora 

Solvit,  ct :  •»  0  nostri  si  qua  est  reverentia,  dixit, 

Quo  ruitis?  Tantumne  sibi  quis  posse  videtur,    . 

Fata  quoque  ul  stipjret?  Fatis  lolaus  iu  annos,  43() 

Quos  egit,  rediii;  Falis  juvenescere  debcnt 

Callirhoe  gcuili;  non  ambitione,  ncc  armis. 

Vos  etiam,  quoque  hoc  animo  meliore  fcratis, 

He  quoque  Fata  regunt.  Quae  si  mutarc  valerem, 

Nec  noslrum  seri  curvarent  ifiacon  anni,  435 


LIVRE  IX.  351 

^ternel  brillerait  sur  le  front  de  Rhadamanthe  et  de  mon  cher 
Minos,  qui,  glace  par  la  vieillesse,  est  en  Ijutte  a  de  cruels  dedains, 
et  ne  gouverne  plus  ses  Etats  avec  la  mtoe  sagesse. »  Les  paroles 
de  Jupiter  apaisent  les  dieux.  Aucun  n'ose  se  plaindre  en  voyant 
plier  sous  le  poids  des  annees  Rhadamanthe,  fiaque  et  Minos  lui- 
mSme.  Dans  sa  jeunesse,  Minos  avait,  par  son  nom  seul,  porte  la 
terreur  chez  des  peuples  puissants ;  mais  alors,  affaibli  par  Tage, 
il  tremblait  devant  le  fiis  de  Deionee,  Milet,  fier  de  sa  vigueur  et 
du  sang  d^Apollon.  II  craignait  que  ce  jeune  audacieux  ne  ren- 
versSt  son  trdne ;  et  cependant  il  n'osait  T^loigner  de  ses  Elats. 
Tu  t^enfuis  spontanemenl,  6  Milet !  tu  sillonnas  la  mer  Egee  sur 
un  rapide  navire,  et  tuelevas  en  Asie  une  ville  qui  prit  le  nom 
de  son  fondateur. 

La,  sur  les  bords  sinueux  quebaigne  son  pere,  errait  la  fille  du 
Meandre  qui  se  replie  mille  fois  sur  lui-m6me,  Cyane,  celebre  par 
sa  beaute.  Elle  s^offrit  a  tes  regards,  et  bientot  tu  la  rendis  mere 
de  deux  enfants,  BybUs  et  Caunus.  Byblis,T)ar  son  exemple,  ap- 
prend  a  son  sexe  a  ne  bruler  que  de  feux  legitimes.  Elle  concut 
pour  son  frere  une  ardeur  impure,  au  lieu  de  Taimer  comme  une 

Perpetuumque  aevi  florem  Rhadamanthus  haberet, 

Cum  Minoe  raeo,  qui  propter  amara  senectae 

Pondera  despicitur,  nec,  quo  prius,  ordinc  regnat.  » 

Dicta  Jovis  movere  deos;  nec  sustinet  ullus, 

Quum  videant  fessos  Rhadamanthon,  et  iEacon  annis,       440 

Et  Kinoa,  queri,  qu-i,  dum  fuit  integer  aevi, 

Terruerat  raagnas,  ipso  quoque  nomine,  gentes. 

Tunc  erat  invalidus,  Deionidenqve  juventaj 

Robore  Milelum,  Phoeboquc  parente  supcrbum, 

Pertimuit;  credensque  suis  insurgcre  regnis,  445 

Ilaud  tamen  est  patriis  arcere  penalibus  ausus. 

Sponte  fugis,  Milete,  lua,  celerique  carina 

i^gxas  metiris  aquas,  et  in  Aside  tcrra 

Mcenia  constituis,  positoris  habentia  nomen. 

Hic  tibi,  dum  sequitur  patriic  curvamina  ripJB  450 

Filia  Maiandri  toties  redeuntis  codem, 
Cognila  Cyanee,  praistanti  corpore  Nymphe, 
Byblida  cum  Cauno  prolem  est  enixa  gemellam. 
Byblis  iu  cxcmpio  est,  ut  ament  concessa  pueUcc. 
Byblis  apoUinei  correpta  cupidine  fralris,  ^Ksb 

Pion  soror  ut  Aalrera,  ncc  qua  debebal,  ama.\*\\.. 


552  MfiTAMORPHOSES. 

soeur..  D^abord  la  nature  de  sa  flamme  lui  echappe ;  elle  ne  se  croil 
point  criminelle  en  donnant  souvent  des  baisers  aCaunus,  ou  en 
le  serrant  dans  ses  bras.  Longtemps  sa  tendresse  de  soeur  est 
pour  elle  une  illusion  trompeuse.  Peu  a  peu  elle  degenere  en 
amour.  Pour  voir  son  frere,  elle  se  pare  et  d(&sire  trop  de  paraitre 
belle  a  ses  yeux.  Une  beaute  qui  Teclipse  est-elle  pres  de  lui,  son 
coeur  s'ouvre  a-Ia  jalousie.  Cependant  elle  ne  se  connait  pas  bien 
encore.  En  proie  a  de  telles  ardeurs,  elle  ne  forme  point  de  voeu; 
mais  l'amour  bouillonne  dans  son  coeur.  Enfm  elie  appelle  Caunus 
son  maitre,  et  elle  hait  le  nom  de  frere.  EUe  aime.mieux  que 
Caunus  la  nomme  Byblis  que  sa  soeur.  Cependant  elle  n'ose,  tan- 
dis  qu^elle  veille,  ouvrir  son  kme  a  une  espgrance  coupable.  Mais, 
quand  elle  goute  les  douceurs  du  sommeii,  souvent  elle  voit  celui 
qu^elle  adore.  Elie  se  croit  aussi  dans  les  bras  de  son  frere,  et 
rougit,  quoiqu'elle  dorme  encore. 

A  son  reveil,  elle  garde  longtemps  le  silence.  Elle  airae  a  se 
retracer  1'image  qui  Ta  charmee  en  songe,  et  de  son  coeur  troubl^ 
s'^happenl  ces  mots :  « Infortunee !  Que  signifie  ce  r6ve  de  la  nuit? 
Puisse-t-il  ne  point  se  reahser !  Mais  pourquoi  ai-je  vu  ces  images? 
Des  yeux  prevenus  sont  forces  de  rendre  temoignage  a  sa  beaute. 

Illa  quidem  primo  nuUos  intelligit  ignes, 

Nec  peccare  putat,  quod  ssBpius  oscula  jungat, 

Quotl  sua  fraterno  circumdet  brachia  coUo; 

Mendacique  diu  pietalis  fallitur  umbra.  i6() 

Paulatim  declinat  amor,  visuraque  fratrem 

Culla  venit,  nimiumquc  cupit  formosa  vidcri; 

rt  si  qua  est  illic  formosior,  invidct  iili. 

Sed  nondutn  manifesta  sibi  est;  nuUumque  sub  illo 

Igne  facit  votum,  verumtamen  acstuat  intus.  4C5 

Jam  dominum  appellat,  jam  nomina  sanguinis  odit, 

Byblida  jam  mavult,  quam  se  vocet  ille  sororcm. 

Spes  tamen  obsccnas  animo  demitlere  non  est 

Ausa  suo  vigilans.  Placida  resoluta  quiele 

Saepe  videt  quod  amat.  Visa  est  quoque  jungere  fratri       470 

Corpus,  et  erubuit,  quamvis  sopita  jacebat. 

Somnus  abit.  Siiet  illa  diu,  repetitque  quietis 
Ipsa  suaj  speciem,  dubiaque  ita  mente  profatur : 
«  Me  miseraml  tacvle  c\uvd  vult  sibi  noctis  imago? 
Quam  noUm  rala  s\l\  Cut  \\«it  e^o  ?»o\ws\\;si  n\^\^.  47o 

Ille  quidem  esl  ocuXis  cvviamNVs  iottcvo^w^  w:\oj\\%\ 


LIVRE  IX.  353 

II  me  plait,  et,  s'il  n'etait  mon  frere,  je  pourrais  Taimer :  il  serait 
digne  de  moi.  Mais  mon  titre  de  soeur  nuit  a  mon  amour.  Pourvu 
que  mon  delire  n^egare  point  mes  esprits  quand  je  suis  eveillee, 
puisse  le  sommeil  m^offrir  souvent  de  telles  images  I  Un  songe  est 
sans  temoins,  mais  il  n'est  pas  sans  volupte.  0  V^nus !  6  Gupidon ! 
toi  qui  voltiges  aupres  de  ta  tendre  mere,  queilejoiej'ai  gouteel 
Dans  quel  trouble  m'ont  jetee  ses  visibles  atteintes!  Comniie  j*ai 
senti  mon  coeur  se  fondre  de  plaisir !  Quel  souvenir  delicieux ! 
Cependant  ce  plaisir  a  ete  bien  rapide!  Elle  a  6le  bien  courte, 
cette  nuit  jalouse  de  ma  felicite !  Que  je  voudrais  changer  de  nom 
pour  m^unir  a  toi!  Que  je  souhailerais,  Caunus,  6tre  la  bru  de  ton 
pere !  que  je  souhailerais  te  voir  ie  gendre  du  mien !  Ah !  plut  aux 
dieux  que  tout  fut  com:nun  entre  nous,  excepte  nos  anc^tres !  Je  te 
voudrais  ne  d'un  sang  plus  illuslre  que  le  mien !  Je  ne  sais  quelle 
femme  tu  rendras  mere,  6  toi  que  tantde  beaute  decore !  Pour  moi, 
malheureuse,  quoique  une  falale  destinee  nous  ail  donne  les  m6mes 
parents,  tu  ne  seras  jamais  qu'un  frere.  Nous  n  aurons  de  com- 
mun  que  ce  qui  nuit  a  mon  amour  I  Que  me  presagent  donc  ces 
visions?  Quelle  confiance  dois-je  ieur  accorder?  Lessonges  ont-ils 
jamais  eu  de  1'importance?  Que  les  dieux  me  soient  propices !  ils 

£t  placel,  et  possum,  si  non  git  frater,  amare; 

Et  me  dignus  erat  :  verum  nocet  esse  sororem. 

Dummodo  tale  nihil  vigilans  commiltere  tenlem, 

Sj[^pe  licet  simili  redeat  sub  imagiue  somnus.  480 

Testis  abest  somno,  nec  abest  imitata  voluptas. 

Troh  Venus,  ct  tenera  volucer  cura  matre  Cupido! 

Gaudia  quanta  tuli !  Quam  me  manifesla  libido 

Contigit!  Ut  jacui  totis  resolula  medullis! 

Ut  meminisse  juval!  Quamvis  brevis  illa  voluptas,  485 

Noxque  fuit  praecops,  et  cceptis  invida  noslris. 

0  ego,  si  liceat  mutalo  nomine  jungi, 

Quam  bene,  Taune,  tuo  poteram  nurus  esse  parenli! 

Quam  bene,  Cauue,  meo  poteras  gener  esse  parenti! 

Omnia,  di  facerent,  csscnt  communia  nobis,  490 

Praeter  avos:  lu  me  vcllem  gcnerosior  esses. 

Nescio  quam  fucies  igilur,  pulchcrrimc,  matixm; 

At  mihi,  quae  male  sum,  quos  tu,  sortita  parentcs, 

Nil  nisi  frater  eris  :  quod  obcsl,  id  habebimus  unum. 

Quid  mihi  signilicant  ergo  mea  visa?  Quod  autcm  Aft^ 

Sorania  pondus  habenl?  An  habeul  el  sowviviai  ^oMu^^l 


554  M*TAMORPIIOSES. 

onl  aime  leurs  soeurs.  Salurne  s'est  uni  a  sa  parenle  Opis,  rOc6an 
a  Tethys,  et  le  roi  des  cieux  a  Junon.  Mais  les  dieux  ont  des  pri- 
vileges.  Pourquoi  comparer  a  leurs  destins  les  destinees  hu- 
maines  et  rapprocher  des  unions  si  differentes  des  n6tres  ?  Ou  je 
bannirai  de  mon  coeur  cette  flamme  illegitime,  ou,  s'il  m'est  im- 
possible  de  Teteindre,  puisse-je  mourir  avant  d'6tre  criminelle! 
Que  la  tombe  devienne  mon  lit  nuptial,  et  que  mon  frere  couvre 
de  baisers  mon  cercueil !  Apres  tout,  il  faut  pour  cette  alliance  le 
concoiirs  de  nos  cceurs.  Supposons  qu'elie  me  plaise,  »e  lui  par 
raitra-t-elle  pas  uacrime?Cependant  les  fils  d'£oIe  os^rent  par- 
tager  la  couclie  deleurs  sceurs.  Mais  commentlesais-je?  pourquoi 
m^appuyer  de  leur  exemple?  Oii  s'egare  mon  delire?  Disparaissez, 
feux  impurs  I  Je  veux  aimer  mon  frere  comme  il  est  permis  a  une 
soeur.  Si  le  premier  il  eut  bruI6  pour  moi,  peUt-^lre  aurais-je 
pu  ceder  a  sa  flamme.  Je  n'aurais  point  rejele  ses  instances, 
et  jlrais  solliciter  son  amour !  Mais,  Byblis,  pourras-tu  parler? 
pourras-tu  lui  declarer  ta  passion?  Oui,  Tamour  triomphe  :  un 
aveu  me  sera  possible.  Si  la  honte  enchaine  ma  langue,  une  lettre 
mysterieuse  lui  devoilera  mes  feux  secrets.  » 


Dl  melius!  (ii  neinpe  suas  habuere  sorores. 

Sic  Saturnus  Opim,  junclam  sibi  sanguine,  duxit, 

Oceanus  Tcthyn,  Junoncm  rector  Olyrapi. 

Sunt  Superis  sua  jura.  Quiti  ad  coelestia  ritus  oOO 

Exigtre  humauos,  diversaque  fcedera  lento? 

Aut  noslro  vetitus  de  corde  fngabitur  ardor; 

Aut,  hoc  si  nequeo,  peream,  precor,  ante,  toroquc 

Morlua  componar,  positoeque  det  oscula  fratcr. 

Et  .tamen  arbitrium  quarit  res  ista  duorum.  W.* 

Finge  placere  mihi  •  scelus  csse  vidcbitur  illi. 

At  non  .^olidai  lha\pmo5  timuere  sororum. 

Unde  sed  hos  novi?  Cur  hsBC  exempla  paravi? 

Quo  feror?  Obscenoe  procul  hinc  discedile  flammsD; 

Nec,  nisi  qua  fas  est  germana),  frater  ametur.  lAO 

Si  tamcn  ipse  niei  capLus  prior  csset  amore, 

Forsilan  illius  possem  indulgcre  furori. 

Krgo  ego,  qune  fueram  non  rojeclura  pclentem, 

Ipsa  pclatn?  potcrisnc  loqui?  poforisne  faleri? 

Cogit  amor;  polero  •.  ve\,  sv  vudor  ora  lencbit,  i^»1-> 

Litlcra  cplalos  arcana  VaVcXAVuT  \^tvfts,.M 


LIVRE  IX.  555 

Ce  dernier  parti  remporte  et  fixe  son  esprit  incertain.  Elle  se 
rel^ve,  et,  s'appuyant  sur  son  bras  gauche :  «  Qu'il  juge  lui-meme, 
(lit-elle.  Apprenons-lui  mon  amour  inseuse.  Helas !  ou  me  lais- 
se-je  entrainer?  ^Juelles  ardeurs  s'aliument  dans  mon  ame?  »  Sa 
main  droite  tient  un  stylet,  et  sa  gauche  des  tablettes.  Enfm  d'une 
main  tremblante  elle  se  prepare  a  tracer  un  aveu  reflechi.  Elle 
commence  et  chancelle ;  elle  ecrit  et  se  condamne ;  elle  recom- 
mence,  efface,  change,  blame,  approuve,  prend  tour.  a  tour  et 
reprend  ses  tablettes.  Elle  ne  sait  ce  qu'elle  veut,  et  tout  ce  qu'elle 
va  faire  lui  deplait.  Son  front  reflete  tout  ensemble  la  pudeur  et 
Taudace.  Elle  avait  ecrit  le  nom  de  soeur ;  mais  elle  croit  devoir 
Teffacer.  Apres  divers  essais,  elle  grave  ces  mots  sur  la  cire  : 

«  L'amante  qui  fadresse  ses  voeux  ne  peut  vivre  que  par  toi. 
EUe  rougit,  helas!  elle  rougit  de  dire  son  nom.  Si  tu  me  de- 
mandes  ce  que  je  veux,  je  voudrais  laisser  deviner  ma  pensee  sans 
trahir  mon  nom;  je  voudrais  voir  mes  desirs  exauces  avant  que 
Byblis  fut  connue.  Mon  coeur  est  blesse.  Tu  as  pu  le  reconnaitre  h 
mes  traits  pMes  et  amaigris,  a  mes  yeux  souvent  baignes  de  lar: 
mes,  a  mes  soupirs  que  rien  ne  semblait  provoquer,  a  mes  em- 

Haec  placet,  hsec  dubiam  vincit  sentenlia  mentem. 
In  lalus  erigitur,  cubitoque  innixa  sinistro  : 
«  Viderit;  insanos,  inquit,  fateamur  amores. 
Hei  mihi !  quo  labor?  quem  mens  mea  concipit  ignem?  »•  520 
Dexlra  tenet  ferrum,  vacuam  tenet  altera  ceram, 
£t  meditala  manu  componit  verba  trementi. 
Incipil,  et  dubitat;  scribit,  damnatque  tabcllas ; 
Et  notat,  et  delet;  mutat,  culpatque,  probatque ; 
Inque  vicem  sumptas  ponit,  positasquc  resumit.  525 

Quid  velit,  ignorat.  Quidquid  faclura  videtur, 
Displicet.  In  vultu  est  audacia  mixta  pudori. 
Scripta  soror  fuerat.  Visum  est  delere  sororem, 
Verbaque  correclis  incidere  talia  ceris  : 

«  Quam,  nisi  tu  dcderis,  non  est  habitura  salutem,       530 
Hanc  tibi  mittit  amans.  Pudet,  ah !  pudet  edere  nomrn ! 
Et  si  quid  cupiam  quaeris,  sine  nomine  vellem 
Posset  agi  mea  causa  meo  ;  nec  cognita  Byblis 
Anle  forcm,  quam  spes  votorum  certa  fuisset. 
Esse  quidem  Isesi  poterant  tibi  pecloris  index,  535 

El  color,  et  macies,  ct  vultus,  et  humida  Sicpe 
Lumina,  nec  causa  suspiria  mola  paleuU, 


556  MfiTAMORPHOSBS. 

brassements  reit^res,  et  a  ces  baisers  qui,  tu  Tas  remarque  peut- 
Atre,  n'etaient  point  d'une  sceur.  Cependant,  malgr^  la  profondeur 
de  ma  blessure,  malgre  raon  bruiant  delire,  j'ai  tout  fait  (les  dieux 
en  sont  temoins)  pour  revenir  a  la  raison.  Maliieftreuse !  j'ai  com- 
battu  longtemps  pour  ecliapper  aux  traits  irresistibles  de  ramour. 
J'ai  soulenu  avec  courage  une  lutte  au-dessus  de  mon  sexe.  Mais 
je  dois  m'avouer  vaincue,  et  implorer  ton  secours  par  de  timides 
voeux.  Seul  tu  peux  perdre,  seul  tu  peux  sauver  une  amante : 
choisis.  Ce  n'est  point  une  ennemie  qui  t'en  conjure,  c^est  une 
femme  qui  deja  Test  unie  par  les  liens  les  plus  etroits,  et  qui 
aspire  a  une  union  plus  intime.  Laissons  la  morale  aux  vieiliards ; 
qu'ils  cherchent  ce  qu*elle  permet,  ce  qu'elle  autorise  ou  defend, 
et  qu'ils  en  observent  toutes  les  lois.  Notre  age  peut  s*abandonner 
librement  a  Tamour.  Nous  ignorons  ce  qui  est  legitime,  et,  a 
Texemple  des  dieux,  nous  croyons  que  tout  est  permis.  Nous  n'a- 
vons  a  nous  inquieter  ni  de  la  severite  d  un  pere,  ni  du  soin  de 
notre  honneur,  et  nulle  crainte  ne  saurait  nous  arr^ler ;  il  nous 
suffit  d^  prevenir  les  soup^ons.  Sous  le  voile  de  Tamitie  fraternelle, 
nous  cacherons  nos  doux  larcins.  Je  puis  te  parler  en  secret,  et  il 

Et  crebri  amplcxus,  et  quae,  si  forte  nolasli, 
Oscula  senliri  non  esse  sororia  possent. 
Ipsa  tamen,  quaravis  animo  grave  vulnus  habebara,  •*>iO 

Quaravis  intus  erat  furor  igneus,  omnia  feci, 
Sunt  mihi  di  testes,  ut  landem  sanior  esscm. 
Pugnavique  diu  violenta  Cupidinis  arma 
Effugere  infclix,  et  plus,  quam  fere  puellam 
Posse  pules,  ego  dura  tuli.  Superala  fateri  *'i*; 

Cogor,  opemque  tuam  timidis  exposcere  votis. 
Tu  servare  poles,  tu  perdere  solus  anianlera. 
Elige,  ulrum  facias.  Non  hoc  inimica  ^ recalur, 
Sed  quie,  qutim  tibi  sit  junctissiraa,  junclior  csse 
Expelit,  et  vinclo  tccum  propiore  ligari.  «  550 

Jura  senes  norint,  et  quid  liceatque,  nefasque, 
Fasque  sit,  inquirant,  legumquc  examina  servent; 
Conveniens  Venus  cst  annis  lemeraria  nostris. 
Quid  liceat,  nescimus  adhuc,  et  cuncJa  Hcere     • 
Crediraus,  et  sequimur  magnorum  exempla  deorum.         555 
Nec  nos  aut  durus  pater,  aut  reverenlia  fama), 
Aut  tiraor  impedient;  lantum  absil  causa  limendi. 
Dulcia  fralerno  sub  nonvitic  ^vitvai  \.e^^vt\\xs. 


LIVRE  IX.  357 

nous  est  permis  de  nous  embrasser,  de  nous  donner  publique- 
ment  de  tendres  baisers.  II  s'en  faut  bien  peu  que  nolre  bonbeur 
ne  soit  complet.  Prends  piti^  d'une  sa3ur  qui  favoue  son  amour. 
Jamais  elle  n'eutfait  cet  aveu,  si  sa  passion  n'allait  jusqu'a  la  fu- 
reur.  Prends  garde  que  ton  nom,  inscrit  sur  ma  tombe,  ne  rap- 
pelle  a  jamais  Tauteur  de  mon  trepas !  » 

Apres  avoir  ecrit  ces  mots,  elle  cherche  en  vain  de  Tespace  sur 
les  tablettes  deja  remplies,  et  glisse  une  derniere  ligne  sur  la 
marge.  Aussitdt  elle  scelle  son  crime  d'un  anneau  qu'elle  a  mouille 
de  ses  pleurs ;  car  sa  langue  est  dessechee.  La  honte  sur  le  front, 
elle  appelle  un  de  ses  esclaves,  et,  d'une  voix  timide  et  douce : 
«  Fidele  serviteur,  dil-elle,  porte  cos  tabletles  a  mon...  >»  Cest 
apres  un  long  silence  qu'elle  ajoute : « frere. »  Au  moment  ou  elle 
lui  donne  les  tablettes,  elles  s^echappent  de  ses  mains  et  tombent. 
Ce  presage  trouble  Byblis ;  elle  envoie  neanmoins  sa  lettre.  L^esclave 
choisit  Finslant  favorable  pour  aborder  Caunus,  et  lui  remet  le 
mySterieux  message.  Tout  a  coup,  transporte  d'indignation,  le 
pelit-fils  du  Meandre  jette  a  ses  pieds  les  tablettes  dont  il  n'a  hi 
qu^une  partie ;  et,  retenant  a  peine  sa  main  pr^te  a  frapper  Tes- 
clave  tremblant :  u  11  en  est  temps  encore,  vil  ministre  d'un  odieux 

Est  mihi  libertas  tecum  secreta  loquendi, 

Et  damus  amplexus,  et  jungimus  oscula  corara.  I!CO 

Quanlum  est,  quod  desit!  Misererc  fatenti^  amorem, 

Et  non  fassufac,  nisi  cogeret  ultimus  ardor; 

Neve  merere,  raeo  subscribi  causa  sepulcro.  » 

Talia  necquicquam  perarantem  plena  reliquit 
Cera  manum,  summusque  in  margine  versus  adiixsit.      565 
Protinus  impressa  signat  sua  crimina  gemma, 
Quam  tinxit  lacrymis  :  linguam  defecerat  liumor. 
Deque  suis  unum  famulis  pudibunda  vocavit, 
Et  pavidum  blandita  :  a  Fer  has,  lidissime,  noslro...  » 
Dixit,  et  adjecit  longo  post  lerapore  «  fratri.  »  570 

Quum  daret,  eiapsac  manibus  cecidere  tabellae. 
Omine  turbala  est;  misit  tamen.  Apla  minisler 
Terapora  nactus  adit,  traditque  latentia  verba. 
Attonitus  subita  juvenis  maeandrius  ira, 
Projicit  acceptae,  iecla  sibi  parte,  tabellas;  575 

Vixque  manus  retinens  trepidantis  ab  ore  mu\\%VT\\ 
*  Dum  licet,  o  velilaB  scelerale  \ib\(\vms  au^iUit, 


m  METAMORPHOSES, 

incesli*,  fuis!  s*^crie-t-il  Si  ta  niort  n^^enlrainait  ayec  elle  Fop 
probrp  de  mon  nonij  e!le  aurait  deja  salisfail  ma  vengeance.  »  11 
B^eioigne  epouvanU^  H  nipporte  a  Bjblis  les  terribles  paroles  dp 
Qunns  Tu  pAlis,  Byl4is,  en  apprenant  son  refusi  et  dan^  ton 
coDiir  se  repand  \m  Iroid  glacial, 

Cependant  avec  ses  esprits  elle  reprend  son  delire.  Sa  langue 
peut  ii  peine  articnler  ces  paroies  entrecoupees  :  «  Tai  nierite  cet 
alTront.  Temeraire  l  pourquoi  d^couTrir  ma  cruelle  blessure?  pour- 
quoi  me  haler  de  contter  a  mes  lablettes  un  secret  qu  il  fallait  en- 
sevelir  dons  lc  silence?  Jedevais  sonder  sa  pensee  par  des  disconrs 
equiyoques.  Avaut  de  compter  sur  le  secours  des  vents,  je  devais 
lenr  liwer  eri  parlie  incs  voiles  et  olBerver  lenr  direction.  Alors 
j^aurai^  p^ircouru  la  nicr  en  surete.  Mainlenynt  je  me  suis  iivree  a 
leur  iner(i  sans  les  connailre-  Aussi  me  ponssent-ils  coutre  des 
ecueils.  h'  v^is  disparaitre  nu  foiid  flcs  abimes.  Mes  voiJes m  peu* 
T«nit  me  ramener  au  port.  (Jue  dis-je?  des  presages  certnins  ne 
liu  defendaient*ils  pas  de  ceder  a  mon  amoui?  Quand  j't}rdoiinai 
I  rcsdave  de  pi^^ndre  le^i  lablettes,  ne  s'ecba[jpereut-e]les  point 
de  mes  mains?  Mes  esperances,  des  lors,  ne  durent-elles  pas  s'e- 


Effnge,  ait ;  qui  si  nostrum  tua  fata  pudorem 

Non  liaherent  sccum,  poenas  mihi  morte  dedisses.  » 

IHc  fugit  pavidus,  dominaeque  ftTocia  Cauni  580 

Dicta  refert.  Palles  audita,  Bybli,  repulsa, 

Et  pavet  obsessum  glaciali  frigore  pectus. 

Mens  tamen  ut  rediit,  parilcr  rediere  furorcs, 
Linguaque  vix  tales  iclo  dedit  aere  voces : 
.«  Et  merito  :  quid  enim  temeraria  vulneris  hujus  585 

Indicium  feci?  Quid,  quaj  celanda  fuerunt, 
Tam  cito  commisi  properatis  verba  tabellis? 
Antc  erat  ambiguis  animi  senlentia  dictis 
Prxtentanda  raihi.  Ne  non  sequeretur  eunlem, 
Parle  aliqua  veli,  qualis  foret  aura,  notare  590 

Debueram,  tutoque  mari  decurrere,  quae  nunc 
Non  exploratis  implev^  lintea  ventis. 
Auferor  in  scopulos  igilur,  submersaque  toto 
ObruiClf  ^oceano,  neque  habent  mea  vela  recursus. 
Quid?'quod  et  ominibus  certis  prohibcliar  amori  50;» 

Indulgere  meo,  tum  quum  mihi  fcrre  jubenli 
Excidil,  el  fecit  spes  nostras  cera  caducas? 


LIYRE  IX.  559 

vaiiouir?  Ne  devais-je  point  changer  de  jour  et  de  dessein?  De 
dessein,  non!  il  fallait  seulement  choisir  un  autre  jour.  Un  dieu 
m'avertissait  lui-meme.  Sa  volonte  m'etait  revelee  par  des  signes 
manifestes,  si  la  passion  n'avait  point  aveugle  mon  esprit.  Au  Heu 
de  me  confier  k  des  tablettes,  faurais  dii  parler  moi-m^me  et  re- 
veler  a  Gaunus  mes  fureurs.  II  aurait  vu  mes  larmes;  il  aurait  vu 
les  traits  d'une  amante.  Ma  voix  eut  exprime  des  pensees  que  je  ne 
pouvais  consigner  par  ecrit.  Malgre  lui,  j'aurais  pu  Tenlacer  dans 
mes  bras,  me  prosterner  a  ses  pieds,  lui  demander  la  vie,  et 
mourir  a  ses  yeux,  s'il  m'eut  rejetee.  J'aurais  tout  tente.  Si  mes 
efforts  eussent  echoue  separement,  je  les  aurais  tous  reunis  pour 
triompher  de  son  coeur.  Peut-^tre  est-ce  la  faute  de  Tesclave  charge 
de  mon  message.  II  ne  Faura  pas  aborde  avec  adresse;  il  n'aura 
pas  sans  doute  bien  pris  son  temps ;  il  n\iura  point  saisi  le  mo- 
raent  oii  son  esprit  etait  libre.  Voila  ce  qui  nVa  nui.  Car  il  n'est 
pas  ne  d'une  tigresse ;  il  ne  porte  pas  un  coeur  de  roc,  de  fer  ou 
d'un  metal  plus  dur  encore;  il  n'a  point  suce  le  lait  d'une  honne. 
II  cedera :  il  faut  le  sonder  encore.  Non,  tant  que  j'aurai  un  souffle 
de  vie,  je  ne  regretterai  point  ce  que  j'ai  fait.  Si  je  pouvais  reve- 


ISoiinc  vel  illa  dies  fueral,  vel  tota  volunlas, 

Sed  potius  mutanda  dies?  Deus  ipse  monebat, 

Signaque  certa  dabal,  si  noa  raale  sana  fuissem.  ^KX) 

Et  lamen  ipsa  loqui,  nec  me  committere  ceraj 

Debueram,  praescnsque  meos  aperire  furores. 

Vidisset  lacrymas,  vultus  vidisset  amantis. 

Plura  loqui  poteram,  quam  quaj  cepere  labella;. 

Invito  potui  circumdare  brachia  coUo,  (JOli 

Amplectique  pedes;  affusaque  poscere  vitam; 

Et,  si  rejicerer,  potui  moritura  videri. 

Omnia  fecissem;  quorum  si  singula  durani 

Flectere  non  poterant,  potuissent  omnia,  n  enlcm. 

Forsitan  et  missi  sit  qusedam  culpa  minislri.  610 

Non  adiit  apte;  non  lcgit  idonca,  credo, 

Tempora;  nec  petiit  horamque  animumquc  vacauttm. 

Haic  nocuerc  raihi.  Neque  enim  de  tigridc  nalus, 

Nec  rigidas  siiices,  solidumve  in  peclorc  fcrrum^ 

Aut  adamanla  gerit,  nec  lac  bibit  illc  leain.T.  «15 

Vincetur  :  repetendus  erit ;  nec  taedia  caipti 

Ulia  mei  capiam.  dum  spiritus  islc  maiiieVA. 


360  M^TAMORPHOSES. 

nir  sur  le  passe !  D'abord  je  n'aurais  rien  dii  entreprendre,  ensuite 
je  devrais  renoncer  a  mon  dessein.  Mais  lui-m^me  (en  supposant 
que  j'etouffe  mes  vojux  temeraires)  en  gardera  un  ^temel  sour- 
venir.  Si  j^impose  silence  a  mon  amour,  je  paraitrai  n'avoir  senti 
qu  une  ardeur  passagere,  ou  avoir  voulu  eprouver  Caunus  et  lui 
tendre  un  piege.  II  croira  que  mon  coeur  n'a  point  cede  au  dieu 
qui  Ta  consume  et  le  consume  encore,  mais  au  delire  des  sens. 
Enfin  je  ne  puis  plus  paraitre  innocente.  J'ai  ecrit,  j'ai  demande: 
mon  intention  est  criminelle.  Quand  je  n'ajouterais  rien,  je  ne 
puis  passer  pour  irreprochable.  Ce  qui  me  reste  a  faire  est  beau- 
coup  pour  le  bonheur,  et  bien  peu  pour  le  crime.  » 

EUe  dit,  et  son  esprit  flotte  tellement  irresolu,  que,  tout  eu 
rougissant  d'avoir  essaye,  elle  veut  tenter  encore.  Bravant  toule 
pudeur,  la  malheureuse  s'expose  a  de  nouveaux  refus.  Sa  passion 
n'a  point  de  terme.  Caunus  alors  fuit  sa  patrie  pour  se  souslraire 
au  crime,  et  va  sur  une  plage  etrangere  fonder  une  ville  nou- 
velle.  La  fille  de  Milet,  dit-on,  perdit  completement  Tusage  de  la 
raison.  Dans  son  desespoir,  elle  dechira  ses  vetements  et  se  meur- 
trit  les  bras.  Enfm  sa  folie  eclata  au  grand  jour ;  elle  avoua  en 

Kam  prunum,  si  facla  mihi  revocare  liceret, 

Kon  coBpissc  fuit :  cocpta  cxpugnare,  secundum  cst. 

Quippe  nec  ille  potest,  ut  jam  niea  vota  relinquam,  620 

Non  tamcn  ausorum  scmper  memor  esse  meorum. 

Et  quia  desicrim,  lcvitcr  voluisse  videbor; 

Aul  eliam  tenlasse  illum,  insidiisque  pctisse. 

Vel  cerle  nou  hoc,  qui  plurimus  ussit  et  urit 

Pectora  nostra,  deo,  sed  victa  libidine  credar.  0:25 

Deniqne  jam  ncquco  nil  commisisse  nefandum. 

El  scripsi,  el  pctii  :  temerata  est  nostra  voluntas. 

Ut  nihl'!  adjiciam,  non  possum  innoxia  dici. 

Quod  superest,  mullum  csl  in  vota,  in  crimina  parvum.» 

Dixit,  et  (incerta)  tanta  est  discordia  mentis!)  630 

Quum  pigcal  tenlasse,  libet  tenlare,  modumquc 
Exit,  et  infelix  committit  sa?pe  repelli. 
Mox  ubi  fiuis  abest,  patriam  fugit  illc  nefasquc, 
Inquc  pcregrina  ponit  nova  mo^nia  tcrra. 
Tum  vero  moDstam  tota  Miletida  mente  '>o."> 

Dcfecisse  ferunt;  tum  vero  a  pectore  vcslcui 
Dcripuit,  planxitque  suos  furibunda  laccrtoj. 
Jamquft  palam  cslde!kev\s,  mtoviitfc^s^^m^^  Ca.letur 


LIVRE  IX.  5G1 

public  ses  feux  illegitimes.  «  Frustree,  dit-elle,  dans  son  attente, 
eile  abandonne  sa  patrie  et  des  p^nates  odieux  pour  suivre  les 
traces  d'un  frere  fugitif.  i»  Semblable  aux  Bacchantes  qui,  le  thyrse 
en  main,  6  fiis  de  Semelel  celebrent  tous  ies  Irois  ans  les  orgies 
sur  rismare,  Byblis  parcourt  les  vastes  champs  de  Bubasis,  et 
les  fait  retentir  de  ses  cris  affreux.  De  la  elle  porte  ses  pas  errants 
dans  la  Carie  et  dans  la  Lycie,  chez  les  belliqueux  Leleges.  Deja 
elle  avait  franchi  le  Gragus,  Limyra,  le  Xanthe  et  la  montagne  ou 
siege  la  Chimere  qui  a  la  poilrine  et  la  t6le  d'un  lion,  la  queue 
d'un  serpent,  et  dont  les  flancs  vomissent  des  flammes.  Les  ror^ts 
avaient  perdu  leur  parure.  Lasle  enfin  de  poursuivre  ton  frere, 
Byblis,  tu  tombes  sur  la  terre,  ou  flollent  tes  chevea<,  et  ton 
front  presse  les  feuilles  qui  jonchent  le  sol.  Souveiit  les  Nymphes 
du  pays  des  Leleges  essayent  de  la  soulever  dans  leurs  faibles 
bras ;  souvent  elles  Tengagent  a  mailriser  son  amour.  Mais  son 
cceur  est  sourd  a  leur  voix.  Elle  resle  muette,  et  enfonce  ses  on- 
gles  dans  le  gazon  qu'elle  inonde  de  larmes.  Les  Naiades  les 
changerent,  dit-on,  en  sources  intarissables.  Pouvaient-elles  lui 
accorder  une  plus  grande  faveur?  Comme  la  r^sine  distille  d'une 

Spcm  Veneri»,  sine  qua  patriam,  invisosque  penates 
Deserit,  et  profugi  scquitur  vestigia  fralris.  640 

Ulque  tuo  motse,  proles  semeleia,  ihyrso 
Ismarise  celebrant  repeiita  tricnnia  Bacchae, 
Byblida  non  aliter  latos  ululasse  per  agros 
Bubasides  videce  ourus;  quibus  iila  reliclis 
Caras,  ct  armiferos  Lelegas  Lyciamque  pererrat.  Bio 

Jam  Cragon,  et  Limyren,  Xanthique  reliquerat  undas, 
Quoque  Chimxra  jugo  mediis  in  parlibus  igiiem, 
Pcctus  et  ora  les,  caudara  serpentis  habcbat 
DeGciunt  silvs,  quum  tu  lassata  sequendo 
Procidis,  et,  dura  positis  tellure  capillis,  650 

Bybli,  jaces,  frondesque  luo  premis  ore  caducas. 
Ssepe  etiam  Nymphae  teneris  lelegeides  ulnis 
Tollere  conanlur;  sajpe,  ut  moderetur  amoii, 
Prxcipiunt,  surdxque  adhibcnt  solatia  menti. 
Muta  jacet,  viridesque  suis  terit  unguitius  herbas  Goo 

*  Byb'is,  et  humectat  lacrymarum  gramina  rivo. 
Kaidas  his  venam,  qus  nunquam  arcsccre  posiet, 
Supposuisse  ferunt :  quid  enim  dare  majus  habebml? 
Proiinus,  ut  secto  piceae  de  corUce  gAU&i 


562  m£:tamokphoses. 

^corce  que  le  fer  a  entr'ouverte,  cornine  le  bitome  s'epancbe  du 
sein  figcond  de  la  terre ;  ou  coninic,  au  retour  du  doux  zephyr, 
les  rayons  du  soleil  fondent  les  glaces  de  Thiver;  Byblis,  issue 
du  sang  de  Ph^us,  se  fond  en  larmes.  EUe  est  m^tamorphosee 
en  une  fontaine  qui  conserve  son  nom,  et  coule  dans  une  valleey 
au  pied  d'un  diSne  qui  rombrage. 

GHAlfGEIIEItT  DE   S£XB  DANS  IPBIS. 

IX.  Le  bruit  de  cette  merveille  ^t  peut-^tre  rempli  les  cent 
villes  de  la  Grete,  si  cetle  ile,  par  l^  m^tamorphose  dlphis,  n'a?ait 
vu  elle-m^me  un  prodige  rdcent.  ^on  loin  de  Gnosse,  dans  la 
vilie  de  Pheste,  naquit  Ligdus,  homme  d'une  condition  obscure, 
inais  de  race  hbre.  Sa  fortune  n'etait  pas  plus  brillante  que 
son  origine ;  mais  ses  moeurs  et  sa  probit^  etaient  a  Pabri  du 
reproche.  Sa  femme  allait  devenir  m^e  et  touchait  au  moment 
de  sa  delivrance,  lorsqu'ii  lui  parla  ainsi :  «  Je  forme  un  double 
voeu :  d^abord,  que  tes  douleurs  soient  leg^res,  et  ensuite,  que 
tu  me  donnes  un  fiis.  Une  iille  est  une  charge  trop  lourde  pour 
notre  fortune.  Si  le  Sort  (puisse-je  detourner  un  semblable  mal- 


UUe  tenax  gravida  manat  tellure  bitumen;  660 

Utve  sub  adTentum  spirantis  lene  Favoni 

Sole  remoUescit,  quae  frigore  constltit  unda, 

Sic  lacrymis  consumpta  suis  phoebeia  Byblis 

Vertitur  in  fontem,  qui  nunc  quoque  vallibus  illis 

Nomen  babet  domino},  nigraque  sub  ilice  manat.  665 

IPIIIS  VIKILEM  SEXUM  ACCIPIT. 

IX.    Fuma  novi  cenlum  creta^as  forsitan  urbes 
Implesset  monstri,  si  non  niiracula  nuper 
Iphide  mutata  Crele  propiora  tulisset. 
Proxima  gnosiacQ  nam  quondam  phaestia  regno 
Progenuit  teilus,  ignoto  nomine  Ligdum,  C7U 

Ingenua  de  plebe  virum.  Nec  sensus  in  illo 
Kobilitate  £ua  major,  sed  vita  fideaque 
Incutpata  fuit.  Gravidae  qui  conjugis  aure* 
Vocibus  bis  movit,  quum  jam  prope  partus  adesset : 
tt  Quae  voveam  duo  sunt,  minirao  ut  relevere  iabore,       GT6 
Utque  marem  parias.  Onerosior  altera  sors  est, 
Bt  Wres  forluna  negat.  Quod  ^mva<»i:^  er^o 


LIVRE  IX.  363 

heurT)  me  rend  p6re  d'une  fille,  je  le  dis  a  regret  (6  nalure, 
pardonnel),  elle  perira. »  A  ces  mots,  les  yeux  des  deux  epoux 
sont  inond^s  de  larmes.  Gependant  elle  conjure  Ligdus,  mais  en 
vain,  de  ne  point  reslreindre  ainsi  ses  esperances.  11  reste  ine- 
branlable.  Enfin  Telethuse,  accablee  d'un  fardeau  parvenu  a 
son  terme,  pouvait  a  peine  le  supporler,  lorsque,  au  milieu  de 
la  nuiti  elle  vit  ou  crut  voir  en  songe  s'arr6ler  devant  sa  cou- 
che  la  fiUe  d'Inachus,  entouree  de  son  corl^ge  ordinaire.  Le 
croissant  brillait  sur  son  front,  et  une  couronne  d'epis  dores 
rehaussait  son  diademe  royaL  J^res  d'elle  etait  raboyant  Anubis, 
rauguste  Bubastis,  Apis,  inarque  de  diverses  couleurs,  le  discret 
Ilarpocrate  dont  le  doigt  prescrit  le  silence,  de^  sistres,  Osiris, 
qu'on  ne  saurait  trop  chercher  sur  la  terre,  et  le  reptile  etranger 
dont  le  venin  plonge  dans  le  sommeiL  Telethuse  croyait  veiller; 
ce  songe  lui  paraissail  une  realite.  La  deesse  lui  adresse  ces 
mots  :  «  0  toi  que  j'aime !  bannis  une  peine  cruelle  et  derobe- 
toi  aux  ordres  de  ton  epoux.  Lorsque  Lucine  faura  delivree, 
eleve  ton  enfant  sans  finquieter  de  son  sexe.  Je  siiis  une  divinite 


Edila  forte  tuo  fuerit  si  femiDa  partu, 

Invilus  mando  (pietas,  ignosce),  necctur.  » 

Dixerat,  et  lacrymis  vultum  lavere  profusis,  ,  680 

Tam  qui  mandabat,  quam  cui  mandata  dabantur. 

Sed  lamen  usque  suum  vanis  Telethusa  marilum 

Sollicitat  precibus,  ne  spem  sibi  ponat  in  arcto. 

Ccrta  sua  est  Ligdo  senlentia.  Jamque  ferendo 

Vix  erat  illa  gravem  maturo  pondere  ventr^,  G^ 

Quum  medio  noclis  spatio,  sub  imagine  somni, 

Inachis  ante  tomm,  pompa  comitata  suorum, 

Ant  stetit,  aut  visa  est.  Inerant  lunaria  fronti 

Cornua,  cum  spicis  nilido  flaventibus  auro^ 

Et  regale  decus ;  cum  qua  latrator  Anubis,  OUi) 

Sanctaquc  Bubastis,  variusque  coloribus  Apis; 

Quique  premit  vocem,  digitoque  silentia  siiadet; 

Sistraque  erant,  nunquaraque  satis  quiesilus  Osiris, 

rieoaque  somniferi  serpens  peregrina  veneni; 

Quum,  velut  excussam  somno,  et  manifesta  videntera       0iJ5 

Sic  affata  dea  est :  •  Pars,  o  Tdethusa,  mearum, 

Pbne  graves  curas,  mandalaque  M\e  mariti. 

Hec  dubita,  quum  te  partu  Lucina  levaril, 

ToJJere  quidquid  erit.  Dea  sttm  auiiUaivis,  o^ein!(\>3A 


564  METAMORIMIOSES. 

secourable ,  et  j'exauce  qui  me  prie.  Tu  ne  te  plaiiidras  pas 
d'avoir  invoque  une  deesse  ingrate.  » 

A  ces  mots,  Isis  disparait.  Teletiiuse  se  leve,  transportee  de 
joie,  el,  tendant  ses  mains  pures  vers  le  ciel,  elle  demande  avec 
instance  que  son  r^ve  se  realise.  Ses  douleurs  augmentent;  elie 
se  deiivre  elle-m^me  de  son  fardeau,  et  Ligdus,  sans  le  savoir, 
est  p<ire  d'une  fille.  Sa  mere  la  confie  a  une  nourrice,  et  annonce 
qu'elle  a  mis  au  monde  un  fils.  Son  mari  le  croit.  La  nouirice 
seule  est  confidente  de  son  secret.  Ligdus  rend  gdices  au  ciel 
qui  vient  d^exaucer  ses  voeux,  et  donne  au  nouveau-ne  le  nom 
dlphis,  son  aieul.  La  m^re  adopte  avec  plaisir  ce  nom,  qui  etait 
commun  k  fun  et  a  Tautre  el  qui  n'etait  pas  une  in^posture. 
Par  cette  pieuse  fraude,  son  mensonge  reste  ignore.  Le  vStement 
d'Iphis  etait  celui  d'un  enfant  mdle,  et  sa  beaute  convenait  aux 
deux  sexes.  Deja  tu  avais  treize  ans,  Ipliis,  et  ton  p^e  te  destinait 
pour  compagne  la  blonde  lanthe,  filie  de  Tdleste,  et  la  plus 
belle  des  vierges  de  Phestos.  Aussi  jeunes,  aussi  beaux  Tun  que 
Fautre,  ils  avaient  re^u  des  m^mes  maitres  les  pfemi^res  legons. 


txorala  fcro ;  iiec  le  coluisse  quereris  700 

Ingralum  numcu.  » 

Monuit,  Ihalamoque  reces?iU 
I.aila  loro  surgil,  purasquc  ad  sidcra  supplcx 
Crcssa  maiius  loUens,  rata  sinl  sua  visa  prccalur. 
L't  dobir  iuiTevil,  sequc  ipsum  pondus  in  auras 
£\pulit,  ct  natqi  cst  ignaro  fcmina  palri.  703 

Jussit  ali  mater,  puerum  mentila.  Fidemquc 
Res  liabuit,  neque  crat  facti  nisi  conscia  nulrix. 
Vola  patcr  solvit,  nomcnque  imponit  avitum. 
Iphis  avus  fucrat.  Gavisa  est  nomine  mater, 
Quod  coramunc  foret,  nec  quemquam  fallcrct  illo.  710 

Impcrcepta  pia  mendacia  fraude  lalebant. 
Cultus  crat  pucri ;  facics,  quam  sivc  puella;, 
Sive  dares  puero,  fieret  formosus  uterque. 
Tcrtius  intcrea  decimo  successerat  annus, 
Ouum  palcr,  Iphi,  tihi  Uavam  dcspondct  laulhcu  :  71J) 

Inlcr  rhffi^liadas  qux  laudutissima  formx 
Dolc  fuil  virgo,  «.WcVjco  waVa  Tclestc. 
far  aclas,  par  Corri\a  ?u\V,  i^yVukv^^w^  u\^\>;vb\.\\^ 
Accopere  arles,  ckmcuVa  xviivu,  ;j\>  Vi^twv, 


LIVRE  IX.  505 

De  la  naquit  r^tmour  qui  s'empara  de  leurs  coDurs  encore  no- 
vices.  Ils  furonl  frappes  du  m^me  Irait ;  mais  leur  espoir  ^tait 
diflerent. 

lanllie  soupirait  apr^s  le  jour  ou  riiymen,  allumant  sonflambeau, 
devait  ]'unir  a  celie  qu^elie  croyait  un  amant.  Iphis  aimait  c^lle 
dont  ]a  possesslion  lui  etait  a  jamais  interdite,  et  son  desespoir 
irritait  sa  flamme.  Vierge,  briilant  pour  une  vierge,  et  retenant  a 
peine  ses  larmes  :  «  Que  dois-je  altendre,  dit-elle,  moi  que  tour- 
niente  un  amour  inconnu  jusqu'ici,  Tamour  le  plus  etrange  et  le  . 
p]us  bizarre?  Si  les  dieux  avaient  voulu  m'epargner,  ils  devaient 
eloigner  de  moi  ces  tortureff ;  et,  s'ils  n'avaient  pas  voulu  me  per- 
dre,  ils  auraient  du  me  donner  les  penchaiits  que  la  nature  inspire 
ordinairement  aux  mortels.  La  genisse  ne  recherche  pas  une  g^ 
nisse,  ni  la  cavale  une  cavale ;  le  belier  suit  la  brebis,  et  le  cerf  la 
biche.  Ainsi  s*accoupIent  les  oiseaux,  et,  parmi  les  ^tres  animes, 
jainais  les  m^mes  sexes  ne  s*unissent.  Pourquoi  faut-il  que  je  vive? 
La  Cr^te  ne  doit-elle  donc  produire  que  des  monstres?La  fille  du 
Soleil  fut  eprise  d'un  taureau ;  mais  il  etait  d'un  autre  sexe  que 
le  sien.  Mon  amour,  si  j'ose  le  dire,  est  bien  plus  deregle.  Elle 
put,  du  moins,  esp^rer ;  elle  put,  gr^ce  a  la  ruse,  et  a  Timage 

llinc  amor  ambarum  tetigit  rude  peclus,  ct  auquum  7*20 

Vulnus  ulriquc  tulit;  sed  erat  fiducia  dispar. 

Conjugii  pactxque  cxspectat  tempora  taedaj, 
Quamque  virum  pulat  esse,  suura  fore  credit  lanthc. 
Iphis  amat,  qua  posse  frui  desperat,  et  auget 
IIoc  ipsum  flaramas,  ardetque  in  virgine  virgo.  7!2> 

Vixque  tencns  lacrymas :  «  Quis  me  manet  exitus,  inquil, 
Cognila  quam  nulli,  quam  prodigiosa,  novaequc 
Cura  tenet  Veneris?  Si  di  mihi  parcere  vellent, 
Parcere  debucrant;  si  non  ct  perdere  vellent, 
Naturale  malura  sallem  et  de  more  dedissenl.  730 

Nec  vaccam  vaccae,  nec  equas  amor  urit  equarum. 
Trit  oves  aries ;  sequitur  sua  femina  cervum. 
Sic  et  avcs  cocunt;  interque  animalia  cuncta 
Femina  feminco  correpta  cupidine  nuUa  est. 
Vellem  nulla  forem,  ne  non  tamcn  omnia  Cretc  75j 

Monstra  ferat.  Taurum  dilexit  fiiia  Solis, 
Temina  nempe  raarem.  Meus  est  furiosior  illo, 
Si  verum  profitemur,  amor.  Taraen  illa  secula  e&C 
Spcm  \cnens;  tamen  illa  dolis,  el  ima^me  "sactoi 


306  MfiTAMORPHOSES. 

d'une  g^nisse,  associer  un  taureau  h  son  delire.  Ge  stratag^me 
devait  lui  livrer  un  amant.  Mais,  quand  je  poss^derais  tous  les  ta* 
lents  du  monde,  quand  DMale  se  transporterait  ici  sur  ses  ailes  de 
cire,  que  ferait-il  ?  Avec  toutes  lesressources  de  son  art,  pourrait-il 
changer  ma  nature?  Pourrait-il,  lanthe,  changer  la  tienne  ?  Raf- 
fermis  ta  raison  et  rentre  en  toi-m^me,  Iphis.  £touffe  une  flamme 
insensee,  un  amour  sans  espoir.  Songe  a  ce  que  tu  es,  si  tu  ne 
veux  t^abuser  encore.  Aspire  a  ce  qui  fest  permis;  aime  ce  que 
peut  aimer  une  femme.  L'amour  nail  de  resperance,  Tesperance 
le  nourrit ;  mais  ton  sexe  la  tue.  Ce  n'est  ni  la  captivit6  ni  la  sur- 
veillance  d*un  maitre  soupQonneux  qui  feloignent  de  celle  que  tu 
aimes ;  ce  n'est  pas  non  plus  la  severite  d'un  p6re.  lanthe  elle- 
mtoe  ne  rejette  point  les  voeux ;  et  cependant  lu  ne  peux  la 
posseder.  Non,  quand  tout  seconderait  les  desirs,  tu  ne  peux  6lre 
lieureuse,  ih^me  avec  le  secours  des  hommes  et  des  dieux.  Une 
partie  de  mes  voeux  est  toujours  chimerique ;  et  cependant  les 
dieux  m'ont  comblee  de  leurs  faveurs.  Ce  que  je  souhaite  est  le  voeu 
demon  pere,  dlanlhe  et  de  mon  beau-pere  futur;  mais  la  Nature, 
plus  puissante  que  les  dieux  et  les  hommes,  s'y  oppose,  et  seule 
elle  m'est  contraire.  Le  moment  desire  approche.  DSja  briUe  le 

Passa  bovera  est ;  et  erat,  qui  deciperelur,  adultor.  740 

Huc  licet  e  toto  sclertia  confluat  orbe, 
Ipselicet  revolet  ceratis  Daidaliis  alis, 
Quid  faciet?  Num  rae  pucrum  de  virgine  doctis 
Artibus  efficiet?  Num  te  mutabit,  Innlhe? 
Quin  animum  firmas,  teque  ipsa  recolligis,  Ipbi,  7iJ> 

Consiliique  inopes  et  stultos  exculis  ignes? 
Quid  sis  nata  vide,  nisi  te  quoquc  decipis  ipsam ; 
Et  pete,  quod  fas  est,  et  ama  quod  femina  debes. 
•  Spes  est,  quae  cipiat,  spcs  est,  qune  pascat  amorcm. 
Hanc  tibi  res  adimit.  Non  le  cuslodia  caro  7Ji0 

Arcetabamplexu,  nec  cauti  cura  magislri, 
Non  patris  asperita.s,  non  se  negat  ipsa  roganti. 
Nec  tamcn  est  potiunda  tibi ;  nec,  ut  omnia  fianl, 
Esse  potes  felix.  ut  dlque  hominesque  laborent. 
Nunc  quoque  votornm  pars  una  est  vana  meorum;  755 

Dtque  mihi  faciles,  quidquid  valuere,  dederunt. 
Quodque  ego,  vult  genitor,  vult  ipsa,  socerque  tnturus. 
At  non  vult  Natura,  polenlior  oinnibus  istis, 
Qass  mihi  sola  aocet.  Vcnit  ecce  oplabile  tempus, 


LIYRE  IX.  367 

joar  de  rhymen :  lanth^  va  bienf6t  ^tre  a  moi.  Mais  elle  ne  peut 
m'appartenir.  Nous  mourrons  de  soif  au  milieu  des  eaux.  Toi  qui 
presides  au  noeud  conjugal,  Junon,  et  toi,  Ilym^n^,  pourquoi 
venir  a  cette  solennit^  ou  il  n'y  aura  point  d'epoux,  et  ou  s'uni- 
ront  deux  vierges? » 

A  ces  paroles  succede  le  silence.  De  son  cdt^,  lanth^  est  en 
proie  a  d'aussi  vives  ardeurs.  Elle  te  conjure  aussi,  Hymen^e,  de 
voler  promptement  aupr^  d'elle.  Mais  Teiethuse,  tourment^e 
d'inquietudes,  voudrait  ^loigner  Tinstant  qu'appelle  Ianlh6.  Pour 
le  difT^rer,  tant6t  elle  pr^texte  une  maladie,  souvent  elle  all^ 
gue  des  pr^sages  ou  des  songes.  Enfin  les  delais  et  les  subter- 
fuges  sont  ^puis<ls.  Le  terme  arrive.  II  ne  restait  qu'un  jour.  T61e- 
thuse  d^tache  de  son  front  et  de  celui  de  sa  fiUe  le  bandeau  qui 
retenail  leurs  cheveux,  et  les  laisse  flotter.  Puis,  embrassant  Tau- 
tel,  elle  s'ecrie :  «  Isis,  toi  qu^adoreut  Paretonium,  les  champs  de 
Mareotis,  Pharos  et  le  Nil  aux  sept  embouchures,  viens  a  mon 
aide,  je  t'en  conjure,  et  dissipe  mes  alarmes.  0  d^esse!  je  Vai 
vue  autrefois  dans  le  mSme^ppareil.  J'ai  toutreconnu :  ton  cor- 
tege,  tes  flambeaux,  le  son  des  sistres,  et  tes  ordres  sont  presenls 
a  ma  pensee.  Si  ma  fille  voit  le  jour,  si  je  ne  suis  pas  punie  de 

Luxque  juga)is  adest,  ut  jam  mea  fiat  lanthe ;  700 

Nec  mihi  continget  :  mediis  sitiemus  in  undi:;. 
Pronnba  qnid  Jnno,  quid  ad  haec,  Hymenxe,  venitis 
Sacra,  qnibus  qni  ducat  abest,  ubi  nubimus  ambae?* 

Pressit  ab  his  Tocem.  Nec  lenius  altera  virgo 
iEstuat,  utque  celer  venias,  Hymenaee,  precatur.  76fj 

Quod  petit  baBC,  Telethusa  timens,  modo  tempora  differt; 
Nunc  ficio  languore  moram  trahit;  omina  ssppe 
Visaque  causatur.  Sed  jam  consumpserat  omnem 
Materiam  iicti,  dilataque  lempora  taedaB 
Institerant,  unusque  dies  restabat.  At  illa  770 

Crinalem  capiti  vitlam  natasque  sibique 
Detrahit,  et  passis  aram  complexa  capillis  : 
«  Isi,  Paraetonium,  Mareoticaque  arva,  Tharonque 
Quae  colis,  et  septem  digestum  in  comua  iNilum ; 
Per,  precor,  inquit,  opem,  nostroque  medere  timori.         77.'» 
Te,  dea,  te  quondam,  tuaque  haec  insignia  vidi, 
Cunctaque  cognovi;  comllesque,  facesque,  sonumque 
Sistorum,  memoriquc  animo  tua  jussanclavi. 
Qaod  videt  hxc  lucem,  quod  noi\  ego  xtvin\QT  iv^«i, 


368  METAMOHPHOSES. 

ravoir  sauv^e,  c  est  a  tes  avertissements  et  ii  tes  conseils  que  je  le 
dois.  Prends  pitie  de  nous  deux  et  accorde-nous  ton  secours.  » 

A  ces  mots,  elle  verse  des  larmes.  La  deesse  parut  agiler,  et 
agita  en  effet,  ses  autels.  Les  portes  de  son  temple  s'ebi*anlent, 
son  croissant  brille  d'une  clarte  plus  pure,  son  sislre  resonne 
et  fremit.  Telethuse  sort  du  temple,  sinon  libre  d^inquielude, 
rassuree,  du  moins,  par  cet  heureux  presage.  Iphis  )a  suit  d'un 
pas  plus  grand  que  de  coutume.  Son  teint  n'a  plus  le  mtoe  eclat; 
mais  ses  forces  augmentent,  ses  traits  sont  plus  m^les,  et  ses 
cheveux  plus  courts.  Elle  sent  une  vigueur  au-dessus  de  son  sexe. 
En  un  mot,  Iphis,  vierge  naguere,  tu  deviens  honrnie.  Portez  au 
temple  v^s  offrandes,  et  livrez-vous  hardiment  a  la  joie.  lls 
offront  des  presents  au  temple,  et  consacrent  le  souvenir  de  ce 
prodige  par  ce  vers  concis  : 

nomme,  Iphis  acconiplit  ce  que,  viergc,  il  promit. 

Le  lendemain,  Taurore  eclairait  Tunivers.  Venus,  Junon  et  rHy- 
menee  unissaient  les  deux  amants^  Iphis,  grAce  a  son  nouveau 
sexe,  possMait  enfin  son  lanth^. 

Consilium  monitumque  tuum  est.  Miserere  duariim,        780 
Auxilioque  juva.  » 

Lacrymae  sunt  verba  secutte. 
Visa  dea  est  movisse  suas,  et  moverat,  aras; 
Et  tempU  tremuere  fores,  imitataque  lunam 
Cornua  fulserunt,  crepuitque  sonabile  sistrum. 
Non  secnra  quidem,  fauslo  tamen  omine  Iseta  785 

Mater  abit  templo.  Sequitur  comes  Iphis  euntcm, 
Quam  solita  est,  majore  gradu ;  nec  candur  in  ore 
Permanet,  ei  vires  augentur,  et  acrior  ipse  est 
Vultus,  et  incomptis  brevior  mensura  capillis ; 
Plusque  vigoris  adest,  habuit  quam  femina.  Jam,  quae      790 
Fcmina  nuper  eras,  puer  es.  Date  munera  templis, 
Mec  timida  gaudete  Gde.  Dant  munera  templis, 
Addunt  et  titulum;  titulus  breve  carmen  habebal : 
Dona  puer  solvit,  qiix  femina  voverat,  Iphis. 
Postera  lux  radiis  latum  patefecerat  orbem,  795 

Quum  Venus  et  Juno,  sociosque  Hymenseus  ad  ignes 
Gonveniunt,  potiturque  sua  puer  Iphis  lanthe. 


LIVRE  DIXlfiME 


3URVD1CE  EST  RfeNDUE   A   ORPIIEE.     —    IL  LA   PEHD    UNE  SECONDE  FOIS. 

I.  Des  champs  de  la  Crete  rHyinen,  v^tu  d'une  robe  d'or,  s'elance 
dans  les  vasles  plaines  de  Tair  et  dirige  son  vol  vers  la  Thrace, 
ouOrph^e  invoque  inulilement  son  appui.  L'Hymen  assisle  a  son 
union  avec  Eurydice ;  mais  il  ne  profere  point  les  paroles  sacrees, 
il  ne  porte  ni  un  front  serein,  ni  un  heureux  presage.  La  torclie 
qu'il  tient  dans  sa  main  pelille  et  repand  sans  cesse  une  humide 
fumee  :  en  vain  le  dieu  Tagite;  elle  ne  donne  aucune  clarle.  Ce 
presage  est  suivi  d'un  evenement  plus  sinistre  encore.  Tandis  que 
la  nouvelle  epouse  court  dans  les  prairies  avec  les  Naiades  ses 
compagnes,  elle  meurt,  blessee  au  talon  par  la  morsure  d'un 
serpent.  Apr^s  Favoir  longtemps  pleuree  sur  la  terre,  le  chanlre 

LIBER  DECIMUS 


OnPHEO  EURTDICE   REDDITUR,    MOXQDE   ADFERTrR   ITERCM, 

I.    ladc  per  immensum  crocco  velatus  amiclu 
Asra  digreditur,  Ciconumque  Uymenseus  ad  oras 
Tondit,  ct  orphea  nequicquam  vocc  vocalur, 
Adfuit  iilc  quidem;  sed  nec  solcmnia  vcrba, 
Nec  laetos  vultus,  nec  felix  atlulit  omen. 
Fax  quoque,  quam  tenuit,  lacrymoso  stridula  fumo 
Usque  fuit,  nuliosque  invenit  motibus  ignes. 
Exitus  auspicio  gravior ;  nam  nupla  per  ]icrl)as 
Dum  nova  Kaiadum  tnrba  comitata  vagalur, 
Decidit,  in  talum  serpcnlis  dente  rccepto. 
Quam  salis  ad  superas  posiquam  iV\oAo^e\\is  ^\xt\x% 


370  MfiTAMORPlIOSES. 

du  Rhodope  voulut  essayer  de  flechir  les  Enfers,  et  osa  descendre 
jusqu'aux  rives  du  Styx  par  la  porte  du  Tenare.  II  arrive,  a  tra- 
yers  les  ombres  l^eres  qui  ont  re^u  les  honneurs  du  tombeau» 
devant  Proserpine  et  le  roi  du  tenebreux  empire.  Alors,  mariant 
sa  lyre  a  sa  voix,  il  s'cxprima  ainsi :  «  Divinit^s  du  monde  sou- 
terrain  ou  descendent  tous  les  mortels,  si  vous  me  permetlez  de 
dire  la  veritc,  sans  recourir  aux  artifices  du  discours,  je  ne  suis 
venu  ici  ni  pour  visiter  le  sombre  Tartare,  ni  pour  enchainer  le 
'  monstre  ne  du  sang  de  Meduse,  Gerbere,  dont  les  trois  t^tes  sont 
heriss^es  de  serpents.  Je  suis  venu  chercher  mon  ^pouse.*Atteinte 
au  pied  par  le  venin  d'une  vipere,  elle  a  peri  au  printemps  de 
l\Age.  J*ai  voulu  supporter  ma  douleur ;  oui,  je  Tai  tent^,  je  Ta- 
voue.  L'Amour  a  triomph^.  Ce  dieu  est  bien  connu  sur  la  terre. 
J'ignore  s'il  Test  egalement.parmi  vous,  mais  je  le  crois.  Si  un 
antique  enlevement  n'est  pas  une  fiction  de  la  Renomm^,  l'A- 
mour  vous  unit  aussi.  Je  vous  en  conjure  donc  par  ces  lieux  pleins 
d^effroi,  par  cet  immense  Ghaos,  par  le  silence  de  ce  vaste  &q- 
pire,  rendez-moi  Eurydice,  et  renouez  la  trame  d'une  vie  qui  fut 
trop  t6t  coup^e.  Le  genre  humain  vous  est  soumis.  Apres  un 

Deflevit  vates,  ne  uon  tentaret  et  umbras, 

Ad  Styga  tajuaria  cst  ausus  descendcre  porta; 

Perque  leves  populos,  simulacraque  functa  scpulcris, 

Persephoncn  adiit,  inamoenaque  regna  tencntem  i^ 

Dmbrarum  dominum,  pulsisque  ad  carmina  nervis, 

Sic  ait :  «0  positi  sub  terra  numina  mundi, 

In  quem  reccidimus  quidquid  mortale  creamur, 

Si  licet,  et  falsi  posilis  ambagibus  oris, 

Vera  loqui  sinitis,  non  huc,  ut  opaca  viderem  ^ 

Tartara,  descendi,  nec  uti  villosa  colubris 

Terna  medusaci  vincircm  guttura  monstri. 

Causa  vioD  conjux,  in  quam  calcata  venenum 

Vipera  diffudit,  crescenlesque  abstullt  annos. 

Posse  pati  volui,  nec  me  tcntasse  negabo.  25 

Vicit  amor.  Supera  deus  hic  bene  notus  in  ora  est. 

An  sit  et  hic,  dubilo;  sed  et  hic  tamen  auguror  esse. 

Famaque  si  veterem  non  cst  raentita  rapinam, 

Vos  quoque  junxit  amor.  Per  ego  hjEC  loca  plena  timoris, 

Per  Chaos  hoc  ingens,  vastique  silentia  regni,  ,  30 

Eurydices,  oro,  proi>cTalft  TeteiLite  ttla. 

Ojnnia  debemur  vdbia*,  p;ku\um<\>\«  icvoTtyW, 


LIVRE  X.  571 

court  d^ai,  t6t  ou  tard  nous  accourons  vers  la  m^me  demeure; 
nous  y  tendons  tous  :  c'est  notre  demier  asile.  Quelle  que  soit 
l'etendue  des  contr^s  de  la  terre»  toutes  sont  de  votre  do- 
maine.  Eurydice  aussi,  lorsqu'eIIe  aura  foumi  sa  carri^re  mor- 
telle,  tombera  sous  vos  lois.  Cest  un  simple  delai  que  je  vous 
demande.  Si  les  Destins  me  refusent  cette  faveur,  je  suis  r^Iu 
h  ne  point  lui  survivre.  Vous  aurez  deux  victimes.  » 

Tandis  qu'il  unil  ainsi  sa  lyre  aux  accents  de  sa  voix,  les  pdles 
ombres  versent  des  larmes.  Tantale  cesse  de  poursuivre  Tonde 
fugitive,  42i  roue  d'Ixion  demeure  immobile,  les  vautours  lie  de- 
chirent  plus  les  entrailles  de  Tityus,  les  filles  de  B^Ius  depo- 
sent  leurs  uraes»  et  toi,  Sisyphe,  tu  fassieds  sur  ton  rocher.  Alors, 
pour  la  premi^re  fois,  des  pleurs  mouill^rent,  dit-on,  les  joues 
des  Eumenides  attendries  par  ses  chants.  Proserpine  et  le  dieu  du 
sombre  royaume  ne  peuvent  resister  a  ses  pri^res.  Us  appellent 
Eurydice.  Elle  etait  parmi  les  ombres  recemment  descendues 
chez  Plttton.  Elle  s'avance  d'un  pas  ralenti  par  sa  blessure.  Le 
chantre  de  Thrace  la  recouvre»  a  condition  qu'il  ne  se  retouraera 
pas  pour  la  regarder  jusqu'a  ce  qu'il  ait  franchi  la  vall^  de  Vk- 
verae ;  sinon,  la  faveur  sera  revoqu^e. 

Serius  aut  citius  sedem  properamus  ad  unam. 
Tendimus  huc  omnes,  hsBc  est  domus  ultima ;  vosqiie 
Humani  generis  longissima  regna  tenetis.  35 

Hxc  quoque,  quum  justos  matura  peregerit  annos, 
Juris  erit  vestri :  pro  munere  poscimus  usum. 
Ouod  si  Fata  negant  veniam  pro  conjuge,  certum  est 
NoUc  redire  mihi.  Letho  gaudete  duorum.  » 

Talia  dicentem,  nervosque  ad  verba  moVentem,  40 

Exsangues  flebant  anima};  necTantalus  undam 
Captavit  refugam ;  slupuitque  Ixionis  orbis ; 
Nec  carpsere  jecur  volucres;  urnisque  vacanint 
Belides;  inque  tuo  sedisti,  Sisyphe,  saxo. 
Tum  primum  lacrymis  victarum  carminc  fama  est  45 

Eumcnidum  maduisse  genas.  Nec  regia  conjux 
Sustinet  oranti,  nec  qui  rcgit  ima,  negare. 
Eurydicenquc  vocant.  (Jmbras  erat  illa  recentes 
Inler,  et  incessit  passu  de  vulnere  tardo. 
Hanc  simul  et  legem  rhodopeius  «ccipit  heros,  5U 

Ne  flectat  retro  sua  lumina,  donec  avernas 
Eiierit  valles,  aul  irrita  dona  futura« 


372  m£TAHORPHOSES. 

Ils  gravissent,  a  travers  le  plus  profond  sil^nce,  un  sentier  mon- 
tant,  escarp^,  obscur  et  co.uvert  de  brouillards  ^pais.  Ddsjk  ils  tou- 
chaient  presque  aux  bords  superieurs,  lorsque  Orph^e,  craignant 
qu  Eurydice  ne  lui  echappe,  et  impatient  cje  la  Toh*,  jette  sur 
elle  un  regard  d'amour.  Elle  dtsparait  au  m^me  instant.  U  lui 
tend  les  bras,  il  veut  se  jeter  dans  les  siens  et  TembrassOT.  Mal* 
heureux !  il  ne  saisit  qu'un  vain  fantdme !  En  mourant  une  se- 
conde  fois,  Eurydice  ne  se  plaint  pas  de  son  ^poux.  Eh!  de  quoi 
pouvait-elle  se  plaindre  que  de  Texc^  de  son  amour?  Adieu,  lui 
dit>elle  d'une  voix  quMl  pul  a  peine  entendre,  et  elle  rentra  dins 
)e  sejour  des  ombres.  En  perdant  de  nouveau  son  epouse,  Orph6e 
resle  frappe  de  stupeur.  Tel  le  berger  timide  qui  vit  Cerbere 
avec  ses  trois  t^tes,  dont  une  seule,  celle  du  milieu,  ^tait  char- 
gee  de  chaines,  fut  glace  d^epouvante,  et  ne  cessa  de  craindre^ 
qu'au  moment  oA  ij^  fut  m^tamorphose  en  rocher.  Tel  fut  en- 
core  Oleims,  qui  voulut  se  charger  de  ton  crime,  malheureuse 
L^th^a,  trop  fiere  de  ta  beaute.  Jadis  unis  par  les  plus  tendres 
liens,  vous  6tes  maintenant  des  rochers  qui  surmontent  rhumide 
front  de  rida.  Orphee  a  beau  recourir  aux  pri^res  et  s^efforcer 
de  repasser  le  Styx,  Charon  le  repousse.  Accable  de  tristesse,  il 

Carpitur  acclivis  per  mula  silentia  trames, 
Arcluus,  obscurus,  caligine  dcnsus  opaca; 
i\ec  procul  abfucrant  teliuris  margine  summa;.  55 

llic,  nc  deficeret,  metuens,  avidusque  videndi, 
Flexit  amans  oculos,  et  protinus  illa  relapsa  est; 
Brachiaque  intendens,  prendique  et  prendere  caplans, 
Nil  nisi  cedenles  ii^elix  arripit  auras. 
Jamque  iterum  moriens  non  est  de  conjugc  quidquani       GO 
Questa  suo.  Quid  enim  nisi  se  quereretur  amatnm? 
Supremumque  vale,  quod  jam  vix  auribus  illc 
Accipcret,  dixit,  revolutaquc  rursus  codem  est. 
Non  aliter  stupuit  gomina  ncce  conjugis  OrphcHS, 
Quam  Iria  qui  timidus,  medio  poilante  catenas,  C.*) 

Colla  canis  vidil,  quem  non  pavor  ante  reliquil, 
Quam  nalura  prior,  saxo  pcr  corpus  oborlo ; 
Quique  in  se  crimeii  Iraxit,  voluitquc  vidcri 
01«*nos  psse  nocens;  luque  o  conn.sa  figura», 
Infelix  Lclhxa,  lux;  junclissima  quondam  70 

IVctora,  nunc  lapides,  c\\\ov>  \\uwv\da  suslinol  h\o. 
Orantem,  fruslraqwe  Uctwm  vv^wiwe  "^cA^iwVK^wv 


LIVRE  X.  573 

resla  sept  jours  sur  rinfernale  plage,  sansprendre  de  nourrilure. 
Les  soucis,  les  regrets  et  les  lannes  furent  ses  seuls  aliments. 
Enfin,  las  d'accuser  la  cruaut6  des  dieux  de  r£r^be,  il  se  retira 
sur  le  superbe  Rhodope  et  sur  FH^mus,  battu  des  aquilons.  Trois 
fois  le  soleil  avait  ramen^  la  marche  de  i'ann^  aux  limifes  mar- 
qu^s  par  les  Poissons,  et  Orphee  fuyait  Tamour,  soit  qu'il  d6- 
plordt  le  malheur  de  sa  premiere  flamme,  soit  qu'il  ei!it  k  jamais 
engag^  sa  foi.  Plusieurs  beautes  Toulurent  s^unir  a  lui.  Toutes 
furent  indignees  de  ses  reius.  Cest  lui  qui  apprit  aux  Thraces  a 
s'egarer  dans  des  amours  desavou^  par  la  nature,  et  a  cueillir 
la  fleur  de  Tadolescence,  ce  printemps  fugitif  de  la  vie. 

ATTS  EST  CnANG^  EN  PIN,  CTPARISSE  EH   CYPRES. 

II.  Sur  ie  haul  d'une  coUine  4tait  une  plaine  tapiss^e  de  verdure, 
mais  depourvue  d'ombrage.  A  peine  le  chantre  issu  des  dieux  y 
eut-il  fait  r^nner  les  cordes  de  sa  lyre,  qu'il  y  vit  accourir  Tar- 
bre  de  Chaonie,  les  peupliers  nes  des  filles  du  Soleil ,  le  ch^nc  r.u 


Portitor  arcuerat.  Seplem  tamen  ille  diebus, 
Squalidus  in  ripa,  Cereris  sine  munere,  sedit. 
Cura,  dolorque  animi,  lacrymseque,^  alimenta  fuere. 
Esse  deos  Erebi  crudeles  questus  in  allam 

recipit  Rhodopcn,  pulsumque  aquilonibus  lla^mon. 
^ertius  «quoreis  inclusum  Piscibus  annum 
Finierat  Titan,  omnemque  refugerat  Orpheus 
Femineam  venerem,  seu  quod  male  cesserat  illi, 
Sive  lidem  dederat.  Multas  tamen  ardor  habebat 
Jungere  se  vati ;  multse  doluere  repulsse. 
lUe  etiam  Thracum  populis  fuit  auctor,  amorem 
In  (eneros  transferre  mares,  citraque  juventam 
^Xilis  brove  ver,  et  primos  carpere  flores. 


ATTS  llUTATUn  IN   PINUM,    CTPARIS8IS   IK   CUPBESSmi. 

II.    Collis  crat,  collemque  super  planissima  campi 
Arca,  quam  viridem  faciebant  graminis  herbs. 
Umbra  loco  deerat.  Qua  postquam  parte  resedit 
Dis  genitus  vates,  et  fila  sonantia  raovit, 
Urobra  loco  venit.  Non  Chaonis  abfuit  arbos,  ^^ 

Non  nemus  Heliftdam^  non  fronlWros  a^KiAvk^  ^\V\ik^ 


374  M£TAM0RPH0SES. 

fronl  altier,  le  tendre  tUleul,  le  h^tre»  le  chaste  laurier,  le  cou- 
drier  fragile,  le  frSne  qui  fournit  des  javelots,  le  sapin  sans 
nosuds,  l'yeuse  courb^e  sous  ses  glands,  le  platane  propice  aux 
joyeux  banquets,  Terable  bigarre,  le  saule  ami  des  fontaines,  le 
lotos  aquatique,  le  buis  toujours  vert,  la  mince  bruy^re,  le  myrte 
aux  deux  couleurs,  et  le  laurier-tin  aux  baies  noires.  Vous  ao- 
couriites  aussi,  lierres  flexibles,  vignes  couronn^es  de  pampres, 
ormeaux  enlac^  de  vignes,  fr^nes  sauvages,  pic^,  arbousiers 
aux  fhiits  rouges,  palmiers,  dont  les  souples  rameaux  sont  le 
prix  des  vainqueurs,  et  toi,  pin  au  feuillage  cfGI^  et  a  la  cime 
herissee  de  pointes,  arbre  cher  h  la  m^re  des  dieux,  depuis 
qu'Atys,  pr^tre  de  ses  autels,  depouilla  la  forme  humaine  pour 
se  renfermer  dans  tes  flancs.  A  cette  for^t  vint  se  joindre  le  cy- 
pr^s  au  sommet  aigu  comme  la  bome  des  champs.  Arbre  main- 
tenant,  ce  fut  jadis  un  jeune  homme  aim6  du  dieu  qui  manie 
^alement  bien  Tarc  et  la  lyre. 

Dans  les  prairies  de  Garthee  vivait  un  grand  cerf,  consaor^  aux 
Nymphes  de  la  contree.  Son  bois,  tout  brillanl  d'or,  couvrait  sa  tete 
d'un  vaste  ombrage.  Un  collier  enrichi  de  pierreries  pendait  a 

Ncc  tiliae  roolles,  nec  fagus,  et  innuba  laurus, 

El  coryli  fragilcs,  et  fraxinus  utilis  hastis, 

Enodisquc  abies,  curvataque  glandibus  ilex, 

Et  platanus  genialis,  acerque  coloribus  impar,  95 

Amnicolxque  simul  salices,  et  aquatica  lotos, 

Perpetuoque  virens  buxus,  tenuesque  royricsB, 

Et  bicolor  myrtus,  et  baccis  caerula  tinus. 

Vos  quoque,  flexipedes  hederae,  venistis,  et  una 

Pampineas  vites,  et  aroictn  vitibus  uimi,  100 

Omique,  ct  piceoB,  pomoque  oncrala  rubenli 

Arbutus,  et  lentae,  victoris  praemia,  palm.fi, 

Et  succincta  comas,  hirsulaque  vertice  pinus, 

Grata  deum  matri ;  siquidem  cybeleius  Atys 

Exuit  hac  hominem,  truncoque  induruit  illo.  105 

Adfuit  huic  turbae,  metas  imitata  cupressus, 
Wunc  arbor,  pucr  ante  deo  dilectus  ab  illo, 
Qui  citharam  nervis,  et  ncrvis  temperat  arcus. 

Namque  sacer  Nyrophis  carthxa  tenentibus  arva, 
Ingens  cervus  erat,  lateque  patentibus  altas  110 

Ipse  suo  capiti  praebebat  cornibus  umbras. 
(k)rniia  fulgebant  awto,  demss^o^we  \w  wtcvcv«» 


LIYRE  X.  375 

son  cou  gracjeux  et  descendait  sur  ses  ^paules.  Une  bulle  d'ar- 
gent,  attachee  par  de  legers  liens,  s*agilait  sur  son  front.  Deux 
glands  d'airain  d*^ale  grosseur  brillaient  a  ses  oreilles.  II  n'^tait 
ni  timkie,  ni  farouche.  U  frequentait  les  maisons  et  presentait  son 
cou  aux  caresses  du  premier  venu.  Tu  Taimas  plus  que  personne, 
Cyparisse,  toi  le  plus  beau  des  habilanls  de  G^os.  Tu  le  menais 
dans  de  frais  p^turages,  et  le  desalterais  aux  sources  limpides. 
Tantdt  tu  parais  son  bois  de  guirlandes  de  fleurs;  tantdt,  assis  sur 
son  dos,  tu  prenais  plaisir  a  diriger  avec  un  frein  vermeil  sa 
course  vngabonde.  On  etait  au  milieu  du  jour,  et  le  soleil  embra- 
sait  de  sesfeux,  les  bras  recourbes  du  Cancer.  Le  cerf  fatigue  se 
reposait  sur  le  gazon  et  goAtait  le  frais  a  Fombre  des  bois.  Le 
jeune  Cyparisse  ratleint  par  megarde  de  son  javelot,  et,  le  voyant 
expirer  de  cette  cruelle  blessure,  il  veut  mourir  lui-mdme.  Que 
ne  lui  dit  point  Phebus  pour  le  consoler !  £n  vain  il  lui  repr^. 
sente  que  sa  douleur  est  trop  grande  pour  cette  perte  legere. 
Cyparisse  gemit  et  demande  aux  dieux,  commc  faveur  supr^me, 


Pendebant  tereti  gcmmabi  monilia  collo. 

Bulla  super  frontem  parris  argentea  loris 

Vincta  movebatur,  parilesque  es  a^re  nilebant,  115 

Auribus  in  geminis,  circum  cava  tempora,  bacrse. 

Isquc  metu  vacuus,  naturalique  pavore 

Deposito,  celebrare  domos,  muleendaqne  colla 

Quamlibet  ignotis  manibus  praebere  solebat. 

Sed  tamen  ante  alios,  ceas  pulcberrime  gentis,  1^^ 

Gratus  crat,  Cyparisse,  tibi.  Tu  pabula  cervum 

Ad  nova,  tu  iiquidi  dufebas  fontis  ad  undam; 

Tu  modo  tesebas  varios  per  cornua  flores; 

Nunc,  eques  in  tergo  residens,  huc  lactus  et  illuc 

MoHia  purpureis  frenabas  ora  capistris.  1:25 

^tus  erat,  mediusque  dies,  solisque  vapore 

Concava  littorei  fervebanl  brachia  Cancri. 

Fessus  in  herbosa  posuit  sua  corpora  lcrra 

Cervus,  et  arborea  ducebat  frigus  ab  umbra. 

Hunc  puer  imprudens  jaculo  Cyparissus  acuto  ir»0 

Fixit,  et,  ut  ssevo  morientem  vuinere  vidit, 

Velle  mori  staluit.  Que  non  solatia  Phcebus 

Dixit!  el  ut  leviter  pro  materiaque  dolcret, 

Admonuit.  Gemit  ille  taroen,  munusque  supremiim 

Hoc  petit  a  Superis,  vt  tempore  lugeal  omin.  X^V^ 


370  H^TAMORrJObES. 

que  son  deuil  n'ait  jamais  de  fin.  Gependant  Texc^  de  ses  lannes 
tarit  son  sang ;  son  teint  commence  k  verdir ;  ses  cheraix,  qui 
flottaient  nagu^re  sur  son  cou  d'alb&lre,  se  dressent,  se  dur« 
dssent,  et  leur  cimc  effil^e  s'^l^ve  vers  les  cieux.  Le  dieu 
soupire  et  fait  entendre  ces  tristes  accenls : «  Objet  de  mes  re- 
grets,  tu  fassocieras  aux  chagrins  des  mortels,  et  tu  deviasdras 
le  symboledudeuil. » 

ENLEVEMENT  DE  GANYM&OE. 

III.  Tels  sont  les  arbres  que  le  chantre  de  Thrace  avait  attir^  . 
autour  de  lui.  Assis  au  milieu  des  hdles  de  Tair  et  des  bois» 
il  prom^ne  longtemps  ses  doigts  sur  ies  cordes  de  sa  lyre,  et, 
apr^  avoir  essay^  des  accords  differents,  il  s'exprime  en  ces 
termes  :  «  Muse  qui  m'as  donn^  le  jour,  que  Jupiter  soit  le 
premier  objet  de  mes  chants.  Tout  cMe  h  son  empire.  Scuvent 
j*ai  chante  sa  puissance.  J'ai  chant^  sur  un  ton  ^lev^  les  G^nts  et 
les  foudres  victorieuses  qu'il  lan^a  dans  les  champs  de  Ptil^a. 
Aujourdhui  je  veux,  sur  un  ton  plus  l^er,  c^Iebrer  les  enfants 


Jamque,  per  immensos  egcsto  sanguine  fietus, 

In  viridem  vcrti  coBperunt  membra  colorem; 

Et  modo,  cui  nivea  pendebant  fronle  capilli, 

Horrida  caesaries  fieri,  sumptoque  rigore 

Sidcreum  gracili  spectare  cacumine  ccelum.  140 

Ingcmuit,  tristisque  deus  :  «  Lugebcrc  nobis, 

laigcbisque  alio»,  adctisque  dolentibus,  »  inquit. 

RAPTDS  GANYIIEDES. 

III.    Tale  nemus  vatcs  contraxerat,  inquc  ferarum 
Concilio  medius  turba  volucrumque  scdebat. 
Ut  satis  impulsas  tentavit  pollice  cbordas,  143 

Et  sensit  varios,  quamvis  divcrsa  sonacent, 
Toncordare  modos,  hoc  vocem  carmine  rupit : 
«  Ab  Jovc,  Mnsa  parcns;  cedunt  Jovis  omnia  regno ; 
Carmina  noslra  move.  Jovis  est  mihi  ssepe  potestas 
Dicla  prius.  Cecini  plectro  graviore  Gigantns.  150 

Sparsaque  phlegrscis  victricia  fulmina  campis. 
fftinr  opHs  e»l  \o\\otc  X^^tak^^Mexo^c^^  «wiwxv^'». 


LIYRE  X.  577 

chdris  dies  dieux,  et  ces  vierges  coupables  dont  les  feux  impurs 
m^ritSrent  un  juste  chSttment.  Le  roi  des  Immortels  brAIa  jadis 
pour  le  Phrygien  Ganymede.  Gomme  il  cherchait  une  forme  plus 
propice  a  ses  voeux  que  celle  dont  il  ^tait  rev^tu,  il  prit  de  pr4- 
ference  celle  de  Toiseau  qui  peut  porter  sa  foudre;  et  soudain, 
fendanl  les  airs  de  ses  ailes  trompeuses,  i1  ravit  le  petit-fils 
d'Ilus,  qui  lui  sert  encore  d'^hanson  dans  rOlympe,  et  verse  le 
nectar  dans  sa  coupe,  en  depit  de  Junon. 

IITACINTnE  HETAMORPHOSg  EN  FLEOR. 

IV.  i  Et  toi  aussi,  fils  d'Amycl^s,  Ph^bus  faurait  plac^  au  ciel, 
si  un  d^plorable  destin  Teut  permis.  Du  moins,  autant  qu*il  est 
en  son  pouvoir,  il  te  rend  immortel.  Toutes  les  fois  que  le  prin- 
temps  chasse  Fhiver  et  qu'aux  Poissons  pluvieux  succ^e  le 
Belier,  tu  renais  et  tu  brilles  sur  la  verdure.  Mon  p^re  eut  une 
tendre  predilection  pour  toi.  li  abandonna  souvent  Delphes,  pla- 
cee  au  centre  du  monde,  pour  errer  avec  toi  sur  les  bords  de 
FFAirotas  ct  dans  les  champs  de  Sparte,  privee  de  remparts. 

Dilectos  Superis,  inconcessisquc  puellas 

Ignibus  atlonitas  meruisse  libidinc  pccnaro. 

Rex  Superum  phrygii  quondam  Ganymcdis  amore  155 

Arsit,  el  inventum  est  aliquid,  quod  Jupiter  essc, 

Quam  quod  erat,  mallct.  NuUa  tamcn  alite  vcrti 

Dignalur,  nisi  quse  possit  sua  fulmina  ferrc. 

Ncc  mora,  percusso  mendacibus  acre  penuis 

Abripit  Iliadcn,  qui  nunc  quoque  pocula  miscct,  1C0 

Invilaquc  Jovi  ncctar  Junone  minislral. 

nTACINTllUS  IM   FLOREII    VEnTlTUR. 

IV.    «  Te  quoque,  Amyclide,  posuisset  in  sthere  Pliflebus, 
Tristia  si  spalium  poncndi  fata  dedissent. 
Qua  licet,  sternus  tamen  es ;  quoticsque  rcpellit 
Vcr  hiemem,  Piscique  Arics  succedit  aquoso,  1C5 

Tu  toties  oreris,  viridique  in  cespile  vernas. 
Te  meus  ante  alios  genilor  dilcxit,  et  orbe 
lu  medio  positi  caruerunt  prsside  Delphi, 
Dum  deus  Eurotan,  immunitamque  tte(\u^iiUV    . 


378  MClTAMORPHOSES. 

Alors  sa  lyre  et  son  arc  languissaient  sans  honneur.  S'ouUiant 
lui-m^me,  il  ne  dedaignait  pas  de  tendre  des  filets,  de  oonduire 
une  nieute,  ou  de  gravir  sur  tes  pas  )e  sommet  d'un  mont  es* 
carpe :  une  longue  habitude  ^tait  pour  ses  feux  un  nouvel  aliment. 
f  Un  jour  ou  ie  soleil,  au  milieu  de  sa  caiTi^re,  se  trouvait  k 
une  ^gale  distance  du  soir  et  du  matin,  ApoUon  et  Hyacinthe 
quittent  leurs  v^tements,  impr^ent  leur  corps  d'huile,  et  sV 
musent  a  jouer  au  disque.  Le  dieu,  apr^  i'avoir  balanc^,  lanoe 
le  sien  dans  les  airs.  Le  disque  se  fraye  un  passage  k  travers  les 
nues,  retombe  apr^  un  long  intervalle,  et  prouve  k  la  fois  IV 
dresse  et  la  force  du  joueur.  Soudain  l'imprudent  Hyacinthe, 
^porte  par  Fardeor  du  jeu,  se  h4te  de  ramasser  le  disque.  Mais 
la  terre  le  fait  rebondir  et  il  va  frapper  son  front.  Apollon,  pdle 
oomme  son  ami,  soutient  son  corps  chancelant.  Tantdt  il  cher- 
che  h  le  ranimer,  tant6t  il  ^tanche  sa  cruelle  blessure,  ou  exprime 
le  suc  des  plantes  pour  retenir  son  &me  fugitive.  Son  art  reste 
impuissant :  le  coup  ^lait  mortel.  Gomme  daiis  un  jardin  arrose 
par  une  eau  vive,  si  Ton  vient  a  briser  la  tige  des  violettes,  des 


Sparlen.  Nec  cithara;,  nec  sunt  in  honore  sagitt».  170 

Immemor  ipse  sui,  non  relia  ferro  recusat, 
Non  tenuisse  canes,  non  per  juga  montis  iniqui 
Isse  comes,  longaque  alit  assueludine  flammas. 

«  Jamque  fere  medius  Titan  venientis  et  acta 
Noctis  erat,  spatioque  pari  distabat  utrinque.  175 

Gorpora  vestc  levant,  et  succo  pinguis  olivi 
Splendescunt,  latique  ineunt  certamina  disci. 
Quem  prius  acrias  libratum  Phcebus  in  auras 
Misit,  et  opposilas  disjecit  pondere  nubes. 
Reccidit  in  solidam  longo  post  tempore  terram  180 

Pondus,  et  exhibuit  junctam  cum  viribus  artem. 
Protinus  imprudens,  actusque  cupidine  ludi, 
ToHere  Tsenarides  orbem  properabat;  at  illum 
Dura  repercussum  subjccit  in  aera  tellus 
In  vultus,  Hyacinthe,  tuos.  Expalluit  aeque,  IR.H 

Ac  puer,  ipse  dcus,  collapsosque  excipit  artus, 
Et  modo  te  refovet,  modo  tristia  vulnera  siccat, 
Nunc  animam  admotis  fugientem  sustinet  herbis. 
Nil  prosunt  artes  :  etat  itnmedicabile  vulnus. 
Vt  si  quis  violas,  nguo^^e  p^ipwet  \w\votV^^  m 


LIVRE  X.  379 

pavots  ou  des  lis,  ces  fleurs  penchent  tout  k  coup  leur  t^te  lan- 
guissante  et  perdent  leur  ^clat ;  bientdt  elles  ne  se  soutiennent 
plus,  et  s'inclinent  vers  la  terre ;  ainsi  les  traits  d^Uyacinthe  se 
fletrissent;  sa  t^te,  appesantie  et  sans  force,  tombe  sur  son 
epaule. 

«  Tu  meurs,  Hyacinthe,  moissonnS  au  printemps  de  TSge,  s'e- 
«  crie  Apollon.  Je  vois  ta  blessure  et  mon  crime !  Tu  causes  ma 
«  douleur ;  ton  trepas  est  mon  ouvrage.  On  inscrira  sur  ta  tombe 
«  que  ma  main  t*a  ravi  le  jour :  c'est  elle  qui  f  a  donne  la  mort. 
«  Cependant  quel  est  mon  crime  ?  En  est-ce  un  d'avoir  joue  avec 
«  toi  ?  En  est-ce  un  de  t^avoir  aime  ?  Que  ne  puis-je  te  donner 
«  ma  vie  pour  la  tienne  ou  mourir  avec  toi !  Mais,  puisque  je 
«  suis  enchaine  par  la  loi  du  Destin,  du  moins  tu  seras  toujours 
«  avec  moi,  et  ma  bouche  ne  cessera  point  de  r^peter  ton  nom. 
«  Ma  lyre  le  redira  :  tu  revivras  dans  mes  chants.  Fleur  nou- 
«  veile,  tu  pr^enteras  sur  tes  feuilles  le  cri  de  ma  douleur.  Le 
«  temps  viendra  oiji  un  heros  sera  change  en  une  fleur  semblable, 
«  sur  laquelle  on  lira  le  m^me  gemissemeht.  »  Apollon  parlait 
encore,  et  d^j^  le  sang  qui  baignait  le  gazon  n'^tait  plus  du 


Liliaque  infringat,  fulvis  hxrentia  virgis, 

Marcida  demiUant  subito  caput  illa  gravatum, 

Nec  se  sustineant,  spectcntque  cacumine  lerram; 

Sic  vuUus  rooriens  jacet,  et  defccla  vigore 

Ipsa  sibi  est  oneri  cervix,  hnmeroque  recumhit.  i^"» 

«  Laberis,  (Ebalide,  prima  fraudate  juventa,  . 
«  Phcebus  ait,  videoque  tuum,  mea  crimina,  vulnn». 
«  Tu  dolor  es,  facinusque  meum.  Mea  dextera  letho 
«  Inscribenda  tuo  est :  ego  sura  tibi  funeris  auctor. 
«  Quoe  niea  culpa  tamen?  nisi  si  lusisse,  vocari  -**^> 

«  Culpa  potest;  nisi  culpa  potest,  et  amasse,  vocari. 
«  Atque  utinam  pro  tc  vitam,  tecumvc  liceret 
w  Reddere!  Sed  quoniam  fatali  lege  tenemur, 
«  Seraper  eris  mecura,  memorique  hierebis  in  ore. 
«  Te  lyra  pulsa  manu,  tecarmina  nostra  sonabnnt;         20:; 
«  Flosque  novus  scripto  gemitus  imitabere  noslros. 
«  Tempus  et  illud  erit,  quo  se  fortissimus  heros 
(c  Addat  in  hunc  florera,  folioquc  legatur  eodem.  » 
Talia  dum  vero  memorantur  ApoUinis  ore^ 
Ecce  cmor,  qui  fasus  humi  signavetal  \\CT\iwii,  'iV^ 


380  MfiTAMORPUOSES. 

sang.  A  sa  place  parut  une  fleur  plus  briilante  que  la  pourprc. 
Elle  avait  la  forme  ct  reclat  du  iis.  Seulement  eile  ^ait  rouge, 
tandis  que  le  lis.  est  blanc;  Cetait  trop  peu  pour  Apolion  dVoir 
opere  cette  metamorphose.  Sur  les  feuilles  de  cette  fleur  il  graya 
ses  sanglots.  Les  syllabes  ai,  ai,  qu'on  y  Toit  tracees,  etemis^ 
sa  douieur.  Sparie  se  giori/le  d'avoir  donnS  le  jour  a  Ilyadnthe. 
Sa  m^moire  y  est  encore  entour^  d'hommages.  Tous  les  ans  eiie 
c^I^bre  en  son  honneur  des  f^tes  consacrees  par  un  anlique 
usage,  et  qui  portent  son  n^^m. 

HUTAllORPHOSe  DES  C^RASTES  EN  BiEUFS  E:    DES  PROP^TIDeS 
EN  ROCIICRS. 

V.  •  Maisdemandez  a  Amathonte,  feconde  en  melaux,  sielle  ?ou« 
drait  avoir  vu  naitre  ies  Propetides.  Eiie  ies  desavoue,  ainst  que 
ces  hommes  dont  ie  front,  arme  de  cornes,  ieur  flt  donner  le  nom 
de  Cirastes.  Aux  porles  de  leur  ville  s'elevait  un  autei  dedi^  a 
Jupiler  Hospitaiier.  Get  autei  ^tait  souiii^  par  le  crime.  L'etranger, 
en  le  voyanl  rougi  de  sang,  aurail  cru  qu'on  y  sacrifiait  de  jeunes 
(aureaux  ou  des  brebis  d'Amathonle.  Bienldt  ii  y  elait  immole 


Desinil  esse  cruor,  tyrioque  nilenlior  ostro 

Flos  oritur;  formamque  capit,  quam  lilia,  si  non 

Purpureus  color  huic,  argenteus  esset  in  illis. 

Non  satis  hoc  Phoebo  est  (is  enim  fuit  auclor  honoris), 

Ipse  suos  gemilus  foliis  inscribit,  et  ai  ai  215 

Flos  habet  iDscriplum,  funestaque  littera  ducla  cst. 

Nec  genuisse  pudet  Sparten  Hyacinthon;  honorque 

Durat  in  hoc  ajvi,  celebrandaque  more  priorum 

Annua  prselata  redeunt  Hyacinthia  pompa. 

CERASTjE  CONVEBSI  IN   BOVES;    PnOPiETIDES   IN   SAXA. 

V-    «  At  si  forle  roges  fecundam  Amalhunta  melalli,         229 
An  genuisse  velit  Propcctidas,  abnuat  xque 
Alque  illos,  gemino  quondam  quibus  aspcra  cornu 
Frons  erat,  unde  etiam  nomen  traxere  Cerastx. 
Ante  fores  horum  stabat  Jovis  Hospilis  ara, 
Lugubris  sceleris.  Quam  si  quis  sanguine  tinctam  225 

Advena  vidisset,  maclavos  cxe^etfiV.  \\V\<^ 
Laclanlcs  vitulos,  mal\\ws\«iC8kSNe  Vvtov.Ki,%. 


LIYRE  X.  381 

lui-meme.  Indigiiee  de  ces  criminelles  oflrandes,  Venus  s'appr6- 
tait  a  quitter  les  villes  ou  elie  est  adoree,  et  les  plaines  d*Oplnuse. 
ff  Quel  forfait,  dit-elle,  ont  donc  commis  ces  lieux  et  ces  cites  que 
«  j'aime?  Que  peut-on  leur  reprocher?  Ah!  plutdt,  qu'un  peuple 
ff  barbare  expie  ses  forfaits  par  Texi],  par  la  mort  ou  par  un  ch^ti- 
«  ment  qui  tienne  le  miiieu  enlre  la  mort  et  Texil !  Ce  chAtiment, 
«  que  peut-il  ^lre,  sinon  une  m^tamorphose?  »  Tandis  qu'elle 
hesite  sur  le  changement  que  les  Cerastes  doivent  subir,  elle  aper- 
9oit  des  comes  sur  leur  front.  II  lui  vient  dans  la  pensee  qu'elle 
peut  les  y  fixer,  et  elle  les  transforme  en  taureaux  furieux.  Ce- 
pendant  les  cyniques  Propetides  osent  nier  encore  sa  divinite.  Pour 
venger  cetle  offense,  le  courroux  de  ia  deesse  les  poussa,  dit-on,  a 
donner  le  premier  exemple  du  f rafic  de  leur  beaute.  Comme  elles 
avaient  depouilie  toute  pudeur  et  que  leur  front  ne  savait  plus 
rougir,  elles  furent  changees  en  rocher.  Leur  nature  avait  peu 
souffert  de  cette  metamorphose 

STATUE  DE   rTGyALION. 

^I. « Temoin  des  crimes  qui  souillerent  leur  vie,  etplein  dliorreur 
pour  les  vices  que  la  nalure  a  mis  dans  le  coeur  des  femmes,  Pyg- 

Hospes  cral  cxsu^.  Sacris  orfcuba  ucfandis, 

Ipsa  siias  urbes,  opliiusiaque  arva  parabat 

Dcserere  alma  Venus :  «  Sed  quid  loca  grala,  quid  urbes    250 

«  Pcccaverc  mcaj?  quod  crimen,  dixil,  in  ill-s? 

«  Eisiiio  pocnam  polius  gens  impia  pcudal, 

«  Vel  nece,  vcl  si  quid  medium  mortisque  fugxquc, 

«  Idque  quid  cssc  polcst,  nisi  versaj  pocna  figuraj?  » 

Dum  dubitat,  quo  mutct  eos,  ad  cornua  vultum  233 

Flexit,  et  admonila  csl  hajc  illis  posse  relinqui, 

Grandiaquc  in  lorvos  transformat  mcmbra  juvincos. 

Sunt  tamcn  obscenae  Vcnerem  Propoctidcs  aus» 

Esse  ncgare  deam.  Pro  quo  sua  numinis  ira 

Corpora  cum  forma  primaj  vulgassc  fcruntur.  -i^H^  k^'  \) 

Ulquc  pudor  ccssit,  sanjjuisquc  induruit  ori-. 

In  risiduni  parvo  s.iliccin  discrimiiic  vcrs:?. 

PTCMAUO.NIS  STATCA. 

VI.    «  Quas  quia  Pygmalion  a?vum  per  criincn  ogenlci 
Videra"»,  offensus  vhiis,  quaj  plurima  mcivV.'i 


382  METAMORPHOSES. 

malion  vivait  libre  du  joug  de  rhymen.  Longtemps  aucune  com« 
pagne  ne  partagea  sa  couche.  Cependant  son  ciseau  mit  au  jour 
une  merveilleuse  slatue  d^ivoire.  Elle  represenlait  une  femme 
que  rien  ne  pouvait  ^aler,  et  il  devint  amoureux  de  son  ouvrage. 
Cetait  une  vierge  :  on  l'aurait  crue  vivante..  La  pudeur  seule 
semblait  remp^cher  de  se  mouvoir  :  tant  Tart  parrient  a  s'ef- 
facer!  Dans  son  enthousiasme,  Pygmalion  se  passiomie  pour 
ies  charmes  dont  il  est  Fauteur.  Souvent  il  approcbe  ses  mains 
de  son  chef-d^oeuvre  pour  s'assurer  si  c'est  un  corps  ouune  statue 
d'ivoire ;  et  il  doute  encore.  11  lui  donne  des  baisers,  et  s'imagine 
que  jces  baisers  lui  sont  rendus.  U  lui  parle,  il  Tembrasse,  il  croit 
presser  sous  ses  doigts  un  corps  v^ritable,  et  craint  d'y  laisser  une 
livide  empreinte.  Tanldt  il  lui  prodigue  des  caresses,  tanldt  il  lui 
fait  les  presents  qui  plaisent  aux  jeunes  filleS;  tels  que  des  oo* 
quillages,  des  cailloux  ronds,  de  petits  oiseaux,  des  lleurs  nuan- 
cees  de  mille  couleurs,  des  lis,  des  balles  peintes,  et  l^amlnre  qui 
decoule  des  peupliers.  U  s'occupe  aussi  de  sa  parure.  D  ome  ses 
doigts  de  pierrerieS;  et  son  cou  de  longs  colliers.  Des  perles  peu- 
dent  a  ses  oreilles»  et  des  chaines  flottent  sur  son  sein.  Tout 

Fcmineae  natura  dcdit,  sine  conjuge  csdebs  '^ili 

ViTcbat,  thalamique  diu  consortc  carebat. 

Inlerea  niveum  mira  feliciter  arte 

Sculpsit  ebur,  formamqiie  dedit,  qua  femiua  uasci 

NuUa  potest,  operisque  sui  concepit  amorem. 

Yirginis  est  verse  facies,  quam  vivere  credas^  250 

Et,  si  non  obstet  reverentia,  velle  movcri : 

Ars  adeo  latct  artc  sual  Miratur,  ct  baurit 

Pectore  Pygmalion  simulati  corporis  ignes. 

Saepe  manus  opcri  lcntantes  admovct,  an  sit 

Corpus,  an  illud  ebur;  nec  ebur  tamen  esse  fatulur.         235 

Oscula  dat,  reddique  pulat,  loquiturque  tenetquc, 

Et  credit  tactis  digitos  insidere  membris, 

Et  meluit  pressos  veniat  ne  livor  in  artus. 

Et  modo  blandilias  adhibet,  modo  grala  pucllit 

Muneia  ferl  illi  conchas,  teretesque  lapillos,  i<M> 

Et  purvas  volucres,  et  florcs  milte  colorum, 

Liliaque,  piclasque  pilas,  ct  ab  arbore  lapsas 

Heliadum  lacrymas;  ornat  quoque  vestibus  arlus; 

Dat  digilis  gemmaa  el  \onga  u\oq\\\;i  cq\Vq\ 

itire  leves  bacc»,  vediinvcuU  v*(i\.we  ^«itk\«ii\..  ^-i 


LIVRE  X.  383 

lui  sied ;  mais,  sans  painire,  elle  n'esl  pas  uioins  belle.  II  la 
place  sur  des  tapis  de  pourpre  et  la  nomme  son  ^pouse.  Enfin  il 
Mt  reposer  sa  tSte  sur  un  oreiller  moelieux,  comme  si  elle  etait 
douee  de  sentiment. 

•  f  On  celebrait  dans  toute  Tile  de  Chypre  la  f^te  de  Venus.  On 
venait  d'inunoler  a  la  d^se  de  blanches  genisses  dont  les  cornes 
etaient  garnies  d'or.  L'encens  fumait  sur  ses  autels.  Pygmalion 
y  porte  son  olTrande,  et,  d'une  voix  timide,  il  fait  cette  pri^re : 
u  Dieux,  si  vous  pouvez  tout  accorder  aux  morlels,  faites,  je 
«  vbus  en  supplie,  que  mon  epouse^  (il  n'ose  demander  pour. 
i  epouse  la  stalue  elle-m^me)  ressemble  a  cet  ivoire  travaiiie 
«  par  mes  mains !  »  La  belle  V^nus,  presente  a  cette  fSte,  com- 
prend  ce  voeu.  Gomme  un  presage  propice,  trois  fois  la  flamme 
brille  et  s*^lance  en  fleche  dans  les  airs.  Pygmalion  rentre  chez 
lui,  va  retrouver  sa  statue,  se  penche  vers  elle  et  lui  donne  uu 
baiser.  Elle  parait  avoir  la  chaleur  de  la  vie.  II  Tembrasse  en- 
core  et  touche  son  sein.  L'ivoire  s'amoIIit  et  cede  sous  ses 
doigts.  Ainsi  la  cire  de  THymette  fond  aux  rayons  du  soleil, 
prend  mille  formes  sous  la  main  de  Tartiste,  et  obeit  a  sa  pensee. 

CuDcla  deceat,  nec  nuda  minus  formosa  videtur. 
Gollocat  hanc  stratis  concha  Sidoiiide  tiuclis, 
Appellatque  tori  sociam,  acclinalaque  colla 
MoUibus  in  plumis,  tanquam  sensura,  reponit. 

«  Festa  dies  Veneri,  tota  celeberrima  Cypro,  !270 

Veneral,  ct  pandis  inductse  cornibus  aurum 
Gonciderant  ictae  nivea  cervice  juvencx, 
Thuraque  fumabant,  quum  munere  fuuctus  ad  aras 
Gonstitit,  et  timide :  «  Si  di  dare  cuncta  potestis, 
«  Sit  conjux  opto  (non  ausus,  cburnea  virgo,  275 

«  Dicere  PygmaUon),  similis  mea,  dixit,  eburnaj.  » 
Sensit,  ut  ipsa  suis  aderat  Venus  aurea  fcslis, 
Vota  quid  illa  velint,  et  amici  numinis  omen, 
Flamma  ter  accensa  est,  apicemque  per  aera  diisit. 
Ut  rediit,  simulacra  suas  petit  ille  puellac,  !280 

Incumbcnsque  toro  dedit  oscula :  visa  tepere  est. 
Admovet  os  iterum,  manibus  quoque  pectora  tentat. 
Tcntatum  moUescit  ebur,  posiloque  rigore 
Subsidit  digitis,  ceditqiie  ut  hymetiia  sole 
Ccra  remollescit,  tractataque  pollice  muUa^  ^^ 

Fiectjtur  ia  fades,  ipsoqtie  &t  iililis  \ida. 


384  M£TAMOHPHOSES. 

Pyginalion,  etonne,  s'abandonne  timidement  a  la  joie  et  craint 
d'^tre  abus^.  Tout  a  Tamour,  11  palpe  mille  fo»  Tobjet  qu*il  adore. 
Cetait  un  corps  vivaut.  II  sent  des  vein^  tressaiilir  sous  sa  main. 
Alors,  transporte  d'all^gresse,  11  rend  graces  a  Yenus,  et  sa  bou- 
che  presse  entiu  une  bouclic  veritable.  La  vierge  sent  ses  baisers 
et  rougit ;  elle  ouvre  a  la  lumi^re  un  oeil  craintif>  et  voit  a  la  fols 
le  del  et  son  amant.  Venus  preside  a  cet  hvmne  qui  est  son  ou- 
vrage.  Quand  la  lune  eut  reiripll  neuf  fois  son  croissant,  Paphus 
vit  ie  jour  et  donna  son  nom  a  1'ile  de  Paphos. 

MYRRHA  CnANGEE  EN  ARBBE. 

Yll.  i  De  cet  hymen  naquit  le  fameux  Cynire,  qu  on  aurait  pu 
ranger  panni  les  heureux,  s'il  n'ei]lt  pas  cu  d'enfant.  Je  vais  ra- 
conler  une  horrible  aventure.  Jeunes  fiUes,  et  vous,  peres,  eloi- 
gnez-vous.  Si  mes  chants  ont  pour  vous  des  cliarmes,  r^usez  ici 
de  me  crolre,  et  rejetez  ce  recit;  ou,  du  moins,  en  radmettant 
comme  vrai,  croyez  aussl  au  chdtiment  dont  le  crime  fut  suivi. 
Toutefois,  si  la  nature  permet  de  telles  horreurs,  je  fi^iicite  les 
Thraces  et  la  partie  du  monde  que  nous  habitons;  je  fi^licite  noti^e 

Duin  stupet,  et  timide  gaudet,  fallique  verctur, 

Rursus  amans,  ruri>usque  manu  sua  vota  retractat. 

Corpus  erat :  saliunt  tcnlatx  pollicc  veuo}. 

Tum   vcro  paphius  plcnissima  concipit  lieros  ilN) 

Vcrba,  quibus  Vcneri  gratcs  agat;  oraqiic  tandcm 

Ore  suo  non  fal»a  preniit;  dataquc  oscula  virgo 

Sensit,  et  erubuit,  timidumquc  ad  lumina  lumcu 

Altollens,  parilcr  cum  ccclo  vidit  amantem. 

Conjugio,  quod  fecit,  adest  dea.  Jamquc  couctis  295 

Coruibus  in  plonum  novics  lunaribus  orbcm, 

Ula  Paphon  genuit,  de  quo  tenet  insula  nomcn. 

HTRnHA   IN    ABDOItEH   MVTATA. 

Yll.    «  Editus  hac  ille  cst,  qui,  si  sine  prolc  fuis&ct, 
Inter  fcliccs  Cyniras  potuisset  habcri. 
Dira  canam.  Katis  procul  hinc,  procul  c^lc,  parenlcs;      300 
Aut,  inea  si  vcstras  raulcebunt  carmina  mentc», 
Dcsit  in  liac  mihi  parte  fides,  nec  credilc  factum. 
Vcl,  si  crcdctis,  facti  quoque  credilc  pccnam. 
Si  iameu  adm\&&uvi\  >\mt  Uoc  nalura  videri; 
Gculibus  bmams,  qV  uo%Uo  %v^vu\qv  qvVv\  oOo 


LIVRE  X.  585 

patrie  d'^tre  loiii  des  climats  qui  furent  lemoins  d'un  aussi  mons- 
trueux  forfait.  Que  Topulente  Arabie  produise  Tamome,  le  cin- 
name,  le  coslus,  de  riclies  fleurs  et  Tencens  qui  distille  des  ar- 
bres ;  qu'elle  produise  aussi  la  myrrhe :  Tarbre  qui  la  donne  fut 
trop  dierement  achete  par  ces  infamies.  L*Amour  lUi-mSme, 
Myrrha,  soutient  que  tu  n  as  pas  ete  blessee  de  ses  traits,  et  son 
flambeau  repousse  ta  sacrilege  flarame.  Ce  fut  une  des  Furies, 
armee  de  sa  torche  uifernale,  qui  souflla  dans  ton  coeur  le  venin 
dont  ses  serpents  etaient  goufles.  Uair  son  p^re  est  un  crime; 
mais  raimer  de  la  sorte  est  un  crime  plus  affreux  que  lahaine. 
€  L'elite  des  princes  brigue  ta  main ;  la  briilante  jeunesse  de  TO; 
rient  se  dispute  Thonneur  de  parlager  ta  couche.  Parmi  tous  ces 
rivaux,  choisis  un  epoux,  a  Texceplion  d'un  seul.  Gependant  Myrrha 
oprouve  des  remords  el  lutte  contre  son  amour  impur.  c  Quelle 
f  fureur  m'entraine?  se  dit-elle;  que  vais-je  faire?  Dieux,  je  vous 
«  en  conjurei  et  toi,  piele  tihale.  et  vous,  droits  sacres  du  sang, 
fl  opposez-vous  a  cet  inceste,  et  prevenez  un  tel  forfait,  si  toulc- 
«  fois  c'en  est  un.  En  efliet,  la  nalure  ne  condamne  point  mon  pcn 
«  chant.  Les  aniraaux  s'unissent  sans  choix.  Le  laureau  trouvc 


Gratulor  liuic  lerrse,  quod  abcst  regionibus  iilis, 
Quae  tanium  gcnucrc  nefas.  Sil  dives  amomo,  - 
Ciunamaque,  costumquc  suum,  sudataque  ligiio 
Tliura  fcrat,  floresquc  a!ios  panchaia  lcUus, 
Dum  feral  et  myrrham  :  tanti  nova  non  fuit  arbo:».  510 

Ipse  negat  nocuisse  tibi  sua  lela  Cupido, 
%iTha,  faccsquc  !>uas  a  criminc  vindicat  islo. 
Stipite  te  stygio,  tumidisquc  afflavit  Echidnis, 
E  tribus  una  soror.  Scclus  cst  odisse  parentcm ; 
'Uic  amor  est  odio  majus  scelus. 

«  Undiquc  l^tli  515 

Te  cupiuDt  proccres;  loloquu  Oriente  juvcnlus 
Ad  thalami  ccrtamen  adest.  Ei  omnibus  unum 
Elige.  Myrrha,  tibi  dum  ne  sit  in  omnibus  unu^. 
lllu  quidem  scntit,  focdoque  repugnat  amori : 
£t  secum  :  «  Quo  menle  feror?  quid  molior?  iu  .uii.  oiO 

«  Di,  precor,  et  Pietas,  sacrataquc  jura  parcntJin, 
«  lloc  prohibcte  ucfus,  scelcrique  rcsistite  tan!o, 
«  Si  tamcn  hoc  scelus  est.  Sedenim  damnare  negalur 
•  Uanc  Yeaerem  piclas;  cocuulque  ammaWai  \i\j\\o 


380  MfiTAMORPHOSES. 

«  naturel  de  rendre  m^re  lagenisse  a  laquelle  il  a  donn^  la  vie ;  le 
«  cheval  peut  feconder  la  cavale  dont  il  est  le  p^re,  le  b^lier  les 
«  brebis  qui  lui  doivent  le  jour,  et  Toiseau  le  sein  qui  Ta  con^u. 
«  Heureux  les  6tres  qui  jouissent  de  ce  privil^e!  L'bomme  s'esl 
«  cree  des  entraves,  et  de  jalouses  lois  repriment  les  sentiments 
«  qu'autorise  la  nature.  11  est  pourtant  des  contrees,  dit-on,  ou  le  iils 
«  ^pouse  sa  mere,  et  le  pere  sa  fille  :  leur  tendresse  s'accroit  de 
« tous  les  feux  de  Famour .  Malheureuse !  que  n'ai*je  re^u  la  vie  dans 
«  ces  contrees !  Cest  le  hasard  de  la  naissance  qui  me  rend  cou- 
«  pable.  Mais  pourquoi  revenir  a  de  semblables  pensees?  Disparais- 
'«  sez,  esperances  interdites  amon  coDur !  Ginyre  merite  mon  amour, 
«  mais  comme  un  pere.  Si  donc  je  n'^tais  la  fille  de  ce  grand  roi,  je 
«  pourrais  aspirer  a  sa  couche !  Cest  parce  qu'il  me  tient  de  prfe 
«  qu'il  ne  peut  ^tre  a  moi !  Nos  liens  sont  la  source  de  mon  mal- 
«  heur.  Etrangere  a  Cinyre,  je  serais  plus  heure\ise.  Je  veux  m'e- 
«  loigner  et  fuir  ma  patrie  pour  ^happer  au  crime.  Un  fatal  amour 
« me  retient.  Que  je  puisse  du  moins  conlempler  Cinyre,  toudier  ses 
«  mains,  lui  parler,  Tembrasser,  sll  ne  m'est  pointpermis  d^esp^rer 
«  davanlage.  Eh!  que  peux-lu  ambitionner  de  plus,  fiUe  coupable? 

<t  Gaetera  deleclu;  nec  habetui*  lurpe  juvencu)  525 

«  Ferre  patrem  tergo;  fit  equo  sua  filia  conjux; 

K  Quasque  creavit,  init  pecudes,  caper;  ipsaque,  cujus 

«  Scmiae  concepla  est,  ex  illo  concipit  ales. 

«  FeliceS;  quibus  ista  licent!  Uumana  malignas 

«  Cura  dedit  leges,  et  quod  natura  remitlit,  550 

«  Invida  jura  ncgant.  Gentes  tamen  esse  ferunlur, 

«  In  quib«6  et  nalo  genitrix,  et  nata  paienli 

(i  Jungitur,  ct  pietas  gcminalo  crescit  amorc. 

«  Me  miserum,  quod  uon  nasci  mihi  contigit  illidj 

«  FortunaqMO  loci  laidor!  Quid  in  ista  revolvor?  3'ii 

«  Spes  interdicta;,  discedite.  Dignus  amari 

«  Ille,  sed  ut  pater,  est.  Ergo  si  filia  magni 

«  Non  essem  Ginyra;,  Ginyraj  concurabere  possera. 

<t  Nunc  quia  tara  meus  est,  non  est  meusj  ipsaquc  Uamno 

«  Est  mihi  proximitas  :  aliena  poleutior  essem.  540 

«<  Ire  libet  procul  hinc,  palriosque  relinqucrc  fines, 

«  Dum  scelus  effugiam.  Relinet  malus  error  aniantem, 

«  Ut  praesens  spectem  Cinyram,  tangamque,  loquarquc, 

c  Oficulaque  adniONeakmt  ^i  uv^  coucediiui*  ultra. 

*  Lllra  auUm  apeiaie  «Wcjuv^  ^v«a\.»\mvv^Vvt^Ql         "«k^ 


LIVRE  X.  387 

«  Ne  vois-iu  pas  que  tu  confonds  tous  les  noms,  tous  les  droits? 
«  Veux-tu  donc  ^tre  la  rivale  de  ta  m^re  et  Tamante  de  ton  pere? 
f  Veux-tu  devenir  la  sceur  de  ton  fils  et  la  mere  de  ton  frere?  Ne 
ff  crains-tu  pas  les  Furies  h^rissees  de  serpents,  que  les  mechants 
«  voient  toujours  agiter  a  leurs  yeux  des  torches  mena^nles? 
«  Myrrha,  tes  mains  sont  encore  pures.  Garde-toi  d'ouvrir  ton 
«  coeur  au  crime ;  garde-toi  d'enfreindre  par  une  monstrueuse 
«  union  les  saintes  lois  de  la  nature!  Quand  meme  Ginyre  ac- 
«  cueillerait  tes  voeux,  ils  trouvent  en  eux-memes  leur  condam- 
«  nation.  Mais  son  ^me  est  vertueuse ;  il  respecte  ses  devoirs. 
«  Et  j'ose  desirer  qu'il  partage  mon  delire !  » 

«  Elle  dit.  Cependant  Ginyre,  parmi  tant  de  rivaux  dignes  de  sa 
flUe,  h^ite  sur  le  choix  qu'il  doit  faire.  II  lui  demande,  en  les  de- 
signant  chacun  par  son  nom,  quel  est  celui  dont  elle  veut  etre 
Tepouse.  Myrrha  d'abord  garde  le  silence,  et,  tenant  ses  regards 
attaches  sur  le  front  de  son  pere,  elle  bnile  :  des  larmes  ardentes 
roulentdans  ses  yeux.  Ginyre  les  attribue  a  la  timidite  d'une  vierge, 
et  lui  defend  de  pleurer ;  il  essuie  ses  larmes  et  lui  donne  un  bai- 
ser.  Myrrha  le  re^oit  avec  une  joie  trop  vive ;  et,  quand  son  pero 
lui  demande  encore  quel  epoux  elle  desire  :  « Iln  epoux  qui  vous 


«  Nec,  quot  confundas  et  jura  et  noraina,  sentis? 

«  Tune  eris  et  matris  pellex,  et  adultera  patris? 

«  Tune  soror  nati,  genitrixque  vocabere  fralris? 

«  Nec  metues  atro  crinitas  angue  sorores, 

«  Quas,  facibus  saBvis  oculos  atque  ora  pctentes,  350 

t  Noxia  corda  vident?  At  tu,  duni  corpore  non  es 

«  Passa,  ncfas  animo  ne  concipe,  neve  potentis 

«  Concubitu  vetito  naturse  poUue  foedus. 

«  Yelle  puta;  res  ipsa  vetat;  pius  ille,  memorquc 

«  Juris;  et,  ol  vellem  similis  furor  esset  in  illo!  »  55S 

«  Dixerat,  at  Cinyras,  quem  copia  digna  procorum, 
Quid  faciat,  dubildrc  facit,  scitatur  ab  ipsa, 
Nominibus  dictis,  cujus  velit  esse  mariti. 
Illa  silet  primo,  patriisque  in  vultibus  hserens, 
/Bstuat,  et  tepido  suffundit  luroina  rore.  360 

Virginei  Cinyras  hsBc  credens  esse  timoris, 
Flere  vetat,  siccatque  genas,  atque  oscula  jungit. 
Myrrha  datis  nimium  gaudet,  consuUaque,  qwa\m 
Oplet  hahere  viruBif  «  Similem  tibi, »  dmV.  kl  ttVft 


58«  METAMORPHOSES. 

i  rossemble,  »  dit-ellc.  II  loue  celte  reponse,  dont  il  ne  pto^tre 
point  le  sons.  «  Conserve  tonjours  la  mSme  pi6l6  filiale,  •  lui  r6- 
pond-it.  Au  mot  de  piete,  Myrrha,  qui  connait  son  coeur  criminel, 
haissc  les  yeux.  La  nuit  etait  parvenue  au  milieu  de  sa  course.  Le 
sommeil  allegeait  les  fatigues  et  les  peines  des  mortels ;  mais  la 
nile  de  Ginyre,  d^vor^e  par  une  inddmptable  passion,  veille  et 
roule  dans  son  Sme  ses  projets  furieux.  Tour  a  tour  elle  ddsesp^re, 
clle  veut  tout  oser,  elle  rougit,  elle  desire.  Elle  ignore  a  quel 
parti  elle  doit  s'arr6ter.  Comme  un  grand  arhre  frapp^  par  la 
hache  ne  sait,  en  attendant  le  demier  coup,  de  quel  cdte  il  va 
tomber,  et  fait  de  toute  part  redouter  sa  chnte.  Myrrha,  atteinte 
de  blessures  diverses,  flotte  et  penche  tantdt  vers  un  parti,  lantdt 
vers  un  autre.  Enfin  son  amour  ne  trouve  de  tr^ve  ou  de  repos 
que  dans  la  mort.  Elle  choisit  la  mort,  et  se  leve  resolue  de  mettre 
fin  a  ses  jours  par  nn  lacet  fatal.  Elle  attache  sa  ceinture  k  une 
poutre,  et  s'ccrie:  «Cher  Cinyre,  adieu;  sache-Ie  bien,  tu  es  la 
« causc  de  mon  tr^pas !  »  A  ccs  mots,  elle  passe  son  cou  dans  le 
funeste  lien. 

«  Le  son  confus  de  ses  paroles  elait  parvenu,  dit-on,  aux  oreilles 
de  la  fid 'le  nourrice  qui  gardait  la  porle  de  son  appartement.  La 


Non  inlcllcctam  vocem  coUaudat,  et,  «  esto  305 

«  Tam  pia  sompor,  v  ait.  rieialis  nomine  dicto, 

Demisil  vullus  scelrris  sibi  conscia  virgo. 

^octis  eral  medium,  curasque  et  corpora  sonmus 

Folvcrat.  At  virgo  cinyreia  pervigil  igni 

Carpitur  i«domilo,  furiosaque  vota  retractat.  570 

Et  modo  desperat,  modo  vult  tentare;  pudetque, 

Et  cupit;  ct,  quod  agat,  non  invenit;  utque  securi 

Saucia  trabs  ingens,  ubi  plaga  novissima  restat, 

Quo  cadat,  in  dubio  est,  omnique  a  parte  timetur; 

Sic  animus  vario  labefactus  vulnere  nutat  375 

IIuc  levis,  atquc  illuc;  momcnlaquc  sumit  utroque. 

Nec  modus  aut  requics,  nisi  mors,  reperitur  amoris. 

Mors  placet.  Erigitur,  laqueoque  innectere  fauccs 

Deslinat,  ct,  zona  summo  de  poste  rcvincta  : 

«  Care  vale  Cinyra;  causnm  te  intellige  mortis.  »  580 

Dixit,  el  apiabal  paUeuU  \incula  collo. 

«  Murmura  \cr\M)t>iTO  ^vAvis  xvviVv\m  ^^  ^wx^%» 
Perveni^se  fetunl,  Vivuexx  seY^;xvvV\?>  ^wm^^. 


LIYRE  X.  589 

bonne  vieille  accourt  et  ouvre  les  porles.  A  la  Yue  des  fun^bres 
apprfits,  un  cri  s'echappe  de  sa  bouche,  et,  au  m^me  instant, 
elle  meurtrit  son  sein,  d^hire  ses  T^tements,  arrache  le  tissu  et 
le  met  en  lambeaux.  Puis  elle  s*abandonne  aux  larmes,  embrasse 
la  jeune  princesse,  et  veut  connaitre  les  motifs  de  sa  determina- 
iion.  Myrrha  garde  le  silence  et  fixe  sur  la  terre  un  regard  immo- 
bile.  Elle  s^afflige  de  voir  interrompre  ses  efforts  pour  h&ter  son 
trepas.  La  nourrice  insiste,  et,  dtouvrant  ses  cheveux  blancs  et 
son  sein  aride,  elle  conjure  Myrrha,  par  les  soins  qu'elle  prit 
d'elle  au  berceau,  de  lui  confier  ses  chagrins.  Myrrha  se  d6- 
tourne  et  gemit.  La  nourrice,  toujours  in^branlable,  la  presse 
de  nouveau,  et  ne  se  borne  plus  a  lui  proraettre  une  6tern^lle 
foi.  «  Parlez,  dit-elle,  et  souffrez  que  je  vous  prMe  mon  appui. 
f  Ma  vieillesse  est  encore  active.  £tes-vous  tourment^e  par  Ta- 
fl  mour,  je  trouverai  dans  les  plantes  et  dans  les  paroles  magi- 
«  ques  un  rem^e  certain.  fites-vous  sous  Tempire  d'un  malefice, 
« je  vous  en  aflranchirai  par  un  charme.  La  colere  des  dieux 
«  s'est-elle  appesantie  sur  vous,  on  peut  Tapaiser  par  des  sa- 
«  crifices.  Que  puis-je  supposer  encore?  La  fortune  vous  sourit; 
«  votre  famille  est  heureuse  au  sein  de  rabondance ;  votre  p^re  et 
«  votre  mere  sont  vivants.  »  A  ce  nom  de  pere,  Myrrha  pousse  un 

Surgit  anus,  reseratque  fores;  morlisque  parattB 

Instrumenta  viilens,  spalio  conclamat  eodem,  385 

Seque  ferit,  scinditque  sinus,  ereptaque  collo 

Vincula  dilaniat.  Tum  denique  flere  vacavit, 

Tum  dare  oomplexus,  laqueique  requirere  causam. 

Mula  silet  virgo,  terramque  immota  tuetur, 

Et  deprensa  dolet  tardaj  conamina  mortis.         *  590 

Instat  anus,  canosque  suos,  et  inania  nudans 

Ubera,  per  cunas  alimentaque  prima  precalur, 

Ut  sibi  committat,  quidquid  dolct.  llla  roganlem 

Aversata  gemit.  Certa  est  exquirere  nutrix, 

Nec  solam  spondere  fidem  :  «  Dic,  inquit,  opemque  395 

«  Me  sine  ferre  tibi :  non  est  mea  pigra  senectus. 

«  Seu  furor  est,  habeo  quiE  carmine  sanet  et  herbis; 

«  Sive  aliquis  nocuit,  magico  lustrabere  rilii; 

«  Sive  est  ira  deum,  sacris  plaeabilis  ira. 

«  Quid  rcar  ulterius?  Certe  fortuna  domusque  400 

«  Sospes,  et  in  cuisu  est,  vivunt  genitrii<\UQ  ^'OkU.T(\w^»  i^ 

Myrrlia,  palrc  wdilo,  suspiria  dttxVl  ab  irao 


500  MftTAMOUPHOSES. 

profond  soupir.  Gependant  sa  nourrice  ne  soup^nne  enoore  an- 
cun  mal ;  mais  elle  devine  qu'elle  souffre  de  l'amour.  Immuable 
dans  sa  r^olution,  elle  la  supplie  de  lui  reveler  son  secret.  La 
bonne  Tieille  la  place  sur  ses  genoux  toute  mouill^e  de  larmes, 
et,  la  serrant  dans  ses  d^biles  bras :  «  Je  le  vois,  dit-elle,  yous  ai» 
«  mez ;  mais  bannissez  toute  crainte.  lci  encore  mes  senrices  vous 
«  seront  utiles :  jamais  votre  pere  ne  connaitra  cet  amour.  •  Myrrha, 
^perdue,  s^arrache  de  ses  bras,  et,  pressant  sa  couche  de  son  firont : 
«  £loigne-toi,  je  t'en  prie,  lui  r^pond-elle;  epargne  une  infortunee 
«  que  la  honte  accable. »  La  nourrice  la  presse  plus  viTement. 
«  £loign6-toi,  poursuit  Myrrha,  ou  cesse  de  me  demander  la  cause 
«  de  ma  douleur.  Ge  que  tu  veux  apprendre  est  un  crime.  » 

La  nourrice  fremit ;  elle  lui  tend  ses  mains  tremblantes  a  la  fois 
de  vieillesse  et  de  terreur,  et  tombe  en  suppliante  a  ses  pieds.  Tan- 
t6t  elle  la  flatte,  tant6t  elle  la  menace,  si  elle  ne  la  prend  point 
pour  contldente,  d'aller  r^veler  a  son  pere  le  fatal  lacet  et  les 
appr^ts  de  sa  mort.  D'un  autre  c6t^,  elle  promet  de  servir  s(»i 
amour,  si  elle  lui  en  livre  le  secret.  Myrrha  relSve  la  t^te,  et 
inonde  de  larmes  le  sein  de  sa  nourrice.  Souvent  elle  tente  un  aveu, 
souvent  elle  ^touffe  sa  voix ;  et,  enveloppant  de  sa  robe  son  visage 


Pectore;  nec  nutrix  etiamnum  concipit  uUum 
Mente  nefas,  aliquemque  tamen  prscsentit  amorero; 
Propositique  tenax,  quodcumque  sit,  orat,  ut  ipsi  403 

Indicct,  et  gremio  lacrymantem  toUit  anili, 
Atque  ita  complectens  infirmis  membra  lacertis  : 
«  Sensmius,  inquit,  amas;  et  ia  hoc  mea  (pone  timorem), 
«  Sedulitas  erit  apta  tibi,  nec  sentiet  unquam 
«  IIoc  pater.  »  Exsiluit  gremio  furibunda,  torumque        410 
Ore  premens :  «  Discede,  precor,  miseroque  pudori 
«  Parce,  ait;  instanti,  discede,  aut  desine,  dixit, 
«  Quxrere,  quid  doleam:  scelus  est,  quod  scire  laboras.  » 
«  Horret  anus,  tremulasque  manus  annisque  metuquc 
Tendit,  et  antc  pedes  supplex  procumbit  alumn»;  415 

Et  modo  blanditur,  modo,  si  non  conscia  fiat, 
Terret,  et  indicium  laquei,  coeptacque  minalur 
Mortis,  et  officium  commisso  spondet  amori. 
Extulit  illa  caput,  lacrymisque  implcvit  oborlis 
Pectora  nulricis,  conataque  saspe  faleri,  480 

S(epe  teael  yoco.m,  pAi^W^und^^w^  n^sWW-Si  w^ 


LIVRE  X,  391 

couvert  de  honte  :  «  0  ma  m^re  l  dit-eUe,  lu  es  heureuse  d'avoir 
«  Cynire  pour  epoux! »  EUe  s*arr6te  et  soupire.  La  nourrice,  qui 
a  tout  coinpris,  sent  un  froid  mortel  se  glisser  dans  ses  Teines,  et 
ses  chcTeux  blancs  se  dressent  sur  sa  t^te.  EUe  s'efforce,  par  mille 
exhortations,  de  bannir  ce  fatal  delire  du  coeur  de  Myrrha.  Celle-ci 
reconnait  1a  sagesse  de  ses  conseils.  Mais  elte  a  r^solu  de  mourir, 
si  elle  n'oblient  Fobjet  de  son  amour.  «  Vivez,  lui  dit  sanourrice; 
vous  possederez  votre... »  Mais,  n'osant  ajouter  le  moi  pire,  elle 
se  tut,  et  confkma  sa  promesse  d'un  signe  de  t6te. 

«  Des  femmes  pieuses,  couvertes  de  voiles  blancs,  celebraient  les 
f^tes  annuelles  ou  elles  offraient  a  Ceres  les  premices  de  leurs 
fruits  et  des  couronnes  d'epis.  Pendant  neuf  jours,  elles  s^abste- 
naient  de  s'approcher  de  leurs  epoux.  Avec  elles  Cenchreis,  la 
reine,  prenait  part  aux  mysteres  sacr^s.  Tandis  que  la  couche  de 
Cinyre  est  veuve  de  sa  legitime  compagne,  rartificieuse  nourrice, 
voyant  le  roi  chanceler  sous  les  fumees  du  vin,  lui  peint  sous  un 
nom  suppose  une  amante  veritable,  et  fait  Teloge  de  sa  beaute. 
Ginyre  demande  son  ftge :  « Celui  de  Myrrha,  »  dit-elle.  Le  roi  lui 
ordonne  de  la  conduire  pr&  de  lui.  Des  que  la  nourrice  est  ren- 


Tcxit;  et :  «  0,  dixit,  felicem  conjuge  matrcm!  » 

Hactenus,  et  gemuit.  Gelidos  nulricis  in  artus, 

Ossaque  (sensit  enim)  penetrat  tremor,  albaque  tolo 

Vertice  canities  rigidis  stetit  hirta  capillis.  425 

Multaque,  ut  excuterct  diros,  si  posset,  amores, 

Addidit.  At  virgo  scit  se  non  falsa  moneri. 

Certa  mori  tamen  est,  si  non  potiatur  amato. 

<i  Vive,  ait  hxc;  potiere  tuo,  »  non  ausa,  parente, 

Dicere,  conticuit,  promiss^que  numine  firmat.  4/10 

«  Festa  pi»  Cereris  celebrabant  annua  matres. 
Illa,  quibus  nivea  velatsB  corpora  veste* 
Primilias  frugum  dant,  spicea  serta,  suarum. ; 
Perque  novem  noctes  venerem  tactusque  viriles 
In  vetitis  numerant.  Turba  Cenchreis  in  iUa  ^^* 

Regis  adest  conjux,  arcanaque  sacra  frequentat. 
Ergo  legitima  vacuus  dum  conjuge  lcctus, 
Nacta  gravem  vino  Cinyram  male  sedula  nutrix, 
Nomine  mentito,  veros  esponit  amores, 
Fii  faciem  laudat.  Qusesitis  virginis  annis,  4-iO 

«  Par,  ait,  ".st  Myrrhae.  »  Quam  posiquam  a&d\ic«ce  YaA^^  ^^V^ 


3^2  U^lTAMOnPHOSES 

Iree :  «  R^jouissez-Yous,  ma  ch^re  enfant,  lui  dit«elle;  noii8  triom- 
«  phons. »  L'infortunee  princesse  ne  peut  entierement  ouyrir  son 
kme  a  la  joie.  De  tristes  pressentiments  raffligent,  et  pourtant 
elle  eprouve  du  plaisir  :  tant  ses  pensees  se  combattent  I 

«  Cetait  le  moment  ou  rSgne  le  silence,  et  le  Bouvier  roulait 
obliquement  son  char  entre  les  etoiles  de  rOurse.  Myrrha  n^^rcbe 
k  son  crime.  La  chaste  Diane  fuit  du  celeste  parvis,  et  les  astres  se 
cachent  sous  d'^pais  nuages.  La  nuit  a  perdu  tous  ses  feux.  Icare 
est  le  premier  k  se  voiler  la  face,  ainsi  qu'£rigone,  plao^  dans  les 
cieux  par  sa  pi^t^  filiale.  Trois  fois  le  pied  de  Myrrha  se  heurte 
contre  un  obstacle  en  signe  d'avertissement ;  trois  fois  le  fun^re 
hibou  fait  entendre  un  presage  de  mort.  Gependant  elle  avanoe. 
Les  profondes  t^nebres  de  la  nuit  diminuent  sa  honte.  De  la  main 
gauche  elle  tient  sa  nourrice,  et  de  la  droite  elle  explore  le  che- 
roin.  Enfin  elle  touche  a  rappartemcnt  de  son  pere.  Elle  ouvre  la 
porte;  eile  entre.  Ses  genoux  tremblent  et  se  d^robent  sous  elle. 
EUe  pSlit;  son  sang  se  retire;  son  courage  rabandonne.  PIus  elle 
approche  de  Tinceste,  plus  elle  en  a  horreur,  et,  rougissant  de 
son  audace,  elle  voudrait  retourner  sur  ses  pas  sans  ^tre  reconnue. 


Ulque  domum  rediit :  «  Gaude  mea,  dixit,  alumna; 

«  Yicimus.  »  Infelix  non  tolo  pectore  sentit 

Laetitiam  virgo,  pracsagaque  pectora  moerent. 

Sed  tamen  et  gaudet:  tanta  est  discordia  mentis!  445 

«  Tempus  erat,  quo  cuncta  silent,  inlerquc  Triones 
Flexerat  obliquo  plaustrum  temone  Boolcs. 
Ad  facinus  venit  illa  suum.  Fugit  aurea  co^lo 
Luna;  tegunt  nigrae  laliiantia  sidera  nubes; 
Nox  caret  igne  suo;  primos  tegis,  Icare,  vullus,  4S0 

F.rigoneque  pio  sacrata  parentis  amore. 
Ter  pedis  offensi  signo  est  rfivocala;  ter  omen 
Funereus  bubo  lelbali  carmine  fecit. 
It  tamen,  et  tcnebrae  minuunt,  noxque  alra  pudorcm; 
Nutricisque  manum  la;va  tenct,  altera  motu  ^.'SS 

Caecnm  itcr  explorat.  Thalami  jam  limina  tangit; 
Jamque  fores  aperit;  jam  ducitur  intus.  At  ilii 
Poplite  surciduo  geniia  intremuere,  fugitquo 
Kt  color,  et  sanguis,  animusque  relinquit  euntem. 
Quoque  suo  propior  sceleri,  magis  horrel,  el  ansi  460 

Pcpnitel,  cl  veWcl  noiv  co^t\\V»  ^%%^  tftNwW. 


LIYRE  X.  503 

Tandis  qu'elle  hesile,  sa  nonrrice  rentraine,  la  conduit  pres  do 
son  p^re,  el  dit :  «  Je  vous  la  livre,  Cinyre ;  elle  est  a  vous. »  Kt 
elle  les  unit  par  un  abominable  Hen.  Le  pere  re^oit  sa  propre  fille 
dans  sa  couche  criminelle ;  il  calme  les  scrupules  de  sa  pudeur,  et 
s'efforce  de  la  rassurer.  Peut-6tre  aussi,  par  un  privil^ge  de  son 
5ge,  il  Tappelle  sa  fille,  et  elle  repond  :  Mon  pere!  afin  que  rien, 
pas  m^tne  ces  noms  sacr^,  ne  manque  a  leur  forfait. 

«  Myrrha  sort  du  lit  de  son  pere,  emportant  dans  ses  flancs 
maudils  un  fruit  sacrilege,  le  fruit  dc  fincesle.  La  nuit  suivanle 
renouvelle  son  crime,  sans  y  mettre  fin.  Apr^s  avoir  plusieurs  fois 
goute  famour  dans  ses  bras,  Ginyre  brule  enfin  de  connaitre  son 
amante.  A  la  clarte  d'un  fiambeau,  il  voit  et  sa  fille  et  son  attentat. 
La  douleur  enchaine  sa  voix.  II  tire  du  fourreau  son  epee  elincelante 
suspendue  a  son  lit.  Myrrha  s'echappe.  Les  profondes  tenebres  de 
la  nuit  la  derobent  a  la  mort.  Elle  s'enfuit  k  travers  la  cmnpagne, 
laissant  derriere  elle  les  plaines  de  TArabie  couvertes  de  palmiers, 
et  celles  de  la  Panchaie.  Neuf  fois  la  lune  favait  vue  errante,  lors- 
que  enfin,  epuisee  de  fatigue,  elle  s'arr6te  dans  les  champs  de  Saba. 
A  peine  peut-elle  supporler  le  fardeau  renferme  dans  son  sein. 
Trresolne,  partagee  entre  la  crainte  de  la  mort  et  le  degout  de  la 

Cunctantem  longacva  manu  dcducit,  el  allo 

Admolam  lecto  quum  Iraderet:  «  Accipe,  dixit; 

«  Ista  tua  est,  Ginyra,  »  dcvolaque  corpora  junsit. 

Accipit  obsceno  genitor  sua  visccra  lecto,  465 

Virgineosque  metus  levat,  hortalurque  timcntem. 

Forsitan  aetatis  quoque  nomine,  Filia,  dicat; 

Dicat  et  illa,  Pater,  scelcri  ne  nomina  desint. 

«  riena  palris  tkalamis  eiccdit,  et  impia  diro 
Somina  fert  ulero,  conceptaque  crimina  portaU  470 

Postera  nox  facinus  geminat,  nec  finis  in  illa  est.  % 

Quum  landem  Cinyras,  avidus  cognoscere  amanlem 
Post  tot  concubilus,  illalo  lumine  vidit 
Et  scelus,  et  natam,  verbisque  dolorc  retentis, 
Pendenti  nitidum  vagina  dcripit  ensem.  47.^ 

Myrrha  fugit,  tenebris  el  caecaB  munere  noctis 
Intercepta  neci,  latosque  vagala  per  agros, 
Palmiferos  Arabas,  panckaeaque  nira  relinquit, 
Perque  novem  erravit  redeuntis  cornua  luna?, 
Quum  landcm  terra  requievit  fessa  sabxa;  ^*^0 

Vixque  uteri  porlabat  onus.  Tum  nescia  noVa, 
Atque  JDter  morthqne  metus  et  laBdia  \Ua, 


59J  MfiTAMORPHOSES. 

vie,  elle  fait  cette  prieio :  o  Dienx,  s*il  en  est  cTaccessibles  k  la 
f  Toix  du  repentir,  j'ai  m^rite  le  plus  cruel  supplice  et  je  suis 
« prSte  k  m'y  soumettre.  Mais  je  ne  veux  souiller  ni  les  regiards 
f  des  vivants,  en  restant  sur  la  lerre,  ni  les  regards  des  ombres, 
f  en  descendant  chez  les  morts.  Fermez-moi  donc  leur  s^jour, 
f  et  par  une  metamorphose  derobez-moi  en  m^me  temps  k  la 
«  vie  et  au  trSpas. »  Le  repentir  trouve  des  dieux  propices :  le 
demier  voeu  de  Myrrha  fut  exauc^.  EUe  parlait  encore,  lorsque 
la  terre  couvrit  ses  pieds ;  des  racines  se  firent  jour  a  travers  ses 
ongles  pour  servir  d'appui  a  un  tronc  ^lesL  Ses  os  devinrent  un 
boissolide,  en  conservant  leur  moelle;  mais  son  sang  se  changea 
en  suc,  ses  bras  en  longues  branches,  ses  doigf  s  en  rameaux,  et  sa 
peau  en  dure  ecorce.  Deja  sa  grossesse  avait  disparu  sous  les  d6- 
veloppements  de  Tarbre;  ils  gagnaient  son  sein  et  allaient  attan- 
dre  son  cou.  Myrrha,  loin  de  s'opposer  a  ces  progr^,  pencha  sa 
t^te  pour  les  faciliter,  et  plongea  sa  face  dans  l'ecorce.  Quoique 
cette  m^tamorphose  ait  ^louffe  son  ancienne  passion,  elle  pleure 
encore.  Des  larmes  ardentes  coulent  de  cet  arbre,  et  ces  larmes 
sont  d'un  grand  pirix.  Le  parfum  qui  en  d^coule  porte  son  nom, 
et  le  rendra  celebre  dans  tous  les  si^cles. 

Esl  tales  exorsa  preces :  «  0,  si  qua  patetis 

«  Numina  confcssis,  merui,  nec  Irisle  recuso 

«  Supplicium.  Sed,  ne  violem  vivosque  superstes,  ^* 

«  Mortuaque  extinctos,  ambobus  pellile  rcgnis, 

«  Mutatseque  mihi  vitamque  necemque  negate.  » 

Numcn  confessis  aliquod  palet.  Ultima  certe 

Vota  suos  habuere  deos.  INam  crura  loquentis 

Tof  ra  supervenit,  ruptosque  obliqua  p«>r  ungues  490 

Porrigitur  radix,  longi  firmamina  trunci; 

Ossaque  robur  agunt;  mediaquc  roanente  medulla, 

Sanguis  it  in  succos,  in  magnos  brachia  ramos, 

In  parvos  digiti;  duratur  cortice  pellis. 

Jamquc  gravem  crescens  uterum  perstrinxerat  arbor,      495 

Pectoraque  obruerat,  coliumque  operire  parabat. 

Non  tulit  illa  moram  venientique  obvia  ligno 

Subsedit,  mersitque  suos  in  cortice  vultus. 

Quae,  quanquam  amisit  veleres  cum  corpore  sensus, 

Flet  tamen,  et  tepid»  manant  ex  arbore  gntts.  500 

Est  honor  et  lact^mis ;  stillalaque  cortice  Myrrha 

iVomen  hen\e  teiiei,  tmWxcva^e  \att\>\vw  «sq. 


LIYRE  X.  395 


mSYAMORPHOSE  d'aD0N1S  EN  aN^MONE,    d'aTALANTE  £T  D^fflPPONENB 
£N  LIONS,    D£  MENTUA  EN  MENTHE. 

yni.  «  Gependant  le  fruit  dW  horrible  inceste  avait  crd,  et 
cherchait  a  s'ouvrir  un  passage  hors  du  tronc  ou  sa  mere  etait 
cachee,  et  dont  les  ilancs  appesantis  se  dilataient  de  plus  en  plus. 
Mais  MjTrha  manquait  de  voix  pour  exprimer  sa  douleur.  Au  mo- 
ment  d'(§tre  mere,  elle  ne  pouvait  appeler  Lucine  a  son  secours* 
Uarbre  semble  en  travail,  se  courbe  et  pousse  des  gemisse- 
ments  redoubles ;  il  est  baigne  des  larmes  qui  s'echappent  de  son 
ecorce.  Lucine,  attendrie,  s'approche  de  Tarbre  en  souffrance; 
elle  y  porte  ses  mains,  et  prononce  ies  paroles  propres  a  raa*ou- 
chement.  L'arbre  se  fend,  Fecorce  s*ouvre :  il  en  sort  un  enfant 
qui  crie.  Les  Naiades  Tetendent  sur  Tberbe  tendre  el  rembaument 
des  pleurs  de  sa  m^re.  L^Envie  elle-m^me  vanterait  sa  figure.  li 
ressemble  a  ces  Amours  que  les  peintres  represeiUent  nus  sur  la 
toile;  et,  si  Ton  veut  que  Toeil  s'y  m^prenne,  qu'on  lui  donne 
un  carquois,  ou  qu'on  l'6te  aux  Amours.  Le  temps  fuit  a  notre 


ADOMIS  IN  ANEUONEM,   ATALANTA  ET   HIPPOMENES  IN  LEONES,    MENTHA 
IN  MENTHAM   MUTANTUR. 

TIII.    «  At  raale  conceptus  sub  robore  creverat  iafanSj 
Quserebatque  viam,  qua  se,  genitrice  rel.Hta, 
Exsereret.  Mcdia  gravidus  lumet  arbore  venter;  505 

Tendit  onus  malrem ;  nec  hab^nt  sua  verba  dolores ; 
Nec  Lucina  potest  parienlis  voce  vocari. 
Nitenti  tamen  est  similis,  curvataque  crebros 
Dat  gemitus  arbor,  lacrymisque  cadentibus  bumet. 
Constitit  ad  ramos  mitis  Lucina  dolentes,  510 

Admovitque  manus,  et  verba  puerpera  dixit. 
Arbor  agit  rimas,  et  flssa  cortice  vivum 
Reddit  onus,  vagitque  puer,  quem  mollibus  herbiS 
Naides  impositum  lacrymis  unxere  parentis. 
Laudaret  faciem  liror  quoque.  Qualia  damque  515 

Gorpora  nudorum  tabula  pinguntur  Amorum, 
Talis  erat;  scd,  ne  faciat  discrimina  cultus, 
Aut  huic  adde  leves,  aut  ilHs  deme  ^ViaxeltaiS. 
Ubiiur  occulie,  fallitque  volatiUs  fi&Uft ; 


506  M£TAM0UIU10SES. 

insu  ct  s'envoIe  d'une  aile  rapide  :  rien  n^est  plus  passager  que 
nosans.  Fils  de  sa  soeur  et  de  son  aieul,  enferm^  naguere  dans 

'  un  arbre  et  ne  depuis  peu,  Adonis  est  d^jk  le  plus  beau-  des 
enfants.  Bientdt  adolesccnt  et  bientot  liomme  fait,  il  se  surpasse 
lui-m^me  en  beaute.  II  plait  a  Yenus,  et  va  venger  ies  feux  de 
Myrrha. 

f  Un  jour  Cupidon,  arme  de  son  carquois,  embrassait  sa  mere, 
et,  sans  le  savoir,  d'un  trail  dont  la  poiute  s'avan^it  11  dechira 
son  sein.  La  deesse,  se  sentant  blessec,  repoussa  son  fils.  La  plaie 
etait  plus  profonde  qu'elle  ne  le  paraissait.  Yenu»  elle-mSme  y  fut 
d'abord  trompee.  fiprise  dcs  charmes  d^Adonis,  elle  oubliaCythere, 
elle  ne  visita  plus  ni  Paphos  qui  s^^l^ve  au  milieu  des  mers,  ni 
Gnide  abondanle  cn  poissons,  ni  Amathonte  riche  en  metaux. 

ilUe  nc  se  montra  m6me  plus  a  la  celeste  cour.  Elle  pref(§rait  Adonis 
au  ciel.  EUe  ne  pouvait  s'en  scparer,  et  s'attachait  partout  a  ses 
pas.  Accoutumee  jusqu^alors  a  gouter  le  repos  sous  rombrage,  ou 
a  rchausser  ses  attrails  par  la  parure,  elle  errait  dans  les  bois, 
sur  les  monts  et  sur  les  roches  buissonneuses,  un  genou  nu  et 
la  robe  relevee,  comme  Diane.  Elle  excitait  les  chieus,  et  chas- 
sait  une  proie  innocente,  les  lievres  agilcs,  les  daims  et  les  cerfs 


£l  nihil  cst  aiiiiis  velocius.  lilc  sororc  520 

Natus,  uvoquc  suo,  qui  condilus  arbore  nuper, 
Nupcr  cral  geuilus,  niodo  formosissimus  iufaus, 
Jaiu  juveuis,  jam  vir,  jam  se  formosior  ipso  cst; 
Jaiu  placel  cl  Veneri,  matrisque  ulciscitur  i;nes. 

•  Namque  pliarelralus  dum  dat  pucr  oscu'  *.  inatri,       5So 
luscius  csslanti  deslrinsit  arundine  peclus. 
Lu;sa  manu  natum  dca  reppulit,  altius  actum 
Vulnus  erat  spccie,  priraoque  fcfellcrat  ipsum. 
Capla  viri  forma  non  jam  cythcrci*  curat 
Liltora,  non  alto  rcpotil  Paphon  rcquore  ciuclam,  ooO 

Piscosamque  Gnidon,  j^ravidamve  Amathunla  metalli. 
Absti:.et  et  cobIo;  coclo  prxfcrtur  Adonis. 
llunc  icnet;.huic  comes  cst;  assuclaque  sempcr  in  umbra 
]ndulg(  rc  sibi,  formiimque  augere  colcndo, 
I\t  juga,  por  silvas,  uuinosaquc  saxa  vagalur  iwJi 

Nuda  genu,  vesteni  ritu  succiiicta  Diuiio.', 
llorlalurque  cancs,  VuVaiCY^^  aiA\\vuaUa  pruidu*, 
Aut  pronos  \cpores,  ?luV  tfe\4\3L\\\  *\v\  twww^  tv>xNw;cv\, 


LIVRE  X.  397 

a  la  haute  ramure.  Elle  n  avait  garde  d^atlaquer  les  intrepides 
sangliers,  elle  evilait  les  loups  ravisseurs,  les  ours  armes  de 
griffes  terribles,  et  les  lions  qui  se  gorgent  du  sang  des  trou- 
peaux.  Elle  rengageait  aussi,  Adonis,  a  les  craindre.  Mais  de  quoi 
pouvaient  servir  ses  conseils?  «  Deploie  ton  courage  contre  les 
«  animaux  timides,  te  disail-elle.  L'audace  est  dangereuse  contre 
«  Taudace.  fiyite  une  temerile  qui  compromettrait  mon  bonheur. 
«  Ne  poursuis  pas  des  animaux  armes  par  la  nature,  et  dedaigne 
«  une  gloire  qui  me  couterait  trop  cher.  Ton  5ge,  ta  beaule,  tes 
«  gr^ces,  qui  ont  triomphe  de  moi,  ne  pourraient  charmer  les 
«  yeux  ni  le  cojur  des  hons  ou  des  sangliers.  Dans  leurs  de- 
«  fenses  les  sangliers  fougueux  portent  la  foudre;  la  colere  im- 
«  petueuse  des  lions  est  plus  formidable  encore.  Je  iiais  cette 
«  race  cruelle..»  Adonis  lui  en  demande  la  cause.  «  Je  vais^ 
«  Tapprendre,  repond-elle.  Tu  seras  ^tonne  de  la  metamorphose 
«  qui  punit  une  ancienne  faule.  Mais  j'eprouve  une  fatigue  ex- 
«  Iraordinaire.  Voici  un  peuplier  dont  l'agreable  ombrage  invile 
«  au  repos.  Le  gazon  nous  servira  de  siege.  Asseyons-nous  en- 
semble.  »  Et  elle.  s'assied.  En  m^me  lemps  elle  presse  1'herbe 
tendre  et  son  amant.  Puis,  la  tSte  penchee  sur  le  sein  d'Adonis, 

Aut  agitat  damas.  A  forlibus  abslinet  apris, 

Raptoresque  lupos,  armatosque  unguibus  ursoa  540 

Vitat,  et  armenti  saturatos  casJc  leones. 

Xe  quoque,  ut  bos  timeas,  si  quid  prodcsse  moncndo 

Possit,  Adoni,  monet :  «  Fortisque  fugacibus  esto, 

«  Inquit.  In  audaccs  non  esl  audacia  tula. 

f  Parce  meo,  juvenis,  temerarius  esse  periclo;  545 

«r  Neve  feras,  quibus  arma  dedit  natura,  laccssc, 

«  Stet  mihi  ne  magno  tua  gloria.  Non  movcl  xtas, 

«  Nec  facies,  nec  quai  Venerem  raovere,  leones, 

«  Setigerosque  sues,  oculosque  animosque  ferarum. 

«  Fulraen  lialjent  acres  in  aduncis  dcntibus  apri ;  550 

«  Impetus  est  fulvis,  et  vasta  leonibus  ira ; 

«  Invisumque  mihi  genus  est.  *  Qua3  causa,  roganti, 

«  Dicam,  ait,  et  veteris  monstrum  mirabere  culpre. 

«  Sed  labor  insolitus  jam  mc  lassavit,  et  ecce 

«  Opportuna  sua  blanditur  populus  urabra,  555 

«  Datque  lorum  cespes.  Libet  hac  requiescere  tccuni 

«  (El  requievit),  humo;  •  pressitque  et  gramcn,  etipsum; 

<«  luquc  sinu  juTenis  posita  cervice,  tecUnift 


308  Hl^TAMORPHOSES. 

elle  commence  ce  r^t,  qu'elle  interroropt  souvent  par  ses  baisers. 

«  Pevt-(^tre  as-tu  entendu  parler  de  la  jeune  fille  qui  surpassait 
Mhh  course  les  hommes  lesplus  agiles.  Ge  qu'on  enraconte  n'est 
«  pas  une  fable  :  elle  les  surpassait  en  effet,  et  Fon  n'e<it  pu  dire 
f  ce  qu'on  admirait  davantage  en  elle,  ou  sa  vitesse  ou  sa  beaute. 
«  Un  jour  elle  consulta  roracle  sur  le  choix  d'uu  ^poux  :  «  Tu  n'as 
c  pas  besoin  d'epoux,  Atalante,  repondit  le  dieu :  fuis  rhymen. 
«  Cependant  tu  ne  le  fuiras  pas  toujours.  Vivante,  tu  seras  privte 
«  de  toi-m6me.  »  Epouvantee  de  ces  paroles,  Atalante  craint  Thy- 
«  men,  et  passe  sa  vie  dans  d'epaisses  for^ts.  Aux  instances  de 
«  ses  nombreux  pretendants,  toujours  infiexible,  elle  oppose  cette 
«  condition  :  «  Je  n  appartiendrai  qu'a  celui  qui  m^aura  vaincue 
«  ^  la  course.  Entrez  en  lice  avec  moi :  le  vainqueur  obtiendra  ma 
Anain ;  mais  la  mort  sera  le  partage  du  vaincu :  telle  est  la  loi  du 
f  combat. »  Cette  loi  etait  cruelle.  Toutefois,  tel  est  l'empire  de  la 
f  beaute,  que  de  t^meraires  rivaux  s'y  soumirent  en  foule. 

«  Spectaleur  d'une  lutte  in^ale,  Hippom^ne  s'dcrie  :  «  Eh 
ff  quoi !  c'est  k  travers  de  si  grands  dangers  qu'on  cherche  une 
«  femme ! »  11  condamne  leur  imprudent  amour.  Mais,  a  peine 
«  a-^-il  vu  Atalante,  a  peine  s'est-elle  monlree  sans  voile  a  ses  re- 

■    Sic  ait,  ac  mediis  inlerserit  oscula  verbis : 

/^   "^  «  Forsitan  audieris  aUquam  cerlamine  cursus  560 

l    «  Veloces  superasse  viros.  Kon  fabula  rumor 
*   «  llle  fuit  (superabat  cnim),  nec  dicere  posscs, 
«  Laude  pedum,  formaenc  bono  pra^stantior  csset. 
«  Scitanti  deus  huic  de  conjugc  :  «  Coujuge,  dixil, 
«  Nil  opus  cst,  Atalanta,  tibi.  Fuge  conjugis  usuni.  5G3 

«  Nec  tamen  effugies,  teque  ipsa  viva  carebis.  » 
«  Tcrrita  sorte  dei  per  opacas  innuba  siWas 
•  Vivit,  et  inslaulem  turbam  violenta  procorum 
«  Couditionc  fugat :  «  Ncc  sum  poliunda,  nisi,  inquit, 
«  Victa  prius  cursu.  Pedibus  contendite  mecum.  570 

«  PrjEniia  veloci  conjux  ihalamique  dabuntur. 
«  Mors  pretium  tardis  :  ea  lex  certaminis  esto.  » 
«  llla  quidem  immitis;  sed  (tanta  polcntia  formax  est!) 
«  Venit  ad  hanc  legem  ^tcmeraria  turba  procorum. 

«  Sederat  Ilippomenes  cursus  speclalor  iniqui,  575 

«  Et :  0  Petitur  cuiquam  pcr  tanta  pcricula  coujux  1 » 
«  Dixeral,  ac  uiraios  \UNeiLum  <\^m\wixa.t  Maores. 
«  Ut  faciem,  ct  pobiVo  cotv^»  \fc\^TOtfife  ^v^\\.^ 


LIVRE  X.  509 

<  gards,  telle  que  je  suis,  tel  que  tu  serais  sous  les  traits  d'une 
it  fenmie,  qu'il  reste  ebloui,  et,  levant  les  mains :  «  Pardonnez, 
«  dit-il,  vous  que  j'accusais  naguere.  Je  ne  connaissais  pas  le  prix 
«  ou  votre  ainbition  aspire. »  En  louant  Atalante,  il  s'enflamme 
«  et  redoute  Tenvie.  «  Pourquoi,  se  dit-il  a  lui-m^me,  ne  tente- 
«  rais-je  pas  les  hasards  du  combat  (et  il  fait  des  voeux  pour 
ff  qu'aucun  des  pretendants  ne  la  depasse)?  Les  dieux  secondent 
«  le  courage.  »  Tandis  que  ces  pensees  roulent  dans  son  esprit, 
«  Atalante  part,  aussi  prompte  que  ToiseaXi.  Quoiqu'elle  eAt  passe 
«  comme  une  fleche  rapide  sous  les  yeux  d'Hippomene;  ses  char- 
«  mes  lui  parurent  plus  admirables :  la  course  avait  rehausse  sa 
«  beautd.  Sa  robe  flottante  decouvre  ses  pieds  legers.  Sur  ses 
«  epaules  dlvoire  voltigent  ses  cheveux,  et  ses  genoux  se  des- 
«  sinent  sous  des  franges  brodees.  Aux  lis  de  son  corps  virgl- 
«  nal  se  m^le  une  teinte  rose  comme  ces  voiles  de  pourpre  qui, 
«  suspendus  aux  blanches  colonnes  des  theatres,  y  refletent  leur 
«  couleur.  Hippomene  observe  encore ;  mais  Atalante  atteint  deja 
«  la  derniere  limite  et  couronne  de  laurier  son  front  victorieux. 
«  Les  vaincus  subissent,  en  gemissant,  la  peine  convenue. 


«  Quale  meum,  vel  qualc  tuum,  si  femina  fias, 

«  Obslupuil,  toUensque  manus :  «  Ignoscitc,  dixil,  580 

«  Quos  modo  culpavi.  Nondum  mihi  prasmia  nola, 

«  Quse  peleretis,  erant.  »  Laudando  concipit  ignem, 

tt  Invidiamque  timct.  «  Scd  cur  ccrlaminis  hujus 

«  (Et  ne  quis  juvenum  currat  vclocius  optat), 

c^lntcntata  mihi  forluna  rclinquilur?  inquit.  o85 

t  Audentes  deus  ipse  juvat. »  Dum  lalia  sccura 

«  Exigit  Hippomenes,  passu  volat  alilc  vir^o. 

«  QUse  quanquam  scythica  non  secius  irc  sngittu 

«  Aonio  visa  est  juvuni ;  tamcn  illc  decorem 

<  Miralur  magis,  et  cursus  facit  ipse  decorem,  K90 
«  .\ura  refcrtablala  cilis  (alaria  plantis, 

«  Tergaque  jactantur  crines  per  cburnea,  quaque 

«  Poplitibus  suberant  picto  genualia  limbo. 

«  Inque  puellari  corpus  candore  ruliorem 

«  Traxerat,  haud  aliter,  quam  quum  super  alria  velum      liOo 

«  Candida  purpureum  similem  dat  et  inficit  umbram. 

<  Dum  notat  hxc  hospes,  decursa  novissima  me!a  cst^ 
«  Et  tegitur  festa  victrix  Atalaata  coiona. 

«  Daai  gemiium  victi,  pendunlqao  e&  to&d&Te  ^on!^'^. 


400  MflTAMOaPHOSES. 

c  Cependanl  llippomene,  sans  6lre  effraye  du  sort  dc  ces  jeuncs 
«  rivaux,  s'avance  au  milieu  de  rarene,  et,  les  yeux  fix&  sur  Ala- 
c  lante:  « Pourquoi,  dit-il,  recherclier  la  gloire  d'un  facile  triom- 
c  phe  sur  de  faiblcs  adversaires?  Gombats  contre  moi.  Si  la 
«  fortune  me  donne  la  victoire,  tu  n^auras  pas  a  rougir  d'un  si 
«  noble  vainqueur.  Je  suis  fils  de  Megaree  qui  regne  a  Oncheste, 
ff  et  j'ai  Neptune  pour  aieul.  Ainsi  j&  descends  du  roi  des  eaux, 
«  et  mon  courage  ne  le  cede  pas  a  ma  naissance.  Si  je  suc- 
«  combe,  la  defaite  d'Hippomene  couvrira  ton  nom  d'une  gloire 
«  immortelle.  »  A  ces  mots,  la  fille  de  Schenee  lui  lance  un 
«  doux  regard.  El!e  ne  sait  si  elle  doit  souhaiter  de  vaincre  ou 
«  d"6tre  vaincue.  «  Quel  dieu,  dit-elle,  ennemi  des  beaux  jeunes 
«  gens,  a  donc  jure  leur  perte,  et  les  oblige  a  briguer  cet  hymen 
«  au  peril  de  leurs  jours?  Non,  je  le  sens,  ma  main  ne  doit  pas 
«  couter  si  cher.  Ge  n'est  point  la  beaute  d^Uippomene  qui  me 
«  plait;  pourtant,  je  pourrais  en  etre  charmee.  Que  dis  je?  c'est 
«  encore  un  enfant.  Ge  n  est  pas  lui,  c'est  son  age  qui  m'inleresse; 
«  c*est  son  courage  intrepide  en  presence  de  la  mort;  c'est  sa 
«  naissance,  qui,  par  trois  degres,  remonte  jusqu'au  dieu  des 
«  mers ;  c'est  surlout  son  amour,  qui  lui  fait  attacher  tant  de  prix 


«  Non  laiaeu  evcnlu  juvcnum  detcrritus  koruni  6C0 

«  Constilit  in  medio,  vultuque  in  virgine  fixo : 
«  Quid  facilem  titulum  supcrando  quicris  inerlcs? 
«  Mecum  confer,  ail.  Seu  rae  Fortuna  pofentcm 
«  Feccrit,  a  tanto  non  indignabere  vinc  ; 
«  Mamquc  mihi  genilor  Mcgareus  Onciiestius.  Uli  C05 

«  Est  r^eptunus  avus;  pronepos  e^o  regis  aquarum; 
«  Nec  virtus  citra  genus  est.  Seu  vincar,  liabebis 
«  Ilipponiene  victo  magnum  et  mcmorabile  nomen.  * 
«  Talia  dicentem  moUi  Schocncia  vuUu 
«  Aspicit,  et  dubitat,  superari  an  vinccre  malit.  610 

«  Atquc  ita :  «  Quis  dcus  hunc  formosis,  inquit,  iniquus 
«  Perdcrc  vult,  carseque  jubct  discriminc  vitae 
«  Conjugium  pclcre  hoc?  Non  suni,  me  judice,  tanti. 
«  Ncc  forma  tangor;  poteram  lamcn  hac  quoque  langi. 
«  Quid?  quod  adhuc  puer  esl.  Non  nic  movet  ipsc,  scd  Ktas.  Clo 
H  Quid?  quod  incst  virtus,  ct  mcns  intcrrila  lcthi. 
c  Quld?  quod  ab  ai(\uoveA  \iwttvwo\.uv  ori^iuc  quarlus. 
«  Quid?  quod  amaLl,  V;xwW(vaft  ^wV^yX.  tciwtivMx^  w^^w^. 


LIVRE  X.  401 

«  a  ma  main,  qu'il  est  pr^t  a  mourir,  si  le  Sort  barbare  la  lui  re- 
•  fuse.  fitranger,  fuis;  il  en  est  temps  encore.  Renonce  a  un  hymen 
«  sanglant.  Cellealliance  est  cruelle.  II  n'est  point  de  femme  qui 
«  ne  se  Irouve  heureuse  d'unir  sa  deslinee  a  la  tienne,  et  tu  es 
«  fait  pour  fixer  les  \odux  d'une  fille  sage.  Mais  d'ou  vient  rinterfit 
«  que  je  prends  a  toi,  lorsque  tant  de  pr^lendants  ont  deja  suc- 
«  combe  ?  Qu'il  prononce  lui-m^me ;  qu'il  meure,  puisque  le  sort 
«  de  ses  rivaux  ne  suffit  pas  pour  Tavertir,  et  qu'il  est  degoiit^  de 
«  la  vie.  II  perira  donc  pour  avoir  voulu  vivre  avec  moi?  Un  in- 
«  digne  trepas  sera  le  prix  de  son  amour  ?  Ma  victoire  sera  peu 
«  digne  d'envie;  mais  on  ne  saurait  m'en  faire  un  crime.  Puisses- 
«  lu  changer  de  resolution!  Si  ton  amour  insense  Temporle, 
«  puisses-tu,  du  moins,  ^tre  plus  agile  que  moi  I  Quelle  grdce 
«  virginale  dans  ses  traits !  Ah!  malheureux  Hippom^ne,  pour- 
«  quoi  mc  suis-je  offerte  a  tes  regards?  Tu  meritais  de  vivre.  Si 
«  j^etais  plus  heureuse,  si  un  sort  impitoyable  ne  mMnterdisail 
«  riiymen,  tu  serais  le  seul  auquel  je  voudrais  appartenir.  »  Ainsi 
«  parle  Atalanle.  Dans  sa  simplicite,  atteinte  d'une  premiere 
«  flamme,  elle  ignore  ce  qu'elle  eprouve ;  elle  aime  sans  connaitre 
«  Tamour.  D^ja  le  peuple  et  les  grands  demandent  que  la  course 

c  Ut  pcreat,  si  mc  Fors  illi  dura  ncgarit. 

«  Dum  licet,  hospes,  abi,  tlialamosque  relinqiie  cruentos.  GIO 

t  CoDjugium  crudele  meum  est.  Tibi  nubcre  nulia 

t  Nolet,  et  oplari  poles  a  sapienle  puella. 

c  Cur  tamen  estmihi  cura  lui,  tot  jam  ante  peremptis? 

«  Vidcrit.  Intereat,  quoniam  tot  csedc  procorum 

«  Adraonitus  non  est,  agiturque  in  taedia  vitae.  625 

«  Occidet  hic  igitur,  voluit  quia  vivere  mecum? 

«  Indignamque  neccm  pretium  patietur  amoris? 

«  Non  crit  invidiae  vicloria  nostra  ferendaB. 

«  Sed  non  culpa  mea  cst.  Ulinam  desistere  vclles! 

«  At,  quoniam  es  demens,  utinam  velocior  csses!  ^^ 

«  At  quam  virgineus  puerili  vultus  in  ore  estl 

«  Ah!  miser  Ilippomene,  nollem  (ibi  visa  fuissem! 

«  Vivere  dignus  eras.  Quod  si  felicior  essem, 

«  Ncc  mihi  conjugium  fata  imporluna  negarent, 

«  Unus  eras,  cum  quo  sociare  cubiiia  possem.  »  635 

«  Dixerat,  utque  nidis,  primoque  Cupidine  tacta, 

<  Quod  facit  ignorans,  amat,  et  non  sentit  amotem. 

«  Jam  soVuos  poscunt  cursus  populusque  vailet(\\ie, 


402  METAMORPHOSES. 

«  commence.  Alors  \e  rejeton  de  Neptune  implore  mon  appui  d'une 
c  voix  inquiete : « Puisse  la  deesse  de  Cythere  favoriser  raon  entre- 
«  prise,  et  proteger  les  feux  qu'elle  vient  d^allumer !  »  Le  zephyr 
«  propice  apporta  ces  vceux  flatteurs  jusqu'a  moi.  Je  fus  «mue,  je 
«  Tavoue,  et  je  lui  pretai  un  secours  qui  ne  souffrait  point  de  retard. 
«  A  Ghypre,  dans  le  vallon  le  plus  fertile,  il  est  une  plaine  que 
«  les  habitants  appellent  Tamase,  et  que  leurs  ancStres  m'ont 
«  consacree  en  Tajoutant  aux  terres  qui  dotent  mes  autels.  Au 
«  milieu  de  cette  plaine  s'eleve  un  arbre  au  bruyant  feuiilage, 
«  couronne  de  pomraes  d'or.  Je  venais  d'en  cueillir  au  hasard 
«  trois  que  je  tenais  encore.  Invisible  pour  tous,  except^  pour 
«  Hipporaene,  je  Tabordai,  et  lui  appris  Tusage  qu'il  devait  en 
c  faire.  Tout  a  coup  la  trorapette  donne  le  signah  Les  deux  an- 
«  tagonistes  s'elancent  de  la  barriere  avec  ardeur.  Leurs  pieds 
<  agiles  rasent  la  terre.  On  dijrait  que,  sans  les  raouiller,  ils 
«  pourraient  effleurer  Tonde,  ou  courir  sur  les  blonds  epis  sans 
c  en  courber  la  tete.  Hipporaene  est  excite  par  les  cris,  les  ap- 
«  plaudissements  et  les  exhortations  qu'on  lui  adresse : «  Courage ! 
«  courage  I  Hipporaene,  redouble  d^efforts ;  presse  tes  pas ;  d^ 
c  ploie  toutes  te^  forces;  hate-toi,  et  tu  vaincras! »  Le  fils  de 

«  Quum  me  sollicita  prolcs  acptunia  voce 

«  Invocat  Hippomcnes  :  «  Cylhcreia  comprecor  ausis        C40 

«  Adsit,  ait,  nostris,  et,  quos  dedit,  adjuvet  ignes.  » 

Detulit  aura  preces  ad  me  non  invida  blandas, 

Molaque  sum,  fateor;  nec  opis  mora  longa  dabatur. 

«  Est  agcr,  iudigenae  tamaseum  nominc  dicunt, 
«  Telluris  cypria)  pars  optima,  quem  mihi  prisci  645 

«  Sacravere  senes,  templisque  accedere  dotem 
«  Hanc  jussere  meis.  Medio  nitet  arbor  in  arvo, 
«  Fulva  comam,  fulvo  ramis  crepilantibus  auro. 
«  Hinc  tria  forte  mea  veniens  decerpta  ferebam 
«  Aurea  poma  manu;  nullique  videnda,  uisi  ipsi,  650 

«  Hippomenen  adii,  docuique  quis  usus  in  illis. 
«  Signa  tubie  dedcrant,  quum  carccre  pronus  uterque 
«  Emicat,  ct  sumraam  celeri  pede  libat  arenam. 
«  Posse  putcs  illos  sicco  freta  radere  passu, 
«  Et  scgelis  canaj  stantes  percurrcre  aristas.  Co5 

«  Adjiciuut  animos  juveni  clamorque,  favorque, 
«  Vcrbaquc  dicenlum  •.  -^  ^uiie^  nuxvc  lucumbere  tempus 
«  Hippomene,  pTopcta*,  tvvltvc  V\t\\i\\%  vk\.e,tviVci\:\^\ 


LIVRE  X.  403 

«  M^garee  est  peut-^tre  moins  flatte  de  ces  paroles  que  la  fille 
«  de  Schenee  elle-m^me.  Combien  de  fois,  pouvant  le  depasser, 
«  elle  modere  son  essor!  Combien  de  fois,  apres  Tavoir  long- 
«  temps  regarde,  elle  en  detourne  les  yeux,  malgre  elle!  La 
«  fatigue  commen^ait  a  dessecher  le  souffle  dHippom^ne;  et 
«  pourtant  la  bome  etait  encore  ^loign^e.  Alors  il  lance  une 
c  des  trois  pommes  d'or.  Atalante,  surprise,  b^ule  de  la  ramasser, 
«  suspend  sa  course,  et  saisit  le  fruit  roulant.  Hippomene  la 
«  devance  :  Farene  retentit  d'applaudissements.  Atalante,  repa- 
«  rant  par  son  agilit^  les  moments  perdus,  laisse  de  nouveau 
c  Hippomene  derriere  elle,  et,  quoique  retardee  par  un  second 
ff  fruit  qu'il  a  jete,  elle  le  ramasse  et  depasse  encore  son  rival. 
«  II  ne  restait  qu'un  dernier  espace  a  franchir.  «  Mainlenant,  dit 
«  le  flls  de  M^garee,  viens  a  mon  aide,  6  deesse  qui  m'as  fait  ce 
«  pr^sent!  »  Aussit6t,  afin  qu'Atalante  s'arrMe  plus  iongtemps, 
0  HippomSne,  par  un  mouvement  oblique  et  avec  toute  la  vi- 
«  gueur  de  son  age,  lance  sa  demiere  pomme  d'or  dans  la  lice. 
«  La  jeune  flUe  semble  hdsiter.  Je  la  contrains  a  saisir  le  fruit,  et  * 
«  je  le  rends  plus  lourd  dans  ses  mains.  Ce  poids  el  le  temps  qui 
«  s'ecoula  caus^rent  du  retard.  Enfln,  pour  ne  pas  rendre  raon 

c  Pelle  moram;  vinces.  »  Dubium  megareius  heros 

n  Gaudeat,  an  virgo  magis  his  schceneia  dictis.  660 

«  0  quoties,  quum  jam  posset  transire,  morata  est, 

«  Spectatosque  diu  vultus  invila  leliquit! 

«  Aridus  e  lasso  veniebat  anhelitus  ore, 

«  Hetaque  erat  longe.  Tum  denique  de  tribus  unum 

«  Foetibus  arboreis  proles  neptunia  misit.  f>65 

«  Obstupuit  virgo,  nitidique  cupidine  pomi 

«  DecliDat  cursus,  aurumque  volubile  tollit. 

«  Praeterit  Hippomenes.  Resonant  speclacula  plausu. 

«  Illa  moram  celeri  cessataque  tempora  cursu 

«  Corrigit,  atque  iterum  juvenem  post  terga  relinquit,     070 

«  Et  rursus  pomi  jactu  remorata  secundi, 

«  Consequitur,  transitque  virum.  Pars  ultima  cursus 

«  Restabat :  «  Nunc,,  inquit,  ades,  dea  muneris  auclor;  » 

«  Inque  latus  campi,  quo  tardius  illa  rediret, 

«  Jecit  ab  obliquo  nitidum  juveniliter  aurum.  G75 

«  An  peteret  virgo  visa  est  dubitarc.  Coegi 

«  Tollere,  et  adjeci  sublato  pondera  malo, 

«'Impcdiique  oneris  pariter  ginviiale  moT%(\\ie. 


404  Ml^TANORPIIOSES. 

«  r^it  plus  long  que  cette  course,  Atalante  fut  demiobe,  et  le 
«  vainqueur  emmena  sa  conquSte. 

«  Ne  meritais-je  pas,  mon  clier  Adonis,  sa  reconnaissance  et 
«  son  encens?  £h  bien,  Tingrat  ne  m^offrit  ni  encens  ni  actions 
«  de  gr&ces.  Soudain  le  courroux  s*empara  de  mon  &me.  Blessde 
«  d'un  tel  mepris,  je  vouius,  par  un  exemple,  m'en  Spargner  un 
«  semblable  pour  4'avenir,  et  je  m'excitai  a  la  vengeance  contre 
«  les  deux  epoux.  Ils  passaient  un  jour  pr^s  d'un  t^ple  qoe 
«  rillustre  iSchion  avait  jadis  fait  elever  au  fond  d'un  bois  m 
«  riionneur  de  la  m^re  des  dieux.  La  fatigue  d'un  long  voyage 
«  les  invitait  au  repos.  J'allume  dans  le  coeur  d'Hippom^ne  des 
«  feux  hors  de  saison.  Non  loin  du  temple  s'ouvre  un  reduit  fai- 
«  blement  ^clair^.  On  dirait  une  grotte  taill^  dans  le  roc.  C^tait 
«  un  asile  sacre  ou  le  pr^tre  avait  d^posS  plusieurs  images  en 
«  bois  des  dieux  antiques.  Hippom^ne  y  p^nMre  avec  sa  com- 
<  pagne,  et  le  souille  par  une  horrible  profanation.  Les  dieux  d^ 
^  «  toument  leurs  regards.  La  d^esse  au  front  couronn^  de  toors 
«  veut  pr^ipiter  les  coupables  dans  le  Styx ;  mais  ce  ch&timent 
«  lui  paratt  trop  doux.  Aussitdt  leur  cou  se  couvre  d'une  criniere 

«  Neve  meus  sermo  cursu  sit  tardior  illo, 
j  Praeterita  est  virgo.  Duxit  sua  praemia  victor.  680 

«  Dignane,  cui  grates  ageret,  cui  thuris  honorem 
«  Ferret,  Adoni,  fui?  Nec  grates  immemor  egit, 
«  Ncc  mihi  thura  dedit.  Subitam  convertor  in  iram, 
«  Contemptuque  dolens,  ne  sim  spernenda  futuris 
«  Exemplo  caveo,  meque  ipsa  cxhortor  in  ambos.  685 

«  Tcmpla  deiim  matri,  quaj  quondam  clarus  Echion 
«  Fecerat  ex  voto,  nemorosis  abdila  silvis, 
«  Transibant,  et  iler  longum  requiescere  suasit. 
«  lUic  concubitus  inlempestiva  cupido 
«  Occupat  Hippomenen,  a  numine  concita  nostro.  690 

«  Luminis  exigui  fuerat  prope  lempla  recessus 
ff  Speluncae  simiiis,  nativo  pumicc  tectus, 
«  Rclligione  sacer  prisca,  quo  muKa  sacerdos 
«  Lignea  contulerat  veterum  simulacra  deorum. 
«  Ilunc  init,  et  vetito  temerat  sacraria  probro.  695 

«  Sacra  retorserunt  oculos,  turritaque  Mater, 
«  An  stygia  sontes,  dubitavit,  mergcret  unda. 
«  Pcena  levis  visa  esl.  ^t^o  modiO  \;es\^  ^Ml^aa 
«  Colla  jub»  veUnl;  d\^l\  c>KN^tA.>K  \u  >itv^c&\ 


LIYRE  X.  403 

«  fauve;  leurs  doigts  s'arment  d'ongJes  aigus;  leurs  bras  se 
«  changent  en  pieds ;  lout  le  poids  de  lenr  corps  tombe  sur  leur 
«  poitrine,  et  leur  queue  balaye  la  poussiere.  La  colere  respire 
«  dans  leurs  traits.  Au  lieu  de  parler,  ils  rugissent  et  habilent  les 
«  for^ts.  Lions  terribles,  ils  ob^issent  au  frein  sous  la  main  de 
«  Cybele.  Fuis-les,  cher  Adonis;  fuis  toutes  les  b^tes  feroces,  qui, 
«  loin  de  toumer  le  dos,  presenlent  leur  poilrine  au  chasseur. 
«  Crains  que  ton  courage  ne  nous  soit  funeste  a  tous  deux. » 

«  Apres  avoir  donne  ces  conseils,  Venus  s'elance  dans  les  airs 
sur  son  char  altel^  de  cygnes.  L'intrepide  Adonis  rejette  ces  avis. 
Sa  meute,  attachee  k  la  trace  d'un  sanglier,  Tavait  lance  hors  de 
sa  bauge.  II  6tait  pr^t  a  sorlir  de  la  for^t,  lorsque  le  fils  de  Cinyre 
le  frappe  de  c6te.  Soudain  le  monstre,  d'un  coup  de  boutoir,  re- 
pousse  r^pieu  sanglant.  Furieux,  il  poursuit  le  chasseur  tremblant 
qui  cherchait  un  asile,  lui  plonge  ses  defenses  dans  Taine,  et  le 
renverse  expirant  sur  le  sable.  Venus,  emportee  dans  Tespace 
sur  son  char,  n'6tail  pas  encore  parvenue  a  Chypre.  Elle  re- 
connut  de  loin  les  derniers  g^missements  d'Adonis,  et  dirigea 
vers  lui  ses  cygnes  eblouissants.  A  peine,  du  haut  des  a^rs,  Ta- 

•  £x  humeris  armi  iiunt ;  in  peclora  lotum  7(X) 

«  Pondus  abit;  summae  cauda  verruntur  arenae; 

«  li*am  vultus  habet;  pro  verbis  murmura  reddunt; 

«  Pro  thalamis  celebrant  silvas;  aliisque  timendi 

«  Dcnte  premunt  domilo  cylieleia  frena  lconcs. 

«  IIos  tu,  care  mihi,  cumque  liis  genus  omne  ferarum,     705 

«  Quo}  non  terga  fuga;,  scd  pugnae  peclora  prsbent, 

«  EfTuge,  ne  virlus  tua  sit  damnosa  duobus.  » 

«  llla  quidem  monuit,  junctisque  pcr  aera  cygnis,     . 
Garpit  iter.  Scd  slat  monitis  conlraria  virtus. 
Forte  suem  latebris,  vestigfa  certa  secyti,  710 

Kxcivere  canes,  silvisque  exire  parantem 
Fixerat  obliquo  juvenis  cinyreius  ictu. 
Trolinus  excussit  pando  venabula  roslro, 
Sanguine  tincta  suo,  trepidumquc  et  tuta  petcntem 
Trux  aper  insequitur,  totosque  sub  inguine  dentes  715 

Abdidit,  et  fulva  moribundum  stravit  arena. 
Vccta  levi  curiu  medias  Cythercia  per  auras 
Cypron  olorinis  nondum  pcrvenerat  alis. 
A^novit  longe  gemitum  morientis,  el  albas 
Flexit  aves  illuc,  Utque  aMhere  vidit  ab  alto  l^<i 


406  METAMORPHOSES. 

t-elle  vu  ^tendu  sans  vie  et  inond^  de  sang,  qu'elle  se  pr^ipite 
vers  lui,  dechire  ses  vetements,  s'arrache  les  cheveux,  se  meurtrit 
cruellement  le  sein,  et,  accusant  le  Sort :  «  Non,  dit*elie,  il  ne 
«  sera  pas  tout  enlier  ta  proie.  Ciier  Adonis,  j'6temiserai  le  mo- 
c  nument  de  ma  douleur.  Tous  les  ans  ta  mort,  retracee  dans 
«  des  fMes  solennelles,  renouvellera  Timage  de  mon  deuil. 
c  Ton  sang  sera  change  en  fleur.  Eh  quoi !  Proserpine  aura  pu 
«  ra^tamorphoser  une  femme  en  menthe,  et  il  me  serait  refuse 
«  d'op6rer  un  semblable  prodige  en  faveur  du  fils  de  Cmyre ! » 
£ile  dit,  et  arrose  de  nectar  le  sang  d'Adonis.  Au  contact  de  la 
liqueur  divine,  il  s'enfle.  Telle  la  pluie  el^ve  des  buUes  diapha- 
nes  en  tombant  sur  Tonde.  En  moins  d'un  instant,  de  ce  sang 
nait  une  fleur  vermeille,  semblable  a  ia  grenade  dont  une  souple 
^corce  enveloppe  les  graines.  Mais  cette  fleur  est  eph^mere.  Atta- 
chees  a  sa  tige  par  de  faibles  liens,  ses  fcuilles  I^eres  tombent 
sous  le  souffle  des  m^mes  vents  qui  lui  donnent  son  nom.  » 

Exanimem,  inquc  suo  jactantem  saDguiuQ  corpus, 

Desiluit,  pariterque  sinus,  paritcrque  capillos 

Rupit,  ct  indignis  percussit  pcctora  palrais, ' 

Questaquc  cum  Fatis :  «  At  non  lamen  omnia  veslri 

«  Juris  erunt,  inquit.  Luctus  monumenla  manebunt       725 

«  Semper,  Adoui,  mei ;  repetitaque  mortis  imago 

<  Annua  plangoris  pcraget  simulamina  nostri. 

«  At  cruor  in  florem  mutabitur.  An  tibi  quondam 

«  Feraincos  artus  in  olenles  vertcre  raentbas, 

«  Persepbone,  licuit ;  nobis  cinyrcius  heros  730 

«  Invidio)  mulatus  erit?  »  Sic  fata,  cruorem 

Nectare  odorato  sparsit.  Qui  taclus  ab  illo 

Intumuit,  sicut  pluvio  perlucida  ca^lo 

Surgerc  bulla  solet.  Nec  plena  longior  hora 

Facta  raora  est,  quum  flos  de  sanguine  concolor  orlus,       735 

Qualcm,  qua)  lenlo  celant  sub  corticc  granuni, 

Punica  ferre  solent.  Brevis  cst  taraen  usus  in  illo; 

Namque  male  hccrentem,  ct  niraia  levituic  caducum 

Excutiunt  idem,  qui  prxstant  noraina  vcnti.  » 


LIVRE  ONZIEME 


ORPH^E  EST  DiCHIRlB  PAR   LES  BACCHANTES.    —   UN  SERPENT 
EST  CIIANG^  EN  PIERRE. 

I.  Tandis  qu^Orpheeentraine  lesfor^is,  les  ahimaux  f^roces  et  les 
rochers,  sensibles  a  ses  magiques  accords,  les  Menades,  couyertes 
de  la  d^pouille  des  b^tes  sauvages,  et  agitees  par  les  fureurs  de 
Bacchus,  l^aper^oivent  du  haut  d'une  coUine,  mariant  sa  lyre  a 
sa  voix.  L'une  d'elles,  les  cheveux  epars,  sYcrie : «  Voila,  voili 
celui  qui  nous  meprise.  »  A  ces  mots,  elle  frappe  de  son  thyrse  la 
bouche  m^lodieuse  du  pr^tre  d'Apollon.  Mais  le  thyrse,  entour^ 
de  feuilles,  n'y  laisse  qu'une  leg^re  empreinte.  Une  autre  lui 
lance  un  caillou  qui  fend  Tair.  Mais,  vaincu  par  les  accents  et  la 
I)Te  harmonieuse   d'Orphee,  il  tombe  a  ses   pieds,  et  semble 

LIBER  UNDECIMUS 

OBFBEVS  A  BACCHIS  DISCERPTUS.  —  ANGUIS  IN  LAPIDEK  CONVERSDS, 

I.    Carmine  dum  tali  silvas,  animosque  ferarum 
Threicius  vatcs,  et  suxa  seqUentia  ducit, 
Ecce  nurus  Ciconum,  tcclaB  lymphala  ferinis 
Peclora  velleribus,  tumuli  de  vertice  cernunt 
Orphea,  percussis  sociantem  carmina  nervis.  5 

E  quibus  una,  levem  jactato  crinc  per  auram : 
«  En,  ait,  en  hic  est  nostri  contemptor;  »  et  hastam 
Vatis  apoUinei  vocalia  misit  in  ora, 
Quae  foliis  praesuta  notam  sine  vulnere  fecit. 
Altcrius  tclum  lapis  cst.  Qui  missus,  in  ipso  10 

Aere  concentu  victus  vocisque  lyraeque  ealv 


408  UfiTAMOUPnOSES. 

demander  grAce  pour  un  si  monslrueux  forfait  Les  atlaques  re- 
commencent;  Taudace  ne  connait  plus  de  bomes;  partout  se 
d^haine  une  aveugle  fureur.  La  lyre  d^Orphte  aurait  ^mousse 
tous  les  trails;  mais  les  cris  effroyables,  les  flutes  de  Ber6- 
cynthe,  les  tambours,  les  battements  de  mains  et  les  hurlements 
des  Bacchantes,  ^touilent  ses  accords.  Sa  voix  n'est  plus  cn- 
tendue,  et  les  rochers  sont  teints  de  son  sang.  La  foule  in- 
nombrable  des  oiseaux,  des  reptiles  et  des  b^tes  sau?ages  6tait 
encore.  ravie  de  ses  accents.  Les  Bacchantes  dispersent  d*abord 
ies  t^moins  de  sa  gloire.  Ensuite  elles  toument  contre  lui  leurs 
mains  ensanglant^^,  et  s'attroupent  comme  les  oiseaux  autour 
d'un  hibou  qu'ils  ont  vu  errer  k  la  clart^  du  jour.  Elles  l*en- 
veloppent  comme  le  cerf  qui,  des  le  maliui  doit  ^tre  dans  le 
cirque  la  proie  des  chiens.  Ellesfondent  sur  lui,  et  lefrappoit 
de  leurs  thyrses  ornes  de  pampres  verts  destines  i  un  autre 
usage.  Gelles-ci  lui  lancent  des  mottes  de  terre,  celles-la  des  bran- 
ches  d'arbres,  d^autres  des  pierres :  leur  fureur  trouve  partout 
des  armes. 
Non  loin  de  l^,  des  boeufs  sillonnaient  les  champs,  et  de  ro- 


Ac  veluti  supplcx  pro  tam  furialibus  ausis, 
Ante  pedes  jacuit.  Sedenim  temeraria  crescunt 
Bella;  modusque  abiit,  insanaque  regnat  Erinnys. , 
Gunctaquc  tela  forent  cantu  mollita;  sed  ingens  15 

Clamor,  et  inflato  berecynthia  libia  cornu,  » 

Tympanaque,  plaususquc  et  bacchei  ululalus 
Obstrepuere  sono  citharaB.  Tum  denique  sa\a 
Non  exaudili  rubucrunt  sanguine  vatis. 
Ac  primum  altonitas  ellamnum  voce  canentis  20 

Innumcras  volucres,  angucsque,  agmenque  fcrarum, 
Hxnades  orphei  titulum  rapuere  Iheatri. 
Inde  crucntatis  verluntur  in  Orphea  dextris, 
Et  coeuni,  ut  aves,  si  quando  luce  vaganlem 
Koclis  avem  cernunl;  structoque  utrinquc  Ihcatro,  25 

Ceu  matutina  cervus  pcriturus  arena, 
Praida  canum  est;  valemque  pelunt,  et  fronde  vircnl: 
Conjiciunt  thyrsos,  non  hoec  in  munera  faclos. 
Ua}  glebas,  illo}  dereplos  arborc  ramos, 
Pars  torquent  siliccs:  nec  dc&unt  tcla  furori.  30 

Forlo  bovfcs  presso  subigcbant  vomcre  terram; 


\ 


LIVRE  XL  409 

bustes  laboureurs,  pr^parant  la  r^coUe  de  l*annde,  ouvraient  a 
force  de  sueur  un  sol  rebelle.  A  Taspect  des  Bacchantes,  ils  s'en- 
fuient,  laissant  leurs  outils  disperses  dans  la  campagne,  les  sar- 
cloirs,  les  pesantes  herses,  les  longs  hoyaux.  Ces  furies  s'en  em- 
parent ;  puis,  arrachant  leurs  cornes  aux  boeufs,  elles  se  precipitent 
de  nouveau  sur  Orph6e  pour  riramoler.  Cest  en  vain  qu'il  les  sup- 
plie  en  leur  tendant  les  raains.  Pour  la  premi^re  fois  ses  paroles 
sont  impuissantes.  La  troupe  sacrilege  reste  inflexible  et  lui  donne 
la  raort.  Son  demier  soupir  s'exhale  k  travers  cette  bouche  dont 
les  accents,  6  Jupiler!  furent  entendus  des  rochers,  et  compris 
mtoe  des  monstres  sauvages.  Orphee,  les  oiseaux  attristes,  les 
b6tes  f(§roces,  les  durs  rochers,  les  for^ls,  si  souvent  attir^es  par 
tes  chants,  d^plorerent  ta  perte ;  les  arbres  se  depouillerent  de 
leur  feuillage  en  signe  de  douleur;  les  fleuves  eux-mt^mes  se 
grossirent,  dit-on,  de  leurs  propres  larmes ;  les  Naiades  et  les 
Dryades  prirent  le  deuil  et  laisserent  leurs  cheveux  ^pars. 

Ses  membres  furent  disperses.  L'Hebre  regut  sa  t6te  et  sa  lyre. 
0  prodige  I  cette  lyre,  en  roulant  au  sein  des  flots,  murmura  quel- 
ques  sons  plaintifs ;  cette  langue,  deja  glac^,  poussa  un  gemisse- 

Ncc  procul  hinc,  multo  fructum  sudorc  parantes, 

Dura  lacertosi  fodiebant  arva  coloni. 

Agmine  qui  viso  fugiunt,  operisque  relinquunt 

Arma  sui ;  vacuosque  jacent  dispersa  per  agros  S5 

Surculaque,  raslriqiic  graves,  longique  ligones. 

Qusp.  postquam  rapuere  fcrae,  comuque  minaci 

Divellere  boves,  ad  vatis  fata  recurrunt; 

Tendentcmque  manus,  et  in  illo  tempore  primum 

Irrita  dicenlem,  nec  quidquam  voce  moventem  '  40 

Sacrilegae  perimuul;  perquc  os  (proh  Jupiter!)  illud 

Auditum  saxis  inteUectumque  fcrarum 

Sensibus,  in  vcntos  anima  exhalata  recessit. 

Te  moesta3  volucres,  Orpheu,  te  turba  ferarum, 

Tc  rigidae  siliccs,  tua  carmina  saepe  secutae,  45 

Flcvcrunt  silvs ;  positis  te  frondibus  arbos, 

Tonsa  comam,  luxit.  Lacrymis  quoquc  flumina  dicunt 

Incrcvisse  suis;  obscuraquc  carbasa  pullo 

Naides  et  Dryades,  passosque  habuere  capillos, 

Mcmbra  jacent  diversa  locis.  Caput.  Hebre,  lyramque     50 
Excipis;  ct  (mirum!)  medio  dum  labituramne, 
Flebile  nescio  quid  queritur  lyra,  flebile  lingua 


410  HfiTAMOnPHOSBS. 

ment  Uigubre,  el  les  rives  repondirent  i  ces  tri&tea  acee^ts.  Wj&^ 
emporlte  vers  la  rner,  eUcs  quiltiiietit  le  fleuve  qui  baigne  la 
Thrace,  el  tcmchaient  au  rivage  de  MeHUyfiine,  datis  lllc  de  lesboaiJ 
lorsque,  sur  ces  bords  ^traiigers,  \m  horrible  serpenl  atlaqua  la 
L^te  d'Orphee  et  sEt  chevelure  imniide,  Apollon  parail  cufm,  U 
torte  ii5  replile  pri^i  k  mordre,  et  le  pelride,  la  gueule  beante, 
dans  Vattitude  ou  il  &e  trouvaiu  L^ombre  d^Orpliee  descend  auj^_ 
Enfers,  el  recoTiaait  lcs  lieux  quH  a  deja  Tisites.  11  cherche  Eii<9 
rydicE  parmi  les  ames  justes.  11  la  Irouve  ei  la  pre«se  tendremen! 
dans  ses  bras.  La  ils  se  promenent  l'un  a  cdte  de  Tautre.  Tautot  iJ 
Ja  suit,  tant6t  il  la  prec&de,  et  iJ  regarde  son  Eurydice, 
craindre  desortnais  qu^elle  Jui  soit  ravie, 

LES  IdE^tADES  SOttf  WiTAMORPIIOSiES  Gtl   ARBftES. 

Ih  Cependant  Baccbus  ne  Jaissa  pas  ce  crime  impiuii.  Indtgn^ 
la  inort  du  poele  qui  celebrait  ses  mysl^esi  poiir  punir  Jes  fetn- 
mes  de  Tiiraoe,  coiip^bJes  d'un  si  horrlble  attentatj  il  les  endiaina 
ioudain  daiis  tes  for^ts  par  des  racint^  tortueuses    11  atlongea 


Hurmurat  exanimis;  respondent  flebile  ripae. 

Jamque  mare  invecta»  flumen  populare  relinquunt, 

Et  methymnaeae  potiuntur  littore  Lesbi.  55 

Hic  ferus  expositum  jggEegri^isjinguis  arenis 

Os  petit,  et  sparsos  fctillam/ri^capillos. 

Tandem  Phoebus  adest,  morsusque  inferre  parantem 

Arcet,  et  in  lapidem  rictus  serpentis  apertos 

Gongelat,  et  patulos,  ut  erant,  indurat  hiatus.  GO 

Umbra  subit  terras,  et  quae  loca  viderat  ante, 

Cuncla  recognoscit,  quserensque  per  arra  piorum 

Invenit  Eurydicen,  cupidisque  aroplectitur  ulnis. 

Hic  modo  conjunctis  spatiantur  passibus  ambo : 

Nunc  prajcedentem  sequitur,  nunc  prsevius  anteit,  65 

Eurydicenque  suam  jam  tuto  respicit  OrQheus. 

MfNADES  IN  ARBORES  MUTANTUR. 

II.    Non  impune  tamen  scelus  hoc  sinit  esse  Lyseus; 
Amissoque  dolens  sacrorum  vate  suorum, 
Protinus  in  silvis  matres  Edonidas  omnes, 
Qun  fecere  nefas,  torta  radice  ligavit.  70 


LIVRB  XI.  411 

les  doigts  de  leurs  pieds  et  les  enfon^  dans  la  terre,  sui?ant  le 
d^gr^  de  fureur  qui  les  anima  dans  leur  crime.  Semblable  h  Toi- 
seau  qui,  pris  au  piege  d'un  adroit  chasseur,  gemit  et  resserre 
lui-m6me  en  se  dlSbattant  le  noeud  qui  Tenlace,  les  Menades,  fixees 
au  sol,  furent  saisies  d'effroi  et  essay^rent  vainement  de  fuir.  Une 
racine  flexible  les  retint  et  rendit  leurs  efforts  impuissants.  Elles 
cherch^rent  ou  ^talent  leurs  pieds,  leurs  doigts,  leurs  ongles. 
D^ja  leurs  jambes  etaient  changees  en  tiges.  D'une  main  desesperee 
elles  voulurent  meurtrir  leurs  flancs;  mais  elles  frapperent  le 
tronc  d'un  ch6ne.  L'6corce  envahit  leur  poitrine  et  leurs  epaules; 
leurs  bras  s'etendirent.  On  les  eAt  pris  pour  des  rameaux  veri- 
tables,  et  Ton  ne  se  serait  pas  tromp^. 

MIDAS  CONVERTrr  TODT  EN  OR. 

in.  Cetait  trop  peu  pour  Bacchus.  II  quitta  ces  campagnes.  Suivi 
d'un  choeur  plus  fidele,  il  se  transporta  sur  le  Tmole  qui  lui  est 
consacre,  et  se  rendit  sur  les  rives  du  Pactole.  A  cette  epoque,  ce 
fleuve  ne  roulait  point  des  parcelles  d'or,  et  son  sable  pr^cieux  n'e- 


Quippe  pedum  digitos,  in  quantum  quacque  secuta  est, 

Traxit,  et  in  solidam  detrusit  acuminc  terram. 

Utque  suum  laqueis,  quos  callidus  al>didil  auceps, 

Crus  ubi  commisit  volucri^,  sensitque  teneri, 

Plangitur,  ac  trepidans  adstringit  vincula  motu;  75 

Sic,  ut  quseque  solo  defixa  cohaeserat  harum, 

Exsternala  fugam  fnistra  tcntabat;  at  illam 

Lenta  tcnel  radix,  exsullantcmque  coercet. 

Dumque  ubi  sint  digiti,  dum  pes  ubi  quaerit,  et  ungues, 

Aspicit  in  teretes  lignum  succedere  suras,  80 

Et  conata  femur  mcBrenti  plangere  dextra, 

Robora  percussit.  Pectus  quoque  robora  fiunt ; 

Robora  sunt  humeri;  porrectaque  brachia  veros 

Esse  putes  ramos,  et  non  fallare  putando. 


/u 


MIDAS  OMNIA  IN  ADRDM  VERTIT. 


UL    Nec  satis  hoc  Baccho  est.  Ipsos  quoquc  deserit  agros,     85 
Cumque  choro  meliore,  sui  vineta  Tymoli, 
Pactolonque  petit,  quamvis  non  aureus  illo 
Tempore,  nec  caris  erat  invidiosus  arenis. 


412  MfiTAMORPHOSES. 

tait  pas  encore  un  objet  d'envie  pour  les  mortels.  Les  Satyres  et 
les  Bacchantes,  son  cortege  ordinaire,  se  pressaient  sur  ses  pas. 
Sil^ne  seul  ^lait  absent.  Des  pSlres  phrygiensTavaient  surfHris 
chancelant  sous  le  poids  des  ans  et  du  vin,  et/apr^  rayoiren- 
chane  avec  des  guirlandes  de  fleurs,  Favaient  conduit  h  la cour 
de  Midas,  initi^  aux  myst^res  de  Bacchus  par  Orphee  et  i^Atheoien 
Eumolpus.  D^s  que  Midas  eut  reconnu  Tami  et  le  compagnon  da 
dieu,  il  ordonna,  en  Thonneur  d'un  tel  h6te,  un  banquet  somp- 
tueux,  qui  se  prolongea  sans  interruption  durant  dix  jours  et  dii 
nuits.  Lorsque  Tastre  du  matin  chassa,  pour  la  onzieme  fois,  tes 
^toiles,  le  roi,  plein  d'all^^esse,  ramena  Silene  dans  les  dianqis 
de  Lydie,  et  le  rendit  a  son  jeune  nourrisson.  Charme  de  re- 
trouver  le  soutien  de  son  enfance,  Bacchus  fit  a  Midas  une  offire 
agreable,  mais  funeste ;  il  lui  promit  d'exaucer  ses  Toeux.  Mi- 
das  devait  abuser  de  ce  don  :  «  Que  tout  ce  que  je  toucherai, 
dit-il,  se  convertisse  en  or !  »  Bacchus  y  consentit,  et  lui  accorda 
ce  fatal  privil^ge,  tout  en  regrettant  que  son  voeu  ne  fut  pas 
plus  sage. 

Midas  se  retire,  transport^  de  joie,  et.  se  fdlicite  de  son  mal- 
heur.  Pour  eprouver  reffet  des  promesses  de  Bacchus,  il  toucbc 

Uunc,  assuela  cohors,  Salyri  Bacchseque  frequeatant. 

At  Silenus  abest.  Titubantem  annisque  mcroque  90 

RuricolaB  cepere  phryges,  vinctumque  coronis 

Ad  regem  traxere  Midam,  cui  thracius  Orpheus 

Orgia  tradidcrat  cum  cecropio  Eumolpo. 

Qui  simuj  agnovit  socium,  comitemque  sacrorum, 

Uospitis  advenlu  festum  genialiter  egit  9o 

Per  bis  quinque  dies,  et  junctas  ordine  noctes. 

lit  jam  slellarum  sublime  coegerat  agmen 

Lucifer  undccimus,  lydos  quum  Ixtus  in  agros 

Rex  venit,  et  juveni  Silcnum  reddit  alumno. 

Iluic  deus  optandi  gralum,  sed  inutilo,  fecit  100 

Muneris  arbilrium,  gaudens  altore  recepto. 

lUc  male  usurus  donis,  ait :  «  Eftice,  quicquid 

Corpore  conligero,  fulvum  verlatur  in  aurum.  » 

Annuit  oplalis,  nocituraque  munera  solvit 

Liber;  at  indoluit,  quod  non  meliora  petisset.  lCo 

Laetus  abit,  gaudetque  malo  bcrecynlhius  hcros, 
Pollicitamque  fiOiem  Vati^exvAo  »Ti%wU  tetitat. 


LIYRE  XI.  415 

tous  les  objets.  A  peine  peut-il  en  croire  ses  yeux.  D  detaclie  une 
branche  d'un  ch^ne  peu  elev6,  et  elle  se  metamorphose  en  ra- 
meau  d'or.  II  ramasse  une  pierre,  elle  se  change  en  or.  II  touche 
une  glebe,  et,  en  la  touchant,  il  en  fait  un  bloc  d'or.  II  coupe 
des  epis  vnXiTS  :  c'est  une  gerbe  d'or.  S'il  cueille  un  fruit,  on 
dirait  une  porame  des  Hesperides.  SMl  touche  les  portes  de  son 
palais,  Tor  rayonne  sous  ses  doigts.  Enfin  Tonde  qu'on  verse  sur 
ses  mains  devient  une  pluie  qui  pourrait  tromper  encpre  Dana6. 
A  peine  peut-il  contenir  les  esperances  dont  son  coeur  est  rempli : 
tout  est  or  dans  sa  pensee.  Tandis  qu'il  est  au  comble  de  la  joie, 
ses  esclaves  dressent  une  table  qu^ils  chargent  de  plats.  Mais  le 
pain  qu'il  touche  devient  or,  et  les  mets  qu'essayent  de  broyer 
ses  dents  avides,  des  qu'elles  les  effleurent,  disparaissent  sous  le 
m^tal  brillant.  L'eau  pure  qu'il  m^le  a  la  liqueur  du  dieu  qui  lui 
fit  ce  don  ruisselle  en  flots  d'or  sur  ses  Mvres. 

Surpris  de  ce  malheur  nouveau,  riche  et  pauvre  a  la  fois,  il 
veut  fuir  son  opulence.  II  maudit  maintenant  ce  qui  fut  nagu^re 
Fobjet  de  ses  vceux.  Au  sein  de  rabondance,  rien  n'apaise  sa  faim ; 

Vixque  sibi  credens,  non  alta  fionde  vireutem 

Ilice  detraxit  Yirgam  :  virga  aurea  facta  est. 

Tollit  humo  saxum  :  saxum  quoque  palluit  auro.  110 

Contigit  et  glebam  :  contaclu  gleba  polenti 

Massa  fit.  Arentes  Cereris  decerpsit  aristas : 

Aurea  messis  erat.  Demplum  tenct  arbore  pomum  : 

Hesperidas  donasse  putes.  Si  postibus  altis 

Admovit  digitos,  postes  radiare  videntur.  115 

Ille  etiam  liquidis  palmas  ubi  laverat  undis, 

Unda  fluens  palmis  Danaen  eluderc  posset. 

Vix  spes  ipse  suas  animo  capit,  aurea  tingens 

Omnia.  Gaudenti  mcnsas  posuere  ministri, 

Exstructas  dapibus,  ncc  tostae  frugis  egentes,  l^) 

Tum  vero,  sive  ille  sua  cerealia  dexlra 

Munera  conligerat,  cerealia  dona  rigebant; 

Sive  dapes  avido  convellere  denlc  parabat, 

Lamina  fulva  dapes,  admolo  dentc,  premebat. 

Niscuerat  puris  auclorem  muneris  undis:  125 

Fusile  pcr  rictus  aurum  fluitarc  videres. 

Attonitus  novitate  mali,  divrsque  miserque, 
Effugere  oplat  opes,  et,  quaj  modo  voverat,  odit. 
Copia  nulla  famcm  relevat :  silis  arida  guttur 


414  UTAMORPHOSES. 

]a  soif  brAle  sa  gorge  aride.  II  repousse  Tor  qui  lui  fait  subir  de 
justes  lortures ;  et,  tendant  au  ciel  ses  mains  et  ses  bras  tout  bril- 
lants  d'or  :  «  Pardonne-moi,  Bacchus,  dit-il.  Je  suis  coupable. 
Prends  pitie  de  mon  sort,  je  t'en  conjure,  et  d61ivre-moi  des  maux 
enfantes  par  une  illusion.  »  Les  dieux  sont  indulgents.  D^sarm^ 
par  cct  aveu,  Bacxhus  r^voque  sa  promesse  et  retire  k  Midas 
son  funeste  present.  «  Pour  que  tes  mains,  lui  dit-il,  ne  soieot 
plus  empreintes  de  cet  or  aveugl^ment  convoit^,  va  te  plongar 
dans  le  fleuve  voisin  des  superbes  remparts  de  Sardes.  Fran- 
chis  le  sonmiet  de  la  montagne  d'ou  tombent  ses  eaux ;  remonte 
jusqu'aux  lieux  ou  il  prend  naissance,  et,  dans  Tonde  qui  k  sa 
source  m^mejaillit  en  flots  ecumants,  baigne  ta  tdte,  etpurifie  k 
la  fois  ton  Ame  et  ton  corps. »  Le  roi,  docile  a  cet  ordre,  se  rend 
au  Pactole.  La  puissance  de  tout  changer  en  or  passe  du  oorps  de 
Midas  dans  le  fleuve.  Le  germe,  d^pose  jadis  dans  ses  eaux,  dissd- 
mine  encore  aujourd'hui  le  precieux  m^tal  a  travers  les  cbamps 
qu'il  arrose. 

APOLLON  DONNE  A  HIDAS  DES  OREILLES  D*ANB. 

IV.  Gueri  de  sa  passion  pour  l'or,  Midas  aimait  les  champs,  ies 

Urit,  et  inviso  merilus  torquelur  ab  auro.  130 

Ad  coeiumque  manus,  ct  splendida  brachia  tollens : 
«  Da  veniam,  Lenaje  paler.  Peccavimus,  inquit. 
Scd  miserere,  precor,  speciosoque  eripe  damno.  » 
Mitc  deum  numen.  Pacchus  peccasse  falenteni 
Resliluit,  pactamque  fidem,  data  munera,  solvit :  133 

«  Neve  malc  oplato  maneas  circumlitus  auro, 
Vade,  ait,  ad  magnis  vicinum  Sardibus  amncm; 
Perque  jugum  montis  labentibus  obvius  undis 
Garpe  viam,  doncc  venias  ad  fluminis  ortus  : 
Spumiferoque  tuum  fonti,  qua  plurimus  exit,  140 

Subde  caput,  corpusque  simul,  simul  elue  crimen.  » 
Rex  jussaB  succedit  aquaj.  Vis  aurea  linxit 
Flumen,  et  humano  dc  corporc  cessit  in  amncm. 
Nunc  quoque  jam  vcteris  percepto  semine  vcnaj 
\  Arva  rigent,  auro  madidis  pallentia  glebis.  145 


mHJE  PIICEBUS  ADRES  ASININAS  TRIBUIT. 

IV.    llle,  perosus  opes,  sWn^i^  cv  ^wt^  q,o\Oq^v, 


LIYRE  XI.  415 

bois  et  le  dieu  Pan  qui  habite  les  antres  des  montagnes.  Hais  il 
conservait  un  esprit  lourd,  et  sa  soltise  devait  lui  6tre  encore 
aussi  funeste  qu*auparavant.  De  sa  cime  elevee,  le  Tmole  domine 
les  mers.  II  est  difficile  a  gravir,  et  ses  vast^  flancs  s'etendent 
d'un  c6t6  jusqu'^  Sardes,  de  Tautre  jusqu^a  Thumble  Hypepes.  La 
Pan  fait  entendre  ses  chants  aux  jeunes  Nymphes,  et  module 
des  airs  legers  sur  son  chalumeau.  II  ose  mepriser  les  accords 
d'Apolion,  comme  inf^rieurs  aux  siens,  et  engage  avec  lui  un 
combat  inegal.  Le  dieu  du  Tmole  est  choisi  pour  arbitre.  Le 
Yieux  juge  prend  place  sur  sa  montagne,  et  d^age  ses  oreilles 
de  la  for^t  qui  couvre  sa  t6te.  Une  simple  couronne  de  ch^ne 
ceint  sa  noire  chevelure,  et  des  glands  pendent  autour  de  ses 
tempes.  II  jett^  les  yeux  sur  le  dieu  des  troupeaux,  et  dit :  «  Votre 
juge  est  pr^t.  i»  Pan  fait  resonner  ses  pipeaux  rustiques,  dont  la 
sauvage  harmonie  charme  Midas,  pr^sent  k  cette  lutte.  Le  Tmole 
tounie  ensuite  vers  Apollon  sa  iite  venerable,  et  sa  forM  suit  ce 
mouvement. 

ApoUon  s'avance,  lefront  radieux,  couronne  du  laurier  du  Par- 
nasse.  Sa  robe  de  pourpre  traine  en  longs  plis  sur  la  terre.  Une 


Panaque  montanis  habitantem  semper  in  anlris. 

Pinguc  sed  ingenium  mansit,  nocituraque,  ut  anle, 

Rursus  erant  domino  stolidse  prsecordia  mentis. 

Nam,  freta  propiciens,  latc  rigcl  arduus  allo  150 

Tmolus  in  ascensu,  clivoque  extenlus  utroquc, 

Sardibus  hinc,  illinc  parvis  finitur  Ilypaepis. 

Pan  ibi  dum  teneris  jactat  sua  carmina  Nymphis, 

Et  levG  cerata  moduiatur  arundine  carmen, 

Ausus  apollineos  prffi  se  contemnere  cantus,  455 

Judice  sub  Tmolo  certamen  venit  ad  impar. 

Montc  suo  senior  judex  conscdit,  et  aurcs 

Liberat  arboribus.  Quercu  coma  cserula  tantum 

Cingitur,  et  pcndcnt  circum  cava  tcmpora  glandcs.  - 

Isque  deum  pecoris  speclans  :  «  In  judice,  dixil,  IGO 

Nulla  mora  est.  »  Calamis  agreslibus  insonat  ille, 

Barl)aricoquc  Midan  (aderat  nam  forle  canenti), 

Carminc  delinil.  Tost  hunc  sacer  ora  relorsit 

Tmolus  ad  os  PhoDbi;  vultum  sua  silva  secuta  cst. 

Ille  caput  flavum  lauro  parnasside  vinctus  1G5 

Vcrrit  humum  tyrio  saturata  murice  palla ; 


410  MfiTAHORPHOSES. 

lyre  ornee  de  pierreries  et  dMvoire  est  dans  sa  main  gancbe;  la 
droi(e  tient  Tarchet.  Son  attitude  est  celle  du  dieu  de  rharmonie. 
D*un  doigt  savant  il  touche  les  cordes.  Le  Tmole,  ravi  de  ieurs 
accords,  conseille  aJPan  d^avouer  que  ses  pipeaux  le  cMexii  a  !a 
lyre.  Le  jugement  du  dieu  de  la  montagne  r^unit  tous  les  su^ 
frages.  Midas  seul  Tattaque  el  le  d^clare  injuste.  Apolion  ne  peot 
laisser  plus  longtemps  k  des  oreilles  si  grossiSres  la  figure  de  cel- 
les  de  rhomme :  il  les  allonge,  les  couvre  d'un  poil  gris,  et  leur 
donne  la  facult^  de  se  mouvoir  en  tous  sens.  Midas  consarve  la 
forme  humaine,  k  Texception  de  ses  oreilles,  qui  ressemblent  h 
celles  de  l'^e  indolent.  II  les  cache  sous  la  tiare  tourlate  qui 
couvre  sa  t6te,  et  cherche  a  derober  sa  honte  a  tous  les  y^ix. 
Mais  elle  n'^chappe  point  h  resclave  dont  les  ciseaux  coupentses 
cheveux.  Malgre  son  vif  d^sir,  il  n'ose  r^veler  cette  difTormit^.  fo- 
capable  de  discretion,  il  s'eloigne,  fait  un  trou  dans  la  terre,  et  y 
murmure  a  voix  basse  qu'il  a  vu  les  longues  oreilles  du  roi.  Pois 
il  comble  la  fosse,  comme  pour  enterrer  son  secret,  et  se  relire  ea 


Distinctamque  fidcm  gemmis  et  dentibus  indis 

Sustinet  a  laeva;  tenuit  manus  altera  plcctrum. 

Artificis  slatus  ipsc  fuil.  Tum  stamina  doclo 

Pollice  soUicilat.  Quorum  dulccdine  captus  17U 

Pana  jubet  Tmolus  citharae  submitlere  cannas. 

Judicium  sanctiquc  placct  scntentia  montis 

Omnibus.  Arguitur  tamcn,  alque  injusla  vocatur 

Unius  sermone  Midae.  Nec  Delius  aures 

Humanam  stolidas  palitur  relinere  figuram;  17S 

Sed  trahit  in  spatium,  villisque  albentibus  implct; 

Instabilesque  iilas  facit,  et  dat  posse  moveri. 

Cselcra  sunt  hominis;  purtem  damnatur  in  unam; 

Induilurque  aures  lentc  gradientis  aselli. 

Ille  quidem  celat,  turpique  onerala  pudorc  180 

Tcmpora  purpureis  tenlat  velare  tiaris. 

Sed,  solilus  longos  ferro  resccarc  capillos, 

Viderat  hoc  famulus.  Qui  quum  nec  prodere  visum 

Dedecus  auderet,  cupicns  effcrre  sub  auras, 

Nec  posset  reticere  taraen,  seccdit;  humumque  185 

Effodit,  et,  domini  qualcs  aspexerit  aures, 

Yoce  refert  parva,  terrajquc  imniurmurat  hausta); 

Indiciumque  su»  \oc\s  VeXVuTft  Tfe^^t^VaL 

Obruit,  ot  scTob\bu%  UcWus  A\%tft^\V  o^«\:\%. 


LIVRE  XI.  417 

siience.  Une  for^t  de  roseaux  crut  en  ce  lieu.  Au  bout  de  Tannee, 
des  qu'ils  eurenl  pris  tout  leur  developpement,  ils  trahirent  celui 
qui  les  avait  fait  naitre.  Agiles  par  la  brise,  ils  redirent  ies  pa- 
roies  ensevelies  dans  la  terre,  et  publi^rent  que  Midas  avait  dcs 
oreiiles  d  ane. 

LES  HURAILLES  DB  TROIE  BATIES  PAR  APOLLON  £T  PAR  ^El'TUNE. 

V.  Apr^  s'^tre  venge,  Apollon  quitte  ie  Tmole.  li  traverse  ies 
plaines  de  Tair  jusqu^au  detroit  d'Heiies,  fiile  de  Neph^ie,  et  des- 
cend  dans  ies  champs  ou  r^gne  Laomedon.  A  droite  du  promon- 
toire  de  Sigee  et  a  gauche  de  ceiui  de  Rhetee,  est  un  antique  au- 
tel  consacre  a  Jupiter,  p^re  des  oracles.  De  ia,  ie  fiis  de  Latone 
voit  Laomedon  eiever  ies  murs  naissants  de  Troie,  et  poursuivre,  a 
travers  milie  travaux,  une  p^nibie  enireprise  qui  exige  des  frais 
considerabies.  Apoiion  et  le  dieu  dont  ie  sceptre  maitrise  les  flots 
en  courroux  prenneut  ia  figure  immaine,  et  conviennent  avec  le 
roi  de  Phrygie  d'une  somme  d'or  pour  construire  les  remparts  de 
ia  viiie.  L'ouvrage  achev6,  Laomedon  refuse  le  saiaire  convenu,  et 
met  le  combie  a  sa  perfidie  en  ajoulant  le  parjure  a  Tinfid^iite. 
<  Ton  crime  ne  restera  pas  impuni,  »  dit  iemonarque  des  ondes. 

Creber  arundiDibus  Ircmulis  ibi  surgere  lucus  lUO 

Cocpit,  et,  ut  primum  pleno  maluruit  anno, 
Prodidit  agricolam;  leni  nam  molus  ab  auslro 
Obruta  vcrba  rcfert,  dominiquc  coarguit  aures. 

TROJ£  MObNIA  AB  APOLLINE  ET   NtPTUKO   iKDlFICASTUR. 

V.    Ullus  abit  Tmolo,  liquidumque  pcr  aera  vcclus 
Angustum  citra  pontum  nepheleidos  IIcUcs  105 

Laomedonleis  Letoius  adstitit  arvis. 
Dexlera  Sigxi,  Rboetei  Isva  prorundi 
Ara  panomphaeo  vetus  cst  sacrata  Touanli. 
Inde  novaj  primum  moliri  mamia  Trojaj 
Laomedonta  videt,  susccptaque  magna  laborc  200 

Cresccre  diflicili,  nec  opes  exposcerc  parvas. 
Cumquc  Iridentigero  tumidi  genilore  profundi 
Mortalem  induilur  formam ;  phrygioque  (yranno 
iCldiflcant  muros,  paclo  pro  moenibus  auro. 
Stabat  opus.  Prelium  rcx  inficiatur,  et  addit,  205 

Periidise  cumulum,  faUis  perjuria  verbis : 
c  Non  impune  feres,  »  rcctor  roaris  inquit,  et  omnes: 


418  m£tamorphoses. 

A  ces  mots,  il  incline  les  flols  de  son  empire  yers  les  rivages 
avares  de  Troie,  et  en  convertit  les  champs  en  plaine  liquide;  il 
i^truit  les  tr^ors  du  laboureur,  et  ensevelit  les  gu^rels  sous.les 
eaux.  Laom^don  n'est  pas  encore  assez  puni:  sa  fille  doit  ^tre  d^ 
voreepar  unmonstremarin.  Elle  est  enchain^e  a  un  rocber;  mais 
lercule  la  delivi^e  et  reclame  les  coursiers  promis  pour  salaire. 
Frustr^  du  prix  d\m  tel  exploit,  le  h^ros  force  les  remparts  de 
IVoie  deux  fois  parjure.  T^lamon,  associeaux  dangers  de  ce  si^e, 
en  partage  aussi  la  gloire.  La  main  dllesione  fut  la  recompensede 
sa  valeur.  Pelee,  son  fr^e,  avait  uni  sa  brillante  destin^  k  celle 
d'une  Immortelle,  et  le  nom  de  son  aieul  ne  lui  inspirait  pas  plus 
Torgueil  que  celui  de  son  beau-p^re.  Si  P^lee  ne  fut  pas  le  seul 
rejeton  de  Jupiter,  il  eut  seul  une  d^esse  pour  epouse. 

MARIilGE  DE  P^L^E  ET  DE  Tn^TlS. 

.  VI.  Le  vieux  Protee  dit  a  Thetis  :  «  Divinite  de  ronde,  deviens 
mere.  Tu  donneras  le  jour  a  un  h^ros  dont  les  hauts  faits  Tempor- 
teront  sur  ceux  de  son  pere,  et  surpasseront  sa  renomm^. » 
Aussi,  pour  ne  rien  voir  dans  le  monde  au-dessus  de  lui-meme, 


Inclinavit  aquas  ad  aTara:  littora  Trojae, 

Inque  frcti  formam  tcrras  convcrtit,  opesquc 

Abstulit  agricolis,  ct  fluctibus  obruit  arva.  210 

Poena  ncquc  bxc  satis  cst.  Rcgis  quoque  filia  monslro 

Poscitur  aequorco.  Quam  diira  ad  saxa  revinclam 

Yindicat  Alcidcs,  promissaquc  munera,  dictos 

Poscit  equos;.  lantique  operis  mcrcede  negala, 

Bis  perjura  capit  superato}  moenia  Trojai.  ili^ 

Nec  pars  militio},  Telamoa,  sino  honore  rcccssit, 

Hesioneque  data  potitur.  Nam  conjuge  Pelcus 

Glarus  erat  diva,  nec  avi  magis  ille  superbit 

Nomine,  quam  soceri.  Siquidem  Jovis  esse  nepoli 

Gontigil  haud  uni :  conjux  dca  contigit  uni.  ^O 

THETIDA  PELEUS  IN  VATRIMONIDM  DUCIT. 

YI.    Mamque  scncx  Thetidi  Proteus  :  «  Dca,  dixerat,  uadaa 
Concipc.  Matcr  eris  juvenis,  qui  fortibus  acti^ 
Acta  palris  vincel,  ma\ot(\VLfe  Hoc^\i\V.\K  1  lo.  » 
Ergo,  ue  quidqu&m  muu^u^  ^'(^'«v^  vei^v^  Viksi^^t 


LIVRE  XI.  419 

titer,  malgr^  les  feux  dont  son  coeur  est  embrase,  ^vite  la  cou- 
5  de  Thetis.  11  commande  a  Pelee,  son  petit-fils,  de  subslituer 
L  amour  au  sien,  et  de  s'unir  a  la  jeune  deit^  de  la  mer. 
^a  Thessalie  presente  un  bassin  dont  les  extr^mites  se  prolon- 
it  vers  la  mer.  II  formerait  un  port,  si  ses  eaux  etaient  plus  pro- 
des ;  mais  a  peine  mouilient-elles  la  surface  du  sable.  Le  sol 
ferme,  et,  loin  de  retarder  la  marche,  il  ne  garde  point  Tem- 
iinte  des  pas.  On  ne  voit  point  d'algue  sur  ce  rivage.  Non  ioin 
la  s'el6ve  un  bois  de  myrtes  entrem^l^s  d^oliviers.  Au  milieu 
avre  une  grotte.  On  ne  saurait  dire  si  elle  est  Touvrage  de  la 
ure  ou  de  Tart ;  mais  Fart  semble  avoir  plus  fait  que  la  na- 
e.  Cest  la,  Thetis,  que  tu  avais  coutume  de  le  rendre  sans 
le,  portee  sur  un  dauphin  assujetti  au  frein ;  c^est  la  que  P61ee 
lurprit  ensevelie  dans  le  sommeil.  Tu  avais  resiste  a  ses  prieres. 
ut  recours  a  la  violence,  et  fenlaQa  dans  ses  bras.  Si,  comme 
rdinaire,  tu  n'avais  adroitement  pris  mille  formes,  Tauda- 
ax  eut  triomphe.  Tu  devins  oiseau,  mais  il  te  retint.  Tu  le 
ngeas  en  un  grand  arbre,  mais  il  8'y  attacha.  Alors  tu  em- 


Quamvis  haud  tepidos  sub  pectore  sehserat  ignes,  2^5 

Jupiter  xquorc»  Thctidis  connubia  vitat; 
Inque  sua  iEaciden  succedere  vota  ncpotem 
Jussit,  et  amplexus  in  virginis  ire  marinaB. 

Est  sinus  Hxmoni»  curvos  falcatus  in  arcus. 
Brachia  procurrunt;  ubi,  si  foret  altior  unda,  230 

Portus  erat;  summis  induclum  est  aequor  arcnis. 
Liltus  habet  solidum,  quod  nec  vcstigia  servct, 
Nec  remoretur  iter,  nec  opertura  pendeat  alga. 
M^tea  silva  subest,  bicoloribus  obsita  baccis. 
Est  specus  in  medio.  Natura  factus,  an  arte,  233 

Ambiguum;  magis  arte  tamen.  Quo  saepe  venire 
('renato  delphine  sedens,  Thelii  nuda  solebas. 
IUic  te  Pcieus,  ut  somno  vincta  jacebas, 
Occupat;  el,  quoniam  precibus  tenlata  repugnas^ 
Yim  parat,  innectcns  ambobus  colla  laccrtis.  240 

Quod  nisi  venisses,  variatis  saepe  figuris, 
Ad  solitas  artes,  auso  foret  ille  potitus. 
Sed  modo  tu  volucri»,  volucrem  tamen  illc  tenebat; 
Nunc  gravis  arbor  eras;  baerebat  in  arbore  PcVeu^. 
T&rtJa  forma  fuit  mnculosao  tigridis.  Ula  ^^ 


420  METAMORPilOSES. 

primtas  les  traits  d'une  tigresse,  el  le  fils  d'£aque»  epouvante,  te 
laissa  ^happer  de  ses  bras. 

Puis  il  oflrit  aux  divinites  de  la  mer  des  libations  de  vin,  im- 
mola  des  victimes  et  fit  fumer  Tencens  en  leur  homieur.  Alors  le 
devin  de  Carpathos  s'ecria  du  sein  des  ondes :  «  Fils  d^Saque,  pour 
jouir  de  l'hymen  que  tu  convoites,  profite  du  moment  ou  Th^ 
goutera  le  sommeil  dans  sa  grotte  fraiche,  et  charge-la  de  vigoureux 
liens.  Ne  te  laisse  pas  abuser  par  ses  metamorphoses  :  retiens*la 
enchainee  sous  toutes  ses  formes  jusqu^k  ce  qu'elle  ait  repris  ses 
T^ritables  traits.  »  A  ces  mots,  Protee  plonge  sa  t^te  au  ((md  des 
eaux,  et  ses  derni^res  paroles  e^pirent  dans  rabime.  Le  Soleil 
^tait  a  son  declin,  et  son  char  touchait  les  flots  de  rHesperie.  La 
belle  Nereide  quitte  la  mer  et  va,  selon  sa  coutume,  se  reposer 
dans  sa  grotle.  A  peine  Pelee  s'est-il  empar^  de  la  Nymphe, 
qu'elle  muitiplie  ses  metamorphoses.  Enfin,  se  sentant  encbainee, 
elle  etend  les  bras  a  droite  et  a  gauche,  et,  poussant  un  profond 
soupir : «  Tu  triomphes,  dit-elle,  mais  c'est  par  le  secours  d'un 
dieu. »  Soudain  Thetis  apparait  sans  deguisement.  Le  heros,  fier 
de  son  aveu,  la  presse  contre  son  sein,  et,  charmS  de  sa  conquSte, 
il  la  rend  mere  du  grand  Achille. 

Territus  il!acidcs  a  corporc  brachia  solvit. 

Indc  deos  pelagi,  vino  supcr  aiquora  fuso 
El  pecoris  libris,  et  fumo  ihuris,  adorat, 
Donec  carpathius  raedio  dc  gurgitc  vates : 
«  ^acida,  dixil,  thulamis  potiere  petitis.  2^ 

Tu  modo,  quum  gelido  sopita  quicscet  in  antro, 
Ignaram  laqueis  vincloque  innecte  tcnaci. 
Ncc  te  decipiat  centum  mentita  figuras : 
Scd  premc  quidquid  erit,  dum  quod  fuit  ante  reformct. » 
Dixcrat  haec  Proteus,  ct  condidit  a^quorc  vulluro,  255 

Admisitque  suos  in  verba  novissima  fluctus. 
Pronus  erat  Tilan,  inclinatoque  tenebat 
Uesperium  temone  fretum,  quum  pulchra  relicto 
Mercis  ingrcditur  consueta  cubilia  ponto. 
Yix  bene  virgineos  Peleus  invaserat  artus,  SGO 

llla  novat  formas,  donec  sua  membra  teneri 
Sentit,  et  in  partes  diversas  brachia  tendens, 
Tum  demum  ingemuil: « Ncquc,  ait,  sine  numine  vincis.» 
Exhibiia  eslque  l\veV.\s.  ^otv\«i>^%av  ^\a^V^v.\l.\i!C  hcros, 
Et  poliiur  noUs,  m^e\iV\^\xe  'wa^\e\.  KjJsmS»»  ^ 


LIYRE  XI.  421' 

D^DAUON  CHANGl^  EN  £PERV1EB.    -^  UR  LOUP  METAMORPIIOS]^  EN  PIERRE. 

VII.  Pelee  ^tait  heureux  pere,  heureux  epoux,  et,  s'il  n'eut  pas 
ete  coupable  de  la  mort  de  Phocus,  rien  n'aurait  manque  k  son 
bonheur.  Souill^  du  meurtre  de  son  frere,  banni  de  ses  foyers 
et  de  sa  palrie,  il  &'enfuit  a  Trachine.  La  regnait,  sans  violence  el 
sans  cruaul^,  le  fils  de  Tastre  du  malin,  Ceyx,  dont  le  front  brillait 
de  reclat  paternel.  Mais  alors,  fletri  par  la  dbuleur  et  bien  diffe- 
rent  de  lui-m^me,  il  pleuralt  un  frere  ravi  a  sa  tendresse.  Accable 
de  chagrin  et  fatigue  de  son  voyage,  le  petit-fils  d'fiaque  entra 
dans  Trachine  avec  une  suite  peu  nombreuse,  laissant  loin  des 
murs,  dans  une  fraiche  vallee,  ses  troupeaux  de  brebis  et  de 
boBufs.  A  peine  le  palais  du  roi  lui  est-il  ouvert,  qu'il  se  presente 
avec  le  symbole  des  suppliants.  II  dit  son  nom  et  celui  de*  son  pere ; 
il  ne  tait  que  son  crime ;  et,  donnant  un  faux  pretexte  a  son  exil, 
il  demande  une  retraite  dans  la  ville  ou  dans  le  voisinage.  Le  roi 
de  Trachine  lui  repond  avec  calme  :  «  P^Iee,  Thomme  le  plus  obscur 
a  droit  aux  biens  de  mon  empire.  Mon  palais  n'est  pas  inhospi- 
talier.  Vous  avez  d'ailleurs  des  titres  bien  puissants  a  ma  bien- 

DiEDALION  IN  ACCIPITREM   CONVERSUS;  —  LUPUS  IN  LAPIDEM. 

VII.    Felix  et  nato,  felix  et  conjugc  Pelcus, 
Et  cui,  a^  demas  jugulati  crimina  Phoci, 
Omnia  conligerant.  Fratcrno  sanguine  sontcm, 
Expulsumque  domo  patria  trachinia  tellus 
Accipit.  Hic  regnum  sine  vi,  sine  caBde,  tencbat  270 

Lucifero  genitore  satus,  patriumque  nitorcm 
Ore  ferens  Ceyx,  illo  qui  tcmpore  moe^lus, 
Dissimilisque  sui,  fralrem  lugebat  ademptum. 
Quo  postquam  ^Eacides  fessus  curaque  viaque 
Venit,  et  intravit,  paucis  comilanlihus,  urbem;  275 

Quosque  greges  pecorum,  q\ix  secum  armenta  tr.ihcbat, 
Haud  procul  a  muris  sub  opaca  valle  rchquit. 
Copia  quum  facla  cst  adeundi  prima  tyranni, 
Velamenta  manu  prsBtendens  supplice,  qui  sit,  ' 
Quoque  satus,  memorat ;  tantum  sua  crimina  celat.         280 
Mcutitusque  fugaj  causam,  petit  urbe,  vel  agro  • 

Se  juvet.  Uunc  conlra  placido  Trachinius  cre 
Talibus  alloquilur  :  «  Medias  quoque  conimoda  p'cbi 
Noslra  patent,  reicu;  nec  inhospita  regna  tencmus. 
Adjicis  huic  animo  momenla  polenlia,  c\aTum  l^ 


422  M^TAMORPHOSES. 

veillance,  l'eclat  de  votre  nom  et  de  votre  sang  qiii  vous  donne 
Jupiter  pour  aleul.  Ne  perdez  pas  le  temps  en  pn^es  :  vos 
voeux  seront  accomplis.  Tout  ce  que  vous  voyez  vous  appartient  en 
partie.  Je  voudrais  seuiement  vous  recevoir  dans  des  jours  pius 
heureux. » 

Des  larmes  accompagnaient  ces  paroles.  P^lt^  et  ses  oompa- 
gnons  lui  demandent  quelle  est  la  cause  de  sa  profonde  douleur. 
«c  Peut-^lre,  leur  dit-il,  croyez-vous  que  cet  oiseau  qui  vit  de  ra- 
pine  et  repand  la  terrem*  parmi  les  oiseaux  a  toujours  ^t6  rev^tu 
d'un  plumage.  II  fut  homme,  et  conserve  encore  autant  d^audace 
qull  eut  autrefois  d'ardeur  impetueuse  k  la  guerre  et  de  pen- 
chant  a  la  violence.  II  se  nommait  Dedalion.  II  re^ut  la  vie  de 
Tastre  qui  precede  TAurore  et  disparait  le  dernier  des  daix. 
Ami  de  la  paix,  je  m'y  consacrai  ainsi  qu'aux  douceurs  de  Thy- 
men.  Mon  fr^re,  au  contraire,  eut  du  gout  pour  les  combats  san- 
glants.  Son  courage  soumit  des  peuples  et  des  rois,  conune  au- 
jourd^hui,  sous  sa  forme  nouvelle,  il  poursuit  les  colombesde 
Thisbe.  11  eut  pour  fille  la  belle  Ghion^,  qui  fut  recherchee  par 
mille  rivaux,  des  qu'ellc  cut  atteint  sa  quatorziSme  ann^e.  ApoIIon 
et  Mercure,  revenant  Tun  de  Delphes,  Tautre  du  mont  Cyllene,  la 


Nomen,  avumque  Jovcm.  iNec  lempora  perde  precando. 
Quod  pelis,  omne  fercs;  tuaquc  ha;c  pro  parte  vidcto, 
Uualiacumciuc  vides.  Ulinam  meliora  videres!  » 

Et  flebat.  Moveat  qua!  tanlos  causa  dolores, 
Peleusquc  comilesquc  roganl.  Quibus  ille  profatur  :         290 
«  Forsitan  hanc  volucrem,  rapto  quaj  vivit,  et  omues 
Tcrrel  aves,  scmper  pcnnas  habuissc  putctis. 
Vir  fuit,  et  tanta  est  animi  conslantia,  quanlum 
Acer  erat,  belloque  ferox,  ad  vimque  paratus^ 
Nomine  Da;daliou,  illo  genilore  crcatus,  295 

Qui  vocat  Auroram,  cifloque  novissimus  exit. 
Culta  mihi  pax  est,  pacis  mihi  cuia  tuenda) 
Conjugiique  fuit.  Fratri  fera  bella  placcbant. 
lilius  virtus  genles,  regcsquc  subcgil, 
Qua  nunc  thisbSBas  agitat  mu(aia  columbas.  300 

*  Nata  erat  huic  Chionc,  quse  dotatissima  forma 
Mille  procis  placuit,  bis  seplera  nubilis  annis. 
Fortc  revetUnles  \?\\ai\i>3i^,  "ttA\^^\ut  q.^ci\ius^ 
lUe  suis  De\p\i\ft,  \v\o  ^wvvte  e^Wtwft^ii 


LIVRE  XI.  423 

virent  ensemble,  et  aussitdt  ramour  s'alluma  dans  leur  cceur. 
Apollon  attendit  jusqu'a  la  nuit  le  bonheur  qu'il  esperait.  Mercure 
ne  supporta  pas  le  moindre  retard.  De  son  caducee,  qui  repand  le 
sommeil,  il  toucha  le  front  de  la  jeune  princesse.  A  peine  en  eut- 
elle  senti  la  puissante  atteinte,  elle  s'endormit,  et  le  dieu  en  triom- 
pha.  Cependant  la  nuit  avait  seme  le  ciel  d^etoiles.  Apollon  prend 
les  traits  d'une  vieille,  et  goute  a  son  tour  des  plaisirs  savoures 
avant  lui.  Le  temps  amena  pour  Chione  le  terme  de  sa  deli- 
vrance.  Du  sang  du  dieu  aile  naquit  Autolycus,  d'une  merveil- 
leuse  adresse  pour  le  vol.  Digne  de  son  artificieux  pere,  11  savait 
changer  le  blanc  en  noir  et  le  noir  en  blanc.  Du  sang  de  Phebus 
(Chione  avait  enfante  deux  jumeaux)  naquit  Philammon,  celebre 
par  ses  chants  et  par  sa  lyre. 

Mais  que  sert  h  cette  infortunee  d'6tre  mere  de  deux  fils,  d'avoir 
charme  deux  Immortels,  d'avoir  pour  pere  un  roi  puissant  et  pour 
aieul  le  maitre  des  dieux?  La  gloire  aussi  fait  donc  le  malheur  de 
rhomme.  Elle  perdit  Chione,  parce  qu'elle  avait  ose  se  preferer  a 
Diane  et  attaquer  sa  beaute.  Transportee  d^indignation,  la  deesse 
s'ecria  :  «  Du  moins  tu  rendras  hommage  a  ma  puissance.  » 
Soudain  elle  courbe  son  arc  et  lance  une  fleche  qui  perce  la  lan- 

Videre  hanc  pariter,  pariter  traxere  calorem.  305 

Spem  Veneris  differl  in  tempora  noclis  ApoUo. 

Non  tulit  ille  moras,  virgaque  movente  soporera 

Virginis  os  tangit.  Tactu  jacet  illa  potenti, 

Vimque  dei  patitur.  Nox  coelum  sparserat  astris. 

Phoebus  anum  simulat,  prseccptaque  gaudia  sumit.  310 

Ut  sua  maturus  complevit  tempora  venter, 

Alipedis  de  stirpe  dei,  versula  propago, 

Nascitur  Autolycus,  furtum  ingeniosus  ad  omne, 

Qui  facere  assuerat,  patrise  non  degener  artis, 

Candida  de  nigris,  et  de  candentibus  atra.  315 

Nascitur  e  Phcebo  (namque  cst  enixa  gemelios), 

Carminc  vocali  clarus,  citharaque  Philammon. 

«  Quid  peperisse  duos,  et  dis  placuissc  duobus, 
Et  forti  genitore,  et  progenitore  Tonanti 
Esse  salam  prodest?  An  obest  quoque  gloria  mullis?       520 
Obfuit  huic  certe.  Quae  se  praeferre  Dianse 
Sustinuit,  faciemque  dese  culpavit.  At  ilh 
Ira  ferox  mota  est :  «  Factisque  p\ace\)lm\is, »  VckCijQLW.. 
JVec  mora,  curvavit  cornu,  nervoquc  sagiUam 


42t  MtTAMORPHOSES. 

gue  de  la  coupable  Chion^.  Devenue  muelte,  elle  ne  retrouve  ni 
voix,  ni  paroles.  Elle  lente  un  dernier  efforl;  mais  sa  vie  s'6« 
chappe  avec  son  sang.  Malhcureux,  je  la  pris  dans  mes  bras. 
Ainsi  que  I'exigeaient  les  droits  du  sang,  je  compatis  a  la  douleur 
d'un  frere  si  tendre,  el  je  m'efforQai  de  le  consoler.  D^esper^de 
la  perte  de  sa  fiUe,  il  fut  sourd  k  ma  voix,  comme  le  rocher  aux 
murmures  des  flots.  A  la  vue  de  son  corps  d^vore  par  les  flammes, 
quatre  fois  il  voulut  s'elancer  au  milieu  du  bij]^cher ;  quatre  fois 
repousse,  il  s'enfuit  en  toute  hate,  comme  un  taureau,  piqu6  au 
cou  par  des  frelons,  pr^cipite  ses  pas  a  travers  des  chemins  escar- 
p^s.  II  me  parut  courir  plus  vite  qu'un  mortel  et  avoir  des  ailes 
aux  pieds.  II  echappa  a  toutes  les  poursuites,  et,  presse  de  mettre 
fln  a  ses  jours,  il  parvint  au  sommet  du  Pamasse.  D^jli  il  s*^tait 
61anc^  du  haut  de  la  montagne,  lorsque  ApoUon,  touch6  de  soa 
malheur»  le  changea  en  oiseau,  et,  le  soutenant  dans  les  airs,  lui 
donna,  avec  des  ailes,  un  bec  crochu  et  des  serres  recourbdes.  II 
garde  son  ancien  courage  et  sa  force  plus  grande  que  son  corps. 
fipervier  maintenant,  et  cruel  envers  tous  les  oiseaux,  il  n'en 
^pargne  aucun,  el  repand  parmi  eux  la  douleur  dont  il  est  accabl^.» 

Impulit,  cl  meritain  trajecit  arundiae  iinguam.  325 

Lingua  tacet,  nec  vox,  tenlataque  verba  sequuntur, 

Conantcmque  ioqui  cum  sanguine  vita  reliquit. 

Quam  miser  amplexans  ego  lum  palruoque  dolorem 

Corde  tuli,  fratrique  pio  solatia  dixi. 

Qus  pater,  baud  aliter  quam  cautes  murmura  ponli,        330 

Accipit,  et  natam  delamentatur  ademptam. 

Ut  vero  ardentem  vidit,  quater  impetus  iili 

In  medios  fuit  ire  rogos;  quater  inde  repulsus 

Concita  membra  fugae  mandat,  similisque  juvcnco 

Spicula  crabronum  pressa  cervice  gerenti,  o35 

Qua  via  nulla,  ruit.  Jam  tum  roihi  currere  visus 

Plus  homine  est,  alasque  pedes  sumpsisse  putares. 

Effugit  ergo  omnes,  veloxque  cupidine  iethi 

Vertice  Parnassi  potitur.  Miseratur  Apollo, 

Quum  se  Dxdaliou  saxo  misisset  ab  alto,  340 

Fecit  avem,  ct  subitis  pendentem  sustulit  alis, 

Oraquc  adunca  dedit,  curvos  dedit  unguibus  hamos, 

Virtutem  anliquam,  inBi'jotc&  tOT^otfe  nw^^  ♦, 

Et  nunc  accipiler,  nu\V\s  suWs  ai(\MMs,\u  oimi^^ 

Sapvlt  aves»,  aUisquo  Ao\ot\s  TxV  t;vvis;ji  ^o\wi^\,  *  "^^^^  \ 


LIVRE  XI.  425 

Tandis  que  le  fils  de  Tastre  du  jour  raconte  ainsi  ia  merveiileuse 
aventure  de  son  fr^re,  soudain  accourt,  hors  d  haleine,  le  gardien 
des  troupeaux  de  Pelee,  Anetor,  ne  dans  la  Phocide.  «  Pelee,  Pelee ! 
s'teie-t-il ;  h^las !  je  vous  apporte  la  nouvelle  d'un  grand  mal- 
heur.  »  Quel  que  soit  ce  desaslre,  Pelee  lui  ordonne  de  parler.  11 
hesite  pourtant.  Le  heros  de  Trachine  est  lui-m6me  troublS.  Ane- 
tor  poursuit : « Je  faisais  reposer  vos  boeufs  sur  les  bords  de  la  mer, 
au  moment  ou  le  soleil,  arriv6  au  plus  haut  point  de  sa  course, 
voyait  devri^re  son  char  autant  d'espace  quMl  lui  en  restait  a  par- 
courir.  Lesuns,  les  genoux  inclin^s  sur  le  sable,  regardaient  Tim- 
mense  dtendue  de  la  mer ;  d'aulres  erraient  a  pas  lents ;  plusieurs 
nageaient,  la  tSte  au-dessus  des  flots.  Pres  de  la  mer  s'el^ve  un 
temple  qui  ne  doit  sa  renommee  ni  au  marbre  ni  a  Tor,  mais  a  un 
bois  antique  et  sacre  qui  repand  un  epais  ombrage.  II  est  consacre 
h  Neree  et  k  ses  fiUes.  Un  p^cheur  me  Tapprit  en  faisant  secher  ses 
filets  sur  lerivage.  Non  loin  se  trouveun  lac  forme  par  les  d^or- 
dements  de  la  mer.  II  est  couvert  de  saules.  De  ce  repaire  s'61ance, 
avec  un  bruit  terrible,  un  loup  enorme  qui  remplit  d'6pouvante 
les  lieux  d'a1entour.  Bientdt  il  quitte  le  bois  marecageu.(,  les  yeux 

Quae  dum  Lucifero  genilus  iniracula  narrat 
Dc  coDsorte  suo,  cursu  festinus  anhelo 
Advolat  armenti  custos  phoceus  Anetor. 
«  Heu,  Peleu,  Peleu !  magnic  tibi  nuntius  adsum 
Cladis,  »  ait.  Quodcumque  ferat,  jubet  edere  Pelcus.        350 
Pendet,  et  ipse  metu  trepidat  trachinius  heros. 
Ille  refert :  «  Fessos  ad  littora  curva  juvencos 
Appuleram,  medio  quum  sol  altissimus  orbe 
Tantum  respiceret,  quanlum  superesse  videret. 
Parsque  boum  fnlvis  genua  mclkiarat  arenis,  355 

Latai-umque  jacens  campum  spectabat  aquarum} 
Pars  gradibus  tardis  illuc  errabat  et  illuc; 
Kant  alii,  celsoque  exstant  super  aequora  coUo. 
Templa  mari  subsunt,  nec  marmore  clara,  nec  nuro 
Sed  trabibus  densis,  lucoque  umbrosa  veluslo.  oG(! 

Nereides  Nereusque  lenent.  Hos  navita  lcmpli 
Edidit  esse  deos,  dum  retia  liltore  siccal. 
Juncta  palus  huic  est,  densis  obsessa  salictis, 
Quam  restagnantis  fecit  maris  unda  paludem. 
inde,  fragore  gravj  slrepitans,  loca  pro\\ma  VcmV»         ^^ 
Bellua  vasta,  lupus ;  silvisque  palusUibua  ei\l. 


426  M^TAMORPHOSES.  ' 

itincelants,  la  gueule  mena^ante,  souillee  d'ecume  et  de  sang. 
A  la  fois  excite  par  la  rage  et  la  faim,  mais  surtout  par  la  rage,  il 
ne  yeut  pas  assouvir  sur  quelques  boeufs  rhorrible  faim  qui  le  de- 
vore ;  c'est  sur  le  troupeau  enlier  qu'il  deploie  sa  fureur.  Tandis 
que  nous  cherchons  a  les  d^fendre,  plusieurs  de  mes  compagnons 
expirent  sous  ses  morsures  cruelles.  Le  sang  rougit  le  rivage,  les 
eaux  et  le  lac  qui  retentit  de  mugissements.  Tout  retard  est  fu- 
neste  :  le  mal  n'admet  point  d'irresoIution.  Tandis  que  tout  n'est 
pas  encore  perdu,  rassemblons-nous.  Aux  armes!  aux  armes! 
courons  tous  aux  armes ! » 

Ainsi  parle  le  gardien  des  troupeaux.  Pel^  est  peu  touche  de 
ia  perte  qu'il  lui  annonce;  mais  il  a  toujours  present  le  souvenir 
de  son  crime.  II  sent  que  la  fiUe  de  Neree,  privee  de  son  fils,  veut, 
par  cette  vengeance,  apaiser  Fombre  de  Phocus.  Ceyx  ordonne  k 
ses  soldats  de  rev^tir  leur  armure  et  de  saisir  leurs  traits  redou- 
tables.  II  s'appr6te  lui-m6me  a  marcher  avec  eux.  Mais  Alcyone 
accourt,  attiree  par  le  bruit,  et,  rejetant  en  arriere  ses  cheveux, 
qu'elle  n'a  pas  eu  le  temps  d'arranger,  elle  serre  son  epoux  dans 
ses  bras,  elle  le  supplie,  par  ses  prieres  et  par  ses  larmes,  d'envoyer 

Oblitus  et  spumis,  et  spisso  sanguine  riclus 
Fulmineos,  rubra  suffusus  lumina  flamma. 
Qui,  quanquam  sa3vit  pariter  rabieque  fameque, 
Acrior  estrabie;  neque  cnim  jejunia  curat  370 

Caide  boum  diraraque  famem  satiare,  sed  omne 
Vulnerat  armentum,  sternitque  hostiliter  omne. 
Pars  quoque  de  nobis  funesto  saucia  roorsu, 
Oum  defensamus,  lelho  CbL  dala.  Sanguine  litlus 
Undaquc  prima  rubent,  demugitaequc  paludes.  573 

Sed  mora  damnosa  est,  nec  res  dubilare  rcmittit. 
Dnm  superest  aliquid,  cuncti  coeamus,  et  arma, 
Arma  capcssamus,  conjunctaque  tela  feramus. » 
Dixerat  agrestis ;  ncc  Pelca  damna  movebant. 
Sed,  memor  admissi,  Nereida  colligit  orbam  380 

Damna  suo  inferias  exstincto  mittere  Phoco. 
Inducre  arma  viros,  violenlaque  sumere  tela 
Rex  jubet  oetaeus,  cum  queis  simui  ipse  parabat 
Ire.  Sed  Ilalcyone  conjux  cxcita  turaultu 
Prosilit,  ct  nondum  totos  ornata  capillos,  385 

Disjicithos  ipsos;  colloque  infusa  mariti, 
Mittat  ut  auxilium  sine  se,  vcrbisquo  prccatur, 


LIVRB  XI.  427 

des  secours  sans  s^exposer  au  danger,  et  de  sauver  deux  vies  en 
sauvant  la  sienne.  « Princesse.  lui  repond  le  petit-fils  d'fiaque, 
dissipez  ces  tendres  alarmes  qui  irie  prouvent  toute  votre  affeclion. 
Je  vous  remercie  de  vos  secours.  Je  ne  veux  pas  aller  combattre  ce 
monstre  d'une  cruaute  inouie,  mais  implorer  la  divinite  de  cette 
mer. »  Sur  le  haut  de  la  montagne  s'elevait  uue  tour  qu'on  aper- 
cevait  de  loin,  et  qui  offrait  un  asile  aux  vaisseaux  en  detresse. 
Ceyx  et  Pelee  y  montent  ensemble,  et  voient  en  gemissant,  d  un 
c6te,  les  taureaux  ^orges  sur  le  rivage ;  de  Tautre,  le  monshre 
portant  partout  la  devastation,  la  gueule  toute  degouttante  de 
meurtre,  et  ses  longs  poils  inondfe  de  sang.  Alors  le  petit-fils 
d'fiaque,  les  bras  tendus  vers  la  plaine  liquide,  conjure  la  belle 
Psamathe  de  mettre  un  terme  a  son  courrt)ux  et  de  lui  pr^ter  son 
appui;  mais  elle  reste  inflexible.  Thetis  uniises  prieres  a  celles  de 
son  epoux,  et  parvient  a  desarmer  Psamathe,  qui  tente  d'eloigner 
lemonstre  de  cet  horrible  thealre  de  carnage.  Mais,  echauffe  par  la 
soif  du  sang,  si  douce  a  sa  lureur,  il  resiste  jusqu'au  moment  ou, 
dechirant  le  cou  d'une  genisse,  il  est  change  en  marbre  par  la 
Nereide.  II  conserve  ses  traits,  et  perd  seulement  sa  couleur. 
Celle  du  marbre  annonce  qu'il  n'est  plus  un  loup,  et  ne  doit  des- 


Et  lacrymis,  animasque  duas  ut  servet  in  una. 

^acides  illi  :     Pulchros,  regina,  piosque 

Pone  metus.  Plena  est  promissi  gratia  vestri.  390 

Non  placet  arma  mihi  contra  nova  monstra  moveri. 

Numen  adorandum  pelagi  est.  »  Erat  ardua  turris, 

Arcc  patens  summa,  fessis  loca  grata  carinis. 

Ascendunt  illuc,  slratosque  in  littore  lauros 

Cum  gemitu  aspicinnt,  vastatoremque  cruento  393 

Ore  ferum,  longos  infectum  sanguine  villos. 

Indc  manus  tenden  ^  fn  aperti  littora  ponli, 

Coiruleam  I'eleus  Ps  imathen,  ut  finiat  iram, 

Orat  opemque  ferat.  Ncc  vocibus  ilia  rogantis 

Flectitur  iLacidap.  Tlietis  hanc  pro  conjuge  supplex  400 

Accepit  veniam.  Sedenim  revocatus  ab  acri 

Caede  hipus  perslat,  dulcedine  sanguinis  asper, 

Donec  inha^rentem  lacerie  cervice  juvenca^ 

Harmore  mutavit  Psamathc,  prselerque  colorem 

Omnia  scrvavit.  Lapidis  color  mdicat  illum  405 

Jam  non  essc  lupum,  jaro  non  debere  timeri. 


438  BI^TAMORPHOSES. 

ormais  inspirer  aucune  crainte.  Tout6fois  les  Destins  ne  permet- 
tent  pas  a  Pelee  fugitif  de  faire  un  long  sejour  d^ns  cette  contree. 
L'exile  gagne  la  Magnesie,  ou  le  Thessalien  Acaste  lui  foumit  les 
moyens  d'expier  la  mort  de  Phocus. 

CEYX  ET  ALCTONE.  —  NAUFRAGE  DE  c£tX.  —  LE  PALAIS  DU  SOMMEIL, 
G^TX  ET  ALGTONE  TRANSF0RM£s  EN  ALGTONS. 

VIII,  Cependant  la  metamorphose  accompUe  dans  la  personne 
de  son  fr^re,  et  celles  qui  Tavaient  suivie,  troublent  le  cocur  de 
Geyx.  Pour  calmer  son  inquietude  il  veut  aller  consulter  Toracle 
de  Claros;  car  Timpie  Phorbas  avec  ses  Phl^giens  infeslait  la 
route  de  Delphes.  Cependant,  avant  d'executer  son  dessein,  ii  en 
fait  part  a  sa  fidele  Alcyone.  A  cette  nouvelle,  un  ftH)id  soudain 
court  dans  ses  veines,  la  pdleur  couvre  son  front,  et  les  larmes 
inondent  son  visage.  Trois  fois  elle  essaye  de  parler,  trois  fois  les 
pleurs  etouffent  sa  voix.  Enfm  elle  exhale  ces  tendres  plaintes 
qu*entrecoupent  ses  sanglots  : «  Par  quel  crime,  cher  ^poux,  ai-je 
donc  change  ton  coeur?  Qu'est  devenu  Tinter^t  que  tu  me  te- 
moignais  autrefois?  Deja  tu  peux  feloigner  sans  regret  de  ton 

Kec  tamcn  hac  prorugura  consisterc  Pelca  terra 
Fata  sinunt.  Magnetas  adit  vagus  exsul,  et  illic 
Sumit  flb  hxmonio  purgamina  cxdis  Acasto. 

CETX  ET  UALCYONE.    —  CEYCIS  NAUFRAGIDJI.   —   SOMXl   DOMUS.   —  CETX 
ET  HALCYONE  IN   ALCYONES  MUTANTCR. 

VIII.    Intcrea  fratrisque  sui,  falremque  secutis  ilO 

Anxia  prodigiis  turbatus  pectora  Ceyx, 
Consulat  ut  sacras,  hominum  oblectamina,  sortcs, 
Ad  clarium  parat  irc  deum;  nam  templa  profainus 
Invia  cum  Phlegyis  faciebat  delphica  Phorbas. 
Consilii  tamen  ante  sui,  fidissima,  certam  415 

Te  facit,  Ualcyone.  Cui  protinus  intima  frigus 
Ossa  receporunt,  buxoquc  simillimus  ora 
Pallor  obit,  lacrymisquc  genaj  maduerc  profusis. 
Ter  conata  loqui,  ter  flctibus  ora  rigavit ; 
Fingultuque  pias  inlcrruinpcntc  querelas  :  420 

«  QuaB  mca  culpa  tuam,  dixit,  carissime,  menlcm 
Vertit?  Ubi  cst  quaj  cura  mei  prius  csse  sokbat? 
Jam  potes  Halcyone  securus  abcsse  relicla. 


LIVRE  XI.  429 

Alcyone ;  dejk  tu  songcs  a  un  long  voyage ;  deja  tu  m'aimes  mieux 
absente.  Du  moins,  je  m'en  flatte,  tu  voyageras  par  terre.  Je 
n'aurai  alors  qu'k  m^allliger  sans  concevoir  des  craintes,  et  mes 
ennuis  seront  exempts  d*alarmes.  Mais  la  mer,  la  triste  image 
de  la  mer,  m'6pouvante.  Naguere  j'ai  vu  sur  ses  bords  les  debris 
d'un  naufrage;  souveut  j'y  ai  lu  des  noms  sur  de  vains  tombeaux. 
Ne  te  fais  pas  illusion,  parce  qu'£ole,  ton  beau-pere,  maitrise  la 
fureur  des  vents  et  calme  les  flots  k  son  gre.  Lorsque,  une  fois 
d6chain6s,  ils  r^nent  sur  les  ondes,  fls  ne  respectent  aucune 
terre,  aucune  mer.  Ils  bouleversent  m6me  les  nuages,  et  leur 
choc  impetueux  fait  jaillir  d'liorribles  ^clairs.  Plus  je  les  con- 
nais  (et  je  les  connais  bien;  enfant,  je  les  ai  vus  souvent  dans 
le  palais  de  mon  p^re),  plus  je  les  crois  redoutables.  Si  mes 
pri^res  ne  peuvent  femouvoir,  cher  ^poux,  si  tu  es  bien  d^ter- 
min6  k  partir,  du  moins  permets-moi  de  te  suivre.  Nous  cour- 
rons  les  mSmes  p^rils ;  je  ne  craindrai  que  les  maux  dont  je 
souffrirai ;  nous  partageron^  tous  deux  le  danger,  et  nous  vogue- 
rons  ensemble  sur  la  vaste  mer.  » 
Les  paroles  et  les  pleurs  d'Alcyone  attendrissent  son  epoux. 

Jam  Tia  longa  placet,  jam  sura  tibi  carior  absensc 
At,  puto,  per  terras  iter  est,  tantumque  dolebo,  425 

Non  etiam  metuam,  curaeque  timore  carebunt. 
^quora  me  terrent,  et  ponti  tristis  imago. 
Et  laceras  nuper  tabulas  in  littore  ^idi, 
Et  sspe  in  tumulis  sine  corpore  nomina  legi, 
Neve  tuum  fallax  animum  fiducia  tangat,  430  . 

Quod  socer  Bippotades  tibi  sit,  cui  carcere  fortes 
Gontineat  ventos,  et,  quum  velit,  squora  placet. 
Quum  semel  emissi  tenuerunt  equora  venti, 
Nil  illis  vetitum  est,  incommendataque  tellus 
Omnis,  ct  omne  fretum ;  coeli  quoque  nubila  veiaut,        435 
Excutiuntque  feris  rutilos  concursibus  ignes. 
Quo  magis  hos  novi  (nam  novi,  et  saepe  paterna 
Parva  domo  vidi),  magis  hoc  reor  esse  timendos. 
Quod  tua  si  flecti  precibus  sententia  nullis, 
Care,  potest,  conjux,  nimiumque  es  cerlus  eundi,  440 

Me  quoque  tolle  simul.  Certe  jactabimur  una ; 
Nec,  nisi  quae  patiar,  metuam;  pariterque  fcremus 
Quidquid  erit,  pariter  super  squora  lata  fercmur.  • 
Talibus  ^olldos  diclis  lacrymisqne  movetnr 


430  METAMORPIIOSES. 

II  bnMait  pour  elle  de  tout  l'ainour  qu'elle  avait  pour  lui ;  mais  il 
ne  veut  ni  renoncer  a  parcourir  les  mers,  ni  associer  Alcyone  ases 
dangers.  II  cherche,  par  miile  consolations,  k  rassurer  son  coeur  ti- 
mide,  sans  pouvoir  lui  faire  approuver  son  projet.  II  ajoute  une 
promesse  qui  seule  peut  adoudr  son  chagrin  :  «  Oui,  dit-il,  rab- 
sence  est  toujours  longue  pour  moi.  Mais  je  te  le  jure  par  Tastre 
qui  m'a  donne  le  jour,  si  les  Destins  le  permetlent,  je  reviendrai 
avant  que  la  lune  ait  deux  fois  arrondi  son  croissant.  b  Ges 
paroles  lui  donnent  Tespoir  d'un  prompt  retour.  AussitOt  Ceyx 
fait  mettre  en  mer  et  ^quiper  un  de  ses  vaisseaux.  A  cet  aspect, 
comme  si  elle  eOt  pr6vu  Tavenir,  Alcyone  fremit  et  verse  des 
larmes.  D^sesperee,  elle  se  jette  dans  les  bras  de  son  epoux,  fait 
entendre  un  triste  adieu,  et  tombe  evanouie.  Ceyx  cherche  en  vain 
des  retards.  Les  matelots,  places  sur  deux  rangs,  pressent  les 
ramesavec  ardeur,  et  fendent  les  flots  en  cadence.  Alcyone  leve 
ses  yeux  mouilles  de  pleurs.  Debout  sur  la  poupe,  Geyx  lui  fait  des 
signes  de  la  main.  Elle  les  voit  la  premiere  et  y  repond.  Gependant 
la  terre  s'eloigne,  et  les  deux  epoux  ne  peuvent  plus  distinguer 

Sidereus  conjux;  neque  enim  minor  ignis  in  ipso  est.     44S 

Sed  neque  propositos  pelagi  dimittere  cursus, 

Nec  vult  Halcyonen  in  partem  adhibere  pericli. 

Multaque  respondit  timidum  solantia  pectus, 

Nec  tamen  idcirco  causam  probat.  Addidit  illis 

Hoc  quoque  lenimen,  quo  solo  flexit  amautem  :  4^0 

«  Longa  quidcm  nobis  omnis  mora.  Sed  tibi  juro 

Per  patrios  ignes,  si  me  modo  Fala  remittent, 

Ante  reversurum,  quam  luna  bis  impleat  orl)em.  » 

His  ubi  promissis  spes  est  admota  recursus, 

Protinus  eductam  navalibus  aequore  tingi,  .455 

Aptarique  suis  pinum  jubet  armamenlis. 

Qua  rursus  visa,  veluti  prsesaga  futuri, 

Horruit  Halcyone,  lacrymasque  emisit  obortas, 

Amplexusque  dedit,  trislique  miscrrima  tandem 

Ore,  vale,  dixit,  collapsaque  corporc  toto  est.  400 

At  juvenes,  quserente  moras  Ceycc,  reducunt 

Ordinibus  geminis  ad  forlia  pcctora  remos, 

^qualique  ictu  scindunt  freta.  Sustulit  illa 

Humentes  oculos,  stantcmque  in  puppe  recurva, 

Concussaque  manu  dantem  sibi  signa  maritum  4G5 

Prima  videt,  redditque  notas.  Ubi  terra  recessit 

Longius,  atque  oculi  nequeuni  cognoscere  vultus, 


LIVRB  XI.  431 

leurs  traits.  Mais,  tant  qu'elle  le  peut,  Alcyone  suitde  ses  regards 
le  vaisseau  qui  s'enfuit ;  et,  quand  Tespace  le  d^robe  a  sa  vue,  elle 
contemple  la  voile  qui  flotte  a  la  cime  des  m^ts.  Des  qu'elle  n'a- 
per^oit  plus  la  voiie,  elle  se  retire  inquiete  dans  son  appartement 
solitaire  et  y  cherche  le  repos.  Mais  son  apparlement  et  son  lit  re- 
nouvelient  ses  larmes  en  kii  rappelant  Tabsence  d'un  epoux  cheri. 
Le  vaisseau  avait  quitt6  le  port,  et  la  brise  agitait  les  c^les. 
Les  mateiots  suspendent  leurs  rames  aux  flancs  du  navire,  elevent 
les  antennes  jusqu'au  haut  du  m&t,  d^ploient  toutes  leurs  voiles 
et  recueillent  les  venls  propices.  Le  navire,  sillonnant  les  eaux, 
avait  a  peu  pres  atteint  la  moitie  de  sa  course,  et  se  trouvait  a  la 
m^me  distance  de  Trachine  et  de  Claros,  lorsque,  tout  a  coup,  au 
declin  du  jour,  la  mer  blanchit,  les  vagues  s'enflent,  et  Timpe- 
tueux  Eurus  souffle  avec  violence.  «  Abaiss§z  les  vergues !  crie  le 
pilote,  et  pUez  loutes  les  voiles. »  Les  rafales  emp^chent  d'obeir 
a  ses  ordres,  et  le  fracas  des  flc  ts  ne  permet  pas  d'entendre  sa 
voix.  Cependant  plusieurs,  de  leur  propre  mouv^ment,  se  h^tent 
de  retirer  les  rames,  d'autres  de  munir  les  flajics  du  vaisseau  et 
de  derober  les  voiles  a  la  fureur  des  venls.  Celui-ci  pompe  reaii 

Dum  licet,  insequitar  fugientem  lumine  pinum. 

Hsec  quoqtte,  ut  haud  poterat  spatio  submota  videri, 

Vcla  tamen  spectat  summo  fluitantia  malo.  410 

Dt  ne.c  vela  videt,  vacuum  pelit  anxia  lcclum, 

Seque  toro  ponit.  Rcnovat  lcctusque  locusque 

Halcyonai  lacrymas,  ct  quae  pars,  admonet,  absit. 

Porlubus  eiicrant,  et  moterat  aura  rudenlcs. 
Obvertit  laleri  pendeutes  navita  remos,  475 

Cornuaque  in  summa  locat  arbore,  totaquc  malo 
Garbasa  deducit,  venientesque  cscipit  auras. 
Aut  minus,  aut  certe  medium  non  amplius  aequor 
Puppe  secabatur,  longeque  erat  utraque  tcllus, 
Quum  mare  sub  noctem  tumidis  albescerc  coepit  4S0 

Fluctibus,  et  praeceps  spirare  valentius  Eurusi 
«  Ardua,  jamdudum,  demittite  cornua,  reclor 
Clamat,  et  aotennis  totum  subnectile  velum.  » 
Hic  jubet.  Impediunt  adverstc  jussa  procella:, 
Nec  sinit  audiri  vocem  fragor  sequoris  uUam.  485 

Sponte  tamen  properant  alii  subducere  rcmos, 
Pars  munire  latus,  pars  ventis  vela  negare. 
Egerit  hic  fluctus,  sequorque  ref undit  in  aequor ; 


432  MJ^TaMORPHOSES. 

et  la  rejette  a  la  mer;  celui-la  enleve  les  antennes.  Tandis  que  ces 
mouvements  s'executent  en  desordre,  la  temp^te  augmente,  les 
vents  s'entre-choquent  de  toutes  parts  avec  furie  et  bouleyersent 
les  flots  en  courroux.  Le  pilote,  tremblant  lui-m6me,  avoue  qu'il 
ne  conhait  plus  sa  position,  et  qu'il  ne  sait  plus  ce  qu'il  doit  or- 
donner  ni  ce  quMl  doit  d^fendre  :  tant  le  mal  est  grand  et  sur- 
monte  son  art !  L'air  retentit  du  cri  des  matelots,  du  sifflment 
des  cordages,  du  choc  des  flots  et  des  eclats  de  la  foudre.  Les 
vagues  s'elevent  :  la  mer  semble  monter  jusqu'aux  cieux  et  se 
confondre  avec  les  nuages.  Tantdt  ronde  prend  la  couleur  du 
sable  arrache  de  rabime;  tantot  elle  roule  plus  noire  que  le  Styx ; 
quelquefois  elle  presente  une  plaine  toute  blanche  d'ecume. 

Le  vaisseau  suit  tous  les  mouvements  de  la  mer.  Porte  a  la  cime 
des  llo(s,  il  semble,  du  sommet  d'une  montagne,  dominer  les 
vallees  et  les  gouffres  de  TAch^ron,  ou  bien,  quand  il  est  precipit^ 
dans  Tabime,  regarder  les  cieux  du  fond  des  enfers.  Souvent, 
battus  par  les  vagues,  ses  flancs  retentissent  avec  un  bruit  hor- 
riblc,  comme  les  tours  dont  le  belier  ou  la  bahste  disperse  les 
^clals.  Telles  que  des  lions  furieux,  dont  les  bonds  redoublent  la 

Hic  rapit  ^tennas.  Quac  dum  sine  lege  geruntar, 

Aspera  crescit  hiems,  omnique  e  parle  feroces  490 

Bella  gerunt  veDti,  fretaque  indignantla  miscent. 

Ipse  pavet,  nec  sc,  qui  sit  stalus,  ipse  fatetur 

Scire  ratis  rector,  ncc  quid  jubeatve,  vetetve : 

Tanta  mali  moles,  totaque  potenlior  arte  cst! 

Quippe  sonant  clamore  viri,  stridorc  rudentes,  495 

Undarum  incursu  gravis  unda,  tonitribus  setlicr. 

Fluctibus  crigilur,  (cclumque  asquare  videlur 

Pontus,  et  induclas  aspergine  tingere  nubcs. 

£t  modo,  quum  fulvas  cx  imo  vcrrit  arenas, 

Concolor  est  illis,  stygia  modo  nigrior  unda;  500 

Stemilur  interdum,  spumisque  sonantibus  albct. 

Ipsa  quoque  his  agitur  vicibus  trachinia  puppis, 
Et  modo  sublimis,  vcluli  de  vertice  montis, 
Despiccre  in  valles,  imumque  Acheronta  videtur; 
Kunc,  ubi  demissam  curvum  circumstctil  a:quor,  505 

Suspicere  inferno  summura  de  gurgitc  coclum. 
Sscpc  dat  ingcntem  fluclu  htus  icta  fragorem, 
Ncc  lcviuspulsala  souat,  quam  fcrreus  olim 
Quura  laceras  aries  ballistave  concutit  arces ; 
Utque  solcnt,  sumptis  in  curs^u  viribus,  irc  olO 


LIVRE  XI.  433 

force,  se  pr^cipitent  sur  les  traits  du  chasseur,  les  ondes,  soule- 
vees  par  les  venls,  attaquent  les  agres  du  navire  el  s*elevent  au- 
dessus  des  raats.  Deja  les  coins  s^ebranlent ;  les  flancs,  depouil- 
Ids  de  cire,  se  relaclient  et  ouvrent  aux  eaux  un  funeste  passage. 
Soudain  les  nues  ^clatent  et  versent  des  torrents.  Le  ciel  parait 
s'abimer  dans  la  mer,  et  la  mer  s'elancer  jusqu'au  ciel.  Les  voiles 
sont  inondces.  Les  eaux  de  la  mer  se  confondent  avec  celles  des 
cieux.  Tous  les  astres  ont  disparu.  Aux  lenebres  de  la  nuit  se  joi- 
gnent  les  ten^bres  de  la  tempete ;  la  foudre  seule  les  perce  de  feux 
^tincelants  dont  les  vagues  semblent  embrasees. 

Cependant  les  flots  pressent  le  navire  et  vont  penetrer  dans  ses 
flancs.  Comme,  dans  Tassautd^une  ville,  un  soldat,  plus  intrepide 
que  ses  compagnons,  apres  s'^tre  elance  a  plusieurs  reprises  vers 
des  murs  bien  d^fendus,  parvient  a  les  gravir,  et,  enflarame  de 
l'amour  de  la  gloire,  s'en  empare  seul,  entre  miile  guerriors; 
de  m^me,  lorsque  des  lames  furieuses  ont  assailli  le  vaissecu, 
une  dixieme,  plus  haute  et  plus  terrible,  se  precipite  et  ne  cesse 
de  battre  sa  membrure  fatigu^e  qu'apres  s'y  6lre  etablie  comme 


Peclore  in  arma  fcri  prxlcntaquc  tcla  leones; 

Sic  ubi  sc  vcnlis  admiseral  unda  coortis, 

Ibat  in  arma  ratis,  multoque  erat  altior  illis. 

Jamque  labant  cunei,  spoliataquc  tcgminc  cevai 

Rima  patct,  prxbetque  viam  letbalibus  uiidis.  515 

Ecce  cadunt  largi  rcsolutis  nubibus  imbrcs, 

Inque  frctum  cr^^das  totum  dcscendcrc  coclum, 

Inque  plagas  cocli  tumefactura  ascendere  pontum. 

Veia  madent  nimbis,  et  cum  ccelcstibus  undis 

iEquoreas  misccntur  aqute.  Caret  ignibus  a^tber,  520 

Csecaque  no\  premitur  tenebris  hiemisquc  suisque. 

Discutiunt  tamen  has,  prsebentquc  micanlia  lumcn 

Fulmina;  fulmineis  ardescunt  ignibus  undae. 

Dat  quoque  jam  saltus  intra  cava  texta  carimc 
Fluctus,  ct,  ut  milcs,  numero  praistantior  omui,  5^ 

Quum  su?pe  assiluit  defonsx  moenibus  urbis, 
Spe  potitur  tandcm,  laudisquc  accensus  amore 
Inter  miile  viros,  murum  tamen  occupat  uiius. 
Sic  ujji  puisarunt  acrcs  latera  ardua  fluctus, 
Vaslius  insurgens  decimaj  ruit  impetus  undic;  530 

Nec  prius  absistit  fcssam  oppugnare  carinam, 
Quam  velut  in  capt»  desccndat  moenia  navis. 


434  METAMORPUOSES. 

dans  un  fort  pris  d'assaut.  D'autres  flots  tentent  de  la  suiYre, 
d'autres  flols  s^introduisent  apres  elle.  Les  matelots  courent  eper- 
dus;  c'est  le  tumulte  d'une  ville  sapee  au  dehors  et  occup^  au 
dedans.  L'art  succombe :  on  perd  courage,  et  dans  cbaque  flot  qui 
s'approche,  on  croit  voir  s'elancer  et  fondre  la  mort.  L'un  ne  peut 
retenir  ses  larmes,  Tautre  est  glace  d'effroi;  celui-ci  enyie  le  bon- 
heur  des  mortels  qu'attendent  les  honneurs  funebres;  celui-la 
invoque  les  dieux,  et,  levant  ies  bras  au  ciel  qu'il  ne  voit  pas,  il 
en  implore  yainement  Tappui.  D'autres  pensent  a  leur  frSre  ou  a 
leur  p^re;  d^autres  regrettent  leur  famille,  leurs  enfants  et  tout 
ce  qu'ils  ont  quitte.  €eyx  ne  songe  qu'a  Alcyone;  le  nom  d'A]- 
cyone  est  seul  dans  sa  bouche,  et,  quoiqu'il  ne  regrette  qu'elle»  il 
se  feiicite  d'en  Stre  s^par^.  11  voudrait  Yoir  les  riyages  de  sa  pa- 
trie  et  tourner  un  dernier  regard  sur  ses  foyers.  Mais  il  ne  sait 
ot  il  est :  tant  la  mer  est  en  iurie !  Les  ^pais  nuages  qui  enve- 
loppent  les  cicux  lui  pr6sentent  Timage  d'une  double  nuit. 

Le  choc  d'un  affreux  tourbillon  brise  le  mM  et  le  gouvemail. 
Fi^re  de  ces  d^pouilles,  la  trombe,  comme  un  superbevainqueur» 


Pars  igitur  tentabat  adiiuc  invadere  pinum, 

Pars  maris  intus  erat.  Trepidant  iiaud  secius  omnes 

Quam  solet  urbs,  aliis  murum  fodientibus  extra,  535 

Atque  aliis  murum  trepidarc  tenenlibus  intus. 

Dcfi^it  ars,  animiquc  cadunt,  totidemque  videntur, 

Quot  veniant  fluctus,  ruere  atque  irrumpere  mortes. 

Non  tenet  hic  lacrymas;  stupet  hic;  vocat  ille  beatos, 

Funera  quos  maneant;  hic  votis  numen  adorat,  S40 

Brachiaque  ad  coilum,  quod  non  videt,  irrita  tollens 

jPoscit  opem;  subeunt  illi  fratresque  parcnsque; 

Huic  cum  pignoribus  domus,  et  quod  cuique  reliclum  est. 

Ualcyone  Ceyca  movet ;  Ceycis  iu  ore 

NuUa  nisi  Halcyoneest;  et,  quum  desideret  unam,  545 

Gaudst  abesse  tamen.  Patrisc  quoque  vellct  ad  oras 

Respicere,  inque  domum  suprcmos  vertere  vultus. 

Verum  ubi  sit  nescit  :  lanta  verliginc  pontus 

Fervet,  et  inducla  piccis  c  nubibus  umbra 

Omne  iatet  coelum,  duplicataque  noctis  imago  cstl  550 

Frangitur  incursu  nimbosi  turbinis  arbos, 
Frungilur  el  regimen,  s^o\\\Si^\ve^iivtCiQ%^^>aLvecstuas 
Unda,  velul  victmt  a\B.>xa\AiA  <\e%vid\.>itw^^%^ 


LIVRB  XI.  -  .455 

domine  ies  flots  qui  rouient  autour  d^elle;  et,  pareille  a  rAthos  ou 
au  Pinde  qu'on  aurait  arraches  de  ieurs  fondements  pour  les 
renverser  dans  la  mer,  eile  se  pr^cipite  avec  fracas.  Son  poids  et 
la  vioience  de  sa  chute  plongent  le  navire  au  fond  de  i'abime.  La 
piupart  des  mateiots,  submerges  avec  iui,  ne  reparaissent  plus  a  ia 
surface  et  perissent  dans  l'onde;  les  autres  s^attadient  aux  debris 
du  vaisseau.  De  ia  m^me  main  qui  porta  ie  sceptre,  C^yx  saisit  une 
piece  flottante.  U  implore,  heias !  en  vain,  son  pere  et  son  beau- 
p^e.  Mais  pius  souvent  encore  il  appeile  Aicyone  :  Aicyone  occupe 
son  souvenir  et  sa  pensee.  li  souhaite  que,  portee  par  ies  flots,  sa 
d^pouiiie  parvienne  sous  ies  yeux  de  son  epouse,  et  que  ceiie-ci 
rensevelisse  de  ses  pieuses  mains.  Dans  son  naufrage,  tant  que 
Tonde  iui  permet  d*ouvrir  ia  i30uche,  il  repete  ie  nom  de  sa  chere 
Alcyone;  ii  ie  murmure  mSme  au  sein  des  flots.  Tout  Si  coup  une 
vague  noires'ei^ve  en  forme  de  voAte,  se  brise  et  engloutit  Ceyx. 
L'astre  auquei  ii  devait  ia  naissance  resta  dans  Fobscurit^  durant 
ccttf*  \)uit  faUle  qui  ie  rendit  m^onnaissabie.  Comme  ii  ne  put 
abandonuer  ie  ciel,  ii  voiia  son  front  de  sombres  nuages. 
Cependant  ia  filie  d*fioie  ignore  cet  affreux  malheur.  Elie  compte 


Nec  lcTius,  quam  si  quis  Athon,  Pindumve,  revulsos 
Sede  sua,  totos  in  apertum  everterit  sequor,  55S 

Prscipitata  ruit.  Pariterque  et  pondere  et  ictu 
Mergit  in  ima  ralem.  Cum  qua  pars  magna  virorum 
Gurgiie  pressa  gravi,  neque  in  aera  reddita,  fato 
Functa  suo  est.  Alii  partes  et  membra  carins 
Trunca  tenent.  Tcnet  ipse  manu,  qua  sceptra  solebat,     5G0 
Fragmina  navigii  Gey.t,  socerumque  patremque 
Invorat,  heu !  frustra.  Sed  plurima  nantis  in  ore 
Halcyone  conjux;  illam  meminitque  refertque; 
lllius  ante  oculos  ut  agant  sua  corpora  fluctus, 
Optat,  et  cxanimis  manibus  tumulelur  amicis.  £i65 

Dum  natat,  absentem,  quoties  sinit  hiscere  iluclus, 
Nominat  Halcyonem,  ipsisquc  immurmurat  undis. 
Ecce  super  medios  fiuclus  niger  arcus  aquaruni 
Frangitur,  et  rupta  mcrsum  caput  obruit  unda. 
Lucifer  obscurus,  nec  quem  cogno^scere  posses,  570 

Illa  nocte  fuit,  quoniamque  excedere  Olympo 
Non  licuit,  densis  texit  sua  uubibus  ora, 
iEolis  interea,  tantorum  ignm  nva\oTuui^ 


430.  METAMORPUOSES. 

les  nuits,  et  se  h^te  d'achever  les  vStements  prSpar^  pourG^yx, 
et  ceux  dont  elle  doit  se  parer  le  jour  de  son  arrivee.  H^las !  elle 
se  promet  un  vain  retour.  Elle  fait  fumer  Fencens  sacr6  en 
Fhonneur  des  dieux.  Cest  surtout  a  Junon  que  s'adressent  ses 
hommages.  Prosternee  au  pied  des  autels,  ellepriepour*un  epoui 
qui  n*esl  plus.  EUe  demande  ^  la  deesse  qu'il  vive,  qu'il  revienne 
et  he  lui  pref^re  aucune  rivale.  Ce  dernier  voeu  devait  seul  hire 
exauce!  Junon  ne  peut  souffrir  plus  longtemps  ces  prieres  pour 
unmort;et,  voulant  eloigner  de  ses  autels  les  mains  impures 
d^Alcyone : « Iris,  dit-elle,  fidele  messag^re  de  mes  volont^s,  vo!e 
promptement  au  paisible  palais  du  Sommeil,  et  prie-le  d'envoyer 
h  Alcyone  un  songe  qui,  sous  les  traits  de  Geyx,  lui  offre  le  vivant 
tableau  de  ses  maUieurs.  »  A  ces  mots,  Iris  ceint  son  echarpe  aux 
mille  couleurs,  et,  Iragant  dans  le  ciel  un  arc  radieux,  pOur  obeir 
k  Tordre  qu'elie  a  re^u,  visite  le  palais  du  Sommeil,  cache  au 
pied  d'une  roche. 

Pres  des  Gimmeriens,  dans  le  creux  d'une  montagne,  s'Quvre 
une  grotte  immense,  sejour  et  temple  du  Sommeil  indolent.  Ja- 
mais,  ni  a  son  lever,  ni  a  son  midi,  ni  a  son  declin,  le  soleil  n'en 

Diaumerat  nocles.  Et  jam,  quas  induat  ille 

Festinat  vestes;  jam  quas,  ubi  vcnerit  ille,  575 

Ipsa  gcrat,  reditusque  sibi  promitlit  inanes. 

0mnibu3  illa  quidem  Suj^^eris  pia  thura  fcrebat. 

Ante  tamcn  cunctos  Junonis  templa  colcbat, 

Proque  viro,  qui  nullus  erat,  veniebat  ad  aras, 

Utque  foret  sospcs  conjux  suus,  utque  redirct,  5S0 

Oplabat,  nuUamque  sibi  prajferret.  At  illi 

Uoc  de  lot  votis  poterat  contingere  solum. 

At  dea  non  ultra  pro  functo  morte  rogari 

Sustinet,  uique  manus  funeslas  arceat  aris  : 

«  Iri,  mex,  dixit,  Gdissima  nuntia  vocis,  58'J 

Vise  soporiferam  Somni  velociler  aulam, 

Exstinctiqu^  jube  Ceycis  iraagine  mitlat 

Sorania  ad  Halcyonen,  veros  imitantia  casus.  » 

Dixerat.  Induitur  velami'*a  raille  colorum 

Iris,  et  arquato  coclura  curvamine  signans,  500 

Tecta  petit  jussi  sub  rupc  lalentia  regis. 

Est  prope  Cimmerios  longo  spelunca  rece^su, 
llons  cavus,  ignaNi  Aomxis  eX  ^wift\x^v^^\avv\. 
Quo  nunquam  radWs  otvefts,  mftd\>3L«»N^»  «'A^^tvv*^ 


LIVRE  XI  437 

dissipe  robscuril^.  De  la  terre  s'exhalent  de  sombres  vapeurs  qui 
interceptent  presque  entierement  la  lumi^re.  L'oiseau  vigilant, 
couronne  d'une  cr^le,  n\ippelle  point  en  ce  lieu  TAurore  par  son 
cliant.  Le  silence  n'y  est  interroropu  ni  par  le  chien  toujours  en 
^yeil,  ni  par  l'oie  dont  Toreille  est  plus  fine  encore.  On  n'y  entend 
ni  b^te  sauvage,  ni  troupeaux,  ni  clameurs  humaines,  ni  souflle 
dans  le  feuillage.  La  r^ne  le  repos.  Les  eaux  du  Lelhe  coulent 
au  fond  de  la  grotte,  et,  en  roulant  sur  un  lit  de  cailloux,  invitent 
au  sommeil  par  leur  doux  murmure.  L*entree  de  la  demeure  est 
couverte  de  pavots  et  d'une  foule  de  plantes  dont  la  Nuit  tire  des 
sucs  lethargiques  qu*elle  r^pand  sur  Funivers  enseveli  dans  Tom- 
bre.  On  ne  voit  dans  cette  demeure  aucune  porte  qur,  en  toumant 
sur  ses  gonds,  produirait  im  bruit  importun ;  aucun  garde  n'y 
veille.  Au  milieu  s'eleve  un  lit  de  plumes,  en  bois  4'ebene,  d  une 
seule  couleur  et  couvert  d'un  tapis  noir.  Cest  la  que  le  dieu  re- 
pose  ses  membres  languissants.  Autour  delui,  sous  mille  formes 
diverses,  sont  couches  ^a  et  la  les  vains  Songes,  aussi  Uombreux 
que  les  epis  des  champs,  les  feuilles  des  for^ts  ou  les  sables  que 
la  mer  depose  sur  le  Tivage. 

Pboebus  adire  polest.  Nebuloc  caligine  mixtae  595 

Exhalanlur  humo,  dubijBque  crepuscula  lucis. 

Non  vigil  ales  ibi  cristati  cantibus  oris 

Evocat  Auroram,  ncc  voce  silenlia  rumpunt 

SoUicitive  canes,  canibusve  sagacior  anser. 

Non  fera,  non  pccudes,  non  moti  flamine  rami,  600 

Humanaeve  sonum  reddunt  convicia  lingua;. 

Muta  quics  habitat.  Saio  tamen  cxit  ab  imo 

Rivus  aquaj  Lelhes,  per  quem  cum  murmure  labcns 

Invitat  somnos  crepitantibus  unda  lapillis. 

Ante  fores  antri  fccunda  papavera  florcnt,  605 

Innumeraique  herbaj,  quarum  de  lacle  soporem 

Nox  legit,  et  spargit  per  opacas  humida  terras. 

Janua,  qua  verso  stridorem  cardinc  reddat, 

Nulla  domo  tota ;  cnstos  in  liminc  nullus. 

At  mcdio  torus  est  ebeno  sublimis  in  antro,  610 

Plumeus,  unicolor.  pullo  velamine  tectus, 

Quo  cubat  ipse  deu^,  membris  languore  solutis. 

Ilunc  circa  passim,  varias  imiiantia  formas, 

Somnia  vana  jacent  totidem,  quot  messis  aristas, 

Silva  gerit  frondes,  ejeclas  liltus  ateuas.  ^V^ 


438  h£TAMORPHOSES. 

Ins  entre.  A  peine  ses  mains  ont-elles  ^cart^  les  Songes  qoi 
gdnent  son  passage,  que  T^lat  dont  brille  son  ^arpe  Maire  la 
demeure  sacr^e.  Le  dieu  ouvre  p4niblement  ses  yeux  appesantis. 
Plus  d'une  fois  il  se  soul^ve  et  retombe  en  frappant  sa  poitrine  de 
son  menton  chancelant.  Enfin  il  s'arrache  k  iui-mtoe,  et,  appuye 
sur  son  coude,  il  reconnait  la  d^sse  et  lui  demande  quei  motif 
ramSne.  Elle  r^pond  :  t  Sommeil,  repos  de  la  nature,  Somsieil, 
le  plus  paisible  des  dieux,  calme  de  V§me,  toi  qui  dissipes  le  cha- 
grin,  qui  r^pares  la  fatigue  du  corps  et  le  rends  au  travail ;  com- 
mande  aux  Songes  qui  reproduisent  le  mieux  la  ressemblanoe 
d'aller  a  Trachine,  sous  les  traits  de  Geyx,  apprendre  k  Alcycme 
le  naufrage  de  son  ^poux.  Tel  est  Tordre  de  Junon.  t  Aprds  avoir 
rempli  son  message,  Iris  s'^loigna  soudain ;  car  elle  ne  pouvait 
plus  supporter  la  vapeur  assoupissante  qui  d^ja  se  ^issait  dans 
ses  sens.  EUe  s'enfuit,  et  remonta  aux  cieux  sur  Tarc  qui  IV 
vait  amenee. 

Parmi  ses  mille  enfants,  le  Sommeil  appelle  Morph^,  le  pios 
habile  de  tous  a  revStir  la  forme  et  les  traits  des  mortels.  Nul  ne 
sait  mieux  prendre,  suivant  Fordre  qu'il  a  re^u,  leur  ddmarche, 

Quo  simul  intravit,  manibusque  obstantia  virgo 
Somnia  dimovit,  vestis  fulgore  reluxit 
Sacra  domus.  Tardaque  deus  gravitate  jacentes 
Vix  oculos  tollens,  iterumque  iterumque  relabens, 
Summaque  percutiens  nutanti  peclora  mento,  620 

Excussit  tandem  sibi  se,  cubitoque  levatus, 
Quid  veniat  (cognorat  enira),  scitatur.  At  illa : 
«  Somne,  quies  rerum,  placidissime,  Somne,  deorum, 
Pax  animi,  quem  cura  fugit,  qui  corpora  duris 
Fessa  ministeriis  mulces,  reparasque  labori;  625 

Somnia,  quae  veras  sequent  imilamine  formas, 
Herculea  Trachine  jube,  sub  imaginc  regis 
nalcyonen  adeant,  simulacraque  naufraga  fmgant. 
Imperat  hoc  Juno.  »  Postquam  mandata  peregit 
Iris,  abit  (neque  enim  uUerius  tolerare  vaporis  630 

Vim  poterat),  labique  ut  Somnum  sensit  in  artus, 
Effugit,  et  remeat  per  quos  modo  venerat  arcus. 

At  pater  c  populo  natorum  mille  suorum 
Excitat  artificem,  simulatoremque  figursc, 
Horphea.  Noa  iWo  iussos  &o\ctv\.\jL%  ^XVtt  63S 


LIVRE  XI.  ,  439 

lcur  figure,  leur  voix,  leurs  habits  et  leurs  discours  familiers. 
Mais  il  ne  reproduit  que  rimage  des  humains.  Un  autre  repre- 
sente  les  b^tes  sauvages,  les  oiseaux  et  les  serpents  aux  longs 
rephs.  Les  dieux  le  nomment  Icdon,  les  hommes  Phob^tor.  Un 
troisieme  se  pr^te  a  de  nouveaux  prestiges;  il  s'appelle  Phantase, 
C*est  lui  qui,  avec  un  art  merveilleux,  se  change  en  terre,  en 
pierre,  en  onde,  en  arbre  et  en  tout  autre  objet  inanime.  Ces 
trois  Songes  voltigent  la  niiit  dans  les  palais  des  rois  et  des  grands; 
les  autres  visitent  les  demeures  du  vulgaire.  Ce  n'est  pas  a  ces  der- 
niers  que  le  Sommeil  s'adresse.  Dans  toute  sa  famille,  il  ne  choi- 
sit  que  Morph^e  pour  ex6cuter  les  ordres  transmis  par  la  fiUe  de 
Thaumas.  Puis,  cedant  aux  langueurs  du  repos,  il  laisse  tomber 
sa  t6te,  et  s'enfonce  dans  sa  couche  moelleuse. 

Morph^e  vole  sans  bruit  a  travers  les  tenebres,  et  arrive  en  un 
instant  aux  murs  de  Trachine.  II  deposeses  ailes  etprendla  figure 
de  Ceyx.  Aussi  pale  qu'un  mort,  il  apparait  soudain,  sans  v6te- 
ments,  au  pied  du  Ut  de  la  malheureuse  Alcyone.  Sa  barbe  est 
humide,  Teau  semble  inonder  ses  cheveux.  II  se  penche  sur  le  Ut, 

Exprimit  incessus,  vullumque  sonumque  loquendi. 

Adjicit  et  vestes,  el  consuetissima  cuique.  . 

Verba.  Sed  hic  solos  homines  imitatur.  At  alter 

Pit  fera,  fit  volucris,  fit  longo  corpore  serpens. 

Hunc  Icelon  Superi,  mortale  Phobelora  vulgus  640 

Nominat.  Est  etiam  divers»  tertius  artis 

Pkantasos.  Ule  in  bumum  saxumque  undamque  trabemque, 

Quaeque  vacant  anima,  feliciter  omnia  transit. 

Regibus  bi,  ducibusque  suos  ostendere  vultus 

Nocte  solent.  Populos  alii  plebemque  pererrant.  64£ 

Praeterit  hos  scnior,  cunctisque  e  fratribus  unum 

Morphea,  qui  peragat  Thaumantidos  edila,  Somnus 

Eiigit,  et  rursus  molli  languore  soiutus, 

Deposuitque  caput,  straloque  recondidit  alto. 

Ille  volat,  nullos  strepitus  facientibus  alis,  650 

Per  tenebias,  intraquc  morae  breve  tempus  in  urbcm 
Pervenit  Haemoniam.  Positisque  e  corpore  pennis, 
In  faciem  Gcycis  abit,  sumptaque  figura 
Luridus*,  exsangui  similis,  sine  veslibus  ullis, 
Conjugis  ante  torura  misersB  stelit.  Uda  videtur  C55 

Barba  viri,  madidisque  gravis  fluevc  uivd^  ta^\\\\%. 


410  M^TAMORPHOSES. 

et,  les  yeux  baignes  de  larmes  :  «  Malheureuse  epouse,  dit-il,  re- 
connais-lu  Ceyx?  La  mort  a-l-elle  diange  mes  traits?Regarde: 
c'est  ton  epoux,  ou  plutot  c'est  son  ombre.  Tes  voeux,  ch^re  Al- 
cyone,  ne  m'ont  ete  d'aucun  secours  :  j'ai  p6ri.  Cesse  d*esperer 
que  je  puisse  fetre  rendu  a  ton  amour.  L^orageux  Autan  a  surpris 
mon  navire  au  milieu  de  la  mer  figee,  et  Ta  brise  sous  ses  ter- 
ribles  assauls.  Ma  bouche  ne  cessait  de  repeter  en  vain  ton  nom, 
quand  les  flots  la  remplirenl.  Ce  n'est*pas  un  temoin  suspect  qui 
te  raconte  les  bruits  vagues  de  la  renommee:  Cest  moi-m^me  qui 
viens,  apres  mon  naufrage,  Tannoncer  mon  triste  destin.  Leve- 
toi,  pleure-moi,  prends  le  deuil,  et  ne  me  laisse  pas  descendre 
dans  le  sejour  des  ombres  sans  m'accorder  une  larme. »  Morphee 
accompagna  ces  paroles  d'une  voix  qu'Alcyone  dut  prendre  pour 
celle  de  son  epoux.  II  parut  aussi  repandre  des  pleurs  verilables, 
et  reproduire  les  gestes  de  C^yx. 

Alcyone  g^mit  et  pleure;  elle  dgite  ses  bras  en  dormant;  elle 
veut  embrasser  son  epoux;  mais  c'est  Tair  qu'elle  embrasse: 
f  Demeure,  s'ecrie-t-elle ;  ou  fuis-tu?  nous  partirons  ensemble.  i 
Troubl^e  par  sa  propre  voix  et  par  Timage  de  Ceyx,  elle  se  reveille, 

Tum  lecto  incumbcns,  fletu  super  ora  rcfuso, 

Hacc  ait :  «  Agnoscis  Ceyca,  miserrima  conjux; 

An  mea  mutala  est  facies  ncce?  Respice :  nosces, 

Inveniesque  tuo  pro  conjuge  conjugis  umbram.  OCO 

Nil  opis,  Ilalcyone,  nobis  tua  vota  tulerunt. 

Occidimus  :  falso  tibi  mc  promiltere  noli. 

Nubilus  ODgajo  deprendit  in  oequore  navim 

Auster,  et  ingenti  jactatam  flamine  solvit; 

Oraque  nostra,  tuum  frustra  clamantia  nomen,  GC5 

Implerunt  fluctus.  Non  haec  tibi  nunliat  auctor 

Ambiguus,  non  isla  vagis  rumoribus  audis. 

Ipse  ego  fala  tibi  praesens  mca  naufragus  cdo. 

Surge,  age,  da  lacrymas,  lugubriaque  indue,  nec  me 

Indeploratum  sub  inania  Tartara  mitte.  »  G70 

Adjicit  his  vocem  Morpheus,  quam  conjugis  illa 

Crederet  esse  sui;  fletus  quoque  fundere  veros 

Visus  erat,  gesturaque  manus  Ceycis  habebant. 

Ingemit  Ilalcyone  lacrymans,  motatque  lacertos      . 
Per  somnum,  corpusque  petens  ampleclitur  auras,  C7ii 

Exclamalque:  «  Mane.  Quo  te  rapis?  Ibimus  una. » 
Voce  sua,  specieque  viri  turbata  soporem 


LIVRB  XI.  4il 

et  cherche  rombre  a  rendroit  ou  elle  lui  est  apparue ;  car  ses  es*- 
claves,  avec  des  lumieres,  etaient  accourus  a  ses  cris.  Mais,  ne 
pouvant  la  Irouver,  elle  meurlrit  son  visage,  dechire  son  sein  et 
les  voiles  qui  le  couvrent,  arrache  ses  cheveux  sans  les  denouer, 
et  repond  a  sa  nourrice,  qui  lui  demande  le  sujet  de  sa  douleur : 
f  Tu  n'as  plus  d'Alcyoiie;  Alcyone  n'est  plus ;  elle  est  morte  avec 
Bon  cher  C6yx.  Ne  la  console  point.  II  a  peri  dans  un  naufirage.  Je 
Tai  vu ,  je  Tai  reconnu,  et,  comme  il  s'61oignait,  je  iui  aitendu  les 
bras  pour  le  retenir.  Je  n'ai  saisi  qu'une  ombre,  mais  c'etait  Tom- 
bre  reelle  et  veritable  de  mon  epoux.  Toutefois  ses  traits  etaient 
changes,  et  son  front  ne  brillait  plus  du  mSme  ^clat.  Malheu- 
reuse  l  je  Tai  vu  pale,  nu,  et  les  cheveux  encore  humides.  Ypici  la 
place  ou  il  s'esl  monlre  dans  le  plus  triste  6tat  (et  elle  cherchait 
ies  traces  de  rombre).  Cetait  donc  la  ce  que  me  presageaient  mes 
craintes,  lorsque  je  te  conjurais  de  ne  pas  me  fuir  pour  t'aban- 
donner  a  la  merci  des  vents.  Ah !  puisque  tu  devais  p^rir,  que  ne 
m'as-tu  emmenee  avec  toi?  II  m^eCki  ete  doux,  oui,  bien  doux  de 
te  suivre  t  Ma  vie  ne  se  serait  pas  un  instant  ^coulee  loin  de  toi, 
etla  mort  m^me  n'eiit  pu  nous  desunir.  Maintenant,  sans  naufrage, 

Exculit,  et  primo  si  sit  circumspicit  illic, 

Qua  modo  visus  erat;  nam  moli  voce  ministri 

Intulerant  lumen.  Postquam  non  invenit  usquam,       '     6S0 

Perculit  ora  manu,  laniatque  a  pectore  vestes, 

Pecloraque  ipsa  ferit;  nec  crinem  solvere  curat; 

Scindit,  et  altrici,  quse  luctus  causa,  roganti : 

«  Kulla  est  Halcyone,  nuUa  est,  ait :  occidit  una 

Cum  Ceyce  suo.  Solantia  tollite  verbii.  G83 

Naufragus  iuleriit.  Vidi,  agnovique,  manusque 

Ad  discedentem  cupiens  retinere  tetendi. 

UmLra  fuit,  sed  et  umbra  tamcn  manifcsta,  virique 

Vera  mci.  Non  ille  quidem,  si  quxris,  habebat 

Assuetos  vultus,  nO(C  quo  prius  ore  nitebat.  690 

Pallentem,  nudumque,  ct  adhuc  humente  capillo 

Infelix  vidi.  Stetit  hoc  miserabiiis  ipso 

Ecce  loco  (ct  quaerit,  vestigia  si  qua  supersint). 

IIoc  erat,  hoc  animo  quod  diviuante  timcbani; 

Et  ne,  me  fugiens,  venlos  sequerere  rogabam.  095 

At  certe  vellem,  quoniam  periturus  abibas, 

Me  quoque  duxisses.  Fuit,  ah  I  fuit  utilc  tccum 

Ire  mihi;  neque  enim  de  vitae  tempore  quidquam 

Non  simul  egissem,  nec  mors  discrela  fuisset. 

S5, 


442  H£TAH0RPII0SES. 

je  meurs  avec  toi  dans  les  flots ;  et,  sans  me  possMer,  la  mer  m-a 
requ  dans  son  sein.  Ah !  mon  coeur  serait  plus  cruel  que  les  ondes, 
si  je  m^efforQais  de  prolonger  mes  jours  ou  de  survivre  a  une  si 
grande  douleur.  Mais  non,  je  ne  Tessayerai  point ;  non,  malheu- 
reux  ^poux,  je  ne  fabandonnerai  pas.  Maintenant,  du  moins,  je 
puis  faccompagner.  Si  nos  cendres  ne  reposent  pas  dans  la  m6me 
urne,  nos  deux  noms  seront  inscrits  sur  ie  m^me  tombeau,  et» 
si  nos  depouilles  ne  peuvent  ^tre  reunies,  mon  nom  touchera  le 
tien.  d  La  douleur  i*emp6che  de  poursuivre.  A  chaque  mot,  elle 
se  frappe  la  poitrine,  et  des  soupirs  s'echappent  de  son  coeur 
oppresse. 

Au  point  du  jour,  elle  sort  du  palais,  court  au  rivageet  se  dirige 
Iristement  vers  Tendroit  ou  elle  avait  vu  son  epoux  s'embarquer. 
La  elle  s'arr6te :  a  Cest  ici ,  dit-elle,  qu'il  mit  a  la  voile ;  c'est 
ici  qu'il  me  donna  le  baiser  d'adieu.  »  Tandis  qu'elle  se  re- 
trace  les  scenes  dont  ses  yeux  furent  temoins,  et  qu^elle  prom^ne 
ses  regards  sur  la  mer,  elle  aper^oit  dans  le  lointain,  flottaat 
sur  l'onde,  un  objet  semblable  a  un  cada^  re.  Elle  ne  distingue 
pas  d'abord  ce  que  c'est.  Peu  a  peu  les  flots  pcussent  le  corpe 
vers  elle.  Quoiqu'il  soit  encore  eloign^,  elle  reconnait  la  d^pouille 

Nunc  absens  perco;  jaclor  nunc  fluctibus  absens,  700 

Et  sine  me  me  pontus  habet.  Crudelior  ipso 

Sit  mihi  mens  peiago,  si  vilam  ducere  nitar 

Longius,  et  tanto  pugnem  superesse  dolori. 

Sed  neque  pugnabo,  nec  te,  miserande,  reiinquam; 

Et  tibi  nunc  saltem  veniam  comes,  inque  sepulcro  705 

Si  non  urna,  tamen  junget  nos  littera;  si  non 

Ossibus  ossa  meis,  at  nomen  nomine  tangam.  » 

Plura  dolor  prohibel,  verboque  intervenit  omni 

Plangor,  et  attonito  gemitus  e  corde  trahuntur. 

Mane  erat.  Egreditur  tcctis  ad  littus,  et  illum  710 

Moesta  locum  repetit,  de  quo  spcctarat  cuntem. 
Dumque  moratur  ibi,  dumque  :  «  Hinc  rctinacula  solvit, 
Hoc  mihi  discedens  dcdit  oscula  littore,  »  dicit. 
Dumque  notata  oculis  reminiscilur  acla,  Iretumque 
Prospicit,  in  liquida,  spatio  dislante,  tuctur  713 

Nescio  quid,  quasi  corpus,  aqua;  primoque,  quid  illud 
Esset,  erat  dubiura.  Postquam  paulo  appulit  unda, 
Ei,  quamvis  aberat,  corpus  tamen  esse  liquebat. 


LIVRE  XI.  443 

d'uB  hommd.  Elle  ignore  quel  est  cet  infortun^ ;  mais  il  a  pei  i 
dans  un  naufrage,  et  son  cobut  est  troubl^  de  cet  augure.  Puis, 
comme  si  elle  pleurait  un  inconnu  :  «  H^Ias !  dit-elle,  qui  que  tu 
sois,  je  plains  ton  sort  et  celui  de  ton  6pouse,  si  tu  en  as  une. » 
Les  filots  rapprochent  le  cadavre  du  bord.  Plus  elle  est  attentive, 
pius  ses  sens  sont  emus.  Enfin  le  corps  touche  au  rivage ;  Alcyone 
peut  le  reconnailre.  Elle  regarde.  Cetait  son  ^poux.  •  Cest  lui !  » 
s'ecrie-t-elle.  Au  m^me  instant  elle  dechire  ses  v^tements  et  son 
visage,  elle  s'arrache  les  cheveux,  et,  lendant  k  Ceyx  ses  mains 
Iremblantes  :  «  Est-ce  ainsi,  cher  epoux,  dit^elle,  est-ce  ainsi, 
raalheureux,  que  tu  deyais  m'^tre  rendu  ?  » 

Pr^s  de  la  mer  est  une  digue  artificielie  qui  brise  la  premi^re 
imp6tuosite  des  flots  et  rend  leur  choc  impuissant.  Alcyone  s'y 
^lance,  au  grand  etonnement  de  tous;  mais  elle  volait.  Oiseau 
infortun^,  fendant  Tair  de  ses  r^centes  ailes,  elle  eflleurait 
les  vagues.  Des  sons  tristes,  des  cris  plaintifs,  sortaient  de  sa 
bouche  ou  plut6t  de  son  bec.  Elle  touche  ce  corps  p^e  et  glace, 
entoure  de  ses  ailes  ces  resles  ch^ris,  et  y  imprime  mille  baisers. 


Quis  foretf  ignorans,  quia  naufragus,  omine  mota  est ; 

Et,  tanquam  ignoto  lacrymas  daret :  «  Ileu !  miser,  inquit,     720 

Quisquis  es,  et  si  qua  est  conjux  tihi!  »  Fluctibus  actum 

Fit  propius  corpus.  Quod  quo  magis  illa  tuetur, 

Uoc  minus  ct  roinus  est  jam  mcns  sua.  Jamquc  propijnquae 

Admotum  terrse,  jam  quod  cogn«scere  posset, 

Cernit.  Eral  conjux!  «  lUe  est!  *  exclaniat,  ct  una  1% 

Ora,  comas,  vestem  lacerat,  tcndonsque  tremenles 

Ad  Ceyca  manus :  «  Sic,  o  carissimc  conjux, 

Sic  ad  mc,  miserande,  redis?  »  ait. 

Adjacet  undis 
tacta  manu  moles,  quo!  primas  a^quoris  iras 
Fraogit,  et  incursus  quse  prsedelassat  aquarum.  730 

Insilit  huc,  miruniquc  fuit  potuisse!  volabat, 
Percutiensque  lcvcm  modo  natis  aera  pennis, 
^tringebat  summas  ales  miserabilis  undas. 
Dumque  votat,  ma*sto  similem,  plenumquc  querel» 
Ora  dedere  sonum,  tenui  crepitantia  rostro.  235 

Ut  vero  tetigit  mutum  et  sine  sanguine  corpus, 
Dilcctos  artus  amplcxa  rccentibus  alis, 
Frigida  nequicquam  duro  dedit  oscula  rostro. 


44i  M^TAMOKPllOSES. 

Ceyx  les  a-t-il  ressenlis,  ou  bien  le  moiivemcnt  de  ronde  a-t-il 
souleve  sa  tele?  on  ne  sait;  mais  il  y  avait  ete  sensible.  Les  dieux 
tous  avaient  enfin  change  les  deux  epoux  en  oiseaux.  Leur  amour 
est  rest^  ie  meme,  malgre  ces  nouveaux  destins,  et,  sous  ieur 
nouvelle  forme,  fideles  a  la  foi  de  Thymen,  ils  s'accouplent  et  mul- 
tiplient.  Pendant  sepl  jours  sereins,  en  hiver^  TAlcyon  couve  dans 
un  nid  suspendu  sur  les  flots.  Alors  la  mer  est  sans  danger :  £oie 
enchaine  les  vents  dans  leur  prison,  et  calme  ies  flots  en  faveur 
de  ses  pelits-fils. 

MiTAM0RPH0S£  D^SAQUB  EN  PLONGEON. 

IX.  Un  vieillard  les  voit  voler  sur  la  plaine  liquide,  et  applaudit 
k  de  si  fideles  amours.  Un  aulre  vieillard,  si  ce  n'esl  le  m^me,  dit 
alors  : «  Cet  oiseau  que  vous  voyez  effleurer  les  flots,  ct  dont  les 
jambes  sont  si  greles  (il  montrait  un  plongeon  au  long  cou),  sort 
aussi  du  sang  dcs  rois.  Si  vous  voulez  connailre  son  origine,  il 
compte  pour  aieux  Ilus,  Assaracus,  Ganymede  enleve  par  Jupiter, 
le  vieux  Laomedon,  et  Priam,  qui  vit  la  derniere  journ^e  de  Troie. 

Senserit  hoc  Ceyx,  an  vultum  moiibus  undao 

Tollcre  sit  visus,  populus  dubitabat;  at  ille  740 

Senserat,  ct  tandem,  Superis  miseranlibus,  ambo 

Alitc  mutanlur.  Fatis  obnoxius  isdem 

Tunc  quoque  mansit  amor,  nec  conjugialc  solutum 

Fcedus  in  altibus  :  coeunt,  fiuntque  parentes, 

Perque  dies  placidos,  hiberno  tempore,  seplem  745 

Incubai  Ilalcyone  pendentibus  aiquore  nidis. 

Tum  via  tuta  maris.  Ventos  custodit,  et  arcet 

iEolus  egressu,  praestatque  nepotibus  aequor. 

iESACnS  IN  MERGUH  TBANSFOBMATUS. 

iX.    Hos  aliquis  senior  circum  frela  lata  volantes 

Spectat,  et  ad  finem  servatos  laudat  amores.  750 

Proximus,  aut  idcm,  si  fors  tulit:  «  llic  quoquc,  dixit. 
Quem  mare  carpentem,  substrictaquc  crura  gercnleni, 
Aspicis  (ostendcns  spatiosum  guttura  mcrguni), 
Regia  progenies;  et  si  descendere  ad  ipsum 
Ordine  perpeluo  quocris,  sunt  hujus  origo  7i>5 

llus,  et  Assaracus,  raptusquc  Jovi  Ganymedes, 
Laomcdonque  senex,  Piiamusque  novissima  Trojae 


UVRE  XI.  445 

II  ^tait  fiSre  d'Dector.  S'il  n'eut  subi  sa  m^lamorphose  au  prin- 
lemps  de  l'age,  peut-etre  en  eiit-il  egal^  la  gloire.  Hector  devait 
pourtant  lejour  a  la  fille  de  Dymas,  tandisqu'une  simple  Nym- 
phe,  Alexirhoe,  enfanta  secretement  Esaque  dans  les  for^ts  de 
rida,en  s'appuyant  surune  branclie  fourchue.  Ennemi  des  villes, 
loin  du  fasle  de  la  cour,  il  recherchait  les  monts  solitaires,  la  sim- 
plicite  des  champs,  ct  se  montrail  rarement  dans  les  cercles 
dTion.Neanmoinsson  cceur  n'elail  poinlsauvage  et  inaccessible 
aux  trails  de  Famour.  Souvent  il  chercha  Hesperie  dans  les  bois. 
Un  jour  il  la  vit  sur  les  bords  du  Cdbrene,  son  pere,  Iorsqu'elle 
s^chait  au  soleil  ses  longs  cheveux  epars.  A  son  aspect,  laNymplie 
disparut  comme  une  biche  effrayee  6vite  un  loup,  ou  comme  une 
cane,  surprise  par  un  epervier,  fuit  loin  du  lac  qui  lui  sert  d\isile. 
fisaque  poursuit  Hesp^rie  et  la  presse  :  Tamour  h^te  sa  marche, 
comme  la  crainte  precipite  les  pas  de  la  Nymphe. 

c  Tout  a  coup  un  serpent,  cachesousrherbe,  perce  de  sa  dent 
aigue  le  pied  d'Hesperie,  et  glisse  son  venin  dans  ses  veines.  Au 
m^me  instant  elle  s'arr6te  et  meurt.  Son  amant,  hors  de  lui,  em- 
brasse  ses  membres  glaces. «  Ah !  s'ecrie-t-il,  quel  malheur  pour 

Tempora  sortitus.  Fratcr  fuit  Hccloris  iste. 

Qui  nisi  sensisset  prima  nova  fala  juventa, 

Forsilan  inferius  non  Hectore  nomen  haberet,  760 

Quamvis  cst  illum  proles  enixa  Dymantis. 

jEsacon  umbrosa  furtim  peperisse  sub  Ida 

Fertur  Alcxiihoe,  gracili  conala  bicorni. 

Oderat  hic  url)es,  nitidaque  remolus  ab  aula, 

Secretos  monles  cl  inambitiosa  colcbat  7G5 

Rura,  nec  iliacos  ccetus,  nisi  ranis,  adibat. 

Non  agreste  tamen,  nec  inexpugnabile  amori 

Pcctus  habens,  silvas  captatam  sappe  per  omnes, 

Aspicit  Uesperien  patria  Cebrenida  ripa, 

Injectos  humeris  siccantem  sole  capillos.  770 

Visa  fugit  Nymphe,  veluti  perterrila  fulvum 

Cerva  lupum,  longeque  lacu  deprensa  rclicto 

Accipilrem  fluvialis  anas.  Quam  Troius  heros 

Insequitur,  cclcremque  melu  celer  urget  aroore. 

«  Ecce  lalens  hcrba  coluber  fugientis  adunco  775 

Dente  pcdem  strinxil,  virusque  in  corpore  liquil. 
Cum  vila  suppressa  fuga  est.  Amplectitur  amcns 
Exanimem,  clamatque:  «  Piget,  piget  esse  sccutum. 


446  METAMORPHOSES. 

« moi  de  favoir  poursuivie !  Mais  pouvais-je  le  pr6voir  ?  Jamais  je 
ff  ii'eusse  voulu  triompher  a  ce  prix.  Inforlun^t  deux  ennemis  font 
ff  perdue,  le  scrpeat  qui  Ta  blessee,  et  moi  qui  ai  caus^  ta  mort. 
«  Je  serais  plus  coupable  que  le  serpent,  si  je  ne  consolais  ton 
i  tr^pas  par  le  mien. » A  ces  mots,  du  haut  d'un  rocher  min4  par 
les  vagues  bruyantes,  il  se  jette  dans  la  mer.  T^thys,  touchee  de 
son  desespoir,  adoucit  sa  dmte,  et,  tandis  qu'il  sillonne  les  flots, 
«lle  lui  donne  des  ailes.  La  mort,  objet  de  ses  vceux,  lui  esl  ainsi 
refus^e.  II  s'indigne  de  conserver  une  vie  odieuse,  et  de  trouver 
des  obstacles  qui  retiennent  son  ^me,  impatienle  de  quitter  sa 
triste  demeure.  Port^  sur  ses  r^ntes  ailes,  il  vole  a  la  surface 
des  eaux,  et  s'y  prdcipite  eucore ;  mais  son  plumage  le  souUent. 
Dans  son  delire,  ii  plonge  au  fond  de  Tabime,  et  s'obstine  a  y 
chercher  le  tr^pas.  L'amour  a  caus^  sa  maigreur.  Sa  jambe  est 
effilee,  son  cou  s*allonge,  et  sa  tMe  s'^loigne  de  son  corps.  II  aime 
Tonde,  et  doit  son  nom  a  rhabitude  de  s'y  plonger. » 

«  Sed  noD  hoc  timui ;  nec  crat  mihi  vincero  tanti. 

«  Pcrdidimus  miseram  nos  te  duo.  Vulnus  ab  angue,       780 

«  A  me  causa  data  cst.  Ego  sim  sceleratior  illo, 

«  Ni  tibi  morte  mea  mortis  solatia  mittam.  » 

Dixit,  ct  c  scopulo,  quem  rauca  subedcrat  unda, 

Se  dedit  in  pontum.  Tethys  miserata  cadentcm 

MoUitcr  excepit,  nantemque  per  rcquora  pennis  785 

Teiit,  ct  optatae  non  cst  data  copia  mortis. 

Indignatur  araans  invitum  vivere  cogi, 

Obstariquc  animsB,  misera  de  sede  volenti 

Exire ;  utquc  novas  Immeris  assumpserat  alas, 

Subvolat,  alque  iterum  corpus  super  aequora  mittit.         790 

Pluma  leval  casus.  Furit  ^sacos,  inque  profundum 

Pronus  abit,  lelhique  viam  sine  fine  rctentat. 

Fecit  amor  maciem;  longa  internodia  crurum, 

Longa  manet  cervix ;  caput  est  a  corporc  longe. 

^quor  amat,  nomenque  tenet,  quia  mcrgitur  illo.  »       195 


LIVRE  DOUZlfiME 


LB  SERPENT  QUI  AVAIT  ANNONG^  LA  DUREE  DE  U  GUERRE  DE  TftOIE  EST 
P^TRIFI^.  —  UNB  RIGHE   EST   INMOL^E  A  LA  PLAGE  D^IPHIGBNIE. 

I.  Priam,  ignorant  que  son  fils  £saque  vivait  sous  la  forme  d'un 
oiseau,  d^plorait  son  trepas,  et,  sur  le  c^notaphe  ou  son  nom  fut 
grave,  flector  et  ses  fr^res  offrirent  des  presents  h  son  ombre.  P^ 
ris  n'assista  point  a  cette  c^r^monie  fun^bre,  lui  qui,  bientdt  apr^, 
avec  la  femme  quMl  avait  enlevee,  attira  une  longue  guerre  sur 
sa  patrie.  Mille  vaisseaux  et  les  forces  de  la  Gr^ce  conjuree  s^uni- 
rent  pour  cMtier  son  crime.  La  vengeance  eAt  6t6  prompte,  si  les 
vents  furieux  n'eussent  interdit  la  mer  aux  vaisseaux,  et  retenu 
pr^s  des  c6tes  de  la  Beotie,  dans  les  eaux  poissonneuses  d'Aulis, 
la  notte  prSte  a  partir.  La,  suivant  Tusage  de  leurs  aieux,  les 

LIBER  DUODECIMUS 

DBACO  QUI  TROJANI  DELLI   DlUTnRNITATBM  SIGNIFICAVERAT  IN  SAXUH 
VEHTITUR.   —   IN   LOCOlf  IPHIGENIf  CERVA  MACTATUR. 

I.    Ncscius  assumptis  Priamus  pater  ^sacon  alis 
Vivcre,  lugebat;  tumulo  qaoque  nomen  habenti 
Inferias  dcderat  cum  fratribus  Hector  inanes. 
Defuit  officio  Paridis  prsesentia  tristi, 
Postmodo  qui  rapta  longum  cum  conjuge  bellum  ^ 

Attulit  in  patriam ;  conjurataeque  sequuntur 
Mille  rates,  gcntisque  simul  commune  pelasg». 
Ncc  dilata  foret  vindicta,  nisi  xquora  saevi 
Invia  fccisscnt  venti,  bceotaque  tellus 
Aulidc  piscosa  puppes  tenuisset  ituras.  10 

llic,  patrio  dc  more,  Jovi  quum  sacra  parassent, 


4IS  HfiTAMORPlIOSES. 

Grecs  preparaient  un  sacrifice  a  Jupiter.  Le  feu  brillail  h  peine  sur 
un  autel  antique,  lorsqu'ils  virent  un  noir  serpent  s'^lancer  sur 
un  platane  voisin.  A  )a  cime  de  Tarbre,  un  nid  rec^it  huil  oi- 
seaux.  Le  serpent  les  saisit*avec  leur  m^re,  qui  voltigeait  autour 
d'eux,  et  en  asscuvit  sa  faim  cruelle.  Les  Grecs  furent  glaces  d'ef- 
froi.  Le  fils  de  Thestor,  qui  lisait  dans  Tavenir,  s'ecjria :  f  La  vic- 
ioire  est  a  nous ;  livrez-vous  a  la  joie,  enfants  de  la  Grece.  Ilion 
tombeia,  mais  le  terme  de  nos  travaux  est  encore  eloigne.  >  Puis, 
d'apr^s  le  nombre  des  oiseaux,  il  assigna  neuf  ans  de  duree  a  la 
guerre.  Lc  serpenl,  enlace  aux  vertes  branches  de  Tarbre,  fut  pe- 
trifie  sous  la  forme  qu'il  presentait. 

Cependant  Timpetueux  Neree  r^gnait  toujours  sur  les  flots  d'Ao- 
nie,  ct  ne  permettait  pas  aux  guerriers  de  X[uitter-  le  port.  Quel- 
ques-uns  sHmaginaient  que  Neptune  voulait  sauver  Troie,  dont  il 
avait  lui-mSme  eleve  les  remparts.  Galchas  ne  part^eait  point 
cet  avis.  II  savait  et  il  declara  qu'il  fallait  apaiser  la  cdSre  de  Diane 
par  le  sang  d'une  vierge.  L'inter6t  public  Temporta  sur  la  ten- 
dresse  d*Agamemnon,  et  le  roi  triompha  du  p^re.  D^ja,  prSte  a 
donner  son  sang  pur,  Iphigenie  se  tenait  devant  rautel,  entouree 


Ut  vetus  acccnsis  incanduit  ignibus  ara, 

Serpere  cxruleum  Danai  videre  draconem 

In  platanum,  cocptis  qux  stabat  proxima  sacris. 

Nidus  erat  volucrum  bis  qualtuor  arbore  summa,  lci 

Ouas  simui,  et  malrcm  circum  sua  damna  volanlcm, 

Corripuit  serpens,  avidaque  rccbndidit  alvo. 

Obstupuerc  omncs.  At  vcri  providus  augur, 

Thestorides :  «  Vincemus,  ait;  gaudete,  Pelasgi. 

Troja  cadet;  sed  erit  nostri  mora  longa  laboris.  »  20 

Atque  novem  volucres  in  bclli  digerit  annos. 

Illc,  ut  erat,  virides  amplexus  in  arbore  ramos, 

Fit  lapis,  et  scrvat  serpenlis  imaglne  saxum. 

Permanet  aoniis  Ncreus  violenlus  in  undis, 
Bellaque  non  transfert ;  et  sunt  qui  parccre  Trojae  25 

Neptunum  credant,  quia  moenia  fecerat  urbi. 
At  non  Thestorides.  Kec  enim  nescitve,  tacetve 
Sangume  virgineo  placandam  virginis^iram 
Esse  dex.  Postquam  pietatem  publica  causa, 
Rexque  patrem  vicit,  castumque  datura  cruorcm  SO 

Flentibus  ar.le  aram  stetit  Iphigenia  ministris, 


LIVRE  XII.  m 

de  sacrificateurs  en  larmes.  La  d^esse,  ^mue,  r^pandit  un  nuage 
sur  tous  les  yeux.  Au  milieu  de  la  pieuse  foule  qui  adressait  au 
cjel  des  prieres,  elle  substilua,  dit-on,  une  biche  a  la  fille  duroi 
de  MycSnes.  Diane  fut  desarmee  par  une  victime  digne  d^elle. 
Sa  colere  et  celle  des  flots  cessferent  en  m^me  temps.  Les  mille 
vaisseaux  s'avancerent  a  Taide  d'un  vent  propice,  et  touch^rent, 
apres  bien  des  traverses,  aux  rivages  de  Troie. 

CYCNUS,   TDE  PAR  ACHILLE,   EST  CHANGB   EN   CYGNE. 

II.  Au  centre  de  l'univers,  entre  la  terre,  la  mer  et  le  ciel,  con- 
fins  des  Irois  mondes,  est  un  lieu  d'ou  l'on  decouvre  tout,  m^me 
dans  les  regions  les  plus  reculees,  et  ou  fon  entend  la  voix  de 
tous  les  mortels.  Cest  le  palais  de  la  Renommee.  B&ti  sur  la  mon- 
tagne  la  plus  eievee,  il  est  perce  d'innombrables  issues  et  de  mille 
fenfilres.  Aucune  porte  n  en  ferme  Fentree.  II  reste  ouvert  nuit  et 
jour.  Ses  murs  sont  en  airain  sonore.  Tout  y  relentit.  Les  moin- 
dres  paroles  et  les  moindres  sons  y  trouvent  un  echo.  Au  dedans, 
point  de  calme,  point  de  silence ;  point  de  cris  cependant,  mais 
des  chuchotements  semblables  au  lointain  murmure  de  la  mer  ou 

Victa  (lca  est,  nubemquc  oculis  ohjecit,  et  intcr 

Officium  lurbaraque  sacri,  vocesque  prccantum, 

Supposita  ferlur  mutasse  Myccnida  cerva. 

Ergo  ubi,  qua  decuit,  lenita  cst  cxde  Diana,  35 

Et  pariter  Phoebes,  pariter  maris  ira  rccessit. 

Accipiunt  ventos  a  Irrgo  mille  carinx, 

Multaque  perpessas  phrygia  potiuntur  arcna. 

CTCNUS,    AB  ACUILLE   OCCISUS,   UDTATDR   IN  AYE^. 

II.    Orbe  locus  medio  est,  inler  lerrasque,  fretumque, 
Coeleslcsque  plagas,  iriplicis  confinia  mundi,  40 

Unde,  quod  est  usquam,  quamvis  regionibus  absit, 
Inspicitur,  penelralque  cavas  vox  omnis  ad  aures. 
Fama  tehet,  summaque  domum  sibi  lcgit  in  arcc; 
Innumerosque  adilus,  ac  mille  foramina  tectis 
Addidit,  et  nullis  inclusit  limina  portis.  43 

Nocte  dieque  patct.  Tota  esl  ex  aero  sooanti; 
Tota  fremil,  voccsque  refert,  itcratque  quod  audil. 
Nulla  quies  inlus,  nullaque  silcotia  parle. 
Nec  tjmen  est  clamor,  sed  parvse  murmura  voci?, 
Qualia  dc  pelagi,  si  quis  procul  audiat,  undis  50 

Esse  solent,  qualcmvc  sonum,  quum  Jupiter  alras 


450  M^rAMORPUOSES. 

aux  rouleraents  de  la  foudre  mourante,  lorsque  Jupiter  a  froiss^ 
es  sorabres  nuages.  Les  porliques  sont  inondes  d'une  foule  in- 
constante  qui  va  et  vient  sans  cesse.  Milie  fables,  m^l^es  a  la 
v6rite,  circulent  et  forment  des  rumeurs  confuses  que  ceux-ci 
recueiilent  et  que  ceux-la  vont  colporter  parlout.  Les  men- 
songes  se  propagent,  el  chacun  ajoute  encore  aux  r^cits  qu'il 
vient  d'entendre.  La  resident  la  Credulit6,  TErreur  t6meraire,  la 
vaine  Joie,  la  Terreur  panique,  la  Sedition  soudaine  et  les  faux 
Bruits.  La  deesse  voit  tout  dans  le  ciel,  sur  la  mer,  sur  la  terre : 
le  monde  entier  est  son  domaine. 

EUe  avait  annonce  Tarriv^e  de  la  flotte  des  Grecs,  chargee  de 
guerriers  intr^pides.  Aussi,  lorsquMls  se  presenterent  devant  Ilion, 
les  Troyens  ne  fiirent  point  surpris.  IIs  ferraerent  tout  acces  et 
d^fendirent  leurs  cdtes.  Le  premier  qui,  par  Tordre  du  Destin, 
p6rit  sous  les  traits  d'Hector,  fut  Prot^silas.  Ce  combat  coiita  cher 
aux  Grecs.  Le  trepas  d'un  heros  lit  connaitre  Hector.  Mais  les 
Troyens,  dont  le  sang  coulait  a  grands  flots,  apprirent  a  leur  tour 
combien  le  bras  des  Grecs  etait  redoutable.  Deja  les  rivages  de  Sigee 
^taient  couverls  de  carnage;  deja  le  fils  de  Neplune,  Cycnus,  avait 

Increpuit  nubes,  exlrcma  tonitrua  reddunt. 

Alria  turba  tcnent.  Veniunt  levc  vulgus,  euntque; 

Mixtaque  cum  veris  passim  commenta  vaganlur 

Millia  rumonim,  confusaque  verba  volutant.  55 

E  quibus  hi  vacuas  implent  sermonibus  aures; 

Hi  narrala  ferunt  alio,  meusuraque  ficti 

Crescit,  et  auditis  aliquid  novus  adjicit  auctor. 

Illic  Credulitas,  illic  temerarius  Error, 

Vanaque  Lxtitia  est,  consternalique  Timores,  OO 

Seditioque  repens,  dubioque  auelore  Susurri. 

Ipsa  quid  in  coelo  rcrum,  pelagoque  geratur, 

Et  tellure,  videt,  tolumque  inquirit  m  orbem. 

Fecerat  haec  notum,  graias  cum  milile  forti 
Advenlare  raies,  ncque  inexspectatus  in  armis  G5 

Hostis  adest.  Prohibont  aditu,  littusque  tuentur 
Troes,  ct  hectorea  primus  fataliter  hasta, 
Protesilae,  cadis;  commissaquc  prailia  magno 
Slant  Danais,  fortisque  anima}  nece  cognitus  Uector. 
Nec  Phryges  exiguo,  quid  achaia  dextera  posset,  70 

Sanguine  senserunt.  Et  jam  sigaia  rubcbant 
Littora;  jam  lelho,  proles  neptunia,  Cycnus 


LIVRE  XII.  451 

r^  mille  guerriers  a  la  mort ;  deja  sur  son  char  Achille  poursui* 
t  les  Troyens  et  abattait  des  batailions  entiers  sous  sa  lance.  A 
vers  la  m^lee,  il  cherche  Cycnus  ou  Heclor.  U  rencontre  Cycnus. 
ctor  devait  ^happer  encore  dix  ans  au  trepas.  Achille  anime  et 
3sse  ses  blancs  coursiers,  pousse  son  char  contre  Cycnus,  et  de 
1  bras  vigoureux  secouant  up  dard  menaoant :  «  Qui  que  tu  sois, 
me  Troyen,  dit-il,  console-toi  en  mourant  de  tomber  sous  le  fer 
ichille.  » 

A  ces  mots,  il  lui  d^coche  un  pesant  javelot.  Le  trait,  quoique 
)C&  d'une  main  sure,  semble  s'emousser  sur  ia  poitrine  de  Cyc* 
s,  et  le  frappe  sans  le  blesser. « Fils  d'une  ddesse  (cai'  la  renom- 
je  fa  fait  deja  connaitre),  s'ecrie  ce  guerrier,  pourquoi  fetonner 
e  je  ne  re^ive  pas  de  blessure  (Achille  s'etonnait  en  effet)  ? 
n'est  ni  ce  casque  ou  flotte  la  blonde  criniere  d'un  coursier,  ni 
bouclier  dont  mon  bras  gauche  est  chargS,  qui  soutiennent  mon 
arage :  ils  nesont  destines  qu'a  me  parer.  Mars  se  plait  a  porler 
pareilles  armes.  Quand je les  poserais,  je  n^enserais  pas  moins 
mlnerable.  C*est  quelque  chose  d'^tre  le  fils,  non  d'une  Ne- 
de,  mais  du  dieu  qui  tient  sous  ses  lois  Neree,  ses  filies  et  le 

Mille  viros  dederal;  jum  curru  instabat  Achilles, 

Troaquc  peliaca;  sternebat  cuspidis  ictu 

Agmina,  pcrque  acies,  aut  Cycnum  aut  llectora  qusrcns,    75 

Congrcditur  Cycno.  Decimum  dilatus  in  annum 

Hector  crat.  Tum  colla  jugo  candcntia  prcssos 

Exhortatus  equos,  currum  direxil  in  hostem, 

Concutiensque  suis  vibrantia  tcia  lacertis : 

«  Quisquis  es,  o  juvenis,  solatia  mortis  habeto,  80 

Dixit,  ab  hsemonio  quod  sis  jugulatus  Achille.  » 

Uactenus  ^Eacides :  vocem  gravis  hasta  sccula  cst. 
,Sed  quanquam  certa  nullus  fuit  crror  in  hasta, 
Nil  tamen  emissi  profecit  acumine  ferri. 
Utque  hebeti  pectus  tantummodo  contudit  ictu :  85 

«  Nate  dea  (nam  te  fama  prsenovimus),  inquit 
Ulc,  quid  a  nobis  vulnus  miraris  abesse? 
(Mirabatur  enim) ;  non  hacc,  quam  cernis,  equinis 
Fuiva  jubis  cassis,  nec  onus  cava  parma  sinisti^as 
Auxilio  mihi  sunt :  decor  est  qusesitus  ab  istis.  90 

Marsquoquc  ob  hoccapere  arma  solet.  Removebitur  omne 
Tegminis  offlcium ;  tamen  indcslrictus  abibo. 
Kst  aliqvid,  non  csse  satum  Kcrcide,  sed  qui 


453  M^TAUORPIIOSES. 

vasle  Oc^an. »  II  dit,  el  lance  au  petit-fils  d'fiaque  un  trail  qu . 
atteint  son  bouclier,  en  perce  l'airain,  traverse  jusqu'au  neu- 
vi^me  cuir  et  s'arr^le  au  dixi^me.  Achille  Tarrache,  et  d'un  bras 
nerveux  dirige  contre  Cycnus  une  seconde  javeline,  qui  ne  pro- 
duit  aucun  effet  sur  lui.  Sans  armure,  il  court  au-devant  d'un 
troisi^me  trait,  et  n'eprouve  aucun  mal.  Achille  devient  furieux 
comme  un  taureau  du  cirque  lorsque,  frappant  de  ses  comes 
terribles  le  tissu  de  pourpre  qui  a  provoque  sa  col^re,  il  sent  Tim- 
puissance  de  ses  conps.  Le  h^ros  examine  si  le  fer  n'est  pas  tombS 
de  son  arme,  et,  Ty  voyant  toujours  attach^ : « Mon  bras  s^est  donc 
affaibli,  dit-il,  ou  bien  son  andenne  force  ne  peut  rien  contre  un 
seul  ennemi!  II  etait  pourtant  vigoureux  quand,  le  premier,  je 
renversai  les  remparts  de  Lyrnesse,  quand  j'arrosai  du  sang  de 
leurs  habitants  T^nedos  et  Thdbes,  gouvernee  par  £^tion,  quand 
le  Gaique  roula  dans  ses  fiots  les  cadavres  des  peuples  ^tablis  sur 
ses  bords,  et  quand  Tel^phe  ^prouva  deux  fois  les  coups  de  ma 
jgjfi^terrible.  Ici  mSme,  tous  ces  monceaux  de  mortsquejevois 
entass^s  snr  la  rive  attestent  ce  qu'a  pu  mon  bras  et  ce  quMi  peut 
encore. » 

Nercaque,  et  nalas,  et  totum  teroperet  aequor.  » 

Dixit,  et  lixsurum  dypei  curvamine  lelum  95 

Misit  in  i£acidcn,  quod  et  ses,  et  proxima  rupit 

Terga  novena  boum,  decimo  tamen  orbe  moratum. 

Exculit  hoc  heros,  rursusque  trementia  forti 

Tela  manu  torsit;  rursus  sino  vulncre  corpus, 

Sinccruraque  fuit;  nec  lcrtia  cuspis  apcrlum,  100 

Et  se  proibentem  valuit  dcstringere  Cycnum. 

naud  secus  exarsit,  quam  circo  (aurus  apcrto, 

Ouum  sua  tcrribili  pctit  irritamina  cornu, 

Puniccas  vcslcs,  clusaque  vulncra  senlit. 

Num  tamen  exciderit  ferrum  considerat  hastx.  1C5 

Dxrebat  ligno  :  «  Manus  est  mea  debilis  crgo, 

Quasque,  ait,  ante  habuit  vires,  efrudit  in  uno. 

Nam  certe  valuit,  vel  quum  lyrnesia  primus 

Mcenia  disjeci,  vel  quum  Tenedonque,  suoque 

iEetioneas  implcvi  sanguine  Thebas;  110 

Vel  quum  purpureus  populari  ccede  Caycus 

Fluxit,  opusque  meaj  bis  scnsit  Telcphus  hastaj, 

Hic  quoque  lot  cajsis,  quorum  per  littus  acervos 

Et  feci,  et  video,  valuit  mea  dcxtra,  valclquo.  » 


LIVRE  XII.  453 

A  ces  mots,  comme  si  ses  exploits  lui  inspiraient  peu  de  con. 
ilance,  il  tourne  ses  traits  conlre  le  Lycien  M^net^s,  plac^  vis-a-vis 
de  lui,  et  perce  du  meme  coup  sa  cuirasse  et  sa  poilrine.  II  expire 
et  frappe  la  terre  de  son  front.  Achille  retire  son  arme  encore  fu- 
manle : «  Voila,  dit-il,  la  main,  voila  le  fer  qui  vient  de  vaincre. 
Je  vais  les  employer  contre  Cycnus  :  puissent-elies  avoir  le  meme 
succ^s !  » II  Taltaque  de  nouveau.  Loin  de  s'egarer,  la  lance  Fat- 
teint  a  Tepaule  gauche ;  mais  elle  retentil,  repoussee  par  Fairain, 
comme  par  un  mur  ou  par  un  rocher  impenetrable.  Gependant,  ia 
ou  le  fer  n  porte,  Achille  aper^oit  des  gouttes  de  sang  et  se  livre  a 
une  joie  trompeuse.  Son  ennemi  n'avait  point  de  blessure :  ce 
sang  etait  celui  de  Menetes.  Alors,  d'un  bond  rapide,  Achilie,  fre- 
missant  de  col^re,  s^elance  de  son  cliar,  et,  une  ^pee  flamboyante 
k  ia  main,  tombe  sur  son  ennemi,  qui  1'attend  avec  assurance. 
Sous  les  coups  de  son  glaive,  il  voit  s'entr'ouvrir  le  bouclier  et  le 
casque  de  Cycnus,  mais  le  fer  s'6mousse  contre  son  corps.  Achille 
ne  se  maitrise  plus :  il  retire  son  boucUer  et  frappe  trois  ou  quatre 
fois  le  visage  et  les  tempes  de  Cycnus  avec  la  garde  de  son  epee. 
Cycnus  recule.  Achille  le  poursuit,  le  presse,  le  trouble  et  Tetour- 


Dixit,  et,  antc  actis  veluti  male  crcderet,  ha&lam  115 

Misit  in  adversum  lycia  de  plebe  Menocten, 
Loricamque  simul,  subjectaque  pectora  rupit. 
Quo  plangente  gravem  moribundo  vcrlice  terram, 
Extrahit  illud  idem  calido  de  vulnere  tehim, 
Atque  ait : «  Ha)c  manus  cst;  haec,  qua  modo  vicimus,  hasta!  120 
Utar  in  hunc  isdcm :  sit  in  hoc  precor  exitus  idem. » 
Sic  fatus,  Cycnumque  petit,  ncc  fraxinus  errat, 
Inque  humero  sonuit  non  evitata  sinistro. 
Indc  velut  muro  solidave  a  caute,  repulsa  est. 
Qua  tamcn  ictus  cral,  siguatum  sanguine  Cycnum  125 

Vidcrat,  et  frustra  fuerat  gavisus  Achilles. 
Vulnus  erat  nullum;  sanguis  erat  ilie  MenGcta:. 
Tum  vero  pruiceps  curru  fremebundus  ab  allo, 
Dcsilit,  ct  nilido  securum  cominus  hostem 
Ense  pctens,  parmam  gladio,  galeamque  cavari  130 

Cernit,  ct  in  duro    iajdi  quoque  corpore  ftrrum. 
Haud  tulit  uUerius,  clypeoquc  adversa  reduclo 
Ter,  quater  ora  viri,  capulo  cava  tempora  puisat} 
Gedentique  sequeas  instat,  turbatque,  ruitque, 


454  METAMORPHOSES. 

dit,  sans  lui  iaisser  le  temps  de  respirer.  La  terreur  s'empare  de 
Cycnus;  ses  yeux  sont  plonges  dans  les  t^n^bres.  II  porte  ses  pas 
en  arriere;  son  pied  se  heurte  contre  une  pierre,  et  il  tombe  k  la 
renverse.  Achilie  fond  sur  lui  avec  impeluosite,  et  ie  tient  immo- 
bile  sur  Tarene.  Puis,  pressant  sa  poitrine  de  son  bouclier  et  de 
ses  genoux  par  une  forte  elreinte,  il  resserre  les  liens  de  son 
casque  autour  de  sa  gorge.  Gycnus  perd  k  la  fois  la  respiration  et 
la  vie.  Achille  veul  depouiller  son  ennemi  vaincu ;  mais  il  ne  voit 
que  son  armure.  Le  dieu  de  la  mer  Tavait  transforme  en  un  oi* 
seau  blanc  dont  ii  portait  le  nom. 

NESTOR  RACONTE  LB  COMBAT  DES  LAPITUES  ET  PES  GENTAURES. 
C^NEE   EST  METAMORPUOS^  EN  OISEAU. 

HL  Ces  premi^res  fatigues  et  ce  premier  combat  amenerent  une 
tr^ve  de  plusieurs  jours :  chaque  parti  deposa  ies  armes.  Tandis 
qu'une  garde  infatigable  veillait  sur  les  remparts  de  Troie,  et 
qu'une  autre  non  moins  active  prot^geait  les  retrancbements  des 
Grecs,  arriva  le  jour  oii  Achille,  pour  celebrer  sa  victoire  sur  Cyc- 
nus,  immolait  une  genisse  a  Pallas.  La  flamme  allumee  sur  1  autel 

Attonitoquc  negat  requiera.  Pavor  occupat  illum,  135 

Ante  oculosque  natant  lenebrJB,  retroque  ferenti 

Aversos  passus,  medio  lapis  obstitit  arvo. 

Quem  super  impulsum  rcsupino  pectore  Cycnum 

Vi  multa  vertit,  terrKquc  afflixit  Achilles. 

Tum,  clypeo  genibusquc  premens  praicordia  duris,  140 

Vincla  irahit  galeae,  quoi  presso  subdila  mento 

Elidunt  fauces,  et  respiramen  iterque 

Eripiunt  anima;.  Victum  spoliare  parabat; 

Arma  relicta  videt.  Corpus  deus  aequoris  albam 

Contulit  in  volucrem,  cujus  modo  nomcn  habcbat.  145 

NESTOR  POGNAM   LAPITIlAf^DM  COM  CENTAOBIS  NAURAt.    —   C/ENEOS    IN  VOLCCREM 
TRANSFORMATOR. 

l.I.    Hic  labo ',  haec  rcquiem  multorura  pugna  dierum 
Alluht,  et  positis  pars  utraque  substitit  armis. 
Dumque  vigil  ph  ygios  servat  custodia  murosi 
Et  vigil  argohcas  servat  custodia  fossas, 
Festa  dies  aderat,  qua  Cycni  victor  Achillds  150 

PaUada  v  actalo}  placabat  sanguinc  vacca?, 
Cujus  ut  imposuit  prosecta  calcntibus  aris, 


LIVRE  XII.  455 

d^?ora  les  entrailles  de  la  victime,  et  dans  les  airs  s'^Ieva  la  fumce 
du  sacrifice  accepte  par  les  dieux.  On  fit  la  partdes  Immortels  et 
des  prStres  :  le  reste  fut  servi  sur  la  tabie  du  lieros.  Les  ciiefs  de 
la  Gr^,  ranges  autour  d'Achille,  mangeaient  des  chairs  r6ties  et 
noyaient  dans  le  vin  leur  soif  et  leurs  soucis.  Ni  la  lyre,  ni  les 
chants,  ni  la  fli!lte,  ne  charmaient  leurs  oreilles.  Cest  en  discou- 
rant  qu'ils  prolongeaient  la  soiree.  Le  courage  etait  le  sujet  de 
leurs  entretiens.  IIs  raconlaient  leurs  exploits  et  ceux  de  leurs  en- 
nemis ;  ils  aimaient  a  rappeler  les  perils  qu'ils  avaient  braves  et 
surmonl^s  tour  a  tour.  De  quel  autre  objet  devait  parler  le  grand 
Achille  ?  Sur  quel  autre  objet  converser  avec  lui?  Sa  recente  victoire 
remplissait  toutes  les  bouches.  Chacun  etait  surpris  que  Gycnus 
fdt  Tfisie  impen^trable  aux  traits,  et  que  son  corps  eti  resiste  au 
fer.  Achille  lui-m^me  et  les  Grecs  s'en  etonnaient,  lorsque  Nestor 
8'exprima  eu  ces  termes :  a  De  vos  jours,  ce  guerrier  a6te  seul  in- 
vulnSrable.  Mais,  moi,  j'ai  vu  jadis  mille  traits  atteindre  impunement 
C6nee,  le  h^ros  de  Perrhebe,  dont  TOthrys  a  connu  les  exploits. 
Chose  plus  merveilleuse  encore !  il  etait  nS  femme.  n  Chacun  se 

Et  dis  acceptus  penetrayit  in  sethera  nidor, 

Sacra  tulere  suam,  pars  est  data  caetera  mensis. 

Discubuere  toris  proceres,  et  corpora  tosta  155 

Carne  replent,  vinoque  levant  curasque  sitimque. 

Mon  illos  citharae,  non  illos  carraina  vocum, 

Longave  multifori  delectat  tibia  buxi; 

Sed  noctem  sermone  trahunt,  virtusque  loquendi 

Materia  est.  Pugnam  referunt  hostisque,  suamque;  IGO 

Inque  vices  adita,  atque  exhausta  pericula  sxpe 

Commemorare  juvat :  quid  enim  loqueretur  Achilles? 

Aut  quid  apud  magnum  potius  loquerentur  Achillem? 

Proxima  prxcipue  domito  victoria  Cycno 

In  sermone  fuit.  Visum  mirabile  cunctis,  163 

Quod  juveni  corpus  nullo  penetrabile  telo, 

Invictumque  ad  vulnera  erat,  ferrumque  terebat. 

Hoc  ipsum  ^acides,  hoc  mirabanlur  Achivi, 

Quum  sic  Nestor  ait :  «  Vestro  fuit  unicus  »vo 

Contcmptor  ferri,  nulloque  forabilis  ictu  170 

Cycnus.  At  ipse  olim  patientem  vulnera  mille, 

Corpore  non  Iseso,  Perrhaebum  Cxnea  vidi, 

Gsnea  Perrhacbum,  qui  faclis  inclytus,  Othryn 

Incoluit.  Quoque  id  mirum  magis  esset  in  illo, 

Femina  natus  erat.  »  Monstri  novilale  movenlur,  175 


45t)  BIETAMORPHOSES. 

recrie  sur  unc  avenlure  aussi  etrange,  et  prie  Neslor  d'en  faire  le 
recit.  «  Parlez,  ditAchille,  nous  brulons  lous  de  vous  entendre; 
parlez,  eloquent  vieillard,  roracle  de  notre  siecle ;  diles-nous  ce 
qu'etail  Cenee,  pourquoi  son  sexe  fut  change,  par  quelle  expedi- 
lion  et  par  quelle  action  d'eclat  il  se  fit  connaitre,  quel  fut  son 
vainqueur,  si  toutefois  il  en  eut  un.  » 

Le  vieillard  repond :  «  Quoique  nion  grand  age  m'ait  fait  perdre 
le  souvenir  de  plusieurs  exploils  dontje  fus  temoin  dans  ma  jeu- 
nesse,  j'en  al  pourtant  retenu  un  grand  nombre.  Mais  de  tou6  ceux 
qui  ont  eu  Heu  durant  la  paix  et  durant  la  guerre,  aucun  ne  s^est 
plus  profondement  grave  dans  ma  memoire  que  celui  que  je  vais 
raconter.  Une  longue  vieillesse  rend  Thomme  spectateur  de  mille 
evenements ;  or  j'ai  deja  vecu  deux  cenls  ans,  et  mon  troisieme 
4ge  commence. 

«  Fille  d'EIalus,  Cenis,  celebre  par  sa  beaute,  eclipsait  toutes  les 
jeunes  fiUesde  Thessalie.Des  villes  voisines  et  de  vos  fitals,  Achille, 
(car  elle  y  prit  naissance),  mille  pretendants  lui  adresserent  vai- 
nement  des  voeux.  Pel^e  eut  peut-^tre  aussi  brigue  sa  main;  mais 
ii  avait  obtenu  celle  de  votre  mere,  ou  bien  elle  lui  elait  pro- 
mise.  Cenis  ne  s'engagea  pas  sous  les  lois  de  Thymen.  Un  jour 

Quisquis  adesl,  narrelquc  rogant;  quos  inter  AchiUes: 

c  Dic  agc,  nam  cunctis  cadem  cst  audire  voluntas, 

0  facundc  scnex,  sevi  prudenlia  nostri, 

Quis  fuerit  Caeneus;  cur  in  contraria  versus; 

Qua  libi  militia,  cujus  certaminc  pugniE  180 

Cognilus;  a  quo  sit  victus,  si  victus  ab  ullo  est.  » 

Tum  senior  :  «  Quamvis  obslct  milii  tarda  vetustas,   - 
Multaque  me  fugiant,  primis  spectata  sub  annis, 
Dura  tamen  memini,  nec,  quoi  magis  ha^reat  illa, 
Pcctore  res   nostro  est  inter  bellique  domique  185' 

Acta  tot;  ac  si  qucm  potuit  spatiosa  senectus 
Spectatorem  operum  multorum  reddere,  vixi 
Annos  bis  ccnlum;  nunc  tcrlia  vivilur  aitas. 

«  Clara  dccorc  fuit  prolcs  clatcia  Caenis, 
Thcssalidum  virgo  pulcherrima;  perque  propinquas,         100 
Perquc.  tuas  urbes  (tibi  enim  popularis),  Achille, 
Multorum  frustra  votis  optala  procorum. 
Tenlassct  Peleus  thalamos  quoque  forsitan  illosj 
Sed  jam  aut  contigorant  illi  connubia  matris, 
Aut  fucrant  promissa,  tuoc.  Nec  Ca:nis  in  ullos  105 


LIVRE  XII.  457 

qu'elle  errait  seule  sur  les  bords  de  la  mer,  Neplune  lui  fil  vio- 
lence  i  tel  fut,  du  moins,  le  bruil  de  la  renommee.  A  peine  le 
dieu  eut-il  goute  dans  ses  bras  rivrcssed'un  nouveau  plaisir^  qu'ii 
s'ecria :  «  Quels  que  soieift  les  voeux,  choisis,  tu  nVssuieras  point 
f  de  refus.  »  Voila  encore  ce  que  la  renommee  publiait.  «  Mon 
f  affront,  repondit  Cenis,  m'inspire  un  grand  vceu.  Pour  n'avoir 
f  plus  a  subir  un  pareil  outrage,  accorde-raoi  de  n'6tre  plus 
i  femme :  tu  m'auras  lout  donne. »  Elle  prononga  d'un  ton  plus 
male  ces  dernieres  paroles,  el,  des  ce  moment,  sa  voix  pouvait 
passer  pour  celle  d'un  liomme  :  Cenis  etait  homme  en  effet.  Inde- 
pendamment  du  privilege  qu'il  avait  obtenu  du  dleu  qui  regne 
sur  les  flots,  il  en  avait  re§u  celui  d'6lre  inaccessible  aux  coups  et 
de  ne  jamais  perir  sous  le  fer.  Heureux  de  ces  dons,  Cenis  partit. 
II  consacra  ses  jours  h  des  occupations  viriles,  et  parcourut  les 
champs  qu'arrose  le  Penee. 

«  Le  fils  de  Paudacieux  IxiOn  avait  epouse  Ilippodamie.  Par  son 
ordre,  les  cruels  enfanls  de  la  nue  s'etaient  assis  a  des  tables  dres- 
sees  dans  un  antre  couvert  d'ombrage.  Les  rois  de  Thessalie  elaient 
pr&ents,  et  moi-mtoe  avec  eux.  L*air  retentissait  de  murmures 
confus  et  de  cris  d'allegresse.  On  chantait  rhymenee,  et  les  feux 

Denupsit  Ihalamos,  secretaque  liUora  carpens, 

^quorei  vim  passa  dei  est  :  ita  fama  ferebat. 

Utque  novse  veneris  .Ncptunus  gaudia  cepit : 

«  Sint  tua  vota  lieet,  dixit,  secura  repulsse. 

«  Elige  quid  voveas.  *  Eadem  hoc  quoque  fama  ferebat.  200 

«  Magnum,  Caenis  ait,  facit  hxc  injuria  votum. 

«  Tale  pati  da  posse  nihil,  da  femina  ne  sim: 

■  Omnia  prxstiteris.  »  Graviore  novissima  dixit 

Verba  sono,  poleratque  viri  vox  illa  videri, 

Sicut  erat;  nam  jam  voto  deus  asquoris  alti  205 

Annuerat,  dederatque  supcr,  nc  saucius  ullis 

Vulneribus  fieri,  ferrove  occumbere  posset. 

Munere  Ixtus  abit,  studiisque  virilibus  sevum 

Exigit  Atracides,  peneiaque  arva  pererrat. 

«  Duxerat  Uippodamen  audaci  Ixioue  natus,  210 

Nubigenasque  feros,  positis  ex  ordine  mensis, 
Arboribus  teclo  discumbere  jusserat  antro. 
H»monii  proceres  aderant,  aderamus  et  ipsi, 
Festaquc  confusa  resonabat  rcgia  turba. 
Ecce  canunt  hymenaion,  ct  ignibus  atria  fumant ;  215 

26 


458  MflTAMOnPHOSES. 

Gacr^  brAlaient  dans  le  parvis.  Hippodamie  parait,  entour^  d'un 
corlegc  de  m^es  et  de  jeunes  femmes  dont  elie  efTace  la  beaute. 
Nous  felicitons  Pirithous  d'6tre  uni  h  une  epouse  si  beHe.  Mais 
nos  compHments  sont  dementis  presque  a  Hnstant.  Ton  oBur, 
Eurytus,  le  plus  sauvage  des  sauvages  Centaures,  echauffe  par  le 
vin,  s'embrase  a  la  vue  d'Hippodamie,  et  Tivresse  redouble  tes 
ardeurs.  Tout  a  coup  les  tables  sont  renversees;  ie  d^sordre  est 
extr^me.  I^  nouvelle  epouse  est  train^e  de  force  par  les  cheveux. 
Eurytus  ravit  Hippodamie;  les  autres  Centaures  enlevent  lesgfem- 
mes  que  leur  choix  ou  le  hasard  fait  tomber  sous  leurs  mains. 
C^tait  Taspect  d'une  viHe  prise  d'assaut.  L'antre  retentit  de  cris 
d6chirants.  Nous  nous  levons  aussit6t,  et  Thesee  le  premier  s'e- 
crie  :  «  Eurytus,  queHe  fureur  f  egare?  Quoi !  je  vis,  et  tu  oses 
«  outrager  Pirithous !  Ignores-tu  qu'en  Toffensant  tu  m^offenses 
moi-m6me?  »  Le  heros  ne  veut  pas  que  ses  paroies  soient  vaincs. 
II  6carte  tout  obstacle,  et  arrache  Hippodamie  aux^Centaures  fu- 
rieux.  Eurytus  garde  le  silence :  comment  eOt-il  pu  justifier  son 
crime?  Mais  de  ses  insolentes  mains  il  frappe  la  figure  et  la  poi- 
trine  du  genereux  vengeur  de  Krithous.  Pres  de  la  se  trouvait 
un  crat^re  antique,  orne  de  figures  en  relief.  Malgr6  son  poids 

Cinctaque  adest  virgo  matrum  nuruumque  caterva, 

Prsesignis  facie.  Felicem  diximus  illa 

Gonjuge  Pirithoum,  quod  paene  fefellimus  omen. 

Nam  tibi,  ssevorum  saevissime  Centaurorum, 

Euryte,  quam  vino  pectus,  tam  virgine  visa  220 

Ardet,  ct  ebrietas  geminala  libidine  regnat. 

Protinus  eversae  turbant  convivia  men&ae, 

Raptaturquc  comis  per  vim  nova  nupla  prcbensis. 

Eurytus  Uippodamen  ;  abi,  quam  quisque  probabant, 

Aut  poterant,  rapiunt ;  captjeque  erat  urbis  imago.  225 

Femineo  clamorc  souat  domus.  Ocius  omnes 

Surgimus,  et  primus  :  «  Quse  te  vecordia,  Thcseus, 

«  Curyte,  pulsat,  ait,  qui,  me  vivente,  lacessas 

«  Pirithoum,  violesque  duos  ignarus  in  uno?  » 

Ncve  ea  roaguanimus  fruslra  memoraverit  beros,  230 

Submovet  instantes,  raptamque  furentibus  aufert. 

lile  nihil  contra ;  neque  enim  defendere  verbis 

Talia  facla  potest,  sed  vindicis  ora  protervis 

iDsequilur  manibus,  generosaque  pectora  pulsat. 

Forle  fuit  juila»  signis  exstaniibus  asper,  255 


LIVRE  XII.  459 

^norme,  le  puissant  fils  d'%^  le  souleve  et  le  lance  k  la  t^te  de 
0on  ennemi.  Eurytus  tombe  et  se  debat  sur  Tarene  humide,  vo- 
missant  des  llot»  de  sang  et  de  vin  m^les  a  sa  cervelle.  Irrites  du 
meurtre  de  leur  fr^e,  les  Gentaures  s'toient  tous  ensemble :  «  Aux 
«  armes!  aux  armes!  »  Le  vin  eniOlamme  leur  courage.  Us  font 
d^abord  voler  des  coupes,  des  vases  fragiles,  de  vastes  plats  qui, 
destin^s  aux  banquets,  deviennent  des  instruments  de  guerre  et 
de  camage. 

«  Le  fils  d'Ophion,  Amycus,  ose  le  premier  d^pouiller  de  ses 
dons  Tautel  domestique.  II  saisit  un  candelabre  tout  resplendis- 
sant  de  lumieres;  il  Tel^ve  comme  la  hache  du  sacrificateur 
pr^te  a  fendre  la  t^te  d'un  taureau,  et  brise  le  front  du  lapithe 
Geladon.  Sa  figure  n'est  plus  reconnaissable :  ses  yeux  sortent 
de  leur  orbite,  les  os  de  sa  face  sont  tellement  disIoqu6s,  que 
son  nez  descend  dans  son  palais.  BelatSs  de  Pella  arrache  le 
pied  dune  table  d'erable,  renverse  le  Lapithe,  le  menton  sur  la 
poitrine,  et  f^voie  aux  enfers  alteint  de  deux  blessures,  vomis- 
sanl  se&  dents  m^l^s  dans  les  flots  d'un  sang  noir.  Debout  pres  de 

Anliquus  crater,  quem  vastum  vastior  ipse 

Sustulit  iEgides,  adversaque  misit  in  ora. 

Sangiiinis  ille  globos  pariter,  cerebrumque,  mcrumque, 

Vulnere  et  ore  voraens,  raadida  resupir.us  arena, 

Calcitrat.  Ardescunt  germani  caede  bimerabres,  2i0 

Cerlatimque  omnes  uno  ore,  «  Arma,  arma,  »  loquunlur. 

Vina  dabant  animos..  Et  prima  pocula  pugna 

Missa  volant,  fragilesque  cadi,  curvique  lebetes, 

Res  epulis  quondam,  tura  bcllo  et  csdibus  aptae. 

«  Primus  Ophionides  Amycus  peuelralia  donis  245 

Haud  timuit  spoliare  suis,  et  primus  ab  aede 
Lampadibus  densum  rapuit  funale  coruscis; 
Elatumque  alte,  veluti  qui  candida  tauri 
Rumpere  sacrifica  raolitur  coUa  securi, 
Illisit  fronti  lapithie  Celadontis,  et  ossa  230 

^on  agnoscendo  confusa  reliquit  in  ore. 
Exsiluere  oculi,  disjeclisque  ossibus  oris, 
Acta  retro  naris,  medioque  infixa  palelo  est. 
Hunc  pede  convulso  mensa,  peUaFJiis  acernx 
Slravit  hum;  Bclj.tes,  disjecto  in  pectora  mcnto,  255 

Cumquc  atro  mistos  sputantem  sanguine  dentcs, 
Yulne»*e  tarlareas  geminato  mittit  ad  umbras. 


460  METAMORPIIOSES. 

Tautel  ou  fume  rencens,  Grynee  y  jelte  un  regard  terrible.  c  Pour- 
«  quoi,  dit-il,  ne  me  servirais-je  pas  de  ces  armes?  »  A  ces  mots, 
il  souleve  le  vasle  aulel  avec  le  feu  dont  il  est  charge,  et  le  lance 
au  milieu  des  Laplihes.  Broteas  et  Orion  tombent  ^cras^s  sous 
cette  masse ;  Orion,  fils  de  la  Nymphe  Mycale,  qui,  par  ses  enchan- 
tements,  forgait,  dit-on,  la  lune  a  descendre  du  ciel.  «  Qu'une 
<  arme  s*oiTre  a  moi,  s^ecrie  Exadius,  et  ton  criroe  ne  restera  pas 
«  impuni! »  li  s'en  fait  une  du  bois  d'un  cerf  consacre  a  Di»ie  et 
suspendu  a  la  cime  d'un  pin.  II  perce  de  ce  double  dard  les  yeux 
du  Gentaure,  et  les  lui  arrache;  mais  Tun  reste  attach^  au  bois, 
Taulre  jaillit  tout  sanglant  et  s'accroche  a  sa  barbe. 

«  Soudam  Rh^tus  enleve  sur  Tautel  un  tison  embras^ ;  11  s'en 
fait  une  arme,  et  brule  la  tempe  droite  de  Gharax,  couvertede 
blonds  cheveux  qui  s'enflamment  et  se  consument  comme  le 
chaume  aride.  Son  sang  bouillonne  avec  le  bruit  horrible  que  fait 
entendre  le  fer  rouge,  quand  un  forgeron  le  saisit  avec  des  pinces 
recourbees  et  1e  plonge  dons  Teau  qui  siffle  et  fr^mit.  Gharax  eteint 

Proximus  ut  steterat,  spectans  allaria  vultu 

Fumida  terribili :  «  Cur  non,  ait,  utimur  istis?  » 

Cumque  suis  Gryneus  immanem  sustulil  aram  2G0 

Ignibus,  et  medium  Lapitharum  jecit  in  agmen, 

Depressitque  duos  Drotean  et  Orion.  Orio 

Mater  erat  Mycale,  quam  dcduxissc  canendo 

Sxpc  reluctantis  conslabat  cornua  lunx. 

«  Non  impune  feres,  teli  modo  copia  detur,  »  2G5 

Dixerat  Exadius,  telique  habet  instar,  in  alta 

Qu»  fuerant  pinu,  votivi  cornua  cervi. 

Figitur  hinc  duplici  Gryneus  in  lumina  ramo, 

Eruilurque  oculos,  quorum  pars  cornibus  hxret, 

Pars  fluit  in  barbam,  concretaque  sanguinc  pendct.  270 

«  Ecce  rapit  mediis  flagrantem  Rhoctus  ab  aiis 
Primitium  torrcm,  dextraque  a  parlc  Charaii 
Tempora  perfringit  fulvo  protecta  capillo. 
Correpti  rapida,  veluti  seges  arida,  flamma 
Arserunt  crines,  et  vulnere  sanguis  inustus  275 

Terribilem  slridore  sonum  dedit,  ut  dare  ferrum 
Igne  rubens  plcrumque  solet,  quod  forcipe  curva 
Quum  faber  eduxit,  lacubus  demiltil ;  at  illud 
Stridel,  et  in  trepida  submersum  sibilat  unda, 
Saucius  hirsutis  avidum  de  crinibus  ignem  280 


LIVRK  XII.  461 

la  flamme  qui  d^vore  ses  cheveux  h^riss^s.  II  d^tadie  le  seuil 
dune porte,  et  charge  ses  ^paules  de ce fardeau  qui eAt suffi  a  un 
char.  Sa  masse  ne  lui  permet  pas  de  le  lancer  a  son  ennemi,  mais 
il  en  ecrase  Com^l^s,  son  compagnon,  place  trop  pr6s  de  lui. 
Rh^tus  ne  peut  moderer  sa  joie :  «  Puissent  tes  amis,  dit-il,  de* 
«  ployer  ainsi  leur  force  contre  nous ! »  En  mSme  temps,  avec  le 
tison  h  demi  brA16,  il  lui  fait  de  nouvelles  blessures,  et,  par  trois 
ou  quatre  coups  vigoureux,  lui  brise  le  crSne,  dont  les  d^bris  s'eri- 
foncent  dans  sa  cervelle.  Vainqueur,  il  court  vers  fivagre,  Corythe 
et  Dryas.  De  ces  trois  adversaires,  Corythe,  dont  un  leger  duvet 
ombrage  &  pelnele  menton,  succombe  le  premier  :  «  Quelle  gloire 
«  terevient-il  de  la  mort  d'un  enfant?  »  lui  dil  fivagre.  Rhetus 
ne  lui  fermet  pas  de  poursuivre.  II  enfonce  avec  fureur  le  tison 
dans  sa  bouche,  au  momenl  ou  il  Touvre  pour  parler  encore,  et  le 
pousse  jusque  dans  sa  poitrine.  II  te  poursuit  aussi,  cruel  Dryas, 
et  fait  toumoyer  ses  feux  autour  de  ton  front;  mais  il  n'oblient  pas 
le  mtoe  succ^  contre  toi.  Tandis  qu^il  s^enorgueillit  de  r^pandru 
partout  le  camage,  1u  1e  perces  avec  un  pieu  durci  dans  un  |ipe 
sier  a  Tendroit  ou  le  cou  se  joint  a  T^paule.  Rhelus  gemit :  bra-  te 
a  peine  retirer  le  bois  de  sa  blessure,  et  fuit  tout  baign^  de  son 

Excutit,  inque  humeros  limen  tellure  revulsum 

Tpllit,  onus  plaustri.  Quod  ne  permillat  in  hostcm, 

Ipsa  facit  gravitas.  Socium  quoquc  saxea  moles 

Oppressit  spatio  stantem  propiore  Cometen. 

Gaudia  nec  relinet  Rhcetus  :  «  Sic  comprecor,  inquit,       285 

«  Cstera  sitforlis  castrorum  turba  luorum!» 

Semicremoque  novat  repetitum  stipile  vulnus, 

Terque  quaterque  gravi  juncturas  verticis  iclu 

Rupit,  et  in  liquido  sederunt  ossa  ccrebro. 

Victor  ad  Evagrum,  Corythumque,  Dryantaque  traasit.     290 

E  quibus  ut  prima  teclus  lanugine  roaks 

Procubuit  Gorylhus :  «  Puero  quas  gloria  fuso 

«  Parta  tibi  esl?  »  Evagros  ait.  Nec  dicere  Rhoelus 

Plura  sinit,  rulilasque  ferox  in  aperla  loquentis 

Condidit  ora  viri,  pcrque  os  in  pectora,  flaramas.  1295 

Te  quoque,  saeve  Drya,  circum  caput  igne  rotato 

Insequitur.  Sed  non  in  te  quoque  constilit  idem 

Exitus.  Assiduae  successu  cffidis  ovantem, 

Qua  juncta  est  humero  cerviz,  sude  figis  obusta. 

ingemuit,  duroque  sudem  viz  o»se  revellit  SUO 


462  MfiTAMOHPHOSES. 

sang.  On  voit  fuir  en  m^me  temps  Orn^e,  Lycabas,  Medon,  frapp^ 
au  c6t6  droit,  Pis^nor,  Thaumas  et  Merm^ros,  naguere  vainqueur 
de  tous  ses  compagnons  a  la  course,  mais  qui,  bless6  mainte- 
nant,  s'^loigne  d'un  pas  tardif ;  Pholus,  Menal^,  Abas,  chasseur 
de  sangliers,  et  le  devin  Astyle,  qui  voulut  en  vain  d^umer 
les  Gentaures  de  ce  combat.  Yoyant  Nessus  redouter  la  mort  : 
<  Ne  fuis  pas,  lui  dit-il ;  le  Deslin  te  r^rve  pour  les  fl^es 
•  d'Hercule.  » 

f  Eurynome,  Lycidas,  Ar^  et  Imbr^,  ne  peuvent  ^chapper  au 
tr^pas.  Ils  osent  braver  Dryas  et  tombent  sous  ses  coups.  Toi 
aussi,  Gr^n^e,  il  fatt^int  par  devant,  malgr^  ta  fuite.  Tuveux 
regarder  en  arri^re,  et  son  fer  mortel  p6n6tre  dans  ton  front, 
entre  les  yeux,  k  la  racine  du  nez.  Au  milieu  de  cet  affreux 
tumulte,  Aphidas  ^tait  ensevdi  dans  un  sommeil  ISthargique. 
D'une  main  languissante  il  tenait  sa  coupe  pleine,  ^tendu  sur  la 
d^pouille  d'un  ours  du  mont  Ossa.  Phorbas,  n'apercevant  aucune 
arme  dans  ses  mains,  passe  ses  doigts  dans  la  courroie  de  sa  lance : 
«  Ya,  dit-il,  mSler  aux  eaux  du  Styx  le  vin  que  tu  as  bu.  •  En  m^e 

Ilhoetus,  et  ipse  suo  madefactus  sanguine  fugit. 

Fugit  et  Orneus,  Lycabasque,  et  saucius  armo 

Dextcriore  Mcdon,  et  cum  Pisenore  Tbaumas ; 

Quique  pedum  nuper  certamine  viccrat  omnes 

Mermeros,  accepto  nunc  vulnere  tardius  ibat;  305 

Et  Pholus,  et  Henaleus,  et  Abas  praidator  aprorum, 

Quique  suis  frustra  bellum  dissuaserat,  augur 

Astylos.  lUe  etiam  mctucnti  vulnera  Nesso  : 

«  Ne  fuge;  ad  herculeos,  inquit,  servaberis  arcus.  » 

«  At  non  Eurynomus,  Lycidasque,  et  Arcus,  et  Imbreus  310 
Effugere  ncccm,  quos  omnes  dextra  Dryantis 
Perculit  adversos.  Adversum  tu  quoque,  quamvis 
Terga  fugae  dcderis,  vulnus,  Crenaec,  tulisti. 
Nam  grave  respiciens,  inter  duo  lumina  fcrrum 
Qua  naris  fronti  commiltilur  accipis  imae.  315 

In  tanlo  fremitu  cunctis  sine  iine  jacebat 
Sopitus  venis,  et  inexperrectus  Aphidas, 
Languenlique  manu  carchesia  mixla  tenebat 
Fusus  in  ossxx  villosis  pellibus  ursx. 
Quem  prociil  ut  vidit  frustra  nulla  arma  movcntem,         320 
Inserit  amcnto  digitos  :  «  Miscendaque,  dixil, 
«  Cum  Stygo  vina  bibas,  »  Phorbas.  Nec  phira  moratus, 


LIVRB  XII.  463 

temps  il  lance  son  javelot  et  en  perce  la  gorge  d'Aphidas,  dans  la 
posture  ou  il  se  trouYait,  renirerse  sur  le  dos.  Aphidas  ne  sent 
point  le  coup  mortel.  Un  noir  ruisseau  de  sang  jaillit  de  sa  bou- 
che  sur  son  lit  et  jusque  dans  sa  coupe.  Je  vis  Pdtree  s'efforcer  de 
d^raciner  un  ch^ne.  Mais,  tandis  qu'il  rembrasse,  ie  secoue  dans 
tous  les  sens  el  Tebranle,  la  lauce  de  Pirithoiis  lui  traverse  les 
c6tes,  et  le  cloue  a  Tarbre  qu'ii  voulait  arracher. 

•  Pirithous,  dit-on,  fit  tomber  sous  ses  coups  Lycds  et  Chromis. 
Mais  leur  Irepas  lui  valut  moins  de  gloire  que  la  defaite  de  Dictys  et 
d'HeIops.  H^lops  fut  frappe  d'un  javelot  qui  lui  traversa  les  tempes 
et  sortit  p?r  3  oreiile  gauche.  Dictys  descendait  de  la  double  cime 
d'un  mont.  Tandis  qu'il  cherchait  a  se  d^rober  tout  tremblant  aux 
poursuites  du  fils  dUxion,  il  tomba  sur  la  t^le,  brisa  sous  le  poids 
de  son  cra  ps  un  grand  fr^ne,  et  de  ses  entrailles  en  couvrit  les  de- 
bris  ejvafc.  Apharee  accourait pour  le  venger,  et  s'appr6tait a lancer 
un  roc  qa  ii  avait  detach^  de  la  montagne.  Thesee  le  previent,  et 
avec  le  tronc  d'un  ch^ne  fracasse  les  os  enormes  de  son  bras.  Puis, 
n'ayant;  as  le  temps,  ou  dedaignant  de  donner  la  mort  a  un  ennemi 


In  juvenem  torsit  jaculum,  ferrataque  collo 

Fraxinus,  ut  casu  jacuit  resupinus,  adacta  cst. 

Mors  caruit  sensu,  plenoque  e  gutture  fluxit  525 

Inque  toros,  inque  ipsa  niger  carchesia  sanguis. 

Tidi  ego  Petraium,  conanlem  evellere  terra 

Glandiferam  quercum.  Quam  dum  complexibus  ambit, 

Et  qualit  huc  illuc,  labefactaque  robora  jaclat, 

Lancea  Pirilhoi,  costis  immissa  Petraei,  530 

Pectora  cum  duro  luclanlia  roborc  fixit. 

«  Pirilhoi  virtute  Lycum  cecidisse  ferebanl, 
Pirithoi  cecidisse  Chromin ;  scd  uterque  minorem 
Victori  titulum,  quam  Dictys  Helopsque  dederunt. 
Fixus  Helops  jaculo,  quod  pervia  tempora  fecit,  535 

£t  missum  a  dextra  laivam  penelravit  in  aurem. 
Dictys  ab  ancipiti  delapsus  acumine  montis, 
Duro  fugit  instantem  trepidans  Ixione  natum, 
Decidit  in  praeeeps,  et  pondere  corporis  ornum 
Ingenlem  f regit,4uaque  induit  ilia  fracl».  340 

Ultor  adest  ApHa^eos,  sazumque  e  monte  revulsum 
Mittere  conalur.  Conantem  stipite  querno 
Occupat  'iEgides,  cubitiqueangenlia  frangit 
Ossa;  nec  ulterius  dare  corpas  inutile  letbo 


464  H£TAM0RPH0SES. 

ddsormais  impuissant,  il  saute  sur  la  croupe  du  fier  Bianor,  qui  nV 
Tait  jamais  portS  que  lui-m^me.  De  ses  genoux  il  lui  presse  les 
flancs ;  de  sa  main  gauche  il  saisit  sa  chevelure,  et  de  sa  noucuse 
massue,  malgre  ses  menaces,  il  lui  brise  la  figure,  les  tempes  et  le 
front.  Airec  la  m^me  arme  il  abat  Nedymne,  Lycotas,  habile  k  Imcest 
le  javelot,  Hippase,  dont  la  barbe  ombrageait  la  poitrine,  Riphee, 
qui  surpassait  en  hautenr  les  plus  grands  arbres  des  forets,  et 
Teree,  qui  aimait  a  prendre  vivants  les  ours  des  monts  de  Thes- 
salie,  et  les  portait  furieux  dans  son  antre. 

f  Partout  Th^see  triomphe.  Indign^  de  ses  succ^,  D^mol^n 
fait  les  plus  grands  efTorts  pour  arracher  un  vieux  pin.  Mais,  ne 
pouvant  y  parvenir,  il  le  rompt  et  le  jette  h  la  t^te  du  heros.  tM- 
ste,  inspir^  par  Minerve  (il  voulait  du  moins  le  faire  croire),  se 
d^toume  pour  eviter  le  trait  dirige  contre  lui.  Cependanl  !e  coup 
n'est  pas  vain.  li  atteint  le  superbe  Grantor,  lui  enfonce  !a  poitnne 
et  detache  son  ^paule  gauche.  II  avait  6t6  Tecuyer  de  lon  p^re, 
Achille.  Le  roi  des  Dolopes,  Amyntor,  vaincu  par  P61ee,  le  lui  avait 
donn^  pour  gage  de  la  paix  et  de  !a  foi  jur^e.  P^lee  voit  le  corps 


Ant  vacat,  aut  curat;  tergoque  Bianoris  alti  345 

Insilit,  haud  solilo  quemquam  portarc,  nisi  ipsum; 

Opposuitque  genu  costis,  prcnsamque  sinistra 

Caesariem  retinens,  vultum,  minitantiaque  ora 

Robore  nodoso,  prxduraque  tempora  frcgit. 

Robore  Nedymnum,  jaculatoremque  Lycotan '  850 

Sternit,  et  immissa  prolcctum  pectora  barba 

Hippasou,  et  summis  exstantem  Riphea  silvis, 

Tereaque,  haimoniis  qui  prensos  raontibus  ursos 

Ferre  domum  vivos  indignantcsque  solebat. 

«  Haud  Inlit  utentera  pngnse  successibus  ultra  355 

Thesea  Demoleon ;  solidaque  revellere  terra 
Annosam  pinum  magno  molimine  tenlat. 
Quod  quia  non  potuit,  prajfractam  misit  in  hostcm. 
Sed  procul  a  tolo  Tlieseus  veniente  recessit 
Pallados  admonitu  (credi  sic  ipse  volebat);  SCO 

Non  tamen  arbor  incrs  cecidit;  nam  Crantoris  alti 
Abscidit  jugulo  poclusque,  humerumque  sinistrum. 
Armiger  ille  lui  fuerat  geniloris,  Arhille, 
Onem  Dolopum  reclor,  bello  superatus,  Amynlor, 
ifiacidx  dedcrat  pacis  pignusque  fidemque.  365 


LIVRE  XII.  4G5 

de  son  ami  horriblement  mutil6  :  •  Re^ois,  dit-il,  celte  victime. 
a  Elle  doit  apaiser  tes  m^es,  6  mon  cher  Grantor ! »  A  ces  mots, 
d'un  bras  nerveux  qu'anime  la  vengeance,  il  envoie  a  Demoleon 
un  javelot  qui  lui  traverse  les  cdtes  et  se  fixe  en  tremblant  dans 
ses  os.  Le  Centaure  arrache  le  bois,  mais  non  le  fer;  le  bois  lui- 
raSme  cMe  p^niblement  a  Teffort  de  sa  main,  et  le  fer  reste  en- 
fonce  dans  ea  poitrine. 

<  La  douleur  redouble  sa  rage.  Malgre  sa  blessure,  il  se  cabre 
contre  son  ennemi  et  le  foule  aux  pieds.  Le  h^ros  oppose  a  ses 
coups  retentissants  son  casque  et  son  bouclier ;  il  soutient  les 
assauts  du  Centaure,  et  du  mfime  dard  perce  son  double  sein. 
D6ja  Peleeavait  de  loin  donne  la  mort  a  Phlegreon  et  a  Hyle;  puis, 
combattant  corps  a  corps,  il  avait  ravi  le  jour  a  Hiphinous  et  a  Cla- 
nis.  II  immole  aussi  Dorylas,  dont  le  front  etait  couvert  d'une 
peau  de  loup,  et  qui  avait  arme  son  bras  des  comes  d'un  boeuf 
rougies  du  sang  des  Lapithes.  «  Vois,  lui  dis-je  (la  col^re  dour 
«  blait  mes  forces),  vois  combien  tes  armes  sont  inferieures  a  mon 
«  javelol.  »  Et  je  lui  lance  le  trait.  Pour  T^viter,  il  met  sa  main 
sur  son  front ;  mais  sa  main  et  son  fronl  sont  cloufe  ensemble. 

Hunc  procul  ut  foedo  disjectum  vulnere  Peleus 

Vidit :  «  At  infcrias,  juvenum  gratissime  Crantor, 

•  Accipe;  »  ait;  validoque  in  Demoleonta  lacerto 

Fraxineam  misit»  mentis  quoque  viribus,  hastam. 

Quas  lalerum  cralem-perrumpit,  et  ossibus  hierens  370 

Intremuit.  Trahit  ille  manu  sine  cuspidc  lignum. 

Id  quoque  vix  sequitur  :  cuspis  pulmone  retenta  cst. 

«  Ipse  dolor  vires  animo  dabat.  iEger  in  hostem 
Erigilur,  pedibusque  virum  proculcat  equinis. 
Excipit  ille  ictus  galea  clypeoque  sonanles,  575 

Defensatque  humeros,  pnctentaquc  sustinet  arma, 
Perque  armos  uno  duo  pectora  perforat  ictu. 
Ante  tamen  letho  dederat  Phlegrncon,  et  Hylcn, 
Eminus ;  Hiphinoum  coUato  marle  Claninque. 
Additur  his  Dorylas,  qui  tempora  tecla  gerebat  380 

Pelle  lupi,  saevique  vicem  prasstantia  teli 
Cornua  vara  boum  multo  rubefacta  cruorc. 
Huic  ego,  nam  vires  animus  dabat :  «  Aspice,  dixi, 
«  Quantum  concedant  nostro  tua  cornua  ferro.  » 
Et  jaculum  torsi;  quod  quum  vitare  nequirel,  385 

Opposuit  dextram  passurab  vulnera  fronti.     • 


m  M^TAMORPHOSES. 

11  pousse  un  cri.  Place  plus  pr^s  que  moi  du  Gentaure,  Pel^e,  qui 
le  voit  ainsi  enchain6  et  vaincu  par  cette  blessure,  lui  plonge  son 
glnive  dans  les  flancs.  Le  monsti^  bondit.  Dans  safureur,  il  traine 
a  terre  ses  entrailles,  les  roule  sous  ses  pieds  et  les  d^chire,  en- 
gage  ses  jarrets  dans  leurs  noeuds,  et  tombe  expirant  sur  ses 
flancs  degarnis. 

•  £t  toi,  Gyllare,  au  milieu  de  ces  combats,  tu  ne  trouvas  pas 
unie  sauvegarde  dans  ta  beaut^,  si  toutefois  ta  nalure  peut  ad- 
inetlre  ce  nom.  Un  duvet  blond  commen^ait  a  ombrager  ton 
menton,  et  tes  cheveux  tombaient  en  tresses  d'or  de  tes  ^paules 
sur  tes  flancs.  La  vigueur  unie  a  la  grace  respirait  dans  tes  traits. 
Ton  cou,  tes  epaules,  tes  mains,  ta  poitrine,  en  un  mot,  tout  ce 
qui  etait  homme  en  toi,  pouvait  rivaliser  avec  les  plus  belles  sta- 
tues.  Ce  qui  tenait  du  cheval  n'6tait  ni  moins  parfait  ni  moins  ad- 
mirable.  Si  lu  en  avaiseu  la  tfete  et  Tencolure,  tu  aurais  ^te  digne 
de  Caslor :  tant  ta  croupe  ^tait  el6gante !  tant  sur  ton  poitrail  se 
dessinaient  des  muscles  vigoureuxl  Quoique  d'un  poil  noir-jais, 
tu  avais  cependant  les  jambes  el  la  queue  blanches. 

«  Parmi  les  filles  des  Genlaures,  mille  aspirerent  ^  lui  plaire. 
ilylonome  seule  fixa  son  choix.  De  toutes  scs  compagnes,  hdtesses 

Affixa  est  cum  fronle  manus.  Fit  clamor.  At  illum 
HaDrenlem  Peleus,  et  acerbo  vulnere  victum 
(Stabat  enim  propior),  mediam  ferit  enso  sub  alvura. 
Prosiluit,  tcrraque  fcrox  sua  viscera  traxit,  390 

Tractaque  calcavit,  calcataque  rupil,  et  illis 
Crura  quoquc  impcdiit,  et  inani  concidii  alvo. 

a  Nec  te  pugnantem  tua,  Cyllare,  forma  rcdemit, 
Si  modo  natura^  formam  concedimus  illi. 
Barlia  erat  incipiens;  barbae  color  aureus;  aureaque        395 
Ex  humeris  raedios  coma  descendebat  in  arraos ; 
Gralus  in  orc  vigor;  cervix,  humeriquc,  manusque, 
Pectoraquc  artificum  laudatis  proxima  signis, 
Et  quacumquc  vir  est;  ncc  equi  mendosa  sub  illa 
Deteriorque  viro  facies.  Da  colla  caputque,  iOO 

Castore  dignus  eril.  Sic  lergum  sessile,  sic  slant 
Pectora  celsa  toris!  totus  pice  nigrior  alra ; 
Gandida  cauda  tamen ;  color  est  quoque  cruribus  albus. 

«  Multaj  illum  pelicre  sua  de  gente,  sed  una 
Abstulit  Hylonome,  qua  nuUa  decentior  luter  405 


LIYRE  XIL  407 

des  for^ts,  aucune  ne  la  surpassait  en  beaute.  Elle  r^ne  sur  le 
coeur  de  Cyllare  par  ses  caresses  et  par  un  araour  dont  elle  renou- 
velle  sans  cesse  Taveu.  Pour  lui  plaire,  elle  prend  tous  ies  soins 
que  la  nature  a  mis  a  sa  disposition.  Tivoire  lisse  sa  chevelure. 
Tant6t  elle  y  m^ie  le  romarin,  la  violette  ou  la  rose ;  tantdt  elle 
porte  une  couronne  de  lis  eclatants  de  blancheur.  Deux  fois  par 
jour  elle  plonge  sa  t^te  dans  Tonde  qui  arrose  les  bois  de  Pagase; 
deux  fois  elle  y  baigne  son  corps.  Les  plus  riches  fourrures  flot- 
tent  avec  gr^ce  sur  son  ^paule  ou  sur  son  flanc  gauche.  Un  araour 
egal  les  unit.  Ils  errent  enserable  sur  les  raonlagnes,  et  le  ra^rae 
antre  les  re^it.  Ils  s'^taient  rendus  enserable  au  banquet  des  La- 
pithes ;  ils  prirent  part  ensemble  k  ce  combat  terrible.  Mais  un 
trait  (on  ne  sait  quelle  main  Tavait  lance)  part  a  gauche,  et  vient 
frapper  Cyllare  au-dessous  de  Tendroit  ou  le  buste  s^unit  au  cou. 
Son  coeur  est  l^^rement  atteint.  A  peine  le  fer  est-il  retire,  quMi 
se  sentglac^  d'unfroid  raortel.  Hylonome  re^oit  dans  ses  brasson 
^poux  expirant.  Elle  ^tend  sa  main  sur  sa  blessure  et  clierche  a 
la  fermer ;  elle  approche  sa  bouche  de  sa  bouche,  et  cherche  a 
relenir  son  kme  fugitive.  D6s  qu'elle  le  voit  raort,  elle  rempUt 

Semifcros  altis  habitavit  femina  silvis. 
Hsc  et  blanditiis,  et  amando,  et  amare  fatendo . 
Cyllaron  una  tenet.  Cultus  quoque  quanlus  in  illis 
Esse  potest  membris,  ut  sit  conia  pcctinc  Isevis, 
Ut  modo  rore  maris,  modo  se  violave,  rosavc  410 

Implicet;  interdum  candcntia  lilia  gestet; 
Bisque  die  lapsis  pagasa^x  vcrlicc  silvx 
Fontibus  ora  lavet,  bis  flumine  corpora  tiugat; 
Ncc,  nisi  quse  deceant,  clectarumque  ferarum 
Aut  humero«  aut  lateri  prxtendat  vellera  Ixvo.  415 

Par  amor  est  illis.  Errant  in  monlibus  una, 
ntra  simul  subeunt,  ct  tum  lapilheia  tecta 
Intrarant  pariter,  parilcr  fera  bella  gerebant. 
Auclor  in  mcerto  est :  jaculum  de  parte  sinislra 
Venit,  et  inferius,  quam  coUo  pectora  subsunt,  •   420 

Cyllare,  te  Gxit.  Parvo  cor  vulncre  Isesnm 
Corpore  cum  toto  post  tela  educta  refrixit. 
Protinus  Hylonome  morientes  excipil  arlus, 
Lmpositaque  mauu  vulnus  fovet,  oraque  ad  ora 
Admovet,  atque  animai  fugienti  obsistere  lcntat.  425 

Ut  videt  cxstinctum,  dictis,  quse  clamor  ad  auces 


468  MgTAMORPUOSES. 

les  airs  de  plaintes  que  les  cris  des  combattants  ^p^h^t  d'ar- 
rlver  a  mon  oreille,se  jette  sur  le  fer  dont  Gyllare  vient  d'Stre 
perc^,  et  succombe  en  i'embrassant. 

<  Je  crois  voir  aussi  Piieocome,  qui  de  la  depouilie  de  six  lions 
forma  la  housse  etalee  sur  ses  flancs  d'homme  etde  cheval.  H  lance 
un  tronc  d'arbre  qu'a  peine  feraient  mouvoir  qualre  boeufe  attelds, 
et  frappe  a  la  t^te  Phonolenide.  Gelui-ci  est  atteint.  Sa  tSte  6n<mne 
est  fracassee,  et  sa  cervelle  s'echappe  par  sa  bouche,  son  nez,  ses 
yeux  et  ses  oreilles,  comme  le  laitage  press^  passe  k  travers  des 
barreaux  de  ch^ne,  ou  comme  une  ^paisse  liqueur  (ombe  goutte  a 
goulte  a  travers  un  crible.  Phonolenide  expire,  et  le  Gentaure  s'ap- 
prSte  a  le  d^pouiller.  En  ce  moment  (votre  pdre  en  fut  t^moin),  je 
lui  plongeai  mon  ^p^e  dans  les  enlrailles.  Ghthonius  et  T^eboas 
toraberent  ^alement  sous  mes  coups.  Le  premier  ^tait  arm^  d'une 
fourche  en  bois,  le  second  d'un  javelot  dont  il  me  blessa.  Yoyes: 
l'ancienne  cicatrice  parait  encore.  G'est  alors  qu'on  aurait  dil^  m'en- 
voyer  au  si^e  de  Troie :  j^aurais  pu  triompher  des  armes  d'Hector, 
ou  le  vaincre  peut-Stre.  Mais,  en  ce  temps,  Hector  n^existait  pas,  ou 

Arcuit  ire  meas,  telo,  quod  inhacserat  illi, 
lacubuit,  moriensque  suum  complexa  maritum  est. 

«  Anle  oculos  stat  et  illc  meos,  qui  sena  lconum 
Vinxerat  inter  se  conncxis  vellera  nodis,  450 

Phseocomes,  homincmque  simul  protcctus  cquumquc, 
Codice  qui  misso,  quem  vix  juga  bina  moverent. 
Te,  Phonolcnides,  a  summo  vertice  fregit. 
Fraeta  volubililas  capitis  latissima;  perque  os, 
Pcrquc  cavas  narcs,  oculosquc,  auresque,  cerebrum  435 

MoIIe  fluit,  veluli  concretum  vimine  querno 
Lac  solct,  utve  liquor  rari  sub  pondere  cribri 
Manat,  et  cxprimitur  per  densa  foramina  spissus. 
Ast  cgo,  dum  parat  hunc  armis  nudare  jacentcm 
(Scit  tuus  hoc  genilor),  gladium  spoliantis  in  ima  440 

llia  demisi.  Cbthonius  quoque  Tcleboasque 
Ense  jacent  noslro.  Ramum  prior  ille  bifurcum 
Gesserat;  hic  jaculum.  Jaculo  mihi  vulnera  fccit. 
Signa  vides  :  apparet  adhuc  velus  indc  cicatrix. 
Tunc  ego  debueram  capienda  ad  Pcrgama  milli;  41o 

Tunc  poteram  magni,  si  non  supcrare,  raorari 
Hectoris  arma  meis.  lilo  sed  tempore  nullus, 


LIVRE  XII.  469 

n*^tait  qu'un  enfant.  Aujourd^hui  ia  vieillesse  a  bris^  mes  forces. 
Rappelierai-je  Periphas,  vainqueur  du  double  Pyrete,  et  Ampycus, 
qui  frappa  d'une  javeline  sans  fer  le  visage  d'Oidus  ?  Macaree  lanya  un 
levier  contre  la  poilrine  du  lapitiie  Erygdupe  etle  terrassa.  Je  mesuu- 
viens  que  Nessus  enfonga  un  epieu  dans  l'aine  de  Cymele.  Ne  croyez 
pas que  le filsd'Ampycus, Mopsus,  se contenldt  d'annoncer  lavenir. 
Son  javelot  donna  la  mort  a  Odites.  En  vain  le  Centaure  voulut-ii 
parler,  sa  langue  s'attacha  a  son  menton,  et  son  menton  a  son  cou. 
«  C^n^e  tua  Stiphelus,  Bromus,  Antimaque,  Helime  et  Pyrac- 
mon,  arme  d'une  liadie.  J'ai  oublie  quelles  furent  leurs  blessure^; 
mais  je  me  rappeUe  le  nombre  des  victimes  et  leurs  noms.  Cou- 
^veft^s  depouillcs  du  Macedonien  Halesus,  qu*il  venait  d'immo- 
ler,  Latree,  le  pius  grand  des  Centaures,  accoiurait.  II  n'elait  plus 
jeune,  et  n'etait  pas  vieux  encore.  11  avait  la  vigueur  de  la  jeu- 
nesse;  mais  ses  tempes  commen^aient  a  bianchir.  Son  bouclier,  son 
casque  et  sa  pique  macedonienne  attiraient  tous  les  regards.  11  pro- 
mena  ses  yeux  sur  Tune  et  Tautre  troupe,  brandit  ses  armes,  cara- 
coia,  et  fit  retentir  les  airs  de  ces  fi6res  paroles : « Eh  quoi !  Cenis,  te 

Aut  puer  Ucctor  erut.  Kunc  me  mea  deficit  aetas. 

Quid  tilii  viclorem  gcraini  Periphanta  Pyreti; 

Ampyca  quid  referam,  qui  quadrupedantis  Oicli  -iJJO 

Fixit  in  adverso  cornum  ame  cuspide  vultu. 

Yecte  Pelelhronium  Macareus  in  pectus  adaclo 

Stravit  Erygdupum.  Memini  et  vcuabula  condi 

luguine,  nessxis  manibus  conjecla,  Cymeli. 

Nec  tu  credideris  tantum  cecinisse  futura  iS5 

Ampyciden  Hopsum.  Mopso  jaculante  biformis 

Occubuit,  frustraque  loqui  tentavit  Odites, 

Ad  mentum  lingua,  mentoque  ad  gutlura  tixo. 

«  Quinque  neci  Caencusdederat,  StipheIuiuque,Bromumque, 
Antimachumque,  Uelimuuiquc,  securiferunique  Pyracmon.    460 
Vulnera  non  memiui,  uumerum  nomenque  notavi. 
Provolat  emathii  spoliis  armatus  Ualcsi, 
Qucm  dederat  letho,  mcmbrisque  et  corporc  Latrcui 
Maximus.  Uuic  aitus  inlcr  juvenemque  senemque; 
Vis  juveuilis  erat;  variabant  tempora  caui.  465 

Qui  clypeo,  galcaque,  uiuccdouiaque  sarissa 
Couspicuus,  faciemquc  obversus  in  agmen  utrumque, 
Armaque  concussit,  certumque  equilavit  iu  orbem, 
Vcrbaque  lot  fudit  vucuas  animosus  iu  auras  : 
«  Et  tc,  Caeni,  feram?  uam  tu  mihi  femina  semper,  470 

'11 


410  MtlTAMORPHQSES. 

K  laisserai-je  conibattre  aussi  ?  Gar  a  roes  yeiu^  tv  seras  touJQun 
«  une  femme;  toujours  tu  seras  Cenis.  Le  souvenir  de  ta  najs- 
«  sauce  ne  peut-il  abattre  ton  orgueil  ?  As-tu  done  ouUie  com- 
a  ment  tu  re^us  les  dehors  d'un  autre  saxe,  et  de  quelle  iiyure 
a  cette  faveur  fut  le  prix?  Songe  a  ton  origine,  songe  a  ton  af-  • 
«  front,  et  va  reprendre  ta  quenouilte  et  ta  corbeille;  va  tordre 
tt  le  fil  entre  tes  doigts,  et  laisse  aux  hommes  les  combats.  »  A 
peine  il  achevait  cet  insolent  discours,  Genee  lui  decpche  un  dard 
a  Tendroit  ou  le  Gentaure  cesse  d'Stre  homme  pour  devenir  cheval. 
La  douleur  rend  Latr^e  furieux.  De  sa  pique  il  frappela  figure  dd? 
.couverte  du  jeune  Thessalien.  Son  arme  rebondit  comme  la  gr^ 
sur  ies  toits,  ou  comme  une  petite  pieire  sur  un  tambou^.  Le-CeiK^ 
taure  Fattaque  de  pr^s  et  cherche  a  lui  plonger  son  ep^  dana  les 
reins;  mais  ses  reins  sont  imp6netrables.  <  N'importe,  s'6crie 
«  Latree,  tu  ne  m'echapperas  pas.  Si  la  pointe  de  mon  glaive  est 
f  emouss^e,  son  tranchant  va  fimmoler.  »  A  ces  mots,  il  toume 
obHquement  son  ^p^  contre  son  ennemi,  et  de  son  long  bras  i) 
atteint  ses  flancs.  Les  coups  retentissent  sur  son  corps  conune  sur 
rairain  ou  sur  le  mgrbre.  Le  glaive  de  Latree  vole  en  eclals 
en  frappant  son  adversairc  a  la  gorge.  Apres  avoir  assez  long- 
temps  offert  son  corps  invulnerable  au  fer  du  Cenlaure  etonne; 

«  Tu  mihi  Cacnis  eris;  nec  te  natalis  origo 

«  Comminuit?  raentemque  subit,  quo  prajmia  facto, 

«  Quaque  viri  falsam  speciem  mercede  pararis? 

«  Vel  quid  nata  vide,  vel  quid  sis  passa;  cOlumque, 

«  I,  cape  cum  calathis,  et  stamina  pollice  torquc.  47i» 

«  Bella  relinque  viris.  »  Jactanli  talia  Cseneus 

Extentum  cursu  missa  latus  eruit  hasta, 

Qua  vir  equo  commissus  erat.  Furit  ilje  dolore, 

Nudaque  phyllei  juvenis  ferit  ora  sarissa. 

iNon  secus  hajc  rcsiiit,  quam  tecti  a  culmine  grando,  48!) 

Aut  si  quis  parvo  feriat  cava  tympana  saxo. 

«:ominus  aggredilur,  laterique  recondere  duro 

Luctatur  gladium  :  gladio  loca  pervia  non  sunt. 

«  Ilaud  tameu  effugies.  Mcdio  jugulaberis  ense, 

«  Quandoquidem  roucro  est  hebes, »  iuquii;  et  in  latus  euseni  485 

Ohliqual,  longaque  amplectitur  ilia  dcxtra. 

Plaga  facit  gemitus,  ceu  corpore  niarmoris  icli, 

Fractaque  dissiluit  percus^o  lamina  collo 

Ul  sulis  iUusbos  miranti  pracbuitartus: 


uvas  xn.  471 

«  Voyons  ^^>  dit  C^&e,  n  mon  arma  aim  plus  de  voltt 
4  contre  toi.  »  Kt  att  mdme  iostaBt  il  lui  plonge  dans  les  flancs 
Km  glaiv0  tiimbl^»  le  toume  et  le  retourne  pour  multiplier  les 
UesiHires.  L6S  Centaures  furieux  accoupant  aveo  d'horribles  hur- 
lemfints,  et  dirjg^idt  centre  G^nee  miUe  traits  qui  tombent 
emQ^ss^.  Le  fils  d^Siatus  r^ste  a  tous  les  coups :  aucun  trait. 
n'^t  rougi  de  soyi  sang. 

«  Ge  nouveau  prodige  tonne  les  Gentaures.  f  0  comble  de 
«  bontel  9'ecrie  Uonychus.  Sh  quoil  un  peuple  entier  est  vamcu 
ff  par  un  seul  homme,  qui  marite  h  peine  ce  noml  Que  dis^je,  il 
i  eat  homme  par  son  courage;  et  noua>  par  potre  i^chet^,  nous 
«iommes  ce  qu'il  fut  jadis.  De  quoi  nous  servent  nos  vastes  carp^ 
fi  et  notre  double  ferce?  A  quoi  bon  la  nature  a-trelle  r^uni  en 
i  nous  les  deux  Mres  )es  plus  puissants?  Non,  nops  n^avona  paa 
«  ipae  deesse  pou?  mive\  non,  nqus  n^^vons  pas  pour  p^e  Ixion 
c  dc^t  les  vmu^  09^rent  s^flever  jusqu'^  la  fi^e  Junon,  nous 
i  qui  sommes  vainciis  par  un  ^nemi  moitie  iiemme  et  moitie 
i  bomine.  EnseveUssex-le  sous  un  moneeau  de  pierres,  d'arbres 
«  fit  de  montagnes.  foouffez-le  sous  la  depouiUe  des  bois,  sous  une 
«  for^t  enti^re :  cette  masse  fera  sur  lui  reffet  d'une  blessure. » 

«  Nunc  agc,  ^j^  Caeneii$,  nostro  tu^  cofpora  ferrq  490 

«  Tentemus ;  ?  capuloque  l^ous  ()ei||i«U  in  armos 
Ensem  faliferuifl,  ^^mqwfi  \n  »iw«ra  WOVit 
Vcrdavitque  manum,  yplnustjue  in  irn)ii§Fe  fecil. 
Ecce  rui|ot  f^^to  raliidi  pl^inorp  biineml)F««, 
Telaque  i^  )mnc  p^nes  ^puRi  wlttuiitqTJe  f^runtqUe.       4d5 
Tela  retusa  cadui^t.  ¥^pet  ipipBffflssus  i|)>  pmpi 
Inque  cruentatus  C^jieifs  e)9teiu9  ici{|. 

i  Fecerat  «ttanitos  iiO¥«  res.  t  Heus  dedecus  iogans  t 
«  Honychus  ezclamat.  Populus  superamur  ab  ono, 
«  Vixque  viro.  Quamquam  iUe  vir  est;  non  segnibus  actis,  500 
«  Quod  fuit  ille,  sumus*  Quid  membca  iminania  prosont? 
«  Quid  gemins  vires?  quid,  quod  iqrtissima  mum 
«  la  nobis  duplex  natura  animalia  junxitf 
«  Nec  Bos  roalre  dea,  nec  nos  hiope  natos 
«  Esse  reor,  qui  tanlus  erat,  Junonis  ut  aitai  ^ 

«  Spem  caperet;  nos  semimari  supecamur  ab  hoste. 
«  Saxa,  trabesque  soper,  totosque  iBToWite  roontes, 
«  Vivacemque  animam  missis  elidite  silvis. 
«  Silva  premat  liiaces,  et  erit  pro  vttinere  poadus. » . 


472  M^TAHORPHOSES. 

11  (lit,  et,  trouvant  sous  sa  main  un  arbre  abattu  par  rimpetueux 
Autan,  11  le  lance  a  son  redoutable  ennemi.  Tous  imitent  son 
exemple.  En  quelques  instants,  rOthrys  est  depouiUe  de  sa  for^t 
et  le  Pelion  n'a  plus  d*ombre.  EnseveJi  sous  cet  amas  efTroyable, 
C^nee,  tout  haletant,  le  soul^ve  sur  ses  larges  epaules.  Blais  la 
.  masse  qui  s'amoncelle  au-dessus  de  sa  t^te  lui  coupe  la  respira- 
tion.  Tant6t  il  eprouve  des  defaillances,  tantdt  11  lAche  de  se  faire 
jour  en  renversant  le  poids  enorme  qui  Tecrase ;  quelquefois  11  le 
secoue,  comme,  dans  un  tremblement  de  terre,  nous  voyons  s'e- 
branler  la  cime  de  Flda.  Le  destin  de  Genee  reste  envelopp^  de 
mystere.  On  croit  qu^etouffe  sous  les  dlbris  des  for^ts,  11  est  des- 
cendu  dans  le  Tartare.  Mais  le  fils  d'Ampycus  rejette  ce  bruit.  Du 
milieu  des  arbres  amonceles  11  a  vu  s'^lancer  dans  les  airs  un 
oiseau  fauve,  que  j'aperQus  alors  pour  la  premi^re  et  la  derni^e 
fois.  Mopsus  le  vit  voitigjsr  l^^rement  autour  de  ses  compa- 
gnons;  11  entendit  le  bruit  aigu  de  ses  ailes,  et,  suivant  des  yeux 
et  du  coeur  tous  ses  mouvements  :  «  Salut,  dit-il,  6  toi,  la  gloire 
<f  des  Lapithes!  jadis  homme  unique,  et  maintenantunique  en- 
tf  Ire  tous  les  olseaux,  6  Cenee!  •  rautorite  de  Mopsus  rendit 

Dixit,  et  iasaoi  dejectam  \iribus  Auslri  510 

Forte  irabem  nactus,  validum  conjecit  in  hoslem. 

Exemplumquc  fuit;  parvoque  in  tempore  nudus 

Arboris  Othrys  erat,  nec  habebat  Pelion  umbras. 

Obrutus  immani  cumulo,  sub  pondere  Gaeneus 

.4i!stuat  arborco,  congestaque  robora  duris  615 

Fert  humeris.  Sjdenim  postquam  super  ora  caputque 

(Irevit  ouus,  neque  habet,  quas  ducat,  spiritus  auras; 

Deficil  interdum.  Modo  se  super  aera  frustra 

ToHei*e  conatur,  juctasque  evolvere  silvas; 

lulerdumquc  movet,  veluti,  quam  cernimus,  ecce  5!20 

Ardua  si  terr»  quatialur  motibus  Ide. 

Exilus  in  dubio  est :  alii  sub  inania  corpus 

Tartara  detrusum  silvarum  mole  ferebant. 

Abnuit  Ampycides,  medioque  ex  aggere  fulvis 

Vidit  avcni  pennis  liquidas  exire  sub  auras,  525 

Ouuc  niihi  tunc  primum,  tunc  est  conspecta  suprcmum. 

Hanc  ubi  lustrantem  leni  sua  castra  volatu 

Mopsus,  ct  ingenti  circum  clangore  sonantem 

Aspexit,  pariterque  oculis  animoque  secutus  : 

«  0  sulve,  dixil,  lapithaja  gloria  gentis,  550 

<  Blaxirae  vir  quondanii  sed  avis  nuacunica,  (iSneu.  » 


LIVRE  XII.  475 

ce  prodige  digne  de  foi.  Cependant  la  douleur  de  sa  perle  excita 
nolre  colere,  et  nous  nous  indigntoes  d'avoir  vu  tant  de  bras 
r^unis  contre  un  seul.  Le  fer  ne  cessa  <i'assouvir  notre  ven- 
geance  que  lorsqu'une  partie  des  Centaures  eut  p6ri  par  nos 
mains,  tandis  que  la  fuite  et  la  nuit  dispersaient  le  reste.  » 

niTAHORPHOSE  DE  p£rICLYm£nE  EN  AIGLE. 

IV.  Lorsque  Nestor  eut  racont^  le  combat  des  Lapithes  et  des 
Centaures,  Tl^poleme  ne  put  s'emp^cher  de  remarquer  son  silence 
sur  les  exploits  d'Alcide,  et  lui  dit  avecdouleur : « Vieillard,  je  suis 
surpris  que  vous  ayez  oublie  la  gloire  d'Hercuie.  Mon  p^re  avait 
pourtant  coutume  de  me  r^p^ter  que  la  d^faite  des  Gentaures  fut 
son  ouvrage.  »  Le  roi  de  Pylos  lui  r^pondit  avec  tristesse :  «  Pour- 
quoi  renouveler  le  souvenir  de  mes  maux?  Pourquoi  rouvrir  une 
plaie  fermee  par  les  ans,  et  me  contraindre  a  rev^Ier,  avec  ma 
haine  pour  votre  p6re,  les  affronts  que  j'en  ai  re^us?  Oui,  grands 
dieux,  ses  actions  passent  toute  croyance,  et  il  a  rempli  Tunivers 
de  ses  exploits.  J'aimerais  mieux  pouvoir  le  nier.  Car  nous  ne 
louons  ni  D^ipbobe,  ni  Polydamas,  ni  Hector.  Est-il  un  homme 


Credita  res  auctore  sno  est.  Dolor  addidit  iram, 

Oppressumque  segre  tulimus  tot  ab  hostibus  umim ; 

Nec  prius  abstitimus  ferro  exercere  dolorem, 

Quam  data  pars  letho,  partem  fuga  noxque  removit.  »       53.H 

rERICLYMENI  IN  AQUILAH   C0NVER8I0. 

IV.    Hffic  inter  Lapithas  et  semihomines  Centauros 
Prslia,  Tlepolemus,  Pylio  referente,  dolorem 
Prseteriti  Alcide  tacito  non  pertulit  ore, 
Atque  ait :  «  Herculese  mirum  est  obliyia  laudis 
Acta  tibi,  senior.  Certe  mihi  sxpe  referre  540 

Nubigenas  a  se  domitos  pater  ipsc  solelrat.  » 
Tristis  ad  haec  Pylius :  «  Quid  me  meminisse  malorum 
Cogis,  et  obductos  annis  rescindere  luctus, 
Inquetnum  genitorem  odium,  offensasque  fiiteri? 
Ille  quidem  majora  fide,  dt !  gessit,  et  orbem  545 

Implevit  meritis,  quod  mallem  posse  negari. 
Sed  neque  Deiphobum,  nec  Polydamanta,  nec  ipsum 
Hectora  laudamus  :  quis  enim  laudaverit  hostem? 


474  M^TAMonPHOSES. 

qui  ?ante  son  (^nenii?  Votre  illustrep^re  r^TersA  jadis  les  murs 
de  Messdne;  il  ddtruisit  filid  et  Pylos,  qui  n'aTaient  point  m^te 
sa  tengeance ;  il  porla  le  fer  et  la  flainme  dans  mes  p^nates.  Sims 
parler  des  nombrentcs  tictimes  qu'il  immola^  nous  ^ions  dovie 
enfants  de  N^ldc,  l'orgueil  de  la  Grece.  Tous,  except^  moi»  p^rir^t 
par  ses  mains.  On  congoit  que  mes  autres  fr^res  soient  tombes 
sous  ses  coupsi 

«  Mais  on  doit  ^tre  surpris  de  la  mort  de  Peridymene,  qui  avait 
re^u  de  Neptune,  auteiii"  cle  notre  race,  le  pHVil^g^  de  irevfttir  et 
de  quitter  a  son  gre  toiites  les  formes.  Apres  aVbiir  en  vaiii  tenle 
milie  m^tamorphoses,  il  adopta  celle  de  roiseau  qtii  j^dirte  )a  fou- 
dre  dans  ses  serres  recoiirbees  et  qui  est  ch§ri  dti  t'6i  des  dieui. 
IProiitant  de  ses  forces,  de  ses  ailes,  de  son  hec  ^t  de  se§  dngles 
aigus,  il  d^iira  le  visage  ciii  h^ros  de  tirynthe.  ti^rcule  teiidit 
son  arc  infaitlible,  suivit  l^oiseaii  s^elaiiQant  dans  les  airs,  et  l^^ttei- 
gnit  aii  d^fadl  de  l'epaule.  La  blessiire  ^tait  legerci;  maisles  nerfs 
rompus  se  detendireiit  et  Itii  6t^rent  la  force  de  voler.  I^es  ailes 
fureiit  trop  faibles  podr  embrasser  l*air,  et  11  tomba.  La  fliche, 

Ille  tuus  genitor  messania  moenia  quondam 

Stravit,  et  immeritas  urbes  Elinque  Pylonque  550 

Diruit,  inque  meos  ferrum  flammamque  penates 

Impulit)  utque  alios  taceam^  quos  ille  peremit, 

Bis  sex  Nelidae  fuimuS)  conspecta  juventus, 

Dis  sex  herculeis  ceciderunt»  me  minus  uno,  , 

Viribus;  atque  alios  vinci  potuisse  ferendumest.  555 

«  Mira  Periclymeni  mors  est,  cui  posse  figuras 
Sumere  quas  vellet,  rursusque  reponere  sumptas 
Neptunus  dederat^  IHelci  Mtt^iilid  auctor. 
Hic,  ubi  nequicqUam  est  ferllias  variatus  in  omnes, 
Vertitur  in  faciem  volueris,  qti»  Ailmitia  curtis  900 

Ferre  solet  pddibus,  dltQtoi  gratissima  r^gi. 
Viribus  usus  avis,  pcnnis  rostrbqui^  nsdunco, 
Uamatisque  viri  laniaverat  unguibus  ora. 
Tendit  in  hubc  himium  certos  Tlrynthius  arcusi, 
Atque  inter  nubes  sublimifl  membra  ferentem,  SG^ 

Pendentemque  ferit,  lateri  qua  jungilur  ala; 
Nec  gravfi  vulnus  fe^at ;  scd  mpil  vulhere  netvi 
Deficiunt,  motumqtic  negant  viresque  vdlandi. 
Decidit  in  terrami  non  concipientibus  au^a^ 
Jufirmis  pennis;  et  qua  levis  hae^orat  fll»,  87U 


ttYAB  Xn.  475 

# 

k  peine  attach^e  kson  ail6,  press^  par  le  poids  de  son  corps, 
traversa  ses  flancs  et  ressortit  par  la  gorge.  JugeZ)  illustre  chef  de 
la  filotte  des  Rhodiens,  si  je  dois  Vanter  les  hauts  faits  de  votre 
pdjre?  M^s  je  ne  vengerai  ihes  fr^tl^s  que  paf  mon  silence;  car  je 
Yous  ai  voiiS  une  atniti^  ^tertielle.  *  Telles  furent  les  douces  pa- 
roles  qui  s'^happigrent  de  la  bouche  de  Nesttir.  D^  qU'il  eut  cess^ 
de  parler,  le  vin  remplit  ericore  les  coupes.  Puis  on  se  leva  de 
table,  et  le  reste  de  la  nuit  futdonne  au  sommeil. 

HORT    D^ACHlLLE* 

V.  Gependant  le  roi  dont  le  trident  maitrise  les  flols  voit,  avec 
toute  rindignatioh  d'un  pere,  son  fils  Gycnus  change  en  oiseau. 
Son  coBur  irrite  nourrit  contre  le  fier  Achille  une  haine  impla- 
cable.  D6j^  la  guerre  s^etait  prolong^e  pres  de  dix  ans,  lorsqu'il 
parla  ainsi  au  dieu  de  Smynthe :  tf  0  toi,  de  tous  les  enfants  de 
mon  Mre  le  plus  cher  k  mon  coeur,  toi  qui  ^levas  avec  moi  les 
remparts  imt)uissants  de  Pergame,  ne  gemis-tu  pas  de  voir  ces 
tours  pnte  de  s'^crouIer  ?  Ne  plains-tu  pas  tant  de  h^ros  qui  sont 

Corporis  affixi  pressa  est  gravitate  sagitta, 

Perque  latus  sumnium  jugtilo  iest  exacia  sinistro. 

Num  videor  debere  tui  praeconia  rebus 

Herculis,  o  rhodiae  ductor  pulcherrim^  classis? 

Nec  tamen  ulterius,  quam  forlia  facta  sitehdo,  575 

Ulciscar  fratres;  solida  est  mihi  gratia  tebUm.  • 

Haec  postquam  dulci  Neleius  edidit  ore, 

A  sermone  senis,  repetito  munere  Bacclii, 

Surrexere  toris  :  nox  est  data  csetera  somnb. 

UORS  ACHILLiS. 

Y.    At  deus,  eequoreas  qui  cuspide  temperat  undas,  S80 

In  volucrem  corpus  nati  Stheneleidh  versum 
Mente  dolet  patria,  ssrumque  perosus  Achillem 
Exercet  memores,  plus  quam  civiiiter,  iras. 
Jamque  fere  tracto  duo  per  quinquennia  bello, 
Talibus  intonsum  compeilat  Smynthea  dictis  :  S85 

«  0  mihi  de  fratris  longe  gratissime  natis, 
Irrita  qui  mecum  posufsti  moBnia  trojae, 
Ecquid,  ul  has  jamjam  casuras  aspicis  arces, 
Ingemis?  Aut  ecquid  tot  defendenlia  muros 


476  MfiTAMORPHOSES. 

tous  morts  pour  les  defendre?  et,  pour  ne  pas  les  rappeler 
tous,  ne  crois-tu  pas  voir  rombre  d'Hector  traine  autour  des 
murs  de  sa  patrie?Cependant  Achille,  plus  cruel  que  la  guerre, 
Achille,  qui  a  detruit  notre  ouvrage,  vit  encore !  Ah !  qu'il  s'offre 
a  moi,  je  lui  ferai  sentir  ce  que  peut  mon  trident.  Mais,  puisquMl 
ne  nous  est  point  permis  de  combatlre  cet  ennemi  de  pres,  s^isis 
ton  arc,  et  frappe-le  soudain  d'un  invisible  trait.  »  Apollon  y 
consent.  Heureux  de  satisfaire  sa  haine  et  celle  du  dieu  auquel 
Funissent  les  liens  du  sang,  il  s^enveloppe  d'un  nuage  et  penetre 
dans  le  camp  troyen.  Au  milieu  du  camage,  il  voit  P&ris  lancer 
quelques  traits  contit  des  Grecs  obscurs.  Le  dieu  se  fait  connaitre : 
«  Pourquoi,  lui  dit-il,  repandre  en  vain  un  sang  vulgaire?  Si  tu 
aimes  les  tiens,  tourne  tes  armes  contre  Achille  et  venge  tes 
freres  egorges. » 

A  ces  mots,  il  lui  montre  le  fils  de  Pelee  moissonnant  les 
Troyens.  II  dirige  lui-m^me  contre  ce  heros  Tarc  de  Pari5,  el 
conduit  d'une  main  siire  le  trait  falal.  Ce  fut  la  seule  joie  qup 
goilta  le  vieux  Priam  apr^s  la  mort  d'Hector.  Te  voila  donc, 
Achille,  vainqueur  de  tant  de  heros,  te  voila  vaincu  par  le  lache 


Millia  caesa  doles?  Ecquid,  ne  persequar  omnos,  "»1N) 

Hecloris  umbra  subit,  circum  sua  Pergama  iracti? 

Ouum  tamen  ille  ferox,  belloque  cruentior  ipso, 

Vivit  adhuc,  operis  nostri  populator,  Achilles. 

Det  mihi  se  :  faxo,  triplici  quid  cuspide  possim, 

Sentiat.  At  quoniam  concurrere  cominus  hosti  lt9l» 

Non  datur,  occulta  necopinum  perde  sagitta.  »» 

Annuit,  atque  animo  pariter  patnioque  suoque 

Dehus  indulgens,  nebula  velatus  in  agmen 

Pervenit  iiiacum,  mediaque  in  caede  virorum 

Rara  per  ignotos  spargentem  cernit  Achivos  600 

Tela  Parin,  fassusque  deum  :  «  Quid  spicula  perdis 

Sanguine  plebis?  ait.  Si  qua  est  tibi  cura  luorura, 

Vertere  in  ^aciden,  cxsosque  ulciscere  fratres.  » 

Dixit,  et  ostendens  sternentem  troia  ferro 
Corpora  Peliden,  arcus  obvertit  in  illum,  605 

Gertaque  lelhifera  direxit  spicula  dextra. 
Quod  Priamus  gaudere  senex  post  lleclora  possct, 
Hoc  fuit.  IUe  igitur  tanlorum  victor,  Achille, 
Vinccrisa  timido  graiae  raplore  marilae! 


LIVRE  Xll.  .    477 

misseur  d*ti^l^ne !  Si  tu  avais  dil  perir  par  le  bras  d'une  femme, 
tu  aurais  mieux  aim^  sans  doute  tomber  sous  }a  hache  d  une 
Amazone.  Deja  le  petit-fils  d'fiaque,  la  terreur  des  Phrygiens,  ia 
gloire  et  Tappui  des  Grecs,  ce  h^ros  invincible  dans  les  combats, 
etait  place  sur  le  bi!kcher.  Le  dieu  qui  avait  forg^  son  armure  le 
consume.  Cet  illustre  guerrier  n'est  plus  qu'un  peu  de  cendre,  et 
du  grand  Achille  il  reste  je  ne  sais  quoi,  capable  a  peine  de  rem- 
plir  l'urne  ia  plus  modeste.  Mais  sa  gloire  lui  survit  et  remplit 
Tunivers.  CestFespace  qui  convient  au  heros;  c'est  par  la  qu'A- 
chille  est  ^gai  a  lui-m^me,  et  quMl  ^chappe  aux  enfers.  Son  bou- 
clier  (on  reconnait  ainsi  ce  qu'^lait  son  maitre)  excile  des  combats, 
et  Ton  prend  les  armes  pour  se  disputer  ses  armes.  Ni  Diom^de, 
ni  le  fils  d'Oilee,  ni  le  plus  jeune  des  Atrides,  ni  son  fr^re,  plus 
intrepide  et  plus  dg^  que  lui,  ni  tant  d'autres  capitaines,  n*osent 
y  pr^tendre.  Seuls,  le  fils  de  Telamon  et  le  fils  de  LaSrte  ont 
assez  de  confiance  dans  leur  m^rite  pour  aspirer  k  ces  glorieuses 
d^pouilles.  Agamemnon  repousse  toute  responsabilit^,  et,  pour 
se  tenir  k  Tabri  de  tout  ressentiment,  il  engage  les  chefs  de  la 
Grto  a  se  r^unir  au  milieu  du  camp,  et  les  fait  juges  du  debat. 

At  si  remineo  fuerat  tibi  marte  cadendum,  610 

Thermodontiaca  malles  cecidisse  bipenni. 

Jam  timor  ille  Phryguro,  dccus  et  tutela  pelasgi 

Nominis,  iEacides,  caput  insuperabile  bello, 

Arserat :  armarat  deus  idem,  idemque  cremarat. 

Jam  cinis  est,  et  de  tam  magno  restat  Achille  615 

.Nescio  quid,  parvam  quod  non  bene  compleat  urnam. 

At  vivit,  totum  quaet  gloria  compleat  orbem. 

Hsc  illi  mensura  viro  respondet,  et  hac  esl 

Par  sibi  Pelides,  nec  inania  Tartara  sentil. 

Ipse  etiam  (ut,  cujus  fuerit,  cognoscere  possis)  620 

Della  movet  clypeus,  deque  armis  arma  feruntur. 

Non  ea  Tydides,  non  audet  Oileos  Ajax, 

Non  minor  Atrides,  non  bello  major  et  aevo, 

Posccre,  non  alii.  Soli  Telamone  creato 

Laerlaque  fuit  tantae  fiducia  laudis.  625 

A  se  Tantalides  onus  invidiamque  removit, 

Argolicosque  duces  mediis  considerc  castris 

Jussit  et  arbitrium  litis  trajecit  in  omnes. 


•27. 


LivRE  "rMimm 


kikt  kX  ULtSSE  8B  DISPDTBHT  LBS  &IUIBS  d\gHILLE.  -^  LB  SAKG 
D  AfAX  E6T  CniiSGl&  EN  FLBUR. 

1.  L^  chetb  ont  pri^  pUte,  et  la  foule  3e  tietit  deboUt  autoUr 
d^eux.  Ajax  ^6  ISve,  fl^r  d^  Isbn  immeilse  boUclier.  Incap^ble  de 
tJdtttehii'  sdft  cOUrfoU^,  il  Jette  Un  Wgard  feiS^Oche  sur  !e  fiVilge 
de  Slgte  et  suf*  la  Mte  qui  le  cdUvre ;  puis,  les  bra^  tetldus,  il 
s*dtHe  :  cO  JUpit^f !  c*^st  k  U  Vue  de  hos  vaisseaux  que  ftotis 
pldiddhs,  et  c'est  Uly^se  qu*on  met  eU  pai^lSle  avec  mdi»  lui  qui 
h'ai  pas  h)ugi  de  fuif  devaht  leS  feUt  ddht  Hectof  hiena^it  notre 
fldttd,  tandis  que  hioi,  j^  les  ai  bi*aveS,  j6  leS  fti  fepdUSBeS!  II  y  a 
sans  doute  moins  de  danger  a  faire  assaut  de  discours  imposteurs 
qu'a  combattre  l'epee  a  ia  main!  Mais  il  m^est  aussi  difficile 
de  bien  parler  qull  Test  Si  Ulysse  de  bien  agir ;  et  je  remporte 

LIBER  TERTIUS  DECIMUS 

AJAX   ET   nLT.SSES  DE  ACHILLIS  ARIIIS   CONTENDUNT.   —  AiACIS   SANGUIS 
IN  FLOREM   CONVERTITUR. 

I.    Consedere  duces,  et,  vulgi  stante  corona, 
Surgit  ad  hos  clypei  dominus  septemplicis  Ajax. 
Utquc  erat  impatiens  irae,  sigeia  torvo 
Littora  respexit,  classemque  ia  iillore,  vullu, 
Intendensque  manus  :  c  Agimus,  pro  Jupiter!  inquil,  5 

Ante  rates  causam,  et  mecum  confertur  Ulysses! 
At  non  hectoreis  dubitavit  ceilere  flammis, 
Quas  ego  suslinui,  quas  hac  a  classe  fugavi. 
Tulius  est  igitur  ficlis  conlendere  verbis, 
Quam  pugnare  manu.  Sed  nec  mihi  dicere  promplum,        10 
Aec  facere  est  isti;  quantumque  ego  marte  feroei, 


LIVRE  Xni.  479 

par  rin(rg|)idit6  dsltis  les  tonikiUi,  aUtant  qU'il  ^ixMe  lAm  l*art 
de  la  parole.  Cependant,  6  Grecs !  je  rie  pense  pas  qu'il  soit  ntos- 
saire  de  tous  rappi^ler  mi^  eiploitS :  VoU^  les  avet  vds.  Qu^blysse 
racdnte  le^  sieUs,  qtii  n'oht  eu  que  lui  setil  et  la  huit  pdut^  it- 
moins.  Le  prix  qUe  f  ambiUonne  est  grand,  je  l^aroUe ;  mais  Un 
tel  condtitf ent  le  ddgrade.  QUelqUe  cptasiddt*abl6  qu'il  ^oit,  il  y  a 
pouf  Ajkx  peu  d'hohneur  Si  robtenif ,  d^  qU*UlJsse  ose  y  pi*d- 
tendre.  D^ja  m^me  ne  r^cueille-i-il  p^s  de  cette  lutte  urie  assidz 
belle  gloire,  puisque,  apr^  ^a  d^fdite,  on  lui  fera  Uh  m^fite  d^i- 
Vbir  6t6  mon  rival? 

I  Si  mon  courage  pouv^t  ^tre  contestS,  j^aufais  k  me  priivddir 
d^une  hdissflhee  illustre.  Je  suis  le  fils  deT^ltooh,  qUi  coUlbaltit 
aTec  le  Tkillant  Hercule  pour  la  prise  de  Troi^,  et  descendit  avec 
les  Argdnautes  sur  le  rivage  de  \A  Golchide.  U  eut  pour  p^re  £aque, 
dont  les  ombres  sUendeused  re|[^iTent  les  lois  dans  le  s^jour  oU 
Sisyphe  roule  un  ^nonhe  rocher.  Le  souTeraih  maltre  des  dieux 
reconnalt  lui-^mdme  £aque  et  le  proelame  Hon  fils.  Ajax,  par  sdn 
origme,  tient  dohc  la  troisi^me  place  au-dessous  de  Jupiter.  fih 
blen,  Grecs,  je  consens  k  U'en  tirer  aucun  bvantage»  si  je  ne  la 


Qaantum  acie.  valeo,  tantum  Talel  iste  loquendo. 

Nec  memoranda  tamen  vobis  mea  facla,  Pelasgi, 

Esse  reor ;  vidistis  enim.  Sua  narret  Ulysses, 

Qu8e  sine  teste  gerit,  quorum  noi  conseia  sola  est.  1:) 

Praemia  magna  peti  fateor;  sed  demit  honorem 

^mulus.  Ajaci  non  est  tenuisse  superbum, 

Sit  licet  hoc  ingens,  quidquid  sporaTit  Ulysses. 

Iste  tulit  pretium  jam  nunc  certaminis  hujus, 

Quo  quum  victus  crit,  mecum  certasse  feretur.  il) 

«  Atque  ego,  si  virtus  in  me  dubitabiiis  ess^t, 
Nobilitate  potens  essem,  Telamone  creatus, 
Moenia  qui  forti  trojana  sub  Hercule  cepit, 
Littoraque  intravit  pagasaed  colcha  carina. 
.£acus  huic  pater  est,  qui  jiua  silentibus  illic  25 

Reddit,  ubi  iEoIidcn  salum  grave  Sisypbon  urget. 
JEacon  agnoscit  summtls,  prolemque  fatetur 
Jupiter  esse  suam  :  sic  slb  Jove  tertius  Ajax. 
Kec  tamen  haec  series  in  causa  prosit,  Acliivi, 
Si  mihi  cum  magno  non  eftt  commiinis  Achillc.  ^ 


480  METAMORPIIOSES. 

partage  point  avec  le  grand  Achille.  Uni  par  le  sang  a  xie  heros,  je 
reclame  Theritage  d*un  frere. 

c  Mais  toi,  ne  du  sang  de  Sisyphe,  et  qui  lui  ressembles  par  tes 
artifices  et  par  tes  larcins,  pourquoi  m^ler  des  noms  etrangers  aux 
noms  des  fiacides?  Est-ce  parce  que  le  premier  j'ai.  couru  aux 
armes,  sans  le  secours  d'un  denonciateur,  qu'on  me  refusera  ces 
armes?  et  Ton  en  jugerait  plus  digne  celui  qui  se  presenta  le 
dernier,  celui  qui,  pour  ^viter  les  perils  de  la  guerre,  feignit  la 
d6mence  jusqu'au  jour  ou,  plus  ruse  quTlysse,  mais  trop  im- 
prudent,  le  fils  de  Nauplius  d^voila  ce  ISche  stratagtoe,  et  Ten- 
traina,  malgre  lui,  aux  combats ! '  QuMl  re^oive  ces  armes  glo- 
rieuses,  lui  qui  n^avait  point  voulu  prendre  les  armes,  tandis  que 
je  resterai  sans  recompense,  prive  d'un  bien  que  m^assuraient  les 
liens  du  sang,  moi  qui  affrontai  les  premiers  dangers !  Ah  !  pliit 
aux  dieux  que  sa  demence  eut  ^te  v^ritable,  ou  du  moins  que  les 
Grecs  n'en  eussent  pas  decouvert  la  faussete,  et  que  ce  conseiller 
du  crime  n'eut  jamais  pen6tre  dans  les  remparts  de  Troie !  Alors, 
fils  de  Poean,  nous  ne  faurions  pas  perfidement  abandonne  dans 
Lemnos ;  toi  qui,  dit-on,  cache  maintenant  dans  des  antres  sau- 
vages,  attendris  les  rochers  par  tes  cris  plaintifs,  et  appelles  sur 

Frater  erat;  fratema  peto. 

«  Quid  sanguine  cretus 
Sisyphio,  furtisque  et  fraude  simillimus  illi, 
Inspris  ^acidis  aliense  nomina  genlis! 
An  quod  in  arma  prior,  nuUoque  sub  indice  veni, 
Arma  neganda  mihi?  Potiorque  videbitur  ille,  ">^ 

Ultima  qui  cepil,  detrectavitque  furore 
Militiam  ficto,  donec  solertior  isto, 
Sed  sibi  inutilior,  timidi  cojnmenta  retexit 
Naupliades  animi,  vitataque  traxit  in  arma? 
Optima  nunc  sumat,  qui  sumcre  noluit  ulla.  i" 

Nos  inhonorati,  et  donis  patrueiibus  orbi, 
Obtulimus  qui  nos  ad  prima  pericula,  simus. 
Atque  utinam  aut  verus  furor  ille,  aut  creditus  essr  i! 
Nec  comcs  hic  phrygias  unquam  venisset  ad  arce? 
Hortator  scelerum.  >'on  te,  Poeanlia  proles,  4a 

Eipositum  Lemnos  nostro  cum  crimine  haberet, 
Qui  nunc,  ut  memoranl,  silvestribus  abditus  antris, 


LIYRE  XIII.  481 

le  fils  de  Lagrte  le  cMtiment  qull  a  m^rit^ !  S'il  est  des  dieux 
vengeurs,tes  pri^res  ne  seront  pointvaines.  Helas!  ceh^ros,  un 
des  chefs  de  la  Gr^e,  lie  par  les  mSmes  serments  que  nous, 
rh^ritier  des  fl^ches  d'Hercule,  en  proie  aux  tourments  de  la  ma- 
ladie  et  de  la  faim,  est  reduit  a  se  procurer  par  la  chasse  quelques 
oiseaux  dont  il  fait  sa  nourriture !  H  exerce  contre  les  hahitants  de 
Tair  les  traits  reserv6s  aux  destins  d'Uion !  Cependant  il  vit  encore, 
parce  qu'il  n'a  point  accompagne  Ul^sse.  L^infortun^  PalamMe  ei!it 
aussi  mieux  aime  ^tre  d^laisse  dans  une  ile  d^erte.  H  vivrait,  ou 
du  moins  il  n'eilt  pas  ^t^  victime  de  sa  perfidie,  lui  qui,  pour  son 
malheur,  d^joua  la  folie  simulee  d'UIysse,  dont  Timplacable  res- 
sentiment  Taccusa  de  trahir  notre  cause,  et  prouva  ce  crime  sup- 
pos^  en  montrant  un  tr^r  enfoui  d'avance  dans  la  tente  de  ce 
guerrier.  Cest  ainsi  que,  par  Texil  ou  par  la  mort,  Ulysse  aflaiblit 
notre  arm^e;  c'est  ainsi  qu'il  combat  et  qu'il  se  rend  redoutable. 

«  Tdi-il  plus  ^loquent  que  Nestor,  il  ne  me  fera  jamais  avouer 
qu'il  pilt  Tabandonner  sans  reproche.  £n  vain  ce  sage  vieillard 
implora  le  secours  dTlysse,  au  moment  ou  sa  marche  ^tait  retar- 
dee  par  la  blessure  de  son  coursier  et  par  le  poids  des  ans.  Son 
compagnon  le  trahit.  Ce  n'est  pas  un  crime  imaginaire :  le  fils  de 

Saxa  moves  gemitu,  Laertiadaeque  precaris 

Quffi  meruit :  quae,  si  dl  sunt,  non  vana  preceris. 

Et  nunc  ille  eadero  nobis  juratus  in  arma,  50 

Heu!  pars  una  ducuro,  quo  successore  sagittae 

Herculis  utuntur,  fractus  roorboque  fameque, 

Vcnaturque,  aliturque  avibus,  volucres€[ue  pelendo 

Debita  trojanis  esercet  spicula  fatis. 

Ille  tamen  vivit,  quia  non  comitavit  Ulyssen.  55 

Mallet  ct  infelix  Palamedes  esse  relictus! 

Viveret,  aut  certe  lethum  sine  crimine  haberet. 

Quem  male  convicti  nimium  memor  iste  furoris 

Prodere  rem  danaam  fmxit,  fictumque  probavit 

Crimen,  et  ostendit,  quod  jam  prxfoderat,  aurum.  00 

Ergo  aut  exsilio  vires  subduxit  Achivis,         • 

Aut  nece  :  sic  pugnat,  sic  est  metuendus  Ulysses. 

«  Qui  licet  eloquio  fidum  quoque  Nestora  vincat, 
Haud  tamen  efticiet,  desertum  ut  Nestora  cHmen 
Esse  rear  nullum;  qui,  quum  imploraret  Ulyssen,  65 

Vulnere  tardus  equi,  fessusque  senilibus  annis, 
Proditus  a  socio  est.  Non  hsc  mihi  crimina  fingi, 


482  MgTAIIORPHOSES. 

Tydte  le  sait  bieti,  lui  qui  appela  plusieuTB  Ibis  Dlfsse  par  Mh 
nom,  el  bl&ma  la  fuite  de  cet  ami  pusillanime. 

f  Mais  ia  justice  des  dieux  Teilie  sur  les  mortels.  BientOt  Ul}Me 
eut  besdin  pour  lui-mtoie  du  secours  qU*il  atait  reftis^  ft  J^eStbt. 
U  m^ritait  d'£tre  abandonn^ :  il  avait  lui-^n^me  diotd  Id  Id.  tl 
appelle  a  grands  cris  ses  coiUpagnons.  J'accours,  Je  le  Irois  pile 
et  tremUant  derant  la  mort  qui  le  menace.  J*oppo8($  aux  eittie^ 
mis  knon  vaste  boudier,  qui  couvre  son  corps  ^tendu  siir  rardfitt, 
et  je  sauve  un  l&ehe,  sans  qu'ii  en  revienne  la  moindre  gloire 
pour  Ajax.  Si  tu  persistes  a  lutter  eontl*e  moi,  revenons  dans  te 
m6me  lieu.  Que  je  Ty  retroiive  iiveo  i'ennemi,  avec  ta  Maistire 
et  ta  frayeur  accoutumee;  cacbe-loi  derri^re  mon  bouclier,  et 
Ui  dispute-moi  les  armes  d^AchiUel  Lorsque  je  Teus  deiivr^, 
celui  auquel  ses  blessures  n'UVaient  pas  laisse  la  force  de  r^is- 
ter  k  i'ennemi  prit  la  fuite  sans  Stre  retarde  par  ses  ble»- 
sures»  Hector  parait,  et  entraine  avec  lui  ies  dieuk  au  omirilMit. 
Partout,  sur  son  passage,  l'effroi  8'empare  non-seukment  de  td, 
Ulysse,  mais  des  plus  intrepides :  tant  la  terreur  acoonlpagne  ses 
pas !  Fier  de  r^pandre  le  camage^  le  fils  de  Priam  triempliiit 
dejk.  Je  l*attaque  de  pr^s,  et  je  le  renverse  sous  une  roclie 


Scit  bene  Tydides,  qui  nomine  saepe  vocatum 
Corripuit,  trepidoque  fugam  exprobavit  amico. 

«  Aspiciunt  oculis  Superi  mortalia  justis.  70 

En  eget  auxilio,  qui  non  tulit ;  utque  reliquit, 
Sic  linquendus  er^t :  legem  sibi  dixerat  ipsc. 
Conclamat  socios.  Adsum,  videoque  Ircmcnlem 
Pallentemque  metu,  ac  trfepidantem  morte  fulura. 
Opposui  molem  clypei,  texique  jacentem,  75 

Scrvavique  animam  (minimum  e$t  hdc  laudis)  indHem. 
Si  perstas  certar^,  loctim  rededmus  in  illutn; 
Redde  hostem,  tulilusque  tuiim,  solitumquc  timorem; 
Post  clypeumque  lale,  et  mecam  coutende  sub  illo. 
At  postquam  eilpui,  cui  siandi  Ttilnera  vires  80 

Non  dederant,  nilllo  tardattls  vulnere  fugit. 
Hector  adest,  socumque  deos  in  prxlia  ducit; 
Quaque  ruit,  non  tu  tantum  terreris,  Ulysse, 
Sed  fortes  etiam :  Untum  trahit  ille  timoris ! 
llunc  e{?o  sanguinea  successu  cadis  ovantem  8.*i 

Cominus  ing  nti  rosupinnm  pondere  fudi. 


LtYRE  tlll.  483 

tamh^.  Lm^ull  d^iid  le  plUB  brave  d*^tre  nbUS)  seul  je  ttie 
l^setilai.  6Tmy  rm  flteft  dds  tdsux  pobr  t|ue  le  Bort  nie  d^igndt : 
ih  fisami  etauc^.  Veulee^us  coritoaltre  rissue  da  ciomint?  Ajax 
ne  lUt  pt^  Vaitieu  par  fieetm";  Tout  k  coup  led  Troymu  portent 
fttif  6dtjra  fibtte  le  fgr  et  Id  flamme.  Jupiter  maMie  atec  eux^  Od 
^tait  dbi^  tlysSe  avec  son  eldqtletice?  Bk^,  je  ii6  \in  rempart  de 
mim  eo^j)d  ii  n&»  mille  Tai86eaut>  espbir  de  Votre  tetour.  Peiir 
0§l  biiU&  vai^edUJt  donn^zMonoi  l^s  almes  d^Acliilie^  k  dire  vrai^ 
je  f&M  pm  d  horineur  k  tes  mim  (ju^elle^  rie  tn'en  rappbrteM- 
font  Ifdtt^  gloire  est  unie  :  les  ahnes  d^Aciiilie  tmt  pius  besoin 
4^Ajak  qu'Ajat  n'a  besoih  d^eliesi 

i  Que  le  rbi  dllh^qUe  compat^  ii  tned  fexploits  le  meurtre  de 
Rlti^s  lii  dtl  Iflche  Doion)  renl^ifement  d^HeleUub^  un  des  filB  de 
Pri^,  et  eelUi  du  Palladitun.  II  n'd  jamais  rien  &it  au  grand 
]our.  II  n'est  rien  sans  Diomede.  Si  vous  aoooi^ei  les  aTmes 
d*Abhiile  pour  ^rix  d'expioit&  si  ohscurs>  paTtag^les,  et  que 
Diitttl^  sdt  la  riieiiieure  parti  Mais  pourquoi  les  donner  k  Uiyssey 
(ttti  agil  datm  Vmitiir6,  toujours  sam  combit)  et  rie  isait  qde  sut^ 
pr^dns  r^emi,  eomme  Un  larron?  L'6clat  de  ce  easque  rea- 
plendi»sam  d*or  trahirait  ses  rused  bt  d^voilerait  sa  mardie  t^n^ 

Hunc  ego  poscenteni,  cum  quo  concurreret,  unus 

Sustinui;  sortemqtie  meam  TOTistis,  Achivi» 

Et  vestrae  valuere  preces.  Si  qunritis  hujus 

Fortunam  pugnaej  non  sum  superatus  ab  illd»  90 

Ecce  ferunt  Troes  ferrumque,  ignemque,  iovemque 

In  danaas  classes.  Ubi  nunc  facundus  Ul^sses? 

Nempe  ego  miile  kneo  protexi  pectore  puppes, 

St>em  vestri  reditus.  Date  tdt  pro  aavibus  armat 

Quod  si  vera  licet  mihi  dicere,  qunritur  istis,  95 

Quam  mibi,  majof  bonos^  eonjunctaque  gloria  nostra  est{ 

Atque  Ajax  armis,  non  Ajaci  arma  petuntur; 

«  Conferat  his  IthacliS  Rhestuta,  idibeIiem()Ue  Dolotla, 
Priamidenque  HeldUtiM  rapla  chhi  t^allade  cjiptum. 
Luce  nihil  gestum,  bibil  est  Diotnede  reibofO.  tOO 

Si  semel  ista  ddtis  tneHtis  tam  vilibiis  di>ma, 
Dividite,  et  pars  sit  major  Diomedis  in  illis. 
Quo  tamen  bxc  Ithaed,  qui  clam,  qui  semper  ii.e)>mis 
I^em  gerit,  et  ftiirtis  incautiitn  deciplt  bostem? 
Ipse  nitor  gale»,  clflro  radiAbUs  &b  illiroK  16^ 

Insidias  prodet,  faidni(^siiibitqtii§  lal^nteili. 


484  Ml^TAMORPHOSES. 

n^breuse.  Sa  iAie,  charg^  du  casque  d*Achille,  fl^hirait  sous 
un  si  grand  fardeau ;  la  lance  du  h^os  serait  trop  lourde  pour 
un  si  faible  bras ;  et  son  bouclier.ou  est  grav^  Timage  du  monde, 
ne  convient  point  a  une  main  timide  qui  ne  semble  faite  que  pour 
le  lardn.  Insense !  pourquoi  briguer  des  armes  qui  t*e(araseraient 
de  leur  poids  ?  Si  ies  Grecs  abuses  te  les  donnaient^  loin  de  te  ren- 
dre  redoutable,  elles  ne  te  foumiraient  que  Toccasion  d'enricbir 
Tennemi.  Ta  fuite,  la  seule  chose  ou  tu  excelles,  6  le  plus  Idche 
des  hommes !  ta  fuite  se  ralentirait,  lorsque  tu  trainerais  cette  pe- 
sante  armtire.  Que  dis-je  ?  lon  bouclier,  rarement  expose  aux  com- 
bats,  est  encore  intact,  tandis  que  le  mien,  perce  de  mille  traits, 
attend  un  successeur.  Mais  k  quoi  bon  tant  discourir?  Que  les  faits 
seuls  decident.  Jetez  au  milieu  des  ennemis  ces  armes  d*un  h^ros. 
Commandez-nous  d'aller  les  y  reprendre,  et  d^cernez-les  k  celui 
qui  les  rapportera.  » 

Ainsi  parla  le  fils  de  Telamon.  La  foule  accueillit  la  fin  de  son 
discours  avec  un  murmure  favorable.  Alors  le  fils  de  Laerte  se 
l^ve.  II  baisse  d'abord  les  yeux,  puisles  porte  vers  les  chefsdela 
Grece,  impatients  de  Tentendre,  et  prononee  ce  discours  plein 
d'eloquence  et  de  gr^ce :  «  Grecs,  si  vos  vobux  et  les  miens  eus- 

Sed  neque  dulichius  sub  Achillis  casside  vertex 

Pondera  tanta  feret;  nec  non  oncrosa  gravisque 

Pelias  esse  potest  imbellibus  hasta  lacertis. 

Nec  clypeus,  vasti  caelatus  imagine  mundi,  110 

Conveniet  timidae  natxque  ad  furta  sinistrae. 

Debilitaturum  quid  te  petis,  improbe,  munus? 

Qaod  tihi  si  populi  donaverit  error  AchiTi, 

Cur  spolieris,  erit,  non,  cur  metuaris  ab  hoste; 

Et  fuga,  qua  sola  cunctos,  timidissime,  vincis,  115 

Tarda  fulura  tibi  est,'  gestamina  tanta  trahenti. 

Adde,  quod  iste  luus,  tam  raro  prxlia  passus, 

Integer  est  clypeus;  nostro,  qui  tela  ferendo 

Mille  patet  plagis,  novus  cst  successor  habendus. 

Denique  quid  vcrbis  opus  cst?  spectemur  agendo.  120 

Arma  viri  fortis  medios  mittantur  in  hostes  : 

Inde  jubete  peli,  et  refereutem  ornate  relatis.  » 

Finierat  Telamone  satus,  vulgique  secutum 
Uitima  murmur  erat,  donec  Laertius  heros 
Adstitit,  atque  oculos  paulum  tellure  moratos  123 

Sustulit  ad  proceres,  exspectatoque  resclvit 
Ora  sono;  neque  abest  facundis  gratia  dictis: 


LIYRE  XIII.  485 

sent  ^t6  accomplis,  l'h^ritier  de  telles  armes  n^  serait  pas  in- 
certain.  Tu  les  poss^erais,  Achille,  et  nous  te  poss6derions  en- 
core!  Mais,  puisque  les  cruels  Destins  nous  ont  enyi^  ce  bon- 
heur  (en  m6me  temps  il  porta  la  main  a  ses  yeux  comme  pour 
essuyer  ses  larmes),  qui  pourra  plus  dignement  succeder  au 
grand  Achille  que  celui  qui  Fa  ramene  parmi  vous  ?  Que  la  gros- 
sieret^  d'esprit,  dont  Ajax  se  vante  lui-mSme,  ne  soit  pas  un 
tilre  pour  lui,  et  que  mes  talents,  toujours  consacres  k  vos  int^- 
rSts,  ne  me  deviennent  pas  funestes!  Si  je  possMe  quelque  ^Io- 
quence,  puisse>t-elle,  lorsqu'elle  soutient  mes  droita,  comme  elle 
a  souvent  d6fendu  les  v6tres,  ne  point  m'attirer  de  defaveur! 
Chacun  doit  faire  valoir  ses  avantages  personnels. 

«  La  naissance,  les  aieux  et  les  exploits  d'autrui  ne  nous  appar- 
tiennent  pas.  Ajax  se  glorifie  d'6tre  rarriere-pelit-fils  de  Jupiter. 
Je  dirai  que  Jupiter  est  aussi  le  ehef  de  ma  famille  :  nos  degr^s 
sont  egaux.  Laerte,  moi\  p^re,  ^tait  fils  d'Arc^ius,  fils  lui-m6me 
de  Jupiter.  Seulement,  il  n'y  a  dans  ma  famille  ni  coupable,  ni 
exil^.  Mercure,  quireconnatt  ma  m^re  pour  sa  fiUe.  me  donneune 
seconde  noblesse  :  des  deux  c6t^  j'ai  des  dieux  pour  anc6tres. 


«  Si  mea  cum  vestris  valuisseat  vota,  Pelasgi, 
Non  foret  ambiguus  tanti  certaminis  hseres; 
^Tuque  tuis  armis,  nos  te  poleremur,  Achillel  130 

Quem  quoniam  non  aequa  mihi  vebisque  negarunt 
Fata  (manuque  simul  veluti  lacrymantia  tersit 
Lumina),  quis  magno  melius  succedat  Achilli, 
Quam  per  quemmagnus  Danais  successit  Achilles? 
Huic  modo  ne  prosit,  quod,  ut  est,  hebes  essc  videtur;    13S 
Neve  mihi  noceat,  quod  vobis  semper,  Achivi, 
Profuit  ingenium ;  meaque  haec  facundia,  si  qua  est, 
Quae  nunc  pro  domino,  pro  vobis  saepe  locuta  est, 
Invidia  careat;  bona  nec  sua  quisque  recuset. 

«  Nam  genus,  et  proavos,  et  quse  non  feciraus  ipsi,       140 
Vix  ea  nostra  vqco.  Sedenim,  quia  rettulit  Ajax 
Esse  Jovis  pronepos,  nostri  quoque  sanguinis  auctor 
Jupitcr  est,  totidemqne  gradus  distamus  ab  illo. 
Nam  mihi  Laertes  pater  est,  Arcesius  illi, 
Jupitcr  huic;  neque  in  his  quisquam  damnatus  et  exsu).  145 
Esl  quoque  per  matrem  Cyllenius  addita  Qobi& 
Altera  nobilitas  :  deus  est  in  utroquc  ^afenle. 


486  M£TAM0RPH0SES. 

Mais  ce  n^est  ni  parce  que  ma  m^re  riend  ma  naissanoe  plus  illus- 
tre  qtie  oelle  d'Ajax,  ni  parce  ({ue  mon  p^  ne  s'e8t  pas  souille 
du  meurtre  de  son  fr^e,  que  je  demande  les  armes  d^Adiille. 
Jug^nous  6ur  nos  actions.  Qa'Ajax  ne  se  pr^vale  point  de  oe 
quil  a  T^lamon  et  P^li^e  pour  freres.  Nos  droits  d(H?ent  8'aj^yer, 
non  8Ur  les  liens  du  sang,  mais  sur  notre  m^rite  personnel.  Tou- 
tefois»  si  Fon  Teut  pi^ndre  dans  Fordre  des  ancetres  le  premier 
h^ritier  d'Achille,  P^te  son  p^re  et  Pyrrhus  son  fils  Yivent  en- 
core.  Oii  est  la  place  d'Ajai?  Portez  oes  armes  a  Phthie  ou  a  Scyro8. 
Teucer  est  1»  cousin  d'Abhille  aussi  bi^  qu'Ajax.  Mais  demande- 
i-il  ce^  armes?  et,  quand  il  les  demanderait,  les  obliendrait4i? 
Ge  sont  les  senrices  seuls  qu'il  faut  pesa'  dans  cette  luUei  Les 
miens  sont  trop  ndmbreux  pour  6tre  exposesid.  Je  \ais  petuiant 
les  rappeler  d'aprds  Tordre  des  temps. 

k  Th^tis,  TA^\re  d'AchiUe,  pr^Toyant  la  mort  pr^matur^  de  son 
fllS}  tiaeha  6on  sexe  sous  Thabit  d'tm$  vierge.  Ge  d^uifiemeDt 
•tl*ompa  toUB  les  Grecs  et  Ajax  lui-mSitie.  A  ses  atours  je  mdlai 
ded  attnes  propt^s  k  ^moutbir  TAme  du  heros.  11  n*avait  pas 
entore  ddpouiil^  sbn  trafestisiBementi  quilnd  il  prit  la  kuM»  et 


Sed  neque  malet-bo  (Juod  sutn  g6iier0sior  oHu, 

Kec  mihi,  quod  pdter  eist  h-aterni  ^atiguinis  insons, 

Proposita  arma  peto  :  meritis  eipetldite  cdusam.  iSO 

Dummodo  quod  ft-atries  telaraon  PeleusqUe  fUerunl, 

Ajacis  meritum  non  sit;  nfec  sanguinis  otdd, 

Sed  virtutis  hotlos  SpoDI^  qu^ratui*ib  islis. 

Aut  si  proximitas,  prlmuSque  ttquirltur  lioct-es, 

Est  genitor  PeleUs,  ^st  Pyrrhus  filius  illi.  155 

Quis  locus  Ajaci?  Phthiam  haic  Scyronve  Iferahlur. 

Nec  minus  est  islo  Teucer  patrUfells  Achilli. 

Num  pelit  ille  taihen?  Nutn,  si  petat,  auferat  atma? 

Ergo  operum  quotiiam  nUdum  certamen  babetur, 

Plura  quidem  feci,  quam  quai  comprendere  diclis  IGO 

In  promptu  mihi  sit.  Herum  tameh  ordine  ducar. 

«  Prsscia  venturi  genitrix  Netfeia  lethi 
Dissimulat  cultu  natum.  Deceperat  omnes, 
In  quibus  Ajacem,  sumptoa  fallacia  vestis. 
Arma  ego  femineis,  aniltiUm  motura  virilettl,  165 

Mercibus  inserui;  neque  adhuc  projecerat  heros 
Virgincos  habiius,  quum  pdrmam  hastamquc  tenenti: 


LIYRB  Xlllt  487 

le  bouelier.  •  Fils  d'ime  dtesse,  lui  dis-je,  Pergame  attend  sa 
«  chiite  de  ton  brasi  Pourquoi  diffiirer  de  renverser  aes  au- 
V  p^bes  renitmrls?  •  ie  16  saisis  et  j'entrainai  utl  h^n^  k  de 
noMes  exploits.  Ses  hauls  faits  tont  dono  mon  ouvrage»  Cest 
tniH  (i^i  ai  tenU  T^l^phe  som  ts\^  lancO)  et  qUi,  h  sa  pri^e, 
lui  ai  Qcmsenr^  Ift  tie<  Th^be3  est  tomb^  sous  mes  coupsi  Cest 
mdi^  n^fsA  (kniteE  pas,  qui  ai  conquid  Scyroii,  Lesbos»  T^nMos, 
QuT^  et  Gjflla,  eonsacrees  a  Apollon.  Mon  bras  a  reuTers^  les  murs 
de  Lymesse.  Sans  p^rler  d'autres  hdr^s^  je  tous  ai  dorni^  eelui 
qui  pduriit  seul  teri^asser  le  redoUtable  Heotdr ;  e'est  dono  par 
mdi  que  le  grand  Heetor  a  p^.  Je  dienlande  ctt  armes  (idtur  prix 
de  celleg  qui  me  fiirent  dtoutrir  Adiille.  Je  lui  donnai  dlHi  atmes 
pendant  sa  tie^  Je  rMame  les  sieimes  aprds  sa  ihort* 

f  Lorsque  le  i^s^tihi^t  d^uii  seul  erma  toute  la  Grtoi  et 
que  mille  vaisseaux  couvrirent^  prte  d'Aulis»  les  edtes  d'fiiib^e, 
les  tenU)  Hppelds  par  nos  Voeui)  se  turent  longtetUpB  ou  con- 
ti^^rent  notre  flottei  Un  oracle  inhumain  enjoignit  h  AgA- 
inemntm  dlmmolei'  sa  dUe  innocente  au  coUrroux  de  Diane. 
Agatnemnlm  refusa  d'ob4ir  et  s^emporta  ci^tre  les  dieUx:  Le 
roi  ^tait  pere.  GrSce  &  moi,  le  bien  public  triompha  de  sa  ten- 

k  Nate  dea,  dixi,  tibi  se  perittira  reserTant 

«  Pergama.  Quid  dubitas  ingenlem  eTertere  Trojam?» 

lojecique  manum»  fortemque  ad  fortia  misi.  170 

Ergo  opera  iliius,  mea  sunt.  Ego  Telepbon  hasta 

Pugnantem-  domui,  Tictum  orantMique  refecii 

Quod  Thebae  cecidere,  meum  est.  Mo  ercdile  Lesbon, 

Me  Tenedon,  Cbrysenque»  et  Cyllaii)  Apollinis  urbes, 

Et  Scyron  cepisse.  Mea  concussa  putate  175 

Procubuisse  solo  lymessia  moenia  deitra. 

Utque  alios  taceam,  qui  sevum  perdere  posset 

Hectora,  nempe  dedi.  Per  me  jacet  inclytus  Heclor. 

Illis  hsc  armis,  quibus  est  inventus  Achiiles, 

Arma  peto.  Vivo  dederami  post  fata  reposco.  180 

«  Ut  dolor  Unlus  Danaos  p^rvttiit  fld  omtit») 
Aulidaque  euboicam  eomtileiiiiit  millto  carins, 
Exspectata  diu,  nuUa,  aut  contraria  elassi» 
Flamina  sunt,  duraeque  jubent  Agamemnona  sartes 
Immeritam  saev»  natam  maetare  Dian».  185 

Denegat  hoc  genitori  dirisqiie  irascitur  ipsis{ 
Atque  in  rcge  tamen  pater  est*  Ego  mite  parentis 


488  M^TAMORPHOSES. 

dresse.  Maintenant,  je  rayoue  (et  qu^Atride  ne  s'offense  pas  de 
oet  aTeu!)  je  plaidai  une  cause  difficile  devant  un  juge  pr^venii. 
Hais  Tint^rAt  du  peuple,  les  droits  d'un  frSre,  la  dignitS  do^scep- 
tre  confi^  k  ses  mains,  d^terminSrent  Agamemnon  a  acheter  la 
gloire  au  prix  de  son  sang.  Je  fus  d^putS  vers  la  mere  dlphig^- 
nie.  il  s'agissait,  non  de  la  persuader,  mais  de  la  tromper  par  un 
artifice.  Si  Ajax  se  ii!^t  rendu  aupres  d'elle,  nos  Toiles  attendraient 
encore  un  vent  propice.  Je  fus  ^alement  enyoy^  k  Troie.  fntr6- 
pide  orateur,  je  p^n^trai  dans  ses  murs.  Je  vis  la  cour  superbe 
de  Priam ;  elle  ^tait  alors  pleine  de  guerriers.  Je  dSfendis  avec 
fermet^  les  int^rSts  cpie  la  Gr^ce  avait  commis  k  mes  soins.  J*ac- 
cusai  P^is,  je  r^clamai  H^lSne  et  ses  tr^sors.  J^etnus  Priam  et  son 
parent  Antenor.  Mais  Pdris,  ses  frSres  et  les  complices  de  son  cnme 
continrent  a  peine  leur  fureur  impie.  Tu  le  sais,  Menelas :  en  ce  jotir 
j^affrontai  avec  toi  le  premier  danger. 

«  11  serait  trop  long  de  raconter  tous  les  services  que  je  rendis 
dans  cette  iongue  guerre  par  mon  courage  et  mes  conseils.  Aprfe 
les  premi^res  luttes,  les  Troyens  se  tinrent  longtemps  renfatnes 
dails  leurs  murs.  II  n'y  eut  aucune  bataille.  On  ne  put  reprendre 

Ingeaium  verbis  ad  publica  commoda  verti. 

Nunc  equidem  fateor  (fassoque  ignoscat  Atrides), 

DifBcilcm  tenui  sub  iniquo  judice  causam.  190 

Hunc  tamen  utiiitas  populi,  fraterque,  dalique 

Summa  movet  sceptri,  laudem  ut  cum  sanguine  penset. 

Mittor  et  ad  matrem,  quae  non  hortanda,  sed  astu 

Decipienda  fuit.  Quo  si  Telamonius  isset, 

Orba  suis  essent  etiamnum  linlea  ventis.  19^ 

Mittor  et  iliacas  audax  orator  ad  arces ; 

Visaque,  et  intrata  est  altai  mihi  curia  Trojae ; 

Plenaque  adhuc  erat  illa  viris.  Interritus  cgi, 

Quam  mihi  mandarat  communis  Graecia,  causam. 

Accusoque  Parin,  praedamque,  Ilclenamque  reposco,         i(K) 

Et  moveo  Priamum,  Priarooque  Antcnora  junctum. 

At  Paris,  et  fratres,  et  qui  rapuere  sub  illo, 

Vix  tenuere  maiius  (scis  boc,  Menelae),  nefandas, 

Primaque  lux  nostri  tecum  fuit  illa  pericli. 

«  Longa  referre  mora  est,  quse  consilioque  manuque      203 
Utiliter  feci  ^patiosi  tempore  belli. 
Post  acies  primas,  urbis  se  mcenibus  hostes 
Continuere  diu,  nec  aperti  copia  Martis 
Ulla  fuit.  Decimo  demum  pugnavimus  anno. 


LilVRE  Xlli.  489 

la  guerre  qu'a  la  dixitoie  ann^e.  Que  faisais-tu  alors,  Ajax,  toi  qui 
ne  connais  que  les  combats?  Queis  furent  tes  services  dans  ce 
moment?  Quant  aux  miens,  si  lu  veux  les  connaitre,  je  tendais  des 
pi^es  aux  ennemis,  je  fortifiais  nos  retranchements,  j'exhortais 
no8  alli^  a  supporterpatiemment  les  ennuis  de  la  guerre ;  j'indi- 
quais  les  moyens  de  se  procurer  des  vivres  et  des  armes ;  j'allais 
parlout  ou  ma  presence  etait  n^cessaire.  Soudain  un  songe  qu'ii 
croyait  envoy^  par  Jupiter  abuse  Agamemnon,  et  il  commande  aux 
soldats  de  renoncer  aux  fatigues  du  siege.  L^autorit^  de  Jupiter 
pouvait  seule  excuser  cet  ordre.  Ajax  sans  doute  s'y  opposa,  et  de- 
manda  la  destruction  de  Pergame.  Autant  qu'ii  le  put,  ii  voulut 
Gombattre.  Hais  pourquoi  n'arrdta-t-il  pas  les  Grecs  prSts  a  regagner 
leurs  vaisseaux?  Pourquoi  ne  prit-ii  pas  les  armes?  Pourquoi  n'en- 
traina-l-il  pas  Tarm^e  incertaine?  Ge  n'etait  pas  trop  pour  celui  qui 
ne  sait  parler  qu'avec  arrogance.  Que  dis-je?  tu  fuis  toi-mtoe! 
Je  t'ai  vu,  et  j'en  ai  rougi,  je  t'ai  vu  reculer  devant  rennemi  et 
deployer  honteusement  les  voiles.  «  Oii  eoures-vous?  m'ecriai-je. 
«  Queile  folie,  6  mes  compagnons !  vous  fait  abandonner  Troie 
«  pres  de  succomber?  Qu'allez-vous  rapporter  dans  vos  foyers,  si 
<  ce  n'est  lahonte,  apr^  dix  ans  de  travaux?  t  Ges  paroles,  el 
d'aulres  dict^s  par  Tindignation,  qui  m'avait  rendn  eloqiicnt, 

Quid  facies  interea,  qui  nil,  nisi  praelia,  nostif  210 

Quis  tuus  U!»us  erat  ?  Nam  bi  mea  facla  requiris, 

llostibus  insidior;  fossas  iuunimine  cingo; 

Consolor  socios,  ut  longi  taedia  belli 

Mentc  ferant  placida ;  doceo,  quo  simns  alendi, 

Armandive  modo  ;  mittor,  quo  postulat  usus.  il5 

Ecce  Jovis  monilu,  deceplus  imagine  somni, 

Rex  jubct  inccepti  curain  dimittere  belli. 

llle  potest  auctore  suam  defendere  causam. 

Non  sinat  hoc  Ajax,  delcndaque  Pergama  poscat; 

Quodquc  potest,  pugnet.  Gur  non  remoratur  iluros?  "230 

Cur  non  arroa  capit?  dat,  quod  vaga  turba  sequaturl! 

Nou  eral  hoc  nimium  nunquam  nisi  magna  loquenti. 

Quid?  quod  et  ipse  fugis?  Yidi,  puduitque  videre, 

Quum  tu  terga  dares,  inhooeslaque  vela  parares. 

Nec  mora  :  «  Quid  fuctis?  quae  vos  dementia,  dizi,  i^io 

«  Concitat,  u  socii,  caplam  demittere  Trojam  ? 

«  Quidve  domum  ferlis  deciuio,  nisi  dedecus,  unuo  i  »     • 

Talibus  atque  aliis,  in  quc  dolor  ipse  dis>ertum 


m  M^TANORPHOSES. 

iwan^rent  las  Grees  dkjk  monte«  sur  laur  flotte  rugitive.  Agameinr 
Qon  raflsemUa  les  ehefs  frappee  de  terreur.  J^e  fils  de  Telamoii  n -osa 
ouvrir  la  bouphe,  tandis  que  Thersite  pe  craignit  point  d^cmtniger 
les  rois  par  d^insolentes  paroles  que  ja  ne  laissai  pas  impunifia. 
Ja  me  )evai ;  j^excitai  contre  i'ennemi  roes  coneitoyens  encoFe  alaiw 
mes,  et  ma  vdx  ranima  leur  oourage  abat^u.  Efte  oe  moment,  tou( 
oe  qu^Ajax  semble  avoir  fait  de  grand  est  num  ouvrage;  car  c^est 
moi  qui  ari^  sa  fuite. 

f  Pnfin,  Ajaz,  qui  vant^  tes  expioit#  ou  t^associeaux  siens?  Moi, 
)e  paxitage  ceux  du  fiis  de  Tydee;  il  m^estime  et  eompte  touyoura 
.  aur  ie  succte  quand  je  raccompagne.  N'est-ce  donc  rien  que  d'appe* 
ler  sor  moi,  parmi  tant  de  Grecs,  le  dioix  deBiomede?  Lesort  ne 
m-avait  pas  d^gn^  pour  le  suivre,  lofsque,  liravant  ies  dangers  de 
la  puit  et  le  i)ombre  d^s  ennemis,  nous  rencontr&mes  le  Phpygien 
Oolon  oocup^  d^une  tentative  semblab]e  a  la  n6tre.  Je  l'immolaiy 
aq[>res  Tavoir  forc^  a  me  livrer  ses  secr^ts,  et  je  oonnus  ainsi  les 
desseins  de  la  perfide  Troie.  J'avais  tout  appris;  il  na  me  restait 
plus  de  d6cottvepte  k  faire,  et  Je  pouvais  retourner  sur  mes  pas 
avee  la  gloire  que  je  m-6tais  promise.  Mais  elie  ne  pouvait  me  suf- 

Fecerat,  aver«os  profugii  de  clas^e  r^uxi. 
CoilVocat  Atridcs  socios  terrore  paventes.  530 

Nec  Telamoniades  ieliam  nunc  hiscere  quidquara 
Ausit;  at  ausus  erat  reges  incessere  dictis 
Thersites,  ctiam  per  me  haud  impune,  protervis. 
Erigor,  et  trepidos  cives  exhortor  in  hostem, 
Amissamque  mea  virtutem  voce  reposco.  ioS 

Tempore  ab  hoc,  quodcumque  potest  fecissc  vidcri 
Fortiter  iste,  mcum  est,  qui  dantem  terga  retraxi. 
•r  Dcnique  de  Danais  quis  te  laudatve,  petitve? 
At  sua  Tydides  mecum  communicat  acta; 
Me  probat;  ct  socio  scmper  confidit  Ulysse.  240 

Est  aliquid,  de  tot  Gtaiorum  millibus  unum 
A  Diomede  legi.  Nec  me  sors  ire  jubebat. 
Sic  tamen  et  spreto  noctisque  hostisque  periclo, 
Ausum  eadem,  quae  nos,  phrygia  de  gente  Dolona 
Interimo.  Non  ante  tamen,  quam  cuncta  coegi  245 

rrodere,  et  edidici,  quid  perlida  Troja  pararet. 
Omnia  uognoram,  nec,  quod  specularer,  habebam, 
Et  jUni  promissa  poterani  cum  laude  revcrli. 
Uaud  conleutus  ca,  petii  teiitoria  Rhesi, 


ilVRE  IIII.  491 

fire.  je  marchai  aux  tmites  de  Rh^us,  et,  dans  aon  propre  camp, 
je  t'^«argeai  avec  ses  cempagnons.  Vainqueur  et  satisfiut,  je  mon- 
tai  «^p  le  char  du  vaincu,  et  je  retoumai  triomphant  au  miiieu 
des  9rec8.  Maintenant  reftisei-moi  les  armes  du  h^os  dont  uh 
en^emi  demanda  les  coursiers  pour  prix  des  p^rils  d'une  nuit. 
Qu-eUes  soient  la  rtompense  d'Ajax ;  ii  en  est  sans  doute  plus 
digne. 

«  Rappellerai-je  les  soldats  du  iyeien  Sarpedon  moissonn^  par 
imi  glaire?  Je  rais  en  fiiite  et  nayai  dans  leur  sang  G^nus,  le  fils 
d^Hippase,  Alastor,  Ghromius,  Alcandre,  Halius,  No^mon,  Prytanis, 
et  je  ipis  k  rnort  Ghersidamas,  Thooi),  (Jharope  et  Euqome,  pour'- 
suivi  par  de  cruels  destins.  D'autres  guerriers  moins  c^l^bres 
toinbdrent  egalement  sous  mon  br^s  au  pied  des  murs  d^Ilion. 
J'ai  aussi,  mes  concitoyens,  re^u  des  blessures  honorables.  li'eB 
jugez  point  par  de  vains  disoours,  mai^  voyez  vous-mtoes  ^en 
iDlme  temps  il  d^uvre  sa  poitrine);  oui,  ma  vie  lut  to^joure 
consacree  a  tos  ini^r^ts.  Le  fils  de  T^amon,  au  contraire,  durant 
tant  d^annto,  n^a  jamais  verse  son  sang  pour  ses  compagnons  : 
son  corps  est  intact.  Qu'importp  si,  comme  il  Tassure,  il  a  prit^ 
ies  armes  pour  proteger  nos  vaisseaux  contre  les  Troyens  et  Jupiter 

ln()ue  S14JS  ipsum  castris  cQniiles(|up  peremi;  ^ 

Atque  ita  captilro  victor  votisq^ft  pQti^V|Si 
Ingredior  cuttu  Ixlos  imit^nte  triuinp^og. 
Cujus  equos  pretium  pro  noc|p  poposceraf  Ifostis 
Arma  negate  mit^j ;  t^jer^tque  e^  dip^nior  Ajax ! 

«  Quid  ^ycii  rereram  Sarpe4Q(iis  ^gmloa  ^i^^to  :^S> 

Devastata  meo?  Cuqn  iPuUo  sanguipe  fudi 
Coeranon,  Hippasiden,  Alastoraque,  Chromiuuimitii 
Alcandrumque,  Haliumque,  Noemonaque,  Prytqpinqiie, 
Exitioque  dedi  cum  Chersidairianto  Tlioona, 
Et  Charopen,  fatisc|ue  immim^fis  Eunomon  actum,  26Q 

Quique  minus  cele|}res  iipstra  s^b  mcenibus  urbis 
Procubuere  manu.  Sunt  et  m\\\i  yulnera,  cives, 
Ipso  pulchra  loco.  Nec  yapis  pre^jle  vQrbis; 
Aspicite  en  (vestemque  roaqu  dedpcit)  el,  ]\^c  si|nt 
Pectora  semper,  ait,  vestris  ^xercita  rebus.  265 

At  nihil  impendit  per  tot  f  pjainf^pius  ^nnos 
Sanguinis  in  soeios,  et  habet  sjpe  yulnerc  cpipu^. 
Quid  tainen  hoc  refert,  si  sc  pro  classe  pelasga 
Arma  tulisse  refert  contra  Troasque  Jovcmquu? 


492  METAMORPHOSES. 

lui-iii§ine?  Sans  doule  il  les  a  prises.  Je  ne  suis  pas  homme  k  ter- 
nir  malignement  des  actions  d'eclat.  Mais  qu'il  ne  s'arroge  pas 
seul  une  gloire  commune  a  tous ;  qu*il  vous  en  laisse  une  part. 
Patrode,  sous  Tarmure  protectrice  d'Achille,  ne  repoussa-t-il  pas 
les  Troyens  loin  de  nos  vaisseaux,  au  moment  ou,  d^endus  par 
Ajax,  ils  allaient  devenir  la  proie  des  flammes?  II  s'imagine  avoir 
seul  affronte  Hector,  oubliant  Agamemnon  et  les  autres  chefs  de 
la  Gr^,  et  moi-meme,  tanjdis  qu'il  se .  presenta  le  neuvieme,  et 
quand  le  sort  Teut  designe.  Mais  quelle  fut,  valeureux  guerrier, 
l^issue  de  ce  combat?  Hector  se  retira  sans  blessure. 

«  Helas !  quelie  douleur  j'eprouve  au  souvenir  de  ce  jour  qui  vit 
succomber  Achille,  le  rempart  de  la  Grece  1  Ni  mes  larmes,  ni  mon 
abattement,  ni  la  crainte,  rien  ne  m'emp^cha  de  relever  le  corps 
de  ce  heros  etendu  sur  la  poussiere.  Je  Temportai  sur  mes  epaules, 
oui,  j'emportai  sur  mes  epaules  le  corps  d'Achille,  et  ces  armes 
qu'aujourd'hui  je  demande  a  porter  encore.  Mes  forces  suffisent 
pour  un  si  noble  poids,  et  mon  coeur  est  digne  d'apprecier  Thon- 
neur  de  les  avoir  obtenues  de  vous.  Eh  quoi!  Fambition  de  Thetis 
pour  son  fils  n'aurait-elle  abouti  qu'a  decorer  un  soldat  ignoraiit 

Gonfiteorque,  tulil  (nequc  enim  benefacta  maligne  i70 

Dptreclare  meum  esl);  sed  ncc  communia  solus 

Occupet,  atque  aliquem  vobis  quoque  reddat  honorem. 

Reppulit  Actorides,  sub  iraagine  tutus  Achillis, 

Troas  ab  arsuris  cum  defensore  carinis. 

Ausum  etiam  hectoreo  solum  concurrerc  murti  275 

Sc  putat,  oblilus  regisque,  ducumque,  meique. 

Nonus  in  officio,  et  praclatus  munere  sortis. 

Sed  tanien  eventus  vestiai,  fortissime,  pugnae 

Quis  fuit?  Hector  abit  violatus  vulnere  nulio. 

«  Me  miserum !  quanto  cogor  meminisse  dolorc  280 

Temporis  illius,  quo,  Graium  murus,  Achilles 
Procubuit!  Nec  me  lacrymaB,  luctusque,  timorve 
Tardarunt,  quin  corpus  humo  sublime  referrem. 
llis  humeris,  Iiis,  inquam,  humeris  ego  corpus  Achillis 
Et  simul  arma  tuli,  quac  nunc  quoque  ferre  laboro.         285 
Sunt  mihi,  quac  valeanl  in  talia  ponderj,  vircs; 
Est  auimus  vestros  certc  sensurus  honores. 
Scilicet  idcirco  pro  nato  cxrula  mater 

Ambitiosa  suo  fuit,  ut  ccelestia  dona,  ^ 

Arlis  opus  tuDtsc,  rudis  ct  sine  pectore  niiles  290 


LIVEE  XIII.  493 

et  grossier  de  ces  armes,  ouvrage  d*im  dieu  et  chef-d^oeuvre 
de  rart!  Gomment  connaitrait-il  les  merveilles  grayees  sur  ce 
boudier,  l"Ocean,laterre,  le  ciel,  les  astres,  lesPleiades,  lesHya- 
des,  rOurse  qui  jamais  ne  descend  dans  les  flots,  tant  de  cites  di- 
verses  et  la  brillante  ep^  d'Orion?  II  veut  posseder  des  armeas 
qui  seraient  une  ^nigme  pour  lui.  Que  dis-je !  ne  m'accuse-t-il  pas 
d'avoir  fui  les  fatigues  de  la  guerre  et  de  m'y  ^tre  assode  trop 
tard?  Ne  voit-il  pas  qu'il  insulte  au  magnanime  Achille?  S'il  ap- 
pelle  crime  une  feinte,  Achille  et  moi  nous  avons  fdnt  tous  les 
deux.  Si  c'est  une  faute  d'6lre  venu  tard  devant  Troie,  je  m'y 
suis  trouve  plus  tdt  qu^Achille.  Nous  fumes  retenus,  lui  par 
une  tendre  mere,  moi  par  une  tendre  epouse.  Nous  leur  dou- 
n^mes  nos  premiers  moments,  et  tout  le  reste  fut  a  vous.  Je  ne 
saurais  craindre,  si  je  ne  puis  la  repousser,  une  accusation  qui 
m'est  commune  avec  cet  illustre  heros.  Gependant  Achille  fut  de- 
couvert  par  Tadresse  dTlysse,  mais  Ulysse  ne  Ta  pas  6te  par  celle 
d^Ajax. 

ii  Ne  soyez  pas  surpris  des  traits  que  sa  langue  grossiere  a  lan- 
ces  contre  moi.  Ne  vous  a-t-il  pas  adresse  des  reproches  capables 
de  vous  faire  rougir?  S'il  est  honteux  pour  moi  d^avoir  dirige 
contre  Palamede  une  accusation  imaginaire,  est-il  glorieuxpour 

Iudueret?  Neque  enim  clypei  csBUmiDa  norlt, 

Oceanum  et  terras,  cumque  alto  sidera  ccbIo 

Pleiadasque,  Uyadasque,  immunemque  aequoris  Arclou, 

Diversasque  urbes,  nilidumque  Orionis  enseni. 

Postulat,  ut  capiat,  quac  non  intelligit,  arma.  29o 

Quid?  quod  me,  duri  fugientem  munera  belli, 

Arguit  incoepto  serum  accessisse  labori? 

Nec  se  magnanimo  maledicere  sentit  Achilli? 

Si  simulasse  vocat  crimen,  simulavimus  anibo; 

Si  mora  pro  culpa  est,  ego  sum  maturior  illo.  oOO 

Mc  pia  detinu^t  conjux,  pia  mater  Achillem; 

Priraaque  sunt  lUis  data  tempora,  caetera  vobi». 

Haud  timeo,  si  jam  nequeo  defendere  crimen 

Cuiii  tanto  coinmune  viro.  Deprensus  Ulyssi:: 

Ingenio  tumen  iilc,  at  non  Ajacis,  Ulysses.  3(^ 

«  Meve  in  me  stolidaj  convicia  fundere  Hngua: 
Admiremur  cum.  Vobis  quoque  digna  pudore 
Objicit.  An  falso  Palanieden  crimine  turpc 
Accusasse  mibi,  vobis  damnasse  decorum  esty 


m  h£tamorphqses. 

vous  de  Tavoir  condamnd  7  Mais  le  fils  de  KaupUus  n$  put  se  laver 
d'un  forfeit  si  horrible  et  si  manifeste,  que  vous  n'e^t^4it^  pas 
seulement  son  accusateur.  Sa  trahison  fut  mise  sou$  vqs  yeui^ ;  l  Pf 
qni  en  avait  M^  le  salaire  la  rendit  evidente.  Quant  a  ra))a|idpu 
de  Philoctftte  dans  rUe  de  Lemnos,  il  n'est  pas  moQ  ouyr^g^} 
e^est  le  vAtre.  L'apologie  vous  regarde ;  car  vous  approuvlites  cet 
abandon.  I^engageai  Philoct^te,  je  Tavoue,  k  se  darober  aux  f^ 
tigues  de  la  guerre  et  du  voyage,  a  ticher  de  calmer  par  le  i^ 
pos  ses  cruelies  douleurs.  U  suivit  mes  conseilSi  »i  U  vit  encof^ 
Ifon  avis  fut  k  la  fois  heureux  et  sincere,  quand  il  suf^sait  qu'il 
Mt  sincSre.  Un  orade  exige  sa  pr^nce  parnu  nous  ppui?  d^tniir^ 
Pergame.  Ne  me  confiez  pas  une  mission  d^licate,  }e  Qls  de 
filamon  la  remplira  mieux.  Son  ^loquence  apaisera  un  iBfartni^ 
aigri  par  ses  soufiFranees  et  par  son  ressentiipent,  m  bw  il  9uni 
Tart  de  ramener  dans  notre  camp.  Mais  nm  :  le  Simms  FeiQoiU^ 
vers  sa  source,  ilda  sera  d^pouill^  de  feuillage,  et  la  Grece  ipdioe 
promettra  des  secours  a  Troie,  avant  qu'on  voie  raon  coeur  aban* 
donner  ves  int^r^ts  et  i^esprit  d^Ajax  nous  «laiuver. 

«  Impitoyable  Philoct^te,  en  vm  ta  haine  pour^uit  les  Grecs, 
Agamemnon  et  moi-m^me ;  en  vain  tu  m'accables  d'imprecaMons 

Sed  neque  Naupliades  facinus  defendere  tantuin,  510 

Tamque  patens,  valuit.  Nec  vos  audislis  in  i)lp 

Crimina;  vidi:>tis,  pretioque  objecta  patcbant. 

Nec  Poeantiadeu  quod  habet  vulcania  Lfsmnos, 

Essc  reus  merui.  Factum  defendite  vestrqm, 

Gonsensistis  enim ;  nec  me  suasisse  negabo,  315 

Ut  sc  subtraheret  beUique  visBque  labori, 

Tentarctque  feros  requie  lenirc  dolorcs. 

Paruit,  et  vivit.  Non  haec  sententia  tantuui 

Fida,  scd  ct  fehx,  quum  sit  satis  esse  fidclcm- 

Quem  quoniam  vates  delenda  ad  Pergama  po^cuiit,  320 

Ne  mandate  mihi.  Uelius  Telamoi^lqs  ibil^ 

Eloquioque  virum  morbis  iraqiie  furcntem 

Molliet,  aut  aliqua  producet  callidus  arte. 

Ante  retro  Simois  fluet,  et  frondibus  Ide 

Stabit,  et  auxilium  promittet  Achaiq  Trojae,  325 

Quam,  cessante  meo  pro  vqst|:ig  pectoro  rcbus, 

Ajacis  stolidi  Oanais  sojprtia  prpsi^. 

«  Sis  licet  infestus  sociis,  regiquc  mihique, 
Dure  Philoctete;  licet  exsecrer^,  meunique 


LITRE  XIII;  495 

€i  ttt.  yotted  k  Umi  itt&tant  tna  tMe  mx  Furies;  Ttt  ds  b^au  falre  des 
tteiux  pdttt*  que  ]e  ^is  litr^  h  ta  eolSre  afin  de  fabreuTer  de  mon 
^gi  ei sdttbaiter  d^  deyeiiirtnOn niidtre,  fconfme je fus le tien )  je 
ii'if ii  l^nH  tiidini^  te  cberclie»*^  Bantiissattt  toute  (taintei  je  m^emp»* 
1^6!*^  de  teft  116^69)  si  la  Fortutie  me  seoondei  oomitie  je  nl'empa- 
rai  dtt  deviti  de  Troie^  qui  fut  mon  prisonnier ;  comme  je  detoilai 
l&i  orades  des  dieux  et  les  destins  d^Dion;  ccnnme  j'enlevai  ie 
Pidladittm  Oe  son  sandtttaire  au  miliett  de  nos  tonetnis.  Qu'Ajax 
b§e  encoi*e  te  compdrer  i  tnoi !  Les  Destins  s^opposaieiit  a  la  prise 
de  Pergame,  si  cette  image  sai^^  n'^tait  en  notre  pottyoir.  Ou  est 
Ajat  ?  Od  est  ce  b^fOs  si  fler  ateo  ses  superbes  disoours?  Pourquoi 
trenible441  lorsque  tJl^fsse  ose»  att  miliea  des  ttodlnres»  traverser 
le^  giti^es  ennemi^,  et^  nialgr^  les  ^pees  mesia^antes,  pln^trer, 
nott-SeuIettient  dans  les  murs  de  Troie,  maiil  jusque  dans  sa  ci- 
tdd^Ue,  etilev6r  de  soti  templ^  refBgie  de  Pallas  et  r^nporter  a 
la  viie  d^  Troyois?  Ssln§  cette  beureuse  audaee,  en  vain  le  fils 
de  TeiWott  attrait  poH^  a  sott  bras  gaucbe  la  ddpouille  de  sept 
tatttl^ttt.  DsUtt  eette  nuit,  je  ttriomphai  dllion ;  jeyilinquisTroief 
6)1  ki  r^duisant  k  n^Mre  plus  invineible. 


Devoveas  sine  fine  caput,  cupiasque  dolenti  330 

Me  tibi  forte  dari,  nostrumque  haurire  cruoreiti, 

Utque  tui  mihi,  sic  fiat  tibi  cbpia  nostri; 

Te  tamen  aggrediar,  longe  furmidine  pulsa; 

Tamque  tuis  potiar,  faveat  Fortuna,  sagittis, 

Quam  sumdardanio,  qucm  ccpi,  vate  potitus;  S^ 

Quam  responsa  deum,  trojanaqUe  fata  retexi, 

Quam  rapui  phrygis  signum  penfetrale  MinervaB 

Uostibus  e  mediis.  Et  se  mihi  comparet  Ajax? 

Nempe  capi  Trojam  .prohibebant  JPata  sine  iilo. 

Fortis  ubi  est  Ajax?  Ubi  sunt  ingentia  maghi  34u 

Verba  viri?  Gur  hic  metuis?  Cur  audet  Ulysses 

Ire  per  excubias,  et  se  committere  nocti? 

Perque  feros  enses,  non  tantum  mcenia  Troum, 

Yerum  etiam  summas  arces  intrarc,  sUaque 

Eripere  ;ede  deam,  raptamque  eft^erre  per  hostes?  ^45 

Quie  ni»i  fecissem,  frustra  Telamone  creatus 

Gestasset  Ixva  tauroriim  tergora  seplem. 

Ula  noclc  mihi  Tirojae  victoria  parta  est : 

Pergama  tum  vici,  quum  vinci  posse  coegi. 


m  M^TAMORPHOSES. 

«  Gesse  de  designer,  par  ton  geste  et  par  ies  murmures,  le  fils 
de  Tyd6e  comme  le  compagnon  de  mes  exploits.  Sans  doute  il  peut 
r^clamer  sa  part  de  gloire,  Mais  toi-m6me,  6tais-tu  seul,  lorsque, 
armS  de  ton  bouclier,  tu  d^fendais  nos  vaisseaux?  A  tes  cdt^  se 
pressait  une  foule  de  guerriers,  et  je  n*en  avais  qu'un  avec  moi. 
Si  Diom^de  n'eiit  su  que  la  valeur  est  au-dessous  de  la  prudence, 
et  qu'un  bras  invincible  n'est  pas  un  titre  pour  obtenir  les  armes 
d'Achille,  il  les  eAt  demandees.  Le  fils  d'0il6e,  plus  modeste  que 
toi,  le  belliqueux  Eurypyle,  le  fils  de  Tillustre  Andr^mon,  Ido- 
menee  et  M^rion,  comme  lui  enfant  de  la  Crete,  et  le  frere  du 
puissant  Agamemnon,  pretendraient  a  cette  recompense.  Us  sonl 
tous  aussi  intr^pides  que  toi  dans  les  combats,  et  cependant  ils 
ont  c^d6  a  ma  prudence.  Ton  bras  est  utile  a  la  guerre,  mais  il  a 
besoin  que  je  le  dirige.  Tu  n'as  qu'une  force  aveugle ;  moi,  je 
prevois  favenir.  Tu  peux  combattre ;  mais  Agamemnon  me  con- 
sulte  pour  choisir  le  moment  du  combat.  Le  corps  seul  agit  en 
toi ;  dans  Ulysse  c'est  la  raison.  Autant  le  pilote  est  au-dessus  du 
rameur,  et  le  gen^ral  au-dessus  du  soldat,  autant  je  Temporte  sur 
toi.  Gependant  ma  sagesse  n'est  pas  superieure  a  mon  courage: 
Vme  et  Tautre  ont  la  m^me  vimieur. 


«c  Desine  TydJden  vultuqiie  et  murmure  nobis  3:'.0 

Oslentarc  meum  :  pars  est  sua  laudis  et  illi. 
Nec  tu,  quum  socia  clypeum  pro  classe  tenebas. 
Solus  cras ;  tihi  turba  comes.  Mihi  contigit  unus, 
Qui,  nisi  pugnacem  sciret  sapiente  minorem 
Esse,  nec  indomitae  deberi  praemia  dextrae,  3^0 

Ipse  quoque  hacc  peteret;  peteret  moderatior  Ajax, 
Rurypylusque  ferox,  claroque  Andraemone  natus; 
ISec  minus  Idomeneus,  patriaque  creatus  cadem 
Meriones;  peteret  majoris  frater  Atridae. 
Quippe  manu  fortes,  nec  sunt  tibi  mitrte  secundi,  300 

Consiliis  cessere  meis.  Tibi  dextera  bello 
Utilis;  ingenium  est,  quod  eget  modcramine  noslri. 
Tu  vires  sine  mente  geris ;  mihi  cura  futuri  e*;t. 
Tu  pugnare  potes ;  pugnandi  tempora  mecum 
Eligit  Atrides.  Tu  tantum  corpore  prodes,  56o 

Nos  animo;  quantoque  ratem  qui  temperat,  anteit 
Remigis  officium,  quanto  dux  milite  major, 
Tanto  fgo  te  supero ;  necnon  in  corpore  nostro 
Pectora  sunt  potiora  manj  :  vigor  omnis  in  illl«. 


LIYRE  XIII.  497 

«  Chefs  de  la  Grece,  decernez  ces  armes  a  celui  qui  veilla  tou- 
jours  a  vos  int^r^ts.  Apr^s  tant  d*ann^es  de  soins  et  de  sollicitude, 
accordez-les-moi  pour  prix  de  mes  services.  Nos  travaux  touchenl 
a  leur  fm.  J'ai  ecarte  les  obslacles  que  le  Destin  nous  opposait. 
J'ai  pris  Pergame  en  rendant  sa  conqu&te  possible.  Je  vous  en 
conjure  au  nom  de  nos  esperances  communes,  au  nom  des  murs 
d'Ilion  pr^s  de  s'ecrouler,  et  des  dieux  que  j'ai  ravis  nagu^re  aux 
Troyens ;  par  tout  ce  que  la  sagesse  pourrait  juger  n^cessaire,  par 
tout  ce  qui  exigerait  de  la  promptitude  et  de  Taudace  pour  achever 
les  destins  dllion,  souvenez-vous  de  moi ;  ou,  si  vous  me  refusez 
les  armes  d'Achille,  donnez-les  a  cette  deesse.  »  En  proferant  ces 
mols,  il  montra  la  statue  de  Minerve. 

Les  chefs  de  Tarmee  applaudirent.  On  vit  alors  le  pouvoir  de 
reloquence  :  les  armes  d'un  heros  passerent  dans  les  mains  d'un 
orateur.  Ajax,  qui  tant  de  fois  resista  seul  a  Heclor,  aii  fer, 
;i  la  flamrae  et  a  Jupiler,  ne  put  resister  a  la  col^re.  Ce  guerrier 
invincible  fut  vaincu  par  la  douleur.  II  saisit  son  6pee  :  «  Elle 
m'appartient  du  moins,  dit-il.  Ulyssc  la  demandera-t-il  aussi? 
Qu'elle  me  serve  conlre  moi-m^mel  Souvent  roiigie  du  sang 
troyen,  qu'elle  soit  arrosee  de  ceUii  de  son  maitre !  Qu^Ajax  ne 

«  At  vos,  0  proceres,  vigili  dale  pratimia  vestro;  370 

Proque  lot  annorum  curis,  quas  anxius  egi, 
Hunc  titulum  meritis  pensandum  reddite  nostris. 
Jam  labor  in  fine  est.  Obstanlia  fata  removi, 
Altaque,  posse  capi  faciendo,  Pergama  ccpi. 
Per  spcs  nunc  socias,  casuraque  mcenia  Troum,  375 

Perque  deos  oro,  quos  hosti  nuper  ademi ; 
Per,  si  quid  superest,  quod  sitsapienter  agendum; 
Si  quid  adhuc  audax,  ex  proicipitique  petendum ; 
Si  Trojs  fatis  aliquid  restare  putatis ; 
Estc  mei  memores,  aut,  si  mihi  non  datis  arma.  380 

Huic  date;  »  et  oslendit  signum  fatale  Minervtc. 

Mota  manus  procerum  est,  et,  quid  facundia  posset, 
Re  patui',  fortisque  viri  tulit  arma  disertus. 
Heclora  qui  solus,  qui  fcrrum,  ignemque,  Jovemquo 
Sustinuit  toties,  unam  non  suslinet  iram;  3S5 

Invictumque  virum  vincit  dolor.  Arripit  ensem, 
Et:  «  Meus  hic  certe  est.  An  et  hunc  sibi  poscet  Ulyssest 
Hoc,  ait,  ulendum  est  in  me  miht ;  quique  cruore 
Sspe  Phrygum  maduit,  domini  nunc  caede  madebit. 

28. 


49«  MfiTAMORPHOSES. 

puisse  hre  vaincu  que  par  Ajax !  »  II  dit,  et  dans  son  sein  jus- 
qa'alors  sans  blessure  il  plonge  son  glaive  au  seul  endroit  vulne- 
rable.  On  essaye  en  vain  de  rarracher ;  il  n'est  repouss^  que  par 
le  sang  qiii  jaillit  et  baigne  la  terre,  ou  il  fait  eclore  sur  une 
tige  ve^te  une  fleur  vermeille,  semblable  a  celle  que  produisit 
jadis  le  sang  dHyacinthe.  Les  mSmes  lettres,  tracees  sur  leurs 
feuilles  en  rhonneur  du  jeune  homme  et  du  guerrier,  dans  Tune 
exprimeht  un  nom,  et  dans  Taulre  une  plainte. 

kPt^h  LA  ^RISlS  bE  tROIE,  POLTxInB  E8t  IMMOL^E  AUX  MAivkS  B^QUkLB, 
POLTOOAti  EGORGIS  PAR  POLTMESTOR,  ET  HEGUBB  GHANG^  ER  CHUIlllfB. 

n.  Ulysse,  apr^s  sa  victoire,  fait  voile  vers  la  patrie  d^fiypsipyle 
et  du  celebre  Thoas,  terre  souillee  par  le  massacre  de  ses  atidens 
habitants.  II  s'y  rend  pour  enlever  les  fleches  du  heros  de  tiryn- 
the ;  et  bient6t,  suivi  de  Pliiloctete,  il  les  rappofte  aux  Grecs.  Alors,, 
enfm,  une  guerre  si  longue  arrive  k  son  terme.  Troie  et  t^iam 
Buccombent  eh  m6me  temps,  et  Fepouse  infortunee  de  ce  roi, 
apr^s  avoir  tout  perdu,  perd  aussi  la  figure  humaine.  RevMue 
d'une  nouvelle  forme,  elie  epouvante  les  airs  de  ses  aboiements 


Ne  quisquam  Ajacem  possit  superare,  nii>i  Ajax.  »  390 

Dixit,  ct  in  pectus,  tam  demum  vulnera  passum, 
Qua  patuit  ferro,  letiialem  condidil  ensem. 
Kec  valuere  maiius  inllxum  educere  tclum, 
Expulit  ipse  cruor;  rubefactaque  sanguine  tellus 
Purpurcum  viridi  genuit  de  cespite  florem,  595 

Qui  prius  oibalio  fueruL  de  vulnere  natus. 
Litlera  communis  mediis  pueroque  viroque 
Inscripta  est  foliis :  haec  nominis,  illa  querela}. 

CAPTA   TROJA,    POLYXENA  UANIBUS   ACHILLIS   IMMOLATUR.   —    POLTDOf 
A  POLYMESTORE  INTERFECTUS.  —  HECUBA  FIT  CANIS. 

IL    Victor  ad  Hypsipyles  patriam  clarique  Thoanlis, 
Et  velerum  terras  infames  caede  virorum  400 

Vcla  dat,  ut  referat,  lirynthia  tela,  sagittas. 
Qure  postquam  ad  Craios,  domiuo  comitaute,  rcvexit, 
Jmposiia  est  scro  tandem  manus  ultima  bello. 
Trdja  simul  Priamusque  cadunt.  Priameia  conjux 
Perdidit  infelix  hominis  post  omnia  formam,  405 

Exlernasquo  novo  lalratu  lerruit  auras, 


Ltvn^  xiii.  m 

sur  cett^  plag^  6lrattg§re  oA  rUellestibnt  ^st  t^sserrS  ehtre  fees 
riTages. 

llion  etait  en  feu,  et  l'incendie  tilUth^  pAic  \^  Gfecs  ti'6tait  ^ds 
ehcore  i^teint.  Le  sang  du  VieUx  PHath  Mil  rdUgi  Fautel  d6  Ju- 
piter.  Trtdnfe  par  Ifes  cheveUx,  la  tirttresSe  d^Apdlloil  tehdait  en 
v^in  ses  main^  au  ciel.  Les  tlroyehhes,  ethbt^as^tot  le^  aUiels  des 
^eui[  de  la  pdtrie,  t^udi^  qU^eli^s  l^  pdUVaidht  ^hcdire,  ^'^iaieht 
r^ugii&es  dans  les  iemples  ddtofids  pat*  la  flathme.  Eiles  en  sdnt 
alrach^es  pour  tit^  le  pt*ix  odieux  rfe  la  viCtoire.  Astyattax  est 
precipit^  du  haut  de  ces  hi^mes  tours  d'oii  sa  m^i^  lui  ttiontra 
iant  de  fois  Hector  cottMttant  poUt  lUi  et  pdUr  le  trbne  de  ses 
aleux.  Enfin  Bot^ee  ittVit&  les  Grecs  au  dispdtt.  AgitSe  pat*  Utt 
st^uffle  prttplce,  la  voile  fr^tnit,  et  le  pilote  veUt  tjtt'dtt  profite  du 
veht.  i  Troie,  adieu!  Oh  ttdus  s^pafe! »  s'(&crient  les  Troyettnes; 
et  elles  impHment  leurs  boudie^  sur  la  terre  eh  quittattt  les 
debHs  fumants  de  leur  patrie.  La  dettii^fe  qtii  hionte  suf  le  na- 
vire  (6  spectacle  douloureux ! ) ,  c'est  H^cube,  Irouvte  errante 
au  milieu  des  tombedux  de  ses  fils.  Elle  (^ressait  de  ses  bras  la 
pierre  sepulcrale  et  baisait  leufs  ossements,  lorsqu'eIle  fUt  entral'^ 
nee  par  Ulysse.  Toutefois,  elle  put  ravir  a  la  terre  les  cendres 


Longus  In  angttstum  qua  clauditur  Hellespontus. 

Ilion  ardebat,  neque  adhuc  consederat  ighis, 
Eiiguumque  senis  Priami  Jovis  ara  cruorem 
Combiberat.  Tractata  comis  antistita  Phoebi  410 

Non  prorecturas  tendebat  ad  aethera  palmas. 
Dardanidas  malres  patriorutn  signa  deorum, 
Dum  licet,  amplexas,  succcnsaquis  tenipia  tenentes 
Invidiosa  trahunt  victores  praemia  Graii. 
Mitlilur  Astyanax  illis  de  turribus,  unde  41.-> 

Pugnanlem  pro  se,  ptoavitaque  regna  tuentem 
SaBpe  videre  patrem  monstratum  a  matre  solebat. 
Jamque  viam  suadet  Boreas ;  flatuque  secundo 
Carbasa  mota  sonant.  Jubet  uti  navita  ventis. 
«  Troja,  vale,  rapimtlr;  »  clamant,  dabique  oscula  tcirrse  420 
Troades,  ct  patrio)  fumanlia  lecta  relinqiiUnt. 
Ullima  conscendit  classem,  miserabile  visttl 
In  mediis  Ilecube  natorum  ihventa  sepulcris. 
Prensantem  tumulos,  atqUe  ossibus  oscula  dantem 
Dulichi»  traxere  manus.  Tamen  unius  hatisit,  425 


500  METAMORPIIOSES. 

d'Hector  et  les  emporter  cachees  dans  son  sein.  Sur  la  tombe  de 
ce  fils  cMn  elle  deposa  ses  cheveux  blancs  et  ses  larmes,  seule 
ofTrande  permise  a  son  malheur. 

Sur  la  rive  oppos^  aux  lieux  ou  fut  Troie,  est  la  contree  ha- 
bit^e  par  les  Thraces.  La  s^elevait  le  palais  opulent  de  Polymestor, 
a  qui  Priam  confia  secretement  Polydore  pour  Teloigner  des  pe- 
rils  de  la  guerre :  sage  precaution,  s'il  n'e6t  envoye  avec  son  fils 
de  riches  tresors  qui  devaient  pousser  ce  roi  au  crime  en  irritant 
sa  cupidit^.  A  peine  Troie  fut-elle  aneantie,  que  le  cruel  Polymestor 
plongea  le  fer  dans  le  sein  du  jeune  prince  confie  a  ses  soins;  et, 
comme  s'il  pouvait  avec  la  victime  faire  disparaitre  les  traqes  du 
forfait,  du  haut  d'un  rocher  il  le  precipita  dans  la  mer.  Agamem- 
non  avait  arrSte  sa  flotte  sur  les  cotes  de  Thrace  pour  attendre 
une  mer  tranquille  et  des  vents  favorables.  Tout  a  coup,  du  sein 
de  la  terre  entr^ouverte  s^elanga  Tombre  d'AchilIe,  terrible  comme 
pendant  sa  vie  et  respirant  la  menace.  Cetait  fimage  fidele  du 
h^ros  au  moment  ou,  bouillant  de  colere,  il  tira  injustement  Te- 
p^  contre  Agamemnon.  «  Grecs,  dit-il,  vous  partez,  et  vous  ou- 
bliez  Achille!  Le  souvenir  de  mes  actions  est-il  donc  enseveli 

Inque  sinu  cineres  secum  tulit  Hectoris  l^auslos. 
Hectoris  in  tumulo  canum  de  vertice  crinem, 
Inferias  inopes,  crinem  lacrymasque  relinquit. 

Est,  ubi  Troja  fuit,  PhrygiaB  contraria  lellus, 
Bistoniishabitata  viris.  Polymestoris  illic  430 

Regia  dives  erat,  cui  te  commisit  alendum 
Clam,  Polydore,  pater,  phrygiisque  removit  ab  annis: 
Consilium  sapiens,  sceleris  nisi  prxmia  magnas 
Adjecisset  opcs,  animi  irritamen  avari. 
llt  cecidit  Fortuna  Phrygum,  capit  impius  ensem  i."r» 

Rex  Thracum,  juguloque  &ui  defigit  alumni; 
Et,  tanquara  tolli  cum  corporc  crimina  possent, 
Exanimem  e  scopulo  subjectas  misit  in  undas. 
Litlore  threicio  classem  religarat  Atrides, 
Dum  mare  pacatum,  dum  ventus  aniicior  essct.  4iO 

Hic  subito,  quantus,  quum  viveret,  esse  solebat, 
Exit  humo  late  rupta,  similisque  minaci 
Temporis  illius  vultum  refcrebat  Achilles, 
Quo  ferus  injusto  petiit  Agamemnona  ferro. 
«  Immemoresque  mei  disceditis,  inquit,  Achivi?  443 

Obrutaque  est  mecum  virtutis  gratia  nostrae? 


LIVRE  XIII.  501 

avec  moi?  Qu'il  n'en  soit  pas  ainsi!  £t,  afm  que  mon  tombeau  ne 
reste  pas  sans  honneur,  je  demande,  pour  apaiser  mes  m^nes, 
le  sacrifice  de  Polyxene!  »  11  dit.  Ses  compagnons  obeissent  a 
Tombre  impitoyable.  Arrach^e  du  sein  de  sa  mere,  dont  elle  etait 
la  seule  consolation,  courageuse  dans  le  malheur  et  d'une  ^nergie 
au-dessus  de  son  sexe,  la  princesse  est  conduile  sur  la  tombe  ou 
elle  doit  6tre  inamolee.  Digne  fiUe  des  rois,  elle  arrive  k  cet  autel 
barbare  et  voit  les  appr^ts  du  fatal  sacrifice;  elle  voit  Pyrrhus  de- 
bout  a  ses  cdt6s,  le  glaive  a  la  main  et  les  yeux  fix^s  sur  elle. 

f  HAte-toi,  lui  dit-elle,  de  verser  un  sang  gen^reux!  Que  rien 
ne  farrSlel  Plonge  le  fer  dans  ma  gorge  ou  dans  mon  reinl  (Et 
en  m^me  temps  elle  lui  decouvre  fun  et  Tautre.)  Polyxene  ne  doit 
courber  son  front  sous  aucOn  maftre,  et  ce  sacrifice  inhumain 
n'apaisera  aucune  divinite.  Je  voudrais  seulement  que  ma  m6re 
piit  ignorer  ma  mort.  EUe  seule  m'afflige  et  diminue  pour  moi  la 
joie  du  trepas.  Toutefois,  ce  n'est  point  ma  mort,  c'est  sa  vie  qui 
doit  raffliger.  Vous,  Grecs,  eloignez-vous,  et  laissez-moi  descendre 
libre  aux  enfers.  Si  ma  pri^re  est  juste,  ne  portez  pas  sur  moi  vos 
mains  et  respectez  une  vierge.  Celui  dont  vous  voulez  honorer  les 

Ne  facite;  utque  meum  non  sit  sine  honore  sppulcmra, 

Placet  achilleos  mactata  Polyxena  manes. » 

Dixit,  et  immiti  sociis  parentibus  umbrse, 

Kapta  sinu  matris,  quam  jan^  prope  sola  fovelwt,  450 

Fortis,  et  infelix,  et  plus  quam  femina,  virgo 

Ducitur  ad  tumulum,  diroque  fit  hostia  busto. 

QuaB  memor  ipsa  sui,  postquam  crudelibus  aris 

Admota  est,  sensitque  sibi  fera  sacra  pdrari ; 

Utque  Neoptolemum  stantem,  ferrumque  tenentem,  455 

Inque  suo  vidit  figentem  lumina  vultu  : 

«i  Utere  jamdudum  generoso  sanguine,  dizit. 
NuUa  mora  cst :  at  tu  jugulo,  vel  pcctore  telum 
Conde  meo  (jugulumque  simul  pectusque  retexit). 
Scilicet  haud  uUi  servire  Polyxena  ferrem,  400 

Haud  per  tale  sacrum  numen  placabitur  uUum. 
Murs  tantum  veliem  matrem  mea  fallere  posset. 
Mater  obest,  minuitque  necis  mihi  gaudia,  quamvls 
Non  mea  mors  illi,  verura  sua  vita  gemenda  est. 
Vos  modo,  ne  stygios  adeam  non  libera  manes,  463 

Este  procul,  si  jusla  peto,  tactuque  viriles 
Virgineo  removete  manus.  Acceptior  illi, 


502  MfiTAMORPHOSES. 

ni&nes  pdt  ma  niort  attachera  plus  de  prix  au  sang  d'uile  TicUme 
Tolontaire.  8i  mes  derfliSres  paroles  peuveut  vous  toucher,  6cou- 
tez  le  Tceu  que  tous  adresse  )a  fille  de  Priam,  et  non  votre  Captive. 
Rende2  saus  ran^on  mon  corps  a  ma  m^re.  3u'elle  ach^te,  non 
avec  de  l'or,  mais  par  ses  pleUrs,  le  triste  droit  de  ta^  d^peser  dans 
un  tbmbeau.  Quand  elle  eut  de  ror^  elle  s'en  servit  pour  racheter 
ses  enfants. «  A  ces  tnots,  le  peuple  ne  put  retenir  ses  lamies»  tad- 
dis  (]u'ell6  retenait  les  siennes.  L6  sacrificateur  lui-tn6me  est  atten^ 
dri,  et  frappe  a  regret  la  victime  qui  S'OfFre  k  ses  coUps.  Polyi^ 
tihaticelle  et  totiibe ;  mais  soii  regard  reste  fertne  a  ses  dra^ers 
itistailts,  et,  dans  ce  motUent  sUpr6me,  elle  prend  ^oih  de  ranger 
ses  vdtements  pdur  ^tre  fid^le  encore  aUx  Ibis  de  la  pudeur^  Les 
l^mtU^s  troyennes  recueillent  sa  d^pouille;  elles  se  rappdlent 
tdUt  ce  que  leur  ont  deja  cotii^  de  larmes  les  enfants  de  Priami  et 
toUt  le  satig  tiu'hne  seule  falmille  a  r^pandu.  Elles  pleurent  sur 
tbi,  Pdlyxenej  sur  toi  aussi^  nagu^re  ^pouse  d'tm  roi|  m^re  de 
litnt  de  print;es,  image  de  la  fgcehde  Asie^  et  mdintenant  mise 
h  si  bas  pti%  dans  le  partage  du  butm«  quTlysse  vainqueur  ne 
voiidrait  pas  de  toi,  si  tu  n^avais  donne  le  jour  a  Heclor.  A  peine 
Hector  peut-il  trouver  un  maitre  pour  sa  raere ! 

Quisquis  Is  est,  quem  cxde  mea  placare  paratis, 

Liber  erit  sanguis.  Si  quos  tatnen  Ultima  nostri 

Verba  movent  oris,  Priami  vos  fllia  iregis,  470 

Non  captiva,  rogat.  Genitrici  corpus  inemptdfn 

Reddite;  neve  auro  redimat  ju&  triste  sei^ulcin, 

Sed  lacrymis.  Tunc,  quum  poterat,  redirtiebat  et  auro.  » 

Dixerat.  At  populus  lacrymas,  quas  illa  tetiebat, 

Non  tenet;  ipse  etiam  flens  invitusqtic  sacerdos  475 

Praebita  conjecto  rupit  praecordia  ferro. 

llla,  super  terram  defeeto  popllli»  labcns» 

Perlulit  intrepidos  ad  fata  novissima  vultus. 

Tunc  quoqUe  cura  fuit  parles  velare  tegendas, 

Quum  caderet,  castique  decus  servarc  pudoris.  480 

Troades  excipiunt,  deploratosque  recensent 

Priamidas,  et  quid  doderit  domus  una  cruotis. 

Teque  gemunt,  virgo,  leque,  o  modo  rcgia  conjux, 

Regia  dicta  parens,  Asiaj  florontis  imago, 

Nunc  eliam  praedae  mala  sors,  quam  viclor  Uiyssca  4S5 

Esse  suam  nollet,  nisi  quod  lamen  Hectora  partu 

Edideras.  Dominum  matrl  vix  reppcrlt  llecior. 


LIVRE  XIU.  q03 

Hdcube  presse  dans  ses  bras  ee  corps  qui  renferma  une  Ame  si 
grande.  Ses  larmes,  qui  tant  de  fois  coul^rent  pour  sa  patrie, 
pour  ses  enfants,  pour  son  epoux,  coulent  pour  sa  fiUe  et  arro- 
sent  ses  blessures.  EUe  couvre  sa  bouche  de  baisers ;  elle  frappe 
sa  poitrine  si  souvent  m^rtrie,  et  trsdne  ses  cheveux  blancs  dans 
le  sang  glac^  de  Polyxene.^  EUe  ^clate  en  iongs  regrets,  et  s^ecrie 
en  se  d^chirant  le  sein :  «  Ma  flUe,  demier  objet  de  douleur 
pour  ta  mdre  {car  que  me  reste-t-U  encore?),  ma  fille,  tu  n'es 
plus!  Je  vois  ta  blessure,  qui  est  aussi  la  miennel  Tous  mes  en- 
fants  devaient  donc  perir  par  le  glaive  l  ei  c^est  par  le  glaive  que  tu 
p^fts!  Tesperais  pourtant  que  le  fer  respecterait  ton  sexe;  et 
ton  sexe  n'a  pu  te  d^fendre !  et  c'est  i^assassin  de  tes  freres  qui 
t'a  frappee  du  coup  mortei ;  c'est  AchiUe,  le  fi^au  de  Tpoie,  le 
destructeur  de  ma  famille !  Quand  U  expira  sous  les  fleches  de 
Pdris  et  d'ApoUon,  je  me  dis :  i  iiaintenant  AchUle  n'est  plus  a 
«  craindre.  »  li  Test  encore  pour  moi.  Sa  cendre  m^me  devore 
ma  rac^,  et  jusque  dans  sa  tombe  je  retrouve  un  ennemi.  Mon 
sein  n'a  donc  ^t^  f^cond  que  pour  assouvir  la  fureur  d^Adiiile! 
La  superbe  Troie  est  renvers^.  Un  grand  desastre  a  mis  le  com- 
ble  a  ses  maiheurs ;  mais  du  moins  ils  ont  atteint  leur  terme. 


Quse  corpus  coniplexa  animae  tam  fortis  inane, 
Quas  toties  patriae  dederat,  natisque,  viroquc, 
Hnic  quoque  dat  lacrymas,  lacrymas  in  vulnera  fundit,    -iOO 
Osculaque  ore  tejgit,  consuetaque  pectora  plangit; 
Canitiemque  suam  concreio  in  sanguine  verrens, 
Plura  quidem,  s^d  ct  liaec  ia^iato  pectore  dixit : 
«  Nata,  tuae  (qufd  enim  superest?)  dolor  ultime  malri, 
I^qtajaces,  videoque  tuumi  mea  vulnefa,  vulnus.  405 

En,  nc  perdiderim  quemquam  sine  caede  meorum, 
Tu  quoque  vulnus  habes.  At  te,  qnia  femipa,  rebar 
A  ferro  tutam ;  cecidisti  et  femina  ferro. 
Totque  tuos  idcm  fratres,  te  perdidit  idem 
Exitiuni  Troj»,  nostrique  orhqitor,  Achillcs.  alK) 

At  postquam  Paridis  cecidit,  Phobique  sagittis, 
Nunc  certe,  dixi,  Qon  es(  metuendus  Achilles. 
Nunc  quoque  mi  inetuendas  eratj  cinis  ip^e  sepuUi 
lu  genus  hoc  saevit ;  tumulo  quoque  sQQsimus  hostcm . 
i£acidae  fecunda  fui.  Jacet  llion  ingens,  $)5 

Eventuque  grati  finita  est  publica  cUdes; 


504  METAMORPHOSES 

tandis  que  c'est  pour  inoi  seule  -que  subsiste  Pergame.  Oui,  d'^ler- 
nels  aliments  s'ofrrent  a  ma  douleur.  Naguere  reine  du  monde, 
puissante  par  mes  gendres,  par  mes  enfants,  par  mes  brus  et 
par  mon  epoux,  je  suis  aujourd'hui  trainee  en  exii,  pauvre, 
arrachee  du  tombeau  de  tous  les  miens,  pour  devenir  l'esclave  de 
Penelope,  qui  m'ordonnera  de  filer  la  laine,  et,  me  montrant  aux 
femmes  dlthaque  :  «  Voila,  dira-t-eile,  Tillustre  mere  d'Hector ! 
«  Voila  Tepouse  de  Piiam!  »  Apres  tant  de  pertes,  toi  qui  seule 
allegeais  le  deiiil  de  ta  mere,  on  tlmmole,  comme  mie  victime 
expiatoire,  sur  le  tombeau  de  notre  ennemi ! 

«  Je  t'ai  donc  enfantee  pour  apaiser  ses  manes  !  Plus  dure  que 
le  fer,  que  ne  puis-je  mourir,  et  qu^atlends-je  encore?  0  vieil- 
lesse!  que  me  rescrves-lu?  Dieux  cruels!  ne  prolongez-vous  ma 
vie  que  pour  ine  faire  assister  a  de  nouvelles  funerailles  ?  Qui 
jamais  eut  pense  que  Priam,  apres  la  destruction  de  Pergame, 
pouvait  ^tre  appele  Iieureux?  II  le  fut  par  sa  mort.  0  ma  fiUe! 
il  n'a  point  vu  ton  Irepas,  et  il  perdit  en  m^me  lemps  le  trone 
et  la  vie.  Peut-^tre,  fille  des  rois,  recevras-tu  des  honneurs  fu- 
n^bres,  et  ta  depouille  sera-t-elle  deposee  dans  la  tombe  de 
les  aieux.  Mais  non,  telle  n'est  pas  la  fortune  de  notre  famille, 


Sed  finila  tamen  :  soli  mihi  Peigania  ret»lunl, 

In  cursuque  meus  dolor  est.  Modo  maxima  reruni, 

Tot  generis  natisque  polens,  nuribusque,  viroquc, 

iVunc  Irahor  exsul,  iiiops,  luuiulis  avulsa  meoruin,  iilU 

Pcnelopae  munus,  quic  me  dala  pensa  trahentem 

Matribus  ostendens  ilhacis  :  «  llicc  HccLoris  illa  csl 

«  Clara  parens;  lucc  est,  dicet,  Priameia  conjux.  » 

Poslque  tot  amissos  tu  nuuc,  qu:c  sola  levabas 

Maternos  luctus,  liostiHa  busla  piasti.  rilS 

<f  Inrcrias  hosti  pepcri.  Quo  ferrea  restof 
Quidve  moror?  Ouo  me  servas,  aunosa  seneclu^? 
(^uid,  di  crudeles,  uisi  quo  nova  funera  cernam, 
Vivacem  differtis  anum?  Quis  posse  putarel 
Keliccui  Priamum,  post  diruta  Pergaraa,  dici?  i»20 

Felix  «lorle  sua,  ncc  te,  mea  nala,  peremptam 
Aspicil,  ct  vilam  pdriler  regnumque  reliquil. 
At,  pulo,  funeribus  dotabcre,  regia  virgo, 
Oondeturque  tuuin  moiiumentis  corpus  avilis. 
Xon  hicc  est  fortuna  domus  Tibi  inunera  iiialiis  iiia 


LIYRE  XIII.  505 

Pour  demier  hommage  tu  auras  les  larmes  de  ta  mere  et  un  peu 
de  sable  ^tranger.  Nous  ayons  tout  perdu.  Je  n'ai  plus,  pour 
m'aider  a  supporter  le  peu  de  jours  que  j'ai  encore  a  vivre,  qu'un 
fils  bien  cher  a  sa  mSre,  le  seul  qui  me  reste,  Polydore,  commis 
k  Tamiti^  du  roi  de  Thrace.  Mais  pourquoi  tant  tarder  a  laver  les 
cruelles  blessures  de  Polyxene,  et  sa  Ifigure  qu'un  barbare  a  souil- 
lee  de  sang  ?  » 

Elle  dit,  et,  arrachant  ses  cheveux  blancs,  elle  s'avance  vers  la 
raer  d'un  pas  ralenti  par  T^ge :  «  Troyennes,  dit-elle,  donnez-moi 
une  urne.  »  L'infortunee  s'appr^tait  a  puiser  une  onde  limpide, 
quand  elle  vit  Polydore  etendu  sur  le  rivage  et  couvert  des  larges 
blessures  que  lui  avait  faites  Polymestor.  Les  Troyennes  poussent 
un  cri;  Hecube  reste  muette.  La  douleur  etouffe  sa  voix  et  arr^te 
en  mSme  temps  ses  larmes.  Immobiie  et  telle  qu'un  rocher  insen- 
sible,  tantdt  elle  fixe  ses  yeux  sur  cette  terre  ennemie,  tant6t  elle 
lancedes  regards  farouches  vers  le  ciel.  Elle  contemple  tour  a  tour 
le  visage  et  les  blessures  de  Polydore  etendu  sans  vie,  mais  surtout 
ses  blessures.  Safureur  s*irrite  et  s'enflamme.  Quand  elle  estarri- 
vee  a  son  comble,  comme  si  elle  ^tait  toujours  reine,  elle  arrSte  sa 

Contingent  flctus,  peregrinxquc  haustus  arenae. 

Omnia  perdidimus.  Superest»  cur  vivere  tempus 

In  breve  sustineam,  proles  gratissima  matri, 

Kunc  solus,  quondam  minimus  de  stirpe  virili, 

Ilas  datus  ismario  regi  Polydorus  in  oras.  530 

Quid  moror  interea  crudelia  vulnera  lymphis 

Abiucre,  et  sparsos  immiti  sanguine  vultus?  » 

Dixit,  et  ad  littus  passu  procedit  anili, 
Albentes  laniata  comas :  «  Date,  Troadcs,  urnam, » 
Dixerat  infelix,  liquidas  hauriret  ut  undas.  535 

Aspicit,  ejectum  Polydori  in  littore  corpus. 
Factaque  'hreiciis  ingentia  vulnera  telis. 
Troades  exclamant.  Obmutuit  illa  dolore, 
Et  pariter  vocem,  lacrymasquc  introrsjLis  oborlas  ' 
Devorat  ipse  dolor^  duroque  simfllima  saxo  540 

Torpct,  et  adversa  figit  modo  lumina  terra; 
Interdum  lorvos  sustollit  ad  ajthera  vultus; 
,  Nunc  positi  spectat  vultum,  nunc  vulnera  nati, 
Vulnera  praecipue,  seque  armat  et  instruil  ira. 
Qua  simul  exarsit,  lanquam  regina  manerct,  545 

Ulcisci  statuit,  poensque  in  imagine  tota  est. 


500  M^TAMORPHOSES. 

▼engeance  et  Jie  respire  que  ch&timents.  T^  qa\uie  limiiie  h  qni 
rona  ravi  le  lionceau  qu^ie  allaitait  encore  s^abaadonne  k  toute 
sa  rage,  et  suit  la  trace  de  son  ennemi  sans  Fapercevoir  luiHOQtoe, 
Hecube,  emportee  par  la  douleur  et  par  la  col^re,  oubiie  ses  amito 
et  non  son  courage,  va  trouver  Polymestor,  le  oruel  autcnr  du 
meurtre  de  son  fils,  lui  demande  un  aitretien,  et  feint  d'aT<»r  k  lui 
montrer  le  reste  des  tresors  cach^  qu'il  doit  retoettre  a  PolydOTO. 
Trompe  par  Tespoir  d'une  nouvelle  proie,  le  roi  de  Thraoe  la  suit 
k  Tecart,  et,  avec  une  fausse  douceur : « H^cube,  dit*il,  hfttez-vous 
de  me  remettre  ces  tr^sors  pour  votre  fils.  L'or  que  j'ai  dSjk  regu 
et  celui  que  vous  allez  me  confier,  tout  lui  sera  fid^lement  remis, 
j*en  atteste  les  dieux !  »  A  ce  l&che  paijure,  H^cube  lui  lance  un 
regard  farouche.  La  col^re  bouilionne  au  fond  de  son  coeur.  Aid^ 
de  ses  compagiies,  elle  se  jette  avec  fureur  sur  Polymestor,  enfonce 
ses  doigts  dans  les  yeux  du  perfide  et  les  arracfae.  La  rage  lui 
donne  des  forces.  Puis  elle  plonge  ses  mains  dans  lieurs  orbites, 
et  creuse,  non  les  yeux  qui  n'y  sont  plus,  mais  leur  place  toufe 
sanglante. 

hidignes  du  malheur  de  leur  mattre,  les  Thraces  lancent  a  Be^ 
cube  des  pierres  et  des  traits.  Elle  saisit  un  des  cailloux,  et  le 

Utque  furit  catulo  lactenle  orbata  leaena, 
Signaque  nacta  pedum  seqnitur,  quem  non  videt,  hostem; 
•  Sic  Hecubc,  postquam  cum  luclu  miscuit  iram, 
Non  obUta  animorum,  annorum  oblita  suorum,  550 

Vaditad  artificem  dirse  Polymestora  ca^dis, 
Golloquiumque  petit;  nam  se  monstrare  relictum 
Veile  latens  illi,  quod  nato  redderet,  aurum. 
Gredidit  Odrysius,  pnedieqiie  assuelus  amore, 
In  secreta  yenit,  cum  blando  callidus  ore  :  ^Tio 

«  Tolle  moras,  Ilecubc.  dixit,  da  munera  nato. 
Omne  fore  illius  quod  das,  quod  et  anle  dedisti, 
Ter  Superos  juro.  »  Spectat  truculenla  loquentera, 
Fabaque  jurantem,  tumidaque  exjESluat  ira; 
Atque  ita  correptum  captivarum  agmine  niatrum  5l»() 

Involat,  et  digitos  in  perfida  luinina  condif, 
Exspolialque  gcnas  oculis  (facit  ira  valentem); 
Immergilque  manus,  foedataque  sanguiue  sonti 
Kon  lumen,  nequc  enim  superesl,  loca  luminis  baurit. 

Clade  sui  Thiacuii.  geus  irritata  tyranni  ^ 

l^roada  telorum  lapidumque  incesscre  jactu 


LIYRE  XIII.  507 

mord  aVec  un  goord  murmure.  Elle  8'efforce  de  parler,  mais  elle 
aboie.  On  toit  encore  le  lieu  temoin  de  cette  m^amorphose ;  ii  en  a 
pris  son  nom.  Hecube,  sous  sa  nouvelle  forme,  conserve  le  souve- 
nir  de  ses  anciens  malheurs,  et  ranplit  de  tristes  hurlements  les 
campagnes  de  la  Thrace.  Les  Troyens  ses  sujels,  les  Grecs  ses 
ennemis,  et  les  dieux  eux-mdmes,  furent  emus  de  ses  infortunes. 
Tous»  jusqu^a  la  soeur  et  r^pouse  de  Jupiter,  avou^rent.qu'Hecube 
ne  meritait  pas  cette  affreuse  destinee. 

DE8  OISEAUX  NAISSENT  DES  CEMDRES  DB  MElOfOlI. 

HI.  Quoique  TAurore  eAi  favoris^  les  armes  des  Troyens»  elle 
ne  pleura  ni  la  ruine  dllion  ni  les  malheurs  d'H^be.  Une  perte 
cruelle  Faffligeait ;  elle  deplorait  ses  propres  infortunes,  la  mort  de 
son  fils  Memnon,  qu^elie  avait  vu  perir  dans  les  champs  pbrygicns 
sous  la  lance  d'Achille.  A  cet  aspect,  TMat  vermeil  dont  elle  brille 
le  matin  avait  p41i,  et  le  ciel  s'etait  voile  de  nuages.  Elle  ne  put 
soutenir  la  vue  du  bucher  prepare  pour  son  fils.  Les  cheveux  epars 
et  les  yeux  mond^  de  larmes,  elle  ne  rougit  pas  de  se  jeler  aux 

Coepit.  At  haec  missum  rauco  cum  murmure  saxum 

Morsibus  insequilur,  rictuque  in  verba  parato 

Latravit,  conata  loqui.  Locus  exstat,  et  ex  re 

Iiiomen  habet;  veterumque  diu  memor  illa  malorum,        570 

Tum  quoque  sithonios  ululavit  mcesta  per  agros. 

Ulius  Troasque  suos,  hostesque  Peiasgos, 

Illius  fortuna  deos  quoque  moverat  omnes ; 

Sic  omnes,  ut  ct  ipsa  Jovis  conjuxque  sororque 

Evenlus  Ilccubam  meruisse  negavcrit  illos.  S75 

HEMNCfNlS  CINERIBUS  AVES  PRODEURT. 

lU.    Mon  vacat  Autorae,  quanquam  Isdem  faVerat  armis, 
Cladibus  et  casu  Trtfjacque  Hecubseque  movcri. 
Cura  dcam  propior,  luclu&que  domestiinis  angit 
Memnonis  amissi,  phrygiis  quem  lutea  campii 
Vidit  achillea  pereunlem  cuspide  mater.  SSd 

Vidit,  et  ille  color,  quo  matutina  rubescuilt    . 
Tempora,  palluerat;  latuitque  in  nubibus  aether. 
At  noD  impositos  supremis  ignibus  artus 
Sustinuit  sp^clare  parens ;  sed  crine  soluto, 
Sicut  erat,  mugni  genibus  procumbere  non  esi  t^ 


m  n£tamorpuoses. 

genoux  du  grand  Jupiter,  et  de  le  supplier  en  oes  termes :  c  InfS- 
rieure  a  toutes  les  divinites  qui  halntent  rOlympe  (puisque  ]es 
mortels  m'ont  ^leve  si  peu  de  temples  dans  Tunivers),  je  me  pre- 
sente  n^moins  comme  deesse ;  non  pour  vous  demander  dessano- 
'  tuaires,  des  jours  de  f^te  et  des  autels  ou  Tencens  bnUe  en  mon 
honneur ;  et  cependant  vous  trouverez  que  j'ai  droit  d'y  pretendre, 
si  vous  consid^rez  combien  ma  lumi^  vous  est  utiie,  en  emp^ 
cliant  la  nuit  de  franchir  ses  bomes.  Hais  ce  n'est  pas  ce  soin 
qui  m'occupe.  L'^tat  pr^ent  de  TAurore  ne  lui  permet  pas  de 
revendiquer  ses  droils.  La  mort  de  mon  cher  Memnon  m'amene 
seule  devant  vous.  En  vain  ii  prit  courageusement  les  armes 
pour  un  prince  de  sa  famille.  A  la  fleur  de  Fdge  (dieux,  vous 
Favez  voulu ! )  ii  est  tombe  sous  les  coups  du  redoutable  Adiillc. 
Je  vous  en  conjure,  accordez  a  sa  m^moire  un  honneur  qui  me 
console  de  sa  mort.  Souverain  mattre  des  cieux,  daignez  calmer 
les  douleurs  d'une  m^re. » 

Jupiter  exauce  ses  vobux.  Au  moment  ou  s^ecioule  le  biicLer 
consume  par  les  flammes,  d'epais  tourbillons  de  fumee  obscur- 
Cissent  le  jour.  Ainsi  du  sein  des  fleuvef .  s'exbalent  des  vapeurs 
impenelrables  aux  rayons  du  soleiL  La  cendre  vole ;  elie  se  rejuiit 

Dcdignata  Jovis,  lacrymisque  has  adder^  voces: 

«  Oiiinibus  inrerior,  quas  sustinet  aureus  xtlier 

(Nam  milii  sunt  totum  rarissima  templa  per  orbem), 

Diva  tamen  venio,  non  ut  delubra,  dies]ue 

Des  mihi  sacriGcos,  caliturasque  iguibu »  aras.  »a90 

Si  tamen  aspicias  guantum  tibi  femina  praistcmf 

Tum  quum  lucc  nova,  noctis  confinia  servo, 

Pnemia  danda  putes.  Sed  non  ea  cura,  neque  hkc  cst 

Kunc  slalus  Aurorai,  meritos  ut  poscat  hoTiores. 

Memnonis  orba  mei  venio,  qui  fortia  frustra  595 

Pro  patruo  tulit  arma  suo,  primisque  &ub  annis 

Occidil  a  forti  (sic  vos  voluistis),  Achille. 

Da,  prccor,  huic  aliquem,  solatia  mOiUis,  honorcni, 

Summc  deum  reclor,  maternaque  vulnera  leni.  » 

Jupitcr  annucrat.  Quum  Hemnonis  arduus  alto  000 

Corruit  igue  rogus,  nigrique  voiumina  fumi 
Infcccre  diem,  veluti  quum  flumina  nalas 
Exhalant  ncbulas,  nec  sol  admittitur  infra 
Atra  favilla  volat,  glomerataque  corpus  in  uuum 


LIYRB  XIII.  509 

cn  un  corps  qui  se  condense,  se  fagonne,  et  re^it  du  feu  la  cha- 
leur  et  la  vie  :  sa  l^gtVel^  lui  donne  des  ailes.  D^abord  semblable 
k  un  oiseau,  et  bientdt  oj^eau  y^ritable,  du  bruit  de  son  vol  Mem- 
non  fait  retentir  Tair  agit^  en  mtoe  temps  par  dlnnombrables 
oiseau  x  qui  ont  la  m^me  origine.  Trois  fois  ils  s'el^vent  autour  du 
bAcher  et  frappent  trois  fbis  Tair  des  m^mes  cris.  Mais,  au  qua- 
trieme  vol,  ils  forment  des  camps  oppos^s.  D^  lors,  s^pares  en 
deux  peuples  ennemis,  ils  se  font  une  guerre  implacable.  Leurs 
becs  et  leurs  ongles  aigus  servent  d'instrument  k  leur  fureur.  IIs 
se  faliguent  en  s'enlre-heurtant,  et  tombent,  comme  des  viclimes 
fun^bres,  en  rhonneur  de  celui  qui  leur  donna  la  vie,  et  dont  les 
restes  viennent  de  recevoir  les  honneurs  funebres.  Us  se  rap- 
pellenl  qu'ils  doivent  le  jour  a  un  h^ros.  Cest  de  lui  que  ces  oi- 
seaux  subitement  crees  tirent  ie  nom  de  Memnonides.  Lorsque  le 
soleil  a  parcouru  ses  douze  signes,  ils  combattent  jusqu'a  la  mort 
pour  honorer  la  memoire  de  leur  p^re.  Ainsi,  quand  on  s^afHigeait 
d^entendre  H^cube  aboyer,  TAurore  etait  iivree  k  ses  propres  dou- 
leurs.  Aujourd'hui  m^me,  elle  pleure  eneore  son  fils,  et  ses  larmes 
tombent  en  ros^e  sur  la  terre. 


Densatur,  faciemque  capit,  sumilque  calorem,  605 

Atque  animam  ex  igni :  levitas  sua  praebuit  aias. 

El  primo  similis  volucri,  mox  vera  volucris 

Insonuit  pennis.  Pariter  sonuere  sorores 

InnumeraQ,  quibus  est  eadem  natalis  origo; 

Terque  rogum  lustrant,  et  consonus  exit  in  auras  610 

Ter  clangor;  quarto  seducunt  castra  volalu. 

Tum  duo  diversa  populi  de  parte  feroces 

Bella  gerunt,  rostrisque  et  aduncis  unguibus  iras 

Exercent,  alasque  adversaque  pectora  lassant; 

Inreria!que  cadunt  cineri  cognata  sepulto  615 

Gorpora,  seque  viro  forti  meminere  creatas. 

Praepetibus  subitis  nomen  facit  auctor.  Ab  illo 

Memnonides  dictse,  quum  sol  duodena  peregit 

Signa,  parentali  periturie  marte  rebeilant. 

Ergo  aliis  lalrasse  Dymantida  flebile  visum;  6!0 

Luctibus  est  Aurora  suis  intenta,  piasque 

Nunc  quoque  dat  lacrymas,  et  tolo  rorat  in  orbe. 


510  lieTAMORPHOSES. 

istE,  FUGITIF,  ARRITE  GHEZ  ANlfJS,  DOKT  LE8  niXBS  80HT  TRANSroRllilS 
.  EH  COLOMBES. 

IV.  Gependant  le  Destin  ne  permit  pas  que  toutes  les  esptooioes 
de  Troie  p^rissent  avec  ses  remparis.  Le  fUs  de  Y^us  emporta 
sur  ses  ^paules  les  dieux  de  sa  patrie,  et  son  pdre,  aussi  sacr^  pour 
lui  que  les  dieux.  Parmi  tant  de  richesses,  sa  pi^t^  ne  dioisit  que 
oe  butin  et  son  fils  Ascagne.  li  partit  d'Antandre  aree  sa  flotte 
fugitive,  et,  a  traTers  les  ondes,  abandonna  les  coupables  riTages 
de  la  Thrace,  encore  baign^  du  sang  de  Polydore.  A  l*aide  des 
vents  propices,  ii  entra  aTOc  ses  compagnons  dans  le  port  de  D^ 
los.  Anius,  pr^tre  d'Apollon  et  roi  de  cette  ile,  le  re^ut  dans  le 
temple  et  dans  son  palais.  II  lui  montra  la  ville,  ses  dM^AxKS 
sanctuaires,  et  les  deux  arbres  qu'embrassa  Latone  quand  dle 
devint  m^re.  lls  jet^rent  de  Tencens  dans  les  flammes,  rairos^ 
rentde  vin,  etbrftl^rent,  suivant  Tusage,  les  entrailles  des  boeu£s 
^rg^.  Puis  ils.se  rendirent  dans  le  palais,  et,  sur  de  superbes 
tapis,  ils  joignirent  les  dons  de  Bacchus  aux  pr^nts  de  G^rte. 

Le  pieux  Anchise  lui  dit :  c  Auguste  pontife  d^Apollon,  me 

£!fEAS  PROFUGUS  VENIT  AD  ANIUM,  CUJUS  FILIiE  IN   COLUMBAS  YERTUimm. 

IV.    Nec  tamen  eversam  Troj»  cum  moenibus  esse 

Spem  quoque  Fata  sinunt.  Sacra,  et  sacra  altera  patrem, 

Fert  humeris  Tenerabile  onus  cythereius  heros.  6^ 

De  tantis  opibus  prj^dam  pius  eligit  illam, 

Ascaniumque  suum,  profugaque  per  sequora  classe 

Fertur  ab  Antandro,  scelerataque  limina  Thracum, 

Et  polydoreo  manantem  sanguine  terram 

Linquit,  et  utilibus  ventis  aestuque  secundo  G30 

Intrat  apollineam,  sociis  comitantibus,  urbem. 

Hunc  Anius,  quo  rege  homines,  antistite  Phocbus 

Rite  colebantur,  temploque,  domoque  recepit, 

Urbemque  ostendit,  delubraque  nota,  duasque 

Latona  quondam  stirpes  pariente  retcntas.  G55 

Thure  dato  flammis,  vinoque  in  thura  profuso,  ' 

Caesorumque  boum  fibris  de  more  creraatis, 

Rcgia  tecta  petunt,  positisque  tapetibus  altis 

Munera  cum  liquido  capiunt  cerealia  Paccho. 

Tum  pius  Anchises  :  «  0  Phoebi  lectc  sacerdos,  GiO 


LIVRB  XIII.  511 

trompS-je,  ou  bien,  quand  je  vis  ces  murs  pour  la  premiere  fois, 
n'ayiez-YOus  pas,  autant  qu'il  m'en  souvient,  un  fils  et  quatre 
fiUes?  D  Anius,  secouant  sa  t^e,  ceinte  d'un  bandeau  blanc^  lui 
rSpondit  d'une  7oix  triste  :  «  Non,  vous  ne  yous  trompez  pas, 
illustre  Anchise.  Vous  m'avez  jm.  pere  de  cinq  enfants,  et  au- 
jourd'hui  ( telle  est  rinconstance  des  choses  humaines ! )  vous 
me  trouvez  k  peu  prSs  sans  famille.  En  effet,  quel  appui  atten- 
dre  de  ce  fils  retenu  loin  de  moi  dans  File  d'Andros,  k  laquelle  il 
a  donn^  son  nom?  II  m'a  quitt^  pour  y  r^ner  en  maitre.  ApoUon 
lui  accorda  la  sdence  de  ravenir,  comme  mes  (iiles  avaient  regu 
de  Bacchus  un  pouvoir  au-dessus  de  leurs  voaux  et  de  loutc 
croyance,  celui  de  transformer  en  ^pis,  en  raisin,  en  oiivesi  tous  les 
objets  qu'elles  toucheraient.  Cetait  pour  moi  une  source  feconde 
de  biens.  A  peine  instruit  de  ce  prodige,  le  destructeur  de  Troie 
(n^allez  pas  croire  que  l'orage  dont  vous  avez  ^te  accable  n'a 
point  rejaiili  sur  moi),  Agamemnon,  a  main  arm^e,  vient  ar- 
racher  mes  filles  de  mes  bras  et  leur  ordonne  de  nourrir  la 
flotte  des  Grecs  par  le  privilege  qu'elles  ont  regu  des  dieux.  Elles 
fuient  pour  chercher  un  asile  Deux  se  refugient  dans  rEul)^e,  et 


Fallor?  anetnatum,  quum  primum  haic  moenia  vidi, 

Bisque  duas  natas,  quantum  reminiscor,  habebas?  » 

Huic  Anius  niveis  circumdata  tempora  viltis 

Ck>ncutiens,  et  tristis  ait :  «  Non  falleris,  heros 

Haxime;  natorum  vidisti  quinque  parentem,  64^ 

Quem  nunc  (lanta  homines  rerum  inconstantia  versat  I ) 

Pene  vides  orbum.  Quid  enim  mihi  filius  absens 

Auxiliil  quem  dicta  suo  de  nomine  tellus 

Andros  habet,  pro  patre  locumque  et  regna  tenentem? 

Delius  augurium  dedit  huic ;  dedit  altera  Liber  650 

Femineae  sorti  voto  majora  fideque 

Munera.  Nara  tactu  natarum  cuncta  mearum, 

In  segetem,  laticeroque  meri,  baccamque  Minerva} 

Transformabantur ;  divesque  erat  usus  in  illis. 

Hoc  ubi  cognoyit,  TrojaB  populator,  Atrides  055 

(Ne  non  ex  aliqua  vestram  sensisse  procellam 

Nos  quoque  parte  putes),  armorum  viribus  usus, 

Abstrahit  invitas  gremio  gcniloris,  alantquc 

Imperat  argolicam  coelesti  munere  classem. 

Effugiunt  quo  quseque  potest.  Euboea  duabus,  CGO 


512  Ml^TAMORPHOSES. 

les  deux  autres  dans  Andros,  aupr^s  de  leur  frere.  Des  soldats  se 
presentent,  et  mon  fils  est  menace  de  guerre  s'il  ne  les  remet  en* 
tre  leurs  mains.  Sa  tendresse  fraternelle  cede  a  la  crainte :  il  livre 
ses  soeurs.  Mais  sa  faiblesseest  excusable.  II  n'avait  poursedefen- 
dre  ni  En^e  ni  Hector,  qui  pendant  jlix  ans  ont  retardS  votre  ruine. 
Deja  les  Grecs  aUaient  enchainer  leurs  caplives.  EUes  levent  vers  le 
ciel  leurs  mains  libres  encore,  et  s'^crient :  c  Dacchus,  viens  k  notre 
«  aide !  »  £t  leur  bienfaiteur  les  secourut,  si  toutefois  ce  fut  les 
secourir  que  de  me  les  ravir  par  une  m^tamorphose.  Mais  com- 
ment  s'op^ra  ce  prodige?  Je  ne  pus  le  savoir  et  jene  sauraisle  dire 
aujourd'hui.  Mon  malheur  seul  m'est  connu.  EUes  prirent  des  ailes 
et  s'envoI^rent  sous  la  forme  de  blancbes  colombes  consacrees  a 
volre  epouse.  » 

Ces  discours  et  d'autres  semblables  remplirent  tout  le  temps  du 
repas ;  puis  les  Troyens  quitterent  la  table  pour  se  livrer  au  som- 
meil.  Au  point  du  jour,  ils  all^ent  consulter  Toracle  d*Apollon.  Le 
dieu  leur  ordonna  de  chercher  leur  anlique  m^re  et  les  rivages  ha- 
biles  par  leurs  anc^tres.  Anius  les  accompagna  au  moment  du  de- 
part,  et  leur  fit  des  presents.  II  donna  un  sceptre  a  Anchise,  une 
chlamyde  et  un  carquois  a  son  petit-fils ;  a  Enee,  un  cratere  quc 

Et  tolidem  nalis  Andros  fraterna  petita  est. 

Miles  adest,  et,  ni  dedantur,  bella  minatur. 

Victa  raetu  pietas  consortia  pectora  poRniB 

Dedil,  et  ut  timido  possis  ignoscere  fratri ; 

Non  hic  ^Eneas,  non,  qui  defenderet  Andron,  CG5 

Ileclor  erat,  per  quos  dccimum  durastis  in  annum. 

Jamque  parabantur  captivis  vincla  lacertis. 

IDae  toUentes  etiamnum  libera  coelo 

Brachia  :  «  Bacche  pater,  fer  opem,  »  dixerc.  Tulitque 

Muneris  auctor  opem,  si  miro  perdere  more  C70 

Ferre  vocatur  opem.  Ncc  qua  ratione  figuram 

Perdiderint,  potui  scire,  aut  nunc  dicere  possira. 

Summa  mali  nota  est  :^  pcnnas  sumpsere,  tuaeque 

Conjugis  in  volucrem,  niveas  abiere  columbas.  » 

Talibus  atque  aliis  postquam  convivia  dictis  675 

Implerunt,  mensa  somnum  petiere  remota. 
Gumque  die  surgunt,  adeuntque  pracula  Phoebi. 
Qui  pelere  antiquam  matrem,  cognataque  jussit 
Littora.  Prosequitur  rex,  et  dat  munus  ituris, 
Anchisaj  sceptrum,  chlamyden  pharetramque  nepoti,        C80 
Cratera  iEnex,  quem  quondam  miserat  ilii 


LIYRE  XIII.  5t3 

Thers^s  lui  enToya  jadis  des  bords  de  rism^nus,  comme  gage  de 
rhospitalit^  qu'il  en  aTait  re^ue.  C^tait  rouvrage  d^Alcon  de  Myia. 
Le  ciseau  de  cet  artiste  y  ayait  gravS  de  grands  ^v^nements.  On  y 
voyait  une  ville.  Sept  portes  parfaitement  distinctes  lui  tenaient 
lieu  de  liom  et  la  faisaient  reconnaitre.  Devant  ses  murs  une 
pompe  fun^bre,  des  tombeaux,  des  feux,  des  bAchers,  des  fem- 
mes,  lescheveux  epars  et  le  sein  decouvert,  annon^aient  le  deuil. 
Des  Nymphes  semblaient  pleurer  et  regretter  leurs  sources  taries. 
Depouill^  de  leur  feuillage,  les  arbres  n^offraient  qu'un  tronc 
aride.  Des  cbevres  rongeaient  un  brin  d'herbe  sur  des  rochers. 
Au  milieu  deTh^bes  paraissaient  les  filles  d'Orion.  L'une,  avec  un 
courage  aunlessus  de  son  sexe,  presentait  sa  gorge  au  glaive; 
Fautre  de  sa  propre  main  s'immolait  noblement  pour  le  salut  de 
tous.  Leurs  restes,  porles  k  travers  Tenceinte  de  la  viUe  avec  une 
pompe  solennelle,  ^laient  brAles  sur  la  place  publique.  Du  inilieu 
des  flammes  naissaient,  pour  immortaliser  leur  race,  deux  jeunes 
heros.  La  renomm^  leur  a  conserv^  le  nom  de  Courannes,  lls 
conduisaient  les  obs^ques  de  leur  mSre.  Tous  ces  sujets  ^taient 
repr^ent^s  en  relief  sur  Tairain  antique.  L'acanthe  ornait  de  fes- 
tons  dords  les  bords  du  vase.  Les  Troyens,  h  leur  tour,  firent  h 

Hospes  ab  aoniis  Tberses  ismenius  oris. 

Hiserat  hunc  illi  Therses,  fabricavcrat  Aicon 

Myleus,  et  longo  caelaTerat  argumento. 

Urbs  erat,  et  seplem  posses  ostendere  porlas  :  685 

Ilffi  pro  nomine  erant,  et  qu»  foret  illa,  docebant. 

Ante  urbem  eisequiae,  tumulique,  ignesque,  rogique, 

Effusxque  comas,  et  apert»  pectora  matres 

Significant  iuctum.  Nympha)  quoque  flere  Yidentur, 

Siccatosque  queri  fontes.  Sine  frondibus  arlx»  C90 

Nuda  riget.  Rodunt  arentia  saxa  capell». 

Ecce  facit  mediis  naias  Orione  Thebis, 

llanc  non  femineum  jugulo  dare  pectus  aperlo, 

Hlam,  demisso  per  forlia  vulnera  telo 

Pro  populo  cecidisse  suo ;  pulchrisque  per  urbcm  C95 

Funeribus  ferri,  celebrique  in  parte  cremari. 

Tum  de  virginea  geminos  exire  favilia, 

Ne  genus  intereat,  juvenes,  quos  fama  Coronas 

Nominat,  et  cineri  materno  ducert  pompam. 

Hactenus  antiquo  signis  exstantibus  sere  700 

Summuft  inaurato  crater  crat  asper  acantho. 

29. 


514  Ml^TAMORPHOSES. 

Anius  d^anssi  magniflqiies  pr^nts.  Ils  offrirent  au  prdtre,  avee 
une  pat&re,  une  cassoiette  d'encens,  et  au  roi  une  couronne  d'or 
enrichie  de  pierres  predeuses. 

mVBRSES  H^TAIIORPBOSES.  —  ACIS  ET  GALATiE.  -^  GUUCUS  GHAIIGE 
Etl  DIEU  OE  LA  MEE. 

y.  Les  Troyens,  se  souvenant  quMls  sortent  du  sang  de  Teuoer, 
se  rendent  dans  l'ile  de  Gr^te.  Mais  un  lleau  les  emp^he  d'y  s^- 
journer.  Ds  quittent  ses  cent  villes,  impatients  de  toucher  aux 
ports  de  FAusonie.  La  tempSte  se  dechaine  et  disperse  leurs  vais- 
seaux.  Ils  abordent  aux  dangereuses  Strophades,  ou  rafTreuse  AeUo 
les  glace  d^efTroi.  Ils  passent  devant  Dulichium,  Ithaque,  Samos  et 
N^rite,  royaume  du  perfide  Ulysse.  Ils  voient  Ambracie,  que  se  dis- 
put6i:ent  jadis  les  dieux,  le  rocher  dont  le  juge  de  ce  d^bal  prit  la 
forme,  le  temple  61ev6  h  Actium  en  rhonneur  dWpollon,  Dodone 
avec  ses  ch6nes  parlants,  et  les  golfes  de  Ghaonie,  0(1,  griice  k  leurs 
ailes,  lesfils  du  roi  des  Molosses  Schapp^rent  h  des  flammes  impies. 
l'.3  c6toient  les  campagnes  voisines  des  Ph^ciens,  si  riches  m  fruils 

Nec  leviora  datis  Trojani  dona  remittunt; 
Dantque  sacerdoti,  custodera  thuris,  acerram ; 
Dant  patcram,  claramque  auro  gemmisque  coronam. 

VARIiE    TRANSFORIIATIONES.  —  ACIS  ET  6ALATEA.    —  GLAUCnS  IN   DEOH 
HAR1NU1I  MUTATUR. 

V.    Inde  recoidati  Tcucros  a  sanguino  Teucri  705 

Ducere  principium,  Greten  tenuere,  locique 
Ferre  diu  nequiere  Jovem,  centumque  relictis 
Urbibus,  ausonios  optant  contingere  portus. 
SsBvit  hiems,  jaclatque  viros,  Strophadumque  recoptos 
Portubus  infidis  exterruit  ales  Aello,  710 

Et  jam  dulichios  portus,  Ithacamque,  Samenque, 
Neritiasque  domos,  regnum  fallacis  Ulyssei, 
Praeter  craut  vecti;  cerlatam  lite  deorum 
Ambraciam.  versique  vident  sub  imagine  saxum 
Judicis,  uctiaro  qus  nunc  ab  Apolline  nota  est,  715 

Vocalemqne  sua  terram  dodonida  quercu, 
Ghaoniosque  sinus,  ubi  mtti  regc  moiosso 
Impia  subjcctis  fugere  incendia  pennis. 
Proxima  Phseacum  felicibus  obsita  pomis 


LIYRE  XIII.  515 

ddlicieux.  DsTisitentrfipire,  Buthrote,  oiir^a  le  devin  de  Phry- 
gie,  et  ou  ils  retrouvent  une  image  de  Troie.  Certains  de  ravenir 
que  leur  avaienl  d^voil^  les  infaillibles  predictions  d'fl61enus,  ils 
entrent  dans  la  Sicile,  dont  les  trois  promontoires  s'avancent  dans 
la  mer,  Pachyn  vers  le  pluvieux  Autan,  Lilybee  vers  le  doux  Ze- 
phyr,  Pelore  vers  Boree  et  TOurse  qui  ne  se  baigne  jamais  dans 
les  flots. 

Cest  la  que  d^barquent  les  Troyens.  Leur  flotte,  conduite  par  la 
rame  et  par  un  vent  propice,  penetre  le  soir  dans  le  port  de  Zancle. 
Scylla  infeste  la  rive  droite,  et  Torageuse  Charybde  la  gauche. 
Celle-ci  devore  et  revomit  les  vaisseaux  qu^elle  vient  d'engloutir ; 
Tautre,  dont  une  meute  menagante  forme  la  terrible  ceinture,  a  la 
t§te  d'une  vierge,  et  m6me,  si  tout  n'est  pas  fiction  chez  les  po^tes, 
ce  fut  jadis  une  vierge.  De  nombreux  pretendants  briguerent  sa 
main.  Mais,  insensible  a  leurs  voeux,  et  cbSrie  des  Nymphes  de  la 
mer,  elle  allait  leur  conter  les  amours  qu'elle  avait  dedaignees.  Un 
jour  qu'elle  tressait  les  cheveux  de  Galatee,  cette  Nymphe  lui  dit  en 
soupirant :  c  Du  moins,  Scylla,  tu  es  recherchee  par  des  Mres  hu- 
mains,  et  tu  peux,  k  ton  gre,  rejeter  impunement  leurs  homma- 

Rura  petunt.  Epiros  ab  his,  regnataque  vati  720 

Buthrotos  phrygio,  simulataque  Troja  tenentur. 

Inde  fulurorum-ccrti,  quae  cuncta  fidcli 

Priaraides  Helenus  monitu  pradixerat,  intrant 

Sicaniam.  Tribus  haec  excurrit  in  aequora  linguis, 

E  quibus  imbriferos  obversa  Pacbynos  ad  Auslros,  725 

Mollibus  expositum  zephyris  Lilybaeon,  at  Arcton 

JEquoris  expertem  spectat,  Boreanque  Peioros. 

Hac  subeunt  Teucri,  remisque  aestuque  secundo, 
Sub  noctem  potilur  zanclaia  classis  arena. 
Scylla  latus  dextrum,  laevum  irrequieta  Charybdis  73^ 

Infestant.  Vorat  lisec  raplas,  revomitque  curinas; 
IUa  feris  atram  canibus  succingitur  alvum, 
Virginis  ora  gerens ;  et,  si  non  omnia  vat^s 
Ficta  rcliquerunt,  aliquo  quoque  tempore  virgo. 
Hanc  multi  petiere  proci.  Quibus  illa  repulsis  735 

Ad  peiagi  Nymphas,  pelagi  gratissima  Nymphis, 
Ibat,  et  elusos  juvenum  narrabat  amores. 
Quam,  dum  pectendos  prsebet  Galatea  capillos, 
Talibus  alloquitur,  repetens  suspiria,  dictis: 
«  Te  tamen,  o  virgo,  gcnus  haud  immite  viromm  740 

Expetit;  uUjue  facis,  potes  his  impiine  negafQ.  % 


516  N£TAM0RPH0SES. 

ges.  Mais  moi,  fille  de  Ner^,  moi  que  la  belie  Doris  porta  dans 
son  sein,  moi  qui  ai  pour  appui  le  nombreux  corl^e  de  mes 
soeurs,  je  n'ai  pu  echapper  que  par  le  deuil  a  Tamour  du  Cy- 
dope.  »  Des  larmes  ^toulTent  sa  voix.  Scylla  les  essuie  de  sa 
main  d'alb&tre,  et,  pour  la  consoler  :  c  0  toi  que  j'aime!  dit- 
elle,  raconte-moi  la  cause  de  ta  douleur.  Ne  me  cache  rien  :  tu 
peux  compter  sur  moi.  »  La  Ner^ide  satisfait  ainsi  la  fille  de 
Crateis : 

«  Acis  Stait  fils  de  Faune  et  de  la  Nymphe  Symelhis.  11  faisait 
le  bonbeur  de  son  pere,  de  sa  m^re,  et  le  mien  beaucoup  plus 
encore.  Le  l)el  Acis  n'aimait  que  moi.  II  touchait  a  sa  seizi^me  an- 
n6e,  et  ses  joues  toient  a  peine  couvertes  du  leger  duvet  de  Ta- 
dolescence.  Je  brildais  pour  lui,  tandis  que  Polyphtoe  me  pour- 
suivait  de  sa  flamme.  Si  tu  me  deroandes  ce  quiremportait,  de  ma 
haine  pour  le  Cyclope  ou  de  mon  amour  pour  Acis,  je  ne  saurais  te 
le  dire :  ces  sentiments  se  partageaient  egalement  mon  coenr.  Que 
ta  puissance  est  grande,  irr^sistible  Y^usl  Ce  monstre  farouche, 
rborreur  des  for^ts,  lui  que  personne  ne  vit  jamais  impun^ment, 
lui  qui  m^prise  et  rOlympe  et  ses  dieux,  ressent  les  atteuites  de 


At  mihi,  cui  paler  est  Nereus,  quam  caerula  Doris 

Enixa  est,  quae  sum  turba  quoque  tuta  sororum, 

Non  nisi  per  luctus  licuit  Cyclopis  amorem 

Effugere.  »  Et  lacrymaB  vocem  impedicre  loquentis.  745 

Ouas  ubi  marmoreo  detersit  poUice  virgo, 

Et  solala  deam  est :  «  Refer,  o  carissima,  dixit, 

Neve  lui  causam  tege,  sum  tibi  fida,  doloris.  • 

Ncreis  his  contra  resecuta  Cratseide  natam  : 

«  Acii  erat  Fauno  Nymphaque  Syma^thide  cretus,  750 

Magna  quidem  patrisque  sui,  matrisque  voluptas, 
Nostra  tamen  mujor.  Nam  mc  sibi  junxcrat  uni 
Pulcher,  et,  octonis  iterum  natalibus  aclis, 
Signarat  dubia  teneras  lanugine  malas. 
Hunc  ego,  mc  Cyclops  nullo  cum  fino  pclcbat.        ^         755 
Nec,  si  quaesieris,  odium  Cyclopis,  amorne 
Acidis  in  nobis  fueril  prxsentior,  edam  : 
Par  utrumque  fuit.  Prohl  quanta  potentia  regni 
Est,  Venus  alma,  tui !  Nempc  ille  immitis,  et  ipsis 
Horrendus  silvis,  et  visus  ab  hospite  nullo  7C0 

Impune,  et  magni  cum  dis  contemptor  Olympi, 
Quid  sit  araor  sentit,  nostriqne  cupidine  captus 


LIVRE  XIII.  617 

Famour.  fipris  de  mes  charmes,  il  bnUe  de  tes  feux,  il  oublie  ses 
troupeaux  et  les  antres  qu*ii  habite.  D6jk,  fier  Cyclope,  tu  prends 
soin  de  te  parer ;  d^jk  tu  es jaloux  de  me  plaire;  dejk  tu  peignes  avec 
un  rateauta  rude  chevelure;  dejk  ta  barbe  h^riss^e  tombe  sous  une 
faux.  Tu  te  mires  dans  Tonde,  et  tu  cherches  a  adoucir  les  traits 
de  ton  affreux  visage.  Tu  perds  ton  ardeur  pour  le  meurtre,  ta 
cruaut^  et  ton  insatiable  soif  du  sang.  Les  navires  peuvent  sans 
danger  s'approcher  at  s^eloigner  de  ton  rivage. 

«  Gependant,  d^barqu^  sur  les  c6tes  de  la  Sidle  et  parvenu  pr^ 
de  TEtna,  le  fils  d'Euryme,  Tel^me,  que  le  vol  des  oiseaux  ne 
trompa  jamais,  aborde  le  terrible  Gyclope. «  Le  seul  oeii  qui  brille 
«  au  milieu  de  ton  front,  lui  dit-il,  te  sSra  enleve  par  Ulysse. »  Po- 
lypheme  lui  r^pond  en  riant :  «  0  le  plus  ignorant  des-  devins,  tu 
<f  tetrompes;  une  autre  me  fa  d^ja  ravi. »  G'est  avec  cemepris 
qu'il  accueille  une  pr6diction  Irop  vMtable.  Tantftt,  sous  ses  pas 
gigantesques  il  fait  g^mir  le  rivage;  tant6t,  fatigue,  ii  gagne  ses 
antres  sombres.  II  est  une  colline  dont  la  cime,  en  forme  de  pyra- 
mide,  domine  la  mer.  Les  flots  la  baignent  des  deux  c6tes.  Le  fa- 
rouche  Gyclope  la  gravit  et  vient  s'y  asseoir.  Ses  troupeaux,  donl 
il  n'est  plus  le  guide,  raccompagnent  encore.  II  pose  a  ses  pieds  le 

Uritur,  oblilus  pecorum  anlrorumque  suorum. 

Jamque  tibi  formai,  jamque  est  tibi  cura  placcndi ; 

Jam  rigidos  pectis  rastris,  Polypheme,  capillos ;  705 

Jam  libet  hirsutam  tibi  falce  recidere  barbam, 

Et  spectaro  feros  in  aqua  ct  componere  vultus. 

Cadis  amor,  feritasque,  sitisque  immensa  cruoris 

Cessant,  et  tutai  vcniuntque  abeuntque  carinae. 

«  Telemus  interca  siculam  delatus  ad  ^tnen,  770 

Telemus  Eurymides,  quem  nulla  fefellerat  ales, 
Terribiiem  rolyphemon  adit  :  «  Lumenque,  quod  unum 
«  Fronte  geris  media,  rapiet  tibi,  dixit,  Ulysses.  » 
Risit  et :  «  0  vatum  slolidissime,  falleris,  inquil. 
«  Allera  jam  rapuit. »  Sic  frustra  vera  monentem  775 

Spernit,  et  aut  gi'adiens  ingenli  littora  passu 
Degravat,  aut  fessus  sub  opaca  revertitur  antra. 
Prominet  in  pontum  cuneatus  acumine  longo 
Collis;  ulrumque  latus  circumfluit  aequoris  nnda. 
Huc  ferus  ascendit  Cyclops,  mediusque  resedit;  730 

Lanigerae  pecuJes,  nullo  duceute,  secutte. 
Cui  poslquam  pinos,  baculi  qus  prsbuit  usum. 


518  MeTAMORPHOSES. 

pin  qui  lui  sert  de  iioulette,  et  dont  on  pouvait  feire  un  m&t.  II 
proid  sa  llilte'  composee  de  cent  roseaux,  et  les  montagnes  relen- 
tissent  de  ses  rustiques  accents ;  les  ondes  mtoies  en  frtoissent. 
Gach^  dans  une  grotte  et  penchee  sur  ie  sein  de  mon  cher  Ads, 
j'entendis  de  loin  ces  paroles,  et  je  les  ai  retenues : 

«  Galatee,  tu  es  plus  blanche  que  le  tro§ne,  plus  fleurie  que 
•  les  pr^,  plus  Hdnc&e  que  Taune,  plus  resplendissante  que  le 
c  cristal,  plus  fol&tre  que  le  chevreau,  plus  lisse  que  le  coquillage 
«  sans  cesse  poli  par  les  flots,  plus  s^able  que  le  sokil  en  hiver 
«  et  que  l'ombre  en  ^t^,  plus  Termeille  que  la  pomme,  plus  majes- 
c  tueuse  que  le  platane,  plus  brillante  que  la  glace,  plus  suave 
«  que  le  raishi  mAr,  plus  douce  que  le  duvet  du  cygne  et  le  lait 
«  caill^.  Si  tu  ne  me  fiiyais  pas,  tu  seraispour  moi  plus  beUe  qu'un 
c  jardin  arrose  d  eaux  Tiyes.  Mais,  en  m^me  temps,  GalatSe  est 
«  plus  farouche  que  les  taureaux  indomptds,  plus  dure  qu^un 
€  Tieux  ch^ne,  plus  trompeuse  que  l'onde,  plu»  souple  que  les 
c  branches  du  saule  et  de  la  vignct  plus  insensible  que  ces  ro* 
<  chers,  plus  imp^tueuse  qu'un  torrent,  plus  fiere  que  le  paon 
c  qu'on  admire,  plns  violente  que  la  flamme,  plus  piquante  que 


Ante  pedes  posila  est,  antennis  apta  ferendis, 
Sumptaque  arundinibus  compacta  est  fistula  centum. 
Senserunt  toti  pastoria  sibila  montes,  785 

Senserunt  undse.  Latitans  ego  rupe,  meique 
Addis  in  gremio  residens,  procul  auribus  hausi 
Talia  dicta  meis,  auditaque  mente  notavi : 

«  Candidior  uivei  folio,  Galatea,  ligustri, 
*  Floridior  pratis,  longa  procerior  alno,  790 

«  Splendidior  vitro,  tenero  lascivior  hoedo, 
«  Lsvior  assiduo  detritis  aequore  conchis, 
«  Solibus  hibernis,  aestiva  gratior  umbra, 
«  Nobilior  pomis,  platano  conspectior  alta, 
«  Lucidior  glacie,  matura  dulcior  uva,  79S 

«  MoUior  et  cycni  plumis,  et  lacte  coacto, 
«  Et  si  non  fugias,  riguo  formosior  borto. 
«  Saevior  indomitis  eadem  Galatea  juvencis, 
«  Durior  annosa  quercu,  fallacior  undis, 
«  Lenlior  et  salicis  virgis,  et  vitibus  albis,  800 

«  II  is  immobilior  scopulis,  violentior  amno, 
«  Laudato  pavone  superbior,  acrior  ijjni, 


•  LIVRE  XIH.  M9 

4  les  ronces,  plus  cruelle  qae  Tourse  qui  a  mis  bas,  plus  sourde 
«  que  les  vagues,  plus  cruelle  que  le  serpent  foul^  aux  pieds ; 
«  et  (ce  que  je  voudrais  bien  pouvoir  fenlever]  tu  es  plus  agile 
«  que  ]e  cerf  press^  par  une  meute  aboyante,  et  que  les  vents 
«  portes  sur  leurs  ailes  l^^res. 

«  Gependant.^si  tu  me  connaissais  bien,  tu  te  repentirais  de  m'a- 
«  Voir  fui;  tu  condaninerais  tes  refus,et  (u  chercherais  a  me  rete- 
«  nir  pr^  de  toi.  Je  poss^de  cette  partie  de  la  montagne  et  ces 
«  antres  ouyerts  dans  la  roche  viye.  On  n'y  sent  point  les  chaleurs 
«  brildantes  de  Fet^,  ni  les  rigueurs  de  rhiver.  J'ai  des  arbres  qui 
«  plient  sous  le  poids  de  leurs  fruits ;  j'ai  de  superbes  .vignes 
«  chargees  de  raisins  vermeils  ou  dor^  que  je  garde  pour  toi.  Tu 
«  cueilleras  toi-m§me  les  d^licieuses  fraises  n^  a  Tombre  des 
«  bois,  les  comouilles  qui  millrissent  en  automne,  les  prunes  azu- 
«  r^  et  d'autres  encore  plus  estimees  qui  ressembknt  a  la  cire 
«  nouvelle.  Si  je  deviens  ton  ^poux,  les  chdtaignes  ne  te  man- 
«  queront  pas;  tu  auras  des  fruits  en  abondance,  et  mes  arbres 
«  s'empresseront  de  te  les  offrir.  Tous  ces  troupeaux  sont  a  moi; 
«  j^en  ai  beaucoup  d*autres  qui  errent  dans  les  vall^es  et  dans  les 
«  bois,  ou  qui  repOsent  dans  les  antres  de  la  montagne.  Si  tu  m'en 

c  Asperior  tribulis,  feta  tmculentior  ursa, 

c  Surdior  sequoribus,  calcato  iminitior  hydro, 

«  Et,  quod  prsecipue  vellem  tibi  demere,  posseni,  805 

«  Non  tantum  cervo  claris  latratibus  acto, 

c  Verum  etiam  Tentis,  volucrique  fugacior  aura. 

«  At,  bene  si  noris,  pigeat  fugisse,  morasque 
«  Ipsa  tuas  damnes,  et  me  retinere  labores. 
«  Sunt  mihi,  pars  roontis,  vivo  pendentia  saxo  810 

«  Antra,  quibus  nec  sol  medio  sentitur  in  xstu, 
«  Nec  sentitur  hiems;  sunt  poma  gravantia  ramos; 
«  Sunt  auro  similes  longis  in  vitibus  uvae; 
«  Sunt  et  purpureae  :  tibi  et  has  servamus  et  illas. 
«  Ipsa  tuis  manibus,  silvestri  nata  sub  umbra,  815 

«  MoUia  fraga  leges,  ipsa  autumnalia  corna, 
«  Prunaque,  non  solum  nigro  liventia  succo, 
«  Verum  etiam  generosa,  novasque  imitantia  ceras. 
«  Nec  tibi  caslaneae,  me  conjuge,  nec  tibi  deerunt 
«  Arborei  fetus  :  omnis  tibi  serviet  ai'bos.  820 

t  Hoc  pecus  omne  meum  est.  Hultae  quoque  vallibus  errant, 
c  Mullas  silva  tegit,  mult»  stabulantur  in  antris; 


520  M&TAlirORPHOSES. 

<  demandais  le  nombre,  je  ne  pourrais  le  dire  :  le  berfer  pauyre 

<  compte  seul  ses  troupeaux.  Ne  t'en  rapporte  pas  a  moi  pour  la 

<  beautS  de  mes  brebis ;  viens  en  juger  toi-mSme :  a  peine  peu- 

<  vent-elles  porter  leurs  mamelles  gonflees  de  lait.  Je  possMe  di- 

<  verses  bergeries  ou  r^ne  une  douce  chaleur,  les  unes  pour 

<  mes  agneaux,  les  autres  pour  mes  chevreaux.  J*ai  toujours  du 
«  lait  blanc  comme  la  neige.  J'en  garde  une  partie  pour  boire, 

<  et  le  reste  sert  a  faire  des  fromages. 

<  Tu  ne  te  borneras  pas  k  jouir  de  plaisirs  faciles  et  de  dons 

<  vulgaires,  tels  que  de  jeunes  daims,  des  liSvres,  des  chSvres, 

<  des  colombes,  des  nids  d*oiseaux  enleves  sur  la  cime  des  arbres. 

<  J*ai  trouve  sur  une  montagne  deux  pelits  ours  qui  pourront 

<  jouer  avec  toi.  Ils  se  ressemblent  tellement,  qu'on  ne  saurait 

<  les  distinguer.  Je  les  ai  trouv^,  et  je  me  suis  dit :  Je  les  gar- 

<  derai  pour  ma  maitresse.  L^ve  donc  ta  t^te  briilante  au-dessus 

<  des  flots  d'azur.  Yiens  enfm»  Galat^,  et  ne  dedaigne  pas  mes 

<  pr^sents.  Je  me  connais.  Nagu^re  j'ai  vu  mon  image  dans  le 

<  cristal  des  eaux,  et,  en  me  voyant,  j'ai  et^  charm^  de  ma 

<  beaute.  Regarde  combien  je  suis  grand !  ma  taille  ^gale  celle 


«  Nec,  si  forte  roges,  possim  tibi  dicere,  quot  sint : 

«  Pauperis  est  numerare  pecus.  De  laudibus  harum 

«  Nil  mihi  credideris.  Praesens  poles  ipsa  videre,  825 

«  Ut  vix  sustineant  distentum  cruribus  uber. 

«  Sunt,  fetura  minor,  tepidis  in  ovilibus  agni; 

«  Sunt  quoque,  par  xtas,  aliis  iri  ovilibus  agni. 

«  Lac  mihi  semper  adest  niveum  :  pars  inde  bibenda 

«  Servatur ;  parlem  liquefacta  coagula  duranl.  830 

«  Nec  tibi  deliciae  faciles,  vulgataque  tantum 
«  Munera  conlingent,  damae,  leporesque,  capraeque, 
«  Parve  columbarum,  demptusve  cacumine  nidus. 
«  Inveni  geminos,  qui  tecum  ludere  possint, 
«  Inler  se  similes,  vix  ut  dignoscere  possis,  83" 

«  Villosas  catulos  in  summis  moutibus  ursie. 
«  Inveni,  et,  domini»,  dixi,  servabimus  islos. 
«  Jam  modo  caiTuleo  nitidum  caput  exsere  ponto; 
«  Jam,  Galatea,  veni;  nec  muuera  despicc  nostra. 
«  Cerle  ego  me  novi,  liquidaeque  in  imagine  vidi  840 

«  Nuper  aqujB,  placuitque  mihi  mea  forma  videnti. 
«  A^pice  sim  quanlu».  Non  est  hoc  corpore  major 


LIVRB  XITI.  021 

«  de  Jupiter  qui  r^ne  dans  les  cieux  (car  irous  me  parlez  sans 
c  cesse  de  je  ne  sais  quel  Jupiter  qui  gouyeme  ie  monde).  Une 
ff  ^aisse  cheyelure  couyre  mon  front  terrible,  et  ombrage  mes 
ff  ^paules  comme  une  forSt.  Si  mon  corps  est  tout  h^riss6  de  poils, 
ff  ne  crois  pas  que  ce  soit  une  difTormite.  Tarbre  est  sans  beaut^ 
ff  s*il  est  sans  feuillage.  Le  coursier  ne  plait  qu'autant  qu'une  lon- 
«  gue  criniere  flotte  sur  son  cou.  Le  plumage  embeliit  ies  oiseaux, 
ff  et  la  toison  pare  les  brebis.  Ainsi  la  barbe  et  une  for^t  de  poils 
«  sont  un  omement  pour  rhomme.  Je  n'ai  qu'un  oeil  au  milieu 
ff  du  front;  mais  il  ressemble  k  un  immense  bouclier.  Que  dis-je? 
ff  le  soleil,  du  haut  des  cieux»  n*embrasse-t-il  pas  runiyers  de  son 
ff  regard?  II  n'a  pourtant  qu'un  oeil  conune  moi. 

ff  Mon  p^  tient  sous  son  sceptre  Tempire  que  tu  habites.  Je 
ff  te  donne  Neptune  pour  beau-pere.  Prends  piti^  de  mes  maux : 
«  exauce  les  yoeux  de  celui  qui  fimplore.  Toi  seule  as  dompl6 
c  Polypb^me.  Moi  qui  brave  Jupiter,  le  ciel  et  la  foudre,  6  fiile  de 
ff  N^r^e!  je  tremble  en  ta  pr^s^ce.  Ton  courroux  est  po]ur  moi 
ff  plus  terrible  que  la  foudre.  Je  souffrirais  plus  patiemment  tes 
ff  mepriSy  si  tu  fuyais  tes  amanls.  Mais  pourquoi  repousser  le  Gy- 
f  clope  et  aimer  Acis?  Pourquoi  pr^ferer  ses  embrassemenls  aux 

c  Jupiter  in  coelo  (nam  tos  narrare  soletis 

c  Nescio  quem  regnare  Jovem) ;  coma  plurima  torvos 

«  Prominet  in  vultus,  humerosque,  ut  lucus,  obiimbrat.    845 

«  Nec  mihi  quod  rigidis  horrent  densissima  setis 

«  Corpora,  4urpe  puta.  Turpls  sine  frondibus  arbos; 

«  Turpis  equus,  nisi  colla  jukne  flaventia  velent; 

«  Pluma  tegit  volucres;  ovibus  sua  lana  decori  est; 

«  Barba  viros.  hirtsque  decent  in  corpore  seta;.  8aO 

«  Unum  est  in  media  lumen  mibi  fronte,  sed  instar 

«  Ingentis  clypei.  Quid?  non  hsec  omnia  magnus 

c  Sol  videt.e  coelo?  Soli  tamen  unicus  orbis. 

«  Adde,  quod  in  vestro  gcnitor  meus  aequore  regnat. 
«  nunc  tihi  do  socernm.  Tantum  miserere,  precesque       855 
«  Supplicis  exaudi.  Tibi  enim  succumbimus  uni. 
«  Quique  Jovem,et  ccelum  sperno,  et  peBetrabile  fulmen, 
«  Nerei,  te  vereor  :  tua  fulmine  ssevior  ira  est. 
«  Atque  ego  contemptus  esseni  patientior  hujus, 
«  Si  fugeres  omnes.  Sed  cur,  Cyclope  repulso,  860 

c  Acin  amas,  praefersque  meis  amplexibus  Acin? 


m  h£tahorphoses. 

fl  miens?  Qu'il  soit  donc  ^pris  de  sa  beaut^,  et  qa'il  tewplaise  (ce 
«  que  je  serais  bien  loin  de  youloir),  6  Galatee!  mais  qu'il  tombe 
«  entre  mes  mains :  il  sentira  que  mes  forces  repondent  a  la  gran* 
«  deur  de  mon  corps.  J'arracherai  ses  entrailles  palpitantes,  je 
fl  dechirerai  ses  membres ;  je  les  disperserai  dans  les  champs  et 
« jusque  dans  les  ondes  ou  tu  r^ides.  Puisse-t-il  ainsi  s'unir  k  toi! 
«  Gar  enfin  je  brilile,  et  mes  feux  dedaignes  me  d^orent.  Je  crois 
«  porter  dans  mon  cceur  tous  ceuK  de  l'Etna,  et  le  tien,  Galat^, 
«  reste  insensible  k  ma  douleur!  » 

«  Apr^  ces  inutiles  plaintes  (j'observais  tout),  il  se  leve,  et,  tel 
qu'un  taureau  furieux  auquel  on  enl^ve  sa  genisse,  il  ne  peut  res- 
ter  a  la  m^me  place;  il  erre  dans  la  forM,  dont  il  connait  tous  les 
d^tours.  Soudain  il  m^aper^oit  avec  Ads.  Nous  ^tions  loin  de  crain- 
dre  une  telle  infortune.  Emport^  par  la  fureur,  il  s'ecrie  :  «  Je 
tf  vous  vois,  mais  c'est  pour  la  derni^re  fois  que  ramour  yous  ras- 
«  semble. »  Sa  voix,  aussi  efTroyable  que  pouvait  FStre  celle  d'an 
Gydope  irrit^,  fit  retentir  TEtna.  Saisie  d'^pouvante,  je  disparus 
dans  la  mer  voisiiie.  Le  fils  de  Sym6tbis  avait  pris  la  fuite  en  di- 
sant : « Yiens  a  mon  aide,  Galatee,  je  t'en  conjure.  0  mon  pere!  6 


«  Ille  tamen  placeatque  sibi,  placeatque  licebit 

«  (Quod  noUem,  Galatea,  tibi),  modo  copia  detur; 

«  Sentiet  esse  mihi  tanto  pro  corpore  vires. 

«  Viscera  viva  traham,  divulsaque  niembra  per  agros,        8G5 

«  Perque  tuas  spargam  (sic  se  tibi  misceat!)  undas. 

«  Uror  enim,  laesusque  exacstuat  acrius  ignis;    ^ 

«  Gumque  suis  videor  translatam  viribus  ^tnam 

«  Pectore  ferre  meo.  Nec  tu,  Galatea,  moveris.  » 

«  Talia  nequicquam  questus  (nam  cuncta  videbam),        870 
Surgit,  et,  ut  taurus  vacca  furibundus  adempta, 
Stare  nequit,  silvaque  et  notis  saltibus  errat, 
Quum  ferus  ignaros,  nec  quidquam  tale  timentes, 
Me  videt  atque  Acin :  «  Videoque,  exclamat,  et  ista 
«  UUima  sit  faciam  Veneri  concordia  vestrx.  »  875 

Tantaque  vox,  quantam  Cyclops  iratus  haberc 
Debuit,  illa  fuit.  Clamore  perhorruit  ^tne. 
Ast  ego  vicino  pavetacta  sub  OBquore  mergor. 
Terga  fugae  dederat  conversa  Symaelhius  heros, 
Et :  «  Fer  opem,  Galatea,  precor,  mihi ;  ferle,  parentes,     8£0 


LIVRE  XIIL  525 

ff  ma  m^ !  seoourez-moi,  et  admettez  dans  vos  demeures  voti^ 
ff  fils  qui  va  p^rir!  •  Le  Gyclope  le  poursuit.  Des  flancs  de  la 
montagne  il  d^tache  un  rodier;  il  le  lance,  et,  quoiqu'une  de  ses 
extr^mit^s  atteigne  seule  Acis,  elle  Ttoase  tout  entier.  Je  fis  ce 
que  me  permettaienf  ies  Destins :  je  le  ramenai  k  sa  premiere  ori* 
gin^.  Sous  le  roc  son  sang  coulait  en  flots  de  pourpre.  £n  un  in- 
stant  il  perdit  sa  couleur,  et  devint  saoablable  k  Teau  d'un  fleuve 
troubl^e  par  les  orages.  Mais,  peu  a  peu,  ce  fut  une  source  pure. 
La  pierre  s^entr^ouvrit,  et  soudain  de  ses  fentes  s^^an^  un  roseau. 
L'onde  murmura  en  jaillissant  des  flancs  du  rocher.  0  prodige !  au- 
dessus  des  eaux  apparut  jusqu'^  ]a  ceinture  un  jeune  homme  parS 
de  comes  naissantes  et  couronne  de  joncs.  C&tali  Acis,  mais  plus 
grand,  avecun  visage  couleur  d^azur,  Acis  change  en  fleuve;  et  ie 
fleuve  a  conserv^  son  nom.  t 

D^  que  Galatee  a  cesse  de  parler,  les  Ner^ides  se  dispersent  et 
nagent  dans  les  eaux  paisibles.  Scyila  revient,  et  n'ose  se  confier 
h  la  mer.  Tantdt  elle  erre  sans  v^tement  sur  le  rivage ;  tantdt,  ^pui- 
s^  de  fatigue,  elle  aime  a  se  rafrakhir  dans  une  grotte  secrete 

«  Dixerat,  et  vestris  periturum  adinittito  regnis.  » 

Insequitur  Cyclops,  partemque  e  monte  revulsam 

Hittit,  et  extremus  quamvis  pervenit  ad  illum 

Angulus  e  saxo,  totum  tamen  obruit  Acin. 

At  nos,  quod  solum  fleri  per  Fata  licebat,  885 

Fecimus,  ut  vires  assumeret  Acis  avitas. 

Puniceus  de  mole  cruor  manabat,  et  intra 

Temporis  exiguum  rubor  evanescere  coepit; 

Fitque  color  primo  turbati  fluminis  imbro, 

Purgaturque  mora.  Tum  moles  fracta  deliiscit,  i)90 

Vivaque  per  rimas,  properataque  surgit  arundo, 

Osque  cavum  saxi  sonat  exsultantibus  undis. 

Miraque  res!  subito  media  tenus  exstitit  alvo 

Incinctus  juvenis  flexis  nova  cornua  cannis ; 

Qui,  nisi  quod  major,  quod  totocaerulus  ore  est,  89a 

Acis  erat.  Sed  sic  quoque  erat  tamen  Acis  in  amnem 

Versus,  et  antiquum  tenuerunt  flumina  noracn.  » 

Desierat  Galatea  loqui,  coetuque  Soluto 
Discedunt,  placidisque  natant  Nereides  undis. 
Scylla  redit,  neque  enim  medio  se  credere  ponlo  900 

Audet,  et  aut  bibula  sine  vestibus  errat  arena, 
Aut,  ubi  lassata  est,  seductos  nacta  recessus 


534  M£TAM0RPH0SES. 

environn^  d*une  onde  paisible.  Tout  a  coup,  fendant  les  flots, 
apparait  un  nouvel  habitant  de  la  mer,  Glaucus,  dont  la  forme  a 
6t6  r^cemment  changee  pr^s  d'Anth4don,  sur  les  c6tes  d'Eubde. 
11  voit  Scylla,  Taime  et  Tadmire.  II  iui  adresse  les  paroles  les 
plus  propres  a  la  retenir  dans  sa  fuite,  et  pourtant  elle  s'^loigne. 
La  ft^ayeur  precipite  ses  pas,  et  elle  parvient  au  sonunet  d'un 
torme  rocher  qui  domine  le  rivage.  Son  sommet  unique  et  d6- 
pouillS  d'ombrage  s'incline  sur  les  flots.  Cest  la  que  s'arr6te  la 
Nymphe.  A  rabri  de  tout  danger,  ne  sachant  si  elle  voit  un 
monstre  ou  un  dieu,  elle  contemple  avec  etcmnement  sa  coul^, 
sa  chevelure  flottant  sur  ses  epaules  et  sur  son  dos,  et  1e  reste 
de  son  corps  repli^  en  queue  de  poisson.  Glaucus  8'en  apergoit, 
et,  s'appuyant  sur  le  rocher  qui  ^tait  pr^s  de  lui  :  c  Jeune 
flile,  dit-i),  je  ne  suis  ni  un  monstre  ni  une  bSte  cruelie,  mais 
une  divinit^  de  l'onde.  Prot^e,  Triton  et  Palemon,  fils  d'Athamas, 
n'ont  pas  plus  de  droits  que  moi  sur  les  flots.  Autrefois  cepenckait 
j'^tais  un  simple  mortel ;  mais,  accoutume  a  vivre  pr^s  de  la  mer, 
je  m^exergais  depuis  iongtemps  sur  ses  bords.  La,  tantdt  je  tirais 
sur  ie  sabie  mes  fliets  chargSs  de  poissons;  tantdt,  assis  sur  un 
rocher,  je  dirigeais  l^hamefon  suspendu  au  roseau. 

Gurgitis,  inclusa  sua  membra  refrigerat  unda. 

Ecce,  fretum  findens,  alli  novus  incola  ponti, 

fluper  in  euboica  versis  Anthedone  membris,  S05 

Glaucus  adest,  visaeque  cupidine  virginis  hxret, 

Et,  quxcumque  putat  fugientcm  posse  morari, 

Verba  refert.  Fugit  illa  tamen,  veloxque  timore 

Pervenit  in  summum  positi  prope  litlora  montis. 

Ante  fretum  est  ingens,  apicem  colleclus  in  unum,  UiO 

Longa  sine  arboribus  convexus  ad  aequora  verlex. 

Gonstitit  hic,  et  tuta  loco,  monstrumne,  deusne, 

IUe  sit,  ignorans,  admiraturque  colorem, 

Caesariemque  humeros  subjectaque  terga  tegentem, 

Ultimaque  excipiat  quod  torlilis  inguina  piscis.  915 

Senlit,  et  innitens,  qux  stabat  proxima,  moli : 

«  Non  ego  prodigium,  non  sum  fera  bcllua,  virgo. 

Sum  deus,  inquit,  aquae;«nec  majus  in  a^quora  Proteus 

Jus  habet,  aut  Trilon,  atbamantiadesve  Palaemon. 

Ante  tamen  mortalis  eram;  sed  scilieet  altis  920 

Dedilus  sequoribus,  jam  tum  exercebar  in  illis. 

Nam  modo  ducebam  ducentia  retia  pisces; 

Nunc,  in  mole  sedens,  moderabar  arundine  linum. 


LIVRE  IIII.  525 

«  II  est  un  rivage  qui  touche  k  une  riante  prairie,  borne  d^un 
cdte  par  la  mer,  et  de  Tautre  par  un  vert  gason  que  jamais  ne 
brouterent  ni  les  genisses,  ni  les  brebis,  ni  les  ch^vres.  Jamais 
rindustrieuse  abeille  n'en  butina  les  fleurs ;  jamais  les  Nymphes 
ne  les  cueillirent  pour  en  parer  leurs  fronis  un  jour  de  fHe;  ja~ 
mais  elies  ne  tomb^rent  sous  le  tranchant  de  la  faux.  Je  fus  le 
premier  qui  m'assis  sur  ce  gazon  pour  faire  s6cher  mes  filets  hu- 
mides.  Je  oomptais  les  poissons  que  j^avaispris;  je  rangeais  en 
ordre  ceux  que  le  hasard  avait  jet^  dans  mes  filets,  et  ceux  que 
leur  creduHt^  avait  attir^  vers  l^hame^on.  0  prodige  qui  a  Tair 
d'une  fictiou!  mais  que  me  servirait  de  feindre?  A  peine  les 
poissons  que  je  venais  de  prendre  ont-ils  toudi6  rherbe,  qu*ils 
commencent  k  se  mouvoir;  ils  se  retoument  et  s'agitent  sur  la 
lerre,  comme  s'ils  fendaient  les  flols.  Tandis  que  je  m'arr£te  pour 
les  contempler,  ils  abandonnent  tous  ie  rivage  et  leur  nouveau 
maitre,  et  s'elancent  dans  la  mer. 

«  linmobile  de  surprise,  je  cherdie  la  cause  d'un  prodige  qui 
tient  mes  esprits  en  suspens.  Faut-il  Tattribuer  k  un  dieu  ou  au 
suc  de  rherbe?  Mais  quelle  herbe,  disais-je,  a  donc  une  lelle 
vertu?  J*en  cueille  quelques  brins  et  je  les  goi^te.  A  peine  avais-je 

«  Sunt  viridi  prato  confinia  liKora,  quorum 
Altera  pai^s  undis,  pars  allera  cingitur  herbis,  023 

Quas  ncque  cornigeno  morsu  laeserc  juvenca;, 
Kec  placids  carpsistis  ovcs,  hirtxve  capellae; 
Non  apis  inde  tulit  collectos  sedula  flores ; 
Non  data  sunt  capiti  genialia  serta ;  nec  nnquam . 
Falciferae  secuere  manus.  Ego  primus  in  illo  930 

Cespite  consedi,  dum  lina  madentia  sicco; 
Utque  recenserem  captivos  ordine  pisces, 
Insuper  exposui,  quos  aut  in  retia  casus, 
Aut  sua  credulitas  in  aduncos  egerat  hamos. 
Res  similis  fictx !  (sed  quid  mihi  fingere  prodcst?)  935 

Gramine  contacto  ccepit  mea  prseda  movcri, 
Et  mulare  latus,  terraque,  ut  in  xquore,  niti. 
Dumque  moror,  mirorque  simul,  fugit  omnis  in  uudas 
Turba  suas,  dominumque  novum,  littusque  relinquunt. 

«  Obstupui,  dubiusque  diu,  quse  causa,  rcquiro  :  940 

Kum  dcus  hoc  aliquis,  num  succus  feccrit  herliee? 
Quae  tamen  has,  inquam,  vircs  habet  herba?  manuquc 
Pabula  decerpsi,  decerptaque  dente  momdrdi. 


526  UgTAHORPHOSES. 

aval^  leurs  sacs  inconnus,  que  dSjk  je  sentals  int^eurement  une 
agitation  soudaine«  EntrainS  par  un  instinct  nouveau  et  incapable 
de  r^ister  plus  longtemps,  je  m'6criai :  c  Terre  qae  f  abandonne 
c  pour  toujourSy  adieu !  t  et  je  me  plongeai  dans  ies  flots.  Les  dieox 
de  la  mer  me  re^urent  et  m'assod^ent  k  leurs  honneurs.  ib 
suppli^rent  l'Oc^  et  T^thys  de  faire  disparaitre  ce  que  j'aTais 
de  mortel.  Ges  deux  diyinit^  me  puriG^rent.  Neuf  fois,  pour 
effaoer  en  moi  toute  souillure,  elies  prononcerent  des  mots  sa- 
crds,  et  m'ordonn^rent  de  me  baigner  dans  cent  fleuTes.  Aussi- 
Idt  cent  fleuYes  roul^rent  de  tous  cdt^s  leurs  eaux  sur  ma  tdle. 
Yoilk  ce  que  je  puis  dire  de  cet  Svenement,  dont  je  me  souviens 
encore :  j'ai  oubliS  tout  le  reste.  Quand  je  repris  roes  sens,  je  re- 
connus  que  mon  esprit  et  mon  corps  avaient  subi  une  metamor- 
phose.  Alors,  pour  la  premi^re  fois,  je  vis  ma  barbe  preudre  )a 
couleur  des  flots  et  mes  cheveux  sillonner  les  ondes,  mes  epaules 
elargies,mes  bras  azur^s,  et  mes  jambes  courbees  en  forme  de  na- 
geoire.  Mais  a  quoi  bon  ce  changement?  qu^  me  sert  d'avoir  phi 
aux  dieux  de  la  mer?  que  me  sert  d'^tre  dieu  moi-mdme,  si  tu 
restes  insensibie?  t 

Vix  bene  combiberant  ignotos  guttura  succos, 
Quum  subito  trepidare  iatus  proscordia  sensi,  fM.S 

Alteriusque  rapi  natura;  pectus  amore. 
Nec  potui  restare  diu  :  «  Repeteadaque  uunquam 
*  Tcrra,  Vale! »  dixi,  corpusquc  sub  aequora  mersi. 
Di  maris  exceptum  socio  diguantur  honote; 
tJtque  raihi,  quxcumque  feram.  mortalia  dcmaut.  050 

Oceanum,  Tethynque  rogant.  Ego  lusttor  ab  illisj 
Et  purgante  nefas  novies  mihi  carmiiie  dicto, 
Pectora  fluminibus  jubeor  sUpponfere  cculunl. 
Nec  mora,  diversis  lapsi  de  partibus  amncs, 
TOtaque  vertuntur  supra  capiit  SBquora  nostrum.  !*S;> 

Hactenus  acla  libi  possum  memoraDda  referre; 
Hactenus  et  memini,  nec  menS  mea  oBtera  scus  l. 
.  Quae  poslquam  rediit,  alium  me  corpore  toto, 
Ac  fueram  uupcr,  nec  eumdcm  mente,  reccpi. 
Hanc  ego  tum  primum  viridem  ferrugine  barbaiii,  (Nk) 

Gsbsariemquc  meam,  quam  longa  periaiquora  vcrrd, 
Ingentesque  humeros,  et  oerula  brachia  vidi, 
Criraque  pinuigero  curvata  iiovissimd  pisce. 
Quid  Umcn  h;ec  species,  quid  dis  placuisse  marinJ!», 
Quid  juvat  csie  deum,  si  tu  non  langeris  islis?  »  06o 


LIVRB  XIII.  527 

Ainsi  s'exhalait  son  amour.  Glaucus  al(ait  continuer,  mais  Scylia 
s'enfuit.  Dans  le  transport  de  fureur  que  lui  cause  ce  refus,  il  se 
dirige  vers  le  palais  merveilieux  de  Circe,  fille  du  Soleil. 

Talia  dicentem,  dicturum  plura,  reliqult 
Scylla  deum.  Furit  ille,  irritatusque  repulsa, 
Prodigiosa  petit  titanidos  atria  Circes. 


LIVRE  QUATORZlfiME 


SGYLLA  CHANGEE  EN  ROCBER  PAR  ClRc£. 

I.  L'habitant  des  flots  orageux  d^Eubee,  Glaucus,  avait  cnfin 
quitte  TEtna  qui  pese  sur  le  corps  des  geants,  les  champs  des 
Cyclopes,  toujours  respectes  de  la  herse  et  de  la  charrue,  et  dont 
les  Iresors  ne  durent  jamals  rien  au  travail  des  boeufs.  II  avait 
egalement  franchi  Zancle,  Rhegium,  situee  sur  Tautre  bord,  etce 
delroit  fameux  en  naufrages,  resserre  entre  les  confins  de  TAu- 
sonie  etceuxdela  Sicile.  De  sa  main  puissante  fendant  la  mer 
de  Tyrrhene,  il  touche  aux  fertiles  coteaux  ou  reside  Circe,  fille 
du  Soleil,  dans  un  palais  peupl6  de  b^tes  feroces.  Des  qu  il 
1'aperQoit,  apres  des  saluts  mutuels,  il  lui  dit :  «  Deesse,  prends 
pitie  d'un  dieu  qui  fimplore.  Seule  tu  peux,  si  je  fen  parais 

LIBER  QUARTUS  DECIMUS 

SCYILA   IN   RUPEM   A   CIRCE  VERTITUll. 

1.    Jamque  gigunteis  injeclam  faucibus  iCtnen, 
Arvaque  Cyclopum,  quid  rastra,  quid  usus  aratri 
Kescia,  nec  quidquam  junctis  debenlia  bubus, 
Liquerat  euboicus  tumidarum  cultor  aquarum; 
Liqucrat  et  Zanclen,  adversaque  mocnia  Rbegi,  B 

Navifragumque  frelum,  gemino  quod  littore  pressum 
Ausonix,  siiulxque  tenet  confmia  terra:. 
Inde,  manu  magna  thyrrena  per  o^quora  lapsus, 
llerbiferos  adiit  collcs,  atque  alria  Glaucus 
Solc  sata;  Circci-,  variaruni  plena  ferarum.  10 

Quam  simul  aspexit,  dicla  acccplaque  salule : 
Diva,  dei  miterere,  precor;  nam  sola  levare 
Tu  potes  Iiunc   dixit,  videar  modo  digr.us,  amorem. 


LIVRE  XIY.  520 

digiie,  alleger  pour  moi  ies  peines  de  l*amour.  Qui  mieux  que  moi 
connait  le  pouYoir  des  plantes,  puisque  c*est  par  elles,  fille  du 
Soleil,  que  j'ai  chang^  de  nature?  Yoicilacause  du  trouble  qui 
m'agite.  Sur  le  rivage  de  Fltaiie  qui  regarde  Messine,  j'ai  vu 
Scylla ;  el,  je  rousis  de  le  dire,  promesses,  prieres,  caresses,  ser- 
ments  d'amour,  elle  a  tout  meprise.  Si  les  paroles  magiques  ont 
quelque  Tertu,  que  ta  bouche  sacr^e  les  prononce;  ou,  si  les 
plantes  ont  plus  de  pouvoir,  emploie  celles  que  Fexperience  Ta 
fait  regarder  comme  les  plus  efticaces.  Je  ne  demande  pas  un 
remede  qui  gu6risse  ma  blessure.  II  ne  s  agit  pas  d'eteindre  mon 
amour,  mais  de  le  faire  partager  a  Scylla.  t 
'  Jamais  femme  ne  fut  plus  prompte  que  Circe  a  s'enflammer  par 
de  tels  discours,  soit  que  son  coeur  tienne  ce  penchant  de  la  na- 
ture,  soit  qu'elle  Tait  re^u  de  Y^nus  irritee  par  la  revelation  de 
son  pere.  Elle  repond :  <  Tu  ferais  mieux  de  soupirer  pour  uue 
amante  sensibie,  qui  r^pondrait  a  tes  d^irs  et  briUerait  des 
m^mes  feux.  Tuen  etais  digne,  et  tu  pouvais  pretendre  a  te  voir 
recherche.  Tu  le  serais  encore,  crois-moi,  si  tu  donnais  a  un  coeur 
de  Tespoir.  N'en  doute  pas,  ta  beaut^  doit  finspirer  de  la  con- 
fiance.  Moi-m^me,  deesse  et  fille  du  Soleil,  si  puissante  a  la  fois 

^anta  sit  herbarum,  Tilani,  potentia  nuUi, 

Quam  mihi  cognitius,  qui  sura  mutatus  ab  illis.  15 

Nevc  mei  non  nola  tibi  sit  causa  furoris, 

Littore  in  italico,  mcssania  mcenia  contra, 

Scylla  roihi  visa  est.  Pudor  est  promissa,  precesque, 

Blandiliasque  mcas,  contemptaque  verba  referre. 

At  tu,  sive  aliquid  rcgni  e:»t  in  carmine,  carmen  iU 

Ore  move  sacro ;  sive  expugnacior  herba  est, 

Utere  tentatis  operosse  viribus  herbae. 

Nec  medeare  mihi,  sanesque  haec  vulnera  mando, 

Fine  nihil  opus  est:  partem  ferat  iila  caloris.  » 

Al  Circc  (neque  enimflammis  habet  aptius  ulla  2j 

Talibus  ingenium  ;  seu  causa  est  hujus  in  ipsa, 
Seu  Venus  indicio  facit  hoc  offensa  paterno) 
Talia  verba  refert :  <  Melius  sequerere  volentem, 
Optnntemque  eadem,  pariiiquc  cupidine  captam. 
Dignus  eras,  ultro  poteras  certeque  rogari,  50 

Et,  si  spem  dcderis,  mihi  crcde,  rogaberis  ultro. 
Neu  dubites,  adsitque  tusc  fiducia  formx. 
En  ego,  quum  dea  sim,  nitidi  quum  filia  Solis, 

oO 


SkSO  h£tamorphoses. 

par  mes  enchantements  et  par  mes  herbes  magiques,  je  d^sire 
^tre  k  toi.  M^prise  qui  te  meprise;  mais  paye  d'mi  tendre  retour 
celle  qui  faime.  Punis  en  mSme  temps  une  ingrate  et  Tenge-moi 
d*une  riyale.  t  Tandis  qu'eUe  interroge  ainsison  coeur :  c  Les 
arbres,  dit  Glaucus,  croitront  dans  la  mer  et  Talgue  sur  les 
monts,  avant  que  mon  amour  change  du  vivant  de  Scylla.  »  CSrc^ 
s^indigne ;  mais,  ne  pouvant  le  perdre  (rAmour  s'y  oppose),  sa 
haine  s^allume  contre  celle  qui  lui  est  pr6fi§r^.  raffront  fidt&sa 
flamme  lirrite.  Soudain  elie  broie  des  ^lahtes  veneneuses  et  en 
exprjme  les  sucs  horribles  en  pronon^t  d'infemales  paroles.  EUe 
revSt  sa  robe  d*azur,  et/  a  travers  les  bStes  f(§roces  empresste  a 
lui  reudre  hommage,  elie  sort  de  son  palais,  se  dirige  vers  Rh^um 
vis-^-vis  les  rochersdeZande,  et  3'elance  surles  vagues  bouiiloiH 
nantes.  Elie  y  marche  comme  sur  la  lerre  ferme :  ses  pieds,  sans 
se  mouilier,  en  effleurent  la  surfaoe. 

li  y  avait  une  grotte  etroite,  arrondie  en  voiite  et  ch6rie.  de 
Scylia.  Cest  l^  qu'elle  allait  chercher  un  abri  contre  la  fureur  des 
ilots  et  les  ardeurs  du  soleii,  lorsque  cet  astre,  au  milieu  de  sa 
course^  vomissait  tous  ses  feux  et  raccourcissait  ies  ombres  du  Iiaui 


GamiiDe  quum  tanluiHi  tantum  quum  gramine  possim, 

Ut  tua  sim  voveo.  SpeFnentem  spcrne;  sequenti  55 

Rcdde  vices,  unoque  duas  ulciscere  facto.  > 

Talia  tentanti :  «  Prius,  inquit,  in  a^quore  frondesi 

Glaucus,  et  in  summis  nascentur  montibus  algae, 

Sospite  quam  Scylla  nostri  mutentur  amores.  • 

Indignata  dea  est;  et  Ixdere  quatenus  ipsum  iO 

Mon  poterat,  nec  vellet  amans,  irascitur  illi, 

Quae  sibi  praelata  cst.  Vencrisque  offensa  repulssl, 

Protinus  horrendis  infamia  pabula  succis 

Conterit,  et  tritis  hecateia  carmina  miscet; 

Cierulaque  induitur  velamina;  perque  ferarum  4o 

Agmen  adulantum  media  procedit  ab  aula; 

Oppositamque  petcns  contra  zancleia  saxa 

Ehegion,  ingreditur  feirventes  SBStibus  undas, 

In  quibus,  ut  solida,  ponit  vestigia,  ripa, 

bunmiaque  deturrit  pedibus  super  sequota  siecis.  r{i) 

Parvus  etat  gurges,  curvos  sinuatus  in  arcUi^i 
Grata  quies  Scyilae,  quo  se  rererebat  ab  aestu 
Et  maris  et  cceli,  niedio  quum  plurimus  orbe 
Soi  brat,  el  tninimas  a  vettice  feceral  umbra». 


IiIVRE  XIV.  531 

des  airs.  Girc^  infecte  cet  asile  et  le  souille  de  formfdables  poisons, 
en  y  repandant  les  sucs  tir^s  de  ses  funestes  plantes.  Elie  mur- 
mure  a  trois  reprises  des  formules  Mranges  et  mysterieuses,  et 
r6p6te  neuf  fois  ses  enchantements.  Scyila  vient.  A  peine  est-elle 
a  moitie  descendue,  qu'elle  voit  ses  flancs  entour6s  d'une  hideuse 
ceinture  de monstres  aboyants.  D'abord  elle  nepeut  croire quMls 
font  partie  de  son  corps.  Kile  fuit,  et,  redoutant  leurs  morsures 
hardies,  elle  essaye  de  les  repousser.  Mais,  en  youlant  les  ^viter, 
elle  les  entraine  avec  elle.  En  vain  cherche-t-elle  ses  cuisses,  ses 
jambes  et  ses  pieds  :  a  leur  place  elle  trouve  des  gueules  de  Ger- 
bere.  Elle  voit  une  meute  furieuse,  sans  parties  inferieures, 
attach^e  par  le  dos  autour  de  son  corps.  Glaucus,  qui  Taimait, 
verse  des  larmes.  II  fuit  Thymen  de  Girc^,  qui  vient  de  faire  un 
trop  cruel  usage  de  ses  plantes.  Scylla  resta  dans  ce  lieu  mSme. 
Des  qu'elle  en  eut  le  pouvoir,  pour  assouvir  sa  hah.;>  contre  Circe, 
elle  fit  perir  les  compagnons  dTlysse.  Elle  allait  9ussi  submerger 
les  vaisseaux  troyens,  lorsqu'eIle  fut  changee  en  un  rocher  qui 
forme  encore  un  ecueil  qu'evilent  les  matelots. 


Hunc  dea  pnevitiat ,  portentificisqne  venenis  5& 

Inquinat ;  huic  pressos  latices  radice  nocenti 

Spargit,  et  obscurum  verborum  ambage  novorum 

Ter  novies  carmen  magico  demurmurat  ore. 

Scylla  venit,  mediaque  tenus  descenderat  alvo, 

Quum  sua  foedari  latrantibus  inguina  monstris  60 

Aspicit.  Ac  primo  non  credens  corporis  illas 

Esse  sui  partes,  refugitque,  abigitque,  timetque 

Ora  proterva  canum.  Sed  quos  fugit,  attrahit  una; 

Et  corpus  quaerens  femorum,  crurumque  pedumque, 

Cerbereos  rictus  prc  partibus  invenit  illis ;  65 

Statque  canum  rabi»?s,  subjectaque  terga  feranim 

Inguinibus  truncis,  uteroque  exstante,  coercet. 

Flevit  amans  Glaucus,  nimiumque  hostiliter  mtb 

Viribus  herbarum  fugit  connubia  Circes. 

Scylla  loco  mansit ;  quumque  est  data  copia  primum,         70 

In  Circcs  odium  sociis  spoliavit  Ulyssen. 

Moi  eodem  Teucras  fuerat  mersura  carinas, 

Ni  prius  in  scopulum,  qui  nunc  qnoque  saxeus  exstst, 

Transformata  foret.  Scopulum  qnoque  navita  vitat. 


} 


m  HfiTAMORPHOSES. 

\ 

LES  CEftCOPES  wiTAllORPHOS^S  EN  SIRGES.   —  DESCEIfTB  O^finiE 
AUX  ENFERS.   —   FABLE    DE  U  SIBTLLE. 

n.  La  flotte  troyenne  avait  ^chapp^  h  la  rage  de  Scylla  et  de 
Charybde.  EUe  touchait  presque  au  rivage  de  TAusonie,  lorsque 
les  vents  la  repouss^rent  vers  rAfrique.  Didou  accueillit  fin^ 
dans  son  palais;  elle  Taima,  et,  apres  6tre  devenue  son  dpouse, 
d^sesp6r§e  de  spn  depart,  elle  se  per^a  le  sein  sur  un  biftcher 
allum^  pour  un  sacriGce  imaginaire.  Trompee  par  son  amant, 
elle  trompa  ainsi  toute  sa  cour.  Le  h^os  phrygien  s^enfuil  des 
nouveaux  murs  elev^s  sur  la  terre  d'Afrique,  et  retouma  vers 
le  fidSIe  Aceste,  au  pied  du  mont  £ryx,  oili  il  c^lebra  un  sacri. 
fice  sur  la  tombe  de  son  p^re.  II  d^tacha  les  dibles  qui  rete- 
naient  sa  flotte  presque  livree  aux  flammes  par  la  messag^re  de 
Junon,  et  laissa  derri^re  lui  le  royaume  d^Sole,  les  fles  d'ou  le 
soufre  s'elance  en  tourbillons  de  fumee,  et  les  rochers  des  per- 
fides  sirdnes.  Prive  de  pilote,  son  navire  cdtoya  Inarime,  Pro-. 
cbyte,  Pith^.use,  situ^  sur  une  coUine  st^rile,  et  qui  a  ccm* 
serv^  le  nom  de  ses  habitants.  Jadis  le  p^re  des  dieux,  indign^ 
de  la  mauvaise  foi,  des  parjures  et  de  la  perfldie  des  Cercopes,  les 

CERCOPES   IN  SINIAS  HUTATI.   —  SSE£  DESCENSUS  AD  IXFEROS. 
SIBTLLiE  FABULA. 

II.    Hanc  ubi  trojano)  remis  avidamque  Charybdin  75 

Evicere  rates,  quum  jam  prope  litlus  adessenl 
Ausonium,  libycas  vento  referuntur  ad  oras. 
Excipit  ^nean  illic  animoque  domoque, 
Non  bene  discidium  phrygii  latura  marili, 
Sidonis;  inque  pyra,  sacri  sub  imagine  facta,  8U 

Incubuit  ferro,  dcceptaque  decipit  omnes. 
Rursus  arenosae  fugiens  nova  mcenia  terrx, 
Ad  sedemque  Erycis,  fidumque  relatus  Acesten, 
Sacrificat,  tumulumque  sui  genitoris  honorat. 
Quasque  rates  Iris  junonia  psene  cremarat,  8.-i 

Solvit,  et  Hippotadse  regnum,  terrasque  calenti 
Sulfure  fumantes,  acheloiadumque  relinquit 
Sirenum  scopulos;  orbataque  praeside  pinus 
Inarimen,  Prochytenqne  legit;  sterilique  locatas 
CoUe  Pithecusas,  habitantum  nomine  dictas.  90 

Quippe  deum  genitor  fraudem,  et  perjuria  quondam 
Gercopum  exosus,  gentisque  admissa  dolosae,  . 


LIYRE  XIV.  533 

changea  en  animaux  difformes,  qui  different  de  rhomme  et  en 
mtoe  temps  lui  ressemblenl.  II  raccourcit  leur  corps,  aplatit  leur 
nez  loin  du  front,  sillonna  leur  face  des  rides  de  la  Yieillesse,  les 
couvrit  d'un  poil  fauve,  et  les  rel^gua  dans  ce  sejour.  Ddjk  il  leur 
avait  retire  Tusage  de  la  parole,  dont  ils  ne  se  servaient  que  pour 
mentir  effront^ment;  il  ne  leur  laissa  pour  p6uvoir  se  plaindre 
qu'un  rauque  murmure.  • 

Aprfe  avoir  d^passe  ces  iles,  Enee  franchit  a  droite  les  remparts 
de  Parlhenope,  et  a  gauche  le  promontoire  ou  git  le  fils  d'fiole  aux 
accents  m^lodieux;  puis  il  arriva  aux  rivages  de  Gumes,  bord^s 
d'algues  marecageuses,  et  visita  Tantre  de  Tantique  Sibylle.  II  la 
conjure  de  guider  ses  pas  dans  TAveme  et  de  Taider  h  trouver 
rombre  de  son  pere.  La  Sibylle  tint  longtemps  ses  regards  atta- 
ches  a  la  terre;  et,  les  levant  enfin,  agitde  par  le  dieu  qui  Finspi- 
rdit :  «  Tu  demandes,  dit-elle,  une  grande  faveur,  h^ros  quMllus- 
trent  tes  exploits,  toi  dont  le  courage  fut  eprouve  par  le  fer  et  la 
pi^te  par  la  flamme.  Mais  rassure-toi,  chef  des  Troyens  :  les 
vceux  seront  accomplis.  Je  te  conduirai  dans  les  champs  de  1'fily- 
£6e;  je  te  ferai  voir  le  ten^reux  empire  et  Tombre  cherie  de 

In  deforme  viros  animal  mutavit,  ut  idem 

Dissimiles  homini  possent,  similesque  videri; 

Membraque  contraxit,  naresque  a  fronte  remissas  95 

Contudit,  et  rugis  peraravit  anilibus  ora; 

Totaque  velatos  flaventi  corpora  villo 

Mi^iit  in  has  sedes.  Nec  non  prius  abstulit  Ufum 

Verborum,  et  natae  dira  in  perjuria  iinguaej 

Posse  queri  tantum  rauco  stridore  relinquit.  lOU 

Has  ubi  prsBleriit,  et  parlhenopeia  dextra 
B^cenia  deseruit,  Isva  de  parte  canori 
^olidas  tumulum,  et  loca  fela  palustribus  ulvis 
Littora  Cumarum,  vivacisque  antra  Sibyllas 
Intrat,  et,  ut  manes  adeat  pcr  Averna  paternos,  103 

Orat.  Al  illa  diu  vullus  tellure  moratos 
Erexit,  tandemque  deo  furibunda  recepto : 
«  Magna  pelis,  dixit,  vir  factis  maximc,  cujus 
Dpxlera  per  ferrum,  pielas  speclala  per  igncs. 
Pone  tamcn,  Trojane,  metum.  Potiere  petitis;  110 

Elysiasquc  domos,  et  regna  novissima  mundi, 
Me  duce,  cognosces,  simulacraque  cara  parcntis. 

30. 


534  M£TAM0RPII0SES. 

ton  p6re.  II  n'est  point  de  route  inaccessible  pour  la  Yertu.  » 
A  ces  mots,  elle  )ui  montra  le  rameau  d'or  qui  brillait  dans 
la  forSt  de  Proserpine,  et  lui  ordonna  de  le  d^tacher.  £nee 
obeit,  et  k  Finstant  ii  yit  les  richesses  du  terrible  dieu  des  enfers, 
les  mdnes  de  ses  anc^tres  et  la  vieille  ombre  du  magnanime  An- 
chise.  II  connut  aussi  les  lois  ^tablies  en  ces  lieux,  et  les  perils 
qu'il  aurait  a  braver  dans  de  nouvelles.  guerres.  La  fatigue  le  fil 
revenir  sur  ses  pas,  et  il  s'entretint  avec  son  guide  pour  oublier- 
les  ennuis  de  la  route.  Tandis  quHls  poursuivaient  leur.mardie 
p^nible  k  la  lueur  d'un  jour  incertain,  £n^e  dit  k  la  Sibylle : 
«  Deesse  favorable  aux  humains,  ou  mortelle  ch^e  des  dieux,  tu 
seras  toujoiu^  une  divinitS  pour  moi.  Je  reconnaitrai  toujours 
combien  je  suis  redevable  a  celle  qui  m'a  conduit  au  sejour  de  la 
mort  et  ramenS  vivant  de  son  horrible  empire.  Pour  un  tel  bien- 
fait,  k  peine  rendu  k  la  clart^  des  cieux,  je  te  consacre^ai  un  temple 
et  je  ferai  briller  rencens  sur  tes  autels.  v 

La  Sibylle  le  regarda,  et  lui  r^pondit  d'une  voix  entrecoupee  de 
soupirs  : « Je  ne  suis  point  une  d^esse.  Ne  juge  polnt  une  mortellc 
digne  de  Tencens.  Apprends  queje  fus  aimee  d'Apollony  et  qu'ii 

fnvia  virtuti  nuUa  est  via.  »  Dixit,  et  auro 

Fulgentcm  ramum  silva  Junonis  averns 

Monstravit,  jussilque  suo  divellere  irunco.  115 

Paruit  iCneas,  et  formidabilis  Orci 

Vidit  opcs,  atuvosquc -suos,  umbramque  scnilcm 

Magnanimi  Anchisne;  didicit  quoque  jura  locorum, 

Quxque  novis  esscnt  adeunda  pericula  bellis. 

Inde  ferens  lassos  avcrso  tramite  passus,  l!^) 

Cum  duce  cumaea  faliit  sermone  iaborem. 

Diimque  ilcr  borrcndum  per  opaca  crepuscula  rarpil; 

«  Seu  dea  tu  praesens,  seu  dis  gralissima,  dixit, 

Numinis  instar  eris  semper  mihi,  meque  fatcbor 

Muneris  esse  tui,  quaj  me  loca  mortis  adire,  12ri 

Quaj  loca  me  visaB  voluisti  evadero  mortis. 

Pro  quibus  aerias  meritls  evcctus  ad  auras 

T(mpla  tibi  statuam,  Iribuam  tibi  Ihuris  honorem..  » 

Respicit  hunc  vates,  et  suspiratibus  haustis : 
ic  Nec  dea  sum,  dixit,  nec  sacri  thuris  honore  130 

Ilumanum  dignare  caput.  Neu  nescius  orres, 
Lux  sterna  mihi,  carituraque  fine  dabalur, 
Si  mea  virginiUs  Phoebo  paluissel  amantif 


LIVRE  XIV.  535 

ni'ofintunevieimmortelle  pourprixde  ma  virginitl.  Tandisqu'il 
esp^rait  et  qu'il  cherchait  a  me  sMuire  par  ses  prSsents :  c  Vierge 
«  de  Cumes,  me  dit-il,forme  des  voeux,  ils  seront  exauc^s. »  Alors, 
lui  monlrant  une  poignee  de  sable,  je  souhaitai  follement  autant 
d'annees  que  j^avais  de  grains  de  poussi^re  dans  la  main.  roubliai 
de  demander  en  mSme  temps  une  ^temelle  jeunesse.  II  me  Tof- 
frit  pourtant,  cette-faveur,  si  je  r^pondais  k  sa  flamme.  Je  dedai- 
gnai  ses  dons  et  je  restai  vierge.  Je  suis  d^ja  loin  de  mes  belles 
anneeg,  et  la  tristevieillesse  s'avance  d'un  pas  chancelant.  Je  dois 
lasupporter  encore  longtemps ;  carj^ai  d6jkv6cu  sept  si^cles;  et, 
pour  que  mes  jours  egalent  les  grains  de  poussi^re,  il  me  reste  a 
voir  trois  ceuts  moissons  et  trois  cent^  vendanges.  Un  temps  vien- 
dra  ou  Tdge  raccourcira  mon  corps,  ou  mes  membres,  ext^nu^s 
par  la  vieillesse,  n'auront  plus  qu'un  faible  poids.  On  ne  pourra 
croire  alors^ue  je  fus  aimee  d'un  dieu  ou  digne  de  lui  plaire. 
Paai-Stre  aussi  ApoIIon  ne  me  reconnaitra-t-il  pas,  ou  dira-t-il 
quMl  ne  m'a  jamais  aimee,  tant  je  difPSrerai  de  moi-mfime!  Invi- 
sible  a  tous  les  yeux,  je  serai  pourtant  reconnue  a  ma  voix :  car 
les  Destins  me  Idisseront  la  voix.  » 


Dum  tamen  hanc  sperat,  dum  prsecorrampere  donis 

Mc  cupit:  c  Elige,  ail,  virgo  cumsea,  quid  optes;  135 

t  Optatis  potiere  tuis.  »  Ego  pulveris  hausti 

Ostendens  cumulum,  quot  haberet  corpora  pulvis, 

Tot  mihi  natales  contingcre  vana  rogavi. 

Excidit  optarem  juvenes  quoque  protinus  annos. 

IIos  tamen  ille  mihi  dabat,  aetemamque  juventam,  140 

Si  vcncrem  paterer.  Contempto  muncre  Phcpbi, 

iAnuha  permaneo.  Sed  jam  felicior  oitas 

Tcirjia  dedit,  tremuloque  gradu  venit  aegra  senectus, 

QurV.  palienda  diu  est.  Nam  jam  mihi  ssecula  septem 

Acta  vides :  superest,  numeros  ut  pulveris  aequem,  145 

Tercentum  messes,  tercentum  musta  videre. 

Tempus  erit,  quum  me  de  tanto  corpore  parvam 

Longa  dies  faciat,  consumptaque  merobra  senecla 

Ad  rainimum  redigantur  onus.  Nec  amata  Tidebor, 

Nec  placuisse  deo  ;  PhoE>bus  quoque  forsitan  ipse  150 

Tel  non  agnoscet,  vel  dilexisse  negabit : 

Usque  adeo  mutata  ferar!  nullique  videnda, 

Yoce  tamen  noscar;  vocem  mihi  Fata  relinquent. » 


550  MfiTAMORPHOSES. 


ACIIEM^NIbE.   —  UACABEE.   —  EKCBAMTEMENTS  DB  Cl^Ct. 
PICUS  £T  CANENTE. 

III.  Tandis  que  la  Sibylle  parlait  ainsi  en  montant  une  route 
escarpee,  £n^  quitte  les  demeures  infernales  et  rentre  dans  la 
Tille  de  Cumes.  U  offre  aux  dieux  les  sacrifices  ordinaires,  et 
aborde  aux  rivages  qui  ne  portaient  pas  encore  le  nom  de  sa 
nourrice.  La,  degoilitS  de  ses  longs  voyages,  s'etait  arr^ta  Maca- 
ree,  n^  a  Ithaque  et  compagnon  du  sage  Ulysse.  II  reconnut 
Ach^m^nide,  delaiss^  jadis  sur  les  rochers  de  TEtna.  £tonne  de 
le  revoir  vivant :  «  Quel  hasard,  lui  dit-il,  ou  quel  dieu  t'a  sauv^? 
Comment  un  Grec  se  trouve-t-il  sur  un  vaisseau  barbare?  Vers 
quels  bords  faites-vous  voile?  »  A  ces  questions,  Achemenide, 
que  ne  couvraient  plus  de  vils  lambeaux  attachSs  avec  des  epines, 
Achem^nide,  redevenu  enfin  lui-mSmei  lui  repond  :  «  Puiss^-je 
voir  de  nouveaA  Polypheme  et  le  sang  humain  d^ulant  de  ses 
levres,  si  les  vaisseaux  dlthaque  roe  sont  desormais  plus  chers  que 
les  Troyens,  et  si  je  respecte  moins  £n^e  que  mon  p^re !  Jamais, 
qyoi  que  je  fasse,  je  ne  pourrai  lui  t^moigner  assez  de  reconnais- 

ACHEMENIDES.  —  MAdAREDS.  —  CIRGES  INCANTAUENTA.  —  riCOS  ET  CANE5S. 

III.    Talia  convexum  per  iter  memorante  Sibylla, 

Sedibus  eboicam  stygiis  emergit  in  urbem  155 

Troius  ^neas,  sacrisque  ex  morelitatis, 

Littora  adit  nondum  nutricis  habentia  nomen. 

Hic  quoque  substiterat  post  tsedia  longa  laborum 

Nerilius  Macareus,  comes  eiperientis  Ulyssei. 

Desertum  quondam  mediis  qui  rupibus  Miim  ICO 

Noscit  Achaemenidem,  improvisoque  repertum 

Yivere  miratus :  «  Qui  te  casusve,  deusve 

Servat,  Achaemenide?  Cur,  inquit,  barbara  Graium 

Prora  vehit?  Petitur  vestrae  quae  terra  carinae?» 

Talia  quaerenti  jam  non  hirsutus  amictu,  1C5 

Jam  suus,  et  spinis  conserto  tegmine  nullis, 

Fatur  Achaemenides  :  c  Iterum  Polyphemou,  et  illos 

Aspiciam  fluidos  humano  sanguine  rictus, 

Ilac  mihi  si  polior  domus  est  Ithaceque  carina, 

Si  minus  iEnean  veneror  genitore,  nec  unquam  170 

Esse  satis  potero,  praestem  licet  omnia,  gratus. 


LIVRE  XIV.  .         557 

sance.  Si  je  te  parle,  si  je  respire,  si  je  vois  le  ciel  et  la  lumiere 
du  jour,  puis-je  6tre  ingrat  et  oublier  que  c*est  k  lui  que  je  le 
dois?  C*est  grdce  a  lui  que  je  n'ai  pas  6t6  d^vore  par  le  Cyclope,  et 
qu'au  moment  ou  je  rendrai  le  dernier  soupir  mes  restes  seront 
depos^  dans  un  tombeau,  et  non  dans  les  entrailles  de  ce  monstre. 
Quel  fut  mon  desespoir  (k  mioins  que  la  terreur  ne  m^eilt  dte  tout 
sentiment),  lorsque,  abandonnesurlerivage,je  vousvis  gagnerla 
haute  mer !  Je  voulus  crier,  mais  je  craignis  de  me  livrer  a  Tcn- 
nemi.  La  voix  d^Ulysse  fut  presque  fatale  a  votre  navire.  Je  vis 
Polypheme  jeter  au  milieu  des  ondes  un  immense  eclat  de  ro- 
cher  qu'il  avait  detach^  de  la  montagne ;  je  vis  son  bras  gigan- 
tesque  lancer,  comme  une  machine  de  guerre,  des  pierres  ^nor- 
mes,  et  je  craignis  que  le  vaisseau  ne  disparilt  dans  les  flots  ou  ne 
fiit  brise  sous  celte  masse  :  j'oubhais  qu'il  ne  me  portait  plus. 

«  A  peine  la  fuite  vous  eut-elle  d^rob^s  a  un  affreux  tr^pas,  que 
le  Cyclope  errant  fit  retentir  TEtna  de  ses  g^missements.  Prive  de 
son  oeil,  il  ^arta  de  sa  main  ies  arbres  pour  s'ouvrir  un  passage, 
heurta  les  rochers,  et,  tendant  sur  les  eaux  ses  bras  ensanglantes, 
ilexhalaainsisa  haine  contre  les  Grecs :  «  Oh!  si  jamais  le  hasard 

Quod  loquor,  et  spiro,  cflelumque,  et  lumina  solis 

Afipicio  (possimne  ingratus  et  immemor  esse?) 

Ille  dedit;  quod  non  anima  hsec  Cyclopis  in  ora 

Venit,  et  ut  lumen  jam  nunc  vilale  relinquam,  175 

Aut  tumulo,  aut  certe  non  illa  condar  in  alvo. 

Quid  mihi  tunc  animi  (nisi  si  timor  abstulit  omDem 

Sensum  animumque)  fuit,  quum  vos  petere  alta  relictus 

^quora  prospexi?  Volui  inclamare;  sed  hosti 

Prodere  me  timui.  Vestrae  quoque  clamor  Ulyssei  180 

Paene  rati  nocult.  Vidi,  quum  monte  revulso 

Immanem  scopulum  medias  permisit  in  undas; 

Vidi  iterum,  veluti  tormeuti  viribus  acla, 

Vasta  giganteo  jaculantem  saxa  lacerto. 

Et,  ne  deprimeret  fluctusve  lapisve  carinam,  185 

Pertimui,  jam  me  non  esse  oblilus  in  illa. 

«  Ut  vero  fuga  vos  ab  acerba  morte  removit, 
ille  quidem  totam  gcir.ebundus  obambulat  jEtnam, 
PrsBtentatque  manu  silvas,  et  luminis  orbus 
Rupibus  incursat,  fcedataque  brachia  tabo  190 

In  mare  protendens  gentem  exsecratur  achivam, 
Atque  ait :  c  0  si  quis  referat  mihi  casus  Ulyssen, 


538         ^  MfiTAMORPHOSES. 

«  amenait  prSs  de  moi  Ulysse  ou  quelqu'un  de  ses  compagnons 
¥  sur  qui  je  pusse  assouvir  ma  fureur!  Si  je  pouvais  devorer 
«  leurs  entrailles,  dechirer  de  mes  mains  leurs  membres  Tivants, 
tf  boire  leur  sang  a  longs  traits  et  broyer  leurs  os  sous  mes  dents, 
<  combien  peu  je  regretterais  d'6tre  prive  de  la  clarte  du  jour,  ou 
«  combien  cette  perte  me  paraitrait  legere !  »  A  ces  imprecations 
le  farouche  Cyclope  en  ajoula  beaucoup  d'autres.  L'epouYante 
8*empara  de  moi  quand  je  vis  sa  bouche  degouttante  de  camage, 
ses  mains  cruelles,  son  orbite  affreuse,  ses  membres  effiroyables 
et  sa  barbe  inond^  de  sang  humain.  J^avais  la  mort  devant  mes 
yeux ;  mais  de  tous  mes  maux  c'etait  le  moindre.  Je  me  figurais 
que  le  monstre  allait  me  saisir  et  m'engloutir  dans  ses  entrailles. 
Je  me  reprdsentais  k  chaque  instant  ce  jour  ou  je  vis  deux  de  mes 
compagnons  trois  et  quatre  fois  lanc6s  contre  terre,  Polypheme, 
achame  sur  eux  comme  un  lion  terrible,  ensevelir  dans  le  gouffre 
de  son  ventre  leurs  entrailles,  leurs  chairs,  leurs  os,  leur  moelle 
et  leurs  membres  palpitants.  Glace  de  terreur,  j'etais  morne,  im- 
mobile.  En  voyant  le  Cyclope  devorer  ces  mets  ensanglantes  el 
les  vomissant  avec  des  flols  de  vin,  j'attendais,  helas!  le  mSme 

«  Aut  aliquem  o  sociis,  in  quem  mea  saeviat  ira! 

«  Visoera  cujus  edam,  cujus  viventia  dextra 

«  Membra  mea  laniem,  cujus  mihi  sanguis  immdet  I9u 

«  Guttur,  et  elisi  trepident  sub  dentibus  artus, 

«  Quam  nuUum,  aut  lcve  sit  damnum  mihi  lucis  adcmptxl  » 

Hkc  et  plura  ferox.  Me  luridus  occupat  horror, 

Spectantem  vultus  etiamnum  caede  madentes, 

Crudelesque  manus,  et  inanem  luminis  orbem ;  "200 

Membraque,  et  humano  concretam  sanguine  barbam. 

Mors  crat  ante  oculos;  minimum  tamen  illa  malorum. 

Et  jam  prensurum,  jamjam  mea  viscera  rebar 

In  sua  mersurum ;  mentique  hairebat  imago 

Temporis  illius,  quo  vidi  bina  meorum  i05 

Ter  quater  affligi  sociorum  corpora  terrae; 

Quai  super  ipse  jacens,  hirsuti  more  leonis, 

Visceraquo,  et  carnes,  cumque  ipsis  ossa  medullis, 

Scmianimesque  artus  avidam  condcbat  in  alvum. 

Me  tremor  invasit.  Stabam  sine  sanguine  moestus;  210 

Mandentemque  videns,  ejectantemque  cruentas 

Ore  dapes,  et  frusta  mero  glomerala  vomentem, 

Talia  lingebam  misero  mihi  fata  parari. 


LIVRE  XIV.  539 

sort.  Gach^  durant  plusieurs  jours,  irissonnant  au  moindre  bruit, 
redoutant  la  mort  et  Tappelant  de  tous  mes  voeux,  apaisant  ma 
faim  avec  des  glands,  de  Therbe  et  du  feuillage;  seul,  sans  res- 
source,  sans  esperance,  voue  aux  souffrances  et  au  trepas,  apres 
une  longue  attente,  je  decx)uvris  un  navireiion  loin  du  bord.  Je 
demandai  a  fuir  par  un  geste  suppliant,  et  je  courus  vers  le  rivage. 
J^excitai  la  piti^,  et  un  Grec  fut  sauve  sur  un  vaisseau  troyen.  Mais 
toi,  le  plusi  cher  de  mes  amis,  apprends-moi  tes  aventures,  ceiles 
dTlysse  et  de  ses  compagnons  qui  partagent  ta  fortune  sur  les 
flots.  i 

Macaree  lui  fait  ce  r^dt :  «  Sur  les  mers  de  Toscane  regne  le  fiis 
d'Hippotas,  £oie,  qui  tient  les  vents  enchaines.  Apr^s  les  avoir  en- 
ferm^s  dans  des  outres,  par  une  rare  faveur,  il  les  ayait  donues 
au  roi  de  Dulichium.  Grdce  a  leur  souffle  propice,  Ulysse  et  ses 
compagnons  voguerent  heureusement  pendantneuf  jours,  et  aper- 
9urent  m^me  la  terre,  objet  de  ieurs  vceux.  Mais,  lorsque  l'Au- 
rore  ouvrit  pour  la  dixicme  fois  les  portes  de  l'orient,  ses  com- 
pagnons,  aveugles  par  Tenvie  et  la  cupidite,  s'imaginereiU  que 
lcs  oulres  etaient  remplies  d'or,  et  rompirent  les  liens  qui  rele- 
naient  les  vents.  Entraine  par  eux  sur  les  ondes  qu'il  avait  deja 
sillonnees,  le  vaisseau  rentra  dans  les  ports  d'£olie.  De  la  uous 

l^erque  dies  mtiUos  latitans,  omnemque  treroisrens 

Ad  slrepilum,  mortemque  limens,  cupidusque  moriri,      215 

Glandefamem  pelleni,  et  miita  frondibus  herba, 

Solus»  inops,  8X.<pe8,  letho  pceuaeque  rclictu«,  \ 

Naud  procul  aspexi  longo  post  tempore  navim,  . 

Ot^vique  fugam  geslu,  ad  littusque  cucurri ; 

Et  movi,  Graiumque  ratis  trojana  recepit.  "liO 

Tu  qUoque  pande  tuos,  cumitum  gratissime,  casus, 

£t  ducis,  etturbae  qusB  tecum  credita  ponlo  est.> 

iEolen  ille  refert  Tusco  regnare  profundo, 
^olon  liippotaden,  cohibentem  carcere  ventob; 
Quos  bovis  inclusos  tergo,  memorabife  munus,  2^3 

Dulichium  sumpisse  ducem  ;  flatuque  secundo 
Lucibus  isse  novem,  et  terrum  aspexisse  petitam; 
Proxima  post  nonam  quum  sese  Aurora  moveret, 
Invidia  socios  prtedieque  cupidine  ductos, 
Esse  ralos  aurum,  dempsisse  ligaminu  ventis,  loO 

Cum  quibus  isse  rctro,  per  quas  modo  veneral  undas, 
iEoliique  ratem  portus  repetisse  tyranni. 


540  METAMORPHOSES. 

nous  dirige&raes  vers  l'antique  cite  du  Lestrygon  Lamus,  gouver* 
nee  par  Antiphate.  Je  fus  depute  vers  liii  avec  deux  de  mes  amis. 
Nous  pilimes  a  peine,  Tun  d'eux  et  moi,  trouver  notre  salut  dans 
la  fuite.  L'autre  teignit  de  son  sang  la  bouche  impie  du  Lestry- 
gon.  Antiphate  nou^oursuivit  et  appela  les  siens.  lis  accoururent 
en  foule  et  nous  accabl^rent  d'une  gr^le  de  pierres  et  d'arbres, 
qui  submerg^rent  les  hommes  et  les  vaisseaux.  Un  seul  navire, 
celui  qui  nous  portait,  Ulysse  et  moi,  ^chappa  au  naufrage.  AiOi- 
ges  de  la  perte  de  nos  compagnons,  nous  les  pleurames  longtemps, 
et  nous  abordames  enfm  a  ces  rivages  que  tu  aper^ois  dans  le 
lointain.  Ah !  puisses-tu  ne  voir  jamais  que  de  loin  Viie  funeste 
ou  je  suis  descendu !  0  le  plus  juste  des  Troyens,  fils  d'une  deesse 
(car  du  jour  ou  la  guerre  a  cesse,  tu  ne  dois  plus  6tre  appele 
nolre  ennemi),  finee,  je  te  le  conseille,  fuis  le  sejour  de  Circe! 

«  Nous  aussi,  apres  avoir  jete  i'ancre,  pleins  du  souvenir  d'An- 
tiphate  et  du  cruel  Gyclope,  nous  refusions  d'avancer  sur  ces  cdtes 
et  d'entrer  sous  des  toits  inconnus.  Le  Sort  fut  consulte.  11  rae 
d^igna  pour  6tre  envoye  aupres  de  Circe  avec  le  iidele  Polite,  Eu- 
ryloque,  Elpenor  qui  aimait  trop  levin,  et  dix-huit  de  nos  com- 


«  Inde  Lami  veterem  Lsestrygonis,  inquit,  in  urbem 

Venimus.  Anliphates  lerra  regnabat  in  illa. 

Missus  ad  hunc  cgo  sum,  numero  comitautc  duoruui.       ;2iO 

Vixque  fuga  quaesita  salus  comilique,  mihique. 

Tertius  e  nobis  Lsestrygonis  impia  linxit 

Ora  cruore  6uo.  Fugientibus  instat,  ct  agmeu 

Concilat  Antiphates.  Goeunt,  et  saxa  trabcsque 

Continuant,  mergunlque  viros,  merguntque  carjuas.         255 

Una  (amen,  quaj  nos  ipsumque  vehebat  Uiyssen, 

Erfugit.  Amissa  sociorum  parte,  dolcnles, 

Multaque  conquesti  lerris  allabimur  illis, 

Quas  procul  hinc  cernis.  Procul  hinc  tibi,  cerne,  videudaest 

Insula,  visa  mihi.  Tuque,  o  justissime  Troum,  245 

Kate  dea  (neque  enim  linito  marte  vocandus 

llostis  es,  .Enea),  mouco,  fuge  littora  Circes. 

«  Kos  quoque  circxo  religata  in  littorc  pinu, 
Antiphal»  memores,  immansuetiquc  Cyclopis, 
Ire  ncgabamus,  et  tecla  ignola  subire.  2j0 

Sorte  sumus  lecti.  Sors  me  fidumque  Politcn 
Euryiochunique  simul,  niniiique  klpenora  viui, 
Bisque  novem  socios  circaea  ad  mccnia  misit. 


LIVUE  XIV.  541 

pagnoiis.  Arrives  a  son  palais,  nous  en  touchiuns  a  peine  les  porles, 
que  des  loups,  des  ours  et  des  lions,  accourus  sur  nos  pas,  nous 
remplirent  d'eflroi.  Mais  aucun  n'etait  a  craindre ;  aucun  ne  de- 
yait  nous  faire  le  moindre  mal.  Je  dirai  plus  :  ils  caressaient  Fair 
de  leurs  queues  et  suivaient  nos  pas  en  nous  flattant.  Les  femmes 
de  service  nous  regiu-ent  et  nous  conduisirent,  a  travers  des  por- 
tiques  de  marbre,  jusqu'a  leur  souveraine.  Elie  etait  assise,  au 
fond  d'une  salle  magnifique,  sur  un  trdne  eleve,  rev^tue  d'une 
robe  eblouissante  et  couverte  d'un  mantelet  d'or.  Les  Nereides 
et  les  Nymphes,  rangees  autpur  d'elles,  n'etaient  point  occupees  a 
faire  de  la  tapisserie  ou  a  filer  la  laine,  mais  elles  disposaieut 
dans  des  corbeiiles  et  mettaient  en  ordre  des  plantes,  des  fleurs 
et  des  herbes  de  diverses  couleurs.  La  deesse  presidait  a  leurs 
travaux.  Elle  connaissait  Tusage  de  chaque  plante  et  Tart  de  les 
melanger;  elle  les  pesait  et  les  examinait  avec  soin.  Des  qu'elle 
nous  apergut,  apres  les  poiitesses  d'usage,  elle  nous  accueillit  par 
un  sounre  et  repondit  gracieusement  a  nos  vceux.  Elle  nous  fit 
servir  a  rinstant  de  Torge  briilee,  du  miel,  du  vin  pur  et  du  lait 
caille,  mSIes  ensemble,  et  y  ajouta  furtivement  des  sucs  deguises 

QusB  simul  alligimus,  stetimusque  in  iimine  tecti, 
Hiile  lupi,  mixtaeque  lupis  ursser^ie,  leaeque,  355 

Occursu  fecere  melum.  Sed  nulla  timenda, 
KuUaque  erat  noslro  factura  in  corpore  vulnu?. 
Quin  etiam  blandas  movere  per  aera  caudas, 
Nostraque  aduiantes  comitant  vestigia,  donec 
Excipiunt  famulae,  perque  atria  marmore  tecta  260 

Ad  dominum  ducuut.  Pulcbro  sedet  ilia  recessu, 
Sublimis  solio,  pallamque  induta  nitentem, 
lusuper  aurato  circumvelatur  amictu. 
Nereides  Nymphaeque  simul,  qu»  vellera  molis 
Nuila  trahunt  digitis,  nec  fila  sequenlia  ducunt,  265 

Gramina  disponunt,  sparsosque  sine  ordine  flores 
Secernunl  calalhis,  variasque  coloribus  herbas. 
Ipsa,  quod  hse  faciunt,  opus  exigit;  ipsa  quis  usus 
Quoque  sit  in  folio,  quse  sit  concordia  miitis, 
Novit,  et  adverlens  pensas  examinat  herbas.  270 

Haec  ubi  nos  vjdit,  dicta  acceptaque  salule, 
Diffudit  vultus,  et  reddidit  omnia  votis. 
Nec  mora,  misceri  toslis  jubet  hordea  grani, 
Hellaque,  vimque  mcri,  et  cum  lacte  coagula  passo; 
Quique  sub  hac  lateant  furtim  dulcedine,  succos'  275 

31 


542  MfeTAMORPHOSES. 

par  la  douceur  de  ce  breuvage.  Nous  re^Ames  avec  empressement 
la  coupe  de  sa  main  sacree. 

«  A  peine  l'eiimes-nous  approch^e  de  nos  levres  ardentes,  que  la 
perfide  deesse  toucha  nos  cheveux  de  sa  baguette.  Aussitdt  (je  rou- 
gis  de  le  dire)  des  poils  herisserent  mon  corps,  et  je  cessai  de 
parler.  Ma  voix  fit  place  a  un  rauque  munuure;  mon  front  se 
courba  vers  la  terre ;  je  sentis  ma  bouche  s^allonger  sous  la  forme 
d'un  museau;  de  larges  muscles  enflerent  mon  cou;  ma  main, 
qui  venait  de  saisir  la  coupe,  tra?a  des  pas  sur  la  terre,  et  Ton 
m'enferma  dans  une  §lable  avec  mes  compagnons,  tratisformes 
comme  moi  :  tant  ce  breuvage  eut  de  puissance!  Euryloque 
^chappa  seul  a  cette  melarmorphose,  parce  que  seul  il  avait  re- 
pousse  la  coupe  fatale.  S'il  ne  Teut  rejetee,  il  aurait  revto, 
comme  nous,  les  traits  d'un  animal  immonde ;  Ulysse,  n'eilt  point 
appris  par  lui  un  si  grand  malheur,  et  ne  serait  pas  venu  trouver 
la  d^esse  pour  nous  venger.  Mercure,  qui  le  prolegeait,  lui  avait 
donne  une  fleur  dont  la  feuille  est  blanche,  la  racine  noire,  et  que 
les  Immortels  appellent  moly.  Muni  de  ce  pr^ervatif  et  des  conseils 
de  ce  dieu,  il  entra  dans  le  palais  de  Girc^.  Gonvie  au  perfide  breu- 
vage,  il  ecarta  la  main  de  la  deesse,  qui  voulut  en  vain  approcher  sa 

Adjicit.  Accipimus  sacra  dala  pocula  dextra. 
«  QuaB  simul  areuti  sttientes  hausiraus  ore^ 
Et  tetigit  summos  virga  dea  dira  capillos 
(Et  pudet  et  referam),  selis  horrescere  coepi, 
Nec  jam  posse  loqui;  pro  \erbis  edere  raucum  ^() 

Murmui\  et  in  terram  toto  procumbere  vultu; 
Osquemeum  sensi  pando  occallescere  rostro; 
CoUa  tumere  toris;  et  qua  modo  pocula  parte 
Sumpta  mihi  fuerant,  illa  vestigia  feci, 
Cumque  eadem  passis  (lantum  medicamina  possunt!)  :       ^^ 
Claudor  hara;  sohimque  suis  caruisse  fig^ura 
Vidimus  Eurylochum;  soliis  data  pocula  fugit. 
Quse  nisi  vitasset,  pecoris  pars  una  manerct 
Nunc  quoque  seligeri;  nec  tanlaj  cladis  ab  illo 
Cerlior  ad  Circen  uUor  venisset  Ulysses.  "^) 

Pacifer  huic  dederat  florem  Cyllenius  album . 
Moly  vocant  Superi ;  nigra  radice  tenetur. 
Tutus  eo,  monitisque  siraul  coBlestibus  intrat 
lUe  domum  Circes,  et  ad  insidiosa  vocatus 
Pocula,  conantem  virga  mulcere  capillos  291» 


LIVREXIV.  543 

baguette  de  ses  cheveux,  et  il  tira  son  epee.  La  deesse,  effrayee, 
lui  donna  sa  main  et  sa  foi.  Ulysse,  admis  dans  sa  couche,  exigea 
pour  dot  qu'elle  lui  rendit  ses  malheureux  compagnons.  Elle  re- 
pandit  sur  nous  les  sucs  puissants  d'une  herbe  b^nignei  frappa 
nos  tStes  de  Tautre  bout  de  sa  baguette,  et  profera  des  mots  qui 
eontrariaient  Teffet  des  premiers.  A  mesure  qu'elie  les  pronongait, 
nos  corps  s'eleverent  au-dessus  du  sol,  nos  soies  tomb^renti  nos 
pieds  cesserent  d'Mre  fourchus,  et  nos  epaules  reparurent  avec 
nos  coudes  et  nos  bras.  Nous  m^lames  nos  larmes  a  celles  d'Ulysse 
en  Fembrassanti  et  nous  restsimes  suspendus  a  son  cou.  Nos  pre 
inif^res  paroles  furent  Texpressidn  de  notre  reconnaissance. 

a  Nous  passames  une  aiinee  enliere  aupres  de  Girce.  Pendant  ce 
long  sejour,  je  vis  un  grand  nombre  de  faits  merveilleux,  et  beau- 
coup  d'autres  me  furent  racontes.  En  voici  un  que  je  tiens  de 
Tune  des  quatre  femmes  associees  par  elle  a  ses  affreux  mysteres.* 
Tandis  que  la  d6esse  etait  retenue  seule  aupr^  d'Ulysse,  cette 
suivante  me  montra,  dans  un  lieu  saint,  la  statue  d'un  jeund 
homme  en  marbre  blanc,  portant  un  pivert  sur  la  t^te,  et  par^e 
de  mille  couronnes.  Je  lui  demandai  avec  ciuriosite  quel  ^tait  ct> 


fteppulit,  et  stricto  patidam  detelruit  ensc. 

Inde  tldes,  dextracque  datse;  thalamoque  rcccptus 

Conjugii  dotem,  sociorum  corpora,  poscit. 

Spargimur  innocua)  succis  melioribus  herbx^ 

Percutimurque  caput  converssB  verbere  virga*,  3(10 

Verbaque  dicuntur  dictis  contraria  verbis. 

QuD  magis  illa  canit,  magis  hoc  tellure  letati 

Erigimur,  setOequc  cadunt,  bifidbsque  relinquit 

ilima  pedes,  redeunt  humeri,  subjecta  lacertis 

Brachia  sunt.  Flentem  flentes  amplectimur  illum.  ^^ 

llxremusque  ducis  collo,  nec  verba  locuti 

IJila  priora  sumus,  quam  nos  testanlia  gratos. 

k  Annua  nos  illic  tenuit  niora;  multaque  prxsens 
Tcmpore  lam  longo  vidi,  mulla  auribus  hausi. 
lloc  quoque  cum  multis,quod  clam  nhhi  rettulit  un  i       oJO 
Quattuor  e  famulis,  ad  talia  sacra  paratis. 
Cum  ducc  namque  mco  Circe  dum  sola  moratur, 
lUa  mihi  niveo  factum  dc  niarmore  sijjnum 
Ostendit  juvenile,  gerens  iu  vertice  picum, 
^dc  sacra  positum,  muUi^queinsigne  coronis.  ^5 


544  METAMOnPtlOSES. 

jeune  homnie,  pourquoi  on  Fhonorait  dans  un  asile  sacrd,  e 
pourquoi  sa  iete  etait  surmontee  d'un  oiseau.  c  £coute,  Macar^ 
«  nie  dit-elle  :  tu  vas  connaitre  par  ce  recit  la  puissance  de  ma 
K  maltresse.  Pr^te-moi  une  oreille  altentive. 

«  Dans  TAusonie  regna  Picus,  fils  de  Saturne,  passionne  poui 
«  les  coursiers  helliqueux.  Sa  beaute  etait  celle  de  son  image.  Tu 
«  peux  f  en  faire  une  idee  par  cette  statue  qui  la  reproduit  fidele- 
«  mont.  Son  esprit  ^galait  sa  beaute.  Quoique  son  age  ne  lui  eHi 
«  pas  cncore  permis  de  voir  quatre  fois  les  jeux  que  ia  Grece  ce- 
«  lebre  tous  les  cinq  ans  dans  r£iide,  ddja  ii  avait  attire  ies  regards 
«  des  Dryades  nees  sur  les  montagnes  du  Latium.  Deja  pour  lu 
«  brulaient  les  Nymphes  des  fontaines,  les  Naiades  de  l'AIbula,  du 
«  Numicus,  de  T Anio,  de  i'Almo  qui  se  perd  a  une  faible  distance- 
«  de  sa  source,  du  Nar  aux  ondes  rapides,  du  Farfarus  aux  deli 
«  cieux  ombrages,  ainsi  que  celies  qui  habitent  ie  bois  consacre  a 
«  Diane  et  les  lacs  d^alentour.  Picus  dedaigna  leurs  vceux.  li  n'e- 
«  tait  sensible  qu  a  ceux  de  ia  Nymphe  jadis  enfantee,  dit-on,  par 
«  Venilie  sur  ie  mont  Palatin,  et  dont  Janus  au  double  front  fut 
« le  pere.  Des  qu'elie  fut  nubile,  elle  donna  sa  main  h  Picus,  pre- 

(juis  foret,  et  quare  sacra  coleretur  in  iede, 
Cur  lianc  ferret  avem  qujrrenli  et  scire  voleuti : 
«  Accipe,  ait,  Hacarcu;  dominxque  polentia  quss  sit 
«  llinc  quoquc  disce  meie.  Tu  dictis  adjice  menlem. 

«  Picus  in  au!>oniis,  proles  salurnia,  lerris  320 

«  llex  fuit,  ulilium  bello  studiosus  equorum. 
«  Forma  viro  quam  cernis  erat,  licet  ipse  dccorem 
«  Aspicias,  fictaque  probes  ab  imagine  vcram. 
«  Par  animus  formx,  nec  adiiuc  spectasse  per  anuos 
«  Quinquenncm  poterat  graia  quater  Elide  pugnam.         3'2^ 
«  llle  suos  Dryudas  latiis  in  monlibus  ortas 
«  Verterat  in  vullus.  lllum  fontaoa  petebant 
«  Numina,  Naiades,  quas  Albula,  quasque  Numici, 
«  Ouasquc  Anienis  aquaj,  cursuque  brevissimus  Almo, 
«  .Narque  tulit  praceps,  et-amcenx  Farfarus  umbro?,  550 

«  Quacque  colunt  scytliica3  regnum  nemorale  Dianic, 
«  Finitimosque  lacus.  Sprclis  tamen  omnibus  unam 
«  llle  fovet  Nymphen,  quam  quoudam  in  collc  lalati 
«  Dicitur  ancipiti  pcpcrissc  Yenilia  Jano. 
«  Ilxc,  ubi  nubilibus  primum  maturuit  annii»,  .V>.'> 

«  l'ra:pu?i(o  cuijclis  Laurenti  tradita  Pico  est. 


LIVRE  XIV,  D4*. 

a  Ur&  h  tous  ses  rivdux.  Ellc  etait  d'une  rare  beaute.  Mais  son 
<  talent  pour  le  chant,  plus  rare  encorcs  lui  fit  donncr  le  nom  de 
«  Canente.  Les  for^ts  et  les  rochers  etaient  ravis  de  ses  accenls 
«  Ils  charmaient  les  bStes  sauvages,  arr^taient  le  cours  des  fleuves 
c  et  suspendaient  le  vol  des  habitants  de  Tair. 

a  Sa  voix  modulait  de  suaves  accords  au  moment  ou  Picus,  sorti 
«  de  son  palais,  se  disposait  a  percer  de  ses  traits  les  sangliers  qui 
«  peuplent  les  champs  de  Laurente.  II  pressait  les  flancs  d  un 
cr  coursier  fougueux,  et  portait  dans  sa  main  gauche  deux  javelots. 
«  Une  agrafe  d'or  altachait  a  son^paule  une  chlamyde  de  pourpre. 
«  Le  hasard  avait  conduit  la  Olle  du  Soleil  dans  la  m^rae  foret. 
«  Eile  avait  quitte  les  campagnes  qui  ont  pris  son  nom  pour 
«  cueillir  de  nouvdles  herbes  sur  ces  collines  f^condes.  Gachee 
«  dans  les  broussailles,  elle  vit  le  jeune  chasseur  et  demeura  inter- 
«  dite.  De  ses  mains  tomberent  les  plantes  qu'elle  avait  cueillies, 
«  et  un  feu  rapide  circula  dans  ses  veines.  D^  qu'elle  fut  revenue 
«  de  son  trouble  soudain,  elle  voulut  faire  Taveu  de  sa  flamme ; 
«  mais  la  vitesse  du  coursier  de  Picus  et  ses  gardes  rempSchSrent 
«  d'arriver  jusqu'a  lui.  —  Quand  m^me  tu  serais  emporte  par  les 
«  vents,  s'ecria-t-el!e,  tu  ne  m'echapperas  pas,  si  je  me  connais 

«  Rara  quidem  facie,  sed  rarior  arte  canendi. 

«  Unde  Canens  dicta  est.  Silvas  et  saxa  movere, 

«  Et  mulcere  feras,  et  flumina  longa  morari 

ff  Ore  suo,  volucresque  vagas  retinere  solcbai.  346 

«  Quae  dum  feminea  modulatur  carmina  voce, 
«  Eiierat  tecto  laurentes  Picus  in  agros, 
«  Indigenas  fi&urus  apros,  tergumque  premebat 
«  Acris  equi,  laevaque  hastilia  bina  ferebat, 
<  Puniceam  fulvo  chlamydem  contractus  ab  auro.  345 

«  Venerat  in  silvas  et  filia  Solis  easdem, 
«  Utque  novas  legeret  fecundis  coUibus  herbas, 
«  Nomine  dicta  suo,  circsa  reliquerat  arva. 
«  Quae  simul  ac  juvenem,  virgultis  abdita,  vidit, 
«  Obstupuit.  Cecldere  manu,  quas  legerat,  herbse,  350 

«  Flammaque  per  totas  visa  est  errare  meduUas. 
«  Ut  primum  valido  mentem  collegit  ab  sstu, 
•  Quid  cuperet,  fassura  fuit.  Ne  posset  adire, 
«  Cursus  equi  fecit,  circumfusnsque  satelles. 
«  —  Non  tamen  effugies,  Tento  rapiare  licehit,  355 

«  Si  modo  me  novi,  si  noo  evanait  omai« 


546  MfiTAMORPIIOSES. 

«  bien,  si  la  vertu  des  planles  n'est  pas  evanouie,  et  si  mes  en  • 
«  chantements  ne  m'abusent  point.  —  A  ces  mots,  la  deesse  fa  - 
«  brique  un  fantdme  de  sanglier  qu*elle  pousse  rapidement  sous 
«  les  yeux  du  roi,  et  qui  semble  s'enfoncer  dans  Tepaisse  foret,  k 
«  Tendroit  ou  les  arbres,  plus  serr6s,  ne  laissent  aucun  passage  au 
«  coursier.  Dupe  de  cette  illusion,  Picus  poursuit  rombre  d'une 
6  proie.  II  quitte  soudain  son  coursier  fumant.  Entrain^  par  um 
«  esperance  vaine,  11  erre  k  pied  au  fond  de  la  forSt. 

«  Girc^  commence  ses  formules  et  prof^re  des  paroles  magiques. 
«  Elie  invoque  de  myst^rieuses  divinites  par  ces  chants  etranges 
«  qui  souvent  obscurcirent  Teclat  de  la  Lune  et  couvrirent  de 
(I  nuages  le  front  du  Soleil.  Alors  aussi,  aux  accents  qu^elle  fait 
«  enlendre,  un  voile  s'etend  sur  le  cid  et  des  vapeurs  s'exhalent 
«  de  la  terre.  L'escorte  du  roi  s'egare  dans  de  sombres  chemins, 
«  et  sa  garde  est  deja  loin  de  lui.  La  deesse  profite  du  lieu  et  du 
«  moment.  -—  Par  tes  yeux  qui  m'ont.  seduite,  dit-elle,  par  ces 
«  charmes  qui  forcent  une  d^sse  a  tomber  a  tes  pieds,  6  toi  leplus 
«  beau  desmortels !  sois  touch^  de  ma  flamme.  Accepte  pour  beau- 
«  pere  le  Soleil  dont  les  regards  embrassent  Tunivers.  Ne  de- 


«  Herbarum  virtus;  ncc  me  mea  carmina  fallunt. 

«  —  Dixit,  et  efllgiem,  nuUo  cum  corpore,  falsi 

«  Finxit  apri,  prajterque  oculos  transcuv.rore    regi.') 

«  Jussit,  et  in  densum  trabibus  nemus  ire  videri,  r>H() 

«  Plurima  qua  silva  est,  et  equo  loca  pervia  non  sunt. 

«  Haud  mora,  conlinuo  prjedaj  petit  inscius  umbram 

«  Picus,  equique  celer  fumantia  lerga  relinquit, 

«  Spemquo  sequens  vanam,  silva  pedes  errat  in  aita. 

«  Concipit  illa  preces,  et  verba  venefica  dicit,  r»t>;i 

«  Ignotosque  deos  ignoto  carmine  adorat, 
«  Quo  solet  et  niveae  vultum  confundere  luna?, 
«  Et  patrio  capiti  bibulas  subtexere  nubes. 
«  Tunc  quoque  cantato  densatur  carmine  cceium, 
«  Kt  nebulas  exhalat  humus,  caecisquc  vagantur  r>70 

K  Limitibus  comites,  et  abest  custodia  regi. 
«  Nacta  locum  tempusque  :  —  Per  o  lua  lumina,  dixil, 
«  Quaj  mea  ceperunt,  perque  hanc,  pulcherrime,  forniam, 
«  Quie  facit  ut  supplex  tibi  sim,  dea,  consule  nostris 
«  Ifrnihus,  et  socerum,  qui  pervidet  omnia  Solem  Tu,* 

9  Accipc,  nec  durus  titanida  despice  Circen. 


LIVRE  XIV.  547 

«  daigne  pas  sa  fille.  •—  Elle  dit.  Mais  Picus  repousse  fiSrement 
«  Circe  et  ses  pri^res.  —  Qui  que  tu  sois,  repond-il,  je  ne  puis 
«  fappartenir.  Une  autre  ine  possede ;  et  puisse-t-elle  longtemps 
«  me  posseder !  Je  ne  profanerai  jamais  mon  amour  par  des  feux 
<c  illegitimes,  tant  que  les  Destins  me  conserveront  la  Olle  de 
«  Janus.  —  Circ6  insiste  encore.  —  Ton  dedain  ne  restera  pas 
«  impuni,  s'ecrie-t-elle ;  tu  es  perdu  pour  Canente.  Tu  sauras  ce 
«  que  peut  une  amante,  une  femme  outragee,  quand  cette  amante, 
((  quand  cette  femme  outragee  est  Circe.  —  En  achevant  ces  mots, 
«  elie  se  tourne  deux  fois  vers  roccident  et  deux  fois  vers  rorient. 
«  De  sa  baguette  elle  touche  trois  fois  le  jeune  prince,  et  profere 
«  trois  fois  des  paroles  magiques.  11  fuit.  £tonne  de  sa  vitesse 
«  extraordinaire,  il  s'aper^oit  qu'il  a  des  ailes.  Nouvel  oiseau,  il 
«  vole  aussitdt  vers-les  for^ts  du  Latium.  Dans  son  indignation,  ii 
«  perce  les  ch^nes  de  son  bec,  et  sa  colere  s'exerce  conti^e  leurs 
«  rameaux.  Lapourpre  de  sa  chlamyde  se  reproduit  sur  ses  ailes; 
«  Tor  de  son  ancienne  agrafe  rehausse  d'un  vif  eclatsonplumage 
tf  et  son  cou.  De  Fantique  Picus  ii  ne  resle  plus  que  son  nom. 
<  Cependant  ses  amis  le  redemandent  aux  campagnes  par  mille 

«  Dixcrat.  llle  ferox  ipsamque  precesque  repellit, 
R  Et:  -^  Quiccumque  es,  ait,  aon  sum  tuus.  Altera  captum 
«  Me  tenet,  et  teneat  per  longum,  comprecor,  oevum. 
«  Nec  venere  externa  socialia  foedera  laedam,  580 

«  Dum  mihi  janigenam  servabunt  fata  Canentem.  — 
«  SaBpe  relentatis  precjbus  Titania  frustra : 
«  — Non  impune  feres;  neque  enim  reddere  Canenti; 
«  Lscsaque  quid  faciat,  quid  amans,  quid  femina,  disces 
«  Ilcbus,  ait;  sed  amans,  et  liesa,  ct  femina  Circe.—       3H5 
«  Tum  bis  ad  occasum,  bis  se  convertit  ad  orlum; 
'<  Ter  juvenem  baculo  tetigit;  tria  carmina  dixit. 
«  Ille  fugit,  sese  solito  velocius  ipse 
«  Currere  miratus,  pennas  in  corpore  vidit; 
«  Seque  novam  subito  laliis  accedere  silvis  390 

«  Indignatus  avem,  duro  fera  robora  rostro 
ft  Figit,  et  iratus  longis  dat  vulnera  raifiis. 
«  Purpureum  chlamydis  pennsB  traxere  colorem; 
«  Fibula  quod  fuerat,  vestemque  momorderat  :urum, 
«  Pluma  fit,  et  fulvo  cervix  praecingitur  auro,  395 

«  Nec  quidquam  antiqui  Pico,  nisi  nomina,  re^tat. 
c  Interea  comites  clamr'«  o  s»pe  per  agros 


548  METAMORPHOSES. 

«  cris.  Us  ne  le  trouvenl  nuUe  part ;  mais  ils  renconlrenl  Circe. 
«  Car  elle  avait  enfin  eclairci  les  airs  et  permis  aux  vents  et  au 
«  soleil  de  dissiper  les  nuages.  Ils  raccablent  de  justes  reproches 
«  et  r6clament  leur  roi ;  ils  recourent  a  la  violence,  et,  dans  leur 
«  fureur,  s'apprMent  a  la  frapper  de  leurs  annes.  Circe  repand  ses 
«  sucs  funestes  et  ses  poisons  mortels.  Du  fond  de  rfirebe  et  du 
«  Chaos  elle  appelle  la  Nuit  avec  tous  les  dieux  de  la  Nuit,  et  in- 
«  voque  H^cate  par  de  longs  hurlements.  0  prodige!  la  for^t 
«  change  de  place;  la  terre  gemit,  les  arbres  voisins  p&lissent,  le 
«  gazon  distille  des  gouttes  de  sang;  les  rochers  semblent  mugir, 
«  les  chiens  aboyer,  d^affreux  repiilc?  souiller  le  sol,  etles  ombres 
«  des  morts  voltiger  dans  les  airs.  Les  sold^ts  epouvanles  fre- 
«  missent.  La  deesse  frappe  de  sa  baguette  magique  leurs  tetes 
«  ^tonnees.  Son  contact  m^tamorphose  les  compagnons  de  Picus 
«  en  diverses  bfites  sauvages,  sans  laisser  le  moindre  vestige  de 
« leur' premiere  forme. 

«  Le  soleil,  a  Toccident,  touchait  au  rivage  de  Tartesse.  Canente 
«  appelait  son  epoux  en  vain.  Son  coeur  et  ses  yeux  le  cherchaient 
«  partout.  Ses  esclaves  et  le  peuple  parcourent  avec  des  forches 

«  Nequicquam  Pico,  nullaque  in  parte  reperlo, 

«  Inveniunt  Circen.  Nam  jam  tenuaverat  anras, 

«  Passaque  erat  nebulas  ventis  ac  sole  resolvi.  iOO 

«  Criminibusque  premunt  veris,  regemque  roposcunl, 

«  Vimque  ferunt,  saevisque  parant  incessere  telis. 

«  lllanocens  spargit  virus,  succosque  veneni; 

«  Et  noctem,  Noctisque  deos  Ereboque  Chaoque 

«  Convocat,  et  longis  Hecaten  ululatibus  orat.  40j 

«  Exsiluere  loco  (dictu  mirabile)  silvae ; 

«  Ingemuitque  solum,  vicinaque  paliuit  arbos; 

«  Sparsaque  sanguineis  maduerunt  pabula  gulti:>; 

«  Et  lapides  visi  mugitus  edere  raucos, 

«  Et  latrare  canes,  et  humus  serpentibus  atris  410 

«  Squalere,  et  tenues  animne  volitare  silentum. 

n  Attonitum  monstri  vulgus  pavet.  lUa  paventum 

«  Ora  venenata  letigit  miranlia  virga. 

«  Cujus  ab  attactu  variarum  monstra  ferarum 

«  In  juVenes  veuiunl :  nuUi  sua  mansit  imago.  41,"» 

«  Presserat  occiduus  tartessia  litlora  PhoBbus, 
«  Et  fruslra  conjux  oculis  animoque  Canentis 
«  rixspectatus  erat.  Famuli  populusque  per  omncs 


LIVRE  XIV.  540 

f  tous  les  recoins  de  la  for^t.  Cetait  peu  pour  la  Nymphe  de  r^ 
ff  pandre  des  larmes,  d'arracher  ses  cheveux,  de  pousser  des  ge- 
ff  missements.  Outre  ces  temoignages  de  sa  douleur,  elle  sortit  de 
ff  son  palais  eperdue,  et  erra  dans  les  champs  du  Latium.  Durant 
«  six  jours  et  six  nuits  elle  s'abstint  de  sommeil  et  de  nourri- 
«  ture,  egarant  ses  pas  sur  les  collines  et  dans  les  vallons.  Le  Tibre 
ff  la  vit  enfm  tomber  de  douleur  et  de  fatigue  sur  ses  verdoyantes 
«  rives.  La,  baignee  de  larmes,  d'une  voix  afTaiblie  elle  modulait 
«  des  chants  lugubres,  comme  le  cygne  prelude  a  sa  mort  par  de 
«  fun^bres  accents.  Le  chagrin  tarit  en  elle  les  sources  de  la  vie ; 

<  elle  se  dessecha  insensiblement  et  s'^vanouit  dans  les  airs.  Mais 
H  la  renomm^  a  consscre  le  th^Mre  de  son  malheur.  Les  anciens 

<  habitants  de  ce  lieu,  pour  immortaliser  le  nom  de  la  Nymphe, 
«  Tont  appele  Canente. »  Pendant  une  annee  entiere  j'ai  appris  ou 
vu  beaucoup  de  semblables  merveilles.  Engourdis  par  rinaclion, 
nous  avions  oublie  la  mer,  lorsque  nous  regumes  Tordre  de  raf- 
fronter  de  nouveau  et  de  mettre  a  la  voile.  La  fiUe  du  Soleil  nous 
avait  annonce  quMl  nous  restait  encore  des  traversees  incertaines, 
de  longues  courses  et  des  dangers  a  subir  sur  les  flots  en  courroux. 


«  Discurrunt  silvas,  atque  obvia  lumina  porlanl. 

«  Nec  satis  est  Nymphae  flere,  et  lacerarc  capillos,  4S^ 

«  Et  dare  plangorem  (facit  baec  tamen  oiiinia);  sese 

«  Proripit,  ac  latios  errat  vesana  per  agros. 

«  Sex  illam  noctes,  totidem  redeuntia  solis 

«  Lumina  viderunt  inopem  somnique  cibiquc, 

«  Per  juga,  per  valles,  qua  fors  ducebat,  euntem.  423 

«  Ullimus  aspexit  fessam  luctuque  viaque 

«  Tibris,  et  in  gelida  ponentem  corpora  ripa. 

c  Ulic  cum  lacrymis  ipso  modulata  dolore 

«  Verba,  sono  tenui  moerens,  fundebat,  ut  olim 

«  Carmina  jam  moriens  canit  exsequialia  cycnus.  430 

«  Luctibus  extremum  tcnucs  liquefacta  medullas 

«  Tabuit,  inque  leves  paulatim  evanuit  auras. 

«  Fama  tamen  signata  loco  est,  quem  rite  Canentem 

c  Nomine  de  Nymphrc  veleres  dixere  coloni.  » 

Talia  multa  mibi  longum  narrata  per  annum,  435 

Visaque  sunt.  Resides  et  desuetudine  tardi 

Rursus  inire  fretum,  rursus  dare  vela  jubemur; 

Ancipitesque  vias,  et  iter  Titania  vastum 

Dixeral,  et  saivi  reslarc  pericula  ponfi. 


550  METAMORPHOSES. 

La  crainte  me  saisit,  je  ravoue,  et,  descendu  sur  cette  terre,  je 
m'y  suis  attach^.  » 

GOMPAGNONS   DE   DIOm£:DE   CHANG£s   EN  OISEAUX. 

IV.  Lorsque  Macaree  eut  cesse  de  parler,  on  enferma  la  depouille 
de  la  qourrice  d'fin^  dans  une  urne  de  marbre  avec  cette  courle 
epitaphe  sur  son  tombeau : 

D'£nce  envers  sa  nourrice  Caiele 
Admire  ici  le  pieux  devouement : 
'  II  roe  sauva  des  Grecs,  et  par  cc  monumcnt 
De  sa  reconnaissance  il  acquitta  la  dette. 

Les  Troyens  d^tacherent  le  cable  qui  retenait  leur  navire,  et, 
laissant  loin  d'eux  les  artifices  et  le  palais  de  Tinfi^me  deesse, 
ils  se  dirig^rent  vers  le  bois  qui  ombrage  le  Tibre  avant  qu'il 
porte  a  la  mer  ses  ondes  limoneuses.  Re^u  sous  le  toit  de  La- 
tinus,  fils  de  Faune,  finee  obtint  la  main  de  sa  fille  par  une 
lutte  terrible.  Un  peuple  belliqueux  lui  fit  la  guerre,  et  Turnus, 
furieux,  reclama  Tepouse  qu'on  lui  avait  promise.  La  Toscane 
inonda  le  Latium,  et  Ton  se  disputa  longtemps  la  victoire.  Cha- 
que  armee  s'accrut  de  forces  etrangeres.  La  cause  des  Rutules 
et  celle  des  Troyens  eut  de  nombreux  defenseurs.  Enee  ne  se 

Pertimui,  fateor,  nactusque  lioc  littus  adliajsi.  »  440 

mOMEDIS   SOCII   IN   AVES   MUTANTUR. 

IV.    Finierat  Macareus,  urnaque  ajneia  nutrix 

Condita  marmorea,  tumulo  brcvc  carmen  habebal: 

Hic  me  Caieten  notse  pietatis  alumnus 

Argolico  ereptam  qiio  dehuil  igne  cremavit. 

Solvitur  herboso  religatus  ab  aggore  funis,  Tii;» 

Et  procul  insidias,  infamataeque  relinquunt 

Tecla  deaB,  hicosque  pelunt,  ubi  nubilus  umbra 

In  mare  cum  flava  prorumpit  Tibris  arena, 

Faunigenaequc  domo  potilur  nataque  Latini, 

.\on  sine  marle  tamen.  Bellum  cum  genle  feroci  VM) 

Siiscipitur,  pactaque  furit  pro  conjugc  Turnus. 

Concurrit  Latio  Tyrrhenia  tota,  diuque 

Ardua  sollicitis  victoria  quaeritur  armis. 

Auget  uterque  suas  externo  robore  vires, 

Et  multi  Rutulo-i,  multi  irojana  tnenlur  i:,:i 


LIVRE  XIV.  651 

rendit  pas  vaineihent  au  palais  d'£vandre.  Mais  V^nulus  ^oua 
aupr^s  du  redoutable  Diom^de,  qui,  depuis  son  alliance  avec  le 
.roi  de  riapygie,  avait  eleve  de  superbes  remparts  dans  les  terres 
que  sDn  epouse  eut  pour  dot. 

Lorsque  V^nulus,  charg^  de  ce  message,  demanda  des  secours 
au  lieros  de  Tfitolie,  celui-ci  s'excusa,  en  alleguant  qu'il  ne  vou- 
lait  i>oint  exposer  aux  hasards  des  combats  les  sujets  de  son 
beau-pere,  et  que  ses  compagnons  ^taient  en  trop  petit  nombre 
pour  leur  faire  prendre  les  armes.  «  Ne  croyez  pas,  dit-il,  que  ce 
soit  un  vain  pretexte.  Quoique  de  tristes  souvenirs  me  penetrent 
d'une  douleur  amere,  j'aurai  la  force  de  les  rappeler.  La  fiere 
Pergame  avait  p^ri  et  Troie  s'6tait  abimee  dans  rincendie  allum^ 
par  lesGrecs.  Ajax,  coupabIed'avoir  arrach^  une  vierge  du  temple 
de  Minerve,  altira  sur  les  Grecs  la  peine  que  seul  il  avait  meritee. 
Dispers^,  emport^  par  les  vents  sur  des  mers  ennemies,  nous 
eAmes  a  lutter  contre  la  foudre,  les  ten^bres,  la  pluie,  et  tout  le 
courroux  du  del  et  de  la  mer.  Gapharee  mit  le  comble  a  notre 
d^stre.  Je  ne  m^arr^terai  pas  a  d^crire  la  iongue  suite  de  mes 
deplorables  aventures.  La  Grece  alors  put  parailre  digne  de  pitie, 
mtoe  a  Priam.  Gependant  i'appui  de  Pallas  me  sauva  des  flots. 

Castra.  Neque  ^neas  Evandri  ad  limina  frustra, 
At  Venulus  frustra  magni  Diomedis  ad  urbem 
Venerat.  lUe  quidem  sub  lapyge  maxima  Dauno 
Moenia  condiderat,  dotaliaque  arva  tensbat. 

Sed  Venulus  Turni  postquam  mandala  peregit,  460 

Auxiliumque  petit,  vires  ffitolius  heros 
Excusat,  nec  se  soceri  committere  pugnse 
Velle  sui  populos,  nec,  quos  e  gente  suorum 
Armel,  habere  viros  :  «  Neve  hac  commenta  putetis. 
Admonitu  quanquam  luctus  renovantur  amaro,  465 

Perpetiar  memorare  tamen.  Postquam  alta  cremata  est 
liion,  et  danaas  paverunt  Pergama  flammas, 
Maryciusque  heros,  a  virgine  virgine  rapta, 
Quam  meruit  solus  pcenam  digessit  in  omnes, 
Spargimur,  et  ventis  inimica  per  aequora  rapti,  470 

Fulmiua,  noctem,  imbres,  iram  ccelique  rjarisque 
Perpetimur  Danai,  cumulumque  Capharea  cladis. 
Neve  morer  referens  tristes  ex  ordine  casus, 
Graecia  tum  potuit  Priamo  quoque  flenda  videri. 
Me  lamen  armiferse  servatum  oura  Minervn  475 


552  MfiTAMORPHOSES. 

Mais  un  nouvel  exil  m'eloigna  d'Argos,  ma  patrie.  Irril^e  d  une 
ancienne  blessure,  Venus  s'en  vengea  cruellement.  J'essuyai  tant 
de  maux  sur  raer  et  sur  terre,  que  j'enviai  souvent  le  bonheur  de . 
mes  amis  entraines  au  fond  des  abimes  par  la  tempfete  ou  par  le 
redoutable  Capharee,  et  que  je  regrettai  de  n'avoir  point  peri  avec 
eux.  Mes  compagnons,  epuises  par  les  fatigues  de  la  guerre  et  des 
flots,  perdirent  courage  et  demanderent  le  terme  de  leur  travers^. 
Le  bouillant  Acmon,  aigri  par  nos  revers,  s'ecria  :  «  Gompagnons, 
«  que  reste-t-il  maintenant  qui  puisse  6tonner  votre  courage?  Quels 
«  coups  V^nus  peut-elle  tenir  en  reserve,  si  toutefois  elle  songe  a 
«  nous  frapper?  La  crainte  d'un  surcroit  de  maux  n'exclut  pas 
«  Tesperance.  Mais,  au  comble  de  Tadversite,  on  foule  aux  pieds 
«  la  crainte,  et  la  securite  nait  de  Texces  du  malheur.  Qu'iraporle 
«  que  Venus  m'entende  et  qu'elle  poursuive  de  son  ressenliment 
«  tous  les  amis  de  Diomede?  Nous  le  meprisons,  et  nous  pouvons, 
«  sans  beaucoup  d'efforts,  parvenir  a  une  grande  puissance!  » 

«  Ces  paroles  d'Acmon  raniraent  le  courroux  de  Venus  et  res- 
suscitent  sa  vieille  haine.  EUes  sont  a  peirie  applaudies  par  quel- 
qnes  Grecs.  Le  plus  grand  nombre  les  condamne.  II  allait  parler 

Fluclibus  eripuit.  Patriis  sed  rursus  ab  Argis 

Pellor,  et  antiquo  meraores  de  vulacre  poenas 

Exigit  alma  Venus.  Tantosque  per  alta  labores 

iEquora  sustinui,  tantos  terrestribus  armis, 

Ut  mihi  feliccs  sint  illi  ssepe  vocati,  4S0 

Quos  communis  hiems,  importunusque  Capharcus 

Mersit  aquis,  vellemque  horum  pars  una  fuissem. 

Ultima  jam  passi  comites  belloque  fretoque, 

Deficiunt,  fmemque  rogant  erroris.  At  Acmon 

Fervidus  ingcnio,  tura  vero  et  cladibus  asper :  4So 

«  Quid  superest,  quod  jam  palientia  vestra  recuset 

«  Ferre,  viri?  dixit.  Quid  habet  Cytherea,  quod  ultra 

«  (Velle  puta)  faciat?  Nam  dum  pejora  timentur, 

«  Ei>t  in  vota  locus.  Sors  autem  ubi  pessima  rerum, 

«  Sub  pedibus  timor  est,  sccuraquc  summa  malorum.      i90 

«  Audiat  ipsa,  licet;  licet,  ut  facit,  oderit  omnes 

«  Sub  Diomede  viros.  Odium  tamen  illius  omnes 

«  Spernimus,  et  parvo  stat  magna  potentia  nobis.  » 

«  Talibus  invitam  Venerem  Pleuronius  Acmon 
Instimulat  verbis,  vetcremque  resuscitat  iram.  IMLi 

Dicla  placent  paucis;  numeri  majoris  amici 


LIVRE  XIV.  553 

encore;  mais  sa\oix  diminue  et  son  gosier  se  resserre.  Sa  clie< 
velure  se  change  en  un  plumage  qui  couvre  son  cou,  son  sein  et 
son  dos;  sur  ses  bras  replies  naissent  des  ailes ;  des  doigts  rem- 
placent  ses  pieds,  et  sa  bouclie  s*allonge  en  un  bec  dur  et  pointu. 
A  la  vue  de  cette  m^tamorphose,  Lycus,  Idas,  Nyct^e,  Rethenor  et 
Abas  restent  immobiles  d'etonnement.  Mais,  au  milieu  de  leur 
surprise,  ils  subissent  le  mtoe  changement.  La  plupart  de  nies 
compagnons,  egalement  transform^s  en  oiseaux,  voltigent  et  frap- 
pentlesramcs  de  leurs  ailes.  Si  vous  me  demandez  quels  etaient 
.  ces  oiseaux  cr^^s  soudain,  ce  n'etaient  pas  des  cygnes,  mais  ils  en 
avaient  la  blancheur.  A  peine  arrive  dans  ces  contrees  et  devenu 
le  gendre  de  Daunus,  j'ai  regu  de  lui  les  arides  campagnes  dc 
riapygie ;  mais  je  ne  les  habite  qu'avec  un  faible  rieste  de  mes 
compagnons.  i* 

PATRE   d'aPDL1E    TRANSFORMB   EN   OLIVIER   SADVAGR. 

V.  La  finit  le  recit  de  DiomMe.  Venulus  quitta  le  royaume  de 
Calydon,  le  pays  des  Peucetiens .  et  les  chartips  de  la  Bfessapie. 
11  y  vit  des  grotlcs  couvertes  d'epais  ombrages  et  d'ou  Vom 


Acmona  corripimus.  Cui  respondere  paranti 

Vox  pariter,  vocisque  via  est  tenuata,  coma^que 

In  plumas  abeunt,  plumis  nova  colia  teguntur, 

Pectoraque,  et  tergum;  majores  brachia  pennas  500 

Accipiunt,  cubilique  leves  sinuantur  in  alas; 

Magna  pedum  digitos  pars  occupal;  oraque  cornu 

Indurata  rigent,  finemque  in  acumine  ponunt. 

Hunc  Lycus,  hunc  Idas,  et  cum  Rethenore  Nyctius, 

Hunc  miratur  Abas,  ct,  dum  mirantur,  eamdem  •'iOi'» 

Accipiunt  faciem,  numerusque  ex  agmine  major 

Subvolat,  et  remos  plausis  circumsonat  alis. 

Si  volucrum  qusB  sit  subitarum  forma  requiris, 

Ut  non  cycnorum,  sic  albis  proxima  cycnis. 

Vix  equidem  has  sedes,  et  lapygis  arida  Dauni  ^IO 

Arva  gener  teneo  minima  cum  parte  meorum.  » 

PASTOR  APULIiE   IN   OLEASTRDM   VERTITUR. 


V.    Hactenus  (Enides.  Venulus  calydonia  regna, 
Peucetiosque  sinus,  messapiaque  arva  relinquiU 
In  quihus  nntra  vidct,  qu»  multa  nubiia  silva. 


55i  U^TAMORPHOSES. 

distillait  goutte  a  goutte.  EUes  etaient  la  demeure  de  Pan,  aprb 
a?oir  ^t^  jadis  celle  des  Nymphes.  Un  berg^  d'Apulie  les  ayaot 
epouvanl^es,  elles  prirent  la  fuite.  Quand  elles  furent  revenues  de 
leur  frayeur  soudaine,  elles  m^pris^nt  les  poursuites  du  pfttre 
et  se  mirent  k  danser.  II  se  moqua  de  leurs  pas,  et,  les  contre&i- 
sant  par  des  sauts  rustiques,  il  joignit  de  grossiers  outrages  a  des 
paroles  obsc^nes,  et  ne  se  tut  qu'au  moment  ou  rdoorce  d'un  arbre 
enyeloppa  sa  gorge.  Metamorphose  en  olivier  sauvage,  il  atteste  par 
ses  fruits  la  nature  de  son  caraclere :  leur  amertume  expnme 
celle  de  ses  discours  et  en  reproduit  l'dpret6. 

TAISSBAUX  d'en£e   GHANG£s  EM  NniPHBS. 

VI.  Les  deput^s,  a  leur  retour,  annonc^rent  lereius  de  Diom^e. 
Les  Rutules,  quoique  priv^s  de  son  appui,  affrontent  les  hasards 
de  la  guerre,  et  des  ilots  de  sang  coulent  de  toutes  parts.  Tunios 
embrase  les  vaisseaux  troyens  :  ceux  que  Tonde  a  ^pargu^  crai- 
gnent  Tincendie.  II  d^vore  la  poix,  la  cire  et  toutes  les  malieres 
capables  de  ralimenter.  Du  mdt  il  monte  jusqu*aux  Toiles,  et  les 


Et  levibus  guttis  manantia,  semicapcr  Pan  515 

Nunc  teaet;  at  quodam  tenuerunt  tonrjpore  Nymphae. 

Appulus  has  illa  pastor  regione  fugatas 

Terruit.,  ct  primo  subita  formidine  movit. 

Mox,  ubi  mens  rediit,  et  contempsere  sequcntem, 

Ad  numerum  motis  pcdibus  duxere  choreas.  520 

Improbnt  has  pastor,  saltuque  imitatus  agresti 

Addidit  obscenis  convicia  rustica  dictis, 

Nec  prius  obticuit,  quam  gultura  condidit  arbor. 

Arbor  enim  est,  succoque  licet  cognoscere  mores; 

Quippe  notam  lingux  baccis  oleaster  amaris  525 

Exhibet :  asperitas  verbonim  cessit  ib  illas. 

MSEJE   NAVES   NTMPHiE  FIUNT. 

VI.    Hinc  ubi  legati  rediere,  negata  ferentes 
Arma  o^lola  silii,  Rululi  sine  viribus  iUis 
Bella  instructa  gerunt;  multumque  ab  utraque  cruoris 
Parte  dalur.  Fert  ecce  avidas  in  pinea  Ttirnus  530 

Texta  faces,  ignesque  timent,  quibus  unda  |«5percit. 
Jamque  picem  et  oeras,  aliraenlaque  cwtera  flamrns 
Mulciber  urebat,  p.>rque  altum  ad  carbasa  malum 


l 


LIVRE  XIV.  555 

bancs  des  ranieurs  vomissent  des  tourbillons  de  fumee.  l'auguste 
m^re  des  dieux  se  souvient  alors  qu'ils  ont  et6  construits  avec  des 
pins  de  llda.  L'air  retentit  du  bruit  aigu  des  cymbales  d^airain  et 
des  sons  de  la  trompette.  La  d4esse  s'^lance  sur  son  diar  traine  par 
deslions  dociles  au  frein,  et  s'toie :  c  Ton  bras  sacril^e,  Turnus, 
propage  en  vain  rincendie.  Je  d^roberai  cetteflotte  a  ta  fureur,  et 
je  ne  souffrirai  pas  que  le  feu  eonsume  ces  vaisseaux  sortis  des  bois 
qui  me  sont  consacres. »  A  ces  mots,  la  foudre  gronde  et  la  gr^le 
bondit  avec  des  torrents  de  pluie.  Les  vents  troublent  les  airs  et 
bouleversent  les  flots  dans  leurs  luttes  terribles.  La  bienfaisante 
Cyb^le  n'a  recours  qu'a  un  seul  de  ces  agents.pour  briser  les  cables 
qui  retiennent  les  vaisseaux  troyens.  Elle  les  entralne  et  les  en- 
gloutit  au  fond  des  abimes.  Soudain  leur  bois  s'amollit  et  revM  la 
forme  bumaine ;  les  poupes  se  changent  en  t^tes,  les  rames  en 
doigts  et  en  jambes  qui  sillonnent  les  ondes ;  les  flancs  restent  ce 
qulls  etaient;  la  carene,  plongee  dans  la  mer,  devient  repine  du 
dos;  les  cordages  se  transforment  en  cheveux  flexibles,  et  lesan- 
tennes  en  bras  :  leid^  couleur  d'azur  nesubit  point  de  m^tamor- 

Ibat,  et  incurvae  Aunabant  transtra  carinae, 
Quum  memor  has  pinus  idaeo  vcrtice  caesas  U35 

Sancta  deum  genitrix,  tinnitibus  aera  pulsi 
JEns,  et  inflati  complevit  murmure  buxi, 
Pcrque  leves  domitis  invecta  leonibus  auras  : 
«  Irrita  sacrilega  jactas  inccndia  dextra, 
Turue,  ait.  Eripiam,  nec  me  patiente  cremabit  54<) 

Ignis  edax  nemorum  partes  et  membra  meorum.  » 
Intonuit,  dicenle  dea,  tonitrumque  secuti, 
Cum  saliente  graves  ceciderunt  grandine  nimbi , 
Aeraque,  et  subilis  tumidum  concursibus  sequor 
Astrsei  turbant  et  eunt  in  prselia  fratres.  .'ii.T 

E  quibus  alma  parens  unius  viribus  usa, 
Sluppea  pra^rumpit  phrygiae  retinacula  classis, 
Fertque  rates  pronas,  medioque  sub  xquorc  mcrgit. 
Robore  mollito,  lignoque  in  corpora  verso, 
In  capilum  faciem  puppcs  mutantur  aduncse;  550 

In  digilos  abeunt  ct  crura  natantia  renii ; 
Quodque  prius  fucral,  lalus  est;  mcdiisque  carina 
Subdita  navi^ii!!i,  spinae  mutatur  iii  u<runi : 
'Lina  couiSR  inoIie!>,  antrnmc  brachia  n':ri(: 
Cxrulus,  ut  fuerat,  color  esl;  qua^qu*'  ante  tmicbant,       555 


556  MfiTAMORPHOSES. 

phose.  De  jeunes  Nereides  se  jouent  au  sein  des  m^mes  eaux 
qu'elles  redoutaient  naguere.  Nees  sur  d'Apres  montagnes,  elles 
habitent  les  flots  mouvants :  leur  origine  ne  leur  arrache  aucun 
regret.  Gependant  les  nombreux  dangers  qu'elles  ont  couru  sur  la 
mer  ne  s^ffacent  point  de  leur  memoire.  Souvent  elles  secoureot 
les  navlres  battus  par  la  temp^te,  excepte  ceux  des  Grecs  :  le 
souvenir  des  malheurs  de  Troie  les  leur  rend  odieux  a  jaraais. 
Elles  virent  d'un  oeil  satisfait  les  debris  du  vaisseau  dTlysse; 
elles  virent  avec  une  egale  joie  celui  qull  regut  d*Alcinous  de* 
venir  immobile  et  prendre  la  forme  d'un  rocher, 

OISEAU   ME   DES   CENDRES   DE   LA   VILLE   d'aRD£E. 

Vn.  Les  vaisseaux  etaient  devenus  des  Nymphes.  On  pouvail 
esperer  quVffraye  de  ce  prodige,  le  roi  des  Rutules  renoncerait 
a  la  guerre.  Mais  il  persista.  Chaque  parti  avait  des  dieux  pro- 
pices,  et,  ce  qui  equivaut  aux  dieux,  un  courage  intrepide.  Ce 
n'6tait  plus  un  royaume  pour  dot,  ni  le  sceptre  d'un  beau- 
pere,  ni  toi-m6me,  Lavinie,  quMIs  convoitaient ;  c'etait  la  victoire. 
La  lionte  de  poser  les  armes  prolongeait  les  combats.  Venus  vit 
enfm  triompher  celles  de  son  fils.  Turnus  succomba,  et  avec  lui 

l.las  viryineis  exercent  lusibus  undas 

K.iidcs  ajquoreae;  durisque  in  monlibus  ortae 

Molle  fretum  celebrant;  nec  eas  sua  tangit  origo, 

Non  lamen  oblitae,  quara  multa  pcricula  sajvo 

Pertulerint  pelago,  jactatis  saepe  carinis  ItiM) 

Supposuore  maniis,  nisi  si  qua  vehebat  Achivos. 

Cladis  adbuc  phrygia}  memores,  odere  Pelasgos; 

Neriliajque  ratis  viderunt  fragmina  laitis 

Vultibus,  et  la,'ta8  videre  rigescere  puppim 

Cautibus  Aicinoi,  saxumquc  increscere  ligno.  .*UJfi 

EX   CINERIBUS    URBIS   XHDEJE   OPITUR  AVIS. 

VII.    Spes  crat,  in  Nymphas  animata  classe  marinas, 
Posse  metu  monstri  Rutulum  desistere  bello. 
Perstat;  habctque  deos  pars  utraque,  quodquc  deorum 
Instar,  habent  animos.  Nec  jam  dotalia  regna, 
Ncc  soceri  sceptrum,  nec  te,  Lavinia  virpo,  .*»T0 

Sed  vicisse  petunt,  deponendiqut'  pudore 
Bella  gerunt.  Tandemque  Venus  viclricia  nati 
Arma  videt,  Turnusque  cadit*  Cadit  Ardca,  Turno 


LIVRE  XIV.  51,7 

Ard^e,  celebre  par  sa  puissance,  tant  que  v6cut  Turnus.  A  peine 
eut-elie  ete  renvers^e  par  le  fer,  a  peine  ses  toits  eurent-ils  dis- 
paru  dans  les  flanunes,  que  du  milieu  de  ses  decombres  s'elan^i 
un  oiseau  qui  parut  alors  pour  la  premiere  fois,  et  qui  souleva  les 
cendres  du  battement  de  ses  ailes.  Sa  voix,  sa  maigreur,  son  man- 
teau  gns,  tout  est  Tembleme  d'une  ville  prise,  II  garde  encore  le 
nom  d'Ardee,  et  semble,  par  ses  tressaillements,  en  deplorer  le 
destin. 

en£e  h^tahorpuos^  en  dibu. 

Vni.  Enfin  les  dieux  et  Junon  elle-mSme,  desarmes  par  la  vertu 
d'l5nee,  avaient  6touffe  leurs  anciens  ressentiments.  Le  fils  de  Ve- 
nus  avait  jet6  les  fondements  de  Tempire  dujeune  lule.  Le  temps 
^tait  venu  pour  lui  de  prendre  place  au  celesle  sejour.  Apres  avoir 
brigue  le  suflrage  des  Immortels,  V^nus,  suspendue  au  cou  de  son 
pere,  lui  dit :  «  Vous  qui  jamais  ne  futes  inexorable  pour  moi, 
exaucez  aujourd'hui  mes  voeux,  je  vous  en  conjure.  Qu'fin6e,  issu 
de  notre  sang,  et  fier  de  vous  avoir  pour  aieul,  obtienne  un  rang 
parmi  les  dieux,  fut-ce  le  plus  modeste.  Cest  assez  pour  lui  d^avoir 
une  fois  vu  le  hideux  empire  des  M^nes  et  franchi  les  eaux  du 

Sospite,  dicta  potens.  Quam  postquam  barbarus  ensis     • 

Abstulit,  et  tepida  latuerunt  tecta  favilla,  57.'i 

Congerie  e  media  tuni  primum  cognita  praepes 

Subvolat,  et  cineres  plausis  everberat  alis. 

Et  sonus,  et  macies,  et  pallor,  et  omnia  caplam 

Quse  deceant  urbem.  Nomen  quoque  mansit  in  illa 

Urbis,  et  ipsa  suis  deplangitur  Ardea  pennis.  580' 

jENEAS  in  deum  conversus. 

VIH.    Jamque  deos  omnes,  ipsamque  aeneia  virtus 
Junonem  vetcres  finire  cocgerat  iras, 
Quum,  bene  fundatis  opibus  crescenlis  luli, 
Tempestivus  erat  coelo  cythereius  heros; 
Ambieratque  Venus  Superos,  colloque  parentis  585 

Circumfusa  sui :  t  Nunquam  mihi,  dixerat,  ullo 
Tempore  dure  pater,  nunc  sis  mitissimus  oro, 
iRnexque  meo,  qui  te  de  sanguine  nostro 
Fecit  avum,  quamvis  parvum,  dcs,  optime,  numen, 
Dummodo  des  aliquod.  Sntis^est  inamabile  regnum  560 

Aspexisse  semel,  stygios  semel  isse  per  amncs.» 


558  MfeTAMOUPHOSES. 

Styx.  »  La  cour  c^leste  applaudit;  la  reine  des  dieux  cessa  de 
montrer  un  visage  impassible  et  consentit  en  souriant.  Jupiter 
8'exprima  ainsi :  «  Vous  meritez  tous  deux  cette  faveur,  toi  qui 
la  sollicites  et  le  h6ros  pour  qui  tu  rimplores.Regois,  mafille, 
Thonneur  que  tu  demandes.  »  Transportee  de  joie,  Venus  rend 
graces  a  son  pere.  Son  char,  attele  de  colombes,  la  transporte  dans 
les  champs  de  Laurente,  k  l'endroit  m^me  ou  le  Numicius,  cou- 
ronne  de  roseaux,  se  rend  a  la  mer  voisine.  Elle  commande  au 
fleuve  d'enlever  a  finee  ce  qu'il  a  de  mortel,  et  d'emporter  silen- 
cieusement  sa  depouille  au  sein  des  flols.  Le  fleuve  obeit.  Par  le 
contact  de  ses  eaux  il  detache  d'£nee  toutes  les  souillures  terres- 
tres,  et  ne  lui  laisse  qile  Tessence  divine.  Des  que  le  heros  est 
purifie,  sa  mere  le  parfume,  repand  sur  ses  levres  le  nectar 
m61e  a  rambroisie,  et  le  change  eu  un  dieu  que  le  peuple  de 
Ouirinus  honore  sous  le  nom  dlndigete.  Un  temple  et  des  autels 
lui  sont  consacres. 

VERTUMNE  ET   POMONE.    —   IPHIS   ET  ANAXARETE. 

IX.  Des  lors  Ascagne,  connu  aussi  sous  un  autre  nom,  regne 

Assensere  dii,  nec  conjux  regia  viiUus 

Immotos  tenuit,  placatoque  annuit  ore. 

Tum  pater  :  «  Estis,  ait,  ccclesti  munere  digni; 

Qujjeque  petis,  pro  quoque  petis:  cape,  nata,  quod  optas.  »  5'J5 

Fatus  erat.  Gaudet,  gratc^^que  agit  illa  parenli; 

Perque  leves  auras  junctis  invecla  columbis, 

Litlus  adit  laurens,  ubi  tectus  arundine  serpil 

In  freta  ilumineis  vicina  Numicius  undis. 

llunc  jubet  Enex,  quajcumque  obnoxia  morti,  600 

Abluere,  et  tacito  deferre  sub  ajquora  cursu. 

(lorniger  exsequilur  Veneris  mandala,  suisque, 

Quidquid  in  ^Enea  fuerat  mortale,  repurgat 

Et  rcspergit  aquis  :  pars  optima  restitit  illi. 

Lustralum  genitrix  divino  corpus  odore,  JOo 

Viixit,  ct  ambrosia  cum  dulci  nectare  mixta 

Gontigit  os,  fecitqne  deum,  quem  turba  Quirini 

Nuncupat  Indigetem,  temploque  arisque  recepit. 

VERTIJMNUS    ET   POMONA.    —    IPHIS   ET    ANAXARETES. 

IX.    Inde  sub  Ascanii  ditione  binominis  Alba, 


LIVRE  XI Y.  559 

dans  Albo  et  sur  les  Latins.  II  a  pour  successeur  Silvius.  Son  fils 
Latinus  herite  d'un  nom  c^l^bre  et  d'un  ir6ne  antique.  Apres  cet 
illustre  monarque,  on  voit  tour  a  tour  sur  le  trdne  Alba,  Epitus 
son  fils,  Capetus  et  Gapys;  mais  Capys  avant  lui.  Tiberinus  leur  suc^ 
c^de.  Englouti  dans  le  fleuve  de  Toscane,  il  lui  l^gue  son  nom,  et 
laisse  deux  fils,  R^mulus  et  le  fler  Acrotas.  Remulus,  le  plus  dg^, 
p^rit  frappe  de  la  foudre  pour  Tavoir  imit^e.  Plus  sage  que  son 
frere,  Acrotas  transmit  le  sceptre  au  courageux  Aventin,  qui, 
enseveli  sur  la  montagne  ou  fut  etabli  son  empire,  lui  donna 
son  nom. 

Enfin  Tempire  appartenait  a  Procas,  n6  sur  le  mont  Palatin. 
Sous  son  r^ne  v^cut  Pomone.  Parmi  les  Hamadryades  du  Latium, 
aucune  ne  fut  plus  habile  dans  la  culture  des  jardins,  aucune 
ne  connut  mieux  celle  des  vergers  :  c'est  m^me  de  la  qu'elle  tire 
son  nom.  Elle  n'aimait  ni  les  bois  ni  les  fleuves ;  les  champs  et  les 
arbres  fruitiers  avaient  seuls  des  charmes  pour  elle.  Sa  main,  au 
lieu  du  javelot,  portait  une  serpe.  Tant6t  elle  retranchait  le  luxe 
des  rameaux  qui  s'etendaient  trop  loin,  tant6t  elle  greffait  une 
branche  sous  l'ecorce  entr'ouverte,  et  fournissail  d'heureux  sucs  a 

Resque  latina  fuit.  Succedit  Silvius  illi.  010 

Quo  satus,  antiquo  tenuit  repetita  Latinus 

Nomina  cum  scepfro.  Glarum  subit  Alba  Latinum. 

Epilos  ex  illo.  Post  hunc  Capetusque,  Capysque, 

Sed  Capys  ante  fuit.  Regnum  Tiherinus  ab  iilis 

Cepit,  et  in  tusci  demersus  fluminis  undis,  615 

Nomina  fecit  aquae.  De  quo  Remulusqne  feroxque 

Acrola  sunt  geniti.  Remulus,  maturior  annis, 

Fulmineo  periit,  imitator  fulminis,  ictu. 

Fratre  suo  sceptrum  moderatior  Acrota  forti 

Tradit  Avenlino,  qui,  quo  regnarat,  eodem  G20 

Monte  jacet  positus,  tribuitque  vocabula  monti. 

Jamque  palatinus  summam  Proca  gentis  habeijat, 
Regc  sub  hoc  Pomona  fiiit.  Qua  nuUa  lalinas 
Inler  llamadryadas  coluil  solertius  bortos, 
Nec  fuit  arborei  sludiosior  altera  fcelus,  tJ2*i 

Unde  tenet  nomen.  Non  silvas  illa,  nec  amnes; 
Rus  amat,  et  ramos  felicia  poma  ferentes. 
Nec  jaculu  gravis  est,  sed  adunca  dextera  falce, 
Qua  modo  luxuriem  premit,  et  spatiantia  passim 
Brachia  compescit;  fissa  modo  cortice  virgam  030 

Inserit,  et  »uccos  alieno  prebet  alumno. 


m  m£TAM0RPH08ES. 

ce  rejeton  ^tranger.  Attentive  aux  besoins  des  plantes,  elle  les 
arrosait  en  conduisant  des  rigoles  a  leurs  racines  alt^rees.  Ces  soins 
l'absorbaient  tout  enti^re  et  la  rendaient  insensible  au\  douceurs 
de  rAmour*  Pour  se  soustraire  a  la  violence  des  habitants  de  ces 
campagnes,  elle  fermait  Tentree  de  son  jardin  et  fuyait  la  pre- 
sence  des  hommes.  Que  de  vaines  tentatives  ne  firent  pas  poor 
obtenir  sesfaveurs  les  Satyres,  amis  de  la  danse,  les  Pans,  oouron- 
n^  de  pin,  Silvain,  toujours  plus  jeune  que  son  Age,  et  le  dieu 
dont  la  Daiux  ou  la  nuditS  epouvante  les  voleurs!  Yertumne»  qui 
br^ilait  d'un  amour  plus  grand  encore,  n'eut  pas  plus  de  succ^. 
Gombien  de  fois,  sous  un  costume  rustique,  ne  porta-t-il  pas  une 
corbeille  d'epis»  comme  un  v^ritable  moissonneur !  Souvent  sa  t^ 
etait  couronnee  d'un  vert  gazon  qui  semblait  fraichement  coup6; 
souvent,  en  le  voyant  arm^  de  raiguillon,  on  eilit  jur6  qa'il  venait 
de  d^teler  ses  boeufs.  Tenait-il  la  serpe,  on  le  prenait  pour  un 
^mondeur.  Une  ^helle  sur  T^paule,  on  aurait  cru  qu*il  allait 
cueillir  des  fruits.  Avec  T^p^e,  c'etait  un  soldat ;  avee  la  Ugne, 
c'6tait  un  pScheur.  A  la  faveur  de  mille  d^guisements,  il  s^ouvrit 


Nec  patitur  sentiro  sitim,  bibtilaeque  recurvas 

Radicis  fibras  labenlibus  irrigat  undis. 

Hic  amor,  boc  studium.  Veneris  quoque  nulla  cupido. 

Vim  tamcn  agresturo  metuens,  pomaria  ciaudil  655 

Intus,  ox  accessus  probibet  refugitque  viriles. 

Quid  non  et  Satyrt,  saltatibus  apta  juventus, 

Fecere,  et  pinu  prxcincti  cornua  Panes, 

Silvanusquc,  suis  semper  juvenilior  annii:, 

Quique  deus  fures  vel  falce,  vel  inguine  terret,  640 

Ut  potcrcntur  ea?  Sedenim  supcrabat  amando 

Hos  quoque  Vertumnus,  neque  erat  felicior  illis. 

0  quoties  habitu  duri  messoris  arislas 

Corbe  tulit.  veiiquo  fuit  messoris  imago! 

Tempora  saipe  gerens  fteno  religala  recenli,  645 

Descctum  poterat  gramen  vcrsasse  videri. 

Saepe  manu  stimulos  rigida  portabat,  ut  illum 

Jurares  fessos  modo  disjunxisse  juvencos. 

Falce  data,  frondator  crat,  vitjsque  pulator; 

Induerat  scalas,  lecturum  poma  putarcs;  6S0 

Miies  orat  gladio,  piscator  arundine  sumpta.- 

Denique  per  multas  aditum  sibi  saipe  figuras 


LIVRE  XIV.  5G1 

eulin  uu  acces  aupres  de  Pomone,  et  put  jouir  du  bonlieui*  de  con- 
templer  sa  beaut^. 

Un  jour,  le  front  ceint  d'un  bonnet  bariole,  un  b^ton  a  la  main, 
les  tempes  garnies  de  cheveux  blancs,  il  se  travestit  en  vieille  et 
entra  dans  les  riants  vergers  de  Pomone.  En  admirant  ses  fruits,  il 
s'^cria : «  Quel  art  merveilleux ! »  Aux  ^loges  succ^derent  quel- 
ques  baisers,  mais  bien  diffi§rents  de  ceux  qu'eM  donn^s  une 
vieille.  D  s'assit  sur  un  tertre  et  regarda  avec  surprise  les  bran- 
ches  pliant  sous  les  tresors  de  Tautomne.  Vis-a-vis,  un  ormeau 
etalait  au  loin  ses  rameaux  charg^s  de  raisins  deja  miirs.  li  loua 
son  union  avec  ia  vigne.  «  Si  cet  arbre,  dit-il,  ioujours  prive  de 
compagne,  fi)it  reste  s^pare  du  sarment,  on  ne  le  rechercherait 
que  pour  son  feuillage.  Si  cette  vigne,  qui  embrasse  Tormeau,  ne 
lui  etait  pas  unie,  elle  ramperait  k  terre.  Gependant  son  exemple 
ue  te  toucbe  pas :  tu  crains  de  contracter  un  doux  lien.  Ah !  plut 
aux  dieux  que  tu  le  voulusses !  Tu  verrais  autour  de  toi  autant  de 
soupirants  qu'Hel^ne,  autant  que  la  princesse  qui  suscita  les  com- 
bats  des  Lapithes,  et  que  Tepouse  dTlysse,  dont  le  courage  con- 
fondit  de  Idches  pretendants.  Tu  dedaignes  ceux  qui  briguent  ta 

Kepperit,  ul  caperet  spectatae  gaudia  formse. 

Ille  etiam  picta  redimitus  tempora  milra, 
lonitens  baculo,  positis  ad  tempora  canis,  65S 

As&imulavit  anum,  cultosque  intravit  in  horlos, 
Pomaque  mirata  est :  «  Tantoque  peritior!  »  inquit; 
Paucaque  laudata:  dedit  oscula,  qualia  nunquam 
Vera  dedisset  anus,  glebaque  incurva  resedit, 
Suspiciens  pandos  autumni  pondere  ramos.  ^ 

Ulmus  erat  contra  spatiosa  tumentibus  uvis; 
Quam  socia  postquam  pariter  cum  vite  piobavit : 
«  At  si  staret,  ait,  caelebs  sine  palmile  truncus, 
Nil  prjBter  frondes,  quare  peteretur,  haberet. 
Uxc  quoque,  qus  juncta  vilis  requiescit  in  ulmo,  ^ 

Si  non  Uupla  foret,  terrae  acclinata  jacerut. 
Tu  tamen  exemplo  non  tangeris  arboris  hujus, 
Concubilusque  fugis,  nec  te  conjungere  curas ; 
Atque  utinam  velles!  Helene  non  pluribus  esset 
Sollicitata  procis,  nec  quae  lapitheia  movit  670 

Praelia,  nec  conjux  timidis  audacis  Ulyssei. 
Nunc  quo^uc,  quum  fugias  averserisquc  pctcnlos, 


562  METAMORPHOSES. 

niain ;  et  pourtant  millerivaux  la  convoilent,  desdemi-dieux,  des 
Immortels  et  toutes  les  divinites  des  montagnes  d'Albe.  Mais,  si 
tu  es  sage,  si,  pour  former  un  heureux  hymen,  tu  veux  pr^ter  To- 
reille  aux  conseils  d'une  vieille  qui  te  cherit  plus  que  les  amants, 
plus  que  tu  ne  le  crois,  repousse  des  ilammes  vulgaires.  Choisis 
Vertumne ;  prends-le  pour  epoux :  je  reponds  de  son  amour.  II  ne 
se  connait  pas  mieux  que  je  ne  le  connais  moi-meme.  Ce  n'est  pis 
un  inconstant  toujours  errant  dans  Tunivers  :  ces  lieux  seuls  lui 
plaisent.  Bien  different  de  la  plupart  des  poursuivants,  la  dernierd 
femme  quMl  voit  n'est  pas  celle  qu'il  prefere.  Tu  seras  son  pr^- 
mier  et  son  demier  amour ;  c'est  a  toi  seule  qu'il  consacrera  sa 
vie.  U  est  jeune.  U  a  re^u  la  beaute  en  partage,  et  prend  a  scn  gre 
mille  formes  diverses.  11  rev^tira  toutes  celles  qu'il  te  plaira.  Que 
dis-je?  n'avez-vous  pas  les  m^mes  gouts?  N'est-<»  pas  a  lui  qu'ap- 
partiennent  les  premices  des  fruits  que  tu  cultives?  Ne  re^oit-il  pas 
les  dbns  avecjoie?  Aujourd'hui  ce  ne  sontni  les  fruits  cueillis  sur 
tes  arbres  qu'il  desire,  ni  les  delicieuses  plantes  de  ton  jardin :  il 
ne  recherche  que  loi.  Prends  pitie  de  ses  feux.  Crois  que,  present 
en  ces  lieux,  c'e$t  lui  qui  fimplore  par  ma  bouche.  Redoute  les 

Millc  proei  cupiunl,  et  seiiiideique,  deique, 

Et  qu:ECUinque  tenent  albanos  numina  montes. 

Sed  tu,  si  sapies,  si  te  bene  jungere,  anuuKiuc  tl7i» 

Hanc  audire  voles,  qu»  te  plus  omnibus  illis, 

Plus,  quam  credis,  anio}  vulgares  rejice  tajdas, 

Verturanumque  tori  sociura  tibi  delige.  Fro  quo 

Mc  quoque  pignus  habe;  neque  enira  sibi  nolior  illc  cst^ 

Quam  mihi ;  nec  toio  passim  vagus  errat  in  orbe.  (180 

Jlaec  loca  sola  colit;  nec,  uti  pars  mag^na  procaruni, 

Quam  modo  vidit,  amat.  Tu  priraus,  et  ultimus  iili 

Ardor  eriSj  solique  suos  tibi  devovet  annos. 

Adde,  quod  est  juvenis,  quod  naturale  dccoris 

Munus  habet;  forraasque  apte  fingetur  in  omncsj  <>**^» 

El,  quod  erit  jussusj  jubeas  licet  orania,  fiet. 

Quid,  quod  araatis  idem?  quod,  quse  tibi  poma  colunlur, 

Primus  habet,  laetaque  lenet  tua  munera  dexlra? 

Sed  neque  jam  foetus  desiderat  arbore  demptos, 

Nec,  quas  hortus  alit,  cuw  succis  raitibus  herbas,  OlH) 

Nec  quidquuni,  nisi  te.  lliserere  ardenlis,  et  ipsuin, 

Qui  petit,  ore  meo  prx>sentera  crede  precari. 

Ultoresquc  deos,  et  pectora  dura  pcrosara 


LIVRE  XIV.  563 

dieux  vengeurs ;  redoute  le  ressentiment  de  Venus  qui  hait  les 
coeurs  insensibles,  et  rimplacable  col^re  de  Nemesis.  Pour  finspi- 
rer  plus  dc  crainte,  je  vais  (car  un  long  age  m'a  beaucoup  appris) 
te  raconter  une  aventure  trfe-connue  dans  rile  de  Chypre  :  elle 
pourra  te  fl^diir  et  desarmer  tes  rigueurs. 

«  Issu  d'une  famille  obscure,  Iphis  avait  vu  Anaxarete,  iliustre 
rejeton  de  Tantique  Teucer.  A  son  aspect,  il  s^etait  senti  consum6 
de  tous  les  feux  de  Tamour.  Longteraps  il  lutta  contre  son  delire ; 
mais,  ne  pouvant  le  vaincre  par  la  raison,  il  se  rendit  en  suppliant 
au  palais  d'Anaxarete.  La,  tant6t  il  fit  a  sa  nourrice  i'aveu  d  un 
amour  malheureux,  et  la  conjura,  par  les  premiers  soins  dcftmes  a 
sa  maitresse,  de  ne  point  fermer  roreille  a  ses  prieres ;  tant6t, 
adressant  des  paroles  caressantes  a  chacune  des  nombreuses  sui- 
Tantes  de  la  princesse,  d'une  voix  pressante  il  invoqua  leur  appui. 
Souvent  il  confia  a  des  tablettes  la  tendre  expression  de  son  amour; 
quelquefois  il  attacha  aux  portes  des  couronnes  baignees  de  ses 
larmes,  ou  s'assit  sur  le  seuil,  et  accabla  d'imprecations  les  cruels 
verrous.  Phis  souHe  que  la  mer  qui  s'enfle  au  coucher  des  Che- 
vreaux,  plus  dure  que  le  fer  sorti  des  forges  de  la  Norique  et  que 
le  roc  enracine  dans  la  terre,  Anaxarete  le  meprisa.  Ellerit  desa 

Idalient  memoremque  time  Rhamnusidis  iruni. 

Quoque  magis  timeas  (etenim  mihi  multa  Telustas  693 

Scire  dedil),  tota  referam  notissima  Cypro 

Facta,  quibus  flecti  facile  et  mitescere  possi:*. 

«c  Viderat  a  veteris  generosam  sanguine  Tcucri 
Iphis  Anaxareten,  humili  de  stirpe  crealus; 
Viderat,  et  totis  perceperat  ossibus  aestuni.  700 

Luctatusque  diu,  postquam  ratione  furorem 
Vincere  non  poluit,  supplex  ad  liraina  venit. 
Et  modo  nutrici  miserum  confessus  amorem, 
Ne  sibi  dura  foret,  per  spcs  oravit  alumnae; 
Et  modo  de  multis  blanditus  cuique  ministris,  705 

Sollicita  petiit  propensum  voce  favorem. 
Sape  ferenda  dedit  blandis  sua  verba  tabellis; 
Interdum  madidas  lacrymarum  rore  coronas 
Postibus  intendit,  posuitque  in  limine  duro 
Uolle  latus,  tristique  sera»  convicia  fecit.  710 

Surdior  illa  freto  surgentc,  cadentibus  Haedis, 
Durior  et  ferro,  quod  noricus  excoquit  ignii»,       • 
Et  saxo,  quod  adhuc  viva  radicc  tenetur, 


m  METAMORPUOSES. 

flamme,  et,  joiguant  l'outrage  a  ses  dedains  su{>erfoe8y  elie  interdit 
m^me  respoir  a  son  amant.  Iphis  ne  put  supporter  de  plus  loQgs 
tourments,  et,  a  la  porte  de  celle  qu^il  aimait,  11  prononga  oesder- 
ni^es  paroles  :  <  Tu  Temportes,  Anaxar^te.  Tu  n'auras  phis  a 
i  souffrir  mes  importunit^s.  Pr^pare  de  joyeux  triomphes,  fais 
€  entendre  des  cliants  de  victoire,  couronne-toi  de  laurier.  Tu 
«  remportes,  et  je  meurs!  R^jouis-toi,  barbare!  Gependant  tu 
«  seras  forcee  de  me  louer.  U  y  a  du  moins  une  chose  qoi  te 
«  plaira  en  moi  et  qui  te  fera  reconnaitre  que  je  mMtais  d'to 
«  aime.  Souviens-toi  que  mon  amour  ne  finira  qu'aTec  ma  ?ie,  et 
«  que  le  m^me  instant  me  ravira  cette  double  existence !  La  Re- 
i  nommee  ne  viendra  pas  fapprendre  ma  mort.  Ce  sera  moi- 
«  m^me,  n'en  doute  pas,  qui  me  montrerai  devant  toi  pour  re- 
«  paitre  les  yeux  cruels  de  mes  restes  inanimes.  £t  vous,  6  dieox! 
ff  si  le  sort  des  mortels  vous  touche,  souvenez-vous  de  moi.  lia 

<  langue  ne  saurait  exprimer  d'autres  voeux.  Faites  vivre  mon 

<  nom  dans  un  long  avenir,  et  ajoutez  a  ma  m^moire  ce  que  vous 

<  avez  retranche  de  mes  jours.  > 

«  A  ces  mots,  les  yeux  lev^s  et  les  bras  tendus  vers  les  portes 

Speniit,  et  irridet,  factisque  immitibus  addit 

Verba  superbn  ferox,  et  spe  quoque  fraudat  aroantein.       715 

^on  tulit  iropatiens  longi  tormenta  doloris 

Iphis,  ct  ante  fores  hsec  verba  novissima  dixit : 

«  Vincis,  Anaxarete;  neque  enint  tibi  taedia  tandcni 

K  Ulla  ferenda  mei.  Laetos  molire  triumphos, 

«  Et  Paeana  voca,  nitidaque  incingere  lauro.  720 

«  Vincis  enim,  moriorque  libens.  Age,  ferrea,  gaude. 

«  Ccrte  aliquid  laudare  mei  cogeris,  eritque 

«  Quo  tibi  sim  gratus,  meritumque  fatebere  noslrum. 

«  Non  tamcn  ante  tui  curam  finisse  memento, 

«  Quam  vitam,  geminaque  simul  mihi  lucc  carendum.      7% 

«  Ncc  tibi  fama  mei  ventura  est;  nunlia  lcthi, 

«  Ipse  ego,  ne  dubiles,  adero,  prsesensque  videbor, 

«  Gorpore  ut  cxanimi  crudelia  lumina  pascas. 

«  Si  tamcu,  o  Superi,  mortalia  fata  videtis, 

«  Esle  mci  memores  (uihil  ullra  lingua  precari  IZO 

«  Suijtinet);  et  longo  facile  nt  memoremur  iu  asvu, 

«  El,  quoc  dempsistis  vila;,  dalc  tempora  famx.  • 

«  Dixil,  e^  ad  poslcs  ornatos  saepe  coronis, 
Humcnles  oculos,  ct  pallida  brachia  teudens, 


LIVUE  XIV.  505 

qu'il  para  souvent  de  couronnes,  il  altache  a  leur  souunel  un  cor- 
deau,  et  s'ecrie  :  «  Sont-ce  la  les  guirlandes  qui  te  plaisent,  iille 
c  barbare  et  cruelle?  »  En  inSme  temps  il  passe  sa  t^te  dans  le 
noeud,  en  se  tournant  encore  vers  Anaxarete.  Le  poids  de  son 
corps  serre  le  lacet  fatal,  et  il  reste  suspendu.  Ses  pieds,  en  s'a- 
gitant  au  milieu  des  convulsions  de  la  mort»  frappent  la  porte  qui 
semble  gemir.  EUe  s'ouvre  et  laisse  voir'  un  spectacle  affreux.  Les 
esciaves  poussent  des  cris  et  se  hAtent  en  vain  de  le  secourir.  Son 
pere  n'etait  plus;  Us  le  portent  chez  sa  mere,  qui  leregoit  sur  son 
sein  et  presse  dans  ses  bras  son  ccrps  glace.  Apr^s  avoir  exhale 
ses  plaintes  et  s'6lre  livree  a  tout  le  desespoir  d'une  mere  dans 
une  si  grande  infortune,  elle  conduit  a  travjers  l'enceinte  de  la 
ville  les  tristes  funerailles  de  son  fils,  et  porte  sur  le  bucher  sa 
malheureuse  depouille.  La  demeure  de  rinsensible  Anaxarele  se 
trouvait  par  hasard  sur  la  voie  de  la  pompe  funebre.  Le  bruit  des 
sanglots  parvient  a  ses  oreilles.  D^ja  un  dieu  vengeur  Tagite.  Dans 
son  trouble :  «  Voyons,  dit-elle,  ces  tristes  obseques.  >  Aussil6l 
elle  monte  au  haut  de  son  palais  et  se  place  a  une  fen^lre  ouverle. 
A  peine  a-t-elle  apergu  Iphis  sur  le  litfunebre,  que  ses  yeux  da- 
viennenl  fixes;  elle  palit,  et  le  sang  se  glace  dans  ses  veines.  Elle 

Quum  foribus  laquei  religaret  vincula  summis :  735 

f  Haec  tibi  serta  placent,  crudelis  et  impia?  »  dixit; 

Inseruitque  caput,  scd  tum  qnoque  vcrsus  ad  illam, 

Atque  onus  infelix  elisa  fauce  pependit. 

Icta  pedum  molu  (repidanlum  mortc  gementem 

Visa  dedisse  sonum  est,  adapertaque  janua  factum  740 

Prodidit.  Exclamant  famuli;  frustraquc  levatum 

(i\am  pater  occiderat)  rcferunt  ad  limina  malris. 

Accipit  illa  sinu,  complexaque  frigida  nati 

Membra  sui,  postquam  miserorum  vcrba  pareutum 

Edidit,  et  matrum  raiserarum  facla  peregit,  7lo 

Funera  ducebut  mediam  lacryraosa  per  uriiem, 

Luridaque  arsuro  portabat  raembra  fcrclro. 

Forte  vias  vicina  domus,  qua  flebilis  ibat 

Pompa,  fuit;  duracque  sonus  plangoris  ad  aures 

Venit  Anaxareles,  quam  jam  deus  ullor  agebat.  "^^ 

Nola  tamen  :  «  Vidcanius,  ait,  miscrabilc  funus,  » 

Elpatulis  iniit  teclum  sublime  fenct^tri.-. 

Yjxque  bene  inipositun:  lecto  prospcxera'.  iphin; 

Dcrigucre  ocuii,  caiidusquc  c  corpore  iauguis, 

32 


jmi  tfculer,  mais  elle  reate  iniinobile;  elle  essaye  de  deloumerla 
tftte,  mais  dle  ue  pmi  U  iuouvoir  Peu  a  peu  la  diirete  (lu  marbre, 
qui  fut  toiijoiirs  dans  soii  coeur,  cnvatiit  ses  membrts.  Ce  n  esi 
|iis  uo€  ilcUan.  Sabmine  possede  eni^re  la  statue  d^AnaKar^e. 
On  j  voit  aussi  im  temple  do  VenusS^CH/iJirfcf .  *i  Nympheadofee} 
gue  le  s^uvenir  de  cetle  aTeniure,  je  t>n  supplie,  fasse  tombef 
les  dedains  et  t'unisse  -a  lon  amant !  Pour  une  telle  faveort  qoe 
les  gelees  du  printemps  iie  flelrissent  jamais  les  bourgeons  de 
tes  Tergers,  et  rjue  ies  Tenli  orageux  n^^en  delruisent  jamais  l€s 
fleurs !  i  Des  que  le  dieu  habile  a  rev^lir  loules  ies  formes  voit 
Vimpuissance  de  ses  paroles.  it  reprend  les  grices  du  jemie  ige, 
et,  depouiliant  le  masque  de  la  vieillesse»  il  apparalt  a  la  N|mpbe 
daus  lout  1'eclat  du  soleil  quand  il  sort  vainqueur  du  sein  des 
fiuages  et  resplendjt  sans  obst^icle.  11  se  prepare  a  la  violence ; 
mais  1a  vioknce  n>st  plus  iieceiisaire.  Sa  beaute  a  diarme  Po^ 
moiie,  qui  resseul  k  son  tour  les  blessures  qu^eUe  a  fdtes. 

D£   itOVt)LU5   ET    DB   SOK  ifOVSE  UERSILIK. 

X.  Apres  la  mort  de  Procas^  rAusonie  passe  soui  le  ^cepLre  dii 

luducto  pnLlore^  fugil^  cobiyque  rclro  755 

Feire  pedef,  hssit ;  eoaata  averttire  fnltus, 
Eoc  quaque  nba  putuil ;  pauliiliniqtiei  ocf^upat  urLug., 
Quod  fuii  m  ilitrd  jampridem  p«ciare,  ^«iiim. 
Kefe  ea  Dctj  puie^^  dotnina?  >ub  inaagine  ^iguiia) 
St^rriit  idliiic  Salamb,  Veoeris  quoque  iionuueicijipliiiin     i^ 
Pro?pLciciiii^  kiLibet.  Utioruin  metuor,  o  loea,  leutoa 
Poae^  precor,  fi$tiiK,  et  amafiti  juuger^,  Nymplic, 
ific  til}]  nec  Tflrniim  nascdiitB  frigu&  adaral 
Fdioj,  nec  eicutiiBi  riipiiji  dor^titi]!  Teoii.  » 
Umi  ubj  nequidquam  forroaa  dcus  aplui  in  omaei  16j 

li^jditt  in  juvenem  rodiit,  et  auiUa  ilemiL 
inBiruittculJi  i^ibi;  t^U^que  j^ppiirujt  illi, 
Qualis  ubi  oppo^ila^  uiLidii^aiina  ^ih  jmago 
Eficii  nabti.  nulbque  obstAnte  reluiit. 
Vimque  paraL;  >e4  ^i  iiou  e&!  apus,  inque  ligurii  1T0 

i^tpta  dei  fiymplic  e^t,  ^l  mntua  Tuluera  ^eniiL^ 
Aqu£  rniiiiD^  HEDPtrxrtrn  CAUOf.  —  noiiuLus  iir  mv^ 
ejt<b(|U£  U3L0it  m\\. 
1.    nioiimu!»  au»(iDia&  injuiti  milea  AmuU 


LIVRE  XIV.  567 

crael  Amulius,  et  le  vieux  Numitor  est  r^tabli  sur  son  trdne  par 
ses  petils-fils.  On  jette  les  fondements  de  Rome  pendant  les  f^tes 
de  Pal^s.  Tatius  ct  les  Sabins  lui  font  la  guerre.  Tarpeia  leur  ouvre 
ie  chemin  du  Gapitole,  et  expie  son  crime  sous  un  monceau  do 
boucliers.  Les  enfants  de  €ures,  tels  que  des  loups  ravisseurs, 
s^approchent  en  silence,  fondent  sur  les  Romains  ensevelis  dans  le 
sommeil,  et  assiegent  les  portes  que  le  fils  d'IIia  avait  munies 
d'une  forte  barriere.  Mais  une  de  ces  portes,  ouverte  par  Junon, 
tourne  sans  bruit  sur  ses  gonds.  Venus  seule  entend  tomber  les 
verrous,  et  elle  Vedt  referm^e,  s'il  n^etait  pas  defendu  a  une  divinile 
de  detruire  Touvrage  d'une  autre.  Les  Naiades  d'Ausonie  habitaient 
une  fontaine  dont  les  ondes  fraiches  baignaientle  temple  de  Janus. 
Venus  invoque  leur  appui.  Elles  accueillent  sa  l^itime  demande, 
et  font  jaillir  les  eaux  de  toutes  leurs  sources.  Gependant  elles  ne 
rendaient  pas  encore  inaccessible  le  temple  de  Janus  en  intercep- 
tant  tous  les  chemins.  Eiies  y  m^Ient  le  soufre  et  le  bitume,  qui 
font  circuler  la  flamme  dans  les  canaux  souterrains  et  jusqu'a  ses 
plus  profondes  refraites.  Des  lors-cettesource,  qui  le  disputait  na- 


Rexit  opes,  Numitorque  senex  amissa  nepotum 

Nunere  regna  capit,  fe&lisque  Palilibus  urbis 

Moenia  condunttir.  Tatiusque  palresque  sabini  77.'» 

Bella  gerunt;  arcisque  via  Tarpeia  reclusa, 

Digna  animam  poena  congestis  exuit  armis. 

Inde  sati  Curibus,  tacitorum  more  luporum, 

Ore  premunt  voces,  ct  corpora  vicla  sopore 

Invadunt,  portasque  pelunt,  quas  objice  firma  780 

Clauserat  Uiades.  Unam  tamen  ipsa  recludit, 

Nec  strepitum  verso  Saturnia  cardine  fecit. 

Sola  Venus  portae  cecidisse  repagula  sensit, 

Et  clausura  fuit,  nisi  quod  rescindere  nunquam 

Dis  licet  acta  deum.  Jano  loca  juncta  tenebant  78^ 

Naides  ausoniae,  gelido  rorautia  fonte. 

Uas  rogat  auxilium,  nec  Nymphae  jusla  pelentem 

Sustinuere  deam;  venusque  et  fluftina  fontis 

Elicuere  sui.  Nondum  tamen  invia  Jani 

Ora  parentis  erant,  neque  iler  pra^cluserat  '.  nda.  7i)0 

Lurida  supponunt  fecundo  sulfura  fonli, 

Incenduntque  cavas  fumante  bitumine  venas. 

Viribus  his  aliisque  vapor  penetravit  ad  ima 

Fonlis,  et  alpino  modo  quae  certare  rigori 


568  METAMORPHOSES. 

guAre  en  fraicheur  aux  frimas  des  Alpes,  ne  le  cede  plus  au  feu. 
Des  doubles  porles  du  temple,  alteinles  par  ces  flbts  brulanls, 
s'6leve  la  fumee.  En  vain  un  passage  a-t-il  ete  ouvert  aux  belli- 
queux  Sabins ;  ce  fleuve  nouveau  leur  oppose  une  barriere  el 
donne  aux  enfants  de  Mars  le  temps  de  prendre  les  armes.  Ro- 
mulus  s'avance  le  premier  au  corabat.  Le  sol  de  Rome  est  jonche 
de  Sabins  et  de  Romains.  Le  fer  impie  confond  le  sang  du  beau- 
pere  et  celui  du  gendre.  Par  un  commun  accord,  la  paix  mel  fin 
aux  horreurs  de  la  guerre,  et  Tatius  est  associe  a  1'empire. 

A  sa  mort,  Romulus  assujettit  les  deux  peuples  aux  m^mes  lois. 
Cest  alors  que  Mars,  deposant  son  casquc,  adresse  ces  paroles  ai» 
roi  des  dieux  et  des  hommes  :  o  Mon  p^re,  la  puissance  de  Rome, 
etoblie  sur  de  larges  bases,  ne  depend  plus  d'un  seul  chef.  U  est 
temps  d'acquitter  tes  promesses  envers  moi  et  ton  digne  petit- 
fils ;  il  est  temps  de  Tenlever  a  la  terre  pour  le  placer  au  ciel.  Un 
jour,  dans  rassemblee  des  dieux  (je  m'en  souviens  et  ton  bien- 
veillant  langage  est  grave  dans  mon  coeur),  tu  me  dis  que  tu  ne 
reservais  qu'aRomulus  la  gloire  de  s'asseoir  parmi  les  Immorlels. 
Daigne  accomplir  cette  promesse.  »  Le  maitre  du  monde  consent 

Andebatis,  aquae,  non  cedilis  ignibiis  ipsis.  "9.1 

Flammifera  gemini  funianl  aspergine  posles; 

Porlaque  nequidquam  rigidis  pcrmissa  Sabinis 

Fonle  fuit  prxstructa  novo,  dum  martius  arma 

Indueret  miles.  QuiTJ  postquam  Romulus  nltrn 

Obtulit,  et  strala  est  tellus  romana  sabinis  NCO 

Corporibus,  strata  cslque  suis;  gencrique  cruorem 

Sanguine  cum  soceri  permiscuit  impius  ensis. 

Pace  tamen  sisti  bellum,  nec  in  ultima  ferro 

Decertare  placet,  Taliumque  accedere  regno. 

Occiderat  Tatius,  populisquc  aequala  duobus,  SOu 

Romule,  jura  dabas,  posita  quum  casside  Mavors 
Talibus  affatur  divumque  hominumque  parentem  : 
«  Tempus  adest,  genitor,  quoniam  fundamine  magno 
Res  romana  valet,  nec  praiside  pendct  ab  uno, 
Priemia,  qux  promissa  mihi  dignoque  ncpoti,  810 

Solvere,  et  ablatum  terris  imponere  coelo. 
Tu  mihi  eoncilio  quondam  prxsente  deorum 
(Nam  mcmoror,  memorique  animo  pia  verba  notavi), 
Unus  erit,  quem  lu  tolles  in  carula  cceli, 
Dixjsli.  Ra!a  sit  verl)orum  summa  tuorum,  »  81q 


LIVRE  XIV.  509 

d'un  signe  de  tete.  Soudain  les  cieux  se  couvpent  de  sombres 
nuages ;  les  ^clairs  et  la  foudre  font  trembler  i'univers.  Le  dieu 
des  combats  reconnait  que  ses  voeux  sont  exauc^s.  Appuye  sur 
son  javelot,  11  s^^lance  avec  calme  sur  son  char  sanglant  qu*em- 
portent  ses  coursiers.  11  les  presse  du  fouet,  pr^ipite  leurs  pas 
vers  la  terre,  et  s'arr6te  sur  le  mont  Palatin  qu'ombrage  un  bois 
epais.  La,  le  fils  d'Ilia  dictait  ses  lois  a  son  peuple.  H  Teni^ve.  Au 
mtoe  instant  s*i§vanouit  dans  les  airs  tout  ce  que  le  h^ros  eut  de 
mortel,  comme  la  balle  de  plomb,  lancee  par  la  fronde,  se  fond  et 
disparait  dans  la  nue.  Sous  une  forme  majestueuse  il  repose  sur 
les  coussinsdes  dieux,  semblable  a  Quirinus  revetu  de  la  trabee. 

Hersilie  pleurait  la  mort  de  son  epoux.  Junon  envoie  Iris  conso- 
ler  en  ces  termes  la  reine  afflig^e  de  son  veuvage :  c  0  toi,  la 
gloire  du  Latium  et  des  Sabins,  tu  fus  la  digne  coropagne  d'un 
grand  homme ;  tu  merites  maintenant  d'^tre  celie  du  nouveau 
dieu.  S^he  tes  pleurs.  Si  tu  veux  voir  ton  ^oux,  suis-raoi  dans  le 
bois  sacre  qui  s'6I^ve  sur  le  mont  Quirinus  et  ombrage  le  temple 
Ju  roi  des  Romains. »  Iris  obeit.  A  travers  Tarc  nuanc^  de  ses 

Annuii  Omnipotens,  et  nubibus  aera  cscis 

Occuluit,  tonitruque  et  fulgure  terruit  orbem. 

Quse  sibi  promissae  sensil  data  signa  rapina^, 

Innixusque  hastae,  pressos  temone  cruento 

Impavidus  conscendit  equos  Gradivus,  et  ictu  820 

Verberis  increpuit,  pronumque  per  aera  lapsus, 

Constitit  in  summo  ncmorosi  coUe  Palati, 

Beddentemque  suo  jam  regia  jura  Quiriti 

Abstulit  Iliadem.  Corpus  morlale  per  auras 

Dilapsum  tenues;  ceu  lata  plumbea  funda  ^^ 

Missa  solet  medio  glans  incandescere  coelo, 

Pulchra  subit  facies,  et  pulvinaribus  allis 

Dignior,  et  qualis  trabeati  forma  Quirini. 

Fiebat  tl  amissum  conjux,  quum  regia  Jur.o 
Irin  ad  Hersiliam  descendere  limile  curvo  ^^^ 

Impera»,  et  vacu»  sua  sic  mandata  referro : 
«  0  et  de  latia,  o  et  de  genle  sabina 
Praecipuum,  matrona,  decus,  dignissima  tnnti 
Ante  fuisse  viri,  conjux  nunc  csse  Quirini, 
Siste  tuos  fletus;  et,  si  tibi  cura  videndi  ^•'^o 

Conjugis  est,  duce  inc,  lucum  pete,  colle  quirino 
Qui  viret,  et  templum  romani  regis  obumbrat. » 
Paret»  et  in  Inrrara  pictos  delapsa  per  arcus, 

32. 


570  UtTAMOUPHOSES. 

mille  couleurs,  elle  descend  vers  la  terre  et  transmet  a  Hersilie  les 
ordres  de  Junon.  La  reine  ose  a  peine  lever  un  oeil  modeste  :  c  0 
d^sse !  dit-elle  (car  s'il  m'est  difficile  de  dire  qui  vous  6tes,  je  ne 
saurais  douter  que  vous  ne  soyez  une  divinit^),  guidez-moi,  oh! 
guidez-moi,  et  montrezHOdoi  mon  ^poux!  Si  les  Destins  me  per« 
mettent  de  le  voir  encore  une  fois,  je  me  croirai  transportee  dans 
le  palais  des  dieux.  >  Aussit6t  die  se  dirige  avec  Iris  vers  la  col- 
line  consacr^  k  Romulus.  Une  6toile  parait,  Tenloure  de  lumidre, 
d^vor^l^es  cheveux,  et  remonte  avec  elle  au  cSieste  panris.  Le  fon- 
dateur  de  Rome  la  re^oit  avec  amour  dans  ses  bras,  et,  cbangeant 
a  la  fois  sa  forme  et  son  nom,  il  Tappelle  Hora.  Les  Romains 
unissent  aujourd'hui  son  culte  k  cehii  de  Quirinus. 

Hersiliam  jussis  compellat  vocibus  Iris. 

Illa,  yerecando  viz  loIIeDS  lumiDa  vultu  :  840 

•  0  dea  (namque  mihi,  nec  quae  sis  dicere  promptum  cst; 

Et  liquet  esse  deam),  duc,  o  duc,  inquit,  et  offer 

CoDjugis  ora  mihi.  Quesi  modo  posse  videre 

Fatfr  semel  dederint,  ccelum  accepisse  fktebor.  » 

Nec  mora,  romuleos  cum  virgine  tliaumantea  845 

Ingreditur  colles.  Ibi  sidus  ab  asthere  lapsum 

Decidit  in  terras,  a  cujus  lumine  flagrans 

Hcrsilise  crinis  cum  siderc  cessit  in  auras. 

hanc  manibus  notis  romansQ  conditor  urbis 

Excipit,  et  priscum  pariier  cum  corpore  nomen  850 

Mulat;  lloramque  vocat,  qu»  nunc  dea  juncta  Quiriuo  est. 


LIVRE  QUINZIEME 


MTSCllLE,    FIL8  D^ALJSMON.    —   CAILLOUX  NOIRS  CHANGES  EN  BIJkNCS. 

I.  Cependant  on  cherchait  un  homme  capable  de  soutenir  un 
tel  fardeau  et  digne  de  succeder  a  un  si  grand  monarque»  lors- 
que  la  Benommee,  messag^re  de  la  Y^rit^,  appela  au  trone 
rillustre  Numa.  Non  content  d'aYoir  etudie  les  institutions  des 
Sabins,  son  vasle  genie  embrassait  des  objets  plus  6leves  et  aspi- 
rait  a  penetrer  les  secrets  de  la  nature.  Gette  soif  de  la  science  lui 
fit  abandonner  Cures,  sa  patrie,  et  Tentraina  jusqu'a  la  ville  ou 
Hercule  avait  re?u  rhospitalite.  II  demanda  qui  avait  construitune 
ville  grecque  sur  les  cdtes  dltalie.  Un  vieillard  n^  dans  cette  con- 
tree,  et  qui  en  cohnaissait  les  vieilles  traditions,  lui  repondit  en 
ces  termes : 

«  Parti  des  bords  de  TOcean  et  emmenant  avec  lui  les  riches 
Iroupeaux  qu'il  avait  enleves  dans  riberie,  le  fils  de  Jupiter,  apres 

LIBER  QUINDECIMUS 

MTSCELDS,   ALEMONIS  HLIUS.   —  NIGRI  CALCULl   IX  ALBOS  MUTATI. 

I.    Quseritur  interea  qui  tantae  pondcra  niolis 
Sustineat,  tantoque  queat  succedere  rcgi. 
Destinat  imperio  clarum  praenunlia  vcri 
Fama  Kuraam.  Non  ille  satis  cognosse  sabinn- 
Gentis  hahet  ritus,  animo  majora  capaci  1% 

Concipit,  et  quae  sit  rerum  natura  requirit. 
Hujus  amor  curse,  patria  Curibusque  relictis, 
Fecit,  ut  herculei  penelraret  ad  hospitis  urbeni. 
Graia  quis  italicis  auctor  posuissel  in  oris 
Mcenia  quserenti,  sic  c  senioribus  unus  10 

Uettulit  indigenis,  veteris  non  insrius  a^vi :  • 

«  Dives  ab  oceano  bubus  Jove  natus  iboris 
Littora  felici  tenuit  lacini:)  cursu 


572  WETAMORPIIOSES. 

une  heureuse  travers^e,  aborda,  dit-on,  au  promontoire  de  Laci- 
nium.  Tandis  que  ses  boeufs  erraient  dans  de  gras  pSturages,  ii 
entra  dans  la  demeure  hospilaliere  du  puissant  Croton  et  s  y  re- 
posa  de  ses  longs  travaux.  A  son  depart,  il  annonga  que  dans  ces 
m6mes  lieux  ses  descendants  verraienl  s'elever  une  ville.  Sa  pre- 
diction  fut  accompHe.  Fils  d'Alemon  et  originaire  d'Argos,  Myscele 
fut  cheri  des  dieux  plus  que  tout  autre  mortel  de  ce  temps.  U  efait 
plonge  dans  un  profond  sommeil,  quand  Hercule  lui  apparut. 
«  Hate-toi  de  fuir  ta  patrie,  lui  dit-il,  et  gagne  les  bords  de 
«  TEsare  qui  roule  sur  un  lit  rocailleux.  »  Et  il  le  menaga  des 
plus  terribles  vengeances,  s'il  refusait  d'obeir.  A  son  r^veil,  I9 
vision  disparut.  Le  fils  d'AIemon  se  leve  et  repasse  en  silence  ce 
qu'il  vient  de  voir.  Son  esprit  flotte  longtemps  incertain.  Un  dieu 
lui  ordonne  de  s*eloigner;  mais  les  lois  s'opposent  a  son  depart  et 
punissent  de  mort  celui  qui  veut  changer  de  patrie. 

«  Le  Soleil  avait  enseveli  dans  rOcean  sa  tMe  fadieuse,  et  la 
Nuit  obscure  levait  son  front  couronne  d'etoiles.  Le  m^me  dieu 
se  montre  a  Myscele.  U  lui  renouvelle  ses  ordres,  et,  en  cas  de 
refus,  lui  adresse  des  menaces  plus  terribles  encore.  Saisi  d^effroi, 


Fertur;  et  armento  teneras  errante  per  herbas, 

Ipse  domum  magni,  nec  inhospita  lecla  Crotonis  15 

Intrassp,  et  requie  longum  relevasse  laborem, 

Atquo  ita  discedens,  ajvo  dixisse  nepotum  : 

«  Hic  locus  urbis  erit;  »  promissaque  vera  fucrunl. 

Nam  fuit  argolico  generatus  Alemone  qufdam 

Myscelus,  illius  dis  acceptissimus  aevi.  !20 

Hunc  super  incumbens  pressnm  gravitate  soporis 

Clavigcr  alloquitur  :  «  Patrias,  age,  desere  sedes. 

«  I,  pete,  diversi  lapidosas  ^Esaris  undas. » 

Et,  nisi  paruerit,  multa  ac  metuenda  minatur. 

Post  ea  discedunt  pariter  somnusque  deusque.  S^ 

Surgit  Alemonides,  lacitaque  recentia  mente 

Visa  rofcrt ;  pugnatque  diu  sentenlia  secum. 

Numen  abire  jubet;  prohibent  discedere  leges; 

Popnaque  mors  posila  est  patriam  mutare  volenti. 

«  Candidus  Oceano  nilidum  caput  abdiderat  sol,  30 

Kt  capnt  extulerat  densissima  sidereum  nox. 
Yisus  adesse  idem  deus  est,  eademque  monere; 
Ei,  nisi  paruerit,  plura  et  graviora  minari^ 


LIVRE  XV.  573 

Ilysc^le  se  pr^pare  a  Iransporter  ses  penates  dans  d'autres  de- 
meures.  Un  murmure  eclate  dans  la  ville  :  on  l'accuse  de  mepri- 
ser  les  lois.  Aux  yeux  des  juges  son  crime  parsdt  evident;  les  te- 
moins  sont  inutiles.  Dans  sa  detresse,  ii  leve  les  yeux  et  les  mains 
versrle  ciel :  «  0  toi,  dit-il,  que  douze  fravaux  ont  plac^  dans  le 
«  palais  des  dieux,  viens  a  mon  secours,  je  Ven  conjure ;  car  c'est 
«  toi  qui  m'as  rendu  coupable. »  D^apr^  une  coutume  anlique, 
des  cailloux  blancs  et  des  cailloux  noirs  servaient  a  condamner  ou 
a  absoudre.  Une  sentence  falale  fut  port6e  conlre  Mysc^le :  Furne 
impitoyable  ii'avait  re^u  que  des  cailloux  noirs.  Mais,  a  peine 
Teut-on  renversee  pour  compter  les  sufrrages,  que  tous  les  cailloux 
devinrent  blancs.  Par  cette  m^tamorphose,  ouvrage  d'HercuIe, 
Alemon  fut  proclame  innocent.  II  rendit  grAce  a  Fauteur  de  sa 
d^iivrance ;  et,  pousse  par  des  vents  propices,  il  vogua  sur  la  mer 
d'Ionie,  Iai§3ant  derriere  lui  Tarente,  fond^e  par  un  Lac^demonien, 
Sybaris,  le  NerMhe  qui  arrose  le  pays  des  Sallenlins,  le  golfe  de 
Thurium,  Tem^se  et  les  campagnes  dlapyx.  Apr^s  avoir  parcouru 
les  c6tes,  il  d^couvrit  les  bouches  de  Tfisare  oii  le  Destin  Tappe- 
lail.  Pres  de  la  etait  le  tombeau  ou  reposaient  les  augustes  restes 

Pertimuit,  patriumque  simul  transferre  parabat 

In  sedes  penetrale  novas.  Fit  raurmur  in  urbe,  35 

Spretarumque  agitur  legum  reus.  Utque  peraeta  est 

Causa  prior,  crimenque  patet  sine  teste  probatum, 

Squalidus  ad  Superos  toilens  reus  ora  manusque : 

«  0  cui  jus  coeli  bis  sex  fecere  labores, 

«  Fer,  precor,  inquit,  opem ;  nam  tu  mihi  criminis  auclor. »  40 

Mos  erat  antiquus,  niveis  atrisque  lapillis, 

His  damnare  reos,  illis  absolvere  culps. 

Nunc  quoque  sic  lata  est  sententia  trislis  :  et  omnis 

Calculus  immitem  demittitur  ater  in  umam. 

QuiB  simul  effudit  numerandos  versa  lapillos,  45 

Omnibus  e  nigro  color  est  mutatus  in  album ; 

Candidaque  herculeo  sententia  munere  facta 

Solvit  Alemoniden.  Grates  agit  iile  parenti 

Amphitryoniadae;  ventisque  favenlibus  aequor 

Navigat  ionmm,  lacedaemoniumque  Tarentum  50 

Prsterit,  et  Sybarin,  sallenlinumque  Nerethum, 

Thurinosque  sinus,  Temesenque,  et  lapygis  arva. 

Vixque  pererratis,  quae  spectant  littora,  terris, 

Invenit  ssarei  fatalia  fluminis  ora; 

Nec  procul  hinc  tumulum,  sub  quo  sacrata  Crotonis         ^^ 


574  H£TAM0RPII0SES. 

de  Croton.  Cest  \h  qu'il  b^tit  la  ville  qu'un  dieu  lui  ordonna 
de  construire,  et  qui  a  pris  son  nom.  »  Telle  est,  suivant  une 
tradition  certaine,  Torigine  de  Crolone  fondee  par  les  Grecs  sur  les 
confins  de  ritalie. 

TfTflAGORE.    —   Sk  DOCTRINE.   —   IL  EXPOSE  LES  CHAKGEHERTS  ET  LES 
MeTAHORPHOSES  QUI  ARRIVENT  DANS  LA  NATURE. 

n.  La  vivait  un  sage  de  Samos  qui  avait  fui  sa  patrie  et  ses 
maitres.  La  haine  de  la  tyrannie  en  fit  un  exile  volontaire.  £loign^ 
des  regions  celestes,  il  s*elevait  par  la  pensee  jusqu'au  trdne  des 
dieux,  et  son  g^nie  p6netrait  les  mysteres  que  la  nature  ddrobe 
aux  regards  des  humains..  Parvenu  a  la  connaissance  universelle 
par  la  mMitation  et  par  de  longues  veilles,  il  expliquait  a  des  dis- 
ciples  silencieux  et  enthousiastes  de  son  eloquence  Torigine  du 
monde,  les  principes  des  ^tres,  la  puissance  de  Ia*nature,  les  attri- 
buts  de  Dieu ;  comment  se  forment  la  neige  et  la  foudre ;  si  c'est 
Jupiter  ou  les  nuages  entr'ouverts  par  les  vents  qui  produisent  le 
tonnerre;  d'ou  viennent  les  tremblements  de  terre;  quelleslois 
regissent  les  astres  :  en  un  mot,  tous  les  secrets  de  Tunivers.  Le 


Ossa  tegebat  humus  :  jussaque  ibi  moenia  terra 
Condidit,  et  nomen  tumulati  traxit  in  urbem.  » 
Talia  constabat  certa  primordia  fama 
Esse  loci,  positaeque  italis  in  finibus  urbis. 

PYTHAGORiE  OPINIONKS  DE  MDTATIONIBUS  ET  CONVERSIONIBrs  QUAS  \AT(IRA  RFFICIT 

II.    Vir  fuit  hic  ortu  Samius  ;  sed  f ugerat  una  60 

Et  Samon,  et  dominos,  odioque  tyrannidis  exsul 
Sponte  erat.  lique,  licet  cceli  regione  remotus, 
Mente  deos  adiit,  et,  qu»  natura  negabat 
Visibus  humanis,  oculis  ea  pectoris  hausit. 
Quumque  animo,  et  vigili  perspexerat  omnia  rura,  6r) 

In  mcdium  discenda  dabat,  ccelusque  silenlum 
Diclaque  mirantum,  raagni  primordia  mundi, 
£t  rerum  causas,  et  quid  natura,  docebat; 
Quid  Deus;  unde  nives;  quae  fulminis  esset  origo  ; 
Jupiter,  an  venti,  discussa  nube,  tonarent;  70 

Quid  qualeret  terias;  qua  sidera  lege  mearent; 
Et  quodcumque  latet;  primusque  animalia  mensis 


( 


LIVRE  XV.  575 

Dremier  ii  fit  un  crime.v.ix  hommes  de  raanger  la  chair  des  ani- 
maux,  et  le  premier  il  fit  entendre  ces  doctes  paroles  k  un  siecle 
sourd  a  sa  yoix : 

«  Cessez,  mortels,  de  souiller  vos  corps  par  des  aliments  sacri- 
leges.  N'avez-vous  pas  les  moissons?  n'avez-vous  pas  des  arbies 
qui  ploient  sous  leurs  fruits  et  des  vignes  chargees  de  raisins?  Ne 
possedez-vous  pas  des  plantes  exquisesquelefeupeut  adoudr  ou 
amollir?  Le  lait  et  le  miel  parfume  de  thym  vous  sont-ils  inter- 
dits?  La  terre,  prodigue  de  ses  trdsors  et  de  delicieux  aliments,  ne 
'vous  foumit-elle  pas  une  nourriture  qui  ne  coiite  ni  meurtre  ni 
sang?  11  n'appartient  qu'aux  animaux  de  se  nourrir  de  chair :  en- 
coren'en  font-ils  point  tous  usage.  Lecheval,  la  brebis  et  le  boeuf 
broutent  rherbe  des  prairies.  Geux  qui  sont  d'un  naturel  farouche 
et  sauvage,  les  tigres,  les  lions  furieux,  les  loups  et  les  ours,  ai- 
ment  les  mets  sanglants.  Grands  dieux !  quel  crime  d'engIoutir 
des  entrailles  dans  ses  entrailles,  d'engraisser  avidement  son  corps 
d'un  autre  corps,  et  de  vivre  de  la  mort  d'un  6tre  vivant  comme 
nous!  Eh  quoi!  parmi  tant  de  biens  que  produil  la  terre,  la 
meilleure  des  meres,  vous  n'aimez  qu'a  imiter  les  barbares  Cy- 

Arguit  imponi ;  primus  qnoque  talibus  ora 
Docta  quidem  solvit,  sed  non  et  credila,  rerbis : 

«  Parcite,  mortales,  dapibus  temerare  nefandis  ?5 

Gorpora.  Sunt  fruges,  sunt  deducentia  ramos 
Pondere  poma  suo,  tumidaeque  in  ritibus  uvsb; 
Sunt  herbae  dulces,  sunt,  quae  mitescere  flamma, 
Moliirique  queant;  nec  vobis  lacleUs  humor 
Eripitur,  nec  melia  thymi  redolentia  florem,  80 

t^rodiga  divilias,  alimenlaque  mitia  tellus 
Suggerit,  atque  epulas  sine  csBde  et  sanguine  praebet. 
Carne  ferse  sedant  jejunia,  nec  tamen  omnes ; 
Qiiippe  equus,  et  pecudes,  armentaque  gramine  viTunt, 
At  quibus  ingenium  est  immansuetuiAque  femmqne,         85 
Armeniosque  tigres,  iracundique  leones, 
Cumque  lupis  ursi,  dafiibus  cum  sanguine  gaudent. 
Heul  quantum  scelus  est  in  viscera  viscera  condi, 
Oongestoque  aviddm  pinguescere  corpore  corpus, 
Alieriusque  animantem  animantis  vivere  letho !  90 

Scilicel  in  tantis  opibus,  quas  oplima  matrum 
Terra  parit,  nii  te  nisi  tristia  manderc  saivo 
Vulnera  denie  juVat,  ritusque  referre  Cyfclopum  ^ 


576  METAMORPliOSES. 

dopes,  eu  broyant  sous  vos  dents  cruelles  des  niembres  dechires! 
Ne  pouvez-vous  donc  rassasier  que  par  le  meurtre  votre  inon- 
strueuse  gloutonnerie? 

«  Dans  cet  age  antique  que  nous  avons  appele  VAge  d*or,  les 
niortels  se  contentalent  du  fruit  des  arbres  et  des  plantes  nees  du 
seln  de  la  terre.  Le  sang  ne  souillait  pas  leur  bouche.  Alors  roi- 
seau  pouvait,  ssms  danger,  fendre  les  airs,  et  ie  Mvre  errer  saus 
crainte  dans  les  campagnes.  Aiors,  le  poisson  credule  n^aliait  pas 
se  prendre  a  i^hame^on  perilde.  Nuile  embuclie,  nulle  fraude  a 
redouter :  partout  une  paix  profonde.  Mais  celui-la  ouvrit  une  voie 
aux  forfaitsqui,  cedant  a  un  desir  funesle,  convoita  ie  sang  des 
victimes  offertes  aux  dieux,  et  engloutit  des  chairs  dans  ie  gouffre 
de  son  ventre.  Cest  sans  doute  du  sang  des  b^tes  sauvages  que  le 
fer  fut  rougi  pour  la  premiere  fois.  Cetait  assez.  Des  lors  on  pul 
sans  crime  donner  ia  mort  aux  animaux  qui  menacent  notre  vie. 
il  fut  permis  de  les  tuer,  mais  non  de  s'en  nourrir.  Bientot  oii 
francliit  ces  limites.  Le  pourceau  fut  la  premiere  viclune  que 
l'on  crut  pouvoir  immoler,  parce  qu  en  l^ouleversant  la  terre  il 
detruisait  les  semences  et  ruinait  Fespoir  de  1'annee.  Le  bouc, 


Kec,  nibi  perdideris  aliurii,  placarc  voracisj 

Et  male  inorati  poteris  jejunia  vcnlris?  Q^ 

«  Al  velus  illa  oilas,  cui  fecimus  aurea  uomcn, 
FouLibus  ar])oreis,  el  quas  liumus  educat,  herbis 
Fortunala  fuit,  nec  poUuit  ora  cruore. 
Tunc  et  aves  lulas  niovere  per  aera  pennas, 
Et  lepus  iniiiavidus  mediis  erravit  in  agris;  100 

Nec  sua  credulitas  piscem  suspenderat  hanio. 
Cuncta  sine  insidiis,  nullamque  timentia  fraudeui, 
Plcnaque  pacis  Lranl.  Po&tquani  non  utilis  auclor 
Victibus  invidit  (quisquis  fuit  ille)  deorum, 
Corporeasque  dapes  avidani  demersit  in  alvum,  105 

Fecit  iter  scelcri;  primaque  e  ctede  ferarum 
Incaluisse  pulem  maculatum  sanguine  ferrum. 
Idque  satis  fuerat,  nostrumque  petentia  lethum 
•  ',(jrpora  mis&a  neci,  salva  pietate,  fatenmr; 
^ed  quam  danda  neci,  tani  non  cpuianda  fuerunl.  IIO 

I.ongiui  inde  nefas  abiit,  ct  prima  putalur 
llostia  sus  nuMui^jsc  mori,  quia  semina  pando 
Frucril  roslro,  5pcmque  inlercei»eril  anui. 


LIVRE  XV.  577 

(}ui  avait  attaque  la  vigne,  dut  aussi  Slre  immole  sur  l'autel  de 
Bacchus.  Ces  deux  animaux  subirent  ainsi  le  chaliment  de  leur 
faule.  Mais  vous,  paisibles  brebis,  nees  pour  satisfaire  a  tous  nos 
besoins,  quel  fut  votre  crime,  vous  qui  nous  offrez  un  delicieux 
neclar  dans  vt)s  mamelles  ftcondes,  vous  dont  la  moelleuse  toison 
nous  foumit  des  vStements,  et  dont  la  vie  nous  est  plus  utile  que 
)a  mort?  Quel  fut  le  crime  du  boeuf,  exempt  de  fraude  et  d'arli- 
tice,  animal  doux  et  simple  qui  allege  nos  fatigues?  Ah!  ce  fut  un 
ingrat,  indigne  des  bienfails  de  Ceres,  celui  qui  eut  le  courage  d'e- 
gorger  le  compagnon  de  ses  travaux  rustiques  a  peine  soulage  du 
poidsdela^charrue,  celui  qui  plongea  le  fer  dans  le  cou  deja  use 
de  Tanimal  qui  avait  tant  de  fois  silionne  ses  durs  guei  ets  et  lui 
avait  donne  tant  de  riches  moissons. 

«  Mais  ce  n'^tait  pas  assez  de  commettre  un  si  grand  crinie  '> 
rhomme  y  associa  les  dieux,  et  s^imagina  que  le  sang  des  taureaux 
etait  agreable  a  Jupiter  lui-m^me.  Une  victime  sans  taclie,  et,  pour 
son  malheur,  d'une  beaute  remarquable,  est  conduite  a  Tautel, 
couverte  de  bandelettes  d'or.  Elle  entend  des  prieres  qu'elle  ne 
saurait  comprendre,  et  voit  placer  entre  ses  cornes  les  fruili? 

Vilc  cuper  morau  Pacchi  inQutaDdub  ud  aras 

Ducitur  uiloris :  nocuit  sua  culpa  duobus.  115 

Quid  meruistis,  oves,  placidum  pecus,  inquc  luendo» 

>atuni  homincs,  plcuo  quae  fertis  in  ubere  nectar, 

Mollia  qux  nobis  vestrus  velamiua  lauas 

i^nebctis,  vitaque  ma^^is  quam  morte  juvatis? 

Quid  meruere  boves,  animal  sine  fraude  dolisquc,  120 

Innocuum,  simplex,  natum  tolerare  labores? 

Imnicmor  cst  dcmum,  uec  frugum  muncre  dignus, 

Qui  potuit,  curvi  dempto  modo  pondere  aratti, 

Ruricolam  mactare  suum;  qui  trita  laborc 

llla,  quibus  toties  durum  renovaverat  arvum,  li.*) 

Tot  dederat  messes,  percussit  colia  securi. 

«  Kec  salis  csl,  quod  tale  nefas  committilur  j  ip^os 
lus(.ripsere  deoj»  scclcri,  numcnque  supemum 
Ceede  laborifuri  crcdunt  gaudere  juvenci. 
Vicliuia  labc  carcns,  el  praistanlissima  forma,  130 

.Nam  placuisse  nocet,  viitis  insignis  et  auro, 
Sistitur  autc  aras,  audiique  ij^nara  precanlcm, 
Imponfquo  suo^  videt  intcr  coruua  fronti, 

33 


578  METAMOKPHOSES. 

qu'elle  a  fait  naitre.  Frappee  du  coup  mortel,  elle  baigue  de  son 
sang  le  couteau  qu  elie  a  peut-6tre  vu  dans  l^onde  liinpide.  Aussi- 
t6t  de  son  sein  encore  palpitant  on  arrache  les  entrailles  et  l'on 
y  cherche  la  volonte  des  dieux.  D'ou  vient  cetle  fureur  pour  des 
aliments  defendus?  Vous  osez  vous  en  repaitre,  d  morlels!  Ahlje 
vous  en  conjure,  renoncez  a  ces  cruels  festins,  et  gravez  mes  conseils 
dans  vos  coeurs.  Lorsque  vous  mangez  la  chair  de  vos  bGeufseg(»r- 
ges,  sachez-lebien,  vous  mangez  les  compagnons  de  vos  travaux. 

«  Puisqu'un  dieu  parle  par  ma  bouche,  je  vais  suivre  son  in- 
spiration,  decouvrir  les  secrets  que  je  tiens  de  Delphes,  devoiler 
le  ciel  meme  et  ses  oracles  sacres.  Je  vais  exphquer  les  grands 
mysteres  qui  ont  echappe  a  la  penetration  de  nos  anc6tres.  Je  veux 
quitter  la  terre,  ce  sejour  perissable,  m'^ancer  jusqu'aux  astres, 
voler  sur  les  nuages,  et  m'asseoir  sur  les  epaules  du  puissant 
Atlas.  Je  veux  du  haut  de  cette  sphere  contempler  les  humaiiu 
emportes  par  rerreur,  sourds  a  la  voix  de  la  raison,  iivres  a  des 
craintes  frivoles  et  redoutant  le  tr^pas ;  je  veux  les  encoorager  par 
mes  paroles  et  derouler  a  leurs  yeux  le  Uvre  des  Destins. 

rt  Morlels  que  glace  reffroi  de  la  mort,  pourquoi  craindre  le  Styx 

Quas  coluit,  frugcb;  percussaque  sanguinc  cultros 

Inficit  in  liquida  prxvisos  forsitan  unda.  135 

Prolinus  ereptas  viventi  pectore  fibras 

Inspiciunt,  mentesque  deum  scrutantur  in  illis. 

Unde  fames  houiini  velitorum  tanta  ciborum? 

Audelis  vesci,  genub  o  mortale?  Quod,  oro, 

Ne  facite,  et  monitis  animos  advertite  nostris;  14(J 

Quumque  boum  dabitis  caesorum  membra  palato, 

Mandere  vos  vestros  scite  et  sentite  colonos. 

«  Et  quoniam  deus  ora  movet,  sequar  ora  movtntein 
Rite  deum;  Delphosque  meos,  ipsumque  recludam 
^thera,  et  augustne  reserabo  oracula  mentis.  1.15 

Magaa,  nec  ingeniis  invesligata  priorum, 
QuDcque  diu  latuere,  canam.  Juvat  ire  per  alta 
Aslra;  juvat  terris.  et  inerli  sede  relicta, 
Nube  vehi,  validique  humeris  insistere  Allanlis, 
Falantesque  animos  passim  ac  ralionis  egentes  150 

Oespectare  procul,  trepidosque,  obitumque  timentcs 
Sic  exhorlari,  seriemque  cvolvere  fali : 

"  0  genus  attonitum  gelidae  formidine  mortis ! 
Quid  Slyga,  quid  tenebras,  quid  nomina  vana  timetis, 


LlYliE  XV.  570 

€t  le  sombre  royaume,  fables  invent^es  par  les  poeles,  et  ces  sup- 
^lioes  d*un  monde  imaginaire  ?  Nos  corps,  soit  que  la  flamme  du 
biicher  les  devore,  soit  que  le  temps  les  consume,  ne  peuvent 
souffrir  aucun  mal.  Les  Smes  sont  hors  des  atleintes  de  la  mort. 
Au  sorlir  de  leur  premiere  demeure,  regues  dans  un  nouveau  se- 
jour,  elles  s'y  tixent  pour  y  jouir  d'une  eternelle  vie.  Moi-meme, 
ii  m'en  souvient,  pendant  la  guerredeTroie,  j'etais  Euphorbe,  fiis 
de  Panthus.  Le  plus  jeune  des  Atrides  me  per<;a  le  coeur  de  sa 
lance  redoutable.  Naguere,  dans  le  temple  de  Junon,  a  Argos,  j'ai 
reconnulebouclier  quejeportais  a  la  main  gauche.  Tout  change, 
rien  ne  perit.  L^jime  erre  d'un  corps  dans  un  autre,  quel  qu'ii 
soit;  elle  passe  de  lab^te  dans  Thomme,  de  l'homme  dans  la  b^te, 
et  ne  meurt  jamais.  Gomme  la  ^cire  re^oit  mille  enipreintes  di- 
verses,  qu'elle  change  et  renouvelie  sans  alterer  sa  substance,  Tame 
reste  toujours  la  m^me;  mais,  d'apr^  ma  doclrine,  elle  subit  plu- 
sieurs  tragsmigrations.  Graignez  donc  de  devenir  impi6s  pai^  des 
appetits  deregles ;  gardez-vous  (ici  je  parle  au  nom  des  dieux)  de 
chasser  de  leur  asile,  par  un  meurtre  abominable,  les  toes  de  vos 
parents.  Que  votre  sang  nc  se  nourrisse  pas  de  votre  propre  sang* 

Muleriem  vatum,  falsique  piacula  mundi?  155 

Corpora  sive  rogus  flamma,  seu  tabe  vetustas 
Abstulerit,  mala  posse  pati  non  ulla  putelis. 
Morle  careut  aaimse,  semperque,  priorc  relicta 
Sede,  novis  domibus  vivunt  habitantque  recepliig. 
Ipse  ego,  nam  memini,  trojani  tempore  belli,  l60 

Panthoides  Euphorbus  erum,  cui  pcctore  quondam 
Sedit  in  adverso  gravis  hasta  minoris  Alridse. 
Cognovi  clypeum,  l<evsB  gestamina  noslrae, 
Muper  abanleis  lemplo  Junonis  in  Ai-gis. 
Omnia  mutanlur  :  nihil  interit;  errat,  et  illiab  iG5 

Huc  venit,  hiiic  illuc,  ct  quoslibet  occupat  artus 
Spiritus,  eque  feris  liumana  in  coi>pora  transit, 
Inque  feras  noster,  nec  lempore  deperit  uUo. 
Ltque  novis  facilis  signatur  cera  flguris, 
Nec  manet,  ut  fuerat,  nec  formas  servat  easdem,  i7d 

.  Sed  tamen  ipda  eadem  esl;  animam  sic  semper  eamdem 
Esse,  sed  in  varias  doceo  migrare  figuras. 
Ergo,  ne  pielas  sit  vicCa  cupidine  ventris, 
Parcite,  vaticinor,  cognatas  csede  nefanda 
Exturbare  anmias,  nec  sanguiiM  sangui»  aUtiir.  l75 


580  METAMORPHOSES. 

fl  Puisque  je  vogue  a  pleines  voiles  sur  un  ocean  immense,  je 
vous  dirai  que  dans  Tunivers  rien  n'est  stable;  tout  nous  echappe, 
tout  n^offre  qu^une  image  passagere.  Le  temps  lui-m^me,  dans  sa 
course  eternelle,  rouie  comme  un  torrent.  Car  ie  fleuve  rapide  et 
Theure iegere ne  peuvent sarr^ter.  Le flot presse  le  flot ;  celui qui 
precede  est  chasse  par  cielui  qui  le  suit,  comme  il  presse  cdui  qui 
l'avait  precede.  De  mtoe  les  heures  fuient,  se  succedent  etsont  tou- 
jours  nouvelles.  L'instant  qui  fut  naguere  n'est  plus,  celui  qui 
n'etait  pas  commence,  et  tous  les  moments  se  renouveHent  sans 
cesse.  Yoyez-vous  la  nuit  s'avancer  vers  le  jour,  et  la  lumiere 
prendre  ia  place  des  t^nebres?  La  couleur  des  cieux  n'est  pas  la 
m^me  quand  la  nature  est  ensevelie  dans  le  repos,  et  lorsque 
Tastre  du  matin  se  montre^ur  son  pMe  coursier.  Elle  change  aussi 
lorsque  1  avanl-courriere  du  jour  empourpre  Tunivers  avant  de  le 
iivrer  au  soleil.  Son  disque  est  vermeil,  ie  maiin,  l<»*squ'il  se 
leve,  et,  le  soir,  quand  il  disparait  au  couchant.  Au  plu^  haut  point 
de  sa  course,  il  a  une  blancheur  ^blouissante,  parce  que,  daus 
cette  region,  l'air  est  d^ag^  des  vapeurs  de  la  terre.  La  reine  des 
nuits  n^offre  jamais  non  plus  le  mSme  aspect.  La  veille,  quand  elle 

«  £t  quoniain  magno  feror  aequore,  plenaque  veuli§ 
Vela  dedi,  niliil  est,  loto  quod  perstet  in  orbe : 
Cuncta  fluunt,  oinnisque  vagans  fonnatur  imago. 
Ipsa  quoque  assiduo  volvuntur  tempora  motu, 
Non  secus  ac  flumen.  Keque  enim  consistere  fluiucn,        ^>^^ 
Ncclevis  hora  potcst;  sed  ut  unda  impellitur  unda, 
LVgcturque  prior  veniente,  urgetque  priorem; 
Tempora  sic  fugiunt  pariter,  pariterque  sequuutur, 
El  nova  sunt  semper;  nam  quod  fuit  ante,  relictum  cst; 
Filque,  quod  haud  fuerat,  momentaque  cuncta  novantur.  18.'i 
Cernis,  ct  emersas  in  lucem  tendere  noctes, 
Et  jubar  hoc  nitidum  nigrae  succcdere  nocti. 
Nec  color  est  idem  coelo,  quum  lassa  quiete 
Cuncta  jacent  media,  quumque  albo  Lucifer  exit 
Clarus  equo;  rursusque  alius  quum  prsevia  lucis  idO 

Tradendum  Phacbo  Pallantias  inficit  orbem. 
Ipse  dei  clypeus,  terra  quum  tollitur  ima, 
Mane  rubet,  terraque,  rubct,  quum  conditur  ima. 
Candidus  in  summo  est,  mclior  natura  quod  illic 
ifitheris  cst,  terraeque  procul  contagia  vitat.  ^^'o 

Nec  par,  aut  cadem  noclurnae  forma  Diante 
)Liii^  poVcsl  un(\uam  :  semperquc  hodierna  sequente 


LIYRB  XV.  581 

croit,  elle  est  moindre  que  le  lendemain,  et,  dans  son  d^cours, 
elle  est  plus  grande. 

«  Que  dis-je?  Ne  yoyez-vous  pas  rann^  se  partager  en  quatre 
saisons  et  pr^nter  ainsi  une  image  de  la  vie?  D^licate  dans  les 
•premiers  jours  duprintemps,  elle  ressemble  a  un  enfant  a  la  ma- 
melle.  Alors  le  bl^  yerdoyant,  mais  fr^le  et  sans  force,  se  gonfle 
de  sucs  abondants  et  charme  Tespoir  du  laboureur.  Tout  fleurit ; 
la  campagne  se  pare  de  sesplus  riches  couleurs ;  mais  les  plantes 
n'ont  aucune  energie.  Apr^  le  printemps,  l'ann^  plus  robusle 
arrive  a  Tet^  et  prend  la  vigueur  de  la  jeunesse.  Aucune  ^poque 
n'est  plus  forte,  plus  fgconde  ni  plu$  ardente.  L'aulomne,  qui 
lui  succede,  n*a  plus  les  feux  du  jeune  dge.  Dans  sa  paisible  ma«> 
turite,  il  tient  le  milieu  entre  la  jeunesse  et  la  vieillesse  :  sa  t^te 
oommence  a  blanchir.  Enfln  le  vieil  hiver  s^avance  d'un  pas  triste 
et  treinblant :  il  est  depouille  de  cheveux,  ou  n'en  a  plus  que  de 
blancs. 

«  Nos  corps  aussi  soiit  sujets  a  de  perpetuels  changements.  Ge  que 
nous  avons  et^,  ce  que  nous  sommes,  nous  ne  le  serons  plus  de- 
main.  U  fut  un  temps  ou,  simple  germe  de  Thomme  encore  a 
naitre,  nous  habitdmes  le  sein  maternel.  La  nature  facilita  notre 

Si  crescit,  minor  est;  major,  si  contrahit  orbem. 

«  Quid?  non  in  species  secedcre  quattuor  annum 
Aspicis,  actatis  peragcntem  imitamina  nostrs?  200 

Nam  teder,  et  lactens,  puerique  simillimus  sevo 
Vere  novo  est.  Tunc  herba  niteas,  et  roboris  expers, 
Turget,  et  insolida  cst,  et  spe  delectat  agrestem. 
Omnia  tum  florent,  florumque  coloribus  almus 
Ridet  ager,  nequc  adhuc  virtus  in  frondibus  ulla  est.      *20?i 
Transit  in  aeslatem  post  ver,  robustior  annus, 
Fitque  valens  juvenis;  nequc  enim  robustior  a}tas 
Ulla,  nec  uberior,  nec  qus  magis  aestuet,  ulla  cst. 
Excipit  autumnus,  posito  fervore  juvents 
Maturus,  mitisque,  inter  juvenemque  senemque  •  210 

Tempcrie  medius,  sparsis  per  tempora  canis. 
Inde  senilis  hiems  tremulo  vcnit  horrida  passu, 
Aut  spoliata  suos.  aut,  quos  habet,  alba  capillos. 

«  Nostra  quoque  ipsorum  semper,  requieque  sitie  ulla 
Corpora  vertuntur;  nec,  quod  fuimusve,  sumusve,  215 

Cras  erimus.  Fuit  illa  dies,  qua  semina  tantum, 
Spesque  bominum  prim»  materna  habitavimus  alvo. 


582  JlfiTAMORPHOSES. 

d^veloppement.  Elle  ne  Toulutpasque  notre  corps  restftt  dans  les 
fldncs  ou  il  etait  renferme,  et  son  habile  main  nous  ouvrit  les 
portes  de  la  vie.  D^s  que  l'enfant  voit  le  jour,  il  est  sans  force  et 
ne  peut  se  mouvoir.  Bientdt,  comme  un  quadrup^de,  il  marche 
sur  ses  pieds  et  sur  ses  mains.  Peu  a  peu,  tremblant  et  mal  af- 
fermi  sur  ses  jarrets,  il  cberche  un  appui  qui  le  soutienne.  Puis  il 
devient  robuste  et  agile.  Sa  jeunesse  s'envole.  II  traverse  T^e 
moyen  de  la  vie,  et,  par  une  penle  rapide,  est  emporte  au  eour 
chant  de  ses  jours.  La  vieillesse  mine  et  d^truit  par  degres  la  force 
de  r^ge  milr.  Milon,  sous  le  poids  des  ans,  pleure  en  voyant  ses 
bras,  naguere  aussi  vigoureux  que  ceux  d'llercule,  mahdtenant 
faibles  et  languissants.  La  fiile  de  Tyndare  pleureaussi,  quandun 
nuroir  lui  montre  les  rides  de  F^ge,  et  elle  se  demande  comment 
elle  put  ^tre  enlevee  deux  fois.  0  temps  qui  devores  tout,  et  toi, 
jalouse  vieiilesse,  rien  n'echappe  a  vos  coups !  Yos  atteintes  con- 
sument  peu  a  peu  tous  les  ^tres  et  les  conduisent  insensiblement 
a  la  mort. 

fl  Ge  que  nous  appelons  iUments  n'a  pas  plus  de  stabilite.  Je 
vais  vous  apprendre  les  changements  qu'ils  subissent.  Pr^tez-rooi 

Artinces  nalura  manus  admovit,  et  angi 

Corpora  visceribus  distentae  condita  matris 

Noluit,  eque  domo  vacuas  emisit  in  auras.  220 

Editus  in  lucem  jacuit  sine  viribus  infans; 

Mox  quadrupes,  riluque  tulit  sua  membra  ferarum; 

Paulatimque  tremens,  et  nondum  poplite  firmo 

Conslitit,  adjulis  aliquo  conamine  nervis. 

Inde  valens  veloxque  fuit;  spatiumque  juvcntaj  22j 

Transit,  et,  emensis  medii  quoque  temporis  annis, 

Labitur  occiduae  per  iter  declive  senecta). 

Subruit  haec  aevi  demoliturquc  prioris 

Robora  ;  fletque  Milon  senior,  quum  spcctat  inanes 

lllos  qui  fuerant  solidorum  mole  tororum,  230 

Herculeis  similes,  fluidos  pendere  lacerlos; 

Flet  quoque,  ut  in  speculo  rugas  conspexit  aniles, 

Tyndaris,  et  secum,  cur  sit  bis  rapta,  requirit. 

Tempus  edax  rerum,  tuque  invidiosa  vetustas, 

Omnia  destruitis,  vitialaque  dcntibus  aevi  233 

Paulatim  lenta  consumitis  omniu  morte. 

«  Haec  quoque  non  perstant,  quae  nos  elcmenta  vocamiis: 
Ouasquo  vices  poragant,  animos  adhibete,  ('ocebo. 


LIYRB  XV.  r.r5 

une  oreille  attentWe.  Le  monde  eternel  contient  quatre  principes. 
Deux,  la  terre  et  Teau,  sont  pesants  et  gravitent  vers  ia  terre. 
Les  deux  autres,  Tair  et  le  feu,  plus  pur  que  Tair,  prives  de 
pesanteur,  s'^Ievent  sans  que  rien  coroprime  leur  essor.  Quoi- 
que  un  espace  les  separe,  iis  font  tout  naitre,  et  tout  se  resout 
en  eux.  La  terre,  dissoule,  tombe  en  rosee.  L'eau,  reduite  en 
vapeur,  se  confond  dans  l'air,  qui,  depouille  de  sa  pesanteur, 
devient  plus  subtil  et  s'envole  dans  la  r^gion  du  feu.  Ensuite, 
par  une  revolution  contraire,  ils  reprennent  leur  premier  etat, 
Le  feu,  epaissi,  devient  pesant  et  se  change  en  air;  Tair  se 
convertit  en  eau ;  Teau  se  condense  en  argile.  Rien  ne  garde  sa 
forme  primitive.  La  nature  renouvelle  tout  et  substitue  inces- 
samment  une  figure  a  une  autre.  Dans  Tunivers,  croyez-moi, 
rien  ne  p6rit;  seulement  tout  varie,  tout  prend  une  autre  forme. 
Naitre,  c'est  commencer  a  §tre  autre  qu'on  n'etait  d*abord ;  mou- 
rir,  c'est  cesser  d'6tre  ce  qu'on  6tait.  Mais,  a  travers  ces  perp6- 
tuels  changements  de  forme  et  de  lieu,  la  substance  de  T^tre  reste 
la  m^me. 

fl  Non,  rien  ne  peut  durer  sous  la  m^me  apparence;  je  n'en 

Quattuor  seternus  genitalia  corpora  mundus 
Continet.  Ex  illis  duo  sunt  onerosa,  suoque  240 

Pondere  in  inferius,  tellus  atque  unda,  ferQntur; 
Et  totidera  gravitate  carent,  nuUoque  premente 
Alta  petunt,  aer,  atque  aere  purior  ignis. 
Quae  quanquam  spatio  distant,  tamen  omnia  fiunt 
Ex  ipsis,  et  in  ipsa  cadunt;  riesolutaque  tellus,  245 

In  liquidas  rorescit  aquas;  tenuatus  in  auras 
Aeraque  humor  abit;  dempto  quoque  pondere,  rursus 
In  superos  aer  tenuissimus  emicat  ignes. 
Inde  retro  redeunt,  idemque  retexitur  ordo. 
Ignis  enim  densum  spissatus  in  aera  transit;  2S0 

Hic  in  aquas;  tellus  glomerata  cogitur  unda; 
liec  species  sua  cuique  manet,  rerumque  novatrix 
Ei  aliis  alias  reparat  natura  figuras. 
Nec  perit  in  tolo  quicquam,  mihi  credite,  mundo; 
Sed  variat,  faciemque  novat,  nascique  vocatur  255 

Incipere  esse  aliud,  quam  quod  fuit  ante,  morique 
Desinere  illud  idem.  Quum  sint  huc  forsitan  illa, 
Hsec  translata  illuc,  summa  tamen  omnia  constant. 
«  Nil  equidem  durare  diu  sub  imagine  eadera 


584  «         MlilTAMORPHOSES. 

saurais  douter.  Ainsi,  apres  le  siecle  d'or,  vint  le  si^cle  de  fer; 
ainsi  divers  pays  ont  souvent  change  de  fabe.  J'ai  vu  ce  qui  elait 
autrefois  un.terrain  st^lide  6tre  maintenant  une  mer ;  j'ai  vu  des 
terres  sortir  du  sein  des  flots.  Loin  de  lOcean  on  a  lrouv6  ^  et  l^  des 
conques  marines ;  une  ancre  antique  a  ete  deterr^e  sur  de  hautes 
montagnes.  Les  plaines  ont  et6  converties  en  vallees  par  ies  tor- 
renls,  et  dcs  inondations  ont  chauge  les  montagnes  en  plaines.  Des 
sables  arides  ont  pris  la  plape  d'anciens  marais,  et  des  champs 
bnil^s  jadis  par  le  soleil  sont  devenus  des  marteges.  Ici  la  nature 
ouvre  des  sources  inconnues,  ailleurs  elle  en  ferme  d'anciennes. 
Des  tremblements  de  (erre  ont  jadisfaitjaillir  ou  taribeaucoup  de 
lleuves.  Cest  ainsi  que  le  Lycus,  absorbe  dans  les  entrailles  de  la 
terre,  renait  plus  loin  d'une  autre  source ;  c'est  ainsi  que  le  grand 
Erasin,  englouti  dans  un  gouffre  ou  il  promene  ses  ondes  souter- 
raines,  reparait  a  la  clarte  des  cieux  dans  les  plaines  d'Argos,  et 
que  le  Caique  dont  les  eaux  traversent  la  Mysie,  degoute,  dit-on, 
de  sa  source  et  de  ses  premiers  bords,  va  baigner  d'autres  con- 
trees.  L'Amenane  tant^t  arrose  les  sables  de  la  Sicile,  et  tantdl 
voit  ses  sources  dess^chees.  On  buvait  autrefois  les  eaux  de  FAni- 

rrediderira  :  sic  ad  ferrum  venistis  ab  auro  260 

Ssccula;  sic  toties  versa  est  fortuna  locorum. 

Vidi  ego,  quod  fuerat  quondam  solidissima  tellus, 

Esse  fretum;  vidi  faclas  ex  aiquore  terras; 

Et  procul  a  pelago  conchaB  jacuere  marinae, 

Et  vetus  inventa  est  in  monlibus  anchora  summis;  2G^ 

Quodque  fuit  campu|,  vallem  dccursus  aquarum 

Fecit,  ut  eluvie  mons  esl  deductus  in  ccquor; 

Eque  paludosa  siccis  humus  aret  arenis; 

Qujpque  silim  tulerant,  stagnata  paludibus  hument. 

Hic  fonles  nalura  novos  emisit,  at  illic  270 

Clausil,  et  anliquis  lam  mulla  Iremoribus  orbis 

Flumina  prosiliunt,  aut  excaicata  residunl. 

Sic  ubi  terreno  Lycus  est  epolus  hiatu, 

F.xistit  procul  hinc,  alioque  renascitur  ore. 

Sic  modo  combibitnr,  tecto  modo  gurgite  lapsus  S75; 

Hcdditur  argolicis  ingens  Erasinus  in  arvis; 

Kt  Mysum  capitisque  sui,  ripajque  prioris 

Poeniluisse  ferunt,  alia  nunc  ire,  Caicum. 

ISec  non  sicanias  volvens  Amenanus  arenas 

Nunc  fluit,  inlerdum  suppressis  fonlibus  aret.  SPO 

Ante  bibcbatur,  nunc,  quas  contingere  nolis, 


l 


LIVRE  XV.  585 

gre,  qii*6n  n*ose  plus  toucher,  depuis  le  jour  ou,  8'il  en  faut  croire 
les  poetes,  les  Gentaures  lav^rent  dans  ce  fleuve  les  blessures 
que  leur  avaient  faites  les  fl^ches  d'Hercule.  Que  dis-je?  les  eaux 
de  rHypanis  qui  descend  des  montagnes  de  la  Scythie,  douces 
d'abord,  ne  se  chargent-elles  pas  d'un  sel  amer?  Les  flots  entou- 
raient  Antissa,  Pharos  et  Tyr,  fond^e  par  ies  Ph^niciens;  aujour- 
d'hui,  ce  ne  sont  plus  des  iles.  Les  anciens  habitants  de  Leucnde 
virent  leur  territoire  uni  au  continent ;  maintenant  la  mer  l'en- 
vironne.  Zancle  aussi  etait,  dit-on,  jointe  a  Tltalie,  avant  que 
rOcean,  s^parant  ces  deux  terres,  edi  entrain^  la  Sicile  au  milieu 
de  ses  ondes.  Si  vous  cherchez  dans  rAchaie  Helice  et  Buris,  vous 
les  trouverez  sous  les  eaux.  Le  nautonier  montre  encore  leurs 
murs  indines.  Non  loin  de  Tr^ene,  ou  regna  Pitthee,  s'eleve  une 
colline  sans  ombrage.  C^tait  jadis  une  plaine  immense.  Par  un 
prodige  dont  le  recit  m^me  est  horrible,  les  vents,  furieux  d'etre 
enfermes  dans  leurs  cavernes,  voulurent  respirer  librement.  Ils 
lutt^rent  en  vain  pour  reparattre  a  la  clarte  des  cieux.  Comme 
leur  prison  n^offrait  aucun  passage  a  leur  haleine,  ils  gonflerent- 
les  flancs  de  cette  terre,  qui  se  developpa  tout  a  coup,  ainsi  que 

Fundit  Anigros  aquas,  poslquam,  nisi  vatibus  omnis 

Eripienda  fides,  illic  lavere  Bimembres 

Vulnera  clavigeri  qusB  fecerat  Herpulis  arcus. 

Quid?  non  et  scylhicis  Hypanis  de  monlibus  ortus,  285 

Qui  fueral  dulcis,  salibus  vitiatur  amaris? 

Fluctibus  ambitae  fuerant  Antissa,  Pharosque, 

Et  phflcnissa  Tyros;  quarum  nunc  insula  nulla  est. 

Leucada^continuam  veteres  habuere  coloni ; 

Nunc  Treta  circueunt.  Zancle  quoque  juncta  fuisse  290 

Dicitur  Italise,  donec  confinia  pontus 

Abstulit,  et  media  tellurem  reppulit  unda. 

Si  quaeras  Helicen  et  Burin,  achaidas  urbes, 

Invenies  sub  aquis,  et  adhuc  ostendere  nautte  * 

Inclinata  solent  cum  moenibus  oppida  mersis.  295 

Est  prope  pittheam  tumulus  Trcezena,  sine  uUis 

Arduus  arboribus,  quondam  pianissima  campi 

Area,  nunc  tumulus.  Nam,  res  horrenda  relatu, 

Vis  fera  vcnlorum,  caecis  inclusa  cavernis, 

Esspirare  aliqua  cupiens,  luctataque  frustra  200 

Liberiore  frui  ccelo,  quum  carcere  rima 

Nulla  foret  toto,  nec  pervia  flatibus  esset, 

Eitcntam  tumefecit  humumi  ceu  spiritus  oris 


m  METAMORPHOSES. 

]e  souflGle  de  notre  bouche  enfle  une  vessie  ou  une  outre.  Depuis  ce 
temps,  cette  terre  a  conserv^  le  m^me  volume.  Elle  a  pris  la 
forme  d'une  haute  colline  et  s'est  durcie  avec  le  temps. 

«  11  se  pr^sente  a  mon  esprit  une  foule  de  merveilles  que  vous 
connaissez  par  vous-m^mes  ou  par  la  renommee.  Je  me  bomerai 
a  un  petit  nombre.  L'eau  ne  donne-t-elle  pas  et  ne  re^it-elle  pas 
mille  formes?  Ammon,  ton  onde,  glacee  a  midi,  n'est-elle  pas 
bnulante  au  lever  et  au  coucher  du  soleii?  Le  bois  s'allume, 
dit-on,  s'ii  est  plonge  dans  une  sonrce  d'Athamanie,  lorsque  la 
lune  acheve  son  declin.  Ghez  les  Giconiens,  Teau  d'un  cerlain 
fleuve  pelrifie  les  entrailles  de  ceux  qui  en  boivent,  et  durcit  les 
objets  qu'elle  touche.  Le  Grathis  et  le  Sybaris,  qui  baignent  nos 
campagnes,  donnent  aux  cheveux  la  couleur  de  Tambre  et  de  Tor. 
0  prodige  plus  etonnant  encore !  Certaines  eaux  changent  non- 
seulement  les  corps,  mais  les  esprits.  Qui  ne  connait  rimpure 
Salmacis  et  ces  lacs  d'Ethiopie  qui  rendent  furieux  celui  qui  s'y  • 
desaltere,  ou  rensevelissent  dans  unprofond  sommeil?  Un  homroe 
a-t-il  apaise  sa  soif  dans  la  fontaine  de  Glitore,  il  det^ste  le  vin 
et  n'aime  que  Fonde  pure,  soit  qu'il  y  ait  dans  cette  fontaine  une 


Tendere  vesicam  solet,  aut  direpta  bicorni 

Terga  capro.  Tiimor  ille  loci  pcrmansit,  et  alti  305 

Collis  habet  speciem,  longoqiie  induruit  ajvo. 

«  Plurima  quum  subeant,  audita  aut  cognita  vobis, 
Pauca  super  referam.  Quid?  non  et  lympha  liguras 
Datque  capitque  novas?  Medio  lua,  corniger  Ammon, 
Unda  die  geiida  est,  ortuque  obituque  calescit.  510 

Admotis  Athamantis  aquis  accendere  lignum 
Narratur,  minimos  quum  luna  recessit  in  orbes. 
Flumen  habent  Cicones,  quod  potum  saxea  reddit 
Viscera,  quod  tactis  inducit  marmbra  rebus. 
Crathis,  et  huic  Sybaris  noslris  conterminus  arvis,  513 

Electro  similes  faciunt  auroque  capillos. 
Quodque  magis  mirum,  sunt  qui  non  corpora  tantnm, 
Verum  animos  etiam  valeant  mutare,  liquores. 
Cui  non  audita  est  obscena;  Salmacis  undaB? 
iEthiopesque  lacus?  Quos  si  quis  faucibus  hausit,  520 

Aul  furit,  aut  mirum  patitur  gravitate  soporem. 
Clitorio  quicumque  sitim  de  fonte  levarit, 
Vina  fugit,  gaudetque  meris  ahstemius  imdis; 


LIVRE  XV.  ^  587 

vertu  contraire  k  la  chaleur  du  vin,  soit,  comme  le  racontent  les 
ipdig^nes,  que  le  fils  d'Amithaon,  apres  avoir,  par  ses  enchante* 
ments  et  par  ses  herbes  magiques,  rendu  la  raison  aux  filles  de 
Pr^tus  surprises  de  ce  prodige,  ait  jete  les  philtres  qui  les  avaient 
gu^ries  dans  cette  source,  et  que  Thorreur  du  vin  se  soit  commu- 
niquee  a  l'onde.  Les  eaux  du  Lynceste  produisent  un  effet  con- 
traire.  Celui  qui  en  boit  avec  exces  chancelle  comme  s'il  avait  bu 
du  vin  pur. 

«  II  y  a  en  Arcadie  un  lac^ppele  Pheneon  chez  les  anciens,  et 
suspectpour  la  perfidie  de  ses  eaux.  Craignez  d^eafaire  usage;  elles 
incommodent  pendant  la  nuit,  et  sont  sans  danger  pendant  le  jour. 
Ainsi  les  iacs  et  les  fleuves  ont  des  propriet^s  diverses.  II  fut  un 
temps  ou  Ortygie,  maintenant  immobile,  voguait  sur  les  ondes.  Argo 
redouta  les  Symplegades  errantes  et  les  flots  qu^elles  soulevaient 
en  s'entre-heurtant.  Aujourd'hui  elles  sont  fixes  et  resistent  aux 
vents.  L'Etna,  dont  le  soufre  embrase  les  fournaises,  ne  vomira 
pas  toujours  des  flammes,  et  il  n'en  a  pas  toujours  vomi.  Si  la 
terre  est  un  Stre  anim^,  elle  vit,  et  elle  a  des  soupiraux  d'oii 
s'exalent  des  feux.  Toutes  les  fois  qu'une  secousse  Febranle,  elle 

Seu  yis  est  in  aqua  calido  contraria  vino, 

Sive,  quod  indigensB  memorant,  Amitiiaone  natus,  325 

Proetidas  attonitas  poslquam  per  carmen  et  herba» 

Eripuit  Furiis,  purgaroina  menlis  in  illas 

Misit  aquas,  odiumque  meri  permansit  in  undis. 

Huic  fluit  effectu  dispar  lyncestius  amnis, 

Quem  quicumque  parum  raoderato  gutturc  traxjt,  ^ 

Haud  aliter  titubat,  quam  si  mera  vina  bibisset. 

«  Est  lacus  Arcadiae  (Pheneon  dixerc  priores) 
Ambiguis  suspectus  aquis,  quas  noclc  timcto : 
Nocte  nocent  polse;  sine  noxa  hice  bibuntur. 
Sic  alias,  aliasque  lacus  et  flumina  vires  HIV» 

Concipiunt.  Tempusque  fuit,  quo  navit  in  undis, 
Nunc  sedct  Ortygie.  Timuit  concursibus  Argo 
Undarum  sparsas  Symplegadas  elisarum, 
Quae  nunc  immotse  perstant,  ventisque  resistunt. 
Nec,  quaj  sulfureis  ardet  fomacibus,  iEtne  340 

Ignea  semper  erit;  neque  enim  fuit  ignea  semper. 
Nam  sive  est  animal  tellus,  et  vivit,  haiietque  , 
Spiramenta,  locis  flammam  exhalantia  multis; 
Spirandi  mutare  vias,  quotiesque  movetur. 


588  ^  METAMORPIIOSES. 

peul  changer  ces  nombreuses  issues,  en  fermer  quelques-unes  sur 
rna  point  et  en  ouvrir  de  nouvelles  sur  un  autre ;  soit  que  les  vents, 
emprisonnes  dans  des  cavemes  profondes,  lancent  des  rochers  qui 
se  heurtent  et  des  matieres  ignees  qui  s^enflamment  en  s'entrecho- 
quant;  car  ces  vents  abandonneront  lem^  antres  qui  se  refroidi- 
ront  ;^soit  que  les  feux  souterrains  s^alimentent  par  le  bitume,  et 
que  le  soufre  s'enflamme  en  repandanl  une  leg^re  fumee.  En  effet, 
la  terre,  dont  le  temps  dans  sa  marche  lente  epuise  les  forces,  nc 
leur  fournira  plus  de  nourriture,  et  le  gouffre,  priv^  des  aliments 
que  reclame  sa  voracite,  verra  un  jour  s'eteindre  ses  feux. 

«  Non  loin  de  Pall^ne,  dans  les  regions  hyperborees,  il  est, 
dit-on,  des  hommes  dont  les  corps,  plonges  neuf  fois  dans  le  ma- 
rais  de  Trilon,  se  couvrent  de  plumes  legeres.  Je  n'y  ajoute  pas 
plus  de  foi  qu'a  ce  qu^on  raconte  de  ces  femmes  de  Scythie,  qui, 
par  un  artifice  analogue,  s'arrosent  de  certains  sucs  et  se  chan- 
gent  en  oiseaux. 

«  Cependant,  si  Ton  doit  croire  a  des  prodiges,  c'est  a  ceux  (jn 
sont  prouves.  Ne  voyez-vous  pas  les  corps,  tomb^s  en  dissolution 
par  le  temps  ou  par  la  chaleur,  se  metamorphoser  en  insectes? 
Immolez  les  plus  superbes  laureaux,  renferrnez  -  les  dans  une 

Ilas  finirc  potesl,  iilas  apcrire  cavernas ;  345 

Sive  leves  imis  venli  cohibentur  in  anlris, 

Saxaquc  cuni  saxis,  et  habentem  semina  flammss 

Materiam  jaclant;  ea  concipit  ictibus  ignem ; 

Antra  relinquentur  sedatis  frigida  ventis; 

Sive  bituminese  rapiunt  incendia  vires,  3o0 

Luteave  exiguis  ardescunt  sulfura  fumis. 

Nempe  ubi  terra  cibos,  alimenlaque  pinguia  flamma! 

IVon  dabit,  absumptis  per  longum  viribus  avum. 

Natui^xque  suum  nutrimcn  dccrit  edaci, 

Non  ferel  illa  famem,  desertaque  deseret  ignes.  Ttihi 

«  Esse  viros  fama  est  in  hyperborea  Pallenc, 
Qui  soleant  levibus  velari  corpora  plumis, 
Quum  tritoniacam  novies  subiere  paludem. 
Haud  equidem  credo,  Sparsaj  quoque  membra  veneno, 
lixercere  arles  Scylhidcs  memorantur  easdem.  3G0 

<<  Si  qna  fldes  rebus  tamen  esl  addenda  prol)ntis, 
.Normo  vides,  qiirpcumque  mora  fluidove  calore 
rorpora  tahuerint,  in  parva  animalia  verlif 
1,  cape  delerlos,  niaclaiosquc  ohrue  lauros. 


LIYRE  IV.  589 

rosse,  et  de  leurs  ejfitrailles  decomposees  nailront  des.abeilles; 
Texperience  l*atleste.  Amies  des  fleurs,  comme  leurs  p6res  elles 
se  plaisent  dans  les  champs  et  travaillent  avec  ardeur  k  Touvrage 
qui  assure  leur  avenir.  Enfoui  dans  la  terre,  le  coursier  belli* 
queux  produit  le  frelon.  Otez  au  crabe  ses  pinces  recourbees  et 
enterrez-le,  il  en  sortira  un  scorpion  a  la  queue  menagante.  Les 
chenilles,  qui.enlacent  les  feuiiles  de  leurs  fils  blancs,  se  mel.a- 
morphosent,  comme  Tont  remarque  les  laboureurs,  en  legers  pa- 
pillons.  Le  limon  recele  des  germes  d'ou  nait  la  grenouiile  verle. 
II  Tengendre  sans  pieds.  Bientdt  elle  a  des  jambes  pour  fendro 
i'eau ;  et,  afln  qu^elie  puisse  faire  de  grands  sauts,  ses  pattes  de 
derriere  sont  pius  iongues  que  celies  d*e  devant.  L'ours,  a  sa  nais- 
sance,  est  une  masse  de  chair  a  peine  vivante.  En  le  lechant,  sa 
mere  faQonne  ses  membres  et  lui  donne  la  forme  qu'elle-m6me  a 
ainsi  re^ue.  Ne  voyez-vous  pas  l'industrieuse  abeille,  d'abord  foetus 
caclie  sous  ses  rayons,  recevoir  pius  tard  des  pieds  et  des  aiies? 
L  oiseau  de  juiion,  dont  la  queue  est  parsemee  d'etoiles,  raigle 
qui  porte  la  foudre  de  Jupiter,  les  colombes  de  Yenus  et  tout  le 

rognita  rcs  usu,  de  putri  viscere  passim  365 

Florilegac  nascuntur  apes,  qux  more  parenlum 

Rura  colunt,  operiquc  favent,  in  spemque  lahorant. 

Pressus  humo  bellator  equus  crabronis  origo  est. 

Concava  littoreo  si  demas  brachia  cancro, 

Caetcra  supponas  terrae,  de  parte  sepulta  570 

Scorpius  eiibit,  caudaque  minabitur  unca. 

Quaeque  solent  canis  frondes  intexere  filis, 

Agrestes  tineie,  res  observata  colonis, 

Ferali  mutant  cum  papilione  figuram. 

Semina  limus  habet  virides  generantia  ranas,  375 

Et  generat  truncas  pedibus;  mox  apta  natando 

Crura  dat;  utque  cadem  sint  longis  saltibus  apta, 

Posterior  partes  superat  mensura  priores. 

Ncc  catulus  partu  quem  reddidit  ursa  reccnti, 

Sed  male  viva  caro  est.  Lambendo  raater  in  arlus  380 

Fingit,  et  in  formam,  quantam  capit  ipsa,  reducit. 

Konno  vides,  quos  rera  tcgit  sexangula,  foetus 

llelliferarum  aplum  sine  membris  corpora  nasci, 

El  serosque  pcde-,  serasque  assumerc  pennas? 

Junonis  volucrem,  qusB  cauda  sidera  porlat,  385 

Armigerumque  Jovis,  cylhereiadasque  columbas, 


590  METAMORPHOSES. 

peuple  ail^,  sortent  (l*un  oeuf.  Ge  ph^nom^ne  nous  parattraitwl 
possible,  si  nous  n'en  etions  pas  les  temoins?  II  est  des  hommcs 
qui  croient  que  de  notre  moelle  epiniere  naissent  des  serpenls, 
quand  elle  a  pourri  dans  la  tombe. 

«  Toutes  ces  merveilles  ont  cependant  un  principe  qui  les  pro- 
duit.  Mais  il  est  un  oiseau  qui  s^engendre  et  se  renouvelle  lui- 
m^me.  Les  Assyriens  rappellent  ph^nix.  II  ne  se  nourrit  ni  d'herbes 
ni  de  fruits,  mais  des  larmes  de  Tencens  et  des  sucs  de  Famome. 
Quand  il  a  v^cu  cinq  siecles,  11  construit  de  ses  ongles  et  de  son 
bec  un  nid  sur  les  branches  d'un  chfene  ou  sur  la  cime  d  un  pal- 
mier.  La  il  ^tend  de  legeres  tiges  de  cannelle,  de  nard,  de  cinna- 
mome  et  de  myrrhe,  se  couche  sur  ce  bucher  et  meurt  aumilieu  des 
parfums.  Alors,  dil-on,  de  ses  cendres  sort  un  jeune  phenix  destine 
a  vivre  le  mtoe  nombre  d'annees.  Des  que  TSge  lui  a  donne  la  force 
de  soutenir  un  fardeau,  il  soulage  Tarbre  du  poids  du  nid  place  a 
son  faite,  et  emporte  la  pieuse  couche  qui  fut  a  la  fois  son  berceau 
et  la  tombe  de  son  pere.  Arriv^,  a  travers  les  plairies  de  Tair,  dans 
la  ville  du  Soleil,  il  va  le  deposer  a  la  porte  sacree  du  temple.  Si 


Et  gcnus  oitine  avium  mediis  e  partibus  ovi, 

Ni  sciret  fieri,  fieri  qui»  posse  putaret? 

Sunt  qui,  quum  clauso  putrefacta  est  spina  sepulcro, 

Mutari  credant  humanas  angue  medullas.  r>Mj 

«  Haec  tamen  ex  aliis  ducunt  primordia  rebus. 
Una  est,  qufe  reparet,  seque  ipsa  rcseminet,  ales. 
Assyrii  Phoenica  vocant.  Non  fruge,  nec  herbis. 
Sed  thuris  lacrymis,  et  succo  vivit  amomi. 
HsBC  ubi  quinquc  suaB  complevit  saecula  vita;.  5Uj 

Ilicis  in  ramis,  Iremuljnve  cacumine  palmap, 
Unguibus,  ot  puro  nidum  sibi  construit  ore. 
Quo  simul  ac  casias,  et  nardi  lenis  arislas, 
Quassaque  cum  fulva  substravitcinnama  myrrha, 
Se  super  imponit,  finitque  in  odoribu'=i  .Tvum.  400 

Jndo  ferunt,  totidem  qui  vivere  debeat  annos, 
riorpore  de  patrio  parvum  PhoRnica  renasci. 
Quum  dedit  huic  aetas  vires,  oneriqiie  ferendo  e«t, 
Ponderibus  nidi  ramos  Jevat  arboris  alt.T, 
Fertque  pius  cunasque  suas,  palriumque  sepulcnim.        .iu.^ 
Perque  leves  auras  Hyperionis  urbe  potitus, 
Anle  fores  sacras  Hyperionis  aede  reponil. 


LI YRE  XV.  .  691 

de  tels  prodiges  nous  surprennent  par  lenr  nouyeaut^,  il  est 
encore  plus  etonnant  de  voir  i'hy6ne  changer  de  sexe  tous  Jes 
ans,  et  ranimal  dont  les  vents  et  Tair  sont  la  principale  nourriture 
prendre  la  couleur  de  tous  )es  objets  qu'il  touche.  Llnde  yaincue 
donna  le  lynx  au  dieu  couronne  de  pampres.  Tout  ce  que  rejette 
sn  vessie  se  durcit,  dit-on,  et  se  petrifie  par  le  contact  de  Tair, 
ainsique  )e  corail,  qui,  sous  les  ondes,  etaitune  plante  flexible. 

«  Le  jour  finirait  et  le  soleil  plongerait  dans  les  flots  ses  cour- 
siers  haletants,  avant  que  j'aie  raconte  toutes  les  m^tamorphoses. 
Tout  est  soumis  a  mille  yicissitudes.  Nous  yoyons  des  nations  s*e.- 
leyer  et  d'autres  tomber.  Jadis  assez  opulente  et  assez  guerriere 
pour  prodiguer  son  sang  durant  dix  annees,  Troie,  terrassee  au- 
jourd^Hui,  n'etale  que  d'antiques  d^ombres.  A  la  place  de  ses 
richesses,  elle  montre  les  tombeaux  de  ses  aieux.  Sparte,  Mycenes, 
Athdnes  et  Thebes,  furent  c^l^bres  et  florissantes.  Que  reste-t-il 
de  Sparte?  un  sol  mis^rable;  de  Myc^nes?  une  ruine ;  de  Thebes? 
une  ombre;  d'Ath^nes?  un  nom..  Maintenant  les  enfants  de  Dar- 


Si  tamen  est  aliquid  mirse  novitatis  in  istis, 
Alternare  vices,  et  quse  modo  femina  tcrgo 
Passa  marem  est,  nunc  esse  marem  miremur  hyxnam.      ilO 
Id  quoquc,  quod  ventis  animal  nutritur  et  aura, 
Protinus  assimulat  tactu  quoscumque  colqres. 
Victa  racemifero  lyncas  dedit  India  Baccho. 
E  quibus,  ut  memorant,  quidquid  vesica  romisit, 
Vertitur  in  lapides,  et  congelat  aere  tacto.  iilt 

Sic  et  curalium,  quo  primum  contigit  auras 
Terapore,  durescit :  mollis  fuit  herba  sub  undis. 
«  Deseret  ante  dies,  et  in  alto  Phcebus  anhelos 
^quoro.  tinget  equos,  quam  consequar  omnia  dicli?;, 
In  species  translata  novas.  Sic  tempora  verti  t2() 

Ccrnimus,  atque  illas  assumere  robora  gentes, 
Concipere  has.  Sic  magna  fuit  censuque  virisqu^, 
Perque  decem  potuit  tantum  dare  sanguinis  annos, 
Nunc  humilis  vctercs  tnntummodo  Troja  riiinas, 
Et  pro  divitiis  tumulos  ostendit  avorum,  A^ii» 

Clarn  fuit  Sparte;  magna;  viguere  Mycense; 
Nec  non  cecropiae,  nec  non  Amphionis  arces. 
Vile  soluffl  Sparte  est;  altae  cecidere  Mycenae. 

^  (Edipodioniae  quid  sunt,  nisi  fabula,  Thebae? 

~  Quid  pandionie  restant,  nisi  nomen,  Athens?  ^rj) 


S08  M&TAHORPHOSES. 

danus  ^l&vent,  dit-on,  la  yille  de  Rome,  et  jettent  sur  les  bords 
du  Tibre,  qui  descend  de  TApennin,  les  vastes  fondemenls  d'un 
grand  empire.  Des  r^?olutions  en  reculeront  les  limites ;  elle  de- 
Tiendra  un  jour  la  capitale  de  runi?ers.  Telles  sont  les  pr^dictMHis 
des  deyins  et  les  arr^ts  du  Sort.  Je  m*en  souviens,  lorsque,  ea 
voyant  Troie  chanceler,  £n^e  versait  des  larmes  et  doutait  de  son 
salut,  H^l^nus  lui  paria  en  ces  termes  :  c  Fils  d'une  ddesse» 
fl  ^ute,  ^  tu  as  foi  en  mes  predictions;  tu  vivras,  et  Troie  ne 
fl  p^ira  pas  tout  entiSre.  La  flamme  et  le  fer  t*ouvriront  un  pas* 
«  sage.  Tu  emporteras  lesrestes  de  Pergame  sur  une  plage  ^tran- 
fl  gere,  plus  amie  des  Troyens  et  de  toi  que  ta  propre  patrie.  Je  vois 
fl  d^jSi  les  Phrygiens  fonder  une  ville  plus  grande  que  toutes  oelles 
fl  qui  existent,  ou  qui  furent  jadis,  ou  qui  seront  un  jour.iyurant 
•  une  longue  suite  de  si^les,  ses  plus  illustres  enfants  ^everont 
«  rddifice  de  sa  puissance,  et  un  rejeton  d'Iule  en  fera  la  reine  da 
fl  monde.  Quand  la  terre  aura  joui  de  ses  bieniaits,  il  entrera  dans 
«  le  s^jotu*  des  dieux,  et  le  ciel  sera  sa  demeure  suprdme.  •  J'ai 
retenu  ces  paroles  qu'adressa  le  fils  de  Priam  a  £nee  lorsquUl  s'e- 
loignait  de  Troie  avec  ses  pdnates.  Je  me  rdijouis  de  voir  sui^ir  ces 

Aiinc  quoquo  dardaniam  lama  cst  consurgere  Romam; 

Appenninigen'»  quaj  proxima  Tibridis  undis 

Mole  sub  ingenti  rerum  fundamina  ponit. 

Hsec  igitur  formam  crescendo  mulal.  et  olim 

Immensi  caput  orbis  erit.  Sic  dicere  vatcs,  455 

Faticinasque  ferunt  sortes.  Quantumque  recordor, 

Priamides  Delenus  flenti,  dubioquc  salutis, 

Dixerat  iEnex,  quum  res  trojana  labaret : 

«  Nate  dea,  si  nota  satis  praesagia  nostro! 

«  irentis  habes;  non  tola  cadet,  te  sospite,  Troja.  440 

«  Flamma  tibi  ferrumque  dabunt  itcr.  Ibis,  et  una 

«  Pergama  rapta  feres,  donec  Trojxque  tibique 

«  Externum  patrio  contingat  amicius  arvum. 

«  Urbem  et  jam  perno  phrygios  debere  nepotes, 

«  Quanta  nec  est,  nec  crit,  nec  visa  prioribus  annis.        445 

«  Hanc  alii  proceres  per  sxcula  longa  potentom, 

«  Sed  dominam  rerum  de  sanguine  natus  luli 

«  Efficiet.  Quo,  quum  tcUus  erit  usa,  fruentur 

«  ^lberise  sedes,  coelumque  erit  exitus  illi.  » 

HiBc  Helenum  cecinisse  penatigero  Mnex,  4'i0 

Mente  momor  refero,  cognataque  moenia  lajtor 


LIYRE  XV.  593 

murs  que  les  liens  du  sang  me  rendent  si  chers,  el  la  victoire  dcs 
Grecs  contribuer  k  la  gloire  des  Troyens. 

«  Mais  je  ne  dois  point  m'^arter  plus  longtemps  de  mon  but. 
Le  ciel  et  ce  qu'il  embrasse,  la  terre  et  ce  qu'elle  renferme,  tout 
subit  des  changements.  U  en  est  ainsi  de  nous,  faible  portion  du 
monde.  Composes  d'un  corps  et  d'une  ime  subtile,  nous  pouvons 
avoir  pour  demeure  le  sein  des  b^tes  sauvages  ou^  de  nos  animaux 
domestiques.  Laissons  donc  en  paix  ces  corps  ou  r^side  peut-S(re 
un  p^re;  un  fr^re,  un  parent,  un  homme  du  moins,  et  gardons- 
nous  de  renouveler  le  festin  de  Thyesle.  Avec  quelles  horreurs  on 
se  familiarise!  Comme  on  se  prepare  a  verser  cruellement  le  sang 
humain,  lorsqu'on  enfonce  le  couteau  dans  la  gorge  d'une  g^nisse 
et  qu'on  est  sourd  a  ses  mugissements!  Ah !  quand  un  homme  peut 
immoler  un  chevreau,  malgre  ses  cris  semblables  aux  vagissements 
de  Tenfant,  ou  se  repaitre  de  Toiseau  nourri  par  ses  mains,  que  lui 
manque-l-il  pour  arriver  jusqu'au  forfait?  Vers  quels  abimes  ne 
se  fraye-t-il  pas  un  chemin?  Que  le  boBuf  laboure  et  nMmpute  sa 
mort  qu'a  la  vieillesse ;  que  la  brebis  nous  foumisse  un  rempart 
conlre  Taffreux  Boree;  que  la  chevre  abandonne  a  nos  mains 

Ciesccie,  el  utiliier  Phrygibus  vicisse  Pelasgos. 

«  Nc  lamcn  oblilis  ad  metam  tendere  longe 
.  Exspatiemur  equis,  coelum,  et  quodcumquc  sub  illo  est, 
Immutat  formas,  tellusque,  et  quidquid  in  illa  est.  455 

Nos  quoque  pars  mundi  (quoniam  non  corpora  solum, 
Vorum  etiam  volucres  animsB  sumus,  inque  ferinas 
Possumus  ire  domos,  pecudumque  in  pectora  condi), 
Corpora,  quse  possint  animas  habuisse  parcntum, 
Aut  fratrum,  aut  aliquo  junctorum  fopdere  nobis,  4G0 

Aut  hominum  certe,  tuta  esse  et  honesta  sinamus, 
Keve  thyesteis  cumulemur  viscera  mensis. 
Quam  male  consuescit,  quam  sc  parat  illc  cruori 
Impius  humano,  vituli  qui  guttura  cultro 
Rumpit,  et  immotas  praibet  mugitibus  aures !  405 

Aut  qui  vagitus  similcs  puerilibus  hoedum 
Edentem  jugulare  potest,  aut  alite  vcsci, 
Cui  dedit  ipse  cibosl  Quautum  est,  quod  desit  in  istis 
Ad  plenum  facinus !  Quo  transitus  inde  paratur ! 
Bos  arct,  aut  mortem  senioribus  imputet  annis !  470 

Horriferum  contra  Corean  ovis  arma  ministret : 


504  N£TAN0RPH0SES. 

968  mameUes  gonfl^  de  lait.  Mais  flBdtes  disparaltre  les  pi^gesy 
les  engins,  les  filets  et  les  laoets  perfides.  Renoncei  k  tromper 
ayec  des  gluaux  les  habitants  de  i'air.  Nepoussez  plus  dans  tos 
toiles  le  cerf  effrayS  par  des  piumes  ^latantes.  Ne  caches  plus 
l*hameQon  sons  une  insidieuse  amorce.  D^truisez  les  animaux  nui- 
sibles,  mais  n'alles  pas  au  deUi.  Ne  les  servez  point  sur  yotre  table ; 
oontentes-vous  des  aliments  que  vous  ofire  la  nature.  » 

BIPPOLVTB  RAGONTB  A  £g£rIB  L^HISTOIRE  DE  SES   XALHEORS.  —  iofiRIK 
EST  CHAKGBE  EH  FONTAIlfE. 

ni.  Le  cceur  plein  de  ces  pr^ptes  et  d'autres  semblables,  Numa 
rentra,  cKt-on,  dans  sa  patrie,  et,  cedant  aux  instances  des  peuples 
du  Latium,  il  prit  en  main  les  rSnes  de  Tempire.  Heureux  ^poui 
d*une  Nymphe  et  guide  par  les  Muses,  il  apprit  leurs  rites  sacr^ 
et  fit  goAter  les  arts  de  la  paix  a  des  hommes  accoutumes  aui 
borreurs  de  la  guerre.  Le  jour  oili,  charge  d'ans,  il  quitta  le  tr6ne 
etla  vie,  son  trdpas  fut  pleurS  des  femmes,  du  peuple  et  du  senat. 
Son  ^pouse  sortit  de  Rome  pour  se  cacher  sous  les  o.mbrages  de 
la  vall^  d^Ande.  Ses  g^missements  et  ses  sanglots  troubl^rent  le 
culte  institue  par  Oreste  en  rhonneur  de  Diane.  C!ombien  de  fois 

Ubera  dent  saturae  manibus  pressanda  capellrc. 

Retia  cum  pedicis,  laqueosque  artesque  dolosas 

ToUite,  ncc  volucrem  viscata  fallittt  virga, 

Nec  formidatis  cervos  includile  pinnis,  475 

Nec  celate  cibis  uncos  fallacibus  hamos. 

Perdite,  si  qua  nocent;  venim  hoRC  quoquc  perdite  tantum. 

Ora  vacent  epulis,  alimentaque  mitia  carpant.  » 

BIPPOLTTUS    lilSERIAS  SUAS  EQEMX  NARRAT.    ~     EGERIA  mJTATDR     IX   FONTEM. 

III.    Talibus  alque  aliis  instructo  pectore  dictis 
.    In  patriam  reraoasse  ferunt,  ultroque  pctitura  480 

Accepissc  Numam  populi  latialis  habenas, 
Conjuge  qui  felix  Nympha,  ducibusque  Camenis, 
Sacriiicos  docuit  ritus,  gentemque,  feroci 
Assuetam  bello,  pacis  traduxit  ad  artes. 
Quem,  postquam  senior  regnumque  svumque  peregit,        485 
Exstinctum  latiaeque  nurus,  populusque,  patresque. 
Deflevere  Numam.  Nam  conjux,  urbe  relicta, 
Vallis  aricinae  densis  latet  abdita  silvis, 
Sacraque  oreste»  gemitu  questuque  Dianae 
Impedit.  Ah!  quotics  Nymphae  nemorisque  lacusquc,         490 


LIVRE  XV.  595 

les  Nymphes  de  la  for^t  et  celles  du  lac  la  press^nt  de  moderer 
sa  doulenr  en  lui  prodiguant  les  plus  douces  consolations !  Com* 
hien  de  fois  le  fils  de  Th^s^e  lui  dit  en  la  yoyant  eploree :  «  Mettez 
un  terme  k  vos  larmes.  Votre  destin^  n'esl  pas  la  seule  a  plain- 
dre.  Jetez  les  yeux  sur  des  malheurs  pareils,  le  T6tre  yous  paraitra 
plus  supportable.  Que  ne  puis-je  alleger  vos  peines  par  un  autre 
exemple  que  le  mien!  Mais  le  mien  peut  suffjre.  Vous  avez 
sans  doute  entendu  parler  d*HippoIyte,  victime  de  la  credulit^ 
d'un  p^e  et  des  artifices  d  une  coupable  mar&tre.  Vous  allez  6tre 
surprise,  et  j'aurai  beaucoup  de  peine  a  vous  le  persuader :  Hip> 
polyte,  c'est  moi.  La  fiUe  de  Pasiphae,  apres  m'avoir  vainement 
engage  a  souiller  la  couche  de  mon  pere,  feignitque  j'avais  projete 
le  crime  con^u  dans  son  coeur.  Elle  le  fit  peser  sur  raa  tSte,  par 
la  crainte  d'une  revelation  ou  par  le  depit  de  mon  refus,  et  m'ac- 
cusa  elle-mSme.  Malgre  mon  innocence»  mon  p^re  me  bannit 
d'Ath6nes  et  me  chargea  d'imprecations. 

«  Proscrit,  je  dirigeais  mon  char  vers  Trezjne,  soumise  au 
sceptre  de  Pitthee.  Je  cdtoyais  le  rivage  de  Corinthe,  quand  tout  a 
coup  la  mer  se  soul^ve.  Une  immense  lame,  pareille  a  une  mon- 
tagne,  s'elance,  mugit,  s'entr'ouvre  a  son  sommet,  et  de  ses  flancs 

Ne  faceret,  monuere,  et  consolantia  verha 

Dixere!  Ah!  quoties  flenti  Iheseius  heros, 

«  Siste  modum,  dixit!  nec  enim  fortuna  querenda 

Sola  tua  est.  Similes  aliorum  respice  casus, 

Mitiusista  feres;  utinamque  exempla  dolentem,  405 

Pion  mea  lc  possent  relevaret  Scd  et  mea  possunt. 

Faudo  aliquem  llippolytum  vestras,  puto,  contigit  aures, 

Gredulitate  patris,  sceleratn  fraude  noverca) 

Occubuisse  neci.  Mirabere,  vixque  probabo; 

Sed  tamen  ille  ego  sum.  He  Pasipbaeia  quondam  IXO 

Tentatnm  frustra  patrium  temcrasse  cubile, 

Quod  voluit.  finxit  voluisse,  et  crimine  verso, 

Indiciine  metu  magis,  offensane  repulsie, 

Arguit;  immeritumque  pater  projecit  ab  urbe, 

Hostiliqne  caput  prece  detestatur  euntis.  505 

«  Pittheam  profugo  curro  Troezcna  petcbam; 
Jamque  corinthiaci  carpebam  littora  ponti, 
Quum  mare  surrexit,  cumulusque  immanis  aquarum 
In  montis  speciem  cunrari,  et  crescere  visus, 
Et  dare  mugitus,  summoque  cacumine  iiodf.  510 


596  N£TAM0RPH0SES. 

d^cliirfe  vomit  un  monstre  arme  de  comes.  Sa  large  poitrine 
domine  les  vagues;  l'onde  jaillit  de  sa  gueule  et  de  ses  naseaux. 
Malgre  reffroi  de  mes  compagnons,  je  reste  ferme  :  la  pensee  de 
l'exil  m'absorbe  tout  entier.  Mes  coursiers  ardents  toumenth 
t^te  vers  la  mer ;  leurs  oreilles  se  dressent,  leurs  crins  se  heris- 
sent.  L'aspect  du  monstreles  trouble  et  les  effraye;  ils  precipitent 
le  char  a  travers  les  rochers.  Je  veux  les  retenir,  mais  en  vain  : 
ils  blanchissent  le  frein  d*ecume.  Pench^  en  arri^re,  je  tire  avee 
force  les  rSnes,  et  j'allais  par  cet  effort  suprSme  contenir  leur  fu- 
reur,  si  une  roue,  heurtee  a  son  essieu  contre  un  arbre,  n'eiit 
vole  en  eclals.  Je  tombe  renverse  de  mon  char.  Vous  eussiez  vu 
mespieds  embarrasses  dans  les  r^nes,  mes  entrailles  eparses,  mes 
lambeaux  suspendus  aux  ronces,  mes  membres  emportes  ou  lais- 
ses  sur  la  plage,  mes  os  brises  avecun  bruit  terrible,  et  mon  demier 
soupir  s'exhaler  dans  les  tourments.  Je  n'offrais  plus  rien  de  re- 
connaissable  :  tout  mon  corps  n'etait  qu'une  plaie. 

«  0  Nymphe  l  pouvez-vous  ou  oserez-vous  comparer  vos  infor- 
tunes  aux  miennes?  J'ai  vu  les  sombres  royaumes ;  j'ai  lave  raes 


Corniger  hinc  taurus  ruptis  expellitur  undis, 

Pecloribusque  tenus  molles  erectus  in  auras, 

^aribus,  et  patulo  parlem  maris  evomit  ore. 

Cortia  pavent  comitum,  mihi  mens  interriia  mansit, 

Exsiliis  contenta  suis,  quum  coUa  feroces  HiTt 

Ad  frela  convertunt,  arreclisque  auribus  horrent 

Quadrupedes,  monstriquc  metu  lurbantur,  et  allis 

Praecipilant  currus  scopulis.  Ego  ducerc  vana 

Frena  manu,  spumis  albentibus  oblita,  luctor, 

Et  retro  lentas  tendo  resupinus  habenas ;  520 

Nec  vires  tamen  has  rabies  superasset  equorum, 

Ni  rota,  pcroetuum  qua  circumverlitur  axem, 

Stipilis  occursu  fracta  ac  disjecta  fuisset. 

Excutior  curru;  lorisque  tenentibus  arlus 

Viscera  viva  trahi,  nervos  in  stirpe  teneri,  VtTj 

Membra  rapi  parlim,  partim  reprensa  relinqui, 

Ossa  gravem  dare  fracla  sonum,  fessamque  videres 

Exhatari  animam,  nuUasque  in  corpore  partes, 

Noscere  quas  posses :  unumque  erat  omnia  vulnus. 

«  Num  potes,  aul  audes  cladi  componere  nostrae,  .'ioO 

Nympha,  tuani?  vidi  quoque  luce  carentia  regna, 


LIYRE  XY.  507 

inembres  dechires  dans  les  eaux  du  Phl^g^thon.  Mais  la  vie  nc 
m^eut  pas  ete  rendue  sans  les  remedes  puissants  dufils  d*Apoilon. 
Grace  a  son  secours  et  a  la  vertu  de  ses  plantes,  je  la  recouvrai, 
en  depit  de  Pluton.  Alors,  craignant  que  ma  pr^sence  panni  les 
humains  n'excildt  Tenvie  pour  un  si  grand  bienfait,  Diane  m'enve- 
loppa  d'un  epais  nuage.  Afin  que  je  pusse  me  montrer  impu- 
nement  et  sans  danger,  elle  me  vieillit  et  rendit  mes  traits  uie- 
conuaissables.  Apres  avoir  longtemps  hesite  si  elle  fixerait  mou 
sejour  dans  la  Cr6te  ou  a  Delos,  elle  renon^a  a  ces  deux  iles  pour 
me  transporler  ici.  Elle  m'ordonna  de  quttter  le  nom  qui  pou- 
vait  me  rappeler  mes  coursiers  :  «  Tu  fus  Hippolyte,  dit-elle ;  sois 
«  encore  Hippolyte  sous  le  nom  de-Virbius. »  Depuis  ce  jour,  j'ha- 
bite  celte  for§t.  Plac^  au  rang  des  dieux  inferieurs,  je  vis  caclie 
sous  la  protection  de  la  d(^,esse,  et  je  sers  ses  aulels. »  Cependant 
les  maux  d'aulrui  ne  purent  calmer  £gerie.  Couchee  au  pied 
d'une  montagne,  elle  fondit  en  larmes,  jusqu'a  ce  que,  touchee  de 
sa  pieuse  douleur,  la  sceur  d*ApolIon  fit  de  son  corps  une  fraiche 
fontaine,  et  changeases  membres  en  ondes  intarissables. 

Et  laccrum  fovi  phlegethontide  corpus  in  uuda. 

Nec,  nisi  tipollinecc  valido  medicamine  prolis, 

Keddila  vita  foret,  quam  poslquum  Fortibus  licrbis, 

Atquc  ope  pseonia,  Dite  indignante,  recepi.  iioj 

Tuni  iiiihi,  ne  prxscns  augerem  muucris  hujub    - 

Invidiani,  densas  objecit  Cynthia  nubes. 

Utque  forem  tutus,  posseinque  impune  vidcri, 

Addidit  xtalem,  ncc  cognoscenda  reliquit 

Ora  mihi,  Crelenque  diu  dubitavit  habenduiii  540 

Tradcret,  an  Delon.  Delo  Cretaque  relictis, 

llic  posuit,  nomenque  simul,  quod  possit  cquoruni 

Admonuisse,  jubet  deponere  :  «  Quique  fuisti 

«  ilippolytus,  dixit,  nunc  idem  Virbius  esto.  » 

Hoc  nemus  inde  colo,  de  disque  minoribus  unus  545 

Kuminc  sub  domino^  lateo,  atque  acccnseor  iUi.  » 

Kon  lamen  Egeriae  luctus  aliena  levare 

Damna  valent,  montisque  jacens  radicibus  imis, 

Liquitur  in  lacrymas,  donec,  pietate  dolontis 

Mota,  ^OYor  Plioebi  gelidum  de  corpore  fontem  JJ50 

Fecit,  et  «cternas  arlus  tenuavit  in  undas. 


508  METAMOtlPHOSES. 

MOTTK  DE  TERRE  CHANGEE  EN  ENFANT.  ' 

IV.  Ce  prodige  eniut  les  Nyraphes.  Le  fils  de  rAraazone  n*eu  fut 
pas  moins  surpris  que  le  laboureur  tyrrhenieu,  quaiid  ii  vit  au 
milieu  des  champs  une  giebe  miraculeuse  se  mouvoir  d'elie- 
mfime,  sans  nulle  cause  ext^rieure,  depouiller  sa  premiere  forme 
pour  rev^tir  celle  de  rhomme,  et  ouvrir  la  bouche  pour  reveler 
ravenir.  Les  indigenes  Tappelerent  Tages.  Ge  fut  lui  qui  apprit 
aux  £trusques  1'art  de  la  divination. 

LANCE  DE  BOMULUS  TRANSFORHEE  EN  ARBRE. 

Y.  Romulus  fut  frappe  jadis  du  meme  etonnement,  quand  il  vil 
sa  lance  s*attacher  a  la  terre  sur  le  mont  Palatin,  se  parer  toul  a 
coup  de  feuillage,  s*appuyer  sur  une  racine  nouvelle,  et  non  sur 
le  fer  dont  elle  ^tait  armee,  et  n'^tre  plus  un  dard,  mais  un  arbre 
aux  rameaux  flexibles,  donnant  une  ombre  inattendue  au  peuple 
qui  admirait  ce  prodige. 

CIPUS  PR^F^RE  l'eX1L  ▲  LA  ROYAUTE. 

VI.  Telle  fut  encore  la  surprise  de  Cipus,  quand  il  apergut  ses 
cornes  dans  les  eaux  du  Tibre.  A  raspectd'un  tel  prodige,  se  croyanl 

TAGES  E  GLEBA  OHtUS. 

IV.    At  Myiuphus  tetigit  uova  res;  et  Amuzonc  natus 
Ilaud  aliler  stupuit,  quam  quum  tyrrhenus  arator 
Fatalem  glebam  mediis  uspexit  in  arvis, 
Sponle  sua  primum,  nulloque  agitante,  moverij  553 

Sumere  mox  hominis,  t6rr;eque  amittere  iormani, 
Oraque  vcuturis  aperire  recentia  fatis. 
Indigcna3  dixere  Tagen,  qui  priinuS  ett*uscam 
Edocuit  gentem  casus  aperire  fdturos. 

ROMULI   HASTA   IN   ARBOREM   VlRESaT. 

V.    Utque  palatinis  hserentem  i^ollibus  olim,  060 

Quum  subito  vidit  frondescere  Romulus  hastani, 
Qiidd  radice  hova,  non  ferro  stabat  adacto, 
Et  jam  non  telum,  sed  lenti  viminis  arbor, 
Non  exspectatas  dabat  admirantibus  unibras. 

CIPUS   EXILIUM    SOLIO  ANTEPONIT. 

VI.    Aut  sua  fluminea  quum  vidit  Gipus  in  unda  365 

Comua,  vidit  euim,  falsamque  iu  imaginc  credens 


LIYRE  XV.  599 

le  jouetd^uiie  iilusion»  il  refusad  y  ajouter  foi.  Souveut  ii  porta  ses 
doigts  a  son  front ;  mais,  quand  il  eut  touche  ce  qui  avait  frappe  ses 
regards,  il  cessa  d'accuser  sa  vue.  D  revenait  a  Rome,  vainqueur  de 
ses  ennemis .  li  s^arr^ta,  et ,  les  yeux  et  les  bras  leves  au  ciei : « Dieux, 
s'ecria-t-il,  quel  que  soit  Tevenement  annonce  par  ce  piienomene, 
s'il  est  iieureux,  qu'il  soit  pour  ma  patrie  et  pour  les  enfants  de 
Quirinus;  s'ii  est  funeste,  qu'ii  soit  pour  moi  seul !  »  A  ces  mots, 
11  brille  de  rencens  sur  un  autel  de  gazon,  verse  du  vin  dans  une 
coupe,  immole  des  brebis  et  cherche  une  explication  dans  leurs 
entrailles  palpitantes.  L'aruspice  tyrrhenien  ies  examine  avec  lui, 
et  decouvre  dans  Tavenir  de  grands  evenements  encore  obscurs. 
•Puis,  des  fibres  de  la  victime  portant  un  regard  per^ant  sur  Gipus : 
<  Roi,  salutl  dit-il.  Oui,  ce  iieu  et  les  viiles  du  Latium  seront 
soumises  aux  cornes  de  ton  front.  Hdte-toi  de  franchir  les  portes 
ouvertes  devant  toi :  tel  est  i'ordre  du  Destin.  Re^u  dans  Rome,  tu 
seras  proclame  roi,  et  tu  porteras  un  sceptre  eternel. »  Cipus  recule, 
et,  detoumant  de  Rome  ses  farouches  regards :  «  Ah !  repond-il, 
que  les  dieux  eloignent  de  moi  ces  presages !  Que  ma  vie  s^ecoule 


Eb&e  iidem,  digitis  ad  frontem  ssepe  relatis, 

Quem  vidit,  tetigit;  nec  jam  sua  lumina  damnanb 

ilcstitit,  ut  victor  domito  remeabat  ab  lioste. 

Ad  ccclumque  oculos,  et  eodem  brachia  tollens  :  oiO 

«  Quidquidj  ait,  Superi,  monstro  portenditur  isto, 

Scu  laetuin  est,  patria;  Ixtum,  populoque  Quirini; 

Sive  minax,  mihi  sit!  »  Vitidique  e  cespite  factab 

Pl&cat  odoratis  herbosas  ignilms  aras, 

Vinaque  dal  pateris,  mactatarumque  bideutum,  57ii 

Quid  sibi  significeut,  trbpidantia  consulit  exla* 

QUiB  simul  inspexit  t^^rrhense  gentis  haruspex, 

Magna  quidem  rerum  molimina  vidit  in  illis, 

Non  manifesta  tamen.  Quum  vero  sustulit  acre 

A  pecudum  fibris  ad  Cipi  cornusl  lumen :  530 

d  Rex,  ait,  o  salve!  tibi  enimj  tibij  Cipe,  tuisqiic 

Uib  locus  et  latiiB  pat^ebunt  cOmibuii  arC3s. 

Tu  modo  rumpe  mdram,  porlasque  intrare  patenteS 

Appropera.  Sic  lata  jubent ;  namque  Urbe  receptus 

Uex  eris,  ct  sceptro  tutus  poliere  perenni.  »  985 

Hettulit  ilie  pedem,  torvamque  a  moenibus  uthis 

Avertens  faciem  :  «  Procul,  ah!  procul  omina,  dixit, 

Talia  di  pellant,  multoqus  ogo  jusliut  nvuiii 


600  mEtamorpuoses. 

daiis  rexil,  avant  que  le  Gapitoie  me  voie  ceindre  le  diadenie  des 
rois !  » 

Soudain  il  convoque  le  peuple  et  l'augusle  senat.  Cachant  ses 
cornes  sous  des  lauriers,  il  monte  sur  un  tertre  eleve  par  ses  sol- 
dals,  et,  apres  avoir  invoque  les  dieux,  suivant  Fantique  usage : 
«  Citpyens,  dit-il,  il  y  a  parmi  vous  un  homme  qui  deviendra 
votre  roi,  si  vous  ne  le  bannissez  de  Rome.  Je  vous  le  ferai  con- 
naitre,  plut6t  par  un  signe  que  par  son  nom  :  il  a  des  cornes 
au  front.  L'augure  vous  avertit  que,  s'il  entre  dans  Rome,  il  vous 
dictera  des  lois  comme  a  des  esclaves.  Yos  portes  etaient  ouvertes; 
il  pouvait  les  franehir  :  je  m'y  suis  oppose.  Cependant  personne 
ne  lui  est  attache  de  plus  pres  que  moi.  Enfants  de  Quirinus,  eloi- 
gneZ'Je  de  Rome.  Si  vous  le  trouvez  coupable,  chai^^ez-le  de  chal- 
nes,  ou  mettez  lin  a  vos  craintes  par  la  mort  du  tyran  dont  le 
Destin  vous  menace. »  Pareilles  au  bruit  qui  s'eleve  d'une  for^t  dc 
pins  agitee  par  le  souffle  imp^tueux  de  TEurus,  ou  au  murmure 
des  flots  qu'on  entend  de  loin,  miUe  voix  confuses  partent  de 
Tassemblee.  Au  milieu  des  clameurs,  une  voix  les  domine  et  de- 
mande : «  Quel  est  cet  liomme  ?  »  On  examine  les  fronts  et  i'on 

Exsul  again,  quam  me  videanl  Capltolia  regeni.  • 

Dixit,  ct  extcmplo  populumque  gravemque  senatum        590 
(lonvocat.  Anle  tamen  pacali  cornua  lauro 
Velat,  ct  aggcribus  factis  a  milite  forti 
Insislit,  priscoquc  deos  e  more  precatus  : 
«  Est,  ait,  liic  unus,  qucm  vos  nisi  pellitis  urbc, 
He.v  erit,  is  qui  sit,  signo,  non  nomine,  dicam.  59o 

Cornua  iroiite  gerit,  quem  vobis  indicat  augur, 
Si  Romam  intrarit,  famularia  jura  daturum. 
lile  quidem  potuit  portas  irrumpere  apertas; 
Sed  nos  obstitimus,  quamvis  conjunclior  illo 
Kemo  mibi  est.  Vos  urbe  virum  prohibele,  Quiritcs,  600 

Vel,  si  dignus  erit,  gravibus  vincite  calenis, 
.\ut  finile  metum  fatalis  morte  tyranni.  » 
Qualia  succinclis,  ubi  trux  insibilat  Eurus, 
Murmura  pinetis  iiunt;  aut  qualia  fluctus 
.-Equorei  faciunt,  si  quis  procul  audiat  illos;  005 

Tale  sonat  populus.  Sed  per  confusa  frementis 
Verba  tamen  vulgi  vox  eminct  una  :  «  Quis  illc?  » 
Et  spectant  frontes,  praidictaquc  cornua  quaerunt. 


LlVKE  XV.    .  .  001 

clierche  le  signe  indique  par  i'oracle.  Cipus  reprend :  <  Voici  ce- 
lui  que  vous  dierchez.  »  A  ces  mots,  malgre  le  peuple,  ii  detache 
sa  couronne  et  montre  le  symbole  fatal.  Tous  baissent  les  yeux  et 
poussent  des  gemissements.  Qui  pourrait  le  croire?  ils  regardent 
a  regret  ce  front  couvert  de  lant  de  gloire,  et,  ne  pouvanl  suppor- 
ter  plus  longtemps  qu'il  reste  sans  honneur,  ils  y  replacent  la  no- 
ble  couronne.  Les  senateurs,  6  Cipus !  pour  te  consoler  de  Tarret 
qui  finterdisait  Rome,  te  firent  hommage  de  tout  ie  terrain  que 
peut  embrasser  un  aitela^e  de  boeufs  depuis  le  lever  du  solcil 
jusqu'a  son  coucher,  et  graverent  sur  des  portes  d'airain  li- 
mage  de  ton  front,  celebre  par  un  prodige  qui  vivra  dans  tous 
les  siecles. 

ESCCLAPE  METAMORPHOSE  BN  SERPENT. 

Vll.  Mainlenant,  Muses,  divinites  protectrices  des  po^tes,  dites- 
moi  (car  vous  savez  tout  et  les  siecles  les  plus  recules  n'6nt  point 
de  voiles  pour  vous),  dites-moi  comment  Tile  que  leTibre  entoure 
de  ses  eaux  admit  Esculape  au  nombre  des  dieux  de  Rome. 

Jadis  une  affreuse  contagion  infesla  le  Latium.  Ses  habilanls, 
consumes  par  le  fleau,  n^etaient  plus  que  des  fantdmes.  Fatigu^b 

Pkursus  ad  Iios  Cipus :  «  Quem  poscilis,  iuquit,  liubclis,  v 

Et,  dempta  capili,  populo  prohibente,  corona,  Oiii 

Exhibuit  gciniao  praesignia  tempora  cornu. 

Demiserc  oculos  omnes,  gemitumquc  dcdere 

(Atquc  illud  nieritis  clurum  quis  credcre  possiiy), 

luviti  videre  caput;  uec  honore  cnrerc 

Ullerius  passi,  festam  imposuere  coronam.  *»^0 

At  procercs,  quouiam  m.uros  inlrare  vcrcris, 

Ruris  honorati  tantum  tibi,  Cipc,  dederc, 

Quantum  depresso  subjectis  bubus  aratro 

Complecti  posses  ad  finem  solis  ab  orlu ; 

Gornuaque  xratis,  miram  referentia  formuui,  OiS 

Postibus  insculpunt,  longum  mansura  per  xvuin. 

ESCULAPIUS   IN   ANGUEM  HUTATUS. 

Vil.    Pandile  nunc,  Musae,  prapsenlia  uumina  vatuin 
(Scitis  euim,  uec  vos  fallit  spatiosa  vetustas), 
Unde  Coronidcn  circumflua  Tibridis  alveo 
Ibsula  romulco}  sucrii  adsciverit  urbis.  ^viO 


Dira  lues  quoudam  latias  vitiavcrat  auras, 
Pallidaque  ex2>angui  squalebaut  corpora  tabo. 


34 


m  METAMORPUOS£S. 

de  fiiiidraiiles,  quand  ils  virent  1'impuissance  des  efforts  humains 
et  des  ressources  de  l'art,  ils  implorerent  le  ciel  et  envoyerent 
consulter  Toracle  de  Delphes,  place  au  cenlre  du  monde.  Us  con- 
jurerent  ApoIIon  de  sauver  un  peuple  malheureux  et  de  mettre 
un  terme  aux  desastres  d'une  si  grande  cite.  Le  temple,  le  laurier 
du  dieu  et  le  carquois  quMI  porte  sur  ses  ^paules,  s'agiterent  a  ia 
fois,  et,  du  fond  du  sanctuaire,  le  trepied  prophetique  jeta  par 
ces  paroles  T^pouvante  dans  les  cceurs :  «  Ge  que  vous  cherchez 
ici,  Romains,  vous  Teussiez  obtenu  sans  ailer  si  ioin.  Maintenant 
m^me  vous  pouvez  ie  decouvrir  prte  de  vos  foyers.  Pour  mettre 
tin  a  vos  souffrances,  vous  n^avez  pas  besoin  d'ApolIon,  mais  de 
son  fils.  Partez  sous  d'heureux  auspices,  et  emmenez-le  a  Rome. » 
A  peine  le  sage  senat  a-t-ii  connu  cette  reponse,  qu'il  s'informe 
du  lieu  qu'habite  le  jeune  fils  d'Apollon.  Des  ambassadeurs  font  voiie 
vers  fipidaure.  Des  que  leur  vaisseau  touche  au  rivage,  ils  se  pre- 
sentent  devant  le  conseil  des  Grecs.  Us  le  prient  de  leur  accorder  ce 
dieu  dont  la  presence  dans  l'Ausonie  doit  mettre  un  terme  a 
tant  de  funeraiiies,  et  declarent  que  tei  est  Tordre  de  Toracle. 
L'assemblee  se  partage  en  sentiments  contraires.  Les  uns  penseQt 

('Uneribus  fessi,  postquam  mortalia  ceinuut 

Teutamentu  nihil,  nihil  artes  possc  medentum^ 

AuxiUum  coeleste  petunt;  mediamque  tenentes  630 

Orbis  humum  Delphos  adeunt,  oracula  Pfioebi; 

Utque  salutifera  raiseris  succurrere  rebus 

Sortc  vclit,  tantseque  urbis  mala  liniat,  oranl. 

Et  locus,  et  laurus,  ct,  quus  habet  ipse,  pharetrx^ 

Intremuere  simul;  cortinaque  reiddidit  imo  tioo 

Hanc  adyto  vocem,  pavciactaque  pectora  mOvit: 

«  Quod  petis  hinc,  propiorc  Iocq,  Romane,  petisses; 

Et  pete  nunc  propiore  loco.  Kec  ApolHne  vobis, 

Qui  minuat  luctus,  opus  est,  sed  Apolline  nato. 

Ite  bonis  avibus,  prolCmque  arcessite  nOstram.  »  640 

Jussa  dei  prudens  postquam  accepere  scnatus, 

Quam  colat,  cxplorant,  juvenis  phoebeius  urbem, 

Quique  petant  ventis  epidauria  httora  mittunt. 

Quae  simul  iucurva  missi  tetigere  carina, 

Concilium  graiosque  patres  adiere;  darentque  64 j 

Orsivere  deum,  qui  praisens.funera  gentis 

Finiat  ausoniae  :  certant  ita  dicere  sorles. 

Dis&idet  et  variat  &enteutia,  paraque  negandum 


•     MYUE  XV.  603 

qu'irs  doiTent  venir  en  aidc  aux  Romains;  le  plus  grand  nombre 
conseiHe  de  ne  point  renoncer  a  un  puissant  appui  en  livrant  leur 
divinit^. 

Au  milieu  de  ces  incertitudes,  le  crepuscule  succ^de  aux  der- 
niers  rayons  du  jour,  et  la  nuit  enveloppe  la  terre  de  ses  ombres. 
Dans  cet  instant,  Romains,  le  dieu  secourable  vous  apparait  en 
songe  devant  votre  coucbe,  comme  on  le  voit  dans  son  temple,  un 
bSton  rustique  a  la  main  gauche  et  caressant  sa  longue  barbe  de 
la  main  droite.  D'une  voix  paisible  il  vous  adresse  ces  paroles : 
«  Bannissez  vos  craintes.  J'irai,  je  me  depouillerai  de  mes  trails. 
Regardez  seulement  ce  serpent  dont  les  anneaux  entourent  ce 
bftton,  et  considerez-le  avec  attention,  afin  de  pouvoir  le  recon- 
naitre.  Je  prendrai  sa  forme,  mais  jeserai  plus  grand  et  tel  qu'il 
convient  aux  corps  celestes  de  se  montrer. »  Soudain  le  dieu  dis* 
parait  avec  la  voix.  Le  sommeil  s^eloigne  et  le  jour  renait. 

L'Aurore  avait  chasse  les  astres  de  la  nuit.  Les  magistrats,  in- 
certains  sur  le  parti  a  prendre,  s'assemblent  dans  le  superbe  tem- 
ple  d'EscuIape,  et  prient  le  dieu  de  faire  connaitre  par  des  signes 
celestes  le  sejourou  il  veut  r^sider.  A  peine  leur  priere  6tait-el!e 

Non  putut  auxilium;  multi  rcnuere,  suamque 

Non  emittere  opem,  nec  numina  tradere  su.ident.  6S0 

Dum  dubitant,  seram  pepulere  crepuscula  lucem, 
Umbraque  telluris  tenebras  induierat  orbi, 
Quum  deus  in  somnis  opifer  consistere  visus 
Ante  tuum,  Romane,  torum;  sed  qualis  in  scde 
Esse  solet,  baculumque  tenens  agreste  sinistra,  055 

Gaesariom  lon;;sc  dextra  deducere  barbie, 
Et  placido  tales  emittere  pcctorc  voces : 
«  Pone  metus ;  veniam,  simulacraque  nostra  relinquam. 
Ilunc  modo  serpentcm,  baculum  cui  nexibus  ambit, 
Perspice,  et  usque  nota  visu,  ut  cognoscere  possis.  660 

Vertar  in  hunc;  sed  major  ero,  tantusque  videbor, 
]n  quantum  verti  cnclestia  corpora  debent.  » 
Eslemplo  cum  voce  dcus,  cum  voce  deoque 
.  Somnus  abit,  somniquc  fugam  lux  alma  secut9  esU 

Postera  sidercos  Aurora  fugaverat  ignes;  603 

Incerti  quid  agant  proceres  ad  templa  petiti 
Gonvcniunt  operosa  dei;  quaque  ipse  morari 
Scde  velit,  signis  ccelestibus  indicet,  orant. 


604  H£TAM0RPH0SES. 

achev^,  que  le  dieu,  sous  la  forme  d'un  serpent  a  la  cr^te  d'or, 
rev^le  sa  presence  par  des  sifflements.  A  son  approche,  la  sta- 
tue,  l'autel,  les  portes,  le  marbre  du  parvis  et  le  faite  du  tero- 
ple,  tout  s'^bran1e.  Dress^  jusqu'a  la  moiti^  de  son  corps,  il 
s'arr6le  dans  Fauguste  enceinle,  el  promene  aulour  de  lui  des 
yeux  ^tincelants.  Le  peuple  est  glace  d^effroi.  Le  pontife,  dont  la 
t^te  sacree  est  ceinte  de  bandeaux  blancs,  reconnait  la  divinite  et 
s'6crie  :  <  Voici,  voici  le  dieu !  Soutenez  mes  prieres  par  les  v6tres, 
vous  tous  qui  Stes  ici  presents.  Dieu  puissant,  sois-nous  propice ! 
Yiens  au  secours  d'un  peuple  qui  honore  tes  autels !  »  L'assem« 
bl^e,  docile  a  ses  ordres,  adore  le  dieu.  Les  Komains  r^p^tent  les 
paroles  du  pontife :  leurs  coeurs  et  leurs  voix  accompagnent  ses 
prieres.  Esculape  les  exauce.  Pour  annoncer  que  leurs  voeux  sont 
nccueillis,  il  secoue  sa  cr6te,  et  sa  langue  fait  entendre  trois  siffle- 
ments.  Puis  il  glisse  sur  les  degres  polis  du  temple,  la  t^te  tour- 
n^e  en  arri^re.  Avant  de  quitter  ses  anciens  autels,  il  les  regarde 
et  salue  son  ancienne  demeure,  le  temple  qu'il  a  jusqu^alors  ha- 
bit6.  II  rampe  sur  la  terre  jonch^e  de  fleurs,  deploie  ses  vastes 
anneaux,  traverse  la  ville  et  s^avancejusqu'au  m61e  circulaire  qui 

Vix  bene  desierant,  quum  crislis  aureus  altis 

Iii  serpente  deus  prajnunlia  sibila  misit.  G70 

Adventuque  suo  signumque,  arasque,  foresque, 

Marmoreumque  solum,  fastigiaque  aurea  movit; 

Pectoribusque  tenus  media  sublimis  in  rede 

Constitil,  atque  oculos  circumtulit  igne  micantes. 

Territa  turba  pavet.  Cognovit  numina  castos  C7"i 

Kvinclus  vitta  crines  albente  sacerdos, 

Et :  (c  Deus  en,  deus  en;  linguisque  animisque  favcle, 

Quisquis  ades,  dixit.  Sis,  o  pulcherrime,  visus 

Utiliter,  populosque  juves  tua  sacra  colentes.  » 

Quisquis  adest,  jussum  venerantur  numen,  et  omner         ♦;8(J 

Verba  saccrdolis  referunt  gerainata,  piumque 

JEneadsc  prajstant  et  mente  et  voce  favorem. 

Annuit  his,  motisque  deus  rata  pignora  cristis, 

Ter  rcpetita  dedit  vibrata  sibila  lingua. 

Tum  gradibus  nitidis  delabitur,  oraque  retro  tjS"» 

Fleclit,  et  antiquas  abiturus  respicil  aras, 

Assuctasque  domos,  habitataque  templa  salutat. 

Inde  per  injectis  adoperlam  floribus  ingens 

Serpit  huraum,  flectilque  sinus,  raediaraque  per  urbem 

T^adit  a!)  incurvo  muuitos  aggere  portus.  090 


LIVRB  XV.  605 

prol(5ge  le  port/La  il  s*arr6te.  Ses  yeux  semblent  se  fixer  avec 
plaisir  sur  son  cortege ,  et  jouir  des  hommages  de  la  foule  qui  se 
presse  sur  ses  pas.  II  monte  sur  le  navire  latin.  Le  navire  sent  ie 
poids  de  la  divinite,  et.  s^affaisse  sous  Tauguste  fardeau.  Les  Ro- 
mains,  transportes  d'allegresse,  immolent  un  taureau  sur  le  ri« 
vage,  et  levent  Tancre  qui  retient  la  nef  couronn^e  de  fleurs. 

Une  brise  leg^re  enfle  la  voile.  Le  dieu  se  redresse;  il  pose  sa 
l^le  sur  la  poupe  et  contemple  les  ondes.  Seconde  par  la  douce 
haleine  des  vents,  le  navire  silionne  la  mer  dlonie.  A  la  sixieme 
aurore,  il  vogue  vers  lltalie.  II  franchit  Lacinium,  c^l^bre  par  le 
temple  de  Junon,  Scylacee  et  Flapygie.  A  force  de  rames  il  6vite,  a 
gauche,  les  rochers  d'Amphisse ;  a  droite,  les  redoutables  monts 
Cerauniens,  Romechium,  Caulon  et  Naryc'e.  II  traverse  T^troit 
passage  du  P^lore  et  double  le  royaume  d'£ole,  les  mines  de 
Tem^se,  Leucosie  et  les  champs  de  PoBStum  couverts  de  rosiers. 
II  passe  devant  Capree,  le  promontoire  de  Minerve,  les  collines  de 
Sorrente,  fecondes  en  vins  genereux,  la  ville  dHercuIe,  Stabies, 
Parthenope  aux  doux  loisirs,  le  lemple  de  la  Sibyllo  de  Cunies, 

Restitit  hic,  agmenquo  suum,  turbaeque  sequentis 

Officium  placido  visus  dimittere  vultu, 

Corpus  in  ausonia  posuit  rate.  Numinis  illa 

Sensit  onus,  pressaque  dei  gravilate  carina  est. 

^neadae  gaudeut,  csesoque  in  lillore  tauro,  695 

Torta  coronatae  solvunt  retinacula  navis. 

Impulerat  levis  aura  ratem.  Deus  eminet  alle, 
Impositaque  premens  puppim  cervice  recurvam 
Cxruleas  despectat  aquas;  modicisque  per  sequor 
lonium  Zephyris,  sexto  Fallantidos  ortu  700 

Italiam  tenuit;  praelerque  Lacinia  templo 
Nobilitata  deae,  scylaceaque  littora  fertur. 
Linquit  lapygiam,  Isevaque  amphissia  rcmis 
Saxa  fugit;  dextra  prxrupta  Ceraunia  parte, 
Romechiumque  legit,  Caulonaque,  Naryciamquo,  705 

Evincitque  fretum,  siculique  angusta  Pelori, 
Hippolndacque  domos  regis,  Temesesque  metalia, 
Lcucosiamque  petit,  tepidique  rosaria  Pa}sti. 
Inde  legit  Capreas,  promontoriumque  Minervje, 
Et  surrentino  generosos  palmite  colles,  710 

Herculeamque  urhem,  Stabiasque,  et  in  otia  natam 
Parthrnopen,  et  ab  hac  cum»a3  templa  Sibyllae. 

54. 


606  METABIORPnOSES. 

]es  eaux  thermales  de  Baies,  Linterne  fertile  en  lentisques,  le 
Yulturne  qui  roule  tant  de  sable  dans  ses  eaux,  Sinuesse  peuplee 
de  blanches  colombes,  Mintumes  dont  Fair  est  si  pesant,  Gai^teou 
finee  ensevelit  sa  nourrice,  Formies  ou  r^na  Antiphate,  Thraque 
entour^  d'un  marais,  la  terre  de  Girce,  et  Antium  qu'obscurQit 
une  brume  ^paisse. 

Cest  vers  ce  point  que  les  nautoniers  toument  leurs  voiles; 
car  la  mer  devenait  orageuse.  Le  dieu  derouleses  vastes  anneaux, 
et  par  de  nombreux  replis  se  glisse  dans  le  temple  d'ApoIlon,  bati 
sur  ce  rivage.  Les  flots  s'apaisent.  Le  dieu  dfipidaure  s'eloigne 
de  raulel  hospitalier  de  son  pere.  II  sillonne  le  sable  de  ses 
bmyantes  ^cailles,  s'appuie  sur  le  gouveraail  et  repose  sa  tete 
sur  la  poupe,  jusqu'a  ce  qu'il  aborde  a  Castrum,  aux  champs  sa- 
cr^s  de  Lavinie  et  a  Tembouchure  du  Tibre.  La  il  voit  accourir  en 
foule  les  hommes,  les  femmes  et  les  vierges  chargees  de  veiller  au 
feu  de  Vesta, divinil^ protectrice  de  Troie, et  tous  le  saluent  par  des 
cris  de  joie.  Sur  les  deux  rives  du  fleuve  que  le  navire  remonte 
sont  dress6s  des  autels  ou  petille  la  flamme;  partout  s^elevent  des 
flots  d^encens  qui  parfument  les  airs,  et  la  victime  tombe  sous  le 

Hinc  calidi  fontes,  lentisciferumque  tenentur 
Linternum,  muUamque  trahens  sub  gurgite  arenani 
Vullurnus,  nivcisque  frcquens  Sinuessa  columbis,  715 

MinturnaDque  graves,  et  quam  tumulavit  alumnus; 
Antiphatseque  domus,  Trachasque  obsessn  palude, 
Et  tellus  circaBa,  et  spissi  liltoris  Antium. 

Huc  ubi  veliferam  nautaj  advertere  carinam. 
Asper  enim  jam  pontus  erat,  deus  explicat  orbcs,  7i0 

Perque  sinus  crebros,  ct  magna  volumina  labcns, 
Templa  parentis  init  flavum  langentia  littus. 
jEquore  pacalo,  patrias  Epidaurius  aras 
Linquit,  et  hospilio  juncti  sibi  numinis  usns, 
Littoream  tractu  squam.TC  crepitantis  arenam  7:25 

Sulcat,  et,  innixus  moderamine  navis,  in  alla 
Puppe  caput  posuit;  donoc  Castrumque,  sarrasque 
Lavini  sedes,  tiberinaque  ad  oslia  venil. 
Huc  omnes  populi  passim,  matrumque,  palnunque 
Obvia  turba  ruit,  quaeqne  ignes  troica  servat  730 

Vesta,  tuos,  laetoque  deum  clamore  salutant. 
Quaque  per  adversas  navis  cita  ducitur  undas, 
Thura  super  ripas,  aris  ex  ordine  factis, 
Parte  ab  utraque  sonant,  et  odorant  aera  fumis, 


LIVRE   XV.  60- 

contean  sacrS  qu*elle  rougit  de  sang.  Enfin  le  navire  entre  dans 
Rome,  la  reine  du  monde.  Le  serpent  s'^lance  jusqu'au  haut  du 
m&t;  il  agite  sa  tSte  et  cherche  la  demeure  quMl  doit  choisir.  Le 
fleuve  se  divise  en  deux  parties  et  donne  son  nom  a  rile  qu'il  en- 
toure  egalement  de  ses  bras.  Cest  la  que  le  serpent  sacre  se  re- 
tire  en  sortant  du  vaisseau.  U  reprend  ses  traits  c^lestes,  et  met 
fin  au  deuilde  Rome  dont  il  fut  le  sauveur. 

JULES  ciSAR  CHANG^  EN  ASTRE.  —   LOUANGES  D^AUGUSTE.  —  £PIL0GUR. 

Vin.  Cependant  Esculape  n'cst  dans  nos  temples  qu'un  dieu 
^tranger ;  mais  G6sar  re^it  les  honneurs  divins  dans  la  ville  qui 
Fa  vu  naitre.  Dlustre  dans  la  paix  comme  dans  la  guerre,  ce  n'est 
point  a  des  combats  couronnes  par  des  triomphes,  ni  k  la  sagesse 
de  son  gouvemement,  ni  a  ses  rapides  conqu6tes,  quMl  doit  la 
^gloire  de  briller  parmi  les  astres  et  de  former  une  com^te  nou- 
velie :  il  en  est  redevable  k  son  fils.  Parmi  tous  ses  titres,  le  plus 
beau  est  celui  de  pere  d'Auguste.  Les  Bretons  domptes,  malgr^  les 
mers  qui  les  prot^gent;  les  flottes  victorieuses  conduites  jusqu'aux 


Ictaque  conjectos  incalfacit  hostia  cultros.  T.l^ 

Jamque  caput  rerum,  romanam  intraverat  urbem. 

Erigitur  serpens,  summoque  acclinia  malo 

Colla  movet,  sedesque  sibi  circumspicit  aplas. 

Scinditur  in  geminas  partes  circumfluus  amnis. 

Insula  nomen  habet,  laterumque  a  parte  duorum  "40 

Porrigit  sBquales  media  tcllure  lacertos. 

Huc  se  de  latia  pinu  phcBbeius  anguis 

Contulit,  et  finem,  specie  coelesle  resumpta, 

Luctibus  imposuit,  venitque  salutifer  urbi. 

JinJITS   CiESAR   FIT   SIDUS.    —    AUGUSTI   PRjECOXIUM.   —  EPn.OCUS. 

VIII.    llic  lamen  accessit  delubris  advena  nostri^;  7Vi 

Cacsar  in  urbe  sua  deus  est.  Quem  marte  togaquc 
Praecipuum,  non  bella  magis  finita  triumphis, 
Resque  domi  gcstae,  propcrataque  gloria  rerum 
In  sidus  vertere  novum  stellaraque  comantem, 
Quam  sua  progenies;  nequc  enim  de  Csesaris  actis  7S0 

Ullum  majus  opus,  quam  quod  pater  exstitit  hujus, 
Scilicet  eequoreos  plus  est  domuisse  Britannos, 
Perque  papyriferi  septemflua  flamina  Nili 
Victrices  egis-  o  rates,  Numidasque  rebelles, 


008  METAMORPHOSES. 

sept  boucbes  du  Nil ;  les  Numides  rebelles,  l'Africxiin  Juba,  et  le 
Pont  fier  du  nom  de  Mithridate,  ajoutes  a  la  puissance  romaine; 
des  triomphes  souvent  merites,  obtenus  quelquefois,  ne  sont  pas 
des  avantages  plus  glorieux  que  d'avoir  donne  le  jour  au  grand 
homme  que  vous  avez  mis,  dieux  puissants,  a  la  t§te  de  l'empire 
pour  assurer  le  bonbeur  de  runivers.  Auguste  ne  pouvait  sortir 
du  sang  d'un  mortel :  il  fallait  que  Cesar  fut  un  dieu.  La  belle 
Venus  vit  son  apotheose;  raais  elle  vit  aussi  prgparer  la  mort  du 
pontife  et  les  armes  des  conjures.  Elle  courut  toute  pale  au-devant 
de  chaque  dieu  qu  elie  rencontrait  •  «  Voyez,  leur  disait-elle. 
quels  pieges  horribles  me  sont  tendus,  et  quel  affreux  complot 
se  trame  conlre  Tunique  rejeton  d'Iule.  Seule  parmi  les  deesses, 
aurai-je  donc  toujoursdejustes  sujets  deplaintes?  Tantot  je  suis 
blessee  par  la  lance  de  Diomede,  tantot  je  rougis  de  voir  les  rem- 
parts  de  Troie.mal  defendus.  J'ai  vu  mon  fils  errer  longtemps  sur 
les  mers,  ^tre  le  jouet  des  flots,  descendre  dans  le  sejour  des  om- 
bres,  combaltre  contreTurnus,  oupIul6t  contre  Junon.  Mais  pour- 
quoi  rappeler  les  maux  soufferts  jadis  par  les  miens?  La  crainte 
qui  m'obsede  etouffe  en  ce  moment  ces  souvenirs.  Vous  voyez 

Cinyphiumque  Jubam,  mithridateisque  lumenlem  755 

Nominibus  Pontum,  populo  adjecisse  Quirini, 

Et  multos  raeruisse,  aliquos  egisse  triumphos, 

Quam  tantum  genuisse  virum,  quo  praeside  rerum 

Ilumano  generi,  Superi,  cavistis  abunde. 

No  foret  hic  igitur  mortali  semine  cretus,  7C0 

Ille  deus  faciendus  erat.  Quod  ut  aurea  vidit 

JEness  genitrix,  vidit  quoque  triste  parari 

Pontifici  letlium,  et  conjurala  arma  moveri. 

Palluit,  et  cunctis,  ut  cuique  erat  obvia,  divis  : 

«  Aspice,  dicebat,  quanta  mihi  mole  parentur  7(>'j 

Insidise,  quantaque  caput  cum  fraude  petatur, 

Quod  de  dardanio  solum  mihi  restal  lulo. 

Solane  semper  ero  justis  exercita  curis? 

Quam  modo  Tydidae  calydonia  vulneret  hasta ; 

Nunc  male  defensa;  confundant  moenia  Trojnn;  770 

Quae  videam  nalum  longis  erroribus  actum 

Jactarique  freto,  sedesque  intrare  silentum, 

Bellaque  cum  Turno  gerere,  aut,  si  vera  fatemur, 

Cum  Junone  magis.  Quid  nunc  antiqua  recordor 

Damna  mei  generis?  Timop  hic  raeminisse  priorum 


LIVRE  XV.  0C9 

qu*on  aiguise  contremoi  des  glaives  impies.  D^lournez-les,  jevous 
en  conjure ;  pr^venez  un  tel  crime,  et  ne  souffrez  pas  que  le  feu 
de  Yesta  s'eteigne  dans  le  sang  de  son  pontife. » 

Telles  sont  les  inutiles  plaintes  dont  la  d^esse  inqui^te  remplit  le 
ciel.  Lesdieux  en  sont  4mus.  S'ils  ne  p^uvent  briser  les  inexorables 
decrets  des  trois  vieilles  Sceurs,  ils  donnent  au  moins  des  signes 
certains  de  leur  douleur  future.  Un  bruit  d'armes  retentit  au  mi- 
Weu  de  sombres  ntfnges.  Le  son  terrible  des  trompettes  et  des  clai- 
rons  pr^dit  un  grand  attentat.  Le  soleil  ep  deuil  envoya  une  pale 
lumi^re  a  la  terre  alarm^e.  Souvent,  dans  les  airs,  on  apercut 
des  torches  ardentes;  souvent  du  sein  des  nues  tomberent  des 
gouttes  de  sang.  L^etoile  brillante  du  matin  se  couvrit  d'obs- 
curite,  et  le  char  de  la  lune  parut  tout  sanglant.  Dans  milie  en- 
droits  le  funebre  hibou  donna  de  sinistres  presages ;  dans  mille 
endroits  on  vit  pleurer  Tivoire.  Des  bois  sacrfe  firent  entendre  des 
chants  lugubres  et  des  voix  menaQantes.  Les  vicUmes  n'apaisaient 
point  les  dieux.  Leurs  fibres  annongaient  de  grandes  s^ditions 
pr^les  a  ^clater,'  et  dans  leurs  entrailles  on  trouva  la  partie  supe* 
rieure  d'un  foie  coupee.  Au  milieu  du  Forum,  autour  de  nos  mai- 


Non  sinit.  In  me  acui  scelcratos  cernilis  enses. 
Quos  prohibcte,  precor,  facinusque  repellite,  neve 
Cacdc  sacerdotis  flammas  exslinguite  Vestce.  » 

Talia  nequicquam  toto  Vcnus  anua  ccelo 
Verba  jacit,  Supcrosque  movet.  Qui  rumpere  quanquam     780 
Ferrea  non  possunt  veterum  decreta  Sororum , 
Signa  tamen  luctus  dant  haud  incerta  futuri. 
Arma  ferunt  nigras  inter  crepitantia  nubes, 
Terribilesque  tubas,  auditaquc  cornua  coelo 
Praemonuisse  nefas.  Phoebi  quoque  tristis  imago  78fJ 

Lurida  sollicitis  praebebat  lumina  terris. 
Saepe  faces  visse  mediis  ardere  sub  astris; 
Ssepc  intcr  ninibos  guttse  cecidere  cruentse. 
Caerulus  et  vultura  ferrugine  Lucifer  atra 
Sparsus  crat;  sparsi  lunares  sanguine  currus.  790 

Tristia  mille  locis  stygius  dedit  omina  bubo; 
Uille  lo^is  lacrymavit  ebur;  cantusque  fcruntur 
Auditi,  sanctis  et  verba  minacia  lucis. 
Victima  nulla  litat,  magnosque  instare  tumultus 
Fibra  monet  csesumque  caput  reperitur  in  extis,  '^^'i 


CIO  MftTAMORPnOSES. 

sons  et  des  temples,  des  diiens  hurl^rent  pendant  la  nuit,  et  Fon 
vit  errcr  les  ombres  des  morts.  Rome  elle-m^me  trembla  sur 
ses  fondements.  Mais  les  avis  des  dieux  ne  peuvent  triompher  ni 
de  la  trahison  ni  du  Destin.  Des  glaives  nus  sont  port^  dans  le 
s^nat.  Oui,  le  s^natest  choisi  de  pr^ference  a  tout  autre  lieu  pour 
seryir  de  theitre  au  crime  affreux  qui  se  pr^pare. 

Alors  la  deesse  de  Gyth^re  se  frappe  le  sein.  Elle  cherche  a 
envelopper  Cesar  du  nuage  qui  d^roba  P^is  a  la  fureur  d'Atride 
et  £nee  au  glaiye  de  Diomede.  Jupiter  lui  dit :  «  0  roa  fille!  crois- 
tu  pouYoir  seule  fl^ir  Fimmuable  Destin  ?  Entre  dans  le  s^jour 
des  trois  Soeurs,  je  te  le  permets.  La  tu  verras  un  ouvrage  im- 
mense,  des  tables  d'airain  et  de  fer  ou  est  ^crit  le  sort  des  hur 
mains.  EUes  sont  etemelles,  et  ne  craignent  ni  le  choc  des  deux, 
ni  les  ^clats  de  la  foudre,  ni  les  changements,  ni  la  destruction. 
M,  sur  le  plus  dur  m^tal,  sunt  fixto  les  destinees  de  ton  peuple. 
Jeles  ai  lues  moi-m^me  et  gravto  dans  ma  m^moire.  Je  vais  te 
les  d§Yoiler,  afin  que  Tavenir  n'ait  plus  d^ormais  de  myst^ 
pour  toi. 

«  Deesse  de  Cyth^re,  le  h^ros.  dont  le  sort  finqui^te  a  rempli 

Inque  foro,  circumquc  domos,  ct  templa  deorum 

Nocturnos  ululasse  canes,  umbrasque  silcntum 

Erravisse  ferunt,  motamque  tremoribus  urbem. 

Noii  (amen  insidias,  vcnturaque  vincerc  fata 

Pra^monitus  potuere  deum.  Strictique  feruntur  800 

In  templum  gladii;  nequc  enim  locus  uUus  in  nrbc 

Ad  facinus,  diramquc  placet,  nisi  Curia,  cscdem. 

Tum  vero  Cylherea  manu  percussit  utraquc 
Peclus,  ct  oitheria  molitur  condere  nube, 
Qua  prius  infesto  Paris  est  ereptus  Atridae,  8Hr» 

Et  diomedeos  ^neas  fugcrat  enses. 
Talibus  hanc  gcnitor :  «  Sola  insuperabile  fatum, 
Nata,  movere  putas?  Intres  licet  ipsa  Sororum 
Tecla  trium  :  cernes  illic  molimine  vasto 
Ex  xre,  et  solido  rerum  tabularia  ferro,  810 

QuoB  neque  concursum  cocli,  neque  fulminis  iram, 
Nec  metuunt  ullas,  tuta  atquc  Oiterna,  ruinas. 
Invo.nies  illic  inclusa  adamante  perenni 
F»ta  tui  generis.  Legi  ipse,  anirooque  notavi, 
Etreferam,  ne  sis  etiamnum.  ignara  futuri.  815 

»  Uic  sua  complevit,  pro  quo,  Cytherea,  laboras, 


LIVIIE  XV.  611 

les  temps  qui  iui  furent  donnes  :  les  annees  qu'ii  dut  a  ia  terre 
sont  finies.  11  sera  mis  au  rang  des  dieux  et  Iionor^  'dans  des 
temples.  Cest  a  toi,  c'est  au  fils  heritier  de  son  nom  et  destine  a 
porter  le  poids  de  l'empire,  que  ce  soin  appartient.  Intrepide 
vengeur  du  meurtre  de  son  pere,  ii  sera  soutenu  par  les  dieux 
dans  les  combats.  Sous  ses  auspices,  Mutine,  assiegee  et  Taincue, 
demandera  la  paix;  Pliarsale  eprouvera  la  force  de  son  bras,  et 
les  piaines  de  Piiilippes  seront  de  nouveau  inondees  de  sang.  Les 
mers  de  Sicile  verront  ia  defaite  d'un  grand  nom.  Dne  reine 
d'figypte,  femme  d'un  general  romain,  succombera,  malgre  le 
foi  espoir  qu'eile  avait  mis  en  son  hymen^e,  et  apr^s  nous  avoir 
en  vain  menaces  d'asservir  notre  Gapitoie  a  Ganope.  A  quoi  bon 
t'enumerer  les  nations  barbares  repandues  sur  les  bords  des  deux 
oceans?'Tous  ies  peuples  de  Tunivers  recevront  ses  iois;  la  mer 
m^me  lui  sera  soumise.  Apr^s  avoir  pacifi6  ia  terre,  il  s'occupera 
des  institutions  politiques ;  11  donnera  de  sages  lois  et  regiera  les 
moBurs  par  son  exemple.  Sa  prevoyance  embrassera  Tavenir  et 
toute  sa  post^rit^  :  il  ordonnera  au  fiis  de  sa  chaste  epouse  de 
porter  son  nom  et  le  fardeau  de  i^empire,  et  ne  montera  au  ce- 

Teiiiporu,  perfectis,  quos  teirsB  debuit,  annis. 

Ut  deus  accedat  coelo,  templisque  colatur, 

Tu  facies,  natusque  suus;  qui,  nominis  ba&res, 

Impobitum  feret  urbis  onus,  Cicsique  parentis  820 

Nos  in  bella  suos  fortissimus  ultor  babebit. 

lUius  uuspiciis  obsessae  mtenia  pacem  . 

Victa  petent  MutiDx.  Pharsalia  sentiet  illum, 

.^matbiaque  iterum  madefacti  caede  Pbilippi; ' 

Et  magnum  siculis  nomen  superabitur  undis ;  8ib 

Romanique  ducis  conjux  cegyptia,  tsdae 

I<ion  bene  fisa,  cadet;  frustraque  erit  illa  minata, 

Servitura  suo  Capilolia  nostra  Canopo. 

Quid  tibi  Barbariem,  gentesque  ab  utroque  jaceutes 

Oceano,  numerem?  Quodiiumque  habitabilc  tellus  830 

Sustinet,  hujus  erit;  pontus  quoque  serviet  illi. 

Pace  data  terris,  animum  ad  civilia  vertet 

Jura  suum,  legesque  feret  justissimus  auctor, 

Exemploque  suo  mores  reget.  Inque  futuri 

Temporis  aetatem,  venturorumque  nepolum  855 

Prospiciens,  prolem  sancta  de  conjuge  natura' 

Ferre  simu),  nomenque  Buum,  cuia»que  jubebit; 


G12  M£TAM0K1>H0SES. 

leslc  sejour,  u  cuLe  de  ses  aieux,  qu'apres  avou^  atteint  Tage  du 
roi  de  Pyios.  Metamorphose  en  astre  l'^me  de  Cesar  au  moment  oii 
un  meurtre  ia  bannira  de  sa  demeure  mortelle,  afm  que  du  haut 
du  ciel  le  dieu  Jules  protege  a  jamais  le  Capitole  et  le  Forum.  • 

II  dit.  Venus  descend  dcs  voules  etherees,  invisible  a  tous  les 
regards,  et  s'arr6te  au  milieu  du  senat.  Du  corps  de  Cesar  ellc 
detache  son  Ame,  1'empMie  de  s'^vaporer,  et  remporte  dans 
la  region  des  astres.  En  s^elevant,  la  deesse  la  sent  se  transfor- 
mer  en  une  substance  divine  et  s'embraser.  Elle  la  laisse  echap- 
per  de  son  sein.  L'ame  s'envoIe  au-dessus  de  la  lune  et  devieut 
une  etoile  brillante  qui  traine  dans  un  long  espace  sa  clievelure 
enflamm^e.  Du  celeste  parvis  C6sar  voit  les  exploits  de  son  fils, 
bicn  superieurs  aux  siens,  et  se  rejouit  d'^lre  vaincu  par  lui.  Au- 
guste  defend  qu'on  prefere  ses  actions  a  celles  de  son  pere.  Mais 
la  Renommee,  libre  et  independante,  le  place,  malgre  lui,  au-des- 
sus  de  Cesar :  elle  ne  lui  est  contraire  que  sur  ce  poinl.  Ainsi  le 
grand  Atree  est  moins  illustre  qu'Agamemnon,  ainsi  Thesee  rem- 
porte  sur  figee,  Achille  sur  Pelee;  et,  pour  citer  des  exemples 
dignes  de  mon  suj,^,  cest  ainsi  que  Saturne  est  infericur  a  Jupi- 

fiec,  nisi  quum  Pylio  siiniles  cequaverit  anuoa, 

i4it)ierias  sedes,  cognalaque  sidera  tangel. 

Hanc  animam  iutcrca  caeso  de  corpore  raptaiii  N  iO 

Fac  jubar,  ut  seniper  Capitolia  nostra  foruniquo 

Divus  ab  excelsa  prospectet  Julius  arce.  t> 

Vix  ea  fatus  erat,  media  quuin  sede  senalu:» 
Constitit  alma  Venus,  nulli  cernenda,  suiquc 
Cajsaris  eripuit  niembris,  iiec  in  aera  solvi  Sio 

Passa  recenlein  aiiiinain,  coelestibus  intulit  aslris. 
Dumque  tulit,  nuinen  capere,  alque  ignescere  SrCiisit, 
Emisitque  sinu.  Luna  volat  altius  illa, 
Flammiferumque  Irahens  spalioso  liniite  crinem 
Stella  micat;  natique  videns  bencfacla,  falelur  SiiO 

Esse  suis  majora,  et  vinci  gaudcl  ab  illo, 
Ilic  sua  prajfcrri  quanquam  velat  acla  patornis, 
Libera  fama  tamen,  nuUi&quc  obnoxia  jussis, 
Invituin  pi\cfeit,  unaque  in  parte  repugnat. 
V  ic  magnus  cedit  titulis  Agameninonis  Atreus;  S.i.'i 

ylvgea  sic  Tlioeus,  sic  Pelea  vincit  Acbilles; 
Deiii<|uc  ul  exeniplis  ipsos  ajquantibus  utar, 
Sic  et  Salurnus  ininor  cst  Jovc.  Jupiltr  arces 


LnRS  IV.  615 

ter.  iupiter  gouTerne  les  cieiix  et  rdgne  sur  les  trois  nKmdes.  La 
ten|«  est  soumise  a  Auguste  :  tous  deux  sont  p^s  et  rois  de 
runiTers. 

Je  vous  en  supi^e,  dieux,  compagnons  d'£n6e,  qui  lui  avez  ou- 
vert  un  chemin  a  travers  le  fer  et  la  flamme,  dieux  indigMes,  Qui- 
rinus,  fondateur  de  l'empire  romain,  Mar$,  p^re  de  rinvincible 
Romulus»  Yesta,  consacr^e  parmi  les  p^nates  de  G^sar,  ApoUon, 
placS  pres  de  Yesta  pamii  ses  dieux  domestiques»  et  toi,  Jupiter, 
qui  domines  la  roche  Tarp^enne»  et  vous  tous,  dieiu  que  le  poele 
peut  et  doit  invoquer !  Ah  I  qu'il  soit  differe,  qu'il  soit  ^loigne  de 
notre  ^ge,  le  jour  ou,  abandonnant  la  terre  qu*il  gouveme,  Au- 
guste  entrera  dans  les  c61estes  parvis,  du  haut  desquels  il  exaucera 
les  voeux  des  mortels ! 

ie  Tai  enfin  achev^,  cet  ouvrage  que  ne  pourront  d^truire  ni  le 
oourroux  de  Jupiter,  ni  le  feu,  ni  le  fer,  ni  les  ravages  du  temps ! 
Maintenant  qu'il  vienne  quand  il  voudra  mettre  fin  a  la  duree 
incertaine  de  ma  vie,  le  jour  qui  n'a  de  prise  que  sur  mon  corps. 
Immortel  dans  la  plus  noble  partie  de  mon  6tre,  je  m'^l^verai  au- 
dessus  des  astres,  et  mon  nom  ne  p^rira  point.  Mes  vers  seront 
lus  partout  ou  Rome  ^tendra  son  empire,  et  ma  gloire  traversera 

Temperat  ssUierias  et  mundi  regna  triformis. 

Terra  sub  Augusto :  pater  est  et  rector  uterque.  860 

Di,  precor,  JEnese  comitcs,  quibus  ensis  et  ignis 
Cesserunt,  dique  indigetes,  genitorque,  Quiiine, 
Urbis,  et  ihvicti  genitor,  Gradive,  Quirim, 
Vestaque  caesareos  inter  sacrata  penates, 
£t  cum  caasarea  tu,  Phcebe  dpmestice,  Vesla,  865 

Quique  tenes  aitus  tarpeias  Jupiter  arces, 
Quosque  alios  vati  fas  appellare  piumque : 
Tarda  sit  illa  dies,  et  nostro  serior  aevo, 
Qua  caput  augustum,  quem  temperat,  orbe  relicto, 
Accedat  ccelo,  faveatque  precantibus  absens.  870 

Jamque  opus  exegi,  quod  nec  Jovis  ira,  nec  igncs, 
Nec  poterit  ferrum,  nec  edax  abolere  velustas. 
Quum  volet  illa  dies,  que  nil,  nisi  corporis  hujus 
Jus  habet,  incerti  spalium  mihi  finiat  icvi. 
Parle  tamen  meliore  mei  super  alla  pcrennis  875 

Aatra  ferar,  nomenque  erit  indelebile  noslrum; 
Qiaque  patet  domiUs  romana  potentia  terris, 

35 


OU  MlESTAHORPUOSES. 

toas  les  siecles»  s'il  y  a  quelque  chose  de  vrai  dans  les  predio- 
tions  des  poetes. 

Ore  legar  populi,  perque  oninia  saecula  fauia, 
Si  quid  babent  Teri  Tatum  prssagia,  yiTam. 


FLN 


TABLE  DES  MATltRES 


Vnincr. o «««V 


LIVRE  PREMIER. 

I.  Le  Chaos  chang^  en  quatre  ^l^ents  distincl| ,  1 

II.  Succession  des  quatre  dges V» 

III.  Crime  et  punition  des  G^nts U 

JV.  Lycaon  est  change  en  loup 9 

V.  L'univers  est  submergS  par  le  d^luge 14 

VI.  DGUcalion  et  Pyrrha  repeuplent  la  lerre iU 

VII.  ApoUon  tue  le  serpent  Python 22 

VIII.  Daphn^  chang6c  en  laurier 24 

IX.  M^lamorphose  d'Io  en  g^nisse  et  de  Syrinx  en  roseau.  —  Hort  d*Argus. 

—  Naissance  d'£papbus ,  .  30 


LIVRE  DEUXIEME. 

1.  Pha6thon  demande  k  conduire  le  char  du  Soleil.  —  Frappe  dc  la  foudre, 

il  est  pr^ipit^  du  ciel. —  Ses  soeurs  sont  diangdes  en  peupliers.  42 

II.  Cycnus  est  m^lamorpbos^  en  c^ne CU 

III.  Calisto  est  changee  en  ourse C2 

IV.  Le  corbeau  pevd  la  blancheur  de  so:i  plumagc  ct  dcvicnt  noir..  .  »  G9 
V.  Ocyrho6  mSlamorphoste  en  cavale.    .   .  .  « 7i 


m  TABLE  DBS  MATlfSRBS. 

Tl.  BalUM  ehangi  en  piem. 76 

▼n.  Af  lanre  changte  en  rocher 7^ 

Tni.  Jn^iter,  loiis  la  forme  d'an  Uoreaa,  enlive  Europe 84 


LIVRE  TROISlfiMB. 

1.  Ag6aor  ordonne  k  Cadmns  de  chercher  sa  fille.  —  Combat  de  Cadmus 

atec  un  dragon 87 

U.  Des  soldatf  naissent  des  dents  dn  dragon  tui  par  Cadmus.  ....    92 
11).  Aclten  mitamorphosi  en  cerf. 93 

IV.  Amour  de  Jnpiter  poiir  SSmil^.  —  Junon  se  venge  de  sa  rivale.  .    99 

V.  Tir^iaSp  aveugle  el  devin 103 

VI.  Narcisse  e&t  chang6  en  fleur;  fichoen  son 101 

VII.  Penthte,  aprte   la  m^tamorphose  des  matelots  en  dauphins,  charge 

Bacchus  de  chatnes.  —  A  canse  de  ce  crime,  il  est  mis  en  lambeanx 
par  les  Bacchantes 113 


LIVRB  QUATRltMB. 

I.  Alcitho^  et  ses  sffiurs  rejettent  le  culte  de  Bacchus.  —  Atenture  de 
Pyrame  et  de  ThisM.  —  Amour  de  Mars  et  de  V£nus.  —  Amour  d*A- 
pollon  et  de  Leucotho^.  —  Amonr  de  Salmacis  et  d*Hermaphrodite.  — 
Les  lilles  de  Hinyas  m^tamorphos^s  en  chanves-souris,  et  leors  toiles 
chang£es  en  pampres ' 124 

II.  Ino  et  MSlicerte  changees  en  dieux  marins,  -et  leurs  corapagnes  en  ro- 

cher»  et  en  oiseaux 145 

III.  M^tamorphose  d'Hermione  et  de  Cadmus  en  serpents 153 

IV.  Atlas  changc  en  monlagne 153 

V.  Persdo  d^livre  Andromdde 158 

VI.  Pers^e  ^pouse  Andromdde loi 


LIYRE  CINQUlfiME. 

I.  Perste  change  Phinle  et  ses  compagnons  en  rochers 166 

II.  Pr^tus  et  Polydecte  chang^s  en  rochers.  —  M^tamorphose  des  filles  de 
Pi^rus  en  pies ;  —  d*un  enfant  en  l^ard;  —  d'Ascalaphe  en  hibou;  — 
de  Cyane  et  d'Ar6thuse  en  fontaines;  —  de  Lyncus  en  lynx.  —  EnldYe- 
ment  de  Proserpine.  >-  Voyage  de  C4rds  et  de  TriptoUme.  ...  178 


LIVRE  SIXI£mE. 

t.  Arachn^  mliamorphos^e  en  araign^e 101 

11.  Kiob4,  pour  s'6tre  pr6fer6e  &  Latone,  est  chang^e  en  rocher.  ...  "08 


TABLB  DES  MATIfiRBS.  617 

m.  M^morpboM  d«B  paystiu  lyeiens  en  greiwailles 216 

IV.  Manyas  changi  en  fleaye '.  .  .  290 

y.  Pilops  plenre  RioM.  —  Les  dieux  lid  donnent  nne  ipanle  d*ifoire.  221 
VI.  Changement  de  T^r6e  en  hnppe;  —  de  Philom^  en  rossignol;  —  de 

Proeni  en  hirondelle.. 222 

Vn.  Borte  enl^e  Orythie.  II  en  a  denx  fils,  CalaTs  et  Z^,  qui  ftircnt  au 
nombre  des  Argonautet 235 


LIVRE  SEPTlfeME. 

I.  Jason,  par  le  seeonrs  do  U&die,  s*empare  de  la  toison  d*or.  «  .  •  .  238 
n.  MMte  rajeunit  le  Tieil  &on 246 

III.  La  jennesse  est  rendne  anx  nourrices  de  Bacchus 233 

IV.  MM£e  fait  tuer  P«lias  par  ses  filles 2-S3 

V.  MMte  ^orge  ses  enfants 256 

VI.  MMte  8*enfWt  &  Athftnes,  o&  elle  est  accueillio  par  £g£e ^58 

Vn.  Ami  est  chang£e  en  chouette.  —  Peste  d'Egine.  —  M^tamorphoso  des 

fourmis  en  mjrmidons.  —  iaque  les  envoie  au  secours  d*lg£e.  261 

lU.  C^phale  et  Procria 272 


LIVRE  HUITlfiMB. 

I.  Nistts  esl  chang6  en  aigle  de  mcr  et  Scylla,  sa  fiUe,  en  alouetto.  .  .  283 
!!•  La  couronne  d'Ariane  placie  parmi  les  astres 290 

III.  D^dale  s*entole  snr  des  ailes.  ^  Icare,  tolant  prte  de  son  pdre,  e»t 

submergi.  —  M^tamorphose  de  Perdix 292 

IV.  M61^gre  tue  le  sanglier  de  Calydon.  —  Alth^e,  m6re  du  h^ros,  en  aco^- 

Idre  la  mort ; 298 

V.  Nalades  chang^es  en  Iles  appeldes  £chinades 510 

VI.  Pbil^mon  et  Baucis 5U 

VII.  Prot^e  et  Mestra.  —  lmplH6  d*£risichthon  et  son  chdtiment.  ...  319 


L1VRE  NEUVlfiMB. 

I.  Ach^Ioiis  Taincu  par  Hercule.  —  Corne  d*abondance 328 

n.  Mort  de  Nessus 333 

UL  Tourments  d*Uercule  sur  le  mont  (Eta 335 

IV.  Apothtese  d*Hercnle.  .  .  « 310 

V.  Alemdne  raconte  k  lole  son  .aceouchement  laborieux.  —  Galanthis  m^ 

tamorpbos^  en  belette 342 

VI.  Dryope  est  transformie  en  lotos 345 

VII.  M^morphose  d*IoIe  en  jeune  bomme..  ..,.,,...      ,  ,  .  318 


IJIf/  %MtmHt^^m&  «rii««(ya«  «»  ptMifBfliu 4U 


1/  i«  m^i  ^  mfi  MWMne^  la  ^^i»  de  la  gverre  4s  Tioie  est  pelriie. 

^^  (/ft«  >»»«fc#  «»l  hwwwi^  ^  la  pUfJi  dlplii^eaie 447 

W/  f/f«W»*,  Ki^  ^r  4<Jbi»e,  e»t  fJ»ai>g^  «n  ey^ 419 

Wt  ll#*i^  f»mtUi  h  MtnUil  <ie»  Lapithe^  ei  «ie»  renUBres.  —  Ceoee  aiela- 

m/r0m^  tm  oi^^n. 454 

Pfi  tlMtmimphtm  4a  ffrk^jmhui  eo  aigle. 473 

T,  nm  4*A^nk 475 


LIVRE  TREIZI^ME. 

f«  AJM  fi  UlytM  »44  (litputent  les  arines  d'Achille.  —  Le  sang  d'Ajas  est 
crAMttg^  en  fteur 478 


TABLE  BES  IIATlgftES.  619 

II.  Aprds  la  prise  de  Troie,  Polyx^ne  est  immol^e  aux  m&nes  d*Achille,  Po- 

lydore  est  ^gorg^  par  Polymestor,  et  H6cube  changee  en  chienne.  498 

III.  Des  oiseaux  naissent  des  cendres  dc  Mcmnon ^07 

IV.  Enee,  fugitif,  arrive  chcz   Anius,  dont  lcs  filles  sont  tran$form6es  en 

colombes 510 

V.  Diverses  m^lamorphoses.  —  Acis  et  Galal6c.  —  Glaucus  chang6  cn  dieu 
de  mer.  ,.* • M4 


LIVRE  QUATORZlfiME. 

I.  Scylla  changee  en  rocher  par  Circ6 52S 

II.  Les  Cercopes  m6tamorphoses  en  singes.  —  Descente  d'£n6e  aux  enfers.— 

Fable  de  la  Sibylle 532 

III.  Ach6m6nide.  —  Uacar^e.  —  Enchanlements  de  Circ6.  —  Picus  et  Ca- 

ncnte 536 

IV.  Compagnons  de  DiomMe  chang^s  en  oiseaux / 550 

V.  PAtre  d'Apulie  transform^  en  olivier  sauvage 552 

VI.  Vaisseaux  d'En6e  changes  en  Nymphes 554 

Vll.  Oiseau  nd  des  cendres  de  la  ville  d'Ardee 556 

Vlll.  Enee  mdtamorphose  en  dicu 557 

IX.  Vcrtumnc  et  Pomone.  —  Iphis  et  Anasarcbc .  558 


LIVRE  QUINZlfiME. 

1.  Hyscele,  fils  d'Aiemon.  —  Cailloux  noirs  chang6s  en  blancs 571 

11.  Pythagorc.  —  Sa  doctrine.  —  II  expose  les  changements  ct  ios  uicta- 

morphoses  qui  arrivent  dans  la  nature 574 

.11.  Hippolyte  raconte  a  ^gerie  rhistoire  de  ses  mallieurs.  —  Egerie  est 

cbang^e  en  fontaine 594 

IV.  Hotte  de  terre  changee  en  cnfant « 598 

V.  Lance  de  Romulus  transformee  en  arbre 508 

VI.  Cipus  prefere  rexil  k  la  royaut^ 598 

VII.  Esculape  melamorphos^  cn  serpent GOl 

VIll.  Jules  C6sar  chang^  en  astre.  —  Louanges  d'Auguste.  —  Epilogue.  .  Ct7 


SflN  OE   LA   TAfiLE  DES  MATIEUES. 


PABI8.  —  IVP.  SIIfON  R&QON  ET  COMP.,  IILE  D^ERFLRTU^  U 


TNE  BOMIOWER  WNJ.  8E  CHAIUMBD 
AN  OVERDUE  RE  IF  THIS  BOOK  IS 
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