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Harvard CoUege
Library
FROM THE FUND GIVEN BY
Stephen Salisbury
Clanof 1817
OF WORCB8TBR. MAS8ACHUSBTT8
For Oreek and Ladn Liteniture
L^
BIBLIOTHfiQUE LATINE-FRANQAISE
LES
METAMORPHOSES
DOVIDE
PARIS. — IMP. SIMON RAr.O\ ET COMP., RHB d'BRFDRTH, 1.
BIItLIOT|lf;QnE LATIME-FRANQAISE
LES
M£TAMORPHOSE§^
^■^ D'OVIDE^
TRADUGTION FRANgAISE DE GROS
REFONDUE AYEC LE PLUS GRAND SOIN
■. CABARET-DUFATT
Profewur de lUniTenite, auteur d^oavragas daBMqiWB
ET
PIUc£d£E D'UNE notice sur oyide
■. CHAIIFEHTIEa
DEUXIEME l^DITION
PARIS
GARNIER FRSRES, LIBRAIRES-EDITEURS
G, RUE DES SAlNTS-PgRES, ET PALAIS-ROTAL, 215
1866
i
Lo i^« ^^'^ '^
PREFACE
La poesie elegiaque, coinine les autres genres de poe-
sie, jeta, au siecle d'Auguste, un \if 6clat. CatuUe, dans
ses pieces l^geres, d un travail si delicat et si fin, et oii
plus de relenue ajouterait encore au charme du tour el de
la pensee, avait donn^ des mod^les dans cegenre, et trouve,
en chantant les malheurs d'Ariadne, ces accents profonds
de la passion qui, recueillis par Virgile, s'echapperont
avec une si touchante tristesse de la bouche de Didon. Ti-
bulle, immortaUse par Familie et les vers d'Horace ainsi
que par ses propres elegies, avait presque donne a Texpres-
sion du plaisir la melancohe de la passion combattue et
attendri Tame la ou les sens seuls semblaient int^resses.
Disciplc des Alexandrins, de Callimaque, dePhileias deCos,
Properce a pris d'eux cet usage ou plutdt cet abus de Tal-
lusion mylhologique, qui trop souvent chez lui vient dc-
a
VI PRfiFACE.
truire reffet d'une expression naturelle ou d'un sentiment
vrai : poete brillant et gracieux, mais qui laisse quelque-
fois douter si c'est son esprit qui imite ou son ^me qui
parle le langage de la tendresse. Ovide est de Tecole de
Properce.
Ovide naquit k Sulmone Fan 43 avant J. C. :
Sulmo mihi patria est. gelidis uberrimus undis.
Gr^ce aux soins de son p6re, il re^ut de bonne heure
une brillante Mucation; il suivit k Rome les le^ons des
maitres les plus c^I^bres, et en proiita : « Des Tenfance,
dit-il, les myst6res sacres furent pour moi pleins de char-
mes, et les muses m'attir6rent en secret a leur culte. » II
c^da a cette vocation imperieuse. Son p^re, qui le desti-
naitaubarreau, combattait ce penchantalapoesie : m Pour-
quoi, lui disait-il, tenter une 6tude st^rile? Hom^re lui-
m^me mounit dans Tindigence. » Lui, ^branl^ par ces
paroles, t&chait de r^sister a la muse et de repondre au
d^ir paternel.
Si pectore possit
Excussisse deum...
Hais sa verve Temportait : les mots venaient d^eux-m^mes
remplir le cadre de la mesure, et chaque pensee qu*il ex-
primait 6tait un vers :
Sponte sua carmen nuraeros veniebat ad aptos^
Et quod tentabam dicere, versUs erat.
A vingt ans, il remplit les premiers emplois accordes k
la jeunesse : il fut cre6 triumvir. lA, nous dit4I, se borna
sa carri^re politique. II y avait bien le s6nat en perspec*
live ; « mais son esprit, peu propre au travail suivi, fuyait
les soucis de rambition, et les nymphes de rAonie le cen-
PRtFAGE. Tii
viaient a gouter de paisibles loisirs, qui foujours eurcnt
pour lui mille charmes. » II cultiva, il ch6rit les poetcs de
son ^poque*: Properce lui lisait ses ^l^gies ; Horace char-
mait ses oreiUes en chant^nt sur la lyre ausonienne ses
odes harmonieuses; il entrevit seulement Virgile, et TibuUe
fut trop t6t ravi h son amiti^. Malgr^ cette complaisance
qu'on lui reproche pour les fruils de sa muse, il paraitrait
cependant que, dans les commencements du moins, Ovide
ehercha k combattre la faciht^ de son esprit. a Je com-
posai, nous dit-il, bien des pieces; mais ceUes qui me pa *
rurent trop faibles, je ne les corrigeai qu*en les livrant aux
flanunes. » Dans la soci6t^ des poetes illustres que nous
avons nomm6s, le talent d*Ovide se d6veloppa rapidement.
Les Hiroides furent son d^but. Les H&roides sont en
quelque sorte le r6sum6 de la I^gende amoureuse de ran-
tiquit^; on y entend soupirer toutes les tendresses 16gi-
times et non legitimes * P^n^lope k cAt^ d*Ariadne, Ganac^
et Sapho; m^lange un peu risque, jeu de resprit plut6t
qu'emotion du coeur, et ou Tironie semble prendre plus
d'une fois la place de lapassion.
Les trois livres des Amours succ^derent aux Hiroides.
Ces trois Uvres, qui d*abord en formaient cinq, comme nous
Tapprend r6pigrammequ'0vide a mise en t6te de ce recueil,
sont une oeuvre sporitan6e, une image fid^le et vive des
impressions personneUes du poete, de ses joies, de ses
douleurs, de ces caprices de rSme et de rimagination, de
ces ^motions deUcates et fugitives qui souvent, sans cause,
font le d^sespoir ou le bonheur des amants ; theme I6ger
et monotone que resprit vif et souple du poete sait varier et
enrichir par mille d6taUs charmants, et r6peter sans Te-
puiser jamais. Dans les Amours, Ovide est plein de gr^ce,
dc naturel et de faciUt^. L'abus de Ferudition, qui, dans
les Heroides, trop souvent gSte el refroidit le sentiment, ici
ne vient pas ralt^rer en le rendant pr^tenlieux et faux, en
vni PRfiFAGE.
en faisant un trait d'esprit au lieu d*une inspiration du
coeur.
Apr6s avoir chant6 les AmourSy Ovide voulut donner,
pour ainsi dire, le code de la tendresse. VArt d^aimer con^
tient tous les secrets que lui avait rev616s une longue .et
heureuse exp6rience : comment on trouve une maitresse,
comment on la captive, comment on la conserve, com-
ment on la quitte, tous d6tails dont n'avaient pas besoin,
sans doute, les jeunes gens de famille de Rome, et qui, du
reste, n'ont rien de bien dMicat. Voulez-vous rencontrer
une amante, courez les places publiques, les temples, les
spectacles, la ville, la campagne, les eaux de Baies. Eh
quoi? Tamour s*apprend-il? Pour le faire naitre, pour le
fixer, y a-t-il des r6gles? je ne sais; mais je doute que VArt
d^aimer d'Ovide, pas plus que celui de Gentil-Bernard, ait
jamais fait le bonheur d'un amant. VArt d'aimer est bien
infi§rieur aux Amours : il y a la diffefrence du souvenir h
rimpression. Dans les Amours^ le coeur d'Ovide suflit k ses
inspirations, son esprit k Texpression d'une passion tou-
jours la m^me, toujours nouvelle; dans YArt d^aimer^ les
t^pisodes viennent souvent au secours du poete, et ces 6pi-
8odes, quelquefois peu d^cents, ne sauraient racheter par
quelques d^tails ing^nieux leur inutilite et leur longueur.
Nous ne nous arrSterons pas sur ces premi^res poisies
d'Ovide : H. Jules Janin, dans la brillante ^tude qu'il a
mise en tdte d'un volume de cette collection, les a ap-
pr^i^es avec cegoilit vif et piquant, cette gr^ce de cri-
tique qui lui sont particuliers.
Ainsi vivait Ovide, heureux de ses vers et de ses amours, et
donmnt de son art les charmantes legons; accueilli, sinon
aim6 d'Auguste, rev^tu de ces honneurs qui pour lui
avaient el^ une distinction sans Stre une charge, rien ne
semblait devoir troubler le calme de sa vie et le bonheur
de son avenir, Iorsqu'un coup impr^vu le vint frapper :
PR£FACB. is
Nec satis hoc fuerat : stultus quoque carmina feci:
Artibus ut possem non rudis esse meis,
Pro quibus exsilium misero mihi reddita merces.
On a souvent compar^ le si^cle d'Auguste au si^cle
Louis XIV : mdmes troubles civils, suivis de la m^me tran-
quillit^; m^megloire litt^raire; mdme ^clat au dehors et
au dedans de Fempire. Ces rapprochements sont justes, et
mdme ils pourraient ^tre plus exacts et plus complets ; car
les si^cles d'Auguste et de Louis XIV ne se ressemblent pas
seulement k leurs commencements, dans leurs victoires et
leurs prosp6rites,iIs se ressemblent encore dans leurs revers
et k leur Qn. De m^me que sous la vieillesse de Louis XiV
il y eut k rintSrieur une r^action religieuse et des d^stres
^datants k Text^rieur, ainsi lademi^re partie du r^e d'Au-
guste pr^sente de grandes defaites et un retour de s6v6rit6.
Si la France eut son Villeroi, Rome eut son Varus. Auguste,
sur la fin de son r^gne, s*occupe de r^tormer les moeurs;
Louis XIV donne k ceux qu'il a scandalis^s par ses galante-
ries Texemple de la d^votion.Commelacour de Versailles,
le palais imp^rial eut ses scrupules de conscience : Ovide
fut une des victimes de cette r^action morale, comme chez
nousla Fontaine de la rSaction religieuse. Domin^ par Livie,
comme Louis XIV par madame de Maintenon, livre k des
pratiques superstitieuses, sans conseil, sans ami, aigri, d6«
fiant, Auguste vit aussip^rir la moiti^ de sa famille; il
perdit Harcellus, Octavie et Drusus ; mais, comme Louis XIV
encore, le malheur le trouva aussi grand que Tavait trouy6
la prosp^rit^.
Ce fut dans un de ces moments de sSv6rit6 quamenaient
la vieillesse et les chagrins, dans un acc^s de r6forme mo-
rale, qu'Auguste punit Ovide de la libert6 de ses po^sies.
La cause ou du moins le pr^texte de Texil d*Ovide, ce fut
YArt iVAimer^ ouvrage autrefois innocent, mais devenu
z PR^FAGB.
coupable depuis la rSaction que nous avons signal^e comme
. un dernier caract&re et un fait trop peu observ^ du r^gne
d*Auguste. %
Quant aux causes, r^elles ou suppos^es, Ovide en donne
deux : la premi&re, il la fait connaitre; il garde le silence
sur la seconde :
Perdiderunt quum me duo crimina» carmen et error,
Alterius facti culpa silenda mihi est.
Quelle fut donc cette erreur d*Ovide et son crime invo-
lontaire? Temoin indiscret et malheureux des d^bauches
imp^riales, a-t-il, comme on le dit, surpris le secret des
incestes ou des adult^res d'Auguste? On Tignore. Mais le
soin mSme que prend Ovide de rappeler son erreur prou-
verait que cette erreur n*a rien d'offensant pour rhonneur
et la conscience d'Auguste ; en effet, le moyen de croire
que, pour se justifier, pour d^sarmer le courroux d*Au-
guste, Ovide lui eut si souvent et sous tant de formes rap-
pele un souvenir qui devait le faire rougir?
On a fait une autre conjecture : Ovide aurait 6t6 non-
seulement le t^moin, mais le complice des d6bauches de
la famille d'Auguste. Amant trop heureux de Julie, qu*il
aurait, dit-on, chant^e dans les Amours sous le nom de
Gorinne, il aurait pay6 de Texil Thonneur dangereux de
ces faveurs imp^riales. Cette opinion semble, comme la
pr^c^dente, d^mentie par les faits. D*abord elie a, contre
elle, les objections que nous avons adress^es h celle-ci.
N'6(ait-ce pas ^galement blesser Auguste que de lui rap-
peler son d^shonneur dans celui de sa fille? Et, si le fait
^tait vrai, conunent Ovide pouvait-il Fappeler une simple
erreur? Ensuite, quand Ovide iut exil^, Julie, fille d'Au-
guste, ^tait d^j^ relegu6e sur un rocher. On a donc pens^
qu*il s'agissait, non de la premiSre, nmis de la seconde
Julie, la petite-fille d'Auguste. Ovide,dit-on, aurait ^t^ non
PR&FACE. n
le complice, mais le timoin des disordres de cette seconde
Julie ; t6moin indiscret et qui les aurait publi^s ou laiM^
publier pfur ses amis et ses domestiques :
Qaid referam comitumque nefas, famulosque noceiites,
nous dit-il lui-mSme. Je ne garantis pas cette conjecture,
mais j*inclinerais k penser qu*entre le bannissement de
Julie et l'exil d*Ovide il y a un rapport difQcile k prouver,
mais tr6s-probable. On entrevoit en effet, dans les aveux
comme dans le silence d'Ovide, une atteinte indiscr^te, ou
peut-6tre t^meraire, a la majest^ imp^riale; la comparaison
que le poete fait de son erreur avec celle d'Act§on, semble
indiquer qu'il y a l^ une divinit^ bless6e. Hais ce secret
d'£tat ou de famille, cette douleur poUtique ou domes-
tique, est demeurte impto^trable, comme ces secrets qui
irriteront ^temellement, sans la satisfaire, la curiosite his-
torique.
De nos jours, cependant, un traducteur d'Ovide a cher-
ch6 k donner de la disgr&ce du chantre des Amours une
nouvelle expUcation, ing^nieuse, sinon plus soUde que les
autres conjectures. Suivant cecritique,rexild'Ovide aurait
eu une cause poUtique et honorable pour le poete : Ovide
aurait ^t^, non Tamant de la premiSre JuUe, mais le pro-
tecteur de son fils, Agrippa Posthumus,h6ritier l£gitime de
Tempire, immole aux soup^ns de Tib^re et dq livie, et
condamne par Auguste k un exil ou le fit mourir Tib^re. Le
poSte, dans un de ces moments d'ennui qui assiSgeaient la
vieiUesse d'Auguste, aurait cherch6 a ranimer, en faveur
d'Agrippa, la tendresse et les remords de Tempereur; ou
peut-6tre, timoin de quelque scSne violente et honteuse
entre Tib^re, Auguste et Livie, il aurait paye par Texil cette
indiscretion volontaire oufortuite. Auguste, en effet,se sen-
tit quelque retour de justiee, sinon de tendresse, pour son
xn PREFAGE.
petit-fils. Accompagn^ du seul Fabius Haximus, son confl-
dent et son ami le plus cher, 11 visita dans Tile de Planasie
le malheureux Agrippa. Tacite nous ie represente pleurant
avec son petit-iils et le d^dommageant, par les t^moigna-
ges d'une vive tendresse, de ses rigueurs pass^es et de cet
empire que toutefois il n osait lui promettre, ^pouvante
qu*il ^tait, au sein mSme de cctte solitude, des violences
de Livie. Haxime confia ce secret important k sa femme,
et celle-ci k Livie. Pour se punir de son indiscr^tion ou
pour ^chapper k Tibere, Uaxime se donna la mort, et
Ovide s*accusa d'en ^tre la cause. Ovide, compromis par Ta-
miti^ de Haxime, fut envoy^ en exih Gependant Auguste
allait pardonner k Ovide :
Cceperat Augustus decepte ignoscere culpe.
Hais Tib^re a pr^vu les dangers de la cl^mence et du
repenfir d'Auguste : Augustemeurt subitement k Nole; son
petil-fils, Agrippa, est tue par un centurion ; sa fille meurt
de faim dans rUe Pandataire, sur les c6tes de la Campanie.
Enfin Julie, petite-fille d*Auguste et SGeur d'Agrippa, p6rit,
aprSs vingl ans d'exil, Fan 781 de Rome, k Trimetum (au-
jourd'hui Tremiti, sur les c6tes de la Pouille). Uteormais
Tib^re r^gne sans rival et sans crainte.
Aprte tout, les causes v^ritables de la disgr&ce d*Ovide
importent peu k ia post^rit^. Cequi est plus malheureux
pour lui que Fincertitude de Thistoire, c'est le peu de di-
gnit^ qu'il montra dans Texil : coupable ou innocent, il ne
sut ni racheter sa faute, ni ennoblir son malheur par le
silence et le courage. Puni aussi pour des vers, J. B. Rous-
seau soutint mieux sa disgr^ce : il refusa de rentrer dans
sa patrie sur une ordonnance du r^gent, qui, en semblant
reconnattre son innocence,ne la proclamait pas hautement.
Quand la col^re d'Auguste vint frapper Ovide et le rel6-
guftr i Tomesy il acbevait les Mitamorphoses. Interrompu
PRfiFAGB. im
par Texil daus cette grande tdche, comme Virgile ravait M
par la mort dans son £nSide, il vouhit aussi livrer aux
flammes ce monument imparfait de son g^nie :
Sic cgo non meritos, mecum perilura, libelloi
Imposui rapidis, viscera nostra, rogis,
Vel quod eram musaSi ut crimina nostra» perosus,
Yel quod adhuc crescens et rude carmen erat.
Hais des copies s*en ^taient r^pandues dans Rome, et le
dteir sincSre ou feint du po3te fut tromp^.
Les Mitamorphoses sont roeuvre capitale d*Ovide. Tous
les ftges de la po6sie, de la philosophie et de Fhistoire s'y
trouvent rSunis et s*y dSroulent k nos yeux dans une vari^t^
pleine d*ordre et de magnificence. Cosmogonie tout ensem-
ble et th^ologie, les Mdtamorphoses offrent le tableau le plus
eomplet de toutes les croyances, de toutes les r^volutions
de Tanliquit^ paienne : rhumanit^ s*y trouve h toutes ses
pfariodes; le monde ant^diluvien, F^tat barbare et pri-
mitif dansla Thrace; T^tat h^roique dans la Gr^ce; T^tat
civilis^ dans ritalie, oii ces transformations successives
doivent aboutir k rtiistoire romaine et h Tapoth^ose d*Au-
guste. Yoyez comme le poete sejoue agr^ablement dans
cette trame si longue et sidiverse; comme il se com-
phtt dans ces fables sans s'y laisl^er prendre pourtant! il
tebappe aux enchantements dont il nous captive; magicien
habile qui dispose, malgr^ nous, de notre imaginalion et
ne croit pas aux fantdmes qu'il ^voque, parce qu'il en a le
secret. Ainsi, parmi les modemes, TArioste, se jouant des
contes de la chevalerie, comme Ovide s'6tait jou^ des fables
da paganisme, trahit h chaque instant par un rire malin,
parunepiquante r^flexion, son incr^dulit^ k cesfictions
magnifiques qu'il ^tale k nos yeux. Ge n'est pas le seul trait
de ressemblance que Tesprit d*Ovide ait avec Fesprit mo-
deme. Vif, souple, facile, brillant, il a une mobiUt^ qui n'est
X1T PRfiFAGE.
pas, ce semble, habituelle ^rantiquit^; et par \k aussi il d une
physionomie originale. Gette facilit6 d'imaguiation F^gare
quelquefois ; car il ^puise un sujet, non pas h la mani^re
de Claudien, en rexag^rant et en le conduisant par l^ k
tous les degrSs de renflure, mais en ne sachant pas s'arr^
ter dans le d6veloppement d*une pensee, d*uneexpression,
d'un sentiment, k cette juste mesure qui est la v^it6 dans
l'art comme dans la nature. Du reste, une admirable va-
ri^ti de figures, de tours, d'expressions, Tart de pr^senter
sous des formes toujours nouvelles des situations sembla-
bles, de rattacher k un m^me but, de faire concourir k
mie m^me fin des fables si diverses et si muUipli^es, de
renfermer dans un m^me cadre des figures si diff^rentes,
telles sont les qualit^s qu'Ovide poss^de au plus haut de-
gr6, k ce degr6 ou resprit est presque le g^nie.
Les MStamorphoses ne sont pas le seul ouvrage que vint
interrompre Fexil d'Ovide ; les Fastes en ont aussi souf-
fert. Ge poeme formait ou devait former douze chants :
Sex ego fastoram scripsi totidemque libellos ;
Gumque suo finem mense volumen habet.
Idque tuo nuper scriptum sub nomine, Csesar,
£t tibi sacralum sors mea rupit opus.
C'6tait le dessein du jpo^te ; mais il n'a pu Taccomplir.
Dans son exil, il n'a trouvg sur sa lyre que des sons pour la
doiileur, dans son kme que des inspirations de tristesse.
Cette lacune, du reste, qu'il la faille atlribuer aux mal-
heurs et au d^couragement du poete, ou k Tinjure du
temps, est une des plus grandes pertes qu'ait pu faire
rhistoire. Les Fastes sont le monument le plus curieux,
les annales les plus pleines et les plus intSressantes de Fan-
tiquil^ : c^r^monies religieuses , antiquit^s sacrees, ori-
gines nationales, moeurs domestiques, traditions popu-
laires, th6ologies antiques, toute la vie civile, int6rieure et
publique de Rome, on la trouve dans les Fastes. Ovide a la
PRfiFAGE. !▼
scieiice de Fanispice et du grand prttre, et e'est avec rai-
son qu*un 6crivain appelle les Fastes un martyrologe : Mar-
t^rologium OviMi de Fastis; c'e8t bien \h en effet le livre
des saints de i*antiquite, et pour ainsi dire sa I6gende.
Lepoeme d^Ovide est une des plus attachantes et des plus
instructives lectures qui se puissent faire ; jamais l*^rudi*
tion ne s'est montr^e sous des formes plus agr^ables et
plus ing^nieuses; jamais rhistoire n'a revStu de plus bril-
lantes couleurs, trop brillantes peut-^tre, carU, comme
dans ses autres ouvrages, Ovide ne sait pas toujours r6sis-
ter k la fadlite de son imagination, et cette imagination 1*6-
gare, en lui iaisant preferer aux sev^res et profondes tra-
ditions du Latium les riantes fictions de la Gr^ce.
L'exil d*Ovide ne fut pas cependant enti^rement perdu
pour la po6sie : les Tristes^ les PontiqueSj charmSrent sa
solitude, en ces sauvagesetlointaines contr^es. Mais, quel-
que effort que fasse le poete pour retirouver Tinspiration de
ses jeunes et heureuses ann6es, il n*y peut parvenir. Sous
le ciel sombre et glace des Sarmates, son riant g^nie sem-
ble s'attrister et s*6teindre ; ses plaintes ne sont pas seule-
ment monotones, ce qui 6tait le d^faut presque in^vitable
du sujet, elles sont froides et pr^tentieuses : on trouve des
traits d*esprit \k ou on 8'attendait k rencontrer Tabandon
et la simplicite touchante de la douleur : Ovide semble plus
poete que malheureux.
Les Herotdes, les AmourSy YArt d^aimer^ les Metamor-
phosesy les Fastes, les Tristes, les Pontiques, tels sont les
ouvrages les plus remarquables qui nous restent d*Ovide ;
mais ce n'etaient pas la ses seuls titres a rimmortalit^. La
souplesse et la vivacite de son genie ne se sont pas bornees
ala poesie ^rotique, h Tepopee, k la po^sie didactiqiie et k
r^I^e : Ovide fut encore un poete tragique. Sa Medee se
pla^ait a c5te du Thyeste de Varius.
Quelques autres ouvrages moins importants ont aussi
ivi PREFAGE.
exerc^ ia verve et lafacilit^ d*Ovide; t^ls sont : le Remide
d^amourj compos^ apr^s VArt d'aimer; espSce de palliatif
k ce poeme, et rem^de pire que le mai; Ylbis, petit poeme
satirique de plus de six cents vers ; la PSche, en vers hexa-
m^tres, dont le commencement manque; le Cosmitique, en
vers el^giaques, que Fon peut r^arder comme le compl6-
ment de VArt d'aimer; la NoiXj 6I6gie contest^e, mais qui
ne parait pas indigne de notre poete. Nul auteurne s*est
pr^t^ k plus de genres, et avec plus de grSce et de sou-
plesse. Ovide, pourtant, n'est plus du grand si^cle : inge-
nieux, facile, anim^, il continue, mais enles alt^rant, les tra-
ditions du r^e d*Auguste ; il est d'une nouvelle g^n^ration
poitique, brillante encore et heureusement dou^e, mais
moins sobre et moins forte que la premi^re, plus ^prise de
la forme que severe sur le fond, sacrifiant trop a l*esprit,
nimium amator ingenii sui^ et ofTrant le signe certain de
la d^cadence : le d^faut de simplicit^ et Tabus de la des-
cription.
Ovide mourut en exil, a Tomes, k T&ge de soixante-deux
ans, dix-neuf ans apr^s J^sus-Christ, sans avoir pu obtemr
de revoir cette Rome oii une noble r^signation Taurait peut-
^tre plus sihrement rappele que des flatteries peu mesurees
et des pri^res sans dignit6.
I. P. CUARPENTIEK.
METAMORPHOSES
LlVllE PKEMlIi:a
Je veux chanter les metamorphoses. Dieiix, qui eii fiites \cs au-
teurs, secoudez mon dessein, et conduisez ce loiig poeino drpuis
rorigine du monde jusqu'a nos jours. ^
=*' L£ GUAOS CHANGE EN QUATRE ELEMENTS DISTINCIS.
I. Avant la mer, la terre et rimmense voute dos cioux, Tu-
nivers ofTrait un aspect uniforme qu'on appela Chaos, niasse iii-
forine et grossiere, amas inerte et confus d^eleinenls inal assorlis.
Le soleil n'etait pas encore le flambeau du monde, et la iuiic uo
LIUER PRIMUS
In iiovu feit auimus mulalus dicere tonnas
Corpora. Di, coeplis, uara vos niulastib et illas,
Adspirale meis, primaque ab ori<,Mnc mundi
Ad mea pcrpetuum deducilc tcmpora carmcn.
CIUOS m ELEHENTA QUATOOR DISTINGUiTUA.
1. Autc iiidie et tellus, et quod tegit omnia coelum, 'S
Inus erat loto naturijc vultus iu orbc,
Qucm dixerc CUaos, rudis indigestaque niolcs ;
^ec quidquam, nisi pondus incrs, congeslaque codem
Nou bene junctarum discordia semina rerum.
Kullus adhuc mundo praebebal lumina Titan,
2 METAMOUPHOSES.
reparait pas, daiis son cours, les pertes de sa clarte. Tenue en
equilibre par son propre poids, la terre n'6tait point suspendue
au sein de Tair, et la mer n'etendait pas ses bras le long de ses
vastes rivages. La terre, la mer et Tair, tout etait confondu : la
terre n*etait point fixe, Teau navigable, l'air transparent. Nul ele-
mant n'avait sa forme. R^unis ensemble et antipalhiques les uns
aux autres, les corps froids, humides, mous ou legers, combat-
taient les corps chauds, secs, durs ou pesants.
L Un dieu, r6formant la nature, mit fin a cette lutte : il sgparajla
tenre du ciel, Teau de la terre, et l'air pur de Tair grossier. Apres
avoir dissip^ les tenebres et dclairci le Chaos, il leur marqua des
|)Iaces distinctes, et les soumit aux Jois de Tharmonie. Le feu
subtil des etoiles s'elanQa vers la voAle celeste, et occupa TEm-
pyree. L'air, presque aussi leger, s'empara des lieux voisins. La
terre, plus epaisse, re^ut les grands corps, et trouva son equi-
libre dans son propre poids. L'eau, qui la baigne de toutes parts,
eul la derniere place et entoura les continents.
Des que ce dieu,.c[uel qu^il fut, eut debrouille le Chaos et as-
Mec nova crescendo reparabal cornua Phopbe,
Nec circumfuso pendebat in aere tellus,
Ponderibus librata suis ; nec brachia longo
Margine terrarum porrexerat Amphilrile.
Quaque fuit tellus, illic ct pontus et aer : f 5
Sic erat instabilis tellus, innabilis unda,
Lucis egens aer. Nulli sua forma manebat,
Obstabatque aliis aliud, quia corpore in uuo
Frigida pugnabant calidis, humentia siccis,
Mollia cum duris, sine pondere habcntia pondus. 20
Hanc deus et melior litem natura direniit;
Nam c(f1o tcrras et terris abscidit undas,
ISt liquidum spisso secrevil ab aere ccelum.
Quae postquam evolvit, caecoque exemit acefvo,
Dissociata locis concordi pace ligavit. 2a
Ignea convexi vis et sine pondere coeli
Emicuit, summaque locum sibi legit in ai^ce.
Proximus est aer illi levitatc locoque.
Densior his tellus, elementaque grandia (raxit,
Et pressa est gravitate sui. Circumfluus humor 50
Ultima possedit, solidumque coercuit orbem.
6ie ubi dispositam, quisquis fuit iilc Jcaruiu>
J
LlVUE 1. 5
s>igne sa place a chaque element) pour que la lerre lut egaleiucnt
arrondie, il lui donna la figure d'un vaste globe; ensuite il or-
donna aux flols de se repandre, de s^enfler au gre des venls en
courroux, et de ceindre la terre. II fit aussi les fontaines, les
etangs et les lacs immenses, entoura de rives sinueuses les fleuves
rapides, qui, dans leurs cours divers, disparaissent au sein de la
lerre ou parviennent jusqu a rOcean, et, regus dans ses larges
bassins, ne frappent plus d^autres bords que ses rivages. II or-
donna egaleraent aux plaines de s'elendre, aux vallees de sV
baisser, aux forets de se parer de feuillage et aux rochers de
selever.
Jl divisa le ciel en cinq zones, deux ii droite, deux a gauche, et
Faulre, plus ardente, au milieu d^elles. II partagea aussi sagc-
ment nolre globe en cinq regions qui correspondent aux cinq
regions celestes. La zone torride est inhabitable. Des neiges pro-
fondes couvrent les deux zones voisines des p6Ies, el, dans respace
egal qui s'etend a c6te de chacune, regne une douce temperalure
produite par le melange du froid el du chaud. Au-dessus se ba-
lance Tair, moins leger que le feu, comme Teau est moins pe-
Congcricra secuit, seclamque in membra redcgit,
Principio tcrram, ne non xqualis ab omni
Parle foret, magni speciem glomeravit in orbi^. 5S
Tam frela diffundi, rabidisquc tumescere ventis
Jus5it, et ambitae circumdare littora terrs.
Addidit et fontes» immensaque stagna, lacusque}
Fluminaquc obliquis cinxit declivia ripis,
Qu» diveri^a locis pnrlira sorbcntur ab ipsu, -40
In niarc perveniunt parlim, campoque recepla
Liberiorib aquae, pro ripis littora pulsant.
iussit ct exiendi campos, subsidere valles,
Frondc tcgi silvas, lapidosos surgere montes.
(Itque dua3 dextra coelum, totidemque sinistra 45
Parte secantzonae, quinla est ardentior illis;
Sic onus inclusum numero distinxit eodem.
iJura dei ; totidemque plagae tellure premuntiir.
Ouarum quaj media est, non est habilabilis aestn.
Nix tegit alta duas, Totidem inler ulramquc locavil, 50
Temperiemque dedil, mixla cum frigore flamma.
Imminct his aer, qui, quanto est pondere tcrrro
Tondus aquajlevius/ lantocst onerosior ij^ni.
4 METAMORPIIOSES. '
sanle que la lerre. Cest le sejour assigne par les decrels du dieu
aux nuages, aux tonnerres qui epouvantent le coeur des morlels,
el aux venls, p6res de la Joudre et des frimas.
rL'architecte des mondei' n'abandonna pas a leurs caprices Tera-
pire de Tair. Aujourd'hui meme, quoique retenus par la loi qui
marque leurs routes diverses, peu s'en faul qu'ils ne brisent le
monde : tant la discorde les desunit! Eurus fut relegue dans le
royaume de FAurore, dans Tempire de Nabata, dans la Perse et
sur les montagnes frappees des premiers rayons du jour; Zephire
avoisina Vesper et les contrees que rechauffe le soleil couchanl ;
rhorrible Boree envahit la Scytliie et le seplenlrioii; le pluvicux
Ausler s'empara des regions opposees qu'assiegent incessamment
les humides brouillards. Par dela lous les vents fut repandu l'e-
tlier, element diaphane, sans pesanteur, et dont aucun melange
terrestre n'altere la purete.
Des que le dieu eut circonscrit les divers corps daiis des limites
invariables, les astres, longtemps ensevelis dans le Chaos, coui-
nienccrent a resplendir dans le ciel de tout reclat de leurs feux.
Alin que nuUe region ne fAt depourvue des felres qui lui convien-
lllic cl ncbulus, illic coasistcre nubcs
Jussit, ct humanas motura tonilrua meules, o-i
Et cum fulminibus facientcs frigora vcnlos.
llis quoque uon passim mundi fabricator habeiiiluui
Aera permisit. Vix nunc obsistilur iilis,
Quum sua quisquc regant diverso flamina tractu,
(Juin iauient mundum: tanta est discordia fralrum! 60
Eurus ad Auroram nabatseaque regna reccssil,
Pcrsidaque, et radiis juga subdita matutinis.
Vesper, et occiduo quae littora sole tepescunt,
Proiima sunt Zephyro. Scythiam septemquetrioncm
Horrifcr invasit Boreas. Contraria tellus 05
Nubibus assiduis, pluvioque madescit ab Auslro.
Haec super imposuit liquidum et gravitate carcntem,
iElhera, nec quidquam terreuae faecis habentem.
Vix e;i iimitibus dissepscrat omnia certis,
Quum, quae prcssa diu massa latuere sub illa, 70
Sidera ccBperunt toto effervescere ccelo.
Ncu rcgio foret ulla suis animantibus orba,
LIVRE I. 5
nent, les ^toiles et les dieux ocaip^rent le celeste parvis ; les pois-
scms eurent pour domaine les eaux ; la terre regut les b^tes sau-
vages, et les oiseaux fendirent les plaines de rair. Un Mre plus
nofole, doue d'une haute intelligence, et fait pour commander a
tous les dtres, manquait encore. L'homme naquit. Soit que le
createur souverain qui organisa runivers Tait form^ d'une es-
sence divine; soitquefa terre, vierge encore, et naguere separ^e
des r^gions superieures de T^ther, retinl quelque germe de pa-
rente avec le ciel ; le fils de Japliet la detrempa dans les eaux d'un
fleuve, la petrit a Fimage des dieux, arbitres du monde; et, tan-
dis que les autres animaux ont la face courb^ vers la terre, il
ele\a le front de Thomme, lui ordonna de contempler les cieux
et de fixer ses regards sur les astres. Grdce a cette m^tamorphose,
la matiere, informe et grossiere, rev^tit la figure humaine jus-
qu'aIors inconnue.
SUGGESSIOM DES QUATRE AGES DU MONnE.
n. V&ge d'or naquit le premier. Sans lois, sans magistrats, il
observait de lui-mtoe la justice et la bonne foi. Les chAtimcnls
Astra tenent coeleste solum, formaeque deorum.
Gesserunt nitidis habitandse piscibus undse.
Terra feras cepit; volucres agitabilis aer. 7."i
Sanctius his animal, mentisque capacius alla)
Drerat adhuc, et quod dominari in cailera possot.
Natus homo est. Sive hunc divino semine fecil
Ille opifex renim, mundi melioris origo;
Sive recens tellus, seductaque nuper ab allo SO
AUhere, cognati relinebat semina cncli,
Quam salus lapeto, mixtam fluvialibus undis,
Finxil in effigicm moderantum cuncta doorum ;
Pronaque quum spectent animalia caetera trrram,
Os homini sublime dedil, coelumque tueri 85
Jn«;sil, et erectos ad sidera tollere vultus.
Sic, modo quai fuorat rudis et sine imaginc loUus,
Indnil ignotas hominum convcrsa liguras.
QnATUOn MUXDl ORDINUM SFHIRS.
H. Auroa prima sata n^l ^sf.is, qu.r, r/nr/jccnullo,
Sponie sna, sine lego, fifiom rectnmqiw nnip]trn. 00
0 MfiTAMORPHOSES.
et la crainle elaient ignores. Des arrSts menagants ne se lisaient
pas sur Tairain, et une foule suppliante ne tremblait pas devant
ses juges : les mortels vivaient tranquilles sans leur secours. Le
pin n'avait pas encore ete detache de ses montagnes par la hache
pour descendre sur la plaine liquide, et aller visiter un monde
etranger. Les hommes ne connaissaient que leiur horizon. Des
fosses profonds n'enlouraient point les cites. On n*enlendait ni
clairons ni trompettes ; on ne voyait ni casques ni ep6es, et, sans
soldats, les peuples, dans le calme de la paix, jouissaient des plus
heureux loisirs. La terre, sans y 6tre forcee, sans 6tre dechfree par
la herse ou sillonn^e par la charrue, prodiguait d'elle-mtoe tous
les fruits. Gontents des aliments qu'elle ofTrait sans contrainte, les
mortels cueillaient les arbouses, les cornouilles, les fraises des
montagnes, les mures attachees aux ronces epineuses, et les
glands tombes du grand arbre de Jupiter. Alors regnait un prin-
temps 6ternel, et les doux zephyrs, de leurs liedes haleines, ca-
ressaient les fleurs nees sans cullure. Enfm, les guerets, sans
6tre rajeunis par aucun labour, versaient tous leurs tresors, et
blanchissaient sous de riches epis. Ici serpentaient des ruisseaux
Poena metusque aberanl ; nec verba minacia fixo
Mre legebantur ; nec supplex lurba timebant
Judicis ora sui ; sed erant sine judice tuti.
^ondum caesa suis, peregrinum ut viseret orbem,
Montibus, in liquidas pinus descenderat undas ; £5
Nullaque mortales, pncter sua, littora norant.
Nondum praecipiles cingebant oppida fossa>.
Non tuba direcli, non seris cornua flexi,
Non galeae, non ensis, crant. Sine mililis usu
Mollia secura) perageiiant otia gentcs. 100
Ipsa quoque immunis, rastroque inlacla, nrc u!iis
Saucia vomeribus, per se dabat omnia tclliis ;
(^ontenlique cibis, nullo cogenlc, creatis,
Arbuleos foetus, montanaque fraga legebanl,
Cornaque, et in duris hairentia mora rubetis, 10"i
F.t quae dcciderant palula Jovis arbore glnndos.
Ver crat xternum, placidiquc tcpentibus auris
Mulccbant Zephyri natos ^inc semine flores.
Mox cliam fruges tellus inarata ferebat,
Nec ronovatus ager gravidis cauplial arislis. ijO
LIYRE I. 7
de lait, \k des fleuves de nectar, et dii creux des vertes yeuses
distillait un miel pur.
Cependant Satume fut plong6 dans le sombre Tartare, et le
sceptre du monde passa aux mains de Jupiter. Alors conunen^a
r^e d'argent, inferieur a T^ge d'or, mais preferable k TAge d'ai-
rain. Jupiter raccourcit la duree de Tantique printemps. L^hiver,
Tete, Tautomne in^al et le printemps, aujourd^hui si court, par-
tagSrent Tannee en quatre saisons. Pour la premi^re fois, Tair fut
embras^ par des dialeurs d^vorantes, et Teau, durcie par les vents,
demeurar suspendueV Alors, pour la premiere fois, les hommes
diercherent des abris. Ils prirent pour asiles des antres, d'e-
paisses broussailles et des branchages entrelac^s d'ecorce. Alors,
poor la premiere fois, les semences de Ceres furent ensevelies
dans de longs sillous, et les taureaux gemirent sous le joug. A ces
deux ^es succeda r^ge d'airain, d'un caract^re feroce etprompt
a livrer d'horribles combats, sans 6tre pourtant criminel. Le der-
nier ^ge est T^ge de fer.
Tous les crimes se precipit^rent en foule dans ce si^cle impie.
Alors s'enfuirent la pudeur, la verit^, la bonne foi. A leur place
Flumina jam laclis, jam flumina nectaris ibant,
Flavaque de viridi stillabant ilice mclla.
Postquam, Saturno tencbrosa in tartaia misso,
Sub Jave mundus eral; subiit argentea proles,
Auro detcrior, fuWo pretiosior sBro. 1 1 *.i
Jupiter antiqui contraxit tempora veris,
Perque bicmrs, aestusque, et iosequales aulumnos,
Ft brevo ver, spaliis exegit qualtuor annum.
Tum prinmm siccis aer fervoribus ustus
r.anduil, et ventis placics adstricta pependit. 1-^
Tum primum subiere domos : domus anlra fuerunt,
Kt densi frutices, et vinctae cortice virgae.
Semina tum primum longis cerealia sulcis
Obrula sunl, pressique jugo gemuere juvenri.
Terlia post illas successit ahenea proles, ''-i'
Sicvior ingeniis, et ad horrida promptior arnia.
.\cc sctlcrala lamen, De duro est ultima ferro.
Prolinus irrumpit ven» pejoris in xvum
\)nme ueras : fiiiifre pndor, verumque, ridesquo;
8 MftTAMORPHOSES.
n^gn^rent la fraude, l'artifice, la Iraliison, la violence et la cou-
pable soif de Tor. Sans les bien connaitre, le nautonier abandonna
sa voilc aux vents ; et, apres avoir longtemps sejoume sur la cime
des monts, les arbres, transformes en vaisseaux, defierent nn
abime iiiconnu. La terre, jusque-la commune a tous, comme Tair
ct la lumiere, vit le laboureur defiant assigner de longues limitcs
a son champ. Cctait peu de demander a la f^condite du sol les
moissons et les aliments necessaires ; on descendit jusque dans
les entrailles de la terre ; on deterra ces Iresors qu'elle lenait ca-
ch^s pres des ombrcs du Styx, et qui ne servent qu'a irriter nos
maux. Deja le fer homicide, et Tor, plus funeste encore, avaient
paru; la guerre parut aussi, la guerre qui combat aveceux, et
dont la main ensanglantee fnit retentir le cliquetis des armes. On
vil de rapines. L'h6te redoute son h6te, et Ic beau-pere son gen-
dre. La concorde est rare parmi les frcres. Lc mari trame la perte
de sa femme, et la femme altente aux jours de son mari. Les ter-
ribles maratres preparent des poisons mortels. Le fiis cherche
d'avance a connaitre le terme des annees de son pere. La vertu
est foulee aux pieds, et la vierge Astr^e, apres tous les Immoriels,
abandonne la terre arrosee de sang.
In quorum «ubicrc locum fraudcsquc, dolique, 150
Jnsidiacquc, cl vis, ct anior scdcralus Iiabcndi.
Vda dabat ventis, nec adhuc bene noverat illos
Navita ; quaBquc diu steterant in raontilius altis,
Fluclibus ignotis insultavere carins;
Communemque prius, ccu lumina solis ct auras 133
Cautus humum longo signavit limite mcnsor.
Nec tantum segetes alimcntaque debita divcs
Posccbatur humus, sed itum est in viscera tcrrse;
Quasque rccondiderat, stygiisque admoverat umbris.
Effodiuntur opes, irritamenta malorum. 140
Jamque nocens ferrum, ferroque nocentius ai^rum
Prodierant ; prodit bellum, quod pugnat utroque,
Sanguineaque manu crepitantia concutit arma.
Vivitur ex rapto. Non hospes ab hospite tutus,
Non socer a genero. Fratrum quoque gratia rara cst. li^i
Imminet exitio vir conjugis, ilia maritt.
Lurida terribiles miscent aconita novercae.
Filius ante diem patrios inquirit in annos.
Victa jacet Pietas; et virgo cxde madentes
Ultima coDlestum, terras Astrsa reliquit, • 150
LIVRE I. 9
CRIMR ET PDNTTION DES G^IANTS.
IQ. L*cmpire des dieux, malgre sa liauteur, ne fut pas plus en
sflret^ que la terre. Les Geants, pour le conquerir, entass^rent,
dit-on, jusqu'aux astres montagnes sur monlagnes. Alors le puis-
sant Jupiler brisa l'01ympe de sa foudre, et renversa le P^lion
6leye sur TOssa. Tandis que ces affreux colosses gisaient ensevelis
soQs les masses quMls avaient amoncelees, la Terre, inond^ du
sai^ de ses enfants, vivifia, dit-on, ce sang par sa chaleur feconde,
el, pour conserver la trace de leur origine, en forma d'aulres fttres
a face humaine. Mais cette race meprisa les dieux, fut alt^r^ de
camage et ne respira que la violence. On reconnaissait qu'elle ^tait
nee du sang.
LYCAON EST CHANGE EN LOUP.
IV. Lorsque, du haut de son tr6ne, le fils de Satume vit les
crimes des mortels, il gemit, et, se rappelant raffreux banquet
servi par Lycaon, trop recent encore pour 6tre divulgu^, il res-
sentit un grand courroux, un courroux digne de Jupiter. II con-
GIGANTUM SCELUS ET P(ENA.
in. Neve foret terris securior arduus aether,
Affeclasse ferunt regnum coeleste Giganlas,
Altaque congestos struxisse ad sidera montes.
Tum pater omnipotens misso perfregit Olympum
Fulmine, et excussit subjecto Pelion Ossse. 155
Obruta mole sua quum corpora dira jacerent,
Perfusam mnlto natorum sanguine Terram
Incaluisse ferunt, calidumque animasse cruorem,
Et, ne nulla suse stirpis monumenta manerent,
In faciem vertisse hominum. Sed et illa propago IGO
Conteroptrix Superuro, saevaeque avidissima csedis,
Et violenta fuit : scires e sanguine nntos.
LTCAON IN LUPUH MUTATUA.
IV. Quae pater ut summa vidit saturnius arce,
Ingemit ; et, facto nondum vulgata recenli,
Foeda Lycaoniae referens convivia mensse, 1C5
Ingentes animo et dignas Jove concipil iras ;
10 MfiTAMORPUOSES
voqua les dieux. Aucun ne se fit attendre. II est dans rEmpyr^e
une voie d'une blancheur eblouissante que Ton decouvre par un
ciel serein. On hnomme voie lacUe, Cest par celte voie que les
Immortels se rendent a la superbe demeure du maitre du lon-
nerre. A droite et a gauche, sous des portiques toujours ouverts,
resident les dieux du premier ordre. Des places sont assignees ^a
et laaux divinites inferieures. A Fentree de ce sejour habitent les
dieux puissants et d'un rang eleve. Ce lieu, si un tel langage
m'est pe.rmis, j'oserai rappeler le palais de rEmpyree. Les dieux
prennent place dans ce sanctuaire resplendissant de marbre.
Aussitdt Jupiter, assis sur un siege qui domine tous les aulres,
et la main appuyee sur son sceptre dUvoire, agile trois ou quatre
fois sa terrible chevelure qui ebranle la terre, la mer et les as-
tres. Puis il exhale son indignation en ces termes :
« Non, Tempire du monde ne me causa point de plus vives
alarmes a cette epoque fatale ou les Geants levaient leurs cent bras
pour s'emparer du ciel. L'ennemi sans doute etait redoutable, mais
je n'avais affaire qu'a une seule race, et la guerre n'avail qu un
principe. Aujourd'hui, dans toutes les contrees ou TOcean fait
Conciliumque vocat. Tenuit mora nuUa vocatos.
Est via sublimis, coelo manifesta sereno,
Lactea nomen habet ; candore notabilis ipso.
Hac iter est Superis ad magni tecta Tonantis, 170
Regalemque domum. Dextra laevaque deorum
Atria nobilium valvis celebrantur apertis.
Plebs habitant diversa locis. A fronte potentes
GoelicolsB, clarique suos posuere penates.
Hic locus est, quem, si verbis audacia detur, 175
Haud timeam magni diiisse palatia coeli.
Ergo ubi marmoreo Superi sedere recessu,
Gelsior ipse loco, sceptroque innixus eburno,
Territicam capitis concussit tcrque quaterque
Gaesariem, cum qua terram, mare, sidera, movit, 180
Tahbus inde modis ora indignantia solvit:
« Non ego pro mundi regno magis anxius illa
Tempestate fui, qua centum quisque parabanl
Injicere anguipedum captivo bracliia coelo.
Nam, quanquam ferus hostis erat, Umen illud ab unc ISo
Gorpore, et cx una pendebat origine bellum.
Nunc mihi, qua totum Nereus circumtonat orbem.
LlYRE h n
retentir ses flots, je dois an^antir le genre humain. Je le jure par
les fleuves des enfers qui baignent les bois du Styx. J'ai d*abord
tout tent6. Mais la blessure est incurable : il faut y porter le fer
pour que la partie saine soit preserv^e du mal. J'ai sous mes lois
les demi-dieux, les divinites rusliques, les Nymphes, les Faunes,
les Satyres, les Silvains des montagnes. Quoique je ne les juge
pas encore dignes des honneurs c6Iestes, ils doivent du raoins
pouvoir habiter la terre qui leur est ^chue en partage. Mais, 6
dieux immortels ! les croirez-vous a Tabri du danger, lorsque moi, •
le maitre de la foudre, moi qui ai sur vous une autorit^ supr^me,
j'ai 6te en butte aux pieges du feroce Lycaon? »
Tous les dieux fremirent et demanderent avec empressem^t la
punition du coupable. Ainsi, quand une main barbare voulut
eteindre le nom romain dans le sang de Gesar, cette catastrophe
imprevue gla^a d^effroi le genre humain, et Tunivers frissonna
d'epouYaiite. Alors, Auguste, les sentiments des Romains ne te
furent pas moins agreables que Tindignation des dieux ne le fut
a Jupiter. Lorsqu'il eut, de la voix et du geste, apaise leurs mur-
mures, et que tous les cris eurent cesse devant sa majest^ souvc-
Perdendum mortale genus. Per flumina juro
Infera, sub terras stygio labentia luco.
Cuncta prius tentala; sed immedicabile vulnus 190
Ense recidendum, nc pars sincera trahatur.
Sunt mihi semidei, sunt rustica numina, Nymphae,
Faunique, Satyrique, et monticolae Silvani.
Quos quoniam coeli nondmu dignamur honure,
Quas dedimus, certe terras habitare sinamus. 195
An salis, o Superi, tutos fore creditis illos,
Quum mihi, qui fulmen, qui vos habeoque regoque,
Struxerit ins>idias, notus feritate Lycaon? »
Confreniucre omnes, studiisquc ardentibus ausum
Talia deposcunt. Sic, quum manus impia sievit 200
Sanguine caesareo romanum exstinguere nomen,
Attonilum tantse subilo terrore ruinae
Uumanum genus est, totusque perhorruil orbis.
Nec tibi grata minus pietas, Auguste, tuorum,
Quam fuit iila Jovi. Qui postquam voce manuque 'iO:i
Murmura compressit, tenucre silenlia cuncti.
Subaiiiil ut clamor, pressus gravitale regenlis,
12 MfiTAMOnPIIOSES.
raine, il rompit de nouveau le silenee : « Le coupable, dit-il, a
subi sa peine; n'ayez, ^ cet egard, nulle inquietude. Je vais
n6anmoins vous apprendre son forfait et son chatiment. Le bruit
des debordements de ce siecle avait frappe mes oreilles. Desirant
le trouver faux, je descendis du sommet de rOlsTnpe, et, pour vi-
siter la terre, je cachai ma divinite sous la forme humaine. II
seraittrop long d'enumerer les crimes que je rencontraiparlcut :
la renomm^e etait au-dessous de la realile.
« J'avais franchi le Menale, repaire affreux des bStes sauvages,
le Cyllene et le frais Lycee, couronne de sapin^. Je penetrai vers
le crepuscule du soir dans le palais inhospitalier du roi d'Arcadie.
J^annon^ai la presence d'un dieu. Le peuple commen^it a m'o(Trir
des pri^res. Lycaon rit d'abord de ces pieux hommages. Bientot,
ajouta-t-il, je saurai, par une ^preuve manifeste, s'il est dieu ou
mortel, et la verite ne sera pas douteuse. La nuit, quand j'etais
enseveli dans le sommeil, il s'appr6te a m'assassiner. Voila com-
ment il veut s'assurer de la v^rite. Cest peu. II egorge un otage
que lui avaient envoye les Molosses. II fait bouillir une parlie de
Jupiter hoc iterum sermone silentia rumpit:
« lUe quidem poenas, curam hanc dimittite, solvit.
Qiiod tamen admissum, quae sit vindicta, docebo. 210
Contigerat nostras infamia temporis aures.
Quam cupiens falsara, summo delabor Olympo,
Et deus humana lustro sub imagiDe terras.
Longa mora est, quantum nox» sit ubique repprtum,
Enumerare : minor fuit ipsa infamia vero. 215
« Maenala transieram, latebris horrenda fernrum,
Et cum Cyllene gelidi pineta Lycaii.
Arcados hinc sedes et inhospita tecta lyranni
Ingrodior, traherent quum sera crepuscula noctem.
Signa dedi venisse deum ; vulgusque precari 220
Coeperat. Irridet primo pia vota Lycaon.
Mox, ait, experiar, deus hic, discrimine apcrto,
An sit mortalis ; nec erit dubitabile verum.
Kocte gravem somno nec opina perdere morle
Me parat : hapc illi placet experientia veri. 225
Mec contentus eo, missi de gente molossa
Obsidis unius jugulura mucrone resolvit;
Atque ita semineccs parlim ferventibus artus
MVRE I. iz
5K merabres palpitants, et rdtir Taulre sur un brasier. A peino
a-t-il servi cel abominable repas, que ma foudre vengeresse ren-
versesonpaJais etses penales, dignes d*un lel mallre. 11 fuit 6pou-
vanle, et, dans le silence des campagnes, il pousse des hurlements
et s'efforce en vain de parler. Emporl^ par sa fureur et par sa
soif du camage, il se jette sur les troupeaux, et il aime encore
a s'enivrer de sang. Ses v^temenls se changent en poils, et ses
bras en jambes. Metamorphose en loup, il conserve des vestiges
de sa premi^re forme. M^me couleur, m^me violence dans les
traits, roSmes regards ^tincelants, m^me image de la f^rocit^.
Une seule maison a peri ; mais plus d'une a encouru la mdme
peine. Sur toute Tetendue de la terre regne la cnielle £rinnys. On
dhrait que les mortels se sont voues au crime. Qnlls subissent tous
au phis tot le ch^timent quMIs meritent. Tel est mon arr^t irr^
vocable. t
Une partie des dieux applaudit par ses paroles au discours de Jupi-
ter, et ajoute mtoe a safureur; Fautre Fapprouve en silencc. Ce-
pendant la ruine du genre humain excite parmi eux un regret g^-
neral. IIs demandent quel sera Taspect de la terre, veuve de ses
habitants; qui portcra rcncens sur leurs autels? Jupiter veut-il
Mollit aquis, partim subjecto torruit igni.
Quos simul imposuit mensis, ego vindicc flamraa 230
In domino dignos everti tecta penates.
Territus ille fngit; nactusque silentia ruris
Exululat, frustraque loqui conatur. Ab ipso
r.olligit os rabiem, solitxque cupidine cicdis
Verlilur in pecudes, et nunc quoque sanguino frandet. 23,"
In Tillos al)cunt vestes, in crura laccrti.
Fil lupus, ct veteris servat vestigia form» :
Canitics eddem est, eadem violentia vultu;
Idcm oculi lucent, eadem feritatis imago.
Occidit una domus; sed non domus una perire 2i0
Digna fuit : qua terra patet, fera regnat Erinnys.
In facinus jurasse putes. Dent ocius omnes,
Quas meruere pati (sic stat sententia) pocnus. 9
Dicta Jovis pars voce probant, stimulosque furenli
Adjicinnt; alii partes assensibus implent. 245
Est tamen humani generis jaetura dolori
Omnibus; et, quae sit terrse, mortalibns orbap,
Forma fiUura, rogant; quis sit lalurus in ara»
ii METAMORPHOSES.
Iivrer la terre aux ravages des bMes feroces? A ces questions, lo
maitre des dieux repond qu'il s^est r^serve de tels soins, et leur
interdit loule alarme. 11 leur anncnce une race d'hommes diF-
ferente et d'une origine merveilleuse.
l'uNIVERS EST SUBMERGE FAR L£ deluge.
V. Deja il s'appr6tait a lancer ses foudres dans toutes les con-
trees de la terre ; mais il craignit de voir la demeure sacree des
Immortels s'enflammer par tant de feux, et le monde s'embraser
d'un p61e a Tautre. D'ailleurs, il se rappelle que les Deslins ont
fixe Tepoque ou la mer, la terre et le palais des dieux seront de-
vores par les flammes, et ou Tadmirable machine du monde de-
vra perir. II depose les traits forges par les Cyclopes, et adopte
un autre ch^timent. II veut submerger le genre humain sous les
eaux qui tomberont de toutes les parties du del. Au mSme instant
il renferme dans les anlres d'fiolie TAquilon et les autres vents qui
dissipent les nuages, et ne laisse souffler que TAutan. TAutan
s^envole sur ses ailes humides. D'epaisses nuees couvrent son vi-
Thura? ferisne paret populandas tradere terras?
Talia quaerentes (sibi enim fore csetera curse) 2o0
Rex Superum trepidare vetat, sobolemque priori
Dissimilem populo promittit origine mira.
ORBIS MERGITUR DILUVIO.
V. Jamque erat in totas sparsurus fulmina terras ;
Sed timuit ne forte sacer tot ab ignibus aether
Conciperet flammas, longusque ardesceret aiis. 23a
Esse quoque in fatis reminiscitur affore^tempus,
Quo mare, quo tellus, correptaque regia coeli
Ardeat, et mundi moles operosa laboret. '
Tiela reponuntur, manibus fabricata Cyclopum.
Poena placet diversa, genus mortale sub undis 2G0
Perdere, et ex omni nimbos dimittere coelo.
Protinus aeoliis Aquilonem claudit in antris,
Et qusecumque fugant inductas flamina nubes ;
Emittitque Notum. Madidis Notus evolat alis,
Terribiiem picea tectus caligine vultum. il&$
LIVRE 1. 15
sage terrible ; sa barbe est chargee de brouillards ; 1'oiKle coule
de ses cheveux blancs ; sur son front siegent les vapeurs ; l'eau
degeutte de ses plumes et de son sein. A peine a-t-il presse de sa
lai^e main les nuages suspendiis, que soudain eclate un borrible
fracas, et des torrents se precipitent du liaut des cieux. La mes-
sag^re de Junon, nuancee de diverses couleurs, Iris pornpe les
eaux qui vont alimenter les nuages. Le laboureur eplore voit ses
moissons renversees, ses esperances detruiles, et le Iravail d*une
longue annee s'evanouit en un instant.
Le courroux de Jupiter ne ::e borne pas aux ressources de son
empire; Neptune, son fr^re, lui pr^te le secours de ses ondes. 11
convoque les fieuves. Des qu'ils sont accourus dans le palais de
leur roi : « Une longue exhortalion, dit-il, serait inutile en ce
moment. Deployez vos forces, il le faut ; ouvrez vos demeures sou-
terraines, brisez vos digues, et donnez Tessor a toute la rapidite
de vos flols. » II dit. Les fleuves rentrent dans leurs retraites,
repoussent leurs barrieres, et d'un cours impetueux s'61ancent
dans rOc^. Neptune lui-m6me frappe la terre de son trident.
Elle s'ebranle, el, par cette secousse, ouvre les reservoirs des
eaux. Les torrents debordes roulent a travers les campagnes,
Barba gravis nimbis; canis fluit unda capillis ;
Fronte sedent nebulae; rorant pennseque sinusque.
Utque manu lata pendentia nubila pressit,
Fit fragor; hinc densi funduntur ab a.>tliere nimbi.
Nuntia Junonis varios induta colores, i70
Concipit Iris aquas, aiimentaque nubibus affert.
Sternuntur segetos, et deplorata coloni
Vota jacent, longique labor perit irritus anni.
Nec cffilo contenta suo Jovis ira, sed illum
CaTuleus frater juvat auxiliaribus undis. iT!.
Convocat hic amnes. Qui, postquam tecta tyranni
Inlrnvere sui : « Non est hortamine longo
Kunc, ail, utendum. Vires effundile vestias;
Sic opus e^l; aperite domos, ac, molc romota,
Fluminibus vestris tolas immitlite habenas. » i'SU
Jusserat. lli redeunl, ac fontibu» ora relaxant,
Et defrenato volvuntur in ajquora cursu.
Ipse tridente suo terram percussit; at illa
Intremuit, motuque sinus patcfeeil aqiiaruni.
hi^patiata ruuut per apertos flumina ruiiipos, '-^■'
16 IIKTAMORPHOSES.
emporlant a la fois les arbres, les moissons, les Iroupeaux, les
maisons avec leurs liabitants, les lemples des dieux et les objets
sacrds. Si quelque ^difice est reste debout, et a pu resister a cet
effroyable deluge, son faite disparait sous les eaux; les tours
chancellent et s'6croulent dans rabime.
D6ja la terre et les flots n*offraient plus de difference. Tout
elait mer, et la mer n'avait plus de rivages. L'un occupe une
coUine; Fautre se refugie dans un canot, et promene la rame
dans les lieux ou naguere il vient de conduire la charrue. Celui-
ci vogue au-dessus de ses guerels et de sa chaumiere submergee;
celui-la prend un poisson sur la cime d'un ormeau. Si on jette
Fancre, elle s'arr6te dans une verte prairie, et les barques tou-
chent des coteaux couronnes de vignes. Oii la chevre legere brou-
tait naguere le gazon, repose maintenant le phoque monstnieux.
Les N^reides sont surprises de voir sous les eaux des bois, des
villes, des maisons. Les dauphins habitent les for^ts; ils bon-
dissent sur leurs cimes, et se heurtent conlre les ch^nes. Le loup
nageau milieu des brebis; Tonde emporte les lions et les tigres.
Entra!n6 par le courant, le sanglier n'est pas plus pr^servQ par
Cumque satis arbusta simul, pccudesquc, virosquc,
Tectaque, cumque suis rapiunt penetralia sacris.
Si ^ua domus mansit, potuitque resistere tanto
Indejecta malo, culmen tamen altior hujus
Unda tegit, pressseque labant sub gurgite turres. 290
Jamque mare et tellus millum discrimen habebant.
Omnia pontus erant; deerant quoque littora ponto.
Occupat hic coUem ; cymba sedet alter adunca,
Et ducit remos iilic ubi nuper ararat.
Ille supra segetes, aut mersn culmina villje, ^ 29j
Navigat; hic summa piscera deprendit in ulmo.
Figitur in viridi, si fors tulit, anchora prato;
Aut subjecta terunt curvae vineta carinae ;
Et, modo qua graciles gramen carpsere capellae,
Nunc ibi deformes ponunt sua corpora phocae. 300
Mirantur STib aqua lucos, urbesque, domosque,
Nereides; silvasquc tenent delphines, et altis
Incnrsant ramis, agitataque robora pulsant.
Nat lupus inter oves; fulvos vphit unda leonos;
Unda vehit ligres; nec vires fuiminis apro, 305
MVJIE L i?
i aps forfnidnbles dtfei^-^s que le ceif par ses jambes agiles; et,
lll^F^ 3¥oir loBgtemps clierclie un asile ponr se reposer, roiseni*
^feU^ii^ replie scs ailes et tombe dans lii nier. Les plus baiites eol-
liiipb; djsparaii^eiit daiis rimmenfie debordement des llols, el le
mnuvant abtme, loujoui-s croissLint, bat iD sommet des monlngnes*
b pLus grande partie des bumiiins perit dans le gouiTre des eiiux,
H cmx qu*elles ont epai^gnes succombcnt aus longs tourments dts
la fnim.
la Plmcide sepnrc les cliamps d'Aonie de oeux qui avoisinenl
rflEUi^ tcrre ferlile. tant qu'e!le fut ierre; mais alors elle faisait
paftie de rOcean. et n'elait plm qn^Qne vasle plained^eau. La un
inont escarpe fetid les airs de soii doubla sommet, On rappebe
hniasse* Son rmnt sW-ve aii-dessus des nues, Cest h^, quand k
irier eut submcrge tout la resle, que s'arr^ta la petilc nacelle qui
port3it Deucalion et sa compa^e- lls adres&6rent leurs liommages
m%. .Njmphes de Coryeie, aux divinitcs de la montagne, et a The^
mk, qm ff ndait alcrs des oracles. Jamais bomme ne lut pbts ver-
Ineux ni pbis jusle que Peucalion; jamais femme ne fut plus res-
pedueusc que Pyrrba envers les dieux, D^s quc Jupiler voit ln
lem^ changee en un vasle ocean, des qu*il voil qnc, de tant de
€rura nec nblnlo pmgimt v^lotja ecfvo-
Qii:i;^ili^ue diTt terrii, ubi sidcrc Jelur,
]n mai^e Lassalis vDlucris t^pi decidii alis.
OljruifTat tiimtiloii jtumensa liccntia ponli.
riiisabgnlquE! novi montana c^c^iinina rincUi^. SU^
KlfiKlma papi imsln rapltur : (^uibut unfla isr^pcrril,
llilos lonpa Jomniit inopi ji^juniQ vnin.
Snparal aonjo^ sQlaits Pboda ali arviSp
TeiTa rerai, dum ima fuii; sed tpmpore in illo
l^irs mafk, ei liLtu& snbitarEiiin cAmpuri iic[n^raiii. ^l!*
llons ibi verlicibu^ pelit (irduus aslra duobu»,
^ominc PflrnasstlSt suporalquc f^acumiTie uubc».
Ilic ubi U^ucition (aam {.'DcLc^ra i^xerat u^quor),
('iiiii cjjnsfflrie lon parra ralo tocIus adhn^siL,
Corycida* Kympbai, ci numina iTn>nit$ ariorant, aHi)
Fatidicamr)uc Thnmin, quai tnnc oraclji Iriiebat.
Plon iiio melior quisq;iiJim, noc ainjutior a^q^ui
Vlr fuii, aut illn metuc-nLicir ulla ilwirnm.
Jcjpil«r lU 1iquidi<i sl[i|!n3r«^ pithidilm?^ oilinm,
1
18 MgTAHOnPHOSES.
milliers d'hommes et de femmes, il ne reste que ce couple inno-
cent et religieux, il disperse les nuages au souffle de TAquilon, et
montre la terre au ciel et le ciel a la terre. La mer apaise son
courroux. Neptune depose son trident et calme les ondes. II ap-
pelle Triton, qui elevait au-dessus des abimes ses epaules cou-
vertes de rouges ecailles, et lui commande de faire r^sonner sa
conque bruyante, et de ramener par un signal les flots et les
fleuves dans leur lit. Triton saisit a riustant son instrument m
forme de lube recourbe qui va s'elargissant d'une extrtoite jus-
qu'a Tautre. A peine Ta-t-il anime' de son souffle, que, du eou-
cliant a Taurore, ses accents retentissent sur tous les rivages de
la mer. Alors aussi, appliquee aux lAvres du dieu dont la barbe
distillait encore Feau, la trompe doLne le signal de la retraite
prescrite par Neptune : et soudain elle est entendue sur les eaux
qui couvrent la terre, comme sur celles de la mer. Partout od
penetrent ses sons, ils enchainent les flots. La mer reconnait enfm
ses rivages; les fleuves rentrent dans leur lit; les ondes s'abais-
sent, les collines semblent sortir du fond de Tabime; la terre se
d^couvre, et tous les objets grandissent, a mesure que les eaux
Et superesse videt de tot modo millibus unum, 325
Et superesse videt de tot modo millibus unam,
Innocuos ambos, cultores numinis ambos,
Nubiia disjecit, nimbisque Aquilone remotis,
Et ccelo terras ostendit, et xlhera terris.
Nec maris ira manet; positoque tricuspide telo 3r»()
Mulcet aquas rector pelagi. Supraque profunduni
Exstantem, atque humeros innato murice tectum
Caeruleum Tritona vocat, concho^quc sonaci
Inspirare jubet, fluctusque et flumina signo
Jam revocare dato. Cava buccina sumitur illi r>^i
Tortilis, in latum quao turbine crescit ab imo ;
Buccina, quse medio concepit ut acra ponto,
Littora voce replet, sub utroque jacentia Pha>J>o.
Tum quoque, ut ora dei madida rorantia barba
Contigit, et cecinit jussos inflata receplus, 7tH)
Omnibus audita est telluris ct tequoris undis ;
Et quibus est undis audita, coercuit omnes.
Jam mare littus habet; plenos capit alveus anino.<;;
Flumiua subsidunt; coUes exire videntur;
Surgit humus; crescunt loca decrescentibus un(Ii>. 345
LIVRE I. 19
diniinuent. Apr^ de longsjours de d^astres, lesarhres montrent
leuis dmes d^pouillto et leurs feuilles limoneuses.
DECCALION ET PYRRnA REPEUPLENT LA TERRE.
VI. L'univers renaissait. £n le voyant transforme en un vaste
desert ou r^gne partout un profond silence, Deucalion fond en
brmes, et parle ainsi a Pyrrha : a 0 ma soBur! 6 mon epouse!
seule femme echappee a la mort ! toi qui m'es unie par une m^me
iirigine» par la parente et par les nocuds du mariage, aujourd'hui
lediDger resserre encorenos liens. De Taurore au couchant nous
fiMrmoDS seuls le genre humain ; la mer a enseveli tout le reste.
Que dis^je? en ce moment m^me, nos jours ne me semblent pas
kni a fait en sArete : des nuages portent encore reflroi dans mon
Ime. Cbdre Pyrrha, quel serait ton deslin, si tu eusses echappe
ms moi k ce grand naufrage? Gomment, seule> aurais-tu supporte
lesalarmes?quit'aurait consolee dans ta doulcur? Pour moi, si tu
mis p^ri dans les filots, tu peux m'en croire, je t'aurais suivie,
imon epouse! et la mer m*eut englouti avec toi. Puisse-je, par
Po>t(|ue dicm longain nudala cacumina silvo}
Osteadunt, limumquc tenent in fronde rclictum.
UEUCALION ET PYURnA HUMANIIM KEPARAXT f.EXrr.
V]. Ueddilus orbis erat. Quem postquam vidit inaneni,
Et desolatas a^ere alta silentiu terras,
Deucaiion, lacrymis ita Pyrrham affatur obortis : 3.'H)
« 0 soror, o conjux, o femina sola superstos,
Qoain commune mihi genus, el patruelis origo,
Deinde torus junxit; nune ipsa pericula junguut;
Terrarum, quascumque vident occasus et ortus,
Nos duo turba sumus ; possedit caetera pontus. o* j
.Nunc quoque adhuc vitae non est fiducia noslra'
Certn satis : terrcut eliainuum nubila nienlom.
Ouid tibi, si sine ine fatis erepta fuisses,
^unc animi, miseranda, foret? quo sola timoreni
Ferre modo posses? quo consolante doioj:es? 3G
.Nuinque ego, credo mihi, si le modo ponlus habi rel,
io .-equerer, conjux, et me quo(|ue ponlus hab(^r»'i.
20 MfeTAMORPHOSES.
le raAme art qiie mon pere, fa^onner Tai^ile et lui donner ]a vie
pour rpnouveler le genre humainl Seuls.(ainsi Font voulu les
dicux), nous survivons a la race des morlels, et seuls nous attes-
tons qu il exisla des hommes. »
A ces mots, ils repandent des pleurs. Ils songent a invoquer le
ciel et a demander du secours aux oracles. Aussit6t ils se rendent
aux bords du Cephise, dont les eaux n'elaient pas encore limpides,
mais coulaient deja dans leur lil. lls versent Tonde sacree sur
leurs v^tements et sur leurs t^tes; puis ils dirigent leurs pas vers
le sanctuaire de Tauguste deesse. Une mousse hideuse en couvrait
le faite, et le feu ne bnilait point sur ses autels. A peine ont-ils
touche les degres du temple, qu'ils se proslement Fun et Tautre
la face contre terre, et baisent, en tremblant, le sol glac6. « Si
les pri^res du juste, disent-ils, flechissent les dieux et apaisent
leur courroux, Themis, enseigne-nous comment nous pourrons
reparer la ruine du genre humain. Montre-toi propice, et daigne
secourir notre infortune. » La deesse fut ^mue et rendit cet oracle :
« Sortez du temple, voilez votre tete, d^liez votre ceinture, et jetez
derriere vous les os de votre grande mere. » IIs restent longtemps
0 utinam possim populos reparare patcrnis
Artibus, atque animas formalJB infundere terrc} !
Kunc genus in nobis restat mortale duobus. 365
Sic visum Superis, hominumque exeropla man?mus. »
Dixerat, et flebant. Placuit coeleste precari
Numen, ct auxilium per sacras qua^rere sortes.
NuUa mora est: adeunt pariler cephisidas undas,
rt nondum liquidas, sic jam vada nota secantos. 370
Inde ubi libatos irroravere liquores
Vestihus et capiti, flectunt vestigia sanctae
Ad delubra dex, quorum fastigia turpi
Squalebant musco, stabanlque sine ignibus arrr.
L't templi tetigere gradus, procumbit uferquc 37o
Pronus humi, gelidoque pavens dedit oscula saxo.
Atque ila : « Si precibus, dixerunt, nuraina justis
Yicta remollescunt, si flectitur ira deorum ;
Dic, Themi, qua generis damnum reparabile noslri
Arte sit, et mersis fer opem, mitissima, rebus. » 380
Mota dea est, sortemqye dedit : « Discedite templo,
Et velatecapul, cinrtasque re<«oWitn vestes;
Ossaque post tergum majrnnt» jarlate parentis. »
UYRB I. ai
fdite. Pyirba^a praoaitoirQinpt le sHence, et refuse d*oMir a
taae. D'iiiie voix tremUuite, ^ la supplie de loi pardomier :
cAint d*iiisaUer aox mtoes de sa mte en dispersanl sea os.
iepeadant ils r^^cfaisseQt aoz paroles mysterieuses de roracle
e» miditent. Enfin le fils de Prom^thte rassure ainsi la fiUe
pimfth^ : c Ou mon esprit me troinpe, dit-il, ou rorade est
Bain, et ne bonseilie ix»nt un sacriMge. Kotre grande tahce,
t h TeiTe. Les pierres, dans le corps de h Terre, sont sans
iesesosqu^ilnousordonnede jeter derri^nous. • Quoiqne
inlte par oetle int^prtotion, Pyrrtia inoeriaine n^ose enoore
ket : tant ils se di^ent tous deux des o^tes conseiLs! Mais
ivaient-ils k craindre en essayant? Hs s*dlo^ent, Toilent leur
s, ddtadient leur cdnture» et, pour ob^ir k l*oracie» jettent des
rfcs deirite ok. Ges pierres (qui pourrait le croire, si Tanti-
ti ne Tattestait?) se depouillent peu k peu de leur duret§, et>
seramoliissanty se prfttent k de nouTellesformes. Bientdtelles
loBgent, derieoneiit moins insensiUes, et prennent imperoep-
enent la figure faumaine. Tel lei marbre, sous les premiers
Obstupuere diu, nimpitque sileniia voce
Pyrrha prior, jussisque deae parere recusal ; 585
Delquc sibi Teoiain pavido rogat orc, pavetquu
LsBdere jactatis materaas ossibus uinbras.
lnterea repetunt cscis obscura latebris
Verba dats sortis secum, inter sequc volutaiit.
InUe Promethides placidis Epimethida dictis 31K)
Mulcety et : « Aut fallax, ait, est solertia nobis,
Aut pia sunt, nuUumquc ncfas oracula suadent.
Magna parens Terra est; lapidcs in corpore Terrx
Ossa rcor dici : jaccrc hos post terga jubemur. »
Conjugis augurio quanquam Titania mota cst, 595
Spes tamen in dubio est : adeo coelestibu^ ambo
Diffiduntmonitis! Sed quid tentare nocebit?
Discedunt, velantque caput, tunicasque recingunt,
Et jussos lapidcs sua post vcstigia mittunt.
Saxa (quis hoc crcdat, nisi sit pro teste vetustas?) iO'v)
Poncre duriticm ccepere suumque rigorem,
Molliriquc moru, moUitaque duccre formani.
Mox, ubi ereverunt, naturaquc mitior iliis
r.outigit, ut qu»dam, sic non manifesta, vidcri
Fornia potest hominis; sed uti de marmore coepto 405
tl METAX10U1»H0SES.
coups de ciseau, n'otfre qu^une ebauche imparfaite. La partie des
pierres ou un suc liquide se m^le a la substance terreuse se m^
(amorphose en chair ; la partie solide, que rien ne peut ramoliir,
se change en os ; les veines conservent la mSme forme el ie m^rac
nom. En quelques instants, par la volonte des dieux, les picri^
que lan^a Deucalion rev^tirent la forme de lliomme, et les fem-
mes naquirent des pierres jetees par la main de Pyrrha. Voil5
])ourquoi nous sommes une race dure et infatigable : tout en noii;^
revele nolre origine.
APOLLON TUE LE SERrE.NT PYTnON.
Vil. La lerrc crea spontanemenl les autres anunaux avec di-
verses formes. Lorsque l'eau deposee dans son sein se fut ecliauP
fee aux rayons du soleil, et que la chaleur eut mis en fermenlation
le limon des marais, le germe fecond des ^tres, nourri par un sol
vivifiant, s'y developpa, comme dans le sein maternel, ctpritcn
y sejournant une forme particuliere. Ainsi, quand le Ni! fccond
quitle les campagnes encore humides et ramene les eaux dans leuf'
Non exacta satis, i'udibiisque simillima signis.
Quos tamen es illis aliquo pars humida succo,
Et terrena fiiit, versa cst in corporis usum ;
Quod solidum est, flectique ncquit, mutalur in o^tsa;
Quod modo vena fuit, sub eodem nomine mansit. 410
Inque brevi spatio, Superorum numine, saxa
.Missa viri manibus faciem traxere virilem,
Et de fcmiueo reparata est femina jactu.
Inde genus durum sumus, experiensque laborum,
Et documenta damus qUa simus origine natii it5
KTHONEM APOLLO IXTERnciT.
Vll. Caetera divci:>is tcllus animalia formis
Sponte sua pcperil. Poslquam vetus bumor ab igiic
Percaluit solis, coBUumquo udieque paludcs
Intumuerc sestu, fecundaquc semina rcrum,
Vivaci nutrita sdlo, ceu niatris in alvo l^
Cfevcrunt, fabiemquc aliquam cepcrc nior.iiuliil;
Sic ubi descruit madidoi scplcmfluus a^ros
Nilus, ct autiquo sua flumina reddidil alveoi
LIYRE I. .»3
ancien lit, les ardears du soleii echaufleut le liuiou recenuueut
depose par le ileuve. Alors le laboureur, en retoumant la glebe,
fartmTe im grand nombre d'animaux ; les uns a peine formes et
au monient mSroe de leur naissance; les autres imparfaits, n'aynnl
pasenoore tous ieurs membres; souvent, dans le m^mecorps,
iine partie vit deja, tandis que Tautre est une argile grossi^re.
rhamidit^ et la chaleur combinees sont, en effet, la cause pro-
ductrice des elres; et, quoique le feu soit oppose a Teau, la va-
peur humide engendre tout. Cette union de principes contraires
esl la source de la gen^ralion. Aussitot que la terre, couverte du
limon laisse par les eaux, eut ressenti le feu vivifiant des rayons
solaires, elle produisit des animaux sans nombre, rendit aux uns
lear andenne forme, et donna aux autres des formes nouvelles.
liiUe fenfanta aussi contre son grc, immense Python I Serpent in-
cQnna jusqn^alors, tu fus pour les nouveaux habitauts du globe
OD objet de terreur : tant tu occupais d'espace sur la montagnel
le dieu mak de Tarc, et dont les fleches n'avaient jamais ete
I dirigte que coutre les daims et les chevreuil^ timides, Taccabla
k mille traits ; il ^puisa presque son carquois pour donner la
.ttlierioquc reieiis exaij^it sidere liinus,
Plurima ciillores versis animalia glebis i'2'»
Invcniunt; et in his qusedam raodo ca?pta, sub ip>um
Na^cendi spatium; quaedam imperfecta, suisqne
Tninca videnl nuineris; et eodcm in corpore sypc
Altera pars vivit, rudis et pars altera tellus.
Uuippe, ubi lempericm sumpsere humorquc calorquc, 15^1
Concipiunt, ct ab his oriuntur cuncta duobus;
Outinique sit ignis aquae pugnax, vapor humidus oinne?
Kes creat, et discors concordia foelibus npta est.
Ergo ubi diluvio teUus lutulenta rcccnti
Solibu» ;plberiis, altoquc recanduit xstu, ioii
Ktii«iit innuiiicras spccics, partimque figura?
Uetlulit anliquas, ])arliin nova monslra crcavil.
lila «luidcm nollel, sed te quoque, maxime Pyllioii,
Tmii ijeiiuit; populi^que novis, incognita scrpeii>,
rr.MKM nas : tiuilum spatii dc nionte lcneba^ I liO
llanr <l. 11-. .Ticiteiiens, el nunquam lalibus niiiiij
Ant»-, iii>i in daiiiis capreisque fugacibus, u-u?,
Millc grovem leli-, cxhuu^ta pajnc pharelra,
24 METAMORPUOSES.
V
mort au inonsire, dont les larges blessures laissaient ^happcr
un noir venin ; el, afin de perpetuer la gloire de cet exploit, il
inslitua des jeux qui altiraient un nombreux concours. Ces jeux
furent appeles Pythiens, du nom mSme de ce serpent tombe sous
ses coups. La, de jeunes athletes, vainqueurs au pugiiat, a la
course a pied ou a la course des chars, recevaient pour recompense
une couronne dechene. Lelaurier n*existait pas encore; et, pour
fixer sa longue clievelure autour de sa belle tete, Apollon se ser-
vait des feuilles d'un arbre quelconque.
UAPIIKE CHAKGEE EN LAUftlEU.
Yill. Le premier objet des amours d'Apollon fut Daphne, fiile
du Penee. Sa passion naquit, non d'un aveugle hasard, mais de
i'implacdble ressentiment de 1'Amour. Le dieu de Delos, fier d a-
voir triomplie du serpent Pylhon, i'avait vu tendre ies cordes de
son arc flexible : « Foiatre enfant, iui dit-il, qu'y a-t-ii de comuimi
entre toi et ces terribles armes ? Le carquois est fait pour les epauies
du dieu dont les traits inraillibles percent les ennemis et les bStes
sauvages, du dieu qui naguere a terrasse, sous une gr^le de ile-
Perdidit, effuso poi- vulucra nigra veneuo.
Neve opcris famam possit delere vetustas, iio
Instituit sacros celebri ccrtainiue ludos,
Pythia de domitae serpentis noraine diclos.
His juvenum quicumquo manu, pedibusve, rotave ^
Vicerat, xsculeic capiebat frondis honorem.
Nonduni laurus crat, longoque decentia crine liO
Tempora ciugebat ilc qualibet arbore Phcebus. i
DArU.NE IN LAURCM CONVERSA. ^
Vill. Primus amor Pheebi Daphne peneia, qucm noa ^
Foi*3 ignara dedit, sed s»va Cupidinis ira. ^
Delius hunc nuper, victa serpeote superbus,
Vidcrat adducto flectentem cornua nervo : ' ^
« Quidque tibi, lascivc puer, cum fortibus arm-s? J*
Dixerat : ista decent humeros gestamina nostros; ^
Qui dare certa fer», dare vulnera possumus hosti ; ^
Qui modo, peslifero tot jugera ventre preraentcm, - ^
LIVR^ l. i5
dMiy le moDstrueux Pytheu» dont le corps gonfl^ de poisoi» oou-
nwi tant d*nrpents. (kmtente-toi d^aliumer avec ta torcfae je ne
mk qoels feux, et garde-toi d^usurp^ nia gloire. » Le flls de
YteH hii nfipond : t Ton arc, Apollon, peut tout frapper ; le mieo
le iinppe toi-m^me. Tu peux triompher de tous les animaux,
HDB ta ^oire le dkie a la mienne. » A ces mots, ii fend Fair de
tes ailes raiudes, et s'arr6te sur la dme omlNragee du PSBmasse.
k ioo carquois il tire deui fl^es d'une Tartu difriSrenle: Fune
dttne ramour, Tautre le fait naitre. Celle-ci est en or; sa pointe
est ao^ree et luillante; oelie-Ui est ^moussee et gamie de plomb.
le dieu lanoe oe demier trait k la filie du P^n^; avec Tautre» ii
Uene Apollon jusqu^au fond du cceur.
An8Bit6t il ressent Famour ; mais Daphn^ refuse le nom d*amante.
femde de la diaste Diane, elle mettait sm lionlieur k poursuivre dans
kiftrtts les bdtessauvages et iiseparer de leurs d^ouilles. Une ban-
delelte retenait ses cheveux ^pars. Piusieurs demmddrent sa main.
Us aa fturoudie ind^pendance d^aigna leurs tcbux. EUe ne se plai-
IHI (pL*k paroourir les bois solitaires, sans s'inqui§ter de ramour ni
Slraviiiius inuumeris, tumidum P]fllionu, &ugillis. 4tiO
Tu face, nescio quos, eslo contentus amores
Irritare tua ; nec laudcs assere nostras. »
Filius liuic Veneris : « Figat luus omniu, Phasbe,
Tc meus arcus, ait; quuntoque animalia cedunt
Cuucta tibi, tauto miuor est tua gloria uostru. • Hio
Dixit, et eliso percussis aere pennis
Impiger umbrosa Parnassi constitit arco;
Eqae sagittifera prompsit duo tela pbaretru
DiTersorum openim. Fugat hoc, facit illud amorem.
Quod facit, auratum est, et cuspide fulget acutu ; ^iTU
Quod fugat, obtusum est, ct habet &ub arundineplumbuni.
Doc deus in uympha pcneide fixit ; at il!o
Lxsit apoUineas trajccla per ossa medullas.
l^otiuus altcr amat ; fugit altera nomoa auiunlis,
Silvarum latebris, cjptivarumque ferarum 475
Ciuviis gaudens, innuptxque aemula Pliocbcs.
Vitia coercebat positos sinc lege capillo:».
Multi illam petierc. llla aversata peteutes,
Impatiens expcrsque viri, nemorum avia lublrui;
Aec quid Uvmen, quid Amor, quid sint connub a, curul. 480
'iG METAMOKPIIOSES.
du joug de riiynieii. Souvent son pere lui disait : « Ma fille, tu
rne dois un gendre. » Souvent il lui dlsait encore : « Ma fille, tu
ine dois des petits-fils. » Les belles joues de Daphne se couvraient
alors d*une cliaste rougeur. Elle repoussait le flambeau de fhy-
menee avec aulant d'horreur qu'un crime, et, suspendue au cou
de son pere, qu'elle pressait de ses douces ^treintes : t Laisse-
moi, disait-elle, 6 mon pere! jouir a jamais de ma virginit^. Cest
une faveur que Jupiter accorda jadis a Diane. » Son p^re veut
exaucer ses voeux : « Mais ta beaute, lui dit-il, s'oppose a tes de-
sirs : ils sont combattus par tes charmes. » En proie k famour,
Apollonbrule de s'unir a Daphne, qui vient de frapper ses regards.
(_ Qe qu'il desire, il Te^ere; mais il est dupe de ses propres oracles.
Semblable a la paille legere qu'on brule, quand on Ta depouiilee
des epis, ou bien pareil a ces haies qui s'allument, si h torche du
voyageur en approche Irop pres, ou y est deposee aux premiers
rayons du jour, Apollon est devore par sa passion : tout son coeur
s^embrase, et f espoir nourrit sa slerile flamme. 11 contemple les
cheveux de Daphne flottant sans art autour de son cou. « Que
serait-ce donc, dit-il, s'ils etaient tresses? » II voit ses yeux etin-
celer comme deux astres brillants; il voitsabouchc gracieuse,
Hiepe patcr dixit : « Gcncrum mihi, fllia, debes. »
Sxpc pater dixit : « Debes milii, iiata, nepotes. •
illa, velut crimen, tasdas exosa Jugales,
Pulclira verecundo suffundiliu" ora ruborc;
Inque patris blandis hserens cervice laccrti^: i8o
« Da mihi pcrpetua, genitor carissime, dixil,
Virginitate frui. Dcdit hoc pater anlc Diana>. »
llle quidem obsequitur : « Sed te decor islc. quod optas,
Esse tetati votoque tuo tua forma repugnat. »
PhoBbus amat, vissequc cupit connubia Daphncs; ^^^^^
Quaeque cupit, sperat, suaque illum oracula fallunl.
Utque leves stipulac demptis adolentur aristis)
Ut facibus sepes ardent, quas fortc viator
Vel nimis admovit, vel jam sub luce reliquit)
Sic deus in flammas abiit ; sic pectore toto 49»
Uritur, et sterilem sperando nulrit amorcin.
Spectat inornatos collo penderc capillos,
Et : « Quid, si comantur? » ait. Vidct ignc micaU cSj
Sideribus similes oculos; videt oscula; quos non
LIYftE r. 27
qu'ilne lui sufTit pas de Yoir; il admire ses doigls, sa main, ses
bras, qui monlrent jusqu'au-dessus du coude leurs formes arron-
dies. Dans sa pensee, les charmes cachds sont plus ravissants en-
core. Plus l^ere que le vent, elle fuit d'un pas rapide. En vain il
la rappeiie ; il ne peut la retenir.
• Nymphe du Penee, je t'en conjure, arr^le. Ce n'est pas un
ennemi qui te poursuit. ArrSte-toi, Nymphe. La brebis fuit devant
le loup, la biche k i'aspect du lion, et un vol precipit^ derobe la
colombe aux serres de i'aigle : ciiacun se soustrait a son ennemi.
Mais, si je m'elance sur tes traces, FAmour en est cause. Je suis
bien malheureux ! Ah ! puisses-tu ne pas tomber ! puissent les ronces
ne pas dechirer tes pieds delicats! Que je voudrais t^epargner de
ladouleur! Les sentiers ou tu cours sontrudes. Moderetes pas,
je t'en conjure; suspends ta fuite; je raodererai moi-m^me mon
ardeur. Apprends du moins quel est celui que tu as charme. Je
ne suis ni un habitant des montagnes, ni un pdtre hideux, chargt^
du soin des boeufs ou des brebis. Insens^e, tu ne sais pas, non,
tu ne sais pas qui tu fuis; et c'est pour cela que tu fuis. Delphes,
Qaros, Ten6dos et la royale Patare reconnaissent mes lois. Ju-
piler est monpere. Je revele le passe, le pr^sent, Favenir. Cesl
Est vidisse salis. Laudat digitosque, manusque, 5^)0
Brachiaque, et nudos media plus parlc lacertos.
Si iiua latent, meliora putat. Fugit ocior aura
IUa levi, neque ad haec revocantis verba rcsistit :
« Kympha, precor, penei, mane : non inscquor lioslis.
Nympha, mane. Sic agna lupum, sic cerva leonem, i>0o
Sic aquilam penna fugiunt trepidante columba*,
Uostes qusBque suos. Amor cst mihi causu scquemh'.
Me miserum 1 ne prona cadas, indignave Ixdi
Crura sccent senles, et sim tibi causa doloris.
Abpera, qua proporas, loca sunt. Modeiatius, oro, 510
(lurrc, fugamque inhibe; moderatius insequar ipso.
Cui placeas, inquire tamen. iNon incoia monlis,
Non ego sura pastor ; non hic armenla, gregesvc
Horridus observo. Nescis, temeraria, nescis
Quem fugias; ideoque fugis. Mihi delphica lellus, 515
Et Claros, el Tenedos, patarscaque regia servit.
Jupiler est genitor. Ter rae, quod eritque, fuitque,
28 MfiTAMORPHOSES.
moi qui marie la voix aux accords de la lyre. Mes fleches portent
dlnevitables coups; mais il en estune plus inevitable qui a bless^
mon coeur jusque-la ferme k Tamour. J'ai invenle la medecine.
I/univers me proclame son sauveur, et la puissance des simples
m*appartient. llelas ! il n'est point d'herbe capable de gii^rir IV
mour ; et le p^re des arts utiles au genre humain n'en relire lui-
I m^me aucun fruit. »
II veut parler encore ; mais la fille du Penee fuit d'un pas timide
et Tabandonne avant la fm de son discours. Qu^elie iui panit belle
alors! Les vents soulevaient ses vStements, et se jouaient en sens
contraire dans ies plis de sa robe; une brise I^g^re faisait flotter
sur son cou ses cheveux epars, et ia fuite reliaussait I'eclat de sa
beaut^. Le jeune dieu n*a plus la force dc iui adresser en vain des
paroles de lendresse. Emporte par l'amour, ii ia poursuit avec
ardeur. Tel un chien gaulois qui apergoit un lievre s'6iance dans
ia plaine pour ie saisir, fandis que sa proie cherche a se sauTor.
Le chien semble deja s'en emparer. Le cou tendu, ii d6vore sa
irace. Le iievre est sur ie point d'^tre pris ; mais ii 6vite la dent
de son ennemi pres de l*atteindre. Tel est le dieu, telle est la
Eslque, patet. Per mc concordant carmina nervis.
Certa quidem nostra cst, nostra tamen una sagitla
Certior, in vacuo qnao vulnera pectore fecit. 520
Inventum medicina meum est, Opiferque per orbem
Dicor, et herbarum subjecta potentia nobis.
ITei ! mihi, quod nullis amor est medicabilis herbis !
Ncc prosunt domino, quac prosunt omnibus artcs! »
Diira locuturum limido Pcnciu cursu 525
Fugit, cumque ipso verba imperfecta reliquit.
Tnm quoque visa decens : nudabant corpora venti,
Obviaquc adversas vibrabant flamina vesles,
Et lcvis impexos retro dabat aura capillos;
Auclaque fornia fuga cst. Sedcnim non sustinol uUra tiSO
Perdcre blanditias juvcnis deus; utque movcbat
IpsR amor, rdmisso sequitur vcstigia passu.
rt ranis in vacuo leporom quum gallicus arvo
Vidit, ct bic praedam pedibus petit, ille salutem.
Altor inhajsuro similis, jam jamquc lcnere 55"»
Spcrat, ct extenlo stringit vestigia roslro ;
Alter in ambiguo est, an sit dpprensus, et ips^is
Morsihus eripilur, langenliaque ora relinquit.
LlVnE l 20
Nymphe. Ils Yolent, pousses, Tun par Fesperance, Fautre par la
crainte. Mais Apollon, port^ sur les ailes de TAmour, est infafi-
gable et plus agile. Bient6t il va tenir la vierge fugitive : son ha-
leine eflleure ses cheveux flottants. Gependant les forces de Daphne
s*^puisent. Elle p^Iit, elle cede a la fatigue d'une fuite pr^ipit^e,
el, jetant ses regards sur les eaux du Penee : « 0 mon p6re! dit-
elle, viens a mon aide, si toutefois les fleuves ont quelque pouvoir.
0 terre! engloutis-moi, ou, par une metamorphose, d^truis cetle
beaute trop seduisante qui m'expose a Toutrage. »
A peine a-t-elle acheve sa priere, qu'un lourd engourdissement
eDchaine ses membres; son sein delicat se couvre d'une ^rce
1^4re ; ses cheveux se changent en feuilles et ses bras en rameaux ;
son pied, nagu^fe si agile, s'enracine dans le sol; sa t^tedevient
b dme d*un arbre : son 6clat seul lui reste. Ph^bus Taime encore.
n pose la main sur sa tige, et, sous la nouvelle ^corce, il sent
palpiter un cceur. II Pembrasse, comme un corps vivant; il la
couvre de baisers; mais la tige les refuse. « Si tu ne peux fttre
mon ^pouse, lui dit alors le dieu, tu seras du moins Tarbre d'A-
pollon. laurier, tu pareras toujours ma chevelure, ma lyre, mon
Sic ileus et virgo esl : liic spe celcr, illa timore.
Qui tamen insequilur, pennis adjulus Amoris, f>40
Ocior est, requiemque negat, tergoque fugaci
Imminet, et crinem spirsum cervicibus afllat.
Virihus absumptis expalluit illa ; cilacque
Victa labore fugae, spectans peneidas undas :
« Fer, pater, inquit, opem, si flumina numen babctis. 545
Qua nimium placuit, TcUus, aut hisce, vel istam,
Quae facit, ut Isdar, mutando perde figuram. »
Vix prore finita, torpor gravis alligat artus.
MoIIia cinguntur lenui praecordia libro;
In frondem crines, in ramos brachia crescunt ; 550
Pes, modo tam velox, pigris radicibus ha?ret;
Ora oacumen obit : remanet nitor unus in illa.
Hanc quoque Phoebus amat, positaqiio in siipilo dexlra,
Sentit adhuc Irepidare novo sub corlice peclus.
Complcxusque suis ramos, ut mcmbrn, lacerlis, 555
Oscula dat ligno; refugit tameu oscula lignum.
Cui deus : « At conjux quoniam mea non poles psse,
Arbor eris certe, dixit, mea. Semprr bal>eburit
Te coma, tecitharae, te nostrae, laure, pharelraj.
\
50 :ifiTAMORPlIOSES.
carquois. Tu serviras d'ornement aux guerriers du Lalium, lors-
que retentiront les cris joyeux de la victoire et que le Capitole
verra se deployer ses pompes triomphales. Gardienne fid^le du
palais des Cesars, lu en ombrageras les portes ; tu prol^eras la
couronne de ch^ne suspendue pres de loi ; et, comme ma che-
velure brille d'une eternelle jeunesse, ton feuiUage conservera
toujours sa fraicheur. » Des qu'ApoHon eut cess^ de parler, le
nouveau laurier s'inchna, et parut asfiter sa l^te en signe d'ap-
probation.
N^TAMORPUOSE d'i0 EM GENISSE £T DE SYBINX £N KOSEAU. — MORT
D*ARGUS. — NAISSANCE D'6pAPHUS.
IX. 11 est dans rilemonie une valiee qu'une abrupte forfet encl6t
de toules parts : on Tappelle Tempe. Cest h travers cette vallee
que, sorti desflancs du Pinde, le Penee roule ses ondes ecumeuses.
Sa bruyante cascade souleye un brouillard qui se dissipe en va-
peurs l^geres, et retombe en pluie sur la cime des arbres. Le
bruit fatigant de ses eaux retentit au loin. Cest le s6jour, la re-
traite sacree du fleuve puissant; c'est la qu'assis au fond d'un
Tu ducibus latiis aderis, quum Ista, triumphum 560
Vox canct, el longas visent Capilolia pompas.
Postibus augustis eadem iidissima custos
Ante fores stabis, mediamque tuebere qucrcum.
Ltque meum inlousis caput est juvenile capillis,
Tu quoque perpetuos semper gere froildis honorcs. » 565
Finierat Pisan. Factis modo laurea ramis
Annuit, ulque caput, visa cst agiiasse cacumen.
:0 MUTATUR IN VACCAM, SYRINX IN ARUNDINEM. — ARGUS NECATUR. —
NASCITUR EPAPHUS.
IX. Est nemus HaQmonia), prserupla quod undique claudit
Sllva. Vocant Tempe, per quas Peneus, ab imo
Effusus Pindo, spumosis volvitur undis, o70
Dejectuque gravi tenues agitantia fumos
Kubila conducit, summasque aspergine silvas
Impliiit, e( sonitu p!us quam vicina fatigat.
Uuic doimis, h;L'c spdes, ha;c suut penetralia magni ^75
Amnis In hoc, rrsidens facto de cautibus antro,
LIYnE L M
) taill^ dahs le roc il dicte des lois aiu (mdes ei aux Nym-
phes qui les hal»tent. La se r^unissent d^abord tous les fleum
de la oontrfe, inoertains s^ls doiTent fi&Iiciler ou consoler le
plie de Daphnd. G*dtaient le' Sperchius» oouronn^ de peupUera»
le fouguenx £nip^> le Tieil i^inadus, le paisiUd Ampfaryse et
r£as. Bientdt accourent d'autres fleuves, qui» emport&t par leur
courB imptoenx, et las de leurs d^tonrs, apportent k la mer ie
trilHit de leurs eaux. Inadius seul est absent. Raiiierm^ dans sa
grotte, il grossit les flots de seslarmes. Au comble du mallieur,
il pleure lo, sa fllle, comme s'il FeAt perdue. 11 ne sait si eHe vit
encore, ou si dle est descendue diez les ombres. Mais, ne la
trouTant nulle part» il pense qu'die n'existe plus. Son imagination
hii fait mdme craindre de plus grands malheurs. Jupiler avait yu
lo reyenir du fleuYO qui lui donna le jour : c Jeune beaut^ digne
de Jupiter, et dont la couehe doit rendre heureux je ne sais quel
mortd» Ta dans les bob jouir de la fratcheur, lui dit>il en lui
montrant rombrage des arbres. La chaleur est Tive, et le soleit
oocupe le plus haut polnt de sa course. Si tu crains de p^n^trer
seule dans la demeure des b^tes sauvages, prot^^e par un dieu,
tu pourras favancer jusqu*au fond des bois. Je ne suis pas un dicu
Undis jura dabat, Nympbisque coleDtibus undas.
Conveniunt iUuc popularia fiumina primura,
Ncscia gratentur, consolenturne parentem,
Populifer Spercheos, et irrequietus Enipeus,
Apidanusque sencx, fenisque Ampbry»os et .€as ; oSO
Moxque amncs alii, qui, qua lulit impetus illos,
In mare deducunt fessas crroribus undas.
Inacbus unus abest, imoque reconditus antro
Fletibus auget aquas, natamque miserrimus lo
Luget, ut amissam. Nescit, Tilane fruatur, ;;gr>
An sit apud manes. Sed quam non invcuit usquam,
Es!»c putat nusquam, alquo animo pejora vereUir.
Viderat a patrio redeuntem Jupitcr lo
Flumine, et: « 0 virgo Jove digna, tuoque beatum
Nescio quem fuclura toro, pele, dixerat, umbras 590
Altorum nemorum, et nemorum moDstravorat umbrc ,
Dum calet, et nicdio sol est allissimus orbo.
Quod si sola times latebras intrarc feraruin,
Pru'»ide tuta deo uemorum secreta subibis.
3'i HETAUORPHOSES.
vulgaire : je porte le sceptre puissant des cieux ; t;'est moi qui
lance la foudre dans les airs. Ne me fuis pas. » Elle fuyait en
elTel. Deja elle avait depasse les pSturages de Leme et les plaines
de Lyrcee, parseniees d'arbres. En ce moment, Jupiter derobe
lo a tous les yeux dans un nuage qui enveloppe au loin la terre,
Farr^te dans sa fuite et triomphe de sa pudeur.
Cependant Junon abaisse ses regards sur la campagne. Elle s'6-
tonne qu'un nuage passager ait repandu les ombres de la nuit au
milieu du jour. EUe voit que ce n'est pas une vapeur sortie d'un
fleuve ou de la surface humide du soL EUe cherche d un oeil
inquiet ou est son epoux; car elle sait combien de fois il fut cou-
pable d'amours ill^gitimes. Ne pouvant le trouver dans le ciel :
i Je m'abuse, dit-elle, ou je suis outrag^e. » Du haut de TEm-
pyr^e elle s'elance sur la terre, et commande a la nue de se dissi-
per. Jupiter avait pr^vu Tarrivee de son epouse, et avait chang^
la fille dlnachus en une superbe genisse. EUe est encore belle
sous celte forme. Junon Tadmire, quoiqu'k regret. Elle s'informe
k qui elle appartient, de quel pays elle est, et de quel troupeau»
eomme si la v6rit6 ne lui etait pas connue. Pour mettre fin a ces
Nec de plebe deo, sed qui coelesUa magna r>95
Sceptra manu teneo, sed qui vaga fulmina mitto.
Ne fuge me; » fugiebat enim. Jam pascua LernsB,
Consitaque arboribus Lyrceia reliqueral arva ;
Quum deus inducta latas caligine terras
Occuluit, tenuitque fugam, rapuitque pudorem. 600
Interea medios Juno despexit in agros,
Et noctis faciem nebulas fecisse volucres
Sub nitido mirata die, non fluminis illas
Esse, npc humenti sentit tellure remitli ;
Atque suus conjux, ubi sit, circumspicit, ut qu» €05
Deprensi toties jam nosset furta mariti.
Quem postquam coelo non repperit : « Aut cgo fallor,
Aut ego laedor, » ait; delapsaque ab aethere summo,
Gonstitit in terris, nebulasque recedere jussit.
Conjugis adventum praesenserat, inque nitenlem 610
Inachidos vultus mutaverat ille juvencam.
Bos quoque formosa est. Speciem Saturnia vaccae,
Quanquam invita, probat; nec non et cnjus, et undC;
Quove sitarmento, veri quasi nescia, quoeiit.
LTVRE I. 35
qaestions, Jupiter imagine de dire qu'ellc est sortie de la terre.
Junon la demande comme un don. Quel parli prendre? n est cruel
de livrer Tobjet de son amour ; mais un refus serait suspect. La
honte lui sugg^re une r^soiution ; Tamour Ten detourne. La honte
eiit cede a Tamour ; mais un don si i^er, une g^nisse refus^ a
sa soeur, a la compagne de sa couche, peut faire croire que ce n'est
pas une genisse.
Maitresse de sa rivale» Junon n'est pas d^livree de toute inqui^
tude. EUe craint Jupiter et de nouveaux larcins, jusau'a ce qu*elle
ait pr^pos^ a la garde d'Io Argus, fils d'Arestor. Cent yeux cou-
ronnaient sa tSte : deux se fermaient tour a tour; les autres veil-
laient, sentinelles toujours attentives. Quelle que filt la place
d'Argus, ses regards tombaient sur lo ; elle etait sous ses yeux,
lors mSme qu'il se tournait du cdte oppos^. Le jour, il lui permet
de pdtre; mais, quand le soleil est cach^ sous lliorizon, il Ten-
ferme et attache a son cou dMndignes liens. Les feuilles des arbres
et des herbes am^res lui sen-ent de nourriture; la couche ou re-
pose rinfortunee, c'est la terre que le gazon ne couvre pas tou-
jours; ellea pour boisson une eau bourbeuse. Veut-elle supplier
Jupiter e lerra genitam mcnliliir, ut auclor C15
Desinat inquiri. Tetit hanc Satumia munns.
Quid faciat? Crudele suos addicere anioros ;
Non dare, suspectum. Pudor estqui snadeat illinc;
llinc dissuadet amor. Victus pudor esset amore ;
Sed, leve si munus socix gencnsque toriquc 62«)
Vacca negaretur, poterat non vacca videri.
PeHice donata, non protinus exuit omncm
Diva metum, timuitque jovem, et fuit anxia furti,
Donec Arestoridae servandam tradidit Argo.
(^entum luminibus cinctum caput Argus babebat. C2.)
Inde suis vicibus capiebant bina quietem ;
Caetera servabant, atque in statione manebant.
Constiterat quocumque modo, spectabat ad lo :
Ante oculos lo, quamvis aversus, habebat.
Luce sinit pasci. Quum sol tellure sub alta est, C30
r.laudit, et indigno circumdat vincula coUo.
Frondibus arboreis, et amara pascitur herba ;
Proque toro, terrs, non semper gramen habenti,
Incubat infelix, limosaque flnmina polat.
5i METAMORPHOSES.
Argus et lui tendre ses bras, elle ne les trouve plus. Veut-elle se
plaindre, des mugisseaients s'echappent de sa bouche; elle en re-
doute le bruit : sa voix r^pouvanle. Elle s'approclie aussi des rives
qui furent souvent le theatre de ses jeux, des rives de rinachus.
P6s qu'elle aper^oit ses cornes dans Tonde, elle frissonne et rc-
cule d'effroi.
Les Naiades et Inachus lui-mSme ignorent qui elle est. Eile suit
son pere et ses soeurs, se laisse caresser et s^offre d'elle-ni^.me a
leurs regards surpris. Le vieil Inachus cueille des herbes et les
lui presente. Elle leche ses mains, couvre de baisers les bras de
son p6re, et ne peut relenir ses larmes. Si elle pouvait parier, elle
implorerait son secours, elle dirait son nom et ses malheurs. Ifeds,
a d^faut de paroles, des caracteres traces par son pied sur la pous-
siere ont revele sa fatale metamorphose. « Malheureux que je
suisl » s'6crie Inachus; et il reste suspendu aux cornes de la
genisse plaintive et a son cou d'albMre. « Malheareux que je
suis ! s'ecrie-t-il encore. Es-tu bien ma fille que j'ai cherchee dans
le monde entier? Avant de favoir trouvee, ma douleur etait plus
leg^re qu'au moment ou je te revois. Tu gardes le silence ; ta voix
llla cliam supplex Argo quum brachia v&llut C35
Tendere, non habuitquae brachia tenderet Argo;
Conatoque queri mugitus edidit ore,
Perlimuitque sonos, propriaque exterrila voce est.
Yenit et ad ripas, ubi ludere ssepe solebat,
Inachidas ripas. Kovaque ut conspexit in unda 040
Cornua, pertimuit, seque externata refugit.
Naides ignorant, ignorat et Inachus ipse,
Qu8B sit. At illa palrem sequilur, sequiturque sorores,
Et patitur tangi, seque admirantibus offcrt.
Decerptas senior porrexerat Inachus herbas. 645
Illa manus lambit, patriisque dat oscula palmis,
Nec retinet lacrymas ; et, si modo verba sequantur,
Oret opem, nomenque suum, casusque loquatur.
Littera pro verbis, quam pes in pulvere duxit,
Corpuris indicium mutati triste peregit. 6^)0
« Me miserum ! » exclamat pater Inachus; inquegemends
Cornibus, et niveae pendens cervice juvenca;,
« Me miserum! ingeminat. Tunc es quaesita ppr omncs,
Nata, mihi terras? Tu non inventa reperta
Luctus eras levior. Retices, nec mutua nostris 655
LIVRE !. 35
ue rep'_xid pas a la mienne. Seulement, du fond de ton coeur s'6-
diappent des soupirs; et tout ce que iu peux, c'est de repondre
a mes paroles par des mugissements. Et moi, ignorant ion des-
tin, je preparais pour toi la couche nuptiale et tes flambeaux
d*hymenee ! J'esp^rais un gendre et des neveux. Maintenani c'est
dans un troupeau que tu dois cherclier un epoux, c'est la que (u
dois chercher des enfants; et la mort ne peut mettre un ierme
amon chagrin immense! Je souffre d'Stre immoriei. La mort me
ferme ses abimes, et ne laisse a raa douleur d'autres bomes que
retemite ! » Cest ainsi que s'exhale son chagrin. Argus, doni les
yeux sont comme autant deloiles, eloigne lo, Tarraclie des bras
d'un pSre, et Teniraine dans d'autres paturages. Ensuiie il va se
poster a quelque distance, sur le sommet d'une montagne, d'ou
i! promene partout ses regards.
Le maitre des dieux ne peui voir plus longtemps la socur dc
Phoronee accablee d'une si grande inforiune. II mande le fiis que
luidonna une briliante Pleiade, et lui ordonne de livrer Argus au
trepas. Au m^e insidnt» Mercure attache ses ailes a ses pieds,
saisitsa baguette puissanie qui repand le sommeil, ei rcY^l sa tStc
d'un casque. Ainsi pare, il s'elance des cieux vers la terre. La il
Dicla refers ; allo lantum suspiria ducis
Pectore ; quodque uuum potes, ad raea verbu renuigi<!i.
At tibi ego ignarus thalamos tacdasque parabaiu ;
Spesque fuit generi mihi prima, secunda nepotum.'
De gregc nunc tibi vir, nuuc dc grege natus habendus. 060
Nec finire licet tantos mihi raorte dolores-.
Sed nocet esse dcum ; prxclusaque janua lcli
.l^^temum uostros luctus extendit in aevuml >
Talia moereuli stellatus submovet Argus,
Ereptamque patri diversa in pascua natam 6Co
Abstrahit. Ipsc procul moutis sublime cacumen
Occnpal, unde sedens partes speculetur iii ornnc?.
Nec Superum rector raala lanta Photonidos ullra
Ferre potest, nalumque vocat, quem lucida partu
Plcias enixa est, letcque det, imperat^ Argum. 070
Parva mora csl, alas pedibus, virgamque potenli
Somniferam sumpsisse manu, legiraenque capillisi
II.TC ubi disposuit, palria Jove nalus ab arce
Debiiit in terras. Illis togimcnque removit^
30 METAUOUPiiOSES.
quitte soii ciisque, depose ses ailes et ne garde que sa baguetle.
Sous Texterieur dun berger, il conduit avec elle, a travers uii
chemin d^tourne, les ch^vres qu'il a enlevees en se rendant au-
pr^s d'Argus. 11 fabrique un chalumeau et se met a chanler. Ces
accents nouveaux ravissent le mbiistre de Junon. « £tranger,
qui que tu sois, dit Argus, tu peux te reposer avec moi sur ce
rocher. Nulle part les troupeaux ne trouvent de plus gras pAtu-
rages, et lu vois que cette ombre est propice aux bergers. » Le
petit-fils d'Atlas s'assied ; ii charme par de longs entretiens les
heures qui s'ecoulent; et, par ses chants unis aux sons du cha*
iumeau, il cherche a endormir la vigilance d^Argus. Gelui-ci lutte
contre les douceurs du sommeil qui a deja ferme quelques-uns
de ses yeux. Cependant il veille encore. La flule venait d'6tre in-
venlee. II demande comment elle fut decouverte.
Le dieu lui repond : « Au pied des frais coteaux de TArcadic,
parmi les Hamadryades de Nonacris, etait une Nymphe cel^re.
Scs compagnes Tappelaient Syrinx. Plus d'une fois elle avail
echappe aux poursuites des Satyres et des autres dieux qui lia-
bitent les bois sombres ou les plaines dc cetle contrde fertilc.
Et posuil pennas ; tantummodo virga retenta cst. G75
Uac agit, ut pastor, per devia rura capellas,
Dum venit abductas, et structis cantat avenis.
Voce nova captus custos junonius : « At tu,
Quisquis es, hoc poteras mecum considere saxo,
Argus ait , neque enira pecori fecundior uUo 680
Herba loco est, aptamque vides pastoribus umbraui. »
Sedit Atlantiades, et euntem multa loquendo
Detinuit sermone diem, junctisque canendo
Vincere arundinibus servantia lumina tenlat.
llle tamen pugnat niollcs evincere somnos ; 685
Et, quamvis sopor est oculorum parte receptus,
Parle tamen vigilat; querit quoque (namquc reperla
Fistula nuper erat), qua sit ratione rcperla.
Tuffi dcus : « Arcadiae gelidis sub monlibus, iuquit,
Inler Hamadryadas celeberrima nonacrinas ^ 6^0
Naias una fuit. Kymphae SjTinga vocabant.
Non semel el Salyros eluserat illa sequenlcs,
Et quoscumque deof umbrosave silva, fcraxvo
Dua habet. Orlygidm studiisi, ipsuquc colebat
LIYRE I. 37
Youee au culte de Diane par son gout pour la diasse et par sa
Ghastete» eile en portait aussi le costume. On VeHi confondue avec
la fiile de Latone et prise pour elle, si elie n'avait port6 un arc
de come, tandis que celui de ia deesse est en or; et m^me on
s'y trompait encore. Au moment ou eiie revient du mont Lycee,
Pan, ie front lierisse d'mie couronne de pin, ia voit et iui parle
en ces termes... » li lui restait a rapporter ies paroles du dieu, a
dire comment ses voeux furent dedaign^ par ia Nymphe, qui s'en-
fuit a travers des sentiers inconnus, jusque sur les horda sabion-
neux du paisible Ladon; comment, parvenue i^ et arr^lde par les
eaux, elie conjura ses soeurs de se depouiiler de ieur fluidit^ pour
prendre une forme nouvelle; comment le dieu, croyant saisir
deja ia Nymphe, a la piace du corps de Syrinx, n'embrassa que
des roseaux et ieur confia ses soupirs ; comment aussi i'air agite
dans ies roseaux, ayant produit un son leger, semblabie a une
plainte, le dieu, charme du nouvei instrument et de son harmo-
nie, s'^ia : « Yoilk le iien de notre ^temeile aliiance ! » enfiu
comment des roseaux, de grandeur inegale, unis par ia cire, con-
serverent ie nom de ia jeune Nymphe. Mais, au moment de faire
ce recit, Mercure voit ies yeux d'Argus se fermer, et le sommeil
Virginilale deam ; rilu quoque cincla Dianaj 695
FaUeret, et credi posset Latonia, si non
Comeus huic arcus, si non foret aureus ilii.
Sic quoque fallebat. Redeuntem coUe lycxo
Fan videt hanc, pinuque caput praecinclus acula,
Talia verba refcrt... » Restabat verba relerre; 700
£t precibus spretis fugisse per avia Nympham,
Donec arenosi placidum Ladonis ad umnem
Vcnerit ; hic illi cursum impedicntibus undis,
Ut sc mutarent, liquidas orasse sorores;
Panaque, quum prensam &ibi jam Syringa putaret, 705
Corpore pro Nymphae calamos tcnuisse paUislres ;
Duinque ibi suspirat, motos in arundine veulos
Effccisse sonum tenuem, similemque qucrcnli ;
Artc nova, vocisquc deum dulcedine caplum :
« Hoc mihi concilium tecum, dixisse, mancbit ; » 710
Atque ila disparibus calamis compagine cer»
Inter sc junctis nomen lcnuissc puella^.
Talia dicturus, vidit Cyllenius omues
Succubaisse oculos, adopertaque lumina somno.
38 METAMOBPHOSES.
appesantir ses paupieres. Soudain il se tait, et rerid son sommeil
plus profond en promenant sur ses yeux sa baguette magique.
Aussit6t la t^te dWrgus sUncline. Mercure la frappe avec sa serpe
k Tendroit ou elle se joint au cou ; puis, il la jelte toute sanglante
contre un roc escarpe qu'elle rougit. Argus, te voila donc sans vie.
Eile est eteinte, cette lumiere qu'absorbaient les regards, et tes
cent yeux ne plongent plus que dans l'etemelle nuit. La fille de
Saturne les recueille, en parseme les plumes de Toiseau qui lui
est consacre, et les repand sur sa queue comme autant de pierre-
ries etincelantes.
Junon eclate aussitdt, et sa colere n'admet point de retard. Elle
offre rhorrible Tisiphone aux yeux et a la pensee de TArgienne ai-
mee de Jupiter, et lui inspire une aveugle fureur qui Temporte
errante dans tout l^univers. 0 Nil ! tu restais pour derni^re limite
k ses immenses fatigues ! A peine a-t-elle touch^ les eaux du fleuve,
a peine a-t-elle plie les genoux sur ses bords, que son cou se
penche en arriere et sa t6te se dresse. Ne pouvant elever que ses
regards vers le ciel, elle les y tient fixes. Par des soupirs, des
pleurs et un mugissement lamentable, elle semble se plaindre a
Jupiter et lui demander la fin de ses maux. Le dieu presse son
Supprimii extemplo vocem, firmatque soporem, 7iH
Languida permulcens medicata lumina virga.
Ncc mora, falcalo nutantem vulnerat ense,
Qua coUo confine caput, saxoque cruentum
Dejicit, et maculat pracruptam sanguine caulem.
Arge, jaccs, quodque in tot lumina lumen habebas '^
Exstinctii^n est, centumque oculos nox occupat una.
Excipit Iios, volucrisque susb Saturnia peunis
Collocat, ct gemmis caudam stellantibus implet.
Proiinus exarsit, nec tempora distulit ine,
Uoirifcramque oculis animoque objecit Erinnyn 725
Pellicis argolicu!, stiraulosque in pectorc caccos
Gondidit, et profugam per totum lcrruit orbem.
Ultimus immenso rcstabas, Niie, labori.
Quem simul ac tetigit, positisque in margino ripsc
Procubuit geuibus, resupinoque ardua collo, 750
Quos potuit, solos toUens ad sidera vultus,
El geniitu, ct lucrymis, ct luctisono mugitu
Ciim Jovo visa qucri cst, Unemquc orarc malorura.
LtVHE I. . 30
^use dans ses bras, et la conjure de mettre un terme k sa vcn-
geance. t Ne finqui^e pas de Tavenir, lui dit-il; jamais cetle ri-
Tale ne te causera de chagrin. » Et il veut que le Styx recueille sa
promesse. Junon s'apaise. lo reprend sa premi^re forme, et de-
\ient ce quVlIe fut autrefois. Ses poils tombent, ses oomes dispa-
raissent, Torbite de ses yeux se retrecit, sa bouche se resserre, ses
q[)aules et ses mains reprennent leur place, ses pieds s'aIlongent
endnq orteils; enfm elle ne conserve de la g^nisse que son ^la-
tante blancheur. Deux pieds suffisent k la Nymphe. EUe se redresse ;
mais elle n'ose parler, dans la crainte de mugir comme une ge-
nisse. Elle ne hasarde que des paroles interrompues et timides.
Deesse aujourd'hui, elle re^oit les hommages de pr^tres nonn
breux rev^tus de lin.
On lui donne pour fils ^paplius, n^, dit-on, du sang illustre de
hipiter. L'£gypte a joint ses autels k ceux de sa m^re. D avait le
m^e caracl^re et lem^me Sge quePhaethon, fils duSoleil. Un jour
oelui-ci, par jactance, ne voulut pas c^der a £paphus, qui s'enor-
gueillissait d'avoir Phebus pour p6re. Le petit-fils d'hiachus fut
indign^ de ses pretentions. « Insense ! lui dit-il, tu crois aux im-
Conjugis ille suae complexus colla lacerlis,
Flniat ut pcpnas tandcm, rogat : « Inque fulurum 755
Ponc metus, inquit, nunquam tibi causa doloris
Uacc cril; * ct stygias jubet hoc audire paludes.
Ut lenila dea est, vultus capit illa priores,
Fitquc, quoil anle fuit. Fugiunt e corpore setoi,
Cornua decrescunt, fit luminis arctior orbis, 7^^
Contrahitur riclus, redeunt humerique roanusquc,
Ungulaquc in quinos dilapsa absumitur ungucs.
Dc bove nil superest, formae nisi candor, in illa.
Orficioquc pedum Nymphc conlenta duorum
Erigitur, mctuitquc loqui, nc morc juvencae Tio
Uugiat, et timide vcrba intermissa rctentat.
Nunc dca linigera colitur cclcbemina turba.
Uuic Epaphus magni genitus de scniiue tandem
Crcdilur csse Jovis, perque urbes juncia poicnti
templa lenet. Fuit huic animis sequalis ct «mnis loO
Solc satus Phaethon, quem quondam niagna loquentem,
Mec sibi ccdcntem, Phceboque parenle superbum,
Kon tulit Inachides, « Matrique, ait, omnia dcmcns
40 • METAMORPHOSES.
postures de ta mSre, et tu te glorifies d'un pere qui n'est pas le
tieul » Pbaethon rougit; la honte etouffe sa colere; il court de-
noncer cet affront sanglant a Clymene. « Pour comble de dou-
leur, 6 ma m^re I dit-il, moi, si ind^pendant et si fier, j'ai dA gar-
der le silence. Quel opprobre ! j'ai re^u un tel outrage sans pouvoir
le repousser 1 Ah ! si je suis du sang des dieux, efface la tache im-
primee a mon illustre origine, et montre que le ciel est ma pa-
trie l» A ces mots, il se jette au cou de sa m6re ; il la conjure
par sa t^te, par celle de Merops et par Thymen de ses soeurs, de
lui faire connailre son pere a des signes certains. Touchee des
pri^res de Pbaethon, ou peut-toe plus sensible encore au crime
qui lui est impute, Clymene leve ses bras au ciel) et, les yeux
fixes sur le soleii : <c Au nom de cet astre, ocean de lumiere, qui
nous ecoute et nous voit, je ie jure^ 6 mon fils ! dit-elle, le Soleil
que tu contemples, ie Soleil qui regle le monde, est ton pere. Si
je fabuse, que ses rayons ne se montrent plus a moi, et que ce
jour soit pour moi le dernier ! li ne te sera pas difficile de con-
naitre le palais ou tu es ne : ies portes de I*Orient touchent a cette
contree. Si tu le desires, monte, et interroge \e Soleil lui-m^me. »
Crcdis, el cs tumidus genitoris imagine falsi. »
Erubuil Piiaetlion, iramque pudore repressit, 755
El tulit ad Ciymenen Epaphi convicia matrem.
« Quoque magis doleas, genitrix, ait, ille ego liber,
lilc ferox tacui. Pudet haec opprobria nobis
Et dici potuisse, et non potuisse repelli.
Al lu, si modo sum coelesti stirpe crcatus, 760
Ede notam tanti generis, meque assere coelo. »
Dixit, et iraplicuit materno brachia collo,
Pcrquc suum, Meropisque caput, taedasque sororura,
Tradcrcl, oravit, vcri sibi signa parentis.
Ambiguum, Clyraene precibus Phacthontis, an ira 7G5
Mota magis dicti sibi criminis, utraque ccelo
Brachia porrexit, spectansque ad lumina solis:
« Per jubar hoc, inquit, radiis insigne coruscis,
Nate, tibi juro, quod nos auditque videtque;
Uoc te, quem spectas, hoc te, qui temperat orbem, 770
Sole satum. Si ficta loquor, neget ipse videndum
Se mihi, sitque oculis iux ista novissima nostris.
Nec longus labor est patrios tibi nosse penates :
Unde oritur, domus est terrae contermina nostrte.
Si modo fert animusi gradere, et scitabei-e ab ipso. » 775
i
LIYUE I. 4i
A ces paroles de sa m^ro, Phaethon, Iransporli^ de joio, so croil
deja dans les cieux. II franchii Tlnde ct r£thiopie, en proio a tous
les feux du soleil, et parvient en toute h^te aux lieux que son pc^re
eclaire de ses rayons naissants.
Emicat extemplo Isetus post talia malris
Dicta suaB Phaethon, el concipit aethera menle;
^thiopasque suos, positosque sub ignibus Indos
Sidereis transit, patriosque adit impiger orlus.
LIVRE DEUXIEME
PnAETHON DEMANDE i CONDUIRB LE CUAR DU SOLEIL. — FRAPP^ DB LA
FOUDRE, IL EST PR£gIP1t£ DU CIEL. — SES S(EUAS SONT CHANG^fiS
EN PEUPLIERS.
I. Le palais du Soleil s'elevait sur de hautes colonnes, tout bril-
laiit d'or, lout 6tincelant du feu des pierreries. Un ivoire eclatant
en coiTonnait le faite, et ses doubles portes d'argent rayonnaient
d'une lumiere ^blouissante. L'art surpassait la matiere. Le ciseau
de Vulcain y avait represente rOcean qui enveloppe la terre, la terre
elle-mSme et rimmense voiite des cieux, les dieux de la mer,
rharmonieux Triton, le changeant Prot^e, £g^on pressant deses
bras les enormes baleines, Doris et ses filles. Les unes semblent
nager ; les autres, assises sur un roc, font secher leurs cheveux
LIBER SEGUNDUS
PnAETHON CURSUS SOLARIS IMPERIUM AD DIEM PETIT. — FILMIXE PERCUSSUS
E COJLO DEJICITUR. — PHAETilONTIS SORORES IN POPULOS MUTANTUR.
Rogia Solis erat sublimibus alla columnis,
Clara micanle auro, flammasquc imitanle pyropo.
Cujus ebur nitidum fastigia summa tencbat; ^
Argenti bifores radiabant lumine valvse.
Materiem superabat opus ; nam Bfulcibcr illic 5
^quora caelarat, medias cingentia terras,
Terrarumque orbem, ccelumque, quod imrainet orbi.
Cxrulcos habet unda deos : Tritona canorum,
Proleaque ambiguura, balxnarumque prementem
MgXiOna suis immania. terga lacertis, 10
Doridaque, et natas. Quarum pars nare videnlur,
Fars in mole scdcns virides siccarc capilios;
LIYRE II. i"»
d'azur; quelques autres voguent sur des poissons. Toutes, sans
aToir le m^me visage, ont un air de ressemblance qui convient k
des soeurs. Sur la terre figurent les hommes, les villes, les forSls,
les bStes sauvages, les fleuves, les Nymphes, et toutes les divinit^
champ^tres. Au-dessus s'61eve la sph^re brillante des cieux : six
constellations sont placees a droite et six a gauche.
Dejalefils de Clymene a gravi le sentier qui couduit a ce palais.
Parvenu dans la demeure de celui qu'il avaft hesit^ k reconnaitre
pour son pere, il porte soudain ses pas vers lui ; mais il s'arrSte h
une certaine distance pour n'6tre pas offusque de son eclat. Cou-
vert d un manteau de pourpre, Phebus etait assis sur un trdne
resplendissant d'emeraudes. A droite et a gauche se tenaient les
iours, les Hois, les Annees, les Si^cles et les Heures s^par^es par
des intervalles 6gaux. On y voyait debout le Printemps, couronn6 de
fleurs nouvelles ; Vtl^ nu, portant des guirlandes d'epis ; TAu-
tomne, tout noirci des raisins qu'il a foul^s, et le glacial Hiver,
herisse de cheveux blancs. Au milieu de tant de merveilles, le
jeune Phaethon est vivement frappe de la nouveaute de ce spec-
tade. Le Soleil jette sur lui ce regard qui embrasse runivers.
Pisce vehi quaedam. Facies non omnibus una,
Nec diversa lamen, qualem decet esse sororum.
Terra viros, urbesque gerit, silvasque, ferasquo, 1J)
Fluminaquc, et Nymphas, cl cxtera numina ruris.
Hsec super imposita est cceli fulgentis imago,
Signaque sex foribus dextris, totidemque sinistris.
Quo simul acclivo clymencia limitc proles
Venit, et intravit dubitati tccta parcntis, 20
Protinus ad palrios sua fert vestigia vultus,
Consistitque procul; neque enim propiora ferebal
Lumina. Purpurea velatus veste sedebat
In solio Phoebus, claris iucente smaragdis.
A dextra laBvaque, Dies, et Mensis, et Annus, 'il\
Seculaque, et positae spatiis sequalibus Hor.T.
Verque novum stabat, cinctum florente corou.i ;
Stabat nuda ^stas, et spicea serta gerebat;
Stabat et Autumnus, calcatis sordidus uvis,
Et glacialis Hiems, canos hirsuta capillos. r>0
Inde loco medius, rerum novitate paventem
Sol oculis juvenem, quibus aspicit omnia, vidit.
/4 MftTAMORPHOSES.
« Quel motif fam^ne en ces lieux, hii dit-il, et qu'y viens-lu
chercher, Phaethon, 6 mon fils ! toi que ton pere ne saurait dfe-
avouer? » U repond : « Flambeau du monde, 6 Phebus! 6 mon
p6re! si vous me permettez de vous donner ce nom; si Glymene
ne cache point sa faute sous une apparence trompeuse; auteur de
mes jours, prouvez-moi par un gage infailhble qiie je suis votre
fils, et d61ivrez-moi du doute qui m^agite. »
II dit. Son pSre depose les rayons qui brillent autour de sa
tMe, rinvite a s^approcher davantage, et, le pressant dans ses
bras : « Non, dit-il, tu ne dois pas §tre desavoue par moi. Gly-
mene ne t'a point trompe sur ta naissance ; et, pour que tu n'en
doutes pas, demande-moi un gage quelconque de ma tendresse :
tu Tobtiendras. J'en atteste le fleuve par lequel jurent les dieux
et que mes yeux ne voient jamais. » A ces mots, Phaethon demande
la permission de diriger un seul jour le char du Soleil et de con-
duire ses rapides coursiers.
Son p^re se repenl de sa promesse, et, secouant plusieurs fois
sa t6te rayonnante : « Ta demande, dit^il, a rendu mon serment
t^meraire. Que ne puis-je le retirer! Je l'avoue, c'est la seule
4t Qusque viae libi causa? qnid hac, ait, arce petisti,
Progenies, Phaethon, haud inficianda parenti? »
Ille refert : « 0 lux immensi publica mundi, 35
PhoBbe pater, si das hujus mihi nominis usum,
Nec falsa Clymene culpam sub imagine celat;
Pignora da, genitor, per quse tua vera propago
Gredar, et hunc animis errorem detrahe nostris. »
Oixerat. At genitor circum caput omne micantos 40
Deposuit radios, propiusque accedere jussit ;
Amplexuque dato : « Nec tu mcus esse negari
Dignus es, et Clymene veros, ait, edidit ortus.
Quoque minus dubites, quodvis pete munus, ut illud,
Me tribuente, feras. Promissis testis adesto 45
Dis juranda palus, oculis incognita nostris. »
Vix bene desierat, currus rogat ille paternos,
Ii)que diem alipedum jus et moderamen equomm,
Pffinituit jurasse patrem, ]ui terque quaterque
Concutiens illustre caput : « Temeraria, dixit, !iO
Vox mea facta tua est. Utinara promissa liceret
Non dare! confileor, solum hoc tibi, nate, negarem.
LIVRE 11 45
diose que je te refuserais, 6 mon fils ! Je puis du moins te dis«
saader. Ton voeu n'est pas sans peril. Phaeihon, Iq^t^che ou tu
aspires est grande : elle ne convient ni k tes forces ni a ta jeu-
nesse. Ton destin est d'un homme, ton ambition est d'un dieu.
Sans le savoir, tu veux farroger une prerogative que n'ont pas
m6me les immortels. Qu'ils soient fiers de leurs privileges, j y
consens ; mais nul autre que moi n'a le droit de s'asseoir sur mon
char de feu. Le maitre de rOlympe lui-mSme, dont la puissante
main lance la foudre terrible, ne saurait le conduire ; et cepen-
dant qu'y a-t-il de plus grand que Jupiter? La route, k Tentr^
de ia carriere, est escarpee. k peine, 1e matin, mes coursiers ra-
firaichis par le repos peuvent-ils la gravir. Au milieu du ciel, sa
liaateur est immense. De ce point, souvent saisi moi-m^me de
terreur, je n'ose jeter les yeux sur la terre et ies flots. A son de-
clin, la pente est abrupte et demande une main si!ire. Quand j'y
suis parvenu, Tethys, qui me re^oit dans ses ondes, tremble tou-
jours de m'y voir precipit^.
• Que dis-je I le ciel est soumis a une etemelle revolution qui
enlraine et fait rouler les astres dans un cercle rapide. Je monte
en sens oppose, resistant au mouvement qui emporte tous los
Dissuadere licet. Non est lua tnta voluntas.
llagna pelis, Phaethon, et quse nec viribus istis
llunera conveniant, nec tam puerilibus annis. 55
Sors tua mortalis ; non est mortale quod optas.
Plus etiam, quam auod Superis contingere fas sit,
Nescius affectas^Haceat sibi quisque licebit ;
Non tamen ignifeco quisquam consistere in axe
Mc valet excepto. Vasti quoque rector Olympi, GO
Qui fera terribili jaculalur fulraina dcxtra,
.Non agat bos currus; et quid Jove majus habomus?
Ardua prima via est, et qua vix mane recentcs
Enitantur equi. Medio est altissima ccelo,
Unde mare et terras ipsi mibi saipe videre Co
Fit timor, et pavida trepidat formidine pectus.
Ullinia prona via est, et eget moderamine- ccrlo.
Tiinc etiam, quos me subjectis excipit undis,
Ne ferar in prsceps, Tethys soiet ipsa vereri.
« Adde, qnod assidua rapitur vertigine coelum, 70
Sideraque alta trahit, celerique volumine torquet.
Nitor in adversum, nec me, qui caetera, vincit
40 METAMOUPIIOSES.
corps celestes, ct mon char s'avance par une route contraire. Sup-
pose qu'il te soit confie. Que feras-tu ? Pourras-tu lutter contre
l'impetueux mouvement des pdles et de Taxe des cieux? Peut-etre
ton imagination y place-t-elle des bocages, des viUes, des maisons,
des temples enrichis d'offrandes. Loin de la : partout des pi^ges el
des monslres sauvages. Lors mtoe que tu ne devierais pas un
instant, il te faudra passer a travers les cornes du taureau f oume
du cote de rOricnt, Tarc du Gentaure, la gueule mena^te du
Lion, les redoutables pinces du Scorpion qui embrassent un long
espace, et le Cancer qui couvre Tespace oppose. D'ailleurs, mes
coursiers, briiles par le feu qu'ils exhalent de leurs poumons, de
leur bouche et de leurs naseaux, ne sont pas faciles a gouvemer.
Quand leurs esprits s^echauffent, a peine souffrent-ils que je les
dirige : leur fougue resiste au frein.
« Prends garde, 6 mon fils! je faccorderais unefuneste fisivear.
Puisqu'il en est temps encore, modere tes desirs. Pour fassurer
que tu es issu de mon sang, tu r^clames un gage cerlain : je ie
Taccorde en tremblanl, et mes alarmes paternelles prouvent que
tu es mon fils. Vois mon visage altrisle! Que ne peux-tu lire aussi
Impelus, et rapiiio contrarius evehor orhi.
Finge dalos currus. Quid agas? polerisnc rolatis
0))vius irc polis, ne te citus auferat axis? 75
Forsitan et iucos illic, urbesque, domosque
Concipias animo, dclubraque ditia donis
Esse. Ver insidias iter est, formasque fcrarum;
Utquc viam tencas, nulloque errore iraharis,
Pcr tamen adversi gradicris cornua Tauri, W)
Hocmoniosque arcus, violentiquo ora Leonis,
Sa^vaque circuitu curvantcra brachia longo
Scorpion, atque aliter curvantem brachia Cancriim.
Nec tibi quadrupedes animosos ignibus illis, }
Ouos in pectorc habent, quos ore et naribus efflanl, X.'i
In promptu regcre cst. Vix mc paliuntur, ut acrcs ^
Incaluereanimi, ccrvixque repugnat habeiiis. ^
« At tu, funesli ne sim tibi muncris auclor, k
Kate, cavc ; dum resque sinit, lua corrigc vota. ^
Scilicet, ut nostro genitum te sanguinc crcdas, 00 w
Pignora ccrta petis ; do pignora ccrta timendo, W
Et patrio pater essc mctu probor. Aspicc vultus k.
Ecce moos, ntinamquc oculos in pectora po«sos ^'^.
LIYRE 11. 47
dans mon coeur pour y decouvrir les soucis qui le d^vorerit! Enfin
jette ies yeux sur tous les biens du monde ; demande un des tre-
sors que renferment le ciel, la terre et la mer : tu n*^prouvcras
point de refus. Je n'excepte qu'une seule chose, qui, h vrai dire,
est moins un don qu*un chatiment ; oui, c'est un ch^timent,
Phaeton, et non une grace que tu demandes. Insense ! pourquoi
meserrer tendrement dans tes bras ? M*en doute point, je Tai jure
par les eaux du Styx : tes vceux seront exauces ; mais puissent-ils
^e plus sages ! »
Tels furent ses deniiers avis. Rebelle a la voix de son pere,
Pbaeton persiste dans sa resolution et brtkle de diriger son char.
Apres avoir hesite longtemps, Apollon conduit eniin son fils pres
dusuperbe char, present de Vulcain. L'essieu, le timon et le con-
toor des roues ^taient d*or, et les rayons d'argent. Des topazes el
des pierreries semees avec art sur le joug refl^chissaient le vif
eclat dtt Soleil. Tandis que Tambitieux Phaeton admirait la mer-
veilleuse beaute de Touvrage, soudain rOrient s'empourpre defeux,
etlavigilante Aurore ouvre les portes de son palais jonche de roses.
Les ^toiles fuient ; Lucifer rassemble ieur essaim, et dispai*ait le
Inserere, et patrias intus deprendere curasl
Denique, quidquid habet dives, circumspice, mundus ; 93
Eque tot ac tantis coeli, terraeque, marisque
Posce bonis aliquid : nuUam patiere repulsam.
Deprecor hoc unum, quod vero nomine poena,
Non honor est; poenam, Phaethon, pro munere, poscis.
Quid mea colla tenes blandis, ignare, iacertis? 100
Ne dnbita, dabitur, stygias juravimus undas,
Ouodcumque optaris; sed tu sapientius opta. »
Finierat monitus. Dictis tamen ille repugnat,
Propositumque tenet, flagratque cupidine currus.
Ergo, qua licuit, genitor cunctatus, ad altos lOf)
Deducit juvenem, vulcania munera, currus.
Aureus axis erat, temo aureus, aurea summae
Curvatura rotae ; radiorum argenleus ordo.
Per juga chrysolithi, positxque ex ordine geromse,
Clara repercusso reddebant lumina Phoebo. liO
Dumque ea magnanimus Phaethon miratur, opusque
Perspicit, ecce vigil rutilo paterecit ab ortu
Purpureas Aurora fores, et plena rosarum
Atria. Diffugiunt stelle, quarum agmina cogft
48 M^TAMORPHOSES.
dernier de la voAle 6theree. ApoUon voit la terre et le ciel etinceler
de rubis, et la lune effacer jusqu'aux extremiles de son croissant.
Aussit6t il commande aux Ileures agiles d^atteler ses coursiers.
Dociles a ses ordres, les promptes messageres d^tachent de leur
cr^che, pour les soumetlre au frein, les coursiers vomissant la
filamme et repus d'ambroisie. Le dieu repand alors une essence
divine sur le front de son fils, afin qu'il puisse supporter les bru-
lantes atteintes du feu, et couronne sa tele de rayons. Puis, laissant
^happer de nouveau des soupirs qui presagent son deuil, il re-
prend ainsi :
« Maintenant, du moins, si tupeux suivre les conseils d'un p^re,
m^nage Taiguillon, 6 mon fils ! et serre fortement les rSnes. Mes
coursiers se pr^ipitent d'eux-m6mes ; la difficulte est de mod^rer
leur ardeur. £vite de diriger ta route le long de la ligne qui coupc
les cinq zones. Trac^ en ligne oblique et formant une large courbct
un sentier s'ouvre, circonscrit dans les limites des trois wmes dii
milieu. Fuis le p61e austral ainsi que rOurse unie aux aquilons,
et marche dans cette voie. Les roues de mon char y ont laiss^. une
visible empreinte. Si tu veux dispenser au ciel et a la terre wie
Lucifer, et cceli slatione novissimus exit. 1 IH
At pater ut terras, mundumque rubescere vidit,
Cornuaque extremse velut evanescere lunsB,
Jungere equos Titan velocibus imperat Horis.
Jussa desB celeres peragunt; ignemque vomentes,
Ambrosiae succo saturos, praesepibus altis l^
Quadrupedes ducunt, adduntque sonantia frena.
Tum pater ora sui sacro medicamine nati
Contigit, et rapidse fecit patientia flammae;
Imposuitque comae radios, praesagaque luclus
Pectore soUicito repetens suspiria, dixit : ^^t
« Si potes hic saltem monitis parere palernis,
Parce, puer, stimuHs, et fortius utere loris.
Sponte sua properant; labor esl inhiberc volantes.
Nec tibi directos placeat via quinquc per arcus.
Sectus in obliquum est lalo curvamine limes, 1S0
Zonarumque trium contentus fine, polumque
EfTugito australem, junctamque aquilonibus Arclon.
Hac fit iter; manifesta rotae vestigia cerncs.
Vtque ferant requos et cnelum et terra calores,
LIVRE II. 49
egale chaleur, maintiens le char dans un juste degre d'el^va-
tion. Trop haut, tu embraserais le ciel ; trop bas, tu incendie-
rais la terre. Le chemin le plus sur est entre les deux extr^mes.
Prends garde que le char ne t emporte a droite dans les noeuds
da Serpent, et a gauche vers la region inclin^e de rAutel.
Resle k une egale distance de ces deux constellations. Je confie
le reste a la Forlune. Puisse-t-elle se montrer propice et veiller
mienx que f oi sur tes jours ! Tandis que je te parle, la Nuit hu-
mide est parvenue aux coniins de l'Hesperie. Nous ne pouvons
plostarder. On nousattend. Le flambeau de TAurore a dissip^ les
ten^bres. Saisis les r^nes, ou plut6t, si ta r^solution n'est pas in^
branlable, profile de mes nvis. et renonce amon char, tandis que
ta le peux, landis que tes pieds foulent encore la terre el que (u
n'es pas encorc dans le char ou fappelle un d^ir insense. Gon-
tente-toi de jcuir en surete de la lumiere, et laisse-moi la dispen-
seraumonde. » Phaethon, avec toute la fougue de la jeunesse, s'e-
lance sur le char l^er et s'y tient debout. II se plait k manier los
r^es qui lui sont confiees, et rend gr&ces a son p^re, qui lui c^dc
a regret.
Gependant les rapides coursiers du Soleil, Pyroeis, fious,
Nec preme, nec summum molire per flethera currum." 135
Allius egressus, coelestia tecta cremabis;
Inferius, terras: medio tutissirous ibis.
Neu te dexterior tortum declinet in Anguem,
Neve sinisterior pressam rola ducat ad Aram.
Inter utrumque tene. Fortun» csetera mando ; 1 10
Quae juvet, et melius, quam tu tibi, consulat, opto.
Dum loquor, hesperio positas in littore melas
Humida nox tetigit. Non est mora libera nobis.
Poscimur : effulget tenebris Aurora fugatis.
Corripe lora manu ; vel, si mutabile pecius \ i*i
Est tibi, consiliis, non curribus, utere nostris,
Dum potes, ct solidis etiamnum sedibus adstas,
Diimque male optatos nondum premis inscius axes.
Qus tutus spectes, sine me dare lumina terris. »
Occupat iile levem juvenili corpore currum, i:;0
Statque super, manibusque datas contingere habcnas
Gaudet, et invito grates agit inde parenti.
Interea volucres Pyroeis, Eous, et ^thon,
50 METAMORPHOSES.
fithon et Phl^gon, vomissant la flamnie, remplissent Fair de
Jeurs hennissements, et frappent de leurs pieds les barri^res. A
peine T^thys, ignorant la destinee de son petit-fils, les a-t-elle
ecartees pour leur ouvrir un champ.libre dans l'immensit6 des
cieux, que soudain ils prennent leur essor. Balances dans les airs,
Jeurs piedsfendent les nues, et, portes sur leurs ailes, ils devan-
cent ies vents sortis de la meme region. Mais le char etait leger;
Jes coursiers ne pouvaient le reconnaitre ; le joug n'avait plus son
poids ordinaire. Comme on voit vaciller un navire qui manque du
Jest convenable, comme il erre sur les ondes, ballotte sans cesse a
causede sa trop grande legerete; le char du Soleil, prive de son
poids, bondit auhaut des airs. A ses profondes secousses, on dirait
un char vide. Des que les coursiers s'en aperQoivent, ils se preci-
pitent, abandonnent le sentier battu, et ne courent plus dans
i'ordre accoutume. Phaethon fremit : il ne sait de quel c6te tour-
ner les r^nes contiees a ses soins ; il ne connait point sa route ;
et, quand il la connaitrait, pourrait-il commander aux cour-
siers ? Alors, pour la premiere fois, les Trions, toujours giac^s,
s'echaufferent aux rayons du soleil, et voulurent, mais en vain
se plonger dans les flots qui leur sont interdits. Place pr^s du p6lc
Solis equi, quartusque Phlegon, hinnitibus auras
Flammiferis implent, pedibusque rcpagula pulsant. ibS
Qusc postquam Telhys, fatorum ignara nepotis,
Rcppulit, ct facta est immensi copia raundi,
Corripuere viam, pedibusque per aera motis
Obstantes fmdunt nebulas, pennisque levati
Pnctereunt ortos isdem de partibus Euros. IGO
• Sed leve pondus erat, nec quod cognoscere possent
Solis equi, solitaque jugum gravitate carebat.
Utque labant curv» justo sine pondere naves,
Perque mare instabiles nimia levilatc feruntur;
Sic onere insueto vacuos dat in aera saltus, 165
Succutilurque alte, similisque est currus inani.
Quod simul ac sensere, ruunt, tritumque relinquunt
Quadrijugi spatium, nec, quo prius, ordine currunt.
Ipse pavet, nec qua commissas flectat babenas,
Nec scit qua sit iter; nec, si sciat, imperet illis. 170
Tum primum radiis geUdi caluere Triones,
Et vetito frustra tentarunt aiquore tingi.
Quoique polo posita est glaciuli proxima Serpens,
LITRt 11. 51
ghdit^ 16 Serpettt. jiuqiieAttigourdi» sans dangerpowrpanoniie,
pun dniii h dbiriemr me foreor noinreUe. Toi ansii, Bouner, ta
fenAni, diURr, d'efM, iiudgr^talento^
1—t da eiet, le malhenrenr Pha&thoa toU la Aerre a'diendre an loin
daai an borison Httmaaae. D pAlit; ses genonz tremblent aou*
diiavet; dangtm oc^ de lumidre, les ttoihres oomrait ses
|ieox«Oh! qii*fltOadraitn*aveirjarafflsguid61esoonrRende8oa
pte! Qa*il regr^ de«onnaltre son origine et d^annr cd>t«Qa sa
deBandel H aanendt bien mieux ^tre appel6 fila de lUrof». li
err^ tel qa**nn vaisaeau emportd par le souHQe imp^turax de
Bdrfe, qoMid le fSk\e famcu abandonne le gou?email, secon-
iHit onx dieiix et ii des pri^. Que dpit^l iaire? Derri^ lui se
ma«e tm grand espaoe des cieax d&jk paiGOuro; deyant lui, un
eipiee pb» grand eooore : sa p^s^ les mesure IHm et rautre.
VMitOt il rcgarde le conchant, que le Destin ne lui permet pas
d^Mlflindre ; tantdt il jette les y«ix ms Torient. Qud parti pren»
i|ret ii rig^MNre, et resteiinm<daleid'drroi. D ne peut ni Ikfe^ ni
aemr le freih; n ne sait paa mtoie le nom des ooursiers. Mille
ptfodigcs ^pars {^ et Ui dans les diverses n^ions du ciel et dcs
inonstres ^ormes le glacent de frayeur.
Frigore pigra prius, nec formidabiUs ulli,
Uie<iii, sump;$itque novas ferroribus iras. 175
Te quoque turbatum memorant fugisse, Boote,
QaamYis tardus eras, et te tua plaustra tenebant.
Ul vero snmmo despe&it ab ethere terras
Infelix Phaethon, penilus penitustfue jacentes,
Palluit, ei subito genua inUremuere timore, IHO
Sontque oculis tenebrm per tantum lumen obortao.
Et jam mallet equos nunquam tetigisse paternos,
Jamque agnosse genus pigel, el valuisse rc^ando;
Jam Meropis dici cupicns, ita ferlur, ut acta
Praecipiti pinus Borea, cui victa remisit 185
Frena snus rector, quam dis votisquie reliquit.
Quid faciat? multum coeli post terga relictum,
Ante oculos plus est ; animo metitur ulruraque.
Et modo, quos illi fato contingere non est,
Prospicit oc^sus ; interdum respicit ortus, ^OO
Quidque agat ignarus, stupet; et nec frona remiltit..
Kec retinere valet; nec nomina novit oquornm.
Sparsa quoque iu vario passim miracula ccelo,
Vasitarumque videt trepidus simnlacra ferarum.
^
52 MfiTAMORPHOSES.
11 est un Heu ou les bras du Scorpion s*arrondissent en arc. Sa
queue et ses pinces flexibles couvrent Tespace de deux signes.
Tout degouttant d'un noir venin, et pret k donner la mort de son
dard recourb^, il s'offre aux yeux de Phaethon. Hors de lui et
frissonnanl d'epouvante, le jeune homme lache les rSnes. IMs
que les coursiers les ont senties ilolter sur leurs flancs, ils er-
rent a Taventure. Degages du frein, ils se jeltent dans des regions
jusqu'alors inconnues, et se precipitent ou leur fougue les en-
traine. IIs bondissent jusqu'aux astres dissemines dans les
celestes espaces, et emportent le char a Iravers les abimes.
Tanl6t ils s'elancent au haut de rEmpyree; tant6t, deprecipice
en precipice, ils tombent dans les r^gions qui avoisinent la terre.
La Lune voit avec surprise au-dessous de ses coursiers courir ceux
du Soleil. Les nuages embras^s s'exhalent en fumee; le feu d^
vore les sommets les plus eleves; la terre s'enlr'ouvre, sa surface
se dess^che, les paturages blanchissftnt, les arbres s'enflamment
ayec leur feuillage, et les moissons arides fournissent raliraent
de leur ruine au feu qui les consume.
Cest peu : remparts, dtes, peuples, regions, for^ts, monlji-
Esl locus, in geminos ubi brachia conmat arcus 195
Scorpios, et cauda flexisque utrimque lacerlis,
Porrigit in spatium signorum membra duorura.
Hunc puer ut nigri madidum sudore veneni
Vulnera curvata minitantem cuspide vidit,
Mentis inops, gelida formidine lora remisit. 200
QuiB postquam summum tetigere jacentia lergum,
Exspatiantur equi, nuUoque inhibente per auras
Ignotac regionis eunt, quaque impetus egit,
Hac sine lege ruunt, altoque sub sthere fixis
Incursant stellis, rapiuntque per avia currum ; 205
Et modo summa petunt, modo per de^liva viasquc
Praecipites spatio terrae propiore ferunlur;
Inferiusque suis fraternos currere Luna
Admiratur equos, ambustaquc nubila fumant.
Corripitur flammis, ut quseque altissima, lellus, 210
Fissaque agit rimas, et succis aret adcmptis.
Pabula canescunt, cum frondibus uritur arbos,
Materiamque suo prmbet seges arida damno.
Parva quoror : magnse pereunt cum moenibus urbcs.
LIVAS II. S3
gB6i^ foul pMt, t0iii ert rddoit ea oendrM, toat jette des flam-
mm. Vmeeodm dkme rAthos; le Taorai <iiii fravene la Gilicie,
le laioiiis» llBa, ricb nudnteDant aride, et jiiaqa^alorB oa^bre
pvaei aoQRsei lidooiides; l^H^lioni, a^oiir des diastes Ihiaes, et
nitans» «iqiiel (Eagre n^amit pas enoore donn§ son nom. Les
km db cid aogmentent aans mesore le ifolcan de l^Etna; ils
brtknt le PMiaSse aa donble fhntf , l^feryx, le Gyntfae, IDthrjfs, le
Xbodope» d£gag6 enfin de ses ndges» le MiAias, le IMndyme, le
IfcrieelleGlth^ron, destind aox fiMes de Bacdras. La Scythiene
tr(iQie point nne saavQgarde dans ses frimas. Les flanunes en?a~
le Oanciw, lt)m» le Findie et r(Hympe qai s^^i^e ao-
dea deaz, les Alpes dont ladme se perd dans les airs, et
ks Apennins cpii fendent les noes.
FhiMMm ^ rineaMlie s*£taidre anx qoatre eoins dn monde,
et ne peat en sioutaiir les Tiolentes atteintes. II respire on air
enibni6, oomme B'il sortmtdHmefoornaiseprofoiuleyetsentqne
BOD diar est en luroie anx flammes. Enfin les cendres et les ^n-
ceHesqai tolent antoar de lai ^aisont ses forces, et one ftim£e
«dente renvkomie de toutes parts. H ne sait oik il est ni oA il ?a,
an miliea des ^paisses t^n^bres qui renyeloppent, et se laisse
Camqne snis totas popnlis incendia gentes 215
In cmerem Tertunt; silve cnm monlibns ardent.
Ardet Atbos, Taurnsqne cilix, et Tmolns, et (Ete;
Bt nnnc sieea, prius celdierrima fontibns, Ide;
TirgineDsqne Helicon, et nondnm ceagrins Hsemos.
Aidet in immensum geminatis ignibus £tne, 220
PiniaaMisqne bioq», et Eryz, et Gynthns, et Othrys, ^
Et tandem Rhodope nivibns caritura, Mimasque,
Dindymaque, et Hycale, natnsque ad sacra CilhaBron.
Nec prosunt Scythiae sua frigora. Caucasus ardet,
Ossaque cum Pindo, majorque ambobus Olympus; 2^5
Aerisque Alpes, et nubifer Apenninus.
Tunc vero Phaethon cunctis e partibus orbem
Aspicit accensum, nec tantos suslinet lestus;
Ferrentesque auras, velut e fornace profunda,
Ore trahit, cumisque suos candescere sentit. 2^)
Et noque jam cineres, ejectatamque favillara
Perre potest, calidoque invoWitur undique fumo ; '
Qnoque eat, aut ubi sit, picea caligine tectus.
5i METAMORPIIOSES.
emporter au gre des rapides coursiers. Alors, dit-on, le sang
lire a la surface du corps donna aux Ethiopiens une couleur
b^ne. La Libye perdit ses sources par cet embrasement. Les N
phes, les clieveux epars, pleurerent leurs fontaines et leurs ]
La B^otie chercha Dirce; Argos, Amymone; Ephyre, les source
Krene. Les fleuves dont la nature a separe les rives par un 1
lit ne furent pas a Fabri. Le Tanais vit fumer ses ondes, ainsi
le vieux Penee, le Caicus, voisin du mont Teuthrante, le ra
Ism^nus, r£rymanthe qui baigne Psophis, le Xanthe destine i
nouvel embrasement, les eaux dorees du Lycormas, le M^i
qui se joue dans son lit sinueux, le Melas que boivent Ics 1!
dons, et TEurotas qui baigne le Tenare. Alors s^enflamme:
TEuphrate qui arrose Babylone, rOronte, Timp^tueux Ther
don, le Gange, le Phase et Tlster. L'AIphee bouillonna, et
rives du Sperchius s'embras^rent. Les flammes fondirent Tor
roule le Tage. Dans la Meonie, sur les rives mtoes .qu ils faisa
retentir de leurs chants, les cygnes qui peuplent le Caystre p
rent au milieu de ses ondes brulantes. Le Nil epouvante s'en
aux confins du monde, et cacha sa source, qui reste encore inc
Nescit, et arbitrio volucrum raptalur equorum.
Sanguinc tum credunt in corpora summa vocato, 235
iEthiopum populos nigrum traxisse colorem.
Tum facta est Libye, raplis humoribus aestu,
Arida; tum Nymyhsc passis fontesque, lacusque
Deflevere comis. Quaerit Boeotia Dircen,
Argos Amymooen, Ephyre pirenidas undas. 240
Nec sortila loco distantes flumina ripas
Tuta manenl. Mediis Tanais fumavit in undis,
•Pcneosque senex, teuthrantcusque Caicus,
Et celer Ismenos, cura psophaico Erymantho,
Arsurusque ilcrum Xanthus, flavusquc Lycormas, 245
Quique recurvatis ludit Maeandros in undis,
Mygdoniusquc Melas, ct tsenarius Eurotas.
Arsit et Euphrates babylonius, arsit Orontes,
Thermodonque citus, Gangesque, et Phasis, et Istor.
iEstual Alpheos ; ripae spercheides ardent; 250
Quodque suo Tagus amne vehit, fluit ignibus, aurum;
Et quffi maconias celebrarant carmine ripas,
Flumineae volucres medio caluere Caystro.
• Nilus in extremum fugit perterritus orbera,
Occuluitquc caput, quod adhuc latct; oslia seplem 2S5
LIVRE II. 55
nue. Les sept bouches de ce fleuve dessecho se transformerent en
sept vall^s sans eau. Le m^me incendie consuma, autour de
rismarus, IH^bre et le Strymon, et, dans rHesp^rie, le Rhin, lo
Rh6iie, le P6 et le Tibre, appele a tenir Tunivers sous ses lois.
Bartout la terre fut sillonnee de fentes, au travers desquelles
pen^tra jusqu'au Tartare la clart^ du jour qui epouvanla le tyran
des ombres et sacompagne. La mer se resserra. Les c5tes qu'elle
couvrait devinrent des plaines de sable aride. Les montagnes,
jQsqu^alors cachees sous les eaux, surgirent, et augment^rent le
noinbre des Gyclades eparses ga et la. Les poissons se refugierent
m fond des abimes ; les dauphins n'oserent plus elever au-dessus
des flots leur croupe recourbee, ni, suivant leur coutume, bondir
dans les airs; les phoques, couches sur leur dos, flotterent sans
lie k to surla^ de l^yper. Neree lui-meme, dit-on, ainsique Doris
et ses"mtes"se cacbirent dans leurs antres briilants. Trois fois
Rqitane, le front liiena^ant, voulut montrer ses bras au-dessus
des eaux ; trois fois il ne put supporter le contact de Tair.
Cependant la Terre, qu'entoure rOcean, placee entre les eaux
de la mer et les sources appauvries des fleuves qui s'etaient caches
dans les entrailles de leur mere, eleve au-dessus des flols sa tete
Pulverulenta vacant, septem sinc flumine valles.
Fors cadem ismarios Ilebrum cum Slrymono siccat,
Hesperiosque amncs, Rhenum, Rhodanumque Padumque,
Cuique fuit rcrum promissa potentia, Tibrim.
Dissilitomne solum, penetratque in Tarlara rimis 2G0
Lumen, et infernum terret cum conjuge rcgem.
Et mare contrahitur, siccaequc est campus arenae,
Quod modo pontus eral; quosque altum texerat sequor,
Exsistunt montcs, et sparsas Cycladas augcnt.
Ima petunt pisccs, ncc se super a^quora curvi SG5
ToUere consuetas audent delphines iii auras.
Corpora phocarum surnmo resupina profundo
Exanimala jacent. Ipsum quoque Nerea fama est,
Doridaque, ct natas, tepidis laluisse sub antris.
Ter .\eplunus aquiscum torvo brachia vultu 5,70
Exserere ausus erat, tcr non tulit aeris ajslus.
Alma tamen Telhis, ut eral circumdata ponto,
Inter aquas pelagi. conlraclosque undiquc fontos,
Qui .16 condidpraiit n opaca?. viscera malris,
50 MBTAMORPHOSES.
naguere si fecondo et maintenant aride. Elle met sa main devant
son front. Par une forte secousse qui Febranle jusqu'en ses fon-
dementSy elle s^abaisse d'un degre au-dessous de sa place ordi-
naire, et d'une voix alteree elle exliale ces plaintes : « Souverain
maitre des dieux, si telle est ta volonte, si j'ai merit^ mon mal-
heur, pourquoi ta foudre reste-t-elle oisive? Destinee a p^rir par
le feu, puiss6-je perir par le tien ! Je me consolerais de succomber
sous les coups d'un pere. A peine ma bouche peut-elle proferer
ces paroles (la chaleur etouffait sa voix). Regarde mes cheveux
consum^s par la flamme; regarde mes yeux et ma bouche inondes
de cendres brdlantes. Yoila donc ma r^compense ! Voiia le prix de
ma fi&condit^ et de mes largesses! moi qui Jaisse dechirer mon
sein par le soc et la herse ! moi qui souffre mille douleurs durant
toute Tann^e ! moi qui dispense aux troupeaux le feuillage, aux
mortels une nourriture bienfaisante et aux dieux Fencens ! Sup-
pose que j'aie merite ce desastre : mais les flots et ton frere ront-
ils merite? Ppurquoi, placees sous son trident par Tarr^t du Des-
tin, les mers retrecies voient-elles leurs ondes refoul^es siloindu
c6leste parvis? Si ton frere ni moi nous ne pouvons te fl^hir,
songe du moins au ciel, ton domaine. Regarde de Tune k Tautre
Sustulit o(nniferos collo tenus arida vultus ; 275
Opposuitque manuni fronti, magnoque trcmore
Omnia concutiens paulum subsedit, et infra,
Quam solet esse, fuit, siccaque ita voce locula csl :
« Si placet hoc meruique, quid, o, tua fulmina cessnnt,
Summe deum? Liceat periturse viribus ignis !280
Igne perire tuo, clademque auctore levare.
Vix equidem fauccs hsec ipsa in verba resolvo
(Presserat ora vapor); tostos en aspice crines,
Inque oculis tantum, tantum super ora favillae.
Hosne mihi fructus, hunc ferlililatis honorem 28?i
OflQciique refers, quod adunci vulnera aratri,
Rastrorumque fero, totoque exerceor anno?
Quod pecori frondes, alimentaque mitia, fruges,
flumano generi, vobis quod tura ministro?
Sed tamen exitium fac me meruisse; quid undaR, 290
Quid meruit frater? Cur illi tradita sortc
^quora decrescunt, et ab aelhere longius absunl?
Quod si nec fratris, nec te mea gratia tangit,
At coeli miserere tui. Circumspicc utrumquc :
LIVRE II. 57
extremite : aux deux p61es s'el^ve ia fuiiiee de iincendie. Si ie
feu les consume, ton palais va crouler. Atlas lui-mSme chan-
celle : a peine ses epaules soutiennent-elles Taxe du monde blan-
cbi par la flamme. Si les mers, si la terre et le palais des cieux
perissent, nous allons retomber dans Tancien Chaos. Derobe aux
mages du feu ce qui reste encore, et Yeille au salut de l'uni-
Ters. » Eile dit, et, ne pouvant plus supporter la chaleur ni
parler davantage, elJe retire sa t§te dans son propre sein et la
cadie dans des antres voisins de Tempire des ombres.
Le suprSme arbitre du monde prend a temoin les dieux et Phe-
bns meme, qui avait confie son char a Phaethon, que tout, s*il ne
previent ce desastre, vasuccomber au plus cruel destin. II se rend
dans la plus haute region du ciel d'ou il se plait a couvrir la terre
de nuages, a faire gronder le tonnerre et k lancer la foudre. Mais
ilne trouve point de nuees dont il puisse envelopper la terre, plus
de torrents qu'il puisse faire descendre du ciel. II tonne, et, ba-
laDQant la foudre a la hauteur de son front, il en frappe rimpru-
dent conducteur, lui enleve a la fois la vie et le char, et eteint dans
la ilanune les ravages de Fincendie. Lafrayeur egare les coursiers.
Fumat uterque polus ; quos si viliaverit ignis, 29o
Atria veslra ruent. Atlas en ipse laborat,
Yixque suis humeris candentem sustinet axcm.
Si frela, si terrae pereunt, si regia cGeli,
In Chaos antiquum confundimur. Eripe flammis,
Si quid adhuc superest, et rcrum consule sumpiac. » 300
Dixerat hxc Tcllus ; neque enim tolerare vaporcm
Ulterius potuit, nec diccre plura, suumquc
Rcttulit os in se, propioraquc Hanibus antra.
At Palcr omnipotens Superos tcstalus, et ipduui
Qui dedcrat currus, nisi opem fcrat, omnia falo 505
luteritura gravi. Summam pctit arduus arceni,
Unde solet lalis nubes inducere tcrris,
Unde moTct tonitrus, vibrataque fulmina jaclat.
Sed neque, quas possct tcrris inducere, nubes
Tunc habuit, nec, quos cobIo dimitleret, imbrcs. 510
Intonat, et dextra libratum fulmen ab aurc
Misit in aurigani, pariterque animaque rolisquc
Expulit, et sajvis compescuit ignibus ignes.
Gonsleraanlur cqui, ct, saltu in conlraria fuclo,
58 MKiAMOllPllOSES.
Ils bondissent en sens contraire, derobent leur t6te au joug, bri-
sent les rSnes et s'en delivrent. Ici git le frein, la Tessieu arrache
du timon, ailleurs les rayons des roues fracassees, plus loin les
debris du char qui vole en eclats. Pha^lhon, la chevelure en flam-
mes, roule dans un tourbillon de feu. Une longue trainee lumi-
neuse marque sa chute au sein des airs. Ainsi tombe ou sembte
quelquefois tomber une etoile sous un ciel sans nuages. Le ma-
jestueux Eridan le re^oit, loin de sa patric, dans rh^misphere op-
pose, et baigne dans ses ondes son visage fumant.
Les Nymphes de rHesperie deposerent dans un tombeau son
corps noirci par la foudre, et inscrivirent ces vers sur le marbre :
Ici de Pha^thon tti vois le monument.
Infortune martyr d'unc ardeur temcraire,
S'il ne pul diriger les coursicrs de son pcre;
Dans son projet du moins ii perit noblement.
Son pere, plonge dans la douleur, couvrit son front d'un voile fu-
nebre. Si Ton en croit la renommee, un jour s'ecouIa sans soleil,
et n'eut d'autre clarte que celle de rincendie. Ce ddsastre eut ainsi
son utilite. Glymene d'abord exhale toutes les plaintes que peut '
inspirer une pareille catastrophe. Puis, en habits de deuil, horS
CoUa jugo cripiunt, abruptaque lora relinquunt. 315
Illic frena jacent, illic temone revulsus
Axis; in hac radii fractarum parte rotarum,
Sparsaque sunt late laceri vestigia currus.
At Phaethon, rutilos flamma populante capillos,
Volvitur in praeceps, longoque per aera traclu 520
Fertur, ut interdum de coelo stella sereno,
Etsi non ccdidit, potuit cccidisse videri.
Quem procul a patria diverso maximus orbe
Excipit Eridanus, fumanliaque abluit ora.
Naides Hesperiae trifida fumantia flamma 325
Corpora dant tumulo, signantque hoc carmine saxuni:
t Hic situs est Phaethon, currus auriga patcrni ;
\ Quem si non tenuit, magnis tamen excidit ausis. »
*^ l^am paler obductos luclu miserabilis asgro
Condideral^^ultus, et si modo credimus, unum 3o0
Isse diem sine sole ferunt : incendia lumen
Prajbcbant, aliquisque malo fuit usus in illo.
At Clymeue, postquahi dixit quuccumque fuerunfc
lu lantis diccndu malis, lugubris, ct amens.
LIYRE II. 5U
e( 86 memlmiint le sein, elle paroourt runiven ;
166 restes inanlm^ oa du moins les ob de son fils.
tronfequesesosensevelis sur une o6(e ^tnngto. U, elle
baigne de ses pleurs le marbre oili le nom de Pha^thon
flrt|nv6p et y applique avec tendresse sa poitrine dtomverte: Les
IBIiaita liidi offreat avec le m^me amour, comme dons Am^raires,
(fmm gtoiswiments et leurs larmes; elles se d^chirent aussi le
SMD. QBoiqoe Piit6lOD ne puisse entoidre leurs cris lamentables,
Hit et joor eUes Fappellent et restent penchtosur sa tombe.
La lniie anrait d^ quatre fois rempli son disque de lomi^,
; dflpnM que leBfllles du Soldl, suivant leur oontume (car la doo-
Iflvteit defenoe une habitude pour elles), faisaient entendre de
urs» lorsque Vba^thuse, la plus 4gte de toutes,
86 proatemer» se plaignit que ses pieds n'^taient plus
fleiifales. EmpreoBte d*aooourir aupr^ d'dle, la Manche Lamp^
S6 sflnt tont k coup enchaln^ k la terre. Une troisidmey en vou^
lait B^arradier les cheveux» dStache des feuilles de sa tMe. L'uiie
$fmt de foir ses jambes duuogto en un tronc immobile» et Fau-
be de loir ses bras allong^ en rameaux. Tandis qu'elles s*eton»
nent, F^rce forme une ceinture autour de leurs flancs, et, par
Et laniata sinus, (bluni percensuit orbcm ; 333
Eianimcdquc artus primo, moi ossa reiuirens,
Repperii ossa tamen peregrina condita ripa,
Incnbaitque loco; nomenqne in marmore lectum
Perfodit laerymis, et aperto peetore foTit.
Kee minus Heliades fletua, et inania morti 540
Manera, dant laerymas, et cssaB pcctora palinis,
Non autlitaram miseras Phaethonta querelas,
Nocte dieque Tocantf adstemunturque sepulcro.
Lnna quater junctis implerat cornibus orbem»
Illa* more suo, nam morem fecerat usus, 345
Plangorem dedcrant. E queis Phaethusa sororuni
Maxima, quum Tcllct tcrr» procumberc, qucsla cst
Diriguisse pcdes. Ad quam conala venirc
Candida Lampetic, subila fadice retenla cst.
Tertia, quum crinem manibus laniare pararot, SSiO
Aycllit frondes. Uacc stipite crura teneri,
illa dolet lieri iougos sua bracliia ramos.
Dumquo ea miranlur, complcclitur inguina cortcz,
60 HIETAMOKPUOSES.
degres, emprisomie leur sein, lem^s epauies et leurs bras. ]
bouclie seule reste intacte et repete le nom de leur mere. !
que pouvait leur mere, si ce n'est courir ^a et la ou l'egaren
Femportait, et, pendant qu'il en etait teraps encore, unir ses
sers a ceux de ses filles? Cetait trop peu : elle essaya de rei
leur corps du tronc de Tarbre, et d'en briser avec ses mains
tendres rameaux. Mais il en tomba des gouttes de sang, cor
d'une blessure. « Arrete! je t'en conjure, 6 ma mere ! s'ecria <
cune de ses filles en se sentant blessee ; arrSte, je t'en conji
dans cet arbre c'est notre corps que tu dechires : adieu ! » L'ec
etouffa ces dernieres paroles. De la viennent les larmes qu
distille, et qui, durcies par le soleil, tombent en rayons d'an
de leurs brancbes naissantes. Le fleuve les recueille dans
eaux limpides, et les porte aux femmes du Latium, qui en
leur parure.
CYGiNUS CHANGI^ EM CYGNE.
II. Ge prodige s'opera sous les yeux de Gycnus, fils de Sthen(
Le sang de ta mere vous unissait, 6 Phaethon ! mais Tamitie fc
entre vous un lien plus etroit. Degoute de Fempire (car les pei
Perquegradusuterum, peclusque, humerosque,manusquc
Ambit, et exstabant tantum ora vocantia matrcm. 5a5
Quid faciat mater, nisi, quo trahat impelus illam,
Huc eat, atque illuc, et, dum licet, oscula jungat?
Non satis est : truncis avellere corpora tcntat,
Et teneros manibus rumos abrumpere ; at inde
. Sauguineae manant, tanquam de vulnerc, gutta!. 500
c Parcc, precor, mater, qusQcumquc est saucia cluniai;
Parcc, precor; nostrum laniatur in arbore corpus;
Jamque vale. » Cortex in verba novissima venit.
Indo fluunt lacrymae, stillataque sole rigescunt
Dc ramis clectra novis. Quse lucidus amnis 303
Excipit, et nuribus miltit geslanda lalinis.
CYCNDS MDTATUB IN OLOBEM.
11. Adfuit huic monstro proles stheneleia Cycnus,
Qui libi materno quamvis a sanguine junctus,
Mente tanien, Phaelhon, propior fuit. llle rcliclo,
LIYRfi II. 01
de la Ligurie et de gi^des cit^ obeissaieut jadis a ses iois), il
avait fait redire ses accents plaintifs aux ^ertes rives de r£ridan,
k ses ondes et aux arbres dont ses soeurs venaient d'augmenter le
nondbre. Sa voix d'honune devint grSle; des plumes bianches
remplac^rent ses cheveux ; de sa poitrine s^elanga un long cou, et
une membrane vermeille unit ses doigts ; des ailes couvrirent ses
flancs ; sa bouche fit place a un bec arrondi. Cycnus fut change en
un oiseau jusqu'aiors inconnu. II ne se confie ni a Tair ni a Jupi-
ter. Dans son coeur vit le souvenir des feux injustement lances par
le maitre du monde. II habile les ^tangs el les vasles marais. Son
aT^on pour le feu lui fait choisir une demeure dans un ^l^ment
ooDtraire.
Gependant le Soleil, en deuil et depouille de son eclat, tel qu'il
est durant une eclipse, poursuit de sa haine la lumiere, le jour et
Ini-mSme. II s^abandonne a la douleur, et a la douleur se joint
la colere. II refuse d'^clairer le monde. « Depuis Forigine des
siecles, dit-il, mes destins ont ^te assez agit^s. Je ne veux plus de
travaux sans t^rme et sans honneur. Qu'un autre conduise le char
de la lumiere. S'il ne se presenle personne, si tous les dieux sV
Touent impuissants, que Jupiler le guide lui-m^me. Du moins,
Mam Ligurum populos, et magnas rexerat urbes, 370
Imperio, ripas virides amnemque querelis
Eridanum implerat, silvamquu sororibus auclam;
Quum vox est tenuata viro, canscque capillos
Dissimulant plumae, collumque e pectore longum
Porrigitur, digitosque ligat junctura rubentes, 375
Penna latus vestit, tenet os sine acumine roslrum.
Fit nova Gycnus avis, nec se coeloque, Joviquc
Credit, ul injuste missi memor ignis ab illo,
Stagna petit, patulosque lacus ; igncmque perosus,
Quse colat, elegit contraria flumina flammis. 380
Squalidus iuteiea genitor Phaetliontis, ct expcrs
Ipse sui decoris, qualis, quum deflcit orbcm,
Esse solet, lucemque odit, scquc ipse, diemquc,
Datquc animum in luctus, ct iuctibus adjicit iraiii,
OflJciumque negat mundo. «^alis, inquit, ab scvi 58o
Sors mea principiis fuit irrequieta, pigetquc
Actorum sine fine mihi, sine honore, laborum.
Quilibet altcr agat portantes lumina currus.
Si nemo est, omnesque dei non posse faleutur,
G.! METAMOUPllOSES.
landis qu'il essayera de tenir mesr6nes, ildeposera safoudre, qui
ravit les enfanls a leurs p^res. Quand il aura eprouve la fougue de
mes coursiers enflamm^s, il saura qu'il ne merita pas la mort,
celui qui ne put s'en rendre maitre. » A ces mots, autour de lui se
pressent tous les dieux. D'une voix suppliante iis le conjurent de
ne point plonger runivers dans les tenSbres. Jupiter lui-m^me
s^excuse d'avoir lanc6 ses feux; mais, comme souverain, aux
prieres il ajoute la menace. Ph6bus rassemble ses coursiers encore
effarouches et haletants de frayeur. II les dompte et les chdtic
avec le fouet et raiguillon ; car, dans sa fureur, il leur impute et
leur reproche la mort de son fils.
• GALISTO CHANGEE EN OURSE.
III. Le souverain maitre du monde parcourt la vaste enceinte des
cieux, et il examine si leurs fondements, ebranles par racUon puis-
sante du feu, ne menacent pointruine. Quand il les voit fermes et
dans toule leur solidite primitive, il contemple la terre et ses
desastres. Sa chere Arcadie surtout eveille sa sollicitude. II rend
un libre cours aux fontaines et aux fieuves qui n'osaient encore
Ipse ugat; ut sullcin, dum nostras lentat habenas, S90
Orbatura patrcs aliquando fulmina ponat.
Tum scict, ignipedum vircs'expcrtus equorum,
Non raeruisse necem, qui non bene rexerit illos. »
Talia dicentem circumstant omnia Solem
Kuniina; nevc vclit tenebras induccre rebus, oOo
Supplice vocc rogant. Missos quoque Jupitcr igucs
Kxcusat, precibusque minas regaliter addit.
C.olligit amcntes, cl adliuc terrore paventcs
Phoebus equos, stimuloquc domans ct verbere saevit;
Suivit cnim^ natumque objectat, ct imputat illis, 400
CALISTO IN UBSAH C0NVER9A.
111. At palcr omnipotens ingenlia rooenia coeli
Ciicuit, ct, ne quid labefactum viribus ignis
CoiTuat, cxplorat. Qu» postquam iirma, suiquu
Rohoris essc videt, tcrras, hominumque laborcs
Tcrspicit. Arcadios tamen est impensior illi 4' ii
Cura sux ; fontesque, et nondum audcnlia labi
LIVRE IL 05
^ il ooavre la. teite de gason, les arfores de feuillage, et
ma hm fliHris de re|ffeDdre leiir Yerdure. Bans ses
Mquentea, ses yeux se fixent aur une nymphe de Nona-
m^jAVmim le ccaisuoie de Ipns ses feux. Elle ne s^oociqMit ni
kfkr, la laiae» ni k parar sa cfaevelure de mille atours. Une simple
Tetenait lefi.plia de sa robe, et une bandelette blandie ses
Le jarelot ou Farc k ia maini elle marchait sur les
de DiaBe. Jttnais le M^en^andt vu de nymphe plusch^ li
tesBe.: Ihis qudle &Yettr est durable? Le Soleii avait 6&jk
la iiioiti6 de sa oourse, quand la nymphe entra dans une
favftC qne la hache avait toiqours respedto. Eaie ddtache le csrquois
de son Apaule» d6taid son arc flexible, et se couche sur le gaion,
h tlCe appuyte sor son carquois ora6 de miUe oouleurs. Jopiter,
iiirtigate etsans gardien : c Mon ^pouse, dit^U ignorara
; HiaiSk d&treUe en ^tre instruita, que m*importait ses
?»
i.cDupy prmmntlestraitset lecostumedeDiane:cJ»me
I, dilr4l» snr quels monts as-tu chass6? » La nymphe se
legaion : c Salut, ditreUe, d6esse plus puissante k mes
Fhunina restituit; dat terrse gramina, frondes
Arboribtts, laesasque jubet revirescere silvas.
Dnm redit, itque frequens, in virgine nonacrina
HssU, et accepti caluere sub ossibus ignes. 410
Koa erat hujus opus lanam mollire trahendo,
Kec positu Tariarc comas. Ubi fibula vestem,
Titta coercuerat neglectos alba capillos,
EtmodoUeTe manu jaculum, modo sumpserat arcum,
Miles erat Phoebes. Nec Msenalon attigit ulla 41i;
Gratior hac Trivise ; sed nulla polcntia longa cst.
Ulterius medio spatium sol altus habebat,
Quam subit illa nemus, quod nuUa ceciderat xtas.
Exuit hic humero pharetram, lentosque retendit
Arcus; inque solo, quod texerat hcrba, jaccbat; 420
Et pictam posita pharetram cervice premehat.
Jupiter ut vidit fcssam, et custode vacantem:
« IIoc ccrte conjux furtum raea nesciet, inquit ;
Aut, si reseierit, sunl o, sunt jurgia tanti? »
Protinus induilur faciem cultumque Diana», A^^t
Atque ait ; « 0 comitum, virgo, pars una mcjnim.
In quibus es venata jugis? » De ccspitc vii^o
Se leval, et : « Snlve numen, me judice, dixit,
04 METAMORPIIOSES.
ycux que Jupiter ; oui, j^oserais raffirmer en sa preserice. » Le
dieu sourit en l'ecoutant : il aime a se voir preferer a lui-m6me.
II rembrasse; ses baisers peu modestes n'annoncent point la
bouche d'une vierge. Au moment oii elle s^appr^te a raconter
dans quelle for^t elle a chass^, il la presse dans ses bras et se de-
cSleparun crime. EUe resiste, autant du moinsquelepeut une
femme. Pliit au ciel que cette lutte, 6 Junon ! se fut engagee sous
tes yeux : tu aurais pardonne. La vierge combat. Mais quelle
vierge, quelhomme peutresister k Jupiter? II remonte vainqueur
dans rEmpyr6e. La Nymphe maudit la for^t temoin de son deshon-
neur. En la quitlant, peu s'en faut qu'elle n'oublie d'emporter son
carquois, ses fleches et Tarc qu'elle y avait suspendu.
Escort6e du chceur des Nymphes, Diane gravit les hauteurs du
Menale, fiere du carnage des b^les qu'elle vient de frapper. EUe
apergoit la Nymphe et Tappelle. Calisto recule, et craint d'abord
que Jupiter ne soit cache sous les traits de la deesse. Mais, quand
elle voit les Nymphes marcher a ses c6tes, elle ne redoute plus de
piege et se m^Ie a leur troupe. Helas ! qu'il est difficile de ne point
laisser lire sa faute sur son front 1 A peine Idve-t-elle les yeux. Elle
Audiat ipse licet, majus Jove. » Ridet, et audit ;
Et sibi praeferri se gaudet, et oscula jungit, 430
Nec moderata satis, nec sic a virgine danda.
Qua venata foret silva narrare parantem
Impedil amplexu, nec se sine crimine prodit.
Ula quidem contra, quantum modo femina possit,
Aspiceres utinam, Satumia, mitior esses! 435
Illa quidem pugnat; sed quse superare puella,
Quisve Jovem poterat? Superum petit sethera victor
Jupitcr. Huic odio nemus est, et conscia silva.
Undc pcdem referens, psne est oblita pharetram
ToUere cum telis, et, quem suspendorat, arcum. 440
Ecce, suo comitata choro Dictynna per altum
Msenalon ingrediens, ct csede superba ferarum,
Aspicit hanc, visamque vocat. Clamata refugit,
F.t limuit primo, ne Jupitcr esset in illa. '
Sed postquam pariter Nymphas inccdere vidit, 445
Sensit abesse dolos, numenimque acccssit ad harum. *
Heu! quam dirficile est crimen non prodere vultu k
Vix ocu'os attollit humo ; nec, ut ante solehat, ^
LIVRE II. C5
xCose plus, comme autrefois, prendre rang ix c6te de la deesse, ni
marchei' a la ttte de ses compagnes. Elle garde le silence, et la
rougeur de son visage rev^le la tache imprim^e a sa pudeur. Si
Diane ii'eiit 6te vierge, elle efit pu remarquer mille vestiges de sa
honle. Les nymphes les remarqu^rent, dit-on. Le disque de la
lane se levait pour la neuvi^me fois a Thorizon, lorsque la deesse
qui pr^side a la chasse, fatiguee par la chaleur du soleil, porta
ses pas dans un frais bocage d'ou s^echappait avec un leger mur-
mure un ruisseau roulant sur un sable fm. £lle admire la beaute
da site, et de ses pieds effieure la surface de Teau. Apr^ en avoir
aussi admir^ la limpidite : c Nous sommes ici, dit-elle, sans te-
moins. Quittons nos vStements, et baignons-nous dans Tonde. »
La sceur de Parrhasius rougit. Si^jk toutes ont d^pose leurs voiles :
seole elle diffi&re encore. Tandis qu'elle hesite, ses compagnes de-
taehent sa robe. Son deshonneur parait alors au grand jour. In-
terdite, elle veut de sa main en cacher les indices : « Fuis loin de
noos! lui dit la deesse du Gynthe, et ne souille point cette onde
sacr^ ! » En mSme temps elle lui ordonne de se s^parer de ses
oompagnes.
Depuis iongtemps Fepouse du puissant Jupiter connaissait ce
nouyel affront; mais elle avait diflere sa terrible vengeance jus-
Juncta des lateri/nec toto est agmine prima.
Sed silet, et laesi dat signa rnbore pudoris. 450
Et, nisi quod virgo est, poterat sentire Diuna
Mille notis culpam. Nympha: sensisse feruntur.
Orbe resurgebant lunaria cornua nono,
Quiim dea venatrix, fraternis languida flammis,
Nacta ncmus gelidum, de quo cum murmure labens 455
Ibat, et attrilns versabat rivus arenas.
Ut loca laudavit, snmmas pede contigit undas;
His quoque laudatis : t Procul est, ait, arbiter omnis.
Nuda superfusis tingamus corpora lymphi.',. »
Parrhasis crubuit. Cuncta: velamina ponunt. 4C0
Una moras quserit. Dubitanli veslis adempta est.
Qua posita, nudo paluit cum corporc rrimen.
Attonito^, manibusque uterum cclare volenti :
« I procul hinc, dixit, nec sacros pollue fonti s, m
Cynthia; deque suo jussit secederc coetu. 46fi
Senserat hoc olim magni malrona Tonanlis,
]>istii1erat((ue graves in idonea tempora pornas.
i.
C6 M£TAM0UP1I0SES.
qu'au moment propice. Le delai n'est plus permis. Aix-as (et c'est
ce qiii allume le courroux de Junon) a deja re^u le jour d'une
rivale. Elle attache sur cet enfant ses regards irrites : a Infame
adultere, dit-elle, il ne te manquait plus que de mettre au monde
un fils pour divulguer mon deshonneur par ta fecondile, et don-
ner la preuve publique du crime de Jupiter, qui doit m apparlenir
tout entier. Ce ne sera pas impmiement : je te ravirai cette beaute
dont tii es eprise, et qui allume au coeur de mon epoux une flamme
criminelle. »
A ces mots, se pla^ant devant elle. Junon la saisit par les clie-
veux et la terrasse. Galisto lui tend ses bras suppliants. Mais, au
m^me instant, ses* bras se herissent de poils noirs; ses mains,
armees d'ongles aigus, se recourbent, et lui servent de pieds ; sa
bouche, qu^admira Jupiter, devient largc et liideuse ; et, afin que
ses prieres touchantes ne fleciiissent pas son cceur, Junon lui
ravit la parole. De son gosier sort une voix rauque, furieuse, me-
naganle et terrible. Elle est changee en ourse, et garde ses pre-
miers instincts. Dc continuels gemissements attestent sa douleur.
Ses mains, sous leur nouvelle forme, s'el6vent vers le ciel. Sa
(!ausa raoroi nuUa est; cl jani puer Arcns, id ipsum
Indoluit Juno, fueral de pellice nalus.
Ouo simul obvcrtit saevam cum lumine mcntem : '•:!()
« Scilicet hoc unum restabat, adultera, disil,
rt fecunda foros, fierclque injuria parlu
Kola, Jovisque mei tcstatum dedecus csset.
llaud impune feres. Adimam tibi nempe figuram,
Qua tibi, quaque places nostro importuna marilo. » 475
Dixit., et, adversa prensis a fronle capillis,
Stravit humi pronam. Tendebat brachia supplcx;
Erachia coeperunt nigris horrescere villis,
Curvarique nianus, et aduncos crescere in ungucs,
Oflicioque pedum fungi, laudataquc quondam 480
Ora Jovi, lato fieri deformia rictu.
Ncve preces animos, ct vcrba potentia flectant,
Possc loqui cripitur. Yox iracunda, minaxquo,
Pienaque terroris rauco de gutture fertur.
Mens antiqua tamen facla quoque mansit in ursa ; 485
Assiduoquc suos gemilu tcstata dolorcs,
0ual('scuin<iue maiuis ad coelum et sidora toliit,
LIVRE II. 07
Toix nepciit plus sans doule reprocher a Jupiler son ingralilude;
mais elle ne la soiil pas inoins dans son coeur. Que de fois, n'osant
se reposer soule dans la lor^t, n*erra-t-elle pas devant la demeure
et dans les champs qu'elle possedait jadis ! Que de fois ne fut-elle
pas poursuivie sur les rochers par les aboiements d'une meule !
Ancienne chasseresse, elle fuit d^epouvante devant des chasseurs.
Souvent elle se cache a la vue des bStes sauvages, oubliant ce
qu'elJe esl. Ourse, elle frissonne devant les ours qui parcourent
les montagnoj, et redoule les loups, quoique son p^re se trouve
parmi eux.
Cependant, sans connaiire sa ria^re sortie du sang de Lycaon,
Arcas comple pres de trois lustres. Tandis qull poursuit les hdtes
des forSts, laudis qu'il choisit les bois les plus favorables et en-
toure de filets les bosquets d'£rymanthe, il rencontre sa m^re.
Elle s'arrete a sa vue et semble le reconnailre ; de son c6te, il
rebrousse chemin. Les yeux de Tourse s'attaclient sur lui, fixes
et immobiles. Arcas ne la reconnait pas. 11 tremble; et, comme
elle veut s'approcher davantage, il s^appr^te a plonger dans son
sein un dard meurtrier. Le mailre des dieux ecarte le trait, les
enleve Tun etFautre, et previent le coup parricido. Un tourhillon
Ingratumque Jovem, nequeat quum diccro, senlil
Ak! quoties, sola non ausa quicscere silva,
Ante domum, quondamque suis erravit in agris! 400
Ali! quoties per saxa canum latratibus acta est,
Vcnatrixque raelu venantum territa fugil!
Saepe feris laluit visis, oblila quid esset;
LVsaque conspectos in monliLus horruit ursos;
Pertimuitque lupos, quamvis paler essel in illis. 495
Ecce lycaonisB proles ignara parentis,
Arcas adest, ter quinquc fere nalalibus actis.
Duraque feras scquitur, dum saltus eligit aptos,
Nexilibusiiue plagis silvas erymanthidas anibit,
Jncidit in matrcm. Qus restitit Arcadc viso, .-ifKl
Et cognoscenti similis fuit. llle refugit,
Immotosquc oculos in se sine fine teneutem
Kcscius estirauit; propiusquc accedere avcnli
Vulnifico fuerat fixurus pectora telo.
Arcuit omnipoteus, parilcrque ipsosque nefasqiic ol^"»
MfiTAMORPIIOSES.
ipide les emporle a Iravers les espaces, et les place dans le ciel,
»u ils forment deux constellalions voisines.
Junon, indignee de voir sa rivale briller parmi les astres, des-
cerid dans la mer, sejour de la blonde Tethys et du vieil Ocean,
que r6verent eux-memes les dieux. Ils s'informent des motifs de
sa visite : « Yous me demandez, dit-elle, pourquoi, reine des dieux
dans TEmpyree, je suis venue pr6s de vous? Une autre occupe
mon tr6ne dans les cieux. Qu'on m^accuse dMmposture, si, lors-
que la nuit couvrira Tunivers, vous ne voyez (et c'est \k ce qui
dechire mon coeur) des etoiles nouvellement regues dans le del
paraitre a Tendroit ou un cercle, place a Textremite de Taxe du
monde, Tentoure de son etroit circuit. Est-il un homrae qui n'ose
insulter Junon ou qui redoute sa haine, lorsque seule je sers en
Toulant nuire ? Voila Feffet de mon courroux ! Oh ! que mon pou-
voirest grand ! Je n'ai pas voulu qu'elle reslSt mortelle, et la voila
d^sse ! Cest ainsi que je punis les coupables : tant ma force est
terrible ! Que Jupiter lui rende son ancienne beaute ; qu'il lui 6le
cette forme sauvage, comme il fit autrefois pour la soeur de Pho-
ronee, qu'Argos avait vue naitre. Pourquoi ne l'epouserait-il pas,
apr^s avoir chasse Junon ? Pourquoi ne la recevrait-il pas dans ma
Suslulit, ct celeri raplos pcr inania vento
Imposuit ccclo, vicinaquc sidera fccit,
Intumuit Juno, postquam intcr sidera pclicx
Fulsit, et ad canam descendit in aequora Tethyn,
Ocdanumque senem, quorum rcvcrenlia movit 510
Saepe deos, causamque visB scitantibus infit :
« Quxritis, aethereis quare regina dcorum
Sedibus hucadsim? Pro me tenctaltera coclum.
Mentiar, obscurum nisi nox quum fecerit orbem,
Nuper honoratas summo, mea vulnera, ccc\o 515
Viderilis stellas illic, ubi circulus axem
Ultimus extrcmum spatioque brevissimus ambit.
Est vcro, cur quis Junonem laederc nolit,
Offensamquc trcmat, qua) prosim sola nocendo?
En pgo quantum cgi ! quam vasta polcntia nostra cst ! 52U
Esse hominem vetui ; facla est dea. Sic ego poenas
Sontibus impono, sic esl mea magna poteslns.
Vindicct anliquam faciem, vuUusque fwnos
Detrahat, argolica quod in antc rhoronide forit.
Cur non et pulsa ducat Junono, meoque L2j
LIVRE II. (^g
couche, et ne prendrait-il pas Lycaon pour beau-p^re? Mais vous,
sirinjure faite a celle dont vous avez nourri renfance vous touche,
fennez vds flots d'azur aux sept Trions ; repoussez une constellation
plac^ par rinfamie au c61este sejour, et qu'nne vile adultf^re ne
gonille pas vos cbastes ondes ! »
LE CORBEAU PERD LA BLANCHEUR DB SON PLUMAGE, ET DEVIEHT NOIR.
IV. Les dieux de la mer font un signe d'approbation. La fille
de Satume s'elance dans les airs, portee sur son char rapide que
trainent des paons dont les plumes, teintes du sang d'Argus,
brillentderiches couleurs, depuis Tepoque recente ou le corbeau
perdit tout a coup par sa loquacite son ancienne blancbeur pour se
couvrir d'un manteau noir. Jadis son plumage aux reflets d'argent
ne le c^ait ni au duvet sans tache des colombes, ni a Toiseau
vigilant dont la voix devait sauver le Capitole, ni au cygne qui
aime a se jouer dans les eaux. Sa langue le perdit, et son babil fit
succeder a sa blancheur primitive la couleur d*ebene.
L'H^monie enti^re n^avait pas de beaute plus c^iebre que Coro-
nis, n^e k Larisse. Elle te plut, dieu de Delphes, du moins tant
CoUocet in thalamo, socepuraque Lycaona sumal?
At Yos, si laesse contemptus tangit alumnse,
Gurgite caeruleo septem prohibete Trioncs,
Sideraque ia ccelo, stupri mercede, recepla
Pellite, ne puro tingatur in xquore pellex. » S30
CORVUS FIT EX ALBO NIGER.
IV. Di maris annuerant. Habili Saturnia curru
Ingreditur liquidum pavonibus aera pictis,
Tam nuper pictis caeso pavonibus Argo,
Quam tu nuper eras, quum candidus ante fnisscs,
Corve loquax, subito nigrantes versus in alas. cm5
Nam fnit haec quondam niveis argentea pennis
Ales, ut aequaret totas sinc labe columbas,
Nec seryaturis vigili Gapitolia voce
r.ederet anseribus, ncc amanti flumina cycno.
Lingua fuit damno : lingua facicntc lo^naci, 540
Cui color albus erat, nunc est conlrarius albo,
Pulchrior in tota, quam larissaea Coronis,
Non fiiit Haemonia. Placuit tibi, Dclphice, rorte.
70 MfiTAMORPIlOSES.
qu'elle fut chaste ou que tu ne reraarquas pas ses infid^lites; mais
elles n'ikhapperent pas a Toiseau de Phebus. Inexorable delateur,
ii allait reveler a son maitre un coupable mystere, quand arriva
prte de lui Tindiscrete comeille, curieuse de tout apprendre. In-
struitedu sujet de son voyage, elle lui dit : « Tu ne suis pas la route
convenable. Ne meprise pas mes predictions. Considere ce que
j'ai6te, et ce que jesuis. Apprends comment j'ai merit^ mon sort.
Mon malheur, tu le verras, est n6 de ma fidelite. Jadis, Pallas avait
renferme dana une corbeille d^osier firichthon venu au monde
sans m^re, et Tavait confie aux trois fiUes de C^crops, en leur
prescrivant de ne jamais pen^trer son secret. Cach^e sous le leger
feuillage d'un ormeau touffu, j'6piais leurs actions. Deux d^entre
elles laisserent exactement ferm^e la corbeille confiee a leurs
soins : c'6taient Herse et Pandrose. La troisieme, Aglaure, se mo-
qua de ses timides soeurs, et detacha les noeuds de la corbeille, oii
elles virent un enfant et un serpent couche pres de lui. Je rappor-
tai cette action a la d^esse. Pour prix de mon z^le, la protection
de Minerve me fut, dit-on, retiree, et je cedai ma place a Toiseau
de la nuit. Mon chMiment doit apprendre au peuple aile a ne point
Dum vel casta fuit, vel inobversata. Sed ales
Sensit adulterium phcebcius. Utque latentem 54r>
Detegeret culpam non eiLorabilis index,
Ad dominum tendebat iter. Quera garrula molis
Consequitur pcnnis, scitetui' ut omnia cornix.
Auditaque viae causa : « Non utile carpis,
Inquit, iter. Ne sperne meae prsesagia linguse. H50
Quid fuerim, quid simque, vide; meritumque requiro.
Invenies nocuisse fidem. Nam tempore quodam
Pallas Erichthonium, prolem sine matre cre{»tam,
Clauserat aclaeo texta de vimine cisla,
Virginibusque tribus, gemino de Cecrope natis, ^•'>
Hanc legem dederat, sua nc secreta viderent.
Abdita fronde levi densa specula])ar ab ulmo,
Quid facerenl. Commissa duae sine fraude tuentur,
Paudrosos atque Herso. Timidas vocat una sororos
Aglauros, nodosque manu diducit; at intus aCf)
Infantemque vident, apporreclumquc draconem.
Acta deae refero. Pro quo mihi gratia lalis
ReilHilur, ut dicar tutela pulsa Minerva?,
Et ponar post noclis avem. Mea pcena volucres
LIYKE II. 71
se conipromettre par ses indiscretions. Ce n'est, je pense, ni de
son propre mouvement, ni en cedant a des instances qu^elle me
dioisit. Yous pouvez le lui demander a elle-mSme. Malgr^ son
coiuTOUx, elie ne saurait me d^mentir.
« Au sein de la Phocide, Tillustre Goronee me donna le jom*. Ua
naissance est connue : je sors d'un sang royal. De ricbes pr^ten-
dants briguerent ma main : garde-toi de me mepriser. Ma beaute
fit mon malheur. Je me promenais lentement, selon ma cou-
lume, sur le rivage de la mer. Le dieu des flots me vit et bhila
d'une we flamme. Lorsqu'ii eut consum^ en vain ses prieres et
ses douces paroles, il recourut a la violence et me poursuivit. Je
pris la fuite, j'abandonnai ie terrain solide, et je me fatiguai a
courir inutilement sur le sable qui cedait sous mes pas. J'invo-
quai les dieux et les hommes. Ma voix ne rencontra pas d'dme sen-
sible. Une vierge seule eut pitie d*une vierge et vint a mon se-
cours. J'^levai mes bras au ciel. Je les sentis se couvrir i^g^rement
d*un noir duvet. J'essayai de repousser mes v^tements loin de mes
^ules. Ils ^taient cbang^s en piumes qui avaient jet^ sous ma
peau de profondesracines. Je voulus me frapper le sein : jen'avais
Admouuisse polest, ne voce pcricula quoBranl. 5G5
At, puto, non ultro, nec quidquam tale rogantem
Me petiit. Ipsa licet lioc ex Pallade quseras.
Quamvis irata est, non hoc irata ncgabit.
« Nam me phocaica clarus tellute Coroucu:?,
Nota loquor, genuit; fueramque ego regia virgo, 570
Divitibusque procis, ne me contcmne, pclebar.
Forma mihi nocuit. Nam quum per littora lenlis
Passibus, ut soleo, summa spaliarcr arcna,
Vidit, et incaluit pelagi deus. Utque prccando
Tempora cum blandis consumpsit inania verbi::', 575
Vim paral, et sequitur. Fugio, densumque relinquo
Littus, et in molli nequicquam lassor arena.
Inde deos hominesque voco; nec contigit uUum
Vox mea morlalem. Mota est pro virgine virgo,
Auxiliumque tulit. Tendebam brachia coclo ; 580
Brachia coeperunt levibus nigrescerc pcnnis.
Rejicere ex humeris vestcm molibar; at illu
rinma erat, inque cutem radiccs edcrat inias.
Plangere nuda meis conabar pectora palmis)
72 METAMORPUOS£S.
plus ni niains ni poitrine. Je conrais, et le sable ne retenait pius
mes pas. Je m'6ievais a la surface de la terre. Bientdt mon essor
m'emporta dans les airs, et je devins la compagne irreprochable
de Minene. Mais qu'importe cet honneur, si, changee en oiseau
pourun crime horrible, Nyctimcne me remplace? Eh quoi! Tat-
tentat dont Lesbos retentit n'est point parvenu jusqu'a vous ? Vous
ignorez qu'elle a souille la couche patemelle? Elle est oiseau
maintenant ; mais la conscience de sa faute lui fait fuir la vue des
hommes et la clarte du jour. Elle cache sa honte dans les t^n^br es,
et tous les oiseaux la chassent des regions de Tair. •
Elle dit. Le corbeau lui repond : « Que tes sinistres paroles
retombent sur toi ! Je dedaigne tes vains presages. » Sans quitter
sa premi^re route, il va raconter a son maitre qu'il a vu Coronis
dans les bras d'un jeune Thessalien. A la nouvelle de ce crime, le
dieu, qui la cherit, laisse tomber sa couronne de laurier. En
meme temps ses traits changent ; le luth s'echappe de ses mains ;
il palit. Le coeur enilamme de courroux, il saisit ses armes, tend
son arc, et d'un trait inevitable frappe ie sein qu-il pressa tant de
fois sur son sein. Goronis bless^ pousse un cri, et retire le fer
Scd ncqne jam palmas, nec pectora nuda gerebam. 5H5
Currcbam; ncc, ui ante, pedes retinebat arena ;
Sed siunnia toUebar humo. Mox acta per auras
Evchor, ct dala sum comes inculpata Minervx.
(Juid tamen hoc prodest, si diro facta voluciis
Criminc, Nyctimene nostro successit honori? o90
An, quaj pcr lolam res cst notissima Lesbon,
Non audila tibi est, patrium temerasse cubilc
^yclimcncn? Avis illa quidem; sed conscia culpx,
Conspectum luccmquc fugit, tcnebrisque pudorcui
Celat, ct a cunclis cxpcUilur xthere tolo. » 505
Talia dicenti : « Tibi, ait, revocamina, corvus,
Sint, prccor, isla mald 1 Nos vanum spernimus omen. >
Nec coeptum dimitlit iter, dominoque jacentem
Cum juvenc hicnionio vidisse Coronida narrat.
Laurea delapsa cst, audito crimine, amanti ; 600
Elparitcr vultu^sque deo, plectrumque, colorque
Excidit. Utque aniraus tumida fei-vebat ab ira,
Arma assucla rapit, flexumque a cornibus arcum
Tcudit, ct iila suo loties cum pectorc juncla
Indcvilato trajecit pectora telo. 605
Icla dcdit gemitum, tractoque a vulnere ferro
. LIVKE II. 75
de sa blessure. Des flots de sang rougisseut soii corps d'albalre.
flPuisse-je, dit-elle, avoir assouvi ta vengeance, 6 Phdbus! Maii
j'aurais voulu d^abord ^tre mere. En me frappant seule, la mort
immole aujourd'hui deux victimes. » A ces mots, sa vie s'^happe
avec son sang, et sur son corps inanime s'etend le froid de la '
mort. ApoUon se repent trop tard de sa crueile vengeance. II
maudit a la fois sa foUe credulite et son aveugle courroux; il
maudit Toiseau qui lui a revele la faute de Coronis et le sujct de
son indignation ; il maudit la corde de son arc, son arc lui-m^me,
sa main et les fleches qu'elle a tem^rairement lancees. 11 rcl6ve
Coronis, la r^chauffe conlre son sein, et, par des secours tardifs,
essaye de triompher du Sort. Mais il a beau epuiser les ressources
de son art, ses^efforls sont vains. 11 voit s'appr6ter le buclier et
briller la flamme qui doit devorer les restes de son amanle. Alors
des sanglots (car les larmes ne peuvenl baigner le visage d*un
dieu) s'exhalent du fond de son coeur. Ainsi g^mit la genisse de-
venue mere, loi*squ'elle voit un bras vigoureux frapper avec la
masse retentissante la I6te de son tendre nourrisson. Apollon
repand sur le sein de sa victime d'inuliles parfums, rembrasse et
Catidida punicco perfudit uiembra cruore,
Et di\it : « Potui pa'uas tibi, Phoebe, dedi^sc,
Sed peperisse prius : duo nunc moriemur in unu. »
Uactenus, et pariter vitam cum sanguine fudit: 610
Corpus inane animae frigus lethale secutum est.
Poenitet heu! sero poena! crudelis amantem;
Soque, quod audierit, quod sic exarserit, odit.
Odit avem, per quam crimen causamque dolendi
Scire coactus erat; nervumque, arcumque, manumque G15
Odit, cumque manu, temeraria tela, sagittas.
CoUapsamque fovet, seraque ope vincere fata
Nititur, et medicas exercet inaniter artes,
Qux postquam frustra tentata, rogumquc parari
Vidit, et arsuros supremis ignibus artus, 620
Tum vero gemitus (neque enim coelestia tingi
Ora licet lacrymis), alto dc corde pelitos
Edidit; haud aliter, quam quum, spectantc juvenca,
Lactentis viluli, dextra libratus ab aure,
Tempora discussit claro cava mallcus ictu. 625
Ct tamen ingratos in pectora fudit odores,
74 MfiTAMORPHO&ES.
s^acquitte des devoirs commandes par un injusle trepas\ Toutetois
1 ne peut souffrir que le meme feu reduise en cendres le fruit
de son amour. II le retire des flanmies et du sein de sa mere pour
le porter dans Tanlre de Chiron. Le corbeau, qui attendait la
recompense de son fid^e recit, ne compta plus, par Fordre d'A-
poUon, au nombre des oiseaux distingues par la blancheur de
leur plumage.
OGYAnO]% mSTANORPHOSEB EN GAVALE.
V. Le monstre cependant se rejouissait d'avoir un nourrisson
d*une race divine : Thonneur inherent a sa tache faisait son or-
gueiL Tout a coup, arrive, les cheveux flottant sur ses epaules, la
blonde fille du Centaure qu'autrefois la Nymphe Charido enfanta
sur les rives d'un fleuve rapide et qu'elle nomma Ocyrhoe. Elle ne
se contenta pas d'apprendre les secrets deson pere; elle predisait
l'avenir. A peine a-t-elle con^u dans son sime une fureur prophe-
tique; a peine, echauffee par le dieu qu'elie portait dans son
coeur, a-^t-elle vu renfant : « Grandis pour le salut du monde,
jeune enfant ! dit-elle. Souvent les mortels te devront Texistence.
fit dedlt amplexus, iujustaque jusla peregit,
Non tulit in cineres labi sua Phoebus cosdeni
Semina; sed natum flammis uteroque parentis
Eripuit, geminique tulit Chirouis in antium; 63U
Sperantemque sibi non falsae praimia lingux,
later aves albas vetuit considere corvum.
OCYRHOE MUTAVOIl IN EQUAIi.
V. Semifer interea divinae stirpis alumno
Lsetus erat, mixtoque oneri gaudebat.bonore.
Ecce venit rutilis humeros protecta capillis Gdo
Filia Centauri, quam quoadam Nympha Charicio,
Fluminis in rapidi ripis enixa, vocavit
Ocyrhoen. Non hsBC artes contenta patetiias
Edidici.sse fuit ; fatorum arcana canebat.
Ergo ubi vaticiuos concepit meute furores, 640
Incaluitquc deo, queni clausuni pectore habebat,
Aspicil infauleni, « lotique salulifer urbi
Ci^esce, puer, dixit. Tibi se uiortalia ssepe
LlVUE 11. IS
11 te s«ra donne de raidmer les morts. Mais, pom* ravoir essaye
ube fois, en d^pit ducourroux des dieux, la flamme de tou aieul
fempMiera de le tenter encore. Dieu, tu deviendras un corps
kiaiiiin^ ; puis dieu, en quittant une depoiulle mortelle; et deux
fois tu verras renaitre tes destins. Toi aussi, tendre pere, toi qui
0*68 plus mortel, et que le Sort a dote d'une vie qui doit se prolon-
ger dans tous les temps, tu desireras pouvoir mourir, lorsque le
venin d^un serpent cruel, se giissant dans ton corps a travers une
blessure, sera pour toi une source de douleurs. Immortel, les
dieux te rendront sujet a la mort, et les trois Parques trancheront
lefildetesjours. >
n lui restait d'autres myst^res k devoiler. Elle pousse un soupir
du fcHMl de son coeur, et des larmes silionnent ses joues. « Les
Destins m'enemp^ent, dit-elle; je ne puis parler davantage; la
TCHx m^abandonne. Mon art devait-il m'attirer ainsi ie courroux
des dieuz? Oh! quUl eut mieux valu ignorer Tavenir! Deja la
fonne humaine semble m'^tre ravie ; deja i'herbe me pJait pour
piture; deja Tinstinct m'entraine dans de vastes prairies: mon
ooqis, conune celui de mon pere, prend la forme du cheval. Mais
Corpora debebunt. Animas lihi reddere adcinptab
Fas erit; idquc semel dis indignantibus ausus, {i\:\
Posse dare hoc iterum flamma prohiberis avita.
Eque deo corpus fics exsangue; dcusque,
Qui modo corpus eras; et bis tua fata novabis.
tu quoque, care pater, non jam mortalis, et aivis
Omnibus ut maneas, uascendi legc crcatus, (kM)
Posse mori ciipies tum, quum cruciubcre diru:
Sanguine serpentis per saucia membra reccplo;
Teque ex aetemo patientem numina mortis
Efficient, tiriplicesqu6 des tua fila resolvent. »
Restabat fatis aliquid. Suspirat ab imis (k):)
Pectoribus, lacrymseque genis labuntur oborlac,
Atque ita : « Praevertunt, inquit, me fata, vetorquc
Plura loqui, voci^que mes prscluditUr uSus.
>'on fuerant slrtes tanti, quas numinis iram
Contraxere mihi. Mallem nescisse futurd; tieO
Jara mihi subduci facies humana videtur;
Jam cibuS berbsl placet; yJnn latis cutrere campis
Jmpctus cst : in equam, cognalilquc corpora vertdr.
7G METAMORPHOSES.
pourquoi la nietaniorphose, entiere chez moi, est-elle incomplete
chez lui ? » Telles etaient ses plaintes. Ses dernieres paroles furent
a peine intelligibles : tant elles ^taient confuses ! Bientdt on n*eii-
tendil plus ni des paroles humaines, ni le hennissement d'une ca-
vale, mais un son qui cherchait a Timiter. Peu d'instants aprei,
elle pousse de veritables hennissements ; ses bras s agitent sur le
gazon; ses doigts se tiennent, et ses ongles reunis s^arrondissent
en un leger sabot; sa bouche s'agrandit, son cou s'allonge, le bas
de sa robe trainante se change en queue, et ses cheveux epars
forment la criniere qui flotte a droite sur son ccu. Elle prend en
mtoe temps une voix etune figure nouvelies, et tire un noaveau
nom de sa metamorphose.
BAll^DS niTAMORPHOSl EN PIERRE.
VI. Fondantenlarmes, le filsde Philyraimplorait en vain ton.se-
Cours, dieu de Delphes. Tu nepouvais enfreindre les ordres du grand
Jupiter; et, quand tu l'aurais pu, tu n*etais point pres de lui. Tu
habitais Tfilide et la Messenie. Tu etais alors rev^tu d'une peau de
berger. Ta main droite portait une branche d'olivier sauvage, et la
Tota tamen quare? pater estmihi nempc biformis. »
Talia dicenti pars est extrema querelae 665
Inlellecta panim, confusaque verba fuere,
Mox nec verba quidem, nec equas sonus ilie videtur,
Sed simulantis equam ; parvoque in lempore certos
Edidit hinnitus, et brachia movit in herljas.
Tum digiti coeunt, et quinos alligat unguos 670
Perpetuo cornu levis ungula; crescit et oris,
El colli spatium; longaB pars maxima pallae
Gauda fit ; utque vagi crines per coUa jacebant,
In dextras abiere jubas; pariterque novata est
Et vox, et facies ; nomen quoque monstra dedere. 075
BATTOS MUTATUR IN LAPIDEM.
VI. Flebat, opcmque tuam frustra Philyreius hcros,
Delphice, poscebat. Nam nec rescindere magni
Jussa Jovis poleras ; nec, si rescindere posses,
Tunc aderas : Elin, messaniaque arva colebas.
!llud erat tempus, quo te pastoria pellis 680
Texit, vttusque fuit dextrae silvestris oliTa;
LIVRE II. 77
gauche une Mie formee de sept roseaux d'inegale grandeur. Tout
entier k l'amour, tu faisais tes d^lices de ton chalumeau, lorsque
des g^nisses s'avano§rent, dit-on, sans gardien, dans les ciiamps
de Pylos. Le fils de Maia les voit, et, grSce a son adresse, les de-
robe et les cache au fond des bois. Ce larcin ne fut remarque de
personne, excepte d'un vieillard connu dans les campagnes voi-
sines : on Tappelait Battus. II etait charge de garder les bois, Jes
gras p&turages du ricbe Nelee et ses nobles cavales. Mercure le
redoote. D*une main caressante il le tire a part, et lui dit : « Qui
qae tu sois, ^tranger, si Ton reclame ces troupeaux, reponds que tu
ne les a point vus. Pour un tel service, re^ois cette genisse su-
perbe. » II la lui donne. L'6tranger Taccepte en ajoutant : « Retire-
tdsans crainte.Gettepierrerev^IerapIutdtquemoitonlarcin. » En
mtoe temps il lui montreune pierre. Le fils de Jupiter feint de
s*^0]gner. Bientdt il revient avec une voix et une figure nou-
Tdks. € Berger, dit-il, as-tu vu des genisses errer dans ces cam-
p9^:nes? Aide-moi a decouvrir ce larcin. Tu recevras pour r6com-
pense nne g^nisse et un taureau. » Le vieillard, gagn^ par Tapp^t
d'un double salaire, lui repond : « Vous les trouverez derriere ces
AUerius, dispar septenis fistula cannis.
Dumque amor est curie, dum te tua fistula mulcet,
Incustoditac pylios meraorantur in agros
Processisso boves. Yidet has atlantide Maia CS5
Natus, et arle sua silvis occultat abactas.
Senserat hoc furtum nemo, nisi notus in illo
Ilure senex : Battum vicinia tota vocabant.
Divitis hic saltus hcrbosaque pascua Nelei,
Nobiliumque gregcs custos servabat cquarum. GGU
Ilunc tirauit, blandaque manu scduxit, et ilii :
« Quisquis es, hospes, ait, si forle arnienla requiret
Haec aliquis, vidisse noga. Neu gratia facto
ISulla rcpendatur, nilidam cape prajmia vaccam. »
Et dedit. Accepta, voccs has reddidit hospes: 095
u Tutus eas. Lspis istc prius tua fuila loquatur. »
Et lapidera oslcndit. Simulat Jove natus ahire.
Mox redit, et, versa paritcr cum voce ilgura :
« Rustice, vidii^ti si quas hoc limite, dixit,
Ire l»oves, fer opem furtoque silentia deme. 700
Inncta suo pretium dabitur libi femina lauro. »
At senior, postquam merccs geminata ; « Sub illis
78 METAMORPHOSES.
montagnes. » Elles y etaient en eflet. Le petit-filsdWtlas se mit a
rire : « Perfide, c'est moi que tu trahis, tu me Iraliis moi-mfime ! »
dit-il ; et il changea le parjure vieillard en une pierre dure qu'au-
jourd'hui m^me on appelle pierre de touche. Depuis ces temps
anciens elle est marquee d'une tache d*infamie qu'elle n'a point
meritee.
AGLAUBE CHAItGiE EN ROGHER.
Vn. De Pylos, Mercure prend son vol, et ses regards ddcouvrent
ies champs de Munychie, la contr^e cherie de Minerve et le bois
qui couronne le Lycee. Ce jour-la, suivant Tantique usage, de
chastes vierges portaient sur leurs tStes, dans le sanctuaire de
Pallas pare pour cette solennite, des corbeilles chai^ees de pures
offrandes. A leur retour, le dieu les voit. Des lors il quitte la ligne
droite et se replie sur hii-m^me. Tel, dans son rapide essor,
quand il aper^oit les entrailles d'une victime, le milan trace un
circuit dans les airs, tant que la crainte Tinquiete et que les prfi-
tres environnent Tautel ; il n'ose s*eloigner et plane avidement
autour de la proie qu'il espere. Ainsi, dans son vol, le dieu de
Montibus, inquit, enint; » et erant sub montibus illis. I
Risit Atlantiades, et: « He mihi, periide, prodis? |
Me mihi prodis? » ait; perjuraque pectora vertit 705 j
In durum silicera, qui nunc quoque dicitur Index; J
Inque nihil merito velus est infiamia saxo. '
AGLAUROS IN SAXUM OBRIGESCIT.
VII. Ilinc se sustulerat paribus Gaducirer alis, \
Munychiosque volans agros, gratamque Minerv» j^
Despectabat huraum, cuilique arbusta Lycei. 710 ^
Illa forte die castse de more pueliae l
Vertice supposito festas in Palladis arces -i
Pura coronatis portabant sacra canistris.
Inde revertentes deus aspicit ales iterque
Non agit in rectum, sed in orbem curvat eumdcm. 715
VI volucris visis rapidissima miluus extis, .^
Dum timet, et densi circumstant sacra ministri, . j :^
Flertitur in gyrum, ncc longius audet abire.
it
Sppmque suam motis avidus circumvolat alis ^
LIVRE 11. 70
Cyliene tourne au-dessus des murs rrActe en dccrivaut le m^me
cercle. Autant Lucifer eclipse les etoiles par son eclat, autant la
blondePheb^ feclipse toi-mdme, 6 Lucifer! autant flers^, par ses
attraits, efface toutes les vierges. Elle est a la fois romement de
cette f§te et de ses compagnes. A la Tue de tant de cbarmes, ie
fils de Jupiter s'arr^te immobile. Suspendu dans les airs, il s'en-
flamme comme le plomb qui, lance par ia fronde, ¥ole et s'em-
brase en sillonnant les nuages ou il rencontre des feux inconnus.
n change de route, ei, sans se deguiser (tant il se fie a ses ciiar-
mes!)y il quitte le ciel pour se diriger vers un autre point. Sa
beaute, quoique parfaite, puise dans Tart un pouvoir nouveau. ii
arrange ses cheveux, il fait flotter avec grSce sa chlamyde sur ses
epaules, pour qu'elle etale a tous les yeux Tor et sa riche brode*
rie de pourpre; sa main tient la baguette legere qui appelle ou
bannit ie sommeil ; ses ailes briilent a ses pieds.
Au fond du palais de Cecrops ^taient trois appartements que d^-
coraient l'ivoire et recaille. Le tien, Pandrose, se trouvait a droite,
ceiui d'Aglaure a gaucbe, et celui d'Herse au miiieu. Aglaure s'a-
pergut ia premiere*de Tarrivee de Mercure. Elle osa lui demander
Sic super actaeas agilis Cyllenius arces 7:20
Inclinat cursus, ct easdem circinat auras.
Quanto splendidior, quam caetera sidera, fulgel
Lucifer; et quanto, te, Lucifer, aurea Phcebe;
Tanto virginibus praestantior omnibus Hcrsc
Ibat, eratque decus pompse comitumque suarum. 725
Obstupuit forma Jove natus, et aeibere pendens
Non secus exarsit, quam quum balearica plumbtini
Funda jacit; volat illud, et incandescit cundo,
Et, quos non habuit, sub nubibus invenit ignes.
Vertit iter, cceloqud pelit diversa relicto, 730
Nec se dissimulat : tanta est fiducia formae I
Qnae quanquam justa est, cura tamen adjuval illani,
Permulcetque comas, chlamydemque, ut pendeat aple,
CoUocat ; ut limbus, totumque appareat aurnm ;
Ut teres in dextra, qua somnos ducit et arcet, 7o5
Virga sit; ut tersis niteaat talaria plantis.
Pars secreta domus ebore et testudine cultos
Tres habuit thalamos quorum tu, Pandrose, dextrum,
Aglauros laevum, medium possederat Herse.
Quae tenuit laeyum, Tenientem prima notavit 740
Mercurinm, nomenqne dei scitarier ausa est, »
80 MfeTAMORPHOSES.
son nom et le motif de sa pr^sence. Le pelit-fils d'Atlas et de
Pleion^ lui r^pondit : « Je suis le dieu qui porle a travers les airs
les ordres de mon pere ; et mon p6re, c'est Jupiter lui-mdme. Je
ne falleguerai point de vains pretextes. Seulement, sois fid^le a
ta soeur, et consens a voir des neveux dans mes enfants. Je viens
pour Herse. Je l'en supplie, favorise ma flamme. » Aglaure le re-
garde avec ces m^mes yeux qui naguere penetr^rent le secret de
Miiierve. Elle demande pour ce service une somme consid^rable,
et presse le dieu de sortir du palais. La deesse de la guerre lui
lauce un regard menagant. Les profonds soupirs qui s'exhalent de
son coeiu* font tressaiUir sa forte poitrine et T^ide qui la pro-
tege. Elle se souvient qu'Aglaure d'une main profane devoila le,
mystere, lorsque, contrela foi juree, elle porta les yeux sur le fils
du (lieu de Lemnos qui venait de naitre sans mere. Elle sent
qu'AgIaurc va gagner la faveur du dieu et de sa soeur, tout en
s'enrichissant par Tor qu'exige sa cupidit^.
Aussitdt elle se dirige vers le palais de TEnvie souiUe d'un sang
noir. Sa demeure se cache au fond d^une vall6e inconnue du soleil,
inaccessible a tous les vents, triste, glac^e d'un froid lethargique,
Et causam adventus. Cui sic respondit Atlantis
Pleionesque genus : « Ego sum, qui jussa per auras
Verba patris porto. Pater est mihi Jupiter ipse.
Nec fmgam causas : tu tantum fida sorori 715
Esse velis, prolisque meae matertera dici.
Herse causa via;. Faveas, oramus, amanti.»
Aspicit liunc oculis isdem, quibus abdita nuper
Viderat Aglauros flava: secreta Minervse ;
Proquc ministerio magni sibi ponderis aurum 7.^)0
Postulat. Intcrea lectis excedere cogit.
Vertit ad hanc torvi dea bellica luminis orbem,
Et tanto penitus traxit suspiria motu,
Ut pariter pectus, positamque in pectoro forti
^gida concuteret. Subit hanc arcana profana 755
Delexisse manu, tum quum sine matre creatam
Lcmnicoiae stirpem contra data foedera vidit;
El gratamque deo fore jam gratamque sorori,
Ktditem sumpto, quod avara poposcerit, auro.
Protinus Invidiae, nigro squalentia tabo, 760
Tecta pelit. Domus est imis in vallibus aniri
Abdita, sole carens, non ulli pervia vento,
Trislis, et ignavl plenissima frigoris, et qun
LIVRE II. 81
toDJours priv^e de feu et chargee de brouillards. Parvenue h ce s^
joar, la d^esse guerri^re s'arr6te devant la porte (car il ne lui est
pas permis d'entrer) et la frappe du bout de sa lance. A Tinstant
k porte s*ouvre. Minerve voit TEnyie couchee dans son antre et
d^orant des viperes, aliment de ses fureurs. Elle detoume les
yeux. L'Envie se l^ve lentement de terre, abandonne des repliles a
demi ronges, et se traine d un pas languissant. A la vue de la
d^se, dont la beaute et les armes rehaussent la majeste, elle
gemit et met sa figure en harmonie avec ses profonds soupirs. La
p^leur si^e sur ses traits ; son corps est decharne ; jamais son
regard ne se fixe ; ses dents sont tartreuses et livides ; le fiel gonfle
son cceur ; sa langue distille des poisons ; le sourire ne paraitsur
ses l^ivres qu'a Taspect des malheurs. Tenue en dveil par mille sou-
ds, elle ne ferme jamais ses paupi^res. La prosperite humaine la
fait s^her de depit. En dechirant autrui, elle se d^chire elle-
m^e : elle est son propre bourreau. Quoique Minerve Tabhorre,
dle hii adresse ce peu de mots : a Repands ton venin dans le coeur
d*uiie des filles de Gecrops ; je le veux : Aglaure est son nom. •
Jgne Tacet semper, caligiue semper abundet.
Buc ubl pervenit belli meluenda virago, 765
Gonstitit ante domum, neque enin) succederc trclis
Fas habct, et postes eitrema cuspide pulsat.
ConcussaB patuere fores. Videt intus edentem
Yipereas carnes, vitiorum alimenta suorum,
Invidiam, visaque oculos avertit. At illa 770
Surgit humo pigre, scmesarumque relinquit
(lorpora serpentum, passuque incedit inerti.
Utque deam vidit, formaque armisque decoram,
In<^emuit, vultumque ima ad suspiria duiit.
Pallor in ore sedet; macies in corpore toto; 775
Nusquam recta acies; livent rubigine denles;
Pectora felle virent; lingua est suffusa veneno;
Risus abcst, nisi quem visi movcre dolores;
»c fruilur somno, vigilacibus cxcita curis;
Sed videt ingralos, intabe^citquc videndo. 780
Successus hominum; carpitquc et cirpilur una,
Suppliciumquc suum cst. Quamvis tamen odoral illam,
Talibus afiata est breviter Tritonia dictis :
« Infice labe tua uatarum Cecropis unam;
Sic opus psl : Ajrlauros ea est. » Haud plura Incnta, 785
5.
«2 MfiTAMORPIIOSES.
Aussiidt elle s^enruft en repoussant la terre (!u bout de sa lance.
L'£nvie ^uit la deesse d*un oeil oblique, et fait entendre un sou*
))ir qui atteste ie d^plaisir qu'elle eprouve de travailler pour Mi*
nerve. Elle s'arme d'un b&ton h^riss^ d'epines, et marche cou-
verte d*un sombre nuage. Partout ou elle passe elle foule sous ses
pieds les fleurs, dess^che les gazons et abat les hautes cimes.
Peuples, cit^, familles, tout est infecte de son souffle impur. Enfm
elle aper^it la ville de Minerve, que le genie, Topulence et la paix
rendent heureuse et florissante. A peine retiait-elle ses pleurs,
parce qu*elle a'y voit rien de lamentable. Des qu'elle est entree
dans Tapparlement de la fille de Cecrops, elle accomplit les ordres
de Minerve. EUe applique sur le sein d'Aglaure sa main ensan-
glantee, remplit son cceur de pointes decbirantes, lui souffle un
poison mortel, et fait circuler dans sa poitrine un noir venin qui
penetre jusqu'a la moelle de ses os. Afin de resserrer dans un
m^me cadre toutes les causes de ses souffrances, elle rassemble
sous ses yeux Hers^, son heureux hymen et le dieu dont la beaute
Ta charmee. £n mSme temps elle amplifie tout ce qui est capable
d^exciter dans le cceur dWglaure une jalousie secrete qui la d6-
Fngit, et impressa tetlurem reppulit hasta.
Illa, deam obliquo fugientem lumiue cerneus,
Murmura parva dedi!, successurumque Blinerva!
Indoluit; baculumque capit quod spiaea totum
Vincuia cingebant. Adopertaque nubibus atris, IHU
Quacumque ingreditur, florentia proterit arva,
Rxuritque herbas, et summa cacumina carpit,
Afflatuque sito populos, urbesque, domosque
Polluil; ot tandem tritonida conspicit arcem,
Ingeniis, opibusque, et festa pace virentem; 79^
Vixque tenet iacrymas, quia nil lacrymabile ceriiil.
Sed postquam tbalamos intravit Cecrope nata>,
Jussa facit, pectusque manu ferrugine tincla
Tangit, et hamulis praecordia sentibus implet,
Inspiratque nocens virus, piceumque per ossa ^H)u
Dissipat, et medio spargit pulmonc venenum.
Nevp mali spatium causne per latius errenl,
Tiermanam ante orulos, fortunatumque sororis
Conjugium, pulchraque deum sub imagine ponit.
runctaqne magna facit, quibus irritata, dolore ^^'»
i
LIVRE IL 83
chire. L'infortan4e gemit dans des tourments de nuit et de jour ;
elle cede a un poison lent, ainsi que la glace fond aux rayons d'uQ
soleil d^hiver^ Le bonheur d'Herse la minc comme le feu consume
sourdementlesplantes epineuses sans qu^elles jettent de flammes.
Souvent elle voulut mourir pour n'^tre pas temoin de Thymen de
sa soeur; souvent elle voulut le reveler comme un crime a la
severit6 de son p6re.
Enfm, assise k la porte du palais, elle attend, pour le repousser,
le dieu qui s'avance du c6te oppose. En vain emploie-t-il les ca-
resses, les prieres et les plus douces paroles : « Cesse, lui dit-eile;
je ne m'eloignerai d'ici qu^apres t'en avoir chasse. — J'y consens, »
r^lique aussitdt le dieu de Gyllene ; et de s;i baguette il frappe les
portes ciselees. Aglaure veut se lever; mais les membres qui
plient quand nous nous asseyons, enchaines par un engourdisse-
raent invincible, ne peuvent se mouvoir. Eile t^che de se redres-
ser, mais les articulations de ses genoux se roidissent ; le froid
circule dans son corps, et ses veines, privees de sang, perdent leur
azur. Comme un cancer incurable etend ses ravages et gagne in-
sensiblement les parties saines, ainsi les glaces de la morl, pene-
Cecropis occulto mordetnr ; et anxia nocle,
Anxia luce gemit; lenlaque miserrima tabe
Liquitur, ut glacies incerto sauciu solc.
Felicisque bonis non secius uritur Herses,
Quam quum spinosis ignis supponitur herbis, 810
Quse neque dant flammas, lenique vapore cremanlur.
Ssepe mori voluit, ne quidquam tale videret;
Sa>pe, velut crimen, rigido narrare parenti.
Denique in adverso venientem limine sedit
Exclusura deum. Gui blandiroenta, precesque, H15
Verbaque jactanti mitissima : « Desine, dixit.
Hinc ego me non sum nisi te motura repulso. »
« Stemus, ait, pacto, velox Cyllenius, isto. »
Caelatas(]ue fores virga patefecit. At illi
Snrgere conanli partes, quascumque sedendo 820
Flectimur, ignava nequeunt gravitate moveri.
Illa quidem recto pugnat se attollere truneo;
Sed genuum junctura riget, frigusque per artus
Labitnr, et pallent amisso sanguine venae.
Utque malum lale solet inmiedicabile cancer H^io
Serpere, et illsesas vitiatis addere partes;
84 MfiTAMORPHOSES.
trant peu k peu dans le coeur d'Aglaure, ferment le cand de la vie
et de la respiration. Elle ne fit aucun effort pour parler. L'ei!^t-elle
tent^, sa voix n'aurait plus trouv6 d'issue. Deja son cou etait pc-
trifi^; son visage avait durci. Eile etait chang^e en une sta-
tue assise. La pierre m^me n'6tait plus blanche : son 4me i'avait
noircie. ^
JDPITER, SOUS LA FORME d'uN TAURBAU, ENLIiVE EUROPE.
YIIL Cest ainsi que le petit-fils d'Atlas punit les insolents pro-
pos d*wie fille jalouse. Aussitdt il quitte la contree que Pallas de-
core de son nom, et, balance surses ailes, il rentre au c^leste se-
jour. Son pere le prend a part, et, sans lui parler de Tamour,
objet de son nouveau message : <t Fidele ministre de mes volon-
tes, lui dit-il, 6 mon fils ! hate-toi de voler vers la terre avec la
vitesse accoutumee. Rends-toi dans cette contree qui regarde ta
mere, a notre gaucbe, et que ses habitants appellent Phenicie
Emmene jusqu^aux bords de la mer ce royal troupeau que tu vois
paitre au loin sur la montagne. » II dit, et deja les taureaux chass^
dans la plaine cheminent vers le rivage, ou la fille du puissant roi
Sic lelhalis hiems paulatim in pectora venit
Vitatesque vias, et respiramina clausit.
Mec conata loqui est; nec, si conata fuisset,
Vocis haberet itcr. Saxum jam colla tenebat, 830
Oraquc duruerant, signumque cxsangue sedebat, '
Nec lapis albus erat; sua mens infecerat illam.
JUPITER, SUUPTA TAORI SPEGIE, EUROPAU RAPIT.
VIII. Has ubi verborum poenas mentisque profanse
Cepit Atlantiades, dictas a Pallade terras
Linquit, et ingreditur jaclatis xthera pennis. 835
Sevocat hunc genitor, nec causam fassus amoris :
« Fide minister, ait, jussorum, nate, meorum,
Pelle moram, solitoque celer delabere cursu;
Quxque tuam matrem tellus a parte sinistra
Suspicit, indigenae Sidonida nomine dicunt, 840
Hanc pele ; quodque procul montano gramine pasci
Armentum regale vides, ad litlora verte. »
Dixit. et expulsi jamdudum monte juvenci
Littora ju9sa petunt, ubi magni filia regis
LIVRE II. W
de la contr^e avait coutume de jouer au milieu des jeunes Ty-
ri^uies, ses compagnes. La majest^ et Tamour ne s'acoordent
gn^re et ne vont point ensemble. Aussi, d^posant son auguste
sceptre, le p^re et le maitre des dieux, qui tient dans sa main la
foudre terrible, et qui d'un signe ebranle le monde, rev^t la forme
d'un taureau. Gonfondu parmi les troupeaux d'Agenor, il mugit et
promene sur le tendre gazon ses belles formes. II est blanc comme
la neige qui n'a pas encore ete foulee par un pied rustique, ni
amollie par Thumide Aquilon. Ses muscles se gonflent sur son
cou; son fanon se balance avec gr^ce; ses comes sont petites,
mais semblent polies par la main d'un artiste, et brillent plus
qu^une pierre precieuse. Son front n'a rien de menaQant, son oeil
rien de terrible : la douceur regne dans tous ses traits.
La fille d'Agenor admire la beaut^ de ce taureau ; elle s*etonne
qu'il ne respire point les combats. Gependant, malgre la douceur
de ranimal, elle n'ose d'abord le toucher. Bientdt elle s'en ap-
proche, et pr^sente des ileurs a sa bouche d'alb^tre. Son amant
tressaille de joie , et , en attendant le bonheur qu'appellent ses
yceuXy il baise la main de la princesse. A peine peut-il contenir
Ludere, virginibus tyriis coinitata, solebat. 845
Non beue conveniunt, nec in una sede morantur
Majestas et amor. Sceptri gravitate relicta,
Ille pater rectorque deum, cui dextra trisulcis
Ignibus armata est, qui nutu concutit orbem,
Induitur faciem tauri, mistusque juvencis O
Mugit, et in teneris formosus obambulat lierbis.
juippe color nivis e&t, quam nec vebtigia duri
Calcavere pedis, nec solvit aquaticus Auster.
Colla toris exstant; armis palearia pendent;
Cornua parva quidem, sed quse contendere possis So;j
Facla manu, puraque magis perlucida gemma.
Nullae in fronte minae, nec formidabile lumen;
Pacem vultus habet.
Miratur Agcnore nata,
Quod tam formosus, quod prxlia nulla minetur.
Sed, quamvis mitem, metuit contingere primo. 8C0
Mox adit, et tlores ad candida porrigit ora.
Gaudet amans, et, dum veniat sperala voluplas,
Oscula dat manibus. Yix ah! vix caclera differt.
86 M^TAMORPHOSES.
ses Iransports. II joue, il bondit sur le vert gazon. Tant6t il re-
pose sur le sable son corps ^louissant; tantdt, apres avoir insen-
siblement dissipe la frayeur d'Europe, il pr^sente son poitrail a
ses caresses ; fantdt il lui permet d'enlacer a ses comes de fraiches
guirlandes. Eniin la princesse, ignorant quelle est sa divine mon-
ture, ose s^asseoir sur le taureau. Le dieu alors s'eloigne de la
terre et du rivage. Peu a peu il baigne sur le bord de Fonde ses
pieds trompeurs. Bient6t il penetre plus avant, et emporte sa
proie au travers des flots. Europe, effrayde, tourne ses regards vers
les bords qu'elle a quittes malgre elle. Sa main droite tient une
corne du taureau, la gauche s'appuie sur sa croupe, et les plis on-
duleux de sa robe'flottenl au gre des vents.
El nunc alludit, viridique exsultal in licrba ;
Nunc latus in fulvis niveum deponit arcnis ; 865
Paulatimque metu dempto, modo pectora praibel
Virginea plaudenda raanu ; modo cornua sertis
Impedienda novis. Ausa est quoque regia virgo,
Nescia quem premeret, tergo considere tauri.
Tum deus a terra, siccoque a littore, sensira 870
Falsa pedum primis vestigia ponit in undis.
Indc abit ullerius, mediique per aequora ponti
Fert prsdam. Pavet haec, littusque abiata relictum
Respicit, et dextra cornum tenet, altera dorso
Imposita est : treraulae sinuantur flamine vestes. 875
LTVRE TROISIEME
AG^NOR ORDONNE A RADHU8 DR GHRRCHER SA niXB QU*1L VIBIIT
DE PRRDRE. — COMBAT DR GADmiS AVRC UN DRAGOft.
I. D^ja ledieu, depouiile de la Irompeuse forme du taureau. s*e-
tait fait connaitre, et habitait la Crete, lorsque le pere d'£urope,
ignorant dans quelle r^ion avait ete transportee sa fiile, enjoignit
a Gadmus de la chercher; et, se montrant a la fois pere tendreet
cruel, le menaga de i'exil s'il ne la trouvait pas. Gadmus erre jus-
jusqu'aux limites du monde. Mais qui pourrait d^uvrir les lar-
cins de Jupiter ? Reduit a fuir sa patrie pour se d^ober au cour-
rouxde soi)p^re,d'une voix suppliante il implore l'oracle d^Apollon,
et lui demande quelle terre il doit habiter. « Une g^nisse, r^pond
le dieu, s'offrira seule a tes regards dans les campagnes. Jamais
elle n'a port6 le joug, ni traine la charrue. Prends-la pour guide,
LIBER TERTIUS
AOENOR CADMO IMPERAT UT nLIAM AMISSAM QUJ-:nAT. — CADMUS C.VH M,U:O^Z
COLLIICTATDR.
I. Jainqiie deus posita fallacis imagine tauri,
Se confessus erat, dictsaque rura tenebat,
Ouum pater igntrus Cadmo perquirere raplam
Imperat, et poenam, si non invenerit, addit
Exsilium, facto pius et sceleratus eodem. f;
Orbe pererrato, quis enim deprendere possit
Furia Jovis? profugus patriamque, iramque paronlis
Vitat Agenorides, Phoebique oracula supplex
Consulit, et quui sit tellus habitanda, requirit.
« Bos tibi, Phoebus ait, solis occurret in arvis, 10
Nnllnm passa jugum, curvique immunis aratri.
88 METAMORPHOSES.
el, dans la prairie ou lu la verras se reposer, fonde une ville ot
donne a la contr^e le nom de B^otie. »
A peine descendu de Tantre de Gastalie, Cadmus voit s'avancer
lentement et sans gardien une genisse dont le cou ne porte aucune
empreinte du joug. II marche sur ses traces d'un pas rapide, et
adore en silence le dieu qui lui ouvre une route. Deja il avait fran-
chi les bords du Gephise et les champs de Panope. La genisse s*ar-
r6te, l^ve vers le ciel son large front orne de cornes superbes, et
remplit Tair de mugissements. Puis, toiu-nant ses regards vlrs ses
compagnes qui la suivent, elle se couche, et de ses flancs presse le
tendre gazon. Cadmus remercie le dieu, baise cette terre etran-
gSre, et salue ces montagnes et ces plaines inconnues. U s'appr^te
^offrir un sacrifice a Jupiter, et ordonne a ses compaghons d'aller
puiser de Teau vive pour les libations.
La s'^levait une antique forSt que la hache avait toujours res-
pectee. Au milieu etait une caverne couverte d'epaisses brous-
sailles. L'entree presentait une basse voute en pierres. II en
sortait une source abondante. Au fond de cette caverne 6tait caclie
le dragon, fils de Mars. Sa cr^te avait Teclat de Tor; Ja flamme
•
Hac duce carpe yias, el, qua requieverit herba,
Moenia fac condas, boeotiaque illa vocalo. »
Vix bene castalio Cadmus descenderat antro,
Incustoditam lente vide^ ire juvencam, 15
NuUum servitii signum cervice gerentem.
Subsequitur, pressoque legit vestigia gressu,
Auctoremque viae Phoebum taciturnus adorat.
Jam vada Gephisi, Panopesque evaserat arva.
Bos sletit, et toUens spatiosam cornibus altis ^)
Ad coelum frontem, mugitibus impulit auras.
Atque ita, respiciens comites sua terga sequentes,
Procubuit, teneraque latus submisit in herba.
Cadmus agit grates, peregrinseque oscula tenrae
Figit, et ignotos montes, agrosque salutat. 25
Sacra Jovi facturus erat. Jubet ire minislros,
Et petere e vivis libandas fontibus undas.
Silva vetus stabat, nulla violata securi.
Est specus in mcdio, virgis ac vimine densus,
Efficiens humilem lapidum compagibus arcum, ^
(Jberibus fecundus aquis. Hoc conditus antro
Martlus anguis erat, cristis praeugnis et auro.
IIVRB 111. 80
jaiUissait de ses yeux; son corps ^tait gonfle de veriin; il dar-
dait un triple aiguillon, et sa mSchoire etait arm^ d'une triple
rangee de dents. A peine les Tyriens ont-ils porte leurs pas
dans cette funeste for^, k peine I*ume, jet6e au sein des eaux,
a-t-elle retenti, que le noir serpent avance hors de Tantre sa lon-
gue tfite, et fait entendre d'horribIes sifflements. L'ume ^appe
de leurs mains; le sang se glace dans leurs veines, et un subit
eflroi agite tous leurs membres. Le reptile replie en mille anneaux
sa croupe flexible, et ddcrit en bondissant des orbes immenses.
Plus de la moiti^ de son corps se dresse dans les airs et domine la
for^t. Yu dans toute son etendue, il egale en grandeur le serpent
qui separe les deux Ourses. Au mSme instant, soit que les Tyriens
s'appr^tassent a combattre ou a fuir, soit que la crainte paralysSt
ieurs dards et leurs pas, il dechire les uns de ses morsures, eten-
iace les autres de ses longs anneaux, ou les tue de son souflle
impur.
Le Soleil, au plus haut point de sa course, avait enfln r^tr^ci les
ombres. Le fiis d'Agenor s'etonne du relard de ses compagnons
et cherche la trace de leurs pas. II a pour v^tement la depouiile
Igne micant oculi, corpus tumet omne vencno,
Tcesque vibraut linguae, triplici stant ordine dentes.
Quem poetquam tyria lucum de gente profecli o^t
InCausto tetigere gradu, demissaque in undas
Urna dedit sonitum, longum caput extulit antro
Caeruleus serpens, horrendaque sibila misit.
KCQusere urno! manibus, sanguisque relinquit
Corpus, et attonitos subitus tremor occupat arlus. 40
lUe yolubilibus squamosos nexibus orbes
Torquet, et immensos saltu sinuatur in arcus ;
Ac media plus parte leves erectus in auras
Despicit omne nemus: tantoque est corporc, quanlo,
Si totum spectes, gtmiinas qui separat Arclos. 4;i
Nec mora, Phcenicas, sive illi tela parabant,
Sive fugam, sive ipse timor prohibebat ulrumquo,
Occupat hos morsn, longis complexibus illos;
Hos necat afflatos funesti tabe veneni.
Fecerat exiguas jam sol altissimus umbra.-?. -0
Quac mora sit sociis miratur Agenore natus,
Vpstiftatque viros. Tegimen derepta leoni
90 MfiTAMORPHOSES.
d'un Uon, |lour armes une lance au fer elincelant, un javelot, et
son courage, preferable ktoutes les armes. II entre dans la for^t.
A la vue des victimes que la mort vient de frapper, et du vainqueur
qui les couvre de son vaste corps, en lechant de sa langue ensan.
glantee leurs horribles blessures, il s'ecrie : « Je serai votre ven-
geur, mes fideles amis, ou je partagerai votre sort. » A ces mots,
il soul^ve un bloc enorme, et, par un effort supr^me, parvient a le
lancer. Le choc de cette masse eut ebranle des remparts couronnes
de superbes tours. Cuirass^ par ses ecailles et sa peau noire contre
ies coups les plus vigoureux, le serpent resta sans blessure. Mais
sa peau, midgre toute sa durete, ne peut resister au javelot qui
s'ouvre un passage a travers sa souple epine, et s'y fixe en laissant
tout le fer dans ses entraiiles. Transporte de douleur, le monstre
repUe sa t^le sur son dos, regarde sa plaie, et mord le dard qui s'y
tient immobile. li fait mille efforts pour l'ebranler en tout sens,
et semble pres de l'arracher ; mais le fer reste cramponne a son
corps.
A sa fureur ordinaire s'ajoute en ce moment la douleur de sa
blessure. Les veines de son gosier se gonflent de sang; une blan-
Pdlis erat, telum splendenti lancea ferro,
Et jaculum, teloque animus pra^stanlior omni. ■
Ut nemus intravit, lethataque corpora vidit, 55
Yictorcmque supra spatiosi corporis hostem, ^
Tristia sanguinea lambentem vulnera lingua :
« Aut ultor veslrae, fidissima corpora, mortis,
Aut comes, inquit, ero. » Dixit, dextraque molarem
Sustulit, et magnum magno conamine misit.- 60
IUius impulsu quum turribus ardua celsis
Moenia mota forent, serpeas sine vulnere mansit,
Loricseque niodo squamis defensus, et atraj
Daritia pellis validos cute reppulit ictus.
At non duritia jaculum quoque vincit eadem, 05
Quod medio lenla; fixum curvamine spinse,
Constitit, et toto descendit in iiia ferro.
Ille, dolore ferox, caput in sua terga retorsit,
Yulneraque aspexit, fixumque hastile momordit.
Idque, ubi vi multa partem labefecit in omnera, 70
Vix tergo eripuit, ferrum lamen ossibus hteret
Tum vero, postquam solilas accessit ad iras
Plaga recens, plenis tumuerunt gutlura venis,
LIVfiE UI. 91
che ecurao d6cou]e de ses levres veninieuses; la terre est broyee
sous ses ecailles bruyantes, et Tair est infecte du souffle qui s'e-
chappe de sa gueule infernale. Tantdt son corps se recourbe
ai spirales immenses; tant6t il se dresse comme un peuplier;
qndquefois d'un vaste bond il s'^Iance, tel qu'un rapide torrent
grossi par les orages, et de son poitrail il renverse les arbres qu'il
rencontre. Le fils d'Agenor recule un peu, et, avec sa peau de lion,
soutient les assauts du serpent. U oppose son javelot a sa gueule
menagante. Le dragon furieux attaque Tacier par d'impuissantes
morsures et y brise ses dents. D^^ de son palais empeste le sai^
coramen^t a couler et a rougir le gazon. Mais la blessure ^tait
legere. Tant quMI se derobe aux atteintes en reculant sa tfite, les
coups, d^tonmes par ce mouvement, ne peuvent faire une enlaille
profonde. Enfin le fils d'Agenor enfonce le fer dans le gosier du
serpent, le presse sans rel&che, jusqu^i ce que le monstre s'appuie
contre un ch^ne, et que son cou et Tarbre soient perces en m6me
temps. Gourb6 par le poids du dragon, le ch^ne gemit sous ses
cnups de qneue. Tandis que Gadmus contemple le corps gigantes-
Spumaque pestiferos circumfiuit albida rictus;
Terraque rasa sonat squamis; quique halitus exit 75
Ore niger stygio, vitiatas inficit auras.
Ipse modo immensum spiris facientibus orbem
Gingitur; interdum longa trabe rectior exit.
Impete nunc vasto, ceu concitus imbribus amnis,
Fertur, et obstantes proturbat pectore silvas. H()
Cedit Agenorides paulum, spolioque leonis
Sustinet incursus, instantiaque ora retardat
Cuspide prxtenta. Furit ille, et inania duro
Vulnera dat ferro, frangitque in acumine dentes.
Jamque venenifero sanguis manarc palato 8S
Coeperat, et virides aspergine tinxerat berbas.
Sed leve vulnus erat, quia se retrahebat ab ictu,
I^saque colla dabat retro, plagamque sedere
•Cedendo arcebat, nec longius ire sinebat;
Donec Agenorides conjectum in gutture forrum 90
ITsque sequens pressit, dum retro, quercus ounti
Obstitit, et fixa est paritor cum robore cervix.
Pondere serpcntis curvata est arbor, et ima
Parte flagellari gemuit sua robora caudae.
Dum spatium ▼ictor victi considerat hostis, ^^
n m£tamorphoses.
que de son ennemi vaincu, tout a coup une voix se fait enlendi^o.
On ue peut reconnaitre d'ou elle est partie; mais elle prof6re ces
mots : t Pourquoi, fils d'Agenor, regarder le serpent que tu viens
de tuer? On te verra aussi sous la forme d'un serpent. » Long-
tenips saisi d^effroi, Gadmus pMit, se trouble; son sang se glace cl
ses cheveux se dressent sur sa t6te.
DES SOLDATS MAISSENT DES DENTS DU DRAGON TUt PAR CADMUS.
n. Gependant ia protectrice de Gadmus, Pallas, descendue de la
voAte azuree, lui ordonne de remuer la terre et d'y semer les
dents du dragon, d'ou doit naitre un peuple nouveau. 11 ob^it; il
trace des sillons avec la cliarrue,^ et depose dans la terre les dents
destinees a produire deshommes. Aussitdt (6 prodige incroyable !)
la gl^be commence a se mouvoir. Du milieu des siilons surgit d'a-
bord une for^t de lances; bientdt des tStes s'agitent sous des cas-
ques brillants; ensuite apparaissent des epaules, des poitrines, des
bras charges d'armes, et toute une moisson d'hommes couverts de
boucliers. Ainsi, dans les jeux solennels, quand se depioie la toile
du thMtre, les statues semblent s'61ever. Elles montrent d'abord
Vox labito audita est, neque erat cognoscerepromptuni,
Unde; scd audita e>t : c Quid, Agenore nate, peremptum
Serpenlem speclas? ef tu spectabere serpens. >
lile diu pavidus, pariter cum mente colorem
Perdiderat, gelidoque comae terrore rigebant. 100
E DENTIBUS DRACONIS OCCISI MIUTES ENASCONTUR.
II. £cce Tiri fautrix, superas delapsa per auras,
Pallas adest, motaeque jubet supponere lerrae
Yipereos dentes, populi incrementa futuri.
Paret, et, ut presso sulcum patefecit aratro,
Spargit humi jussos, mortalia semina, dentes. 1(t5
Inde (fide raajus!) glebae coepere moveri,
Primaque de sulcis acies apparuit hastae.
Tegmina mox capitum picto nutantia cono,
Moz humeri pectusque, onerataque brachia telis
Exsistunt, crescitque seges clypeata virorum. 110
Sic, ubi toUuntur festis aulaea theatris,
Surgere signa solent, primumque ostendere vuUum,
livre: lii. u3
leurs t^leS, et peu a peu ie reste du corps, jusqu'a ce que, par
degres insensibles, on les deoouvre en entier, et qu'on aper^ive
leufs pieds sur le bord de la scene. EfTraye par ces nouveaux
ennemis, Gadmus allait saisir ses armes : « Ne les prends pas,
s*ecne un des enfants de la terre, et ne te mSle pas a des com-
l)ats impies. v A ces mots, il frappe de son ^pee un de ses
freres, et tombe a son tour sous un javeiot. Celui qui Ta tue ne
survit pas longlemps a sa victime, et rend ie souffle qu'il vient
de recevoir. La ro^me furetir s'empare du peuple entier. Des
freres d'un jour s'entr'egorgent avec leurs propres armes, et ces
guerriers ephem^res heurtent d6ja de leurs poitrines palpitantes
leur mere ensanglantee. 11 n*y en eut que cinq qui survecurent.
I)e ce nombre fut £chion. Par le conseil de Minerve, il mit bas les
armes. II demanda et donna a ses freres un gage de paix, el ils
s*associerent aux travaux de Cadraus pour fonder la ville que i'o-
racle d*Apol]on leur avait ordonne de bdtir.
AGliON METAMORPHOSE EN G£RF.
lll. I>eja s'elevaient les murs deThebes; deja tii pouvais, 6
Cxtera ^iaulaUin, placidoque educta tenore
Tota pateot, imoque pedes in margine ponunt.
Territus hoste novo Cadmus capere arma parabat : 115
« Ne cape, de populo, quem terra creaverat, unub
Exclamat, nec te civilibus insere bellis. »
Atque ita terrigenis rigido de fralribus uuuin
Cominusense ferit; jaculo cadit eminus ipse.
Hic quoque, qui letho dederat, non longius illo J20
Vivit, et exspirat, mbdo quas acceperat, auras,
Exemploque pari fuit omnis turba, suoque
Harie cadunt subiti per mutua vulnera fralres.
Jamque brevis spatium vitae sortita juventus
Sangnineam trepido plangebant pectore matrem, 12S
Quinque superstitibus, quorum fuit unus Echion.
Is sua jecit humi, monitu Tritonidis, arma,
Fratemaeque fidem pacis petiitque, deditquc.
Hos operis comites habuit sidonius hospes,
Quum posuit jussam phcebeis sortibus urbem. 150
ACTiEON IN GEKVUll CONVEBTITUK.
lll. Jam stabant Thebs. Poteras jam, Cadme, videri
04 MfiTAMOUPHO^ES.
Gadiuus! pai'aitre avoir trouve le bonheur dans Texil : rhyiuen f a-
vait donne pour gendre k Mars et a Venus. Ajoute a cet honneur
I'iliustre sang de ta compagne, tant de fils, tant de fiUes, gages de
votre tendresse, et une posterite nombreuse, toule brillante de
jeunesse. Mais, helas ! c'est le demier jour qu il faut loujours at-
tendre; et nul homme ne doit ^tre appele heureux avant que la
mort Tait place sur le fatal bucher. Au milieu de tant de prospe-
rites, 6 Cadmus ! ta premiere douleur te vint de ton fils. Son front
fut charge d'un bois etranger, et ses chiens se desaltererent dans
le sang de leur maitre. Gependant, a dire vrai, le liasard seul fut
coupable : ton fils n'eut point de crime a se reprocher. Quel crime
pouvait-on imputer a une erreur ?
II y avait une montagne baignee du sang des b^tes fauves. Deja
le soleii, au milieu de sa course, avait raccourci les ombres, et s'e-
levait a une egale distance de ses deux limites, lorsque le jeune Ac-
teon dit simplement a ses compagnons errant dans des sentiefs
detournes : « Amis, nos toiles et nos armes sont teintes du sang
des animaux : la fortune aujourd*hui nous a ete propice. Demain,
d^s que FAurore ramenera le jour sur son char vermeil, nous re-
prendrons nos travaux. En ce moment le soleil est k une egale
Exsilio felix : soceri tibi Marsque VenUsque
Cdntigerant. Htic addfi genus de conjuge tanta,
tot natos, natasque» et, pignota cara, nepotes^
Hds quoque jam juVenes. Sed, scilicet/ullima stimpcr 135
Ktspectanda dies homini, dicique beatus
Ante obitum nemo supfemaque funera debet.
ma nepos inter tot res tibi, Cadme, secundas
Causa fuit lutltus, alienaque cdrnua fronti
Addita, Yosque canes ssltiatae sanguine herili. i40
At bene si quaeras, Foitunae crimen in ilid,
Non scelus invenies. Quod enim dcelUs error habebalf
Mons erat, infebtus vdriarum c^de ferarum.
Jftmque dies rehim medias contraxerat umbraS,
ISt soi ex s^uo m^ta distabtlt ulrdque, 145
Quum jutenis placido per devia lustra vagante^
t^atticipes o[ierilm compeliat Ujfantius dre :
it Liua madeilt, bomites, ferruinque ci^iiore ferslruiii.
Forlunamqiic di^s tiabuit salis. Altera lucciii
Qlium croceis evecta rotis Aurora reduccl, 150
Proposilum repetamus opus. Nunc Pbccbus utraquc
j 6xs
lAnl
* '^ri]
L1VR£ 111. 95
distance des deux h^mispheres, et*sa chaleur briilanle entr^ouvre
le sol. Remettez vos courses et pliez vos filets. » Dociles a ses
ordres, ses compagnons suspendent leur chasse.
La s*etendait la vallee de Gargaphie, qne les pins et les cypres
oouvraient de leur ombre. Elle ^tait sous la protection de Diane
chasseresse. Au fond de celte vallee s'ouvrait une grotte obscure,
tout a fait etrang^re a Tart, mais la nature Tavait imit^ en cintrant
la pierre-^nce et le tuf leger. A droite murmurait une source
dont les eaux limpides se promenaient k Faise enlre deux rives
bordees de gazon. G'est dans leur pur cristal que Diane, fatiguee de
la chasse, aimait a plonger ses chastes appas. A peine y est-elle
arivee, qu'elie remet ala Nymphe chargee de vdller sur ses ar-
mes son javelot, son carquois et son arc delendu. Une seconde re-
i^oit la robe dont la deesse s'est depouiilee. Deux autres d^laclient
Ja chaussure de ses pieds. Plus adroite que ses compagnes, la fille
de rism^nus, Crocale, noue les cheveux epars sur le cou de Diane,
tandis que les siens ilottent en desordre. Nephele, Uyaie, Rhanis,
Psecas etPhiale puisent de Teau et repanchent de leurs umes pro-
fondes. Tandis que la fille de titati se baignait, selon sa cou^
Di2»lat idem terfa, finditque vaporibus arva.
Sistite opus praesens, nodosaque tollite lina. n
Jussa viri faciunt, intelrmittnntquc laborem.
Vallis erat piceis et acuta dcnsa cupressu, 155
Nbmine Gargaphie, succinctae cura Diano!.
Ctijus in extremo cst antrum nemoralc recessu^
Aite laboratttm nuUa. Simulaverat arlem
Ingenio natura suo; nam pumice vivo»
Et levibus lophis nativum duxerat arcum. 100
Fons sonat a dextra, tenui peirlucidus unda,
Margiue gramineo patulos incinclus hialus.
llic dea silvarum venalu fessa, solebat
Virgineos.artus liquido perfundere rore.
Quo postquam subiit, Nympharum tradidit tmi 1G5
Armigera! jaculum, pharelramque. arcusque rclenlos.
Altera depositae subjecit brachia pallae.
Vincla duae pedibus demunl; nam doctior illis
Ismenis Crocale, sparsos per cnlla capillos
(lolligit in nodum, quamvis erat ipsa solutis. 170
Cxcipiuut laticeiu Nepiieleque, Uyalequc, Rhanisque,
El Pseeas, et Phiaie, funduntque capacibus uruis.
Dumque ibi perluitur solita Titania lympba.
9G M£TAM0RPU0S£S.
tume, dans cette loutaine, le iite de Gadmus, qui avait interrompu
ses travaux, porle soudain ses pas errants dans le bocage inconnu,
et penetre jusqfu'a la grotte pour y subir sa destin^.
II venait d'entrer dans le reduit ou cette fontaine repand une
fraiclie rosee, lorsque les Nymphes apergoivent un homme. Dans
leur etat de nudite, etles se frappent le sein et remplissent aussit6t
le bois de leurs cris. Elles se pressent autour de Dianeetlui font
un rempart de leurs corps. Mais la deesse, plus grande qu'elles,
les domine de toute sa l^le. Comme on voit un nuage frappe des
rayons du soleil se nuancer de diverses couleurs, ou le front de
rAiirore prendre une teinte Yermeille, ainsi rougit Diane des
qu'un honune l'a vue sans vfetements. Onoique entour^e de ses
nombreuses compagnes, elle s'incline et detourne son visage. Ses
fleches.lui manquent. Eile puise deFeau, la jette 4 la figure du
profane qui Fa outragee, et, en arrosant sa t^le de Tonde venge-
resse, lui annonce ainsi Tinfortune qui le menace : « Mainlenant,
va dire, si tu le peux, que tu m'as vue sans voile. » A ces mols,
elle fait croitre sur le front d'Acteon le bois du c^rf agile, elle al-
Ecce uepos Cadmi, ililala parle laboruu),
Per nemus ignoium non certis passibus erraiis, ^"^
Pci^venit in lucum : sic illum fata ferebant.
Qui simul iutravit rorantia fontibus antra,
Sicut mnt, viso nudse sua pectora Nymplias
Percussere viro, subitisque ululalibus omne
Implevere nemus, circumfusaeque Dianam 180
Corporibus texere suis ; tamen altior illis
Ipsa dea est, cplloque ienus supereminet omncs.
Qui color infectis adversi solis ab ictu
Nubibus esse soiet, aut purpurea) Aurorc;
Is fuit in vultu visae sine veste Dianse. i85
Quoi quanquam comitum turba est stipala cuari.m,
In latus obliquum tamen adstitit, oraque retro
Flexit; et ui vcllct promptas babuisse sagittas,
Quas habuit, sic hausit aquas, vultumquc virilcLi
Perfudit; spargensque comas ultricibus undis, 190
Addidit haec cladis praenuntia verba futurae :
« Nunc tibi mc posilo visam velamine narres,
Si poteris narrare, licet. » Nec plura minata,
Dat sparso eapiti vivacis cornua cenri,
LIVRE III. 97
loDge son cou, affile ses oreiiles, remplace ses mains par des
pieds, sesbras par des jambes gr^les, et enveloppe son corps d'une
fourrure tachetee. De plus, elle lui inspire la peur. Le petit-fils
d'Autonoe prend la fuite; et s'etonne lui-mSme de la rapidit^ de
sa course. A peine a-t-il vu sa ramure dans les eaux qu'il avait
ooutume de parcourir, il veut s'ecrier : « Malheureux ! t Mais la
parde expire sur ses levres. U pousse un g^missement : ce fut son
seul langage, et des larmes baignerent ses traits nouveaux. D ne
conserya que son ancien instinct.
Qaelparti prendre? Retoumera-t-il dans sa royale demeure, ou
se cachera-t-il au fond des bois? Tandis qji^il flotte entre la crainte
et la honte, ses chiens lapergoivent. Melampe et Fintelligent Ich-
nobates, Tun venii de la Grete et Tautre de Sparte, donnent le
premier signal par leurs cris. Bient6t accourent, plus prompts
que le vent» Pamphage, Dorcee et Oribase, tous trois de FArca-
die, le vigoureux Nebrophone et le fi^roce Theron avec L^lape ;
Pterelas aux pieds l^ers et Agre k Fodorat fin ; Hylte, blesse na-
guere par un sanglier farouche ; Nape, issue d'un ioup ; Pemenis»
qui jadis veillait sur les troupeaux ; Harpye, accompagn^e de ses
Dat spatiam collo, sammasque cacuminat aures ; 1!)5
Cum pedibusque manus, cum longis brachia mutat
Graribus, et velat maculoso yellere corpus.
Additus et payor est. Fugit autoneius heros,
Et se tam celerem cursu miratur in ipso.
Ut vero solitis sua cornua yidit in undis, 200
Me miserum ! dicturus erat : vox nuUa secuta esl.
Ingemuit; tox illa fuit; lacrymsque per ora
Non sua fluxerunt : mens tantum pristina mansit.
Quid faciat? repetatne domum et regalia tecla?
An lateat silTis? timor hoc, pudor impedit iilud. 203
Dum dubitat, videre canes; primusque Melampus,
Ichnobatesque sagax, latratu signa dedere,
Gnosius lchnobates, spartana gente Melampus.
Inde ruunt alii rapida Telocius aura,
Pamphagus, etDorceus, et Oribasus, Arcades omnes; 210
Nebrophonosque valens, et trux cum Laelape Theron,
Et pedibns Pterelas, et naribus utiiis Agre ;
Hylaeusquc fero nuper percussus ab apro,
Deque lupo concepta Ifape, pecudesque secula
Pcemenis, et nati» comitata Uarpya duobus, 215
ys mbtamorphoses.
deux petits ; Ladon de Sicyone, aux maigres flancs, Uromas, Ca-
nace, Sticle, Tigris et AIc^; le blanc Leucon, le noir Asbole, le
robusle Lacon, rimpetueux Aello, Thotls, Fagile Lycisca et son
Mre Gyprius ; Harpale, dont la t^te noire porte une tache blan-
che ; M^lanee, Lachne au poil h^riss^, Labros, Agriodos, Hylac-
tor a la voix pergante, n^s d'un pSre cr^tois et d'une mere iaco-
nienne, et beaucoup d'autres qu*il serait trop long de nommer.
Cette troupe affamee de butin se pr^cipite a travers des rochers
escarp^s d'un s^ord difficile ou sans acces.
Acteon fuit dans ces mSmes lieux ou souvent ii avait poursuivi
les bStes fauves. H^as ! Jl fuit ses compagnons. li veut ^iever la
voix pour ieur dire : « Je suis Acteon, reconnaissez votre maitre! »
Mais les paroies iui manquent. Des aboiements seuls retentissent
dans Fair. Melanch^tes est ie preraier qui ie i^esse au dos ; puis
Theridamas ; Oresitrophos i'alteint a l'6pauie. Ils etaient partis
apr^ les autres ; mais, en coupant ia montagne par un chemin
de traverse, iis ies avaient devances tous. Tandis quHls retien*
nent leur maitre, ia meute entiere arrive et d^hire Acteon. La
piace enfm manque aux biessures. lig^mit^ et, si sesaccents ne
Et substricta gerens sicyonius ilia Ladon,
Et Dromas, et Ganace, Sticteque, et Tigris^ et Alcc,
Et niveis Leucon, et villis Asbolus atris,
Praevalidusque Lacon, et cursu fortis Aello,
tt Thous, et C^prio telo* cum fratre Lyciscej tiO
fet nigram medio frontem distinctus ab albo
Harpalos, et MeJaneus, hirsutaque corpore Lachnc ;
Et patre diclaK), sed raaU*e laconide nati,
Labros et Agriodos, et acute vocis Hylactor;
Quosque referre ntora est. Ea turba cupidine prsedo: 2ib
Per rtipes, scopulosqne, adituque carentia saxa,
QUa via difficills, ^uaque est via nuUa, feruntur.
Illfe fugit, per (juae fuCrat loca saepe secutus.
li^u ! famulos fugit ipse suois. Clamare libebat:
« Actaeon ego sum ; dominum cognosdte^ vestrum. » z3p
Vei^ba animo desunt : i^esonat latralibus aether.
Prima Melanchaeles in tergo vultlera fecil,
Proxima Theridamas, Oresitrophos UaeiSit in arnlo;
Tslrdius ezierant, sed per compendia nlontis
Anticipata iia est; IJominum retinentibus illis, 255
Csetera turba coit, conferlque in corpore dentes.
Jam loca vulaeribus desunt. Gemit ille, sonumque,
LIVRE III. 99
8ont pas d'un homme, un cerf du moins no saumit les faire en-
tendre. Ses tristes plaintes rempKssent les montagnes qui lui sonf
oonnues. H flechit les genoux, et, dans Tattitude d'un suppliant,
, a defaut de bras qu'il puisse tendre, il prom^ne autour de lui ses
regards en silence. Ses compagnons, sans le reconnaitre, pres-
sent, comme k Tordinaire, la troupe alerte par leurs exhortatioa<%.
Us dierchent Acteon, et tous a Tenvi rappellent, comme s'il ^tait
absait. II entend son nom ^t retoume la t^te, quand ils se plai-
gnent de son absence et de sa lenteur a venir contempler la proie
qui lui est ofTerte. Sans doute 11 voudrait ^tre absent ; mais il est
la. II voudrait Mre temoin des exploits de sa meute, sans en res-
sentir les crudles morsures. Les chiens, Tentourant de tous cdtes,
pkmgait leurs gueules dans le corps de leur maitre chang^
en cerf» et le meitent en lambeaux. Ge ne fut qu'en exhalant sa
vie a travers mille blessures qu'il apaisa, dit-on, le courroux de
Diane.
AJIOUR DE JUPITER POUR SEM£l1B. — JUNON SE VENGE DE SA RIVALB.
IV. Le bruit de cette aventure fut diversement accueilli. Les
uns trouverent h d^esse trop cruelle ; d'autres approuv^renl sa
Et, si non hominis, quem non lamen edere possit
Cerrus, habet, moestisque replet juga nota querelis ;
Et genibus supplex posilis, similisquc roganti, 240
•Circurafert tacitos, tanquam sua brachia, vultus.
At comites rapidum solitis hortatibus agmen
Ignari instigant, oculisque Actseona qusDrunt,
Et velut absentem ccrlatim Actseona cTamQnt.
Ad nomen caput illc refert, ut abesse queruntur, 245
Nec capere oblat» scgnem spectacula praedac.
Vellet abesse quidem ; sed adest, velletque vidcro,
Non etiam sentire canum feria facta suorum.
Undique circumstant, mersisquc in corpore rostris,
Dilacerant falsi dominum sub imagine cervi. ^tiO
Ncc, nisi finita per plurima vulnera vita,
]ra pharetratae fertur satiata Dianie.
JUPITEB SEMELE ARDET. — JIIXO RIVALEM lILCISCITrn.
IV. Rumor in ambiguo est. Aliis violentior aiquo
Visa dea est; alii laudant, dignamque scvera
IflO MfiTAMORPHOSES
vengeance et la proclam^rent digne de son austere virgini
Ghaque opinion s*appuya sur des motifs plausibles. Seule, 1
pottse de Jupiter n*exprima ni ^loge ni censure : elle pensa pk
a se r^jouir du malheur de ia famille d'Agenor. La haine qu'<
congut pour sa rivale de Tyr retomba sur ses descendants. Au p
mier outrage qui Tavait allumee s'ajouta un oulrage nouve
EUe s'indigna que le sein de S^ra^le renfermdt un gage de la t
dresse du grand Jupiter, et elle pronon^a ces paroles amSr
« Que m'est-il revenu de toutes mes plaintes? Cest ma ri\
m^me que je dois attaquer. Je la perdrai, si je m&nte d'6tre
pel^ la puissante Junon, si je suis digne de porter un scep
^tincelant de pierreries, si je suis la reine des dieux, la soeui
r^pouse de Jupiter : du moins en suis-je la soeur. Mais peut-^
des ptaisirs iurtifs suffisent a ma rivale, et IWront £3iit a
couche n'aura dur^ qu'un moment. Non, non : elle a con^u
me manquait cet affront), et elle porle dans ses flancs un ten
gnage certain de ma honte. Elle veut que Jupiter la rende me
quand moi-mSme j'eus k peine cet honneurl tant elle se fie a
beaut^ ! Je la ferai tourner a sa perte. Je renonce k ^tre la fille
Saturne, si son Jupiter ne la precipite pas au fond du Styx ! »
A ces mots, elle s^elance de son tr6ne, et, voilee d'un nui
Virginitale vocant; pars invenit utraque causas. 255
Sola Jovis conjux non tam culpetne probetne
Eloquitur, quam clade domus ab Agenore ductae
Gaudet; et a tyria coUectum pellice transfert
In generis socios odium. Subit ecce priori
Gausa recens, gravidamque dolet de semine magni 260.
Esse Jovis Semelem. Tum linguam ad jurgia solvit :
« Effcci quid enim toties per jurgia? dixit.
Ipsa petenda mifai est. Ipsam, si maxima Juno
Rite vocor, perdam, si me gemmantiu dextra
Sceptra tenere decet, si sum regina, Jovisque 2G5
Et soror, et conjux; certe soror. At, puto, furto cst
Contenta, et Ihalami br^vis est injuria nostri.
Goncipit (id deerat), manifestaque crimina pleno
Fert utero, et mater, quod vix mihi contigit uni,
De Jove vult lieri : tanta est flducia formae! 270
Fallat eam faxo; nec sim Saturnia, si non
Ab Jove mersa suo stygias penetrabit ad undas. »
Surgit ab his solio, fulvaque recondita nube.
IIYRE III. 101
d'or, elle se rend h la demeure de S6m61^^ Avant de dissiper Fobs-
curit^ qui la d^robe aux yeux, elle prend les traits d'une vieille,
coovre ses tempes de cheveux blancs, ride son visage, courbe son
oorps et s'avance d'un pas tremblant. Elie prend aussi ime voix
caduque. G*est B^ro^ elle-m^me, la nourrice que Sem^le regut
d*£pidaare. yentretien s'engage. Apres de longs d^tours, le nom
de Jupiter arrive enfin. Alors la deesse soupirant : t Je voudrais
bi&i, dit-elle, que votre amant fiit Jupiter ; mais je crains tout.
Souvent sous le nom des dieux des mortels ont souill^ de chastes
couches. D*ailleurs, 11 ne suffit pas qu'il soit Jupiter : demandez
un gage de son amour. S'il est v6ritablement le roi des cieux,
exigez que la majestS et la puissance dont i1 est revStu, quand il
se rend aupr^s de la superbe Junon, le suivent dans vos bras ;
qu'il y vienne revdtu de Tappareil de sa grandeur. » Tels fureiit
les conseils donn^s par Junon a l'innocente fille de Cadmus. Elle
r^clama de Jupiter un gage d'amour, sans le designer : t Ghoisis,
lui repond le dieu, tu n'eprouveras pas de refus ; et, pour que tu
ajoutes plus de foi h mes paroles, je prends a t^moin le Styx, effroi
des dieux et dieu lui-mtoe. » S^mele se r^jouit de ce qui doit la
perdre. Devenue trop puissante, et pres de p6rir par la complai-
Limen adit Semeles. Nec nubes amte removit,
Qoam simulavit anum, posuitque ad tempora canos, ^275
Sulcavitque cutem rugis, et curva trementi
Membra tulit passu. Vocem quoque fecit anilem ;
Ipsaque fit Beroe, Semeles epidauria nutrix.
Ergo ubi, captato sermone, diuque loquendo,
Ad nomen venere Jovis, suspirat, et : « Optem 280
Jupitcr ut sit, ait. Metuo tamen omnia. Multi
Nomine divorum thelamos subiere pudicos.
Nec tamen esse Jovis satis est. Det pignus araoi is,
.Si modo verus is est ; quantusque, et qualis ab alla
Junone excipitur, tantus, talisque rogato 28!»
Det tibi complexus, suaque ante insignia sumat. »
Talibus ignaram Juno Cadmeida dictis
Formarat. Rogat illa Jovem sine nomine munus.
<!ui deus : t Elige, ait; nullam patiere repulsam.
Quoque magis credas, stygii quoque consciu sunto 290
Numina torrentis : timor et deus ilie deorum. »
Laeta malo, nimiumque potens, periluraqi;e amanlis
0.
m MfiTAMORPHOSES.
sance deson amant, elle r^pond : « Que la pompe ou te voit la fiUe
de Saturne, quand tu viens goAter dans ses bras les douceurs de Ta-
mour , te suive aupi^s de moi ! » Le dieu voulut lui fermer la bouche,
mais d^ja ces paroles indiscretes s'etaient envol^es dans les airs.
II gemit; mais il ne lui est point possible d'annulerlevoeu de
Semele, ni de retracter son serment. Le coeur attriste, il remonte
dans les cieux. D'un signe de t^te il rassemble des nuages o\i $a
main a m^le la pluie, les eclairs, les vents, le tonnerre et la foudre
inevitable. Autant qu'il peut il essaye d'affaiblir ses armes. H ne
lance point les feux qui terrass^rent Typhoee aux cent bras : ils
seraient trop terribles. II est une autre foudre plus legere, et dans
laquelle les Gyclopes mirent moins de courroux, de flamme et de
fureur. Les Immortels Tappellent foudre de second ordre. Le dieii
la saisit, et pen^tre dans le palais d'Agenor. Une simple mortelle
ne put supporler le fracas qui ebranle les cieux. Elle perit d^voree
par les flammes qu'avait allumees son amant. L'enfant, encore
informe, fut retire du sein de sa mere, et, s'il est permis de le
croire, un lien Tattacha, faible encore, a la cuisse de Jupiter. II y
resta tout le temps qu'il devait passer dans le sein matemel. La
Obsequio Semele : « Quaicm Saturnia, dixit,
Te solet amplecti, Veneris quum fcedus initis,
Da mihi te talem. » Voluit deus ora loquentis ^5
Opprimere : exierat jam vox properata sub auras.
Ingemuit, neque enim non hsec optasse, neque ille
ISon jurasse potest. Ergo moestissimus altum
JttAhersi conscendit, nutuque sequentia traxit
Nnl)ila ; queis nimbos, immixtaque fulgura ventis 500
Addidit, et tonitrus, et inevitabile fulmen.
Qua tamen usque potest, vires sibi demere tontat;
Nec, quo centimanum dejecerat igne Typhcca,
Nunc armatur ro : nimium ferilatis in illo.
Est aliud levius fulmen, cui dextra Cyclopum '»'^-»
SaevitijB, flammscque minus, minus addidit iia».
Tcla spcunda vocant Superi. Capit illa, donuinique
Intrat agcnorcam. Corpus mortaie tumultus
Non tulit xtherios, donisque jugalibus arsit.
Imperfectus adhuc infans genitricis ab alvo rilO
Eripilur, patrioque tener, si credere dignum,
Insuilur femori, maternaque tempora complel.
LITBE IIM iOS
p^lleliblilli bn, «itoiiiii.fortifenient.8on beroeaudespfe-^
w weHm. H fdt isnaite oonfid aiBL Nympheft Se Nysa, qui le
(aclipmn dans Imn grotteft et ie noannrent de lait.
■la.
raisiAS kmmx bt dbyiw.
Tandis que ces d?§i}em0iits s^accomplissent dans l^uniTers
par la lot du Destin, et que le botseau de Bacchus, n^ deux fois,
(^t u rabri de tout danger, Jupiter» ^y^ par le nectar, quitta,
M-on, les grav^ occupatimis de son empire pour s'abandonner k
d^s jeiix fokMres aYOC lunon» lihre aiors de tout soud. c Sans doute»
tni dit-tJ, la TOlupt^ a pourVoiis plus de douceurs que pour les
iKiinnies. — Nott, i r^[iond-elle. Ik couTiennent de s'en rapporter
k h deci^ion (1e l'habfle Tiresias, initi^ aux plaisirs des deux
mes. rriin conp de bftton il avait frapp^ deux ^rmes reptiles
»uples dans une ferte fbrM. Tout k ooup» 6 {Hrodige ! diang^
itf^mei 11 eofiierva sa noufelle forme pendant sept antimines.
Iians ]& hiiitieme, jl Yit les m^mes serpents. c Si les blessures que
\mm recevez sont assez puissantes pour changar le sexe de TOtre
ameuii^ je rais, tlit-il, vous frapper encore. » A peine les a-t-il
iPurtjm tHum primis Ino matertera cunis
Educal. inde datum Nymphse nyseides antris
Oeetilizere mis, lactisque alimenta dedere. 515
TIBESIAS KT CXC.m ET VATES.
Y* Dninqiic ea per terras fatali lege geruntur,
TuUqiie bjg geniti sunt ineunabula Pacclii,
Fort£ loyeui memorant, diffusum nectarc, curas
Sepoaiii3&e graves, vacuaque agilasse remissos
Cnm Junone jocos, el : « Hajor vestra proffHan cs(, 3^)
Qujiiii qiuc contingat riiaribus, dixisse, volu|>las. »
III» negaL Placuit, quse sit sententia docti
IJuicrofe Tiresiae. Yenus huic erat utraque no(;\.
Kam diiQ magnorum viridi coeuntia siiva
Corpom fcerpentum baculi violaverat ictu; S--*
nequevirio factus, mirabile! femina. septem
Ef^4?rDt aulumnos. Octnvo rursus eosdem
Vidil, el z « Est veslrm si tanla potenlia pla<r?c,
DiKit, ut aueloris soi tem in contraria mutet,
Tkunc qnoque vos feriam. » Percussis anguilius isdeni .m()
104 . METAMORPHOSES.
frapp^ de nouveau, qu'il reprend sa forme premiSre et semble
naitre une seconde fois. Choisi pour arbitre dans ce joyeux debat,
Tir^sias adopte Tavis de Jupiter. La fille de Salurne en eprouva,
dit-on, une douleur trop vive et peu en rapport avec la cause qui
Tavait provoquee. Eile condamna les yeux de son juge a une eter-
nelle nuit. Mais le maitre suprSme du monde (car aucun dieu n'a
le droit d'an^ntir roeuvre d'un autre dieu) lui accorda la science
de Tavenir en ^change de la lumiere qui lui etait ravie, et allegea
sa peine par cet honneur.
£CHO EST CDANG^E EN SON, NARGISSE EN FLEUR.
VI. Au sein des villes d'Aonie, remplies de sa renommee, Tire-
sias donnait des r^ponses toujours infaillibles au peuple qui venait
le consulter. La brune Liriope fut la premiere qui re^ut la preuve
de son talent pour reveler Tavenir. Jadis le Cephise Tenlaga de
ses ondes ; et, tandis qu^elie etait enfermee dans ses plis sinueux,
il en triompha par la violence. De cette Nymphe, modele de beaute,
naquit un enfant, d^ lors digne d'Stre aime de ses compagnes, et
qu'on appela Narcisse. Elle demanda a Tiresias si cet enfant de-
vait parvenir a une longue vieillesse. « Oui, repondit-il, s'il ne se
Forma prior rediit, genitivaque rursus imago.
Arbiter hic igitur sumptas de lite jocosa,
Dicla Jovis firmat. Gravius Satumia juslo,
Nec pro materia fertur doluisse, suique
Judicis seterna damnavit lumina nocte. 35<->
At pater omnipotens (neque enim licet irrita cuiquam
Facta dei fecisse deo), pro lumine adempto
Scire futura dedit, poenamque levavit honore.
ECHO MDTATUR IN VOGEM; NARCISSUS IN FI.OREM.
VI. Ule per aonias, fama celeberrimus, urbes
Irreprehensa dabat populo responsa petenti. 540
Prima fide vocisque rat» tentamina sumpsit
Caerula Liriope. Quam quondam flumine curvo
Implicuit, claussque suis Cephisos in undis
Vim tulit. Enixa est utero pulcherrima pleno
Infantem, Nymphis jam nunc qui posset amari, 345
Narcissumque vocat. De quo consultus, an ossel
Tempora maturae visurus longa senecte,
Fatidicus vales : « Si se non viderit, » inqiiil.
LIYRE III. 105
• LoBgteini» l^bnde panit mentenr ; mais il fut justifl6
pa^AMitare qui mit fln anx jours de Narcisse» par le genre de
« ■iflrt et par son ^trange ddlire. l^k le fils de G^bise avait
4Mtv» annfe k sea trois lustres : Tenduice et la jeunesse sem-
Ikiiaat rembdlir k la l^. Une foule' de j^mes gei» et de Nym*
pkealvttKaieiit poor Ini. Hais» oomaie aui grlces de Vige il joi*
giBtde oNids dddains, ii r^dia tous leurs yqbux.
Ibi Jiaar qnll poussait dans ses toiles des cerfs limides, ii iut
ip«pi pir la Nymphe qui ne peut se taire quand on luiparle, et
fu ae aait pmntparler la premiSre, £cho, dont la vok redit les
«M. Alori c*teit une Nymphe et non une simple voix, Nymphe
lafailarde» il est vrai, mais qui, conmie k pr^ent, r^tait seule-
Mt Jei deemkes paroles. Junon Tavait r^te k cet tot, parce
fiW moiDeiit o& dle aurait pu snrprendre les Nymphes dans les
km iB JapHer snr la montsigne oili r^dait ficho» cdle-^ pliis
Tavait aidroiteinent retenue par de bngs entretiens ponr
BNymphes le tempsdefuir. La fllle de Satume dtoo-
viit rariiflee. c Tu ne pourras te servir longtemps de cette langue
qai m*a tromp^, lui dit-elle : bient6t Tusage de la voix te sera
?ana dla visa est vox auguris. Exitus illam,
Resqae probat, lethique genus, novitasque furoris. 3S0
Jamqae ter ad quinos unum Cephisius annum
Addiderat, poteratque puer juvenisque videri.
Malti iUmn juvenes, muUae cupiere puellae.
Sed fiiit in tenera tam dira superbia forma,
Nalli illom juvenes; nuUae tetigere puellae. 355
' Aspicit hunc, trepidos agitantem in retia cervos,
YocaUs Nymphe, quae nec reticere loquenti,
Nec prior ipsa loqui didicit, resonabilis Echo.
Corpus adhuc Echo, non vox erat, et tamen usum
Garmla non aHum, quam nunc habet, oris habebat, 360
Reddere de muUis ut verba novissima posset.
Feeerat hoc Juno, quia, quum deprendere posset
Sab Jove ssepe suo Nymphas in monte jacentes,
llla deam longo prudens sermone tenebat,
nam fugerent Nymphae. Postquam Satumia sensit : 36^
« Hujas, ait, linguse, qua sum delusa, potestas
Panra tibi dabitur, vocisquc brevissirous usus. »
m M£TAMORPUOSES.
ravi. » L'effol suivil la menace. ficho reproduit les demierssons
de la voix, et rapporle les paroles qu'elle entend.
A peine Narcisse, errant dans les bois, a-t-il frappe ses regards,
qu'elle s'enflamme et suit furtivement ses pas. Plus ell§ s'en ap-
proche, plus son coeur s*embrase. Ainsi une torche soufree s'al-
lume au contact du feu. Que .de- fois elle voulut Taborder d*une
voix caressante et lui adresser de tendres prieres ! Mais la nature
s*y opposait et lui defendait de cQmmeiif er. Toutefois elle lui per«
mit de recueillir les accents de Nareisse*et de lui Tepondre a son
tour. Par hasard Tenfant separe de ses fideles compagnons s*eerie :
« Quelqu'un est-il pres de moi? — Moi, • r^pond ficho. Narcisse
reste immobile de surprise. Apr^s avoir promen^ ses regards de
tous c6t^s : « Yiens, » dit-il a haute voix. £cho appelle celui qui
Tappelait. Narcisse se retourne, et, ne voyant personne : • Pour-
quoi me fuis-tu? » ajoute-t-il ; et son oreille re^oit autant de paroles
que sa bouche en a profere. Trompe par la voix, image de la
sienne : d Unissons-nous, » poursuit-il. A ces mots, que la voix
d*ficho dut aimer a redire plus que tous les autres, elle repond :
i Unissons-nous ! » Et ses d^sirs interpretent favorablement ces
Reque minas firmat. Tamen hsec in iine loquendi
Ingeminat voces, auditaque \erba reportat.
Ergo ubi Narcissum, per devia iustra vagantem, 310
Vidit, et incaluit, sequitur vestigia furtim.
Quoque magis sequitur, flamma propiore calescit;
Non aliter, quam quum summis circumlita ta^dis
Admolam rapiunt vivacia sulphura flammam.
0 quoties voluit blandis accedere dictis, . 375
Et molles adhibere preces ! Natura repugnat,
ISec sinit incipiat ; sed quod sinit, illa parata est
Exspeclare sonos, ad quos sua verba remittat.
Forte puer comitum seductus ab agmine fido,
Dixerat : Ecquis adest ? et, Adest^ responderat Echo. 380
llic stupet; utque acicm partes dimisit in omnes,
Voce, Veni, clamat magna. Vocat illa vocantem.
Respicit, et nuUo rursus veniente, Quidt inquit,
Me fugis? et totidem, quod dixit, verba recepit.
Perstat, et allerna} deccptus imagine vocis, 385
Huc coeamus, ait; nullique libentius unquam
Responsuru sono, Coeamns, rettulit Echo.
Et verbis favct ipsa suis; egressaque silvis
LIVRE III. 107
paroles. Elle soil du bocage et court» ravie d'uii tendre espoir,
press^ dans ses bras Narcisse, qui fuit et se derobe par la fuite a
BBS «mbrassements. « Plutdt mourir, dit-il, que de m'abandonner
k tes d^sirs ! • £cho ne redit que ces paroles : « M'abandonner a
tesd^sirs. »
M^ris^, elle se retire dans les for^ts, et cacfae sous le feuil-
lage la rougeur de son iront. Depuis ce moinent elle habite les
mtres sditaires ; mais dans son cceur vit Tamour sans cesse irrite
par un reliis. D'etemels soucis ^puisent et consument son corps,
la maigreur fl^it son Tisage, toute sa substance se dissipe dans
les airs ; il ne lui reste que la voix et les os. Sa voix s^est conser-
vi6e; ses os ont pris, dit-on, 1a forme d'un rocher. Ensevelie
m fond des bois, elie ne parait plus sur les montagnes, mais
efle s^y feit entendre a. tous ceux qui Tappellent : c'est un son qui
vit en elle. Ainsi £cho et d'autres Nymphes, nees au seui des
ondes ou sur les montagnes, et, avant dles, une foule de jeunes
geoSy farent en butte aux dedains de Narcisse. Une victime de ses
mepris, levant ses mains vers le ciel 8'ecria : « Puisse-t-il aimer et
ne jamais poss^er Tobjet de son amour ! • Rhamnusie exau^
cette juste priere.
llMit, ut ii;gicer6t sperato bi*achia collo.
Ille fugit, fugiensque, manus coniplexibus auferl : 590
Aniet ait, emoriart quam sit tibi copia nostri,
Kfcttulit illa nihil^ nisi, Sit tibi copia nostri.
Spreta lat^t siivis, pudibundaquc froudibus ora
Protegit, et solis ex illo vixit in anlris.
Sed tamcu hseret amor^ crescitctue dolorc repuis«£. 5'Jo
Attenuant vigiles corpus miserabile curae,
Addudtque cutem macies, et in aera succus
Corporis dmnis dbit: vox tantum atque ossa supcrsuut.
Vox manet; ossa ferunt lapidis Iraxissc liguram.
Inde latet silvis, nuUoque in monte videtur. 400
Omnibus auditur : sonus est qui vivjt in iUa.
Sic hanc, sic alias, undis aut monlibus orlas,
Luserat hic Nymphas; sic coetus anlc viriles.
Inde manus aliquis despectus ad SBthera tollons :
« Sic amct iste licet, sic non potiatur aniato! > 40^
Bizerat; assensit precibus Bhamnusia justis.
108 METAMORPUOSES.
il y avait une limpide fontaine aux ondes argentees. Jamais les
bergers, ni les ch^vres repues sur ]a montagne, ni tout autre trou-
peau, ne s'y elaient desalteres; jamais oiseau, ni bSte sauvage, ni
raraeau detache d'un arbre, n'en avait trouble le pur cristal. Elle
etait bordee d'un gazon dont ses eaux entretenaient la fraicheur, et
d'im bois qui la rendait impenetrable aux ardeurs du soleil. Narcisse
s'4tend sur la rive, fatigue de la chasse et epuise par la chaleur.
Ravi de la beaute du site et de la limpidit^ de la source, il veut
^tancher sa soif ; mais une autre soif se declare. Tandis qu^il boit,
^ris de son image qui frappe ses regards, il aime une ombre
vaine et lui prSte un corps. II reste en extase et immobile devant
son portrait : on dirait ime statue en marbre de Paros. Gouche sur
ie gazon, il contemple ses yeux semblables a deux astres, sa che-
velure digne de Bacchus et d'Apollon, ses joues d'adoIescent, son
cou d'ivoire, sa bouche gracieuse, son teint parseme de lis et de
roses. II admire les charmes qui le font admirer. Imprudent! c'est
a lui-mSme que ses vceux s'adressent ; c'est lui-m^me qu'il loue,
lui-m^rae quMl recherche ; et les feux qu'il allume le consument
lui-m^me ! Que d'inuti1es baisers il imprirae sur cette oude trora-
Fons erat illimis, nitidis argenteus undis,
Quem neque pastores, neque pastae monte capellic
Contigerant, aliudve pecus; quem nulla volucris,
Nec fera lurbarat, nec lapsus ab arbore ramus. 410
Gramen erat circa, quod proximus humor alebat,
Silvaque, sole lacum passura tepescere nuUo.
Hic puer, et studio venandi lassus et xstu,
Procubuit, faciemque loci, fontemque secutus.
Dumque sitim sedare cupit, sitis altera crevit. 415
Dumque bibit, visae correptus imagine formae,
Rem sine corpore amat; corpus putatesse, quod umbraest.
Adstupet ipse sibi, vultuque immotus eodem
Hieret, ut e pario formatum marmore signuro.
Spectat humi posilus geminum, sua lumina, sidus, •liO
Et dignos Baccho, dignos et Apoliine crines,
Impubesque genas, et eburoea colia, decusque
Ori.s, et in nivco mixtum candore ruborem;
Gunclaque miratur, quibus est mirabiiis. Ipse
Sc cupit impnidens, et qui probat, ille probatur; Atb
Dumque petil, pelitur ; pariterque iucendit, et ardet.
Irrita fallaci quoties dedit oscuUfontil
LIVRE III. m
peuse! que de fois ses bras s'y plongent poui ^aisir le col qu'il a
▼u, sans pouvoir embrasser son image ! il no sait ce qu'il voit;
mais ce qu'il voit excite en lui mille feux ; ses desirs s'accroissenl,
irrites par son illusiou.
Insense, pourquoi vouloir femparer d'un objet qui te fuit? Cet
objet que tu recherches n^existe pas ; cet objet que tu aimes, si
tu toumes la tete, va s'evanouir. Le fantdme que lu vois, c'est ton
ombre reflechie! Sans consistance par elle-mtoe, elle vient et
subsiste avec toi; elle s'eloignerait avec toi, si tu pouvais feloi-
gner. Mais ni la faim, ni le besoin de repos, ne sauraient rarrachor
de ce lieu. Gouche sur le tendre gazon, il contemple cetteidolesans
poavoir s'en rassasier, et sa contemplation letue. Enflnilse souleve,
et, tendant les mains vers lesarbres qui Tentourent : t Quel amant,
6 for^ls ! s'ecrie-t-il, fut jamais plus malheureux? vous le savez, vous
qui avez souvent offerl a Tamour un mysterieux abri. Vous sou-
vienl-il, apres lant de siecles qui ont passe sur vos t^les, d\ivoir
vu, dans cette longue periode de temps, un amant deperir comme
moi? Une beaule me plait, je la vois ; mais cet objet qui me plait
et que je vois, je ne puis Tatteindre. Un amanl peut-il ^tre le
In medias quotics, visum captantia coUum,
Brachia mersil aquas, iiec se deprcndit in illis!
Quid videat, nescit; scd, qaod videt, uritiir illo; 430
Atque oculos idem, qui decipit, incitat error.
Crcdule, quid f^ustra simulacra fugacia captas?
Quod petis, est nusquam; quod amas, avertere, pcrdes.
Ista repercussa;, quam cernis, imaginis umbra cst.
NiUliabet ista sui, tecumque venilque, manctquc ; 435
Tecum discedat, si tu discedere possis.
Non ilium Cereris, non illum cura quielis
Abstrahere inde potest; sed opaca fusus in herba
Spectat inexpleto mendacem luminc formam,
Perque oculos perit ipse suos. Paulumque lcvatus, 440
Ad circumstantes tendens sua brachia silvas :
« Ecquis, io silvas, crudehus, inquit, amavit?
Scitis enim, el multis iatcbra opportuna fuistis.
Ecqnem, quum vestr» tot agantur sxcula vitae,
Qui sic tabuerit, lon^o meministis in aevo ? 445
Et placet, et video; sed quod vidcoquc, placetquc,
Non tamen invenio : tantus tenet error amanlem !
110 METAHORPUOS£S.
jouet d'uiie telle erreur? Pour comble de chagrin, il n'y a entre
nous ni vaste mer, ni distance, ni montagnes, ni remparts, ni
barriere ! Un peu d'eau nous separe. L'objet de mon amour brule
d'^tre dans mes bras. Toutes les fois qu'a travers Tonde limpide
mes baisers ont cherche a le saisir, il a releve la tSte et s'est ap-
proche de moi. Ma main semble le toucher. robstacle le plus fai-
ble s'oppose a notre bonheur. Ah ! qui que tu sois, sors de cette
onde! Pourquoi, tendre objet de ma flamme, te jouer demoi?
pourquoi me fuir, quand je cours apres toi? Certes, ni ma beaute,
ni mon dge, ne m6ritent de tels mepris ; moi-meme, je fus aime
des Nymphes. Tes yeux respirent Tamour, et me donnent je ne
sais quel espoir. Quand je tends mes bras vers toi, tu me tends
les tiens; tu reponds a mon sourire; souvent mfime, quand j'ai
pleure, j'ai surpris dans tes yeux une larme ; tes signes repro-
duisent les miens, et, si je dois en juger par les mouvements de
ta jolie bouche, tu me parles; mais mon oreille ne peut recueillir
tes accenls. Je suis en toi, je le sens ; mon image ne me trompe
pomt. Je me consume moi-mtoe et je nourris la flamme que j'em-
porte avec moi. Quel parti prendre? Dois-je te prier, ou attendre
que tu me pries? Mais que demander? Ce que je desire est en
moi : j'6prouve la pauvrete au sein de la richesse. Ah I que ne
Quoque magis doleam, nec nos maie separal iiigcu:?,
Nec via, nec montes, nec clausis mcenia portiSi
Exigua prohibemur aqua : cupit ipse teneri. ^^^
Nam, quoties liquidis porreximus oscula lymplii^,
Hic tolies ad me resupino nititur orc.
Posse putes tangi: minimum estquod amantibus ubslat.
Quisquis es, huc exi 1 quid me, puer, unice, fallis?
Quove petitus abis? certe nec forma, nec setas -i^
Est mea, quam fugias; et amarunt me quoquc ^ymphx.
Spem mihi, nescio quam, vultu promittis amico ;
Quumque ego porrcxi tibi bracliia, porrigis ultro.
Quum risi, arrides; lacrymas quoque saepe nolavi,
Me lacrymante, tuas; nictu quoque signa remittis; 400
Et, quantum motu formosi subpicor oris,
Verbi refers, aures non pervenientia nostras.
In te ego sum, sensi; ncc me mea fallit imago.
Uror amore mei ; flanimas movcoque feroque.
Quid faciam? roger, anne rogcm? quid deinde rogabo? AQo
Quod cupio mecum est, inopcm me copia fecit.
LIVRE III. Hi
puis-je me separer deinon corps! Voeunouveau ddns un aniaiit,
je voudrais Stre loin de Tobjet de mon amour! Enfin la douleur
epuise mes forces; il ne me reste plus que quelques moments a
vivre. Je m'6teins au seuil de la vie ; mais la mort ne m'est poinl
penible : elle va m^afTranchir de ma douleur. Puisse^e voir sc
prolonger les jours de celui que je ch^ris! Unis par des liens in-
dissolubles, nous exhalerons ensemble ie dernier soupir. »
II dit, et dans son delire il revient considerer la mSme idole.
Ses larmes troublent la limpidite de Teau, et Tagitation qu'elles
produisent obscurcit ses trails. En voyant Timage s^eloigner : • Ou
ftiis-tu? s'6cria-t-il ; oh! resle, cruel, n'abandonne pas Tamant
qui fadore. Laisse-moi contempler ces traits que je ne puis tou-
cher, et foumir un aliment a ma triste iureur. » Au milieu de
ces plaintes, il dechire ses v^temenls, et meurtrit de ses belles
mains sa poitrine, qui se colore d'une rougeur leg^re sous ses
coups redoubles. Ainsi les fruits unissent la pourpre a ralb^tre;
ainsi la grappe a demi mure se nuance d'un eclat vermeil. Des
que Narcisse .aper^it son image defigur^e dans Tonde redevenuc
limpide, son illusion Tabandonne. Semblable a la cire qui fond
0 utinam nostro secedere corpore possem !
Votum in amante novum : vellem,quod amamus abuh:iut.
Jamquc dolor vires adimit, nec tempora vitie
Longa mex superant, primoque exstinguor in aivu ; 470
!Sec mihi mors gravis est posituro morte dolorcs.
l!ic, qui diiigitur, vellem diuturnior esset.
Nunc duo concordes anima moriemur in una. »
Dixit, ct ad faciem rediit malesanus camdufii,
Et lacrymis turbavit aquas, obscuraque moto 475
Reddita forma lacu cst. Quam quum vidisset abiru :
« Quo fugis? 0 remane; nec me, crudelis, amantcm
Dcsere, clamavit. Liceat, quod tangere non est,
Aspicere, ct misero prccbere alimenla furori. »
Dumque dolct, summa vestcm.deduxit ab ora, il^O
^udaque marmoreis percu^it pectora palmis.
Pectora (raxerunt tenuem percussa ruborem,
>'0D aliter, quam poma solent, quai candida parlc,
Parte rubent; aut, ut variis solet uva raccmis
Ducere purpureuni, nondum r.ialura, colorcm. i^t
Quae simul aspexit liquefacta rursus in unda,
Mon tulit uUcrius. Sed, ut intabescere flavec
112 MfiTAMORPHOSES.
devant un feu leger, ou bien au givre du malin qui disparait aux
premiers rayous du soleii, il deperit consume d'amour, el peu a
peu sa flamme secrete le devore. Dejk son teint n'est plus seme
de lis et de roses. II perd sa sante, ses forces, ses graces qui le
charmaiejt naguere, mi&me les formes seduisantes qu'aima jadis
£cho. En le voyant dans cet etat, malgre sa colere et son ressen-
timent, la Nymphe gemit, et toules les fois que le malheureux
Narcisse s'etait ecrie : « Helas I » la voix d'ficho avait rep6te :
« Helas ! » Lorsque de ses mains il avait frappe sa poitrine, eUe
avait reproduit le bruit de tous les coups. Les dernieres paroles
de Narcisse, en jetant, selon sa coutume, un refjard dans Toude,
furent : « Helas! enfant que j'ai en vain cheril » Echo repeta ces
paroles. « Adieu, » dit-il; • Adieu, » ) epondit^^lle. Sa t^telan-
guissante pencha sur la verdure, et )a nuit fcrma ses yeux encorc
epris de sa beaute. Lors m^me qu'il fut descendu au lenebreux
sejour, il chercha encore son image dans ies eaux du IStyx. Les
Naiades pleurerent ieur frere, et couperent ieurs cheveux pour
les deposer sur sa tombe. Les Dryades le pleurerenl aussi. flclio
redit leurs gemissements. Dejii le bucher, la torclic funebre, le
Ignc lcvi ceraB, malutinaeque pruins
Sole tepente solent; sic attenuatus amore
Liquilur, et eieco paulatim carpitur igni. 490
Et neque jara color est mixto candore rubori ;
Nec vigor, et vires, et quaj modo visa placebant,
Nec corpus remanet, quondam quod amaverat Echo.
Ouae tamen ut vidit, quamvis irata memorque,
Indoluit; quotiesque puer miserabilis, Eheul 495
Dixerat, haec resonis ilerabat vocibus, Eheu!
Quumque suos manibus percusserat ille lacertos,
Haec quoque reddcbat sonitum plangoris eumdem.
Ultima vox solilam fuit haec spectantis in undam :
Heu l frustra dilecle puer ! totidemque • remisit 500
Verba locus; dictoque Yale^ Vale inquit et Echo.
Ille caput viridi Tessum submisit in herba;
Lumina nox claudit, domini mirantia formam.
Tum quoque se, postquam est inferna sede receplus,
In ^Jygia spectabat aqua. Planxere sorores 505
^aides, et sectos fralri posuere capilios ;
Planxere et Dryades ; plangenlibus assonat Echo.
Jamque rogum, quassasque faces, feretrumque parabanl.
LniiE III. m
Gercneil, tout ^lait pr6t. Mais, k la place du corps de Narcisse,
on Irouva une fleur d'un rouge pourpre, couronnee de feuilles
blanches.
P&NTHEE, APRES LA H^TAMGRPHGSE DES MATELOTS EN DAUPmHS, CnARGB
BACCHCS DE CHAINES. — A CAUSE DB CE CRIUE, IL EST MIS EN UMBBAUX
PAR LBS BACCHA^TES.
VII. Le bruit de cet evenement, r6pandu dans les villes de la
Grece, rendit justement celebre le devin Tiresias : sa renomm^
s^etendit au loin. II essuya pourtant les m6pris de Penth^. Ce fils
d'£chion, qui, seul dans la faraille de Cadmus, ^tait irr^verent en-
yors les dieux, rit des paroles proph6tiques du vieillard, et lui
reprocha les tenebres ou il etait plonge et la cause du malheur
qui lui ravit la lumiere. L'augure, secouant sa tSte blanchie :
f Que tu serais heureux, lui dit-il, si, prive comme moi de la lu-
miere, tu ne voyais pas les f^tes de Bacchus ! Un jour, et il n'est
pas loin, je te le predis, le jeune iils de Sem^ie, Bacchus, viendra
dans ces lieux. Si tu n^eleves pas un temple en son honneur, tu
joncherasla terre de tes lambeaux,ettu souilleras de ton sang les
for^ls, ta mere et tes soeurs. Ma prediction s'accomplira; car tu
Kusquam corpus erat. Croceum pro corpore florero
InvenVunl, foliis medium cingcntibus albis. 510
PENTnEUS NAUTIS IN DELPHINOS MOTATIS, DACCHUM VINCULIS ALLIGAT
OB ID FACINUS A EACCUIS DISCERPITUR.
YII. Cognita res merilam vati per achaidas urbes
Altulerat famam, nomenque erat auguris ingens.
Spernit Echionides tamcn hunc, ex omnibus unus
Contemptor Superum, Pentheus, praesagaque ridet
Verba seni' tenebrasque et cladem lucis ademptae 515
Objicil. lile movens alhentia tempora canis :
« Quam felix esses, si tu quoque luminis hujus
Orbus, ait, ileres, nec bacchia sacra videres!
Jamque dies aderit, jamque haud procul auguror essc,
Qua novus huc veniat, proles semeleia, Liher. 5*20
Quem nisi templorum fueris dignalus honore,
Mille lacer spargere locis, el sanguine silvas
Fcedabis, matremque tuam, matrisque sorores.
1U MGTAMORPHOSES.
ne croiras pas Bacchus digne des honneurs divins. Alors tu (e
plaindras que, malgre la nuit qui m'environne, j*aie Irop bien lu
dans ravenir. »
A ces mots, le fils d'Echion repousse le devin. Cependant Tevo-
nement justifie ses paroles, et ses predictions s'accomplissent.
Bacchus arrive, et les champs retentissent de cris joyeux. La foule
se precipite. Ilommes, femmes, filles, grands et petits, accourent
confondus a ses nouveaux mysteres. « Enfants d'un dragon, no-
bles rejetons de Mars, s*ecrie Penthee, quel dehre s^empare de
vous? Ehquoi! Tairain battu par Tairain, des trompes et des pres-
tiges magiques, ont-ils donc tant de pouvoir? Des hommes que
n'epouvantent ni Tepee guerriere, ni le clairon, ni les bataillons
armes de javelots, sont aujourd'hui vaincus par des cris de fem-
mes qu"agile Tivresse, par ce vil troupeau que transporte un vain
bruit de tambours ! Votre conduite me confond, vieillards. Apres
- avoir longtemps parcouru les mers, vous avez fonde Tyr et fixe
dans ces lieux vos Penates errants ; et maintenant vous seriez pri-
sonniers sans combattre ! Et vous, impetueux jeunes gens, vous
que la fleur de f^ge rapproche de moi, vous qui devriez porter
Ifs armes et non le thyrse, vous dont le front devrait ^tre couvert
Evenient; neque enim dignabere numen honore,
Meque sub his tenebris nimium vidissc quereris. » 52r>
Talia dicentera prolurbat Echione halus.
Dicla fides sequilur, responsaque vatis aguntur.
Liber adest, festisque fremunt ululatibus agri :
Turba ruunt, mixtseque viris matresque, nurusque,
Vulgusque, proceresque, ignota ad sacra feruntur. 830
« Quis furor, anguigenx, proles mavortia, veslras
Attonuit montes? Pentheus ait. iErane tantum
JEte repulsa valent, et adunco tibia cornu,
Et magicaj fraudes, ut, quos non belliger en^is,
Non tuba terruerint, non strictis agmina telis, .'>;>5
Femineae voces, et mota insania vino,
Obscenique greges, et inania tympana vincant?
Vosae, senes, mirer, qui, longa per aiquora vecli,
Hac Tyron, hac profugos posuistis sede Penates,
Nunc sinitis sine Marte capi? Vosne, acrior aetas, 540
0 juvenes, propriorque meaB, quos arma lenpre,
Non Ihyrsas, galcaque tegi, non fronde, decebal?
LIYRE III. 115
d'un casque et non de feuillage, je vous en conjure, souvenez-vous
de votre origine. Ayez le courage de ce dragon qui seul fit tant de
victimes. 11 succomba pour une fontaine et pour un lac; vous,
sachez vaincre pour Tlionneur de volre nom. II mit a mort des
heros; vous, chassez des laches, et ressuscitez la splendeur de
votre race. Si les Destins ne veulent pas que Th^bes reste long-
temps debout, du moins que le beiier et le bras d'hommes cou-
rageux fassent crouler ses murs; que le fer et la flamme reten-
tfssent sur ses ruines. Alors notre malheur sera pur de tout crime;
alors nous pourrons deplorer notre sort au grand jour, et nos
larmes couleront sans honte. Eh quoi! Thebes deviendrait au«»
jourd^hui la conqufite d^iin faible enfant qui n^aime ni la guerre,
ni les armes, ni les coursiers, et ne se plait qu'a parfumer ses
cheveux, a se parer moHement de couronnes, ou a se vfttir de
pourpre et d'or ! Bientdt, si vous Tabandonnez, je saurai le forcer de
reconnaitre la faussete de son origine et de ses myst^res. Acrisius
aura eu le courage de mepriser une divinit^ mensong^re, et de
fermer a son approche les portes d'Argos; et Penthee. et Th^bes
entiere, trembleront devant cet^tranger! Partez a Tinstant (il s'a-
Este, procor, memores, qua sitis stirpecreali;
Illiusque animos, qui multos perdidit unus.
Sumite scrpentis. Pro fontibus ille lacuque ;ii;j
Interiit; at vos pro fama vincite vestra.
Ille dedit letho fortes? Vos, pellitc moUes,
Et patrium revocate decus. Si fata vetabant
Stare diu Thebas, utinam tormenta virique
Moenia diruerent, ferrumque ignisque sonarent! 5S0
Essemus miseri sinc crimine, sorsque qucrenda,
Non celanda foret, lacrymaeque pudore carercnt.
At nunc a puero Thebx capientur inermi,
Ouem noque bella juvant, nec tela, nec usus equorum ;
Sed madidus royrrha crinis, mollesque coronae, 5fi5
Purpuraque, et pfctis inte^Ltum vestibus aurum.
Quem quidem ego actutum, modo vos absistitc, rosam*
Assumptumque patrem, commentaque sacra faten.
An satis Acrisio est animi, contemnero vanum
Numen, et argolicas venienti claudere porlas, 560
Penthea tcrrebit cum totis advena Thebis?
116 METAMORPIIOSES. .
dressait k ses compagnons) ; partez, et amenez ici le chefde cette
troupe charge de chaines. Obeissez a Tinstant. »
GadmuS} son aieui, Athamas et tous les siens Taccablent de re-
proches, et s'efforcentenvainderapaiser Les conseils redoublent
sa Tiolence; sa fureur s^irrite et s^accroit sous le frein qui Tar-
rfite. Ainsi j'ai vu un torrent, lorsque rien ne g^nait son cours,
s'6couler doucement avec un leger murmure. Mais des arbres ou
des rocs enlasses s'opposaient-ils a son passage, il ecumait, il
bouillonnait : robstacle le rendait furieux. Gependant les soldats
reviennent couverts de sang. Leur maitre leur demande ou est
Bacchus. lls r6pondent qu'ils ne Tont point vu. « Mais, ajoutent-
ils, voici un de ses compagnons, un de ses ministres, que nous
avons surpris celdbrant ses mysteres. » En meme temps ils lui
livrent, les mains liees derri^re le dos, celui qui jadis avait quitt^
rfitrurie pour suivre le dieu.
Penthee jelte sur lui des yeux irrites et terribles. A peine peut-
il diffSrer son supplice. « Tu vas mourir, dit-il, et ta mort servira
de legon aux autres. Fais-nous connaitre ton nom, tes parents,
ta patrie, et raconle-nous pourquoi tu celebres des mysteres nou-
Ite citi (famulis hoc imperat), ite, ducemque
Attrahite huc vinctum. Jussis mora segnis abesto. 9
Hunc avus, hunc Athamas, hunc coitera turba suorum
Corripiunt dictis, frustraque inhibere laborant. 565
Acrior admonitu est, irritaturque retenta,
Et crescit rabies : remorarainaque ipsa nocebant.
Sic ego torrentem, qua nil obslabat eunti,
Lenius, et modico strepilu decurrere vidi.
At quacumque trabes obstructaque saxa tenebant, 570
Spumeus, et fervens, et ab objice saevior ibat.
Ecce cruentati redeunt, et, Bacchus ubi esset
Quaerenti domino, Bacchum vidisse negarunt.
Hunc dixere, tamen comitem, famulumquo sacrorum
Cepimus; et tradunt manibus post terga ligatis, 575
Sacra dei quondam tyrrhena gente secutum.
Aspicit hunc oculis Pentheus, quos ira tremendos
Fecerat, et quanquam poenae vix tempora differt:
« 0 periture, tuaque aliis documenta dature
Morte, ait, ede tuum nomen, nomenque parentum, 580
Et patrjam, morisque novi cur sacra frequenles.
LIYRE III. 117
veaux. » L'6tranger lui r^pond sans se troubler : i Mon nom est
Acetes, et la M^onie ma patrie. Je suis ne de parents obscurs.
Mon p6re ne m\i laiss6 ni champs labour^s par des taureaux vi-
goureux, ni brebis a la riche toison, ni troupeaux de boeufs. II
^tait pauvre lui-mtoe. A Taide de lignes et d^hame^ons, il amor-
§ait le poisson et le tirait vivant du sein 3es flots. Son industrie
^tait toute sa fortune. Lorsqu^il m'cut instruit dans son art : « Re-
« gois, me dit-il, les richesses que je possede, toi Theritier et le
« successeur de mes travaux ; » et, en mourant, il me laissa les
eaux pour heritage : c'est tout ce que je puis appeler mon patri-
moine. Bient6t, pour ne pas rester etemellement enchaine aux
mSmes rochers, j'appris a gouverner les navires avec la rame.
J'observai Tastre pluvieux de la chevre Amallli^e, la consteliation
de Taygete, les Hyades, l'Ourse, les demeures des vents et les
ports propices aux vaisseaux.
« Un jour, me dirigeant vers Delos, j'approche des cdtes de
Naxos, et la rame me conduit heureusement au rivage. Je m'e-
iance d'un bond leger, et je foule le sable humide. La nuit s^ecoule.
Des que TAurore ouvre ses portes vermeilles, je me l^ve, j'engage
mes compagnons a apporter de Teau vive, et je leur montre le
llle metu vacuus : « Nomen mihi, dixit, Accetes;
Patria, Ma^onia est; humili de plebe parentes.
Mon mihi, quae duri colerent pater arva juvenci,
Lanigerosve greges, non uUsi armenta reliquit. 585
Pauper et ipse fuit, linoque solebat et hamo
Decipere, et calamo salientes ducere pisces.
Ars illi sua census erat. Quum traderet ariem :
« Accipe, quas habco, studii successor et hseres,
« Dixit, opes ; » moriensque mihi nihil ille reliquit, 5S0
Praeter aquas : unum hoc possum appellare paternum.
Mox ego, ne scopulis haererem sempec in isdem,
Addidici regimen, dextra moderante, carinae
Flectere; et olcnise sidus pluviale Capellae,
Taygelenque, Hyadasque ocuHs Arctouque notavi, 595
Ventorumque domos, et portus puppibus aptos.
« Forte petens Delon, Dias telluris ad oras
Applicor, et dextris adducor littora remis.
Doque leves saltus, udajque innitor arena;,
Nox ubi consumpta est. Aurora rubescere primum 600
Copperat. Exsurgo, laticesqnc inferre recentes
118 METAMORPHOSES.
sentier qui m^ne aux fontaines. J'6tudie ce que presage le vent
qui souffle de la hauteur voisine; j'appelle mes compagnons, et
je reviens vers mon navire. « Nous voila, » s'ecrie Ophelt^s avant
tous; et, fier de la proie qu'il a trouvee dans leschamps ddserts,
il s'imagine conduire un enfant d'une beaute virginale, et qui,
appesanti par le vin etle sommeil, semble chanceler et le suivre
a peine. J^examine ses v^lements, sa figure, sa demarche. Je n'y
remarque rien qui annonce un mortel. Je revelai alors mes pres-
sentiments a mes compagnons : « Je ne sais, leur dis-je, quel dieu
ii secachesous les traits de cet inconnu; mais ils decelent un dieu.
« Ah ! qui que tu sois, sois-nous propice, soutiens-nous dans nos
« dangers, et pardonne a mes compagnons. — Cesse de prier pour
c nous, j» s^ecrie Dictys, le plus prompt a s'eiancer aux antennes ou
a se glisser le long des cordages. Libys, le blond M^Ianthe qui dirige
la proue, et Alcimedon applaudissent, ainsi qu'Epopee, qui com-
raandait ou arr^tait le jeu des rames et encourageait les mate-
lots. Tous les autres Timitent : tant -la soif du butin les aveugle!
« Non, je ne souffrirai pas qu'un fardeau impie profane ce vais-
« seau, m'ecriai-je; c'est a moi surtout qu^appartient ici le droit de
Admoneo, monstroque viam quaB ducat ad undas.
Ipse, quid aura mihi tumulo promittat ab alto,
Prospicio, comitesque voco, repetoque carinam.
« Adsumus en, » inquit sociorum primus Opheltes; C05
IJtque putat, praedam deserto nactus in agro,
Virgiuea puerum ducit pcr litlora forma.
Ille, mero somnoqiie gravis, titubare videtur,
Viique sequi. Specto cultum, faciemque, gradumque.
Nil ibi, quod posset credi mortale, videbam. 010
Et sensi, et dixi sociis : « Quod numen in isto
« Corpore sit, dubito; sed corpore numen in isto esl!
4 Quisquis es, o faveas, nostrisquc laboribus adsis.
« nis quoque des veniam. — Pro nobis milte prrcaii, »
Dictys ait, quo non alius conscendere summas G15
Ocior antennas, prensoque rudente relabi.
Hoc Libys, hoc flavus, prorte tutela, Melanlhus;
Hoc probat Alcimedon, et, qui requiemquo modumque
Voce dabat remis animorum hortator Epopeus.
Hoc omnes alii : prxdse tam caeca cupido est! 620
« Non tamen hanc sacro violari pondere pinum
« Perpcliar, dixi; pars hic mihi maxima jnris. »
LIYRE III. 110
« commander. » Je me poste k Tentr^ pour en d^fendre Tacces.
La fureur s'empare de Lycabas, le plus audacieux des matelots, et
qui, banni de rEtrurie, expiait dans Texil un horrible homicide.
Je resiste. D*un coup de poing vigoureux il me frappe a la gorge,
et d'ime secousse il m'eilt jete dans la mer, si, malgr^ mon etour-
disseraent, je ne me fusse cramponne aux cordages. La troupe sa-
crilege approuve cette violence. Alors Bacchus (car c'^tait Bacchus),
comme si les cris eussent interrompu son sommeil et rappele sa
raison ensevelie dans le vin : « Que faites-vous, dit-il, et pourquoi
< ces clameurs? Matelots, apprenez-moi comment je suis ici. Ou
« voulez-vous me transporter? — Ne crains rien, replique le pi-
« lote, et dis-moi dans quel port tu \em. aborder : tu seras d^pose
« ou tu le desires. -— Dirigez votre course vers Naxos, repond Bac-
• chus. Laest mademeure : vous y trouverez un sol hospitalier. •
Leur bouche mensong^re jure par la mer et par toutes les divi-
nites que son voeu sera exauc^; et ils m'ordonnent d'abandonner
]a voile aux vents. Naxos toit a droite ; je dirigeai le vaisseau de
ce c6te. Qiacun s'ecrie : « Que fais-tu, insens^? QueY est ton aveu-
« glement, Acel^s? Tourne a gauche. » Les uns (c'etaitleplus grand
Inque adilu obsisto. Furit audacissimus omni
De numero Lycabas, qui tusca pulsus ab urbe
Exsilium, dira poenam pro csBde, luebat. <J25
Is mihi, dum resto, juvenili guttura pugno
Rupit, et excussum misisset in aequora, si non
Haesissem, qaamvis amens, in fune retentus.
Impia turba probant factum. Tum denique Bacchus
(Bacchns enim fuerat), veluti clamore solulus fi^O
Sit sopor, atque mero redeant in pectora sensus ;
« Quid facitis? quis clamor? ait : qua, dicite, nautae,
« Huc ope perveni? quo me deferre paratis?
« — Pone metum, Proteus, et quos contingere portus
« Ede velis, dixit; terra sistere petita. *>^»^
« — Naxon, ait Liber, cursus advtrtite vestros.
« Illa mihi domus est; vobis erit hospita tellus. »
Per mare fallaces, perquc omnia numina jurant
Sic fore, meque jubent pictae dafe vela carin.r.
Dexlera Naxos erat. Dextra mihi lintea danli : WO
• Quid facis, o demens? quis te furor, inquit, Acoete,
• Pro se quisque, tenet? Isevam pete. » Maxima nutu
120 MfeTAMORPHOSES.
nombre) m'indiquent leur pensee par des signes; les autres me
rexpliquent a 1 oreille. Immobile d'horreur : « Qu'un autre prenne
« le timon l » mtoiai-je ; et je me derobai a un ministere de crime
et d^astuce. Tous me gourmandent, tous eclatent en inurmures :
« Nolre salut va-t-il clependre de toi seul? » me dit fithalion, un
des matelots. A Tinstant il saisit le gouvernail, commande a ma
place, et s'61oigne de Naxos pour gagner le rivage oppose.
« En ce moment le dieu, d'un air nioqueur et comme s'il eiit
seulement alors decouvert rartifice, du haut de la poupe promene
ses regards sur la mer ; puis, feignant de pleurer : « Ce ne sont
« pas la, nochers, les rivages que vous m'avez promis; ce n'est pas
« laterre que j'ai demandee. Par quel crime ai-je meriteun pareil
« traitement? Jeunes et nombreux, quelle gloire trouvez-vous a
« tromper unenfant? » Deja mes larmes coulaient; la troupe impie
se rit de mes pleurs, et fend les flots sous les coups redoubles de
la rame. Ici je pris a t^moin de la verit^ de mon recit, quoiqu'il
parut peu vraisemblable, le dieu lui-m^me ; et il n'en est pas de
plus puissant. Le vaisseau resta immobile, comme s'ii se fut
trouve a sec dans une rade. Les matelots surpris persistent a battre
Pars mihi significal; pars, quid vclit, aure susurrat.
Obstupui : « Capiatque alius moderamina, » dixi ;
Meque ministerio scelerisque arlisque removi. 645
Increpor a cunctis, totumque immurmurat agmen.
E quibus MihaMoa : « Te scilicet omnis in uno
« Noslra salus posita est, ail! » Et subit ipse, meumque
Bxplet opus, Naxoque petit diversa relicta.
« Tum jjeus illudens, tanquam modo denique fraudem 650
Senserit, e puppi pontum prospeclat adunca.
Et flenti similis : « Non hajc mihi littora, naut»,
« Promisistis, ait; non haec mihi terra rogata est.
« Quo merui poenim faclo? Quae gloria vestra esl,
« Si puerum juvenes, si multi fallitis unum? » 6o5
Jamdudum flcbam. Lacrymas manus inipia noslras *
Ridet, et impellit prupcrantibus xquora remis.
Per tibi nunc ipsum (nec euim prxsentior illo
Est deus), adjuro, tam rae tibi vera referre,
Quam vcri majora fide. Stctit xquore puppis 6C0
Haud aliter, quam si siccum navale teneret.
Uli admiranles remorum in vcrbere perstant,
LIVRE III. 121
la mer avec leurs rames; ils d^ploient les voiles, et s'efforcent d'ac-
c^l^r leur marche par ce double secours. Le lierre embarrasse
les rames, les entoure de ses flexibles rameaux, et mftle la pour-
pre de ses grappes mtires a la blancheur des voiles. Bacchus lui-
mSme, le front couronne de raisins, brandit son thyrse om6 de
pampres. A ses cot^s gisent des spectres terribles, des tigres, des
lynx et des panth^res.
f Les nautoniers se precipitent dans Tonde, troubles par un ver-
tige ou par la peur. M^don est le premier dont le corps commence
a prendre des nageoires et a se plier en arc. « Quelle metamor-
« phose! p lui dit Lycabas; et, tandis qu'il profere ces mots, sa
bouche s^agrandit, son noz s'^largit, et sa peau durcie se couvre
d'ecailles. Libys s^efforce de retourner la rame; mais il voit ses
mains se retr^ir et se changer en nageoires. Un autre veut saisir
les c^bles enlaces par le lierre; mais il n'a plus de bras; il tombe
au fond de la mer, et son corps cambr6 se termine en une queue
semblable a une serpe ou au croissant de la lune. De tous cdt^ ils
bondissent et font rejaillir les flots ; tour a tour ils s'^Iancent de
Velaque deducunt, geminaque ope currere tentant.
Impediunt hederaB remos, nexuque recurvo
Serpunt, et gravidis distinguunt vela corymbis. 665
Ipse, racemiferis frontem circumdatus uvis,
Pampineis agitat velatam frondibus haslam.
Quem circa tigres, simulacraque inania lyncum,
Pictarumque jacent fera corpora pantherarum.
« Exsiluere viri (sive hoc insania fecit, 670
Sive timorj, primusque Medon nigrescere pinnis
Corpore depresso, et spinrc curvamina flecti
Incipit. Huic Lycabas : « In quae miracula, dixit,
« Verteris? » et lati rictus, et panda loqucnti
Naris erat, squaraamque culis durata trahebat. 675
H Lil)ys, obstantes dum vult obvertere remos,
In spatium resilire manus breve vidit, et illas
Jani non esse manus, jam pinnas posse vocari.
Altcr ad intortos cupiens dare brachia funes,
Bracliia non habuit, truncoque repandus in undas 680
Corpore desiluit; falcata novissima cauda est,
Qualia dividuae sinuantur cornua lunae.
Undiquedant saltus, multaque aspergine rorant;
Emerguntquc iteram, redeuntque sub xquora rursus;
125 MfiTAMORPHOSES.
Tabime et s'y replongent ; ils nagent en groupes, se livrent a milie
jeux, et rejettent Tonde par leurs larges naseaux. Des vingt no-
chers que portait le navire je restais seul. La frayeur agite et
glace mes sens. A peine suis-je rassure par ces paroles du dieu :
(I Bannis toute crainte et gagne le rivage de Naxos. » Arrive dans
cette ile, j'allume la flamme sur un autel, et je c^lebre les mys-
teres de Bacchus.
« — J'ai longtemps pr^te Foreille a tes longs discours, dit Pen-
thee, afin que ce delai put calmer ma colere. Matelots, saisissez
a rinslant cet etranger ; faites-Iui subir les plus cruels tourments,
et plongez-Ie dans la nuit infernale. » Acetes est entraine sur-le-
champ et renferme dans un cachot. Mais, tandis qu on preparait
la flamme et le fer, terribles instruments de son supplice, les
portes, dit-on, s'ouvrirent d'elles-mtoes, et d'elles-ra6mes les
chaines tomberent de ses mains. Le fils d'£chion persiste. II
n'ordonne plus d'aller, il court lui-m6me sur le Citheron, qui,
choisi pour les mysteres sacres, retentit des chants et des cris
aigus des Bacchantes. Ainsi qu'un g^nereux coursier freniit et
respire le feu des combats, lorsque Tairain sonore a donn6 le si-
Inque chori ludiiiit speciem, lascivaque jactant 68J>
Corpora, et acceptum patulis mare naribus efflant.
De modo viginti (tot enim ratis illa fcrebat),
Restabam solus. Pavidum gelidumque trementi
Corpore, vixque meum firmat deus : « Excute, dicens,
« Corde raelum, Diamquu tene. » Delatus in illam, 090
Accensis aris, baccheia sacra frequento.
« — Prxbuimus longis, Pentheus, ambagibus anres,
Inqiiit, ut ira mora vires absumere posset.
Prxcipitem famuli rapite hunc; cruciataque diris
Corpora tormentis stygias demittite nocti. » 09.%
. Protinus abstractus solidis tyrrhenus Acoetes
Clauditur in tectis; et, dum credulia jussic
Instrumenta necis, ferrumque ignisque parantur,
Sponte sua ^atuisse fores, lapsasquc lacerlis
Sponte sua, fama est, nullo solvente, catenas. 7(K)
Perstat Echionides; nec jam jubet ire, sed ipse
Yadit, ubi, electus facienda ad sacra, Cithaeron
Cantibus et clara bacchantum voce sonabat.
Ut fremit acer equus, quum bellicus sre canoro
Signa dedit tubicen, pugnaeque assumit amorem; 705
LIYRE III. 123
gnal de la guerre, Penthee, au bruit des hurlements qui se pro-
longent dans les airs, sent redoubler sa fureur.
Yers le milieu de la montagne est une plaine qu'entoure une
for^t, mais dont Tenceinte, sans arbres, s^ofTre libre a roeil qui la
contemple. La, tandis que Penth^e porte un regard profane sur
les myst^res, egaree par le delire, Agave sa m^re lui jette, avant
toutes les autres, son thyrse qui le blesse. o fivohe, s^ecrie-l-elle,
accourez, mes soeurs. Ce sanglier enorme qui erre dans nos cam-
pagnes, c'est moi qui veux le frapper. » La troupe furieuse fond
sur le malheureux Penthee. Tputes ensemble, elles le poursuiveut,
tremblant enfm, enfin moins emporte dans son langage, se bl^-
mant et s'avouant coupabJe. Atteint d'un coup mortel : « Yiens a
mon secours, dit-il^ Autonoe, toi la soeur de ma m^re; laisse-toi
flechir par Tombre d'Acteon. » Elle ignore ce que fut Acteon, et
coupe la main droite du suppliant. Ino lui enleve Tautre. L'infor-
tune n'a plus de bras qu'il puisse tendre vers sa m^re; mais, lui
montrant ses membres mutiles : « Regarde, 6 ma m(^ro ! » dit-il.
A ce spectacle, Agave pousse des cris affreux, et livre ?es cheveux
Penthea sic ictus longis ululatibus sther
Movit, et audito clangore recanduit ira.
Ifonte fere medio cst, cingentibus uUima silvis,
Purus ab arboribus, spectabilis undique campns.
Hic oculis illum cernentem sacra profanis 710
Prima videt, prima est insano concita motu,
Prima suum misso violavit Pcnthea thyrso
Mater: « lo, gsminae, clamavil, adesle, sorores.
Ille aper, in nostris errat qui maximus agris,
Ille mihi feriendus aper. » Ruit omnis in unum 715
Turba furens. Cunct» cocunt, cunctoGque seqViUnlur
Jam trepidum, jam verba minus violenta loquenlem,
Jam se damnantem, jam se peccasse fatentcEi.
Sauciusillc tamen : « Fer opem, matertera, dixil,
Autonoe; moveant animos Actsonis umbrse. » 72U
llla, quid ActoDon, nescit; dextromquc precanti
Abstulit. Inoo lacerata est altera raptu.
Non habet infelix quse matri brachia tendat ;
Trunca sed ostendens disjectis corpora membris :
« Aspice, mater, » ait. Visis ululavit Agave, 7*2."i
Collaquc jactavit, movitque per aera crinem,
m m£tamorphos£S.
auK caprices des vents. EUe prend dans ses mains ensanglant^es
la tSte de son fils recemment abattue, et s^ecrie : « fivohe ! mes
compagnes, cette victoire est mon ouvrage ! » Le vent froid de
Tautomne ne frappe et ne detache pas plus vite les feuilles qui
tiennent a peine a la cime des arbres que les mains cruelles des
Bacchantes ne disperserenl les membres de Penthee. Inslruites
par cet exemple, les Thebaines c616brent les nouveaux mysteres,
offrent Fencens et deposent leurs hommages sur les autels con-
sacres h Bacchus.
Avulsumque caput digitis complexa cruentis
Glamat : « lo, comites, opus haec vicloria nostrum est. »
Mon citius frondes autumno frigore tactas,
Jamque raale baBrentes aita rapit arbore ventus, 730
Quam sunt membra viri manibus direpta nefandis.
Talibus exemplis raonitae, nova sacra frequentant,
Thuraque danl, sanctasque coiunl IsmeniJes aras.
LIVRE QUATRlfiME
ALGITnOE ET SES S(EURS REJETTENT LE CULTE DE BAGGHUS. — AVENTURB
D£ PYRAME ET DE THISBE. — AMOUR DE MARS ET DE V^NUS. —
AMOUR d'aPOLLON ET DE LEUCOTHOE. — AMOUR DE SALMACIS ET d'hER-
MAPURODITE. — LES FILLES DE MiNYAS METAMORPHOSEES £N CHAUVfiS-
SOURIS, ET LEURS TOILES CHASGEES EN PAMPRES.
I. Gependant la fille de Minyas, Alcithoe, ne croit pas devoir
adopter le culte de Bacchus. Toujours tem^raire, elle soutient
qu'il n'est pas fils de Jupiter. Ses soeurs partagent son impi^t^. Le
prMre ordonne de celebrer les mysteres ; il commande aux mai-
tresses et aux esclaves d'abandonner leurs travaux, de couvrir leur
sein d'une fourrure, de delier les bandeletles qui attachent leurs
cheveux, d'omer leur front de couronnes et leur maiii d'un thyrse
entoure de pampres. En mSme temps il annonce que le courroux
du dieu sera terrible, s'il rcQoit une offense. Les meres et les filles
LIBER QUARTUS
ALarnOE ET SOROnES constanter baccui sacra contemndnt. — ptrami et
THISBES, — MARTIS ET VENERIS, — APOLLINIS ET LEDCOTnOES, — SALMACIS
ET HERMAPHRODITIS AMORES. — MINEIDES IN VESPERTILIONES MUTATiE, EARUll-
gUE TELiE IN VITEM £T PAMPINOS.
I. At non Alcilhoe Minyeias orgia censet
Accipienda dei ; sed adhuc temeraria Bacchum
Progeniem negat esse Jovis, sociasque sorores
Impietatis habet. Feslum celebrare sacerdos,
Immunes operum dominas famulasque suorum,
Pectora pelle tegi, crinales solvere vitlas,
Soita comis, manibus frondentcs sumere thyrsos,
Jusserat, et saevam laesi fore numinis iram
Vaticinatus erat. Parent matresque nurusque;
126 MfiTAMORPHOSES.
oWissent ; elles deposent leur fuseau, leur corbeille et leur toile
inachevee ; elles offrent de Tencens et invoquent le dieu sous le
nom de Bacchus, .de Bromius, de Lyeus, de fils du feu, de dieu
deux fois ne, le seul qui ait eu deux meres. Elles ajoutent les noms
de Nyseen, de Thyonee k la longue chevelure, de Leneus, de pere du
joyeux raisin, de Nyctelius, dlacchus, d^fiieleus, d'fivan,et tous les
autres noms que te prodiguent, 6 Bacchus ! les villes de la Greco.
« Ta jeunesse, disent-elles, est toujours dans sa lleur. Tu jouis d'une
^temelle adolescence. Ta beaute te distingue au celeste sejour, et
ton front, quand il n'est plus arme de comes, a une grace vir-
ginale. L^Orient Vesi soumis jusqu'aux bouches du Gange qui ar-
rose les noirs Indiens. Dieu ven^rable, Penthee et Lycurgue, arme
d'une hache, ont expie sous tes coups leur sacrilege audace. Tu
precipitas les Tyrrheniens au fond des abimes. Tu soumets a un
double joug les lynx pares d'un frein brillant. Sur tes pas marchent
les Bacchantes, les Satyres et le vieiliard avine dont un baton sou-
tientles pieds chancelants, ou qui vacille sur le dos cambre de son
jine. Partout ou tu passes retentissent les cris des jeunes gens, les
voix des femmes, les bruyants tambours, Tairain concave et le hauf -
Telasque, calathosque infectaque pensa reponunt; 10
Thuraque dant; Bacchumque vocant, Uromiumque, Lyaeumquc,
Ignigenamque, satumque itcrum, solumque bimatrom.
Additur his Kyseus, indetonsusque Thyoneus,
Rt cum Lenaeo geniah's consitor uvx,
Nycteliusquc, Eleleusque parens, et lacchus, et Evan ; 1"»
Et qua^ pra^terea per graias plurima gentes
Nomina, Liber, habes : « Tibi enim inconsumpta jnventas ;
Tu puer aeternus, tu rormosissimus alto
Conspiceris coblo; tibi, quum sine cornibus adslas,
Virgincum caput est. Oriens tibi viclus, ad usquc t20
Decolor extrcmo qua tingitur india Gangc.
Penthea tu, venerandc, bipenniferumque Lycurguiu
Sacrilegos maclas; tyrrhenaque mittis in ajquor
Corpora ; tu bijuguni pictis insignia frenis
Colla premis lyncum; Bacchai Salyrique scquuntur; 2?»
Quique sonex ferula titubantes ebrius artus
Sustinel, aut pando non fortiter haeret asollo.
Quacumque ingrederis, clamor juvenilis, ot una
Femina) voccs, impulsaque tympana palmis,
Concavaque cora sonant, longoque foramine buxns. 3U
LIYRE IV. 127
bois. Les Thebaines implorent ta proteclion et celebrent tes fHes.
Seules, au fond de leurs demeures, les filles -de Minyas, profanant
ton clilte par des travaux bors de saison, illent la laine, font tour-
ner leurs fuseaux, fagonnent des tissus et excitent leurs esclaves
^Touvrage.
L'une d'elles, tirant le fd qui s'aIlonge entre ses doigts d^Iies,
s'ecrie, tandis que les autres Th^baines interrompent leur travail
pour de vains mysteres : « Nous que Pallas, deesse plus sage, re-
tient en ces lieux, mSlons aux utiles occupations de nos mains di-
vers entretiens qui les allegent. Qu'un recit nous emp^che de sen-
tir la longueur du lemps et charme nos oreilles. » Ses compagnes
applaudissent a ce projet et la prient de commencer. EUe cherche
dans son esprit quel sujet elle pourra choisir parmi tous ceux qui
lui sont connus. Doit-elle conter ton aventure, toi qu'honore Baby-
lone, Dercetis, toi que les peuples de Syrie croient resider au fond
de leurs lacs sous la forme d'un habitant de Tonde? Dira-t-elle
coBunent sa fille, transfonnee en oiseau, passa sur de hautes tours
ses demieres annees ; comment une Naiade, par ses chants et par
la yerhi trop efficace des simples, changea des jeunes gens en pois-
Pacalus, mitisque, roganl Ismenides, adsis;
Jussaque sacra colunt. Solae Minyeides intus,
Intempestiva turbantes festa Minerva,
Aut ducunt lanas, aut stamina pollice versant,
Aut haerent telae, famulasque laboribus urgent. r»'j
E quibus una levi dcducens pollicc liium,
Dum cessant aliae, commentaque sacra frequentnnt,
« Nos quoque, quas Pallas, melior dea, detinet, inquil,
rtile opus manuum vario sermone levemus;
Perque vices aliquid, quod tempora lonpa videri 40
Non sinat, in medinm vacuas referamus ad auros. »
Dicla probant, primamque jubent narrare sorores.
Illa, quid e multis referut, nam plurima norat,
Cogitat; et dubia est, de te, babylonia, narret,
Derccti, quam versa squamis velantibus artus 4?j
Slagna Palaestini credunt celebrasse figura ;
An magis ut sumptis illius filia pennis
Extremos allis in turribus egerit annos;
Nais an ut canlu, nimiumque potentibus lierhis,
Verlerit in tacitos juvenilia corpora pisces, t'A)
m MfiTAMORPHOSES.
sons, et subit a son tour la m^me metamorphose ; comment enfin
Tarbre qui portait des fruits blancs en porte de noirs, depuis qu'il
fut teint de sang? Ce demier sujet lui plait, parce qu'il n'a rien de
vulgaire ; et, tout en filant sa laine, elle commence ainsi :
« Pyrame, le plus beau des jeunes gens de son sige, et Thisbe,
qui eclipsait toutes les vierges de rOrient, habitaient des maisons
voisines, dans le lieu ou, dit-on, Serairamis entoura sa ville su-
perbe de remparts cimentes de bitume. La cause de leur pre-
miere liaison et de ses progres fut ce \oisinage. Le temps accrut
leuramour. Ils auraient allume leflambeau d'un hymen legitime,
si leurs parents ne s'y etaient oppos^s. Neanmoins ils ne purent
emp^cher que le m^me feu n'embrasdt leurs coeurs egalement
6pris. Leur amour n'etait connu de personne ; il s'exprimait par
des gestes et par des signes. Mais, plus leur flamme etait ca-
chee, plus Tincendie etait violent. Une fente legere existait dans
le mur qui separait leur demeure, depuis le jour ou ce mur fut
construit. De temps immemorial personne ne Tavait remarque.
Mais que ne voit pas Famour? Vous la vites les premiers, vous
qu'il inspirait, et vous en fites un porte-voix. Par la vous piites,
sans bruit et sans danger, vous adresser milie tendres paroles.
Donec idem passa esl; an, quae poma alba ferebat,
Ut nunc nigra ferat contactu sanguinis arbor.
Hjec placet; hanc quoniam vulgaris fabula non est,
Talibus orsa modis, lana sua iila sequente :
A,
« Pyramus et Thisbe, juvcnum pulcherrimus alter, C3
Altera, quas Oriens habuit, prxlata puellis,
Contiguas lcnuere domos, ubi dicitur altam
Coctilibus muris cinxisse Semiramis urbem.
Motitiam, primosque gradus vicinia fecit.'
Tempore crevit amor; taBdae quoque jure coisscnt, CO
Sed vetuere patres. Quod non potuere vetarc,
Ex SBquo caplis ardebant mentibus ambo.
Conscius omnis abest; nutu signisque loquunlur;
Quoque magis tegilur, tectus magis aisluat ignis.
Fissus erat tenui rima, quam duxerat olim, 6S
Quum fieret paries domui communis ulrique.
Id vitium nuUi per saecula longa nolatum,
(Quid non sentit amor?) primi sensistls, amantes,
Et vocis fecistis iter; tutseque per iliud
Murmure blandiliae minimo transire i^olebant. 70
LIVRE IV. 129
Soavent Thisbe d'un c6te et Pyrame de l'autre s'arr6taient prte
de cette ouverture pour respirer tour a tour leur haleine. « Mur
« jaloux, disaient-ils, pourquoi fopposer a notre amour? Que f en
« couterait-il de permettre a nos bras de s'unir ? Si ce bonheur est
f trop grand, pourquoi ne pas laisser du moins un libre passage a
f nos baisers? Gependant nous ne sommes pas ingrats : oui, c'est
f par toi, nous aimons a le reconnaitre, que le langage de Tamour
f parvient a nos oreiiles. » Apres s'^tre inutilement plaints des
difficultes de leur position, le soir, iis se dirent adieu, et tous
deux imprimerent sur le mur des baisers qui ne parvenaient point
a leur but.
« Le lendemain, a peine FAurore a-t-eile chasse les astres de la
Duit, a peine ies rayons du soleii ont-ils dissipe la rosee qui hu-
mectait le gazon, qulls se retrouvent au rendez-vous. D'abord, a
voix basse, ils exhalent mille plaintes. Puis ils decident qu'a la fa-
veur du silence de la nuit ils tenteront de tromper leurs gardes et
de quitter leur demeure, resolus, des qu'ils en auront franchi le
seuil, a sortir de la ville. Afin de ne pas errer a Taventure dans la
campagne, ils devront se reunir pres du tombeau de Ninus et se
cacher sous Tarbre qui rombrage. La, en effet, sur les bords
Saepe, ut consliterant, hinc Thisbe, Pyramus iliinc,
Inque vicem fuerat captatus anhelitus oris :
« Invide, dicebant, paries, quid amantibus obstas?
« Quantum erat, ut sineres nos toto corpore juugi?
« Aut hoc si nimium, vel ad oscula danda patercs ! 75
« Kec sumus ingrati : libi nos debere fatemur,
c Quod datus est verbis ad amicas transitus aures. »
Talia diversa nequicquam sede locuti,
Sub noctem dixere, Vale; partique dedere
Oscula quisque suae, non pervenientia contra. oO
« Postera noctumos Aurora removerat igncs,
Solque pruinosas radiis siccaverat herbas.
Ad solitum coiere locum. Tum murmure parvo
Blulta prius questi, statuunt, ut nocte silenti
Fallere custodes, foribusque excedere tentent; 85
Quumque domo exierint, urbisquoque claustra relinquant.
Neve sit errandum lato spatiantibus arvo,
Conveniant ad busta Nini, lateantque sub umbra
Arboris. Arbor ibi, niveis uberrima pomis,
130 METAflOllPHOSES.
tfune fraiche fonlaine, s'elevait un grand murier charge de fruils
plus blancs que la neige. Cette convention les comble de joie. Le
jour, qui semble fuir lentement, se plonge enfui dans les flots, et
de ces mtoes flots la nuit s'elance. Thisbe profite des tenebrcs
pour faire tourner adroitement la porte sur ses gonds, et sort en
trompant ses gardes. Couverte d'un voile, elle parvient au tombeau
de Ninus, et s^arr^te sous Tarbre designe. L^amour lui donne de
Taudace. Tout a coup une lionne, la gueule encore rougie du
sang des bceufs, va etancher sa soif a la source voisine. Aux
rayons de la lune, Thisbe la voit au loin, et d'un pas tremblant
eUe fuit pour se cacher dans un antre obscur. En fuyant, elle
laisse tornber le voile qui flottait sur ses epaules. La farouche
honne , apres s'6tre desalter^e dans la fontaine, se dirige vers la
for^t. Elle rencontre sur son chemin le leger v6tement, et le de-
ciiire de sa gueule ensanglantee.
« Pyrame, sorti plus tard, remarque lestraces delabMe feroce
profondement empreintes sur le sable. La paleur couvre son front.
Bientdt il apergoit aussi le voile de Thisbe teint de sang : « La
« m^me nuit, dit-il, verra mourir deux amants; et cependant
« Thisbe meritait une longue vie! Le criminel, c'est moi. Oui,
Ardua morus erat, gelido contermina fonti. DO
Pacta placent; et lux tarde decedere visa
Prsecipitatur aquis, et aquis noi surgit ab isdeui.
Callida per tenebras, versato cardine, Thisbe
Egreditur, fallitque suos ; adopertaque vuitum
Pervenit ad tumulum, dictaque sub arbore sedit. '^'i
Audacem faciebat amor. Venit ecce recenti
Caede lexna boum spumantcs obiila rictus,
Deposilura sitim vicini fontis in unda.
Quam procul ad Iuusb radios babylonia Thi&bc
Vidit, et obscurum trepido pede fugit in aulruni ; iOO
Dumque fugit, tergo Tclamina lapsa relinquil.
Dt laea sicva sitim multa compescuit unda,
Dum redit in silvas, inTentos forte sinc ipsa
Ore cruentato tenues laniavit amictus.
Serius egressus; vestigia f idit in alto 105
Pulvere certa fera;, totoque expalluit ore
Pyramus. Ut vero vestem quoque sanguine tinctam
Repperit : « Una duos nox, inquit, perdet amantes ; .
« £ quibus illa fuit longa dignissima vita.
LIVRE IV. 151
c infertunee, c'est moi qui t*ai perdue, moi qui f ai conseill^ de
« Tenir, la nuit, dans ces lieux redoutablcs ; et je ne m'y suis
« point rendu le premier ! Ah I mettez mon corps en lambeaux et
« d^irez sous vos cruelles.morsures mon coeur coupable, lions
« qui liabitez ce roc sauvage. Mais le Idche seul desire la mort. »
A ces mots, il emporte le voile de Thisbe, le depose a rombre de
Tarbre designe, et, couvrant ce vfitement cheri de ses iarmes et
de ses baisers, il s'^crie : « Re^ois aussi mon sang ! > Aussit^t il
plonge dans son coeur le fer dont il est arme, et, en mourant, le
retire de sa blessure encore fumante. 11 tombe a la renverse, et
son sang jaillit dans les airs. Ainsi un tube de plomb fendu lance
au loin Feau qui s'echappe par son ouverture, et qui siffle en se
frayant un passage. Les fruits de Parbre, teints par cette pluie de
sang, deviennent noirs, et sa racine, qui en est humeciee, rougit
la mure suspendue a ses rameaux.
« Thisbe n'est pas encore libre de toute crainte; et cependant,
pour ne pas causer a son amant une attente trompeuse, elle re~
vient et le cherche avec ardeur. EUe briile de lui raconter les ter-*
ribles dangers qu'elie a courus. EUe reconnait le lieu ; mais lc
« Nostra noceus aoima est. £go te, luiseraQda, perciui, 110
« In loca plena metus qui jussi nocte vcnires ;
« Nec prior huc veni ! Nos(nun divellite corpus,
1 Et scelerala fero consumitc viscera morsu,
« 0 quicumque sub hac habitatis rupe, leones !
« Sed timidi est optare necem. » Velamina Thisbes ll3
Tollit, et ad pacla; secum fert arboris umbram.
Utque dedit noUc lacrymas, dedit oscula vesti :
« Accipe nunc, iuquiti nostri quoquesanguinishauslus. »
Quoque erat accinctus demittit in ilia ferrum.
Nec mora, ferventi moriens e vulnere traxit. 1'20
Ut jacuit resupinus humi, cruor emicat alte,
Non aliter quam quum vitialo fistula plunibo
Scinditur, et tenues stridente foramine longc
Ejaculatur aquas, atque ictibus aera rumpil.
Arborei fcctus asperginc ca^dis ia atram iT6
Vertunlur faciem, madefactaque sanguine radix
Puniceo tingit pendentia mora colore.
c Ecce, metu nondum posito, ne fallat amuulcm,
Illa redit, juvenemquc oculis animoque requirit,
Quantaque vitarit narrare pericula gestit. lcO
\
j:
152 MfiTAMORPIIOSES.
changcment sbt.venu dans Tarbre el dans la couleur du fruit lui
cause de rincertitude. EUe hesite, ne sachant plus si c'est le
mtoe arbre. Soudain elle aper^oit un corps palpitaht sur la lerre
ensanglantee. Elle recule, plus p&le que Falbdtre, etfremit comme
la mer quand un souffle leger en ride la surface. Bient6t,reconnais-
sant robjet de son amour, elle frappe sa poitrine de coups afireux
qui resonnent au loin, s'arrache les cheveux, presse Pyrame dans ses
bras, pleure sur sa blessure, et m^le ses larmes avec son sang.
Puis, imprimant des baisers sur son front glace : « Pyrame, s'e-
« crie-t-elle, quel malheur Ta ravi a ma tendresse? Pyrame, re-
«, ponds-moi. Cher ami, c'est Thisbe qui f appelle. Entends sa voix
« et releve ta t^te. » Au nom de Thisbe, il ouvre ses paupieres
deja appesanties par la mort, revoit son amante, et les referme.
Thisbe recotmait son voile, et voit le fourreau dHvoire sans son
ep6e : « Ah ! dit-elle, c*est par amour pour moi que tu Ves donne
« la mort, infortune ! Moi aussi, j'ai un bras assez courageux
« pour trouver le trepas. Oui, Tamour me donnera assez de force
« pour me percer d'un glaive. Je te suivrai. On dira : Elle fut la
« cause deplorable de sa perte et Taccompagna dans le tombeau.
Utque locum, et vcrsam cognovit in arbore formam,
Sic facit incertam poroi color, haeret. An hxc sit,
Dum dubitat, tremebunda videt puliiare cruenlum
Membra solum, retroque pedem tulit; oraque buxo
Pallidiora gerens, exhorruit, aequorls instar, 135
Quod tremit, exigua quum summum stringitur aura.
Sed, postquam remorata suos cognovit amores,
Percutit indignos claro plangore lacertos;
Et laniata comas, amplexaque corpus amatum,
Vulnera supplevit lacrymis, fletumque cruori 140
Miscuit, el gelidis in vultibus oscula figens .-
« Pyrame, clamavit, quis te mihi casus ademil? '
« Pyrame, responde. Tua te, carissime, Tbisbe
« Mominat. Exaudi, vultusque attolic jacentcs. »
Ad nomen Thisbes oculos, jam morte gravatos, 145
Pyramus erexit, visaque recondidit iiia.
Quae postquam veslemquc suam cognovit, et ense
Vidit ebur vacuum : « Tua te manus, inquit, amorque
c Perdidit, infeiixl est et mihi fortis in unum
« lloc manus ; est et amor : dabit hic in vulnera vires. 150
« Prosequar exstinctum, lcthiquc niiserrima dicar
« Causa comesque tui. Quique a me morte revelli,
LIVIIE lY. 133
i flelas! la mort seule pouvail Teloigner de moi ; elle ne le pourra
« plus. Ah I du moins exaucez celte pri^re, vous trop malheureux
« parents de Thisb^ et de Pyrame. L'amour et la derni^re heure les
« ont enfin reunis. Ne leur enviez pas le bonheur de reposer sous
« la m^rae tombe. Et loi, arbre dont les rameaux ne couvrent
« maintenant que les restes de Pyrame, et qui vas bientdt couvrir
« aussi les miens, porte toujours les marques de notre trepas.
« Que tes fruits, embl^me de deuil, attestent a jamais que deux
« amants font baigne de leur sang ! » Elle dit, et enfonce dans son
coeur la pointe de Tepee toute fumante encore du sang de Pyrame.
Leurs voeux furent entendus des dieux et de l^urs parents. Le
fruit de Tarbre, parvenu a sa malurite, prit la couleur du sang, et
leurs cendres furent enfermees dans la m6me urne. »
La Mineide avait acheve son recit. Apres un court intervalle, Leu-
conoe prend la parole. Ses compagnes Tecoutent en silence. « Le
Soleil, flambeau du monde, a aussi ressenti Tamour. Racontons
les amours du Soleil. Ce dieu, dit-on, fut le premier temoin du
commerce adultere de Yenus et de Mars : c'est lui qui, le premier,
voit tout. Indigne de ce crime, il decouvre au lils de Junon les
« Hcu ! sola poteras, poteris nec niorte revelli.
« Hoc tamen amborum verbis estote rogati,
« 0 multum miseri, meus illiusquc parentcs, l^
•c Ut, quos serus amor, quos hora novissima junxit,
« Componi tumulo non invideatis eodcm!
« At tu, quaj ramis arbor miserabile corpus
« Nunc tegis unius, mox es tectura duoruni,
« Signa tene csedis ; pullosque, et luctibus uptos 160
« Semper habe foetus, gemini monumenta cruoris. »
Dixit, et aptato peclus mucrone sub imum
Incubuit ferro, quod adhuc a ca;de topcbat.
Vota tamcn tetigere deos, tetigere parentes.
Nam color in pomo est, ubi pcrmaturuit, ater ; 165
Quodque rogis superest, una requieseit in unia. »
\ Qu
Desierat, mediumque fuit breve tcmpus, et orsa cst
Dicere Leuconoe : vocem tenuere sorores.
« Uunc quoque, siderea qui temperat omnia luce,
Cepit aiiior Solem; Soiis referemus amores. • 170
Primus adulterium Veneris cum Marte putatur
Hic vidisse deus : videt hic deus omuia piimus.
Indoluit facto, Juaonigen»qjue marito
154 METAMORPUOSES.
inlideliles de sa coiiipagiie et l'asile qui en est le thedlre. Sa raison
lui echappe, et le fer qu'il travaille tombe de ses mains. II fabrique
aussitdt de minces chaines d'airain, des lacets et des filets imper-
ceptibles qui ne le cedent en fmesse ni au tissu le plus delicat, ni
a la toile quWrachne suspend aux soUves. U fait en sorte qu*ils
puissent se rapprocher au plus leger mouvenient, a la moindre
pression, et en enveloppe avec adresse le lit des deux amants. A
peine Venus etson complice sont-ils reunis dans la m^me couche,
que Yulcain les surprend dans ces iiens nouveaux et les enlace au~
jniHeu de leurs embrassements. Aussit6t irouvre les portes d'i-
voire de son palais ei fait entrer les dieux. Yenus et Mars parais-
sent, enchairies et confus. Plus d'un dieu malin aurait voulu etre
confus a ce prix. Les Immortels eclaterent de rire, et cette aven-
ture servit longtemps d^entretien a la celeste cour.
« La deesse de Cythere tire de cette revelation une m^morable
vengeance : elle veut qu'a son tour celui qui a trahi ses myste-
rieuses amours soit trahi dans des amours semblables. Que peu-
vent, 0 fils dllyp^rion ! ta beaute, ta chaleur et tes rayons? Sans
doute tes feux brulent au loin la terre, mais toi-mtoe tu brules
Kurla tori, furtique locuiu monstravit. At illi
Kt mens, et quod opus fabrilis dextra tenebat, 175
Kscidit. Extemplo graciie:» ex scre catenas,
Hctiaque, ct laqueos, quac lumina fallere possint,
Elimat. Non illud opus lenuissima vincant
Staraina, non summo qux pendet aranea tigno.
Utque lcves tactus momentaque paiva sequanlur, 1^<'
Eflicit, ct lccto circuradata collocat apte.
Ut venerc torum conjux et adulter in unum,
Arte viri, vinclisque nova ratione paratis,
In mediis ambo deprensi amplexibus haerenti
Lemnius extemplo valvas patcfecit eburnas, 183
Admisitquc deos. llli jacucre Hgali
Turpitcr, atque aliquis dc dis non tristibus ojitat
Sic fieri turpis. Superi risere, diuque
Hxc fuit in toto notissima fabula ccelo.
« Exigit indicii memorem Oylhcreia poenanli ^-^^
Inquc viccs ilium, lectos qui laesit amores,
LiBdit aniore pari. Quid nunc, Hyperione nalc,
t^orma, calorque tibi radialaque lumiiia piosunt?
Nerape tuis omnes qui tcrras ignibus uris,
MVRE IV. 135
d'un feu nouveau. Tes regards doivent tout embrasser, et lu ne
?ois que Leucotho^. Tu fixes sur une seule vierge tes regards
que r6clan)& le monde entier. Tu parais trop tdt aux portes de 10-
rient ou tu descends trop tard dans Tonde ; et, tandis que tu t'ar-
rfttes pour la contempler, tu prolonges le jour dans la saison des
frimas. Quelquefois tu feclipses. Le mal qui ronge ton coeur se
dec^le sur ton front, et robscurite qui le couvre epouvante les
mortels. Tu p^lis, et cependant la lune ne vient pas se placer entre
*ton disque et la terre, dont elle est plus voisine que toi. Cest ta
passionqui fimprime cette p^leur : tu tfaimes que Leucotho^.
Clymeng et Rhode ne regnent plus sur toi, ni la Nymphe celebre
par sa beaut^ et qui donna le jour a Girce dans Tile d'Ea ; ni Gly-
tie, qui, malgre tes mepris, aspirait encore a ta couche, et dans
ce temps mtoe ressentait une profonde blessure. De nombreuses
rivales furent oubliees pour Leucotho^, qu'enfanta la belle Eury-
nome dans la r^gion d'oii nous viennent les parfums. EUe grandit.
Sa m^re, qui efraga toutes les beautes, est a son tour effac^e par sa
fille. Les Ach^meniens reconnaissent les lois d^Orchamus, son p^re,
septi^me rejeton de rantique Belus.
f Sous le ciel de rflesperie sont les paturages des coursiers dii
Ureris igne novo; quique omnia cernere debes, 195
Leucothoen speclas, et virgine figis in una,
Quos roundo debes, ocdlos. Modo surgis eoo
Temporius coelo, modo serius incidis undis.
Spectandique mora brumales porrigis horas.
Dcficis interdum, vitiumquc in lumina mcnlis 20(J
Transit, et obscurus mortalia pectora terros,
Nec, tibi quod lunaj terris propioris imugo
Obstiterit, palles : facit hunc amor iste colorem.
Diligis hanc unam ; nec te Clymeneve, Rhodosvr,
Nec tenet aeaeai genilrix pulcherrima Circes, 20?»
Quaeque tuos Clytie, quamvis despecta, petebat
Concubilus, ipsoque illo grave vulnus habcbat
Teropore. Lencothoe multarum oblivia fecil,
Gentis oderifera} quam formosissima partu
Edidit F.urynome. Sed, postquam filia crevil, '210
Quam mater cunclas, tam matrcm filia vicit.
Rexit achxmenias urbes pater Orchamus, isqne
.'?eptimns a prisci numeratur originc Beli.
« Axc sub hesperio sunt pascu» Solis cquorum.
i36 MllTAMORPHOSES.
Soleil. L'ambroisie y croit k la place du gazon. Apres leurs fati-
gues journalieres, elle est leur nourriture et rafraichit leur vi-
gueur. Tandis quMls se . repaissent de ces sucs ceiestes, la nuit
accoraplit sa r^volution, et le dieu penetre dans Fasile de son
amante sous les traits d'Eurynome, sa m^re. Au milieu de douze
compagnes, il voit Leucothoe qui, a la clarte d'une lampe, fait
tourner son fuseau entre ses maios actives. D^abord il lui donne
de tendres baisers, comme une mere a sa fille ch6rie ; puis il
ajoute : « II s'agit d'un secret. Esclaves, retirez-vous, et n'6tez
0 pas k une m^re le droit de parler seule a sa fUIe. » Elles obeis-
sent. Le dieu, se voyant sans t^moins : « Je suis, dit-il, oelui qui
« mesure la longueur de i'annee. Cest moi qui vois tout et par
« qui la terre voit tout : je suis rceil du monde. Crois-moi, tu me
« plais. » La Nymphe tremble ; la crainte, qui fait tomber sa que-
nouille et ses fuseaux de ses doigts, rehausse encore sa beaute.
Apollon a Tinstant reprend sa premiere forme et sa splendeur or-
dinaire. Effrayee de ce changement soudain, mais vaincue par
reclat du dieu, Leucothee c6de a la violence sans proferer au-
cune plainte.
« Son bonheur fait envie a Clytie, qui n'avait pu renoncer encore
Ambrosiam pro gramine habent : ea fessa diarnis 215
Membra ministeriis nutrit, reparatque bbori.
Dumque ibi quadrupedcs coelestia pabula carpunt,
Noxque vicem peragit, thalamos deus iutrat amatos,
Versus in Eurynomes faciem genitricis, et inter
Bis sex Leucothoen famulas ad lumina ccrnit 220
Lsvia versalo ducentem stamina fuso.
Ergo ubi, ceu maler, carae dedit oscula naUe ;
« Res, ait, arcana cst. Famula}, discedite, neve
« Eripite arbitrium matri secrela loquenti. »
Paruerant, thalamoque deus sine teste relicto : ^^
« IUe ego sum, dixil, qui longum raetior annum,
« Omnia qui video, per quem videt omnia telius;
« Mundi oculus : mihi, crede, places.» Pavet illa, metuque
Et colus el fiisus digitis cecidere remissis.
Ipse timor decuit. Nec longius ille moratus, ' 230
In veram rediit faciem, solitumque nitorem.
At virgo, quamvis inopino territa visu,
Victa nitore dei, posila vim passa querela est.
« Jnvidit Clylie, neqiic enim moderatus in illa
LIVRE lY. 137
ia sa lendresse pour le Soleil. Dans sa fureur jalouse, elle veut d^'
vwler un commerce adultere et court le r^v^ler a Orchamus. Cruel
et sans pitie, Orcharaus se montre inflexible aux priSres de sa
fiile. Elle a beau lever ses bras vers le Soleil, et s'torier qu'il a
triomph^ d'elle par la force; son p^re, toujours mexorable, Ten-
ferme dans la terre, et entasse par-dessus un grand monceau de
sable. Les rayons du Soleil le dispersent, et fouvrent, 6 Nymphe !
une issue par laquelle ton front enseveii pourra se faire jour. Mais
tu ne peux plus relever ta t^te accabl^e sous le poids qui Top-
presse, et ton sang s*arr^te dans tes veines. On dit que jamais, de-
puis rincendie qui devora Phaethon, le maitre des agiies coursiers
du jour ne vit de plus douloureux spectacle. D'abord, par la vertu de
ses rayons, il essaye de ranimer la chaleur dans les membres
deja glaces de son amie. Mais le Destin s'oppose a ses efTorts.
Alors il repand sur les restes de Leucothoe et sur le sable qui
lesrecouvre un nectar odoriferant. Puis, apres de longues plain-
tes, il dit : « Tu monteras pourtant au ciel ! » Soudain les mem-
bres de la Nymphe, humectes de ressence divine, se ramollis-
sent, et le sol est inond^ de parfums. Une tige qui rec^Ie Tencens
pousse insensiblement des racines dans les entrailles de la
Solis amor fuerat, slimulataque peliicis ira 235
Vulgat adulterium, diffamalumque parenti
hidicat. llie ferox, immaosuetusquc precantom,
Tendentemque manus ad lumina Soli^, et, « lUe
« Vim tulit jnvila», » dicentem, defodit alla
Crudus humo, tumulumque super ^ravis addit arenae. i^lO
Dissipat hunc radiis Hyperionc nalus, iterque
Dat tibi, quo possis defossos promere vultus.
Nec tu jam poteras enectum pondere terrae
ToUere, Nympha, caput, corpusque exsangue jacebas.
Nil il!o fertur volucrum moderalor equorum 243
Post phaethonteos vidisse dolentius ignes.
lUe quidem gelidos radiorum viribus artus,
Si queat, in vivum tentet revocare calorem.
Sed, quoniam tantis falum conatibus obstal,
Nectare adoralo sparsit corpursquc locumquo, 230
Multaque praquestus : « Taages tamcn acther;!, » dixit.
Prolinus imbutum coelesti nectare corpus
Delicuit, terramque suo madefecit odore;
Virgaque per glebas sensim radicibus actis
m MeTAMORPHOSES.
tjsnef et brise en s'^levant la barri^re que le tombeau lui oppose.
« Quoique l'amour pilt excuser le ressentiment de Glytie, et le
ressentiment sa r^velation, le p^re du jour ne parut plus aupr^
de cette Nymphe, et il cessa de Faimer. En proie a sa folle passion,
elle deperit loin de ses compagnes qu'elle ne pouvait soufTrir.
Sans abri, sans v^tement, les cheveux epai^, elle restanuit et jour
coueh^e sur la terre, et, durant neuf jours, sans boire ni manger:
elle ne se reput que de la rosee et de ses larmes. Jamais elle ne
se souleva de terre, contemplant sans cesse le dieu dans sa course
et flxant toujours ses regards sur lui. Soii corps s'attacha, dit-on,
au sol. Une p^leur mortelle couvrit son corps chang6enune tige
sans couleur. Sa tSte devint une fleur pareille a la violette, et,
quoique retenue par sa racine, elle se toume vers le Soleil, qu^elle
adore m^me apr^s sa metamorphose. »
EUe dit, et cette aventure merveilleuse captive les Nymphes. Les
unesen nient la possibilit^; les autres soutiennent que les dieux
v^ritables peuvent tout; mais Bacchus n'est pas de ce nombre. Quand
le silence est retabli, la parole est donnee a Alcithoe. En prome*
nant la navette a travers son tissu, elle s'exprime en ces termes :
Thurea surreiit, tumulumque cacumine nipit. 25ri
c At Glytien, quamvis amor excusare dolorem
Indiciumque dolor poterat, non amplius auctor
Lucis adit, Venerisque modum sibi fecit in illa.
Tabuit ex illo demenler amoribus usa,
Nympharum impatiens, et, sub Jove, nocle dieque 2r>()
Sedit humo nuda, nudis incompta.capillis;
Perque novem luces, expers undseque cibique,
Rore mero, lacrymisque suis jejunia pavit,
Nec se movit humo. Tantum spectabat euntis
Ora dei, vultnsque suos flectebat ad illuni. 2Go
Membra ferunt hsesisse solo, partemque coloris
Luridus exsangues pallor convertit in herhas.
Est in parte rubor, violaeque simillimus oia
Flos tegit. Illa suum, quamvis radice tenetur,
Vertitur ad Solem, mutataque servat amorem. » 270
Dixerat, et factum mirabile ceperat aures.
Pars lieri potuisse negant, pars omnia veros
Pos-ip deos memorant; sed non el Bacchus in illis.
Poseitur Alcilhoe, postquam siluere sorores.
Quae, radio stantis percurrens stamina telae: !275
LIVRE IV. 139
• Je tairai les amours trop connues du berger Daphnis, ne sur le
mont Ida, et chang^ en rocher par la colere d'une amante ja-
loose : tant Famour allume de fureur ! Je ne dirai pas non plus
comment, par un renversement des lois de la nature, Scython fut
tour a tourhomme et femme. Toi, Gelrois, aujourd^hui diamant, et
jadi$ nourricier fidele de Jupiter encore enfant ; et yous, Guretes,
n& d'une pluie abondante ; et toi, Grocus, change avec Smilax en
deux petites fleurs, je vous passe aussi sous silence. Je vais, mes
amies, captiver vos esprits par Tattrait de ia nouveaut^.
c Apprenez pourquoi Salmacis est une source detestee dont Teau,
par sm contact funeste, ^nerve les membres. On en ignore la
cause, mais les effets sont connus. Un enfant, ne des amours d'Her-
mes el d'Aphrodite, fut nourri par les Nymphes dans les antres de
rida. 0 ^tait facile de reconnaitre a ses traits les auteurs de ses
jours. G*est d'eux qu'il tira son nom. A son troisieme lustre, il
quitta les montagnes qui Tavaient vu naitre; et, loin de rida ou il
fiit eleve, il se plut a errer dans des Ueux inconnus et a visiter des
fleuves nouveaux : sa curiosite allegeait ses fatigues. II parcourut
aussi les villes de la Lycie et celles de la Garie qui Tavoisine. 11
« Vulgatos taceo, dixit, pastoris amores
Daphnidis idaei, quem Nymphe pellicis ira
Contulit in saxum : tantus dolor urit amantes !
Nec ioquor, ut quondam naturse jure novato
Ambiguus fuerit modo vir, modo femina, Scython. 280
Te quoquc, nunc adamas, quondam fidissime parvo,
Celmi, Jovi, largoque satos Curetas ab imbri.
Et Crocon, in parvos versum cum Smilacc florcs,
Praetereo, dulciquc animos novitate tenebo.
« Unde sit infamis, quare male fortibus undisi -85
Salmacis enervet, taclosque remolliat artus,
Discitc. Causa latet; vis est notissima fontis.
Hcrcurio puerum diva Cytherelde natum
Naidcs ideis enutrivere sub antris.
Cujus erat facies, in qua materque paterque 290
Cognosci possent : nomen quoque traxit ab illis.
Is, tria quum primum fecit quinquennia, montcs
Deseruit patrios, Idaquc altrice relicta,
Ignotis errare locis, ignota videre
Flumina gaudebat, studio minuente laborera. 295
Ule etiam lycias urbes, Lycia^que propinquos
140 METAMORPnOSES.
y trouva un lac dont le crisial laissait voir le sol au fond des
eaux. La, point de plantes marecageuses, ni d^algues steriles, ni de
joncs aigus : Fonde en est limpide. Ce lac est borde de gazon frais
et d'herbes toujours vertes. Une Nymphe Thabite. Inhabile a la
chasse, elle n'est accoutumee ni a tendre Tarc, ni a suivre un
cerf a la course. Seule parmi les Naiades, elie n'est point connue
de l'agile Diane. On raconte que ses compagnes lui disaient sou-
vent : « Salmacis, prends le javelot et le carquois, et m^le a tes
« loisirs le rude exercice de la chasse. » Elle dedaigne le javelot
et le carquois, et ne se soucie point de mSler a ses loisirs le rude
exercice de la chasse. Tant6t elle baigne dans Tonde pure son
corps gracieux ; tantdt, avec le buis du Cytore, elle demfele ses che-
veux en consultant le miroir des eaux sur ses atours. Quelquefois,
couverte d'un voile diaphane, elle repose sur un lit de feuilles ou
de gazon. Souvent elle cueille des fleurs. Peut-6tre en cueillait-elle
aussi lorsqu*elle vitlejeune berger. En le voyant, elle desira de
le poss^der.
• Avant de s'approcher de lui, malgre toute son impatience, elle
Caras adit. Vldet hic stagaum lucentis ad imum
Usque solum lymphs. Non illic cdnna palustris,
Mec steriles ulvae, nec acuta cuspide junci.
Perspicuus liquor est ; stagni tamen ultima vivo oOO
Cespite cinguntur, semperque virentibus herbis.
Nympha colit; sed nec venatibus apta, nec arcus
Flectere qu» soleat, nec quae contendere cursu.
Solaque Naiadum celeri non nota Dianae.
SaBpe suas illi fama esC dixlsse sorores : 305
« Saimaci, vel jaculum, vel pictas sume pharelras,
« Et tua cum duris venatibus otia misce. »
Nec jaculum sumit, nec pictas illa pharetras,
Nec sua cum duris venatibus otia miscet.
Sed modo fonle suo formosos perluit artus; 310
SflBpe cyloriaco deducit pectine crines,
Et quid se deceat, spectatas consulit undas.
Nunc perlucenti circumdata corpus amiclu,
MoUibus aut foliis, aut moilibus incubat lierbis.
Sajpe legit flores; et tunc quoque forte legebal, 315
Quum puerum vidit, visumque oplavit habere.
« Nec tamen anie adiit, clsi prop«^rabnl adire,
LIVRB IV. 141
sofgne sa panire, rexamine d'iin air coquet, et compose son vi-
sage de mani^re a paraitre belle. « Enfant, lui dit-elle, tu merites
« d'6tre pris pour un dieu. Si lu es un dieu, tu peux Mre TAmour.
f Si tu esun mortel, heureux ceux qui font donne le jour! heu-
« reux est ton fr^re, heureuse est ta soeur, si tu en asune; heu-
fl reiise est la nourrice qui roffrit son sein ; plus heureuse encore
« et plus puissante celle qui est ta compagne, ou pour qui tu al-
« lumeras le flambeau d'hymen6e I Si tu Tas choisie, accorde-
« moi pourlant un bonheur furtif. Si ton choix n'est pas fait,
« puisse-je le iixer et partager ta couche ! » A ces mots, la rou-
geur couvre les traits du jeune bei^er, qui ne connait pas encore
Tamour, et lui donne une grace nouvelie. Telle est la couleur des
fruits exposes au soleil, celle de Tivoire empourpr^, ou F^lat ver-
meil de la lune, lorsque Tairain sonore l^appelle en vain sur la
terre. La Nymphe veut au moins obtenir un de ces baisers qu'une
soBur re^oit de son fr^re. Deja elle allait saisir le cou d'alb4tre
d^Hermaphrodite : « Cesse, ou je- fuis, dit-il, et je te laisse seule
« en ces lieux. » Sahnacis tremble : « fitranger, sois hbre el mailre
d de cet asile, » repond-«lle ; et elle feint de se retirer. Mais, sans
Quam se composuit, quam circumspexit amictus,
Et floxit vultum, et meruit formosa videri.
Tunc sic orsa loqui : t Puer o dignissime credi 320
« Esse deus; seu tu deus es, potes esse Cupido;
« Sive est mortalis, qui te genuere beati,
« Et frater felix, et fortunata profecto
« Si qua tibi soror est, et quae dedit ubera nutriz.
« Sed longe cunctis, longeque potentior illis, 525
« Si qua tibi sponsa est, si quam dignabere tsda.
« IIxc tibi sive aliqua est, mea sit furtiva voluplas ;
« Seu nuUa est, ego sim, thalamumque ineamus eumdcm. >
Mais ab his tacuit. Pueri rubor ora notavit,
Nescia quid sit amor; sed et erubuisse decebat. 330
Hic color aprica pendentibus arbore pomis,
Aut ebori tincto cst, aut sub candore rubenti,
Quum frustra resonant o^ra auxiliaria lunx.
Poscenti Nymphae sine fine sororia saltem
Oscula, jaraque manus ad eburnea coUa ferenti ; 535
« Desine, vel fugio, lecumque, ait, ista reliuquo. »
Salniacis extimuit: « Locaque haec tibi libera trado,
« llospes, » ait; simulatque gradu disccdere verso.
142 HjgTAMORPHOSES.
d^toumer de lui ses regards, elle se cache dans un bosquet et s'y
tient k genoux. L'enfant, avec la l^erete de son dge, persuad6
qne personne ne l'observe dans cette solitudc, va et revient, baigne
dans Teau transparente la plante de ses pieds et les plonge jus-
qu'aux talons. Bientdt, s6duit par la douce temperature de Tonde,
U d6pouille le fin tissu qui enveloppe on corps d^licat.
fl Salmacis tombe en extase devant les channes qui la frappent, ,
et brtde d'une flamme qui etincelle dans ses yeux. Ainsi se reflechit
dans un miroir le disque brillant du soleil. A peine, dans son im-
patience, peut-elle voir diCferer son bonheur. Elle veut Tembras-
ser ; elle ne maitrise plus son d61ire. Hermaphrodite lui donne un
coup l^ger, et se pr^cipite dans Fonde. Ses bras, qu'il agite tour
k tour, brillent a travers le cristal des eaux, comm^ une statue
d'ivoire ou des lis 6blouissants sous le verre diaphane. a Jetriom-
t*phe! il est k moi! » s'ecrie la Naiade. A Tinstant elle rejette
ses v^tements, s'elance au milieu des flots, saisit Hermaphrodite
qui r^siste, et, malgre ses efTorte, lui ravit des baisers. Ses mains
jouent autour de sa poitrine, qu'il cherche en vain k lui d^rober :
Tum quoque respiciens, fruticumque recondita silva
Delituit, flexumque genu submisit. At ille, 340
Ut puer, et vacuis ut inobservatus in herbis,
lluc it, et hinc illuc; et in alludentibus undis
Summa pedum, taloque tenus vestigia tingit.
Nec mora, temperie blandarum captus aquarum,
Mollia de tenero velamina corpore ponit. 345
« Tum vero obstupuit, nudseque cupidine forms
Salmacis exarsit; flagrant quoque lumina Nymphes,
Non aliter, quam quum puro nitidissimus orbe
Opposita speculi referitur imagine Phoebus.
Vixque moram patitur, vix jam sua gaudia differt. 3tf0
Jam cupit amplecti, jam se male continet amens.
nie, cavis velox applauso corpore pahnis,
Desilit in iatices, alternaque brachia ducens
In Hquidis translucet aquis, ut eburnea si quis
Signa tegat claro, vel candida iilia, vitro. 355
« Vicimus! en meus est! » exclamat Nais, et, omni
Veste procul jacta, mediis immittitur undis,
Pugnacemque tenet, luctantiaque oscula carpit,
Subjectatque manus, invitaqne pectora tangit.
LIVRE IV. 145
cUe renchaine dans ses bras. U a beau lutter pour se soustraire k
sesembrassements, elle T^treint comme le serpent enlace la tSte
et les pieds du roi des oiseaux qui remporte au haut des airs, et
replie sa queue autour de ses ailes ^tendues. Tel le Herre em-
brasse le tronc d'un peuplier ; tel encore le polype saisit au fond
de Tonde son ennemi, et i'enveIoppe touj; entier dans ses flexi-
^bles lacets. Le petit-fils d^Atlas r^iste et refuse a la Nymphe le
bonheur qu'elle attend. Elle le presse, et, dans la plus vive ^treinte,
suspendue a son cou, elles'ecrie : « Tu resistes en vain, cruei, tu
c ne m'^happeras pas ! Dieux, ordonnez que jamais rien ne le s^
f pare de moi,ni me separe de lui ! » Sa pri^re est exaucde. Leurs
corps s'unissent et se confondent. Ainsi deux rameaux croissent
sous la m^me 6corce et grandissent ensemble. Hermaphrodite et
la Nymphe, ^troitement embrasses, ne sont plus deux corps dis-
tincts. Ils ont une double forme; mais on ne peut les ranger ni
panni les femmes ni parmi les hommes. Sans Stre d*aucun sexe,
ils sem51entles avoir tou.s les deux. Hermaphrodite, voyant qu'au
sortir d^ eaux, ou il est descendu homme, il n*est homme qu'a
El nuQc hac juveni, iiunc circumfundilur illac. 360
Denique nitentem conlra, elabique volentem
Implicat, ut serpens> quam regia sustinet ales,
Sublimemque rapit; pendens caput illa pedesque
Alligat, ct cauda spaliantes implicat alas.
ttve solent hederse longos intexere truncos; 365
Utque sub aequoribus deprensum polypus hoslem
Continet, ex omni dimissis parte flagellis.
Perstat Atlantiades, sperataquc gaudia Nymp'hae
Denegat. IUa premit ; commissaque corpore tolo
Sicut inhxrebat : « Pugnes licet, improbe, dixit, 370
« Non tamcn effugies. Ita di jubeatis, et istum
« Nulla dies a me, nec me diducat ab isto. *
Vota suos habuere deos. Nam raixla duorura
Corpora junguntur, fuciesque inducitur illis
Una, velut si quis conducla corlice ramos 375
Crescendo jungi, pariterquu adolescere ceruat.
Sic ubi complexu coierunt mcmbra tenaci,
ISec duo sunl, et forma duplex, nec femina dici,
Moo puer ut possint, ncutrumque et utrumque videntur.
Ergo ubi se liquidas, quo vir dcscenderat, undas oSO
Semimarem fecisse videt, molitaque in illis
m METAMUHPHOSES.
demi, et que ses membres ont perdu leur force, leve ses bras
vers le ciel, et s'ecrie d*une voix qui n'est plus virile : « 0 mon
. « pere ! 6 ma mere ! accordez une gr^ce a votre fils qui tire son
« nom de vous deux. Que tout homrae, apres s'^tre baigne dans
« ces eaux, n'ait, quand il en sortira, que la moitie de son sexe !
« Puissent-elles, en le touchant, lui ravir soudain sa vigueur ! » Les
auteurs de ses jours furent sensibles a ce voeu ; ils Taccomplirent
et donnerent a cette source une verlu mysterieuse. »
Ainsi finit le recit. Gependant les filles de Minyas poursuivent leur
travail, meprisent le dieu et profanent sa f^te. Tout a coup d^invi-
sibles tambours font entendre un sourd murmure ; la trompette
et Tairain concave retentissent; la myrrhe et le safran exhalenl
leurs parfums. 0 prodige incroyable ! les toiles commencent a verdir
et les tissus flottants a se changer en feuilles de lierre. Une partie
se transforme en vignes, la laine fait place aux ceps ; des pampres
sortent des fuseaux, et les grappes se rev^tent d'un eclat vermeil.
On etait arrive a ce moment qu'on ne peut appeler ni la lumiere ni
la nuit, et qui sert de limite entre le jour et une obscurite dou-
teuse. Soudain le toit s'ebranle ; des torches repandent une vive
Menibra, inanus tendens, sed jam non voce virili,
Hermaphroditus est : « Nato date munera veslro,
« Et pater, et gcnitrix, amborum nomen habeuti.
« Quisquis in hos fontes vir venerit, exeat indc 385
« Semivir, et taclis subito moUescat in undis. »
Motus uterque parens, nati rata verba biformis
Fccit, et incerto fontem medicamine tinxit. »
l>'mis crat dictis, et adhuc minyeia prolcs
Urget opus, spernitque deum, festumque profanat,
Tympana quum subito non apparcntia raucis
Obstrepuere sonis, et adunco tibia cornu,
Tinnulaque ajra sonant ; redolent myrrhaBque crocique,
Resquehdc major! ccepere vircscerc telx,
Inque hedcrse faciem pendcns frondescere vestis. ^^
Pars abit in vites, et quse modo lila fuerunt,
Pahnitc mutanturj de slamine pampinus exil;
Purpura fulgorem pictis accommodat uvis.
Jamque dies cxactus erat, tempusque subibal,
Quod tu nec tenebras, r.ec possis dicere luccni, 400
5cd cuui luce tamcn dubiae confinia noctis.
Tecta repente quati, pinguesque ardere vidcnlur
LIVBE IV. 145
dart^y des feux etincelants brillent au loin dans le palais, ou Ton
croit entendre des hurlements affreux de b^tes feroces. Les ftli-
neides se dispersent aussitdt et se cachent de tous c6tes dans le pa-
kds fumant poursederoberal'eblouissement de Fincendie. Tandis
qu^elles cherchent une retraite, leurs membres r^trecis se couvrent
d'ttne membrane, et des ailes legeres remplacent leurs bras. Les
, tenebres ne permettent pas de voir corament elles ont perdu
leur premiere fonne. Ge n'est pas a Taide d'un plumage qu'ellcs
volent : des ailes d'un lissu transparent les soutiennent dans Tair.
Elles veulent parler; de leur faible corps s'echappe une faible voix
et des cris aigus expriment seuls leurs plaintes. Elles habilenl les
maisons et non les forets. Ennemies du jour, elles ne voient que
la nuit, et emprunlent leur nom de Vesper.
INO ET NELICERTE CHANGES EN DIEUX MARINS, ET LEURS CONPAGNES
EN ROCBEBS ET EN OISEAUX.
II. Thebes retentissait alors du nom de Bacchus. La tante de ce
nouveau dieu proclamait partout sa redoutable puissance. Parmi
les filles de Minyas, une seule n'eut a souffrir que les maux caus^s
Lampades, el rutilis collucere ignibus aedcs,
Falsaque ssevarum simulacra ululare ferarum.
Fumida jamdudum latitant per tecta sorores, 40S
Diversxque locis ignes ac lumina vitant.
Dumque petunt late))ras, parvos membrana per artus
Porrigitur, tenuique inducit brachia penna;
^ec, qua perdiderint veterem ratione figuram,
Scire sinunt tenebrse. Non illas pluma levavit, 410
Suslinuere tamen se perlucentibus alis;
Conatseque loqui, minimam pro corpore vocem
Emittunt, peraguntquu levi stridore querclas.
Tectaque, non silvas, celebrant; lucemque perosae
Nocte volant, seroque trahunt a vespere nomen. 415
IXO ET MELICERTA IN DEOS IIARINOS TRANSFOBHATI, ET EORUM FAMULiE
IN SAXA ET YOLUCRES.
II. Tum vcro lotis i3acchi memorabile Tbebis
Numcn erat, magnasque novi materlcru vires
Narrat ubique dei ; de totque sororibus exper:»
Una doloris erat, nisi qucm feceie soroies.
j46 METAMOUPHOSES.
par ses soeurs. Junon remarqua combien elle etait fiere de ses
enfants, de la couche d'Athamas, et de Thonneur d'avoir un dieu
pour nourrisson. Transportee de depit : « Le fils d'une adultere, se
dit-elle, a pu metamorphoser les matelots de Meonie et les plonger
dans Tonde. 11 a pu faire dechirer un enfant par les mains de sa
mere, et donner aux trois filles de Minyas des ailes jusqu'alors in-
connues ; et Junon serait reduite a nourrir dans les larmes son
impuissante douleur ! Dois-je m'en contenter ? Sont-ce la les bor-
nes de mon empire? Bacchusan'apprend ce que je dois faire. On re-
9oit des le^ons meme d'un ennemi. Le meurtre de Penthee montre
assez ce que peut la fureur. Pourquoi, excit^e par cet exemple,
Ino ne se precipiterait-elle pas dans les memes egarements? »
II est un sentier en pente, ombrag^ par des ifs funebres. A tra-
vers un silence profond, il conduit aux demeures infemales. La
s'el6vent les vapeurs des eaux dormantes du Styx. Cest par la que
descendent ies ombresnouvelles des morts qui ontre^u les honneurs
delasepulture. La Paleur et un froid glacialhabitent cesejour affreux,
ou gisent les m^nes recemment arrives, ne sachant ni quelk route
mene ala cite que baigne le fleiive des enfers, ni ou se trouve le
redoutable palais du noir Pluton. Mille avenues et des portes ou-
Aspicit hanc natis, thalamoquc Alhamantis habentem 420
Sublimes animos, et alumno numine, Juno ;
Nec tulit, et secum : « Potuit de pellice natus
Verlere majonios pelagoquc immergere nautas,
Et laceranda suaj nati dare viscera matri,
Et triplices operirc novis Minyeidas alis; 425
Kil poterit Juno, nisi inultos llere dolores?
Idque mihi satis est? Ilajc uua potentia noslra esl?
Ipsc docet, quid agam. Fas est el ab hoste doccri.
Quidque furor valeat, penthea cjcdc satisque
Ac super ostendit. Cur non stimulctur, eatque ' 430
Pcr cognata suis exempla furoribus Ino ? »
Est via declivis, funesta nubila taxo ;
Ducit ad infernas per muta siientia sedes.
Styx nebulas exhaiat iners, umbraeque recentes
Dcscendunl illac, simulacraque functa sepulcris. -455
Pallor, Iliemsquc tenent late loca scnta; noviqne,
Qua sit iter maues, stygiam quod ducil ad urbem,
Ignorant, ubi slt nigri fcra rcgia Dilis.
3Iiilc capax aditus, ct apcrla^ undique porlas
LIVRE lY. 147
f&fes de toutes parts conduisent a cette ville iminense. Semblable
a rOcean qui re^oit les lleuves de tous les points de la terre, elle
admet toutes les ames. Jamais trop etroite pour la foule qui s'y
presse, elle ne la sent pas mSme approcher. De tous cdtes se pro-
menent de pSles fantdmes sans cliair et sans os. Les uns assiegent
le tribunal, d'autres le palais du souverain des ombres ; plusieurs
se livrent aux occupations qu'ils eurent durant leur vie. La (ille
de Satmne consent a quitter les celestes demeures pour descendre
dans ce lieu : tant la haine et la colere la dominent !
A peiney est-elle entree, le seuil tremble sous ses pieds sacres;
Gerbere dresse sa triple gueule et faitresonner sa triple voix. Ju-
non appelle les filles de la Nuit, divinites implacabies et terribles.
Assises devant la porte d'airain qui ferme le Tartare, elles pei-
gnaient leurs cheveux herisses de noirs serpents. IMs qu^elies rc-
connaissent la reine des cieux a travers les tenebres, elles se
levent. Leur demeure se nomme la region du crime. La Tityus
couvre de son corps sept arpents, et repait de ses enlraiiles la
fureur d'un vautour; la, Tantale, tu ne peux saisir i'eau, et les
fruits qui pendent au-dessus de ta t^te disparaissent toujours ; et
loi, Sisyphe, tu cherches a retenir ou a pousser le roc pret a rou-
Urbs habet. Utque frelum de tota flumina terra, 440
Sic omnes animas locus accipit ille, nec ulli
Exiguus populo est, turbamve accederc senlil.
Errant exsangues sinc corpore et ossibus umbra) ;
Parsque forum celebrant, pars imi tecla tyruuni,
Pars alias artcs, antiqux imitaminu vit». 448
Sustinet ire illuc, coelesli sede relicta,
(Tantum odiis iro^que dabat !) Saturnia Juuo.
Quo simul intravit, sacroque a {orpore presaum
Ibgemuit limen, tria Cerberus exlulit ora,
Et Ires latratus simul edidit. llla sorores 4ti0
Nocte v«)cat genitas, grave et implacabile numcn.
Carceris ante fores clausas adamante sedebant,
Deque suis atros pectebant crinibus angues.
Quam simul agnorunt inter caliginis umbras,
Surrexere deae. Sedes scelerala vocatur. 4oj
Vibcera praebebat Tilyos lanianda, novemque
Jugeribus distentus crat. Tibi, Tantalc, nulla;
Deprcndunlur aquo;; quaeqUe imminet, effugit arboi;.
, Aut petis, aut urges ruiturum, Sisypiie, saxum.
148 METAMORPflOSES.
ler. La Ixio» toume sur sa roue, et tour a tour se poursuit et
s'evite. La, pour avoir ose donner la mort a leurs epoux, les fllles
de Beius puisent i'eau qui s'echappe sans cesse. La fille de Sa-
tume leur lance des regards farouciies, surtout a Ixion, et ensuite
les porte sur Sisyphe. « Pourquoi, dit-elle, parrai ses freres est-il
seul condamne a un supplice eterael, tandis que le superbe Atha-
mas babite un riche palais, lui qui toujours afficha du raepris pour
moi, ainsi que son epouse? j> En m^me temps elieexpose le sujet
de sa haine et de son voyage. Elle annonce qu'elle veut quele pa-
lais de Cadmus ne reste pas debout, et que les trois soeurs infer-
nales entrainent Athamas au crime. Ordres, promesses, prieres,
elie a recours a tout, et sollicite vivement les trois deiles. Tisi-
phone, tout emue, secoue alors ses cheveux blancs, et, rejetant
en arriere les couleuvres suspendues autour de son front : « De
longs discours, repond-elle, sont superfius. Regardez vos ordres
comme accoraplis. Sprtez de cet odieux empire, et allez respirer
un air plus pur. »
Junon se retire triomphante. Avant qu'elle rentre dans les
• cieux, la fille de Thaumas, Iris, repand sur elle une eau lustrale
Volvitur Ixion, et se sequilurque ftigitquc. 4C0
Molirique suis lelhum patruelibus ausac,
Assiduc repctunt, quas perdant, Belides undas.
Quos omnes acie postquam Saturnia torva
Vidit, et ante omues Ixiona, rursus ab illo
Sisyphon aspiciens : « Cur hic e fralribus, inquit, 4G5
Perpetuas patitur poenas? Athamanta superbum
Regia dives habet, qui me cum conjuge semper
Sprevit? »'et exponit causas odiique viaeque,
Quidque velit. Quod vellet, erat, ne regia Cadmi
Slaret, et in facinus trahcrent Athamanta sorores. 470
Imperium, promissa, preces confundit in unum,
So]licitatque deas. Sic haec Junone locuta,
Tisiphone canos, ut erat turbata, capillos
Movit, et obstantes rejecit ab ore colubras.
Atque ita : « Non longis opus est ambagibus, iuflt. 475
Facla puta, quaicumque jubes. luamabile regnum
Desere, teque refer coeli melioris ad auras. »
Luita redit Juno. Quaiu coelum intruro purantem
Roralis luslravit aquis Thaumanlias Irj.s.
LIVRE IV. m
qui la baigne comme une ros^e. Aussitdt rimplacable Tisiphone
s*anne d'une torche ensanglantee, et revSt un nianteau rougi de
sang; Des serpents eiitrelaces forment sa ceinture. Elle sort de sa
demeure. A ses cdtes marchent le Deuil, l'Effroi, la Terreur, etla
Demence a la face mobile. Elle s*arrMe sur Je seuil du palais d'A-
thamas. Les portes tremblerent, dit-on, et leurs baltants d'erable
se couvrirent d*une couleur blafarde. Le Soleil s^enfuit. L^aspect
du monstre epouvanta Tepouse d'Athamas et Athamas lui-m^me.
Ds veulent quitter le palais. La cruelle Furie s'y oppose et ferme
toutes les issues. Elie etend ses bras enlac^s de serpents et seooue
sa dievelure. Les couleuvres s'agitent bruyamment, pendent sur
son ^paule, sifflent en ghssant autour de ses tempes, distillent
leur venin et dardent leur aiguillon. Tisiphone detache de sa t^te
deux serpents et les lance de sa main homicide. Ds errent sur
le sein dlno et d'Athamas, qu^ils ijifectent de leur souffle im-
pur. Ds epargnenl leurs corps, et font souffrir ^ leurs coeurs les
plus cruels tourments. Tisiphone avait aussi apporte avec elle de
subtils poisons, tels que Tecume vomie par Cerbere et le venin de
rhydre de Lferne, les vaguies transports, les aberrations, les crimes,
Nec mora, Tisiphone madefactam sangnrne sumit 480
Importuna facem, fluidoque cruorc rubentem
Induitur pallam, lortoque incingitur angue,
Egrediturque«domo. Luctus comitantur euntem,
Et Pavor, et Terror, trepidoque Insania vultu.
Limine constiterat. Postes tremuisse feruutur 4C5
^olii, pallorquc forcs infecit acernas;
Solque locum fugit. Monstris exterrita conjux,
Territus est Athamas; tectoque exire parabant.
Obstitit infelix, aditumque obsedit Erinnys;
Nexaque vipereis distendens brachia nodis, 490
Cnsariem excussit. Motse sonuere colubrae;
Parsque jacent humeris, pars circum tempora lapsa;
Sibiladant, saniemque vomunt, linguasque coruecant.
Inde duos mediis abrumpit crinibus angues,
Pestiferaque manu raptos immisii. At illi 49f>
Inoosque sinus, alhamanteosque pererrant,
Inspirantque graves animas ; nec vulnera membris
UlJa ferunt : mens est quse diros sentiat ictus.
Attulerat secum liquidi quoque monstra veneni,
Oris cerberei spumas, et virus Echidnae, 500
• Erroresque vagos, caecaeque oblivia mentis.
150 M]gTAHORPHOSES.
les pleurs, la rage et la soif du meurtre. Elle en composa un hor-
rible jn^lange, et les fit bouillir dans un vase d'airain avec de la
cigue et du sang nouvellement repandu. Les deux epoux fremis-
sent. La Furie verse dans leur coeur ce poison infemal, et l'insinue
jusqu'au fond de leurs entrailles. Puis elle fail tournerrapidement
sa torche, qui decrit un cercle de feu. Siire de sa victoire et de Tac-
complissement de sa tSche, elle regagne )a demeure du puissant
roi des ombres, et denoue les serpents attaches h sa ceinture.
Tout a coup, en proie a la fureur, le fils d^fiole s'6crie au mi-
lieu de son palais : « AUons, mes amis, tendez vos filets dans ces
bois. Je viens d'apercevoir une lionne avec sfes deux lionceaiix. »
L'insens6 prend sa compagne pour une lionne et suit la trace de
ses pas. Sur le sein matemel, L^arque riait et tendait ses petits
bras vers son pere. Athamas ie saisit, le fait touraoyer deux ou
trcHs fois dans les airs comm^ une fronde, et en brise impitoyable-
ment les os contre les murs. Alors, par Teffet de la douleur ou du
poison r^pandu dans ses veines, Ino pousse des hurlemenls. Hors
d'elle-m6me, elle fuit, les cheveux epars, femportant dans ses
bras nus, jeune Melicerte ! « fivohe, Bacchus! » s'ecrie*-t-elle. A ce
Et scelus, cl lacrymas, rabiemque, et cscdis amorcm,
Omnia trita simul, Quse sanguine mixta recenti *
Coxerat aere cavo, viridi versata cicuta.
Dumque pavent illi, vertit furiale venenum 505
Pcctus in amborum, praecordiaque intima moTit.
Tura face jactata per eumdem saepius orbem,
Gonsequitur motos velociter ignibus ignes.
Sic victrix, jussique potens, ad inania magni
Regna redit Ditis, sumptumque recingitur anguem. 510
Protinus ^olides media furibundus in aula
Clamat : « lo ! comitcs, his retia tendite silvis.
Hic modo cum gemina visa est mihi prole lciena. »
Utque ferae, sequitur vestigia conjugis amens,
Deque sinu matris ridentem, et parva Lcarchum 515
Brachia tendentem, rapil, et bis terquc per auras
More rotat fundae, rigidoquc infantia saxo
Discutit ossa ferox. Tum dcnique concita maler
(Seu dolor hoc fecit, seu sparsi causa vencni),
Exululat, passisque fugit malesana capillis; 520
Tequc f^rens parvum nudis, Melicerta, lacertis,
Evoe, Uacche! sonat. Bacchi sub nominc Juno
LIVRE IV. 151
nom, Junon souriant : « Voila, dit-elle, comment il te paye dcs
soins donn^s a son enfance. » Un rocher dominait la mer. Son
pied, creuse par les vagues, le protegeai.t contre les temp^tes.
^Sa cime escarpee s'allongeait au-dessus des ondes. Ino trouve
des forces dans son delire. Elle gravit ce rocher, et, inacces-
sible a la crainte, elle se precipite dans la mer avec son far-
deau precieux. Sa chute fait bouillonner les flols. Cependant Ve-
nus, touchee des mau.v que sa petite-filie soufire injustement,
cherche a desarmer Neptune par cette priere : « Roi des eaux, toi
dont Tempire ne le cede qu a celui du ciel, je te demande une
grande faveur. Prends pitie des miens que tu vois tourmentes sur
les vastes mers de rionie. Admets-les au nombre des dieux de ton
royaurae. Je dois moi-m^me de la reconnaissance a la mer, s'il
est vrai que j'ai ete formee de Tecume au fond des abimes, et
que je porte un nom grec qui atteste cette origine. » Neptune lui
accorde sa demande par un signe de t^te. II depouille Melicerte et
sa mere de leur mortalite, les rev^t d'une majeste auguste, et
change a la fois leur nom et leur figure. L'une devienl Leucothee,
et Tautre le dieu Palemon.
Les compagnes d'Ino suivent ses traces autant qu'elles peuvent.
Risit, et : « Hos usus praestat tibi, dixit, alumnus. »
Imminet aequoribus scopulus. Pars ima cavatur
Fluctibus, et tectas dcfcndit ab imbribus uudas; 525
Summa riget, frontcmque in apertum porrigit ajqubr,
Occupat hunc, vires insania fecerat, Ino;
Seque super pontum, nuUo tardata timorc,
Mittit, onusque suum : porcussa recanduit unda.
At Venus immeritac ueptis miserata iaborcs, 550
Sic palruo blandita suo cst : « 0 numen aquarum,
Proxima cui cceIo cessit, Neptune, potestas,
Magna quidem posco. Sed tu miserere meorum,
Jaclari quos ncrnis in lonio immenso,
Et dis adde tuis. Aliqua et mihi gralia ponlo cst, 535
Si tamen in dio quondam concreta profundo
Spuma fui, graiumque manet mihi nomen ab ilia. »
Annuit oranti Ncptunus, et abstulit illis
Quod mortalc fuit, majestatemque verendam
Imposuit, riomenque sinfiul faciemque novavit, 540
Lcucothecque deum cum malre Palaemona dixit.
Sidonise comites, quantum valucro, secutae
152 M.fiTAMORPHOSES.
Elles voient la derniere .empreinte de ses pas au sommet du ro-
cher; et, ne doulant plus de sa mort, elles meurtrissent leur sein,
pleurent la famille de Gadmus, dechirent leurs vMements et s*ar-
rachent les cheveux. La reine *des dieux, injuste et trop cruelle#
envers une rivale, est jalouse de ces demonstrations, et ne peut
supporter leurs plaintes. «r Je ferai de vous, dit-elle, le plus grand
monument de ma vengeance. » Sa menace est bientdt accomphe.
Celle qui portait a Ino le plus vif attachement s*6crie : « Je suivrai
la reine au fond de la mer. » Elle veut s*y jeter ; mais tout mou-
vement lui est interdit, et elle reste fixee au rocher. Une se-
conde tente de frapper encore son sein; mais ses bras resistent a
ses efTorls. Une autre etend ses mains sur les eaux ; et ses mains,
changees en pierre, demeurent immobiles. Une quatrieme enfm
essaye de s^arracher les cheveux ; mais elle sent en m^me temps
ses doigts et ses cheveux durcis sur son front. Chacune garde
Fattitude ou ces changements sont venus la surprendre. Qnel-
ques-unes, m^tamorphosees en oiseaux, effleurent d'une aile le-
g^re la surface des ondes.
Signa pedum, primo vidcre novissima saxo. *
Nec dubium de morte ratae, cadraeida palmis
Deplanxere domum, scissiB cum veste capillos. -^i'»
Utque parum justse, nimiumque in pellice Sievx,
Invidiam fecere deae, convicia Juno
Mon tulit, et : < Faciam vos ipsas maxima, dixit,
Soivitise monumenta meae. » Res dicta secuta cst.
Nam quae praecipue fuerat pia : « Prosequar, inquit, 5;)0
In freta reginam; » saltumque datura, moveri
Haud usquam potuit, scopuloque affixa coha?sit.
Altera, dum solito tentat plangore ferire
Pectora, tentatos sentit riguisse lacertos.
Illa, manus ut forte telenderat in muris und:is, 555
Saxea facta manus in easdem porrigit undas.
Hujus, ut arreplum laniabat vertice crinem,
Duralos subito digitos iu crine videres.
Quo quaeque in gestu deprenditur, haesit in illo.
Pars volucres factae, quae nunc quoquc gurgite in illo 5G0
£quora destringunt summis Ismenides ahs.
LIVRE IV. 153
m^TAUORPIIOSE DE CADMOS ET D^HERNIONE EN SERPENT8.
ni. Gadraus ignore que sa fille et son pctit-fils sont au nombre
des divinit^s de la mer. Accable de chagrin, vaincu par mille maux
et par tous les prodiges dont il fut le temoin, il quitte la ville qu'il
vient de fonder, comme s'il etait poursuivi, non par sa fortune,
mais par une fatalite attachee a ces lieux. Apres avoir longtemps
erre, il touche enfin aux limiles de riUyrie avec son ^pouse, com-
pagne de son exil. La, sous le poids des revers et des ann^s, ils
rappellent Jes premieres infortunes de leur famille et les retracent
dans leurs entretiens. « £tait-il donc consacr^ a un dieu, dit Cad-
mus, le serpent que perga ma lance, et dont, en m'eloignant de
Tyr, j'enfouis les dents au sein de la terre qui n'avait jamais re^u
de pareilles semences? Si, pour le venger, la colere des dieux esl
si manifeslement tombee sur moi, puisse-je voir mes membres
s'allonger comme ceux du serpent I » 11 dit, etses membres prennent
la forme du replile. II voit sa peau durcir et se couvrir dVcailles;
son dos noir est parseme de taches d'azur. II s^appuie sur sa
poitrine et rampe; ses jambes confondues ensemble se recourbent
CADMCS ET HERMIONE IN AKGUES COMVCTANTOR.
III. Nescit Agenorides natam, parvumque nepotem
iCquons essR deos. Luctu serieque malorum
Victus, et ostentis, quaj plurima viderat, exit
Conditor urbe sua, tanquam fortuna locorum, rtG5
Non sua se premcret, longisque erratibus actus,
Oontigit iUyricos profuga cum conjuge fines.
Jamque malis annisque graves, dura prima retractanl
Fata domus, releguntque suos sermone labores:
« Num sacer iUe raea trajcctus cuspide serpens, 570
Cadmus ait, fuerit lum, quum Sidone profectus
Vipereos sparsi per humum, nova semina, dentes?
Quem si cura deum tam certa vindicat ira,
Ipse precor serpens in longam porrigar alvum. »
Dixit, et, ut scrpens, in longani tenditur alvum, 575
Durataequc cuti squamas increscerc sentit,
Nigraque caBruleis variari corpora gullis ;
In pectusque cadit pronus, commissaquc in unum
Paulatim tereti sinuantur acumine crurn.
454 MfiTAMORPHOSES.
par degres en une queue flexible. 11 ne lui resle que ses bras : il
les tend vers sa compagne. Des larmes coulent sur son visage, qui
a encore la forme humaine. « Approche, 6 mon epouse I approche,
• infortunee ! dit-il . Tandis que je conserve quelque chose derhomme,
touche-moi. Prends cette main, puisqu'elle me reste, et que le
serpent ne m*a pas envahi tout entier. » 11 veut parler encore ;
mais sa langue se divise tout a coup en deux, et, malgre lui, les
paroles lui manquent. Le sifflement est le seul interprete de ses
plaintes : la nature ne lui 'permet plus d'autres sons. Hermione
se frappe le sein, et s'ecrie : « Cadmus, attends. Infortune! de-
pouille cette forme hideuse. Cadmus, qu'est-ce donc? ou sont tes
pieds? ou sont tes epaules et tes mains? Tandis que je parle,
que devient ta figure, ton teint et tout ce qui fut en toi ? Dieux !
pourquoi ne me changez-vous pas aussi en serpent? » Elle dit. Le
reptile leche le visage de son ancienne compagne, s'approche
de son sein cheri, comme s'il la reconnaissait, la presse de ses
etreintes, et veut, comrae autrefois, s^attacher a son cou. Tous
ceux qui Tentourent (ce sont ses compagnons) sont eflrayes ;
mais Hermione caresse la t6te brillante du serpent surmontee
d'une cr6te. Soudain ils forment un couple de reptiles qui
Brachia jam restant : quse restant. brachia tendit, 580
Et lacrymis per adbuc humana fluentibus ora :
« Accede, o conjux, accede, miserrima, dixit;
Dumque aliquid superest de me, me tange; manumque
Accipe, dum manus est, dum non totum occupat anguis. »
lUe quidem vult plura loqui; sed lingua repente 585
In partes est fissa duas; nec verba volenli
Sufficiunt; quotiesque aliquos parat edere queslus,
Sibilat : hanc illi vocem natura relinquit
Nuda manu feriens exclamat peclora conjux :
« Cadme, mane, leque his infelix exue monstris. .^)90
Cadme, (juid hoc? ubi pes? ubi sunt humerique manusque?
Et color, et facies, et, dum loquor, omnia? Cur non
Me quoquc, coelestes, in eamdem vortitis anguem ? »
Dixcrat. lllc suoe lambebat conjil^is ora,
Inque sinus caros, vcluti cognoscerel, ibat, 505
Et dabat amplexus, assuetaque colla petebal.
Quisquis adest (aderant comitcs), terretur. Al illa
Lubrica permulcet cristati coUa draconis,
Et subito duo sunt, juncloque voUimine serpunt.
LIVRB IV. 155
deroulent ensemble leurs anneaux, jusqu'5 ce qu'ils se soient
enfonces dans la for6t voisine. Auiourdlmi m^me ils ne fuient
point rhomme et ne lui font aucune blessure. Pleins de douceur,
ils se souviennent de ce quMls furent jadis.
ATLAS EST CHANGl^ EN MGNTAGNE.
IV. Cependant ils trouvaient de grandes consolations de cetle
raelamcrphose dans leur pelit-fils, qu'adorait Hnde vaincue et
dont la Gr^ce honorait les exploits par des temples eriges a sa
gloire. Seul, un descendant d^Abas, sorti du m^me sang, Acri-
sius, ie repousse des murs d'Argos; seul il porte les armes
contre le dieu, et refuse de le regarder comme fils d^ Ju-
piler. II refuse egalement ce nom a Persee, qu'une pluie d'or
fit naitre du sein de Danae. Bient6t Acrisius (tant la vente
est puissante!) n'est pas moins fdche d'avoir offense le dieu que
d'avoir meconnu son petit-fils. L'un est deja recu dans les ce-
lestes demeures; Tautre, portant la t6te d'un monstre c^Iebre,
herissee de serpents, fend fair de ses ailes bruyanles, Tan-
dis qu'il planait en vainqueur au-dessus des sables de la Li-
bye, des gouttes de sang tomb^rent du front de la Gorgonc. La
Donec in appo^iti nemoris subiere lalebras. GOO
Nunc quoque nec fugiunt hominem, nec vulncrelajdunt,
Quidque prius fuerint, placidi meminere dracones.
ATLAS IN MONTEM CONVERTITUR.
IV. Sed tamen ambobus versaj solatia formaB
Magna nepos fuerat, quem debellata colebal
India, quem poaitis celebrabat Achaia lemplis. 6(15
Solus Abantiades, ab origine crelus eadem,
Acrisius superest, qui moenibus arceal urbis
Argolicae, conlraque deum ferat arma, genusque
Non putet esse Jovis; neque enim Jovis esse putabat
Persca, quem pluvio Danae conceperat auro. 61(1
Mox tamen Acrisium (tanta est pi*aesentia veri !)
Tain violasse deum, quam non agnosse nepotem,
Poenilct. Impositus jam ccclo est alter; at aller,
Yiperei referens spolium memorabile monslrl,
Aera'carpebat tenerum stridentibus alis. . Ci:'>
Quumque super libycas viclor pondfret aronas,
Gorgonei capitis gullie cecidere cruent.i).
m MfiTAMORPIIOSES.
terre les re^ut, les dnima et les changea en autant de repliles
divers. De la sont nes les serpents qui remplissent et infestent
cette contree. Bient6t, emporte ga et la dans Vespace par des
vents contraires, ii vole tel qu'un sombre nuage. Du haut des
cieux il voit la terre s*etendre au loin et runivers fuir sous ses
pieds. Trois fois il aper^oit TOurse glacee et les bras du Cancer.
n est entrain^, tantdt vers Toccident, lantot vers Porient. Enfin,
quand le jour touche a son declin, il craint de se confier a la
nuit, et s'arr6te au-dessus des regions de rilesperie soumises aii
sceptre d^Atlas. II se livre quelques instants au repos, jusqu'a
rheure ou Lucifer ram^he les feux de TAurore, et TAurore le char
du Soleil.
La regne le fils de Japet, Atlas, que sa taille gigantesque eleve
au-dessus de tous les mortels. II tientsous ses lois la contree rel^guee
aux confins du monde, ainsi que la mer qui ouvre ses flots aux
coursiers h^letants du Soleil, et offre un asile k son char . Ses innom-
brables troupeaux de brebis et de boeufs errent dans les prairies,
et son domaine n'est point g6ne par un empire voisui. La le feuil-
lage, les branches et les fruits des arbres brillent de Teclat de Tor.
Quas humus exceptas varios animavit in angues ;
Unde frequens illa cst, infestaque lerra colubris,
Inde per ilnmensum ventis discordihus aclus, O^li)
Nunc huc, nunc illuc, cxemplo nubis aquos?n,
Fertur, et cx alto seductas oithere longc
Despcctat lerras, totumque supervolat orbcm.
Ter gelidas Arctos, ter Cancri brachia vidit;
Saepe sub occasus, saepe est ablalus in ortus. 625
Jamque cadentc dic veritus se credere nocti
Constitit hesperio, regnis Atlantis, in orbe;
Kxiguamque pctit requiem, dum Lucifer ignes
Evocet Auroraj, currus Aurora diurnos.
Hic bominum cunctos ingenti corpore praestans 67)0
lapetionidcs Atlas fuit. Ultima tellus
Rege sub hoc, et pontus erat, qui Solis anhelis
^quora subdit equis, et fessos cxcipit axes.
Mille greges illi, totidemque armenta per herbas
Errabant, et humum vicinia nulla premebant. fi.')'i
Arborcae frondes, auro radiante virentes,
Ex auro ramos, nx auro poma tegehanU
LIVRE IV. 157
« Prince, lui dit Persee, si lu tiens a une illustre naissance, Ju-
piter est mon p^re. Si tu as de radmiration pour les hauts faits,
tu admireras les miens. Je te demande Thospitalite et le repos. »
Atlas gardait le souvenir d'un ancien oracle de Themis qui, sur
le Pamasse, lui devoila en ces mots ravenir : « Atlas, un jour tes
arbres seront depouilles de leurs pommes d'or, et cette proie fera
la gloire d'un fils de Jupiler. » Effray^ de cet oracle, Atlas en-
toura ses vergers de solides murailles, preposa a leur garde un
enorme dragon, et eloigna tous les ^trangers des fronti^res de son
empire. Domin6 alors par la mSme crainte : « Fuis loin d'ici, re-
pond-il ; ni Ja gloire de tes pretendus exploits ni Jupiter lui-m^me
ne pourraient te sauver. » II joint la violence aux menaces, tenle
de chasser de son palais Persee, qui hesite et lui^arle avecautant
de douceur que de fermete. Plus faible (car qui pourrait 6ga-
ler la jprce. d'Atlas?) Persee lui replique : « Puisque tu d^
daignes mon amitie, re^ois ta recompense. » Au m^me instant
il se detoume a gauche et lui presente la hideuse face de Me-
duse. Le colosse est soudain chang6 en montagne. Sa barbe et
ses cheveux deviennent des forSts, ses epaules et ses mains
« Hospes, ait Perseus illi, seu gloria tangit
Te generis magni, generis mihi Juoiter auctor;
Sive es miralor reruni. mirahere nostras. 610
Ilospitium requiemque peto. » Memor ille vetustaj
Sorlis crat. Themis hanc dederat Parnassia sortom ;
« Tempus, Atla, veniet, tua quo spoliabitur auro
Arhor, et hunc praedse titulum Jove natus habeiiit. »
Id metuens. solidis pomaria clauscrat Atlas 64S
M(vnihus, et vasto dederat servanda drnconi,
Arcehatque suis externos finihus omnes.
Uinc quoque : « Vade procul, ne longc gloria rerum
Quas mentiris, ait, longe tibi Jupitcr ahsit. »
Vimque minis addit, forihusque expellerc tcnlat BTJO
Cunclantem, el placidis miscenlem fortia dictis.
Virihus inferior (quis enim par esset Atlanti
Virihus?) : « At quoniam parvi tihi gratia nostra est,
Accipe munus, » ait; Isevaque a parte.Medusa^
Ipsc relroversus squnlentia prodidit ora. 6.'i5
Quantus eral, mons factus Atlas. Jam barha conwque
In siilvas aheunl; juga sunt humerique, manusque;
158 METAMORPIIOSES.
des coleaux, sa t6te la cime du mont, ses os des pierres; enfin
tout son corps prend un immense accroissement , el le ciel
(dieux, vous Tavez ainsi voulu) repose sur lui avec ses myriades
d^etoiles.
PERS^E D^LIVRE Ar^DROMilDE.
V. fiole avait renferme les vents dans leur prison eternelle, et
Lucifer, qui appelle les hommes au travail, brillait au ciel du
plus vif eclat. Persee reprend ses ailes et les attache a ses pieds.
II s'arme d'un glaive recourbe, et fend d'un vol rapide les
plaines de Tair. D n^glige autour de lui et au-dessous de lui des
pays immenses pour fixer ses regards sur les peuples d^Ethiopie
et les champs de C6phee. La Tinnocente Andromede, par ordre
du cruel Ammon, expiait le vaniteux langage de sa mere. En
voyant ses mains attachees a un rocher sauvage, si une brise le-
gere n^eut agite ses cheveux,- si des larmes n'eussent coule de ses
paupieres tremblantes, Persee Taurait prise pour une statue de
marbre. A son insu, un feu soudain Tembrase. II reste immobile,
et, ravi de tant de charmes, il oublie presque de baltre des ailes.
Quod caput ante fuit, summo est in monte cacumen ;
• Ossa lapis fiunt. Tum partes auctus in omnes,
1 Crevit in immensum (sic, di, statuistis), et omne 660
• Cum tot sideribus coelum requievit in i]lo.
^
ANDROMEDAH L1BERAT PERSEUS.
V. Clauserat Hippotades aeterno carcere venlos,
Admonitorque operum coelo clarissimus alto
Lucifer ortus erat. Pennis ligat itle resumptis
Parte ab utraquc pedes, teloque accingitur unco, (i65
Et liquidum molis talaribus aera iindit.
Gentibus innumeris circumquc infraque relictis,
iflthiopum populos, cepheia conspicit arva.
Illic immeritam maternas pendere lingu:e
Ahdromedan pcenas immitis jusserat Ammon. t»70
Quam simul ad duras religalam brachia cautes
Vidit Abantiades, nisi quod levis aura capillos
Moverat, et trepido manabant lumina fletu,
Marmoreum ratus essnt opus. Trahit inscius ignes,
Et slupet, et visae correptus imagine formre, 67ri
Psne snas qualere Ci^t ohlitu*^ in aere pennas.
LIVRE IV. 159
A peiiie s*est-il arr^tS, il s'toie : « Non, tu n'es pas faite pour ces
chaines, mais pour celles qui unissent des amants. Apprends-moi
ton nom, celui de ces contr^es, et pourquoi tu portes ces fers. »
D'abord elle garde le silence. Vierge, elie n'ose parler a un homroe.
De ses mains elle eti cache son front modeste, si elles eussent
et^ libres. EUe ne peut que pleurer, et ses yeux se remplissent
de larmes. Persee redouble ses inslances. Pour ne pas 6tre soup-
5onn6e de cacher un crime par son refus, Androm^de fait con-
naitre son nom, sa patrie, et le fol orgueil que la beaut^ avait
inspire a sa m^re. Son r^cit n'etait pas encore acheve quand
soudain l'onde fremit : un monstre s'eleve sur la vaste mer,
et couvre de son corps une place inmiense. La jeune fiUe
pousse un cri. Son pere dplore et sa mere eperdue etaient I^,
tous deux c(mstern^s, surtout sa mere; mais iis ne pouvaient lui
ofirir d'antre secours que des larmes dignes de son infortune et
des cris de d^spoir. Us serrent dans leurs bras leur fille en-
diain^. € Vous aurez bien le temps de pleurer, dit Tetranger. II
iie nous resle qu'un instant pour la sauver. Si je briguais sa
main, moi PersSe, fils de Jupiter et de la captive que Tor rendit
Ut stetit : « 0, dixit, non istis digna catenis,
Sed quibus inter se cupidi jungantur amantes,
Pande requirenti nomen terraeque tuumque,
Et cur vincla geras. » Primo silet illa, nec audet C80
Appellare virum virgo ; manibusque modestos
Gelasset vultus, si non religata fuisset.
Luminaf quod potuit, lacrymis implevit obortis.
Saepius instanti, sua ne delicta fateri
Nolle videretur, nomen terraeque suumque, 685
Quantaque maternac fuerit fiducia forma;,
Indicat; et nondum memoratis omnibus, unda
Insonuit ; veniensque immenso beliua ponto
Eminet, et latum sub pec^ore possidet a^quor.
Conclamat virgo. Genitor lugubris, ct amens &}Q
Mater adest ; ambo miseri, sed justius illa,
Nec secum auxilium, sed dignos tempore fletus,
Plangoremque ferunt, vinctoque in corpore adhserent,
Quum sic hospes ait : « Lacrymarum longa manere
tempora vos poterunt : ad opem brevis hora ferendam est. 695
Hanc cgo si peterem Perseus Jove natus, et illa
Quani clausam implevit fecundo Jupiler auro,
160 MtTAMORPHOSES.
ig<5onde; moi, vainqueur de la Gorgone au front li^riss6 de ser-
pents, et qui, porte sur des ailes, osai traverser les plaines de
Tair, sans doute parmi tous mes rivaux je serais choisi pour
gendre. A ces nobles titres, je veux, si les dieux me favorisent,
ajouter un bienfait. Pour qu'elle m'appartienne, mon bras s*en-
gage k la sauver. » Les parents acceptent. Qui eiit pu balancer?
Ds pressent Persee et lui promettent, outre la main de leur fille,
un royaume pour dot.
Cependant, telle qu'un vaisseau sillonne les ondes, quand il est
pouss^ par le bras vigoureux de jeunes rameurs, la poitrine du
raonstre bat et divise les flots. U y avait a peine entre le rocher
et lui la distance que franchit le plomb lance par la fronde. D'un
bond Pers^e s'envole dans les airs. Son ombre se reflechit sur la
surface des eaux. Le monstre TaperQoit et s'abat sur elle avec fu-
reur. Ainsi que Toiseau de Jupiter, des qu'il voit dans la plaine
un serpent etaler au soleil son dos azure, Tattaque par derriere,
et, pour que le reptile ne tourne point contre lui son dard meur-
trier, plonge dans ies ecailles de son cou ses implacables serres ;
Persee, du haut des nues, fond d'un vol precipit^ sur le monstre
Gorgonis anguicomae Perseus superator, et alis
^therias ausus jaclatis ire per auras,
Praeferrer cunctis certe gener. Addere tantis 700
Dotibus et meritum, faveant modo numina, tento.
Ut mea sit, servata mea virtute, paciscor. »
Accipiiint legem (quis enim dubitaret?) et orant,
Promittuntque super regnum dotale, parentes.
Ecce, velut navis, pra^fixo concita roslro, 7Q5
Sulcat aquas, juvenum sudantibus acta lacertis,
Sic fera, dimotis impulsu pectoris undis,
Tantum aberat scopulis, quantum balearica torto
Funda potest plumbo medii tran^mittere cocli ;
Quum subito juvenis, pedibus tellure repulsa, 710
Arduus in nuhes abiit. Ut in asquore summo
Umhra viri visa est, visam fera sscvit in umbi*am.
Utque Jovls prxpes, vacuo quum vidit in arvo
Praebentem PhoBbo liventia terga draconem,
Occupat aversum; neu saeva retorqueat ora, 715
Squamigeris avidos figit cervicibus ungues.
Sic celeri fissum prseceps per inane volatu
LIVRE IV. iCl
qui fremit, et enfonce dans son flanc droit son cimelerre jus-
qu'a la garde. AUeint d'une large blessure, le dragon iantdt s'e-
le?e dans les airs, tantdt disparait dans i'onde, tantdt se roule
comme le sanglier furieux qu'effrayent ies aboiements des chiens.
D'un essor rapide, Persee echappe a ses morsures cruelles. Sur
le dos du moiistre couvert d'ecailies epaisses, sur ses ilancs ou sur
sa queue effilee comme celle d'un poisson, partout ou son glaive
recourbe peut trouver acc^s, il le frappe de mlUe coups. Uanimal
vomit des flots rougis de sang, et en humecte tellement les ailcs
de Parsee, que ce heros n'osait plus s'y fier, quand il apergut un
roc dont la cime s^elevait au-dessus de la mer lorsqu'elle est
calme, mais qui disparaissait dans la temp^te. II en fait son
point d'appui, et, saisissant de la main gaiiche le sommet du
rocher, de Tautre il plonge plusieurs fois le fer dans les ilancs du
monstre.
Des cris et des applaudissements retentissent sur le rivage et
montent aux celestes demeures. Transportes d'allegresse, Gassiope
et Cephee, pere d^Androm^de, saluent Persee du nom de gendre
et le proclament le defenseur et le sauveur de leur famille. Objet
Terga feraB pressit, dexlroque frcmenlis in armo
Inachides ferrum curvo lenus abdidit hamo.
Yulnere Isesa gravi modo sc sublimis in auras 720
AltoUit; modo subdit aquis ; modo more ferocis
Ver^at apri, qucm turba canum circumsona lcrrot.
llle avidos morsus velocibus effugit abs ;
Quaque patent, nunc terga cavis super obsitn ronchis,
Nunc laterum costas, nunc qua tenuissima caiida 725
Desinit in piscem falcato verberat ense.
Bcllua puniceo mixtos cum sanguine fluctus
Ore vomit. Madutre graves aspergine pennoe,
Nec bibulis ultra Perseus talaribus ausus
Credere, conspexit scopulum. Cui vcrlice summo 730
Stantibus exit aquis, operitur ab acquorc molo.
Nixus eo, rupisquc lenens juga prima sinislra,
Tcr quater exegit rcpetita pcr ilia ferrum.
Littora cum plausu clamor superasque deorum
Iraplevere domos. Gaudent, generumque salutant, 75j
Auxiliumque domus servatoremque fatentur
Cassiope, Cepheusque pater. Resoluta catenis
162 M£TAM0RPH0SES.
et recompense de cet exploit, Androm^de s'avanoe, degagee de ses
chaines. fce heros lave dans Tonde ses mains victorieuses ; et,
pour que le dur gravier ne biesse point la t^te de Meduse he-
riss^e de serpents, ii couvre la terre d'un lit de feuilles sur
lesquelles 11 6tend des plantes marines, et y place la t^te de
la fille de Phorcys. Ces plantes, fraiches encore, et d'une nature
spongieuse, en ressentent aussitot la vertu et se durcissent a son
contact : leurs rameaux et leurs feuiiles eprouvent une roideur
extraordinaire. Les Nymphes de la mer essayent le mtoe prodige
sur plusieurs branches, et, charmees de le voir toujours repro-
duit, elles en jettent plusieurs fois les semences dans les eaux.
Aujourd'hui la m^me vertu se retrouve dans le corail : il durcit
au contact de Tair, et sa tige, flexible dans Tonde, se ptoifie hors
des flots.
PERS^B J^POUSE ANDRONilDE.
VI. Persee el^ve en l'hoimeur de trois dieux trois autels de ga-
zon : Fun a gauche pour Mercure; Tautre a droite pour toi, vierge
belliqueuse, et celui du milieu pour Jupiter. II immole a Minerve
une genisse, a Mercure un veau, et a toi, souverain des dieux, un
Incedit virgo, pretiumque ct causa laboris.
• Ipse manus hausta victrices abluit unda,
Anguiferumque caput dura nc Ixdat arena, 740
Mollit liumum foliis, natasque sub iEquore virgas
Sternit, ct imponit Pliorcynidos ora Medusae.
Virga rocens. bibuljque ctiamnum viva mcdulla,
Yim rapuit monstri, lactuquc induruit hujus,
Percepilque novnm r.iinis etfrondc rigorem. 745
At pelagi iNympho: factimi mirabilc tentant
Pluribus in virgis, ct idem contingerc gaudent,
Seminaque ex illis iterant jactata per undas.
Nunc quoque curaliis cadem nalura remansit,
Duritiem tacto capiant ut ab aere, quodque 750
Vimen in aiquorc crat, liat super ajquora saxum.
ANDROMEDAM PERSEUS UXOREM DUCIT.
VI. Dis tribus ille focos totidemde cespitc ponit,
Lajvum Mercurio; dexlrum tibi, bcllicii virgo;
Ara Jovis media cst. Mactalnr vacca Minerv.'e;
Alipedi vitulus; taurns !ibi, snmmc dcorum. 75ii
LIVRE IV. 163
taureau. Aussit6t il emmene Andromede, qui, m^roe sans dot, lui
suffit pour prix d'un si grand exploit. L'Hym6nee et FAmour al-
lument leurs flambeaux. Mille parfums s'exhalent du feu sacr^.
Des guirlandes sont suspendues aux lambris. Le pipeau, la lyre,
la ilute et les chants s'unissent pour f^ter le bonheur des ^poux.
La porte s'ouvre, Tor brilie au loin dans les vastes portiques du
paiais; L'elite des £thiopiens prend place au somptueux banquet
pr^par^ par le roi. Le festin s'anime, et un vin genereux echauffe
les esprits. Le fils de Dana^ slnforme des moeurs et des usages
de cette conlr^. Le fils de Lyncee lui repond. Apres avoir satisfait
a ses questions : cc Maintenant, intrepide Persee, ajouta-t-il, dis-
moi, je t'en prie, par quelle audace et par quel stralageme tu as
tranche cette tete herissee de serpents.
f — Au pied du frais Atlas, replique le petit-fils d'Agenor, est un
lieu proteg^ par un roc ehorme. A Tentree habitaient deux soeurs,
fiUes de Phorcys, qui n'avaient qu'un oeil dont elles se servaient
tour a tour. Au moment ou Fune le remettait a Fautre, je m'en
eroparai par ruse, en substituant adroitement ma main a celle
quidevaitle recevoir; et, a travers des senliers caches, detounies,
Prolinus Andromedan, et tanti praemia facli
Indotala rapit. T^edas Hymenseus Amorque
Pra:cipiunt. Largis satiantur odoribus ignes;
Sertaque dependent teclis; lotique, lyraequc,
Tibiaque, et cantus, animi felicia Iseti 7G0
Argumenta, sonanl. Reseratis aurea valvis
Atria lota patent, pulchroque instructa paratu
Cephenum proceres ineunt convivia regis.
'ostquam epulis funcli, generosi munere Bacchi
Di^udere animos, cultusque habitusque locorum 7G5
Quaerit Abaniiades. Quaercnti protinus unus
Narrat Lyncides, moresque habitusque virorum.
Quffi simul edocuit : « Nunc, o fortissime, dixit,
Fare, precor, Perseu, quanta virtute, quibusque
Artibus abstuleris crinita draconibus ora. » 770
Narrat Agenorides, gelido sub Atlante jacenlem
Esse locum, solidse tutiun munimine molis;
Cujus in introitu geminas habitasse sororcs
Phorcydas, unius partitas luminis usum.
Id se solerti furtim, dum Iraditur, astu 775
Supposila cepisse manu ; perque abdita longe,
i *'
iOi MfiTAMORPHOSES.
obstni^ d'epaisses for^ls et de rochers affreux, j'arrivai jusqu^au
s^jour des Crorgones. Ca et la, dans les champs et sur toutes les
routes, je vis des hommes et des animaux changes en pierre par
1'aspect de Meduse. Ses traits hideux s^offrirent aussitdt a mes re-
gards, mais reflechis par le bouclier suspendu a ma main gauche,
et, tandis que le monstre et ses serpents etaient ensevelis dans !e
sommeil, je separai sa \He de son cou. Pegase, porte sur des ailes
rapides, et son frere Chrysaor, naquirent alors du sang de la Gor-
gone. » Persee raconle ensuite quels horribles dangers Tont me-
nace dans sa longue course, quelles mers, quels pays il a vus du
haut des cieux, quels astres il a effleur^s de ses ailes, et acheve
son recit plus t6t qu'on ne le desire. Un des convives luidemande
pourquoi, seule parmi ses soeurs, Meduseavait des serpents mfeles
a ses cheveux. 11 r^pond : « Ce que vous me demandez merite
d'6tre raconte : en voici la cause. Cel^bre par sa beaut^, cette fille
de Phorcys fut recherchee par une foule de pr^tendants jaloux
de Tobtenir. Sa chevelure etait son plus bel ornement. J'ai ren-
conlre des hommes qui m'ont assure Favoir vue. Le souverain
des mers attenta, dit-on, a son honneur dans un temple de Minerve.
Deviaque, et silvis horrcntia saxa fragosis
Gorgoneas tetigisse domos ; passimque per agros,
Perque vi^s vidisse hominum simulacra, ferarumque
In silicem ex ipsis visa conversa Medusa. 78U
Se tamen horrendae, clypei quod laBva gerebat
>Ere repercusso, formam aspexisse Medusao.
Dumque gravis somnus colubrasque ipsamquc tonebal,
Eripuisse caput collo; pennisque fugaccm
Pegason. et fratrem, matris de sanguine natos. 785
Addidit et longi non falsa pcricula cursus ;
Quae frcta, quas terras sub sc vidisset ab allo,
Et qujB jactatis teligisset sidera pennis.
Ante exspectalum tacuit tamen. Excipit unus
E numero procerum, quaerens, cur sola sororum 793
Gesseril alternis immixtos crinibus anguos.
Hospes ait : « Quoniam scitaris digna relatu,
Accipe quaesiti causam. Glarissima forma,
Multorumque fuit spes invidiosa procorum
Illa, nec in tota conspectior ulla capillis 790
Pars fuit. Inveni, qui se vidisse relerrent.
Hanc pelagi rector templo vitiasse Minervae
LIYUE lY. 105
La fille de Jupiter detourna les yeux, et couvrit de son egide sa
diaste figure. Mais, afin de ne pas iaisser un pareil attentat impuni,
elle diangea les cheveux de la Gorgoue en serpents aflreux. Au-
jourd'hui m^me, pour frapper ses ennemis d'epouvanle, porte la
deesse sur son sein les serpents qu elle fit naitre. »
Dicitur. Aversa est, et castos aegide vultus
Na(a Jovis texit; neve hoc impune fuissei,
Goi^oneum turpes crinem mutavit in hydros. 800
Nunc quoquc, ul ultonitos formidine terreat hostes
Ptectorc in advcrso, quos l'ecil| sustinel angues. •
LTVRE CINQUltlME
pebs£e change phinbe et ses compagnons en rociiers.
I. Tandis quie le heros, fils de Danae, raconle ces aveniures aux
£thiopiens assemhles autour de lui, les clameurs de la multilude
remplissent les portiqiies du roi. Ce nelaient point des chants de
fete en rhonneur de rhymenee, mais un bruit annon^ant la fu-
reur des combats. Tout a coup a la joie du festin succede le tu-
multe. Ainsi le courroux des vents trouble le calme de la mer en
bouleversant les flots. A la t6te des turbulents, est le temeraire
auteur de cette guerre, Phinee, brandissant son javelot de frene,
arme d'airain. « Me voici, dit-il, me voici pr^t a venger repouse
qui m'est enlevee. Ni tes ailes, ni Jupiter que tu pretends s'^tre
change en or, ne pourront te derober a mes coups. » 11 allait Tancer
«on javelot. « Que fais-tu? lui crie Cephee. Quel d6Iire> 6 mon frere 1
LIBER QtlNTUS
PIIINEbM CUil SUIS PERSEUS SAIEUU RI-DDlt<
h Diimr|ue ea Gcphenum medio danaeius heros
Agmine commcmoral. fremitu regalia.lurbaR
Airia complentur. Ncc conjugialia festa
Qtii canat, cst clamori sed qui fera nuntict arma*
Inquc repentinos convivia versa tumuitus *>
Assimilare freto possis, quod sseva quietum
Ventorum rabies motis exasperat undis.
Prinius in his Phiueus, belli temerarius auctor,
Fraxineam quatiens xratse cuspidis hastara :
n En, ait, en adsum praBreptae conjugis ullor. 10
Nec niihi tc pennse, nec falsum versus in aurum
Jupitcr, cripicut. » Conanti milterQ Cepheus :
« Quid facis? cxclamat; quaj le, gcrmane, furcntcm
LIVRE V. 1C7
tepousse au crime? Voila donc la recompense de ses glorieux ser-
vices! Cest ainsi que tu le payes d'avoir sauve ma filie? Si tu veux
savoir la verite, ce n'est point Persee qui t'a ravi Andromede,
c'est l'implacable colere des N^reides; c'est Ammon adore sous les
traits d'un belier; c'est le monstre qui traversait les flots pour
venir se repaitre de mes entrailles. EUe te fut enlevee des qu'eile
dut mourir. Cruel, aurais-tu pr^fere qu'elle perit? el ma douleur
pourrait-elle alleger la tienne? N'est-ce donc pas assez qu'elle ait
ete chargee de chaines en ta presence, sans que tu lui ^iies porte
aucun secours, toi, son oncle et son pretendant? Faut-il encore
teplaindre qu'un autre Tait sauvee, et lui derober son salaire? Si
cette recompense te parait belle, que n'allais-lu la saisir sur la
pointe des rochers? Laisse maintenant celui qui Ta conquise, celui
qui a preserve ma vieillesse d'une perte cruelle, jouir du prix con-
venu et si bien merite. Comprends enfin que ce n'est pas a toi,
mais ar une raort certaine qu'il est prefer^. »
Pbinee reste muet ; mais il jette tour a tour ses regards sur son
fr^re et sur Persee, sans savoir sur lequel doivent tomber ses
coups. Apr^s un instant d'hesitalion, il lance, avec toute la force
que lui donne la fureur, son impuissant javelot contre Persee.
Mens agit in facinus? meritisne hscc gratia lanlis
Redditur? hac vitam servalae dole repeudis? 15
Quam tibi non Perseus, verum si quairis, adcmit,
Sed grave Nereidum numen, sed corniger Ammou,
Sed quaj visceribus veniebat bellua ponlo
Eisaturanda meis. Illo tibi lempore rapla est^
Quo pcrilura fuit; nisi si crudelis id ipsum 20
txigis, ut pereat, luctuque levaberc no^slro.
Scilicet haud satis est, quod, te spectantc, reviucla est;
Et nullam quod opcm patruus sponsusve tulisti ;
Insuper, a quoquam quod sit servala, dolebis,
Praemiaque eripics? Qua) si tibi magna videntur, 23
£x illis scopulis, ubi cranl ailixa, petisses?
Nunc sine, qui peliil, pcr quem haic nOn orba senectus,
Fcrrc, quod et merilis ct vocc est pactus; eumque
Koii tibi, sed ccrlaj prailalum inlellige morli. »
Illc nihil contra; scd ct hunc, ct Pcrsea vultu 30
Allcrno spcclans, peUit hunc ignorat, an ilhun;
Cunclatusquc brevi, contorlam viribus haslam,
Quuulas ira dabat, ncquicquam in Persca misit.
1G8 M^ITAMORPUOSES.
Au moment oii le Irail se fixe dans la couche du heros, Pers^ se
levait. Transporte de colere, il l'eut relance pour en percer le coeur
de son ennemi, si Phinee ne se fut abrite derriere un autel qui
protegea indignement un coupable. Cependant le trait ne s'enfonce
pas en vain dans le front de Rhelus. II tombe, et, quand ie fer est
retire de son cr^ne, ii palpite et baigne de son sang ia table dressee
pres de lui. Alors la fureur des soldats ne connait plus de bornes. Ils
lancent leurs traits. Plusieurs pretendent que Cephee et songendre
ont merite ia mort. Mais Cephee a deja franchi le seuil de son pa-
lais, atlestant la justice, la bonne foi et les dieux protecteurs de
fhospitalite, que ce desordre eclate malgre lui. Pallas apparait :
elle couvre de son egide le fils de son frere et soulient son courage.
Parmi les compagnons de Phinee etait Flndien Atliis. Limnate
iille du Gange, lui donna, dit-on, le jour dans sa grotte de cristal.
II etait d'une grande beaute que rehaussait encore sa riche parure,
et coraptait a peine seize ans. II portait une robe de pourpre ornee
de franges d'or, et son cou etait pare d'un collier du mtoe metal.
Un bandeau nouait ses cheveux parfumes de myrrhe. U savait
frapper du javelot les objets les plus eloignes, et mieux encore
Ut stetil illa toro, stralis tum denique Perseus
Exsiluit, leloque ferox inimica remisso 55
Pectora rupisset, nisi post altaria Piiineus
Isset, et (indignum!) scelerato profuit ara.
Fronte tamen Rhoeti non irrita cuspis adhxsit.
Qui postquam cecidil, ferrumque ex osse revuisum est,
Palpitat, et positas aspergit sanguine mensas. 40
Tum vero indomitas ardescit vulgus in iras,
Telaque conjiciunt; et sunt, qui Gcphea dicant
Gum genero debere mori. Sed limine tecli
Exierat Gepheus, testatus jusque, fidemque,
Hospitiique deos, ea se prohibente moveri. 45
Bellica Pallas adest, et protegit segide fratrem,
Datquc animos. Erat indus Athis, quem flumine Gangc
Edita Limnate vilreis pcperisse sub anlris
Creditur, egregius forma, quam divite cultu
Augebal, bis adhiic octonis inleger aunis ; HO
Indulus chlamydem tyriam, quam limbus obibal
Aureus; oruabant aurata monilia colluni,
Et niadidos myrrhu curvum crinale capilios.
lUe quidem jaculu quamvis distantia misso
LIVllE V. 100
lancer les fleches. U tendait son arc flexible, lorsque Persee Tat-
teignit d'un tison qui fumait au milieu de l'autel, et lui fracassa
la mdchoire.
£n le voyant, si beau naguere et maintenant baigne dans son
sang, TAssyrien Lycabas, qui lui etait uni par les liens du plus
tendre amour et n'en faisait point mysterei pleure Athis frappe
d'un precoce trepas. 11 saisit Tarc qu'avait tendu son ami : • Com-
bats avec moi, lui dit-il. Tu ne te rejouiras pas longtemps de la
mort d'un enfant. Elle fattirera plus de haine que de gloire. »
11 n'avait pas encore acheve ces mots, que la fleche s'elance de la
corde. Persee Tevite, et le trait reste suspendu aux plis de son ve-
tement. 11 leve sur la tete de son ennemi son cimeterre eprouve
par la mort de Meduse et Tenfonce dans son sein. Lycabas mourant
toume vers Athis ses yeux deja plonges dans la nuit du trepas.
11 se penche sur lui, et emporte aux enfers la consolation d'avoir
uni sa mort a celie de son ami.
Cependant le flls de Metliion, Phorbas de Sy^ne, et le Libyen
Amphimedon, brulant de combattre, sont tombes dans le sang
Figere doctus erat, sed lendere doclior areus. 55
Tum quoque lenta manu flectentem cornua Perseus
Stipi^, qui media positus fumabat in ara,
Perculit, et fractis confudit in ossibus ora.
Hunc ubi laudatos jactantem in sanguinc vultus
Assyrius vidit Lycabas, junctissimus illi GO
Et comes, et veri non dissimulator amoris,
Postquam exhalantem sub acerbo vulnere vitam
Deploravit Athin. Quos ille tetenderat arcus
Arripit, et : t Mecum tibi sint certamina, dixit;
Nec longum pucri fato laetabere, quo plus G3
Invidix, quam laudis, habes. . Uxc omnia nondum
Diierat, emicuit nervo penelrabilc lelun);
Vitatumque tamen sinuosa veste pependit.
Verlit in hunc harpen spcclatam caede Meduso;
Acrisioniades, adigitquc iu pectus. At ille 70
Jam morieus, oculis sub nocle naluntibus atra
Circumspexil Athin, sequc acclinavil in illum,
Et tulit ad nianes junctx solatia mortis.
tcce Syenites, geuitus Melhione, Phoibas,
Et Libys Amphimedon, avidi committere puguaui, "i^
170 METARiORPHOSES.
qui fume au loin sur le parvis. !ls veulent se relever ; mais ils sonl
frapp^, Tun dans le flanc et Tautre a la gorge. Le fils d'Actor,
Erithus, arme d'une hache terrible, s'etait soustrait au glaive re-
courbe du heros. Mais pr^s de la etait un cratere d'un poids enorme
et ciseie en relief. Persee le souleve de ses deux mains et en ecrase
son ennemi, qui vomit des flots de sang et tombe expirant dans
la poussiere. Polydemon, descendant de Semiramis, Abaris, ne
sur le Caucase, et Lycetus sur les bords du Sperchius, filyx a la
longue chevelure, Phlegias et Clytus perissent sous les coups du
fiis de Dana^, qui foule aux pieds des monceaux de victimes. Phinee
craint de combattre de pres un pareil adversaire ; ii lui lance soii
javelot. Le trail s^egare et va frapper Ida, qui s'est en vain abstenu
de combattre et n'a suivi aucun drapeau. Regardant d'un oeil fa-
rouche le cruel Phinee : « Puisque tu veux, lui dit-il, m'entrainer
dans celte lutte, defends-toi, Phinee, contre i*ennemi que tu viens
de provoquer. Re^ois blessure pour blessure. » Deja il s'apprelait
a lui renvoyer le fer arrache de son sein. Mais le sang s'epuise
dans ^s veines, et il tombe expirant.
Sanguinc, quo lellus late madefacla tcpebat,
Conciderant lapsi. Surgentibus obstitit ensis,
Alteriiis costis, jugulo Phorbantis adactus.
At non Acloriden Erilhon, cui lata bipenuis
Telum erat, hamato Perseus petit ense. Scd altis t>0
Exstantem signis, multseque in pondere inussiC,
Ingentem manibus toUit cratera duabus,
Inrregitque viro. Rulilum vomit ille cruorciii,
Et resupinus humum moribundo vertice pulsdt.
lude Semiramio Polydaimona sanguine crclum, 85
Caucasiumque Abarin, Sperchionidenque Lycctuni,
Intonsumque comas Elycen, Phlegiamque, ClytuuKiuo
Sternit, et adstructos morientum calcat acervos.
Nec Phineus auSus concurrere cominus hosli,
Intorquet jaculum, quod detulit error in Idan, • 90
Expertem frustra belli, et neut):a arma secutum.
lile tuens oculis immitem Phiuea lorvis :
« Quandoquidem in partcs, ait, attrahor, accipe, Pliiueu,
Quem fccisli hostem, pensaquc hoc vulnere vuhius>. *>
Jamque remissurus tractum de corporc telum, 05
Sanguine defectos cecidit collapsus in artus.
LIVRE V, i71
Alors Odites, qui occupe la premi^re place apres le roi, perit
sous Fepee de Clymene. Hypsee frappe Prolenor, et Lyncidas
Hypsee. Au miiieu d'eux parait le vieil £mathion, connu par son
amour pour la juslice et par son respect envers les dieux. Les
annees rempSchent de combattre; mais il combat de la voix, et,
parcourant tous les rangs, ii maudit celte lutte impie. Tandis
qu'il embrasse Tautel de ses mains tremblantes, Chromis avec
son epee lui tranche la tSte, qui roule dans les feux sacr^. Lk sa
Toix a demi eteinte profere des im];irecations, et )e souffle de la
vies'exhale au milieu des flammes. Apr^s lui, ies deux freres Bro-
theas et Ammon, que le ceste eCii rendus invincibles, si le ceste
pouvait triompher de l'epee, sont immoles par la main de Phinee,
ainsi que le pr^tre de Cer^s, Ampycus, dont ie front est ceint d'un
bandeau eclatant de blancheur. Et toi, tils de Japet, tu n'etais
point destine a ces jeipL sanglants. Youe a un ministire de paix,
lu devais unir la voix aux accords de la lyre pour celebrer la joie
des festius et les jours de f(^te. Comme il se tenait a Tecart, son
innocent archet a la main, Pettalus lui dit avec un rire moqueur :
« Va faire entendre aux m^nes le reste de tes chants; » et il lui
plonge dans la tempe gauche la pointe de son ep^e. Le chantre
Hic quoque Cephenum post regem primus Odi(es
Ense jacet Clymeni. Protenora perculil Hypseus;
Hypsea Lyncides. Fuii et grandaevus in illis
Emathion, squi cultor, timidusque deorum. 1(X)
Quem quoniara prohibent anni bellarc, loquendo
Pugnat, ct incessit, scelerataque devovet armn.
Huic Chromis amplexo tremulis altaria palmis
Demctit cnsc caput, quod protinus incidit arac ;
Atquc ibi semianimi verba cxsecrantia lingua 103
Edidit, ct medios animam exspiravit in igncs.
Hinc gcmini fratres, Broteasque et caestibus Ammon
Invicti, vinci si possent csestibus enses,
Phinea cecidere manu; Cererisque sacerdos
Ampucus, albenti velatus tempora vitta. 110
Tu quoque, lapetide, non hos adhibendus in usus,
Sed qui, pacis opus, citharam cum voce moveres,
Jussu^ eras celebrare dapes, festumque canendo.
Cui procul adstanti, plectrumque imbelle tenenti,
Pettalus : « I, ridens, stygiis cane coBtera, dixit, 115
Manibus, » et Iscvo mucronem tempore figit.
172 MfeTAMORPHOSES,
tombe en laissant errer ses doigts mourants snr les cordes de sa
lyre, et il expire en faisant entendre de plaintifs accents.
Le fier Lycormas ne laisse point son tr^pas impuni. 11 arrache
un des poteaux de la porte a droite, et en brise le crane de Pet-
talus, qui succombe comme un taureau sous le bras du sacrifica-
leur. Pelates, ne sur les bords du Cinyps, fait une tentative pareille.
Mais, au m^me instant, sa main, percee par la lance duLibyen Co-
rythus, resle fixee a la porte. Tandis qu'elle y est retenue, Abas
lui plonge son 6pee dans le flanc. II ne tombe pas; il expire sus-
pendu par la main. La p^rissent aussi Melanee, qui avait suivi le
parti de Persee, et Dorilas, le plus riche habitant du pays des Na-
samons. Nul, dans cette contr^e, ne possedait plus de terres et
ne recueillait autant de ble. Le fer p^n^tre obliquement dans
Faine, ou les coups sont mortels. A peine le Baclrien Halcyonee,
qui Fa blesse, \e voit-il rendre T^me au milieu des sanglots et
rouler ses yeux mourants, quMl lui dit : « L'espace que couvre
ton corps te restera seul de tes immenses domaines; » et il aban-
donpe son cadavre. Mais Persee vainqueur retire le javelot de la
blessure loule fumante, et le lui lance. Le fer, en atteignant le
Concidit, et digilis moricnlibus ille retentat
Fila lyrac, casuque canit miserabile carmen.
Non sinil hnnc impune fcrox cccidisse Lycormas,
Raptaque de dextro robusta repagula posti, 120
Ossibus illidit medise cervicis ; at ille
Procubuit terra?, maclati more juvenci.
Dcmere tentabat licvi quoque robora postis
C.inyphius Pelales. Tentanti dextcra fixa cst
Cuspide marmaridx Corythi, lignoque cohoisit. 125
Ilsrenti latus hausit Abas; nec corruit ille,
Sed retinentc manum morieus e poste pependit.
Sternilur et Melaneus, perseia castra secutus,
Et nasamoniaci Dorylas ditissimus agri ;
Dives agri Dorylas, quo non possederat allcr 150
Latius, aut jtotidcm tollebat farris acervos.
Uujus in obliquo missum stetit inguine ferrum.
Lethifer ille locus. Quem postquam vulneris auctor
Singultantem animam, ct versantem lumina vidit
Bactrius Halcyoneus : « Hoc, quod premis, inquit, habeto 135
De lot agris terrae, » corpusque exsangue reliquit.
Torquet in hunc hastam calido dc vulnere raptam
LIVRB V. 173
Bactrien au nez, lui traverse le crAne. La fortune seconde le heros.
U ^end, sous deux coups differents, Glytius et Glanis, nes de la
m^me mere. D*un bras vigoureux il perce de part en part les
cuisses de Glytius, et. blesse Glanis a la bouche. II terrasse encore
G^ladoii de Mendes, Aslree dont la m^re naquit en Palestine, et
dont le pere etait inconnu; £thion, qui, jadis habile a pr^voir
ravenir, fut alors trompe par le vol d'un oiseau; Thoacte, ecuyer
de Phinee, et Agyrt^, souille d'un parricide.
Gependant il reste plus de sang a verser qu'il n'y en a de
repandu : tous les bras veulent immoler Persee. D^e toutes parts
il est assaiUi par des combattants ligues pour une cause injuste et
criminelle. II n*a d'autressoutiens que son beau-pere, dont Tamour
est impuissant, sa nouvelle epouse et sa m^re, qui remplisscnt le
palais d^affreuses clameurs etouffees par le bruit des armes et les
cris des mourants. Bellone arrose de ilots de sang le palais dejk
profane et renouvelle toutes les horreurs des combats. Phinee et
ses mille compagnons fondent sur Persee. Autour de lui, devant
ses yeux et a ses oreilles, sifile une gr^le de traits. II appuie son
Victor Abantiades, media quae nare recepta
Cervice exacta est, in partesque eminel ambas.
Dumque manum fortuna juvat, Clytiumque Claninque 140
Matre satos una, diverso vulnere fudit.
Nam Clytii per utrumque gravi librata lacerto
Fraxinus acta femur; jaculum Clanis ore momordit.
Occidit et Celadon mendesius; occidit Astreus,
Matre palestina, dubio genitore creatus; 145
iEthionque sagax quondam ventura videre,
Tunc ave deceptus falsa, regisque Thoactes
Armiger, et csbso genitore infamis Agyrtes.
Plus tamen exhausto superest ; namque omnibus unum
Opprimere est animus. Conjurata undique pugnant 150
Agmina pro causa meritum impugnante fidemque.
Hac pro parte socer frustra pius, et nova conjux,
Cum genitrice, favcnt, ululatuque alria complent.
Sed sonus armorum superat, gemitusque cadentum ;
Pollutosque semel multo Bellona penates 155
Sanguine perfundit, renovataque praelia miscet.
Circumeunt unum Phineus, et mille secnti
Phinea. Tela volant hiberna grandine plura
Praeter utrumque latus, praeterque et lumen, etaures.
/
174 MfiTAMORPHOSES.
dos contre une grande colonne de marbre, et, siir qu'il ne peut
plus ^tre surpris par derriere, il fait face aux ennemis, et r^siste
a toutes les attaques. k gauche, il a en tete Molpee de Chaonie;
a droite, TArabe Ethemou. Comme un tigre, press^ par la faim,
IbrsquMl entend de deux vallons opposes le mugissement des boeufs,
ne sait ou il doit courir de preference, et voudrait s'61ancer vers
les deux c6tes a la fois ; Pers^e, incertain s'il doit se porter a droite
ou a gauche, frappe Molp^e a la jambe et se contente de le mettre
^n fuite. fithemon ne iui laisse point de repos. Emporte par sa
fureur, et briilant d^enfoncer dans le cou de Persee son epee jus-
qu a ja garde, il Tattaque sans mesurer ses forces ; mais Tepee
vole en ^clats, et sa pbinte, repouss6e par la colonne, vient se
plonger dans la gorge de son mattre. Le coup neanmoins ne lui
donne pas la mort. fithemon chancelle et tend vainement ses
bras d^sarmes, Persee le frappe du cimeterre que lui donna
Mercure.
Voyant enfin sa valeur ,pr6s de succomber sous le nombre, le
h^ros s^ecrie- : « Puisque vous m'y forcez, jMmplorerai le secours
d'un ennemi. Detournez vos regards, 6 mes amis! s'il en est ici
Applicat hinc humeros ad magnse saxa columnac, IGO
Tutaque terga gerens, adversaque in agmina versus,
Sustinet instantes. Instabant parte sinistra
Chaonius Molpeus, dextra nabataeus Ethemon.
Tigris ut, auditis diversa valle duorum
Exstimulata fame mugitibus armentorum, 165
Nescit ulro potius ruat, et ruere ardet utroque;
Sic dubius Perseus, dextra laevane feratur,
Holpea trajecli submovit vulnere cruris,
Contentusque fuga est. Neque enim dat tempus Ethemon,
Sed furit; et, cupiens alto dare vulnera collo, 170
Non circumspectis exactum viribus ensem
Fregit, et cxtrema percussaB parte columnae
Lamina dissiluit, dominiquc in gutture fixa est.
Non tamen ad lethum causas satis illa valenles
Plaga dedit. Trepidum Perseus, et incrmia fruslra 175
Brachia tcndentem cyllenide confodit harpe.
Verum ubi virlutem turbae succumbere vidit:
« Auxilium, Perseus, quoniam s^ic cogitis ipsi,
Dixit, ab hosle pclam. Vullus avertite vestros,
LIVRE V. 175
pour moi ; » et en niftme temps il presente la tete de la Goi^one.
« Cherche ailleurs un adversaire qui se laisse effrayer par de vains
prestiges, » r^pond Thescelus. Mais, au moment oA sa main s'ap-
prMait & lancer un trait fatal. immobile dans cette attitude, il est
chang^ en une statue de marbre. A ses cdt^s, Ampyx dirige son
glaive contre la poitrine du magnanime Lyncidas. Sa main va lo
frapper; mais, tout a coup petrifiee, elle ne peut se mouvoir en
aucun sens. Nil^e, qui se pretend fils du Nil, et qui sur son bou^
clier avaitgrave en argent et en or les sept bouches dece fleuve,
dit aPersee : « Regarde le berceau de ma famille. Tu emporleras
chez les ombres une grande consolation en tombant sous les coups
d'un illustre ennemi. » Les derniers sons de sa voix sont 6touff6s;
sa bouche entr'ouverte semble vouloir parler ; mais elle n*offre plus
d'issue a la parole. « Cest votre lAchete, et non la tete de la Gor-
gone, qui enchaine vos bras! ieur crie firyx. Accourezavec moi, et
faites mordre la poussiere k ce jeune presomptueux qui n'a pour
armes que des enchantements. » U veut s'elancer ; ^es pieds restent
attaches h la terre. II n'est plus qu'un rocher immobile, sous les
Iraits d'un guerrier en armes.
Si quis amicus adest, » et Gorgouis extulit ora. 1SU
« Quaere alium, tua quem moveant miracula, » dixit
Thescelus; utque manu jaculum fatale parabat
Mittero, in hoc haesit signum de marniore gestu.
Proximus huic Ampyx animi plenissima magni
Peclora Lyncidie gladio petit; inquepetendo 1S5
Dextera diriguit, nec citra mota, nec ultra.
At Nileus, qui se genitum septemplice Nilo
Ementilus erat, clypco quoque flumina septem
Argenlo parlim, parlim cajlaverat auro :
« Aspice, ait, Perseu, nostrse primordia geiUis, 190
Magna feres tacitas solatia mortis ad umbras
A tanto cecidissc viro. » Pars ultima vocis
In medio suppressa sono est; adapertaquc velle
Ora loqui credas, nec sunt ea pei'via verbis.
Increpat hos: « Vitiociuc animi, non crinibus, inquil, 195
Gorgoneis torpetis, Eryx. Incurrile mecum,
Et prosternite humi juvenem magica arma moventem. »
Incursurus erat: tenuit vestigia tellus,
Immotusqiie silex, armataque mansit imago.
176 MfeTAMORPIIOSES.
Ceux-ci du moins m^rilaient leur chatiment. Mais un des sol-
dats de Pers^e, Acontee, en combattant pour lui, regarde la Gor-
gone, et lout a coup il est transforme en rocher. Astyage le
croit encore vivant, et le frappe de sa longue epee, qui rend des
sons aigus. Tandis qu^il demeure stupefait, il subit la mtoe me*
tamorphose, et la surprise est empreinte sur ses traits de marbre.
U serait trop long de dire tous les noms des soldats de Phinee. Deux
cents avaient survecu au combat; deux cents furent petrifies a
Taspect de la Gorgone.
Phinee d^plore alors cette guerre injuste. Mais que faire^ il ne
voit que des statues dans des attitudes diverses. II reconnait ses
compagnons, les appelle par leur nom, et invoque leur secpurs.
II ne peut en croire ses yeux, et porte sa main sur ceux qui se
trouvent pres de lui : c'etait du marbre. II detoume la t^te, et,
d'un air suppliant, il tend ses bras en signe de defaite : « Tu
triomphes, dit-il, 6 Persee! Eloigne ce monstre terrible; ecarle
cette t^te de MMuse qui change en rocher ; ecarte-Ia, je Ven con-
jure. Ce n'est ni la haine ni la soif de commander qui m'ont
pousse a cette guerre : je n'ai pris les armes que pour une epouse.
Hi tamen ex merito poenam subiere. Sed unus 200
Miles erat Persei, pro quo dum pugnat, Aconteus,
Gorgone conspecta saxo concrevit oborto.
Quem ratus Astyages etiamnum vivere, longo
Ense ferit. Sonuit tinnitibus ensis aculis.
Dum stupet, Astyages naturam traxit eamdem, 203
Marmoreoque manet vultus mirantis in ore.
Nomina longn mora est media de plebe virorum
Dicere. Bis centum restabant corpora pugnaB ;
Gorgone bis centum riguerunt corpora visa.
Poenitet injusti nunc denique Phinea belli. 210
Scd quid agat? Simulacra videt diversa figuris;
Agnoscitque suos, et nomine quemque vocatos
Poscit opem ; credensque parum, sibi proxima tangit
Corpora : marmor erant. Avertilur, atque ita supplex
Gonfessaque manus, obliquaque brachia tendens: 215
« Yincis, ait, Perseu. Remove fera monstra, tuaeque
Sasificos vultus, qusecumque ea, tolle Medusx;
Tolle, precor. Kon nos odium, regnive cupido
Compulit ad l>eUum : pro conjuge movimus arma.
LIVRB V. ^77
Tes droits sont fondes sur tes serviccs, el les miens sur le temps.
Je me repens de ne pas favoir cede. Vainqueur intrepide, laisse-
moi la vie : toiit le reste esih toi. » En proferant ces paroles, il
n'ose lever les yeux sur celui que sa voix implore : « Pusillanime
Phinee! repond le heros, je puis me rendre a ta pri^re et t*ac-
corder une faveur d'un grand prix pour les l^ches. Sois sans crainte;
tu I'obtiendras : le fer n'abregera point tes jours. Que dis-je? tu
seras un monument a jamais respecte par le temps. Dans le palais
de raon beau-p6re, tu t*offriras sans cesse aux yeux de mon
epouse, et Timage de celui qui lui fut destine sera pour elle une
consolation. » II dit, et tourne la t6te de la fille de Phorcys du
cote ou Phinee portait ses regards tremblants. En vain s*efforce-
t-il encore de Teviter : son cou se roidit, et les larmes durcissent
dans ses paupieres. La peur respire dans tous ses traits : sous
le marbre, son air est humble, sa main suppliante et son front
resigne.
Causa fuit meritis mclior tU3, tempore nostra. 220
Nod cessisse piget. Nihil, o fortissime, prxter
Hanc animam concede mihi : tua ca^tera sunto. »
Talia dicenti, neque eum, quem voce rogabat,
Respicere audenti : « Quod, ait, timidissime Phineu,
Et possum tribuisse, et magnum munus inerti est, 2?!>
Pone metum, tribuam : nuUo violabere ferro.
Quin etiam mansura dabo monumcnta per sevum ;
Inque domo soceri semper spectabere nostri,
llt mea se sponsi soletur imaginc conjux. »
Dixi4, ct in partem Phorcynida transtulit illam, 250
Ad quam se trepido Phineus obverlerat ore.
Tunc quoque conanti sua flectere lumina, cervix
Diriguit, saxoque oculorum induruit humor.
Sed tamen os timidum, vultusque in marmore supplex,
Submissseque manus, faciesque o1)noxia mansit. 25S
478 MfeTAMORPIIOSES.
PR1£TUS ET POLYDECTE CnANGES EN AQCUEIVS. — m£tAHORPHOSE DES FILLES
DE PIEROS EN PIES; — d'uN ENFANT EN LEZARD; — D^ASCALAPHE EN
HIBOU; — DE CVANE ST dVr^THUSE EN FONTAINES; — DE LYNGUS
EN LYNX. — ENLEVEMEKT DE PROSERPINE. — VOYAGES DE CERIs ET
DE TRIPTOLEME.
II. Vainqueur, le petit-fils d'Abas renlre avec sa compagne au
foyer patemel. Malgreles torts de son aieul, pour le venger il at-
taque Pr6tus qui prit les armes contre son fr^re, le mit en fuile
et s'empara de la Yille de Danae. Mais ni ses arraes, ni la cita-
delle dont il s'etait rendu maitre par un crime, ne peuvent le
faire triompher de Taspecl terrible du monstre herisse de
serpents. Et toi, qui regnes sur la petite ile de Seriphe,
6 Polydecte ! ni la valeur du jeune heros, eprouvee par lant d*ex-
ploits, ni ses faligues ne peuvent te desarmer. Toujours cruel, tu
nourris une haine implacable; car la haine injuste est sans terme.
Tu rabaisses mSme sa gloire, et tu ne crois pas a la mort de Me-
duse. « Je vais te prouver qu'elle est vraie, dit Persee. Amis, de-
tournez les yeux. » II eleve la tSte de Meduse, et, sans effusion
dc sang, il change le roi en rocher.
PRffiTDS ET POlYDEtlES IN 6AXA CONVERTDNTDR ; — PIERIDES IN PICAS; —
PDER IN STELLIONEM ; — ASCALAPHDS IN BDBONEM ; — CYANE ET ARETIIDSA
IN FONTES; — LYNCDS IN LYXCEM. — RAPTDS PROSERPINiE. — CERERIS ET
TRIPTOLEUI PEREGRINATIONES.
II. Viclor Abanliades patrios cum conjugc muros
Intrat, et immeriti vindex uUorque parentis
Aggrcditur Proetum; nara fratre per arma fugato
Acrisioneas Pro^tus possederat arces.
Sed nec ope armorum, nec, quam male ceperat, arce, 240
Torva colubriferi superavit luraina moustri.
Te tamen, o parvae rector, Polydecta, Seripbi,
Nec juvenis virlus, per tot spectata labores,
Nec mala moUicrant. Sed inexoral)ile durus
Exerces odium; nec iniqua finis in ira cst. ^^
Detrcctas etiam laudes, fictamque Meduso!
Arguis essc necem. « Dabimus tibi pignora veri.
Parcile luminibus, » Pcrseus ait, oraque regis
Orc medusxo silicem sine sanguine fecli.
LIVRB V. 170
Pallas avait jusqu'alors accompagn^ son frere iie d'une pluie
d'or. En ce moment, enveloppte d'un nuage, elle quitte Se-
riphe, laissant a droite Cythnos et Gyare. Par lecheminqui lui
parait le plus court au-dessus des flots, elle se rend a Th^bes et
vers rHehcon, s^jour des chastes Muses. Elle s'arr6le sur ce mont,
et, s'adressant aux doctes soBurs : « J'ai entendu parler, leur dit-
clle, de la nouvelle source qu'un coursier aile a fait jaillir sous
son pied vigoureux. Elle est robjet de mon voyage. Je veux con-
templer cette merveille, apres avoir vu naitre ce coursier du sang
de sa m^re. » Uranie lui repond : « Quel que soit le molif qui vous
engage a visiter nos demeures, 6 deesse! vous portez la joie dans notre
ame. La renommee dit vrai : Pegase est le pere de cette source. »
A ces mots, elle conduit Minerve vers Tonde sacree. La dtese
-admire longtemps la fontaine qu'un coursier a fait jaillir en frap-
pant la terre. Elle promene ses yeux autour de ces bois antiques,
des grottes et des prairies ^maillees de mille fleurs. EUe-compli-
raente les filles de Mnemosyne sur leurs Iravaux et sur leur se-
jour. L'une d^elles lui parle ainsi :
• « Oui, si volre courage ne vous avait appelee a de plus hautes
Hactenus aurigonaj comitem Tritonia fratri 250
Se dedit. Inde cava circumdata nube Seriphon
Dcserit, a dextra Cythno Gyaroque rcliclis.
Quaque super pontum via visa brevissima, Thcbas,
Virgineumque Helicona pctil. Quo monte potita
Constitit, et doclas sic cst affala sorores : 25o
« Fama novi fontis noslras pervenit ad aures,
Dura medusa^i quem pracpetis ungula rupit.
Is inihi causa viaj. Volui mirabile monstrum
Ccrnerc; vidi ipsum niatcruo sanj^uine nasci. »»
Excipit Uranie : « Quaecumquc cst causa videndi SGD
ilas libi, diva, domos, animo gralissima nostro es.
Vera tanieu fania est, et Pegasus hujus origo
Fontis; » et ad laticcs deducit Pallada sacros.
Qux mirata diu factas pcdis ictibus undas,
Siivarum lucos circuraspicit antiquarum, 2Go
Antraqucy et innumeris dislinCtas flbribUs licrljasj
{'elicesque vdcat pariter sludiique, lociquc
Mnemonida3, quam sic affata csl una sororum :
i 0, nisi lc virlus opcra ad roajora lulissjl.
180 METAMORPUOSES.
enlreprises, vous vous seriez m^iee a nos choeurs. Vous ne vous
trompez pas en donnant k nos occupations et a notre asile des
eloges merites. Notre sort serait prosp^re, sans les inquietudes
qui nous agitent. Mais est-ii un rempart assure contre le crime?
Tout effraye des coeurs de vierges. A mes yeux est toujours present
le barbare Pyrene, et je n'ai pu reprendre encore mes sens. Le
cruel inondait de soldats tbraces les plaines de Daulis et de la
Phocide qu'il tenait injustement sous le joug. Nous allions aux
templesdu Parnasse. 11 nous vit avancer et nous rendit de perfides
hommages : « Filles de Mn^mosyne (car il savaitnotre nom),
« arr6tez-vous, dit-il. Ne craignez pas, je vous en conjure, de
« chercher sous mon toit un abri contre Torage et la pluie
« (il pleuvait en effet). Souvent les dieux enlrerent dans les plus
« modestes demeures. » Enlrainees par ces paroles et par Torage,
nous cedons a ses voeux : nous franchissons le seuil de sonu pa-
lais. La pluie ne tombait plus, TAutan avait fui devant les Aqui-
lons ; le del etait pur et sans nuages. Nous voulons nous eloigner.
Pyrene ferme les portes, et s'appr6te k user de violence. Nous ne
Tevitons qu'en nous elevant sur des ailes. II monte au liaut d'une
In partem ventura chori Tritonia nostri, i70
Vera refers; meritoque probas artesque, locumquc;
Et gratam sortem, tutse modo simus, habemus.
Scd, vetitum est adeo sceleri nihil. Orania tcrrent
Virgineas mentes, dirusque antc ora Pyreneus
Vertitur; et nondum rae tota mente recepi. 27$
Daulia threicio phoceaque milite rura
Ceperat ille ferox, injustaque regna tenebat.
Tcmpla petebamus parnassia. Vidit euntes,
Kostraque fallaci veneratus numina cultu :
« Mncmonides (cognorat enim), consistite, dixit; 280
« Nec dubitale, precor, tecto gravc sidus et imbrem
• (Imber crdt\ vitare meo. Subiorc minores
« Saipe casas Superi. » Dictis et tempore moto}
Annuimusquu viro, primasque intravimus aides.
Desierant imbres, victoque AquiioDibus Austro 285
Fusca repurgalo fugiebant nubila ccelo.
Impclus irc fuil. Claudit sua tecta Pyrcneus,
Vimque parar, quam nos sumptis cffugimus alis.
Ipsc secuturo simiiis stetit arduus arce :
LIVRB V. m
tour, comme pour nous suivre : « Quelle que soit votre route.
« dit-il, ce sera la mienne; » et, dans le transport qui F^are, il
s'^lance du faite de cette tour. II tombe sur la tSte. Son cr&ne
s'entr'ouvre, et, dans sa chute, il baigne la terre de son sang cri-
minel. » La Muse parlait encore, lorsqu'un bruit d'ailes retentit
dans les airs : une voix, qui semblait dire adieu a la deesse, de^
cendit du haut des branches. La fille de Jupiter l^ve les yeux et
cberche d'ou partent les sons distincts qui ont frappe son oreiile.
Elle croit avoir entendu la voix d'un homme : c'etait celle d'un
oiseau. Au nombre de neuf, des pies, deplorant leur destin^e,
s'^taient perchees sur les arbres et imitaient le langage humain.
Minerve s'6tonne, et la Muse poursuit : « Naguere vaincues
dans mi combat, celies que vous entendez ont augmente le nombre
des oiseaux. L'opulent Pierus leur donna le jour dans les champs
de Pella. Elles eurent pour m^re fivippe de Peonie, qui, neuf
fois feconde, invoqua neuf fois le secours de Lucine. Ses filles,
fieres de leur nombre, en con^urent un fol orgueil. A travers les
villes de TH^monie et de rAchale, elles vinrent jusqu'ici nous
provoquer par ces insolentes paroles : « Cessez de seduire un igno-
€ rant vulgaire par vos doux accents. Cest avec nous, si vous
« Quaque via est nobis, erit et mihi, dixit, eadem; » 290
Seque jacit vecors e summse culmine turris,
Et cadit in vultus, discussique ossibus oris
Tundit humum moriens scelerato sanguine tinctam. •
Musa loquebatur : pennse sonuere per auras,
Yoxque salutantum ramis veniebat ab allis. 293
Suspicit, el linguse quaerit, tam certa loquenles,
Unde sonent ; hominemque putat Jove nata locutuui.
Ales erat, numeroque novem, sua fata querentcs,
Institerant ramis imitantes omnia picae.
Miranti sic orsa deae dea : « Nuper el ista 300
Auxerunt volucrem victae cerlamine turbam.
Pieros has genuit pellacis dives in arvis.
Paeonis Evippe nialer fuiu IUa poteutem
Lucinam novies, novies paritura, vocavit.
Intumuit numero stolidarum turba sororum ; 505
Perque tot hajmonias, et per tot achaidas urbe!»
Huc venit, et tali committunt praelia voce :
« Desinite indoctum vana dulcediiie vulgus
c Fallere. Nobiscum, si qua est fiducia vobis,
11
m m£tahorphoses.
« avez quelque assurance, quMl faut vous mesurer, fiUes de Thes-
« pie. Vous ne remportez sur nous ni pour Tart ni pour la voix,
« et nous vous egalons en uombre. Vaincues, vous devrez nous
tf abandonner rflippocrene et FAganippe. Si nous succombons,
« nous vous abandonnerons TEmathie jusqu'aux plaines glacees
« de la P6onie. Les Nymphes seront juges de ce combat. »
Une telle lutte etait honteuse; mais il eut paru plus honteux
de ceder. Les Nymphes choisies pour arbitres jurent par les
fleuves, et se placenl sur des sieges tailles dans le roc. Aussitdt
la Pieride, qui proposa le defl sans consulter le sort, chante la
guerre des dieux, exalte mal a propos la gloire des Geaiits et ra-
baisse celle des habitants de 1-01 ympe. EUe raconte comment Ty-
pho^, enfant de la Terre, fit trembler les hnmortels, qui prirent
tous la fuite jusqu'a ce que, epuises de fatigue, ils s'arr6terent
en figypte sur les bords du Nil. EUe ajoute qu'il les y poursuivit,
et que les dieux alors se cacherent sous des figures d'emprunt.
€ A leur tfite, dit-elle, etait Jupiter, depuis ce temps adore en
Libye, sous le nom d'Anunon auxcornesrecourbees; Apollonse
transforma en corbeau, le fils de Semele en bouc, la sceur de
« Thespiades certate de». Nec yoce, nec arte 510
« Vincemur; totidemque sumus. Vel cedite victae
« Fonle medusipo, et hyanlea Aganippe ;
« Vel nos emathiis ad Paeonas usque nivosos
• Cedemus campis. Dirimant certamina ISymphae. »
Turpe quidem contendere erat ; sed cedere visum ^15
Turpius. Electas jurant per flumina Nymphae,
Factaque de vivo pressere sedilia saxo.
Tunc, sine sorte prior, quae se certare protessa est,
Bella canit Superum; falsoque in honore Gigantas
Ponit, et extenuat inagnorum facta deoruiu, 3120
Emissumque ima de sede Typhoea terr»
Coelitibus fecisse metum; cunclosque dedisse
Tcrga fuga), donec fessos aegyptia tellus
Ceporil, ct septcm discretus in oslia Niius.
Iluc quoque terrigenam venisse Typhoea narral, 325
Et se menlitis Superos ceiasse iiguris :
» Duxque gregis, dixit, iit Jupiter. Unde recurvis
Nunc quoque formalus Libys est cuni cornibus Ammon;
Delius in corvoj proles semeleia capro;
LIYRE V. 483
Phdbus en chatte, la fiUe de Saturne en g^nisse blanche, Y^us
en poisson et Mercure en ibis. » Tels sont les chants qu'ellc fit
entendre en mariant sa voix aux sons de la lyre. « Les Nymphes
nous pressent de commencer. Mais peut-Slre ie temps et lc loisir
¥0U8 manquent pour pr^ter Toreille a nos accords. — Hdtez-
▼ous, ditPallas, de me raconter ie sujet de vos chants; » et eile
8'assied a Tombre d'un riant bocage. La Muse reprend : « Une
seule soutient tout ie poids du combat. » Calliope se i^ve, et, ras-
semblant ses cheveux enlaces de lierre, elle fait vibrer sa lyre
plaintive, et de ses accords elle accompagne ce recit :
a Geres fut ia premiere qui ouvrit la terre avec ie soc de ia
charrue, la premiere qui nous donna le bl^ et des aliments doux;
ce fut elle aussi qui nous apprit les lois. Tout est un bienfait de
Ger^. Je veux chanter ses louanges. Puisse-je faire entendre des
accents dignes d*eUeI car eile est digne de mes chants. La grande
He de Trinacrie couvre les resles d'un Geant, et de son poids
enorme ecrase Typho^e, qui osa aspirer au celeste sejour. il lutte
contre cette masse, et s'eflbrce mille fois de se relever. Mais sa
main droite est placee sous le Pelore, voisin de TAusonie ; sa
Fele soror Phoebi; nivea Saturnia yacca; . 330
Pisce Veuus latuit; Cyllenius ibidis alis. •
Hactenus ad citharam vocalia moverat ora.
« Poscimur Aonides; sed forsitan otia non sunt,
Nec nostris praebere vacat tibi cantibus aurcm.
— Ne dubita vestrumque mihi refer ordine curineu, » 33S
Palbs ait, nemorisque lovi consedit in unibra.
Ijusa refert : « Dedimus summam certaminis uni. »
Surgit, et immissos hedera collecta capillos
Calliope querulas praetentat pollice chordas,
Atque hxc percussis subjungit carmina ncrvis: oiO
« Prima Cei^es unco glebas dimovit aratro;
Prima dedit fruges, alimenlaque mitia terris;
Prima dedit leges : Cereris sumus omnia munus.
IUa canenda mihi est. Utinam modo dicere possem
Carmina digna deas ! certe dea carmine digna est. Zi^
Yasta giganteis injecta est insula membris
Trinacris, et magnis subjectum molibus urget
^therias ausum sperare Typhoea sedcs.
Nititur ille quidem, pugnatque resurgere ssepe;
Deztra sed ausooio manus cst subjecta Peloro; S50
184 MOTAMORPUOSES.
gauche, sous tes pieds, 6 Pachynl et ses janibes sous le Lilybee;
TEtna pese sur sa t^te. Cest par Je sommet de cette montagne
que Typho^e lance des tourbillons de sable, et de sa bouche ter-
rible vomit un torrent de feu. Souvent il tente de soulever le far-
deau, et de secouer les villes et les monts entasses sur son sein.
La terre tremble sous ses efforts. Le roi des enfers craint qu'elle
ne soit dediir^e par une large ouverture, et qu'en penetrant dans
son empire le jour n'epouvante les ombres. La peur dun tel des-
astre lui avait fait quitter son tenebreux palais, et sur son char,
traine par de noirs coursiers, il parcourait d'un oeil attentif les
fondements de la Sicile.
« Apres s'^tre assure que rien ne chancelle, il cesse de craindre.
Tandis qu'il erre de tous c6tes, la deesse qui regne sur TEryx
rapergoit du haut de ce mont. Elle embrasse TAmour et lui dit:
a 0 toi, mon appui, ma force et ma puissance, 6 mon fils ! prends
« ces traits qui domptent les coeurs, et frappe d*une fl6che legere
« le dieu a qui le sort assigna le dernier des trois lots de Fem-
« pire du monde. Tu subjugues les dieux du ciel et Jupiter lui-
« ra^me, les divinites de la mer et le roi qui les tient sous son
Lseva, Pachyne, tibi; Lilybaeo crura premuntur;
Degravat JStna caput, sub qua resupinus arenas
Ejectat, flammamque fero vomit pre Typhoeus.
Sxpe remoiiri luclatur pondera terrse,
Oppidaque, et magnos evolvere corpore montcs. 555
Inde tremit tellus, et rex pavet ipse silentum,
Ke pateat, latoque solum retegatur liiatu,
Immissusque dies trepidantes terreat umbras.
Hanc metuens cladem tenebrosa sede tyrannus
Exierat, curruque atrorum vectus equorum, oCO
Ambibat siculae caulus fundamina terrje,
« Postquam exploratum satis est, loca nulla labure,
Depositique metus, videt hunc Erycina vagantcni
Monte suo residens, nalumque amplexa volucrem :
« Arma, maousque mea;, mea, nate, potentia, dixit, 365
(t Illa quibus superas omncs, cape tela, Cupido,
« Inque dei peclus celeres molire sagittas,
« Gui triplicis cessil fortuna novissima regni.
« Tu Superos, ipsumque Jovem, lu numina pouli
« Victa domas, ipsumque regit qui numina ponti. S70
LIVRE V. 185
« sceplre. Pourquoi renfer nous echappe-t-il? pourquoi ne pas
« Fajouler k ton empire et a celui de ta mere? II s'agit de la
« troisi^me partie du monde. Dans le ciei (voilk le fruit de notre
« patience), d^ja on nous m^prise. La puissance de TAmour et
« la mienne s'afiaiblissent. Ne vois-tu ppint Palias et Diane rebelles
« a mes lois? II en sera de m^me de la fille de Ceres, si nous
« mollissons : elle nourrit celte esperance. 0 mon fils ! si notre
« commun empire me donne quelques droits sur toi» unis la
« deesse a son oncle. » Ainsi parla Yenus. Gupidon ouvre son
carquois. Au gre de sa m^re, parmi les mille fleches qui le gar-
nissent, il choisit la plus ac^ree, la plus si!^re, la plus docile k
Timpulsion de son arc. II le courbe sur son genou, et plonge un
trait dans le coeur de Pluton.
« Non loin des murs d'Enna est un lac profond qu'on appelie
Pergus. Le Gaystre» dans son cours, ne retentit pas du chant de
plus de cygnes. II est couronne d'arbres qui Tenveloppent d'une
ombre epaisse et le rendent impenetrable aux rayons du soleil.
Leur feuillage rdpand une agreable fraicheur. La lerre, toujours
bumide, est emaillee de fleurs brillantes. La r^gne un printemps
< Tartara quid cessanl? Gur non matrisque tuumque
« Imperium profers? Agitur pars tertia mundi.
<^t tamen in coelo (quse jam patienlia noslra est!)
« Spemimur, ac mecum vires teniiantur Amoris.
c Pallada nonne vides, jaculatricemque Dianam 575
« Abscessisse mihi? Cereris quoque filia virgo,
« Si patiamur, erit; nam spes a^ectat easdem.
« At tu, pro socio si qua est mea gratia regno,
« Junge deam patruo. » Dixit Yenus. Ille pharetram
Solvit, et, arbitrio matris, de mille sagittis 380
Unam seposuit, sed qua nec acutior uUa,
Nec minus incerta est, nec qu» magis audiat arcum;
Oppositoque genu curvavit flexile cornu,
Inque cor hamata percussit arundine Ditem.
•t Haud procul cnnxis lacus est a mccnibus altae, 385
Nomine Pergus, aquae. Non illo plura Caystros
Carmina cycnorum labentibus audit in undis.
Silva coronat aquas, cingens latus omne, suisque
Frondibus, ut velo, phoebeos »ubmovet ictus.
Fi^igora dant ram/; tyrios humus humida flores. 29Q
186 M£TAM0RPH0SES.
^emel. Dans ce bocage Proserpine se livre a mille jeux. Elle y
cueille la violette et ie lis ^clatant de blancheur. Eile s^empresse,
comme une ieune flUe, d'en remplir sa corbeille et son sein ; elle
bnile d'en amasser plus que ses compagnes. Un seul instant suffit
h Pluton pour la voir, Faimer et la ravir : tant Tamour est prompt I
La d^esse effray^e appelle d'une voix plainlive sa m^re et ses
compagnes, mais plus souvent sa mere. Elle decliire les longs
plis de sa robe, et ies fleurs qu'elle a cueillies s'en echappenl.
Touchante ing^nuit^ de son Sge! cette perte surtout attriste son
coeur virginal. Le ravisseur pr^dpite son char : il anime ses cour-
siers en les designant par leur nom, et en secouant sur leur cou
et sur leur crini^re leurs sombres r^nes. II franchit les lacs pro-
fonds, ies etangs des Paliques d'ou s'exhale Fodeur du soufre qui
bouiilonne au sein de la terre entr'ouverte, et les champs ou les
Bacchiades, originaires de Corinthe, baign^e par deux mers, as-
sirent une ville sur des ports inegaux.
« Eiitre Gyane et Ar6thuse, sortie de Pise, coule une mer res-
serree dans une gorge en forme de croissant. La r^side Cyane,
qui donna son nom au lac, et iut celebre parmi les Nymplies de
Perpetuum ver est. Quo dum Proserpina luco
Ludit, et aut violas, aut candida lilia carpit,
Dumque puellari studio calathosque sinumque
Implet, et aequales cerlat superare legendo,
Paene simul visa est, dilectaque, raptaque Dili : 595
Usque adeo properatur amor! Dea lerrita moesto
Et matrem, et comites, sed matrem saepius, ore
Glamat; et, ut summa vestem laniarat ab ora,
Gollecti flores tunicis cecidere remissis ;
Tantaque simplicilas puerilibus adfuit annis, 400
Hjbc quoque virgineum movit jactura dolorem.
Raptor agit currus, et nomine quemque vocatos
Exhortatur equos ; quorum per coUa jubasque
Excutit obscura tinctas ferrugine habenas ;
Perque lacus altos, et olentia sulfure ferlur 405
Stagna Palicorum, rupta ferventia terra;
Et qua BacchiadaB, bimari gens orta Corintho,
Inler inaequales posuerunt moenia portus.
« Est medium Cyanes, et pisxae Arethusai,
Quod coit angustis inclusum cornibus ajquor. 410
Hic fuit, a cujus stagnum quoque nomine diclum osr,
Jnler sicelidas Cyane celeberrima Nympha*;,
LIVRE V. 187
Sicile. Elle se montre au-dessus des flots jusqu*k la ceinture et
reconnait le dieu : « Yous n'irez pas plus loin, dit-elie. Vous ne
«pouvez, en depit de G^r^s, devenir son gendre. II failait demander
« Proserpine et non la ravir. S'il m^est permis de comparer le petit
« au grand, moi aussi je fus aim^e d'Anapis. Mais, si je lui donnai ma
« main, je c6dai a sesprieres, et non, comme ce!le-ci, a la peur. »
Elle dit, et, etendant ses bras, elle s'oppose a la marche de PIu-
ton. Le fils de Satume ne peut contenir sa colere. U presse ses
terribles coursiers, et d'un bras vigoureux plonge son sceptre au
fdnd des eaux.. La terre ^branlee lui ouvre un chemin jusqu'au
Tartare, ct re^oit.son char, qui s'engIoutit dans Tabime. Gyane d^
plore Fenl^vement de la deesse et rinjure faite k son onde. EUe
renferme dans son coeur sa douleur inconsolable, fond en larmes
et s'evanouit dans ces m^mes eaux, placees nagu^re sous sa garde
inviolable. Ses membi^es s'amollissent, ses os deviennentflexibles,
et ses ongles perdent leur duret^; les parties les plus souples de
son corps, sescheveuxnoirs, ses doigts, ses jambes, ses pieds, sont
les premi^res qui deviennent liquides ; car, pour ces membres
d^ies, la m^tamorphose en une onde fraiche est rapide. Ensuite
Gurgile quae medio summa tenus exstitit alvo,
Agnovitque deum : Nec longius ibitis, inquit.
< NoD potes inTitae Gereris gener esse. Boganda, 415
« Non rapienda fuit. Quod si compQnere magnis
« Parva mihi fas est, et me dilexit Anapis.
« Eiorata tamen, nec, ut heec, exterrita nupsi. »
Dixit, et, in partes diversas brachia tendens,
Obstitit. Haud ullra tenuit Saturnius iram, 490
Terribilesque hortatus equos, in gurgitis ima
Contortum valido sceptrum regale lacerto
Gondidit. Icta viam tellus in Tartara fecit,
Et pronos currus medio cratere recepit.
At Gyane, raplamque deam, contemplaque fontis 425
Jura sui moerens, inconsolabile vulnus
Mente gerit tacita, lacrymisque absumitur omnis;
Et quarum fuerat magnum modo numen, in illas
Extenuatur aquas. Moliiri membra videres,
Ossa pati flexus, ungues posuisse rigorem. 430
Primaque de tota tenuissima quseque liquescunt,
Gaerulei crines, digitique, et crura, pedesque ;
Nam brevis in gelidas membrisexilibus undas
188 M^TAMORPHOSES.
son dos, ses ^paules, ses ilancs, son sein, se transforment en petits
ruisseaux; enfin le sang s'eclaircit dans ses veines et se change
en eau : ii ne reste plus rien que la main puisse saisir.
« Gependant la mere de Proserpine, inquiete sur le sort de sa
fille, la cherche en vain dans toutes les contr^s de la terre et
jusqu'au sein des flots. Ni Taurore, deployant sa chevelure ver-
roeiile, ni Yespe me Tont vue s'arr6ter. Eile arrae ses mains d'un
tison allum^ dans TEtna, et le porte sans rel^che au milieu des
froides tenebres. Quand le soleil a efTac^ la clarte des etoiles, elle
cberche sa fille, depuis les rdgions ou cet astre se leve jusque dans
les oontr^es ou il se couche. Accablee de fatigue, elle eprouve
une soif brdlante, et aucune source ne s^offre pour Teteindre. En
ce moment elle aper^itune cabane cachee sous le chaume, et
frappe k sa modeste porte. Une vieille sort et voit la deesse, qui
lui demande k boire. Eiie lui offre un doux breuvage, compose
d'eau et de farine s^ch^ au feu. Tandis que G6r^ se desalterait,
un enfant, a Tair dur et insolent, s'arr^ta devant elle, et se prit a
rire en Tappelant gourmande. La deesse en fut offensee. Avant
d'achever ce breuvage, Ger^s jette le reste sur Tenfant qui parlait
Transitus est. Post haec tergumque, humcrique, latusque,
Pectoraque in tenues abeunt evanida rivos. 435
Denique pro vivo Titiatas sanguine venas
Ljfflpha subit, restatque nihil quod prendere possis.
c Interea pavidaa nequicquam lllia matri
Omnibus est terris, omni quaesita proruudo.
iUam non rutilis veniens Aurora capillis 440
Cessantem vidit, non Hesperus. lUa duabus
Flammifera pinus manibus succendit ab iElna,
Perque pruinosas tuUt irrequiefa tenebras.
Rursus, ut alma dies hcbetarat sidera, natam
Solis ad occasum, solis quxrebat ab ortu. 445
Fessa labore sitim coilegerat, oraque nuUi
CbUuerant fontes, quum tectam stramine vidit
Forte casam, parvasqne fores pulsavit. At inde
Prodit anus, divamque videt, lymphamque roganti
Dulce dedit, tosta quod coxerat ante polenta. 450
Dum bibit iUa datum, duri puer oris el audaz
Constilit ante deam, risitque, avidamque vocavit.
OfTensa est, neque adhuc epota parle, loquentem
Cum liqnido mixta perfudit diva polenta.
LIVRE V. 189
ei.core. Soudain sa figure se couvrit de taches ; ses bras firent
place a deux pattes, et une queue termina son corps. Rapetiss^,
pour qu'il ne piit nuire, il n'6tait plus qu un lezard. La vieille,
surprise de cette metamorphose, versa des pleurs et voulut porler
sa main sur lui. Mais il s'enfuit dans un endroit obscur et re^ut
le nom de Stellion, qui convient a la couleur de sa peau parsem^e
d'etoiles.
« II serait trop long de dire quelles terres et quelles mers gar^
courut )a deesse. L'univers manquait a ses redierches. EUe re*
vient en Sicile, et, Texplorant de nouveau, elle arrive aupres de
Cyane. Si cette Nymphe n'avait et^ transformee, elle aurait tout
raconte. Mais elle essaye en vain de parler : elle n'a plus ni bouche,
ni langue, ni aucun moyen de se faire entendre. Elle donne pour-
tant des indices certains en montrant a la deesse la ceinture de sa
fille, qui, tombee par hasard dans l'onde sacree, flolte a sa surface.
Ceres la reconnait aussit6t. Alors, comme si elle apprenait pour
la premiere fois Tenl^vement de Proserpine, elle arrache ses che-
veux ^pars, et se frappe le sein k coups redoubles. Elle ne sait
encore ou est sa fille, et cependant elle se plaint de la terre en-
Combibitos maculas, et, qua modo brachia gessit, -ioo
Cnira gerit; cauda est mutatis addiia membris;
Inque brevem formam, ne sit vis magna nocendi,
Conlrahitur; parvaque minor mensura lacerta est.
Mirantem, flentemque, et tangere monstra parantcm
Fugit anum, latebramque petit; aptumque colori 4G0
Nomen babet, variis stellatus corpora guttis.
« Quas dea per terras, et quas erraverit undas,
Dicere longa mora est: quairenti defuit orbis.
Sicaniam repetit, dumque omnia lustrat eundo,
Venit et ad Cyanen. Ea, ni mutata fuisset, 465
Omnia narrasset; sed et os. et lingua volenti
Dicere non aderant, nec, quo loqueretur, habebat.
Signa tamen manifesta dcdit, notamque parenti,
Illo forte loco delapsam gurgite sacro,
Persephones zonam summis ostendit in undis. .S70
Quam simul aguovit, tanquam tum denique raplnm
Scisset, inornatos laniavit diva capillos,
Et repetita suis percussit pectora palmis.
Nfc srit adhuc, uhi sit, terras tamcn increpatomnes;
\U
190 MfiTAMORPHOSES.
li^re, Taccuse d'ingratilude, et la declare indigne de la fecon-
dile qu^elle lui donne. Elle accuse surtout la Trinacrie, ou elle
trouve la trace de son raalheur. Sa main irrit^e brise les char-
rues qui retournent la terre. Dans son courroux, elle fait ega-
lement perir le laboureur et le boeuf, compagnon de ses Iravaux;
elle defend aux sillons de rendre le grain qui leur fut confie, et
le corromptjusquedanssongerme. La fertilite de ces campagnes,
vanjee dans runivers, s'6puise a Tinstant. Des sa naissance, le ble
expire, tantdt sous les rayons briilants du soleil, tantdt sous des
torrents de pluie. Les astres, les vents, exercent une maligne in-
fluence. Des oiseaux affam^s devorent les grains d^poses dans la
terre. L^ivraie, le chardon et le funeste chiendent etouffent les
moissons.
« En ce moment Ar6thuse leve la t^te au-dessus de ses eaux
qui d'abord ont arros6 Tfilide. Elle ^^carte de son front sa che-
velure humide , et dit : 0 vous qui avez cherche Proserpine ,
« votre fille, dans runivers entier, vous, mere de tous les fruits,
« mettez un terme a vos immenses fatigues, et ne poursuivez pas
« de vos terribles vengeances une contree fid^le. EUe ne les a
« pas meritte : c'est contre son gre qu'elle a livr6 passage au
Ingratasque vocat, nec frugura rauneie dignas, 473
Trinacriam ante alias, in qua vestigia damni
Repperit. Ergo illic sseva vertentia glebas
Fregit aralra manu, parilique irala colonos
Ruricolasque boves lelho dedit, arvaque jussit
Fallere depositum, vitialaque semina fecit. 480
Fertilitas terrae, latum vulgata per orbem,
Cassa jacet. Primis segstes moriuntur in herbis ;
Et raodo sol nimius, nimius modo corripit imber;
Sideraque, ventique nocent, avidaeque volucres
Semina jacta legunt; lolium, tribulique fatiganl 485
Triticeas messes, et inexpugnabile gramen.
« Tum caput eleis Alpheias extulit undis,
Rorantesque comas a fronte removit ad aures,
Atque ait : « 0 toto quaesitsB virginis orbe,
« Et frugura genitrix, immensos sisle labores, 490
« Neve libi fidae violenla irascerc terrac,
« Terra nihil raeniit, paluitque invita rapinie.
LIVRE T. 491
c raTisseur. Si je tous implore, ce n'est point pour ma patrie.
• Ici je suis etrang^re ; ma patrie est Pise. Sortie de l'£lide, j'ai
• trouvS dans la Sicile une hospitalit^ qui me Ta rendue plus
« chere que toute autre contree; et, sous le nom d'Ar6tlmse, j'y
« ai fixe mes p^nates; j'en ai fait mon sejour. Apaisez TOtre co*
c l^re et daignez T^pargner. Je pourrai plus tard yous raconter
« comment je chsmge de demeure, comment, me frayant une
« route sous les mers, j'arrive jusqu'a Ortygie. Mais, avant
« tout, bannissez vos soucis et reprenez votre calme. La terre
if m'o£Fre un cbemin dans ses antres profonds, et, apr^s les avoir
« traverses, je rel^ve ma tSle en ce lieu, ou je revois les aslres qui
« s'^laient d^rob^ a mes regards. En roulant mes eaux dans ces
« r6gions soulerraines, pres des gouffres du Styx, j'ai vu votre fille.
« Eile etait triste, et portait encore dans ses traits rempreinte de
« la frayeur. Mais elle regne ; elle est la souveraine du t^^breux
' « empire, la puissante compagne du dieu des enfers. »
« A ces mots, Geres, immobile comme un marbre, reste long-
temps plongee dans la stupeur. Lorsque le d^lire a fait place a sa
douleur profonde, elieremonte sursonchar, etse dirigeversles
« Nec sum pro patria supplex : huc hospita veni.
c Pisa mibi patria est, et ab Elide diicimus ortum.
« Sicaniam peregrina colo; sed gralior omni 495
« Hsec mihi terra solo est. Hos nunc Arethusa penates,
« Hanc habeo sedem, quam tu, mitissima, serva.
« Mota loco cur sim, tantique per sequoris undas
« Advehar Ortygiam, veniet narratibus hora
« Tempestiva meis, quum tu curisque levata, 500
« Et vullus melioris eris. Mihi pervia tellus
« Praebet iter, subterque imas ablata cavernas
« flic caput altoUo, desuetaque sldera cemo.
« Ergo, dum stygio sub terris gurgile labor,
« Visa tua est oculis illic Proserpina nostris, 50S
< Illa quidem tristis, nec adhuc interrita vultu,
« Sed regina tamen, sed opaci masima mundi,
« Sed tamen inferni pollens matrona tyranni. »
« Mater ad auditas stupuit, ceu saxea voces,
Attonitseque diu similis fuit. Utque dolore 510
Pulsa gravi gravis est amentia, curribus aurat
198 METAMORPHOSES.
deuz. Le visage baign6 de pleurs, les cheveux epars et )e d^s-
espoir dans Vime, elle s'arrSte devant Jupiter : « Cest pour
• mon sang et pour le tien que je viens Timplorer, dit-elle. Si
i la voix d'une mere est impuissante, que ie sort de ma fiUe
« touche son p^re. Je t'en conjure, quoique je lui aie donne le
« jour, ne sois pas indifKrent a son malheur. Apres de longues
« recherches, je Fai enfin retrouvee, si, a tes yeux, c'est la re«
« trouver qu'6tre plus certaine de Tavoir perdue ; si c'est la re-
« trouver que savoir oii elle est. Que ma fille me soit rendue; je
« ne me plaindrai point de son enlevement; car ia fille de Jupiter
« ne doit pas Stre l'^pouse d'un ravisseur, si toutefois ma fille
« a encore quelque droit. » Jupiter lui repond : « Eile est tou-
« jours ie gage de notre tendresse et l'objet de notre sollicilude.
« Mais donnons aux choses leur veritable nom. Cet enlevement
« n'est pas un outrage; il est plut6t Toeuvre de Tamour. Nous
« n'aurons pas a rougir d'un iel gendre, si tu consens a Taccepter,
« 6 deesse! Sans parler de ses autres tilres, quelle prerogative
« d'avoir Jupiter pour fr^re! Que dis-je? rien ne lui manque. Le
« sort seul Ta plac^ au-dessous de moi. Cependant, si tu as vive-
« ment k coeur d'arracher ta fille de ses bras, elle rentrera dans
Exit in aelh/erias. Ibi toto nubila vultu
Anle Jovem passis stetit invidiosa capillis:
« Proque meo supplex venio tibi, Jupiter, inquit.
« Sanguine, proque tuo. Si nuUa est gratia matri:», 515
« Nata patrem moveat; neu sit tibi cura, precamur,
« Yilior illiiis, quod nostro est edita partu.
« En, quaesita diu tandem mihi nata reperta est,
« Si reperire vocas, amittere certius; aut si,
« Scire ubi sit, reperire vocas. Quod rapla, feremus, 520
« Dummodo reddat eam; neque enim praedone marito
« Filia digna tua est, si jam mea filia digna est. »
Jupiter excepit : « Commune est pignus onusque
c Nata mihi tecum. Sed, si modo nomina rebus
« Addere vera placet, non hoc injuria factum, 525
« Vernm amor est. Neque erit nobis gener ille pudori;
« Tu modo, diva, velis. Ut desint caetera, quantum esi
« Esse Jovis fratrem! Quid, quod nec csetera desunt,
« Nec cedit nisi sorte mihi. Sed tanta cupido
« Si tibi discidii est, repetet Proserpina cGelum, 530
LIVRE V. m
f rempire celeste, pourvu qu'aux enfers aucun aliroent n'ait ap*
• proche de ses levres. Tel est i'arr6t des Parques. •
8 11 dit. Ger^s est decid^e a raroener sa fille de i'empire de PIu-
ton; mais les Destins s'y opposent. Proserpine avait enfreint la
loi qui lui interdisait totile nourriture. En parcourant les jardins
du Tartare, elle avait innocemment cueilli une grenade sur un
arbre charge de fruits, et mange sept graines tirees de sa pSIe
ecorce. Ascalaphe seul en avait ete t^moin. Celebre parmi les
Nympbes de 1'Aveme, Orpbne, aimee de i'Acheron, lui donna,
dit-on, le jour dans une grolte sombre. II avait vu Proserpine,
et, par une cruelle revelation, il empScha son retour. La reine
de l'Erebe indign^ changea le delateur en biseau sinistre, arrosn
son frontde Teau du Phlegethon, et lui donna un bec, des plumes,
et de grands yeux. Depouille de sa premi^re forme, il se couvrit
d'ailes fauves. Sa t6te grossit, ses ongles s'allong6rent et prirent
une forme recourbee. A peii\e agite-t-il les ailes paresseuses qui
remplacent ses bras. II n'est plus qu'un oiseau hideux, proph^te
de malheuf, un triste hibou, messager de funestes pr^sages.
« Du moins Ascalaphe peut paraitre avoir merile un pareil cliA-
• Lege tamen certa, si nullos contigit illic
• Ore cibos; nam sic Parcarum fGedere caulum est. »
« Dixerat. At Cereri certum est educere natam.
Non ita fata sinunt, quoniam jejunia virgo
SoWerat, et cullis dum siraplex errat in hortis, 555
Puniceum curva decerpserat arbore pomum,
Sumplaque pallenti seplem de cortice grana
Presserat ore suo. Solusque ex omnibus illud
Viderat Ascalaphus, quem quopdam dicitur Orphne
Inter avernales haud ignotissima Nymphas, •i40
Ex Acheronle suo furvis peperisse sub antris.
Vidit, et indicio reditum crudelis ademit.
Ingemuit regina Erebi, testemque profanam
Fecit avem, sparsumque caput phlegelbontide lymplia
rosirum, et plumas, ct grandia lumina vertit. 545
iUe sibi ablatus fulvis amicitur ab alis;
Inque caput crescit, longosque reflectilur ungues,
Vixque movet natas per inertia brachia pennas;
Fcedaque fit volucris, venturi nuntia luctus,
Ignavus bubo, dirum morlalibus omen. 550
« Ilic tamon indicio pocnum, linguaque videri
194 METAHORPIIOSES.
timentparsesrevelations indiscretes. Maisvous, filles d'Achelous,
pourquoi ces ailes et ces pieds d'oiseaux avec vos traits de vierges?
Serait-ce parce qu'au moment ou Proserpine cueillait les fleurs du
printemps vous formiez son cortege, 6 Sirenesl Vous Taviez en
vain cherchee sur toule la terre. La mer devait 6tre aussi temoin
de votre soUicitude, et vous desir&tes pouvoir traverser les flots,
soutenues par des ailes comme par des rames. Les dieux vous
exaucerent. Vous vites soudain votre corps se couvrir de plumes;
et, pour que votre chant, fait pour charmer les oreilles, ainsi que
votre eloquence ne fussent point perdus, vous conservates vos
traits de vierges et la voix humaine.
« Arbitre entre son frere et sa soeur infortun^e, Jupiter divisa
Tannee en deux portions egales, et ordonna que Proserpine, tour
a tour divinite dans deux empires, passerait six mois aupres de
sa mere et six autres aupres de son epoux. Tout a coup un chan-
gement s'opere dans l'^me et sur les traits de Ceres. Naguere son
front pouvait paraitre triste, meme a Pluton. Des ce moment, la
joie repanouit. Tel le soleii, d'abord couvert d'un epais nuage,
6e montre radicux, quand il est degage du voile qui renveloppait.
Commeruisse potest. Vobis, Acheloides, unde
Pluma pedesque avium, quum virginis ora geratis?
An quia, quum legeret vernos Proserpiiia flores,
In comitum numero mixUe, Sirenes, eratis? 5fiJi
Quam postquam toto frustra quassistis in orbe,
Protinus ut vestram scntirent aequora curam,
Posse super fluctus alarum insistere remis
Optastis ; faciiesque deos habuistis, et artus
Viditilis vestros subitis flavcscere pennis. 5C0
^ie tamen ille canor, mulcendas natus ad aures,
Tantaque dos oris linguae deperderet usum,
Virginei vultus, et vox bumana remansit.
« At medius fratrisque sui mffistaeque sororis
Jupiter ex sequo volventem dividit annum. 565
Munc dea, regnorum numcn commune duorum,
Cum matre est totidem, totidem cum conjuge mcnses.
Vertitur extemplo facies, et mentis, et oris.
Nam, modo quas poterat Dili quoque moesta videri,
La^ta desn frons est, ut sol, qui tectus aquosis 570
Nubibus ante fuit, victis ubi nubibus exil.
LTVRE V. m
fl La bienfaisante C^res, aprSs avoir retrouv^ sa iille sans
crainte de la perdre une seconde fois, veut savoir, Ar6thuse, quel
est le motif de ton voyage, et pourquoi tu es une source sacree.
Ses ondes se taisent. La Naiade leve sa tdle au-dessus des flots.
De sa main elle essuie ses cheveux d'azur, et raconte les anciennes
amours d'Alphee : « Je fus une des Nyniphes qui hahitent TA-
« chaie, dit-elle. Aucune autre ne montra plus d'ardeur pour chas-
< ser dans les bois, ni pourtendre les filets. Jamais je n'ambi*
« tionnai la gloire de la beaule ; je n'aspirais qu'^ celle du cou-
« rage. Gependant je passais pour belle ; mais je n'aimais point
« les louanges prodiguees a mes allraits; et, tandis que les autres
« Nymplies s'enorgueillissaient de leurs charmes, dans ma simpli-
« cite, je rougissais des miens : plaire etait un crime a mes yeux.
< Excedee de fatigue, je revenais, il m*en souvient, de la for^t
« de Stymphale. La chaleur etait extrtoe, et ma lassitude la ren-
< dait plus accablante encore. Je renconti^ai un ruisseau qui rou-
< lait lentement et sans murmure. II etait si transparent jusqu'au
« fond de son lit, que, dans son imperceptible cours, on pouvait
« y compter les cailloux disperses sur le sable. Des saules et des
a peupliers, humectes de ses eaux, r^pandaient sur la rive inclin^
c Exigit alma Ceres, nata secura recepla,
QuiB tibi causa vise? cur sis, Arethusa, sacer fons?
Conticuere undae. Quarum dea sustulit alto
Fonte caput, viridesque manu sicc.ata capillos * 575
Fluminis elei veteres narravit amores :
« Pars ego Nympharum, quae sunt in Achaide, dixit,
« Una fui; nec me studiosius altera saltus
« Lcgit, nec posuit sludiosius altera casses.
(t Sed, quamvis formis nunquam mihi fama petita est, 1^0
« Quamvis fortis eram, formosaB nomen habebam.
« Nec mea me facies nimium laudata juvabat;
•r Quaque alisB gaudere solent, ego rustlca dote
« Gorporis erubui, crimenque placere putavi.
« Lassa revertebar, mcmini, stymphalide silva. !>85 '
« ^stus erat, magnumque labor geminaverat aestum.
4 Invenio sine vortice aquas, sine murmure euntes,
« Perspicuas imo, per quas numerabilis alte
« Calculus omnis erat; quas tu vix ire putares.
« Cana salicta dabant, nutritaque populus unda, bJO
« Sponte sua natas ripis declivibus umbras.
19« MtTAMORPHOSES.
< un ombrage naturel. J'approchai, et d'abord je mouillai dans
« Tonde la planle de mes pieds. Ensuiie je me baignai jusqu'au
« genou. Cetait trop peu : je d6tachai mes I^ers vfelements, je
« les suspendis aux saules flexibles, et je me plongeai nue au
« sein de Teau. Je la frappai de mes mains, je la divisai de mille
« fagons en me jouant, et j'agitai mes bras dans tous les sens.
« J'entendis sortir du ruisseau je ne sais quel bruit. Saisie d'ef-
« froi, je m'arr6tai pres du bord voisin : Oufuis-tu,Arethuse? me
« dit Alph^e du milieu de ses eaux; ou fuis-tu? repete sa voix
« sourde. Je m'echappai sans vStements : ils etaient sur la rive
« opposee. II me poursuit et br6le davantage. L'elat ou il m'a
« surprise lui paraft propice h ses desirs. PIus je me hdte, plus,
« dans son d^Iire, il me presse vivemenl. Ainsi la colombe, d'une
« aile tremblante, fuit T^pervier; ainsi Tepervier serre de pres la
« colombe tremblante. Mes forces me suffisaient encore pour pe-
« n^trer jusqu'aux murs d'Orchom^ne et de Psophis. Je franchis
« le Cyllene, les vallons du Menale, le frais firymanthe, et j'ar-
« rivai dans TEIIide. Alphee n'^tait pas plus agile que moi ; mais je
« ne pouvais longtemps soutenir ma course fugitive : mes forces
« s'epuisaienty tandis que mon amant etait accoutume h de lon*
« Accessi primuraque pedis vestigia tinxi ;
« Poplite deindo tenus. Neque eo contenta, recingor,
« MoUiaque impono salid velamina curvae,
« Nudaque mergor aquis. Quas dum ferioque trahoquo tiOo
« Blille modis labens, excussaque brachia jacto,
« Nescio quod medio sensi sub gurgile murraur,
« Territaque insisto propioris margine ripae.
« Quo properas, Arethusa? suis Alpheus ab undis,
« Quo properas? iterum rauco mihi dixerat ore. GOO
« Sicut eram, fugio sine vestibus. Altera vestcs
« Ripa meas habuit. Tanto magis instat ct ardel;
« Et quia nuda fui, sum visa paratior illi.
« Sic ego currebam, sic me ferus ille premebat,
* « Ut fugere accipitrem penna trepidante columbae, 603
« Ut solet accipiter trepidas agilare columbas.
« Usque sub Orchomenon, Psophidaque, Cyllenenque,
« Msenaliosque sinus, gelidumque Erimanthon, et Elin
« Gurrere sustinui. Nec me velocior ille;
« Sed tolerare diu cursus ego, viribus impar, ClO
« Non poteram^ longi paUfHs erat ille laboris.
LIVRE V. 197
« guas fatigues. Cependant je courus a travers des plaines, des
« montagnescouronnees de forfets, despierres, des rochers et des
« lieux sans chemin.
« Le soleil 6tait derriere moi. Je vis une grande ombre pre-
« c^er mes pas. Peut-6tre etait-ce une illusiori n6e de la peur;
« mais certainement j'entendis avec effroi la marche bruyante
« d'AIphee, et je sentis le souffle imp^tueux de sa bouche sur la
« bandelette qui nouait mes cheveux. Harass^ de fatigue, je
« m'ecriai : Dictynne, je suis surprise. Vole au secours de la
« Nymphe chargee de porter tes armes, celle a qui tu confias sou-
« vent ton arc, tes fleches et ton carquois. » La deesse, touchee
« de ma pri^re, jette sur moi un des nuages dont elle ^tait char-
« gee. A peine en suis-je enveloppee, que le fleuve me cherche
« dans ses flancs cavemeux. Deux fois, sans le savoir, il tourne
« autour de moi; deux fois il ra^appelle ; Ar^thuse, Ar^lhuse!
« Quels sentiments s'eleverent alors dans mon kme troublee! Je
« fus comme la brebis qui, au fond de son ^table, entend les
« loups fremir; ou comme le li^vre qui, blotlisous un buisson,
« voit ia meute ennemie sans oser faire le plus leger mouvement.
« Alphee pe s'eloigne pas encore, parce qu'ii n^apergoit au dela
c Per tamen et campos, per operlos arbore montes,
« Saxa quoque et rupes, et qua via nllla, cucurri.
« Sol erat a tergo. Vidi praecedere longam
« Ante pedes umbram, nisi si timor illa videbat; Cl^
« Sed certe sonituque pedum terrehar, et ingens
« Crinales vittas afDabat anhelitus oris.
« Fessa labore fugae: « Fer opem, deprendimur, inquam
« Armigerae, Dictynna, tuae, cui saipe dedisti
« Ferre tuos arcus, inclusaque tela pharetra. » 629
« Mota dea est, spissisque ferens e nubibus unam
« Me super injecit. Lustrat caligine tectam
« Amnis, et ignarus circum cava nubiia quserit,
« Bisque locum, quo me dea texcrat, inscius ambit,
« Et bis, lo Arethusa, lo Aretbusa, vocavit. 625
« Quid mihi tunc animi miser» fuit? Anne quod agn» cst,
« Si qua lupos audit circum stabula alta frementes?
« Aut lepori, qui vepre latens hoslilia cernit
« Ora canuro, nullosque audet dare corpore motus?
<t Non tamen abscedit, neque enim vestigia cemit 630
198 METAMORPHOSES.
« de ce lieu aucune trace de mes pas. Ses regards se fixent sur le
« nuage ou je suis cachee. Je me sens inondee d'une froide sueur,
« et des gouttes limpides decoulent de mon corps. Partout Teau
< jaillit sous mes pieds; elle tombe de mes cheveux, et je suis
« changee en fontaine plus vite eneore que je ne vous raconte
« cette metamorphose. Le fleuve reconnait dans l'onde son amante
« adoree. 11 depouille la forme humaine dont il s'etait rev^tu, et
«c reprend sa forme liquide pour s'unir a moi. Diane ouvre la
« terre. Plong6e dans ses antres obscurs, je roule jusqu'a Ortygie ;
« et, dans cette ile qui me plait, puisqu'elle. porte le nom de ma
« bienfaitrice, je reparais enfm a la clarte des cieux. p
« Ainsi parle Arethuse. La deesse des guerets attelle a son char
deux dragons, leur impose le frein, et s'elance entre la terre et
le ciel. Le char leger descend dans la ville de Pallas. Ceres le
confie a Triptoleme, et lui remet des semences, en lui ordon-
nant d'en jeter une partie dans des terres incultes, et le reste
dans celles qui seront de nouveau cuitivees apres un long ref^os.
Bientdt le jeune Triptoleme a franchi dans les plaines etherees
FEurope et TAsie. II s'arr6te sur les frontieres de la Scythie.
La r^nait Lyncus. II se rend au palais de ce prince, qui lui
« Longius ire pedum. Servat nubemque locumque.
« Occupat obsessos su(k)r mihi frigidus artus,
« Caeruleseque cadunt toto de corpore guttai ;
« Quaque pedem movi, manat lacus; eque capillis
« Ros cjjdit, et citius, quam nunc libi facta renarro, 633
« In laticem mutor. Sed enim cognoscit amatas
« Amnis aquas; positoquo viri, quod sumpscrat, ore,
« Verlitur in proprias, ut sc mihi misceat, undaji.
« Delia rumpit humum. Csecis ego mcrsa cavernis
« Advehor Ortygiam. QuaB me cognomine divaB , GIO
« Grata mea) superas eduxit prima sub auras. »
« Hac Arethusa tenus. Geminos dea fertilis angues
Curribus admovit, frenisque coercuit ora,
Et roedium coeli terrseque per aera vecta est ;
Atque levem currum tritonida misit in arcem 64"»
Triptolemo; partimque rudi daUsemina jussit
Spargere humo, partim post tempora longa recuUac.
Jam super Europen sublimis et Asida terras
Vectus erat juvenis. Scythic^s advertitur oras.
Rex ibi Lyncus erat. Regis subit iJle penates. 650
UYRE Y. 199
demande d^oii il vient, d'ou il est, quel est son nom et le but de
son Toyage. « Ma patrie, dlt-il, est la c^lebre Alh^nes. Je m^ap*-
« pelle Triptol^me. Pour me rendre en ces lieux, je n*ai travers6
« ni la mer sur un vaisseau, ni la terre a pied : je suis venu par
« la route de Tair. Je \ous apporte les presents de G^r^. Ke-
« pandus dans de vastes champs, ils produiront d'abondantes
« moissons et de doux aliments. » Le barbare Lyncus, jaloux d'6tre
hii-m^me l'aiiteur d'un si grand bienfait, offre a Triptol^me Thos-
pitalite; et, d^s que son h6te est appesanti par le sommeil, il
s'appr6te a Fegorger. Mais, au moment ou il allait lui percer le
sein, Cer6s le changeaen lynx, et ordonna au jeune Athenien de
lancer de nouveau ses coursiers sacres dans les airs.
tf La Muse la plus Sgee d'entre nous avait fini ses doctes chants.
Les Nymphes, d'une voix unanime, decernent la palme aux d^it^s
qui habitent l^H^licon. Nos rivales vaincues se vengent par des
injures. « C*est donc trop peu, leur dit Calhope, d'avoir merite
« votre ch&timent en vousmesurant avec moi! A cette faute vous
c ajoutez Toutrage. Ma patience est a bout. Je saurai vous punir
« et satisfaire mon ressenliment. » Les filles de Ffimathie sou-
rient et meprisent ces menaces. Elles s^efforcent de parlor et
Qua veniat, causamque viae, nomenque rogatus,
Et patriam : « Patria est clarae mihi, dixit, Athense;
« Triptolemus nomen. Veni nec puppe per undas,
« Nec pede per terras : patuit mihi pervius a;lher.
« Dona fero Cereris, latos quse sparsa per agros 6ii5
« Frugiferas messes, alimentaque mitia reddant. »
Barbarus invidit ; tantique ut muncris auctor
Ipse sit, hospitio redpit, somnoquc gravatum
Aggredilur ferro. Conantem figcrc pcctus
Lynca Ceres fecit, rursusquo per aera niisit 660
Mopsopium juveoem sacros agitarc jugalcs.
« Finierat doclos e nobis maxima cantus.
At Nymphai vicisse deas, Helicona colentes,
Concordi dixerc sono. Conviciu victa;
Quum jacerent : « Quoniam, dixit, certamine vobis 665
« Supplicium meruisse parum est, malediclaque culpae
« Addilis, et non est patientia libera nobis,
« Ibimus in poenas, et quo vocat ira, sequemur. »
Hidcnt Emathides, spcrnuntque minacia verba ;
Conalaeque loqui, et magno clamore prolervas 670
300 H^TAMORPHOSES.
de lever sur nous leurs insolentes mains en poussant de grands
cris. Hais elles voient des plumes se faire jour a travers leurs
ongles, et leurs bras se munir d'ailes. Elles voient, Time apr^s
Tautrei leur bouche se changer en un bec dur. EUes deviennent
des oiseaux d'une nouvelle espece qui vont peupler les for^ts.
EUes veulent frapper leur sein; mais leurs bras, en s'agitant, les
scml^vent et les tiennent suspendues dans les airs. M^tamor-
phos^es en pies, elles remplissent les bois de leur bavardage. Sous
cette forme, elles conservent leur ancien caquet, un babil rauque
et une incurable d^mangeaison de parler. »
Intentare manus, pennas exire per ungues
Aspexere suqs, operid brachia plumis ;
Alteraque alterius rigido concrescere roslro
Ora videt, volucresque novas accedere silvis.
Dnmque volunt plangi, per brachia mota levat», C75
Aere pendcbant, nemonim convicia, picae.
Nnnc quoque in alitibu« facundia prisca reraansil,
Raucaque garrulitas, studiumque immane loqucndi. t
LIVRE SIXIEME
ARACnNB UETAirORPHOSiE EN ABAIGNEE.
I. Pallas avait prete une oreille attenlive a ce recit : elle avait
applaudi aux chants des filles d'Aonie et a leur juste courroux.
«t Cest peu de louer, se dit-elle. Meritons d'^tre louees a notre
lour, et ne laissons point sans vengeance Toutrage fait a notre
divinitc. » Des ce raoment elle ne songe qu'a perdre la jeune Meo-
nienne qui rivalisait, disait-on, avec elle dans Tart de travailler la
laine. Arachne ne devait sa cel^brite ni au lieu de sa naissance, ni
a sa famille, mais a son talent. Son pere, Idmon de Golophon,
gagnait sa vie en teignant la laine de la pourpre de Phoc^e. EUe
avait perdu sa mere, qui, sortie des rangs du peuple, etait aussi
obscure que son epoux. Malgre son humble naissance, par son
industrie Arachne avait acquis de la renommee dans les viHes de
LIBER SEXTUS
ARACHNE IN ARANEAM MUTATA.
I. PrsBbucrat dictis Tritonia talibus aurem,
Curminaque Aonidum, justamque probaverat iram.
Tum secuni : « Laudare parura est ; laudemur et ipsse,
Numina nec sperni sine poena nostra sinamus. »
Maeonixquc animum fatis intendit Arachnes. •
Quam sibi laniGcx non ccdere laudibus artis
Audier.il. Non illa loco, nec origine gentis
Clara, «c;l arte, fuit. Pater huic colophonius Idmon,
Phocaico bibulas tingebat rourice lanas.
Occiderat mater; sed ePhKC de plebe, suoquu 10
.€qua viro fuerat. Lydias tamen illa per urbes
Quaesierat studio nomen mcmorabile, quamvis
m METAMORPUOSES.
la Lydie, et habitait le modeste bourg d'Hypepes. Pour voir ses
merveilleux ouvrages, souvent les Nymphes du Tmolus abandon-
haient leurs coteaux couronnes de \ ignes ; souvent aussi les Nym-
phes du Pactole quittaient leurs eaux. Elles aimaient a considerer
ses tissus, nou-^eulement quand ils etaient achev^, mais lors
mSme qu^elle y travaillait : tant elle y mettait de grdce! Soit
qu^elle arrondit la laine en pelotons, soit qu'en entrela^ant les
fils avec art, elle format une toile aussi moelleuse que la nue, soit
qu'elle fit toumer son rapide fuseau entre ses doigts legers, soit
enfin qu'elle brodM a raiguille, on Teiit prise pour Televe de Pallas.
Gependant elie repoussait ce titre comme un outrage. « Qu'eile
entre lice avec moi, dit-elle. Yaincue, je me soumetlrai a tout. »
Minerve prend les traits d'une vieille, couvre son front de faux
cheveux blancs, et courbe son corps debile sur un b^ton. Puis
elle adresse ces mots a sa rivale : « La vieillesse est loin de n'ap-
porter que des maux. L'experience est le fruit tardif de Tage.
Ne dedaignez pas mes avis. Aspirez a la gloire de surpasser tous
les mortels dans votre art ; mais cedez a une deesse. Implorez
d'une Yoix suppliante le pardon de vos imprudents blasphemes.
Oirta domo panra, patvis habitabat Hypaepis.
Hujus ut aspicercnt opus admirabile, saepe
Deseruere sui Nymphai vineta Tymoli; ity
Deseruere suas NjrmphaB pactolides undas.
Nec faclas solum vestes spectare juvabat;
tum quoque, quum fierent: lantus decor adfiiil arti!
Sive rudem pHmos lanam glomerabat in orbcs,
Seu digitis subigebat opus, repetilaque lougo iO
Vellera mollibat nebulas aequantia tractu,
Sive levi teretem vetsabat pollice fusUm,
Seu pingebat acu, scires a Pallade docldni.
Quod tameu ipsa negat; tantaque offensa magistrU:
« Certet, ait, mecum. Kihil est, quod victa recusem. » S5
Palias anum simulat, falsosque in tempora canos
Addit, ct infirmos bacuio^quoquc sustinct arius.
Tum sic orsa loqui : « Non omnia grandior Tclas,
Quac fugiamus, hubet. Seris venit usus ah aunis.
Consilium nc sperne meum. Tibi fama pcialur 30
Intcr raortales faciendae maxinia lanx.
Cwic de», veniamque luis lemeraria dictis
LIVRE VI. 205
Desarmd^ par vos prieres, elle vous raccordera. » Aradine lui
lance un regard farouche, quitte sa toile, et peut a peine con-
tenir son geste. La colere eclate dans ses traits. Elle replique ainsi
a la deesse, sans la reconnaitre : « Insensee ! ton grand dge
t'egare. On ne gagne rien a vivre trop longtemps. Va compter ces
somettes a ta bru ou a ta fille, si tu en as. J'ai assez de sagesse.
N'attends rien de tes conseils : jene changerai point. Pourquoi ne
vient-elle pas elle-meme? pourquoi fuit-elle le combal? — La
voici! » s'ecrie la deesse; et, a ces mots, depouillant ses Iraits de
vieille, Pallas se montre dans tout son eclat. Les Nymphes et ies
femmes de Lydie se prostement. Aracline seule n'est point emue.
Eile eprouve neanmoins une impression de respect, et, malgre
elle, ses joues se couvrent d'une soudaine rougeur qui s'evanouit
a rinstant. Ainsi le ciel s'empourpre au lever de Taurore, et blan-
chit bient6t aux rayons du soleil. Arachne persiste. Sa folle am-
bition l'entraine a sa perte ; car la fille de Jupiter accepte )e deti.
Eile renonce aux conseils et commence la lutte.
Au mSme instant» chacune a part etend ses tlls delies sur un
Supplice voce roga i vebiam dabit illa loganti. »
Aspicit hauc tofvis, inceplaque fila relinquil,
Vixque manum retinens, confessaque vultibus iiam, 3B
Talibus ol)scuram resecuta est Pallada diclis :
« Mentis inops, lougaque venis confecia sencctrt,
Kt nimium vixisse diu nocet. Audiat istas,
Si qua tibi nurus est, si qua est tibi filiu, voces.
Consilii satis est iu me niihi. IVeve monemio 4()
Profecisse putes : cadcm sentcntia nobis.
Cur non ipsa venit? cur baec certamina vilal?»
Tum dea : « Ycnit, » ait ; formamque removit aiiilcm,
Palladaque exhibuit. Yenerantur numina Nympha^',
Mygdonidcsque iiurus. Sola est non territa virgo; ii»
Sed tamen erubuit, subitusque invita notavit
Ora rubor, rursusquc evanuit, ut solet aer
Purpureus fieri, quum primum aurora movetur,
Et l)revc post tcmuus candcscerc solis ab ortu.
Pcrslal iii incepto, slolidaequc cupidine palmx 50
In sua fata ruit. Meque cnim Jove nata recusal,
Kec monct ultcrius, ncc jam certamina differl.
llaud mora, consistunt diversis partibus amkc,
204 m£TAMORPHOSES.
metier soutenu par deux traverses. Leurs agiles navettes courent
a travers la toile que travaillent leurs doigts, et dont le peigne
resserre la trame. La robe repli^e autour de leur sein, toutes deux
s'empressent et font mouvoir leurs mains savantes : le desir de
vaincre ^loigne la fatigue. La laine teinte de la pourpre tyrienne
forme le fond avec de I6g6res nuances. Tels, r^flechis par un nuage,
les rayons du soleil decrivent dans le ciel un arc immense, bril-
lant de mille couleurs vari6es. Mais le passage de Fune a Fautre
est imperceptible : tant les nuances se rapprocheut sans se con-
fondre ! Toute la toile est parfilee d'or, et reproduit une ancienne
iiistoire.
Minerve brode la colline consacree a Mars pres de la ville de
Cecrops, et le debat auquel donna lieu jadis le nom de la contree.
Les douze grands dieux, plates autour de Jupiter sur des sieges ♦
eleves, brillent d^une majeste auguste. Les traits de chaque Im-
mortel le font aisement reconnaitre. Dans Timage de Jupiter, tout
respire la grandeur royale. Debout, le roi des mers frappe de son
redoutable trident un roc escarp^.. De son flanc entr'ouvert il
Et gracili gemiDas intendunt stamine telas.
Tela jugo vincla est; stamen secernit arundo. 55
Inseritur medium radiis subtemen acutis,
Quod digiti expediunt, atque inter stamina ductum
Percusso feriunt insecti pectine dentes.
Ulraquc festinant, cinctasque ad pectora vestes,
Brachia docta movent, studio fallente laborem. HO
Illic et tyrium quae purpura sensit ahenum,
Texitur, et tenues parvi discriminis umbrse,
Qualis ab imbre solet percussus solibus arcus
Inficere ingenti longum curvaminc coelum,
In quo diversi niteant quum mille colores, 65
Transitus ipse tamen spectantia lumina fallit.
Usque adeo quod tangitidem est! tamen ultima dislunt.
lllic et lentum filis immittitur aurum,
f.1 vetus in tela deducitur argumentum.
Cecropia Pallas scopulum Mavortis in arce 70
Pingit, et antiquam de terrae nomine litem.
Bis sex ccelestes, medio Jove, sedibus altis
Augusta gravitate scdent. Sua quemque deorum
Inscribit facies. Jovis est regalis imago.
Slare deum pelagi, longoque ferire tridento "5
Aspera saxa fucil, medioque e yulnere saxi
LIYRE Yl. 206
fait jaillir un coursier pour placer la coutree sous sa protectiou.
Pallas se represente avec un bouclier et une lance aigue. Elle couyre
son front d'un casque, et anne sa poitrine de l'egide. EUe peint
la terre frappee de sa lance, et produisant le pdle olivier charge
de fruits. Les dieux sont dans l'admiration. La victoire de la deesse
couronne son ouvrage. Cependant, pour que des exemples ap-
prannent a sa rivale quel prix elle doit attendre de son incroyable
audace, sur quatre points de son tissu elle trace quatre combats
remarquables par la \ivacite du coloris et 1'exiguit^ des figures.
Dans un angle, c'est Hemus et son dpouse, Rligdope de Thrace,
aujourd'hui montagnes couronnees de frimas, autrefois mortels
orgueilleux, qui s'arrogerent les noms des plus puissantes divi-
nites. Dans un autre, c'est la triste destinee de la mere des Pyg-
mees. Juuon la vainquit, et, apres Tavoir cbangee en grue, elle
lui ordonna de faire la guerre a ses sujets. Au troisieme angle fi-
gure Antigone, qui osa se mesurer avec Tepouse du grand Jupiter.
La reine des dieux la metamorphosa eu oiseau. La gloire d'Uion,
sa patrie, et de Laomedon, son pere, ne put la sauver. Ghangee
en cigogne eclatante de blancheur, elle s^applaudit encore avec
Exsiluisse ferum, (pjo pignorc vindicet urbcui.
At sibi dat clypeum, dal acutac cuspidis hastani;
Dat galeam capiti; defcndilur spgide pectus«
Percussamque sua simulat de cuspide terrara 80
Prodere cuin baccis foctum cauenlis olivic,
Mirarique deos : operi vicloria finis.
Ul tamen exemplis intelligat aemula laudis,
Quod pretium sperel pro tam furialibus ausis,
Qualluor ^n partes certamina quattuor addit ^'^
Clara colore suo, brevibus distincta sigillis.
Threiciam Rhodopen habct angulus unus, ct Ihciiioii,
Nunc gelidos montes, mortalia coi-pora quondani,
Nomina summorum sibi qui tribuerc deoruin.
Altera pygm;ea3 fatum miserabile malris 90
Pars habet. Hanc Juno victam certamine jussit
E>se gruem, populisque suis indicere belluni.
Pingit et Antigonen, ausam contendere quondam
Cum magni consorte Jovis. Quam regia Juno
Jn volucrem vertit. Kcc profuit llion illi, C^
Laomedonve pater, sumptis quin candida pcnnis
Ipsa sibi plaudat crcpitante ciconia rostro.
206 METAMORPHOSES.
bruit. Ginyras, prive de sa famille, remplit le demier coin dutissu.
II embrasse les marches du temple, formees des membres de ses
filles, et, etendu sur la pierre, il semble verser des pleurs. Le pa-
cifique olivier borde le tableau. Tel en est le plan. La deesse le
termine par Tarbre qui lui est consacre.
La jeune Meonienne peint Euroj)e trompee par Fimage d*un tau-
reau. On croirait que Tanimal est vivant et la mer v6ritable. La prin-
cesse parait lourner ses regards vers la tcrre qu'elle vient de quitter,
appeler ses compagnes, craindre Fatteinte des flotsqui rejaillissent
vers elle, et retirer ses pieds timides. Arachn^ represente aussi
Asterie dans les serres d'un aigle vainqueur, Leda reposant sous
les ailes d'un cygne, Jupiter cache sous la forme d'un Satyre pour
rendre mere de deux enfants la belie Antiope, ou sous celle d'Am-
phitryon, pour te seduire, Alcmene. Elle le peint change en pluie
d'or pour tromper Danae; en feu pour gagner la fiUe d*Asopus;
en berger pour Iriompher de Mn^mosyne, ou en serpent pour ravir
Proserpine. La, Neptune, sous les trails d'un taureau menagant, tu
presses de tes flancs la jeune Eolienne ; tu deviens Tfinipee pour
donner le jour aux Aloides, et belier pour seduire la fiUe de Bi-»
Qui superest solus CVifiran habel angulus orbunii
Isque gradus templi, nalarum membra suaruni^
Amplectens, saxoque jacens, lacrymare videlur. H)0
Circuit e&tremas oleis pacalibus oras.
Is modus est, dporique sua facit arbote iincmi
HaBonis elusam designat iniaginc tuuri ^
turopen* Verum taurum, ft-ela vera pularc?.
Ipsa videbatur terras spectare relictas, lO^
fet comites clamare suas, tactumque vereri
Assilienlis aquae, timidasque reducere plunla^.
Fecit et Asterien aquila luctante tcneri ;
Fecit olorinis Ledam recubare sub alis.
Addidit, ut Satyri celatus imagine pulchram 1 10
Jupiter implerit gemino Nycteida fcetu ;
Amphitryon fuerit, quum te, Tirynthia, cepit;
Aureus utDanaen; Asopida luserit igneus;
llnemosynen pastor; varius Deoida serpens.
Te quoque mutatum torvo, Neptune, juvcuco 115
Virgine in seolia posuit. Tu visus Enipeus
Gignis Aloidas; aries Bisaltida fallis:
LIYRE YI. 207
saltus. Sous la figure d'un coursier tu fais sentir tes ardeurs a
la bienfaisante m^re des moissons, a la blonde G6res ; sous la forme
d'un oiseau, tu les fais partager a la mere du coursier aile, a M^
duse, dont la t^te est heriss^e de vip^res, et a M^Ianthe sous celle
d'un dauphin. Arachne donne a tous les personnages eik tous les
lieux les traits qui leur apparti^nnent. La on voit Apollon tour
a tour sous un exlerieur rustique, couvert du plumage d'un eper-
vier, de la peau d'un lion ou du v^tement d'un berger pour s^
duire Iss6, la fille de Macaree. La Bacchus, sous la trompeuse
image d'un raisin, abuse firigone; et Satume, sous celle d'un
coursier, devient pere du centaure Chiron. Autour du tissu flotte,
corome une bordure d6Iiee, un lierre flexible entrelace de fleurs.
Ni Pallas ni TEnvie ne pourraient rien bMmer dans cet ou-
vrage. Minerve en eprouve un d6pit profond, et brise la toile oik
raiguille a reproduit les faiblesses des dieux. Sa main tient encore
la navette du mont Cylore. Elle en frappe trois ou quatre fois la
t6te de la fille dldmon. L'infortunee ne peut supporter cet ou-
trage. Dans son desespoir, elle se pend a un lacet pour s'etrangler.
Pallas la voit, et, par compassion, adoucit son destin. « Yis, lui
dit-elle; mais, pour expier ton audace, tu resteras ainsi suspendue.
Et te, flava comas, fruguro mitissima mater,
Sensit cquum; te sensit avem crinita colubris
Mater equi volucris; sensit delphina Melanlho. 120
Omnibus his faciemque suam, faciemque locorum
Reddidit. Est illic agrestis imagine Phoebus ;
Utque modo accipitris pennas, modo terga lconis
Gesserit; ut pastor Macareida luserit Issen;
Liber ut Erigonen falsa deceperit uva; 125
Ut Saturnus equo geminum Chirona crearil.
ritima pars telae, tenui circumdata limbo, •
Nexilibus flores hederis habet intcrtextos.
Non illud Palbs, non illud carpere Livor
Possit opus. Doluit success\i llava virago, 130
Et rupit pictas, ccBleslia crimina, vestes.
Utque cytoriaco radium de monte tenebat,
Ter, quater, idmoniac frontem percussit Arachnes.
Non tulit infelix, laqueoque animosa ligavil
Guttura. Pendentem Pallas miserata levavit, 13S
Atque ita : « Vive quidem, pendc lamen,improba, dixit.
208 M^TAMORPHOSES.
La mSme peine (ne te flatte pas dun meilleur avenir) est im-
posee a tes descendants jusqu'a ]a posterite la plus reculee. »
A ces mots, elle s'eloigne en secouant une herbe arros6e de sucs
magiques. Tout a coup les cheveux d'Arachne tombent, atteints
du fatal poison. Son nez et ses oreilles disparaissent, sa t6te se
rapetisse, tous ses membres s^ resserrent; des doigts eftiles
s'attachent a ses flancs et lui servent de jambes. Le reste du
corps forme son ventre, d'ou elle tire les fils pour la toile que,
sous le nom d^araignee, elle ourditcomme autrefois.
NIOB^, POUR s'£iTRE PREFERl^E A LATONE, EST CIIANGEE EN ROGRER.
U. La Lydie entiere fr^mit. Le bruit de cet evenement se re-
pandit dans les villes de la Phrygie, et la renommee en remplit
l'univers. Niobe, avant son hymen, avait connu Arachne, lorsque,
vierge encore, elle habitait la Meonie et le mont Sipyle. Mais, a
ses yeux, c'etait une fille vulgaire, et le chdtiment qui lui avait
ete inflige ne Tengageait ni a ceder aux dieux, m a mod^rer
son langage. Tout alimentait sa fiert^, les talents de son epoux,
sa noblesse jointe a celie de la famille d'Amphion, et la vaste
Lexqae eadem pcenaB (ne sis secura fuluri),
Dicla tuo generi, serisque nepolibus esto.
Post ea discedens succis hecateidos herbae
Spargil; et extemplo tristi medicam>ne tactae 140
Defluxere comae, cumque his et naris, et auris ;
Fitque caput minimum, totoque in corpore parva esl;
In latere exiles dii^iti pro cruribus hxrent. •
Gaetera venter habet, de quo tamen illa remittit
Stamen, ct antiquas exercet aranea telas. 143
»
NIOBE SE LATONiE PRiErERT ET IN SAXUM OBDURESCIT.
II. Lydia tota fremil, Phrygiscquc per oppida facti
Rumor it, et magnum sermonibus occupat orbem.
Ante suos Kiobe thalamos cognoverat illam,
Tum quum Maeoniam virgo Sipylumque colebat.
Nec tamen admonita est poena popularis Arachnes 150
Cedere coelitibus, verbisque mlnoribus uti.
MuUa dabant animos. Sedenira nec conjugis arti s,
JVec genus amborum, magnique potentia regni,
LIVRB VI. m
etendue de son empire. N^anmoins tous ces avantages ne lui
inspiraient pas autant d'oi^eiI que ses enfants. Niob^ aurait
ele la plus heureuse des meres, si elle avait rooins cru a son
bonbeur. Lafille de Tir^sias, Manto, qui lisait dans ravenir, avait,
dans un transport divin, fait retentir la ville de ces paroles : « Ttie-
baines, accourez en foule. OfTrezii Latone et a ses deux enfants
de Tencens et des prieres. Couronnez-vous de laurier. Tel est
Fordre de Latone. » On ob^it. Toutes les Th^baines parent leurs
tdtes de feuillage, et jettent dans le brasier sacre Tencens dont
la fum^e se mSle k leurs voix supplianles.
Cependant Niobe s'avance, entour^e d'un cort^ge nombreux.
L'or Mate sur ses riches broderies. Belle, malgre la colere, elle
agite sa tMe majestueuse. Ses cheveux flottent sur ses epaules.
EHe s'arrSte; et, quand elle a fi^rement promene autour d'elle
un superbe regard : « Quelle folie, s'ecrie-t-elle, de preferer les
divinit^s qu'on vous annonce a celle que vous voyez! Pourquoi
ces autels consacres a Latone, lorsque renceus ne brtHIe pas en-
core en mon honneur? J'ai pour pere Tantale, qui seul s'est assis
k la table des dieux, et pour m^re la soeur des Pleiadcs; j'ai pour
Sic placuere illi, quamvis ea cuncta placebant,
Ut sua progenies; et felicissima matrum 155
Dicta foret Niobe, si non sibi visa fuisset.
Kam sata Tiresia, venturi praescia, Manto
Per medias fuerat, diviDO concita motu,
Vaticinata vias : « Ismenides, ite frequentes,
Et date Latonae, Latonigenisque duobus, 160
Cum prece thura pia ; lauroque inneclite crinem.
Ore meo Lalona jubet. » Paretur; et omnes
Thebaides jussis sua tempora frondibus ornant,
Thuraque dant sanctis et verba precantia flammis.
Ecce venit comitum Niobe celeberrima turba, 1C5 -
Vestibus intesto phrygiis spectabilis auro,
Et quantum ira sinit, formosa ; movensque decoro
Cum capite immissos humerum per utrumque capillos
Constitit; utque oculos circumtulit alta superbos :
« Quis furor auditos, inquit, praeponere visis 170
CoBlestes? aut cur colitur Latona per aras?
Numenadhucsine thuremeum est? mihiTantalusauctor,
Cui licuii soU Sttperorum tangere mensas ;
210 METABIORPHOSES.
aleul maternel le puissant Atlas, dont la t^te supporte la voiite
des cieux, et pour aieul patemel Jupiter; je me glorifie aussi
de Tavoir pour beau-pere. La Phrygie tremble sous mes lois;
je r^ne dans le palais de Gadmus. Les murs ^leves par la lyre
d'Amphion, et le peuple qui les habite, nous reconnaissent pour
maitres, moi et mon eponx. De quelque c6te que se portent mes
yeux, ma famillem^offre des ressources immenses. Enfin ma beaut^
est digne d'une deesse. Ajoutez a tant d'Mat sept filles, autant
de fils dans la fleur de F^ge, et bientdt sept gendres et sept brus.
Cherchez maintenant la sdurce de mon orgueil. Osez me preferer
la fille de je ne sais quel Titan Ceus, Latone, qui, pour accoucher,
ne put trouver jadis un coin sur toute la terre. Le ciel, la terre
et Tonde refuserent un abri k votre deesse. Elle erra exilee dans
runivers, jusqu'au moment ou, par piti^, Delps lui dit : « Nous
« sommes ^lrang^res, toi sur la terre, moi sur Tonde; » et elle lui
donna un flottant asile ou Latone mit au jour deux enfants, a
peine la septiertie parlie de ceux qui me doivent la vie. Je suis
heureuse • qui pourrait le nier? je le serai toujours : qui oserait
en douter? Mon bonheur repose sur l'abondance de mes biens.
Pleiadum soror est genitrix mihi ; maximus Atlas
Est avus, aetherium qui fert cervicibus axera ; i75
Jupiter alter avus; socero quoque glorior illo.
Me gentes metuunt phrygioe ; me regia Gadmi
Sub domina est; fidibusque mei commissa mariti
Moenia cum populis a meque viroque reguntur.
In quamcumque domus ndverlo lumina partem, ISO
Immensae spectantur opes. Accedit eodem
Digna deae facies. Huc natas adjice septem,
Et totidem juvenes, et moi generosque nurqsque.
Quaerite nunc, habeat quam noslra superbia causara.
Nescio quoque audete satam titanida Coeo ISa
Latonam praeferre mihi, cui maxiraa quondam
Exiguam sedem pariturae terra negavit.
Nec coelo, nec humo, nec aquis dea veslra recfipta est.
Exsul erat mundi; donec miserala vaganlem :
« Hospita tu terris erras. ego, dixil, in undis ; » 1*J0
Instabilemque locum Delos dedit. lUa duobus
Facla parens, uleri pars est haec septima nosiri.
Sum felix: quis enim neget hoc? felixque manebo;
IIoc quoquc quis dubitel? Tutara me copia fecil.
LIVRE VI. 211
Je suis trop haut pour que radversite puisse m^atteindre. Elle au-
rait beau me ravir une grande partie de ce que je poss^de, elle
me laisserait beaucoup plus encore. Mes biens sont k l'abri de
toute crainte. Supposez que, de ce peuple d^enfants, quelques-uns
me soient enleves ; cette perte ne saurait me r^duire k deux comme
Latone. Combien elle risque de les voir mourir! Hdtez-vous d'a~
bandonner ces autels, et quittez le laurier dont vous avez ceint
vos tStes. » Les Thebaines Je d^posent et laissent le sacrifice in^
terrompu. Du moins, un dernier hommage leur est permis :
elles adorent Latone a demi-voix.
La deesse indign^ adresse ces paroles a ses deux enfants sur le
haut du Cynthe : « Eh quoi ! moi, yotre mere, si fi^re de vous avoir
donne le jour, moi, qui ne devais ceder qu'a Junon, je me vois
disputer le titre ^e deesse ! Ces autels, que tous les siecles m'ont
consacres, vont m'^lre interdits, 6 mes enfants ! si vous ne me pr^tez
votre appui. Encore ri'est-ce point ma seule douleur. A cet horrible
sacril^e la fiUe de Tantale ajoute Tinsulte. Elie ose placer ses en-
fants au-dessus de vous ; elle ose pr6dire (puisse un tel malheur
retomber sur sa t^te !) que bient6t je serai sans enfants, et sa langue
impie a renouvele les blasphemes de son pere. » Latone allait
Major sum, quam cui possit fortuna nocere; 195
Multaque ut eripiat, multo mihi plura relinquet.
Excessere metum mea jam bona. Fingile demi
Huic aliquid populo natorum posse meorum ;
Non tamen ad numerum redigar spoliata duorum,
Latonse turbae. Quae quantum distat ab orba? 209
Ite saeris, properate sacris, laurumque capillis
Ponite. » Deponunt, infectaque sacra relinquunt,
Quodque licet, tapito venerantur murmurc numen.
Indignata dea est, summoque in vertice Cynthi,
Talibus est dictis gemina cum prole locuta : 2(^
« En ego vcstra parens, vobis animosa creatis,
Et, nisi Junoni, nuUi cessura dearum,
An dea sim, dubitor I perque omnia sxcula cultis
Arceor, o nali, nisi vos succurritis, aris.
Nec dolor hic solus : diro convicia facto 210
Tantalis adjecit, vosque est postponere nalis
Ausa suis ; et me (quod in ipsam reccidat t) orbam
Diiit, et exhibuit linguam scelerata palernam. »
212 MfiTANORPHOSES.
ajouter la pri^re : « Gessez vos plaintes, dit Ph^us. Le chfttinient
se fait trop attendre. » Phebe tient le mSme iangage. D'un vol
rapide iis fendent Tair et descendent, enveloppes d'un nuage,
dans la cit^ de Gadmus. Pr^s des murs s'etendait au loin une
large plaine sans cesse foulee par les chevaux. Le sol s'^tait ra-
molli sous leurs pas et sous les roues des chars. Une partie des
sept ills dWmphion s'elance sur de genereux coursiers, pressent
leurs flancs couverts de housses de pourpre» et prennent en
main les r^nes garnies d'or.
L'un d'eux, Ism^ne, Taine de tous, fait caracoler son cheval,
et soumet au frein sa bouche ecumante. Tout a coup ii s'^crie :
« Je suis mortl » et il est frappe d'un trait au milieu de la poi-
trine. Sa main glacee laisse ^happer les r^nes, et il tombe sur le
flanc en glissant peu a peu le long de l'epaule droite de son cour-
sier. Pres de lui, Sipyle a entendu Tair fremir du bruit d'une
fl^che. 11 Idche ia bride aussi promptement qu*a la vue d'un
nuage pluvieux un pilote fuit et deploie toutes les voiles pour re-
cueillir jusqu'au moindre vent. Sipyle abeau abandonner les r^nes,
Adjectura preces eral his Latona relatis :
« Desine, Phoebus ait, poense mora longa, querelas. 215
Dixit idem rhoebe, celerique per aera lapsu
Contigerant tecti cadmeida nubibus arcem.
Planus erat, lateque patens prope mcenia campus,
Assiduis pulsatus equis, ubi turba rotarum,
Duraque mollierant subjectas ungula glebas. 'iCO
Pars ibi de septem genitis Amphione fortes
Conscendunt in equos, tyrioque rubentia fuco
Terga premunt, auroque graves moderantur habenas.
E quibus Ismenos, qui matri sarcina quoftdam
Prima suae fuerat, dum certum flectit in orbem '2'2.*i
Quadrupedes cursus, spumantiaque ora coercet :
« Hei mihi ! » conclamat, mcdioqite in pectore iixu^
Yela gerit, frenisquc manu morieute remissis,
In latus a dextro paulatim delluit armo.
Proximus, audito sonitu per inane pbaretra3, ioO
Frena dabat Sipylus, veluti quum prxscius imbri=
Nube fugit visa, pendentiaque undique rector
Carbasa deducit, ne qua levis efiluat aura,
Frena dabat. Dantem non evitabile teluro
LIYRK YI. 815
le traitin6vitable lepoursuit; la fl^che tremblante reste attachee
a son cou, et la pointe sort par son gosier. Pench^ sur i'enco-
lure de son cheval qu'emporte un rapide essor, il roule le long
de la crini^re, et rougit la terre de son sang. L^infortun^ Phe-
dimus et Tantal^, h^rilier du nom de son aieul, quittent la
course pour se livrer k la lutte ch^rie de la jeunesse. D^jk ils
entrelaoaient leurs bras et heurtaient leurs poitrines, iorsqu'un
trait s'^chappe de l'arc tendu, et les perce tous deux corps
a corps. IIs poussent ensemble un gemissemeht, se tordent de
douleur, roulent a terre, ferment leurs yeux mourants et rendent
ensemble le demier soupir. A cet aspect, Alphenon se d^chire la
poitrine, et vole pour recevoir dans ses bras leurs corps deji
glac^; mais il succombe en remplissant ce pieux devoir. Le dieu
de D^los Tatteint d»un trait mortel. D retire le fer dont la pointe
recourbee entraine une parlie du poumon, et perd la vie avec
son sang. Le jeune Damasichthon re^it plus d'une blessure.
Atteint a Tendroit ou commencent la jambe et le pli du jar-
ret, tandis qu'il essaye d'arracher la fleche fatale, une aulre
Consequilur, summaque Iremens cervice sagitta 233
Hsesit, et exstabat nudum de gutture ferrum.
IUe, ut erat pronus, per colla admissa jubasque
Yolvitur, et calido tellurem sanguine fcedat.
Pbsedimus infelix, et aviti nominis baeres
Tantalus, ut solito finem imposuere labori, 240
Transierant ad opus nitidae juvenile palaestrte,
Et jam contulerant arcto luctantia nesu
Pectora pectoribus, quum tento concila cornu,
Sicut erant juncti, trajccit utrumque sagitta.
Ingemuere simul, simul incurvata dolore 245
Membra solo posuere, simul suprema jacentes
Lumina versarunt, animam simul exhalarunt.
Aspicit Alphenor, laniataque pectora plangens
Advolat, ut gelidos compiexibus allevet artus,
Inque pio cadit offieio; nam Delius illi 250
Intima fatifero rumpit prsecordia ferro.
Quod simul eductum, pars est pulmonis ia hamis
Eruta. QMmque anima cruor est effusus in auras.
At uon intonsum simplex Damasichthona vulnus
Adficit. Ictus erat, qua crus esse incipit, et qua 235
NoIIia nervosus facit intemodia poples ;
Duraque manu tentat trahere esitiabile telum,
2U MfeTAMORPnOSES.
s'enfonce profond^ment dans sa gorge, et, repouss^e par le sang
qui jaillit avec force, elle s^ouvre au loin un passage dans rair. Le
dernier fils dWmphion, llionee, dont les prieres devaient rester im-
puissantes, leve ses bras vers le ciel : « 0 dieux ! s'6crie-t-il (igno-
rant qu'il ne devaitpasles invoquer tous), epargnez-moi ! » Le dieu
a Tarc redoutable fut touche desa priere; mais le trait 6tait deja
parli. Toutefoisla blessure qui lui ravit le jour fut peu douloureuse :
la fl^he n*etait pas descendue bien avant dans son coeur.
Le bruit de ces malheurs, rafmiction de tout un peuple et les
iarmes de ses amis apprennent a Niobe quels maux Tont si sou-
dainement accabl^. Elle s'6tonne que les dieux aient pu les ac-
complir ; elle s^indigne qulls Taient ose, et que leur empire &'&-
tende si loin. Car Amphion lui-m^me, en se per^nt ie sein, avait
en m6me temps mis fm k sa yie et a ses douleurs. Qiiant a
Niob^, h^las ! comlJien elle etait difT^rente de cette Niobe qui na-
gu^re eloignait le peuple des autels de Latone, et portait fiere-
ment ses pas au ihilieu de Thebes 1 Alors son bonheur faisait envie
h ses amis. Maintenant, bbjet de pitie, m6me pour ses ennemis,
elle se jette sur les restes glac^s de ses fils, et les couvre indis-
AUera per jugulum pennis tenus acta sagitta est.
Expulit hane sanguis, seque ejaculatus in altum
Emicat, et longe terebrata prosilit aura. 260
Ultimus Ilioneus non profeclura precando
Brachia su&tulerat : « Dique o ! » communiter omnes
Dixerat (ignarus non omnes esse rogandos),
a Parcite I » Motus erat, quum jam revocabile telum
Non fuit, Arciteneus. Minimo tamen occidit ille 2G5
Vulnere, non alle percusso corde sagitta.
Fama mali, populique dolor, lacrymaequc suorum
Tam subilffi matrem cerlam fecere ruinae,
Mirantem poluisse, irascentemque, quod ausi
Hoc essent Superi, quod tantum juris haberent. 270
Nam pater Amphion, ferro per peclus adacto,
Finierat moriens pariter cum luce dolorem.
Heu ! i]uantum hsec Niobe Niobe distabat ab illa,
QuoB modo latois populum submoverat aris,
Et mediam tulerat gressus resupina per urbem, ^75
Invidiosa suis. At nunc miseranda vel hosli,
Corporibus gelidis incurabil, et ordine nullo
LIVRE VI. 215
tiiietenient de ses derniers baisers. Eile s'en detachc pour lever
ses bras livides vers le ciel : a Repais-toi de ma douleur, cruelle
Latone, s'ecrie-t-elle; oui, repais-loi de ma douleur; rassasie de
mon deuii ton coeur f^roce et tes entrailles barbares. Je meurs
s^t fois. Triomphe, mon ennemie; enorgueillis-toi de ta victoire.
Mais ou est donc cette victoire? Dans mon infortune, je poss^
plus que toi dans ta prosperite. M^me apres tant de coups, je
Temporte encore sur toi. »
Eile dit. La corde de Tarc resonne de nouveau. Tous, excepte
^iobe, frissonnent d'effroi. Son audace grandit avec ses malheurs.
En habits funebres et les cheveux epars, ses filles entouraient la
couche de leurs freres. L'une d^elles tente de retirer le fer plonge
dans sa poitrine. Aussitot sa tSte retombe sur son frere, et elle
expire. Une autre veut consoler sa malheureuse mere. Elle perd
soudain la voix. Son corps s'affaisse perce par une main invisible,
et sabouche se ferme en rendant le demier soupir. Celle-ci meurt
en cherchant vainement a fuir; celle-la succombe dans les bras
de sa soeur. L'une se cache, rautre est saisie d'epouvante. Six
avaient subi le trepas, atteintes de blessures diff^renles. Une-seule
Oscula dispensat natos suprema per omnes,
A quibus ad coelum liventia brachia tendcns :
« Pascere, crudelis, nostro, Latona, dolore, "280
Pascere, ait, satiaque nieo lua pectora luctu,
(lorque ferum salia, dixit. Per funera septem
Kfferor. Exsulta, viclrixque inimica triumpha.
Cur autem victrix? Miserac mihi plura supersuut,
Quam tibi felici. Posl tot quoque fuiiira vinco. » 289.
Dixerat. Insonuit conlento nervus ab arcu,
Hui, praeter Nioben unara, conterruit omnesj.
llla malo est audax. Slabant cum vestibus atris
Ante loros fratrum demisso crine sorores.
E quibus una, trahens haerentia viscere tela, 290
Imposito fralri moribunda relanguit ore;
Aitera, solarl miseram conata parentem,
Conticuit subito, duplicataquc vulnere ca}co est,
Oraque compressit, nisi postquam ^piritus exit.
Hxc frustra fugiens coUabitur ; illa sorori 29^
Immoritur : latet hsec; illam Irepidare videres.
Sexque datis letho, diversaque valnera passis,
216 M^TAMORPHOSES. . .
survivait. Sa mere lui fait un rerapart de son corps et la couvre
de ses vStements. « Laisse-moi cette fille, s'ecrie-t-elle, la seule
qui me reste, la plus jeune de toutes ; d'un si grand nombre, je
demande la plus jeune, la seule qui vit encore. » Tandis qu'elle
prie, la tendre viclime rend T^me, et Niobe se yoit seule au mi-
lieu de ses fils, de ses filles et de son epoux moissonnes par la
la itiort. Tant d'infortunes Tont rendue insensible. L'air n^agite
plus ses cheveux, son teint est pale, ses yeux sont iixes, ses traits
mornes : rien ne vit plus en elle. Sa langue se glace dans son pa-
lais durci, et le mouvement cesse dans ses veines. Son cou ne
peut plus se plier, ses bras faire aucun geste, ni ses pieds marcher;
ses entrailles m^me se petrifient. EUe pleure pourlant. Un violent
tourbillon Tenveloppe et Temporte dans sa patrie. La, placee sur
le sommet d'une montagne, elle est toujours humide, et des larmes
baignent encore le marbre dont elle a pris la forme.
M^TAMOKPHOSB DES PAYSANS LTCIENS EN GRENOUILLES.
. Ili. Des lors, hommes et femmes, tous redouterent le courroux
d'une si puissante divinite, tous s'empress6rent d'honorer la
Ultima rcstabat, quaiu tolo corpore niater,
Tota veste tegciis : « Unam, raininiamquc relinque ;
De mulli:> miniraam posco, claraavit, el unam. » 500
Dumque vogat, pro qua rogat, occidit. Orba resedit
Exaniraeb inler natos, nalasque, Tii^uraque,
Diriguilque raalis. Nulios movel aura capiUos;
In vullu color e^t sine sanguine; lumina raoestis
Stant iramota genis : nihil est in imagiuc vivi. ^ 305
Ipsa quoque interius cum duro lingua palalu
Congelat, et vcnac desistunl posse moveri ;
Nec flecti cervix, nec brachia reddere gestus,
Necpes ire potest; intra quoque viscera saxum esl.
« Flet laraen, et validl circumdata lurbine venli oiO
In patriara rapla est, ubi fixa cacumine monlis
t Liquilur, et lacrymas eliamnura marmora mauanl.
N LYCIl laSTlCI LN RANAS VKKSl.
* 111. Tum vero lanli mauifestam uuminis irara
^ Femina virque timent, cultuque impnnsius omnes
LIVUE VI. 217
graDde d^esse qui enfanta deux jumeaux ; et, comiue d'ordinaire,
cette aventure recente fit reraonter aux anciennes. L'un des com-
pagnons de Niobe s'exprima en ces termes : « Jadis les paysans
de la fertile Lycie ne mepriserent pas non plus impunement La-
tone. Le prodige que je vais raconter, peu connu parce qu'il con-
cerne des honunes vulgaires, n est pas moins surprenant. J'ai vu
moi-mtoe le lac et les lieux qu'il a rendus celebres. Appesanti
par fage et incapable de supporter les fatigues de la route, mon
p^re m^avait prie de lui amener des boBufs de la Lycie, en me
donnant im guide ne dans cette contree. Nous parcourions en-
semble les paturages, quand tout a coup nous vimes au milieu du
lac un autel antique, noirci par la fumee des sacrifices et entourc
de roseaux tremblants. Mon guide s'arr6ta, et, saisi d^clTroi, il
murmura ces paroles : Sois-nous propice. Je repetai a voix basse
les memes paroles. Je lui demandai si cet autel etait consacr^ aux
Naiades, a un Faune ou a un dieu du pays. II me repondit : « Cet
« autel, mon jeune ami, n'appartient pas a une divinite des mon-
« tagnes, mais a la deesse que la reine des dieux exila autrefois
« de runivers. A peine Delos, vaincue par ses prieres, lui offrit-elie
« un asile, lorsque, dans ses courses legeres, cetle ilc errait a
Hagna gemelliparaB venerantur numina divte ; 515
Utque fit, a facto propiore priora renarrant.
E quibus unus ait : « LyciaE quoque fertilis agri»
Haud impunc deam veteres sprevere coloni.
Kes obscura quidem est ignobilitate virorura,
Mira tamen. Vidi praisens stagnumque locuraque 520
Prodigio nolum. Nam rae jam grandior ajvo,
Imputiensque viae genilor deducere lectos
Jusserat inde boves, gentisque illius eunti
Ipse ducem dederat. Cum quo dura pascua luslru, '
- Ecce lacus medio, sacrorum nigra favilla 523
Ara vetus stabat, tremulis circumdata cannis.
Hestitit, et pavido, Faveas mihi, murmure dixit
Dux meus; el simili, Faveas, ego murmurc dixi.
Naiadum, Faunioe foret tamen ara rogabani, r
Indigensene dei, quum talia reddidil hospes : 350
« Non hac, o juvenis, montanum numen in ara osl.
« Illa suam yocat hanc, cui quondam regia Juuo
« Orbem interdixit. Quam vix erratica Delos
« Orunlem accepit, lum quura levis insula nabat.
^
218 MfeTAMORPHOSES.
f la surface des flols. La, couchee entre un palmier et Tarbre de
« Pallas, elle mit au jour deux jumeaux, en depit de leur impla-
« cable marAtre. Bevenue mere, elle s'eloigna de cette ile pour
« ^chapper a Junon, emportant sur son sein ses deux enfants, qui
« sont ranges parmi les dieux. Parvenue aux confins de la Lycie
<c ou naquit la Chim^re, tandis que le soleil embrasait la terre de
« ses feux, Latone, fatiguee d'une longue marche, se sentit devo-
« ree d'une soif ardente au milieu d'un air enflanmie, et ses en-
« fants alt^res avaient tari son sein. EUe aper^ut par hasard un
« petit lac au fond d'une vallee. Les paysans coupaient sur ses
« bords l'o§ier, le jpnc et Talgue amie des marais. La fllle de Geus
« approche, s^agenouille et se penche pour se desalt^rer dans
« Tonde fraiche. Les paysans Ten emp6chent. La deesse leur
« adresse ces paroles :
« Pourquoi m'interdire cette eau qui appartient a tout le
« monde? La nature n'a point voulu que le soleil, Tair et Teau
« fussent la propriete d'un seul. Ghacun a le droit de puiser ici.
« Gependant je vous demande ce droit comme une grace. Je n'al-
« lais point me baigner pour me remettre de mes fatigues ; j^al-
« lais etancher ma soif. En vous parlant, ma bouche devient aride,
« Illic, incumbeus cum Palladis arbore palma}, 33o
« Edidit invita geminos Latona noverca.
.<( Hinc quoque Junonem fugisse puerpera ferlur,
« Inque suo portasse sinu, duo numina, natos.
« Jamque chimxrifefae, quum sol gravis urerct arva.
« Finibus in Lyci», longo dea fessa laborc 3iU
« Sidereo siccala sitim collegit ab aestu,
« Uberaque ebiberant avidi lactanlia nati.
« Fortc lacum mediocris aquae prospexit in imis
« Vallibus. Agrcstes illic fruticosa legebaut
« Vimina cum juncis, grutamque paludibus ulvaui. 545
« Accessit, positoque genu Titania terram
« Prcssit, ut hauriret geiidos potura liquores.
« Rustica turba vetant. Dea sic affala vetantes :
« Quid prohibetis aquis? Usus communis aquaruin.
« Nec solem proprium Natura, nec aera fecil, 350
« Nec tenues undas. Ad publica munera veni.
« Quae tamen, ut detis, supplex peto. Non ego nostros
« Abluere hic artus, lassalaque mcrabra parabam
« Sed relevare sitim. Carel os humore ioquentis,
LIVRE VI. 219
* mon palais se desseche, et ma voix peut a peine se frayer uii
« passage. Cette eau sera pour raoi du nectar, et je proclamerai
4 que je vous dois la vie; oui, vous me la donnerejs en me per-
c mettant de boire. Laissez-vous fl^chir par ces enfants suspendus
« a mon sein, qui vous tendent leurs petits bras • (ils les tendaient
c en ce mometft). Quels cceurs ces toucbantes paroles de Latone
« n'auraient-elles point attendris ? Gependant la foule, insensible
« a sa priere, s*obstnie a remp^cher de boire. On la menace, on
« rinsulte, si elle ne s'61oigne. Bien plus, chacun trouble Teau
ff de ses pieds et de ses mains, et bondit malignement de tous
« cdtes pour remuer la vase jusqu'au fond du lac. La colere sus-
« pend la soif. La fille de Ceus ne descend plus k d'indignes
c prieres. EUe n'abaisse plus son langage au-dessous de celui
« d'une deesse. Mais, levant ses mains au ciei : « Yivez a jamais
« dans ce iac, » dit-elle. Ses vceux sont accomplis. Ces hommes
« grossiers s'y precipitent avec joie. Tanl6t ils plongent sous les
« eaux, tantdt ils montrent leur t^te au-dessus de T^tang, ou
« nagent a sa surface. Souvent ils se reposent sur la rive, souvenl
tf ils s*elancent de nouveau dans Tonde. Leur langue s'aban-
« Et fauces arent, vixque est via vocis in illis. 355
c Haustus aquse mihi uectar erit, vitamque fatebor
k Accepisse simul ; vitam dederitis in unda.
« Hi quoque vos moveant, qui nostro brachia teuduut
« Parva sinu. (Et casu tendebant brachia naii.)
u Quem non Dianda deo} potuisseQt verba movere? 36U
« Hi tamen orantem perstant prohibere, ii>inasque,
« Ni procul abscedat, conviclaque insuper addunl.
« Nec satis hoc, ipsos etiam pedibusque manuque
« Turbavere lacus, imoque e gurgite mollem
« Huc illuc liraum sallu movere maligno. 363
« Distulit ira sitim. Neque enim jam filia CtBi
<t Supplicat indignis, nec dicere suslinet ultra
« Verba minora dea; toUensque ad sidera pahnas,
« ^ternum stagno, dixitj vivatis in isto.
« Eveniunt oplata deae. Juvat isse sub undas, 3l0
K £t modo tota cava submergere membra palude,
i( Munc proferre caput; summo modo gurgite nare;
« Saepe super ripam stagni considerc ; ssepe
« In gelidos resilire lacus ; et nunc quoque turpes
« Lilibus eiercent linguas; pulsoque pudore, '^^
220 MgTAMORPllOSES.
t donne mcore a des propos grossiers, et, jusque sous les eaux,
i ils essayeiit de cyniques sarcasmes. Deja leur voix devient rauque,
« leur gorge s^enfie, et leur bouche ^largie vomit Tinjure. La t^te
« et les ^paules se confondent, le cou disparait ; le dos est vert,
i ie ventre blanc, et forme la plus grande partie de leur corps.
« Metamorpboses en grenouilles, ils sautent -dans le maiais
« fangeux. •
MARSYAS CHANGI^ Elf FLECVE.
IV. « A peine mon guide, dont j*ignore lenom,^eut-il acheve le
recit de cet evenement funeste aux paysans de la Lycie, qu'un autre
rappela le chAtiment inflige par le fils de Latone au Satyre vaincu
dans le combat de la fliHte due a Minerve. « Pourquoi m'dcor-
« chez-vous? s'ecriait-iL Ah! deplorable temeritd! Ah! fai-
« lait-il que la flikte me coiitSt si cher? t Tandis qu'il pousse ces
cris, sa peau lui est arrachee : son corps n'est qu'une plaie ;
le sang coule de toutes parts; ses nerfs sont mis a nu. On peui
voir a decouvert le mouvement de ses veines, les battements de son
coeur, et compter ses fibres dans sa poitrine. Les Faunes, divini-
« Quamvis sial sub aqua maledicere teiilant.
« Vox quoque jam rauca est, iuOataque colla lumcscuiil,
« Ipsaque dilatant patulos convicia rictus.
« Terga caput tangunt; colla intercepta videntur;
« Spina viret ; venter, pars maxima corporis albct ; 580
« Limosoque nova) saliunt in gurgite rante. »
MARSTAS FIT FLUVIU8.
IV. « Sic ubi nescio quis lycia dc gentc viroruiii
-Reltulit exitium, Satyri reminiscitur alter,
Quem tritoniaca Latous arundine victum
Affecit poena. « Quid me mihi detrahis? inquil. 385
« Ah piget ! ah non est, clamabat, tibia tanti ! »
Glamanti cutis est summos derepta per arlus ;
Nec quidquam nisi vulnus erat ; cruor undique mauat ;
Detectique patent nervi; trepidiequc biuc uUa
Pelle micanl venae; salientia viscera possis, 300
Et perlnceutes numerare in pectorc fibras.
Uium ruricolae, silvarum uumina, Fauni,
LIVRE VI. m
t^ des champs et des for^ts, les Satyres ses frdres, Olympus, d^j^
cel^bre, et Jes Nymphes, ie pleurerent, ainsi que ceux qui font
paitre sur ces montagnes les brebis et les boeufs. La terre fut bai-
gnee des larmes qu'elle regutet qu'elle conserva dans ses fi^ondes
entrailles. Apres les avoir chang^es en eau, elle les ramena dans la
region des airs, d'ou elles retomberent pour former le plus limpide
fleuve de la Phrygie, le Marsyas, qui se rend k la mer par une pente
rapide. •
PilOPS PLEURE NIOb£. — LES DIEUX LUl DOMNENT U«E iPAULR D*IV0mE.
V. Apr^s ce recit, on revint aux malheurs dont Tli^bes avail
ete le th64tre ; on pleura Amphion mort avec ses enfants. La co-
l^re ^data contre Niob^. Pelops seul, dit-on, ddplora son sort. En
dechirant ses v^tements jusqu'a la poitrine, il montra une ^paule
d'ivoire. A Tepoque de sa naissance, cette ^paule ^tait de chair
conmie la droite ; elle avait la m6me couleur. Bientdt apr^, ses
membres furent mis en lambeaux par son pSre ; mais on pretend
que les dieux les reunirent de nouveau. Ils avaient 6t6 retrouv^,
h Texception d'un seul, dont Tabsence laissa entre la gorge et le
Et Satyri fratres, et tunc quoque claru« Olympus,
Et NymphaB flerunt, ct quisquis montibus illis
Lanigerosquc greges armentaque bucera pavit. 395
Fertilis immaduit, madefactaque terra caducas
Goncepit lacrymas, ac venis perbibit imis.
Quas ubi fecil aquam, yacuas emisit in auras;
Inde petens rapidum ripis declivibus asquoi^
Marsya nomcn habet, rbrygiae liquidissimus amnis. » 40()
NIOBEN FLET PELOPS. — CUI DATDR HOHERUS EBORNEDS.
V. Talibns extemplo redil ad praesentia dictis
Vulgus, et exstinctum cum stirpe Amphiona iugent.
Mater in invidia est; tamen hanc quoque dicitur unus
Flesse Pelops, humeroque. suas ad peclora postquam
Deduxit vestes, ebur ostendisse sinistro. 4(Xi
Concolor hic humerus, nascendi tempore, dextro,
Corporeusque fuit. Hanibus mox caesa patemis
Membra ferunt junxisse deos, aliisqne repertis,
Qui locus est juguli medius summique lacerti
222 Ml^TAMORPHOSES.
bras un vide que remplit une piece dMvoire. Par ce bienfait, P6-
lops recouvra tous ses mernbres. ^
CHANGEHENT DE TJ^REE EN HUPPE, DE PHILOMbLE EN ttOSSIGNOL,
DE PROGNlS EN HIRONDELLE.
VI. Les princes voisins se reunissent, et les villes d'alentour
supplient leurs rois de les secourir. Cetaient Argos, Sparte, My-
c^nes ou devaient regner les Pelopides, Calydon, qui n^etait pas
alors en butte au terrible courroux de Diane, la fertile Orcho-
m^ne, Corinthe, c^lebre par son airain, la fiere Mess^ne, Patras,
Fhumble Cl^ones, Pylos oii r^a Nelee, Tr^zene, que ne gouvemait
pas encore Pitth^e, les viUes renferm^es dans Tisthme battu par
deux mers, et celles que, du haut de cet isthme, on aper^it au
delk. Qui pourrait le croire? Athenes resta seule impassible. La
guerre rempMia de payer la dette de l'humanite. Des i^gions bar-
bares avaient franchi les iners et porte repouvante dans les murs
de Mopsus. T^ree, roi de Thrace, accouru au secours d'Athenes,
les avait mises en deroute, et s'6tait fait un grand nom par cette
Defuit. Impositum est non comparentis in usum 410
Parlis ebur; factoque Pelops fuit integer illo.
TEREUS IX UPUPAM TRANSFORMATUR, PHILOHELA IN LnSCINIAM,
PROCNE IN HIRUNDINEM.
Vf. Finitimi proceres coeunt, urbesque propinquaE
Oravcre suos ire ad solatia reges,
Argosque, et Sparte, pelopciadesque Mycenae,
Et nondum torvae Calydon invisa Dianae, 415
Orchomenosque ferax, et nobilis serc Corynthos,
Messeneque ferox, Patrseque, humilesque Cloonae,
Et nelea Pylos, neque adhuc pittheia Troezen,
Quseque urbrs aliae bimari clauduntur ab isthmo,
Rxteriusque sitae bimari spectantur ab isthmo. 4^
Credere quis possit? solae cessatis Athenae.
Obstitit officio bellum, subvectaque ponto
Barljara mopsopios terrebant agmina muros.
Treicius Tereus haec auxiliaribus armis
Fuderat, et clanim vincendo nomen habebat. 425
LIVRE VI. 223
victoire. Ind^pendamment de ses immenses richesses et de ses
nombreux sujets, il descendait du dieu Mars. Aussi Pandion iui
donna-t-il la main de Procne. Mais ni THymen, ni Junon, ni les
Gr^ces, ne scellerent cette union. Les Eumenides allumSrent ieurs
torches a un iDiJcher, et preparerent leur couche nuptiale, au che-
vet de laquelle vint se reposer un sinistre hibou qui s'6tait abattu
sous ieur toit. Cest sous de tels auspices que s'unirent les deux
epoux; c'est sous de tels auspices quMls donn^rent ia vie a un
enfant. La Thrace les entoura d'hommages et rendil grkes aux
dieux. Elle voulut que le jour ou Teree regut la main de la fiUe de
rillustre Pandion, et celui ou Itys vint au monde, fussent des
jours de fSte : tant ravenir est enveloppe de nuages !
Deja le soleil avait acheve cinq fois sa r^volution, lorsque Procn^,
avec Taccent de la tendresse, dit a son ^poux : « Si j*ai.qtielque
empire sur ton sime, permets-moi d'aller aupr^s de ma soeur, ou
obtiens qu'elle vienne ici en fengageant a la ramener en peu de
temps a mon pere. Si je te dois le bonheur de la voir, tu auras de
grands droits a ma reconnaissance. » Teree fait lancer les vais-
seaux a la mer ; il met a la voile, et, gr^ce a ses rameurs, il louche
Quem sibi Pandion opibusque virisque potentem,
Et genus a magno ducentem forte Gradivo,
Connubio Procnes junxit. Mon pronuba Juno,
Non Hymenseus adest, illi non Gratia lecto.
Eumenides tenuere faces de funere raptas; 430
Eumenides stravere torum ; tectoque profanus
Incubuit bubo, thalamique in culminc sedit.
Hac ave sunt juncti Procne Tereusque; parentes
Hac ave sunt facti. Gratata est scilicet illis
Thracia, disque ipsi grates egere, diemque, 435
Quaque data est claro Pandione nata tyranno,
Quaque erat ortus Itys, festam jussere vocari :
Usque adeo iatet utilitas!
Jnm tempora Titan
Quinque per autumnos rcpetiti duxerat anni,
Quum blandita viro Procne : « Si gratia, dixit, 440
UUa mea est, vel me visendae mitle sorori,
Vel soror huc ^eniat. Redituram tempore parvo
Promittes socero. Magni mihi numinis instar
Germanam vidisse dabis. « Jubet ille carinas
In freta deduci; veloque, et remigeportus 445
224 WETAMORPHOSES.
aux ports d'Ath^nes et entre dans le Piree. Arrive chez son beau-
p^re, il lui serre la main, et Tentretien commence sous d^heureux
auspices. D'abord Teree fait connaitre le motif de son voyage et le
dfeir de son epouse. II s*engage a ramener promptement Philo-
mSle de la Thrace.
Dans ce moment, elle parait, riche de brillants atours, plus riche
encore de sa beaut6, telles que les Naiades et les Dryades se mon-
trent, dit-on, au milieu des for^ts, sans avoir toutefois une aussi
magnifique parure. A la vue de la jeune princesse, T6ree bnile
comme une moisson miire qu'on incendie, ou comme des feuilies
et du foin sec dont on approche le feu. Aux charmes qui i^attirent
se joint raiguillon de Tamour : tant le coeur de T^ree est prompt a
s^enflamrner ! II est entraine k la fois par la passion et par l*ardeur
du sang. II cherche a corrompre les vigilantes compagnes de Philo-
mele et sa fid^le nourrice ; il essaye de la seduire elle-mtoe par de
riches pr&ents, et lui offre son royaume. II Tenl^vera; et, apres
1'avoir ravie, il soutiendra une guerre terrible pour la garder. 11
n'est rien que n'ose son amour efifrene ; sa flamme ne peut plus se
renfermer au fond de son coeur. Dejk tout delai rimporlune ; il re-
Cecropios intrat; Pirxaque littora tangit«
Ut primum soceri dala copia, dextera dcMraD
Jungitur, et fausto committitur omine sermo.
Cceperat, advAotus causam, mandata rererre
CuDJugis, et celeres missa spondere recursus. 450
Ecce venil magno dives Phiiomela paratu,
Divitior forma. quales audire solemus
Naidas et Dryadas mediis incedere silvis,
Si modo des illis cultus similesque paralus.
Non secus exarsit conspecta virgine Tereus, 4ot>
Quam si quis canis ignem supponat aristis,
Aut frondem.-positasque crcmet foenilibus herbas.
Digna quidem facies; sed et hunc innata libido
Exstimulat, pronuraque genus regionibus illis
In Venerem est : flagrat vitio genlisque suoque. 400
Impetus est illi, comitum corrumpere curam,
Nutricisque fidem; necnon ingentibus ipsam
SoUicitare datis; totumque impendere regnum,
Aut rapere, et saevo raptam defendere bello;
El nihil est, quod non effreno captus amore 4r»r>
Ausit; nec capiunt inclusas pectora flammas.
Jamque moras male fert, cupidoque reveriitur ore
LIVRE VI. 225
vient avec ardeur aux d^sirs de Procn^ ; et, sous leur voile, ce sont
les siens qu'ii exprime. L'amour le rend ^loquent. Ses instances
$ont-elles trop vivcs, c'est Procnd qui Texige. II emploie m^me les
pleurs, comme si elle les avait command^. Dieux ! quel ablme de
ten^bres que le coeur humain ! Les efforts de T^r^ pour ex^ter
soncrime prcnnent Tapparence du devouement : il se giorifie de
son forfait. Que dis-je ? Philom^Ie elle-m^me s'associe a ses desirs!
De ses bras caressants elle presse les ^paules de son p^re ; elle
demande en m^me temps, pour et contre ses iuterSts, qu'il lui
soit permis de se rendre aupres de sa soeur. T^ree la contemple
eti'enveloppe de ses regards: Les baisers qu'elledonne k son p^re,
ses bras qu'elle enlace a son cou, tout est pour Ter^ un aiguillon
et un feu qui alimente sa fureur. Toutes ses etreintes filiales lui
font souhaiter d'6tre son pere : ce titre n'4teindrait pas une in-
cestueuse flamme. Pandion cede aux pri^res de ses filles. Philom^le
s^abandonne a la joie et rend grsices a son p^re. Infortunee ! elle
voit le bonheur, pour sa soeur et pour elle, dans ce qui doit Stre
poui' Tune et Tautre un sujet de deuil !
Phebus n'avait plus qu*un etroit espace a parcourir. D^ja see
coursiers frappaient de leurs pieds la region du couchant. Un
Mandala ad Procnes, et agit sua vota sub iliis.
Facundum faciebat ainor; quotiesque rogabat
Ulterius justo, Procnen ita velle ferebat. 470
Addidit et lacrymas, tanquam mandasset ct illas.
Pro Superf ! quantum mortalia peclora caecae
Noclis habent! Ipso sceleris molimine Tereus
Creditur esse pius, laudemque a crimine sumit.
Quid, quod idem Philomela cupit? patriosque lacertis 47'j
Blanda tenens humeros, ut eat visura sororem,
Perque suam, contraque suara, petit usque salutem.
Spectat eara Tereus, praecontrectatque videndo;
Osculaque, et coUo circumdata brachia cernens,
Omnia pro stiniulis, facibusque, ciboque furoris 480
Accipit; et quolies amplectitur illa parentem,
Esse parens vellet : neque enim minus impius ess .t.
Vincitur ambarum genitor prece. Gaudet, agitque
Illa patiis grates, et successisse duabus
Id putat infelix, quod erit lugubre duabus. 485
Jam Iftbor exiguus Phoebo restabat, equiqoe
Pulsabant pedibus spatium declivis Olympi.
m MfiTAMORPHOSES.
banquet est s&m avec une pompe royale, et le vin est verse dans
des coupes d'or. Puis chacun va goiiter les douceurs du sommeil.
Le roi de Thrace, quoique separ^ de sa belle-soeur, briile d'a-
mour pour elle. II se rappelle ses traits, son port, ses gestes.
Quant aux charmes secrets, son imagination seconde ses desirs.
11 attise lui-m6me ses feux, et sa passion lui ole le sommeil. Le
jour brille. Pandion saisit la main de son gendre pr^t a partir, et
lui recommande sa compagne en versant des larmes. « Je te la
confie, 6 mon gendre bien-aime! un pieuxmotif m'y oblige. Mes
deux filles Tont voulu ; tu l'as voulu toi-m^me. Au nom de la
bonne foi et de rs^milie, au nom des dieux memes, je Ven conjure,
veille sur elle avec ramour d'un pere. Hate-toi de me rendre
l'appui et la consolation de ma vieillesse. Tout delai sera trop
long pour moi. Et loi, Philomele {c'est assez que ta soeur vive
loiu de nous), si tu as quelque tendresse pour ton pi^re, presse
ton retour. » A ces mots, il couvre sa fille de baisers, et de douces
larmes coulent de ses yeux. U prend la main de Teree et celle de
sa fille, comme un gage de foi, et les serre dans la sienne. II les
cbarge de porter de tendres baisers a Procn^ et a Itys, qui vivent
Regales epulsB mensis et Bacchus in auro
Ponitur. Hinc placido dantur sua corpora somno.
At rex odrysius, quamvis secessit, in illa 490
^stuat ; et repelens faciem, motusque, manusque,
Qualia vuU fingit, quae nondum vidit, et ignes
Ipse suos nutrit, cura removente soporem.
Lux erat, et, generi dextram complexus euntis,
Pandion comitem lacrymis commcndat obortis : 49?>
« Hanc ego, care gener, quoniam pia causa coogit,
Et voluere ambae voluisti tu quoque, Tereu,
Do tibi. Perque fidem, cognataque pectora supplex,
Per Superos oro, patrio tuearis amore ;
Et mihi sollicitae lenimen dulce senectae 500
Quamprimum (omnis crit nobis mora longa), remittas.
Tu quoque quamprimum, satis est procul esse sororem,
Si pietas ulla est, ad me, Philomela, redito. »
Handabat, pariterque suae dedit oscula natae,
Et lacrymae mites inter mandata cadebant. o05
Utque fide pignus dextras utriusque poposcit,
Inter seque datas junxit ; natamque nepotemque
Absentes, memori pro se jnbet ore salutent;
LIVRB VI. 227
loin de lui. A peine leur a-t-il dit adieu d'une voix entrecoup^ de
sanglots, que deja la crainte fait naitre de tristes pressentiments
dans son dme.
Cependant Philomele est montee sur le vaisseau peint de riches
couleurs ; la rame fend les flots, et la terre s'eloigne. « Je triom-
phe, s'ecrie Ter^e, j'emporte avec moi Tobjet de mes vceux ! » Le
barbare tressaille de joie et ne peut contenir ses transports. Son
regard ne se detourne pas un moment de sa victime. Ainsi, quand
Toiseau de Jupiter emporte un ii^vre dans ses serres recourbto et
le depose dans son aire, sa proie ne saurait fuir, et le ravisseur
aime a la contempler. Deja le voyage est achev^, ddja les matelots
fatigu^ quitlent leurs vaisseaux et s'elancent sur leur rivage. T^
ree entraine la fiile de Pandion dans un gite cach^ au milieu d'une
antique et sombre forSt. La il Tenferme, pSle, tremblante, livr^
a mille craintes, fondant en larmes et demandant ou est sa soeur.
U lui d^voile alors ses infames desirs, el triomphe, par la vio-
lence, d*une vierge commise seule a sa garde, et dont la faible
voix ne cesse d^implorer en vain son p6re, sa soeur, et surtout
les dieux. Philomele est saisie d'effroi. Telle une brebis timide,
Supremumque vale, pleno singultibus ore,
Vix dixit, timuitque suse praesagia mentis. 510
Ut semel imposita est pictse Philomela carinae,
Admotumque fretum remis, tellusque repulsa :
« Vicimus, exclamat ; mecum mea vota feruntur ! »
Exsultatque animo, vix et sua gaudia differt
Barbarus, et nusquam lumen detorquet ab illa. 515
Non aliter, quam quum pedibus praedator obuncis
Deposuit nido leporem Jovis ales in allo,
Nulla fuga est capto ; spectat sua prsemia raptor.
Jamque itcr effectum, jamque in sua littora fessis
Puppibus exierant, quum rex Pandione natam 520
In stabula alta trahit, silvis obscura vetustis; *
Atque ibi pallentem, trepidamque, et cuncta timenlem,
Et jam cum lacrymis, ubi sit germana, rogant«m,
Includit; fassusquc nefas, et virginem, et unam
Vi superat, frustra clamato ssepe parente, 523
Sxpe sorore sua, magnis super omnia divis.
IUa tremit, velut agna pavens, quae saucia cani
228 MKTAMORPHOSES.
apr^ s'Stre d^rob^e aux morsures d'un loup devorant, ne se croit
pas a Tabri du danger; telleune colombe dont les plumes ont ete
rougies de son sang tremble encore et redoute les serres cruelles
dont elle a senti Tetreinte.
Enfm, revenue a elle-mtoe, Pbilom^le arrache ses cheveux
6pars, meurtrit ses bras, et, dans son desespoir, les mains levees
au ciel : « Monstre de cruaute etdebarbarie ! s'ecrie-t-elle; quoi !
ni les ordres de mon pere, ni ses pieuses larmes, ni le souvenir
d'une soeur, ni ma virginite, ni les droits de Thymen, rien n a pu
l'6mouvoir ! Tu as tout profane. Je suis la rivale de Procne, et
Ter6e est l^epoux de deux soeurs ! Ah ! je ne meritais pas cet
exces d^infamie ! Que ne m'6tes-lu la vie, perfide, pour combler la
mesure du crime? Ah! que ne me Tas-tu otee avant un horrible
inceste? je serais descendue pure dans le sejour des ombres! Si
pourtant de tels attentats n'echappent point aux regards des dieux,
s'ils ont quelquepuissance, si tout n'a point peri avecmoi, un jour
je serai veng6e ! Moi-m^me je braverai la honte pour publier ton
forfait. Si je le puis, j'irai le raconter a runivers. Si je suis ren-
fermee dans les bois, je ferai retentir de mes plaintes les for^ts e\
les rochers temoins de mon malheur. Que les dieux m'exaucent,
Ore excussa lupi, nondum sibi tuta videtur;
Ulque columba, suo madefactis sanguine plumis,
Horret adhuc, avidosque timet quibus haiseral unguos. boO
Mox ubi mens rediit, passos laniata capillos,
Lugenti similis, caesis plangore lacerlis,
Intendens palmas : « Pro diris, barbare, factis,
Pro crudclis! ait; nec te mandata parentis
Cum laci*ymis movere piis, nec cura sororis, IJoT^
Nec mea virginitas, nec conjugialia jura?
Omnia turbasti : pellex ego facta sororis,
Tu geminus conjux. Mon haec mihi debita pocna.
Quin animam hanc, ne quod facinus tibi, perfide, rcstct,
Eripis? atque utinam fecisses ante nefandos 5i0
Concubitus! vacuas hal)uissem criminis umbras.
Si tamen hxc Superi cernunt, si numina divum
Sunt aliquid, si non perierunt omnia mecum,
Quandocumque mihi poenas dabis. Ipsa, pudore
Projecto, tua facta loquar. Si copia detur, oio
In populos veniam. Si silvis clansa tenebor,
Implebo silvas et conscia saxa querelis.
LIYRE VI. 229
s*il en est au ciel (jui entendent ma voix ! • Ges menaces excitent
dans Vime du tyran feroce un courroux et un effroi qui Tega-
rent. II tire du fourreau ie glaive suspendu a sa ceinture, saisit
Pliilomele par les cbeveux et lui enchaine les mains sur le dos.
L'infortun6e lui presente la gorge. A la vue de Tepee, elle avait
esp^r^ la mort. Mais, tandis que, transportee d'indignation, elle
rep^te incessamment le nom de son pere et fait un demier effort
pour parier, Ter^e lui serre la langue avec des pinces et la coupe
jusqu'a sa racine. La langue tombe, et, sur la terre qu'elle rougit
de sang, elle palpite et murmure. Ainsi la queue d'un serpent
mutiM s'agite et cherche, en mourant, a se rejoindre au reste du
corps. Apr^s cet attentat, on dit que Ter^e (ie ne puis le croire)
fletrit encore plus d'une fois sa victime de ses embrassements.
Souille de tels forfaits, il ose paraitre devant Procn6. Celle-d,
en voyant son epoux, demande sa soeur. T6ree pousse des g6-
missements simul^s, et annonce faussement la mort de Philo-
mele. Ses larmes confirment son recit. Procne arrache de ses
epaules ses v^tements brillants d'or. Elle prend le deuil, ^l^ve un
cenotaphe, et ofTre des presents funebres a celle qu'elle croit
Audiat haec sther, et si deus ullus iu illu est ! »
Talibus ira feri postquam commota tyranni,
Nec minor hac metus est. Gausa stimulatus utrnque, fi50
Qao fuit accinctus, vagina liberat cnsem,
Arreptamque coma, fleiis post terga lacertis,
Vincla pati cogit. Jugulum Philomcla parabat,
Spemque suae mortis viso conceperat ense.
nie indignanti, et nomen palris usque vocanli, Hr»
Luctantique loqui, compressam forcipe lioguam
Abstulit ense fero. Radix micat ultima linguse,
Ipsa jacet, temeque tremens immurmurat atrac;
Utqne salire solet mutilats cauda colubrae,
Palpitat, et moriens domin» vestigia quxrit. 560
Hoc quoque post facinus (vixausim credere) ferlur
Sjcpe sua lacerum repetisse libidine corpus.
Sustinet hac Procnen post talia facta reverti.
Conjuge qusB viso germanam quaerit. At ille
Dat gemilus fictos, commentaque funera narrat; ^5
Et lacryma} fecero fidem. Velamina Procne»
Deripit ex humeris, auro folgentia lato,
Induiturque atras vestes, et inane sepulcnim
230 MlilTAMORPHOSES.
descendue chez les morts. Elle pleure, mais ce ne sont point des
larmes qu'exigent les destins de sa scBur. Le soleil avait traverse
les douze signes. Que peut if^hilomele? Des gardes s'opposent a
sa fuite, et des rochers forment les murs de sa prison. Sa bouche
muette ne saurait rev^ler son infortune. Mais la douleur est in-
ventive, et le malheur enfanle le genie. Suivant Tusage de cette
contree, elle dispose sur une toile des fils rouges et des fils blancs
pour d^noncer le crime de Tdree. Dds que l*ouvrage est acheve, elle
le donne k une des femmes de sa sceur, et l'invite par un geste a
Fapporter k sa maitresse. Celle-ci execute ses ordres, sans deviner
le mystere. L'6pouse du cruel tyran deroule le tissu, et apprend
la d^plorable aventure de sa soeur. Surprise d'un attentat aussi
abominable, elle garde le silence. La douleur ^touffe sa voix.
Quelles paroles pourraient suffire a son indignation? Sans repandre
d'inutiles larmes, elle s'elance, pr^te a tout, et ne respire que la
yengeance.
C'6tait Fepoque ou les femmes de la Thrace celebraient les
orgies. La nuit pr^side a ces f^tes. Le Rhodope retentit alors des
Constituit, falsisque piacula manibus infert,
Et luget, non sic lugendaB fata sororis. 570
Signa deus bis sex acto lustraverat anno.
Quid faciat Philomela? fugam custodia claudit :
Structa rigent solido stabulorura moenia saxo. .
Os mutum facti caret indice. Grande dolori
Ingenium est, miserisque venit solertia rebus. 575
Stamina barbarica suspendit callida tela,
Purpureasque notas filis intcxuit albis,
Indicium sceleris; perfectaque tradidit uni,
Vtque ferat domin» gestu rogat. Illa rogata
Perlulit ad Procnen; nec scit, quid tradat in illis. ;i80
Evolvit.vestes saevi matrona tyranni,
Germanaeque suse carmen miserabile legit,
Et (mirum potuisse), silet : dolor ora reprcssit.
Verbaque quaerenti satis indignantia linguae
Defuerunl; nec flere vacat; sed fasque nefasque 585
Confusura ruit, poenseque in imagine tota esl.
Tempus erat, quo sacra solent trieterica Bacchi
SithoniPB cplebrare nurus. Nox conscia sacris ;
Noftp sonat Rhodopo linnitibus aeris aculi;
LIYRE VI. !23i
sons aigus de l'airain. La reine sort de son palais au milieu des
tenebres. Avec rajustement prescrit pour ces fAles, elle a pris
le costume des Bacchantes. Son front est couronne de parapres;
la peau d'un cerf pend a son c6i^ gauche; un thyrse l^er
repose sur son epaule. Suivie d'un nombreux cortege dans les
bois qu'elle parcourt, la terrible Procne, en proie a tous les
transports de ia douleur, imite les pr^tresses de Bacchus. Elle
arrive pres de la demeure secr^te ou Philom^le est retenue, pousse
des hurlements, crie fivee, brise les portes, enleve sa scour, la
revfit des insignes de Bacchus, cache ses traits sous le lierre, et
rentraine, hors d*elle-m^me, dans son palais. A peine la malheu-
reuse Philom^le a-t-elle touch6 le seuil sacril^ge, elle fr6mit d'e-
pouvante, et son visage se couvre de pSleur. Procne la m^ne dans
un reduit isole, lui 6te les v6tements destines aux orgies, et de-
couvre son front qui rougit de honte. Elle la presse dans ses
bras; mais Philom^le n*ose lever les yeux devant une soeur dont
elle se croit la rivale. Les regards attach^s a la terre, elle vou-
drait jurer, en invoquant les dieux, que la violence a seule im-
prim^ une tache a son honneur. Le geste remplace la voix.
Nocte sua est egrcssa domo regina; deique 580
Ritibus instruitur, furialiaque accipit arma.
Vite caput tegitur; lateri cervina sinistro
Vellera dependent ; liumero levis incubat hasta.
Concita per silvas, turba comitanle suarum,
Tcrriliiiis Procnc, furiisque agilata doloris, 5Ur>
Bacchc, tuas simulat. Venit ad stabula avia tandem,
Exululatquc, Evocque sonat, portasque refring!!,
Gcrmanamquc rapit, raptseque insignia Bacchi
Induit, ct vullus hedcrarum frondibus abdit,
Attonilamquc irahens intra sua limina ducit. GOO
Ut sensil tetigissc domum T'hilomela nefandam,
Horruit infelix, totoque cxpalluit ore.
Nacta locum Procne, sacrorum pignora demit,
Oraque develat miserni pudibunda sorori ;
Amplexuque petit. Sed non attollere coutra 605
Sustinet hsec oculos, pellex sibi visa sorons.
Dejectoque in humum vuitu, jurare volenti,
Testarique deos, per vim sibi dedecus illud
Illatum, pro vocc manus fuit. Ardet, et iraoi
232 HfeTAMORPHOSES.
Procn^., eiillammee de colere, et ne pouvant plus se contenir,
arr&te les pleurs de Philom^le : «c Ge ne sont point des larroes qui
doivent nous venger, dil-elle, mais le fer, ou tout autre moyen
plus teirible encore. Je suis resolue a tout entreprendre, ma soeur.
Ou je mettrai le feu a ce palais, et je precipiterai le perfide Teree
au milieu des flammes, ou je ferai tomber sous le fer sa langue,
ses yeux et les membres qui font ravi l'honneur; ou bien, par
milleblessuresje lui arracherai son &me criminelle. Je suis pr^te
k frapper un grand coup; mais je ne sais comment assouvir ma
vengeance. »
Tandis qu^elle exhale sa fureur, Itys accourt pres de sa mere.
Get enfant lui indique ce qu'elle peut oser. Elle lui lance un re-
gard farouche : « Ah ! dit-elie, quelle ressemblance avec ton pere ! »
Sans en dire davantage, elle se prepare a un crime ex^rable, et
concentre sa colere aufond de son coeur. Gependantrenfant s'ap-
proche, salue sa m^e, jette autour de son cou ses petits bras, et
mSIe des baisers a ses naives caresses. Procne s'attendrit; son
courroux est suspendu. Malgr^ elle, des larmes mouillent ses yeux.
Elle sent chanceler son coeur de m^re. Alors, contemplant tour
Non capit ipsa suam Procne, flclumque sororis 610
Corripiens : « Non est lacrymis hic, inquit, agendum,
Sed ferro, sed si quid habes, quod vincere ferrum
Possit. In omne nefas ego me, germana, paravi,
Aut ego, quum facibus regalia tecta cremaro,
Arlificem mediis immittam Terea flammis ; 615
Aut linguam, aut oculos, aut quae tibi membra pudoreni
Abstulerunt, ferro rapiam; aut per vulnera mille
Sontem animam expellam. Magnum quodcumque paravi.
Quid sit adhuc dubito. »
Peragit dum talia Procnc,
Ad matrem veniebat Itys. Quid possit ab illo G20
Admonita est; oculisque tuens immitibus : « Ali ! qiiam
Es similis palri ! » dixit. Nec plura locuta,
Triste parat facinus, tacitaque exaestuat ira.
Ut tamen accessil natus, matrique salutem
Attulit, et parvis adduxit colla lacertis, ^^*^
Mixtaque blanditiis puerilibus oscula junxit,
Mota quidem est genitrix, infiractaquc constitil ira,
Invitique oculi iacrymis maduerc coactis.
Sed simul ex nimia matrem pietate labatd
LIVRE VI. 235
h tour son fils et sasoeur . « rourquoi, dit-elle, Tun m*adresse-t-il
de douces paroles, tandis que Tautre resle muette? Si Tun me
liomme sa m^re, pourquoi Tautre ne me nomme-t-elle pas sa
soeur? Yois quel homme a re^u ta main, fiile de Pandion. Tu
d^eneres : la pitie pour un epoux tel que Ter^ est un crime. »
Au m6me instant, elle enleve Itys, comme, sur les bords du Gange,
un tigre emporte un jeune faon dans Tepaisseur des bois. Des
que Procne est arriv^ au fond du palais, Tenfant lui tend les
bras, et, pr^voyant son malheur, il s'ecrie, en se jetant a son cou :
Ma mere! ma mere! Procne, sans d^tourner les yeux, lui plonge
un poignard dans le sein. Un seul coup suffisait pour lui donner
la mort; mais Philomele le frappe aussi a la gorge. Son corps
palpitant conservait encore un souffle de vie. Elles le mettent en
lambeaux, en font bouillir une partie dans des vases d'airain, et
placent le reste sur des charbons ardents. Le palais ruisselle de
sang.
Procn^ cache son crime k Teree et lui fait servir ce mels.
Feignant un banquet ou, suivant Tusage d'Atb^nes, s(m ^poux
seul peut assister, elle ordonne au cort^ge du roi et k ses esclaves
Sensit, ab hoc iterum est ad vultusversa sororis; 650
Inque vicem spectans ambos : « Cur admovet, inquit,
Alter blanditias, rapta silet altera lingua?
Quam vocat hic malrem, cur non vocat illa sororem?
Gui sis nupla vide, Pandione nata marito.
Degeneras : scelus est pielas in conjuge Tereo. » Ga5
Nec mora, traxit Ityn, veluti gangetica cervaj
Lacleutem foetum per silvas tigris opacas.
Utque domus sitae partem tenuere remotam,
Tendentemque manus, et jam sua fata videntem,
Et Mater^ maler! clamantem, et coUa petentem, &iO
Ense ferit Procne, lateri qua pectus adhoiret,
Nec vultum avertit. Satis illi ad fata vel unum
Vulnus erat; jugulum ferro Philomela resolvit.
Vivaque adhuc, animoique aliquid retinentia memlira
Dilaniant. Pars inde cavis exsultat ahenis, 645
Pars verubus slridet. Mauant penetralia tabo.
His adhibet conjux ignarum Terea mensis,
Et patrii moris sacrum mentita, quoduni
Fas sit adire viro, comites famulosque rcmovit.
23i METAMORPHOSES.
de se retirer. T^r^e, assis sur le tr6ne de ses aieux, se repait de
son sang et engloutit dans son sein ses propres entrailles. a Ame-
nez-moi Itys, • dit-il : tant il est plong^ dans les t^nebres ! Procne
ne peut dissimuler sa cruelle joie. Impatiente de lui apprendre son
malheur : « Gelui que tu demandes est avec toi, » repond-elle.
T^ree prom^ne ses regards autour de lui et cherche son fils. Tan-
dis qu'ii le cherche et l'appelle sans cesse, Philomele, les cheveux
^pars et ivre de sang, s'avance et jette latSte sanglante dltys a la
t6te de son pere. Jamais elle ne desira plus vivement qu'alors de pou-
voir parler pour exprimer son all^esse. Le rdi de Thrace repousse
lebanquet avec des cris affreux, et du fond des enfers il evoque les
implacables Furies. Tantdt il voudrait retirer de ses flancs entr'ou-
verts les membres de son fils qui lui ontservi d'horrible aliment;
tantdt il pleure et s'appelle le malheureux tombeau de son fils ;
tantdt, Tep^e k la main, il poursuit les filles de Pandion. On eut dit
que, port^es sur des ailes, «Ues se balanQaient dans les airs : elles
volaient en effet. L'une se refugie dans les bocages ; Tautre vol-
tige sous nos toits. Les traces de ce meurtre ne sont pas encore
eifacees sur leur sein : leur plumage est empreint de sang, Teree,
Inde gedens solio Tereus sublimis avito 650
Vescitur, inque suam sna viscera congerit alvum.
Tantaque nox animi est: « Ityn huc arcessite, » dixit.
Dissimulare nequit crudelia gaudia Procne ;
Jamque suse cupiens exsistere nuntia cladis :
« Intus habes, quod poscis, » ait. Gircumspicit iile, ri:i5
Atque ubi sil quaerit; quaerenti, iterumquc vocanti,
Sicut erat sparsis furiali csede capillis,
Prosiliit, Ityosque caput Philomeia cruentum
Misit in ora patri; nec tempore maluit uUo
Posse loqui, et meritis testari gaudia dictis. 660
Thracius ingenti mensas clamore repellit,
Vipereasque ciet stygia de valle sorores;
Et modo, si possit, reserato pectore diras
Egerere inde dapes, demersaqne viscera geslit ;
Flet modo, seque vocat bustum miserabile nati ; 6ij^
Nunc sequitur nudo genitas Pandione ferro.
Corpora Cecropidum pennis pendere putares :
Pendebant pennis. Quarum petit allera siivas,
Altera tf>eta subit. Neque adhuc de pectore caedis
Effluxere notoe, signataque sanguine pluma est. 67u
LIVRE VI. 235
transport^ de douleur et alt^re de vengeance, est aussi changS
<m un oiseau. Son front est par^ d'une aigrette, et son bec, d'une
extr^me longueu^, prend la forme d'un dard. Get oiseau se nomme
buppe. Sa t^te parait arm^e. Ge desastre b^ta la fin de Pandion :
11 descendit au Tartare avant d'avoir atteint le terme d'une longue
Tieillesse.
BOB£e ENLtlVE 0R1THTE. IL EN A DRUX FILS, CALAIS ET ZET&S,
QUI FURENT AU NOMBRE DES ARGONAUTES.
VU. Le sceptre et les r6nes de l'empire pass^rent dans les
mains d'firechth6e, monarque aussi cel6bre par sa justice que par
la puissance de ses armes. II avait quatre fils et autant de filles.
Deux ^taient d'une dgale beaute.. Tu fus Fune dVUes, Procris, et
Fheureux Gephale, issu du sang d'£ole, avait obtenu ta main.
Blais Teree et ses Thraces nuisirent a Tamour de Boree. Sa ten-
dresse pour Orithye fut impuissante, tanl qu'il aima mieux rob-
tenir par des prieres que par la \iolence. Enfin, voyant que la
douceur n'abouJtissait a rien, il fremit de celle fureur terrible qui
le caract^rise et ne lui appartient que trop. Dans son juste courroux,
il s'ecria : « Pourquoi ai-je quitt^ mes armes, rimpetuosile, la
Ille dolore suo, pcDnacquc cupidinc velox,
Vertitur in volucrem, cui stant in vertice cristae ;
Prominet immodicum pro longa cuspide rostrum.
Nomen Epops volucri : facies armata videtur.
llic dolor ante diem, longajquc extrema senecta> 67.^>
Tempora, tartareas Pandiona misit ad umbras.
ORITHYAM BOREAS RAPIT, ATQCE EX BAPTA CALAIN PROCREAT ET ZETEX,
QUI FDERUNT EX ARGONAUTIS.
VII. Sceptra loci, rcrumque capit moderamen Erechtheus.
Justitia dubium, validisne potcnlior urmis.
Quattuor illc quidcm juvenes, totidemquc crcarat
Femineje sortis. Sed erat par forma duarum, 680
E quibus iEolides Ceplialus te conjugo felix,
Procn, fuit. Boreai Tcrcas Thracesque nocebant;
Dilectaqu'3 diu caruit deus Oritliyia,
Dum rogat, ct precibus mavult, quam viribus, uti.
Ast ubi blanditiis agilnr uihil, horridus ira, 68$
Quse solita est illi, nimiumque domestica, vento;
Et merito, dixit : « Quid enim mea tela reliqui,
m N^TAMORPHOSES.
force, la colere et la menace? Pourquoi ai-je recouru a la priere,
qui n*est pas faite pour moi? La violence est mon partage. Par
elle je dissipe les sombres nuages; par elle fe bouleverse les
fiots, je reuyerse les robustes ch^nes, je durcis la neige et j*en-
voie la gr^le sur ]a terre. Si, dans les plaines de l'air qui smit
mon domaine, je rencontre mes freres, je lulte avec de tels ef-
forts, que notre choc fait gronder le tonnerre et jaillir les eclairs
du sein des nues. Cest moi qui, penetrant dans les entrailles de
la terre, et soulevant fi^rement mon dos dans ses cav^mes pro-
fondes, ^pouvante les ombres et fais chanceler runivers. J'aurais
dti faire valoir ma puissance en demandant une ^pouse ; j'aurais
dii employer la violence, et non la priere, pour devenir le gendre
d'firechth6e. •
A peine Bor^e a-t-il profere ces paroles ou d^autres non moins
superbes, quMl secoue ses ailes. Soudain un souflfle violent boule-
verse la terre, et la mer fr^mit. Boree promene sur la cime des
monts son manteau poudreux; il balaye la terre, et, couvert d'un
nuage, il enveloppe tendrement de ses sombres ailes Orithye
tremblante d^effroi. II vole, et son essor donne a ses feux une
SiBviliam, et vires, iramque, aniinoscjue minaces?
Admovique preces, quarum me dedecet usus?
Apta mihi vis est : vi tristia nubila peiio; 690
Vi freta concutio, nodosaque robora verto,
Induroque nivcs, et terras grandine pulso.
Idem ego quum fratres ccelo sum nactus aperto,
(Nam mihi campus is est), tanto molimine luctor,
Ut medius nostris concursibus intonet aethcr, G95
Euiliantque eavis elisi nubibus igncs.
Idem ego, quum subii convexa foramina terrse,
Supposuique ferox imis mea terga cavernis,
SoUicito manes, totumque tremoribus orbem.
Hac ope debueram thalamos petiisse, socerquc 700
Non orandus erat, sed vi faciendus, Erechtheus. »
HaBC Boreas, aut his non inferiora locutus,
Excussit pennas. Quarum jactatibus omnis
AfQata est tellus, latumque perhorruit acqOor ;
Puivereamque trahens per summa cacumina pallam, 70S
Verrit humum; pavidamque metu caligine tertus
Orilhyian amans fulvis amplectitur alis.
Dum volat, arserunt agitati fortius ignes;
LIYRE VI. 237
force nouvelle. 11 n^arr^e sa course aerienne qu'apres avoir at-
teint la region des Thraces, siege de son empire. G*est l^ que la
jeune Athenienne devint epouse du roi des frimas et en m^e
temps mere. EUe donna le jour a deux jumeaux qui lui ressem-
Maient, et qui n'eurent de Boree que les ailes. On dit pourtant
qu*elles ne naquirent point avec eux. Tant que la barbe ne se
montra point au-dessous de leur blonde chevelure, Galais et Zetes
furent sans ailes ; mais, des qu'un leger duvet ombragea leurs
joues, un plumage pareil a celui des oiseaux revMit leurs fldncs.
Lorsque Tenfance eut fait place a la jeunesse, unis aux descen-
dants de Minyas, pour coiiquerlr la toison d'or, ils travers^rent
sur le premier vaisseau une mer que la rame n'avait jamais
sillonnee.
Nec prius aerii cursus siippressit liabenas,
Quam Sitiionum tenuit populos, sua moenia, raptur. 7J0
Ulic et gelidi conjux acUea tyranni,
£t genitrix facta est, partus enixa gemellos,
Csetera qui matris, pennas geniioris habercut.
Non tamen has una memorant cum corpore natas.
Barbaque dum rutilis aberat submissa capillis, 715
Implumes Calaisque puer, Zetesque, fueruiit.
Mox pariter ritu penna! coeperc volucrum
Cingere utrumque latus, puiiter flavescerc malie.
Ergo, ubi concessit tempus puerile juventae,
Vellera cuin Minyis nitido radianlia villo, 720
Per marc non molum primu petieic curina.
LIVRE SEPTlEME
JASON, PAR LE SECOLHS DE MEDBE, S'eIIPARE DE LA TOISON I)'OR.
I. D6ja les Argonautes fendaientles ondes sur le navire construit
a Pagase; d6ja Phinee, dont la miserable vieillesse se trainait au
sein d une ^ternelle nuit, s^etait montre a leurs yeux, et les jeunes
fils de Boree avaient chasse loin du malheureux vieillard les oi-
seaux a qui la nalure donna des trails de vierges. Sous la conduile
de riliustre Jason, apres de longues traverses, iis avaient touclie
enfin les eaux rapides et limoueuses du Phase. Us se rendent au-
pres du roi, et demandent la toison du b^lier de Pliryxus. U leur
apprend par quels penibles travaux elle doit 6tre conquise. Ce-
pendant un feu violent s^allume dans le coeur de la fille d'£etes.
£lle combat iongtcmps ; mais la raison ne peut triompher de son
delire» u Tu resistes en vain, Medee, se dit-elle; je ne sais quel
/T
LIBER SEPTIMUS
JASON, ADJUVANTE ME1)EA, VEILUS AUREU:>I REFLUT.
1. Jamque frelum Min^ae pagasaea puppe secabaiil,
Perpetuaque trahens inopem sub nocte seneclam
Phincus visus erat; juvenesque Aquiloue cren.ti
Virgineos volucres raiseri senis ore fugarant ;
Multaque perpessi claro sub lasone, tandcm '>
Contigerant rapidas limosi Phasidos undas.
Dumqueadeunt regem, phryxeaque vellera poscunl,
Lexque datur numeris magnorum horrcnda laboruni,
Concipit interea validos (Ectias ignes;
Et luctata diu, pustquam rationc furorem 10
Vincere non poterat : c Frustra, Medca, i (.'pugua= ,
LIVRE Vll. 239
dieu rend mes efforts inutiles. J'6prouve un sentiment qui m'e-
tonne; oui, il ressemble a ce qu'on appelle l'amour. Pourquoi
trouver cruels les ordres de mon pere? Ordres cruels, en effet!
Pourquoi craindre qu'un heros que j'ai vu a peine une fois ne
perisse? Quelle est la cause d'une si vive crainte? Malheureuse!
bannis, si tu lepeux, deton coeur pudique la flamme qui te d6-
vore! Si je le pouvais, je serais plus calme.
«Mais uneforceinconnue m'entrainemalgremoi. L'amour m*in-
dique une route, et la raison une autre. Je veux suivre la vertu
que j'aime, et je c6de au mal. Issue du sang royal, pourquoi bru-
ler pour un etranger? Pourquoi te marier loin de ta patrie? Tu
peux trouver ici un objet digne de ton amour. Les dieux peuvent
disposer des jours de Jason. QuMl vive! je puis former ce vceu,
m^me sans amour. En quoi est-il coupable? Quelle femme» a
moins d'6tre barbare, ne serait point louch^e de sa jeunesse, de
sa naissance, de son courage ? Quelle femme, n'eiit-il pas d'autre
avantage, serait insensible a sa beaute ? Elle a fait impression sur
moi ; et cependant, si je ne lui prete mon appui, il sera en butte
aux flammes vomies par des taureaux ; il succombera au milieu
d'ennemis semes par ses mains et sorlis du sein de la terre, ou
Nescio quis deus obstat, ait ; mirumque, nisi hoc est,
Aut aliquid certe simile huic, quod amare vocalur.
Nam cur jussu patris nimium mihi dura videntur?
Sunt quoque dura nimis. Cur quera modo deuiquc vidi, Ib
Ne pereal, timeo? Qu» tanti causa limoria?
Excute virgineo conceplas pectore ilammas>
Si potes, infelix : si possem, sanior essem.
«t Sed trahit invitam nova vis, aliudque GupidO,
Meus aliud suadct. Video meliOra, proboque ; 20
Deteriora sequor. Quid in hospite, regia virgo,
Ureris? ct thalamos alieni concipis orbis?
JliBc quoquo terra polcsl, quod ames, dare. Vivut, uu iiie
Occidal, in dis esl. Vivat lamen; idquc precari,
Vel sine amore licet. Quid enim commisit lason? 45
Quani, nisi crudelem, non tangut lasonis oitas,
Et genus, et virlus? Quara non, ut caetera dcsint,
Fornia movere potest? Cerle mea pectora movit.
At, uisi opem tulero, laurorum afilabitur ore,
Coucurretque su» segeti, tcliuro creatis 30
240 METAMORPHOSES.
bien il deyiendra la proie d'un dragon altere de sang. Ah ! si jc
souffrais de telles horreurs, je me croirais n^e d'une tigresse, et
je croirais porter un coeur de fer et de roche. Cependant pourquoi
ne pas vouloir fitretemoin de sa mort? Pourquoi ne point souil-
ler mes yeux d'un tel spectacle ? Pourquoi ne pas exciter contre lui
les taureaux, les feroces enfants de la terre el le dragon inacces-
sible au sommeil ? Que les dieux le protegent ! Mais a quoi seryent
mes voBux, si je ne Taide point? Cependant dois-je livrer le sceptre
de mon p^re ? Irai-je assurer le salut de je ne sais quel etranger
qui, sauve par moi, abandonnera sans moi sa voile aux vents, et
deviendra Fepoux d'une autre, tandis que je subirai la peine de
son crime ? S'il est capable d'une pareille trahison, s'il peut me
sacrifier a une autre femme, qu'il perisse, Tingrat !
« Mais la noblesse de ses traits, Felevation de sonSme, la beaute
de sa figure, rien ne me permet de soup^onner une pertidie ou
roubli de mes bienfaits. D'ailleurs, avant d'^lre secourU) il enga-
gera sa foi, et je le forcerai a invoquer les dieux comme garanls
de ses promesses. Pourquoi trembler, quand tout te rassure ?
Mets-toi a Foeuvre sans retard. Jason te sera pour jamais enchaine
par la reconnaissance ; il allumera solennellement le flambeau de
Hoslibus, aut avido dabitur fera prseda draconi.
Hoc ego si patiar^ tum me de tigride natam,
Tum ferrum et scopulos gestare in corde fatebor. '
Cur non et specto pereuntem, oculosque videndo
Conscelero? Cur non lauros exhortor in iilum, 35
Terrigenasque feros, insopilumque draconem ?
Di meliora velintl Quanquam non ista prccandu,
Sed facienda mihi. Prodamne ego regna parentis?
Atquc ope nescio quis servabitur advena noi^lra,
Ut per me sospes, sine me, det lintea veniis, 40
Virque sit alterius? PGenac Mcdea reliuquar?
Si facere hoc, aliamve polest prseponcre nohi:?,
Occidat ingratus.
« Sed uon is vultus iu illo,
Mon ea nobiUtas animo est, ea gratia forma;,
Ut limeam fraudem, merilique oblivia nostri. ij
Kt dabit anle fidem, cogamque in foedera tesles
Esse deos. Quid tuta times? Accingere, et omnem
Pelle moram. Tibi se sempcr debebit lason;
Tc face solenni junget sibi, pcrque pdasgas
LIVRE VII. 241
rhymen pour s'unir a toi, et, dans les villes de la Gr^, les meres
te nommeront la liberatrice de leurs enfants. Hais quoi ! j^aban-
donnerai donc ma soeur» mon fr^re et mon p^re, et les dieux et
le sol natal, pour me livrer kla merci des vents? Oui, mon p^re
est cruel, ma patrie est barbare, mon fr^re est encore enfant, et
ma sceur seconde mes voeux. Le plus puissant des dieux est en
moi. Je quitte une fortune obscure pour une brillante destinee,
la gloire de sauver la jeunesse de la Grece, et celle de connaitre
une contr^ plus ferlile, des villes dont la renommee est parvenue
jusqu'^ nous, les moeurs et les arts de leurs habitants, enfin le
fils d'£son, pour qui je donnerais tous les tr^sors de Tunivers.
£pouse fortunee de ce heros, je serai proclameela favorite deslm-
mortels, et ma tSte s'el6vera jusqu'aux cieux.
« Que mMmportent je ne sais quelles montagnes qui semblent se
confondre au milieu des flots, et Tecueil si fatal aux navigateurs,
Charybde, qui tantdt absorbe les ondes et tantdt les rejette, et la
devorante Scylla entouree de chiens furieux qui font retentir de
leurs aboiements le detroit de Sicile? Avec Tobjet de mon amour,
pressee sur le sein de Jason, je parcourrai toutes les mers. Dans
sesbras, jeserai saiis effroi, ou, si j'6prouve quelque crainte, je
Servatrix urbes matrum celebrabere turba. J>0
Ergo ego germanam, fratremque, patremque, deosquc,
Et natalc solum, ventis ablata, rclinquam?
Nempc pater ssevus, nempe est mea barbara tellus;
Frater adhuc infans; stant mecum vota sororis.
Maximus intra me deus est. Non magna relinquaui ; 55
Magna sequar, titulum servato: pubis achivae,
Notitiamque loci melioris, et oppida, quorum
Hic quoque fama viget, cultusque, artesque viroruui;
Quemque ego cum rebus, quas totus possidet orbis,
iEsonidem mutasse velim. Quo conjuge felix, G()
Et dis cara ferar, et vertice sidera tangam.
« Quid, quod ncscio qui mediis concurrerc in uudis
Dicuntur niontes, ratibusque inimica Charybdis,
?(uuc sorberc fretum, nunc reddere, cinctaquc sicvis
Scylla rapax canibus siculo latrarc profundo? 6j
Nempc tenens quod amo, gremioque in lasouis hxrens,
Per frela longa trahar. Nihil illum ampleia vcrebor;
Aul, si quid mcluam, metuam de conjuge solo.
242 METAMORPHOSES.
ne tremblerai que pour mon ^poux. Queparles-tu d'6poux? M6-
d^, tu couYres ta faute d'un nom specieux. Regarde plutdt quel
crime tu vas commettre. fivile-le ; il en est temps encore. » Eile
dit. A ses yeux apparurent soudain la vertu, la piete, l'honneur>
et l'Amour vaincu s^apprStait a prendre la fiiite.
MSdee portait ses pas vers les antiques autels d^Hecate» fille de
Pers6e. Ils s'elevaient au fond d*un bois qui les couvrait d'un
mysterieux ombrage. Son coeur raffermi ne ressentait plus les
atteintes de Tamour, lorsqu'elle voit le fils d'£son. Tout a coup
ses ardeurs se raniment, la rougeur couvre ses joues, et tous ses
traits s'en£lamment. Gomme on voit une faible etincelle cachee
sous la cendre se d^velopper au souffie du vent, et s'etendre bientdt
en reprenant sa force premi^re, la passion de Medee, qui sem-
blait refroidie et mourante, se rallume a Taspect des charmes
dn jeune heros. La beaut^ du fils d'£son etait, par hasard, en
ce jour, plus eblouissante qu'a fordinaire : c'etait une excuse pour
son amante. Elle le regarde et le devore des yeux, conrnie si elle le
voyait pour la premiere fois. Insensee ! elle ne croit plus contem-
pler les traits d'un mortel, et ne se d^tourne pas un instant de lui.
Conjugiumne putas? speciosaque nomina culpae
Imponis, Medea, tu»? Quin aspice quanlum ^O
Aggrediare uefas; et, dum licet, effuge crimen. »
Bixit, et ante oculos reclum, pietasque, pudorque
Gon&titerant ; et victa dabut jam terga Cupido.
Ibat ad anliquas Hecates Perseidos aras,
Quas nemus umbrosum, secretaque silva tegebaut. 75
Et jam fortis erat, pulsusque rcsederat ardor,
Quum videt ^souiden, exstinctaque fiamma revixil;
Et rubuere genae, totoque recanduit ore.
Ut solet a ventis aiimenta assumere, queque
Parva sub inducta latuit scintilla favilla, 80
Crescere, et in veteres agitala resurgere vires;
Sic jam lentus amor, jam quem languere putuics,
Ut vidit juvenem, specie praesentis inarsit.
Et casu, solito formosior ^sone natus
lUa luce fuit : posses ignoscere amanti. Sj
Spectat, et iu vullu, veluti tum denique viso^
Lumina fixa teuet, ncc se mortalia dcuiens
Ora videre putat, nec se declinat ab illo.
LIVRE VII. 243
Enfin r^tranger commence a parler. II saisit sa main, implore son
appui d'une voix suppliante, et la demande en mariage. Alors M^
d^e, fondant en larmes : a Je sais bien ce que je devrais faire,
dit-elle, et ma faute ne pourra pas s'imputer a rignorance, mais h
Tamour. Tu seras redevable de ton salut k mes bienfaits. Sauve
par moi, remplis tes promesses. » Jason prend k temoin la triple
Hecate, divinite tutelaire de cette forSt, le dieu dont les regards
embrassent runivers et qui donna le jour a son futur beau-p^re,
et sa fortune, et les affreux dangers qui Tattendent. Med^e re^oit
ce serment, lui- presente aussit6t les herbes enchantees et lui en
apprend l'usage. Jason, transporte de joie, retourne auprSs de ses
compagnons.
Le lendemain, des que TAurore eut cliass^ les etoiles, les ha-
bitants de la contr^ accoururent vers le champ consacre au dieu
Mars, et s'arrelerent sur les hauteurs qui le dominent. Le roi s'as-
sit au milieu d'eux, couvert d'unmanteau de pourpre et un sceptre
dMvoire k la main. Soudain les taureaux aux pieds d'airain vomissent
de leurs naseaux de fer une vapeur ardente qui dess^che et br^e
le gazon. De mtoe que la flamme gronde dans un foyer rempli de
matieres combustibles, ou comme dans une fournaise la chaux
Ut vero coppitque loqui, dextramquc prehendit
Hospes, et auxilium submissa \oce rogavit, 90
Promisitque torum, lacrymis ait illa profusis :
« Quid faciam video; nec me ignoranlia veri
Decipiet, sed amor. Servabcre munerc nostro.
Servatus promissa dato. » Per sacra iriformi^
lUe deae, lucoque forct quod numen in illo, 95
Perque patrem soceri cementem cuncta futuri,
Eventusqne suos, et tanta pericula jurat.
Credilus, accepit cantatas protinus herbas,
Edidicitque usum, laetusque in caslra reccssil.
Postera dcpulerat stellas Aurora micantes. iOU
Conveniunt populi sacrum Havortis in arvum,
Gonsistuntque jugis. Mediorex ipse resedit
Agmine purpureus, sceplroque insignis eburno.
Ecco adamanteis Vulcanum naribus efQanl
iEripedes tauri ; tactseque vaporibus herba^
Ardent; utque solent pleni resonare camini,
Aul ubi terrena silicos fornace soluti
m HfiTAVORPHOSES.
impr^gn^ d*eau se dissout et bouillonne, ainsi la poitrine etla bou*
cheembras^e des taureaux vomissent a grand bruit des tourbillons
de feu. Gependant le fils d'fison marche a leur rencontre. Ils le
regardent d*un air farouche, lui presentent une face terrible et
un front h^riss^ de cornes de fer. La poussi^re vole sous leurs
pieds, et leurs mugissements, accompagnes d'un nuage de fumte,
i^etentissent au loin dans la plaine. La crainte glace les Argonautes.
Jason affronte les feux. GrSce k ses herbps enchantees, il ne les
smit pas s'exhaler autour de lui. D'une main bardie il caresse le
&non des taureaux, les soumet au joug, les force a trafner la
pesante charrue et a d^chirer avec le soc une terre vierge encore.
Les babitants de la Golchide restent immobiles de surprise ; les
Argonautes excitent par leurs cris le courage du h^ros. Alors il
tire d'un casque d'airain les dents du dragon de Mars, et les sSme
dans les sillons nouvellement trac^s. La terre ramollit ces dents
humect^sd'un philtre puissant. Elles croissent et produisent des
hommes nouveaux. Gomme un enfant prend la forme humaine
dans les flancs de sa m^re, s*y developpe par degres et ne vient au
jour qu'apr^s avmr achev^ son accroissement, lorsque des hom-
Concipiunt ignem liquidaruro aspergine aquanim ;
Pectora sic intus clausas volventia flammas,
Gutturaque usta sonant. Tamen illis Jlsone natus 110
Obvius it. Vertere truces venienlis ad ora
Terribiles vultus, prsefixaque cornua ferro,
Pulvereumque solum pede pulsavere bisulco,
Fumificisque locum mugitibus implevere.
Diriguere metu HiuYaB. Subit ille, nec ignes 115
Sensit anhelatos: tantum medicamina possunt!
Pendulaque audaci mulcet paiearia dextra ;
Suppositosque jugo pondus grave cogit aralri
Ducere, et msuetum ferro proscindere campum.
Mirantur Colchi; Minyae clamoribus implent, 1*20
Adjiciuntque animos. Galea tum sumit ahena
Vipereos dentes^ et aratos spargit in agros.
Semina moUit humus, valido praetincta veneno,
Et crescuul, fiuntque sati nova corpora dentes.
Utquc honiinis spccicm matenia sumil in alvo, 1^^
Perque suos intus numeros compouitur infans,
Nec nisi maturus communes exit in auras;
LIVRE VII. 245
mes ont ^te formes du germe d^pos^ dans le sein de la terre, Os
surgissent sur le sol qui les engendre, et, pour comble de prodige,
ijs brandissent des armes nees avec eux.
£n les voyant pr6ts a tourner leurs javelots contre le heros de
Thessalie, )es Grecs tremblent et baissent le front. La terreur
gagne mSme Tamante qui Favait rendu invulnerable. A Taspect
du jeune etranger, seul en butle aux coups de tant d'ennemis,
elle p^t et le sang se glace tout a coup dans ses veines. Grai-
gnant que les herhes dont elle Fa pourvu soient peu efQcaces, elle
£ut entendre des chanls magiques et appelle a son aide les mys-
teres de son art. Jason lance une enorme pierre k ses ennemis, et
reporte sur eux Tattaque qu'il eloigne de lui. Les enfants de la
terre toument leurs armes contre eux-mSmes, et suocombent vic-
times de la guerre civile. Les Grecs felicitent le vainqueur; ils
l^entourent et le pressent avidement dans leurs bras. Toi aussi,
tu voudrais rembrasser, princesse nee dans ces r^ons barbares.
Sans la pudeur qui farrSte, comme tu Taurais serre sur ton coeur !
Mais lesoin de ton honneur comprime tes d^sirs. Du moins, il est
permis a ton amour de se r^jouir en silence. Tu rends grAce k
Sic ubi visceribus gravidsQ lclluris imago
Effecta est hominis, fceto consurgit in arvo;
Quodque magis mirum, simul edita conculit arma. 130
Quos ubi viderunt prseacutae cuspidis hastas
In caput hasmonii juvenis torquere paratos,
Demisere metu vultumque animumque Pelasgi.
Ipsa quoque extimuit, quao lutum fecerat illum ;
Utque peti juvenera tot v^dit ab hostibus unum, J!)5
Palluit, et subito sine sanguine frigida sedit.
Neve parum valeant a se data gramina, carmcn
Auxiliare canit, secretasque advocat artes.
Ille, gravem medios silicem jaculatus in hoslcs,
Ase depulsum Martem convertit in ipsos. 1J0
Terrigenae pereunt pcr mutua vulnera fratres,
Civilique cadunt acie. Gralantur Achivi,
Victoremque tenent, avidisque amplexibus haBrent,
Tu quoque victorem complecti, barbara, vellcs.
Obstitit incepto pudor. Ut complexa fuisses ! 145
Sed te, ne iaceres, tenuit revercntia famse.
Quod licet, affectu tacito Isetaris, agisqu«
14
846 MftTAMORPHOSES.
tes enchantements, et aux dieux qui leur ont donn6 tant de
Jason devait encore endormir, par la vertu des herbes, le dra-
gon vigilant arm6 d'une aigrette, d'une triple langue et de dents
recourb^es, monstre redoutable qui gardait la toison d'or. II re-
pandit sur sa tftte un suc soporifique, et prononga trois fois les
paroles qui produisent un paisible sommeil, calment le courroux
des flots et arrMentles fleuves debordes. Lesommeil, jusqu'alors
mconnu au monstre, appesantit ses yeux. L'intrepide fils d*fison
s'empare de la riche proie. Fier de sa conqufile, il emmene avec
lui celle a qui 11 la doit, et qui est aussi une conqu^te, et rentre
avecson ^pouse dans les ports d'Iolcos.
viDiE RAJEUNIT LE VIE1L l^SON.
n. Les femmes et les vieillards de Thessalie apportent des of-'
frandes aux dieux pour les remercier du retour de leurs enfants.
L'encens brule sur le brasier sacre, et, les comes entrelac^es de
bandelettes d'or, les victimes tombent sous le fer pour acquitter
leurs voeux. Mais dans cette foule reconnaissante on ne voit pas
£son, deja voisin du terme fatal et affaisse sous le poids de T^ge.
Carminibus grates, et dis auctoribus horum.
Pervigilcm superest herbis sopire draconcm,
Qui crista linguisque tribus prsesignis, et uncis 150
Dentibus horrendus, custos erat Arietis aurei.
Hunc postquam sparsit lethaei gramine succi,
Verbaque ter dixit placidos facientia somnos,
Quae mare turbatum, quse concita flumina sistant,
Somnus in ignotos oculos advenit, et auro 155
Heros sesonius potitur; spolioque superbus,
Muneris aclorem secum, spolia altera, portans,
Victor iolciacos tetigit cum conjuge portus.
^SON E SENE IN JUVENEM A MEDEA VERTITnR.
II. Haemoniae matres pro natis dona receptis,
Grandaevique ferunt patres; congestaque flamma 160
Vhura liquefiunt, inductaque comibus aurum
Victima vota cadit. Sed abest gratanlibus iGson,
Jam propior letho, fessusqiie senilibus annis.
LIVRE VII. 247
Son fils alors fait entendre oes roots : f 0 toi, rauteur de mon
salut, ch^re ^pouse, tu m'as combl^ de tesbienfaits, et ta lib^ralit^
passe toute croyance. Gependant, si elle peut aller jusque-Ia (et
que ne peuvent tes enchantements! ), retranche quelques ann^
de ma vie, et ajoute-les aux ann^es de moh p^re. » En parlant
ainsi» il ne peut retenir ses larmes. Gette priere attendrit M^ee.
Son ccBur, bien different de celui de Jasou, se reporle vers fiet^s,
qu*elle a quitt^. Mais elle na laisse pas ^clater son ^motion. « 0
mon epoux ! dit-ello, quel voeu coupable est sorti de ta bouche!
Quoi! je pourrais prendre sur ta vie pour allonger celle d'un
autre! Ah ! que jamais Hecate ne me permette une telle impi^t^!
Jason, ta priere est injuste ; mais je tenterai de te procurer un
bien au-dessus de ce que tu demandes. J'essayerai de prolonger
les jours de mon beau-pere par mon art, sans abr^ger les tiens,
pourvu que la triple llecate me seconde et consente k ce grand
ceuvre. »
Trois nnits devaient s'ecouler encore avant que la lune form&t
un cercle parfait. A peine son disque plein s*est-il montre a la
terre, que M^ee sort de son palais. La ceinture flottante, nu-
pieds et les cheveux epars sur ses ^paules nues, au milieu du pro-
Tum sic ^sonides : « 0 cui deljere salutem
Confiteor, conjux, quanquam mihi cuncta dcdisti, 1G5
Excessitque fidem meritorum summn tuorum;
Si tamen hoc.possunt (quid cnim non carmina possint?)
Deme meis annis, et demptos adde parenti. »
Nec tenuit lacrymas; mota est pietite rogantis,
Dissimilemquc anlmum subiit iEeta relictus. 170
Non tamen affectus talcs confessa : « Quod, inquit,
Excidit, ore tuo, conjux, scelus? Ergo ego cuiquam
Posse tuae videar spatium transcribere vitai?
Non sinat hoc Hecate ; ncc tu petis sequa ; sed isto,
Quod petis, experiar majus dnre munus, lason. 175
Arte mea soceri longum lcnlabimus OBvum,
Non annis revocare tuis, modo diva triformis
. Adjuvet, ct praesens ingentibus annuat ausis. »
Tres aberant noctes, ut comua lota coircnt,
Efficercntquc orbem. Postquam plenissima fulsit, 180
Et solida terras spectavit imagine luna,
Egreditur tectis, vestes induta recinctas,
Nuda pedem, nudos humoris inftisa capillos;
218 MfiTAMORPHOSES.
fond silence de la nuit, elle erre sans compagne. Hommes, oiseaux,
bStes sauvages, tout est plong^ dans le sommeil. L'aub^pine est
muette; nulle feuilie ne s'agite ; le silence regne dans les humides
plaines de l'air. Les etoiles brillent seules. Medee, les mains le*
v^ vers la voiite c^leste, tourne trois fois en cercle, trois fois elle
repand sur ses cheveux l'onde puis^e dans un fleuve, trois fois
elle fait entendre des cris affreux, et, s'agenouillant sur le sol :
« 0 niiit^ amie du myst^re, dit-elle, et vous, astres radieux dont
le flambeau, comme celui de Ph6b^, remplace la lumiere du
jour; et toi, triple Hecate, depositaire et prolectrice de mes
desseins; et vous, enchantements et artiflces magiques; et
toi, Terre, qui fournis a mon art des herbes toutes-puissantes ;
et vous, zephyrs, vents, montagnes, fleuves et lacs ; dieux des
for^ts et dieux des ten^bres, secondez-moi ! Gr&ce k vous, les
rivages etonnes ont vu les fleuves, dociles a ma voix, remonter
vers leurs sources. Mes chants apaisent la mer agitee ou boule-
versent ses flots paisibles. Je disperse ou rasserable les nuages.
Je convoque ou dissipe les vents. Mes paroles magiques etouffent
les vip^res. Je deracine les rocs, les ch^nes et les for^ts en-
Fertque vagos mediaB per muta silenlia noctis
Incomitata gradus. Homines, volucresque, ferasque 196
Solverat alta quies; nullo cum murmure sepes,
Immotaeque silent frondcs; silet humidus aer.
Sidera sola micant. Ad quae sua brachia tendens,
Ter se convertit, ter sumptis flumine crinem
Irroravit aquis, ternis ululatibus ora 1-H)
Solvit, et in dura submisso poplite terra :
« Nox, ait, arcanis fidissima; quaBque diurnis
Aurea cum Luna succeditis ignibus, astra ;
Tuque triceps Hacate, quaa cceptis conscia nostris,
Adjulrixque venis; cantusque artesque magarum; 19^
Quaeque magas, Tellus, poUentibus instruis herbis ;
Auraeque, et venti, montesque, amnesque lacusque,
Dique omnes nemorum, dique omnes noctis, adeste.
Quorum ope, quum volui, ripis mirantibus amnes
In fontes rediere suos; concussaque sisto, 200
Stantia concutio cantu freta; nubila pello,
Nubilaque induco; ventos abigoque, vocoque;
Vipereas rumpo verbis et carmine fauces ;
Tivaque saxa, sua convulsaque robora terra^
LIVRE vii. m
li^res. Je fais trembler les montagnes, mugir la terre, et sortir
les ombres des tombeatix. Toi aussi, Ph6b6, je faltire vers
moi, malgr^ Tairain bruyant qui all^e tes travaux. Mes en-
chantements font mSme pMir le char de mon aleul, et mes phil-
tres cdui de TAurore. A ma priere, vous avez amorti la flamme
Tomie par des taureaux, et assujetti au joug leur t^te indocile ;
Tous avez rendu la guerre funeste aux enfants du dragon ; vous
avez endormi pour la premiere fois le gardien de la toison d'or, et
Iransmis, en trompant sa vigilance, cetteriche depouille aux villes
de la Grto. 11 me faut maintenant des sucs qui rendent alavieil-
lesse la fleur de Vige et lui fassent retrouver son printemps. Oui,
Tous me les accorderez. Les astres n'auront pas vainement brill^
de tout leur^clat, et un char n^aura pas ete vainement train^ pres
de moi par des dragons. » En effet, pres d'elle 6tait un char des-
cendu des cieux.
EUe y monte, caresse le cou des dragons soumis au frein, agite
leurs rSnes, et disparait dans les airs. De la eiie abaisse ses re-
gards sur les vallons de la Thessahe, et pousse son char vers la
contree ou s'616ve Tfita. Elle apergoit les herbes que produit
l'Ossa, et celles qui croissent sur le sommet du Pelion, sur TG-
Et silvas moveo; jubeoque tremiscere montes ; S05
Et mugire solum, manesque exire sepulcris;
Te quoque, Luna, traho; quamvis tcmesaia labores
^ra tuos minuant; carrus quoque carmine noslro
Pallet avi ; pallet nostris Aurora venenis.
Vos mihi taurorum flammas hebetastis, et unco 210
llaud patiens oneris coHum pressistis aratro.
Vos serpentigcnis in se fera bella dedistis,
Custodemque rudem somni sopistis, et aurum,
Vindice decepto, graias misistis in urbes.
Kunc opus est succis, per quos rcnovata senectus ^IF?
In florem redeat, primosque recolligat annos.
Et dabitis; neque enim micuerunt sidera frustra,
Nec frustra volucrum iractus cervice draconum
Currus adest. » Aderat demissus ab sthere currus.
Quo simul ascendit, frenataque coUa dracooum 220
Permulsit, manibusque leves agitavit habenas,
Sublimis rapitur; sublalaque thes^ala Tempe
Despicit, ceta^is regiouibus applical angues;
Et quas Ossa tulit, quasque altus Pelion herbas,
m HeTAMORPHOSES.
Ihrys, sur le Pinde et sur rOlyrape, plus haut encore que le
Pinde. Parmi celles qui peuvent servir ses desseins, elle en arrache
quelques-unes avec leur racine, et coupe les autres avec sa serpe
d'airain. Elle trouve plusieurs herbes utiles sur les rives de TApi-
dane et sur celles de TAmphryse. Toi aussi, lEnip^e, tu payes ton
tribut. Le Pen6e, le Sperchius et les bords du B6b^s couverts de
joncs n^en sont point exempts. Elle cueille dans*les champs d'An-
th^don, vis-a-vis d'Eub^e, une herbe puissante, mais qui n'etait
pas c^ebre enQpre par la m^tamorphose de Glaucus. Dej^ le neu-
vieme jour et la neuvi^me nuit Tavaient vue parcourir les cam-
pagnes sur son char attel6 de dragons ail^s. EUe retourne, sans
que les herbes aient fait sentir leurs atteintes aux dragons autre-
ment que par leur odeur, et cependant ils quittent leur vieille
depouille.
Elle s'arr6te devant les portes du palais, sans autre abri que les
Cieux. EUe evite tout contact avec les hommes, et construit deux
autels de gazon, Tun a droite, en Thonneur d'Htete, Taulre a
gauclie, en Thonneur de Jouvence. Apres les avoir. entour^s de
verveine et de branches agrestes, elle creuse dans le voisinage
deux fosses et fait un sacriiice. Elle egorge une brebis noire et en
Othrysque, Pindusque, et Pindo major Olympus, 225
Perspicit; et placita partim radice revellit ;
Partim succedit curvamine falcis ahenae.
Hulta quoque Apidani placuerunt gramina ripis,
Multa quoque Amphrysi ; nec eras immunis, EnipPH ;
Mec non penese, nec non spercheides undse 230
|vj Contrihuere aliquid, juncosaque littora Boebes.
[ Carpit et euboica vivax Anthedonc gramen,
i N.ondum mutato vulgatum corpore Glauci.
Et jam nona dies curru, pennisque draconum,
Monaque nox omnes luslrantem vidernt agros, 235
Quum rediit; nec erant tacti, nisi odore, draconos;
Et tamen annosae pcllcm posucre senectx.
Conslitit adveniens citra limenque, foresque,
Et tantum coelo tegitur; refugitque viriles
Contactus; statuilque aras e cobpite binas, 240
Dexteriore Ilecates, at lajva parte Juventae.
Quas ubi verbenis, silvaque incinxit agresti,
Haud procul egesta scrobibus tellure duabus
Sacra facit; cultrosque in guttura velloris atri
LIVRB VII. 2M
r^pand le sang dans les deux fosses. D^une coupe elle yerse la li-
qaeur de Bacchus, et d'un vase d'airain du lait chaud, en prof6-
rant quelques paroles. Elle invoque les divinites de la terre, elle
conjure le roi des ombres, et T^pouse qu'il enleva, de ne point
se h&ter de ravir le soufQe de la yie au vieillard. Quand ces dieux
sont apaises par ses prieres, accompagnees d'un long murmure,
Mgd^ ftllt^vaiiuii' pies des aut^li!>'lu vieii &uu. Oub enchantements
le plongent dans un profond sommeil, ima^e de la mort. Elle Te-
tend sur un lit d'herbes. Puis elle ordonne a Jason et a sa suite de
se retirer et de detoumer leurs yeux profanes de ses myst^res.
ns s'^loignent. Les cheveux epars, Mdd^e, comme une Bacchante,
fait le tour des autels ou le feu brille. EUe baigne des brandons
fourchus dans une des fosses noircies de sang, les allume ainsi jm-
pregnfe a la flamme qui s'el6ve des deux autels, et purifie le vieil-
lard trois fois avec du feu, trois fois avec de Teau, trois fois avec
dusoufre.
Gependant le philtre puissant fermente dans un vaso d'airain
place sur le brasier ; il bouillonne et blanchit d'4cume. Les ra-
cines arrachees dans les vallons de Thessalie, les semences, ics
Conjicit, et patulas perfuodit sauguine fossas. 'M^
Tum super invergens liquidi carchesia Bacchi»
Hneaque invergens tepidi carchesia lactis,
Verha simul fundit, terrenaque numina poscit ;
Umbrarumque rogat rapta cum conjuge rcgem,
Ne properent artus anima fraudarc seniles. ioO
niinis iil^i placavit precibusque, et murmure longo,
^sonis effoetum proferri corpus ad aras
Jussit, et in plenos resolutum carnune somnos,
Exanimi similem, stratis porrexit in herbis.
Ifinc procul ^soniden, procul hinc jubet irc miuistros, 2Sb
Et monet arcanis oculos removerc profanos.
Diffugiunt jussi. Sparsis Medea capillis
Bacchanlum ritu flograntes circuit aras,
Multifidasque faces in fossa sanguinis atra
Tingit, et inlinclas geminis accendit in aris, 260
Tcrque s€nem flamma, ter aqua, ter sulfure lustrat«
Interea validum posito medicamen aheno
Fervet. et exsultat, spumisque tumentibus alhct^
IUic haemonia radicos valle resectas,
252 METAMORPHOSES.
fleurs et les sucs piquants, cuisent ensemble. Elle y jette aussi des
pierres apportees des confins de l'Orient, et du sable que le reflux
depose sur le rivage. EUe agoute de la gelee blanche recueillie ia
nuit aux rayons de la lune, les ailes et la chair inf;lme de l'orfraie,
les entrailles de ce loup qui, fecond en metamorphoseSi sait don-
ner a son corps les formes de Thomme ; la depouille ^cailleuse et
transparente d'un serpent du Cynips, le foie d'un vieux cerf et la
t^te d'ime corneille de neufsiecles. De ces substances et de mille
autres que je ne saurais designer par leur nom, elle compose le
pbiltre destine a £son. Puis, avec un vieux rameau d^olivier sec,
elle les confond et les m^le en tous sens. Soudain la branche agi-
tee dans le vase bouillant reverdit. Bientdt apres elle se couvre de
feuilles et se charge d'olives miires. Sur tous les points ou le feu
fait jaillir Tecume du fond de ce vase, chaque goutte briilante pro-
duit un vert gazon en tombant sur la terre ; les fleurs et les tendres
p^turages surgissent a Tinslant. A peine Medeeles voit-elle eclore,
qu'elle tire un glaive et ouvre la gorge du vieillard. Elle laisse
couler le vieux sang et le remplace par ses sucs. Des qu'fison les
Seminaque, floresque, et succos incoquit acrcs. 2Gj
Adjicit extremo lapides Orientc pelltos,
Et, quas Oceani refluum mare lavit, arcuas.
Addit et exceptas luna pernocte pruinas,
£t strigis infames, ipsis cum carnibus, ulas;
Inquc virum soliti vullus mutare fcrinos 270
Ambigui prosecta lupi. Ncc defuit illic
Squamea ciuyphii tenuis membrana chelydri,
Vivacisque jecur cervi; quibus insuper addit
Ora caputque novem cornicis saicula passa;.
His et mille aliis postquam sine nominc rebus ^T5
Propositum instruxit mortali barbara «munus,
Areuti ramo jampridem mitis oliva!
Omnia confundit, summisque immiscuit ima.
Ecce vetus calido versatus slipes aheno,
Fit viridis primo, nec longo terapore frondem '280
Induit, et subito gravidis oneratur olivis.
At quacumque cavo spumas ejecit aheno
Ignis, et iu lciTam guttae cecidere calentos,
Vcrnat humus, floresque, ct mollia pabula !?iirgunl.
Quod simul ac vidit, striclo Mcdea recludil ^Sj
Ense scnis jugulum; veleremquc exirc ciuorcm
Passa, replot succis ; quos poslquam combibii ^son,
LIVRE YU. ti55
a regus par sa bouche ou par sa blessure, sa barbe et ses die-
Teux, depouilles de leur blancheur, noircissent tout a coup ; sa
maigreur disparait ; sa pdleur et ses rides s^evanouisseut ; un nou-
veau sang circule dans ses veines, et son corps prend de Tembon-
point. £son etonn^ retrouve la vigueur dont il se souvient d'^oir
joui quarante ans auparavant.
LA JEUNESSE EST REHDUE AUX NOURRICBS DB BACCHUS.
ni. Du haut des cicux Bacchus avait vu cette merveilleuse me-
tamorphose. Inslruit que ses nourrices pouvaient recouvrer leur
jeunesse, il demanda cetle faveur pour elles a la fille d'£elcs.
NEDEE FAIT TUER PELIAS PAR SES FILLES.
IV. Gependant, infatigable dans ses perfidies, MM^e feint de
hair son epoux, et court en suppiiante au palais de Pelias. Gomme
il etait accabi^ du poids de YAge, ses fiiles re^oivent la princesse.
En peu de temps elle gagne adroitement leur coeur sous le voile de
Tamitie. Au nombre de ses bienfaits, elle place surtout le prodige
Aut orc acceplos, aut vulnere, barba comaeque
Canitie posila nigrum rapuere colorem.
Pulsa^fugit macies ; abeunt pallorque silusque; SUO
Adjectoque cavai supplcntur sanguine veux,
Membraque luxuriant. ^son miratur, ct olim
Ante quater denos hunc sc reminiscilur aunos.
UACCHI NUTBiaBUS JUVENTUS REDDITUR.
II]. Yiderat ex alto tanti miracula monstri
Liber, et admonitus juvencs nutricibus annos 2Uo
Po&se suis reddi, petit hoc i£elida munus.
VEDEA PELlii FILUS DIPELUT UT PATHEU NECEXT.
IV. Neve doli cessent, odium cum conjuge faUum
Phasias assimulal, Peliaeque ad limina supplex
Confugit. Atque illam, quoniam gravis ipse senecta,
Excipiunt natas. Quas tempore callida parvo 300
Colchis amicitiae mendacis imagine cepit.
Dumque refert, inler raeritorum maxima, demptos
15
«254 METAMORPUOSES.
qui a fait disparaitre du visage d'£son les traces de la vieillesse.
Elie s'y arrete avec complaisance, et fait naitre dans le coeur des
filles de Pelias Tesperance de voir leur pere reverdir par le m^me
moyen. EUes sollicitent avec instance un si grand service, et lui
jurent une reconnaissance eternelle. M6d6e garde un moment le
silence, comme si elle reflechissait, et, par une gravite d'eraprunt,
tient leur esprit en suspens. Enfin elle promet. « AGn de vous
faire attendre avec plus de confiance, dit-elle, la faveur dont vous
allez m^^tre redevables, le plus vieux des beliers qui marche a la
t6te de vos brebis va, par la vertu de mes philtres, devenir un
agneau. » Aussitdt on fait avancer un belier casse par l'age, aux
tempescreusesetaux cornes recourbees. La magicienne enfonce dans
sa gorge ridee son glaive de Thessalie. Quelques gouttes de sang le
rougissent a peine. En mSme temps elle plonge les membres de
i'animal dans une chaudiere d'airain ou fermentent ses sucs puis-
sants. Le corps du belier diminue, ses comes disparaissent, etles
ans avec elles. Du milieu du vase se fait entendre ie l)^lement d^un
tendre agneau. Tandis que ce b^lement cause la plus vive surprise,
tout a coup l'agneau bondit, folatre et cherche des mamelles qui
puissent Tallaiter.
iiDsonis esse situs, alque hac in pai^te moratur,
Spes est virginibus Pelia subjecta creatis,
Arte suum parili revirescere posse parenlem. SOo
Jamque petunt, pretiumque jubent sine fine pacisci.
IUa brevi spatio silet, et dubitare videtur,
Suspendilque animos licta gravitate rogantes.
Mox ubi pollicita est : « Quo sit fiducia major
Muneris hujus, ait, qui vestras maximus a3vo est 310
bux gregis inter oves, agnus medicamine fiet. »
Protinus innumeris effo^lus laniger annis
Attrahitur, flexo circum cava tempora cornu.
Cujus ut haBmonio marcentia gutlura cultro
Fodil, et exiguo maculavit sanguine ferrum; 315
Membra simul pecudis, validosque venefica succos
Mergit in ajre cavo. Minuuntur corporis artus,
Cornuaque exuitur, nec non cum cornibus annos,
El tener auditur medlo halatus aheno.
Nec mora, halatum mirantibus, exsilit agnus, 520
Lascivilque fuga, lactantiaque ubera quasrit.
LIVRE VII. 255
Les fiUes de Pelias demeurent stup^faites. Gonyaincues qu'elles
peuveut ajouter foi aux promesses de Med6e, elles Tassi^ent des
phis vives instances. Le Soleil avait trois fois d^tache du joug ses
coursiers rafraichisdans les flots dlb^rie, et les ^toiles eclairaient
la quatrieme nuit de leurs feux ^tincelants, lorsque rinsidieuse
fille d'felfe place sur le brasier une onde pure et des herbes sans
rertu. Ddjk, gr&ce a ses enchantements et a ses magiques paroles,
tm sommeil lethargique enchainait les membres du roi et de ses
gardes. Ses filles avaient rcQu Tordre d'entrer avec la princesse de
Ck)lchos, et se tenaient rangees autour du lit de leur p6re. « Pour-
quoi, leur dit Medee, hesiter encore et rester dans Tinaction?
Armez-vous de vos glaives, et larissez le vieux sang, afin que je
puisse remplir de sang jeune ses veines ^uisees. Yous tenez dans
vos mains la vie et Tage de votre p^re. Si vous avez de ramour
pour lui, si vous ne nourrissez pas de folles esp^rances, rendez-lui
service. Pour le rajeunir, plongez le fer dans son sein, et faites
couler jusqu'a la derni^re goutte d'un sang appauvri. » Par ces
exhortations, la plus tendre devient la plus barbare, et se rend
parricide pour ne pas ^tre criminelle. Cependant aucune n'ose
regarder ou tombent ses coups : elles detournent les yeux et frap-
Obstupuere satie Pelia, promissaque postquam
Eihibuere fidem, tum ▼cro iropensius instant.
Ter juga Phoebus equis, in ibero gurgite mersis,
Dempserat, cl quarta radiantia nocte micabant S35
Sidera, quum rapido fallax ^Eetias igni
Imponit purum laticcm, et sine viribus herbas.
Jamque neci similis, resoluto corpore, regem,
Et cum rcge suo custodes somnus habebat»
Quem dcderant cantus, magicaequc potentia liuguoB. 330
Intrarant jussx cum Colchidc limina natx, «
Ambieranlque torum : « Quid nunc dubitatis inertcs?
Stringile, ait, gladios vclcremque hauritc cruorem,
Ut repleam vacuas juvcnili sanguine venas.
In manibus vcstris vila cst, setasque parcnlis. 335
Si pielas ulla est, nec spes agitatis inancs,
Dfficium praestate patri, telisque seneclam
Etigitc, et sauiem conjecto emittitc furro. »
Uis, ut quxque pia est, hortatibus impia prima est ;
Et nc sit scelerata, facit scelus. Haud lamen ictus 340
llla suos spectare potesl; oculosquc reflectuntj
856 BI£TAMOHPHOS£S.
pent au hasard d'une main impltoyable. Pelias, baigne dans son
sang, se soul^ve sur son coude. A demi mutile, il tente de se dres-
ser sur son lit, et» au milieu de tous ces glaives, tendant ses bras
d^chames : « Que faites-vous, mes filles ? leur dit-il ; pourquoi
vous armer ainsi contre votre pere ? » Elles sentent leur coeur et
leurs mains defaillir. £sonallait parler encore; maisla princesse
deColchide luiporte a la gorgeun coup qui lui 6te la voix Apres
Tavoir mis en pieces, elle leplonge dans la chaudiere bouillante.
WEDKE EGORGE SES ENFANT8.
V. Si les dragons ailes ne Teussent emportee, elie n'aurait pu
echapper au ch&timent. ^ais, dans son vol, elle franchit le Pelion,
couronne defor^ls, le palais du fils de Philyre, rOlhrys et la contree
celebre par Taventure de Tantique Cerambus. Pourvu d ailes par
ies Nymphes, il s'eleva dans les airs a Tepoque ou la terre etait
ensevelie sous les eaux, et se deroba au deluge de Deucalion. Me-
dee laisse a sa gauche Pitane d'£oUe, la roclie qui represente
un long serpent, le bois de rida ou Bacchus cacha, sous l'image
Caccaque dant sacvis aversai vulaera dextris.
lUe, cniore fluens, cubito tamen allevat artus,
Semilacerque toro consurgere tentat, et inter
Tot medius gladios pallentia brachia tendens : 345
« Quid facitis, natae? quid vos in fala parentis
Armat? » ait. Cecidere illis animique manusquc
Plura locuturo cum verbis gnttura Colchis
Abstulit, et calidis laniatum ' lersit ahenis.
MEDEA FILIOS SUOS TRUCIDAT.
V. Quod uisi pennatis serpentibus issot in auras, 3a0
Non exempta forct pocnae. Fugit alta, supcrquc
Pelion umbrosum, philyreiaque lecta, superquc
Othryn et eventu veteris.ioca nota Cerambi.
Uic ope Nympharum sublatus in aera pcnnis,
Quum gravis infuso tellus foret obruta ponto, &H5
Deucalioneas elTugit inobrutus undas,
^oliam Pitanen a laeva parte relinquit,
Factaquc de saxo longi simulacra draconis;
JdiBumque nemus; quo, oati furta, juvencum
LIVRE TII. 257
d'an cerf, le taureau derobe par son flls, ]a contr^ oi!^ le p^
de Corythe git sous un sable l^ger, les champs od Mera sema
r^uvante par ses aboiements nouveaux, la cit^ d'£urypyle, ou
le front des femmes de Gos fut h^riss^ de comes lorsque 8'^loi-
gna le troupeau d'Hercule; Rhodes, consacr^ k Ph^bus, et
lalysus, habitee par les Telchines, dont les regards ensorcelaient
tout, et que Jupiter indigne pr6cipita dans Thumide empire de son
frere. Elle franchit aussi Garthee» bAtie dans Tantique G^os, et ou
Alcidamas devait un jour voir avec surprise sa fille engendrer
une douce colombe. De la ses yeux se portent sur le lac Hyri6
et sur la vallee devenue c^l^bre par la subite m^tamorphose de
Cycnus. La Phyllius, pour plaire k un enfant, lui donna des vau-
tours et un lion terrible qull avait apprivois^s. Gondamn^ a vain-
cre un taureau, il Tavait vaincu. Mais, irrit^ des mepris prodigu^
a son amour, il refusa ce taureau demand^ co.nme un gage sn-
prSme. L'enfant lui dit : « Tu voudras me le donner ; » et ii s*^
lan^ du haut d'un rocher. On crut qu'il allait tomber. Ghang^ en
oiseau, il planait dans les airs sur des ailes eclatantes de blan-
cheur. Hyrie, sa m^e, ignorant qu'il vivait encore, fondit en lar-
Occuluit Liber falsi sub iraagine cervi ; 360
Quaque pater Corythi parva tumulatus arena ;
Et quos Maera novo latratu terrnit agros ;
Eurypylique urbem, qua coaa cornua malres
Gesserunt, tum quum discederet Herculis agmcD ;
Phcebeamque Rhodon, et ialysios Telchinas, 365
Quorum oculos ipso vitiantes omnia visu
Jupiter exosus, fratemis sul)didit undis.
Transit et antiquae cartheia moenia Ceae,
Qua pater Alcidamas placidam dc corpore natae
Miraturus erat nasci potuisse columbam. 370
Inde lacus Hyries videt, et cycnc.ia tempe,
QusB subitus celebravit olor; nam Phyllius illic
Imperio pueri volucresque ferumque leonem
Tradiderat domitos. Taurum quoque vincere jussus,
Vicerat, et spreto toties iratus amore, 375
Praemia poscenti taurum suprema negarat.
lUe indignatus : « Cupies dare, » dixit, et alto
Desiluit saxo. Cuncti cecidisse putabant :
Factus olor niveis pendebat in aera pennis.
At genilrix Hyrie, servati nescia, flendo 380
258 M£TAM0RPH0SES.
mes, et fut transfonri^e en un ^tang qui re^ut son nom. Pres delk
s'eleve Pleuron, qui vit la fiHe cl*Ophius, Combe, s'envoler toute
tremblstnte pour echapper aux coups de ses enfants. Ensuite,
elle aper^it les champs de Calaur^e, consacres a Latone, et dont
le roi et la reine furent changes en oiseaux. A droite est Cyllene,
oijL Menephron devait, comme les b^tes sauvages, partager la cou-
che de sa mere. Derriere elle, a une longue distance, se montre
Gephise deplorant le destin de son pelit-flls m^tamorphose par
Apollon en phoque difforme, et le palais d'£umelus, qui pleure sa
fiHe envolee dans les airs. Enfin ses dragons ailes la deposent a Co-
rinthe, qu'arrose Pirene, et ou, suivant une tradition antique, des
inommes naquirent jadis de champignons que la pluie avait fait
^clore. Quand ses poisons eurent consume la nouveUe epouse de Ja-
son, quand l'une et Tautre mer eut vu le palais du roi en flammes,
M^dee teignit son glaive meurtrier du sang de ses enfants, et,
apres cette horrible vengeance d'une mere, eHe se deroba aux
armes de Jason.
MEDIBE S^ENFOIT A ATfl&NES, OU ELLE EST ACCUEILLIE PAR ^G^E.
VI. Transportee loin de la par les dragons qu'elle regut du So-
Deiicuit, stagnumque suo de noniinc fecit.
Adjacet his Pleuron, in qua irepidantibus alis
Ophias effugit natorum vulnera Combe.
Inde Calaurea) letoidos aspicit arva,
In volucrem versi cum conjuge couscia regis. 385
Dextera Cyllene est, in qua cum matre Blenephron
Concubiturus erat, saBvarum more ferarum.
Cephison procul hinc deflentcm fata nepotis,
Respicit in tumidam phocen ab Apolline versi,
Eumelique domum lugentis in aere natam. 590
Tandem vipereis Ephyren pirenida pennis
Contigit. Hic sbvo veteres mortalia primo
Corpora vulgarunt pluvialibus edita fungis.
Sed postquam colchis arsit nova nupta venenis,
Flagrantemque domum regis mare vidit utrumque, 395
Sanguine natorum perfunditur impius ensis,
Ultaque se male mater, lasonis effugit arma
MEDEA ATIIEKAS FUGIT, UBI AB iEGEO EXCIPITUn.
VI. Ilinc litaniacis ablata draconibus, intrat
LIVRE YII. m
leil, elle entre dans la cit^ de Pallas, qui tous vit ^galeraent vous
envoler, toi, pieuse Phinis, et toi, vieuxP^riphas ; elle vit aussi ia
petite-fille de Polypemon prendre son essor dans les airs sous une
forme nouvelle. %6e regoit M^dee : c'est le seul reproche qu*il ait
merit^. Non content d'6tre son h6te, il Tadmet dans sa couche.
Alors venait de paraitre dans le palais du roi, Thesee, encore in*
connu k son pere, et dont la valeur ^vait pacifie l'isthme baign^
par deux mers. Pour le perdre, M6d6e prdpare le poison qu'elle
apporta jadis de la Scythie, et qui fut vomi, dit-on, par le chien
n6 de rhydre de Lerne. U est une caverne oii r^ne une obscurite
profonde. On y descend par une pente rapide. Cest par la que le
h^ros de Tirynthe traina Cerb^re attache k des chaines de fer. II
r^sistait en vain, et regardait obliquement la vive elarte du soleil.
Alqrs eclata sa fureur terrible. II fit retentir les airs de ses triples
aboiements a la fois, et couvrit les vertes prairies d*une blanche
ecume qui, trouvant, dit-on, un aliment fecond dans le sein de la
terre, grandit et acquit une vertu nuisible. Comme elle croit et
vit au milieu des rochers, les habitants des campagnes Tappellent
aconit. Trompe par son epouse, figee presenta lui-m6me ce poi-
Palladias arces, quae te, justissima Pbini,
Teque, senex Peripha, pariter videre volanles, 400
Innixamque novis neptem Polypenionis alis.
Excipit hanc j^geus, facto damnandus in uno.
Nec satis hospitium est, thalami quoque fcedere jungit.
Jamque aderat Theseus, proles ignara parenti,
Qui virtute sua bimarem pacaverat Isthmon. 405
Hujus in exitium miscet Medea, quod olim
Attulerat secum scytbicis aconiton ab oris.
Illud ecbidneai memorant e dentibus ortum
Esse canis. Specus est tenebroso cxcus biatu.
Est via declivis, per quam tiryntbius beros 4i0
ResJuntem, contraque diem radiosque micanles
Obliquantem oculos, nexis adamanle catenis,
Gerberon abstraxit, rabida qui concitus im
Implevit pariter ternis latratibus auras,
Et sparsit virides spuifis albentibus agros. 415
Has concresse putant, nactasque alimenta feracis
Fccundique soli, vires cepisse nocendi.
Quae, quia nascuntur dura vivacia cautc,
Agrestes aconita vocant. Ea conjugis astu
Ipse parcns ^geus nato porrexit, ut hosli. 420
200 MfiTAMORPIlOSES.
son a son fils, comme a un ennemi. Th^see, sans soup^nner Tar-
tifice, prit la coupe qui lui etait offerte. Son pere alors reconnut,
a ]a garde d^ivoire de son epee, le sceau de sa famille, et repoussa
le breuvage criminel. Un nuage que formerent soudain les en-
chantements de Medee la deroba a la mort.
£gee se rejouitde voir son fils sauv^ du danger; et cependant,
encore ^pouvante du crim^ qui Tavait mis a deux doigts de sa
perte, il alluma le feu sur les aulels, les chargea d^offrandes, et
fit tomber sous la hache des taureaux superbes donl les comes
elaient entrelacees de bandelettes. Jamais jour plus beau ne brilla,
dit-on, pour les enfants d'Athenes. Les grands et le peuple s'as-
sirent a un joyeux banquet. Le vin inspira les esprits, et, tous
ensemble, firent entendre ce chant : « Noble Thes6e, Marathon a
admire ton bras qui terrassa le taureau de la Crete. Si le labou-
reur de Cromyon ne craint plus les ravages d'une laie, ce bienfait
esl ton ouvrage. fipidaure a vu le fils de Vulcain, arme d'une mas-
sue, tomber a tes pieds. Les bords du Cephise ont vu perir le
barbare Procuste. fileusis ou regne Ceres a vu la mort de Cercyon.
II a aussi succombe sous tes coups, le brigand qui abusait de ses
forces prodigieuses, Sinis, qui courbait les arbres et faisait plier
Sumpserat ignara Theseus data pocula dexlra,
Quum pater in capnlo gladii cognovit eburno
Signa sui generis, facinusque excussit ab ore.
Erfugit ilia necera, nebulis per carmina motis.
At genitor, quanquam lactatur sospite nato, 4^
Attonitus tantum, lethi discrimine parvo,
Committi potuisse nefas, fovet ignibus aras,
Muneribusque deos implet; feriuntque secures
CoUa torosa boura, vinctorum cornua viltis.
NuUus Erechthidis ferlur celebratior illo 430
Illuxisse dies. Agitant convivia patres,
Et medium vulgus ; nec non et carmina, vino
Ingenium faciente, canunt: « Te, maxime Thescu,
• Mirata est Marathon cretiei sanguine tauri.
Quodque suis securus erat Cromyon» colonus, 435
Munus opusque tuum est. Tellus cpidauria pnr le
Clavigeram vidit Vulcani occumbere prolem ;
Vidit et immitem Cephesias ora Procusten ;
Cercyonis lelhum vidit Cerealis Eleusin;
Oecidit ille Sinis, magnis male viribus usus, 440
LIVRE YII. 961
jusqu*2i terre les pins destin^ ^ disperser au loinles roembresde
ses Yictimes. Le tr^pas de Sciron a ouvert un sentier sAr qui con-
duit aux murs d'Alcathous ou r^na L^lex. La terre et la mer out
^lement refus^ un gtte au cadavre de oet assassin. Quand il fut
reste longtemps sans sepulture, le temps le changea. dit-on, en
un rocher qui conserve le nom de Sciron. Si nous voulions com-
parer tes exploits au nombre de tes annto, tes exploits Tempor-
teraient. Pour toi, magnanime heros, nous formons des voeux pu-
blics ; pour toi nous vidons nos coupes remplies de vin. » Les
applaudissements et les hommages de la foule font retentir le pa-
lais, et la ville entidre se livre a rallegresse.
AWHi BST CHANGiB EN CHOUETTE. — PESTE D^iCINE. — I|£tAM0RPII08B
DB8 FOURMIS EN MTRMIDONS. — £aQUB LBS ENVOIB AU SBCODBS
D*£6iE.
YII. Toutefois (tant il est vrai qu'ii n*y a point de plaisir sans
m^lange, et que ia peine se mSle toujours k la joie) tg^e, en re-
trouvant son ills, ne goCkte pas un plaisir pur. Minos s'appr6te a la
guerre. Ses forces de terre et de mer sont puissantes; mais il est
Qui poterat cunrare trabes, et agebat ab alto
Ad terram late sparsuras corpora pinus.
Tutus ad Alcathoen, lelegeia moenia, limes
Compostto Scirone patet; sparsique latronis
Terra negat sedera, sedem negat ossibus unda, 445
Qu» jactata diu fertur durasse vetustas
In scopulos. Scopuiis nomen Scironis inhieret.
Sl titulos, annosque tuos numerare velimus,
Pacta premant annos. Pro te, fortissime, vota
Publica suscipimus. Bacchi tibi sumimus haustus. » 450
Coneonat assensu populi, precibusque faventum
Regia, neo tola trislis locus ullus in urbe est.
ARNE IS MONEDULAH G0NVER8A. — JEGlKiE PESTIS. — FORMICiG MUTANTUR IJf
MTRVIDONES, QUOS iEACUS AD iEGEUM AUXILIO MITTIT.
Vn. Nec tamen (usque adeo uuUi sincera voluptas,
SoIIicitique aliquid Iffitis interrenit !) £geus
Gaudia percepit, nato secura recepto. 455
Bella parat Minos. Qui quanquam milito, quanquam
15.
202 MfiTAMORPHOSES.
surtout redoutable par son ressentiment patemel. n cherche par
lesarmes une juste vengeance du tr^pas d^Androg^. Avant tout il
veut marcher au combat avec des allies. Ses fiiottes agiies p^ndtrent
parlout ou elies peuvent a])order. Elles gagnent k sa cause Anaphe
et le peuple d'Astypaie (Anaphe par des promesses, et ie peupl^
d^Astypaie par ies armes); puis la petite Mycone, les plaines cre^
tac^s de Gimoiei i'opulente Gytimos, Scyros, ia modeste S^riphe,
Paros, ceiebre par ses marbres, et Tiie que l'avare et coupable
Am^, sortie de la Thrace, iiyra pour un infame gain. Elle fut
changee en un oiseau qui toujours aime l*or. Gomeiiie maintenan^,
eiie a ies ailes et les pieds noirs. Mais Oliare, Didyme, Tenos^ An-
dros, Gyare et Peparethe, fertile en olives, ne pr^terent point
leur appui a la flotte du roi de Grete. II quitte ces iles et vogue a
gauche vers la contree ou regne taque, Les anciens l'appelaient
finopie ; fiaque lui donna le nom d'figine, sa mere.
La foule se pr^cipite a sa rencontre et brule de connaitre un
prince si c6l^re. Au-devant de Minos accourent Telamon, P^lee,
plus jeune que Telamon, et Phocus, le troisieme fils d'£aque. Le
Classe valet, patria tamen est firmissiiTius ira,
Androgeique necem justis ulciscitur armis.
Ante tamen, bello vires acquirit amicas;
Quaque patent aditus, volucri freta classe per.^rrat. 4C0
Hinc Anaphen sibi jungit, et astypaleia regna ;
Promissis Anapben, regna astypaleia bello.
Hinc humilem Myconon, crclosaque rura Cimoli,
Florentemque Cylhnon, Scyron, planamque Seriphon,
Marmoreamque Paron, quamque impia prodidit Arnc 4G5
Sithonis, accepto, quod avara poposcerat, auro.
Mutata est in avem, quae nunc qnoque diligit aurum,
Migra pedem, nigris velata monedula pennis.
At non Oliaros, DidymaBque, et Tenos, et Andros,
Et Gyaros, nitidseque ferax Peparethos olivae, 470
Gnosiacas juvere rates. Latere inde sinislro
(Enopiam Minos petit, aeacideia regna.
(Enopiam veteres appellavere; sed ipse
iEacus jEginam genitricis nomine dixit.
Turba ruit, tantaeque virum cognoscere famse 475
Expetit. Occurrunt illi, Telamonque, minorquc
Quam Telamon,. Peleus, et proles tertia Phocus.
LIVRE VII. 263
roi lni-mSme, malgre la vieillesse qui ralentit sa marche, s'avance
vers Minos, et lui demande quel motif Fam^ne en ces lieux. Au
souvenir de ia douleur qui d^chira son cocur patemel, le roi des
cent villes s'exprime en ces termes : « Soutiens, je t'en conjure,
ces armes que j'ai prises pour venger mon fils. Associe-toi a une'
guerre sainte : je cherche a consoler ses manes. » Le petit-fils
d^Asopus lui repond : « Ta priere est inutile, et ma ville ne sau-
rait Texaucer. Nulle contree n'est plus devouee a Athenes : son al-
liance est sacree pour nous. i Minos se retire tristement. « Cette
aliiance te coutera cher, » dit-il, persuade qu'il vaut mieux annon-
cer la guerre que de l'entreprendre et de consumer en ce mor
mentsesforces par des attaques prematur^.
Des remparts d'finopie on pouvait encore apercevoir la flotte
cretoise, iorsqu*un vaisseau athenien s'avance a pleines voiles et
entre dans le port de ses allies, portant G6phale et les voeux de sa
patrie. Quoique les fils d'fiaque n'eussent point ^ii C^phale depuis
longtemps, ils le reconnaissent, lui tendent la main, et le condui-
sent au palais de leur pere. Le h^-os, dont les traits respirent la
noblesse et conservent encore les traces de son ancienne beaute,
Ipse quoque egreditur, tardus gravitate senili,
^cus, et quae sit veniendi causa requirit.
Admonitus patrii luctus suspirat, ct illi 4S0
Dicla refert rector populorum talia centum :
ff Arma juves oro pro nalo sumpta; piacque
Pars sis militise; tumulo solatia posco. »
Huic Asopiades « Petis irrita, dixit, et urbi
Haud facienda mese; neque enim conjunctior ulla 4S5
Cecropidis hac est tellus; ea fcedera nobis. »
Trislis abit : ff Stabunlque tibi tua foedera magno, »
Dixit, et utilius bellum putat esse minari,
Quara gerere, atque suas ibi praeconsumere vires.
Classis ab cenopiis etiamnum lyclla muris 490
Spectari polerat, quum pleno concita velo
Attica puppis adest, in porlusque intrat amicos,
Quae Cepbalum, patriscque simul mandata ferebat.
^acidae longo juvenes post tempore visum
Agnovere tamen Cephalum, dextrasque dedere, 40^
Inque patris duxere domum. Speclabilis heros,
Et veteris retinens eliaranum pignora formse^
264 H^TAMORPIIOSES.
se pr^sente avec une branche d'olivier. A sa droite et a sa gauche
marchent Glytus et Butes, deux fils de Pallas, plus jeunes que lui.
Admis pr^s du roi, les envoyfe d'Athenes lui adressent les felici-
tations d^usage. Puis Cephale, pour remplir sa mission, demande
des secours a £aque, lui rappelle les traites et les liens qui uni-
rent leurs peres, et lermine par le tableau du danger prfet a fondre
sur la Grece entiere. Quand son ^loquence eut soutenu les inter^ls
qui lui etaient confies, Eaque, appuyant sa main gauche sur la poi-
gnee de son sceptre, lui repondit : « N'implore point du secours,
Athenes, exige-le. Regarde hardiment comme ton bien les res-
sources de cet empire : je les mets toutes a ta discr^tion. Les
forces ne me manqueht point. Tai assez de soldats pour me de-
fendre ou attaquer mes ennemis. Grdce aux dieux, tout ici pros-
p^re, et les conjonctures ne laissent aucun pretexle k un refus.
— Puisse-t-il en ^tre ainsi ! repond Cephale; et puisse ton empire
voir se multiplier tes sujets ! Naguere, a mon arrivee, j'ai eprouve
de la joie, lorsque j'ai vu accourir au-devant de moi une brillante
foule toute composee de jeunesgens du mSme 3ge. Cependant J'y
cherche en vain plusieurs guerriers que j*ai connus jadis dans ta
cit6. » fiaque gemit, el d'une voix attristee il ajoule : « Des temps
Ingreditur, ramumque tenens popularis olivaj,
Et dexlra Isevaquc duos aetale roinores
Major habet, Clyton et Buten, Pallante creatos. J:00
Postquam congressu primo sua verba tulcrunt
Cecropida;, Gephalus peragit mandata, rogatquc
Auxilium, foedusque refert, et jura parentum.
Imperiumque peti totius .ichaidos addit.
Sic ubi mandatam juvit facundia causam, r^Oo
^acus, in capulo sceptri nitente sinislra :
c Ne petite auxilium, sed sumite, dixit, Athenx.
Nec dubie vires, quas hxc habet insula, vcslras
Bucite; et omnis eat rerum status iste mearum.
■•" Robora non desunt. Superat mihi miles et hosti. tilO
Gratia dis ! felix et inexcusabile tempus.
— Immo ita sit! Cephalus, crcscat tua civibus oplo
Bes, ait. Adveniens equidem modo gaudia cepi,
Quum tam pulcbra mihi, tam par aetate juvcnlus
Obvia processiu Multos tamcn inde requiro, 515
Quos quondam vidi vestra prius urbe reeoptus. »
£acus ingemuit, tristiquA. ita voce locutus:
LIVRE YII. 265
malheureux ont fait place h une meilleure foriune. Que ne puis-je
te la faire connaitre sans remonter k d'anciens d^sastres ! Je vais
te les raconter en f^pargnant de longs d^tails. Ils ne sont plus
qu*os et poussi^re, ceux dont tu as conserv^ le souvenir ! Helas !
que de pertes cruelles m'ont alors frappe !
« Suscit^ par le ressentiment de la crueUe Junon» qui d^testalt
une contree a laquelle sa rivale a laiss^ son nom, un terrihle fl^u
fondit sur mes Etats. Nous le prfmes pour un de ces maux attach^ a
rhumanite; et, tant que la cause fatale d'un si grandmalheur resta
cach^e, nous la combattimes par les ressourcesderart. Mais il triom-
phaitdenosefforts : Tart s'avoua vaincu. D^abordrairs^obscurcit,
Gommeun^paisbrouiilard^etlesnuages nous envoy^rent une cha-
leur accablante. Durant tout le temps que mit la lune a remplir
quatre fois son disque de lumi^re et a le voir decroitre, soufYIa la
brtilante haleine des mortels autans. Les sources et les lacs furent
infectes. Au milieu des campagnes incultes erraient d'innombra-'
bles essaims de reptiles qui empoisonnaient les fontaines. Les
chiens, les oiseaux, les moutons, les bceufs et les b^tes sauvages,
ressentirent les premiers les soudaines atteintes de ce mal. Le
« Flebile principium melior fortnna secuta est.
Hanc ulinam possem vobis memorare sine ilio!
Ordine nunc repetam, neu longa ambage morer tos. 590
Ossa cinisque jacenl, memori quos mente requiris,
Et quota pars illi rerum periere mearuiri!
« Dira lues populis ira Junonis iniquse
. Incidit, exosae dictas a pellice terras.
Dum Tisum mortale malum, tantaeque latebat 5^5
Causa nocens cladis, pugnatum est arte medcndi.
Exitium superabat opem, quae victa jacebat.
Principio coelum spissa caligine terras
Pressit, et ignavos inclusit nubibus xstus.
Dumque qualer junctis implevit cornibus orbcm ^30
Luna, quater plenum tenuata retexuit orliem,
Letbiferis calidi spirarunt flatibus Austri.
Gonstat et in fontes vitium^venisse, lacusque,
MiUiaque incultos serpentum multa per agros
Errasse, atque suis fluvios temerasse venenis. USS
Strage canum prima, volucrumque, oviumque, boumque,
Inque feris subiti deprensa potentia morbi^
266 M^TAHORPHOSES.
pauYre laboureur vii d'un oeil consteme ses taureaux vigoureu^
succomber en travaillant et expirer au milieu des sillons. Les
brebis poussaient de douloureux b^Iements ; leur toison tombait
d'elle-mSme et leurs corps se d^oomposaient. Le coursier, jadis
impetueux, qui s'etait couveit de palmes dans Tarene, dedaignait
la victoire. Sans songet* a ses anciens triomphes, il faisait retentir la
cr^e de gSmissements avant de mourir de langueur. Le saugUer
oubliait sa fureur et la biche ses pieds rapides ; Tours ne pensait
plus k fondre sur les grands troupeaux. Une torpeur lethargique
enehainait tous les Stres. Les forSts, les campagnes, les routes,
^taient jonch^es de cadavres qui infectaient Tair. 0 merveilie! ni
les chiens, ni les oiseaux de proie, ni les loups avides n'en firent
leur pature. Reduits en dissolution, ces cadavres exhalaient des
miasmes deleteres qui etendaient la contagion au loin.
« La peste sevit particulierement sur les malheureux habitants de
la campagne ; puis elle etablit son empire dans cette grande cite.
D'abord un feu devorait les entrailles, et revelait ses ravages secrets
par la rougeur du visage et par une penible respiration. La langue
devenait ipre et s'enflait; la bouche aride s'ouvrait a des vents
brillants, et ne transmettait aux poumons qu'un air corrompu. On
Concidere infelix validos miralur arator
Inter opus tauros, medioque recumbere sulco.
Lanigeris gregibus, balatus dantibus segros, 540
Sponte sua laniKque cadunt, et corpora tabent.
Acer equus quondam, magnaeque in pulvere famsc,
Degenerat palmas, veterumque oblilus honorum,
Ad praesepe gemit, lelho moriturus inerti. ^
Non aper irasci meminit, nec fidere cursu 54ar
Cerva, nec armentis incurrere fortibus ursi.
Omnialanguor habet; silvisque, agrisque, viisquc
Corpora foeda jacent. Vitiantur odoribus aurae.
Mira loquor : non illa canes, avidxque volucres,
Non cani tetigere lupi. Dilapsa liquescunt, 550
Afflatuque nocent, et agunt contagia ]ate.
c Pervenit ad miseros damno graviore colonos
Pestis, et in magnae dominatur moenibus urbis.
Visccra torrentur primo, flammxque latentis
Indicium rubor est, et ductus anhelitus aegre, 555
Aspera lingua tumet, tepidisquc arentia ventis
Ora patent, aurxque graves captantur hiatu.
LIVRE Y!I. 267
ne pouTait goaflrir le lit ni le plus leger vMement. Cest oontre
terre qu'on appliquait sa poitrine dechamee. Ifais ie corps, loin
de se refroidir par le contact du sol, lui communiquait sa chaleur.
Rien n'arr^tait la fureur du mal. U se dechainait contre les mede-
cins eux-m^mes, qui devenaient ainsi victimes de leur art. Ceux
que les liens du sang ou de Tamitie retenaient aupres des ma-
lades succombaient plus promptement. Quand tout espoir elait
^vanouiy la mort seule apparaissait comme le terme des souf-
frances. AIoi^ on s'abandonnait a son instinct ; on ne cherchait
plus quel remede pouvait ^tre utile ; et, en effet, il n'en existait
point. Q^ et 1§, sans respect pour la pudeur, on se tenait nu au
bord des fontaines, des fleuves et des grandes citemes. On buvait ;
mais !a soif ne s^^teignait qu'avec la.vie. Aussi une foule de ma-
lades, affaiss^s sous le poids de Teau, ne pouvaient se relever, et
trouvaient la mort dans Tonde ou d'autres mourants venaient en-
core se desalt^rer. Des malheureux, pour se derober a leurs tour-
ments, s^elangaient hors de leur couche ; ou, s'ils n^avaient point
la force de se soutenir, ils se roulaient par terre, loin de leurs
maisons, qu'ils regardaient comme un funeste sejour et qu'ils
accusaient d'Stre la cause secrete du mal. Quelques-uns, a demi
Non stratum, non uUa pati velamina possunt;
Dura sed in terra ponunt praccordia; nec fit
Corpus humo gelidum, sed humus de corpore fervet. 560
Nec moderator adest ; inque ipsos sseva medenles
Erumpit clades, obsuntque auctoribus artes.
<}uo propior quisque est, servitque fidelius segro,
In parlem lethi citius venit. Utque salutis
Spes abiit, finemque vident in funere morbi, S65
Indulgent animis, et nulla (quid utile?) cura est.
Utile enim nihil est. Passim, positoque pudore
Fontibus, et fluviis, puteisque capacibus hacrent;
Nec prius est exstincta sitis, quam vita, bibendo
Inde graves multi nequeunt consurgere, et ipsis 570
Immoriuntur aquis ; aliquis tamen haurit et illas.
Tantaque sunt miseris invisi tsdia lecti,
Prosiliunt; aut, si prohibent consistere vires,
Gorpora devolvunt in humum, fugiuntque penates
Quisque suos. Sua cuique domus funesta videtur ; 575
Et quia causa latet, locus est in crimine, Notis
268 MtiTAMORPHOSES.
morts, erraient dans des sentiers connus, tant qu^ils pouvaient se
tenir debout ; d'autres pleuraient etendus sur le sol. Par un efTort
suprSme, ils agitaient encore leurs paupieres appesanties, et, les
bras lev^ vers le ciel, ils expiraient ou le hasard les avait con-
duits. Quels sentiments m*assaillirent alors ! Oh ! que je dus hair
la vie, et combien je desirai partager le sort de mon peuple !
Partout ou je toumais les yeux s^ofTraient des monceaux de ca-
davres. Ainsi tombent ies fruits g^l^s des arbres que l'on secoue;
ainsi se d^tachent les glands du ch^ne qu'on agite.
« Tu vois vis-k-vis de nous un temple ou Ton monte par de
longs degr^s. 11 est consacre a Jupiter. Qui de nous n*y fit bri^ler
un encens inutile?Combien de fois Tepoux, priant pour son epouse,
et le pere pour son fils, ne rendirent-ils pas le dernier soupir au
pied de Tautel insensible ! Gombien de fois ne trouva-t~on pas dans
leursmains Tencens a demi consume ! Gombien de fois, tandis que
le prMre pronon?ait les paroles sacrees et versait un vinpur entre
les cornes des taureaux conduits au temple, ceux-ci ne tombe-
rent-ils pas avant d'6tre atteints par la hache! Un jour, j'ofirais
moi-mSme un sacrifice a Jupiter pour naa pathe, pour mes trois en-*
Semianimes errare viis, dum stare valebant,
Aspiceres, flenles alios, terraeque jacentes,
Lassaque versantcs supremo lumina motu;
Membraque pendentis tendunt ad sidcra cocli, "iSO
Hic, illic ubi mors deprenderat, exhalantes.
Quid mihi tunc animi fuit? an quod debuit esse/
Ut vitam odissem, et cuperem pars esse meorum?
Quo se cumque acies oculorum flexerat, illic
Vulgus erat statum ; veluti quum putria motis 583
Poma cadunt ramis, agitataque ilice g]andes.
« Templa vides contra, gradibus sublimia longis.
Jupiter illa tenet. Quis non altaribus illis
Irrita thura tulit? Quoties pro conjuge conjux,
Pro natn genitor, dum verba precantia dicit, 3C0
Plon exoratis animam iinivit in aris,
Inque manu thuris pars inconsumpta reperla esl!
Admoti quoties templis, dum vota sacerdos
Concipit, et fundit purum inter cornua vinum,
Haud exspectato ceciderunt vulnere tauri ! 5Qo
Ipse ego sacra Jovi pro me, patriaque, tribusque
Quum facerem natis, mugitus victima diros
L1VRE YI1. 969
fonts et ponr moi. La Tictime poussa de sinistres mugissements.
Tout k coup elle expira sans Mre frappee, et teignit k peine le fer
de quelques gouttes de sang. Les fibres fl^tries n'indiquaient ni la
y^rit^ ni la volont^ des dieux : la contagion avait pen^tr^ jusqu'aux
entrailles des victimes. J'ai vu devant le seuil sacr6 des cadavres
epars. Des malades, pour rendre leur tr^pas plus r^voltant, s'^
tranglaient eux-m^mes en face des autels, et se d^robaient ainsi k
la peur de la mort en allant au-devant du sort qui les mena^ait.
On ne rendait plus ies demiers devoirs. Les portes de la ville
etaient trop etroites pour les corl6ges fun^bres. Les morts gisaieUt
prives de s^pulture, ou ^taient jetds sans nulle cdrdmonie sur le
vaste bikher. On ne respectait rien. On se battait pour une tombe
et plusieurs furent consumes par le feu allum^ pour d^autres. Au-
cune larme n'accompagnait les morts. Les ombres des filles et des
meres, des jeunes geiis et des vieillards, erraient frustr^es des
honneurs supr^mes. La terre ne pouvait ^uffire aux tombeaux, ni
le bois aux biichers.
c AccabM par ce d^iuge de maux effroyables : « 0 Jupiter ! m'^
c criai-je, s'il est vrai, comme on le dit, que^la fille d'Asopus,
« Sgine, f aitre^u dans ses bras, si tu ne rcugispas, dieu puissant,
Edidit, et subito collapsa, sine ictibus ullis,
Exiguo tinxit subjectos sanguine cultros.
Fibra quoque xgra notas veri monitusque deorum 600
Perdiderat : tristes penetrant ad viscera morbi.
Ante sacros vidi projecta cadavera postcs.
Ante ipsas, quo mors foret invidiosior, aras
Pars animam laqueo claudunt, mortisque timorem
Morte fugant, ultroque vocant venientia fata. 605
Corpora missa neci nuUis de more feruntur
Funeribus, neque enim capiebant funera porls;
Aut inhuroata premunt terras; aut dantur in altos
Indotata rogos. El jam reverentia nulla cst;
Dcque rogis pugnant, alienisque ignibus ardent. 610
Qui lacryment, dcsunl; indefletxquc vagantur
Natarum matrumque animse, juvenumque senumque;
lN'ec locus in tumulos, ncc sufGcit arbor in ignes.
c Altonilus tanto miserarum turbine rerum,
« Jupiler 0, dixi, si te non falsa loquentur 615
« Dicta sub amplexus ^ginae asopidos isse,
« Nec le, magne pater, nostri pudet esse parentem ,
270 M£TAM0RPH0S£S.
f de in'avoir pourfils, rends-moi mes sujets, ou ensevelisraoi avec
« eux dans la tombe ! » Un ^lair etun tonnerrefavorables m'appri-
rent sa volont^. « J'accepte ce presage , dis-je aiors : puisse-t-il
« m'Stre propice! Dans les signes que tu m'envoies, je trouve la
« preuve d'un meilleur destin. »
• « Pres de la s'elevait un ch^ne consacre a Jupiter. Un rare feuii*
lage en couvrait ies vasles rameaux. II etait n^ d'un gland de Do-
done. La nous voyons s'avancer une longue file de fourmis char-
g^ de grains, et transportant des fardeaux bien lourds pour leurs
faibles corps. Elles suivaient la m6me route dans Tecorce ridee
du chSne. Frappe de leur nombre, je m'ecriai : « 0 mon p6re !
« dans ta bonte, donne-moi autant de citdyens pour repeupler ma
« ville d^serte ! » Le grand arbre fremit. De ses branches agitees
sans aucun soufHe s'^liappa une voix. Je me sentis glace d^effroi ;
mes cheveux se dresserent. Toutefois j'imprimai un baiser sur la
terre et sur les fiancs du ch^ne, sans laisser deviner mon espoir.
En effet, j'esperais, et mon coeur se flatlait de voir ses vceux ac-
complis. La nuit arrive, et le sommeil soulage les peines des mor-
tels. En dormant, je crois voir le mSme chSne avec tous ses ra-
meaux, et ces rameaux couverts du m^me nombre dMnsectes. Jo
« Aut mihi redde meos, aut me quoque conde sepulcro. »
llle notam fulgore dedit, tonitruque secundo :
« Accipio, sintque isla precor felicia mentis 620
« Signa tuae, dixi. Quod das mihi, pigneror, omcn. b
« Forte fuit juxta patulis rarissima ramis,
Sacra Jovi, quercus de semine dodonaeo.
Hic nos frugilegas aspeximus agmine longo
Grande onus exiguo formicas ore gerentes, 625
Rugosoque suum servantes cortice callem.
Dum numerum miror : « Totidem, pater optime, dixi,
« Tu mihi da cives, et inania mncnia supple. »
Intremuit, ramisque sonum sine flamine motis
Alta dedit quercus. Pavido mihi membra limore 650
Horruerant, stabantque comse. Tamen oscula terrae,
Roboribusque dedi. iS'ec me sperare fatebar;
Sperabam tamen, atque animo mea vota fovebam.
Mox subit, et curis exercita corpora somnus
Occupat. Ante oculos eadem mihi quercus adessc, G5U
Et ramos totidem, totidemque auimalia ramis
LIVRE VII. 271
crois le Toir fr^mir encore, et disperser au loin dans les sillons la
tronpe charg^e de grains. Tout a coup ces fourmis me semblent
grandir, se d6velopper, se lever de terre, se dresscr, perdre leur
maigreur, leurs pieds innombrables, leur couleur noire, et re\*6tir
la forme humaine. A mon reveil, je condamne mon songe, et je
me plains de ne trouver aucunsecours dans les dieux.Gependant
mon palais retentit d'un grand murmure. La voix liumaine, qui
avait cess6 de frapper mes oreilles, semble se faire entendre au
loin. Je craignais que ce ne filt encore une iliusion, quand T61a*
mon, accourant en toute h^te, ouvrit les portes et s'ecria : 1 0 mon
f pere ! vous allez voir un prodige bien au-dessus de vos esp^
« rances, et h peine croyable; venez! » Je sors, et ces hommes
clont un songe m'avait offert Timage, je les vois rang^ en
ordre, comme je les avais vus. Je les reconnais. IIs s*approchent
et me proclament leur roi. Je rends grdces h Jupiter. J*assigne
k mes nouveaux sujets des demeures dans la ville et dans la
campagne veuve de ses anciens habitants. Je les appelle Mynni-
dons, afin que ce nom perpetue le souvenir de leur origine. Vous
les avez vus. Ils gardent leurs moeurs primitives. Cest un pcuple
econome, infatigable, int6resse, et habile a garder le fruit de ses
Ferre suis visa est; pariterque tremiscere motu;
Graniferumque agmen subjectis spargere in arvis;
Grescere quod subito, et majus majusque videri.
Ac se tollere humo; rectoque assistere trunco; G40
Et maciem numerumque pedum, nigrumque colorem
Ponere, et humanam membris inducere formam.
Somnus abit. Damno vigilans mea visa, querorque
In Superis opis esse nihil. At in aedibus ingens
Murmur erat, vocesque hominum exaudire videbar, 645
Jam mihi desuetas. Dum suspicor has quoque somni,
Ecce venit Telamon properus, foribusque reclusis :
c Speque fideque, pater, dixit, majora videbis.
« Egredere. » Egredior, qualesque in imaginc somni.
Visus eram vidisse viros, ex ordine tales 650
Aspicio, agnoscoque. Adeunt, regemque salutant.
Vota Jovi solvo, populisque recentibus urbcm
Partior, et vacuos priscis cultoribus agros ;
Myrmidonasque voco, nec originc nomina fraudo.
Gorpora vidisti. Mores, quos ante gerebant, 655
Nunc quoque habent ; parcuni cenus esl patiensque laborum,
m Ml^TAMORPHOSES.
travaux. £^aux en dge et en valeur, ils marcheront au combat
avec vous aussitdt que l'Eurus, dont le souffle propice vous a con-
duit vers cette ile (l'Eurus l'y avait conduit en effet), aura c^d^
sa place a TAutan. »
C£PHALB ET PROCRIS.
YIII. Ces entretiens et d'autres semblables remplirent toute la
journee. Le soir fut consacre a un feslin, et la nuit au sommeil.
Gependant le char radieux du Soleil avait paru sur Thorizon.
L'£urus souijflait encore et s'opposait au depart. Aupr^ de Ge-
phale, plus dge qu'eux, se pressaient les enfants de Pallas ; ils
Taccompagnaient aupr^ d'£aque, encore enseveli dans le som-
meil. Un de ses fils, Phocus, les regut sur lo seuil du palais» tan-
dis que Telamon et son aulre fr^re enrdlaient les citoyens pour
la guerre. Phocus conduisit les Atheniens dans Tinteneur du par
lais, sous de somptueux portiques, et s'assit aupres d'eux. II re-
roarqua dans les mains de Gephale un javelot fait d'un bois in-
connu, et armd d une pointe d'or. Apres quelques propos : a Je
Quaesitique tenax, et qui quo^sita reservent.
Hi te ad bella, pares annis animisque, sequcntur,
Quum primum, qui te feliciter attulit, Eurus,
(Eurus enim aitulerat), fuerlt mutatus in Austros. » 6C0
CEPUALUS ET PBOCRIS.
VIII. Talibus atque aliis longum sermonibus illi
Implevere diem. Lucis pars ultima mensaB
Est data, nox somnis. Jubar aurcus extulerat sol.
Flabat adhuc Eurus, redituraque vela tenebat^
Ad Cephalum Pallante sati, cui grandior aetas, 665
Ad regem Cephalus, simul et Pallanle creati
Conveniunt. Sed adhuc regem sopor altus habebat.
Excipit iEacides illos in limine Phocus;
Nam Telamon, fratcrque, viros ad bella legebant.
Phocus in interius spatium, pulchrosque recessus 670
Cecropidas ducit, cum queis simul ipse resedit.
Aspicit ^oliden ignota ex arbore factum
Ferre manu jaculum, cujus fuit aurea cuspis.
Pauca prius mediis scrmonihus ille locutus :
LIVRE VII. 273
sttis, dit-il, passiona^ pour les forSts et pour la chasse. N^niiKHns
je cherclie depuis longtemps de quel bois est fait ton jaTclot. Le
Mne est plus jaune, ei le cornouiJler plus noueux. J'ignore son
origine, mais je n'en ai jamais vu de plus beau. t Un des trois
enfants de l'Attique lui repond : c Son usage te paraitra plus eton-
nant que sa beautS. 11 atteint toujours le but; jamais il ne vole au
hasard, et il revient sanglant daus la main qui Ta lanc^. •
Alors le petit-fils de Neree multiplie ses questions. « Pourquoi
tVt^il etS donne? d'ou vient-ii? quel est Tauteur de ce rare pre-
sent? • Gephale satisfait a ses demandes, mais la honte rempSche
de direpourquoi il le re^ut. La perte de son epouse reveiile en liii
un douloureux souvenir qui fait eouler ses larmes : « Fils d'une
deesse, ce javelot (qui pourrait le croire?) me coiite bien des
pleurs, et il m'en coulera longtemps, si les Destins m^accordent
une longue vie. II a caus^ ma perte et ceile de mon ^pouse. Oh !
plilt au cid que je n'eusse jamais re^u ce present ! Procris etait
soeur d'Oritiiye. Peul-^trelenom dX)rithye, qu'enlevaBoree, a-t-il
pius souvent frappe ton oreille. Si on les compare, Procris, par sa
« Sum ncmorum studiosus, ait, caedisque ferinoj. 675
Qua tamen e silva teneas haslile recisum,
Jumdudum dubilo. Certe, si frasinus esset,
Fulva colore foret; si cornus, nodus inesset.
Unde sit ignoro; sed non formosius isto
Viderunt oculi telum jaculabile nostri. » 080
Excipit aclaeis e fratribus alter, el : « Usum
Majorem specie mirabere, dixit, in isto,
Consequitur quodcumquc petit, fortunaque missum
Non regit, et revolat, nullo rcferenlc, cruentum. »
Tum vero juvenis nereius omnia quaeril G85
Cur sit ct unde datnm? quis tanti muneris auctor?
Quae pctil, ille refert. Sed quae narriire pudori est,
Qua tulerit mercede, silet; tactusque dolore
Conjugis amisss, lacrymis itu fatur obortis :
« Hoc me, nale dea, quis possit credcre? telum 690
Flere facit, facietque diu, si vivere nobis
Fata diu dederint. Hoc me cum conjuge cara
Perdidit; hoc utinam caruissem munerc scmpcrl
Procris eral, si forle magis pervenit ad aurcs
Orilhyia luas, rapt» soror Orithyio!. GOo
274 M^TAMORPHOSBS.
beaute et par sa vertu, elait plus digne de trouver un ravisseur.
Son p^re £rechthee l'unit a mon sort ; l'amour nous wiit aussi.
Ghacun me prodamait heureux. Je Tetais, et, si les dieux Teussent
permis, je le serais encore. Le second mois s'ecoulait depuis notr&
hymen. Je tendais mes toiles aux cerfs legers, lorsque, du haut
derHymette,toujours couronn6 de fleurs, TAurore aux doigls ver-
meils, chassant les tenebres devant son char, m^aper^Ait et m'en-
leva malgre moi. Puis-je direla verite, sans blesser la deesse? Son
front est parseme de roses ; c^est elle qui tient le milieu enlre le
jour et la nuit; elle s'abreuve de nectar. Mais J'aimais Procris;
Procris etait dans mon cceur, et j^avais toujours son nom sur mes
levres. J'alleguai les droits de rhymen, la recente ivresse de Ta-
mour, et le premier bonheur de son affection virginale. La deesse
s'indigna de mes scrupules : « Gesse tes plaintes, ingrat, dit-elle ;
« garde Procris. Si je sais lire dans Tavenir, un jour tu voudras ne
« Favoir jamais possMee. » Et, dans sa colere, elle me renvoya
k Procris.
« Je partis, et, repassant en moi-mtoe les paroles de la d^esse,
je commen^ai a craindre que mon epouse n'eilt point respecte la
Si faciem, moresque velis conferre duarum,
Dignior ipsa rapi. Pater hanc mihi junxit Erechtheus;
Hanc mihi junxit amor. Feli\ dicebar, eramque.
Non ita dis visum est, ac nunc quoque forsitan esscm.
Alter agebatur post sacra jugalia mensis. 700
Quum me, cornigeris tendentem retia cervis,
Verticc de summo semper florentis Hymetti
Lutea mane videt pulsis Aurora tenebris,
Invitumque rapit. Liceat mihi vera referrc
Pace deaj, quod sit roseo spectabilis ore, 70o
Quod tcneat lucis, teneat confinia noclis,
Nectareis quod alatur aquis. Ego Procrin amabam;
Pectore Procris erat, Procris mihi semper in ore.
Sacra tori, coitusquc novos, thalamosque recenles,
Primaque deserti referebam foedera lecti. 710
Mota dea est, ct : « Siste tuas, ingratc, querelas.
« Procrin habe, dixit. Quod si mea provida mens cst,
« Non habuisse voles; » mcquc illi irata remisit.
« Dum. redeo, mccumquc dcac nicmorata rctraclo,
Esse metus coepit, ne jura jugalia conjux 715 '
LIVRB VII, 275
intet^ du lien Gonjugal. Sa beaut^, son ^ge, me firent soup^nner
le infid^lite, quoique sa vertu la rendit invraisembhble. Mais
vais et^ absent ; mais celle qui me quittait avait donne un mau-
is exemple ; mais tout eveille les craintes des amants. Je cherchai
i subterfuge qui devait faire mon malheur. Je m'appliquai k sd-
ire, par des presents, la vertu de Procris. L'Aurore seconda mes
lintes ; elle alt^ra mes traits (je crusm'en apercevoir). Avant de
icher la cite de Pallas, je n'etais pius reconnaissable. J'entrai
ns mon palais. Nulle trace de crime. Partout un air dUnnocence
rinquietude pour un maitre perdu. A peine, par miile d^tours,
me frayai un acces aupres de la filie d'firechthee. A son aspect,
resiai immobiie, et je renon^ai presque a mon projet. Je pus a
Ine ^touffer la verite et m'abstenir de i^embrasser, comme j'au-
s &ii le faire. Eile etait triste ; mais, malgr^ sa tristesse, aucune
nme ne YeM ^clips^e. Elle regrettait profondement la perte de
a mari. Juge, Phocus, de la beaute de celle que rehaussait mSme
douleur ! Te dirai-je combien de fois sa vertu repoussa mes at-
[ues? Gombien de fois elle me dit : « J'appartiens a un seul ; en
5ueique lieu qu'il soit, c'est en lui seul que je concentre mon
bonheur? »
Non bene servasset. Faciesque setasque jubebat
Gredere adulterium, prohibebant credere mores.
Sed tamen abrueram; sed et haec erat, undc redibam,
Criminis exemplum; sed cuncta timemus amantes.
Quaerere, quod doleam, studeo, donisque pudicam 7^
SoUicitarc fidem. Favet huic Aurora timori,
Immutatquc meam, vidcor scnsisse, figuram.
Palladias ineo, non cognosccndus, Athcnas,
Ingrediorque donmm. Culpa doraus ipsa carcbat,
Castaque signa dabat, dominoque crat anxia raplo. 725
Vix adilu pcr mille dolos ad Ercchthida facto,
Ct vidi, obstupui, meditataque prene reliqui
Tentamenla lide. Male me, quin vera faterer,
Continui; male, quin, ut oportuit, oscula ferrem.
Tristis erat; sed nuUa tamen formosior illa 730
Esse potest tristi, desiderioque calebat
Conjugis abrepti. Tu collige qualis irt illa,
Phoce, dccor fuerit, quam sic dolor ipse dccebat.
Quid refcram, quotics tenlamina nostra pudici
Reppulerint morcs? quoties : « Ego, dixerit, uni 75S
k Servor, ubicumque est; uni mea gaudia scrvo? »
276 M£TAM0RPU0SES.
« Quel homme raisonnable n'eiit vu dans ce langage une preuvc
suflisante de sa fideiit^? Je ne sus pas m'en contentQr, et je mV
cbamai a ma perte. Pour une seule nuit j^ofTris tous mes tresors.
Texagerai tellement mes promesses, qu'elle me parut chanceler
enfm. Je m'ecriai alors : « Je m^elais d^guise, el sous les dehors
c d'un adult^re se cachait le veritable epoux! Perfide! je suis
ff moi-mSme t^moin de ta trahison ! » EUe ne repond rien, mais,
ensevelissant sa honte dans le silence, elie fuit a la fois un epoux
infame et un paiais criminel. Enveloppant tous les hommes dans
la haine que je lui inspirais, elle erra sur les montagnes et s'y
livra aux exercices de Diane. Ainsi d^Iaisse, je sentis un feu pius
violent circuler dans mes veines. J'implorai mon pardon, j'avouai
ma faute, repetant que j'aurais succomb^ moi-mSme a de tels
presents» si on me les eC^t offerts. Ges aveux vengerent sa pudeur
outragee. Procris me fut rendue. Nos jours s^ecoulerent doucement
au sein de la concordfi ; et, comme si c'etait trop peu de s'etre ii-
vree elle-mSme, elle me donna un chien que Diane lui avait cede
en disant : // surpasserck tous les autres d la course. En mtoe
temps, elle me fit present du javelot que vous voyez dans mes
mains.
« Gui non ista fide satis experienlia sano
Magna forel? Non sum contentus, et in mea pugno
Vulnera, dum census dare me pro nocte paciscor;
Nuneraque augendo tandem dubitare coegi. 140
Eiclamo : « Male tectus ego en, male pactus adultcr.
■ Verus eram conjux. Me, periida, teste teneris. »
lUa nihil. Tacito tantummodo victa pudore
Insidiosa malo cum conjuge limina fugit;
Offensaque mei genus omne perosa virorum 7i5
Montibus errabal, sludiis operata Dianx.
Tum mihi deserto violentior ignis ad ossa
Pervenit. Orabam veniam, et pcccasse fatebar,
Et potuisse datis simili succumbere culpae
Me quoque muneribus, si munera tanta darentur. 7^0
Hoc mihi confesso laesum prius uUa pudorem,
Redditur, et dulces concorditer exigit annos.
Dat mihi praeterca, tanquam se parva dedisset
Dona, canem munus. Quem quum sua traderc illi
Cynthia : Currendo tuperabit, dixerat, omnes. 755
Dat simul et jaculum, manibus quod, cernis, habemus.
LIVKB VII. 277
c Yous desirez connaitre quel fut le. sort de ce nouveau don.
£coutez : vous serez etonne de ce prodige. Le fils de Laius avait, par
son genie, devine des enigmes imp^netrabies avant lui, et le Sphinx
mysterieux, oubliant son langage obscur, s'etait pr^ipite du haut
de son rocher. Themis ne laissa point sa mort impunie. Bientdt
un autre fleau, une bSte sauvage, vint fondre sur Thebes. Les
bergers, saisis d'effroi, tremblerent pour eux et pour leurs trou-
peaux. Des lieux voisins toute la jeunesse accourut, et nous enve-
lopp^es la vaste plaine de nos toiles. D'un bond leger, le monstre
agile s'elanQa par-dessus. On decoupla les chiens, qui se mirent
alepoursuivre; mais il leur echappa, plusprompt que Foiseau, et
se rit de leurs eif(»*ts. Les chasseurs, d'une voix unanime, me de-
manderent Lelaps, que j'avais re^u de Procris. Lui-mSme depuis
longlemps cherchait a briser la chahie qui retenait son ardeur. k
peine libre, ii se precipite, et a i'instant nous ne savons plus ce
qu'il est devenu. La brulante poussiere poi^te la trace de ses pas,
mais ii se d^robe k nos yeux. La javeline ou le plomb que lance la
fronde n'est pas plus rapide, et jamais ia flectie ne s'envoia plus
ISgerement de Farc crelois.
« Muneris alterius quae sit fortuna requiris?
Accipe : mirandi novitate movebere facti.
Carmina Laiades non intellecta priorum
Solverat ingeniis, et praecipitata jacebat, 760
Inmiemc»' ambagum, vates obscura, suarum.
Scilicel alma Themis nou talia linquit inulta.
Protinus aoniis immittitur altera Tbebis
Pestis, et exitio mulli pecorumque suoque
Rurigena! pavere feram. Vicina juventus . 7G5
Venimus, ct latos indagine cinximus agros.
Illa levi vclox superabat retia saltu,
Summaque transibat positarum lina plagarum.
Copula dctrahitur canibus, quas illa sequentes
EfTugit, ct volucri non segnius alite ludit. 770
Poscor et ipse mcum conscnsu Laelapa magno,
Muneris hoc nomcn. Jamdudum vincula pugnat
Exuere ipse sibi, col oque morantia tendit.
Vix beue missus erat, nec jam poteramus, ubi essct.
Scire. Pedum calidus vestigia pulvis habebat. 775
Ipse oculis ereptus erat : non ocior iilo
Uasta, ncc excussa: contorto vcrberc glandes.
Ncc gortyoiaco calamus levis exit ab aicu.
16
aiS METAMORPHOSES.
«( Au milieu d'une plaine s^elevaituntertre qui la dominait. J'en
occupe le sommet, et de la je contempleune lutte d'un genre nou-
veau. La b^te sauvage tantdt parait atteinte, et tant6t semble se
d6rober aux poursuites. Au lieu de fuir en ligne directe dans la
plaine, elle revient sur ses pas, et trompe par ses artifices et ses
detours Timpeluosite de son ennemi. Lelaps la presse et devore sa
trace. On dirait qu'ii la tient ; mais elle ecliappe a ses morsures. J'ai
recours alors & mon javelot.Tandis que je le balance, les doigts enla-
c& dans la courroie, je detoume les yeux et les reporte bient6t sur
la plaine. 0 prodige! je vois deux statues de marbre : Tune semble
fuir, l'autre aboyer. Sans doute Lelaps et son ennemi ^taient sor-
tis de la lulte, Tun et Tautre invincibies par la volonte d'un dieu,
si un dieu etait venu h ieur aide. » A ces mots, Cephale s'arr6te.
« Quel est le crime de ce javelot? » dit Phocus. « Le voici, reprend
Gdphale.
« Le bonheur, Phocus, fut pour moi la source de tous les cha-^
grins. Je vais d'abord te parler de ma felicite. Oh ! j'aime k rappe-
ler, fils d'fiaque, ces premieres annees ou j^etais heureux par mon
^pouse, ou elle etait heureuse par son epoux. Une tendresse mu-
« CoUis apex medii subjectis imminet afvis.
Tollor co, capioque novi spectacula cursus. 780
Quo modo dcprendi, modo se subducere ab ipso
Vulnere visa fera est; nec limite callida rcclo,
in spatiumve fugit, sed decipit ora sequentis,
Et redit in gyrum, ne sit suus impetus bosti.
Imminct hic, scquiturque parcm; similisque tcncnti 7So
Non lcnet, et vacuos excrcet in aera morsus.
Ad juculi vertcbar openi. Quod dc\tcru librat
Dum mca, dum digitos amentis inderc tcnto,
Lumina deilcxi, revocataquc rursus codcui
Rettulcram. Mcdio, mirum ! duo marmora campo lOO
A&picio. Fugerc boc, illud latrare putarcs.
Scllicet invictos ambo cerlaminc cursus
Esse deus voluit, si quis deus adfuit illis; »
Hactenus; ct tacuit. « Jaculo quod crimen in ipso t »
Phocus ait. Jaculi sic crimina reddidit ille : 793
« Gaudia principium nostri sunt, Phoce, dolorisi
Illa prius referam. Juvat o! meminisse bcnti
Temporisl Jlacida, quo primos rite pcr auncs
CoDJuge eram felix> felix erat illa marito;
LIYRE y.n. 279
tuelle et tout le cbarme de rintimit^ embellissaient notre union.
Procris n'ei^t point sacrifie son amour a la coucbe de Jupiter ; et
nulle femme, pas mSme Yenus, n'aurait pu me s^uire. Nos coeurs
brtdaient des mSmes feux. Des que le soleil dorait de ses premiers
rayons la cime des montagnes, j'allais, avec Tardeur de ]a jeu-
nesse, cbasser dans les forSts. Mais je ne voulais ni compagnons,
ni cbevaux, ni fins.Hmiers, ni filets : je n'avais quemon javelot.
Lorsque j'etais fatigue de chasser les b^tes sauvages, je recberdiais
la fraidieur de Tombre et le zepbyr qui souffiait d'une sombre valr
lee. Accable de cbaleur, j'invoquais la douce Aura ; je Tatlendai^ ;
elle me d^lassait de mes travaux. II m'en souvient, j'avais cou-
tume de cbanter : « Yiens, Aura, viens all^er mes peines et porter
• dans mon sein ton souffle bienfaisant. Yiens, comme toujours,
« amortir la cbaleur qui me devore. » Peut-Stre (ainsi le voulait
ma destinee) ajoutais-je d'autres expressions de tendresse. « Oui,
tf tu es pour moi la volupt^ supr^me, avais-je coutume de dire;
« tu repares et ranimes mes forces ; tu me fais cherir les bpis et
« la solitude ; ma boucbe respire toujours avec bonbeur ta doucc
t( haleine.»
Mutua cura duos, et amor socialis habebat. 800
Nec Jovls illa meo thalamos praeferret amori ;
Nec me qu» caperet, non si Venus ipsa veniret,
Ulla erat : aequales urebant pectora flammsB.
Sole fere radiis feriente cacumina primis
Venatum in silvas juveniliter ire solebam. 805
Nec mecum famulos, nec equos, nec naribus aqres
Ire canes, nec lina sequi nodosa sinebam.
Tutus eram jaculo. Sed quum satiata ferin»
Dextera csedis erat, repetebam frigus et umbras,
Et, quse de gelidis halabat vallibus, auram. 810
Aura petebatur medio mihi lenis in a^stu ;
Auram e^cspcctabam ; requies erat illa labori :
« Aura, recordor cnim, venias, cantare solebam;
« Mcque juves, intresque sinus, gratissima, nostros;
« Utque facis, relevare vclis, quibus urimur, aestus. » S15
Forsitan addiderim (sic mc jnea fata trahebant),
Blanditias plures, ct : « Tu mihi magna voluptas,
« Diccre sim solitus ; tu me reficisque fovesquc.
« Tu facis, ut silvas, ut amem loca sola; meoque
« Spiritus istc tuus scmper captatur ab ore. » ^
m METAMORPHOSES.
f( Ges paroles ambigugs frapp^rent je ne sais quelles oreilles.
Une fatale erreur fit prendre k quelqu^un ie nom d'Aura, si sou-
vent invoque, pour celui d'une Nymphe que j*aimais. Aussitdt il
alla r^v6Ier indiscr^tement a Procns un crime suppos^, et Jui
rapporta les paroles que j'avais prononc^es. L*amour est cr^ule.
A cette nouvelle, penelr^ de douleur, Procris tombe ^vanouie.
Lorsque enfm elle a repris ses sens, elle maudit son maliieur,
aocuse son destin et se plaint de ma foi. £garee par son illusion,
elle craint un fantdme, s'effraye d'une chimere, et gemit comme
si elle avait reellement une rivale. Neanmoins, souvent elle doute.
Dans son infortune, elle esperequ'on Ta trompee, et refused'aJou-
ter foi au d^ateur. Avant d'en avoir et^ t^moin elle-mSme, elle
ne peut croire a rinfideiitS de son epoux. ^
• Le lendemain, quand les rayons de TAurore eurent chass^ la
nuit, je sorlis ; je courus dans les bois, et, fier de ma chasse, je
.m*etendis sur le gazon. « Aura, lui dis-je, viens adoucir mes fa-
c tigues. » Au mkae instant je crus entendre des g^missements
se m6Ier a ma voix. « Viens, toi que je di6ris, » rep6tai-je encore.
Une feuille en tombant fit un leger bruit. Gonvaincu que c'etait
« Vooibus ambiguis deceptam praebuit aurem
Nescio quis ; noraenque Aurae lam sa?pe vocatura
Esse putans Nyraphie, Nympham mihi credit amari.
Criminis estemplo ficti temerarius auctor
Procrin adit, linguaque refert audita susurra. S^."
Credula res amor est. Subito collapsa dolore
(Jt sibi narralur, cecidit; longoque rcfecta
Tempore, se miseram, se fati dixit iniqui;
Deque fide questa est; et crimine concita vano,
Quod nihil est, metuit ; metuit sine corpore nomcn ; 830
Et dolet infelix veluli de pellice vera.
Saepe tamen dubitat, speratque miserrima falii ;
Indicioque fidem negat; et nisi viderit ipsa ,
Damnatura sui non cst delicta mariti.
« Postera depulerant Aurora} lumina noctem. . 83S
Egredior, silvasque peto, victorque per herbas ;
« Aura, veni, dixi, nostroque medere labori. »
Et subito gemitus inter mea vcrba videbar
Nescio quos audisse: « Veni, tamen, optima, » dixi.
Fronde levem rursus strepitum faciente caduca, 840
LIVRE VU. 281
ime proie cachee, je lanQai mon jarelot. C^tait Procris. Frappee
en pleine poitrine : « Helas ! » s'^cria-t-e]le. A peine ai-je reconnu
la ▼oix de ma fidele epouse, j*accours ^perdu. Je la trouve presque
inanimee, baignant de son sang ses vStements en d^sordre, et re
tirant de sa blessure (6 comble d'infortune !) Tarme dont elle mV
vait fait present. Je souleve dans mes bras coupables celle qui
m'est plus chere que la vie. Avec un lambeau du tissu qui couvre
son sein, je ferme sa cruelle blessure et j'essaye d'arrSter le sang.
Je la conjure de ne pas laisser peser siu* moi le crime de sa mort.
£puisee et mourante, elle fait un demier effort pour m'adresser
ces paroles : « Au nom des droils sacres de notre hymen, au nom
c des dieux du ciel et des enfers, je Ven suppiie, si j'ai m^rit^ ta
« tendresse, je te le demande par mon amour, qui cause mon
« trepas et vit encore au moment ou j^expire, ne permets jamais
« qu'Aura partage notre couche. »
« A ces mots, je vois, j*apprends enfin qu'un nom a cause son
erreur. Maisaquoi bon Tapprendre? Eiie s'evanouit - ie reste de
ses forces s'echappe avec son sang. Tant que ses yeux peuvent s'ou-
vrir, ils se fixent sur moi. Cest sur mon sein qu^elle meurt ; ma
Sum ratus esse feram, telumque volatile misi.
Procris erat, medioque tenens iri pectore vulnus :
« Hei mihi ! » conclamat. Vox est ubi cognita fidaB
Conjugis, ad vocem praeceps amensque cucurri.
Semianimem, et sparsasfcedantem sanguine vestcs, 815
Et sua, me miserum! dc vulnere dona trahentem .
Invenio; corpusque meo mihi carius, ulnis
Sontibus attollo, scissaque a pectore veste
Vulnera saeva ligo, conorque inhiberc cruorem ;
Neu me morte sua sceleratum deserat, oro. 850
Viribus illa carens, et jam moribunda, coegit
Haec se pauca loqui : « Per nostri foedera lecti,
« Perque deos supplex oro, superosque, mcosque ;
« Per si quid merui de te bene ; perque manentem
« Nuncquoque, quum pereo, causam mihi mortis,amorpm; S55
« Ne thalamis Auram pntiarc innubore noslris. »
« Dixit, et errorem tum denique nominis csse
fel sensi, ei docui. Scd quid docuisse juvabat?
Labilur, et parv» fugiunt cum sanguino vires.
Dumque aliquid spectare potest, mc sppctat, et in me 860
m MfiTAMORPHOSES.
bouche recueillele dernier souflfle de sa triste vie; et elle semble
alors la perdre avec moins de regret. »
Durant ce r^cit, les larmes de Phocus et des Pallantides se
m^l^rent a celles du heros. Soudain £aque entra, suivi de ses deux
autres fils et de nouveaux soldats. Gephale les re^ut, tenant a
la main son javelot redoutable.
Infelicem animam nostroque exhalat in ore;
Sed vultu meliore mori secura vldetur. »
Flentibus haec lacrymans heros memorabat; et ecce
iBacus ingreditur duplici cum prole, novoque
Uilite, quem Cephalus cum fortibus accipit armis. 865
LIVRE HUITlfiME
mSU8 EST CHANGW EN AIGLE DR MER, ET SCTLLA, 8A FILLE,
EN AIGRETTE.
I. Dej^ reloile du malin chassait la nuit et rouvrait les porles de ^^
rOrient. L'Eurus tombe et d^humides nuages s'elevent. Lb paisible p^^^^
Autan seconde le retour des soldats d'fiaque et de C^phale. Grsice
a son souffle heureux, ils arrivent au port plus t6t qu'ils ne Ta-
vaient esper^. Cependant Minos ravageait la contree de LeJex, et
faisait Tessai de ses forces sous les murs de la ville d^Alcathoiis,
ou regnait Nisus. Rev6tu d'un brillant manleau de pourpre, ce
prince avait sur sa t6te blanche et venerable un cheveu qui assu-
rait la duree de son noble empire.
Le disque de Phebe renaissait pour la sixi^me fois, et la victoire
etait encorf incertaine : longtemps balancee sur ses ailes, elle
LIBER OCTAVUS
NISUS IN IIALI^ETDM, ET 8CYLLA, EJUS FILIA, IN CIRIN MUTaNTUR.
I. Jam nitidum retegente diem, noctisque fugante
Tcmpora Lucifero, cadit Eurus, et humida surgunt
Nubila. Dant placidi cursum redeuntibus Auslri
iEacidis Ccphaloque, quibus felicitcr acti
Ante exspectatum portus tenuere petitos. 5
Interea Minos lelcgeia littora vastat,
Prsctentatque sui vires Mavortis in urbe
Alcathoi, quam Nisus habet. Cui splendidus ostro
Inter honoratos medio de vertice canos
Crinis inhajrebat, magui fiducia regni. IQ
Sexla resurgebant orientis cornua Phcebes,
Kt ppndcbat adhuc belli fortuna, diuque
284 M£TANORPHOSES.
flottait entre les deux camps. Une royale tour flsoiquait les mttis
devenus sonores depuis que le flls de Latone y deposa, dit-on, sa
lyre. Par son contact elJe communiqua des accents k la pierre.
Souvent, durant la paix, la fille deNisus montait dans cette tonr, et
frappait avec une petite pierre la muraille harmonieuse. Souvent
aussi, pendant la guerre, elle contemplait de la les jeux sanglants
de Mars. Deja la longueur du siege lui avait permis de connaitre
les noms des chefs, les armes, les coursiers, les costumes et les arcs
de Cydon. EUe connaissait m^me trop surtout la figure du h^ros k
qui Europe avait donn^ le jour. Le front couvert d'un casque om-
brage d'un panache, ou le bras arm6 d'un brillant bouclier d'ai-
rain, Minos lui paraissait egalement beau. Deployait-il sa vigueur
pour lancer un javelot, elle vantait son adresse et sa force. Pla-
gait-il un trait sur son arc, elle jurait que c'etait Taltitude de
Ph^bus pr^t a decocher ses fl^ches. Deposait-il le casque et lais-
sait-il voir son visage ; pressait-il, rev6tu de pourpre, les flancs
d'un cheval blanc richement capara^onn^, et soumettait-il au frein
sabouche ^cumante; la fille de Nisus ne pouvait se poss^der. Ilors
Inter utramque Tulat dubiis victoria pennis.
Regia lurris erat vocalibus addila muris,
In quibus auratam proles letoia fertur 15
Deposuisse lyram : saxo sonus ejus inhxsit.
Saepe illuc solita est ascenderc filia Nisi,
Et petere exiguo resonantia saxa lapillo»
Tum quum pax esset; bello quoque saepe solcbat
Spectare ex ilia rigidi certamina Martis. 20
Jamque mora belli procerum quoque nomina noral,
Armaque, equosque, habitusque , cydoneasque pharetras.
Noverat ante alios faciem ducis europaei,
Plus etiam, quam n^sse sat est. Hac judice, Hinos,
Seu caput abdiderat cristata casside pennis, 25
In galea formosus crat; seu sumpserat aere
Fulgentem clypeum, clypeum sumpsisse decobat.
Torscrat adductis hastilia lenta iacertis;
Laudabat virgo junctam cum viribus arlcm.
Imposito patulos calamo sinuaverat arcus; CU
Sic Phcebum sumplis jurabat slare sagiltis.
Quum vero faciem dempto nudaverat xre^
Purpureusque albi slratis insignia picJis
Terga premebat equi, spumantiaque ora rpgpbal;
Vii sna, vix sanan virgo niseia compos oK
LIVRE VIII. 285
irellMdtoie, elle portait enyie au javelot que touchait Ninos, aux
rdnes que dirigeait sa main. EUe ei!^t voulu, si elle avait pu c^der
k son d^sir, marcher dans les rangs ennemis ; elle eilit voulu, du
haut de la tour, s'4Iancer dans le camp des Gr^tois, ouvrir a Ten-
nemiles portes d'airain, et se soumettre h tous les ordres de Minos.
Du lieu ou elle se tenait habituellement , tournant un jour ses
regards sur les tentes blanches du roi de Crete :
f Dois-je me r^jouir, dit-elle, ou m^afHiger de cette guerre dd-
ploraUe ? Je ne sais. Je m'en afftige, puisque Minos est Tennemi
de celle qui Tadore. Mais, sans la guerre, Taurais-je connu ? Tou-
tefois il pourrait me prendre pour otage et d^poser les armes. n
m'aurait pour compagne, pour garant de la paix. Si ta m^re, 6 toi
dont rienn'^ale la beaute! eut des traits semblables aux tiens,
elle fut digne d'embraser le coeur d'un dieu. Quel serait mon
JtKmheur^ si je pouvais traverser Tair sur des ailes, et descendre
dans le camp des Cretois ! Je me ferais connaitre, je d^uvrirais
ma flamme au heros, je lui demanderais a quel prix il me don-
nera sa main, pourvu qu'il n'exige point que je lui livre la citS
qui m'a vue naitre. P^risse rhymen o\i j'aspire, plul6t que d'Strc
Mentis erat; felix jaculum, quod tangeret ille,
Quaeqne manu premeret, felicia frena vocabat.
Impetus est illi, liceat modo, ferre per agmen
Virgineos hostile gradus; est impetus illi
Turribus e summis in gnosia mittere corpus iO
Castra, vel asratas hosti recludere portas,
Vel si quid Minos aliud velit. Utque sedebat,
Candida dictaei spectans tentoria regis :
« Lseter, ait, doleamne geri lacrymabile bellum,
In dubio est. Doleo quod Minos hostis amanti est. i5
Sed nisi bella forent, numquid mihi cognitus essetf
Me tamen arcepla poterat deponere bellum
Obside; me comitem, me pacis pignus haberet.
Si, quae te genuit, talis pulcherrime rerum,
Qualis es ipse, fuit, merito deus arsit in illa. {)0
0 ego ter felix, si pennis lapsa pcr auras
Gnosiasi possim castris insistere regis.
Fassaque me, flammasquc meas, qua dote, rogar ?m, I
Vellet emi, tantum patrias ne posceret arces.
Nam pereant potius sperata cubilia, quara sim £15
886 M£TAM0RPH0SES.
heureuse par la trahison, quoique souvent une dSfaite ait trouTd
sa justification dans la clemence d'un gen^reux vainqueur. La
mort de son fils lui fait soutenir une guerre l^itime. Sa cause
s'appuie sur le droit, et il la soutient par la force des armes. Nous
serons donc vaincus, je n'en saurais douter. Si tel est le sort re-
serv^ a ma patrie, pourquoi ses armes lui en ouvriraient-elles les
portes plutdt que mon amour? Ne vaut-il pas mieux qu'il soit
vainqueur sans camage, sans retard et sans r^pandre son sang ?
Gar je tremble, Minos, qu'une main imprudente ne te frappe ! £h !
k moips de fattaquer sans te connaitre, qui serait assez cruel pour
diriger contre toi une lance meurtriere ? Oui, je persiste : je veux,
en me livrant moi-mtoe, lui offrir ma patrie pour dot et mettre
fin ^ la guerre. Mais c'est peu de vouloir. Des sentinelles ferment
tout acc^, et mon p^re lui-m^me veille aux portes de la viUe.
Mallieureuse ! c'est lui seul que je crains ; seul, il s'oppose a Tac-
complissement de mes d^sirs. Ah ! plilt aux dieux que je n'eusse
plus de p^re ! Mais chacun devient un dieu pour lui-m^me, et la
Fortune ne resiste qu'aux prieres du lache. Deja une autre, bru-
lant des mSmes feux, aurait ^carte ce qui nuit a son amour.
Proditione potens, quamvis saepe utile vinci
Yictoris placidi fecit clementia multis.
Justa facit certe pro nato bella perempto;
In causaque valet, causamque tuentibus armis,
Ut puto, vincemur. Qui si manet exitus urbem, 0()
Gur suus hsec illi reserabit moenia Mavors,
Et non noster amor? Melius sine caede, moraque,
Impensaque sui poterit superare cruoris.
Nam metuo certe ne quis tua pectora, Minos
Vulneret imprudens. Quis enim tam dirus, ut in te r>a
Dirigere immitem,'nisi nescius,^udeat hastam?
Gcepta placcnt, et stat sententia tradere mecum
Dotalem patriam, finemquc imponere bello.
Verum velle parum est : aditus custodia scrvat,
Claustraque portarum genitor tenet. Hunc ego solum "0
Infelix timeo; solus mea vota moratur.
Di facerent sine palre forem! Sibi quisqiic profeclo
Fit deus. Ignavis precibus Fortuna ropugnat,
Altera jamdudum succensa cupidine tanto
Perdere gauderet, quodcumque obstarct amori. ''•>
LIVRE YIII. 287
Eirquoi une auire aurait-elle plus de courage que moi ? J'oserais
j jeter k travers le fer et la flamme. Pour moi, je n'ai besoin ni
fjamme ni d'§pee. Un cheveu de pourpre de mon p^re me
fit : plus precieux pour moi que tous les tresors, en coivonnant
« d^irs, il mettra le comble a mon bonheur. »
Tandis qu'elle profere ces paroles, le plus vif aiguillon del'a-
lur,. la iiuit survient. L'audace de Scylla grandit au sein des ten^
is, A peine le sommeil commengait-il k calmer les peines des
(rtels, elle p^nelre en silence pr6s du lit de son p^re. 0 crime
•euxl elleravit k Tauteur de sesjours le faial cheveu. Maitresse
cctte proie impie, elle emporte la d^pouille qu'elle doit a un
dl^e, franchit les portes de la ville, et, k travers les eniiemis
nt le servicequ'ellerend aux Cretois lui inspire deconiiance !),
; va trouver le roi, qui fremit a son aspect. « L'Amour a dict^
n crime, dit^elle. Je suis Scylla, la fille de Nisus. Je te livre
patrie, mon palais, et je ne veux d'autre recompense que toi.
ir gage de mon amour, re^ois ce cheveu de pourpre. Ge n'est
1 seulement un cheveu, c'est mon pere que je te Uvre ; crois-
i. » Eu m^me temps sa main criminelle offi'e ce pr^ent k
El cur uUa foret me fortior? Ire per ignes,
Per gladios ausira; nequc in hoc tamen ignibus ullis,
Aut gladiis opus est; opus est mihi crine palerno.
llle mihi esl auro prcliosior; illa beatam
Purpura mc, votique mci factura potentem. > ^
Tulia diceuti, curarum maiima nulrix
Nox intervcnit, tcncbrisquc audacia crevil.
Prima quies adcrat, qua curis fcssa diurnih
Pectora somnus habct. Thalamos tacilurna palcrnos
Intrat, et (heu facinus !) fatali nata parcntcm 85
Crinc suuni spoliat; prndaquc potita ncfanda
Fcrt secum spoliUm sceleris, progressaquc porta
Per racdios hostcs (mcritis fiducia tanta est!)
Pervenit ad regcm. Quem sic affata paventem :
« Suasit amor facinus. Proles ego rcgia Kisi 90
Scylla, tibi Irado patridsquc mcosque penates,
Plracmia nulla peto, nisi tc. Cdpe pignus amoris
Purpurcum crinem; nec me nunc traderc ctinem»
Sed palrium tibi crede capul. » Scelerataque deztra
S88 METANORPHOSfiS.
Minos, qui le repousse. Indigne de ce forfait inoui : « Que les
dieux, dit-il, te bannissent de l'univers soumis a leur empire, 6 toi,
.Fopprobre de notre si^cle ! Que la terre et la mer te soient a jamais
ferm^! Pour moi, je ne souffrirai pas que le berceau de Jupiter,
que la Crete ou je commande, re^oive un monstre tel que toi ! »
II dit, et, apres avoir impose aux baptifs des conditions dictte
par la justice, 11 fait detacher la flottQ du rivage et avancer les
vaisseaux sous les bras des rameurs.
A Taspect des navires qui fendent les ondes, Scylla, con-
vaincue que Minos lui refuse le prix de son crime, apres s'^tre
^uisee en instances, s'abandonne aux transports de la colere.
Les mains tendues vers lui, et les cheyeux epars : « Ou fuis-tu,
s'ecrie-t-elle hors d'elle-m6me, loin de ta bienfaitrice, loi que
i*ai prefere a ma patrie, toi que j'ai prefer^ a mon pere ? Ou ftiis-
tu, cruel ? Ta vicloire est a la fois mon crime et mon bienfait. Tu
n'es donc touche ni des services ni de la tendresse d'une amante
dont tout Tespoir reposait sur toi? Si tu me delaisses, ou cher-
cliorai-je un refuge ? Dans ma patrie ? elle est vaincue. Et, quand
je Youdrais y rester, ma ti^ahison m'en interdit Tacces. Ghes mon
Manera porrexit. Minos porrecla refugit, 95
Turbatusque novi rebpondit imagine facti :
« Di te submoveant, o nostri infamia secli,
Orbc suo, tellusque tibi ponlusque negenlur.
Certe ego non patiar, Jovis incunabula, Creteu,
Quse meus est orbis, tantum contingere monstrum. « 100
Dixit, ct, ut lcges captis justissimus auctor
Hostibus iniposuit, classis retinacula solvi
Jussit, ct aeratas impelli reroige puppes. >
Scylla, freto postquam deductas nare cariuas,
^ec prabstare ducem sceleris sibi praemia vidit, 105
Consumptis prccibus violentam transit in iram;
Intendensquc manus, sparsis furibunda capillis :
« Quo fugis, exclaroat, meritorum auctore relicta,
0 patria; praiL-^te mcjE, prjnlate parenti?
Quo fugis, immitis? cujus victoria nostrum 110
Et scelus, et meritum est. Nec lc data munera, nec lc
Noster movit amor, nec quod spes omnis in unum
Te mea congesla est? Nam quo deserta rcvertar?
In palriani? superata jacet. Sed linge manere.
Proditione mea clausa est mibi. Patris ad ora? iV6
LIVRE VIII. 289
p^e? je iailrahi pour toi. Tai merite la liaine de mes conci-
toyens. Les peuples voisins redoutent mon excmple. Je me suis
fenne runivers pour m'ouvrir les seules portes de la Crete. Si lu
m'en eloignes, ingrat, si tu m'abandonnes, non, Europe n'est
point ta mere ; c'est une Syrte barbare, une tigresse d'Annenie,
ou Cbarybde que bouleverse TAutan. Non, tu n'es pas le fils de
Jupiter; nou, ta mere nefut point seduile par Timagc d'un tau-
reau. Tout celan'est que mensonges. Le taureau qui te donna le
jour etait un taureau sauvage : jamats il ne connut Tamour.
Venge-toi, mon p^re. Rejouissez-vous de mon maUieur, remparts
que je viens de trahir. Je lavoue, j'ai merite la mort. AIi I du
moins, puissd-je mourir par la main de ceux qu'a perdus mon
impiete ! Mais toi, qui as vaincu par mon crime, pourquoi m'en
punir? mon crime envers ma patrie et mon pere fut un bienfait
pour toi. Oui, tu cs le digne epoux de fadultere qui, renfermee
dans une genisse de bois pour troraper un taureau farouche, vit
naitre de ses amours un monstre dilforme. Entends-tu mes re-
prociics, iugrat, ou sont-ils emporl^s par les memes venls qui
pousseut lonvaisseau? Faut-il s'etonner encore quePasipliae fait
Qu» Ubi donavi. Cive» odere mereulem.
Kinilimi excmplum metuunt. ObstruxinmA orbcm
Terrarum, nobis ul Crelc sola palcrct.
llac quoque ai proliibcs, ct nos, ingratc, relinquis,
Nou gcnitrix Europa tibi, sed inhospila Sjrlis, 120
Armeniaeve tigres, Austrove agitata Cbarybdi:>.
Nec Jovc tu nalus, ncc mater imaginc tauri
Ductu tua cst. Gcucris falsa est ea fabula ve:jlri ;
Et fcrus, et captus nuUius amore juvencx,
Qui le progenuit, taurus fuit. Exige pcenas, l2o
Nise pater. Gaudete malis modo prodita nostris
MoDnia. Nam fateor, mcrui, et sum digna perirc.
Me tamen cx illis aliquis, quos impia ix^i,
BIc pcrimat. Cur, qui vicisti crimine nostro,
Insequeris crimcn? Scehis hoc patrixque, patrique, 130
Officium tibi sit. Te vcre conjugc digna csl,
Quae torvum ligno decepit adultcra tauruni,
Discordcmquc utcro fcetum tulit. Ecquid ad aurcs
Tcrvcniunt mea dicta tuas? An inania vcnti
Vcrba fcrunt, idcmque tuas, ingratc, carinas? ioo
Jani jam Pasiphaen non est mirabile taurum
17
290 METAMOUPUOSES.
d^sse pour un taureau? tu ^tais plus cruel que lui. Malheureuse
que je suis! tu te liates de fuir : les flots retentissent sous tes.
rames. Je disparais, helas ! ayee les rivages de ma patrie. Cest en
vain que tu as oubhe mes services. Je te suivxai malgre toi, et,
attachee k ton navire, je t'accompagnerai sur la vaste mer. »
A ces mots, eUe s'elance dans les ondes et suit la flotte. LV
mour lui donne des forces, el, malgre Ihorreur qu'elle inspire,
eUe se cramponne au vaisseau ennemi. Son pere TaperQoit. Re-
cemment chang^ en aigle de mer, il se balangait dans les airs sur
ses ailes fauves. 11 aUait fondre sur eUe et la dechirer a coups de
bec, lorsque, saisie d'eflroi, eUe se detacha du navire. Mais, au
moment de sa chute, une brise l^gere parut la soutenir et la pre-
server des flots. EUe avait des ailes; elle etait metamorphos^ en
aigrette, oiseau dont le nom rappelle le cheveu qu^elle d^roba.
LA GOURONNE dVrIANE PLAc£e PARMI LES ASTRES.
II. Des que, au sortir de son vaisseau, Minos eut foule le sol de la
Crete, il immola, pour acquitter son voeu, une hecatombe a Jupi-
Praeposuisse Ubi : tu plus ferilalis habebas.
Me miseram! propcrare juvat, divulsaque remi:»
Ljida soua'. Mecum simul, ah! mea terra recodil.
M\ agis, o frustra meritorum oblite meoruui. 140
Insequar invitum, puppimquc amplcxa recurvani,
Per frela longa trahar. »
Vix dixerat, insilit uudas,
(lousequiturque rates, faciente Cupidine vires,
Gnosiacxquc haeret comes invidiosa carinse.
Quam pater ut vidit (nam jam pendebat iu auras 145
Et modo factus crat fulvis haliaeetos alis),
Ibat ut haerentem rostro laniuret adunco.
llla metu puppim dimittit. At aura cadentem
SustinUisse levis, ne tangeret sequora, visa cst.
Pluma fuit; plumis in avem mutala vocatur i,-iO
Ciris, et a tonso est hoe nomcn adcpta capillo;
ARIADNES CORONA iNTEB SIDERA lH)Nlturi.
lU Vola Jovi Miuos laurorum corpora centum
S<>Iyit, ut fegrcssus ratibus curctida terram
LIYRE VIll. 291
i&tf et suspendit de glorieuses depouiUes aux yotties de son palais.
Gependant, ropprobre de son lit, fruit d'un infdme adultere, le
Hinotaure, grandissait chaque jour. U Youlut donc eloigner de sa
demeure le monument de sa honteen le renfermant dans un laby.
rynthe inexiricable. Dedale, architecte c^lebre, charge de le con-
sti^re, embrouilla toutes les voies qui pouvaient guider a travers
les miUe d^tours ou se perdait la vue. Gomme on voit le iimpide
M^dre se jouer dans les plaines de la Phrygie, et promener ^a
et Ja son cours incerlain, tanl6l replier ses ondes sinueuses, tantdt
remonter vers sa source, ou ramener ses flots capricieux vers ia
mer ; ainsi Dedale change tellement la direction des innombrables
routes, qu'il peut a peine lui-m^me en retrouver Tissue : lant le
labyrinthe presente de difficultes perfides ! Des que rarliste y
eut enferm6 le Minotaure, Thesee egorgea ce monstre, deja repu
deux fois du sang athenien, et mit ainsi fin au tribut qu'on lui
payait tous les neuf ans. Puis, a 1 aide du iil que lui donna une
jeuueprincesse, il decouvrit la difficile issue que nul n^avait franchie
une seconde fois. Au m6me instant il enleva Ariane, fit voile vers
Naxos, et abandonna cruellement sa compagne sur le rivage. Ariane
Contigit, et spoliis decorata esl regia fixis.
Creverat opprobrium generis, foedumque patebat 155
Malris adulterium, monstri novilate biformis.
Destinat hunc Minos thalamis removerc pudorem,
HuUiplicique domo, cascisquc includerc lcctis.
Dacdalus, ingenio fabrs ccleberrimus artis,
Ponit opus, turbatque notas, et Inmina flexum 160
Ducit in errorem varianim ambage viarum.
Non secus ac liquidus phrygiis Mseandros in arvis
Ludit, et ambiguo lapsu refluilque fluitque,
Occurrensque sibi venturas aspicit undas,
Et nunc ad fontes, nunc in mare versus apertum, 1C5
Incertas exercet aquas ; ita Dxdalus implet
Innumeras errore vias, vixque ipse reverti '
Ad limen poluit : tanta est fallacia tecti!
Quo postquam tauri geminam juvenisque figuruni
Clausit, et actoio bis pastum sanguine monslruui 170
tcrtia sors annis domuit repetita novcnis,
Utque ope virginea, nuUis iterata priorum,
Janua difficilis filo cst inventa rclccto,
Protiuus ^gides, rapta Minoide, Diam
Vela dedit, comitemque suam crudelis in illo ilb
m METAMORPllOSES.
assourdit ]es eclios de ses plaintes. Bacclius se jela dans ses bras,
lui pr^ta son appui, et, pour qu'elle brillat dun eclat immortel au
milieu des astres, il detacha la couronne de son front et ]a langa
vers les cieux. Tandis qu'elle traversait rapidemenl les airs, sou-
dain les pierreries dont elleetait parsemee sc d angSrent en au-
tant de feux qui se fixerent dans r£mpyiee et conservdrent la
•forme d'une couronne. Sa place est enlre llcrcule a genoux et li
constellalion qui regarde le Serpent.
DEDALB S^ENVOLE SUR DES AILES. — IGAHE, £N \OLANT AUP&E DE
SON PfeRE, PERIT DANS LES FLOTS. — METAMORPUOSE DE r£RDI\.
fll. Cependant Dedaks degcuie de la Grete et d'un long exil,
brule de revoir son pays nalal ; mais de tous c6tes lamerlcii bp-
pose un obstacle. « Minos peut bien, dit-il, m'interdire la teire et
1'pnde ; mais le ciel m'esl ouvert : c'est la que je m'ouvrirai une
route. Sil tient la Grete sous ses iois, Tair, du moins, ne lui ap*
partient pas. • A ces mots, il s'applique a decouvrir un art in-
connu, ot demande a la nature des sccours nouveaux. II range
des plumes cn ordre, en commenyant par les plus courtes.
LiUorc dcscruit. Deseitu}, ct niulla quciculi,
Auiplexus cl opcai Libcr tulit. Utquc pereani
Siderc claru forel, suniplam de frontc coronam
Inunisit coclo. Tenucs volat illa per auras;
Duniquc volat, gcmmac subilos vertunlur in ignes, 180
Con^istuntque loco, specic rcmancnte corona?,
(Jui nicdius iNixique gcnu est, Anguemque tucntis.
DJSrALOS ALIS EVOLAT. — ICAIIUS, rOST PATUF.M VOLANS, SDDMEnGITUR.
PEllDIX TRAXSFOnMATA.
^
111. Dajdalus interca Crcten, longumquc perosus
Exsiliuin, tractUbquc soli natalis amore,
Clausus crat pclago : « Terras licct, inquit, et undas 185
Obstruat; at cculum ccrto patct : ibimus iliac.
Oinnia possidcat, non possidet acra Minos. *
Di.\it, cl ignoiis animuin dimittit in artcs,
Katuraniquc ucvat. Mam ponit in ordinc peuuas,
LIYRB VIII. 205
Tioment ensuite les plus longues, et ellcs $'^l^vent toutes par
degr^, comnie jadis, pour former le pipeau champMre, furent
dispos^ des chalumeaux dMnegale grandeur. II atlache cdies du
niilieu avec du lin, et celles des extremit^ avec de la cire. Apr^s
les avoir ainsi arrangees, il les courbe l^gerement, comme les
ailes d'un oiseau. Icare ^tait pres de son pere. Sans se douter qu'il
pir^parait son malheur, et le front rayonnant de joie, tant6t il
touchail les plumes qu'agitait le vent, tant6t il pressait la cire
sous ses doigls, et retardait par ses jeux radmirable travaii de
son pere. £nfni, apres avoir mis la derniere main a son ouvrage,
Taiiiste prend son essor et fend Tair, stispendu sur ses ailes. II en
donne de semblables a son fils, et lui dit : « Ne fecarte pas de
Tespace qui est entre la terre et les cieux ; je te le conseille, Icare.
Plus bas, tes ailes seraient appesanties par Tonde ; plus haut, le .
feu les consumerait. Resle entre ces deux hmites. Je te recom-
mande aussi de ne regarder ni le Bouvier, ni H^lice, ni Orion
arm4 d'une epee nue. Suis-moi. » En m^me temps il lui ap-
prend Tart de voler, et attache a ses ^paules des ailes dont
Tusage est tout nouveau pour lui.
A minima cceplas, longam breviore sequenti, 100
Ut cliTO crcvisse putes. Sic rustica quondam
Fistula disparibus paulatim surgil avenis.
Tum lino raedias, et ceris alligat imas,
Atque ita compositas parvo curvaminc flectit,
Ut veras imilentur aves. Puer Icanis una 10;i
Slabat, et, ignarus sua se traclarc pericla,
Ore rcnidenti, modo quas vaga moverat aura,
Captabat plumas, flavam modo pollice ceram
MoUibat, lusuque suo mirabile patris
Impediebat opus. Postquam manus ultima cflDplfs SiK)
Imposita est, geminas opifex libravit in alas
Ipsc suum corpus, motaque pependit in aura.
Instruit et natum : « Medioque ut limitn curras,
Icare, ait, moneo, nc, si demissior ibis,
Unda gravet pennas; si celsior, ignis adurat. 205
Inter utnimque vola. Ncc te spectare Booten
Aut Ilelicen jubco, strictumvc Orionis ensem.
Me duco, carpe viam. » Pariler prsecepta volandi
Tradit; et ignotas humeris adcommodat alas.
20i M£TAMORPHOSES.
Pendant que le vieillard lui prodigue ses soins et ses consdls,
des larmes baignent ses joues, et ses mains patemelles tremblent.
U le couvre de baisers pour la derni^re fois. D \ole derant lui et
fremit pour ses jours. Pareil a Toiseau qui conduit hors du nid sa
jeune couvee dans les airs, il exercelcare ^le suivre, et le fonne
a un art p^rilleux. En agitant ses ailes^ il a les yeux sur oelles de
son fi]s. Le p^cheur qui amorce les poissons au bout d'un flexible
roseau, le berger et le laboureur appuyes, run sur sa houlette,
Tautre sur sa charrue, apergoivent Dedale et son fils. Frapp^s de
surprise, ils prennent pour des dieux ces nouveaux habitants de
Tair. D6ja fuyaient, a gaudie, Samos, cherie de Junon, D6Ios et
Paros; k droite, L6binthe et Calymne qui abonde en miel. Le
jeune Icare, fier de son vol audacieux, abandonne son guide, et,
Jaloux de sonder les regions celestes, il s^elance plus haut. Le
brulant voisinage du soleil ramollit la cire odorante qui attache
ses ailes. Elle fond. Icare agite ses bras nus; mais, depouille de
ses ailes, il ne se soutient plus dans les airs. II appelle son pere,
et tombe dans les flots d^azur qui conservent son nom. Gepen-
dant son pere infortune, qui deja n'est plus pere, s'ecrie : « Icare,
Inter opus monitusque genac maduerc seniles, 210
Et patriae Iremuere manus. Dedit nscula nato
Non itcrum repelenda suo, pennisque levatus
Antevolat, comitique timet, velut ales, ab alto
QujB tencram prolem produxit in aera nido,
Hurtaturque scqui, damnosasque erudit artes, 21b
Et movet ipse suas, et nati respicit alas.
Hos aliquis, tremula dum captat amndine pisces;
Aut pastor baculo, stivave innixus arator,
Vidit, et obstupuit, quiquc aelhera carpere possent,
Credidit esse deos. Et jam junonia Ijcva 220
Parte Samos fuerant, Delosqur. Parosquc roliclnp,
Dextra Lebinlhos erant, fecundaque melle Calymne,
Quum pucr audaci coepit gaudere volatu,
Dcseruitque duccm, crrlique cupidinc tractus
Altius egit iter. Rapidi vicinia solis 225
MoUit odoratas, pennarum vincula, ceras.
Tabuerant cerae. Nudos quatit ille lacertos,
Remigioque carens non uUas percipit auras.
Oraque caerulea, patrium clamantia nomcn,
Excipiuntur aqua, qux nomen traxit ab iilo. 230
At pater infelix, nec jam patcr : « lcare, dixit.
LIVRE VIll. 295
kare! ou es-tu? ou irai-je te chercher? Icare! » repetait-il en-
oore, quand il aper^ut ses ailes a la surface des eaux. Alors, mau-
dissant son art, ii renferma dans un tombeau les restes de son
fils, et le rivage prit le nom de celui qui y avait ete enseveh.
Tandis que Dedale rendait les demiers devoirs a son malheureux
fils, une perdrix indiscr^te, cachee dans Tepais feuillage d'un
di^ne, battit des ailes en le voyant, et poussa des cris de joie,
Seul de son espece et inconnu dans les premiers dges, cet oiseau
r^mment cree devait instruire Tunivers de ton crime, 6 D^-
dale ! Ta soeur, ignorantles arrSts du Destin, favait confie Tedu-
cation de son iils, lorsque, a peine arrive a sa douzieme annee, ii
fut capable de recevoir les lecons. Cet enfant, ayant examin^ les
pointes qui herissent le dos des poissons, les prit pour mod^le,
et, taillant dans le fer une rangee de dents, il inventa la scie. Le
premier aussi il unit ensemble deux branches d'acier que Fon
ecarte a une egale distance pour decrire un cercle avec Tune, tan-
dis que Tautre reste immobile. Emporte par la jalousie, Dedale
precipita ITnventeur du haut du temple de Minerve, et publia que
sa chute etait due au hasard. Mais Pallas, favorable au g^nie,
Icare, dixit, ubi es? qua te regione requiram?
Icarel » dicebat. Pennas conspexit in undis,
Devovitque suas artes, corpusque sepulcro
Gondidit, et tellus a nomine dicta sepulti. 235
Hunc miseri tumulo ponentem corpora nati
Garrula ramosa prospexit ab ilice perdix,
Et plausit pennis, testataque gaudia cantu est.
Unica tunc volucris, nec visa prioribus annis,
Factaque nuper avis, longum tibi, Daedale, crimen. 240
Namque huic tradiderat, fatorum ignara, docendam
Progeniem gerraana suam, natalibus actis
Bis puerum senis, animi ad praecepta capacis.
llle ctiam medio spinas in pisce notatas
Traxit in exemplum, ferroque incidil aculo 245
Perpetuos dentes, et serrae repperit usum.
Primus et ex uno duo ferrea brachia nodo
Vinxit, ut, aequali spatio distanlibus illis,
Altera pars staret, pars altera duceret orbem.
Daedalus invidit, sacraque ex arce Minervae 250
Prxcipitem mittit, lapsum mentitus. At ilium,
Qux favet ingeniis, excepit Pallas, avemque
296 Mt:TAMORPHOSE.S.
soutini renrant, le changea en oiseau, et le couvrit de plumes
pendant qu'il tombait. Toule Tenergie de son esprit, naguere si
actif, passa dans ses ailes et dans ses pieds. II conserve son ancien
nom. Toutefois son vol est humble, et il ne place point son nid
dans le branchage ni a la cime des arbres. U rase les sillons, et
d^pose ses ceufs dans les broussailles. Le souvenir de son ancienne
chulelui fait craindre les lieux eleves.
M^Ii^AGRE TUE LE SANGLIER DE GALTDO!!. — ALTnEB, HfeRE DD OiROS,
EN ACCELERE LA MOBT.
IV. Deja Dedale, epuise de fatigue, etait parvenu aux campagnes
de rElna, et Cocale, qui, touch^ de ses prieres, avait pris les armes
pour le proteger, entendait c6I6brer sa generosite. Deja Ath^nes,
par la valeur de Thes6e, avait cesse de payer un lamentable tribut.
Les temples ^laient omes de guirlandes. Mille voix invoquaient la
belliqueuse Palias, Jupiler, et tous les dieux protecteurs. Le sang
des victimes promises coulait sur les autels oii rencens se mSlait
«lux offrandes. La Renommee avait porte de ville en ville, dans la
Gr^ce enliere, le nom de Thesee. Les peuples repandus sur la sur-
Reddidit, ct medio vclavit in acre pennis.
Sed vigor ingenii quondam velocis, in alas
Inque pedes abiit. Nomen, quod et anle, remansit. 255
Non tamen h^c alte volucris sua corpora tollit,
Ncc facit in ramis altoque cacumine nidos.
Propter humum volitat. ponitque in sepibus ova,
Anliquique meraor metuit sublimia casus.
APRmi CALYDONIUM INTERFICIT MELE.VGER, CUJDS MOnTEM ACCELERAT
ALTHjEA MATER.
IV. Jamque fatigatum tellus setnsca tenebat 260
Daedalon, et sumptis pro supplice Cocalus armis
Mitis habebatur; jam lamentabile Athennc
rcndere desierant, thesea laude, tributum.
Templa coronantur, bellatricemquc Minervam
Cum Jove, disque vocant aliis, quos sanguine voio, 2C!J
Muneribusque datis, et acerris thuris honorant.
Sparserat argolicas nomen vaga fama per urbes
Thespos, ot populi, quos dives Achaia cepil,
LIVRB VIII. W
Uice de celte riche contr^ invoquerent son appui dans les plus
grands dangers. Galydon, quoiqu^elle poss^dAt Meleagre, lui adressa
aussi de vives instances, quand elle fut ravagde par un sanglier, mi-
nistre des vengeances de Diane. (Enee, dit-on, combl^ des faveurs
de l'ann6e, en avait ofTert les premices aux dieux. le bl^ k Ger^s,
le vin a Baccbus, et a Minerve la liqueur qui lui est consacr^e.
Apres les dieux champStres, toutes les autres divinites re^urent
les mSmes hommages. Les autels de 1a fille de Latone furent seuls
neglig^ et rest^rent sans encens.
Le ciel est, comme la terre, accessible au ressentiment. « Je ne
laisserai pas un tel affront impuni, dit la deesse. Si les honneurs
m'ont ete refuses, on ne dira pas que ce fut sans vengeance. » A
ces mots, pour punir (Enee de ses m^pris, elle lance dans les cam*
pagnes un enorme sanglier qui surpasse par sa taille les taureaux
de la fertile £pire et ceux que nourrissent les plaines de la
Sicile. Ses yeux sont injectes de sang et de feu ; sa t6te est hor-
rible ; ses soies, comme une for^t de dards, presentent partout
des pointes menagantes. A ses cris f^roces se m^le une brililante
^ume qui coule sur ses larges flancs. Ses defenses ressemblent
h celles de Felcphant des Indes. Son boutoir lance la foudrc ;
Hujus opem magnis imploravere periclis.
Hujus opem Calydon, quamvis Heleagron haberet, 270
SoUicita supplex petiit prece. Causa petendi
Sus erat, in/estx famulus vindexque Dianac.
(Enea namque ferunt, pleni successibus anni
Primitias, fnigem Cereri, sua vina LyafO,
Palladios flavae laticcs libasse Minervx. 275
Cceptus ab agricolis Superos pervenit ad omnes
Invidiosu6 honos. Solas siqe thure relictas
Praeteritx cessasse ferunt Latoidos aras.
Tangit et ira deos : < At non impune feremus;
Quaeque inhonoratae, non et dicemur inulto;, » 2S0
Inquit, et oeneos ultorem spreta per agros
Misit aprum, quanto majores herbida tauros
Non habet Rpiros; sed habent sicula arva minorcs.
Sanguine ct igne micant oculi, riget horrida ccrvix,
Kt set» densis similes hastilibus horrent, 283
Slantque vclut vallum, velut alta hastilia, set».
Fcrvida cum rauco latos stridore per armos
Spuma fluit; dentes aequantur dentibus indis;
Fnlmen aV on venitj frondes afAatibus nrilent.
m METAMORPHOSES.
son haleine fletrit le feuillage. Tant6t il foule aux pieds les mois^
sons naissantes; tantdt il les abat lorsque leur maturit6 allait
combler les voeux du laboureur, et etouffe dans leurs ^is les
dons de Cer^s. En vain Taire, en vain le grenier attendent les tre-
sors qui leur furent promis. II renverse les ceps aux longs bras
el les grappes remplies de suc ; il detruit, avec ses rameaux, les
fruits de l'olivier toujours vert. Sa fureur s^etend sur les brebis.
Ni les bergers ni les chiens ne peuvent les proteger, et les tau-
reaux furieux sont impuissants pour se d^fendre,
Les habitants de la contree fuient eperdus. Les remparts des
villes leur paraissent seuls un sur asile, lorsqu'enfin Tamour de la
gloire rassemble autour de Meleagre Telite des heros. Ge sont les
deux fils de Tyndare, qui excellent, Tun a manier le ceste, Tautre a
dompter les coursiers ; Jason, Finventeur du premier navire ; Pi-
rithoiis et Thesee, modeles des vrais amis ; les deux fils de Thestius,
le fils d'Apharee, Lyncee, et Tagile Idas ; Gen^', jadis femme ; le
6er Leucippe ; Acaste, habile a lancer le javelot ; Hippothous,
Dryas, Ph^nix, fiis d'Amyntor; les deux fils d'Actor et Phylte venu
de rfilide. La se trouvaient aussi Telamon et le p^re du grand
Is modo crescenti segetes proculcat in herba, 290
Nunc matura metil fleturi vota coloni,
Et Cererera in spicis intercipit. Area frustra,
Et frustra exspectant promissas horrea messes.
Sternuntur gravidi longo cum palmite fcetus,
Baccaque cum ramis semper frondentis olivx. 295
SsBvit et in pecudes. Non has pastorve canesve,
Non armenta truces possunt defendere tauri.
Diffugiunt populi, nec sc, nisi rocenibus urbis,
Esse putant tutos, donec Meleagros, et una
Lecta manus juvenum coiere cupidine laudis. 300
Tyndaridae gemini, spectatus caestibus allcr,
Aiter equo ; primsBque ratis molitor lason;
Et curaPirithoo, felix concordia, Theseus;
Et duo Thestiadse, prolesque aphareia Lynceus,
Et velox Idas, et jam non femina Caeneus, 305
Leucippusque ferox, jaculoque insignis Acastus,
Hippothoosque, Dryasque, ct cretus Amyntore PhoDnix,
ActoridaBque pares, et missus ab Elide Phyleus*
Nec Telamon aberat, magnive creator Achiliis;
LIYRE YIII. m
Achille ; le fils de Ph^r^s, le B^olien lolaiis, Tinfatigable Eurytion,
Scliio» invincible a la course, L^lex de Naryce, Panopee, Hylee, le
liouillant Hippasus, Nestor, qui debutait dans la carri^re des ar-
nies, et les trois fiis qu'IIippocoon avait envoyes de Taniique Amy-
clee; le beau-p^re de Penelope et Ancee d'Arcadie; le fils d'Am-
pycus, qui lisait dans Tavenir ; le fils d^EcIeus, que son epouse
n'avait pas encore trahi, et la chasseresse de Tegee, la gloire des
bois du Lycee. Une brillante agrafe attachait le haut de sa robe.
Ses cheveux etaient rassembles sans art par un seul noeud. A son
epaule gauche r^sonnait un carquois d^ivoire rempli de fleches, et
sa main gauche portait un arc. Tels etaient ses atours. Quant a sa
figure, on eiit dit un jeune heros avec la beaute d*une yierge, ou
une vierge avec les traits d'un jeune h^ros. Meleagre la voit et
Taime au m^me instant. En depit des dieux, une flamme secrete
s'allume dans son coeur. « Heureux celui qu*elle trouvera digne
d'6tre son epoux! » s'ecrie-t-il. Le temps et la pudeur Temp^-
chent de poursuivre. Une grande lulte Tappelle a de plus nobles
travaux.
Une epaisse for^t, que la hache avait toujours respectee, remori-
lait de la plaine sur une colline, d'ou elle dominait au loin les
Cumque Phcretiade, et Uyanteo lolao, 310
Inipiger Eurytion, et cursu Invictus Echion,
Naryciusque Lelex, Panopcusque, Hyleusque, feroxque
Hippasus, et primis etiamnum Nestor in armis;
Et quos Hippocoon antiquis misit Amyclis;
Penelopesque socer, cum Parrhasio Anc.TO; 315
Ampycidesque sagax, et adhuc a conjuge tutus
(Eclides; nemorisque decus Tegeaea Lycei.
Rasilis huic summam mordebat fibula veslem,
Crinis erat simplex, nodum collectus in unum;
Ex humero pendens resonabat eburnea laevo 320
Telorum custos; arcum quoque laeva tenebat.
Talis erat cultus ; facies, quam dicere vcre
Yirgineam in puero, puerilem in virgine possis.
Hanc pariter vidit, pariter calydonius heros
Optavit, renuente deo, flammasque latentes 325
Hausit, et : « 0 felix, si quem dignabitur, inquit,
Ista virura! » nec plura sinunt tempusque pudorque
Dicere. Hajus opus magni certaminis urget.
Silva frequens trabibus, quam nuUa ceciderat setas,
lacipit a plano, devexaque prospicit arva, 330
300 METAMORPHOSES.
campagnes. Desque les cliasseurs y sont parvenus, lesuns deploient
les toiles, d^autres decouplentleschiens; plusieurs s'elancent sur
la piste et bnilent d'affronler le danger. Dans la for6t etait une
vallee profonde ou se rendaient les torrents formes par la pluie.
A rexlremile croissaient le saule flexible, Talgue leg^re, le jonc
ami des etangs, Tosier, Thumble canne et le grand roseau. Cest
de la que le sanglier se precipitait avec fureur sur ses ennemis,
comme Feclair qui jaillit du choc dcs nuages. Dans sa course ra-
pide, il portait le ravage au sein de la for^t. Les arbres, ebranles
par son choc, tombaient avec fracas. Les jeunes combattants pous-
sent des cris, et pr^sentent d'une main ferme leurs epieux armes
d'un large fer. Le sanglier fond sur eux, disperse les chiens qui
s'opposent a son passage, et, par ses coups obliques, met en de-
route la meute aboyante.
Le premier dard, lance par fichion, fut inutile. A peine effleura-
l-il un erable. Si le second eiit ete lance avec moins de force, il
aurait atteint le flanc de raiiimal ; mais il depassa le but. U etait
parli dela main de Jason, le heros de Pagase. « ApoIIon, s^ecrie
le fils d'Ampycus, si j'ai toujours honore tes aulels, accorde-moi
Quo postquam vcncrc viri, pars retia tendunt,
Vincula pars adimunt canibus, pars pressa scquunlur
Signa pedum, cupiuntque suum reperire periclum.
r.oncava vallis erat, qua se demittere rivi
Assuerant pluvialis aquaj. Tenet ima lacunx "^T^t
Lenla sallx, ulvajque leves, junciquc paluslres,
Viminaquc, et longa parvae sub arundinc cann.r.
Ilinc aper excitus medios violentus in hostes
Ferlur, ut excussis elisi nubibus igncs.
Stemilur incursu nemus, ct propulsa fragorem ^iO
Silva dat. Exclamant juvenes, praBtentaque forli
Tela tcnent dexlra, lato vibrantia ferro.
llle ruit, spargitque cancs, ut quisquc ruenli
Obslat, el obliquo lalrantes dissipat ietu.
Cuspis ochionio primum contorla lacerlo r»l;J
Vana fuit, truncoque dedit lcve vulnus accriio.
Proxima, si nimiis mittentis viribus usa
Non forrt, in tcrgo visa pst haesura petilo.
l.ongius il : auctor teli pagasaius lason.
Phcebe, ait Ampycides, si tc colaique colone, ^^
LIVRE VIII. 301
depercer d*un trait si!lr rennemi que nous poursuivons. i Autant
qu'il est en son pouvoir, le dieu exauce sa priere. Le sanglier est
atteint, mais sans blessure. Pendant que le trait fendait Tair,
Diane en avait detach^ le fer : ce n'6tait plus qu'un bois toouss^
quand il arriva jusqu*au raonstre. Cependant sa fureur s'allume ;
elle Mate comme la foudre. Sesyeuxetincellent; le feu sort de
sa poitrine. Comme on voit d'enormes quarliers de rocs, lanc^s
par la baliste, voler et frapper les remparts d'une citadelle, ou les
tours remplies de soldats, le formidable sanglier fond d'un vi-
goureux 61an sur ses ennemis, et terrasse Eupalamon et P^lagon,
places a Taile droite. Leurs compagnons les emportent dans leurs
bras. Bfais finesime, un des fils d'Hippocoon, ne peut eviter un
coup mortel. fpouvant^, il allait fuir ; mais ses jarrets brises ne
le soutinrent plus. Peut-^tre le roi de Pylos eut-il peri avant la
chute de Troie; mais, s'appuyant sur sa pique enfonc^e dans la
terre, il s^^lan^a sur un arbre place pres de lui, et, du haut de
cel asile, il contempla le monstre qu'il venait de fuir. Le sanglier
furieux aiguise ses defenses contre le tronc d*un chSne et s'ap-
pr^te au carnage. Quand ses armes recourbees ont re^u une
trempe nouvelle, il les enfonce avec fureur dans la cuisse du noble
Da mihi, quod petitur, ccrlo contingere telo. »
Qua potuit precibus deus annuit. Ictus ab illo,
Scd sine vulnere, aper. Ferrum Diana volanti
Abstulerat jaculo : lignum sine acumine venit.
Ira feri mota est, nec fulmine lenius arsit. ^ 355
Lux micat ex oculis, spiratque e pectore flamma.
Utque volat moles, adducto concita nervo,
Quum petit aut mucos, aut plenas milite turres.
In juvenes vasto sic impete vulnificus sus
Fertur, et Eupalamon Pelagonaque dextra tuentes 3G0
Cornua prosternit. Socii rapuere jacentes.
At non lethiferos effugit Enaesimus ictus,
Hippocoonte satus. Trepidantem et terga parantem
Verlere, succiso liquerunt poplite nervi.
Forsitan et Pylius citra trojana perisset 3G5
Tempora ; sed sumpto po.Mta conamioe ab hasta,
Arboris insiluir, qu» stabat proxiroa, ramis,
Despexitque loco tutus, quem fugerat, hostem.
Dentibus ille ferox in querno stipite tritis,
Imroinet exitio, frendensque recenlibus arroi^, 370
Actorid» magni rostro femnr haasit «dttnco*
302 M^TAMORPHOSES.
fils d'Actor. Gependant les deux jumeaux, qui n^etaieut pas encore
des astres au celeste parvis, dignes tous deux de fixer les r^ards,
et port^s sur des coursiers plus blancs que la neige, brandissaient
leurs javelots, dont Teclat se reflechissait dans les airs. IIs auraient
blesse le terrible animal, sMl ne se ftit cache dans un taillis impe-
neirable aux chevaux et aux traits. T^lamon le poursuit, et, dans
son impatience indiscrete, retenu par la racine d'un arbre, il
tombe la face contre terre.
Pelee le releve. Au m^me instant la chasseresse de Teg^ combe
son arc et y place une fleche. Le trait part et se fixe sous l'oreilIe
du sanglier. Quelques gouttes de sang mouillent ses soies. Ce
succ^s transporte d'une egale joie Atalante et Meleagre. II a vu le
sang avant tous ; avant tous il le montre a ses compa^ons, et
s'ecrie : « Tu recevras la juste r^compense de ton courage. » Les
jeunes combattants rougissent ; ils s'exhortent, ils s'animent mu-
tuellement par des cris, et jettent leurs traits au hasard. Le nom-
bre des assaillants nuit a leurs efforts et devient un obstacle aux
coups qu'iIsveulentporter. Soudain, arme d'une hache, TArcadien
s^abandonne a une fureur qui doit hdter sa perte. «■ Gompagnons,
At gemini, nondum ccelestia sidera, fratres,
Ambo conspicui, nive candidioribus ambo
Vectabantur equis, ambo vibrata per auras
Hastarum tremulo quatiebant spicula motu. 373
Vulnera fecissent, nisi setiger inter opacas,
Nec jaculis isset nec equo loca pervia, silvas.
Persequitur Telamon, studioque incautus eundi,
Pronus ab arborea cecidit radice retentus.
Dum levat hunc Peleus, celerem Tegesea sagitlam 380
Imposuit nervo, sinuatoque expulit arcu.
Fixa sub aure feri summum destringit arundo
Gorpus, et exiguo rubefecit sanguine setas.
Nec tamen illa sui successu laetior ictus,
Quam Meleagros erat. Primus vidisse putatur, 385
Et primus sociis visum ostendisse cruorem,
El « Meritum, dixisse, feres virtutis hondrem. »
Enibuere viri, seque ejhortantur, et addunt
Cum clamore animos, jaciuntque sine Drdine tela.
Turba nocet jactis, et quos petit, impedit ictus. 390
Ecce urens contra sua fata bipennifer 'Arcas :
LIVRE 7111. 503
dlt-il, apprenez combien les exploits d'un homme Temportent sur
ceux d'une femme, et c^ez>moi le prix. En vain la fillede Latone
lui ferait un rempart de ses armes ; il p6rira sous mes coups,
malgrS Diane. » Telles sont les menaces qui partent de sa bouche
superbe ; et, levant sa hache a deux tranchants, il se dresse sur la
pointe des pieds. Le ^anglier se precipite sur le t^meraire, et
Talteint mortellement en lui plongeant ses d^fenses dans Taine.
Ancee tombe ; ses entrailles s'echappent avec des flots de sang
dont la terre est inondee.
Alors, agitant son epieu d'une main vigoureuse, le fils d'Ixion,
Pirithous, court au-devant du monstre. Mais le fil§ d'Egee lui
crie : « 0 toi qui m'es plus cher que la vie ! 6 toi, la moitie de
moi-m6me ! arrSte ! Tu peux d^ployer de loin ton courage. Ancee
a 6te victime d'une temeraire ardeur. » II dit, et lance une lourde
pique arm^e d'airain. Elle etait bien dirigee et aurait atteint son
but, si elle n*eut ete arr^tee par les branches touffues d'un ch6ne.
Le fils d'£son envoie aussison javelot; mais le hasard le detourne
contre un innocent limier dont il traverse les flancs, et le trait va
« Discite, femineis quid tela virilia praestent,
0 juvenes, operique ineo concedite, dixit.
Ipsa suis licet hunc Latonia protegat armis,
Hunc tamcn invita pcrimet mea dextra Diana. » 395
Talia magniloquo tumidus memoraverat ore,
Ancipitemque manu toUens utraque securim,
Institerat digitis, primos suspensus in artus.
Occupat audacem, quaque est via proxima letho,
§ununa ferus geminos direxit in inguina dcntes. 400
Concidit Ancaeus, glomerataque sanguine multo
Viscera lapsa fluunt, madefactaque teiTa cruore est.
Ibat in adversum, proles Ixionis, hostem
Pirithous, valida quatiens venabula dextra.
Cui « Procul, JSgides, o me mihi carior, inquit, 405
Pars animse consiste meae. Licet eminus esse
Fortibus. Ancseo nocuit temeraria virtus. »
Dixit, et serata torsit grave cuspide cornu.
Quo bene librato, votique potentc futuro,
Obstitit aesculea frondosus ab arbore ramus. 410
Misit et ^sonides jaculum, quod casus ab illo
^«rtit in immeriti fatnm latrantis, ef, inter
304 N£TAM0RPH0SES.
se fixer dans la terre. Le fils d'(Enee porte des coups avec un suc-
ces inegal. De ses deux lances, Tune tombe a terre, Tautre p^
n^tre dans le dos du sanglier. Au m^me instant le monstre, dans
sa fureur, toume sur lui-m6me, et vomit de nouveau une san-
glante dcume en poussant d'efTroyables hurlements. Le chasseur
qui Ta bless^ s'avance, excite sa rage, et plonge dans son epaule
un fer dtincelant. Ses compagnons font eclater leur joie par des
cris d'allegresse, et le prient de serrer leurs mains de sa main
victorieuse. Ils contemplent avec surprise le monstre dont le
corps ^norme couvre la terre. Us ne croient pas pouvoir encore le
toucher impun^ment ; mais ils aiment a teindre leurs annes de
8on sang.
Meleagre presse et foule sous ses pieds sa hure terrible. t Vierge
de Nonacris, dit-il, prends la depouille qui m'apparlient, et par-
tage avec moi la gloire de ce triomphe. » Aussit6t il donne k Ata-
lante le corps du sanglier tout heriss^ de soies, et sa hure garnie
de superbes defenses. Ge present, et la main qui le lui ofire, com-
blent Atalante de joie. Mais les autres combattants murmurent
d'envie. Les fils de Thestius, levant leurs bras, s'ecrient a haute
llia conjeclum, tellure per ilia fixum est. '~'' '"'
At manus (Enidse variat; missisque duabus,
Hasta prior teira, medio stetit altera tergo. 415
Mec mora, dum saevit, dum corpora versat in orbem,
Stridentemque novo spumam cum sanguine fundit,
Yulneris auctor adest, hostemque irritat ad iram,
Splendidaque adversos venabula condit in armos.
Gaudia testantur socii clamore secundo, 4^
Viclricemquc petunt dextrae conjungere dextram ;
Immanemque ferum, multa tellure jacentem,
Mirantes spectant; neque adhuc contingcre tutum
Esse putant; sed tela tamen sua quisque crucntant.
^vlpse, pede imposito, caput exitiabile prcssit, 43.*i
AUjfve ita: « Sume mei spolium, Nonacrin, juris,
Dixit, et in partem veniat mihi gloria tecum. »
Protinus exuvias, rigidis horrentia setis
Terga dat, et magnis insignia deulibus ora.
Illi Ixtitix est cum munerc muneris nuctor. 430
nvidere aVii, iotoqae etal 9h%ni\ti(^ mwT\nNa.
quibus, ingenU ieftdeMft%\w»t\\\9kN«>t^\
LIVRE VIII. 505
▼oix : f Depose ce buiin, Atalante, et ne viens pas usurper nos
droits. Que ta beautd ne finspire pas une trompeuse confiance.
Prends garde que le heros epris de tes charmes ne te soit d'aucun
seoours I » £n mSme temps ils enlevent a Tune le present qu'elle
a regu, a Tautre le droit de le faire. Meleagre fr^mit d'indi-
gnation, et, ne pouvant relenir sa colere : « Sachez, dit-il, inso^
lents ravisseurs de la gloire d^autrui, quelle distance il y ade la
menace aux actions ! » Et soudain il frappe d'un fer criminel le
coeur de Plexippe. Toxee. incerlain, voudrait venger son frere ;
mais il craint pour lui-m^me un semblable tr^pas. Mel6agre ne
le laisse pas douter longtemps. II baigne dans son sang sa lance
encore fumante du meurtre de Plexippe.
Alth^e presentait des offrandes aux autels des dieux pour les
remercier de la victoire de son fils, quand elle vit qu'on lui rap-
portait ses freres morls. Un cri de desespoir s'echappe de son
coeur. Elle remplit la ville de g^missements, et quitle ses riches
atours pour des habits de deuil. Mais a peine le nom du meurtrier
est-il prononce, qu'elle impose silence a sa douleur, et qu'aux
larmes succede la soif de la vengeance. Lorsque la fiUe de Thes-
tiiis venait de donner le jour a Meleagre, les Parques jeterent un
« Pone age, nec titulos inlercipe, femina, nostros,
Thestiadae clamant. Nec tc liducia formae
Decipiat, longequc tuo sit captus amore 45o
Auctor; » et huic adimunt munus, jus muneris illi.
Non tulit, et tumida frendens Mavortius ira :
« Discite, captores alieni, diiit, honoris,
Facta minisquantum distent; » hausitque nefando
Pectora Plexippi, nil tale timentia, ferro. 440
Toxea quid faciat dubium, pariterque volenlem
Ulcisci fralrem, fraternaque fata timentem,
Haud patitur dubitare diu, calidumque priori
Caede recalfecit consorti sanguine telura.
Dona deum templis, nato victore, ferebat, 445
Quum videt exstinctos fratres Althaea referri.
Qu», plangore dato, mcestis ululatibus urbem
Implet, ct auratas mutavit vestibus atris.
At simul est auctor necis editus, excidit omnis
Luctus, et a lacrymis in pceno} versus amorem est. 450
Stipes erat quem, guum partus enjxa jacerei
Tlwstias, in flammam triplices posuere soTwes,
30G h£TAMOR^HOS£S.
tison dans un brasier; et, faisant toumer ieur fuseau pour filer
ses destins : « Enfant qui viens de naitre» dirent-elles, nous fassi-
gnons la m^me duree qu'a ce tison. » Apres cette pr^ction» les
trois deesses s'eloignerent. Althee arracha le tison enflamm^, et
r^teignit dans l'onde. Longtemps cache au fond du palais d'(£n^e
et conserve par ta mere, jeune vainqueur, il prot^gea ta vie. Al-
th^e, en ce moment, le fait paraitre au jour, ordonne qu'on pr6-
pare un biicher et des torches qu'elle approche de la flanune enne-
mie. Quatre fois elle essaye de livrer au feu le bois fatal, quatre
fois sa main s'arr6te. Une lutte s^engage entre la m^re et la soeur,
et ces deux titres entrainent^un m6me coeur a des r^solutions
contraires. Souvent rhorreur du crime qu^elle va commettre la
fait p41ir ; souvent la colere allume dans ses yeux une rougeur
ardente. Ses traits respirent tour a tour la cruaut^, la menace et
ia piti6. Alors m6me que la vengeance a seche ses pleurs, ses
pleurs coulent encore. Gomme un navire, emporte dans des sens
opposes par les vents et par les vagues, rcQoit une double impul-
sion et ne sait a laquelle obeir, la fiUe de Thestius flotte entre
deux sentiments, et tour a tour reprime sa colere ou lui donne
Staminaqne impresso falalia poUice nentcs :
« Tempora, dixerunt, eadem lignoque tibiquo,
0 modo nale, damus. » Quo postquam carmine dicto 455
Excesserc dex. Flagrantem mater ab igne
Eripuit torrem, sparsitque liquentibus undis.
lUe diu Tuerat penetraUbus abditus imis,
Servatusque tuos, juvenis, servavcrat annos.
Protulit hunc genitrix, taedasque in fragmina poni 4G0
Impcrat, el positis inimicos admovet igncs.
Tum conata quater flammis imponere ramum,
Ccepta quater tenuit. Pugnant materquc sororque,
In diversa trahunt unum duo nomina pcctus.
Ssepe metu scelcris pallebant ora futuri; 405
Ssepc suum fervcns oculis dabat ira ruborem;
Et raodo nescio quid simiUs crudele minanli
Vultus erat ; modo quem misereri crederc posses.
Quumque ferus lacrymas animi siccaverat ardor,
.nveniebantur lacrymaj tamen; utque carina, 470
Quam ventus, ventoque rapit conlrarius aestus,
Vim geminam sentil, paretqae incerta duobus;
Thestias haud aliter dubiis affectibus crral,
nque vicem ponit, positamque resuscilal iram.
LIVRE VIII. 307
Tessor. Enfin la soeur commence a triompher de la m^re. Elleveut
par son propre sang apaiser les manes de ses fr^res. Trop d'a-
mour maternel la rend barbare ; et, d^s que le feu vengeur a pris
assez de force : « Que ce biicher, dit-elie, d^vore mes entrailles. t
Et, tenant le tison fatal dans ses cruelles mains, Tinfortunee se
place devant Tautel funeraire, et s^ecrie :
• Deesses des supplices, triples Eum^nides, jetez un regard
sur ce sacrifice commande par vos fureurs. Je punis et je com-
mets un crime. La mort va expier la mort. Je dois ajouter un
forfait a un forfait, des funerailles a des funerailles. Que ma
famille perisse a travers mille desastres! Eh quoi! Theureux
(Enee jouira de la victoire de son fils! et Thestius n'aura plus
d'enfants! Ah! plutdt soyez tous les deux condamnes aux larmes!
Ombres de mes freres descendus naguere dans le sejour des
morts, soyez sensibies a ma tendresse! Agreez cette victime
qui me coiite bien cher ; c'est le triste gage de ma fecondite.
HeJasI ou me laisse-je egarer? 0 mes freres! pardonnez a une
mere l Ma mam recule pour executer mon dessein. Meleagre a
merite la mort, je Tavoue ; mais je blame celle qui s'appr6te a la
lui donner. Eh quoi ! son crime resterait impuni? il vivrait? Vain-
Incipit esse tamen melior germana parente ; 473
Et, consanguineas ut sanguine lcniat umbras,
Impietate pia est. Nam postquam pestifer ignis
Convaluit : « Rogus iste cremet mea viscera, » diiit.
Utque roanu dira iignum falale lenebat,
Ante sepulcrales infelix adstitit aras ; 480
« PcEnarumque deae triplices, furialibus, inquit,
Eumenides, sacris vultus advertite vestros.
Ulciscor, facioque nefas. Mors morte pianda est.
In scelus addcndum scelus est, in funera funus.
Per coacervatos pcreat domus impia lucUis. 4£5
An feiix (Eneus nalo victore fruetur?
Thestius orbus erit? melius lugebitis ambo.
Vos modo fraterni manes, animseque recentes,
Oflicium sentite meum, raagnoque paratas
Accipite inferias, uteri mala pignora nostri. 490
Hei mihi! quo rapior? fratres, ignoscite matri.
Deficiunt ad ccepta manus. Meruisse fatemur
lllum, cur pereat : mortis mihi displicet auctor.
Ergo impune feret? vivusque, et victor, et ipso
m MilTAMORPHOSES.
queur et fler de son Iriomphe, il regnerait dans Galydon? Et vous,
vous ne seriez qu'une vile poussiere et de froides ombres? Non, je
ne le soufrrirai point J Perisse le barbare ! Qu'il entraine dans sa
ruine les esp^rances de son p6re, son royaume et sa patrie ! Mais
qu*est devenu mon coeur de mere? qu est devenu le crisacr^du
sang? que sont devenues les douleurs que j'ai endur^es pendant
dix mois? Ah ! plut au ciel que la flamme allumee parlesParques
Vedt devor^ au berceau! Pourquoi m'y suis-je oppc::6e? Sauv^ par
mon bienfait, tu p^nras pour ton crime. Re^ois ta rScompense, et
rends-moi une vie que je t'ai donnee deux fois, en te mettant au
monde et en derobant au feu le falal tison, ou bien ajoute ma d^
pouille a celle de mes freres ! Je veux et je ne puis. Quel parti pren-
dre ? Tant6l je vois les blessures de mes freres et la cruelle image
de leur mort ; tant6t la tendresse et le nom de m^re Temportent
dans mon coeur. Je suis bien malheureuse ! Vous triompherez par
un crime, 6 mes freres ! Triomphez, pourvu que je vous suive,
vous et la victime immolee pour consoler vos mAncs ! » A ces
mots, detournant les yeux, d'une main tremblante elle jette dans
les flammes le fun^bre tison. II poussa ou parut pousser des g6-
missements, et le feu sembla le consumer a regret.
Successu tumidus regnum Calydonis habebit? 495
Vos cinis cxiguus gelidaeque jacebitis umbrse?
Haud equidcm patiar. Pereat sceleratus, et ille
Spemque patris, regnique trahat, patrixque ruinam.
Mens ubi materna est? ubi nunc pia vota parentum?
Et, quos sustinui, bis mensum quinque laborcs? 800
0 utinam primis arsisses ignibus infans!
Idque ego passa forem ! Vixisti munere nostro ;
Nunc merito moriere tuo. Cape prxmia facti,
Bisque datam, primum partu, mox stipite rapto,
Beddc aniroam, vel me fraternis adde sepulcris. 503
^t cupio, et ncqueo. Quid agam? Modo vulnera fratnim
Ante oculos mihi sunt, et tanla.^ ciedis imago ;
Nunc animum pietas maternaquc nomina frangunt.
Me miseram ! male vincetis ; sed vincite, fratres,
Dummodo, qu» dedero vobis solatia, vosque 510
Ipsa sequar. » Dixit, dextraque aversa trementi
Funereum torrcm medios conjecit in ignes,
Aut dcdit, aut visus gem\lu% csV"\\\e Aft^\s^
Slipes, ct invitis correplvia aib \^\\i>x% w^W.
LIVRE VIII. 509
Meleagre etait ubsent, et ii ne savait pas que ce feu le devorait.
Tout a coup ii sent ses enlrailles embrasees d'une ardeur se-
cr^te ; mais son courage surmonte les plus vives douleurs. II saf*
flige seulement de perir comme un liche, sans repandre son
sang, et ii envie les blessures morteiies d'Ancee. D'une voix plain-
live 11 appelle son vieux pere, son frere, ses soeurs, celle qui dut
6lre son epouse, et peut-Stre aussi sa mere. Sa souffrance s'ac-
croitavec )a flamme. Bientdt toutes deux s^affaiblissent, s'eleignent
ensemble, et peu a peu la vie du heros s'exhale dans les airs. La
fiere Gaiydon est dans le deuil. Les jeunes gens et les vieillards
fondent en larmes, le peuple et les grands gemissent. Les che-
veux epars, les femmes qui habitent les bords de Tfivenus se li-
vrent au desespoir. (Enee souille dans la poussiere ses cheveux
blancs et son front venerable ; il maudit une trop longue vie, et
Althee, coupable d'un si cruel attentat, se punit ellem^me en
se pergant d'un fer meurtrier.
Non, quand le ciel m'aurait donne ceiit bouches, cent voix,
un vaste genie et tous les tresors de rUelicon, je ne saurais re-
dire les plaintes des malheureuses SGeurs de Meleagre. Oubliant
Inscius atquc abscns flanima Mcleagros in illa 5i5
Uritur, et coicis torreri viscera seiitit
Ignibus; at magnos supcrat virtule dolorcs.
Quod tanien ignavo cadat, ct siuc sanguinc, lclho,
Moeret, ct Anca?i felicia vulnera dicit;
Grandxvumque patrem, fratremque, piasque sororcs 5i0
Cum gemitu, sociamque tori vocat orc suprcmo,
Forsitan et matrem. Crescunt igcisque dolorque,
Languescuntque itcnini. Simul est exstinctus ulcrque,
Inque leves abiit paulatim spiritus auras.
Alta jacet Calydon; lugent juvenesquc senesquc, 525
Yulgusquc proccTcsquc gemunt; scissxque capillos
Planguntur niatrcs caydonides Eveninae.
Pulvere canitiem genitor, vullusque senilcs
Focdat huiiii fusus, spatiosumque incrrpat ajvum.
^am de matre manus, diri sibi conscia facti, 530
Exegit pccnas, acto per viscera fcrro.
Non mihi si ccnlum deus ora sonanlia liiiguis,
Ingcniumque capax, totumque Helicona dcdUsctl,
TrJstJa persequcrer jniscrarum dicla sororwm.
I
1
.ilO ifiTAXlOiUMIOSES.
leur beaule» eWe§ m fafiurtris&aienl le sein. Taul que k corps d<
leur Trere conservc sa rornie, elles lui prndigueriL les plu!? tendres
caresses, et couvrenl de baisers sa {iepouille et Tasile ou il repose.
PuiSt quand le feu Ta calciiie, elles pre^sent ses cendres sur jei
poitnne, se proslernent sur sa tombc, y inscrivenl son nom, ler;
brassent et rarrosent de larnies. La rillc de Latone, d^^aniiee en*
Kn par rinfortune de h familie de Partbaon» les revfet toutes de
plumcs, excepte Gorge et la hvu de h celebre Alcmene, change
leurs bras eji ailes, leur donne vni bec de corne^ et, apres celle
tamorphose, les lance dans les airs.
V» Cependant Theisee, affranchi dn peril qnll avait partage, sel
dirigeait vers )a ville d'£rechthee consacree a Mincrve. I/Achelous, |
grossi par les orages, lui oppose une barriere el retarde sa mar-
che. m Enlre dans mon paiais, lui dit-i)^ noble descendant de Ce-
crops, et ne va pas 1e confier a mes ondes furieuses, Elles rouleni
a^ec un epouvanlabte fraeas des arbres enomiei^ et des rochers
qui s*oppo3ent k mon passage. J'ai vu les etabtes qui bordaient
Immemores decoris liventia pectora tundunt; 535
Duroque manet corpus, corpus refoventque, foventque;
Oscula dant ipsi, posito dant oscula lecto.
Posl cinerem, cineres haustos ad pectora pressant,
ACTusseque jacent tumulo, signataque saxa
Nominc complcxse, lacrymas in nomine fundunl.
Quas parlliaonio} tandem Letoia clade
Exsatiata domus, pra;ter Gorgenque, nurumque
Nobilis Alcmenx, nalis in corpore pennis
AUevat, et longas per brachia porrigit alas,
Corneaque ora facit, versasque per aera mittit. 5i8
llf INSDLAS ECIIINADES NAIADES VI TANTUft.
Y. Interea Theseus sociati parle laboris
PuuctuSi erechtheas TritOuidos ibat ad arces.
Clausit iter, fecitque moras Achelous eunti,
Imbre tumens : « Succede meis, ait, inclyte, tectis,
(/ecropida, ncc te commilte rapacibus undis. 55d
Ferre irabes solidas, obliquaquc volvere magno
Murmure saxa solcnt. Vidi contermina rip9c
LIYRE VIII. 511
mes riyes empoitees avecles troupeaux, et les boeufs ne trouvaient
pas plus de secours dans leurs forces *que les chevaux dans leur
agiiit^> Accrus par les neiges qui fondent des montagnes, mes
flots <mt aussi englouti dans leurs tourbillons une foule de jeunes
g^s. II estprudent d'attendre que, rentres dans leur lit, ils aient
repris leur cours ordinaire. — Oui, repond le fils dfigee, Achelous,
j^userai de ton hospitalite et de tes conseils. » Et il les accepte
tous deux. II entre dans le palais du fleuve, construit de pierres
ponces et de rocailles. Une tendre mousse en tapisse le parvis Im-
mide. Des coquilles et du murex, altemativement places, en de-
corent le faite.
D6ja le Soleil avait parcouru les deux tiers de sa course. Thesee
et les compagnons de ses travaux se mettent a table. D'un cdt^
c'est le fils d'Ixion ; de Tautre le heros de Trezene, Mex, dont
la tMe commence a blanchir. Autour d'eux siegent ceux qui ont
paru dignes du m^me honneur au fleuve d'Acamanie, heureux de
recevoiruntelhdte. D'abord desNymphes, les pieds nus, servent
les mets, les enlevent, et versent ensuite du vin dans des coupes
omees de pierres precieuses. Alors Thesee, contemplant la mer
qui s'etend sous ses yeux, lui demande quelle est cetteile. Et il la
Cuin gregibus stabula alla trabi; iicc fortibus illic
Profuit armeutis, ncc equis velocibus essc.
Multa (juoquo hic torrcus, uivibus de monte solulis, 555
Corpora turbineo juvenilia vorlice mersit.
tutior est requies, solilo dum flumina curraiit
Limite, dum tenucs capiat suus alveus undas. »
Annuit ^ides : « Utarque, Acheloe, domoquc,
Consilioque tuo, » respondit, et usus utroque esl. 5G0
Pumice multicato, nec laivibus alria tofis
Structa subit. Molli tellus crat humida muscd;
Summa lacunabant alterno murice conchx.
Jamque duas lucis partes Hypcrione menso,
biscubuere toris Theseus comilesque labOrum : 566
Uac Ixionides, illa troezenius heros
Parte Lelex, raris jflm sparsus tempora canis;
Quosque alios parili fuerat dignatus honore
Amnis Acaruanum, Ixtissimus hospite tanto.
Protinus appositas nudie vestigia Nymphai 570
lustruxere epulis mensas ; dapibusque remolis.
Ih gcmma posuerc merum, Tutn ma\imus Uotds,
Etjuora prospJcJeas oculis lubjecU ; « Quw, in<vi\\,
312 M£TAMORPUOS£S.
montre du doigt. « Quel cst sonnom? dit-il; apprends-le-moi : il
me semble quil y en a plrfsieurs. » Le Fieuve lui repond : « Non,
ce n*est pas une seule ile que nous voyons. II y en a cinq ; la dis-
tance nous derobe IMntervalie qui les separe. Ecoute, et tu seras
moins surpris de la vengeance de Diane. Ces iles etaient des
Naiades. Un jour, apres avoir immole dix taureaux et invite a leur
f&te les dieux de la campagne, elles se livrerent, sans moi, au
plaisir de la danse. Je grossis mes ondes ; elles se souleverent a
une hauteur demesuree. Emporte par ia fureur qui bouleversait
mon 4me et mes flots, je detachai violemment for^s et siilons;
j entrainai dans rOcean, avec la demeure des Nymphes, les Nym-
phes elles-mtoes, qui alors se souvinrent de moi. Confondues avec
la mer, mes eaux diviserent le terrain, et le partag^rent en au-
tant de parties que tu vois d'iles s'elever au milieu des flols. On
es a nommees £chinades.
c Celle que tu aper^ois, et qui s'est retiree seule loin des autres,
m'est chere. Les navigateurs la nomment Periraele. Cetait une
vierge. Je Taimais et j^obtins ses faveurs. Son pere Hippodamas,
indigne de nos amours, la precipita du Iiaut d'un roclicr au fond
des abimes. Elle etait pres de perir. Je la recueillis, ct, rouipor-
lllo locus? » (Ji^iloquc Oblciidil, cl, « iii:>ula iioiiioii
Uuod gcral illa, docc, quanquaru iiou uua vidclur. » liT6
Ainnis ad 1)U!C : « Nou esl, inquil, quod cerninius, uuuiu.
(Juinque jaccnt lcrra: : spaliuin discrimina fallit.
Quoquc miuus i^prcla) faclum inircrc Dianaj,
Ndidcs haj fucrant. Quaj quum bis quinquc juvcncos
Maclasscnt, rurisquc dcos ad sacra vocasscnt, 580
Immcmorcs nostri fcstas duxcrc choreas.
Intumui, quanlusquc fcror, quum plurimus, unquam,
Tantus cram, pariterquc animis immanis ct undis,
A silvis silvas, et ab arvis arva revclli; ,
Cumquc loco Nymphas, memorcs lum deniquc noslri, 585
In frcla provolvi. Fluclus nosterque marisque
Continuam diduxit humum, parlcsquc rcsolvit
In tolidem, mediis quot ccrnis Echinadas undis.
« Ut tamcn ipse vidcs, procul, cn procul una rcccssit
Insula grata mihi : Pcrimelcn navila dicit. 5U0
Uuic ego virgineum dilcclac nomen adcmi.
Quod paler Uippodamas aigrc tulit, inque profundum
Propulit e scojmlo pcrilurrc corpora nala;.
LIYRE VIII. 313
tant tandis qu elle floUait sur mes ondes : « 0 toi, in'ecriai-je,
c dont Tempire ne le cede qu'^ celui des cieux^ toi qui r^gnes sur
c les vastes mers, dieu du trident, toi chez qui va finir roon cours
c et auquel nous allons tous apporter le tribut de nos eaux, Nep-
c tune, sois-moi propice et pr6te Foreille a mes pri^res. J'ai fait
c le malheur de celle que je tiens dans mes bras. Si riiumanit^ et
« la justice avaient eu quelque pouvoir sur le coeur de son pere,
c s*ii avait ete moins cruel, il eut eu pitie d'elle, il ra'et!^t par-
c donne a moi-meme. Trotege-la, je t'en coryure. Accorde une
c place a une fille jelee dans les flots par un p^re barbare, ou
c laisse-Ia se changer en une ile que je puisse erabrasser de raes
c eaux. • Le dieu des mers inclina sa t^te, et d'un signe ebranla son
humide empire. La Nymphe fremit. Elie nageait pourtant, et je
pressais son sein palpitant. Au milieu de ses caresses, je sentis
son corps se durcir et sa poitrine disparailre sous une couche de
terre. Je parlais encore, et deja une autre couche avait couvert ses
membres. La Nyraphe etait raetamorphos^e en ile. »
Escepi, iianlemque fereus : « 0 proxima coclo
« Itegiia vagaj, dixi, sorlite, Tridcntifer, undx, JJOS
« In quo desiuinuis, quo sacri currinms amnes,
« lluc adcs, aUiuc audi placidus, Neplune, prccaulcin.
« lluic cgo, quam porlo, nocui. Si niilis et a:quu.-,
« Si patrr Uippodanias, aut si miuus inipius cssct,
« Dcbuil illius miscreri, ignosccrc nobis. COO
« Affer opcm, mcrsaiquc, precor, ferilale palcrua •
« Da, Neptune, locum; vel sit locus ipsa licobit,
« Uunc quoque complectar. » Movil caput xquorcus rc:.,
Concussitque suis omnes assensibus undas.
Exlimuit Nympbe. Nabal lamen. Ipsc natanlis GOo
Peclora langebam trepido salicntia motu.
Dumque ca contrecto, tolum duresccre sensi
Corpus, ct inducla condi prxcordia terra.
Dutn loquor, ample&a esl arlus nova (erra nalaulos,
Et gravis incrcvit mutatis iusula racuibris. » 610
314 METAMORPIIOSES.
PHILEHON ET BAUCIS.
VI. A ces mols, le Fleuve se tut. Son recit merveilleux avait toiu
tous les convives. Mais leur cr^dulite fut lournee en ridicule par
le fils d'Ixion, qui joignait au mepris des dieux un esprit d'inde-
pendance. « Acheloiis, dit-il, tu nous debites des somettes, et tu
attribues aux dieux trop de pouvoir, si tu crois qu^ils op^^t de
telles m^tamorphoses. » Les convives, ^lonn^s, condanment ce
langage impie. Le sage et venerable L^lex prend alors la parole :
« La puissance des dieux, dit-il, est immense et ne connut point
de bornes : toutes leurs volontes s'accomplissent. En voici la
preuve. Sur les coteaux de Phrygie, dans un modeste enclos,
prte d'un tilleul s'eleve un ch^ne. J'ai vu moi-mftme ce lieu,
lorsque Pitthee m'envoya dans le pays ou regna P^Iops son pere.
Non loin etait une plaine peuplee d'habitants. Ghangee aujourdliui
enmarais, elle n'est plus frequentee que par les foulques et les
plongeons. Jupiter visita ce sejour sous les traits d'un raortel.
Mercure Taccompagnait, apres avoir depose ses ailes. lls se pre-
senterent a mille portes en demandant un asile et du repos.
pniLEMON ET BAUCIS.
Vi. Ainiiis ub hh tdcuit. Fuctum inirubile cunctos
Moverat. liTidet credcntes; utque deorum
Sprelor erat, menlisque ferox Ixioue natds :
« Ficla refcrs, nimiunique pula^, Acheloc, polentes
Esse deos, dixit, si dant adimuntque flgurus. » 61li
Obstupuere omncs, nee talia dicla proburunt;
Ante omnesque Lelex, uninio malurus et vavo,
Sic ait : « Imuiensa est, finemque potentia coeli
Non liabet, et quidquid Superi voluere, peractuni est.
Quoquc minus dubites, tiliae contermina quercus 61^0
Collibus est phrygiis, modico circumdata muro.
Ipse locum vidi ; nam mc pelopeia Pittheus
Misit in arva, suo quondam regnata parenti.
Uaud procul hinc stagnum, tellus habitubilis olini^
Kunc cclebrcs mcrgis fulicisquc palusiribus und;e. C:?^
Jupiter huc, specic mortali, cumquc parente
Venit Atlanliades positis caducifer alis.
Millo domos adiere,\ot\Mii tfc<\\jL\%mcv^^ ^<5,\.twVii%\
LIVRB VIII. 315
Tootes les ^emeures, hormis une seule, leur furent fermto. C^tait
une petite cabane eouverte de chaume et de roseaux. Cest la que,
dans leur jeunesse, s'dtaient unis la tendre Baucis et Phii^mon,
tous deux aujourdhui blanchis par i'§ge. Ils y avaient vieilii en-
semble. Resignes a la pauvrete, ils surent en all^er le poids et
lui dter son amertume. On ne voyait cliez eux ni maltres ni es-
daves : seuls ils composaient toute leur famille. Ghacun executait
les (Nrdres* qu'il avait donnes lui-m^me.
« A peine ies dieux ont-ils touche ces humbles p^nates, a peine
ont-ils incline leur front pour passer sous la porte, que le vieiilard
leur offre, pour se reposer, un siege sur lequel Baucis attentive
j^te un tissu grossier. Ensuite elle ^carte la cendre encore chaude,
ranime le feu de la veille, Talimente de feuiiles et d'ecorces, et
active la ilamme de son souffle haletant. Elle detache du toit rus-
(ique des rameaux et du menu bois qu'elle casse et qu'eUe appro-
che d'une petite chaudiere. Pms elle pr^pare les Idgumes cueillis
par son epoux dans le jardin qu'arrose une fontaine. Phil^mon,
avec une fourche a deux pointes, enleve d'une poutre noircie par
la fumee une pidce de lard poudreuse qu'ils gardaient depuis
Mille domos clausere serse. Tamen una recepit,
Parva quidem, slipulis et canna tecta palustri. 630
Sed pia Baucis auus, parilique xlate Philemon
lUa sunt annis juncti juvenilibus; illa
Consenuere casa; paupertatemque fatendo
Effecere ievem, nec iniqua mente ferendam.
Nec refert, dominos illic, famulosne requiras; 63S
Tota domus duo sunt; Idcm parentque jubentquc.
'( Ergo ubi coelicolas parvos teligore penales,
Submissoque Iiumiles intrarunt verticc postes,
Membra senex posito jussit relevare sediii,
Quo superinjecit textum rude sedula Baucis. 040
Inde foco tepidum cinerem dimovit, et ignes
Suscitat hestcrnos ; foliisque et cortice sicco
Nutrit, ct ad flamnias anima producit anili;
Multifidasque faces, ramaliaque arida teclo
Dctulit, et minuit, parvoqne admovit aheno; 645
Quodque suus conjux riguo coliegerat horlo,
Truncat olus foliis. Furca levat ille bicorni
Sordida terga suis, nigro pendenlia ligno;
* Servatoque diu rrsec^t de tergore parlem
316 METAMORPHOSES.
longtemps. U en coupe une tranche et la fait bouiUlr. Cependant
ils s'efTorcenl tous deux par leurs entretiens d'abr6ger les mo-
ments de Tattente et leS ennuis du retard. Ils avaient un baquet
de Iietre qu'un clou fixait au mur par son anse. Phil^nnon le rem-
plit d*eau tiMeet en lave les pieds des voyageurs. La se trouvait
aussi un lit dont le corps et les pieds etaient en saule, et eouyert
d'une natte de jonc. Les deux epoux etendent sur ce meuble un
tapis qu'i!s ne deployaient qu'aux jours de f6te, quoiqu'ii fAt
vieux, d^Iabr^ et digne en tout d'un lit aussi simple.
c Les dieux prennent place. Baucis, empressee malgre le poids
des ans, dresse une table dont elle rajuste avec un tesson le troi-
si^mepied, qui etaitboiteux. Apres avoir retabli Tequilibre, Baucis
frotte la table avec de la menthe fraiche. Elle sert ensuite dans des
vases de terre des olives mtires, des cornouilles d'automne con-
servees dans de la He de vin» des laitues, des raiforts, du lait
caille et des oeufs cuils sous la cendre. Elle apporte une cruche
d'argile ciselee, et des tasses de h^tre polies avec de la cire.
Tous deux, sans perdre de temps, retirent les mets du feu, et
Exiguam, scctamquc domat ferventibus undis. C50
Interea medias fallunt sermonibus horas,
Scntiriquc moram prohibent. Erat alvcus iUic
Fagineus, curva clavo suspcnsus ab ansa.
Is tepidis impletur aquis, artusquc fovendos
Accipit. In medio torus est de mollibus ulvis Cjo
Impositus lecto, sponda pedibusquc salignis.
Vestibus hunc velant, quas non nisi tempore festo
Sternere consucrant; sed et haec vilisque vetusque
Vestis erat, lecto non indignanda saligno.
« Accubuere dei. Mensam succincta tremensque G(*U
Ponit anus. Menss sed erat pes tertius impar;
Testa parem fccit. Qu3b postquam subdita clivum
Sustulit, aequatam mcnthae tersere virentes.
Ponitur hic bicolor sincerae bacca Mincrvae,
Conditaque in liquida corna autumnalia facce, CCa
Intubaque, ct radix, et lactis massa coacti,
Ovaque, non acri leviter versata favilla.
Omnia lictilibus. Post haec coilatus eadem
Sistitur argilla crater, fabricata(|ue fago
Pocula, qua cava sunl, flavenVWiVLs \\\\U to.u%. (ilO
Parva mora cst, epu^asque toci Tn\\?.oT«i c;i\fTvv«t%\
UVRE VIll. 517
pr^entent un vin qui compte peu d*anndes. Apr6s un leger in-
tervalle arrive le dessert, compose de noix, de figues, de dattos,
de prunes, de pommes qui parfument de grands paniers, et de
raisins cueiUis sur leurs tiges vermeilles. Au milieu brille un blanc
rayon de miel. Mais rien n'^ale la bonne grdce, les attentions ct
les petits soins des vieux epoux.
« Gependant la cruche, plusieurs fois tarie, se remplit d elle-
rndme, etlevin neperd rien de son abondance. A ce spectacle nou-
veau, ^tonn^set les mains levees au ciel quUIs implorent, Baucis et
le timide Philemon demandent gracepour leur repassans appr^t.
Gardienne de la cabane, une oie restait seule. Ils allaient Timmo-
ler a leurs celestes h6tes. Mais, fuyant d'une aile rapide, elle fa-
tigue leurs pas tardifs et leur echappe longtemps. Enfin elle sem-
ble chercher un asile aupres des Immortels, qui defendent de la
tuer. « Nous sommes des dieux, disent-ils ; vos voisins vont rece-
« voir ta juste peine de leur mipiete. Seuls vous serez a Tabri de
« notre vengeance. Quittez cette demeure, ct suivez-nous sur le
« haut de la montagne. » Ils ob^issent, et, appuyes sur leui^ bi-
Nec longiD rursus referuntur vina scncclae;
Dantque locum mensis paulum seducta secundis.
Hic nux, liic mixta est rugosis carica palmis,
Prunaque, et in palulis redolentia mala canislris, 075
Et de purpureis coUccUb vitibus uva?.
Candidusln medio favus est. Super omnia vultus
Accessere boni, ncc incrs paupcrque voluntas.
< Intcrea, quoties haustum cratera repleri
Spontc sua, per seque vidcnt succrescere vina. 080
Attoniti novitate pavent, manibusquc supinis
Concipiunt Baucisque preces, timidusque rhilpr.ina
Et veniam dapibus, nullisque paralibus orant.
Unicus anser erat, minimie cnstodia villa>,
Quem dis hospitibus domini mactarc parabanl. (».<>.'»
llle celcr pcnna tardos ajtate faligat,
Kludilque diu ; tandemquc cst visus ad ipsos
r.onfugissc dcos. Superi vetuerc nccari :
« Dique sumus, mcritasque luct vicinia po^n.ns
« Impia, diierunt. Vobis imrounibus hujus (100
« Esse mali dabilur. Modo vestra rclinquilc tccla,
« Ac nos^tros comilale gradus, cl in ardua montis
• Hp s)mn\. n Parenl ambo, bacuVisquc \ovaV\
318 5IETAH0RPH0SES.
lons, ils gravissenl avec effort In c6te voisine. D^ja ils n'etaient
plus eloignes du sommet qu'a une portee de fl^che. fls se retour-
nent et voient toule la plaine ensevelie sous les eaux. Leur ca-
bane seule en a ete preservee. Tandis qu^ils sont surpris de ce pro-
dige et deplorent lc sort de leurs voisins, tout a coup ieur pauvre
cabane, naguere trop etroite pour deux maitres, est diangee en
temple. Les vieux troncs qui lui servaient de piliers font place a des
colonnes ; le chaume jaunit et le toit parait d'or ; les porles se
chargent de ciselures, et le sol est pave de marbre. Au mdme in-
stant le fils de Saturne fait entendre ces bienveillantes paroles :
« Dis-moi, sage vieillard, ettoi, sa vertueuse epouse, quelssont
« vos desirs. » Apres s'6lre entendu un instant avec Baucis, Piii-
16mon fait connaitre aux dieux le voeu qu'ils ont forme : c Nous
« voudrions 6tre vos ministres pour veiller sur ce temple; et,
c comme notre vie s'est ecoulee au sein de la concorde, puisse la
« mfime heure y mettre fin ! puisse-je ne point voir le bucher de
c mon epouse ! puiss6-je aussi ne pas ^tre depose par elle dans la
« tombe! » L'evenement repondit a leurs souhaits : ils furenl
preposes a la garde du lemple tout le reste de leur vie. Un jour,
lorsqu'iIs se sentaient decrepits, debout sur les marches sacrees,
Nitunlur longo vesligia ponere clivo.
Tantum abcrant summo, quaulum semel ire sagilta 695
Mibsa potest; flexere oculos, et mersa paluile
Caitera prospiciunt, tantum sua (ecta manere.
Dumque ea mirantur, dum deflent fata suorum,
lUa vetus, dominis etiam casa parva duobus,
Vertilur in templum. Furcas subiere columna;, 700
Stramina flavescunt, aurataque tecla videntur,
Cselatxque fores, adoperlaque raarmore tellus,
Talia quum placido Saturnius cdidit ore :
« Dicite, juste senex, et femina conjuge juslo
K Digna, quid optctis. » Cum Daucide pauca loculus, 705
Judicium Superis apcrit commune Philemon :
« Esse sacerdotes, dclubraque vestra tucri
« Poscimus; et quoniam concordes egimus annos,
« Auferat hora duos cadem, nec conjugis unquam
« Dusta mesc videam; neu sim tumulmdus ab illa. » 710
Vota fides sequitur. Templi tutela fuere,
Donoc vita data est. Annis aevoque soluli
Anle gradiis saxjros quum slatexvV. IotV.^, \oe\^\>xft
LIVRE YIII. 319
ils racontaient les prodiges arrives en ces lieux. Soudain Philemon
et Baucis se virent couverts d'un vert feuillage. Leurs fronts glaces
firent place a une cime qui grandit rapidement. Mais, tant qu'ils le
purent, ils echangerent leurs pensees. « Adieu, mon ^poux! —
« Adieu mon epouse ! » dirent-ils a la fois. Et, au m6me inslant,
leurs bouches disparurent sous Tecorce. Le patre de Phrygie mon-
tre encore les deux arbres nes du couple venerable. Ce prodige
m'a ete raconte par de veridiques vieillards qui n'avaient aucun
inter^t a tromper. J'ai vu de mes yeux des guirlandes suspendues
a leurs branches ; j'en ai moi-m^me attache de nouvelles, et j'ai
dit : « L'homme pieux est cheri des Immortels, et quiconque les
« honore est honore a son tour. »
PROTl^E ET MESTRA. — IMPI^T^ D^ERISIGQTHON ET SON CHAnMENT.
YII. Tel fut le recit de Lelex. Cette aventure et rautorite du
narraleur persuadent les convives et surtout Thesee. 11 se montre
avide d'apprendre les merveilles des dieux. Lc Fleuve qui baigne
Calydon, s'appuyant sur son coude, s'exprime ainsi : « Magnanime
heros, il est des corps qui prennent une seule fois une forme nou-
veUe et la gardent toujours; d'autres ont le privilege de subir
Inciperent casus, frondere Philemona Baucis,
Baucida conspexit senior frondere Philcmon. 713
Jamque super gelidos crescente cacumine vultus,
Hulua, dum licuit, reddebant dicta : « Yaleque,
« 0 conjux, » dixere simul, simul abdita texit
Ora fnilex. Ostendit adhuc Tyaneius illic
Incola de gemino vicinos corpore truncos. 720
Hsec mihi non vani, neque erat cur fallere vellent,
Narravere senes. Equidem pendentia vidi
Serla super ramos ; ponensque recentia, dixi :
« Cura pii dis sunt; et, qui coluere, coluntur. » -^"
PROTEUS ET MESTRA. — ERISICHTHONIS IIIPIETAS ET P(ENA.
VII. Desierat, cunctosque et res et moverat auctor, 725
Thesea praecipue. Quem facta audire volentem
I Mira dedm, nixus cubito, calydonius amnis
Talibus alloquilur : « Sunt, o fortissime, quorum
Forma semel mota esl, et in hoc renovamine mansit;
Sunt, qulhus ia plures jus est tran&ire >tm, 'VlJ^
320 MfeTAMORPlIOSES.
plusieurs metamorphoses. Tu le possedes, toi, Prolee. habitant
des flots qui embrassent toute la lerre. On fa vu tour a tour
jeune homme, hon, sanglier furieux, serpent redoutable, taureau
menaoant. Souvent tu deviens arbre ou rocher ; quelquefois tu te
dianges en fleuve, et quelquefois en flamme ennemie de I'onde.
« L'epouse d'Autolycus, fille d'£risichlhon, jouit de la m6me
faveur. Son pere meprisait les dieux et ne fit jamais fumer Ten-
cens sur leurs aulels. On dit mSme qu'arme de la hache il
profana une for^t consacree a Ceres, et porta le fer sur un des
arbres que la religion avait depuis longtemps consacres. La s'6le-
vait un grand ch^ne seculaire qui seul eut forme tout un bois.
Son tronc etait par6 de bandelettes, de souvenirs et de guirlandes,
monuments de vceux exauces. Souvent les Dryades se livraient
a de joyeuses danses sous son vaste ombrage ; souvent, entrela-
pnt leurs mains, elles se rangeaient autour du tronc, qui avait
quinze brassees de contour. U dominait les autres arbres, autant
qu'ils s^elevaient eux-m6mes au dessus du gazon. Neanmoins le
fils de Triopas ne le respecte point. II ordonne a ses esclaves d'a-
Ut tibi, complexi terram maris incola, Proteu.
Nam modo te juvenem, modo tc videre leonem;
Nunc violenlus aper, nunc, quem tetigisse timeient,
Anguis eras; modo te faciebanl cornua taurum;
Ssepe lapis poteras, arbor quoque sacpe videri. 735
Interdum faciem liquidarum imitatus aquarum,
Flumen eras; inlerdum undis contrarius ignis.
« Nec minus Autolyci conjux, Erisichthone nata,
Juris habet. Pater hujus erat, qui numina divftm
Sperneret, et nullos aris adoleret honores. 740
lUe etiam cereale nemus violasse securi
Dicitur, et lucos ferro temerasse vetustos.
Stabat in his ingens annoso robore quercus,
Una nemus. VittsB mediam, memoresque tabellae,
Sertaque cingebant, voti argumenta potentis. 745
Saepe sub hac Dryades festas duxere choreas ;
Saepe etiam, manibus neiis cx ordinc, trunci
Circuiere modum. Mensuraquc roboris ulnas
Quinquc ter implebat ; nec non et cactera tanto
Silva sub hac, silva quanto jacet herba sub omni. 750
Kon tamen idcirco ferrum Triopeius illa
Abstiniiit, famulos{\ue jxibeV swmAwe wwvim
LIVRE VIII. 521
battre |ce venerable ch^ne. Les voyant h^siter, il arrache h run
d'eux sa cogn6e, et prof^re ces parolcs coupables : c II abeau elre
« cher a la d^esse ; ful-il habite par elle, son fronl couronne de
« feuillage va frapper la terre. »
« II dit ; et, tandis qu'il balance obliquement le fer, Tarbre de
G^res tremble et pousse un gemissement. Ses feuillcs, ses glands
et ses longs rameaux pAlissent. Enfin la hache sacrilege entr'ou-
vre ses flancs, et le sang jaillit de son ecorce. Ainsi, lorsque le
taureau torabe solennellement au pied des autelc, de sa gorge
sYchappent des flots de sang. Ses esclaves sont glac^s d^effroi.
L'un deux ose dissuader firisichthon et arrSter son arme cruelle.
Le Thessalien lui lance un regard terrible : « Re^ois, dit-il, le prix
« de ta peine. » En m^me temps il retoume le fer contre lui, abat
sa t^te et frappe le ch^ne sans relache. L'arbre fait alors enten-
dre ces paroles plaintives : « Nymphe cherie de Cer^s, jliabite
« cette ^corce. Pour me consoler du tr^pas, je te le declare en
« mourant, sur ta t^te plane le chsitiment reserve a ton crime. »
Erisichthon consomme son sacril^ge. Le ch^ne enfin chancelle
Robur; et ut jussos cunclari vidit, ab uno
Edidit hajc rapta sceleratus verba securi :
« Non dilccta dejc solum, sod et ipsa licebit 7o5
« Sit dea, jam tanget frondente cacuminc terram. »
« Diiit, et, obliquos dum tcUim librat in ictus,
Contremuit, gcmitumque dedit dooia quercus,
Et pariter frondes, pariter pallcscere glandrs
Cocpere, ac longi pallorem ducerc rami. 7CD
Cujus ut in trunco fecit manus impia vulnus,
Haud aliter fluxit, discussa cort^ce, sanguis,
Quam solet, antc aras ingens ubi victima taurus
Concidit, abrupta cruor e cervico profusus.
Obstupuere omnes, aliquisquc ex omnibus audet 7C.j
Deterrere nefas, sajvamque inliibere hipennim.
Aspicit hunc : « Mentisque piai cape prxmia, » disit
Thessalus, inque virum convertit ab arbore ferrum,
Delruncatque caput, repetitaque robora cjcdit;
Edilus e medio sonus est quum robore talis : 77J
« Nympha sub hoc ego sum Cereri gratissima ligno,
« Quae tibi factorum poenas instare tuorum
« Vaticinor moriens, nostri solatia lelhi. >
Pfirsequitur scehs ille suum ; labeiattUqjQfe V;jiTv^em
522 METAMORPIIOSES.
sous mille coups. Entraine par un cSble, il succombe et renya^se
un grand nombre d'arbres sous son poids.
« Les Dryades epouvantees pleurent la for^t depouillee de sa
gloire et la mort de leur soeur. Rev^tues de deuil, elles vont
trouver Ceres en gemissant, et lui demandent qu'£risichthon re-
^ive la peine de son attentat. La deesse accueille leur pri^e, et
le mouvement de sa majestueuse t^te ebranle les guerets charg^s
de riches moissons. Elle prepare un chatiment qui aurait attirela
pitie sur £risichthon, si, par un tel forfait, il n'avait perdu tous
les droils a la pitie. Elle veut le livrer aux horribles tourments
de la Famine ; et, comme elle ne peut aborder elle-mtoe cette
deesse, car les Destins interdisent tout commerce entre Ger^ et
la Famine, elle appelle une des divinites champ^tres qui habitent
sur les montagnes, et lui parle ainsi : a Aux confins de la Scy-
« thie, couronnee de frimas, il existe une contree morne, sterile,
« sans arbres et sans fruits, sejour du Froid lethargique, de la
« Paleur et de Tfipouvante. Cest la que reside raffreuse Famine.
« Ordonne-lui d'aller se cacher dans le cceur criminel de Timpie.
« Loin de ceder a Tabondance, qu'elle soutienne la lutte jusqu'a
« triompher de moi-mtoe. Pour que tu ne sois pas effrayee de la
IcUbus innumeris, adducfaque funibus arbor 773
Corruit, et multam prost ivit pondere silvam.
« Altonitaj Dryades damno nemorisque, suoquc,
Omnes germanae, Cererem cum veslibus alris
Mctrentes adeunt, poenamque Erisiclilbonis orant.
Annuit bis. capitisque sui pulcherrima molu 780
Concussit gravidis oneratos mcssibus agros.
Moliturque genus pocnai miserabile, si non
Ille suis esset nuUi miserabilis aclis,
Pestifera laccraro Fame. Quae quatenus ip.-i
Non adeunda dcai (ncquc enim Cereromque, Famomquo
Fata coire sinunt); monlani numinis unam
Talibus agrestem compcllat Orcada dictis :
« Est locus extrcmis Scytbiae glacialis in oris,
« Tristc solum, sterilis, sine frugo, sine arbore tcllus.
« Frigus iuers illic habitant, Pallorque, Tromorque, 790
« Et jcjuna Fames. Ea sc in prajcordia condat
« Sacrilegi scelerata jube ; ncc copia rerum
(( Vincat eara, superelque roeas cetv.3iT[\\Tv<i N\t<i*.
LIVRE Ylil. m
kMigueur du voyage, prends mon char et dirige mes dragons
au haut des airs. » Aussil6t elle les lui donne. L Oreade s'elance
r le ichar a travers Fespace, et arrive dans la Scythie sur le som-
ii glace du Gaucase. Apres avoir ddtele les dragons, elle cherche
Famine. Elle Taper^oit dans un cliamp pierreux arrachant
elques berbes avec ses ongles et ses dents. Elle a les cheveux
risses, les yeux creux, le teint p^le, les levres blanches et
3hes, le gosier apre et enflamme, la peau rude et transparente,
\ rems courbes, les os saillants, le ventre rentre, et sa poitrine,
i semble detachee, ne presente que des c6tes. La maigreur fait
}Sorlir avec une energie extrtoe ses articulations, ses genoux
ses talons. La Nymphe, qui Ta vue de loin, n'ose approcher, et
transmet les ordres de Ceres. Quelques instants apr^s son
^vee, quoiqu'elle se tienne a distance, elle croit sentir les at-
ntes de la faim. Aussit6t, s'elevant dans lcs airs, elle fait re-
Bndre aux dragons la route de la Thessalie.
« La Famine, en tout temps opposee u Geres, ex^cute nean-
)ins ses ordres. Emport^e dans un tourbillon, elle sc reiid, de
« Kcve viaj spalium lo lerreat, accipe currus;
« Accipe, quos frenis alle modererc, draconcs. >» 795
£t dcdit. lUa dato subvecta per aera curru
Dcvcuil iu Scylhiani, rigidique cacuminc inoutis,
Caucason appcllaut, scrpcntum colla levavii;
Quacsitaniquc Famcm lapidoso vidit in agro
Unguibus, ct rara:? vcllonlem denlibus hcrbas. 800
Hlrtus erat crinis, cava lumina, pallor in orc,
Labra incana silu, scabnc rubigine faucis;
Dura cutis, per quani spectari visccra possciit;
Ossa sub incurvis cxbtabant arida lumbis;
Vcutris crat pro vciilro locus; pendere pularcs 805
Pectus, ct a spina! tantummodo crate tencri.
Auxerat articulos iiiacies, genuunique rigcbat
Orbis, et immodico prodibant tubere tali.
Hauc procul ut vidit (ncque enim est accedcrc juxla
Ausa), refcrt iiiandala dcu} ; paulunique morala. 810
Quanquam abcrat longe, quanquam modo vcnerul illtir,
Visi lamcn sensisse famem, retroquc draconos-
Efiit in .l-lmoniam, vrrsis sublimis hayjcnis.
« Uicta Famcs Ccreris, quamvis conlraria scnipcr
HJius est operl, peragU; perquc aera venlo ^^^
S2t METAMORIMIOSES.
nuil, 31 u palaii! qm lui est deslgii^, et s^approchti de la couche de
riiupic. Tandis qti'jl csl ensevi^i dans un profond sommeil, elle
renvcloppe de sts den% ailes, !ui entouce sou aiguiilon, lui soufne
daus la bou^ljc, dsujs k gosjer, dans l'estouiac, et allunie dans se^
entrailles vides une faiin dcvorantc. Sa tiche reiiipUe, elle aban-
donne celte eoulree fertile pour regagner sou antre oii regue la
dtseUe.
u le sommeil vei^sail sur firisichtlioii ses [dus doux pavi>[s, Uii
son^e lui montre des mets qu^il veut prendre ; mais sea l^vres el
ses (lents se meuvcrjt et se faliguent en vain, Son appelit abuse
s>xerce sur une nourjiture illusoire ; au Ueu d'alimenls, il n*ab-
sorbe que Fair. 11 s'eveille. Alors la faim lui fait sentir lotite sn
rage, en tourmeritnnt son gosier avide et scs enlraiUes brulantes.
11 voudrait qu'a riustant la mer, la lerre et l'air fussent depeu-
ples pour lui. 11 se pLiint du jei!kne au milieu d*un festin ; il ne
peul se repaitre des substances qui enU^enl dans son estomac. Ce
qui eul liourri des villes et tout un peupJe ne peul sulfije ii kii
senU Hus il engloutit de vivres, plus il eu {lesirer Pareil a l Ocean
qui, luin dc se contenler de ses eaux, rev-oit el s'assimile lous les
Ad jussain delula domuin esl. £l proliuus inU'at
Sacrilcgi Uialaraos; altoquc soporc solutuin
(Noctis crat tempus), gemiuis amplectitur alis;
Sequc viro inspirat, faucesque ct pectus ct ora
Afflat, ct in vacuis spargit jejunia venis; BJO
Functaquc mandalo fecundum deserit orbcm ;
Inque domos inopcs, assuela revcrlitur anlra.
« Lenis adliuc somnus placidis Erisichthona pcnnis
Mulcebat. Pelit ille dapes sub imagine somni,
Oraque vana movet, dentemque in dente fatigal, 8'2o
Exercelquc cibo delusum gultur inani,
Proque epuiis tenues ncquicquam devorat auras.
Ut vero est expulsa quies, furit ardor edendi,
Perque avidas fauces immensaque visccra regnal.
Nec mora, quo<i pontus, quod tcrra, quod educat acr, 8511
Poscit, ct apposilis queritur jejunia mensis.
Inqnc cpulis cpulas quairit ; quodque urbibus cssc,
Quodquc salis populo potcrat, non suflicit uiii;
IMusque cupit, quo plura suam dcinittit Jii alvum.
Utquc frctum rccipit dc tola flumina leria, 835
^ Ncc saiialur aquis, percgrinosque cbibil amncs;
LIVRE VIII. .-25
ileuves de la terre, ou tel que la flamme insaliable qui, ne refusant
jamais d'aliments, devore sans cesse de nouvelles mati^res et
proportionne a leur abondance ses ravages et ses fureurs, Timpie
firisichthon convoite et mange a la fois tous les mets. Geux qu'ii
avale augmenlent son avidile, et son estomac se creuse a mesure
qu'jl s'emplit. Deja les richesses de son pere ont disparu dans ie
gouffredeson ventre. Mais tuconservais encore toutes tes forces,
6 Faim implacable! Un feu inextinguible embrasait son palais.
« Tout son patrimoine etait enfm devor^. II ne luirestait qu'une
fille digne d'un autre pere. Dans sa detresse, il la vend aussi. Mais
sa fierte repousse son maitre, et, tendant les bras vers la mer voi-
sine : « Derobe-moi, dit-elle, a un joug insupportable, toi qui m'as
« ravi rinnocence. » Neptune, en effet, la lui avait ravie. Le dieu lui
accorde sa demande, et, presque sous ies yeux du maitre qui la sui-
vait, il change sa forrae, lui donne les traits d'un homme et le cos-
tume d un pecheur. Son maitre, la regardant sans la reconnaitre :
« 0 toi, lui dit-il, qui caches avec adresse sous uri leger app&t ton
« hame^on perfide, puisses-tu trouver la mer toujours calme ! Puissc
Utque rapax ignis non unquam alimenla recusat,
Innumerasque Irabes cremat ; et, quo copia major
Est dala, plura petit, turbaque voracior ipsa esl; .
Sic epulus omncs Erisichthonis ora profani 840
Accipiunt, poscuntque simul. Cibus omnis in illo
Causa cibi est, semperque locus fit inanis edendo.
Jamquu Fame palrias altique voragine vcntris
Attenuarat opes; sed inatlenuata manebas
Tum quoque, dira Fames, implacataeque vigebat 8i5
Flamma guloi.
« Tandcm, demisso in viscera ctnsu,
Filia restabat, non iilo digna parcnte.
Hanc quoque vendit inops. Dominum generosa recusal,
Et vicina suas tendcns suprr sequora palmas :
« Eripc me domino, qui raplaj praimia nobis 850
« Virginitatis habes, » ait. Huic Neptunus habebat.
Qui prece non sprcta, quamvis modo visa sequcnti
Essct hero, formamque novat, vultumque virilem
ludiiit, ct cultus piscem capientibus aptos.
Ilanc dominus spectans: « 0 qui pendentia parvo 855
« .€ra cibo colas, moderator arundinis, inquit,
« Sic mare composilunif *ic sitlibi piscis in \\u<\vi
526 MfiTAMORPHOSES.
« lepoissoncredulesesuspendretoujoursa taligne! UneNymphe,
« grossi^rement v^tue et les cheveux epars, vient de s'aiTMer
« sur ce rivage, Je Fai vue ici. Pourrais-tu me dire ou elle
« est? car elle ne peul pas etre loin. » Metra comprend que le
dieu Ta exaucee. Ravie d'entendre son maitre lui demander a
elle-mfeme ce qu^elle est devenue, elle repond : « Pardonnez, qui
« que vous soyez. Mes yeuxbnt ^6 constamment fix6s sur Tonde,
« et je n'ai point regarde autour de moi. Je n'etais attentif qu'a
« ma p6che. Pour que vous n'en doutiez pas, j'atteste le roi des
« mers (puisse-t-il m'6tre propice ! ) qu'excepte moi, depuis Jong-
« temps ni homme ni femme ne s'est montre sur ce rivage ! »
II la croit et s'eloigne ; mais il se retire trompe. La Nymphe re-
prend ses premiers traits. firisichlhon, voyant que sa fille peut
subir plusieurs metamorphoses, la vend a divers maitres. Elie
devient tour a tour cavale, oiseau, boeuf, cerf, sans pouvoir fournir
une nourriture suffisante a son insatiable pere. Cependant le mal
qui le tourmente a tout consomme ; mais tout n'a servi qu'a Tir-
riter davantage. Alors, de ses dents il se dechire iui-m^me. In-
fortune ! il n'a d'autre pdture que son corps qui diminue chaque
jour.
« Gredulus, et nuUos, nisi fixus, scntiat kamos !
« Qus modo cum vili turbatis veste capillis
« Littore in hoc stelerat (nam stantem in lillorc vidi), 860
« Dic, ubi sit; neque enim vestigia longius exstant. »
lUa dei munus beue cedere sentit, et a se
Se quaeri gaudens, his est resecuta rogantem :
« Quisquis es, ignoscas. In nullam lumina parlcm
« Gurgile ab hoc flexi, studioque operalus inha3si. 805
c Quoquc minus dubites, sic has deus sequoris artes
« Adjuvet, ut nemo jamdudum littore in isto,
« Me tamen cxcepto, nec femina constilit uUa. d
Gredidit, et verso dominus pede pressit arenam,
Elususque abiit. llli sua reddila forina est. 870
Ast ubi haberc suam transformia corpora sentit,
Siepe pater dominis Triopeida vendit. At illa
Nunc equa, nunc ales, modo bos, modo cervus abibat,
Praebebalque avido non justa alimenta parenti.
Vis tamen illa mali postquam consumpserat omnera 875
Maleriam, dederatque gravi nova pabula morbo,
Ipse suos arlus lacero d\Ne\\cxe mot^M
Ccepjt, et infelix minueudo eotvxx^ oXeV^^v.
LIVRE VIII. 527
« Pourquoi m'arreler aux metamorphoses d'aulrui? Moi aussi,
jeunes guerriers, j'ai ie pouvoir de rev^tir differentes formes ;
mais le nombre en est limite. Tantot je suis tel que vous me
voyez ; tantot je prends ia figure d'un serpent ; d'autres fois, arme
de cornes mena^ntes, je marche a la t^te d'un troupeau. J'ai con-
serve, tant que j'ai pu, cette parure de mon front. Maintenant,
vous le Yoyez, j'en ai perdu une partie. » Des gemissements sui-
vent ces paroles.
ff Quid moror extcniis? Eliam mihi saspc novandi
Corporis, o juvenes, numero finita potcstas. 880
Nam modo, quod nunc sum, vidcor; modo flector in anguepi;
Armenti modo dux viresin cornua surao;
Cornua, dum potui; nunc pars carel altera lelo
Frontis, ut ipse vides. » Gemiius sunt verba seculi;
LIVRE NEUVIEME
ACnfiLOOS VAINCU PAR IIEr.COLE. — COF. S£ D^AnONDANCC.
I. Le heros issu du sang de Neptune demande quelle est la
cause de ces gemissements et de roulrage fait par un dieu au
front d^Acheloiis. Le Fleuve, dont les cheveux flottent negUgem-
raent sous une couronne de roseaux, s'exprime en ces lermes :
« Vous m'imposez une tSche penible. Quel vaincu trouverait du
plaisir a raconter sa defaite? Jevais pourtant retracer rhisloire de
ma lutle. J'eus moins de honte a succomber que de gloire a com-
battre, et la celebrite du vainqueur est une grande consolalion
pour moi. Peut-^tre le nom de Dejanire a-t-il frappe votre oreiile.
Cetait une vierge connue par sa beaute, et que milie rivaux se
dispulaient a Tenvi. Je me rendis rhoi-meme aupres de son pere
LIBER NONIIS
ACIIELOUS AB IJERCULE DEVICTDS. — C01'LE COUSU.
•
1. Quac gcmilus, Iruncacquc deo neptunrus hcros
Causa rogat frontis, quum sic calydonius amnis
Coepil, inornatos redimitus arundine crines :
ff Trislc pelis munus. Quis enim sua prxlia victus
Commemorare vclil? Referam lamcn ordine. Ncc lam 5
Turpe fuit vinci, quam contendissc decorum cst,
Magnaque dat nobis tantus solatia victor.
Nomine si qua suo landem pcrvenit ad aures
Dejanira luas, quondam pulcherrima virgo,
J/uJtorumque fuil spcs invidiosa procorum. 10
Cum qui^His ut sotcri domus csV. VwVt^V^ ^tVxvX. •,
LIVRE IX. 320
avec eux. « Fils de Partliaon, lui dis-je, acceptez-moi pour gen-
« dre. » Hercule tint le m6me langage : ies autres se retirerent
devant nous. Hercule vanta sa naissance, qui allait donner a la
jeune princesse Jupiter pour beau-pere, la gloire de ses Iravaux
commandes par une deesse jalouse, et les triomphes qu'il avait
obtenus. Pour moi, croyant qu'un dieu ne pouvait sans honte
ceder a un homme (car il n'etait pas encore au rang des Immortels) :
« Vous voyez, dis-je, le roi du fleuve qui promene ses ondes si-
ic nueuses dans vos fitats. Vous n'aurez pas enmoi un gendre venu
« des bords 6trangers. Ne dans ce royaume, j'en fais partie. Le suc-
« ces de mes esp6rances serait-il compromis, parce que la reine des
« dieux ne me poursuit pas de sa haine et ne m'a pas condamn^a
« des .travaux ? Tu le glorifies d'^tre issu d*Alcm6ne. Mais Jupiter
« n'est point ton pere, ou il Test par un crime. Le deshonneur de
« celle a qui tu dois le jour a pu seul te le donner pour pere. Qu'ai-
« mes-tu mieux ? 6tre le fils suppose du mailre des dieux, ou le
« fruit d'un adult^re? »
En m'entendant ainsi parler, Hercule me lance un regard
terrible, et, ne pouvant plus contenir son courroux, il s'ecrie :
« Je sais mieux agir que parler. Pourvu que je sorte vainqueur
« du combat, triompbe par le talent de la parole. » A ces mols,
« Accipe me generum, dixi, Parlhaone nate. »
Diiit et Alcides : alii cessere duobus.
Ille Jovem socerum dare se, famamque laborum,
Et superala su» referebat jussa novercaj. 13
Gonlra ego turpe deum mortali cedcre duxi
(iXondum erat ille deus) : « Regcm me cernis aquarum
« Cursibus obliquis intra lua regna fluentcm.
« Nec gener eiternis hospes tibi missus ab oris,
« Sed popularis ego, et rerura pars una luarum. 2
« Tantum ne noceat, quod me nec regia Juno
« Odit, ct omnis abcst jussorum pocna laborum.
« Nam quod le jaclas Alcmena matre creatum,
« Jupili-r aut falsus pater est, autcrimine verus.
« Malris adultcrio patrcm petis : elige ficlum 25
« Esse Jovem malis, an te pcr dedecus ortum. »
Talia dicentem jamdudum Imnine lorvo
Spectat, et accensaj non forliter imperat ira,
Verbaque lot reddit : « Melior mihi dexlera \w%\)l^.
• Dmnmodo pugna^ndo superem, lu mce Vo<vvLftu^o.» "^*^
330 HilTAMORPHOSES.
il se prepare fi^rement k m'attaquer. Apr^s mon superbe lan-
gage, je rougis de reculer ; et, rejetant ma robe emeraude, les
bras tendus et les poings fermes, je me tiens pr6t a lutter. fler-
cule ramasse une poignee de poussiere et m'en couvre ; je lui jette
k mon tour une poignee de sable. II saisit ou semble saisir tant6t
ma tSte, tantdt mes jambes agiles, et me presse de toutes parts.
Mon poids me protege et rend ses efibrts inuliles. Tel un rocher
assailli par les flots furieux reste immobile : sa masse le d^fend,
Nous nous separons un instant pour recommencer le combat,
fermes sur 1'arene et resolus de ne point ceder. Pied . contre pied,
poitrine contre poitrine, je suis tous ses mouvements ; mes doigts
serrent ses doigts, mon front heurte son front. Ainsi j'ai vu deux
vigoureux taureaux fondre l'un sur Taulre, lorsque la plus belle
genisse de la prairie devait 6tre le prix du combat. Le troupeau
regardait cette lutte terrible, et en atlendait Tissue avec effroi, ne
sachant a qui la victoire allait assurer un glorieux empire. Trois
fois sans succes Hercule tache d'ecarter ma poilrine dela sienne.
Par un quatrieme eflbrt il s'arrache k mes ^lreintes, et s'affranchit
Gongrcditurque ferox. Puduit modo magna locutum
Cedere. Rejeci viridem de corpore vestem,
Brachiaque opposui, lenuique a pectore varas
In statione manus, et pugnai membra paravi.
Ille cavis hauslo spargit me pulvere palmis, 55
Inque vicem fulvae jactu flavescit arenai;
Et modo cervicem, modo crura micantia captat,
Aut captare pules, omnique a parte lacessit.
Me mea defendit gravitas, frustraquc petebar,
Ilaud secus ac moles, quam magno murmure fluctus 40
Oppugnant ; manet illa, suoque est pondere tuta.
Digrcdiniur paulum, rursumque ad bella coimus ;
Inque gradu stetimus. certi non cedcre; eratque
Cum pede pes junctus ; totoque ego pectore pronus
El digitos digitis et frontem fronte premcbam. 45
Non aliler fortes vidi concurrere tauros,
Quum prelium pugnre, loto nitidissima saltu,
Expetitur conjux. Spectant armenta, paventque
Nescia quc.m manoat tanli victoria regni.
Ter ,s'jio profectu voluit nitentia contra 50
Rejicarc .\lcides a .se mca \>ecloTa. v^uatVci
Exuit amplexus, adductac\ue \)t;vc;Yv\;v «AVW,
LIVRE IX. 331
de mes bras ; puis, me poussant de sa main (car je dois tout dire),
il me retourne brusquement et tombe pesamment sur mon dos.
Vous pouvez m'en croire ; je ne cherche point la gloire par de
vaines impostures : je me sentis comme accable du poids d'une
montagne. Je pus a peine degager mes bras inondds de sueur, et
me delivrer de ses rudes embrassements ; il me pressait de nou-
veau, me coupait la respiralion, et m'emp^chait de reprendre mes
forces. Enfin il me saisit a la gorge. Mes genoux flechirent sur le
sol, et je mordis la poussiere.
f Voyant le combat inegal, j'eus recours a la ruse. Pour echap-
per a mon rival, je pris la forme.d'un long serpent. Je deroulai de
nombreux anneaux, et j^agitai un double dard avec d'horribles sif-
flements. Le heros de Tyrinthe sourit, et, se moquant de mes ar-
tifices : « Vaincre des serpents, dit-il, fut un jeu de mon berceau.
« Tu l'emportes, il est vrai, Achelous, sur les autres serpents ;
« mais qu'es-tu pres de Thydre de Lerne ? Elle renaissait de ses
« blessures fecondes. Je ne pus abattre une de ses cent t^tes, sans
« la voir remplac^e par deux autr^s plus terribles. Heriss6e de vi-
« p^res qui se multipliaient sous le fer, elle puisait de nouvelles
Impulsumquc manu (certum mihi vera fateri)
Protinus avertit, tergoque onerosus inha;sit.
Si qua fides, neque enim ficta mihi gloria voce 55
Quseritur, imposito pressus mihi monte videbar,
Vix tamen exserui sudore fluentia multo
Brachia; vix solvi duros a pectore ne\U>.
Instat anhelanti, prohibetque resumere vires,
Et cervice mea potitur. Tum denique tellus <>0
Pressa genu nostro est, et arenas ore raomordi.
Inferior virtute, meas devertor ad artes,
' Elaborque viro, longum formatus in anguem.
Qui postquam flexos sinuavi corpus in orbes,
Cumque fero movi linguam stridore bisulcam, 05
Risit, et illudens nostras Tirynthius artes :
«c Cunarum labor est angues superare raearum,
« Dixit, et, ut vincas alios, Acheloo, dracones,
« Pars quota lernaeae serpens cris unus Echidnai?
« Vulneribus fecunda suis erat illa, nec uUum "0
« De centum numero caput est impune rccisum,
« Quin gemino cervix hoerede valentior essct.
« Hanc ego ramosam nalis e cfede colubris,
533 BIETAMORPHOSES.
« forces dans sa defaite. Je la domptai pourtant, et elle tomba
« sous mes coups. Qu'oses-tu attendre des dehors trompeurs d'un
« serpent? Qu'oses-tu esp^rer, d^fendu par des armes ^trang^es
« ou cachd sous une forme d'emprunt? » A ces mots, il me serre
la gorge de sa main puissante. r^touffais comme dans un etau, et
je t^chais de derober mon cou a sa robuste ^treinte. Vaincu sous
cette forme, pour troisi^me metamorphose il me restait a prendre
les traits d'un taureau mena^nt. Je les rev^ts, et je soutiens une
lutte nouvelle. Place a ma gauche, il enlace de ses bras les mus-
eles de mon cou. Je bondis en arriere. II veut m'entrainer, mais
il me suit. Enfm, ii me saisit par les comes, les enfonce dans la
terre et me renverse sur l'arene. Cest peu : tandis qu'il me tient
ainsi de son bras invincible, il me brise une corne et la d^tache
de mon front. Les Naiades la consacrerent, apres Tavoir rem-
plie de fruits ct de fleurs odoriferantes. Elle devint la Corne
d'abondance. »
. II dit. Une des Nymphes qui le servaient attache sa robe h la
maniere de Diane, et s'avance les cheveux epars. De la come
qu'elle verse, elle tire tous les tr^sors de Tautomne, tous les fruits
d^licieux qui composent le dessert. Cependant le jour commence,
« Crcsccnlcmquc malo, domui, domitamque peremi.
« Quid forc le credis, falsum qui versus in anguem 75
« Arraa alicna moves, quem forma precariacelal? »
Dixerat, et summo digilorum vincula coUo
Injicit. Angebar,peu guttura forcipe prcssus,
PoUicibusque meas pugnabam evellere fauces.
Sic quoquedcvicto restabat tertia tauri 80
Forma trucis. Tauro mutatus membra rebello.
Induit ille toris a Iseva parle lacertos,
Admissumque trahens sequitur, deprensaque dura
Coruua figit humo, meque alta stemit arena.
Nec satis id fuerat : rigidura fera dexlera cornu 85
Dum tenet, infregit, truncaque a fronte revellit.
Naides hoc, pomis et odoro flore repletum,
Sacrarunt, divesque meo bona Copia cornu cst. »
Dixerat. At Nymphe, ritu succincta Dianae,
Una ministrarum, fusis utrinque capillis, 90
Incessit, totumque tulit prxdivite cornu
iiutumnum, ct mensas, ieUcva vorna, secundas.
Lux subit, et, priino lemYile c&.c\xm\ti^ ^o\«^>
LIVRE IX. S33
el le soleil dore de ses rayons la cime des montagnes. Les jeunes
guerriers s'61oignent. Ils ne veulent pas atlendre que le fleuve ait
repris son cours paisible, ni que le courroux des ondes soit
apais^. Achelous cache au sein des flots ses traits agresles et son
front mutile. La perte de sa beaute 1'accable de chagrin, quoique
le reste de son corps soit inlact, et qu'il puisse m^me cacher son
affront sous les saules et les roseaux dont il est couronne.
MORT DE N£SSUS.
n. Mais toi, superbe Nessus, tu peris, le dos perce d une fleche
rapide, victime de ton amour pour la m6me princesse. Le fils de
Jupiler, rentrant avec sa nouvelle epouse dans les murs de sa
patrie, 6tait arrive sur les bords de Timpetueux fivenus. Grossi
extraordinairement par les pluies de Fhiver, le fleuve presejilait
partout des tourbillons que nul n'osait franchir. Leheros, tran-
quille pour lui-m6me, craint pour son epouse. Le robuste Nessus,
a qui tous les gues sont connus, s'approche de lui : « Ilercule,
lui dit-il, veux-tu que je transporte ta compagne sur Tautre rive?
Reserve tes forces pour traverser les ondes a la nage. » Hercule
Discedunt juvenes ; neque enim dum flumina pacem
Et placidos habeant lapsus, motaeque residant, U5
Opperiunlur, aquse. Vultus Achelous agrestes
Et lacerum cornu mediis caput abdjdit undis.
Hunc tamen ablaii domuit jactura decoris.
Caetera sospes erat; capitis quoque fronde saligna,
Aut superimposita celatur arundine damnum. 100
NESSUS INTERFICITOR.
II. At tc, Nesse ferox, ejusdem yirginis ardor
Perdiderat, volucri trajectum terga sagitta.
Kamque, nova repetens patrios cum conjuge muros,
Venerat Eveni rapidas Jove natus ad undas.
Uberius solito nimbis hiemalibus auctus, 105
Vorlicibusque frequens erat, atque impervius amnis.
Intrepidum pro se, curam de conjuge agenlem
Nessus adit, membrisque valens, scitusque vadorura :
« Oflicioque mea ripa sistetur in iUa
Hzc, aii, Alcide : tu Tiribas ulere nando. » ^^^
334 METAMORPHOSES.
lui confie la princesse de Calydon toute tremblanle, p^e d'efIroi,
redoutant le fleuve et le Centaure. Au mSme instant, charg^ de
son carquois et de la depouille du lion de Nemee (car il avait jet6
sur le bord oppose sa massue et son arc flexible) : « Puisque j'ai
commenc^ a nager, dit-ii, je franchirai le fleuve tout entier. » II
n'hesite plus : il ne cherche pas en quel endroit le fleuve est plus
facile, et ne s'inquiete point si les eaux vont se pr^ter docilem^t
a son passage. Deja, sur Tautre rive, il ramassait Tarc qu'il y avait
jete, Iorsqu'il reconnut la voix de son epouse. Nessus s*appr^tait
a ravir le depot commis a sa garde. « Ou fegare, lui dit flercule, une
folle confiance dans ton agiiite, .6 ravisseur barbare ! Cest a toi
que je parle, monstre a deux formes ; Nessus, entends ma voix et
ne m'enl^ve pas mon bien. Si tu n'as aucun respect pour mes droits,
la roue ou ton pere est attache doit te detourner de coupables
amours. Tu ne saurais m^echapper. En vain tu comptes sur ta
vitesse de coursier. Ce ne sont pas mes pieds, ce sont mes fl^ches
qui fatteindront. » L^effet suit ces dernieres paroles. Dn trait
parti de sa main frappe le dos du Centaure qui s'enfuit, et ressort
a travers sa poitrine. A peine en est-il arrache, que de sa double
blessure le sang jaillit, mele au venin de Thydre. Nessus le re-
Tradidit Aonius pavidam Galydonida Nesso,
Pallenlemque metu, fluviumque, ipsumque limentera.
Mox, ut erat, pharetraque gravis, spolioque lconis,
(iNam clavam, et curvos Irans ripam miscrat arcus) :
« Quandoquidem coepi, superentur flumina, » dixit. 115
Nec dubilat, nec que sit clementissimus amnis
Quairit, et obsequio deferri spernit aquarum.
Jamque lenens ripam, missos quum lolleret arcus
Conjugis agnovit vocem, Nessoque parante
Fallere depositum : « Quo te fiducia, clamat, 120
Vana pedum, violente, rapit? tibi, Ncsse biformis,
Dicimus, exuudi, nec rcs intercipe nostras.
Si te nulla mei reverentia movit, al orbes
Concubitus vetitos poterant inhibcre paterni.
Haud tamen effugies, quamvis ope lidis equina. 125
Vulnere, non pedihus te consequar. » Lltima dicla
Re probat, et missa fugientia terga sagilta
Trajicit : exstabat ferrum de pectore aduncum.
Qaod simul evulsum esl, sanguis per utrumque foramen
Emicuit, ipixtus lcrnaei laibe \etim. 'Cjft
LIVRE IX. 336
cueille : « Non, dit-il, je ne mourrai pas sans vengeance. » En
m^me temps il remet a celle qu'il a voulu enlever sa tunique
teinte de son sang fumant encore, comme un don destine a ral-
lumer les feux de son epoux.
TOURMENTS D^HERGULE SUR LE HONT (ETA.
ni. Longtemps apres, les grands exploits d'Hercule et la haine
de Junon avaient retenti dans Tunivers. Vainqueur, il reyenaJt
dCEchalie, et, sur le cap Censeum, il allait s'acquilter d un sacri-
fice en rhonneur de Jupiter, lorsque Tindiscrete Renommee, qqi
se plait a mSler le mensonge a la verite et a grandir par ses fio
tions les plus legeres rumeurs, fapprit, 6 Dejanire! la passion qui
enchainait le fils d'Amphitryon aupr^ dlole. Am^nte cr6duie, elle
accueille ce bruit. Surprise de celte infidelite, la malheureuse
s'abandonne aux pleurs. Son depit se manifeste d^abord par des
larmes, mais bientdt il eclate. « Pourquoi pleurer ? dit-elle. Ces
larmes combleraient ma rivale de joie. Eile approche. Ilatons-
nous de recourir a un expedient inconnu, puisqu'il en est temps,
et qu'une autre n'a pas encore usurpe ma place. Dois-je me
plaindrc ou me laire? regagner Calydon ou rester ici? sortir
Excipit hunc Nessus : « Neque enim morieraur inulti, »
Secum ait, et calido velamina fincta cruore
Dat munus raptae, velut irrilamen amoris.
• HERCULES IN MONTE OETA CRUCUTUR.
III. Longa fuit medii mora lemporis, actaque magni
Herculis implerant lerras, odiumque noverca;. 135
Victor ab (Echalia cenoco sacra parabat
Vota Jovi, quum fama loquax praecessit ad aures,
Dejanira, tuas, quaj veris addere falsa
Gaudct, et a minimo sua per mendacia crescil,
Amphitryoniaden loles ardore teneri. 140
Crcdit amans, Venerisque novae perterrita fama
Indulsit primo lacrymis, flcndoquc dolorem
Diffudit miseranda suum; mox deinde : « Quid autcm
Flemus? ait. Pellex lacrymis IsBtabitur istis. '^
Quae quoniam advenlat, properandum, aiiquidque novandum est, 145
Dum licet, et nondum thalamos lenet aitcra nostrbs.
Conquerar, an sileam? Repelam Gal^dona, movcmfct
530 HETAHORPHOSES.
de ce palais, ou, si je ne puis davantage, m'opposer k leurs feux?
Que dis-je? je me souviendrai que je suis ta sceur, M^l^agre, et je
saurai tenter un grand crime. Je montrerai, en egoiigeant ma
rivale, ce que peut un affront et le ressentiment d'une femme. i
Elle roule miile projels. Enfm elle se d^cide a envoyer a Hercule
la tunique teinte du sang de Nessus pour ranimer son amour ex-
pirant; et, sans se douter des chagrins qu'elle se prepare, elle
remetcettetunique a Lichas, qui ignore quel d^p6t on lui confie.
Infortunee! elle le conjure par les plus douces instances de
porter ce present a son epoux. Ilercule l^accepte, sans en con-
naitre le danger, et couvre ses epauies du venin de rhydre.
£n ce moment il deposait Tencens dans le feu, en adressant ses
voeux a Jupiter i une coupe a la main, il arrosait d'un vin pur le
marbre de Fautel. Aussitdt le poison, developpe par la chaleur
du feu, circule dans les veines du li^ros. Longlemps son courage
eprouv^ comprime ia plainte. Enfin, succombant a ses maux,
il repousse Tautel, et remplit de ses accents douloureux les forets
de r(Eta. II veut arracher la tunique fatale. Mais, en la dechi-
rant, il se dechire iui-mSme. Apres d'inuliles efforts, (comment-
le raconter sans horreur ?) ie vetement resle coM a son corps,
Excedam tcctis ? Si nibil amplius, obstem ?
Quid, si me, Meleugre, tuam memor esse sororem,
Forte paro faciaus, quamtumque injuria possit loO
Femineusque dolor, jugulaia pellice testor? »
Incursus animus varios babet. Omnibus illi
Praetulit imbutam nessxo sanguine vestem
Hitlcre, qusB vires dereclo reddat amori ;
Ignaroque Lichie, quid tradat nescia, luctus 155
Ipsa suos tradit; blandisque miserrima verbis
lH>na det illa viro, maudat. Gapit inscius heros,
Induiturque humeris lerniieae virus Ecbiduie.
Thura dabat primis, et verba precantia, flammis,
Vinaque marmoreas patera fundebat in aras. ICO
Incaluit vis illa mali, resolutaque flammis
Uerculeos abiit late diffusa per artus.
Dum potuit, solita gemitum virlute repressit.
Victa malis postquam paiientia, reppulit aras,
Implevitque suis nemorosam vocibus (Elen. 1G5
Nec mora, lethiferam conatur scindere vestem.
Qua trahilur, Irahll \VVa cuVeta <^^»«i\\\a<^^ wUlu],
Aut lj»rel membrls trusVta VeuV^V?^ \«iNc\\\,
LTVRB 11, 557
ou bien il met a nu ses muscles et ses grands os. Son sang fr^
mit corome Tonde ou Ton plonge un fer cliaud. Un poison bri^Iant
le consume. La ne s'arr^le point le mal. Des flammes avides d^
Yorentses entrailles ; une sueur noire coule de tous ses membres.
Ses nerfs embrases petillent, et le venin cache fond la moelle de
ses os. Alors, levant ses bras au ciel , flercule s^^crie :
« Jouis de mesmaux, crucUe Junon; jouis-en, et contemple mon
supplice du haut des cieux. Rassasie ton coBur barbare ; ou, si je
puis inspirer de la piti6, m^me a une ennemie (je sais combien
tu me hais), delivre-moi d'une vie en proie a d'horribles tour-
raenls, d'une vie qui m'est odieuse, et qui fut, d^s son aurore,
condamnee a tant de travaux. La mort sera un bienfait pour moi,
et ce bienfait sera digne d'une mardtre. Oui, j'ai immol6 iiusiris,
qui souillait les temples du sang de ses h6les ; j'ai ravi au terrible
Antee les forces que lui donnait sa mere ; je n'ai ^te effraye ni des
trois corps du berger d'Ib6rie, ni de ta triple gueule, Cerbere,
N'est-ce pas vous, mes bras, qui avez bris6 les comes d'un tau-
reau redoutable?L'filide, les ondes du Stymphale et la foret de
Parlb^nie ont vu vos exploits. Cest votre courage qui a enleve sur
Aut laceros artus, et grandia detegit ossa.
Ipse cruor, gelido ceu quondam lamina candens 170
Tincla lacu, slridit, coquiturque ardente veneno.
Nec modus est : sorbent avidte prxcordia flammffi,
Gffiruleusque fluit toto de corpore sudor,
Ambustique sonant nervi, csecaque medullis
Tabe liquefactis, tendens ad sidera palmas : 175
* Cladibus, exclamat, Saturnia, pasccre, noslris;
Pascere, et hanc pestem spccta crudelis ab alto ;
Corque ferum satia ; vel si miserandus et hosti
(Hostis enim libi sum), diris cruciatibus segram,
Invisamque animam, natamque laboribus, aufer. 180
Hors mihi munus erit : dccet hsc data dona novercam.
Ei^o.ego foedantem peregrino templa cruore
Busirin domui; saevoque alimenta parentis
Antaeo enpui ; ncc me pastoris iberi
Forma triplcx, ncc forma triplex tua, Ceibere, movit. 18S
Vosne, manus, validi pressistis cornua tauri?
Vebtrum opus Elis habet, veslrum styrophaUde% \uid^,
VMiheoiumque neoiusi vestra rirlule TeUlu&
558 HETAMORPIIOSES.
les bords du Thermodon un baudrier d'or, et les fruits mal gard^
par un dragon vigilant. Ni les Centaures, ni le sanglier qui d^vas-
tait l'Arcadie, n'ont pu me resister. L'hydre elle-m^me ne trouva
de secours ni dans ses t^tes qui croissaient sous mes coups, ni
dans ses forces renaissantes. Rappellerai-je les chevaux de Thrace
engraisses de sang humain? J'ai vu leurs creches remplies de
membres mutiles ; je les ai vues et je les ai dispers^es ; j'ai tue ces
chevaux avec leurs raaitres. Mes bl*as ont etouffe le formidable lion
de N^mee. Ma t6te a porte le ciel. L'impitoyable epouse de Jupiter
s'est fatigueede m'imposer ses ordres, et moi, je ne mesuis point
lasse de les accomplir. Mais aujourd'hui, j'ai affaire a un nouvel
ennemi que je ne puis repousser, ni par ma valeur, ni par mes
fl^hes, ni par mes armes. Un feu rongeur parcourt tout mon
corps, et consume mes entrailles. Eurysthee triomphe, et les
mortels croient encore a Texistence des dieux. »
II dit, et, dechire par la douleur, il erre sur le sommet de Tffita,
tel qu'un tigre qui emporte un javelot dans son flanc, et cherche
le chasseur qui Ta frappe. Souvent il pousse des gemissements,
souvent il fremit. Tantdt il veut mettre en lambeaux le tissu fatal,
Thermodontiaco caelalus balteus auro;
Pomaque ab insomni male custodita draconc. 190
Nec mihi Centauri potuere resistere, nec ml
Arcadiae vastator aper. Kec profuit hydrae
Crescere per damnum, geminasque resumere vires.
Quid ? quum thracas equos, humano sanguine pingues,
Plenaque corporibus laceris praescpia vidi, 195
Visaque dejeci, dominumque, ipsosque peremi.
Ilis elisa jacet moles nemeaea lacertis.
Hac coelum cervice tuli. Defessa jubendo est
Saeva Jovis conjux; ego sum indefessus agendo.
Sed nova pestis adest, cui nec virtule resisti, !200
tiec telis armisve potest : pulmonibus crrat
Ignis edax imis, perque omnes pascilur arlus.
At valet Eurystheus, et sunt qui credere possint
Esse deos? »
Dixit, perque altam saucius OBten
Haud aliler graditur, quam si venabula tigris 205
Corpore fixa gerat, factique refugerit auctor.
Saepe illum gemilus edentem, saepe frementem,
Sxpe retentantem tolas Te\m%we Nft^sVft?.,
LIVRE IX. 339
tant6t il renverse des arbres, ou bien il s'irrite contre la montagne
et tend les bras vers le ciel, oii r^gne son p^re. II aper^oit Lichas,
qui se cachait tout tremblant dans le creux ^d'un rocher. La dou-
leur exalte sa rage. « N'est-ce pas de toi, Lichas, s'ecrie-t-il, que
je tiens ce funeste present? N'es-tu point la cause de ma mort? >
Lichas tremble, paie d'effroi, et d'une voix timide il cherche a se
justifier. Mais, tandis qu'il s^excuse et s^apprMe a embrasser ses
genoux, Alcide le saisit, le fait tourner trois ou qualre fois dans
les airs, et d'un bras plus vigoureux que la baliste, il le jette dans
les flots qui baignenl TEubee. Lichas durciten traversant Tespace :
comme la pluie, condensee par la froide haleine des vents, se
change en neige, et comme la neige forme, en toumoyant, des
globules qui retombent en gr^Ie; de mSme, quand Lichas est
lanc^ en Tair par le bras nerveux d^Hercule, la peur giace son
sang, tous les principes humides de son corps se dess^chent,
et il devient, selon Tantique tradition, un rocherinsensible. Au-
jourd^hui m6me, c'est un petit 6cueil qui s^el^ve dans la mer
d'Eubee et conserve des vesliges de la figure humaine. Les navi-
gateurs craignent de le heurter, comme sMl avait encore le senti-
Sternentemque trabes, irasceatemque videres
Montibus, aut palrio tendentem brachia coelo. 210
Ecce Lichan trepidum, et latitantem rupe cavata
Aspicit; utque dolor rabiem coUegerat omnem :
« Tunc, Licha, dixit, feralia dona tulisti?
Tunc meo} necis auctor? » Tremit ille, pavetque
Pallidus, el timide verba cxcusantia dicit. 215
Dicentem, genibusque manus adhibere parantem,
Corripit Alcides, et terque quaterque rotatum
Mittit in euboicas, tormento fortius, undas.
Ille per aerias pendens induruit auras.
Utque ferunt imbres gelidis concrescere ventis, 220
Inde nives fieri, nivibus quoque moUe rotatis
Adstringi, et spissa glomerari grandine corpus;
Sic illum validis aclum per inane lacerlis
Essangunmque metu, nec quidquam humoris habentem,
In rigidas versum silices prior edidit setas. 225
Nunc quoque in euboico scopulus brevis emicat alte
Gurgite, et humanic servat vestigia (ornvtB.
Quem, quasi seDsnrum, oautie calcare 'vetetiW»,
SiO U^TAMORPHOSES.
mexiiy et l'appellent toujours Lichas. Mais toi, illustre fils de Jupi-
ter, tu abats les arbres du superbe (Eta, tu construis un bticher
et tu pries le fils de Poean de recevoir ton arc, ton large carquois
et tes fl^hes destin^s a revoir liion. Par les mains de ce fidele
serviteur, le feu est mis au bi!icher ; et, tandis que la flamme le
consume, tu places sur le bois entasse la depouille du lion de
Nto^e et la massue ou ta t6te repose avec la serenit^ d'un con-
vive assis a un banquet, le front couronne de fleurs, au milieu de
coupes pleines de vin.
APOTH^OSE d'hERGULE.
IV. Deja la flamme victorieuse petillait et de toutes parts em-
brasait le bucher : elle attaquait Timpassible heros, qui semblait
en mepriser les atteintes. Les dieux tremblaient pour le vengeur
du monde. Le fiis de Satume voit leur douleur, et, d'un air joyeux»
ii leur parle ainsi : « Dieux immortels, vos alarmes me comblent
d*allegresse. Je me felicile vivement d'6tre appele le pere et le
roi d'un peuple reconnaissant. Mon fils trouve un nouvel appui
Appcllantque Liclian. At tu, Jovis inclyta proles,
Arboribus csesis, quas ardua gesserat (Etc, 250
Inque pyram structis, arcus pharetramque capacem,
Regnaque visuras iterum trojana sagittas
Ferre jubes Poeante satum. Quo flamma minislro
Subdita, dumque avidis comprendilur ignibus agger,
Congeriem silvi» nemeaeo veliere summam 23i>
Sternis, et imposita clavo) ccrvice recumbis,
Ilaud alio vullu, quam si conviva jaceres,
Inter plena mcri redimitus pocula SL-riis.
HERCDLIS APOTUEOSIS.
IV. Jamque valens, et in omne latus diffusa sonabat,
Sccurosque artus, conlemptoremque petebat 240
Flamma suum. Timuere dii pro vindice terrae.
Quos ita (sensit enim), laelo saturnius ore
Jupiter alloquitur : « Noslra esl timor istc voluptas,
0 Superi ! toloque libens mihi p»etore gralur,
Ouod memoris popu\\ dicor TecV.ovi\uo. v^^^H^.^ 245
Ei mea progenies vesVro (v>3^o<\.\x<i WiV«c l^\o\ft <iA,
LIVRE n. 3ii
dans TOtre tendresse. II doit sans doute cet int^rSt k d'incroyables
travaux ; mais je ne vous en remercie pas moins. Que votre d^
Touement bannisse de vaines craintes et meprise les feuxde TCEta.
Celui qui a tout vaincu les vaincra aussi. Ils d^truiront ce qu'il
tient de sa mere ; mais ce qu^il a re^u de moi est 6ternel, impe-
rissable, inaccessible a la mort comme a la flamme. Quand i|
aura termine ses epreuves sur la terre, je Tadmettrai au celesle
sejour, et, je Tespere, vous en serez tous satisfaits. Si par basard
une divinit^ voyait avec peine Hercule place au rang des dieux,
elle pourra ne pas applaudir d'abord au destin que je lui r^serve ;
mais elle reconnaitra plus tard combien ce b^ros en est digne, et
elle m'approuvera malgre elle. » Les Immortels exprimerent leur
assentiment. L'epouse du roi des dieux parut elle-mSme Fentendre
sans peine ; toutefois eUe fron^a le sourcil au moment ou elle se
irit atteinte par ses dernieres paroles. Cependant la fiamme avait
d^vore ce qu'elle pouvait detruire : les traits d'Hercule n'etaient
plus reoonnaissables. Tout ce qu'il avait regu de sa m^re avait
disparu, et il ne conservait que ce qu'll tenait de Jupiter. Comme
le serpent, rajeuni sous une peau nouvelle, aime h ^taler le vif
Nam quaoquam ipsius dalur hoc immanibus actis,
Obligor ipse tamen. Scdcnim ne pectora vano
Fida metu paveant, cetsas spernile flammas.
Omuia qui vicit, vincet, quos cernilis, ignes; 250
Nec nisi materna Vulcanum parte potentem
Sentiet : seternum est, a me quod traxit, et expers
Atque immune necis, nuUaque domabile flamma.
Idque ego defunctum terra cceleslibus oris
Accipiam, cunctisque meum laetabile factum fSl^
Dis fore conlido. Si quis tamen Uercule, si quis
Forte deo dolilurus erit, data prsmia nolet;
Sed meruisse dari sciet, invitusque probabit. »
Assensere dii; conjux quoque regia visa est
Csetera non duro, duro tamen ultima vultu 260
Dicta tulisse Jovis, seque indoluisse notatam.
Interea quodcumque fuit populabile flammae
Mulcibcr abstulera.t, nec cognoscenda remansit
Herculis effigies, nec quidquam ab imagine ductum
Matris habet; tanlumque Jovis vestigia scrvat. 2C5
Utque novub scrpens, posita cum pelle senecVi^
luxiuiare solet, squainaque virere leceiiU;
342 UETAMORPHOSES.
eclat dont brillent ses ecailles, le h^ros de Tirynthe, degag^ de
sa depouille mortelie, vit dans la meilleure partie de lui-mSme :
il grandit et semble rev^tu d'une majeste divine. Le souverain
mailre des cieux i'enveloppe de nuages, remporle sur un qua-
dpige, et le place parmi les astres radieux.
ALCm£;NE RAGONTE A IOLE SON ACGOUCHEMENT LABORIEUX. — GALANTHIS
MI^TAHORPHOSEE EN BELETTE.
V. Atlas sentit un nouveau poids. Cependant Eurysthee n'avait
pas encore assouvi son ressentiment, et nourrissait contre le fils
du heros la haine implacable qu'il avait couQue contre son pere.
Tourmentee par d'eternelles inquietudes, Alcmene ne peut desor-
mais confier qu'a lole les chagrins de sa vieillesse ; c'est a elle
seule qu'elle peut raconter ses malheurs et les exploits de son fils
qui ont eu pour t^moin Tunivers. Par Tordre dJHercule, Hyllus la
reQut dans sa couche et lui donna son coeur. Elle portait deja
dans son sein le fruit de leur mutuel amour, lorsque Alcmene lui
parla ainsi : « Puissent les dieux f^tre propices, et abreger tes
douleurs au moment ou, parvenue au terme de ta delivrance,
Sic, ubi morlales Tirynthius exuit artus,
Parte sui meliore vigct, majorque videri
Gcepit, et augusla fieri gravitate verendus. 270
Quem pater omnipolens inter cava nubila raplum
Quadrijugo curru radiantibus inlulit astris.
ALCUENA lOLJE NAllRAT DIFFICILEM PARTUM SUUM. — GALANTUIS
IN MDSTELAM MUTATUR.
V. Sensit Atlas pondus; neque adhuc stheneleius iras
Solverat Eurystheus, odiumque in prole paternum
Kxcrcebat atrox. At longis anxia curis 275
ArgoHs Alcmene, questus ubi ponat aniles,
Cui referat nati teslalos orbe labores,
Cuive suos casus, lolen habet. Herculis illam
Imperiis, thalamoque animoque recepcrat Hyllus,
Impleratquc uterum generoso germine. Cui sic 280
Incipit Alcmene : « Faveant tibi nuraina saltem,
Corripiantque moras, lum «vuwm tft«X\«^ Not^\vv%
LIYRE IX. 343
tu invoqueras la deesse protectrice de la matemit^ craintive, Ili-
thyie, qui, pour gagner la faveur de Junon, fut impitoyable envers
moi ! D6ja approchait le jour de la naissance d^Alcide, condamn^ a
tant de travaux ; deja, sous le char du soleil, disparaissait le dixieme
signe, et je sentais mes flancs oppresses par un si lourd fardeau,
qu'on pouvait aisement reconnaitre Toeuvre de Jupiter. U m'e6t
et^ impossihle de le supporter plus longlemps. Aujourd'hui mSme,
a ce simple r^cit, l^efTroi glace mes sens ; ce souvenir est pour
moi une nouvelle douleur. Livree a la torture pendant sept nuits
et sept jours, je levais mes mains au ciel, et j'invoquais a grands
cris Lucine et les dieux qui president a notre naissance.
f EUe accourut, mais subomee par Junon et resolue de me sacri-
fier a son injuste courroux. A peine entend-elle mes gemissements,
qu'elle s'assied sur Tautel eleve a la porte de ce palais. La jambe
droite placee sur son genou gauche, elle tient ses doigts entre-
laces pour paralyser mes efforts. Elle prononce a voix basse de
magiques paroles qui different le terme de mes douleurs. Je lulte,
et, dans mon desespoir, je m'epuise en vains reproches contre
Fingratitude de Jupiter, et j'appeUe la mort. Mes plaintes auraienl
Prsepositam timidis parientibus Ililhyiam,
Quam mihi difficilem Junonis gratia fecil!
Namque laboriferi quum jam natalis adesset 285
Herculis, et decimum prcmcretur sidere signum,
Tendebat gravitas uterum mihi ; quodquc fcrebam,
Tantum erat, ut posses auctorem dicere tecli
Ponderis esse Jovem. Nec jam tolerare laborcs
Dlterius poteram. Quin nunc quoque frigidus artus, ^90
Dum loquor, horror habet, parsque est meminisse doloris.
Septem ego per noctes, totidem cruciata diebus,
Fessa mali^ tendensque ad coeium brachia, magno
Lucinam, Nixosque pari clamore vocabam.
Illa quidem venit, sed prajcorrupta, meumque 295
QuDB donare caput Junoni vellet iniquic.
Utque meos audit gemitus, subsedil in illa
Ante fores ara, dextroque a poplite lajvum
Prcssa genu, digitis inter se pectine junclis
Sustinuit nixus. Tacila quoque earmina voce 300
Dixit, et inceplos tenuerunt carmina parlus.
Nitor, ct ingrato facio convicia demens
Vana Jovi, cupioque mori, moluraque Axaas
344 m£:tamorphoses.
altendri les plus durs rochers. Les femmes thibaines, rang^es au-
lour de moi, font des vcbux et m^encouragent a supporler mes
souflrances. Parmi mes esclaves se trouvait la blonde Galanthis.
Me dans un rang obscur, elle se faisait cherir par son empresse-
ment a executer mes ordres. Elle soup^onne je ne sais quelle trame
ourdie par le ressentiment de la reine des dieux. Dans ses allees
et venues, elle aper^oit Lucine assise sur Tautel, et les mains
croisees sur ses genoux : « Qui que tu sois, lui dit-elle, felicite
f ma maitresse. Alcmene esl delivree. Devenue mere, ses voeux
« sont accompHs. » Lucine, etonnee, se leve brusquement et d6-
tache ses mains. Au m6me instant je fus soulagee. Fi^re de Tavoir
tromp^e, Galanthis se mit, dit-on, a rire. Elle riait encore, quand
ia d^esse furieuse la saisit par les cheveux, la traine, la renvei-se,
Temp^che de se relever, et change ses bras en pieds. Galanthis con-
serve son ancienne vivacite ; elle a toujours sa premiere couleur ;
mais sa forme est differente. Comme sa bouche, pour seconder
mon accouchement, avait profere un mensonge, m^tamorphosee
en belette, elle met bas par la bouclie, et, comme autrefois, eile
habite nos demeures. »
Verba queror silices. Matres cadmeides adsunt,
Votaque suscipiunt, exhortanturque dolentem. 305
Una niinislrarum, media de plebe, Galanthis,
Flava comas aderat, faciendis strenua jussis,
OfBciis diiecta suis. Ea sensit iuiqua
Nescio quid Junone geri. Dumque cxit et intrat
Saepe fores, divam residentem vidit in ara, 310
Brachiaque in genibus digitis connexa tcnentem,
Et : « Qusecumque es, ait, dominae gratarc. Lcvata est
c Argolis Alcmene, potiturque puerpera volo. » •
Exsiiuit, junctasque manus stupefacta remisit
Diva potens uleri. Vinclis levor ipsa remissis. 315
I^umine dccepto risisse Galanthida fama cst.
Ridentem prensamque ipsis dea sajva capillis
Traxit, et e terra corpus rclevare volenlem
Arcuit, inque pedes mutavit brachia primos.
Strenuitas antiqua m£net, nec lerga colorem 3:20
Amisere suum : forma est diversa priori.
QaXf quia raendaci parientem juverat ore,
Ote parit, nostrasque domos, uV. eV. ^wve, lt«,<v^^w\aX.»"»
LIYRE IX. 345
DRTOPE EST TRANSFORm£e EN LOTOS.
VI. A ces mols, Alcmene soupire, emue au souvenir de son an-
cienne esclave. lole interrompt ses gemissements : « 0 ma mere !
-si vous deplorez a ce point la metamorphose d'une etrangere,
quel sera votre chagrin en apprenant Fetrange destinee de ma
soBur, pourvu que mes larmes et ma douleur ne m'emp^chent pas
de la raconter, et n^etouffent pas ma voix! Fille unique de sa
mere (j^etais le fruit d'un premier hymen de mon pere), Dryope
fut la beaute la plus cel^bre de rCEchalie. Le dieu de Delphes el
de Deios avait triomplie de sa pudeur avanl qu^elle etit donne sa
main a Andremon, et chacun Testimait heureux de Tavoir pour
epouse. II est un lac dont les bords, inclines comme le rivage de
la mer, sont couronnes de myrtes. Sans prevoir sa destin^e, Dryope
s'y rendit, et (ce qui augmente la pitie qu^inspire son malheureux
sorl) elle allait oflrir des guirlandes aux Nymphes de ce lac. Elle
portait sur son sein un doux fardeau, son flls, qui n'avait pas
encore un an, et qu elle nourrissait de son lait. Non loin croissait
le lotos, ami des eaux, dont les fleurs ecarlates promettaient des
Dr.YOPE IN LOTON TRANSFOUMATUU.
VI. Dixil. ct, admonitu vcteris cominola ministrac,
Ingemuit. Quam sic nurus est affala gemenlem : 325
c Tc tamen, o genilrix, ajiensc sanguine vestro
Rapta movet facies. Quid, si tibi mira sororis
Fata meae referam? Quanquam lacrymxquc dolorquc
Impediunt, prohibcntque loqui. Fuit uoica matri
(Me pater cx alia genuil), nolissiraa forma 530
(Echalidum Dryope. Quam virginilate carcntom,
Vimque dei passam, Delplios DelOnque tenenlis,
Excipit Andrxmon, et habetur conjuge felix.
Est lacus, acclivi devexo margine formam
Lilloris efficiens : summum myrteta coronant. 355
Vencrat huc Dryope fatorum nescia. Quoquc
Iridignere magis, Nymphis latura coronas,
Inquc sinu pucrum, qiii nondum implcverat annuin,
Dulcc ferc1)at onus, tepidique opc lactis alebat. ,
llaud procul a stagno, tyrios imitata colores, 340
In spcra baccarum florebat aqua'\ca \olos.
340 METAMORPHOSES.
fruits abondants. Dryope en cueillit plusieurs et les domia a son
fils pour l'amuser. A son exemple, j'allais en cueillir moi-m^me;
car i'etais avec elle. Je vis des gouttes de sang tomber de ces fleurs,
et les rameaux de Farbre frissonner. Enfin, par une revelation
tardive, les bergers de la contree nous apprirent que la Nymphe
Lotis, pour echapper aux infames d^sirs de Priape, fut changde en
cet arbre qui a garde son nom.
« Ma soeur ne connaissait point cette aventure. Effray^, elle
voulait revenir sur ses pas et s'eloigner des Nymphes qu'elle venait
d'adorer; mais ses pieds prirent racine. Elle tenta en vain de les
degager : le haut de son corps put seul se mouvoir. Autour d^elle
naquit une souple ecorce qui Tenveloppa jusqu'aux reins. A cet
aspect, ma soeur voulut s'arracher les cheveux ; mais sa main se
remplit du feuilla^e dont sa t^te etait ombragee. Amphisse (c'est
le nom que Tenfant avait re^u d'Eurytus, son aieul) sentit le sein
de sa mere se durcir. Malgre ses efforls, il ne donnait plus de lait.
J-^tais temoin de ta cruelle destinee, 6 ma sceur ! etje liopouvais
te porter du secourj. J'entourai de mes bras le tronc et les rd-
meaux, et, autant que je le pus, je retardai leurs progres. J^aurais
Carpseral hinc Dryope, quos obleclaniina nato
Porrigeret, flores, et idem faclura videbar
(Namque aderam). Yidi gultas e flore crucnlas
I)ecidere, et Ircmulo ramos horrore movcri. 34S
Scilicet, ut referunt tardi nunc denique agrcsles,
Lotis in hanc Nymphe, fugiens obscena Priapi,
Contulerat versos, servato nominc, vultus.
< Nescierat soror hoc. Quse quum pcrterrita rctro
Itc, et adoratis vellet discedere Kymphis, 5S0
Haeserunt radice pedes. Coi^vellere pugnat,
Ncc quicquam, nisi summa, movet. Succrescit ab imO
totaque paulatim lentus premit iuguina corlex.
Ut vidit, conaia manu laniare capillos
Fronde manum implevit : frondes caput omne tcnebaut. 353
At puer Araphissos (namque boc avus Eurylus illi
Addidcrat nomen) materna rigescere sentit
Ubcra, ncc scquitur ducentcm lacteus humoi:.
Spectatrix aderam fati crudelis, opemque
lion poteram tibi ferre, soi^or ; quantumquc valebamj 3G0
Gfescentetn truQCum) raimoy^vie mxv^W^, mwte,
LIVnE IX. 347
▼oulu, je ravoue, disparattre sous la m^me ecorce que toi. Tout
a coup au bord du lac parurent son epoux Andremon et son pere
d&espere. Us chercherent Dryope. Tandis qu'ils la demandaient,
je leur montrai le lotos. Ils baiserent sa tige, encore chaude, et,
prosternes aux pieds de Tarbre, ils le serrerent dans leurs bras.
Enfin il ne restait en toi, ma chere sceur, rien qui n'eut rev^lu
la forme d'un arbre, exceple ton visage. Des larmes arroserent les
feuilles nees de son corps. Pendant qu'il en etait temps, et que sa
bouche laissait un dernier passage a la voix, elle exhala ces plain-
tes dans les airs :
« Si les malheureux sont dignes de foi, je le jure par les dieux,
« je ne merite point cet outrage. Je suis punie sans etre coupable.
« Ma vie fut pure. Si je mens, puisse-je devenir aride, et perdre
« mon feuillage, puisse je tomber sous la hache et servir d'ali-
« ment aux fiammes ! Gependant, detachez cet enfant des rameaux
« sortis des bras de sa mere; confiez-Ie a une nourrice. Qu'il boive
« souvent son lait sous mon ombrage, et s*y livre a ses jeux. Des
4 qu'il pourra parler, ayez soin qu'il me salue du nom de mere, et
« dise avec douleur : Ma mere est cachee sous cette icorce, Mais
« qu'il craigne les lacs, qu'il ne cueilie jamais de fleurs, et qu'il
Et, faleor, volui sub eodem cortice condi.
Ecce vir Andrsemon, genitorque miserrimus, adsunt,
Et quaerunt Dryopen. Dryopen quxrenlibus illis
Ostendi loton. Tepido dant oscula ligno, 365
Affusiquc suae radicibus arbotis hserent.
Nil, nisi jam faciem, quod non foret arbor, habebas,
Cara soror. Lacrymse misero de corpore factis
Irrorant foliis; ac, dum licct, oraque pneslant
Vocis iter, tales effundit in aera questus : 370
< Si qua fides miseris, faoc me pcr numina jurd
• Non meruisse nefas. Patior sine crimine poenam.
« Viximus innocuse. Si mentior, arida perdam,
« Quas habeo, frondes, el caesa securibus urar.
<t Hunc tamen infantem maternis demite ramis, 575
« Et date nutrici, nostraque sub arbore saepe
« Lac facitolc bibat, nostraque sub arborc ludal.
« Quumque loqui poterit, matrem facitolc salutet,
« Et tristis dicat : Latet hoc sub slipite ma(er.
f Stagaa tamea (imeat, nec carpat a\) atY^ote ^0^«%« ^^
348 METAMORPHOSES.
f regarde les arbres comme autant de divinites. Adieu, moii
• epoux, el loi, ma soeur, et toi, mon pere. Si vous eAtes pour
« moi quelque tendresse, protegez mon feuillage contre la serpe
f tranchante et la dent des troupeaux. Comme je ne puis m'incli-
« ner vers vous, approchez-vous de moi, et venez recevoir mes
« baisers; car vous pouvez me toucher encore. filevez mon fils
« jusqu^a moi. Je ne saurais parler davantage. La flexible enve-
« loppe s'etend sur mon cou d^albatre, et ma t^te disparait sous
« la cime d'un arbre. filoignez vos mains de mon front ; que F^
« corce, sans votre aide, couvre mes yeux mourants. j» Ellecessa
au m^me instant de parler et de vivre. Apr^s cette metamor-
phose, les rameaux qui venaient de nailre conserverent longtemps
un reste de chaleur. »
META)IORPnOSE D^IOLAS EK JEUNE HOMME.
Vn. Tandis qulole raconte la triste destinee de sa s(Bur, tandis
qu'Alcmene essuie de sa main les larmes de la fille d^Eurytus et
qu'elle pleure elle-m^me, un nouveau prodige apaise leur douleur.
Sur le seuil de la porte parait lolas, tel quil fut dans son adoles^
• Et frutices omnes corpus putet csse dearuni.
« Care valc conjux, ct lu gcnnana, palcrquc,
< Queis, si qua est pielas, ab acuta: vulnere falcis,
« A pccoris morsu, frondes defenditc noslras.
« Et quoniam milii fas ad vos incumbcre non cst, 385
« Erigitc Iiuc artus, ct ad oscula nostra venitc,
1 Dum tangi possum, parvumquc allollite nalum.
« riura loqui nequco, nam jam per candida mollis
« CoUa liber serpit, summoque cacuminc condor.
« Ex oculis removele manus. Sinc muncre vestro 300
« Contegat inductus morientia lumina cortcx. »
Dcsicranl simul ora loviui, simui cssc, diuquc
Corpore mutato rami calucre rcconlcs. »
lOLAS IN JUVENEW MCTATUll.
Vll. Duniquc refert lole factum miserabile, dumque
Eurytidos lacrymas admoto pollice siocat 3U5
Alcmenc, flet ct ipsa tamcn. compescuit omncni
lles nova tristitiam. Nam liraine constitit alto
Pajne puer, dubiaque legetv?» Vauvx^^vue malas
LIVRE IX. 349
cence. A peine un leger duvet ombragc s^s joues : il a repris les
traits du jeune ^ge. La fille de Junon, llebc, cedant aux prieres
de son epoux, lui avait accorde ce bienfait. Elle allait jurer qu'a
ravenir elle n'accorderait a personne la m6me faveur; mais
Themis ren emp^cha. « Deja, dit-elle, la discorde allume la guerre
au sein de Thebes. Capanee ne pourra ^tre vaincu que pai' Jupiler.
Deux freres s'entr'egorgeront. Un devin verra la terre s'entr'ouvrir,
el descendra vivant dans les enfers. Son fils, en vengeant Tau-
teur de ses jours par la mort de sa mere, se montrera en m^me
temps innocent et criminel. fipouvante de son forfait, banni de sa
patrie et frappe de demence, il sera poursuivi par le spectre des
Furies et par Fombre de sa mere, jusqu'au jour ou son ^pouse lui
demandera le fatal coUier d'or, et oii le glaive des fils de Pheg^e
sera teint du sang de leur parent. Alors enfin, la fille d'Achelotis,
Callirhoe, suppliera le puissant Jupiter d'avancer T^ge de ses fils,
encore enfants, el de ne pas laisser impunie la mort de son ven-
geur. Le roi des dieux, par condescendance pour sa belle-fille cl sa
bru, exaucera ses vceux : ses fils seront hommes des Tenfance. »
Ora reformatus primos lolaus in annos.
lloc illi dedcrat junonia muncris Ilebe, 400
Victa viri prccibus. Quaj quum jnrare pararct
Dona tributuram posthac sc talia nulli,
Non cst passa Themis : « Nam jam discordia ThcbaB
Bclla niovcnt, dixit, Capaneusque nisi al) Jove vinci
Ilaud poterit, ibuntque pares in vulnera fratres. 405
Subductaque suos mancs tcllure videbit
Vivus adhuc vates. Ultusqjie parentc parcntem
Natus, erit facto pius rt scelcratus eodem.
Attonitusque maiis, cssul mentisque domusque,
Vultibus Eumenidum, matrfBtpie agit-jbitur umbris, 410
Donec eum conjui fatale poposccrit aurum,
Cognatumque latus phegeius hauserit ensis.
Tum demum magno pelet hos acheloia supplex
Ab Jove Callirhoc natis infantibus annos
Addat, ncve necem sinat esse uUoris inullam. 15
Jupitcr his motus, privignaB dona nurusquc
Prtccipict, facielqne viros impubibus annis. ^
^LV^
m
mxAMosipmsE m eveus ejh fostainb.
VIII, A ycine Tliemis, nui lit dans ravenir, a-t-alle proiiautid
ces paroles propheliqiies, que des murmur^s s'elevcnt pmmi les
Iniraorlels, *i Poiirquoi ne serait-iJ point ptTniis d'accorder a d'au-
Iresla m^rae faveur? * repetent mille voix confuses. La so&ur de
Pallas se plaiut de la vicillesse de son epoux ; la bienfaisante C^r^
yemit tie voir Iiision blandii par le^ annces ; Vulc-aindemaiide quc
la vie recoramence pour Erichthonius ; Venus elle-m^me slnquiete
pour raifenirT el vcul que h jeunesse soit rendue a Anchise. Chaque
dieu a des favoris qu^il prolege* Tant d'inter^Ls accroissent Je
tiwble Gl le bruil. Eniin Jupiler fail entendre cesmols ; « Si vous
avez quclque ro^pect pour moi, a quoi bon ce lunmlte ? Qui de
vous tuoit pouvoir triornpher du Deslin? C*est par lui qu'Iolas a
retrouveses premieres annees; c'est par lui que le$ enfants de
Callirboe vont aiTiver i\ k forcc de Psige. Mais ils n'oiit obleiiu ce
bieiif^ut ni parla brigue ni par les armes. Vous aussr, vous ^teSj
coninie moi, sons la loi du Desiin : c'est une raison pour vous
d'etoufler vos plaintes. Si je pouvais changer ses decrets, mon fils
fiaque ne serait plus courbe sous le poids des ans ; un printenips
BYBLIS IN FONTEM CONVERSA.
Vlll. Uacc ubi faticano venturi praescia diiit
Ore Themis, vario Superi sermone fremebaut,
Et, cur non aliis eadem dare dona liccret, 4*20
Murmur erat. Queritur veleres Pallantias annos
Conjugis esse sui; queritur canescere milii
lasiona Ceres; repetitum Mulciber sevum
Poscit Erichthonio; Vcnerem quoque cura fuluri
Tangit, et Anchisaj renovare paciscitur annos. 4'2o
Cui studeat, deus omnis habet, crescitque favore
turbida sedilio, donec sua Jupiler ora
Solvit, ct : •» 0 nostri si qua est reverentia, dixit,
Quo ruitis? Tantumne sibi quis posse videtur, .
Fata quoque ul stipjret? Fatis lolaus iu annos, 43()
Quos egit, rediii; Falis juvenescere debcnt
Callirhoe gcuili; non ambitione, ncc armis.
Vos etiam, quoque hoc animo meliore fcratis,
He quoque Fata regunt. Quae si mutarc valerem,
Nec noslrum seri curvarent ifiacon anni, 435
LIVRE IX. 351
^ternel brillerait sur le front de Rhadamanthe et de mon cher
Minos, qui, glace par la vieillesse, est en Ijutte a de cruels dedains,
et ne gouverne plus ses Etats avec la mtoe sagesse. » Les paroles
de Jupiter apaisent les dieux. Aucun n'ose se plaindre en voyant
plier sous le poids des annees Rhadamanthe, fiaque et Minos lui-
mSme. Dans sa jeunesse, Minos avait, par son nom seul, porte la
terreur chez des peuples puissants ; mais alors, affaibli par Tage,
il tremblait devant le fiis de Deionee, Milet, fier de sa vigueur et
du sang d^Apollon. II craignait que ce jeune audacieux ne ren-
versSt son trdne ; et cependant il n'osait T^loigner de ses Elats.
Tu t^enfuis spontanemenl, 6 Milet ! tu sillonnas la mer Egee sur
un rapide navire, et tuelevas en Asie une ville qui prit le nom
de son fondateur.
La, sur les bords sinueux quebaigne son pere, errait la fille du
Meandre qui se replie mille fois sur lui-m6me, Cyane, celebre par
sa beaute. Elle s^offrit a tes regards, et bientot tu la rendis mere
de deux enfants, BybUs et Caunus. Byblis,T)ar son exemple, ap-
prend a son sexe a ne bruler que de feux legitimes. Elle concut
pour son frere une ardeur impure, au lieu de Taimer comme une
Perpetuumque aevi florem Rhadamanthus haberet,
Cum Minoe raeo, qui propter amara senectae
Pondera despicitur, nec, quo prius, ordinc regnat. »
Dicta Jovis movere deos; nec sustinet ullus,
Quum videant fessos Rhadamanthon, et iEacon annis, 440
Et Kinoa, queri, qu-i, dum fuit integer aevi,
Terruerat raagnas, ipso quoque nomine, gentes.
Tunc erat invalidus, Deionidenqve juventaj
Robore Milelum, Phoeboquc parente supcrbum,
Pertimuit; credensque suis insurgcre regnis, 445
Ilaud tamen est patriis arcere penalibus ausus.
Sponte fugis, Milete, lua, celerique carina
i^gxas metiris aquas, et in Aside tcrra
Mcenia constituis, positoris habentia nomen.
Hic tibi, dum sequitur patriic curvamina ripJB 450
Filia Maiandri toties redeuntis codem,
Cognila Cyanee, praistanti corpore Nymphe,
Byblida cum Cauno prolem est enixa gemellam.
Byblis iu cxcmpio est, ut ament concessa pueUcc.
Byblis apoUinei correpta cupidine fralris, ^Ksb
Pion soror ut Aalrera, ncc qua debebal, ama.\*\\..
552 MfiTAMORPHOSES.
soeur.. D^abord la nature de sa flamme lui echappe ; elle ne se croil
point criminelle en donnant souvent des baisers aCaunus, ou en
le serrant dans ses bras. Longtemps sa tendresse de soeur est
pour elle une illusion trompeuse. Peu a peu elle degenere en
amour. Pour voir son frere, elle se pare et d(&sire trop de paraitre
belle a ses yeux. Une beaute qui Teclipse est-elle pres de lui, son
coeur s'ouvre a-Ia jalousie. Cependant elle ne se connait pas bien
encore. En proie a de telles ardeurs, elle ne forme point de voeu;
mais l'amour bouillonne dans son coeur. Enfm elie appelle Caunus
son maitre, et elle hait le nom de frere. EUe aime.mieux que
Caunus la nomme Byblis que sa soeur. Cependant elle n'ose, tan-
dis qu^elle veille, ouvrir son kme a une espgrance coupable. Mais,
quand elle goute les douceurs du sommeii, souvent elle voit celui
qu^elle adore. Elie se croit aussi dans les bras de son frere, et
rougit, quoiqu'elle dorme encore.
A son reveil, elle garde longtemps le silence. Elle airae a se
retracer 1'image qui Ta charmee en songe, et de son coeur troubl^
s'^happenl ces mots : « Infortunee ! Que signifie ce r6ve de la nuit?
Puisse-t-il ne point se reahser ! Mais pourquoi ai-je vu ces images?
Des yeux prevenus sont forces de rendre temoignage a sa beaute.
Illa quidem primo nuUos intelligit ignes,
Nec peccare putat, quod ssBpius oscula jungat,
Quotl sua fraterno circumdet brachia coUo;
Mendacique diu pietalis fallitur umbra. i6()
Paulatim declinat amor, visuraque fratrem
Culla venit, nimiumquc cupit formosa vidcri;
rt si qua est illic formosior, invidct iili.
Sed nondutn manifesta sibi est; nuUumque sub illo
Igne facit votum, verumtamen acstuat intus. 4C5
Jam dominum appellat, jam nomina sanguinis odit,
Byblida jam mavult, quam se vocet ille sororcm.
Spes tamen obsccnas animo demitlere non est
Ausa suo vigilans. Placida resoluta quiele
Saepe videt quod amat. Visa est quoque jungere fratri 470
Corpus, et erubuit, quamvis sopita jacebat.
Somnus abit. Siiet illa diu, repetitque quietis
Ipsa suaj speciem, dubiaque ita mente profatur :
« Me miseraml tacvle c\uvd vult sibi noctis imago?
Quam noUm rala s\l\ Cut \\«it e^o ?»o\ws\\;si n\^\^. 47o
Ille quidem esl ocuXis cvviamNVs iottcvo^w^ w:\oj\\%\
LIVRE IX. 353
II me plait, et, s'il n'etait mon frere, je pourrais Taimer : il serait
digne de moi. Mais mon titre de soeur nuit a mon amour. Pourvu
que mon delire n^egare point mes esprits quand je suis eveillee,
puisse le sommeil m^offrir souvent de telles images I Un songe est
sans temoins, mais il n'est pas sans volupte. 0 V^nus ! 6 Gupidon !
toi qui voltiges aupres de ta tendre mere, queilejoiej'ai gouteel
Dans quel trouble m'ont jetee ses visibles atteintes! Comniie j*ai
senti mon coeur se fondre de plaisir ! Quel souvenir delicieux !
Cependant ce plaisir a ete bien rapide! Elle a 6le bien courte,
cette nuit jalouse de ma felicite ! Que je voudrais changer de nom
pour m^unir a toi! Que je souhailerais, Caunus, 6tre la bru de ton
pere ! que je souhailerais te voir ie gendre du mien ! Ah ! plut aux
dieux que tout fut com:nun entre nous, excepte nos anc^tres ! Je te
voudrais ne d'un sang plus illuslre que le mien ! Je ne sais quelle
femme tu rendras mere, 6 toi que tantde beaute decore ! Pour moi,
malheureuse, quoique une falale destinee nous ail donne les m6mes
parents, tu ne seras jamais qu'un frere. Nous n aurons de com-
mun que ce qui nuit a mon amour I Que me presagent donc ces
visions? Quelle confiance dois-je ieur accorder? Lessonges ont-ils
jamais eu de 1'importance? Que les dieux me soient propices ! ils
£t placel, et possum, si non git frater, amare;
Et me dignus erat : verum nocet esse sororem.
Dummodo tale nihil vigilans commiltere tenlem,
Sj[^pe licet simili redeat sub imagiue somnus. 480
Testis abest somno, nec abest imitata voluptas.
Troh Venus, ct tenera volucer cura matre Cupido!
Gaudia quanta tuli ! Quam me manifesla libido
Contigit! Ut jacui totis resolula medullis!
Ut meminisse juval! Quamvis brevis illa voluptas, 485
Noxque fuit praecops, et cceptis invida noslris.
0 ego, si liceat mutalo nomine jungi,
Quam bene, Taune, tuo poteram nurus esse parenli!
Quam bene, Cauue, meo poteras gener esse parenti!
Omnia, di facerent, csscnt communia nobis, 490
Praeter avos: lu me vcllem gcnerosior esses.
Nescio quam fucies igilur, pulchcrrimc, matixm;
At mihi, quae male sum, quos tu, sortita parentcs,
Nil nisi frater eris : quod obcsl, id habebimus unum.
Quid mihi signilicant ergo mea visa? Quod autcm Aft^
Sorania pondus habenl? An habeul el sowviviai ^oMu^^l
554 M*TAMORPIIOSES.
onl aime leurs soeurs. Salurne s'est uni a sa parenle Opis, rOc6an
a Tethys, et le roi des cieux a Junon. Mais les dieux ont des pri-
vileges. Pourquoi comparer a leurs destins les destinees hu-
maines et rapprocher des unions si differentes des n6tres ? Ou je
bannirai de mon coeur cette flamme illegitime, ou, s'il m'est im-
possible de Teteindre, puisse-je mourir avant d'6tre criminelle!
Que la tombe devienne mon lit nuptial, et que mon frere couvre
de baisers mon cercueil ! Apres tout, il faut pour cette alliance le
concoiirs de nos cceurs. Supposons qu'elie me plaise, »e lui par
raitra-t-elle pas uacrime?Cependant les fils d'£oIe os^rent par-
tager la couclie deleurs sceurs. Mais commentlesais-je? pourquoi
m^appuyer de leur exemple? Oii s'egare mon delire? Disparaissez,
feux impurs I Je veux aimer mon frere comme il est permis a une
soeur. Si le premier il eut bruI6 pour moi, peUt-^lre aurais-je
pu ceder a sa flamme. Je n'aurais point rejele ses instances,
et jlrais solliciter son amour ! Mais, Byblis, pourras-tu parler?
pourras-tu lui declarer ta passion? Oui, Tamour triomphe : un
aveu me sera possible. Si la honte enchaine ma langue, une lettre
mysterieuse lui devoilera mes feux secrets. »
Dl melius! (ii neinpe suas habuere sorores.
Sic Saturnus Opim, junclam sibi sanguine, duxit,
Oceanus Tcthyn, Junoncm rector Olyrapi.
Sunt Superis sua jura. Quiti ad coelestia ritus oOO
Exigtre humauos, diversaque fcedera lento?
Aut noslro vetitus de corde fngabitur ardor;
Aut, hoc si nequeo, peream, precor, ante, toroquc
Morlua componar, positoeque det oscula fratcr.
Et .tamen arbitrium quarit res ista duorum. W.*
Finge placere mihi • scelus csse vidcbitur illi.
At non .^olidai lha\pmo5 timuere sororum.
Unde sed hos novi? Cur hsBC exempla paravi?
Quo feror? Obscenoe procul hinc discedile flammsD;
Nec, nisi qua fas est germana), frater ametur. lAO
Si tamcn ipse niei capLus prior csset amore,
Forsilan illius possem indulgcre furori.
Krgo ego, qune fueram non rojeclura pclentem,
Ipsa pclatn? potcrisnc loqui? poforisne faleri?
Cogit amor; polero •. ve\, sv vudor ora lencbit, i^»1->
Litlcra cplalos arcana VaVcXAVuT \^tvfts,.M
LIVRE IX. 555
Ce dernier parti remporte et fixe son esprit incertain. Elle se
rel^ve, et, s'appuyant sur son bras gauche : « Qu'il juge lui-meme,
(lit-elle. Apprenons-lui mon amour inseuse. Helas ! ou me lais-
se-je entrainer? ^Juelles ardeurs s'aliument dans mon ame? » Sa
main droite tient un stylet, et sa gauche des tablettes. Enfm d'une
main tremblante elle se prepare a tracer un aveu reflechi. Elle
commence et chancelle ; elle ecrit et se condamne ; elle recom-
mence, efface, change, blame, approuve, prend tour. a tour et
reprend ses tablettes. Elle ne sait ce qu'elle veut, et tout ce qu'elle
va faire lui deplait. Son front reflete tout ensemble la pudeur et
Taudace. Elle avait ecrit le nom de soeur ; mais elle croit devoir
Teffacer. Apres divers essais, elle grave ces mots sur la cire :
« L'amante qui fadresse ses voeux ne peut vivre que par toi.
EUe rougit, helas! elle rougit de dire son nom. Si tu me de-
mandes ce que je veux, je voudrais laisser deviner ma pensee sans
trahir mon nom; je voudrais voir mes desirs exauces avant que
Byblis fut connue. Mon coeur est blesse. Tu as pu le reconnaitre h
mes traits pMes et amaigris, a mes yeux souvent baignes de lar:
mes, a mes soupirs que rien ne semblait provoquer, a mes em-
Haec placet, hsec dubiam vincit sentenlia mentem.
In lalus erigitur, cubitoque innixa sinistro :
« Viderit; insanos, inquit, fateamur amores.
Hei mihi ! quo labor? quem mens mea concipit ignem? »• 520
Dexlra tenet ferrum, vacuam tenet altera ceram,
£t meditala manu componit verba trementi.
Incipil, et dubitat; scribit, damnatque tabcllas ;
Et notat, et delet; mutat, culpatque, probatque ;
Inque vicem sumptas ponit, positasquc resumit. 525
Quid velit, ignorat. Quidquid faclura videtur,
Displicet. In vultu est audacia mixta pudori.
Scripta soror fuerat. Visum est delere sororem,
Verbaque correclis incidere talia ceris :
« Quam, nisi tu dcderis, non est habitura salutem, 530
Hanc tibi mittit amans. Pudet, ah ! pudet edere nomrn !
Et si quid cupiam quaeris, sine nomine vellem
Posset agi mea causa meo ; nec cognita Byblis
Anle forcm, quam spes votorum certa fuisset.
Esse quidem Isesi poterant tibi pecloris index, 535
El color, et macies, ct vultus, et humida Sicpe
Lumina, nec causa suspiria mola paleuU,
556 MfiTAMORPHOSBS.
brassements reit^res, et a ces baisers qui, tu Tas remarque peut-
Atre, n'etaient point d'une sceur. Cependant, malgr^ la profondeur
de ma blessure, malgre raon bruiant delire, j'ai tout fait (les dieux
en sont temoins) pour revenir a la raison. Maliieftreuse ! j'ai com-
battu longtemps pour ecliapper aux traits irresistibles de ramour.
J'ai soulenu avec courage une lutte au-dessus de mon sexe. Mais
je dois m'avouer vaincue, et implorer ton secours par de timides
voeux. Seul tu peux perdre, seul tu peux sauver une amante :
choisis. Ce n'est point une ennemie qui t'en conjure, c^est une
femme qui deja Test unie par les liens les plus etroits, et qui
aspire a une union plus intime. Laissons la morale aux vieiliards ;
qu'ils cherchent ce qu*elle permet, ce qu'elle autorise ou defend,
et qu'ils en observent toutes les lois. Notre age peut s*abandonner
librement a Tamour. Nous ignorons ce qui est legitime, et, a
Texemple des dieux, nous croyons que tout est permis. Nous n'a-
vons a nous inquieter ni de la severite d un pere, ni du soin de
notre honneur, et nulle crainte ne saurait nous arr^ler ; il nous
suffit d^ prevenir les soup^ons. Sous le voile de Tamitie fraternelle,
nous cacherons nos doux larcins. Je puis te parler en secret, et il
Et crebri amplcxus, et quae, si forte nolasli,
Oscula senliri non esse sororia possent.
Ipsa tamen, quaravis animo grave vulnus habebara, •*>iO
Quaravis intus erat furor igneus, omnia feci,
Sunt mihi di testes, ut landem sanior esscm.
Pugnavique diu violenta Cupidinis arma
Effugere infclix, et plus, quam fere puellam
Posse pules, ego dura tuli. Superala fateri *'i*;
Cogor, opemque tuam timidis exposcere votis.
Tu servare poles, tu perdere solus anianlera.
Elige, ulrum facias. Non hoc inimica ^ recalur,
Sed quie, qutim tibi sit junctissiraa, junclior csse
Expelit, et vinclo tccum propiore ligari. « 550
Jura senes norint, et quid liceatque, nefasque,
Fasque sit, inquirant, legumquc examina servent;
Conveniens Venus cst annis lemeraria nostris.
Quid liceat, nescimus adhuc, et cuncJa Hcere •
Crediraus, et sequimur magnorum exempla deorum. 555
Nec nos aut durus pater, aut reverenlia fama),
Aut tiraor impedient; lantum absil causa limendi.
Dulcia fralerno sub nonvitic ^vitvai \.e^^vt\\xs.
LIVRE IX. 357
nous est permis de nous embrasser, de nous donner publique-
ment de tendres baisers. II s'en faut bien peu que nolre bonbeur
ne soit complet. Prends piti^ d'une sa3ur qui favoue son amour.
Jamais elle n'eutfait cet aveu, si sa passion n'allait jusqu'a la fu-
reur. Prends garde que ton nom, inscrit sur ma tombe, ne rap-
pelle a jamais Tauteur de mon trepas ! »
Apres avoir ecrit ces mots, elle cherche en vain de Tespace sur
les tablettes deja remplies, et glisse une derniere ligne sur la
marge. Aussitdt elle scelle son crime d'un anneau qu'elle a mouille
de ses pleurs ; car sa langue est dessechee. La honte sur le front,
elle appelle un de ses esclaves, et, d'une voix timide et douce :
« Fidele serviteur, dil-elle, porte cos tabletles a mon... >» Cest
apres un long silence qu'elle ajoute : « frere. » Au moment ou elle
lui donne les tablettes, elles s^echappent de ses mains et tombent.
Ce presage trouble Byblis ; elle envoie neanmoins sa lettre. L^esclave
choisit Finslant favorable pour aborder Caunus, et lui remet le
mySterieux message. Tout a coup, transporte d'indignation, le
pelit-fils du Meandre jette a ses pieds les tablettes dont il n'a hi
qu^une partie ; et, retenant a peine sa main pr^te a frapper Tes-
clave tremblant : u 11 en est temps encore, vil ministre d'un odieux
Est mihi libertas tecum secreta loquendi,
Et damus amplexus, et jungimus oscula corara. I!CO
Quanlum est, quod desit! Misererc fatenti^ amorem,
Et non fassufac, nisi cogeret ultimus ardor;
Neve merere, raeo subscribi causa sepulcro. »
Talia necquicquam perarantem plena reliquit
Cera manum, summusque in margine versus adiixsit. 565
Protinus impressa signat sua crimina gemma,
Quam tinxit lacrymis : linguam defecerat liumor.
Deque suis unum famulis pudibunda vocavit,
Et pavidum blandita : a Fer has, lidissime, noslro... »
Dixit, et adjecit longo post lerapore « fratri. » 570
Quum daret, eiapsac manibus cecidere tabellae.
Omine turbala est; misit tamen. Apla minisler
Terapora nactus adit, traditque latentia verba.
Attonitus subita juvenis maeandrius ira,
Projicit acceptae, iecla sibi parte, tabellas; 575
Vixque manus retinens trepidantis ab ore mu\\%VT\\
* Dum licet, o velilaB scelerale \ib\(\vms au^iUit,
m METAMORPHOSES,
incesli*, fuis! s*^crie-t-il Si ta niort n^^enlrainait ayec elle Fop
probrp de mon nonij e!le aurait deja salisfail ma vengeance. » 11
B^eioigne epouvanU^ H nipporte a Bjblis les terribles paroles dp
Qunns Tu pAlis, Byl4is, en apprenant son refusi et dan^ ton
coDiir se repand \m Iroid glacial,
Cependant avec ses esprits elle reprend son delire. Sa langue
peut ii peine articnler ces paroies entrecoupees : « Tai nierite cet
alTront. Temeraire l pourquoi d^couTrir ma cruelle blessure? pour-
quoi me haler de contter a mes lablettes un secret qu il fallait en-
sevelir dons lc silence? Jedevais sonder sa pensee par des disconrs
equiyoques. Avaut de compter sur le secours des vents, je devais
lenr liwer eri parlie incs voiles et olBerver lenr direction. Alors
j^aurai^ p^ircouru la nicr en surete. Mainlenynt je me suis iivree a
leur iner(i sans les connailre- Aussi me ponssent-ils coutre des
ecueils. h' v^is disparaitre nu foiid flcs abimes. Mes voiJes m peu*
T«nit me ramener au port. (Jue dis-je? des presages certnins ne
liu defendaient*ils pas de ceder a mon amoui? Quand j't}rdoiinai
I rcsdave de pi^^ndre le^i lablettes, ne s'ecba[jpereut-e]les point
de mes mains? Mes esperances, des lors, ne durent-elles pas s'e-
Effnge, ait ; qui si nostrum tua fata pudorem
Non liaherent sccum, poenas mihi morte dedisses. »
IHc fugit pavidus, dominaeque ftTocia Cauni 580
Dicta refert. Palles audita, Bybli, repulsa,
Et pavet obsessum glaciali frigore pectus.
Mens tamen ut rediit, parilcr rediere furorcs,
Linguaque vix tales iclo dedit aere voces :
.« Et merito : quid enim temeraria vulneris hujus 585
Indicium feci? Quid, quaj celanda fuerunt,
Tam cito commisi properatis verba tabellis?
Antc erat ambiguis animi senlentia dictis
Prxtentanda raihi. Ne non sequeretur eunlem,
Parle aliqua veli, qualis foret aura, notare 590
Debueram, tutoque mari decurrere, quae nunc
Non exploratis implev^ lintea ventis.
Auferor in scopulos igilur, submersaque toto
ObruiClf ^oceano, neque habent mea vela recursus.
Quid?'quod et ominibus certis prohibcliar amori 50;»
Indulgere meo, tum quum mihi fcrre jubenli
Excidil, el fecit spes nostras cera caducas?
LIYRE IX. 559
vaiiouir? Ne devais-je point changer de jour et de dessein? De
dessein, non! il fallait seulement choisir un autre jour. Un dieu
m'avertissait lui-meme. Sa volonte m'etait revelee par des signes
manifestes, si la passion n'avait point aveugle mon esprit. Au Heu
de me confier k des tablettes, faurais dii parler moi-m^me et re-
veler a Gaunus mes fureurs. II aurait vu mes larmes; il aurait vu
les traits d'une amante. Ma voix eut exprime des pensees que je ne
pouvais consigner par ecrit. Malgre lui, j'aurais pu Tenlacer dans
mes bras, me prosterner a ses pieds, lui demander la vie, et
mourir a ses yeux, s'il m'eut rejetee. J'aurais tout tente. Si mes
efforts eussent echoue separement, je les aurais tous reunis pour
triompher de son coeur. Peut-^tre est-ce la faute de Tesclave charge
de mon message. II ne Faura pas aborde avec adresse; il n'aura
pas sans doute bien pris son temps ; il n\iura point saisi le mo-
raent oii son esprit etait libre. Voila ce qui nVa nui. Car il n'est
pas ne d'une tigresse ; il ne porte pas un coeur de roc, de fer ou
d'un metal plus dur encore; il n'a point suce le lait d'une honne.
II cedera : il faut le sonder encore. Non, tant que j'aurai un souffle
de vie, je ne regretterai point ce que j'ai fait. Si je pouvais reve-
ISoiinc vel illa dies fueral, vel tota volunlas,
Sed potius mutanda dies? Deus ipse monebat,
Signaque certa dabal, si noa raale sana fuissem. ^KX)
Et lamen ipsa loqui, nec me committere ceraj
Debueram, praescnsque meos aperire furores.
Vidisset lacrymas, vultus vidisset amantis.
Plura loqui poteram, quam quaj cepere labella;.
Invito potui circumdare brachia coUo, (JOli
Amplectique pedes; affusaque poscere vitam;
Et, si rejicerer, potui moritura videri.
Omnia fecissem; quorum si singula durani
Flectere non poterant, potuissent omnia, n enlcm.
Forsitan et missi sit qusedam culpa minislri. 610
Non adiit apte; non lcgit idonca, credo,
Tempora; nec petiit horamque animumquc vacauttm.
Haic nocuerc raihi. Neque enim de tigridc nalus,
Nec rigidas siiices, solidumve in peclorc fcrrum^
Aut adamanla gerit, nec lac bibit illc leain.T. «15
Vincetur : repetendus erit ; nec taedia caipti
Ulia mei capiam. dum spiritus islc maiiieVA.
360 M^TAMORPHOSES.
nir sur le passe ! D'abord je n'aurais rien dii entreprendre, ensuite
je devrais renoncer a mon dessein. Mais lui-m^me (en supposant
que j'etouffe mes vojux temeraires) en gardera un ^temel sour-
venir. Si j^impose silence a mon amour, je paraitrai n'avoir senti
qu une ardeur passagere, ou avoir voulu eprouver Caunus et lui
tendre un piege. II croira que mon coeur n'a point cede au dieu
qui Ta consume et le consume encore, mais au delire des sens.
Enfin je ne puis plus paraitre innocente. J'ai ecrit, j'ai demande:
mon intention est criminelle. Quand je n'ajouterais rien, je ne
puis passer pour irreprochable. Ce qui me reste a faire est beau-
coup pour le bonheur, et bien peu pour le crime. »
EUe dit, et son esprit flotte tellement irresolu, que, tout eu
rougissant d'avoir essaye, elle veut tenter encore. Bravant toule
pudeur, la malheureuse s'expose a de nouveaux refus. Sa passion
n'a point de terme. Caunus alors fuit sa patrie pour se souslraire
au crime, et va sur une plage etrangere fonder une ville nou-
velle. La fille de Milet, dit-on, perdit completement Tusage de la
raison. Dans son desespoir, elle dechira ses vetements et se meur-
trit les bras. Enfm sa folie eclata au grand jour ; elle avoua en
Kam prunum, si facla mihi revocare liceret,
Kon coBpissc fuit : cocpta cxpugnare, secundum cst.
Quippe nec ille potest, ut jam niea vota relinquam, 620
Non tamcn ausorum scmper memor esse meorum.
Et quia desicrim, lcvitcr voluisse videbor;
Aul eliam tenlasse illum, insidiisque pctisse.
Vel cerle nou hoc, qui plurimus ussit et urit
Pectora nostra, deo, sed victa libidine credar. 0:25
Deniqne jam ncquco nil commisisse nefandum.
El scripsi, el pctii : temerata est nostra voluntas.
Ut nihl'! adjiciam, non possum innoxia dici.
Quod superest, mullum csl in vota, in crimina parvum.»
Dixit, et (incerta) tanta est discordia mentis!) 630
Quum pigcal tenlasse, libet tenlare, modumquc
Exit, et infelix committit sa?pe repelli.
Mox ubi fiuis abest, patriam fugit illc nefasquc,
Inquc pcregrina ponit nova mo^nia tcrra.
Tum vero moDstam tota Miletida mente '>o.">
Dcfecisse ferunt; tum vero a pectore vcslcui
Dcripuit, planxitque suos furibunda laccrtoj.
Jamquft palam cslde!kev\s, mtoviitfc^s^^m^^ Ca.letur
LIVRE IX. 5G1
public ses feux illegitimes. « Frustree, dit-elle, dans son attente,
eile abandonne sa patrie et des p^nates odieux pour suivre les
traces d'un frere fugitif. i» Semblable aux Bacchantes qui, le thyrse
en main, 6 fiis de Semelel celebrent tous ies Irois ans les orgies
sur rismare, Byblis parcourt les vastes champs de Bubasis, et
les fait retentir de ses cris affreux. De la elle porte ses pas errants
dans la Carie et dans la Lycie, chez les belliqueux Leleges. Deja
elle avait franchi le Gragus, Limyra, le Xanthe et la montagne ou
siege la Chimere qui a la poilrine et la t6le d'un lion, la queue
d'un serpent, et dont les flancs vomissent des flammes. Les ror^ts
avaient perdu leur parure. Lasle enfin de poursuivre ton frere,
Byblis, tu tombes sur la terre, ou flollent tes chevea<, et ton
front presse les feuilles qui jonchent le sol. Souveiit les Nymphes
du pays des Leleges essayent de la soulever dans leurs faibles
bras ; souvent elles Tengagent a mailriser son amour. Mais son
cceur est sourd a leur voix. Elle resle muette, et enfonce ses on-
gles dans le gazon qu'elle inonde de larmes. Les Naiades les
changerent, dit-on, en sources intarissables. Pouvaient-elles lui
accorder une plus grande faveur? Comme la r^sine distille d'une
Spcm Veneri», sine qua patriam, invisosque penates
Deserit, et profugi scquitur vestigia fralris. 640
Ulque tuo motse, proles semeleia, ihyrso
Ismarise celebrant repeiita tricnnia Bacchae,
Byblida non aliter latos ululasse per agros
Bubasides videce ourus; quibus iila reliclis
Caras, ct armiferos Lelegas Lyciamque pererrat. Bio
Jam Cragon, et Limyren, Xanthique reliquerat undas,
Quoque Chimxra jugo mediis in parlibus igiiem,
Pcctus et ora les, caudara serpentis habcbat
DeGciunt silvs, quum tu lassata sequendo
Procidis, et, dura positis tellure capillis, 650
Bybli, jaces, frondesque luo premis ore caducas.
Ssepe etiam Nymphae teneris lelegeides ulnis
Tollere conanlur; sajpe, ut moderetur amoii,
Prxcipiunt, surdxque adhibcnt solatia menti.
Muta jacet, viridesque suis terit unguitius herbas Goo
* Byb'is, et humectat lacrymarum gramina rivo.
Kaidas his venam, qus nunquam arcsccre posiet,
Supposuisse ferunt : quid enim dare majus habebml?
Proiinus, ut secto piceae de corUce gAU&i
562 m£:tamokphoses.
^corce que le fer a entr'ouverte, cornine le bitome s'epancbe du
sein figcond de la terre ; ou coninic, au retour du doux zephyr,
les rayons du soleil fondent les glaces de Thiver; Byblis, issue
du sang de Ph^us, se fond en larmes. EUe est m^tamorphosee
en une fontaine qui conserve son nom, et coule dans une valleey
au pied d'un diSne qui rombrage.
GHAlfGEIIEItT DE S£XB DANS IPBIS.
IX. Le bruit de cette merveille ^t peut-^tre rempli les cent
villes de la Grete, si cetle ile, par l^ m^tamorphose dlphis, n'a?ait
vu elle-m^me un prodige rdcent. ^on loin de Gnosse, dans la
vilie de Pheste, naquit Ligdus, homme d'une condition obscure,
inais de race hbre. Sa fortune n'etait pas plus brillante que
son origine ; mais ses moeurs et sa probit^ etaient a Pabri du
reproche. Sa femme allait devenir m^e et touchait au moment
de sa delivrance, lorsqu'ii lui parla ainsi : « Je forme un double
voeu : d^abord, que tes douleurs soient leg^res, et ensuite, que
tu me donnes un fiis. Une iille est une charge trop lourde pour
notre fortune. Si le Sort (puisse-je detourner un semblable mal-
UUe tenax gravida manat tellure bitumen; 660
Utve sub adTentum spirantis lene Favoni
Sole remoUescit, quae frigore constltit unda,
Sic lacrymis consumpta suis phoebeia Byblis
Vertitur in fontem, qui nunc quoque vallibus illis
Nomen babet domino}, nigraque sub ilice manat. 665
IPIIIS VIKILEM SEXUM ACCIPIT.
IX. Fuma novi cenlum creta^as forsitan urbes
Implesset monstri, si non niiracula nuper
Iphide mutata Crele propiora tulisset.
Proxima gnosiacQ nam quondam phaestia regno
Progenuit teilus, ignoto nomine Ligdum, C7U
Ingenua de plebe virum. Nec sensus in illo
Kobilitate £ua major, sed vita fideaque
Incutpata fuit. Gravidae qui conjugis aure*
Vocibus bis movit, quum jam prope partus adesset :
tt Quae voveam duo sunt, minirao ut relevere iabore, GT6
Utque marem parias. Onerosior altera sors est,
Bt Wres forluna negat. Quod ^mva<»i:^ er^o
LIVRE IX. 363
heurT) me rend p6re d'une fille, je le dis a regret (6 nalure,
pardonnel), elle perira. » A ces mots, les yeux des deux epoux
sont inond^s de larmes. Gependant elle conjure Ligdus, mais en
vain, de ne point reslreindre ainsi ses esperances. 11 reste ine-
branlable. Enfin Telethuse, accablee d'un fardeau parvenu a
son terme, pouvait a peine le supporler, lorsque, au milieu de
la nuiti elle vit ou crut voir en songe s'arr6ler devant sa cou-
che la fiUe d'Inachus, entouree de son corl^ge ordinaire. Le
croissant brillait sur son front, et une couronne d'epis dores
rehaussait son diademe royaL J^res d'elle etait raboyant Anubis,
rauguste Bubastis, Apis, inarque de diverses couleurs, le discret
Ilarpocrate dont le doigt prescrit le silence, de^ sistres, Osiris,
qu'on ne saurait trop chercher sur la terre, et le reptile etranger
dont le venin plonge dans le sommeiL Telethuse croyait veiller;
ce songe lui paraissail une realite. La deesse lui adresse ces
mots : « 0 toi que j'aime ! bannis une peine cruelle et derobe-
toi aux ordres de ton epoux. Lorsque Lucine faura delivree,
eleve ton enfant sans finquieter de son sexe. Je siiis une divinite
Edila forte tuo fuerit si femiDa partu,
Invilus mando (pietas, ignosce), necctur. »
Dixerat, et lacrymis vultum lavere profusis, , 680
Tam qui mandabat, quam cui mandata dabantur.
Sed lamen usque suum vanis Telethusa marilum
Sollicitat precibus, ne spem sibi ponat in arcto.
Ccrta sua est Ligdo senlentia. Jamque ferendo
Vix erat illa gravem maturo pondere ventr^, G^
Quum medio noclis spatio, sub imagine somni,
Inachis ante tomm, pompa comitata suorum,
Ant stetit, aut visa est. Inerant lunaria fronti
Cornua, cum spicis nilido flaventibus auro^
Et regale decus ; cum qua latrator Anubis, OUi)
Sanctaquc Bubastis, variusque coloribus Apis;
Quique premit vocem, digitoque silentia siiadet;
Sistraque erant, nunquaraque satis quiesilus Osiris,
rieoaque somniferi serpens peregrina veneni;
Quum, velut excussam somno, et manifesta videntera 0iJ5
Sic affata dea est : • Pars, o Tdethusa, mearum,
Pbne graves curas, mandalaque M\e mariti.
Hec dubita, quum te partu Lucina levaril,
ToJJere quidquid erit. Dea sttm auiiUaivis, o^ein!(\>3A
564 METAMORIMIOSES.
secourable , et j'exauce qui me prie. Tu ne te plaiiidras pas
d'avoir invoque une deesse ingrate. »
A ces mots, Isis disparait. Teletiiuse se leve, transportee de
joie, el, tendant ses mains pures vers le ciel, elle demande avec
instance que son r^ve se realise. Ses douleurs augmentent; elie
se deiivre elle-m^me de son fardeau, et Ligdus, sans le savoir,
est p<ire d'une fille. Sa mere la confie a une nourrice, et annonce
qu'elle a mis au monde un fils. Son mari le croit. La nouirice
seule est confidente de son secret. Ligdus rend gdices au ciel
qui vient d^exaucer ses voeux, et donne au nouveau-ne le nom
dlphis, son aieul. La m^re adopte avec plaisir ce nom, qui etait
commun k fun et a Tautre el qui n'etait pas une in^posture.
Par cette pieuse fraude, son mensonge reste ignore. Le vStement
d'Iphis etait celui d'un enfant mdle, et sa beaute convenait aux
deux sexes. Deja tu avais treize ans, Ipliis, et ton p^e te destinait
pour compagne la blonde lanthe, filie de Tdleste, et la plus
belle des vierges de Phestos. Aussi jeunes, aussi beaux Tun que
Fautre, ils avaient re^u des m^mes maitres les pfemi^res legons.
txorala fcro ; iiec le coluisse quereris 700
Ingralum numcu. »
Monuit, Ihalamoque reces?iU
I.aila loro surgil, purasquc ad sidcra supplcx
Crcssa maiius loUens, rata sinl sua visa prccalur.
L't dobir iuiTevil, sequc ipsum pondus in auras
£\pulit, ct natqi cst ignaro fcmina palri. 703
Jussit ali mater, puerum mentila. Fidemquc
Res liabuit, neque crat facti nisi conscia nulrix.
Vola patcr solvit, nomcnque imponit avitum.
Iphis avus fucrat. Gavisa est nomine mater,
Quod coramunc foret, nec quemquam fallcrct illo. 710
Impcrcepta pia mendacia fraude lalebant.
Cultus crat pucri ; facics, quam sivc puella;,
Sive dares puero, fieret formosus uterque.
Tcrtius intcrea decimo successerat annus,
Ouum palcr, Iphi, tihi Uavam dcspondct laulhcu : 71J)
Inlcr rhffi^liadas qux laudutissima formx
Dolc fuil virgo, «.WcVjco waVa Tclestc.
far aclas, par Corri\a ?u\V, i^yVukv^^w^ u\^\>;vb\.\\^
Accopere arles, ckmcuVa xviivu, ;j\> Vi^twv,
LIVRE IX. 505
De la naquit r^tmour qui s'empara de leurs coDurs encore no-
vices. Ils furonl frappes du m^me Irait ; mais leur espoir ^tait
diflerent.
lanllie soupirait apr^s le jour ou riiymen, allumant sonflambeau,
devait ]'unir a celie qu^elie croyait un amant. Iphis aimait c^lle
dont ]a possesslion lui etait a jamais interdite, et son desespoir
irritait sa flamme. Vierge, briilant pour une vierge, et retenant a
peine ses larmes : « Que dois-je altendre, dit-elle, moi que tour-
niente un amour inconnu jusqu'ici, Tamour le plus etrange et le .
p]us bizarre? Si les dieux avaient voulu m'epargner, ils devaient
eloigner de moi ces tortureff ; et, s'ils n'avaient pas voulu me per-
dre, ils auraient du me donner les penchaiits que la nature inspire
ordinairement aux mortels. La genisse ne recherche pas une g^
nisse, ni la cavale une cavale ; le belier suit la brebis, et le cerf la
biche. Ainsi s*accoupIent les oiseaux, et, parmi les ^tres animes,
jainais les m^mes sexes ne s*unissent. Pourquoi faut-il que je vive?
La Cr^te ne doit-elle donc produire que des monstres?La fille du
Soleil fut eprise d'un taureau ; mais il etait d'un autre sexe que
le sien. Mon amour, si j'ose le dire, est bien plus deregle. Elle
put, du moins, esp^rer ; elle put, gr^ce a la ruse, et a Timage
llinc amor ambarum tetigit rude peclus, ct auquum 7*20
Vulnus ulriquc tulit; sed erat fiducia dispar.
Conjugii pactxque cxspectat tempora taedaj,
Quamque virum pulat esse, suura fore credit lanthc.
Iphis amat, qua posse frui desperat, et auget
IIoc ipsum flaramas, ardetque in virgine virgo. 7!2>
Vixque tencns lacrymas : « Quis me manet exitus, inquil,
Cognila quam nulli, quam prodigiosa, novaequc
Cura tenet Veneris? Si di mihi parcere vellent,
Parcere debucrant; si non ct perdere vellent,
Naturale malura sallem et de more dedissenl. 730
Nec vaccam vaccae, nec equas amor urit equarum.
Trit oves aries ; sequitur sua femina cervum.
Sic et avcs cocunt; interque animalia cuncta
Femina feminco correpta cupidine nuUa est.
Vellem nulla forem, ne non tamcn omnia Cretc 75j
Monstra ferat. Taurum dilexit fiiia Solis,
Temina nempe raarem. Meus est furiosior illo,
Si verum profitemur, amor. Taraen illa secula e&C
Spcm \cnens; tamen illa dolis, el ima^me "sactoi
306 MfiTAMORPHOSES.
d'une g^nisse, associer un taureau h son delire. Ge stratag^me
devait lui livrer un amant. Mais, quand je poss^derais tous les ta*
lents du monde, quand DMale se transporterait ici sur ses ailes de
cire, que ferait-il ? Avec toutes lesressources de son art, pourrait-il
changer ma nature? Pourrait-il, lanthe, changer la tienne ? Raf-
fermis ta raison et rentre en toi-m^me, Iphis. £touffe une flamme
insensee, un amour sans espoir. Songe a ce que tu es, si tu ne
veux t^abuser encore. Aspire a ce qui fest permis; aime ce que
peut aimer une femme. L'amour nail de resperance, Tesperance
le nourrit ; mais ton sexe la tue. Ce n'est ni la captivit6 ni la sur-
veillance d*un maitre soupQonneux qui feloignent de celle que tu
aimes ; ce n'est pas non plus la severite d'un p6re. lanthe elle-
mtoe ne rejette point les voeux ; et cependant lu ne peux la
posseder. Non, quand tout seconderait les desirs, tu ne peux 6lre
lieureuse, ih^me avec le secours des hommes et des dieux. Une
partie de mes voeux est toujours chimerique ; et cependant les
dieux m'ont comblee de leurs faveurs. Ce que je souhaite est le voeu
demon pere, dlanlhe et de mon beau-pere futur; mais la Nature,
plus puissante que les dieux et les hommes, s'y oppose, et seule
elle m'est contraire. Le moment desire approche. DSja briUe le
Passa bovera est ; et erat, qui deciperelur, adultor. 740
Huc licet e toto sclertia confluat orbe,
Ipselicet revolet ceratis Daidaliis alis,
Quid faciet? Num rae pucrum de virgine doctis
Artibus efficiet? Num te mutabit, Innlhe?
Quin animum firmas, teque ipsa recolligis, Ipbi, 7iJ>
Consiliique inopes et stultos exculis ignes?
Quid sis nata vide, nisi te quoquc decipis ipsam ;
Et pete, quod fas est, et ama quod femina debes.
• Spes est, quae cipiat, spcs est, qune pascat amorcm.
Hanc tibi res adimit. Non le cuslodia caro 7Ji0
Arcetabamplexu, nec cauti cura magislri,
Non patris asperita.s, non se negat ipsa roganti.
Nec tamcn est potiunda tibi ; nec, ut omnia fianl,
Esse potes felix. ut dlque hominesque laborent.
Nunc quoque votornm pars una est vana meorum; 755
Dtque mihi faciles, quidquid valuere, dederunt.
Quodque ego, vult genitor, vult ipsa, socerque tnturus.
At non vult Natura, polenlior oinnibus istis,
Qass mihi sola aocet. Vcnit ecce oplabile tempus,
LIYRE IX. 367
joar de rhymen : lanth^ va bienf6t ^tre a moi. Mais elle ne peut
m'appartenir. Nous mourrons de soif au milieu des eaux. Toi qui
presides au noeud conjugal, Junon, et toi, Ilym^n^, pourquoi
venir a cette solennit^ ou il n'y aura point d'epoux, et ou s'uni-
ront deux vierges? »
A ces paroles succede le silence. De son cdt^, lanth^ est en
proie a d'aussi vives ardeurs. Elle te conjure aussi, Hymen^e, de
voler promptement aupr^ d'elle. Mais Teiethuse, tourment^e
d'inquietudes, voudrait ^loigner Tinstant qu'appelle Ianlh6. Pour
le difT^rer, tant6t elle pr^texte une maladie, souvent elle all^
gue des pr^sages ou des songes. Enfin les delais et les subter-
fuges sont ^puis<ls. Le terme arrive. II ne restait qu'un jour. T61e-
thuse d^tache de son front et de celui de sa fiUe le bandeau qui
retenail leurs cheveux, et les laisse flotter. Puis, embrassant Tau-
tel, elle s'ecrie : « Isis, toi qu^adoreut Paretonium, les champs de
Mareotis, Pharos et le Nil aux sept embouchures, viens a mon
aide, je t'en conjure, et dissipe mes alarmes. 0 d^esse! je Vai
vue autrefois dans le mSme^ppareil. J'ai toutreconnu : ton cor-
tege, tes flambeaux, le son des sistres, et tes ordres sont presenls
a ma pensee. Si ma fille voit le jour, si je ne suis pas punie de
Luxque juga)is adest, ut jam mea fiat lanthe ; 700
Nec mihi continget : mediis sitiemus in undi:;.
Pronnba qnid Jnno, quid ad haec, Hymenxe, venitis
Sacra, qnibus qni ducat abest, ubi nubimus ambae?*
Pressit ab his Tocem. Nec lenius altera virgo
iEstuat, utque celer venias, Hymenaee, precatur. 76fj
Quod petit baBC, Telethusa timens, modo tempora differt;
Nunc ficio languore moram trahit; omina ssppe
Visaque causatur. Sed jam consumpserat omnem
Materiam iicti, dilataque lempora taedaB
Institerant, unusque dies restabat. At illa 770
Crinalem capiti vitlam natasque sibique
Detrahit, et passis aram complexa capillis :
« Isi, Paraetonium, Mareoticaque arva, Tharonque
Quae colis, et septem digestum in comua iNilum ;
Per, precor, inquit, opem, nostroque medere timori. 77.'»
Te, dea, te quondam, tuaque haec insignia vidi,
Cunctaque cognovi; comllesque, facesque, sonumque
Sistorum, memoriquc animo tua jussanclavi.
Qaod videt hxc lucem, quod noi\ ego xtvin\QT iv^«i,
368 METAMOHPHOSES.
ravoir sauv^e, c est a tes avertissements et ii tes conseils que je le
dois. Prends pitie de nous deux et accorde-nous ton secours. »
A ces mots, elle verse des larmes. La deesse parut agiler, et
agita en effet, ses autels. Les portes de son temple s'ebi*anlent,
son croissant brille d'une clarte plus pure, son sislre resonne
et fremit. Telethuse sort du temple, sinon libre d^inquielude,
rassuree, du moins, par cet heureux presage. Iphis )a suit d'un
pas plus grand que de coutume. Son teint n'a plus le mtoe eclat;
mais ses forces augmentent, ses traits sont plus m^les, et ses
cheveux plus courts. Elle sent une vigueur au-dessus de son sexe.
En un mot, Iphis, vierge naguere, tu deviens honrnie. Portez au
temple v^s offrandes, et livrez-vous hardiment a la joie. lls
offront des presents au temple, et consacrent le souvenir de ce
prodige par ce vers concis :
nomme, Iphis acconiplit ce que, viergc, il promit.
Le lendemain, Taurore eclairait Tunivers. Venus, Junon et rHy-
menee unissaient les deux amants^ Iphis, grAce a son nouveau
sexe, possMait enfin son lanth^.
Consilium monitumque tuum est. Miserere duariim, 780
Auxilioque juva. »
Lacrymae sunt verba secutte.
Visa dea est movisse suas, et moverat, aras;
Et tempU tremuere fores, imitataque lunam
Cornua fulserunt, crepuitque sonabile sistrum.
Non secnra quidem, fauslo tamen omine Iseta 785
Mater abit templo. Sequitur comes Iphis euntcm,
Quam solita est, majore gradu ; nec candur in ore
Permanet, ei vires augentur, et acrior ipse est
Vultus, et incomptis brevior mensura capillis ;
Plusque vigoris adest, habuit quam femina. Jam, quae 790
Fcmina nuper eras, puer es. Date munera templis,
Mec timida gaudete Gde. Dant munera templis,
Addunt et titulum; titulus breve carmen habebal :
Dona puer solvit, qiix femina voverat, Iphis.
Postera lux radiis latum patefecerat orbem, 795
Quum Venus et Juno, sociosque Hymenseus ad ignes
Gonveniunt, potiturque sua puer Iphis lanthe.
LIVRE DIXlfiME
3URVD1CE EST RfeNDUE A ORPIIEE. — IL LA PEHD UNE SECONDE FOIS.
I. Des champs de la Crete rHyinen, v^tu d'une robe d'or, s'elance
dans les vasles plaines de Tair et dirige son vol vers la Thrace,
ouOrph^e invoque inulilement son appui. L'Hymen assisle a son
union avec Eurydice ; mais il ne profere point les paroles sacrees,
il ne porte ni un front serein, ni un heureux presage. La torclie
qu'il tient dans sa main pelille et repand sans cesse une humide
fumee : en vain le dieu Tagite; elle ne donne aucune clarle. Ce
presage est suivi d'un evenement plus sinistre encore. Tandis que
la nouvelle epouse court dans les prairies avec les Naiades ses
compagnes, elle meurt, blessee au talon par la morsure d'un
serpent. Apr^s Favoir longtemps pleuree sur la terre, le chanlre
LIBER DECIMUS
OnPHEO EURTDICE REDDITUR, MOXQDE ADFERTrR ITERCM,
I. ladc per immensum crocco velatus amiclu
Asra digreditur, Ciconumque Uymenseus ad oras
Tondit, ct orphea nequicquam vocc vocalur,
Adfuit iilc quidem; sed nec solcmnia vcrba,
Nec laetos vultus, nec felix atlulit omen.
Fax quoque, quam tenuit, lacrymoso stridula fumo
Usque fuit, nuliosque invenit motibus ignes.
Exitus auspicio gravior ; nam nupla per ]icrl)as
Dum nova Kaiadum tnrba comitata vagalur,
Decidit, in talum serpcnlis dente rccepto.
Quam salis ad superas posiquam iV\oAo^e\\is ^\xt\x%
370 MfiTAMORPlIOSES.
du Rhodope voulut essayer de flechir les Enfers, et osa descendre
jusqu'aux rives du Styx par la porte du Tenare. II arrive, a tra-
yers les ombres l^eres qui ont re^u les honneurs du tombeau»
devant Proserpine et le roi du tenebreux empire. Alors, mariant
sa lyre a sa voix, il s'cxprima ainsi : « Divinit^s du monde sou-
terrain ou descendent tous les mortels, si vous me permetlez de
dire la veritc, sans recourir aux artifices du discours, je ne suis
venu ici ni pour visiter le sombre Tartare, ni pour enchainer le
' monstre ne du sang de Meduse, Gerbere, dont les trois t^tes sont
heriss^es de serpents. Je suis venu chercher mon ^pouse.*Atteinte
au pied par le venin d'une vipere, elle a peri au printemps de
l\Age. J*ai voulu supporter ma douleur ; oui, je Tai tent^, je Ta-
voue. L'Amour a triomph^. Ce dieu est bien connu sur la terre.
J'ignore s'il Test egalement.parmi vous, mais je le crois. Si un
antique enlevement n'est pas une fiction de la Renomm^, l'A-
mour vous unit aussi. Je vous en conjure donc par ces lieux pleins
d^effroi, par cet immense Ghaos, par le silence de ce vaste &q-
pire, rendez-moi Eurydice, et renouez la trame d'une vie qui fut
trop t6t coup^e. Le genre humain vous est soumis. Apres un
Deflevit vates, ne uon tentaret et umbras,
Ad Styga tajuaria cst ausus descendcre porta;
Perque leves populos, simulacraque functa scpulcris,
Persephoncn adiit, inamoenaque regna tencntem i^
Dmbrarum dominum, pulsisque ad carmina nervis,
Sic ait : «0 positi sub terra numina mundi,
In quem reccidimus quidquid mortale creamur,
Si licet, et falsi posilis ambagibus oris,
Vera loqui sinitis, non huc, ut opaca viderem ^
Tartara, descendi, nec uti villosa colubris
Terna medusaci vincircm guttura monstri.
Causa vioD conjux, in quam calcata venenum
Vipera diffudit, crescenlesque abstullt annos.
Posse pati volui, nec me tcntasse negabo. 25
Vicit amor. Supera deus hic bene notus in ora est.
An sit et hic, dubilo; sed et hic tamen auguror esse.
Famaque si veterem non cst raentita rapinam,
Vos quoque junxit amor. Per ego hjEC loca plena timoris,
Per Chaos hoc ingens, vastique silentia regni, , 30
Eurydices, oro, proi>cTalft TeteiLite ttla.
Ojnnia debemur vdbia*, p;ku\um<\>\« icvoTtyW,
LIVRE X. 571
court d^ai, t6t ou tard nous accourons vers la m^me demeure;
nous y tendons tous : c'est notre demier asile. Quelle que soit
l'etendue des contr^s de la terre» toutes sont de votre do-
maine. Eurydice aussi, lorsqu'eIIe aura foumi sa carri^re mor-
telle, tombera sous vos lois. Cest un simple delai que je vous
demande. Si les Destins me refusent cette faveur, je suis r^Iu
h ne point lui survivre. Vous aurez deux victimes. »
Tandis qu'il unil ainsi sa lyre aux accents de sa voix, les pdles
ombres versent des larmes. Tantale cesse de poursuivre Tonde
fugitive, 42i roue d'Ixion demeure immobile, les vautours lie de-
chirent plus les entrailles de Tityus, les filles de B^Ius depo-
sent leurs uraes» et toi, Sisyphe, tu fassieds sur ton rocher. Alors,
pour la premi^re fois, des pleurs mouill^rent, dit-on, les joues
des Eumenides attendries par ses chants. Proserpine et le dieu du
sombre royaume ne peuvent resister a ses pri^res. Us appellent
Eurydice. Elle etait parmi les ombres recemment descendues
chez Plttton. Elle s'avance d'un pas ralenti par sa blessure. Le
chantre de Thrace la recouvre» a condition qu'il ne se retouraera
pas pour la regarder jusqu'a ce qu'il ait franchi la vall^ de Vk-
verae ; sinon, la faveur sera revoqu^e.
Serius aut citius sedem properamus ad unam.
Tendimus huc omnes, hsBc est domus ultima ; vosqiie
Humani generis longissima regna tenetis. 35
Hxc quoque, quum justos matura peregerit annos,
Juris erit vestri : pro munere poscimus usum.
Ouod si Fata negant veniam pro conjuge, certum est
NoUc redire mihi. Letho gaudete duorum. »
Talia dicentem, nervosque ad verba moVentem, 40
Exsangues flebant anima}; necTantalus undam
Captavit refugam ; slupuitque Ixionis orbis ;
Nec carpsere jecur volucres; urnisque vacanint
Belides; inque tuo sedisti, Sisyphe, saxo.
Tum primum lacrymis victarum carminc fama est 45
Eumcnidum maduisse genas. Nec regia conjux
Sustinet oranti, nec qui rcgit ima, negare.
Eurydicenquc vocant. (Jmbras erat illa recentes
Inler, et incessit passu de vulnere tardo.
Hanc simul et legem rhodopeius «ccipit heros, 5U
Ne flectat retro sua lumina, donec avernas
Eiierit valles, aul irrita dona futura«
372 m£TAHORPHOSES.
Ils gravissent, a travers le plus profond sil^nce, un sentier mon-
tant, escarp^, obscur et co.uvert de brouillards ^pais. Ddsjk ils tou-
chaient presque aux bords superieurs, lorsque Orph^e, craignant
qu Eurydice ne lui echappe, et impatient cje la Toh*, jette sur
elle un regard d'amour. Elle dtsparait au m^me instant. U lui
tend les bras, il veut se jeter dans les siens et TembrassOT. Mal*
heureux ! il ne saisit qu'un vain fantdme ! En mourant une se-
conde fois, Eurydice ne se plaint pas de son ^poux. Eh! de quoi
pouvait-elle se plaindre que de Texc^ de son amour? Adieu, lui
dit>elle d'une voix quMl pul a peine entendre, et elle rentra dins
)e sejour des ombres. En perdant de nouveau son epouse, Orph6e
resle frappe de stupeur. Tel le berger timide qui vit Cerbere
avec ses trois t^tes, dont une seule, celle du milieu, ^tait char-
gee de chaines, fut glace d^epouvante, et ne cessa de craindre^
qu'au moment oA ij^ fut m^tamorphose en rocher. Tel fut en-
core Oleims, qui voulut se charger de ton crime, malheureuse
L^th^a, trop fiere de ta beaute. Jadis unis par les plus tendres
liens, vous 6tes maintenant des rochers qui surmontent rhumide
front de rida. Orphee a beau recourir aux pri^res et s^efforcer
de repasser le Styx, Charon le repousse. Accable de tristesse, il
Carpitur acclivis per mula silentia trames,
Arcluus, obscurus, caligine dcnsus opaca;
i\ec procul abfucrant teliuris margine summa;. 55
llic, nc deficeret, metuens, avidusque videndi,
Flexit amans oculos, et protinus illa relapsa est;
Brachiaque intendens, prendique et prendere caplans,
Nil nisi cedenles ii^elix arripit auras.
Jamque iterum moriens non est de conjugc quidquani GO
Questa suo. Quid enim nisi se quereretur amatnm?
Supremumque vale, quod jam vix auribus illc
Accipcret, dixit, revolutaquc rursus codem est.
Non aliter stupuit gomina ncce conjugis OrphcHS,
Quam Iria qui timidus, medio poilante catenas, C.*)
Colla canis vidil, quem non pavor ante reliquil,
Quam nalura prior, saxo pcr corpus oborlo ;
Quique in se crimeii Iraxit, voluitquc vidcri
01«*nos psse nocens; luque o conn.sa figura»,
Infelix Lclhxa, lux; junclissima quondam 70
IVctora, nunc lapides, c\\\ov> \\uwv\da suslinol h\o.
Orantem, fruslraqwe Uctwm vv^wiwe "^cA^iwVK^wv
LIVRE X. 573
resla sept jours sur rinfernale plage, sansprendre de nourrilure.
Les soucis, les regrets et les lannes furent ses seuls aliments.
Enfin, las d'accuser la cruaut6 des dieux de r£r^be, il se retira
sur le superbe Rhodope et sur FH^mus, battu des aquilons. Trois
fois le soleil avait ramen^ la marche de i'ann^ aux limifes mar-
qu^s par les Poissons, et Orphee fuyait Tamour, soit qu'il d6-
plordt le malheur de sa premiere flamme, soit qu'il ei!it k jamais
engag^ sa foi. Plusieurs beautes Toulurent s^unir a lui. Toutes
furent indignees de ses reius. Cest lui qui apprit aux Thraces a
s'egarer dans des amours desavou^ par la nature, et a cueillir
la fleur de Tadolescence, ce printemps fugitif de la vie.
ATTS EST CnANG^ EN PIN, CTPARISSE EH CYPRES.
II. Sur ie haul d'une coUine 4tait une plaine tapiss^e de verdure,
mais depourvue d'ombrage. A peine le chantre issu des dieux y
eut-il fait r^nner les cordes de sa lyre, qu'il y vit accourir Tar-
bre de Chaonie, les peupliers nes des filles du Soleil , le ch^nc r.u
Portitor arcuerat. Seplem tamen ille diebus,
Squalidus in ripa, Cereris sine munere, sedit.
Cura, dolorque animi, lacrymseque,^ alimenta fuere.
Esse deos Erebi crudeles questus in allam
recipit Rhodopcn, pulsumque aquilonibus lla^mon.
^ertius «quoreis inclusum Piscibus annum
Finierat Titan, omnemque refugerat Orpheus
Femineam venerem, seu quod male cesserat illi,
Sive lidem dederat. Multas tamen ardor habebat
Jungere se vati ; multse doluere repulsse.
lUe etiam Thracum populis fuit auctor, amorem
In (eneros transferre mares, citraque juventam
^Xilis brove ver, et primos carpere flores.
ATTS llUTATUn IN PINUM, CTPARIS8IS IK CUPBESSmi.
II. Collis crat, collemque super planissima campi
Arca, quam viridem faciebant graminis herbs.
Umbra loco deerat. Qua postquam parte resedit
Dis genitus vates, et fila sonantia raovit,
Urobra loco venit. Non Chaonis abfuit arbos, ^^
Non nemus Heliftdam^ non fronlWros a^KiAvk^ ^\V\ik^
374 M£TAM0RPH0SES.
fronl altier, le tendre tUleul, le h^tre» le chaste laurier, le cou-
drier fragile, le frSne qui fournit des javelots, le sapin sans
nosuds, l'yeuse courb^e sous ses glands, le platane propice aux
joyeux banquets, Terable bigarre, le saule ami des fontaines, le
lotos aquatique, le buis toujours vert, la mince bruy^re, le myrte
aux deux couleurs, et le laurier-tin aux baies noires. Vous ao-
couriites aussi, lierres flexibles, vignes couronn^es de pampres,
ormeaux enlac^ de vignes, fr^nes sauvages, pic^, arbousiers
aux fhiits rouges, palmiers, dont les souples rameaux sont le
prix des vainqueurs, et toi, pin au feuillage cfGI^ et a la cime
herissee de pointes, arbre cher h la m^re des dieux, depuis
qu'Atys, pr^tre de ses autels, depouilla la forme humaine pour
se renfermer dans tes flancs. A cette for^t vint se joindre le cy-
pr^s au sommet aigu comme la bome des champs. Arbre main-
tenant, ce fut jadis un jeune homme aim6 du dieu qui manie
^alement bien Tarc et la lyre.
Dans les prairies de Garthee vivait un grand cerf, consaor^ aux
Nymphes de la contree. Son bois, tout brillanl d'or, couvrait sa tete
d'un vaste ombrage. Un collier enrichi de pierreries pendait a
Ncc tiliae roolles, nec fagus, et innuba laurus,
El coryli fragilcs, et fraxinus utilis hastis,
Enodisquc abies, curvataque glandibus ilex,
Et platanus genialis, acerque coloribus impar, 95
Amnicolxque simul salices, et aquatica lotos,
Perpetuoque virens buxus, tenuesque royricsB,
Et bicolor myrtus, et baccis caerula tinus.
Vos quoque, flexipedes hederae, venistis, et una
Pampineas vites, et aroictn vitibus uimi, 100
Omique, ct piceoB, pomoque oncrala rubenli
Arbutus, et lentae, victoris praemia, palm.fi,
Et succincta comas, hirsulaque vertice pinus,
Grata deum matri ; siquidem cybeleius Atys
Exuit hac hominem, truncoque induruit illo. 105
Adfuit huic turbae, metas imitata cupressus,
Wunc arbor, pucr ante deo dilectus ab illo,
Qui citharam nervis, et ncrvis temperat arcus.
Namque sacer Nyrophis carthxa tenentibus arva,
Ingens cervus erat, lateque patentibus altas 110
Ipse suo capiti praebebat cornibus umbras.
(k)rniia fulgebant awto, demss^o^we \w wtcvcv«»
LIYRE X. 375
son cou gracjeux et descendait sur ses ^paules. Une bulle d'ar-
gent, attachee par de legers liens, s*agilait sur son front. Deux
glands d'airain d*^ale grosseur brillaient a ses oreilles. II n'^tait
ni timkie, ni farouche. U frequentait les maisons et presentait son
cou aux caresses du premier venu. Tu Taimas plus que personne,
Cyparisse, toi le plus beau des habilanls de G^os. Tu le menais
dans de frais p^turages, et le desalterais aux sources limpides.
Tantdt tu parais son bois de guirlandes de fleurs; tantdt, assis sur
son dos, tu prenais plaisir a diriger avec un frein vermeil sa
course vngabonde. On etait au milieu du jour, et le soleil embra-
sait de sesfeux, les bras recourbes du Cancer. Le cerf fatigue se
reposait sur le gazon et goAtait le frais a Fombre des bois. Le
jeune Cyparisse ratleint par megarde de son javelot, et, le voyant
expirer de cette cruelle blessure, il veut mourir lui-mdme. Que
ne lui dit point Phebus pour le consoler ! £n vain il lui repr^.
sente que sa douleur est trop grande pour cette perte legere.
Cyparisse gemit et demande aux dieux, commc faveur supr^me,
Pendebant tereti gcmmabi monilia collo.
Bulla super frontem parris argentea loris
Vincta movebatur, parilesque es a^re nilebant, 115
Auribus in geminis, circum cava tempora, bacrse.
Isquc metu vacuus, naturalique pavore
Deposito, celebrare domos, muleendaqne colla
Quamlibet ignotis manibus praebere solebat.
Sed tamen ante alios, ceas pulcberrime gentis, 1^^
Gratus crat, Cyparisse, tibi. Tu pabula cervum
Ad nova, tu iiquidi dufebas fontis ad undam;
Tu modo tesebas varios per cornua flores;
Nunc, eques in tergo residens, huc lactus et illuc
MoHia purpureis frenabas ora capistris. 1:25
^tus erat, mediusque dies, solisque vapore
Concava littorei fervebanl brachia Cancri.
Fessus in herbosa posuit sua corpora lcrra
Cervus, et arborea ducebat frigus ab umbra.
Hunc puer imprudens jaculo Cyparissus acuto ir»0
Fixit, et, ut ssevo morientem vuinere vidit,
Velle mori staluit. Que non solatia Phcebus
Dixit! el ut leviter pro materiaque dolcret,
Admonuit. Gemit ille taroen, munusque supremiim
Hoc petit a Superis, vt tempore lugeal omin. X^V^
370 H^TAMORrJObES.
que son deuil n'ait jamais de fin. Gependant Texc^ de ses lannes
tarit son sang ; son teint commence k verdir ; ses cheraix, qui
flottaient nagu^re sur son cou d'alb&lre, se dressent, se dur«
dssent, et leur cimc effil^e s'^l^ve vers les cieux. Le dieu
soupire et fait entendre ces tristes accenls : « Objet de mes re-
grets, tu fassocieras aux chagrins des mortels, et tu deviasdras
le symboledudeuil. »
ENLEVEMENT DE GANYM&OE.
III. Tels sont les arbres que le chantre de Thrace avait attir^ .
autour de lui. Assis au milieu des hdles de Tair et des bois»
il prom^ne longtemps ses doigts sur ies cordes de sa lyre, et,
apr^ avoir essay^ des accords differents, il s'exprime en ces
termes : « Muse qui m'as donn^ le jour, que Jupiter soit le
premier objet de mes chants. Tout cMe h son empire. Scuvent
j*ai chante sa puissance. J'ai chant^ sur un ton ^lev^ les G^nts et
les foudres victorieuses qu'il lan^a dans les champs de Ptil^a.
Aujourdhui je veux, sur un ton plus l^er, c^Iebrer les enfants
Jamque, per immensos egcsto sanguine fietus,
In viridem vcrti coBperunt membra colorem;
Et modo, cui nivea pendebant fronle capilli,
Horrida caesaries fieri, sumptoque rigore
Sidcreum gracili spectare cacumine ccelum. 140
Ingcmuit, tristisque deus : « Lugebcrc nobis,
laigcbisque alio», adctisque dolentibus, » inquit.
RAPTDS GANYIIEDES.
III. Tale nemus vatcs contraxerat, inquc ferarum
Concilio medius turba volucrumque scdebat.
Ut satis impulsas tentavit pollice cbordas, 143
Et sensit varios, quamvis divcrsa sonacent,
Toncordare modos, hoc vocem carmine rupit :
« Ab Jovc, Mnsa parcns; cedunt Jovis omnia regno ;
Carmina noslra move. Jovis est mihi ssepe potestas
Dicla prius. Cecini plectro graviore Gigantns. 150
Sparsaque phlegrscis victricia fulmina campis.
fftinr opHs e»l \o\\otc X^^tak^^Mexo^c^^ «wiwxv^'».
LIYRE X. 577
chdris dies dieux, et ces vierges coupables dont les feux impurs
m^ritSrent un juste chSttment. Le roi des Immortels brAIa jadis
pour le Phrygien Ganymede. Gomme il cherchait une forme plus
propice a ses voeux que celle dont il ^tait rev^tu, il prit de pr4-
ference celle de Toiseau qui peut porter sa foudre; et soudain,
fendanl les airs de ses ailes trompeuses, i1 ravit le petit-fils
d'Ilus, qui lui sert encore d'^hanson dans rOlympe, et verse le
nectar dans sa coupe, en depit de Junon.
IITACINTnE HETAMORPHOSg EN FLEOR.
IV. i Et toi aussi, fils d'Amycl^s, Ph^bus faurait plac^ au ciel,
si un d^plorable destin Teut permis. Du moins, autant qu*il est
en son pouvoir, il te rend immortel. Toutes les fois que le prin-
temps chasse Fhiver et qu'aux Poissons pluvieux succ^e le
Belier, tu renais et tu brilles sur la verdure. Mon p^re eut une
tendre predilection pour toi. li abandonna souvent Delphes, pla-
cee au centre du monde, pour errer avec toi sur les bords de
FFAirotas ct dans les champs de Sparte, privee de remparts.
Dilectos Superis, inconcessisquc puellas
Ignibus atlonitas meruisse libidinc pccnaro.
Rex Superum phrygii quondam Ganymcdis amore 155
Arsit, el inventum est aliquid, quod Jupiter essc,
Quam quod erat, mallct. NuUa tamcn alite vcrti
Dignalur, nisi quse possit sua fulmina ferrc.
Ncc mora, percusso mendacibus acre penuis
Abripit Iliadcn, qui nunc quoque pocula miscct, 1C0
Invilaquc Jovi ncctar Junone minislral.
nTACINTllUS IM FLOREII VEnTlTUR.
IV. « Te quoque, Amyclide, posuisset in sthere Pliflebus,
Tristia si spalium poncndi fata dedissent.
Qua licet, sternus tamen es ; quoticsque rcpellit
Vcr hiemem, Piscique Arics succedit aquoso, 1C5
Tu toties oreris, viridique in cespile vernas.
Te meus ante alios genilor dilcxit, et orbe
lu medio positi caruerunt prsside Delphi,
Dum deus Eurotan, immunitamque tte(\u^iiUV .
378 MClTAMORPHOSES.
Alors sa lyre et son arc languissaient sans honneur. S'ouUiant
lui-m^me, il ne dedaignait pas de tendre des filets, de oonduire
une nieute, ou de gravir sur tes pas )e sommet d'un mont es*
carpe : une longue habitude ^tait pour ses feux un nouvel aliment.
f Un jour ou ie soleil, au milieu de sa caiTi^re, se trouvait k
une ^gale distance du soir et du matin, ApoUon et Hyacinthe
quittent leurs v^tements, impr^ent leur corps d'huile, et sV
musent a jouer au disque. Le dieu, apr^ i'avoir balanc^, lanoe
le sien dans les airs. Le disque se fraye un passage k travers les
nues, retombe apr^ un long intervalle, et prouve k la fois IV
dresse et la force du joueur. Soudain l'imprudent Hyacinthe,
^porte par Fardeor du jeu, se h4te de ramasser le disque. Mais
la terre le fait rebondir et il va frapper son front. Apollon, pdle
oomme son ami, soutient son corps chancelant. Tantdt il cher-
che h le ranimer, tant6t il ^tanche sa cruelle blessure, ou exprime
le suc des plantes pour retenir son &me fugitive. Son art reste
impuissant : le coup ^lait mortel. Gomme daiis un jardin arrose
par une eau vive, si Ton vient a briser la tige des violettes, des
Sparlen. Nec cithara;, nec sunt in honore sagitt». 170
Immemor ipse sui, non relia ferro recusat,
Non tenuisse canes, non per juga montis iniqui
Isse comes, longaque alit assueludine flammas.
« Jamque fere medius Titan venientis et acta
Noctis erat, spatioque pari distabat utrinque. 175
Gorpora vestc levant, et succo pinguis olivi
Splendescunt, latique ineunt certamina disci.
Quem prius acrias libratum Phcebus in auras
Misit, et opposilas disjecit pondere nubes.
Reccidit in solidam longo post tempore terram 180
Pondus, et exhibuit junctam cum viribus artem.
Protinus imprudens, actusque cupidine ludi,
ToHere Tsenarides orbem properabat; at illum
Dura repercussum subjccit in aera tellus
In vultus, Hyacinthe, tuos. Expalluit aeque, IR.H
Ac puer, ipse dcus, collapsosque excipit artus,
Et modo te refovet, modo tristia vulnera siccat,
Nunc animam admotis fugientem sustinet herbis.
Nil prosunt artes : etat itnmedicabile vulnus.
Vt si quis violas, nguo^^e p^ipwet \w\votV^^ m
LIVRE X. 379
pavots ou des lis, ces fleurs penchent tout k coup leur t^te lan-
guissante et perdent leur ^clat ; bientdt elles ne se soutiennent
plus, et s'inclinent vers la terre ; ainsi les traits d^Uyacinthe se
fletrissent; sa t^te, appesantie et sans force, tombe sur son
epaule.
« Tu meurs, Hyacinthe, moissonnS au printemps de TSge, s'e-
« crie Apollon. Je vois ta blessure et mon crime ! Tu causes ma
« douleur ; ton trepas est mon ouvrage. On inscrira sur ta tombe
« que ma main t*a ravi le jour : c'est elle qui f a donne la mort.
« Cependant quel est mon crime ? En est-ce un d'avoir joue avec
« toi ? En est-ce un de t^avoir aime ? Que ne puis-je te donner
« ma vie pour la tienne ou mourir avec toi ! Mais, puisque je
« suis enchaine par la loi du Destin, du moins tu seras toujours
« avec moi, et ma bouche ne cessera point de r^peter ton nom.
« Ma lyre le redira : tu revivras dans mes chants. Fleur nou-
« veile, tu pr^enteras sur tes feuilles le cri de ma douleur. Le
« temps viendra oiji un heros sera change en une fleur semblable,
« sur laquelle on lira le m^me gemissemeht. » Apollon parlait
encore, et d^j^ le sang qui baignait le gazon n'^tait plus du
Liliaque infringat, fulvis hxrentia virgis,
Marcida demiUant subito caput illa gravatum,
Nec se sustineant, spectcntque cacumine lerram;
Sic vuUus rooriens jacet, et defccla vigore
Ipsa sibi est oneri cervix, hnmeroque recumhit. i^"»
« Laberis, (Ebalide, prima fraudate juventa, .
« Phcebus ait, videoque tuum, mea crimina, vulnn».
« Tu dolor es, facinusque meum. Mea dextera letho
« Inscribenda tuo est : ego sura tibi funeris auctor.
« Quoe niea culpa tamen? nisi si lusisse, vocari -**^>
« Culpa potest; nisi culpa potest, et amasse, vocari.
« Atque utinam pro tc vitam, tecumvc liceret
w Reddere! Sed quoniam fatali lege tenemur,
« Seraper eris mecura, memorique hierebis in ore.
« Te lyra pulsa manu, tecarmina nostra sonabnnt; 20:;
« Flosque novus scripto gemitus imitabere noslros.
« Tempus et illud erit, quo se fortissimus heros
(c Addat in hunc florera, folioquc legatur eodem. »
Talia dum vero memorantur ApoUinis ore^
Ecce cmor, qui fasus humi signavetal \\CT\iwii, 'iV^
380 MfiTAMORPUOSES.
sang. A sa place parut une fleur plus briilante que la pourprc.
Elle avait la forme ct reclat du iis. Seulement eile ^ait rouge,
tandis que le lis. est blanc; Cetait trop peu pour Apolion dVoir
opere cette metamorphose. Sur les feuilles de cette fleur il graya
ses sanglots. Les syllabes ai, ai, qu'on y Toit tracees, etemis^
sa douieur. Sparie se giori/le d'avoir donnS le jour a Ilyadnthe.
Sa m^moire y est encore entour^ d'hommages. Tous les ans eiie
c^I^bre en son honneur des f^tes consacrees par un anlique
usage, et qui portent son n^^m.
HUTAllORPHOSe DES C^RASTES EN BiEUFS E: DES PROP^TIDeS
EN ROCIICRS.
V. • Maisdemandez a Amathonte, feconde en melaux, sielle ?ou«
drait avoir vu naitre ies Propetides. Eiie ies desavoue, ainst que
ces hommes dont ie front, arme de cornes, ieur flt donner le nom
de Cirastes. Aux porles de leur ville s'elevait un autei dedi^ a
Jupiler Hospitaiier. Get autei ^tait souiii^ par le crime. L'etranger,
en le voyanl rougi de sang, aurail cru qu'on y sacrifiait de jeunes
(aureaux ou des brebis d'Amathonle. Bienldt ii y elait immole
Desinil esse cruor, tyrioque nilenlior ostro
Flos oritur; formamque capit, quam lilia, si non
Purpureus color huic, argenteus esset in illis.
Non satis hoc Phoebo est (is enim fuit auclor honoris),
Ipse suos gemilus foliis inscribit, et ai ai 215
Flos habet iDscriplum, funestaque littera ducla cst.
Nec genuisse pudet Sparten Hyacinthon; honorque
Durat in hoc ajvi, celebrandaque more priorum
Annua prselata redeunt Hyacinthia pompa.
CERASTjE CONVEBSI IN BOVES; PnOPiETIDES IN SAXA.
V- « At si forle roges fecundam Amalhunta melalli, 229
An genuisse velit Propcctidas, abnuat xque
Alque illos, gemino quondam quibus aspcra cornu
Frons erat, unde etiam nomen traxere Cerastx.
Ante fores horum stabat Jovis Hospilis ara,
Lugubris sceleris. Quam si quis sanguine tinctam 225
Advena vidisset, maclavos cxe^etfiV. \\V\<^
Laclanlcs vitulos, mal\\ws\«iC8kSNe Vvtov.Ki,%.
LIYRE X. 381
lui-meme. Indigiiee de ces criminelles oflrandes, Venus s'appr6-
tait a quitter les villes ou elie est adoree, et les plaines d*Oplnuse.
ff Quel forfait, dit-elle, ont donc commis ces lieux et ces cites que
« j'aime? Que peut-on leur reprocher? Ah! plutdt, qu'un peuple
ff barbare expie ses forfaits par Texi], par la mort ou par un ch^ti-
« ment qui tienne le miiieu enlre la mort et Texil ! Ce chAtiment,
« que peut-il ^lre, sinon une m^tamorphose? » Tandis qu'elle
hesite sur le changement que les Cerastes doivent subir, elle aper-
9oit des comes sur leur front. II lui vient dans la pensee qu'elle
peut les y fixer, et elle les transforme en taureaux furieux. Ce-
pendant les cyniques Propetides osent nier encore sa divinite. Pour
venger cetle offense, le courroux de ia deesse les poussa, dit-on, a
donner le premier exemple du f rafic de leur beaute. Comme elles
avaient depouilie toute pudeur et que leur front ne savait plus
rougir, elles furent changees en rocher. Leur nature avait peu
souffert de cette metamorphose
STATUE DE rTGyALION.
^I. « Temoin des crimes qui souillerent leur vie, etplein dliorreur
pour les vices que la nalure a mis dans le coeur des femmes, Pyg-
Hospes cral cxsu^. Sacris orfcuba ucfandis,
Ipsa siias urbes, opliiusiaque arva parabat
Dcserere alma Venus : « Sed quid loca grala, quid urbes 250
« Pcccaverc mcaj? quod crimen, dixil, in ill-s?
« Eisiiio pocnam polius gens impia pcudal,
« Vel nece, vcl si quid medium mortisque fugxquc,
« Idque quid cssc polcst, nisi versaj pocna figuraj? »
Dum dubitat, quo mutct eos, ad cornua vultum 233
Flexit, et admonila csl hajc illis posse relinqui,
Grandiaquc in lorvos transformat mcmbra juvincos.
Sunt tamcn obscenae Vcnerem Propoctidcs aus»
Esse ncgare deam. Pro quo sua numinis ira
Corpora cum forma primaj vulgassc fcruntur. -i^H^ k^' \)
Ulquc pudor ccssit, sanjjuisquc induruit ori-.
In risiduni parvo s.iliccin discrimiiic vcrs:?.
PTCMAUO.NIS STATCA.
VI. « Quas quia Pygmalion a?vum per criincn ogenlci
Videra"», offensus vhiis, quaj plurima mcivV.'i
382 METAMORPHOSES.
malion vivait libre du joug de rhymen. Longtemps aucune com«
pagne ne partagea sa couche. Cependant son ciseau mit au jour
une merveilleuse slatue d^ivoire. Elle represenlait une femme
que rien ne pouvait ^aler, et il devint amoureux de son ouvrage.
Cetait une vierge : on l'aurait crue vivante.. La pudeur seule
semblait remp^cher de se mouvoir : tant Tart parrient a s'ef-
facer! Dans son enthousiasme, Pygmalion se passiomie pour
ies charmes dont il est Fauteur. Souvent il approcbe ses mains
de son chef-d^oeuvre pour s'assurer si c'est un corps ouune statue
d'ivoire ; et il doute encore. 11 lui donne des baisers, et s'imagine
que jces baisers lui sont rendus. U lui parle, il Tembrasse, il croit
presser sous ses doigts un corps v^ritable, et craint d'y laisser une
livide empreinte. Tanldt il lui prodigue des caresses, tanldt il lui
fait les presents qui plaisent aux jeunes filleS; tels que des oo*
quillages, des cailloux ronds, de petits oiseaux, des lleurs nuan-
cees de mille couleurs, des lis, des balles peintes, et l^amlnre qui
decoule des peupliers. U s'occupe aussi de sa parure. D ome ses
doigts de pierrerieS; et son cou de longs colliers. Des perles peu-
dent a ses oreilles» et des chaines flottent sur son sein. Tout
Fcmineae natura dcdit, sine conjuge csdebs '^ili
ViTcbat, thalamique diu consortc carebat.
Inlerea niveum mira feliciter arte
Sculpsit ebur, formamqiie dedit, qua femiua uasci
NuUa potest, operisque sui concepit amorem.
Yirginis est verse facies, quam vivere credas^ 250
Et, si non obstet reverentia, velle movcri :
Ars adeo latct artc sual Miratur, ct baurit
Pectore Pygmalion simulati corporis ignes.
Saepe manus opcri lcntantes admovct, an sit
Corpus, an illud ebur; nec ebur tamen esse fatulur. 235
Oscula dat, reddique pulat, loquiturque tenetquc,
Et credit tactis digitos insidere membris,
Et meluit pressos veniat ne livor in artus.
Et modo blandilias adhibet, modo grala pucllit
Muneia ferl illi conchas, teretesque lapillos, i<M>
Et purvas volucres, et florcs milte colorum,
Liliaque, piclasque pilas, ct ab arbore lapsas
Heliadum lacrymas; ornat quoque vestibus arlus;
Dat digilis gemmaa el \onga u\oq\\\;i cq\Vq\
itire leves bacc», vediinvcuU v*(i\.we ^«itk\«ii\.. ^-i
LIVRE X. 383
lui sied ; mais, sans painire, elle n'esl pas uioins belle. II la
place sur des tapis de pourpre et la nomme son ^pouse. Enfin il
Mt reposer sa tSte sur un oreiller moelieux, comme si elle etait
douee de sentiment.
• f On celebrait dans toute Tile de Chypre la f^te de Venus. On
venait d'inunoler a la d^se de blanches genisses dont les cornes
etaient garnies d'or. L'encens fumait sur ses autels. Pygmalion
y porte son olTrande, et, d'une voix timide, il fait cette pri^re :
u Dieux, si vous pouvez tout accorder aux morlels, faites, je
« vbus en supplie, que mon epouse^ (il n'ose demander pour.
i epouse la stalue elle-m^me) ressemble a cet ivoire travaiiie
« par mes mains ! » La belle V^nus, presente a cette fSte, com-
prend ce voeu. Gomme un presage propice, trois fois la flamme
brille et s*^lance en fleche dans les airs. Pygmalion rentre chez
lui, va retrouver sa statue, se penche vers elle et lui donne uu
baiser. Elle parait avoir la chaleur de la vie. II Tembrasse en-
core et touche son sein. L'ivoire s'amoIIit et cede sous ses
doigts. Ainsi la cire de THymette fond aux rayons du soleil,
prend mille formes sous la main de Tartiste, et obeit a sa pensee.
CuDcla deceat, nec nuda minus formosa videtur.
Gollocat hanc stratis concha Sidoiiide tiuclis,
Appellatque tori sociam, acclinalaque colla
MoUibus in plumis, tanquam sensura, reponit.
« Festa dies Veneri, tota celeberrima Cypro, !270
Veneral, ct pandis inductse cornibus aurum
Gonciderant ictae nivea cervice juvencx,
Thuraque fumabant, quum munere fuuctus ad aras
Gonstitit, et timide : « Si di dare cuncta potestis,
« Sit conjux opto (non ausus, cburnea virgo, 275
« Dicere PygmaUon), similis mea, dixit, eburnaj. »
Sensit, ut ipsa suis aderat Venus aurea fcslis,
Vota quid illa velint, et amici numinis omen,
Flamma ter accensa est, apicemque per aera diisit.
Ut rediit, simulacra suas petit ille puellac, !280
Incumbcnsque toro dedit oscula : visa tepere est.
Admovet os iterum, manibus quoque pectora tentat.
Tcntatum moUescit ebur, posiloque rigore
Subsidit digitis, ceditqiie ut hymetiia sole
Ccra remollescit, tractataque pollice muUa^ ^^
Fiectjtur ia fades, ipsoqtie &t iililis \ida.
384 M£TAMOHPHOSES.
Pyginalion, etonne, s'abandonne timidement a la joie et craint
d'^tre abus^. Tout a Tamour, 11 palpe mille fo» Tobjet qu*il adore.
Cetait un corps vivaut. II sent des vein^ tressaiilir sous sa main.
Alors, transporte d'all^gresse, 11 rend graces a Yenus, et sa bou-
che presse entiu une bouclic veritable. La vierge sent ses baisers
et rougit ; elle ouvre a la lumi^re un oeil craintif> et voit a la fols
le del et son amant. Venus preside a cet hvmne qui est son ou-
vrage. Quand la lune eut reiripll neuf fois son croissant, Paphus
vit ie jour et donna son nom a 1'ile de Paphos.
MYRRHA CnANGEE EN ARBBE.
Yll. i De cet hymen naquit le fameux Cynire, qu on aurait pu
ranger panni les heureux, s'il n'ei]lt pas cu d'enfant. Je vais ra-
conler une horrible aventure. Jeunes fiUes, et vous, peres, eloi-
gnez-vous. Si mes chants ont pour vous des cliarmes, r^usez ici
de me crolre, et rejetez ce recit; ou, du moins, en radmettant
comme vrai, croyez aussl au chdtiment dont le crime fut suivi.
Toutefois, si la nature permet de telles horreurs, je fi^iicite les
Thraces et la partie du monde que nous habitons; je fi^licite noti^e
Duin stupet, et timide gaudet, fallique verctur,
Rursus amans, ruri>usque manu sua vota retractat.
Corpus erat : saliunt tcnlatx pollicc veuo}.
Tum vcro paphius plcnissima concipit lieros ilN)
Vcrba, quibus Vcneri gratcs agat; oraqiic tandcm
Ore suo non fal»a preniit; dataquc oscula virgo
Sensit, et erubuit, timidumquc ad lumina lumcu
Altollens, parilcr cum ccclo vidit amantem.
Conjugio, quod fecit, adest dea. Jamquc couctis 295
Coruibus in plonum novics lunaribus orbcm,
Ula Paphon genuit, de quo tenet insula nomcn.
HTRnHA IN ABDOItEH MVTATA.
Yll. « Editus hac ille cst, qui, si sine prolc fuis&ct,
Inter fcliccs Cyniras potuisset habcri.
Dira canam. Katis procul hinc, procul c^lc, parenlcs; 300
Aut, inea si vcstras raulcebunt carmina mentc»,
Dcsit in liac mihi parte fides, nec credilc factum.
Vcl, si crcdctis, facti quoque credilc pccnam.
Si iameu adm\&&uvi\ >\mt Uoc nalura videri;
Gculibus bmams, qV uo%Uo %v^vu\qv qvVv\ oOo
LIVRE X. 585
patrie d'^tre loiii des climats qui furent lemoins d'un aussi mons-
trueux forfait. Que Topulente Arabie produise Tamome, le cin-
name, le coslus, de riclies fleurs et Tencens qui distille des ar-
bres ; qu'elle produise aussi la myrrhe : Tarbre qui la donne fut
trop dierement achete par ces infamies. L*Amour lUi-mSme,
Myrrha, soutient que tu n as pas ete blessee de ses traits, et son
flambeau repousse ta sacrilege flarame. Ce fut une des Furies,
armee de sa torche uifernale, qui souflla dans ton coeur le venin
dont ses serpents etaient goufles. Uair son p^re est un crime;
mais raimer de la sorte est un crime plus affreux que lahaine.
€ L'elite des princes brigue ta main ; la briilante jeunesse de TO;
rient se dispute Thonneur de parlager ta couche. Parmi tous ces
rivaux, choisis un epoux, a Texceplion d'un seul. Gependant Myrrha
oprouve des remords el lutte contre son amour impur. c Quelle
f fureur m'entraine? se dit-elle; que vais-je faire? Dieux, je vous
« en conjurei et toi, piele tihale. et vous, droits sacres du sang,
fl opposez-vous a cet inceste, et prevenez un tel forfait, si toulc-
« fois c'en est un. En efliet, la nalure ne condamne point mon pcn
« chant. Les aniraaux s'unissent sans choix. Le laureau trouvc
Gratulor liuic lerrse, quod abcst regionibus iilis,
Quae tanium gcnucrc nefas. Sil dives amomo, -
Ciunamaque, costumquc suum, sudataque ligiio
Tliura fcrat, floresquc a!ios panchaia lcUus,
Dum feral et myrrham : tanti nova non fuit arbo:». 510
Ipse negat nocuisse tibi sua lela Cupido,
%iTha, faccsquc !>uas a criminc vindicat islo.
Stipite te stygio, tumidisquc afflavit Echidnis,
E tribus una soror. Scclus cst odisse parentcm ;
'Uic amor est odio majus scelus.
« Undiquc l^tli 515
Te cupiuDt proccres; loloquu Oriente juvcnlus
Ad thalami ccrtamen adest. Ei omnibus unum
Elige. Myrrha, tibi dum ne sit in omnibus unu^.
lllu quidem scntit, focdoque repugnat amori :
£t secum : « Quo menle feror? quid molior? iu .uii. oiO
« Di, precor, et Pietas, sacrataquc jura parcntJin,
« lloc prohibcte ucfus, scelcrique rcsistite tan!o,
« Si tamcn hoc scelus est. Sedenim damnare negalur
• Uanc Yeaerem piclas; cocuulque ammaWai \i\j\\o
380 MfiTAMORPHOSES.
« naturel de rendre m^re lagenisse a laquelle il a donn^ la vie ; le
« cheval peut feconder la cavale dont il est le p^re, le b^lier les
« brebis qui lui doivent le jour, et Toiseau le sein qui Ta con^u.
« Heureux les 6tres qui jouissent de ce privil^e! L'bomme s'esl
« cree des entraves, et de jalouses lois repriment les sentiments
« qu'autorise la nature. 11 est pourtant des contrees, dit-on, ou le iils
« ^pouse sa mere, et le pere sa fille : leur tendresse s'accroit de
« tous les feux de Famour . Malheureuse ! que n'ai*je re^u la vie dans
« ces contrees ! Cest le hasard de la naissance qui me rend cou-
« pable. Mais pourquoi revenir a de semblables pensees? Disparais-
'« sez, esperances interdites amon coDur ! Ginyre merite mon amour,
« mais comme un pere. Si donc je n'^tais la fille de ce grand roi, je
« pourrais aspirer a sa couche ! Cest parce qu'il me tient de prfe
« qu'il ne peut ^tre a moi ! Nos liens sont la source de mon mal-
« heur. Etrangere a Cinyre, je serais plus heure\ise. Je veux m'e-
« loigner et fuir ma patrie pour ^happer au crime. Un fatal amour
« me retient. Que je puisse du moins conlempler Cinyre, toudier ses
« mains, lui parler, Tembrasser, sll ne m'est pointpermis d^esp^rer
« davanlage. Eh! que peux-lu ambitionner de plus, fiUe coupable?
<t Gaetera deleclu; nec habetui* lurpe juvencu) 525
« Ferre patrem tergo; fit equo sua filia conjux;
K Quasque creavit, init pecudes, caper; ipsaque, cujus
« Scmiae concepla est, ex illo concipit ales.
« FeliceS; quibus ista licent! Uumana malignas
« Cura dedit leges, et quod natura remitlit, 550
« Invida jura ncgant. Gentes tamen esse ferunlur,
« In quib«6 et nalo genitrix, et nata paienli
(i Jungitur, ct pietas gcminalo crescit amorc.
« Me miserum, quod uon nasci mihi contigit illidj
« FortunaqMO loci laidor! Quid in ista revolvor? 3'ii
« Spes interdicta;, discedite. Dignus amari
« Ille, sed ut pater, est. Ergo si filia magni
« Non essem Ginyra;, Ginyraj concurabere possera.
<t Nunc quia tara meus est, non est meusj ipsaquc Uamno
« Est mihi proximitas : aliena poleutior essem. 540
«< Ire libet procul hinc, palriosque relinqucrc fines,
« Dum scelus effugiam. Relinet malus error aniantem,
« Ut praesens spectem Cinyram, tangamque, loquarquc,
c Oficulaque adniONeakmt ^i uv^ coucediiui* ultra.
* Lllra auUm apeiaie «Wcjuv^ ^v«a\.»\mvv^Vvt^Ql "«k^
LIVRE X. 387
« Ne vois-iu pas que tu confonds tous les noms, tous les droits?
« Veux-tu donc ^tre la rivale de ta m^re et Tamante de ton pere?
f Veux-tu devenir la sceur de ton fils et la mere de ton frere? Ne
ff crains-tu pas les Furies h^rissees de serpents, que les mechants
« voient toujours agiter a leurs yeux des torches mena^nles?
« Myrrha, tes mains sont encore pures. Garde-toi d'ouvrir ton
« coeur au crime ; garde-toi d'enfreindre par une monstrueuse
« union les saintes lois de la nature! Quand meme Ginyre ac-
« cueillerait tes voeux, ils trouvent en eux-memes leur condam-
« nation. Mais son ^me est vertueuse ; il respecte ses devoirs.
« Et j'ose desirer qu'il partage mon delire ! »
« Elle dit. Cependant Ginyre, parmi tant de rivaux dignes de sa
flUe, h^ite sur le choix qu'il doit faire. II lui demande, en les de-
signant chacun par son nom, quel est celui dont elle veut etre
Tepouse. Myrrha d'abord garde le silence, et, tenant ses regards
attaches sur le front de son pere, elle bnile : des larmes ardentes
roulentdans ses yeux. Ginyre les attribue a la timidite d'une vierge,
et lui defend de pleurer ; il essuie ses larmes et lui donne un bai-
ser. Myrrha le re^oit avec une joie trop vive ; et, quand son pero
lui demande encore quel epoux elle desire : « Iln epoux qui vous
« Nec, quot confundas et jura et noraina, sentis?
« Tune eris et matris pellex, et adultera patris?
« Tune soror nati, genitrixque vocabere fralris?
« Nec metues atro crinitas angue sorores,
« Quas, facibus saBvis oculos atque ora pctentes, 350
t Noxia corda vident? At tu, duni corpore non es
« Passa, ncfas animo ne concipe, neve potentis
« Concubitu vetito naturse poUue foedus.
« Yelle puta; res ipsa vetat; pius ille, memorquc
« Juris; et, ol vellem similis furor esset in illo! » 55S
« Dixerat, at Cinyras, quem copia digna procorum,
Quid faciat, dubildrc facit, scitatur ab ipsa,
Nominibus dictis, cujus velit esse mariti.
Illa silet primo, patriisque in vultibus hserens,
/Bstuat, et tepido suffundit luroina rore. 360
Virginei Cinyras hsBc credens esse timoris,
Flere vetat, siccatque genas, atque oscula jungit.
Myrrha datis nimium gaudet, consuUaque, qwa\m
Oplet hahere viruBif « Similem tibi, » dmV. kl ttVft
58« METAMORPHOSES.
i rossemble, » dit-ellc. II loue celte reponse, dont il ne pto^tre
point le sons. « Conserve tonjours la mSme pi6l6 filiale, • lui r6-
pond-it. Au mot de piete, Myrrha, qui connait son coeur criminel,
haissc les yeux. La nuit etait parvenue au milieu de sa course. Le
sommeil allegeait les fatigues et les peines des mortels ; mais la
nile de Ginyre, d^vor^e par une inddmptable passion, veille et
roule dans son Sme ses projets furieux. Tour a tour elle ddsesp^re,
clle veut tout oser, elle rougit, elle desire. Elle ignore a quel
parti elle doit s'arr6ter. Comme un grand arhre frapp^ par la
hache ne sait, en attendant le demier coup, de quel cdte il va
tomber, et fait de toute part redouter sa chnte. Myrrha, atteinte
de blessures diverses, flotte et penche tantdt vers un parti, lantdt
vers un autre. Enfin son amour ne trouve de tr^ve ou de repos
que dans la mort. Elle choisit la mort, et se leve resolue de mettre
fin a ses jours par nn lacet fatal. Elle attache sa ceinture k une
poutre, et s'ccrie: «Cher Cinyre, adieu; sache-Ie bien, tu es la
« causc de mon tr^pas ! » A ccs mots, elle passe son cou dans le
funeste lien.
« Le son confus de ses paroles elait parvenu, dit-on, aux oreilles
de la fid 'le nourrice qui gardait la porle de son appartement. La
Non inlcllcctam vocem coUaudat, et, « esto 305
« Tam pia sompor, v ait. rieialis nomine dicto,
Demisil vullus scelrris sibi conscia virgo.
^octis eral medium, curasque et corpora sonmus
Folvcrat. At virgo cinyreia pervigil igni
Carpitur i«domilo, furiosaque vota retractat. 570
Et modo desperat, modo vult tentare; pudetque,
Et cupit; ct, quod agat, non invenit; utque securi
Saucia trabs ingens, ubi plaga novissima restat,
Quo cadat, in dubio est, omnique a parte timetur;
Sic animus vario labefactus vulnere nutat 375
IIuc levis, atquc illuc; momcnlaquc sumit utroque.
Nec modus aut requics, nisi mors, reperitur amoris.
Mors placet. Erigitur, laqueoque innectere fauccs
Deslinat, ct, zona summo de poste rcvincta :
« Care vale Cinyra; causnm te intellige mortis. » 580
Dixit, el apiabal paUeuU \incula collo.
« Murmura \cr\M)t>iTO ^vAvis xvviVv\m ^^ ^wx^%»
Perveni^se fetunl, Vivuexx seY^;xvvV\?> ^wm^^.
LIYRE X. 589
bonne vieille accourt et ouvre les porles. A la Yue des fun^bres
apprfits, un cri s'echappe de sa bouche, et, au m^me instant,
elle meurtrit son sein, d^hire ses T^tements, arrache le tissu et
le met en lambeaux. Puis elle s*abandonne aux larmes, embrasse
la jeune princesse, et veut connaitre les motifs de sa determina-
iion. Myrrha garde le silence et fixe sur la terre un regard immo-
bile. Elle s^afflige de voir interrompre ses efforts pour h&ter son
trepas. La nourrice insiste, et, dtouvrant ses cheveux blancs et
son sein aride, elle conjure Myrrha, par les soins qu'elle prit
d'elle au berceau, de lui confier ses chagrins. Myrrha se d6-
tourne et gemit. La nourrice, toujours in^branlable, la presse
de nouveau, et ne se borne plus a lui proraettre une 6tern^lle
foi. « Parlez, dit-elle, et souffrez que je vous prMe mon appui.
f Ma vieillesse est encore active. £tes-vous tourment^e par Ta-
fl mour, je trouverai dans les plantes et dans les paroles magi-
« ques un rem^e certain. fites-vous sous Tempire d'un malefice,
« je vous en aflranchirai par un charme. La colere des dieux
« s'est-elle appesantie sur vous, on peut Tapaiser par des sa-
« crifices. Que puis-je supposer encore? La fortune vous sourit;
« votre famille est heureuse au sein de rabondance ; votre p^re et
« votre mere sont vivants. » A ce nom de pere, Myrrha pousse un
Surgit anus, reseratque fores; morlisque parattB
Instrumenta viilens, spalio conclamat eodem, 385
Seque ferit, scinditque sinus, ereptaque collo
Vincula dilaniat. Tum denique flere vacavit,
Tum dare oomplexus, laqueique requirere causam.
Mula silet virgo, terramque immota tuetur,
Et deprensa dolet tardaj conamina mortis. * 590
Instat anus, canosque suos, et inania nudans
Ubera, per cunas alimentaque prima precalur,
Ut sibi committat, quidquid dolct. llla roganlem
Aversata gemit. Certa est exquirere nutrix,
Nec solam spondere fidem : « Dic, inquit, opemque 395
« Me sine ferre tibi : non est mea pigra senectus.
« Seu furor est, habeo quiE carmine sanet et herbis;
« Sive aliquis nocuit, magico lustrabere rilii;
« Sive est ira deum, sacris plaeabilis ira.
« Quid rcar ulterius? Certe fortuna domusque 400
« Sospes, et in cuisu est, vivunt genitrii<\UQ ^'OkU.T(\w^» i^
Myrrlia, palrc wdilo, suspiria dttxVl ab irao
500 MftTAMOUPHOSES.
profond soupir. Gependant sa nourrice ne soup^nne enoore an-
cun mal ; mais elle devine qu'elle souffre de l'amour. Immuable
dans sa r^olution, elle la supplie de lui reveler son secret. La
bonne Tieille la place sur ses genoux toute mouill^e de larmes,
et, la serrant dans ses d^biles bras : « Je le vois, dit-elle, yous ai»
« mez ; mais bannissez toute crainte. lci encore mes senrices vous
« seront utiles : jamais votre pere ne connaitra cet amour. • Myrrha,
^perdue, s^arrache de ses bras, et, pressant sa couche de son firont :
« £loigne-toi, je t'en prie, lui r^pond-elle; epargne une infortunee
« que la honte accable. » La nourrice la presse plus viTement.
« £loign6-toi, poursuit Myrrha, ou cesse de me demander la cause
« de ma douleur. Ge que tu veux apprendre est un crime. »
La nourrice fremit ; elle lui tend ses mains tremblantes a la fois
de vieillesse et de terreur, et tombe en suppliante a ses pieds. Tan-
t6t elle la flatte, tant6t elle la menace, si elle ne la prend point
pour contldente, d'aller r^veler a son pere le fatal lacet et les
appr^ts de sa mort. D'un autre c6t^, elle promet de servir s(»i
amour, si elle lui en livre le secret. Myrrha relSve la t^te, et
inonde de larmes le sein de sa nourrice. Souvent elle tente un aveu,
souvent elle ^touffe sa voix ; et, enveloppant de sa robe son visage
Pectore; nec nutrix etiamnum concipit uUum
Mente nefas, aliquemque tamen prscsentit amorero;
Propositique tenax, quodcumque sit, orat, ut ipsi 403
Indicct, et gremio lacrymantem toUit anili,
Atque ita complectens infirmis membra lacertis :
« Sensmius, inquit, amas; et ia hoc mea (pone timorem),
« Sedulitas erit apta tibi, nec sentiet unquam
« IIoc pater. » Exsiluit gremio furibunda, torumque 410
Ore premens : « Discede, precor, miseroque pudori
« Parce, ait; instanti, discede, aut desine, dixit,
« Quxrere, quid doleam: scelus est, quod scire laboras. »
« Horret anus, tremulasque manus annisque metuquc
Tendit, et antc pedes supplex procumbit alumn»; 415
Et modo blanditur, modo, si non conscia fiat,
Terret, et indicium laquei, coeptacque minalur
Mortis, et officium commisso spondet amori.
Extulit illa caput, lacrymisque implcvit oborlis
Pectora nulricis, conataque saspe faleri, 480
S(epe teael yoco.m, pAi^W^und^^w^ n^sWW-Si w^
LIVRE X, 391
couvert de honte : « 0 ma m^re l dit-eUe, lu es heureuse d'avoir
« Cynire pour epoux! » EUe s*arr6te et soupire. La nourrice, qui
a tout coinpris, sent un froid mortel se glisser dans ses Teines, et
ses chcTeux blancs se dressent sur sa t^te. EUe s'efforce, par mille
exhortations, de bannir ce fatal delire du coeur de Myrrha. Celle-ci
reconnait 1a sagesse de ses conseils. Mais elte a r^solu de mourir,
si elle n'oblient Fobjet de son amour. « Vivez, lui dit sanourrice;
vous possederez votre... » Mais, n'osant ajouter le moi pire, elle
se tut, et confkma sa promesse d'un signe de t6te.
« Des femmes pieuses, couvertes de voiles blancs, celebraient les
f^tes annuelles ou elles offraient a Ceres les premices de leurs
fruits et des couronnes d'epis. Pendant neuf jours, elles s^abste-
naient de s'approcher de leurs epoux. Avec elles Cenchreis, la
reine, prenait part aux mysteres sacr^s. Tandis que la couche de
Cinyre est veuve de sa legitime compagne, rartificieuse nourrice,
voyant le roi chanceler sous les fumees du vin, lui peint sous un
nom suppose une amante veritable, et fait Teloge de sa beaute.
Ginyre demande son ftge : « Celui de Myrrha, » dit-elle. Le roi lui
ordonne de la conduire pr& de lui. Des que la nourrice est ren-
Tcxit; et : « 0, dixit, felicem conjuge matrcm! »
Hactenus, et gemuit. Gelidos nulricis in artus,
Ossaque (sensit enim) penetrat tremor, albaque tolo
Vertice canities rigidis stetit hirta capillis. 425
Multaque, ut excuterct diros, si posset, amores,
Addidit. At virgo scit se non falsa moneri.
Certa mori tamen est, si non potiatur amato.
<i Vive, ait hxc; potiere tuo, » non ausa, parente,
Dicere, conticuit, promiss^que numine firmat. 4/10
« Festa pi» Cereris celebrabant annua matres.
Illa, quibus nivea velatsB corpora veste*
Primilias frugum dant, spicea serta, suarum. ;
Perque novem noctes venerem tactusque viriles
In vetitis numerant. Turba Cenchreis in iUa ^^*
Regis adest conjux, arcanaque sacra frequentat.
Ergo legitima vacuus dum conjuge lcctus,
Nacta gravem vino Cinyram male sedula nutrix,
Nomine mentito, veros esponit amores,
Fii faciem laudat. Qusesitis virginis annis, 4-iO
« Par, ait, ".st Myrrhae. » Quam posiquam a&d\ic«ce YaA^^ ^^V^
3^2 U^lTAMOnPHOSES
Iree : « R^jouissez-Yous, ma ch^re enfant, lui dit«elle; noii8 triom-
« phons. » L'infortunee princesse ne peut entierement ouyrir son
kme a la joie. De tristes pressentiments raffligent, et pourtant
elle eprouve du plaisir : tant ses pensees se combattent I
« Cetait le moment ou rSgne le silence, et le Bouvier roulait
obliquement son char entre les etoiles de rOurse. Myrrha n^^rcbe
k son crime. La chaste Diane fuit du celeste parvis, et les astres se
cachent sous d'^pais nuages. La nuit a perdu tous ses feux. Icare
est le premier k se voiler la face, ainsi qu'£rigone, plao^ dans les
cieux par sa pi^t^ filiale. Trois fois le pied de Myrrha se heurte
contre un obstacle en signe d'avertissement ; trois fois le fun^re
hibou fait entendre un presage de mort. Gependant elle avanoe.
Les profondes t^nebres de la nuit diminuent sa honte. De la main
gauche elle tient sa nourrice, et de la droite elle explore le che-
roin. Enfin elle touche a rappartemcnt de son pere. Elle ouvre la
porte; eile entre. Ses genoux tremblent et se d^robent sous elle.
EUe pSlit; son sang se retire; son courage rabandonne. PIus elle
approche de Tinceste, plus elle en a horreur, et, rougissant de
son audace, elle voudrait retourner sur ses pas sans ^tre reconnue.
Ulque domum rediit : « Gaude mea, dixit, alumna;
« Yicimus. » Infelix non tolo pectore sentit
Laetitiam virgo, pracsagaque pectora moerent.
Sed tamen et gaudet: tanta est discordia mentis! 445
« Tempus erat, quo cuncta silent, inlerquc Triones
Flexerat obliquo plaustrum temone Boolcs.
Ad facinus venit illa suum. Fugit aurea co^lo
Luna; tegunt nigrae laliiantia sidera nubes;
Nox caret igne suo; primos tegis, Icare, vullus, 4S0
F.rigoneque pio sacrata parentis amore.
Ter pedis offensi signo est rfivocala; ter omen
Funereus bubo lelbali carmine fecit.
It tamen, et tcnebrae minuunt, noxque alra pudorcm;
Nutricisque manum la;va tenct, altera motu ^.'SS
Caecnm itcr explorat. Thalami jam limina tangit;
Jamque fores aperit; jam ducitur intus. At ilii
Poplite surciduo geniia intremuere, fugitquo
Kt color, et sanguis, animusque relinquit euntem.
Quoque suo propior sceleri, magis horrel, el ansi 460
Pcpnitel, cl veWcl noiv co^t\\V» ^%%^ tftNwW.
LIYRE X. 503
Tandis qu'elle hesile, sa nonrrice rentraine, la conduit pres do
son p^re, el dit : « Je vous la livre, Cinyre ; elle est a vous. » Kt
elle les unit par un abominable Hen. Le pere re^oit sa propre fille
dans sa couche criminelle ; il calme les scrupules de sa pudeur, et
s'efforce de la rassurer. Peut-6tre aussi, par un privil^ge de son
5ge, il Tappelle sa fille, et elle repond : Mon pere! afin que rien,
pas m^tne ces noms sacr^, ne manque a leur forfait.
« Myrrha sort du lit de son pere, emportant dans ses flancs
maudils un fruit sacrilege, le fruit dc fincesle. La nuit suivanle
renouvelle son crime, sans y mettre fin. Apr^s avoir plusieurs fois
goute famour dans ses bras, Ginyre brule enfin de connaitre son
amante. A la clarte d'un fiambeau, il voit et sa fille et son attentat.
La douleur enchaine sa voix. II tire du fourreau son epee elincelante
suspendue a son lit. Myrrha s'echappe. Les profondes tenebres de
la nuit la derobent a la mort. Elle s'enfuit k travers la cmnpagne,
laissant derriere elle les plaines de TArabie couvertes de palmiers,
et celles de la Panchaie. Neuf fois la lune favait vue errante, lors-
que enfin, epuisee de fatigue, elle s'arr6te dans les champs de Saba.
A peine peut-elle supporler le fardeau renferme dans son sein.
Trresolne, partagee entre la crainte de la mort et le degout de la
Cunctantem longacva manu dcducit, el allo
Admolam lecto quum Iraderet: « Accipe, dixit;
« Ista tua est, Ginyra, » dcvolaque corpora junsit.
Accipit obsceno genitor sua visccra lecto, 465
Virgineosque metus levat, hortalurque timcntem.
Forsitan aetatis quoque nomine, Filia, dicat;
Dicat et illa, Pater, scelcri ne nomina desint.
« riena palris tkalamis eiccdit, et impia diro
Somina fert ulero, conceptaque crimina portaU 470
Postera nox facinus geminat, nec finis in illa est. %
Quum landem Cinyras, avidus cognoscere amanlem
Post tot concubilus, illalo lumine vidit
Et scelus, et natam, verbisque dolorc retentis,
Pendenti nitidum vagina dcripit ensem. 47.^
Myrrha fugit, tenebris el caecaB munere noctis
Intercepta neci, latosque vagala per agros,
Palmiferos Arabas, panckaeaque nira relinquit,
Perque novem erravit redeuntis cornua luna?,
Quum landcm terra requievit fessa sabxa; ^*^0
Vixque uteri porlabat onus. Tum nescia noVa,
Atque JDter morthqne metus et laBdia \Ua,
59J MfiTAMORPHOSES.
vie, elle fait cette prieio : o Dienx, s*il en est cTaccessibles k la
f Toix du repentir, j'ai m^rite le plus cruel supplice et je suis
« prSte k m'y soumettre. Mais je ne veux souiller ni les regiards
f des vivants, en restant sur la lerre, ni les regards des ombres,
f en descendant chez les morts. Fermez-moi donc leur s^jour,
f et par une metamorphose derobez-moi en m^me temps k la
« vie et au trSpas. » Le repentir trouve des dieux propices : le
demier voeu de Myrrha fut exauc^. EUe parlait encore, lorsque
la terre couvrit ses pieds ; des racines se firent jour a travers ses
ongles pour servir d'appui a un tronc ^lesL Ses os devinrent un
boissolide, en conservant leur moelle; mais son sang se changea
en suc, ses bras en longues branches, ses doigf s en rameaux, et sa
peau en dure ecorce. Deja sa grossesse avait disparu sous les d6-
veloppements de Tarbre; ils gagnaient son sein et allaient attan-
dre son cou. Myrrha, loin de s'opposer a ces progr^, pencha sa
t^te pour les faciliter, et plongea sa face dans l'ecorce. Quoique
cette m^tamorphose ait ^louffe son ancienne passion, elle pleure
encore. Des larmes ardentes coulent de cet arbre, et ces larmes
sont d'un grand pirix. Le parfum qui en d^coule porte son nom,
et le rendra celebre dans tous les si^cles.
Esl tales exorsa preces : « 0, si qua patetis
« Numina confcssis, merui, nec Irisle recuso
« Supplicium. Sed, ne violem vivosque superstes, ^*
« Mortuaque extinctos, ambobus pellile rcgnis,
« Mutatseque mihi vitamque necemque negate. »
Numcn confessis aliquod palet. Ultima certe
Vota suos habuere deos. INam crura loquentis
Tof ra supervenit, ruptosque obliqua p«>r ungues 490
Porrigitur radix, longi firmamina trunci;
Ossaque robur agunt; mediaquc roanente medulla,
Sanguis it in succos, in magnos brachia ramos,
In parvos digiti; duratur cortice pellis.
Jamquc gravem crescens uterum perstrinxerat arbor, 495
Pectoraque obruerat, coliumque operire parabat.
Non tulit illa moram venientique obvia ligno
Subsedit, mersitque suos in cortice vultus.
Quae, quanquam amisit veleres cum corpore sensus,
Flet tamen, et tepid» manant ex arbore gntts. 500
Est honor et lact^mis ; stillalaque cortice Myrrha
iVomen hen\e teiiei, tmWxcva^e \att\>\vw «sq.
LIYRE X. 395
mSYAMORPHOSE d'aD0N1S EN aN^MONE, d'aTALANTE £T D^fflPPONENB
£N LIONS, D£ MENTUA EN MENTHE.
yni. « Gependant le fruit dW horrible inceste avait crd, et
cherchait a s'ouvrir un passage hors du tronc ou sa mere etait
cachee, et dont les ilancs appesantis se dilataient de plus en plus.
Mais MjTrha manquait de voix pour exprimer sa douleur. Au mo-
ment d'(§tre mere, elle ne pouvait appeler Lucine a son secours*
Uarbre semble en travail, se courbe et pousse des gemisse-
ments redoubles ; il est baigne des larmes qui s'echappent de son
ecorce. Lucine, attendrie, s'approche de Tarbre en souffrance;
elle y porte ses mains, et prononce ies paroles propres a raa*ou-
chement. L'arbre se fend, Fecorce s*ouvre : il en sort un enfant
qui crie. Les Naiades Tetendent sur Tberbe tendre el rembaument
des pleurs de sa m^re. L^Envie elle-m^me vanterait sa figure. li
ressemble a ces Amours que les peintres represeiUent nus sur la
toile; et, si Ton veut que Toeil s'y m^prenne, qu'on lui donne
un carquois, ou qu'on l'6te aux Amours. Le temps fuit a notre
ADOMIS IN ANEUONEM, ATALANTA ET HIPPOMENES IN LEONES, MENTHA
IN MENTHAM MUTANTUR.
TIII. « At raale conceptus sub robore creverat iafanSj
Quserebatque viam, qua se, genitrice rel.Hta,
Exsereret. Mcdia gravidus lumet arbore venter; 505
Tendit onus malrem ; nec hab^nt sua verba dolores ;
Nec Lucina potest parienlis voce vocari.
Nitenti tamen est similis, curvataque crebros
Dat gemitus arbor, lacrymisque cadentibus bumet.
Constitit ad ramos mitis Lucina dolentes, 510
Admovitque manus, et verba puerpera dixit.
Arbor agit rimas, et flssa cortice vivum
Reddit onus, vagitque puer, quem mollibus herbiS
Naides impositum lacrymis unxere parentis.
Laudaret faciem liror quoque. Qualia damque 515
Gorpora nudorum tabula pinguntur Amorum,
Talis erat; scd, ne faciat discrimina cultus,
Aut huic adde leves, aut ilHs deme ^ViaxeltaiS.
Ubiiur occulie, fallitque volatiUs fi&Uft ;
506 M£TAM0UIU10SES.
insu ct s'envoIe d'une aile rapide : rien n^est plus passager que
nosans. Fils de sa soeur et de son aieul, enferm^ naguere dans
' un arbre et ne depuis peu, Adonis est d^jk le plus beau- des
enfants. Bientdt adolesccnt et bientot liomme fait, il se surpasse
lui-m^me en beaute. II plait a Yenus, et va venger ies feux de
Myrrha.
f Un jour Cupidon, arme de son carquois, embrassait sa mere,
et, sans le savoir, d'un trail dont la poiute s'avan^it 11 dechira
son sein. La deesse, se sentant blessec, repoussa son fils. La plaie
etait plus profonde qu'elle ne le paraissait. Yenu» elle-mSme y fut
d'abord trompee. fiprise dcs charmes d^Adonis, elle oubliaCythere,
elle ne visita plus ni Paphos qui s^^l^ve au milieu des mers, ni
Gnide abondanle cn poissons, ni Amathonte riche en metaux.
ilUe nc se montra m6me plus a la celeste cour. Elle pref(§rait Adonis
au ciel. EUe ne pouvait s'en scparer, et s'attachait partout a ses
pas. Accoutumee jusqu^alors a gouter le repos sous rombrage, ou
a rchausser ses attrails par la parure, elle errait dans les bois,
sur les monts et sur les roches buissonneuses, un genou nu et
la robe relevee, comme Diane. Elle excitait les chieus, et chas-
sait une proie innocente, les lievres agilcs, les daims et les cerfs
£l nihil cst aiiiiis velocius. lilc sororc 520
Natus, uvoquc suo, qui condilus arbore nuper,
Nupcr cral geuilus, niodo formosissimus iufaus,
Jaiu juveuis, jam vir, jam se formosior ipso cst;
Jaiu placel cl Veneri, matrisque ulciscitur i;nes.
• Namque pliarelralus dum dat pucr oscu' *. inatri, 5So
luscius csslanti deslrinsit arundine peclus.
Lu;sa manu natum dca reppulit, altius actum
Vulnus erat spccie, priraoque fcfellcrat ipsum.
Capla viri forma non jam cythcrci* curat
Liltora, non alto rcpotil Paphon rcquore ciuclam, ooO
Piscosamque Gnidon, j^ravidamve Amathunla metalli.
Absti:.et et cobIo; coclo prxfcrtur Adonis.
llunc icnet;.huic comes cst; assuclaque sempcr in umbra
]ndulg( rc sibi, formiimque augere colcndo,
I\t juga, por silvas, uuinosaquc saxa vagalur iwJi
Nuda genu, vesteni ritu succiiicta Diuiio.',
llorlalurque cancs, VuVaiCY^^ aiA\\vuaUa pruidu*,
Aut pronos \cpores, ?luV tfe\4\3L\\\ *\v\ twww^ tv>xNw;cv\,
LIVRE X. 397
a la haute ramure. Elle n avait garde d^atlaquer les intrepides
sangliers, elle evilait les loups ravisseurs, les ours armes de
griffes terribles, et les lions qui se gorgent du sang des trou-
peaux. Elle rengageait aussi, Adonis, a les craindre. Mais de quoi
pouvaient servir ses conseils? « Deploie ton courage contre les
« animaux timides, te disail-elle. L'audace est dangereuse contre
« Taudace. fiyite une temerile qui compromettrait mon bonheur.
« Ne poursuis pas des animaux armes par la nature, et dedaigne
« une gloire qui me couterait trop cher. Ton 5ge, ta beaule, tes
« gr^ces, qui ont triomphe de moi, ne pourraient charmer les
« yeux ni le cojur des hons ou des sangliers. Dans leurs de-
« fenses les sangliers fougueux portent la foudre; la colere im-
« petueuse des lions est plus formidable encore. Je iiais cette
« race cruelle..» Adonis lui en demande la cause. « Je vais^
« Tapprendre, repond-elle. Tu seras ^tonne de la metamorphose
« qui punit une ancienne faule. Mais j'eprouve une fatigue ex-
« Iraordinaire. Voici un peuplier dont l'agreable ombrage invile
« au repos. Le gazon nous servira de siege. Asseyons-nous en-
semble. » Et elle. s'assied. En m^me lemps elle presse 1'herbe
tendre et son amant. Puis, la tSte penchee sur le sein d'Adonis,
Aut agitat damas. A forlibus abslinet apris,
Raptoresque lupos, armatosque unguibus ursoa 540
Vitat, et armenti saturatos casJc leones.
Xe quoque, ut bos timeas, si quid prodcsse moncndo
Possit, Adoni, monet : « Fortisque fugacibus esto,
« Inquit. In audaccs non esl audacia tula.
f Parce meo, juvenis, temerarius esse periclo; 545
«r Neve feras, quibus arma dedit natura, laccssc,
« Stet mihi ne magno tua gloria. Non movcl xtas,
« Nec facies, nec quai Venerem raovere, leones,
« Setigerosque sues, oculosque animosque ferarum.
« Fulraen lialjent acres in aduncis dcntibus apri ; 550
« Impetus est fulvis, et vasta leonibus ira ;
« Invisumque mihi genus est. * Qua3 causa, roganti,
« Dicam, ait, et veteris monstrum mirabere culpre.
« Sed labor insolitus jam mc lassavit, et ecce
« Opportuna sua blanditur populus urabra, 555
« Datque lorum cespes. Libet hac requiescere tccuni
« (El requievit), humo; • pressitque et gramcn, etipsum;
<« luquc sinu juTenis posita cervice, tecUnift
308 Hl^TAMORPHOSES.
elle commence ce r^t, qu'elle interroropt souvent par ses baisers.
« Pevt-(^tre as-tu entendu parler de la jeune fille qui surpassait
Mhh course les hommes lesplus agiles. Ge qu'on enraconte n'est
« pas une fable : elle les surpassait en effet, et Fon n'e<it pu dire
f ce qu'on admirait davantage en elle, ou sa vitesse ou sa beaute.
« Un jour elle consulta roracle sur le choix d'uu ^poux : « Tu n'as
c pas besoin d'epoux, Atalante, repondit le dieu : fuis rhymen.
« Cependant tu ne le fuiras pas toujours. Vivante, tu seras privte
« de toi-m6me. » Epouvantee de ces paroles, Atalante craint Thy-
« men, et passe sa vie dans d'epaisses for^ts. Aux instances de
« ses nombreux pretendants, toujours infiexible, elle oppose cette
« condition : « Je n appartiendrai qu'a celui qui m^aura vaincue
« ^ la course. Entrez en lice avec moi : le vainqueur obtiendra ma
Anain ; mais la mort sera le partage du vaincu : telle est la loi du
f combat. » Cette loi etait cruelle. Toutefois, tel est l'empire de la
f beaute, que de t^meraires rivaux s'y soumirent en foule.
« Spectaleur d'une lutte in^ale, Hippom^ne s'dcrie : « Eh
ff quoi ! c'est k travers de si grands dangers qu'on cherche une
« femme ! » 11 condamne leur imprudent amour. Mais, a peine
« a-^-il vu Atalante, a peine s'est-elle monlree sans voile a ses re-
■ Sic ait, ac mediis inlerserit oscula verbis :
/^ "^ « Forsitan audieris aUquam cerlamine cursus 560
l « Veloces superasse viros. Kon fabula rumor
* « llle fuit (superabat cnim), nec dicere posscs,
« Laude pedum, formaenc bono pra^stantior csset.
« Scitanti deus huic de conjugc : « Coujuge, dixil,
« Nil opus cst, Atalanta, tibi. Fuge conjugis usuni. 5G3
« Nec tamen effugies, teque ipsa viva carebis. »
« Tcrrita sorte dei per opacas innuba siWas
• Vivit, et inslaulem turbam violenta procorum
« Couditionc fugat : « Ncc sum poliunda, nisi, inquit,
« Victa prius cursu. Pedibus contendite mecum. 570
« PrjEniia veloci conjux ihalamique dabuntur.
« Mors pretium tardis : ea lex certaminis esto. »
« llla quidem immitis; sed (tanta polcntia formax est!)
« Venit ad hanc legem ^tcmeraria turba procorum.
« Sederat Ilippomenes cursus speclalor iniqui, 575
« Et : 0 Petitur cuiquam pcr tanta pcricula coujux 1 »
« Dixeral, ac uiraios \UNeiLum <\^m\wixa.t Maores.
« Ut faciem, ct pobiVo cotv^» \fc\^TOtfife ^v^\\.^
LIVRE X. 509
< gards, telle que je suis, tel que tu serais sous les traits d'une
it fenmie, qu'il reste ebloui, et, levant les mains : « Pardonnez,
« dit-il, vous que j'accusais naguere. Je ne connaissais pas le prix
« ou votre ainbition aspire. » En louant Atalante, il s'enflamme
« et redoute Tenvie. « Pourquoi, se dit-il a lui-m^me, ne tente-
« rais-je pas les hasards du combat (et il fait des voeux pour
ff qu'aucun des pretendants ne la depasse)? Les dieux secondent
« le courage. » Tandis que ces pensees roulent dans son esprit,
« Atalante part, aussi prompte que ToiseaXi. Quoiqu'elle eAt passe
« comme une fleche rapide sous les yeux d'Hippomene; ses char-
« mes lui parurent plus admirables : la course avait rehausse sa
« beautd. Sa robe flottante decouvre ses pieds legers. Sur ses
« epaules dlvoire voltigent ses cheveux, et ses genoux se des-
« sinent sous des franges brodees. Aux lis de son corps virgl-
« nal se m^le une teinte rose comme ces voiles de pourpre qui,
« suspendus aux blanches colonnes des theatres, y refletent leur
« couleur. Hippomene observe encore ; mais Atalante atteint deja
« la derniere limite et couronne de laurier son front victorieux.
« Les vaincus subissent, en gemissant, la peine convenue.
« Quale meum, vel qualc tuum, si femina fias,
« Obslupuil, toUensque manus : « Ignoscitc, dixil, 580
« Quos modo culpavi. Nondum mihi prasmia nola,
« Quse peleretis, erant. » Laudando concipit ignem,
tt Invidiamque timct. « Scd cur ccrlaminis hujus
« (Et ne quis juvenum currat vclocius optat),
c^lntcntata mihi forluna rclinquilur? inquit. o85
t Audentes deus ipse juvat. » Dum lalia sccura
« Exigit Hippomenes, passu volat alilc vir^o.
« QUse quanquam scythica non secius irc sngittu
« Aonio visa est juvuni ; tamcn illc decorem
< Miralur magis, et cursus facit ipse decorem, K90
« .\ura refcrtablala cilis (alaria plantis,
« Tergaque jactantur crines per cburnea, quaque
« Poplitibus suberant picto genualia limbo.
« Inque puellari corpus candore ruliorem
« Traxerat, haud aliter, quam quum super alria velum liOo
« Candida purpureum similem dat et inficit umbram.
< Dum notat hxc hospes, decursa novissima me!a cst^
« Et tegitur festa victrix Atalaata coiona.
« Daai gemiium victi, pendunlqao e& to&d&Te ^on!^'^.
400 MflTAMOaPHOSES.
c Cependanl llippomene, sans 6lre effraye du sort dc ces jeuncs
« rivaux, s'avance au milieu de rarene, et, les yeux fix& sur Ala-
c lante: « Pourquoi, dit-il, recherclier la gloire d'un facile triom-
c phe sur de faiblcs adversaires? Gombats contre moi. Si la
« fortune me donne la victoire, tu n^auras pas a rougir d'un si
« noble vainqueur. Je suis fils de Megaree qui regne a Oncheste,
ff et j'ai Neptune pour aieul. Ainsi j& descends du roi des eaux,
« et mon courage ne le cede pas a ma naissance. Si je suc-
« combe, la defaite d'Hippomene couvrira ton nom d'une gloire
« immortelle. » A ces mots, la fille de Schenee lui lance un
« doux regard. El!e ne sait si elle doit souhaiter de vaincre ou
« d"6tre vaincue. « Quel dieu, dit-elle, ennemi des beaux jeunes
« gens, a donc jure leur perte, et les oblige a briguer cet hymen
« au peril de leurs jours? Non, je le sens, ma main ne doit pas
« couter si cher. Ge n'est point la beaute d^Uippomene qui me
« plait; pourtant, je pourrais en etre charmee. Que dis je? c'est
« encore un enfant. Ge n est pas lui, c'est son age qui m'inleresse;
« c*est son courage intrepide en presence de la mort; c'est sa
« naissance, qui, par trois degres, remonte jusqu'au dieu des
« mers ; c'est surlout son amour, qui lui fait attacher tant de prix
« Non laiaeu evcnlu juvcnum detcrritus koruni 6C0
« Constilit in medio, vultuque in virgine fixo :
« Quid facilem titulum supcrando quicris inerlcs?
« Mecum confer, ail. Seu rae Fortuna pofentcm
« Feccrit, a tanto non indignabere vinc ;
« Mamquc mihi genilor Mcgareus Onciiestius. Uli C05
« Est r^eptunus avus; pronepos e^o regis aquarum;
« Nec virtus citra genus est. Seu vincar, liabebis
« Ilipponiene victo magnum et mcmorabile nomen. *
« Talia dicentem moUi Schocncia vuUu
« Aspicit, et dubitat, superari an vinccre malit. 610
« Atquc ita : « Quis dcus hunc formosis, inquit, iniquus
« Perdcrc vult, carseque jubct discriminc vitae
« Conjugium pclcre hoc? Non suni, me judice, tanti.
« Ncc forma tangor; poteram lamcn hac quoque langi.
« Quid? quod adhuc puer esl. Non nic movet ipsc, scd Ktas. Clo
H Quid? quod incst virtus, ct mcns intcrrila lcthi.
c Quld? quod ab ai(\uoveA \iwttvwo\.uv ori^iuc quarlus.
« Quid? quod amaLl, V;xwW(vaft ^wV^yX. tciwtivMx^ w^^w^.
LIVRE X. 401
« a ma main, qu'il est pr^t a mourir, si le Sort barbare la lui re-
• fuse. fitranger, fuis; il en est temps encore. Renonce a un hymen
« sanglant. Cellealliance est cruelle. II n'est point de femme qui
« ne se Irouve heureuse d'unir sa deslinee a la tienne, et tu es
« fait pour fixer les \odux d'une fille sage. Mais d'ou vient rinterfit
« que je prends a toi, lorsque tant de pr^lendants ont deja suc-
« combe ? Qu'il prononce lui-m^me ; qu'il meure, puisque le sort
« de ses rivaux ne suffit pas pour Tavertir, et qu'il est degoiit^ de
« la vie. II perira donc pour avoir voulu vivre avec moi? Un in-
« digne trepas sera le prix de son amour ? Ma victoire sera peu
« digne d'envie; mais on ne saurait m'en faire un crime. Puisses-
« lu changer de resolution! Si ton amour insense Temporle,
« puisses-tu, du moins, ^tre plus agile que moi I Quelle grdce
« virginale dans ses traits ! Ah! malheureux Hippom^ne, pour-
« quoi mc suis-je offerte a tes regards? Tu meritais de vivre. Si
« j^etais plus heureuse, si un sort impitoyable ne mMnterdisail
« riiymen, tu serais le seul auquel je voudrais appartenir. » Ainsi
« parle Atalanle. Dans sa simplicite, atteinte d'une premiere
« flamme, elle ignore ce qu'elle eprouve ; elle aime sans connaitre
« Tamour. D^ja le peuple et les grands demandent que la course
c Ut pcreat, si mc Fors illi dura ncgarit.
« Dum licet, hospes, abi, tlialamosque relinqiie cruentos. GIO
t CoDjugium crudele meum est. Tibi nubcre nulia
t Nolet, et oplari poles a sapienle puella.
c Cur tamen estmihi cura lui, tot jam ante peremptis?
« Vidcrit. Intereat, quoniam tot csedc procorum
« Adraonitus non est, agiturque in taedia vitae. 625
« Occidet hic igitur, voluit quia vivere mecum?
« Indignamque neccm pretium patietur amoris?
« Non crit invidiae vicloria nostra ferendaB.
« Sed non culpa mea cst. Ulinam desistere vclles!
« At, quoniam es demens, utinam velocior csses! ^^
« At quam virgineus puerili vultus in ore estl
« Ah! miser Ilippomene, nollem (ibi visa fuissem!
« Vivere dignus eras. Quod si felicior essem,
« Ncc mihi conjugium fata imporluna negarent,
« Unus eras, cum quo sociare cubiiia possem. » 635
« Dixerat, utque nidis, primoque Cupidine tacta,
< Quod facit ignorans, amat, et non sentit amotem.
« Jam soVuos poscunt cursus populusque vailet(\\ie,
402 METAMORPHOSES.
« commence. Alors \e rejeton de Neptune implore mon appui d'une
c voix inquiete : « Puisse la deesse de Cythere favoriser raon entre-
« prise, et proteger les feux qu'elle vient d^allumer ! » Le zephyr
« propice apporta ces vceux flatteurs jusqu'a moi. Je fus «mue, je
« Tavoue, et je lui pretai un secours qui ne souffrait point de retard.
« A Ghypre, dans le vallon le plus fertile, il est une plaine que
« les habitants appellent Tamase, et que leurs ancStres m'ont
« consacree en Tajoutant aux terres qui dotent mes autels. Au
« milieu de cette plaine s'eleve un arbre au bruyant feuiilage,
« couronne de pomraes d'or. Je venais d'en cueillir au hasard
« trois que je tenais encore. Invisible pour tous, except^ pour
« Hipporaene, je Tabordai, et lui appris Tusage qu'il devait en
c faire. Tout a coup la trorapette donne le signah Les deux an-
« tagonistes s'elancent de la barriere avec ardeur. Leurs pieds
< agiles rasent la terre. On dijrait que, sans les raouiller, ils
« pourraient effleurer Tonde, ou courir sur les blonds epis sans
c en courber la tete. Hipporaene est excite par les cris, les ap-
« plaudissements et les exhortations qu'on lui adresse : « Courage !
« courage I Hipporaene, redouble d^efforts ; presse tes pas ; d^
c ploie toutes te^ forces; hate-toi, et tu vaincras! » Le fils de
« Quum me sollicita prolcs acptunia voce
« Invocat Hippomcnes : « Cylhcreia comprecor ausis C40
« Adsit, ait, nostris, et, quos dedit, adjuvet ignes. »
Detulit aura preces ad me non invida blandas,
Molaque sum, fateor; nec opis mora longa dabatur.
« Est agcr, iudigenae tamaseum nominc dicunt,
« Telluris cypria) pars optima, quem mihi prisci 645
« Sacravere senes, templisque accedere dotem
« Hanc jussere meis. Medio nitet arbor in arvo,
« Fulva comam, fulvo ramis crepilantibus auro.
« Hinc tria forte mea veniens decerpta ferebam
« Aurea poma manu; nullique videnda, uisi ipsi, 650
« Hippomenen adii, docuique quis usus in illis.
« Signa tubie dedcrant, quum carccre pronus uterque
« Emicat, ct sumraam celeri pede libat arenam.
« Posse putcs illos sicco freta radere passu,
« Et scgelis canaj stantes percurrcre aristas. Co5
« Adjiciuut animos juveni clamorque, favorque,
« Vcrbaquc dicenlum •. -^ ^uiie^ nuxvc lucumbere tempus
« Hippomene, pTopcta*, tvvltvc V\t\\i\\% vk\.e,tviVci\:\^\
LIVRE X. 403
« M^garee est peut-^tre moins flatte de ces paroles que la fille
« de Schenee elle-m^me. Combien de fois, pouvant le depasser,
« elle modere son essor! Combien de fois, apres Tavoir long-
« temps regarde, elle en detourne les yeux, malgre elle! La
« fatigue commen^ait a dessecher le souffle dHippom^ne; et
« pourtant la bome etait encore ^loign^e. Alors il lance une
c des trois pommes d'or. Atalante, surprise, b^ule de la ramasser,
« suspend sa course, et saisit le fruit roulant. Hippomene la
« devance : Farene retentit d'applaudissements. Atalante, repa-
« rant par son agilit^ les moments perdus, laisse de nouveau
c Hippomene derriere elle, et, quoique retardee par un second
ff fruit qu'il a jete, elle le ramasse et depasse encore son rival.
« II ne restait qu'un dernier espace a franchir. « Mainlenant, dit
« le flls de M^garee, viens a mon aide, 6 deesse qui m'as fait ce
« pr^sent! » Aussit6t, afin qu'Atalante s'arrMe plus iongtemps,
0 HippomSne, par un mouvement oblique et avec toute la vi-
« gueur de son age, lance sa demiere pomme d'or dans la lice.
« La jeune flUe semble hdsiter. Je la contrains a saisir le fruit, et *
« je le rends plus lourd dans ses mains. Ce poids el le temps qui
« s'ecoula caus^rent du retard. Enfln, pour ne pas rendre raon
c Pelle moram; vinces. » Dubium megareius heros
n Gaudeat, an virgo magis his schceneia dictis. 660
« 0 quoties, quum jam posset transire, morata est,
« Spectatosque diu vultus invila leliquit!
« Aridus e lasso veniebat anhelitus ore,
« Hetaque erat longe. Tum denique de tribus unum
« Foetibus arboreis proles neptunia misit. f>65
« Obstupuit virgo, nitidique cupidine pomi
« DecliDat cursus, aurumque volubile tollit.
« Praeterit Hippomenes. Resonant speclacula plausu.
« Illa moram celeri cessataque tempora cursu
« Corrigit, atque iterum juvenem post terga relinquit, 070
« Et rursus pomi jactu remorata secundi,
« Consequitur, transitque virum. Pars ultima cursus
« Restabat : « Nunc,, inquit, ades, dea muneris auclor; »
« Inque latus campi, quo tardius illa rediret,
« Jecit ab obliquo nitidum juveniliter aurum. G75
« An peteret virgo visa est dubitarc. Coegi
« Tollere, et adjeci sublato pondera malo,
«'Impcdiique oneris pariter ginviiale moT%(\\ie.
404 Ml^TANORPIIOSES.
« r^it plus long que cette course, Atalante fut demiobe, et le
« vainqueur emmena sa conquSte.
« Ne meritais-je pas, mon clier Adonis, sa reconnaissance et
« son encens? £h bien, Tingrat ne m^offrit ni encens ni actions
« de gr&ces. Soudain le courroux s*empara de mon &me. Blessde
« d'un tel mepris, je vouius, par un exemple, m'en Spargner un
« semblable pour 4'avenir, et je m'excitai a la vengeance contre
« les deux epoux. Ils passaient un jour pr^s d'un t^ple qoe
« rillustre iSchion avait jadis fait elever au fond d'un bois m
« riionneur de la m^re des dieux. La fatigue d'un long voyage
« les invitait au repos. J'allume dans le coeur d'Hippom^ne des
« feux hors de saison. Non loin du temple s'ouvre un reduit fai-
« blement ^clair^. On dirait une grotte taill^ dans le roc. C^tait
« un asile sacre ou le pr^tre avait d^posS plusieurs images en
« bois des dieux antiques. Hippom^ne y p^nMre avec sa com-
< pagne, et le souille par une horrible profanation. Les dieux d^
^ « toument leurs regards. La d^esse au front couronn^ de toors
« veut pr^ipiter les coupables dans le Styx ; mais ce ch&timent
« lui paratt trop doux. Aussitdt leur cou se couvre d'une criniere
« Neve meus sermo cursu sit tardior illo,
j Praeterita est virgo. Duxit sua praemia victor. 680
« Dignane, cui grates ageret, cui thuris honorem
« Ferret, Adoni, fui? Nec grates immemor egit,
« Ncc mihi thura dedit. Subitam convertor in iram,
« Contemptuque dolens, ne sim spernenda futuris
« Exemplo caveo, meque ipsa cxhortor in ambos. 685
« Tcmpla deiim matri, quaj quondam clarus Echion
« Fecerat ex voto, nemorosis abdila silvis,
« Transibant, et iler longum requiescere suasit.
« lUic concubitus inlempestiva cupido
« Occupat Hippomenen, a numine concita nostro. 690
« Luminis exigui fuerat prope lempla recessus
ff Speluncae simiiis, nativo pumicc tectus,
« Rclligione sacer prisca, quo muKa sacerdos
« Lignea contulerat veterum simulacra deorum.
« Ilunc init, et vetito temerat sacraria probro. 695
« Sacra retorserunt oculos, turritaque Mater,
« An stygia sontes, dubitavit, mergcret unda.
« Pcena levis visa esl. ^t^o modiO \;es\^ ^Ml^aa
« Colla jub» veUnl; d\^l\ c>KN^tA.>K \u >itv^c&\
LIYRE X. 403
« fauve; leurs doigts s'arment d'ongJes aigus; leurs bras se
« changent en pieds ; lout le poids de lenr corps tombe sur leur
« poitrine, et leur queue balaye la poussiere. La colere respire
« dans leurs traits. Au lieu de parler, ils rugissent et habilent les
« for^ts. Lions terribles, ils ob^issent au frein sous la main de
« Cybele. Fuis-les, cher Adonis; fuis toutes les b^tes feroces, qui,
« loin de toumer le dos, presenlent leur poilrine au chasseur.
« Crains que ton courage ne nous soit funeste a tous deux. »
« Apres avoir donne ces conseils, Venus s'elance dans les airs
sur son char altel^ de cygnes. L'intrepide Adonis rejette ces avis.
Sa meute, attachee k la trace d'un sanglier, Tavait lance hors de
sa bauge. II 6tait pr^t a sorlir de la for^t, lorsque le fils de Cinyre
le frappe de c6te. Soudain le monstre, d'un coup de boutoir, re-
pousse r^pieu sanglant. Furieux, il poursuit le chasseur tremblant
qui cherchait un asile, lui plonge ses defenses dans Taine, et le
renverse expirant sur le sable. Venus, emportee dans Tespace
sur son char, n'6tail pas encore parvenue a Chypre. Elle re-
connut de loin les derniers g^missements d'Adonis, et dirigea
vers lui ses cygnes eblouissants. A peine, du haut des a^rs, Ta-
• £x humeris armi iiunt ; in peclora lotum 7(X)
« Pondus abit; summae cauda verruntur arenae;
« li*am vultus habet; pro verbis murmura reddunt;
« Pro thalamis celebrant silvas; aliisque timendi
« Dcnte premunt domilo cylieleia frena lconcs.
« IIos tu, care mihi, cumque liis genus omne ferarum, 705
« Quo} non terga fuga;, scd pugnae peclora prsbent,
« EfTuge, ne virlus tua sit damnosa duobus. »
« llla quidem monuit, junctisque pcr aera cygnis, .
Garpit iter. Scd slat monitis conlraria virtus.
Forte suem latebris, vestigfa certa secyti, 710
Kxcivere canes, silvisque exire parantem
Fixerat obliquo juvenis cinyreius ictu.
Trolinus excussit pando venabula roslro,
Sanguine tincta suo, trepidumquc et tuta petcntem
Trux aper insequitur, totosque sub inguine dentes 715
Abdidit, et fulva moribundum stravit arena.
Vccta levi curiu medias Cythercia per auras
Cypron olorinis nondum pcrvenerat alis.
A^novit longe gemitum morientis, el albas
Flexit aves illuc, Utque aMhere vidit ab alto l^<i
406 METAMORPHOSES.
t-elle vu ^tendu sans vie et inond^ de sang, qu'elle se pr^ipite
vers lui, dechire ses vetements, s'arrache les cheveux, se meurtrit
cruellement le sein, et, accusant le Sort : « Non, dit*elie, il ne
« sera pas tout enlier ta proie. Ciier Adonis, j'6temiserai le mo-
c nument de ma douleur. Tous les ans ta mort, retracee dans
« des fMes solennelles, renouvellera Timage de mon deuil.
c Ton sang sera change en fleur. Eh quoi ! Proserpine aura pu
« ra^tamorphoser une femme en menthe, et il me serait refuse
« d'op6rer un semblable prodige en faveur du fils de Cmyre ! »
£ile dit, et arrose de nectar le sang d'Adonis. Au contact de la
liqueur divine, il s'enfle. Telle la pluie el^ve des buUes diapha-
nes en tombant sur Tonde. En moins d'un instant, de ce sang
nait une fleur vermeille, semblable a ia grenade dont une souple
^corce enveloppe les graines. Mais cette fleur est eph^mere. Atta-
chees a sa tige par de faibles liens, ses fcuilles I^eres tombent
sous le souffle des m^mes vents qui lui donnent son nom. »
Exanimem, inquc suo jactantem saDguiuQ corpus,
Desiluit, pariterque sinus, paritcrque capillos
Rupit, ct indignis percussit pcctora palrais, '
Questaquc cum Fatis : « At non lamen omnia veslri
« Juris erunt, inquit. Luctus monumenla manebunt 725
« Semper, Adoui, mei ; repetitaque mortis imago
< Annua plangoris pcraget simulamina nostri.
« At cruor in florem mutabitur. An tibi quondam
« Feraincos artus in olenles vertcre raentbas,
« Persepbone, licuit ; nobis cinyrcius heros 730
« Invidio) mulatus erit? » Sic fata, cruorem
Nectare odorato sparsit. Qui taclus ab illo
Intumuit, sicut pluvio perlucida ca^lo
Surgerc bulla solet. Nec plena longior hora
Facta raora est, quum flos de sanguine concolor orlus, 735
Qualcm, qua) lenlo celant sub corticc granuni,
Punica ferre solent. Brevis cst taraen usus in illo;
Namque male hccrentem, ct niraia levituic caducum
Excutiunt idem, qui prxstant noraina vcnti. »
LIVRE ONZIEME
ORPH^E EST DiCHIRlB PAR LES BACCHANTES. — UN SERPENT
EST CIIANG^ EN PIERRE.
I. Tandis qu^Orpheeentraine lesfor^is, les ahimaux f^roces et les
rochers, sensibles a ses magiques accords, les Menades, couyertes
de la d^pouille des b^tes sauvages, et agitees par les fureurs de
Bacchus, l^aper^oivent du haut d'une coUine, mariant sa lyre a
sa voix. L'une d'elles, les cheveux epars, sYcrie : « Voila, voili
celui qui nous meprise. » A ces mots, elle frappe de son thyrse la
bouche m^lodieuse du pr^tre d'Apollon. Mais le thyrse, entour^
de feuilles, n'y laisse qu'une leg^re empreinte. Une autre lui
lance un caillou qui fend Tair. Mais, vaincu par les accents et la
I)Te harmonieuse d'Orphee, il tombe a ses pieds, et semble
LIBER UNDECIMUS
OBFBEVS A BACCHIS DISCERPTUS. — ANGUIS IN LAPIDEK CONVERSDS,
I. Carmine dum tali silvas, animosque ferarum
Threicius vatcs, et suxa seqUentia ducit,
Ecce nurus Ciconum, tcclaB lymphala ferinis
Peclora velleribus, tumuli de vertice cernunt
Orphea, percussis sociantem carmina nervis. 5
E quibus una, levem jactato crinc per auram :
« En, ait, en hic est nostri contemptor; » et hastam
Vatis apoUinei vocalia misit in ora,
Quae foliis praesuta notam sine vulnere fecit.
Altcrius tclum lapis cst. Qui missus, in ipso 10
Aere concentu victus vocisque lyraeque ealv
408 UfiTAMOUPnOSES.
demander grAce pour un si monslrueux forfait Les atlaques re-
commencent; Taudace ne connait plus de bomes; partout se
d^haine une aveugle fureur. La lyre d^Orphte aurait ^mousse
tous les trails; mais les cris effroyables, les flutes de Ber6-
cynthe, les tambours, les battements de mains et les hurlements
des Bacchantes, ^touilent ses accords. Sa voix n'est plus cn-
tendue, et les rochers sont teints de son sang. La foule in-
nombrable des oiseaux, des reptiles et des b^tes sau?ages 6tait
encore. ravie de ses accents. Les Bacchantes dispersent d*abord
ies t^moins de sa gloire. Ensuite elles toument contre lui leurs
mains ensanglant^^, et s'attroupent comme les oiseaux autour
d'un hibou qu'ils ont vu errer k la clart^ du jour. Elles l*en-
veloppent comme le cerf qui, des le maliui doit ^tre dans le
cirque la proie des chiens. Ellesfondent sur lui, et lefrappoit
de leurs thyrses ornes de pampres verts destines i un autre
usage. Gelles-ci lui lancent des mottes de terre, celles-la des bran-
ches d'arbres, d^autres des pierres : leur fureur trouve partout
des armes.
Non loin de l^, des boeufs sillonnaient les champs, et de ro-
Ac veluti supplcx pro tam furialibus ausis,
Ante pedes jacuit. Sedenim temeraria crescunt
Bella; modusque abiit, insanaque regnat Erinnys. ,
Gunctaquc tela forent cantu mollita; sed ingens 15
Clamor, et inflato berecynthia libia cornu, »
Tympanaque, plaususquc et bacchei ululalus
Obstrepuere sono citharaB. Tum denique sa\a
Non exaudili rubucrunt sanguine vatis.
Ac primum altonitas ellamnum voce canentis 20
Innumcras volucres, angucsque, agmenque fcrarum,
Hxnades orphei titulum rapuere Iheatri.
Inde crucntatis verluntur in Orphea dextris,
Et coeuni, ut aves, si quando luce vaganlem
Koclis avem cernunl; structoque utrinquc Ihcatro, 25
Ceu matutina cervus pcriturus arena,
Praida canum est; valemque pelunt, et fronde vircnl:
Conjiciunt thyrsos, non hoec in munera faclos.
Ua} glebas, illo} dereplos arborc ramos,
Pars torquent siliccs: nec dc&unt tcla furori. 30
Forlo bovfcs presso subigcbant vomcre terram;
\
LIVRE XL 409
bustes laboureurs, pr^parant la r^coUe de l*annde, ouvraient a
force de sueur un sol rebelle. A Taspect des Bacchantes, ils s'en-
fuient, laissant leurs outils disperses dans la campagne, les sar-
cloirs, les pesantes herses, les longs hoyaux. Ces furies s'en em-
parent ; puis, arrachant leurs cornes aux boeufs, elles se precipitent
de nouveau sur Orph6e pour riramoler. Cest en vain qu'il les sup-
plie en leur tendant les raains. Pour la premi^re fois ses paroles
sont impuissantes. La troupe sacrilege reste inflexible et lui donne
la raort. Son demier soupir s'exhale k travers cette bouche dont
les accents, 6 Jupiler! furent entendus des rochers, et compris
mtoe des monstres sauvages. Orphee, les oiseaux attristes, les
b6tes f(§roces, les durs rochers, les for^ls, si souvent attir^es par
tes chants, d^plorerent ta perte ; les arbres se depouillerent de
leur feuillage en signe de douleur; les fleuves eux-mt^mes se
grossirent, dit-on, de leurs propres larmes ; les Naiades et les
Dryades prirent le deuil et laisserent leurs cheveux ^pars.
Ses membres furent disperses. L'Hebre regut sa t6te et sa lyre.
0 prodige I cette lyre, en roulant au sein des flots, murmura quel-
ques sons plaintifs ; cette langue, deja glac^, poussa un gemisse-
Ncc procul hinc, multo fructum sudorc parantes,
Dura lacertosi fodiebant arva coloni.
Agmine qui viso fugiunt, operisque relinquunt
Arma sui ; vacuosque jacent dispersa per agros S5
Surculaque, raslriqiic graves, longique ligones.
Qusp. postquam rapuere fcrae, comuque minaci
Divellere boves, ad vatis fata recurrunt;
Tendentcmque manus, et in illo tempore primum
Irrita dicenlem, nec quidquam voce moventem ' 40
Sacrilegae perimuul; perquc os (proh Jupiter!) illud
Auditum saxis inteUectumque fcrarum
Sensibus, in vcntos anima exhalata recessit.
Te moesta3 volucres, Orpheu, te turba ferarum,
Tc rigidae siliccs, tua carmina saepe secutae, 45
Flcvcrunt silvs ; positis te frondibus arbos,
Tonsa comam, luxit. Lacrymis quoquc flumina dicunt
Incrcvisse suis; obscuraquc carbasa pullo
Naides et Dryades, passosque habuere capillos,
Mcmbra jacent diversa locis. Caput. Hebre, lyramque 50
Excipis; ct (mirum!) medio dum labituramne,
Flebile nescio quid queritur lyra, flebile lingua
410 HfiTAMOnPHOSBS.
ment Uigubre, el les rives repondirent i ces tri&tea acee^ts. Wj&^
emporlte vers la rner, eUcs quiltiiietit le fleuve qui baigne la
Thrace, el tcmchaient au rivage de MeHUyfiine, datis lllc de lesboaiJ
lorsque, sur ces bords ^traiigers, \m horrible serpenl atlaqua la
L^te d'Orphee et sEt chevelure imniide, Apollon parail cufm, U
torte ii5 replile pri^i k mordre, et le pelride, la gueule beante,
dans Vattitude ou il &e trouvaiu L^ombre d^Orpliee descend auj^_
Enfers, el recoTiaait lcs lieux quH a deja Tisites. 11 cherche Eii<9
rydicE parmi les ames justes. 11 la Irouve ei la pre«se tendremen!
dans ses bras. La ils se promenent l'un a cdte de Tautre. Tautot iJ
Ja suit, tant6t il la prec&de, et iJ regarde son Eurydice,
craindre desortnais qu^elle Jui soit ravie,
LES IdE^tADES SOttf WiTAMORPIIOSiES Gtl ARBftES.
Ih Cependant Baccbus ne Jaissa pas ce crime impiuii. Indtgn^
la inort du poele qui celebrait ses mysl^esi poiir punir Jes fetn-
mes de Tiiraoe, coiip^bJes d'un si horrlble attentatj il les endiaina
ioudain daiis tes for^ts par des racint^ tortueuses 11 atlongea
Hurmurat exanimis; respondent flebile ripae.
Jamque mare invecta» flumen populare relinquunt,
Et methymnaeae potiuntur littore Lesbi. 55
Hic ferus expositum jggEegri^isjinguis arenis
Os petit, et sparsos fctillam/ri^capillos.
Tandem Phoebus adest, morsusque inferre parantem
Arcet, et in lapidem rictus serpentis apertos
Gongelat, et patulos, ut erant, indurat hiatus. GO
Umbra subit terras, et quae loca viderat ante,
Cuncla recognoscit, quserensque per arra piorum
Invenit Eurydicen, cupidisque aroplectitur ulnis.
Hic modo conjunctis spatiantur passibus ambo :
Nunc prajcedentem sequitur, nunc prsevius anteit, 65
Eurydicenque suam jam tuto respicit OrQheus.
MfNADES IN ARBORES MUTANTUR.
II. Non impune tamen scelus hoc sinit esse Lyseus;
Amissoque dolens sacrorum vate suorum,
Protinus in silvis matres Edonidas omnes,
Qun fecere nefas, torta radice ligavit. 70
LIVRB XI. 411
les doigts de leurs pieds et les enfon^ dans la terre, sui?ant le
d^gr^ de fureur qui les anima dans leur crime. Semblable h Toi-
seau qui, pris au piege d'un adroit chasseur, gemit et resserre
lui-m6me en se dlSbattant le noeud qui Tenlace, les Menades, fixees
au sol, furent saisies d'effroi et essay^rent vainement de fuir. Une
racine flexible les retint et rendit leurs efforts impuissants. Elles
cherch^rent ou ^talent leurs pieds, leurs doigts, leurs ongles.
D^ja leurs jambes etaient changees en tiges. D'une main desesperee
elles voulurent meurtrir leurs flancs; mais elles frapperent le
tronc d'un ch6ne. L'6corce envahit leur poitrine et leurs epaules;
leurs bras s'etendirent. On les eAt pris pour des rameaux veri-
tables, et Ton ne se serait pas tromp^.
MIDAS CONVERTrr TODT EN OR.
in. Cetait trop peu pour Bacchus. II quitta ces campagnes. Suivi
d'un choeur plus fidele, il se transporta sur le Tmole qui lui est
consacre, et se rendit sur les rives du Pactole. A cette epoque, ce
fleuve ne roulait point des parcelles d'or, et son sable pr^cieux n'e-
Quippe pedum digitos, in quantum quacque secuta est,
Traxit, et in solidam detrusit acuminc terram.
Utque suum laqueis, quos callidus al>didil auceps,
Crus ubi commisit volucri^, sensitque teneri,
Plangitur, ac trepidans adstringit vincula motu; 75
Sic, ut quseque solo defixa cohaeserat harum,
Exsternala fugam fnistra tcntabat; at illam
Lenta tcnel radix, exsullantcmque coercet.
Dumque ubi sint digiti, dum pes ubi quaerit, et ungues,
Aspicit in teretes lignum succedere suras, 80
Et conata femur mcBrenti plangere dextra,
Robora percussit. Pectus quoque robora fiunt ;
Robora sunt humeri; porrectaque brachia veros
Esse putes ramos, et non fallare putando.
/u
MIDAS OMNIA IN ADRDM VERTIT.
UL Nec satis hoc Baccho est. Ipsos quoquc deserit agros, 85
Cumque choro meliore, sui vineta Tymoli,
Pactolonque petit, quamvis non aureus illo
Tempore, nec caris erat invidiosus arenis.
412 MfiTAMORPHOSES.
tait pas encore un objet d'envie pour les mortels. Les Satyres et
les Bacchantes, son cortege ordinaire, se pressaient sur ses pas.
Sil^ne seul ^lait absent. Des pSlres phrygiensTavaient surfHris
chancelant sous le poids des ans et du vin, et/apr^ rayoiren-
chane avec des guirlandes de fleurs, Favaient conduit h la cour
de Midas, initi^ aux myst^res de Bacchus par Orphee et i^Atheoien
Eumolpus. D^s que Midas eut reconnu Tami et le compagnon da
dieu, il ordonna, en Thonneur d'un tel h6te, un banquet somp-
tueux, qui se prolongea sans interruption durant dix jours et dii
nuits. Lorsque Tastre du matin chassa, pour la onzieme fois, tes
^toiles, le roi, plein d'all^^esse, ramena Silene dans les dianqis
de Lydie, et le rendit a son jeune nourrisson. Charme de re-
trouver le soutien de son enfance, Bacchus fit a Midas une offire
agreable, mais funeste ; il lui promit d'exaucer ses Toeux. Mi-
das devait abuser de ce don : « Que tout ce que je toucherai,
dit-il, se convertisse en or ! » Bacchus y consentit, et lui accorda
ce fatal privil^ge, tout en regrettant que son voeu ne fut pas
plus sage.
Midas se retire, transport^ de joie, et. se fdlicite de son mal-
heur. Pour eprouver reffet des promesses de Bacchus, il toucbc
Uunc, assuela cohors, Salyri Bacchseque frequeatant.
At Silenus abest. Titubantem annisque mcroque 90
RuricolaB cepere phryges, vinctumque coronis
Ad regem traxere Midam, cui thracius Orpheus
Orgia tradidcrat cum cecropio Eumolpo.
Qui simuj agnovit socium, comitemque sacrorum,
Uospitis advenlu festum genialiter egit 9o
Per bis quinque dies, et junctas ordine noctes.
lit jam slellarum sublime coegerat agmen
Lucifer undccimus, lydos quum Ixtus in agros
Rex venit, et juveni Silcnum reddit alumno.
Iluic deus optandi gralum, sed inutilo, fecit 100
Muneris arbilrium, gaudens altore recepto.
lUc male usurus donis, ait : « Eftice, quicquid
Corpore conligero, fulvum verlatur in aurum. »
Annuit oplalis, nocituraque munera solvit
Liber; at indoluit, quod non meliora petisset. lCo
Laetus abit, gaudetque malo bcrecynlhius hcros,
Pollicitamque fiOiem Vati^exvAo »Ti%wU tetitat.
LIYRE XI. 415
tous les objets. A peine peut-il en croire ses yeux. D detaclie une
branche d'un ch^ne peu elev6, et elle se metamorphose en ra-
meau d'or. II ramasse une pierre, elle se change en or. II touche
une glebe, et, en la touchant, il en fait un bloc d'or. II coupe
des epis vnXiTS : c'est une gerbe d'or. S'il cueille un fruit, on
dirait une porame des Hesperides. SMl touche les portes de son
palais, Tor rayonne sous ses doigts. Enfin Tonde qu'on verse sur
ses mains devient une pluie qui pourrait tromper encpre Dana6.
A peine peut-il contenir les esperances dont son coeur est rempli :
tout est or dans sa pensee. Tandis qu'il est au comble de la joie,
ses esclaves dressent une table qu^ils chargent de plats. Mais le
pain qu'il touche devient or, et les mets qu'essayent de broyer
ses dents avides, des qu'elles les effleurent, disparaissent sous le
m^tal brillant. L'eau pure qu'il m^le a la liqueur du dieu qui lui
fit ce don ruisselle en flots d'or sur ses Mvres.
Surpris de ce malheur nouveau, riche et pauvre a la fois, il
veut fuir son opulence. II maudit maintenant ce qui fut nagu^re
Fobjet de ses vceux. Au sein de rabondance, rien n'apaise sa faim ;
Vixque sibi credens, non alta fionde vireutem
Ilice detraxit Yirgam : virga aurea facta est.
Tollit humo saxum : saxum quoque palluit auro. 110
Contigit et glebam : contaclu gleba polenti
Massa fit. Arentes Cereris decerpsit aristas :
Aurea messis erat. Demplum tenct arbore pomum :
Hesperidas donasse putes. Si postibus altis
Admovit digitos, postes radiare videntur. 115
Ille etiam liquidis palmas ubi laverat undis,
Unda fluens palmis Danaen eluderc posset.
Vix spes ipse suas animo capit, aurea tingens
Omnia. Gaudenti mcnsas posuere ministri,
Exstructas dapibus, ncc tostae frugis egentes, l^)
Tum vero, sive ille sua cerealia dexlra
Munera conligerat, cerealia dona rigebant;
Sive dapes avido convellere denlc parabat,
Lamina fulva dapes, admolo dentc, premebat.
Niscuerat puris auclorem muneris undis: 125
Fusile pcr rictus aurum fluitarc videres.
Attonitus novitate mali, divrsque miserque,
Effugere oplat opes, et, quaj modo voverat, odit.
Copia nulla famcm relevat : silis arida guttur
414 UTAMORPHOSES.
]a soif brAle sa gorge aride. II repousse Tor qui lui fait subir de
justes lortures ; et, tendant au ciel ses mains et ses bras tout bril-
lants d'or : « Pardonne-moi, Bacchus, dit-il. Je suis coupable.
Prends pitie de mon sort, je t'en conjure, et d61ivre-moi des maux
enfantes par une illusion. » Les dieux sont indulgents. D^sarm^
par cct aveu, Bacxhus r^voque sa promesse et retire k Midas
son funeste present. « Pour que tes mains, lui dit-il, ne soieot
plus empreintes de cet or aveugl^ment convoit^, va te plongar
dans le fleuve voisin des superbes remparts de Sardes. Fran-
chis le sonmiet de la montagne d'ou tombent ses eaux ; remonte
jusqu'aux lieux ou il prend naissance, et, dans Tonde qui k sa
source m^mejaillit en flots ecumants, baigne ta tdte, etpurifie k
la fois ton Ame et ton corps. » Le roi, docile a cet ordre, se rend
au Pactole. La puissance de tout changer en or passe du oorps de
Midas dans le fleuve. Le germe, d^pose jadis dans ses eaux, dissd-
mine encore aujourd'hui le precieux m^tal a travers les cbamps
qu'il arrose.
APOLLON DONNE A HIDAS DES OREILLES D*ANB.
IV. Gueri de sa passion pour l'or, Midas aimait les champs, ies
Urit, et inviso merilus torquelur ab auro. 130
Ad coeiumque manus, ct splendida brachia tollens :
« Da veniam, Lenaje paler. Peccavimus, inquit.
Scd miserere, precor, speciosoque eripe damno. »
Mitc deum numen. Pacchus peccasse falenteni
Resliluit, pactamque fidem, data munera, solvit : 133
« Neve malc oplato maneas circumlitus auro,
Vade, ait, ad magnis vicinum Sardibus amncm;
Perque jugum montis labentibus obvius undis
Garpe viam, doncc venias ad fluminis ortus :
Spumiferoque tuum fonti, qua plurimus exit, 140
Subde caput, corpusque simul, simul elue crimen. »
Rex jussaB succedit aquaj. Vis aurea linxit
Flumen, et humano dc corporc cessit in amncm.
Nunc quoque jam vcteris percepto semine vcnaj
\ Arva rigent, auro madidis pallentia glebis. 145
mHJE PIICEBUS ADRES ASININAS TRIBUIT.
IV. llle, perosus opes, sWn^i^ cv ^wt^ q,o\Oq^v,
LIYRE XI. 415
bois et le dieu Pan qui habite les antres des montagnes. Hais il
conservait un esprit lourd, et sa soltise devait lui 6tre encore
aussi funeste qu*auparavant. De sa cime elevee, le Tmole domine
les mers. II est difficile a gravir, et ses vast^ flancs s'etendent
d'un c6t6 jusqu'^ Sardes, de Tautre jusqu^a Thumble Hypepes. La
Pan fait entendre ses chants aux jeunes Nymphes, et module
des airs legers sur son chalumeau. II ose mepriser les accords
d'Apolion, comme inf^rieurs aux siens, et engage avec lui un
combat inegal. Le dieu du Tmole est choisi pour arbitre. Le
Yieux juge prend place sur sa montagne, et d^age ses oreilles
de la for^t qui couvre sa t6te. Une simple couronne de ch^ne
ceint sa noire chevelure, et des glands pendent autour de ses
tempes. II jett^ les yeux sur le dieu des troupeaux, et dit : « Votre
juge est pr^t. i» Pan fait resonner ses pipeaux rustiques, dont la
sauvage harmonie charme Midas, pr^sent k cette lutte. Le Tmole
tounie ensuite vers Apollon sa iite venerable, et sa forM suit ce
mouvement.
ApoUon s'avance, lefront radieux, couronne du laurier du Par-
nasse. Sa robe de pourpre traine en longs plis sur la terre. Une
Panaque montanis habitantem semper in anlris.
Pinguc sed ingenium mansit, nocituraque, ut anle,
Rursus erant domino stolidse prsecordia mentis.
Nam, freta propiciens, latc rigcl arduus allo 150
Tmolus in ascensu, clivoque extenlus utroquc,
Sardibus hinc, illinc parvis finitur Ilypaepis.
Pan ibi dum teneris jactat sua carmina Nymphis,
Et levG cerata moduiatur arundine carmen,
Ausus apollineos prffi se contemnere cantus, 455
Judice sub Tmolo certamen venit ad impar.
Montc suo senior judex conscdit, et aurcs
Liberat arboribus. Quercu coma cserula tantum
Cingitur, et pcndcnt circum cava tcmpora glandcs. -
Isque deum pecoris speclans : « In judice, dixil, IGO
Nulla mora est. » Calamis agreslibus insonat ille,
Barl)aricoquc Midan (aderat nam forle canenti),
Carminc delinil. Tost hunc sacer ora relorsit
Tmolus ad os PhoDbi; vultum sua silva secuta cst.
Ille caput flavum lauro parnasside vinctus 1G5
Vcrrit humum tyrio saturata murice palla ;
410 MfiTAHORPHOSES.
lyre ornee de pierreries et dMvoire est dans sa main gancbe; la
droi(e tient Tarchet. Son attitude est celle du dieu de rharmonie.
D*un doigt savant il touche les cordes. Le Tmole, ravi de ieurs
accords, conseille aJPan d^avouer que ses pipeaux le cMexii a !a
lyre. Le jugement du dieu de la montagne r^unit tous les su^
frages. Midas seul Tattaque el le d^clare injuste. Apolion ne peot
laisser plus longtemps k des oreilles si grossiSres la figure de cel-
les de rhomme : il les allonge, les couvre d'un poil gris, et leur
donne la facult^ de se mouvoir en tous sens. Midas consarve la
forme humaine, k Texception de ses oreilles, qui ressemblent h
celles de l'^e indolent. II les cache sous la tiare tourlate qui
couvre sa t6te, et cherche a derober sa honte a tous les y^ix.
Mais elle n'^chappe point h resclave dont les ciseaux coupentses
cheveux. Malgre son vif d^sir, il n'ose r^veler cette difTormit^. fo-
capable de discretion, il s'eloigne, fait un trou dans la terre, et y
murmure a voix basse qu'il a vu les longues oreilles du roi. Pois
il comble la fosse, comme pour enterrer son secret, et se relire ea
Distinctamque fidcm gemmis et dentibus indis
Sustinet a laeva; tenuit manus altera plcctrum.
Artificis slatus ipsc fuil. Tum stamina doclo
Pollice soUicilat. Quorum dulccdine captus 17U
Pana jubet Tmolus citharae submitlere cannas.
Judicium sanctiquc placct scntentia montis
Omnibus. Arguitur tamcn, alque injusla vocatur
Unius sermone Midae. Nec Delius aures
Humanam stolidas palitur relinere figuram; 17S
Sed trahit in spatium, villisque albentibus implct;
Instabilesque iilas facit, et dat posse moveri.
Cselcra sunt hominis; purtem damnatur in unam;
Induilurque aures lentc gradientis aselli.
Ille quidem celat, turpique onerala pudorc 180
Tcmpora purpureis tenlat velare tiaris.
Sed, solilus longos ferro resccarc capillos,
Viderat hoc famulus. Qui quum nec prodere visum
Dedecus auderet, cupicns effcrre sub auras,
Nec posset reticere taraen, seccdit; humumque 185
Effodit, et, domini qualcs aspexerit aures,
Yoce refert parva, terrajquc imniurmurat hausta);
Indiciumque su» \oc\s VeXVuTft Tfe^^t^VaL
Obruit, ot scTob\bu% UcWus A\%tft^\V o^«\:\%.
LIVRE XI. 417
siience. Une for^t de roseaux crut en ce lieu. Au bout de Tannee,
des qu'ils eurenl pris tout leur developpement, ils trahirent celui
qui les avait fait naitre. Agiles par la brise, ils redirent ies pa-
roies ensevelies dans la terre, et publi^rent que Midas avait dcs
oreiiles d ane.
LES HURAILLES DB TROIE BATIES PAR APOLLON £T PAR ^El'TUNE.
V. Apr^ s'^tre venge, Apollon quitte ie Tmole. li traverse ies
plaines de Tair jusqu^au detroit d'Heiies, fiile de Neph^ie, et des-
cend dans ies champs ou r^gne Laomedon. A droite du promon-
toire de Sigee et a gauche de ceiui de Rhetee, est un antique au-
tel consacre a Jupiter, p^re des oracles. De ia, ie fiis de Latone
voit Laomedon eiever ies murs naissants de Troie, et poursuivre, a
travers milie travaux, une p^nibie enireprise qui exige des frais
considerabies. Apoiion et le dieu dont ie sceptre maitrise les flots
en courroux prenneut ia figure immaine, et conviennent avec le
roi de Phrygie d'une somme d'or pour construire les remparts de
ia viiie. L'ouvrage achev6, Laomedon refuse le saiaire convenu, et
met le combie a sa perfidie en ajoulant le parjure a Tinfid^iite.
< Ton crime ne restera pas impuni, » dit iemonarque des ondes.
Creber arundiDibus Ircmulis ibi surgere lucus lUO
Cocpit, et, ut primum pleno maluruit anno,
Prodidit agricolam; leni nam molus ab auslro
Obruta vcrba rcfert, dominiquc coarguit aures.
TROJ£ MObNIA AB APOLLINE ET NtPTUKO iKDlFICASTUR.
V. Ullus abit Tmolo, liquidumque pcr aera vcclus
Angustum citra pontum nepheleidos IIcUcs 105
Laomedonleis Letoius adstitit arvis.
Dexlera Sigxi, Rboetei Isva prorundi
Ara panomphaeo vetus cst sacrata Touanli.
Inde novaj primum moliri mamia Trojaj
Laomedonta videt, susccptaque magna laborc 200
Cresccre diflicili, nec opes exposcerc parvas.
Cumquc Iridentigero tumidi genilore profundi
Mortalem induilur formam ; phrygioque (yranno
iCldiflcant muros, paclo pro moenibus auro.
Stabat opus. Prelium rcx inficiatur, et addit, 205
Periidise cumulum, faUis perjuria verbis :
c Non impune feres, » rcctor roaris inquit, et omnes:
418 m£tamorphoses.
A ces mots, il incline les flols de son empire yers les rivages
avares de Troie, et en convertit les champs en plaine liquide; il
i^truit les tr^ors du laboureur, et ensevelit les gu^rels sous.les
eaux. Laom^don n'est pas encore assez puni: sa fille doit ^tre d^
voreepar unmonstremarin. Elle est enchain^e a un rocber; mais
lercule la delivi^e et reclame les coursiers promis pour salaire.
Frustr^ du prix d\m tel exploit, le h^ros force les remparts de
IVoie deux fois parjure. T^lamon, associeaux dangers de ce si^e,
en partage aussi la gloire. La main dllesione fut la recompensede
sa valeur. Pelee, son fr^e, avait uni sa brillante destin^ k celle
d'une Immortelle, et le nom de son aieul ne lui inspirait pas plus
Torgueil que celui de son beau-p^re. Si P^lee ne fut pas le seul
rejeton de Jupiter, il eut seul une d^esse pour epouse.
MARIilGE DE P^L^E ET DE Tn^TlS.
. VI. Le vieux Protee dit a Thetis : « Divinite de ronde, deviens
mere. Tu donneras le jour a un h^ros dont les hauts faits Tempor-
teront sur ceux de son pere, et surpasseront sa renomm^. »
Aussi, pour ne rien voir dans le monde au-dessus de lui-meme,
Inclinavit aquas ad aTara: littora Trojae,
Inque frcti formam tcrras convcrtit, opesquc
Abstulit agricolis, ct fluctibus obruit arva. 210
Poena ncquc bxc satis cst. Rcgis quoque filia monslro
Poscitur aequorco. Quam diira ad saxa revinclam
Yindicat Alcidcs, promissaquc munera, dictos
Poscit equos;. lantique operis mcrcede negala,
Bis perjura capit superato} moenia Trojai. ili^
Nec pars militio}, Telamoa, sino honore rcccssit,
Hesioneque data potitur. Nam conjuge Pelcus
Glarus erat diva, nec avi magis ille superbit
Nomine, quam soceri. Siquidem Jovis esse nepoli
Gontigil haud uni : conjux dca contigit uni. ^O
THETIDA PELEUS IN VATRIMONIDM DUCIT.
YI. Mamque scncx Thetidi Proteus : « Dca, dixerat, uadaa
Concipc. Matcr eris juvenis, qui fortibus acti^
Acta palris vincel, ma\ot(\VLfe Hoc^\i\V.\K 1 lo. »
Ergo, ue quidqu&m muu^u^ ^'(^'«v^ vei^v^ Viksi^^t
LIVRE XI. 419
titer, malgr^ les feux dont son coeur est embrase, ^vite la cou-
5 de Thetis. 11 commande a Pelee, son petit-fils, de subslituer
L amour au sien, et de s'unir a la jeune deit^ de la mer.
^a Thessalie presente un bassin dont les extr^mites se prolon-
it vers la mer. II formerait un port, si ses eaux etaient plus pro-
des ; mais a peine mouilient-elles la surface du sable. Le sol
ferme, et, loin de retarder la marche, il ne garde point Tem-
iinte des pas. On ne voit point d'algue sur ce rivage. Non ioin
la s'el6ve un bois de myrtes entrem^l^s d^oliviers. Au milieu
avre une grotte. On ne saurait dire si elle est Touvrage de la
ure ou de Tart ; mais Fart semble avoir plus fait que la na-
e. Cest la, Thetis, que tu avais coutume de le rendre sans
le, portee sur un dauphin assujetti au frein ; c^est la que P61ee
lurprit ensevelie dans le sommeil. Tu avais resiste a ses prieres.
ut recours a la violence, et fenlaQa dans ses bras. Si, comme
rdinaire, tu n'avais adroitement pris mille formes, Tauda-
ax eut triomphe. Tu devins oiseau, mais il te retint. Tu le
ngeas en un grand arbre, mais il 8'y attacha. Alors tu em-
Quamvis haud tepidos sub pectore sehserat ignes, 2^5
Jupiter xquorc» Thctidis connubia vitat;
Inque sua iEaciden succedere vota ncpotem
Jussit, et amplexus in virginis ire marinaB.
Est sinus Hxmoni» curvos falcatus in arcus.
Brachia procurrunt; ubi, si foret altior unda, 230
Portus erat; summis induclum est aequor arcnis.
Liltus habet solidum, quod nec vcstigia servct,
Nec remoretur iter, nec opertura pendeat alga.
M^tea silva subest, bicoloribus obsita baccis.
Est specus in medio. Natura factus, an arte, 233
Ambiguum; magis arte tamen. Quo saepe venire
('renato delphine sedens, Thelii nuda solebas.
IUic te Pcieus, ut somno vincta jacebas,
Occupat; el, quoniam precibus tenlata repugnas^
Yim parat, innectcns ambobus colla laccrtis. 240
Quod nisi venisses, variatis saepe figuris,
Ad solitas artes, auso foret ille potitus.
Sed modo tu volucri», volucrem tamen illc tenebat;
Nunc gravis arbor eras; baerebat in arbore PcVeu^.
T&rtJa forma fuit mnculosao tigridis. Ula ^^
420 METAMORPilOSES.
primtas les traits d'une tigresse, el le fils d'£aque» epouvante, te
laissa ^happer de ses bras.
Puis il oflrit aux divinites de la mer des libations de vin, im-
mola des victimes et fit fumer Tencens en leur homieur. Alors le
devin de Carpathos s'ecria du sein des ondes : « Fils d^Saque, pour
jouir de l'hymen que tu convoites, profite du moment ou Th^
goutera le sommeil dans sa grotte fraiche, et charge-la de vigoureux
liens. Ne te laisse pas abuser par ses metamorphoses : retiens*la
enchainee sous toutes ses formes jusqu^k ce qu'elle ait repris ses
T^ritables traits. » A ces mots, Protee plonge sa t^te au ((md des
eaux, et ses derni^res paroles e^pirent dans rabime. Le Soleil
^tait a son declin, et son char touchait les flots de rHesperie. La
belle Nereide quitte la mer et va, selon sa coutume, se reposer
dans sa grotle. A peine Pelee s'est-il empar^ de la Nymphe,
qu'elle muitiplie ses metamorphoses. Enfin, se sentant encbainee,
elle etend les bras a droite et a gauche, et, poussant un profond
soupir : « Tu triomphes, dit-elle, mais c'est par le secours d'un
dieu. » Soudain Thetis apparait sans deguisement. Le heros, fier
de son aveu, la presse contre son sein, et, charmS de sa conquSte,
il la rend mere du grand Achille.
Territus il!acidcs a corporc brachia solvit.
Indc deos pelagi, vino supcr aiquora fuso
El pecoris libris, et fumo ihuris, adorat,
Donec carpathius raedio dc gurgitc vates :
« ^acida, dixil, thulamis potiere petitis. 2^
Tu modo, quum gelido sopita quicscet in antro,
Ignaram laqueis vincloque innecte tcnaci.
Ncc te decipiat centum mentita figuras :
Scd premc quidquid erit, dum quod fuit ante reformct. »
Dixcrat haec Proteus, ct condidit a^quorc vulluro, 255
Admisitque suos in verba novissima fluctus.
Pronus erat Tilan, inclinatoque tenebat
Uesperium temone fretum, quum pulchra relicto
Mercis ingrcditur consueta cubilia ponto.
Yix bene virgineos Peleus invaserat artus, SGO
llla novat formas, donec sua membra teneri
Sentit, et in partes diversas brachia tendens,
Tum demum ingemuil: « Ncquc, ait, sine numine vincis.»
Exhibiia eslque l\veV.\s. ^otv\«i>^%av ^\a^V^v.\l.\i!C hcros,
Et poliiur noUs, m^e\iV\^\xe 'wa^\e\. KjJsmS»» ^
LIYRE XI. 421'
D^DAUON CHANGl^ EN £PERV1EB. -^ UR LOUP METAMORPIIOS]^ EN PIERRE.
VII. Pelee ^tait heureux pere, heureux epoux, et, s'il n'eut pas
ete coupable de la mort de Phocus, rien n'aurait manque k son
bonheur. Souill^ du meurtre de son frere, banni de ses foyers
et de sa palrie, il &'enfuit a Trachine. La regnait, sans violence el
sans cruaul^, le fils de Tastre du malin, Ceyx, dont le front brillait
de reclat paternel. Mais alors, fletri par la dbuleur et bien diffe-
rent de lui-m^me, il pleuralt un frere ravi a sa tendresse. Accable
de chagrin et fatigue de son voyage, le petit-fils d'fiaque entra
dans Trachine avec une suite peu nombreuse, laissant loin des
murs, dans une fraiche vallee, ses troupeaux de brebis et de
boBufs. A peine le palais du roi lui est-il ouvert, qu'il se presente
avec le symbole des suppliants. II dit son nom et celui de* son pere ;
il ne tait que son crime ; et, donnant un faux pretexte a son exil,
il demande une retraite dans la ville ou dans le voisinage. Le roi
de Trachine lui repond avec calme : « P^Iee, Thomme le plus obscur
a droit aux biens de mon empire. Mon palais n'est pas inhospi-
talier. Vous avez d'ailleurs des titres bien puissants a ma bien-
DiEDALION IN ACCIPITREM CONVERSUS; — LUPUS IN LAPIDEM.
VII. Felix et nato, felix et conjugc Pelcus,
Et cui, a^ demas jugulati crimina Phoci,
Omnia conligerant. Fratcrno sanguine sontcm,
Expulsumque domo patria trachinia tellus
Accipit. Hic regnum sine vi, sine caBde, tencbat 270
Lucifero genitore satus, patriumque nitorcm
Ore ferens Ceyx, illo qui tcmpore moe^lus,
Dissimilisque sui, fralrem lugebat ademptum.
Quo postquam ^Eacides fessus curaque viaque
Venit, et intravit, paucis comilanlihus, urbem; 275
Quosque greges pecorum, q\ix secum armenta tr.ihcbat,
Haud procul a muris sub opaca valle rchquit.
Copia quum facla cst adeundi prima tyranni,
Velamenta manu prsBtendens supplice, qui sit, '
Quoque satus, memorat ; tantum sua crimina celat. 280
Mcutitusque fugaj causam, petit urbe, vel agro •
Se juvet. Uunc conlra placido Trachinius cre
Talibus alloquilur : « Medias quoque conimoda p'cbi
Noslra patent, reicu; nec inhospita regna tencmus.
Adjicis huic animo momenla polenlia, c\aTum l^
422 M^TAMORPHOSES.
veillance, l'eclat de votre nom et de votre sang qiii vous donne
Jupiter pour aleul. Ne perdez pas le temps en pn^es : vos
voeux seront accomplis. Tout ce que vous voyez vous appartient en
partie. Je voudrais seuiement vous recevoir dans des jours pius
heureux. »
Des larmes accompagnaient ces paroles. P^lt^ et ses oompa-
gnons lui demandent quelle est la cause de sa profonde douleur.
«c Peut-^lre, leur dit-il, croyez-vous que cet oiseau qui vit de ra-
pine et repand la terrem* parmi les oiseaux a toujours ^t6 rev^tu
d'un plumage. II fut homme, et conserve encore autant d^audace
qull eut autrefois d'ardeur impetueuse k la guerre et de pen-
chant a la violence. II se nommait Dedalion. II re^ut la vie de
Tastre qui precede TAurore et disparait le dernier des daix.
Ami de la paix, je m'y consacrai ainsi qu'aux douceurs de Thy-
men. Mon fr^re, au contraire, eut du gout pour les combats san-
glants. Son courage soumit des peuples et des rois, conune au-
jourd^hui, sous sa forme nouvelle, il poursuit les colombesde
Thisbe. 11 eut pour fille la belle Ghion^, qui fut recherchee par
mille rivaux, des qu'ellc cut atteint sa quatorziSme ann^e. ApoIIon
et Mercure, revenant Tun de Delphes, Tautre du mont Cyllene, la
Nomen, avumque Jovcm. iNec lempora perde precando.
Quod pelis, omne fercs; tuaquc ha;c pro parte vidcto,
Uualiacumciuc vides. Ulinam meliora videres! »
Et flebat. Moveat qua! tanlos causa dolores,
Peleusquc comilesquc roganl. Quibus ille profatur : 290
« Forsitan hanc volucrem, rapto quaj vivit, et omues
Tcrrel aves, scmper pcnnas habuissc putctis.
Vir fuit, et tanta est animi conslantia, quanlum
Acer erat, belloque ferox, ad vimque paratus^
Nomine Da;daliou, illo genilore crcatus, 295
Qui vocat Auroram, cifloque novissimus exit.
Culta mihi pax est, pacis mihi cuia tuenda)
Conjugiique fuit. Fratri fera bella placcbant.
lilius virtus genles, regcsquc subcgil,
Qua nunc thisbSBas agitat mu(aia columbas. 300
* Nata erat huic Chionc, quse dotatissima forma
Mille procis placuit, bis seplera nubilis annis.
Fortc revetUnles \?\\ai\i>3i^, "ttA\^^\ut q.^ci\ius^
lUe suis De\p\i\ft, \v\o ^wvvte e^Wtwft^ii
LIVRE XI. 423
virent ensemble, et aussitdt ramour s'alluma dans leur cceur.
Apollon attendit jusqu'a la nuit le bonheur qu'il esperait. Mercure
ne supporta pas le moindre retard. De son caducee, qui repand le
sommeil, il toucha le front de la jeune princesse. A peine en eut-
elle senti la puissante atteinte, elle s'endormit, et le dieu en triom-
pha. Cependant la nuit avait seme le ciel d^etoiles. Apollon prend
les traits d'une vieille, et goute a son tour des plaisirs savoures
avant lui. Le temps amena pour Chione le terme de sa deli-
vrance. Du sang du dieu aile naquit Autolycus, d'une merveil-
leuse adresse pour le vol. Digne de son artificieux pere, 11 savait
changer le blanc en noir et le noir en blanc. Du sang de Phebus
(Chione avait enfante deux jumeaux) naquit Philammon, celebre
par ses chants et par sa lyre.
Mais que sert h cette infortunee d'6tre mere de deux fils, d'avoir
charme deux Immortels, d'avoir pour pere un roi puissant et pour
aieul le maitre des dieux? La gloire aussi fait donc le malheur de
rhomme. Elle perdit Chione, parce qu'elle avait ose se preferer a
Diane et attaquer sa beaute. Transportee d^indignation, la deesse
s'ecria : « Du moins tu rendras hommage a ma puissance. »
Soudain elle courbe son arc et lance une fleche qui perce la lan-
Videre hanc pariter, pariter traxere calorem. 305
Spem Veneris differl in tempora noclis ApoUo.
Non tulit ille moras, virgaque movente soporera
Virginis os tangit. Tactu jacet illa potenti,
Vimque dei patitur. Nox coelum sparserat astris.
Phoebus anum simulat, prseccptaque gaudia sumit. 310
Ut sua maturus complevit tempora venter,
Alipedis de stirpe dei, versula propago,
Nascitur Autolycus, furtum ingeniosus ad omne,
Qui facere assuerat, patrise non degener artis,
Candida de nigris, et de candentibus atra. 315
Nascitur e Phcebo (namque cst enixa gemelios),
Carminc vocali clarus, citharaque Philammon.
« Quid peperisse duos, et dis placuissc duobus,
Et forti genitore, et progenitore Tonanti
Esse salam prodest? An obest quoque gloria mullis? 520
Obfuit huic certe. Quae se praeferre Dianse
Sustinuit, faciemque dese culpavit. At ilh
Ira ferox mota est : « Factisque p\ace\)lm\is, » VckCijQLW..
JVec mora, curvavit cornu, nervoquc sagiUam
42t MtTAMORPHOSES.
gue de la coupable Chion^. Devenue muelte, elle ne retrouve ni
voix, ni paroles. Elle lente un dernier efforl; mais sa vie s'6«
chappe avec son sang. Malhcureux, je la pris dans mes bras.
Ainsi que I'exigeaient les droits du sang, je compatis a la douleur
d'un frere si tendre, el je m'efforQai de le consoler. D^esper^de
la perte de sa fiUe, il fut sourd k ma voix, comme le rocher aux
murmures des flots. A la vue de son corps d^vore par les flammes,
quatre fois il voulut s'elancer au milieu du bij]^cher ; quatre fois
repousse, il s'enfuit en toute hate, comme un taureau, piqu6 au
cou par des frelons, pr^cipite ses pas a travers des chemins escar-
p^s. II me parut courir plus vite qu'un mortel et avoir des ailes
aux pieds. II echappa a toutes les poursuites, et, presse de mettre
fln a ses jours, il parvint au sommet du Pamasse. D^jli il s*^tait
61anc^ du haut de la montagne, lorsque ApoUon, touch6 de soa
malheur» le changea en oiseau, et, le soutenant dans les airs, lui
donna, avec des ailes, un bec crochu et des serres recourbdes. II
garde son ancien courage et sa force plus grande que son corps.
fipervier maintenant, et cruel envers tous les oiseaux, il n'en
^pargne aucun, el repand parmi eux la douleur dont il est accabl^.»
Impulit, cl meritain trajecit arundiae iinguam. 325
Lingua tacet, nec vox, tenlataque verba sequuntur,
Conantcmque ioqui cum sanguine vita reliquit.
Quam miser amplexans ego lum palruoque dolorem
Corde tuli, fratrique pio solatia dixi.
Qus pater, baud aliter quam cautes murmura ponli, 330
Accipit, et natam delamentatur ademptam.
Ut vero ardentem vidit, quater impetus iili
In medios fuit ire rogos; quater inde repulsus
Concita membra fugae mandat, similisque juvcnco
Spicula crabronum pressa cervice gerenti, o35
Qua via nulla, ruit. Jam tum roihi currere visus
Plus homine est, alasque pedes sumpsisse putares.
Effugit ergo omnes, veloxque cupidine iethi
Vertice Parnassi potitur. Miseratur Apollo,
Quum se Dxdaliou saxo misisset ab alto, 340
Fecit avem, ct subitis pendentem sustulit alis,
Oraquc adunca dedit, curvos dedit unguibus hamos,
Virtutem anliquam, inBi'jotc& tOT^otfe nw^^ ♦,
Et nunc accipiler, nu\V\s suWs ai(\MMs,\u oimi^^
Sapvlt aves», aUisquo Ao\ot\s TxV t;vvis;ji ^o\wi^\, * "^^^^ \
LIVRE XI. 425
Tandis que le fils de Tastre du jour raconte ainsi ia merveiileuse
aventure de son fr^re, soudain accourt, hors d haleine, le gardien
des troupeaux de Pelee, Anetor, ne dans la Phocide. « Pelee, Pelee !
s'teie-t-il ; h^las ! je vous apporte la nouvelle d'un grand mal-
heur. » Quel que soit ce desaslre, Pelee lui ordonne de parler. 11
hesite pourtant. Le heros de Trachine est lui-m6me troublS. Ane-
tor poursuit : « Je faisais reposer vos boeufs sur les bords de la mer,
au moment ou le soleil, arriv6 au plus haut point de sa course,
voyait devri^re son char autant d'espace quMl lui en restait a par-
courir. Lesuns, les genoux inclin^s sur le sable, regardaient Tim-
mense dtendue de la mer ; d'aulres erraient a pas lents ; plusieurs
nageaient, la tSte au-dessus des flots. Pres de la mer s'el^ve un
temple qui ne doit sa renommee ni au marbre ni a Tor, mais a un
bois antique et sacre qui repand un epais ombrage. II est consacre
h Neree et k ses fiUes. Un p^cheur me Tapprit en faisant secher ses
filets sur lerivage. Non loin se trouveun lac forme par les d^or-
dements de la mer. II est couvert de saules. De ce repaire s'61ance,
avec un bruit terrible, un loup enorme qui remplit d'6pouvante
les lieux d'a1entour. Bientdt il quitte le bois marecageu.(, les yeux
Quae dum Lucifero genilus iniracula narrat
Dc coDsorte suo, cursu festinus anhelo
Advolat armenti custos phoceus Anetor.
« Heu, Peleu, Peleu ! magnic tibi nuntius adsum
Cladis, » ait. Quodcumque ferat, jubet edere Pelcus. 350
Pendet, et ipse metu trepidat trachinius heros.
Ille refert : « Fessos ad littora curva juvencos
Appuleram, medio quum sol altissimus orbe
Tantum respiceret, quanlum superesse videret.
Parsque boum fnlvis genua mclkiarat arenis, 355
Latai-umque jacens campum spectabat aquarum}
Pars gradibus tardis illuc errabat et illuc;
Kant alii, celsoque exstant super aequora coUo.
Templa mari subsunt, nec marmore clara, nec nuro
Sed trabibus densis, lucoque umbrosa veluslo. oG(!
Nereides Nereusque lenent. Hos navita lcmpli
Edidit esse deos, dum retia liltore siccal.
Juncta palus huic est, densis obsessa salictis,
Quam restagnantis fecit maris unda paludem.
inde, fragore gravj slrepitans, loca pro\\ma VcmV» ^^
Bellua vasta, lupus ; silvisque palusUibua ei\l.
426 M^TAMORPHOSES. '
itincelants, la gueule mena^ante, souillee d'ecume et de sang.
A la fois excite par la rage et la faim, mais surtout par la rage, il
ne yeut pas assouvir sur quelques boeufs rhorrible faim qui le de-
vore ; c'est sur le troupeau enlier qu'il deploie sa fureur. Tandis
que nous cherchons a les d^fendre, plusieurs de mes compagnons
expirent sous ses morsures cruelles. Le sang rougit le rivage, les
eaux et le lac qui retentit de mugissements. Tout retard est fu-
neste : le mal n'admet point d'irresoIution. Tandis que tout n'est
pas encore perdu, rassemblons-nous. Aux armes! aux armes!
courons tous aux armes ! »
Ainsi parle le gardien des troupeaux. Pel^ est peu touche de
ia perte qu'il lui annonce; mais il a toujours present le souvenir
de son crime. II sent que la fiUe de Neree, privee de son fils, veut,
par cette vengeance, apaiser Fombre de Phocus. Ceyx ordonne k
ses soldats de rev^tir leur armure et de saisir leurs traits redou-
tables. II s'appr6te lui-m6me a marcher avec eux. Mais Alcyone
accourt, attiree par le bruit, et, rejetant en arriere ses cheveux,
qu'elle n'a pas eu le temps d'arranger, elle serre son epoux dans
ses bras, elle le supplie, par ses prieres et par ses larmes, d'envoyer
Oblitus et spumis, et spisso sanguine riclus
Fulmineos, rubra suffusus lumina flamma.
Qui, quanquam sa3vit pariter rabieque fameque,
Acrior estrabie; neque cnim jejunia curat 370
Caide boum diraraque famem satiare, sed omne
Vulnerat armentum, sternitque hostiliter omne.
Pars quoque de nobis funesto saucia roorsu,
Oum defensamus, lelho CbL dala. Sanguine litlus
Undaquc prima rubent, demugitaequc paludes. 573
Sed mora damnosa est, nec res dubilare rcmittit.
Dnm superest aliquid, cuncti coeamus, et arma,
Arma capcssamus, conjunctaque tela feramus. »
Dixerat agrestis ; ncc Pelca damna movebant.
Sed, memor admissi, Nereida colligit orbam 380
Damna suo inferias exstincto mittere Phoco.
Inducre arma viros, violenlaque sumere tela
Rex jubet oetaeus, cum queis simui ipse parabat
Ire. Sed Ilalcyone conjux cxcita turaultu
Prosilit, ct nondum totos ornata capillos, 385
Disjicithos ipsos; colloque infusa mariti,
Mittat ut auxilium sine se, vcrbisquo prccatur,
LIVRB XI. 427
des secours sans s^exposer au danger, et de sauver deux vies en
sauvant la sienne. « Princesse. lui repond le petit-fils d'fiaque,
dissipez ces tendres alarmes qui irie prouvent toute votre affeclion.
Je vous remercie de vos secours. Je ne veux pas aller combattre ce
monstre d'une cruaute inouie, mais implorer la divinite de cette
mer. » Sur le haut de la montagne s'elevait uue tour qu'on aper-
cevait de loin, et qui offrait un asile aux vaisseaux en detresse.
Ceyx et Pelee y montent ensemble, et voient en gemissant, d un
c6te, les taureaux ^orges sur le rivage ; de Tautre, le monshre
portant partout la devastation, la gueule toute degouttante de
meurtre, et ses longs poils inondfe de sang. Alors le petit-fils
d'fiaque, les bras tendus vers la plaine liquide, conjure la belle
Psamathe de mettre un terme a son courrt)ux et de lui pr^ter son
appui; mais elle reste inflexible. Thetis uniises prieres a celles de
son epoux, et parvient a desarmer Psamathe, qui tente d'eloigner
lemonstre de cet horrible thealre de carnage. Mais, echauffe par la
soif du sang, si douce a sa lureur, il resiste jusqu'au moment ou,
dechirant le cou d'une genisse, il est change en marbre par la
Nereide. II conserve ses traits, et perd seulement sa couleur.
Celle du marbre annonce qu'il n'est plus un loup, et ne doit des-
Et lacrymis, animasque duas ut servet in una.
^acides illi : Pulchros, regina, piosque
Pone metus. Plena est promissi gratia vestri. 390
Non placet arma mihi contra nova monstra moveri.
Numen adorandum pelagi est. » Erat ardua turris,
Arcc patens summa, fessis loca grata carinis.
Ascendunt illuc, slratosque in littore lauros
Cum gemitu aspicinnt, vastatoremque cruento 393
Ore ferum, longos infectum sanguine villos.
Indc manus tenden ^ fn aperti littora ponli,
Coiruleam I'eleus Ps imathen, ut finiat iram,
Orat opemque ferat. Ncc vocibus ilia rogantis
Flectitur iLacidap. Tlietis hanc pro conjuge supplex 400
Accepit veniam. Sedenim revocatus ab acri
Caede hipus perslat, dulcedine sanguinis asper,
Donec inha^rentem lacerie cervice juvenca^
Harmore mutavit Psamathc, prselerque colorem
Omnia scrvavit. Lapidis color mdicat illum 405
Jam non essc lupum, jaro non debere timeri.
438 BI^TAMORPHOSES.
ormais inspirer aucune crainte. Tout6fois les Destins ne permet-
tent pas a Pelee fugitif de faire un long sejour d^ns cette contree.
L'exile gagne la Magnesie, ou le Thessalien Acaste lui foumit les
moyens d'expier la mort de Phocus.
CEYX ET ALCTONE. — NAUFRAGE DE c£tX. — LE PALAIS DU SOMMEIL,
G^TX ET ALGTONE TRANSF0RM£s EN ALGTONS.
VIII, Cependant la metamorphose accompUe dans la personne
de son fr^re, et celles qui Tavaient suivie, troublent le cocur de
Geyx. Pour calmer son inquietude il veut aller consulter Toracle
de Claros; car Timpie Phorbas avec ses Phl^giens infeslait la
route de Delphes. Cependant, avant d'executer son dessein, ii en
fait part a sa fidele Alcyone. A cette nouvelle, un ftH)id soudain
court dans ses veines, la pdleur couvre son front, et les larmes
inondent son visage. Trois fois elle essaye de parler, trois fois les
pleurs etouffent sa voix. Enfm elle exhale ces tendres plaintes
qu*entrecoupent ses sanglots : « Par quel crime, cher ^poux, ai-je
donc change ton coeur? Qu'est devenu Tinter^t que tu me te-
moignais autrefois? Deja tu peux feloigner sans regret de ton
Kec tamcn hac prorugura consisterc Pelca terra
Fata sinunt. Magnetas adit vagus exsul, et illic
Sumit flb hxmonio purgamina cxdis Acasto.
CETX ET UALCYONE. — CEYCIS NAUFRAGIDJI. — SOMXl DOMUS. — CETX
ET HALCYONE IN ALCYONES MUTANTCR.
VIII. Intcrea fratrisque sui, falremque secutis ilO
Anxia prodigiis turbatus pectora Ceyx,
Consulat ut sacras, hominum oblectamina, sortcs,
Ad clarium parat irc deum; nam templa profainus
Invia cum Phlegyis faciebat delphica Phorbas.
Consilii tamen ante sui, fidissima, certam 415
Te facit, Ualcyone. Cui protinus intima frigus
Ossa receporunt, buxoquc simillimus ora
Pallor obit, lacrymisquc genaj maduerc profusis.
Ter conata loqui, ter flctibus ora rigavit ;
Fingultuque pias inlcrruinpcntc querelas : 420
« QuaB mca culpa tuam, dixit, carissime, menlcm
Vertit? Ubi cst quaj cura mei prius csse sokbat?
Jam potes Halcyone securus abcsse relicla.
LIVRE XI. 429
Alcyone ; dejk tu songcs a un long voyage ; deja tu m'aimes mieux
absente. Du moins, je m'en flatte, tu voyageras par terre. Je
n'aurai alors qu'k m^allliger sans concevoir des craintes, et mes
ennuis seront exempts d*alarmes. Mais la mer, la triste image
de la mer, m'6pouvante. Naguere j'ai vu sur ses bords les debris
d'un naufrage; souveut j'y ai lu des noms sur de vains tombeaux.
Ne te fais pas illusion, parce qu'£ole, ton beau-pere, maitrise la
fureur des vents et calme les flots k son gre. Lorsque, une fois
d6chain6s, ils r^nent sur les ondes, fls ne respectent aucune
terre, aucune mer. Ils bouleversent m6me les nuages, et leur
choc impetueux fait jaillir d'liorribles ^clairs. Plus je les con-
nais (et je les connais bien; enfant, je les ai vus souvent dans
le palais de mon p^re), plus je les crois redoutables. Si mes
pri^res ne peuvent femouvoir, cher ^poux, si tu es bien d^ter-
min6 k partir, du moins permets-moi de te suivre. Nous cour-
rons les mSmes p^rils ; je ne craindrai que les maux dont je
souffrirai ; nous partageron^ tous deux le danger, et nous vogue-
rons ensemble sur la vaste mer. »
Les paroles et les pleurs d'Alcyone attendrissent son epoux.
Jam Tia longa placet, jam sura tibi carior absensc
At, puto, per terras iter est, tantumque dolebo, 425
Non etiam metuam, curaeque timore carebunt.
^quora me terrent, et ponti tristis imago.
Et laceras nuper tabulas in littore ^idi,
Et sspe in tumulis sine corpore nomina legi,
Neve tuum fallax animum fiducia tangat, 430 .
Quod socer Bippotades tibi sit, cui carcere fortes
Gontineat ventos, et, quum velit, squora placet.
Quum semel emissi tenuerunt equora venti,
Nil illis vetitum est, incommendataque tellus
Omnis, ct omne fretum ; coeli quoque nubila veiaut, 435
Excutiuntque feris rutilos concursibus ignes.
Quo magis hos novi (nam novi, et saepe paterna
Parva domo vidi), magis hoc reor esse timendos.
Quod tua si flecti precibus sententia nullis,
Care, potest, conjux, nimiumque es cerlus eundi, 440
Me quoque tolle simul. Certe jactabimur una ;
Nec, nisi quae patiar, metuam; pariterque fcremus
Quidquid erit, pariter super squora lata fercmur. •
Talibus ^olldos diclis lacrymisqne movetnr
430 METAMORPIIOSES.
II bnMait pour elle de tout l'ainour qu'elle avait pour lui ; mais il
ne veut ni renoncer a parcourir les mers, ni associer Alcyone ases
dangers. II cherche, par miile consolations, k rassurer son coeur ti-
mide, sans pouvoir lui faire approuver son projet. II ajoute une
promesse qui seule peut adoudr son chagrin : « Oui, dit-il, rab-
sence est toujours longue pour moi. Mais je te le jure par Tastre
qui m'a donne le jour, si les Destins le permetlent, je reviendrai
avant que la lune ait deux fois arrondi son croissant. b Ges
paroles lui donnent Tespoir d'un prompt retour. AussitOt Ceyx
fait mettre en mer et ^quiper un de ses vaisseaux. A cet aspect,
comme si elle eOt pr6vu Tavenir, Alcyone fremit et verse des
larmes. D^sesperee, elle se jette dans les bras de son epoux, fait
entendre un triste adieu, et tombe evanouie. Ceyx cherche en vain
des retards. Les matelots, places sur deux rangs, pressent les
ramesavec ardeur, et fendent les flots en cadence. Alcyone leve
ses yeux mouilles de pleurs. Debout sur la poupe, Geyx lui fait des
signes de la main. Elle les voit la premiere et y repond. Gependant
la terre s'eloigne, et les deux epoux ne peuvent plus distinguer
Sidereus conjux; neque enim minor ignis in ipso est. 44S
Sed neque propositos pelagi dimittere cursus,
Nec vult Halcyonen in partem adhibere pericli.
Multaque respondit timidum solantia pectus,
Nec tamen idcirco causam probat. Addidit illis
Hoc quoque lenimen, quo solo flexit amautem : 4^0
« Longa quidcm nobis omnis mora. Sed tibi juro
Per patrios ignes, si me modo Fala remittent,
Ante reversurum, quam luna bis impleat orl)em. »
His ubi promissis spes est admota recursus,
Protinus eductam navalibus aequore tingi, .455
Aptarique suis pinum jubet armamenlis.
Qua rursus visa, veluti prsesaga futuri,
Horruit Halcyone, lacrymasque emisit obortas,
Amplexusque dedit, trislique miscrrima tandem
Ore, vale, dixit, collapsaque corporc toto est. 400
At juvenes, quserente moras Ceycc, reducunt
Ordinibus geminis ad forlia pcctora remos,
^qualique ictu scindunt freta. Sustulit illa
Humentes oculos, stantcmque in puppe recurva,
Concussaque manu dantem sibi signa maritum 4G5
Prima videt, redditque notas. Ubi terra recessit
Longius, atque oculi nequeuni cognoscere vultus,
LIVRB XI. 431
leurs traits. Mais, tant qu'elle le peut, Alcyone suitde ses regards
le vaisseau qui s'enfuit ; et, quand Tespace le d^robe a sa vue, elle
contemple la voile qui flotte a la cime des m^ts. Des qu'elle n'a-
per^oit plus la voiie, elle se retire inquiete dans son appartement
solitaire et y cherche le repos. Mais son apparlement et son lit re-
nouvelient ses larmes en kii rappelant Tabsence d'un epoux cheri.
Le vaisseau avait quitt6 le port, et la brise agitait les c^les.
Les mateiots suspendent leurs rames aux flancs du navire, elevent
les antennes jusqu'au haut du m&t, d^ploient toutes leurs voiles
et recueillent les venls propices. Le navire, sillonnant les eaux,
avait a peu pres atteint la moitie de sa course, et se trouvait a la
m^me distance de Trachine et de Claros, lorsque, tout a coup, au
declin du jour, la mer blanchit, les vagues s'enflent, et Timpe-
tueux Eurus souffle avec violence. « Abaiss§z les vergues ! crie le
pilote, et pUez loutes les voiles. » Les rafales emp^chent d'obeir
a ses ordres, et le fracas des flc ts ne permet pas d'entendre sa
voix. Cependant plusieurs, de leur propre mouv^ment, se h^tent
de retirer les rames, d'autres de munir les flajics du vaisseau et
de derober les voiles a la fureur des venls. Celui-ci pompe reaii
Dum licet, insequitar fugientem lumine pinum.
Hsec quoqtte, ut haud poterat spatio submota videri,
Vcla tamen spectat summo fluitantia malo. 410
Dt ne.c vela videt, vacuum pelit anxia lcclum,
Seque toro ponit. Rcnovat lcctusque locusque
Halcyonai lacrymas, ct quae pars, admonet, absit.
Porlubus eiicrant, et moterat aura rudenlcs.
Obvertit laleri pendeutes navita remos, 475
Cornuaque in summa locat arbore, totaquc malo
Garbasa deducit, venientesque cscipit auras.
Aut minus, aut certe medium non amplius aequor
Puppe secabatur, longeque erat utraque tcllus,
Quum mare sub noctem tumidis albescerc coepit 4S0
Fluctibus, et praeceps spirare valentius Eurusi
« Ardua, jamdudum, demittite cornua, reclor
Clamat, et aotennis totum subnectile velum. »
Hic jubet. Impediunt adverstc jussa procella:,
Nec sinit audiri vocem fragor sequoris uUam. 485
Sponte tamen properant alii subducere rcmos,
Pars munire latus, pars ventis vela negare.
Egerit hic fluctus, sequorque ref undit in aequor ;
432 MJ^TaMORPHOSES.
et la rejette a la mer; celui-la enleve les antennes. Tandis que ces
mouvements s'executent en desordre, la temp^te augmente, les
vents s'entre-choquent de toutes parts avec furie et bouleyersent
les flots en courroux. Le pilote, tremblant lui-m6me, avoue qu'il
ne conhait plus sa position, et qu'il ne sait plus ce qu'il doit or-
donner ni ce quMl doit d^fendre : tant le mal est grand et sur-
monte son art ! L'air retentit du cri des matelots, du sifflment
des cordages, du choc des flots et des eclats de la foudre. Les
vagues s'elevent : la mer semble monter jusqu'aux cieux et se
confondre avec les nuages. Tantdt ronde prend la couleur du
sable arrache de rabime; tantot elle roule plus noire que le Styx ;
quelquefois elle presente une plaine toute blanche d'ecume.
Le vaisseau suit tous les mouvements de la mer. Porte a la cime
des llo(s, il semble, du sommet d'une montagne, dominer les
vallees et les gouffres de TAch^ron, ou bien, quand il est precipit^
dans Tabime, regarder les cieux du fond des enfers. Souvent,
battus par les vagues, ses flancs retentissent avec un bruit hor-
riblc, comme les tours dont le belier ou la bahste disperse les
^clals. Telles que des lions furieux, dont les bonds redoublent la
Hic rapit ^tennas. Quac dum sine lege geruntar,
Aspera crescit hiems, omnique e parle feroces 490
Bella gerunt veDti, fretaque indignantla miscent.
Ipse pavet, nec sc, qui sit stalus, ipse fatetur
Scire ratis rector, ncc quid jubeatve, vetetve :
Tanta mali moles, totaque potenlior arte cst!
Quippe sonant clamore viri, stridorc rudentes, 495
Undarum incursu gravis unda, tonitribus setlicr.
Fluctibus crigilur, (cclumque asquare videlur
Pontus, et induclas aspergine tingere nubcs.
£t modo, quum fulvas cx imo vcrrit arenas,
Concolor est illis, stygia modo nigrior unda; 500
Stemilur interdum, spumisque sonantibus albct.
Ipsa quoque his agitur vicibus trachinia puppis,
Et modo sublimis, vcluli de vertice montis,
Despiccre in valles, imumque Acheronta videtur;
Kunc, ubi demissam curvum circumstctil a:quor, 505
Suspicere inferno summura de gurgitc coclum.
Sscpc dat ingcntem fluclu htus icta fragorem,
Ncc lcviuspulsala souat, quam fcrreus olim
Quura laceras aries ballistave concutit arces ;
Utque solcnt, sumptis in curs^u viribus, irc olO
LIVRE XI. 433
force, se pr^cipitent sur les traits du chasseur, les ondes, soule-
vees par les venls, attaquent les agres du navire el s*elevent au-
dessus des raats. Deja les coins s^ebranlent ; les flancs, depouil-
Ids de cire, se relaclient et ouvrent aux eaux un funeste passage.
Soudain les nues ^clatent et versent des torrents. Le ciel parait
s'abimer dans la mer, et la mer s'elancer jusqu'au ciel. Les voiles
sont inondces. Les eaux de la mer se confondent avec celles des
cieux. Tous les astres ont disparu. Aux lenebres de la nuit se joi-
gnent les ten^bres de la tempete ; la foudre seule les perce de feux
^tincelants dont les vagues semblent embrasees.
Cependant les flots pressent le navire et vont penetrer dans ses
flancs. Comme, dans Tassautd^une ville, un soldat, plus intrepide
que ses compagnons, apres s'^tre elance a plusieurs reprises vers
des murs bien d^fendus, parvient a les gravir, et, enflarame de
l'amour de la gloire, s'en empare seul, entre miile guerriors;
de m^me, lorsque des lames furieuses ont assailli le vaissecu,
une dixieme, plus haute et plus terrible, se precipite et ne cesse
de battre sa membrure fatigu^e qu'apres s'y 6lre etablie comme
Peclore in arma fcri prxlcntaquc tcla leones;
Sic ubi sc vcnlis admiseral unda coortis,
Ibat in arma ratis, multoque erat altior illis.
Jamque labant cunei, spoliataquc tcgminc cevai
Rima patct, prxbetque viam letbalibus uiidis. 515
Ecce cadunt largi rcsolutis nubibus imbrcs,
Inque frctum cr^^das totum dcscendcrc coclum,
Inque plagas cocli tumefactura ascendere pontum.
Veia madent nimbis, et cum ccelcstibus undis
iEquoreas misccntur aqute. Caret ignibus a^tber, 520
Csecaque no\ premitur tenebris hiemisquc suisque.
Discutiunt tamen has, prsebentquc micanlia lumcn
Fulmina; fulmineis ardescunt ignibus undae.
Dat quoque jam saltus intra cava texta carimc
Fluctus, ct, ut milcs, numero praistantior omui, 5^
Quum su?pe assiluit defonsx moenibus urbis,
Spe potitur tandcm, laudisquc accensus amore
Inter miile viros, murum tamen occupat uiius.
Sic ujji puisarunt acrcs latera ardua fluctus,
Vaslius insurgens decimaj ruit impetus undic; 530
Nec prius absistit fcssam oppugnare carinam,
Quam velut in capt» desccndat moenia navis.
434 METAMORPUOSES.
dans un fort pris d'assaut. D'autres flots tentent de la suiYre,
d'autres flols s^introduisent apres elle. Les matelots courent eper-
dus; c'est le tumulte d'une ville sapee au dehors et occup^ au
dedans. L'art succombe : on perd courage, et dans cbaque flot qui
s'approche, on croit voir s'elancer et fondre la mort. L'un ne peut
retenir ses larmes, Tautre est glace d'effroi; celui-ci enyie le bon-
heur des mortels qu'attendent les honneurs funebres; celui-la
invoque les dieux, et, levant ies bras au ciel qu'il ne voit pas, il
en implore yainement Tappui. D'autres pensent a leur frSre ou a
leur p^re; d^autres regrettent leur famille, leurs enfants et tout
ce qu'ils ont quitte. €eyx ne songe qu'a Alcyone; le nom d'A]-
cyone est seul dans sa bouche, et, quoiqu'il ne regrette qu'elle» il
se feiicite d'en Stre s^par^. 11 voudrait Yoir les riyages de sa pa-
trie et tourner un dernier regard sur ses foyers. Mais il ne sait
ot il est : tant la mer est en iurie ! Les ^pais nuages qui enve-
loppent les cicux lui pr6sentent Timage d'une double nuit.
Le choc d'un affreux tourbillon brise le mM et le gouvemail.
Fi^re de ces d^pouilles, la trombe, comme un superbevainqueur»
Pars igitur tentabat adiiuc invadere pinum,
Pars maris intus erat. Trepidant iiaud secius omnes
Quam solet urbs, aliis murum fodientibus extra, 535
Atque aliis murum trepidarc tenenlibus intus.
Dcfi^it ars, animiquc cadunt, totidemque videntur,
Quot veniant fluctus, ruere atque irrumpere mortes.
Non tenet hic lacrymas; stupet hic; vocat ille beatos,
Funera quos maneant; hic votis numen adorat, S40
Brachiaque ad coilum, quod non videt, irrita tollens
jPoscit opem; subeunt illi fratresque parcnsque;
Huic cum pignoribus domus, et quod cuique reliclum est.
Ualcyone Ceyca movet ; Ceycis iu ore
NuUa nisi Halcyoneest; et, quum desideret unam, 545
Gaudst abesse tamen. Patrisc quoque vellct ad oras
Respicere, inque domum suprcmos vertere vultus.
Verum ubi sit nescit : lanta verliginc pontus
Fervet, et inducla piccis c nubibus umbra
Omne iatet coelum, duplicataque noctis imago cstl 550
Frangitur incursu nimbosi turbinis arbos,
Frungilur el regimen, s^o\\\Si^\ve^iivtCiQ%^^>aLvecstuas
Unda, velul victmt a\B.>xa\AiA <\e%vid\.>itw^^%^
LIVRB XI. - .455
domine ies flots qui rouient autour d^elle; et, pareille a rAthos ou
au Pinde qu'on aurait arraches de ieurs fondements pour les
renverser dans la mer, eile se pr^cipite avec fracas. Son poids et
la vioience de sa chute plongent le navire au fond de i'abime. La
piupart des mateiots, submerges avec iui, ne reparaissent plus a ia
surface et perissent dans l'onde; les autres s^attadient aux debris
du vaisseau. De ia m^me main qui porta ie sceptre, C^yx saisit une
piece flottante. U implore, heias ! en vain, son pere et son beau-
p^e. Mais pius souvent encore il appeile Aicyone : Aicyone occupe
son souvenir et sa pensee. li souhaite que, portee par ies flots, sa
d^pouiiie parvienne sous ies yeux de son epouse, et que ceiie-ci
rensevelisse de ses pieuses mains. Dans son naufrage, tant que
Tonde iui permet d*ouvrir ia i30uche, il repete ie nom de sa chere
Alcyone; ii ie murmure mSme au sein des flots. Tout Si coup une
vague noires'ei^ve en forme de voAte, se brise et engloutit Ceyx.
L'astre auquei ii devait ia naissance resta dans Fobscurit^ durant
ccttf* \)uit faUle qui ie rendit m^onnaissabie. Comme ii ne put
abandonuer ie ciel, ii voiia son front de sombres nuages.
Cependant ia filie d*fioie ignore cet affreux malheur. Elie compte
Nec lcTius, quam si quis Athon, Pindumve, revulsos
Sede sua, totos in apertum everterit sequor, 55S
Prscipitata ruit. Pariterque et pondere et ictu
Mergit in ima ralem. Cum qua pars magna virorum
Gurgiie pressa gravi, neque in aera reddita, fato
Functa suo est. Alii partes et membra carins
Trunca tenent. Tcnet ipse manu, qua sceptra solebat, 5G0
Fragmina navigii Gey.t, socerumque patremque
Invorat, heu ! frustra. Sed plurima nantis in ore
Halcyone conjux; illam meminitque refertque;
lllius ante oculos ut agant sua corpora fluctus,
Optat, et cxanimis manibus tumulelur amicis. £i65
Dum natat, absentem, quoties sinit hiscere iluclus,
Nominat Halcyonem, ipsisquc immurmurat undis.
Ecce super medios fiuclus niger arcus aquaruni
Frangitur, et rupta mcrsum caput obruit unda.
Lucifer obscurus, nec quem cogno^scere posses, 570
Illa nocte fuit, quoniamque excedere Olympo
Non licuit, densis texit sua uubibus ora,
iEolis interea, tantorum ignm nva\oTuui^
430. METAMORPUOSES.
les nuits, et se h^te d'achever les vStements prSpar^ pourG^yx,
et ceux dont elle doit se parer le jour de son arrivee. H^las ! elle
se promet un vain retour. Elle fait fumer Fencens sacr6 en
Fhonneur des dieux. Cest surtout a Junon que s'adressent ses
hommages. Prosternee au pied des autels, ellepriepour*un epoui
qui n*esl plus. EUe demande ^ la deesse qu'il vive, qu'il revienne
et he lui pref^re aucune rivale. Ce dernier voeu devait seul hire
exauce! Junon ne peut souffrir plus longtemps ces prieres pour
unmort;et, voulant eloigner de ses autels les mains impures
d^Alcyone : « Iris, dit-elle, fidele messag^re de mes volont^s, vo!e
promptement au paisible palais du Sommeil, et prie-le d'envoyer
h Alcyone un songe qui, sous les traits de Geyx, lui offre le vivant
tableau de ses maUieurs. » A ces mots, Iris ceint son echarpe aux
mille couleurs, et, Iragant dans le ciel un arc radieux, pOur obeir
k Tordre qu'elie a re^u, visite le palais du Sommeil, cache au
pied d'une roche.
Pres des Gimmeriens, dans le creux d'une montagne, s'Quvre
une grotte immense, sejour et temple du Sommeil indolent. Ja-
mais, ni a son lever, ni a son midi, ni a son declin, le soleil n'en
Diaumerat nocles. Et jam, quas induat ille
Festinat vestes; jam quas, ubi vcnerit ille, 575
Ipsa gcrat, reditusque sibi promitlit inanes.
0mnibu3 illa quidem Suj^^eris pia thura fcrebat.
Ante tamcn cunctos Junonis templa colcbat,
Proque viro, qui nullus erat, veniebat ad aras,
Utque foret sospcs conjux suus, utque redirct, 5S0
Oplabat, nuUamque sibi prajferret. At illi
Uoc de lot votis poterat contingere solum.
At dea non ultra pro functo morte rogari
Sustinet, uique manus funeslas arceat aris :
« Iri, mex, dixit, Gdissima nuntia vocis, 58'J
Vise soporiferam Somni velociler aulam,
Exstinctiqu^ jube Ceycis iraagine mitlat
Sorania ad Halcyonen, veros imitantia casus. »
Dixerat. Induitur velami'*a raille colorum
Iris, et arquato coclura curvamine signans, 500
Tecta petit jussi sub rupc lalentia regis.
Est prope Cimmerios longo spelunca rece^su,
llons cavus, ignaNi Aomxis eX ^wift\x^v^^\avv\.
Quo nunquam radWs otvefts, mftd\>3L«»N^» «'A^^tvv*^
LIVRE XI 437
dissipe robscuril^. De la terre s'exhalent de sombres vapeurs qui
interceptent presque entierement la lumi^re. L'oiseau vigilant,
couronne d'une cr^le, n\ippelle point en ce lieu TAurore par son
cliant. Le silence n'y est interroropu ni par le chien toujours en
^yeil, ni par l'oie dont Toreille est plus fine encore. On n'y entend
ni b^te sauvage, ni troupeaux, ni clameurs humaines, ni souflle
dans le feuillage. La r^ne le repos. Les eaux du Lelhe coulent
au fond de la grotte, et, en roulant sur un lit de cailloux, invitent
au sommeil par leur doux murmure. L*entree de la demeure est
couverte de pavots et d'une foule de plantes dont la Nuit tire des
sucs lethargiques qu*elle r^pand sur Funivers enseveli dans Tom-
bre. On ne voit dans cette demeure aucune porte qur, en toumant
sur ses gonds, produirait im bruit importun ; aucun garde n'y
veille. Au milieu s'eleve un lit de plumes, en bois 4'ebene, d une
seule couleur et couvert d'un tapis noir. Cest la que le dieu re-
pose ses membres languissants. Autour delui, sous mille formes
diverses, sont couches ^a et la les vains Songes, aussi Uombreux
que les epis des champs, les feuilles des for^ts ou les sables que
la mer depose sur le Tivage.
Pboebus adire polest. Nebuloc caligine mixtae 595
Exhalanlur humo, dubijBque crepuscula lucis.
Non vigil ales ibi cristati cantibus oris
Evocat Auroram, ncc voce silenlia rumpunt
SoUicitive canes, canibusve sagacior anser.
Non fera, non pccudes, non moti flamine rami, 600
Humanaeve sonum reddunt convicia lingua;.
Muta quics habitat. Saio tamen cxit ab imo
Rivus aquaj Lelhes, per quem cum murmure labcns
Invitat somnos crepitantibus unda lapillis.
Ante fores antri fccunda papavera florcnt, 605
Innumeraique herbaj, quarum de lacle soporem
Nox legit, et spargit per opacas humida terras.
Janua, qua verso stridorem cardinc reddat,
Nulla domo tota ; cnstos in liminc nullus.
At mcdio torus est ebeno sublimis in antro, 610
Plumeus, unicolor. pullo velamine tectus,
Quo cubat ipse deu^, membris languore solutis.
Ilunc circa passim, varias imiiantia formas,
Somnia vana jacent totidem, quot messis aristas,
Silva gerit frondes, ejeclas liltus ateuas. ^V^
438 h£TAMORPHOSES.
Ins entre. A peine ses mains ont-elles ^cart^ les Songes qoi
gdnent son passage, que T^lat dont brille son ^arpe Maire la
demeure sacr^e. Le dieu ouvre p4niblement ses yeux appesantis.
Plus d'une fois il se soul^ve et retombe en frappant sa poitrine de
son menton chancelant. Enfin il s'arrache k iui-mtoe, et, appuye
sur son coude, il reconnait la d^sse et lui demande quei motif
ramSne. Elle r^pond : t Sommeil, repos de la nature, Somsieil,
le plus paisible des dieux, calme de V§me, toi qui dissipes le cha-
grin, qui r^pares la fatigue du corps et le rends au travail ; com-
mande aux Songes qui reproduisent le mieux la ressemblanoe
d'aller a Trachine, sous les traits de Geyx, apprendre k Alcycme
le naufrage de son ^poux. Tel est Tordre de Junon. t Aprds avoir
rempli son message, Iris s'^loigna soudain ; car elle ne pouvait
plus supporter la vapeur assoupissante qui d^ja se ^issait dans
ses sens. EUe s'enfuit, et remonta aux cieux sur Tarc qui IV
vait amenee.
Parmi ses mille enfants, le Sommeil appelle Morph^, le pios
habile de tous a revStir la forme et les traits des mortels. Nul ne
sait mieux prendre, suivant Fordre qu'il a re^u, leur ddmarche,
Quo simul intravit, manibusque obstantia virgo
Somnia dimovit, vestis fulgore reluxit
Sacra domus. Tardaque deus gravitate jacentes
Vix oculos tollens, iterumque iterumque relabens,
Summaque percutiens nutanti peclora mento, 620
Excussit tandem sibi se, cubitoque levatus,
Quid veniat (cognorat enira), scitatur. At illa :
« Somne, quies rerum, placidissime, Somne, deorum,
Pax animi, quem cura fugit, qui corpora duris
Fessa ministeriis mulces, reparasque labori; 625
Somnia, quae veras sequent imilamine formas,
Herculea Trachine jube, sub imaginc regis
nalcyonen adeant, simulacraque naufraga fmgant.
Imperat hoc Juno. » Postquam mandata peregit
Iris, abit (neque enim uUerius tolerare vaporis 630
Vim poterat), labique ut Somnum sensit in artus,
Effugit, et remeat per quos modo venerat arcus.
At pater c populo natorum mille suorum
Excitat artificem, simulatoremque figursc,
Horphea. Noa iWo iussos &o\ctv\.\jL% ^XVtt 63S
LIVRE XI. , 439
lcur figure, leur voix, leurs habits et leurs discours familiers.
Mais il ne reproduit que rimage des humains. Un autre repre-
sente les b^tes sauvages, les oiseaux et les serpents aux longs
rephs. Les dieux le nomment Icdon, les hommes Phob^tor. Un
troisieme se pr^te a de nouveaux prestiges; il s'appelle Phantase,
C*est lui qui, avec un art merveilleux, se change en terre, en
pierre, en onde, en arbre et en tout autre objet inanime. Ces
trois Songes voltigent la niiit dans les palais des rois et des grands;
les autres visitent les demeures du vulgaire. Ce n'est pas a ces der-
niers que le Sommeil s'adresse. Dans toute sa famille, il ne choi-
sit que Morph^e pour ex6cuter les ordres transmis par la fiUe de
Thaumas. Puis, cedant aux langueurs du repos, il laisse tomber
sa t6te, et s'enfonce dans sa couche moelleuse.
Morph^e vole sans bruit a travers les tenebres, et arrive en un
instant aux murs de Trachine. II deposeses ailes etprendla figure
de Ceyx. Aussi pale qu'un mort, il apparait soudain, sans v6te-
ments, au pied du Ut de la malheureuse Alcyone. Sa barbe est
humide, Teau semble inonder ses cheveux. II se penche sur le Ut,
Exprimit incessus, vullumque sonumque loquendi.
Adjicit et vestes, el consuetissima cuique. .
Verba. Sed hic solos homines imitatur. At alter
Pit fera, fit volucris, fit longo corpore serpens.
Hunc Icelon Superi, mortale Phobelora vulgus 640
Nominat. Est etiam divers» tertius artis
Pkantasos. Ule in bumum saxumque undamque trabemque,
Quaeque vacant anima, feliciter omnia transit.
Regibus bi, ducibusque suos ostendere vultus
Nocte solent. Populos alii plebemque pererrant. 64£
Praeterit hos scnior, cunctisque e fratribus unum
Morphea, qui peragat Thaumantidos edila, Somnus
Eiigit, et rursus molli languore soiutus,
Deposuitque caput, straloque recondidit alto.
Ille volat, nullos strepitus facientibus alis, 650
Per tenebias, intraquc morae breve tempus in urbcm
Pervenit Haemoniam. Positisque e corpore pennis,
In faciem Gcycis abit, sumptaque figura
Luridus*, exsangui similis, sine veslibus ullis,
Conjugis ante torura misersB stelit. Uda videtur C55
Barba viri, madidisque gravis fluevc uivd^ ta^\\\\%.
410 M^TAMORPHOSES.
et, les yeux baignes de larmes : « Malheureuse epouse, dit-il, re-
connais-lu Ceyx? La mort a-l-elle diange mes traits?Regarde:
c'est ton epoux, ou plutot c'est son ombre. Tes voeux, ch^re Al-
cyone, ne m'ont ete d'aucun secours : j'ai p6ri. Cesse d*esperer
que je puisse fetre rendu a ton amour. L^orageux Autan a surpris
mon navire au milieu de la mer figee, et Ta brise sous ses ter-
ribles assauls. Ma bouche ne cessait de repeter en vain ton nom,
quand les flots la remplirenl. Ce n'est*pas un temoin suspect qui
te raconte les bruits vagues de la renommee: Cest moi-m^me qui
viens, apres mon naufrage, Tannoncer mon triste destin. Leve-
toi, pleure-moi, prends le deuil, et ne me laisse pas descendre
dans le sejour des ombres sans m'accorder une larme. » Morphee
accompagna ces paroles d'une voix qu'Alcyone dut prendre pour
celle de son epoux. II parut aussi repandre des pleurs verilables,
et reproduire les gestes de C^yx.
Alcyone g^mit et pleure; elle dgite ses bras en dormant; elle
veut embrasser son epoux; mais c'est Tair qu'elle embrasse:
f Demeure, s'ecrie-t-elle ; ou fuis-tu? nous partirons ensemble. i
Troubl^e par sa propre voix et par Timage de Ceyx, elle se reveille,
Tum lecto incumbcns, fletu super ora rcfuso,
Hacc ait : « Agnoscis Ceyca, miserrima conjux;
An mea mutala est facies ncce? Respice : nosces,
Inveniesque tuo pro conjuge conjugis umbram. OCO
Nil opis, Ilalcyone, nobis tua vota tulerunt.
Occidimus : falso tibi mc promiltere noli.
Nubilus ODgajo deprendit in oequore navim
Auster, et ingenti jactatam flamine solvit;
Oraque nostra, tuum frustra clamantia nomen, GC5
Implerunt fluctus. Non haec tibi nunliat auctor
Ambiguus, non isla vagis rumoribus audis.
Ipse ego fala tibi praesens mca naufragus cdo.
Surge, age, da lacrymas, lugubriaque indue, nec me
Indeploratum sub inania Tartara mitte. » G70
Adjicit his vocem Morpheus, quam conjugis illa
Crederet esse sui; fletus quoque fundere veros
Visus erat, gesturaque manus Ceycis habebant.
Ingemit Ilalcyone lacrymans, motatque lacertos .
Per somnum, corpusque petens ampleclitur auras, C7ii
Exclamalque: « Mane. Quo te rapis? Ibimus una. »
Voce sua, specieque viri turbata soporem
LIVRB XI. 4il
et cherche rombre a rendroit ou elle lui est apparue ; car ses es*-
claves, avec des lumieres, etaient accourus a ses cris. Mais, ne
pouvant la Irouver, elle meurlrit son visage, dechire son sein et
les voiles qui le couvrent, arrache ses cheveux sans les denouer,
et repond a sa nourrice, qui lui demande le sujet de sa douleur :
f Tu n'as plus d'Alcyoiie; Alcyone n'est plus ; elle est morte avec
Bon cher C6yx. Ne la console point. II a peri dans un naufirage. Je
Tai vu , je Tai reconnu, et, comme il s'61oignait, je iui aitendu les
bras pour le retenir. Je n'ai saisi qu'une ombre, mais c'etait Tom-
bre reelle et veritable de mon epoux. Toutefois ses traits etaient
changes, et son front ne brillait plus du mSme ^clat. Malheu-
reuse l je Tai vu pale, nu, et les cheveux encore humides. Ypici la
place ou il s'esl monlre dans le plus triste 6tat (et elle cherchait
ies traces de rombre). Cetait donc la ce que me presageaient mes
craintes, lorsque je te conjurais de ne pas me fuir pour t'aban-
donner a la merci des vents. Ah ! puisque tu devais p^rir, que ne
m'as-tu emmenee avec toi? II m^eCki ete doux, oui, bien doux de
te suivre t Ma vie ne se serait pas un instant ^coulee loin de toi,
etla mort m^me n'eiit pu nous desunir. Maintenant, sans naufrage,
Exculit, et primo si sit circumspicit illic,
Qua modo visus erat; nam moli voce ministri
Intulerant lumen. Postquam non invenit usquam, ' 6S0
Perculit ora manu, laniatque a pectore vestes,
Pecloraque ipsa ferit; nec crinem solvere curat;
Scindit, et altrici, quse luctus causa, roganti :
« Kulla est Halcyone, nuUa est, ait : occidit una
Cum Ceyce suo. Solantia tollite verbii. G83
Naufragus iuleriit. Vidi, agnovique, manusque
Ad discedentem cupiens retinere tetendi.
UmLra fuit, sed et umbra tamcn manifcsta, virique
Vera mci. Non ille quidem, si quxris, habebat
Assuetos vultus, nO(C quo prius ore nitebat. 690
Pallentem, nudumque, ct adhuc humente capillo
Infelix vidi. Stetit hoc miserabiiis ipso
Ecce loco (ct quaerit, vestigia si qua supersint).
IIoc erat, hoc animo quod diviuante timcbani;
Et ne, me fugiens, venlos sequerere rogabam. 095
At certe vellem, quoniam periturus abibas,
Me quoque duxisses. Fuit, ah I fuit utilc tccum
Ire mihi; neque enim de vitae tempore quidquam
Non simul egissem, nec mors discrela fuisset.
S5,
442 H£TAH0RPII0SES.
je meurs avec toi dans les flots ; et, sans me possMer, la mer m-a
requ dans son sein. Ah ! mon coeur serait plus cruel que les ondes,
si je m^efforQais de prolonger mes jours ou de survivre a une si
grande douleur. Mais non, je ne Tessayerai point ; non, malheu-
reux ^poux, je ne fabandonnerai pas. Maintenant, du moins, je
puis faccompagner. Si nos cendres ne reposent pas dans la m6me
urne, nos deux noms seront inscrits sur ie m^me tombeau, et»
si nos depouilles ne peuvent ^tre reunies, mon nom touchera le
tien. d La douleur i*emp6che de poursuivre. A chaque mot, elle
se frappe la poitrine, et des soupirs s'echappent de son coeur
oppresse.
Au point du jour, elle sort du palais, court au rivageet se dirige
Iristement vers Tendroit ou elle avait vu son epoux s'embarquer.
La elle s'arr6te : a Cest ici , dit-elle, qu'il mit a la voile ; c'est
ici qu'il me donna le baiser d'adieu. » Tandis qu'elle se re-
trace les scenes dont ses yeux furent temoins, et qu^elle prom^ne
ses regards sur la mer, elle aper^oit dans le lointain, flottaat
sur l'onde, un objet semblable a un cada^ re. Elle ne distingue
pas d'abord ce que c'est. Peu a peu les flots pcussent le corpe
vers elle. Quoiqu'il soit encore eloign^, elle reconnait la d^pouille
Nunc absens perco; jaclor nunc fluctibus absens, 700
Et sine me me pontus habet. Crudelior ipso
Sit mihi mens peiago, si vilam ducere nitar
Longius, et tanto pugnem superesse dolori.
Sed neque pugnabo, nec te, miserande, reiinquam;
Et tibi nunc saltem veniam comes, inque sepulcro 705
Si non urna, tamen junget nos littera; si non
Ossibus ossa meis, at nomen nomine tangam. »
Plura dolor prohibel, verboque intervenit omni
Plangor, et attonito gemitus e corde trahuntur.
Mane erat. Egreditur tcctis ad littus, et illum 710
Moesta locum repetit, de quo spcctarat cuntem.
Dumque moratur ibi, dumque : « Hinc rctinacula solvit,
Hoc mihi discedens dcdit oscula littore, » dicit.
Dumque notata oculis reminiscilur acla, Iretumque
Prospicit, in liquida, spatio dislante, tuctur 713
Nescio quid, quasi corpus, aqua; primoque, quid illud
Esset, erat dubiura. Postquam paulo appulit unda,
Ei, quamvis aberat, corpus tamen esse liquebat.
LIVRE XI. 443
d'uB hommd. Elle ignore quel est cet infortun^ ; mais il a pei i
dans un naufrage, et son cobut est troubl^ de cet augure. Puis,
comme si elle pleurait un inconnu : « H^Ias ! dit-elle, qui que tu
sois, je plains ton sort et celui de ton 6pouse, si tu en as une. »
Les filots rapprochent le cadavre du bord. Plus elle est attentive,
pius ses sens sont emus. Enfin le corps touche au rivage ; Alcyone
peut le reconnailre. Elle regarde. Cetait son ^poux. • Cest lui ! »
s'ecrie-t-elle. Au m^me instant elle dechire ses v^tements et son
visage, elle s'arrache les cheveux, et, lendant k Ceyx ses mains
Iremblantes : « Est-ce ainsi, cher epoux, dit^elle, est-ce ainsi,
raalheureux, que tu deyais m'^tre rendu ? »
Pr^s de la mer est une digue artificielie qui brise la premi^re
imp6tuosite des flots et rend leur choc impuissant. Alcyone s'y
^lance, au grand etonnement de tous; mais elle volait. Oiseau
infortun^, fendant Tair de ses r^centes ailes, elle eflleurait
les vagues. Des sons tristes, des cris plaintifs, sortaient de sa
bouche ou plut6t de son bec. Elle touche ce corps p^e et glace,
entoure de ses ailes ces resles ch^ris, et y imprime mille baisers.
Quis foretf ignorans, quia naufragus, omine mota est ;
Et, tanquam ignoto lacrymas daret : « Ileu ! miser, inquit, 720
Quisquis es, et si qua est conjux tihi! » Fluctibus actum
Fit propius corpus. Quod quo magis illa tuetur,
Uoc minus ct roinus est jam mcns sua. Jamquc propijnquae
Admotum terrse, jam quod cogn«scere posset,
Cernit. Eral conjux! « lUe est! * exclaniat, ct una 1%
Ora, comas, vestem lacerat, tcndonsque tremenles
Ad Ceyca manus : « Sic, o carissimc conjux,
Sic ad mc, miserande, redis? » ait.
Adjacet undis
tacta manu moles, quo! primas a^quoris iras
Fraogit, et incursus quse prsedelassat aquarum. 730
Insilit huc, miruniquc fuit potuisse! volabat,
Percutiensque lcvcm modo natis aera pennis,
^tringebat summas ales miserabilis undas.
Dumque votat, ma*sto similem, plenumquc querel»
Ora dedere sonum, tenui crepitantia rostro. 235
Ut vero tetigit mutum et sine sanguine corpus,
Dilcctos artus amplcxa rccentibus alis,
Frigida nequicquam duro dedit oscula rostro.
44i M^TAMOKPllOSES.
Ceyx les a-t-il ressenlis, ou bien le moiivemcnt de ronde a-t-il
souleve sa tele? on ne sait; mais il y avait ete sensible. Les dieux
tous avaient enfin change les deux epoux en oiseaux. Leur amour
est rest^ ie meme, malgre ces nouveaux destins, et, sous ieur
nouvelle forme, fideles a la foi de Thymen, ils s'accouplent et mul-
tiplient. Pendant sepl jours sereins, en hiver^ TAlcyon couve dans
un nid suspendu sur les flots. Alors la mer est sans danger : £oie
enchaine les vents dans leur prison, et calme ies flots en faveur
de ses pelits-fils.
MiTAM0RPH0S£ D^SAQUB EN PLONGEON.
IX. Un vieillard les voit voler sur la plaine liquide, et applaudit
k de si fideles amours. Un aulre vieillard, si ce n'esl le m^me, dit
alors : « Cet oiseau que vous voyez effleurer les flots, ct dont les
jambes sont si greles (il montrait un plongeon au long cou), sort
aussi du sang dcs rois. Si vous voulez connailre son origine, il
compte pour aieux Ilus, Assaracus, Ganymede enleve par Jupiter,
le vieux Laomedon, et Priam, qui vit la derniere journ^e de Troie.
Senserit hoc Ceyx, an vultum moiibus undao
Tollcre sit visus, populus dubitabat; at ille 740
Senserat, ct tandem, Superis miseranlibus, ambo
Alitc mutanlur. Fatis obnoxius isdem
Tunc quoque mansit amor, nec conjugialc solutum
Fcedus in altibus : coeunt, fiuntque parentes,
Perque dies placidos, hiberno tempore, seplem 745
Incubai Ilalcyone pendentibus aiquore nidis.
Tum via tuta maris. Ventos custodit, et arcet
iEolus egressu, praestatque nepotibus aequor.
iESACnS IN MERGUH TBANSFOBMATUS.
iX. Hos aliquis senior circum frela lata volantes
Spectat, et ad finem servatos laudat amores. 750
Proximus, aut idcm, si fors tulit: « llic quoquc, dixit.
Quem mare carpentem, substrictaquc crura gercnleni,
Aspicis (ostendcns spatiosum guttura mcrguni),
Regia progenies; et si descendere ad ipsum
Ordine perpeluo quocris, sunt hujus origo 7i>5
llus, et Assaracus, raptusquc Jovi Ganymedes,
Laomcdonque senex, Piiamusque novissima Trojae
UVRE XI. 445
II ^tait fiSre d'Dector. S'il n'eut subi sa m^lamorphose au prin-
lemps de l'age, peut-etre en eiit-il egal^ la gloire. Hector devait
pourtant lejour a la fille de Dymas, tandisqu'une simple Nym-
phe, Alexirhoe, enfanta secretement Esaque dans les for^ts de
rida,en s'appuyant surune branclie fourchue. Ennemi des villes,
loin du fasle de la cour, il recherchait les monts solitaires, la sim-
plicite des champs, ct se montrail rarement dans les cercles
dTion.Neanmoinsson cceur n'elail poinlsauvage et inaccessible
aux trails de Famour. Souvent il chercha Hesperie dans les bois.
Un jour il la vit sur les bords du Cdbrene, son pere, Iorsqu'elle
s^chait au soleil ses longs cheveux epars. A son aspect, laNymplie
disparut comme une biche effrayee 6vite un loup, ou comme une
cane, surprise par un epervier, fuit loin du lac qui lui sert d\isile.
fisaque poursuit Hesp^rie et la presse : Tamour h^te sa marche,
comme la crainte precipite les pas de la Nymphe.
c Tout a coup un serpent, cachesousrherbe, perce de sa dent
aigue le pied d'Hesperie, et glisse son venin dans ses veines. Au
m^me instant elle s'arr6te et meurt. Son amant, hors de lui, em-
brasse ses membres glaces. « Ah ! s'ecrie-t-il, quel malheur pour
Tempora sortitus. Fratcr fuit Hccloris iste.
Qui nisi sensisset prima nova fala juventa,
Forsilan inferius non Hectore nomen haberet, 760
Quamvis cst illum proles enixa Dymantis.
jEsacon umbrosa furtim peperisse sub Ida
Fertur Alcxiihoe, gracili conala bicorni.
Oderat hic url)es, nitidaque remolus ab aula,
Secretos monles cl inambitiosa colcbat 7G5
Rura, nec iliacos ccetus, nisi ranis, adibat.
Non agreste tamen, nec inexpugnabile amori
Pcctus habens, silvas captatam sappe per omnes,
Aspicit Uesperien patria Cebrenida ripa,
Injectos humeris siccantem sole capillos. 770
Visa fugit Nymphe, veluti perterrila fulvum
Cerva lupum, longeque lacu deprensa rclicto
Accipilrem fluvialis anas. Quam Troius heros
Insequitur, cclcremque melu celer urget aroore.
« Ecce lalens hcrba coluber fugientis adunco 775
Dente pcdem strinxil, virusque in corpore liquil.
Cum vila suppressa fuga est. Amplectitur amcns
Exanimem, clamatque: « Piget, piget esse sccutum.
446 METAMORPHOSES.
« moi de favoir poursuivie ! Mais pouvais-je le pr6voir ? Jamais je
ff ii'eusse voulu triompher a ce prix. Inforlun^t deux ennemis font
ff perdue, le scrpeat qui Ta blessee, et moi qui ai caus^ ta mort.
« Je serais plus coupable que le serpent, si je ne consolais ton
i tr^pas par le mien. » A ces mots, du haut d'un rocher min4 par
les vagues bruyantes, il se jette dans la mer. T^thys, touchee de
son desespoir, adoucit sa dmte, et, tandis qu'il sillonne les flots,
«lle lui donne des ailes. La mort, objet de ses vceux, lui esl ainsi
refus^e. II s'indigne de conserver une vie odieuse, et de trouver
des obstacles qui retiennent son ^me, impatienle de quitter sa
triste demeure. Port^ sur ses r^ntes ailes, il vole a la surface
des eaux, et s'y prdcipite eucore ; mais son plumage le souUent.
Dans son delire, ii plonge au fond de Tabime, et s'obstine a y
chercher le tr^pas. L'amour a caus^ sa maigreur. Sa jambe est
effilee, son cou s*allonge, et sa tMe s'^loigne de son corps. II aime
Tonde, et doit son nom a rhabitude de s'y plonger. »
« Sed noD hoc timui ; nec crat mihi vincero tanti.
« Pcrdidimus miseram nos te duo. Vulnus ab angue, 780
« A me causa data cst. Ego sim sceleratior illo,
« Ni tibi morte mea mortis solatia mittam. »
Dixit, ct c scopulo, quem rauca subedcrat unda,
Se dedit in pontum. Tethys miserata cadentcm
MoUitcr excepit, nantemque per rcquora pennis 785
Teiit, ct optatae non cst data copia mortis.
Indignatur araans invitum vivere cogi,
Obstariquc animsB, misera de sede volenti
Exire ; utquc novas Immeris assumpserat alas,
Subvolat, alque iterum corpus super aequora mittit. 790
Pluma leval casus. Furit ^sacos, inque profundum
Pronus abit, lelhique viam sine fine rctentat.
Fecit amor maciem; longa internodia crurum,
Longa manet cervix ; caput est a corporc longe.
^quor amat, nomenque tenet, quia mcrgitur illo. » 195
LIVRE DOUZlfiME
LB SERPENT QUI AVAIT ANNONG^ LA DUREE DE U GUERRE DE TftOIE EST
P^TRIFI^. — UNB RIGHE EST INMOL^E A LA PLAGE D^IPHIGBNIE.
I. Priam, ignorant que son fils £saque vivait sous la forme d'un
oiseau, d^plorait son trepas, et, sur le c^notaphe ou son nom fut
grave, flector et ses fr^res offrirent des presents h son ombre. P^
ris n'assista point a cette c^r^monie fun^bre, lui qui, bientdt apr^,
avec la femme quMl avait enlevee, attira une longue guerre sur
sa patrie. Mille vaisseaux et les forces de la Gr^ce conjuree s^uni-
rent pour cMtier son crime. La vengeance eAt 6t6 prompte, si les
vents furieux n'eussent interdit la mer aux vaisseaux, et retenu
pr^s des c6tes de la Beotie, dans les eaux poissonneuses d'Aulis,
la notte prSte a partir. La, suivant Tusage de leurs aieux, les
LIBER DUODECIMUS
DBACO QUI TROJANI DELLI DlUTnRNITATBM SIGNIFICAVERAT IN SAXUH
VEHTITUR. — IN LOCOlf IPHIGENIf CERVA MACTATUR.
I. Ncscius assumptis Priamus pater ^sacon alis
Vivcre, lugebat; tumulo qaoque nomen habenti
Inferias dcderat cum fratribus Hector inanes.
Defuit officio Paridis prsesentia tristi,
Postmodo qui rapta longum cum conjuge bellum ^
Attulit in patriam ; conjurataeque sequuntur
Mille rates, gcntisque simul commune pelasg».
Ncc dilata foret vindicta, nisi xquora saevi
Invia fccisscnt venti, bceotaque tellus
Aulidc piscosa puppes tenuisset ituras. 10
llic, patrio dc more, Jovi quum sacra parassent,
4IS HfiTAMORPlIOSES.
Grecs preparaient un sacrifice a Jupiter. Le feu brillail h peine sur
un autel antique, lorsqu'ils virent un noir serpent s'^lancer sur
un platane voisin. A )a cime de Tarbre, un nid rec^it huil oi-
seaux. Le serpent les saisit*avec leur m^re, qui voltigeait autour
d'eux, et en asscuvit sa faim cruelle. Les Grecs furent glaces d'ef-
froi. Le fils de Thestor, qui lisait dans Tavenir, s'ecjria : f La vic-
ioire est a nous ; livrez-vous a la joie, enfants de la Grece. Ilion
tombeia, mais le terme de nos travaux est encore eloigne. > Puis,
d'apr^s le nombre des oiseaux, il assigna neuf ans de duree a la
guerre. Lc serpenl, enlace aux vertes branches de Tarbre, fut pe-
trifie sous la forme qu'il presentait.
Cependant Timpetueux Neree r^gnait toujours sur les flots d'Ao-
nie, ct ne permettait pas aux guerriers de X[uitter- le port. Quel-
ques-uns sHmaginaient que Neptune voulait sauver Troie, dont il
avait lui-mSme eleve les remparts. Galchas ne part^eait point
cet avis. II savait et il declara qu'il fallait apaiser la cdSre de Diane
par le sang d'une vierge. L'inter6t public Temporta sur la ten-
dresse d*Agamemnon, et le roi triompha du p^re. D^ja, prSte a
donner son sang pur, Iphigenie se tenait devant rautel, entouree
Ut vetus acccnsis incanduit ignibus ara,
Serpere cxruleum Danai videre draconem
In platanum, cocptis qux stabat proxima sacris.
Nidus erat volucrum bis qualtuor arbore summa, lci
Ouas simui, et malrcm circum sua damna volanlcm,
Corripuit serpens, avidaque rccbndidit alvo.
Obstupuerc omncs. At vcri providus augur,
Thestorides : « Vincemus, ait; gaudete, Pelasgi.
Troja cadet; sed erit nostri mora longa laboris. » 20
Atque novem volucres in bclli digerit annos.
Illc, ut erat, virides amplexus in arbore ramos,
Fit lapis, et scrvat serpenlis imaglne saxum.
Permanet aoniis Ncreus violenlus in undis,
Bellaque non transfert ; et sunt qui parccre Trojae 25
Neptunum credant, quia moenia fecerat urbi.
At non Thestorides. Kec enim nescitve, tacetve
Sangume virgineo placandam virginis^iram
Esse dex. Postquam pietatem publica causa,
Rexque patrem vicit, castumque datura cruorcm SO
Flentibus ar.le aram stetit Iphigenia ministris,
LIVRE XII. m
de sacrificateurs en larmes. La d^esse, ^mue, r^pandit un nuage
sur tous les yeux. Au milieu de la pieuse foule qui adressait au
cjel des prieres, elle substilua, dit-on, une biche a la fille duroi
de MycSnes. Diane fut desarmee par une victime digne d^elle.
Sa colere et celle des flots cessferent en m^me temps. Les mille
vaisseaux s'avancerent a Taide d'un vent propice, et touch^rent,
apres bien des traverses, aux rivages de Troie.
CYCNUS, TDE PAR ACHILLE, EST CHANGB EN CYGNE.
II. Au centre de l'univers, entre la terre, la mer et le ciel, con-
fins des Irois mondes, est un lieu d'ou l'on decouvre tout, m^me
dans les regions les plus reculees, et ou fon entend la voix de
tous les mortels. Cest le palais de la Renommee. B&ti sur la mon-
tagne la plus eievee, il est perce d'innombrables issues et de mille
fenfilres. Aucune porte n en ferme Fentree. II reste ouvert nuit et
jour. Ses murs sont en airain sonore. Tout y relentit. Les moin-
dres paroles et les moindres sons y trouvent un echo. Au dedans,
point de calme, point de silence ; point de cris cependant, mais
des chuchotements semblables au lointain murmure de la mer ou
Victa (lca est, nubemquc oculis ohjecit, et intcr
Officium lurbaraque sacri, vocesque prccantum,
Supposita ferlur mutasse Myccnida cerva.
Ergo ubi, qua decuit, lenita cst cxde Diana, 35
Et pariter Phoebes, pariter maris ira rccessit.
Accipiunt ventos a Irrgo mille carinx,
Multaque perpessas phrygia potiuntur arcna.
CTCNUS, AB ACUILLE OCCISUS, UDTATDR IN AYE^.
II. Orbe locus medio est, inler lerrasque, fretumque,
Coeleslcsque plagas, iriplicis confinia mundi, 40
Unde, quod est usquam, quamvis regionibus absit,
Inspicitur, penelralque cavas vox omnis ad aures.
Fama tehet, summaque domum sibi lcgit in arcc;
Innumerosque adilus, ac mille foramina tectis
Addidit, et nullis inclusit limina portis. 43
Nocte dieque patct. Tota esl ex aero sooanti;
Tota fremil, voccsque refert, itcratque quod audil.
Nulla quies inlus, nullaque silcotia parle.
Nec tjmen est clamor, sed parvse murmura voci?,
Qualia dc pelagi, si quis procul audiat, undis 50
Esse solent, qualcmvc sonum, quum Jupiter alras
450 M^rAMORPUOSES.
aux rouleraents de la foudre mourante, lorsque Jupiter a froiss^
es sorabres nuages. Les porliques sont inondes d'une foule in-
constante qui va et vient sans cesse. Milie fables, m^l^es a la
v6rite, circulent et forment des rumeurs confuses que ceux-ci
recueiilent et que ceux-la vont colporter parlout. Les men-
songes se propagent, el chacun ajoute encore aux r^cits qu'il
vient d'entendre. La resident la Credulit6, TErreur t6meraire, la
vaine Joie, la Terreur panique, la Sedition soudaine et les faux
Bruits. La deesse voit tout dans le ciel, sur la mer, sur la terre :
le monde entier est son domaine.
EUe avait annonce Tarriv^e de la flotte des Grecs, chargee de
guerriers intr^pides. Aussi, lorsquMls se presenterent devant Ilion,
les Troyens ne fiirent point surpris. IIs ferraerent tout acces et
d^fendirent leurs cdtes. Le premier qui, par Tordre du Destin,
p6rit sous les traits d'Hector, fut Prot^silas. Ce combat coiita cher
aux Grecs. Le trepas d'un heros lit connaitre Hector. Mais les
Troyens, dont le sang coulait a grands flots, apprirent a leur tour
combien le bras des Grecs etait redoutable. Deja les rivages de Sigee
^taient couverls de carnage; deja le fils de Neplune, Cycnus, avait
Increpuit nubes, exlrcma tonitrua reddunt.
Alria turba tcnent. Veniunt levc vulgus, euntque;
Mixtaque cum veris passim commenta vaganlur
Millia rumonim, confusaque verba volutant. 55
E quibus hi vacuas implent sermonibus aures;
Hi narrala ferunt alio, meusuraque ficti
Crescit, et auditis aliquid novus adjicit auctor.
Illic Credulitas, illic temerarius Error,
Vanaque Lxtitia est, consternalique Timores, OO
Seditioque repens, dubioque auelore Susurri.
Ipsa quid in coelo rcrum, pelagoque geratur,
Et tellure, videt, tolumque inquirit m orbem.
Fecerat haec notum, graias cum milile forti
Advenlare raies, ncque inexspectatus in armis G5
Hostis adest. Prohibont aditu, littusque tuentur
Troes, ct hectorea primus fataliter hasta,
Protesilae, cadis; commissaquc prailia magno
Slant Danais, fortisque anima} nece cognitus Uector.
Nec Phryges exiguo, quid achaia dextera posset, 70
Sanguine senserunt. Et jam sigaia rubcbant
Littora; jam lelho, proles neptunia, Cycnus
LIVRE XII. 451
r^ mille guerriers a la mort ; deja sur son char Achille poursui*
t les Troyens et abattait des batailions entiers sous sa lance. A
vers la m^lee, il cherche Cycnus ou Heclor. U rencontre Cycnus.
ctor devait ^happer encore dix ans au trepas. Achille anime et
3sse ses blancs coursiers, pousse son char contre Cycnus, et de
1 bras vigoureux secouant up dard menaoant : « Qui que tu sois,
me Troyen, dit-il, console-toi en mourant de tomber sous le fer
ichille. »
A ces mots, il lui d^coche un pesant javelot. Le trait, quoique
)C& d'une main sure, semble s'emousser sur ia poitrine de Cyc*
s, et le frappe sans le blesser. « Fils d'une ddesse (cai' la renom-
je fa fait deja connaitre), s'ecrie ce guerrier, pourquoi fetonner
e je ne re^ive pas de blessure (Achille s'etonnait en effet) ?
n'est ni ce casque ou flotte la blonde criniere d'un coursier, ni
bouclier dont mon bras gauche est chargS, qui soutiennent mon
arage : ils nesont destines qu'a me parer. Mars se plait a porler
pareilles armes. Quand je les poserais, je n^enserais pas moins
mlnerable. C*est quelque chose d'^tre le fils, non d'une Ne-
de, mais du dieu qui tient sous ses lois Neree, ses filies et le
Mille viros dederal; jum curru instabat Achilles,
Troaquc peliaca; sternebat cuspidis ictu
Agmina, pcrque acies, aut Cycnum aut llectora qusrcns, 75
Congrcditur Cycno. Decimum dilatus in annum
Hector crat. Tum colla jugo candcntia prcssos
Exhortatus equos, currum direxil in hostem,
Concutiensque suis vibrantia tcia lacertis :
« Quisquis es, o juvenis, solatia mortis habeto, 80
Dixit, ab hsemonio quod sis jugulatus Achille. »
Uactenus ^Eacides : vocem gravis hasta sccula cst.
,Sed quanquam certa nullus fuit crror in hasta,
Nil tamen emissi profecit acumine ferri.
Utque hebeti pectus tantummodo contudit ictu : 85
« Nate dea (nam te fama prsenovimus), inquit
Ulc, quid a nobis vulnus miraris abesse?
(Mirabatur enim) ; non hacc, quam cernis, equinis
Fuiva jubis cassis, nec onus cava parma sinisti^as
Auxilio mihi sunt : decor est qusesitus ab istis. 90
Marsquoquc ob hoccapere arma solet. Removebitur omne
Tegminis offlcium ; tamen indcslrictus abibo.
Kst aliqvid, non csse satum Kcrcide, sed qui
453 M^TAUORPIIOSES.
vasle Oc^an. » II dit, el lance au petit-fils d'fiaque un trail qu .
atteint son bouclier, en perce l'airain, traverse jusqu'au neu-
vi^me cuir et s'arr^le au dixi^me. Achille Tarrache, et d'un bras
nerveux dirige contre Cycnus une seconde javeline, qui ne pro-
duit aucun effet sur lui. Sans armure, il court au-devant d'un
troisi^me trait, et n'eprouve aucun mal. Achille devient furieux
comme un taureau du cirque lorsque, frappant de ses comes
terribles le tissu de pourpre qui a provoque sa col^re, il sent Tim-
puissance de ses conps. Le h^ros examine si le fer n'est pas tombS
de son arme, et, Ty voyant toujours attach^ : « Mon bras s^est donc
affaibli, dit-il, ou bien son andenne force ne peut rien contre un
seul ennemi! II etait pourtant vigoureux quand, le premier, je
renversai les remparts de Lyrnesse, quand j'arrosai du sang de
leurs habitants T^nedos et Thdbes, gouvernee par £^tion, quand
le Gaique roula dans ses fiots les cadavres des peuples ^tablis sur
ses bords, et quand Tel^phe ^prouva deux fois les coups de ma
jgjfi^terrible. Ici mSme, tous ces monceaux de mortsquejevois
entass^s snr la rive attestent ce qu'a pu mon bras et ce quMi peut
encore. »
Nercaque, et nalas, et totum teroperet aequor. »
Dixit, et lixsurum dypei curvamine lelum 95
Misit in i£acidcn, quod et ses, et proxima rupit
Terga novena boum, decimo tamen orbe moratum.
Exculit hoc heros, rursusque trementia forti
Tela manu torsit; rursus sino vulncre corpus,
Sinccruraque fuit; nec lcrtia cuspis apcrlum, 100
Et se proibentem valuit dcstringere Cycnum.
naud secus exarsit, quam circo (aurus apcrto,
Ouum sua tcrribili pctit irritamina cornu,
Puniccas vcslcs, clusaque vulncra senlit.
Num tamen exciderit ferrum considerat hastx. 1C5
Dxrebat ligno : « Manus est mea debilis crgo,
Quasque, ait, ante habuit vires, efrudit in uno.
Nam certe valuit, vel quum lyrnesia primus
Mcenia disjeci, vel quum Tenedonque, suoque
iEetioneas implcvi sanguine Thebas; 110
Vel quum purpureus populari ccede Caycus
Fluxit, opusque meaj bis scnsit Telcphus hastaj,
Hic quoque lot cajsis, quorum per littus acervos
Et feci, et video, valuit mea dcxtra, valclquo. »
LIVRE XII. 453
A ces mots, comme si ses exploits lui inspiraient peu de con.
ilance, il tourne ses traits conlre le Lycien M^net^s, plac^ vis-a-vis
de lui, et perce du meme coup sa cuirasse et sa poilrine. II expire
et frappe la terre de son front. Achille retire son arme encore fu-
manle : « Voila, dit-il, la main, voila le fer qui vient de vaincre.
Je vais les employer contre Cycnus : puissent-elies avoir le meme
succ^s ! » II Taltaque de nouveau. Loin de s'egarer, la lance Fat-
teint a Tepaule gauche ; mais elle retentil, repoussee par Fairain,
comme par un mur ou par un rocher impenetrable. Gependant, ia
ou le fer n porte, Achille aper^oit des gouttes de sang et se livre a
une joie trompeuse. Son ennemi n'avait point de blessure : ce
sang etait celui de Menetes. Alors, d'un bond rapide, Achilie, fre-
missant de col^re, s^elance de son cliar, et, une ^pee flamboyante
k ia main, tombe sur son ennemi, qui 1'attend avec assurance.
Sous les coups de son glaive, il voit s'entr'ouvrir le bouclier et le
casque de Cycnus, mais le fer s'6mousse contre son corps. Achille
ne se maitrise plus : il retire son boucUer et frappe trois ou quatre
fois le visage et les tempes de Cycnus avec la garde de son epee.
Cycnus recule. Achille le poursuit, le presse, le trouble et Tetour-
Dixit, et, antc actis veluti male crcderet, ha&lam 115
Misit in adversum lycia de plebe Menocten,
Loricamque simul, subjectaque pectora rupit.
Quo plangente gravem moribundo vcrlice terram,
Extrahit illud idem calido de vulnere tehim,
Atque ait : « Ha)c manus cst; haec, qua modo vicimus, hasta! 120
Utar in hunc isdcm : sit in hoc precor exitus idem. »
Sic fatus, Cycnumque petit, ncc fraxinus errat,
Inque humero sonuit non evitata sinistro.
Indc velut muro solidave a caute, repulsa est.
Qua tamcn ictus cral, siguatum sanguine Cycnum 125
Vidcrat, et frustra fuerat gavisus Achilles.
Vulnus erat nullum; sanguis erat ilie MenGcta:.
Tum vero pruiceps curru fremebundus ab allo,
Dcsilit, ct nilido securum cominus hostem
Ense pctens, parmam gladio, galeamque cavari 130
Cernit, ct in duro iajdi quoque corpore ftrrum.
Haud tulit uUerius, clypeoquc adversa reduclo
Ter, quater ora viri, capulo cava tempora puisat}
Gedentique sequeas instat, turbatque, ruitque,
454 METAMORPHOSES.
dit, sans lui iaisser le temps de respirer. La terreur s'empare de
Cycnus; ses yeux sont plonges dans les t^n^bres. II porte ses pas
en arriere; son pied se heurte contre une pierre, et il tombe k la
renverse. Achilie fond sur lui avec impeluosite, et ie tient immo-
bile sur Tarene. Puis, pressant sa poitrine de son bouclier et de
ses genoux par une forte elreinte, il resserre les liens de son
casque autour de sa gorge. Gycnus perd k la fois la respiration et
la vie. Achille veul depouiller son ennemi vaincu ; mais il ne voit
que son armure. Le dieu de la mer Tavait transforme en un oi*
seau blanc dont ii portait le nom.
NESTOR RACONTE LB COMBAT DES LAPITUES ET PES GENTAURES.
C^NEE EST METAMORPUOS^ EN OISEAU.
HL Ces premi^res fatigues et ce premier combat amenerent une
tr^ve de plusieurs jours : chaque parti deposa ies armes. Tandis
qu'une garde infatigable veillait sur les remparts de Troie, et
qu'une autre non moins active prot^geait les retrancbements des
Grecs, arriva le jour oii Achille, pour celebrer sa victoire sur Cyc-
nus, immolait une genisse a Pallas. La flamme allumee sur 1 autel
Attonitoquc negat requiera. Pavor occupat illum, 135
Ante oculosque natant lenebrJB, retroque ferenti
Aversos passus, medio lapis obstitit arvo.
Quem super impulsum rcsupino pectore Cycnum
Vi multa vertit, terrKquc afflixit Achilles.
Tum, clypeo genibusquc premens praicordia duris, 140
Vincla irahit galeae, quoi presso subdila mento
Elidunt fauces, et respiramen iterque
Eripiunt anima;. Victum spoliare parabat;
Arma relicta videt. Corpus deus aequoris albam
Contulit in volucrem, cujus modo nomcn habcbat. 145
NESTOR POGNAM LAPITIlAf^DM COM CENTAOBIS NAURAt. — C/ENEOS IN VOLCCREM
TRANSFORMATOR.
l.I. Hic labo ', haec rcquiem multorura pugna dierum
Alluht, et positis pars utraque substitit armis.
Dumque vigil ph ygios servat custodia murosi
Et vigil argohcas servat custodia fossas,
Festa dies aderat, qua Cycni victor Achillds 150
PaUada v actalo} placabat sanguinc vacca?,
Cujus ut imposuit prosecta calcntibus aris,
LIVRE XII. 455
d^?ora les entrailles de la victime, et dans les airs s'^Ieva la fumce
du sacrifice accepte par les dieux. On fit la partdes Immortels et
des prStres : le reste fut servi sur la tabie du lieros. Les ciiefs de
la Gr^, ranges autour d'Achille, mangeaient des chairs r6ties et
noyaient dans le vin leur soif et leurs soucis. Ni la lyre, ni les
chants, ni la fli!lte, ne charmaient leurs oreilles. Cest en discou-
rant qu'ils prolongeaient la soiree. Le courage etait le sujet de
leurs entretiens. IIs raconlaient leurs exploits et ceux de leurs en-
nemis ; ils aimaient a rappeler les perils qu'ils avaient braves et
surmonl^s tour a tour. De quel autre objet devait parler le grand
Achille ? Sur quel autre objet converser avec lui? Sa recente victoire
remplissait toutes les bouches. Chacun etait surpris que Gycnus
fdt Tfisie impen^trable aux traits, et que son corps eti resiste au
fer. Achille lui-m^me et les Grecs s'en etonnaient, lorsque Nestor
8'exprima eu ces termes : a De vos jours, ce guerrier a6te seul in-
vulnSrable. Mais, moi, j'ai vu jadis mille traits atteindre impunement
C6nee, le h^ros de Perrhebe, dont TOthrys a connu les exploits.
Chose plus merveilleuse encore ! il etait nS femme. n Chacun se
Et dis acceptus penetrayit in sethera nidor,
Sacra tulere suam, pars est data caetera mensis.
Discubuere toris proceres, et corpora tosta 155
Carne replent, vinoque levant curasque sitimque.
Mon illos citharae, non illos carraina vocum,
Longave multifori delectat tibia buxi;
Sed noctem sermone trahunt, virtusque loquendi
Materia est. Pugnam referunt hostisque, suamque; IGO
Inque vices adita, atque exhausta pericula sxpe
Commemorare juvat : quid enim loqueretur Achilles?
Aut quid apud magnum potius loquerentur Achillem?
Proxima prxcipue domito victoria Cycno
In sermone fuit. Visum mirabile cunctis, 163
Quod juveni corpus nullo penetrabile telo,
Invictumque ad vulnera erat, ferrumque terebat.
Hoc ipsum ^acides, hoc mirabanlur Achivi,
Quum sic Nestor ait : « Vestro fuit unicus »vo
Contcmptor ferri, nulloque forabilis ictu 170
Cycnus. At ipse olim patientem vulnera mille,
Corpore non Iseso, Perrhaebum Cxnea vidi,
Gsnea Perrhacbum, qui faclis inclytus, Othryn
Incoluit. Quoque id mirum magis esset in illo,
Femina natus erat. » Monstri novilale movenlur, 175
45t) BIETAMORPHOSES.
recrie sur unc avenlure aussi etrange, et prie Neslor d'en faire le
recit. « Parlez, ditAchille, nous brulons lous de vous entendre;
parlez, eloquent vieillard, roracle de notre siecle ; diles-nous ce
qu'etail Cenee, pourquoi son sexe fut change, par quelle expedi-
lion et par quelle action d'eclat il se fit connaitre, quel fut son
vainqueur, si toutefois il en eut un. »
Le vieillard repond : « Quoique nion grand age m'ait fait perdre
le souvenir de plusieurs exploils dontje fus temoin dans ma jeu-
nesse, j'en al pourtant retenu un grand nombre. Mais de tou6 ceux
qui ont eu Heu durant la paix et durant la guerre, aucun ne s^est
plus profondement grave dans ma memoire que celui que je vais
raconter. Une longue vieillesse rend Thomme spectateur de mille
evenements ; or j'ai deja vecu deux cenls ans, et mon troisieme
4ge commence.
« Fille d'EIalus, Cenis, celebre par sa beaute, eclipsait toutes les
jeunes fiUesde Thessalie.Des villes voisines et de vos fitals, Achille,
(car elle y prit naissance), mille pretendants lui adresserent vai-
nement des voeux. Pel^e eut peut-^tre aussi brigue sa main; mais
ii avait obtenu celle de votre mere, ou bien elle lui elait pro-
mise. Cenis ne s'engagea pas sous les lois de Thymen. Un jour
Quisquis adesl, narrelquc rogant; quos inter AchiUes:
c Dic agc, nam cunctis cadem cst audire voluntas,
0 facundc scnex, sevi prudenlia nostri,
Quis fuerit Caeneus; cur in contraria versus;
Qua libi militia, cujus certaminc pugniE 180
Cognilus; a quo sit victus, si victus ab ullo est. »
Tum senior : « Quamvis obslct milii tarda vetustas, -
Multaque me fugiant, primis spectata sub annis,
Dura tamen memini, nec, quoi magis ha^reat illa,
Pcctore res nostro est inter bellique domique 185'
Acta tot; ac si qucm potuit spatiosa senectus
Spectatorem operum multorum reddere, vixi
Annos bis ccnlum; nunc tcrlia vivilur aitas.
« Clara dccorc fuit prolcs clatcia Caenis,
Thcssalidum virgo pulcherrima; perque propinquas, 100
Perquc. tuas urbes (tibi enim popularis), Achille,
Multorum frustra votis optala procorum.
Tenlassct Peleus thalamos quoque forsitan illosj
Sed jam aut contigorant illi connubia matris,
Aut fucrant promissa, tuoc. Nec Ca:nis in ullos 105
LIVRE XII. 457
qu'elle errait seule sur les bords de la mer, Neplune lui fil vio-
lence i tel fut, du moins, le bruil de la renommee. A peine le
dieu eut-il goute dans ses bras rivrcssed'un nouveau plaisir^ qu'ii
s'ecria : « Quels que soieift les voeux, choisis, tu nVssuieras point
f de refus. » Voila encore ce que la renommee publiait. « Mon
f affront, repondit Cenis, m'inspire un grand vceu. Pour n'avoir
f plus a subir un pareil outrage, accorde-raoi de n'6tre plus
i femme : tu m'auras lout donne. » Elle prononga d'un ton plus
male ces dernieres paroles, el, des ce moment, sa voix pouvait
passer pour celle d'un liomme : Cenis etait homme en effet. Inde-
pendamment du privilege qu'il avait obtenu du dleu qui regne
sur les flots, il en avait re§u celui d'6lre inaccessible aux coups et
de ne jamais perir sous le fer. Heureux de ces dons, Cenis partit.
II consacra ses jours h des occupations viriles, et parcourut les
champs qu'arrose le Penee.
« Le fils de Paudacieux IxiOn avait epouse Ilippodamie. Par son
ordre, les cruels enfanls de la nue s'etaient assis a des tables dres-
sees dans un antre couvert d'ombrage. Les rois de Thessalie elaient
pr&ents, et moi-mtoe avec eux. L*air retentissait de murmures
confus et de cris d'allegresse. On chantait rhymenee, et les feux
Denupsit Ihalamos, secretaque liUora carpens,
^quorei vim passa dei est : ita fama ferebat.
Utque novse veneris .Ncptunus gaudia cepit :
« Sint tua vota lieet, dixit, secura repulsse.
« Elige quid voveas. * Eadem hoc quoque fama ferebat. 200
« Magnum, Caenis ait, facit hxc injuria votum.
« Tale pati da posse nihil, da femina ne sim:
■ Omnia prxstiteris. » Graviore novissima dixit
Verba sono, poleratque viri vox illa videri,
Sicut erat; nam jam voto deus asquoris alti 205
Annuerat, dederatque supcr, nc saucius ullis
Vulneribus fieri, ferrove occumbere posset.
Munere Ixtus abit, studiisque virilibus sevum
Exigit Atracides, peneiaque arva pererrat.
« Duxerat Uippodamen audaci Ixioue natus, 210
Nubigenasque feros, positis ex ordine mensis,
Arboribus teclo discumbere jusserat antro.
H»monii proceres aderant, aderamus et ipsi,
Festaquc confusa resonabat rcgia turba.
Ecce canunt hymenaion, ct ignibus atria fumant ; 215
26
458 MflTAMOnPHOSES.
Gacr^ brAlaient dans le parvis. Hippodamie parait, entour^ d'un
corlegc de m^es et de jeunes femmes dont elie efTace la beaute.
Nous felicitons Pirithous d'6tre uni h une epouse si beHe. Mais
nos compHments sont dementis presque a Hnstant. Ton oBur,
Eurytus, le plus sauvage des sauvages Centaures, echauffe par le
vin, s'embrase a la vue d'Hippodamie, et Tivresse redouble tes
ardeurs. Tout a coup les tables sont renversees; ie d^sordre est
extr^me. I^ nouvelle epouse est train^e de force par les cheveux.
Eurytus ravit Hippodamie; les autres Centaures enlevent lesgfem-
mes que leur choix ou le hasard fait tomber sous leurs mains.
C^tait Taspect d'une viHe prise d'assaut. L'antre retentit de cris
d6chirants. Nous nous levons aussit6t, et Thesee le premier s'e-
crie : « Eurytus, queHe fureur f egare? Quoi ! je vis, et tu oses
« outrager Pirithous ! Ignores-tu qu'en Toffensant tu m^offenses
moi-m6me? » Le heros ne veut pas que ses paroies soient vaincs.
II 6carte tout obstacle, et arrache Hippodamie aux^Centaures fu-
rieux. Eurytus garde le silence : comment eOt-il pu justifier son
crime? Mais de ses insolentes mains il frappe la figure et la poi-
trine du genereux vengeur de Krithous. Pres de la se trouvait
un crat^re antique, orne de figures en relief. Malgr6 son poids
Cinctaque adest virgo matrum nuruumque caterva,
Prsesignis facie. Felicem diximus illa
Gonjuge Pirithoum, quod paene fefellimus omen.
Nam tibi, ssevorum saevissime Centaurorum,
Euryte, quam vino pectus, tam virgine visa 220
Ardet, ct ebrietas geminala libidine regnat.
Protinus eversae turbant convivia men&ae,
Raptaturquc comis per vim nova nupla prcbensis.
Eurytus Uippodamen ; abi, quam quisque probabant,
Aut poterant, rapiunt ; captjeque erat urbis imago. 225
Femineo clamorc souat domus. Ocius omnes
Surgimus, et primus : « Quse te vecordia, Thcseus,
« Curyte, pulsat, ait, qui, me vivente, lacessas
« Pirithoum, violesque duos ignarus in uno? »
Ncve ea roaguanimus fruslra memoraverit beros, 230
Submovet instantes, raptamque furentibus aufert.
lile nihil contra ; neque enim defendere verbis
Talia facla potest, sed vindicis ora protervis
iDsequilur manibus, generosaque pectora pulsat.
Forle fuit juila» signis exstaniibus asper, 255
LIVRE XII. 459
^norme, le puissant fils d'%^ le souleve et le lance k la t^te de
0on ennemi. Eurytus tombe et se debat sur Tarene humide, vo-
missant des llot» de sang et de vin m^les a sa cervelle. Irrites du
meurtre de leur fr^e, les Gentaures s'toient tous ensemble : « Aux
« armes! aux armes! » Le vin eniOlamme leur courage. Us font
d^abord voler des coupes, des vases fragiles, de vastes plats qui,
destin^s aux banquets, deviennent des instruments de guerre et
de camage.
« Le fils d'Ophion, Amycus, ose le premier d^pouiller de ses
dons Tautel domestique. II saisit un candelabre tout resplendis-
sant de lumieres; il Tel^ve comme la hache du sacrificateur
pr^te a fendre la t^te d'un taureau, et brise le front du lapithe
Geladon. Sa figure n'est plus reconnaissable : ses yeux sortent
de leur orbite, les os de sa face sont tellement disIoqu6s, que
son nez descend dans son palais. BelatSs de Pella arrache le
pied dune table d'erable, renverse le Lapithe, le menton sur la
poitrine, et f^voie aux enfers alteint de deux blessures, vomis-
sanl se& dents m^l^s dans les flots d'un sang noir. Debout pres de
Anliquus crater, quem vastum vastior ipse
Sustulit iEgides, adversaque misit in ora.
Sangiiinis ille globos pariter, cerebrumque, mcrumque,
Vulnere et ore voraens, raadida resupir.us arena,
Calcitrat. Ardescunt germani caede bimerabres, 2i0
Cerlatimque omnes uno ore, « Arma, arma, » loquunlur.
Vina dabant animos.. Et prima pocula pugna
Missa volant, fragilesque cadi, curvique lebetes,
Res epulis quondam, tura bcllo et csdibus aptae.
« Primus Ophionides Amycus peuelralia donis 245
Haud timuit spoliare suis, et primus ab aede
Lampadibus densum rapuit funale coruscis;
Elatumque alte, veluti qui candida tauri
Rumpere sacrifica raolitur coUa securi,
Illisit fronti lapithie Celadontis, et ossa 230
^on agnoscendo confusa reliquit in ore.
Exsiluere oculi, disjeclisque ossibus oris,
Acta retro naris, medioque infixa palelo est.
Hunc pede convulso mensa, peUaFJiis acernx
Slravit hum; Bclj.tes, disjecto in pectora mcnto, 255
Cumquc atro mistos sputantem sanguine dentcs,
Yulne»*e tarlareas geminato mittit ad umbras.
460 METAMORPIIOSES.
Tautel ou fume rencens, Grynee y jelte un regard terrible. c Pour-
« quoi, dit-il, ne me servirais-je pas de ces armes? » A ces mots,
il souleve le vasle aulel avec le feu dont il est charge, et le lance
au milieu des Laplihes. Broteas et Orion tombent ^cras^s sous
cette masse ; Orion, fils de la Nymphe Mycale, qui, par ses enchan-
tements, forgait, dit-on, la lune a descendre du ciel. « Qu'une
< arme s*oiTre a moi, s^ecrie Exadius, et ton criroe ne restera pas
« impuni! » li s'en fait une du bois d'un cerf consacre a Di»ie et
suspendu a la cime d'un pin. II perce de ce double dard les yeux
du Gentaure, et les lui arrache; mais Tun reste attach^ au bois,
Taulre jaillit tout sanglant et s'accroche a sa barbe.
« Soudam Rh^tus enleve sur Tautel un tison embras^ ; 11 s'en
fait une arme, et brule la tempe droite de Gharax, couvertede
blonds cheveux qui s'enflamment et se consument comme le
chaume aride. Son sang bouillonne avec le bruit horrible que fait
entendre le fer rouge, quand un forgeron le saisit avec des pinces
recourbees et 1e plonge dons Teau qui siffle et fr^mit. Gharax eteint
Proximus ut steterat, spectans allaria vultu
Fumida terribili : « Cur non, ait, utimur istis? »
Cumque suis Gryneus immanem sustulil aram 2G0
Ignibus, et medium Lapitharum jecit in agmen,
Depressitque duos Drotean et Orion. Orio
Mater erat Mycale, quam dcduxissc canendo
Sxpc reluctantis conslabat cornua lunx.
« Non impune feres, teli modo copia detur, » 2G5
Dixerat Exadius, telique habet instar, in alta
Qu» fuerant pinu, votivi cornua cervi.
Figitur hinc duplici Gryneus in lumina ramo,
Eruilurque oculos, quorum pars cornibus hxret,
Pars fluit in barbam, concretaque sanguinc pendct. 270
« Ecce rapit mediis flagrantem Rhoctus ab aiis
Primitium torrcm, dextraque a parlc Charaii
Tempora perfringit fulvo protecta capillo.
Correpti rapida, veluti seges arida, flamma
Arserunt crines, et vulnere sanguis inustus 275
Terribilem slridore sonum dedit, ut dare ferrum
Igne rubens plcrumque solet, quod forcipe curva
Quum faber eduxit, lacubus demiltil ; at illud
Stridel, et in trepida submersum sibilat unda,
Saucius hirsutis avidum de crinibus ignem 280
LIVRK XII. 461
la flamme qui d^vore ses cheveux h^riss^s. II d^tadie le seuil
dune porte, et charge ses ^paules de ce fardeau qui eAt suffi a un
char. Sa masse ne lui permet pas de le lancer a son ennemi, mais
il en ecrase Com^l^s, son compagnon, place trop pr6s de lui.
Rh^tus ne peut moderer sa joie : « Puissent tes amis, dit-il, de*
« ployer ainsi leur force contre nous ! » En mSme temps, avec le
tison h demi brA16, il lui fait de nouvelles blessures, et, par trois
ou quatre coups vigoureux, lui brise le crSne, dont les d^bris s'eri-
foncent dans sa cervelle. Vainqueur, il court vers fivagre, Corythe
et Dryas. De ces trois adversaires, Corythe, dont un leger duvet
ombrage & pelnele menton, succombe le premier : « Quelle gloire
« terevient-il de la mort d'un enfant? » lui dil fivagre. Rhetus
ne lui fermet pas de poursuivre. II enfonce avec fureur le tison
dans sa bouche, au momenl ou il Touvre pour parler encore, et le
pousse jusque dans sa poitrine. II te poursuit aussi, cruel Dryas,
et fait toumoyer ses feux autour de ton front; mais il n'oblient pas
le mtoe succ^ contre toi. Tandis qu^il s^enorgueillit de r^pandru
partout le camage, 1u 1e perces avec un pieu durci dans un |ipe
sier a Tendroit ou le cou se joint a T^paule. Rhelus gemit : bra- te
a peine retirer le bois de sa blessure, et fuit tout baign^ de son
Excutit, inque humeros limen tellure revulsum
Tpllit, onus plaustri. Quod ne permillat in hostcm,
Ipsa facit gravitas. Socium quoquc saxea moles
Oppressit spatio stantem propiore Cometen.
Gaudia nec relinet Rhcetus : « Sic comprecor, inquit, 285
« Cstera sitforlis castrorum turba luorum!»
Semicremoque novat repetitum stipile vulnus,
Terque quaterque gravi juncturas verticis iclu
Rupit, et in liquido sederunt ossa ccrebro.
Victor ad Evagrum, Corythumque, Dryantaque traasit. 290
E quibus ut prima teclus lanugine roaks
Procubuit Gorylhus : « Puero quas gloria fuso
« Parta tibi esl? » Evagros ait. Nec dicere Rhoelus
Plura sinit, rulilasque ferox in aperla loquentis
Condidit ora viri, pcrque os in pectora, flaramas. 1295
Te quoque, saeve Drya, circum caput igne rotato
Insequitur. Sed non in te quoque constilit idem
Exitus. Assiduae successu cffidis ovantem,
Qua juncta est humero cerviz, sude figis obusta.
ingemuit, duroque sudem viz o»se revellit SUO
462 MfiTAMOHPHOSES.
sang. On voit fuir en m^me temps Orn^e, Lycabas, Medon, frapp^
au c6t6 droit, Pis^nor, Thaumas et Merm^ros, naguere vainqueur
de tous ses compagnons a la course, mais qui, bless6 mainte-
nant, s'^loigne d'un pas tardif ; Pholus, Menal^, Abas, chasseur
de sangliers, et le devin Astyle, qui voulut en vain d^umer
les Gentaures de ce combat. Yoyant Nessus redouter la mort :
< Ne fuis pas, lui dit-il ; le Deslin te r^rve pour les fl^es
• d'Hercule. »
f Eurynome, Lycidas, Ar^ et Imbr^, ne peuvent ^chapper au
tr^pas. Ils osent braver Dryas et tombent sous ses coups. Toi
aussi, Gr^n^e, il fatt^int par devant, malgr^ ta fuite. Tuveux
regarder en arri^re, et son fer mortel p6n6tre dans ton front,
entre les yeux, k la racine du nez. Au milieu de cet affreux
tumulte, Aphidas ^tait ensevdi dans un sommeil ISthargique.
D'une main languissante il tenait sa coupe pleine, ^tendu sur la
d^pouille d'un ours du mont Ossa. Phorbas, n'apercevant aucune
arme dans ses mains, passe ses doigts dans la courroie de sa lance :
« Ya, dit-il, mSler aux eaux du Styx le vin que tu as bu. • En m^e
Ilhoetus, et ipse suo madefactus sanguine fugit.
Fugit et Orneus, Lycabasque, et saucius armo
Dextcriore Mcdon, et cum Pisenore Tbaumas ;
Quique pedum nuper certamine viccrat omnes
Mermeros, accepto nunc vulnere tardius ibat; 305
Et Pholus, et Henaleus, et Abas praidator aprorum,
Quique suis frustra bellum dissuaserat, augur
Astylos. lUe etiam mctucnti vulnera Nesso :
« Ne fuge; ad herculeos, inquit, servaberis arcus. »
« At non Eurynomus, Lycidasque, et Arcus, et Imbreus 310
Effugere ncccm, quos omnes dextra Dryantis
Perculit adversos. Adversum tu quoque, quamvis
Terga fugae dcderis, vulnus, Crenaec, tulisti.
Nam grave respiciens, inter duo lumina fcrrum
Qua naris fronti commiltilur accipis imae. 315
In tanlo fremitu cunctis sine iine jacebat
Sopitus venis, et inexperrectus Aphidas,
Languenlique manu carchesia mixla tenebat
Fusus in ossxx villosis pellibus ursx.
Quem prociil ut vidit frustra nulla arma movcntem, 320
Inserit amcnto digitos : « Miscendaque, dixil,
« Cum Stygo vina bibas, » Phorbas. Nec phira moratus,
LIVRB XII. 463
temps il lance son javelot et en perce la gorge d'Aphidas, dans la
posture ou il se trouYait, renirerse sur le dos. Aphidas ne sent
point le coup mortel. Un noir ruisseau de sang jaillit de sa bou-
che sur son lit et jusque dans sa coupe. Je vis Pdtree s'efforcer de
d^raciner un ch^ne. Mais, tandis qu'il rembrasse, ie secoue dans
tous les sens el Tebranle, la lauce de Pirithoiis lui traverse les
c6tes, et le cloue a Tarbre qu'ii voulait arracher.
• Pirithous, dit-on, fit tomber sous ses coups Lycds et Chromis.
Mais leur Irepas lui valut moins de gloire que la defaite de Dictys et
d'HeIops. H^lops fut frappe d'un javelot qui lui traversa les tempes
et sortit p?r 3 oreiile gauche. Dictys descendait de la double cime
d'un mont. Tandis qu'il cherchait a se d^rober tout tremblant aux
poursuites du fils dUxion, il tomba sur la t^le, brisa sous le poids
de son cra ps un grand fr^ne, et de ses entrailles en couvrit les de-
bris ejvafc. Apharee accourait pour le venger, et s'appr6tait a lancer
un roc qa ii avait detach^ de la montagne. Thesee le previent, et
avec le tronc d'un ch^ne fracasse les os enormes de son bras. Puis,
n'ayant; as le temps, ou dedaignant de donner la mort a un ennemi
In juvenem torsit jaculum, ferrataque collo
Fraxinus, ut casu jacuit resupinus, adacta cst.
Mors caruit sensu, plenoque e gutture fluxit 525
Inque toros, inque ipsa niger carchesia sanguis.
Tidi ego Petraium, conanlem evellere terra
Glandiferam quercum. Quam dum complexibus ambit,
Et qualit huc illuc, labefactaque robora jaclat,
Lancea Pirilhoi, costis immissa Petraei, 530
Pectora cum duro luclanlia roborc fixit.
« Pirilhoi virtute Lycum cecidisse ferebanl,
Pirithoi cecidisse Chromin ; scd uterque minorem
Victori titulum, quam Dictys Helopsque dederunt.
Fixus Helops jaculo, quod pervia tempora fecit, 535
£t missum a dextra laivam penelravit in aurem.
Dictys ab ancipiti delapsus acumine montis,
Duro fugit instantem trepidans Ixione natum,
Decidit in praeeeps, et pondere corporis ornum
Ingenlem f regit,4uaque induit ilia fracl». 340
Ultor adest ApHa^eos, sazumque e monte revulsum
Mittere conalur. Conantem stipite querno
Occupat 'iEgides, cubitiqueangenlia frangit
Ossa; nec ulterius dare corpas inutile letbo
464 H£TAM0RPH0SES.
ddsormais impuissant, il saute sur la croupe du fier Bianor, qui nV
Tait jamais portS que lui-m^me. De ses genoux il lui presse les
flancs ; de sa main gauche il saisit sa chevelure, et de sa noucuse
massue, malgre ses menaces, il lui brise la figure, les tempes et le
front. Airec la m^me arme il abat Nedymne, Lycotas, habile k Imcest
le javelot, Hippase, dont la barbe ombrageait la poitrine, Riphee,
qui surpassait en hautenr les plus grands arbres des forets, et
Teree, qui aimait a prendre vivants les ours des monts de Thes-
salie, et les portait furieux dans son antre.
f Partout Th^see triomphe. Indign^ de ses succ^, D^mol^n
fait les plus grands efTorts pour arracher un vieux pin. Mais, ne
pouvant y parvenir, il le rompt et le jette h la t^te du heros. tM-
ste, inspir^ par Minerve (il voulait du moins le faire croire), se
d^toume pour eviter le trait dirige contre lui. Cependanl !e coup
n'est pas vain. li atteint le superbe Grantor, lui enfonce !a poitnne
et detache son ^paule gauche. II avait 6t6 Tecuyer de lon p^re,
Achille. Le roi des Dolopes, Amyntor, vaincu par P61ee, le lui avait
donn^ pour gage de la paix et de !a foi jur^e. P^lee voit le corps
Ant vacat, aut curat; tergoque Bianoris alti 345
Insilit, haud solilo quemquam portarc, nisi ipsum;
Opposuitque genu costis, prcnsamque sinistra
Caesariem retinens, vultum, minitantiaque ora
Robore nodoso, prxduraque tempora frcgit.
Robore Nedymnum, jaculatoremque Lycotan ' 850
Sternit, et immissa prolcctum pectora barba
Hippasou, et summis exstantem Riphea silvis,
Tereaque, haimoniis qui prensos raontibus ursos
Ferre domum vivos indignantcsque solebat.
« Haud Inlit utentera pngnse successibus ultra 355
Thesea Demoleon ; solidaque revellere terra
Annosam pinum magno molimine tenlat.
Quod quia non potuit, prajfractam misit in hostcm.
Sed procul a tolo Tlieseus veniente recessit
Pallados admonitu (credi sic ipse volebat); SCO
Non tamen arbor incrs cecidit; nam Crantoris alti
Abscidit jugulo poclusque, humerumque sinistrum.
Armiger ille lui fuerat geniloris, Arhille,
Onem Dolopum reclor, bello superatus, Amynlor,
ifiacidx dedcrat pacis pignusque fidemque. 365
LIVRE XII. 4G5
de son ami horriblement mutil6 : • Re^ois, dit-il, celte victime.
a Elle doit apaiser tes m^es, 6 mon cher Grantor ! » A ces mots,
d'un bras nerveux qu'anime la vengeance, il envoie a Demoleon
un javelot qui lui traverse les cdtes et se fixe en tremblant dans
ses os. Le Centaure arrache le bois, mais non le fer; le bois lui-
raSme cMe p^niblement a Teffort de sa main, et le fer reste en-
fonce dans ea poitrine.
< La douleur redouble sa rage. Malgre sa blessure, il se cabre
contre son ennemi et le foule aux pieds. Le h^ros oppose a ses
coups retentissants son casque et son bouclier ; il soutient les
assauts du Centaure, et du mfime dard perce son double sein.
D6ja Peleeavait de loin donne la mort a Phlegreon et a Hyle; puis,
combattant corps a corps, il avait ravi le jour a Hiphinous et a Cla-
nis. II immole aussi Dorylas, dont le front etait couvert d'une
peau de loup, et qui avait arme son bras des comes d'un boeuf
rougies du sang des Lapithes. « Vois, lui dis-je (la col^re dour
« blait mes forces), vois combien tes armes sont inferieures a mon
« javelol. » Et je lui lance le trait. Pour T^viter, il met sa main
sur son front ; mais sa main et son fronl sont cloufe ensemble.
Hunc procul ut foedo disjectum vulnere Peleus
Vidit : « At infcrias, juvenum gratissime Crantor,
• Accipe; » ait; validoque in Demoleonta lacerto
Fraxineam misit» mentis quoque viribus, hastam.
Quas lalerum cralem-perrumpit, et ossibus hierens 370
Intremuit. Trahit ille manu sine cuspidc lignum.
Id quoque vix sequitur : cuspis pulmone retenta cst.
« Ipse dolor vires animo dabat. iEger in hostem
Erigilur, pedibusque virum proculcat equinis.
Excipit ille ictus galea clypeoque sonanles, 575
Defensatque humeros, pnctentaquc sustinet arma,
Perque armos uno duo pectora perforat ictu.
Ante tamen letho dederat Phlegrncon, et Hylcn,
Eminus ; Hiphinoum coUato marle Claninque.
Additur his Dorylas, qui tempora tecla gerebat 380
Pelle lupi, saevique vicem prasstantia teli
Cornua vara boum multo rubefacta cruorc.
Huic ego, nam vires animus dabat : « Aspice, dixi,
« Quantum concedant nostro tua cornua ferro. »
Et jaculum torsi; quod quum vitare nequirel, 385
Opposuit dextram passurab vulnera fronti. •
m M^TAMORPHOSES.
11 pousse un cri. Place plus pr^s que moi du Gentaure, Pel^e, qui
le voit ainsi enchain6 et vaincu par cette blessure, lui plonge son
glnive dans les flancs. Le monsti^ bondit. Dans safureur, il traine
a terre ses entrailles, les roule sous ses pieds et les d^chire, en-
gage ses jarrets dans leurs noeuds, et tombe expirant sur ses
flancs degarnis.
• £t toi, Gyllare, au milieu de ces combats, tu ne trouvas pas
unie sauvegarde dans ta beaut^, si toutefois ta nalure peut ad-
inetlre ce nom. Un duvet blond commen^ait a ombrager ton
menton, et tes cheveux tombaient en tresses d'or de tes ^paules
sur tes flancs. La vigueur unie a la grace respirait dans tes traits.
Ton cou, tes epaules, tes mains, ta poitrine, en un mot, tout ce
qui etait homme en toi, pouvait rivaliser avec les plus belles sta-
tues. Ce qui tenait du cheval n'6tait ni moins parfait ni moins ad-
mirable. Si lu en avaiseu la tfete et Tencolure, tu aurais ^te digne
de Caslor : tant ta croupe ^tait el6gante ! tant sur ton poitrail se
dessinaient des muscles vigoureuxl Quoique d'un poil noir-jais,
tu avais cependant les jambes el la queue blanches.
« Parmi les filles des Genlaures, mille aspirerent ^ lui plaire.
ilylonome seule fixa son choix. De toutes scs compagnes, hdtesses
Affixa est cum fronle manus. Fit clamor. At illum
HaDrenlem Peleus, et acerbo vulnere victum
(Stabat enim propior), mediam ferit enso sub alvura.
Prosiluit, tcrraque fcrox sua viscera traxit, 390
Tractaque calcavit, calcataque rupil, et illis
Crura quoquc impcdiit, et inani concidii alvo.
a Nec te pugnantem tua, Cyllare, forma rcdemit,
Si modo natura^ formam concedimus illi.
Barlia erat incipiens; barbae color aureus; aureaque 395
Ex humeris raedios coma descendebat in arraos ;
Gralus in orc vigor; cervix, humeriquc, manusque,
Pectoraquc artificum laudatis proxima signis,
Et quacumquc vir est; ncc equi mendosa sub illa
Deteriorque viro facies. Da colla caputque, iOO
Castore dignus eril. Sic lergum sessile, sic slant
Pectora celsa toris! totus pice nigrior alra ;
Gandida cauda tamen ; color est quoque cruribus albus.
« Multaj illum pelicre sua de gente, sed una
Abstulit Hylonome, qua nuUa decentior luter 405
LIYRE XIL 407
des for^ts, aucune ne la surpassait en beaute. Elle r^ne sur le
coeur de Cyllare par ses caresses et par un araour dont elle renou-
velle sans cesse Taveu. Pour lui plaire, elle prend tous ies soins
que la nature a mis a sa disposition. Tivoire lisse sa chevelure.
Tant6t elle y m^ie le romarin, la violette ou la rose ; tantdt elle
porte une couronne de lis eclatants de blancheur. Deux fois par
jour elle plonge sa t^te dans Tonde qui arrose les bois de Pagase;
deux fois elle y baigne son corps. Les plus riches fourrures flot-
tent avec gr^ce sur son ^paule ou sur son flanc gauche. Un araour
egal les unit. Ils errent enserable sur les raonlagnes, et le ra^rae
antre les re^it. Ils s'^taient rendus enserable au banquet des La-
pithes ; ils prirent part ensemble k ce combat terrible. Mais un
trait (on ne sait quelle main Tavait lance) part a gauche, et vient
frapper Cyllare au-dessous de Tendroit ou le buste s^unit au cou.
Son coeur est l^^rement atteint. A peine le fer est-il retire, quMi
se sentglac^ d'unfroid raortel. Hylonome re^oit dans ses brasson
^poux expirant. Elle ^tend sa main sur sa blessure et clierche a
la fermer ; elle approche sa bouche de sa bouche, et cherche a
relenir son kme fugitive. D6s qu'elle le voit raort, elle rempUt
Semifcros altis habitavit femina silvis.
Hsc et blanditiis, et amando, et amare fatendo .
Cyllaron una tenet. Cultus quoque quanlus in illis
Esse potest membris, ut sit conia pcctinc Isevis,
Ut modo rore maris, modo se violave, rosavc 410
Implicet; interdum candcntia lilia gestet;
Bisque die lapsis pagasa^x vcrlicc silvx
Fontibus ora lavet, bis flumine corpora tiugat;
Ncc, nisi quse deceant, clectarumque ferarum
Aut humero« aut lateri prxtendat vellera Ixvo. 415
Par amor est illis. Errant in monlibus una,
ntra simul subeunt, ct tum lapilheia tecta
Intrarant pariter, parilcr fera bella gerebant.
Auclor in mcerto est : jaculum de parte sinislra
Venit, et inferius, quam coUo pectora subsunt, • 420
Cyllare, te Gxit. Parvo cor vulncre Isesnm
Corpore cum toto post tela educta refrixit.
Protinus Hylonome morientes excipil arlus,
Lmpositaque mauu vulnus fovet, oraque ad ora
Admovet, atque animai fugienti obsistere lcntat. 425
Ut videt cxstinctum, dictis, quse clamor ad auces
468 MgTAMORPUOSES.
les airs de plaintes que les cris des combattants ^p^h^t d'ar-
rlver a mon oreille,se jette sur le fer dont Gyllare vient d'Stre
perc^, et succombe en i'embrassant.
< Je crois voir aussi Piieocome, qui de la depouilie de six lions
forma la housse etalee sur ses flancs d'homme etde cheval. H lance
un tronc d'arbre qu'a peine feraient mouvoir qualre boeufe attelds,
et frappe a la t^te Phonolenide. Gelui-ci est atteint. Sa tSte 6n<mne
est fracassee, et sa cervelle s'echappe par sa bouche, son nez, ses
yeux et ses oreilles, comme le laitage press^ passe k travers des
barreaux de ch^ne, ou comme une ^paisse liqueur (ombe goutte a
goulte a travers un crible. Phonolenide expire, et le Gentaure s'ap-
prSte a le d^pouiller. En ce moment (votre pdre en fut t^moin), je
lui plongeai mon ^p^e dans les enlrailles. Ghthonius et T^eboas
toraberent ^alement sous mes coups. Le premier ^tait arm^ d'une
fourche en bois, le second d'un javelot dont il me blessa. Yoyes:
l'ancienne cicatrice parait encore. G'est alors qu'on aurait dil^ m'en-
voyer au si^e de Troie : j^aurais pu triompher des armes d'Hector,
ou le vaincre peut-Stre. Mais, en ce temps, Hector n^existait pas, ou
Arcuit ire meas, telo, quod inhacserat illi,
lacubuit, moriensque suum complexa maritum est.
« Anle oculos stat et illc meos, qui sena lconum
Vinxerat inter se conncxis vellera nodis, 450
Phseocomes, homincmque simul protcctus cquumquc,
Codice qui misso, quem vix juga bina moverent.
Te, Phonolcnides, a summo vertice fregit.
Fraeta volubililas capitis latissima; perque os,
Pcrquc cavas narcs, oculosquc, auresque, cerebrum 435
MoIIe fluit, veluli concretum vimine querno
Lac solct, utve liquor rari sub pondere cribri
Manat, et cxprimitur per densa foramina spissus.
Ast cgo, dum parat hunc armis nudare jacentcm
(Scit tuus hoc genilor), gladium spoliantis in ima 440
llia demisi. Cbthonius quoque Tcleboasque
Ense jacent noslro. Ramum prior ille bifurcum
Gesserat; hic jaculum. Jaculo mihi vulnera fccit.
Signa vides : apparet adhuc velus indc cicatrix.
Tunc ego debueram capienda ad Pcrgama milli; 41o
Tunc poteram magni, si non supcrare, raorari
Hectoris arma meis. lilo sed tempore nullus,
LIVRE XII. 469
n*^tait qu'un enfant. Aujourd^hui ia vieillesse a bris^ mes forces.
Rappelierai-je Periphas, vainqueur du double Pyrete, et Ampycus,
qui frappa d'une javeline sans fer le visage d'Oidus ? Macaree lanya un
levier contre la poilrine du lapitiie Erygdupe etle terrassa. Je mesuu-
viens que Nessus enfonga un epieu dans l'aine de Cymele. Ne croyez
pas que le filsd'Ampycus, Mopsus, se contenldt d'annoncer lavenir.
Son javelot donna la mort a Odites. En vain le Centaure voulut-ii
parler, sa langue s'attacha a son menton, et son menton a son cou.
« C^n^e tua Stiphelus, Bromus, Antimaque, Helime et Pyrac-
mon, arme d'une liadie. J'ai oublie quelles furent leurs blessure^;
mais je me rappeUe le nombre des victimes et leurs noms. Cou-
^veft^s depouillcs du Macedonien Halesus, qu*il venait d'immo-
ler, Latree, le pius grand des Centaures, accoiurait. II n'elait plus
jeune, et n'etait pas vieux encore. 11 avait la vigueur de la jeu-
nesse; mais ses tempes commen^aient a bianchir. Son bouclier, son
casque et sa pique macedonienne attiraient tous les regards. 11 pro-
mena ses yeux sur Tune et Tautre troupe, brandit ses armes, cara-
coia, et fit retentir les airs de ces fi6res paroles : « Eh quoi ! Cenis, te
Aut puer Ucctor erut. Kunc me mea deficit aetas.
Quid tilii viclorem gcraini Periphanta Pyreti;
Ampyca quid referam, qui quadrupedantis Oicli -iJJO
Fixit in adverso cornum ame cuspide vultu.
Yecte Pelelhronium Macareus in pectus adaclo
Stravit Erygdupum. Memini et vcuabula condi
luguine, nessxis manibus conjecla, Cymeli.
Nec tu credideris tantum cecinisse futura iS5
Ampyciden Hopsum. Mopso jaculante biformis
Occubuit, frustraque loqui tentavit Odites,
Ad mentum lingua, mentoque ad gutlura tixo.
« Quinque neci Caencusdederat, StipheIuiuque,Bromumque,
Antimachumque, Uelimuuiquc, securiferunique Pyracmon. 460
Vulnera non memiui, uumerum nomenque notavi.
Provolat emathii spoliis armatus Ualcsi,
Qucm dederat letho, mcmbrisque et corporc Latrcui
Maximus. Uuic aitus inlcr juvenemque senemque;
Vis juveuilis erat; variabant tempora caui. 465
Qui clypeo, galcaque, uiuccdouiaque sarissa
Couspicuus, faciemquc obversus in agmen utrumque,
Armaque concussit, certumque equilavit iu orbem,
Vcrbaque lot fudit vucuas animosus iu auras :
« Et tc, Caeni, feram? uam tu mihi femina semper, 470
'11
410 MtlTAMORPHQSES.
K laisserai-je conibattre aussi ? Gar a roes yeiu^ tv seras touJQun
« une femme; toujours tu seras Cenis. Le souvenir de ta najs-
« sauce ne peut-il abattre ton orgueil ? As-tu done ouUie com-
a ment tu re^us les dehors d'un autre saxe, et de quelle iiyure
a cette faveur fut le prix? Songe a ton origine, songe a ton af- •
« front, et va reprendre ta quenouilte et ta corbeille; va tordre
tt le fil entre tes doigts, et laisse aux hommes les combats. » A
peine il achevait cet insolent discours, Genee lui decpche un dard
a Tendroit ou le Gentaure cesse d'Stre homme pour devenir cheval.
La douleur rend Latr^e furieux. De sa pique il frappela figure dd?
.couverte du jeune Thessalien. Son arme rebondit comme la gr^
sur ies toits, ou comme une petite pieire sur un tambou^. Le-CeiK^
taure Fattaque de pr^s et cherche a lui plonger son ep^ dana les
reins; mais ses reins sont imp6netrables. < N'importe, s'6crie
« Latree, tu ne m'echapperas pas. Si la pointe de mon glaive est
f emouss^e, son tranchant va fimmoler. » A ces mots, il toume
obHquement son ^p^ contre son ennemi, et de son long bras i)
atteint ses flancs. Les coups retentissent sur son corps conune sur
rairain ou sur le mgrbre. Le glaive de Latree vole en eclals
en frappant son adversairc a la gorge. Apres avoir assez long-
temps offert son corps invulnerable au fer du Cenlaure etonne;
« Tu mihi Cacnis eris; nec te natalis origo
« Comminuit? raentemque subit, quo prajmia facto,
« Quaque viri falsam speciem mercede pararis?
« Vel quid nata vide, vel quid sis passa; cOlumque,
« I, cape cum calathis, et stamina pollice torquc. 47i»
« Bella relinque viris. » Jactanli talia Cseneus
Extentum cursu missa latus eruit hasta,
Qua vir equo commissus erat. Furit ilje dolore,
Nudaque phyllei juvenis ferit ora sarissa.
iNon secus hajc rcsiiit, quam tecti a culmine grando, 48!)
Aut si quis parvo feriat cava tympana saxo.
«:ominus aggredilur, laterique recondere duro
Luctatur gladium : gladio loca pervia non sunt.
« Ilaud tameu effugies. Mcdio jugulaberis ense,
« Quandoquidem roucro est hebes, » iuquii; et in latus euseni 485
Ohliqual, longaque amplectitur ilia dcxtra.
Plaga facit gemitus, ceu corpore niarmoris icli,
Fractaque dissiluit percus^o lamina collo
Ul sulis iUusbos miranti pracbuitartus:
uvas xn. 471
« Voyons ^^> dit C^&e, n mon arma aim plus de voltt
4 contre toi. » Kt att mdme iostaBt il lui plonge dans les flancs
Km glaiv0 tiimbl^» le toume et le retourne pour multiplier les
UesiHires. L6S Centaures furieux accoupant aveo d'horribles hur-
lemfints, et dirjg^idt centre G^nee miUe traits qui tombent
emQ^ss^. Le fils d^Siatus r^ste a tous les coups : aucun trait.
n'^t rougi de soyi sang.
« Ge nouveau prodige tonne les Gentaures. f 0 comble de
« bontel 9'ecrie Uonychus. Sh quoil un peuple entier est vamcu
ff par un seul homme, qui marite h peine ce noml Que dis^je, il
i eat homme par son courage; et noua> par potre i^chet^, nous
«iommes ce qu'il fut jadis. De quoi nous servent nos vastes carp^
fi et notre double ferce? A quoi bon la nature a-trelle r^uni en
i nous les deux Mres )es plus puissants? Non, nops n^avona paa
« ipae deesse pou? mive\ non, nqus n^^vons pas pour p^e Ixion
c dc^t les vmu^ 09^rent s^flever jusqu'^ la fi^e Junon, nous
i qui sommes vainciis par un ^nemi moitie iiemme et moitie
i bomine. EnseveUssex-le sous un moneeau de pierres, d'arbres
« fit de montagnes. foouffez-le sous la depouiUe des bois, sous une
« for^t enti^re : cette masse fera sur lui reffet d'une blessure. »
« Nunc agc, ^j^ Caeneii$, nostro tu^ cofpora ferrq 490
« Tentemus ; ? capuloque l^ous ()ei||i«U in armos
Ensem faliferuifl, ^^mqwfi \n »iw«ra WOVit
Vcrdavitque manum, yplnustjue in irn)ii§Fe fecil.
Ecce rui|ot f^^to raliidi pl^inorp biineml)F««,
Telaque i^ )mnc p^nes ^puRi wlttuiitqTJe f^runtqUe. 4d5
Tela retusa cadui^t. ¥^pet ipipBffflssus i|)> pmpi
Inque cruentatus C^jieifs e)9teiu9 ici{|.
i Fecerat «ttanitos iiO¥« res. t Heus dedecus iogans t
« Honychus ezclamat. Populus superamur ab ono,
« Vixque viro. Quamquam iUe vir est; non segnibus actis, 500
« Quod fuit ille, sumus* Quid membca iminania prosont?
« Quid gemins vires? quid, quod iqrtissima mum
« la nobis duplex natura animalia junxitf
« Nec Bos roalre dea, nec nos hiope natos
« Esse reor, qui tanlus erat, Junonis ut aitai ^
« Spem caperet; nos semimari supecamur ab hoste.
« Saxa, trabesque soper, totosque iBToWite roontes,
« Vivacemque animam missis elidite silvis.
« Silva premat liiaces, et erit pro vttinere poadus. » .
472 M^TAHORPHOSES.
11 (lit, et, trouvant sous sa main un arbre abattu par rimpetueux
Autan, 11 le lance a son redoutable ennemi. Tous imitent son
exemple. En quelques instants, rOthrys est depouiUe de sa for^t
et le Pelion n'a plus d*ombre. EnseveJi sous cet amas efTroyable,
C^nee, tout haletant, le soul^ve sur ses larges epaules. Blais la
. masse qui s'amoncelle au-dessus de sa t^te lui coupe la respira-
tion. Tant6t il eprouve des defaillances, tantdt 11 lAche de se faire
jour en renversant le poids enorme qui Tecrase ; quelquefois 11 le
secoue, comme, dans un tremblement de terre, nous voyons s'e-
branler la cime de Flda. Le destin de Genee reste envelopp^ de
mystere. On croit qu^etouffe sous les dlbris des for^ts, 11 est des-
cendu dans le Tartare. Mais le fils d'Ampycus rejette ce bruit. Du
milieu des arbres amonceles 11 a vu s'^lancer dans les airs un
oiseau fauve, que j'aperQus alors pour la premi^re et la derni^e
fois. Mopsus le vit voitigjsr l^^rement autour de ses compa-
gnons; 11 entendit le bruit aigu de ses ailes, et, suivant des yeux
et du coeur tous ses mouvements : « Salut, dit-il, 6 toi, la gloire
<f des Lapithes! jadis homme unique, et maintenantunique en-
tf Ire tous les olseaux, 6 Cenee! • rautorite de Mopsus rendit
Dixit, et iasaoi dejectam \iribus Auslri 510
Forte irabem nactus, validum conjecit in hoslem.
Exemplumquc fuit; parvoque in tempore nudus
Arboris Othrys erat, nec habebat Pelion umbras.
Obrutus immani cumulo, sub pondere Gaeneus
.4i!stuat arborco, congestaque robora duris 615
Fert humeris. Sjdenim postquam super ora caputque
(Irevit ouus, neque habet, quas ducat, spiritus auras;
Deficil interdum. Modo se super aera frustra
ToHei*e conatur, juctasque evolvere silvas;
lulerdumquc movet, veluti, quam cernimus, ecce 5!20
Ardua si terr» quatialur motibus Ide.
Exilus in dubio est : alii sub inania corpus
Tartara detrusum silvarum mole ferebant.
Abnuit Ampycides, medioque ex aggere fulvis
Vidit avcni pennis liquidas exire sub auras, 525
Ouuc niihi tunc primum, tunc est conspecta suprcmum.
Hanc ubi lustrantem leni sua castra volatu
Mopsus, ct ingenti circum clangore sonantem
Aspexit, pariterque oculis animoque secutus :
« 0 sulve, dixil, lapithaja gloria gentis, 550
< Blaxirae vir quondanii sed avis nuacunica, (iSneu. »
LIVRE XII. 475
ce prodige digne de foi. Cependant la douleur de sa perle excita
nolre colere, et nous nous indigntoes d'avoir vu tant de bras
r^unis contre un seul. Le fer ne cessa <i'assouvir notre ven-
geance que lorsqu'une partie des Centaures eut p6ri par nos
mains, tandis que la fuite et la nuit dispersaient le reste. »
niTAHORPHOSE DE p£rICLYm£nE EN AIGLE.
IV. Lorsque Nestor eut racont^ le combat des Lapithes et des
Centaures, Tl^poleme ne put s'emp^cher de remarquer son silence
sur les exploits d'Alcide, et lui dit avecdouleur : « Vieillard, je suis
surpris que vous ayez oublie la gloire d'Hercuie. Mon p^re avait
pourtant coutume de me r^p^ter que la d^faite des Gentaures fut
son ouvrage. » Le roi de Pylos lui r^pondit avec tristesse : « Pour-
quoi renouveler le souvenir de mes maux? Pourquoi rouvrir une
plaie fermee par les ans, et me contraindre a rev^Ier, avec ma
haine pour votre p6re, les affronts que j'en ai re^us? Oui, grands
dieux, ses actions passent toute croyance, et il a rempli Tunivers
de ses exploits. J'aimerais mieux pouvoir le nier. Car nous ne
louons ni D^ipbobe, ni Polydamas, ni Hector. Est-il un homme
Credita res auctore sno est. Dolor addidit iram,
Oppressumque segre tulimus tot ab hostibus umim ;
Nec prius abstitimus ferro exercere dolorem,
Quam data pars letho, partem fuga noxque removit. » 53.H
rERICLYMENI IN AQUILAH C0NVER8I0.
IV. Hffic inter Lapithas et semihomines Centauros
Prslia, Tlepolemus, Pylio referente, dolorem
Prseteriti Alcide tacito non pertulit ore,
Atque ait : « Herculese mirum est obliyia laudis
Acta tibi, senior. Certe mihi sxpe referre 540
Nubigenas a se domitos pater ipsc solelrat. »
Tristis ad haec Pylius : « Quid me meminisse malorum
Cogis, et obductos annis rescindere luctus,
Inquetnum genitorem odium, offensasque fiiteri?
Ille quidem majora fide, dt ! gessit, et orbem 545
Implevit meritis, quod mallem posse negari.
Sed neque Deiphobum, nec Polydamanta, nec ipsum
Hectora laudamus : quis enim laudaverit hostem?
474 M^TAMonPHOSES.
qui ?ante son (^nenii? Votre illustrep^re r^TersA jadis les murs
de Messdne; il ddtruisit filid et Pylos, qui n'aTaient point m^te
sa tengeance ; il porla le fer et la flainme dans mes p^nates. Sims
parler des nombrentcs tictimes qu'il immola^ nous ^ions dovie
enfants de N^ldc, l'orgueil de la Grece. Tous, except^ moi» p^rir^t
par ses mains. On congoit que mes autres fr^res soient tombes
sous ses coupsi
« Mais on doit ^tre surpris de la mort de Peridymene, qui avait
re^u de Neptune, auteiii" cle notre race, le pHVil^g^ de irevfttir et
de quitter a son gre toiites les formes. Apres aVbiir en vaiii tenle
milie m^tamorphoses, il adopta celle de roiseau qtii j^dirte )a fou-
dre dans ses serres recoiirbees et qui est ch§ri dti t'6i des dieui.
IProiitant de ses forces, de ses ailes, de son hec ^t de se§ dngles
aigus, il d^iira le visage ciii h^ros de tirynthe. ti^rcule teiidit
son arc infaitlible, suivit l^oiseaii s^elaiiQant dans les airs, et l^^ttei-
gnit aii d^fadl de l'epaule. La blessiire ^tait legerci; maisles nerfs
rompus se detendireiit et Itii 6t^rent la force de voler. I^es ailes
fureiit trop faibles podr embrasser l*air, et 11 tomba. La fliche,
Ille tuus genitor messania moenia quondam
Stravit, et immeritas urbes Elinque Pylonque 550
Diruit, inque meos ferrum flammamque penates
Impulit) utque alios taceam^ quos ille peremit,
Bis sex Nelidae fuimuS) conspecta juventus,
Dis sex herculeis ceciderunt» me minus uno, ,
Viribus; atque alios vinci potuisse ferendumest. 555
« Mira Periclymeni mors est, cui posse figuras
Sumere quas vellet, rursusque reponere sumptas
Neptunus dederat^ IHelci Mtt^iilid auctor.
Hic, ubi nequicqUam est ferllias variatus in omnes,
Vertitur in faciem volueris, qti» Ailmitia curtis 900
Ferre solet pddibus, dltQtoi gratissima r^gi.
Viribus usus avis, pcnnis rostrbqui^ nsdunco,
Uamatisque viri laniaverat unguibus ora.
Tendit in hubc himium certos Tlrynthius arcusi,
Atque inter nubes sublimifl membra ferentem, SG^
Pendentemque ferit, lateri qua jungilur ala;
Nec gravfi vulnus fe^at ; scd mpil vulhere netvi
Deficiunt, motumqtic negant viresque vdlandi.
Decidit in terrami non concipientibus au^a^
Jufirmis pennis; et qua levis hae^orat fll», 87U
ttYAB Xn. 475
#
k peine attach^e kson ail6, press^ par le poids de son corps,
traversa ses flancs et ressortit par la gorge. JugeZ) illustre chef de
la filotte des Rhodiens, si je dois Vanter les hauts faits de votre
pdjre? M^s je ne vengerai ihes fr^tl^s que paf mon silence; car je
Yous ai voiiS une atniti^ ^tertielle. * Telles furent les douces pa-
roles qui s'^happigrent de la bouche de Nesttir. D^ qU'il eut cess^
de parler, le vin remplit ericore les coupes. Puis on se leva de
table, et le reste de la nuit futdonne au sommeil.
HORT D^ACHlLLE*
V. Gependant le roi dont le trident maitrise les flols voit, avec
toute rindignatioh d'un pere, son fils Gycnus change en oiseau.
Son coBur irrite nourrit contre le fier Achille une haine impla-
cable. D6j^ la guerre s^etait prolong^e pres de dix ans, lorsqu'il
parla ainsi au dieu de Smynthe : tf 0 toi, de tous les enfants de
mon Mre le plus cher k mon coeur, toi qui ^levas avec moi les
remparts imt)uissants de Pergame, ne gemis-tu pas de voir ces
tours pnte de s'^crouIer ? Ne plains-tu pas tant de h^ros qui sont
Corporis affixi pressa est gravitate sagitta,
Perque latus sumnium jugtilo iest exacia sinistro.
Num videor debere tui praeconia rebus
Herculis, o rhodiae ductor pulcherrim^ classis?
Nec tamen ulterius, quam forlia facta sitehdo, 575
Ulciscar fratres; solida est mihi gratia tebUm. •
Haec postquam dulci Neleius edidit ore,
A sermone senis, repetito munere Bacclii,
Surrexere toris : nox est data csetera somnb.
UORS ACHILLiS.
Y. At deus, eequoreas qui cuspide temperat undas, S80
In volucrem corpus nati Stheneleidh versum
Mente dolet patria, ssrumque perosus Achillem
Exercet memores, plus quam civiiiter, iras.
Jamque fere tracto duo per quinquennia bello,
Talibus intonsum compeilat Smynthea dictis : S85
« 0 mihi de fratris longe gratissime natis,
Irrita qui mecum posufsti moBnia trojae,
Ecquid, ul has jamjam casuras aspicis arces,
Ingemis? Aut ecquid tot defendenlia muros
476 MfiTAMORPHOSES.
tous morts pour les defendre? et, pour ne pas les rappeler
tous, ne crois-tu pas voir rombre d'Hector traine autour des
murs de sa patrie?Cependant Achille, plus cruel que la guerre,
Achille, qui a detruit notre ouvrage, vit encore ! Ah ! qu'il s'offre
a moi, je lui ferai sentir ce que peut mon trident. Mais, puisquMl
ne nous est point permis de combatlre cet ennemi de pres, s^isis
ton arc, et frappe-le soudain d'un invisible trait. » Apollon y
consent. Heureux de satisfaire sa haine et celle du dieu auquel
Funissent les liens du sang, il s^enveloppe d'un nuage et penetre
dans le camp troyen. Au milieu du camage, il voit P&ris lancer
quelques traits contit des Grecs obscurs. Le dieu se fait connaitre :
« Pourquoi, lui dit-il, repandre en vain un sang vulgaire? Si tu
aimes les tiens, tourne tes armes contre Achille et venge tes
freres egorges. »
A ces mots, il lui montre le fils de Pelee moissonnant les
Troyens. II dirige lui-m^me contre ce heros Tarc de Pari5, el
conduit d'une main siire le trait falal. Ce fut la seule joie qup
goilta le vieux Priam apr^s la mort d'Hector. Te voila donc,
Achille, vainqueur de tant de heros, te voila vaincu par le lache
Millia caesa doles? Ecquid, ne persequar omnos, "»1N)
Hecloris umbra subit, circum sua Pergama iracti?
Ouum tamen ille ferox, belloque cruentior ipso,
Vivit adhuc, operis nostri populator, Achilles.
Det mihi se : faxo, triplici quid cuspide possim,
Sentiat. At quoniam concurrere cominus hosti lt9l»
Non datur, occulta necopinum perde sagitta. »»
Annuit, atque animo pariter patnioque suoque
Dehus indulgens, nebula velatus in agmen
Pervenit iiiacum, mediaque in caede virorum
Rara per ignotos spargentem cernit Achivos 600
Tela Parin, fassusque deum : « Quid spicula perdis
Sanguine plebis? ait. Si qua est tibi cura luorura,
Vertere in ^aciden, cxsosque ulciscere fratres. »
Dixit, et ostendens sternentem troia ferro
Corpora Peliden, arcus obvertit in illum, 605
Gertaque lelhifera direxit spicula dextra.
Quod Priamus gaudere senex post lleclora possct,
Hoc fuit. IUe igitur tanlorum victor, Achille,
Vinccrisa timido graiae raplore marilae!
LIVRE Xll. . 477
misseur d*ti^l^ne ! Si tu avais dil perir par le bras d'une femme,
tu aurais mieux aim^ sans doute tomber sous }a hache d une
Amazone. Deja le petit-fils d'fiaque, la terreur des Phrygiens, ia
gloire et Tappui des Grecs, ce h^ros invincible dans les combats,
etait place sur le bi!kcher. Le dieu qui avait forg^ son armure le
consume. Cet illustre guerrier n'est plus qu'un peu de cendre, et
du grand Achille il reste je ne sais quoi, capable a peine de rem-
plir l'urne ia plus modeste. Mais sa gloire lui survit et remplit
Tunivers. CestFespace qui convient au heros; c'est par la qu'A-
chille est ^gai a lui-m^me, et quMl ^chappe aux enfers. Son bou-
clier (on reconnait ainsi ce qu'^lait son maitre) excile des combats,
et Ton prend les armes pour se disputer ses armes. Ni Diom^de,
ni le fils d'Oilee, ni le plus jeune des Atrides, ni son fr^re, plus
intrepide et plus dg^ que lui, ni tant d'autres capitaines, n*osent
y pr^tendre. Seuls, le fils de Telamon et le fils de LaSrte ont
assez de confiance dans leur m^rite pour aspirer k ces glorieuses
d^pouilles. Agamemnon repousse toute responsabilit^, et, pour
se tenir k Tabri de tout ressentiment, il engage les chefs de la
Grto a se r^unir au milieu du camp, et les fait juges du debat.
At si remineo fuerat tibi marte cadendum, 610
Thermodontiaca malles cecidisse bipenni.
Jam timor ille Phryguro, dccus et tutela pelasgi
Nominis, iEacides, caput insuperabile bello,
Arserat : armarat deus idem, idemque cremarat.
Jam cinis est, et de tam magno restat Achille 615
.Nescio quid, parvam quod non bene compleat urnam.
At vivit, totum quaet gloria compleat orbem.
Hsc illi mensura viro respondet, et hac esl
Par sibi Pelides, nec inania Tartara sentil.
Ipse etiam (ut, cujus fuerit, cognoscere possis) 620
Della movet clypeus, deque armis arma feruntur.
Non ea Tydides, non audet Oileos Ajax,
Non minor Atrides, non bello major et aevo,
Posccre, non alii. Soli Telamone creato
Laerlaque fuit tantae fiducia laudis. 625
A se Tantalides onus invidiamque removit,
Argolicosque duces mediis considerc castris
Jussit et arbitrium litis trajecit in omnes.
•27.
LivRE "rMimm
kikt kX ULtSSE 8B DISPDTBHT LBS &IUIBS d\gHILLE. -^ LB SAKG
D AfAX E6T CniiSGl& EN FLBUR.
1. L^ chetb ont pri^ pUte, et la foule 3e tietit deboUt autoUr
d^eux. Ajax ^6 ISve, fl^r d^ Isbn immeilse boUclier. Incap^ble de
tJdtttehii' sdft cOUrfoU^, il Jette Un Wgard feiS^Oche sur !e fiVilge
de Slgte et suf* la Mte qui le cdUvre ; puis, les bra^ tetldus, il
s*dtHe : cO JUpit^f ! c*^st k U Vue de hos vaisseaux que ftotis
pldiddhs, et c'est Uly^se qu*on met eU pai^lSle avec mdi» lui qui
h'ai pas h)ugi de fuif devaht leS feUt ddht Hectof hiena^it notre
fldttd, tandis que hioi, j^ les ai bi*aveS, j6 leS fti fepdUSBeS! II y a
sans doute moins de danger a faire assaut de discours imposteurs
qu'a combattre l'epee a ia main! Mais il m^est aussi difficile
de bien parler qull Test Si Ulysse de bien agir ; et je remporte
LIBER TERTIUS DECIMUS
AJAX ET nLT.SSES DE ACHILLIS ARIIIS CONTENDUNT. — AiACIS SANGUIS
IN FLOREM CONVERTITUR.
I. Consedere duces, et, vulgi stante corona,
Surgit ad hos clypei dominus septemplicis Ajax.
Utquc erat impatiens irae, sigeia torvo
Littora respexit, classemque ia iillore, vullu,
Intendensque manus : c Agimus, pro Jupiter! inquil, 5
Ante rates causam, et mecum confertur Ulysses!
At non hectoreis dubitavit ceilere flammis,
Quas ego suslinui, quas hac a classe fugavi.
Tulius est igitur ficlis conlendere verbis,
Quam pugnare manu. Sed nec mihi dicere promplum, 10
Aec facere est isti; quantumque ego marte feroei,
LIVRE Xni. 479
par rin(rg|)idit6 dsltis les tonikiUi, aUtant qU'il ^ixMe lAm l*art
de la parole. Cependant, 6 Grecs ! je rie pense pas qu'il soit ntos-
saire de tous rappi^ler mi^ eiploitS : VoU^ les avet vds. Qu^blysse
racdnte le^ sieUs, qtii n'oht eu que lui setil et la huit pdut^ it-
moins. Le prix qUe f ambiUonne est grand, je l^aroUe ; mais Un
tel condtitf ent le ddgrade. QUelqUe cptasiddt*abl6 qu'il ^oit, il y a
pouf Ajkx peu d'hohneur Si robtenif , d^ qU*UlJsse ose y pi*d-
tendre. D^ja m^me ne r^cueille-i-il p^s de cette lutte urie assidz
belle gloire, puisque, apr^ ^a d^fdite, on lui fera Uh m^fite d^i-
Vbir 6t6 mon rival?
I Si mon courage pouv^t ^tre contestS, j^aufais k me priivddir
d^une hdissflhee illustre. Je suis le fils deT^ltooh, qUi coUlbaltit
aTec le Tkillant Hercule pour la prise de Troi^, et descendit avec
les Argdnautes sur le rivage de \A Golchide. U eut pour p^re £aque,
dont les ombres sUendeused re|[^iTent les lois dans le s^jour oU
Sisyphe roule un ^nonhe rocher. Le souTeraih maltre des dieux
reconnalt lui-^mdme £aque et le proelame Hon fils. Ajax, par sdn
origme, tient dohc la troisi^me place au-dessous de Jupiter. fih
blen, Grecs, je consens k U'en tirer aucun bvantage» si je ne la
Qaantum acie. valeo, tantum Talel iste loquendo.
Nec memoranda tamen vobis mea facla, Pelasgi,
Esse reor ; vidistis enim. Sua narret Ulysses,
Qu8e sine teste gerit, quorum noi conseia sola est. 1:)
Praemia magna peti fateor; sed demit honorem
^mulus. Ajaci non est tenuisse superbum,
Sit licet hoc ingens, quidquid sporaTit Ulysses.
Iste tulit pretium jam nunc certaminis hujus,
Quo quum victus crit, mecum certasse feretur. il)
« Atque ego, si virtus in me dubitabiiis ess^t,
Nobilitate potens essem, Telamone creatus,
Moenia qui forti trojana sub Hercule cepit,
Littoraque intravit pagasaed colcha carina.
.£acus huic pater est, qui jiua silentibus illic 25
Reddit, ubi iEoIidcn salum grave Sisypbon urget.
JEacon agnoscit summtls, prolemque fatetur
Jupiter esse suam : sic slb Jove tertius Ajax.
Kec tamen haec series in causa prosit, Acliivi,
Si mihi cum magno non eftt commiinis Achillc. ^
480 METAMORPIIOSES.
partage point avec le grand Achille. Uni par le sang a xie heros, je
reclame Theritage d*un frere.
c Mais toi, ne du sang de Sisyphe, et qui lui ressembles par tes
artifices et par tes larcins, pourquoi m^ler des noms etrangers aux
noms des fiacides? Est-ce parce que le premier j'ai. couru aux
armes, sans le secours d'un denonciateur, qu'on me refusera ces
armes? et Ton en jugerait plus digne celui qui se presenta le
dernier, celui qui, pour ^viter les perils de la guerre, feignit la
d6mence jusqu'au jour ou, plus ruse quTlysse, mais trop im-
prudent, le fils de Nauplius d^voila ce ISche stratagtoe, et Ten-
traina, malgre lui, aux combats ! ' QuMl re^oive ces armes glo-
rieuses, lui qui n^avait point voulu prendre les armes, tandis que
je resterai sans recompense, prive d'un bien que m^assuraient les
liens du sang, moi qui affrontai les premiers dangers ! Ah ! pliit
aux dieux que sa demence eut ^te v^ritable, ou du moins que les
Grecs n'en eussent pas decouvert la faussete, et que ce conseiller
du crime n'eut jamais pen6tre dans les remparts de Troie ! Alors,
fils de Poean, nous ne faurions pas perfidement abandonne dans
Lemnos ; toi qui, dit-on, cache maintenant dans des antres sau-
vages, attendris les rochers par tes cris plaintifs, et appelles sur
Frater erat; fratema peto.
« Quid sanguine cretus
Sisyphio, furtisque et fraude simillimus illi,
Inspris ^acidis aliense nomina genlis!
An quod in arma prior, nuUoque sub indice veni,
Arma neganda mihi? Potiorque videbitur ille, ">^
Ultima qui cepil, detrectavitque furore
Militiam ficto, donec solertior isto,
Sed sibi inutilior, timidi cojnmenta retexit
Naupliades animi, vitataque traxit in arma?
Optima nunc sumat, qui sumcre noluit ulla. i"
Nos inhonorati, et donis patrueiibus orbi,
Obtulimus qui nos ad prima pericula, simus.
Atque utinam aut verus furor ille, aut creditus essr i!
Nec comcs hic phrygias unquam venisset ad arce?
Hortator scelerum. >'on te, Poeanlia proles, 4a
Eipositum Lemnos nostro cum crimine haberet,
Qui nunc, ut memoranl, silvestribus abditus antris,
LIYRE XIII. 481
le fils de Lagrte le cMtiment qull a m^rit^ ! S'il est des dieux
vengeurs,tes pri^res ne seront pointvaines. Helas! ceh^ros, un
des chefs de la Gr^e, lie par les mSmes serments que nous,
rh^ritier des fl^ches d'Hercule, en proie aux tourments de la ma-
ladie et de la faim, est reduit a se procurer par la chasse quelques
oiseaux dont il fait sa nourriture ! H exerce contre les hahitants de
Tair les traits reserv6s aux destins d'Uion ! Cependant il vit encore,
parce qu'il n'a point accompagne Ul^sse. L^infortun^ PalamMe ei!it
aussi mieux aime ^tre d^laisse dans une ile d^erte. H vivrait, ou
du moins il n'eilt pas ^t^ victime de sa perfidie, lui qui, pour son
malheur, d^joua la folie simulee d'UIysse, dont Timplacable res-
sentiment Taccusa de trahir notre cause, et prouva ce crime sup-
pos^ en montrant un tr^r enfoui d'avance dans la tente de ce
guerrier. Cest ainsi que, par Texil ou par la mort, Ulysse aflaiblit
notre arm^e; c'est ainsi qu'il combat et qu'il se rend redoutable.
« Tdi-il plus ^loquent que Nestor, il ne me fera jamais avouer
qu'il pilt Tabandonner sans reproche. £n vain ce sage vieillard
implora le secours dTlysse, au moment ou sa marche ^tait retar-
dee par la blessure de son coursier et par le poids des ans. Son
compagnon le trahit. Ce n'est pas un crime imaginaire : le fils de
Saxa moves gemitu, Laertiadaeque precaris
Quffi meruit : quae, si dl sunt, non vana preceris.
Et nunc ille eadero nobis juratus in arma, 50
Heu! pars una ducuro, quo successore sagittae
Herculis utuntur, fractus roorboque fameque,
Vcnaturque, aliturque avibus, volucres€[ue pelendo
Debita trojanis esercet spicula fatis.
Ille tamen vivit, quia non comitavit Ulyssen. 55
Mallet ct infelix Palamedes esse relictus!
Viveret, aut certe lethum sine crimine haberet.
Quem male convicti nimium memor iste furoris
Prodere rem danaam fmxit, fictumque probavit
Crimen, et ostendit, quod jam prxfoderat, aurum. 00
Ergo aut exsilio vires subduxit Achivis, •
Aut nece : sic pugnat, sic est metuendus Ulysses.
« Qui licet eloquio fidum quoque Nestora vincat,
Haud tamen efticiet, desertum ut Nestora cHmen
Esse rear nullum; qui, quum imploraret Ulyssen, 65
Vulnere tardus equi, fessusque senilibus annis,
Proditus a socio est. Non hsc mihi crimina fingi,
482 MgTAIIORPHOSES.
Tydte le sait bieti, lui qui appela plusieuTB Ibis Dlfsse par Mh
nom, el bl&ma la fuite de cet ami pusillanime.
f Mais ia justice des dieux Teilie sur les mortels. BientOt Ul}Me
eut besdin pour lui-mtoie du secours qU*il atait reftis^ ft J^eStbt.
U m^ritait d'£tre abandonn^ : il avait lui-^n^me diotd Id Id. tl
appelle a grands cris ses coiUpagnons. J'accours, Je le Irois pile
et tremUant derant la mort qui le menace. J*oppo8($ aux eittie^
mis knon vaste boudier, qui couvre son corps ^tendu siir rardfitt,
et je sauve un l&ehe, sans qu'ii en revienne la moindre gloire
pour Ajax. Si tu persistes a lutter eontl*e moi, revenons dans te
m6me lieu. Que je Ty retroiive iiveo i'ennemi, avec ta Maistire
et ta frayeur accoutumee; cacbe-loi derri^re mon bouclier, et
Ui dispute-moi les armes d^AchiUel Lorsque je Teus deiivr^,
celui auquel ses blessures n'UVaient pas laisse la force de r^is-
ter k i'ennemi prit la fuite sans Stre retarde par ses ble»-
sures» Hector parait, et entraine avec lui ies dieuk au omirilMit.
Partout, sur son passage, l'effroi 8'empare non-seukment de td,
Ulysse, mais des plus intrepides : tant la terreur acoonlpagne ses
pas ! Fier de r^pandre le camage^ le fils de Priam triempliiit
dejk. Je l*attaque de pr^s, et je le renverse sous une roclie
Scit bene Tydides, qui nomine saepe vocatum
Corripuit, trepidoque fugam exprobavit amico.
« Aspiciunt oculis Superi mortalia justis. 70
En eget auxilio, qui non tulit ; utque reliquit,
Sic linquendus er^t : legem sibi dixerat ipsc.
Conclamat socios. Adsum, videoque Ircmcnlem
Pallentemque metu, ac trfepidantem morte fulura.
Opposui molem clypei, texique jacentem, 75
Scrvavique animam (minimum e$t hdc laudis) indHem.
Si perstas certar^, loctim rededmus in illutn;
Redde hostem, tulilusque tuiim, solitumquc timorem;
Post clypeumque lale, et mecam coutende sub illo.
At postquam eilpui, cui siandi Ttilnera vires 80
Non dederant, nilllo tardattls vulnere fugit.
Hector adest, socumque deos in prxlia ducit;
Quaque ruit, non tu tantum terreris, Ulysse,
Sed fortes etiam : Untum trahit ille timoris !
llunc e{?o sanguinea successu cadis ovantem 8.*i
Cominus ing nti rosupinnm pondere fudi.
LtYRE tlll. 483
tamh^. Lm^ull d^iid le plUB brave d*^tre nbUS) seul je ttie
l^setilai. 6Tmy rm flteft dds tdsux pobr t|ue le Bort nie d^igndt :
ih fisami etauc^. Veulee^us coritoaltre rissue da ciomint? Ajax
ne lUt pt^ Vaitieu par fieetm"; Tout k coup led Troymu portent
fttif 6dtjra fibtte le fgr et Id flamme. Jupiter maMie atec eux^ Od
^tait dbi^ tlysSe avec son eldqtletice? Bk^, je ii6 \in rempart de
mim eo^j)d ii n&» mille Tai86eaut> espbir de Votre tetour. Peiir
0§l biiU& vai^edUJt donn^zMonoi l^s almes d^Acliilie^ k dire vrai^
je f&M pm d horineur k tes mim (ju^elle^ rie tn'en rappbrteM-
font Ifdtt^ gloire est unie : les ahnes d^Aciiilie tmt pius besoin
4^Ajak qu'Ajat n'a besoih d^eliesi
i Que le rbi dllh^qUe compat^ ii tned fexploits le meurtre de
Rlti^s lii dtl Iflche Doion) renl^ifement d^HeleUub^ un des filB de
Pri^, et eelUi du Palladitun. II n'd jamais rien &it au grand
]our. II n'est rien sans Diomede. Si vous aoooi^ei les aTmes
d*Abhiile pour ^rix d'expioit& si ohscurs> paTtag^les, et que
Diitttl^ sdt la riieiiieure parti Mais pourquoi les donner k Uiyssey
(ttti agil datm Vmitiir6, toujours sam combit) et rie isait qde sut^
pr^dns r^emi, eomme Un larron? L'6clat de ce easque rea-
plendi»sam d*or trahirait ses rused bt d^voilerait sa mardie t^n^
Hunc ego poscenteni, cum quo concurreret, unus
Sustinui; sortemqtie meam TOTistis, Achivi»
Et vestrae valuere preces. Si qunritis hujus
Fortunam pugnaej non sum superatus ab illd» 90
Ecce ferunt Troes ferrumque, ignemque, iovemque
In danaas classes. Ubi nunc facundus Ul^sses?
Nempe ego miile kneo protexi pectore puppes,
St>em vestri reditus. Date tdt pro aavibus armat
Quod si vera licet mihi dicere, qunritur istis, 95
Quam mibi, majof bonos^ eonjunctaque gloria nostra est{
Atque Ajax armis, non Ajaci arma petuntur;
« Conferat his IthacliS Rhestuta, idibeIiem()Ue Dolotla,
Priamidenque HeldUtiM rapla chhi t^allade cjiptum.
Luce nihil gestum, bibil est Diotnede reibofO. tOO
Si semel ista ddtis tneHtis tam vilibiis di>ma,
Dividite, et pars sit major Diomedis in illis.
Quo tamen bxc Ithaed, qui clam, qui semper ii.e)>mis
I^em gerit, et ftiirtis incautiitn deciplt bostem?
Ipse nitor gale», clflro radiAbUs &b illiroK 16^
Insidias prodet, faidni(^siiibitqtii§ lal^nteili.
484 Ml^TAMORPHOSES.
n^breuse. Sa iAie, charg^ du casque d*Achille, fl^hirait sous
un si grand fardeau ; la lance du h^os serait trop lourde pour
un si faible bras ; et son bouclier.ou est grav^ Timage du monde,
ne convient point a une main timide qui ne semble faite que pour
le lardn. Insense ! pourquoi briguer des armes qui t*e(araseraient
de leur poids ? Si ies Grecs abuses te les donnaient^ loin de te ren-
dre redoutable, elles ne te foumiraient que Toccasion d'enricbir
Tennemi. Ta fuite, la seule chose ou tu excelles, 6 le plus Idche
des hommes ! ta fuite se ralentirait, lorsque tu trainerais cette pe-
sante armtire. Que dis-je ? lon bouclier, rarement expose aux com-
bats, est encore intact, tandis que le mien, perce de mille traits,
attend un successeur. Mais k quoi bon tant discourir? Que les faits
seuls decident. Jetez au milieu des ennemis ces armes d*un h^ros.
Commandez-nous d'aller les y reprendre, et d^cernez-les k celui
qui les rapportera. »
Ainsi parla le fils de Telamon. La foule accueillit la fin de son
discours avec un murmure favorable. Alors le fils de Laerte se
l^ve. II baisse d'abord les yeux, puisles porte vers les chefsdela
Grece, impatients de Tentendre, et prononee ce discours plein
d'eloquence et de gr^ce : « Grecs, si vos vobux et les miens eus-
Sed neque dulichius sub Achillis casside vertex
Pondera tanta feret; nec non oncrosa gravisque
Pelias esse potest imbellibus hasta lacertis.
Nec clypeus, vasti caelatus imagine mundi, 110
Conveniet timidae natxque ad furta sinistrae.
Debilitaturum quid te petis, improbe, munus?
Qaod tihi si populi donaverit error AchiTi,
Cur spolieris, erit, non, cur metuaris ab hoste;
Et fuga, qua sola cunctos, timidissime, vincis, 115
Tarda fulura tibi est,' gestamina tanta trahenti.
Adde, quod iste luus, tam raro prxlia passus,
Integer est clypeus; nostro, qui tela ferendo
Mille patet plagis, novus cst successor habendus.
Denique quid vcrbis opus cst? spectemur agendo. 120
Arma viri fortis medios mittantur in hostes :
Inde jubete peli, et refereutem ornate relatis. »
Finierat Telamone satus, vulgique secutum
Uitima murmur erat, donec Laertius heros
Adstitit, atque oculos paulum tellure moratos 123
Sustulit ad proceres, exspectatoque resclvit
Ora sono; neque abest facundis gratia dictis:
LIYRE XIII. 485
sent ^t6 accomplis, l'h^ritier de telles armes n^ serait pas in-
certain. Tu les poss^erais, Achille, et nous te poss6derions en-
core! Mais, puisque les cruels Destins nous ont enyi^ ce bon-
heur (en m6me temps il porta la main a ses yeux comme pour
essuyer ses larmes), qui pourra plus dignement succeder au
grand Achille que celui qui Fa ramene parmi vous ? Que la gros-
sieret^ d'esprit, dont Ajax se vante lui-mSme, ne soit pas un
tilre pour lui, et que mes talents, toujours consacres k vos int^-
rSts, ne me deviennent pas funestes! Si je possMe quelque ^Io-
quence, puisse>t-elle, lorsqu'elle soutient mes droita, comme elle
a souvent d6fendu les v6tres, ne point m'attirer de defaveur!
Chacun doit faire valoir ses avantages personnels.
« La naissance, les aieux et les exploits d'autrui ne nous appar-
tiennent pas. Ajax se glorifie d'6tre rarriere-pelit-fils de Jupiter.
Je dirai que Jupiter est aussi le ehef de ma famille : nos degr^s
sont egaux. Laerte, moi\ p^re, ^tait fils d'Arc^ius, fils lui-m6me
de Jupiter. Seulement, il n'y a dans ma famille ni coupable, ni
exil^. Mercure, quireconnatt ma m^re pour sa fiUe. me donneune
seconde noblesse : des deux c6t^ j'ai des dieux pour anc6tres.
« Si mea cum vestris valuisseat vota, Pelasgi,
Non foret ambiguus tanti certaminis hseres;
^Tuque tuis armis, nos te poleremur, Achillel 130
Quem quoniam non aequa mihi vebisque negarunt
Fata (manuque simul veluti lacrymantia tersit
Lumina), quis magno melius succedat Achilli,
Quam per quemmagnus Danais successit Achilles?
Huic modo ne prosit, quod, ut est, hebes essc videtur; 13S
Neve mihi noceat, quod vobis semper, Achivi,
Profuit ingenium ; meaque haec facundia, si qua est,
Quae nunc pro domino, pro vobis saepe locuta est,
Invidia careat; bona nec sua quisque recuset.
« Nam genus, et proavos, et quse non feciraus ipsi, 140
Vix ea nostra vqco. Sedenim, quia rettulit Ajax
Esse Jovis pronepos, nostri quoque sanguinis auctor
Jupitcr est, totidemqne gradus distamus ab illo.
Nam mihi Laertes pater est, Arcesius illi,
Jupitcr huic; neque in his quisquam damnatus et exsu). 145
Esl quoque per matrem Cyllenius addita Qobi&
Altera nobilitas : deus est in utroquc ^afenle.
486 M£TAM0RPH0SES.
Mais ce n^est ni parce que ma m^re riend ma naissanoe plus illus-
tre qtie oelle d'Ajax, ni parce ({ue mon p^ ne s'e8t pas souille
du meurtre de son fr^e, que je demande les armes d^Adiille.
Jug^nous 6ur nos actions. Qa'Ajax ne se pr^vale point de oe
quil a T^lamon et P^li^e pour freres. Nos droits d(H?ent 8'aj^yer,
non 8Ur les liens du sang, mais sur notre m^rite personnel. Tou-
tefois» si Fon Teut pi^ndre dans Fordre des ancetres le premier
h^ritier d'Achille, P^te son p^re et Pyrrhus son fils Yivent en-
core. Oii est la place d'Ajai? Portez oes armes a Phthie ou a Scyro8.
Teucer est 1» cousin d'Abhille aussi bi^ qu'Ajax. Mais demande-
i-il ce^ armes? et, quand il les demanderait, les obliendrait4i?
Ge sont les senrices seuls qu'il faut pesa' dans cette luUei Les
miens sont trop ndmbreux pour 6tre exposesid. Je \ais petuiant
les rappeler d'aprds Tordre des temps.
k Th^tis, TA^\re d'AchiUe, pr^Toyant la mort pr^matur^ de son
fllS} tiaeha 6on sexe sous Thabit d'tm$ vierge. Ge d^uifiemeDt
•tl*ompa toUB les Grecs et Ajax lui-mSitie. A ses atours je mdlai
ded attnes propt^s k ^moutbir TAme du heros. 11 n*avait pas
entore ddpouiil^ sbn trafestisiBementi quilnd il prit la kuM» et
Sed neque malet-bo (Juod sutn g6iier0sior oHu,
Kec mihi, quod pdter eist h-aterni ^atiguinis insons,
Proposita arma peto : meritis eipetldite cdusam. iSO
Dummodo quod ft-atries telaraon PeleusqUe fUerunl,
Ajacis meritum non sit; nfec sanguinis otdd,
Sed virtutis hotlos SpoDI^ qu^ratui*ib islis.
Aut si proximitas, prlmuSque ttquirltur lioct-es,
Est genitor PeleUs, ^st Pyrrhus filius illi. 155
Quis locus Ajaci? Phthiam haic Scyronve Iferahlur.
Nec minus est islo Teucer patrUfells Achilli.
Num pelit ille taihen? Nutn, si petat, auferat atma?
Ergo operum quotiiam nUdum certamen babetur,
Plura quidem feci, quam quai comprendere diclis IGO
In promptu mihi sit. Herum tameh ordine ducar.
« Prsscia venturi genitrix Netfeia lethi
Dissimulat cultu natum. Deceperat omnes,
In quibus Ajacem, sumptoa fallacia vestis.
Arma ego femineis, aniltiUm motura virilettl, 165
Mercibus inserui; neque adhuc projecerat heros
Virgincos habiius, quum pdrmam hastamquc tenenti:
LIYRB Xlllt 487
le bouelier. • Fils d'ime dtesse, lui dis-je, Pergame attend sa
« chiite de ton brasi Pourquoi diffiirer de renverser aes au-
V p^bes renitmrls? • ie 16 saisis et j'entrainai utl h^n^ k de
noMes exploits. Ses hauls faits tont dono mon ouvrage» Cest
tniH (i^i ai tenU T^l^phe som ts\^ lancO) et qUi, h sa pri^e,
lui ai Qcmsenr^ Ift tie< Th^be3 est tomb^ sous mes coupsi Cest
mdi^ n^fsA (kniteE pas, qui ai conquid Scyroii, Lesbos» T^nMos,
QuT^ et Gjflla, eonsacrees a Apollon. Mon bras a reuTers^ les murs
de Lymesse. Sans p^rler d'autres hdr^s^ je tous ai dorni^ eelui
qui pduriit seul teri^asser le redoUtable Heotdr ; e'est dono par
mdi que le grand Heetor a p^. Je dienlande ctt armes (idtur prix
de celleg qui me fiirent dtoutrir Adiille. Je lui donnai dlHi atmes
pendant sa tie^ Je rMame les sieimes aprds sa ihort*
f Lorsque le i^s^tihi^t d^uii seul erma toute la Grtoi et
que mille vaisseaux couvrirent^ prte d'Aulis» les edtes d'fiiib^e,
les tenU) Hppelds par nos Voeui) se turent longtetUpB ou con-
ti^^rent notre flottei Un oracle inhumain enjoignit h AgA-
inemntm dlmmolei' sa dUe innocente au coUrroux de Diane.
Agatnemnlm refusa d'ob4ir et s^emporta ci^tre les dieUx: Le
roi ^tait pere. GrSce & moi, le bien public triompha de sa ten-
k Nate dea, dixi, tibi se perittira reserTant
« Pergama. Quid dubitas ingenlem eTertere Trojam?»
lojecique manum» fortemque ad fortia misi. 170
Ergo opera iliius, mea sunt. Ego Telepbon hasta
Pugnantem- domui, Tictum orantMique refecii
Quod Thebae cecidere, meum est. Mo ercdile Lesbon,
Me Tenedon, Cbrysenque» et Cyllaii) Apollinis urbes,
Et Scyron cepisse. Mea concussa putate 175
Procubuisse solo lymessia moenia deitra.
Utque alios taceam, qui sevum perdere posset
Hectora, nempe dedi. Per me jacet inclytus Heclor.
Illis hsc armis, quibus est inventus Achiiles,
Arma peto. Vivo dederami post fata reposco. 180
« Ut dolor Unlus Danaos p^rvttiit fld omtit»)
Aulidaque euboicam eomtileiiiiit millto carins,
Exspectata diu, nuUa, aut contraria elassi»
Flamina sunt, duraeque jubent Agamemnona sartes
Immeritam saev» natam maetare Dian». 185
Denegat hoc genitori dirisqiie irascitur ipsis{
Atque in rcge tamen pater est* Ego mite parentis
488 M^TAMORPHOSES.
dresse. Maintenant, je rayoue (et qu^Atride ne s'offense pas de
oet aTeu!) je plaidai une cause difficile devant un juge pr^venii.
Hais Tint^rAt du peuple, les droits d'un frSre, la dignitS do^scep-
tre confi^ k ses mains, d^terminSrent Agamemnon a acheter la
gloire au prix de son sang. Je fus d^putS vers la mere dlphig^-
nie. il s'agissait, non de la persuader, mais de la tromper par un
artifice. Si Ajax se ii!^t rendu aupres d'elle, nos Toiles attendraient
encore un vent propice. Je fus ^alement enyoy^ k Troie. fntr6-
pide orateur, je p^n^trai dans ses murs. Je vis la cour superbe
de Priam ; elle ^tait alors pleine de guerriers. Je dSfendis avec
fermet^ les int^rSts cpie la Gr^ce avait commis k mes soins. J*ac-
cusai P^is, je r^clamai H^lSne et ses tr^sors. J^etnus Priam et son
parent Antenor. Mais Pdris, ses frSres et les complices de son cnme
continrent a peine leur fureur impie. Tu le sais, Menelas : en ce jotir
j^affrontai avec toi le premier danger.
« 11 serait trop long de raconter tous les services que je rendis
dans cette iongue guerre par mon courage et mes conseils. Aprfe
les premi^res luttes, les Troyens se tinrent longtemps renfatnes
dails leurs murs. II n'y eut aucune bataille. On ne put reprendre
Ingeaium verbis ad publica commoda verti.
Nunc equidem fateor (fassoque ignoscat Atrides),
DifBcilcm tenui sub iniquo judice causam. 190
Hunc tamen utiiitas populi, fraterque, dalique
Summa movet sceptri, laudem ut cum sanguine penset.
Mittor et ad matrem, quae non hortanda, sed astu
Decipienda fuit. Quo si Telamonius isset,
Orba suis essent etiamnum linlea ventis. 19^
Mittor et iliacas audax orator ad arces ;
Visaque, et intrata est altai mihi curia Trojae ;
Plenaque adhuc erat illa viris. Interritus cgi,
Quam mihi mandarat communis Graecia, causam.
Accusoque Parin, praedamque, Ilclenamque reposco, i(K)
Et moveo Priamum, Priarooque Antcnora junctum.
At Paris, et fratres, et qui rapuere sub illo,
Vix tenuere maiius (scis boc, Menelae), nefandas,
Primaque lux nostri tecum fuit illa pericli.
« Longa referre mora est, quse consilioque manuque 203
Utiliter feci ^patiosi tempore belli.
Post acies primas, urbis se mcenibus hostes
Continuere diu, nec aperti copia Martis
Ulla fuit. Decimo demum pugnavimus anno.
LilVRE Xlli. 489
la guerre qu'a la dixitoie ann^e. Que faisais-tu alors, Ajax, toi qui
ne connais que les combats? Queis furent tes services dans ce
moment? Quant aux miens, si lu veux les connaitre, je tendais des
pi^es aux ennemis, je fortifiais nos retranchements, j'exhortais
no8 alli^ a supporterpatiemment les ennuis de la guerre ; j'indi-
quais les moyens de se procurer des vivres et des armes ; j'allais
parlout ou ma presence etait n^cessaire. Soudain un songe qu'ii
croyait envoy^ par Jupiter abuse Agamemnon, et il commande aux
soldats de renoncer aux fatigues du siege. L^autorit^ de Jupiter
pouvait seule excuser cet ordre. Ajax sans doute s'y opposa, et de-
manda la destruction de Pergame. Autant qu'ii le put, ii voulut
Gombattre. Hais pourquoi n'arrdta-t-il pas les Grecs prSts a regagner
leurs vaisseaux? Pourquoi ne prit-ii pas les armes? Pourquoi n'en-
traina-l-il pas Tarm^e incertaine? Ge n'etait pas trop pour celui qui
ne sait parler qu'avec arrogance. Que dis-je? tu fuis toi-mtoe!
Je t'ai vu, et j'en ai rougi, je t'ai vu reculer devant rennemi et
deployer honteusement les voiles. « Oii eoures-vous? m'ecriai-je.
« Queile folie, 6 mes compagnons ! vous fait abandonner Troie
« pres de succomber? Qu'allez-vous rapporter dans vos foyers, si
< ce n'est lahonte, apr^ dix ans de travaux? t Ges paroles, el
d'aulres dict^s par Tindignation, qui m'avait rendn eloqiicnt,
Quid facies interea, qui nil, nisi praelia, nostif 210
Quis tuus U!»us erat ? Nam bi mea facla requiris,
llostibus insidior; fossas iuunimine cingo;
Consolor socios, ut longi taedia belli
Mentc ferant placida ; doceo, quo simns alendi,
Armandive modo ; mittor, quo postulat usus. il5
Ecce Jovis monilu, deceplus imagine somni,
Rex jubct inccepti curain dimittere belli.
llle potest auctore suam defendere causam.
Non sinat hoc Ajax, delcndaque Pergama poscat;
Quodquc potest, pugnet. Gur non remoratur iluros? "230
Cur non arroa capit? dat, quod vaga turba sequaturl!
Nou eral hoc nimium nunquam nisi magna loquenti.
Quid? quod et ipse fugis? Yidi, puduitque videre,
Quum tu terga dares, inhooeslaque vela parares.
Nec mora : « Quid fuctis? quae vos dementia, dizi, i^io
« Concitat, u socii, caplam demittere Trojam ?
« Quidve domum ferlis deciuio, nisi dedecus, unuo i » •
Talibus atque aliis, in quc dolor ipse dis>ertum
m M^TANORPHOSES.
iwan^rent las Grees dkjk monte« sur laur flotte rugitive. Agameinr
Qon raflsemUa les ehefs frappee de terreur. J^e fils de Telamoii n -osa
ouvrir la bouphe, tandis que Thersite pe craignit point d^cmtniger
les rois par d^insolentes paroles que ja ne laissai pas impunifia.
Ja me )evai ; j^excitai contre i'ennemi roes coneitoyens encoFe alaiw
mes, et ma vdx ranima leur oourage abat^u. Efte oe moment, tou(
oe qu^Ajax semble avoir fait de grand est num ouvrage; car c^est
moi qui ari^ sa fuite.
f Pnfin, Ajaz, qui vant^ tes expioit# ou t^associeaux siens? Moi,
)e paxitage ceux du fiis de Tydee; il m^estime et eompte touyoura
. aur ie succte quand je raccompagne. N'est-ce donc rien que d'appe*
ler sor moi, parmi tant de Grecs, le dioix deBiomede? Lesort ne
m-avait pas d^gn^ pour le suivre, lofsque, liravant ies dangers de
la puit et le i)ombre d^s ennemis, nous rencontr&mes le Phpygien
Oolon oocup^ d^une tentative semblab]e a la n6tre. Je l'immolaiy
aq[>res Tavoir forc^ a me livrer ses secr^ts, et je oonnus ainsi les
desseins de la perfide Troie. J'avais tout appris; il na me restait
plus de d6cottvepte k faire, et Je pouvais retourner sur mes pas
avee la gloire que je m-6tais promise. Mais elie ne pouvait me suf-
Fecerat, aver«os profugii de clas^e r^uxi.
CoilVocat Atridcs socios terrore paventes. 530
Nec Telamoniades ieliam nunc hiscere quidquara
Ausit; at ausus erat reges incessere dictis
Thersites, ctiam per me haud impune, protervis.
Erigor, et trepidos cives exhortor in hostem,
Amissamque mea virtutem voce reposco. ioS
Tempore ab hoc, quodcumque potest fecissc vidcri
Fortiter iste, mcum est, qui dantem terga retraxi.
•r Dcnique de Danais quis te laudatve, petitve?
At sua Tydides mecum communicat acta;
Me probat; ct socio scmper confidit Ulysse. 240
Est aliquid, de tot Gtaiorum millibus unum
A Diomede legi. Nec me sors ire jubebat.
Sic tamen et spreto noctisque hostisque periclo,
Ausum eadem, quae nos, phrygia de gente Dolona
Interimo. Non ante tamen, quam cuncta coegi 245
rrodere, et edidici, quid perlida Troja pararet.
Omnia uognoram, nec, quod specularer, habebam,
Et jUni promissa poterani cum laude revcrli.
Uaud conleutus ca, petii teiitoria Rhesi,
ilVRE IIII. 491
fire. je marchai aux tmites de Rh^us, et, dans aon propre camp,
je t'^«argeai avec ses cempagnons. Vainqueur et satisfiut, je mon-
tai «^p le char du vaincu, et je retoumai triomphant au miiieu
des 9rec8. Maintenant reftisei-moi les armes du h^os dont uh
en^emi demanda les coursiers pour prix des p^rils d'une nuit.
Qu-eUes soient la rtompense d'Ajax ; ii en est sans doute plus
digne.
« Rappellerai-je les soldats du iyeien Sarpedon moissonn^ par
imi glaire? Je rais en fiiite et nayai dans leur sang G^nus, le fils
d^Hippase, Alastor, Ghromius, Alcandre, Halius, No^mon, Prytanis,
et je ipis k rnort Ghersidamas, Thooi), (Jharope et Euqome, pour'-
suivi par de cruels destins. D'autres guerriers moins c^l^bres
toinbdrent egalement sous mon br^s au pied des murs d^Ilion.
J'ai aussi, mes concitoyens, re^u des blessures honorables. li'eB
jugez point par de vains disoours, mai^ voyez vous-mtoes ^en
iDlme temps il d^uvre sa poitrine); oui, ma vie lut to^joure
consacree a tos ini^r^ts. Le fils de T^amon, au contraire, durant
tant d^annto, n^a jamais verse son sang pour ses compagnons :
son corps est intact. Qu'importp si, comme il Tassure, il a prit^
ies armes pour proteger nos vaisseaux contre les Troyens et Jupiter
ln()ue S14JS ipsum castris cQniiles(|up peremi; ^
Atque ita captilro victor votisq^ft pQti^V|Si
Ingredior cuttu Ixlos imit^nte triuinp^og.
Cujus equos pretium pro noc|p poposceraf Ifostis
Arma negate mit^j ; t^jer^tque e^ dip^nior Ajax !
« Quid ^ycii rereram Sarpe4Q(iis ^gmloa ^i^^to :^S>
Devastata meo? Cuqn iPuUo sanguipe fudi
Coeranon, Hippasiden, Alastoraque, Chromiuuimitii
Alcandrumque, Haliumque, Noemonaque, Prytqpinqiie,
Exitioque dedi cum Chersidairianto Tlioona,
Et Charopen, fatisc|ue immim^fis Eunomon actum, 26Q
Quique minus cele|}res iipstra s^b mcenibus urbis
Procubuere manu. Sunt et m\\\i yulnera, cives,
Ipso pulchra loco. Nec yapis pre^jle vQrbis;
Aspicite en (vestemque roaqu dedpcit) el, ]\^c si|nt
Pectora semper, ait, vestris ^xercita rebus. 265
At nihil impendit per tot f pjainf^pius ^nnos
Sanguinis in soeios, et habet sjpe yulnerc cpipu^.
Quid tainen hoc refert, si sc pro classe pelasga
Arma tulisse refert contra Troasque Jovcmquu?
492 METAMORPHOSES.
lui-iii§ine? Sans doule il les a prises. Je ne suis pas homme k ter-
nir malignement des actions d'eclat. Mais qu'il ne s'arroge pas
seul une gloire commune a tous ; qu*il vous en laisse une part.
Patrode, sous Tarmure protectrice d'Achille, ne repoussa-t-il pas
les Troyens loin de nos vaisseaux, au moment ou, d^endus par
Ajax, ils allaient devenir la proie des flammes? II s'imagine avoir
seul affronte Hector, oubliant Agamemnon et les autres chefs de
la Gr^, et moi-meme, tanjdis qu'il se . presenta le neuvieme, et
quand le sort Teut designe. Mais quelle fut, valeureux guerrier,
l^issue de ce combat? Hector se retira sans blessure.
« Helas ! quelie douleur j'eprouve au souvenir de ce jour qui vit
succomber Achille, le rempart de la Grece 1 Ni mes larmes, ni mon
abattement, ni la crainte, rien ne m'emp^cha de relever le corps
de ce heros etendu sur la poussiere. Je Temportai sur mes epaules,
oui, j'emportai sur mes epaules le corps d'Achille, et ces armes
qu'aujourd'hui je demande a porter encore. Mes forces suffisent
pour un si noble poids, et mon coeur est digne d'apprecier Thon-
neur de les avoir obtenues de vous. Eh quoi! Fambition de Thetis
pour son fils n'aurait-elle abouti qu'a decorer un soldat ignoraiit
Gonfiteorque, tulil (nequc enim benefacta maligne i70
Dptreclare meum esl); sed ncc communia solus
Occupet, atque aliquem vobis quoque reddat honorem.
Reppulit Actorides, sub iraagine tutus Achillis,
Troas ab arsuris cum defensore carinis.
Ausum etiam hectoreo solum concurrerc murti 275
Sc putat, oblilus regisque, ducumque, meique.
Nonus in officio, et praclatus munere sortis.
Sed tanien eventus vestiai, fortissime, pugnae
Quis fuit? Hector abit violatus vulnere nulio.
« Me miserum ! quanto cogor meminisse dolorc 280
Temporis illius, quo, Graium murus, Achilles
Procubuit! Nec me lacrymaB, luctusque, timorve
Tardarunt, quin corpus humo sublime referrem.
llis humeris, Iiis, inquam, humeris ego corpus Achillis
Et simul arma tuli, quac nunc quoque ferre laboro. 285
Sunt mihi, quac valeanl in talia ponderj, vircs;
Est auimus vestros certc sensurus honores.
Scilicet idcirco pro nato cxrula mater
Ambitiosa suo fuit, ut ccelestia dona, ^
Arlis opus tuDtsc, rudis ct sine pectore niiles 290
LIVEE XIII. 493
et grossier de ces armes, ouvrage d*im dieu et chef-d^oeuvre
de rart! Gomment connaitrait-il les merveilles grayees sur ce
boudier, l"Ocean,laterre, le ciel, les astres, lesPleiades, lesHya-
des, rOurse qui jamais ne descend dans les flots, tant de cites di-
verses et la brillante ep^ d'Orion? II veut posseder des armeas
qui seraient une ^nigme pour lui. Que dis-je ! ne m'accuse-t-il pas
d'avoir fui les fatigues de la guerre et de m'y ^tre assode trop
tard? Ne voit-il pas qu'il insulte au magnanime Achille? S'il ap-
pelle crime une feinte, Achille et moi nous avons fdnt tous les
deux. Si c'est une faute d'6lre venu tard devant Troie, je m'y
suis trouve plus tdt qu^Achille. Nous fumes retenus, lui par
une tendre mere, moi par une tendre epouse. Nous leur dou-
n^mes nos premiers moments, et tout le reste fut a vous. Je ne
saurais craindre, si je ne puis la repousser, une accusation qui
m'est commune avec cet illustre heros. Gependant Achille fut de-
couvert par Tadresse dTlysse, mais Ulysse ne Ta pas 6te par celle
d^Ajax.
ii Ne soyez pas surpris des traits que sa langue grossiere a lan-
ces contre moi. Ne vous a-t-il pas adresse des reproches capables
de vous faire rougir? S'il est honteux pour moi d^avoir dirige
contre Palamede une accusation imaginaire, est-il glorieuxpour
Iudueret? Neque enim clypei csBUmiDa norlt,
Oceanum et terras, cumque alto sidera ccbIo
Pleiadasque, Uyadasque, immunemque aequoris Arclou,
Diversasque urbes, nilidumque Orionis enseni.
Postulat, ut capiat, quac non intelligit, arma. 29o
Quid? quod me, duri fugientem munera belli,
Arguit incoepto serum accessisse labori?
Nec se magnanimo maledicere sentit Achilli?
Si simulasse vocat crimen, simulavimus anibo;
Si mora pro culpa est, ego sum maturior illo. oOO
Mc pia detinu^t conjux, pia mater Achillem;
Priraaque sunt lUis data tempora, caetera vobi».
Haud timeo, si jam nequeo defendere crimen
Cuiii tanto coinmune viro. Deprensus Ulyssi::
Ingenio tumen iilc, at non Ajacis, Ulysses. 3(^
« Meve in me stolidaj convicia fundere Hngua:
Admiremur cum. Vobis quoque digna pudore
Objicit. An falso Palanieden crimine turpc
Accusasse mibi, vobis damnasse decorum esty
m h£tamorphqses.
vous de Tavoir condamnd 7 Mais le fils de KaupUus n$ put se laver
d'un forfeit si horrible et si manifeste, que vous n'e^t^4it^ pas
seulement son accusateur. Sa trahison fut mise sou$ vqs yeui^ ; l Pf
qni en avait M^ le salaire la rendit evidente. Quant a ra))a|idpu
de Philoctftte dans rUe de Lemnos, il n'est pas moQ ouyr^g^}
e^est le vAtre. L'apologie vous regarde ; car vous approuvlites cet
abandon. I^engageai Philoct^te, je Tavoue, k se darober aux f^
tigues de la guerre et du voyage, a ticher de calmer par le i^
pos ses cruelies douleurs. U suivit mes conseilSi »i U vit encof^
Ifon avis fut k la fois heureux et sincere, quand il suf^sait qu'il
Mt sincSre. Un orade exige sa pr^nce parnu nous ppui? d^tniir^
Pergame. Ne me confiez pas une mission d^licate, }e Qls de
filamon la remplira mieux. Son ^loquence apaisera un iBfartni^
aigri par ses soufiFranees et par son ressentiipent, m bw il 9uni
Tart de ramener dans notre camp. Mais nm : le Simms FeiQoiU^
vers sa source, ilda sera d^pouill^ de feuillage, et la Grece ipdioe
promettra des secours a Troie, avant qu'on voie raon coeur aban*
donner ves int^r^ts et i^esprit d^Ajax nous «laiuver.
« Impitoyable Philoct^te, en vm ta haine pour^uit les Grecs,
Agamemnon et moi-m^me ; en vain tu m'accables d'imprecaMons
Sed neque Naupliades facinus defendere tantuin, 510
Tamque patens, valuit. Nec vos audislis in i)lp
Crimina; vidi:>tis, pretioque objecta patcbant.
Nec Poeantiadeu quod habet vulcania Lfsmnos,
Essc reus merui. Factum defendite vestrqm,
Gonsensistis enim ; nec me suasisse negabo, 315
Ut sc subtraheret beUique visBque labori,
Tentarctque feros requie lenirc dolorcs.
Paruit, et vivit. Non haec sententia tantuui
Fida, scd ct fehx, quum sit satis esse fidclcm-
Quem quoniam vates delenda ad Pergama po^cuiit, 320
Ne mandate mihi. Uelius Telamoi^lqs ibil^
Eloquioque virum morbis iraqiie furcntem
Molliet, aut aliqua producet callidus arte.
Ante retro Simois fluet, et frondibus Ide
Stabit, et auxilium promittet Achaiq Trojae, 325
Quam, cessante meo pro vqst|:ig pectoro rcbus,
Ajacis stolidi Oanais sojprtia prpsi^.
« Sis licet infestus sociis, regiquc mihique,
Dure Philoctete; licet exsecrer^, meunique
LITRE XIII; 495
€i ttt. yotted k Umi itt&tant tna tMe mx Furies; Ttt ds b^au falre des
tteiux pdttt* que ]e ^is litr^ h ta eolSre afin de fabreuTer de mon
^gi ei sdttbaiter d^ deyeiiirtnOn niidtre, fconfme je fus le tien ) je
ii'if ii l^nH tiidini^ te cberclie»*^ Bantiissattt toute (taintei je m^emp»*
1^6!*^ de teft 116^69) si la Fortutie me seoondei oomitie je nl'empa-
rai dtt deviti de Troie^ qui fut mon prisonnier ; comme je detoilai
l&i orades des dieux et les destins d^Dion; ccnnme j'enlevai ie
Pidladittm Oe son sandtttaire au miliett de nos tonetnis. Qu'Ajax
b§e encoi*e te compdrer i tnoi ! Les Destins s^opposaieiit a la prise
de Pergame, si cette image sai^^ n'^tait en notre pottyoir. Ou est
Ajat ? Od est ce b^fOs si fler ateo ses superbes disoours? Pourquoi
trenible441 lorsque tJl^fsse ose» att miliea des ttodlnres» traverser
le^ giti^es ennemi^, et^ nialgr^ les ^pees mesia^antes, pln^trer,
nott-SeuIettient dans les murs de Troie, maiil jusque dans sa ci-
tdd^Ue, etilev6r de soti templ^ refBgie de Pallas et r^nporter a
la viie d^ Troyois? Ssln§ cette beureuse audaee, en vain le fils
de TeiWott attrait poH^ a sott bras gaucbe la ddpouille de sept
tatttl^ttt. DsUtt eette nuit, je ttriomphai dllion ; jeyilinquisTroief
6)1 ki r^duisant k n^Mre plus invineible.
Devoveas sine fine caput, cupiasque dolenti 330
Me tibi forte dari, nostrumque haurire cruoreiti,
Utque tui mihi, sic fiat tibi cbpia nostri;
Te tamen aggrediar, longe furmidine pulsa;
Tamque tuis potiar, faveat Fortuna, sagittis,
Quam sumdardanio, qucm ccpi, vate potitus; S^
Quam responsa deum, trojanaqUe fata retexi,
Quam rapui phrygis signum penfetrale MinervaB
Uostibus e mediis. Et se mihi comparet Ajax?
Nempe capi Trojam .prohibebant JPata sine iilo.
Fortis ubi est Ajax? Ubi sunt ingentia maghi 34u
Verba viri? Gur hic metuis? Cur audet Ulysses
Ire per excubias, et se committere nocti?
Perque feros enses, non tantum mcenia Troum,
Yerum etiam summas arces intrarc, sUaque
Eripere ;ede deam, raptamque eft^erre per hostes? ^45
Quie ni»i fecissem, frustra Telamone creatus
Gestasset Ixva tauroriim tergora seplem.
Ula noclc mihi Tirojae victoria parta est :
Pergama tum vici, quum vinci posse coegi.
m M^TAMORPHOSES.
« Gesse de designer, par ton geste et par ies murmures, le fils
de Tyd6e comme le compagnon de mes exploits. Sans doute il peut
r^clamer sa part de gloire, Mais toi-m6me, 6tais-tu seul, lorsque,
armS de ton bouclier, tu d^fendais nos vaisseaux? A tes cdt^ se
pressait une foule de guerriers, et je n*en avais qu'un avec moi.
Si Diom^de n'eiit su que la valeur est au-dessous de la prudence,
et qu'un bras invincible n'est pas un titre pour obtenir les armes
d'Achille, il les eAt demandees. Le fils d'0il6e, plus modeste que
toi, le belliqueux Eurypyle, le fils de Tillustre Andr^mon, Ido-
menee et M^rion, comme lui enfant de la Crete, et le frere du
puissant Agamemnon, pretendraient a cette recompense. Us sonl
tous aussi intr^pides que toi dans les combats, et cependant ils
ont c^d6 a ma prudence. Ton bras est utile a la guerre, mais il a
besoin que je le dirige. Tu n'as qu'une force aveugle ; moi, je
prevois favenir. Tu peux combattre ; mais Agamemnon me con-
sulte pour choisir le moment du combat. Le corps seul agit en
toi ; dans Ulysse c'est la raison. Autant le pilote est au-dessus du
rameur, et le gen^ral au-dessus du soldat, autant je Temporte sur
toi. Gependant ma sagesse n'est pas superieure a mon courage:
Vme et Tautre ont la m^me vimieur.
«c Desine TydJden vultuqiie et murmure nobis 3:'.0
Oslentarc meum : pars est sua laudis et illi.
Nec tu, quum socia clypeum pro classe tenebas.
Solus cras ; tihi turba comes. Mihi contigit unus,
Qui, nisi pugnacem sciret sapiente minorem
Esse, nec indomitae deberi praemia dextrae, 3^0
Ipse quoque hacc peteret; peteret moderatior Ajax,
Rurypylusque ferox, claroque Andraemone natus;
ISec minus Idomeneus, patriaque creatus cadem
Meriones; peteret majoris frater Atridae.
Quippe manu fortes, nec sunt tibi mitrte secundi, 300
Consiliis cessere meis. Tibi dextera bello
Utilis; ingenium est, quod eget modcramine noslri.
Tu vires sine mente geris ; mihi cura futuri e*;t.
Tu pugnare potes ; pugnandi tempora mecum
Eligit Atrides. Tu tantum corpore prodes, 56o
Nos animo; quantoque ratem qui temperat, anteit
Remigis officium, quanto dux milite major,
Tanto fgo te supero ; necnon in corpore nostro
Pectora sunt potiora manj : vigor omnis in illl«.
LIYRE XIII. 497
« Chefs de la Grece, decernez ces armes a celui qui veilla tou-
jours a vos int^r^ts. Apr^s tant d*ann^es de soins et de sollicitude,
accordez-les-moi pour prix de mes services. Nos travaux touchenl
a leur fm. J'ai ecarte les obslacles que le Destin nous opposait.
J'ai pris Pergame en rendant sa conqu&te possible. Je vous en
conjure au nom de nos esperances communes, au nom des murs
d'Ilion pr^s de s'ecrouler, et des dieux que j'ai ravis nagu^re aux
Troyens ; par tout ce que la sagesse pourrait juger n^cessaire, par
tout ce qui exigerait de la promptitude et de Taudace pour achever
les destins dllion, souvenez-vous de moi ; ou, si vous me refusez
les armes d'Achille, donnez-les a cette deesse. » En proferant ces
mols, il montra la statue de Minerve.
Les chefs de Tarmee applaudirent. On vit alors le pouvoir de
reloquence : les armes d'un heros passerent dans les mains d'un
orateur. Ajax, qui tant de fois resista seul a Heclor, aii fer,
;i la flamrae et a Jupiler, ne put resister a la col^re. Ce guerrier
invincible fut vaincu par la douleur. II saisit son 6pee : « Elle
m'appartient du moins, dit-il. Ulyssc la demandera-t-il aussi?
Qu'elle me serve conlre moi-m^mel Souvent roiigie du sang
troyen, qu'elle soit arrosee de ceUii de son maitre ! Qu^Ajax ne
« At vos, 0 proceres, vigili dale pratimia vestro; 370
Proque lot annorum curis, quas anxius egi,
Hunc titulum meritis pensandum reddite nostris.
Jam labor in fine est. Obstanlia fata removi,
Altaque, posse capi faciendo, Pergama ccpi.
Per spcs nunc socias, casuraque mcenia Troum, 375
Perque deos oro, quos hosti nuper ademi ;
Per, si quid superest, quod sitsapienter agendum;
Si quid adhuc audax, ex proicipitique petendum ;
Si Trojs fatis aliquid restare putatis ;
Estc mei memores, aut, si mihi non datis arma. 380
Huic date; » et oslendit signum fatale Minervtc.
Mota manus procerum est, et, quid facundia posset,
Re patui', fortisque viri tulit arma disertus.
Heclora qui solus, qui fcrrum, ignemque, Jovemquo
Sustinuit toties, unam non suslinet iram; 3S5
Invictumque virum vincit dolor. Arripit ensem,
Et: « Meus hic certe est. An et hunc sibi poscet Ulyssest
Hoc, ait, ulendum est in me miht ; quique cruore
Sspe Phrygum maduit, domini nunc caede madebit.
28.
49« MfiTAMORPHOSES.
puisse hre vaincu que par Ajax ! » II dit, et dans son sein jus-
qa'alors sans blessure il plonge son glaive au seul endroit vulne-
rable. On essaye en vain de rarracher ; il n'est repouss^ que par
le sang qiii jaillit et baigne la terre, ou il fait eclore sur une
tige ve^te une fleur vermeille, semblable a celle que produisit
jadis le sang dHyacinthe. Les mSmes lettres, tracees sur leurs
feuilles en rhonneur du jeune homme et du guerrier, dans Tune
exprimeht un nom, et dans Taulre une plainte.
kPt^h LA ^RISlS bE tROIE, POLTxInB E8t IMMOL^E AUX MAivkS B^QUkLB,
POLTOOAti EGORGIS PAR POLTMESTOR, ET HEGUBB GHANG^ ER CHUIlllfB.
n. Ulysse, apr^s sa victoire, fait voile vers la patrie d^fiypsipyle
et du celebre Thoas, terre souillee par le massacre de ses atidens
habitants. II s'y rend pour enlever les fleches du heros de tiryn-
the ; et bient6t, suivi de Pliiloctete, il les rappofte aux Grecs. Alors,,
enfm, une guerre si longue arrive k son terme. Troie et t^iam
Buccombent eh m6me temps, et Fepouse infortunee de ce roi,
apr^s avoir tout perdu, perd aussi la figure humaine. RevMue
d'une nouvelle forme, elie epouvante les airs de ses aboiements
Ne quisquam Ajacem possit superare, nii>i Ajax. » 390
Dixit, ct in pectus, tam demum vulnera passum,
Qua patuit ferro, letiialem condidil ensem.
Kec valuere maiius inllxum educere tclum,
Expulit ipse cruor; rubefactaque sanguine tellus
Purpurcum viridi genuit de cespite florem, 595
Qui prius oibalio fueruL de vulnere natus.
Litlera communis mediis pueroque viroque
Inscripta est foliis : haec nominis, illa querela}.
CAPTA TROJA, POLYXENA UANIBUS ACHILLIS IMMOLATUR. — POLTDOf
A POLYMESTORE INTERFECTUS. — HECUBA FIT CANIS.
IL Victor ad Hypsipyles patriam clarique Thoanlis,
Et velerum terras infames caede virorum 400
Vcla dat, ut referat, lirynthia tela, sagittas.
Qure postquam ad Craios, domiuo comitaute, rcvexit,
Jmposiia est scro tandem manus ultima bello.
Trdja simul Priamusque cadunt. Priameia conjux
Perdidit infelix hominis post omnia formam, 405
Exlernasquo novo lalratu lerruit auras,
Ltvn^ xiii. m
sur cett^ plag^ 6lrattg§re oA rUellestibnt ^st t^sserrS ehtre fees
riTages.
llion etait en feu, et l'incendie tilUth^ pAic \^ Gfecs ti'6tait ^ds
ehcore i^teint. Le sang du VieUx PHath Mil rdUgi Fautel d6 Ju-
piter. Trtdnfe par Ifes cheveUx, la tirttresSe d^Apdlloil tehdait en
v^in ses main^ au ciel. Les tlroyehhes, ethbt^as^tot le^ aUiels des
^eui[ de la pdtrie, t^udi^ qU^eli^s l^ pdUVaidht ^hcdire, ^'^iaieht
r^ugii&es dans les iemples ddtofids pat* la flathme. Eiles en sdnt
alrach^es pour tit^ le pt*ix odieux rfe la viCtoire. Astyattax est
precipit^ du haut de ces hi^mes tours d'oii sa m^i^ lui ttiontra
iant de fois Hector cottMttant poUt lUi et pdUr le trbne de ses
aleux. Enfin Bot^ee ittVit& les Grecs au dispdtt. AgitSe pat* Utt
st^uffle prttplce, la voile fr^tnit, et le pilote veUt tjtt'dtt profite du
veht. i Troie, adieu! Oh ttdus s^pafe! » s'(&crient les Troyettnes;
et elles impHment leurs boudie^ sur la terre eh quittattt les
debHs fumants de leur patrie. La dettii^fe qtii hionte suf le na-
vire (6 spectacle douloureux ! ) , c'est H^cube, Irouvte errante
au milieu des tombedux de ses fils. Elle (^ressait de ses bras la
pierre sepulcrale et baisait leufs ossements, lorsqu'eIle fUt entral'^
nee par Ulysse. Toutefois, elle put ravir a la terre les cendres
Longus In angttstum qua clauditur Hellespontus.
Ilion ardebat, neque adhuc consederat ighis,
Eiiguumque senis Priami Jovis ara cruorem
Combiberat. Tractata comis antistita Phoebi 410
Non prorecturas tendebat ad aethera palmas.
Dardanidas malres patriorutn signa deorum,
Dum licet, amplexas, succcnsaquis tenipia tenentes
Invidiosa trahunt victores praemia Graii.
Mitlilur Astyanax illis de turribus, unde 41.->
Pugnanlem pro se, ptoavitaque regna tuentem
SaBpe videre patrem monstratum a matre solebat.
Jamque viam suadet Boreas ; flatuque secundo
Carbasa mota sonant. Jubet uti navita ventis.
« Troja, vale, rapimtlr; » clamant, dabique oscula tcirrse 420
Troades, ct patrio) fumanlia lecta relinqiiUnt.
Ullima conscendit classem, miserabile visttl
In mediis Ilecube natorum ihventa sepulcris.
Prensantem tumulos, atqUe ossibus oscula dantem
Dulichi» traxere manus. Tamen unius hatisit, 425
500 METAMORPIIOSES.
d'Hector et les emporter cachees dans son sein. Sur la tombe de
ce fils cMn elle deposa ses cheveux blancs et ses larmes, seule
ofTrande permise a son malheur.
Sur la rive oppos^ aux lieux ou fut Troie, est la contree ha-
bit^e par les Thraces. La s^elevait le palais opulent de Polymestor,
a qui Priam confia secretement Polydore pour Teloigner des pe-
rils de la guerre : sage precaution, s'il n'e6t envoye avec son fils
de riches tresors qui devaient pousser ce roi au crime en irritant
sa cupidit^. A peine Troie fut-elle aneantie, que le cruel Polymestor
plongea le fer dans le sein du jeune prince confie a ses soins; et,
comme s'il pouvait avec la victime faire disparaitre les traqes du
forfait, du haut d'un rocher il le precipita dans la mer. Agamem-
non avait arrSte sa flotte sur les cotes de Thrace pour attendre
une mer tranquille et des vents favorables. Tout a coup, du sein
de la terre entr^ouverte s^elanga Tombre d'AchilIe, terrible comme
pendant sa vie et respirant la menace. Cetait fimage fidele du
h^ros au moment ou, bouillant de colere, il tira injustement Te-
p^ contre Agamemnon. « Grecs, dit-il, vous partez, et vous ou-
bliez Achille! Le souvenir de mes actions est-il donc enseveli
Inque sinu cineres secum tulit Hectoris l^auslos.
Hectoris in tumulo canum de vertice crinem,
Inferias inopes, crinem lacrymasque relinquit.
Est, ubi Troja fuit, PhrygiaB contraria lellus,
Bistoniishabitata viris. Polymestoris illic 430
Regia dives erat, cui te commisit alendum
Clam, Polydore, pater, phrygiisque removit ab annis:
Consilium sapiens, sceleris nisi prxmia magnas
Adjecisset opcs, animi irritamen avari.
llt cecidit Fortuna Phrygum, capit impius ensem i."r»
Rex Thracum, juguloque &ui defigit alumni;
Et, tanquara tolli cum corporc crimina possent,
Exanimem e scopulo subjectas misit in undas.
Litlore threicio classem religarat Atrides,
Dum mare pacatum, dum ventus aniicior essct. 4iO
Hic subito, quantus, quum viveret, esse solebat,
Exit humo late rupta, similisque minaci
Temporis illius vultum refcrebat Achilles,
Quo ferus injusto petiit Agamemnona ferro.
« Immemoresque mei disceditis, inquit, Achivi? 443
Obrutaque est mecum virtutis gratia nostrae?
LIVRE XIII. 501
avec moi? Qu'il n'en soit pas ainsi! £t, afm que mon tombeau ne
reste pas sans honneur, je demande, pour apaiser mes m^nes,
le sacrifice de Polyxene! » 11 dit. Ses compagnons obeissent a
Tombre impitoyable. Arrach^e du sein de sa mere, dont elle etait
la seule consolation, courageuse dans le malheur et d'une ^nergie
au-dessus de son sexe, la princesse est conduile sur la tombe ou
elle doit 6tre inamolee. Digne fiUe des rois, elle arrive k cet autel
barbare et voit les appr^ts du fatal sacrifice; elle voit Pyrrhus de-
bout a ses cdt6s, le glaive a la main et les yeux fix^s sur elle.
f HAte-toi, lui dit-elle, de verser un sang gen^reux! Que rien
ne farrSlel Plonge le fer dans ma gorge ou dans mon reinl (Et
en m^me temps elle lui decouvre fun et Tautre.) Polyxene ne doit
courber son front sous aucOn maftre, et ce sacrifice inhumain
n'apaisera aucune divinite. Je voudrais seulement que ma m6re
piit ignorer ma mort. EUe seule m'afflige et diminue pour moi la
joie du trepas. Toutefois, ce n'est point ma mort, c'est sa vie qui
doit raffliger. Vous, Grecs, eloignez-vous, et laissez-moi descendre
libre aux enfers. Si ma pri^re est juste, ne portez pas sur moi vos
mains et respectez une vierge. Celui dont vous voulez honorer les
Ne facite; utque meum non sit sine honore sppulcmra,
Placet achilleos mactata Polyxena manes. »
Dixit, et immiti sociis parentibus umbrse,
Kapta sinu matris, quam jan^ prope sola fovelwt, 450
Fortis, et infelix, et plus quam femina, virgo
Ducitur ad tumulum, diroque fit hostia busto.
QuaB memor ipsa sui, postquam crudelibus aris
Admota est, sensitque sibi fera sacra pdrari ;
Utque Neoptolemum stantem, ferrumque tenentem, 455
Inque suo vidit figentem lumina vultu :
«i Utere jamdudum generoso sanguine, dizit.
NuUa mora cst : at tu jugulo, vel pcctore telum
Conde meo (jugulumque simul pectusque retexit).
Scilicet haud uUi servire Polyxena ferrem, 400
Haud per tale sacrum numen placabitur uUum.
Murs tantum veliem matrem mea fallere posset.
Mater obest, minuitque necis mihi gaudia, quamvls
Non mea mors illi, verura sua vita gemenda est.
Vos modo, ne stygios adeam non libera manes, 463
Este procul, si jusla peto, tactuque viriles
Virgineo removete manus. Acceptior illi,
502 MfiTAMORPHOSES.
ni&nes pdt ma niort attachera plus de prix au sang d'uile TicUme
Tolontaire. 8i mes derfliSres paroles peuveut vous toucher, 6cou-
tez le Tceu que tous adresse )a fille de Priam, et non votre Captive.
Rende2 saus ran^on mon corps a ma m^re. 3u'elle ach^te, non
avec de l'or, mais par ses pleUrs, le triste droit de ta^ d^peser dans
un tbmbeau. Quand elle eut de ror^ elle s'en servit pour racheter
ses enfants. « A ces tnots, le peuple ne put retenir ses lamies» tad-
dis (]u'ell6 retenait les siennes. L6 sacrificateur lui-tn6me est atten^
dri, et frappe a regret la victime qui S'OfFre k ses coUps. Polyi^
tihaticelle et totiibe ; mais soii regard reste fertne a ses dra^ers
itistailts, et, dans ce motUent sUpr6me, elle prend ^oih de ranger
ses vdtements pdur ^tre fid^le encore aUx Ibis de la pudeur^ Les
l^mtU^s troyennes recueillent sa d^pouille; elles se rappdlent
tdUt ce que leur ont deja cotii^ de larmes les enfants de Priami et
toUt le satig tiu'hne seule falmille a r^pandu. Elles pleurent sur
tbi, Pdlyxenej sur toi aussi^ nagu^re ^pouse d'tm roi| m^re de
litnt de print;es, image de la fgcehde Asie^ et mdintenant mise
h si bas pti% dans le partage du butm« quTlysse vainqueur ne
voiidrait pas de toi, si tu n^avais donne le jour a Heclor. A peine
Hector peut-il trouver un maitre pour sa raere !
Quisquis Is est, quem cxde mea placare paratis,
Liber erit sanguis. Si quos tatnen Ultima nostri
Verba movent oris, Priami vos fllia iregis, 470
Non captiva, rogat. Genitrici corpus inemptdfn
Reddite; neve auro redimat ju& triste sei^ulcin,
Sed lacrymis. Tunc, quum poterat, redirtiebat et auro. »
Dixerat. At populus lacrymas, quas illa tetiebat,
Non tenet; ipse etiam flens invitusqtic sacerdos 475
Praebita conjecto rupit praecordia ferro.
llla, super terram defeeto popllli» labcns»
Perlulit intrepidos ad fata novissima vultus.
Tunc quoqUe cura fuit parles velare tegendas,
Quum caderet, castique decus servarc pudoris. 480
Troades excipiunt, deploratosque recensent
Priamidas, et quid doderit domus una cruotis.
Teque gemunt, virgo, leque, o modo rcgia conjux,
Regia dicta parens, Asiaj florontis imago,
Nunc eliam praedae mala sors, quam viclor Uiyssca 4S5
Esse suam nollet, nisi quod lamen Hectora partu
Edideras. Dominum matrl vix reppcrlt llecior.
LIVRE XIU. q03
Hdcube presse dans ses bras ee corps qui renferma une Ame si
grande. Ses larmes, qui tant de fois coul^rent pour sa patrie,
pour ses enfants, pour son epoux, coulent pour sa fiUe et arro-
sent ses blessures. EUe couvre sa bouche de baisers ; elle frappe
sa poitrine si souvent m^rtrie, et trsdne ses cheveux blancs dans
le sang glac^ de Polyxene.^ EUe ^clate en iongs regrets, et s^ecrie
en se d^chirant le sein : « Ma flUe, demier objet de douleur
pour ta mdre {car que me reste-t-U encore?), ma fille, tu n'es
plus! Je vois ta blessure, qui est aussi la miennel Tous mes en-
fants devaient donc perir par le glaive l ei c^est par le glaive que tu
p^fts! Tesperais pourtant que le fer respecterait ton sexe; et
ton sexe n'a pu te d^fendre ! et c'est i^assassin de tes freres qui
t'a frappee du coup mortei ; c'est AchiUe, le fi^au de Tpoie, le
destructeur de ma famille ! Quand U expira sous les fleches de
Pdris et d'ApoUon, je me dis : i iiaintenant AchUle n'est plus a
« craindre. » li Test encore pour moi. Sa cendre m^me devore
ma rac^, et jusque dans sa tombe je retrouve un ennemi. Mon
sein n'a donc ^t^ f^cond que pour assouvir la fureur d^Adiiile!
La superbe Troie est renvers^. Un grand desastre a mis le com-
ble a ses maiheurs ; mais du moins ils ont atteint leur terme.
Quse corpus coniplexa animae tam fortis inane,
Quas toties patriae dederat, natisque, viroquc,
Hnic quoque dat lacrymas, lacrymas in vulnera fundit, -iOO
Osculaque ore tejgit, consuetaque pectora plangit;
Canitiemque suam concreio in sanguine verrens,
Plura quidem, s^d ct liaec ia^iato pectore dixit :
« Nata, tuae (qufd enim superest?) dolor ultime malri,
I^qtajaces, videoque tuumi mea vulnefa, vulnus. 405
En, nc perdiderim quemquam sine caede meorum,
Tu quoque vulnus habes. At te, qnia femipa, rebar
A ferro tutam ; cecidisti et femina ferro.
Totque tuos idcm fratres, te perdidit idem
Exitiuni Troj», nostrique orhqitor, Achillcs. alK)
At postquam Paridis cecidit, Phobique sagittis,
Nunc certe, dixi, Qon es( metuendus Achilles.
Nunc quoque mi inetuendas eratj cinis ip^e sepuUi
lu genus hoc saevit ; tumulo quoque sQQsimus hostcm .
i£acidae fecunda fui. Jacet llion ingens, $)5
Eventuque grati finita est publica cUdes;
504 METAMORPHOSES
tandis que c'est pour inoi seule -que subsiste Pergame. Oui, d'^ler-
nels aliments s'ofrrent a ma douleur. Naguere reine du monde,
puissante par mes gendres, par mes enfants, par mes brus et
par mon epoux, je suis aujourd'hui trainee en exii, pauvre,
arrachee du tombeau de tous les miens, pour devenir l'esclave de
Penelope, qui m'ordonnera de filer la laine, et, me montrant aux
femmes dlthaque : « Voila, dira-t-eile, Tillustre mere d'Hector !
« Voila Tepouse de Piiam! » Apres tant de pertes, toi qui seule
allegeais le deiiil de ta mere, on tlmmole, comme mie victime
expiatoire, sur le tombeau de notre ennemi !
« Je t'ai donc enfantee pour apaiser ses manes ! Plus dure que
le fer, que ne puis-je mourir, et qu^atlends-je encore? 0 vieil-
lesse! que me rescrves-lu? Dieux cruels! ne prolongez-vous ma
vie que pour ine faire assister a de nouvelles funerailles ? Qui
jamais eut pense que Priam, apres la destruction de Pergame,
pouvait ^tre appele Iieureux? II le fut par sa mort. 0 ma fiUe!
il n'a point vu ton Irepas, et il perdit en m^me lemps le trone
et la vie. Peut-^tre, fille des rois, recevras-tu des honneurs fu-
n^bres, et ta depouille sera-t-elle deposee dans la tombe de
les aieux. Mais non, telle n'est pas la fortune de notre famille,
Sed finila tamen : soli mihi Peigania ret»lunl,
In cursuque meus dolor est. Modo maxima reruni,
Tot generis natisque polens, nuribusque, viroquc,
iVunc Irahor exsul, iiiops, luuiulis avulsa meoruin, iilU
Pcnelopae munus, quic me dala pensa trahentem
Matribus ostendens ilhacis : « llicc HccLoris illa csl
« Clara parens; lucc est, dicet, Priameia conjux. »
Poslque tot amissos tu nuuc, qu:c sola levabas
Maternos luctus, liostiHa busla piasti. rilS
<f Inrcrias hosti pepcri. Quo ferrea restof
Quidve moror? Ouo me servas, aunosa seneclu^?
(^uid, di crudeles, uisi quo nova funera cernam,
Vivacem differtis anum? Quis posse putarel
Keliccui Priamum, post diruta Pergaraa, dici? i»20
Felix «lorle sua, ncc te, mea nala, peremptam
Aspicil, ct vilam pdriler regnumque reliquil.
At, pulo, funeribus dotabcre, regia virgo,
Oondeturque tuuin moiiumentis corpus avilis.
Xon hicc est fortuna domus Tibi inunera iiialiis iiia
LIYRE XIII. 505
Pour demier hommage tu auras les larmes de ta mere et un peu
de sable ^tranger. Nous ayons tout perdu. Je n'ai plus, pour
m'aider a supporter le peu de jours que j'ai encore a vivre, qu'un
fils bien cher a sa mSre, le seul qui me reste, Polydore, commis
k Tamiti^ du roi de Thrace. Mais pourquoi tant tarder a laver les
cruelles blessures de Polyxene, et sa Ifigure qu'un barbare a souil-
lee de sang ? »
Elle dit, et, arrachant ses cheveux blancs, elle s'avance vers la
raer d'un pas ralenti par T^ge : « Troyennes, dit-elle, donnez-moi
une urne. » L'infortunee s'appr^tait a puiser une onde limpide,
quand elle vit Polydore etendu sur le rivage et couvert des larges
blessures que lui avait faites Polymestor. Les Troyennes poussent
un cri; Hecube reste muette. La douleur etouffe sa voix et arr^te
en mSme temps ses larmes. Immobiie et telle qu'un rocher insen-
sible, tantdt elle fixe ses yeux sur cette terre ennemie, tant6t elle
lancedes regards farouches vers le ciel. Elle contemple tour a tour
le visage et les blessures de Polydore etendu sans vie, mais surtout
ses blessures. Safureur s*irrite et s'enflamme. Quand elle estarri-
vee a son comble, comme si elle ^tait toujours reine, elle arrSte sa
Contingent flctus, peregrinxquc haustus arenae.
Omnia perdidimus. Superest» cur vivere tempus
In breve sustineam, proles gratissima matri,
Kunc solus, quondam minimus de stirpe virili,
Ilas datus ismario regi Polydorus in oras. 530
Quid moror interea crudelia vulnera lymphis
Abiucre, et sparsos immiti sanguine vultus? »
Dixit, et ad littus passu procedit anili,
Albentes laniata comas : « Date, Troadcs, urnam, »
Dixerat infelix, liquidas hauriret ut undas. 535
Aspicit, ejectum Polydori in littore corpus.
Factaque 'hreiciis ingentia vulnera telis.
Troades exclamant. Obmutuit illa dolore,
Et pariter vocem, lacrymasquc introrsjLis oborlas '
Devorat ipse dolor^ duroque simfllima saxo 540
Torpct, et adversa figit modo lumina terra;
Interdum lorvos sustollit ad ajthera vultus;
, Nunc positi spectat vultum, nunc vulnera nati,
Vulnera praecipue, seque armat et instruil ira.
Qua simul exarsit, lanquam regina manerct, 545
Ulcisci statuit, poensque in imagine tota est.
500 M^TAMORPHOSES.
▼engeance et Jie respire que ch&timents. T^ qa\uie limiiie h qni
rona ravi le lionceau qu^ie allaitait encore s^abaadonne k toute
sa rage, et suit la trace de son ennemi sans Fapercevoir luiHOQtoe,
Hecube, emportee par la douleur et par la col^re, oubiie ses amito
et non son courage, va trouver Polymestor, le oruel autcnr du
meurtre de son fils, lui demande un aitretien, et feint d'aT<»r k lui
montrer le reste des tresors cach^ qu'il doit retoettre a PolydOTO.
Trompe par Tespoir d'une nouvelle proie, le roi de Thraoe la suit
k Tecart, et, avec une fausse douceur : « H^cube, dit*il, hfttez-vous
de me remettre ces tr^sors pour votre fils. L'or que j'ai dSjk regu
et celui que vous allez me confier, tout lui sera fid^lement remis,
j*en atteste les dieux ! » A ce l&che paijure, H^cube lui lance un
regard farouche. La col^re bouilionne au fond de son coeur. Aid^
de ses compagiies, elle se jette avec fureur sur Polymestor, enfonce
ses doigts dans les yeux du perfide et les arracfae. La rage lui
donne des forces. Puis elle plonge ses mains dans lieurs orbites,
et creuse, non les yeux qui n'y sont plus, mais leur place toufe
sanglante.
hidignes du malheur de leur mattre, les Thraces lancent a Be^
cube des pierres et des traits. Elle saisit un des cailloux, et le
Utque furit catulo lactenle orbata leaena,
Signaque nacta pedum seqnitur, quem non videt, hostem;
• Sic Hecubc, postquam cum luclu miscuit iram,
Non obUta animorum, annorum oblita suorum, 550
Vaditad artificem dirse Polymestora ca^dis,
Golloquiumque petit; nam se monstrare relictum
Veile latens illi, quod nato redderet, aurum.
Gredidit Odrysius, pnedieqiie assuelus amore,
In secreta yenit, cum blando callidus ore : ^Tio
« Tolle moras, Ilecubc. dixit, da munera nato.
Omne fore illius quod das, quod et anle dedisti,
Ter Superos juro. » Spectat truculenla loquentera,
Fabaque jurantem, tumidaque exjESluat ira;
Atque ita correptum captivarum agmine niatrum 5l»()
Involat, et digitos in perfida luinina condif,
Exspolialque gcnas oculis (facit ira valentem);
Immergilque manus, foedataque sanguiue sonti
Kon lumen, nequc enim superesl, loca luminis baurit.
Clade sui Thiacuii. geus irritata tyranni ^
l^roada telorum lapidumque incesscre jactu
LIYRE XIII. 507
mord aVec un goord murmure. Elle 8'efforce de parler, mais elle
aboie. On toit encore le lieu temoin de cette m^amorphose ; ii en a
pris son nom. Hecube, sous sa nouvelle forme, conserve le souve-
nir de ses anciens malheurs, et ranplit de tristes hurlements les
campagnes de la Thrace. Les Troyens ses sujels, les Grecs ses
ennemis, et les dieux eux-mdmes, furent emus de ses infortunes.
Tous» jusqu^a la soeur et r^pouse de Jupiter, avou^rent.qu'Hecube
ne meritait pas cette affreuse destinee.
DE8 OISEAUX NAISSENT DES CEMDRES DB MElOfOlI.
HI. Quoique TAurore eAi favoris^ les armes des Troyens» elle
ne pleura ni la ruine dllion ni les malheurs d'H^be. Une perte
cruelle Faffligeait ; elle deplorait ses propres infortunes, la mort de
son fils Memnon, qu^elie avait vu perir dans les champs pbrygicns
sous la lance d'Achille. A cet aspect, TMat vermeil dont elle brille
le matin avait p41i, et le ciel s'etait voile de nuages. Elle ne put
soutenir la vue du bucher prepare pour son fils. Les cheveux epars
et les yeux mond^ de larmes, elle ne rougit pas de se jeler aux
Coepit. At haec missum rauco cum murmure saxum
Morsibus insequilur, rictuque in verba parato
Latravit, conata loqui. Locus exstat, et ex re
Iiiomen habet; veterumque diu memor illa malorum, 570
Tum quoque sithonios ululavit mcesta per agros.
Ulius Troasque suos, hostesque Peiasgos,
Illius fortuna deos quoque moverat omnes ;
Sic omnes, ut ct ipsa Jovis conjuxque sororque
Evenlus Ilccubam meruisse negavcrit illos. S75
HEMNCfNlS CINERIBUS AVES PRODEURT.
lU. Mon vacat Autorae, quanquam Isdem faVerat armis,
Cladibus et casu Trtfjacque Hecubseque movcri.
Cura dcam propior, luclu&que domestiinis angit
Memnonis amissi, phrygiis quem lutea campii
Vidit achillea pereunlem cuspide mater. SSd
Vidit, et ille color, quo matutina rubescuilt .
Tempora, palluerat; latuitque in nubibus aether.
At noD impositos supremis ignibus artus
Sustinuit sp^clare parens ; sed crine soluto,
Sicut erat, mugni genibus procumbere non esi t^
m n£tamorpuoses.
genoux du grand Jupiter, et de le supplier en oes termes : c InfS-
rieure a toutes les divinites qui halntent rOlympe (puisque ]es
mortels m'ont ^leve si peu de temples dans Tunivers), je me pre-
sente n^moins comme deesse ; non pour vous demander dessano-
' tuaires, des jours de f^te et des autels ou Tencens bnUe en mon
honneur ; et cependant vous trouverez que j'ai droit d'y pretendre,
si vous consid^rez combien ma lumi^ vous est utiie, en emp^
cliant la nuit de franchir ses bomes. Hais ce n'est pas ce soin
qui m'occupe. L'^tat pr^ent de TAurore ne lui permet pas de
revendiquer ses droils. La mort de mon cher Memnon m'amene
seule devant vous. En vain ii prit courageusement les armes
pour un prince de sa famille. A la fleur de Fdge (dieux, vous
Favez voulu ! ) ii est tombe sous les coups du redoutable Adiillc.
Je vous en conjure, accordez a sa m^moire un honneur qui me
console de sa mort. Souverain mattre des cieux, daignez calmer
les douleurs d'une m^re. »
Jupiter exauce ses vobux. Au moment ou s^ecioule le biicLer
consume par les flammes, d'epais tourbillons de fumee obscur-
Cissent le jour. Ainsi du sein des fleuvef . s'exbalent des vapeurs
impenelrables aux rayons du soleiL La cendre vole ; elie se rejuiit
Dcdignata Jovis, lacrymisque has adder^ voces:
« Oiiinibus inrerior, quas sustinet aureus xtlier
(Nam milii sunt totum rarissima templa per orbem),
Diva tamen venio, non ut delubra, dies]ue
Des mihi sacriGcos, caliturasque iguibu » aras. »a90
Si tamen aspicias guantum tibi femina praistcmf
Tum quum lucc nova, noctis confinia servo,
Pnemia danda putes. Sed non ea cura, neque hkc cst
Kunc slalus Aurorai, meritos ut poscat hoTiores.
Memnonis orba mei venio, qui fortia frustra 595
Pro patruo tulit arma suo, primisque &ub annis
Occidil a forti (sic vos voluistis), Achille.
Da, prccor, huic aliquem, solatia mOiUis, honorcni,
Summc deum reclor, maternaque vulnera leni. »
Jupitcr annucrat. Quum Hemnonis arduus alto 000
Corruit igue rogus, nigrique voiumina fumi
Infcccre diem, veluti quum flumina nalas
Exhalant ncbulas, nec sol admittitur infra
Atra favilla volat, glomerataque corpus in uuum
LIYRB XIII. 509
cn un corps qui se condense, se fagonne, et re^it du feu la cha-
leur et la vie : sa l^gtVel^ lui donne des ailes. D^abord semblable
k un oiseau, et bientdt oj^eau y^ritable, du bruit de son vol Mem-
non fait retentir Tair agit^ en mtoe temps par dlnnombrables
oiseau x qui ont la m^me origine. Trois fois ils s'el^vent autour du
bAcher et frappent trois fbis Tair des m^mes cris. Mais, au qua-
trieme vol, ils forment des camps oppos^s. D^ lors, s^pares en
deux peuples ennemis, ils se font une guerre implacable. Leurs
becs et leurs ongles aigus servent d'instrument k leur fureur. IIs
se faliguent en s'enlre-heurtant, et tombent, comme des viclimes
fun^bres, en rhonneur de celui qui leur donna la vie, et dont les
restes viennent de recevoir les honneurs funebres. Us se rap-
pellenl qu'ils doivent le jour a un h^ros. Cest de lui que ces oi-
seaux subitement crees tirent ie nom de Memnonides. Lorsque le
soleil a parcouru ses douze signes, ils combattent jusqu'a la mort
pour honorer la memoire de leur p^re. Ainsi, quand on s^afHigeait
d^entendre H^cube aboyer, TAurore etait iivree k ses propres dou-
leurs. Aujourd'hui m^me, elle pleure eneore son fils, et ses larmes
tombent en ros^e sur la terre.
Densatur, faciemque capit, sumilque calorem, 605
Atque animam ex igni : levitas sua praebuit aias.
El primo similis volucri, mox vera volucris
Insonuit pennis. Pariter sonuere sorores
InnumeraQ, quibus est eadem natalis origo;
Terque rogum lustrant, et consonus exit in auras 610
Ter clangor; quarto seducunt castra volalu.
Tum duo diversa populi de parte feroces
Bella gerunt, rostrisque et aduncis unguibus iras
Exercent, alasque adversaque pectora lassant;
Inreria!que cadunt cineri cognata sepulto 615
Gorpora, seque viro forti meminere creatas.
Praepetibus subitis nomen facit auctor. Ab illo
Memnonides dictse, quum sol duodena peregit
Signa, parentali periturie marte rebeilant.
Ergo aliis lalrasse Dymantida flebile visum; 6!0
Luctibus est Aurora suis intenta, piasque
Nunc quoque dat lacrymas, et tolo rorat in orbe.
510 lieTAMORPHOSES.
istE, FUGITIF, ARRITE GHEZ ANlfJS, DOKT LE8 niXBS 80HT TRANSroRllilS
. EH COLOMBES.
IV. Gependant le Destin ne permit pas que toutes les esptooioes
de Troie p^rissent avec ses remparis. Le fUs de Y^us emporta
sur ses ^paules les dieux de sa patrie, et son pdre, aussi sacr^ pour
lui que les dieux. Parmi tant de richesses, sa pi^t^ ne dioisit que
oe butin et son fils Ascagne. li partit d'Antandre aree sa flotte
fugitive, et, a traTers les ondes, abandonna les coupables riTages
de la Thrace, encore baign^ du sang de Polydore. A l*aide des
vents propices, ii entra aTOc ses compagnons dans le port de D^
los. Anius, pr^tre d'Apollon et roi de cette ile, le re^ut dans le
temple et dans son palais. II lui montra la ville, ses dM^AxKS
sanctuaires, et les deux arbres qu'embrassa Latone quand dle
devint m^re. lls jet^rent de Tencens dans les flammes, rairos^
rentde vin, etbrftl^rent, suivant Tusage, les entrailles des boeu£s
^rg^. Puis ils.se rendirent dans le palais, et, sur de superbes
tapis, ils joignirent les dons de Bacchus aux pr^nts de G^rte.
Le pieux Anchise lui dit : c Auguste pontife d^Apollon, me
£!fEAS PROFUGUS VENIT AD ANIUM, CUJUS FILIiE IN COLUMBAS YERTUimm.
IV. Nec tamen eversam Troj» cum moenibus esse
Spem quoque Fata sinunt. Sacra, et sacra altera patrem,
Fert humeris Tenerabile onus cythereius heros. 6^
De tantis opibus prj^dam pius eligit illam,
Ascaniumque suum, profugaque per sequora classe
Fertur ab Antandro, scelerataque limina Thracum,
Et polydoreo manantem sanguine terram
Linquit, et utilibus ventis aestuque secundo G30
Intrat apollineam, sociis comitantibus, urbem.
Hunc Anius, quo rege homines, antistite Phocbus
Rite colebantur, temploque, domoque recepit,
Urbemque ostendit, delubraque nota, duasque
Latona quondam stirpes pariente retcntas. G55
Thure dato flammis, vinoque in thura profuso, '
Caesorumque boum fibris de more creraatis,
Rcgia tecta petunt, positisque tapetibus altis
Munera cum liquido capiunt cerealia Paccho.
Tum pius Anchises : « 0 Phoebi lectc sacerdos, GiO
LIVRB XIII. 511
trompS-je, ou bien, quand je vis ces murs pour la premiere fois,
n'ayiez-YOus pas, autant qu'il m'en souvient, un fils et quatre
fiUes? D Anius, secouant sa t^e, ceinte d'un bandeau blanc^ lui
rSpondit d'une 7oix triste : « Non, vous ne yous trompez pas,
illustre Anchise. Vous m'avez jm. pere de cinq enfants, et au-
jourd'hui ( telle est rinconstance des choses humaines ! ) vous
me trouvez k peu prSs sans famille. En effet, quel appui atten-
dre de ce fils retenu loin de moi dans File d'Andros, k laquelle il
a donn^ son nom? II m'a quitt^ pour y r^ner en maitre. ApoUon
lui accorda la sdence de ravenir, comme mes (iiles avaient regu
de Bacchus un pouvoir au-dessus de leurs voaux et de loutc
croyance, celui de transformer en ^pis, en raisin, en oiivesi tous les
objets qu'elles toucheraient. Cetait pour moi une source feconde
de biens. A peine instruit de ce prodige, le destructeur de Troie
(n^allez pas croire que l'orage dont vous avez ^te accable n'a
point rejaiili sur moi), Agamemnon, a main arm^e, vient ar-
racher mes filles de mes bras et leur ordonne de nourrir la
flotte des Grecs par le privilege qu'elles ont regu des dieux. Elles
fuient pour chercher un asile Deux se refugient dans rEul)^e, et
Fallor? anetnatum, quum primum haic moenia vidi,
Bisque duas natas, quantum reminiscor, habebas? »
Huic Anius niveis circumdata tempora viltis
Ck>ncutiens, et tristis ait : « Non falleris, heros
Haxime; natorum vidisti quinque parentem, 64^
Quem nunc (lanta homines rerum inconstantia versat I )
Pene vides orbum. Quid enim mihi filius absens
Auxiliil quem dicta suo de nomine tellus
Andros habet, pro patre locumque et regna tenentem?
Delius augurium dedit huic ; dedit altera Liber 650
Femineae sorti voto majora fideque
Munera. Nara tactu natarum cuncta mearum,
In segetem, laticeroque meri, baccamque Minerva}
Transformabantur ; divesque erat usus in illis.
Hoc ubi cognoyit, TrojaB populator, Atrides 055
(Ne non ex aliqua vestram sensisse procellam
Nos quoque parte putes), armorum viribus usus,
Abstrahit invitas gremio gcniloris, alantquc
Imperat argolicam coelesti munere classem.
Effugiunt quo quseque potest. Euboea duabus, CGO
512 Ml^TAMORPHOSES.
les deux autres dans Andros, aupr^s de leur frere. Des soldats se
presentent, et mon fils est menace de guerre s'il ne les remet en*
tre leurs mains. Sa tendresse fraternelle cede a la crainte : il livre
ses soeurs. Mais sa faiblesseest excusable. II n'avait poursedefen-
dre ni En^e ni Hector, qui pendant jlix ans ont retardS votre ruine.
Deja les Grecs aUaient enchainer leurs caplives. EUes levent vers le
ciel leurs mains libres encore, et s'^crient : c Dacchus, viens k notre
« aide ! » £t leur bienfaiteur les secourut, si toutefois ce fut les
secourir que de me les ravir par une m^tamorphose. Mais com-
ment s'op^ra ce prodige? Je ne pus le savoir et jene sauraisle dire
aujourd'hui. Mon malheur seul m'est connu. EUes prirent des ailes
et s'envoI^rent sous la forme de blancbes colombes consacrees a
volre epouse. »
Ces discours et d'autres semblables remplirent tout le temps du
repas ; puis les Troyens quitterent la table pour se livrer au som-
meil. Au point du jour, ils all^ent consulter Toracle d*Apollon. Le
dieu leur ordonna de chercher leur anlique m^re et les rivages ha-
biles par leurs anc^tres. Anius les accompagna au moment du de-
part, et leur fit des presents. II donna un sceptre a Anchise, une
chlamyde et un carquois a son petit-fils ; a Enee, un cratere quc
Et tolidem nalis Andros fraterna petita est.
Miles adest, et, ni dedantur, bella minatur.
Victa raetu pietas consortia pectora poRniB
Dedil, et ut timido possis ignoscere fratri ;
Non hic ^Eneas, non, qui defenderet Andron, CG5
Ileclor erat, per quos dccimum durastis in annum.
Jamque parabantur captivis vincla lacertis.
IDae toUentes etiamnum libera coelo
Brachia : « Bacche pater, fer opem, » dixerc. Tulitque
Muneris auctor opem, si miro perdere more C70
Ferre vocatur opem. Ncc qua ratione figuram
Perdiderint, potui scire, aut nunc dicere possira.
Summa mali nota est :^ pcnnas sumpsere, tuaeque
Conjugis in volucrem, niveas abiere columbas. »
Talibus atque aliis postquam convivia dictis 675
Implerunt, mensa somnum petiere remota.
Gumque die surgunt, adeuntque pracula Phoebi.
Qui pelere antiquam matrem, cognataque jussit
Littora. Prosequitur rex, et dat munus ituris,
Anchisaj sceptrum, chlamyden pharetramque nepoti, C80
Cratera iEnex, quem quondam miserat ilii
LIYRE XIII. 5t3
Thers^s lui enToya jadis des bords de rism^nus, comme gage de
rhospitalit^ qu'il en aTait re^ue. C^tait rouvrage d^Alcon de Myia.
Le ciseau de cet artiste y ayait gravS de grands ^v^nements. On y
voyait une ville. Sept portes parfaitement distinctes lui tenaient
lieu de liom et la faisaient reconnaitre. Devant ses murs une
pompe fun^bre, des tombeaux, des feux, des bAchers, des fem-
mes, lescheveux epars et le sein decouvert, annon^aient le deuil.
Des Nymphes semblaient pleurer et regretter leurs sources taries.
Depouill^ de leur feuillage, les arbres n^offraient qu'un tronc
aride. Des cbevres rongeaient un brin d'herbe sur des rochers.
Au milieu deTh^bes paraissaient les filles d'Orion. L'une, avec un
courage aunlessus de son sexe, presentait sa gorge au glaive;
Fautre de sa propre main s'immolait noblement pour le salut de
tous. Leurs restes, porles k travers Tenceinte de la viUe avec une
pompe solennelle, ^laient brAles sur la place publique. Du inilieu
des flammes naissaient, pour immortaliser leur race, deux jeunes
heros. La renomm^ leur a conserv^ le nom de Courannes, lls
conduisaient les obs^ques de leur mSre. Tous ces sujets ^taient
repr^ent^s en relief sur Tairain antique. L'acanthe ornait de fes-
tons dords les bords du vase. Les Troyens, h leur tour, firent h
Hospes ab aoniis Tberses ismenius oris.
Hiserat hunc illi Therses, fabricavcrat Aicon
Myleus, et longo caelaTerat argumento.
Urbs erat, et seplem posses ostendere porlas : 685
Ilffi pro nomine erant, et qu» foret illa, docebant.
Ante urbem eisequiae, tumulique, ignesque, rogique,
Effusxque comas, et apert» pectora matres
Significant iuctum. Nympha) quoque flere Yidentur,
Siccatosque queri fontes. Sine frondibus arlx» C90
Nuda riget. Rodunt arentia saxa capell».
Ecce facit mediis naias Orione Thebis,
llanc non femineum jugulo dare pectus aperlo,
Hlam, demisso per forlia vulnera telo
Pro populo cecidisse suo ; pulchrisque per urbcm C95
Funeribus ferri, celebrique in parte cremari.
Tum de virginea geminos exire favilia,
Ne genus intereat, juvenes, quos fama Coronas
Nominat, et cineri materno ducert pompam.
Hactenus antiquo signis exstantibus sere 700
Summuft inaurato crater crat asper acantho.
29.
514 Ml^TAMORPHOSES.
Anius d^anssi magniflqiies pr^nts. Ils offrirent au prdtre, avee
une pat&re, une cassoiette d'encens, et au roi une couronne d'or
enrichie de pierres predeuses.
mVBRSES H^TAIIORPBOSES. — ACIS ET GALATiE. -^ GUUCUS GHAIIGE
Etl DIEU OE LA MEE.
y. Les Troyens, se souvenant quMls sortent du sang de Teuoer,
se rendent dans l'ile de Gr^te. Mais un lleau les emp^he d'y s^-
journer. Ds quittent ses cent villes, impatients de toucher aux
ports de FAusonie. La tempSte se dechaine et disperse leurs vais-
seaux. Ils abordent aux dangereuses Strophades, ou rafTreuse AeUo
les glace d^efTroi. Ils passent devant Dulichium, Ithaque, Samos et
N^rite, royaume du perfide Ulysse. Ils voient Ambracie, que se dis-
put6i:ent jadis les dieux, le rocher dont le juge de ce d^bal prit la
forme, le temple 61ev6 h Actium en rhonneur dWpollon, Dodone
avec ses ch6nes parlants, et les golfes de Ghaonie, 0(1, griice k leurs
ailes, lesfils du roi des Molosses Schapp^rent h des flammes impies.
l'.3 c6toient les campagnes voisines des Ph^ciens, si riches m fruils
Nec leviora datis Trojani dona remittunt;
Dantque sacerdoti, custodera thuris, acerram ;
Dant patcram, claramque auro gemmisque coronam.
VARIiE TRANSFORIIATIONES. — ACIS ET 6ALATEA. — GLAUCnS IN DEOH
HAR1NU1I MUTATUR.
V. Inde recoidati Tcucros a sanguino Teucri 705
Ducere principium, Greten tenuere, locique
Ferre diu nequiere Jovem, centumque relictis
Urbibus, ausonios optant contingere portus.
SsBvit hiems, jaclatque viros, Strophadumque recoptos
Portubus infidis exterruit ales Aello, 710
Et jam dulichios portus, Ithacamque, Samenque,
Neritiasque domos, regnum fallacis Ulyssei,
Praeter craut vecti; cerlatam lite deorum
Ambraciam. versique vident sub imagine saxum
Judicis, uctiaro qus nunc ab Apolline nota est, 715
Vocalemqne sua terram dodonida quercu,
Ghaoniosque sinus, ubi mtti regc moiosso
Impia subjcctis fugere incendia pennis.
Proxima Phseacum felicibus obsita pomis
LIYRE XIII. 515
ddlicieux. DsTisitentrfipire, Buthrote, oiir^a le devin de Phry-
gie, et ou ils retrouvent une image de Troie. Certains de ravenir
que leur avaienl d^voil^ les infaillibles predictions d'fl61enus, ils
entrent dans la Sicile, dont les trois promontoires s'avancent dans
la mer, Pachyn vers le pluvieux Autan, Lilybee vers le doux Ze-
phyr, Pelore vers Boree et TOurse qui ne se baigne jamais dans
les flots.
Cest la que d^barquent les Troyens. Leur flotte, conduite par la
rame et par un vent propice, penetre le soir dans le port de Zancle.
Scylla infeste la rive droite, et Torageuse Charybde la gauche.
Celle-ci devore et revomit les vaisseaux qu^elle vient d'engloutir ;
Tautre, dont une meute menagante forme la terrible ceinture, a la
t§te d'une vierge, et m6me, si tout n'est pas fiction chez les po^tes,
ce fut jadis une vierge. De nombreux pretendants briguerent sa
main. Mais, insensible a leurs voeux, et cbSrie des Nymphes de la
mer, elle allait leur conter les amours qu'elle avait dedaignees. Un
jour qu'elle tressait les cheveux de Galatee, cette Nymphe lui dit en
soupirant : c Du moins, Scylla, tu es recherchee par des Mres hu-
mains, et tu peux, k ton gre, rejeter impunement leurs homma-
Rura petunt. Epiros ab his, regnataque vati 720
Buthrotos phrygio, simulataque Troja tenentur.
Inde fulurorum-ccrti, quae cuncta fidcli
Priaraides Helenus monitu pradixerat, intrant
Sicaniam. Tribus haec excurrit in aequora linguis,
E quibus imbriferos obversa Pacbynos ad Auslros, 725
Mollibus expositum zephyris Lilybaeon, at Arcton
JEquoris expertem spectat, Boreanque Peioros.
Hac subeunt Teucri, remisque aestuque secundo,
Sub noctem potilur zanclaia classis arena.
Scylla latus dextrum, laevum irrequieta Charybdis 73^
Infestant. Vorat lisec raplas, revomitque curinas;
IUa feris atram canibus succingitur alvum,
Virginis ora gerens ; et, si non omnia vat^s
Ficta rcliquerunt, aliquo quoque tempore virgo.
Hanc multi petiere proci. Quibus illa repulsis 735
Ad peiagi Nymphas, pelagi gratissima Nymphis,
Ibat, et elusos juvenum narrabat amores.
Quam, dum pectendos prsebet Galatea capillos,
Talibus alloquitur, repetens suspiria, dictis:
« Te tamen, o virgo, gcnus haud immite viromm 740
Expetit; uUjue facis, potes his impiine negafQ. %
516 N£TAM0RPH0SES.
ges. Mais moi, fille de Ner^, moi que la belie Doris porta dans
son sein, moi qui ai pour appui le nombreux corl^e de mes
soeurs, je n'ai pu echapper que par le deuil a Tamour du Cy-
dope. » Des larmes ^toulTent sa voix. Scylla les essuie de sa
main d'alb&tre, et, pour la consoler : c 0 toi que j'aime! dit-
elle, raconte-moi la cause de ta douleur. Ne me cache rien : tu
peux compter sur moi. » La Ner^ide satisfait ainsi la fille de
Crateis :
« Acis Stait fils de Faune et de la Nymphe Symelhis. 11 faisait
le bonbeur de son pere, de sa m^re, et le mien beaucoup plus
encore. Le l)el Acis n'aimait que moi. II touchait a sa seizi^me an-
n6e, et ses joues toient a peine couvertes du leger duvet de Ta-
dolescence. Je brildais pour lui, tandis que Polyphtoe me pour-
suivait de sa flamme. Si tu me deroandes ce quiremportait, de ma
haine pour le Cyclope ou de mon amour pour Acis, je ne saurais te
le dire : ces sentiments se partageaient egalement mon coenr. Que
ta puissance est grande, irr^sistible Y^usl Ce monstre farouche,
rborreur des for^ts, lui que personne ne vit jamais impun^ment,
lui qui m^prise et rOlympe et ses dieux, ressent les atteuites de
At mihi, cui paler est Nereus, quam caerula Doris
Enixa est, quae sum turba quoque tuta sororum,
Non nisi per luctus licuit Cyclopis amorem
Effugere. » Et lacrymaB vocem impedicre loquentis. 745
Ouas ubi marmoreo detersit poUice virgo,
Et solala deam est : « Refer, o carissima, dixit,
Neve lui causam tege, sum tibi fida, doloris. •
Ncreis his contra resecuta Cratseide natam :
« Acii erat Fauno Nymphaque Syma^thide cretus, 750
Magna quidem patrisque sui, matrisque voluptas,
Nostra tamen mujor. Nam mc sibi junxcrat uni
Pulcher, et, octonis iterum natalibus aclis,
Signarat dubia teneras lanugine malas.
Hunc ego, mc Cyclops nullo cum fino pclcbat. ^ 755
Nec, si quaesieris, odium Cyclopis, amorne
Acidis in nobis fueril prxsentior, edam :
Par utrumque fuit. Prohl quanta potentia regni
Est, Venus alma, tui ! Nempc ille immitis, et ipsis
Horrendus silvis, et visus ab hospite nullo 7C0
Impune, et magni cum dis contemptor Olympi,
Quid sit araor sentit, nostriqne cupidine captus
LIVRE XIII. 617
Famour. fipris de mes charmes, il bnUe de tes feux, il oublie ses
troupeaux et les antres qu*ii habite. D6jk, fier Cyclope, tu prends
soin de te parer ; d^jk tu es jaloux de me plaire; dejk tu peignes avec
un rateauta rude chevelure; dejk ta barbe h^riss^e tombe sous une
faux. Tu te mires dans Tonde, et tu cherches a adoucir les traits
de ton affreux visage. Tu perds ton ardeur pour le meurtre, ta
cruaut^ et ton insatiable soif du sang. Les navires peuvent sans
danger s'approcher at s^eloigner de ton rivage.
« Gependant, d^barqu^ sur les c6tes de la Sidle et parvenu pr^
de TEtna, le fils d'Euryme, Tel^me, que le vol des oiseaux ne
trompa jamais, aborde le terrible Gyclope. « Le seul oeii qui brille
« au milieu de ton front, lui dit-il, te sSra enleve par Ulysse. » Po-
lypheme lui r^pond en riant : « 0 le plus ignorant des- devins, tu
<f tetrompes; une autre me fa d^ja ravi. » G'est avec cemepris
qu'il accueille une pr6diction Irop vMtable. Tantftt, sous ses pas
gigantesques il fait g^mir le rivage; tant6t, fatigue, ii gagne ses
antres sombres. II est une colline dont la cime, en forme de pyra-
mide, domine la mer. Les flots la baignent des deux c6tes. Le fa-
rouche Gyclope la gravit et vient s'y asseoir. Ses troupeaux, donl
il n'est plus le guide, raccompagnent encore. II pose a ses pieds le
Uritur, oblilus pecorum anlrorumque suorum.
Jamque tibi formai, jamque est tibi cura placcndi ;
Jam rigidos pectis rastris, Polypheme, capillos ; 705
Jam libet hirsutam tibi falce recidere barbam,
Et spectaro feros in aqua ct componere vultus.
Cadis amor, feritasque, sitisque immensa cruoris
Cessant, et tutai vcniuntque abeuntque carinae.
« Telemus interca siculam delatus ad ^tnen, 770
Telemus Eurymides, quem nulla fefellerat ales,
Terribiiem rolyphemon adit : « Lumenque, quod unum
« Fronte geris media, rapiet tibi, dixit, Ulysses. »
Risit et : « 0 vatum slolidissime, falleris, inquil.
« Allera jam rapuit. » Sic frustra vera monentem 775
Spernit, et aut gi'adiens ingenli littora passu
Degravat, aut fessus sub opaca revertitur antra.
Prominet in pontum cuneatus acumine longo
Collis; ulrumque latus circumfluit aequoris nnda.
Huc ferus ascendit Cyclops, mediusque resedit; 730
Lanigerae pecuJes, nullo duceute, secutte.
Cui poslquam pinos, baculi qus prsbuit usum.
518 MeTAMORPHOSES.
pin qui lui sert de iioulette, et dont on pouvait feire un m&t. II
proid sa llilte' composee de cent roseaux, et les montagnes relen-
tissent de ses rustiques accents ; les ondes mtoies en frtoissent.
Gach^ dans une grotte et penchee sur ie sein de mon cher Ads,
j'entendis de loin ces paroles, et je les ai retenues :
« Galatee, tu es plus blanche que le tro§ne, plus fleurie que
• les pr^, plus Hdnc&e que Taune, plus resplendissante que le
c cristal, plus fol&tre que le chevreau, plus lisse que le coquillage
« sans cesse poli par les flots, plus s^able que le sokil en hiver
« et que l'ombre en ^t^, plus Termeille que la pomme, plus majes-
c tueuse que le platane, plus brillante que la glace, plus suave
« que le raishi mAr, plus douce que le duvet du cygne et le lait
« caill^. Si tu ne me fiiyais pas, tu seraispour moi plus beUe qu'un
c jardin arrose d eaux Tiyes. Mais, en m^me temps, GalatSe est
« plus farouche que les taureaux indomptds, plus dure qu^un
€ Tieux ch^ne, plus trompeuse que l'onde, plu» souple que les
c branches du saule et de la vignct plus insensible que ces ro*
< chers, plus imp^tueuse qu'un torrent, plus fiere que le paon
c qu'on admire, plns violente que la flamme, plus piquante que
Ante pedes posila est, antennis apta ferendis,
Sumptaque arundinibus compacta est fistula centum.
Senserunt toti pastoria sibila montes, 785
Senserunt undse. Latitans ego rupe, meique
Addis in gremio residens, procul auribus hausi
Talia dicta meis, auditaque mente notavi :
« Candidior uivei folio, Galatea, ligustri,
* Floridior pratis, longa procerior alno, 790
« Splendidior vitro, tenero lascivior hoedo,
« Lsvior assiduo detritis aequore conchis,
« Solibus hibernis, aestiva gratior umbra,
« Nobilior pomis, platano conspectior alta,
« Lucidior glacie, matura dulcior uva, 79S
« MoUior et cycni plumis, et lacte coacto,
« Et si non fugias, riguo formosior borto.
« Saevior indomitis eadem Galatea juvencis,
« Durior annosa quercu, fallacior undis,
« Lenlior et salicis virgis, et vitibus albis, 800
« II is immobilior scopulis, violentior amno,
« Laudato pavone superbior, acrior ijjni,
• LIVRE XIH. M9
4 les ronces, plus cruelle qae Tourse qui a mis bas, plus sourde
« que les vagues, plus cruelle que le serpent foul^ aux pieds ;
« et (ce que je voudrais bien pouvoir fenlever] tu es plus agile
« que ]e cerf press^ par une meute aboyante, et que les vents
« portes sur leurs ailes l^^res.
« Gependant.^si tu me connaissais bien, tu te repentirais de m'a-
« Voir fui; tu condaninerais tes refus,et (u chercherais a me rete-
« nir pr^ de toi. Je poss^de cette partie de la montagne et ces
« antres ouyerts dans la roche viye. On n'y sent point les chaleurs
« brildantes de Fet^, ni les rigueurs de rhiver. J'ai des arbres qui
« plient sous le poids de leurs fruits ; j'ai de superbes .vignes
« chargees de raisins vermeils ou dor^ que je garde pour toi. Tu
« cueilleras toi-m§me les d^licieuses fraises n^ a Tombre des
« bois, les comouilles qui millrissent en automne, les prunes azu-
« r^ et d'autres encore plus estimees qui ressembknt a la cire
« nouvelle. Si je deviens ton ^poux, les chdtaignes ne te man-
« queront pas; tu auras des fruits en abondance, et mes arbres
« s'empresseront de te les offrir. Tous ces troupeaux sont a moi;
« j^en ai beaucoup d*autres qui errent dans les vall^es et dans les
« bois, ou qui repOsent dans les antres de la montagne. Si tu m'en
c Asperior tribulis, feta tmculentior ursa,
c Surdior sequoribus, calcato iminitior hydro,
« Et, quod prsecipue vellem tibi demere, posseni, 805
« Non tantum cervo claris latratibus acto,
c Verum etiam Tentis, volucrique fugacior aura.
« At, bene si noris, pigeat fugisse, morasque
« Ipsa tuas damnes, et me retinere labores.
« Sunt mihi, pars roontis, vivo pendentia saxo 810
« Antra, quibus nec sol medio sentitur in xstu,
« Nec sentitur hiems; sunt poma gravantia ramos;
« Sunt auro similes longis in vitibus uvae;
« Sunt et purpureae : tibi et has servamus et illas.
« Ipsa tuis manibus, silvestri nata sub umbra, 815
« MoUia fraga leges, ipsa autumnalia corna,
« Prunaque, non solum nigro liventia succo,
« Verum etiam generosa, novasque imitantia ceras.
« Nec tibi caslaneae, me conjuge, nec tibi deerunt
« Arborei fetus : omnis tibi serviet ai'bos. 820
t Hoc pecus omne meum est. Hultae quoque vallibus errant,
c Mullas silva tegit, mult» stabulantur in antris;
520 M&TAlirORPHOSES.
< demandais le nombre, je ne pourrais le dire : le berfer pauyre
< compte seul ses troupeaux. Ne t'en rapporte pas a moi pour la
< beautS de mes brebis ; viens en juger toi-mSme : a peine peu-
< vent-elles porter leurs mamelles gonflees de lait. Je possMe di-
< verses bergeries ou r^ne une douce chaleur, les unes pour
< mes agneaux, les autres pour mes chevreaux. J*ai toujours du
« lait blanc comme la neige. J'en garde une partie pour boire,
< et le reste sert a faire des fromages.
< Tu ne te borneras pas k jouir de plaisirs faciles et de dons
< vulgaires, tels que de jeunes daims, des liSvres, des chSvres,
< des colombes, des nids d*oiseaux enleves sur la cime des arbres.
< J*ai trouve sur une montagne deux pelits ours qui pourront
< jouer avec toi. Ils se ressemblent tellement, qu'on ne saurait
< les distinguer. Je les ai trouv^, et je me suis dit : Je les gar-
< derai pour ma maitresse. L^ve donc ta t^te briilante au-dessus
< des flots d'azur. Yiens enfm» Galat^, et ne dedaigne pas mes
< pr^sents. Je me connais. Nagu^re j'ai vu mon image dans le
< cristal des eaux, et, en me voyant, j'ai et^ charm^ de ma
< beaute. Regarde combien je suis grand ! ma taille ^gale celle
« Nec, si forte roges, possim tibi dicere, quot sint :
« Pauperis est numerare pecus. De laudibus harum
« Nil mihi credideris. Praesens poles ipsa videre, 825
« Ut vix sustineant distentum cruribus uber.
« Sunt, fetura minor, tepidis in ovilibus agni;
« Sunt quoque, par xtas, aliis iri ovilibus agni.
« Lac mihi semper adest niveum : pars inde bibenda
« Servatur ; parlem liquefacta coagula duranl. 830
« Nec tibi deliciae faciles, vulgataque tantum
« Munera conlingent, damae, leporesque, capraeque,
« Parve columbarum, demptusve cacumine nidus.
« Inveni geminos, qui tecum ludere possint,
« Inler se similes, vix ut dignoscere possis, 83"
« Villosas catulos in summis moutibus ursie.
« Inveni, et, domini», dixi, servabimus islos.
« Jam modo caiTuleo nitidum caput exsere ponto;
« Jam, Galatea, veni; nec muuera despicc nostra.
« Cerle ego me novi, liquidaeque in imagine vidi 840
« Nuper aqujB, placuitque mihi mea forma videnti.
« A^pice sim quanlu». Non est hoc corpore major
LIVRB XITI. 021
« de Jupiter qui r^ne dans les cieux (car irous me parlez sans
c cesse de je ne sais quel Jupiter qui gouyeme ie monde). Une
ff ^aisse cheyelure couyre mon front terrible, et ombrage mes
ff ^paules comme une forSt. Si mon corps est tout h^riss6 de poils,
ff ne crois pas que ce soit une difTormite. Tarbre est sans beaut^
ff s*il est sans feuillage. Le coursier ne plait qu'autant qu'une lon-
« gue criniere flotte sur son cou. Le plumage embeliit ies oiseaux,
ff et la toison pare les brebis. Ainsi la barbe et une for^t de poils
« sont un omement pour rhomme. Je n'ai qu'un oeil au milieu
ff du front; mais il ressemble k un immense bouclier. Que dis-je?
ff le soleil, du haut des cieux» n*embrasse-t-il pas runiyers de son
ff regard? II n'a pourtant qu'un oeil conune moi.
ff Mon p^ tient sous son sceptre Tempire que tu habites. Je
ff te donne Neptune pour beau-pere. Prends piti^ de mes maux :
« exauce les yoeux de celui qui fimplore. Toi seule as dompl6
c Polypb^me. Moi qui brave Jupiter, le ciel et la foudre, 6 fiile de
ff N^r^e! je tremble en ta pr^s^ce. Ton courroux est po]ur moi
ff plus terrible que la foudre. Je souffrirais plus patiemment tes
ff mepriSy si tu fuyais tes amanls. Mais pourquoi repousser le Gy-
f clope et aimer Acis? Pourquoi pr^ferer ses embrassemenls aux
c Jupiter in coelo (nam tos narrare soletis
c Nescio quem regnare Jovem) ; coma plurima torvos
« Prominet in vultus, humerosque, ut lucus, obiimbrat. 845
« Nec mihi quod rigidis horrent densissima setis
« Corpora, 4urpe puta. Turpls sine frondibus arbos;
« Turpis equus, nisi colla jukne flaventia velent;
« Pluma tegit volucres; ovibus sua lana decori est;
« Barba viros. hirtsque decent in corpore seta;. 8aO
« Unum est in media lumen mibi fronte, sed instar
« Ingentis clypei. Quid? non hsec omnia magnus
c Sol videt.e coelo? Soli tamen unicus orbis.
« Adde, quod in vestro gcnitor meus aequore regnat.
« nunc tihi do socernm. Tantum miserere, precesque 855
« Supplicis exaudi. Tibi enim succumbimus uni.
« Quique Jovem,et ccelum sperno, et peBetrabile fulmen,
« Nerei, te vereor : tua fulmine ssevior ira est.
« Atque ego contemptus esseni patientior hujus,
« Si fugeres omnes. Sed cur, Cyclope repulso, 860
c Acin amas, praefersque meis amplexibus Acin?
m h£tahorphoses.
fl miens? Qu'il soit donc ^pris de sa beaut^, et qa'il tewplaise (ce
« que je serais bien loin de youloir), 6 Galatee! mais qu'il tombe
« entre mes mains : il sentira que mes forces repondent a la gran*
« deur de mon corps. J'arracherai ses entrailles palpitantes, je
fl dechirerai ses membres ; je les disperserai dans les champs et
« jusque dans les ondes ou tu r^ides. Puisse-t-il ainsi s'unir k toi!
« Gar enfin je brilile, et mes feux dedaignes me d^orent. Je crois
« porter dans mon cceur tous ceuK de l'Etna, et le tien, Galat^,
« reste insensible k ma douleur! »
« Apr^ ces inutiles plaintes (j'observais tout), il se leve, et, tel
qu'un taureau furieux auquel on enl^ve sa genisse, il ne peut res-
ter a la m^me place; il erre dans la forM, dont il connait tous les
d^tours. Soudain il m^aper^oit avec Ads. Nous ^tions loin de crain-
dre une telle infortune. Emport^ par la fureur, il s'ecrie : « Je
tf vous vois, mais c'est pour la derni^re fois que ramour yous ras-
« semble. » Sa voix, aussi efTroyable que pouvait FStre celle d'an
Gydope irrit^, fit retentir TEtna. Saisie d'^pouvante, je disparus
dans la mer voisiiie. Le fils de Sym6tbis avait pris la fuite en di-
sant : « Yiens a mon aide, Galatee, je t'en conjure. 0 mon pere! 6
« Ille tamen placeatque sibi, placeatque licebit
« (Quod noUem, Galatea, tibi), modo copia detur;
« Sentiet esse mihi tanto pro corpore vires.
« Viscera viva traham, divulsaque niembra per agros, 8G5
« Perque tuas spargam (sic se tibi misceat!) undas.
« Uror enim, laesusque exacstuat acrius ignis; ^
« Gumque suis videor translatam viribus ^tnam
« Pectore ferre meo. Nec tu, Galatea, moveris. »
« Talia nequicquam questus (nam cuncta videbam), 870
Surgit, et, ut taurus vacca furibundus adempta,
Stare nequit, silvaque et notis saltibus errat,
Quum ferus ignaros, nec quidquam tale timentes,
Me videt atque Acin : « Videoque, exclamat, et ista
« UUima sit faciam Veneri concordia vestrx. » 875
Tantaque vox, quantam Cyclops iratus haberc
Debuit, illa fuit. Clamore perhorruit ^tne.
Ast ego vicino pavetacta sub OBquore mergor.
Terga fugae dederat conversa Symaelhius heros,
Et : « Fer opem, Galatea, precor, mihi ; ferle, parentes, 8£0
LIVRE XIIL 525
ff ma m^ ! seoourez-moi, et admettez dans vos demeures voti^
ff fils qui va p^rir! • Le Gyclope le poursuit. Des flancs de la
montagne il d^tache un rodier; il le lance, et, quoiqu'une de ses
extr^mit^s atteigne seule Acis, elle Ttoase tout entier. Je fis ce
que me permettaienf ies Destins : je le ramenai k sa premiere ori*
gin^. Sous le roc son sang coulait en flots de pourpre. £n un in-
stant il perdit sa couleur, et devint saoablable k Teau d'un fleuve
troubl^e par les orages. Mais, peu a peu, ce fut une source pure.
La pierre s^entr^ouvrit, et soudain de ses fentes s^^an^ un roseau.
L'onde murmura en jaillissant des flancs du rocher. 0 prodige ! au-
dessus des eaux apparut jusqu'^ ]a ceinture un jeune homme parS
de comes naissantes et couronne de joncs. C&tali Acis, mais plus
grand, avecun visage couleur d^azur, Acis change en fleuve; et ie
fleuve a conserv^ son nom. t
D^ que Galatee a cesse de parler, les Ner^ides se dispersent et
nagent dans les eaux paisibles. Scyila revient, et n'ose se confier
h la mer. Tantdt elle erre sans v^tement sur le rivage ; tantdt, ^pui-
s^ de fatigue, elle aime a se rafrakhir dans une grotte secrete
« Dixerat, et vestris periturum adinittito regnis. »
Insequitur Cyclops, partemque e monte revulsam
Hittit, et extremus quamvis pervenit ad illum
Angulus e saxo, totum tamen obruit Acin.
At nos, quod solum fleri per Fata licebat, 885
Fecimus, ut vires assumeret Acis avitas.
Puniceus de mole cruor manabat, et intra
Temporis exiguum rubor evanescere coepit;
Fitque color primo turbati fluminis imbro,
Purgaturque mora. Tum moles fracta deliiscit, i)90
Vivaque per rimas, properataque surgit arundo,
Osque cavum saxi sonat exsultantibus undis.
Miraque res! subito media tenus exstitit alvo
Incinctus juvenis flexis nova cornua cannis ;
Qui, nisi quod major, quod totocaerulus ore est, 89a
Acis erat. Sed sic quoque erat tamen Acis in amnem
Versus, et antiquum tenuerunt flumina noracn. »
Desierat Galatea loqui, coetuque Soluto
Discedunt, placidisque natant Nereides undis.
Scylla redit, neque enim medio se credere ponlo 900
Audet, et aut bibula sine vestibus errat arena,
Aut, ubi lassata est, seductos nacta recessus
534 M£TAM0RPH0SES.
environn^ d*une onde paisible. Tout a coup, fendant les flots,
apparait un nouvel habitant de la mer, Glaucus, dont la forme a
6t6 r^cemment changee pr^s d'Anth4don, sur les c6tes d'Eubde.
11 voit Scylla, Taime et Tadmire. II iui adresse les paroles les
plus propres a la retenir dans sa fuite, et pourtant elle s'^loigne.
La ft^ayeur precipite ses pas, et elle parvient au sonunet d'un
torme rocher qui domine le rivage. Son sommet unique et d6-
pouillS d'ombrage s'incline sur les flots. Cest la que s'arr6te la
Nymphe. A rabri de tout danger, ne sachant si elle voit un
monstre ou un dieu, elle contemple avec etcmnement sa coul^,
sa chevelure flottant sur ses epaules et sur son dos, et 1e reste
de son corps repli^ en queue de poisson. Glaucus 8'en apergoit,
et, s'appuyant sur le rocher qui ^tait pr^s de lui : c Jeune
flile, dit-i), je ne suis ni un monstre ni une bSte cruelie, mais
une divinit^ de l'onde. Prot^e, Triton et Palemon, fils d'Athamas,
n'ont pas plus de droits que moi sur les flots. Autrefois cepenckait
j'^tais un simple mortel ; mais, accoutume a vivre pr^s de la mer,
je m^exergais depuis iongtemps sur ses bords. La, tantdt je tirais
sur ie sabie mes fliets chargSs de poissons; tantdt, assis sur un
rocher, je dirigeais l^hamefon suspendu au roseau.
Gurgitis, inclusa sua membra refrigerat unda.
Ecce, fretum findens, alli novus incola ponti,
fluper in euboica versis Anthedone membris, S05
Glaucus adest, visaeque cupidine virginis hxret,
Et, quxcumque putat fugientcm posse morari,
Verba refert. Fugit illa tamen, veloxque timore
Pervenit in summum positi prope litlora montis.
Ante fretum est ingens, apicem colleclus in unum, UiO
Longa sine arboribus convexus ad aequora verlex.
Gonstitit hic, et tuta loco, monstrumne, deusne,
IUe sit, ignorans, admiraturque colorem,
Caesariemque humeros subjectaque terga tegentem,
Ultimaque excipiat quod torlilis inguina piscis. 915
Senlit, et innitens, qux stabat proxima, moli :
« Non ego prodigium, non sum fera bcllua, virgo.
Sum deus, inquit, aquae;«nec majus in a^quora Proteus
Jus habet, aut Trilon, atbamantiadesve Palaemon.
Ante tamen mortalis eram; sed scilieet altis 920
Dedilus sequoribus, jam tum exercebar in illis.
Nam modo ducebam ducentia retia pisces;
Nunc, in mole sedens, moderabar arundine linum.
LIVRE IIII. 525
« II est un rivage qui touche k une riante prairie, borne d^un
cdte par la mer, et de Tautre par un vert gason que jamais ne
brouterent ni les genisses, ni les brebis, ni les ch^vres. Jamais
rindustrieuse abeille n'en butina les fleurs ; jamais les Nymphes
ne les cueillirent pour en parer leurs fronis un jour de fHe; ja~
mais elies ne tomb^rent sous le tranchant de la faux. Je fus le
premier qui m'assis sur ce gazon pour faire s6cher mes filets hu-
mides. Je oomptais les poissons que j^avaispris; je rangeais en
ordre ceux que le hasard avait jet^ dans mes filets, et ceux que
leur creduHt^ avait attir^ vers l^hame^on. 0 prodige qui a Tair
d'une fictiou! mais que me servirait de feindre? A peine les
poissons que je venais de prendre ont-ils toudi6 rherbe, qu*ils
commencent k se mouvoir; ils se retoument et s'agitent sur la
lerre, comme s'ils fendaient les flols. Tandis que je m'arr£te pour
les contempler, ils abandonnent tous ie rivage et leur nouveau
maitre, et s'elancent dans la mer.
« linmobile de surprise, je cherdie la cause d'un prodige qui
tient mes esprits en suspens. Faut-il Tattribuer k un dieu ou au
suc de rherbe? Mais quelle herbe, disais-je, a donc une lelle
vertu? J*en cueille quelques brins et je les goi^te. A peine avais-je
« Sunt viridi prato confinia liKora, quorum
Altera pai^s undis, pars allera cingitur herbis, 023
Quas ncque cornigeno morsu laeserc juvenca;,
Kec placids carpsistis ovcs, hirtxve capellae;
Non apis inde tulit collectos sedula flores ;
Non data sunt capiti genialia serta ; nec nnquam .
Falciferae secuere manus. Ego primus in illo 930
Cespite consedi, dum lina madentia sicco;
Utque recenserem captivos ordine pisces,
Insuper exposui, quos aut in retia casus,
Aut sua credulitas in aduncos egerat hamos.
Res similis fictx ! (sed quid mihi fingere prodcst?) 935
Gramine contacto ccepit mea prseda movcri,
Et mulare latus, terraque, ut in xquore, niti.
Dumque moror, mirorque simul, fugit omnis in uudas
Turba suas, dominumque novum, littusque relinquunt.
« Obstupui, dubiusque diu, quse causa, rcquiro : 940
Kum dcus hoc aliquis, num succus feccrit herliee?
Quae tamen has, inquam, vircs habet herba? manuquc
Pabula decerpsi, decerptaque dente momdrdi.
526 UgTAHORPHOSES.
aval^ leurs sacs inconnus, que dSjk je sentals int^eurement une
agitation soudaine« EntrainS par un instinct nouveau et incapable
de r^ister plus longtemps, je m'6criai : c Terre qae f abandonne
c pour toujourSy adieu ! t et je me plongeai dans ies flots. Les dieox
de la mer me re^urent et m'assod^ent k leurs honneurs. ib
suppli^rent l'Oc^ et T^thys de faire disparaitre ce que j'aTais
de mortel. Ges deux diyinit^ me puriG^rent. Neuf fois, pour
effaoer en moi toute souillure, elies prononcerent des mots sa-
crds, et m'ordonn^rent de me baigner dans cent fleuTes. Aussi-
Idt cent fleuYes roul^rent de tous cdt^s leurs eaux sur ma tdle.
Yoilk ce que je puis dire de cet Svenement, dont je me souviens
encore : j'ai oubliS tout le reste. Quand je repris roes sens, je re-
connus que mon esprit et mon corps avaient subi une metamor-
phose. Alors, pour la premi^re fois, je vis ma barbe preudre )a
couleur des flots et mes cheveux sillonner les ondes, mes epaules
elargies,mes bras azur^s, et mes jambes courbees en forme de na-
geoire. Mais a quoi bon ce changement? qu^ me sert d'avoir phi
aux dieux de la mer? que me sert d'^tre dieu moi-mdme, si tu
restes insensibie? t
Vix bene combiberant ignotos guttura succos,
Quum subito trepidare iatus proscordia sensi, fM.S
Alteriusque rapi natura; pectus amore.
Nec potui restare diu : « Repeteadaque uunquam
* Tcrra, Vale! » dixi, corpusquc sub aequora mersi.
Di maris exceptum socio diguantur honote;
tJtque raihi, quxcumque feram. mortalia dcmaut. 050
Oceanum, Tethynque rogant. Ego lusttor ab illisj
Et purgante nefas novies mihi carmiiie dicto,
Pectora fluminibus jubeor sUpponfere cculunl.
Nec mora, diversis lapsi de partibus amncs,
TOtaque vertuntur supra capiit SBquora nostrum. !*S;>
Hactenus acla libi possum memoraDda referre;
Hactenus et memini, nec menS mea oBtera scus l.
. Quae poslquam rediit, alium me corpore toto,
Ac fueram uupcr, nec eumdcm mente, reccpi.
Hanc ego tum primum viridem ferrugine barbaiii, (Nk)
Gsbsariemquc meam, quam longa periaiquora vcrrd,
Ingentesque humeros, et oerula brachia vidi,
Criraque pinuigero curvata iiovissimd pisce.
Quid Umcn h;ec species, quid dis placuisse marinJ!»,
Quid juvat csie deum, si tu non langeris islis? » 06o
LIVRB XIII. 527
Ainsi s'exhalait son amour. Glaucus al(ait continuer, mais Scylia
s'enfuit. Dans le transport de fureur que lui cause ce refus, il se
dirige vers le palais merveilieux de Circe, fille du Soleil.
Talia dicentem, dicturum plura, reliqult
Scylla deum. Furit ille, irritatusque repulsa,
Prodigiosa petit titanidos atria Circes.
LIVRE QUATORZlfiME
SGYLLA CHANGEE EN ROCBER PAR ClRc£.
I. L'habitant des flots orageux d^Eubee, Glaucus, avait cnfin
quitte TEtna qui pese sur le corps des geants, les champs des
Cyclopes, toujours respectes de la herse et de la charrue, et dont
les Iresors ne durent jamals rien au travail des boeufs. II avait
egalement franchi Zancle, Rhegium, situee sur Tautre bord, etce
delroit fameux en naufrages, resserre entre les confins de TAu-
sonie etceuxdela Sicile. De sa main puissante fendant la mer
de Tyrrhene, il touche aux fertiles coteaux ou reside Circe, fille
du Soleil, dans un palais peupl6 de b^tes feroces. Des qu il
1'aperQoit, apres des saluts mutuels, il lui dit : « Deesse, prends
pitie d'un dieu qui fimplore. Seule tu peux, si je fen parais
LIBER QUARTUS DECIMUS
SCYILA IN RUPEM A CIRCE VERTITUll.
1. Jamque gigunteis injeclam faucibus iCtnen,
Arvaque Cyclopum, quid rastra, quid usus aratri
Kescia, nec quidquam junctis debenlia bubus,
Liquerat euboicus tumidarum cultor aquarum;
Liqucrat et Zanclen, adversaque mocnia Rbegi, B
Navifragumque frelum, gemino quod littore pressum
Ausonix, siiulxque tenet confmia terra:.
Inde, manu magna thyrrena per o^quora lapsus,
llerbiferos adiit collcs, atque alria Glaucus
Solc sata; Circci-, variaruni plena ferarum. 10
Quam simul aspexit, dicla acccplaque salule :
Diva, dei miterere, precor; nam sola levare
Tu potes Iiunc dixit, videar modo digr.us, amorem.
LIVRE XIY. 520
digiie, alleger pour moi ies peines de l*amour. Qui mieux que moi
connait le pouYoir des plantes, puisque c*est par elles, fille du
Soleil, que j'ai chang^ de nature? Yoicilacause du trouble qui
m'agite. Sur le rivage de Fltaiie qui regarde Messine, j'ai vu
Scylla ; el, je rousis de le dire, promesses, prieres, caresses, ser-
ments d'amour, elle a tout meprise. Si les paroles magiques ont
quelque Tertu, que ta bouche sacr^e les prononce; ou, si les
plantes ont plus de pouvoir, emploie celles que Fexperience Ta
fait regarder comme les plus efticaces. Je ne demande pas un
remede qui gu6risse ma blessure. II ne s agit pas d'eteindre mon
amour, mais de le faire partager a Scylla. t
' Jamais femme ne fut plus prompte que Circe a s'enflammer par
de tels discours, soit que son coeur tienne ce penchant de la na-
ture, soit qu'elle Tait re^u de Y^nus irritee par la revelation de
son pere. Elle repond : < Tu ferais mieux de soupirer pour uue
amante sensibie, qui r^pondrait a tes d^irs et briUerait des
m^mes feux. Tuen etais digne, et tu pouvais pretendre a te voir
recherche. Tu le serais encore, crois-moi, si tu donnais a un coeur
de Tespoir. N'en doute pas, ta beaut^ doit finspirer de la con-
fiance. Moi-m^me, deesse et fille du Soleil, si puissante a la fois
^anta sit herbarum, Tilani, potentia nuUi,
Quam mihi cognitius, qui sura mutatus ab illis. 15
Nevc mei non nola tibi sit causa furoris,
Littore in italico, mcssania mcenia contra,
Scylla roihi visa est. Pudor est promissa, precesque,
Blandiliasque mcas, contemptaque verba referre.
At tu, sive aliquid rcgni e:»t in carmine, carmen iU
Ore move sacro ; sive expugnacior herba est,
Utere tentatis operosse viribus herbae.
Nec medeare mihi, sanesque haec vulnera mando,
Fine nihil opus est: partem ferat iila caloris. »
Al Circc (neque enimflammis habet aptius ulla 2j
Talibus ingenium ; seu causa est hujus in ipsa,
Seu Venus indicio facit hoc offensa paterno)
Talia verba refert : < Melius sequerere volentem,
Optnntemque eadem, pariiiquc cupidine captam.
Dignus eras, ultro poteras certeque rogari, 50
Et, si spem dcderis, mihi crcde, rogaberis ultro.
Neu dubites, adsitque tusc fiducia formx.
En ego, quum dea sim, nitidi quum filia Solis,
oO
SkSO h£tamorphoses.
par mes enchantements et par mes herbes magiques, je d^sire
^tre k toi. M^prise qui te meprise; mais paye d'mi tendre retour
celle qui faime. Punis en mSme temps une ingrate et Tenge-moi
d*une riyale. t Tandis qu'eUe interroge ainsison coeur : c Les
arbres, dit Glaucus, croitront dans la mer et Talgue sur les
monts, avant que mon amour change du vivant de Scylla. » CSrc^
s^indigne ; mais, ne pouvant le perdre (rAmour s'y oppose), sa
haine s^allume contre celle qui lui est pr6fi§r^. raffront fidt&sa
flamme lirrite. Soudain elie broie des ^lahtes veneneuses et en
exprjme les sucs horribles en pronon^t d'infemales paroles. EUe
revSt sa robe d*azur, et/ a travers les bStes f(§roces empresste a
lui reudre hommage, elie sort de son palais, se dirige vers Rh^um
vis-^-vis les rochersdeZande, et 3'elance surles vagues bouiiloiH
nantes. Elie y marche comme sur la lerre ferme : ses pieds, sans
se mouilier, en effleurent la surfaoe.
li y avait une grotte etroite, arrondie en voiite et ch6rie. de
Scylia. Cest l^ qu'elle allait chercher un abri contre la fureur des
ilots et les ardeurs du soleii, lorsque cet astre, au milieu de sa
course^ vomissait tous ses feux et raccourcissait ies ombres du Iiaui
GamiiDe quum tanluiHi tantum quum gramine possim,
Ut tua sim voveo. SpeFnentem spcrne; sequenti 55
Rcdde vices, unoque duas ulciscere facto. >
Talia tentanti : « Prius, inquit, in a^quore frondesi
Glaucus, et in summis nascentur montibus algae,
Sospite quam Scylla nostri mutentur amores. •
Indignata dea est; et Ixdere quatenus ipsum iO
Mon poterat, nec vellet amans, irascitur illi,
Quae sibi praelata cst. Vencrisque offensa repulssl,
Protinus horrendis infamia pabula succis
Conterit, et tritis hecateia carmina miscet;
Cierulaque induitur velamina; perque ferarum 4o
Agmen adulantum media procedit ab aula;
Oppositamque petcns contra zancleia saxa
Ehegion, ingreditur feirventes SBStibus undas,
In quibus, ut solida, ponit vestigia, ripa,
bunmiaque deturrit pedibus super sequota siecis. r{i)
Parvus etat gurges, curvos sinuatus in arcUi^i
Grata quies Scyilae, quo se rererebat ab aestu
Et maris et cceli, niedio quum plurimus orbe
Soi brat, el tninimas a vettice feceral umbra».
IiIVRE XIV. 531
des airs. Girc^ infecte cet asile et le souille de formfdables poisons,
en y repandant les sucs tir^s de ses funestes plantes. Elie mur-
mure a trois reprises des formules Mranges et mysterieuses, et
r6p6te neuf fois ses enchantements. Scyila vient. A peine est-elle
a moitie descendue, qu'elle voit ses flancs entour6s d'une hideuse
ceinture de monstres aboyants. D'abord elle nepeut croire quMls
font partie de son corps. Kile fuit, et, redoutant leurs morsures
hardies, elle essaye de les repousser. Mais, en youlant les ^viter,
elle les entraine avec elle. En vain cherche-t-elle ses cuisses, ses
jambes et ses pieds : a leur place elle trouve des gueules de Ger-
bere. Elle voit une meute furieuse, sans parties inferieures,
attach^e par le dos autour de son corps. Glaucus, qui Taimait,
verse des larmes. II fuit Thymen de Girc^, qui vient de faire un
trop cruel usage de ses plantes. Scylla resta dans ce lieu mSme.
Des qu'elle en eut le pouvoir, pour assouvir sa hah.;> contre Circe,
elle fit perir les compagnons dTlysse. Elle allait 9ussi submerger
les vaisseaux troyens, lorsqu'eIle fut changee en un rocher qui
forme encore un ecueil qu'evilent les matelots.
Hunc dea pnevitiat , portentificisqne venenis 5&
Inquinat ; huic pressos latices radice nocenti
Spargit, et obscurum verborum ambage novorum
Ter novies carmen magico demurmurat ore.
Scylla venit, mediaque tenus descenderat alvo,
Quum sua foedari latrantibus inguina monstris 60
Aspicit. Ac primo non credens corporis illas
Esse sui partes, refugitque, abigitque, timetque
Ora proterva canum. Sed quos fugit, attrahit una;
Et corpus quaerens femorum, crurumque pedumque,
Cerbereos rictus prc partibus invenit illis ; 65
Statque canum rabi»?s, subjectaque terga feranim
Inguinibus truncis, uteroque exstante, coercet.
Flevit amans Glaucus, nimiumque hostiliter mtb
Viribus herbarum fugit connubia Circes.
Scylla loco mansit ; quumque est data copia primum, 70
In Circcs odium sociis spoliavit Ulyssen.
Moi eodem Teucras fuerat mersura carinas,
Ni prius in scopulum, qui nunc qnoque saxeus exstst,
Transformata foret. Scopulum qnoque navita vitat.
}
m HfiTAMORPHOSES.
\
LES CEftCOPES wiTAllORPHOS^S EN SIRGES. — DESCEIfTB O^finiE
AUX ENFERS. — FABLE DE U SIBTLLE.
n. La flotte troyenne avait ^chapp^ h la rage de Scylla et de
Charybde. EUe touchait presque au rivage de TAusonie, lorsque
les vents la repouss^rent vers rAfrique. Didou accueillit fin^
dans son palais; elle Taima, et, apres 6tre devenue son dpouse,
d^sesp6r§e de spn depart, elle se per^a le sein sur un biftcher
allum^ pour un sacriGce imaginaire. Trompee par son amant,
elle trompa ainsi toute sa cour. Le h^os phrygien s^enfuil des
nouveaux murs elev^s sur la terre d'Afrique, et retouma vers
le fidSIe Aceste, au pied du mont £ryx, oili il c^lebra un sacri.
fice sur la tombe de son p^re. II d^tacha les dibles qui rete-
naient sa flotte presque livree aux flammes par la messag^re de
Junon, et laissa derri^re lui le royaume d^Sole, les fles d'ou le
soufre s'elance en tourbillons de fumee, et les rochers des per-
fides sirdnes. Prive de pilote, son navire cdtoya Inarime, Pro-.
cbyte, Pith^.use, situ^ sur une coUine st^rile, et qui a ccm*
serv^ le nom de ses habitants. Jadis le p^re des dieux, indign^
de la mauvaise foi, des parjures et de la perfldie des Cercopes, les
CERCOPES IN SINIAS HUTATI. — SSE£ DESCENSUS AD IXFEROS.
SIBTLLiE FABULA.
II. Hanc ubi trojano) remis avidamque Charybdin 75
Evicere rates, quum jam prope litlus adessenl
Ausonium, libycas vento referuntur ad oras.
Excipit ^nean illic animoque domoque,
Non bene discidium phrygii latura marili,
Sidonis; inque pyra, sacri sub imagine facta, 8U
Incubuit ferro, dcceptaque decipit omnes.
Rursus arenosae fugiens nova mcenia terrx,
Ad sedemque Erycis, fidumque relatus Acesten,
Sacrificat, tumulumque sui genitoris honorat.
Quasque rates Iris junonia psene cremarat, 8.-i
Solvit, et Hippotadse regnum, terrasque calenti
Sulfure fumantes, acheloiadumque relinquit
Sirenum scopulos; orbataque praeside pinus
Inarimen, Prochytenqne legit; sterilique locatas
CoUe Pithecusas, habitantum nomine dictas. 90
Quippe deum genitor fraudem, et perjuria quondam
Gercopum exosus, gentisque admissa dolosae, .
LIYRE XIV. 533
changea en animaux difformes, qui different de rhomme et en
mtoe temps lui ressemblenl. II raccourcit leur corps, aplatit leur
nez loin du front, sillonna leur face des rides de la Yieillesse, les
couvrit d'un poil fauve, et les rel^gua dans ce sejour. Ddjk il leur
avait retire Tusage de la parole, dont ils ne se servaient que pour
mentir effront^ment; il ne leur laissa pour p6uvoir se plaindre
qu'un rauque murmure. •
Aprfe avoir d^passe ces iles, Enee franchit a droite les remparts
de Parlhenope, et a gauche le promontoire ou git le fils d'fiole aux
accents m^lodieux; puis il arriva aux rivages de Gumes, bord^s
d'algues marecageuses, et visita Tantre de Tantique Sibylle. II la
conjure de guider ses pas dans TAveme et de Taider h trouver
rombre de son pere. La Sibylle tint longtemps ses regards atta-
ches a la terre; et, les levant enfin, agitde par le dieu qui Finspi-
rdit : « Tu demandes, dit-elle, une grande faveur, h^ros quMllus-
trent tes exploits, toi dont le courage fut eprouve par le fer et la
pi^te par la flamme. Mais rassure-toi, chef des Troyens : les
vceux seront accomplis. Je te conduirai dans les champs de 1'fily-
£6e; je te ferai voir le ten^reux empire et Tombre cherie de
In deforme viros animal mutavit, ut idem
Dissimiles homini possent, similesque videri;
Membraque contraxit, naresque a fronte remissas 95
Contudit, et rugis peraravit anilibus ora;
Totaque velatos flaventi corpora villo
Mi^iit in has sedes. Nec non prius abstulit Ufum
Verborum, et natae dira in perjuria iinguaej
Posse queri tantum rauco stridore relinquit. lOU
Has ubi prsBleriit, et parlhenopeia dextra
B^cenia deseruit, Isva de parte canori
^olidas tumulum, et loca fela palustribus ulvis
Littora Cumarum, vivacisque antra Sibyllas
Intrat, et, ut manes adeat pcr Averna paternos, 103
Orat. Al illa diu vullus tellure moratos
Erexit, tandemque deo furibunda recepto :
« Magna pelis, dixit, vir factis maximc, cujus
Dpxlera per ferrum, pielas speclala per igncs.
Pone tamcn, Trojane, metum. Potiere petitis; 110
Elysiasquc domos, et regna novissima mundi,
Me duce, cognosces, simulacraque cara parcntis.
30.
534 M£TAM0RPII0SES.
ton p6re. II n'est point de route inaccessible pour la Yertu. »
A ces mots, elle )ui montra le rameau d'or qui brillait dans
la forSt de Proserpine, et lui ordonna de le d^tacher. £nee
obeit, et k Finstant ii yit les richesses du terrible dieu des enfers,
les mdnes de ses anc^tres et la vieille ombre du magnanime An-
chise. II connut aussi les lois ^tablies en ces lieux, et les perils
qu'il aurait a braver dans de nouvelles. guerres. La fatigue le fil
revenir sur ses pas, et il s'entretint avec son guide pour oublier-
les ennuis de la route. Tandis quHls poursuivaient leur.mardie
p^nible k la lueur d'un jour incertain, £n^e dit k la Sibylle :
« Deesse favorable aux humains, ou mortelle ch^e des dieux, tu
seras toujoiu^ une divinitS pour moi. Je reconnaitrai toujours
combien je suis redevable a celle qui m'a conduit au sejour de la
mort et ramenS vivant de son horrible empire. Pour un tel bien-
fait, k peine rendu k la clart^ des cieux, je te consacre^ai un temple
et je ferai briller rencens sur tes autels. v
La Sibylle le regarda, et lui r^pondit d'une voix entrecoupee de
soupirs : « Je ne suis point une d^esse. Ne juge polnt une mortellc
digne de Tencens. Apprends queje fus aimee d'Apollony et qu'ii
fnvia virtuti nuUa est via. » Dixit, et auro
Fulgentcm ramum silva Junonis averns
Monstravit, jussilque suo divellere irunco. 115
Paruit iCneas, et formidabilis Orci
Vidit opcs, atuvosquc -suos, umbramque scnilcm
Magnanimi Anchisne; didicit quoque jura locorum,
Quxque novis esscnt adeunda pericula bellis.
Inde ferens lassos avcrso tramite passus, l!^)
Cum duce cumaea faliit sermone iaborem.
Diimque ilcr borrcndum per opaca crepuscula rarpil;
« Seu dea tu praesens, seu dis gralissima, dixit,
Numinis instar eris semper mihi, meque fatcbor
Muneris esse tui, quaj me loca mortis adire, 12ri
Quaj loca me visaB voluisti evadero mortis.
Pro quibus aerias meritls evcctus ad auras
T(mpla tibi statuam, Iribuam tibi Ihuris honorem.. »
Respicit hunc vates, et suspiratibus haustis :
ic Nec dea sum, dixit, nec sacri thuris honore 130
Ilumanum dignare caput. Neu nescius orres,
Lux sterna mihi, carituraque fine dabalur,
Si mea virginiUs Phoebo paluissel amantif
LIVRE XIV. 535
ni'ofintunevieimmortelle pourprixde ma virginitl. Tandisqu'il
esp^rait et qu'il cherchait a me sMuire par ses prSsents : c Vierge
« de Cumes, me dit-il,forme des voeux, ils seront exauc^s. » Alors,
lui monlrant une poignee de sable, je souhaitai follement autant
d'annees que j^avais de grains de poussi^re dans la main. roubliai
de demander en mSme temps une ^temelle jeunesse. II me Tof-
frit pourtant, cette-faveur, si je r^pondais k sa flamme. Je dedai-
gnai ses dons et je restai vierge. Je suis d^ja loin de mes belles
anneeg, et la tristevieillesse s'avance d'un pas chancelant. Je dois
lasupporter encore longtemps ; carj^ai d6jkv6cu sept si^cles; et,
pour que mes jours egalent les grains de poussi^re, il me reste a
voir trois ceuts moissons et trois cent^ vendanges. Un temps vien-
dra ou Tdge raccourcira mon corps, ou mes membres, ext^nu^s
par la vieillesse, n'auront plus qu'un faible poids. On ne pourra
croire alors^ue je fus aimee d'un dieu ou digne de lui plaire.
Paai-Stre aussi ApoIIon ne me reconnaitra-t-il pas, ou dira-t-il
quMl ne m'a jamais aimee, tant je difPSrerai de moi-mfime! Invi-
sible a tous les yeux, je serai pourtant reconnue a ma voix : car
les Destins me Idisseront la voix. »
Dum tamen hanc sperat, dum prsecorrampere donis
Mc cupit: c Elige, ail, virgo cumsea, quid optes; 135
t Optatis potiere tuis. » Ego pulveris hausti
Ostendens cumulum, quot haberet corpora pulvis,
Tot mihi natales contingcre vana rogavi.
Excidit optarem juvenes quoque protinus annos.
IIos tamen ille mihi dabat, aetemamque juventam, 140
Si vcncrem paterer. Contempto muncre Phcpbi,
iAnuha permaneo. Sed jam felicior oitas
Tcirjia dedit, tremuloque gradu venit aegra senectus,
QurV. palienda diu est. Nam jam mihi ssecula septem
Acta vides : superest, numeros ut pulveris aequem, 145
Tercentum messes, tercentum musta videre.
Tempus erit, quum me de tanto corpore parvam
Longa dies faciat, consumptaque merobra senecla
Ad rainimum redigantur onus. Nec amata Tidebor,
Nec placuisse deo ; PhoE>bus quoque forsitan ipse 150
Tel non agnoscet, vel dilexisse negabit :
Usque adeo mutata ferar! nullique videnda,
Yoce tamen noscar; vocem mihi Fata relinquent. »
550 MfiTAMORPHOSES.
ACIIEM^NIbE. — UACABEE. — EKCBAMTEMENTS DB Cl^Ct.
PICUS £T CANENTE.
III. Tandis que la Sibylle parlait ainsi en montant une route
escarpee, £n^ quitte les demeures infernales et rentre dans la
Tille de Cumes. U offre aux dieux les sacrifices ordinaires, et
aborde aux rivages qui ne portaient pas encore le nom de sa
nourrice. La, degoilitS de ses longs voyages, s'etait arr^ta Maca-
ree, n^ a Ithaque et compagnon du sage Ulysse. II reconnut
Ach^m^nide, delaiss^ jadis sur les rochers de TEtna. £tonne de
le revoir vivant : « Quel hasard, lui dit-il, ou quel dieu t'a sauv^?
Comment un Grec se trouve-t-il sur un vaisseau barbare? Vers
quels bords faites-vous voile? » A ces questions, Achemenide,
que ne couvraient plus de vils lambeaux attachSs avec des epines,
Achem^nide, redevenu enfin lui-mSmei lui repond : « Puiss^-je
voir de nouveaA Polypheme et le sang humain d^ulant de ses
levres, si les vaisseaux dlthaque roe sont desormais plus chers que
les Troyens, et si je respecte moins £n^e que mon p^re ! Jamais,
qyoi que je fasse, je ne pourrai lui t^moigner assez de reconnais-
ACHEMENIDES. — MAdAREDS. — CIRGES INCANTAUENTA. — riCOS ET CANE5S.
III. Talia convexum per iter memorante Sibylla,
Sedibus eboicam stygiis emergit in urbem 155
Troius ^neas, sacrisque ex morelitatis,
Littora adit nondum nutricis habentia nomen.
Hic quoque substiterat post tsedia longa laborum
Nerilius Macareus, comes eiperientis Ulyssei.
Desertum quondam mediis qui rupibus Miim ICO
Noscit Achaemenidem, improvisoque repertum
Yivere miratus : « Qui te casusve, deusve
Servat, Achaemenide? Cur, inquit, barbara Graium
Prora vehit? Petitur vestrae quae terra carinae?»
Talia quaerenti jam non hirsutus amictu, 1C5
Jam suus, et spinis conserto tegmine nullis,
Fatur Achaemenides : c Iterum Polyphemou, et illos
Aspiciam fluidos humano sanguine rictus,
Ilac mihi si polior domus est Ithaceque carina,
Si minus iEnean veneror genitore, nec unquam 170
Esse satis potero, praestem licet omnia, gratus.
LIVRE XIV. . 557
sance. Si je te parle, si je respire, si je vois le ciel et la lumiere
du jour, puis-je 6tre ingrat et oublier que c*est k lui que je le
dois? C*est grdce a lui que je n'ai pas 6t6 d^vore par le Cyclope, et
qu'au moment ou je rendrai le dernier soupir mes restes seront
depos^ dans un tombeau, et non dans les entrailles de ce monstre.
Quel fut mon desespoir (k mioins que la terreur ne m^eilt dte tout
sentiment), lorsque, abandonnesurlerivage,je vousvis gagnerla
haute mer ! Je voulus crier, mais je craignis de me livrer a Tcn-
nemi. La voix d^Ulysse fut presque fatale a votre navire. Je vis
Polypheme jeter au milieu des ondes un immense eclat de ro-
cher qu'il avait detach^ de la montagne ; je vis son bras gigan-
tesque lancer, comme une machine de guerre, des pierres ^nor-
mes, et je craignis que le vaisseau ne disparilt dans les flots ou ne
fiit brise sous celte masse : j'oubhais qu'il ne me portait plus.
« A peine la fuite vous eut-elle d^rob^s a un affreux tr^pas, que
le Cyclope errant fit retentir TEtna de ses g^missements. Prive de
son oeil, il ^arta de sa main ies arbres pour s'ouvrir un passage,
heurta les rochers, et, tendant sur les eaux ses bras ensanglantes,
ilexhalaainsisa haine contre les Grecs : « Oh! si jamais le hasard
Quod loquor, et spiro, cflelumque, et lumina solis
Afipicio (possimne ingratus et immemor esse?)
Ille dedit; quod non anima hsec Cyclopis in ora
Venit, et ut lumen jam nunc vilale relinquam, 175
Aut tumulo, aut certe non illa condar in alvo.
Quid mihi tunc animi (nisi si timor abstulit omDem
Sensum animumque) fuit, quum vos petere alta relictus
^quora prospexi? Volui inclamare; sed hosti
Prodere me timui. Vestrae quoque clamor Ulyssei 180
Paene rati nocult. Vidi, quum monte revulso
Immanem scopulum medias permisit in undas;
Vidi iterum, veluti tormeuti viribus acla,
Vasta giganteo jaculantem saxa lacerto.
Et, ne deprimeret fluctusve lapisve carinam, 185
Pertimui, jam me non esse oblilus in illa.
« Ut vero fuga vos ab acerba morte removit,
ille quidem totam gcir.ebundus obambulat jEtnam,
PrsBtentatque manu silvas, et luminis orbus
Rupibus incursat, fcedataque brachia tabo 190
In mare protendens gentem exsecratur achivam,
Atque ait : c 0 si quis referat mihi casus Ulyssen,
538 ^ MfiTAMORPHOSES.
« amenait prSs de moi Ulysse ou quelqu'un de ses compagnons
¥ sur qui je pusse assouvir ma fureur! Si je pouvais devorer
« leurs entrailles, dechirer de mes mains leurs membres Tivants,
tf boire leur sang a longs traits et broyer leurs os sous mes dents,
< combien peu je regretterais d'6tre prive de la clarte du jour, ou
« combien cette perte me paraitrait legere ! » A ces imprecations
le farouche Cyclope en ajoula beaucoup d'autres. L'epouYante
8*empara de moi quand je vis sa bouche degouttante de camage,
ses mains cruelles, son orbite affreuse, ses membres effiroyables
et sa barbe inond^ de sang humain. J^avais la mort devant mes
yeux ; mais de tous mes maux c'etait le moindre. Je me figurais
que le monstre allait me saisir et m'engloutir dans ses entrailles.
Je me reprdsentais k chaque instant ce jour ou je vis deux de mes
compagnons trois et quatre fois lanc6s contre terre, Polypheme,
achame sur eux comme un lion terrible, ensevelir dans le gouffre
de son ventre leurs entrailles, leurs chairs, leurs os, leur moelle
et leurs membres palpitants. Glace de terreur, j'etais morne, im-
mobile. En voyant le Cyclope devorer ces mets ensanglantes el
les vomissant avec des flols de vin, j'attendais, helas! le mSme
« Aut aliquem o sociis, in quem mea saeviat ira!
« Visoera cujus edam, cujus viventia dextra
« Membra mea laniem, cujus mihi sanguis immdet I9u
« Guttur, et elisi trepident sub dentibus artus,
« Quam nuUum, aut lcve sit damnum mihi lucis adcmptxl »
Hkc et plura ferox. Me luridus occupat horror,
Spectantem vultus etiamnum caede madentes,
Crudelesque manus, et inanem luminis orbem ; "200
Membraque, et humano concretam sanguine barbam.
Mors crat ante oculos; minimum tamen illa malorum.
Et jam prensurum, jamjam mea viscera rebar
In sua mersurum ; mentique hairebat imago
Temporis illius, quo vidi bina meorum i05
Ter quater affligi sociorum corpora terrae;
Quai super ipse jacens, hirsuti more leonis,
Visceraquo, et carnes, cumque ipsis ossa medullis,
Scmianimesque artus avidam condcbat in alvum.
Me tremor invasit. Stabam sine sanguine moestus; 210
Mandentemque videns, ejectantemque cruentas
Ore dapes, et frusta mero glomerala vomentem,
Talia lingebam misero mihi fata parari.
LIVRE XIV. 539
sort. Gach^ durant plusieurs jours, irissonnant au moindre bruit,
redoutant la mort et Tappelant de tous mes voeux, apaisant ma
faim avec des glands, de Therbe et du feuillage; seul, sans res-
source, sans esperance, voue aux souffrances et au trepas, apres
une longue attente, je decx)uvris un navireiion loin du bord. Je
demandai a fuir par un geste suppliant, et je courus vers le rivage.
J^excitai la piti^, et un Grec fut sauve sur un vaisseau troyen. Mais
toi, le plusi cher de mes amis, apprends-moi tes aventures, ceiles
dTlysse et de ses compagnons qui partagent ta fortune sur les
flots. i
Macaree lui fait ce r^dt : « Sur les mers de Toscane regne le fiis
d'Hippotas, £oie, qui tient les vents enchaines. Apr^s les avoir en-
ferm^s dans des outres, par une rare faveur, il les ayait donues
au roi de Dulichium. Grdce a leur souffle propice, Ulysse et ses
compagnons voguerent heureusement pendantneuf jours, et aper-
9urent m^me la terre, objet de ieurs vceux. Mais, lorsque l'Au-
rore ouvrit pour la dixicme fois les portes de l'orient, ses com-
pagnons, aveugles par Tenvie et la cupidite, s'imaginereiU que
lcs oulres etaient remplies d'or, et rompirent les liens qui rele-
naient les vents. Entraine par eux sur les ondes qu'il avait deja
sillonnees, le vaisseau rentra dans les ports d'£olie. De la uous
l^erque dies mtiUos latitans, omnemque treroisrens
Ad slrepilum, mortemque limens, cupidusque moriri, 215
Glandefamem pelleni, et miita frondibus herba,
Solus» inops, 8X.<pe8, letho pceuaeque rclictu«, \
Naud procul aspexi longo post tempore navim, .
Ot^vique fugam geslu, ad littusque cucurri ;
Et movi, Graiumque ratis trojana recepit. "liO
Tu qUoque pande tuos, cumitum gratissime, casus,
£t ducis, etturbae qusB tecum credita ponlo est.>
iEolen ille refert Tusco regnare profundo,
^olon liippotaden, cohibentem carcere ventob;
Quos bovis inclusos tergo, memorabife munus, 2^3
Dulichium sumpisse ducem ; flatuque secundo
Lucibus isse novem, et terrum aspexisse petitam;
Proxima post nonam quum sese Aurora moveret,
Invidia socios prtedieque cupidine ductos,
Esse ralos aurum, dempsisse ligaminu ventis, loO
Cum quibus isse rctro, per quas modo veneral undas,
iEoliique ratem portus repetisse tyranni.
540 METAMORPHOSES.
nous dirige&raes vers l'antique cite du Lestrygon Lamus, gouver*
nee par Antiphate. Je fus depute vers liii avec deux de mes amis.
Nous pilimes a peine, Tun d'eux et moi, trouver notre salut dans
la fuite. L'autre teignit de son sang la bouche impie du Lestry-
gon. Antiphate nou^oursuivit et appela les siens. lis accoururent
en foule et nous accabl^rent d'une gr^le de pierres et d'arbres,
qui submerg^rent les hommes et les vaisseaux. Un seul navire,
celui qui nous portait, Ulysse et moi, ^chappa au naufrage. AiOi-
ges de la perte de nos compagnons, nous les pleurames longtemps,
et nous abordames enfm a ces rivages que tu aper^ois dans le
lointain. Ah ! puisses-tu ne voir jamais que de loin Viie funeste
ou je suis descendu ! 0 le plus juste des Troyens, fils d'une deesse
(car du jour ou la guerre a cesse, tu ne dois plus 6tre appele
nolre ennemi), finee, je te le conseille, fuis le sejour de Circe!
« Nous aussi, apres avoir jete i'ancre, pleins du souvenir d'An-
tiphate et du cruel Gyclope, nous refusions d'avancer sur ces cdtes
et d'entrer sous des toits inconnus. Le Sort fut consulte. 11 rae
d^igna pour 6tre envoye aupres de Circe avec le iidele Polite, Eu-
ryloque, Elpenor qui aimait trop levin, et dix-huit de nos com-
« Inde Lami veterem Lsestrygonis, inquit, in urbem
Venimus. Anliphates lerra regnabat in illa.
Missus ad hunc cgo sum, numero comitautc duoruui. ;2iO
Vixque fuga quaesita salus comilique, mihique.
Tertius e nobis Lsestrygonis impia linxit
Ora cruore 6uo. Fugientibus instat, ct agmeu
Concilat Antiphates. Goeunt, et saxa trabcsque
Continuant, mergunlque viros, merguntque carjuas. 255
Una (amen, quaj nos ipsumque vehebat Uiyssen,
Erfugit. Amissa sociorum parte, dolcnles,
Multaque conquesti lerris allabimur illis,
Quas procul hinc cernis. Procul hinc tibi, cerne, videudaest
Insula, visa mihi. Tuque, o justissime Troum, 245
Kate dea (neque enim linito marte vocandus
llostis es, .Enea), mouco, fuge littora Circes.
« Kos quoque circxo religata in littorc pinu,
Antiphal» memores, immansuetiquc Cyclopis,
Ire ncgabamus, et tecla ignola subire. 2j0
Sorte sumus lecti. Sors me fidumque Politcn
Euryiochunique simul, niniiique klpenora viui,
Bisque novem socios circaea ad mccnia misit.
LIVUE XIV. 541
pagnoiis. Arrives a son palais, nous en touchiuns a peine les porles,
que des loups, des ours et des lions, accourus sur nos pas, nous
remplirent d'eflroi. Mais aucun n'etait a craindre ; aucun ne de-
yait nous faire le moindre mal. Je dirai plus : ils caressaient Fair
de leurs queues et suivaient nos pas en nous flattant. Les femmes
de service nous regiu-ent et nous conduisirent, a travers des por-
tiques de marbre, jusqu'a leur souveraine. Elie etait assise, au
fond d'une salle magnifique, sur un trdne eleve, rev^tue d'une
robe eblouissante et couverte d'un mantelet d'or. Les Nereides
et les Nymphes, rangees autpur d'elles, n'etaient point occupees a
faire de la tapisserie ou a filer la laine, mais elles disposaieut
dans des corbeiiles et mettaient en ordre des plantes, des fleurs
et des herbes de diverses couleurs. La deesse presidait a leurs
travaux. Elle connaissait Tusage de chaque plante et Tart de les
melanger; elle les pesait et les examinait avec soin. Des qu'elle
nous apergut, apres les poiitesses d'usage, elle nous accueillit par
un sounre et repondit gracieusement a nos vceux. Elle nous fit
servir a rinstant de Torge briilee, du miel, du vin pur et du lait
caille, mSIes ensemble, et y ajouta furtivement des sucs deguises
QusB simul alligimus, stetimusque in iimine tecti,
Hiile lupi, mixtaeque lupis ursser^ie, leaeque, 355
Occursu fecere melum. Sed nulla timenda,
KuUaque erat noslro factura in corpore vulnu?.
Quin etiam blandas movere per aera caudas,
Nostraque aduiantes comitant vestigia, donec
Excipiunt famulae, perque atria marmore tecta 260
Ad dominum ducuut. Pulcbro sedet ilia recessu,
Sublimis solio, pallamque induta nitentem,
lusuper aurato circumvelatur amictu.
Nereides Nymphaeque simul, qu» vellera molis
Nuila trahunt digitis, nec fila sequenlia ducunt, 265
Gramina disponunt, sparsosque sine ordine flores
Secernunl calalhis, variasque coloribus herbas.
Ipsa, quod hse faciunt, opus exigit; ipsa quis usus
Quoque sit in folio, quse sit concordia miitis,
Novit, et adverlens pensas examinat herbas. 270
Haec ubi nos vjdit, dicta acceptaque salule,
Diffudit vultus, et reddidit omnia votis.
Nec mora, misceri toslis jubet hordea grani,
Hellaque, vimque mcri, et cum lacte coagula passo;
Quique sub hac lateant furtim dulcedine, succos' 275
31
542 MfeTAMORPHOSES.
par la douceur de ce breuvage. Nous re^Ames avec empressement
la coupe de sa main sacree.
« A peine l'eiimes-nous approch^e de nos levres ardentes, que la
perfide deesse toucha nos cheveux de sa baguette. Aussitdt (je rou-
gis de le dire) des poils herisserent mon corps, et je cessai de
parler. Ma voix fit place a un rauque munuure; mon front se
courba vers la terre ; je sentis ma bouche s^allonger sous la forme
d'un museau; de larges muscles enflerent mon cou; ma main,
qui venait de saisir la coupe, tra?a des pas sur la terre, et Ton
m'enferma dans une §lable avec mes compagnons, tratisformes
comme moi : tant ce breuvage eut de puissance! Euryloque
^chappa seul a cette melarmorphose, parce que seul il avait re-
pousse la coupe fatale. S'il ne Teut rejetee, il aurait revto,
comme nous, les traits d'un animal immonde ; Ulysse, n'eilt point
appris par lui un si grand malheur, et ne serait pas venu trouver
la d^esse pour nous venger. Mercure, qui le prolegeait, lui avait
donne une fleur dont la feuille est blanche, la racine noire, et que
les Immortels appellent moly. Muni de ce pr^ervatif et des conseils
de ce dieu, il entra dans le palais de Girc^. Gonvie au perfide breu-
vage, il ecarta la main de la deesse, qui voulut en vain approcher sa
Adjicit. Accipimus sacra dala pocula dextra.
« QuaB simul areuti sttientes hausiraus ore^
Et tetigit summos virga dea dira capillos
(Et pudet et referam), selis horrescere coepi,
Nec jam posse loqui; pro \erbis edere raucum ^()
Murmui\ et in terram toto procumbere vultu;
Osquemeum sensi pando occallescere rostro;
CoUa tumere toris; et qua modo pocula parte
Sumpta mihi fuerant, illa vestigia feci,
Cumque eadem passis (lantum medicamina possunt!) : ^^
Claudor hara; sohimque suis caruisse fig^ura
Vidimus Eurylochum; soliis data pocula fugit.
Quse nisi vitasset, pecoris pars una manerct
Nunc quoque seligeri; nec tanlaj cladis ab illo
Cerlior ad Circen uUor venisset Ulysses. "^)
Pacifer huic dederat florem Cyllenius album .
Moly vocant Superi ; nigra radice tenetur.
Tutus eo, monitisque siraul coBlestibus intrat
lUe domum Circes, et ad insidiosa vocatus
Pocula, conantem virga mulcere capillos 291»
LIVREXIV. 543
baguette de ses cheveux, et il tira son epee. La deesse, effrayee,
lui donna sa main et sa foi. Ulysse, admis dans sa couche, exigea
pour dot qu'elle lui rendit ses malheureux compagnons. Elle re-
pandit sur nous les sucs puissants d'une herbe b^nignei frappa
nos tStes de Tautre bout de sa baguette, et profera des mots qui
eontrariaient Teffet des premiers. A mesure qu'elie les pronongait,
nos corps s'eleverent au-dessus du sol, nos soies tomb^renti nos
pieds cesserent d'Mre fourchus, et nos epaules reparurent avec
nos coudes et nos bras. Nous m^lames nos larmes a celles d'Ulysse
en Fembrassanti et nous restsimes suspendus a son cou. Nos pre
inif^res paroles furent Texpressidn de notre reconnaissance.
a Nous passames une aiinee enliere aupres de Girce. Pendant ce
long sejour, je vis un grand nombre de faits merveilleux, et beau-
coup d'autres me furent racontes. En voici un que je tiens de
Tune des quatre femmes associees par elle a ses affreux mysteres.*
Tandis que la d6esse etait retenue seule aupr^ d'Ulysse, cette
suivante me montra, dans un lieu saint, la statue d'un jeund
homme en marbre blanc, portant un pivert sur la t^te, et par^e
de mille couronnes. Je lui demandai avec ciuriosite quel ^tait ct>
fteppulit, et stricto patidam detelruit ensc.
Inde tldes, dextracque datse; thalamoque rcccptus
Conjugii dotem, sociorum corpora, poscit.
Spargimur innocua) succis melioribus herbx^
Percutimurque caput converssB verbere virga*, 3(10
Verbaque dicuntur dictis contraria verbis.
QuD magis illa canit, magis hoc tellure letati
Erigimur, setOequc cadunt, bifidbsque relinquit
ilima pedes, redeunt humeri, subjecta lacertis
Brachia sunt. Flentem flentes amplectimur illum. ^^
llxremusque ducis collo, nec verba locuti
IJila priora sumus, quam nos testanlia gratos.
k Annua nos illic tenuit niora; multaque prxsens
Tcmpore lam longo vidi, mulla auribus hausi.
lloc quoque cum multis,quod clam nhhi rettulit un i oJO
Quattuor e famulis, ad talia sacra paratis.
Cum ducc namque mco Circe dum sola moratur,
lUa mihi niveo factum dc niarmore sijjnum
Ostendit juvenile, gerens iu vertice picum,
^dc sacra positum, muUi^queinsigne coronis. ^5
544 METAMOnPtlOSES.
jeune homnie, pourquoi on Fhonorait dans un asile sacrd, e
pourquoi sa iete etait surmontee d'un oiseau. c £coute, Macar^
« nie dit-elle : tu vas connaitre par ce recit la puissance de ma
K maltresse. Pr^te-moi une oreille altentive.
« Dans TAusonie regna Picus, fils de Saturne, passionne poui
« les coursiers helliqueux. Sa beaute etait celle de son image. Tu
« peux f en faire une idee par cette statue qui la reproduit fidele-
« mont. Son esprit ^galait sa beaute. Quoique son age ne lui eHi
« pas cncore permis de voir quatre fois les jeux que ia Grece ce-
« lebre tous les cinq ans dans r£iide, ddja ii avait attire ies regards
« des Dryades nees sur les montagnes du Latium. Deja pour lu
« brulaient les Nymphes des fontaines, les Naiades de l'AIbula, du
« Numicus, de T Anio, de i'Almo qui se perd a une faible distance-
« de sa source, du Nar aux ondes rapides, du Farfarus aux deli
« cieux ombrages, ainsi que celies qui habitent ie bois consacre a
« Diane et les lacs d^alentour. Picus dedaigna leurs vceux. li n'e-
« tait sensible qu a ceux de ia Nymphe jadis enfantee, dit-on, par
« Venilie sur ie mont Palatin, et dont Janus au double front fut
« le pere. Des qu'elie fut nubile, elle donna sa main h Picus, pre-
(juis foret, et quare sacra coleretur in iede,
Cur lianc ferret avem qujrrenli et scire voleuti :
« Accipe, ait, Hacarcu; dominxque polentia quss sit
« llinc quoquc disce meie. Tu dictis adjice menlem.
« Picus in au!>oniis, proles salurnia, lerris 320
« llex fuit, ulilium bello studiosus equorum.
« Forma viro quam cernis erat, licet ipse dccorem
« Aspicias, fictaque probes ab imagine vcram.
« Par animus formx, nec adiiuc spectasse per anuos
« Quinquenncm poterat graia quater Elide pugnam. 3'2^
« llle suos Dryudas latiis in monlibus ortas
« Verterat in vullus. lllum fontaoa petebant
« Numina, Naiades, quas Albula, quasque Numici,
« Ouasquc Anienis aquaj, cursuque brevissimus Almo,
« .Narque tulit praceps, et-amcenx Farfarus umbro?, 550
« Quacque colunt scytliica3 regnum nemorale Dianic,
« Finitimosque lacus. Sprclis tamen omnibus unam
« llle fovet Nymphen, quam quoudam in collc lalati
« Dicitur ancipiti pcpcrissc Yenilia Jano.
« Ilxc, ubi nubilibus primum maturuit annii», .V>.'>
« l'ra:pu?i(o cuijclis Laurenti tradita Pico est.
LIVRE XIV, D4*.
a Ur& h tous ses rivdux. Ellc etait d'une rare beaute. Mais son
< talent pour le chant, plus rare encorcs lui fit donncr le nom de
« Canente. Les for^ts et les rochers etaient ravis de ses accenls
« Ils charmaient les bStes sauvages, arr^taient le cours des fleuves
c et suspendaient le vol des habitants de Tair.
a Sa voix modulait de suaves accords au moment ou Picus, sorti
« de son palais, se disposait a percer de ses traits les sangliers qui
« peuplent les champs de Laurente. II pressait les flancs d un
cr coursier fougueux, et portait dans sa main gauche deux javelots.
« Une agrafe d'or altachait a son^paule une chlamyde de pourpre.
« Le hasard avait conduit la Olle du Soleil dans la m^rae foret.
« Eile avait quitte les campagnes qui ont pris son nom pour
« cueillir de nouvdles herbes sur ces collines f^condes. Gachee
« dans les broussailles, elle vit le jeune chasseur et demeura inter-
« dite. De ses mains tomberent les plantes qu'elle avait cueillies,
« et un feu rapide circula dans ses veines. D^ qu'elle fut revenue
« de son trouble soudain, elle voulut faire Taveu de sa flamme ;
« mais la vitesse du coursier de Picus et ses gardes rempSchSrent
« d'arriver jusqu'a lui. — Quand m^me tu serais emporte par les
« vents, s'ecria-t-el!e, tu ne m'echapperas pas, si je me connais
« Rara quidem facie, sed rarior arte canendi.
« Unde Canens dicta est. Silvas et saxa movere,
« Et mulcere feras, et flumina longa morari
ff Ore suo, volucresque vagas retinere solcbai. 346
« Quae dum feminea modulatur carmina voce,
« Eiierat tecto laurentes Picus in agros,
« Indigenas fi&urus apros, tergumque premebat
« Acris equi, laevaque hastilia bina ferebat,
< Puniceam fulvo chlamydem contractus ab auro. 345
« Venerat in silvas et filia Solis easdem,
« Utque novas legeret fecundis coUibus herbas,
« Nomine dicta suo, circsa reliquerat arva.
« Quae simul ac juvenem, virgultis abdita, vidit,
« Obstupuit. Cecldere manu, quas legerat, herbse, 350
« Flammaque per totas visa est errare meduUas.
« Ut primum valido mentem collegit ab sstu,
• Quid cuperet, fassura fuit. Ne posset adire,
« Cursus equi fecit, circumfusnsque satelles.
« — Non tamen effugies, Tento rapiare licehit, 355
« Si modo me novi, si noo evanait omai«
546 MfiTAMORPIIOSES.
« bien, si la vertu des planles n'est pas evanouie, et si mes en •
« chantements ne m'abusent point. — A ces mots, la deesse fa -
« brique un fantdme de sanglier qu*elle pousse rapidement sous
« les yeux du roi, et qui semble s'enfoncer dans Tepaisse foret, k
« Tendroit ou les arbres, plus serr6s, ne laissent aucun passage au
« coursier. Dupe de cette illusion, Picus poursuit rombre d'une
6 proie. II quitte soudain son coursier fumant. Entrain^ par um
« esperance vaine, 11 erre k pied au fond de la forSt.
« Girc^ commence ses formules et prof^re des paroles magiques.
« Elie invoque de myst^rieuses divinites par ces chants etranges
« qui souvent obscurcirent Teclat de la Lune et couvrirent de
(I nuages le front du Soleil. Alors aussi, aux accents qu^elle fait
« enlendre, un voile s'etend sur le cid et des vapeurs s'exhalent
« de la terre. L'escorte du roi s'egare dans de sombres chemins,
« et sa garde est deja loin de lui. La deesse profite du lieu et du
« moment. -— Par tes yeux qui m'ont. seduite, dit-elle, par ces
« charmes qui forcent une d^sse a tomber a tes pieds, 6 toi leplus
« beau desmortels ! sois touch^ de ma flamme. Accepte pour beau-
« pere le Soleil dont les regards embrassent Tunivers. Ne de-
« Herbarum virtus; ncc me mea carmina fallunt.
« — Dixit, et efllgiem, nuUo cum corpore, falsi
« Finxit apri, prajterque oculos transcuv.rore regi.')
« Jussit, et in densum trabibus nemus ire videri, r>H()
« Plurima qua silva est, et equo loca pervia non sunt.
« Haud mora, conlinuo prjedaj petit inscius umbram
« Picus, equique celer fumantia lerga relinquit,
« Spemquo sequens vanam, silva pedes errat in aita.
« Concipit illa preces, et verba venefica dicit, r»t>;i
« Ignotosque deos ignoto carmine adorat,
« Quo solet et niveae vultum confundere luna?,
« Et patrio capiti bibulas subtexere nubes.
« Tunc quoque cantato densatur carmine cceium,
« Kt nebulas exhalat humus, caecisquc vagantur r>70
K Limitibus comites, et abest custodia regi.
« Nacta locum tempusque : — Per o lua lumina, dixil,
« Quaj mea ceperunt, perque hanc, pulcherrime, forniam,
« Quie facit ut supplex tibi sim, dea, consule nostris
« Ifrnihus, et socerum, qui pervidet omnia Solem Tu,*
9 Accipc, nec durus titanida despice Circen.
LIVRE XIV. 547
« daigne pas sa fille. •— Elle dit. Mais Picus repousse fiSrement
« Circe et ses pri^res. — Qui que tu sois, repond-il, je ne puis
« fappartenir. Une autre ine possede ; et puisse-t-elle longtemps
« me posseder ! Je ne profanerai jamais mon amour par des feux
<c illegitimes, tant que les Destins me conserveront la Olle de
« Janus. — Circ6 insiste encore. — Ton dedain ne restera pas
« impuni, s'ecrie-t-elle ; tu es perdu pour Canente. Tu sauras ce
« que peut une amante, une femme outragee, quand cette amante,
(( quand cette femme outragee est Circe. — En achevant ces mots,
« elie se tourne deux fois vers roccident et deux fois vers rorient.
« De sa baguette elle touche trois fois le jeune prince, et profere
« trois fois des paroles magiques. 11 fuit. £tonne de sa vitesse
« extraordinaire, il s'aper^oit qu'il a des ailes. Nouvel oiseau, il
« vole aussitdt vers-les for^ts du Latium. Dans son indignation, ii
« perce les ch^nes de son bec, et sa colere s'exerce conti^e leurs
« rameaux. Lapourpre de sa chlamyde se reproduit sur ses ailes;
« Tor de son ancienne agrafe rehausse d'un vif eclatsonplumage
tf et son cou. De Fantique Picus ii ne resle plus que son nom.
< Cependant ses amis le redemandent aux campagnes par mille
« Dixcrat. llle ferox ipsamque precesque repellit,
R Et: -^ Quiccumque es, ait, aon sum tuus. Altera captum
« Me tenet, et teneat per longum, comprecor, oevum.
« Nec venere externa socialia foedera laedam, 580
« Dum mihi janigenam servabunt fata Canentem. —
« SaBpe relentatis precjbus Titania frustra :
« — Non impune feres; neque enim reddere Canenti;
« Lscsaque quid faciat, quid amans, quid femina, disces
« Ilcbus, ait; sed amans, et liesa, ct femina Circe.— 3H5
« Tum bis ad occasum, bis se convertit ad orlum;
'< Ter juvenem baculo tetigit; tria carmina dixit.
« Ille fugit, sese solito velocius ipse
« Currere miratus, pennas in corpore vidit;
« Seque novam subito laliis accedere silvis 390
« Indignatus avem, duro fera robora rostro
ft Figit, et iratus longis dat vulnera raifiis.
« Purpureum chlamydis pennsB traxere colorem;
« Fibula quod fuerat, vestemque momorderat :urum,
« Pluma fit, et fulvo cervix praecingitur auro, 395
« Nec quidquam antiqui Pico, nisi nomina, re^tat.
c Interea comites clamr'« o s»pe per agros
548 METAMORPHOSES.
« cris. Us ne le trouvenl nuUe part ; mais ils renconlrenl Circe.
« Car elle avait enfin eclairci les airs et permis aux vents et au
« soleil de dissiper les nuages. Ils raccablent de justes reproches
« et r6clament leur roi ; ils recourent a la violence, et, dans leur
« fureur, s'apprMent a la frapper de leurs annes. Circe repand ses
« sucs funestes et ses poisons mortels. Du fond de rfirebe et du
« Chaos elle appelle la Nuit avec tous les dieux de la Nuit, et in-
« voque H^cate par de longs hurlements. 0 prodige! la for^t
« change de place; la terre gemit, les arbres voisins p&lissent, le
« gazon distille des gouttes de sang; les rochers semblent mugir,
« les chiens aboyer, d^affreux repiilc? souiller le sol, etles ombres
« des morts voltiger dans les airs. Les sold^ts epouvanles fre-
« missent. La deesse frappe de sa baguette magique leurs tetes
« ^tonnees. Son contact m^tamorphose les compagnons de Picus
« en diverses bfites sauvages, sans laisser le moindre vestige de
« leur' premiere forme.
« Le soleil, a Toccident, touchait au rivage de Tartesse. Canente
« appelait son epoux en vain. Son coeur et ses yeux le cherchaient
« partout. Ses esclaves et le peuple parcourent avec des forches
« Nequicquam Pico, nullaque in parte reperlo,
« Inveniunt Circen. Nam jam tenuaverat anras,
« Passaque erat nebulas ventis ac sole resolvi. iOO
« Criminibusque premunt veris, regemque roposcunl,
« Vimque ferunt, saevisque parant incessere telis.
« lllanocens spargit virus, succosque veneni;
« Et noctem, Noctisque deos Ereboque Chaoque
« Convocat, et longis Hecaten ululatibus orat. 40j
« Exsiluere loco (dictu mirabile) silvae ;
« Ingemuitque solum, vicinaque paliuit arbos;
« Sparsaque sanguineis maduerunt pabula gulti:>;
« Et lapides visi mugitus edere raucos,
« Et latrare canes, et humus serpentibus atris 410
« Squalere, et tenues animne volitare silentum.
n Attonitum monstri vulgus pavet. lUa paventum
« Ora venenata letigit miranlia virga.
« Cujus ab attactu variarum monstra ferarum
« In juVenes veuiunl : nuUi sua mansit imago. 41,"»
« Presserat occiduus tartessia litlora PhoBbus,
« Et fruslra conjux oculis animoque Canentis
« rixspectatus erat. Famuli populusque per omncs
LIVRE XIV. 540
f tous les recoins de la for^t. Cetait peu pour la Nymphe de r^
ff pandre des larmes, d'arracher ses cheveux, de pousser des ge-
ff missements. Outre ces temoignages de sa douleur, elle sortit de
ff son palais eperdue, et erra dans les champs du Latium. Durant
« six jours et six nuits elle s'abstint de sommeil et de nourri-
« ture, egarant ses pas sur les collines et dans les vallons. Le Tibre
ff la vit enfm tomber de douleur et de fatigue sur ses verdoyantes
« rives. La, baignee de larmes, d'une voix afTaiblie elle modulait
« des chants lugubres, comme le cygne prelude a sa mort par de
« fun^bres accents. Le chagrin tarit en elle les sources de la vie ;
< elle se dessecha insensiblement et s'^vanouit dans les airs. Mais
H la renomm^ a consscre le th^Mre de son malheur. Les anciens
< habitants de ce lieu, pour immortaliser le nom de la Nymphe,
« Tont appele Canente. » Pendant une annee entiere j'ai appris ou
vu beaucoup de semblables merveilles. Engourdis par rinaclion,
nous avions oublie la mer, lorsque nous regumes Tordre de raf-
fronter de nouveau et de mettre a la voile. La fiUe du Soleil nous
avait annonce quMl nous restait encore des traversees incertaines,
de longues courses et des dangers a subir sur les flots en courroux.
« Discurrunt silvas, atque obvia lumina porlanl.
« Nec satis est Nymphae flere, et lacerarc capillos, 4S^
« Et dare plangorem (facit baec tamen oiiinia); sese
« Proripit, ac latios errat vesana per agros.
« Sex illam noctes, totidem redeuntia solis
« Lumina viderunt inopem somnique cibiquc,
« Per juga, per valles, qua fors ducebat, euntem. 423
« Ullimus aspexit fessam luctuque viaque
« Tibris, et in gelida ponentem corpora ripa.
c Ulic cum lacrymis ipso modulata dolore
« Verba, sono tenui moerens, fundebat, ut olim
« Carmina jam moriens canit exsequialia cycnus. 430
« Luctibus extremum tcnucs liquefacta medullas
« Tabuit, inque leves paulatim evanuit auras.
« Fama tamen signata loco est, quem rite Canentem
c Nomine de Nymphrc veleres dixere coloni. »
Talia multa mibi longum narrata per annum, 435
Visaque sunt. Resides et desuetudine tardi
Rursus inire fretum, rursus dare vela jubemur;
Ancipitesque vias, et iter Titania vastum
Dixeral, et saivi reslarc pericula ponfi.
550 METAMORPHOSES.
La crainte me saisit, je ravoue, et, descendu sur cette terre, je
m'y suis attach^. »
GOMPAGNONS DE DIOm£:DE CHANG£s EN OISEAUX.
IV. Lorsque Macaree eut cesse de parler, on enferma la depouille
de la qourrice d'fin^ dans une urne de marbre avec cette courle
epitaphe sur son tombeau :
D'£nce envers sa nourrice Caiele
Admire ici le pieux devouement :
' II roe sauva des Grecs, et par cc monumcnt
De sa reconnaissance il acquitta la dette.
Les Troyens d^tacherent le cable qui retenait leur navire, et,
laissant loin d'eux les artifices et le palais de Tinfi^me deesse,
ils se dirig^rent vers le bois qui ombrage le Tibre avant qu'il
porte a la mer ses ondes limoneuses. Re^u sous le toit de La-
tinus, fils de Faune, finee obtint la main de sa fille par une
lutte terrible. Un peuple belliqueux lui fit la guerre, et Turnus,
furieux, reclama Tepouse qu'on lui avait promise. La Toscane
inonda le Latium, et Ton se disputa longtemps la victoire. Cha-
que armee s'accrut de forces etrangeres. La cause des Rutules
et celle des Troyens eut de nombreux defenseurs. Enee ne se
Pertimui, fateor, nactusque lioc littus adliajsi. » 440
mOMEDIS SOCII IN AVES MUTANTUR.
IV. Finierat Macareus, urnaque ajneia nutrix
Condita marmorea, tumulo brcvc carmen habebal:
Hic me Caieten notse pietatis alumnus
Argolico ereptam qiio dehuil igne cremavit.
Solvitur herboso religatus ab aggore funis, Tii;»
Et procul insidias, infamataeque relinquunt
Tecla deaB, hicosque pelunt, ubi nubilus umbra
In mare cum flava prorumpit Tibris arena,
Faunigenaequc domo potilur nataque Latini,
.\on sine marle tamen. Bellum cum genle feroci VM)
Siiscipitur, pactaque furit pro conjugc Turnus.
Concurrit Latio Tyrrhenia tota, diuque
Ardua sollicitis victoria quaeritur armis.
Auget uterque suas externo robore vires,
Et multi Rutulo-i, multi irojana tnenlur i:,:i
LIVRE XIV. 651
rendit pas vaineihent au palais d'£vandre. Mais V^nulus ^oua
aupr^s du redoutable Diom^de, qui, depuis son alliance avec le
.roi de riapygie, avait eleve de superbes remparts dans les terres
que sDn epouse eut pour dot.
Lorsque V^nulus, charg^ de ce message, demanda des secours
au lieros de Tfitolie, celui-ci s'excusa, en alleguant qu'il ne vou-
lait i>oint exposer aux hasards des combats les sujets de son
beau-pere, et que ses compagnons ^taient en trop petit nombre
pour leur faire prendre les armes. « Ne croyez pas, dit-il, que ce
soit un vain pretexte. Quoique de tristes souvenirs me penetrent
d'une douleur amere, j'aurai la force de les rappeler. La fiere
Pergame avait p^ri et Troie s'6tait abimee dans rincendie allum^
par lesGrecs. Ajax, coupabIed'avoir arrach^ une vierge du temple
de Minerve, altira sur les Grecs la peine que seul il avait meritee.
Dispers^, emport^ par les vents sur des mers ennemies, nous
eAmes a lutter contre la foudre, les ten^bres, la pluie, et tout le
courroux du del et de la mer. Gapharee mit le comble a notre
d^stre. Je ne m^arr^terai pas a d^crire la iongue suite de mes
deplorables aventures. La Grece alors put parailre digne de pitie,
mtoe a Priam. Gependant i'appui de Pallas me sauva des flots.
Castra. Neque ^neas Evandri ad limina frustra,
At Venulus frustra magni Diomedis ad urbem
Venerat. lUe quidem sub lapyge maxima Dauno
Moenia condiderat, dotaliaque arva tensbat.
Sed Venulus Turni postquam mandala peregit, 460
Auxiliumque petit, vires ffitolius heros
Excusat, nec se soceri committere pugnse
Velle sui populos, nec, quos e gente suorum
Armel, habere viros : « Neve hac commenta putetis.
Admonitu quanquam luctus renovantur amaro, 465
Perpetiar memorare tamen. Postquam alta cremata est
liion, et danaas paverunt Pergama flammas,
Maryciusque heros, a virgine virgine rapta,
Quam meruit solus pcenam digessit in omnes,
Spargimur, et ventis inimica per aequora rapti, 470
Fulmiua, noctem, imbres, iram ccelique rjarisque
Perpetimur Danai, cumulumque Capharea cladis.
Neve morer referens tristes ex ordine casus,
Graecia tum potuit Priamo quoque flenda videri.
Me lamen armiferse servatum oura Minervn 475
552 MfiTAMORPHOSES.
Mais un nouvel exil m'eloigna d'Argos, ma patrie. Irril^e d une
ancienne blessure, Venus s'en vengea cruellement. J'essuyai tant
de maux sur raer et sur terre, que j'enviai souvent le bonheur de .
mes amis entraines au fond des abimes par la tempfete ou par le
redoutable Capharee, et que je regrettai de n'avoir point peri avec
eux. Mes compagnons, epuises par les fatigues de la guerre et des
flots, perdirent courage et demanderent le terme de leur travers^.
Le bouillant Acmon, aigri par nos revers, s'ecria : « Gompagnons,
« que reste-t-il maintenant qui puisse 6tonner votre courage? Quels
« coups V^nus peut-elle tenir en reserve, si toutefois elle songe a
« nous frapper? La crainte d'un surcroit de maux n'exclut pas
« Tesperance. Mais, au comble de Tadversite, on foule aux pieds
« la crainte, et la securite nait de Texces du malheur. Qu'iraporle
« que Venus m'entende et qu'elle poursuive de son ressenliment
« tous les amis de Diomede? Nous le meprisons, et nous pouvons,
« sans beaucoup d'efforts, parvenir a une grande puissance! »
« Ces paroles d'Acmon raniraent le courroux de Venus et res-
suscitent sa vieille haine. EUes sont a peirie applaudies par quel-
qnes Grecs. Le plus grand nombre les condamne. II allait parler
Fluclibus eripuit. Patriis sed rursus ab Argis
Pellor, et antiquo meraores de vulacre poenas
Exigit alma Venus. Tantosque per alta labores
iEquora sustinui, tantos terrestribus armis,
Ut mihi feliccs sint illi ssepe vocati, 4S0
Quos communis hiems, importunusque Capharcus
Mersit aquis, vellemque horum pars una fuissem.
Ultima jam passi comites belloque fretoque,
Deficiunt, fmemque rogant erroris. At Acmon
Fervidus ingcnio, tura vero et cladibus asper : 4So
« Quid superest, quod jam palientia vestra recuset
« Ferre, viri? dixit. Quid habet Cytherea, quod ultra
« (Velle puta) faciat? Nam dum pejora timentur,
« Ei>t in vota locus. Sors autem ubi pessima rerum,
« Sub pedibus timor est, sccuraquc summa malorum. i90
« Audiat ipsa, licet; licet, ut facit, oderit omnes
« Sub Diomede viros. Odium tamen illius omnes
« Spernimus, et parvo stat magna potentia nobis. »
« Talibus invitam Venerem Pleuronius Acmon
Instimulat verbis, vetcremque resuscitat iram. IMLi
Dicla placent paucis; numeri majoris amici
LIVRE XIV. 553
encore; mais sa\oix diminue et son gosier se resserre. Sa clie<
velure se change en un plumage qui couvre son cou, son sein et
son dos; sur ses bras replies naissent des ailes ; des doigts rem-
placent ses pieds, et sa bouclie s*allonge en un bec dur et pointu.
A la vue de cette m^tamorphose, Lycus, Idas, Nyct^e, Rethenor et
Abas restent immobiles d'etonnement. Mais, au milieu de leur
surprise, ils subissent le mtoe changement. La plupart de nies
compagnons, egalement transform^s en oiseaux, voltigent et frap-
pentlesramcs de leurs ailes. Si vous me demandez quels etaient
. ces oiseaux cr^^s soudain, ce n'etaient pas des cygnes, mais ils en
avaient la blancheur. A peine arrive dans ces contrees et devenu
le gendre de Daunus, j'ai regu de lui les arides campagnes dc
riapygie ; mais je ne les habite qu'avec un faible rieste de mes
compagnons. i*
PATRE d'aPDL1E TRANSFORMB EN OLIVIER SADVAGR.
V. La finit le recit de DiomMe. Venulus quitta le royaume de
Calydon, le pays des Peucetiens . et les chartips de la Bfessapie.
11 y vit des grotlcs couvertes d'epais ombrages et d'ou Vom
Acmona corripimus. Cui respondere paranti
Vox pariter, vocisque via est tenuata, coma^que
In plumas abeunt, plumis nova colia teguntur,
Pectoraque, et tergum; majores brachia pennas 500
Accipiunt, cubilique leves sinuantur in alas;
Magna pedum digitos pars occupal; oraque cornu
Indurata rigent, finemque in acumine ponunt.
Hunc Lycus, hunc Idas, et cum Rethenore Nyctius,
Hunc miratur Abas, ct, dum mirantur, eamdem •'iOi'»
Accipiunt faciem, numerusque ex agmine major
Subvolat, et remos plausis circumsonat alis.
Si volucrum qusB sit subitarum forma requiris,
Ut non cycnorum, sic albis proxima cycnis.
Vix equidem has sedes, et lapygis arida Dauni ^IO
Arva gener teneo minima cum parte meorum. »
PASTOR APULIiE IN OLEASTRDM VERTITUR.
V. Hactenus (Enides. Venulus calydonia regna,
Peucetiosque sinus, messapiaque arva relinquiU
In quihus nntra vidct, qu» multa nubiia silva.
55i U^TAMORPHOSES.
distillait goutte a goutte. EUes etaient la demeure de Pan, aprb
a?oir ^t^ jadis celle des Nymphes. Un berg^ d'Apulie les ayaot
epouvanl^es, elles prirent la fuite. Quand elles furent revenues de
leur frayeur soudaine, elles m^pris^nt les poursuites du pfttre
et se mirent k danser. II se moqua de leurs pas, et, les contre&i-
sant par des sauts rustiques, il joignit de grossiers outrages a des
paroles obsc^nes, et ne se tut qu'au moment ou rdoorce d'un arbre
enyeloppa sa gorge. Metamorphose en olivier sauvage, il atteste par
ses fruits la nature de son caraclere : leur amertume expnme
celle de ses discours et en reproduit l'dpret6.
TAISSBAUX d'en£e GHANG£s EM NniPHBS.
VI. Les deput^s, a leur retour, annonc^rent lereius de Diom^e.
Les Rutules, quoique priv^s de son appui, affrontent les hasards
de la guerre, et des ilots de sang coulent de toutes parts. Tunios
embrase les vaisseaux troyens : ceux que Tonde a ^pargu^ crai-
gnent Tincendie. II d^vore la poix, la cire et toutes les malieres
capables de ralimenter. Du mdt il monte jusqu*aux Toiles, et les
Et levibus guttis manantia, semicapcr Pan 515
Nunc teaet; at quodam tenuerunt tonrjpore Nymphae.
Appulus has illa pastor regione fugatas
Terruit., ct primo subita formidine movit.
Mox, ubi mens rediit, et contempsere sequcntem,
Ad numerum motis pcdibus duxere choreas. 520
Improbnt has pastor, saltuque imitatus agresti
Addidit obscenis convicia rustica dictis,
Nec prius obticuit, quam gultura condidit arbor.
Arbor enim est, succoque licet cognoscere mores;
Quippe notam lingux baccis oleaster amaris 525
Exhibet : asperitas verbonim cessit ib illas.
MSEJE NAVES NTMPHiE FIUNT.
VI. Hinc ubi legati rediere, negata ferentes
Arma o^lola silii, Rululi sine viribus iUis
Bella instructa gerunt; multumque ab utraque cruoris
Parte dalur. Fert ecce avidas in pinea Ttirnus 530
Texta faces, ignesque timent, quibus unda |«5percit.
Jamque picem et oeras, aliraenlaque cwtera flamrns
Mulciber urebat, p.>rque altum ad carbasa malum
l
LIVRE XIV. 555
bancs des ranieurs vomissent des tourbillons de fumee. l'auguste
m^re des dieux se souvient alors qu'ils ont et6 construits avec des
pins de llda. L'air retentit du bruit aigu des cymbales d^airain et
des sons de la trompette. La d4esse s'^lance sur son diar traine par
deslions dociles au frein, et s'toie : c Ton bras sacril^e, Turnus,
propage en vain rincendie. Je d^roberai cetteflotte a ta fureur, et
je ne souffrirai pas que le feu eonsume ces vaisseaux sortis des bois
qui me sont consacres. » A ces mots, la foudre gronde et la gr^le
bondit avec des torrents de pluie. Les vents troublent les airs et
bouleversent les flots dans leurs luttes terribles. La bienfaisante
Cyb^le n'a recours qu'a un seul de ces agents.pour briser les cables
qui retiennent les vaisseaux troyens. Elle les entralne et les en-
gloutit au fond des abimes. Soudain leur bois s'amollit et revM la
forme bumaine ; les poupes se changent en t^tes, les rames en
doigts et en jambes qui sillonnent les ondes ; les flancs restent ce
qulls etaient; la carene, plongee dans la mer, devient repine du
dos; les cordages se transforment en cheveux flexibles, et lesan-
tennes en bras : leid^ couleur d'azur nesubit point de m^tamor-
Ibat, et incurvae Aunabant transtra carinae,
Quum memor has pinus idaeo vcrtice caesas U35
Sancta deum genitrix, tinnitibus aera pulsi
JEns, et inflati complevit murmure buxi,
Pcrque leves domitis invecta leonibus auras :
« Irrita sacrilega jactas inccndia dextra,
Turue, ait. Eripiam, nec me patiente cremabit 54<)
Ignis edax nemorum partes et membra meorum. »
Intonuit, dicenle dea, tonitrumque secuti,
Cum saliente graves ceciderunt grandine nimbi ,
Aeraque, et subilis tumidum concursibus sequor
Astrsei turbant et eunt in prselia fratres. .'ii.T
E quibus alma parens unius viribus usa,
Sluppea pra^rumpit phrygiae retinacula classis,
Fertque rates pronas, medioque sub xquorc mcrgit.
Robore mollito, lignoque in corpora verso,
In capilum faciem puppcs mutantur aduncse; 550
In digilos abeunt ct crura natantia renii ;
Quodque prius fucral, lalus est; mcdiisque carina
Subdita navi^ii!!i, spinae mutatur iii u<runi :
'Lina couiSR inoIie!>, antrnmc brachia n':ri(:
Cxrulus, ut fuerat, color esl; qua^qu*' ante tmicbant, 555
556 MfiTAMORPHOSES.
phose. De jeunes Nereides se jouent au sein des m^mes eaux
qu'elles redoutaient naguere. Nees sur d'Apres montagnes, elles
habitent les flots mouvants : leur origine ne leur arrache aucun
regret. Gependant les nombreux dangers qu'elles ont couru sur la
mer ne s^ffacent point de leur memoire. Souvent elles secoureot
les navlres battus par la temp^te, excepte ceux des Grecs : le
souvenir des malheurs de Troie les leur rend odieux a jaraais.
Elles virent d'un oeil satisfait les debris du vaisseau dTlysse;
elles virent avec une egale joie celui qull regut d*Alcinous de*
venir immobile et prendre la forme d'un rocher,
OISEAU ME DES CENDRES DE LA VILLE d'aRD£E.
Vn. Les vaisseaux etaient devenus des Nymphes. On pouvail
esperer quVffraye de ce prodige, le roi des Rutules renoncerait
a la guerre. Mais il persista. Chaque parti avait des dieux pro-
pices, et, ce qui equivaut aux dieux, un courage intrepide. Ce
n'6tait plus un royaume pour dot, ni le sceptre d'un beau-
pere, ni toi-m6me, Lavinie, quMIs convoitaient ; c'etait la victoire.
La lionte de poser les armes prolongeait les combats. Venus vit
enfm triompher celles de son fils. Turnus succomba, et avec lui
l.las viryineis exercent lusibus undas
K.iidcs ajquoreae; durisque in monlibus ortae
Molle fretum celebrant; nec eas sua tangit origo,
Non lamen oblitae, quara multa pcricula sajvo
Pertulerint pelago, jactatis saepe carinis ItiM)
Supposuore maniis, nisi si qua vehebat Achivos.
Cladis adbuc phrygia} memores, odere Pelasgos;
Neriliajque ratis viderunt fragmina laitis
Vultibus, et la,'ta8 videre rigescere puppim
Cautibus Aicinoi, saxumquc increscere ligno. .*UJfi
EX CINERIBUS URBIS XHDEJE OPITUR AVIS.
VII. Spes crat, in Nymphas animata classe marinas,
Posse metu monstri Rutulum desistere bello.
Perstat; habctque deos pars utraque, quodquc deorum
Instar, habent animos. Nec jam dotalia regna,
Ncc soceri sceptrum, nec te, Lavinia virpo, .*»T0
Sed vicisse petunt, deponendiqut' pudore
Bella gerunt. Tandemque Venus viclricia nati
Arma videt, Turnusque cadit* Cadit Ardca, Turno
LIVRE XIV. 51,7
Ard^e, celebre par sa puissance, tant que v6cut Turnus. A peine
eut-elie ete renvers^e par le fer, a peine ses toits eurent-ils dis-
paru dans les flanunes, que du milieu de ses decombres s'elan^i
un oiseau qui parut alors pour la premiere fois, et qui souleva les
cendres du battement de ses ailes. Sa voix, sa maigreur, son man-
teau gns, tout est Tembleme d'une ville prise, II garde encore le
nom d'Ardee, et semble, par ses tressaillements, en deplorer le
destin.
en£e h^tahorpuos^ en dibu.
Vni. Enfin les dieux et Junon elle-mSme, desarmes par la vertu
d'l5nee, avaient 6touffe leurs anciens ressentiments. Le fils de Ve-
nus avait jet6 les fondements de Tempire dujeune lule. Le temps
^tait venu pour lui de prendre place au celesle sejour. Apres avoir
brigue le suflrage des Immortels, V^nus, suspendue au cou de son
pere, lui dit : « Vous qui jamais ne futes inexorable pour moi,
exaucez aujourd'hui mes voeux, je vous en conjure. Qu'fin6e, issu
de notre sang, et fier de vous avoir pour aieul, obtienne un rang
parmi les dieux, fut-ce le plus modeste. Cest assez pour lui d^avoir
une fois vu le hideux empire des M^nes et franchi les eaux du
Sospite, dicta potens. Quam postquam barbarus ensis •
Abstulit, et tepida latuerunt tecta favilla, 57.'i
Congerie e media tuni primum cognita praepes
Subvolat, et cineres plausis everberat alis.
Et sonus, et macies, et pallor, et omnia caplam
Quse deceant urbem. Nomen quoque mansit in illa
Urbis, et ipsa suis deplangitur Ardea pennis. 580'
jENEAS in deum conversus.
VIH. Jamque deos omnes, ipsamque aeneia virtus
Junonem vetcres finire cocgerat iras,
Quum, bene fundatis opibus crescenlis luli,
Tempestivus erat coelo cythereius heros;
Ambieratque Venus Superos, colloque parentis 585
Circumfusa sui : t Nunquam mihi, dixerat, ullo
Tempore dure pater, nunc sis mitissimus oro,
iRnexque meo, qui te de sanguine nostro
Fecit avum, quamvis parvum, dcs, optime, numen,
Dummodo des aliquod. Sntis^est inamabile regnum 560
Aspexisse semel, stygios semel isse per amncs.»
558 MfeTAMOUPHOSES.
Styx. » La cour c^leste applaudit; la reine des dieux cessa de
montrer un visage impassible et consentit en souriant. Jupiter
8'exprima ainsi : « Vous meritez tous deux cette faveur, toi qui
la sollicites et le h6ros pour qui tu rimplores.Regois, mafille,
Thonneur que tu demandes. » Transportee de joie, Venus rend
graces a son pere. Son char, attele de colombes, la transporte dans
les champs de Laurente, k l'endroit m^me ou le Numicius, cou-
ronne de roseaux, se rend a la mer voisine. Elle commande au
fleuve d'enlever a finee ce qu'il a de mortel, et d'emporter silen-
cieusement sa depouille au sein des flols. Le fleuve obeit. Par le
contact de ses eaux il detache d'£nee toutes les souillures terres-
tres, et ne lui laisse qile Tessence divine. Des que le heros est
purifie, sa mere le parfume, repand sur ses levres le nectar
m61e a rambroisie, et le change eu un dieu que le peuple de
Ouirinus honore sous le nom dlndigete. Un temple et des autels
lui sont consacres.
VERTUMNE ET POMONE. — IPHIS ET ANAXARETE.
IX. Des lors Ascagne, connu aussi sous un autre nom, regne
Assensere dii, nec conjux regia viiUus
Immotos tenuit, placatoque annuit ore.
Tum pater : « Estis, ait, ccclesti munere digni;
Qujjeque petis, pro quoque petis: cape, nata, quod optas. » 5'J5
Fatus erat. Gaudet, gratc^^que agit illa parenli;
Perque leves auras junctis invecla columbis,
Litlus adit laurens, ubi tectus arundine serpil
In freta ilumineis vicina Numicius undis.
llunc jubet Enex, quajcumque obnoxia morti, 600
Abluere, et tacito deferre sub ajquora cursu.
(lorniger exsequilur Veneris mandala, suisque,
Quidquid in ^Enea fuerat mortale, repurgat
Et rcspergit aquis : pars optima restitit illi.
Lustralum genitrix divino corpus odore, JOo
Viixit, ct ambrosia cum dulci nectare mixta
Gontigit os, fecitqne deum, quem turba Quirini
Nuncupat Indigetem, temploque arisque recepit.
VERTIJMNUS ET POMONA. — IPHIS ET ANAXARETES.
IX. Inde sub Ascanii ditione binominis Alba,
LIVRE XI Y. 559
dans Albo et sur les Latins. II a pour successeur Silvius. Son fils
Latinus herite d'un nom c^l^bre et d'un ir6ne antique. Apres cet
illustre monarque, on voit tour a tour sur le trdne Alba, Epitus
son fils, Capetus et Gapys; mais Capys avant lui. Tiberinus leur suc^
c^de. Englouti dans le fleuve de Toscane, il lui l^gue son nom, et
laisse deux fils, R^mulus et le fler Acrotas. Remulus, le plus dg^,
p^rit frappe de la foudre pour Tavoir imit^e. Plus sage que son
frere, Acrotas transmit le sceptre au courageux Aventin, qui,
enseveli sur la montagne ou fut etabli son empire, lui donna
son nom.
Enfin Tempire appartenait a Procas, n6 sur le mont Palatin.
Sous son r^ne v^cut Pomone. Parmi les Hamadryades du Latium,
aucune ne fut plus habile dans la culture des jardins, aucune
ne connut mieux celle des vergers : c'est m^me de la qu'elle tire
son nom. Elle n'aimait ni les bois ni les fleuves ; les champs et les
arbres fruitiers avaient seuls des charmes pour elle. Sa main, au
lieu du javelot, portait une serpe. Tant6t elle retranchait le luxe
des rameaux qui s'etendaient trop loin, tant6t elle greffait une
branche sous l'ecorce entr'ouverte, et fournissail d'heureux sucs a
Resque latina fuit. Succedit Silvius illi. 010
Quo satus, antiquo tenuit repetita Latinus
Nomina cum scepfro. Glarum subit Alba Latinum.
Epilos ex illo. Post hunc Capetusque, Capysque,
Sed Capys ante fuit. Regnum Tiherinus ab iilis
Cepit, et in tusci demersus fluminis undis, 615
Nomina fecit aquae. De quo Remulusqne feroxque
Acrola sunt geniti. Remulus, maturior annis,
Fulmineo periit, imitator fulminis, ictu.
Fratre suo sceptrum moderatior Acrota forti
Tradit Avenlino, qui, quo regnarat, eodem G20
Monte jacet positus, tribuitque vocabula monti.
Jamque palatinus summam Proca gentis habeijat,
Regc sub hoc Pomona fiiit. Qua nuUa lalinas
Inler llamadryadas coluil solertius bortos,
Nec fuit arborei sludiosior altera fcelus, tJ2*i
Unde tenet nomen. Non silvas illa, nec amnes;
Rus amat, et ramos felicia poma ferentes.
Nec jaculu gravis est, sed adunca dextera falce,
Qua modo luxuriem premit, et spatiantia passim
Brachia compescit; fissa modo cortice virgam 030
Inserit, et »uccos alieno prebet alumno.
m m£TAM0RPH08ES.
ce rejeton ^tranger. Attentive aux besoins des plantes, elle les
arrosait en conduisant des rigoles a leurs racines alt^rees. Ces soins
l'absorbaient tout enti^re et la rendaient insensible au\ douceurs
de rAmour* Pour se soustraire a la violence des habitants de ces
campagnes, elle fermait Tentree de son jardin et fuyait la pre-
sence des hommes. Que de vaines tentatives ne firent pas poor
obtenir sesfaveurs les Satyres, amis de la danse, les Pans, oouron-
n^ de pin, Silvain, toujours plus jeune que son Age, et le dieu
dont la Daiux ou la nuditS epouvante les voleurs! Yertumne» qui
br^ilait d'un amour plus grand encore, n'eut pas plus de succ^.
Gombien de fois, sous un costume rustique, ne porta-t-il pas une
corbeille d'epis» comme un v^ritable moissonneur ! Souvent sa t^
etait couronnee d'un vert gazon qui semblait fraichement coup6;
souvent, en le voyant arm^ de raiguillon, on eilit jur6 qa'il venait
de d^teler ses boeufs. Tenait-il la serpe, on le prenait pour un
^mondeur. Une ^helle sur T^paule, on aurait cru qu*il allait
cueillir des fruits. Avec T^p^e, c'etait un soldat ; avee la Ugne,
c'6tait un pScheur. A la faveur de mille d^guisements, il s^ouvrit
Nec patitur sentiro sitim, bibtilaeque recurvas
Radicis fibras labenlibus irrigat undis.
Hic amor, boc studium. Veneris quoque nulla cupido.
Vim tamcn agresturo metuens, pomaria ciaudil 655
Intus, ox accessus probibet refugitque viriles.
Quid non et Satyrt, saltatibus apta juventus,
Fecere, et pinu prxcincti cornua Panes,
Silvanusquc, suis semper juvenilior annii:,
Quique deus fures vel falce, vel inguine terret, 640
Ut potcrcntur ea? Sedenim supcrabat amando
Hos quoque Vertumnus, neque erat felicior illis.
0 quoties habitu duri messoris arislas
Corbe tulit. veiiquo fuit messoris imago!
Tempora saipe gerens fteno religala recenli, 645
Descctum poterat gramen vcrsasse videri.
Saepe manu stimulos rigida portabat, ut illum
Jurares fessos modo disjunxisse juvencos.
Falce data, frondator crat, vitjsque pulator;
Induerat scalas, lecturum poma putarcs; 6S0
Miies orat gladio, piscator arundine sumpta.-
Denique per multas aditum sibi saipe figuras
LIVRE XIV. 5G1
eulin uu acces aupres de Pomone, et put jouir du bonlieui* de con-
templer sa beaut^.
Un jour, le front ceint d'un bonnet bariole, un b^ton a la main,
les tempes garnies de cheveux blancs, il se travestit en vieille et
entra dans les riants vergers de Pomone. En admirant ses fruits, il
s'^cria : « Quel art merveilleux ! » Aux ^loges succ^derent quel-
ques baisers, mais bien diffi§rents de ceux qu'eM donn^s une
vieille. D s'assit sur un tertre et regarda avec surprise les bran-
ches pliant sous les tresors de Tautomne. Vis-a-vis, un ormeau
etalait au loin ses rameaux charg^s de raisins deja miirs. li loua
son union avec ia vigne. « Si cet arbre, dit-il, ioujours prive de
compagne, fi)it reste s^pare du sarment, on ne le rechercherait
que pour son feuillage. Si cette vigne, qui embrasse Tormeau, ne
lui etait pas unie, elle ramperait k terre. Gependant son exemple
ue te toucbe pas : tu crains de contracter un doux lien. Ah ! plut
aux dieux que tu le voulusses ! Tu verrais autour de toi autant de
soupirants qu'Hel^ne, autant que la princesse qui suscita les com-
bats des Lapithes, et que Tepouse dTlysse, dont le courage con-
fondit de Idches pretendants. Tu dedaignes ceux qui briguent ta
Kepperit, ul caperet spectatae gaudia formse.
Ille etiam picta redimitus tempora milra,
lonitens baculo, positis ad tempora canis, 65S
As&imulavit anum, cultosque intravit in horlos,
Pomaque mirata est : « Tantoque peritior! » inquit;
Paucaque laudata: dedit oscula, qualia nunquam
Vera dedisset anus, glebaque incurva resedit,
Suspiciens pandos autumni pondere ramos. ^
Ulmus erat contra spatiosa tumentibus uvis;
Quam socia postquam pariter cum vite piobavit :
« At si staret, ait, caelebs sine palmile truncus,
Nil prjBter frondes, quare peteretur, haberet.
Uxc quoque, qus juncta vilis requiescit in ulmo, ^
Si non Uupla foret, terrae acclinata jacerut.
Tu tamen exemplo non tangeris arboris hujus,
Concubilusque fugis, nec te conjungere curas ;
Atque utinam velles! Helene non pluribus esset
Sollicitata procis, nec quae lapitheia movit 670
Praelia, nec conjux timidis audacis Ulyssei.
Nunc quo^uc, quum fugias averserisquc pctcnlos,
562 METAMORPHOSES.
niain ; et pourtant millerivaux la convoilent, desdemi-dieux, des
Immortels et toutes les divinites des montagnes d'Albe. Mais, si
tu es sage, si, pour former un heureux hymen, tu veux pr^ter To-
reille aux conseils d'une vieille qui te cherit plus que les amants,
plus que tu ne le crois, repousse des ilammes vulgaires. Choisis
Vertumne ; prends-le pour epoux : je reponds de son amour. II ne
se connait pas mieux que je ne le connais moi-meme. Ce n'est pis
un inconstant toujours errant dans Tunivers : ces lieux seuls lui
plaisent. Bien different de la plupart des poursuivants, la dernierd
femme quMl voit n'est pas celle qu'il prefere. Tu seras son pr^-
mier et son demier amour ; c'est a toi seule qu'il consacrera sa
vie. U est jeune. U a re^u la beaute en partage, et prend a scn gre
mille formes diverses. 11 rev^tira toutes celles qu'il te plaira. Que
dis-je? n'avez-vous pas les m^mes gouts? N'est-<» pas a lui qu'ap-
partiennent les premices des fruits que tu cultives? Ne re^oit-il pas
les dbns avecjoie? Aujourd'hui ce ne sontni les fruits cueillis sur
tes arbres qu'il desire, ni les delicieuses plantes de ton jardin : il
ne recherche que loi. Prends pitie de ses feux. Crois que, present
en ces lieux, c'e$t lui qui fimplore par ma bouche. Redoute les
Millc proei cupiunl, et seiiiideique, deique,
Et qu:ECUinque tenent albanos numina montes.
Sed tu, si sapies, si te bene jungere, anuuKiuc tl7i»
Hanc audire voles, qu» te plus omnibus illis,
Plus, quam credis, anio} vulgares rejice tajdas,
Verturanumque tori sociura tibi delige. Fro quo
Mc quoque pignus habe; neque enira sibi nolior illc cst^
Quam mihi ; nec toio passim vagus errat in orbe. (180
Jlaec loca sola colit; nec, uti pars mag^na procaruni,
Quam modo vidit, amat. Tu priraus, et ultimus iili
Ardor eriSj solique suos tibi devovet annos.
Adde, quod est juvenis, quod naturale dccoris
Munus habet; forraasque apte fingetur in omncsj <>**^»
El, quod erit jussusj jubeas licet orania, fiet.
Quid, quod araatis idem? quod, quse tibi poma colunlur,
Primus habet, laetaque lenet tua munera dexlra?
Sed neque jam foetus desiderat arbore demptos,
Nec, quas hortus alit, cuw succis raitibus herbas, OlH)
Nec quidquuni, nisi te. lliserere ardenlis, et ipsuin,
Qui petit, ore meo prx>sentera crede precari.
Ultoresquc deos, et pectora dura pcrosara
LIVRE XIV. 563
dieux vengeurs ; redoute le ressentiment de Venus qui hait les
coeurs insensibles, et rimplacable col^re de Nemesis. Pour finspi-
rer plus dc crainte, je vais (car un long age m'a beaucoup appris)
te raconter une aventure trfe-connue dans rile de Chypre : elle
pourra te fl^diir et desarmer tes rigueurs.
« Issu d'une famille obscure, Iphis avait vu Anaxarete, iliustre
rejeton de Tantique Teucer. A son aspect, il s^etait senti consum6
de tous les feux de Tamour. Longteraps il lutta contre son delire ;
mais, ne pouvant le vaincre par la raison, il se rendit en suppliant
au palais d'Anaxarete. La, tant6t il fit a sa nourrice i'aveu d un
amour malheureux, et la conjura, par les premiers soins dcftmes a
sa maitresse, de ne point fermer roreille a ses prieres ; tant6t,
adressant des paroles caressantes a chacune des nombreuses sui-
Tantes de la princesse, d'une voix pressante il invoqua leur appui.
Souvent il confia a des tablettes la tendre expression de son amour;
quelquefois il attacha aux portes des couronnes baignees de ses
larmes, ou s'assit sur le seuil, et accabla d'imprecations les cruels
verrous. Phis souHe que la mer qui s'enfle au coucher des Che-
vreaux, plus dure que le fer sorti des forges de la Norique et que
le roc enracine dans la terre, Anaxarete le meprisa. Ellerit desa
Idalient memoremque time Rhamnusidis iruni.
Quoque magis timeas (etenim mihi multa Telustas 693
Scire dedil), tota referam notissima Cypro
Facta, quibus flecti facile et mitescere possi:*.
«c Viderat a veteris generosam sanguine Tcucri
Iphis Anaxareten, humili de stirpe crealus;
Viderat, et totis perceperat ossibus aestuni. 700
Luctatusque diu, postquam ratione furorem
Vincere non poluit, supplex ad liraina venit.
Et modo nutrici miserum confessus amorem,
Ne sibi dura foret, per spcs oravit alumnae;
Et modo de multis blanditus cuique ministris, 705
Sollicita petiit propensum voce favorem.
Sape ferenda dedit blandis sua verba tabellis;
Interdum madidas lacrymarum rore coronas
Postibus intendit, posuitque in limine duro
Uolle latus, tristique sera» convicia fecit. 710
Surdior illa freto surgentc, cadentibus Haedis,
Durior et ferro, quod noricus excoquit ignii», •
Et saxo, quod adhuc viva radicc tenetur,
m METAMORPUOSES.
flamme, et, joiguant l'outrage a ses dedains su{>erfoe8y elie interdit
m^me respoir a son amant. Iphis ne put supporter de plus loQgs
tourments, et, a la porte de celle qu^il aimait, 11 prononga oesder-
ni^es paroles : < Tu Temportes, Anaxar^te. Tu n'auras phis a
i souffrir mes importunit^s. Pr^pare de joyeux triomphes, fais
€ entendre des cliants de victoire, couronne-toi de laurier. Tu
« remportes, et je meurs! R^jouis-toi, barbare! Gependant tu
« seras forcee de me louer. U y a du moins une chose qoi te
« plaira en moi et qui te fera reconnaitre que je mMtais d'to
« aime. Souviens-toi que mon amour ne finira qu'aTec ma ?ie, et
« que le m^me instant me ravira cette double existence ! La Re-
i nommee ne viendra pas fapprendre ma mort. Ce sera moi-
« m^me, n'en doute pas, qui me montrerai devant toi pour re-
« paitre les yeux cruels de mes restes inanimes. £t vous, 6 dieox!
ff si le sort des mortels vous touche, souvenez-vous de moi. lia
< langue ne saurait exprimer d'autres voeux. Faites vivre mon
< nom dans un long avenir, et ajoutez a ma m^moire ce que vous
< avez retranche de mes jours. >
« A ces mots, les yeux lev^s et les bras tendus vers les portes
Speniit, et irridet, factisque immitibus addit
Verba superbn ferox, et spe quoque fraudat aroantein. 715
^on tulit iropatiens longi tormenta doloris
Iphis, ct ante fores hsec verba novissima dixit :
« Vincis, Anaxarete; neque enint tibi taedia tandcni
K Ulla ferenda mei. Laetos molire triumphos,
« Et Paeana voca, nitidaque incingere lauro. 720
« Vincis enim, moriorque libens. Age, ferrea, gaude.
« Ccrte aliquid laudare mei cogeris, eritque
« Quo tibi sim gratus, meritumque fatebere noslrum.
« Non tamcn ante tui curam finisse memento,
« Quam vitam, geminaque simul mihi lucc carendum. 7%
« Ncc tibi fama mei ventura est; nunlia lcthi,
« Ipse ego, ne dubiles, adero, prsesensque videbor,
« Gorpore ut cxanimi crudelia lumina pascas.
« Si tamcu, o Superi, mortalia fata videtis,
« Esle mci memores (uihil ullra lingua precari IZO
« Suijtinet); et longo facile nt memoremur iu asvu,
« El, quoc dempsistis vila;, dalc tempora famx. •
« Dixil, e^ ad poslcs ornatos saepe coronis,
Humcnles oculos, ct pallida brachia teudens,
LIVUE XIV. 505
qu'il para souvent de couronnes, il altache a leur souunel un cor-
deau, et s'ecrie : « Sont-ce la les guirlandes qui te plaisent, iille
c barbare et cruelle? » En inSme temps il passe sa t^te dans le
noeud, en se tournant encore vers Anaxarete. Le poids de son
corps serre le lacet fatal, et il reste suspendu. Ses pieds, en s'a-
gitant au milieu des convulsions de la mort» frappent la porte qui
semble gemir. EUe s'ouvre et laisse voir' un spectacle affreux. Les
esciaves poussent des cris et se hAtent en vain de le secourir. Son
pere n'etait plus; Us le portent chez sa mere, qui leregoit sur son
sein et presse dans ses bras son ccrps glace. Apr^s avoir exhale
ses plaintes et s'6lre livree a tout le desespoir d'une mere dans
une si grande infortune, elle conduit a travjers l'enceinte de la
ville les tristes funerailles de son fils, et porte sur le bucher sa
malheureuse depouille. La demeure de rinsensible Anaxarele se
trouvait par hasard sur la voie de la pompe funebre. Le bruit des
sanglots parvient a ses oreilles. D^ja un dieu vengeur Tagite. Dans
son trouble : « Voyons, dit-elle, ces tristes obseques. > Aussil6l
elle monte au haut de son palais et se place a une fen^lre ouverle.
A peine a-t-elle apergu Iphis sur le litfunebre, que ses yeux da-
viennenl fixes; elle palit, et le sang se glace dans ses veines. Elle
Quum foribus laquei religaret vincula summis : 735
f Haec tibi serta placent, crudelis et impia? » dixit;
Inseruitque caput, scd tum qnoque vcrsus ad illam,
Atque onus infelix elisa fauce pependit.
Icta pedum molu (repidanlum mortc gementem
Visa dedisse sonum est, adapertaque janua factum 740
Prodidit. Exclamant famuli; frustraquc levatum
(i\am pater occiderat) rcferunt ad limina malris.
Accipit illa sinu, complexaque frigida nati
Membra sui, postquam miserorum vcrba pareutum
Edidit, et matrum raiserarum facla peregit, 7lo
Funera ducebut mediam lacryraosa per uriiem,
Luridaque arsuro portabat raembra fcrclro.
Forte vias vicina domus, qua flebilis ibat
Pompa, fuit; duracque sonus plangoris ad aures
Venit Anaxareles, quam jam deus ullor agebat. "^^
Nola tamen : « Vidcanius, ait, miscrabilc funus, »
Elpatulis iniit teclum sublime fenct^tri.-.
Yjxque bene inipositun: lecto prospcxera'. iphin;
Dcrigucre ocuii, caiidusquc c corpore iauguis,
32
jmi tfculer, mais elle reate iniinobile; elle essaye de deloumerla
tftte, mais dle ue pmi U iuouvoir Peu a peu la diirete (lu marbre,
qui fut toiijoiirs dans soii coeur, cnvatiit ses membrts. Ce n esi
|iis uo€ ilcUan. Sabmine possede eni^re la statue d^AnaKar^e.
On j voit aussi im temple do VenusS^CH/iJirfcf . *i Nympheadofee}
gue le s^uvenir de cetle aTeniure, je t>n supplie, fasse tombef
les dedains et t'unisse -a lon amant ! Pour une telle faveort qoe
les gelees du printemps iie flelrissent jamais les bourgeons de
tes Tergers, et rjue ies Tenli orageux n^^en delruisent jamais l€s
fleurs ! i Des que le dieu habile a rev^lir loules ies formes voit
Vimpuissance de ses paroles. it reprend les grices du jemie ige,
et, depouiliant le masque de la vieillesse» il apparalt a la N|mpbe
daus lout 1'eclat du soleil quand il sort vainqueur du sein des
fiuages et resplendjt sans obst^icle. 11 se prepare a la violence ;
mais 1a vioknce n>st plus iieceiisaire. Sa beaute a diarme Po^
moiie, qui resseul k son tour les blessures qu^eUe a fdtes.
D£ itOVt)LU5 ET DB SOK ifOVSE UERSILIK.
X. Apres la mort de Procas^ rAusonie passe soui le ^cepLre dii
luducto pnLlore^ fugil^ cobiyque rclro 755
Feire pedef, hssit ; eoaata averttire fnltus,
Eoc quaque nba putuil ; pauliiliniqtiei ocf^upat urLug.,
Quod fuii m ilitrd jampridem p«ciare, ^«iiim.
Kefe ea Dctj puie^^ dotnina? >ub inaagine ^iguiia)
St^rriit idliiic Salamb, Veoeris quoque iionuueicijipliiiin i^
Pro?pLciciiii^ kiLibet. Utioruin metuor, o loea, leutoa
Poae^ precor, fi$tiiK, et amafiti juuger^, Nymplic,
ific til}] nec Tflrniim nascdiitB frigu& adaral
Fdioj, nec eicutiiBi riipiiji dor^titi]! Teoii. »
Umi ubj nequidquam forroaa dcus aplui in omaei 16j
li^jditt in juvenem rodiit, et auiUa ilemiL
inBiruittculJi i^ibi; t^U^que j^ppiirujt illi,
Qualis ubi oppo^ila^ uiLidii^aiina ^ih jmago
Eficii nabti. nulbque obstAnte reluiit.
Vimque paraL; >e4 ^i iiou e&! apus, inque ligurii 1T0
i^tpta dei fiymplic e^t, ^l mntua Tuluera ^eniiL^
Aqu£ rniiiiD^ HEDPtrxrtrn CAUOf. — noiiuLus iir mv^
ejt<b(|U£ U3L0it m\\.
1. nioiimu!» au»(iDia& injuiti milea AmuU
LIVRE XIV. 567
crael Amulius, et le vieux Numitor est r^tabli sur son trdne par
ses petils-fils. On jette les fondements de Rome pendant les f^tes
de Pal^s. Tatius ct les Sabins lui font la guerre. Tarpeia leur ouvre
ie chemin du Gapitole, et expie son crime sous un monceau do
boucliers. Les enfants de €ures, tels que des loups ravisseurs,
s^approchent en silence, fondent sur les Romains ensevelis dans le
sommeil, et assiegent les portes que le fils d'IIia avait munies
d'une forte barriere. Mais une de ces portes, ouverte par Junon,
tourne sans bruit sur ses gonds. Venus seule entend tomber les
verrous, et elle Vedt referm^e, s'il n^etait pas defendu a une divinile
de detruire Touvrage d'une autre. Les Naiades d'Ausonie habitaient
une fontaine dont les ondes fraiches baignaientle temple de Janus.
Venus invoque leur appui. Elles accueillent sa l^itime demande,
et font jaillir les eaux de toutes leurs sources. Gependant elles ne
rendaient pas encore inaccessible le temple de Janus en intercep-
tant tous les chemins. Eiies y m^Ient le soufre et le bitume, qui
font circuler la flamme dans les canaux souterrains et jusqu'a ses
plus profondes refraites. Des lors-cettesource, qui le disputait na-
Rexit opes, Numitorque senex amissa nepotum
Nunere regna capit, fe&lisque Palilibus urbis
Moenia condunttir. Tatiusque palresque sabini 77.'»
Bella gerunt; arcisque via Tarpeia reclusa,
Digna animam poena congestis exuit armis.
Inde sati Curibus, tacitorum more luporum,
Ore premunt voces, ct corpora vicla sopore
Invadunt, portasque pelunt, quas objice firma 780
Clauserat Uiades. Unam tamen ipsa recludit,
Nec strepitum verso Saturnia cardine fecit.
Sola Venus portae cecidisse repagula sensit,
Et clausura fuit, nisi quod rescindere nunquam
Dis licet acta deum. Jano loca juncta tenebant 78^
Naides ausoniae, gelido rorautia fonte.
Uas rogat auxilium, nec Nymphae jusla pelentem
Sustinuere deam; venusque et fluftina fontis
Elicuere sui. Nondum tamen invia Jani
Ora parentis erant, neque iler pra^cluserat '. nda. 7i)0
Lurida supponunt fecundo sulfura fonli,
Incenduntque cavas fumante bitumine venas.
Viribus his aliisque vapor penetravit ad ima
Fonlis, et alpino modo quae certare rigori
568 METAMORPHOSES.
guAre en fraicheur aux frimas des Alpes, ne le cede plus au feu.
Des doubles porles du temple, alteinles par ces flbts brulanls,
s'6leve la fumee. En vain un passage a-t-il ete ouvert aux belli-
queux Sabins ; ce fleuve nouveau leur oppose une barriere el
donne aux enfants de Mars le temps de prendre les armes. Ro-
mulus s'avance le premier au corabat. Le sol de Rome est jonche
de Sabins et de Romains. Le fer impie confond le sang du beau-
pere et celui du gendre. Par un commun accord, la paix mel fin
aux horreurs de la guerre, et Tatius est associe a 1'empire.
A sa mort, Romulus assujettit les deux peuples aux m^mes lois.
Cest alors que Mars, deposant son casquc, adresse ces paroles ai»
roi des dieux et des hommes : o Mon p^re, la puissance de Rome,
etoblie sur de larges bases, ne depend plus d'un seul chef. U est
temps d'acquitter tes promesses envers moi et ton digne petit-
fils ; il est temps de Tenlever a la terre pour le placer au ciel. Un
jour, dans rassemblee des dieux (je m'en souviens et ton bien-
veillant langage est grave dans mon coeur), tu me dis que tu ne
reservais qu'aRomulus la gloire de s'asseoir parmi les Immorlels.
Daigne accomplir cette promesse. » Le maitre du monde consent
Andebatis, aquae, non cedilis ignibiis ipsis. "9.1
Flammifera gemini funianl aspergine posles;
Porlaque nequidquam rigidis pcrmissa Sabinis
Fonle fuit prxstructa novo, dum martius arma
Indueret miles. QuiTJ postquam Romulus nltrn
Obtulit, et strala est tellus romana sabinis NCO
Corporibus, strata cslque suis; gencrique cruorem
Sanguine cum soceri permiscuit impius ensis.
Pace tamen sisti bellum, nec in ultima ferro
Decertare placet, Taliumque accedere regno.
Occiderat Tatius, populisquc aequala duobus, SOu
Romule, jura dabas, posita quum casside Mavors
Talibus affatur divumque hominumque parentem :
« Tempus adest, genitor, quoniam fundamine magno
Res romana valet, nec praiside pendct ab uno,
Priemia, qux promissa mihi dignoque ncpoti, 810
Solvere, et ablatum terris imponere coelo.
Tu mihi eoncilio quondam prxsente deorum
(Nam mcmoror, memorique animo pia verba notavi),
Unus erit, quem lu tolles in carula cceli,
Dixjsli. Ra!a sit verl)orum summa tuorum, » 81q
LIVRE XIV. 509
d'un signe de tete. Soudain les cieux se couvpent de sombres
nuages ; les ^clairs et la foudre font trembler i'univers. Le dieu
des combats reconnait que ses voeux sont exauc^s. Appuye sur
son javelot, 11 s^^lance avec calme sur son char sanglant qu*em-
portent ses coursiers. 11 les presse du fouet, pr^ipite leurs pas
vers la terre, et s'arr6te sur le mont Palatin qu'ombrage un bois
epais. La, le fils d'Ilia dictait ses lois a son peuple. H Teni^ve. Au
mtoe instant s*i§vanouit dans les airs tout ce que le h^ros eut de
mortel, comme la balle de plomb, lancee par la fronde, se fond et
disparait dans la nue. Sous une forme majestueuse il repose sur
les coussinsdes dieux, semblable a Quirinus revetu de la trabee.
Hersilie pleurait la mort de son epoux. Junon envoie Iris conso-
ler en ces termes la reine afflig^e de son veuvage : c 0 toi, la
gloire du Latium et des Sabins, tu fus la digne coropagne d'un
grand homme ; tu merites maintenant d'^tre celie du nouveau
dieu. S^he tes pleurs. Si tu veux voir ton ^oux, suis-raoi dans le
bois sacre qui s'6I^ve sur le mont Quirinus et ombrage le temple
Ju roi des Romains. » Iris obeit. A travers Tarc nuanc^ de ses
Annuii Omnipotens, et nubibus aera cscis
Occuluit, tonitruque et fulgure terruit orbem.
Quse sibi promissae sensil data signa rapina^,
Innixusque hastae, pressos temone cruento
Impavidus conscendit equos Gradivus, et ictu 820
Verberis increpuit, pronumque per aera lapsus,
Constitit in summo ncmorosi coUe Palati,
Beddentemque suo jam regia jura Quiriti
Abstulit Iliadem. Corpus morlale per auras
Dilapsum tenues; ceu lata plumbea funda ^^
Missa solet medio glans incandescere coelo,
Pulchra subit facies, et pulvinaribus allis
Dignior, et qualis trabeati forma Quirini.
Fiebat tl amissum conjux, quum regia Jur.o
Irin ad Hersiliam descendere limile curvo ^^^
Impera», et vacu» sua sic mandata referro :
« 0 et de latia, o et de genle sabina
Praecipuum, matrona, decus, dignissima tnnti
Ante fuisse viri, conjux nunc csse Quirini,
Siste tuos fletus; et, si tibi cura videndi ^•'^o
Conjugis est, duce inc, lucum pete, colle quirino
Qui viret, et templum romani regis obumbrat. »
Paret» et in Inrrara pictos delapsa per arcus,
32.
570 UtTAMOUPHOSES.
mille couleurs, elle descend vers la terre et transmet a Hersilie les
ordres de Junon. La reine ose a peine lever un oeil modeste : c 0
d^sse ! dit-elle (car s'il m'est difficile de dire qui vous 6tes, je ne
saurais douter que vous ne soyez une divinit^), guidez-moi, oh!
guidez-moi, et montrezHOdoi mon ^poux! Si les Destins me per«
mettent de le voir encore une fois, je me croirai transportee dans
le palais des dieux. > Aussit6t die se dirige avec Iris vers la col-
line consacr^ k Romulus. Une 6toile parait, Tenloure de lumidre,
d^vor^l^es cheveux, et remonte avec elle au cSieste panris. Le fon-
dateur de Rome la re^oit avec amour dans ses bras, et, cbangeant
a la fois sa forme et son nom, il Tappelle Hora. Les Romains
unissent aujourd'hui son culte k cehii de Quirinus.
Hersiliam jussis compellat vocibus Iris.
Illa, yerecando viz loIIeDS lumiDa vultu : 840
• 0 dea (namque mihi, nec quae sis dicere promptum cst;
Et liquet esse deam), duc, o duc, inquit, et offer
CoDjugis ora mihi. Quesi modo posse videre
Fatfr semel dederint, ccelum accepisse fktebor. »
Nec mora, romuleos cum virgine tliaumantea 845
Ingreditur colles. Ibi sidus ab asthere lapsum
Decidit in terras, a cujus lumine flagrans
Hcrsilise crinis cum siderc cessit in auras.
hanc manibus notis romansQ conditor urbis
Excipit, et priscum pariier cum corpore nomen 850
Mulat; lloramque vocat, qu» nunc dea juncta Quiriuo est.
LIVRE QUINZIEME
MTSCllLE, FIL8 D^ALJSMON. — CAILLOUX NOIRS CHANGES EN BIJkNCS.
I. Cependant on cherchait un homme capable de soutenir un
tel fardeau et digne de succeder a un si grand monarque» lors-
que la Benommee, messag^re de la Y^rit^, appela au trone
rillustre Numa. Non content d'aYoir etudie les institutions des
Sabins, son vasle genie embrassait des objets plus 6leves et aspi-
rait a penetrer les secrets de la nature. Gette soif de la science lui
fit abandonner Cures, sa patrie, et Tentraina jusqu'a la ville ou
Hercule avait re?u rhospitalite. II demanda qui avait construitune
ville grecque sur les cdtes dltalie. Un vieillard n^ dans cette con-
tree, et qui en cohnaissait les vieilles traditions, lui repondit en
ces termes :
« Parti des bords de TOcean et emmenant avec lui les riches
Iroupeaux qu'il avait enleves dans riberie, le fils de Jupiter, apres
LIBER QUINDECIMUS
MTSCELDS, ALEMONIS HLIUS. — NIGRI CALCULl IX ALBOS MUTATI.
I. Quseritur interea qui tantae pondcra niolis
Sustineat, tantoque queat succedere rcgi.
Destinat imperio clarum praenunlia vcri
Fama Kuraam. Non ille satis cognosse sabinn-
Gentis hahet ritus, animo majora capaci 1%
Concipit, et quae sit rerum natura requirit.
Hujus amor curse, patria Curibusque relictis,
Fecit, ut herculei penelraret ad hospitis urbeni.
Graia quis italicis auctor posuissel in oris
Mcenia quserenti, sic c senioribus unus 10
Uettulit indigenis, veteris non insrius a^vi : •
« Dives ab oceano bubus Jove natus iboris
Littora felici tenuit lacini:) cursu
572 WETAMORPIIOSES.
une heureuse travers^e, aborda, dit-on, au promontoire de Laci-
nium. Tandis que ses boeufs erraient dans de gras pSturages, ii
entra dans la demeure hospilaliere du puissant Croton et s y re-
posa de ses longs travaux. A son depart, il annonga que dans ces
m6mes lieux ses descendants verraienl s'elever une ville. Sa pre-
diction fut accompHe. Fils d'Alemon et originaire d'Argos, Myscele
fut cheri des dieux plus que tout autre mortel de ce temps. U efait
plonge dans un profond sommeil, quand Hercule lui apparut.
« Hate-toi de fuir ta patrie, lui dit-il, et gagne les bords de
« TEsare qui roule sur un lit rocailleux. » Et il le menaga des
plus terribles vengeances, s'il refusait d'obeir. A son r^veil, I9
vision disparut. Le fils d'AIemon se leve et repasse en silence ce
qu'il vient de voir. Son esprit flotte longtemps incertain. Un dieu
lui ordonne de s*eloigner; mais les lois s'opposent a son depart et
punissent de mort celui qui veut changer de patrie.
« Le Soleil avait enseveli dans rOcean sa tMe fadieuse, et la
Nuit obscure levait son front couronne d'etoiles. Le m^me dieu
se montre a Myscele. U lui renouvelle ses ordres, et, en cas de
refus, lui adresse des menaces plus terribles encore. Saisi d^effroi,
Fertur; et armento teneras errante per herbas,
Ipse domum magni, nec inhospita lecla Crotonis 15
Intrassp, et requie longum relevasse laborem,
Atquo ita discedens, ajvo dixisse nepotum :
« Hic locus urbis erit; » promissaque vera fucrunl.
Nam fuit argolico generatus Alemone qufdam
Myscelus, illius dis acceptissimus aevi. !20
Hunc super incumbens pressnm gravitate soporis
Clavigcr alloquitur : « Patrias, age, desere sedes.
« I, pete, diversi lapidosas ^Esaris undas. »
Et, nisi paruerit, multa ac metuenda minatur.
Post ea discedunt pariter somnusque deusque. S^
Surgit Alemonides, lacitaque recentia mente
Visa rofcrt ; pugnatque diu sentenlia secum.
Numen abire jubet; prohibent discedere leges;
Popnaque mors posila est patriam mutare volenti.
« Candidus Oceano nilidum caput abdiderat sol, 30
Kt capnt extulerat densissima sidereum nox.
Yisus adesse idem deus est, eademque monere;
Ei, nisi paruerit, plura et graviora minari^
LIVRE XV. 573
Ilysc^le se pr^pare a Iransporter ses penates dans d'autres de-
meures. Un murmure eclate dans la ville : on l'accuse de mepri-
ser les lois. Aux yeux des juges son crime parsdt evident; les te-
moins sont inutiles. Dans sa detresse, ii leve les yeux et les mains
versrle ciel : « 0 toi, dit-il, que douze fravaux ont plac^ dans le
« palais des dieux, viens a mon secours, je Ven conjure ; car c'est
« toi qui m'as rendu coupable. » D^apr^ une coutume anlique,
des cailloux blancs et des cailloux noirs servaient a condamner ou
a absoudre. Une sentence falale fut port6e conlre Mysc^le : Furne
impitoyable ii'avait re^u que des cailloux noirs. Mais, a peine
Teut-on renversee pour compter les sufrrages, que tous les cailloux
devinrent blancs. Par cette m^tamorphose, ouvrage d'HercuIe,
Alemon fut proclame innocent. II rendit grAce a Fauteur de sa
d^iivrance ; et, pousse par des vents propices, il vogua sur la mer
d'Ionie, Iai§3ant derriere lui Tarente, fond^e par un Lac^demonien,
Sybaris, le NerMhe qui arrose le pays des Sallenlins, le golfe de
Thurium, Tem^se et les campagnes dlapyx. Apr^s avoir parcouru
les c6tes, il d^couvrit les bouches de Tfisare oii le Destin Tappe-
lail. Pres de la etait le tombeau ou reposaient les augustes restes
Pertimuit, patriumque simul transferre parabat
In sedes penetrale novas. Fit raurmur in urbe, 35
Spretarumque agitur legum reus. Utque peraeta est
Causa prior, crimenque patet sine teste probatum,
Squalidus ad Superos toilens reus ora manusque :
« 0 cui jus coeli bis sex fecere labores,
« Fer, precor, inquit, opem ; nam tu mihi criminis auclor. » 40
Mos erat antiquus, niveis atrisque lapillis,
His damnare reos, illis absolvere culps.
Nunc quoque sic lata est sententia trislis : et omnis
Calculus immitem demittitur ater in umam.
QuiB simul effudit numerandos versa lapillos, 45
Omnibus e nigro color est mutatus in album ;
Candidaque herculeo sententia munere facta
Solvit Alemoniden. Grates agit iile parenti
Amphitryoniadae; ventisque favenlibus aequor
Navigat ionmm, lacedaemoniumque Tarentum 50
Prsterit, et Sybarin, sallenlinumque Nerethum,
Thurinosque sinus, Temesenque, et lapygis arva.
Vixque pererratis, quae spectant littora, terris,
Invenit ssarei fatalia fluminis ora;
Nec procul hinc tumulum, sub quo sacrata Crotonis ^^
574 H£TAM0RPII0SES.
de Croton. Cest \h qu'il b^tit la ville qu'un dieu lui ordonna
de construire, et qui a pris son nom. » Telle est, suivant une
tradition certaine, Torigine de Crolone fondee par les Grecs sur les
confins de ritalie.
TfTflAGORE. — Sk DOCTRINE. — IL EXPOSE LES CHAKGEHERTS ET LES
MeTAHORPHOSES QUI ARRIVENT DANS LA NATURE.
n. La vivait un sage de Samos qui avait fui sa patrie et ses
maitres. La haine de la tyrannie en fit un exile volontaire. £loign^
des regions celestes, il s*elevait par la pensee jusqu'au trdne des
dieux, et son g^nie p6netrait les mysteres que la nature ddrobe
aux regards des humains.. Parvenu a la connaissance universelle
par la mMitation et par de longues veilles, il expliquait a des dis-
ciples silencieux et enthousiastes de son eloquence Torigine du
monde, les principes des ^tres, la puissance de Ia*nature, les attri-
buts de Dieu ; comment se forment la neige et la foudre ; si c'est
Jupiter ou les nuages entr'ouverts par les vents qui produisent le
tonnerre; d'ou viennent les tremblements de terre; quelleslois
regissent les astres : en un mot, tous les secrets de Tunivers. Le
Ossa tegebat humus : jussaque ibi moenia terra
Condidit, et nomen tumulati traxit in urbem. »
Talia constabat certa primordia fama
Esse loci, positaeque italis in finibus urbis.
PYTHAGORiE OPINIONKS DE MDTATIONIBUS ET CONVERSIONIBrs QUAS \AT(IRA RFFICIT
II. Vir fuit hic ortu Samius ; sed f ugerat una 60
Et Samon, et dominos, odioque tyrannidis exsul
Sponte erat. lique, licet cceli regione remotus,
Mente deos adiit, et, qu» natura negabat
Visibus humanis, oculis ea pectoris hausit.
Quumque animo, et vigili perspexerat omnia rura, 6r)
In mcdium discenda dabat, ccelusque silenlum
Diclaque mirantum, raagni primordia mundi,
£t rerum causas, et quid natura, docebat;
Quid Deus; unde nives; quae fulminis esset origo ;
Jupiter, an venti, discussa nube, tonarent; 70
Quid qualeret terias; qua sidera lege mearent;
Et quodcumque latet; primusque animalia mensis
(
LIVRE XV. 575
Dremier ii fit un crime.v.ix hommes de raanger la chair des ani-
maux, et le premier il fit entendre ces doctes paroles k un siecle
sourd a sa yoix :
« Cessez, mortels, de souiller vos corps par des aliments sacri-
leges. N'avez-vous pas les moissons? n'avez-vous pas des arbies
qui ploient sous leurs fruits et des vignes chargees de raisins? Ne
possedez-vous pas des plantes exquisesquelefeupeut adoudr ou
amollir? Le lait et le miel parfume de thym vous sont-ils inter-
dits? La terre, prodigue de ses trdsors et de delicieux aliments, ne
'vous foumit-elle pas une nourriture qui ne coiite ni meurtre ni
sang? 11 n'appartient qu'aux animaux de se nourrir de chair : en-
coren'en font-ils point tous usage. Lecheval, la brebis et le boeuf
broutent rherbe des prairies. Geux qui sont d'un naturel farouche
et sauvage, les tigres, les lions furieux, les loups et les ours, ai-
ment les mets sanglants. Grands dieux ! quel crime d'engIoutir
des entrailles dans ses entrailles, d'engraisser avidement son corps
d'un autre corps, et de vivre de la mort d'un 6tre vivant comme
nous! Eh quoi! parmi tant de biens que produil la terre, la
meilleure des meres, vous n'aimez qu'a imiter les barbares Cy-
Arguit imponi ; primus qnoque talibus ora
Docta quidem solvit, sed non et credila, rerbis :
« Parcite, mortales, dapibus temerare nefandis ?5
Gorpora. Sunt fruges, sunt deducentia ramos
Pondere poma suo, tumidaeque in ritibus uvsb;
Sunt herbae dulces, sunt, quae mitescere flamma,
Moliirique queant; nec vobis lacleUs humor
Eripitur, nec melia thymi redolentia florem, 80
t^rodiga divilias, alimenlaque mitia tellus
Suggerit, atque epulas sine csBde et sanguine praebet.
Carne ferse sedant jejunia, nec tamen omnes ;
Qiiippe equus, et pecudes, armentaque gramine viTunt,
At quibus ingenium est immansuetuiAque femmqne, 85
Armeniosque tigres, iracundique leones,
Cumque lupis ursi, dafiibus cum sanguine gaudent.
Heul quantum scelus est in viscera viscera condi,
Oongestoque aviddm pinguescere corpore corpus,
Alieriusque animantem animantis vivere letho ! 90
Scilicel in tantis opibus, quas oplima matrum
Terra parit, nii te nisi tristia manderc saivo
Vulnera denie juVat, ritusque referre Cyfclopum ^
576 METAMORPliOSES.
dopes, eu broyant sous vos dents cruelles des niembres dechires!
Ne pouvez-vous donc rassasier que par le meurtre votre inon-
strueuse gloutonnerie?
« Dans cet age antique que nous avons appele VAge d*or, les
niortels se contentalent du fruit des arbres et des plantes nees du
seln de la terre. Le sang ne souillait pas leur bouche. Alors roi-
seau pouvait, ssms danger, fendre les airs, et ie Mvre errer saus
crainte dans les campagnes. Aiors, le poisson credule n^aliait pas
se prendre a i^hame^on perilde. Nuile embuclie, nulle fraude a
redouter : partout une paix profonde. Mais celui-la ouvrit une voie
aux forfaitsqui, cedant a un desir funesle, convoita ie sang des
victimes offertes aux dieux, et engloutit des chairs dans ie gouffre
de son ventre. Cest sans doute du sang des b^tes sauvages que le
fer fut rougi pour la premiere fois. Cetait assez. Des lors on pul
sans crime donner ia mort aux animaux qui menacent notre vie.
il fut permis de les tuer, mais non de s'en nourrir. Bientot oii
francliit ces limites. Le pourceau fut la premiere viclune que
l'on crut pouvoir immoler, parce qu en l^ouleversant la terre il
detruisait les semences et ruinait Fespoir de 1'annee. Le bouc,
Kec, nibi perdideris aliurii, placarc voracisj
Et male inorati poteris jejunia vcnlris? Q^
« Al velus illa oilas, cui fecimus aurea uomcn,
FouLibus ar])oreis, el quas liumus educat, herbis
Fortunala fuit, nec poUuit ora cruore.
Tunc et aves lulas niovere per aera pennas,
Et lepus iniiiavidus mediis erravit in agris; 100
Nec sua credulitas piscem suspenderat hanio.
Cuncta sine insidiis, nullamque timentia fraudeui,
Plcnaque pacis Lranl. Po&tquani non utilis auclor
Victibus invidit (quisquis fuit ille) deorum,
Corporeasque dapes avidani demersit in alvum, 105
Fecit iter scelcri; primaque e ctede ferarum
Incaluisse pulem maculatum sanguine ferrum.
Idque satis fuerat, nostrumque petentia lethum
• ',(jrpora mis&a neci, salva pietate, fatenmr;
^ed quam danda neci, tani non cpuianda fuerunl. IIO
I.ongiui inde nefas abiit, ct prima putalur
llostia sus nuMui^jsc mori, quia semina pando
Frucril roslro, 5pcmque inlercei»eril anui.
LIVRE XV. 577
(}ui avait attaque la vigne, dut aussi Slre immole sur l'autel de
Bacchus. Ces deux animaux subirent ainsi le chaliment de leur
faule. Mais vous, paisibles brebis, nees pour satisfaire a tous nos
besoins, quel fut votre crime, vous qui nous offrez un delicieux
neclar dans vt)s mamelles ftcondes, vous dont la moelleuse toison
nous foumit des vStements, et dont la vie nous est plus utile que
)a mort? Quel fut le crime du boeuf, exempt de fraude et d'arli-
tice, animal doux et simple qui allege nos fatigues? Ah! ce fut un
ingrat, indigne des bienfails de Ceres, celui qui eut le courage d'e-
gorger le compagnon de ses travaux rustiques a peine soulage du
poidsdela^charrue, celui qui plongea le fer dans le cou deja use
de Tanimal qui avait tant de fois silionne ses durs guei ets et lui
avait donne tant de riches moissons.
« Mais ce n'^tait pas assez de commettre un si grand crinie '>
rhomme y associa les dieux, et s^imagina que le sang des taureaux
etait agreable a Jupiter lui-m^me. Une victime sans taclie, et, pour
son malheur, d'une beaute remarquable, est conduite a Tautel,
couverte de bandelettes d'or. Elle entend des prieres qu'elle ne
saurait comprendre, et voit placer entre ses cornes les fruili?
Vilc cuper morau Pacchi inQutaDdub ud aras
Ducitur uiloris : nocuit sua culpa duobus. 115
Quid meruistis, oves, placidum pecus, inquc luendo»
>atuni homincs, plcuo quae fertis in ubere nectar,
Mollia qux nobis vestrus velamiua lauas
i^nebctis, vitaque ma^^is quam morte juvatis?
Quid meruere boves, animal sine fraude dolisquc, 120
Innocuum, simplex, natum tolerare labores?
Imnicmor cst dcmum, uec frugum muncre dignus,
Qui potuit, curvi dempto modo pondere aratti,
Ruricolam mactare suum; qui trita laborc
llla, quibus toties durum renovaverat arvum, li.*)
Tot dederat messes, percussit colia securi.
« Kec salis csl, quod tale nefas committilur j ip^os
lus(.ripsere deoj» scclcri, numcnque supemum
Ceede laborifuri crcdunt gaudere juvenci.
Vicliuia labc carcns, el praistanlissima forma, 130
.Nam placuisse nocet, viitis insignis et auro,
Sistitur autc aras, audiique ij^nara precanlcm,
Imponfquo suo^ videt intcr coruua fronti,
33
578 METAMOKPHOSES.
qu'elle a fait naitre. Frappee du coup mortel, elle baigue de son
sang le couteau qu elie a peut-6tre vu dans l^onde liinpide. Aussi-
t6t de son sein encore palpitant on arrache les entrailles et l'on
y cherche la volonte des dieux. D'ou vient cetle fureur pour des
aliments defendus? Vous osez vous en repaitre, d morlels! Ahlje
vous en conjure, renoncez a ces cruels festins, et gravez mes conseils
dans vos coeurs. Lorsque vous mangez la chair de vos bGeufseg(»r-
ges, sachez-lebien, vous mangez les compagnons de vos travaux.
« Puisqu'un dieu parle par ma bouche, je vais suivre son in-
spiration, decouvrir les secrets que je tiens de Delphes, devoiler
le ciel meme et ses oracles sacres. Je vais exphquer les grands
mysteres qui ont echappe a la penetration de nos anc6tres. Je veux
quitter la terre, ce sejour perissable, m'^ancer jusqu'aux astres,
voler sur les nuages, et m'asseoir sur les epaules du puissant
Atlas. Je veux du haut de cette sphere contempler les humaiiu
emportes par rerreur, sourds a la voix de la raison, iivres a des
craintes frivoles et redoutant le tr^pas ; je veux les encoorager par
mes paroles et derouler a leurs yeux le Uvre des Destins.
rt Morlels que glace reffroi de la mort, pourquoi craindre le Styx
Quas coluit, frugcb; percussaque sanguinc cultros
Inficit in liquida prxvisos forsitan unda. 135
Prolinus ereptas viventi pectore fibras
Inspiciunt, mentesque deum scrutantur in illis.
Unde fames houiini velitorum tanta ciborum?
Audelis vesci, genub o mortale? Quod, oro,
Ne facite, et monitis animos advertite nostris; 14(J
Quumque boum dabitis caesorum membra palato,
Mandere vos vestros scite et sentite colonos.
« Et quoniam deus ora movet, sequar ora movtntein
Rite deum; Delphosque meos, ipsumque recludam
^thera, et augustne reserabo oracula mentis. 1.15
Magaa, nec ingeniis invesligata priorum,
QuDcque diu latuere, canam. Juvat ire per alta
Aslra; juvat terris. et inerli sede relicta,
Nube vehi, validique humeris insistere Allanlis,
Falantesque animos passim ac ralionis egentes 150
Oespectare procul, trepidosque, obitumque timentcs
Sic exhorlari, seriemque cvolvere fali :
" 0 genus attonitum gelidae formidine mortis !
Quid Slyga, quid tenebras, quid nomina vana timetis,
LlYliE XV. 570
€t le sombre royaume, fables invent^es par les poeles, et ces sup-
^lioes d*un monde imaginaire ? Nos corps, soit que la flamme du
biicher les devore, soit que le temps les consume, ne peuvent
souffrir aucun mal. Les Smes sont hors des atleintes de la mort.
Au sorlir de leur premiere demeure, regues dans un nouveau se-
jour, elles s'y tixent pour y jouir d'une eternelle vie. Moi-meme,
ii m'en souvient, pendant la guerredeTroie, j'etais Euphorbe, fiis
de Panthus. Le plus jeune des Atrides me per<;a le coeur de sa
lance redoutable. Naguere, dans le temple de Junon, a Argos, j'ai
reconnulebouclier quejeportais a la main gauche. Tout change,
rien ne perit. L^jime erre d'un corps dans un autre, quel qu'ii
soit; elle passe de lab^te dans Thomme, de l'homme dans la b^te,
et ne meurt jamais. Gomme la ^cire re^oit mille enipreintes di-
verses, qu'elle change et renouvelie sans alterer sa substance, Tame
reste toujours la m^me; mais, d'apr^ ma doclrine, elle subit plu-
sieurs tragsmigrations. Graignez donc de devenir impi6s pai^ des
appetits deregles ; gardez-vous (ici je parle au nom des dieux) de
chasser de leur asile, par un meurtre abominable, les toes de vos
parents. Que votre sang nc se nourrisse pas de votre propre sang*
Muleriem vatum, falsique piacula mundi? 155
Corpora sive rogus flamma, seu tabe vetustas
Abstulerit, mala posse pati non ulla putelis.
Morle careut aaimse, semperque, priorc relicta
Sede, novis domibus vivunt habitantque recepliig.
Ipse ego, nam memini, trojani tempore belli, l60
Panthoides Euphorbus erum, cui pcctore quondam
Sedit in adverso gravis hasta minoris Alridse.
Cognovi clypeum, l<evsB gestamina noslrae,
Muper abanleis lemplo Junonis in Ai-gis.
Omnia mutanlur : nihil interit; errat, et illiab iG5
Huc venit, hiiic illuc, ct quoslibet occupat artus
Spiritus, eque feris liumana in coi>pora transit,
Inque feras noster, nec lempore deperit uUo.
Ltque novis facilis signatur cera flguris,
Nec manet, ut fuerat, nec formas servat easdem, i7d
. Sed tamen ipda eadem esl; animam sic semper eamdem
Esse, sed in varias doceo migrare figuras.
Ergo, ne pielas sit vicCa cupidine ventris,
Parcite, vaticinor, cognatas csede nefanda
Exturbare anmias, nec sanguiiM sangui» aUtiir. l75
580 METAMORPHOSES.
fl Puisque je vogue a pleines voiles sur un ocean immense, je
vous dirai que dans Tunivers rien n'est stable; tout nous echappe,
tout n^offre qu^une image passagere. Le temps lui-m^me, dans sa
course eternelle, rouie comme un torrent. Car ie fleuve rapide et
Theure iegere ne peuvent sarr^ter. Le flot presse le flot ; celui qui
precede est chasse par cielui qui le suit, comme il presse cdui qui
l'avait precede. De mtoe les heures fuient, se succedent etsont tou-
jours nouvelles. L'instant qui fut naguere n'est plus, celui qui
n'etait pas commence, et tous les moments se renouveHent sans
cesse. Yoyez-vous la nuit s'avancer vers le jour, et la lumiere
prendre ia place des t^nebres? La couleur des cieux n'est pas la
m^me quand la nature est ensevelie dans le repos, et lorsque
Tastre du matin se montre^ur son pMe coursier. Elle change aussi
lorsque 1 avanl-courriere du jour empourpre Tunivers avant de le
iivrer au soleil. Son disque est vermeil, ie maiin, l<»*squ'il se
leve, et, le soir, quand il disparait au couchant. Au plu^ haut point
de sa course, il a une blancheur ^blouissante, parce que, daus
cette region, l'air est d^ag^ des vapeurs de la terre. La reine des
nuits n^offre jamais non plus le mSme aspect. La veille, quand elle
« £t quoniain magno feror aequore, plenaque veuli§
Vela dedi, niliil est, loto quod perstet in orbe :
Cuncta fluunt, oinnisque vagans fonnatur imago.
Ipsa quoque assiduo volvuntur tempora motu,
Non secus ac flumen. Keque enim consistere fluiucn, ^>^^
Ncclevis hora potcst; sed ut unda impellitur unda,
LVgcturque prior veniente, urgetque priorem;
Tempora sic fugiunt pariter, pariterque sequuutur,
El nova sunt semper; nam quod fuit ante, relictum cst;
Filque, quod haud fuerat, momentaque cuncta novantur. 18.'i
Cernis, ct emersas in lucem tendere noctes,
Et jubar hoc nitidum nigrae succcdere nocti.
Nec color est idem coelo, quum lassa quiete
Cuncta jacent media, quumque albo Lucifer exit
Clarus equo; rursusque alius quum prsevia lucis idO
Tradendum Phacbo Pallantias inficit orbem.
Ipse dei clypeus, terra quum tollitur ima,
Mane rubet, terraque, rubct, quum conditur ima.
Candidus in summo est, mclior natura quod illic
ifitheris cst, terraeque procul contagia vitat. ^^'o
Nec par, aut cadem noclurnae forma Diante
)Liii^ poVcsl un(\uam : semperquc hodierna sequente
LIYRB XV. 581
croit, elle est moindre que le lendemain, et, dans son d^cours,
elle est plus grande.
« Que dis-je? Ne yoyez-vous pas rann^ se partager en quatre
saisons et pr^nter ainsi une image de la vie? D^licate dans les
•premiers jours duprintemps, elle ressemble a un enfant a la ma-
melle. Alors le bl^ yerdoyant, mais fr^le et sans force, se gonfle
de sucs abondants et charme Tespoir du laboureur. Tout fleurit ;
la campagne se pare de sesplus riches couleurs ; mais les plantes
n'ont aucune energie. Apr^ le printemps, l'ann^ plus robusle
arrive a Tet^ et prend la vigueur de la jeunesse. Aucune ^poque
n'est plus forte, plus fgconde ni plu$ ardente. L'aulomne, qui
lui succede, n*a plus les feux du jeune dge. Dans sa paisible ma«>
turite, il tient le milieu entre la jeunesse et la vieillesse : sa t^te
oommence a blanchir. Enfln le vieil hiver s^avance d'un pas triste
et treinblant : il est depouille de cheveux, ou n'en a plus que de
blancs.
« Nos corps aussi soiit sujets a de perpetuels changements. Ge que
nous avons et^, ce que nous sommes, nous ne le serons plus de-
main. U fut un temps ou, simple germe de Thomme encore a
naitre, nous habitdmes le sein maternel. La nature facilita notre
Si crescit, minor est; major, si contrahit orbem.
« Quid? non in species secedcre quattuor annum
Aspicis, actatis peragcntem imitamina nostrs? 200
Nam teder, et lactens, puerique simillimus sevo
Vere novo est. Tunc herba niteas, et roboris expers,
Turget, et insolida cst, et spe delectat agrestem.
Omnia tum florent, florumque coloribus almus
Ridet ager, nequc adhuc virtus in frondibus ulla est. *20?i
Transit in aeslatem post ver, robustior annus,
Fitque valens juvenis; nequc enim robustior a}tas
Ulla, nec uberior, nec qus magis aestuet, ulla cst.
Excipit autumnus, posito fervore juvents
Maturus, mitisque, inter juvenemque senemque • 210
Tempcrie medius, sparsis per tempora canis.
Inde senilis hiems tremulo vcnit horrida passu,
Aut spoliata suos. aut, quos habet, alba capillos.
« Nostra quoque ipsorum semper, requieque sitie ulla
Corpora vertuntur; nec, quod fuimusve, sumusve, 215
Cras erimus. Fuit illa dies, qua semina tantum,
Spesque bominum prim» materna habitavimus alvo.
582 JlfiTAMORPHOSES.
d^veloppement. Elle ne Toulutpasque notre corps restftt dans les
fldncs ou il etait renferme, et son habile main nous ouvrit les
portes de la vie. D^s que l'enfant voit le jour, il est sans force et
ne peut se mouvoir. Bientdt, comme un quadrup^de, il marche
sur ses pieds et sur ses mains. Peu a peu, tremblant et mal af-
fermi sur ses jarrets, il cberche un appui qui le soutienne. Puis il
devient robuste et agile. Sa jeunesse s'envole. II traverse T^e
moyen de la vie, et, par une penle rapide, est emporte au eour
chant de ses jours. La vieillesse mine et d^truit par degres la force
de r^ge milr. Milon, sous le poids des ans, pleure en voyant ses
bras, naguere aussi vigoureux que ceux d'llercule, mahdtenant
faibles et languissants. La fiile de Tyndare pleureaussi, quandun
nuroir lui montre les rides de F^ge, et elle se demande comment
elle put ^tre enlevee deux fois. 0 temps qui devores tout, et toi,
jalouse vieiilesse, rien n'echappe a vos coups ! Yos atteintes con-
sument peu a peu tous les ^tres et les conduisent insensiblement
a la mort.
fl Ge que nous appelons iUments n'a pas plus de stabilite. Je
vais vous apprendre les changements qu'ils subissent. Pr^tez-rooi
Artinces nalura manus admovit, et angi
Corpora visceribus distentae condita matris
Noluit, eque domo vacuas emisit in auras. 220
Editus in lucem jacuit sine viribus infans;
Mox quadrupes, riluque tulit sua membra ferarum;
Paulatimque tremens, et nondum poplite firmo
Conslitit, adjulis aliquo conamine nervis.
Inde valens veloxque fuit; spatiumque juvcntaj 22j
Transit, et, emensis medii quoque temporis annis,
Labitur occiduae per iter declive senecta).
Subruit haec aevi demoliturquc prioris
Robora ; fletque Milon senior, quum spcctat inanes
lllos qui fuerant solidorum mole tororum, 230
Herculeis similes, fluidos pendere lacerlos;
Flet quoque, ut in speculo rugas conspexit aniles,
Tyndaris, et secum, cur sit bis rapta, requirit.
Tempus edax rerum, tuque invidiosa vetustas,
Omnia destruitis, vitialaque dcntibus aevi 233
Paulatim lenta consumitis omniu morte.
« Haec quoque non perstant, quae nos elcmenta vocamiis:
Ouasquo vices poragant, animos adhibete, ('ocebo.
LIYRB XV. r.r5
une oreille attentWe. Le monde eternel contient quatre principes.
Deux, la terre et Teau, sont pesants et gravitent vers ia terre.
Les deux autres, Tair et le feu, plus pur que Tair, prives de
pesanteur, s'^Ievent sans que rien coroprime leur essor. Quoi-
que un espace les separe, iis font tout naitre, et tout se resout
en eux. La terre, dissoule, tombe en rosee. L'eau, reduite en
vapeur, se confond dans l'air, qui, depouille de sa pesanteur,
devient plus subtil et s'envole dans la r^gion du feu. Ensuite,
par une revolution contraire, ils reprennent leur premier etat,
Le feu, epaissi, devient pesant et se change en air; Tair se
convertit en eau ; Teau se condense en argile. Rien ne garde sa
forme primitive. La nature renouvelle tout et substitue inces-
samment une figure a une autre. Dans Tunivers, croyez-moi,
rien ne p6rit; seulement tout varie, tout prend une autre forme.
Naitre, c'est commencer a §tre autre qu'on n'etait d*abord ; mou-
rir, c'est cesser d'6tre ce qu'on 6tait. Mais, a travers ces perp6-
tuels changements de forme et de lieu, la substance de T^tre reste
la m^me.
fl Non, rien ne peut durer sous la m^me apparence; je n'en
Quattuor seternus genitalia corpora mundus
Continet. Ex illis duo sunt onerosa, suoque 240
Pondere in inferius, tellus atque unda, ferQntur;
Et totidera gravitate carent, nuUoque premente
Alta petunt, aer, atque aere purior ignis.
Quae quanquam spatio distant, tamen omnia fiunt
Ex ipsis, et in ipsa cadunt; riesolutaque tellus, 245
In liquidas rorescit aquas; tenuatus in auras
Aeraque humor abit; dempto quoque pondere, rursus
In superos aer tenuissimus emicat ignes.
Inde retro redeunt, idemque retexitur ordo.
Ignis enim densum spissatus in aera transit; 2S0
Hic in aquas; tellus glomerata cogitur unda;
liec species sua cuique manet, rerumque novatrix
Ei aliis alias reparat natura figuras.
Nec perit in tolo quicquam, mihi credite, mundo;
Sed variat, faciemque novat, nascique vocatur 255
Incipere esse aliud, quam quod fuit ante, morique
Desinere illud idem. Quum sint huc forsitan illa,
Hsec translata illuc, summa tamen omnia constant.
« Nil equidem durare diu sub imagine eadera
584 « MlilTAMORPHOSES.
saurais douter. Ainsi, apres le siecle d'or, vint le si^cle de fer;
ainsi divers pays ont souvent change de fabe. J'ai vu ce qui elait
autrefois un.terrain st^lide 6tre maintenant une mer ; j'ai vu des
terres sortir du sein des flots. Loin de lOcean on a lrouv6 ^ et l^ des
conques marines ; une ancre antique a ete deterr^e sur de hautes
montagnes. Les plaines ont et6 converties en vallees par ies tor-
renls, et dcs inondations ont chauge les montagnes en plaines. Des
sables arides ont pris la plape d'anciens marais, et des champs
bnil^s jadis par le soleil sont devenus des marteges. Ici la nature
ouvre des sources inconnues, ailleurs elle en ferme d'anciennes.
Des tremblements de (erre ont jadisfaitjaillir ou taribeaucoup de
lleuves. Cest ainsi que le Lycus, absorbe dans les entrailles de la
terre, renait plus loin d'une autre source ; c'est ainsi que le grand
Erasin, englouti dans un gouffre ou il promene ses ondes souter-
raines, reparait a la clarte des cieux dans les plaines d'Argos, et
que le Caique dont les eaux traversent la Mysie, degoute, dit-on,
de sa source et de ses premiers bords, va baigner d'autres con-
trees. L'Amenane tant^t arrose les sables de la Sicile, et tantdl
voit ses sources dess^chees. On buvait autrefois les eaux de FAni-
rrediderira : sic ad ferrum venistis ab auro 260
Ssccula; sic toties versa est fortuna locorum.
Vidi ego, quod fuerat quondam solidissima tellus,
Esse fretum; vidi faclas ex aiquore terras;
Et procul a pelago conchaB jacuere marinae,
Et vetus inventa est in monlibus anchora summis; 2G^
Quodque fuit campu|, vallem dccursus aquarum
Fecit, ut eluvie mons esl deductus in ccquor;
Eque paludosa siccis humus aret arenis;
Qujpque silim tulerant, stagnata paludibus hument.
Hic fonles nalura novos emisit, at illic 270
Clausil, et anliquis lam mulla Iremoribus orbis
Flumina prosiliunt, aut excaicata residunl.
Sic ubi terreno Lycus est epolus hiatu,
F.xistit procul hinc, alioque renascitur ore.
Sic modo combibitnr, tecto modo gurgite lapsus S75;
Hcdditur argolicis ingens Erasinus in arvis;
Kt Mysum capitisque sui, ripajque prioris
Poeniluisse ferunt, alia nunc ire, Caicum.
ISec non sicanias volvens Amenanus arenas
Nunc fluit, inlerdum suppressis fonlibus aret. SPO
Ante bibcbatur, nunc, quas contingere nolis,
l
LIVRE XV. 585
gre, qii*6n n*ose plus toucher, depuis le jour ou, 8'il en faut croire
les poetes, les Gentaures lav^rent dans ce fleuve les blessures
que leur avaient faites les fl^ches d'Hercule. Que dis-je? les eaux
de rHypanis qui descend des montagnes de la Scythie, douces
d'abord, ne se chargent-elles pas d'un sel amer? Les flots entou-
raient Antissa, Pharos et Tyr, fond^e par ies Ph^niciens; aujour-
d'hui, ce ne sont plus des iles. Les anciens habitants de Leucnde
virent leur territoire uni au continent ; maintenant la mer l'en-
vironne. Zancle aussi etait, dit-on, jointe a Tltalie, avant que
rOcean, s^parant ces deux terres, edi entrain^ la Sicile au milieu
de ses ondes. Si vous cherchez dans rAchaie Helice et Buris, vous
les trouverez sous les eaux. Le nautonier montre encore leurs
murs indines. Non loin de Tr^ene, ou regna Pitthee, s'eleve une
colline sans ombrage. C^tait jadis une plaine immense. Par un
prodige dont le recit m^me est horrible, les vents, furieux d'etre
enfermes dans leurs cavernes, voulurent respirer librement. Ils
lutt^rent en vain pour reparattre a la clarte des cieux. Comme
leur prison n^offrait aucun passage a leur haleine, ils gonflerent-
les flancs de cette terre, qui se developpa tout a coup, ainsi que
Fundit Anigros aquas, poslquam, nisi vatibus omnis
Eripienda fides, illic lavere Bimembres
Vulnera clavigeri qusB fecerat Herpulis arcus.
Quid? non et scylhicis Hypanis de monlibus ortus, 285
Qui fueral dulcis, salibus vitiatur amaris?
Fluctibus ambitae fuerant Antissa, Pharosque,
Et phflcnissa Tyros; quarum nunc insula nulla est.
Leucada^continuam veteres habuere coloni ;
Nunc Treta circueunt. Zancle quoque juncta fuisse 290
Dicitur Italise, donec confinia pontus
Abstulit, et media tellurem reppulit unda.
Si quaeras Helicen et Burin, achaidas urbes,
Invenies sub aquis, et adhuc ostendere nautte *
Inclinata solent cum moenibus oppida mersis. 295
Est prope pittheam tumulus Trcezena, sine uUis
Arduus arboribus, quondam pianissima campi
Area, nunc tumulus. Nam, res horrenda relatu,
Vis fera vcnlorum, caecis inclusa cavernis,
Esspirare aliqua cupiens, luctataque frustra 200
Liberiore frui ccelo, quum carcere rima
Nulla foret toto, nec pervia flatibus esset,
Eitcntam tumefecit humumi ceu spiritus oris
m METAMORPHOSES.
]e souflGle de notre bouche enfle une vessie ou une outre. Depuis ce
temps, cette terre a conserv^ le m^me volume. Elle a pris la
forme d'une haute colline et s'est durcie avec le temps.
« 11 se pr^sente a mon esprit une foule de merveilles que vous
connaissez par vous-m^mes ou par la renommee. Je me bomerai
a un petit nombre. L'eau ne donne-t-elle pas et ne re^it-elle pas
mille formes? Ammon, ton onde, glacee a midi, n'est-elle pas
bnulante au lever et au coucher du soleii? Le bois s'allume,
dit-on, s'ii est plonge dans une sonrce d'Athamanie, lorsque la
lune acheve son declin. Ghez les Giconiens, Teau d'un cerlain
fleuve pelrifie les entrailles de ceux qui en boivent, et durcit les
objets qu'elle touche. Le Grathis et le Sybaris, qui baignent nos
campagnes, donnent aux cheveux la couleur de Tambre et de Tor.
0 prodige plus etonnant encore ! Certaines eaux changent non-
seulement les corps, mais les esprits. Qui ne connait rimpure
Salmacis et ces lacs d'Ethiopie qui rendent furieux celui qui s'y •
desaltere, ou rensevelissent dans unprofond sommeil? Un homroe
a-t-il apaise sa soif dans la fontaine de Glitore, il det^ste le vin
et n'aime que Fonde pure, soit qu'il y ait dans cette fontaine une
Tendere vesicam solet, aut direpta bicorni
Terga capro. Tiimor ille loci pcrmansit, et alti 305
Collis habet speciem, longoqiie induruit ajvo.
« Plurima quum subeant, audita aut cognita vobis,
Pauca super referam. Quid? non et lympha liguras
Datque capitque novas? Medio lua, corniger Ammon,
Unda die geiida est, ortuque obituque calescit. 510
Admotis Athamantis aquis accendere lignum
Narratur, minimos quum luna recessit in orbes.
Flumen habent Cicones, quod potum saxea reddit
Viscera, quod tactis inducit marmbra rebus.
Crathis, et huic Sybaris noslris conterminus arvis, 513
Electro similes faciunt auroque capillos.
Quodque magis mirum, sunt qui non corpora tantnm,
Verum animos etiam valeant mutare, liquores.
Cui non audita est obscena; Salmacis undaB?
iEthiopesque lacus? Quos si quis faucibus hausit, 520
Aul furit, aut mirum patitur gravitate soporem.
Clitorio quicumque sitim de fonte levarit,
Vina fugit, gaudetque meris ahstemius imdis;
LIVRE XV. ^ 587
vertu contraire k la chaleur du vin, soit, comme le racontent les
ipdig^nes, que le fils d'Amithaon, apres avoir, par ses enchante*
ments et par ses herbes magiques, rendu la raison aux filles de
Pr^tus surprises de ce prodige, ait jete les philtres qui les avaient
gu^ries dans cette source, et que Thorreur du vin se soit commu-
niquee a l'onde. Les eaux du Lynceste produisent un effet con-
traire. Celui qui en boit avec exces chancelle comme s'il avait bu
du vin pur.
« II y a en Arcadie un lac^ppele Pheneon chez les anciens, et
suspectpour la perfidie de ses eaux. Craignez d^eafaire usage; elles
incommodent pendant la nuit, et sont sans danger pendant le jour.
Ainsi les iacs et les fleuves ont des propriet^s diverses. II fut un
temps ou Ortygie, maintenant immobile, voguait sur les ondes. Argo
redouta les Symplegades errantes et les flots qu^elles soulevaient
en s'entre-heurtant. Aujourd'hui elles sont fixes et resistent aux
vents. L'Etna, dont le soufre embrase les fournaises, ne vomira
pas toujours des flammes, et il n'en a pas toujours vomi. Si la
terre est un Stre anim^, elle vit, et elle a des soupiraux d'oii
s'exalent des feux. Toutes les fois qu'une secousse Febranle, elle
Seu yis est in aqua calido contraria vino,
Sive, quod indigensB memorant, Amitiiaone natus, 325
Proetidas attonitas poslquam per carmen et herba»
Eripuit Furiis, purgaroina menlis in illas
Misit aquas, odiumque meri permansit in undis.
Huic fluit effectu dispar lyncestius amnis,
Quem quicumque parum raoderato gutturc traxjt, ^
Haud aliter titubat, quam si mera vina bibisset.
« Est lacus Arcadiae (Pheneon dixerc priores)
Ambiguis suspectus aquis, quas noclc timcto :
Nocte nocent polse; sine noxa hice bibuntur.
Sic alias, aliasque lacus et flumina vires HIV»
Concipiunt. Tempusque fuit, quo navit in undis,
Nunc sedct Ortygie. Timuit concursibus Argo
Undarum sparsas Symplegadas elisarum,
Quae nunc immotse perstant, ventisque resistunt.
Nec, quaj sulfureis ardet fomacibus, iEtne 340
Ignea semper erit; neque enim fuit ignea semper.
Nam sive est animal tellus, et vivit, haiietque ,
Spiramenta, locis flammam exhalantia multis;
Spirandi mutare vias, quotiesque movetur.
588 ^ METAMORPIIOSES.
peul changer ces nombreuses issues, en fermer quelques-unes sur
rna point et en ouvrir de nouvelles sur un autre ; soit que les vents,
emprisonnes dans des cavemes profondes, lancent des rochers qui
se heurtent et des matieres ignees qui s^enflamment en s'entrecho-
quant; car ces vents abandonneront lem^ antres qui se refroidi-
ront ;^soit que les feux souterrains s^alimentent par le bitume, et
que le soufre s'enflamme en repandanl une leg^re fumee. En effet,
la terre, dont le temps dans sa marche lente epuise les forces, nc
leur fournira plus de nourriture, et le gouffre, priv^ des aliments
que reclame sa voracite, verra un jour s'eteindre ses feux.
« Non loin de Pall^ne, dans les regions hyperborees, il est,
dit-on, des hommes dont les corps, plonges neuf fois dans le ma-
rais de Trilon, se couvrent de plumes legeres. Je n'y ajoute pas
plus de foi qu'a ce qu^on raconte de ces femmes de Scythie, qui,
par un artifice analogue, s'arrosent de certains sucs et se chan-
gent en oiseaux.
« Cependant, si Ton doit croire a des prodiges, c'est a ceux (jn
sont prouves. Ne voyez-vous pas les corps, tomb^s en dissolution
par le temps ou par la chaleur, se metamorphoser en insectes?
Immolez les plus superbes laureaux, renferrnez - les dans une
Ilas finirc potesl, iilas apcrire cavernas ; 345
Sive leves imis venli cohibentur in anlris,
Saxaquc cuni saxis, et habentem semina flammss
Materiam jaclant; ea concipit ictibus ignem ;
Antra relinquentur sedatis frigida ventis;
Sive bituminese rapiunt incendia vires, 3o0
Luteave exiguis ardescunt sulfura fumis.
Nempe ubi terra cibos, alimenlaque pinguia flamma!
IVon dabit, absumptis per longum viribus avum.
Natui^xque suum nutrimcn dccrit edaci,
Non ferel illa famem, desertaque deseret ignes. Ttihi
« Esse viros fama est in hyperborea Pallenc,
Qui soleant levibus velari corpora plumis,
Quum tritoniacam novies subiere paludem.
Haud equidem credo, Sparsaj quoque membra veneno,
lixercere arles Scylhidcs memorantur easdem. 3G0
<< Si qna fldes rebus tamen esl addenda prol)ntis,
.Normo vides, qiirpcumque mora fluidove calore
rorpora tahuerint, in parva animalia verlif
1, cape delerlos, niaclaiosquc ohrue lauros.
LIYRE IV. 589
rosse, et de leurs ejfitrailles decomposees nailront des.abeilles;
Texperience l*atleste. Amies des fleurs, comme leurs p6res elles
se plaisent dans les champs et travaillent avec ardeur k Touvrage
qui assure leur avenir. Enfoui dans la terre, le coursier belli*
queux produit le frelon. Otez au crabe ses pinces recourbees et
enterrez-le, il en sortira un scorpion a la queue menagante. Les
chenilles, qui.enlacent les feuiiles de leurs fils blancs, se mel.a-
morphosent, comme Tont remarque les laboureurs, en legers pa-
pillons. Le limon recele des germes d'ou nait la grenouiile verle.
II Tengendre sans pieds. Bientdt elle a des jambes pour fendro
i'eau ; et, afln qu^elie puisse faire de grands sauts, ses pattes de
derriere sont pius iongues que celies d*e devant. L'ours, a sa nais-
sance, est une masse de chair a peine vivante. En le lechant, sa
mere faQonne ses membres et lui donne la forme qu'elle-m6me a
ainsi re^ue. Ne voyez-vous pas l'industrieuse abeille, d'abord foetus
caclie sous ses rayons, recevoir pius tard des pieds et des aiies?
L oiseau de juiion, dont la queue est parsemee d'etoiles, raigle
qui porte la foudre de Jupiter, les colombes de Yenus et tout le
rognita rcs usu, de putri viscere passim 365
Florilegac nascuntur apes, qux more parenlum
Rura colunt, operiquc favent, in spemque lahorant.
Pressus humo bellator equus crabronis origo est.
Concava littoreo si demas brachia cancro,
Caetcra supponas terrae, de parte sepulta 570
Scorpius eiibit, caudaque minabitur unca.
Quaeque solent canis frondes intexere filis,
Agrestes tineie, res observata colonis,
Ferali mutant cum papilione figuram.
Semina limus habet virides generantia ranas, 375
Et generat truncas pedibus; mox apta natando
Crura dat; utque cadem sint longis saltibus apta,
Posterior partes superat mensura priores.
Ncc catulus partu quem reddidit ursa reccnti,
Sed male viva caro est. Lambendo raater in arlus 380
Fingit, et in formam, quantam capit ipsa, reducit.
Konno vides, quos rera tcgit sexangula, foetus
llelliferarum aplum sine membris corpora nasci,
El serosque pcde-, serasque assumerc pennas?
Junonis volucrem, qusB cauda sidera porlat, 385
Armigerumque Jovis, cylhereiadasque columbas,
590 METAMORPHOSES.
peuple ail^, sortent (l*un oeuf. Ge ph^nom^ne nous parattraitwl
possible, si nous n'en etions pas les temoins? II est des hommcs
qui croient que de notre moelle epiniere naissent des serpenls,
quand elle a pourri dans la tombe.
« Toutes ces merveilles ont cependant un principe qui les pro-
duit. Mais il est un oiseau qui s^engendre et se renouvelle lui-
m^me. Les Assyriens rappellent ph^nix. II ne se nourrit ni d'herbes
ni de fruits, mais des larmes de Tencens et des sucs de Famome.
Quand il a v^cu cinq siecles, 11 construit de ses ongles et de son
bec un nid sur les branches d'un chfene ou sur la cime d un pal-
mier. La il ^tend de legeres tiges de cannelle, de nard, de cinna-
mome et de myrrhe, se couche sur ce bucher et meurt aumilieu des
parfums. Alors, dil-on, de ses cendres sort un jeune phenix destine
a vivre le mtoe nombre d'annees. Des que TSge lui a donne la force
de soutenir un fardeau, il soulage Tarbre du poids du nid place a
son faite, et emporte la pieuse couche qui fut a la fois son berceau
et la tombe de son pere. Arriv^, a travers les plairies de Tair, dans
la ville du Soleil, il va le deposer a la porte sacree du temple. Si
Et gcnus oitine avium mediis e partibus ovi,
Ni sciret fieri, fieri qui» posse putaret?
Sunt qui, quum clauso putrefacta est spina sepulcro,
Mutari credant humanas angue medullas. r>Mj
« Haec tamen ex aliis ducunt primordia rebus.
Una est, qufe reparet, seque ipsa rcseminet, ales.
Assyrii Phoenica vocant. Non fruge, nec herbis.
Sed thuris lacrymis, et succo vivit amomi.
HsBC ubi quinquc suaB complevit saecula vita;. 5Uj
Ilicis in ramis, Iremuljnve cacumine palmap,
Unguibus, ot puro nidum sibi construit ore.
Quo simul ac casias, et nardi lenis arislas,
Quassaque cum fulva substravitcinnama myrrha,
Se super imponit, finitque in odoribu'=i .Tvum. 400
Jndo ferunt, totidem qui vivere debeat annos,
riorpore de patrio parvum PhoRnica renasci.
Quum dedit huic aetas vires, oneriqiie ferendo e«t,
Ponderibus nidi ramos Jevat arboris alt.T,
Fertque pius cunasque suas, palriumque sepulcnim. .iu.^
Perque leves auras Hyperionis urbe potitus,
Anle fores sacras Hyperionis aede reponil.
LI YRE XV. . 691
de tels prodiges nous surprennent par lenr nouyeaut^, il est
encore plus etonnant de voir i'hy6ne changer de sexe tous Jes
ans, et ranimal dont les vents et Tair sont la principale nourriture
prendre la couleur de tous )es objets qu'il touche. Llnde yaincue
donna le lynx au dieu couronne de pampres. Tout ce que rejette
sn vessie se durcit, dit-on, et se petrifie par le contact de Tair,
ainsique )e corail, qui, sous les ondes, etaitune plante flexible.
« Le jour finirait et le soleil plongerait dans les flots ses cour-
siers haletants, avant que j'aie raconte toutes les m^tamorphoses.
Tout est soumis a mille yicissitudes. Nous yoyons des nations s*e.-
leyer et d'autres tomber. Jadis assez opulente et assez guerriere
pour prodiguer son sang durant dix annees, Troie, terrassee au-
jourd^Hui, n'etale que d'antiques d^ombres. A la place de ses
richesses, elle montre les tombeaux de ses aieux. Sparte, Mycenes,
Athdnes et Thebes, furent c^l^bres et florissantes. Que reste-t-il
de Sparte? un sol mis^rable; de Myc^nes? une ruine ; de Thebes?
une ombre; d'Ath^nes? un nom.. Maintenant les enfants de Dar-
Si tamen est aliquid mirse novitatis in istis,
Alternare vices, et quse modo femina tcrgo
Passa marem est, nunc esse marem miremur hyxnam. ilO
Id quoquc, quod ventis animal nutritur et aura,
Protinus assimulat tactu quoscumque colqres.
Victa racemifero lyncas dedit India Baccho.
E quibus, ut memorant, quidquid vesica romisit,
Vertitur in lapides, et congelat aere tacto. iilt
Sic et curalium, quo primum contigit auras
Terapore, durescit : mollis fuit herba sub undis.
« Deseret ante dies, et in alto Phcebus anhelos
^quoro. tinget equos, quam consequar omnia dicli?;,
In species translata novas. Sic tempora verti t2()
Ccrnimus, atque illas assumere robora gentes,
Concipere has. Sic magna fuit censuque virisqu^,
Perque decem potuit tantum dare sanguinis annos,
Nunc humilis vctercs tnntummodo Troja riiinas,
Et pro divitiis tumulos ostendit avorum, A^ii»
Clarn fuit Sparte; magna; viguere Mycense;
Nec non cecropiae, nec non Amphionis arces.
Vile soluffl Sparte est; altae cecidere Mycenae.
^ (Edipodioniae quid sunt, nisi fabula, Thebae?
~ Quid pandionie restant, nisi nomen, Athens? ^rj)
S08 M&TAHORPHOSES.
danus ^l&vent, dit-on, la yille de Rome, et jettent sur les bords
du Tibre, qui descend de TApennin, les vastes fondemenls d'un
grand empire. Des r^?olutions en reculeront les limites ; elle de-
Tiendra un jour la capitale de runi?ers. Telles sont les pr^dictMHis
des deyins et les arr^ts du Sort. Je m*en souviens, lorsque, ea
voyant Troie chanceler, £n^e versait des larmes et doutait de son
salut, H^l^nus lui paria en ces termes : c Fils d'une ddesse»
fl ^ute, ^ tu as foi en mes predictions; tu vivras, et Troie ne
fl p^ira pas tout entiSre. La flamme et le fer t*ouvriront un pas*
« sage. Tu emporteras lesrestes de Pergame sur une plage ^tran-
fl gere, plus amie des Troyens et de toi que ta propre patrie. Je vois
fl d^jSi les Phrygiens fonder une ville plus grande que toutes oelles
fl qui existent, ou qui furent jadis, ou qui seront un jour.iyurant
• une longue suite de si^les, ses plus illustres enfants ^everont
« rddifice de sa puissance, et un rejeton d'Iule en fera la reine da
fl monde. Quand la terre aura joui de ses bieniaits, il entrera dans
« le s^jotu* des dieux, et le ciel sera sa demeure suprdme. • J'ai
retenu ces paroles qu'adressa le fils de Priam a £nee lorsquUl s'e-
loignait de Troie avec ses pdnates. Je me rdijouis de voir sui^ir ces
Aiinc quoquo dardaniam lama cst consurgere Romam;
Appenninigen'» quaj proxima Tibridis undis
Mole sub ingenti rerum fundamina ponit.
Hsec igitur formam crescendo mulal. et olim
Immensi caput orbis erit. Sic dicere vatcs, 455
Faticinasque ferunt sortes. Quantumque recordor,
Priamides Delenus flenti, dubioquc salutis,
Dixerat iEnex, quum res trojana labaret :
« Nate dea, si nota satis praesagia nostro!
« irentis habes; non tola cadet, te sospite, Troja. 440
« Flamma tibi ferrumque dabunt itcr. Ibis, et una
« Pergama rapta feres, donec Trojxque tibique
« Externum patrio contingat amicius arvum.
« Urbem et jam perno phrygios debere nepotes,
« Quanta nec est, nec crit, nec visa prioribus annis. 445
« Hanc alii proceres per sxcula longa potentom,
« Sed dominam rerum de sanguine natus luli
« Efficiet. Quo, quum tcUus erit usa, fruentur
« ^lberise sedes, coelumque erit exitus illi. »
HiBc Helenum cecinisse penatigero Mnex, 4'i0
Mente momor refero, cognataque moenia lajtor
LIYRE XV. 593
murs que les liens du sang me rendent si chers, el la victoire dcs
Grecs contribuer k la gloire des Troyens.
« Mais je ne dois point m'^arter plus longtemps de mon but.
Le ciel et ce qu'il embrasse, la terre et ce qu'elle renferme, tout
subit des changements. U en est ainsi de nous, faible portion du
monde. Composes d'un corps et d'une ime subtile, nous pouvons
avoir pour demeure le sein des b^tes sauvages ou^ de nos animaux
domestiques. Laissons donc en paix ces corps ou r^side peut-S(re
un p^re; un fr^re, un parent, un homme du moins, et gardons-
nous de renouveler le festin de Thyesle. Avec quelles horreurs on
se familiarise! Comme on se prepare a verser cruellement le sang
humain, lorsqu'on enfonce le couteau dans la gorge d'une g^nisse
et qu'on est sourd a ses mugissements! Ah ! quand un homme peut
immoler un chevreau, malgre ses cris semblables aux vagissements
de Tenfant, ou se repaitre de Toiseau nourri par ses mains, que lui
manque-l-il pour arriver jusqu'au forfait? Vers quels abimes ne
se fraye-t-il pas un chemin? Que le boBuf laboure et nMmpute sa
mort qu'a la vieillesse ; que la brebis nous foumisse un rempart
conlre Taffreux Boree; que la chevre abandonne a nos mains
Ciesccie, el utiliier Phrygibus vicisse Pelasgos.
« Nc lamcn oblilis ad metam tendere longe
. Exspatiemur equis, coelum, et quodcumquc sub illo est,
Immutat formas, tellusque, et quidquid in illa est. 455
Nos quoque pars mundi (quoniam non corpora solum,
Vorum etiam volucres animsB sumus, inque ferinas
Possumus ire domos, pecudumque in pectora condi),
Corpora, quse possint animas habuisse parcntum,
Aut fratrum, aut aliquo junctorum fopdere nobis, 4G0
Aut hominum certe, tuta esse et honesta sinamus,
Keve thyesteis cumulemur viscera mensis.
Quam male consuescit, quam sc parat illc cruori
Impius humano, vituli qui guttura cultro
Rumpit, et immotas praibet mugitibus aures ! 405
Aut qui vagitus similcs puerilibus hoedum
Edentem jugulare potest, aut alite vcsci,
Cui dedit ipse cibosl Quautum est, quod desit in istis
Ad plenum facinus ! Quo transitus inde paratur !
Bos arct, aut mortem senioribus imputet annis ! 470
Horriferum contra Corean ovis arma ministret :
504 N£TAN0RPH0SES.
968 mameUes gonfl^ de lait. Mais flBdtes disparaltre les pi^gesy
les engins, les filets et les laoets perfides. Renoncei k tromper
ayec des gluaux les habitants de i'air. Nepoussez plus dans tos
toiles le cerf effrayS par des piumes ^latantes. Ne caches plus
l*hameQon sons une insidieuse amorce. D^truisez les animaux nui-
sibles, mais n'alles pas au deUi. Ne les servez point sur yotre table ;
oontentes-vous des aliments que vous ofire la nature. »
BIPPOLVTB RAGONTB A £g£rIB L^HISTOIRE DE SES XALHEORS. — iofiRIK
EST CHAKGBE EH FONTAIlfE.
ni. Le cceur plein de ces pr^ptes et d'autres semblables, Numa
rentra, cKt-on, dans sa patrie, et, cedant aux instances des peuples
du Latium, il prit en main les rSnes de Tempire. Heureux ^poui
d*une Nymphe et guide par les Muses, il apprit leurs rites sacr^
et fit goAter les arts de la paix a des hommes accoutumes aui
borreurs de la guerre. Le jour oili, charge d'ans, il quitta le tr6ne
etla vie, son trdpas fut pleurS des femmes, du peuple et du senat.
Son ^pouse sortit de Rome pour se cacher sous les o.mbrages de
la vall^ d^Ande. Ses g^missements et ses sanglots troubl^rent le
culte institue par Oreste en rhonneur de Diane. C!ombien de fois
Ubera dent saturae manibus pressanda capellrc.
Retia cum pedicis, laqueosque artesque dolosas
ToUite, ncc volucrem viscata fallittt virga,
Nec formidatis cervos includile pinnis, 475
Nec celate cibis uncos fallacibus hamos.
Perdite, si qua nocent; venim hoRC quoquc perdite tantum.
Ora vacent epulis, alimentaque mitia carpant. »
BIPPOLTTUS lilSERIAS SUAS EQEMX NARRAT. ~ EGERIA mJTATDR IX FONTEM.
III. Talibus alque aliis instructo pectore dictis
. In patriam reraoasse ferunt, ultroque pctitura 480
Accepissc Numam populi latialis habenas,
Conjuge qui felix Nympha, ducibusque Camenis,
Sacriiicos docuit ritus, gentemque, feroci
Assuetam bello, pacis traduxit ad artes.
Quem, postquam senior regnumque svumque peregit, 485
Exstinctum latiaeque nurus, populusque, patresque.
Deflevere Numam. Nam conjux, urbe relicta,
Vallis aricinae densis latet abdita silvis,
Sacraque oreste» gemitu questuque Dianae
Impedit. Ah! quotics Nymphae nemorisque lacusquc, 490
LIVRE XV. 595
les Nymphes de la for^t et celles du lac la press^nt de moderer
sa doulenr en lui prodiguant les plus douces consolations ! Com*
hien de fois le fils de Th^s^e lui dit en la yoyant eploree : « Mettez
un terme k vos larmes. Votre destin^ n'esl pas la seule a plain-
dre. Jetez les yeux sur des malheurs pareils, le T6tre yous paraitra
plus supportable. Que ne puis-je alleger vos peines par un autre
exemple que le mien! Mais le mien peut suffjre. Vous avez
sans doute entendu parler d*HippoIyte, victime de la credulit^
d'un p^e et des artifices d une coupable mar&tre. Vous allez 6tre
surprise, et j'aurai beaucoup de peine a vous le persuader : Hip>
polyte, c'est moi. La fiUe de Pasiphae, apres m'avoir vainement
engage a souiller la couche de mon pere, feignitque j'avais projete
le crime con^u dans son coeur. Elle le fit peser sur raa tSte, par
la crainte d'une revelation ou par le depit de mon refus, et m'ac-
cusa elle-mSme. Malgre mon innocence» mon p^re me bannit
d'Ath6nes et me chargea d'imprecations.
« Proscrit, je dirigeais mon char vers Trezjne, soumise au
sceptre de Pitthee. Je cdtoyais le rivage de Corinthe, quand tout a
coup la mer se soul^ve. Une immense lame, pareille a une mon-
tagne, s'elance, mugit, s'entr'ouvre a son sommet, et de ses flancs
Ne faceret, monuere, et consolantia verha
Dixere! Ah! quoties flenti Iheseius heros,
« Siste modum, dixit! nec enim fortuna querenda
Sola tua est. Similes aliorum respice casus,
Mitiusista feres; utinamque exempla dolentem, 405
Pion mea lc possent relevaret Scd et mea possunt.
Faudo aliquem llippolytum vestras, puto, contigit aures,
Gredulitate patris, sceleratn fraude noverca)
Occubuisse neci. Mirabere, vixque probabo;
Sed tamen ille ego sum. He Pasipbaeia quondam IXO
Tentatnm frustra patrium temcrasse cubile,
Quod voluit. finxit voluisse, et crimine verso,
Indiciine metu magis, offensane repulsie,
Arguit; immeritumque pater projecit ab urbe,
Hostiliqne caput prece detestatur euntis. 505
« Pittheam profugo curro Troezcna petcbam;
Jamque corinthiaci carpebam littora ponti,
Quum mare surrexit, cumulusque immanis aquarum
In montis speciem cunrari, et crescere visus,
Et dare mugitus, summoque cacumine iiodf. 510
596 N£TAM0RPH0SES.
d^cliirfe vomit un monstre arme de comes. Sa large poitrine
domine les vagues; l'onde jaillit de sa gueule et de ses naseaux.
Malgre reffroi de mes compagnons, je reste ferme : la pensee de
l'exil m'absorbe tout entier. Mes coursiers ardents toumenth
t^te vers la mer ; leurs oreilles se dressent, leurs crins se heris-
sent. L'aspect du monstreles trouble et les effraye; ils precipitent
le char a travers les rochers. Je veux les retenir, mais en vain :
ils blanchissent le frein d*ecume. Pench^ en arri^re, je tire avee
force les rSnes, et j'allais par cet effort suprSme contenir leur fu-
reur, si une roue, heurtee a son essieu contre un arbre, n'eiit
vole en eclals. Je tombe renverse de mon char. Vous eussiez vu
mespieds embarrasses dans les r^nes, mes entrailles eparses, mes
lambeaux suspendus aux ronces, mes membres emportes ou lais-
ses sur la plage, mes os brises avecun bruit terrible, et mon demier
soupir s'exhaler dans les tourments. Je n'offrais plus rien de re-
connaissable : tout mon corps n'etait qu'une plaie.
« 0 Nymphe l pouvez-vous ou oserez-vous comparer vos infor-
tunes aux miennes? J'ai vu les sombres royaumes ; j'ai lave raes
Corniger hinc taurus ruptis expellitur undis,
Pecloribusque tenus molles erectus in auras,
^aribus, et patulo parlem maris evomit ore.
Cortia pavent comitum, mihi mens interriia mansit,
Exsiliis contenta suis, quum coUa feroces HiTt
Ad frela convertunt, arreclisque auribus horrent
Quadrupedes, monstriquc metu lurbantur, et allis
Praecipilant currus scopulis. Ego ducerc vana
Frena manu, spumis albentibus oblita, luctor,
Et retro lentas tendo resupinus habenas ; 520
Nec vires tamen has rabies superasset equorum,
Ni rota, pcroetuum qua circumverlitur axem,
Stipilis occursu fracta ac disjecta fuisset.
Excutior curru; lorisque tenentibus arlus
Viscera viva trahi, nervos in stirpe teneri, VtTj
Membra rapi parlim, partim reprensa relinqui,
Ossa gravem dare fracla sonum, fessamque videres
Exhatari animam, nuUasque in corpore partes,
Noscere quas posses : unumque erat omnia vulnus.
« Num potes, aul audes cladi componere nostrae, .'ioO
Nympha, tuani? vidi quoque luce carentia regna,
LIYRE XY. 507
inembres dechires dans les eaux du Phl^g^thon. Mais la vie nc
m^eut pas ete rendue sans les remedes puissants dufils d*Apoilon.
Grace a son secours et a la vertu de ses plantes, je la recouvrai,
en depit de Pluton. Alors, craignant que ma pr^sence panni les
humains n'excildt Tenvie pour un si grand bienfait, Diane m'enve-
loppa d'un epais nuage. Afin que je pusse me montrer impu-
nement et sans danger, elle me vieillit et rendit mes traits uie-
conuaissables. Apres avoir longtemps hesite si elle fixerait mou
sejour dans la Cr6te ou a Delos, elle renon^a a ces deux iles pour
me transporler ici. Elle m'ordonna de quttter le nom qui pou-
vait me rappeler mes coursiers : « Tu fus Hippolyte, dit-elle ; sois
« encore Hippolyte sous le nom de-Virbius. » Depuis ce jour, j'ha-
bite celte for§t. Plac^ au rang des dieux inferieurs, je vis caclie
sous la protection de la d(^,esse, et je sers ses aulels. » Cependant
les maux d'aulrui ne purent calmer £gerie. Couchee au pied
d'une montagne, elle fondit en larmes, jusqu'a ce que, touchee de
sa pieuse douleur, la sceur d*ApolIon fit de son corps une fraiche
fontaine, et changeases membres en ondes intarissables.
Et laccrum fovi phlegethontide corpus in uuda.
Nec, nisi tipollinecc valido medicamine prolis,
Keddila vita foret, quam poslquum Fortibus licrbis,
Atquc ope pseonia, Dite indignante, recepi. iioj
Tuni iiiihi, ne prxscns augerem muucris hujub -
Invidiani, densas objecit Cynthia nubes.
Utque forem tutus, posseinque impune vidcri,
Addidit xtalem, ncc cognoscenda reliquit
Ora mihi, Crelenque diu dubitavit habenduiii 540
Tradcret, an Delon. Delo Cretaque relictis,
llic posuit, nomenque simul, quod possit cquoruni
Admonuisse, jubet deponere : « Quique fuisti
« ilippolytus, dixit, nunc idem Virbius esto. »
Hoc nemus inde colo, de disque minoribus unus 545
Kuminc sub domino^ lateo, atque acccnseor iUi. »
Kon lamen Egeriae luctus aliena levare
Damna valent, montisque jacens radicibus imis,
Liquitur in lacrymas, donec, pietate dolontis
Mota, ^OYor Plioebi gelidum de corpore fontem JJ50
Fecit, et «cternas arlus tenuavit in undas.
508 METAMOtlPHOSES.
MOTTK DE TERRE CHANGEE EN ENFANT. '
IV. Ce prodige eniut les Nyraphes. Le fils de rAraazone n*eu fut
pas moins surpris que le laboureur tyrrhenieu, quaiid ii vit au
milieu des champs une giebe miraculeuse se mouvoir d'elie-
mfime, sans nulle cause ext^rieure, depouiller sa premiere forme
pour rev^tir celle de rhomme, et ouvrir la bouche pour reveler
ravenir. Les indigenes Tappelerent Tages. Ge fut lui qui apprit
aux £trusques 1'art de la divination.
LANCE DE BOMULUS TRANSFORHEE EN ARBRE.
Y. Romulus fut frappe jadis du meme etonnement, quand il vil
sa lance s*attacher a la terre sur le mont Palatin, se parer toul a
coup de feuillage, s*appuyer sur une racine nouvelle, et non sur
le fer dont elle ^tait armee, et n'^tre plus un dard, mais un arbre
aux rameaux flexibles, donnant une ombre inattendue au peuple
qui admirait ce prodige.
CIPUS PR^F^RE l'eX1L ▲ LA ROYAUTE.
VI. Telle fut encore la surprise de Cipus, quand il apergut ses
cornes dans les eaux du Tibre. A raspectd'un tel prodige, se croyanl
TAGES E GLEBA OHtUS.
IV. At Myiuphus tetigit uova res; et Amuzonc natus
Ilaud aliler stupuit, quam quum tyrrhenus arator
Fatalem glebam mediis uspexit in arvis,
Sponle sua primum, nulloque agitante, moverij 553
Sumere mox hominis, t6rr;eque amittere iormani,
Oraque vcuturis aperire recentia fatis.
Indigcna3 dixere Tagen, qui priinuS ett*uscam
Edocuit gentem casus aperire fdturos.
ROMULI HASTA IN ARBOREM VlRESaT.
V. Utque palatinis hserentem i^ollibus olim, 060
Quum subito vidit frondescere Romulus hastani,
Qiidd radice hova, non ferro stabat adacto,
Et jam non telum, sed lenti viminis arbor,
Non exspectatas dabat admirantibus unibras.
CIPUS EXILIUM SOLIO ANTEPONIT.
VI. Aut sua fluminea quum vidit Gipus in unda 365
Comua, vidit euim, falsamque iu imaginc credens
LIYRE XV. 599
le jouetd^uiie iilusion» il refusad y ajouter foi. Souveut ii porta ses
doigts a son front ; mais, quand il eut touche ce qui avait frappe ses
regards, il cessa d'accuser sa vue. D revenait a Rome, vainqueur de
ses ennemis . li s^arr^ta, et , les yeux et les bras leves au ciei : « Dieux,
s'ecria-t-il, quel que soit Tevenement annonce par ce piienomene,
s'il est iieureux, qu'il soit pour ma patrie et pour les enfants de
Quirinus; s'ii est funeste, qu'ii soit pour moi seul ! » A ces mots,
11 brille de rencens sur un autel de gazon, verse du vin dans une
coupe, immole des brebis et cherche une explication dans leurs
entrailles palpitantes. L'aruspice tyrrhenien ies examine avec lui,
et decouvre dans Tavenir de grands evenements encore obscurs.
•Puis, des fibres de la victime portant un regard per^ant sur Gipus :
< Roi, salutl dit-il. Oui, ce iieu et les viiles du Latium seront
soumises aux cornes de ton front. Hdte-toi de franchir les portes
ouvertes devant toi : tel est i'ordre du Destin. Re^u dans Rome, tu
seras proclame roi, et tu porteras un sceptre eternel. » Cipus recule,
et, detoumant de Rome ses farouches regards : « Ah ! repond-il,
que les dieux eloignent de moi ces presages ! Que ma vie s^ecoule
Eb&e iidem, digitis ad frontem ssepe relatis,
Quem vidit, tetigit; nec jam sua lumina damnanb
ilcstitit, ut victor domito remeabat ab lioste.
Ad ccclumque oculos, et eodem brachia tollens : oiO
« Quidquidj ait, Superi, monstro portenditur isto,
Scu laetuin est, patria; Ixtum, populoque Quirini;
Sive minax, mihi sit! » Vitidique e cespite factab
Pl&cat odoratis herbosas ignilms aras,
Vinaque dal pateris, mactatarumque bideutum, 57ii
Quid sibi significeut, trbpidantia consulit exla*
QUiB simul inspexit t^^rrhense gentis haruspex,
Magna quidem rerum molimina vidit in illis,
Non manifesta tamen. Quum vero sustulit acre
A pecudum fibris ad Cipi cornusl lumen : 530
d Rex, ait, o salve! tibi enimj tibij Cipe, tuisqiic
Uib locus et latiiB pat^ebunt cOmibuii arC3s.
Tu modo rumpe mdram, porlasque intrare patenteS
Appropera. Sic lata jubent ; namque Urbe receptus
Uex eris, ct sceptro tutus poliere perenni. » 985
Hettulit ilie pedem, torvamque a moenibus uthis
Avertens faciem : « Procul, ah! procul omina, dixit,
Talia di pellant, multoqus ogo jusliut nvuiii
600 mEtamorpuoses.
daiis rexil, avant que le Gapitoie me voie ceindre le diadenie des
rois ! »
Soudain il convoque le peuple et l'augusle senat. Cachant ses
cornes sous des lauriers, il monte sur un tertre eleve par ses sol-
dals, et, apres avoir invoque les dieux, suivant Fantique usage :
« Citpyens, dit-il, il y a parmi vous un homme qui deviendra
votre roi, si vous ne le bannissez de Rome. Je vous le ferai con-
naitre, plut6t par un signe que par son nom : il a des cornes
au front. L'augure vous avertit que, s'il entre dans Rome, il vous
dictera des lois comme a des esclaves. Yos portes etaient ouvertes;
il pouvait les franehir : je m'y suis oppose. Cependant personne
ne lui est attache de plus pres que moi. Enfants de Quirinus, eloi-
gneZ'Je de Rome. Si vous le trouvez coupable, chai^^ez-le de chal-
nes, ou mettez lin a vos craintes par la mort du tyran dont le
Destin vous menace. » Pareilles au bruit qui s'eleve d'une for^t dc
pins agitee par le souffle imp^tueux de TEurus, ou au murmure
des flots qu'on entend de loin, miUe voix confuses partent de
Tassemblee. Au milieu des clameurs, une voix les domine et de-
mande : « Quel est cet liomme ? » On examine les fronts et i'on
Exsul again, quam me videanl Capltolia regeni. •
Dixit, ct extcmplo populumque gravemque senatum 590
(lonvocat. Anle tamen pacali cornua lauro
Velat, ct aggcribus factis a milite forti
Insislit, priscoquc deos e more precatus :
« Est, ait, liic unus, qucm vos nisi pellitis urbc,
He.v erit, is qui sit, signo, non nomine, dicam. 59o
Cornua iroiite gerit, quem vobis indicat augur,
Si Romam intrarit, famularia jura daturum.
lile quidem potuit portas irrumpere apertas;
Sed nos obstitimus, quamvis conjunclior illo
Kemo mibi est. Vos urbe virum prohibele, Quiritcs, 600
Vel, si dignus erit, gravibus vincite calenis,
.\ut finile metum fatalis morte tyranni. »
Qualia succinclis, ubi trux insibilat Eurus,
Murmura pinetis iiunt; aut qualia fluctus
.-Equorei faciunt, si quis procul audiat illos; 005
Tale sonat populus. Sed per confusa frementis
Verba tamen vulgi vox eminct una : « Quis illc? »
Et spectant frontes, praidictaquc cornua quaerunt.
LlVKE XV. . . 001
clierche le signe indique par i'oracle. Cipus reprend : < Voici ce-
lui que vous dierchez. » A ces mots, malgre le peuple, ii detache
sa couronne et montre le symbole fatal. Tous baissent les yeux et
poussent des gemissements. Qui pourrait le croire? ils regardent
a regret ce front couvert de lant de gloire, et, ne pouvanl suppor-
ter plus longtemps qu'il reste sans honneur, ils y replacent la no-
ble couronne. Les senateurs, 6 Cipus ! pour te consoler de Tarret
qui finterdisait Rome, te firent hommage de tout ie terrain que
peut embrasser un aitela^e de boeufs depuis le lever du solcil
jusqu'a son coucher, et graverent sur des portes d'airain li-
mage de ton front, celebre par un prodige qui vivra dans tous
les siecles.
ESCCLAPE METAMORPHOSE BN SERPENT.
Vll. Mainlenant, Muses, divinites protectrices des po^tes, dites-
moi (car vous savez tout et les siecles les plus recules n'6nt point
de voiles pour vous), dites-moi comment Tile que leTibre entoure
de ses eaux admit Esculape au nombre des dieux de Rome.
Jadis une affreuse contagion infesla le Latium. Ses habilanls,
consumes par le fleau, n^etaient plus que des fantdmes. Fatigu^b
Pkursus ad Iios Cipus : « Quem poscilis, iuquit, liubclis, v
Et, dempta capili, populo prohibente, corona, Oiii
Exhibuit gciniao praesignia tempora cornu.
Demiserc oculos omnes, gemitumquc dcdere
(Atquc illud nieritis clurum quis credcre possiiy),
luviti videre caput; uec honore cnrerc
Ullerius passi, festam imposuere coronam. *»^0
At procercs, quouiam m.uros inlrare vcrcris,
Ruris honorati tantum tibi, Cipc, dederc,
Quantum depresso subjectis bubus aratro
Complecti posses ad finem solis ab orlu ;
Gornuaque xratis, miram referentia formuui, OiS
Postibus insculpunt, longum mansura per xvuin.
ESCULAPIUS IN ANGUEM HUTATUS.
Vil. Pandile nunc, Musae, prapsenlia uumina vatuin
(Scitis euim, uec vos fallit spatiosa vetustas),
Unde Coronidcn circumflua Tibridis alveo
Ibsula romulco} sucrii adsciverit urbis. ^viO
Dira lues quoudam latias vitiavcrat auras,
Pallidaque ex2>angui squalebaut corpora tabo.
34
m METAMORPUOS£S.
de fiiiidraiiles, quand ils virent 1'impuissance des efforts humains
et des ressources de l'art, ils implorerent le ciel et envoyerent
consulter Toracle de Delphes, place au cenlre du monde. Us con-
jurerent ApoIIon de sauver un peuple malheureux et de mettre
un terme aux desastres d'une si grande cite. Le temple, le laurier
du dieu et le carquois quMI porte sur ses ^paules, s'agiterent a ia
fois, et, du fond du sanctuaire, le trepied prophetique jeta par
ces paroles T^pouvante dans les cceurs : « Ge que vous cherchez
ici, Romains, vous Teussiez obtenu sans ailer si ioin. Maintenant
m^me vous pouvez ie decouvrir prte de vos foyers. Pour mettre
tin a vos souffrances, vous n^avez pas besoin d'ApolIon, mais de
son fils. Partez sous d'heureux auspices, et emmenez-le a Rome. »
A peine le sage senat a-t-ii connu cette reponse, qu'il s'informe
du lieu qu'habite le jeune fils d'Apollon. Des ambassadeurs font voiie
vers fipidaure. Des que leur vaisseau touche au rivage, ils se pre-
sentent devant le conseil des Grecs. Us le prient de leur accorder ce
dieu dont la presence dans l'Ausonie doit mettre un terme a
tant de funeraiiies, et declarent que tei est Tordre de Toracle.
L'assemblee se partage en sentiments contraires. Les uns penseQt
('Uneribus fessi, postquam mortalia ceinuut
Teutamentu nihil, nihil artes possc medentum^
AuxiUum coeleste petunt; mediamque tenentes 630
Orbis humum Delphos adeunt, oracula Pfioebi;
Utque salutifera raiseris succurrere rebus
Sortc vclit, tantseque urbis mala liniat, oranl.
Et locus, et laurus, ct, quus habet ipse, pharetrx^
Intremuere simul; cortinaque reiddidit imo tioo
Hanc adyto vocem, pavciactaque pectora mOvit:
« Quod petis hinc, propiorc Iocq, Romane, petisses;
Et pete nunc propiore loco. Kec ApolHne vobis,
Qui minuat luctus, opus est, sed Apolline nato.
Ite bonis avibus, prolCmque arcessite nOstram. » 640
Jussa dei prudens postquam accepere scnatus,
Quam colat, cxplorant, juvenis phoebeius urbem,
Quique petant ventis epidauria httora mittunt.
Quae simul iucurva missi tetigere carina,
Concilium graiosque patres adiere; darentque 64 j
Orsivere deum, qui praisens.funera gentis
Finiat ausoniae : certant ita dicere sorles.
Dis&idet et variat &enteutia, paraque negandum
• MYUE XV. 603
qu'irs doiTent venir en aidc aux Romains; le plus grand nombre
conseiHe de ne point renoncer a un puissant appui en livrant leur
divinit^.
Au milieu de ces incertitudes, le crepuscule succ^de aux der-
niers rayons du jour, et la nuit enveloppe la terre de ses ombres.
Dans cet instant, Romains, le dieu secourable vous apparait en
songe devant votre coucbe, comme on le voit dans son temple, un
bSton rustique a la main gauche et caressant sa longue barbe de
la main droite. D'une voix paisible il vous adresse ces paroles :
« Bannissez vos craintes. J'irai, je me depouillerai de mes trails.
Regardez seulement ce serpent dont les anneaux entourent ce
bftton, et considerez-le avec attention, afin de pouvoir le recon-
naitre. Je prendrai sa forme, mais jeserai plus grand et tel qu'il
convient aux corps celestes de se montrer. » Soudain le dieu dis*
parait avec la voix. Le sommeil s^eloigne et le jour renait.
L'Aurore avait chasse les astres de la nuit. Les magistrats, in-
certains sur le parti a prendre, s'assemblent dans le superbe tem-
ple d'EscuIape, et prient le dieu de faire connaitre par des signes
celestes le sejourou il veut r^sider. A peine leur priere 6tait-el!e
Non putut auxilium; multi rcnuere, suamque
Non emittere opem, nec numina tradere su.ident. 6S0
Dum dubitant, seram pepulere crepuscula lucem,
Umbraque telluris tenebras induierat orbi,
Quum deus in somnis opifer consistere visus
Ante tuum, Romane, torum; sed qualis in scde
Esse solet, baculumque tenens agreste sinistra, 055
Gaesariom lon;;sc dextra deducere barbie,
Et placido tales emittere pcctorc voces :
« Pone metus ; veniam, simulacraque nostra relinquam.
Ilunc modo serpentcm, baculum cui nexibus ambit,
Perspice, et usque nota visu, ut cognoscere possis. 660
Vertar in hunc; sed major ero, tantusque videbor,
]n quantum verti cnclestia corpora debent. »
Eslemplo cum voce dcus, cum voce deoque
. Somnus abit, somniquc fugam lux alma secut9 esU
Postera sidercos Aurora fugaverat ignes; 603
Incerti quid agant proceres ad templa petiti
Gonvcniunt operosa dei; quaque ipse morari
Scde velit, signis ccelestibus indicet, orant.
604 H£TAM0RPH0SES.
achev^, que le dieu, sous la forme d'un serpent a la cr^te d'or,
rev^le sa presence par des sifflements. A son approche, la sta-
tue, l'autel, les portes, le marbre du parvis et le faite du tero-
ple, tout s'^bran1e. Dress^ jusqu'a la moiti^ de son corps, il
s'arr6le dans Fauguste enceinle, el promene aulour de lui des
yeux ^tincelants. Le peuple est glace d^effroi. Le pontife, dont la
t^te sacree est ceinte de bandeaux blancs, reconnait la divinite et
s'6crie : < Voici, voici le dieu ! Soutenez mes prieres par les v6tres,
vous tous qui Stes ici presents. Dieu puissant, sois-nous propice !
Yiens au secours d'un peuple qui honore tes autels ! » L'assem«
bl^e, docile a ses ordres, adore le dieu. Les Komains r^p^tent les
paroles du pontife : leurs coeurs et leurs voix accompagnent ses
prieres. Esculape les exauce. Pour annoncer que leurs voeux sont
nccueillis, il secoue sa cr6te, et sa langue fait entendre trois siffle-
ments. Puis il glisse sur les degres polis du temple, la t^te tour-
n^e en arri^re. Avant de quitter ses anciens autels, il les regarde
et salue son ancienne demeure, le temple qu'il a jusqu^alors ha-
bit6. II rampe sur la terre jonch^e de fleurs, deploie ses vastes
anneaux, traverse la ville et s^avancejusqu'au m61e circulaire qui
Vix bene desierant, quum crislis aureus altis
Iii serpente deus prajnunlia sibila misit. G70
Adventuque suo signumque, arasque, foresque,
Marmoreumque solum, fastigiaque aurea movit;
Pectoribusque tenus media sublimis in rede
Constitil, atque oculos circumtulit igne micantes.
Territa turba pavet. Cognovit numina castos C7"i
Kvinclus vitta crines albente sacerdos,
Et : (c Deus en, deus en; linguisque animisque favcle,
Quisquis ades, dixit. Sis, o pulcherrime, visus
Utiliter, populosque juves tua sacra colentes. »
Quisquis adest, jussum venerantur numen, et omner ♦;8(J
Verba saccrdolis referunt gerainata, piumque
JEneadsc prajstant et mente et voce favorem.
Annuit his, motisque deus rata pignora cristis,
Ter rcpetita dedit vibrata sibila lingua.
Tum gradibus nitidis delabitur, oraque retro tjS"»
Fleclit, et antiquas abiturus respicil aras,
Assuctasque domos, habitataque templa salutat.
Inde per injectis adoperlam floribus ingens
Serpit huraum, flectilque sinus, raediaraque per urbem
T^adit a!) incurvo muuitos aggere portus. 090
LIVRB XV. 605
prol(5ge le port/La il s*arr6te. Ses yeux semblent se fixer avec
plaisir sur son cortege , et jouir des hommages de la foule qui se
presse sur ses pas. II monte sur le navire latin. Le navire sent ie
poids de la divinite, et. s^affaisse sous Tauguste fardeau. Les Ro-
mains, transportes d'allegresse, immolent un taureau sur le ri«
vage, et levent Tancre qui retient la nef couronn^e de fleurs.
Une brise leg^re enfle la voile. Le dieu se redresse; il pose sa
l^le sur la poupe et contemple les ondes. Seconde par la douce
haleine des vents, le navire silionne la mer dlonie. A la sixieme
aurore, il vogue vers lltalie. II franchit Lacinium, c^l^bre par le
temple de Junon, Scylacee et Flapygie. A force de rames il 6vite, a
gauche, les rochers d'Amphisse ; a droite, les redoutables monts
Cerauniens, Romechium, Caulon et Naryc'e. II traverse T^troit
passage du P^lore et double le royaume d'£ole, les mines de
Tem^se, Leucosie et les champs de PoBStum couverts de rosiers.
II passe devant Capree, le promontoire de Minerve, les collines de
Sorrente, fecondes en vins genereux, la ville dHercuIe, Stabies,
Parthenope aux doux loisirs, le lemple de la Sibyllo de Cunies,
Restitit hic, agmenquo suum, turbaeque sequentis
Officium placido visus dimittere vultu,
Corpus in ausonia posuit rate. Numinis illa
Sensit onus, pressaque dei gravilate carina est.
^neadae gaudeut, csesoque in lillore tauro, 695
Torta coronatae solvunt retinacula navis.
Impulerat levis aura ratem. Deus eminet alle,
Impositaque premens puppim cervice recurvam
Cxruleas despectat aquas; modicisque per sequor
lonium Zephyris, sexto Fallantidos ortu 700
Italiam tenuit; praelerque Lacinia templo
Nobilitata deae, scylaceaque littora fertur.
Linquit lapygiam, Isevaque amphissia rcmis
Saxa fugit; dextra prxrupta Ceraunia parte,
Romechiumque legit, Caulonaque, Naryciamquo, 705
Evincitque fretum, siculique angusta Pelori,
Hippolndacque domos regis, Temesesque metalia,
Lcucosiamque petit, tepidique rosaria Pa}sti.
Inde legit Capreas, promontoriumque Minervje,
Et surrentino generosos palmite colles, 710
Herculeamque urhem, Stabiasque, et in otia natam
Parthrnopen, et ab hac cum»a3 templa Sibyllae.
54.
606 METABIORPnOSES.
]es eaux thermales de Baies, Linterne fertile en lentisques, le
Yulturne qui roule tant de sable dans ses eaux, Sinuesse peuplee
de blanches colombes, Mintumes dont Fair est si pesant, Gai^teou
finee ensevelit sa nourrice, Formies ou r^na Antiphate, Thraque
entour^ d'un marais, la terre de Girce, et Antium qu'obscurQit
une brume ^paisse.
Cest vers ce point que les nautoniers toument leurs voiles;
car la mer devenait orageuse. Le dieu derouleses vastes anneaux,
et par de nombreux replis se glisse dans le temple d'ApoIlon, bati
sur ce rivage. Les flots s'apaisent. Le dieu dfipidaure s'eloigne
de raulel hospitalier de son pere. II sillonne le sable de ses
bmyantes ^cailles, s'appuie sur le gouveraail et repose sa tete
sur la poupe, jusqu'a ce qu'il aborde a Castrum, aux champs sa-
cr^s de Lavinie et a Tembouchure du Tibre. La il voit accourir en
foule les hommes, les femmes et les vierges chargees de veiller au
feu de Vesta, divinil^ protectrice de Troie, et tous le saluent par des
cris de joie. Sur les deux rives du fleuve que le navire remonte
sont dress6s des autels ou petille la flamme; partout s^elevent des
flots d^encens qui parfument les airs, et la victime tombe sous le
Hinc calidi fontes, lentisciferumque tenentur
Linternum, muUamque trahens sub gurgite arenani
Vullurnus, nivcisque frcquens Sinuessa columbis, 715
MinturnaDque graves, et quam tumulavit alumnus;
Antiphatseque domus, Trachasque obsessn palude,
Et tellus circaBa, et spissi liltoris Antium.
Huc ubi veliferam nautaj advertere carinam.
Asper enim jam pontus erat, deus explicat orbcs, 7i0
Perque sinus crebros, ct magna volumina labcns,
Templa parentis init flavum langentia littus.
jEquore pacalo, patrias Epidaurius aras
Linquit, et hospilio juncti sibi numinis usns,
Littoream tractu squam.TC crepitantis arenam 7:25
Sulcat, et, innixus moderamine navis, in alla
Puppe caput posuit; donoc Castrumque, sarrasque
Lavini sedes, tiberinaque ad oslia venil.
Huc omnes populi passim, matrumque, palnunque
Obvia turba ruit, quaeqne ignes troica servat 730
Vesta, tuos, laetoque deum clamore salutant.
Quaque per adversas navis cita ducitur undas,
Thura super ripas, aris ex ordine factis,
Parte ab utraque sonant, et odorant aera fumis,
LIVRE XV. 60-
contean sacrS qu*elle rougit de sang. Enfin le navire entre dans
Rome, la reine du monde. Le serpent s'^lance jusqu'au haut du
m&t; il agite sa tSte et cherche la demeure quMl doit choisir. Le
fleuve se divise en deux parties et donne son nom a rile qu'il en-
toure egalement de ses bras. Cest la que le serpent sacre se re-
tire en sortant du vaisseau. U reprend ses traits c^lestes, et met
fin au deuilde Rome dont il fut le sauveur.
JULES ciSAR CHANG^ EN ASTRE. — LOUANGES D^AUGUSTE. — £PIL0GUR.
Vin. Cependant Esculape n'cst dans nos temples qu'un dieu
^tranger ; mais G6sar re^it les honneurs divins dans la ville qui
Fa vu naitre. Dlustre dans la paix comme dans la guerre, ce n'est
point a des combats couronnes par des triomphes, ni k la sagesse
de son gouvemement, ni a ses rapides conqu6tes, quMl doit la
^gloire de briller parmi les astres et de former une com^te nou-
velie : il en est redevable k son fils. Parmi tous ses titres, le plus
beau est celui de pere d'Auguste. Les Bretons domptes, malgr^ les
mers qui les prot^gent; les flottes victorieuses conduites jusqu'aux
Ictaque conjectos incalfacit hostia cultros. T.l^
Jamque caput rerum, romanam intraverat urbem.
Erigitur serpens, summoque acclinia malo
Colla movet, sedesque sibi circumspicit aplas.
Scinditur in geminas partes circumfluus amnis.
Insula nomen habet, laterumque a parte duorum "40
Porrigit sBquales media tcllure lacertos.
Huc se de latia pinu phcBbeius anguis
Contulit, et finem, specie coelesle resumpta,
Luctibus imposuit, venitque salutifer urbi.
JinJITS CiESAR FIT SIDUS. — AUGUSTI PRjECOXIUM. — EPn.OCUS.
VIII. llic lamen accessit delubris advena nostri^; 7Vi
Cacsar in urbe sua deus est. Quem marte togaquc
Praecipuum, non bella magis finita triumphis,
Resque domi gcstae, propcrataque gloria rerum
In sidus vertere novum stellaraque comantem,
Quam sua progenies; nequc enim de Csesaris actis 7S0
Ullum majus opus, quam quod pater exstitit hujus,
Scilicet eequoreos plus est domuisse Britannos,
Perque papyriferi septemflua flamina Nili
Victrices egis- o rates, Numidasque rebelles,
008 METAMORPHOSES.
sept boucbes du Nil ; les Numides rebelles, l'Africxiin Juba, et le
Pont fier du nom de Mithridate, ajoutes a la puissance romaine;
des triomphes souvent merites, obtenus quelquefois, ne sont pas
des avantages plus glorieux que d'avoir donne le jour au grand
homme que vous avez mis, dieux puissants, a la t§te de l'empire
pour assurer le bonbeur de runivers. Auguste ne pouvait sortir
du sang d'un mortel : il fallait que Cesar fut un dieu. La belle
Venus vit son apotheose; raais elle vit aussi prgparer la mort du
pontife et les armes des conjures. Elle courut toute pale au-devant
de chaque dieu qu elie rencontrait • « Voyez, leur disait-elle.
quels pieges horribles me sont tendus, et quel affreux complot
se trame conlre Tunique rejeton d'Iule. Seule parmi les deesses,
aurai-je donc toujoursdejustes sujets deplaintes? Tantot je suis
blessee par la lance de Diomede, tantot je rougis de voir les rem-
parts de Troie.mal defendus. J'ai vu mon fils errer longtemps sur
les mers, ^tre le jouet des flots, descendre dans le sejour des om-
bres, combaltre contreTurnus, oupIul6t contre Junon. Mais pour-
quoi rappeler les maux soufferts jadis par les miens? La crainte
qui m'obsede etouffe en ce moment ces souvenirs. Vous voyez
Cinyphiumque Jubam, mithridateisque lumenlem 755
Nominibus Pontum, populo adjecisse Quirini,
Et multos raeruisse, aliquos egisse triumphos,
Quam tantum genuisse virum, quo praeside rerum
Ilumano generi, Superi, cavistis abunde.
No foret hic igitur mortali semine cretus, 7C0
Ille deus faciendus erat. Quod ut aurea vidit
JEness genitrix, vidit quoque triste parari
Pontifici letlium, et conjurala arma moveri.
Palluit, et cunctis, ut cuique erat obvia, divis :
« Aspice, dicebat, quanta mihi mole parentur 7(>'j
Insidise, quantaque caput cum fraude petatur,
Quod de dardanio solum mihi restal lulo.
Solane semper ero justis exercita curis?
Quam modo Tydidae calydonia vulneret hasta ;
Nunc male defensa; confundant moenia Trojnn; 770
Quae videam nalum longis erroribus actum
Jactarique freto, sedesque intrare silentum,
Bellaque cum Turno gerere, aut, si vera fatemur,
Cum Junone magis. Quid nunc antiqua recordor
Damna mei generis? Timop hic raeminisse priorum
LIVRE XV. 0C9
qu*on aiguise contremoi des glaives impies. D^lournez-les, jevous
en conjure ; pr^venez un tel crime, et ne souffrez pas que le feu
de Yesta s'eteigne dans le sang de son pontife. »
Telles sont les inutiles plaintes dont la d^esse inqui^te remplit le
ciel. Lesdieux en sont 4mus. S'ils ne p^uvent briser les inexorables
decrets des trois vieilles Sceurs, ils donnent au moins des signes
certains de leur douleur future. Un bruit d'armes retentit au mi-
Weu de sombres ntfnges. Le son terrible des trompettes et des clai-
rons pr^dit un grand attentat. Le soleil ep deuil envoya une pale
lumi^re a la terre alarm^e. Souvent, dans les airs, on apercut
des torches ardentes; souvent du sein des nues tomberent des
gouttes de sang. L^etoile brillante du matin se couvrit d'obs-
curite, et le char de la lune parut tout sanglant. Dans milie en-
droits le funebre hibou donna de sinistres presages ; dans mille
endroits on vit pleurer Tivoire. Des bois sacrfe firent entendre des
chants lugubres et des voix menaQantes. Les vicUmes n'apaisaient
point les dieux. Leurs fibres annongaient de grandes s^ditions
pr^les a ^clater,' et dans leurs entrailles on trouva la partie supe*
rieure d'un foie coupee. Au milieu du Forum, autour de nos mai-
Non sinit. In me acui scelcratos cernilis enses.
Quos prohibcte, precor, facinusque repellite, neve
Cacdc sacerdotis flammas exslinguite Vestce. »
Talia nequicquam toto Vcnus anua ccelo
Verba jacit, Supcrosque movet. Qui rumpere quanquam 780
Ferrea non possunt veterum decreta Sororum ,
Signa tamen luctus dant haud incerta futuri.
Arma ferunt nigras inter crepitantia nubes,
Terribilesque tubas, auditaquc cornua coelo
Praemonuisse nefas. Phoebi quoque tristis imago 78fJ
Lurida sollicitis praebebat lumina terris.
Saepe faces visse mediis ardere sub astris;
Ssepc intcr ninibos guttse cecidere cruentse.
Caerulus et vultura ferrugine Lucifer atra
Sparsus crat; sparsi lunares sanguine currus. 790
Tristia mille locis stygius dedit omina bubo;
Uille lo^is lacrymavit ebur; cantusque fcruntur
Auditi, sanctis et verba minacia lucis.
Victima nulla litat, magnosque instare tumultus
Fibra monet csesumque caput reperitur in extis, '^^'i
CIO MftTAMORPnOSES.
sons et des temples, des diiens hurl^rent pendant la nuit, et Fon
vit errcr les ombres des morts. Rome elle-m^me trembla sur
ses fondements. Mais les avis des dieux ne peuvent triompher ni
de la trahison ni du Destin. Des glaives nus sont port^ dans le
s^nat. Oui, le s^natest choisi de pr^ference a tout autre lieu pour
seryir de theitre au crime affreux qui se pr^pare.
Alors la deesse de Gyth^re se frappe le sein. Elle cherche a
envelopper Cesar du nuage qui d^roba P^is a la fureur d'Atride
et £nee au glaiye de Diomede. Jupiter lui dit : « 0 roa fille! crois-
tu pouYoir seule fl^ir Fimmuable Destin ? Entre dans le s^jour
des trois Soeurs, je te le permets. La tu verras un ouvrage im-
mense, des tables d'airain et de fer ou est ^crit le sort des hur
mains. EUes sont etemelles, et ne craignent ni le choc des deux,
ni les ^clats de la foudre, ni les changements, ni la destruction.
M, sur le plus dur m^tal, sunt fixto les destinees de ton peuple.
Jeles ai lues moi-m^me et gravto dans ma m^moire. Je vais te
les d§Yoiler, afin que Tavenir n'ait plus d^ormais de myst^
pour toi.
« Deesse de Cyth^re, le h^ros. dont le sort finqui^te a rempli
Inque foro, circumquc domos, ct templa deorum
Nocturnos ululasse canes, umbrasque silcntum
Erravisse ferunt, motamque tremoribus urbem.
Noii (amen insidias, vcnturaque vincerc fata
Pra^monitus potuere deum. Strictique feruntur 800
In templum gladii; nequc enim locus uUus in nrbc
Ad facinus, diramquc placet, nisi Curia, cscdem.
Tum vero Cylherea manu percussit utraquc
Peclus, ct oitheria molitur condere nube,
Qua prius infesto Paris est ereptus Atridae, 8Hr»
Et diomedeos ^neas fugcrat enses.
Talibus hanc gcnitor : « Sola insuperabile fatum,
Nata, movere putas? Intres licet ipsa Sororum
Tecla trium : cernes illic molimine vasto
Ex xre, et solido rerum tabularia ferro, 810
QuoB neque concursum cocli, neque fulminis iram,
Nec metuunt ullas, tuta atquc Oiterna, ruinas.
Invo.nies illic inclusa adamante perenni
F»ta tui generis. Legi ipse, anirooque notavi,
Etreferam, ne sis etiamnum. ignara futuri. 815
» Uic sua complevit, pro quo, Cytherea, laboras,
LIVIIE XV. 611
les temps qui iui furent donnes : les annees qu'ii dut a ia terre
sont finies. 11 sera mis au rang des dieux et Iionor^ 'dans des
temples. Cest a toi, c'est au fils heritier de son nom et destine a
porter le poids de l'empire, que ce soin appartient. Intrepide
vengeur du meurtre de son pere, ii sera soutenu par les dieux
dans les combats. Sous ses auspices, Mutine, assiegee et Taincue,
demandera la paix; Pliarsale eprouvera la force de son bras, et
les piaines de Piiilippes seront de nouveau inondees de sang. Les
mers de Sicile verront ia defaite d'un grand nom. Dne reine
d'figypte, femme d'un general romain, succombera, malgre le
foi espoir qu'eile avait mis en son hymen^e, et apr^s nous avoir
en vain menaces d'asservir notre Gapitoie a Ganope. A quoi bon
t'enumerer les nations barbares repandues sur les bords des deux
oceans?'Tous ies peuples de Tunivers recevront ses iois; la mer
m^me lui sera soumise. Apr^s avoir pacifi6 ia terre, il s'occupera
des institutions politiques ; 11 donnera de sages lois et regiera les
moBurs par son exemple. Sa prevoyance embrassera Tavenir et
toute sa post^rit^ : il ordonnera au fiis de sa chaste epouse de
porter son nom et le fardeau de i^empire, et ne montera au ce-
Teiiiporu, perfectis, quos teirsB debuit, annis.
Ut deus accedat coelo, templisque colatur,
Tu facies, natusque suus; qui, nominis ba&res,
Impobitum feret urbis onus, Cicsique parentis 820
Nos in bella suos fortissimus ultor babebit.
lUius uuspiciis obsessae mtenia pacem .
Victa petent MutiDx. Pharsalia sentiet illum,
.^matbiaque iterum madefacti caede Pbilippi; '
Et magnum siculis nomen superabitur undis ; 8ib
Romanique ducis conjux cegyptia, tsdae
I<ion bene fisa, cadet; frustraque erit illa minata,
Servitura suo Capilolia nostra Canopo.
Quid tibi Barbariem, gentesque ab utroque jaceutes
Oceano, numerem? Quodiiumque habitabilc tellus 830
Sustinet, hujus erit; pontus quoque serviet illi.
Pace data terris, animum ad civilia vertet
Jura suum, legesque feret justissimus auctor,
Exemploque suo mores reget. Inque futuri
Temporis aetatem, venturorumque nepolum 855
Prospiciens, prolem sancta de conjuge natura'
Ferre simu), nomenque Buum, cuia»que jubebit;
G12 M£TAM0K1>H0SES.
leslc sejour, u cuLe de ses aieux, qu'apres avou^ atteint Tage du
roi de Pyios. Metamorphose en astre l'^me de Cesar au moment oii
un meurtre ia bannira de sa demeure mortelle, afm que du haut
du ciel le dieu Jules protege a jamais le Capitole et le Forum. •
II dit. Venus descend dcs voules etherees, invisible a tous les
regards, et s'arr6te au milieu du senat. Du corps de Cesar ellc
detache son Ame, 1'empMie de s'^vaporer, et remporte dans
la region des astres. En s^elevant, la deesse la sent se transfor-
mer en une substance divine et s'embraser. Elle la laisse echap-
per de son sein. L'ame s'envoIe au-dessus de la lune et devieut
une etoile brillante qui traine dans un long espace sa clievelure
enflamm^e. Du celeste parvis C6sar voit les exploits de son fils,
bicn superieurs aux siens, et se rejouit d'^lre vaincu par lui. Au-
guste defend qu'on prefere ses actions a celles de son pere. Mais
la Renommee, libre et independante, le place, malgre lui, au-des-
sus de Cesar : elle ne lui est contraire que sur ce poinl. Ainsi le
grand Atree est moins illustre qu'Agamemnon, ainsi Thesee rem-
porte sur figee, Achille sur Pelee; et, pour citer des exemples
dignes de mon suj,^, cest ainsi que Saturne est infericur a Jupi-
fiec, nisi quum Pylio siiniles cequaverit anuoa,
i4it)ierias sedes, cognalaque sidera tangel.
Hanc animam iutcrca caeso de corpore raptaiii N iO
Fac jubar, ut seniper Capitolia nostra foruniquo
Divus ab excelsa prospectet Julius arce. t>
Vix ea fatus erat, media quuin sede senalu:»
Constitit alma Venus, nulli cernenda, suiquc
Cajsaris eripuit niembris, iiec in aera solvi Sio
Passa recenlein aiiiinain, coelestibus intulit aslris.
Dumque tulit, nuinen capere, alque ignescere SrCiisit,
Emisitque sinu. Luna volat altius illa,
Flammiferumque Irahens spalioso liniite crinem
Stella micat; natique videns bencfacla, falelur SiiO
Esse suis majora, et vinci gaudcl ab illo,
Ilic sua prajfcrri quanquam velat acla patornis,
Libera fama tamen, nuUi&quc obnoxia jussis,
Invituin pi\cfeit, unaque in parte repugnat.
V ic magnus cedit titulis Agameninonis Atreus; S.i.'i
ylvgea sic Tlioeus, sic Pelea vincit Acbilles;
Deiii<|uc ul exeniplis ipsos ajquantibus utar,
Sic et Salurnus ininor cst Jovc. Jupiltr arces
LnRS IV. 615
ter. iupiter gouTerne les cieiix et rdgne sur les trois nKmdes. La
ten|« est soumise a Auguste : tous deux sont p^s et rois de
runiTers.
Je vous en supi^e, dieux, compagnons d'£n6e, qui lui avez ou-
vert un chemin a travers le fer et la flamme, dieux indigMes, Qui-
rinus, fondateur de l'empire romain, Mar$, p^re de rinvincible
Romulus» Yesta, consacr^e parmi les p^nates de G^sar, ApoUon,
placS pres de Yesta pamii ses dieux domestiques» et toi, Jupiter,
qui domines la roche Tarp^enne» et vous tous, dieiu que le poele
peut et doit invoquer ! Ah I qu'il soit differe, qu'il soit ^loigne de
notre ^ge, le jour ou, abandonnant la terre qu*il gouveme, Au-
guste entrera dans les c61estes parvis, du haut desquels il exaucera
les voeux des mortels !
ie Tai enfin achev^, cet ouvrage que ne pourront d^truire ni le
oourroux de Jupiter, ni le feu, ni le fer, ni les ravages du temps !
Maintenant qu'il vienne quand il voudra mettre fin a la duree
incertaine de ma vie, le jour qui n'a de prise que sur mon corps.
Immortel dans la plus noble partie de mon 6tre, je m'^l^verai au-
dessus des astres, et mon nom ne p^rira point. Mes vers seront
lus partout ou Rome ^tendra son empire, et ma gloire traversera
Temperat ssUierias et mundi regna triformis.
Terra sub Augusto : pater est et rector uterque. 860
Di, precor, JEnese comitcs, quibus ensis et ignis
Cesserunt, dique indigetes, genitorque, Quiiine,
Urbis, et ihvicti genitor, Gradive, Quirim,
Vestaque caesareos inter sacrata penates,
£t cum caasarea tu, Phcebe dpmestice, Vesla, 865
Quique tenes aitus tarpeias Jupiter arces,
Quosque alios vati fas appellare piumque :
Tarda sit illa dies, et nostro serior aevo,
Qua caput augustum, quem temperat, orbe relicto,
Accedat ccelo, faveatque precantibus absens. 870
Jamque opus exegi, quod nec Jovis ira, nec igncs,
Nec poterit ferrum, nec edax abolere velustas.
Quum volet illa dies, que nil, nisi corporis hujus
Jus habet, incerti spalium mihi finiat icvi.
Parle tamen meliore mei super alla pcrennis 875
Aatra ferar, nomenque erit indelebile noslrum;
Qiaque patet domiUs romana potentia terris,
35
OU MlESTAHORPUOSES.
toas les siecles» s'il y a quelque chose de vrai dans les predio-
tions des poetes.
Ore legar populi, perque oninia saecula fauia,
Si quid babent Teri Tatum prssagia, yiTam.
FLN
TABLE DES MATltRES
Vnincr. o «««V
LIVRE PREMIER.
I. Le Chaos chang^ en quatre ^l^ents distincl| , 1
II. Succession des quatre dges V»
III. Crime et punition des G^nts U
JV. Lycaon est change en loup 9
V. L'univers est submergS par le d^luge 14
VI. DGUcalion et Pyrrha repeuplent la lerre iU
VII. ApoUon tue le serpent Python 22
VIII. Daphn^ chang6c en laurier 24
IX. M^lamorphose d'Io en g^nisse et de Syrinx en roseau. — Hort d*Argus.
— Naissance d'£papbus , . 30
LIVRE DEUXIEME.
1. Pha6thon demande k conduire le char du Soleil. — Frappe dc la foudre,
il est pr^ipit^ du ciel. — Ses soeurs sont diangdes en peupliers. 42
II. Cycnus est m^lamorpbos^ en c^ne CU
III. Calisto est changee en ourse C2
IV. Le corbeau pevd la blancheur de so:i plumagc ct dcvicnt noir.. . » G9
V. Ocyrho6 mSlamorphoste en cavale. . . . « 7i
m TABLE DBS MATlfSRBS.
Tl. BalUM ehangi en piem. 76
▼n. Af lanre changte en rocher 7^
Tni. Jn^iter, loiis la forme d'an Uoreaa, enlive Europe 84
LIVRE TROISlfiMB.
1. Ag6aor ordonne k Cadmns de chercher sa fille. — Combat de Cadmus
atec un dragon 87
U. Des soldatf naissent des dents dn dragon tui par Cadmus. .... 92
11). Aclten mitamorphosi en cerf. 93
IV. Amour de Jnpiter poiir SSmil^. — Junon se venge de sa rivale. . 99
V. Tir^iaSp aveugle el devin 103
VI. Narcisse e&t chang6 en fleur; fichoen son 101
VII. Penthte, aprte la m^tamorphose des matelots en dauphins, charge
Bacchus de chatnes. — A canse de ce crime, il est mis en lambeanx
par les Bacchantes 113
LIVRB QUATRltMB.
I. Alcitho^ et ses sffiurs rejettent le culte de Bacchus. — Atenture de
Pyrame et de ThisM. — Amour de Mars et de V£nus. — Amour d*A-
pollon et de Leucotho^. — Amonr de Salmacis et d*Hermaphrodite. —
Les lilles de Hinyas m^tamorphos^s en chanves-souris, et leors toiles
chang£es en pampres ' 124
II. Ino et MSlicerte changees en dieux marins, -et leurs corapagnes en ro-
cher» et en oiseaux 145
III. M^tamorphose d'Hermione et de Cadmus en serpents 153
IV. Atlas changc en monlagne 153
V. Persdo d^livre Andromdde 158
VI. Pers^e ^pouse Andromdde loi
LIYRE CINQUlfiME.
I. Perste change Phinle et ses compagnons en rochers 166
II. Pr^tus et Polydecte chang^s en rochers. — M^tamorphose des filles de
Pi^rus en pies ; — d*un enfant en l^ard; — d'Ascalaphe en hibou; —
de Cyane et d'Ar6thuse en fontaines; — de Lyncus en lynx. — EnldYe-
ment de Proserpine. >- Voyage de C4rds et de TriptoUme. ... 178
LIVRE SIXI£mE.
t. Arachn^ mliamorphos^e en araign^e 101
11. Kiob4, pour s'6tre pr6fer6e & Latone, est chang^e en rocher. ... "08
TABLB DES MATIfiRBS. 617
m. M^morpboM d«B paystiu lyeiens en greiwailles 216
IV. Manyas changi en fleaye '. . . 290
y. Pilops plenre RioM. — Les dieux lid donnent nne ipanle d*ifoire. 221
VI. Changement de T^r6e en hnppe; — de Philom^ en rossignol; — de
Proeni en hirondelle.. 222
Vn. Borte enl^e Orythie. II en a denx fils, CalaTs et Z^, qui ftircnt au
nombre des Argonautet 235
LIVRE SEPTlfeME.
I. Jason, par le seeonrs do U&die, s*empare de la toison d*or. « . • . 238
n. MMte rajeunit le Tieil &on 246
III. La jennesse est rendne anx nourrices de Bacchus 233
IV. MM£e fait tuer P«lias par ses filles 2-S3
V. MMte ^orge ses enfants 256
VI. MMte 8*enfWt & Athftnes, o& elle est accueillio par £g£e ^58
Vn. Ami est chang£e en chouette. — Peste d'Egine. — M^tamorphoso des
fourmis en mjrmidons. — iaque les envoie au secours d*lg£e. 261
lU. C^phale et Procria 272
LIVRE HUITlfiMB.
I. Nistts esl chang6 en aigle de mcr et Scylla, sa fiUe, en alouetto. . . 283
!!• La couronne d'Ariane placie parmi les astres 290
III. D^dale s*entole snr des ailes. ^ Icare, tolant prte de son pdre, e»t
submergi. — M^tamorphose de Perdix 292
IV. M61^gre tue le sanglier de Calydon. — Alth^e, m6re du h^ros, en aco^-
Idre la mort ; 298
V. Nalades chang^es en Iles appeldes £chinades 510
VI. Pbil^mon et Baucis 5U
VII. Prot^e et Mestra. — lmplH6 d*£risichthon et son chdtiment. ... 319
L1VRE NEUVlfiMB.
I. Ach^Ioiis Taincu par Hercule. — Corne d*abondance 328
n. Mort de Nessus 333
UL Tourments d*Uercule sur le mont (Eta 335
IV. Apothtese d*Hercnle. . . « 310
V. Alemdne raconte k lole son .aceouchement laborieux. — Galanthis m^
tamorpbos^ en belette 342
VI. Dryope est transformie en lotos 345
VII. M^morphose d*IoIe en jeune bomme.. ..,.,,... , , . 318
IJIf/ %MtmHt^^m& «rii««(ya« «» ptMifBfliu 4U
1/ i« m^i ^ mfi MWMne^ la ^^i» de la gverre 4s Tioie est pelriie.
^^ (/ft« >»»«fc# «»l hwwwi^ ^ la pUfJi dlplii^eaie 447
W/ f/f«W»*, Ki^ ^r 4<Jbi»e, e»t fJ»ai>g^ «n ey^ 419
Wt ll#*i^ f»mtUi h MtnUil <ie» Lapithe^ ei «ie» renUBres. — Ceoee aiela-
m/r0m^ tm oi^^n. 454
Pfi tlMtmimphtm 4a ffrk^jmhui eo aigle. 473
T, nm 4*A^nk 475
LIVRE TREIZI^ME.
f« AJM fi UlytM »44 (litputent les arines d'Achille. — Le sang d'Ajas est
crAMttg^ en fteur 478
TABLE BES IIATlgftES. 619
II. Aprds la prise de Troie, Polyx^ne est immol^e aux m&nes d*Achille, Po-
lydore est ^gorg^ par Polymestor, et H6cube changee en chienne. 498
III. Des oiseaux naissent des cendres dc Mcmnon ^07
IV. Enee, fugitif, arrive chcz Anius, dont lcs filles sont tran$form6es en
colombes 510
V. Diverses m^lamorphoses. — Acis et Galal6c. — Glaucus chang6 cn dieu
de mer. ,.* • M4
LIVRE QUATORZlfiME.
I. Scylla changee en rocher par Circ6 52S
II. Les Cercopes m6tamorphoses en singes. — Descente d'£n6e aux enfers.—
Fable de la Sibylle 532
III. Ach6m6nide. — Uacar^e. — Enchanlements de Circ6. — Picus et Ca-
ncnte 536
IV. Compagnons de DiomMe chang^s en oiseaux / 550
V. PAtre d'Apulie transform^ en olivier sauvage 552
VI. Vaisseaux d'En6e changes en Nymphes 554
Vll. Oiseau nd des cendres de la ville d'Ardee 556
Vlll. Enee mdtamorphose en dicu 557
IX. Vcrtumnc et Pomone. — Iphis et Anasarcbc . 558
LIVRE QUINZlfiME.
1. Hyscele, fils d'Aiemon. — Cailloux noirs chang6s en blancs 571
11. Pythagorc. — Sa doctrine. — II expose les changements ct ios uicta-
morphoses qui arrivent dans la nature 574
.11. Hippolyte raconte a ^gerie rhistoire de ses mallieurs. — Egerie est
cbang^e en fontaine 594
IV. Hotte de terre changee en cnfant « 598
V. Lance de Romulus transformee en arbre 508
VI. Cipus prefere rexil k la royaut^ 598
VII. Esculape melamorphos^ cn serpent GOl
VIll. Jules C6sar chang^ en astre. — Louanges d'Auguste. — Epilogue. . Ct7
SflN OE LA TAfiLE DES MATIEUES.
PABI8. — IVP. SIIfON R&QON ET COMP., IILE D^ERFLRTU^ U
TNE BOMIOWER WNJ. 8E CHAIUMBD
AN OVERDUE RE IF THIS BOOK IS
NOT RETUIINED TO TNE UEIIAIIY ON
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BELOW. NON-RECEIPT OP OVERDUE
NOTICEE DOE8 NOT EXEMPT TNE
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