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Full text of "Les Néerlandais en Bourgogne"

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University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lesnerlandaiseOOgerm 


LES  NÉERLANDAIS  EN  BOURGOGNE 


^ 


DU  MEME  AUTEUR  : 

Le  Sentiment  de  l'art,   ouvrage  couronné   par   l'Académie 
Française  et  par  l'Académie  de  Lyon,  (épuisé). 

Les  Clouet,  i  vol.  de  la  collection  <•  Les  Grands  Artistes  ». 
Paris,  H.  Laurens. 

Pour  paraître  prochainement  : 
Les  Artistes  Lyonnais,  i  vol.  de  luxe.  Lyon,  H.Lardanchet. 


Les  Néerlandais 


EN 


BOURGOGNE 


PAR 


Alphonse  GERMAIN 


COLLECTION  DES 
GRANDS  ARTISTES 
DES     PAYS-BAS 


BRUXELLES 

LIBRAIRIE  NATIONALE  D'ART  ET  D'HISTOIRE 

G.  VAN  OEST  &  Oe,  ÉDITEURS 


1909 


^ 


Vézelay.  —  Eglise  de  la  Madeleine 
Le  Portail  vv  Xakthex  et  la  Nef 


X.  D.  P/iot. 


(p-  4.) 


■^ 


Chapitre  I. 

L'ART  EN  BOURGOGNE 
AVANT  PHILIPPE  LE  HARDI. 

Point  n'est  besoin  d'étudier  longuement  l'art 
exécuté  en  Bourgogne  aux  xiv^  et  xv^  siècles  pour 
s'apercevoir  que  l'action  des  artistes  néerlandais 
fut,  en  cette  province,  aussi  complexe  que  profonde. 
Il  n'y  eut  pas  influence  d'un  art  sur  un  autre  art  au 
sens  étroit  du  mot,  les  Bourguignons  s'étant  gardés 
de  toute  tendance  imitatrice  ;  il  y  eut,  comme  en 
Hellade,  vers  le  iii^  siècle  avant  notre  ère,  compé- 
nétration  de  plusieurs  arts,  fusion  harmonieuse  de 
divers  éléments  en  un  tout  homogène.  Œuvre  facile, 
au  reste,  les  affinités  ne  manquant  pas  entre  les 
nordiques  des  Pays-Bas  et  les  descendants  des 
Burgondes,  et  les  artistes  de  ces  régions  ayant  une 
formation  analogue.  Très  vigoureux  déjà,  quoi- 
qu'encore  imparfait  au  moment  où  s'éleva  N.-D.  de 
Dijon,  l'art  Bourguignon  ne  fut  pas  transformé, 
mais  développé,  vivifié,  par  la  pénétration  nordique 
quelque  soixante-dix  ans  plus  tard.  A  aucun  moment, 
son  évolution  ne  cessa  d'être  normale,  car  les  ap- 
ports qu'il  reçut  lui  convenaient  de  tout  point  et 
rien  ne  l'empêchait  de  se  les  assimiler  le  mieux  du 
monde,  on  s'en  rendra  compte  bientôt.  Mais  avant 


—    2    — 

d'examiner  ces  apports  et  de  rechercher  comment 
put  s'exercer  l'action  néerlandaise,  sachons  d'abord 
ce  qu'était  l'art  Bourguignon  avant  l'avènement  de 
Philippe  le  Hardi. 

Comme  dans  toutes  les  provinces  de  France, 
les  sculpteurs  de  figures  en  Bourgogne  procèdent, 
à  l'époque  romane,  d'après  les  Byzantins.  Au  xi* 
siècle,  la  plupart  sont  encore  dans  une  période 
d'archaïsme  sauvage,  dont  nous  donnent  une  idée 
les  chapiteaux  de  la  crypte  de  St-Bénigne  à  Dijon. 
Leur  imagerie  monstrueuse  évoque  la  préhistoire 
et  présente  un  étrange  composé  de  formules  byzan- 
tines et  de  souvenirs  burgondes,  surtout  l'homme 
des  sjanboles  évangéliques,  déformation  aussi  sep- 
tentrionale que  barbare  d'un  motif  d'orient  (i). 
Mais,  dès  le  xii^  siècle,  les  imagiers  tentent  de 
traduire  avec  fidélité  visages  et  costumes.  Les  per- 
sonnages mal  dégrossis  de  la  minuscule  Cène  qui, 
du  réfectoire  de  St-Bénigne  est  passée  au  Musée  de 
Dijon,  laissent  entrevoir  un  soupçon  d'individualité 
et  leurs  robes,  en  divers  endroits,  veulent  échapper 
à  l'hiératisme.  Le  curieux  Christ  du  tympan  de 
Thil-Chatel  (Dijonnais),  au  type  de  pantocrator 
émacié,  et  l'ascétique  Ste-Magnance  du  tombeau  de 


(i)  Des  images  d'une  analogue  barbarie  se  voient  égale- 
ment dans  les  églises  de  Vézelaj'  (Auxois\  de  Châtel-Censoir 
(Auxerrois;  et  de  Tournus  (Bresse  châlonnaise). 


l'église  de  ce   nom   (Avallonnais)  exhibent  l'un  et 
l'autre  une  ébauche  de  physionomie. 

Du  XP  siècle  au  XIP,  les  plus  importants  foyers 
d'art  se  trouvent  aux  Abbayes  de  Cluny  (Maçonnais) 
et  de  Vézelay  (Auxois)  (i).  Après  y  avoir  suivi  les 
règles  pratiquées  sur  les  bords  du  Bosphore  en 
s'inspirant  parfois,  pour  l'ornementation,  du  syrien 
romanisé,  comme  au  narthex  de  Vézelay,  on  y 
travaille  avec  ardeur  à  naturaliser  l'art.  Et,  comme 
partout,  les  premiers  essais  se  font  sur  le  décor 
ornemental.  Lorsqu'on  orne  à  Cluny  les  portails  de 
l'église,  à  Vézelay  les  arcades  de  la  salle  capitulaire, 
c'est  à  la  flore  du  pays  que  l'on  demande  des  motifs. 
Quand,  dans  la  seconde  de  ces  abbayes,  on  sculpte 
le  chapiteaux  de  la  nef,  environ  un  quart  de  siècle 
plus  tard,  on  s'applique  avec  soin  à  sortir  des 
raideurs.  Les  différentes  scènes  qui  les  illustrent 
restent  rudimentaires,  au  moins  offrent-elles  à  la  vue 
autre  chose  que  des  larves.  Ce  sont  des  humains 
angoissés  qui  regardent,  au  premier  pilier,  côté  sud, 
le  Tapt  d'un  enfant  par  un  aigle  ;  c'est  un  pâtre 
intrépide  que  le  David  aux  prises  avec  un  lion  au 


(i)  Rappelons  que  les  Etats  de  Bourgogne  renfermaient 
la  province  de  ce  nom,  divisée  en  duché  et  comtés,  plus  quatre 
annexes  :  la  Bresse,  le  Buge}',  le  Valromey  et  le  pays  de 
Gex,  Le  duché  comprenait  le  Dijonnais,  l'Autunois,  l'Auxois, 
le  Chalonnais,  la  Bresse  chalonnaise  et  le  pays  de  la  Mon- 
tagne (Chatillonnais).  Les  comtés  étaient,  avec  celui  de  Bar- 
sur-Seine,  le  Charolais,  le  Maçonnais,  l'Auxerrois. 


cinquième  pilier,  même  côté  ;  au  quatrième  pilier, 
côté  est,  l'inconnu  qui  lance  une  flèche  et  plus 
encore  celui  qu'elle  va  traverser  ont  un  embryon  de 
personnalité  ;  au  septième  pilier,  même  côté,  St-Be- 
noît  et  la  ribaude  qu'il  repousse,  au  quatrième 
pilier,  face  ouest,  les  ouvriers  occupés  à  la  mouture 
du  blé,  incarnent  des  types  ingénument  représen- 
tatifs d'une  époque. 

Au  xii^  siècle,  l'ornementation,  en  maint  endroit, 
n'est  plus  tributaire  de  l'orient.  Pour  les  figures,  si 
l'on  continue  de  les  construire  à  la  byzantine,  on 
désire  que  leurs  faces  ressemblent  à  celles  des  gens 
qui  les  contempleront.  Témoin  le  St-jfea7î -Baptiste 
et  VApôtre  Philippe  du  Musée  de  l'église  Véze- 
lienne.  Dans  cette  même  église,  les  personnages  du 
Jugemejit  Dernier  de  la  façade  et  des  trois  portes  de 
la  nef  reproduisent  les  modèles  figés  de  l'âge  pré- 
cédent, mais  les  figurines  qui  encadrent  le  tympan 
central  à  l'intérieur  du  narthex  et  les  têtes  fixées 
au  mur,  en  face,  ont  déjà  un  caractère  expressif  (i). 
Jusque  dans  les  détails,  on  constate  l'amour  des 
artistes  pour  la  sincérité,  leur  souci  d'arriver  à  la 
bonne  traduction.  La  robe  aux  plis  curvilignes  du 
Christ  qui  trône  au  Jugement  Dernier  est  une  repré- 
sentation exacte.  A  cette  époque,  en  effet,  le  repas- 
sage était  inconnu  ;  on  se  contentait  de  faire  sécher 


(i)  Le  Jugement  Dernier  a  été  complètement  refait  lors  de 
la  restauration  de  l'église. 


Avallon.  —  Eglise  Saint-Lazare 
Le  Portail  (détail; 


,\'.  D.  Phvt. 


(p.  5). 


les  linges  après  les  avoir  tordus,  puis  on  les  serrait 
dans  des  coffres,  d'où  ce  genre  de  plis. 

La  recherche  de  l'expressif  frappe  également  au 
porche  de  la  cathédrale  d'Autun,  dans  les  statues 
de  Lazare  et  de  ses  sœurs,  surtout  dans  celles  des 
deux  saintes  ;  dans  les  images  des  chapiteaux,  voire 
même  dans  les  personnages  du  tympan  qui  semblent 
invraisemblablement  momifiés.  On  la  reconnaît  dans 
les  chapiteaux  de  la  nef  en  cette  même  cathédrale, 
et  dans  le  S t- André  et  les  deux  saintes  réunis  au 
fond  du  Musée  Archéologique  d'Autun  (i).  Ailleurs 
les  trop  rares  vestiges  subsistants  trahissent  une 
louable  préoccupation  de  tout  caractériser.  Ainsi,  à 
Saint-Lazare  d'Avallon,  le  saint,  déjà  bien  Bour- 
guignon, du  portail  de  droite,  les  fragments  de  figu- 
rines qui  l'entourent  et  ceux  du  portail  voisin,  même 
les  deux  tètes  accolées  à  la  façade  septentrionale. 
Ainsi,  à  Vermenton  (Auxerrois),  les  statues  mutilées 
du  portail  et  les  scènes  du  tympan  ;  à  Sainte- M  a- 
gnance,  les  deux  bas-reliefs  du  tombeau,  surtout 
celui  de  droite,  où  un  manant  endormi,  le  chef  sur 
un  squelette  de  tête  de  cheval,  voit  en  songe 
Ste-Magnance  et  Ste-Pallaie  ;  à  Dijon,  les  chapi- 
teaux de  Saint-Philibert  (2)  {Nativité  et  Visitation 
pas   trop  mal   animées)  ;    à   Saulieu   (Morvan),  les 


(1)  Musée  très  intéressant  installé  dans  l'ancienne  cha- 
pelle de  Saint-Nicolas,  rue  de  ce  nom. 

(2J  Eglise  transformée  en  magasin  à  fourrage. 


chapiteaux  de  Saint-Andoche,  où  la  naïveté  s'allie 
exquisement  à  l'observation,  surtout  dans  la  Fuite 
671  Egypte  ;  à  Savigny-en-terre  plaine  (Avallonnais), 
la  statuette  de  saint  évêque  juchée  dans  une  cha- 
pelle de  droite.  A  ceux  qui  façonnèrent  ces  reliefs, 
il  n'a  manqué  somme  toute  qu'un  peu  d'habileté,  — 
peut-être  aussi  de  hardiesse,  —  pour  s'affranchir 
définitivement  des  réminiscenses.  Malgré  tout  ce 
qui  les  rattache  à  l'art  de  l'empire  d'orient,  leurs 
travaux  portent  une  empreinte  occidentale.  Toute- 
fois ils  se  distinguent  à  peine,  —  par  de  menus 
détails  d'arrangement  et  de  facture,  —  des  ouvrages 
sculptés  dans  les  provinces  voisines. 

Il  faut  arriver  au  xiii®  siècle  pour  trouver  des 
figures  à  caractères  nettement  bourguignons.  Des 
spécimens  attachants  nous  sont  alors  fournis  par 
les  statues  d'anges  et  de  saints  de  l'arcature  de 
Vézelay,  le  Christ  bénissant  et  les  saints  du  pignon 
occidental  de  Saint-Père-sous-Vézela}',  les  anges  de 
la  tour  du  nord,  les  têtes  des  médaillons  avoisinants, 
le  mascaron  de  la  façade,  à  droite,  à  la  base  d'une 
statue  détruite,  la  tête  d'enfant  à  la  retombée  de 
l'arc  dans  le  chœur  à  droite  (même  église)  ;  les  mul- 
tiples masques  et  la  religieuse  au  livre  ouvert  de 
N.-D.  de  Semur-en-Auxois  (i)  ;  les  statues  du  portail 


(i)  Cette  religieuse  se  présente  en  buste,  derrière  une 
gargouille,  au  côté  gauche  de  l'église,  rue  Notre-Dame.  Des 
séries  de  masques  ornent  la  nef,  le  transept,  le  triforium  de 
l'église  et  l'extérieur  du  chevet  ;  en  outre,  il  y  en  a  un  dans 


de  Saint-Thibault  (Auxois)  ;  les  masques  de  N.-D. 
de  Dijon  (frise,  trumeau  intérieur,  culs  de  lampe 
extérieurs)  ;  les  tètes  de  la  cathédrale  d'Auxerre 
(collatéraux  du  chœur)  ;  l'homme  accoudé  au  transept 
nord  de  Saint-Seine-l'Abbaye  (Dijonnais). 

Les  figures  de  Vézelay  et  de  Saint-Père,  ainsi 
que  celles  de  Saint-Thibault,  se  recommandent  par 
leur  structure,  surtout  par  celle  de  leurs  faces,  dont 
beaucoup  sont  des  portraits  ;  chose  d'autant  plus 
remarquable  qu'à  ce  moment  les  décorateurs  des 
grandes  cathédrales  synthétisent  plutôt  leurs  têtes 
pour  les  mieux  adapter  au  mur.  L'un  des  seigneurs 
de  Saint-Thibault  retient  par  sa  physionomie  bien- 
veillante qu'illumine  un  franc  sourire.  Les  anges  de 
Saint-Père  sont  courtauds,  mais  médaillons  et  mas- 
caron  ont,  en  leurs  genres,  de  rares  qualités  pour 
l'époque  ;  et  la  tête  d'enfant  charme  par  sa  fraîcheur 
comme  par  son  dessin.  Les  masques,  les  figurines 
et  la  nonne  de  Semur  vivent  intensément  et  d'une 
manière  réjouissante  ;  les  têtes  auxerroises  fleurent 
aussi  un  bon  parfum  de  réalité  ;  les  masques  dijon- 
nais relèvent  de  la  meilleure  caricature,  celle  qui 
porte  à  son  paroxysme  le  caractère  expressif  (i). 

Il  faudrait  pouvoir  étudier  les  caractères  bour- 


l'abside,  vers  la  chapelle  de  droite,  et  deux,  très  curieux, 
dont  un  moine  qui  tire  sa  langue,  à  la  porte  percée  dans  le 
transept  gauche,  près  de  l'élégant  ciborium. 

(i)  Ceux  de  la  frise  ont  été  refaits  au  xrx^  siècle,  mais 
bien  dans  le  caractère  primitif. 


guignons  sur  des  centaines  de  statues  et  de  bas- 
reliefs  ;  par  malheur,  d'innombrables  figures  ont  été 
stupidement  dégradées  ou  détruites.  Et,  parmi  les 
victimes  des  divers  vandalismes,  comment  recon- 
naître parfois  les  signes  régionaux  ?  Qu'en  reste-t-il 
aux  personnages  du  portail  de  N.-D.  de  Dijon,  du 
porche  et  des  bas  côtés  de  l'église  de  Saint-Père, 
des  bas-reliefs  de  la  façade  occidentale  de  Saint- 
Etienne  d'Auxerre  ?  A  peu  près  rien.  Fait  d'autant 
plus  regrettable  que  quelques  unes  de  ces  figures 
retiennent  par  leur  bon  arrangement,  leur  intelligente 
exécution  et,  quoique  mutilées,  par  leur  vie.  C'est 
le  cas  de  celles  des  bas-reliefs  de  Saint-Père,  aux- 
quelles il  n'y  a  guère  à  reprocher  que  certaines 
disproportions  (i)  ;  de  deux  Prophètes  du  portail 
central  d'Auxerre,  qui,  bien  que  décapités,  donnent 
l'illusion  de  dialoguer  (2).  Ces  figures  égalent  certes 


i\]  Deux  de  ces  figures,  maintenant  sans  têtes,  sont  as- 
sises, en  des  poses  d'un  naturel  parfait.  Des  deux  autres,  qui 
se  tiennent  debout,  la  face  très  abimée,  la  meilleure  est  celle 
de  la  femme,  qui  se  recommande  surtout  par  sa  draperie. 
Peut-être  ces  dernières  représentent-elles  les  fondateurs  du 
monastère  de  Vézelay.  Les  unes  et  les  autres  sont  sous  le 
porche. 

(2)  Quelques  archéolognes  regardent  ces  figures,  comme 
celles  de  Salomon  et  de  la  reine  de  Saba.  Elles  ont  la  même 
attitude  que  les  figures  assises  du  porche  de  Saint-Père  ;  et, 
comme  elles  datent  à  peu  près  de  la  même  époque,  il  est 
impossible  de  savoir  si  elles  en  sont  une  réplique  ou  si,  au 
contraire,  elles  leur  ont  servi  de  modèle. 


Christ  bénissant 

(Eglise  de  Saint-Père-sous-Vézelayi. 


(p.  6). 


en  force  expressive  celles  des  meilleurs  morceaux  de 
l'ancien  Jubé  de  Bourges. 

D'autres  sculptures  n'ont  encore  aucun  type  pro- 
vincial déterminé  ou  bien  l'empreinte  bourguignonne 
ne  s'y  manifeste  pas  sans  alliage  (i).  Ainsi  les  statues 
de  saints  qui  se  morfondent  au  bas  de  l'escalier  du 
Musée  de  Semur-en-Auxois  ;  les  figures  du  portail 
de  l'église  de  Mailly-le-Château  (Auxerrois)  ;  le  bas- 
relief  (Père  éternel,  scènes  de  la  Passion),  jadis  à  la 
Sainte-Chapelle  de  Dijon,  maintenant  au  Musée  de 
cette  ville  ;  la  mignonne  Vierge  debout  dans  une 
niche  et  le  petit  Moine  en  prière,  si  naturel,  du  Musée 
de  la  Société  d'études  d'Avallon  ;  le  petit  saint  de 
Savigny-en-terre-plaine  (à  gauche,  dans  la  nef),  le 
Christ  et  la  Vierge  de  la  croix  du  cimetière  de  cette 
église  ;  V Amour  qui  dort  au  soubassement  du  portail 
central  d'Auxerre.  Cette  dernière  figure,  sœur  des 
plus  délicates  statues  de  Paris,  de  Reims  et 
d'Amiens,  charme  par  sa  pose  vraie,  ses  formes 
souples,  sa  jeunesse,  sa  fraîcheur.  En  dépit  d'une 


(i)  C'est  surtout  le  cas  des  silhouettes  de  gisants  gravées 
sur  les  pierres  tombales.  On  en  voit  de  typiques  spécimens 
au  Musée  de  la  Société  d'études  d'Avallon  (images  des  fondateurs 
de  l'Abbaye  de  Marcilly-les-Avallon,  aux  têtes  anéanties), 
dans  l'église  de  Montréal  (Avallonnais)  et  dans  l'église 
d'Anost  en  Autunois  (image  du  sire  de  Roussillon).  Les  mau- 
solées des  ducs  de  la  race  capétienne,  qui  se  trouvaient  à 
Citeaux,  nous  auraient  peut-être  fourni  d'utiles  renseigne- 
ments ;  les  Impériaux  n'en  ont  rien  laissé  ! 


—    lO   — 

jambe  malencontreusement  entaillée  comme  par  un 
éclat  d'obus,  c'est  une  œuvre  délicieuse. 

Les  artistes  voyageaient  beaucoup  au  mo5'en- 
âge  ;  la  Bourgogne  était  donc,  comme  les  autres 
provinces,  sillonnée  d'imagiers  venus  d'ailleurs,  et 
les  siens  travaillaient  à  l'occasion  dans  le  voisinage 
non  sans  y  exercer  une  influence.  Il  y  avait  un 
échange  incessant  de  procédés  et  de  formules  entre 
les  artistes  de  France,  aussi  n'est-il  pas  toujours 
facile  de  reconnaître  l'origine  de  maintes  œuvres 
retrouvées  loin  du  lieu  où  elles  furent  créées. 

Le  vouloir  de  réaliser  un  art  naturel  et  vivant 
s'affirme  de  plus  en  plus  au  xiv^  siècle.  Au  transept 
sud  de  N.-D.  de  Dijon,  la  tête  de  bourgeois  qui 
semble  sortir  du  mur  grimace  avec  une  vérité  saisis- 
sante, et  ses  traits  livrent  si  clairement  son  caractère, 
narquois,  acescent,  grincheux,  voire  quelque  peu 
gâteux,  qu'on  en  peut  regarder  l'auteur  comme  un 
Daumier  de  la  sculpture.  Aux  retombées  des  voûtes 
de  l'église  de  Courcelles-les-Semur,  des  têtes  de 
paysans  se  détachent  de  la  pierre  non  moins  succu- 
lemment  ;  et,  avec  le  masque  du  bourgeois  précité, 
elles  continuent  en  toute  logique  cet  art  d'incisive 
psychologie  et  de  malicieuse  bonhommie  ébauché 
par  les  têtes  du  narthex  vézelien  et  développé  au 
mieux  par  le  mascaron  de  Saint-Père,  les  masques 
de  Semur  (entre  autres  le  moine  qui  tire  sa  langue) 
et  la  plupart  de  ceux  qui  s'étalent  à  la  frise  de 
Dijon.  Au  portail  occidental  d'Auxerre,  la  Bethsabée 


II 


et  le  David,  dont  les  corps  ont  perdu  leurs  chefs 
mais  non  leur  souplesse,  dégagent  un  charme  de 
scène  vue.  En  outre,  les  figures  qui  symbolisent  les 
arts  libéraux  au-dessus  de  l'histoire  du  roi  hébreu 
intéressent  comme  des  portraits,  et  celles  qui  déco- 
rent les  consoles  du  revers  de  ce  portail  et  celles 
qui  supportent  les  culs  de  lampe  du  transept 
méridional,  retiennent  par  leur  vigueur  et  leur  par- 
leure  très  bourguignonne. 

Comme  il  arrive  souvent  chez  les  artistes  doués 
pour  l'interprétation  des  caractères  individuels,  les 
imagiers  tendent  à  sacrifier  le  décoratif  à  l'expressif. 
Les  bas-reliefs  inspirés  par  l'histoire  de  Joseph  et 
par  lesquels  on  complète  la  décoration  du  portail 
central  d'Auxerre  sont  presque  tous  surchargés  ;  de 
même  ceux  du  maître-autel  de  Saint-Thibault  (vie 
du  saint)  et  le  Christ  chez  Simon  du  Musée  de  Semur. 
Les  scènes  de  la  vie  de  St-Etienne  racontées  d'un 
tour  alerte  sur  le  portail  méridional  de  la  cathédrale 
auxerroise  consistent  en  une  juxtaposition  de  figu- 
rines. Les  scènes  de  l'apostolat  de  S*-Thomas  au 
portail  des  Bleds,  à  N.-D.  de  Semur,  où  d'ailleurs, 
le  Christ  et  l'apôtre  forment  un  motif  digne  d'atten- 
tion (i),  manquent  d'harmonie  et  d'air.  Incontesta- 
blement les  qualités   bourguignonnes   se   déploient 


(i)  Le  Christ  est  laid,  trivial,  mais  bien  présenté  ;  l'apôtre 
touche  la  plaie  de  son  maître  avec  une  expression  et  un  geste 
très  heureusement  notés. 


—    12    — 


moins  bien  dans  les  ensembles  que  dans  les  figures 
isolées,  comme  le  S' -Jean-Baptiste  de  Rouvre,  statue 
lourde  et  disproportionnée  mais  significative  et 
artiste  (i),  la  Vierge  en  pierre  de  la  rue  des  Merciers 
dans  Avallon,  ou  la  Vierge  en  bois  peint  de  l'abside 
de  N.-D.  à  Semur. 

Toutefois,  malgré  que  les  artistes  s'entraînent 
à  individualiser,  il  s'en  faut  que  les  caractères  pro- 
vinciaux apparaissent  nettement  dans  toutes  les 
figures.  On  ne  les  soupçonne  guère  dans  certaines 
images,  comme  la  Vierge  en  bois  du  Musée  de 
Cluny  à  Paris  (don  Timbal),  qui  cependant  est 
traitée  en  portrait.  On  ne  saurait  les  chercher  dans 
des  effigies  de  gisants,  car  les  unes,  comme  celle  de 
Raous  Chasoz  de  Layer  (Musée  de  Dijon),  ont  le 
visage  dissimulé  par  leur  costume  ;  et  les  autres, 
comme  celles  d'Agnès  de  Dompierre  (Louvre),  du 
chanoine  Jean  de  Bonneval  (cathédrale  d'Auxerre), 
de  Jehan  de  Brasey  (église  de  Bar-le-régulier,  Auxois) 
et  de  Guillaume  de  Brasey  (église  de  Lucenay- 
l'évêque,  Autunois),  manquent  trop  d'individualité  (2). 
Certaines  silhouettes  funéraires  qui,  du  reste,  parais- 
sent des  ouvrages  étrangers,   ont  même  leur  face 


(i)  Exécutée  peu  après  le  milieu  du  siècle,  puis  perdue. 
On  l'a  retrouvée  en  1898. 

(2)  Mais  elles  n'en  intéressent  pas  moins  par  leur  dessin. 
Agnès  de  Dompierre  retient,  entre  toutes  par  sa  simplicité 
très  caractérisante.  Cette  figure  provient  du  prieuré  de 
Bonvaux  (Dijonnais). 


Figures  sous  une  arcature 

(Eglise  de  Saint-Père-sous  Vézelay  . 


(p.  6). 


—  i3  — 

réduite  à  l'état  de  schéma  ;  d'autres  ont  été  amputées 
de  leur  tête. 

Quant  aux  tailleurs  de  figurines,  ils  retardaient 
à  l'ordinaire  d'un  ou  plusieurs  quarts  de  siècle.  Ce 
qui  ne  nuit,  au  reste,  ni  aux  Anges  et  autres  person- 
nages du  portail  méridional  d'Auxerre,  ni  à  leurs 
voisins  du  transept  sud,  ni  aux  savoureux  petits 
bonshommes  qui  se  perchent  et  s'ébaudissent  avec 
des  mines  et  des  souplesses  de  lutins  à  la  porte  des 
Bleds  de  N.-D.  de  Semur  (rue  Notre-Dame).  Ils 
évoquent  encore  la  fin  du  Xlii^  siècle  et  n'en  valent 
que  mieux.  Au  contraire,  le  petit  St-Diacre  assis  du 
Musée  de  L3'on  reflète  des  défauts  de  statues  bien 
xiv^  et  n'en  est  pas  plus  Bourguignon. 

En  peinture,  il  ne  semble  pas  qu'il  y  ait  eu 
beaucoup  de  décorations  murales  avant  Philippe  le 
Hardi,  et  l'on  n'a  pas  trouvé  trace,  en  ce  genre, 
d'une  manière  manifestement  régionale.  Les  plus 
notables  fragments  échappés  à  la  destruction  rééditent 
les  poncifs  de  l'art  courant  de  leur  époque.  Ce  sont, 
pour  le  xii^  siècle  :  le  Christ  en  majesté  et  le 
tétramorphe,  le  Christ  trioynphatenr  à  cheval  et  les 
Anges  delà  Cathédrale  d'Auxerre  (chapelle  absidale 
de  la  crypte),  l'Ascension  d'Anzy-le-Duc  en  Brionnais 
(abside  de  l'église)  ;  pour  le  xiii^  :  les  vestiges  de 
Vézelay  (quelques  taches  pâlies  sur  un  pilier  du 
chœur),  de  la  cathédrale  d'Auxerre  (salle  du  trésor), 
de  Berzé-la-ville  en  Maçonnais  (abside),  de  l'ancien 
Saint- Vincent   de   Mâcon  et   de  Saint-Philibert  de 


—  14  — 

Tournus,  en  Bresse  chalonnaise  (nef,  narthex  et 
crypte)  ;  pour  le  xiv^  :  le  Couronnement  du  même 
Saint-Philibert,  le  S^-jfacqîies  le  Mineur  et  le  St-Eloi 
de  la  cathédrale  d'Auxerre  (transept  méridional),  la 
Mort  et  la  religieuse  de  N.-D.  de  Semur  (au  chevet, 
à  l'extérieur,  où  elle  achève  de  périr)  ;  le  Christ,  les 
symboles  évangéliques  et  les  saints,  non  moins  mena- 
cés, de  Saint-Vorles  à  Châtillon-sur-Seine  (voûte  de 
l'ancienne  chapelle  ducale)  ;  et,  si  l'on  en  juge  par 
son  aspect,  le  Jugement  dernier  de  Marey-sur-Tille, 
en  Dijonnais,  que  l'on  a  dépouillé  de  son  suaire  de 
plâtre  en  1897.  Si  les  compositions  et  figures  détruites 
ressemblaient  à  celles  qui  restent,  assurément  la 
Bourgogne  a  manqué  de  peintres  originaux. 

L'influence  byzantine  prédomina  longtemps  dans 
les  enluminures  et  les  vitraux  comme  dans  les  pein- 
tures murales  (  i).  Les  différents  monastères  possé- 
daient force  étoffes  et  manuscrits  apportés  de  l'orient, 
en  relations  avec  Cluny  dès  le  second  tiers  du 
Xii^  siècle  (2).  On  s'en  inspirait  lorsqu'on  ne  les 
copiait  pas.   C'est  surtout  dans   les   abbayes  cluni- 


(i)  Il  reste  quelques  vitraux  du  xin^  siècle  à  la  cathédrale 
d'Auxerre,  à  N.-D.  de  Dijon  (ceux-ci  bien  archaïques)  et  à 
N.-D.  de  Semur-en-Auxois  (ces  derniers  restaurés). 

(2)  On  peut  se  faire  une  idée  de  la  plus  ancienne  manière 
des  miniaturistes  formés  à  l'école  de  Cluny  par  la  Bible  du 
xi^  siècle  que  conserve  le  Musée  de  Moulins  ;  elle  a  été 
décorée  par  les  moines  de  Souvigny,  abbaye  clunisienne  du 
Bourbonnais. 


—  i5  — 

siennes  que  l'on  pratiqua  la  peinture  sous  toutes  ses 
formes  ;  dans  le  rigide  Cîteaux,  on  ne  l'adopta  que 
pour  représenter  le  Christ  et  décorer  des  croix  de 
bois. 

Dans  la  première  moitié  du  xiv^  siècle,  d'assez 
nombreux  peintres  sont  établis  à  Dijon,  les  archives 
nous  l'apprennent  ;  mais  rien  ne  reste  d'aucun 
d'eux  (i).  On  ne  sait  même  pas  l'origine,  la  manière 
et  la  valeur  du  Thierry  et  du  Jean  de  Granson  qui, 
vers  1344,  dirigèrent  la  décoration  de  la  chapelle  du 
château  de  Montbard  (Auxois).  C'est  donc  seule- 
ment les  sculpteurs  qu'il  convient  d'interroger  sur 
l'art  bourguignon  primitif.  En  comparant  avec  soin 
les  restes  des  parures  monumentales  et  les  fragments 
épars  dans  les  musées,  on  arrive  à  dégager  les 
caractéristiques  principales  de  l'école  qui  travailla 
sous  les  ducs  Capétiens 

Tailler  des  personnages  avec  vigueur  et  en  toute 
franchise,  les  animer,  leur  faire  jouer  un  rôle,  les 
rendre  à  la  fois  expressifs  et  vivants,  marquer 
intensément  leur  personnalité  ;  telles  semblent  être 
les  préoccupations  dominantes  des  artistes  Bour- 
guignons dès  que  les  portails  de  Vézelay,  d'Avallon 
et  de  Saulieu  ont  leur  illustration  terminée.  De 
l'énergie,  pas  de  goût  ;  beaucoup  d'esprit  d'obser- 


(i)  Les  pièces  qui  livrent  leurs  noms  ont  été  reproduites 
dans  les  Mémoires  de  la  Commission  des  Antiquités  de  la  Côte  d'or, 
t.  12,  p.  10  et  s. 


—  i6  — 

vation,  un  faible  sentiment  de  la  beauté;  ainsi  nous 
apparaissent  leurs  qualités  et  leurs  lacunes.  Leurs 
scènes  sont  à  peu  près  toutes  mal  équilibrées  et 
lourdement  construites  ;  et  rien  ne  prouve,  en 
somme,  que  les  exceptions,  comme  les  bas-reliefs 
d'Auxerre  consacrés  à  l'histoire  de  David,  soient 
d'une  main  bourguignonne.  Leurs  figures,  sauf 
quelques  statues  des  grandes  églises  et  quelques 
statuettes  taillées  au  XIII®  siècle  ou  dans  son  style, 
exhibent  presque  toujours  des  formes  gauchies,  des 
proportions  invraisemblables  ou  rustaudes,  si  bien 
que  les  profanes  même  en  sont  frappés.  Mais  re- 
gardez les  poses  de  ces  figures  ramassées,  aucune 
n'est  aftectée  ;  examinez  leurs  têtes  vulgaires,  bien 
peu  sont  insignifiantes  et  beaucoup,  même  mal 
équarries,  portent,  avec  les  marques  d'un  terroir, 
les  indices  d'une  flamme  intérieure. 

Considérées  d'ensemble,  les  oeuvres  exécutées 
dans  les  anciens  Etats  des  ducs,  du  xii®  siècle  au 
XIV®,  laissent  l'impression  d'un  art  sincère,  robuste 
et  sain.  Issus  d'une  race  forte,  laborieuse,  vaillante, 
aimant  boire  la  vie  à  pleins  bords  et  toujours  prête 
à  l'action,  leurs  auteurs  les  façonnèrent  avec  l'ardent 
désir  de  faire  parler  la  pierre  ou  le  bois.  Que  leur 
importaient  la  stylisation,  la  mimique  et  l'attitude 
nobles  ?  Pourquoi  s'en  seraient-ils  inquiétés,  ces 
descendants  de  Burgondes  encore  si  près  de  la 
nature  ?  N'avaient-ils  pas  mission  de  prêcher  à  leurs 
frères  ?  Le  mieux  était  donc  de  leur  parler  claire- 


—  17  — 

ment  leur  langue  de  chaque  jour.  Aussi  marchèrent- 
ils  à  leur  but  avec  droiture  et  simplicité.  C'est  par 
une  syntaxe  à  bonne  saveur  bourguignonne  que  ces 
imagiers  naïfs  arrivèrent  au  pathétique. 

Mais  les  écoles  sont  comme  les  hommes,  leur 
évolution  ne  s'accomplit  pas  sans  phases  morbides, 
sans  troubles  de  toute  sorte.  Comme  tant  de  leurs 
confrères  des  autres  provinces,  nos  Bourguignons 
gâtent  leurs  dons  dans  la  première  moitié  du  xiv^ 
siècle.  L'art  traverse  alors  une  crise  en  France  :  on 
y  veut,  avec  raison,  donner  une  note  nouvelle  sans 
cesser  d'obéir  aux  principes  des  ancêtres  ;  mais  on 
applique  mal  les  traditions  parce  que  l'on  néglige 
trop  la  nature  et,  en  cherchant  l'élégance  par  des 
modes  inédits,  on  tombe  dans  le  maniérisme.  Le 
contre-coup  de  cette  crise  se  fait  sentir  en  Bour- 
gogne, où,  d'ailleurs,  deviennent  rares  les  com- 
mandes propres  à  stimuler  le  zèle  et  à  décupler  les 
dons  ;  car  les  derniers  ducs  capétiens,  menant  un 
train  plutôt  médiocre,  se  souciaient  peu  d'embellir 
et  leurs  demeures  et  leurs  églises.  L'art  bourguignon 
est  donc  en  état  de  marcescence  lorsque  Philippe 
de  Rouvre  succède  à  Eudes  IV.  Sans  doute  on 
taille,  bien  avant  cette  époque,  quelques  têtes  d'une 
rare  puissance,  comme  le  bourgeois  de  N.-D.  de 
Dijon,  quelques  corps  appréciables,  comme  ceux  du 
portail  méridional  d'Auxerre,  quelques  figurines 
spirituellement  humanisées,  comme  les  bonshommes 
de  la   Porte  des  Bleds  à  Semur  ;  mais,  autour  de 


—  i8  — 

telles  œuvres,  dont  il  faut  certainement  faire  honneur 
à  des  artistes  formés  au  xiii^  siècle,  les  figures  sont 
disproportionnées  plus  que  jamais  et  lourdes,  tra- 
pues à  l'excès.  Vainement  les  Bourguignons  s'en- 
trainent  à  portraire  ;  ils  bâtissent  les  corps  comme 
s'ils  suivaient  un  canon.  Quand  paraît  Claus  Sluter, 
fort  peu  probablement  sont  capables  de  mener  à 
bien  une  œuvre  d'importance  puisque  Philippe  le 
Hardi,  avant  tout  épris  de  luxe  et  d'art,  leur  préfère 
les  imagiers  des  Pays-Bas  et  de  l'Ile-de-France. 


Chapitre  II 

L'ART  DANS  LES  PAYS-BAS  DES  ORIGINES 
A  LA  RÉNOVATION  DU  XIV^  SIÈCLE. 

Examinons  maintenant  quel  était  l'art  de  ces 
Néerlandais  que  Philippe  le  Hardi  allait  attirer  dans 
ses  Etats  de  Bourgogne,  essa3^ons  de  reconnaître 
comment  on  sculpta  et  comment  on  peignit  dans 
les  Pays-Bas  de  l'aurore  du  xi^  siècle  au  déclin 
du  xiv^. 

Les  plus  anciens  vestiges,  —  en  général  des 
manuscrits,  —  portent  l'empreinte  byzantine  et  rap- 
pellent les  travaux  analogues  exécutés  vers  le  même 
temps  dans  les  pays  voisins.  Rien  d'étonnant  à  cela. 
Du  xi^  siècle  au  xiii^,  les  arts  de  notre  occident, 
uniformisés  par  l'inspiration  chrétienne  et  tous 
tributaires  de  l'empire  d'orient,  surtout  pour  la 
technique,  ne  diffèrent  entre  eux  que  par  quelques 
nuances.  Ils  sont  autant  d'aspects  d'un  même  art, 
très  un  en  sa  variété.  Les  caractères  des  diverses 
races  que  l'on  y  entrevoit  ont  comme  un  air  de 
famille  {i). 


(i)  Que  l'on  examine,  entre  autres  exemples,  une  curieuse 
peinture  sur  bois  de  1299,  brutale,  bourbeuse,  mais  vivante, 
le  Sauveur  du  Monde,  suspendue  dans  la  nef  de  N.-D.  de  Semur- 


—    20    — 

Les  Pays-Bas  avaient  apparemment  reçu  de 
bonne  heure  maints  éléments  d'art  nordique  ;  on 
aimerait  donc  à  savoir  quelle  part  leur  firent  les 
imagiers  et  les  peintres  qui  se  multiplièrent  dans  les 
années  looo.  Par  malheur,  il  ne  subsiste  pas  assez 
d'œuvres  pour  nous  renseigner  sur  ce  point  et  les 
textes  sont  avares  de  détails  lumineux.  Quelle  fut  au 
juste  l'action  de  ce  Jean,  le  prêtre-artiste,  qui  vint 
s'installer  à  Liège,  après  avoir  travaillé  à  la  cour 
d'Othon,  et  y  byzantinisa  ?  Quels  furent  les  autres 
initiateurs,  d'où  sortaient-ils,  quelles  traditions  sui- 
vaient-ils ?  On  l'ignore.  Les  artistes  de  la  première 
heure,  —  presque  tous  moines,  —  procédaient  avec 
une  obéissance  souvent  regrettable  :  si  vive  était 
leur  dévotion  pour  le  byzantinisme  qu'ils  en  regar- 
daient les  poncifs  comme  de  vénérables  canons. 
Néanmoins  il  arriva  parfois  qu'en  quelques-uns 
l'àme  de  la  race  se  manifesta  malgré  le  respect  des 
formules  adventices.  Peut-être  est-il  permis  de  voir 
des  manifestations  de  ce  genre  dans  la  recherche  de 
l'expressif  qui  distingue  un  Christ  en  croix  du  Collec- 
tarium  de  l'abbé  de  Saint-Amand  (xii^  siècle)  con- 
servé à  la  Bibliothèque  de  Valenciennes,  et  dans  le 
souci    d'animer    la    scène   liminaire    du    Traité    de 


en-Auxois  (face  à  la  chaire î.  Entre  cet  ouvrage  de  l'école  Ger- 
manique et  les  figures  flamandes  et  françaises  septentrionales 
de  la  même  époque,  que  de  traits  communs  !  Et  cela  frappe 
d'autant  plus  que  ce  Christ  a  été  repeint,  donc  altéré  quelque 
peu,  en  1612. 


Portail  dk  l'église  de  la  chaktreuse  he  Champ.mol    Dijon) 

pp.  43. 56  et  s.; 


—    21    — 

S*-Augustin  sur  la  Trinité  (même  époque),  jadis  en 
l'abbaye  d'Anchin,  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  de 
Douai  (i).  Mais  il  faudrait  des  milliers  d'images  de 
diverses  matières  pour  étudier  comme  il  convient 
ces  précieux  bégaiements,  ces  éveils  d'originalité 
qui  constituent  la  phase  initiale  de  l'évolution  de 
nos  arts  ! 

En  sculpture,  les  ouvrages  du  xii^  siècle  sont 
rares  et,  pour  les  motifs  énoncés  ci-dessus,  ils  n'ont 
rien  de  particulièrement  ethnique.  C'est  de  la  lourde 
écriture  commune  à  tant  d'archaïques  que  sont 
relatés  les  miracles  de  S*-Bavon  sur  le  double 
bas-relief  du  Musée  de  ce  nom  à  Gand  ;  mais  une 
figure  de  dernier  plan  y  exprime  confusément  une 
conscience.  Un  désir  très  net  de  vérité  se  lit  sur  les 
personnages  énergiquement  taillés  au-dessus  d'un 
encadrement  de  porte  à  Sainte-Gertrude  de  Nivelles, 
et  une  agréable  douceur  humanise  la  Vierge  de  Dom 
Rupert  (Musée  archéologique  de  Liège)  ;  comme 
exécution,  ces  images  s'apparentent  étroitement  aux 
statues  de  la  tour  de  l'église  d'Honnecourt  (façade 
méridionale)  et  aux  débris  de  têtes  du  Musée  de 
Cambrai  (arrachés  au  portail  de  la  cathédrale  de 
cette  ville),  que  l'on  peut  regarder  comme  des  spéci- 
mens de  l'art  français  en  voie  d'affranchissement. 
Quand  cessèrent  de  byzantiniser  les  imagiers  néer- 
landais, nul  ne  saurait  le  dire  ;  en  tout  cas,  il  paraît 

(i)  Cette  scène  représente  le  Christ  recevant  l'hommage 
du  livre. 


—    22    — 

maintenant  avéré  qu'ils  francisèrent  au  xiii*^  siècle. 
«  Nul  peuple  n'a  subi  plus  continuellement  ni  plus 
profondément  l'action  de  ses  voisins  »,  dit  des  Belges 
M.  Pirenne  (i). 

On  sait  quel  éclat  merveilleux  jette  la  France  à 
l'ère  des  grandes  cathédrales,  quel  mouvement  im- 
pétueux et  fécond  naît  du  rajeunissement  de  son 
art,  enfin  débarrassé  des  vieilles  bandelettes  qui 
l'enserraient.  Certes  il  était  naturel  que  l'irradiation 
de  cet  art  s'étendit  sur  les  Pays-Bas,  si  large  ouverts 
à  l'esprit  du  pays  de  Philippe-Auguste  et  deSt-Louis. 
Au  reste,  où  n'accueille-t-on  pas  alors  l'esthétique  et 
la  manière  françaises  ?  Elles  libèrent  de  formules 
caduques  et  s'imposent  par  des  chefs-d'œuvre. 

Toutefois  les  Néerlandais  ne  francisent  pas  en 
imitateurs,  ils  travaillent  avant  tout  à  s'assimiler  les 
principes  et  les  procédés  de  ces  voisins  qu'ils  con- 
sidèrent comme  des  éducateurs  compétents.  Celles 
de  leurs  œuvres  qui  sont  parvenues  jusqu'à  nous  ne 
ressemblent  pas  à  tel  ou  tel  groupe  d'ouvrages 
français,  elles  ont  une  saveur  régionale  comme  celles 
du  Parisis,  de  la  Beauce,  de  la  Champagne,  du  Berry, 
de  la  Picardie,  de  la  Bourgogne.  L'art  français,  il 
importe  de  s'en  souvenir,  n'a  pas  pris,  en  se  natio- 
nalisant, un  aspect  unique,  monotone  ;  grâce  à  ses 
foyers  provinciaux,  si  vivaces  et  si  judicieusement 
autonomes,  il  devient  au  contraire   très  varié.  Eh 


(i)  Hist.  des  Belges,  1902,  in  8°,  Bruxelles,  T.  i,  p.  VIII. 


23 


bien  !  le  cousinage  est  évident  entre  ces  foyers  et 
ceux  des  Pays-Bas  Ces  derniers  reçoiv^ent  la  même 
sève,  la  même  inspiration,  et,  comme  eux,  ils  ont 
leur  physionomie  propre.  Quiconque  s'est  pénétré 
des  caractères  des  figures  sculptées  au  xiii^  siècle  à 
Chartres,  à  Paris,  à  Amiens,  à  Reims,  à  Vézelay  et 
Saint-Père,  sentira  ce  qui  distingue  les  œuvres 
chartraines,  parisiennes,  picardes,  champenoises, 
bourguignonnes,  des  œuvres  belges  comme  les  an- 
ciens Fonts  baptismaux  de  Saint-Lambert  à  Liège 
(aujourd'hui  à  Saint-Barthélémy),  le  lourd  double 
tympan  de  l'Hôpital  Saint-Jean  à  Bruges  (façade), 
les  statuettes  des  archivoltes  du  même  édifice,  la 
typique  Vierge  de  Saint-Jean  à  Liège,  l'individuelle 
Vierge  en  bois  du  Musée  archiépiscopal  d'Utrecht, 
au  visage  quelque  peu  grimaçant  mais  aux  formes 
assouplies,  \eSt-jfean  l'Evangéliste  en  bois  du  Musée 
archéologique  de  Namur,  aux  proportions  établies 
avec  un  désir  de  beauté  dont  y  a  peu  d'exemples, 
l'expressif  St-Eleuthère  orfévri  de  la  cathédrale  de 
Tournai.  L'origine  de  ces  figures  travaillées  à  la 
française  se  devine  à  quelques  nuances  presque 
indéfinissables,  on  peut  dire  que  de  tous  leurs 
galbes  se  dégage  un  arôme  nordique.  Même  dans 
l'Artois,  alors  à  la  France,  et  partant  très  imprégné 
de  son  art,  on  relève  des  traces  d'influences  septen- 
trionales, des  tendances  à  caractériser  :  Christ  dit 
Grand  Dieu  de  Thérouanne,  qui  retiendrait  sans  sa 
vulgarité,    Vierge   et  St-Jean  (cathédrale  de  Saint- 


—  24  — 

Omer\  St-Omer,  énergiquement  tracé,  et  bas-reliefs 
relatant  ses  miracles  (N.-D.  de  Saint-Omer). 

Il  serait  vain  d'insister  sur  ce  qui  peut,  dans 
tous  ces  ouvrages,  indiquer  l'esprit  nordique.  Ce 
qu'il  sied  de  retenir,  c'est  que  le  souci  de  représen- 
tation exacte  qui  s'affirmera  dans  le  dernier  tiers  du 
xiv^  siècle  comme  un  caractère  néerlandais  n'est  pas 
encore  apparu  à  la  fin  du  xiil*.  On  voit  assurément 
des  tètes  qui  reflètent  une  individualité,  on  n'a  pas 
encore  retrou\'é  de  personnages  à  )a  face  recon- 
stituée jusqu'en  ses  moindres  particularités,  à  l'atti- 
tude révélatrice  d'une  personnalité.  Les  figures  des 
gisants  qui,  plus  tard,  seront  toutes  traitées  en 
portraits,  demeurent  conventionnelles  ou  synthé- 
tiques. L'image  de  Blanche  de  Castille  (Saint-Denis) 
a  certes  du  caractère,  en  ce  sens  que  les  formes  en 
sont  artistement  construites  ;  elle  n'accuse  pas  les 
caractères  de  la  défunte  ;  son  auteur  a  mis  tous  ses 
soins  à  la  rendre  décorative  et  il  y  a  réussi.  Quant 
aux  statuettes  comme  la  courtaude  Vierge  en  buis 
du  Musée  de  Lille,  elles  préludent  seulement  à  cette 
évolution  qui  se  terminera  d'une  si  magistrale  façon 
par  les  statuettes  de  bronze  fondues  par  Jacques  de 
Gérines  (Musée  néerlandais  d'Amsterdam). 

L'inspiration  française  triomphe  encore  pen- 
dant la  première  moitié  du  XIV^  siècle.  Les  comtes 
de  Flandre,  d'Artois  et  de  Hainaut  prennent  alors 
le  ton  auprès  du  roi  de  France  dont  ils  recon- 
naissent la  suzeraineté  ;  ils  en  adoptent  les  goûts, 


JEAN   MAICLWEEL  (attribué  à) 
Christ  mort  soutenu  par  son'  Père 

lilusée  du  Louvre.  Paris  . 


(pp.  46,  48,  49). 


—  25   — 

ils  tâchent  d'en  reproduire  le  faste  et  les  imitateurs 
pullulent  autour  d'eux  (i).  L'or  afflue  dans  les  cités 
flamandes  et  on  y  excelle  à  le  dépenser  comme  à  le 
gagner.  Les  seigneurs  accumulent  les  objets  pré- 
cieux, les  dames  rivalisent  de  magnificence.  Rappe- 
lons-nous le  mot  de  Jeanne  de  Navarre  à  son  entrée 
dans  Bruges  en  i3oi  :  «  Je  croyais  qu'il  n'y  avait 
qu'une  seule  reine  en  France  et  j'en  vois  ici  plus  de 
six  cents  !  ».  A  la  vue  des  richesse  et  des  merveilles 
étalées  en  son  honneur,  l'épouse  de  Philippe  le  Bel 
n'avait  pu  retenir  son  dépit. 

Libres,  actifs,  dûment  organisés,  les  Pays-Bas 
jouissent  dès  le  début  du  siècle  d'une  si  belle  pro- 
spérité que  l'art  y  prend  un  admirable  essor.  C'est 
entre  la  plupart  des  cités  une  noble  émulation. 
Nombreux  sont  les  sculpteurs  et  les  peintres  à  Gand, 
à  Anvers,  à  Tournai,  à  Bruges,  à  Louvain,  à  Ypres, 
à  Cambrai,  à  Lille,  à  Douai,  à  Valenciennes  (où  se 
trouvent  aussi  des  tapissiers  et  des  brodeurs)  et, 
jusqu'aux  invasions  anglaises,  à  Arras.  Leurs  gildes 
ne  tarderont  pas  à  se  développer  remarquablement 
dans  la  plupart  de  ces  villes. 

Malheureusement,  après  s'être  assimilé  les  prin- 
cipes de  leurs  voisins,  les  artistes  des  Pays-Bas  en 


(i)  Depuis  qu'ils  s'étaient  unis  à  des  princesses  des 
maisons  de  Valois,  de  Bourgogne  et  d'Anjou,  Robert  de  Bê- 
thune  et  Louis  de  Crécy  devaient  l'hommage-lige  à  la  cou- 
ronne ;  ils  le  rendaient  d'autant  mieux  que  Philippe  le  Bel 
avait  pris  de  l'ascendant  sur  eux. 


—    26   — 

répètent  les  erreurs.  Dans  certaines  décorations 
d'édifices,  ils  se  rattachent  bien,  —  forcés  du  reste 
en  cela  par  les  conditions  du  travail,  —  aux  tradi- 
tions ancestrales  ;  on  le  constate  à  la  cathédrale  de 
Tournai  (Vierge,  Prophètes  et  Docteurs  du  portail 
principaD  et  à  N.-D.  de  Huy  (scènes  évangéliques 
d'un  tympan).  Mais,  dans  les  figures  isolées,  ils 
s'arrêtent  avec  complaisance  au  genre  conventionnel 
et  même  au  maniérisme  dans  lesquels  se  laissent 
glisser  les  continuateurs  des  robustes  imagiers  de 
l'époque  précédente.  Ce  sont  les  exagérations  de 
France,  —  spirales  que  rien  ne  nécessite  ou  déhan- 
chements excessifs,  —  que  reproduisent  la  très 
maternelle  Vierge  de  la  Cathédrale  d'Anvers  (chapelle 
des  Fonts)  ;  celle,  à  personnalité  incontestable,  de 
l'église  de  Hal  (portail  sud)  ;  celle  du  Musée  de 
Tirlemont,  dont  l'exécution  rachète  par  sa  finesse 
la  vulgarité  des  reliefs  ;  celle  de  la  collection  du 
C*^  Durrieu  (Paris),  Brugeoise  artistement  taillée  ; 
et  surtout  la  Sfe-Catherifie  de  N.-D.  de  Courtrai,  au 
corps  par  trop  contorsionné,  à  l'allure,  quelque  peu 
poseuse.  Les  têtes  de  ces  diverses  statues  témoignent 
d'un  effort  sérieux  pour  arriver  à  la  représentation 
des  caractères  moraux.  De  même  celles  de  la  Vierge 
et  des  deux  cotiseillers  qui  l'entourent  sur  la  pierre 
commémorative  du  Musée  d'Arras,  du  Sergent 
(Varmesàn  Musée  lapidaire  deGand,  du  St-Germain{7) 
de  N.-D.  de  Huy  ;  de  quelques  statuettes,  telle  la 
Vierge,   au  visage  lourd  mais    grave,    réfléchi,    du 


—   27   — 

Musée  de  Lille,  et  de  quelques  figurines  d'ivoire, 
telle  la  Vierge  commune  mais  vivante  du  polj^ptyque 
de  la  collection  Ozenfant-Scrive  (même  ville).  Par 
contre,  beaucoup  d'imagiers  continuent  de  sacrifier 
les  signes  individuels,  les  détails  des  galbes,  à 
l'harmonie  d'ensemble,  comme  dans  l'image  funéraire 
de  Robert  d'Artois  (i3i8  à  i320,  Saint-Denis),  dont 
la  tête  offre  un  heureux  cas  d'interprétation  large 
d'une  physionomie. 

Il  y  a  lieu  de  croire  que  les  peintres  s'ouvrent 
à  peu  près  en  même  temps  que  les  imagiers  à  l'art 
de  France.  Mais  comment  juger  de  la  peinture  du 
xiii^  siècle  par  des  détrempes  rudimentaires  comme 
celles  de  l'hospice  de  la  Biloke  {Christ  bénissant  la 
Vierge,  —  St-Jean  et  St-Christophe)  ?  Que  nous 
apprennent  ces  personnages  anguleux  si  ce  n'est 
l'inhabileté  de  leur  auteur,  encore  si  près  des  déco- 
rateurs de  la  cathédrale  de  Tournai  et  du  château 
des  comtes  de  Hainaut  à  Mons  ?  On  ne  peut  même 
pas  relever  convenablement  les  caractères  de  la 
peinture  du  xiv^  siècle,  à  cause  du  petit  nombre  de 
ses  vestiges  et  de  leur  déplorable  état.  Il  serait 
téméraire  de  chercher  les  lignes  essentielles  d'un 
genre  et  l'orientation  de  ses  représentants  dans  des 
restes  de  compositions  sommaires  comme  la  marche 
des  confréries  et  des  corporations  (chapelle  de  Leuge- 
mete,  Gand),  comme  le  Christ  et  les  saints  de 
l'ancienne  église  des  Dominicains  à  Maestricht  ; 
dans   des  personnages  à  moitié    évanouis   tels  les 


—    28   — • 

comtes  de  Flandre  de  N.-D.  de  Courtrai  ou  restaurés 
sans  tact  tels  le  Robert  de  Béthune  agenouillé  dans 
le  chœur  de  St-Martin  d'Ypres,  et  les  portraits  de 
la  chambre  des  échevins  {même  ville);  dans  des 
tableaux  encore  barbares  et  hésitants  comme  le 
Calvaire  du  Musée  d'Anvers  et  celui  de  Saint- 
Sauveur  à  Bruges.  Quant  aux  effigies  travaillées  en 
miniature,  comme  celles  de  Louis  de  Nevers,  de 
Marguerite  de  Flandre,  de  Louis  de  Maie  et  de 
Marguerite  de  Brabant  (Musée  de  Lille),  quant  aux 
enluminures  expressives,  comme  celles  du  Pèlerinage 
de  la  vie  humaine  réalisées  à  l'abbaye  de  Saint-Martin 
de  Tournai  (Bibliothèque  de  Douai),  elles  montrent 
que,  chez  les  peintres  comme  chez  les  imagiers, 
plusieurs  marchent  vers  l'individualisation  alors 
qu'autour  d'eux  on  s'obstine  à  généraliser  d'après 
un  formulaire.  Toutefois  il  ne  messied  point  d'accor- 
der un  regard  à  la  Marche  de  Gand  parce  qu'elle  est 
la  première  manifestation  connue  d'un  genre  que  le 
peintre  Louis  de  Mons,  dans  les  années  i37o, 
développera  dans  la  décoration  du  palais  de  Salle- 
le-Comte  à  Valenciennes,  et  qui  sera  si  fort  goûté 
dans  tous  les  Pays-Bas  :  la  représentation  des  anec- 
dotes, des  événements  de  la  vie  journalière  (i). 

Au  milieu  du  siècle,  un  retour  s'impose  à  l'école 
de  la  nature,  on  le  sent  vivement  dans  les  provinces 


(i)  Les    scènes   de   genre   peintes   par  Louis  de   Mons 
n'existent  plus. 


CLAUS  SLUTER 
PriTS  DES  Prophètes  (Daniel,  Isaïe) 

'Chartreuse  de  Chamiimol,  Dijon,. 


tpp.  60  et  s.). 


—    29    — 

néerlandaises.  Les  artistes  n'y  sont  pas  doués  pour 
l'interprétation  elliptique  que  réclame  la  décora- 
tion monumentale  et  dans  laquelle  ont  si  bien  réussi 
les  statuaires  français  contemporains  de  St-Louis  et 
de  Philippe  III  ;  comme  tous  les  nordiques,  ils  lui 
préfèrent  les  modes  de  figuration  qui  font  revivre 
avec  soin  les  moindres  signes  particuliers  et  tout  ce 
qui  révèle  une  personnalité.  Peu  à  peu  l'âme  de  la 
race  parle  en  eux,  les  pousse  à  l'étroite  observation 
des  réalités,  à  la  traduction  littérale  de  ce  qu'ils 
veulent  représenter,  à  l'écriture  scrupuleusement 
exacte  des  caractères  moraux.  Ces  amoureux  d'ana- 
l3^se  loyale,  d'investigations  patientes,  de  rendus 
minutieux,  ne  sauraient  se  complaire  longtemps  dans 
cette  généralisation  banale  des  formes,  ce  faux 
idéalisme,  qui,  depuis  une  cinquantaine  d'années, 
paralyse  l'art  de  leurs  voisins.  Le  fourvoiement  de 
ceux-ci  les  frappe  enfin  et  dès  lors  ils  cessent  de  se 
diriger  sur  leurs  traces.  Bientôt  ils  réagissent  en  se 
jetant  éperdûment  dans  l'étude  directe  de  la  nature. 
Désormais  ils  poursuivront  cette  étude  avec  ténacité, 
ils  l'érigeront  en  méthode.  La  nature  leur  deviendra 
l'inspiratrice  par  excellence,  le  guide  le  plus  sûr,  et, 
pour  la  mieux  honorer,  ils  s'attacheront,  parfois 
avec  une  étroitesse  extrême,  à  en  transcrire  jus- 
qu'aux menus  détails. 

Dans  le  dernier  tiers  du  siècle,  ce  mouvement 
de  réaction  infuse  à  l'art  une  vie  nouvelle.  Si  des 
tombiers  tracent  encore  des  visages  linéaires  comme 

3 


—  3o  — 

celui  de  ce  Wouter  Copman  dont  Saint-Sauveur  de 
Bruges  conserve  l'image,  d'ailleurs  très  estimable 
pour  le  pertinent  équilibre  et  le  dessin  bien  rythmé 
des  plis  de  son  linceul  ;  si  des  ivoiriers,  tel  l'auteur 
du  polyptyque  de  l'Hôpital  Saint-Jean  à  Bruges,  ne 
sont  pas  en  notables  progrès  sur  leurs  prédécesseurs  ; 
que  d'imagiers  naturalisent  avec  ardeur  !  André 
Beauneveu,  de  Valenciennes,  Jean  de  Liège,  Jean 
Bondolf,  de  Bruges,  brillent  entre  tous  et  peut-être 
sont-ils  les  initiateurs  de  cette  évolution.  De  plus, 
Beauneveu  et  Bondolf,  qui  s'adonnent  aussi  à  l'enlu- 
minure et  à  divers  travaux  de  décor,  entraînent 
bientôt  les  peintres  dans  le  mouvement  rénovateur, 
et  d'autant  mieux  que  la  faveur  de  Charles  V  ajoute 
à  l'autorité  de  leur  talent.  A  la  fin  des  années  i3oo, 
ce  n'est  plus  seulement  dans  les  grandes  figures, 
comme  la  Vierge  de  N.-D.  de  Hal  (portail  nord), — 
hélas  !  trop  probe  traduction  d'une  bourgeoise  trop 
mal  proportionnée,  —  que  l'on  s'entraîne  à  portraire  ; 
c'est  aussi  dans  les  statuettes.  La  paye  des  ouvriers 
par  les  trois  vierges  (retable  de  Haekendover,  près 
Tirlemont)  nous  montre  une  attachante  série  de 
personnages  aux  types  saisis  sur  le  vif  et  expressi- 
vement  notés.  A  contempler  leurs  faces  parlantes, 
on  oublie  les  défectuosités  des  groupements  auxquels 
ils  appartiennent.  C'est  un  amusant  exemple  de 
transposition  de  légende  en  tableaux  de  la  vie  jour- 
nalière. Et  les  trois  jouvencelles  en  bois  du  Musée 
d'Ypres  s'imposent  non  moins  à  l'attention  par  leurs 


—  3i  — 

minois  si  intègrement  reproduits  en  leur  diversité. 
Toutefois  les  sculpteurs  n'arriveront  pas,  même  au 
siècle  suivant,  au  degré  de  puissance  expressive,  à 
l'artiste  et  passionné  caractérisme  des  Bourguignons. 
Ils  s'en  tiendront  à  une  honnête  portraiture  d'hon- 
nêtes modèles  ;  sauf  l'anonyme  qui  modela  les 
figurines  d'Amsterdam  fondues  par  Jacques  de 
Gérines,  —  et  n'est-ce  pas  un  slutérien? —  ils  pro- 
céderont avec  une  pondération  et  une  ataraxie 
imperturbables  (i).  Les  peintres,  à  partir  de  Jean 
van  Eyck,  les  distanceront  en  maîtrise  et  en 
hardiesse. 

A  peine  rénové,  l'art  des  Bays-Bas  commence 
de  régénérer  l'art  français.  Mais  il  ne  s'ensuit  pas 
que  tous  les  artistes  néerlandais  qui  pénètrent  en 
Bourgogne  dans  le  dernier  tiers  du  xiv^  siècle  y 
donnent  des  exemples  de  naturalisme.  En  effet,  tous 
ne  viennent  pas  de  leur  pays  d'origine.  Beaucoup 
arrivent  de  Paris  ou  d'autres  centres  français,  où  ils 
vivaient  depuis  longtemps,  et  leur  manière  est 
presque  toujours  celle  des  ateliers  de  la  capitale  ;  ils 
n'ont  pas  encore  ressenti  les  effets  de  la  rénovation 
qui  se  dessine  dans  leur  patrie. 

Dès  le  début  du  siècle,  quantité  de  sculpteurs 


(i)  Sur  les  statuettes  d'Amsterdam,  qui  rappellent  peut- 
être  l'investiture  de  Philippe-le-Bon  comme  comte  de  Hollande, 
voiries  articles  de  M.  Schmidt-Degener,  Gazette  des  Beaux- Arts, 
igoô,  t.  II,  p.  93  et  94,  yirt  flamand  et  hollandais,  i5  janvier  et 
i5  février  1907. 


—    32    — 

et  de  peintres  avaient  essaimé  dans  les  provinces 
septentrionales  de  France  et  surtout  à  Paris,  où  la 
production  artistique  restait  intense  (i).  Pour  obte- 
nir des  travaux  plus  aisément,  et  peut-être  aussi 
pour  suivre  leurs  goûts,  ils  s'étaient  empressés  de 
s'assimiler  les  procédés  des  ateliers  locaux,  dont  le 
renom  ne  faiblissait  pas,  et  leur  nordisme  en  avait 
pâti.  Même  ils  s'étaient  assimilé,  non  moins  bien  que 
les  Français,  les  éléments  italiens  répandus  jusqu'à 
Paris  sous  Philippe-le-Bel  (2).  Ce  qui,  du  reste,  n'a 
rien  d'étonnant  puisque  les  écoles  transalpines  offrent 
encore  à  ce  moment  plus  d'une  analogie  avec  les 
écoles  septentrionales  et  qu'elles  ne  sont  pas  sans 
devoir  quelque  chose  à  la  France.  Nulle  différence 
entre  les  ouvrages  français  d'alors  et  les  ouvrages 
que  l'on  sait  pertinemment  avoir  été  réalisés,  à  la 
même  époque,  dans  les  bassins  de  la  Seine  et  de  la 
Somme,  par  des  Néerlandais  ;  on  le  constate  surtout 
dans  les  miniatures. 

Les  Néerlandais  qui  remportent  des  succès  à 
Paris  dans  les  cinquante  premières  années  du  siècle, 


(i)  Les  commandes  continueront  d'y  affluer,  sauf  aux 
heures  désastreuses,  et  la  peinture  murale  y  prendra  une 
grande  extension.  C'est  dans  les  années  i3oo  que  l'on  décore 
les  hôtels  Saint-Pol  et  de  Savoisi,  le  vieux  Louvre  de 
Charles  V,  et,  dans  les  environs,  le  château  de  Bicêtre. 

(2)  Des  Italiens  sont  installés  à  Paris  au  début  du  xrv^ 
siècle  et  deux  d'entre  eux,  Philippe  et  Jean  Rizuti,  travaillent 
pour  le  roi.  Il  y  en  a  aussi  à  Lyon  et  ils  sont  nombreux  dans 
le  midi. 


-  33  - 

le  tombier  Pépin  de  Huy,  les  peintres  Jean  de 
Bruxelles  et  Jean  de  Gand  n'ont  donc  pas  d'autre 
action  que  les  Français  qui  florissent  autour  d'eux  : 
les  imagiers  Pierre  de  Chelles  et  Jean  le  Bouteiller, 
les  peintres  Jean  d'Auteuil,  Jean  Pucelle,  Jacques 
Maciot,  Evrard  et  Girard  d'Orléans,  Jean  d'Auxerre 
et  Jean  Coste,  le  décorateur  du  château  de  Vam- 
breuil  en  Normandie. 

Il  en  va  tout  autrement  des  Néerlandais  dont 
Paris  consacre  la  gloire  dans  la  seconde  moitié  du 
siècle  :  André  Beauneveu,  Jean  de  Liège,  Jean  Bon- 
dolf,  Jean  de  Cambrai,  Jean  de  Marville,  Jacques 
Coene  de  Bruges.  Ceux-ci  sont  imprégnés  de  l'esthé- 
tique nouvelle  et  leurs  œuvres  la  ra3'onnent.  (i)  Tant  à 


(t)  Aussi  faut-il  regretter  vivement  de  ne  pas  posséder 
au  moins  leurs  œuvres  principales.  On  a  tout  lieu  de  regarder 
Beauneveu  comme  l'auteur  des  statues  funéraires  de  Charles  V 
(i364,  Saint-Denis)  et  de  Philippe  VI  (vers  i365,  Louvre),  la 
première  bien  supérieiire  à  la  seconde  qui  n'a  pas  été  faite 
d'après  nature.  On  sait  qu'il  a  réalisé  deux  grisailles  rehaussées 
du  ms.  n"  11060  de  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles:  la 
Vierge  et  VEvfant  entourés  d'oiiges,  Jean  de  Berry  agenouillé  près  du 
Baptiste  et  de  V  apôtre  André  ;  et  on  lui  attribue  les  enluminures 
d'un  Psautier  du  même  duc  de  Berry  (Bibliothèque  nationale 
de  Paris,  n°  iSogi),  dont  les  Prophètes  et  les  Apôtres  du  début, 
mal  proportionnés  ou  vulgaires  mais  vivants,  rappellent  les 
figures  du  manuscrit  de  Bruxelles. 

De  Jean  de  Liège,  le  Lovivre  conserve  les  statues  funé- 
raires de  Charles  IV  le  bel  et  de  Jeanne  d'Evreux,  auxquelles 
il  n'y  a  pas  à  s'arrêter  parce  qu'elles  ont  été  exécutées  comme 
le  Philippe  VI,  et  Saint-Denis  celle  de  Blanche  de  France, 
travaillée   très   fidèlement   en    portrait,   le   nez  suffirait   à  le 


-  34- 

cause  de  leur  célébrité  que  de  leur  valeur,  ils 
exercent  forcément  une  influence  et  sur  leurs  com- 
patriotes francisés  et  sur  les  artistes  français.  Et 
cette  influence  n'est  pas  moins  salutaire  sur  ceux-ci 
que  sur  ceux-là  puisque,  les  ramenant  à  l'interpréta- 
tion sincère,  à  Tétude  directe  des  réalités,  elle  les 
détournait  par  cela  même  de  toute  imitation.  On  en 
voit  un  exemple  topique  à  Saint-Denis  ;  c'est  la 
statue  funéraire  de  Bertrand  du  Guesclin,  taillée 
entre  iSSg  et  i3gy  par  Robert  Loisel,  élève  de  Jean 
de  Liège,  avec  l'aide  de  Thomas  Privé.  La  face  du 
connétable  rayonne  de  vie  et  d'individualité. 

Très  vraisemblablement,  plus  d'un  artiste  en 
France  avait  compris,  même  avant  l'avènement  de 
Jean  le  Bon,  la  nécessité  de  réagir  contre  les  for- 
mules conventionnelles,  maints  ouvrages  autorisent 
à  le  croire,  entre  autres  le  Philipt>e  III  de  Saint- 
Denis  et  le  Guillaume  de  Çhanac  du  Louvre.  Les 
Jean  Susanne,  les  Jean  de  Montmartre,  les  Jean 
Lenoir,  les  Jean  d'Orléans,  les  Etienne  Lannelier, 


prouver.  De  Bondolf,  on  n'a  plus  qu'une  miniature  à  person- 
nages :  Jean  de  Vaudetar  offtaiit  une  Bible  à  Charles  V  (i373, 
Musée  Westreenianum,  La  Haye).  Mais  ses  dons  de  compo- 
siteur et  de  peintre  nous  sont  indiqués  par  les  Tapisseries  de 
V Apocalypse  i  Saint-Maurice  d'Angers),  dont  il  a  tracé  les  cartons. 
A  Jacques  Cœne,  le  c*"^  Durrieu  attribue  le  Jardin  du  Vieux  de 
la  Montagne,  scène  d'un  franc  naturalisme  peinte,  au  début  du 
xve  siècle,  dans  le  Livre  des  merveilles  du  monde  (Biblioth.  natl^/. 
De  Jean  de  Cambrai,  on  n'a  rien  d'authentique.  Sur  Jean  de 
Marville,  le  chapitre  suivant  renseignera. 


—  35  — 

les  Colart  de  Laon  eurent,  il  se  peut,  une  action 
bienfaisante  ;  mais  incontestablement  ce  sont  les 
déracinés  du  Brabant,  du  Limbourg,  de  la  Flandre, 
de  la  Gueldre,  de  l'évêché  de  Liège,  de  la  Hollande, 
qui,  sous  Charles  V,  le  «  droit  artiste  et  appris  es 
sciences  »,  l'amateur  au  goût  délicat,  déterminèrent 
la  réaction  naturaliste  à  laquelle  l'art  de  la  France 
royale  dut  de  rentrer  dans  la  bonne  voie.  Cette 
réaction  n'était  probablement  pas  commencée,  ou 
elle  s'ébauchait  à  peine  en  i363,  lorsque  Jean  le  Bon 
donna  la  Bourgogne  en  apanage  à  son  quatrième  fils, 
Philippe  le  Hardi  (i);  les  artistes  néerlandais  que 
trouva  celui-ci  dans  Dijon,  voire  même  la  plupart 
de  ceux  qu'il  y  manda  au  début  de  son  installation, 
devaient  donc  en  être  encore  aux  méthodes  d'antan. 


(i)  De  io32  à  i36i,  la  Bourgogne  avait  appartenu  à  des 
ducs  de  la  branche  Capétienne.  Le  dernier,  Philippe  de 
Rouvre,  étant  mort  sans  enfants,  le  duché  fit  retour  à  la 
couronne  de  France. 


Chapitre  III 

LES  NÉERLANDAIS  EN  BOURGOGNE 
SOUS  PHILIPPE-LE-HARDL 

C'est  au  milieu  du  xiv*^  siècle  que  les  artistes 
des  Pays-Bas  commencent  de  se  répandre  en  Bour- 
gogne par  la  Franche  Comté.  Dès  i3i5,  un  ouvrage 
de  Pépin  de  Hu}^  (sans  doute  originaire  de  Huy, 
près  de  Liège),  la  sépulture  du  comte  Othon,  prend 
place  dans  l'abbaye  de  Cherlieu,  au  diocèse  de 
Besançon.  Et  très  probablement  dans  les  années 
i35o,  un  autre  monument  funéraire,  que  son  t3^pe 
permet  d'attribuer  à  quelque  tombier  belge,  celui  du 
seigneur  Mellot  et  de  son  épouse,  est  érigé  dans 
le  cloître  de  l'abbaye  de  Fontenay  (Auxois)  (i). 
Vers  la  même  époque,  un  Bruxellois  collabore  avec 
Jean  de  Soignolles  à  une  tombe  commandée  pour  la 
Sainte-Chapelle  de  Dijon.  Enfin  les  artistes  néer- 
landais se  multiplient  dans  cette  ville  une  fois  que 
Philippe -le-Hardi  a  pris  possession  du  duché  (1364) 


(il  Le  gisant,  M.  Kleinclausz  l'a  démontré,  est  un  frère 
cadet  de  Guillaume  IV  ou  de  Guillaume  V  de  Mellot  ;  il 
vivait  dans  le  deuxième  tiers  du  xiv^  siècle.  Ces  statues  ont 
beaucoup  souffert  ;  dans  leur  état  actuel,  elles  semblent  d'une 
exécution  un  peu  lourde.  Cf.  Gazette  des  Beat(x-Arts,  igoS. 


CLAUS  SLUTER 
Puits  des  Prophètes  (Moïse,  David) 

Chartreu^e  de  Cliampmol,  l)iion\ 


(pp.  60  et  s.' 


37 


et  surtout  après  son  mariage  avec  la  veuve  de  son 
prédécesseur,  Marguerite  de  Flandre  (g  juin  i36g). 
Non  pas  que  la  réunion  des  provinces  Flamandes  à 
la  Bourgogne  provoque  une  migration  d'artistes 
septentrionaux  en  rendant  plus  faciles  leurs  dépla- 
cements et  plus  grandes  leurs  chances  de  succès, 
mais  parce  que  le  duc  a  toujours  eu  une  prédilection 
pour  ceux-ci  et  sans  doute  aussi  parce  que  la  cour 
de  France  les  a  mis  à  la  mode.  C'est  donc  à  leurs 
talents  qu'il  fait  appel  lorsqu'il  décide  d'embellir  sa 
demeure  et  sa  capitale,  et  naturellement  les  maîtres 
qu'il  réunit  recrutent  de  préférence  parmi  leurs 
compatriotes  les  aides  dont  ils  ont  besoin. 

Grâce  à  son  mariage,  Philippe  se  trouvait  à 
même  d'accomplir  de  vastes  desseins.  Avec  ses 
droits  futurs  sur  les  provinces  Flamandes,  Mar- 
guerite, fille  unique  de  Louis  de  Maie,  lui  apportait 
en  dot  le  comté  de  Bourgogne  (Franche  Comté). 
Aussi  le  roi  d'Angleterre,  Edouard  III,  avait-il 
manœuvré  longuement  pour  que  son  fils  Edmond 
obtint  la  main  de  cette  opulente  héritière.  Mais  leur 
degré  de  parenté  exigeait,  pour  qu'ils  fussent  unis, 
des  dispenses  que  le  pape  Urbain  V  crut  devoir 
refuser.  Charles  V,  politique  avisé,  mit  à  profit  cet 
échec  et  le  comte  de  Maie  agréa  pour  gendre  le  duc 
PhiHppe  le  Hardi  (i). 


(i)  «  Et  me  fut  a  donc  dit,  relate  Froissait,  que  le  comte 
de  Flandre,  pour  ce  mariage  laisser  passer,  reçut  grand 
profit,   plus  de   cent  mille  francs,    et  demeurèrent  encore  la 


—  38  — 

Avec  Philippe,  un  régime  nouveau,  une  ère 
nouvelle,  s'inaugure  dans  les  Etats  de  Bourgogne. 
Le  duc  a  des  projets  grandioses,  il  veut  tenir  un 
rang  princier,  avoir  une  cour  calquée  sur  celle  du 
roi,  et,  bien  qu'il  n'y  doive  résider  jamais  longtemps, 
une  capitale  digne  de  ce  nom.  S'il  n'a  pas  le  sens 
esthétique,  les  qualités  d'amateur  véritable  de  son 
frère  Charles  V  (i),  il  aime,  comme  lui,  ce  luxe  de 
haut  style,  de  bel  aloi,  que,  seul,  l'art  constitue.  Il 
a  besoin  de  faste,  il  est  avide  de  toutes  les  sensations, 
depuis  celles  que  procurent  la  plus  splendide  des 
fêtes,  la  plus  affriolante  des  œuvres  plastiques, 
jusqu'à  celles  qu'occasionnent  un  costume  galam- 
ment tourné,  un  impeccable  objet  précieux.  C'est 
un  jouisseur  raffiné,  c'est  un  Valois.  Il  ne  lui  faut 
donc  pas  seulement  des  architectes,  des  peintres  et 
des  imagiers,  mais  aussi  des  ivoiriers,  des  brodeurs 
et  surtout  des  orfèvres. 

«  Le  luxe  des  ducs  de  Bourgogne,  relate  L.  de 
Laborde,  avait  fait  des  orfèvres  les  associés  et  les 
aides  de  leurs  tailleurs  ;  les  vêtements  étaient  litté- 


ville  de  Lille  et  celle  de  Douay  à  lui,  en  charge  de  grand 
argent  que  le  dit  roi  donnoit  à  son  frère  en  mariage  et  au 
comte  de  Flandre...  »,  L.IV.,  ch.  CCLXXII. 

Le  comte  de  Flandre  eut  encore  Orchies. 

(i)  Charles  V  ne  se  bornait  pas  à  favoriser  les  arts  par 
ses  acquisitions,  il  les  avait  organisés  administrativement. 
C'était  aussi  un  noble  ami  des  lettres  et  l'on  vantait  avec 
raison  la  bibliothèque  qu'il  s'était  composée.  Hélas  !  on  devait 
la  vendre  à  Bedford  en  1423  ! 


-  39  - 

ralement  couverts  par  les  brillants  produits  de  leur 
métier.  Or,  dit  Martial  d'Auvergne,  on  s'harnachoit 
d'orfavreriCy  expression  heureuse  pour  rendre  cette 
surcharge  excessive  et  ridicule.  Les  dressoirs  suc- 
combaient en  même  temps  sous  le  poids  de  la 
vaisselle  d'or  et  d'argent,  les  écrins  des  femmes 
renfermaient  des  valeurs  considérables,  les  trésors 
des  églises  regorgeaient  de  châsses  et  de  vases 
sacrés.,..  »  (i) 

Enfin  il  est  stimulé  dans  ses  goûts  fastueux  par 
les  exemples  des  ducs  d'Anjou  et  de  Berry  ;  entre 
ses  frères  et  lui,  c'est  un  tournoi  de  munificence.  Il 
se  compose  une  maison  et  ses  enfants  auront  la  leur. 
A  Paris  comme  à  Dijon,  il  prodigue  les  galas  et  s'y 
montre  magnifique.  Tournois,  joutes,  banquets, 
représentations  de  mystères  et  de  sotties,  il  organise 
tout  avec  une  pompe  royale.  Il  multiplie  les  com- 
mandes d'oeuvres  d'art  dans  la  capitale  du  roi  comme 
dans  la  sienne  (2)  ;  dans  l'une  et  l'autre  ville,  ainsi 


(i)  Les  Dites  de  Bourgogne,  introduction,  T.  L.  p.  XX-XXI. 

(2)  Quelques  unes  de  ses  commandes  nous  sont  connues 
par  les  textes.  On  sait  ainsi  qu'il  reçut  de  Perrin  Denys, 
imagier  de  Paris,  en  i388,  «  une  ymaige  de  Notre-Dame  tenant 
en  son  giron  ung  Dieu  de  pitié,  et  deux  ymaiges  d'anges,  tout 
de  bois  enlevez  »  ;  qu'il  Ht  faire,  l'année  suivante,  son  sceau 
par  Jean  Fovet,  orfèvre  de  Dijon  ;  et,  en  iSga-iSgS,  deux 
grands  tableaux  d'ivoire,  la  Passion  et  la  vie  de  St-Jean-Baptiste 
par  Berthelot  Héliot,  un  des  rares  artistes  français  demeurant 
alors  à  Dijon.  Statues  et  tableaux  ne  sont  plus.  Le  sceau 
représente  le  duc  à  cheval  et  brandissant  son  épée,  image 
encore  bien  raide  mais  d'une  allure  intéressante. 


—  40  — 

qu'en  diverses  cités  flamandes,  il  entretient  des 
peintres  et  des  imagiers  officiels.  A  Paris,  Jean  de 
Liège  sera  longtemps  chargé  des  «  menues  œuvres  » 
de  son  hôtel  d'Artois.  A  Ypres,  Melchior  Broeder- 
lam  exécutera  pour  lui  de  très  divers  ouvrages.  Et 
maints  artistes  s'occupent  de  ses  nombreux  châteaux: 
tel  Laurent  à  Hesdin.  Mais  c'est  avant  tout  a  Dijon 
que  Philippe  accumule  les  actes  somptueux.  Pour  y 
remplacer  le  château  des  anciens  ducs,  ruine  banale 
et  morose,  il  élève  une  tour  en  i366  (aujourd'hui 
tour  de  Bar),  et  y  instaure  le  logis  de  ses  rêves. 
Douze  ans  plus  tard,  pour  avoir  près  de  sa  demeure 
les  religieux  qu'il  a  en  particulière  estime,  —  car  sa 
poursuite  des  joies  terrestres  ne  le  détourne  pas  de 
toute  pensée  céleste,  —  ainsi  que  pour  placer  dans 
un  cadre  admirable  et  sûr  son  tombeau  et  ceux  des 
siens,  il  fonde  une  Chartreuse  à  Champmol,  aux 
portes  de  Dijon. 

Comme  la  plupart  des  grands,  il  conservait  ses 
croyances  tout  en  obéissant  aux  lois  de  la  mondanité 
et  en  agissant  sans  scrupules  lorsque  cela  servait  ses 
projets  ambitieux  ;  il  s'arrangeait  un  catholicisme 
commode  dont  ne  souffraient  point  ses  passions  (l). 
Néanmoins,  comme  beaucoup  de  jouisseurs,  il  véné- 
rait les  austères,  les  cénobites  à  vie  mortifiée,  se 
figurant  sans    doute  que  leurs  rigueurs  ascétiques 


(i)  Son  rôle  pendant  la  minorité  de  Charles  VI  prouve 
surabondamment  qu'il  n'était  chrétien  que  de  nom. 


—  41  — 

rachèteraient  dans  une  certaine  mesure  ses  excès  et 
ses  fautes.  D'autre  part,  à  cette  époque,  où  le 
relâchement  recommençait  de  contaminer  une  grande 
partie  du  clergé,  l'action  des  monastères  rigides 
était  excellente  sur  les  populations.  Il  fallait  des 
exemples  vécus  de  christianisme  intégral  pour  les 
maintenir  dans  la  foi,  le  devoir  et  l'ordre. 

Par  sa  fondation  d'une  chartreuse,  Philippe 
satisfait  sa  piété  tout  en  servant  ses  intérêts  ;  aussi 
fait-il  les  choses  largement.  Il  le  peut  d'autant  mieux 
qu'au  début  des  constructions,  en  i383,  Louis  de 
Maie  étant  mort,  il  devient  effectivement  comte  de 
Flandre.  En  outre,  il  s'est  assuré  depuis  peu  la 
possession  de  la  Flandre  française.  En  effet,  Charles  V 
ne  lui  avait  cédé  cette  province  en  1369  que  pour 
activer  son  mariage  avec  Marguerite,  car  sa  politique 
exigeait  que  l'héritage  de  celle-ci  échut  à  un  prince 
de  son  rang.  Mais  il  avait  été  spécifié  entre  les  deux 
frères  que  PhiHppe  restituerait  cette  donation  après 
la  mort  de  son  beau-père.  Or  le  roi  mourut  avant  le 
comte  de  Flandre  et  le  faible  Charles  VI  consentit 
aisément  à  délier  son  oncle  Philippe  de  l'engagement 
que  ce  dernier  avait  pris  naguère.  Au  milieu  des 
années  i38o,  notre  duc  se  trouve  donc  dans  une 
situation  très  florissante;  toutefois  il  a  un  tel  génie 
de  la  dépense  qu'il  irait  infailliblement  à  la  ruine  si 
la  duchesse  lui  ressemblait.  Heureusement  Mar- 
guerite possède  à  un  assez  haut  degré  les  vertus 
domestiques  pour  ne  pas  verser  dans  le  luxe   des 


—  42  — 

dames  de  la  cour  de  France  (i)  ;  elle  se  borne  à 
tenir  son  rang  dans  les  grandes  circonstances.  Son 
économie,  sa  modestie,  son  bon  sens  contre-balan- 
cent  la  prodigalité  et  la  mégalomanie  de  son  époux, 
qui,  malgré  les  soucis  de  sa  politique,  poursuit  sans 
trêve  la  réalisation  de  son  programme  d'embellisse- 
ment et  ne  cesse  d'acquérir  des  gemmes  et  des 
joyaux. 

Après  cinq  ans  de  travaux  diligemment  menés, 
la  Chartreuse  de  Champmol  est  prête  à  recevoir  les 
moines  qui  lui  sont  destinés.  En  i388,  le  24  mai, 
fête  de  la  Ste-Trinité,  à  laquelle  est  consacré  le 
monastère,  on  célèbre  la  dédicace  de  l'église.  Et 
bientôt  la  vie  communautaire  commence  dans  les 
nouveaux  bâtiments  conventuels.  L'architecte,  le 
fameux  Drouet  de  Dammartin,  a  fait  ses  preuves  au 
Louvre  de  Charles  V,  au  château  de  Nesle  du  duc 
de  Berry,  à  la  cathédrale  de  Troyes  (dont  il  édifia 
la  grande  rose)  et  au  château  de  l'Ecluse,  qu'il  vient 
de  bâtir  pour  Philippe  sur  la  littoral  de  la  mer  du 
Nord.  C'est  à  bon  escient  que  le  duc  l'a  nommé 
«  maistre  général  de  ses  œuvres  de  maçonnerie  pour 
tous  ses  païs  ».  A  Champmol,  Drouet  a  donné  la 
plénitude  de  sa  mesure  ;  il  a  tout  tracé,  même  les 
lignes  essentielles  de  la  décoration;  il  a  tout  combiné, 
tout  inspiré,  si  bien  que  cet  immense  ensemble  eut, 


(i)  Ce  luxe  était  déjà  inouï  sous  Charles  V,  l'écuver 
Eustache  Deschamps,  dit  Morel,  nous  l'apprend  dans  ses 
Poésies  morales  et  historiques. 


-43  - 

malgré  la   diversité   de    ses   parties,    une   effective 
unité  (i). 

Par  ses  aspects  comme  par  ses  plans  ,  la 
Chartreuse  dijonnaise  ne  différait  guère  des  autres 
moutiers  de  la  famille  de  St-Bruno  ;  car,  selon  la 
règle  de  ce  fondateur,  les  bâtiments  doivent  avoir 
une  simplicité  et  une  pauvreté  telles  que  le  type 
n'en  saurait  beaucoup  varier.  Mais  l'église  était 
splendide.  Dans  les  couvents  des  ordres  les  plus 
renonces,  on  s'applique  toujours  à  bien  orner  le 
sanctuaire  ;  on  tient  à  y  honorer,  même  au  moyen 
de  la  matière,  celui  qui  vient  y  renouveler  le 
sacrifice  du  Calvaire  ;  Philippe  le  magnifique  se 
devait  de  pousser  jusqu'à  l'émerveillant  la  parure 
du  temple  qu'il  élevait  à  la  gloire  et  louange  du 
Dieu  un  en  trois  Personnes.  De  la  rose  du  portail 
à  la  moindre  ornementation,  des  stalles  du  chœur 
aux  lanternons  de  la  voûte,  des  grandes  sculptures 
au  plus  modeste  objet  du  culte,  tout  avait  été  con- 
struit avec  des  soins  extrêmes,  un  réel  souci  de 
beauté.  A  l'extérieur,  les  regards  allaient  des  pina- 
cles aux  gargouilles,  du  coq  d'airain  juché  sur 
le  clocher  à  l'ange  veillant  au  chevet,  un  étendard 
au  poing,  et  s'arrêtaient  longuement  aux  statues  du 
portail  :  la  Vierge  recevant  les  hommages  du  duc  et 


(i)  Drouet  avait  sous  ses  ordres  les  maîtres  maçons 
Jacques  de  Neuilly  et  Jean  Bourgeois  ;  à  partir  de  i387,  il 
leur  confia  le  soin  de  diriger  les  derniers  travaux  de  con- 
struction. 


44 


de  la  duchesse  présentés  par  St-Jean-Baptiste  et  Ste- 
Catlierine.  A  l'intérieur,  l'attention  était  sollicitée 
par  le  maître-autel  aux  colonnes  illustrées  d'anges, 
au  riche  triptyque  représentant  Y  Annonciation,  la 
Visitation  et  V Assomption  ;  par  les  sépulcres  de 
Philippe-le-Hardi  et  de  Jean-sans-Peur  élevés  dans 
le  choeur  ;  le  groupe  de  la  Trinité  qui  dominait 
l'abside  ;  une  Pieta  placée  on  ne  sait  où  ;  1'  «  Yniaige 
de  Dieu  y>,  les  statues  de  la  Vierge,  de  St-Michel,  de 
Ste-Anne,  du  Baptiste,  de  St-Ajitoitie  et  de  St-Georges 
réunies  dans  cette  partie  de  l'oratoire  ducal  qu'on 
dénommait  chapelle  aux  Anges  ;  divers  retables  à 
grand  effet;  la  chaire  et  le  jubé  en  bois  sculpté  ;  le 
lutrin  en  cuivre  jaune  constitué  par  un  aigle  enlevant 
deux  reptiles  ;  les  verrières  où  l'image  de  Marie 
alternait  avec  les  armes  ducales  (i).  Dans  ie  grand 
cloître,  enfin,  on  admirait  le  Puits  des  Prophètes, 
célèbre  presque  au  lendemain  de  son  inauguration. 
Ces  Prophètes,  il  conviendrait  que  nul  ne  l'igno- 
rât plus,  ont  pour  auteur  Claus  Sluter,  dont  on 
verra  bientôt  la  valeur  et  l'action.  L'  «  Ymaige  de 
Dieu  »,  le  St-Michel  tenant  Satan  enchaîné,  la  Ste-Anne 
et  le  St-Georges  de  la  chapelle  aux  Anges,  statues 
hélas  disparues,  étaient  aussi  son  œuvre.  De  même 


(i)  Les  armes  du  duc  étaient  ainsi  constituées  :  six 
pièces  d'or  et  d'azur  en  bandes,  bordées  de  gueulles,  écar- 
telées  de  France  en  chef,  semé  de  fleurs  de  lis.  Les  armes  de 
la  duchesse  étaient  celles  de  Flandre  :  d'or  à  un  13'on  de 
sable  moufle  de  srris. 


CLAITS  DE  WERVE 
Plhuraxt  du  mausolée  de  Ph.ilippc  le  Hardi 

Musée  de  Cluny.  Paris).  'P-  So). 


-45- 

s. 

la  Pieta,  également  détruite,  et,  très  probablement, 
les  figures  du  portail,  sauf  la  Vierge.  Les  sépultures 
des  ducs  seront  étudiées  plus  loin.  Le  groupe  de  la 
Trinité,  qui  n'existe  plus,  avait  été  taillé  par  Jean 
de  Marville.  On  ignore  de  quelles  mains  étaient 
sorties  la  Vierge  du  portail,  encore  debout  ;  la 
Vierge,  le  Baptiste  et  le  St-Antoi7ie  de  la  chapelle 
aux  Anges,  dont  rien  ne  reste  ;  par  contre,  on  sait 
que  les  statues  et  le  triptyque  de  cette  chapelle 
avaient  été  recouvertes  de  tons  par  Jean  de  Beau- 
mez,  qui  peignit  aussi  divers  retables  et  la  voûte  de 
l'église.  Deux  autres  retables  en  bois  doré  furent 
sculptés  par  Jacques  de  Baërze  et  l'un  d'eux  historié 
de  peintures  par  Melchior  Broederlam  (i).  Le 
maître-autel  et  le  lutrin  avaient  été  confiés  à  Joseph 
Colart,  les  vitraux  des  trente  fenêtres  à  Jean  le 
Thioys  et  à  Robert  de  Cambrai  (2).  La  chaire  et  les 
vantaux  du  portail  furent  sculptés  par  le  charpentier 
Jean  de  Liège,  homonyme  du  célèbre  imagier.  En 
outre,  Jean  de  Beaumez  avait  exécuté  plusieurs 
tableaux  pour  les  cellules  des  moines  ;  Jean  Mael- 
weel  une   scène   au   thème  inconnu,    à   l'entrée   du 


(i)  Les  sculptures  de  ces  retables  représentent,  sur 
V un  :  V Adoration  des  Mages,  la  Calvaire,  V Ensevelissement  ;  sur 
l'autre  :  la  Décollation  de  St- Jean-Baptiste,  des  Scènes  de  Martyres, 
la  Tentation  de  St-Antoine. 

(2)  Le  premier  de  ces  «  voirriers  "  fit  aussi  deux  vitraux 
pour  la  chapelle  fondée  par  la  Duchesse  Marguerite  à  N.-D. 
de  Dijon  en  i384-i385. 


-  46  - 

parloir  ;  Henry,  dit  Bellechose,  une  Mort  de  Notre- 
Dame  et  une  Légende  de  St-Denis. 

On  sait  comment  la  Chartreuse  de  Champmol 
a  péri  dans  la  tourmente  révolutionnaire  ;  chaque 
pierre  des  bâtiments  fut  vendue  et  peu  s'en  fallut 
qu'aucune  statue  n'échappât  à  la  destruction.  Tout 
a  été  dit  sur  cet  acte  de  haine  aveugle,  cependant 
il  n'est  pas  inutile  de  continuer  à  le  flétrir  ;  à  force 
de  souligner  la  sauvagerie  et  la  stupidité  de  tels 
vandalismes,  peut-être  arrivera-t-on  à  en  réduire 
le  nombre. 

Sur  l'emplacement  de  l'ancien  monastère,  il 
reste  le  portail  de  l'église  avec  ses  panneaux  et  ses 
figures  mutilées,  la  vis  de  l'oratoire  ducal,  le  pîiits 
des  Prophètes  et  les  portes  d'entrée.  D'autres  œuvres 
et  d'autres  fragments,  sauvés  avec  les  sépultures  des 
ducs,  été  ont  recueillis  dans  quelques  musées.  Celui 
de  Dijon  a  les  tombeaux,  le  torse  du  Christ  qui  sur- 
montait le  puits,  un  bras  de  la  Madeleine  du  même 
ensemble,  les  deux  retables  de  Jacques  de  Baërze  et 
la  partie  supérieure  d'un  meuble  de  bois  à  pinacles 
ajourés  (peut-être  la  chaire).  Le  Louvre  conserve 
un  Christ  mort  soutenu  Par  son  Père,  attribué  à 
Maelweel,  et  la  Légende  de  St-Denis  de  Bellechose  ; 
le  Musée  de  Troyes  un  Christ  mort  sur  les  genoux  de 
sa  Mère,  presque  homologue  au  tableau  du  Louvre, 
même  par  sa  facture  (l). 

(il  Ces  Christs  peints  sur  des  subjectiles  de  bois  arrondis 
étaient  d'un   transport  facile.   Le  duc   emportait  avec  lui  le 


—  47  — 

C'est  tout  ce  que  nous  avons  pour  étudier  l'art 
des  imagiers  et  des  peintres  qui  travaillaient  autour 
de  Sluter;  et  les  textes  ne  nous  apprennent  que  peu 
de  chose  à  leur  sujet.  Jean  de  Marville  était  au 
service  de  Philippe  depuis  au  moins  i372.  Le  bon 
imagier  wallon  appartenait  au  groupe  des  artistes 
distingués  par  Charles  V,  ce  qui  permet  de  présumer 
qu'il  était  avec  les  rénovateurs  ;  en  i36g,  alors  que 
Jean  de  Liège  élevait  un  monument  destiné  à 
recevoir  le  cœur  du  susdit  prince,  dans  une  chapelle 
de  la  cathédrale  de  Rouen,  il  avait  taillé  dans  le 
même  endroit  «  certaines  ymages  ».  Arrivé  à  Dijon 
trois  ans  plus  tard,  il  y  ouvrit  un  atelier  officiel  et, 
jusqu'à  sa  mort,  soit  jusqu'en  i38g,  il  fut  l'ordonna- 
teur de  tous  les  travaux  de  sculpture  commandés 
par  le  duc. 

Jacques  de  Baërze  était  de  Termonde  (Flandre 
Orientale)  et  y  habitait.  Ses  retables,  qui  datent  de 
i3gi,  ont  été  conçus  comme  ceux  du  xiil*  siècle, 
mais  la  manière  dont  il  a  entassé  leurs  personnages 
nuit  à  l'effet  décoratif  des  deux  ensembles.  Et  il  s'en 
faut  que  toutes  les  figures  soient  animées  ;  il  n'3^  a 
guère  de  bien  venues  que  celle  du  St-Georges,  sur  le 
retable  qui  possède  encore  ses  peintures,  et,  sur 
l'autre,  celles  de  quelques  saints  des  volets. 


Noire-Seigneur  de  Pitié  du  Louvre  toutes  les  fois  qu'il  voyageait. 
On  enfermait  alors  le  tableati  dans  un  étui  de  cuir,  ouvraj^e  de 
Gilles  le  cofifrier. 


-  4S  - 

Sur  Jean  de  Beaumez,  on  ne  sait  rien  sinon 
qu'il  était,  depuis  i36i,  bourgeois  de  Valenciennes» 
où  il  avait  peint  l'image  de  la  Halle  des  Jurés,  et 
qu'il  avait  été   engagé    par    Philippe,   à    Paris,    en 

1375  (i). 

Jean  Maelweel,  issu  d'une  famille  de  la  Gueldre, 
était  parisianisé,  lui  aussi,  quand  le  duc  le  prit  à  son 
service,  à  la  fin  de  l3g7,  pour  remplacer  Jean  de 
Beaumez  qui  venait  de  mourir.  Philippe  l'appréciait 
si  fort  qu'il  s'intéressait  aux  siens  avec  sollicitude  ; 
deux  neveux  de  ce  peintre  ayant  été  pris  et  rançonnés 
par  les  Brabançons,  il  s'empressa  de  les  racheter  (2). 
Maelweel  travailla  dans  Dijon  jusqu'à  sa  mort,  en 
mars  1414.  Le  seul  de  ses  tableaux  dont  on  connaisse 
le  sujet,  —  les  Apôtres  et  St-Aiîtoine,  —  exécuté  en 


(i)  Ironie  des  documents  !  On  ignore  quels  tableaux  il 
fit  pour  la  Chartreuse,  mais  on  sait  qu'il  fut  aidé  en  «  certains 
ouvraiges  de  painture  »  par  un  Girart  de  la  Chapelle,  habitant 
à  Dijon  en  iSSg-iSgo,  et,  en  iSgo,  par  un  Guillaume  de  Fran- 
cheville,  domicilié  dans  la  même  ville,  et  par  un  Arnoul  ou 
Raoul  Picornet,  qui  décora  la  salle  dite  des  Brebis  et  la 
chambre  de  Marguerite  au  château  de  Germolles,  figura  les 
Apôtres  au  château  d'Argill}'  et  teinta  l'écusson  de  la  Sainte- 
Chapelle  Dijonnaise. 

(2)  Il  avait  été,  d'ailleurs,  la  cause  involontaire  de  ce 
méchef.  C'était  en  1400.  Une  épidémie  a3'ant  éclaté  dans  Paris 
où  les  jeunes  gens  apprenaient  l'orfèvrerie,  Philippe  les  avait 
fait  retourner  dans  leur  pays.  Au  cours  de  ce  voyage,  ils 
avaient  été  capturés  à  Bruxelles  et,  sans  l'intervention  du  duc, 
il  leur  serait  arrivé  malheur,  car  leur  mère  se  trouvait  dans 
l'impossibilité  de  payer  la  rançon  exigée  d'eux. 


CLAUS  DE  WERVE 
Pleurant  du  mausolée  de  Philii)pe  le  Hardi 

ilusée  de  Clunv.  Paris  . 


(p.  80). 


—  49  — 

i3g7,  ne  nous  est  point  parvenu.  Les  deux  motifs 
au  Christ  mort  qu'on  lui  attribue  sont  de  simples 
assemblages  de  portraits,  dont  aucun  n'est  vraiment 
significatif.  Mais  au  moins  y  démêle-t-on  un  louable 
désir  d'arriver  au  dramatique  en  restant  vrai.  Au 
compte  de  leur  auteur,  on  pourrait  mettre  encore, 
selon  M.  Salomon  Reinach,  deux  miniatures  d'un 
missel  qui,  jadis  au  monastère  de  Salem,  se  trouve 
aujourd'hui  dans  la  Bibliothèque  universitaire  de 
Heidelberg  (i).  L'une  représente,  entre  les  Evangé- 
listes,  un  Dieu  le  Père  assez  bien  drapé  et  mis  en 
place  mais  à  l'air  odieusement  niais  ;  l'autre  un 
Calvaire  où,  près  du  Crucifié,  mal  construit  mais 
auréolé  de  douceur,  Jean  et  les  Saintes  Femmes 
forment  un  groupe  qui  ne  manque  pas  de  gravité. 
La  suavité  l'emporte  sur  le  caractère  dans  ces  scènes 
où  tout  annonce  le  début  du  xv^  siècle. 

Melchior  Broederlam  vivait  à  Ypres  où  il  possé- 
dait une  maison.  Il  ne  s'en  éloigna  que  pendant  trois 
ans  (i3go  à  iSgB)  pour  aller  au  château  d'Hesdin  et 
à  Paris.  Très  en  renom,  il  avait  été  peintre  en  titre 
de  Louis  de  Maie  avant  de  passer  au  service  de 
Philippe.  Les  compositions  qu'il  a  peintes  sur  l'un 
des  retables  de  Jacques  de  Baërze,  entre  i3g3  et 
i3gg,  rappellent  en  plus  d'un  point  les  miniatures 
françaises  et  italiennes  de  leur  temps  (2)  ;  elles  ne 

(i)  Cf.  Gazette  des  Beaux- Arts,  1904,  t.  I.  p.  55-66. 
(2)  Ces  compositions,  Broederlam  les  peignit  après  son 
voyage  à  Paris.  Là,  très  probablement,  s'était-il  imprégné  des 


—  5o  — 

manquent  pas  de  vie  et  témoignent  d'un  vif  désir 
d'atteindre  à  l'expression  par  des  moyens  naturels. 
L'ange  de  V Annonciation,  courtaud,  épais  et 
affligé  d'un  bras  droit  au  raccourci  manqué,  est  loin 
de  réjouir  le  regard  ;  par  contre,  le  groupe  de  la 
Visitation  se  présente  agréablement  en  sa  simplicité. 
Siméon,  dans  la  Présentation,  exhibe  une  tête  trop 
grosse  pour  son  corps  mais  cette  tête  a  l'intérêt  d'un 
portrait  (i).  Et  la  Vierge,  si  mal  drapée  dans  la 
même  scène,  ne  laisse  pas  de  charmer  dans  la  Fuite 
en  Egypte,  où  elle  apparaît  très  maternelle.  Les 
quatre  motifs  de  cet  ensemble  sont  un  peu  lourde- 
ment gouaches  sur  fond  d'or  bruni  et  gaufré, 
néanmoins  les  deux  paysages  permettent  de  supposer 
que  Broederlam  regardait  la  campagne  ;  si  leurs 
verts  se  sont  enténébrés,  les  tonalités  environnantes 
conservent  une  certaine  fraîcheur  (2).  Rien  d'autre  ne 
subsiste  de  ce  peintre  qui  fit  tant  de  travaux. 


influences  italiennes,  autrement  plus  fortes  qu'en  Flandre,  où 
elles  n'arrivaient  que  mélangées  à  la  manière  de  l'Ile-de- 
France  Dès  le  milieu  du  xiv«  siècle,  des  artistes  de  Paris 
empruntaient  aux  Italiens  des  écoles  siennoise  et  florentine  ; 
le  portrait  de  Jean  le  Bon  en  témoigne.  Et  une  Vierge  de  la 
collection  Aynard  montre  avec  quelle  aisance  ils  mêlaient,  à 
la  fin  du  siècle,  les  éléments  nordiques  aux  éléments  italiens. 

(i)  Que  ne  possède-t-on  encore  les  portraits  de  Philippe 
et  de  Marguerite  qu'il  peignit  à  Courtrai  en  1407.  dans  la 
chapelle  des  Comtes  !  Comme  il  serait  utile  et  intéressant  de 
voir  quels  progrès  il  avait  pu  réaliser  dans  ce  genre  ! 

12)  Quatre  autres  scènes,  disposées  prés  de  celles-ci,  ont 
été  enlevées. 


—  5i  — 

Henry  Bellechose,  originaire  du  Brabant,  fut 
aussi  très  séduit  par  la  manière  franco-italienne  ; 
mais  ceux  de  ses  tableaux  qu'ont  épargnés  le  temps 
et  les  hommes  appartiennent  au  xv^  siècle,  nous  les 
examinerons  plus  loin. 

A  en  juger  par  les  ouvrages  arrivés  jusqu'à 
nous,  l'art  des  peintres  de  Philippe  était  un  mé- 
tissage. Divers  éléments  se  combinent  dans  leurs 
peintures,  comme  cela  se  voit  aux  époques  de 
transition  ;  les  caractères  français  s'y  confondent 
avec  les  caractères  flamands  de  telle  sorte  qu'on 
peut  les  dire  avec  d'égales  raisons  françaises  ou 
flamandes.  Ce  sont  travaux  de  métèques,  peu  jaloux 
de  conserver  sans  altération  le  type  originel  ;  en 
tout  cas,  rien  n'y  décèle  une  marque  foncièrement 
ethnique.  Ces  peintres  sont  encore  loin  de  ce  naturel 
et  de  ce  caractérisme  qui  vont  rendre  inoubliables 
les  miniaturistes  du  duc  de  Berry,  à  l'aurore  du 
XV*  siècle,  entre  autres  Pol  de  Limbourg,  ses  frères 
et  Jacquemart  de  Hesdin  ;  toutefois,  par  leurs  efforts 
pour  arriver  à  la  traduction  sincère,  ils  préparent 
utilement  les  voies.  Peut-être  n'eurent-ils  pas  assez 
souvent  l'occasion  de  représenter  des  scènes,  de 
composer  des  tableaux  ;  il  leur  fallait  peindre  tant 
de  choses  disparates  !  Comme  tous  leurs  collègues, 
à  cette  époque,  ils  étaient  largement  mis  à  contri- 
bution pour  les  fêtes  ;  et  il  entrait  dans  leurs 
fonctions  de  confectionner  tous  les  genres  de  décor, 
depuis   ceux   des  bannières,    des   panonceaux,    des 


52 


cottes  d'armes,  des  cierges,  jusqu'à  ceux  des  parois 
et  des  poutres  des  habitations  (i).  Il  se  pourrait 
qu'en  Bourgogne  ils  aient  eu  en  trop  grande  quantité 
des  besognes  inférieures. 

Cependant,  même  dans  le  cas  où  la  plupart  des 
artistes  néerlandais  de  Philippe  auraient  procédé 
en  retardataires,  il  ne  s'ensuivrait  pas  que  l'esprit 
nouveau  n'ait  pas  rayonné  à  Dijon  dans  le  dernier 
tiers  du  siècle.  D'abord,  à  défaut  d'un  vrai  maître, 
un  artiste  enthousiaste  et  convaincu  suffisait  pour 
inoculer  cet  esprit.  Ensuite,  il  est  supposable  que 
beaucoup  préconisèrent  le  retour  à  l'étude  de  la 
nature  sans  arriver  à  rénover  leur  propre  faire,  soit 
à  cause  de  leur  âge,  soit  parce  que,  manquant  de 
personnalité  et  d'énergie,  ils  demeuraient  victimes, 
dans  le  domaine  technique,  de  leur  première  for- 
mation. Rien  de  plus  humain.  On  relève  autour  de 
soi  force  cas  analogues  en  observant  le  monde  des 
artistes. 

Le  mouvement  de  rénovation  était  trop  pro- 
noncé à  Paris  et  dans  les  Pays-Bas  au  début  des 
années  i38o  pour  qu'alors  on  n'en  ressentit  pas  les 
effets  en  Bourgogne.  Tout  est  prêt,  semble-t-il,  pour 
une  nouvelle  évolution  de  l'art  dans  cette  province 
au  moment  où  commence  la  décoration  de  l'église 
cartusienne  de  Champmol.    En  tout  cas,  chose  im- 


(i)  Maelweel   coloria    huit  écussons   armoriés   pour   la 
Chartreuse  de  Champmol. 


CLAUS  DE  WERVE 
Pleurant  du  mausolée  de  Philippe  le  Hardi 

Musée  de  Cluny,  Paris;. 


(p.  80). 


—  53  — 

portante,  les  esprits  sont  certainement  préparés. 
Pour  inciter  à  l'action  féconde,  pour  amener  une 
floraison  d'œuvres,  il  ne  manque  plus  que  le  geste 
d'un  artiste  de  génie,  incarnant  bien  l'esprit  réno- 
vateur et  1  imposant  avec  force  à  la  mxatière  qu'il 
transforme.  Cet  artiste  paraît  entre  i38g  et  i3go  : 
c'est  Sluter.  Son  groupe  des  Prophètes  sera  la 
révélation  attendue. 

Ainsi,  par  sa  fondation  de  Champmol,  Philippe 
fait  revivre  l'art  en  Bourgogne,  et,  comme  cette 
reviviscence  coïncide  avec  l'apparition  d'un  génie 
tel  que  Sluter,  elle  provoque  un  mouvement  régé- 
nérateur, elle  engendre  une  école  vivace.  Par  son 
initiative,  le  duc  avait  créé  un  art  somme  toute 
officiel,  et  les  conséquences  de  telles  créations  sont 
presque  toujours  désastreuses.  Mais  Sluter,  par  sa 
maîtrise,  empêche  cet  art  de  dévier,  de  succomber 
dans  la  froideur  et  les  redites  ;  il  le  change  en  un 
foyer  splendide  et  bienfaisant.  Nous  n'en  devons  que 
plus  de  reconnaissance  au  grand  réalisateur  (i). 


(i)  Le  perspicace  Laborde  a  fort  bien  jugé  la  valeur  du 
mécénisme  de  Philippe  et  de  ses  successeurs  :  «  A  l'épiderme, 
c'est  étourdissant  ;  en  pénétrant  plus  avant,  on  s'étonne  du 
peu  de  profondeur  d'un  édifice  aussi  élevé.  »  Les  Ducs  de 
Bourgogne,  Introduct.,  xlvii-xlviu. 


Chapitre  IV 

CLAUS  SLUTER 
SON  ART  ET  SON  INFLUENCE 

Sluter  reste  une  figure  à  moitié  mystérieuse. 
On  ignore  tout  de  l'existence  qu'il  eut  avant  son 
arrivée  à  Dijon  et  l'on  ne  connaît  qu'à  moitié  sa  vie 
en  cette  ville.  En  i385,  il  travaille  chez  Jean  de 
Marville  en  qualité  de  deuxième  ouvrier,  le  premier 
étant  alors  Philippot  van  Eram  (i).  C'est  le  moment 
où  Jean  commence  l'architecture  du  tombeau  de 
Philippe,  pour  lequel  il  a  reçu  des  pierres  l'année 
précédente  ;  mais  rien  ne  nous  renseigne  sur  les 
sculptures  dont  il  poursuit  l'exécution  dans  le  même 
temps  et  auxquelles  collabore  Sluter.  On  peut 
admettre  toutefois  que  celui-ci  ne  manque  pas  d'oc- 
casions de  se  distinguer,  puisque  le  duc  le  remarque 
et  le  considère  comme  le  digne  continuateur  de  son 
patron.    En  effet,   Jean   décédé,   il   lui  en  donne  la 


(il  Les  sculpteurs  employés  par  Jean  de  Marville  étaient 
tous  originaires  des  Pays-Bas.  Avec  van  Eram  et  Sluter,  les 
principaux  furent,  de  1384  à  iSSg  :  Gillequin  Tailleleu  et  son 
fils  Tassin,  Liefvin  de  Hane  et  son  frère  Mant,  Thomassin 
dit  Larmite,  d'Ypres,  Hannequin  et  Etienne  Vauclair.  Jean 
eut  toujours  au  moins  neuf  ouvriers  autour  de  lui  et  souvent 
il  en  occupa  plus  d'une  douzaine. 


—  55  — 

succession  (23  juillet  iBSg),  tous  les  droits,  titres  et 
privilèges,  partant  lui  confie  le  soin  de  continuer  sa 
sépulture  et  le  décor  du  portail  de  Champmol. 
Bientôt,  enchanté  de  son  imagier,  il  lui  prodiguera 
commandes  et  gratifications. 

Une  fois  entré  dans  ses  nouvelles  fonctions, 
Sluter  ne  cesse  d'œuvrer  que  pour  accomplir  les 
voyages  nécessités  par  ses  travaux.  Aussi  quelle 
belle  suite  de  statues  sort  de  son  atelier  en  quinze 
ans  !  Rien  que  pour  la  Chartreuse,  c'est,  en  iSgo, 
laPieta;  en  i3gi,  XeSt-Jean-Baptisteei  la-Sie-Catherine; 
en  1393,  Wiymaige  de  Dieu^y,  le  St-Georges  et  la 
Marguerite  de  Flandre  ;  en  iSgô,  le  St-Michel  ;  en 
1396  ou  1397,  le  duc  Philippe  ;  en  i3g9,  la  Ste-Anne, 
les  personnages  du  Calvaire  et  deux  A  nges  ;  dans  le 
le  courant  des  cinq  premières  années  1400,  les  six 
Prophètes.  C'est,  pour  le  château  de  Germolles,  en 
1393,  des  sculptures  au  sujet  inconnu  ;  en  1397-1399, 
une  Vierge,  dont  rien  ne  survit,  et,  peut-être  vers  la 
même  époque,  un  St-Jfan  l'Evangcliste,  pareillement 
anéanti,  pour  la  Sainte-Chapelle  de  Dijon  (i).  Enfin 
que  d'autres  ouvrages  il  inspire  et  fait  exécuter, 
depuis  la  charpente  de  l'oratoire  ducal,  dont  sa 
main  même  traça  les    dessins,    et  les  modèles  en 


(i)  Vers  1399,  le  duc  fit  élever  une  façade  à  sa  Sainte- 
Chapelle,  du  côté  de  l'ouest  ;  une  telle  construction  impliquait 
des  sculptures.  C'est  la  même  année  que  furent  élevées  les 
magnifiques  cuisines  du  Palais,  converties  aujourd'hui  en  une 
salle  du  Musée. 


—  56  — 

pierre  des  anges  coulés  en  laiton  par  Colart,  jusqu'au 
cadran  et  à  l'écusson  de  la  Sainte-Chapelle  ! 

Les  statues  du  portail  de  Champmol  proclament 
déjà  haut  et  clair  sa  valeur.  A  la  vérité,  elles  avaient 
été  demandées  à  Jean  de  Marville,  mais,  comme  à 
la  mort  de  celui-ci,  les  pierres  destinées  à  les  sup- 
porter et  à  les  protéger  attendaient  en  vain  depuis 
un  an  qu'on  les  préparât,  on  peut  douter  qu'il  ait  eu 
le  temps  même  de  les  modeler  en  glaise.  S'il  avait 
pu  seulement  en  faire  des  maquettes  un  peu  poussées, 
ne  les  eût-il  pas  remises  à  ses  praticiens  dès  les 
premiers  mois  de  iSSgPEt  comment  s'expliquer, 
en  ce  cas,  que  ces  auxiliaires  aient  mis  deux  ans 
pour  sortir  ces  figures  de  la  matière  alors  que  le  duc 
et  la  duchesse  tenaient  tant  à  voir  en  place  toutes 
les  statues  du  portail  ?  (i)  Par  cela  même  que  les 
deux  premières  figures  ne  reçurent  leurs  formes 
définitives  qu'en  iSgi,  on  peut  soutenir  avec  vrai- 
semblance que  Sluter  en  composa  lui-même  les 
modèles  et  les  reprit  dans  la  pierre.  Ce  qui  conduit 
à  croire  qu'il  a  préparé  de  même  les  statues  des 
deux  saints,  car  eût-il  laissé  ses  aides  s'attaquer 
seuls  à  des  morceaux  de  cette  importance  ? 

On  y  sent,  d'ailleurs,  la  main  d'un  maître.  Ces 
quatre  figures  ne  sont  pas  de  simples  représenta- 
tions- Parce  que  les  signes  individuels  qu'elles  font 


(i)  Afin  d'activer  le  travail,  la  duchesse  avait,  après  la 
mort  de  Jean  de  Marville,  augmenté  le  salaire  de  l'un  des 
aides  de  Sluter. 


CLAUS  DE  WERVE 
Pleurant  du  mausolée  de  Philippe  le  Hardi 

Musée  de  Cluny.  Paris;.  iP-  ^O;. 


57 


revivre  sans  ménagement  nous  frappent  comme  des 
portraits  très  fouillés,  parce  que  trop  de  plis  de  leur 
costume  restent  cassants  ou  maigres,  il  ne  s'ensuit 
pas  que  leur  facture  soit  dépourvue  de  largeur  ; 
regardez-les  bien,  aucun  détail  inutile  n'y  traîne, 
aucune  minutie  n'en  altère  l'ensemble.  Même  dans 
les  draperies  du  Baptiste,  où  tant  de  plis  s'accumu- 
lent, on  ne  rencontre  rien  de  trop  ;  mais  la  disposition 
en  est  pénible,  les  lignes  se  dirigent  à  l'aventure  ou 
s'agencent  sans  grâce.  L'auteur  s'est  inquiété  d'ob- 
tenir de  la  souplesse  plus  que  de  l'harmonie  ; 
capable  d'interpréter  les  vêtements,  il  n'était  pas  en 
puissance  de  draper  les  modèles.  Pour  la  même 
raison,  il  a  trop  négligé  la  chute  du  manteau  de  sa 
Catherine,  il  ne  lui  a  pas  donné  assez  d'évasement. 
Là  se  dévoile  l'àme  de  sa  race.  Le  septentrional  a 
toujours  moins  de  goût  que  de  force,  il  est  mieux 
doué  pour  construire  des  formes  d'après  nature  que 
pour  inventer  des  jeux  de  lignes  d'un  accort  équilibre 
ou  pour  trouver  des  silhouettes  bellement  décora- 
tives. Mais  comme  ces  défectuosités  sont  rachetées 
dans  les  statues  du  portail  par  les  qualités  d'exécu- 
tion de  leurs  galbes,  surtout  par  leurs  têtes,  si 
sûrement  bâties,  si  naturellement  animées  !  Deux 
figures  suffiraient  pour  démontrer  la  maîtrise  de 
l'artiste  qui  les  conçut  :  celle  de  la  duchesse  et  celle 
de  la  sainte.  Une  bonne  réalisation  des  types  adipeux, 
notamment  des  types  féminins,  présente  d'inouïes 
difficultés  :  un    trop    scrupuleux    souci    de    vérité 


—  58  — 

entraîne  à  de  funestes  rondeurs,  un  essai  d'idéalisa- 
tion risque  d'annihiler  toute  ressemblance.  Or  Sluter 
s'est  tenu  à  égale  distance  de  ces  deuxécueils;  sans 
s'arrêter  à  masquer  les  empiétements  de  la  graisse, 
l'impertinence  des  doubles  mentons,  il  a  très  habile- 
ment mis  en  relief  les  accents  des  deux  masques 
qui,  vus  de  profil,  ne  causent  aucune  sensation 
désagréable.  Même  Marguerite  devient  ainsi,  ses 
mutilations  aidant,  touchante  comme  certains  an- 
tiques. 

Entre  les  statues  du  portail  et  celles  du  puits, 
les  analogies  ne  sont  pas  assez  criantes  pour  que 
l'on  puisse  assurer,  en  l'absence  de  documents, 
qu'elles  soient  du  même  imagier  ;  mais  on  n'en 
saurait  déduire,  sans  témérité,  l'affirmation  con- 
traire. Car  on  ne  doit  pas  oublier  que  les  artistes  à 
forte  personnalité,  à  la  fois  très  sensitifs  et  très 
chercheurs,  très  désireux  de  se  perfectionner  sans 
cesse,  traversent  des  phases  de  réalisation  assez 
diverses,  parfois  à  peu  d'années  de  distance.  Là 
encore,  il  n'y  a  qu'à  regarder  autour  de  soi  pour 
s'en  convaincre.  La  Jeanne  d'Arc  de  Rude  ressem- 
ble-t-elle  à  ses  figures  du  Départ  ?  Et  qui  croirait, 
sans  la  signature  et  le  témoignage  des  textes,  que  la 
même  main  a  tiré  de  la  matière  le  Baptême  du  Christ 
de  la  Madeleine  et  V Amour  dominateur  du  Musée 
de  Dijon  ?  Dans  l'oeuvre  de  Carpeaux,  quelles  dif- 
férences entre  le  Pêcheur  napolitain  et  le  buste  de 
Napoléon  III,  entre  le  groupe  à'Ugolin  et  le  groupe 


-59- 

de  la  Danse  ?  Et  il  serait  facile  de  multiplier  de  tels 
exemples.  Or  les  artistes  d'autrefois  avaient  la  même 
humanité  que  ceux  d'hier  et  d'à  présent  ;  ils  vibraient 
aux  mêmes  sansations,  ils  obéissaient,  à  quelques 
nuances  près,  aux  mêmes  préoccupations. 

Sluter  a  donc  pu  varier  sa  manière  assez 
souvent,  qu'il  l'ait  voulu  ou  non.  Rien  d'irrationnel 
à  lui  attribuer  les  donateurs  et  leurs  saints  protec- 
teurs du  portail  de  Champmol.  Il  semble,  au  con- 
traire, illogique  de  lui  donner  la  Vierge  qui  se  dresse 
au  milieu  de  ces  statues,  car  elle  en  diffère,  non 
seulement  par  ses  caractères,  mais,  chose  plus 
grave,  par  son  système  de  proportions.  Son  auteur 
voyait  plutôt  lo7tgy  le  créateur  des  Prophètes  voyait 
court  ;  or  il  est  avéré  qu'un  artiste  ne  saurait 
modifier  l'une  ou  l'autre  de  ces  visions,  —  s'il  l'a 
reçue  avec  la  vie,  —  surtout  au  point  de  passer  de 
l'une  à  l'autre.  C'est  comme  une  tournure  d'esprit 
que  rien  n'arrive  à  vaincre.  Au  surplus,  la  tête  de 
la  Vierge  contestée,  portrait  sans  flamme  d'une 
matrone  fatiguée,  a  plus  de  dureté  que  d'expression; 
et  sa  draperie  contient  une  multitude  de  détails  trop 
littéralement  traduits,  mal  ordonnés,  tous  uniment 
traités,  sans  souci  des  valeurs,  de  sorte  que  l'har- 
monie du  corps  en  est  rompue.  De  tels  solécismes 
sont-ils  imputables  à  un  artiste  supérieur  ?  Enfin, 
l'exécution,    habile    sans    plus,    ne    fait    pressentir 


—  6o  — 

aucune  des  éminentes  qualités  de  Sluter  (i).  Un 
artiste  évolue  forcément  selon  son  naturel,  selon  sa 
courbe  normale  ;  changerait-il  plusieurs  fois  d'es- 
thétique et  de  technique,  se  corrigerait-il  d'anciens 
défauts,  acquerrait-il  de  nouvelles  qualités,  il  ne 
parviendrait  pas  à  transformer  sa  vision  innée  des 
formes  et  des  proportions.  Donatello  et  Michel- 
Ange  en  sont  de  péremptoires  exemples.  On  com- 
prend que  Sluter  soit  arrivé  à  perfectionner  ses 
draperies,  à  mieux  envelopper  et  synthétiser  ses 
galbes,  à  extérioriser  l'en  dedans  de  ses  faces  ;  on 
ne  s'explique  point,  —  le  génie  excluant  le  caprice, 
—  que,  capable  d'établir  les  proportions  delà  Vierge, 
il  soit  retombé,  dans  un  chef-d'œuvre,  à  celles  des 
Prophètes. 

Seize  mois  environ  après  la  pose  de  la  statue  de 
Marguerite,  en  avril  iSgS,  peut-être  sous  l'impres- 
sion que  lui  avait  causée  les  premières  figures 
installées  au  portail  de  l'église  cartusienne,  Philippe 
commande  à  son  imagier  le  puits  du  grand  cloître. 
Le  sujet  plaît  fort  à  Sluter,  car  il  ne  tarde  guère  à 
passer  des  plans  à  la  réalisation  :  la  pile  destinée  à 
supporter  la  masse  des  deux  groupes  s'érige  à  la  fin 
de  1396,  le  piédestal,  avec  son  couronnement  et  sa 
croix,  aux  derniers  jours  de  iSgS,  et  les  personnages 


(i)  D'après  M.  Mouget,  la  Vierge  an  portail  pourrait  être 
celle  que  Philippe  acheta,  le  23  mai  i38S,  à  Tournai,  pour 
Champmol  ;  mais  le  contraire  est  tout  aussi  possible  puisqu'il 
y  avait,  dans  la  Chartreuse,  plusieurs  statues  de  Vierg:es. 


<    ^ 

3  -^ 


—  6i  — 

du  Calvaire  prennent  leur  place  en  juillet  iSgg.  La 
même  année,  le  maître  termine  deux  des  anges 
destinés  à  ce  monument  et  il  commence  les  Prophètes  : 
trois  d'entre  eux  sont  prêts  à  être  posés  avant  1402, 
les  trois  autres  avant  1406.  Quelques  ouvriers  seule- 
ment l'aident  dans  cette  œuvre  écrasante,  entre 
autres  Mannequin  de  Prindalle  et  son  neveu  Claus 
de  Werve,  qu'il  a  près  de  lui  depuis  le  i"  décembre 
1396  (i).  Mais  Sluter  n'est  pas  seulement  un  travail- 
leur prodigieux  ;  c'est  aussi  un  caractère  difficile, 
soupçonneux  et  autoritaire  ;  on  ne  le  satisfait  pas 
aisément  et  un  rien  l'inquiète,  il  entend  faire  énor- 
mément lui-même  et  tenir  ses  auxiliaires  dans  sa 
main  (2). 

Bien  connues  sont  les  dispositions  du  puits  de 
la  Chartreuse  :  sur  une  base  hexagonale,  que  sup- 
porte une  pile,  jadis  entourée  d'eau,  six  Prophètes 


(i)  Ses  autres  auxiliaires  furent  Vuillequin  Semont  (jus- 
qu'en 1394),  Pierre  Beauneveu,  Jean  Hulst,  François  Marate, 
Antoine  Cotelle  de  Namur,  Gilles  de  Senef,  Jehannin  de 
Honet,  Pierre  de  Liquerque,  Pierre  Aplemain,  et  les  Bour- 
guignons :  Guillaume  de  Benoisy-en-Auxois,  Perrin  de  Thorey, 
Jean  Midey  de  Fleury-sur  Ouches,  Jean  de  Regn}'.  Ses  ma- 
nœuvres étaient  éfjalement  des  Etats  de  Bourgogne  :  Jeannin 
Ligierde  Sens,  Hugues  Chevrey  de  Selongey,  Jean  de  Salins, 
Perrenot  Sébillotte  de  Pontailler,  Jean  de  Frasans.  Dans  ses 
dernières  années,  Sluter  se  contenta  de  quatre  ouvriers. 

(2)  Il  paye  si  largement  de  sa  personne  qu'en  iSgg.  à 
Pâques,  il  doit  s'aliter,  profondément  atteint,  pendant  un  temps 
assez  long. 


—  62   — 

de  grandeur  naturelle  sont  réunis  entre  des  colon- 
nettes,  que  surmontent  des  anges  ;  et,  sur  la  plate- 
forme établie  au-dessus  d'eux,  le  Christ  en  croix^ 
la  Vierge,  le  disciple  Jean  et  la  Madeleine  procla- 
maient les  grandes  leçons  de  renoncement,  d'abné- 
gation, de  résignation  et  d'amour  (i).  Les  Prophètes 
présentent  des  textes  qui  se  rapportent  au  Messie  ; 
tout,  dans  ce  monument  symbolique  autant  que  dé- 
coratif, concourt  donc  à  un  même  but  d'anagogie, 
tout  y  commémore  le  Sauveur  et  son  ultime  sacri- 
fice. 

Quoique  ce  puits  eut  tout  pour  toucher  les 
Chartreux  et  entretenir  leur  piété,  ils  en  négligèrent 
cependant  l'entretien,  sans  doute  à  partir  de  cette 
période  du  XVIP  siècle  où  l'art  des  ancêtres  fut 
regardé  comme  barbare.  Aussi  les  figures  les  plus 
exposées  aux  sévices  du  temps,  celles  du  Calvaire^ 
s'écroulèrent-elles  avant  que  la  tourmente  révolu- 
tionnaire eut  atteint  la  province.  Et  leurs  débris 
n'ont  livré,  on  l'a  vu,  que  deux  fragments  qui  ne 
soient  pas  informes  :  le  torse  du  Crucifié  et  le  bras 
de  la  Madeleine. 

Mieux  protégés  par  leur  emplacement,  les  Anges 


{ I  )  Clans  de  Werve  collabora  aux  figures  du  Christ,  de  la 
Vierge  y  des  Aitges,  Hannequin  de  Prindalle  à  celle  de  la  Ma. 
deleine.  A  Jean  de  Régny  incombèrent  les  moulures  et  les 
bases  de  la  croix,  à  Jean  Hulst  les  écus  armoriés. 

Hannequin  conduira  plus  tard  les  travaux  du  choeur  dans 
la  chapelle  du  château  de  Chambéry. 


—  63  — 

n'ont  presque  pas  souffert  et  les  Prophètes  en  ont 
été  quittes  pour  quelques  blessures  ;  Jouffroy,  en 
1842,  les  a  très  heureusement  pansés  et  remis  en 
état  sans  perfide  prothèse  <  i). 

Les  costumes  des  Prophètes  sont,  pense-t-on, 
ceux  des  acteurs  qui  représentaient  ces  personnages 
dans  les  Mystères,  car  ils  ne  ressemblent  pas  aux 
vêtements  de  l'époque  de  Sluter.  Tous,  excepté 
Isaïe,  portent  une  tunique  recouverte  d'un  large 
manteau  ;  David  a  la  tête  ceinte  d'une  couronne, 
d'autres  sont  coiffés  de  chaperons  et  Zacharie  porte 
de  plus  sur  le  sien  un  haut  bonnet  à  bords  re- 
troussés. Isaïe  est  vêtu  d'un  surcot  galonné,  qu'en- 
toure assez  bas  une  ceinture  à  rosettes  et  à  fermai! 
orfévri.  L'escarcelle  et  le  livre  de  ce  même  Prophète 
ne  sont  pas  moins  finement  ouvragés  ;  aucun  détail 
n'avait  été  négligé  puisqu'on  avait  demandé  à  l'or- 
fèvre Hannequin  de  Hacht  non  seulement  le  diadème 
de  cuivre  de  la  Madeleine,  mais  encore  le  buricle 
(les  besicles)  de  Jérémie.  Ces  statues  avaient  été 
peintes  et  dorées,  ainsi  que  les  figures  du  Calvaire 


(i)  Voici  le  détail  de  ses  restaurations;  Moïse:  deux 
doigts  de  la  main  gauche  et  les  cornes  de  lumière  ;  Jérémie  : 
extrémités  des  deux  pieds,  milieu  de  l'œil  gauche  ;  Zacharie  : 
un  doigt  de  la  main  droite;  Daniel:  le  nez, un  doigt  id.;  Isaïe  : 
une  partie  du  sourcil  gauche  et  de  la  barbe,  quelques  morceaux 
du  torse;  Anges:  fragments  des  mains,  des  vêtements  et  des 
ailes.  En  outre,  quelques  parties  de  phylactères,  de  vêtements 
et  d'accessoires. 


-64  - 

et  les  diverses  parties  du  puits  ;  on  en  distinguait 
encore  les  tons  en  i832  et,  grâce  à  la  Commission 
des  Antiquités  de  la  Côte  d'or,  nous  savons  comment 
ils  étaient  répartis.  Sur  les  parements  unis  de  la 
pile,  se  détachaient  au  milieu  de  flammes,  les  ar- 
moiries du  duc.  Le  piédestal  offrait  un  ton  gris  de 
pierre,  sauf  au  fond  des  panneaux  où  une  couche 
sombre  mettait  en  relief  les  statues.  La  plus  élevée 
des  moulures  de  la  corniche  exhibait  sur  chaque 
face  du  piédestal  trois  soleils  timbrés  des  sigles 
ducaux  ;  l'autre  moulure  s'ornait  d'un  feuillage  d'or 
et  tous  les  filets  étaient  parés  du  même  métal.  Les 
tuniques  de  Moïse  et  de  Zacharie  avaient  reçu  une 
tonalité  rouge  ;  celles  de  David  et  de  Jérémie  une 
teinte  bleue,  la  première  azur  étoilée  d'or,  la  seconde 
très  probablement  outremer.  Les  manteaux,  super- 
bement dorés,  se  doublaient  d'azur  sur  Moïse  et 
sur  Daniel,  de  vert  sur  Jérémie,  d'hermine  sur 
David.  En  outre  celui  de  ce  roi  s'enjolivait  d'un 
galon  tout  parsemé  de  harpes.  Le  surcot  d'Isaïe 
imitait  un  brocart  égayé  de  pourpre  et  de  lazuli. 

Les  principales  peintures  du  puits  avaient  été 
faites  par  Maelweel  de  1402  au  début  de  1404,  les 
autres  et  les  dorures  par  Hermann  de  Cologne, 
peintre-doreur  à  plat  ;  l'ensemble  devait  donc  pro- 
duire un  excellent  effet,  car  les  «  estoffaiges  »  de 
statues  importantes  différaient  fort  des  badigeon- 
nages  infligés  de  nos  jours  aux  images  du  commerce 
religieux.  O     ne  les    confiait  qu'à  des  spéciaHstes 


Saint  Antoine 

(Musée  archéologique,  Dijon' . 


(p.  86). 


65 


éprouvés  que  l'on  rémunérait  selon  leur  valeur  et 
qui  s'appliquaient  à  produire  eux-mêmes  une  œuvre, 
à  collaborer  en  artistes  avec  les  imagiers.  Les  Pro- 
phètes de  Sluter,  «  estoftes  »  par  Maelweel,  engen- 
draient, sied-il  d'en  douter?  d'attachantes  harmonies, 
dont  s'augmentait  leur  force  impressive.  Or  cette 
force  est  intense. 

Les  figures  de  ce  monument  assurent  à  jamais 
la  gloire  de  leur  auteur,  elles  sont  un  événement 
dans  l'histoire  de  l'art  et  une  source  d'enseignements. 
La  tête  du  Christ^  dont  il  faut  déplorer  les  plans 
irréguliers  et  la  vulgarité,  est  un  bon  morceau  ro- 
bustement  pétri.  Les  Anges,  tout  en  jouant  leur  rôle 
de  support,  prennent  part  à  l'effet  affectif  de  l'en- 
semble en  manifestant  leur  compassion.  Quant  aux 
Prophètes,  ils  sont  parlants  à  souhait  et  d'un  naturel 
étonnant  pour  l'époque  ;  tous  rayonnent  une  indivi- 
dualité que  l'on  admire  plus  que  jamais.  Moïse  a 
l'air  altier,  énergique  et  résolu  qui  convient  à  un 
conducteur  de  peuple  primitif;  la  face  d'un  inflexible 
volontaire  à  esprit  droit,  d'un  initiateur  à  vision 
clairvoyante  ;  la  posture  d'un  chef  sûr  de  lui  et 
qu'aucune  crainte  n'arrête.  Il  se  dresse  comme  un 
roc  inébranlable.  Extrême  est  sa  ténacité  :  on  le  lit 
sur  les  contours  de  son  front,  de  son  menton,  re- 
connaissable  sous  les  poils,  et  de  son  pouce  aux 
longues  phalanges  ;  et  ses  sourcils,  son  nez,  sa 
bouche  nous  apprennent  que,  très  jaloux  de  ses 
droits,  il  n'entend  point  qu'on  enfreigne  ses  ordres. 


—  66  — 

Tout  respire  en  lui  l'autorité,  la  droiture  et  la  force 
morale.  Il  est  bien  né  pour  manier  les  hommes  et  les 
organiser.  Avec  sa  tête  léonine,  sa  mine  et  son 
maintien  de  patriarche  héroïque,  il  impose  vraiment. 
A  côté  d'un  tel  chef,  David  semble,  en  dépit  de 
sa  couronne,  un  fonctionnaire  subalterne,  un  per- 
sonnage tout  à  fait  quelconque.  Jérémie  attire  la 
sympathie  par  son  air  de  sage  vieillard,  au  sourire 
fin  et  indulgent.  Zacharie  au  masque  de  marchand, 
d'ailleurs  digne,  blanchi  derrière  le  comptoir,  pré- 
sente son  phylactère  comme  une  pièce  d'étoffe  dont 
il  chercherait  la  vente.  Daniel  serre  le  sien  d'un 
pouce  ferme,  comme  une  table  de  la  loi,  et,  d'un 
index  dominateur,  ordonne  d'en  lire  l'inscription  ; 
son  profil  évoque  assez  bien  celui  d'un  aigle  irrité, 
sa  face  et  son  allure  révèlent  un  autoritaire  farouche, 
enclin  à  la  colère  et  d'humeur  peu  traitable.  Isaïe 
offre,  en  revanche,  un  type  de  belle  humanité;  avec 
son  crâne  chenu  et  sa  barbe  luxuriante,  son  expres- 
sion méditative,  on  le  prendrait  volontiers  pour  un 
vieil  anachorète  revenu  de  toutes  les  vanités  d'ici-bas 
et  prêt  à  consoler  toutes  les  infortunes.  Des  corps 
vivent  sous  les  costumes  de  ces  Prophètes,  un 
esprit  luit  sous  les  traits  de  leurs  visages.  Leurs 
attitudes  sont  aussi  bien  observées  et  rendues  que 
leurs  physionomies  ;  celles-ci  nous  font  entrevoir 
toute  une  psychologie  que  celles-là  corroborent.  Et 
quelle  éloquence  savoureuse  dans  certains  doigts, 


-  67  - 

par  exemple  dans  l'index  et  le  pouce  du  terrible 
Daniel  ! 

C'est  par  les  proportions  que  pèchent  ces  ad- 
mirables figures  ;  chacune  d'elles  est  trop  ramassée 
et  plus  d'une  repose  sur  des  pieds  insuffisants.  Sans 
doute  quand  on  les  considère  d'ensemble,  elles 
composent  un  si  formidable  support  que  ces  défauts 
choquent  peu  ;  mais  ils  n'en  existent  pas  moins.  De 
plus,  sauf  Isaïe,  dont  le  costume  n'a  pas  de  com- 
plications, elles  sont  attifées  avec  une  complète  in- 
souciance des  rythmes.  Zacharie  n'est  certainement 
pas  mal  enveloppé  dans  sa  cape,  aux  lignes  nobles 
et  simples,  mais  des  plis  trop  négligés  en  déparent 
le  côté  droit  ;  David  porte  bien  sa  robe  heureuse- 
ment sévère,  mais  là  où  elle  s'infléchit  l'équilibre  se 
rompt.  De  tous  les  anges,  un  seul  remplit  convena- 
blement sa  fonction  dans  le  décor  ;  celui  qu'on 
aperçoit  entre  Daniel  et  Isaïe  est  vraiment  fagotté, 
accident  d'autant  plus  regrettable  qu'il  joue  au 
mieux  son  rôle  dramatique  ;  trois  autres  sont  em- 
maillotés dans  leurs  draperies  d'une  façon  telle 
qu'on  les  dirait  fixés  à  la  paroi  par  une  tige  trop 
grêle. 

Sluter,  les  statues  du  portail  nous  l'on  dit,  était 
avant  tout  passionné  de  vie  et  d'expression  ;  il  ne 
s'inquiétait  d'eurythmie  ni  dans  les  vêtements  ni 
dans  les  statures.  Ses  personnages  sont  d'ordinaire 
courts  et  négligemment  vêtus,  non  parce  qu'il  a 
suivi    le    modèle    avec    docilité    mais   parce    qu'il 


—  68  — 

n'éprouvait  pas  le  besoin  d'en  bâtir  de  mieux  pro- 
portionnés ni  de  mieux  parés.  Peu  lui  importaient 
les  dimensions  d'un  corps  dont  la  tète  le  charmait, 
les  lignes  d'un  manteau  dont  les  saillies  lui  fournis- 
saient maints  jeux  d'ombre  et  de  lumière.  Il  ne 
voyait  même  aucun  inconvénient  à  ce  que  certains 
visages,  dans  les  sujets  sacrés,  manquassent  d'har- 
monie et  de  noblesse  quand  il  croyait  en  tirer  parti 
au  seul  point  de  vue  sculptural  :  témoin  son  Christ 
du  Calvaire.  Ainsi  ont  toujours  été  les  interprètes 
caractéristes,  prenons-les  comme  ils  sont.  A  quoi 
bon  demander  à  un  artiste  de  nous  donner  ce  qu'il 
n'a  pas  reçu  ?  Le  vaste  jardin  de  l'art  enferme  d'in- 
nombrables fleurs  et  toutes  ont  des  beautés  ;  il  est 
sage  de  n'en  dédaigner  aucune  et  d'apprendre  à  les 
admirer  à  bon  escient. 

Louons  donc  en  Sluter  la  puissance  expressive 
et  vivificatrice.  Ses  Prophètes  sont  des  hommes,  et 
mieux  vaut  somme  toute,  étant  donné  le  motif  du 
monument,  avant  tout  religieux,  cette  présentation 
géométrique  de  statues-portraits  qu'un  ensemble  de 
figures  plus  intégralement  monumentales  mais  moins 
convaincues,  moins  enflammées.  Ces  graves  annon- 
ciateurs ne  sont  là  que  pour  nous  entretenir  du 
Messie  ;  on  les  excuse  de  ne  pas  constituer  un 
groupe  à  la  façon  des  personnages  de  pur  décor. 
Au  reste,  ils  produisent  toujours  un  grand  effet  par 
leur  masse  ample  et  solide  comme  par  leurs  person- 
nalités respectives,  malgré  qu'ils  aient  perdu  leurs 


Saint  Antoixk 

(Musée  archéologique,  DijonV 


(p.  86). 


-  69  - 

tons  d'antan,  malgré  le  grillage  qui  les  parque  sous 
un  pavillon  sans  rapport  avec  leur  architecture. 

On  a  dit,  pour  en  caractériser  l'exécution,  qu'ils 
sont  d'un  réalisme  lyrique.  Le  mot  sonne  bien  mais, 
pour  beaucoup,  laisse  trop  à  deviner.  Ce  qui  rend 
supérieures  ces  images,  au  sens  plastique,  c'est 
qu'elles  offrent  d'intelligentes  interprétations,  comme 
les  statues  du  portail,  non  des  traductions  littérales  ; 
quoique  précises  à  souhait,  ainsi  que  de  fidèles 
effigies,  elles  n'en  sont  pas  moins  d'un  métier  large. 
Leurs  formes  ont  été  logiquement  établies  par  de 
vastes  plans,  sur  lesquels  un  coup  de  pouce  génial 
a  empreint  quelques  accents  au  bon  endroit.  Rien 
d'inutile  sur  les  faces,  que  creusent  et  bossèlent  tant 
de  muscles,  rien  qui  n'y  soit  à  sa  valeur  ;  sur  cette 
contexture  disciplinée,  les  traits  essentiels  ressortent 
tout  naturellement  sans  vains  contrastes,  les  carac- 
tères moraux  se  décèlent  en  toute  franchise.  Les 
détails  sciemment  choisis,  judicieusement  arrangés 
et  travaillés,  forment  des  jeux  de  clairs  et  d'ombres 
variés  comme  les  valeurs  de  tons  d'un  effet,  et 
teintent  ainsi  les  galbes  d'un  subtil  camaïeu  aux 
noirs  impressionnants.  De  telles  œuvres  sont  loin 
de  rappeler  le  moulage  sur  modèle  vivant,  comme 
font  les  figures  des  caractéristes  à  vision  bornée,  à 
facture  méticuleuse.  Entre  les  Prophètes  de  Champ- 
mol  et  nous,  plane  la  personnalité  de  leur  réalisa- 
teur ;  on  les  reconnaît  pour  ses  enfants,  car  ils 
rayonnent  quelque  chose  de  lui,   car  son  moi  est 


—  70  — 

intimement  mêlé  à  leur  substratum  d'œuvre.  De  là 
leur  force  pénétrante.  Une  statue  travaillée  en  vue 
de  refléter  scrupuleusement  les  détails  anatomiques 
d'un  individu  peut  nous  intéresser,  voire  nous 
arracher  un  hommage  ;  elle  ne  nous  touche  jamais 
profondément.  Plus  elle  imite  la  réalité  sensible, 
plus  nous  percevons  ce  qui  la  relègue  irrémédiable- 
ment en  dehors  de  l'humanité  ;  comment  lui  prête- 
rions-nous une  âme  ? 

Si  les  Prophètes,  son  dernier  chef-d'oeuvre,  ré- 
sument les  différents  stades  de  son  art  et  nous  en 
livrent  l'esprit,  Sluter  est  par  excellence  le  sculpteur 
de  la  figure.  Tous  les  dons  qui  permettent  de  causer 
ia  plus  parfaite  illusion  des  créatures  vivantes  par 
les  dimensions  et  les  volumes,  il  les  avait  reçus,  et, 
s'il  ne  vit  pas  plus  loin  que  l'interprétation  des  corps, 
au  moins  en  tira-t-il  un  art  humain.  L'émouvant 
bâtisseur  de  carnations  !  Avec  quelle  transcendance, 
il  sortit  victorieux  de  sa  lutte  avec  les  formes.  Et 
comme  il  les  anima  de  son  souffle  !  Sans  doute  ses 
praticiens  ont-ils  fait  sortir  ses  Prophètes  de  la  pierre, 
mais  il  les  a  certainement  repris,  et  plusieurs  d'un 
bout  à  l'autre  ;  car  ils  présentent  des  vigueurs,  des 
souplesses,  des  nuances,  qui  trahissent  un  génie. 
A  les  scruter,  on  devine  les  tourments  et  les  joies 
qu'il  ressentit  en  achevant  de  concrétiser  son  rêve, 
il  les  a  si  bien  pénétrés  de  ses  sentiments  que  nous 
le  sentons  vivre  en  eux.  Contemplons-les  longue- 
ment,   entrons    en  communication  avec   l'indicible 


—  71  — 

fluide  qui  s'en  dégage  :  du  fond  de  leur  matière, 
lui-même  nous  confiera  ses  inquiétudes  tandis  qu'il 
les  élaborait  au  moyen  de  la  glaise  docile  ;  ses  satis- 
factions brèves  après  l'heureuse  contexture  d'un 
morceau  ;  ses  longs  moments  de  peine  quand  les 
plans  fuyaient  sous  ses  doigts  ou  que  lui  échappait 
l'expression  désirée  ;  ses  perplexités  lorsqu'il  lui 
fallait  simplifier  la  musculature  d'une  tête  sans  nuire 
au  naturel  de  sa  physionomie  ;  ses  accès  de  mélan- 
colie, voire  de  découragement,  lorsqu'une  figure  à 
peu  près  terminée  il  la  voyait  si  loin  de  son  rêve  ; 
son  amour  quand  même  pour  sa  création  quand 
celle-ci  se  profilait  sous  le  ciel.  Quel  marbre  sorti 
tout  entier  d'une  main  mercenaire  nous  parlerait 
ainsi  ? 

Revoyez-les  souvent,  ces  inoubliables  Prophètes, 
et  chaque  fois  étudiez-les  avec  le  sang-froid  dési- 
rable ;  vous  constaterez  que  leur  auteur  architectu- 
rait  les  formes  aussi  puissamment  que  les  Doriens 
de  l'époque  de  Myron  et  qu'il  révélait  les  sentiments 
par  les  faces  avec  autant  de  verve  et  de  sûreté  que 
les  contemporains  d'Agassias.  Les  têtes  portraitu- 
rées au  xiii^  siècle  et  les  meilleurs  gisants  du  xiv* 
se  trouvaient  dépassés  par  les  statues  de  Champmol  ; 
on  comprend  leur  immense  succès.  Depuis  la  dispa- 
rition du  dernier  Gallo-romain  capable  de  reproduire 
sans  trahison  le  Marsyas  écorché^  on  n'avait  pas 
taillé  en  France  de  personnages  aussi  positivement 
personnels.    Vêtus    en  orientaux  de   Palestine,   les 


—  72  — 

Prophètes  du  puits  seraient  très  patriarches  et  leur 
grandeur  frapperait  davantage.  Il  y  a  un  souffle 
épique  dans  ces  figures,  que  nul  civilisé  ne  con- 
temple sans  émotion.  Celui  qui  les  mit  au  jour  est 
un  sublime  rhapsode  de  la  sculpture.  Avec  lui 
triomphent  le  sain  naturalisme  et  le  caractérisme 
dans  une  de  ses  plus  hautes  manifestations.  L'art  de 
Rude  et  l'art  de  Carpeaux  sont  en  embryon  dans 
les  vestiges  de  Champmol. 

C'est  bien  en  réalité  Sluter  qui  régénère  l'art 
bourguignon  ;  comme  tous  les  maîtres  rénovateurs, 
il  accentue  un  mouvement  préparé  par  d'autres  et 
l'achève.  Sa  formation  reste  mystérieuse.  Eut-il  un 
initiateur  batave  comme  lui?  Entra-t'-il  jeune  encore 
dans  quelque  atelier  d'Allemagne,  de  Flandre  ou  de 
France  ?  On  ne  sait.  Les  sculptures  germaniques  et 
bataves  antérieures  au  xv«  siècle  ayant  été  massacrées 
presque  toutes,  on  ignorera  toujours  ce  que  peuvent 
leur  devoir  ses  œuvres.  D'autre  part,  elles  ne  se 
rattachent  complètement,  ces  œuvres,  ni  à  l'art 
flamand  ni  à  l'art  français  de  son  époque.  Mais  tout 
ce  que  Flamands  et  Français  ont  de  bon,  elles  le 
possèdent.  Je  croirais  volontiers  qu'il  doit  beaucoup 
aux  imagiers  français  du  xiii^  siècle,  que  l'étude  de 
leur  manière  lui  fut  plus  profitable  que  celle  des 
«  ymaiges  »  façonnées  par  Beauneveu  à  Mehun-sur- 
Yèvre  (i).  On  remarque  force  points  communs  entre 


(i)  C'est  en  i3g3  que  le  duc  envoya  Sluter  au  château  de 


-  73  - 

ses  Prot>hètes,  pour  ne  citer  que  ces  figures,  et 
maintes  statues  des  portails  nord  et  sud  de  Chartres, 
de  la  façade  occidentale  de  Reims,  du  porche  central 
de  Bourges.  Il  savait  voir,  butiner  et  s'assimiler.  Il 
serait,  d'ailleurs,  inconcevable  qu'il  n'eût  pas  observé 
attentivement  les  œuvres  régionales  alors  si  nom- 
breuses autour  de  lui. 

Selon  M.  Pit,  Sluter  aurait  pu  s'inspirer  des 
figures  qui  décorent  les  tombeaux  de  Jean  de  Po- 
lanen  à  Breda  et  d'Adolphe  VI  à  Clèves  (i).  Les 
figurines  de  la  grande  église  de  Bréda  sont  trop 
abîmées  pour  qu'on  puisse  les  comparer  utilement 
avec  les  statues  de  Sluter  ;  bornons-nous  à  constater 
que  leurs  formes  ont,  en  effet,  de  la  vie  et  leurs 
étoffes  de  la  souplesse.  Les  deux  statuettes  de 
femmes  qui  proviennent  du  monument  d'Adolphe  VI 
sont,  quoique  sans  tètes  ni  mains,  supérieures  aux 
précédentes.  Leurs  galbes  et  leurs  vêtements  re- 
lèvent d'un  art  expressif,  entièrement  inspiré  par  la 


Mehun-sur-Yèvre,  pour  y  examiner,  en  compagnie  de  Jean  de 
Beaumez,  les  travaux  de  Beauneveu  ;  or,  à  cette  époque, 
notre  artiste  n'avait  plus  rien  à  apprendre  comme  statuaire, 
son  voyage  d'étude  ne  pouvait  guère  lui  servir  qu'à  mieux 
comprendre  les  exigences  de  la  décoration  monumentale  et 
c'est  très  probablement  pour  cette  raison  qu'il  l'avait  entrepris. 

Froissart  signale  ces  ouvrages  de  Beauneveu,  L.  IV, 
ch.XIV. 

(i)  L'intéressant  article  où  M.  Pit  émet  cette  opinion  se 
trouve  dans  «  L'Art  Flamand  et  Hollandais  »  d'Anvers,  n">  de 
Janvier  1908. 


—  74  — 

nature.  On  a  certes  toute  licence  d'admettre  que 
Sluter  vit  ces  figures  et  en  tira  parti.  M.  Pit  trouve 
aussi  quelque  ressemblance  entre  les  draperies  des 
saintes  taillées  sur  les  stalles  de  l'église  de  Zalt- 
bommel  et  celles  du  maître.  Mais  cette  ressemblance 
ne  paraît  pas  évidente,  bien  plutôt  sommes-nous  en 
face  de  tendances  analogues. 

Les  sculptures  de  Champmol  décèlent  des  dons 
d'observateur  de  premier  ordre  et  il  serait  téméraire 
de  nier  leur  parfaite  concordance  avec  les  caractères 
burgondes.  Leur  art  apparaît  comme  une  heureuse 
synthèse  des  qualités  germaniques,  néerlandaises  et 
françaises,  une  réalisation  puissante  de  ce  que  les 
imagiers  de  ces  trois  races  s'efforçaient  d'exprimer 
depuis  tant  d'années.  A  peine  sortis  de  l'archaïsme, 
ces  imagiers  avaient  essayé  d'empreindre  de  vie 
intérieure  les  physionomies  de  leurs  personnages. 
Et  entre  tous  les  Français,  les  Bourguignons  s'étaient 
montrés  de  bonne  heure  aptes  à  réussir  dans  cette 
recherche.  Le  puits  de  la  Chartreuse  dijonnaise 
offrit  à  leurs  yeux  éblouis  un  prestigieux  accomplis- 
sement de  ce  qu'ils  rêvaient  d'ejffectuer.  Il  leur 
apprenait  à  construire  les  plans  avec  autant  d'intel- 
ligence que  de  conscience,  à  respecter  la  nature,  à 
s'en  inspirer  sans  la  suivre  en  esclave,  à  concilier  le 
réel  avec  l'interprétation.  Et  ces  enseignements 
précieux,  ce  monument  les  leur  présentait  de  la  ma- 
nière qu'ils  pouvaient  le  mieux  comprendre,  avec  la 
clarté  du  génie. 


-  75  - 

En  suivant  Sluter,  l'école  Bourguignonne  ne 
iange  vraiment  pas,  elle  entre  dans  une  phase  nor- 
male de  son  évolution,  elle  prend  plus  pleinement 
conscience  d'elle-même  et  parvient  à  une  plus  grande 
force  d'exécution.  Caractériste  éminent,  le  créateur 
des  Prophètes  lui  manifeste  tout  ce  que  permet  d'ob- 
tenir le  mode  qu'il  emploie  et  elle  sait  profiter  de  la 
leçon  en  élève  intelligente.  Tout  au  caractérisme, 
cette  école  ne  pourra  pousser  plus  loin  que  son 
initiateur  l'interprétation  des  figures  ;  du  moins 
procèdera-t'-elle  avec  originalité.  Sa  plus  belle  pé- 
riode de  production,  elle  la  lui  devra. 


Chapitre  V. 

LA  SCULPTURE  EN  BOURGOGNE 
AU  XV«  SIÈCLE. 

Le  puits  et  les  statues  de  Champmol  avaient 
provoqué  de  féconds  enthousiasmes.  Quand  tré- 
passe Sluter  (Janvier  1406),  il  y  a  des  Slutériens  ; 
et  l'un  des  mieux  doués,  son  propre  neveu,  Claus 
de  Werve,  est  tout  prêt  à  continuer  son  œuvre. 

Claus  était  né  à  Hattem,  dans  le  comté  de 
Hollande,  on  le  sait  par  son  épitaphe  relevée  au 
XVIIP  siècle  par  Pierre  Palliot  ;  mais  on  ignore 
tout  de  sa  vie  avant  son  arrivée  à  Dijon  vers  la  fin 
de  1396.  Premier  ouvrier  de  son  oncle,  depuis  1400, 
et  vraisemblablement  son  disciple,  il  avait  sa  con- 
fiance ;  il  lui  succède  donc  comme  imagier  et  valet 
de  chambre  et  se  trouve  ainsi  chargé  des  sculptures 
du  tombeau  de  Philippe  le  Hardi. 

Cette  sépulture,  on  s'en  souvient,  avait  été 
commandée  à  Jean  de  Marville,  qui  en  avait  tracé 
les  plans  vers  1384.  Mais  ce  maître  ne  put  en  faire 
exécuter  que  la  maçonnerie  et  la  galerie  d'albâtre 
destinée  à  en  parer  les  faces.  Sa  mort  arrêta  les 
travaux  pendant  trois  ans  au  moins  et  lorsque 
Sluter  les  eut  mis  entre  les  mains  de  ses  aides,  ils 
n'avancèrent  qu'avec  une  extrême   lenteur.    Tout  à 


\'lERGE 

(Trumeau  de  la  porte  centrale; 

F.tïlise  Notre-Dame,  Dijon  .  (p.  96)- 


n 


ses  propres  créations,  le  sublime  artiste  n'avait 
encore  réalisé  que  deux  pleurants  au  moment  où  le 
duc  disparut  de  ce  monde  (27  avril  i3o4).  Peu 
après,  il  promit,  il  est  vrai,  au  fils  du  défunt,  Jean 
sans  Peur,  de  rattraper  son  retard  ;  mais,  moins  de 
deux  ans  plus  tard,  il  rejoignait  Philippe  dans  la 
tombe, 

Claus  de  Werve,  après  avoir  assumé  les  char- 
ges de  son  oncle,  se  diligente  si  bien  que,  le  3i 
décembre  1410,  les  sculptures  sont  terminées  (i). 
Il  s'affirme  dans  cette  œuvre  digne  élève  de  Sluter 
et,  le  jour  de  l'inauguration,  reçoit  de  justes  éloges. 
Jean  sans  Peur  n'avait  même  pas  attendu  jusque  là 
pour  lui  témoigner  sa  satisfaction  ;  dès  le  mois  de 
mai,  pleinement  éclairé  sur  la  valeur  de  son  imagier, 
il  lui  avait  commandé  sa  propre  sépulture. 

La  disposition  des  Mausolées  des  ducs  est 
encore  plus  connue  peut-être  que  celle  du  puits  de 
Champmol  ;  ce  qui  les  distingue  des  autres  monu- 
ments funéraires  des  deux  siècles  précédents,  c'est 
surtout  le  cortège  de  pleurants  qui  se  déploie  autour 
de  leur  socle  sous  des   arcades  que  couronne  une 


(i)  Claus  communiqua  son  ardeur  au  travail  à  ses  divers 
collaborateurs.  La  peinture  et  la  dorure  du  monument  furent 
achevées  à  la  même  date  que  les  sculptures  par  Jean  Mael- 
weel,  qui,  avec  quelques  teintes  et  un  peu  d'or,  obtint  d'ex- 
quis effets.  Sur  les  pleurants,  il  laissa  jouer  la  matière  très 
largement  et  les  nuança  par  endroits  avec  un  simple  ton 
d'azur. 


-  78  - 

galerie  d'albâtre  délicatement  ciselée.  Et  c'est  éga- 
lement par  leurs  figurines  qu'ils  l'emportent,  en 
rayonnement  d'art,  sur  les  meilleurs  tombeaux  de 
leur  époque. 

Philippe  le  Hardi  repose,  dans  la  posture  tra- 
ditionnelle, sur  une  plaque  de  marbre  noir,  revêtu 
d'une  robe  blanche  mouchetée  d'or  et  du  manteau 
ducal  azur  doublé  d'hermine  ;  sa  tête  est  bien  traitée, 
sobrement,  intègrement,  mais  sans  rien  de  magistral; 
son  vêtement,  qui  laisse  deviner  le  corps  ainsi  qu'il 
sied,  se  recommande  par  sa  souplesse  mais  pèche 
par  ses  plis  dissonants.  Les  anges,  agenouillés 
sans  conviction  près  du  chef  du  gisant,  ne  valent 
que  par  leurs  ailes,  d'une  silhouette  délectable  ; 
quant  au  lion  accroupi  à  l'autre  extrémité,  il  n'3'  a 
pas  à  s'en  occuper,  car  nul  alors  sans  doute  n'eût 
mieux  concrétisé,  sans  étude  d'après  nature,  cet 
accessoire  symbolique.  Les  angelots  juchés  sur  les 
colonnettes  de  la  galerie  produisent  un  excellent 
effet,  grâce  à  leurs  attitudes  ingénieusement  variées, 
néanmoins  ils  n'arrêtent  guère  parce  qu'ils  ne  sont 
qu'une  partie  du  décor.  Les  pleurants,  au  contraire, 
jouent  un  rôle  affectif  autant  que  décoratif  ;  et,  su- 
périeurs au  gisant  par  leur  facture,  ils  impres- 
sionnent et  retiennent  par  leur  criante  humanité. 
Chacun  d'eux  mérite  une  attention  particulière,  car 
chacun  d'eux  est  un  type  pris  sur  le  vif  et  rendu 
avec  une  rare  intelligence  des  caractères.  On  dé- 
couvre aisément  la  psychologie  de  ceux  dont  rien  ne 


—  79  — 

masque  le  visage,  tant  est  juste  l'écriture  de  leurs 
signes  individuels.  Et  tous  sont  si  pénétrés  de 
l'esprit  de  leur  temps  qu'ils  s'imposent  à  l'attention 
des  historiens. 

On  sait  aujourd'hui  qu'ils  reproduisent  dans 
ses  grandes  lignes  le  cortège  funèbre  du  duc  ;  c'est 
leur  ample  costume  de  deuil  qui  fit  croire,  au  mo- 
ment de  la  reconstitution,  que  tous  ces  personnages 
étaient  des  moines,  quoique  ceux-ci  soient  nettement 
reconnaissables.  Avec  le  clergé  séculier  et  les 
chartreux,  s'avancent  des  laïques  facilement  distincts 
malgré  le  camail  qui  les  enveloppe  :  officiers  et  gens 
de  la  maison  ducale.  Il  y  a  des  seigneurs  et  il  y  a 
le  maître  queux  (i).  C'est  en  raccourci  l'entourage 
de  Philippe  à  Dijon.  On  y  découvre  les  plus  diverses 
mentalités,  de  la  pensante  à  la  triviale  ;  on  y  goûte 
les  maintiens  les  plus  contrastants,  depuis  ceux  qui 
commandent  le  respect  jusqu'à  ceux  qui  frisent  la 


(i)  Le  Meraire  de  France  de  1725  nous  renseigne  à  ce 
sujet,  p.  2q8  à  3oo.  Cf.  aussi  Mémoires  de  la  Commiss.  des  anti- 
quités de  la  Côte  d'or,  t.  vu,  p.  219  et  s.  D'autre  part,  on  peut  se 
faire  une  idée  du  cortège  qui  suivait  en  habits  de  deuil  le  corps 
d'un  prince  par  diverses  illustrations.  L'une  des  plus  curieuses 
représente  l'enterrement  de  Richard  d'Angleterre,  le  «  roy  de 
Bourdeaulx  »)  ;  c'est  une  miniature  en  grisaille  qui  se  trouve 
dans  un  «  Froissart  »  en  4  volumes  exécuté  au  xv^  siècle  et 
devenu  la  propriété  de  la  Bibliothèque  de  Breslau.  Un  autre 
document,  utile  à  consulter,  F  enterrement  de  Charles  le  Téméraire, 
exécuté  au  début  du  xvi^  siècle,  est  au  Musée  de  la  Biblio- 
thèque impériale  de  Vienne. 


8o 


turlupinade.  Des  religieux  prient,  de  hauts  fonction- 
naires paradent,  des  subalternes  s'abandonnent  à 
leurs  petites  habitudes.  Qui  n'a  remarqué  le  brave 
plébéien,  aux  continuateurs  toujours  abondants,  qui 
transforme  ses  doigts  en  mouchoir  ?  Son  geste  est 
d'une  telle  vérité  qu'il  le  hausse  au  rang  des  figures 
synthétiques  et  éternisées.  Autrefois  tous  ces 
«  pleurants  »  étaient  rangés  dans  l'ordre  qu'ils  occu- 
paient effectivement  aux  obsèques,  et  ainsi  leur 
théorie  avait-elle  un  sens  qui  n'ajoutait  pas  peu  à 
sa  force  impressive  ;  espérons  que  l'on  rétablira  cet 
ordre  puisqu'on  le  peut  en  consultant  les  dessins 
exécutés  au  XVIIP  siècle,  devant  le  monument,  par 
le  peintre  Gilquin  (i). 

Claus  de  Werve  a  tiré  un  merveilleux  parti  des 
personnages  élus  par  lui  aux  funérailles.  L'arrange- 
ment de  ce  cortège,  il  le  tenait  de  Jean  de  Marville, 


(i)  C'est  à  la  restauration  des  deux  sépultures,  achevée 
en  1S27  par  l'architecte  Saint-Père  et  le  sculpteur  Moreau, 
que  ces  figurines  furent  disposées  arbitrairement.  El,  pire 
malheur,  toutes  ne  sont  pas  des  originaux  ;  quelques  unes 
ayant  passé  au  Musée  de  Cluny  et  dans  des  collections  parti- 
culières, les  restaurateurs  les  ont  remplacées  par  des  copies. 
Clun}-  a  quatre  pleurants,  dont  un  moine  à  tj-pe  savoureux  de 
gros  garçon  à  demi  somnolent.  En  outre,  chose  infiniment 
regrettable,  quelques  pleurants  du  tombeau  de  Philippe  ont 
été  mis  à  celui  de  Jean  et  remplacés,  contre  toute  raison,  par 
des  pleurants  de  cette  seconde  sépulture.  On  le  voit,  un 
nouvel  arrangement  s'impose.  Les  dessins  de  Gilquin  sont 
à  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris,  Nouvelles  acquisitions  du 
fonds  français,  n°  5916. 


ViERGK 
(Musée  du  Louvre.  Paris}. 


(p.  96). 


lequel  en  avait  trouvé  l'embryon  sous  les  arcades 
de  la  sépulture  d'un  petit  prince  inconnu,  peut-être 
un  enfant  d'Eudes  III,  qui  se  dressait  jadis  au  mo- 
nastère du  Val  des  choux  (i).  Peut-être  aussi  Claus 
avait-il  reçu  de  son  oncle  d'utiles  indications  à  ce 
sujet  ;  mais  il  a  le  mérite  de  la  réalisation,  et  ce 
mérite  est  immense.  Car  les  pleurants  sortis  de  ses 
mains  (trente-huit  sur  quarante)  sont  très  artistement 
taillés  et  vivifiés  ;  et,  tandis  que  leur  disposition 
autour  du  mausolée  n'a  rien  que  d'ordinaire,  leurs 
multiples  expressions  les  classent  au  nombre  des 
chefs-d'œuvre.  Ils  l'emportent  en  intérêt  dramatique, 
en  puissance  significative,  sur  les  Pleureuses  du 
Sarcophage  sculpté  pour  un  prince  de  Sidon,  vers 
la  fin  du  iv^  siècle  avant  notre  ère,  par  un  fervent  de 
l'art  attique  et  qui  compte  parmi  les  plus  touchants 
ouvrages  funéraires  de  l'antiquité  méditerranéenne. 
Certes  ces  lointaines  sœurs,  ces  avant-cour- 
rières  des  «pleurants»  dijonnais  tiennent  des  poses 


(i)  L'abbaye  du  Val  des  choux,  dont  les  dernières  bâ- 
tisses, d'ailleurs  banales,  disparaîtront  bientôt,  se  dressait, 
près  de  Chatillon-sur-Seine,  dans  un  site  poétiquement  sau- 
vage de  la  forêt  de  Villiers  le  Duc  Les  moines  y  vivaient 
dans  l'observance  rigoureuse  de  Citeaux  mêlée  à  la  règle  des 
Chartreux.  On  ne  connaît  la  sépulture  précitée  que  par  un 
dessin.  Cf.  Voyage  des  deux  bétiédictins,  V^  partie,  p.  ii3  L'en- 
fant étendu  sur  la  dalle  du  tombeau  prés  d'un  ange  qui  reçoit 
son  âme  est  assez  sculptural.  Les  personnages  du  cortège 
funéraire  ont,  comme  tant  d'autres  figures  de  l'art  bourguignon 
primitif,  des  têtes  trop  grosses  pour  leur  corps. 


—   82    — 

bien  trouvées  sur  le  sens  desquelles  nul  ne  se  mé- 
prendra ;  celle  qui,  d'un  geste  noble  et  discret,  voile 
ses  yeux  larmoyants,  celle  dont  la  main  étendue  sur 
son  sein  cherche  à  refouler  ses  sanglots,  celles  dont 
l'affliction  ne  peut  plus  s'extérioriser,  toutes  enfin 
nous  mettent  du  deuil  en  l'àme.  Néanmoins  ce  sont 
avant  tout  de  belles  statues,  d'heureuses  sj'mboli- 
sations.  On  les  admire  d'abord  pour  leur  style 
et  leur  effet  décoratif,  alors  que  les  pleurants 
nous  semblent  des  personnes  et  nous  affectent  dès 
que  nous  les  regardons  (i).  Par  cela  même  que  nul 
ne  reconnaît,  dans  cette  prestigieuse  suite,  les  deux 
images  laissées  par  Claus  l'ancien,  Claus  junior 
apparaît  comme  un  interprète  émérite.  Entre  ces 
surprenants  bonshommes  et  les  Prophètes  de  Champ- 
mol,  la  parenté  est  indéniable,  le  neveu  était  im- 
prégné de  la  doctrine  de  son  oncle  :  tous  ses  efforts 
tendaient  à  reconstituer  des  individualités  et  à  les 
rendre  expressives  sans  altérer  leur  naturel.  Son  art 
était  rigoureusement  basé  sur  l'observation  ;  et  il 
n'examinait  pas  seulement  les  gens  mais  aussi  les 
œuvres  autour  de  lui-même.  Fidèle  disciple  de  son 
maître,  il  s'était  bien  gardé  de  négliger  l'étude  des 
sculptures  régionales  et  d'en  dédaigner  l'esprit.  Que 
l'on  s'attarde  un  peu  aux  caractéristiques  de  ces 
sculptures    et  l'on  constatera  combien  sont    Bour- 


(i)  Le  Sarcophage  des   Pleureuses,   découvert  en  1887, 
appartient  au  Musée  impérial  ottoman. 


Saint  Genès 

(Musée  de  Dijon  . 


(P-  97)- 


83 


guignons,  quoique  Slutériens,  ses  pleurants  et  ses 
acteurs  de  la  Passion  de  Bessey-les-Citeaux  (Dijon- 
nais). 

Ce  retable  ne  tient  pas  du  tout  à  côté  du  tom- 
beau de  Philippe  malgré  qu'il  lui  soit  postérieur 
(1430).  Claus  était  probablement  moins  à  l'aise 
lorsqu'il  lui  fallait  composer  des  scènes  dont  les 
personnages  n'existaient  pas  dans  son  ambiance.  Il 
excellait  à  représenter  ses  contemporains  dans  leurs 
actes  coutumiers  ;  s'il  a  jamais  réussi  à  s'en  servir 
dans  les  thèmes  évangéliques,  ce  ne  fut  pas  à  Bessey. 
D'autre  part,  s'il  était  doué  pour  animer  une  com- 
position, le  sens  lui  manquait  de  l'arrangement 
décoratif,  de  l'équilibre  harmonieux.  Des  sept  bas- 
reliefs  de  cette  Passion,  deux  seulement,  le  baiser  de 
Judas,  et  la  compartition  devant  Caïphe,  ont  des 
groupes  qui  grouillent  bien,  encore  est-ce  avec  trop 
de  confusion  ;  les  autres  sentent  le  moyen-âge. 
Seules,  quelques  tètes  parlantes  émergeant  de  ces 
amas  de  figures  nous  rappellent  les  qualités  de  leur 
auteur.  De  toutes  ses  œuvres,  nous  ne  possédons 
plus  que  ce  retable  et  les  sculptures  du  tombeau  de 
Philippe  (i). 


(i)  Le  retable  de  Bessey  avait  été  commandé  par  le 
Franciscain  Jean  de  Noess  ;  dans  l'ancienne  église,  il  ador- 
nait  le  maitre-autel,  il  est  maintenant  encastré  dans  la  paroi 
du  chevet  Quelques  autres  œuvres  de  Claus  de  Werve  nous 
sont  signalées  par  les  textes.  De  son  atelier,  sont  soitis  :  en 
1413,   une   Trinité  et  deux  Chartreux  pour  la  maison  dite  du 


-  84- 

L'influence  slutérienne  est  patente  dans  :  le 
St-Jean-Baf^tiste  de  Mussy-sur-Seine  (ancien  comté 
de  Bar-sur-Seine),  le  St-Jea7i-Baptiste  du  Musée 
Rolin  (Autun),  la  Vierge^  le  St-Jean  VEvangéliste  et 
le  vieux  saint  iticofinu  toujours  debout  sur  la  crête 
ornementale  d'un  autel  de  l'église  de  Rouvre  (Dijon- 
nais),  le  Philippe  de  i^ienne  du  château  de  Pagny 
(id),  le  Saint-Sépulcre  de  l'hôpital  de  Tonnerre 
(Sénonais),  le  tombeau  du  grand  sénéchal  Philippe  Pot 
(jadis  à  Citeaux,  aujourd'hui  au  Louvre),  le  St-A  titoine, 
statuette,  du  musée  de  Cluny,  le  St-Antoine,  buste, 
du  musée  de  Dijon.  Toutes  ces  œuvres,  profondément 
Bourguignonnes,  ont  été  travaillées  d'après  les  prin- 
cipes du  maître. 

Le  Baptiste  de  Mussy  et  le  Baptiste  du  Musée 
Rolin  retiennent  par  leur  individualité  intégralement 
écrite,  leur  ensemble  robuste  et  bien  équihbré.  Le 
second,  splendidement  vrai,  est  l'épanouissement  du 
génie  bourguignon  fécondé  par  le  slutérisme.  De 
sérieuses  qualités  rapprochent  de  ces  deux  statues  le 
vieux  saint  de  Rouvre,  au  type  si  curieux,  à  la  mine 
si  bien-disante.  Le  St-Jean  du  même  sanctuaire  et 


Miroir  (Dijon)  ;  en  I4i5,  quatre  Afiges  pour  le  maitre-autel  de 
Notre-Dame  (même  ville)  ;  en  1426,  un  dais  pour  une  Vierge 
de  l'église  cartusienne  (Champmol)  ;  en  i43i-32,  une  Vierge  et 
un  Si- André  pour  les  portes  de  Dijon.  Il  existe  quelques 
dessins  des  figures  de  la  maison  du  Miroir  (démolie  au  xvn* 
siècle;,  mais  ils  sont  trop  insuffisants  pour  que  l'on  en  tienne 
compte. 


—  85  — 

plus  encore  la  Vierge  avoisinante  ne  présentent  guère 
que  les  défauts  du  slutérisme  :  des  manteaux  chif- 
fonnés sans  raison  et  sans  goût,  dont  les  lignes 
tourmentées  nuisent  à  l'effet  général.  Philippe  de 
Vienne,  seul  vestige  du  tombeau  élevé  à  ce  seigneur, 
offre  une  physionomie  étudiée  avec  conscience  sinon 
très  remarquablement  rendue.  Sa  vaste  barbe  bifide 
et  sa  longue  chevelure  sont  intelligemment  inter- 
prétées. 

Le  Saint-Sépulcre  de  Tonnerre  (terminé  en  1454) 
s'impose  au  souvenir  par  l'émotion  contenue  de  ses 
personnages,  surtout  de  Joseph  et  de  Nicodème. 
Il  compte  parmi  les  œuvres  les  mieux  venues  du 
milieu  du  siècle  et  parmi  les  très  rares  dont  les 
auteurs  soient  connus  ;  deux  imagiers  y  collabo- 
rèrent :  Michel  et  Georges  de  la  Sonnette.  La 
Sépulture  de  Philit>pe  Pot,  avec  ses  porteurs  courbés 
sous  le  poids  de  leur  affliction  autant,  semble-t-il, 
que  sous  le  poids  du  gisant,  atteint  presque  au  tra- 
gique, et,  quoique  écrasée,  étouffée  par  l'étroitesse 
de  la  g;lerie  où  on  l'a  reléguée,  elle  cause  toujours 
une  saisissante  impression.  Les  attitudes  et  l'arran- 
gement de  ces  figures  sont  une  trouvaille  de  grand 
artiste  ;  de  leurs  robes  rigides  aux  cassures  bien 
comprises,  émane  une  tristesse  immense.  Enfin  elles 
constituent  un  exemple  de  caractérisme  synthétisé, 
ce  qui  n'est  point  commun  à  l'époque. 

Le  St-Antoine  de  Cluny  (début  du  sièclei  exhibe 
une  tête  dénuée   d'intelligence  mais   nerveusement 


—  86  — 

accentuée,  des  proportions  un  peu  courtes  mais  un 
costume  crânement  établi  par  grandes  masses  ;  et 
sa  main  droite  est  d'un  bon  travail.  Le  St- Antoine 
de  Dijon,  postérieur  de  quelques  décades  peut-être, 
vaut  par  sa  face  interprétée  et  vivifiée  avec  une 
heureuse  simplicité. 

L'action  de  Sluter  paraît  indéniable  dans  les 
Vierges  des  musées  de  Cluny,  du  Louvre,  de  Dijon 
(trois  premiers  quarts  du  siècle)  et  dans  la  Vierge 
de  l'hôpital  de  Saint-Jean-de-Losne  (Dijonnais). 
Malheureusement  l'apport  néerlandais  n'a  pas 
triomphé  dans  ces  figures  du  vieux  fonds  provin- 
cial ;  elles  sont  Bourguignonnes,  mais  la  plupart  le 
sont  atrocement  par  leur  masque,  leur  stature  rabou- 
grie, leur  relent  de  mauvais  moyen-âge.  Très  peu 
font  un  bon  effet  d'ensemble  comme  la  Vierge  cou- 
ronnée qui  se  trouve  dans  la  chapelle  du  Musée 
de  Cluny,  lourde,  vulgaire,  mais  assez  bien  drapée 
et  pourvue  d'un  bon  gros  bambin  rustiquement 
robuste.  En  général,  les  Mères  et  les  Enfants,  jusque 
vers  la  fin  du  siècle,  rivalisent  de  vulgarité  et  les 
premières  affligent  au  surplus  par  la  cacor3i;bmie  de 
leur  manteau.  La  Vierge  de  Saint-Jean-de-Losne, 
très  femme  du  peuple,  a  une  physionomie  et  une 
posture  de  commère  ;  elle  hanche  à  l'excès  et  choque 
d'autant  plus  qu'elle  paraît  entortillée  dans  une  toile 
d'emballage.  Une  autre  Vierge  de  Cluny  (don 
Timbal»,  celle  dont  les  cheveux  conservent  un  peu 
de  jaune  et  que  recommande  un  travail  verveux  et 


-  87  - 

sûr,  n'est  guère  mieux  costumée.  Une  troisième 
Vierge  du  même  musée  (statuette  de  l'aurore  du 
siècle),  enserrée  dans  une  grossière  étoffe,  déplaît 
par  son  expression  de  finasserie  que  soulignent  de 
longs  doigts  trop  fuselés,  et  son  poupon  effraye 
presque  par  sa  face  triviale.  Les  deux  Vierges  du 
Louvre  qui  proviennent,  l'une  de  Dijon,  l'autre  de 
Plombières,  aussi  mal  enveloppées  que  propor- 
tionnées, affectent  péniblement  comme  de  pauvres 
êtres  dont  le  développement  a  subi  un  arrêt.  Et 
quelle  laideur  obsédante  que  celle  de  la  seconde  ! 
Les  deux  Vierges  du  Musée  Dijonnais,  pour  les 
mêmes  raisons,  n'attirent  pas  davantage  la  S3m- 
pathie. 

L'influence  slutérienne  se  reconnaît  encore 
dans  :  la  Ste-Anne  instruisant  Marie  de  Notre-Dame 
d'Autun,  la  sainte  inconnue  qu'une  tradition  consi- 
dère comme  Anne  la  prophétesse  (à  M.  Rérolle, 
Autun),  les  diverses  sculptures  de  l'église  prieurale 
de  Mièges  (Franche  Comté),  le  St-Paul  de  Baume- 
les-Messieurs  (id.),  la  Notre-Dante-de-Pitié  de  l'an- 
cienne cathédrale  de  Chalon-sur-Saône  (chapelle 
St-Vincent)  ;  les  scènes  taillées  sur  la  poutre  en 
vieux  chêne  qui,  de  Semur-en-Auxois,  est  passée 
dans  la  collection  Singher  au  Mans  ;  le  rétable  en 
albâtre  de  l'église  de  Montréal  (Avallonnais)  (i)  ;  la 


(i)  Le  retable  de  Montréal  rappelle  les  petits  bas-reliefs  al- 
bastrins  exécutés,  au  xv^  siècle,  à  Londres  et  à  Nottingham, 


—  88  — 

Mise  au  tombeau,  petit  groupe  du  Musée  archéolo- 
gique d'Autun  ;  les  stalles  de  l'église  de  Flavigny 
(Auxois),  ouvrage  flamand  ;  et  les  statuettes  sui- 
vantes :  le  patriarche,  l'Abbé  de  Labussière  et  le 
pleurant  du  Musée  de  Lyon,  la  Vierge,  le  St-Bénigne 
et  la  Sie-Petronelle  de  la  cathédrale  d'Autun  (images 
peintes  et  dorées  de  l'ancienne  chapelle  de  Ciuny), 
le  saint  qui  porte  la  partie  supérieure  de  sa  tête  du 
Musée  archéologique  d'Autun,  la  donatrice  agenouillée 
et  la  pleurante  du  Louvre  (provenant  l'une  de  Mesnil- 
la-Comtesse  et  l'autre  de  Mont-Sainte-Marie,  Franche 
Comté),  l'ecclésiastique  accompaiiiiéd'un  enfant  de  chœur 
du  Musée  de  la  société  d'études  d'Avallon,  le  Christ  à 
la  colonne  de  N.-D.  de  Semur  (à  l'entrée  d'une 
chapelle  de  droite),  le  St-Lazare  du  Musée  Rolin 
(Autun). 

La  Ste-Amie  d'Autun  forme  avec  Marie  un 
groupe  naturel  mais  lourdement  bâti  et  drapé  ;  les 
physionomies  sont  bien  traduites  et  habilement 
teintées,  celle  de  la  fillette  respire  une  attention 
charmante.  La  Prophétesse,  également  massive, 
montre,  non  sans  dignité,  le  texte  qu'elle  tient  sur 
ses  genoux. 

Les  imagiers  de  Mièges  étaient  de  formation, 
sinon  d'origine,  dijonnaise  ;  cela  ressort  du  faire  de 


mais  est-ce  suffisant  pour  lui  donner  une  origine  anglaise  ?  Il 
en  diffère  assez  par  certains  points  pour  qu'on  le  puisse  re- 
garder comme  un  ouvrage  bourguignon  inspiré  seulement  des 
bas-reliefs  britanniques. 


Saint  Jean-Baptistr  ibois) 

(^lusee  (lu  Louvre,  l'aris). 


[p.  98)- 


-  89  - 

leurs  divers  travaux  :  vendangeurs  du  portail  (i), 
St-Germain  du  tympan,  St- Antoine  du  haut  de  la 
façade,  Christ  en  croix  et  Madeleine,  Vierge  et  Ange 
du  retable  de  la  chapelle  seigneuriale,  Christ  bénis- 
sant et  emblèmes  évangéliques  des  pendentifs,  St-Pierre 
etSt-Paul  flanquant  la  fenêtre  de  la  même  chapelle. 
De  toutes  ces  figures,  les  mieux  réalisées  au  point 
de  vue  sculptural  sont  les  statues  de  la  Vierge  et  de 
VAnge  Gabriel.  Ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  personnages 
ne  sont  à  leur  action,  Marie  se  tenant  debout  dans  une 
attitude  sans  intérêt  et  l'effigie  du  messager  céleste 
n'annonçant  rien  d'extraordinaire  ;  mais  tous  deux 
font  un  très  acceptable  effet,  l'ange  sous  sa  dalma- 
tique,  la  Vierge  sous  ses  atours  de  dame.  La  tête  de 
celle-ci  allie  les  qualités  d'un  bon  portrait  et  les 
éléments  de  son  costume  (robe  traînante  au  corsage 
très  ajusté  et  très  ouvert,  manteau,  ceinture  de 
métal),  traités  avec  esprit,  concourent  à  un  ensemble 
agréablement  décoratif. 

Le  St-Paul  de  Baume,  drapé  par  larges  plans  et 
au  petit  bonheur  par  une  main  un  peu  molle,  est  la 
représentation  fidèle  d'un  vieillard  apathique.  Les 
scènes  qui  relatent  sur  la  poutre  de  Semur  la  vie  et 


(i)  Parce  que  la  vigne  n'a  jamais  été  cultivée  à  Mièges 
ni  dans  les  alentours,  M.  Brune  incline  à  croire  que  les  auteurs 
de  ces  figures  étaient  d'origine  bourguignonne.  Réunion  des 
Sociétés  des  Beaux-Arts  des  Départements,  1899.  Hypothèse  assu- 
rément très  plausible,  mais  la  question  parait  résolue  par 
l'étude  de  l'exécution. 


—  go  — 

la  Passion  du  Sauveur  retiennent  par  leur  caracté- 
risme  exquisement  bourguignon.  Le  retable  de 
Montréal  (Annonciation,  Adoration  des  mages,  Messe 
de  Sf-Gregoire,  Assomption  et  Couronnement,  St-Etien- 
ne  et  St-Laurent)  et  la  Mise  au  tombeau  d'Autun  pré- 
sentent des  personnages  vieux  style  mal  agglomérés 
mais  imnressifs.  Les  diverses  figurines,  assez  ty- 
piques et  bien  venues,  reproduisent  les  qualités  et 
les  défauts  des  statues.  La  plus  trapue  est  la  Vierge 
de  la  cathédrale  autunoise,  dont  l'or  moderne  ne 
fait  que  mieux  ressortir  les  restes  de  barbarie  ;  l'une 
des  plus  fines,  le  St-Lasare  du  Musée  Rolin,  annonce 
une  transformation  louable  dans  ce  genre  d'ima- 
gerie (iK 

Plusieurs  sépultures  gravées,  celles  des  reli- 
gieux Humbert  Poilley  et  Jean  Daignay  (Musée  de 
Dijon),  de  Jacques  Germain  (id.),  de  Monnot  Mâ- 
chefoing"  et  de  son  épouse  Jeanne  de  Courcelle 
(église  de  Rouvre),  sont  d'un  caractérisme  aigu  qui 
dérive  assurément  de  Sluter.  La  figure  de  Daignay 
impressionne  fort  malgré  que  son  visage  soit  invi- 
sible ;  celle  de  Germain  n'affecte  pas  moins  par  son 


(i)  Les  musées  d'Autvin,  de  Semur,  d'Auxerre,  de  Vézé- 
lay  et  d'Avallon,  surtout  l'admirable  Musée  Rolin,  possèdent 
une  multitude  d'intéressantes  statuettes  bourguignonnes;  mais 
beaucou]),  placées  trop  haut  eu  dans  des  coins  encombrés, 
sont  difficiles  à  voir  dans  de  bonnes  conditions.  Espérons  que 
l'on  finira  par  donner  aiix  plus  dignes  d'attention  des  empla- 
cements convenables  et  que  des  catalogues  seront  bientôt 
dressés  pour  faciliter  l'étude  des  différentes  œuvres  exposées. 


—  gi  — 

linceul  aux  grands  plis  éloquents.  Les  images  des 
époux  Mâchefoing  sont  d'un  dessin  simple  et  signi- 
ficatif; leurs  tètes,  quoique  négligemment  con- 
struites, ont  une  saveur  de  portraits. 

Quant  aux  sculptures  du  tombeau  de  Jean  sans 
Peur  et  de  Marguerite  de  Bavière,  on  ne  saurait 
prétendre  qu'elles  aient  été  taillées  sous  l'influence 
du  maître  batave  ;  car  si  elles  se  rattachent  aux 
sculptures  du  tombeau  de  Philippe  le  Hardi,  c'est 
avant  tout  parce  qu'il  avait  été  convenu  que  la  se- 
conde sépulture  ressemblerait  à  la  première.  On  a 
vu  dans  quelles  conditions  Jean  avait  commandé  sa 
tombe  à  Claus  de  Werve.  Celui-ci  en  eut  tôt  fait  le 
plan.  Par  malheur,  le  duc  était  activement  mêlé  aux 
querelles  politiques  qui  désolaient  la  France  et  il 
avait  besoin  de  toutes  ses  ressources  pour  guer- 
royer. Il  fut  occis  avant  d'avoir  pu  se  procurer  l'or 
nécessaire  pour  entreprendre  une  telle  œuvre  (i). 


(i)  Son  trésor  ne  fut  jamais  garni  comme  il  aurait  fallu. 
Certes  il  s'était  gardé  d'imiter  la  munificence  paternelle  puis- 
qu'il ne  craignait  pas  d'exhiber  des  robes  raccommodées  ; 
mais  par  les  obligations  de  sa  puissance  comme  par  ses  pro- 
digalités, Philippe  avait  rendu  difficile  l'équilibre  du  budget 
ducal.  «  La  politique  d'un  duc  de  Bourgogne,  dit  M.  Coville, 
était  aussi  active  et  étendue  que  celle  du  roi  lui-même.  Dans 
les  comptes  de  la  recette  générale  de  Bourgogne,  on  relève 
que  le  total  des  pensions  et  gages  à  la  volonté  du  duc  monte 
à  59.230  livres  tournois,  de  mars  1401  à  mars  1402,  et  celui 
des  dons,  à  58.820  livres  tournois.  Chaque  jour,  le  duc  donne 
de  l'argent,  des  chevaux,  surtout  des  «  queues  »  de  vin  de 
Beaune  et  des  étoffes  précieuses.  Quant  à  l'administration  de 


—  92  — 

Son  fils,  Philippe  le  Bon,  fut  également  très  agrippé 
par  les  événements  et  lorsqu'il  lui  devint  enfin  pos- 
sible de  s'occuper  de  la  sépulture  de  son  père,  Claus 
de  Werve  trépassa  (lo  octobre  143g)  (i). 

C'est  seulement  en  1443  que  Philippe   trouve 


ses  domaines,  elle  exige  des  agents  et  des  officiers  de  toute 
sorte,  de  nombreux  conseillers,  une  cour,  même  une  véritable 
armée,  qui  dépense  «  que  c'est  ime  horreur  de  le  dire  ».  Aussi 
les  revenus  du  duc  de  Bourgogne,  si  considérables  qu'ils 
soient,  ne  suffisent  plus  à  faire  vivre  cet  État  bourguignon. 
Dans  son  budget,  le  passif  est  énorme  :  il  s'élève,  pour  un  an, 
de  mars  1401  à  mars  1402,  à  488.105  livres  tournois,  et,  de  fin 
janvier  1410  à  fin  janvier  141 1,  à  538.553  livres  tournois. 
Comme  le  duc  d'Orléans,  le  duc  de  Bourgogne  a  son  recours 
auprès  du  roi,  qui  lui  donne  beaucoup  et  sans  cesse  sur  les 
aides  du  royaume  :  192.943  livres  tournois  en  1400-1401, 
163,424  en  1401-1402,  238.325  en  1410-1411,  et,  malgré  tout,  il 
y  a  chaque  année  un  excédent  des  dépenses  sur  les  recettes. 
Ni  l'un  ni  l'autre  des  deux  princes  ne  peut  se  passer  des 
caisses  royales  ;  pour  vivre,  il  faut  que  l'un  des  deux  domine, 
à  l'exclusion  de  l'autre,  le  gouvernement  royal.  »  Hist.  d» 
France  publiée  sous  la  direct,  de  Lavisse',  t.  iv.  p.  323-324. 

(i)  Il  fut  enterré  dans  l'église  de  la  Chartreuse  de  Champ- 
mol.  Le  tombeau  de  Jean  avait  été  le  suprême  objectif  de  sa 
carrière,  remarque  M.  Prost,  «  ce  fut  aussi  son  martyre» 
Retenu  à  Dijon  sous  ce  prétexte,  bercé  d'irréalisables  be- 
sognes et  irrégulièrement  payé  de  ses  gages,  le  pauvre  artiste 
traîna  tristement  à  Dijon,  après  de  brillants  débuts,  une  vie 
obscure,  aigrie  par  les  déboires,  l'insuffisance  des  ressources 
et  la  maladie.  »  Gazette  des  Beaux  Arts,  i8go. 

Plusieurs  fois  il  avait  dû  réclamer,  auprès  des  échevins, 
contre  des  taxes  arbitraires,  Philippe  le  Bon  ne  s'intéressait 
pas  comme  son  grand  père  aux  artistes  de  sa  cour,  il  ne  tenait 
même  pas  à  en  avoir  à  Dijon. 


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<     3. 


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-  93  - 

l'imagier  dont  il  a  besoin  :  l'aragonnais  Jean  de  la 
Huerta.  Mais  si  cet  homme  sans  scrupules  fait 
élever  la  maçonnerie,  à  peine  touche-t-il  aux  sculp- 
tures. Lorsqu'il  s'enfuit  de  Dijon,  en  1455,  avec 
l'argent  qu'il  n'a  pas  gagné,  seuls  sont  achevés  les 
anges  et  les  tabernacles  de  la  galerie.  Quelle  forma- 
tion avait  reçu  ce  coquin  ?  On  l'ignore  et  somme 
toute  peu  importe  étant  donné  qu'il  n'a  presque 
rien  laissé  (i). 

Nous  sommes  mieux  renseignés  sur  Antoine  Le 
Moiturier,  d'Avignon,  qui  lui  succède  en  1466  et, 
en  trois  ans,  mène  à  bien  le  travail.  Le  Moiturier, 
«  maître  Anthoniet  »,  avait  été  l'élève  de  son  oncle, 
le  Lyonnais  Jacques  Morel,  dont  il  reste  une  œuvre 
importante  :  le  tombeau  de  Charles  de  Bourbon  et 
d'Agnès  de  Bourgogne,  église  de  Savigny  (Bour- 
bonnais). Assurément  l'imagier  auquel  on  doit  les 
gisants  de  ce  mausolée  se  souciait  d'harmonie 
autant  que  de  naturel,  et  c'était  un  réalisateur  ori- 
ginal ;  il  établissait  les  proportions  des  corps  et 
rythmait  les  plis  des  vêtements  avec  un  sens  de  la 
beauté  que  ne  possédait  pas  Sluter.  Le  Moiturier 
adopta  vraisemblablement  l'esthétique  de  son  maître, 
dont  l'autorité  était  grande,  les  commandes  qu'il  eut 
le  prouvent,   dans  les  régions  du  centre  et  du  sud- 


fi)  Son  ornementation  de  la  galerie  est  plus  luxuriante 
que  celle  du  Mausolée  de  Philippe,  mais  il  n'y  a  rien  à  inférer 
de  cet  indice  isolé. 


—  94  — 

est  (i).  Je  l'admets  d'autant  mieux  que  les  figures 
de  Jean  et  de  Marguerite  ont  leurs  vêtements  disposés 
avec  plus  de  concordance  que  ceux  de  Philippe  le 
Hardi.  En  outre  le  visage  de  Jean  donne  une  sensa- 
tion de  vérité  sans  être  énergiquement  caractérisé, 
et  celui  de  Marguerite  sent  quelque  peu  l'arrange- 
ment ;  or  le  duc  avait  un  type  «  martien  »  d'une 
laideur  curieuse  et  la  duchesse  n'était  rien  moins 
qu'affriolante,  attendu  que  les  bons  Dijonnais  com- 
paraient irrévérencieusement  ses  filles  à  des 
chouettes.  Un  Slutérien  avéré,  même  procédant 
comme  notre  artiste  d'après  des  documents,  eût-il 
résisté  au  plaisir  de  mettre  en  vigueur  leurs  signes 
individuels  ?  Après  cela,  que  les  Anges  et  les  pleu- 
rants soient  d'expression  slutérienne,  il  n'y  a  pas 
lieu  de  s'en  étonner  puisque  celui  qui  les  commença 
et  celui  qui  les  mit  au  point  étaient  obligés  de  pro- 
céder ainsi  pour  satisfaire  Philippe  le  Bon.  D'ail- 
leurs, combien,  parmi  ces  petits  personnages,  égalent 
ceux  de  Claus  de  Werve  ?  L'auteur  de  la  figure  de 
Jean  avait  certes  assez  d'habileté  pour  approcher  du 


(i)  Le  Moituiier,  né  vers  1425,  fut  l'élève  de  Morel,  au 
moins  pendant  le  séjour  de  celui-ci  dans  Avignon  de  1441  à 
1445.  Il  vint  à  Dijon  en  1462  mais  ne  s'y  établit  que  deux  ans 
plus  tard,  à  son  retour  de  Saint-Antoine  en  Viennois,  où  il 
exécuta  pour  l'Abbaye  des  travaux  dont  on  ignore  le  sujet. 
Cf.  l'étude  de  l'abbé  Requin,  Réunion  des  Sociétés  des  Beaux-Arts 
des  Départements,  1890,  p.  loi. 


-95  - 

style  des  pleurants  de  la  première  sépulture,  il  ne 
pouvait  aller  plus  loin  (i). 

Avec  Claus  de  Werve,  le  mouvement  régénéra- 
teur s'était  accentué.  Les  Bourguignons  étaient 
mûrs  alors  pour  tirer  parti  en  artistes  des  enseigne- 
ments de  Sluter.  Individualiser  des  têtes,  établir 
des  corps  pleins  de  vie,  imprimer  un  sens  aux  atti- 
tudes comme  aux  gestes,  ce  fut  bientôt  leur  préoccu- 
pation dominante  ;  et  plus  d'un  s'efforça  d'exprimer 
des  sentiments.  Par  malheur,  certains  exagérèrent 
jusqu'au  disgracieux,  voire  à  l'horrible,  le  caracté- 
risme  de  Sluter  et  leurs  imitateurs,  bientôt  légion, 
creusèrent,  avec  une  sorte  d'enthousiasme  religieux, 
les  physionomies  les  moins  attractives.  Plus  une 
face  était  rustaude  ou  faubourienne,  une  expression 
bizarre  ou  triviale,  un  corps  malitorne  ou  ramassé, 
plus  ils  exultaient  à  en  faire  saillir  les  singularités. 
Longtemps  ils  cultivèrent  toutes  les  variétés  de  la 
laideur  humaine  avec  une  dilection  de  caricaturiste. 
Mais  cette  épidémie  d'outrance  qui,  du  reste,  prouve 
la  vitalité  de  l'école,  ne  doit  pas  détourner  notre 
attention  des  services  rendus  par  le  slutérisme.  Que 
l'on  examine  ceux  des  ouvrages  des  xiv^  et  xv^ 
siècles  où  se  retrouve  la  gaucherie  primitive,  et  l'on 


(I)  Le  Moiturier  avait  été  chargé  d'une  Résurrection  des 
corps  pour  la  cathédrale  d'Avignon  vers  146 1  ;  il  n'en  reste  que 
deux  têtes  d'anges  et  les  ornements  qui  encadraient  la  partie 
supérieure,  le  tout  insignifiant. 


-g6- 

reconnaîtra  qu'il  a  été  comme  une  greffe  précieuse 
sur  un  arbre  redevenu  sauvage. 

L'outrance  appelle  des  réactions.  Au  rengrége- 
ment  du  slutérisme  exaspéré,  correspond  une  tenta- 
tive d'affinement.  On  en  relève  des  signes  dans 
diverses  statues  de  N.-D.  de  Semur-en-Auxois 
{Evangélistes  du  porche,  Vierge  du  pignon.  Saints  de 
la  tour  de  gauche"),  dans  la  Mise  au  tombeau  (1490) 
de  cette  même  église  (chapelle  du  Sépulcre),  la 
Vierge  peinte  du  trumeau  central  de  N.-D.  de  Dijon, 
la  Vierge  en  pierre  du  Louvre  acquise  en  1906. 

Les  Evangélistes  de  Semur  ont  été  sculptés  avec 
vigueur  et  de  façon  que  leurs  reliefs  engendrassent 
des  jeux  de  clair-obscur,  mais  aussi  avec  de  tou- 
chants efforts  pour  styliser  leurs  têtes  et  leurs 
draperies.  Et  si  les  personnages  de  la  Mise  au  tom- 
beau, équilibrés  pesamment,  enveloppés  de  manteaux 
aux  plis  aigus,  remémorent  davantage  le  genre 
néerlandais,  ils  se  tiennent  avec  tant  de  dignité  et  de 
gravité,  leur  douleur  est  si  calme,  qu'on  peut  les 
dire  d'un  slutérisme  assagi.  La  Vierge  de  Dijon  et 
celle  du  Louvre  ne  sont  pas  complètement  débar- 
rassées des  gangues  ancestrales,  au  moins  ne  re- 
butent-elles plus.  La  seconde  appartient  à  la  série 
des  têtes  communes  et  semble  enroulée  dans  une 
couverture  grossière,  mais  son  expression  est  pure 
et  maternelle,  son  attitude  normale,  et  sa  facture 
indique  de  signalés  progrès. 

Enfin   ce   sont    bien   des  formes    affinées   que 


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—  97  — 

montrent  le  St-Geiiès  du  Musée  de  Dijon,  la  Ste-Barbe 
du  Musée  Rolin  et  la  Vierge  dite  de  Bulliot  (à  M. 
Rérolle,  Autun).  Créées  dans  le  dernier  quart  du 
siècle,  ces  statues  évoquent  l'art  de  Michel  Colombe 
et  dégagent  un  charme  ineffable.  Le  St-Genés  a  de 
l'élégance,  la  Ste-Barbe  de  la  beauté,  la  Vierge 
Bulliot  d'exquises  délicatesses  qui  font  vite  oublier 
les  défauts  de  sa  poitrine.  Leurs  galbes  sont 
caressés  avec  un  désir  de  style  qui  porterait  à 
croire  que  leurs  auteurs  connaissaient  bien  les  meil- 
leures œuvres  de  la  Touraine  et  qu'ils  n'ignoraient 
pas  le  métier  florentin.  Les  deux  saintes  nous  offrent 
de  merveilleux  exemples  d'interprétation  idéalisa- 
trice en  tout  respect  du  naturel  :  Barbe,  harmonieu- 
sement proportionnée  et  galamment  vêtue,  apparaît 
comme  une  grave  patricienne  ;  la  Vierge,  très  mère 
chrétienne,  rayonne  de  candeur,  de  tendresse  et 
d'une  grâce  rassérénante  que  soulignent  avec  dis- 
crétion la  dorure  alanguie  et  les  tonalités  devenues 
des  nuances  qui  la  recouvrent. 

Quelques  statuettes,  d'un  travail  convaincu, 
achèvent  de  renseigner  sur  l'évolution  qui  se  dessine 
au  crépuscule  du  siècle,  entre  autres  :  la  Ste-Cathe- 
rine,  délicieusement  noble,  du  Musée  Rolin  (don 
Bulliot)  ;  la  Vierge  de  Laisy  (Autunois),  d'une 
aimable  rusticité  ;  la  Vierge,  accortement  peuple, 
qui  veille,  en  N.-D.  de  Semur,  à  la  porte  de  la 
chapelle  du  Sépulcre  ;  VA  tige  perdu  dans  une  niche 


-98  - 

de  la  rue  du  Bourg-voisin,  à  Semur  (i)  ;  le  Baptiste 
en  bois  du  Louvre,  digne  frère  cadet  de  ses  grands 
aînés  de  Muss}»^  et  du  Musée  Rolin  ;  l'Ange  thuri- 
féraire agenouillé,  à  l'air  mélancolique,  du  Musée 
archéologique  d'Autun  (2). 

Et  l'on  pourrait  ajouter  à  cette  liste  des  vestiges 
divers  comme  les  têtes  d'anges  du  Concert  (bois)  du 
Louvre  et  le  Bœuf  de  St-Luc  placé  non  loin  de  là. 
La  lourdeur  d'antan  a  disparu  de  ces  figurines  aux 
caractères  régionaux  toujours  si  prononcés  ;  elles 
sont,  avec  les  statues  précitées,  d'attachantes  ma- 
nifestations de  l'art  bourguignon  affiné,  et  c'est  la 
revanche  du  bon  sens. 


(i)  Non  loin  de  là,  dans  la  même  rue,  se  dressent,  aux 
côtés  d'une  croix,  un  St-Jean  et  une  Madeleine  de  stature  plus 
élevée  qui  paraissent  se  rattacher  aux  œuvres  affinées  ;  mal- 
heureusement leur  état  de  délabrement  ne  permet  plus  de  s'en 
assurer.  Semur  possède  encore  dans  ses  rues  quelques  sta- 
tuettes attachantes  du  xv^  siècle,  dont  une  Vierge  assez  déli- 
cate, au  revers  de  la  croix  plantée  rue  de  l'Abreuvoir.  A 
Notre-Dame,  plusieurs  figurines  qui  S5'mbolisent  l'Abondance 
fournissent  aussi  des  spécimens  de  l'époque  de  transition. 

(2)  Cet  an.çe,  taillé  dans  l'albâtre,  est  outrageusement 
maculé  de  poussière  ;  aussi  ne  le  découvre-t-on  pas  sans  peine 
tout  au  fond  de  l'ancienne  chapelle  où  il  gîte.  Tout,  d'ail- 
leurs, est  beaucoup  trop  poudreux  dans  cet  intéressant  musée. 
Un  nett03'age  s'impose,  et  aussi  un  classement  plus  rationnel. 


Chapitre  VI. 

LA  PEINTURE  EN  BOURGOGNE 
AU  XV«  SIÈCLE. 

En  peinture,  l'influence  néerlandaise  paraît 
moins  forte  qu'en  sculpture,  et  de  plus  il  est  malaisé 
d'en  suivre  les  phases  dans  la  première  moitié  du 
siècle  à  cause  du  petit  nombre  des  œuvres  échap- 
pées à  la  ruine.  Nous  n'avons  que  deux  tableaux 
importants  antérieurs  à  1440  :  la  Légende  de  Si-Denis 
et  la  Légende  de  St-Georges  d'Henry  Bellechose, 
l'une  et  l'autre  au  Louvre. 

Le  premier  de  ces  ouvrages  fut  commandé  par 
Jean  sans  Peur  en  1416  ;  il  offre  une  juxtaposition 
de  motifs  que  rien  ne  relie  plastiquement,  mais  au 
moins  les  figures  en  sont-elles  significatives.  Aussi 
l'épisode  final,  le  martyre  du  saint  évéque  et  de 
ses  compagnons  les  saints  Eleuthéros  et  Rusticus, 
atteint-il  sans  efforts  au  dramatique.  Quant  à  la 
peinture  de  l'ensemble,  elle  a  l'hybridité  des  tableaux 
delà  veille  et  des  miniatures  du  jour;  c'est  une 
fusion  d'apports  italo-français  et  flamands  qui  se 
distingue  par  de  claires  tonalités  assez  bien  accor- 
dées et  habilement  unies  à  l'or.  La  Légende  de 
St-Georges,    à    l'effet    général  moins   heureux,  pré- 


—    lOO    — 

sente  des  caractères  analogues  avec  des  tons  sans 
éclat  (i). 

Ce  sont  les  seules  œuvres  que  l'on  puisse 
donner  sans  crainte  à  Bellechose.  M.  de  Mély  lui 
attribue  bien  quelques  scènes  des  Très  Riches  Heures 
du  Musée  Condé  (Chantilly)  ;  toutefois  ses  raisons 
ne  sont  pas  encore  suffisamment  établies  pour  en- 
traîner la  conviction. 

On  ne  sait  quelles  œuvres  exécuta  Bellechose 
avant  sa  Légende  de  St-Denis  ;  et,  sur  celles  qu'il  fit 
dans  la  suite,  nous  n'avons  que  des  renseignements 
sommaires.  De  141 6  à  1425,  il  travaille  aux  décora- 
tions du  palais  de  Dijon  et  du  château  ducal  de 
Talant.  En  1425,  on  lui  demande,  pour  une  autre 
demeure  des  ducs,  le  château  de  Saulx,  un  grand 
retable  où  il  portraiture  Jean  sans  Peur  et  Philippe 
le  Bon.  En  142g,  il  exécute  pour  l'église  Saint- 
Michel  deux  tableaux,  une  Annonciation  et  un  Christ 
avec  les  Apôtres  ;  en  outre,  il  «  estofFe  »  une  statue 
de  l'archange,  patron  de  cette  paroisse  (2).  Puis  on 
l'abandonne,  semble-t-il,  et  il  meurt  pauvre,  comme 
Claus  de  Werve,  peu  après  celui-ci,  au  début  des 
années  1440.  Et  avec  eux  prennent  fin  les  ateliers 
officiels  de  sculpture  et  de  peinture,  car  Philippe  le 
Bon,  qui  ne  bourguignonnait  pas,  ne  leur  donna  pas 


(i)  Ce  tableau  a  été  authentiqué  par  M.  A.  de  Cham- 
peaux,  Gazette  des  Beaux- Arts,  1898,  t,  I,  p    129. 

(2)  A  une  date  inconnue,  il  peignit  une  Mort  de  Notre- 
Dame  pour  la  chartreuse  de  Champmol, 


EccE  Homo 

{Palais  de  Justice,  Dijon 


(p.  lOÔ). 


—  loi  — 

de  successeurs.  Bellechose  compta  parmi  ses  dis- 
ciples Jean  Chrestien  de  Troyes  et  Michel  Estelin 
de  Cambrai  et  il  eut  évidemment  une  action,  ne 
serait-ce  que  parcequ'il  était  peintre  du  duc  ;  mal- 
heureusement rien  ne  la  précise. 

Quant  à  Hue  de  Boulogne,  à  l'artésien  Jean  de 
Maisoncelle  et  à  Jean  de  Pestinien,  enlumineur  de 
Paris,  qui  travaillèrent  à  Dijon  dans  le  second  quart 
du  siècle,  on  ignore  ce  qu'ils  valaient  ;  on  sait  seu- 
lement que  le  second  fit,  en  1436,  un  portrait  de 
Philippe  le  Bon  pour  la  Chartreuse  de  Champmol. 

L'alliage  néerlando-franco-italien  se  reconnaît 
encore  dans  les  retables  de  Ternant  (Haut  Morvan), 
peints  au  milieu  du  siècle  pour  le  Bourguignon 
Philippe  de  Ternant,  l'un  des  premiers  chevaliers  de 
la  Toison  d'or.  L'expressif  y  est  cherché  sans  souci 
de  l'harmonie.  Sur  le  meilleur  des  deux,  il  y  a  sur- 
charge dans  le  groupe  central.  L'influence  néerlan- 
daise apparaît  fortement  dans  ces  ouvrages  mais  n'y 
prédomine  pas.  De  même  en  deux  retables  du  musée 
de  Dijon,  l'un,  d'aspect  primitif  (il  provient  de 
l'abbaye  de  Clairvaux),  l'autre  très  mutilé  (i)  ;  dans 
les  effigies  sèches  et  médiocres  de  Jean  sans  Peur 
et   de  Philippe  le  Bon  (Louvre),  et  mieux  encore 


(i)  Les  scènes  de  ce  dernier  représentent  la  Circoncision, 
V Adoration  des  Mages  et  V Adoration  des  Bergers  ;  on  voit  dans  les 
cinq  compartiments  de  l'autre  ;  Si-Bernard,  le  Baptême  du  Christ, 
la  Trinité,  la  Transfiguration  et  un  ahhé  mitre. 


—    I02   — 

dans  l'attachant  portrait  du  Grand  bâtard  de  Bour- 
gogne i  Musée  Condé,  Chantilly). 

Dès  le  milieu  du  siècle,  la  Bourgogne  s'enrichit 
de  quelques  œuvres  réalisées  par  des  maîtres  néer- 
landais au  moment  où  leur  art  était  pleinement 
rénové  et  nationalisé,  partant  très  remplies  d'en- 
seignements. C'est  d'abord  le  Jugcvient  dernier, 
commandé  vers  1443,  peut-être  à  Roger  van  der 
Weyden,  par  le  chancelier  Nicolas  Rolin  pour 
l'Hospice  qu'il  venait  de  fonder  à  Beaune  et  dont 
il  reste  un  des  joyaux  malgré  la  scandaleuse  restau- 
ration de  1876-1878  (i).  Puis  viennent  la  Vierge  au 
dojiateur  de  Jean  van  Eyck,  que  le  susdit  Rolin 
avait  donné  à  Saint-Lazare  d'Autun  et  que  possède 
maintenant  le  Louvre;  VAnnoticiation  du  même 
maître,  détachée  d'un  ensemble  perdu,  découverte 
à  Dijon  par  Guillaume  II  de  Hollande  et  finalement 
cédée  à  l'Ermitage  de  Saint  Pétersbourg  ;  les  Sept- 
Sacrements  de  Roger  van  der  Weyden,  sigillés  des 
armes  d'une  famille  bourguignonne,  celle  des  Che- 


(i)  Malgré  ses  inégalités,  ce  retable  est  incontestablement 
d'un  art  peu  ordinaire  et,  somme  toute,  on  peut  l'attribuer  à 
Roger  van  der  Weyden,  ne  serait-ce  que  pour  les  portraits 
des  donateurs,  splendides  de  vie  et  d'expression.  Il  n'y  a  pas 
lieu  de  douter  de  la  ressemblance  de  Rolin.  Or  Louis  XI  a 
dit  de  ce  chancelier  qu'il  avait  fait  assez  de  pauvres  pour  leur 
ouvrir  un  hôpital.  Louis  était  jeune  alors  ;  a-t'-il  lancé  légère- 
ment un  mot  rosse,  a-t'-il  parlé  selon  la  vérité  ?  Dans  ce  dernier 
cas,  RoUn  aurait  été  de  ces  êtres  énigmatiques  dont  la  face 
ne  livre  l'âme  que  très  rarement. 


La  Rksurrectiox  de  Lazare,  peinture  muiale 

Cliapelle  Saint-I.éser.  Eglise  Notre-Dame.  Beaune  . 


l'p.  io3) 


—   io3  — 

vrot,  et  passés  au  Musée  d'Anvers  au  XIX*  siècle. 
Toutes  les  qualités  de  la  race  des  Pays-Bas  s'épa- 
nouissent dans  ces  oeuvres  qui  ne  pouvaient  point 
ne  pas  impressionner  maints  artistes  bourguignons  ; 
et  leurs  effets  sont  corroborés  par  quelques  pein- 
tures flamandes  d'ordre  secondaire,  tels  :  VEcce 
Homo,  grave  et  assez  noblement  résigné,  du  Palais 
de  Justice  de  Dijon,  et  les  Scéfies  de  la  Passion, 
probablement  faites  en  Bourgogne,  dont  l'église 
d'Ambierle,  en  Roannais,  fut  dotée  en  1476  par 
Michel  de  Changy,  conseiller  de  Charles  le  Témé- 
raire. 

Les  traces  de  l'action  néerlandaise  sont  parti- 
culièrement sensibles  sur  les  peintures  de  la  chapelle 
Saint  Léger,  en  N.-D.  de  Beaune,  commandées  par 
le  cardinal  Rolin,  fils  du  chancelier  :  La  résurrection 
de  Lazare  et  la  lapidation  de  St.  Etienne  (deuxième 
moitié  du  siècle).  Tout  y  est  combiné  et  caractérisé 
pour  atteindre  à  l'expressif.  Dans  la  première  de 
ces  scènes,  la  mieux  venue,  les  témoins  du  miracle 
tiennent  si  bien  leur  rôle  qu'ils  absorbent  l'attention 
au  détriment  du  Christ  ;  à  l'avant-plan,  ils  s'entas- 
sent en  paquet  et,  au  fond,  prennent  beaucoup  trop 
d'importance,  mais  tous  rachètent  ces  défectuosités 
par  une  vie  intense  et  des  physionomies  fouillées  à 
souhait.  Quant  au  décor,  s'il  n'est  que  pittoresque, 
du  moins  est-ce  gentiment  avec  sa  vue  de  cité  qui 
se  profile  à  l'horizon.  Enfin  le  peintre  de  Beaune 
rappelle  les  maîtres  flamands  du  milieu  du  siècle 


—  104  — 

non  seulement  par  sa  façon  de  procéder  mais  encore 
par  son  écriture  des  formes  à  tendance  analytique. 

Les  plus  nordiques  des  compositions,  si  toute- 
fois elles  ne  doivent  pas  l'existence  à  des  peintres 
des  Pays-Bas,  sont  ensuite  le  Calvaire  de  N.-D.  de 
Dijon  (transept  nord),  tellement  abîmé  par  le  temps 
et  les  repeints  qu'il  échappe  à  l'étude  détaillée,  la 
Nativité,  jadis  à  l'évêché  d'Autun,  (i)  dont  le  dona- 
teur, vrai  de  tout  point,  ne  saurait  s'oublier,  et 
deux  tableaux  du  Musée  de  Lyon  (dernier  quart 
du  siècle)  qui  présentent  avec  une  éloquence  per- 
suasive la  Mort  et  le  Couronnement  de  la  Vierge  (2). 

Mais  la  plupart  des  peintures  exécutées  dans 
le  duché  à  partir  de  1460  environ  ne  sont  pas  dans 
la  manière  flamande.  L'influence  néerlandaise  semble 
bien  être  avant  tout  d'ordre  esthétique  sur  maints 
artistes  bourguignons.  Entendons  par  là  qu'elle  les 
ramène  au  naturel  et  les  incite  à  la  bonne  structure 
des  formes  beaucoup  plus  qu'elle  ne  détermine  leur 
métier.  Ainsi  ne  nuit-elle  pas  à  leur  originalité.  Les 
personnages  peints  sur  les  murs  de  la  Cathédrale 
d'Autun  (à  droite,  près  du  transept,  ancienne  cha- 


(i)  Sans  doute  va-t'-elle  entrer  au  Louvre. 

(2)  La  mort  est  la  meilleure  de  ces  œuvres,  le  couronnement 
cause  tout  d'abord  une  sensation  désagréable  à  cause  des 
duretés  de  sa  facture.  La  sécheresse  est,  d'ailleurs,  le  défaut 
dominant  des  peintres  bourguignons  dans  la  seconde  moitié 
du  XVe  siècle,  surtout  de  ceux  qui  s'appliquent  à  ressembler 
aux  Flamands. 


La  Mort  de  la  \'iekge 

(Musée  de  Lyon). 


(p.  104). 


—  io5  — 

pelle  de  Cluny)  ;  ceux  que  l'on  a  enlevés  à  la 
chapelle  de  St.  Vincent,  dans  cette  même  église, 
vers  1460,  et  qui  font  aujourd'hui  partie  de  l'exquis 
Musée  Rolin  ;  ceux  du  Crucifiement  où  prie  le 
chanoine  JeanDrouhot  (années  1480,  même  Musée)  ; 
ceux  des  bas  côtés  de  N.-D.  de  Dijon  (fin  xv*  siècle 
ou  début  du  xvi^),  tous  sont  des  portraits  très  frères 
des  figures  qu'accomplissaient  dans  le  reste  de  la 
France  les  plus  nationaux  des  peintres  postérieurs 
à  Fouquet.  Et  l'imagerie  de  l'église  de  Bagnot,  en 
Dijonnais,  (1484)  procède  directement  des  traditions 
ancestrales. 

Des  peintures  de  la  cathédrale  autunoise,  on  ne 
distingue  plus,  —  et  encore  très  mal  à  cause  d'un 
confessionnal  malencontreusement  placé,  —  qu'une 
partie  de  la  Procession  de  St.  Grégoire.  Le  pape  et 
les  cardinaux  se  profilent  en  des  poses  très  simples 
et  leurs  tètes  sont  caractérisées  avec  une  extrême 
loyauté  ;  aussi  le  type  bourguignon  s'affirme-t-il  sur 
presque  toutes.  On  peut  avoir  une  idée  de  l'ensemble 
et  des  tonalités  qui  le  paraient  en  recourant  au 
relevé  fait  pour  les  «  Monuments  historiques  »  (i). 
Les  corps  sont  moins  heureusement  construits  que 
les  têtes  et  l'un  des  assistants,  le  seigneur  au  pour- 
point L  leu  et  aux  chausses  grises,  s'en  va  de  guingois 


(i)  On  peut  voir,  dans  les  meilleures  conditions,  les 
relevés  des  «  Monuments  Historiques  »  à  la  Bibliothèque  du 
Musée  de  sculpture  comparée  de  Paris  (Palais  du  Trocadéro). 


—  io6  — 

à  l'excès  ;  néanmoins  le  cortège  ne  manque  pas  de 
vie.  Les  tons,  peu  variés,  durent  s'accorder  assez 
bien  et  même,  grâce  à  des  contrastes  rudimentaires. 
ébaucher  quelques  efifets  de  coloration.  A  gauche, 
la  jupe  cramoisie  et  la  robe  dorée  de  la  dame  placée 
au  premier  plan  avait  pour  repoussoir  le  sombre 
violacé  du  costume  avoisinant  ;  près  du  milieu,  le 
jaune  du  vêtement  d'un  vieillard  était  avivé  par  un 
bleu,  un  gris  et  un  noir,  qui  servait  également 
d'opposition  à  l'alliance  d'or  et  de  pourpre  sous 
laquelle  apparaissait  Grégoire  (i).  A  droite,  les 
écarlates  et  les  cobalts  des  prélats  s'alliaient  sans 
fatigue  pour  la  rétine,  à  en  juger  d'après  ce  qui 
reste.  Le  même  relevé  nous  révèle  les  peintures  des 
deux  registres  disposés  sur  la  Procession  :  elles  se 
composaient  de  personnages  sacrés,  parmi  lesquels 
St.  Luc,  St.  Grégoire  et  St  Denis,  et  au  dessus 
Jacob,  Isaïe,  Moïse,  David,  St.  Ambroise  et  St. 
Bernard  (ces  deux  derniers  sous  un  aspect  jeune). 
Moins  réussies  étaient  les  têtes  de  ces  saints,  tout 
à  fait  primitives  dans  le  registre  supérieur  ;  quant 
aux  tonalités  de  leurs  costumes,  au  moment  où  elles 
furent  aquarellées,  celles  du  premier  compartiment 
avaient   des    délicatesses    de    vieilles    tapisseries. 


III  Ce  noir  teintait  le  costume  d'un  personnage  à 
cheveux  roux,  qu'il  faut  deviner  à  présent  ;  il  ne  fait  plus 
qu'une  tache  sans  caractère  et  les  vêtements  de  St.  Grégoire, 
outrageusement  délavés,  ne  gagnent  rien  à  ce  voisinage. 


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—  I07  — 

St.  Luc  exhibait  un  ton  de  chair  éteint  où,  dans  le 
bas,  dominaient  des  jaunes  et  dont  les  ombres 
rougeoyaient  ;  St.  Grégoire  un  jaune  dédoré  que 
soulignaient  un  peu  d'outremer  et  un  grenat  qui  dut 
être  beau. 

Sur  deux  fragments  de  peinture  de  l'ancienne 
chapelle  St.  Vincent,  on  reconnaît  le  Christ  mort  sur 
les  genoux  de  son  Père  et  une  Mère  douloureuse  ;  un 
troisième  a  l'image  du  cardinal  Jean  Rolin,  les 
autres  portent  trois  têtes  d'oiseaux  et  un  loup.  Les 
figures  religieuses,  travaillées  avec  une  haute  con- 
science, s'imposent  à  l'attention  par  leur  naturel, 
leur  dignité  et  leur  force  impressive.  Le  portrait  du 
cardinal,  psychologique  à  ravir,  provoque  l'admira- 
tion par  son  implacable  vérité.  Les  animaux,  surtout 
l'aigle  vu  de  profil,  sont  fidèlement  rendus  et  fort 
bien  adaptés  au  mur  (i).  "Le  Crucifiement,  d'un  faire 
minutieux  qui  n'a  rien  de  choquant,  retient  aussi 
par  sa  parfaite  probité. 

Les  peintures  de  Dijon  comprennent  :  sur  la 
paroi  de  gauche,  une  Circoncision,  un  Baptême, 
l'évêque  St.  Quille  présentant  un  donateur,  Ste  Denisse^ 
Ste  Catherine  et  une  donatrice,  et,  en  haut,  une  moitié 
de  tête  dans  un  médaillon  ;  sur  la  paroi  de  droite, 
une    Vierge  à    VEnjant  avec  un  Prêtre    donateur   à 


(i)  Ces  peintures  ont  été  transportées  très  heureusement 
sur  toile  en  i883  par  les  soins  de  la  société  Éduenne,  et  leur 
bonne  conservation  est  désormais  assurée. 


—  io8  — 

genoux  dans  un  jardin,  dont  la  clôture  laisse  voir  un 
pa3'sage,  et  un  peu  plus  loin  Ste  Sabine  portant  sa 
tête.  Les  deux  pontifes  de  la  Circoncision,  les  dona- 
teurs de  gauche  et  le  prêtre  de  droite  ont  des 
individualités  artistement  décrites.  St.  Guille  captive 
le  regard  par  son  excellente  contexture  à  silhouette 
décorative.  La  Vierge  conserve  un  air  doux  et 
presque  charmant  malgré  les  ravages  qu'elle  a  subis 
(il  ne  lui  reste  qu'un  œil).  Deux  têtes  seulement 
laissent  à  désirer,  celle  de  VEnfant,  quelconque,  et 
celle  de  Ste  Catherine,  par  trop  fade.  Toutes  ces 
figures  sont  murales  par  leurs  contours  comme  par 
leurs  teintes  ;  mais  la  plupart  de  ces  dernières  ont 
été  très  altérées.  Il  n'}-  a  guère  à  signaler  que  l'accord 
de  vert  tendre,  de  blanc  et  de  rougeâtre  émis  par 
Ste  Catherine  et  l'harmonie  de  violacé,  de  verdâtre 
et  de  jaune  anémique  qui  s'étend  sur  Ste  Denisse, 
ajoutant  à  la  mélancolie  de  son  expression. 

Les  détrempes  de  Bagnot,  restaurées  en  i865, 
nous  montrent,  dans  le  chœur,  des  effigies  de  saints 
plutôt  simplistes,  parmi  lesquelles  un  Baptiste  à  l'air 
sceptique  et  narquois  ;  sur  l'arc  doubleau,  les  mois 
de  l'année  et  le  Jugement  dernier  sur  les  deux  voûtes 
et  une  partie  des  parois  latérales.  Ces  motifs  encore 
très  archaïques,  et  de  conception  naïve  en  maint 
endroit  (O  !  la  diligence  pour  l'enfer  !),  se  détachent 
sur  un  fond  blanc  semé  de  fleurons  ;  les  tons  en  sont 
lugubres,  dérivant  presque  tous  d'un  marron  chargé 
de  brun  et  d'un  jaune  crasseux. 


:-    z    3 

T.      Ç    Ci 


5  ^; 


—  log  — 

On  serait  tenté  de  rapprocher  des  peintures  de 
N.-D.  de  Dijon  ce  Cardùial  en  extase  devant  la  croix 
qui  achève  de  périr  dans  l'ancienne  éghse  Saint- 
Phihbert  (même  ville)  ;  toutefois  ce  vestige  est  dans 
un  tel  état  de  délabrement  que  mieux  vaut  se  garder 
de  prononcer  sur  son  provincialisme.  On  ne  saurait 
davantage  reconnaître  le  degré  de  bourguignon- 
nisme  de  V Arbre  de  Jessé  du  petit  chœur  gauche  de 
N.-D.  de  Semur-en-Auxois  et  des  peintures  de 
l'église  de  Saint-Seine  (Dijonnais)  qui  retracent  la 
vie  du  saint  fondateur  de  l'ancienne  Abbaye,  Sequa- 
nus,  fils  du  comte  Mermont.  On  ne  voit  plus  assez 
nettement  les  principales  figures  du  premier  de  ces 
ouvrages  ;  et  l'archaïsme  règne  sans  frein  dans  le 
second,  où  tout  décèle  une  main  novice.  On  ignore 
les  auteurs  de  ces  œuvres  ;  et,  des  seuls  peintres 
dont  on  connaisse  les  noms,  Pierre  et  Jean  Chan- 
genet  de  Dijon,  rien  n'a  été  sauvé.  Parvenus  à  la 
célébrité  dans  les  années  1490,  ils  gagnèrent  assez 
d'argent  pour  s'offrir  un  hôtel  dans  leur  patrie  et 
remportèrent  assez  de  succès  pour  obtenir  des 
travaux  en  dehors  de  leur  province,  jusque  dans 
Avignon.  On  sait  aussi  que  Jean,  dit  le  Bourguignon, 
fit  un  retable  pour  le  maître-autel  de  N.-D.  do 
Dijon. 

Parmi  les  miniatures  de  la  seconde  moitié  du 
siècle,  retenons,  pour  leur  accent  nordique,  celles 
du  Missel  commandé  par  le  cardinal  Rolin  et  main- 
tenant à  la  Bibliothèque  de  Lyon,  celles  du  «  Frois- 

8 


—    IIO   — 

sart  »  de  la  Bibliothèque  Municipale  de  Breslau 
réalisées  en  grisaille  pour  Antoine  le  grand  bâtard  ; 
et,  pour  son  caractère  bourguignon,  le  feuillet  du 
Pontifical  d'Antoine  de  Châlon,  évêque  d'Autun 
(Musée  Rolin). 

Si,  parmi  les  tapisseries,  quelques  pièces  ont 
contribué  au  ra3'onnement  de  l'esthétique  néerlan- 
daise par  leur  caractérisme  bien  compris,  ce  sont, 
semble-t'-il,  les  trois  plus  anciennes  de  l'Hospice  de 
Beaune,  St.  Antoine,  l'Agneau  mystique  et  St.  Eloi  ; 
et,  à  l'aurore  du  XVP  siècle,  celles  de  N.-D.  delà 
même  ville  :  la  Légende  de  la  Vierge.  Peu  de  scènes 
sont  disposées  décorativement,  c'est-à-dire  avec  un 
bel  équilibre,  dans  cette  émerveillante  suite,  mais 
toutes  impressionnent  avec  force  par  la  vie  de  leurs 
figures  et  l'harmonie  de  leur  teintes  (i). 

Enfin  quelques  vitraux  historiés  de  l'Hospice 
de  Beaune  et  de  N.-D.  de  Semur  (notamment  celui 
de  Ste  Barbe,  chapelle  de  ce  nom),  et  la  verrière  de 


(i)  La  Légmde  delà  Vierge  fut  offerte,  au  début  du  XVIe 
siècle,  par  le  chanoine  Hugues  Le  Coq,  qui  s'y  trouve  figuré 
deux  fois.  Les  groupes  les  mieux  arrangés  sont  :  la  rencontre 
de  Joachim  et  d'Anne,  la  Visitation,  V Adoration  de  l'Enfant  par 
Marie  et  Joseph,  la  Vierge  et  l'adorant  dans  l'Adoration  des 
Mages,  la  fuite  en  Egypte. 

Une  autre  tapisserie  qui,  très  probablement,  vient  des 
Flandres  et  que  l'on  a  trop  restaurée,  le  Siège  de  Dijon  en  i5i3 
(Musée  de  Dijon',  pouvait  aussi  faire  impression  sur  les 
peintres  de  Bourgogne  ;  mais  quand  ceux-ci  purent  la  contem- 
pler, la  plupart  avaient  cessé  d'emprunter  aux  Néerlandais. 


—  III  — 


la  cathédrale  d'Autun  qui  porte  V Arbre  de  Jessé 
démontrent  que,  jusqu'en  ce  genre,  les  Bourgui- 
gnons ont  su  tirer  parti  des  enseignements  néer- 
landais. 


Chapitre  VII. 

LES  DERNIÈRES  MANIFESTATIONS  DE 
L'ART  BOURGUIGNON. 

Dans  la  première  moitié  du  xvi^  siècle,  les 
sculpteurs  bourguignons  marquent  encore  quelques 
œuvres  de  l'empreinte  régionale:  la  Femme  en  prière, 
si  recueillie,  si  fervente,  du  Musée  de  Dijon  (dans 
les  anciennes  cuisines  ducales)  ;  le  Saint-Sépulcre, 
rugueux  mais  touchant,  de  Talant  (Dijonnais)  ;  la 
sainte,  à  tête  vulgaire  mais  à  stature  et  à  draperie 
harmonieuses,  qui  se  dresse  dans  la  chapelle  du 
Musée  de  Cluny  ;  le  St- Jean-Baptiste  en  noyer  de 
l'église  de  Rouvre  (Dijonnais);  le  groupe  deSte-Anne^ 
Marie  et  Jésus  enfant  du  Musée  de  Semur-en-Auxois, 
la  petite  martyre  au  ventre  ouvert  du  même  musée  ; 
les  scènes  de  la  vie  de  St-Germain  au  portail  sep- 
tentrional de  la  cathédrale  d'Auxerre  ;  le  petit  saint 
debout  sur  une  console  au  fond  de  la  chapelle  des 
Fonts  à  N.-D.  de  Semur,  le  Christ  sortant  du  tom- 
beau (même  église,  dans  une  chapelle  près  de  la 
sacristie)  au-dessus  du  retable  où  se  morfond  une 
Mère  de  Douleur  ;  les  figures  des  stalles  de  Mon- 
tréal (Avallonnais),  tirées  du  chêne  en  i522  et 
attribuées  aux  frères  Rigoley  de  Nuits-sous-Ravières 
ou  de  Nuits-sur-Armançon. 


\'iERGE  A  l'enfant  AVEC  UN  PRÊTRE  DONATEUR,  peinture  murale 

(Eglise  Notre-Dame,  Dijon  .  (pp.  107.  loS). 


—  il3  — 

Ces  dernières  figures,  d'une  anatomie  incorrecte 
mais  d'une  vie  intense,  d'une  humanité  profonde, 
constituent  peut-être  la  plus  bourguignonne  des 
œuvres  des  années  i5oo  et  les  traces  du  slutérisme 
y  apparaissent  nombreuses.  Peu  de  stalles  sont 
aussi  curieusement  ornées.  On  y  voit  des  scènes 
d'une  intimité  charmante,  comme  la  Visitation  (à 
gauche),  la  Sainte-Famille  (à  droite),  le  Christ  et  la 
Samaritaine  {là..)  \  un  motif  d'une  vérité  saisissante 
qui  nous  montre,  à  droite,  les  auteurs  de  cette  déco- 
ration en  train  de  prendre  leur  repas  ;  des  figures  à 
mouvement  bien  saisi  comme  le  Samson  qui  abat  un 
lion  sorti  de  quelque  gargouille,  ou  caractérisées 
avec  esprit  comme  l'homme  qui  tient  tin  diable  en 
laisse  (à  gauche),  les  deux  chantres  au  lutrin  ('au- 
dessus  du  motif  précédent),  le  petit  joueur  de  pipeau 
(à  droite),  le  plaideur  pressuré  \  d'autres,  d'un  ex- 
pressif amusant,  mélange  réussi  d'observation  et  de 
fantaisie,  comme  les  homoncules  et  les  têtes  par- 
semées entre  les  sièges  et  sur  les  miséricordes  (i). 

L'esprit  slutérien  revit  dans  le  St-Paul  prove- 
nant du  château  de  Pagny  (Dijonnais)  et  maintenant 
au  Louvre,  dans  \e  pleurant ,  seul  vestige  sans  doute 
du  tombeau  de  Jacques  de  Malain  (Louvre,  jadis  à 
St-Martin   de  Lux\    et  dans  le  cadavre,  bas-relief 


(i)  La  plus  franchement  comique  de  ces  figurines  est 
certainement  la  vieille  femme  au  corjiS  de  sirène  silhouettée 
sur  une  miséricorde  de  l'extrême  gauche. 


—  114  — 

tumulaire,  de  l'église  de  Cussy-les-Forges  (Avallon- 
nais). 

Le  premier  est  un  robuste  paysan  à  la  trogne 
équarrie  sans  adresse  mais  avec  une  savoureuse 
énergie,  au  costume  établi  d'un  pouce  synthétiste. 
Le  second,  trapu  et  barbu,  évoque  les  gnomes  des 
vieilles  légendes.  Devant  le  troisième,  presque  terri- 
fiant en  son  impitoyable  réalité,  car  nous  voyons 
s'ouvrir  son  ventre  et  les  vers  ravager  ses  pauvres 
chairs  en  décomposition,  on  songe  involontairement 
au  fameux  squelette  de  Ligier  Richier.  En  procède- 
rait-il  ou  —  pourquoi  pas  ?  —  l'aurait-ii  inspiré  ? 
Entre  l'art  du  grand  sculpteur  lorrain  et  l'art  dérivé 
de  Sluter,  nombreuses  sont  les  affinités,  l'un  et 
l'autre  reposant  sur  le  caractérisme.  Richier  aurait 
aisément  fait  sien  un  motif  comme  celui  du  cadavre 
cussien,  l'anonyme  de  Cussy  n'eût  éprouvé  vrai- 
semblablement aucune  difficulté  à  traduire  à  la 
Bourguignonne  le  squelette  de  Bar-le-Duc. 

Enfin  le  vouloir  de  caractériser  à  l'instar  des 
ancêtres  se  reconnaît  en  différents  ouvrages  recueillis 
par  le  Musée  de  Dijon  :  le  Baptême  de  Jésus  et  la 
Prédication  du  Baptiste  (i52o,  jadis  à  l'Hôpital  du 
Saint-Esprit),  disposés  d'une  manière  théâtrale  mais 
pleins  de  vie  et  dûment  accentués  ;  V Ensevelissement 
polychrome  (même  provenance),  lourd  et  commun  ; 
le  retable  de  l'ancienne  église  Saint-Pierre,  qui  com- 
prend six  scènes  de  la  vie  du  Christ  ;  VEcce  Homo, 
dont  l'auteur  s'est  appliqué  à  faire  parler  la  face. 


—  ii5  — 

L'influence  italienne  ne  pénètre  la  Bourgogne 
que  peu  à  peu,  elle  ne  remplace  pas  sans  transition 
l'influence  néerlandaise;  et  les  caractères  provin- 
ciaux ne  s'altèrent  et  surtout  ne  s'effacent  pas  en  un 
jour.  Ils  persistent  dans  le  retable  de  la  cathédrale 
d'Autun  (chapelle  des  Fonts),  où  la  Madeleine 
reconnaît  le  Christ,  et  surtout  dans  les  figurines  de 
l'encadrement.  Ils  ne  disparaissent  complètement 
ni  du  retable  d'Aignay-le-duc  (Châtillonnais),  ni  des 
bas-reliefs  et  de  la  Mise  au  tombeau  de  Saint- Vorles, 
à  Châtillon-sur-Seine,  exécutés  par  Jean  Dehors, 
originaire  de  ce  pays,  dans  le  premier  quart  du 
siècle.  Dans  la  décoration  du  portail  occidental  de 
Saint-Michel  à  Dijon,  où  l'apport  transalpin  est 
considérable,  plusieurs  morceaux  sont  encore  bour- 
guignons :  tout  d'abord  les  Prophètes  des  médaillons, 
d'une  taille  si  fière,  d'une  contexture  si  vigoureuse, 
puis  la  Jtidith  du  socle  qui  porte  le  prince  des 
Archanges,  et,  dans  une  certaine  mesure,  les  têtes 
placées  au-dessous  des  motifs  de  ce  socle,  voire 
plus  d'une  figure  des  bas-reliefs.  Quelque  bourgui- 
gnonnisme  demeure  bien  aussi  dans  les  curieux 
masques  du  Palais  de  Justice  de  Dijon,  les  masca- 
rons,  d'un  si  libre  métier  de  la  Fontaine  Saint- 
Lazare  d'Autun  (1543),  et  le  petit  St.  Georges, 
dérivé  de  Michel  Colombe,  du  Musée  de  la  Société 
d'Etudes  d'Avallon.  Enfin  jusque  dans  les  décorations 
ornementales  d'Hugues  Sambin,  dont  les  thèmes  sont 
italiens,  l'esprit  régional  se  manifeste  encore  par  la 


—  ii6  — 

recherche  de  l'expressif,  la  verve  et  la  vigueur  de 
la  facture  (i). 

Si  dans  la  seconde  moitié  du  siècle,  beaucoup 
de  sculpteurs  s'italianisent,  comme  les  auteurs  du 
Si.  Jean  rEvangéliste  qui  veille  à  Dijon,  à  l'angle  des 
rues  des  Facultés  et  de  la  Manutention  (2),  du 
retable  et  de  l'entourage  de  la  chapelle  des  Fonts 
de  N.-D.  de  Semur,  du  Saint-Séptdcre  de  Pouill}^- 
en-Auxois  (1572),  beaucoup  d'autres,  dans  les  années 
1600,  réussissent  à  s'assimiler  les  éléments  d'outre 
mont.  Ce  sont  des  ouvrages  bien  français  que  les 
statues  de  la  Maison  des  Cariatides  à  Dijon  et  les 
figures  de  la  salle  des  Assises  en  la  même  cité  ;  que 
l'image  de  la  première  supérieure  des  Ursulines 
d'Avallon  (Musée  de  la  Soc  d'Etudes  de  cette  ville)  ; 
que  les  effigies  du  Président  Janin  et  de  son  épouse 
(cathédrale  d'Autun),  de  Claude  Bouchu  et  de 
Georges  Joly  (Sainte-Anne,  Dijon).  En  outre,  dans 
ces   deux   dernières    œuvres    de   Jean   Dubois,   on 


(i)  Hugues  Sambin,  machiniste,  ingénieur  et  sculpteur, 
est,  croit-on,  originaire  de  Talant  ;  en  tout  cas,  il  lut  de 
bonne  heure  imprégné  de  l'art  bourguignon.  La  sculpture  sur 
bois  du  Dijonnais  lui  doit  des  chefs-d'œuvre  d'ornementation. 
Dans  ce  genre,  son  influence  fut  profonde  et  excellente.  Ses 
œuvres  subsistantes  sont  la  clôture  en  noyer  de  la  chapelle 
(salle  des  Pas-Perdus)  du  Palais  de  Justice  de  Dijon  et  l'an- 
cienne porte  de  la  sacristie  annexée  à  cette  chapelle,  aujour- 
d'hui au  Musée. 

(2)  Dans  cette  statuette  au  visage  assez  fin,  à  la  draperie 
vivante,  ce  sont  les  meilleurs  éléments  italiens  qui  s'allient  au 
fonds  bourguignon. 


Saint  Jeax-Baptiste  et  donateur,  peinture  murale 

(EL'lise  Xolre-Dame,  Dijon). 


(pi).  107,  108). 


—  117  — 

constate,  à  plus  d'un  indice,  que  l'empreinte  bour- 
guignonne est  tenace. 

Plusieurs  peintures  de  la  première  moitié  du 
XVP  siècle  diffèrent  à  peine  de  celles  de  la  fin  du 
XV^.  Ce  sont  les  décorations  des  églises  de  Fontai- 
nes-les-Dijon  (Dijonnais),  de  Chambolle-Musigny 
(Auxois),  de  Frontenard  (Bresse  châlonnaise),  la 
Cène  de  Til-Châtel  (Dijonnais),  le  dessin  de  la  mort 
de  Gémeaux  (id.),  l<^  Vierge  aux  Anges  du  portail 
occidental  de  Rouvre  (id.).  Toutes  s'affirment  Bour- 
guignonnes mais  laissent  voir  des  signes  d'influence 
italienne,  notamment  la  Résurrection  des  corps  et  les 
Docteurs  de  l'Eglise  de  Fontaines  lès  Dijon.  Les 
peintures  de  Chambolle,  exécutées  en  i53g,  avaient 
été  recouvertes,  comme  tant  d'autres,  d'un  badi- 
geon ;  on  ne  les  en  a  délivrées  qu'en  iSgS.  Dans 
l'abside,  les  Apôtres,  deux  Evangélistes,  divers  saints 
et  saisîtes  font  une  procession  ;  dans  le  chœur,  age- 
nouillés près  du  Baptiste,  dont  le  costume  blanc  a 
tourné  au  jaunâtre,  se  tiennent  le  donateur  Jehan 
Moisson,  tout  de  noir  vêtu,  sa  femme  et  leurs 
enfants  ;  à  gauche,  près  d'une  fenêtre,  trône,  au 
milieu  des  anges,  la  reine  du  ciel.  Les  figures  les 
mieux  caractérisées  sont  celles  des  donateurs  et  de 
5^.  Jean,  qui  s'accomodent  bien  de  leurs  teintes 
sévères;  et,  entre  toutes,  la  tête  de  Moisson  s'impose 
au  souvenir. 

Les  détrempes  de  Frontenard,  retrouvées  en 
1893-1894,   ont  l'empreinte   de  deux  époques  diffé- 


—  Il8  — 

rentes.  Quelques-unes  datent  de  1547,  d'autres 
semblent  du  début  du  siècle.  Toutes  sont  d'ailleurs 
d'une  technique  rudimentaire  et  les  archaïsmes  y 
foisonnent,  ce  qui  ne  doit  pas  étonner,  la  peinture 
murale  ayant  été  trop  souvent,  au  XVP  siècle, 
abandonnée  à  des  professionnels  de  troisième  ordre. 
Ceux  de  Frontenard  s'efforcèrent  du  moins,  et  là 
s'avère  leur  esprit  régional,  d'individualiser  leurs 
personnages  et  d'en  souligner  les  sentiments  ;  peu 
s'en  fallut  que,  dans  la  Pièta,  ils  n'arrivassent  au 
pathétique.  D'autres  peintures  murales,  très  abî- 
mées, les  Evêques  de  la  cathédrale  d'Auxerre  et  les 
images  saintes  de  l'église  de  Moloy  (Dijonnais)  ont 
un  aspect  XVP  siècle  et  français. 

En  quelques  tableaux,  les  caractères  bourgui- 
gnons s'observent  encore  avec  un  reste  d'influence 
néerlandaise,  comme  dans  les  deux  panneaux  de  la 
Messe  de  St.  Grégoire  (autrefois  dans  l'église  de 
Marnay,  aujourd'hui  au  duc  de  Bauffremont),  dont 
les  personnages,  quoique  durement  tracés,  surtout 
ceux  du  second  volet,  n'en  vivent  pas  moins  ;  en 
d'autres,  ils  se  marient  en  toute  affection  avec  les 
éléments  français,  comme  dans  un  portrait  de  quin- 
quagénaire, où  triomphe  la  manière  de  François 
Clouet  (à  M"^^  Gounot,  Paris).  Et  cette  alliance 
franco-bourguignonne  est  relevée  d'une  pointe  de 
slutérisme  dans  un  dessin  de  l'ancienne  collection 
du  peintre  Ville  :  une  tête  de  vieille  femme,  étude  pour 
un  portrait.    Et  ces  loyales   oeuvres,   ainsi  que  les 


—  119  — 

décorations  aux  touchantes  défectuosités,  l'empor- 
tent certes  en  intérêt  sur  la  Lapidation  de  St. 
Etienjie  (i55o),  très  honnête  travail  dans  le  goût  de 
Cousin,  par  le  chanoine  Félix  Chrétien  (cathédrale 
d'Auxerre),  et  sur  les  peintures  commises,  en  i588, 
à  Saint-Michel  de  Dijon,  selon  le  mode  italianisant 
de  Fontainebleau,  par  Florent  Despèches,  de  Thil- 
Châtel  (i). 

Aux  XVIP  et  XVIII'  siècles,  on  admirera  les 
peintres  des  Pays-Bas  sans  profiter  des  leçons  con- 
tenues dans  leurs  tableaux.  Dans  les  années  1600, 
seuls  peut-être,  quelques  ouvrages  de  Nicolas 
Quentin  conservent  un  parfum  de  leur  province  ; 
au  moins  est-il  sensible  dans  la  Sainte  Marguerite 
et  VEvêque  bénissant  U7i  enfant  du  Musée  de  Dijon, 
deux  portraits  excellents,  surtout  le  second,  carac- 
térisé non  sans  ampleur  (2). 

Plus  tard,  le  délicieux  Prud'hon,  —  ses  por- 
traits nous  l'attestent,  —  héritera  de  ses  lointains 
ancêtres  l'amour  et  le  respect  des  structures  solides, 
des  galbes  parlants,  mais  il  différera  d'eux  et  beau- 
coup par  ses  concepts  d'art,  surtout  dans  ses  com- 
positions (3).     Le    portraitiste   des    Antony    et    du 


(i)  Elles  sont  dans  la  sacristie  de  la  chapelle  de  la  Vierge. 

(2)  Dans  le  portrait  de  Janin,  au  Musée  de  Semur.  inté- 
ressant ouvrage  d'un  inconnu,  il  n'y  a  guère  de  Bourguignon 
que  les  traits  du  portraituré. 

(3)  C'est  seulement  aussi  dans  ses  portraits  que  Greuze 
n'a  pas  étouffé  toutes  ces  qualités   bourguignonnes,   si  bien 


—    120   — 

gentilhomme  de  la  collection  Aynard  (i)  se  filie  à 
l'école  Bourguignonne,  mais  le  poète  de  Psyché, 
mais  le  dramaturge  de  la  Justice  divine  apparaît  dans 
l'école  Française  comme  une  individualité  très 
particulière,  un  cas  isolé. 

Au  XIX^  siècle,  les  qualités  bourguignonnes 
s'épanouissent  dans  maintes  oeuvres  de  Rude,  no- 
tamment dans  son  Départ  et  ses  bustes  ;  dans  quel- 
ques sculptures  de  Frémiet,  entre  autres  son  St. 
Michel  de  la  célèbre  Abbaye  ;  dans  les  peintures  de 
Trutat  (Louvre  et  Musée  de  Dijon)  et  d'Alphonse 
Legros,  surtout  dans  VEx-voto  du  Musée  dijonnais. 
On  les  perçoit  unies  aux  qualités  comtoises  dans  les 
statues  de  Just  Becquet,  bisontin  formé  par  Rude, 
ainsi  que  dans  les  tableaux  du  paysagiste-intimiste 
Antoine  Richard,  lequel,  après  un  séjour  à  Barbizon 
vécut  pendant  longtemps  dans  sa  ville  natale, 
Chalon-sur-Saône  (2). 


cultivées  tout  d'abord  par  Grandon.  Et  c'est  par  ses  portraits, 
d'ailleurs,  que  restera  ce  peintre  si  malheureusement  dévoj'é 
dans  un  genre  artificiel. 

(ij  C'est  l'étude  du  portrait  de  l'amateur  qui  commanda 
VEtiïévement  de  Psyché,  et  le  maître  ne  s'est  peut-être  montré 
nulle  part  plus  Bourguignon  que  dans  cette  peinture  très 
largement  enlevée  et  très  artiste. 

(2)  Richard,  formé  en  Bourgogne,  ne  pouvait  perdre  ses 
qualités  provinciales  en  s'ou\T:ant  à  l'influence  de  Charles 
Jacque  et  de  J.-F.  Millet.  Entre  l'art  de  ces  deux  peintres, 
surtout  celui  du  maître  des  Glaneuses,  et  l'art  Bourguignon  du 
temps  des  ducs,  que  d'aflBiiités  ! 


Femme  ex  prière 

(Musée  de  Dijon). 


(p.    112). 


—    121    — 

Reste-t-il  quelque  chose  de  septentrional  dans 
les  oeuvres  de  ces  artistes  ?  c'est  plus  que  probable. 
Les  branches  des  Pays-Bas  entées  sur  le  tronc 
bourguignon  l'ont  si  généreusement  enrichi  de  leur 
sève  !  Mais  il  serait  tout  à  fait  vain  de  chercher  à 
connaître  ce  que  nos  modernes  fils  de  Bourgogne 
doivent  exactement  à  leurs  lointains  cousins.  L'action 
des  Néerlandais  avait  été  trop  puissante  à  l'époque 
de  Sluter  pour  ne  pas  se  prolonger  plusieurs  siècles 
encore,  au  moins  dans  l'esprit  de  beaucoup,  en  dépit 
d'influences  contraires.  Elle  avait  été  trop  féconde, 
trop  bienfaisante,  au  moment  de  sa  plénitude,  pour 
que  les  régions  où  elle  s'était  exercée  n'en  gardassent 
pas  quelques  vestiges  longtemps  après  son  déclin. 
Le  fertile  limon  que  déposent  les  grands  fleuves  ne 
conserve-t-il  pas  ses  vertus  bien  après  que  se  sont 
retirées  les  eaux  qui  l'apportèrent  ? 

Les  résultats  de  l'action  rénovatrice  des  Néer- 
landais, on  vient  de  les  voir.  Ne  saluons  pas  seule- 
ment les  œuvres  qu'elle  a  suscitées,  admirons  aussi 
en  ce  mouvement  magnifique  l'un  des  effets  de  cette 
belle  et  mystérieuse  loi  de  solidarité  qui  régit 
l'humanité  tout  entière  et  dont  on  rencontre  tant 
d'exemples  divers  dès  qu'on  s'applique  à  l'étudier. 
C'est  entre  les  artistes  comme  entre  les  peuples  un 
perpétuel  échange  de  services,  d'apports.  Les  maî- 
tres sont  en  quelque  sorte  conditionnés  par  des 
groupes  d'artistes  précurseurs  et,  à  leur  tour,  les 
maîtres  forment  des  légions  d'artistes  continuateurs. 


—    122   — 

Les  écoles,  à  l'heure  des  anémies,  des  crises,  sont 
souvent  régénérées  par  des  écoles  qu'elles  ont 
secourues  précédemment  ;  et,  même  en  dehors  de 
ces  périodes,  elles  ne  cessent  de  s'aider  à  se  perfec- 
tionner. Les  plus  vigoureuses,  les  mieux  douées 
d'entre  elles,  demeurent  à  travers  les  âges  comme 
les  éducatrices  des  autres,  lesquelles  leur  rendent 
hommage  en  s'appliquant  à  les  égaler  sans  leur 
ressembler.  Quel  art  d'Europe  ne  doit  rien  à  celui 
de  l'Hellade,  et  qui  pourrait  relever  ce  qui  reste 
d'Hellène  chez  les  plus  originaux  des  artistes  de 
l'ouest,  du  centre  et  du  nord  ? 


Cadavre,  bas-ielief  tumulaire 

(Eglise  de  Cussy-les-Forges  . 


(p.  Ii3). 


BIBUOGRAPHIE. 

Archives  départementales  de  la  Côte  d'or  et  du  Nord. 
Archives  municipales  de  Dijon. 

Bibliothèque  Nationale  de  Paris  (Collection  Bourgogne). 
Mémoires  de  la  Commission  des  Antiquités  de  la  Côte  d'or 

(tomes  II,  VIII,  XII  et  XIII). 
Réunions   des    Sociétés   des   Beaux-Arts   des    Départements 

(années  1890,  1892,  1897  et  1899). 
Mémoires  couronnés  de  l'Académie  ro3"ale  de  Belgique  (tome 

XXVII),  BruxeUes. 
Bulletin    des   Commissions   royales    d'art    et    d'archéologie, 

(année  1877)  Bruxelles. 
Archives  historiques  et  littéraires  de  1890. 
Histoire  des  ducs  de  Bourgogne  (Notes  de  M.  Gachard)  par  de 

Barante'-,  Bruxelles,  i838. 
Les  Ducs  de  Bourgogne,  Etudes  sur  les  lettres,  les  arts  et  l'industrie, 

pendant  le  XV'  siècle,  et  plus  particulièrement  dans  les  Pays-Bas 

et  le  duché  de  Bourgogne,  par  L.  de  Laborde,  3  vol.  in-8°, 

Paris,  1849-1851. 
Vart  chrétien   en  Flandre,  par  Dehaisnes,  i  vol.  in-8°,  Douai, 

1860. 
Les  anciens  peintres  flamands,  leur  vie  et  leurs  œuvres,   par  Crowe 

et   Cavalcaselle,    complétés   par    Pinchart    et    Ruelens, 

Bruxelles,  1862. 
Le  livre  des  peintres  Par  Cari  van  Mander,  traduction,  notes  et 

commentaires  par  Hymans,  Bruxelles,  1884. 
Histoire  de  Vart  dans  la  Flandre,  l'Artois  et  le  Hainaut,  avant  le 

XV'  siècle,  par  Dehaisnes,  3  vol.  in-40,  Lille,  1886. 
Souvenirs  de  Bourgogne ^Y'B.r'Evcïile  Montégut,  in-12,  Paris,  1886. 
Jean  âe  la  Huerta,  Antoine  le  Moiturier  et  le  tombeau  de  Jean  sans 

Peur,  par  Chabeuf,  in-8°,  Dijon,  1891, 


—  124  — 

La  Sculpture  A  Dijon.  L'école  Bourguignonne  à  la  fin  du  XIV'  siècle 
et  pendant  le  XV^  siècle.  Conférence  par  L.  Courajod,  in-8<*, 
Paris,  1892, 

Catalogue  raisonné  du  Musée  de  sculpture  comparée  du  Trocadéro,  par 
Courajod,  in-S^,  Paris,  1S92. 

L'art  en  Bourgogne,  par  Perrault-Dabot,  in-B»,  Paris,  1894. 

Dijon,  monuments  et  souvenirs,  par  Chabeuf,  Dijon,  1894. 

La  Chartreuse  de  Dijon,  d'après  les  documents  des  Archives  de  Bour- 
gogne, par  Monget,  2  vol.  in-8°,  Montreuil-sur-mer,  1898- 
190 1. 

Leçons  professées  à  l'Ecole  du  Louvre  par  Courajod,  t.  II,  in-8°, 
Paris,  1902. 

Claus  Sluter  et  la  sculpture  Bourguignonne  au  XV^  siècle  par  A. 
Kleinclausz,  Paris,  igoS. 

La  Renaissance  septentrionale  et  les  premiers  maîtres  des  Flandres, 
par  H.  Fierens-Gevaert,  in- 8°,  Bruxelles,  1905. 

La  peinture  en  Belgique,  les  Primitifs  Flamands,  par  H.  Fierens- 
Gevaert,  Bruxelles,  1908. 

Gazette  des  Beaux-Arts,  années  i885  (t.  ii',  1890,  1896  (t.  i), 
1898  (t.  i),  1903  (t.  Il),  1906. 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


En  regard  page 

Le  Portail  du  Narthex  et  la  Nef  de  l'Eglise  de  la  Made- 
leine à  Vézelay i 

Détail  du  Portail  de  l'Eglise  Saint-Lazare  à  Avallon  .      .  4 

Christ  bénissant  (Eglise  de  Saint-Père-sous-Vézela}')  .      .  8 
Figures  sous  une  arcature  (Eglise  de  Saint-Père-sous-Vé- 

zelay) 12 

Portail  de  l'Eglise  de  la  Chartreuse  de  Champmol.      .      .  20 
Jean  Maelweel  (attribué  à)  :  Christ  mort  soutenu  par  son 

Père 24 

Claus  Sluter  :  Puits  des  Prophètes  (Daniel,  Isaïe)  ...  28 

»        »                »                »            (Moïse,  David).      .      .  36 

Mausolée  de  Philippe  le  Hardi 40 

Claus  de  Werve  :  Pleurant  du  Mausolée  de  Philippe  le 

Hardi 44 

Claus  de  Werve  :  Pleurant  du  Mausolée  de  Philippe  le 

Hardi 48 

Claus  de  Werve  :  Pieurant  du  Mausolée  de  Philippe  le 

Hardi 52 

Claus  de  Werve  :  Pleurant  du  Mausolée  de  Philippe  le 

Hardi 56 

Tombeau  de  Philippe  Pot 60 

Saint  Antoine ^4 

Saint  Antoine 68 

Mausolée  de  Jean  sans  Peur  et  de  Marguerite  de  Bavière  72 
Vierge  du  trumeau  de  la  porte  de  l'Eglise  Notre-Dame  à 

Dijon 76 

Vierge 80 

Saint  Genès 84 


—    126   — 

En  regard  page 

Saint  Jean-Baptiste 88 

Concert  d'Anges 92 

Henry  Bellechose  :  La  Légende  de  Saint  Denis     ...  96 

Ecce  Homo 100 

La  Résurrection  de  Lazare,  peinture  murale  (Beaunej     .  102 

La  Mort  de  la  Vierge 104 

Circoncision  et  Baptême,  peinture  murale  (Dijon) .  .  .  106 
Saint  Guille,  Sainte  Denisse,  Sainte  Catherine,  donateur 

et  donatrice,  peinture  murale  (Dijon) 108 

Vierge  à  l'enfant  avec  un  prêtre  donateur,  peinture  murale 

(Dijon) 112 

Saint  Jean-Baptiste  et  donateur,  peinture  murale  (Dijon).  116 

Femme  en  prière 120 

Cada\'Te,  bas-relief  tumulaire 122 


TABLE  DES  MATIERES 

Page. 

Chapitre  I.  —   L'art   en    Bourgogne   avant 

Philippe  le  Hardi i 

Chapitre  IL  —  L'art  dans  les  Pays-Bas  des 

origines  à  la  rénovation  du  xiv^  siècle.     .       19 

Chapitre  III.  —  Les  Néerlandais  en  Bour- 
gogne sous  Philippe  le  Hardi      ....       36 

Chapitre  IV.  —  Claus  Sluter.  Son  art  et  son 

influence 64 

Chapitre  V.  —  La  sculpture  en  Bourgogne  au 

xv^  siècle 76 

Chapitre  VI.  —  La  peinture  en  Bourgogne 

au  XV®  siècle 99 

Chapitre  VIL  —  Les  dernières  manifesta- 
tions de  l'art  bourguignon 112 

Bibliographie I23 

Table  des  planches i25 


IMPRIMERIE 

J.-E.    BUSCHMANN 

ANVERS 


LIBRAIRIE  NATIONALE  D'ART  &  D'HISTOIRE 

G.  VAN  OEST  &  C-,  Editeurs 
i6,  Place  du  Musée,  i6,  BRUXELLES 

Collection  des  Grands  Artistes  des  Pays-Bas 

7olunies  parus  : 

QUENTIN   METSYS,  par  J.  DE  Bosschere, 
THIERRY  BOUTS,  par  ARNOLD  GoFFiN, 
PIERRE  BRUEGHEL  l'Ancien,  par  CHARLES  BERNARD, 
VERMEER  DE  DELFT,  par  GUSTAVE  Vanzype, 
LES    NÉERLANDAIS     EN     BOURGOGNE,     par    AL- 
PHONSE Germain. 

En  préparation  pour  paraître  ultérieurement  : 

LA  SCULPTURE  ANVERSOISE,  par  J.  de  Bosschere, 
ALBERT  CUYP,  par  LouiS  RouART, 
H  ANS  MEMLINC,  par  Fierens-Gevaert, 
LUCAS  DE  LEYDE,  par  N.  Beets. 
ANDRÉ  BEAUNEVEU,  par  M.   HÉNAULT, 
LES    MINIATURISTES    DE    LA    COUR    DE    BOUR- 
GOGNE, par  J.  Van  den  Gheyn,  S.  J. 
LES  DE  VOS,  par  Edmond  de  Bruyn. 

Chaque  volume,  du  format  petit  in-8°,  contient  de  120  à 
140  pages  de  texte  et  de  3o  à  32  planches  hors-texte. 

Prix  :  broché  3.50  francs  ;  relié  4.50  francs. 


LA  PEINTURE  EN  BELGIQUE 

MUSÉES,    ÉGLISES, 

COLLECTIONS,  ETC.  PAR  F I E  R  E  N  S  -  G  E  V  A  E  R  T 


LES  PRIMITIFS 

FLAMANDS 

Nous  avons  estimé,  en  présence  du  louable  engoûment  du  public  envers 
les  Primitifs,  depuis  les  fameuses  Expositions  d'Art  ancien  de  Bruges,  'ie 
Paris  et  de  Dusseldorf,  et  vu  les  progrès  actuels  de  la  critique  d'art  en  cette 
matière,  qu'il  y  avait  lieu  de  mettre  présentement  à  la  disposition  du  public 
un  ouvrage  général  et  complet  sur  les  Primitifs  des  Flandres. 

La  publication  entreprise  constitue  à  la  fois  une  histoire  intégrale,  par 
ordre  chronologique, des  maîtres  flamands  du  Moyen-Age  et  de  leurs  ateliers, 
en  même  temps  qu'un  inventaire  commenté  de  leurs  œuvres  notoires  con- 
servées dans  les  Musées,  églises  et  collections  de  Belgique. 

Pour  le  curieux  d'art,  qui  prépare  un  voyage  en  Belgique,  ce  sera  le 
guide  des  tableaux  gothiques  Flamands  et  Wallons,  consignant  au  sujet  de 
chacun  d'eux  l'état  actuel  de  la  documentation.  Pour  celui  qui  en  revient, 
cet  ouvrage  illustré  remplacera  l'ensemble  de  photographies,  catalogues, 
notices,  études  et  monographies  qu'il  aurait  dû  recueillir  à  grande  peine  et 
à  grands  frais  isolément. 

Des  4  volumes  que  comprendra  l'ouvrage,  les  2  premiers  ont  paru  et 
étudient  successivement  l'œuvre  des  Frères  van  Eyck,  Roger  van  der  Weyden, 
le  Maître  de  Flémalle,  Thierry  Bouts,  Petrus  Christus,  Hugo  van  der  Goes, 
Juste  de  Gand,  Simon  Martnion,  Hans  Memlinc,  Gérard  David,  etc.  Les 
suivants  continueront  par  Quinten  Metsys,  Jérôme  Bosch,  van  Orley,  les 
Breughel,  etc. 

L'ouvrage  sera  complet  en  4  volumes,  in-4o,  comprenant  chacun  de 
80  à  100  pages  de  texte  et  environ  40  planches  hors-texte. 
Prix  de  chaque  volume  :  1 2  francs. 

2860  4   _ 


i=4aSECT.  MAR30l97*i 


N  Germain,  ^Iphonse 

684.9  Les  Neerlendais  en 

B8G4  Bourgogne 


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